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SEP 16 1907
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JOURNAL
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
PARIS. IMPRIMERIE RE CHARLES NCHLET
13, rue cujas. — 1896
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JOURNAL
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
TROISIÈME SÉRIE — VINGT ET UNIÈME ANNÉE
SOIXANTE ET ONZIÈME ANNÉE
PARIS
PUBLIÉ PAR LA SOCIÉTÉ DES; MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
A LA MAISON DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
102, boulevard arago, 102
1896
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
1
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS A L’ENTRÉE DE 1896
Paris, le 26 décembre 1895.
Jamais, semble-t-il, la Société des Missions n’a terminé
une année dans des circonstances aussi sérieuses que celles
que nous traversons aujourd’hui.
La question de Madagascar, qui depuis longtemps pesait
sur nos esprits, s’est brusquement posée devant nous. Cette
question est si grave, si complexe, les solutions qu’elle com-
porte impliquent des conséquences si sérieuses, qu’il nous a
paru indispensable d’aller l’étudier sur les lieux. Nos délé-
gués sont choisis; ils vont partir. Le 5 janvier, l’Église de
Paris entendra leurs adieux. Le 6, ils prendront congé du
Comité. Le 10, ils lèveront l’ancre à Marseille. D’ici là, les
préparatifs de leur départ et de leur mission tiendront la
première place dans nos pensées et dans nos instants.
Est-ce à dire que cette préoccupation diminue notre solli-
citude pour nos missions elles-mêmes? A Dieu ne plaise ! Et
•janvier 1896. 1
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
c’est précisément pour rappeler à nos amis, au début de
l’année nouvelle, ces missions et leurs besoins que nous écri-
vons ces lignes.
I
Pour la seconde fois depuis sa création, notre mission du
Congo est dans le deuil. Les détails que nous donnons plus
loin surM. Jacot leur montreront la grandeur de notre perte
-et la situation vraiment grave où se trouve la mission elle-
même.
La question des renforts qui, nos lecteurs l'ont vu, nous
préoccupait il y a un mois, a dû être réglée d'urgence. Un
jeune ingénieur agronome, M. F. Faure , qui avait offert, l'au-
tomne dernier, ses services à notre Société en qualité d'auxi-
liaire, a insisté pour être envoyé au Congo. Cette demande a
été prise en considération. Nous aurions voulu pouvoir
adjoindre à M. Faure un missionnaire consacré. Le seul de
nos élèves actuellement prêt à partir s’était offert, mais il
a dû être écarté à la suite de l’examen médical auquel nous
soumettons nos futurs ouvriers avant de leur assigner un
poste. M. Faure partira donc seul le janvier,, de Marseille.
C’est le cas de dire : Qu’est-ce qu’un seul homme pour tant
ffe besoins?
A peu près en même temps que ce départ, nous en verrons
s’effectuer deux autres : celui de M. Albert Bolle, jeune mi-
nistre neuchâtelois, qui s’est offert pour Y intérim rendu né-
cessaire par le prochain congé de M. Escande au Sénégal , et
celui de M. Mercier t artisan missionnaire, pour le Zambèze.
Si, d’autre part, nous tenons compte du récent envoi de
M. et madame Huguenin à Raiatéa , nous pouvons constater
avec une profonde reconnaissance que ce n'est pas en vain
que nous avons demandé des hommes à Dieu et aux Eglises.
Mais est-ce à dire que notre appel d'il y a quelques mois ait
perdu sa raison d’être, et que le mot de Jésus : « Il y a peu
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d’ouvriers » cesse d’être vrai de notre champ? On en jugera
par ce rapide exposé (1) :
Maré n’a pas de missionnaire depuis le départ de M. Len-
gereau.
Au Congo , il faudrait, vu le climat, nous écrivait M. Jacot
peu avant sa mort, trois missionnaires par station, sans
compter un quatrième en congé; or, actuellement, il n’y a
que deux hommes à Talagouga et un seul à Lambaréné.
Du Zambèze nous arrive la nouvelle que M. Coillard est
gravement malade, et cette nouvelle donne une force parti-
culière à son appel bien connu : « Envoyez dix hommes, dix
hommes du type d’Étienne, et la journée est à nous! »
Nos frères du Lessouto, affaiblis par la mort et par les
départs, se sentent découragés et fléchissent sous le poids de
leur œuvre.
La mission du Sénégal ne peut prendre un essor vigoureux
si elle reste aussi maigrement pourvue en hommes qu’elle
l’est aujourd’hui.
Taiti, enfin, quoique renforcé par l’envoi de M. Huguenin,
nous demande les moyens de pourvoir aux besoins spirituels
des nombreuses îles et archipels formant les établissements
français de l’Océanie.
Sans que nous y insistions, nos amis sentiront qu’en pré-
sence de tels besoins il est plus nécessaire que jamais de
demander au Maître de la moisson ces ouvriers nombreux
que la moisson réclame.
II
Mais d’autres devoirs s’imposent. Nos lecteurs nous ren-
dront cette justice que, depuis bien des mois, nous leur avons
épargné les appels financiers. A vrai dire, nous ne croyons
(1) Cet exposé, de même que quelques passages de la suite de cet ar-
ticle, est emprunté à notre 18e circulaire à nos Comités auxiliaires, qui
vient d’être expédiée.
4
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
pas leur en avoir adressé souvent. Nous leur avons parlé, à
cœur ouvert, de la situation de notre œuvre, qui est leur
œuvre ; nous les avons mis au courant des affaires de cette
Société des Missions qu’ils forment eux-mêmes, donc, de leurs
affaires. Nous ne ferons pas autre chose aujourd’hui.
Par la dernière note de notre trésorier, nos lecteurs ont pu
voir qu’il y a un mois nos recettes étaient de 35,000 francs
en retard sur l’époque correspondante de l’année dernière,
déficit non compris. Cette situation s’est légèrement amé-
liorée. Aujourd’hui, l’écart est de 26,393 fr. 75. Pour que les
recettes atteignent le chiffre prévu des dépenses, il faut donc
que nous recevions, d'ici au SI mars , la somme de 250,400 fr.
Quant aux dons reçus pour le Zambèze, ils sont, en ce mo-
ment, de 14,500 francs inférieurs à ce qu’ils étaient il y a un
an.
III
Cette situation a de quoi nous préoccuper. Ce n’est pas,
hâtons-nous de le dire, que nous soyons inquiets pour l’avenir.
Nous croyons fermement que, depuis quelque temps, la cause
des Missions fait de sérieux progrès parmi nous. Il y a, dans
nos Églises, un nombre croissant de jeunes pasteurs qui sont
remplis de l’amour des Missions et qui travaillent à répandre
cet amour dans leurs paroisses. Leur zèle a déjà porté un
fruit précieux : c’est la formation, dans le cours de l’année
qui s’achève, de quatre nouveaux Comités auxiliaires : ceux
de la Seine-Inférieure, de la Dordogne, des Cévennes et de la
Basse-Ardèche, auxquels on peut ajouter celui de la Drôme, qui j
vient de se reconstituer sous la présidence de M. le pasteur I
Fallot, membre honoraire du Comité directeur.
Et ce n’est pas là une organisation purement théorique :
nous assistons au groupement de forces fraîches, de bonnes
volontés en grande partie nouvelles. Il y a là, pour l’avenir
de notre Société, de belles promesses pour lesquelles nous
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
O
bénissons Dieu. Mais si l’avenir est rassurant, le présent immé-
diat n’en exige pas moins de nous de sérieuses résolutions.
IV
Ces résolutions, un mot les résume : il faut que, cette fois
encore, nous terminions l’année sans déficit. Le déficit, en
reparaissant, rouvrirait toutes les questions, compromettrait
la prospérité et peut-être l’unité de notre belle œuvre.
Au contraire, en triomphant une seconde fois de ce vieil
ennemi, nous affirmerons, une seconde fois, notre ferme in-
tention de faire, dans toute son étendue, l’œuvre que Dieu
nous confie. Nous montrerons aussi que nous sommes prêts
pour la tâche qu’il nous réserve à Madagascar et dont nos
délégués vont étudier la nature et l’étendue. Cette tâche,
comment l’entreprendre si l’argent manque pour les an-
ciennes?
Donc, pas de déficit, que tel soit notre mot d’ordre, et que
telle soit la réalité des faits au 31 mars prochain. Pour qu’il
en soit ainsi, le devoir est tracé : il faut que chacun fasse lui-
même et obtienne des autres la somme de travaux et de sa-
crifices qui nous a permis de terminer si bien l’année der-
nière. Nous ne parlons pas ici de la souscription spéciale
pour le déficit, mais bien de ce qui a été fait pour l’œuvre
générale. Chacun de nous sait dans quelle mesure il a con-
tribué, par son effort, au résultat obtenu. Cet effort, il s’agit
de le renouveler. Et, comme il est des diminutions de recettes
qu’il n’est pas en notre pouvoir d’empêcher, il faut nous
proposer comme but d’obtenir chacun, dans le réseau de son
influence, ce quelque chose en plus sans lequel le niveau at-
teint il y a un an ne saurait être ni dépassé, ni même main-
tenu.
Est-il besoin de dire que, dans l’effort dont nous parlons,
la prière se place en première ligne? «L’or et l’argent sont à
Dieu. » Avant de collecter auprès des hommes, adressons-
nous donc à Lui. Attendons de Lui, demandons-Lui ces
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
« choses plus grandes » qu’un ami nous promettait en son
nom après notre délivrance de mars dernier.
Y
Qu’on nous permette, avant de finir, un mot en faveur du
Journal des Misssions et de son frère cadet : le Petit Messager
des Missions. D'habitude, nous recommandons ces publica-
tions à nos lecteurs dans la dernière livraison de l’année.
Nous avons négligé de le faire cette fois : en serons-nous punis
en voyant s’arrêter la marche ascendante qu’a suivie jusqu’à
ce jour le nombre de nos abonnés? Nous voulons espérer que
non, et nous comptons que les amis de notre journal lui don-
neront une nouvelle preuve de leur attachement en faisant
de la propagande en sa faveur.
Le moment est d’autant mieux choisi pour cette campagne,
qu’à partir du présent numéro notre journal se présente
légèrement agrandi et modifié dans sa partie relative à l’œu-
vre des Missions dans son ensemble. Comme l’indique son
titre, notre feuille a été fondée avant tout pour faire con-
naître cette œuvre. Au début, les travaux de notre Société
n’y tenaient qu’une place restreinte. Tout en cédant à la né-
cessité et en faisant cette place plus grande que par le passé,
nous n’avons jamais perdu de vue notre but primordial, qui
est d’intéresser nos Églises à la cause du règne de Dieu dans
toute son ampleur. De là nos Chroniques mensuelles où
l’œuvre des Missions a été, depuis dix ans, suivie de près
dans toutes ses parties. Pour donner à cette partie de notre
Journal toute l’importance qui lui revient, et pour la rendre
plus accessible à tous, nous avons résolu de la dédoubler et
d’en répartir le contenu entre des Nouvelles détachées, aussi
complètes et aussi suivies que possible, et des Etudes déve-
loppées. Nous espérons que, sous cette nouvelle forme, notre
journal verra s’agrandir encore et son action et son cercle
4e lecteurs.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
VI
Est-il nécessaire qu’en terminant nous recommandions
notre œuvre aux intercessions de ses amis? Jamais notre
Société n’a eu un plus grand besoin de la ferme direction du
Divin Chef de l'Église. Placée entre Madagascar où elle envoie
ses éclaireurs, et les champs de travail dont elle est respon-
sable et qui tous réclament son appui, elle ne peut que se re-
commander à Celui qui est puissant pour la préserver de
toute erreur et lui fournir tout ce dont elle a besoin.
C’est pourquoi, au début de l’année, promettons-nous de
prier pour lès Missions avec plus de fidélité et de ferveur que
jusqu’à ce jour. Et que chacun de nous se fasse un devoir de
participer à la réunion du 9 janvier, que les chrétiens du
monde entier consacrent aux Missions. Recommandons à
Dieu nos délégués, qui, le lendemain, s’embarqueront à Mar-
seille. Recommandons-lui notre œuvre tout entière, et sur-
tout demandons-lui son Esprit, qui seul mettra nos Églises et
nous mettra nous-mêmes en mesure d’accomplir, dans toute
son étendue, la tâche qu’il nous impose!
—
MADAGASCAR
Nous sommes en mesure de compléter les détails que nous
donnions, il y a un mois, sur les mesures prises par notre
Société à propos de Madagascar.
Le pasteur auqùel le Comité s’est adressé et qui a répondu
favorablement à son appel, est M. Henri Lauga, de Reims.
Par ses origines missionnaires (1), par son caractère, par ses
attaches avec les diverses branches de la famille protestante,
par sa connaissance de l’anglais, enfin et surtout par l’esprit
qui l’anime, M. Lauga semble désigné pour la tâche qui va
lui être confiée. Nos Églises lui sauront gré de l’avoir acceptée
(1) Le père de M. Lauga a travaillé pendant de longues années comme
auxiliaire de nos missionnaires de l’Afrique du Sud.
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
et s’uniront à nous pour remercier les membres de sa famille
et son Église qui veulent bien le laisser partir au prix d’un
sacrifice dont nous sentons l’étendue.
Le collègue qui sera adjoint à M. Lauga n’est autre que
M. F. H. Krüger, professeur de la Maison des Missions, trop
connu de nos lecteurs par ses Chroniques pour que nous
ayons à expliquer les titres qui justifient le choix du Comité.
Rappelons seulement que M. Krüger connaît les missions non
seulement par ses études de cabinet, mais aussi par le séjour
de deux années qu’il a fait au Lessouto comme premier
directeur de l’École de théologie. Ajoutons que MM. Lauga et
Krüger sont d’anciens amis, et que si leurs différences de ca-
ractère et l’indépendance de leurs vues nous garantissent
une enquête (1) aussi impartiale et aussi sérieuse que possible,
l’union de leurs cœurs et l'intimité spirituelle qui régnera
entre eux nous donnent aussi, quant à leur mission, un pré-
cieux gage de succès.
A d’autres égards encore, la pensée que notre députation se
composera de deux hommes, nous soulage et nous tranquillise.
L’époque où nos frères se mettent en route n’est pas favo-
rable. Si le moment présent n’était pas si important, si déci-
sif, dirions-nous, il est certain qu’une autre saison eût été
préférable. Mais nos délégués eux-mêmes ont insisté pour
partir tout de suite, et le Comité n’a pu que se rendre à leurs
raisons. C’est l’heure où, à Madagascar, les questions s’étu-
dient, les positions se prennent, les impressions peut-être dé-
finitives se gravent dans les esprits. C’est (le moment où les
administrateurs se mettent en route, où la mission catho-
lique, qui n’a jamais caché son espoir d’exploiter à son profit
la situation nouvelle, va faire de grands efforts pour arriver
à ses fins. Est-ce dans un tel moment que les représentants
(t) Est-il besoin de dire qu’un des premiers soins de nos délégués, en
arrivant à Tananarive, sera d'y ouvrir un culte français ? Ils ne feront
en cela qu’imiter l’exemple de nos missionnaires du Sénégal et de Taïti,
qui, à côté de leurs travaux parmi les indigènes, donnent leurs soins
pastoraux à nos compatriotes.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
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de nos Églises doivent se tenir à l’écart et attendre la saison
favorable? Le Comité et nos délégués ne l’ont pas pensé, et
la Maison des Missions elle-même n’a pas reculé devant le
lourd sacrifice que lui impose le départ de son professeur.
Nos amis voudront bien s’en souvenir et demander à Dieu
qu’il puisse être pourvu sans trop de difficultés à son rem-
placement.
Constatons, en terminant, que jusqu’à ce jour, nous n’avons
que des actions de grâces à rendre à Dieu pour la manière
dont la situation se présente à Madagascar au point de vue
des missions. Le témoignage rendu par la presse de tous les
pays à l’excellente attitude de nos soldats; les soins qu’un
bon nombre de ceux-ci ont reçus dans l’hôpital protestant de
Tananarive, la démarche faite par les représentants des mis-
sions évangéliques auprès du général Duchesne, la bienveil-
lance avec laquelle celui-ci les a encouragés à persévérer dans
leurs travaux; le récent départ d’un résident général animé
d’un grand esprit de sagesse et d’équité : tout cela est d’un
excellent augure et nous remplit de reconnaissance. Nos dé-
légués ne manqueront pas de témoigner aux autorités notre
gratitude pour ces procédés, qui sont d’un bon augure pour
l’avenir. Car que pouvons-nous souhaiter, comme chrétiens
et comme Français, si ce n’est que les missions et les Églises
protestantes de Madagascar, en harmonisant leur action avec
les circonstances nouvelles où elle est appelée à s’exercer,
puissent s’épanouir librement pour le plus grand bien des
indigènes et de notre pays lui-même? Les missions, en effet,
tout en s’adonnant à leur tâche avant tout spirituelle, sont les
auxiliaires nées de la bonne civilisation et des gouvernements
qui travaillent à la répandre.
Quand l’expédition de Madagascar fut décidée, la chré-
tienté évangélique, témoin des prétentions romaines, et se
souvenant des expériences du passé, ne put se défendre d’une
grande anxiété au sujet de l’avenir des missions protestantes.
Un chrétien de Bâle recommanda ces missions aux prières de
l’Église. «Que demanderons-nous à Dieu? disait-il en termi-
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
nant sa brochure. Tel ou tel résultat militaire? Telle ou telle
combinaison politique? Nullement ! Nous dirons seulement à
Dieu : a Seigneur, entoure toi-même ton Église de Madagascar
d’un mur de llammes, afin que, quoi qu’il arrive, Ta cause
prospère et Ton règne avance ! »
Cette prière n’a-t-elle pas été, jusqu’ici, exaucée sous nos
yeux? Elle le sera encore si, dans l’enquête qui se prépare,
dans les décisions qui seront prises, dans tout ce qui sera dit
et fait à propos de Madagascar, nous restons invariablement
fidèles au mot d’ordre du Maître : Premièrement le royaume de
Dieu, et tout le reste viendra par-dessus.
HERMAN JACOT
Aucun détail ne nous est encore parvenu sur la mort pré-
maturée de ce missionnaire, annoncée en dernière heure, il
y a un mois, et qui nous a fait éprouver à tous une si dou-
loureuse émotion. Le télégramme chiffré qui nous en appor-
tait la nouvelle était daté de Libreville, le 25 novembre, et ne
renfermait, outre le fait même, que cette simple mention :
« Prévenez famille, envoyez renfort; madame .Jacot ne se pro-
pose pas de quitter immédiatement le Congo ».
De nombreuses lettres de sympathie nous ont été adressées
à l’occasion de ce nouveau dehil ; les journaux religieux aussi
ont tenu à signaler la grande perte que subit notre mission
du Congo français, sitôt après la mort de M. Bonzon. Nous
exprimons aux uns et aux autres notre vive gratitude, tout en
recommandant à leurs prières la famille de notre frère et tout
particulièrement sa jeune femme, demeurée veuve avec deux
petits enfants. Il est juste que, dans l’isolement et l’affliction,
notre sœur se sente soutenue par la certitude que beaucoup
d’amis élèvent chaque jour en sa faveur leurs pensées et leurs
cœurs à Dieu. Il faut aussi que notre jeune mission du Congo,
passée au crible en ce moment, soit l’objet des intercessions
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
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constantes de tous ceux qui veulent voir le règne de Dieu
s’établir dans cette contrée païenne. Qu’ils reprennent cou-
rage en se souvenant de la Parole du divin Chef de l’Église :
« Si le grain mis en terre ne meurt point, il ne porte pas de
fruit; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. »
Nous espérons que les prochains courriers nous apporte-
ront le récit des derniers moments de M. Jacot. Voici, en
attendant, quelques détails biographiques sur l’ouvrier ex-
cellent que nous venons de perdre (1).
Herman Jacot est né à Genève le 21 novembre 1864. Son
père, qui vit encore, est Suisse, d’origine huguenote; sa mère
était Française, du département de Saône-et-Loire : née dans
le catholicisme, elle fut amenée à la foi évangélique par la pa-
role d’un colporteur biblique. Au moment où le jeune Her-
man allait avoir cinq ans, sa famille émigra en Amérique.
Laissons notre frère nous dire lui-même comment il fut amené
à la foi et à la carrière missionnaire. Voici ce qu’il écrivait en
mai 1890 au Comité des Missions étrangères de l’Église pres-
bytérienne d’Amérique, sous la direction duquel il débuta
dans l’œuvre de la mission :
a J’ai senti l’influence chrétienne de ma famille s’exercer
fortement sur mes jeunes années, et lorsque, à l’âge de
treize ans, j’assistai à des réunions religieuses tenues à Saint-
Louis par deux évangélistes, je fus amené à donner mon
cœur sans réserve au Sauveur. Comme le moment appro-
chait où je devais faire choix d’une carrière, je sentis que ma
vie ne pourrait être mieux employée que dans le pastorat, et
je résolus de poursuivre les études nécessaires pour y ar-
river.
« A vrai dire, je ne pensais pas alors aux missions étran-
gères; j’éprouvais même quelque terreur à l’idée que c’était
peut-être cette carrière-là qui m’était réservée. Je savais ce-
pendant qu’en me donnant au service de Dieu je devais être
(1) Nos lecteurs trouveront, en tête de cette livraison, un portrait
d’Herman Jacot, exécuté d’après sa dernière photographie.
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
prêt à aller n’importe où il m’enverrait. C’est dans cet espoir
que je me préparai au ministère.
« En 1883, ma famille vint s’établir à New-York et, dès
lors, je fus mis en rapport avec l’Église évangélique fran-
çaise. Je fis mes classes au collège de Columbia et devins ba-
chelier ès-lettres en 1887. La même année, en automne, j’en-
trai au séminaire théologique de l’Union. C’est alors que la
question de la direction à donner à ma vie s’imposa avec
force à mon esprit et devint pendant longtemps l’objet de
mes prières. J’arrivai peu à peu à la conviction que je devais
aller là où les besoins étaient les plus pressants, c’est-à-dire
parmi les païens. Je fus confirmé dans cette persuasion par
le fait qu’aucun lien particulier ne me forçait à rester dans
mon pays, et aussi par mon excellente santé.
« L’été dernier, j’eus l’occasion de faire un voyage en
France et la joie de faire la connaissance de M. Boegner, di-
recteur de la Maison des missions à Paris. À la suite de cette
visite, mes pensées se tournèrent avec plus de force encore
du côté du monde païen. J’entrai alors en relations avec di-
verses Sociétés de missions, car mon désir était de trouver le
champ de travail où je pourrais faire le meilleur usage de
mes forces, et où il serait évident que le Seigneur m’appel-
lerait.
« Un matin, je vins parler au Dr Gillespie de cette grave
question et, aussitôt, il me proposa le Gabon, comme étant le
champ d’activité qui me convenait exactement. Encore in-
décis, cependant, je m’accordai dix jours de réflexion et de
prières, lorsqu’au soir du dixième jour je reçus une lettre de
M. Boegner m’encourageant beaucoup à entrer dans ce
champ d’activité.
« Aujourd’hui donc, désirant suivre ce que je considère
comme les indications de la Providence, et dans un senti-
ment d’humble soumission à la volonté de Dieu, je viens for-
mellement vous demander de travailler au Congo, sous votre
direction. Que rendrai-je à Dieu en retour de toutes les bé-
nédictions qu'il a répandues sur moi dès mon enfance, si ce
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n’est une consécration de tout mon être à son service, par le
moyen qui pourra le mieux l’honorer et le glorifier ! »
C’est dans ces sentiments que Herman Jacot se préparait
à partir. Le 7 août 1890, il épousait mademoiselle Hélène
Lador, de Sainte-Croix, en Suisse, et le 10 septembre, le
jeune couple s’embarquait à Liverpool pour le Gabon. La
conférence les plaça à Lambaréné où, pendant trois ans, ils
jouirent d’une bonne santé et virent la bénédiction de Dieu
reposer sur leurs travaux.
Comme nos lecteurs s’en souviennent, la Société fut ame-
née, en 1893, à reprendre la station de Lambaréné, fondée
par la Mission presbytérienne d’Amérique. Très attaché à son
œuvre, M. Jacot exprima le désir de n’en être point séparé,
et, d’accord avec le Comité dont il dépendait, il demanda son
admission dans nos rangs, par une lettre datée de Lamba-
réné, le 29 juin 1893. Cette lettre était ainsi conçue :
« ...Ayant appris par le Journal des Missions et par MM. Al-
légret et Teisserès, la nouvelle de votre décision au sujet de
la reprise de Lambaréné, je viens vous demander le privilège
de rester dans mon champ de travail et d’être reçu au nombre
des missionnaires de votre Société.
« Les motifs qui me poussent à cette démarche sont mon
attachement à mon champ de travail et la sympathie que
j’éprouve pour votre Société et l’esprit qui l’anime.
« Notre pauvre station a déjà eu tant de changements dans
son personnel, qu’après être entré en plein dans le travail,
avoir appris la langue, gagné la confiance et, j’espère, l’affec-
tion des indigènes, je ne puis m’empêcher de penser qu’un
nouveau changement ne pourrait que nuire à l’œuvre. D’ail-
leurs, ma présence ici, et l’attachement que j’ai pour les deux
Sociétés, serviraient de trait d’union pendant le changement
d’administration.
« D’autre part, l’intérêt que j’ai toujours porté à l’œuvre
de votre Société, les liens qui m’unissent aux pays de langue
française, et enfin les relations agréables que j’ai eues déjà
avec plusieurs d’entre vous et avec vos représentants au
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Congo français, me portent à croire que je pourrai travailler
harmonieusement et sans arrière-pensée sous votre direction
et soutenu de vos prières... J'espère que rien de grave ne
viendra s’opposer à ce désir. »
Rien, en effet, ne pouvait s’y opposer, et, au mois d’octobre
1893, l’adjonction de M. Herman Jacot au nombre de nos
missionnaires du Congo était décidée par le Comité qui n’eut,
dans la suite, qu'à se féliciter de l’appoint de forces vives et
de dévouement que devait apporter à notre œuvre ce nouvel
ouvrier. Parla fermeté et la douceur de son caractère, par sa
solide piété, par l’expérience acquise dans sa collaboration
avec les missionnaires américains, par son esprit méthodique
et son entente de l’administration, il prit d'emblée une place
très importante dans notre jeune mission.
Peu après avoir demandé son entrée dans nos rangs,
M. Jacot était saisi d’un violent accès de fièvre, et la Confé-
rence décida d’urgence son rapatriement en Europe. Il quitta
en effet le Congo, débarqua à Bordeaux le 9 octobre et se
rendit d’abord à Sainte-Croix, chez les parents de sa femme,
puis à New-York, chez son père. Il ne tarda pas à retrouver
toutes ses forces et la belle santé qui lui était naturelle, si
bien qu'au mois de mai 1894, il pouvait s’embarquer de nou-
veau pour l’Afrique, plein d’entrain et de confiance dans l’a-
venir. Il était loin alors, et nous aussi, certes, de penser que
la terrible fièvre viendrait si promptement faucher cette vie
pleine de promesses. « Tes voies, 6 Éternel, ne sont pas nos
voies, » et nous nous inclinons, comme ton jeune serviteur,
« dans un sentiment d’humble soumission à ta volonté ».
Qu’on nous permette, en finissant, de citer la réponse que
faisait récemment notre regretté missionnaire à l’objection
si souvent élevée contre les missions, auxquelles on reproche
de coûter trop d’argent et trop d’hommes. Ce sont quelques
lignes adressées le 1er mars 1895 à M. Jacot père, qui veut bien
nous les communiquer.
« ...Pour ceux qui se demandent si les missions valent ce
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
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qu’elles coûtent, je leur demanderai de considérer ceci par
exemple : Notre budget de Lambaréné est d’environ 30,000 fr.
par an (1), y compris les voyages, etc.. Ce sont les dépenses
de quatre Eglises dont chacune a plus de cent membres et
cent catéchumènes, soit 200 chrétiens. Il faut comprendre
aussi dans cette somme les frais de deux écoles internes où
cent élèves sont instruits. Je puis dire que nos Églises coûtent
moins qu’à New-York et que les résultats sont bien plus évi-
dents.. Et dire que nous ne sommes qu’à l’époque des se-
mailles, où tout est plus coûteux et difficile. Plus tard, ces
Églises se suffiront à elles-mêmes et pourront évangéliser les
tribus environnantes. Encore une fois, oui, les missions valent
ce qu’elles coûtent, même en envisageant la question au point
de vue des hommes d’affaires.
« Quant à la perte de vies, des milliers et des milliers de
chrétiens ont déjà donné la leur pour leur foi. Faut-il en
ménager encore quelques dizaines quand il s’agit de répandre
cette foi dans le monde entier et par obéissance à l’ordre de
notre Maître? Lui qui n’a pas ménagé la sienne et qui, du
reste,, nous promet la victoire ?... »
NOTES Dü MOIS
La réunion d'adieux , annoncée dans notre dernier numéro,
a eu lieu le jeudi 12 décembre, à quatre heures, à la Maison
des' missions. De nombreux amis de notre œuvre s’y trou-
vaient réunis. M. F. Puaux , qui présidait, a adressé des pa-
roles d’encouragement et de sympathie à M. et à madame Hu -
guenin, qui, le lendemain, allaient nous quitter pour se rendre
à Raiatéa, le poste qui leur a été assigné. En termes empreints
de simplicité et de sérieux, M. Huguenin a raconté comment
(1) En fait, ce chiffre, qui représentait les desiderata de la mission, a
été réduit à une somme moindre ( Réd .).
16
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
il fut amené à la foi, d’abord, et, ensuite, au désir de se con~
sacrer au serivce de Dieu. Ses paroles ont produit une vive
impression sur l’assistance. Puis M. Ch. Viénot a grandement
intéressé l’auditoire par le récit de quelques-uns des épisodes
de la vie missionnaire dans ces lointains parages. Un service
de sainte Gène a terminé cette bonne et bienfaisante réunion.
A l’occasion du départ de MM. Lauga et Krüger pour Ma-
dagascar, une réunion d’adieux aura lieu le dimanche 5 jan-
vier, à 8 h. 1/4 du soir, à l'Oratoire. Quant aux réunions de
prières pour les missions du jeudi 9 janvier à 8 h. 1/4 du soir,
elles auront lieu, comme d’habitude, dans les locaux sui-
vants : Chapelle Taitbout , 42, rue de Provence ; Église des
Billettes, 24, rue des Archives; Maison des missions, 102, bou-
levard Arago.
Une autre réunion d'adieux aura lieu probablement le
21 janvier, pour prendre congé de trois nouveaux mission-
naires. M. A. Bolle , de Neuchâtel, ira au Sénégal remplacer
M. Escande, pendant le congé que celui-ci doit prendre l’année
prochaine. M. F. Faure , ingénieur agroDome, partira pour
renforcer la station de Lambaréné, au Congo français.
Enfin, M. et madame Mercier , dont le départ pour le Zam-
bèze est décidé depuis longtemps, nous quitteront pour ce
lointain champ de travail. Nous recommandons tous ces ou-
vriers à la sollicitude et aux prières de l’Église.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
17
LESSOUTO
LETTRE DE M. PAUL GERMOND
Au Comité de la Société des Missions évangéliques de Paris (1).
i
Thabana-Morèna, 25 octobre 1895.
Messieurs et honorés frères,
Je reviens de Mafube, mon nouveau poste, où j’ai passé
l’hiver. Ma femme étant malade, nous avons dû nous séparer.
Elle est restée à Thabana-Morèna avec les enfants, et je me
suis rendu où le devoir m’appelait, en compagnie de mon fils
Maurice. Là, j’ai mis ordre à quelques affaires pressantes,
j’ai visité les annexes, je me suis surtout orienté. Après trois
mois, je suis revenu à Thabana-Morèna pour présider à mon
déménagement. J’ai eu la joie de trouver ma chère femme un
peu mieux et les enfants très bien. Nous faisons nos paquets,
et si la pluie voulait bien tomber et faire pousser l’herbe, nous
serions en route. Il nous sera pénible de dire adieu à Thabana-
Morèna, à cette chère église, à cette jolie station, avec ses
beaux ombrages, sa claire fontaine, et tant de souvenirs.
Mais pourquoi s’attarder à en faire le compte? L’Ecclésiaste
dirait que cela aussi est une vanité.
Une grande consolation m’est accordée, celle de laisser
mon œuvre dans un état prospère. Un travail s’est fait dans
les cœurs ces dernières années. Il a été lent, mais soutenu.
Quand, du haut de la falaise, on regarde la mer, c’est en
voyant le flot recouvrir peu à peu les écueils et les sables
t qu’on s’aperçoit que la marée monte. Nos travaux se sont
succédé sans incidents, comme une vague suit l’autre. Le
niveau général s’est élevé cependant, c’est incontestable. Les
bas-fonds, les écueils ont disparu. J’ai craint le reflux, mais
(I) Le manque de place nous oblige à remettre à plus tard la publica-
tion d’une intéressante étude de M: Dieterlen sur le Haut-Lessouto.
2
18
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
par la bonté de Dieu il n'est pas venu. Notre Église est ani-
mée d’un bon esprit, son témoignage au milieu du monde est
devenu une réalité. Quelle meilleure consolation pouvait
m’être accordée au moment de la quitter !
Aujourd’hui j’ai mis la main à un ouvrage que je renvoyais
toujours à une meilleure occasion : j’ai renouvelé les étiquettes
de mes flacons de médecine avant de les emballer. L’état des
choses était devenu dangereux. Ma pharmacie, il est vrai,
contient surtout des remèdes de bonne femme, mais il y en
a aussi d’autres. Eugénie de Guérin nous dit dans son jour-
nal que, cousant des draps, elle avait su y coudre mainte
bonne pensée. J’en ai collé plus d’une avec mes étiquettes.
Qu’elles sont donc posées de travers dans notre pauvre
monde, voire même dans notre monde religieux, et qu’elles
sont exagérées là même où elles sont à leur place! A l’époque
des martyrs, il suffisait d’avoir été trouvé fidèle. Les inscrip-
tions des catacombes de Rome le prouvent. Aujourd’hui, un
serviteur de Christ, même avant que sa tombe soit creusée,
sera proclamé admirable, étonnant, héroïque, et les œuvres
qu’il lui a été donné de faire seront puissantes, inouïes, j’ai
même lu gigantesques. Ce sont surtout les missionnaires qui
sont héroïques. Leur vie n’est-elle pas la vie chrétienne
idéale ! Ah ! prenons garde à ces exagérations, à ces fausses
étiquettes appliquées par des mains amies, sans doute, mais
bien imprudentes. Je connais des réveils qui ont été brusque-
ment arrêtés pour avoir été trop prônés à leur début. J’ai vu
des humiliations amères descendre sur des têtes innocentes,
et j’ai pensé avec tristesse aux coups d’encensoir qui les
avaient précédées. Des héros, des martyrs, il y en a eu dans
le monde missionnaire, il y en a et il y en aura encore, cela
est sûr, mais n’y en a-t-il pas ailleurs? Dans les hôpitaux,
dans les refuges, dans les humbles presbytères et parmi les
déshérités, les méconnus d’ici-bas, qui, courbés sous le faix,
vont leur chemin sans murmurer. D’eux on ne parle pas. Ne
les plaignons pas! Ils sont à l’abri. Ce n’est pas d’eux qu’il
sera dit : « Voici, ils ont leur récompense ». Notre dix-neu-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
19
vième siècle aura été un grand siècle, même dans le domaine
religieux. Il est toutefois un champ de ce domaine qu’il a bien
négligé et que les siècles antérieurs cultivaient avec plus de
soin, celui de l’humilité.
Me voici au bout de mes étiquettes et de ma morale!
J’ai lu dernièrement les regrets d’un missionnaire qui,
ayant fait, comme on dit, sa théologie, aurait voulu recom-
mencer et faire davantage. Quant à moi, je donnerais la moi-
tié de la mienne (il est vrai qu’elle ne pèse pas lourd) pour
une somme égale de connaissances médicales. C’est une si
grande chose que de pouvoir secourir, et d’une manière effi-
cace, les pauvres malades qui nous entourent. On aura bien
des déconvenues, c’est certain. Les indigènes avaleront tout
ce qu’on voudra, mais l’effet d’un remède doit être immédiat.
Parlez-leur de régime, de traitement, de mesures hygiéni-
ques, ils ne vous écoutent pas. Par le fait de leur ignorance
ou de leurs préventions, les soins qu’on leur donne n’auront
souvent aucun résultat, mais un acte de charité n’est jamais
perdu et fera davantage pour gagner les cœurs que mainte
prédication.
A deux pas de la station habite une famille bien éprouvée.
Quand je passe devant la maison, je ne puis me défendre d’un
sentiment de tristesse; il me semble que si j’avais été plus ca-
pable, disons moins ignorant, j’aurais pu lui apporter un se-
cours efficace. Voici quelques années déjà que le brave Ezé-
kiel nous a quittés, et je sens encore combien il me manque.
Il ne possédait aucun don exceptionnel, mais il avait deux
qualités bien rares chez un Mossouto, la droiture de cœur et
le désintéressement. Dans ces discussions parfois désagréables
qui ont lieu dans nos conseils d’Église, où le plaisir de fer-
railler est plus évident que le désir d’arriver à la vérité, c'é-
tait une jouissance pour moi que d’entendre Ezékiel mettre
fin aux arguties par quelques mots frappés au coin du bon
sens et du sérieux chrétien. Il a rempli bien des fonctions à
Thabana-Morèna, successivement ancien d’Église, maître
d’école, évangéliste, il était prêt à rendre tous les services
20
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
qu’on lui demandait, et la question de salaire n’en était pas
une pour lui. Qu'il montât, qu’il descendît, selon que les
temps étaient plus ou moins durs, jamais je ne l’ai entendu
récriminer. Il n’en est plus de même aujourd’hui, la nouvelle
génération est plus forte en arithmétique. A cette occasion,
je ne puis résister à l’envie de vous citer un petit détail qui
me revient à l’esprit.
Nous nous étions arrangés , quelques gens de Thabana-
Morèna et moi, pour envoyer au moulin. Chacun devait
prendre sa part des frais et apporter son sac. Les meuniers
ont leur réputation faite depuis longtemps, et elle n’est pas
bonne. On leur en prête sans doute, et maintenant que notre
école industrielle de Leloaleng possède un moulin, nous se-
rions malvenus de nous attaquer à la corporation. Bref, au
retour, il fut évident que le meunier avait eu la main longue,
et que ses prélèvements avaient porté sur le dernier sac qui
se trouvait être celui d'Ezékiel. Ce fut une scène intéres-
sante pour l’observateur. « Voici mon sac, je le reconnais, il
est plein, c’est bien. » — « Voici le mien, c’est là ma marque,
il n’y a rien à dire. » — « Mais le mien n’est qu’à moitié
plein, répartit Ezékiel. » — « C’est fâcheux, pauvre ami, ce
meunier est un grand vaurien. Il te faudra aller lui parler. »
C’était la nature humaine prise sur le vif. « Que penses-tu de
cela? demandai-je à Ezékiel. — Rien, me dit-il, ce meunier
est un voleur, mais il vaut mieux que la perte soit tombée
sur moi que sur un autre, il n’y aura du moins pas de que-
relles. »
Ce détail, me dira-t-on, ne valait pas la peine d’être relevé.
Sans doute, il ne s’agit que d’un peu de farine, et en Europe
on est moins à cheval sur son bon droit; mais nous sommes en
Afrique. J’exigeai que le déficit fût partagé et réparti entre
tous, à commencer par le missionnaire. Décision qui ne fut
pas du goût de chacun, car je surpris telle mère en Israël qui
s’en allait hochant la tête et grommelant.
La santé d’Ezékiel, qui toujours avait été bonne, commença
à décliner. Cela avait commencé par une pleurésie dont il ne
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
n
s’était pas complètement rétabli. Pendant des semaines, il ne
fît que traîner. Nous épuisâmes toutes nos connaissances mé-
dicales et sans succès. 11 passait ses journées assis au pied
d’un mur, au soleil, sa Bible près de lui. Toujours calme,
souriant aux amis qui venaient le voir, reconnaissant de ce
qu’on faisait pour lui, fidèle jusqu’à la fin et par sa patience
et par les sérieuses exhortations qu’il adressa à plus d’un. Le
dernier jour, il dit à sa femme : « Ne me donne plus de re-
mèdes, ne me parle même plus, je désire être seul avec Dieu ! »
Un long silence se fit. La figure du mourant était parfaite-
ment calme ; ses yeux, dirigés en haut, avaient une telle in-
tensité d’expression, que ma femme qui venait d’entrer,
s’écria, toute saisie : « Oh ! mais il voit Dieu ! » Le regard
s’éteignit, ce fut la fin, si paisible, que son beau-père qui
l’avait soigné dit naïvement : « Il est parti sans mourir. » Le
chef Lerothodi, en apprenant sa mort, lui rendit ce témoi-
gnage : « En voilà un qui était un vrai chrétien ! »
La pauvre veuve était restée seule avec une nombreuse fa-
mille. De ses trois fils, l’aîné est un vaurien, le plus jeune
pouvait tourner ou assez bien ou très mal. Le second ressem-
blait au père et de figure et par la piété. Il se proposait de
devenir évangéliste et il travaillait avec zèle dans ce but.
Revenu chez lui pour les vacances, il tombe malade et meurt.
Toutes les espérances de la mère se reportèrent sur le cadet,
qui, reçu à l’école manuelle de M. Preen, avait appris à tra-
vailler et s’y était converti. Son apprentissage terminé, il
revient à la maison, promettant à sa mère d’être son soutien
et dé l’aider à élever ses petites sœurs. Il tient parole, se met
au travail avec tant d’ardeur qu’il y gagne une fluxion de poi-
trine. Le cœur serré, nous eûmes à l’ensevelir à côté de son
père et de son frère.
Qu’il est parfois difficile à remplir le ministère de consola-
tion dont nous sommes chargés de la part de Christ! Quand
je revis la pauvre mère, je ne pus que lui dire : « Oh ! que ta
foi ne défaille point, et ne te laisse pas aller à murmurer contre
Dieu! » D’un ton très calme, elle me répondit : «Non, mon
22
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
missionnaire, ma foi n’est pas ébranlée. Bien qu’étant écrasée
par toutes ces épreuves, je vois clairement que mes appuis
terrestres devaient m’être ôtés. Je vivais trop de la foi de
mon mari. J’avais confiance en mon fils pour l’avenir. Jésus
doit me suffire désormais. Il m’aidera à accomplir ma tâche,
mais il me tarde de l’avoir achevée. »
C’est lorsque la maladie ou le deuil viennent visiter les
Bassoutos qu’on peut le mieux se rendre compte de la pro-
fondeur de leurs sentiments religieux. La douleur est une
pierre de touche, l’alliage est y vite séparé de l’or pur.
La fièvre typhoïde a sévi, ces dernières semaines, dans un
village près de la station. Une des premières victimes a été
une excellente chrétienne que le travail et la peine avaient
usée avant le temps. La dernière fois que je la vis, elle ne
pouvait plus entendre ni parler, mais son sourire témoigna
qu’elle m’avait reconnu. J’adressai quelques paroles d’encou-
ragement à son mari, qui me répondit en essuyant ses larmes :
« Je ne cesse de prier Dieu pour elle, mais quand j’ajoute :
Que ta volonté se fasse et non la mienne, alors mon cœur
s’affaisse et j’ai peur! » Deux jours après, il lui fallut se
charger de cette croix qu’il redoutait. Il est seul maintenant
avec neuf enfants! La mère était partie en pleine paix : « Te
souviens-tu, dit-elle à une amie, du mariage de ma fille?
Nous avions trouvé la fête si belle! J’en verrai bientôt une
autre, et une glorieuse, celle des noces de l’Agneau ! » Elle
était en exemple à toutes les femmes chrétiennes. Tranquille,
travailleuse, courageuse en face du mal, je n’avais jamais eu
à lui reprocher le moindre écart de conduite. C’est une cruelle
perte pour l’Église que son départ.
Sa sœur, la pauvre Justina Mafrede, a eu une vie bien dure.
Mariée à un instituteur qui a fort mal tourné, elle a eu la
douleur de se voir chassée de chez elle par une rivale et sé-
parée de ses enfants. Réfugiée auprès de son père, un chré-
tien fidèle, mais de caractère timide et qui aurait dû prendre
plus énergiquement sa défense, elle tomba malade, surtout de
tristesse. « Je suis fatiguée, que me sert de vivre? — A prier
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
23
pour ton mari, répondit le père, afin que Dieu le ramène et
lui fasse trouver grâce! » Cet hiver, elle fut de nouveau très
mal. Un jour que j’étais allé lavoir, et que, chose excessive-
ment rare au Lessouto, elle entassait remerciements sur re-
merciements, je lui dis : « Ne me remercie donc pas tant,
mon enfant, je suis content d’avoir pu t’être utile. — Non,
dit-elle, je dois remercier, car ce sont tes prédications qui ont
fait que j’ai pu regarder la mort sans trembler lorsqu’elle
était devant moi. »
Oui, en s’occupant des malheureux on reçoit plus qu’on ne
donne, et c’est pourquoi je regrette de faire si malle peu que
je fais.
Comment les Bassoutos se comportent-ils envers leurs ma-
lades? Y a-t-il contraste à cet égard entre les chrétiens et les
païens? Ce serait une question intéressante à étudier. Peut-
être le ferai-je dans ma prochaine lettre. Celle-ci est déjà assez
longue.
Recevez, Messieurs et honorés frères, l’assurance de mes
sentiments affectueux et dévoués. P. Germond.
ZAMBÈZE
DERNIÈRES NOUVELLES. — MALADIE DE M. COILLARD
Des nouvelles du Zambèze, allant jusqu’au 22 octobre,
pour les stations du Bas, jusqu’au 24 septembre pour celles
de la Vallée, viennent de nous arriver. Ce courrier, très im-
portant, contenait, outre des lettres particulières, un compte
rendu officiel des travaux de la cinquième conférence du Zam-
bèze et un rapport sur la marche de l’œuvre missionnaire de
juillet 1894 à septembre 1895. Ce dernier document sera pu-
blié aussitôt que possible.
La cinquième conférence, ouverte à Léaluyi le 13 sep-
tembre, sous la présidence de M. F. Coillard, comptait tous
24
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
les missionnaires du Zambèze, à l’exception de M. Boiteux,
commis à la garde de la station de Kazungula, en l’absence
de son chef, M. L. Jalla.
C’est le 14 août que les missionnaires du Bas, à savoir
MM. L. Jalla, Goy et Davit, se mettaient en route pour Léa-
luyi, avec l’évangéliste Théodore et sa femme. Le 6 septembre,
après un voyage agrémenté d’incidents parfois émouvants,
ils sont parvenus sains et sauf à Léaluyi. Mais leur arrivée a
été attristée par l’état de santé inquiétant de M. Coillard.
« Le cher M. Coillard, écrit L. Jalla, à la date du 22 oc-
tobre, nous a inquiétés tout le mois; quelquefois nous crai-
gnions qu’il ne s’éteignît dans la nuit. 11 n’a pu que de
temps à autre s’asseoir à table avec nous, et ses gémisse-
ments, jour et nuit, nous faisaient mal à tous ».
Dès lors, la Conférence n’avait plus qu’une pensée relative-
ment à M. Coillard : le conserver, si c’était encore possible.
« Aussi, continue M. Jalla, la seule possibilité de l’avoir
pour quelque temps en vie est qu’il parte le plus tôt pos-
sible, s’il le peut. Avec des soins entendus, et sous un meil-
leur climat, la santé pourra peut-être lui être rendue. C’est
pourquoi mes collègues et moi l’avons pressé de quitter le
Zambèze. Il y a consenti, si je hâtais moi-même mon dé-
part. Nos collègues nous en ont fait un devoir. Aussi, quoi-
que ce soit très précipité pour nous, voici quels sont nos
plans : M. Coillard nous arriverait ici, à Kazungula, fin no-
vembre, et au commencement de décembre nous nous met-
trions en route en passant par Buluwayo, Palapye et Mafé-
king. J’arriverai, s’il plaît à Dieu, en Europe vers la fin de
février, ou même avant. Quant à M. Coillard, il s’arrêtera
quelques mois au Lessouto, s’il est assez bien, ce dont je
doute beaucoup. Si ces plans réussissent, nous prendrons
nos mesures pour rencontrer les renforts à M'aféking et les
en réexpédier, d
On le voit, si les projets de nos frères ont pu s’exécuter, il
y aura, quand paraîtront ces lignes, un mois environ qu’ils
se sont mis en route vers le sud.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
25
Un mot seulement de la cinquième conférence. Elle a siégé
du 13 au 24 septembre et n’a duré si longtemps que par suite
de la maladie de M. Coillard. En effet, ses collègues tenaient
à ce qu’il parût à chacune de leurs séances, qu’à grand’peine
il présidait de son lit de souffrances. Quand les forces lui
faisaient défaut, c’est M. Louis Jalla qui prenait la présidence.
Nos missionnaires avaient à leur ordre du jour nombre de
questions d’une grande importance, entre autres la discipline
ecclésiastique, les règles d’admission dans l’Église, etc.; puis
la création d’une école d’évangélistes; le placement provisoire
des missionnaires Davit et Boiteux, le premier à Séfula, le
second à Kazungula; et plusieurs questions d’ordre inté-
rieur.
Le manque de place nous empêche de publier quelques
fragments du récit que M. le capitaine Bertrand, de Genève,
a fait de son séjour dans nos stations du Zambèze. Il parle
de nos ouvriers et de leur travail avec une /sympathie et une
admiration très réelles. Nous espérons bien pouvoir faire pro-
fiter nos lecteurs, au moins en partie, de ce qu’a écrit ce
voyageur qui, d’emblée, s’est considéré comme l’ami et Fhôte
de nos missionnaires.
QUELQUES LIGNES DE M. COILLARD (1)
Léaluyi, 26 août 1895.
Mon bien cher frère Boegner,
Vous n’aurez pas une longue lettre de moi, cette fois-ci. Je
relève, une fois encore, de maladie. Affection des reins, in-
flammation de la vessie-, que sais-je? Une légion de maux
qui m’ont cloué sur mon lit pendant quinze jours, après m’a-
voir fait souffrir à peu près toute l’année. Et, encore, si nous
(1) Cette lettre est antérieure au dernier courrier; nous croyons cé-
pendant devoir la publier.
26
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
en connaissions la vraie cause? J’ai bien, par correspondance,
consulté un docteur de mes amis (le fils d’un ami), à Kim-
berley; mais sa réponse, que peut-elle être et quand me par-
viendra-t-elle? Aussi, je crois qu'il me faut me rendre, quoi
qu’il m'en coûte. Et si les Béguin peuvent me prêter leur
wagon, il faudra que j’aille à Kimberley pour consultation
médicale. De là au Lessouto, il n’y a qu’un pas. Ce qui m'ef-
fraie, c’est ce voyage en wagon; pourrai-je le supporter?
Voilà dix mois que je suis souffrant et bon à rien. En tout
cas, je ne partirai pas avant avril ou mai prochain.
C’est au commencement de ces jours de réclusion et de
souffrance que j’ai reçu vos deux lettres du 10 et 17 mai. Cette
dernière surtout, que j’ai lue à plusieurs, m’a fait immensé-
ment de bien. J’y ai, en quelque sorte, entendu votre cœur
comme par un microphone. Et je vous ai bien compris, malgré
la distance. Je m’associe bien à toutes vos préoccupations,
relativement à la question de Madagascar. « La lumière est
semée pour le juste et la joie pour ceux qui sont droits de
cœur. » Dieu tirera sa gloire de tout cela...
Votre rapport est palpitant d’intérêt; mais il est triste.
Tous nos champs de travail réclament du renfort, et vous
n’en avez pas à envoyer. Les vocations missionnaires sont
rares. Il y a bien deux notes joyeuses, celle du déficit com-
blé et défunt — elle est pure celle-là — et celle du réveil au
Zambèze. Hélas! là, je crains; nous aurions bien des déboires
et des tristesses à enregistrer. Louis .lalla ne le verra peut-
être pas sur sa station, car il va en Europe; mais, prépa-
rons-nous-y, il y aura un jour de triage Et ce temps
de crise a déjà commencé ici où le paganisme lève haut la
tête. C’est la question du mariage qui a été la pierre de
touche, à Séfula d’abord, ici ensuite. — Le mariage chrétien
les effraie par ses engagements. Le mariage païen est plus
commode : on se marie et se démarie à volonté, pour se re-
marier et se démarier, sans que personne ait quoi que ce
soit à y voir. C’est plus commode. Ce serait une bien bonne
chose si vous pouviez nous envoyer le jeune homme dont
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27
vous parlez (1) et l’artisan dès cette année. Vous pourriez
sauver notre outillage, prévenir de grandes pertes, quant
aux wagons, et donner une grande impulsion aux travaux
matériels en fournissant bois et planches, etc. Au 'plus tôt ,
si les fonds le permettent, au plus tôt.
2 septembre.
Depuis que je vous ai écrit, j’ai eu une rechute, et me voici
de nouveau un peu mieux. Espérons que ce sera durable. J’ai
donné de l’anxiété à mes amis; et, sans un de mes garçons qui
m’a soigné avec une assiduité, une affection que je ne pensais
plus trouver au Zambèze, je ne sais ce que j’aurais fait de
nuit comme de jour. Les Adolphe ont bien fait leur possible;
eux-mêmes, avec leurs préparatifs pour la Conférence, étaient
écrasés. Je crois vraiment que je dois à la mission, à mes
amis, de ne plus hésiter à envisager cette triste perspective
de lever l’ancre en avril et nous laisser aborder là où Dieu
nous conduira, là où il sait, où il veut, Lui.
Mes yeux tombent sur ce que je dis de M. Mercier et de
l’autre... Je vous en prie, n hésitez pas à l’envoyer Y an pro-
chain. C’est urgent, si vous voulez sauver la situation, et
surtout aussi nos intérêts à Séfula. Les ateliers tombent, la
scierie et notre outillage se ruinent, nos wagons se détério-
rent et sont hors d’usage. Un charron aurait pu encore
mettre ma wagonnette sur pied, et me permettre de voyager
lestement et avec confort. Dans dix-huit mois elle sera déjà
irréparable, et ainsi du reste. Que de pertes !
Je ne puis pas en dire davantage. Je vous écrirai plus tard,
si Dieu me rétablit. N'hésitez pas.
(1) Un jeune laïque, sans faire d’offres positives et à titre confidentiel,
avait exprimé la pensée de se vouer un jour à la mission du Zambèze.
Le directeur, sans prononcer aucun nom, avait signalé ce fait encoura-
geant à M. Coillard.
28
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Adieu, mon bien cher frère ; mes salutations affectueuses
à M. Appia. J'ai son texte au pied de mon lit : L’Éternel est
A la capitale de Kakengé. — Un accueil peu amical. — En
danger. — Protection de Dieu. — L’Évangile est annoncé. —
Conversion des bateliers. — Le fatal « demain ».
Heureusement qu’un bon esprit règne parmi notre monde.
La perspective d’arriver bientôt chez Kakengé ranime leur
courage, a C’est un grand chef; chez lui, nous sommes sûrs
d’être bien reçus et d’oublier la faim ». Hélas! combien peu
ils se doutaient de ce qui nous attendait !
Nous’ forçons donc les étapes; nous passons sur la rive
droite de la Ruéna , une petite rivière qui vient en serpentant
de l’ouest : c’est quelque part par ici que se trouvait autrefois
la capitale du grand chef des ba-Lubale, Kakenge. Aujour-
d’hui, l’héritier de ce nom a déménagé; mais ce n’est pas
bien loin, car les hameaux se parsèment, s’agglomèrent sur
la rive ; on voit des piétons se croiser, des canots minuscules
descendre ou remonter le courant; il y a du mouvement et
de la vie. Tout nous dit que nous approchons.
Nous arrivons en effet le 30 mai, au milieu du jour, par une
chaleur suffocante. On nous avait dit : « Vous verrez de loin
une grande, grande maison, très haute; il n’y en a pas de pa-
reille dans le pays. C’est la capitale de Kakenge. De la berge,
nous vîmes, en effet, un toit de chaume pointu qui dominait
celui que te guérit.
Adieu, chers amis.
F. Coillard.
UNE EXPLORATION MISSIONNAIRE (1)
(Suite et fia).
III
(1) Voir année 1895, pages 466 et 495.
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29
de haut de petites huttes qui perçaient à peine au milieu des
buissons. C’est donc bien là.
Nous amarrons les canots au milieu d’un concours de cu-
rieux, d’enfants surtout. Après nous être annoncés, nous
attendons longtemps la réponse du chef. Cela ne nous in-
quiète pas, nous la connaissons, cette gent-là. Enfin la voici,
et ce sont des hommes d'âge mûr qui nous l’apportent. « On
fait les affaires comme il faut chez Kakenge, pensais-je... »
Sans même nous saluer, au mépris de la courtoisie la plus
élémentaire, et sur un ton bourru et hautain, ces hommes,
au nom de Kakenge, nous signifiaient l'ordre de passer le
fleuve et d’aller camper sur l’autre rive ! Quelle tuile 1 Pour
l'ombrage et le bois à brûler, c’eût été mieux pour nous,
mais il m’en coûtait de mettre le fleuve entre nous et les gens
que nous étions venus visiter, et c’est ce que je répondis.
Liomba, lui, et nos Barotsis, prirent la chose comme une in-
sulte. Kakenge est un vassal que Léwanika vient d’investir
de son autorité. Il y eut de l’aigre-doux dans cette première
entrevue, et elle nous laissa sous une pénible impression.
Une demi-iieure après les mêmes messagers revenaient,
cette fois avec une cohue de jeunes gens tous armés de fusils !
« Le chef Kakenge dit que puisque vous le voulez, vous,
vous pouvez camper ici. » — « Fort bien, mais quelle est cette
manière de nous recevoir avec des fusils? » Après une alter-
cation un peu vive., que je pus heureusement modérer, nous
obtînmes que tous les fusils qui allaient s’augmentant avec
de nouveaux arrivants, retournassent au village..
Ce premier danger écarté., il m’était impossible d'accepter
cettte situation, sans raison déjà si tendue. J’envoie donc un
de ces hommes dire au chef que je demande instamment à le
voir sans délai. Il me répond que «la dignité d’un grand chef
comme lui ne lui .permet pas de recevoir un étranger ainsi,
qu’il verrait et me manderait dans quelques jours s’il le jugeait
bon ». C’était crâne, et pendant ce temps arrivaient de çà et
de là des bandes d’hommes armés. La nuit survenue, les
tambours se mirent à battre, on tirait du fusil coup sur coup,
30
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
on criait, on hurlait, c’était un vacarme épouvantable ; les
danses avaient commencé, des danses sur le caractère des-
quelles nous ne nous méprenions pas. Personne ne dormit
cette nuit-là. Nous ne fûmes pourtant pas attaqués.
Le lendemain matin, je renouvelai mon message à Kakenge,
accentuant qu’il était de toute importance que je le visse. Il
répondit qu’il voulait savoir, lui, ce que j’étais venu faire
dans son pays avec une bande de Barotsis, sans sa permis-
sion, et sans même l’avertir ; qu’avant même de voir son
visage, il s'agissait tout d’abord, tant pour Liomba que pour
moi, de lui payer le mosapo, c’est-à-dire l’hommage, l’impôt
plutôt qu’il exige des marchands noirs portugais qui viennent
dans son pays.
J’en appelai aux messagers que je lui avais envoyés, à. la
lettre que je lui avais demandé d’expédier, avec mon message,
à Makatoro, sa mère. Je lui dis que je n’étais pas un mar-
chand, ni même un voyageur, mais un moruti, et que je n’étais
venu dans son pays que pour enseigner les choses de Dieu.
J’ajoutai que je ne refusais pas de lui faire un cadeau quand
j’aurais vu la manière dont il me recevrait, mais que je ne con-
sentirais jamais à lui payer le mosapo des mambaris, et qu’il
devait se le tenir pour dit. Toute la matinée se passa en
pourparlers. Kakenge finit apparemment par céder, et sans
plus exiger le fameux mosapo, il nous manda au lekhotla. Il
était là trônant sur un escabeau, drapé dans une grosse cou-
verture de laine de couleur, à l’ombre d’un énorme parapluie
de coton bleu que tenait un esclave. La place était remplie
d’hommes chamarrés de leurs ornements de guerre et, en-
tourée des faisceaux de leurs fusils. Le cercle s’ouvre devant
nous pour se refermer après, et on nous fait asseoir au grand
soleil, en face, mais à distance du chef. Je le saluai, et mes
gens aussi ; il ne répondit qu’à moi seul, et, pendant quelques
minutes, nous nous étudiâmes mutuellement.
J’essayai de bien expliquer le but de mon voyage, insistant
sur le fait des messagers que je lui avais envoyés. Malheu-
reusement, mes interprètes ma-mboë étaient paralysés de
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
31
frayeur, et mes paroles devaient passer par six bouches, six
éditions nouvelles avant de lui parvenir. Kakenge n’était pas
d'humeur à écouter mes explications, qu’il traitait de men-
songes.
Il m’interrompit brusquement et se lança lui-même dans
un discours passionné que personne ne pouvait m’inter-
préter. a Que dit-il? demandai-je à Liomba ». — « Oh! il est
très en colère, il nous insulte et nous menace ». Sa figure et
ses gestes, aussi bien que l’attitude fort peu rassurante de ses
gens le disaient assez, etje m’en rendais parfaitement compte.
Il nous tint là plus d’une heure à rôtir au soleil, et, quand
il eut épuisé son effervescence, il se leva subitement et dis-
parut précipitamment dans la cour de son harem. Ainsi se
termina cette entrevue sur laquelle j’avais tant compté.
Mes gens qui, pour la plupart, comprennent la langue,
étaient terrifiés. Tous mornes et silencieux, chacun était tout
entier à ses pensées. Des rumeurs sinistres couraient aussi
de bouche en bouche. Deux d’entre eux avaient contracté avec
des ba-Lubale l’alliance du sang (1), et ces nouveaux frères,
fidèles à des obligations inviolables, leur avaient confié que
Kakenge, par pure haine pour les Barotsis, avait juré notre
perte, et que si nous échappions de ses mains, il avait donné
des ordres en amont pour nous arrêter et nous massacrer. Il
se trouve par là un certain chef du nom de Kalipa que Léwa-
nika a destitué en faveur du Kakenge actuel, qui s'était chargé
de l’affaire. Liomba était le seul qui eût gardé son calme.
Tauira,lui, essayait de consoler ses amis d’infortune en leur
répétant platoniquement qu’ a après tout on ne meurt qu’une
fois». D’autres, je l’appris plus tard, avaient clandestinement
chargé leurs canots et se proposaient de se sauver de nuit.
J’en avais bien surpris qui chargeaient leurs fusils. Aussi, en
voyant les jeunes gens du village — les hommes ne se mon-
(1) Les parties contractantes avaient mêlé à un peu de nourriture,
et en présence de témoins, quelques gouttes de sang extraites l’une de
l’autre. F. C.
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
traient pas, eux — aller et venir dans notre campement,
s’asseoir sur nos nattes, toucher à tout, se comporter avec
impudence, ma crainte, à moi, c’était que nos jeunes gens ne
cédassent à ces provocations et ne missent ainsi le feu aux
poudres.
Notre réunion du soir fut ce qu’elle pouvait être dans ces
circonstances. Personne n’y manquait. J’exhortai mes pauvres
gens à mettre leur confiance en Dieu. Je leur racontai nos
aventures avec Masonda chez les ba-Nyaï, et leur montrai
la délivrance merveilleuse que le Seigneur nous avait ac-
cordée. « Eh bien, mes amis, leur dis-je, remarquez mes pa-
roles, il en sera de même ici. Dieu dit dans sa Parole que les
cœurs des rois sont dans sa main, et que comme des ruis-
seaux d’eau il les incline comme il lui plaît. J'ai toujours fait
l’expérience que c’est vrai, même en venant dans votre propre
pays, où nous avons trouvé plus de difficultés que vous ne
vous l'imaginez. Le cœur de Kakenge est dans la main de
Dieu comme celui de Léwanika, comme celui de Masonda.
Demain, vous le verrez, Kakenge, non seulement nous enverra
de la nourriture, mais il nous donnera aussi des paroles de
paix, et pas un de nos cheveux ne tombera par terre. » Mes
paroles peuvent paraître audacieuses et téméraires ; c’étaient
des paroles convaincues. Ces hommes les écoutaient avec
étonnement. Après cela, personne ne songea à se sauver. On
ne dormit pas, cela va sans dire, tous criaient à Dieu, et les
païens plus que les autres. Pour moi, j’étais calme et con-
fiant, parce que je sentais que la gloire de mon Dieu était en
jeu. Le matin parut; nous n’avions pas été attaqués, mais où
était la délivrance promise?
J’envoyai dire à Kakenge que j’allais le voir moi tout
seul. «Attends, me répondit-il, je ne peux pas causer avec
quelqu’un qui a faim. » Était-ce la première lueur de l’exau-
cement? Pas pour mes gens, en tous cas, au contraire.
Toute la matinée se passa ainsi dans l’attente. Rien ! L’après-
midi s’avançait, rien! Enfin, vers les 3 heures, une procession
que je. vis sortir du village s’avança lentement vers le campe-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS 33
ment. C'était la nourriture 'promise de Kakenge! Des corbeilles
de manioc, du millet, des patates, des poules, et que sais-je?
Tout le monde se réunit. « Moruti , dit un vieux, voici les
liyoumbou de Kakenge. Maintenant, fais-lui un présent digne
de toi et digne de lui... Tu lui as donné l’autre jour de l’étoffe,
elle était ensanglantée (à fond'rouge), et il Ta passée à ses es-
claves; tu as ajouté delà blanche, il Ta offerte aux dieux; de
la verroterie aussi, et il Ta distribuée à ses femmes. Lui n’a
encore rien de toi; tu as de belles choses, donne! » Ce furent
des transactions délicates que celles-là, et qui prirent du
temps. Je n’étais pas très traitable, moi, et pour cause; je ne
m’étais pas pouvu pour pareille éventualité. Enfin je mis la
main sur une pièce d’étoffe qui prit les yeux de mes ba-
Lubale et, pour ne pas embrouiller de nouveau les affaires :
« Allons, dis-je à mes gens, je la porte moi-même à Kakenge;
venez le remercier pour sa nourriture. » Déjoués, les messa-
gers du chef, me voyant déterminé, se mirent à la tète de la file.
En nous voyant déboucher au lekhothla sans plus de céré-
monie, Kakenge se sauva dans sa cour. Je lui envoyai l’étoffe
et dis à mes gens : a La salutation royale, maintenant?» Ils se
mirent instantanément en position, et leurs puissants Yo shô !
et leurs battements des mains produisirent un tel effet, que
pendant que le messager envoyé pour me remercier de l’étoffe
parlait encore, Kakenge lui-même, au mépris de sa dignité,
accourait, prenait son escabeau et venait se planter devant
moi. Sa figure rayonnait : « Maintenant, dit-il, je crois à vos
bonnes intentions, oubliez ma mauvaise humeur des jours
passés. J’avais envoyé des ordres en amont pour qu’on vous
arrêtât; je vais les contremander et vous annoncer à Naka-
toro. Ce sont mes gens qui vous conduiront. Seulement,
ajouta-t-il, ne prenez pas les ha-Lubale pour des femmes »...
Puis, tout à coup, il se jette à la renverse, se raidit, gigotte,
s’égratigne, fait d’affreuses contorsions, il roule les yeux,
grince des dents et pousse des cris horribles. Puis soudain,
se calmant, il se lève et se sauve dans sa cour. Nous restons
ébahis. J’avais cru d’abord que l’homme avait une crise et
3
34
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
voulais faire chercher de Feau; mais tout son monde s'était
levé et, pour Fapplaudir, poussaient des cris sauvages. Je
compris alors que Kakenge vantait son courage en imitant
une bète féroce luttant avec sa proie et la dévorant. Que
n'avais-je ma caméra!
Cette dernière scène tragi-comique eût un peu terni les
bonnes impressions de mes compagnons, si Kakenge ne s’était
hâté de nous envoyer, avec un peu de nourriture, un aimable
messager, nous invitant à aller le lendemain « chanter chez
lui. » C’était le jour de la Pentecôte. Dieu s’était glorifié.
Je me sentais ému, le soir, en voyant mes gens à leurs feux
cuire leur nourriture. Les uns causaient, commentant avec
animation les événements; les plus jeunes, eux, reprodui-
saient la scène sauvage dont ils venaient d’être témoins;
d’autres étaient pensifs et ne disaient rien.
La prudence me fit renoncer à poursuivre mon voyage
jusque chez Nyakotoro, et on peut le comprendre sans plus
d’explication.
Le lendemain, le jour de Pentecôte, nous allâmes au lekho-
Ihla, non plus comme des disgraciés, cette fois. Les fusils
avaient disparu ; Kakenge et ses hommes se groupèrent autour
de nous; nos chants attirèrent les femmes et les enfants du vil-
lage et, là aussi, nous publiâmes la bonne nouvelle du salut.
Liomba étonna grandement Kakenge quand il lui dit qu’il
était un croyant, lui, le gendre du roi, Liomba. Il pensait
sans doute — et il n’est pas le seul — que l'Évangile est pour
les pauvres et les pe-tits de ce monde... et non pour Jes grands
que Dieu honorera d’une manière spéciale ou qui, peut-être,
honoreront Dieu en entrant dans son ciel.
Je le surpris à mon tour en lui annonçant ma décision de
rebrousser chemin. « On dira que c’est Kakenge qui t’a ar-
rêté, » dit-il. Mais voyant que j’étais bien décidé et qu’aucune
de ses promesses ne pourrait m’ébranler, il voulut absolu-
ment que nous ne prissions congé de lui que le lendemain ma-
tin. « Mais nous voulons partir de bonne heure! — N’importe,
on me réveillera. » En effet, le lundi de grand matin, pendant
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
35
qu’on abattait la tente et chargeait les canots, nous courûmes
chez lui et le trouvâmes nous attendant. Je pus même, malgré
sa répugnance, prendre une mauvaise photographie de lui.
Il nous donna encore une corbeille de farine : « Reviens l’an-
née prochaine, me dit-il, tu ne trouveras plus d’obstacles sur
ton chemin, et tu prendras deux de mes enfants pour les ins-
truire. Je te les donnerais aujourd'hui; mais le chemin de Léa-
luyi n’est pas encore assez battu. » J’étais tout à fait de son
avis. Une fois en bateaux, je vous laisse à penser si nos bate-
liers ramèrent! Le point noir maintenant, c’était la disette.
En descendant, nous apprîmes qu’un chef du nom de Kenya,
dans l’espoir que nous passerions chez lui, avait effectivement
intercepté nos messagers et même la lettre qu’il devait expé-
dier à Kakenge. Son village était trop loin du fleuve, et nous
ajournâmes notre visite jusqu’au retour. De dépit, lui ne
voulut rien expédier. Cela explique en partie l’attitude de
Kakenge, et l’exonère à mes yeux. Je le confesse, quand il
protestait n’avoir rien reçu de nous, je ne croyais pas à sa
véracité. Quoi qu’il en soit, je crois que cet incident ne contri-
buera pas peu à amortir les animosités intertribales et à af-
fermir la paix. Une chose bien certaine, c’est que si plus tard
je pouvais refaire le même voyage, même avec une bande de
Barotsis, nous n’aurions plus les mêmes dangers à courir.
L'infortuné Kenya, apprenant nos aventures, était hors de
lui-même, et courait après nous. Nous ne pouvions pas l’at-
tendre, la faim nous chassait. Tout en le condamnant, nous
fîmes tout ce que nous pûmes, par le moyen de son frère
Mosoandungu, pour le calmer et le rassurer. Cela nous em-
pêcha de prendre son enfant chez Mosongo pour l’emmener à
l’école, comme cela avait été convenu. Au retour, notre brave
ami Sindé nous reçut avec la même chaleur de cœur qu’en
allant . Malheureusement, une ophtalmie purulente, qui le rete-
nait dans sa maison, nous empêcha de le voir. Ce fut aussi la
cause pour laquelle son propre fils et deux de ses neveux ne
purent non plus partir avec nous pour venir à l’école.
Dès le commencement du voyage, j’avais senti pour nos ba-
36
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
teliers une vive sollicitude; leur conversion était le sujet de
mes prières; des exhortations individuelles et de pressants
appels leur avaient été souvent adressés. Nos cultes du matin
et ceux du soir surtout avaient toujours été sérieux. Après
nos aventures chez Kakenge, ce sérieux devint encore plus
intense.
Un soir, c’était chez Sindé et c’était le 9 juin, nous étions
campés dans un bois touffu qu’éclairaient mal les pâles rayons
de la lune. Vous m’auriez vu, avec tous mes gens accroupis
autour du feu central de notre bivouac. Un sentiment de
grande solennité nous avait saisis. J’avais une fois encore
adressé de sérieuses paroles à ces hommes qui, pendant six
semaines, avaient partagé ma vie dans ce voyage aventureux.
Je m’étais tu. Le silence avait succédé à mes paroles... Un
garçon le rompit enfin : « Je suis Mosesanyane, de Lépakae,
dit-il d’une voix tremhlottante. L’an passé, j’ai travaillé chez
notre père le moruti; mon temps fini, je me suis sauvé avec
un dard au coeur. Je me disais : « Bah, ça passera, ce n’est
qu’une impression », et je croyais ma blessure guérie. Mais
à Sapuma un nouveau dard m'a transpercé. En pensant au
grand jour où, même les rois, les grands, les riches, diront
aux rochers et aux montagnes de tomber sur eux, je me suis
demandé comment moi, pauvre et petit que je suis, je pour-
rais échapper. Je n’ai depuis lors cessé de crier au Seigneur
Jésus pour qu’il ait pitié de moi. Je crois qu’il m’a entendu,
et je suis à lui... »
Un autre, un homme fait, déclare que ce sont nos aven-
tures chez Kakenge qui lui ont ouvert les yeux et l’ont dé-
cidé. «Quand notre père affirmait que le cœur de Kakenge lui
aussi est dans la main de Dieu, je me disais, moi : « Nous
verrons! le moruti est-il un devin? Cela nous semblait aussi
étrange que la parole de Jésus à ses disciples : « il dort , et je
m’en vais l’éveiller», et pourtant il était bien mort. Eh bien,
oui, Dieu a fait un miracle. Quand nous nous attendions à
être massacrés, il a changé le cœur de Kakenge envers nous.
Dieu entend les prières; c’est bien vrai. Après avoir été poussé
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
37
par la frayeur à prier, j’ai commencé à prier pour le pardon
de mes péchés. »
Un troisième, un terrible caractère celui-là, et bien connu,
le dernier dont nous aurions attendu un tel langage : « Quand
j’ai vu àSapuma mon frère de servitude, Molonda, se déclarer
pour le Seigneur, cela m’a fait un tel effet que je me suis
sauvé dans la forêt, et là j’ai pleuré et crié comme un en-
fant. Matengenya est bien mauvais, me disais-je, c'est vrai ;
c’est un adultère, un voleur, un menteur, tout le monde le
méprise. Est-il donc trop mauvais pour que Jésus le sauve?
Non, il est venu chercher et sauver ce qui était perdu. On me
le disait, j’en riais; maintenant, je le crois ».
Puis ce fut un autre, puis un autre encore, dix en tout;
disons onze en comptant un de nos guides ma-mboë, un
homme qui grisonne. Ce grand chasseur d’hippopotames
nous étonnait dès l’abord par l’avidité avec laquelle il écou-
tait ce que nous disions du Seigneur Jésus, et le feu avec le-
quel il transmettait aux autres ce qu’il en avait saisi. Impos-
sible, pensions-nous, qu’il ne soit qu’un porte-voix qui donne
tout et ne garde rien. Quel puissant évangéliste la grâce de
Dieu pourrait en faire dans ces quartiers ténébreux!... Lui
aussi se déclara pour le Seigneur. Dans la nuit, le courant
emporta son canot; il nous quitta pour le chercher, et nous
ne l’avons pas revu. Mais s’il tient bon, nous le verrons sou-
vent à Léaluyi, malgré la distance (1).
Enfin il y en avait bien un douzième. Ah ! oui, un cher et
intéressant jeune homme pour qui nous avons lutté avec an-
goisse. Il était là, près de moi, tremblant de tous ses membres,
la tête cachée dans ses mains et contenant mal son émotion.
Je l’attendais, mais il ne dit rien. Après la réunion, il me fit
dire qu’ « il n’y tenait plus » et qu'il fallait qu’il se déclarât
demain. Il ne le fit pas, le courage lui manqua ; le lendemain
(1) La distance de Léaluyi au village actuel de Kakenge est, en sui-
vant les méandres du fleuve, de près de 600 kilomètres.
38 JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
fut encore demain. Il ne l’a pas fait, hélas! et aujourd’hui, pour
lui, c’est encore demain !
G’estle samedi, 15 juin, que nous sommes rentrés à Léaluyi
joyeux, heureux de nous retrouver avec les chers Adolphe,
de revoir Léwanika, nos jeunes gens, tout le monde, et péné-
trés de reconnaissance envers Dieo* dont la bonne main avait
été si visiblement sur nous dans tout ce voyage de six se-
maines.
Le lendemain, au service du matin, l’église était pleine.
Mokuaé de Nalolo était en visite. Ceux qui professent d’avoir
trouvé le Seigneur Jésus dans ce voyage, se levèrent, et, une
fois encore, déclarèrent individuellement vouloir le suivre et
le servir. Mais de ces dix, deux n’étaient pas là ; ils avaient
reculé, et l’un, je le Grains, pour tout de bon. Puissent les
autres persévérer!
Je n’ajoute rien à ma lettre, déjà trop longue malheureu-
sement!
« Celui qui est sage prendra garde à ces choses et considé-
rera les bontés de l’Éternel » Ps. 107.
Votre affectionné dans le Seigneur. F. Cqillard.
SÉNÉGAL
DERNIÈRES NOUVELLES
Par lettre du 29 novembre, écrite à bord des Andes,
M. E. Pétrequin donne d’intéressants détails sur son voyage
de retour à Saint-Louis. Ce voyage s’est effectué dans de
bonnes conditions pour lui et pour les deux dames qui
étaient à bord avec lui, madame Pétrequin et mademoiselle
Buttner. Arrivés à Saint-Louis le 2 décembre, nos mission-
naires se sont aussitôt mis à l’œuvre, M. E. Pétrequin à
l’école des garçons, et mademoiselle Buttner à celle des filles.
Nous apprenons, d’autre part, que notre jeune institutrice a
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
39
commencé son travail avec joie et entrain, et que tout fait
bien augurer de sa carrière. Qu’il plaise à Dieu de leur con-
server à tous force et santé pour l'accomplissement de
l’œuvre à la fois humble et grande qui leur est confiée !
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
COMMENT L’ÉVANGILE FUT INTRODUIT DANS L’ARCHIPEL
DE COOK
UN JEUNE MISSIONNAIRE MÉCONTENT. — MERVEILLEUSE HISTOIRE DAOU-OURA.
— PAPÉIHA, LE PREMIER CATÉCHISTE POLYNÉSIEN A AITOUTAKI. — LES
IDOLES RENVERSÉES. — DANGERS A MANGAlÀ. — A LA RECHERCHE DE
RAROTONGA. — LÀ VICTOIRE.
Le 7 juillet 4820, un jeune missionnaire — il était âgé de
vingt-quatre ans et habitait Raïatéa (1) depuis deux ans en-
viron — écrivit à ses directeurs, à Londres, qu’il estimait
son champ de travail trop restreint et qu’il se préparait à le
quitter ; « Je n’ai d’autre désir en mon cœur que de vivre et
de mourir en travaillant pour mon Sauveur, disait-il dans son
épitre (2); mais je regrette d’être jamais venu ici ». Et il énu-
mérait, parmi d’autres raisons, le petit nombre d’habitants
des îles Sous le Vent. Vers la fin de sa lettre, il disait : « Si
quelque navire faisant voile pour l’Angleterre touchait ici, je
m’embarquerais. Que diriez-vous de me voir apparaître ino-
pinément à la Maison des Missions? » Il faut espérer qu’on
n’aurait pas hésité, dans ce cas, à réprimander sévèrement ce
soldat indiscipliné et à le remercier ensuite.
(1) La station actuelle de notre missionnaire M. G. Brunei, que vont
rejoindre M.. et madame Huguenin. Voyez, du reste, la Carte de la Poly-
nésie française , publiée dans le Journal des Missions, 1892, p. 329.
(2) E. Prout, Memoirs of the life of the Rev. J. Williams, Londres, 1843,
p. 119.
40 JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Cependant cet homme avait en lui l’étoffe d’un héros. Dieu
le savait, il eut pitié de lui et lui fournit du travail.
Huit mois après la rédaction de son étrange lettre, John
Williams — car c’est de cet apôtre de la Polynésie qu’il est
question — aperçut, au large de Raïatéa, une voilure de
forme inaccoutumée. L’embarcation, pilotée par des pêcheurs
raïatéans sortis à sa rencontre, réussit à entrer dans la rade.
Son histoire est l’un des incidents les plus dramatiques et les
plus merveilleux dans les annales si riches en miracles de
l’Église polynésienne.
En 1820, un navire européen avait apporté les germes
d’une épidémie mortelle à Rouroutou (1). Neuf dixièmes de
la population périrent. Un jeune chef, Aou-oura, attribuant
cette peste au courroux de quelque divinité et pensant
échapper à « l’esprit qui dévore », s’embarqua avec un de
ses amis, quelques compagnons et leurs femmes pour se ré-
fugier sur une terre voisine. Ils demeurèrent pendant quelque
temps à Toubouaï. Puis, espérant que la colère des dieux
contre Rouroutou avait eu le temps de s’épuiser, ils appareil-
lèrent pour retourner chez eux, au commencement de 1821.
Une tempête les surprit. Pendant une semaine, ils furent jetés
çà et là parla fureur des flots. L’une des pirogues périt. Dans
l’autre, Aou-oura, avec une vingtaine de compagnons, finit par
atterrir à Maoupiti, la plus occidentale des îles Sous le Vent;
ils étaient à moitié morts de faim et de soif. On les ranima, et
dans la suite, ils entendirent parler des hommes blancs éta-
blis à Raïatéa. Aou-oura voulut voir ces étrangers dont on
lui disait tant de bien, et il y réussit, comme on l’a vu; car
la barque aperçue par J. Williams, en mars 1821, n’était autre
que celle des compagnons d’Aou-oura.
Le missionnaire de Raïatéa évangélisa et instruisit les
étrangers. En moins de quatre mois, Aou-oura apprit à lire
et à écrire tolérablement la langue des îles de la Société, peu
différente de celle de Rouroutou; et, mieux que cela, il com-
(1) Voir la carte citée ci-dessus et le Journal des Missions . 1892, p. 483.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
41
prit que le Dieu vivant et vrai l’avait jeté dans une tempête
au pied de la croix du Christ.
Ni Aou-oura ni ses compagnons n’oubliaient Rouroutou.
Quand le brick a Hope » jeta l’ancre devant Raïatéa, le 3 juil-
let 1821, son capitaine, mis au fait, promit de transporter
Aou-oura et sa suite dans leur île. Mais alors Aou-oura refusa
de partir sans instructeurs pour ses compatriotes. « Comment
retourner dans mon pays ténébreux, disait-il, sans y porter
la lumière? » Williams réunit la communauté chrétienne de
Raïatéa et l’informa du désir d’Aou-oura. Deux diacres, les
meilleurs, entendirent cet appel comme venant de Dieu. Dans
les termes mêmes du prophète, ils dirent :• a Nous voici,
envoie-nous! » L’Église, dans une réunion solennelle, les mit
à part pour l’évangélisation de Rouroutou, comme l’avait fait
jadis la communauté d’Antioche pour Saul et Barnabas. Ils
partirent avec Aou-oura dès le 5 juillet.
Le 8 août suivant, une barque à voile entra dans la rade
de Raïatéa; elle apportait comme chargement toutes les
idoles de Rouroutou, avec une lettre des deux diacres Maha-
ména et Pouna annonçant la victoire du Christ dans cette
île lointaine (1).
Les entretiens de J. Williams avec le chef Aou-oura avaient
fait entrevoir au missionnaire des horizons nouveaux; l’offre
spontanée des deux diacres d’aller servir de catéchistes dans
une île éloignée, avait fait naître dans l’esprit de Williams la
pensée d’évangéliser les innombrables îles du Pacifique par
des insulaires chrétiens. Ces deux impressions reçues alors,
en. 1821, se reflètent clairement dans les mémoires rédigés
par Williams et dans sa correspondance. L’aventure mira-
(t) Les documents authentiques de cette histoire, résumée ci-dessus,
sont une lettre des missionnaires Threlkeld et Williams, dans J. Mont-
gomery, Journal of voyages and travels by the Rev. D. Tyerman and
G. Bennet Esq., etc., Londres, 1831, t. 1, pp. 419 et suiv. ; comp. J. Wil-
liams, A narrative of Missionary Entreprises in the South Sea Islands, Lon
dres, 1837, pp. 38 et suiv. et W. Ellis, Polynesian Researches , Londres,
1831, t. ITI, pp. 395 et suiv.
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-JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
culeuse d\Aou-oura de Rouroutou fît ainsi de J. Williams
l’apôtre du Pacifique.
Aou-oura avait beaucoup parlé d’qn groupe d’iles situées
à environ 375 milles vers le nord-ouest de Rouroutou. Le ca-
pitaine Cook avait, le premier, relevé deux îlots au centre de
ce groupe, en 1773, et leur avait donné le nom d’iles Hervey*
îHCWdeftris I RAROTONGA
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F. H. K.
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ARCHIPEL DES ILES DE COOK
qu’on donne encore parfois à l’archipel entier. En France, un
autre nom, celui d’archipel de Cook, a prévalu. On compte
neuf îles dans le groupe, mais il n’y en a guère que quatre
qui soient de quelque importance, comme on peut le voir sur
la carte ci-dessus. Ce sont Aïtoütaki, Atiou, Rarotonga et
Mangaîa. Sauf les deux dernières, ce sont des îles basses, en-
tourées de récifs coralliens. L île de Rarotonga seule forme
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
43
une masse imposante avec son volcan éteint qui se dresse à
près de 1,500 mètres d’altitude (1)»
L’attention de J. Williams se porta d’abord sur ces îles.
Obligé d’aller à Sydney en Australie, à cause d’une grave
maladie de sa femme, il emmena deux catéchistes, Papéïba
et Vahapata, et obtint que le capitaine relâcherait en route,
à Àïtoutaki. On s’y arrêta le 26 octobre 1821. Immédiatement
le navire fut environné d’une nuée de pirogues pleines de
sauvages, cannibales, comme on le sut plus tard, tatoués des
pieds à la tête, badigeonnés de couleurs bariolées, gesticu-
lant, s’agitant, criant comme des possédés. Le chef, nommé
Tamatoa, fut invité à monter à bord. La langue que parlaient
ces naturels ressemblait assez à celle des îles Sous le Vent
pour que Williams pût aisément comprendre et se faire en-
tendre (2). Il offrit les deux catéchistes au chef, à condition
qu’il les protégerait. Tamatoa se jeta sur eux et frotta vigou-
reusement son nez contre le leur, suivant la salutation en
usage alors dans ces pays (3).
En s’enquérant ensuite des autres îles du groupe, Wil-
liams apprit que Rarotonga, dont Aou-oura lui avait déjà
parlé, et dont le nom revenait fréquemment dans toutes les
légendes de Taïti, de Raïatéa et d’ailleurs, était la plus
(1) Les chiffres actuellement connus de la population de ces îles, sont:
Aïtoutaki, 2,000 habitants, superficie 50 kmq. ; Atiou, 1,218 habitants et
70 kmq.; Rarotonga, 3,000 habitants et 81 kmq.; Mangaïa, 2,000 habi-
tants et 67 kmq. La surface totale des îles du groupe est de 368 kmq. et
la population totale de 8,900 habitants, d’après Wagner et Supan, Die
Bevœlkerung der Erde , Gotha, 1891, p. 246.
(2) Voici le Commencement du Psaume CIII en tahitien (éd. de la
Riblê de 1863) : E haamaitai ici Iehova, e tau varua , e to rôto ia ’u nei, i
to ’na ra ioa mo‘a. Ce qui équivaut, en rarotongan (éd. de la Bible de
1888) à : E akameitaki ia Iehova, e tahu vaerua, e to roto katoa iaku nei , i
tona ra ingoa tapu. Sauf d’assez rares termes différents, il n’y a que des
permutations régulières de consonnes; en tahitien, «homme» se dit
tciata; dans l’archipel de Gook et de Samoa, tangata; les deux corres-
pondent au hawaiien kanaka.
(3) J. Williams, ouvr. cité, p. 52.
44
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
grande et la plus populeuse, bien qu’à cette époque elle ne
fût encore marquée sur aucune carte du Pacifique. Tel fut le
premier pas de la mission chrétienne dans l’archipel de Cook.
La suite est non moins merveilleuse. A Sydney, dès le mois
d’avril 1822, Williams reçut des nouvelles d’Aïtoutaki. L’É-
vangile rencontrait encore de l’opposition, mais il y avait
trouvé aussi des cœurs ouverts et prêts à recevoir la bonne
nouvelle de pardon. Quelques hommes avaient dit au messa-
ger : « Quand tu verras Viriamou — ils prononçaient ainsi le
nom de Williams — dis-lui que lorsqu’il reviendra, nous brû-
lerons nos dieux et nous détruirons nos maraé (1) pour ac-
cepter la parole du Dieu véritable ».
Mais Williams, de retour à Raïatéa depuis le commence-
ment de juillet 4822. ne put, malgré le désir de son cœur, se
rendre aux îles Cook qu’en juillet 4 823. Un de ses collègues
et six catéchistes l’accompagnèrent alors. Le 9 juillet, ils je-
tèrent l’ancre devant Aïtoutaki. «Nous pensions les trouver
prêts à tenir leur promesse et à abandonner l’idolâtrie, écrit
Williams ; et voici, à notre grand étonnement, cela était fait
déjà». «La parole de Dieu est bonne!» criaient de loin les
rameurs des pirogues qui s’avançaient à la rencontre du
bateau; « tout va bien aujourd’hui à Aïtoutaki! La bonne
parole a pris racine à Aïtoutaki ! » (2) En effet, une chapelle
de 70 mètres de long avait été construite, et les missionnaires
arrivaient à point pour l’inaugurer. Ils se demandaient s’il
était bien vrai que, dix-huit mois auparavant, les plus noires
ténèbres du paganisme recouvraient cette île.
Williams se mit alors à la recherche de Rarotonga. Plu-
sieurs Rarotongans, qui avaient accepté le christianisme à
Aïtoutaki, désiraient d’ailleurs rentrer chez eux. Mais on na-
(1) Nom donné aux sanctuaires. Voir du reste J. Williams, ouvr. cité,
p. 56.
(2) E. Prout, ouvr. cité, p. 178, et J. Williams, ouvr. cité, p. 59.
MISSIONS EVANGELIQUES Ad
vigua vainement dans la direction indiquée; Rarotonga ne se
montra pas.
Le cap fut donc mis sur Mangaïa. Là, les insulaires prirent
une attitude défiante. Papéïha, l’excellent diacre de Raïatéa et
catéchiste d’Aïtoutaki, offrit de s’aventurer jusque sur le récif
de corail, de parlementer et de nager ensuite seul jusqu’au
rivage. Il persuada de la sorte à l’un des chefs de recevoir
des instructeurs. A cette nouvelle, deux catéchistes, Taoua et
Haavi, avec leurs femmes, consentirent à accompagner Pa-
péïha à terre. A peine la chaloupe eut-elle atterri, que les
sauvages se jetèrent sur les trois hommes et commencèrent à
les ligotter, d’autres pillèrent le contenu du canot, et les deux
femmes furent enlevées et emportées sous bois. Un coup de
canon tiré à bord du navire inspira une terreur salutaire à
ces forcenés ; les deux femmes purent se sauver vers le ri-
vage, où les catéchistes relevés sautèrent avec elles dans la
barque et retournèrent à bord, n’ayant plus pour se couvrir
que quelques lambeaux d’étoffe et les marques des violences
subies (1). Il fallut renoncer à laisser des catéchistes à Man-
gaïa après cet échec.
Par contre, les habitants d’Atiou, de Mitiaro et de Maouké,
inconnus encore des Européens, saluèrent avec joie les caté-
chistes qui leur proposèrent de rester avec eux. 11 en fut
comme l’exprime le psalmiste :
Dès qu’ils entendent parler de moi, ils se soumettent.
Les fils de l’étranger viennent me llatter (Ps. XVIII, 45).
Williams ne pouvait se résoudre à abandonner Rarotonga.
De nouvelles informations furent prises sur sa situation ; mais
les vents étaient contraires. Le capitaine, craignant de voir
manquer les vivres, exigea, un matin, le retour à Raïatéa.
Williams demanda que l’on attendît jusqu’à huit heures, que
(1) W.-W. Gill, Life in the Southern Isles, Londres, s. d., pp. 90 et
suiv.
46
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
la brume eût eu le temps de se lever. Quatre fois il fit monter un
matelot indigène au haut du mât sans résultat. Enfin, peu de
minutes avant l’heure fixée par le capitaine, la vigie s’écria :
« Teie, teie , taua ferma, nei ! Voici, voici la terre que nous
cherchons ! »
Les Rarotongans descendirent à terre avec Papéïha, et fu-
rent fort bien reçus. Quelques catéchistes avec leurs femmes
allèrent tout de suite passer la nuit dans f ile. Mais le lende-
main matin, ils revinrent tous dans un état plus pitoyable
encore^ qu’après l’aventure de Mangaïa ; ils avaient souf-
fert ce que la plume se refuse à décrire. Le chef qui les avait
engagés à rester s’excusa en attribuant la perfidie à l’un de
ses rivaux. Il persistait à demander un catéchiste pour lui-
même. L’indomptable Papéïha résolut de rester seul à Raro-
tonga. Il savait que Dieu est plus fort que les hommes, et il ne
pouvait se décider à laisser sans berger les quelques Raro-
tongans chrétiens, convertis par son ministère à Aïtoutaki.
Aux premiers jours du mois d’août 1823, cinq semaines
après avoir quitté la rade de Raïatéa, J. Williams y rentra.
Son bateau était vide de catéchistes et rempli d’idoles. Le
missionnaire rentrait, joyeux « comme celui qui a fait un
grand butin (1). »
Environ dix mois plus tard, le navire qui portait de Tahiti
en Nouvelle-Zélande deux inspecteurs délégués de la mis-
sion de Londres, s’arrêta devant Atiou, le 16 juin 1824.
Toute l’île était christianisée, toutes les idoles étaient brû-
lées. Le 18, ils touchèrent à Rarotonga; les insulaires, peu de
mois auparavant si grossiers, si féroces, si perfides, mainte-
nant subjugués par la grâce salutaire de Dieu, construisaient
une immense église. Quelques jours avant cela, le même na-
vire avait laissé à Mangaïa deux catéchistes non mariés, Da-
vida et Tiéré. Ils y furent salués avec joie. Car, peu après la
scène de juillet 1823, une épidémie s’était abattue surfile.
(1) Psaumes CXIX, 162.
BULLETIN MENSUEL DES MISSIONS
47
Les insulaires y avaient vu un châtiment que leur infligeait la
divinité dont ils avaient maltraité les messagers. Par
l’arrivée de nouveaux catéchistes, ils se crurent rentrés en
faveur, et, quinze mois plus tard, le missionnaire H. Bourne,
faisant une tournée dans ces parages, trouva cent vingt con-
vertis (1).
Ainsi se réalisa, dans l’archipel de Cook la promesse de ce
texte de Noël :
Le peuple qui marche dans les ténèbres
Voit une grande lumière;
Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre de la mort
La lumière resplendit (Esaïe IX, 1).
BULLETIN MENSUEL DES MISSIONS
AFRIQUE — Expédition anglaise contre Cou-
massi. — Le roi des Achantis, enhardi sans doute par les
demi-mesures prises contre lui en 1894 , a peut-être rêvé de
restaurer l’empire achanti avec ses onze royaumes vassaux,
auquel l'expédition du général Wolseley mit fin en 1874. Il se
pourrait fort bien, du reste, que l’alcool, qui inonde de plus
en plus le pays, fût pour quelque chose dans l’excitation des
esprits. L’importation de Y « eau-de-mort » par les ports de
la Côte de l'Or s’est élevée de 2,198,561 litres en 1883, à
6,553,315 litres en 1893 (2). Quoi qu’il en soit, le roi Prempé
de Coumassi a refusé de recevoir un résident anglais qu’on
veut lui imposer; il a laissé passer, sans répondre, le 31 oc-
tobre dernier, date de l’ultimatum britannique. Une expédi-
tion a donc été préparée contre lui. Depuis lors, il prétend se
soumettre ; mais on ne se fie guère à sa bonne foi.
(1) J. Montgomery, ouvr. cité , t. Il, p. 116 et suiv.
(2) D'après le Times, dans le Bulletin du Comité de l’Afrique française ,
1895, p. 312.
48
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Mort triomphante d’un ancien féticheur. — Même
si la guerre avec les Achantis est évitée, l'Évangile aura souf-
fert de ces troubles. Il y a un an déjà, l'un des missionnaires
d’Abétifî (1), le frère E. Perregaux, constatait une irritation
grandissante contre les chrétiens dans les annexes de sa sta-
tion; mais les encouragements ne faisaient pas non plus dé-
faut au jeune ouvrier. A Bompata, dans la plaine dominée par
l’Okwawou, on raconta à M. Perregaux comment mourut un
ancien féticheur, devenu l’un des piliers de la jeune commu-
nauté, organisée dans ce village vers 1891 seulement. La
vieille mère du défunt, que le missionnaire a pu, durant ce
même voyage, recevoir par le baptême dans l’Église, disait :
« Nous souffrions, mais nous ne pouvions pas pleurer. Il
était si heureux! » Et elle ajoutait : « J’ai perdu plusieurs de
mes enfants par la mort. Aucun n'a pu me dire où il allait;
mais lui le savait. C’est pourquoi je crois, et je suis moi-
même heureuse (2) ! »
L’œuvre survit aux ouvriers. — La fièvre continue
à faucher les ouvriers de Dieu dans le climat meurtrier de la
côte occidentale de l’Afrique. Le 22 octobre dernier, le frère
G. Rœss est mort à la Côte de l’Or, où il travaillait depuis six
ans. C’est le septième décès dans les rangs des missionnaires
de Bâle sur la côte occidentale de l’Afrique, depuis le mois
de mai dernier.
Mais l’œuvre progresse. Jamais il n’y avait eu autant de bap-
têmes de païens que pendant le dernier exercice. Dans le pays
d’Akem surtout, parmi les peuplades tchi (3), les néophytes
sont très nombreux. La forteresse du paganisme ne s’écroule
pas encore par grands pans de mur, ce ne sont que des
pierres isolées qui se détachent; mais la fréquence du fait est
remarquable et commence à désagréger la masse païenne.
Pour le faire voir, il suffira de rappeler qu’en 1864, après
(1) Voir le Journal des Missions, 1893, p. 456.
(2) Der Evangelische Heidenbote (Baie), 1895, p. 46.
(3) Voir le Journal des Missiotis, 1893, p. 452.
i
BULLETIN MENSUEL DES MISSIONS 49
37 années de travail, la mission de Bâle comptait à la Côte de
l’Or 961 chrétiens. Au cours du dernier exercice, on a enregis-
tré 962 baptêmes d'adultes, et le nombre des chrétiens se mon-
tait à 13,036, dont 5,442 communiants; de plus, il y avait
479 catéchumènes (1).
Une carrière longue et bénie. — L’Église presby-
térienne unie d’Écosse pleure également un de ses mission-
naires, mort dans l’estuaire du Yieux-Calabar ; mais cette
mort termine une longue carrière. C’est l’exemple d’une rare
longévité sur la côte occidentale de l’Afrique. Hugh G. Gol-
die, né à Kilwinning (Écosse) en 1815, partit en 1841 pour
la Jamaïque; six ans après, il fut envoyé au Yieux-Calabar,
où il arriva en juin 1847. Il y a travaillé pendant quarante-
huit ans. Les dates principales de sa vie comptent parmi les
faits saillants de l’histoire de la mission du Yieux-Calabar. En
1853, le 16 octobre, il baptisa à Creektown le premier con-
verti de cette mission, Esien Esien Ukpabio. Dix-neuf ans plus
tard, il put consacrer au saint ministère ce même premier con-
verti, comme premier pasteur de son peuple. Dès 1862,
H. Goldie avait publié le Nouveau Testament, traduit par lui
en éfik, une langue qu’il a été le premier à étudier et à écrire.
Son activité tranquille et persévérante, silencieuse et profonde,
si différente de la réclame tapageuse qui envahit même le
champ des missions, laisse le souvenir d’un homme de Dieu
qui s’efface pour remettre tout l’honneur comme l’action réelle
à son Maître. L’une de ses dernières paroles, écho du dia-
logue de son âme avec Dieu, fut : « Je suis fatigué d’at-
tendre (2). »
(1) Der Evangelische Heidenbote (Bâle), 1895, p. 91 ; LXXXer Jahresbe-
richt der Evangelischen Missionsgesellschaft zu Basel (Bâle, 1895), p. 16 et
suiv.; comp. Monats-Blatt der Norddeutschen Missionsgesellschaft (Brème)
1895, p. 92.
(2) T he Missionary Record of the UP. Church, 1895, pp. 310 et suiv.; et
pp. 354 et suiv. Comp. le Journal des Missions, 1895, p. 364, et 1892,
p. 221.
4
50
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
L’espérance du missionnaire. — Des rives du lac
Moëro, où il s’est établi (1), le missionnaire D. Crawford,
écrit le 30 mai dernier : « Des centaines de gens se diraient
chrétiens si nous osions les y autoriser; mais Dieu a jeté un
solide fondement; personne n’en peut poser un autre. Nous
annonçons donc une « personne », Jésus, « la pierre de scan-
dale ». Ces pauvres adorateurs de fétiches, aux yeux desquels
la lumière d’en haut n’a jamais brillé, ne voient pas la beauté
du Crucifié et ne peuvent l’aimer. On parle d’aller en Afrique;
c’est descendre en Afrique qu’il faudrait dire. Car l’ennemi a
creusé une fosse profonde où ces pauvres gens que nous aimons
sont tombés. Ils ne savent pas dans quelle nuit ils s’agitent,
ces hommes pour qui cependant la croix a été dressée en
Judée. Mais nous, l’espérance envahit notre cœur comme un
joyeux carillon de Noël, sonnant là-haut aux quatre coins des
cieux, et une vision lumineuse nous enseigne que les desseins
de Dieu se réaliseront dans le monde païen (2) »
Troubles à Madagascar. — Le 30 novembre dernier,
le secrétaire de l’Association des Amis (dits quakers) pour les
missions étrangères, reçut de Madagascar le télégramme sui-
vant : « Les Johnson assassinés dans une bagarre; mademoi-
selle Clark sauvée. » Depuis lors, l’agence Reuter a publié une
dépêche datée de Tananarive, le 23 novembre : « Hier, une
cohue d’environ deux mille naturels a envahi la station d’Ari-
vonimamo. M. Johnson, sa femme et leur enfant ont été mas-
sacrés et mutilés. La populace est excitée contre les étran-
gers; d’autres désordres sont à prévoir. » En effet, peu de
jours après, le télégraphe annonçait la destruction de la sta-
tion de Ramaïnandro, à quelque 30 kilomètres au sud-est de
Tananarive, dans la haute vallée de l’Ikopa. Le missionnaire
E.-O. Mac-Mahon, qui occupe ce poste depuis 1883, au service
de la Société ritualiste anglicane, a pu se soustraire à la fureur
des assaillants.
(1) Voir le Journal des missions, 1895, pp. 447 et suiv.
(2) Echoes of Service (Bath), 1895, p. 265.
BULLETIN MENSUEL D ES MISSIONS
51
Arivonimamo est situé à près de 50 kilomètres à l’ouest de
Tananarive. William Johnson, missionnaire à Madagascar
depuis 1871, occupait cette station depuis 1894 seulement.
I] ne faut pas trop s’étonner de ces excès. Madame Johnson
écrivait dans sa dernière lettre : « Les gens autour de nous
disent : « La loi est morte, il n’y a plus de loi. » « 11 n'est pas
douteux, ajoute le journal The Friend (1), qui cite avec sym-
pathie le premier article sur Madagascar dans la livraison de
décembre de notre Journal des Missions, que l’occupation
française a exaspéré les sentiments des Malgaches. La con-
duite des troupes a été excellente, sans contredit; nul désordre
ne s’est produit ; on ne peut que féliciter la France de la mo-
dération de ses exigences et de la considération témoignée à
la reine; mais il demeure que le changement de régime a dé-
chaîné dans tout le pays les pires passions. »
ASIE.— Un confesseur mandchou.— A Liao-Yagn,
en Mandchourie, où le missionnaire écossais J. -A. Wylie a été
assassiné au début de la guerre sino-japonaise (2), un caté-
chumène du nom de Tang fut saisi, en mai dernier, par une
bande de soldats tartares, dépouillé de tous ses vêtements et
ligotté. Puis, on lui mit la pointe d’une épée sur la gorge, en
lui demandant s’il était de ceux qui croient en Jésus. — « Oui,
répondit-il, je suis un chrétien 1 » Sur cela, il fut traîné de-
vant un officier pour être condamné. Mais l’officier, se rappe-
lant sans doute les conséquences du meurtre de Wylie, dé-
clara qu’il ne s’occuperait pas de ce cas. On rendit donc la
liberté au prisonnier. Le dimanche suivant, le catéchiste Li-
Yoruen-Dien demanda au martyr ce qui lui avait inspiré le
courage de confesser Christ. — « Je venais de lire l’histoire du
reniement de Pierre, raconta Tang, et combien amèrement il
pleura après cela. Comment pouvais-je, moi, renier mon
Seigneur ? » M. Li ajoute que la vie de ce chrétien non bap-
tisé confirme sa profession chrétienne (3).
(1) Londres, 1895, n° 49, p. 797.
(2) Voir le Journal des Missions, 1894, p. 436.
(3) The Missionary Record of the U. P. Church, 1895, p. 262.
52
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
BIBLIOGRAPHIE
Jud§on, ou Vœux île nouvel an et leur accomplis-
sement, par G. Appia, pasteur. Société des Écoles du Di-
manche, 33, rue des Saints-Pères, Paris. 0 fr. 20 cent.
La vie de Judson appartient à ce qu’il y a de plus grand
dans l’histoire du règne de Dieu. En attendant le livre qu’un
auteur encore inconnu nous donnera sur ce beau sujet, il
faut savoir gré à M. Appia d’en avoir extrait, par avance,
quelques-unes des pages les plus émouvantes et les plus ins-
tructives. C’est ici un traité de Noël d’un genre particulier :
on y trouve des faits, des citations, des chiffres, en un mot
une nourriture substantielle et forte. Nous le recommandons
vivement à nos lecteurs.
DERNIÈRE HEURE
Arrivée d’un courrier du Congo français.
Ce courrier, daté du 29 octobre et du 7 novembre, nous
apprend que la mort de M. Jacot remonte déjà au 24 octobre,
et nous donne sur cette mort des détails, que, à notre grand
regret, nous devons ajourner au mois prochain.
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20041.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
53
SOCIÉTÉ
• • - » 1 r , . ' - * " c , v
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
ADIEUX ET DÉPART DE MM. LAUGA ET KRUGER
POUR MADAGASCAR
Nos journaux religieux ont parlé au long de la belle et
émouvante séance où MM. Lauga et Krüger ont fait leurs
adieux et ont été recommandés par nos prières à la grâce de
Dieu. Nous comptons publier le compte rendu développé de
cette séance, aussi n’en parlerons-nous ici que brièvement.
C’était le 5 janvier au soir, à l’Oratoire; l’assistance était
celle des grands jours. Après la lecture de la Parole de Dieu
et une prière de M. le pasteur Dumas, M. Jules de Seynes,
président de la Société a, dans une brève allocution, expliqué
les motifs qui ont décidé la Société des missions à agir. Le
moment, a-t-il dit, est venu, pour les protestants français, de
passer de la période de l’attente à celle de l’action. Puis, ca-
ractérisant les deux délégués choisis, M. de Seynes a pu con-
clure, — et nous croyons qu’en cela il a exprimé le senti-
ment général, — que nous avions lieu de remercier Dieu de
nous avoir fait trouver, pour une tâche difficile, deux
FÉVRIER 1896. 5
54
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
hommes bien qualifiés, et possédant, à des titres divers, la
confiance de nos Églises.
Les deux délégués ont ensuite pris la parole, M. Lauga a
exprimé ce qu'ils comptent faire à Madagascar. Avant tout, don-
ner, par les faits, un démenti au mensonge courant et si sou-
vent exploité contre nous, à savoir : que bon Français est syno-
nyme de catholique; protestant synonyme d’adversaire de la
France. Les 500,000 chrétiens évangéliques qui habitent Mada-
gascar, et nos compatriotes eux-mêmes, verront de leurs yeux
le contraire; ils apprendront, s’ils ne le savent déjà, que le
drapeau de la France est assez large pour abriter tous les en-
fants delà France, quelle que soit leur religion; la première
liberté inscrite dans nos lois est et restera la liberté de
conscience. Voilà le premier devoir. Mais qu’y a-t-il à faire
encore? Pouvons-nous songer à remplacer les nombreuses et
florissantes missions qui travaillent pour le bien de Mada-
gascar? Non; car, outre que nous n’aurions aucun droit à le
faire, notre protestantisme n’est assez riche ni en hommes,
ni en argent, pour pratiquer cette substitution. Que
nos frères d’Angleterre et de Norvège continuent à tra-
vailler, comme par le passé, sans autre préoccupation que
l’intérêt spirituel des tribus qu’ils évangélisent ! A nous de
rechercher comment nous pourrons les aider à s’accommoder
à la situation nouvelle créée par la conquête. Peut-être
l’œuvre qui s’imposera sera-t-elle plus spécialement l’œuvre
scolaire, la création d’institutions supérieures d’éducation;
c’est précisément ce qu’il convient d’étudier sur place.
M. Krüger, lui, a cherché à dégager la pensée qui, en pré-
sence des questions graves et délicates qui se dressent de-
vant nos envoyés, leur fournira l’orientation dont ils ont be-
soin. A première vue, leur tâche complexe lui apparaît comme
apparaît au voyageur, en cette saison mauvaise, la côte de
Madagascar; une brume malsaine en voile les contours, en
rend dangereux et pénibles les abords. Mais, à mesure qu’on
s’élève vers le plateau central, on retrouve le bon air, le ciel
brillant. Nous aussi, dans l’angoissant problème qui nous
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
occupe, redisons le sursum corda des anciens; élevons-nous
au-dessus des préoccupations, des passions humaines, vers
ces régions sereines où l’on marche avec Dieu par la foi; à
cette hauteur une pensée domine tout, éclaire tout : celle du
Royaume de Dieu qu’il faut rechercher avant tout et à laquelle
il faut tout subordonner.
Après un chant, trois orateurs, MM. B. Couve, Appia et
Hollard ont pris la parole, représentant chacun, non pas seu-
lement notre Comité où ils occupent des charges importantes,
mais aussi, quoique d’une manière toute officieuse, les di-
verses Églises dont les membres collaborent à l’œuvre de
notre Société.
Nous ne pouvons résumer ici ces discours, qui seront pu-
bliés; ils ont, chacun à sa manière, contribué à l’impression
profonde laissée par la séance, qui s’est terminée après une
prière du directeur de la Maison des missions (1).
Les jours qui avaient précédé et qui ont suivi cette séance
ont été remplis de manière à laisser bièn peu de temps à nos
délégués pour leurs derniers préparatifs, que la soudaineté
de leur départ les avait forcés à hâter beaucoup. Le 3 janvier;
ils avaient été présentés au ministre des Colonies par les
membres du bureau de la Société. Le lundi, 6 janvier, ils ont
reçu les instructions du Comité. Le soir de ce jour, M . Lauga
retournait à Reims pour prendre congé des siens. Le mer-
credi, 8 janvier, il était de retour à Paris pour le service de
sainte Cène qui préoède le départ de tous nos missionnaires.
Le soir de ce même jour, ils prenaient le train de Marseille.
Le* 9, ils participaient, dans cette ville, à la réunion de
prières pour les missions, et, le 10, ils s’embarquaient à bord
de l'Iraouaddy, entourés, jusqu’au dernier moment, de nom-
breux amis, dont plusieurs ont tenu à les accompagner
jusque sur le pont du paquebot.
(1) Une collecte, faite dans les rangs de l’assemblée, a produit la
somme de 682 fr. 25 centimes.
56
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
P. S. Le 22 janvier. — Nous venons de recevoir des lettres
de nos délégués; ils ont atteint Port-Saïd en bonne santé:,
à part la première nuit, ils ont eu une bonne traversée.
ADIEUX DE M. ET MADAME IVAN MERCIER
ET DE MM. ALBERT BOLLE ET FÉLIX FAURE
Cette réunion s’est tenue dans le temple du Saint-Esprit,,
le 22 janvier, à 8 h. 1/4 du soir. Un très nombreux auditoire
témoignait de l’intérêt que ce triple départ a éveillé parmi
les amis des missions.
Après l’envoi de M. et madame Huguenin à Raïatéa, de
MM. Lauga et Krüger à Madagascar, c’était le tour du
Congo, du Sénégal et du Zambèze de recevoir un renfort très
nécessaire et depuis longtemps désiré.
M. le pasteur Goguel a ouvert la séance par la lecture d’une
portion de l’Écriture sainte et la prière. Puis, dans une allo->
cution chaleureuse et bien appropriée, M. Hollard , qui prési-
dait, a présenté les trois missionnaires à l’assemblée : M. Al-
bert Bolle, qui part pour le Sénégal afin d’y remplacer
M. Escande, pendant que celui-ci viendra prendre en Europe
un temps de repos bien mérité; M. F. faure, désigné pour
aller renforcer la station de Lambaréné, si cruellement éprou-
vée par deux deuils successifs et rapprochés; enfin, M. et ma-
dame Mercier, qui vont rejoindre la mission du Zambèze, où
M. Mercier, pour répondre au désir si souvent exprimé par
M. Coillard, cherchera à fonder une école industrielle.
L’un de ces missionnaires, M. Faure, est un enfant de nos
Églises ; les deux autres nous sont donnés par les Églises de
la Suisse française : M. Bolle, par celle de Neuchâtel, et
M. Mercier par celle de Genève. Il fut un temps où c’était la
France qui donnait des missionnaires à la Suisse : les Farel,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
57
les Calvin et d’autres. Aujourd’hui c’est la Suisse qui en en-
voie à la France. Ils peuvent être assurés qu’ils sont accueillis
avec joie et reconnaissance.
De ces trois missionnaires, remarque encore M. Hollard,
un seul est consacré : M. Bolle; les deux autres sont des
laïques. Mais de quel précieux secours les laïques chrétiens
n’ont-iîs pas été à l’Église de tous les temps, témoin Aquilas
et Priscille, ce couple de tisserands que ne dédaignait pas
d’écouter le savant Apollos, et qui s’acquirent des titres im-
périssables à l’affection et à la reconnaissance du grand apôtre
des Gentils. Vivre de la vie de Jésus-Christ, travailler à re-
lever la dignité humaine en relevant la dignité du travail,
préparer par là un terrain favorable à la mission, telle est la
grande tâche de nos missionnaires laïques.
Deux de nos amis iront travailler dans les pays soumis à
l’influence française : le Sénégal et le Congo. Nous nous en
réjouissons. Il faut que la France, en agrandissant son do-
maine colonial, songe aux responsabilités morales qui lui in-
combent à l’égard des peuplades désormais placées à l’abri
de son drapeau. Au bienfait de la civilisation, il faut joindre
le bienfait qui les renferme tous, celui de l’Evangile. C’est là
pour les chrétiens protestants de France un devoir étroit au-
quel nous ne voulons point faillir. Mais ce ne sera point un
motif de nous désintéresser des missions établies en d’au-
tres pays, et pour le seul bien de ceux qui les habitent. Telle
est la mission du Zambèze où se rendent M. et madame Mer-
cier. Ce n'est pas seulement le support que nous réclamons
pour ces œuvres, entreprises et accomplies dans le plus pur
esprit missionnaire, c’est l’amour et le dévouement. Ces mis-
sions ont besoin de nous... et nous avons encore plus besoin
d’elles. Nul ne peut dire ce que nous leur devons. Et notre pays,
bien loin d’y perdre quelque chose, y gagnera. Il enrichira
son capital moral, le meilleur et le plus durable de tous. On
pourra dire de quelques-uns de ses enfants : « Voilà des
hommes qui parlent le français et qui, avec un désintéresse-
ment absolu, sont venus dans ce lointain pays dans le seul
58
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
but d’y travailler au relèvement de l’indigène. » Ce sera là
pour notre patrie un grand gain et un grand honneur.
Puis, après avoir dit aux partants tous les vœux de ras-
semblée, le président leur laisse comme mot d’ordre de leur
activité cette parole de Jésus : « Cherchez premièrement le
royaume de Dieu et sa justice, et toutes les autres choses vous
seront données par dessus. »
Le manque d’espace nous empêche de reproduire dans
leur entier les paroles que chacun de nos amis a ensuite
adressées à l'assemblée. Nous essaierons, du moins, d’en
donner la substance et de faire faire ainsi à nos lecteurs
la connaissance de nos trois nouveaux missionnaires.
M. Albert Bolle , qui est âgé de vingt-trois ans et demi, est
né aux Bayards, dans le Jura neuchâtelois. Dès Page de qua-
torze à quinze ans, il dut s’éloigner du toit paternel pour
faire ses classes à Neuchâtel. L’affection d’une famille amie
qu’il rencontra dans cette ville lui fut un préservatif contre
beaucoup de dangers.
Le culte domestique, la prière qui s’y faisait, ainsi que son
instruction religieuse reçue de M. le pasteur Descoeudres,
exercèrent une action décisive sur son développement spi-
rituel, et lui permirent de a connaître les saintes exigences de
l’amour de Dieu et la joie du pardon ».
Au moment d’entreprendre ses études théologiques,
M. Bolle ignorait encore qu’il serait missionnaire ; cette pen-
sée lui faisait même éprouver une certaine répugnance. Mais
Dieu se réservait de l’amener à la soumission à sa volonté
par le moyen de l’épreuve : « Fais de moi ce que tu veux,
dit-il au Seigneur 5 s’il le faut, je partirai. »
Pendant deux ans, il attendit un signe des desseins de Dieu
envers lui, quand, un jour, M. Godet lui demanda s’il voulait
aller au Sénégal, a Pourquoi pas? répondit-il, si j’y suis
appelé ». Après quelque temps de réflexion, et non sans
crainte, il offrit ses services à M. Boegner, et eut la joie de
les voir agréer.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
59
C'est dans le sentiment d’une grande faiblesse que M. Bolle
va rejoindre son travail. « Il n’ignore pas, dit-il, les dangers
auxquels il s’expose, l’insalubrité du climat, les difficultés
inhérentes à toute œuvre missionnaire, celles très spéciales
de l’œuvre du Sénégal, la grandeur de la responsabilité qui
ne tardera pas à lui incomber : tout cela, il s’en est rendu
compte. Et en disant adieu aux Églises, il est heureux de
penser qu’à la Maison des missions et ailleurs, en France et
en Suisse, il y aura des chrétiens pour intercéder en sa fa-
veur, comme en faveur des autres missionnaires. »
C'est par des récits et par des séances de missions que,
en 1888, M. Mercier a été amené à s’offrir pour l’œuvre de
Dieu parmi les païens. Mais à ce moment-là des circonstances
de famille l’empêchèrent de donner suite à son dessein.
Au printemps dernier, à la lecture dès appels répétés de
M. Goillard, demandant un aide-missionnaire pour le Zam-
bèze, M. Mercier sentit cette vocation se réveiller en lui.
Libre désormais, il résolut, d’accurd avec sa femme, de faire
ses offres de service à la Société des missions de Paris, qui les
accepta.
Il espère que son activité ne s’exercera pas seulement au-
près des jeunes noirs de l’école professionnelle, mais qu’il
pourra aussi aider les missionnaires dans leurs travaux ma-
nuels. « S’il m’était donné, dit-il, de pouvoir assainir, em-
bellir quelque peu leur demeure, j’en bénirais mon Dieu. »
M. Mercier passe ensuite en revue quelques-unes des ob-
jections que l’on fait à l’œuvre de la mission : « Avez-vous
bien réfléchi que vous quittez parents, amis, patrie, confort
de la vie civilisée, pour aller au devant de difficultés de toute
nature : fièvre, maladie, mort prématurée peut-être?... D’au-
tres, mieux que moi, ont déjà répondu à cette objection. Un
mot seulement : quand Dieu dit à Abraham : « Sors de ton
a pays et de ta parenté et va au pays que je te montrerai »,
Abraham ne s’est pas inquiété de ce qui l’attendait hors de
son pays. La voix de Dieu parla, il obéit.
60
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
(( ... Dans une séance semblable à celle-ci, qui eut lieu le
8 décembre à Genève, j'ai eu l’occasion d’adresser mes chauds
remerciements à de nombreux amis. J’éprouve un besoin non
moins pressant de remercier ici publiquement le Comité des
missions de Paris qui a bien voulu agréer mes offres de ser-
vice...
« Lors de la construction du temple, continue M. Mercier,
l'Éternel dit à Moïse : «Sache que j’ai choisi Bethsaléel. Je l’ai
« rempli de l’Esprit de Dieu, de sagesse, d’intelligence et de
« savoir pour toutes sortes d'ouvrages... » Vous demanderez
au Seigneur de faire de moi un Bethsaléel, dont le travail soit
pénétré de la puissance du Saint-Esprit et éclairé de sa lu-
mière. Vous demanderez que tous les jeunes nègres de l’école
professionnelle de Séfula, non seulement se tournent plus ou
moins vers l’Évangile, mais prennent rang dans l’armée con-
quérante de Jésus-Christ et deviennent à leur tour des Beth-
saléel remplis de l'Esprit de Dieu. »
C’est à la parabole des ouvriers (Matth. 20, 1-8) que
M. F. Faure rattache les paroles qu’il prononce. Luinussi a
entendu l’appel du Maître : Va travailler à ma vigne. Tel est
l’ordre qu’il entendit en lisant un vieux Rapport de la Société
qui fut, entre les mains de Dieu, l’instrument de sa conver-
sion, comme ce fut par un Rapport de la Société que Dieu
leva, il y a six mois, les derniers obstacles qui s’opposaient
au départ de M. Faure.
« Travailler dans sa vigne ! » C’est ce qu’il cherchait à faire
comme élève de l’Institut agronomique ou lorsque, soldat,
il parcourait les sentiers glacés des Alpes, et c’est en-
core ce qu’il cherche à l’aurore d'une vie inconnue. Mais il
peut dire, lui aussi : « Je sais en qui j’ai cru >. , et a l’assu-
rance que le Seigneur fera servir ses connaissances agricoles
à l’avancement de son règne.
Sa grande préoccupation sera d’anoncer l’amour de Dieu
pour l’homme pécheur. Mis en contact avec l’Évangile, le
païen aussi sent s’éveiller en lui des notions de progrès mo-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
61
ral et matériel. Quelle forme pratique donner à cette vie nou-
velle? Ne sera-ce pas, à côté de beaucoup d’autres, l’indus-
trie agricole? Aussi M. Faure espère-t-il que, le moment
venu, il pourra fonder un établissement agricole qui com-
blera une lacune dans la mission. De jeunes chrétiens, de-
venus des agriculteurs expérimentés, rentreraient dans leurs
villages, évangéliseraient autour d’eux tout en faisant de la
culture pour leur propre compte.
« Gomme pour les ouvriers de la parabole, la onzième
heure est venue pour moi, dit M. Faure. Que Dieu me donne
de bien employer le peu de temps que j’aurai à le servir... »
Le directeur de la Maison des missions tient à prononcer
une parole de reconnaissance. Aucun de ces trois jeunes
hommes n’a été préparé à la Maison des missions. Nous nous
trouvions, il y a quelques mois, dans une grande pénurie
d’ouvriers. Beaucoup de prières sont montées à Dieu pour
qu'il suscite des vocations, et ces trois missionnaires nous
ont été donnés. A Dieu seul soit toute la gloire!
M. le pasteur E . Sautter , dans une vibrante allocution, fait
voir combien sont dignes d’envie ceux qui vont partir et quel
exemple ils nous donnent de liberté pour le service du Maître,
de consécration à sa cause et, par là même, de dévouement
chrétien. L’Église ne sera-t-elle pas reconnaissante de telles
preuves de la vitalité de l’Évangile et n’en sera-t-elle pas
émue à jalousie ?
Une prière de M. le pasteur A. Bonzon termine cette belle
et bienfaisante réunion, où la pensée de nos deux mission-
naires morts au Congo, Charles Bonzon et Herman Jacot, a
été présente dans bien des cœurs (1).
Le lendemain, 22 janvier, à 3 heures, le Comité, réuni en
séance extraordinaire, remettait leurs instructions à nos mis-
sionnaires et prenait officiellement congé d’eux. A 4 h. 1/2,
(1) La collecte faite dans les rangs de l’assemblée a produit 348 fr.
62
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
avait lieu à la Maison des missions un service de sainte Cène.
Ce même jour, à 10 heures du soir, M. F. Faure prenait le
train de Marseille, où il doit s’embarquer, le 25 janvier, à
bord du Tliibet, à destination de Libreville. Il était accom-
pagné jusqu’à Dijon par M. A. Bolle, qui se rendait pour
quelques jours chez ses parents, en Suisse, et qui partira,
le 5 février, de Bordeaux pour Saint-Louis, son champ
de travail. Quant à M. et madame Mercier, ils ont quitté Paris
le 23 janvier pour se rendre à Londres. Là ils devaient avoir
une entrevue avec M. Waddell, l’aide dévoué de M. Goillard.
Ils s’embarqueront le 23, à Southampton, à bord du Hawarden
Castle , à destination de la ville du Cap.
A CEDX QUI PARTENT (1)
Partez pour le combat, soldats de l’Évangile !
Affrontez sans frayeur des dangers glorieux!
Le Dieu fort est pour vous contre les dieux d’argile,
Encor debout sous tous les deux.
Vos armes sont la foi, qui n’est jamais trompée,
L’ardente charité, qui console et guérit,
L’indomptable espérance, et l’invincible épée
Qui doit sa trempe au Saint-Esprit.
Le mensonge et l’erreur, l’infamie et les crimes,
Voilà les ennemis qu’il vous faudra braver;
Et le prix immortel de vos combats sublimes,
Ce sont des âmes à sauver.
Partez donc ! le désert attend sa délivrance :
Allez, au lieu des pleurs, faire éclater des chants !
Allez dire au païen qui meurt sans espérance :
« Jésus est mort pour les méchants ! »
(1) Ce cantique, pour la consécration ou le départ des missionnaires,
se chante sur l’air : « Je chanterai , Seigneur , tes œuvres magnifiques... »
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
63
Des captifs de Satan brisant les lourdes chaînes,
Courbez-les sous le joug léger du Roi des rois;
Allez faire flotter sur les rives lointaines
L’étendard sanglant de la Croix!
...Seigneur! étends, par eux, tes conquêtes divines :
Que, partout proclamant l’Évangile éternel,
Et portant, s’il le faut, ta couronne d’épines,
Aux pécheurs ils ouvrent ton ciel!
Toi qui conduis leurs pas, donne-leur la victoire!
Et qu’après les périls, les larmes, les labeurs,
Au terme de leur course, ils partagent ta gloire,
Comme ils partagent tes douleurs !
IN MEMORIAM
M. Alfred André. — M. le pasteur Guillaume Monod. — M. le pas-
teur Louitz. — Madame veuve Adèle Jalla.
Avec toutes nos Eglises et nos Sociétés religieuses, nous
entourons la famille de M. Alfred André de notre profonde
sympathie, dans l’épreuve si soudaine qui l’atteint dans la
personne de son chef. Fils d’une des amies les plus dévouées
et les plus énergiques de notre œuvre, madame André- Wal-
ther, frère de la présidente actuelle du Comité auxiliaire des
Dames, M. Alfred André tenait de trop près à notre œuvre
pour ne pas s’y intéresser d’une manière suivie et active;
et bien qu’il eût réservé à d’autres causes son intérêt prin-
cipal, il a eu plus d’une fois l’occasion de venir en aide
d’une manière spéciale à notre Société, outre l’appui régulier
qu’il lui donnait. Nous nous rappelons la reconnaissance du
fondateur de notre Maison, le Dr G. Monod, mentionnant le
don supplémentaire que M. Alfred André lui avait fait par-
venir la veille même de la dédicace de l’édifice, et qui per-
Édouard Monod,
64
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
mettait d’inaugurer celui-ci libre de toute dette. Il y a peu de
jours encore, M. André s’inscrivait en tête d’une liste de dons
spéciaux pour nos frais d’enquête à Madagascar. Enfin nous
aimons à mentionner que, l’avant -veille de sa mort, « se sen-
tant déjà tout mal en train et grippé », comme il nous l’é-
crivait, il nous avait procuré, par son intervention, une
réduction importante sur les frais de voyage de M. F. Faure
de Paris à Marseille. Que Dieu console sa veuve et tous les
siens, et qu’il suscite dans nos Églises beaucoup d’hommes
qui se consacrent, «corps et biens», à son service!
M. le pasteur Guillaume Monod , que nous venons de con-
duire à sa dernière demeure, a été, pendant près de vingt
années, membre de notre Comité. 11 y était entré en 1856, en
remplacement de son frère Adolphe. 11 y siégea jusqu’en 1863,
à côté de son frère Frédéric, l’un des fondateurs de notre So-
ciété, et y vit entrer, en 1866, son frère plus jeune, le Dr G.
Monod, à Pinitiative duquel notre Société doit sa Maison. 11
se retira en 1876, mais, plus d’une fois encore, il eut l’occa-
sion de mettre sa parole enflammée au service de notre
œuvre qu’il aimait et soutenait de ses prières. Sa figure vé-
nérable nous manquera dans nos Assemblées, où il représen-
tait la forte génération du Réveil, aujourd’hui disparue,
comme son affectueuse et paternelle bienveillance manquera
à ceux qu’elle a souvent réchauffés et encouragés.
Nous ne pouvons que mentionner ici la mort de M. le pas-
teur Louitz, de Bordeaux, repris, lui aussi, à l’affection des
siens, et qui, membre du Comité auxiliaire de sa région,
était un bon et fidèle ami de notre œuvre. Ceux d’entre nous
qui allaient à Bordeaux plaider la cause de notre Société,
se rappellent avec reconnaissance son accueil sympathique
et les prières puissantes et pleines de sève biblique où il re-
commandait à Dieu notre œuvre et ses représentants.
.Madame veuve Adèle J alla, née Biolley, que Dieu a reprise
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
65
à lui à Florence, le 22 décembre dernier, n’avait à sa disposi-
tion, pour servir nos missions, ni une grande fortune, ni l’in-
fluence réservée au pastorat; et cependant notre Société fait
en elle une grande perte et lui doit une profonde reconnais-
sance. Madame Jalla avait fait à notre cause le plus beau de
tous les dons : elle lui avait donné deux hommes. Veuve elle-
même d’un fidèle pasteur des Vallées Vaudoises, elle a vu
quatre de ses cinq fils se vouer au ministère : l’aîné et le
quatrième servent l’Église vaudoise à La Tour et à Florence;
les deux autres sont missionnaires au Zambèze. Honneur à
la mémoire de cette noble femme, de cette vaillante et humble
chrétienne qui sut élever des hommes et former des soldats
pour le service actif de Jésus-Christ ! Dieu veuille multiplier
dans nos Églises les foyers où l’œuvre de Dieu est en hon-
neur et où la pensée de s’y vouer sans réserve paraît aussi
naturelle aux parents qu’aux enfants!
NOTRE SITUATION FINANCIÈRE
Cette situation s’est améliorée depuis un mois ; l’écart entre
les recettes de l’an dernier et celles de cette année a di-
minué; il était, le 23 janvier, de 2,000 francs environ. Il
ne faudrait pas, cependant, que ce progrès nous fit illusion.
Pour terminer l’exercice sans déficit, il est nécessaire que nous
recevions , d'ici au 3 i mars , 1 65,000 francs. L’an dernier, cette
somme n’a été obtenue que par un grand effort de tous nos
amis, pasteurs et laïques, collecteurs et souscripteurs, et par
des dons extraordinaires ; il faut que ces efforts et ces dons
se renouvellent, d’autant plus que nous sommes toujours ex-
posés à voir nos dépenses dépasser le chiffre prévu.
Nous attirons, d’une manière spéciale, l’attention des amis
des Missions sur la situation de la caisse du Zambèze. Les re-
cettes pour cette mission ne sont , à cette heure, que de
66
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
j 6,840 fr. 20, tandis qu'il y a un an elles étaient de 35,570
francs. Nous espérons qu’il n’y a là qu’un simple retard, mais
ce retard appelle l’action énergique de tous ceux qui aiment
l’œuvre du Zambèze et bénissent Dieu pour le bien qu’elle fait
non seulement en Afrique, mais aussi dans nos Églises.
Dieu nous a accordé la joie de renforcer le personnel de cette
mission. Ce serait nous montrer ingrats envers le Maître qui
nous a donné ces nouveaux ouvriers, que de ne pas subvenir à
leur envoi et à leur entretien. Nos amis ne voudront pas qu’à
son arrivée parmi nous (si Dieu nous le ramène) M. Coillard
soit accueilli par la nouvelle que l’œuvre fondée par lui est
affligée d’un déficit.
Nous avons dit nos préoccupations; mentionnons encore
quelques encouragements accordés, ces jours derniers, à
notre foi. Une amie, qui veut demeurer inconnue, nous a fait
un don anonyme de 1,000 francs. Un ami des Missions a en-
voyé d’Alsace 100 francs pour les frais d’enquête à Mada-
gascar et 100 francs pour évita' le déficit. Une amie du Midi
a donné, à partager entre ces deux mêmes objets, une somme
de 4,000 francs. Un pasteur de l’étranger nous a fait parvenir
1,000 francs pour notre œuvre générale. Ces faits, d’autres
encore que nous pourrions citer, montrent la constante fidé-
lité de Dieu envers notre œuvre. Remercions-le de ces en-
couragements, persévérons à lui demander le pain quotidien
pour nos missions et, tout en faisant, chacun à son poste, ce
qui dépend de nous, attendons de lui de grandes choses; il
fera par nous de grandes choses !
COMMENT IL FAUT LIRE LE « JOURNAL DES MISSIONS »
Les lignes qu’on va lire n’étaient pas destinées à la publi-
cité. Elles sont empruntées à une lettre adressée par une
de nos lectrices à son amie, qui nous les a communiquées,
pensant avec raison que nous y trouverions un encourage-
ment.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
67
« ... Le Journal des missions se lirait comparativement vite ;
mais moi, — c’est sans doute parce que je suis de la vieille
école, — je relis deux ou plusieurs fois certains passages;
puis, après la lecture d’un certain nombre de ces passages, je
lève mes yeux vers les montagnes d’où nous viendra le se-
cours. Oui, souvent, après la lecture de telle ou telle page,
je me sens comme forcée de faire une halte, et, dans une
fervente prière, je remets entre les mains de mon Dieu les
missionnaires..., demandant pour eux les clartés d’En-Haut,
le courage et l’amour nécessaire pour triompher de tous les
obstacles. »
— —
LESSOUTO
HEUREUSE ARRIVÉE DE M. ET MADAME MARZOLFF
M. et madame Marzolff se sont embarqués, comme on sait,
le 9 novembre à bord du Noi'man. Le voyage, jusqu’à Madère,
a été pénible, et n’est guère devenu plus agréable dans la
suite, le soleil s’étant peu montré durant la traversée. La so-
ciété avec laquelle voyageaient nos missionnaires n’était pas
faite pour diminuer cette impression profonde d’isolement
que le chrétien, le missionnaire en particulier, est appelé à
porter si souvent. « La moitié des passagers, écrit M. Mar-
zolff le 22 novembre, est de nationalité allemande, et une
bonne partie se dirige vers les mines d’or. Johannisburg,
tel est le nom qu’on lit avec monotonie sur presque toutes
les chaises. La richesse est là, peut-être aussi la misère;
mais, sur le navire et de loin, c’est la fortune qu’on en-
trevoit ; elle sourit, et on croit déjà la saisir. Si les hommes
couraient avec la même ardeur vers les richesses durables !
Mais, à part deux familles, personne ici ne laisse entrevoir
de la piété.
« Un Hollandais, me parlant de l’Amérique du Sud, y voit
les blancs et les noirs en lutte. Il faudra, tôt ou tard, que
68
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Tune des races cède la place à l’autre et soit jetée à la mer.
Or, nous sommes en ce moment les plus forts, l’intérêt ne
commande-t-il pas que les noirs soient éliminés comme les
Indiens de l’Amérique du Nord? La mission, dans un tel mi-
lieu, ne peut apparaître que comme un non-sens, un mal.
Heureusement l’homme propose, mais Dieu règne; et, tant
qu’il régnera, nous pourrons continuer tranquillement notre
œuvre. Les projets des méchants ne subsisteront point. »
M. et madame Marzolffont débarqué au Cap le 26 novembre.
De là ils se sont rendus au Lessouto en passant par Aliwal-
North. Les premiers jours de décembre, ils arrivaient à Bé-
tesda, leur station. C’est là que les nombreux amis que M. Mar-
zolff a intéressés et édifiés pendant ses tournées dans nos
Églises, devront le rejoindre et l’entourer, ainsique madame
Marzolff, de leurs prières. En pensant à nos missionnaires re-
prenant courageusement leur travail, ils n’oublieront pas
leurs deux fillettes, restées en Europe pour leur éducation,
et dont la place doit paraître bien vide aux parents rentrés
seuls au foyer.
DANS LE HAUT -LESSOUTO
Étude de M. H. Dieterlen.
[On se souvient que M. Dieterlen a été appelé à prendre la
direction de l’œuvre de Léribé, tout en continuant son ensei-
gnement aux élèves de l’Ecole de théologie. Trop fatigué pour
continuer à mener de front ces deux grandes tâches, M. Die-
terlen a dû se décharger de la seconde, et c’est sous la direc-
tion du missionnaire de Thaba-Bossiou, M. Ed. Jacottet, que
se forment actuellement nos futurs pasteurs indigènes. On
sait que Thaba-Bossiou est déjà le siège de l’École supérieure
de jeunes filles, et le centre d’une œuvre importante d’évangé-
lisation : M. Jacottet n’a pas hésité néanmoins à se charger des
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
69
élèves de M. Dieterlen et à assurer ainsi le recrutement du
corps pastoral indigène.
Tout entier à son œuvre d’évangélisation, M. Dieterlen a
tenu à se rendre compte des dimensions et des besoins de
l’œuvre qui lui était échue. C'est le résultat de ses observa-
tions qu’il a désiré mettre sous nos yeux dans l’étude qu’on
va lire.]
I
Quitter le centre du Lessouto pour s’établir dans sa partie
septentrionale, ce n’est, au point de vue matériel, que chan-
ger de station et de voisins. Au point de vue de l’œuvre mis-
sionnaire, c’est partir des grandes Eglises et des régions où
le christianisme a fait le plus de progrès pour s’établir au
milieu de populations où le paganisme a gardé pour ainsi
dire tout son pouvoir et où l’Eglise est numériquement petite
et faible. Dans le centre et le sud du Lessouto, on est sur-
tout frappé par les progrès visibles de l’Évangile, encore
qu’il ne faille pas les exagérer. Dans le nord, c’est-à-dire
depuis Cana jusqu’à Kalo, en passant par Léribé, on re-
marque avant tout, et d’une manière douloureuse, la gran-
deur, la puissance et la vitalité du vrai paganisme des Bas-
soutos, et la ténacité avec laquelle il veille à sa conservation.
Le Haut-Lessouto, par quoi nous désignons les districts où
se trouvent les stations de Cana, Léribé et Kalo, est encore
sous la domination exclusive du paganisme traditionnel qui
est loin, bien loin d’être vaincu. Et l’Église poursuit lente-
ment et péniblement une tâche des plus difficiles, dont seule
sa' confiance en les promesses de Dieu lui permet d’espérer
un jour l’accomplissement.
Les trois stations susmentionnées possèdent à la vérité un
assez grand nombre d’annexes établies dans les principaux
centres de population, et, en général, de fondation récente.
Les missionnaires du Lessouto ont compris qu’il ne s’agissait
pas pour eux de n’entreprendre la fondation d’une annexe
nouvelle que quand sa sœur aînée serait pourvue de tout
6
70
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
ce qui est nécessaire à son existence et à son fonctionne-
ment normal. Procéder ainsi, c’eût été former quelques petits
noyaux de chrétiens choyés et cultivés en serre chaude, et
laisser la masse des païens croupir pendant de longues an-
nées encore dans les ténèbres et la corruption.
Ils estimèrent avec raison qu’il fallait, le plus vite possible,
jeter des évangélistes partout où il semblerait nécessaire d’en
établir, quitte à consolider plus tard un travail exécuté rapi-
dement et d’une manière incomplète. Ils décidèrent donc la
prise de possession immédiate des postes d’évangélisation les
plus importants. Et ceux d’entre eux que retenait le manque
de ressources ou la prudence humaine finirent par subir
l’impulsion de leurs collègues plus aventureux et suivirent le
mouvement.
Mais entendons-nous, et comprenons ce qu’au Lessouto
nous voulons exprimer par ces mots : fonder une annexe.
Fonder une annexe, c’est tout simplement prendre un évan-
géliste à sa famille et l’établir au centre d’un certain nombre
de villages païens. On lui fournit un abri quelconque, une
hutte de roseau où il trouve à peine de quoi se blottir pen-
dant la nuit. Oq le présente à quelques centaines de païens
qu’il doit évangéliser et au chef qui est censé devoir être son
protecteur. L’annexe est fondée en ce sens qu’un chrétien est
là, chargé d’annoncer le règne de Dieu aux païens, et l’annon-
çant tant qu’il peut. C’était la chose à faire, le devoir clair,
immédiat, l’essence même de la mission. L’Evangile est prê-
ché là où il ne l’était pas, cette assurance est pour le mission-
naire une joie, un soulagement et une espérance. Plût à Dieu
que nous pussions, aujourd’hui même, lancer une nouvelle
escouade d’éclaireurs dans les coins sombres du Lessouto et
nous dire enfin que toutes Iqs annexes qui devraient être
fondées le sont.
Une fois l’annexe ainsi fondée, il reste encore... à la fonder.
Il faut y construire une chapelle qui servira en même temps de
maison d’école, et une demeure définitive et convenable pour
l’évangéliste qui remplira aussi les fonctions d’instituteur.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
71
Sous ce rapport, que nous sommes donc loin d’avoir des
annexes réellement fondées ! Pour ne citer qu'un exemple,
voyez le district de Léribé.
Quand j’arrivai ici à la fin de janvier 1895, je trouvai dans
ma paroisse neuf annexes fondées par mes prédécesseurs, et
je les bénis de les avoir fondées. Seulement, je trouvai aussi
que, pour que ces annexes fussent réellement installées et
convenablement outillées, il fallait y faire construire ni plus
ni moins que quatre chapelles et huit maisonnettes d’évangé«
listes ou d’instituteurs!
Si je voulais un peu dire ce que ces constructions impli-
quent pour un missionnaires de tracas, de déboires, de cour-
ses, de dépenses et de soucis, j’aurais de quoi écrire ici un
chapitre assez lamentable. Mais mon intention n’est pas de
pousser nos amis à s'apitoyer sur notre compte. Mon seul but
était de hautement affirmer que dans le Haut-Lessouto, et,
en général, dans le Lessouto entier, toutes les annexes qui
devraient exister ne sont pas encore établies, et que plusieurs
de celles qui sont déjà fondées ne le sont que par le fait de
l’installation d’un évangéliste parmi les païens. Les statis-
tiques ne donnent que des chiffres secs. J1 était bon que, à
ces chiffres si beaux sur le papier, et pourquoi pas dans la
réalité? vinssent s’ajouter des explications destinées à re-
mettre les choses au point et à couper court à des félicita-
tions que nous ne méritons ni de nous décerner à nous-mêmes
ni de recevoir des amis de notre mission. Moins d'éloges et
plus d'argent, s’il vous plaît, voilà ce que je voudrais dire
aux chrétiens de France, qui si souvent et trop souvent se re-
présentent l’œuvre du Lessouto comme tellement prospère
qu’elle n’est presque plus une œuvre missionnaire!
Il y a donc, dans le Haut-Lessouto, des annexes à fonder et
des annexes complètes, et d’autres qui n’en sont encore qu’aux
plus modestes débuts de leur existence et de leur activité.
Il s’y trouve aussi des chrétiens. Gomptons-les d’après notre
statistique de mars 1895.
72
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
A cette époque, la paroisse de Kalo comptait 49 chrétiens
et 29 catéchumènes contre... 10, 12 ou 15,000 païens.
Dans celle de Léribé, nous trouvons 347 chrétiens et
235 catéchumènes contre 20,000 païens.
Dans celle de Canà, 406 chrétiens et 252 catéchumènes
également contre 20,000 païens.
(Le nombre des païens, je l’indique approximativement,
en m’aidant des résultats du dernier recensement de la popu-
lation du Lessouto; et je crois donner, pour Léribé et Cana,
des chiffres plutôt inférieurs que supérieurs à la réalité.)
Ainsi cinquante chrétiens contre dix mille païens, six cents
contre vingt mille. Ou — ce qui n’est pas la même chose —
vingt mille païens contre six cents chrétiens, et dix mille
contre cinquante ! Voilà des chiffres qui ont leur éloquence
et qui n’ont pas besoin d’être commentés. Les chrétiens du
Haut-Lessouto sont donc, en gros, quinze cents, disséminés
parmi plus de cinquante mille païens. C’est tout dire.
Ajoutez que les conversions sont rares et que nos trou-
peaux n’augmentent que très lentement. Dans les parties du
Lessouto où le christianisme a acquis son droit de bourgeoi-
sie et est fortement enraciné, le recrutement et les progrès
de l’Église sont plus naturels et plus faciles. De nos côtés, il
n’en est pas encore ainsi. Le christianisme est encore consi-
déré comme un corps étranger, gênant et menaçant l’orga-
nisme social, et devant être tenu en échec ou combattu. Dans
de pareilles conditions, la conversion devient singulièrement
difficile et exige de celui qui s’y décide un courage moral et
une conviction très fermes.
Pour être complet et juste, je devrais signaler les sacrifices
qu’ont à faire les Bassoutos qui entrent dans l’Église : leurs
pertes matérielles, la considération à laquelle ils renoncent,
le blâme et le mépris qu’ils encourent, les persécutions de
détail auxquelles ils s’exposent. Et je devrais admirer et louer
leur courage, leur persévérance et leur foi.
Mais ce serait m’écarter de mon sujet, qui est surtout de
montrer les faits qui impressionnent tout d’abord l’homme
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
73
qui s’établit dans le Haut-Lessouto, les traits saillants de la
situation actuelle, les grandes lignes du tableau.
11 faut, à cet égard, remarquer Fextrême dissémination de
nos chrétiens et leur isolement parmi les païens. On parle en
France des protestants disséminés et des inconvénients qui
résultent de leur dispersion parmi les catholiques. Au Les-
souto, ces inconvénients sont de même nature, mais combien
plus graves, étant données les mœurs et coutumes des païens !
Une famille chrétienne toute seule dans un village païen, c’est
encore beau. Mais figurez-vous une femme seule chrétienne
dans sa propre famille et dans son village, un jeune homme
seul chrétien à des lieues à la ronde ! Voilà qui est difficile et
dangereux, d’autant plus que le paganisme reste à l’affût de
ceux qui l’ont abandonné et cherche sans cesse à les ressai-
sir. Il a pour auxiliaires les coutumes mêmes des Bassoutos
qui en sont tout imprégnés et qui forment autour des indi-
vidus un réseau presque impossible à traverser. Toute cir-
constance de la vie du Mossouto, depuis la naissance jus-
qu’au mariage et à la mort, le sollicite à accomplir un rite
ou à pratiquer une coutume incompatible avec la foi et la
morale chrétiennes. On y est englobé sans le vouloir, presque
sans le savoir; et cela d’autant plus facilement que ce Mos-
souto devenu chrétien pense encore comme un Mossouto,
voit comme lui, sent comme lui. Il ne comprend pas tou-
jours pourquoi il doit renoncer à telle coutume de ses ancê-
tres, à laquelle il croit encore et que son cœur naturel, sti-
mulé par les sollicitations de sa famille, de ses amis et de ses
chefs, désire qu’il garde et pratique.
De là des compromis avec le paganisme, qui sont d’autant
plus nuisibles à la vie religieuse de ce chrétien qu’il les fait
en cachette. De là des faiblesses spirituelles, une piété un
peu terne et parfois contredite par les œuvres. De là, aussi,
— pas souvent, heureusement, — des retours complets au
paganisme, comme celui que je voudrais citer ici.
J’ai dans une de mes annexes un chrétien nommé Paul qui,
jusqu’à présent, avait toujours bravement accompli ses de-
74
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
voirs et gardé sa foi. Mais voilà! toute sa famille est païenne*
Son père, sa mère, sa femme, ses enfants, sa parenté, ils-
sont tous païens, et païens convaincus. Sa fille est arrivée à
l’âge où les jeunes Bassoutoses sont initiées aux mystères du
paganisme. Le chef du district la demande pour tenir com-
pagnie à sa propre fille qui doit subir (très joyeusement) ces
rites nationaux. Paul, on l’ignore; parce qu’il est chrétien,
on ne tiendra aucun compte de lui. On s’adresse à ses pa-
rents, à sa femme, à la jeune fille, qui tous donnent leur
consentement. Paul proteste ; il nous demande conseil. Nous
l’exhortons à affirmer ses droits de père et de chrétien et à
disposer de sa fille selon ses convictions. Mais tout le monde
est contre lui ; une pression énorme pèse sur lui. Il se trouble,
il faiblit, sa résistance devient molle ; sa piété est ébranlée.
De fil en aiguille, il arrive à consentir. Voilà un homme à la
mer, un chrétien qui va renier sa foi. Le paganisme a vaincu.
Est-ce très étonnant ?... Et c’était le seul homme chrétien de
l'annexe de Makokoané !...
Il faut louer Dieu de ce que de pareilles défections ne soient
pas plus fréquentes. Mais il faut aussi reconnaître les tenta-
tions qui entourent nos chrétiens dans leur isolement et com-
prendre que la faiblesse numérique d’une Eglise l’empêche,
à certains égards, d’être un levain irrésistible et une lumière
qui attire les regards de celui qui observe la situation reli-
gieuse et morale du Haut-Lessouto.
II
Ainsi donc, ce qui frappe le missionnaire dans le Haut-
Lessouto, ce n’est ni la prospérité des annexes et des écoles,
ni le nombre et la qualité des chrétiens. Ce qui l’impressionne
et le remue, c’est la puissance et la vitalité du paganisme.
Ce qui importe maintenant, c’est de caractériser ce paga-
nisme dont je viens d’établir l’immense supériorité numé-
rique. Car s’il y a chrétiens et chrétiens, il y a aussi païens
et païens; et l’on n’ignore pas que certains Bassoutos qui
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75
s’appellent païens parce qu’ils ne sont pas membres de
l’Eglise, n’ont cependant conservé que très peu de coutumes
païennes et ont, par contre, adopté une grande partie du
Credo et des coutumes des chrétiens.
Tel n’est pas le cas des païens du Haut-Lessouto. Dans
leur ensemble, mais non sans exception, ils sont restés et
tiennent à honneur de rester des païens de la vieille époque
et à conserver avec un soin jaloux les us et coutumes des
temps anciens. Ce sont des païens paganisants, authentiques,
satisfaits, convaincus et endurcis, ils veulent être païens, ils
ne veulent pas devenir chrétiens, et ils blâment ou plaignent
ceux qui le deviennent.
Au risque de me contredire absolument, j’affirmerai d’abord
que les païens du Haut-Lessouto, comme ceux de tout le
pays, ont en général accepté lidée de l’existence de Dieu, je
veux dire du Dieu de la Bible. Son nom revient très fréquem-
ment dans leurs paroles et dans leurs discours. Ils en abusent
même, et les phrases pieuses sont monnaie courante parmi
eux quand ils parlent à des chrétiens ou surtout à yles Euro-
péens.
Mais quelle idée se font-ils de Dieu?
Voici, à cet égard, deux faits que je viens de noter au
cours d’un petit voyage.
Près de Cana, à l’issue d’une de ces séances d’ivrognerie
qui sont en ce moment si fréquentes, une querelle s’est en-
gagée (c’est presque de rigueur en pareille occasion) entre un
païen chétif et malingre et quelques camarades. Il s’est armé
de son couieau de poche, s’est jeté sur ses assaillants, en a
tué un sur place et en a blessé quatre autres. On s’étonnait
de ce qu’un homme si faible ait pu en frapper cinq et de plus
forts que lui.
Quelqu’un répondit : « C’est en effet extraordinaire. Il n’a
pu le faire qu’avec l’aide de Dieu. »
Plus loin, je causais avec un homme rencontré sur la route
et je lui disais : « Il est pourtant fâcheux que les Bassoutos
ne puissent pas vivre sans se chamailler.
76
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
— Ne dis pas que ce sont les Bassoutos qui en sont cause.
— Pourquoi?
— Parce que ce ne sont pas eux. C'est Dieu.
— Comment Dieu?
— Mais oui ! Dieu n’est-il pas appelé le Dieu des guerres
(c’est-à-dire des armées) ? Toutes ces querelles, c’est Dieu qui
les suscite.
Ces deux traits cadrent parfaitement avec ce que me disent
à chaque instant des païens du cru, des gens qui sont hos-
tiles à l’Évangile et à l’Église, et qui vivent dans la corruption
et le vice : « Dieu? Mais nous aussi nous sommes ses enfants.
Il nous donne la pluie et le sorgho, des bestiaux et des
enfants. Quand nous sommes dans la peine nous le prions.
Personne ne peut nier l’existence de Dieu. »
Et de fait, il y a de vrais païens qui, en cas de maladie ou
de danger, s’adressent à Dieu pour être secourus. Ils le disent
du moins.
Alors, quelle idée ont-ils de Dieu? Une bien commode, en
vérité. C’est un être supérieur aux hommes, puissant, géné-
reux, dont le rôle consiste à bénir et à secourir les hommes,
auquel on peut recourir en cas de grand besoin et qui, en
somme, est responsable de tout ce qui arrive à l’homme, en
particulier de sa mort.
Jusqu’ici, tout va bien. Mais après? C’est un Dieu qui ne
fait nulle différence entre le mal et le bien, qui doit tout
donner et ne veut rien recevoir; qui n’a ni lois ni comman-
dements à prescrire aux hommes, et qui ne s’occupe ni de
leur conduite ni des dispositions de leur cœur. C’est un Dieu
amoral , neutre, sans principes, sans sainteté. « 11 fait luire
son soleil sur les bons et les méchants, il fait pleuvoir sur les
justes et les injustes. » Oh! la parole que les Bassoutos ai-
ment et approuvent ! Indifférence morale et fatalisme, voilà
ce qu’ils abritent sous le nom de Dieu, dont ils font un si grand
usage, ou un si grand abus.
(A suivre.)
H. Dieterlen.
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77
ZAMBÈZE
DERNIÈRES NOUVELLES
Les nouvelles publiées ici même, il y a un mois, nous ont
été confirmées par une lettre de madame Adolphe Jalla, datée
du 8 octobre, de Léaluyi, etpar une carte postale deM. Louis
Jalla, datée du 15 novembre, de Kazungula.
Madame Jalla parle ainsi du prochain départ de M. Coil-
lard :
a Nous avons, plus que jamais, besoin de votre intérêt et
de votre amour, maintenant que M. Coillard va nous quitter,
maintenant que nous allons avoir de plus grandes responsa-
bilités, une tâche plus étendue, une œuvre complexe à pour-
suivre à la fois dans le village, à la station et dans l’Ecole
d'évangélistes que la conférence a placée sous la direction
temporaire de mon mari. Vous redoublerez de prières pour
nous, n’est-ce pas? Oh! comme nous sentons le besoin d’être
soutenus, dirigés par Dieu, au commencement de cette nou-
velle période de notre vie missionnaire. M. Coillard a écrit à
M. Boegner les motifs de son départ : je n’y puis rien ajouter.
Si, d’un côté, nous sommes tristes à la pensée de le perdre,
de vivre sans lui à côté de ce monarque léger et tyran, nous
ne pouvons, d’un autre côté, que nous réjouir à la pensée
qu’un retour dans les pays civilisés peut procurer à notre
cher doyen, si ce n’est une guérison complète, du moins une
existence supportable. Ses souffrances ont été continuelles
depuis deux mois, et sa vie nous fait penser au martyre. »
Parlant de la conférence, madame Jalla ajoute : « Nous
avons eu un beau mois de septembre... Je voudrais pouvoir
le faire revivre pour vous Nous avons tant joui de nos
amis et frères du Bas... Quelles bonnes causeries, quelles
charmantes soirées!.. M. Coillard ne pouvait pas toujours
être avec nous, et souvent ses souffrances l’ont retenu seul
dans sa chambre ou sur son lit. Nous avons réalisé une fois
78
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
de plus combien il est doux pour des frères de se retrouver
ensemble, et nous nous sommes séparés le cœur gros. »
M. L. Jalla écrit de son côté : «Nous sommes en pleins em-
ballages. Nous attendons M. Coillard la semaine prochaine,
et comme la pluie semble devoir tomber, nous pourrons
peut-être partir aux premiers jours de décembre pour Bulu-
wayo. Je ne quitterai pas notre cher doyen en route ; il est
trop peu bien. Il ne va pas mieux qu’en septembre. Si les
Mercier sont encore à Paris à l’arrivée de ces lignes, je vous
prie de les faire partir immédiatement pour Maféking tout
droit. Nous sommes tous bien; nous avons eu de grandes
anxiétés pour notre dernier enfant, et l’enfant de John. Dieu
nous les a rendus, dans sa bonté. Est-il donc possible que
dans environ trois mois d'ici je puisse être auprès de vous? »
Nos lecteurs savent quel deuil assombrira le retour de
M. Jalla en Europe : il trouvera vide, au foyer paternel, la
place de cette mère qu’il se réjouit tant de retrouver... Nos
amis l'entoureront de leur sympathie dans cette grande
épreuve. Quant à l’époque de son retour, nous ne croyons
pas qu’elle puisse précéder de beaucoup le milieu du mois de
mars. D après les instructions qu’il trouvera à son arrivée à
Maféking, terme actuel du chemin de fer, M. Jalla devra y
attendre nos amis Mercier et ne se séparer d’eux qu’après
avoir dûment organisé leur voyage.
RÉCIT DU VOYAGE DE MM. DAVIT ET BOITEUX (1)
Extraits de lettres.
« Il y a dix jours, écrivait M. Boiteux à la date du 4 août,
que nous sommes arrivés au terme de notre long et pénible
voyage. »
(i) Voir le Jounal des Missions , année 1895, pages 477 et 506.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
79
Puis il continue en expliquant comment lui et son compa-
gnon, M. Davit, ont dû se séparer à Mangwato, celui-ci étant
obligé d’attendre des caisses en retard, tandis que lui-même
était pressé d’arriver au but avec les évangélistes Théo-
dore et Alitha sa femme, Aarone et Alina sa femme et leur
enfant. Mais il a subi, en chemin, mille contretemps : d’une
part, la mauvaise volonté du driver (1) qui, de plus, ne con-
naissait pas la route et finit par les abandonner seuls, un beau
matin; de l’autre, la maladie grave du leader, qui nous est
racontée dans les lignes suivantes :
«... Nous étions à peine en route depuis huit jours, lorsque
notre leader se plaignit de douleurs dans tout le corps. Le
surlendemain, son corps se couvrait de milliers de boutons,
et je voyais un varioleux pour la première fois. Vous devinez
quelle perplexité fut la nôtre ! On nous conseillait d’abandonner
le pauvre garçon dans quelque endroit où il y aurait de l’eau,
en lui laissant un peu de nourriture; mais nous ne pûmes
nous y résoudre. Nous l’installâmes de notre mieux sur la
caisse du wagon, le séparant un peu de l'intérieur par une
toile tendue. Sa maladie dura un bon mois. Il en réchappa,
les yeux même intacts, grâce, je pense, à de fréquents lavages
au sublimé, grâce surtout à Dieu qui le garda...
«... C’était le 2 juillet, nous allions nous remettre en route
(sans driver 1) après deux ou trois jours de repos, et franchir
un immense espace sans eau, lorsque arrivèrent trois voya-
geurs, dont un me remit un billet envoyé par Davit et daté
ainsi :
a 29 juin, dans le désert et la désolation. »
Son driver et son leader , me disait-il, étaient également in-
capbles, et il me suppliait de lui envoyer du secours. Vous
dire mon embarras serait difficile ! Mes bœufs étaient fatigués
(1) On appelle driver et leader les deux hommes qui sont indispensa-
bles pour conduire un attelage de bœufs. Le premier tient le fouet et
excite l’attelage; le seeond se tient à la tête du convoi et le conduit.
(Réd.)
80
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
et avaient déjà mille peines à traîner mon lourd wagon ; je
ne pouvais songer à leur faire rebrousser chemin... D’autre
part, pouvais-je laisser Davit sans réponse?... Je demandai
donc à ma femme de me laisser aller le rejoindre tan-
dis qu’elle continuerait la route en avant avec le reste de
l’expédition. Elle y consentit courageusement, mais non sans
émotion. Je pris du pain, un peu de viande et de lait, et, la
carabine sur l’épaule, je partis, accompagné d’un de nos gar-
çons.
a Les messagers ayant mis deux jours et demi à nous re-
joindre, je pensais qu’en deux jours au plus nous aurions
retrouvé Davit qui, pendant ce temps, avait dû avancer un
peu à notre rencontre. Le soir du premier jour, après avoir
marché cinq heures, nous nous arrêtâmes pour préparer notre
lit. Ce fut vite fait : la terre nue à côté d’un grand feu devait
me tenir lieu de matelas. Je le trouvai dur et surtout froid,
car nous étions ën hiver et la glace s’était montrée.
« Le lendemain nous croisâmes deux voyageurs venant de
Baluwayo, auprès de qui nous nous informâmes des wa-
gons cherchés; mais ils n’en savaient rien. Cette nouvelle
m’émut beaucoup, car notre provision de pain touchait à sa
fin! Aussi ce jour-là ne mangeai-je rien du tout. Mon garçon
en fut tout troublé, et il le témoignait par un de ces claque-
ments de palais qui expriment chez le noir de la contrariété
ou de la peine. Vers le soir, un nuage de poussière signala
l’arrivée d’un wagon. C’étaient des Anglais à qui, dans mon
mauvais langage, je demandai quelque nourriture. J’étais un
peu honteux de mendier ainsi, mais j’avais faim, et mon gar-
çon aussi. Ils me donnèrent la moitié d’un gros pain tout
frais, dont nous dévorâmes aussitôt un morceau énorme. Il
était 5 heures, nous ne pouvions songer à aller plus loin ce
jour-là.
« Nous avions tant espéré que la nuit ne tomberait pas
avant que nous eussions rencontré Davit ! Mais le lendemain'
il fallut encore reprendre notre marche. Je commençais à me
demander avec une vraie angoisse si nous suivions la bonne
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
81
route et si nous rencontrerions jamais mon camarade. Et il
ne nous restait, de nouveau, plus de pain!... Sur le soir, ce-
pendant, nous atteignîmes un village de Masaroas (Bushmen)
situé près de l’eau, et, à force de faire des questions, nous
comprîmes que le wagon de Davit n’était pas loin. Je me
hâtai de décharger ma carabine pour avertir mon ami de notre
voisinage. Ces détonations successives se produisant sans que
j’eusse à recharger mon arme, étonnèrent ces pauvres gens,
a Voyez, leur dis-je, je pourrais tirer sur vous tous succes-
sivement; mais je suis un missionnaire et je viens vous dire
que Dieu vous aime, et je vous tends la main comme à des
frères. » A ces mots, le plus considéré d’entre eux prit la
mienne avec confiance, et j’en vis un autre qui s’éloignait. —
Celui-là, pensai-je, en a assez de mon pauvre discours... car
il faut vous dire que je sais à peine quelques mots de leur
langue... Mais non, au bout d’un moment, il revenait avec un
gros morceau d’antilope fraîchement tuée, qu’il me donna...
Je l’aurais bien embrassé ! Ce brave Masaroa, d’une tribu
universellement méprisée, il se montrait donc le plus géné-
reux de tous !...
« J’attendis jusqu’à 11 heures du soir, mais Davit n’arrivait
toujours pas. Cette attente dura encore jusqu’au milieu du len-
demain. Oh! que les heures me parurent longues durant cette
nuit et cette demi-journée!... L’antilope grillée me parut dé-
licieuse; mais mon estomac détraqué par le jeûne n’en put
supporter beaucoup. Davit, heureusement, finit par arriver,
et son pain me rendit un peu de force.
« Malgré la fatigue, nous causâmes tard dans la nuit, au-
près du feu. Nous avions tant à nous raconter! Nous restâmes
ensemble deux jours et, après nous être reposés et avoir
donné à Davit toutes les indications nécessaires au voyage
qu’il poursuivait derrière nous, nous repartîmes. C’était le
dimanche soir, et le lendemain, après avoir marché tout le
jour et une bonne partie de la nuit, nous nous retrouvâmes
au point d’où nous étions partis huit jours auparavant. Ah !
qu’il me parut triste de ne plus y retrouver ma chère femme!
82
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Où était-elle? Gomment son voyage se poursuivait-il? Avait-
elle trouvé de l’eau?.,, La fatigue nous retint, le lendemain
matin, un peu plus longtemps que je n’en avais eu le projet,
et, à peine avions-nous marché une heure que mon boy me
montra avec épouvante des traces toutes fraîches sur le sol...
Ainsi donc, si j'étais parti plus tôt, comme je le voulais, nous
nous serions trouvés en face du terrible roi du désert! Ainsi
Dieu veillait sur nous ! Malgré ce sentiment réconfortant, je
ne pus m'empêcher d’avoir un frisson ; d’autant plus que la
route était bordée de hautes herbes touffues... Qui sait si le
lion n’était pas encore caché par là? Nous avançâmes avec
précaution, le soleil était de feu. Pour étancher la soif qui
nous dévorait, nous buvions de temps à autre une goutte
d’eau de nos gourdes. A midi, tout était vide, et lorsque,
après trois heures de marche, nous arrivâmes à un étang, il
était à sec ! Et nous étions à dix heures de marche de la pro-
chaine eau !...
« Nous essayâmes de réparer un peu nos forces épuisées
en avalant quelques bouchées de pain, mais elles s’arrê-
taient à notre gosier desséché, et nous passâmes une nuit
terrible. Oh! mon Dieu, m’écriai-je, en reprenant notre
marche le lendemain matin, toi qui nous as donné du pain
alors que nous mourrions de faim, ne nous donneras-tu pas
de l’eau alors que nous périssons de soif?... A peine avais-je
prié ainsi, que nous vîmes apparaître, à un contour du chemin,
les mêmes hommes qui, huit jours auparavant, nous avaient
déjà sauvé la vie. Ils nous versèrent de l’eau en abondance,
et nous bûmes avec délices... Mais ce nouveau témoignage de
la bonté de Dieu me rendait confus, et je pleurai de gratitude!
Je venais, d’ailleurs, de recevoir un billet de ma femme,
qui me racontait les péripéties de leur voyage, le manque
d’eau, le rugissement du lion, etc., etc... Bref, le lendemain
nous étions réunis, et, le 26, nous arrivions à Kazungula :
nous avions mis dix semaines à faire un trajet que les trains
de France accomplissent en dix-sept heures! Mais quel bon-
heur ce fut de recevoir le bon accueil du missionnaire
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
83
M. L. Jalla, bien triste, pourtant, du départ de son cher petit
Edouard. Vous savez que nous restons à Kazungula, tandis
que Davit va à Séfula. Nous devons, avant tout, nous occuper
d’apprendre la langue. .« E. B. »
CONGO FRANÇAIS
LA. MORT DE M. JACOT
Sa dernière lettre et son dernier appel. — Sa fin. — Son œuvre.
— Les besoins de la mission du Congo.
Les derniers courriers du Congo nous ont enfin apporté les
détails si longtemps attendus sur la mort de l’excellent mis-
sionnaire que nous avons perdu. Ils nous ont apporté aussi
une lettre de lui, lettre que la mort l’a empêché d’achever, et
qui constitue par là même le plus émouvant et le plus sérieux
des appels. Nous publions cette lettre sans y rien changer et
en la complétant par celles que madame Jacot et M. Haug
nous ont adressées les jours suivants.
La dernière lettre de M. Jacot.
Lambaréné, le 24 octobre 1895.
Cher monsieur Boegner,
Depuis la dernière fois que je vous ai écrit, au commence-
ment d’août, je crois, je n’ai rien de brillant à vous annoncer.
Vers la fin de ce mois, comme nous étions sur le point de
nous embarquer en famille pour Talagouga, tant pour nous
reposer nous-mêmes que pour donner un coup de main d’en-
couragement à nos amis Forget et Gacon, ma femme fut prise
d’un fort accès de fièvre qui nous contraignit de renvoyer notre
voyage. Le deuxième jour je fus pris à mon tour et, pendant
une semaine, nous avons été malades ensemble, de sorte que
M. Haug fut contraint de venir s’installer deux jours chez
nous pour nous soigner. Le 11 octobre nous avons pu enfin
84
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
monter à Talagouga, mais à peine arrivés, le troisième jour,
je fus pris de violents frissons. Bientôt les symptômes de la bi-
lieuse hématurique parurent, mais heureusement ne durèrent
pas longtemps. Le docteur Pélissier, de N’Djolé, vint et pres-
crivit les remèdes usuels, en somme le traitement qu’on
m’avait fait suivre sur la Minerve , lors de mon premier dé-
part. La fièvre baissa peu à peu, et lorsque YÉclaireur re-
monta de nouveau, le 27, je pouvais rester assis un moment.
J’aurais bien voulu rester encore une ou deux semaines afin
de me remettre davantage, mais au reçu de la lettre de Haug,
qui ne savait plus où donner de la tête avec tout le travail et
surtout les soucis de la station, il n’y avait pas à hésiter. On
me transporta en hamac sur le vapeur, et nous sommes ar-
rivés sains et saufs à Lambaréné le samedi soir. Heureuse-
ment que nous étions descendus, car le mercredi suivant,
avant que je pusse encore sortir, Haug fut pris d’une violente
fièvre, qui ne voulait pas cédera la quinine. Enfin, comme je ne
pouvais descendre assez souvent pour le soigner, nous l’avons
engagé à se faire transporter chez nous. Une dose d’antifé-
brine accomplit ce que la quinine n’avait pu faire, et au bout
de deux ou trois jours il put retourner chez lui.
L’époque des communions approchait, de nouveau ren-
voyées d’un mois afin de permettre notre petite visite à
Talagouga. J’étais encore faible, mais au lieu de faire une
grande tournée de douze jours, en prêchant une quarantaine
de fois, comme je fais d’habitude, je pensais aller tout tran-
quillement à Igenja faire les baptêmes et les services stricte-
ment nécessaires. Même ce simple plan, je n’ai pu l’exécuter.
À peine arrivé à Wombolia, où j’ai fait halte pour midi, j’ai
senti venir la fièvre, et, bien à contre- cœur je vous assure,
j’ai donné l’ordre à mes pagayeurs de rebrousser chemin.
Nous sommes arrivés à la maison à 8 heures du soir, et je
n’ai eu qu’à me féliciter de n’avoir pas continué mon voyage.
De nouveau je devenais jaune jusqu’au blanc des yeux, et, crai-
gnant une rechute de ma bilieuse hématurique, ce qui n’eût
pas manqué d’être grave, nous décidâmes qu’il valait mieux
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
85
partir par la première occasion pour le cap Lopez ou Libre-
ville, espérant qu'un changement d’air ferait du bien. Mais la
Moëve , sur laquelle nous comptions et qui était attendue
chaque jour, ne vint pas, n’est pas encore venue ; il ne se
présenta pas d’autre occasion, et nous avons considéré cela
comme un indice de la volonté du Maître. Nous restons; et
autant il m’en avait coûté de laisser Haug tout à fait seul,
autant suis-je content de pouvoir rester et de le seconder, si
je ne puis faire davantage.
Ces derniers jours ont été bien semblables aux autres.
Haug a de nouveau eu la fièvre en même temps que ma
femme. Hier ils étaient remis, mais c’était à mon tour à me
mettre au lit. Edmond a aussi eu plusieurs accès, le dernier
étant d’hier. Vous le voyez, depuis un ou deux mois, nous vi-
vons comme dans un hôpital, et notre pauvre œuvre en
souffre. Haug a renvoyé bon nombre de ses élèves, afin de
simplifier son travail et de pouvoir faire une partie du mien.
Grâce à Dieu, les fièvres se sont en quelque sorte alternées,
et nous avons pu l’un ou l’autre faire le strict nécessaire.
Je ne sais à quoi attribuer ce mauvais état de santé général.
Les Forget, surtout M. Forget, sont très souvent malades.
Les Gacon sont au Cap depuis six semaines. Il est vrai que
c’est le mauvais moment de l’année, le commencement des
pluies; mais, à part cela, la saison doit être particulièrement
mauvaise.
Si j’entre dans tous ces détails, cher monsieur, ce n’est
pas, croyez-moi, pour me plaindre, et encore moins pour
rendre notre situation intéressante (elle l’est assez peu),
mais c’est pour souligner une fois de plus nos demandes pour
du renfort. Trois missionnaires desservant la station de Lam-
baréné équivalent à un effectif de deux missionnaires seule-
ment, puisqu’il y en a presque toujours un en congé ou en
voyage de santé. Or, deux missionnaires ne 'peuvent pas suf-
fire à la tâche actuelle; ils s’y épuisent quand ils ne succom-
bent pas. Il n’est pas question ici, notez-le bien, d’un agran-
dissement de notre activité, mais simplement de la conser-
7
86
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
vatioQ de la santé et des forces des missionnaires qui
travaillent à ce qui a déjà été commencé.
Si, il y a une quinzaine de jours, j’avais eu une rechute
grave de ma fièvre bilieuse hématurique, malgré tout mon
regret de laisser mon œuvre en plan, et encore plus celui de
laisser Haug seul sur la station, j’estimerais une folie que de
prolonger plus longtemps mon séjour ici, et vous auriez reçu
un télégramme annonçant mon départ et demandant du ren-
fort. Le Seigneur n’a pas permis que notre foi fût ainsi mise
à l’épreuve, mais je cite ce cas pour vous montrer ce qui peut
arriver d’un moment à l’autre lorsqu’on n’est que deux sur
notre station. Ailleurs, cela n’aurait pas les mêmes inconvé-
nients, et l’on pourrait à la rigueur simplement fermer la sta-
tion. Ici ce serait un grand pas en arrière. Pour le Congo, on
est obligé de compter avec un climat traître, et il faudrait que,
au moment où cela devient nécessaire, un missionnaire ma-
lade ou convalescent pût quitter son poste sans arrière-pensée
et aller prendre du repos soit à la côte, soit en faisant un
petit voyage sur mer. Dans notre situation actuelle ce serait
bien difficile et bien pénible pour celui qui reste, surtout si,
comme Haug, il n’a pas même une femme pour le soigner.
Une autre considération qui ne doit pas être sans poids au
point de vue de l’économie, c’est que le nouveau missionnaire
arrivant ici, par le fait que le travail matériel nécessaire se
fait déjà par ses collègues, aurait les coudées tout à fait
franches pour se livrer au vrai travail de la mission, et par
cela même il augmenterait notre force effective, non pas du
quart, mais bien du-tiers ou davantage. De plus, étant donnés les
frais courants élevés de la station pour personnel, écoles, etc.,
son traitement n’augmenterait pas de beaucoup le chiffre
total de notre budget, tandis que sa présence et son travail
augmenteraient très sensiblement le rendement de notre ac-
tivité.
Je sais que les membres du Comité ne s’arrêteront pas trop
à la question des frais du moment qu’il s’agit d’entrer dans
une voie que Dieu nous indique. La plus grande difficulté, c’est
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
87
de trouver l’ouvrier; mais je vous prie, cher monsieur,
tout en envoyant des renforts à d’autres champs, qui en ont
besoin pour s'étendre, de ne pas oublier notre pauvre Lamba-
réné, qui est moins connu, mais qui en a encore plus besoin
pour poursuivre la tâche qui lui est échue (1).
Lettre de madame Jacot.
Lambaréné, 29 octobre.
Cher monsieur Boegner,
Oui, « notre pauvre Lambaréné! » C’est plus que jamais le
cas de le dire, maintenant qu’elle est glacée par la mort, la
main de celui qui traçait ces lignes. Il nous laisse pleins de
tristesse, moi-même anéantie, la station entière sous un
voile de deuil. Il était d’une si forte constitution que nous
étions loin de nous douter, lui le premier, que l’issue de cette
fièvre serait fatale. Hier encore il me disait que tout son désir
serait de vivre encore ; il lui tardait de partir pour aller se
remettre à Libreville, sur la Minerve (bateau hôpital). Mais
le Seigneur avait en vue quelque chose de meilleur pour son
(1) Nous trouvons parfaitement justifiée la demande de M. Jacot, si
douloureusement soulignée par sa mort. Nous tenons à faire remarquer
à nos amis qu’il n’a pas dépendu de nous de renforcer la mission du
Congo plus qu’elle ne l’a été ces derniers temps. La mort a repris deux des
ouvriers qui y travaillaient. Des raisons de santé ont, d’autre part, re-
tenu en Europe deux candidats sérieux : un missionnaire médecin etuD
aide-missionnaire, tous deux mariés et qui, l’un et l’autre, aspiraient de-
puis longtemps à travailler au Congo. Enfin, comme nous le disions il
y a un mois, un élève missionnaire qui s’était présenté pour ce champ
de travail, a été écarté après examen médical. On voit que, s’il n’avait
tenu qu’à nous et aux hommes de bonne volonté partis pour le Congo ou
prêts à s’y rendre, cette mission compterait plus du double de son per-
sonnel d’aujourd’hui. Ajoutons qu’à l’heure présente, nous portons les
conséquences du chiffre tout à fait insuffisant des vocations missionnaires
et surtout des vocations missionnaires françaises. Cette disette d'hommes
tend à diminuer, on le sait; mais il s’en faut que nos Églises et nos fa-
milles chrétiennes, dans leur généralité, comprennent et accomplissent
ce don entier d’elles-mêmes à Dieu qui implique, s’il le demande, le
don de ce qui nous est plus cher que nous-mêmes, — de nos enfants.
88
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
serviteur fatigué, une place dans les lieux célestes au lieu
d’un lit d’hôpital. Il me dit hier : a Je suis paisible ». Nous
priâmes encore ensemble au milieu de la nuit, et, comme
M. Haug vous l’a sans doute écrit, mon cher mari s’éteignit
doucement à 8 h. 1/2 ce matin (4). L’expression de son visage
est plus que paisible, elle est joyeuse, il voyait certainement
déjà la gloire du ciel au moment suprême.
Quoique ma douleur soit profonde, mon deuil immense, je
suis heureuse de sentir mon bien-aimé à l’abri désormais au-
près de Jésus, ce Jésus qu’il a tant aimé et si bien servi. Son
ambition, sa préoccupation constante était de lui gagner des
âmes. Il se repose maintenant de ses travaux dans un pays
salubre , où la malaria est inconnue. L’Éternel l’avait donné,
rÉternell’a ôté, que le nom de l’Éternel soit béni!
MM. Allégret et Teisserès vous diront tout ce qu’il était : un
vaillant homme, un homme de foi et de prière, une âme
transparente dans sa droiture. Que Dieu suscite à notre mis-
sion si éprouvée encore bien des ouvriers tels que lui! Il m’a
été bien précieux d’avoir l’appui de M. Haug dans ces jour-
nées difficiles. Les indigènes nous ont également beaucoup
entourés, et leur sympathie m’est particulièrement précieuse.
Je ne suis pas encore fixée sur le moment du départ, crai-
gnant de rentrer en Suisse au cœur de l'hiver avec mes petits
garçons, dont le second n’a que dix mois. Que Dieu soit lui-
même mon conseiller!
Croyez-moi, cher monsieur et frère, votre dévouée dans le
Seigneur, Hélène Jacot.
Lettre de M. Haug.
Lambaréné, 29 octobre.
Oui, cela est bien vrai, Jacot aussi est mort! Lui qui
représentait ici la tradition d’ordre, de méthode et de piété
aussi; lui que nous pouvions croire complètement indis-
(1) M. Jacot est donc mort le 29 octobre et non le 24, comme nous
l’avons dit, il y a un mois, à la dernière heure.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
89
pensable à notre œuvre, il ne nous soutiendra plus par
son expérience et par sa foi! Seuls, chacun dans sa station,
avec le poids écrasant des églises, de la comptabilité, des ma-
gasins, de l’œuvre scolaire, des constructions, etc. Seuls, sans
l’espoir d’avoir du secours avant trois mois ou plus ! Et ma
dame Jacot, veuve d’un mari qui pour elle symbolisait la
force, sur le point de faire seule, avec ses petits enfants, un
long voyage en mer pour arriver en Europe par les plus
grands froids !
Il y a six heures seulement qu’il est mort ; le courrier part
demain matin, et il n’y en aura plus probablement avant un
mois, il faut donc que je vous écrive maintenant les détails
du malheur qui nous frappe. Mais la tête me tourne encore,
je suis exténué par deux nuits de veille venant après deux
mois d’un travail excessif. Il m’est impossible de rassembler
mes idées, et je ne pourrai que vous raconter d’une façon in-
cohérente les derniers événements. La lettre commencée par
M. Jacot, que nous vous envoyons, vous donne des nouvelles
jusqu’au 20 octobre environ. Ce qu’elle contient de demande
de renforts, je le signe absolument. Il est indispensable que
nous soyons quatre missionnaires attachés à la station de
Lambaréné, car l’un d’eux sera toujours en congé de ma-
ladie, et deux missionnaires sur la station sont, l’événement
le montre et je le souligne trois fois, trop peu même pour
maintenir l’œuvre dans ses limites actuelles. Quant aux
hommes à envoyer, ils se trouveront, j’en ai la conviction.
Et qu’ils viennent sans crainte, car, je le répète, on peut vivre
ici, à la condition de pouvoir se ménager.
Jacot avait donc décidé, pour l’œuvre et pour moi, de res-
ter ici et de renoncer à son projet de voyage. Quand la fièvre
qui l’a emporté s’est déclarée, nous ne nous sommes pas in-
quiétés outre mesure, et ce n’est que sur le conseil du doc-
teur Pélissier, qui voyait plus clair que nous, que les projets
de départ ont été repris. Lors de cette visite du docteur, jeudi
dernier, Jacot a encore pu se lever pour le recevoir, mais
déjà la fièvre prenait le caractère pernicieux d’une bilieuse.
90
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Dimanche, il n’a pas pu garder la quinine qu’on lui avait
donnée, et nous avons dû songer aux injections. Mais avant
de passer à ce moyen toujours dangereux, nous avons encore
recouru aux conseils du docteur, encore en séjour ici. Il a
prescrit des lavements nutritifs additionnés de quinine, et,
quoiqu’il prononçât un diagnostic assez sérieux, l’espoir de
pouvoir faire gagner Libreville et l’hôpital de la Minerve à
notre cher malade nous soutenait. Cet espoir est devenu une
quasi-certitude dimanche soir, quand YÉclaireur a passé à
Lambaréné montant à N’Djolé (ramenant les Gacon). Le capi-
taine nous annonçait qu’il passerait par notre bras de l’O-
gôoué pour prendre M. et madame Jacot à la station même,
et qu’il correspondrait au cap Lopez avec un paquebot par-
tant le jour même pour Libreville. C’était le salut, pensions-
nous. Mais, dans la nuit du dimanche à lundi, les symptômes
se sont subitement aggravés : la faiblesse est devenue extrême,
le pouls dur et fréquent ; le malade est tombé dans un état de
somnolence presque continu. M. *Manas, le chef de poste,
nous a recommandé de pousser la dose quotidienne de qui-
nine au maximum, et m’a dit, en confidence, « de prendre
garde » . Pendant la journée, un mieux sensible a eu l’air de se
produire, la fièvre a baissé et la torpeur a diminué. C’est ce
matin, à 4 heures, que j’ai commencé à me rendre compte
que la fin approchait. La langue s’est embarrassée, la stu-
peur a augmenté et la fièvre a repris. A 8 heures, Jacot
a essayé en vain de rendre la bile dont son estomac regor-
geait, un terrible frisson l’a agité et, une demi-heure après,
il s’éteignait presque sans agonie.
L’enterrement aura lieu demain, devant tous les blancs de
Lambaréné et une foule de chrétiens et de païens, Galoas et
Pahouins. Comment aurai-je la force de montrer à tous ces
gens quel sens cette mort doit avoir pour eux, moi dont la
foi est si faible !
Seigneur, aie pitié de moi, soutiens le courage de ceux que
tu éprouves et soutiens-nous dans la lourde tâche que tu
mets devant nous!
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
91
Il m’est impossible de vous dire dès maintenant ce que
nous perdons en Jacot; je ne le sentirai que peu à peu et tous
les jours davantage quand, dans les difficultés qui ne man-
queront pas de se produire, je n’aurai plus, pour me con-
seiller, cette haute intelligence dirigée par cette piété ardente,
cette expérience profonde et ce tact admirable qui caractéri-
saient celui que nous avons perdu.
Priez tous pour nous, et n’oubliez pas votre dévoué
E. Haug.
Encore quelques lignes de madame Jacot.
Lambaréné, 7 novembre 1895.
Cher monsieur Boegner,
Il y a maintenant huit jours que mon mari bien aimé nous
a quittés pour la patrie céleste. Le vide qu’il fait dans notre
cercle de famille est immense, et l’affliction est générale et
bien réelle chez les indigènes. Nous ne pouvons comprendre
pourquoi Dieu a repris à Lui ce noble ouvrier dont l’unique
ambition était de gagner des âmes au Sauveur. Il prêchait
« en temps et hors de temps », soit dans ses courses d’évan-
gélisation, soit à la station même, dans ses rapports journa-
liers avec grands et petits. Il possédait bien le mpongoué, et
travaillait avec acharnement à l’acquisition du pahouin, dans
lequel il conversait déjà librement sans interprète.
A part l’œuvre centrale qu’il poursuivait comme pasteur et
missionnaire, il n’est pas resté inactif dans le domaine litté-
raire. La traduction en mpongoué du « Voyage du chrétien »,
celle d’une douzaine de cantiques (entre autres : « Oh! que
ton joug est facile! » — « J’ai un bon Père... » — « Reste
avec nous, Seigneur... » — « Plus que vainqueurs »); la ré-
daction d’un premier livre de lecture mpongoué, voilà encore
des « œuvres qui le suivent » et qui seront, j’en suis sûre, en
bénédiction pour plusieurs. Il avait également commencé un
vocabulaire pahouin qui contenait déjà plus de 600 mots.
Et maintenant, Dieu l’a appelé à un service meilleur et plus
92
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
élevé, mais nous croyons fermement que la bonne semence
répandue par lui dans les cœurs ne sera pas perdue; elle
germera certainement à la gloire de Dieu.
M. Haug m’a été d’un grand secours pendant ces jours dif-
ficiles; sans lui, je me serais sentie bien isolée.
M. et madame Forget nous sont arrivés samedi dernier;
leur sympathie m’a également été bien précieuse. M. Forget
est reparti hier pour Talagouga, en pirogue ; Madame restera
encore quelque temps avec moi, je suis si heureuse de l’avoir !
Si ce n’étaient mes enfants, auxquels je me dois en premier
lieu, je resterais volontiers au service de la Société en me
consacrant à l’école des filles. Plus tard, peut-être, Dieu
m’accordera-t-il la joie d’y revenir moi-même ou d’y envoyer
un de mes fils, c’est là mon vœu le plus cher !...
Hélène Jacot.
DERNIÈRES NOUVELLES
Des lettres du Congo nous sont arrivées, allant du 8 au
26 novembre. Elles sont remplies de l’émotion et des regrets
que cause à nos amis la mort de M. Jacot, que tous considé-
raient comme un missionnaire excellent, d'une grande acti-
vité et plein du désir de sauver les âmes.
A Lambaréné, où un si grand vide vient de se faire, l’œuvre
se poursuivra dans des proportions modestes, jusqu’à
l’arrivée des premiers renforts. M. Haug étant actuellement
le seul missionnaire de la station, l’œuvre scolaire a aussi dû
être forcément réduite. A la nouvelle de la mort de M. Jacot,
M. et madame Forget se sont aussitôt rendus à Lambaréné.
Madame Forget y a prolongé son séjour, tandis que M. For-
get rentrait à Talagouga, où les soins de la station récla-
maient sa présence. Il nous informe que madame Jacot, qui
s’est ensuite rendue à Talagouga avec madame Forget, songe
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
93
à rentrer en Europe, mais n’a pu encore fixer la date de son
départ.
La santé de tous nos ouvriers était meilleure aux dernières
nouvelles. 11 y a là, pour tous ceux qui aiment cette mission,
un grand sujet de reconnaissance.
T AÏ Tl
NOUVELLES DE M. ET MADAME HÜGUENIN
Comme nous l’avons annoncé il y a un mois, M. et ma-
dame Huguenin ont quitté Paris, dans la nuit du 13 au 14 dé-
cembre, et se sont embarqués, quelques heures après, à bord
du paquebot transatlantique la Bourgogne. Ils sont arrivés à
New-York le 22 décembre, et ont dû en repartir dès le len-
demain. Le 27 décembre, ils arrivaient à San-Francisco, d’où
ils devaient repartir, le 3 janvier, à bord du Tronic bird, pour
Taïti.
La traversée de l’Atlantique a été, nous disent nos voya-
geurs, très pénible, surtout au début. A New-York, le temps
a été si court que nos amis n’ont guère pu profiter des lettres
de recommandation que nous leur avions remises. A San-
Francisco, par contre, ils ont été fort bien accueillis par
M. le pasteur Dupuy, qui leur a prêté toute l’assistance pos-
sible. Espérons que sur l'Océan Pacifique ils auront un voyage
facile et reposant.
94-
JOURNAL DÉS MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
HUDSON TAYLOR
et la mission de la Chine intérieure (1).
La guerre qui, l’an dernier, a mis aux prises la Chine et le
Japon, nous a remplis de surprise et d’étonnement. Pour ceux
d’entre nous — et c’est la grande majorité — qui ne sont pas
exactement familiarisés avec les choses de la mission et de la
politique, la puissance militaire du Japon, le jeu souple et
fort de son administration, ses allures de nation civilisée
constituent un problème des plus intéressants. Qu'est-ce que
cette sorte de Prusse qui surgit tout armée des brumes do-
rées de l'extrême Orient? Quelles ont été les causes de cette
soudaine élévation? Et surtout, quelle part revient à l'Évan-
gile, aux missions chrétiennes de cette transformation? Ques-
tion bien digne d’occuper notre esprit et qui mériterait à
elle seule une ample étude.
Mais si le Japon excite notre admiration, la Chine — n’est-
il pas vrai? — nous inspire de la pitié et même de la sympa-
thie. Elle n'est pas, nous le savons, sans mériter le sort qui
l'atteint, elle qui s’est enfermée obstinément, depuis des siè-
cles, dans le culte orgueilleux de son passé, et qui a mis à
(1) L’étude qu’on va lire est une conférence donnée en 1895 à l’église
du Saint-Esprit. La rapidité avec laquelle s’est effectué le départ de
M. Krüger pour Madagascar, et d’autres circonstances, ne nous ont pas
permis, jusqu’à ce jour, de combler le vide laissé dans la rédaction de
ce journal par son absence; mais nous ferons ce qui dépend de nous
pour que, dès le mois prochain, le programme que nous nous sommes
tracé soit rempli dans la mesure du possible. ( Rêd.j
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
95
résister aux influences étrangères autant de soin que le
Japon en a pris à les rechercher. Et néanmoins, nous ne sau-
rions envisager ses malheurs actuels sans compassion. Notre
pensée s'arrête émue devant cet empire de 380 millions d’ha-
bitants formant, à lui seul, un quart du genre humain, et
nous nous demandons quel avenir lui est réservé.
Parmi ceux qui préparent cet avenir, peu d'hommes actuel-
lement vivants auront exercé une aussi grande influence que
celui dont nous allons nous entretenir : Hudson Tay -
lor (1). Lui-même serait peut-être étonné de ce jugement, tant
la pensée de jouer un rôle dans l’histoire, d’exercer une ac-
tion sociale, lui est étrangère. Sa préoccupation, c’est le salut
des âmes par l’Évangile. Apporter aux Chinois, le plus vite
possible, le pain de vie, tel est l’unique but de ses efforts.
Mais ce n'est pas une raison pour que son action, comme
celle des missions chrétiennes en général, n'ait pas des con-
séquences incalculables pour l’avenir de la Chine. Saint Paul
ne pensait guère, en portant l’Evangile de Jérusalem à
Rome, que les nations les plus fortes et les plus libres du
monde naîtraient, des siècles après lui, de sa parole. En cela,
comme dans tous les ordres, s’accomplit la grande loi for-
mulée par le Maître : « Cherchez premièrement le royaume
de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par des-
sus. » Oui, tout le reste ; les missionnaires, qui travaillent à
sauver les âmes, préparent le salut des nations.
Un mot encore avant d’entrer en matière. Pour être com-
plète, notre étude devrait débuter par un exposé des travaux
des diverses missions à l’œuvre en Chine, lorsque Hudson
(1) Voir, sur Hudson Taylor et sa mission, le Journal des Missions3
1894, p. 90 et suivantes; sur les Missions en Chine, les Chroniques sui-
vantes : année 1886, p. 34 et sniv.; année 1888, p. 208; année 1890, p. 390,*
année 1891, p. 282, 389 et 430; année 1895, p. 399 et suiv.
Voir surtout, sur notre sujet : Story of the China Inland-Mission ; par
Géraldine Guinness, 2 vol., chez Morgan and Scott, Londres, et Allge -
meine Missions Zeitschrift, Die China Inland-Mission , par P. F. Hart-
mann.
96
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Taylor est entré en activité. Le temps nous manque pour cet
exposé. Rappelons seulement, pour n’être pas trop incom-
plet, les faits suivants : en 1865, année où fut fondée la mis-
sion de la Chine intérieure, TEvangile était représenté, dans
l'Empire du Milieu, par plusieurs Sociétés, notamment la
Société de Londres, qui y avait envoyé dès 1803 l’un de ses
pionniers, Robert Morrison; la Société des missions améri-
caines, dite American board; la Société des missions de Bâle;
la Société des missions anglicanes; d’autres Sociétés encore.
De grands travaux avaient été accomplis; des Eglises, recru-
tées par le travail patient de la conversion individuelle,
avaient été formées. Mais ces efforts s’étaient concentrés sur
les provinces du littoral et voisines des ports ouverts aux
Européens par les divers traités passés avec la Chine après
les guerres qui l’avaient forcée à renoncer à son isolement.
L’intérieur du pays restait inoccupé et, à vues humaines,
impénétrable. Sur les 18 provinces de l’empire, 11 restaient
fermées à l’Évangile.
I
James-Hudson Taylor naquit le 31 mai 1832 à Barnsley,
dans le Yorkshire, en Angleterre. Son père, James Taylor,
sans être lui-même missionnaire, avait consacré une partie
de sa vie à l’évangélisation, et prenait un grand intérêt aux
missions. Deux années avant la naissance de son fils, il avait
eu entre les mains les récits de voyage du capitaine Basil
Hall, qui avaient excité dans son esprit un vif intérêt pour la
Chine. Sa femme, madame Taylor, était une chrétienne sé-
rieuse et distinguée. L'un et l’autre se faisaient du service de
Dieu une idée très élevée et conséquente. Us avaient coutume
de répéter que, du moment qu’un Etre tel que Dieu existe, le
seul emploi raisonnable et bon que l’on puisse faire de la vie
était de se confier à Lui complètement et de se vouer tout
entier à son service.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
97
Malgré l’influence que de tels parents ne pouvaient man-
quer d’exercer, le jeune Hudson Taylor n’était pas croyant.
Sous l’influence d’amis incrédules, il s’était peu à peu éloi-
gné de la foi; sa vie, sans être immorale, était mondaine et
remplissait ses parents d’inquiétude. Ils redoublèrent de
prières à son sujet, suppliant Dieu de ne pas permettre que
leur fils unique fût définitivement gagné par le monde.
Un jour que madame Taylor était en visite chez des amis,
elle se sentit invinciblement poussée à prier pour son fils.
Elle se retira dans sa chambre, ferma sa porte et se mit à
genoux, résolue à ne pas se relever qu’elle ne se sentît assu-
rée de l’exaucement. Elle passa ainsi plusieurs heures, plai-
dant pour son fils jusqu’à ce qu’enfin il lui fût impossible de
prier davantage et qu’elle se sentît forcée de louer Dieu de
ce que, elle en avait la certitude par le Saint-Esprit, son
vœu était accompli.
Pendant ce temps, que faisait le jeune Hudson Taylor? C’é-
tait un jour de congé; il était entré dans la bibliothèque de son
père, feuilletant des livres et cherchant ainsi à occuper ses
loisirs. En fin de compte, il trouva un traité religieux qui lui
parut intéressant. Il le prit en se disant : « Il y a sans doute
là une histoire précédant la morale de la fin. Je lirai l’his-
toire, mais je me dispenserai de la morale. » Il se mit donc à
lire, presque avec distraction, lorsque ses yeux tombèrent
sur ces mots : « L’œuvre accomplie de Christ. » Ces mots le
frappèrent. « Qu’est-ce que l’auteur veut dire par là? » Im-
imêdiatement, la parole de Jésus mourant sur la croix lui re-
vint à l’esprit : « Tout est accompli. » Et qu’est-ce qui est
accompli? se demanda-t-il encore. 11 répondit sans hésiter :
Ce qui est accompli, c’est la rédemption pleine et parfaite,
la satisfaction fournie pour nos fautes, la dette payée, Christ
mort pour nos péchés et pour ceux de tout le monde. —
Mais, poursuivit-il, si l’œuvre est accomplie et la dette
payée, que me reste-t-il à faire?... Et en même temps, sous
l’action du Saint-Esprit, montait dans son cœur, comme
une aube grandissante, la joyeuse conviction qu’il ne lui res-
98
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tait qu'une chose à faire : tomber à genoux et accepter ce
Sauveur et son salut et lui en rendre des actions de grâces
éternelles...
Ce que fut le revoir de la mère et du fils, il est plus facile
de l'imaginer que de le décrire. « Je sens encore, disait plus
tard Hudson Taylor, les bras de cette mère bien-aimée m’en-
tourant avec tendresse lorsque, quinze jours plus tard, elle
revint et que je lui dis le grand miracle. « Je sais tout, mon
g garçon, me dit-elle; voilà quinze jours que je bénis Dieu
« de ce qui s'est passé. » Et elle lui raconta tout : sa prière,
l’assurance qu’elle avait eue d’être exaucée. « Vous convien-
drez avec moi, dit plus tard Hudson Taylor, qu’il serait bien
étrange que je ne crusse pas de tout mon cœurau pouvoir de
la prière. »
Yoilà comment Hudson Taylor fut converti. Il ne tarda pas
à sentir l’appel de Dieu et à se vouer à son service. Ici en-
core, il faut l’entendre. « Peu après ma conversion, dit-il,
par une autre après-midi de congé, je me retirai dans ma
chambre pour me recueillir en la présence de mon Dieu, lui
parler à loisir de mes projets et recevoir ses directions... Je
me rappelle encore avec quelle ardeur, dans la joie de me
sentir un enfant de Dieu, je lui répétais mon amour pour Lui,
qui m’avait sauvé.. Je le suppliai de me donner quelque chose
à faire pour lui, quelque travail par lequel je pusse lui
prouver ma reconnaissance. M’étant ainsi consacré à lui
sans réserve, ayant, pour ainsi dire, offert ma vie, mon être
tout entier, sur l’autel des sacrifices, j’eus un sentiment so-
lennel de la présence de Dieu, en mèmè temps que la cer-
titude que mon offrande avait été agréée.
g Pour quel service Dieu m’avait-il accepté? Je l'ignorais;
mais la pensée que je ne m’appartenais plus à moi-même me
remplissait, tout enfant que j’étais encore, d’une joie indi-
cible, et ce sentiment, qui ne m’a jamais quitté depuis, m’a
été, à travers toute ma carrière, un soutien et une force
inappréciables.
« Quelque temps après, cependant, la pensée que j’étais
BIBLIOGRAPHIE
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appelé à donner ma vie à la Chine s’empara de mon es-
prit... » (A suivre,)
BIBLIOGRAPHIE
Coatteg populaires des Hassoutos, recueillis, et tra-
duits par E. Jacottet.
1 vol. in-18, xxm-292 pages. — Paris, E. Leroux. Prix : 5 francs.
Voici un livre dont il faut remercier l’auteur. Grâce à lui,
les savants qui s'occupent d’ethnographie ou de psychologie
comparée pourront faire la connaissance presque directe
d’un peuple qu’ils ne connaissent guère et que nos chers mis-
sionnaires travaillent à transformer; ils seront reconnais-
sants à l’homme qui a su, avec patience et critique, réunir ces
précieux documents.
C’est sans nul doute par des triomphes spirituels que la
mission doit se recommander; elle ne doit pas cependant
négliger de rendre service, quand elle le peut, à la science
européenne. Le cas si remarquable de M. Jacottet montre
comment cette pensée peut aller de pair avec le zèle le plus
ardent pour la conquête des âmes. C’est d’ailleurs pour se
mettre mieux en état de remplir ses devoirs de messager de
la Bonne Nouvelle qu’il s’est attelé à ce travail. Désirant
apprendre à fond la langue du pays, la pénétrer complètement,
en explorer tous les détails, il s’est dit que le meilleur moyen
était de se faire raconter par des Bassoutos des contes en
sessouto. « Au point de vue linguistique, nous raconte-t-il,
je n’ai eu qu’à m’en féliciter; j’avais là, en effet, la langue
telle qu’on l a toujours parlée, sans aucun mélaoge d’élé-
ments étrangers ou d’idées venues du dehors. » Petit à petit,
100
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
il s’est laissé prendre au charme de ces naïfs récits; il s’est
mis à les recueillir avec amour. Les amis des Missions les
liront aussi avec un vif plaisir. Ils trouveront dans ce volume
un moyen de connaître ce que pensaient et racontaient les
Bassoutos bien avant l’introduction de l’Evangile chez eux;
et il n'était que temps de fixer cette littérature parlée.
Pour recueillir ces récits populaires, M. Jacottet a dû s’a-
dresser aux vieillards; les jeunes gens ne les savent plus.
Encore quelques années, et il aurait été impossible de noter
ces échos mourants d’autrefois.
Plaçons à côté de ce volume la brochure dans laquelle
M. Jacottet a rassemblé des contes et des légendes du pays
des Ba-Rotsi (1). 11 les a recueillis de deux jeunes Zambéziens
qui ont été envoyés au Lessouto pour suivre les écoles de
notre mission. Les amateurs de littérature populaire y décou-
vriront de vraies perles. Et pour nous, tout ce qui nous révèle
mieux l’âme des Ba-Rotsi a un intérêt tragique.
Raoul Allier.
(1) Contes et traditions du Haut-Zambèze , recueillis et traduits par
E. Jacottet. — Une brochure in-8, 45 pages. — Paris, E. Leroux (extrait
de la Revue des traditions populaires).
Dernière heure. — Le départ de M. et madame Mer-
cier et de M. Félix Faure s’est effectué dans les meilleures
conditions possibles. A Marseille, FUnion chrétienne a tenu à
témoigner tout son intérêt à M. .Faure par une réunion des
plus bienfaisantes.
Vente annuelle. — La vente en faveur des missions
aura lieu les mercredi 18 et jeudi 19 mars prochain, à la Salle
de la Société d’horticulture, 84, rue de Grenelle. Les dons
peuvent être adressés à madame Boegner, Maison des Mis-
sions, 102, boulevard Arago, Paris.
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20093.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
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SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
UN DANGER
La cause des missions fait, dans nos Églises, d’indéniables
progrès; l’accroissement, si lent soit-il, de nos ressources,
le chiffre, moins insignifiant qu’autrefois, des vocations, le
prouvent. Et cependant cette cause est menacée actuellement
d’un danger que nous croyons devoir signaler à ses amis.
Ce danger, c’est que l’intérêt pour les missions perde quel-
que chose de son sérieux et de sa profondeur en se portant
moins sur ce qui, dans cette œuvre, est essentiel, et davan-
tage sur ce qui est secondaire ou accessoire.
L’utilité sociale du travail des missionnaires, ses consé-
quences pour la vie matérielle, pour l’industrie, pour le com-
merce, ses rapports avec l’exploration géographique, avec
l’expansion coloniale, avec la politique, voilà les aspects de
notre œuvre qui attirent et qui retiennent aujourd’hui l’at-
tention de beaucoup d’esprits.
Est-ce à tort? Non, aussi longtemps que toutes ces consi-
dérations restent subordonnées à la grande question centrale
du salut des âmes et du règne de Dieu. Car la vie humaine
est une; il n’y a pas opposition entre les divers domaines où
mars 1896. 8
102
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
elle se déploie; l'Évangile est un principe de guérison, non
seulement pour Famé, mais aussi pour la vie extérieure des
individus et des nations.
Où le danger commence, c’est quand l’extérieur arrive à
nous voiler l’intérieur; quand les considérations d’ordre ma-
tériel, social, national, viennent à primer dans les esprits la
grande préoccupation centrale du monde perdu qu’il faut ap-
peler, par l’Évangile, à la connaissance du Dieu sauveur.
Mais ce danger possible est-il un danger réel? Nous le crai-
gnons, et nous manquerions à notre devoir si nous ne le di-
sions pas.
Prenons un exemple, celui du rapport qui existe entre
l’œuvre des missions et l’expansion coloniale. Que cette ques-
tion préoccupe les esprits, rien de plus légitime. La Société
des missions a prouvé, non pas seulement ces derniers temps,
mais dès son origine, qu’elle avait conscience de ses devoirs
envers les indigènes habitant les possessions lointaines de la
France. Il n’est question ni de contester ces devoirs ni de
marchander à ceux qui les remplissent notre vive sympathie.
Ils y ont tous les droits, et, ajoutons-le, ils en ont le plus
grand besoin, car aux difficultés de l’œuvre missionnaire
viennent trop souvent s'ajouter pour eux des difficultés et
des amertumes spéciales, naissant de ceux-là mêmes qui de-
vraient les protéger et les soutenir.
Mais voici le péril : c’est de subordonner l’essentiel à l’ac-
cessoire; c’est de voir dans l’intérêt colonial le but, dans la
mission un simple moyen d arriver au but. N’est-ce pas ainsi
que, pour quelques esprits, tout au moins, les choses se pré-
sentent aujourd’hui?
Que Dieu nous garde de cet esprit ! Car s’il venait à préva-
loir, ce qui serait compromis, ce ne serait pas seulement
celles de nos missions qui se poursuivent en dehors de tout
lien avec notre pays, ce seraient nos œuvres coloniales elles-
mêmes. Une entreprise religieuse qui consent à ne plus être
que l’instrument d’un intérêt terrestre, si respectable soit-il,
cette entreprise se suicide elle-même : le sel a perdu sa sa-
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103
veur ; il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds
par les hommes.
C’est pourquoi, plus que jamais, tout en acceptant résolu-
ment tous les devoirs, anciens et nouveaux que Dieu nous
impose, inscrivons sur notre drapeau : « Premièrement, le
Règne de Dieu I »
Mais proclamer une devise, si juste soit-elle, ne suffit pas;
il faut que cette devise soit une vérité, qu’elle reste la règle
de nos actes, qu’elle soit l’inspiration non seulement des amis
anciens qui n’en ont jamais dévié, mais aussi de ces amis
nouveaux et nombreux que Dieu suscite à notre œuvre.
Il nous faut élever nos cœurs à la hauteur où les place Jésus
dans la prière qu'il nous a enseignée : « Ton règne vienne , ta
volonté soit faite sur la terre — sur toute la terre — comme au
ciel. » Plus, ici-bas, dans le domaine des affaires terrestres, les
horizons se rétrécissent et les barrières s’élèvent, plus il nous
faut élargir nos horizons et ouvrir nos âmes aux intérêts gé-
néraux de l’humanité. Jésus-Christ est notre Roi, la terre est
son héritage ; c’est cet héritage qu’il faut lui conquérir : voilà
notre tâche. Ne la rapetissons pas!
Nous appelons dans nos prières un temps où, aux discus-
sions et aux agitations actuelles, si souvent stériles, succé-
dera dans les âmes le réveil du zèle apostolique, l’esprit de
la sainte croisade, non pas de celle qui va conquérir un sé-
pulcre vide, mais de celle qui, portant l’Évangile aux extré-
mités de la terre, prépare le retour glorieux du Roi que la
terre désire et que l’Eglise sert dans l’opprobre en attendant
de partager son triomphe.
Ce réveil, le verrons-nous? Ne le voyons-nous pas déjà
s’annoncer à l’horizon? Cet intérêt croissant manifesté par
nos Eglises; ces jeunes pasteurs s’associant pour travailler à
notre œuvre; cet appel à notre jeunesse qui franchit les mers
et va peut-être amener à la mission des volontaires en grand
nombre, n’en seraient-ce pas les signes précurseurs?
Dieu le veuille I — Dieu le veut.
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
\ 04
LES HOMMES QU’IL FAUDRA POUR MADAGASCAR
Plus nous avançons, plus nous nous rendons compte que
la tâche qui s’imposera au protestantisme français à Mada-
gascar sera avant tout une tâche scolaire. Quelle forme revê-
tira-t-elle? Sera-ce l’introduction d’éléments français dans
les grandes écoles protestantes existantes? Sera-ce la créa-
tion d’un collège dépendant directement de notre Société?
Quoi qu’il en soit, nous pouvons prévoir dès aujourd hui que,
d’ici peu de temps, nous nous trouverons appelés à fournir
un certain nombre de professeurs français aux grandes écoles
missionnaires malgaches. C’est à dessein que nous em-
ployons ce mot de professeur; il ne s’agit pas, en effet, d’en-
voyer à Madagascar de simples maîtres d’école; les treize
cents écoles de la mission norvégienne, les cent et quelques
mille écoliers des diverses missions anglaises sont dirigés par
des maîtres d'école indigènes, et, sans parler de l’impossibi-
lité où nous serions de fournir même la dixième partie du
personnel nécessaire, ce serait suivre une marche rétrograde
que de vouloir confier à des Européens un travail que les
forces indigènes suffisent parfaitement à accomplir.
Ce qu’il faudra à Madagascar, ce sont des hommes ca-
pables d’instruire, en particulier dans la langue française,
les futurs maîtres d’école et les futurs pasteurs indigènes.
Ces hommes, il les faut naturellement protestants, et bons
protestants; mais il les faut aussi animés d’un véritable es-
prit missionnaire, faute de quoi leur coopération avec l’œu-
vre de la mission sera impossible; enfin, il les faut très ca-
pables, l’expérience ayant montré que l’emploi, en missions,
d’hommes insuffisants, intellectuellement et surtout morale-
ment et spirituellement, peut faire un très grand mal.
Or, les hommes tels que ceux que nous venons de carac-
tériser sont rares dans nos Églises, et plus rares encore
ceux qui, ayant les qualités et les aptitudes requises, ont le
désir de se consacrer à l’œuvre de Dieu en pays lointain.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
105
11 importe donc que, dès à présent, ceux qui ont à cœur
l’avenir des Églises et des missions malgaches se préoc-
cupent de recruter avec nous le personnel qui nous sera de-
mandé, et nous adressent, aussitôt qu'ils le pourront, les
candidats qui, dans leur pensée, possèdent les aptitudes
nécessaires pour l’œuvre à faire dans la grande île. 11 faut
que ces candidats se mettent en rapport avec nous, nous
fassent leurs offres de service et nous indiquent leurs réfé-
rences. 11 faut, en un mot, autant que possible, que nous
soyons prêts à agir quand le moment sera venu.
Il va sans dire que cette action elle-même reste subor-
donnée, dans sa forme et dans son étendue, aux indications
que nous fournira l’enquête actuellement ouverte; mais
l’importance même que nous attachons à cette enquête nous
oblige à ne rien négliger pour que l’action puisse suivre
d’aussi près que possible l’information (1).
LE DERNIER MOIS DE L’EXERCICE
De l’emploi que nous ferons de ce mois dépend la question
de savoir si. oui ou non, nous aurons, comme l’an dernier, la
joie de clore nos comptes, le 31 mars, sans aucun déficit.
La situation générale reste ce qu’elle était il y a un mois.
Les recettes ont même un peu dépassé le niveau de l’an der-
nier (abstraction faite de la collecte pour le déficit). Cepen-
dant, pour faire face à toutes les dépenses prévues, il faut
que nous recevions encore , d'ici à la fin de mars , 132,400 francs.
Quant aux recettes de la caisse du Zambèze, elles conti-
nuent à présenter un retard considérable sur l’an dernier.
(1) Outre les forces enseignantes dont nous venons de parler, il y aura
place aussi à Madagascar, sans aucun doute, pour un ou deux mission-
naires-médecins et pour des gardes-malades ou, peut-être, pour des
diaconesses françaises.
106
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Le 49 février, la différence en moins, entre cette année et la
précédente était de 18.400 francs .
Ces chiffres se passent de commentaires; ils nous dispensent
de tout appel. Nous n’avons qu’un mot à dire : que chacun
de nous fasse son possible.
Et puis, quand nous aurons donné et fait donner dans la
mesure de nos forces, rappelons-nous qu’il reste un moyen
d’action, c’est de crier à Dieu, de lui dire nos besoins et de
lui demander de se glorifier une fois encore dans notre in-
firmité.
ARRIVÉE DE MADAME JAGOT
Partie du cap Lopez le 5 janvier, madame Jacot est arrivée'
le 29 à Bordeaux, où elle a été reçue par M. Th. Escande.
Le 1er février, elle débarquait à Paris, accompa’gnée de ses
deux petits enfants, Edmond, âgé de quatre ans et demi, et
Roger, qui vient d’atteindre son treizième mois. C’est seule-
ment à son arrivée à Bordeaux, que notre sœur a reçu les
témoignages de notre sympathie, car les lettres qui lui ont
été écrites à Lambaréné ne sont pas arrivées à temps pour lui
être remises. Cela ne l’a pas empêchée de supporter vaillam-
ment son épreuve, comme le montrent les lignes suivantes
écrites près de Dakar, à bord de la Ville de Macéio :
... « Diverses raisons m’ont poussée à ne pas différer mon
départ de Lambaréné. Mais qu’il m’a été dur de le quitter et
de m’arracher à la tombe de mon mari ! Et il semble que la
distance ne fasse qu’intensifier la douleur; c’est parfois
terrible, et sans la prière, je ne sais ce que je deviendrais.
Mais Dieu est fidèle, son secours ne m’a pas encore fait
défaut dans les heures où la souffrance est aiguë, et je puis
encore le bénir à travers les larmes... »
Après avoir passé quelques jours à Paris, madame Jacot
s’est rendue à Sainte-Croix, dans sa famille. Elle y restera
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
107
quelque temps et sera heureuse d’accepter ensuite l’offre
qu’un généreux ami lui a faite d’aller séjourner dans le Midi
pendant les derniers mois d’hiver. Ses enfants, subitement
transplantés d’un climat chaud dans un pays froid et en
plein hiver, en ont déjà subi les atteintes, et c’est une vraie
bonne fortune que de pouvoir ainsi leur ménager la tran-
sition entre les tropiques et notre atmospère septentrionale.
NOTES Dü MOIS
Nous apprenons avec une vive émotion que le gouverne-
ment portugais a décidé Y expulsion des missionnaires de la
Suisse Romande , travaillant à la baie de Delagoa et dans les
environs. Nous exprimons notre profonde sympathie à nos
frères et aux Églises qui les soutiennent.
A la dernière heure on nous dit que l’arrêté d’expulsion ne
vise qu’un seul missionnaire. MM. Paul de Goulon et P. Ber-
thoud sont allés à Lisbonne pour demander le retrait de
cette mesure.
M. le pasteur Munthe-Kaas , de Norvège, a été délégué par
la Société norvégienne des missions pour entretenir les chré-
tiens de France des grands intérêts que cette Société possède
à Madagascar, où elle dirige, comme nos amis le savent, une
œuvre prospère. Il a indiqué les formes que pourrait prendre,
dans sa pensée, la coopération des Églises de France à l’œu-
vre de Madagascar ; ses vues concordent avec ce que nous
disons plus haut à ce sujet.
M. Munthe-Kaas a profité de sa visite à Paris pour voir le
président de la République et le ministre des Colonies et les
assurer de la pleine collaboration que cette Société accordera
à l’autorité française dans l’œuvre de pacification et de civi-
lisation qu’elle poursuit à Madagascar.
108
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Nous rappelons que la Vente annuelle en faveur des mis-
sions aura lieu les mercredi 18 et jeudi 19 mars prochain, à
la salle de la Société d'horticulture, 84, rue de Grenelle. Les
objets peuvent être adressés à madame Boegner, 102, boule-
vard Arago. Les spécialités alimentaires sont toujours très
appréciées. Nous espérons que les amis des missions feront
un effort spécial pour faire réussir cette vente, à laquelle
concourent tant de bonnes volontés et qui impose un si grand
travail aux dames organisatrices. Celles-ci ont vu leurs rangs
éclaircis par la mort, les deuils et la maladie; raison de plus
pour les aider de tout notre pouvoir au succès de la vente.
11 y a moins d’un an, nous recommandions à nos lecteurs
l’excellent volume consacré à la mémoire de M. Ernest Dhom-
bres. La première édition a été enlevée en peu de temps; nous
avons le plaisir d’annoncer que la deuxième édition va pa-
raître un de ces jours.
Cette deuxième édition De diffère que peu de la première;
cependant l’auteur a pu y ajouter divers faits intéressant
l’œuvre des missions. On trouvera à la couverture les condi-
tions de la vente qui se fait, comme pour la première édition,
au profit des missions.
Le départ de M. Krüger nous a obligés, à notre grand re-
gret, à différer la publication de Yalbum du Zambèze , que
nous annoncions il y a quelques mois. L’album paraîtra, si
rien ne s’y oppose, avant la fin de l’année.
Aux tournées que nous annoncions en décembre sont ve-
nues s’en ajouter d’autres. M. Teisserès est en ce moment
dans le Gard ; de là, il se rendra à Montauban, puis dans le
pays de Montbéliard. M. Allégret a visité la Normandie et il
a donné récemment une conférence à Saint-Quentin et un
grand nombre de séances à Paris. Mentionnons enfin le
voyage que M. le pasteur L. Monod a bien voulu faire en
Angleterre et en Ecosse, au lieu et place de M. Krüger, pour
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
109
plaider dans ces deux pays la cause des pasteurs et des
évangélistes indigènes du Lessouto. M. Appia, qui devait se
charger de quelques réunions à Londres, ayant été retenu
par la maladie, a été remplacé par le directeur. Celui-ci avait
eu l’occasion, quelques semaines auparavant, de représenter
notre Société à Nantes.
Pendant le cours du mois de février, M. Donald Fraser,
candidat en théologie de Glasgow , a visité Paris, Montauban,
Lyon, et divers centres universitaires de la Suisse française.
S’adressant spécialement aux étudiants, il a cherché à les
gagner à la cause du mouvement des volontaires de la mission,
qui s’est produit et qui se continue en ce moment dans les
collèges d’Amérique et d’Angleterre. L’avenir montrera, nous
l’espérons, que la visite de notre jeune frère n’a pas été
inutile.
Bien que près de deux mois nous séparent encore de nos
réunions annuelles , rappelons-en la date, quand ce ne serait
que pour engager nos lecteurs à les préparer d’avance par la
prière. Sauf avis contraire, notre assemblée générale aura
lieu le soir du jeudi 23 avril, à l’Église de la Rédemption. La
réunion familière d’usage se tiendra le dimanche suivant,
dans l’après-midi, à la Maison des Missions. Demandons
à Dieu que d'abondantes bénédictions accompagnent ces
séances.
ENTRE ADEN ET MADAGASCAR
Lettre de M. F. H. Kruger.
Entre Ajibouti et Adeü, 21 janvier 1896.
Mon cher ami,
La mer Rouge ne nous a pas été clémente. Contrairement
à toutes les traditions, le ciel est resté couvert et la mer
110
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
secouée; restait la chaleur humide dont nous ressentions
doublement le poids.
Il s'ensuit que je dispose de quelques heures seulement
pour liquider la correspondance de près d’une semaine. C’est
demain matin qu’on remet les lettres à Aden. Le bureau sui-
vant est Zanzibar, sept jours après Aden.
Malgré pas mal d’ennuis résultant de nos préparatifs pré-
cipités, malgréla rapidité de notre départ, qui fait qu’il nous
semble souvent encore rêver, — et le rêve ressemble presque
à un cauchemar, — nous sommes de plus en plus persuadés
que nous avons bien fait de partir par ce courrier.
L’arrivée à Madagascar de nos compagnons de voyage dé-
cidera probablement de l’avenir de cette nouvelle colonie.
L’administration est représentée par une fournée de résidents,
auxquels le secrétaire général de la résidence de Tananarive
donne le mot d’ordre, un mot d’ordre excellent, autant que
nous pouvons en juger. Un inspecteur des douanes, embarqué
au dernier moment, pose les jalons du nouveau régime doua-
nier. Un directeur du Comptoir national d’escompte va juger
de la nouvelle situation faite à sa banque. Des ingénieurs des
mines, de petits capitalistes, des colons pleins d'initiative
veulent voir ce qu’est Madagascar. L’évêque anglican se pro-
pose de faire une dernière tournée pastorale dans l'ile, et
de remettre ensuite la houlette à des mains plus jeunes.
Ne sommes-nous pas à notre place, au milieu de ce monde
qui s’agite et que tant d’intérêts divers mettent en mouve-
ment ?
A notre place? Pas nous; personne ne le sent mieux que
nous, et, ensemble, nous le confessons à Dieu tous les jours.
Mais la cause de l’Évangile, ou encore, la grande commu-
nauté des enfants de Dieu de langue française, dont nous
avons l’honneur d’être les délégués, devait avoir des repré-
sentants au milieu de la troupe de tous ceux qui tiennent
entre leurs mains les destinées françaises de Madagascar. Cela
était indispensable.
Que ferons-nous? Dieu le sait. Cela seul nous soutient. Si,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
111
comme je viens de le dire, le développement ultérieur de
notre nouvelle possession dépend en partie de nos compa-
gnons de voyage, — avec lesquels il était bon que nous pus-
sions nous entretenir librement, comme on cause sur le pont
d’un paquebot entre les parois duquel on est emprisonné
ensemble pendant tout près d’un mois, — nous savons pour-
tant que, du haut des deux, notre Dieu, le Seigneur des Sei-
gneurs et le Roi des Rois, lui qui a conduit le passé de
l’histoire du christianisme à Madagascar, tient les fils du
présent et du futur. Ne cessez pas de lui demander, avec
nous, que nous soyons ses instruments, que notre amour
pour lui domine tout, et qu’au milieu des scènes étranges
qui, pendant des mois, vont se dérouler sous nos yeux, au
milieu des conflits de volontés contraires, nous demeurions
sine captivitate revum , pour parler le langage de 1’ «Imita-
tion », uniquement liés par sa volonté.
Avec l’expression de notre double et vieille affection com-
mune,
Ton
F. H. K.
P. S. — Nous avons eu le privilège et la joie, dimanche
dernier, de célébrer un très court culte avec sept ou huit
auditeurs. On nous a accordé le fumoir pour cela. C’est la
première fois que le fait s’est présenté à bord d’un vapeur
des Messageries maritimes, m’a dit le commissaire du bord.
F. H. K.
-Z —
112
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
LESSO U TO
DANS LE HAUT-LESSOUTO
Etude de M. H. Dieterlen.
Suite et fin (1).
Cette conception de Dieu ne laisse évidemment aucune
place au christianisme. Pas de morale, pas de péché. Alors,
pourquoi un Sauveur? Pourquoi Jésus? Pourquoi la repen-
tance, la lutte contre la chair, le renoncement, la crainte du
mal, la peur d’un jugement, le combat pour la vie éternelle?
A quoi bon l'Évangile? A quoi bon l’Église, et ses cultes, et
sa discipline? Ne sommes-nous pas enfants de Dieu sans tout
cela?
Et voilà comment il se fait que le païen, tout en prétendant
croire en Dieu, continue à vivre dans l’impiété, dans les
péchés de la chair : adultère, ivrogne, matérialiste jusqu’aux
moelles; et avec cela content de son sort et sans inquiétude
pour son avenir éternel.
Chose plus curieuse et plus triste encore ! Il croit en un
certain Dieu qu’il a fait à sa convenance et que l’on pourrait
justement comparer à de la fausse monnaie, et pourtant il a
gardé ses dieux nationaux, qui sont ses ancêtres. Il est rare
qu’il nous en parle, probablement parce que c’est le fond
même de sa pensée.
Je chevauchais, il y a quelques semaines, à côté d’un jeune
homme, et je lui demandais où il allait. A mes questions,
voilà ce qu’il répondit :
« Je vais à Tsikoané, chez notre grand chef Jonathan Mo-
lapo.il nous a invités à faire beaucoup de bière. Nous la boi-
rons. Ce sera une grande fête. Il y aura une prophétesse qui
(1) Voir page 68.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
113
priera pour la pluie. Elle la demandera à nos dieux, àMolapo,
à Moshesh, à Mokhachané, nos anciens rois. Ils sont là, dans
la terre. Nous crierons : La pluie! la pluie! Vous avez vos
dieux et nous avons les nôtres, comme vous avez vos méde-
cins et nous les nôtres... »
C’était avouer sans la moindre fausse honte ce culte des
ancêtres qui, dans le Haut-Lessouto, me semble être plus
généralement pratiqué qu’ailleurs.
Tout récemment encore, un homme, rendu loquace et
communicatif par de trop copieuses libations, et par cela
même plus franc et plus courageux, m’exposait sa théologie
en m’affirmant que les défunts devenaient des dieux, et que
lui-même ne comprendrait pas qu’après sa mort il ne soit
pas le dieu de ses enfants.
Il ne s’agit pas ici de bravades. Ces gens ne posaient pas
pour des esprits forts. Ils disaient ce qui est. La fête dont me
parlait le premier a eu lieu. Sous le patronage du grand chef,
des « prophètes » — car on a emprunté le mot au christia-
nisme — ont rendu grâces aux ancêtres pour la splendide
récolte de sorgho qu’on venait de faire et, par la même occa-
sion ont demandé à ces dieux d’accorder à leur peuple une
nouvelle et abondante moisson. C’est poussés par ces dieux
mêmes, disaient-ils, qu’ils leur adressaient ces louanges et
ces prières, à grand renfort de chants bizarres, de contor-
sions grotesques et de costumes empruntés aux temps
anciens. On but beaucoup de bière, on se grisa, on échan-
gea* force coups de langue et de bâton. Et le culte des ancê-
tres reçut une fois de plus la sanction des chefs et mérita
d’être appelé la religion nationale des Bassoutos du Haut-
Lessouto.
Le Dieu des chrétiens, on en parle donc beaucoup, et, en
certaines circonstances, en cas de guerre par exemple, on in-
voque sérieusement ses délivrances. Au Centre on l’eût offi-
ciellement prié ces derniers mois pour qu’il fasse cesser la
terrible sécheresse que nous venons de traverser. Ici, per-
sonne n’a proposé qu’on ait une de ces réunions de prières
114
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
pour la pluie qui ailleurs ont passé dans les mœurs des Bas-
soutos païens et de leurs chefs. On a recouru aux ancêtres ;
cela suffisait, paraît-il. S’abaisser jusqu’à demander les
prières de l'Église, s’humilier, s’avouer vaincu, c'eût été trop
pénible pour Jonathan et ses frères.
S’il nous semble impossible de concilier le culte des an-
cêtres avec celui du vrai Dieu, et s’il nous semble même
odieux de songer à ce rapprochement sacrilège, nos païens,
moins scrupuleux et plus faciles à contenter, ont trouvé un
biais satisfaisant leur raison. Et ce biais, ils ont été le cher-
cher... dans la religion catholique.
« J’aime la religion catholique, disait notre grand chef. Au
moins, chez elle, on ne s’adresse pas directement à Dieu. On
s’adresse à des intermédiaires, aux saints. Nous aussi, nous
nous servons d’intermédiaires, qui sont nos ancêtres. »
— Mais, lui fut-il répondu, les saints du catholicisme étaient
des saints, des hommes qui vivaient dans la crainte et au
service de Dieu. Vos ancêtres, eux, n’étaient que de simples
hommes et des pécheurs.
— Des pécheurs! Est-ce que quelqu’un prétendrait que
mon père Molapo a jamais volé?
Nos vieux chefs bassoutos canonisés par leurs descen-
dants, et servant d’intermédiaires entre les hommes et Dieu,
c’est un comble. Et, pour dire vrai, je ne crois pas que Jo-
nathan, quoique l’auteur de cette singulière théorie, y croie
lui-même. Se tromper volontairement, essayer de se séduire
par de faux raisonnements, c’est encore un trait caracté-
ristique du païen qui, tout au fond de sa conscience, se sent
dévoyé et coupable, mais qui refuse, coûte que coûte, de dé-
mordre de ses erreurs, parce qu’elles lui plaisent et lui
donnent toute latitude pour suivre les mauvais instincts de
sa nature.
Au fond de cette conscience, il règne un malaise plus ou
moins sensiBle ou senti. Et s’il y a beaucoup, beaucoup de
païens qui croient que l’on peut offenser les hommes et être
puni par eux, mais qu’on ne peut irriter Dieu, il en est aussi
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
115
un certain nombre que les remords tourmentent et qui ne
sont pas heureux d’ètre païens et pécheurs.
Je connais un chef important de mon district qui, parfois,
appelle son évangéliste, fut-ce même au milieu de la nuit, et
qui lui demande de lui parler de Dieu et de prier avec lui,
parce que, dit-il, « ma conscience me tourmente ». Cela ne
l'empêche pas de continuer à vivre comme un pur païen. Mais
l’aiguillon est là, au fond de son cœur. Celui-là sent ce que
c’est que le péché.
(Me sera-t-il permis, à ce propos, de corriger ou d’expli-
quer une parole d’un missionnaire du Lessouto qu’a repro-
duite un numéro du Journal des Missions de l’année 1895? Ce
collègue disait que le sentiment du péché jouait un très
petit rôle dans la conversion des Bassoutos, et que c’était en
général des rêves qui produisaient cette dernière. Oui, di-
rais-je, ce sont très souvent des rêves qui sont l’occasion de
ces conversions; mais ces rêves, ils sont précisément le pro-
duit d’une conscience troublée par le sentiment du péché ; ils
roulent en général sur ces sujets : La vue des péchés qu’on
a commis; la porte du ciel défendue à l’homme parce qu’il
est coupable; les reproches de Dieu au pécheur impénitent
ou non pardonné; le jugement dernier et la condamnation
du méchant. C’est assez indiquer qu’un certain sentiment du
péché a précédé et produit ces rêves et est la cause de la
conversion dont le rêve n’est que l’occasion accidentelle. A
vrai dire, sans sentiment de péché, y a-t-il possibilité d’une
conversion réelle, de repentance, de désir de pardon et
d’acceptation du salut en Jésus-Christ?)
Pour revenir à notre sujet : Si le Dieu des chrétiens n’est,
pour nos païens, qu’un être sans morale, et si le culte des
ancêtres est resté au fond de leurs cœurs, il n’est pas éton-
nant que le paganisme national et traditionnel des Bassoutos
ait conservé ici tout son prestige et toute son autorité. Le
Dieu de la Bible attire les hommes en haut et en avant; c’est
un Dieu de progrès, de perfection et de sainteté. C’est celui
qu’on ne veut pas. Les dieux des Bassoutos, immobiles et
146
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
immuables dans leurs tombes, représentants d’un passé peu
glorieux en somme, mais qu’embellissent les récits des
guerres d’autrefois et la crainte des blancs, retiennent leurs
descendants sur la voie du progrès et tournent leurs regards
vers le passé et vers la terre. Un peuple qui vénère ses ancê-
tres comme des dieux peut-il réellement progresser? Pour
progresser, il faut se transformer, abandonner les idées et
les coutumes du passé, adopter celles du présent, de l’avenir
et de l’étranger. Faire cela, ne serait-ce pas offenser les pères,
se séparer d’eux, les critiquer?
Nos Bassoutos, sans s’en douter, sont les victimes du res-
pect qu’ils portent à leurs ancêtres. Leur attachement aux
coutumes nationales, même aux plus ineptes, en provient
dans une large mesure.
Mais il y a plus, et autre chose.
Je remarque -ces temps-ci une grande abondance de fêtes
de circoncision des jeunes garçons et d'initiation des filles. Ils
y passent tous , elles y passent toutes ; on nous enlève même
des enfants dont la mère est chrétienne et qui, jusqu’à présent,
fréquentaient nos temples et nos écoles.
La polygamie est aussi florissante que jamais, et, du reste,
les païens la justifient en puisant des arguments en sa faveur
dans l’Ancien Testament, où ils abondent.
« Vous me reprochez d’avoir plusieurs femmes, disait un
chef. Dieu n’est pas si dur que. vous. N’a-t-il pas désigné
comme successeur de David, et béni Salomon, le fils de Bath-
Scébah, une concubine? Et Abraham? Et Jacob? Et tant d’au-
tres, hommes aimés de Dieu et pourtant polygames, qu’en
faites -vous? »
On n’épouse une femme qu’en donnant à ses parents trente
tètes de bétail et dix moutons. Ce n’est pas exactement un
marché, et ce n’est pas la femme que l’on achète; ce dont on
s’assure la propriété, ce sont les enfants que cette femme
mettra au monde et qui doivent être nombreux. Que son mari
meure, peu importe. Elle passera à l’un de ses frères qui
suscitera une descendance au défunt, tout en ayant sa propre
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
117
femme à lui. Et si cet arrangement ne se réalise pas ou
échoue, peu importe encore. Cette pauvre veuve est con-
damnée à un veuvage perpétuel, mais non à la stérilité. La
continence est une vertu qui dépasse ses forces morales...
Elle aura donc des enfants. Peu importe leur provenance :
ce sont des enfants, ils vont augmenter la famille du défunt,
dont les parents, en bons spéculateurs, veulent en avoir pour
leur bétail. Quelles tristes choses je pourrais citer à ce sujet,
rien qu’en racontant la vie de deux jeunes veuves qui vivent
en ce moment même dans ma station !
Mais passons. Il importait de rappeler que les coutumes
du paganisme traditionnel des Bassoutos sont, ici, bien loin
d’avoir disparu ou d’avoir perdu leur popularité.
Pourquoi?
Tout d’abord parce qu’elles correspondent aux mauvaises
passions du cœur humain, aux convoitises de la chair, à la
paresse, et à la grossièreté de la nature de nos païens.
— Qu’est-ce qui t’empêche donc de t’occuper de Dieu et de
ton âme?
— Moi? Je veux boire de la bière.
Traduisez : Je veux pouvoir m’enivrer et m’abrutir à ma
guise.
Mais il y a plus, et, disons-le avec soulagement, il y a
mieux. Tout n’est pas matérialisme et animalité dans l’atta-
chement de nos Bassoutos aux traditions et aux coutumes de
leurs pères. C’est aussi une affaire de patriotisme et le pro-
duit de l’instinct de la conservation.
Nous vivons dans des temps où les races noires du sud de
l’Afrique sont, l’une après l’autre, dépouillées de leur indé-
pendance et de leurs rois légitimes, et exposées à perdre,
rapidement peut-être, leur individualité et leur existence en
tant que nations. La peur d’être dispersés hante, à juste
titre, les noirs de nos pays, comme autrefois les hommes qui
bâtirent la tour de Babel. La tour de Babel, sur laquelle nos
Bassoutos fondent Tespoir de rester forts, unis, eux-mêmes,
9
J 18
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
ce sont leurs coutumes nationales, auxquelles ils se cram-
ponnent avec une persistance digne d'une meilleure cause.
Ils font une mauvaise spéculation, et, s’ils avaient la moindre
connaissance de l’histoire du monde, ils comprendraient que
le seul moyen, pour ün peuple non civilisé, de ne pas être
englouti et détruit par le courant de la civilisation, c’est de
s’y jeter résolument et d’être porté par lui. Mais ils ignorent
l’histoire du passé, et ils comprennent peu l’histoire contem-
poraine du Sud de l’Afrique qui, pourtant, devrait être pour
eux une leçon de choses des plus instructives et des plus me-
naçantes.
Fiers de leur passé et de leur nom, de leurs coutumes et de
leurs plaisirs, ils cherchent encore leur salut dans le main-
tien des choses du passé. Si d'autres se perdent pour avoir
été trop entreprenants, ils périront pour avoir été trop con-
servateurs.
La principale responsabilité de cette erreur repose sur nos
chefs. C’est eux qui se sont constitués les grands-prêtres du
paganisme et des traditions nationales. C’est eux qui prêchent
l’attachement aux coutumes des pères, et qui favorisent les
superstitions, les fêtes païennes, les orgies, la polygamie, la
circoncision et le reste. Ce sont eux aussi qui sont les plus
redoutables adversaires du christianisme et de l'Église de
Jésus. En pareille matière, leur autorité est incontestable et
incontestée, leur exemple et leurs paroles font force de loi
parmi leurs sujets. Ils ne sont pas indifférents ou neutres en
matière de religion; ils sont nettement hostiles à l’Évangile,
et leurs gens, pris dans leur ensemble et toute part faite pour
d’assez nombreuses exceptions, le sont aussi.
En présence du christianisme, — c’est le fait qui m’a le
plus frappé dans le Haut-Lessouto, — les païens observent
une attitude évidemment défensive. Iis ne l’aiment pas, ils
n’en veulent pas; ils s’en défient comme d'une puissance de
désintégration et comme un trouble-fête, comme un intrus
auquel il faut soigneusement fermer la porte des cœurs, des
familles et de la tribu. Le paganisme est la religion d'État.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
119
Toute concurrence est un ennui, une complication et un
danger, la menace d’un établissement d’un État dans l’État,
avec toutes les conséquences que ce fait comporte.
Les progrès du christianisme inquiètent les chefs et susci-
tent leur jalousie, qui est très grande. Ils voient dans l’Évan-
gile un pouvoir rival du leur. Quand un de leurs hommes
manifeste des velléités de se convertir, ils cherchent à l’en
dissuader et recourent à beaucoup de moyens indirects pour
l’en empêcher, ou, s’il devient chrétien, pour le faire aposta-
sier. Leurs sujets, par complaisance pour eux ou par convic-
tion, en agissent de même.
Un des hommes les plus compétents et les plus respectables
du district de Léribé me disait un jour ces paroles qui valent
la peine d’être reproduites et méditées : « Je suis convaincu
que si nous n’avions pas au Lessouto des résidents européens,
les chrétiens bassoutos de ce district auraient à rendre
témoignage de leur foi en versant leur sang pour elle. »
La présence des missionnaires, il est vrai, est, aux yeux
des Bassoutos, une chose de grand prix. Ils ne voudraient
pas nous voir partir. Ils ont conscience des bienfaits tem-
porels que leur ont apportés nos prédécesseurs, et ils répè-
tent volontiers que a la tribu des Bassoutos doit son salut et
son existence aux missionnaires français ». A leurs yeux, nous
sommes, comme disait un chef du district de Kalo, une corne,
c’est-à-dire un talisman ayant la faculté de les protéger
contre les maléfices et les malheurs qui pourraient les me-
nacer.
Mais, s’ils voulaient ou pouvaient comprendre leurs propres
sentiments et ensuite les exprimer franchement, ils nous di-
raient volontiers : « Nous tenons à vous. Demeurez avec
nous..., pourvu que vous n’obteniez pas de résultats de vos
travaux ».
La tâche de l’Église est singulièrement compliquée et diffi-
cile quand elle a affaire à un adversaire si habile, si puissant,
et qui a pour lui les traditions séculaires d’un peuple, ses
préjugés, ses habitudes, ses chefs, et l’immense majorité de
120
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
ses gens. Nos efforts sont contrecarrés, nos erreurs de tac-
tique sont immédiatement relevées et tournées contre nous.
Les inconséquences et les péchés des chrétiens sont guettés
avec vigilance, et on nous-les jette à la tête en disant : « Les
chrétiens aussi commettent adultère », comme on me l’a dit
plus d’une fois ici. A nos prédications chrétiennes on oppose
des prédications païennes; à nos fêtes d’Église, des fêtes de
sensualité et de dissipation.
Annoncer l’Évangile ici, ce n’est pas offrir aux païens un
remède désiré par le malade qui a conscience de la gravité
de son état et qui veut être guéri. Ce n’est pas lui ouvrir la
porte d’une salle de festin dans laquelle il souhaite d’être
admis. Loin de là! C’est importuner des gens qui sont con-
tents de leur sort et d’eux- mêmes; c’est déclarer à un adver-
saire très puissant une guerre de longue haleine, et lutter
pour remporter la victoire après une longue campagne et de
grands combats. Nous y allons de tout cœur, pour Dieu et
pour l’humanité. Et j’espère que ceux qui liront ce qui pré-
cède ne me croiront ni pessimiste, ni découragé.
J’ai cru devoir donner aux amis de notre mission une idée
de la situation du Haut-Lessouto^ dans ses lignes générales,
avec ses traits les plus caractéristiques, telle que je l’ai vue
et étudiée pendant le cours des neuf mois que j’y ai passés.
Quand un voyageur se trouve pour la première fois en face
des hautes montagnes des Alpes, il ne peut se défendre d’un
sentiment de malaise, de tristesse et d’effroi. 11 ne voit, de
loin, que pentes abruptes, précipices et torrents, murailles de
roches et de glace, désert, froid et mort. C’est là sa pre-
mière impression, celle qui s’impose à son esprit et s’empare
de son cœur. Il ne tarde cependant pas à découvrir que dans
ce désert et parmi ces rochers poussent des touffes de
gazon verdoyant et s’épanouissent de superbes fleurs. Il y
voit le sentier du chévrier et les traces du voyageur, et il y
entend le chant des oiseaux. C’est la vie que les chauds
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121
rayons du soleil font surgir au sein de ce chaos sauvage et
de cette désolation.
Il en est de même du paganisme qui nous entoure. Les
grandes lignes, l’ensemble, la masse, tout cela vous remplit
de tristesse et de frayeur, et vous paralyse. Peu à peu on y
découvre des fleurs, des âmes simples que l’Évangile a arra-
chées des griffes du monstre et dont il fait l’éducation en vue
du royaume de Dieu. Il voit les premiers indices de la vie
surgissant du milieu de la mort, sous l’influence de la grâce
divine. Il se réjouit, il prend courage, il espère, il lutte, il
rend grâces, voyant dans chaque grain de semence jeté en
terre la promesse des glorieuses moissons de l'avenir.
Voilà où nous en sommes! Puissent nos amis partager nos
travaux et nos épreuves, pour pouvoir un jour, avec nous,
fouler aux pieds le paganisme si orgueilleux qui, aujourd’hui
encore, nous défie et fait échec à nos efforts les plus persé-
vérants (1).
H. Dieterlen.
(i) Rappelons que l’évangélisation du Lessouto est défrayée par une
caisse centrale qu’alimentent avant tout et pour la plus large part les
contributions des Églises indigènes. Cette caisse reçoit aussi l’appui
d’un certain nombre de chrétiens d’Angleterre et d’Écosse, auxquels
nous avons fait appel pour cette branche de notre œuvre, ainsi que les
dons faits « pour les évangélistes du Lessouto » par quelques amis de
nos Églises.
On a pu juger par le commencement de l’article de M. Dieterlen à
quel point nos missionnaires ont besoin des ressources que nous pou-
vons mettre à leur disposition,-
t» — tS2T
122
JOURNAL' DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
ZAMBÈZE
NOUVELLES DE M. ET MADAME MERCIER
Comme nous l’annoncions il y a un mois, M. et madame
Mercier se sont embarqués à Southampton, le 25 janvier, à
bord du Hawarden Castle. L’entrevue projetée avec M. Wad-
dell, à Londres, a pu avoir lieu. M. Mercier a reçu de l’ancien
aide de M. Coillard toutes sortes de renseignements prati-
ques de la plus grande utilité. Nous avons le regret d’ap-
prendre que l’état de santé de M. Waddell est loin d’être
réjouissant et qu’il lui faudra bien du temps pour qu’il re-
trouve les forces et l’entrain qu’il a si largement dépensés au
service de la mission du Zambèze.
A Loqdres, M. le pasteur Roehrich s’est obligeamment mis
à la disposition de M. Mercier pour l’aider à régler les di-
verses affaires auxquelles il faut toujours mettre ordre avant
de s’embarquer. Madame Hart, une amie de nos missions, a
bien voulu offrir sa cordiale hospitalité à nos voyageurs.
De Madère, M. et madame Merçier nous écrivent qu’ils ont
jusque-là fait bon voyage, sur une mer relativement calme.
Ils étaient pleins de confiance, sachant qu’ils marchaient vers
le Zambèze, et ils s’avançaient « les cœurs en haut » .
LA MISSION DO ZAMBÈZE
de juillet 1894 à septembre 1895.
Au Comité de la Société des Missions de Paris.
Messieurs et chers frères,
La cinquième Conférence de la mission du Zambèze vient
d’avoir lieu à Léaluyi, du 13 au 25 septembre. Elle réunissait
les missionnaires de Kazungula, Seshéké, Nalolo et Léaluyi,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
153
sous la présidence de notre vénéré doyen M. Coillard; elle sou-
haitait aussi la bienvenue à M. Davit, le futur missionnaire
de Séfula ; quant à ses compagnons de voyage, M. et madame
Boiteux, ils étaient restés à Kazungula, de sorte que nous
n’avions pas le plaisir de les avoir au milieu de nous. Nous
avons si rarement la joie d'être tous réunis, que c’est tou-
jours une fête quand cela arrive; cependant, un gros nuage
assombrissait notre réunion : notre président, très peu bien
depuis deux mois, ne pouvait se joindre à nous qu’au prix
d’efforts extraordinaires.
Chaque missionnaire a présenté à la Conférence un rapport
sur la marche de sa station pendant Texercice écoulé. C’est
de ces rapports particuliers qu’est extrait le compte rendu
général que nous vous envoyons ; comme la plupart des faits
relatés vous sont déjà connus par les lettres qui vous ont été
envoyées dans le courant de l’année, nous nous bornerons à
rappeler maintenant les principaux événements de cette pé-
riode.
Remontons ensemble le fleuve, et voyons successivement
les stations qui s’y trouvent. Voici tout d’abord Kazungula.
Vous comprendrez sans peine que le missionnaire de cette
station, M. Louis J alla, commence son rapport par des ac-
tions de grâces, car, pendant cette dernière année, Dieu lui a
accordé de nombreux sujets de joie dans son travail. Alors
que pendant les premières années de l’existence de cette sta-
tion, c’est avec grand’peine que le missionnaire réussissait
à avoir une trentaine d’auditeurs seulement, aujourd’hui le
nombre a presque décuplé. Le fait est dû, en grande partie, à
l’installation, à Kazungula, de Litia, le fils aîné de Léwanika,
ce qui a amené un grand développement de ce village, autre-
fois assez insignifiant. Mais ce n’est pas seulement à cause de la
fréquentation des cultes que M. Louis Jalla a lieu de se réjouir;
c’est surtout à cause des nombreuses personnes qui ont pu-
bliquement déclaré vouloir servir Dieu. Aujourd’hui, il y a à
Kazungula 130 professants qui sont surtout des hommes dans
1-24
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
la force de l’âge. A leur tête se trouve Lilia, qui, dès son ar-
rivée à Kazungula, s’est montré des mieux disposés : il a
fait implorer la bénédiction de Dieu sur l’emplacement où il
allait construire son village ; peu après, il renvoyait sa
deuxième femme et faisait une profession publique de sa
foi.
Son influence s’est aussi fait sentir dans l’école, en ce qu’il
a pressé les gens à y envoyer leurs enfants; cette école a eu
un maximum de 70 enfants, avec une moyenne de 51 élèves
réguliers. Leurs progrès sont réjouissants et sont dus en
grande partie à l’activité de mademoiselle Kiener, à laquelle
incombe spécialement le soin de cette école. A Noël, les en-
fants eurent une fête, avec jeux, collation, arbre de Noël et
séance de lanterne magique.
Le missionnaire et mademoiselle Kiener ont été secondés
dans leur travail par l’évangéliste John. Celui-ci a aussi fait
une tournée d’évangélisation de quinze jours dans le Botoka,
dans les environs des chutes Victoria. Partout, il a rencontré
un excellent accueil, et il serait bon de pouvoir placer un
missionnaire dans cette région.
Au mois de juin, la station de Kazungula était mise en
émoi par l'arrivée d/une dizaine de chercheurs d'or; cepen-
dant, grâce à Dieu, aucun événement grave n’a troublé la
paix.
A peu près à la même époque mourait Mokumba, l’ancien
chef de Kazungula ; cette mort faillit être l’occasion d’une re-
crudescence de paganisme, mais Litia réussit à réprimer ce
mouvement.
Si la station de Kazungula a connu beaucoup de beaux
jours pendant cette dernière année, soit à cause des progrès
réjouissants de l’œuvre, soit dans la vie de famille du mis-
sionnaire et de l’évangéliste qui, tous les deux, ont été réjouis
par la naissance d’enfants, d’autre part, ils ont aussi connu
des jours sombres : la maladie les a souvent visités, surtout
l’évangéliste et sa femme, et, par-dessus tout, le deuil a
frappé nos amis: pour la troisième fois, Dieu leur a repris un
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
125
enfant ; après Marguerite et Annita, ce fut Edouard , qui
mourait le 8 juillet, après quinze jours de maladie, alors qu’il
allait avoir deux ans.
Pour terminer ce qui concerne la station de Kazungula,
nous ne pouvons mieux faire que de citer M. Jalla lui-même :
« En jetant un regard rétrospectif sur ces douze mois, à tra-
vers les joies et les épreuves qui nous ont été dispensées,
nous bénissons le Seigneur de sa bonté paternelle, nous
adorons ses voies, nous le louons d’avoir transformé la pe-
tite station de Kazungula de 1894 en un des principaux
centres du pays, par l’arrivée de Litia, et d’avoir changé en
allégresse Jes craintes que nous avait inspirées sa venue, par
le développement si encourageant qu’a pris dès lors le réveil
de Kazungula. A Lui seul en soit la gloire ! »
Continuant notre marche, à deux jours de distance seule-
ment, nous arrivons à Seshéké. Ici aussi, nous trouvons la
joie; comme M. Jalla, M. Goy a vu un réveil se produire
parmi ses auditeurs, si bien qu'il y a aujourd’hui, à Seshéké,
de nombreux professants, parmi lesquels la princesse Akunu-
ghisa, fille de la reine Mokuaé, et chef suprême de Seshéké.
Il se tient chez elle, chaque semaine, sous la direction de ma-
dame Goy, une réunion pour les femmes.
M. Goy exprime des craintes sur le sérieux de quelques-
unes de ces conversions; cependant, beaucoup de ces con-
vertis l’ont édifié par les témoignages de leur sincérité, et il
ne doute pas que. si Dieu a laissé germer de l’ivraie dans le
champ, il s’y trouve pourtant aussi beaucoup de bons grains.
Les cultes du dimanche matin ont été suivis par une
moyenne de 110 auditeurs.
L'école, jusqu’à présent complètement à la charge de M. et
madame Goy, puisque mademoiselle Keck, qui en avait été
chargée, a dû quitter le pays pour cause de santé, a aussi
donné de la satisfaction au missionnaire de Seshéké.
A côté de cette activité réjouissante qui se poursuit par les
divers cultes et l’école, Satan n’a pas manqué d’agir aussi ; il
126
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
se manifeste tout un parti d’opposition, avec la plupart des
chefs à sa tête, qui proteste contre les progrès de l’Évangile,
au nom des anciennes traditions.
La maladie a aussi visité la station de Seshéké; mademoi-
selle Keck fut particulièrement atteinte, elle dut même quitter
le pays. M. et madame Goy ne furent pas épargnés non
plus, ils durent même demander du secours à Kazungula.
Grâce à Dieu, ils sont de nouveau bien aujourd'hui, et ils
sont enfin réjouis par l’arrivée de l’évangéliste Aarone et sa
femme, qui vont leur être d’un précieux secours, spéciale-
ment pour l’école. (A suivre.)
SÉNÉGAL
VOYAGE DE M. ALBERT BOLLE
Avant de s’embarquer à Bordeaux, M. Bolle a pu faire la
connaissance des membres du Comité auxiliaire de cette ville
et celle de plusieurs autres amis. Une réunion familière,
«très intéressante», nous écrit-on, a pu avoir lieu le veille
de son embarquement. Le 5 février, il allait occuper, à bord
du Brésil, la cabine qui lui était réservée. Parmi les passa-
gers se trouvait un membre de la Croix bleue, originaire de
Zurich, et se rendant au Brésil.
Une carte postale, écrite de Lisbonne, nous apprend que
M. Bolle a fait jusque-là un excellent voyage.
LETTRE DE M ESCANDE
Saint-Louis, le 10 janvier 1896.
• -
Cher monsieur Boegner,
Avec quel soupir de soulagement nous avons vu notre soli-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
127
tucle prendre fin,, je ne saurais l’exprimer. Il faut bien le dire,
l’arrivée de nos chers collaborateurs n’était pas seulement
un cordial pour notre cœur, c’était une nécessité pour la
bonne marche de l’œuvre. M. Nichol a bien fait tout ce qui
était en son pouvoir pour suppléer M. Pétrequin, — et son
concours nous a été extrêmement utile. Il n’en reste pas
moins que ces mois de désorganisation ont été préjudicia-
bles à la discipline, et qu’après avoir, parla force des choses,
lâché un peu les rênes, on éprouve quelque difficulté à les re-
prendre en main. J’ajoute que l’hivernage a été dur, que les ma-
ladies ont été nombreuses, et non moins nombreux nos soucis.
Si «deux valent mieux qu’un », comme l’affirme l’Ecclé-
siaste, à plus forte raison cinq valent mieux que deux : nous
en faisons l’expérience depuis que mademoiselle Buttner,
M. et madame Pétrequin sont à Saint-Louis.
Mademoiselle Buttner bénéficie du travail que mademoi-
selle Lasserre, ma belle-sœur, a accompli durant son trop
court séjour au milieu de nous. L’esprit de la maison est
bon, très bon même. D’une façon générale nous trouvons
chez nos fillettes de l’application et de la bonne volonté. La
conversion de nos aînées n’a pas été un feu de paille, mais
une œuvre sérieuse qui se fait juger par ses fruits.
Ces fruits, nous avons eu tout dernièrement l’occasion' de
les toucher du doigt. Dans les premiers jours de novembre,
le tétanos se déclarait chez une de nos internes, une grande
fille de seize ans, et, en quelques heures, la mettait aux
portes du tombeau. Le docteur avait perdu tout espoir. Nous-
mêmes, après avoir supplié Dieu de nous l’épargner, nous lui
en avions fait le sacrifice. Il semblait que ce fût la fin. Mais,
tandis que d’indicibles souffrances contractaient son pauvre
corps, il y avait sur le visage de notre chère malade une
paix, une sérénité, que l’espérance chrétienne peut seule don-
ner. Ses paroles exprimaient la confiance, et son désir était
d'aller au plus tôt « vers son Père » et d’être pour jamais
« tout près de son Sauveur. »
Dieu a eu pitié de nous et nous l’a rendue. Oh ! comme nou's
128
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
comprenons mieux maintenant l’efficacité de la prière et la
puissance de la foi !
C'est à Sôr que M. et madame Pétrequin se sont établis, par
suite du transfert dans ce faubourg de notre école du chef-
lieu. Celle-ci, nous le sentions depuis longtemps, n’était pas
dans son vrai milieu à Saint-Louis. Elle comptait bien plu-
sieurs externes, des Wolofs en particulier; mais, d’abord, la
concurrence des écoles laïque et congréganiste était trop
forte; ensuite, nous n’avions aucune prise sur ces élèves: ils
ne suivaient ni nos cultes ni notre école du dimanche. Bref,
l’œuvre religieuse n’y trouvait aucun profit. A Sôr, les condi-
tions sont tout autres : le fanatisme y est moins farouche,
partant l’opposition moins grande. Je ne doute pas qu’avec
une direction ferme comme celle de M. et madame Pétrequin,
nous n’obtenions cette année-ci des résultats encore plus en-
courageants que l’an dernier.
A part nos internes, cette école est fréquentée par une
vingtaine de jeunes Bambaras et Wolofs, dont nous cher-
chons à cultiver l’âme en même temps que l’intelligence. La
maison de l’instituteur est un centre de ralliement pour tous
ces gamins désœuvrés. Ils se trouvent là sous une influence
chrétienne qu’ils subissent en quelque sorte malgré eux.
Détail à noter : la jeune génération de Béthesda a commencé
à nous fournir son contingent : trois garçons, parmi les plus
âgés, suivent régulièrement les classes. Que sera-ce quand
la réserve, je veux dire les vingt et quelques marmots du
village auront poussé et seront en âge de venir à l’école!
Cette jeunesse qui se fait chaque jour sa place plus grande
au soleil, avec quelle sollicitude ne la suivons-nous pas! S’il
est partout vrai de dire que la jeunesse est l’espoir de l’ave-
nir, il me semble que c’est tout spécialement le cas pour
notre mission de Saint-Louis. Vous qui la connaissez pour
l’avoir vue de vos yeux, vous avez remarqué qu’à part les
quelques internes de nos écoles, c’est parmi les adultes spé-
cialement qu’elle se recrutait, parmi les esclaves des deux
sexes qui, assez heureux pour échapper à leurs maîtres,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
129
venaient se faire affranchir à Saint-Louis. Et parmi ces
adultes, que de vieillards! que de ménages sans enfants!
L’élément jeune faisait défaut.
Ce mode de recrutement, le seul possible alors, n’allait pas
sans de sérieux inconvénients. La plupart de ces libérés arri-
vant ici à un âge où il ne leur était plus possible d’apprendre
le wolof, ils ne profitaient en rien de nos différents services
pour indigènes. De plus, ne sachant ni lire, ni chanter, et
étant trop vieux pour se mettre à l’étude, ils étaient des
auditeurs passifs, ne participant au culte que par une atten-
tion plus ou moins distraite.
Grâce à la nouvelle génération qui se forme, tout cela va
changer. Et d’abord ces enfants, quelles que soient leur origine
et leur nationalité, connaîtront au moins le wolof et le fran-
çais; ils pourront posséder chacun sa Bible, son catéchisme,
son livre de cantiques. Ils prendront une part active à nos
cultes; ils nous permettront d’établir des réunions d'édifica-
tion mutuelle; enfin, ceux d’entre eux qui se convertiront
seront à même de nous aider dans l’évangélisation des vil-
lages voisins, toutes choses impossibles avec la vieille géné-
ration qui s’en va. C'est donc avec confiance que nous envi-
sageons l’avenir. « Nous moissonnerons en temps opportun,
si nous ne nous décourageons pas. »
Et pourquoi nous décourager, quand nous voyons notre
école du dimanche de Sôr prospérer au-delà de notre at-
tente? Nous pouvions croire que, le premier mouvement de
curiosité passé, un éclaircissement se ferait dans ses rangs.
Il n’en est rien. Ou plutôt si, durant l’hivernage, le chiffre a
légèrement baissé, il s’est de nouveau rapproché de la qua-
rantaine dès le retour de la saison sèche, pour s’y maintenir
jusqu’à aujourd’hui. La fête de Noël pour nos deux écoles du
dimanche de Saint-Louis et de Sôr a rassemblé autour de notre
arbre plus de soixante enfants. N’est-ce pas l’indice quel’œuvre
de Saint-Louis n’est ni morte, ni moribonde, et qu’avec la
grâce de Dieu elle verra de meilleurs jours luire sur elle?
Au reste, les encouragements nous viennent d’un autre
130
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
côté encore. Notre chervillage de Béthesda, qui, pendant des
années, a semblé dormir du lourd sommeil de l'indifférence
et de l’apathie, paraît vouloir s’éveiller. Déjà, l’an dernier, je
vous racontais comment un jeune couple (Lamine et Adama)
avait fait profession de christianisme. Malheureusement,
une querelle survenue entre la femme et une de ses compa-
triotes m’obligea à suspendre leur instruction religieuse. Ils
me supplient de la reprendre. D’autres aussi me supplient,
soit parce qu’ils ont fait le pas décisif, soit parce qu’ils sont
disposés à le faire. On sent, même chez ceux qui n’ont encore
rien manifesté, une certaine préoccupation des choses reli-
gieuses, le désir d’en savoir davantage sur l’Évangile. Jè
crois qu’une fois le branle donné, les premiers prosélytes
entrés dans l’Église, beaucoup d’autres suivront. Vous les
connaissez, ils sont craintifs, timides, routiniers, doués d’une
force d’inertie peu commune : il faut une secousse pour les
décider.
Ce léger mouvement de réveil, dont je ne voudrais pas
exagérer l’importance, devait fatalement susciter de l’oppo-
sition. Voici sous quelle forme elle s’est produite. Il faut
commencer par vous dire que les maris admettent volontiers
que leurs femmes se convertissent, mais à une condition :
c’est qu’elles se convertissent en même temps qu’eux ou
après eux, mais jamais avant. Avant, cela leur semble une
usurpation de leurs prérogatives maritales. Aussi, quand ce
dernier cas se présente, sommes-nous sûrs que la jalousie se
mettra bientôt de la partie; après la jalousie les résistances;
après les résistances les tiraillements. Or donc, Ngolo Konaté
ayant su que sa femme Amy Diop (celle dont je vous ai plus
d’une fois parlé, sur laquelle nous fondions de grandes espé-
rances), ayant su, dis-je, qu’elle s’était déclarée chrétienne,
en conçut un dépit mal déguisé. Néanmoins, sur mes ins-
tances, il se résigna, quoique de mauvaise grâce, à lui laisser
suivre le cours des catéchumènes. Ce temps de répit ne dura
pas. A mesure que s’approchait le moment du baptême, son
humeur chagrine augmentait, et cela, malgré le redouble-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
13 1
ment d’afï'ection dont Amy l’entourait. Un matin il plia ses
tentes, nous fit ses adieux, et partit, emmenant sa femme et
sa fille loin de notre atteinte.
Pareille mésaventure nous était arrivée auparavant avec
deux de nos anciennes élèves, Zénabou et Thénen, qui, ce-
pendant, étaient déjà membres de notre troupeau quand elles
se marièrent. Cela avait fini par ne plus plaire du tout à Bo-
kary et à Bandiougou, lesquels se sentaient humiliés de ne
pas occuper dans l’église une place égale à celle de leur
femme. Depuis trois ans qu’ils ont quitté Saint-Louis, nous
ne les avons plus jamais revus.
Heureusement que, si les uns partent, d’autres reviennent.
C’est d’abord Thiané, cette ancienne pensionnaire de la mis-
sion, qui, après s’être donnée à Dieu, avait été entraînée aux
plus graves désordres par un des jeunes gens, membre de
notre Église (1). Sa conscience a fini par parler. Thiané a
rompu (extérieurement du moins) avec le mal. Grâce au tra-
vail que nous lui avons procuré, elle gagne honnêtement son
pain et celui de son enfant. Nous ne nous réjouissons qu’en
tremblant, car les tentations qui l’entourent sont immenses.
Demandez à Dieu, avec nous, qu’il la préserve de « toute
chute», et la ramène entièrement à Lui.
L’autre enfant prodigue, c’est notre brave Jean Damblé,
lequel nous a causé, lui aussi, à côté de beaucoup de joies,
bien des angoisses. Quand, il y a deux ans, il nous quitta
pour s’engager comme tirailleur sénégalais, il semblait qu’il
fût irrémédiablement perdu, qu’il eût foulé aux pieds les der-
niers scrupules. Nous le pleurions comme on pleure un
mort. Et voilà qu’un jour il nous écrivit pour nous dire ses
regrets et nous supplier de lui pardonner. Ah ! C’est que le
métier militaire avait été une rude école pour lui! C’est qu’il
avait touché la mort de près ! c’est qu’à voir ses camarades
(1) Ce jeuue homme, ancien instituteur de la mission, est mort depuis
lors, après avoir manifesté des sentiments de profonde repentance.
132
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tomber à ses côtés pour ne plus se relever, il avait fait des
réflexions salutaires... Il est maintenant de retour à Saint-
Louis, et la satisfaction qu’il nous témoigne de se retrouver
près de nous est touchante. Pourquoi ne pas croire qu’un
jour, — bientôt, — je pourrai vous dire de lui : « Il était
perdu, mais maintenant il est retrouvé. »
Je reste votre bien affectionné et toujours dévoué.
Benjamin Escande.
CONGO FRANÇAIS
NOUVELLES DE MM. F. FAURE ET E. HAUG
C’est, comme on s’en souvient, le 25 janvier que M. Faure
s’est embarqué à Marseille, à bord du Tibet. La veille de son
départ, plusieurs amis se sont réunis pour l’entourer de leur
sympathie et de leurs prières. Un mot, écrit de Marseille au
dernier moment, nous apprend combien ces témoignages
d’affection chrétienne ont été précieux, à notre jeune mission-
naire.
Par une lettre datée de Dakar, le 2 février, M. Faure nous
donne de bonnes nouvelles de son voyage qui, jusque-là,
avait été des plus faciles, grâce à une bonne mer et au fait
que le voyageur se trouve être, de sa nature, un excellent
marin. Le capitaine du navire a également, par son amabi-
lité, apporté sa part d’agrément à la traversée.
« Nous sommes, écrit M. Faure, onze passagers de seconde
classe, dont deux prêtres venant de Madagascar et allant, l’un
à Konakry, l’autre à Libreville, et une sœur allant aussi à
Konakry. Nous avons jusqu’ici de bons rapports, quoique un
peu froids. L’un des prêtres a été pris d’un accès de fièvre:
je lui ai communiqué le remède au poivre de Cayenne; il le
connaît déjà, m’en a dit beaucoup de bien et compte l’appli-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
133
quer aujourd’hui... Il se trouve aussi à bord des employés
d’administration. J'ai eu de bonnes conversations avec l'un
de ces derniers, catholique indifférent ; nous comptons lire la
Bible ensemble dès demain... »
Nous ne savons que fort peu de chose de M. Haug. Il nous
écrivait, à la date du 12 décembre, qu’il se trouvait seul à
Lambaréné, s’y livrait à un travail acharné, interrompu ce-
pendant par de fréquents accès de fièvre. Il mentionne un
voyage aux postes les plus avancés, à cent kilomètres en
aval de Lambaréné, et dit qu’il en est revenu très satisfait.
M. Haug termine sa courte missive par ces mots : « J’attends
du secours avec impatience. » Nous sommes heureux de pen-
ser que ce renfort attendu est maintenant près de lui arriver.
T AIT I
RÉUNIONS DE PRIÈRES ET DE RÉVEIL A RAIATÉA
Nous avons publié, en décembre, une portion de lettre du
missionnaire Brunei, racontant les difficultés politiques que
traversent les Iles Sous le Vent, Raïatéa en particulier. Les
extraits suivants diront la situation telle qu’elle était en oc-
tobre dernier :
« Quand vous lirez ces lignes, un conflit sanglant se sera
peut-être produit... Dès son arrivée, le 3 août, M. Ghessé,
commissaire général de la République française, a tenté, mais
en vain, d’arriver à une solution pacifique : ses ambassa-
deurs ont été éconduits par les rebelles. A Huahine, la famille
royale a déjà abdiqué, et la France est, désormais, seule
maîtresse des destinées de cette île. A Borabora, la reine est
toujours reine; la loi indigène est toujours en vigueur, mais
c’est un résident français qui la fera exécuter. Chez nous, au
point de vue politique, horizon bien noir, comme aussi,
10
134
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
hélas! au point de vue religieux... Ne crbyez pas, cher mon-
sieur Boegner, que te soit pour vous inspirer la pitié què
je parle ainsi. La pitié deà chrétiens de France, ttOùs n’en
avons pas besoin; ce qu’il nous faut, à noiis autres missioh-
naires, c’est leur sympathie et leurs prières...
«Notre peiiple taïtien a entendu, à la fin du siècle dernier,
la prédication de l’Évangile et a accepté cet Évangile aü com-
mencement de notre dix-neuvième siècle. Mais, où sont les
fruits?... L'amour fraternel, par exemple, manque totale-
ment parmi eüx. Le mot amour revient sans cesse sur leurs
lèvres, il est dans toutes leurs salutations; mais la chose elle-
même est absente. Pour. un tronc de bananier, pour quelques
pierres du chemin, ce sont des disputes incessantes, des pro-
cès et des cris. Le mois dernier, j’ai exclu de l’Église un
diacre et sa femme trop portés à ce genre de distraction ou
de scandale. Si l’on juge de la foi d’après les œuvres qu’elle
produit, celle des Taïtiens n’a encore que peu de racines.
Si j’ajoute que la sorcellerie relève la tête, je vous aurai
convaincu du besoin urgent que nous avons de vos prières
et de l’intervention de notre Dieu.
« Préoccupé de cet état de choses, je résolus, à la fin du
mois d’âoût, d’organiser dans le temple du chef-lieu une
série de réunions de prières destinées, dans ma pensée, à
devenir, avec le secours de Dieu, des réunions de réveil...
Ma proposition fut acceptée par l’Église comme par les
diacres, et les réunions furent fixées aux 9, 10 et 11 sep-
tembre. Afin que les exhortations et les prières de nos indi-
gènes ne se perdissent pas dans de vagues généralités, je
choisis trois sujets bien déterminés, un pour chaque jour :
«1° Le Péché (sa cause, ses fruits, son salaire);
« 2° La Rédemption (le Rédempteur, le chemin qui conduit
à Lui; les devoirs de ceux qui l’ont trouvé);
« 3° Le Royauime des deux et la sanctification.
« Le lundi 9 septembre, à sept heures et demie du matin,
nous sommes dans le vaste temple d’Outouroa : hommes,
femmes, enfants, chrétiens et non chrétiens, ont répondu à
société des Dissions évangéliques de paris
135
l’appel. C’est l’auditoire du dimanche au très grand complet
Je préside, assisté de deux diacres... Après que ceux-ci ont
parlé et prié, je me lève, et, m’adressant aux chrétiens :
« A Vous la parole maintenant, amis ; que celui qui a dans le
cœur quelque chose à dire à Dieu ou à ses frères ne reste pas
itfùet. » Un membre de l’Église, T., se lève et me répond :
— « Ne sois pas fâché de ce que je vais te dire, mais ce que tu
nous u^^ades, nous ne l’avons jamais fait; nous ne pou-
vons, nous, Taïtiens, parler en public comme tu nous y
engages. » — « Puisque toi tu n’as rien à dire, répondis-je,
reste tranquille, et que ceux à qui Dieu inspire quelques
bonnes paroles nous les fassent entendre... » Ce bref avis
sembla ouvrir toutes les bouches; jusqu’à midi, prières,
exhortations et cantiques se succédèrent sans interruption.
T. lui-même fit comme les autres.
« Le mercredi, grâce au concours de la partie féminine de
l’Église, flous étions encore, à deux heures, dans la maison
de Dieu. Au début de cette réunion, j’avais donné la parole
aux « sœurs» aussi bien qu’aux <* frères». Elles la prirent
courageusement, et, une ou deux fois, il y eut jusqu’à trois
où quatre voix qui se firent entendre au même moment dans
les différents coins de l’auditoire, pour prier oü bien pour
exhorter des sœurs plus jeunes à sortir Tésolument de leur
vie de péché.
« Inutile de vous dire que, pendant ces trois jours, toutes
les occupations ordinaires avaient été interrompues, soit chez
les commerçants, soit dans les plantations.
a Et maintenant, que dire des résultats? Je crois qu’ils ont
été plus réels que visibles. Il y a eu certainement quelque
chose de fait parmi les Tauréa-réa (indigènes non chrétiens).
Plusieurs se sont levés, au cours de ces réunions, et ont
fait des déclarations de foi qu’ils ne démentiront pas, j’es-
père. Quant aux chrétiens, je me flatte qu’ils auront été un
peu seéoués, ce qui était mon but principal. Pour le présent,
je les vois seulement suivre plus régulièrement le culte; mais
j’ôse espérer de la bonté de Dieu des résultats qui se mani-
136
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
festeront peu à peu, sous des formes variées, dans l’Église et
au dehors.
« Le jeudi 12 septembre, nous avons eu une réunion spé-
ciale pour les enfants et la jeunesse. Nous leur avons adressé
de pressantes exhortations entremêlées d’anecdotes à l’appui,
et, vers dix heures, pour ne pas les lasser, j’ai terminé la
réunion en annonçant que je commencerais pour les aînés,
âgés d’au moins quatorze ans, qui le désireraient, une ins-
truction religieuse le jeudi matin. Neuf se sont présentés, et,
sur ma demande, ont mis par écrit leurs intentions pour
l’avenir. Voici ce que m’a écrit Rité, un de mes meilleurs
élèves, âgé de seize ans :
« A M. Brunei, missionnaire. Je te fais savoir ma pensée
« sur cette classe du jeudi. Je désire la suivre pour acquérir
« maintenant de l’instruction, et, plus tard, quand périra
« mon corps, la vie éternelle. »
« D’un autre : — a Je désire suivre ta classe, et voici la ré-
« solution que j’ai prise : rejeter à jamais loin de moi les
« mauvaises paroles et le mensonge, et devenir un serviteur
« de Dieu dès maintenant et à toujours. Amen. Tamuéla. »
« D’un autre encore : «Voici pourquoi je désire faire partie
« de cette classe du jeudi, c’est afin d’être aussi conduit par
« toi sur le droit chemin. Tua. »
« Enfin cette lettre, d’une jeune fille de dix-sept ans, nous
a beaucoup réjouis : — « Je te fais savoir le désir ardemment
a désiré par mon cœur. Voici mon premier désir : que j’ap-
« prenne à veiller sur moi-même en présence des tentations
« du diable. Voici le second : que j’apprenne à toujours
« mieux connaître et comprendre la Parole de Dieu. Voici le
« troisième : quand mon cœur aura été éclairé par cette Pa-
« rôle, me donner toute entière à Jésus et le servir Lui seul,
« en me souvenant que si j’ai une demeure agréable sur cette
« terre, je dois rechercher une demeure meilleure encore
« pour mon âme quand viendra la fin. Tels sont mes vrais
« désirs; c’est tout. Térani. »
« Vous savez, cher monsieur, que le catéchuménat est
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
137
inconnu dans nos îles... Aurai-je la joie de voir ces neuf
jeunes gens persévérer? Dieu le sait, et Dieu le veuille.
J’ai, une fois de plus, repris l’école de semaine, après un
mois et demi de vacances. Nous dépassons toujours la cen-
taine. Et notre instituteur? Quand viendra-t-il à notre aide?
Ce cri, cet appel est bien monotone; mais vous nous excusez,
n’est-ce pas? vu l’urgence.
« L’influenza fait des ravages dans nos îles. Nous y avons
passé, ma femme et moi, mais aujourd’hui nous sommes sur
pied. Notre Evangéline se porte à merveille.
« G. Brunel. »
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
LES MASSACRES D’ARMÉNIE ET LES MISSIONS
Peu d’œuvres inspiraient jusqu’ici à l’ami du progrès une
satisfaction et presque un orgueil plus légitime que le travail
accompli en Orient depuis soixante-dix à quatre-vingts ans,
par les missions américaines. Tout était propre à inspirer
l’admiration : le plan en avait été conçu d’emblée avec une
sorte de majestueuse grandeur. L’ambition de ces hommes
venus de l’extrême Occident était de rendre aux lieux qu’a-
vaient sanctifiés la vie et la mort du Christ et, en général,
aux peuples de l’Orient, les bienfaits de l’Évangile qu’ils
avaient reçus jadis eux-mêmes de ces contrées lointaines; et,
après avoir relevé les chrétiens d’Asie, ils nourrissaient l’es-
pérance d’agir par eux sur les musulmans.
Non seulement le plan était grand et généreux, mais les
deux pionniers qui en tentèrent la réalisation, Plinius Fiske,
cousin de Fidélia Fiske, et Lévi Parsons, étaient des hommes
et des chrétiens de premier ordre. C’était le moment où la
nation grecque donnait le branle et s’apprêtait à secouer le
138 JOURNAL DES RISSIONS ÉVANGÉLIQUES
joug du Croissant. Les deux jeunes missionnaires améri-
cains purent encore faire pénétrer l’étude du Nouveau Testa-
ment parmi les 800 étudiants du beau collège de Chio peu de
temps avant l’épouvantable massacre çxercé par les Turcs sur
la population grecque. A eux se joignit bientôt comme com-
pagnon de travail Jonas King, qqi fut le premier missionnaire
subventionné parla Société de Paris, et le même qui eut sur
madame André-Walther une influence décisive, ainsi que le
constate son fils, le regretté Alfred André, dans le beau vo-
lume qu’il a consacré à la mémoire de sa mère.
Hélas ! la carrière si bien commencée des deux envoyés de
l’Évangile fut arrêtée dès son printemps. Nous ne les suivrons
pas dans leur pèlerinage savant et fructueux aux sept Églises
de l’Apocalypse, ni à Alexandrie et à Jérusalem. Parsons suc-
combait à ses fatigues dès le 10 février 1822; il s’éteignit
dans les bras de son ami Fiske en lui disant : « L’ange de
l’Éternel campe autour de ceux qui le craignent, et les ga-
rantit ». Le 23 octobre 1825, Fiske succombait à s.on tour à
Beyrouth, à l’âge de trente-trois ans, déclarant avec bonheur
qu’il estimait que sa pensée directrice, pendant les dix-sept
dernières années de sa vie, avait été l’honneur de Jésus-Christ
et le bien de son Église. Quant à Jonas King, il se consacra à
la Grèce, dont il avait épousé une des filles, et où il est mort
il y a fort peu d’années; mais son passage dans le Liban
ne fut pas sans laisser de trace. Bon influence, quoique de
courte durée, y avait été profonde, et donna à l’Église évan-
gélique de Syrie son premier martyr, le noble Asaad-el-Shi-
diak. L’un des principaux centres de l’activité missionnaire
américaine fut désormais Beyrouth, alors petite vijle de
12.000 âmes, qui est devenue une immense cité de près de
100.000 habitants. C’est là que vient de mourir, après
soixante ans de ministère, Cornélius Van Allen Van Dyke,
laissant comme prix de ses longs travaux une traduction
classique de la Bible en arabe.
Il y aurait un magnifique livre à écrire pour retracer, après
ftufus Anderson, la marche ascendante sûre de l’ouvre
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
139
commencée avec tant (le foi, au milieu (les troubles de la
guerre d’indépendance grecque. Pour ne parler que de la
Syrie, on y compte aujourd’hui (1894) 18,837 écoliers, dont
9,081 filles, dans 200 écoles entretenues par 18 sociétés; les
seules 29 écoles de madame Bowen Thompson, continuées
par madame Mott, ont 3,500 enfants. On compte en Syrie
31 lectrices de la Bible ; une école normale; depuis 1866, une
université avec l’école de médecine du docteur Post et de ses
collègues; et, depuis 1874, un collège théologique. Les dia-
conesses de Kaiserwerth y ont également un pensionnat.
Ce qu’est devenu Çeyrouth pour la Syrie, Andrinople, Sa-
makow l’ont été pour la Bulgarie; Marash, avec son collège et
ses écoles, pour la ÇhaJdée; Ormiah, pour la Perse; Mar-
sovau, Aïntab et surtout Harpout, avec ses 12 constructions
missionnaires, pour les Arménieps. C'est ainsi que se sont
successivement formés et développés des centres scolaires et
théologiques pour les quatre langues principales que l’on
parle dans l’empire turc. C'est sur ce magnifique travail, sur
ces champs si féconds de culture intellectuelle, de charité
chrétienne, de persévérance et de foi, que vient de s’abattre
la main meurtrière du fanatisme musulman, dans l'intention
évidente de ruiner si possible définitivement pes peuples qui
pommençaient à relever la tête et pour les empêcher d’ar-
river jamais, comme |es Grecs et les Bulgares, à l’émanci-
pation nationale.
Nos lecteurs se spnt deipandé certainement bien des fois,
durant ces derniers mois, quel est le devoir des chrétiens
d’Qccident en face des atrocités sans nom qui se sopt accom-
plies depuis le mois d’aout dernier contre leurs frères d’0~
rient.
Le pitoyable avortement des prétendus essais de réforme
promis par le sultan, l’humili^ntp impuissance de la diplo-
matie européenne qui s’est effrayée de son ombre et dont le
discours de la reine Victoria semble affirmer plus ou moins
l'incompétence volontaire, la misère immense des survivants,
]Les 25 à 40,000 meurtres, les horreurs sans nom commises
140
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
sur des femmes et des enfants, en partie au nom du sultan,
tout cet ensemble de crimes qui ont dépassé, dit-on, les bou-
cheries de Ghio en 1822, tout cela, se demande-t-on, doit-il
en définitive n'aboutir qu’à des articles de journaux et à
des lamentations de philanthropes bien intentionnés, mais
impuissants? Y a-t-il une réponse à donner à ces ques-
tions angoissantes? Il y a peut-être, au milieu des faux
rapports que publie une presse intéressée et souvent vénale,
à répondre d’abord par la constatation des faits. Ajoutons-y
un souvenir reconnaissant et pieux pour les dix-neuf pasteurs
arméniens protestants qui sont morts martyrs de leur foi;
enfin, et c’est là surtout le but de ces lignes, établissons par
des preuves sans réplique l’admirable tenue des mission-
naires faisant face à l’orage, se donnant tout entiers à leur
œuvre sainte et exposant joyeusement leur vie dans une
pleine soumission à la volonté de Dieu.
Quant à la marche des événements, nous n’avons pas sous
les yeux le rapport de la commission d’enquête, mais le Mis-
sionary Herald , journal de la grande Société de Y American
Board du mois de février, ainsi que le journal du Dr Pierson du
même mois, expliquent les faits d’après des renseignements
de première main et des données très sûres. Les massacre^,
disent-ils, n’ont eu lieu, à quatre exceptions près, que dans le
territoire des six provinces o,ù devaient être exécutées les ré-
formes exigées. Lorsque les bandes dévastatrices des Kurdes
et des Circassiens, estimées à trois mille, s’approchèrent de
la frontière des deux provinces de Sivas et d’Angora, elles
furent rencontrées et éconduites par les autorités locales et
par un certain nombre de musulmans influents de la pro-
vince d’Angora, qui les obligèrent à reculer en leur déclarant
qu’elles n’étaient point autorisées à dépasser la province de
Sivas. Les massacres commencèrent, de l’aveu de tous, au
moment même où la Porte, ayant la main forcée par les
puissances européennes, promettait d'entreprendre les ré-
formes si longtemps attendues, C’est alors que les premiers
meurtres en ‘masse eurent lieu à Trébizonde. L’attaque se
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
141
limita presque exclusivement à la population arménienne. A
Marash, les trois écoles de la mission américaine furent pil-
lées, l’une d’elles brûlée, mais les bâtiments du collège des
filles, où résidaient les Américains, ne furent point détruits.
A Harpout, huit bâtiments de la mission furent brûlés, mais
les vies des Américains furent épargnées.
Quant à la méthode, elle a été uniforme, consistant à tuer,
dans un temps limité, un aussi grand nombre d’Arméniens
que possible et à réduire leurs familles à la mendicité.
On a choisi, pour ces meurtres, les heures des affaires, et,
lorsque la peur faisait fermer aux Arméniens leurs magasins,
les autorités locales induisaient par de fausses promesses les
infortunés négociants à rouvrir leurs bureaux. A peu près
partout, les musulmans ont commencé par une attaque si-
multanée contre les marchés, immédiatement après la prière
de midi, faisant main basse sur tous les patrons et leurs
commis ! A Diarbékir, non contents de tuer et de piller, ils
ont brûlé les magasins. A Erzeroum et Sivas, ils se sont
abattus sur un grand nombre d’autres maisons. Il faut re-
marquer que la chose s’exécutait avec un certain ordre. Le
commencement et la fin de l’horrible besogne se faisaient sur
un signal que donnait le cor de chasse. Après le mas-
sacre, on contraignait les parents des victimes à enterrer les
cadavres. A Erzeroum, cinq cents, et à Sivas, huit cents ca-
davres nus et mutilés ont été ainsi traînés dans les cime-
tières et déposés dans une fosse commune. On estime le
nombre des victimes, dans les six provinces, de vingt-cinq à
quarante mille. Un correspondant très bien informé insiste
sur la marche systématique des massacres.
D’après le plan de réforme dressé sur le papier, les
charges civiles, les emplois de juges et de directeurs de la
police devaient être répartis, dans les six provinces, entre
mahométans et chrétiens, au prorata de la population de
chaque localité. C’était là « la pilule amère » que ne pou-
vaient avaler ces Turcs mahométans qui avaient tenu pen-
dant six siècles les Arméniens sous leur verge de fer. Le re-
JOURNAL DES MISSIONS ANGÉLIQUES
142
mède a été vite trouvé, et aussitôt appliqué : réduire partout
le nombre des Arméniens* eu massacrant tous ceux qui pou-
vaient prendre quelque part à la reconstitution sociale pro-
mise, et liyrer les autres à la mort par la misère et le froid.
p Ce qu’il y a de plus horrible, dit Je correspondant laïque
de la Missionary Review de février 1896, c’pst que ces atro-
cités n’ont pas été accomplies par une troupe de bandits,
mais sur l’ordre 4U sqltan. Je le déclare hautement, en
m’appuyant sur les preuves les plus abondantes, et je vou-
drais que mon accusation fût aussi retentissante que pos-
sible, & la lionte du sultan iV^dulrHamid II. Il est reconnu
aujour4’bui» par ceux qui ont voix au chapitre, que c’est le
sultan qui a ordonné aux étudiants softas (de ^larsovan)
d’accomplir leurs actes atroces de fanatisme. — On parle de
six mille victimes dp la boucherie du mois d’août. — C’est
lui qui a poussé les Kurdes à se jeter sur les provinces de
l’Ouest. Non content de cela, U a récompensé par des faveurs
en argent et par des positions gouvernementales les bour-
reaux, qui s’en sont vantés, lorsqu’il a envoyé à Erzproum
Shakir-Pacha comme commissaire impérial, chargé d’exécuter
les réformes, aussitôt deux horribles massacres s’y sont ac-
complis sous ses yeux et de son aveu. Après cela, qu’il y ait
encore des gens disposés à exalter l’humanité de celui qui
ose s’appeler « l’ombre du Dieu de la terre a , c’est lepr af-
faire! Quant à nous, dit le correspondant, il nous semble
parfois que Dieu nous ait abandonnés et qu’il ait détourné sa
face de ce pays. L’histoire des derniers mQis est une igno-
minie pour notre siècle et uue tache sur le nom 4e l’Eurppp*
Les horreurs et les souffrances que nous ayons eues sous les
yeux sont sans parallèle dans l’histoire. »
A ces faits atroces il fait bon opposer la fidélité dos mar-
tyrs et la foi des survivants* Quant aux martyrs, Jp temps
n’est pas encore venu de dresser leurs « aptes authentiques».
Nous nous contentons des dix-neuf noms de pasteurs protes-
tants massacrés, que nous publierons prochainement d’après
le Chrisfiqn.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
U3
Mais il est un autre fait qui reste acquis à l’histoire 4e l’É-
glise, c’est que, par la grâce de Dieu, la fidélité à toute épreuve
des missionnaires américains placés au sein du danger a été
absolue. Nous sommes obligé de nous borner, et de nous
contenter de quelques citation^. « Il y a trois ans, écrit W.
A. Farnsworth de Césarée, je me sentais déjà comme sur
une poudrière ; les explosions, longtemps retardées,, ont enfin
éclaté, et ont dépassé toutes nos craintes. Ceux qui ne re-
gardent les missionnaires que comme des citoyens améri-
cains disent bien à leur aise : « Il faut qu’ils fuient comme on
« quitte une maison en feu. >> fit certes la question est diffi-
cile, quand il s'agit de la vie de pqs enfants. Ma fille, avec
ses cinq petits enfants, a été pendant des semaines sous la
menace des attaques de$ hordes de meurtriers. Devait-elle,
avec ses chers enfants, aller se placer au loin sous la protec-
tion de la bannière rayée et étoilée des États-jJpis? Çqmbien
je suis heureux qu’elle ne m’ait pas posé la question, mais se
soit adressée directement au Maître, qui l’a placée pù elle est.
J’ai la confiance qu’il la rendra capable de répondre de la
bonne paapière. Ni elle ni aucun autre missionnaire, que je
sache, n’a eu un instant de doute sur ce point. »
« Nous continuons, écrit dé Schwjfàt la collaboratrice de
miss Procter, à poursuivre notre œuvre cpmme auparavant;
nous nous sentons entré les ipains de notre Dieu tpqt puis-
sant, qui nous gardera et nous digéra, un ipoment après
l’autre. Cje n’est pas au berger de s’enfuir au premier signal
de danger et d’abandonner ses Jjrebis. Du respe, les Euro-
péens ne sont pas plus exposés que les autres, à l’heure pré-
sente, et le danger est àfissi bien pour les phrétiens syriens
que pour nous. IJ y a eq dfi? nouvelles fausses, des exagéra-
tions. Pans le Liban, il y a fort peu de piusujmans, et la po-
pulation est drpse et phpétienne, de sorfe que la Palestine
est bien plus exposée que la Syrie. »
« Y a-t-il jamais eu un temps, éprit un autre, où les mis-
sionnaires ajent pu faire autant de bien au peuple effrayé,
affligé, désespéré, pour lequel leur simple présence est pne
iU
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
consolation et une protection ? Prenez Talas, faubourg de Cé-
sarée : ici, aucun massacre n’a eu lieu ; mais la terreur a été
telle que soixante femmes se sont réfugiées dans la maison
des missionnaires et ÿ travaillent maintenant à fabriquer les
vêtements pour les villageois du voisinage, que les brigands
ont laissé presque nus. Près d’elles, deux dames américaines
continuent leur œuvre éducatrice au milieu des soixante
jeunes filles du pensionnat missionnaire. Que deviendraient
ces brebis perdues si les missionnaires avaient fui à la vue
du cyclone? Elles ont agi avec sagesse en restant à leur
poste. Nous dirons la même chose de la brave miss Brower,
de Sivas, qui a si noblement arraché à la populace une
femme arménienne ; de miss Coffîng, à ïladjin, de madame
Mongommery et de miss Webb, de même que de leur coura-
geuse compagne en Mésopotamie.
« S’il est plus sage, même pour ces femmes isolées, même
pour ces mères de famille, de demeurer au poste, certes
la question ne se pose même pas pour les missionnaires
hommes. C’est en temps de guerre qu’une nation montre
ce que vaut son patriotisme, et c’est à l’heure de la persécu-
tion que les missionnaires prouvent et ont prouvé quelle
est leur véritable valeur. Prenez, par exemple, l’un des
plus jeunes, M. Wingate : lui et miss Burrage étaient seuls à
Césarée dans la terrible journée du 30 novembre. Une lettre
particulière lui rend le témoignage suivant : « Il a sauvé plu-
sieurs vies, il a accompli noblement sa tâche, et l’expérience
de sa conduite lui a valu auprès de plusieurs un crédit im-
mense. Il vint, accompagné d’un officier de police, à Zab-
tieh pour réclamer, dans une maison turque, une fian-
cée et la fille d’une famille de son voisinage, enlevées pen-
dant les troubles, et les obtint l’une et l’autre. » Ces faits ap-
partiennent à l’histoire, et si nos missionnaires peuvent rester
dans le pays (à cet égard mes seules craintes viennent du côté
de la Russie), une belle page s’ouvre pour leur activité future.
On estime tous les Arméniens de l’empire à deux millions et
demi, qui seront désormais plus disposés que jamais à ac-
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
145
cepter les messagers de l’Évangile. Que tous les amis de
l’humanité assistent la Société de Ja Croix Rouge dans son
œuvre généreuse. » (On sait que, contrairement aux espé-
rances du rédacteur de la lettre, le sultan aurait refusé de
laisser intervenir la Société de la Croix Rouge ; mais plu-
sieurs espèrent que l’énergie de mademoiselle Barton, qui se
rend à Constantinople, parviendra à triompher des résis-
tances des autorités.)
Le Dr Barnum, missionnaire d'Harpout, écrivait, peu de
temps avant les massacres : « Quoi qu’il arrive, nous sommes
heureux de nous trouver ici. Si le Seigneur permet que nos
vies soient retranchées au milieu de l’émeute, ce sera parce
que le pays pourra être béni davantage par un pareil sacri-
fice que de toute autre manière. Peut-être quelque chose de
ce genre est-il nécessaire et, pour ma part, j’y suis tout pré-
paré. Ce sont des temps difficiles où il faut vivre près de Dieu,
et j’espère que nous le faisons. La population est agitée, mais
nous sommes tranquilles, car nous avons l’assurance qu’en
tout ceci la main de Dieu est à l’œuvre. Il ne permettra pas
que nous commettions quelque grave méprise ».
D’autres lettres respirent la même assurance. Citons celle
de madame Montgommery, qui occupe seule le poste d’A-
dana, sans aucun missionnaire homme près d’elle. Elle écri-
vait à ceux qui la pressaient de quitter la station : « Quoique
nous entendions de tous côtés parler d’affreux massacres et
que nous ne sachions pas ce qui attend notre peuple, cepen-
dant la foi nous assure que tout ceci fait partie des événe-
ments qui préparent la venue du Royaume pour lequel nous
avons tant prié et si longtemps travaillé. Pour ma part, je
considère le fait de me trouver au poste en ce moment
comme un privilège qui couronne ma carrière, et comme la
joie de ma vie : d’abord parce que notre présence a une
grande importance pour ce peuple en détresse et dans l’an-
goisse, ensuite parce que rien ne nous révèle mieux que les
expériences actuelles la réalité de l’action de Dieu dans les
cœurs. Certes, la foi, la charité et l’intelligence spirituelle que
146
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
plusieurs montrent sont manifestement une œuvre divine ».
Le journal missionnaire s’étonne que le gouvernement
américain tolère les obstacles que la Porte oppose à l’établis-
sement des consulats américains d’Erzeroum et de Harpout;
en même temps il se réjouit de voir le corps missionnaire
faire si vaillante contenance et préférer les périls et la mort à
l’abandon de leurs fidèles. lime semble que nous pouvons af-
firmer sans présomption qu’une espérance aussi bien fondée
sur Dieu et ses promesses ne saurait être déçue, et que tant de
souffrances seront bénies et fécondes. On aime à constater,
comme l’a fait une correspondance du Journal de Lausanne
du 4 févier, que même chez les musulmans, de généreux dé-
fenseurs se sont élevés en faveur des missionnaires et des
chrétiens. G. Appia.
BULLETIN MENSUEL DES MISSIONS
Le mouvement des volontaires de la mission.
— L’événement le plus remarquable de cette année, dans
l’ordre des missions, est la grande réunion d’étudiants qui
s’est tenue à Liverpool du 1er au 5 janvier. Cette réunion se
rattache au mouvement, né en Amérique et propagé plus
récemment en Angleterre, et dont l’effet a été de grouper des
deux côtes de l’Océan plus de 5,000 étudiants fermement
résolus à se consacrer aux missions aussitôt leurs études
achevées, et dans la mesure où il sê trouvera des Sociétés ou
des Églises disposées à les envoyer. Nous comptions parler
en détail de ce fait aussi nouveau que réjouissant dans l’his-
toire de l’Église, mais ce sujet a dû céder la place à celui de
l’Arménie, d’un intérêt encore plus urgent.
Une statistique des missions protestantes. —
D’après cette statistique, publiée dans Y Almanach de la grande
Société des missions dite Àmencan board , il existe actuéllë-
BULLETIN MENSUEL DES MlSSl'ONS
147
ment 15i sociétés ou associations de missions protestantes,
employant un chiffre total de 11,574 ouvriers européens, doiit
6,355 hommes. Les stations sont âu nofiibrë de 5,055, les
annexes, de 17,84.3. tl y a 70,033 outriefs indigènes a-ssbciës
au travail des missionnaires. Le chiffre des ttiembres commu-
niants des diverses Églises fondées par la mission se monte
à 1,157,668. Lés dons reçus par lés diverses Sociétés ont été
de 72 millions 209,035 francs. Il faut ajouter que quelques-
unes des sociétés comprises dans cette statistique consacrent
tout ou partiè de leur activité à la mission intérieure.
Un témoignage en faveur des missions. — Les
massacres des missionnaires qui se sont produits en Chine
et les horreurs dont l’Arménie a été le théâtre, ont fourni à
un certain nombre de journaux, Soit en Europe, soit en Amé-
rique, l’ôccâsion de renouveler dés attaques déjà anciennes
contre les missions. Un journal de New-York a publié une
lettre de M. H. S. Maxim, l’ittvënteur du fameux canon de
ce nom, et dans laquelle l’auteur présente les missions comme
une cause de perturbation et un obstacle à la paix. L'amiral
américain Georges Ë. Ëel-Knap à répondu à ces attaques
dans le Journal de Boston , par ün article qui renferme un des
plus beaux témoignages qui aient été rendus aux missions
ces derniers temps. « Lés railleurs et les sceptiques, y lisons-
nous, vous diront que les missions ont échoué et qu’aucun
résultat substantiel n’â été obtenu à la suite des efforts faits
pour évangéliser l’Orient et d’autres contrées. CeS esprits in-
crédules ne voient pas cè qüi, cependant, së passe sous leurs
yeux : les changements, les progrès qui ne cessent de modi-
fier la condition même matérielle de l’univers... Qui sait? Au
moment même où ils décrient l'oeuvré des missions, ils ti-
rent peut-être dans leurs affaires un profit réel de l’œuvre
accomplie et des informations fournies par les missionnaires.
Je l’affirme comme un fait qui ne saurait être contredit par
personne : depuis les empereurs, vice-rois* gouverneurs, ju-
ges, consuls, généraux, ministres, amiraux, marchands, jus-
qu’aux derniers des coolies, il n’est personne en Chine ou au
148
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Japon, dans le Siam ou en Corée, qui ne soit redevable cha-
que jour, pour une bonne part, de sa sécurité et de sa vie,
au travail accompli par les missionnaires. >.•
Un déficit comblé. — L'Église morave a terminé sa
dernière année financière avec un déficit de 143,666 fr. 25
dans sa caisse des missions. Un appel à la prière a été adressé
aux membres de l’Église. Ceux-ci se sont humiliés, ont fait
des sacrifices, et ont réussi, avec le secours des amis que les
missions moraves comptent dans le monde entier, à payer
l’arriéré. En ce moment, l’Église morave demande à ses
soutiens d’augmenter de 200,600 francs ses ressources an-
nuelles pour l’aider à développer son œuvre, notamment
dans l’Afrique orientale et dans le Queensland.
Le Rév. Nathanaël Georges Clark, secrétaire de
Y American Board, la plus ancienne des Sociétés de missions
américaines, vient de mourir, le 4 janvier dernier. 11 avait
débuté dans sa charge en 1866, aux côtés du Dr Rufus An-
derson, et y était resté jusqu’en 1894. Pendant ces longues
années, il avait porté le poids écrasant de la correspondance
et de la direction d’une œuvre qui ne compte pas moins de
20 champs de travail, 102 stations, 187 missionnaires con-
sacrés, 13 missionnaires médecins, 180 femmes missionnaires
non mariées; en tout 572 missionnaires, hommes et femmes.
Le nombre des chrétiens communiants est de 44,413, répartis
entre 461 Églises. Les écoles de la mission sont fréquentées
par 53,615 élèves; et le revenu de la Société pour 1895 s’est
élevé à 3,583,685 francs. C’est principalement au Dr Clark
qu’est due la part de plus en plus grande prise par Y American
Board à l’évangélisation du Japon. Neesima, le patriote chré-
tien japonais, le fondateur bien connu de l’université japo-
naise, la Doshisha, n’eut pas d’ami et de soutien plus fidèle
que le Dr Clark.
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20144.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
149
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
MADAGASCAR
Sur l’océan Indien. — A Tamatave. — Une délibération des mis-
sionnaires de l’Ernyme. — Une importante démarche. — Les
hommes que réclame l’oeuvre de Madagascar.
*
Nous n’avons jusqu’à présent, en ce qui touche Madagascar,
que des sujets de reconnaissance; on en jugera' tout d’abord
par les nouvelles que nous avons reçues de noft délégués.
Ecoutons M. Lauga nous rendre compte de la seco’ilde partie
de la traversée.
A bord de Ylraouaddy, 27 janvier 1896.
« Mon cher directeur,
« Faut-il vraiment, comme me l’a dit mon compagnon de
voyage et ami Krüger, que vous ayez à chacune de nos es-<
cales des nouvelles de nous? Si cela est vrai, il ne l’est pas
moins, paraît-il, que c’est à mon tour de vous donner ces
avril 1896. 11
150
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
nouvelles. Le malheur est seulement que j’aurai tout dit,
quand je vous aurai appris que notre voyage se poursuit dans
les conditions les plus favorables. La mer est décidément
clémente depuis que nous avons touché à Djibouti, et les pro-
nostics quelque peu effrayants qu’on nous avait fait entendre
sur notre entrée dans l’océan Indien ne se sont pas réalisés,
grâce à Dieu. Je dis « grâce à Dieu » parce que j’ai avec vous
la conviction que Dieu dirige les détails aussi bien que l’en-
semble de notre vie, et qu’il lui a plu, dans nos circonstances
particulières, de se montrer miséricordieux en nous favorisant
d’un temps tout à fait exceptionnel, nous assurent les hommes
compétents du bord, et qu’ils attribuent, eux, à cette triste
divinité du Hasard, la seule, hélas! que semblent connaître
nos co-passagers. Oui! c’est la bonté de notre Père céleste
qui nous a épargné jusqu’ici les petits comme les grands
déboires d’une mauvaise traversée, et, quoi qu’il nous réserve
dans l’avenir, nous l’en remercions du fond du cœur.
« Nous l’avons fait aussi dans le second service religieux que
nous avons célébré hier avec dix passagers protestants, dans
le fumoir des premières que, sur ma demande, le comman-
dant et l’aimable commissaire du bord ont mis gracieusement
à notre disposition. C’est la première fois, paraît-il, qu’on cé-
lèbre un service religieux à bord d’un paquebot des Messa-
geries, et quelques colons fanatiques de Maurice et de
Bourbon s’en sont plaints, nous dit-on, comme d’une provo-
cation, malgré le caractère tout intime de ce culte.
« Vous connaissez par expérience la monotonie de la vie
de bord et je n’ai que faire de vous en parler. Aussi bien cette
monotonie a-t-elle été agréablement rompue par nos diffé-
rentes escales à Port-Saïd, Djibouti et Aden, qui nous ont
jetés en quelques jours dans cette civilisation orientale, si
différente de la nôtre et que, en ce qui me concerne, je voyais
pour la première fois, vous jugez avec quel intérêt. Si seule-
ment, à côté de cet attrait du nouveau, nous retrouvons à
Zanzibar, où nous allons toucher demain, la jouissance spi-
rituelle que nous a procurée notre visite à la Mission médi-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
151
cale d’Aden, dont Krüger a entretenu vos lecteurs (1), nous es-
timerons ne pas l’avoir payée trop cher par six longs jours de
cette vie d’inaction, bien énervante pour certaines natures. Se
trouver, au premier contact avec des hommes qu'on n’avait
jamais vus, en pleine communion d’esprit; sentir son cœur
vibrer d’un même amour dans une même foi! c’est bien l’un
des plus précieux privilèges d’un vrai christianisme, et ce
privilège, les courageux docteurs Young et Millar nous l’ont
fait expérimenter une fois de plus. Douce compensation à
l’épreuve de la séparation que, du reste, nous avaient appor-
tée déjà toutes ces lettres et messages télégraphiques d'amis
connus et inconnus que nous avons reçus au moment même
où notre paquebot s’ébranlait pour se lancer sur des flots uq.
peu trop agités au gré du plus grand nombre. Qu’ils reçoi-
vent ici l’expression de notre chaleureuse reconnaissance
tous ces amis qui, des quatre points cardinaux de notre chère
patrie, ont tenu à nous dire une fois de plus qu’ils étaient
avec nous par le cœur et la prière. Leurs vœux nous ont pro-
fondément touchés et réconfortés et, en les remerciant cor-
dialement, nous osons leur demander par votre entremise de
nous continuer leurs sympathies et leurs prières pour une
œuvre qui est la leur, puisqu’elle est, par la grâce de Dieu,
celle de toutes nos Églises protestantes de France ! Encore un
peu plus de huit jours et, Dieu voulant, nous toucherons le
sol désormais français de Madagascar. Que Dieu y réalise pour
nous tous, et à sa gloire, la belle promesse du Psaume 121,
verset 8.
« Recevez, mon cher ami, pour vous et pour tout votre en-
tourage, les salutations chrétiennes bien affectueuses de vos
•deux vieux amis tout à vous de cœur
« H. Lauga. »
*
* *
Peu de jours après la lettre que l’on vient de lire, un autre
(1) Voir à la fin de cette livraison, page 193, l’intéressant article de
AI. Krüger intitulé : Cheikh Othman.
152
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
courrier nous apportait la nouvelle de l'arrivée à Tamatave
de nos délégués, et de leur départ presque immédiat pour
Tananarive. On sait que ce séjour sur la côte nous préoccu-
pait; nous avions été avertis qu’à cette époque de l’année
tout spécialement il offre un sérieux danger. Aussi avons-
nous fait ce qui dépend de nous pour l’abréger. Grâce à un
télégramme envoyé par les soins d’un ami, M. W. Thompson,
des porteurs ont été envoyés de Tananarive à nos voyageurs,
qui ont pu ainsi partir sans aucun retard pour la capitale.
Ecoutons M. Krüger nous rendre compte de cet incident si
intéressant du voyage :
Tamatave, le 5 février 1896.
« Notre séjour à bord de l 'Iraouaddy a pris fin aujourd’hui.
La première nouvelle que nous avons eue ce matin à bord,
par le commis que M. Ch. Bang a envoyé à notre rencontre,
c’est que nos porteurs commandés à Tananarive n’étaient pas
encore venus, et qu’il y avait peu d’espoir qu’il en vînt, que
les compagnons de M. Laroche, arrivés au commencement
du mois, n’avaient réussi à partir que samedi dernier, qu’il
y avait des troubles dans le pays, qu’un chef de fahavalos
avait été fusillé hier à Tamatave. Notre compagnon de voyage,
M. Geldard, négociant ici depuis douze ans, ainsi que l'évêque
anglican nous dit que nous en avions, dans ces circonstances,
pour un mois de séjour à Tamatave.
« Je ne sais ce que pensait mon ami Lauga, j’avoue que je
fus un peu déçu d’avoir beaucoup espéré.
« Nos colis furent embarqués dans un canot; l’évêque de-
manda à profiter de la même embarcation. A moitié chemin
entre le paquebot et la plage de Tamatave, nous croisons un
autre canot qui portait un missionnaire à la rencontre de son
évêque. On s’accoste, et nous apprenons par cette occasion
que vingt-six porteurs venaient d’arriver pour nous de Tana-
narive. Voilà comment il ne faut jamais douter de la bonté de
Dieu.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
153
« Tout n’est pas encore gagné; nous tâcherons d’organiser
notre convoi demain matin et de partir dans l’après-midi; et
idéjà M. Bang nous dit qu’il ne faut pas compter sur tous nos
hommes. On en demande tant que l’un ou l’autre pourrait
bien se laisser débaucher. Il nous dit aussi que les prix sont
presque doublés, vu l’afïluence énorme d’étrangers. J’ajou-
terai un mot demain pour vous dire comment nous aurons
réussi à partir.
« La chaleur est lourde et humide. Le thermomètre marque
33° à l'ombre. J’écris dans le magasin de M. Bang. Dans les
rues circulent tous les types de la création : Malgaches du
jaune au noir, Annamites, Indous, tirailleurs algériens et
haoussas, Européens, la plupart à pied comme de simples
mortels, quelques-uns à mulet, d’autres en filanzanes. Il y a
ici d’admirables papillons noir et azur qu’on prendrait pour
des oiseaux. Au-delà de la rue, une végétation merveilleuse,
une floraison multicolore s’épanouissent dans le jardin du
voisin.
« F. H. Kruger. »
« P. S . — Les vingt-six hommes sont là, les colis sont dis-
tribués, nous partons vers quatre heures. Que l’Éternel aille
devant nous!
« F. H. K. »
*
* *
Tandis que nos délégués s’acheminent ainsi vers le but de
leur voyage, il semble que Dieu les y devance et prépare les
esprits et les cœurs à l’œuvre qu’ils vont accomplir. Nous
apprenons en effet que le 16 janvier, la conférence des mis-
sionnaires de la Société de Londres établis dans l’Emyrne
a adopté des décisions qui faciliteront singulièrement l’en-
quête de nos envoyés. Ils ont émis et envoyé à leurs directeurs
454
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
■ — —
*
le vœu que ceux-ci se mettent en rapport avec la Société des
Missions de Paris, de manière à faciliter l’intervention du
protestantisme français à Madagascar. Leur préoccupation se
porte surtout sur la nécessité d’introduire le français dans les
grandes écoles existantes. Ils motivent ce vœu par la néces-
sité de montrer aux Malgaches que l’on peut être à la fois bon
Français et protestant, et de détruire ainsi un malentendu
que les adversaires de l’Évangile ne cessent d’entretenir et
d’exploiter. En terminant ils expriment l’espoir que l’année
ne se terminera pas sans que Madagascar ait reçu la visite de
missionnaires protestants français.
*
* *
Si de Madagascar nous revenons aux événements qui se
passent sous nos yeux, nous sommes heureux de pouvoir
constater des faits tout aussi encourageants. Nous avons
mentionné, il y a un mois, la démarche que M. Munthe-
Kaas a faite, au nom de la mission norvégienne, auprès du
ministre des colonies. La Société de Londres, qui avait eu,
dès la fin de l’année dernière, la pensée d’une démarche du
même genre, et la Société des Amis ou Quakers, ont tenu à
veair à leur tour donner à notre gouvernement l’assurance
du zèle qu’elles mettraient l’une et l’autre à adapter leur
action aux conditions nouvelles où elle est appelée à s’exercer
désormais. Le 11 mars, une députation composée, pour la
Société de Londres, de M. R. Wardlaw Thompson, secrétaire;
de M. Cousins, missionnaire à Madagascar, et de M. Arthur
Marshall, membre du Conseil directeur; et, pour la Société des
Amis, de M. Watson Grâce, secrétaire; de M. le Dr S. Backwell
Fenn, directeur de l’hôpital protestant de Tananarive; et de
M. Crosfield (1), a été présentée au ministre des colonies par
(!) Le père de M. Crosfield s’est acquis des droits à notre reconnais-»
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
155
le chargé d’affaires de l’ambassade anglaise et l’a entretenu de
l’œuvre faite parles deux Sociétés à Madagascar. Les commu-
nications faites au ministre avaient été au préalable rédigées
et traduites en français; des exemplaires imprimés de ces
deux notes nous ont été communiqués; nous y trouvons les
déclarations les plus satisfaisantes. Les deux Sociétés affir-
ment leur intention de développer, dans la mesure du pos-
sible, l’enseignement du français dans leurs écoles supé-
rieures; elles donnent aussi l’une et l’autre l’assurance de
leur vif désir de travailler à leur œuvre pacifique en pleine
harmonie avec le nouvel ordre de choses cordialement
accepté; l’une et l’autre enfin témoignent de la reconnais-
sance inspirée aux missionnaires et à leurs directeurs par
l’attitude bienveillante du général Duchesne et de M. La-
roche.
Voici, du reste, quelques lignes empruntées à chacun des
deux documents. La note de la Société de Londres se termine
ainsi : a Les directeurs ont la conviction que le gouvernement
ne saurait trouver à Madagascar aucune partie de la popula-
tion qui soit plus intelligente et plus amie du progrès que
celle qui se trouve placée sous les soins des missionnaires de
la Société de Londres, ni aucun agent européen plus sincè-
rement désireux de servir de tout son pouvoir les intérêts
supérieurs du peuple, en mettant de côté tout autre motif,
que ne le sont les missionnaires de la Société des Missions de
Londres. »
Voici, d'autre part, comment conclut la Société des Amis :
elle assure le gouvernement a que tous ses efforts tendront,
dans l’avenir comme dans le passé, à la diffusion du christia-
nisme et de la civilisation du peuple. En ce qui concerne l’é-
ducation, sa ferme intention est, dans la mesure du possible,
de faire à l’enseignement de la langue française la place qui
lui revient dans les grandes écoles. Elle a l’espoir que sous
sance de Français ; c’est lui qui introduisit à Paris le premier convoi de
vivres envoyé à la ville affamée par les Quakers après la capitulation.
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
un gouvernement bon, sage et bienveillant, le vrai progrès et
les intérêts supérieurs du peuple de Madagascar seront assurés
et pourront se développer d’une manière constante (1) ».
%
* *
Il ne nous reste, comme conclusion de cet article, qu’à
rappeler et à recommander à nos amis la question des hommes
qu’il faudra pour Madagascar (2), et qui bientôt, sans doute,
nous seront demandés. Nous le répétons, ce que l’œuvre
exige, ce sont des hommes très capables et animés d’un es-
prit véritablement chrétien et missionnaire. Il serait déplo-
rable que, nous trouvant en présence d'un gouvernement
bienveillant, de Sociétés des Missions toutes prêtes à faire
place à l’enseignement de notre langue, notre protestantisme
se trouvât hors d’état de fournir les hommes qui lui sont de-
mandés.
NOTES DO MOIS
Il est encore impossible, à la date où nous écrivons (le
25 mars), de dire comment se terminera notre année finan-
cière. A l’heure actuelle, il nous reste à recevoir 58,000 francs
pour atteindre, avant le 1er avril, le chiffre prévu des dépenses
(1) Dans la soirée du li mars, le président et les vice-présidents de
la Société se trouvant empêchés, un membre du Comité a fourni à un
certain nombre de ses collègues, de membres de la Société centrale et
d’autres personnalités protestantes l’occasion de se rencontrer avec les
délégués. L’entretien a été aussi intéressant que cordial. Les assistants
ont beaucoup remarqué une déclaration du missionnaire Cousins qui,
parlant au nom de ses collègues aussi bien qu’au sien propre, a déclaré
qu’il considérerait comme un crime de ne pas apporter, par une adhésion
sans réserve, un appui cordial au gouvernement du pays auquel les
événements ont remis le soin de présider aux destinées de Madagascar.
(2) Voir l’article publié sur ce texte dans notre précédente livraison,
page 104.
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qui se monte à 360,000 francs. Hâtons-nous d’ajouter que si
l’on tient compte des rentrées prévues la somme encore man-
quante se trouve notablement diminuée. Cependant telle de
ces rentrées peut faire défaut ou se trouver inférieure à ce
que nous espérons; d’un autre côté, les dépenses effectives
peuvent avoir dépassé nos prévisions; pour toutes ces rai-
sons, bien qu’à six jours de la fin de l’exercice, il ne nous
est pas encore permis d’en préjuger la conclusion.
Telle qu’elle est, la situation est encourageante et propre à
inspirer la reconnaissance. Depuis le 20 février, nous avons
reçu pour l’œuvre générale 74,000 francs. Dans cette somme
rentre le produit de la vente qui, à la fin du deuxième jour,
avait atteint 21,213 fr. 30, soit 615 fr. 35 de plus que l’an der-
nier. Ce chiffre a déjà été augmenté et le sera encore par des
recettes additionnelles. Nous exprimons notre profonde re-
connaissance aux amies dévouées auxquelles est dû ce ré-
sultat. Dans leur nombre nous comptons aussi bien les dames
organisatrices, dont l’effort pendant les jours de la vente est
énorme, que les infatigables travailleuses des réunions de
couture, toujours plus nombreuses, qui envoient à Paris le
produit de leur travail. Il est difficile de ne pas être ému
en voyant affluer à la Maison des missions ces paquets grands
et petits, qui viennent témoigner, chacun à sa manière,
que partout, auprès, au loin, dans les villes, dans les vil-
lages et jusque dans les Églises perdues des Cévennes et des
Pyrénées, on aime les missions, on travaille et on prie pour
elles.
D'autres efforts expliquent le progrès accompli depuis un
mois. Il y a quelques jours, la poste nous remettait trois
lettres. La première venait d’une ville de l’Est et contenait
325 francs, « reliquat, écrivait notre correspondante, de ce
que j’ai dans ma caisse des missions ». La seconde portait le
timbre de Suisse; elle était d’une jeune fille : « Je suis heu-
reuse, écrivait-elle, de pouvoir vous envoyer encore, avant la
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
clôture des comptes, 500 francs que je viens de recevoir.
J’espère tant que vous pourrez, comme l’année dernière, finir
sans déficit. Ce serait si beau » ! Enfin la troisième contenait
ces mots : « J’ai le plaisir de vous envoyer une somme de
10.000 francs en faveur de la Société des missions dont vous
êtes le directeur... Je vous prie seulement de ne pas me
nommer, et de remplacer mon nom par ces mots : Une amie
des missions qui désire garder V anonyme. »
D’autre part, nous avons appris par le journal l 'Église
libre qu’une famille chrétienne s’était engagée à verser à
notre Société une somme de 5,000 francs si d’autres dons ve-
naient s’ajouter au sien en quantité suffisante pour empêcher
le déficit. Dieu veuille, en réponse à ces efforts et aux prières
qui de bien des cœurs montent vers lui, nous accorder une
fin d’exercice telle que nous puissions commencer avec joie
une nouvelle année de travail.
Cette joie ne serait pas complète si les fonds du Zambèze
restaient en souffrance. A l’heure actuelle, ils sont encore de
13.000 francs environ en retard sur l’an dernier. Espérons
que ce n’est là, en effet, qu’un retard et que d’ici à peu de
jours il y sera remédié (i).
Ainsi que nos lecteurs ont pu s’en apercevoir, notre Comité
a demandé à une collecte spéciale, faite par voie de démarches
individuelles, les fonds nécessaires à l’envoi d’une délégation
à Madagascar. La somme demandée est de 20,000 francs; si,
comme nous l’espérons, elle dépasse les frais de voyage et
d’entretien de MM. Lauga et Krüger, le reste sera mis en ré-
serve pour l’œuvre à entreprendre après leur retour. A l’heure
actuelle, les fonds recueillis atteignent le chiffre de 16,000
francs.
(1) Nous apprenons, à la dernière heure, que la vente organisée par la
Zambézia, société de jeunes filles de Vevey, a produit 3,150 francs.
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Comme nous l’avons fait prévoir il y a un mois, la mesure
prise contre la mission romande ne concerne qu’un seul mis-
sionnaire, M. le Dr Liengme, que l’onaccuse d’avoir commis des
imprudences de paroles dans ses relations avec le chef Goun-
gounyané, adversaire du Portugal, et qui devra être trans-
féré dans un autre champ de travail. Ces nouvelles nous ont
été rapportées directement par MM. de Coulon et Paul Ber-
thoud, à leur retour de Lisbonne. Nous avons eu le plaisir de
les voir l’un et l’autre à la Maison des Missiops. M. de Cou-
lon, qui est membre honoraire de notre Comité, a pu assister
à l’une de ses séances et y recevoir l’expression de notre gra-
titude pour tout ce qu’il a fait pour notre Société.
La Mission Romande se prépare à faire un envoi important
de missionnaires. Le 11 avril prochain plusieurs ouvriers doi-
vent s’embarquer à destination de l’Afrique du Sud, ce sont :
M. et madame Henri Berthoud, qui retournent à leur poste
après trois ans de congé; M. et madame Abel de Meuron;
mademoiselle Marguerite de Meuron et mesdemoiselles Pittet
et Jacot. M. et madame Paul Berthoud, M. et madame Eber-
hard et M. madame Borel suivront par un courrier ultérieur.
Mademoiselle Marie \1abille, qui a passé deux ans en France
pour compléter son éducation, repartira également par le
courrier du 11 avril, pour prendre du service dans la mission
du Lessouto.
Le 27 février, M. et madame Allégret, qui se trouvent actuel-
lement à la Maison des Missions, ont été réjouis par la nais-
sance d’un second fils qui a reçu le nom d’Éric. La santé de
madame Teisserès laisse toujours à désirer et retardera son
départ et celui de son mari. Celui-ci n’a pas non plus re-
trouvé toutes ses forces; il a dû, se trouvant très fatigué,
interrompre une tournée dans l’Est.
Nous rappelons que notre assemblée générale annuelle
est fixée au 23 avril et aura lieu à la Rédemption, sous la
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présidence de M. J. deSeynes. La réunion familière aura lieu,
comme dordinaire, le dimanche suivant, dans l’après-midi,
à trois heures, à la Maison des Missions. M. Àppia, remis de
la maladie dont nous avons parlé, la présidera. Nous espé-
rons que les missionnaires présents à Paris pourront se faire
entendre dans ces deux réunions.
Nos journaux religieux ont parlé du deuil qui a frappé, à
peu de jours de distance, MM. Léopold et Théodore Monod.
Nous exprimons à ces deux amis notre profonde et respec-
tueuse sympathie. Quand M. Léopold Monod a perdu son fils,
il revenait de la tournée de collectes qu’il a faite en Angle-
terre pour notre mission du Lessouto. Quant à madame Théo-
dore Monod, elle était une de nos fidèles et dévouées collec-
trices du Sou missionnaire à Paris; son intérêt soutenu, sa
présence assidue à nos réunions étaient pour nous un en-
couragement.
ENCORE UN OUVRIER POUR LE CONGO
Une de nos plus lourdes préoccupations vient du petit
nombre des ouvriers que compte actuellement la mission
du Congo. Sans les pertes qui l’ont affaiblie, elle compterait
aujourd’hui treize personnes; après la mort de MM. Donzon
et Jacot elle est manifestement trop peu nombreuse. Aussi
est-ce avec une joie profonde que nous venons annoncer à
nos amis la prochaine entrée en ligne, au Congo français,
d’un nouvel ouvrier, M. Henri Richard, de Villefranche.
C’est le 27 octobre dernier, dans le nouveau temple de Lyon,
que M. Richard entendit l’appel auquel il vient de répondre
avec sa femme. C’était à l’occasion du synode des Églises li-
bres. Une grande réunion de missions avait été convoquée
par le comité auxiliaire de Lyon; le missionnaire Allégret
parla de la mission du Congo; le directeur rappela que ce qui
manque encore plus que l’argent, ce sont les hommes. Cette
pensée s’empara de l’esprit de M. Richard, qui depuis plu-
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sieurs années éprouvait le besoin de se consacrer entièrement
à l’œuvre de Dieu, et peu de jours après nous recevions ses
offres de services. M. Richard se proposait pour Madagascar.
Nous dûmes l’engager à attendre que le rapport de nos dé-
légués nous eût permis de lui dire s’il se trouvait dans la
grande île un poste répondant à ses aptitudes.
Des semaines s’écoulèrent; la mort de M. Jacot, la présence
à Paris des missionnaires Allégret et Teisserès amenèrent le
Comité à étudier à fond les besoins de l’œuvre du Congo. Une
impression de plus en plus nette se fit jour dans nos esprits;
parmi les nombreux ouvriers que réclame cette œuvre, — elle
n’exige, nous affirment nos missionnaires, pas moins de trois
missionnaires par station, sans parler d’un quatrième en congé,
— il faut faire une large place à l’élément laïque. En particu-
lier, il faut que nos missionnaires puissent être déchargés ,
dans la mesure du possible, de la partie 'matérielle de leur
travail, des échanges, delà tenue des magasins, de la corres-
pondance et de la comptabilité qui s’y rattachent , des états
de situation qu’il faut dresser pour se rendre compte du travail
de la scierie, etc., etc. Et nous nous disions qu’un agent laïque,
pouvant leur rendre ces divers services, serait, entre tous, le
bienvenu.
Or, justement à ce moment, M. Richard vint à Paris. A
notre grande surprise, il ne nous parla plus de Madagascar,
mais du Congo. De lui-même, en lisant notre dernier Rapport
annuel, il en était venu à l’idée qu’il manquait à la mission
un rouage comme celui que nous venons de décrire, et qu’il
pourrait être ce rouage. On juge de notre satisfaction et de
notre reconnaissance. Après 1 enquête et les pourparlers in-
dispensables, M. Richard fut agréé.
M. Richard quitte, pour aller en mission, une position lu-
crative de commissionnaire et de représentant de diverses
maisons de commerce. Sa situation était en voie de s’amé-
liorer. Il part joyeusement, n’ayant depuis des années qu’un
désir, s’employer directement et sans partage à l’œuvre de
Dieu. Sa femme partage entièrement ses sentiments. Ils n’ont
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pas d'enfants et sont en mesure de partir dans le mois de mai,
avec M. Allégret. Ajoutons qu’ils ont tenu à prendre à leur
charge tous leurs frais d’équipement.
Il y a un peu moins d’un an nous parlions de notre disette
d’hommes, et nous répétions la parole de Notre Seigneur : Il
y a peu d'ouvriers ! Et depuis lors, nous avons successivement
vu venir à nous M. et madame Mercier, M. Bolle, M. F. Faure,
M. et madame Huguenin, M. et madame Richard, — huit ou-
vriers sur lesquels nous ne pouvions absolument pas compter,
qui nous ont été donnés les uns après les autres, et qui, d’ici
peu, seront tous en ligne!
Oui, notre Dieu exauce la prière. Continuons à lui exposer
tous nos besoins; il y répondra a selon ses richesses, avec
gloire ».
UNE FÊTE MISSIONNAIRE A RÉALVILLE
(Tarn-et Garonne).
L’Église de Réalville avait, le 26 février dernier, le privi-
lège, trop rare dans nos paroisses de campagne, d’assister à
l’une de ces fêtes qui laissent une trace bénie dans les cœurs
et y font naître, mieux que tous les discours, un ardent intérêt
pour l’œuvre poursuivie en pays païens par nos chers mis-
sionnaires. Le grand attrait de la journée, fort bien organisée
par M. le pasteur Diény, c’était la présence de M. Teisserès,
qu’entouraient plusieurs pasteurs de Montauban ou des envi-
rons et un certain nombre d’étudiants amis des Missions.
Dans l’après-midi, malgré la difficulté qu’éprouvent ordinai-
rement nos paysans à s’arracher de leurs travaux un jour de
semaine, un nombreux auditoire, dont les Églises voisines,
Albias, Bioule, Négrepelisse et Caussade, formaient une partie,
se pressait dans le temple. M. le pasteur Louis Lafon, de
Montauban, qui présidait, nous a montré, dans une rapide
introduction à Y Histoire des missions contemporaines, l’exis-
tence de l’esprit missionnaire et des missions elles-mêmes
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depuis Jésus-Christ et dès les premiers siècles de l’Église, et
le commandement du Christ : « Allez et instruisez toutes les
nations... >:■ servant de mot d’ordre aux apôtres de l’ancienne
Europe, de la Gaule surtout, pour soumettre, par la puis-
sance du Saint-Esprit, les païens d’alors à l’Évangile de Jésus.
Et de ces faits se dégageait un enseignement que M. Lafon a
mis en lumière en terminant : ce que l’Église a toujours con-
sidéré comme son devoir, c’est son devoir aujourd’hui encore.
Avec M. D. Benoit, nous avons parcouru ensuite, à grands
pas, l’histoire d’une de nos missions françaises, populaire
entre toutes, mais sûrement nouvelle pour plus d’un audi-
teur, la mission parmi les Bassoutos. Dans une allocution
toute vibrante d’émotion, l’historien des pasteurs et des mar-
tyrs du désert nous a montré, dans ce Lessouto dont il nous
a poétiquement décrit les beautés, les progrès et les diffi-
cultés de l’œuvre des Casalis et des Arbousset. L’heure était
déjà avancée quand M. Teisserès a pris la parole. Après nous
avoir raconté la courte histoire de la mission française du
Congo, il est entré dans quelques-uns de ces détails que peut
seul raconter celui qui en a été le témoin et l’ouvrier. Je ne
saurais dire avec quel intérêt l’auditoire tout entier écoutait
ces récits de conversions, lentes et difficiles souvent, mais
complètes, qui sont la joie et le suprême encouragement des
missionnaires.
Le soir, l’auditoire était plus nombreux encore; une séance
de projections allait nous transporter en pleine mission. Pen-
dant une heure M. Teisserès nous a conduit de Talagouga à
Lâmbaréné, dans la forêt ou sur le fleuve, au milieu des
villages païens' ou sur le seuil des maisons de prières. Et nous
nous sommes quittés sous l’impression mélancolique et dou-
loureuse de la dernière de ces vues : le petit cimetière, clos
de planches, où, seule encore, mais semblant en appeler d’au-
tres, se dressait une croix... Impression bienfaisante, plutôt,
car cette croix, c’est ici, non le symbole de la mort, mais celui
de la vie conquise par la croix du Christ et apportée aux païens
par des hommes pour qui mourir c’est vivre encore.
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Dieu veuille que nos Églises gardent de cette belle journée
un intérêt plus grand pour nos missionnaires, pour leur
œuvre et pour toute l’œuvre de Dieu.
Th. Lelièvre.
LESSOUTO
NOUVELLES DIVERSES
Démission de M. Preen. — Nos grandes écoles.
La conférence[des missionnaires du Lessouto a dû se réunir
à Morija dans le cours du mois qui s’achève. Entre autres
questions portées à son ordre du jour, se trouvait la démis-
sion de M. Jean Preen, que la fatigue et une santé diminuée
plus encore que l’âge ont obligé à quitter la direction de
l’Ecole industrielle de Léloaleng. Cette démission, reçue il y
a quelques semaines déjà par le Comité, sera apprise avec re-
gret par tous ceux qui ont été à même d’apprécier la valeur
et l’importance des travaux de M. Preen. Celui-ci est au
service de la Société depuis 1869; il compte donc vingt-
six ans d’activité. Après un court séjour au Sénégal, où il
accompagna, en qualité d’instituteur, MM. Andrauit et Villé-
ger, M. Preen se rendait en 1872 au Lessouto, où il est resté
jusqu’à ce jour. Son activité s’est partagée entre la station de
Matatiélé, dont il fut longtemps chargé, et l’École industrielle,
d’abord établie à Thabana-Morèna, oùM. Germond contribua
beaucoup à sa création, puis installée définitivement à Léloa-
leng, au-delà de l’Orange, où elle a pris, ces dernières années
surtout, un beau développement.
Le Comité a exprimé à M. Preen ses affectueux regrets de
sa retraite, et sa reconnaissance des services qu’il a rendus
à notre œuvre. L’École industrielle a complété l’organisme de
notre enseignement supérieur au Lessouto; elle a été pour les
Bassoutos eux-mêmes d’une utilité qui ne fera que grandir,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
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nous en avons la conviction. M. Edgar Krüger, qui doit suc-
céder à M. Preen comme directeur de l’École, nous écrit :
a Ce sera une lourde charge et je me demande souvent si je
pourrai suffire à la tâche tout seul. Je pense que ce sera
dès après la Conférence que j’aurai à entrer dans mes nou-
velles fonctions. Vous avouerai-je que cette perspective me
fait quelquefois un peu peur? Vous voudrez bien vous souve-
nir de nous dans vos prières... »
L’école elle-même va bien; M. Krüger nous parle de travaux
lucratifs soit de construction, soit de charronnage, qui ont
pu être exécutés parles apprentis, et dont le produit a permis
de faire face à certains frais indispensables sans peser en rien
sur la Société. Nous y reviendrons dans le rapport annuel.
L 3 Ecole normale de Morija vient de remporter un beau
succès aux examens annuels de la Colonie : sur 23 élèves pré-
sentés, 18 ont été admis. Par ce succès, cette institution s’est
placée au troisième rang dans la série très nombreuse des
établissements similaires pour indigènes de toute l’Afrique
du Sud. Il y a lieu de bénir Dieu de ce beau succès et aussi
d’en féliciter le directeur de l’Ecole, M. Dyke qui, par son
énergie et sa persévérance, contribue puissamment à maintenir
notre mission à la hauteur où elle doit rester au point de vue
de l’éducation, pour conserver son action sur la marche
païenne et maintenir ses positions vis-à-vis du catholicisme
et du ritualisme. Rappelons que l’École normale compte plus
de 100 élèves.
L "Ecole de jeunes filles de Thaba-Bossiou , confiée aux soins
de mesdemoiselles Cochet et E. Jacot, continue de son côté
son travail de bonne éducation chrétienne. Elle possède ac-
tuellement 33 élèves. Le Petit Messager du mois prochain
contiendra sur cette école des détails d’autant plus intéres-
sants que nous sommes restés assez longtemps sans pouvoir
en donner des nouvelles.
Il en est de même de YÊcole théologique qui, des mains de
M. Dieterlen, a passé, comme nous l’avons expliqué antérieu-
12
166
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
rement, à celles de M. Jacottet. Les cinq élèves qu’elle
compte viennent de terminer leur cycle d’études. M. Jacottet
nous promet à leur sujet, pour ce journal, un rapport qui
sera le bienvenu. Nous espérons aussi en recevoir un sur
l’ Ecole biblique que dirige M. Alfred Casalis et dont nos lec-
teurs n’ont pas entendu parler depuis bien des mois. Voici,
en attendant ce rapport, quelques détails : « L’école compte
actuellement 56 élèves. Six jeunes gens l’ont quittée récem-
ment pour aller occuper des postes d’évangélistes au Lessouto
et au Transvaal. Les six catéchistes sortis de l’École biblique
pour aller au Zambèze continuent leur œuvre avec zèle et
courage, et sont bien secondés par leurs femmes. Leurs
lettres montrent que leur œuvre leur est chère et qu’ils la
font avec amour. »
AUX APPROCHES DU DÉPART
Lettre de M . Christol.
Hermon, ler janvier 1896.
Bien cher monsieur,
Si l’on a fait des études intéressantes sur le jour de l’an
chez les Japonais, on n’aura certainement pas la même bonne
fortune dans ce pays. Ce jour y ressemble étonnamment à un
autre jour. Au moment où je vous écris, il y a sans doute du
bruit sur les boulevards de Paris ; ici, pas le moindre écho
de la boutique à treize sous, pas seulement le plus petit cri
de joie annonçant qu’un polichinelle ou un jeu de quilles est
dans les bras d’un petit garçon, ou une poupée sur le cœur
d’une fillette.
A la station même, on bat le blé ; là-bas on le coupe ; plus
loin, des gens sarclent leur champ, tandis que d'autres vont
en course. N’allez pas supposer au moins que ceux-ci vont
faire des visites de jour de l’an ou déposer leur carte chez des
personnages officiels, vous vous tromperiez tout à fait. L’un va
peut-être tout bonnement voir si sa vache a un veau, tandis
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que l’autre va donner un coup d’œil à son champ d’avoine ou
est à la recherche de ses moutons échappés la nuit der-
nière...
Un de nos amis, Ralabané, nous disait ce matin que beau-
coup d’indigènes ne croient pas au « nouvel an », et disent,
sans y aller par quatre chemins : « Ké papadi féela ! » — c’est
une chose de rien !
Il est de fait qu’à l’œil nu hier ressemble à aujourd’hui;
quant au soleil il est tout aussi brûlant aujourd’hui qu'hier.
Aussi, quoi d’étonnant si nos amis les Eassoutos n’y compren-
nent rien et raisonnent un peu comme notre petit Gabriel,
auquel sa maman apprenait la venue de la nouvelle année et
qui disait : « Alors il y aura quoi? »
Nous avons eu, comme les années précédentes, une réu-
nion de longue-veille dans la nuit; il y avait beaucoup de
monde, car ce service est très aimé de nos chrétiens d’Her-
mon ; puis, chose rare dans cette saison pluvieuse, nous
avons eu très beau temps, et, par dessus le marché, un ma-
gnifique clair de lune. Cette dernière est chargée ici, comme
du reste un peu partout en Afrique, de l’éclairage public,
mais rarement elle s’en acquitte aussi bien que la nuit der-
nière.
L’éclairage intérieur de l’église était aussi fort brillant et
bien plus lumineux que d’ordinaire : il faut bien marcher
avec son siècle! Nous avions allumé notre lampe à une extré-
mité de la chapelle, tandis qu’à l’opposé nous avions installé
une*douzaine de bougies; aussi on voyait très bien partout, à
part au centre et sur les côtés.
La réunion a très bien marché ; on était recueilli et ému ;
certains chants paraissaient solennels à ce moment, surtout
l’un des plus beaux de notre recueil, écrit par M. Goillard, sur
un air exquis de Palestrina :
Yo ! ho phéla ha rona keng ?...
« Oh! qu’est-ce que notre vie, la jeunesse et la force? C’est
un rêve qui nous saisit, c’est un simple brouillard. »
168
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Ce moment est grave aussi pour nous. Dans quelques se-
maines nous devons faire nos préparatifs de départ pour la
France, et cela pour plusieurs raisons : nos aînés doivent en-
fin commencer sérieusement leur éducation, et puis, après
quatorze ans de séjour au Lessouto, on a besoin de rentrer
quelque peu dans la vie civilisée, car le fardeau d’une Église
comme celle qui nous est confiée, joint aux difficultés de la vie
particulière à la contrée, moins grandes qu'au Congo et au
Zambèze, cela va sans dire, mais qui n’en existent pas moins
et font sentir leur poids avec les années, rendent ce départ
absolument nécessaire.
De l’autre côté, nous nous sentons tristes, ma femme et
moi, de quitter le Lessouto. J’ai beau m’en blâmer sérieuse-
ment et trouver cela indigne d’un Parisien, la chose est ainsi.
Nous aurons cependant la joie de revoir notre fils aîné, en
France depuis plus de deux ans, des parents et des amis
fidèles dont l’affection nous a été précieuse; mais, tout de
même, la pensée qu’il nous faudra partir d’ici déjà dans le
courant de mars, nous peine véritablement beaucoup. Le
pays n’est pas précisément beau, il n’a rien d’agreste ou de
pittoresque qui le rende attrayant, il n’a même pas, àHermon,
le moindre cachet africain, mais tant d’amis noirs nous le
font aimer, et tant d’épreuves partagées ensemble nous y at-
tachent!
Voilà huit ans que nous sommes à Hermon, remplaçant
nos amis Dieterlen appelés à un autre poste. L’œuvre à la-
quelle ils avaient tant travaillé a progressé et suivi un déve-
loppement réjouissant.
Les écoles, branche de l’œuvre missionnaire à laquelle je
me suis toujours vivement intéressé, ont grandi sensible-
ment, sinon en science, du moins en nombre. Elles comptaient
à notre arrivée environ 380 élèves pour le district tout en-
tier; aujourd’hui elles ont 973 écoliers.
A la même époque, les membres de l’Église s’élevaient au
chiffre de 588 qui, cette année, atteint celui de 1,061. Les ca-
téchumènes ont aussi progressé dans la même proportion.
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Les collectes ont suivi un mouvement analogue : il y a six
ans, nous avions de la peine à arriver à la somme de 2,000 fr.,
tandis que celle de l'exercice qui vient de clore hier dépasse
le chiffre de 5,100 francs. Aussi avons-nous pu donner der-
nièrement la somme de 1,550 francs pour l’évangélisation du
Lessouto, sans parler d’une petite contribution à celle du
Zambèze.
La masse païenne nous entoure encore et le paganisme en-
serre nos chrétiens chez lesquels il y a beaucoup à corriger,
à purifier et à perfectionner; mais néanmoins ces faits indi-
quent une réelle vitalité, dont nous avons lieu de bénir Dieu,
en lui disant avec le sentiment de nos faiblesses et de nos né-
gligences : « Tout ce que nous faisons, c’est Toi qui l’accom-
plis pour nous» (Ésaïe, 26, 12).
Excusez la longueur de ces détails qu’il m’a paru intéres-
sant de vous citer.
Veuillez, cher monsieur, recevoir nos vœux pour madame
Boegner, vous-même et tous les habitants de la Maison des
missions, avec nos salutations bien cordiales.
Votre tout dévoué dans le Sauveur.
Fréd. Christol.
— * ■ S tSS1 ~B
ZAMBÈZE
EN QUITTANT LE ZAMBÈZE
Lettre de M. Coillard.
Kazungula, 12 décembre 1895.
Mon bien cher frère monsieur Boegner,
D’autres vous auront écrit à mon sujet. Mais quoi qu’il m’en
coûte, et bien que la plume tremble dans ma main, je vous
dois quelques lignes pour que vous ne vous exagériez pas
mon état. Je suis malade, je vous l’ai dit. Voilà longtemps
que je lutte. Mais le mal se confirme et m’impose le devoir de
quitter le pays pour ne pas être un fardeau à mes amis et
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
aussi pour aller chercher les secours médicaux que nous
n’avons pas au Zambèze.
Voilà donc ma carrière qui va se clore après tout, et se
clore dans de sombres nuages. Je ne m’y attendais pas, je ne
voulais pas y croire. Je m’obstinais à compter encore sut
quelques années de ministère actif, et je nourrissais même
secrètement l’espoir que c’est dans ce pays, à Séfula, disons-
le, que je reposerais à côté de celle qui, pendant tant d'an-
nées, a partagé tous mes labeurs et toutes les péripéties de ma
vie agitée. J y comptais tellement, que je souriais de tout
mon cœur aux nouveaux horizons que mon voyage chez Ka-
kengé avait ouverts devant moi. Il m’a été dur de plier ma vo-
lonté à celle de mon Maître. Il me semblait que j’avais de si
excellentes raisons 1 Le Seigneur ne discute pas, Lui. 11 appe-
santit sa main sur moi et, peu à peu, par un effet de sa grâce,
m’amena une fois encore à m’abandonner entièrement à sa
volonté. Il m’apprit même tout à nouveau à la trouver non
seulement 'parfaite , ce dont nous ne doutons jamais, mais
aussi bonne et agréable.
Je fis donc, avec l’aide de mes garçons, ce que je pus en
fait de préparatifs, ce qui ne veut pas dire grand’ chose. Je
désirais ardemment visiter au moins une dernière fois le vil-
lage; ce désir de mon cœur ne me fut pas accordé, un dé-
sappointement d’autant plus amer que je ne pouvais pas
recevoir de visiteurs, à part de rares exceptions. J’eus la
douloureuse satisfaction d’un tête à tête avec Andréase, mon
pauvre enfant prodigue. Il reviendra, j’en ai la confiance, et
ses confessions me l’affirment, mais, pour le moment, il en
est encore à paître les pourceaux et à envier leurs carouges.
Le roi, lui, qui venait me voir assez fréquemment, me disait
un jour : « Ah ! si je ne suis pas encore sauvé, ce n’est pas ta
faute. Tu ne t’es pas donné de repos, mais tu ne m’en as pas
donné non plus! »
Le Seigneur dans sa bonté me donna assez de force et de
grâce pour adresser à nos chères gens mes dernièresexhorta-
tions et mes adieux.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
171
Et puis... le 30 octobre, trois ans donc, presque jour pour
jour, après mon arrivée, je quittais Léaluyi, la termitière de
Loatile qui m’est devenue si chère, et, porté en litière, je partais
tout seul pour Séfula. Les Adolphe Jalla devaient partir le len-
demain et aller m'attendre àNalolo. Trajet bien mélancolique
et bien douloureux que ce trajet de Léaluyi à Séfula! C’était la
première fois de ma vie que je me trouvais berné sur ce ma-
telas que chaque pas des porteurs faisait rebondir. Et puis,
cette litière se cassa, il fallut à plusieurs reprises la raccom-
moder; puis survint la nuit, un violent orage éclata; le wagon
qui nous avait devancés avec les bagages s’était ensablé à dis-
tance. C’est au milieu de la nuit que nous atteignîmes la sta-
tion. Plus de lumière à la fenêtre maintenant. Personne ne
nous y attendait — et qui nous aurait attendus, je vous prie?
■ — Quelle désolation ! N’en parlons pas. Je me jetai sur mon
lit où je me roulai dan§ l’angoisse jusqu’au matin. Je passai
deux jours à Séfula. Ouire mes expériences purement per-
sonnelles, ce fut un rayon de soleil que la réunion d’adieux,
très nombreuse et intéressante.
Le samedi matin, je me remis en litière pour Nalolo. Mais
avant que mon triste cortège se mît en route, m’arriva un
exprès d’Adolphe. Son corps ruisselait de sueur, il avait les
yeux hagards, la voix étouffée, ses lèvres tremblaient. Qu’est-
il donc arrivé? J’ouvre le billet qu’il me tend. Quelle atter-
rante nouvelle ! Séonya, mon garçon, vient de se tuer d’un coup
de fusil!... Voulant chasser des canards, il tira du canot,
par le canon, son fusil qui, selon l’incorrigible habitude de
tous les indigènes du sud de l’Afrique, se trouvait chargé et
armé. Un accroc lâcha la détente, et le malheureux garçon
reçut toute la charge de grenaille dans la tempe. Il tomba in-
sensible, et peu de temps après rendait le dernier soupir. Les
Adolphe conduisirent son cadavre à Nalolo, où je ne pus que
dégonfler mon cœur sur son tombeau! Quel nuage sur le
commencement de ce voyage que tout concourait déjà à
rendre si triste !
Les chers Adolphe m’accompagnèrent jusqu’à Séoma, et
172
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
M. Goy vint me rencontrer dans les parages de Katima-Mollo.
Malgré tous les soins qu’on avait mis à rendre mon canot aussi
confortable qu’un canot peut l’être, le voyage m’éprouva beau-
coup. Il me semblait parfois que je ne pourrais jamais arriver
au bout de la première grande étape, à Kazungula. M’y voici
pourtant par la bonté de Dieu. Je ne suis pas sans de vives
appréhensions au sujet du voyage en wagon qui est devant
moi, et bien autrement pénible qu’en canot. Mais j’ai tort. Le
mieux c’est de m’abandonner entièrement au Seigneur et me
confier en lui, sans restriction, pour tout ce qui me concerne.
Il ne se trompe jamais, Lui.
Les chers Ad. Jalla tout d’abord, puis les amis Goy et les
Louis Jalla ensuite, m’ont prodigué tous les soins que peut
inspirer l’affection. Il n’en est pas moins vrai que de tomber
malade, seul et sans secours médicaux éclairés dans ce
pays, c’est chose cruelle. Dans notre ignorance, nous fai-
sons pour le mieux. Nous combattons souvent les symptômes
et nous ignorons la nature du mal. Dieu est miséricordieux
envers ses enfants, Il l’a été envers moi, car outre les amis
que j’ai mentionnés, il m’a fait trouver parmi mes garçons,
non seulement une affection que je connaissais bien déjà,
mais aussi un dévouement dont je me doutais peu et qui ne
s’est jamais démenti. Sémonji, surtout, m’a été un garde-
malade admirable, prévoyant ou devinant mes besoins, s’in-
géniant pour tenter mon appétit et égayer ma chambre de
malade, faisant tout avec empressement, joyeusement et sans
bruit. Il ne m’a jamais quitté, ni de nuit ni de jour. Et le
soir, quand il étend sa natte au pied de mon lit, il faut l’en-
tendre épancher son cœur en supplications, demandant un
peu de mieux, un peu de sommeil pour « son père, ce vieux
serviteur de Dieu. » Et dans la nuit, instantanément sur pied
au premier appel. Qu’aurais-je jamais fait sans lui? Qu’au-
rais-je jamais fait s’il se fût fatigué de son service? Le cher
garçon, en apprenant ma résolution de quitter le pays pour
chercher des secours médicaux, m’a instamment supplié de
ne pas le laisser derrière. Il ne veut pas me quitter que je ne
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
173
sois mieux, qu’il ne me sache en bonnes mains; il ira partout
où j’irai... Et si j’allais en Europe?... Eh bien oui, il y ira,
lui aussi, à moins que je ne le renie comme mon enfant. De
fait, c’est une dette de reconnaissance qui s’accroît tous les
jours, et d’un caractère sacré. Mon désir serait de le placer à
l’Institut de M. Guinness, où les vents alizés du Ciel entretien-
nent la vie missionnaire. Il retournerait ainsi dans son pays
plus riche en instruction et mieux qualifié soit pour l’ensei-
gnement, soit pour l’évangélisation. C’est jouer gros jeu, je le
sais, mais il me semble voir si clairement la main de Dieu
en tout cela, que je suis sans crainte. Quant à mon pauvre
Nyondo, lui, il est marié, donc pas question de l’emmener.
Et puis nous comptons sur lui pour l’évangélisation. Pauvre
garçon! chaque fois qu’il était question de mon départ, il
mettait sa tête sur ses genoux et se prenait à pleurer. Il a
voulu m’accompagner jusqu’ici, et, comme je m’y attendais,
nous avons eu des scènes attendrissantes.
J’ai passé trois semaines à Kazungula, attendant le wagon
qui amenait mes bagages de la vallée. Il est arrivé enfin, et
dans quelquesjours nous traverserons le fleuve. A cette dou-
loureuse perspective, vous le comprenez, j’ai le cœur gros.
C’est un bouleversement complet de mes plans et de mes dé-
sirs. Et cependant un rayon de lumière éclaire mes ténèbres
et ma tristesse. Quelle différence entre le passage d’aujour-
d’hui et celui^de 1884 ! Alors, pas une âme dans cette immense
contrée qui connût le nom même du Seigneur, pas une qui le
priât. Divisés en deux bandes pendant la traversée de mes
bagages, le soir, au bivouac, nous nous entre-répondions
d’une rive à l’autre par nos chants. Tlong ho Yesu! et nos
voix se perdaient dans le désert sans écho.
Aujourd’hui, reconnaissons-le à sa gloire, le Seigneur a
fait de grandes choses. Cette station même de Kazungula,
avec son grand village, où tout est si prospère, le témoigne.
Malgré les départs et les défections qui nous ont si souvent
affligés, nous avons actuellement 7 missionnaires européens,
4 dames, 6 évangélistes et leurs femmes, tous dévoués à notre
174
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
chère mission, tous unis dans les liens intimes d’une famille.
Nous comptons 5 stations florissantes et, sur chacune dlelles,
un nombre plus ou moins grand de Zambéziens qui professent
avoir trouvé le Sauveur. Aujourd’hui on chante ici les louanges
de Dieu et on prie.
Mais ce qui me remplit de joie et de reconnaissance envers
le Seigneur, c’est surtout cette école d'évangélistes que nous
avons confiée à notre cher frère Adolphe Jalla avec 10 élèves.
Mon pauvre Séonya était le onzième et Sémonji eût fait le
douzième, tous des jeunes gens du pays et le fruit de nos
écoles.
Et puis voilà M. et madame Mercier qui vont relever les
ruines de Séfula et y ouvrir enfin notre école industi'ielle. Ne
sont-ce pas là les lueurs qui annoncent l’aube du jour où la
gloire de Dieu brillera dans ce pays, et où les ténèbres du pa-
ganisme se dissiperont?
Et puis, faut-il le confesser? je ne puis m'empêcher de ca-
resser l’espoir que mon départ du Zambèze n’est pas définitif.
Dieu peut me rendre la santé, renouveler ma jeunesse et me
permettre de revenir un jour dans ce beau champ de travail,
alors que la moisson sera venue et que ceux qui ont semé et
ceux qui auront déjà moissonné pourront se réjouir en-
semble.
Croyez -moi, cher frère, votre affectionné en Lui ,
F. Coillard.
DERNIÈRES NOUVELLES
Le voyage de MM. Coillard et Jalla. — M. et madame Mercier
au Lessouto. — Nouvelles des stations.
Depuis que notre dernière livraison a paru, trois courriers
reçus dans l’espace de trois semaines nous ont apporté les
nouvelles si impatiemment attendues de M. Coillard et de ses
compagnons de voyage. M. Coillard lui-même a pu nous en-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
175
voyer une lettre de Buluwayo, outre celle qu’il nous avait
adressée de Kazungula, et que nous publions ci-dessus.
M. Jalla, de son côté, nous a tenus fidèlement au courant des
incidents du voyage.
Celui-ci a débuté dans des conditions fort difficiles. Le dé-
part ayant dû être retardé, pour diverses raisons, jusqu’au
18 décembre, nos missionnaires ont trouvé le chemin défoncé
par les pluies si bien qu’ils n’ont pu avancer tout d'abord
que lentement. « Il y a aujourd’hui vingt et un jours, écrit
M. Jalla le 7 janvier, que nous quittions Kazungula, et nous
ne sommes quà trois jours de marche de notre chère station !...
Nous avons trouvé les routes tellement détrempées, qu’à
chaque petit bourbier il nous faut décharger nos wagons et
doubler nos attelages pour en sortir. Vous vous représentez
combien ces difficultés sont redoublées et rendues pénibles
pour un malade. Dans notre wagon, nos trois enfants (1) trou-
vent bien ce genre de vie peu de leur goût, mais avec notre
bonne santé à tous cela va encore ; cela augmente la dose de
patience qu’il faut posséder pour être un bon missionnaire
africain. Nous avons passé huit jours sans bouger de place
dans l’interminable bourbier de Kazuma : il a une largeur
d’une vingtaine de kilomètres. Ni ma femme ni les enfants
ne pouvaient descendre du wagon à cause de la boue. Pen-
dant ce temps, tous les bœufs et les garçons essayaient
d’amener le wagon de M. Coillard au-delà du bourbier. Quand
vint notre tour, le soleil avait fait son œuvre de miséricorde
depuis deux jours, et en quatre heures, avec notre wagon
chargé, nous franchîmes tout l’espace parcouru à grand
peine par M. Coillard en quatre jours avec son wagon dé-
chargé... »
Laissons maintenant la parole à M. Coillard :
a Le tracé de la route, comme tout ce pays-là, n’était qu’une
épouvantable fondrière où nos bœufs s’enfoncaient jusqu’au
(1) M. et madame Jalla emmènent avec eux, outre leurs deux garçons,
la petite Flore Goy, que ses parents envoient dans le sud.
176
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
ventre, parfois sans pouvoir prendre pied pour donner un
coup de collier, et nos voitures, les quatre roues à la fois,
s’affaissaient dans ces interminables bourbiers. Il fallait alors,
pour les alléger, que nos garçons portassent à dos nos quel- ;
ques bagages et nos provisions. Nous n’avancions qu’en dou-
blant nos attelages et en traînant nos wagons l’un après l’au-
tre, de bourbier en bourbier, de sorte que nous étions souvent
séparés des jours entiers. Malade ou non, impossible de
rester indifférent à des difficultés qui menaçaient de faire
avorter notre voyage. Aussi, souffrant, épuisé, dormant mal,
mangeant peu, je me demandais quelquefois si j’arriverais
jamais au terme d'un voyage si extraordinairement aventu-
reux et pénible.
«Mais, qui se lasserait de le répéter? Le Seigneur est bon et
fidèle. Comme sa présence illumine les lénèbres! et comme
sa communion fortifie! Que de leçons il nous enseigne dans
les difficultés, et que de bénédictions il nous fait trouver dans
les épreuves! C’est alors que nous apprenons aies chants
de la nuit ». Ne croyez-vous pas que ce soit un ange qui
veille à notre chevet et qui, dans un sommeil agité et entre-
coupé, vient murmurer à votre oreille un message d’En-Haut,
une promesse, une prière et une louange : « Ma grâce te suf-
fit »! — « Ne vous inquiétez de rien, car il prend soin de
vous. » — a Invoque-moi au jour de ta détresse, je t’en déli-
vrerai et tu me glorifieras, » etc.
« Ce sont là les chants de la nuit et, pour qui les apprend à
l’école du Seigneur, les circonstances extérieures sont singu-
lièrement transformées et sanctifiées, et même le désert, sa
solitude et ses impraticables bourbiers deviennent autant de
Béthels. Je bénis Dieu d’avoir passé par là. De Patamatengaà
Buluwayo, le voyage a été bien moins difficile. Les pluies ont
complètement cessé, les marécages se sont desséchés, les
étangs avaient de l’eau et la route était bonne. Nous lais-
sâmes les sables profonds en quittant la route de Palapye et
nous cheminâmes sur un terrain sûr. Le pays est boisé, avec
quelques éclaircies çà et là. Mais c’est toujours le bush, a la
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
177
brousse », comme nous disons, dont les fourrés épineux obs-
truent le chemin et s’acharnent à nos tentes de wagons. Rien,
absolument rien, dans cette végétation arborescente qui rap-
pelle que nous sommes sous les tropiques.
« De Patamatenga — un amas de masures — devenu une
ferme, jusqu’à Buluwayo, une distance de plus de 300 milles,
nous n’avons pas rencontré âme qui vive, si ce n’est quel-
ques Masaroas ou Bushmen qui errent dans ces bois. Quel est
l’avenir de ce pays? Sera-t-il jamais habité, colonisé?
« A présent, ces immensités où règne un silence de mort
que les cahotements de nos voitures et les claquements de
nos fouets seuls interrompent, ont un je ne sais quoi indéfi-
nissable qui vous saisit. On s’y sent petit, impotent, perdu !
« Un jour que nous cheminions dans un petit vallon ver-
doyant, entre des monticules boisés, nous nous arrêtâmes
tous comme involontairement devant un arbre isolé. A son
pied, une haie d’épines entourait un tombeau. Sur le tronc
une main amie avait enlevé un carré d’écorce et grossière-
ment tracé cette épitaphe :
STUART
5 jan. 1895.
« C’était, paraît-il, un capitaine de l’armée anglaise qui,
après avoir été en garnison à Natal, allait rentrer dans sa pa-
trie. Mais avant de quitter l’Afrique, il voulut voir les chutes
Victoria. Il se mit en route tout seul, avec un ou deux por-
teurs indigènes, et atteignit son but. Il parait que c’était un
homme plein d’énergie et aimant les aventures. Au retour la
fièvre le prit. En proie aux tortures de la soif, et abandonné
par ses garçons, il s’était couché sous cet arbre et. .. y mourut.
Un passant ou quelqu’un qui avait eu vent de son sort vint lui
rendre la sépulture. Et ne croyez pas que ce soit là un cas isolé.
Loin de là. On raconte des histoires bien tristes d’officiers
anglais, de jeunes gens de bonne famille, tous pleins de vie
et de pétulance, ne rêvant qu’aventures dans ce pays de la
liberté, mais sans prudence aucune : ils s’aventurent souvent
178
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tout seuls à la chasse» s’égarent dans les bois et Unissent par
y mourir de soif. Leur lieu de repos n’est connu que de Dieu
seul; là ils dorment dans ces solitudes silencieuses jusqu’au
matin du grand jour de la résurrection.
«C’est le 15 courant que nous arrivâmes enfin à Buluwayo.
Je n’aurais pas pu aller plus loin sans m'arrêter; j’étais à
bout de forces. Le lendemain, j’étais admis à l’hôpital, ce re-
fuge de ceux qui n’ont ni foyer ni amis, et entre les mains
d’un docteur qui d’emblée parut comprendre mon cas. Il me
témoigna beaucoup de bonté et d’intérêt, et non seulement
il me donna ses conseils et ses soins gratis, mais il m’obtint
la même faveur de la direction de l’hôpital. Et ce n’est pas
peu de chose, car autrement j’eusse dû payer 18 fr. 50 par
jour. Je ne puis dire les égards et les bontés dont on m’a
entouré. Les autorités de la ville sont venues me visiter et
s’étaient entendues avec le docteur pour me pousser à rester
deux ou trois mois à l’hôpital — toujours gratis — jusqu’à ce
que le docteur me juge assez bien pour continuer mon pé-
nible voyage. Il n’est pas jusqu’aux sœurs de charité qui ont
la direction de l’hôpital qui ne m’aient prodigué leurs soins
dans un esprit de dévouement qui m’a édifié. D’autres amis,
peu nombreux, c’est vrai, se sont ingéniés pour pourvoir à
mon confort. J’en suis vraiment bien touché et humilié.
« C’est ici, il vous en souvient, qu’il y a dix-huit ans, Loben-
gula nous avait retenus prisonniers. Quels changements de-
puis lors! Voici une ville qu’on a tracée sur une grande
échelle et qui promet de devenir un autre Johannesburg. Vous
seriez étonné du prix du terrain, comme du prix de toutes
les denrées en général. Et on y mène une vie, le croiriez-vous,
aussi agitée, aussi affairée qu’à Londres. On n’a le temps de
voir personne, ni de causer à l’aise avec personne. C’est un
tourbillon incessant. L’emplacement de la ville couvre un
vaste plateau entouré de coteaux légèrement boisés, et déjà
parsemés de villas. »
Dans la fin de sa lettre, M. Coillard nous parle de ses plans.
Les médecins lui déconseillent le passage par le Lessouto et
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
J 79
l'engagent à se rendre en Europe pour s’y faire soigner, en
prenant quelques semaines de repos au Cap avant de s’em-
barquer. Cependant M. Coillard ajoute : o II faudrait que je
fusse bien malade pour renoncer à ma visite au Lessouto. »
Quant à M. L. Jalla, ses dernières lignes, datées du 17 fé-
vrier, de Buluwayo, sont écrites sous l’impression de la mort
de sa mère, qu’il vient d’apprendre par une lettre du direc-
teur. Les deux courriers précédents, contenant, avec nos pre-
miers messages de sympathie, les lettres de sa famille et tous
les détails sur ce triste événement, l’avaient manqué, ayant
sans doute été le chercher au Zambèze après son départ.
« Depuis le courrier reçu à Kazungula (et expédié d’Europe
le 11 octobre), nous n’avions plus rien appris d’Europe, quand
avant-hier je reçois par notre agent de Maféking vos lignes du
17 janvier. Je me hâte de les lire dans la rue. Oh ! quel coup !
Ma chère mère partie pour le ciel ! Le plus fort lien qui m’unis-
sait à l’Europe rompu, au moment où nous nous réjouissions
de pouvoir compter les semaines qui nous séparaient de la
réunion... avec elle surtout. C’est bien dur, douloureux et
mystérieux... La maison sans cette mère tendrement aimée,
ce n’est plus la maison... Comme notre voyage est décoloré
maintenant! Les liens d’ici-bas deviennent rares; heureuse-
ment qu’au ciel ils se multiplient, nous en rapprochant nous
aussi. »
Au moment même où nos voyageurs approchaient de Bu-
luwayo, M. et madame Mercier arrivaient au Cap le 12 fé-
vrier, après une bonne traversée. En pressant, comme nous
l’avons fait, leur départ, nous espérions qu’ils rencontreraient
MM. Coillard et Jalla à Maféking, point extrême de laligne du
Gap, et pourraient se remettre en route presque immédiate-
ment eu profitant des instructions et des arrangements pris
par leurs devanciers. Mais le retard considérable subi par
ceux-ci a entraîné un changement de plans que nous ne pou-
vons qu’approuver. Au lieu de passer au Cap, à Kimberley ou
180
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
à Maféking les deux mois qui devaient s’écouler encore avant
l’arrivée de MM. Goillard et Jalla, nos amis sont allés tout
simplement au Lessouto, suivant en cela les instructions que
M. Jalla a pu leur télégraphier de Buluwayo. M. Alfred Ca-
salis, averti de son côté par télégramme, a pris les arrange-
ments nécessaires pour faire prendre les nouveaux arrivants
à Aliwal, où ils ont dû arriver le 29 février. On voit que tout
s’arrange pour le mieux : nos amis Mercier auront le bénéfice
d’un séjour dans nos stations du sud; ils pourront voir l’école
industrielle de Léloaleng ; de plus, ils emmèneront avec eux
un catéchiste qui pourra les aider de son expérience des
choses de l’Afrique, et qui, peut-être, ne sera autre que Lévi>
l'ancien collaborateur de M. Goillard aux débuts de la mis-
sion du Zambèze.
Quelques mots encore au sujet des missionnaires restés au
Zambèze. Ils sentent douloureusement, on le comprendra,
l’absence de leurs aînés, et se recommandent instamment à
nos prières. Nous devons renoncer, faute de place, à citer
aujourd’hui leurs lettres; disons seulement qu’ils ne perdent
pas courage et se préparent à supporter de leur mieux le
fardeau qui pèse désormais tout entier sur leurs jeunes
épaules. M. Davit, après avoir passé les dernières semaines
de l’année à Léaluyi, auprès de M. et madame Ad. Jalla, a dû
s’installer à Séfula , la station qui lui est actuellement assi-
gnée. M. Béguin nous donne de bonnes nouvelles de Nalolo .
Quant à M. Boiteux, il a passé par le creuset de l’épreuve;
peu après le départ de MM. Jalla et Coillard, sa femme a été
gravement malade; aux dernières nouvelles elle allait mieux.
Le roi lui-même restait ce qu i] a été ces derniers temps,
bien disposé, mais hésitant. « Au moment où nous venions de
traverser le fleuve, écrit M. Coillard, le roi me faisait savoir
qu’il avait renvoyé deux de ses femmes et me donnait à en-
tendre que c’était le commencement de la dispersion de son
harem. C’était un ballon d’essai, je suppose, pour se rendre
compte de l’impression qu’une mesure radicale produirait
SOCIÉTÉ DÉS MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
481
tant sur les chefs que sur la nation. Dans ma réponse, je le
conjurai de ne pas marchander avec Dieu plus longtemps,
mais de se donner entièrement. Priez pour lui et pour votre
frère
« F. Coillard. »
.a__A
SÉNÉGAL
ARRIVÉE DE M. A. BOLLE A SAINT-LOUIS
Le 15 février, M. Bolle est heureusement arrivé à Saint-
Louis, après un excellent voyage. Il nous écrit, le 2 mars,
une lettre dont nous détachons les passages suivants :
... « Vous m’avez demandé si j’ai vu M. Morin à Rufisque.
Il m’a retenu par télégramme pendant que j’étais à Dakar et
il m’a invité à dîner et à coucher chez lui. Je m’y suis rendu
et j’ai passé à Rufisque des instants délicieux. L’accueil qui
m’a été fait était d’une cordialité toute chrétienne. J’en garde
un beau et reconnaissant souvenir. Au coucher du soleil, le
docteur et moi avons fait une promenade à cheval pour voir
un peu Rufisque. C’était la première fois que je montais en
selle. J’en ai beaucoup joui. Mon cheval, très docile d’ail-
leurs, ne m’a pas infligé d’humiliation, bien qu’à plusieurs
reprises j’aie manqué perdre l’équilibre.
« Mon arrivée à Saint Louis a été pour moi une vraie fête.
Déjàavant Saint-Louis j’avais eu la joie de serrer la main à
M. Escande, à M. Pétrequin et àM. Nichol, qui étaient venus
au-devant de moi à Rao, une ou deux stations avant Saint-
Louis. A la gare, je saluai madame Escande et madame Pé-
trequin qui m’offrit un frais bouquet de lilas de son jardin. Il
était le bienvenu, après les chaleurs et le sable du Cayor, où
je n’avais vu, pour ainsi dire, pas une fleur ; cela m’avait
frappé. A la gare encore, je pus déjà saluer plusieurs gens de
la mission, spécialement les garçons et les filles de l’école.
« J’arrivais un samedi. Avant la réunion de prières, M. Es-
13
182 JOURNAL DES MISSIONS flVANGÉLIQUES
cande a fait exécuter uu chant aux jeunes gens et aux jeunes
fUleg. Il lit impression sur moi. C’est le numéro 477 des can-
tiques populaires : « Voici de tes enfaqts, Seigneur, une poi-
gnée ». Je ne saurais vous dire l’émotion qui me gagnait à
mesure que je suivais sur le recueil ces belles paroles, chantées
par ces enfants noirs, les enfants de la mission. Après cela,
la réunion de prières, mais seulement de notre famille mis-
sionnaire : M. et madame Escande, M. et madame Pétrequin,
mademoiselle Bnttner et moi.
« M. et madame Escande sont extrêmement aimables.
M. Escande s’est mis à ma disposition pour mon installation,
pour faire mes achats. Il avait loué deux belles chambres
fort agréables, tout près de chez lui; j’ai dû les meubler et
me faire uu intérieur.
a M. Escande m’a présenté aux protestants de Saint-Louis;
il m’a accompagné dans mes visites aux personnages officiels.
11 m’a présenté au culte woloff, aux gens de Pont-de-Khor et
de Sôr. Ceux qui m’intéressent le plus, ce sont les noirs. Hier
dimanche, 1er mars, nous avons eu notre premier service
français à 5 heures du soir, tandis qu’auparavant il avait
lieu, paraît-il, à 8 heures et demie du soir. M. Escande m’a
installé et a fait une allocution bienfaisante sur ce texte :
a Fais l’œuvre d’un prédicateur de l’Évangile ». J’ai ensuite
parlé sur ce texte : a Me voici, je viens, ô Dieu! pour faire ta
volonté ». L’auditoire que nous avons eu était nombreux;
M. Escande en a été satisfait. »
CONGO
VOYAGE DE M. FAURE
Bon vent, bpnne mer et bonne santé ; ainsi peut se résumer
la traversée de M. Faure jusqu’à Libreville, où il est heureu-
sement arrivé le 17 février.
Après avoir parlé de la cordiale hospitalité reçue à Baraka,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
183
de la part du Dr Nassau, vétéran de la piission américaine,
notre missionnaire ajoute :
« Je compte partir le 25 à bord de V Eclaireur et arriver à
; Lambaréné le 28, pour m’installer le 1er mars. J’ai reçu ici une
lettre de Haug qui a l’air de se porter bien et qui m’atteqd
avec une impatience dont vous pouvez vous douter.
« Hier soir j’ai pu assister à un culte dans la salle d’écqlp,
Il y avait une quarantaine de personnes, et le culte était pré-
sidé par un diacre. Pes hommes et dç.s femmes indigènes ont
.parlé. Quel dommage que je n’aie pu rien y comprendre! Le
chant m’a beaucoup étonné. Je m’attendais à une horrible
cacophonie et j'ai entendu de très beaux cantiques à trois
voix. Les gens ont la voix très juste et le sens de la musique.
Aussi je me promets des chœurs et des exécutions artistiques
à Lambaréné. Ces chrétiens mpongoués m’ont paru très sé-
rieux et sincères. Le diacre a parlé avec beaucoup de chaleur
et a lu la Bible avec expression... »
NOUVELLES DE MADAME GACON ET DE MM. FORGET
ET HAUG
En date du 26 janvier, madame Gacon nous donnait d’in-
téressants détails sur l’École de jeunes filles de Talagouga.
Sa lettre se termine par ces mots :
« Nos santés ne sont pas brillantes, mais cela ya, malgré
tout,. juste assez bien pour rester debout au poste... »
De son côté, M. Forget, écrivant à la mèmè date, nous in-
forme que madame Forget était rentrée à Talggouga très
fatiguée, après le départ de madame Jacot pour l’Europe.
M. Forget lui-même, quoique beaucoup mieux, avait encore
fréquemment des attaques de fièvre, surtout après un travail
quelque peu suivi. Il se proposait de faire sous peu une
visite à M. Haug qui, comme on le sait, se trouvait seul dans
l’importante station de Lambaréné. « Les Gacqn, ajoute
M. Forget, vont doucement. »
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
184
Nous avons aussides nouvelles directes deM. Haug. Par une
carte postale du 7 février, il nous faisait savoir qu’il était en
plein dans les grandes communions et avait eu quatre con-
seils d’Église en deux jours pour régler les questions rela-
tives au baptême des candidats et à leur admission à la Sainte-
Gène. a Je suis très satisfait, écrit-il, de ma tournée aux lacs.
J’ai bon courage, mais suis harassé mentalement et intellec-
tuellement. Un renfort sérieux est indispensable... »
Nous sommes heureux de penser que depuis plus d’un
mois ce renfort est arrivé à M. Haug.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
MARTYRS ARMÉNIENS
« Pendant longtemps on a considéré, en Allemagne, les
« rapports sur l’Arménie, comme des exagérations, dues à
« la politique anglaise, que nous n’avons du reste aucune
« intention de défendre; mais nous sommes persuadé que
.< cette incrédulité voulue est l’effet de l’aveuglement et du
« parti pris : les exécutions, les violences, les incendies, les
« viols, les meurtres, les massacres en masse, les raffine-
« ments inouïs de cruauté, ont atteint un degré d’atrocité
« qui est presque sans précédent dans l’histoire du crime;
« aucun mot ne saurait suffire pour les désigner; nous ne
« connaissons que celui de « diabolique». Ainsi s’exprime,
en résumé, le Dr Warneck dans son journal de mars, annon-
çant un prochain article de fond sur l’Arménie.
Les détails sûrs nous arrivent enfin de sources très di-
verses. Un bureau spécial d’informations à été créé à Lon-
dres, 3 Arundel Street Strand W. G., auquel le Rev. cha-
noine H. Scott Holland a donné le poids de son nom et qui
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
185
nous fournit les renseignements suivants : « Le pouvoir bien-
« faisant de la Russie, qui avait arrêté sur le Danube le flot
« dévastateur des Turcs, a été également actif en Asie, re-
« poussant les Turcs du Caucase à l’Ararat. La jeunesse
« arménienne entra en masse dans les écoles et les charges :
« en 1868, un Arménien, le général Loris Mélikoff, passa la
« frontière turque; Tannée russe fit tomber Kars et envahit
« Erzeroum; et malgré les réductions faites parle congrès de
« Berlin, la bande de pays arménien cédée par le traité de
« San-Stéphano à la Russie, demeura à peu près identique.
« C’est sur cette frontière qu’on a vu arriver, pendant toute
« l’année, des hordes d'hommes, de femmes, d’enfants nus,
« mourants, harcelés, franchissant cette ligne invisible de la
a frontière russe pour fuir le pays de la rapine, de l’outrage,
« de la guerre, et trouver une terre où règne la loi, la paix,
« la tranquillité. Ils demandaient, pour tout bienfait, le droit
« de vivre et de ne pas être tués ou affamés. Comme aux
« temps de la captivité d’Égypte, dans cette nouvelle terre
« de Goscen, gouvernée par le grand tsar blanc, régnait pour
« eux la lumière, tandis que les ténèbres de l’Égypte cou-
« vraient les pays du Sultan. »
Pour empêcher les armées russes de recommencer leurs
annexions, les autorités musulmanes ont donc résolu de dé-
truire tous les Arméniens de la frontière, de les remplacer
par des bandes turques et d’opposer ainsi aux cosaques
russes, non des alliés chrétiens, mais de cruels et courageux
barbares, les Kurdes musulmans. Tel est le plan qui paraît
avoir été l’inspiration des massacres. La mesure était habile
et elle a été exécutée avec une conséquence, un ensemble et
une cruauté sans nom.
Les statistiques fournies par les Turcs et les appréciations
sommaires du nombre des morts nous semblent impossibles à
contrôler; nous donnerons néanmoins en note un tableau pu-
blié par le bureau d’informations de Londres. Quant aux hor-
reurs inouïes perpétrées parles Turcs et les Kurdes, nous ne
pouvons exposer nos lecteurs à en subir la description et nous
JOURNAL bÈS MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
186
les renvoyons à l’article du Dr Üilloh, dans la Contemporary
Aëviêw de janvier. Ên ce qui touche ceux que nous pouvons
appeler à bon droit lès martyrs de la foi, nous distinguerons
les renseignements reçus de prëiïiièrë main et ceux que renfer-
ment iés rapports du Révérend Greeri, du Dr Dillon, etle jour-
nal le Christian. Le Journal missionnaire dé Èâle du mois de
mars reçoit d’un ancien élève de ia Maison des missibiüs de
Bâle, actuellement pasteur d'une église arménienne, une lettre
datée du 1 février, à laquelle nous empruntons ce qui siiit :
« Àvant-biër j’ài reçu d’Urfa l’effrayante nouvelle qu’au
second massacré (le premier avait eu lieu le 3 novembre et a
coûté la vie à 300 victimes) des 26 et 27 décembre, ëriviron
3,000 chrétiens ont été massacrés ët qüe nôtre cher frère
Hâgop Àbühajatian, élève de Bâle de 1865 à 1869, est mort
hiartyr. Vous savez que depuis 1869 ii avait été à la têië de
l'Eglise de sa ville natale, où Dieu avait visiblement béni
ses efforts. Son Église comptait 600 aines; mais le fruit de
son long travail paraît, à vue humaine, avoir péri avec lui;
car, de sa seule Église, 94 hommes adultes, 2 femmes et
2 jeunes filles ont été massacrés.
« Je n’ai pas de nouvelles directes du frère N. de Harpout;
biais dans cette seule station 14 prédicateurs évangéliques
sont morts martyrs. Nous émigrerions volontiers en Amérique,
mais le gouvernement s’oppose à tout départ.
« Priez pour nous! nous vivons ici dans une constante
angoisse et n’avons plus à espérer de secours que de Dieu
seul. Mais les chrétiens de tous pays devraient crier à Lui,
pour que bientôt il nous fasse rendre justice. Ma vieille mère,
ina fehime et mes huit enfants se recommandent à vos
prières! » Le rédacteur ajoute qu’il faut être très prudëùt
dans la Correspondance, les Turcs ouvrant les lettres.
Là tactique des Turcs, comme celle de Dioclétien ou de
François Ièr, a été d’accuser les chrëtieüs et les missionnaires
de conspirations politiques.
Quant aux seconds, le Herald contient (page 90) ce qui
suit : « Des employés supérieurs du gouvernement turc ont
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
i$7
répandu le bruit que nos missionnaires aüraiënt excité lès
Arméniens à la révolte. C’est là une indigne calomnie, au
sujet de laquelle nos missionnaires ont réclamé officiellement
line enquête ; nous avons le ferme espoir qu’ils l’obtiendront. »
Un autre correspondant écrit au journal de Lausanne :
« Nous savons des cas d’Arméniens jetés en prison et qui se
sont laissés tourmenter plutôt que de signer des documents
accusant les missionnaires de menées politiques ». Et le doc-
teur Judson Smith écrivait de Boston le mois deriiier : « Nos
missionnaires pratiquent et inculquëbt partout la loyauté
envers le gouvernement turc; et celui-ci h’à pas eu, depuis
soixante-dix ans, de plus sincères amis que les envoyés de
« PAmerican Board. »
Le Christian de février a raconté la touchante histoire
d'un enfant martyr que nous n’avons pas lieu dé croire apo-
cryphe.
Une martyre de douze ans.
À Cësarée, dans la province d’Angora, cinq chrétiens furent
massacrés par les Turcs le 30 novembre. Dans une des mai-
sons protestantes de la ville se trouvaient un père avec sa
petite fille âgée de douze ans; ils étaient seuls,, iâ mère
s’étant rendue dans un autre quartier auprès d’une fille ma-
riée. Ün Turc à l’aspect faroubhé pénétra soudain dans la
chambre où se tenait la petite fille ei, s’adressant à elle d’une
voix aussi douce qu’il pouvait : « Mort enfant, lui dit-il, ton
père a été tué parce qu’il n’a pas voulu acceptèr la religion
de l’Islam. Je dois maintenant te faire mahométane. Si tu y
consens, je t’emmènerai chez moi et te traiterai comme ma
fille. Veux-tu devenir mahométane? » L’enfant répondit :
« Je crois en Jésus-Christ. Il est mon Sauveur. Je l’aime. Je
ne puis faire ce que tu demandés, dusses-tu me tuer! » Fu-
rieux, le Turc tomba sur la malheüreüse enfant, la frappant
et la blessant à douze endroits différents.
Ce qui suivit, nul ne le sait. La maison fut misé à sac, puis
incendiée; le cadavre du père disparut dans les flamiiies;
mais le soir du même jour un char s’arrêtait devant la porte
188
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
de la maison où demeurait la mère de la petite fille. Un voi-
sin, son ami, quoique Turc, lui dit : a Je t'ai apporté le ca-
davre de ta fillette. Tu es mon amie, et je ne pouvais pas le
laisser gisant là-bas à l’abandon. Je suis bien peiné que cela
soit arrivé ». La mère transporta dans la maison le corps de
sa fille et s’aperçut qu’elle respirait encore. Un chirurgien fut
appelé; il ramena l’enfant à sa connaissance, et maintenant
elle est en voie de guérison. On lui avait appris de bonne
heure, dans les écoles missionnaires, à aimer le Sauveur et
à étudier la Bible. Cette enfant confesseur n’est-elle pas la
sœur de tous nos chrétiens d’Europe? Sera-t-elle livrée à la
ruine, elle et ses pareils?
Le Dr Tracy écrit de Marsovan, en date du 28 no-
vembre 1895 : a On pourrait croire que les événements tra-
giques des derniers temps doivent fournir très ample matière
à notre correspondance : il n’en est rien. A la vue des ter-
ribles jugements de Dieu, nous nous sommes tus, comme
frappés de stupeur. Certes, ce sont là des jours solennels.
Depuis le 15 novembre, nous ne cessons de recevoir des rap-
ports de près et de loin, les uns plus terribles que les autres.
A Vézir-Kéopreu, le diacre et 55 autres ont été tués; àZilleh,
2 évangéliques et, avec eux, beaucoup de grégoriens (c’est
ainsi que se désignent les Arméniens de la vieille Église, en
souvenir du grand disciple d’Origène : Grégoire lTllumina-
teur). Il y a eu peu ou point de désordres à Hajikini, à Avkat,
Gumusket Samsoun. Kaoza, en revanche, a été le théâtre de
scènes horribles; les 50 maisons arméniennes ont été pillées,
et 30 hommes tués, dit-on. A Marsovan il y a eu 123 vic-
times et le pillage a été affreux. Le lendemain du massacre,
j’ai trouvé 90 cadavres jetés devant les fenêtres de notre col-
lège. Le gouvernement fournit maintenant des rations aux
affamés et leur vient ainsi efficacement en aide. »
Ce détail trouve son interprétation dans la remarque d’un
employé du gouvernement qui dit : Nous ne savons vraiment
ce que Ton demande de nous : tantôt nous devons attaquer les
chrétiens, et ensuite on nous ordonne de leur donner du pain.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
189
Il est bien probable que le gouvernement veut jouer ainsi un
double jeu, pour tromper tout le monde. Le missionnaire
continue : « C’est un vrai miracle qu’aucun missionnaire
n’ait été tué. Ici, nous avons vu arriver, pour les jours du
danger, deux ou trois officiers avec une trentaine de soldats
chargés de nous protéger.
« Notre ambassadeur s’est admirablement conduit en en-
voyant constamment des dépêches télégraphiques pour s'as-
surer de notre état. Il paraît qu’en haut lieu comme ici, on a
résolu que rien ne serait tenté contre nous. Nous avons inter-
rompu nos écoles populaires, mais nous avons toujours au
collège nos 130 pensionnaires ».
Nos lecteurs auront lu peut-être dans les journaux le trait
saisissant des femmes de Sassoun, auxquelles on peut bien
appliquer les paroles des deux huguenotes emprisonnées à
la Bastille à côté de Bernard Palissy et qui firent dire au roi
Henri IIÏ « qu’elles seraient martyres de leur honneur comme
elles l'étaient de celui de Dieu ». Le Révérend Greene ra-
conte qu’après avoir défendu leur position pendant vingt-
quatre heures, écrasées par le nombre, elles furent obligées
de s’arrêter. Plusieurs portaient leurs enfants sur leur dos
tandis que leurs aînés les assistaient dans le combat. Voyant
la position désespérée, la femme de Grgo s’avança vers la cime
du roc et cria : « Sœurs, il vous faut choisir : ou bien oublier
vos maris, vos foyers, votre sainte religion et adopter la foi
mahométane et être déshonorées, ou suivre mon exemple ».
Après quoi, prenant son enfant dans ses bras, elle se pré-
cipita du haut du rocher dans une sorte d’abîme. Une se-
conde, une troisième, une quatrième suivirent son exemple,
et les enfants avec elles. Le ravin se remplit et les ennemis
eux-mêmes furent saisis d’horreur à ce spectacle. Cinquante
femmes furent faites prisonnières; mais aucune ne trahit la
retraite de Grgo et de ses braves. La femme qui sauvait ainsi
Phonneur de son sexe s'appelait Schaké. Quoique nous ne
puissions pas l’appeler directement un martyr de la foi, son
nom mérite d’être copservé à la postérité.
190
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Le pasteur Hubbard, de Sivas, actuellement détenu à Cons-
tantinople, nous donne des détails sur quëlqlies fidèles qui
ont passé par la fournaise et obtenu la couronne dii martyre.
« L’oeüvre du Rév. Garabed Kuludjian, pasteur protestant de
Sivas, faisait de visibles progrès. Sa femme avait été, pendant
des années, maîtresse de l’École supérieure de jeûnes filles
de Marsovan; elle était estimée et chérie de tous, et leurs
quatre filles, dont l’ainée n’était pas encore âgée de seize ans,
avaient largement bénéficié de l'influence maternelle. Le 10 no-
vembre, Garabed prêcha a son troupeau un sermon impres-
sif sur ce texte : « Tous les cheveux de votre tête sont
comptés ».
Le 11 novembre, à midi, le tumulte éclatait. Le pasteur fut
forcé de s’enfermer avec quelques compagnons arméniens à
l'étage supérieure d’un « khan ». Là, ils furent découverts,
dévalisés, puis abandonnés, tandis que la tempête faisait rage
au dehors. Le pasteur pria et veilla avec ses compagnons
jusqu’au moment où une nouvelle troupe de musulmans vint
cette fois pour les tuer.
L’attitude digne et calme du pasteur qui les abordait fit
hésiter les assaillants; ils lui offrirent la liberté à condition
de renier sa foi. Malgré le souci que devaient lui donner sa
femme, d'une santé délicate, et ses quatre filles, sa réponse
fut : « Je ne crois pas seulement en Christ, mais je donne ma
vie pour lui amener d’autres âmes ». « Alors nous sommes
obligés de vous tuer » . Et tandis qu’il élevait ses deux mains
vers le ciel, comme pour exprimer sa confiance inébranlable
en Dieu, ils lui tirèrent deux coups de fusil. Le lendemain
matin son corps fut trouvé par des amis presque entièrement
dépouillé de tout vêtement et jeté dans l’arrière-cour du
« khan » . Comme les massacres ne faisaient encore que
grandir, il ne put être porté au lieu de sépulture des protes-
tants que ne protégeait aucune muraille; aussi fut-il joint
aux huit cents autres cadavres que l’on entassa dans une
énorme tranchée.
Au cimetière grégorien un prêtre arménien se glissa a la
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
m
dérobée vers les cadavres, pour dire une courbe prière et les
abandonner ensuite à la terre et à Dieu.
Le Rev. Sarkis Merkashian, pasteur depuis des années à
Chooukouth, dans le district de Harpout, fut dévalisé avec sa
famille, chassé de sa demeure par l’incendie et blessé. Après
quoi, des Musulmans le tourmentèrent pendant trois jours
pour lui faire embrasser leur foi. Lui aussi, malgré le souci
que devait lui donner la pensée d’une épouse et de six en-
fants, resta fidèle jusqu’au bout et fût enfin ihis à mort. On
connaît bien d’autres pasteurs qui, pendant ces journées de
novembre, scellèrent ainsi leur dernier sermon de lëür propre
sang.
Hàgope Pattian, un humble membre de l’Église de Mar-
sovan, s’était particulièrement fait aimer par ies hommes de
toutes croyances pendant la dernière épidémie de choléra
qui a sévi dans cette ville. Le 15 novembre, la tempête
éclata, mais elle le trouva prêt. Gomme les coups de la hache
meurtrière tombaient sur sa tète, un ami entendit à travers
une porte voisine ses dernières paroles: « Père, pàfdonne-
leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Puis cette autre :
« Père, jë remets mon esprit entre tes mains ».
Ne conclurons-nous pas, avec le Herald de l’American
Board : « Depuis des siècles (peut-être) la noble armée des
martyrs n’a pas vu un accroissement aüssi rapide que du-
rant l’année dernière. Certes, l’Église chrétienne n’a rien à
craindre pour soii avenir, quand elle voit ses enfants rendre
à leur Sauveur de pareils témoignages! »
«. Si nous vivons, l’œuvre continuera, écrit M. Gâtes, prési-
dent du collège de Harpout, et nous attendrons que les chré-
tiens nous soutiennent. On nous commande de quitter, mais
nous n’allons pas abandonner notre poste. Nous sommes
prêts à inouHr pour notre œuvre; les autres doivent être prêts
à nous soutenir de leurs dons.
« Je ne voudrais pas échanger la paix dont ndüs jouissons
et l’assurance de la faveur et du secours divins pour les
places les plus élevées qü’oû pourrait nous Offrir en Àmé-
192
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
rique... C’est pour le peuple de Dieu l'heure de montrer qu'il
a confiance dans le triomphe de sa cause. Je voudrais pouvoir
parler de façon à ce que tous les chrétiens d'Amérique nous
entendissent. Que nous vivions ou que nous mourions, nous
nous réjouissons dans le Seigneur. Dites au peuple de Dieu
de se lever et de rebâtir les murs de la ville qui sont tombés
et les temples qui sont en ruine. »
Madame Raynolds écrit de Van : Le Dr Kimbal fournit du
travail à près de 5,000 affamés; hier nous avions 500 audi-
teurs à notre culte. Il semble que notre devoir est de rester
et de profiter des occasions présentes, nous confiant en Dieu
pour l’avenir. L’épreuve la plus grande est qu'il n’y a, dans
la situation, aucun rayon d’espérance. Ce n’est qu’en regar-
dant à Dieu que nous pouvons trouver quelque consolation.
Nous comprenons maintenant l’expression biblique : « La foi
et la patience des saints » (Apocal. XIII, 10).
A la vue de tant de douleurs et de tant de dévouement, le
peuple de Dieu va-t-il demeurer inerte, sans prières, sans
protestation, sans secours efficaces pour les frères qui souf-
frent ?
G. Appia.
P. S. Le duc de Westminster a reçu tout récemment d’un
officier au service de la Turquie la statistique suivante :
Tués par les armes, 29,544; brûlés vifs, 1,383; morts de
faim, de froid, de maladie, de peur, 6,354 ; femmes contraintes
d’épouser des Turcs, 1,532; malheureux réduits à vivre de
charité, 92,960 ; églises, maisons religieuses, écoles détruites,
227; convertis de force dans la province seule d’Harpout,
15,000.
PAROLES D’UN ARCHEVÊQUE SUR LES MISSIONS
L’archevêque de Cantorhéry, adressant une allocution au
jeune clergé sur l’évangélisation, le 17 février 1896, a pro-
noncé quelques paroles que nous tenons à citer :
VARIÉTÉS
\ 93
« Aucune Église ne saurait être vivante sans s’efforcer
a d’accomplir le commandement de tous les commandements
« du Sauveur. Le premier devoir d’un chrétien est d’amener
« d’autres hommes à devenir chrétiens, et le devoir d’une
« Église est de fonder d’autres Églises chrétiennes, jusqu’à
« ce que le monde entier en soit couvert. »
VARIÉTÉS
CHEIKH OTHMAN
22 janvier 1896.
... Vers six heures du matin, la machine stoppa. Nous
étions en face du massif rocheux, presque effrayant, d’Aden.
Une affiche nous annonça peu après que Y Iraouaddy lèverait
l’ancre à une heure du soir; soit environ six heures pour aller
à terre.
Une barque, conduite par quatre rameurs somali, nous
conduisit en trois quarts d’heure au quai de débarquement.
De ma vie, je n’ai vu des montagnes aussi sombres, tout en
pointes et en angles, dont le seul aspect blesse. Gela paraît in-
finiment plus dur que du fer. Des masses coniques, mais
toutes hérissées d’aspérités, s’étagent les unes derrière les
autres: sur l’une des plus basses se dresse le sémaphore. Le
long du rivage, on aperçoit quelques toits sous lesquels les
maisons semblent se faire petites, écrasées par la nature sau-
vage et menaçante. Le soleil était encore derrière cet amas
de montagnes ; vus à contre-jour, ces rocs d’un brun noirâtre
prenaient une apparence encore plus sombre et plus hostile.
Pas la moindre trace de végétation.
Sur le quai, deux agents de police nous débarrassèrent
prestement de la meute des guides. Plus tard, nous en vîmes
partout de ces bons génies. Ils portent un uniforme brun
194
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
clair jaunâtre, une nuance moins foncée que notre nouvelle
tenue coloniale; ils sont naturellement armés du «club» tra-
ditionnel de policemen de Londres, de grands et forts gail-
lards, comme leurs collègues de la cité; mais ils s'en distin-
guent par leur teint basané, leur poil noir et luisant comme
du jais, et par ce qu’il y a de plus marquant dans leur accou-
trement, un énorme turban bleu, d’où sort une calotte en
forme de pyramide rouge. C’était pour nous rappeler que nous
étions dans une possession britannique, dans une dépendance
de l’Inde, en Asie. Les agents de la police d’Aden sont tous
indous.
Parmi nos compagnons de route, il y avait un lieutenant
de marine qui connaît les escales de toutes les mers; il se
rendait au magasin français, dont nous aurions autrement
ignoré l’existence. Dans cette ville anglaise, nous fûmes d’ail-
leurs étonnés de trouver, sur la place principale, un Hôtel
de l’Europe, un Hôtel des Voyageurs, un Hôtel de l’Univers,
comme dans la plus endormie de nos villes de province. Non
loin de là, une grande enseigne tire l’œil : « Magasin », et
des deux côtés de la porte : a Vêtements » et «Aliments ».
Les maisons n’ont, sauf deux ou trois exceptions, qu’un seul
étage. Les toits sont plats. Au rez-de-chaussée, il y a des ar-
cades qui forment véranda; au premier étage, la véranda est
fermée par des grillages en bois. Tout est blanchi à la chaux.
Dans le «magasin », un commis dont l’accent trahissait le
Jura bernois nous montre des pince-nez à verres fumés, que
nous demandions. Tout en choisissant, M. Lauga s’enquit
d’un M. Ch., le fils de l’excellent ami qui nous a hébergés à
Marseille. Il se trouve que c’était le patron du commis, le pro-
priétaire du magasin. Il ne tarda pas à paraître, grand, fort,
un ancien cuirassier, la poitrine couverte maintenant d’une
longue barbe flottante. Fidèle aux traditions paternelles, il se
met aimablement à notre disposition et nous invite à visiter
Aden. Il nous informe, en effet, que nous n’étions encore qu’à
Steamer Point, le faubourg ou mieux le port d’Aden. La ville
se cache dans l’une des gorges ténébreuses, ou qui nous
VARIÉTÉS
1D5
avaient paru telles le matin, et qui déchirent le lourd massif
volcanique.
J’avais un autre plan. 11 y a environ neuf ans ( I), j’ai raconté
dans le Journal des Missions les débuts d’une œuvre aposto-
lique qui m’avait vivement intéressé. Un jeune lord écossais,
répétiteur d’arabe à Oxford, pris d’amour pour le Sauveur,
décida de mettre ce qu’il avait et ce qu'il savait au service
de son divin Maître pour la conversion des païens. Ion Keith-
Falconer savait l’arabe et avait de l’argent. Dieu le conduisit
à Aden. De là, il pensa attaquer le berceau de l'islam, l’Yé-
men et toute l’Arabie. Après un voyage d’étude fait en 1885,
si je ne me trompe, il choisit comme emplacement de sa station
le village arabe de Cheikh Othmân, à 16 kilomètres au nord
d'Aden, sur la limite du territoire britannique. Il s’y fixa avec
sa jeune femme, si je ne fais erreur, à la fin de 1886, vivant
de ses propres ressources, mais rattaché au Comité des mis-
sions de l’Église libre d’Écosse. Je m’étais pris d’enthou-
siasme pour cette entreprise. Vers le milieu de 1887, le Free
Çhurch Montkly m’apprit la mort de Ion Keith -Falconer.
Mes voies ne sont pas vos voies, dit FÉternel.
Depuis lors, je suis de loin cette mission comme bien d’au-
tres. La mère et la veuve du jeune arabisant enseveli au ci-
metière militaire d’Aden, ont fait une fondation qui garantit
le traitement de deux missionnaires à Cheikh Othmân.
L’Église libre d’Écosse prit en main la direction complète de
l’œuvre. Suivant la pensée du fondateur, on fit de cette œu-
vre une mission médicale. C’est à peu près le seul moyen
d’agir sur des musulmans, le seul à portée, en tout cas, pour
entamer l’islam en Arabie. Deux ou trois missionnaires mé-
decins prirent successivement les fièvres à Cheikh Othmân et
durent rentrer en Europe; même un Syrien chrétien, le doc-
teur Zeitoûn, je crois, ne résista pas au climat. On continue
néanmoins, mais les nouvelles sont rares.
(1) Voir Journal des Missions, année 1883, p. 488; 1887, p. 280 et 314
1888, p. 149.
196
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Je hasarde dooc la question : « Serait-il possible d’aller à
Cheikh Othmân sans manquer le départ du paquebot et sans
dépasser les ressources d’un budget modeste? — Parfaite-
ment, répond M. Ch. J’y vais parfois voir un client; mais je
dois vous avertir que la maison du missionnaire est fermée
depuis une quinzaine de jours, dit-on. » J’insistai un peu.
On renonça à la visite d’Aden et de ses citernes dont les fon-
dements remontent aux Phéniciens, si l’on en croit certains
archéologues. M. Ch. fit avancer une des voitures dont nous
avions déjà remarqué l’allure fantastique. Elles sont de fa-
brique américaine; leur légèreté et le galop du cheval qui les
tire frappent à’autant plus que l’on voit à côté des chariots
placés sur deux roues, dont chacune est taillée dans un seul
madrier et que ce véhicule patriarcal est traîné par un dro-
madaire ou, non moins pacifiquement, par deux petits bœufs
zébus, importés d’Inde.
A peine installés dans notre «spider », nous sommes em-
portés par le cheval lancé au galop. Comment vous décrire
cette course de cinq quarts d’heure? Cela prendrait trop de
place. Le trafic, sur cette route, est assez important. Nous
avons croisé plusieurs centaines de chameaux, sans compter
les ânes et les voitures. D’ordinaire, c’étaient des caravanes
de douze à vingt bêtes : les unes portaient du bois mort; cela
faisait, artistement échaffaudé sur l’animal, comme une
énorme carapace; d’autres étaient chargées d’outres rem-
plies d’eau, de sacs de café, de dattes ou d’autres denrées en-
core. Un chameau porte, paraît-il, entre 200 et 250 kilo-
grammes. Et quels beaux types de chameliers! Des Arabes
d’Arabie! pour tout vêtement un pagne sale, et un turban,
habituellement bleu foncé. Leur peau, dont la nuance va de
l’olivâtre au brun rouge bronzé, est toujours d’un beau iriat;
ils paraissent bien nourris, plutôt secs, découplés, tout en
muscles.
Au poste de police, vers l’entrée du village, M. Ch. de-
manda le bungalow du padri , encore deux mots venus de
l’Inde. Nous étions tout près; mais l’agent nous informa que
VARIÉTÉS
197
le padri n’y était pas. Je proposai de jeter au moins un coup
d’œil sur la maison et les dépendances. Dans un hangar ap-
parut un vieil Indou parlant anglais. Nous avions eu raison
de persévérer. — « Le padri est au dispensaire, là-bas, dans
le village », nous dit le serviteur. Le cocher affirma qu’il con-
naissait l’endroit, et nous déposa, après un quart d’heure de
course échevelée à travers le village, devant un magnifique
jardin, au milieu duquel on apercevait un grand et beau bâ-
timent. L’installation luxueuse m’étonna un peu. Nous mon-
tâmes sous la véranda. Ce fut de nouveau un Indou qui vint
à notre rencontre pour nous dire que nous étions à l’hôpital
du gouvernement et que le dispensaire du docteur Yojung se
trouvait dans une autre direction. Cette fois-ci, le cocher, un
jeune nègre, menace de se mettre en grève; il nous assura
avec force gestes que son cheval était mort. — « Bien, dit
M. Ch., tu es le numéro 82; on te retrouvera.» Cela fut
énoncé d’une voix tranquille et opéra merveille. Le cheval
ressuscita. Nous partîmes au galop, et cinq minutes plus
tard, nous descendions devant une maison assez spacieuse,
à un étage et très simple. Tout autour des espèces de youc-
cas, haut de trois ou quatre mètres, poussaient au hasard et
naturellement, là comme dans tout le village; par ci par là,
un tamarisc ou un mimosa.
Sous l’arcade-véranda, une quinzaine de personnes, hom-
mes, femmes et enfants attendaient, assises ou couchées; une
forte odeur d’acide phénique se dégageait de l’intérieur. La
rumeur causée par notre arrivée fit paraître un grand Écos-
sais, vêtu de coutil blanc, la figure ouverte et souriante,
barbe et cheveux noirs. — «Docteur Young? demandai-je. —
Myself », fut la réponse. Je présentai mes compagnons et moi-
même. Le docteur nous fit entrer dans la salle des consulta-
tions. Il n’y avait que trois chaises. L'une s’effondra sous
M. Lauga. M. Young, qui se tenait debout, s’appuyant sur sa
table, ramassa les trois morceaux, — Lauga s’était ramassé
lui-même, comme il convient à un Béarnais. Le docteur remit
en place les membres disjoints du siège, — comme il convient
14
198
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
à un médecin-chirurgien, et Lauga eut le courage de se ras-
seoir. La conversation n’avait pas cessé, ne s’était pas même
interrompue; notre hôte n’avait pas sourcillé; il est calme,
comme il convient à un Écossais.
Après un moment, il nous pria de l’excuser s’il continuait
son travail. On amena un garçon d’une douzaine d’années. Il
avait au genou droit une terrible plaie. Il se nommait Moham-
med, venait pour la première fois, bien que souffrant depuis
plusieurs mois, et faisait la grimace pendant que le docteur,
qui avait noté d’abord l’état civil du patient sur un registre,
tâtait la jambe. Il pansa la plaie, dit au garçon de revenir, et
nous dit à nous qu’il le chloroformerait alors pour faire une
incision profonde. Puis, ce fut une petite fille de cinq ans,
amenée par son père : elle avait à nu une partie du métatarse
gauche. Un homme pâle et maigre souffrait de la fièvre. En-
suite, ce fut le tour d’une femme. M. Young nous pria de
monter au premier pendant cette consultation. Il a un infir-
mier indigène qui interroge d’abord les malades; mais
M. Young parle couramment l’arabe. Il nous promit de faire
cherchjer son collègue, le docteur Millar, arrivé il y a quel-
ques semaines seulement.
Tous les jours, sauf le dimanche, il défile ainsi dans ce ca-
binet médical de quinze à quatre-vingts malades et blessés,
une cinquantaine en moyenne. Ils se réunissent dès huit
heures du matin. Chaque journée est commencée par un culte
sous la véranda. Les malades qui savent lire, et tous ceux
indifféremment qui viennent de l’intérieur, reçoivent une
petite feuille coloriée, imprimée à Lahr et sur laquelle on a
calligraphié en arabe un passage biblique. Quelquefois, de
préférence encore pour l’intérieur, on donne au consultant
un Évangile ou un Nouveau Testament arabe. Il est arrivé
des malades d’une distance de trente jours de voyage. Le
sultan de Béhân, à quinze jours au nord de Cheikh Othmân,
est venu, sans être malade, passer deux jours au dispensaire
de la mission, pour voir ce dont ses gens lui avaient souvent
parlé avec tant de reconnaissance. Ainsi la renommée de la
VARIÉTÉS
199
charité, pratiquée à l’exemple du Maître qui avait compassion
de ceux qui souffraient, se répand dans les tribus autour
d’Aden, comme un parfum de bonne odeur. La Bonne Nou-
velle aussi est semée à tous les vents, et, par la grâce de
Dieu, deviendra un parfum de vie pour ceux qui l’accepte-
ront.
Il serait difficile de faire plus ou d’adapter une autre mé-
thode aux circonstances locales. L’invitation d’assister à un
culte chrétien irriterait les musulmans sans profit pour la
cause de l’Évangile. Il faut se contenter du contact personnel
qui s’établit au dispensaire construit sur l’emplacement
choisi par Ion Keith-Falkoner ; puis, profiter des relations
personnelles créées ainsi. Quand le docteur Millar saura assez
d’arabe pour diriger seul le dispensaire, le docteur Young
se propose de faire régulièrement des tournées dans l’inté-
rieur pour visiter ses patients, et surtout pour parler du
grand médecin qui guérit le corps et l’âme. Qui marchandera
l’admiration à ces deux hommes, expatriés dans un pays fié-
vreux et désolé, sous un soleil impitoyable, travaillant jour
après jour, ne voyant que peu ou point de résultats spirituels,
mais croyant qu’ils aplanissent en Arabie la voie de Celui qui
vient, qui viendra quand son nom sera proclamé partout. Ils
croient cela et ne comptent pas leurs peines etleurs sacrifices.
Ils sont deux et prient ensemble. Dieu les entend et les exau-
cera. Si peu d’apparence que cela ait aux yeux des hommes,
Cheikh Othmàn est un beau poste parmi tous les ouvrages
d’attaque que le christianisme élève contre le monde éloigné
du Christ.
Au premier étage, nous avons trouvé une école, un embryon
d’école; mais là encore ces hommes font ce qu’ils peuvent.
Un banc d’école et cinq élèves d’une dizaine d’années en
moyenne; un grand élève d’environ quinze ans, assis à une
table séparée; un tableau noir, et, devant, le maître d’école,
Iskander Aboût, un Syrien du Liban, élevé dans les écoles des
Quakers, voilà tout. L’instituteur enseigne l’arabe et l’anglais.
S’il n’enseignait pas l’anglais, il n’aurait pas d’élèves du tout.
200
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
L’instruction religieuse, c’est-à-dire la prédication de l’Évan-
gile, fait naturellement partie du programme. L’élève de
quinze ans est un Parsi; sa mère est Arabe; son père est venu
de Bombay à Aden. J’ai fait lire une phrase anglaise à l’un
des petits qui s’en est fort bien tiré, et a traduit ensuite cor-
rectement l’anglais en arabe.
La-dessus, le docteur Millar arriva. Je lui rappelai sa cham-
bre à Sardinia-Terrace, à Glasgow, en face de laquelle nos
bons amis Alston m’avaient parlé de lui, à son insu, parce
qu’il avait eu un instant la pensée de suivre Henry Dyke au
Lessouto. Il se souvient d'avoir entendu une de mes confé-
rences à Édimbourg. Nous nous étions manqués en Écosse et
nous nous rencontrions en Arabie.
Le temps passait vite, et il eût été plus que fâcheux de
manquer le départ de l'Iraouaddy. Ces messieurs nous avaient
invités à déjeuner avec eux. Le dispensaire est l’ancienne ha-
bitation de Keith-Falconer. Elle est en plein village et sur
un terrain paludéen. De là, la distance qui sépare la maison
d’habitation du dispensaire, au bénéfice des missionnaires.
Le docteur Young n’a guère eu d’accès de fièvre sérieux depuis
trois ans. Ces braves jeunes célibataires se mirent en quatre
pour nous servir un déjeuner plus que convenable. Du « por-
ridge », pour rappeler leur patrie lointaine, puis quatre
boîtes de conserves; enfin, du café au lait et des biscuits; le
tout servi par le vieil Indou.
Le fiacre numéro 82 fut hélé après cela; une cordiale et
longue poignée de main, et en nous recommandant les uns
les autres à la grâce de Dieu, nous nous séparâmes.
F. H. K.
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20213.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
201
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
« JUSQU’ICI L’ÉTERNEL NOUS A SECOURUS »
Paris, le 25 avril 1896.
Le temps nous manque (1) pour entretenir nos amis comme
nous le voudrions de la nouvelle délivrance accordée à notre
Société. Notre cœur est plein de reconnaissance envers Dieu
qui, à toutes les grâces qu’il nous avait déjà accordées pen-
dant l’année — envoi de renforts dans plusieurs de nos champs
de travail — heureuse tournure prise par les affaires de Ma-
dagascar au point de vue des missions, — ajoute encore ce
bienfait de nous permettre de terminer l’année sans aucun
déficit.
Nous remercions du fond du cœur tous les amis connus et
inconnus qui ont été, entre les mains de Dieu les instruments
de cette victoire. Et nous le bénissons, Lui, de sa fidélité et
de sa miséricorde. Il sait notre ardent désir de n’accepter
(1) La date où paraît cette livraison coïncide avec nos Assemblées
annuelles et avec tout ce qui s’y rattache : la rédaction du rapport, la
préparation des réunions, etc. De là des lacunes que comblera le pro-
chain numéro.
MAI 1896.
15
202
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
d'autres tâches que celles qu’il nous impose, et, ces tâches ]
acceptées, de n’en déserter aucune. Il sait aussi que pour ac- 1
complir ces tâches, nous ne pouvons compter que sur lui.
Car que sommes-nous avec toute notre bonne volonté et notre J
zèle? Nous sommes l’impuissance même, et s’il ne nous don- i
nait jour après jour les forces et les ressources dont nous ,
avons besoin, nous serions depuis longtemps débordés et ■
écrasés. Mais si nous sommes insuffisants, il est, lui, à la j
hauteur de toutes les situations. Il vient de nous le montrer
une fois de plus. Oh ! qu’il est doux, après la rude journée de !
marche qui est derrière nous, de nous arrêter un instant et
de dresser au bord du chemin notre Ebénézer I
Oui, « jusqu’ici l’Éternel nous a secourus ». 11 nous aidera
encore dans la suite. Reprenons avec confiance la lutte, les
yeux arrêtés non sur nous-mêmes et sur notre faiblesse, mais j
sur le but glorieux de nos efforts et sur les promesses de
Dieu, en serrant dans nos cœurs la parole que notre président
tenait à nous rappeler pour le jour de notre Assemblée an- |
nuelle : « L’Éternel découvre le bras de sa sainteté aux yeux
de toutes les nations, et toutes les extrémités de la terre ver-
ront le salut de Dieu ! »
SITUATION FINANCIÈRE
à la clôture de l’exercice 1895 1896.
OEUVRE GÉNÉRALE
1894 95 1895-96
354.831 40 Recettes de l’exercice 1895-96 367.690 65
355.158 80 Dépenses 367.400 30
Différence en excédent de recettes 290 35
Lesquels, ajoutés au reliquat de caisse de l’exer-
cice précédent 4.223 50
forment un encaisse de 4.513 85
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
203
ZAMBÈZE
59 551 65 Recettes 52.853 30
Reliquat de caisse de l’exercice précédent. . . 5.470 85
Ensemble. 58.324 15
57.552 75 Dépenses 57.639 85
Différence en caisse 684 30
MADAGASCAR
Dons reçus de divers 16.563 05
Dépenses payées au 31 avril 1896 8.933 55
Solde en caisse 7.629 50
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 23 AVRIL 1896
Nous ne donnerons pas aujourd’hui un compte rendu dé-
taillé de cette réunion, sur laquelle nous nous proposons de
revenir dans un mois. C’est hier au soir qu’elle a eu lieu, et
sous peine de mettre notre journal en retard, nous devons
nous borner à constater avec reconnaissance que nous avons
eu une bonne assemblée.
A l’heure indiquée, le président de la Société, M. J. deSeynes,
a pris place sur l’estrade, entouré de ses collègues et de
plusieurs missionnaires. La séance est déclarée ouverte et
l’on chante un cantique. Puis, M. le pasteur Appia lit un
fragment des saintes Écritures et prononce une prière. Après
quoi le président prononce une brève allocution où sont rap-
pelés les faits caractéristiques de l’année. Il rend notamment
un hommage de gratitude et de regrets à la mémoire de nos
frères MM. Bonzon et Jacot, décédés au Congo français. En-
suite le directeur donne un court abrégé du rapport annuel,
qui sera bientôt publié, et dont la lecture attentive ne saurait
être trop recommandée à tous ceux qui tiennent à s’associer
en connaissance de cause aux travaux de notre Société. Quant
au rapport financier , dont les principaux chiffres seulement
204
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
sont indiqués par M. Gruner , il laisse l’assemblée sous l’im-
pression d’une profonde reconnaissance : en effet, cette année
encore, loin de clore ses comptes avec un déficit, la Société
constate un léger encaisse, tant pour son œuvre générale que
pour celle du Zambèze.
La partie officielle du programme de la soirée étant épuisée,
le président donne successivement la parole à M. A. Bertrand ,
explorateur genevois qui revient du Zambèze et qui, de visu ,
nous entretient de l’œuvre accomplie par nos vaillants mission-
naires; à M. Viênoty qui nous transporte dans le champ dissé-
miné des îles océaniennes, et enfin à M. U. Teisserès, dont la
parole chaude et sympathique nous fait assister aux joies et
aux douleurs de la mission du Congo. Ces discours, que nous
n’avons pas le temps d’analyser, seront communiqués à nos
lecteurs — au moins en résumé — dans la prochaine li-
vraison du journal.
Une fervente prière de M. le pasteur /. Bianquis, de Rouen,
a terminé cette bienfaisante soirée. La collecte, faite dans les
rangs de l’assemblée par les élèves missionnaires, a produit
438 fr. 15.
ÉTUDIANTS MISSIONNAIRES
Le 14 février s’est constitué, à Genève, pour les pays de
langue française, un Comité du mouvement volontaire des
étudiants se destinant aux missions. Ce mouvement, né il y
a une dizaine d’années en Amérique, et qui s’est propagé
depuis en Grande-Bretagne, en Hollande, en Suède, en Nor-
vège, en Danemark, en Allemagne, aux Indes, au Japon, en
Australie, se propose de réveiller chez les étudiants l’intérêt
pour les missions et de les engager eux-mêmes à publier
parmi les païens le salut par Jésus-Christ, Fils de Dieu. Le
Comité exécutif est formé de quatre étudiants, tous futurs
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
205
missionnaires. Parmi eux, M. R. de Prosch, candidat en
théologie, élève de la Faculté de médecine de Genève, remplit
les fonctions de secrétaire-trésorier, et M. D. Couve, élève de
la Faculté de théologie de Montauban, celles de secrétaire iti-
nérant. Il a été adjoint à ce Comité exécutif un Conseil hono-
raire composé de : MM. Barde, professeur à l’École de théo-
logie de Genève ; Boegner, directeur de la Maison des mis-
sions évangéliques de Paris; Guye, vice-président du Comité
de la misssion des Églises libres de la Suisse romande;
Leenhardt, professeur à la Faculté de théologie de Montau-
ban; Jean Monnier, pasteur, secrétaire général du Cercle des
étudiants protestants de Paris.
M. Daniel Couve a été chargé de visiter, pendant les mois
de mai et juin, les étudiants chrétiens de Suisse et de France,
et quelques Unions chrétiennes, pour les entretenir de la
question missionnaire et des responsabilités de la jeunesse
chrétienne vis-à-vis du monde païen. Le Comité du mouve-
ment, prie tous les amis des missions de se souvenir de son
œuvre dans leurs prières et de demander à Dieu de répandre
son Esprit sur la jeunesse de nos Églises.
Pour tous les renseignements, on peut s’adresser au siège
du Comité, Union chrétienne de jeunes gens, 3, rue Général
Dufour, Genève, ou à M. D. Couve, Faculté de théologie de
Montauban.
UNE RECTIFICATION
Dans notre dernière livraison (1), parlant des mesures pri-
ses par le gouvernement portugais à Fendroit de la mission
romande de Delagoa-Bay, nous nous sommes servis de ter-
mes qui doivent être légèrement modihés. La situation exacte
ressort du passage suivant du Bulletin de la mission romande,
(1) Voir notre livraison d’avril, page 159.
206
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
que nous sommes heureux de communiquer à nos lecteurs :
« On reconnaît en Portugal que les accusations formulées
contre les missionnaires suisses se dissipent à mesure que les
faits sont mieux connus.
« Tout récemment, un journal de Porto renfermait les-
lignes suivantes :
« Il paraît finalement constaté que les missionnaires
suisses n’ont eu absolument aucune part aux derniers évé-
« nements d’Afrique, événements qui ont eu pour résultat la
chute de Gungunyane. »
« 11 résulte de tout ceci qu’aucun de nos missionnaires,,
pas même le docteur Liengme, n’est expulsé. »
NOS DÉLÉGUÉS A MADAGASCAR
De Tamatave à la capitale. — A Tananarive.
Nous extrayons les lignes suivantes d’une lettre particu-
lière de M. Lauga au directeur :
Faravohitra-Tananarive. le 24 février 1896.
Mon cher ami,
... Nous voici donc au terme de notre voyage, et quel lar
borieux, quel rude voyage que celui de Tamatave à Tanana-
rive ! Il faut, pour se faire une idée approchante de ces diffi-
cultés, y avoir passé, car toute description sera forcément
incomplète.
Les deux premiers jours, de Tamatave à Andovorante,
n’ont rien de particulièrement difficile. On longe la côte dans
un pays qui n’est ni joli ni laid, où le sentier suivi par les
filanzanes se perd souvent dans des marais ou aboutit à des-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
207
rivières qu’il faut traverser en pirogue. C’est, en réalité, le
temps qu’il faut pour s’habituer à ce genre de locomotion peu
élégant, mais en somme supportable.
Cependant, à partir d’Andovorante, ou, pour mieux dire, à
partir de Maromby, — puisque le trajet du premier de ces
villages au second se fait en trois heures de pirogue, — on
entre dans la région montagneuse qui aboutit au plateau de
l’Imérina. Ce sont trois véritables chaînes de montagnes suc-
cessives, séparées par de petites vallées qu’il faut gravir et
descendre tour à tour. Les sentiers, — vrais sentiers de cha-
mois, — sont souvent si étroits, si escarpés, qu’à moins d’être
un véritable montagnard on hésiterait à s’y engager. Et
pourtant nos huit porteurs qui, quatre par quatre, se succè-
dent à la filanzane toutes les deux ou trois minutes, et cela
sans arrêter l’attelage, y passent deux de front avec une habi-
leté et une sûreté de pieds qui ont bientôt fait de dissiper
nos craintes et de nous inspirer une entière confiance. Même
dans les endroits vraiment périlleux et qu’on peut, sans au-
cune exagération, appeler des précipices, on se laisse porter
sans l’ombre de frayeur : tout au plus se tient-on un peu plus
fortement aux bras de l’étroit palanquin pour ne pas être
projeté en avant ou sur les côtés. Je ne suis pas encore re-
venu de mon étonnement, mêlé d’admiration, moi qui ai
quelque prétention à être appelé un alpiniste, à la pensée
que ces hommes ont pu, sans accident aucun, nous faire tra-
verser ces innombrables casse-cou qui se reproduisent tous
les quarts d’heure quand ce n’est pas davantage. En-
core, dans la saison sèche, pourrait-on, quoique avec peine,
en admettre la possibilité, mais on sait que nous avons
voyagé dans la plus mauvaise saison, la saison des pluies;
et, bien que que nous ayons été relativement privilégiés à
cet égard, nous avons pu, cependant, apprendre à savoir ce
que sont ces pluies équatoriales, vrais torrents qui tombent
du ciel et en quelques minutes transforment en rivières les
ruisseaux et en ruisseaux les sentiers, déjà si difficiles, suivis
par les porteurs qui n’en marchent pas moins sûrement avec
208
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
de l’eau jusqu’aux genoux et, dans certaines rivières et ri-
zières, jusqu’aux aisselles.
Mais je renonce à raconter cette rude montée à la capi-
tale, qui a été pour nous tout particulièrement difficile par
suite de la maladie de Krüger. Grâce à Dieu, on peut mainte-
nant parler de cette maladie, puisque notre ami est en pleine
convalescence; mais le fait est qu’il a été très souffrant et qu’il
lui a fallu, pour supporter les cahots de la filanzane et s’y
tenir assis aux endroits difficiles, toute l’énergie morale dont
il était capable. J’ai fait de mon mieux pour le soigner, dès
que nous arrivions aux étapes ; mais il^n’en a pas moins souf-
fert cruellement, tant au physique qu’au moral, de l’impos-
sibilité où nous nous trouvions de lui donner les soins qui lui
eussent été nécessaires. Pendant huit jours, je ne l’ai soutenu
qu'avec du bouillon, du lait concentré et un peu de ce cham-
pagne vivifiant que je dois à la libéralité prévoyante de mes
chers amis de Reims. Et ces nuits passées trop souvent dans
des villages complètement raziés ou brûlés par les fahavalos,
et où il fallait se contenter d’une case à demi reconstruite !
Enfin tout cela est, par la bonté de Dieu, loin derrière nous,
et, depuis six jours, ce ne sont ni les soins, ni les témoignages
d’affection chrétienne qui nous manquent.
Nos frères des différentes missions nous ont accueillis avec
une joie et une sympathie qui nous touchent profondément,
et nous ne saurons jamais assez les remercier pour les mille
prévenances, pleines de tact et de délicatesse, dont ils nous
ont entourés. Je te charge, mon cher ami, d’exprimer à leurs
directeurs, en Europe, notre profonde reconnaissance pour
tout ce que ces frères ont fait et font encore pour nous.
Et maintenant nous voici, ou plutôt me voici à l’œuvre,
puisque mon compagnon ne m’a pas encore rejoint en ville.
Te raconter ma vie pendant ces dix jours nécessiterait un vo-
lume : qu’il te suffise, pour aujourd’hui, de savoir que mon
temps, du matin au soir, a été pris par des visites à recevoir
ou à faire. Tous les pasteurs indigènes de la ville, à com-
mencer par les trois pasteurs du palais, qui étaient chez moi.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
209
à huit heures du matin, le lendemain de notre arrivée, et un
certain nombre de pasteurs des environs, sont venus me sou-
haiter la bienvenue. Et quelle joie expansive et touchante
que celle que, du premier au dernier, ils ont manifestée en
voyant enfin « le visage d’un pasteur protestant français » !
Très sérieusement, ils commençaient à douter de l’existence
d’un protestantisme français, et, malgré leurs missionnaires
qui leur avaient parlé de nous et fait espérer notre arrivée,
ils se demandaient avec anxiété si les Jésuites ne disaient
pas vrai en affirmant, comme ils le font encore, qu’il n’y a en
France, comme protestants, que des étrangers! Et que d’au-
tres faits plus graves qui nous prouvent que nous ne sommes
pas arrivés un jour trop tôt !
J’aurais bien des choses intéressantes à te dire sur ces
visites des pasteurs malgaches, mais je ne le puis aujour-
d’hui. J’ai été reçu on ne peut plus cordialement à la rési-
dence générale par M. Laroche; il m’a assuré que, sans vou-
loir en rien faire de politique religieuse ou confessionnelle,
il nous prêterait son concours toutes les fois que cela nous
serait nécessaire. J'ai aussi été reçu en audience par la reine
(pauvre et intéressante femme!) dès jeudi dernier : elle eût
voulu me recevoir déjà dès lundi; mais, espérant que Krüger
pourrait venir avec moi, j’ai retardé autant que possible
cette entrevue. Cependant, mon ami ne pouvant pas encore
quitter l’hôpital et M. Laroche me conseillant de faire au
plus tôt cette visite, je me suis exécuté. Ici encore un excel-
lent accueil. Enfin, hier 23, j’ai parlé dans l’Église de la
reine, et devant elle, à l’aide d’un interprète; j’ai essayé de
mon mieux de rassurer ces cœurs tremblants et ces esprits
inquiets
Priez beaucoup pour nous! La tâche nous paraissait dif-
ficile de loin ; elle l’est, de près, mille et mille fois plus, et
nous avons besoin d’une mesure de sagesse et de prudence
surhumaines. Demandez à Dieu de nous les donner.
Jamais votre Comité n’a répondu plus directement à la vo-
lonté de Dieu que lorsqu’il a pris la décision d’envoyer une
210
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
délégation à Madagascar ; mais cela ne suffit pas : il faut qu’il
nous soutienne ardemment de ses prières dans l’œuvre diffi-
cile, à certains égards périlleuse, qu’il nous a confiée.
Présente au Comité mes salutations chrétiennes bien afïec"
tueuses.
Ton H. Lauga.
P. S. — J’ouvre dimanche prochain (1er mars) un culte fran-
çais. Grâce à Dieu, ma santé est excellente, bien que la fièvre
des régions malsaines que nous avons traversées m’ait fait,
dans la nuit de jeudi à vendredi, une visite aussi chaude
qu’inattendue et importune.
H.L.
Nous complétons l’intéressante lettre de M. Lauga par
quelques détails empruntés à une lettre plus récente de
M. Krüger. Comme son collègue, il parle de la réception en-
thousiaste qui leur a été faite par la population malgache
chrétienne. Des pasteurs, des députations nombreuses de
diverses Églises ont tenu, dès le premier moment, à mani-
fester à nos délégués toute la joie que leur causait leur pré-
sence. On les a comblés de cadeaux; des provisions de toutes
sortes leur ont été offertes: 10 dindes, 20 poulets, 4 canards,
2 moutons, des œufs, des paniers de riz, du bois; de sorte
que le ménage de nos frères s’est d’emblée trouvé abondam-
ment pourvu. Ils habitent dans la ville une demeure conve-
nable et ont un domestique pour prendre soin de la maison,
faire les repas, etc.
MM. Lauga et Krüger ont eu une nouvelle entrevue avec
M. Laroche, dont l’accueil a été des plus bienveillants. Le
jeudi 5 mars, ils ont fait une visite officielle à la Reine, qui
les a très bien reçus et leur a demandé de baptiser un enfant
adopté par elle.
Le culte français, qui a été inauguré le 1er mars à Tanana-
rive, a eu lieu dans l’école des filles située derrière l’église
d’Ambatonakanga. Cette école est construite en forme de cha-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
211
pelle. La reine y a avait fait apporter un harmonium. On avait
fait imprimer une feuille de quatre pages donnant l’ordre du
culte et quelques cantiques. Pour assurer le chant, on avait
fait exercer quelques cantiques en français à une vingtaine
d’élèves du collège de la Mission de Londres. Il y avait, à ce
premier culte, 21 Français présents, dont 7 officiers et un ca-
poral. Quatre de ces officiers étaient envoyés par le général
Yoyron. Le reste étaient des civils et, au premier rang, M. La-
roche. La reine s’était fait représenter par deux princes
malgaches sachant le français. M. Lauga a commencé par
adresser des remerciements au Résident général, à la reine et
aux missionnaires de Londres pour le bienveillant concours
qu’ils ont accordé à l’établissement du culte protestant fran-
çais à Tananarive, ces derniers en prêtant le local où il a été
inauguré. Puis, M. Lauga a prêché sur : « Vous serez mes
témoins. » Les Malgaches ont attaché une grande importance
à l’établissement de ce culte.
Le dimanche 8 mars, avait lieu le second service français,
présidé par M. Krüger; il a réuni seize auditeurs français, au
nombre desquels se trouvait le Résident général.
Outre les visites officielles faites ou reçues, l’établissement
d’un culte français , nos délégués avaient à organiser leurs
tournées et à pourvoir à de très nombreuses réunions que
les diverses Églises leur demandaient de faire. Ne sachant
comment répondre à toutes les demandes, nos frères ont prié
les missionnaires de les aider à dresser leur plan de cam-
pagne. Le 7 mars, un entretien a eu lieu à cet effet. A la
suite de cette petite conférence, il a été décidé que nos en-
voyés auraient six réunions par semaine outre trois par di-
manche, sans compter le service français. La série des réu-
nions sera imprimée et communiquée à tous les intéressés
afin qu'ils convoquent le plus de monde possible pour la vi-
site projetée.
Le surintendant norvégien, M. Borchgrevink, a invité nos
délégués à assister à la conférence du Betsiléo , à Fiana-
rantsoa, à huit journées de Tananarive. Comme les Norvé-
212
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
giens n’ont presque rien àTananarive, il importe que nos dé-
légués aillent voir leur œuvre là où elle atteint son plus grand
développement. M. Borchgrevink estime d’ailleurs que les
Églises dépendant de la mission norvégienne ont autant be-
soin d’être visitées et rassurées que celles de la capitale. Nos
frères ne demandaient qu’à se rendre aux raisons de M. Bor-
chgrevink, et il a été éventuellement convenu queM. Lauga
irait à la conférence norvégienne pour rentrer à Tananarive
au bout de quinze jours, ce qui n’empêchera pas M. Krüger
de visiter en détail cette mission (1).
On le voit, le travail de nos frères est très considérable et
ils ont plus que jamais besoin des prières des Églises qui les
ont envoyés.
LESSO U TO
ISAAC BISSEUX
Nous recevons la nouvelle de la mort de M. Isaac Bisseux,
le doyen de notre corps missionnaire et le premier élève
qu’ait possédé notre Maison.
Isaac Bisseux est décédé à l’âge de quatre-vingt-huit ans, à
Montagu, dans le Transvaal, chez sa fille auprès de laquelle
il s’était retiré. M. Bisseux est un des trois premiers mission-
naires envoyés par notre Société. Tandis que ses deux com-
pagnons Lemue et Rolland allaient fonder une œuvre parmi
les Béchuanas, il s’occupait d’instruire dans la foi chrétienne
les esclaves noirs des fermiers d’origine huguenote, établis à
la vallée du Charron, et dans ce qu’on appelle encore aujour-
d’hui le « Coin français ».
Nous nous proposons de revenir sur cette belle et longue
(1) On trouvera plus loin un article de M. le pasteur Munthe-Kaas sur
la mission norvégienne.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
213
carrière; mais nous devions au moins signaler aujourd’hui
le départ de ce vétéran de notre mission.
SUR UNE TOMBE
Lettre du missionnaire Dieterlen à sa mère .
Léribé, 9 mars 1895.
Nous avons enterré hier Maria ’Mamoliboéa, la malade dont
je t’ai souvent parlé dans mes lettres de ces derniers mois.
Elle est morte samedi matin « quand les secondes poules
chantaient », c'est-à-dire au lever du soleil. Et sa mort est
pour l’Église et pour nous une véritable perte.
C’était une de ces femmes que nous aimons comme des
mères et que Dieu nous envoie pour remplacer, dans une cer-
taine mesure, bien entendu, nos véritables mamans, celles
que nous avons laissées loin, bien loin, de l’autre côté de
l’Océan, à l’autre bout du monde. On les respecte, on les aime
d’un amour filial qui remue le cœur et l’apaise.
Sa piété était la simplicité même, celle de nos vieilles
JBassoutoses, que je voudrais pouvoir décrire et définir, tout
en sentant combien c'est difficile. Je me la figure surtout
comme peu compliquée et très pratique. Pas d’envolées, pas
de grande sentimentalité, pas de mysticisme. Une affaire de
conviction, de conscience et de devoir. On vivait loin de
Dieu et dans le mal, maintenant on comprend autrement la
vie. 11 s’agit d’avoir par Jésus-Christ le pardon des péchés,
de vivre selon Dieu, de marcher vers la vie éternelle, d’ac-
complir fidèlement ses devoirs de chrétien et de ne plus pac-
tiser avec le paganisme. 11 est possible qu’un peu de mérite
des œuvres, pas mal de superstitions et de coutumes païennes
se mêlent à la chose, mais sans orgueil et sans malice. N’ou-
blions pas que des gens qui viennent de si loin et de si bas
ne peuvent ni comprendre toutes les subtilités de la théo-
214
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
logie, ni se débarrasser d’erreurs invétérées dont elles ne se
rendent guère compte.
Quand Maria tomba malade et que le mal se fut aggravé,
on la conduisit à cinq ou six kilomètres d’ici, chez son frère
Lélahla, dans un village absolument païen. Consulter un mé-
decin européen, c’eût été facile. Elle était femme de Molapo
et mère de chefs. Ses fils ont assez de bétail pour épouser
quatre ou cinq femmes en un an. Mais, soit avarice, soit fa-
talisme, soit insouciance, personne ne songea à chercher le
médecin voisin. Des docteurs indigènes essayèrent de leurs
drogues et ne purent rien.
Un jour cependant, Jonathan Molapo envoya deux hommes
pour proposer à la malade de la a laver*. Laver, cela veut
dire tuer un bœuf, en prendre la bile, et en frotter le corps
du patient en invoquant les mânes des ancêtres. C’est un sa-
crifice offert aux défunts, donc du paganisme pur. Maria re-
*fusa énergiquement en disant : « J’ai été lavée par le baptême,
cela me suffit. »
J’allai souvent la voir. La première fois je trouvai Lélahla,
son frère et chef du village, assis sous un saule, aussi peu
vêtu que possible, étalant au grand air son corps replet et
dodu, en mangeant une soupe au lait avec un air de satis-
faction enfantine et de béatitude imperturbable. Nous cau-
sâmes :
— Et quand deviendras-tu chrétien, toi, Lélahla?
— Ah !... Est-ce qu’un vieux comme moi pourrait encore
devenir chrétien ?
Après ma visite à Maria, je convoquai les gens. Nous nous
assîmes sous le saule en question, qui abrite les repas de
Lélahla, les causeries des hommes et leur sommeil, les
séances de leur tribunal et les petits cultes des gens qui
évangélisent. La malade y fut amenée. Un vieux que j’invi-
tais me répondit : « La prière, nous aimons cela, nous, les
vieux, » Je leur lus une parabole et la leur expliquai. Et,
après le culte, nous eûmes avec Maria une conversation inté-
ressante, comme on peut en avoir après un service, et, je
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
215
dois l’avouer, faite en grande partie pour la galerie, pour ces
païens muets, mais tout oreilles, qu’un enseignement indi-
rect touchera peut-être plus sûrement qu’une instruction di-
recte, une conversation étant parfois plus intéressante qu’une
homélie...
La dernière fois que je vis Maria vivante, elle était près
de sa fin, mais très heureuse. Lydia, la première femme de
Molapo, lui avait lu un cantique. Pour les Bassoutos, un can-
tique, c’est la parole de Dieu tout comme la Bible, et cela
leur reste davantage. Ce cantique Pavait touchée : a Lydia
m’a apporté une grande bénédiction. Elle a coupé mes
mains noires, et il m’est poussé des mains blanches avec
lesquelles je me cramponne (à Jésus). » Voulant dire ainsi
qu’elle n’était plus la pécheresse souillée qui ne peut espérer
en Dieu, mais qu’elle avait le pardon et les espérances de la
foi. Elle ajouta : «Je ne demande qu’une chose, c’est que la
volonté de Dieu se fasse. »
Vendredi, à midi, on m’envoya un messager pour me pré-
venir que la fin approchait. Le drôle n’arriva que le soir,
alors qu’il n’était plus temps de chercher mes chevaux qui,
en ce moment, paissaient jour et nuit sur la montagne. Il
avait, en route, appris qu’il y avait de la boisson dans un vil-
lage, et il était allé boire, sans scrupule et sans remords.
Samedi, quand j’arrivai, Maria était morte.
Ce qui m’a frappé, ce sont les témoignages d’affection et de
reconnaissance que l’on exprima à son égard :
« Elle était la mère des orphelins des autres femmes. »
« Quoique femme de polygame, elle ne fut jamais ja-
louse. Elle resta toujours serviable, dévouée, paisible et
bonne. »
« Personne n’avait rien à lui reprocher. Avoir des griefs
contre ’Mamoliboéa? autant en avoir contre cette pierre ou
cet arbre. »
« Quand la famine nous faisait les gros yeux, on ne reve-
nait jamais de chez elle sans être rassasié et sans rapporter
quelque chose pour les enfants. »
216
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
« Elle était ma Maria, j’étais sa Rahaba. Que ferai-je sans
elle ? »
« Elle avait un cœur droit et beau, un cœur blanc. »
Païens et chrétiens parlaient d’elle de la même manière et
disaient qu’en elle ils avaient vu ce qu’est une vraie chré-
tienne.
C’est qu’elle avait là charité , la vertu chrétienne par excel-
lence, la charité qui, on l’oublie trop souvent, est a plus
grande que la foi et l’espérance. » Elle était de la famille des
Dorcas que l’on pleure parce qu’on les aime et que l’on aime
parce qu’elles ont aimé. Le jour où un ivrogne répandit dans
le pays le bruit (un faux bruit) qu’elle était morte, les femmes
éclatèrent en sanglots dans les champs. Chacun déposa sa
pioche et retourna à la maison, en signe de deuil, selon la
coutume si belle du pays...
Nous sommes allés hier matin au village de Molapo pour
l’ensevelissement. Il fallut attendre deux heures que la tombe
fût achevée. Des hommes à peu près nus taillaient à grands
coups de pic dans l’argile durcie par la sécheresse, offrant aux
regards une magnifique exibition de muscles puissants sou-
levant la peau brune que la transpiration faisait briller au
soleil. La fosse terminée, il fallut encore y tailler le réduit
dans lequel on dépose le cercueil et qui sera recouvert de
lourdes dalles avant que la terre soit rejetée dans la tombe.
Autant de précautions prises contre les sorciers qui pour-
raient bien chercher à déterrer ce cadavre pour en enlever
des lambeaux destinés à la fabrication de charmes malfai-
sants.
Beaucoup d’hommes assistent au travail : les uns causent
en cercle sur le gazon, d’autres prisent en bâillant ou som-
meillent. Il y a des vieux en grand nombre, avec leurs
figures calmes où se lisent les passions éteintes, la jouissance
paisible de leur petit bonheur, l’autorité de l’expérience et la
sérénité de l’incrédule qu’aucun doute ou préoccupation reli-
gieuse ne contrarie; — ces vieux Bassoutos que la civilisation
européenne a à peine effleurés et qu’elle n’a pas déformés.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
217
IA côté d’eux, les jeunes hommes, l’air sensuel, vicieux et
impertinent, les cheveux coupés de près sur tout le crâne,
sauf au-dessus du front sur lequel ils pendent en petites
tresses ou relevés en diadème de laine noire et sale, — des
garçons qui ont travaillé au dehors, qui ont vu de près les
blancs et leurs vices (car leurs vertus, on ne les remarque
pas quand on est païen, cela n’a rien d’intéressant ou qui
invite à l’imitation), qui y ont goûté, qui aiment l’eau-de-vie
et le reste; des figures «retour des mines d’or » enfin; j’al-
lais dire des airs canaille et de vauriens.
Une faiseuse de pluie rôde par là, la chevelure longue et
crasseuse, pommadée de rouge, le cou garni d’amulettes et
de petites cornes contenant des charmes, le regard vague et
éteint, perdu dans des rêveries lointaines; une coquine ou
une hallucinée? Je penche pour l’hallucination. Ces gens croient
avoir la mission de converser avec les défunts et d’obtenir
d’eux des confidences et de la pluie. Ils croient en eux-
mêmes. Ils « se gobent». C'est ce qui leur donne tant de pres-
tige et leur permet de soutenir longtemps un rôle en somme
très ingrat.
On a hâtivement assemblé quelques perches avec des cour-
roies. Le cercueil y est déposé. Une trentaine d’hommes l'en-
lèvent, et le cortège se met en marche. De décorum, point.
Les porteurs vont vite à travers les pierres et les épines; le
cercueil roulant et tangant au-dessus de leur masse comme
un petit bateau sur une vague. On cause, on s’avertit, on
s’appelle : Par ici! Attention! Doucement!... etc.
Moliboéa, le fils de la défunte, est coiffé d’un très vieux cha-
peau de paille, sans chaussures, et enveloppé dans la plus
sale couverture qu’il a pu trouver. Ce n’est pas de la négli-
gence, car il est d’habitude très convenablement vêtu. Non,
c’est un signe de deuil. Lors d’un enterrement, les Bassoutos
qui gardent les traditions, sont toujours misérablement vêtus,
ce qui donne au cortège une apparence plus triste encore.
Nous arrivons. Le cercueil est descendu dans la tombe et
soigneusement mis en place. Toute l’assemblée s’assied sur
16
218
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
l'herbe. Jonathan Molapo pleure à chaudes larmes. Ces
larmes, des larmes vraies, qui coulent de ses yeux, cela
renverse toutes les idées que je me fais de son caractère. Je
le crois rusé, perfide, orgueilleux, égoïste. Et pourtant il
pleure de vraies larmes sur la tombe d'une femme qui était
la femme de son père, une des nombreuses femmes de son
père, mais qui n’était pas sa mère à lui... Je ne comprends
plus, ou plutôt je ne comprends pas encore. J ai tort de juger,
même d'avoir des impressions. Cet homme, étant un grand
chef, est plus compliqué que le commun des mortels. Il fau-
dra chercher à le connaître de plus près, pour être juste et
charitable.
Nous avons chanté ce beau cantique :
Encore quelques jours sur la terre,
Encore quelque peu de misère...
dont les paroles et la mélodie se marient si bien, et qui. sur
le bord d une tombe, font vibrer dans le cœur de l'homme les
cordes les meilleures et les plus sensibles.
Des sanglots, des crises de pleurs, des cris partent des
groupes de femmes dispersées sous les pêchers.
J'ai pris pour texte de mon allocution : a Maria (Marie) a
choisi la bonne part, qui ne lui sera pas ôtée. »
Puis, voyant que j’avais devant moi la fine fieur du paga-
nisme de Léribé, chefs en tête, je n'ai pu résister au besoin
de leur parler d'un sujet qui pèse lourdement sur mon cœur,
lis invoquent les défunts au lieu de prier le seul vrai Dieu.
Alors que la sécheresse et les criquets détruisent les récoltes,
ils ont recours à des sorciers et offrent des sacrifices à leurs
ancêtres. Ils accentuent leur paganisme, ils s’y embourbent.
Les chefs y ramènent leur peuple en lui en prêchant la beauté
et la légitimité.
Pouvais-je me taire? Parler de cela à l'occasion d'un enfer-
ment, ne sera-ce pas un impair, un manque de tact? D'autre
part, ai -je le droit de ne rien dire, et de laisser ainsi passer
une occasion unique de chercher à leur ouvrir les yeux?
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
219
Je m’étais posé ces questions hier, avec angoisse. Je me
suis décidé à parler. Une transition quelconque m’a permis-
de passer de celle qui était dans la tombe, immobile et déli-
vrée, aux vivants qui l’entouraient, exposés à toutes les ten-
tations d’un monde corrompu, et esclaves d’un paganisme
plus tenace que jamais. J’ai évité toute expression blessanter
surtout pour des gens susceptibles et chatouilleux comme
nos chefs. Mais j’ai dit la vérité. J’ai vidé mon cœur, ou plu-
tôt j’ai déchargé ma conscience, et je les ai suppliés de ces-
cer d’invoquer leurs faux dieux pour quenous puissions de
nouveau prier le vrai Dieu.
Trois poignées de terre jetées sur le cercueil et une prière.
J’offre la parole à Jonathan, qui devait parler. Il me dit
qu’il n’a rien à dire : je lui avais sans doute coupé le discours
très chrétien qu’il n’aurait pas manqué de nous faire.
Le résident, qui est chrétien professant, exprime sa sym-
pathie à 1’assemblée et ajoute quelques paroles religieuses
qui, sortant d’une bouche laïque et dites par un homme de
sa position, avaient un grand poids. La parole d’un laïque,
toute simple qu’elle soit, a souvent beaucoup plus de force
que celle d’un pasteur qui, lui, est un professionnel et ne peut
parler autrement que dans le sens chrétien.
Après la bénédiction on se retire. Les fils de Molapo vien-
nent l’un après l’autre jeter de la terre dans la tombe. C’est
du nouveau pour quelques-uns. Il y vont par pelletées qui
font dans la fosse un bruit sinistre.
Nous prenons congé des chefs. Jonathan me serre les mains
et me remercie aimablement d’avoir enterré sa mère et nous
souhaite un bon retour à la maison. Fatigués et grillés par
un soleil ardent, nous remontons à cheval et, au bout d’une
bonne demi-heure, nous mettons pied à terre dans la station.
Cet enterrement a eu son épilogue. Après notre départ,
Jonathan a réuni les gens et leur a fait un petit discours à sa
façon, émaillé de citations bibliques. «Ce que le missionnaire
a dit est vrai. (Ça, c’est de la politesse de forme). Il a raison.
Nous aussi nous avons raison. Mon grand-père Moshesh ac-
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
220
cueillait indistinctement blancs et noirs, Cafres et Boers,
chaque peuple prie à sa manière. Les blancs ont leur foi, nous
avons la nôtre. Notre faiseur de pluie a raison de la deman-
der aux ancêtres. Il dit que c’est sa vocation. Un Mossouto
pourrait-il dire un mensonge? (!) Quant à la pluie, ce n’est
pas seulement au Lessouto qu’il ne pleut pas. Dieu nous don-
nera de la pluie, lui qui n’oublie pas même le passereau.
Restons des Bassoutos et gardons nos coutumes. » On a crié :
« Tu as raison, chef. La pluie ! la pluie! »
En somme, Jonathan a démoli mon sermon... après mon
départ, derrière mon dos. C’est son habitude. Je le savais,
mais je ne pouvais pas ne pas parler ainsi. Il faudra que j’aie
une entrevue avec lui, que nous traitions la question face à
face, comme des hommes..., s’il s'y prête. Et qui sait s’il ne
m’éconduira pas avec d’aimables sourires, des paroles miel-
leuses et cette politesse moqueuse qu’il doit à la bonne édu-
cation qu’il a reçue dans les écoles de la colonie du Cap, et
à son scepticisme invétéré...
ZAMBÈZE
NOUVELLES DE MM. COILLARD ET JALLA
Palapye, 14 mars 1896-
Bien cher frère et ami Monsieur Boegner,
Un mot seulement pour vous remercier de votre bonne
lettre reçue ici.
Je regrette d’avoir à vous dire que mon état ne s’améliore
pas, au contraire. Le voyage de Boulouwayo ici a été des plus
pénibles. Le wagon me tue. J’ai dû louer ici une wagonnette
avec ressorts pour me conduire à Maféking. Mais elle est si
petite que je ne sais trop comment cela ira. Les L. Jalla ont
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
221
quitté avant-hier dans un wagon loué. Je partirai dans deux
ou trois jours et les rattraperai en route. Je ne tiens pas à
rester à l’hôtel plus longtemps qu’il ne faut. C’est probable-
ment à Kimberley que je m’arrêterai pour soins médicaux.
Mais c’est surtout au Cap que je ferai, sur l'avis du docteur,
un séjour d’un mois ou six semaines avant de m’embarquer.
Les Jalla, eux, me laisseront à Kimberley et prendront les
devants. Si mon état s’améliorait, je ne perdrais pas mon
temps au Cap. Vous ne savez peut-être pas que les amis de
Stellenbosh (l)et environs, en apprenant l’effondrement de ma
wagonnette, ont fait une souscription pour m’en procurer
une autre et m’ont envoyé 2,875 francs.
Je dois forcément renoncer à aller au Lessouto. Ce voyage,
que le docteur condamne, n’aurait aucun résultat satisfaisant,
au contraire. Toujours couché sur le dos en proie à de vives
douleurs, je ne pourrais ni parler, ni prêcher, ni voir les
gens.
Voilà un long chapitre sur moi. Excusez. Je prends à cœur
ce que vous dites sur Madagascar. Ne croyez pas que je me
désintéresse de toutes ces questions, loin de là, mais décidé-
ment, écrire, c’est trop pour moi.
Je m’arrête donc. Quel choc que la mort de M. Alfred André !
Que de vides partout. Heureux sont les morts qui meurent au
Seigneur! Oui heureux l
Votre affectionné,
F. Coillard.
P . S. — 16 mars. Une chose qui cause un grand émoi et
même une grande panique, c’est la peste bovine qui a éclaté
par ici. On tue les bœufs par centaines sur le moindre
symptôme. Nous avons eu le bonheur d’arriver quelques jours
avant et de vendre tous nos bœufs.
F. C.
(1) Petite ville aux environs du Cap. Notre missiou y possède de
chauds amis.
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
2-22
M. Jean Jalla, professeur à la Tour, a bien voulu nous com-
muniquer les nouvelles suivantes qui sont les plus récentes
que nous ayons :
« Mon frère est parti, le 12 mars, de Palapye où il avait pu
vendre wagons et bœufs à de bonnes conditions et en louer
d’autres. M. Coillard ne devait partir que le 16 dans une car-
riole plus rapide et cependant précéder mon frère à Maféking,
mais il n’avait plus de nouvelles de son vénéré compagnon
de voyage, ce qui n’était pas sans l’inquiéter.
a A Pala, un cordon de quarantaine tenait arrêtés plus de
100 wagons à cause de la peste bovine. Mon frère put trouver
un wagon venu du sud et qui s’en retournait à vide. Il quitta
les wagons loués jusque-là, prit possession de son nouveau
véhicule et put continuer sa route sans retard.
« C’est sous la date du 27 mars, d’un endroit appelé Mot -
loatsi, à 40 milles de Maféking, que mon frère trace ces
lignes. Il espérait arriver dans cette ville le 30; mais il avait
à traverser encore un second cordon sanitaire qui Poblige-
rait à un nouveau déménagement. Ses prochaines lettres se-
ront de Maféking (1). »
LA MISSION DO ZAMBÈZE
de juillet 1894 à septembre 1895.
Suite et fin (2).
Remontant encore le fleuve, nous arrivons à Nalolo après
un voyage d’environ quinze jours. Cette station vient de célé-
brer son premier anniversaire. Ce n’est cependant pas depuis
cette année seulement que les gens de Nalolo ont entendu la
(1) On se souvient que c’est à Maféking que se trouve la tête de ligne
du chemin de fer conduisant à la ville du Cap. En touchant à Maféking,
nos amis seront donc hors des grandes difficultés du voyage.
(2) Voir Journal des Missions, p. 122.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
223
prédication de l’Évangile; depuis longtemps, cet important
village avait été visité soit par M. Goillard, soit par M. Ad. Jalla,
soit par les évangélistes; en outre, de nombreux enfants
avaient suivi l’école de Séfula, puis celle de Léaluyi. Gela ex-
pliquera comment le missionnaire de Nalolo, M. Béguin, a
trouvé d’emblée un auditoire nombreux, attentif et bien dis-
cipliné, et cela expliquera aussi comment, là comme ailleurs,
il y a des professants; parmi eux, nous remarquons spéciale-
ment Kaïba, fils de la reine, et Akabuna, fils du mari de la
reine, c’est-à-dire les deux jeunes hommes les plus influents
de Nalolo.
Grâce à la présence de l’évangéliste Jakobo et de sa femme
Noréa , dès la fondation de la station les cultes et l’école ont
pu se tenir régulièrement.
Les auditoires du dimanche ont été d’une moyenne de
200 personnes, chiffre qui a souvent été beaucoup plus élevé,
mais qui a aussi souvent été moindre. Cela dépend malheu-
reusement de la reine : lorsqu’elle vient, il y a de nombreux
auditeurs; mais qu’elle soit absente, l’assistance est considé-
rablement réduite. M. Béguin rend cependant à Mokuaé le
témoignage d’avoir, en général, suivi les cultes assidûment.
L 'école, inaugurée le 1er janvier avec 50 élèves, en avait
bientôt 80, mais il fallut alors interrompre à cause de l’inon-
dation. Après trois mois de vacances forcées, l’école pouvait
-s’ouvrir de nouveau, mais seulement avec une moyenne de
50 élèves, beaucoup étant absents du village à cause de la
famine qui règne en ce moment dans le Borotsé.
11 a paru intéressant au missionnaire de Nalolo de dresser
une statistique des malades soignés, cela afin de donner une
idée de ce que pourrait être l’activité d’un médecin mission-
naire dans ce pays : il a une moyenne d’environ 100 malades
par mois, souffrant surtout des yeux, des voies respiratoires
et des intestins.
Pour compléter le tableau de ce qui s’est fait à Nalolo pen-
dant cette première année, il faut dire un mot des construc-
tions; elles ont naturellement pris la grande part dans la vie
224 JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
du missionnaire, puisqu’il fallait fonder la station. Tout
d’abord il a fallu construire un lieu d’habitation provisoire,
ainsi qu’un abri pour les cultes et l’école, puis la maison du
missionnaire avec toutes les dépendances que cela comporte,
enfin il a pu commencer la construction d’une chapelle. De
son côté, l’évangéliste a du aussi bâtir ; comme le mission-
naire, après avoir d’abord élevé et habité des huttes, il a
construit une maison quadrangulaire.
Quant à la santé, les missionnaires de Nalolo ont lieu de
remercier Dieu; ils ont naturellement payé leur tribut à la
fièvre du pays, mais ils n’ont eu aucun accident ou maladie
grave.
M. Béguin termine son rapport en disant que cette pre-
mière année ne lui laisse en somme que de bonnes impres-
sions : les gens ont été aimables et il n’a jamais eu à souffrir
quoi que ce soit de leur part. Cependant il a eu quelques
frottements avec la reine: cela était inévitable; car si Mokuaé
avait désiré avoir un missionnaire, c’était en pensant trouver
en lui un fournisseur bénévole de tout ce qu’il lui plairait de
demander, ou bien encore, sans tact, elle voulait s’ingérer
dans les affaires d’Église ou de famille. Ne pouvant admettre
ces prétentions, le missionnaire a dû quelquefois la remettre
à sa place, ce qui fut naturellement assez pénible pour une
reine habituée à voir chacun s’accroupir humblement devant
elle. M. Béguin regarde cependant l’avenir avec confiance. Il
reconnaît que c’est bien plus par manque d’éducation que par
mauvais vouloir que la reine a parfois mal agi; d’autre part,
il reconnaît que lui-même n’a pas toujours su la prendre par
le bon côté et qu’il aurait souvent pu agir envers elle avec
plus de patience.
Quittant Nalolo et nous dirigeant vers le nord-est, nous ar-
rivons à Séfula. Pendant cette dernière année, cette station
a été sans missionnaire, laissée aux soins de l’évangéliste
Paulus , sous la direction des missionnaires de Léaluyi. Ceux-
ci lui rendent un bon témoignage. Voici ce que M. Ad. Jalla,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
225
l’auteur du rapport de Séfula, dit de lui : «Nous n’avons que
du bien à dire de cet évangéliste : sa fidélité, son zèle, sa
piété, sa connaissance des vérités chrétiennes nous le font
considérer comme un excellent ouvrier indigène, un homme
digne de la confiance que nous lui avons accordée, en lui lais-
sant la direction de cette station. Sa femme, Elisa, a été une
bonne acquisition pour notre mission, elle a beaucoup aidé
Paulus à l’école comme pour l’instruction des catéchumènes
femmes et enfants, malgré les fréquentes attaques de fièvre
qu’elle a eues. »
Jusqu’au nouvel an, l’œuvre faite à Séfula était très réjouis-
sante : on y comptait plus de 100 enfants à l’école et plus de
90 professants, pour la plupart des adultes pleins de zèle,
soit pour assister aux cultes, soit pour visiter les villages
voisins, afin d’en amener d’autres.
C'est sur ces entrefaites qu’arrivèrent les accusations de
certains chefs contre les évangélistes; vous savez déjà com-
ment ils durent comparaître au khothia de Léaluyi, comment
ils y furent insultés, mais aussi comment le roi prit leur dé-
fense. L’œuvre de Séfula en ressentit cependant le contre-
coup, le parti païen devint plus agressif, et plusieurs défec-
tions eurent lieu parmi les professants. Un vieux chef poly-
game voulut profiter de ces circonstances pour traduire
devant le tribunal de Léaluyi une de ses femmes devenue
chrétienne; le roi s’y opposa, mais consentit à ce qu’il y eût
une discussion publique à ce sujet; l’Évangile en sortit vic-
torieux, car malgré les nombreux chefs qui réclamèrent leurs
droits sur leurs femmes, le roi déclara en dernier ressort que
« toute femme de polygame serait libre de suivre les pres-
criptions de sa conscience et la loi de l’Évangile en se décla-
rant chrétienne. »
Cependant quelque temps après une nouvelle crise avait
lieu à propos du mariage chrétien. Toute polygamie ou po-
lyandrie est incompatible avec la profession de foi chrétienne;
dès lors, plusieurs de ceux qui avaient déclaré vouloir être
enfants de Dieu et qui cependant continuaient à vivre dans la
226
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
dissolution furent mis en demeure de rompre avec le péché.
Cela parut dur à quelques-uns; de là de nouvelles défections.
Grâce à Dieu, à côté de ces sujets de grande tristesse, il y
a aussi des faits réjouissants à constater, par exemple, une
collecte instituée parmi les fidèles, ou encore le plâtrage de
l’église accompli gratuitement par les femmes delà classe.
En résumé, l’œuvre de Séfula porte aujourd’hui des fruits
réjouissants, il y a là un bon noyau de chrétiens décidés, car
malgré les défections dont nous avons parlé, il s’y trouve en-
core 64 professants adultes. Il faut toutefois remarquer que
l’œuvre pourrait être plus prospère; qu’aujour d’hui elle est
plutôt en souffrance et qu’il serait regrettable que l’évangé-
liste y fût encore laissé seul. Aussi sommes-nous heureux de
pouvoir y placer de nouveau un missionnaire dans la per-
sonne de M. Davit; cela est d’autant plus urgent que les bâ-
timents de la station souffrent beaucoup de l’absence d’un
missionnaire.
Reprenant notre marche, nous arrivons enfin à Léaluyi.
Gomme les autres missionnaires, ceux de cette station ont eu
beaucoup de joie dans leur œuvre pendant l’année qui vient
de s’écouler; c’est M. Coillard qui devait présenter le rapport
de cette station, malheureusement la maladie l’en a empêché;
c’est encore M. Ad. Jalla qui nous fait l’histoire de l’œuvre de
Léaluyi pendant cette dernière période. Elle est pleine de faits
réjouissants. Pendant les premiers mois, des auditoires
de 500 personnes se pressent dans la chapelle, beaucoup
font profession de christianisme ; ils sont pleins de zèle et
vont évangéliser les villages voisins ; l’opposition qu’ils ren-
contrent les fortifie bien plus qu’elle ne les décourage; ils
instituent spontanément une réunion d’édification mutuelle
et d’évangélisation qu’ils tiennent au coucher du soleil, tantôt
dans l’un, tantôt dans l’autre des quartiers de la capitale. Les
conversions continuent, malgré l’opposition toujours plus
forte de certains chefs, qui ont le premier ministre à leur
tête. Et pourtant, parmi les convertis, nous trouvons Mo-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
227
fcamba, un des principaux chefs du pays, et sa femme, Mpo-
lolaa , la fille aînée de Léwanika. Celui-ci lui-même se montre
fort bien disposé, il prend en public la défense de l’Évan-
gile, abolit plusieurs superstitions, et tout porte à croire que
lui aussi va se déclarer pour Dieu.
C'est alors que survint l’inondation qui chaque année trans-
forme la vaste plaine du Borotsé en un grand lac. Cette
époque est pleine de distractions : « Fhumeur de nos Zambé-
ziens, dit le rapport, toujours voyageuse, le devient alors au
suprême degré. Pendant la crue, les femmes sont toutes à
leurs champs de sorgho qui vont être convertis en îlots, tandis
que les hommes ne pensent qu’à la chasse ou à la pêche.
L’école est en souffrance, les auditoires tombent à une
moyenne de 300. »
Vers la fin de l’inondation, ce fut pire encore : le roi s’en
alla faire une expédition de chasse, et les trois cinquièmes de
la population le suivirent; les auditoires n’eurent plus qu’une
moyenne de 130 personnes ; beaucoup de catéchumènes étaient
absents, et l’école n’avait plus que de 40 à 60 enfants.
C’est pendant ce temps que M. Coillard fit un voyage d’ex-
ploration missionnaire avec une douzaine de catéchumènes à
travers le Haut-Borotsé et une partie du Ba-Lunda et du bu-
bale. Ce sont des régions très peuplées qui sont encore sans
missionnaire, et où M. Coillard a souvent rencontré des gens
qui avaient déjà entendu l’Évangile dans la chapelle de Léa-
luyi, fait qui montre toute l’importance de cette station où
se trouvent constamment des visiteurs.
Lorsqu’enfin la période des absences et des distractions
fut close, nos missionnaires eurent le chagrin de constater
qu’elle avait été funeste au développement spirituel de plu-
sieurs. Voici ce qu’en dit leur rapport :
« Le cri que nous poussons depuis lors ce n’est plus : « En
avant! » mais : «Oh! qui nous fera être ce que nous étions
autrefois!» Nos catéchumènes ont abandonné leur premier
zèle, on n’entend plus le village retentir de leurs chants, on
ne les voit plus guère pressant les gens d’ouvrir leur cœur au
228 JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Sauveur; ils ne nous parlent plus aussi souvent de bonnes
tournées dans les villages environnants; ils n’accourent plus
si régulièrement à nos classes et à l’école; plusieurs sont déjà
tombés et gisent comme des pierres d’achoppement sur la
route qui mène à la ville de refuge. Cependant la plupart de
ceux qui sont tombés sont des jeunes gens et des jeunes
filles, ou des enfants qui s’étaient donné le change, prenant des
impressions et de bons désirs pour la conversion. Naturelle-
ment, le joug du Maître, si doux pour celui qui le porte vo-
lontiers, meurtrit les autres. Nous pleurons sur ces défec-
tions, mais nous avons de l’espoir, car il reste encore quelque
chose de bon. Les pertes sont d’ailleurs en partie compensées
par de nouvelles conversions d’adultes. »
Parmi ces conversions, il faut citer, entre autres, celle d’une
des femmes du roi, Nolianga. Elle obtint son affranchissement
et put ainsi quitter le harem; ce fut le signal d’un redouble-
ment d’opposition de la part des adversaires; Nolianga fut
traitée de folle; elle tint bon cependant et renonça aux hon-
neurs et à sa dignité de reine pour suivre son Sauveur.
Comme à Séfula, il s’est fait une collecte parmi les catéchu-
mènes, et cela, non sans sacrifices : nous avons la famine ac-
tuellement, et pourtant plusieurs se sont encore privés pour
pouvoir donner une partie de leur nourriture. Le produit
de ces collectes est destiné à former un fonds pour l’en-
tretien d’évangélistes zambéziens.
Ceci nous amène à dire un mot de Y Ecole d' évangélistes que
M. Coillard a fondée au mois de novembre avec quatre jeunes
hommes. Ils ont montré beaucoup d’intérêt pour ces études,
qui ont consisté surtout en exégèses cursives, en introduc-
tions aux livres de la Bible et en analyses de sermons. M. Coil-
lard a mis tous ses soins à cet enseignement, et ce n’est que
la maladie qui l’a interrompu. Aujourd’hui, notre école
d’évangélistes est fondée et la direction en est provisoi-
rement remise à M. Ad. Jalla. Nous comptons beaucoup
sur cette école pour l’évangélisation des tribus soumises à
Léwanika. Il faut que cette œuvre se fasse par des enfants
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
229
du pays; il nous serait impossible d’y suffire nous-mêmes.
Pour compléter ce qui concerne l’œuvre de Léaluyi, il faut
dire un mot des cultes du matin. Sur toutes les stations, il se
célèbre un culte chaque jour au lever du soleil ; ce culte n’est
guère suivi que par les catéchumènes, mais ce qui caracté-
rise celui de Léaluyi, c’est que les catéchumènes y récitent
un verset de leur choix. Il en est résulté pour eux une con-
naissance remarquable de la Bible, et, chose étonnante, ils
fouillent spécialement l’Ancien Testament.
Enfin, Léaluyi a une École du dimanche dirigée par ma-
dame Ad. Jalla; elle se fait comme en Europe, avec groupes
et leçon générale.
A Léaluyi, comme ailleurs, les travaux manuels n’ont pas
manqué : M. A. Jalla et l’évangéliste Willie ont eu à cons-
truire leurs maisons ; il a fallu entretenir les bâtiments exis-
tants, faire des travaux de terrassement, afin d’avoir plus de
place au temps de l’inondation.
Enfin, la maladie a souvent compliqué la tâche des mis-
sionnaires de Léaluyi, particulièrement de M. Goillard. Pen-
dant cette dernière année, il a presque toujours été souffrant
et, à plusieurs reprises, son mal a eu des périodes aiguës.
« Sa résignation et son oubli de lui-même au sein de ses vives
souffrances furent une éloquente prédication pour nous
comme pour les indigènes. En dehors de notre doyen, celui
de notre famille missionnaire qui eut le plus à souffrir, ce fut
l’évangéliste Willie, dont nous pouvons dire sans exagération
qu'il* eut la fièvre en moyenne un jour sur trois », ce qui l’o-
bligea plusieurs fois à laisser toute la charge de l’école à
M. et madame A. Jalla.
Vous le voyez, Messieurs, la mission du Zambèze est arrivée
aujourd’hui à un moment sérieux de son existence. Partout des
conversions se manifestent, et avec elles surgissent des ques-
tions dont peut dépendre tout l’avenir de notre œuvre : ce
sont des questions relatives au mariage, à la polygamie et
aux conditions d’entrée dans l’Église. C’est à cela qu’il faut
230
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
songer : l’édification de l’Église de Jésus-Christ. Que Dieu
nous donne pour cela la sagesse dont nous avons besoin,
qu’il nous pénètre de son Saint Esprit, et qu’ainsi son nom
soit glorifié !
Mais aussi, que les amis de notre œuvre ne nous oublient
pas, qu'ils s’unissent à nous par leurs prières pour faire cette
œuvre qui exige tant de sagesse, de prudence, de patience et
d’amour !
Et puis, qu’ils se rendent compte que si notre œuvre gran-
dit, les besoins augmentent en même temps. Nous sommes
encore bien peu nombreux, nous sommes loin d’occuper tout
le pays, et voilà une compagnie minière qui va venir s’y éta-
blir avec l'espoir d’y trouver de l’or. Que seront les consé-
quences morales de ce fait? Nous ne savons, mais elles pour-
raient bien n’être pas des plus favorables à notre œuvre.
L'expérience, hélas! nous montre que la civilisation euro-
péenne, sans le christianisme, est plus corruptrice que mora_
lisatrice. N’est-ce pas là un aiguillon de plus pour que les
chrétiens prennent à cœur de faire leur possible pour contre-
balancer ces influences funestes! Oh! qu’au moins, lorsque
Dieu nous adresse cette question : Où est ton frère? nous ne
répondions pas : Je ne sais; suis-je le gardien de mon frère?
mais que plutôt, les uns et les autres, nous comprenions tou-
jours mieux notre devoir de chrétiens !
Au nom de la Conférence du Zambèze,
Eug. Béguin.
EN DANGER DANS LE DÉSERT
Episode du voyage de M. Davit.
On se rappelle les émouvants détails que M. Boiteux nous
donnait il y a quelques mois sur son voyage à travers le dé-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
231
sert (1). A son tour M. Davit a tenu à nous raconter, dans une
lettre qui vient de nous parvenir, quelques incidents de ce
même voyage, un des plus difficiles qui aient été effectués
par nos missionnaires.
On se rappelle que, dans le plan concerté entre nous et nos
frères du Zambèze, MM. Davit et Boiteux devaient rencon-
trer, au Cap ou à Kimberley, M. Coillard lui-même, auquel
nous étions trop heureux de pouvoir confier l’organisation de
leur expédition; on sait aussi comment le départ de M. Coil-
lard dut être ajourné au dernier moment, ce qui priva nos
jeunes missionnaires de ses conseils et de ses directipns.
Leurs arrangements s’en ressentirent forcément, non moins
que leur voyage lui-même.
Empêchés par le manque d’espace de publier dans son en-
tier le récit de M. Davit, nous nous bornons à en extraire
quelques pages. Elles se rapportent à la partie du voyage où,
suivant les conseils assez peu compréhensibles de l’agent de
Palapyé (le nouveau Mangwato), nos missionnaires firent
route séparément.
« En vous écrivant le 10 juin, dit M. Davit, j’étais joyeux et
confiant dans l’avenir. Et cependant, lorsque Boiteux m’an-
nonça qu’il ne m’attendrait pas à la Nata, ainsi que cela avait
été convenu d’abord, je sentis l’inquiétude me prendre. Car
j’étais seul et je sentais bien que je dépendais entièrement de
mes gens, qui, du reste, n’ont pas tardé à justifier mes
craintes. La semaine même qui suivit le 10 juin ne se passa
pas sans que j’eusse à verser des larmes. C’était le commen-
cement des angoisses; et, depuis le 16 juin, où j’arrivai à la
Nata sans y trouver les Boiteux, mon voyage, qui ne devait
finir que le 9 août, et encore grâce au secours que je deman-
dai à M. Jalla et qu’il m’envoya sans retard, a été un voyage
de forçat. Je n’exagère pas, soyez-en sûr.
(I) Voir notre livraison de février, p. 78 et ss.
232
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
« Mon attelage valait très peu, et mon conducteur valait
moins que rien. Le matin du 15 juin, il cassa le timon tout
neuf du wagon dans les plaines des Macaricari, et, chose qui
n’est jamais arrivée, ce ne fut que le dix-huitième timon qui
amena mon wagon au bord du Zambèze ! Mes garçons firent
eux-mêmes le premier, mais il fut bientôt brisé, et, depuis lors,
je les fis presque tous moi-même. Deux fois j’ai dû décharger
le wagon pour pouvoir le faire sortir des fondrières d’où un
bon attelage aurait suffi pour le tirer rondement.
<c Après la Nata, il y a un espace sans eau que les wagons
ordinaires parcourent en deux jours; le mien (je dis le mien
pour être bref) en mit dix. C’est le mercredi 19 juin que je
quittai définitivement la Nata, où il y a en abondance de
l’eau excellente, et mon wagon n’arriva au prochain étang
que le samedi soir 29. Jugez vous-méme de mes angoisses
pendant tout ce temps. Ma provision d’eau, dans laquelle
puisaient mes gens aussi bien que moi, fut bientôt finie, et déjà
le samedi 22, je me fis du thé avec la dernière eau qui me
restait. En temps ordinaire, je l'aurais bue toute à déjeuner;
mais la Nata était loin derrière nous, et je ne savais pas si et
quand j’en trouverais en avant, d’autant plus que le wagon
était là, enfoncé dans le sable depuis vingt-quatre heures,
et je ne savais pas comment j’en sortirais. Les bœufs,
après de vains efforts, avaient été envoyés en avant à la re-
cherche de l'eau dès le vendredi soir, et ce n’est que le samedi
soir qu’ils furent de retour. 11 fallait donc ménager l'eau et le
pain, ou plutôt le thé et le pain, car je n’avais plus le moyen
de faire de la soupe.
« Imaginez-vous dans quelles transes je passai cette jour-
née, et avec quelle inquiétude je vis tomber la nuit du sa-
medi sans voir les bœufs, car ils n’arrivèrent qu’à la nuit
obscure. Les voilà, enfin; mais, pas plus qu’avant, le wagon
ne se meut. Que faire de nuit? Rien, sinon attendre au len-
demain, en demandant à Dieu la délivrance.
« Le lendemain dimanche, 23 juin, je fus obligé de travailler
pendant une heure, eu me levant, à refaire un timon. C’était
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
233
le quatrième; après quoi, altéré, je bus la dernière demi-
tasse de thé froid que j'avais gardée jusqu'à la dernière
extrémité, pendant que les bœufs essayaient de partir, ou
plutôt qu’on essayait de les faire partir. Mais les heures se
passaient et ils n’avançaient pas d’un pouce. Ma détresse aug-
mentait, d'autant plus que je n’avais aucune idée de la dis-
tance à laquelle se trouvait l’eau; et la chaleur du jour unie
au sentiment que j’étais loin de l’eau de tous côtés, eut bien-
tôt fait de produire en moi une soif ardente. Enfin, vers onze
heures, à bout d’espoir, je pris sur moi quelques petites pro-
visions et me disposais à retourner vers la Nata pour me dé-
saltérer. 11 m'aurait fallu marcher tout le jour, dormir à la
belle étoile et ne revenir que le lendemain. Mais, comme je
partais, mon conducteur me dit que je ferais mieux d’aller
en avant, que je trouverais l’eau tout aussi vite, et que, si le
wagon réussissait à partir, j’en serais moins éloigné, d’autant
plus qu’un wagon de transport qui voyageait avec moi, mais
avec moins de difficulté, était, me disait-on, déjà arrivé à
l’eau où il attendait le mien.
« Je m’achemine donc dans ce sens, et, après vingt mi-
nutes de marche, je me retourne et vois avec surprise que le
wagon était en mouvement, et, comme la mauvaise route
dans laquelle le wagon était enfoncé depuis le vendredi ma-
tin à six heures ne durait que quelques centaines de pas, elle
fut bientôt franchie, et cela me remit un peu. J’attends, puis
marche avec le wagon jusqu’à trois heures de l’après-midi;
puis, la route redevenue mauvaise l’empêche d’aller plus
loin; tandis que moi, qui n’avais pris de tout le jour qu’une
demi-tasse de thé froid et un pain de la grosseur d’une
pomme, je continue encore pendant deux heures, n’ayant
guère d'autres forces que celles toutes factices que me
donnait l’illusion que, peut-être, je trouverais de l’eau. Illu-
sion bien vaine, car, surpris par la nuit, il me fallut refaire
deux heures pour retourner à mon wagon. Je marchais
comme un forcené, et, de temps en temps, je tombais littéra-
lement exténué de fatigue et de soif pour répandre devant
17
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
23*
Dieu mes larmes; mais le ciel de la miséricorde semblait
aussi d’airain gue le ciel de la pluie !
« Arrivé au wagon., j ’ouvris une caisse de vin que j’avais heu-
reusement avec moi. Mais du vin, dans ces conditions, c’était
presque du poison, et c’était cependant la seule substance
liquide qui pouvait soulager ma gorge enflammée. J’en avalai
un peu, par petites gorgées, après quoi j’essayai de me livrer
au repos; mais quel repos! Enfin revint l’aurore, et il me
semblait que ce devait être le jour de la délivrance. Ce fut, au
contraire, une des journées les plus tristes de ma vie. Le
seul individu qui restait avec moi partit avec les bœufs
épuisés pour aller les abreuver. Il prit en même temps avec
lui, sur ma demande, deux coquemars et deux gourdes
pour m’apporter de l’eau à son retour. «Elle ne doit pas être
si loin, cette eau, me dis-je, car nous en avons fait déjà, du
chemin, depuis la Natal» J’espérais qu’il reviendrait vers midi.
Vaine attente! 11 ne revint pas de tout le jour. Et moi, je pas-
sai ma journée seul avec le wagon, entouré de l’inconnu de
tous côtés, essayant de me nourrir, mais ne pouvant m’atta-
quer à rien ; et, à la nuit noire, ne voyant apparaître per-
sonne, je me mis au lit, ne sachant pas si je me relèverais.
« Mais, ô surprise! vers 8 heures une voix m’appelle, c’est
un autre de mes garçons qui m’apporte de l’eau. Il me la fait
bouillir, et je m’en fais du café que je déguste pendant deux
heures en bénissant Dieu de cette merveilleuse délivrance.
Après quoi j’eus une nuit beaucoup moins agitée et pus atten-
dre avec patience les bœufs qui ne devaient revenir que le
lendemain, 25 juin. J’eus de l’eau pour ce jour en en usant
modérément, mais les bœufs se faisaient attendre. Enfin, les
voici, et deux attelages, cette fois. Ils essaient de partir.
Impossible! Ils essayent le lendemain, mais rien ne bouge,
et nous voilà de nouveau, et plus que jamais, dans la diffi-
culté et dans l’angoisse.
« Enfin, après avoir longtemps attendu, à 6 h. 45 minutes du
matin, je pars avec un peu de farine (je n’avais plus de pain),
riz, thé, café, etc,, et les ustensiles pour préparer ces ali-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
ments, bien décidé à marcher jusqu’à l’eau, coûte que coâte.
Mais elle est loin, la route est sablonneuse, et la soif me dé-
vore. En vain je m’approche de tous les trous, étangs dessé-
chés ou creux de toute sorte : les désillusions se arrivent et
l’eau ne se trouve pas. Vers trois heures de l’après-midi,
ayant trouvé un endroit un peu humide, j’y creusai avec la
main un puits, que j’ai eu le loisir de mesurer plus tard, pro-
fond de 0m,75 centimètres, large de 0“,40, puis plongeai mon
bâton encore de O"1, 20 centimètres, espérant en voir jaillir
une goutte d’eau; mais rien ! Je pris au fond de ce trou du
sable un peu humide et m’en remplis la bouche, mais je n’en
fus pas soulagé.
« Je me remis en route, et les environs, moins désolés, sem-
blaient me dire que l’eau n’était pas loin. Je ramasse mes
forces, j’avance, et bientôt, à mes cris répétés, répond la voix
du gardien du wagon qui m’avait devancé et qui m’attendait
auprès de l’eau. Il vint à ma rencontre, me dit que l’eau était
tout près, et, enfin, à 3 h. 45 de l’après-midi, après huit
heures et demie de marche, j’arrive près d’un étang dont
l’eau était assez peuplée. N’importe! c’était de l’eau. Aussi
me précipitai-je à cet étang où je me désaltérai petit à petit.
Après ça, je me préparai un modeste souper. Je dis modeste,
car les provisions que j’avais pu prendre avec moi n’étaient
pas abondantes, et je ne savais pas quand je pourrais en re-
prendre au wagon qui était bien loin derrière moi. Trop
chargé déjà, je n’avais pu prendre avec moi qu’un châle, et
là, il me fallut dormir dehors. Je grelottai toute la nuit mal-
gré le bon feu qui flambait à côté de moi ; car le feu n’était
que d’un côté, de l’autre il y avait de l’eau qui devait tem-
porairement remplacer le thermomètre que j’avais laissé au
wagon, et tous les matins elle était couverte de glace. C’est
ainsi que je passai les trois nuits du 26 au 27, du 27 au 28 et
du 28 au 29 juin. Le jour de mon arrivée était un mercredi,
et je n’avais pas vu d’eau depuis le mercredi précédent.
« Le 29, mes provisions étant épuisées, je me chargeai
d’eau et repartis à la rencontre du wagon. Boiteux avait sou-
236
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
vent eu l’occasion de m’envoyer quelques mots; moi, je n’en
avais pas eu une seule pour lui. Mais, après avoir cette fois
marché environ une heure vers mon wagon, je rencontrai
trois Zambéziens qui rentraient chez eux. J'écrivis par
leur moyen à Boiteux de venir à mon secours, coûte que
coûte, avec des bœufs, conducteurs, etc., car autrement je
serais mort dans ce désert et dans cette désolation.
« Car il a eu ses ennuis, lui aussi, et, meilleur correspon-
dant que moi, il vous en a sans doute écrit depuis longtemps.
Mais, enfin, il avait avec lui deux évangélistes et leurs femmes
qui pouvaient l’aider et, en tous cas, lui servir d’interprètes
auprès des noirs ; moi, j’étais seul avec des gens que je ne
comprenais presque pas et qui, ayant compris depuis long-
temps qu’au fond c’était moi qui dépendais d’eux plus qu’eux
de moi, en abusaient d’une manière honteuse. Vous ne
vous faites pas d’idée des larmes que j’ai versées à travers
le désert! Et plus d’une fois je me suis demandé si peut-être
Dieu ne se servirait pas de ces angoisses pour me montrer
que ma place n’était pas au Zambèze. Je le bénis maintenant
de ce que, à travers tant de difficultés, Il m’a cependant
amené jusqu’ici et me montre maintenant une œuvre à faire
pour sa gloire. Mais alors j’étais bien ébranlé. Ce billet expé-
dié, je repris ma marche pour rejoindre le wagon, ne sachant
ni où, ni quand je le rencontrerais, et, après une heure et
demie de marche, je l’aperçois qui avance lentement, mais qui
avance cependant. Un quart d’heure me suffit pour le rejoin-
dre, et, à 9 heures du soir, nous dételions tout près de l’eau.
C’était le samedi 29 juin, et tout cela se passait à une dis-
tance à peu près égale de Palapyé, de Kazungula et de tout
autre endroit habité.
« Je ne veux pas continuer ma lettre d’une manière aussi
détaillée, car je vous ennuierais trop, et je devrais y consa-
crer un temps qui m’échappe. D’autant plus que si mes en-
nuis n’ont cessé qu’au moment où je pouvais enfin m’unir
dans des actions de grâce avec nos frères de Kazungula, le
tableau, noir, mais vrai, que je viens de vous faire représente
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
237
cependant le point culminant de mes angoisses. Le lende-
main , quatre bergers de Khama, que gavais vus déjà deux
jours auparavant, qui étaient des chrétiens et auxquels
j’avais dit que j’étais missionnaire, arrivèrent vers moi,
m’apportant un morceau de gnou, qui ne pesait pas moins
de cinq kilos. Je pus, ce jour-là, me refaire complètement.
C’était le 30 juin. Dans la nuit du 30 juin au premier juillet,
mon thermomètre à maxima et minima descendit à 3° cen-
tigrades au-dessous de zéro. Ce fut la nuit la plus froide de
l’année...»
P. Davit.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
L’ŒUVRE DES MISSIONS NORVÉGIENNES
A MADAGASCAR (1)
Délégué à Paris en février dernier par la Société des mis-
sions de Norvège, j’ai eu l’occasion de faire connaître un peu
dans les centres protestants nos travaux à Madagascar, cela
grâce à l’empressement avec lequel m’ont reçu nos frères
français en la foi.
C’est donc avec reconnaissance que je saisis l’occasion que
m’a offerte si libéralement le rédacteur du Journal des mis-
sions de fournir quelques détails sur l’œuvre qu’avec l’aide
de Dieu la Société norvégienne a pu faire à Madagascar du-
rant les vingt-cinq années écoulées.
(1) Nous sommes heureux de pouvoir mettre sous les yeux de nos lec-
teurs ce tableau abrégé des missions norvégiennes à Madagascar. Notre
Journal leur en avait d’ailleurs parlé fréquemment (voir Journal des
missions, 1886, p. 144 et 191 ; 1894, p, 291, et 1895, p. 519; ce dernier ar-
ticle donne les chiffres plus récents).
238
JOURNAL DES HISSIONS ÉVANGÉLIQUES
La plupart -des stations de notre Société se trouvent dans
le Betsiléo, province située au sud de ITmérina; les autres
sont répandues dans le pays, un peu partout, ainsi, par
exemple, aussi dans le Bara, contrée encore peu connue, et
dans la partie méridionale de File. Elles sont au ©ombre ée
28, avec autant de pasteurs, instruits, les uns à Féoote des
missions de Stavanger, les autres, bacheliers en théologie
de F université de Christiania. Tous ces missionnaires ont été
consacrés au saint ministère par des dignitaires de l'Église
de Norvège.
Autour de chacune de ces 28 stations centrales se groupent
des annexes desservies par les missionnaires norvégiens et
les pasteurs indigènes formés dans notre séminaire théolo-
gique et qui sont au nombre d’environ 60. Les 550 annexes
ont chacune son école primaire; celles-ci sont dirigées par
des maîtres indigènes, au nombre de 1,200. Nos écoles ins-
truisent 37,000 élèves; le nombre des adultes baptisés s’élève
à 50,000.
Nous avons aussi une mission médicale que dirigent deux
docteurs de l’université de Christiania. Le dernier rapport
annuel accuse l’admission dans les polycliniques de 9,000 ma-
lades. Indépendamment de ces établissements, il existe à
Sirabé une léproserie offrant 300 places.
Le budget de la Société pour l’œuvre de Madagascar est
d’environ 500,000 francs, somme que l’on trouvera élevée si
l’on considère qu’elle est formée de dons volontaires fournis
par une population plutôt pauvre et comptant deux millions
d’hommes seulement.
L’intérêt pour les missions est général, et dans chacune de
nos paroisses, depuis Lindesnœs jusqu’au cap Nord, il y a des
amis des missions qui, chaque année, adressent leurs dons à
la Société, dont le comité directeur se trouve à Stavanger.
Au-dessus du comité directeur se trouvent les comités ré-
gionaux (de district) ; ils ont leur siège dans les villes les plus
importantes et ils servent d’intermédiaires entre le comité di-
recteur et les groupes paroissiaux, qui sont au nombre de 900.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
23$
Tous, les trois ans, il y a une assemblée générale composée
des délégués des différents groupes; on les reçoit dlans les
familles de la ville durant les trois ou quatre jours que dure
l’assemblée générale.
Notre Société désire recueillir des sympathies parmi nos
frères en la foi de France; nous avons besoin de leur intérêt
et de leurs prières. Nous désirons que nos missionnaires en
préparation soient mis en état de se familiariser avec la langue
française avant qu’ils se rendent à leurs champs d’activité. A
cet effet, ils reçoivent dès à présent des leçons de français à
l’école des missions, de sorte qu’ils connaissent les éléments
de la grammaire ; mais il faut encore qu’ils puissent, avant
leur départ, faire un séjour d’un an en France.
J'ose dire que nos missionnaires ont toujours observé une
stricte neutralité et qu’ils n’ont poursuivi aucun dessein po-
litique, comme aussi je suis sûr que le gouvernement français
trouvera pour son œuvre de civilisation des alliés de con-
fiance en nos missionnaires.
Nous désirons seulement qu’avant tout et toujours ils soient
soumis à l’ordre de notre Seigneur Jésus Christ : « Allez et
faites disciples tous les peuples. »
Nous désirons pouvoir en toute paix et sécurité propager
le royaume de Dieu au sein de la grande île africaine, ré-
pandre dans les cœurs la semence de la parole de Dieu, sa-
chant que les fruits viendront en leur temps. Parla même oc-
casion, et comme amis du peuple français avec lequel nous
unissent des liens séculaires, nous désirons pouvoir contri-
buer à la civilisation de Madagascar, ce qui aujourd’hui est
la grande tâche qui incombe à la France.
Nous désirons tendre une main fraternelle à nos frères fran-
çais en la foi, lorsque, pour une raison ou une autre, ils se
trouveront amenés à Madagascar, soit pour visiter l’île, soit
pour l’habiter, certains que sur nos stations ils trouveront
toujours des amis prêts à leur ouvrir leur cœur et leur maison,
à leur souhaiter une cordiale bienvenne.
Pour conclure, je dois exprimer ma vive gratitude pour
240
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
l’accueil si cordial que j’ai trouvé parmi nos frères pendant
mon séjour en France, accueil fait moins a ma personne qu’au
membre de la Société des missions norvégiennes, au nom
de laquelle je les remercie.
Veuille le Maître de la mission bénir abondamment les
églises protestantes de France, ouvrir les cœurs à l’entre-
prise du travail, exaucer leurs prières et augmenter la parti-
cipation à la grande œuvre missionnaire!
La bénédiction reçue par la création au loin des Églises
nouvelles refluera avec abondance sur les Églises de la mère-
patrie.
Signé : H. Munthe-Kaas, pasteur.
HUDSON TAYLOR
et les missions de la Chine intérieure (1).
Franchissons quelques années. Nous retrouvons le jeune
Hudson Taylor à l’Université de Hull, étudiant la médecine.
Il s’est senti graduellement confirmé dans la pensée qu'il doit
être missionnaire en Chine, et la lecture d’un ouvrage sur ce
pays lui a donné l’idée que, pour l’accomplissement de son
projet, la médecine, la chirurgie surtout, lui sera fort utile.
Il se prépare donc à sa carrière par de bonnes études. Mais,
en même temps, il s’y prépare moralement et spirituellement.
Il persévère dans la prière et dans l’étude de la parole de
Dieu. Il met à part pour le service de Dieu et pour les pauvres,
qu’il visite le dimanche, la dîme de son revenu. Mais comme
ce revenu est très modeste, il se voit obligé de quitter la jolie
chambre qu’il occupe dans le centre de la ville pour aller
s’établir dans un pauvre logement des faubourgs et de ré-
(1) Voir page 94.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
241
duire beaucoup sa dépense. Il s’habitue ainsi, de bonne
heure, à la simplicité et au renoncement.
Voilà, direz-vous, une préparation sérieuse. Et cependant
elle ne suffît pas au futur missionnaire. Une pensée le tour-
mente. A-t-il la foi nécessaire à un missionnaire? Une fois
parti, une fois seul au milieu des païens, privé de toute com-
munication rapide avec l’Église, hors de portée du secours,
il sera réduit à compter sur Dieu seul ; il ne pourra agir sur les
hommes que par son intermédiaire. Saura-t-il le faire? Sa
confiance en Dieu sera-t-elle assez robuste pour cela?
Pour répondre à cette question, notre étudiant ne voit
qu’un moyen : c’est de fortifier sa foi par l’exercice, en la
soumettant par avance aux épreuves qu’il prévoit. Voici,
entre plusieurs exemples, uu des incidents auxquels cette
préoccupation donna lieu. Le chef dont il était l’aide, un
chirurgien, lui avait recommandé de lui rappeler tous les
trois mois la somme qui lui était due. Toujours préoccupé
de son idée, Hudson Taylor prend tout d’un coup la résolu-
tion de ne plus réclamer directement ce qui lui était dû,
mais de demander à Dieu de remettre lui-même la chose en
mémoire à son chef et de l'encourager ainsi en exauçant sa
prière.
Le jour du paiement arrive; le chef oublie de payer. Le
jeune homme ne dit rien, mais continue à prier. Des jours,
des semaines se passent, jusqu’à ce qu’enfin il ne lui reste
que quelques sous. Situation d’autant plus embarrassante
que, à la fin de la semaine, il doit payer lui-même sa note à
l’hôtel. Que faire? Réclamer? Rien de plus légitime. Mais il a
fait de cette question la pierre de touche de sa foi : parler,
ce serait se déclarer incapable de compter sur Dieu seul, et
par conséquent d’aller en Chine. Il se taira donc. Et c’est
ainsi qu’arrive le samedi soir où le terme est dû. Taylor a
répandu son cœur devant Dieu; le calme y est rentré, il est
plein de confiance, mais résolu à se taire. Vers cinq heures,
• son chef arrive, lui parle de choses et d’autres, et, tout à
coup, changeant de sujet : A propos, Taylor, ne devrais-je
18
242
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
pas bientôt vous payer? — Grande est l’émotion de l’étu-
diant; il la maîtrise pour dire qu'un trimestre lui est dû de-
puis quinze jours, — Vraiment? reprend le chef, quel mal-
heur! Pourquoi ne pas me l’avoir rappelé? Je viens juste-
ment d'envoyer chez mon banquier Pargent que j’avais en
main! On comprend l’amère déception du jeune homme et
son trouble; cependant, un regard sur Dieu lui donne la
force de se taire et de rester calme, même quand son chef
s’éloigne pour rentrer dans son appartement, Peu à peu, la
coufiance, la joie inondent son cœur. Et voici qu’au moment
de quitter le laboratoire, il entend le pas du docteur, qui re-
paraît, demande son livre de comptes et, tout en écrivant,
raconte qu’un de ses clients vient à l’instant de lui payer sa
note. « N’est-ce pas une singulière idée, ajoute-t-il, pour un
richard pareil, d’arriver chez un docteur à dix heures du soir
pour le payer! Mais il paraît que quelque chose le poussait,
et il n’a pas eu de repos qu’il ne fût venu.
« Je ris de bon cœur, moi aussi, de l’aventure, continua
Hudson Taylor, et j’en avais oublié mes préoccupations,
lorsque le docteur s’écria en tirant son portefeuille :
« Mais, par le fait, Taylor, puisque je suis en dette avec
vous, prenez ces billets comme acompte, et, la semaine pro-
chaine, je vous remettrai le complément.
« Mon cœur bondit de joie à ces paroles, et ce soir-là, re-
tiré dans ma chambre, je bénis Dieu avec transport de ce
qu’après tout il me destinait à la Chine. »
Cette expérience ne parut pas suffisante à Taylor; il s’en
imagina diverses autres que je n’ai pas le temps de vous ra-
conter. 11 est facile de montrer ce qu’il y a de factice et d’ar-
bitraire dans les épreuves auxquelles le futur missionnaire
soumettait sa foi. J’en demeure d’accord, et cependant je
n’ose critiquer et je m’arrête, plein de respect pour l’homme
qui sent assez le prix de la foi pour soumettre la sienne à un
pareil entraînement. Après tout, il ne faisait qu’appliquer à
son être spirituel la préparation que nous faisons subir à nos
muscles par la gymnastique. Qu'est celle-ci, sinon une repro-
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
243
duction anticipée et artificielle des difficultés que tous auront
plus tard à affronter dans la vie réelle! Libre à eux, d’ail-
leurs, de ne pas imiter Hudson Taylor; de juger qu’il vaut
mieux laisser Dieu lui-même mettre notre foi à l’épreuve
plutôt que l’y soumettre nous-mêmes. Ce qui est certain,
c’est que, dès ce moment, on pouvait beaucoup attendre d’un
homme qui apportait à sa préparatiun spirituelle tant de dé-
cision et d’énergie.
Quelque temps après, Hudson Taylor partait pour la
Chine. 11 avait reçu vocation d’une Société fondée par le
grand missionnaire Guzlaff, sous le nom de : Société d’évan-
gélisation de la Chine. Le 19 septembre 1853, le jeune mis-
sionnaire recevait, à bord du Dumfries , les dernières étreintes
de sa mère, et, dix mois après, il abordait à Sanghaï. C’était
le 1er mars 1854.
Je ne vous raconterai pas cette première période du mi-
nistère de Hudson Taylor, malgré tout l’intérêt qui s’y at-
tache. Le missionnaire y fait ses premières armes; le fonda-
teur de la mission de la Chine intérieure achève sa prépara-
tion. Les incidents émouvants y abondent, mais toujours
l’intérêt principal s’attache à l’homme lui-même, que nous
voyons toujours aussi simple de cœur, aussi ferme dans ses
résolutions, aussi courageux et toujours plus grand dans sa
foi.
Ce premier séjour de Hudson Taylor en Chine dura sept
ans. Il fut marqué par deux grands événements : son ma-
riage avec miss Dyers, la fille d'un missionnaire, en 1859, et,
avant cela, sa séparation d’avec la Société dont il avait dé-
pendu jusqu’à ce jour. Cette Société avait été à plusieurs re-
prises en déficit, et Hudson Taylor trouva cela en contradic-
tion avec ce précepte : Ne devez rien à personne. Il hésita
longtemps à prendre une résolution qui le privait de toute
ressource fixe. Il se décida finalement avec un de mes collè-
gues et vécut dès lors comissionnaire indépendant de ce que
la libéralité de ses amis mettait à sa disposition . Hudson Taylor
a souvent déclaré n’avoir jamais regretté sa détermination :
244
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
il y voyait au contraire le point de départ de grandes béné-
dictions. Mais ceci nous amène à une nouvelle phase de sa
vie, la phase décisive où, de simple missionnaire, il devint
fondateur de missions et pionnier. Nous verrons que, dans
cette nouvelle phase, sa vie n’est pas moins riche d’ensei-
gnement que dans la première.
(A suivre.)
n S* ~ -g— — si
DERNIÈRE HEURE
Arrivée de M. Christol. — M. le missionnaire Ghristol et sa
famille sont heureusement arrivés en Angleterre, et sont at-
tendus à Paris pour mercredi 29 avril.
Réunion familière du 26 avril , à la Maison des missions. —
On a entendu, à cette réunion : M. le pasteur G. Appia sur ce
sujet : a Christianisme et paganisme; les deux armées en
présence; succès et revers des missions pendant ces der-
nières années »; M. le professeur Simpson d’Édimbourg, et
M. E. Allégret, qui doit repartir pour son poste du Congo
français avec sa famille et avec M. et madame Richard, le
10 mai prochain, de Bordeaux. Nous recommandons ces
voyageurs aux prières des amis des missions.
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20289.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
245
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
00 PRENDRONS-NOUS DES PAINS PODR CETTE MULTITUDE?
Paris, le 29 mai 1896.
Nous sommes entrés dans la nouvelle année sous une im-
pression solennelle. La crise de croissance que notre Société
traverse va arriver à son point décisif. Dans peu de semaines
nous saurons à quoi nous en tenir sur l'œuvre à faire à
Madagascar, et tout indique que cette œuvre, sans avoir
rien de commun avec la substitution entrevue par quelques-
uns, sera coûteuse. D’un autre côté, nous voyons nos tâches
actuelles grandir, et chacune, à sa manière, réclame notre
assistance. Le Congo, le Zambèze, le Sénégal ne peuvent
qu’aspirer à croître. Taïti et le Lessouto, sans cesser de
tendre à cette autonomie que toute mission doit s’assigner
comme but, nous demandent, précisément à cette heure, un
appui nécessaire pour traverser des temps difficiles. Maré
attend toujours le missionnaire qui y fera, sur une échelle
modeste, l’œuvre que nous accomplissons à Taïti et que nous
préparons à Madagascar. Disons-le nettement, sans une aug-
juin 1896. 19
246
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
mentation sérieuse de notre personnel et de nos ressources,
nous serons incapables de remplir la tâche qui s’impose à
nous dans tous ces champs de travail.
« D’où prendrons-nous des pains dans le désert pour
nourrir cette multitude? » Ce cri des disciples s’échappe de
notre cœur angoissé. Ils avaient à nourrir cinq mille hommes
avec cinq pains et deux poissons. Nous avions déjà cinq
champs de travail à cultiver, et en voici un sixième qui nous
appelle. N’est-ce pas l’impossible qui nous est demandé?
Et cependant l’impossible s’est réalisé, les cinq mille
hommes ont été nourris dans le désert. « Donnez-leur vous-
mêmes à manger », a dit le Seigneur. Puis, levant les yeux
au ciel, il rend grâces; il prend les pains et les rompt; ses
disciples les distribuent aux foules; tous en mangent et sont
rassasiés.
C’est notre conviction profonde que ce miracle peut se re-
nouveler pour notre Société. Pour cela, il nous faut une
seule chose, la foi : la foi qui prie, la foi qui obéit et qui
agit. Si cette foi nous manque, la belle œuvre que jusqu’à
présent Dieu a conservée une et prospère entre nos mains
9era compromise; si, au contraire, nous croyons, Dieu hono-
rera notre foi en nous laissant notre champ de travail dans
toute sa beauté et son unité.
Ce champ de travail, ce n’est pas nous qui l’avons choisi;
nos diverses œuvres, nous ne les avons pas cherchées; elles
se sont imposées à nous; il n’en est pas une, surtout parmi
les dernières venues, contre laquelle nous ne nous soyons
d’abord défendus : nous ne les avons acceptées que con-
traints par le sentiment du devoir. Or Dieu n’impose à ses
serviteurs aucune tâche sans mettre à leur disposition les
moyens de l’accomplir. Si donc nous acceptons ces tâches
avec foi, comme de sa main ; si nous réclamons de lui, avec
foi, les ressources et les hommes nécessaires, et si, comme
les disciples, nous nous mettons bravement à l’œuvre, rom-
pant aux foules nos cinq pains et nos deux poissons, eh
bien! aujourd’hui comme autrefois. Dieu bénira et multi-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS 247
pliera. Il l’a fait déjà, ces dernières années; il le fera encore.
Il fera surgir les hommes. Il évoquera, auprès, au loin, les
ressources. 11 doublera en peu d’années le chiffre de nos
missionnaires. Il nous donnera les 50 ou les 100,000 francs
supplémentaires que réclame notre œuvre agrandie. Et rien
ne manquera à ce nouveau miracle de sa grâce : pas même
les douze paniers de restes; pas même la bénédiction ac-
cordée par surcroît à nous, aux amis des missions, aux
Églises...
Le devoir est donc clair; remettons-nous à l'œuvre, cha-
cun dans sa sphère; tirons chacun le meilleur parti des
moyens d’action dont il dispose. Mais surtout et d’abord,
prions. Les pains ne se multiplient qu’après avoir été tou-
chés et bénis par le Maître. Jésus lui-même ne les rompt
qu’après avoir levé les yeux au ciel et rendu grâces. Il faut
donc, cette année encore, mettre la prière et l’action de grâces
au point de départ et au centre de nos efforts.
Pénétrée du désir d’agir dans cet esprit, notre Société a
résolu, comme les années prédédentes, de convoquer les
amis des missions à une réunion spéciale de prières, fixée
au dimanche 28 juin (1), et qui, nous l’espérons, ne se tien-
dra pas seulement à Paris, mais dans un grand nombre
d’Églises. Cette réunion fournira un point de ralliement aux
prières individuelles; mais, est-il besoin de le dire? elle n’en
tiendra pas lieu, bien au contraire. Aujourd’hui comme
naguère, la victoire dépend de l’action personnelle, com-
mencée dans la prière et continuée dans le travail et le sa-
crifice.
(1) A Paris, la réunion se tiendra à quatre heures à la Maison des
missions. Des avis ultérieurs concernant cette réunion paraîtront dans
les journaux et dans la circulaire aux Comités auxiliaires actuellement
en préparation.
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
248
NOS ASSEMBLÉES ANNUELLES
Réunion familière du 26 avril à la Maison des Missions.
Nous aurions voulu parler en détail de cette belle réunion ;
malheureusement le défaut d’espace nous en empêche. No-
tons qu’elle a été particulièrement nombreuse; à Theure
indiquée, la chapelle se trouvait comble et les auditeurs ont
^ • \
du se placer dans les deux pièces attenantes qui, à leur tour,
se sont trouvées complètement remplies.
C’est devant cette assemblée compacte et sympathique que
le président, M. Appia, a prononcé une allocution aussi riche
d’informations que pénétrée du souffle missionnaire. Ce dis-
cours se trouve partiellement reproduit dans la présente
livraison du Journal.
C'est M. Simpson , professeur de sciences à Edimbourg, qui
succède à M. Appia. Il s’exprime en français et nous apprend
d’une manière charmante qu’un peu de sang huguenot
coule dans ses veines et qu’il voudrait en avoir beaucoup
plus. M. Simpson parle avec chaleur de ce mouvement qui
porte la jeunesse universitaire anglo-saxonne vers la grande
œuvre de l’évangélisation du monde. Il exprime l’espoir que
cette noble cause trouvera dans la jeunesse de langue fran-
çaise de nombreux et vaillants soutiens.
Après M. Simpson, M. Allégret , notre missionnaire, prend
la parole. Il est sur le point de retourner à son poste, après
un temps de repos passé parmi nous. Il ne veut pas regarder
en arrière, c’est en avant, c’est du côté de l’Afrique que se
dirigent ses pensées et ses vœux. Là-bas, on lutte pour la
cause de l’Évangile et, dans la chaleur du combat, plus d’un
vaillant a déjà succombé; il faut donc aller renforcer les
rangs éclaircis et partager les fatigues de ceux qui sont
restés sur la brèche. Pour gagner la bataille, M. Allégret
compte sans doute sur les précautions de l’hygiène, mais
avant sur la protection de Dieu, sur sa force tout-puissante
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
249
qui peut accomplir des merveilles et qui fera ce miracle de
transformer les sauvages pahouins en une nation chrétienne.
Le directeur de la Maison des Missions prononce une pa-
role de gratitude et d’espérance. Il exprime sa reconnais-
sance envers Dieu de ce qu’il a béni si richement la société
des missions pendant l’année écoulée et le ferme espoir que
des bénédictions plus grandes lui sont réservées. M. Boegner
salue entre autres le mouvement qui se dessine dans la jeu-
nesse française en faveur de la mission comme le signe et le
gage d’une impulsion nouvelle et puissante donnée à notre
œuvre dans notre pays. Que le règne de Jésus vienne; qu’il
soit reconnu et proclamé comme le roi de l’humanité tout
entière, n’est-ce pas là que doivent tendre les meilleurs
efforts et les prières les plus ferventes de l’Église?
Excellente réunion qui laissera un souvenir béni dans le
cœur de tous ceux qui y ont assisté. — La collecte faite dans
les rangs de rassemblée a produit 300 francs.
L’impression dominante que nous laissent nos Assemblées
de cette année est celle de la reconnaissance. A chacune
d’elles, l’assistance a été très nombreuse. Les deux séances
ont été traversées par un souffle chaud et sympathique. Certes,
il y a eu des points faibles, des lacunes qu'une autre année
pourra combler; mais c’était pour nous un besoin de le
constater : en préparant nos fêtes annuelles par la prière,
les amis de notre œuvre ne se sont point trompés; ils en ont
assuré le succès et en ont fait l’occasion et le point de départ
de bénédictions nouvelles.
DÉPART DE MM. ET MESDAMES ALLÉGRET ET RICHARD
Partis de Paris le 5 mai, nos voyageurs se sont embarqués
le 10 à Bordeaux, à bord de la Ville de Maranhao.
L’accueil qu’ils ont reçu de nos frères de Bordeaux les a
250
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
grandement réjouis et encouragés. Le dimanche matin, au
moment de quitter le port, plusieurs amis ont encore été leur
serrer la main au bateau.
Des lettres de MM. Allégret et Richard, envoyées de Téné-
riffe, à la date du 13 mai, nous donnent les meilleures nou-
velles de leur voyage. Aucun de nos quatre passagers n’a
été malade et leurs messages, qui respirent la confiance, nous
parlent des bienfaits qu’ils trouvent dans la communion fra-
ternelle. Qu’il plaise à Dieu de continuer à bénir un voyage
qui a si bien commencé !
Monsieur et madame Teisserès doivent s’embarquer, le
25 juin, à Marseille pour le Congo.
ARRIVÉE DE MISSIONNAIRES
M. et madame Christol et leurs enfants, dont nous avons
annoncé l’arrivée en Angleterre, sont à Paris depuis le
29 avril.
Depuis lors, nous avons été heureux d’accueillir au milieu
de nous MM. E. Jacottet et L. Jalla qui reviennent l’un du
Lessouto et l’autre du Zambèze. M. Jacottet a débarqué à
Paris le mardi 19 mai, et M. Jalla le 20 mai. Nos frères
étaient accompagnés de leurs familles qui, grâce à Dieu, sont
en bonne santé. Les uns et les autres ont été pendant plu-
sieurs jours les hôtes de la Maison des Missions. Le 27 mai,
M. Jacottet est reparti avec sa famille pour Neuchâtel, sa
ville natale; le même jour, nos amis Jalla continuaient leur
route sur les Vallées vaudoises, leur pays d’origine.
Pendant le séjour que nos missionnaires ont fait parmi
nous, nous avons pu leur offrir deux occasions de se rencon-
trer avec les amis des missions. Le dimanche 24 mai, ils ont
pu adresser des encouragements aux collecteurs du Sou et
du Franc missionnaires assemblés à la Maison des missions ;
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
2ol
le mardi 26 au soir, une soirée familière groupait autour
d’eux les membres du Comité directeur et du Comité des
dames, et quelques amis de Paris et de la province, qui ont
été heureux de cette occasion de les saluer à leur passage.
* » * -
4
NOTES DO MOIS
Nos lecteurs trouveront plus loin une lettre de M. Coillard
annonçant qu’à la suite d’une opération notre frère s'est
trouvé sensiblement mieux et a pu retenir sa place à bord du
Warwick Castle qui a dû quitter le Cap le 21 mai. C’est donc
vers le 10 juin que notre vétéran arrivera en Europe. Nos amis
s’uniront à nous pour remercier Dieu de ces bonnes nou-
velles et pour lui demander de bénir abondamment le sé-
jour que notre frère va faire parmi nous.
M. le missionnaire Escande et sa famille doivent s’embar-
quer à Dakar le 31 mai et arriver à Marseille entre le 10
et le 13 juin.
La réunion annuelle des collecteurs du Sou et du franc
missionnaires a eu lieu à la Maison des missions le dimanche
24 mai, jour de la Pentecôte. Cette date avait été choisie pour
profiter de la présence à Paris de MM. Christol, Jacottet et
Jalla. M. A'ppia présidait la séance. Après la lecture d’un pe-
tit rapport annuel et quelques mots du directeur, nos trois
missionnaires ont pris la parole et ont vivement intéressé
leurs jeunes auditeurs. Yoici, d’après les indications fournies
par notre trésorier délégué, les résultats de l’année :
1894 95 SOU MISSIONNAIRE 1895-96
5.290 95 Paris 4.314 05
22.426 » Départements 24.010 65
11.919 55 Etranger. 10-773 25
39.636 50 Ensemble. 39.097 95
252
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
FRANC MISSIONNAIRE
1.170 » Paris. . . .
1.469 50 Départements
1.218 55
2.173 » .
604 »
576 15 Étranger.
3.205 65
Ensemble. 3.995 55
On remarquera que si le produit du Franc missionnaire est
en progrès sensible sur l’an dernier, celui du Sou mission-
naire a perdu du terrain, puisque de 39, 636 fr. 50 il est des-
cendu à 39,097 fr. 95; soit une perte de 538 fr. 55. La perte
provient du Sou missionnaire de l’étranger, qui a perdu
1,143 fr. 30, mais surtout de la collecte de Paris qui est en
baisse de 876 fr. 90. La différence sur l’ensemble serait beau-
coup plus forte si les départements n’étaient en progrès
de 1,584 fr. 65 sur l’an dernier. Nous espérons que tous nos
collecteurs feront leur examen de conscience et s’efforceront
de réparer Ja défaite partielle de cette année. Il est vrai que
le chiffre obtenu l’an dernier représentait un progrès de
8,814 fr. 90 sur celui de l'année précédente et qu’un certain
recul ne doit pas trop nous surprendre; il n'en est pas moins
sûr qu’un effort nouveau peut et doit être tenté pour que nous
dépassions non seulement le niveau de cette année, mais
encore, et de beaucoup, celui de l’année dernière.
Pendant ces dernières semaines, les missionnaires présents
en France ont pu se faire entendre dans diverses localités.
M. Ch. Viénot a pris part, le lundi de la Pentecôte, à la fête
missionnaire de la vallée de la Dordogne. M. le pasteur Len-
gereau, ancien missionnaire à Ma ré, a représenté notre
œuvre à la fête célébrée le même jour dans le Béarn, sous
les auspices du Comité auxiliaire de cette région. Le jour de
l’Ascension, M. U. Teisserès a parlé à la fête missionnaire de
Dieulefit.
M. Christol doit se rendre à Montpellier d’ici peu de jours.
Le 8 juin, le directeur de la Maison des missions doit donner
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
253
à Sedan, à l’occasion du Synode réformé, une conférence sur
Madagascar et les missions protestantes françaises.
Quant aux missionnaires qui viennent d’arriver, ils pren-
dront d’abord un temps de repos, après quoi ils se mettront
à la disposition des Églises et des Comités auxiliaires. Ceux
qui désirent leur visite sont priés de se mettre en rapport
avec nous.
MADAGASCAR
Extraits de lettres de M. Lauga.
La situation religieuse et l’état des esprits à Madagascar. — Com-
ment nos délégués s’acquittent de leur mandat. — Inspection
d’écoles et visites d’Églises. — Accueil excellent. — Premiers
résultats de l’enquête. — Prochaines décisions. — Attaques
inévitables.
Faravahitra-Tananarive, 20 mars 1896.
... Que notre arrivée a été providentielle! C’est ce que
ne cesssent de nous répéter les missionnaires qui nous en-
tourent, et ce dont nous nous apercevons nous-mêmes de
jour en jour. On ne peut guère se faire de loin une idée,
même approchante, de l’état d’esprit des populations qui
nous entourent. Chez la masse, le moral a été tué par l’op-
pression odieuse des grands qui, assoiffés d’or (ou plutôt
d’argent, car l’or n’existe pas ici comme métal monnayé), ont
usé pour s’en procurer de tous les moyens, inventant des ac-
cusations contre ceux dont ils convoitaient les biens, les
jetant en prison ou les faisant décapiter après des jugements
de complaisance, ou bien les dépouillant purement et sim-
plement par la violence. Trente ans de ce régime de violences
et de mensonges ont, je le répète, démoralisé les masses qui,
tremblant toujours pour la vie ou les biens, en sont venues à
n’avoir plus aucun courage et auxquelles une menace, un
254
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
simple regard d’un des puissants du jour suffiront pour faire
jurer qu'il fait nuit en plein jour. Aussi quand, après la con-
quête, les jésuites et leurs partisans se sont mis à crier tout
haut que pour être Français il fallait se faire catholiques, ces
gens ont-ils pris peur. Dans une foule de villages ils n’osaient
plus aller à lÉglise et se demandaient avec angoisse s’il ne
faudrait pas aller plus loin et entrer dans l’Église romaine.
Le général Duchesne a, certes, fait beaucoup pour les rassu-
rer, mais il n’y a réussi que partiellement, même dans la ca-
pitale; au loin, on n’a pas connu ses déclarations, ou bien,
grâce aux affirmations contraires des catholiques, on n’y a
pas cru.
Certes, il y a des exceptions au principe général que je
pose là. Les chrétiens vrais ont tenu bon un peu partout, mais
ils n’en étaient pas moins très inquiets, eux aussi: et, comme
ils sont la minorité dans ces masses protestantes de nom et
de préférence, mais encore singulièrement ignorantes, l’état
général des esprits était vraiment inquiétant. Il n’y avait pas
eu encore beaucoup de défections, mais on pouvait les prévoir
à brève échéance. C’est là-dessus que nous sommes arrivés,
affirmant par notre seule présence l’existence d’un protes-
tantisme français à laquelle on ne croyait plus, et, par là
même, commençant à rassurer un peu ceux qui nous voyaient
ou entendaient parler directement de nous.
Quel sera le résultat final de notre venue? C’est le secret
de Dieu ; mais, en tous cas. notre devoir était nettement
tracé.. Il fallait y répondre le plus possible pour apporter au
plus grand nombre possible un peu d’assurance et essayer de
leur rendre le courage. Et c’est ce que nous faisons dans
l’Imérina, en attendant que nous allions le faire dans le Betsi-
léo où on nous appelle à grands cris. Le reste est entre les
mains de Dieu et aussi entre les mains de nos Églises de
France, qui ont ici de grands et saints devoirs !
Ce pays est. en effet, en ce qui concerne l'Imérina et le
Betsiléo (c’est-à-dire dans le tiers seul civilisé, le reste est sau-
vage et païen), presque entièrement protestant. Oh! un pro-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
255
testantisme très superficiel il est vrai, et qui a dans sa masse
une intelligence bien imparfaite de ce qu’est l’Évangile; mais,
enfin, il est protestant : je dis plus, même les masses qui n’ont
que le vernis (et encore!) du christianisme tiennent beau-
coup à cette forme qui répond si bien à leurs besoins et à leurs
tendances. Le catholicisme est trop formaliste et trop sacer-
dotal pour eux... Et puis, il parle une langue étrangère, ce qui
ne leur va pas. Je ne crois pas que les masses dont j’ai parlé
comprennent les différences doctrinales qui les séparent
du catholicisme, mais elles ne l'aiment pas et, il faut bien
le dire, ses procédés de mensonge et d’intimidation qui
leur rappellent ceux dont ils ont souffert depuis trente ou
quarante ans de la part des grands, leurs compatriotes, ne
sont pas faits pour les attirer : ils disent souvent, avec une
véritable naïveté, que ce n’est ni par conviction ni par préfé-
rence, mais uniquement par peur, — pour être protégés,
qu’ils se feraient catholiques. Et quel malheur ce serait!
Quelle responsabilité que celle qui pèserait sur nous devant
Dieu si nous ne faisions tout pour l’empêcher ! Je sens mon
cœur brûler au dedans de moi quand je vois devant moi
ces foules qui ont elles-mêmes bâti ces innombrables églises,
qui les remplissent deux fois tous les dimanches, auxquelles
on peut par conséquent annoncer l’Évangile, prêcher la con-
version, qui sont, en d’autres termes, sous l'influence directe
de l’Évangile, et que je me dis qu’on pourrait perdre tout cela
et le jeter dans les ténèbres du romanisme! Ce serait un
crime, et nous devons tout faire pour qu*il ne soit pas com-
mis. Certes, je crois qu’il faut travailler énergiquement à
épurer et développer la foi et la vie religieuse du noyau
vraiment chrétien, que là est l’avenir, mais à condition de
ne pas abandonner la masse qui n’est que nominalement
chrétienne.
Du reste, je retrouve dans le protestantisme malgache en
général (hélas!) notre protestantisme français, et je sens et
pense ici ce que je sens et pense dans nos Églises, que je ne
voudrais pour rien au monde abandonner en proie au catho-
256
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
licisme sous prétexte qu’elles n’ont qu’un christianisme pu-
rement nominal. Il y a plus, la masse non encore chrétienne
aime, je le répète, son protestantisme qui cadre avec son
tempérament et ne l’abandonnerait pas volontiers. A nous à
profiter de cet attachement extérieur pour tâcher de la chan-
ger en quelque chose de meilleur et de faire de ces protes-
tants des chrétiens! C’est là ce que je leur prêche partout
dans ces grandes Églises, presque toujours trop petites pour
contenir les foules qui y accourent. En les rassurant quant à
la liberté de conscience et de culte, je leur dis, en dévelop-
pant ces deux idées sous différentes formes, suivant les mi-
lieux: «Restez protestants, c’est-à-dire dans la lumière; mais
ne vous contentez pas de cela : devenez chrétiens. »
Tananarive, le 16 mars 1896.
... Nous avons commencé nos tournées la semaine der-
nière. Ce matin nous avons visité longuement et inspecté la
grande école des filles de Taravolutra (Société des Quakers)
qui compte 400 élèves de sept à vingt ans et qui, comme
l’école supérieure de la même société, nous a fait une excel-
lente impression. Décidément ces Quakers sont des maîtres
éducateurs; tout est tenu avec un ordre et une méthode
admirables. Et quelles excellentes gens! si simples et si
dévoués.
Notre après-midi a été prise par une série de visites de
différentes délégations d'Églises de la capitale. Certes le
spectacle est intéressant : imaginez-vous quarante ou cin-
quante femmes drapées dans des lambas qui recouvrent des
robes généralement blanches et ornées de plus ou moins de
dentelles, suivant la situation de celles qui les portent,
assises sur la pelouse de notre jardin, et derrière elles, ou
les encadrant, trente ou quarante hommes ayant en tête le
pasteur; sur le côté, généralement, trois ou quatre esclaves
portant dindons, poulets, œufs, riz, etc., etc., — vous aurez
l’idée du spectacle que nous avons eu trois fois aujourd’hui.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
257
C’est bien joli comme coup d’œil, mais à la longue c’est bien
fatigant, et il faut parler toujours au moyen d’interprètes et
toujours aussi redire les mêmes choses, en réponse aux témoi-
gnages si sincères de la joie de ces braves gens, dont le pas-
teur indigène se fait l’organe.
On ne se fera que difficilement en France l’idée de la joie
et de la reconnaissance des Églises de Madagascar à la vue
des pasteurs français. On était si persuadé, malgré le dire
des missionnaires, qu’il n’y avait pas de protestants français,
qu’on serait tracassé ou persécuté pour sa foi, qu’on ne se
lasse pas de venir nous voir et nous exprimer une affection
et une reconnaissance qui se lisent dans les yeux mieux
encore qu’ils ne sont exprimés. Mais, je le répète, c’est bien
fatigant. Et puis... qu’allons-nous faire de toute cette volaille?
Nous avons beau en manger, le troupeau s’augmente tous les
jours. Heureusement qu’il n’y a que dix-sept Églises dans la
capitale et que nous en verrons le bout.
Deux auditeurs assidus de notre congrégation du dimanche,
catholiques, il est vrai, mais bien rattachés à nous de cœur,
viennent de nous quitter. C’est moi qui étais en dernier lieu de
service à notre Église française. Un moment j’ai eu bien peur
de n’avoir que trois auditeurs Français : le Résident général,
M. Lemaire et un lieutenant; mais quelques minutes après
l’ouverture du service nos fidèles des dimanches précédents
sont arrivés et nous étions dix-huit Français, plus une qua-
rantaine de Malgaches, en comptant mon chœur des jeunes
gens du collège qui nous restent fidèles. Certes ce culte était
nécessaire pour l’affirmation de notre droit et de notre exis-
tence en tant que protestants français, comme pour l’édifi-
cation de nos quelques coreligionnaires; mais il est une
grande entrave pour nos tournées...
19 mars. — Me voici de retour de ma pointe dans l’intérieur
et un peu courbaturé par trois journées à cheval dans ces
chemins impossibles de montagnes; car bien que je n’aie pas
encore de cheval à moi, j’ai fait cette chevauchée par néces-
sité. En effet, au moment où nous allions partir en filanzane,
258
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
mes huit porteurs, comprenant qu’il s’agissait d’une longue
course, avaient filé à l’anglaise ou plutôt à la malgache, et je
me suis trouvé à pied. Gomme nos différentes réunions
étaient convoquées, il fallait à tout prix partir. Le mission-
naire Jukes m’ayant demandé si je consentirais à aller à
cheval, m’a, sur ma réponse affirmative, procuré le cheval
de M. Sharman, le directeur du collège; j’enfourchais ma
monture une demi-heure après. Partis, grâce au retard occa-
sionné par la défection de nos porteurs, à 9 heures au lieu 1
de 8, nous sommes arrivés à Ambohimaloza, notre première 1
étape, à midi.
L’auditoire nous attendait là depuis longtemps. La popu-
lation est très dense dans tout l’Emyrne. La petite ville où ]
nous étions est habitée presque exclusivement par des An-
dianes, c’est-à-dire par des nobles plus ou moins apparentés
avec la cour. La ville se compose de trois villages: l’un, au
sommet de la montagne, dans un site ravissant, et deux
autres à droite et à gauche de la route, sur le versant de la
montagne. Chacun des villages possède une jolie Église pro-
testante et il y a aussi une très jolie Église catholique. Les
gens étaient convoqués dans la plus grande Église protestante,
et j’ai bien vite vu, en entrant, aux visages presque bleus et
aux lambas multicolores et pleins de goût, que j’avais affaire
à l’aristocratie.
Je devais, pour cette tournée, avoir un interprète français;
mais dans l’impossibilité où nous avions été de trouver des
porteurs, nous l’avions laissé en ville. Les pasteurs de l’en-
droit me présentèrent alors un instituteur qui, disent-ils,
comprend le français; mais, pour m’en assurer, je lui pose
quelques questions élémentaires et me persuade qu’il ne sera
pas à la hauteur. Cependant, comme les gens y tienuent, je
consens à essayer; mais au bout de quelques minutes le
pauvre garçon demande lui-mème grâce, quoique je parle
très lentement par des phrases très courtes. Me voilà réduit à
parler anglais, M. Jukes interprétant; mais cela valait mieux
pour tous, car je me demande aujourd’hui ce qu’auraient
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
pensé de moi et de mon allocution ces hauts personnages.
Imaginez-vous l’effet produit sur eux par ce petit spécimen
de traduction que M. Jukes m’a révélé après le service, a Mes
frères et mes sœurs en Jésus-Christ, c’est une grande joie
pour moi de me trouver au milieu de vous». Traduction :
« Je viens vous dire : Repentez-vous aujourd’hui de tous vos
grands péchés ». Voyez-vous le joli exorde insinuant? et
comme il a bien dû disposer ces braves nobles à mon égard.
J’en ai frémi quand je l’ai su. Du reste je sentais, à l’attitude de
l’auditoire, que ça n’allait pas, qu’on avait l’air surpris; aussi
ai-je éprouvé un soulagement à reprendre l’anglais et à être
traduit. Après mon allocution, des pasteurs indigènes m’ont
remercié très chaleureusement. A trois heures, nous repar-
tions pour nous enfoncer en pleine montagne et pour arriver,
à cinq heures, à un petit village situé sur l'ultime sommet
d’un mamelon très élevé et qui a exigé de la part de ma
monture des tours de force dont je n’eusse jamais cru un
cheval capable.
Là encore on nous attendait depuis trois heures. Auditoire
tout différent de celui du matin : gens simples, très effrayés
par les* menaces des prêtres et de leurs partisans. Je les ai
rassurés de mon mieux et exhortés à la fidélité. C’était vrai-
ment touchant de voir ces gens, au nombre de cinq à six
cents, qui ne voulaient pas sortir du temple et demandaient si le
vasaha français ne pouvait pas leur parler encore. Mais il se fai-
sait, tard et nous devions aller à une heure plus loin où nous
avaient devancés notre cuisinier et les porteurs de nos lits.
Arrivés au gîte, nous en avions assez, moi surtout, qui ne suis
plus habitué au cheval. Nous avons soupé d’un poulet au riz
et avons ensuite fait un culte qui a été une vraie causerie
religieuse entre nous deux sur Jean XV. J’ai pu me croire un
moment causant avec mon vieil ami H., et c’a été pour moi
une jouissance.
Le lendemain nous arrivions à Ambaromanza. L’église était
bondée de monde ; c’est au point que nous avons de la
peine à arriver à l’estrade. On avait chanté, prié et lu déjà
*260
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
pendant deux heures, mais on n’en a chanté qu’avec plus
d’entrain quand nous avons fait notre apparition. Et vrai-
ment le chant de cette foule de 1,009 à 1,200 âmes entassées
dans l’église, obstruant les trois portes et les six fenêtres,
m’a empoigné. Et puis ces yeux brillants de joie, fixés sur
moi, cette expression de sympathie qui se lisait sur tous ces
visages bruns ou noirs étaient bien faits pour vous remuer.
J’ai parlé une demi-heure toujours sur le même thème, mais
avec une note plus religieuse qu’ailleurs, les exhortant à ne
pas se contenter de la forme de l’Évangile, mais à lui ouvrir
leurs cœurs pour se laisser transformer par lui en de nou-
velles créatures. Avec la traduction cela fait une heure.
Vous croyez que ces gens en avaient assez. Non, non. Après
les allocutions chaleureuses de trois évangélistes venus avec
des bandes de gens, de huit et dix heures de marche, quel-
ques-uns même de plus loin, il m’a fallu, bon gré, mal gré,
recommencer à répondre à quelques questions. Nous ne
sommes sortis qu’à une heure, et encore a-t-il fallu que nous
missions nous-mêmes le point final, pour lequel j’ai dû
chanter tout seul en français: « Reste avec nous, Seigneur »,
sur la demande de l’auditoire. Je ne puis dire l’émotion pro-
duite sur ces gens par mon chant! Les larmes étaient dans
tous les yeux, et il s’est passé deux ou trois minutes avant
que l’auditoire pût reprendre le même chant en malgache,
le premier verset avec des voix tremblotantes d’émotion, les
autres versets avec un entrain empoignant...
H. Lauga.
Nous résumons, d’après deux courriers plus récents, les
dernières nouvelles de nos délégués. A la date du 21 avril, leur
santé était bonne. Ils continuaient leurs visites aux écoles et
aux Églises, en suivant un laborieux programme préparé de
concert avec les missionnaires des diverses Sociétés, toujours
empressés à faciliter leur mission, qu’ils avaient d’avance
appelée de leurs vœux. Leurs rapports avec le résident et avec
les autorités continuaient à être bons. Après l’Imérina ils de-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
261
vaient, l’un après l’autre, se rendre dans le Betsiléo, où les in-
vitaient en particulier les missionnaires norvégiens. Quant
au culte français, il continuait à être célébré sans interrup-
tion, avec une moyenne de 12 à 20 auditeurs français.
Ces mêmes courriers nous ont apporté les premiers élé-
ments du rapport que, dans nos prévisions, nos délégués ne
devaient nous remettre qu’à leur retour. 11 leur a paru, dès
à présent, possible de caractériser l’œuvre qui, dans la suite,
devra incomber au protestantisme français à Madagascar, et
de formuler à cet égard quelques propositions. Ces divers
renseignements ont été communiqués à la Société centrale,
qui a exprimé le désir de voir sa section des colonies prendre
sa part dans les travaux à accomplir à Madagascar. Les deux
Sociétés vont délibérer sur ces documents, s’entendre sur les
domaines respectifs de leur activité, et nous espérons être en
mesure d’annoncer, dès le mois prochain, les décisions qui
auront été prises. La question de principe résolue, restera
celle des hommes Que tous ceux qui ont à cœur la cause de
l’Évangile à Madagascar s’unissent à nous pour demander à
Dieu de susciter et de désigner lui-même les hommes aux-
quels sera confiée la tâche difficile de continuer l’œuvre si
bien préparée et commencée par nos délégués MM. Lauga et
Krüger.
Selon toute probabilité, ce qu’il faudra pour cela c’est,
avant tout, un pasteur rempli de l’esprit missionnaire, et
doué de toutes les qualités nécessaires pour continuer cette
fonction d’intermédiaire et de médiateur qui sera sa prin-
cipale tâche, sans préjudice des fonctions particulières qui
pourront lui être dévolues.
Ce qu’il faudra ensuite, ce sont des instituteurs très capa-
bles, ou plutôt des professeurs pouvant enseigner le français
dans les écoles supérieures des missions protestantes exis-
tantes. Ce sont ces missions elles-mêmes qui demandent ces
maîtres; niais il est probable que notre protestantisme fran-
çais devra posséder, lui aussi, à Tananarive, son établissement
d'instruction.
20
262
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Ce pasteur-missionnaire, ces instituteurs ou professeurs,
aidez-nous à les trouver, chers lecteurs. Signalez-nous les
noms de ceux auxquels un appel pourrait être adressé.
Aidez-nous de vos prières, aidez-nous de vos conseils; sans
votre concours nous ne pouvons que peu de chose.
Cet aperçu de la situation à Madagascar serait incomplet
si nous ne disions un mot des attaques qui ont été dirigées,
dans quelques journaux politiques, contre nos délégués. Il
fallait s’y attendre; bien plus, il faut d’avance nous résigner
à ce que, quoi que nous entreprenions dans la grande île afri-
caine, nous voyions nos intentions travesties, nos meilleurs
efforts dénaturés. Calomniés et injuriés, quand nous avons cru
que l’heure de l’action n’avait pas sonné, nous le serons tout
autant dans notre activité elle-même. Quelle que soit cette
action et quels que soient ceux qui s’en chargeront, l’attaque
se produira. Le mieux est de ne pas nous en émouvoir et de
ne pas permettre à l’opinion de nous faire dévier, de l’épais-
seur d’un cheveu, de notre ligne d’action. Pourvu que notre
conscience nous rende le témoignage que nous faisons notre
devoir, cherchant premièrement le règne de Dieu, cela suffit.
LESSO U TO
RÉUNION ANNUELLE DE LA CONFÉRENCE
La Conférence des missionnaires du Lessouto s’est réunie
à Morija; ses séances ont duré du 18 au 25 mars. Le manque
d’espace nous empêche de publier dès aujourd'hui le rapport
que nous adressent nos frères, bien qu’il soit déjà composé.
Nous espérons pouvoir le faire paraître le mois prochain, I
ainsi que le tableau statistique qui l’accompagne.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS 263
M. ET MADAME MERCIER AU LESSOUTO
M. Mercier, que nous avons laissé (p. 179) se rendant du
Cap au Lessouto, a été faire visite à MM. Coillard et Jalla, à
leur passage à Kimberley. Cette entrevue était désirable à
tous égards. S'entretenir de l’œuvre qui l’attend à Séfula, et,
d’abord, arrêter les grandes lignes et, autant que possible,
les détails de son voyage avec les vétérans de l’œuvre du
Zambèze, était une bonne fortune pour notre jeune frère.
Avec M. Mercier, nous sommes frappés de la manière pro-
videntielle dont Dieu a retardé son départ pour l'intérieur.
Si les premiers plans avaient pu s’exécuter, il se serait
trouvé, avec sa jeune femme et ses compagnons indigènes,
en plein désert avec des attelages fusillés, ou bien, ce qui
eût été plus tragique encore, entre les mains des Matébélés
en révolte; autant dire dans la gueule du lion. «Aussi, ajoute
M. Mercier, bénissons-nous Dieu pour sa paternelle protec-
tion et sommes-nous portés à nous confier plus fermement
en son amour et en sa puissance ».
En attendant que leur départ pour le Zambèze puisse s’ef-
fectuer, M. et madame Mercier utilisent leur temps en étu-
diant le sessouto et l’œuvre missionnaire qu’ils ont sous les
yeux. Après quelques semaines passées à Morija, ils doivent
se rendre à Léloaleng, où ils verront de près une école indus-
trielle analogue à celle qu’ils devront organiser au Zambèze.
Ici encore, tout est pour le mieux.
Pour savoir où le paganisme de nos Bassoutos peut les
conduire, notons le fait suivant qui est arrivé en mai 1895;
je dis bien : 1895, il n’y a pas un an.
Dans le district de Kalo vit un petit clan d’indigènes appe-
Oü LE PAGANISME PEUT ABOUTIR
264
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
lés les Makholokhoé. Nous avons parmi eux une annexe
fondée il y a une quinzaine d’années environ. Le chef de
cette peuplade s’appelle Molopi.
Molopi, comme tant d’autres, est polygame. Il a plusieurs
iîls, des hommes faits. Ces fils, — triste, mais fréquent ré-
sultat de la polygamie, — étaient jaloux les uns des autres
et se disputaient la succession éventuelle de leur vieux père.
11 s’agissait de dépouiller leur frère aîné de ses droits. Au
reste, le père, préférant au fils de sa première femme, qui
lui avait été donnée par son propre père, ceux d’autres de
ses femmes, de celles qu’il avait choisies et aimées, favori-
sait sous main les prétentions de ces derniers.
Mais comment dépouiller l'héritier légitime? Employer la
ruse ou la violence? Cela ne réussirait pas. Restait la méde-
cine. «Appelons Khokong, le médecin zoulou qui possède
tant de science occulte et qui peut tant de choses. »
Khokong arrive de la Natalie. «Que faut-il faire, lui de-
mande-t-on, pour enlever à notre frère ses droits de chef? »
— « Fournissez-moi un os d’homme, et j’ai votre affaire. »
Les fils de Molopi ont entendu. Mais un os d’homme, cela
ne se trouve pas comme ça. Déterrer un mort, non. Alors,
quoi? Qu’à cela ne tienne! On s’arrangera.
Quelques jours plus tard, on buvait de la bière (c’est-
à-dire ou s’enivrait) dans un village voisin et on dansait. Les
fils de Molopi étaient là aussi, avec un projet diabolique en
tête. Ils avaient choisi leur victime, un innocent, le premier
venu, un jeune homme païen nommé Daniel, un membre de
leur propre clan. Ils jetèrent dans sa bière une médecine
appelée «Suis-le», ayant pour effet de forcer celui qui l’a
hue à suivre ceux qui la lui ont fait boire...
Le soir, Daniel était entraîné dans un ravin, assailli par ces
misérables qui, fermant l’oreille à ses supplications, l’étouf-
faient sous leurs talons et lui tordaient le cou.
Le cadavre fut porté de nuit dans une hutte abandonnée.
On le montra au sorcier zoulou en lui disant : « \oici le gi-
bier que nous avons tué pour toi. »
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
265
Il se mit au travail, enleva du corps une oreille, trois ou
quatre doigts, autant d’orteils, peut-être d’autres morceaux
encore. Tout cela fut grillé et calciné dans un couvercle de
marmite, mélangé avec des plantes et des drogues, trituré,
moulu, réduit en poudre : la précieuse «médecine du pou-
voir ». Khokong fit ensuite quelques incisions sur le corps
des assasins, y introduisit avec son pouce un peu de cette
horrible poudre noire. Ils étaient munis du charme qui de-
vait infailliblement leur procurer les droits dont ils voulaient
déposséder l’héritier légitime, leur propre frère, leur aîné.
Quant au cadavre mutilé de Daniel, il fut jeté dans un
champ, où on le découvrit trois jours après.
Inutile de raconter comment les coupables furent décou-
verts et le procès qui suivit. Molopi et ses fils avaient voulu
obtenir le pouvoir à l’aide d’un meurtre ; ils ne réussirent
qu’à se faire dépouiller à jamais de tous leurs droits de chefs
et à être condamnés à sept ans de prison, n’échappant à la
potence que parce qu’on ne put trouver de témoin absolu-
ment véridique. Beau résultat de la sanglante supercherie du
vieux docteur zoulou!...
Ce fait atroce est absolument exceptionnel au Lessouto. Ce
crime a été réprouvé par toute la tribu. Il n’en est pas moins
le produit tout naturel du paganisme, qui conduit à ces
extrémités, et que seules l’influence de l’Évangile et de la
civilisation, et la présence d’autorités européennes empêchent
de multiplier des crimes de ce genre.
Il est plus que probable, du reste, qu'il se passe dans le
pays plus d’énormités de cette espèce qu’on ne pense, mais
qu’elles ne paraissent pas à la lumière. Au lieu d’un assassi-
nat par la violence, il y a des empoisonnements. Ensorceler
une personne, c’est presque toujours l’empoisonner. Nom-
breux sont ceux qui essaient au moins de satisfaire par des
moyens occultes leurs jalousies, leurs haines, et leurs ambi-
tions.
Le paganisme entretient dans le sein du peuple les supers-
titions les plus ridicules et aussi les plus dangereuses. Et le
266
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
cœur du païen, comme sa courte intelligence, sont dans leur
élément quand il s’agit de pratiques superstitieuses et de mé-
decines à tout faire. Le paganisme, dirons-nous dans le lan-
gage du pays, est bien la vache qui fait des veaux comme le
crime ci-dessus raconté.
Qu'on ne nous parle pas de ce paganisme poétique, enfan-
tin, innocent, vraie idylle de la nature, adaptation plus ou
moins réussie des mœurs patriarcales des Israélites à la na-
ture et aux goûts des nègres africains!
Les hommes de Dieu qui ont fondé les missions du Sud de
l’Afrique voyaient et jugeaient comme on le faisait dans la
première moitié de ce siècle, à la manière de Jean-Jacques
Rousseau. Ils professaient, sans le savoir, un idéalisme qui
leur montrait toutes choses sous un jour favorable, et dont
leurs écrits présentent des exemples très caractéristiques. On
y cherche en vain l'horreur du paganisme, sa crudité, sa
corruption, ses turpitudes et le reste.
Aujourd’hui, nous sommes réalistes. Nous avons à nous
défendre de l’être trop. Nous voyons les choses comme elles
sont. Le paganisme nous apparaît hideux, impur, brutal et
abrutissant, bestial bien souvent. Nous voulons le représen-
ter ainsi, tel quel.
Plus on remarque l’horreur du paganisme, plus beau appa-
raît l’Evangile libérateur, plus impérieux aussi se montre le
devoir des chrétiens de détester le monstre et de le combattre
à outrance.
C’est pour mettre une fois de plus ce devoir en évidence et
sur la conscience de nos Églises, que j’ai cru devoir raconter
ici le crime des fils de Molopi.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
267
ZAMBÈZE
VOYAGE DE MM. COILLARD ET JALLA
Extraits de lettres de M. Coillard et M. L. Jalla.
A Maféking. — Plans bouleversés — La peste bovine. — La ré-
volte des Matébélés. — Allées et venues. — M. Coillard à l’hô-
pital de Kimberley. — Une délivrance. — En route pour l’Eu-
rope.
Maféking, 1er avril 1896.
... Nous voici aujourd’hui dans des circonstances bien
difficiles encore. 11 semblait que tout irait sur des roulettes
pour le voyage de M. Coillard et le nôtre, et pour l’expédition
Mercier, et voilà tous nos plans bouleversés. Je me suis arrêté
cinq jours à Maféking, où j’ai pu vendre nos deux lourds wa-
gons à un bon prix, ainsi que tous nos bœufs. J’ai aussi réglé
diverses affaires pour épargner aux Mercier tout arrêt ou tout
ennui; puis, M. Coillard désirant essayer un véhicule plus
léger que le wagon et plus confortable, je louai une wagon-
nette pour l’amener ici et un wagon pour moi-même.
Ces arrangements entraînaient forcément une séparation
de Palapye ici. M. Coillard comptait partir quatre jours après
nous et nous rejoindre ici pour continuer ensemble le voyage.
Je quittai donc Palapye le 12 mars. En route, la quarantaine
fut établie pour tout wagon venant de Palapye et plus loin;
mais, grâce à des circonstances tout à fait exceptionnelles, je
réussis, à Palla, à changer de wagon jpour atteindre Gabe-
rone au pas de course. Là, je priai M. Ellenberger de s’in-
former où était M. Coillard, de l’aider à atteindre Gaborone
et de m’en informer aussitôt, car c’était déjà une déception
de ne rien apprendre de lui. Puis, continuant notre route à
grande vitesse, j’espérais déjà atteindre Maféking sans re-
tard, quand, à 35 milles d’ici, deux envoyés du gouverne-
ment arrêtent notre wagon en plein champ, loin de l’eau,
268
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
détellent les bœufs, tandis que les agents de police les fusil-
lent un à un. Puis, laissant des ordres pour les enterrer, ils
continuent leur course destructive jusqu’à Gaberone, fusil-
lant ainsi plus de 3,000 bœufs pour lesquels le gouverne-
ment donne une certaine compensation. Cette mesure a été
prise pour empêcher, si possible, la peste bovine qui dévastait
tout le pays jusqu’à Boulouwayo de faire irruption dans la
colonie.
Vous devinez notre déception en nous voyant ainsi loin de
tout secours et notre attelage, entièrement sain, étendu fusillé
à cinquante mètres de nous. Nous regrettions ces braves
bêtes presque comme des amis. J’expédiai de suite, mais
sans aucun résultat, un garçon à Maféking pour y chercher
ânes ou mulets; c’était le 27 mars au soir. Le 28 se passa
dans l’attente. Le 29, ayant appris qu’on ne pouvait rien faire
pour nous à Maféking, nous prîmes, ma famille et moi, la
voiture de poste qui nous déposait, après douze heures de
marche ici, à Maféking, où nous descendîmes à l’hôtel. Au-
jourd’hui, moyennant 173 francs, j’ai pu faire chercher mon
bagage. Pas un seul bœuf ne peut voyager entre ici et Boulou-
wayo, et il y a 800 wagons privés de leurs attelages arrêtés
sur la route. On ne sait jusqu’à quand cela durera.
Sur ces entrefaites, les Matébélés se sont révoltés, tuant
des centaines de blancs et menaçant l’existence même de
Boulouwayo dans son entier. Vous devinez l’excitation qui
règne ici; aussi ai-je fait dire à Mercier qu’il ne devrait pas
quitter le Lessouto avant fin octobre, car en admettant même
que les communications s’ouvrent d’ici à un mois, ce que
personne ne croit, ce serait déjà trop tard pour faire le
voyage de Palapye au Zambèze. Je vais faire tout mon pos-
sible pour faciliter le voyage de nos amis. Les wagons seront
choisis et achetés, ainsi que l’attelage, et je leur laisserai les
indications nécessaires pour la route.
Cependant, ma première pensée, en arrivant ici, fut pour
M. Coillard. Je télégraphiai à Palapye et appris qu'il en était
parti le 48 mars. Je télégraphiai à Gaberone, mais la ligne
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
269
était rompue. Sur ce, j’apprends que M. Coillard doit être à
Molépolole. Sachant où il se trouve, j’espère pouvoir louer
un cart et aller le chercher. En tous cas, je ne quitterai pas
Maféking sans lui. En attendant, ma femme partira avec les
enfants, lundi, pour Kimberley et, de là, ira m’attendre à
Stellenbosh.
Comme tout ceci retarde notre arrivée en Europe, et com-
bien nous souhaitons d’avoir des nouvelles de vous tous ! Je
tremble pour la santé de notre cher M. Krüger à Madagascar.
Je suis anxieux de connaître le résultat de la mission confiée
à nos délégués. Quels horizons nouveaux pour la Société!
Nous sommes bien en famille, le voyage nous a tous beau-
coup fortifiés..
Il y a ici et en route une masse de voyageurs encore plus
mal partagés que nous. Si seulement M. Coillard était ici,
tout irait bien... La question de Boulouwayo est très inquié-
tante, et le soulèvement des Matébélés est d’une grande gra-
vité aussi pour le Zambèze. Guerres et massacres sont à
l’ordre du jour. Veillons et prions; c’est Dieu qui règne...
L. J ALLA.
Par une lettre du 15 avril, M. Ellenberger nous informe
de la manière dont M. Coillard a pu continuer sa route.
Arrêté, en effet, à Molépolole, à cause de la quarantaine, il
expédia le lundi 3 mars un express à M. Surmon, le magistrat
de -Gaberone, pour le prier d’envoyer des bœufs. Celui-ci fit
répondre que cela lui était impossible. Le lendemain, nouvel
envoyé de M. Coillard demandant un laisser-passer. Nouveau
refus du magistrat. Là-dessus, M. Surmon, apprenant la ma-
ladie de M. Coillard, envoya sa propre voiture attelée de che-
vaux pour le chercher à Molépolole et l’amener à Gaberone, où
il arriva le vendredi 3 avril.
Après deux jours de repos, M. Goillard repartait de Gabe-
rone, toujours dans la voiture de M. Surmon. Cependant,
M. Jalla avait mis à exécution son projet de rechercher son
vénéré collègue. Rebroussant chemin de Maféking, avec une
270
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
voiture légère, il rencontra M. Coillard après trois jours de
marche. Celui-ci put alors quitter le véhicule de M. Surmon
et entrer dans le cart de M. Jalla avec lequel il acheva de
franchir la distance qui le séparait de Maféking. Ils y
rentraient peu après, et dans quels sentiments de reconnais-
sance envers Dieu et les hommes, on se le représente sans
peine.
Nous devons renoncer à suivre dans tous ses incidents le
voyage de nos missionnaires. Disons seulement que M. et
madame Jalla ont pu, en se contentant d’une cabine de troi-
sième classe, prendre passage au Cap sur le Guelph, où se
trouvait aussi la famille Jacottet, et qui devait lever l’ancre
le 23 ou le 24 avril.
Quant à M. Coillard, c’est lui-même qui nous renseignera
sur ses mouvements.
Kimberley, le 26 avril 1896.
... « Me voici donc à l’hôpital que j’espère quitter dans
deux jours pour le Cap. J’ai fait de nouvelles expériences...
J’ai été mis sous chloroforme à deux reprises, la deuxième
fois pendant deux heures entières, pour une opération qui
parait avoir réussi, grâce à Dieu. Mais j’avoue que pour moi
c’était redoutable. Le Dr Mac Kenzie, le fils du missionnaire
de ce nom, bien connu, m’a prodigué tous les soins possibles,
et j’ai contracté envers lui une grande dette de reconnais-
sance.
Stellenbosh, 3 mai.
« J’ai pu quitter Kimberley le 29 avril. J y ai laissé des
amis tant parmi les garde-malades que parmi les malades
eux-mêmes. Une dame de la ville, deux même, ont pris à
tâche de ne pas laisser ma chambre sans fleurs. J’ai toujours
aimé la mission des fleurs dans les hôpitaux, telle que nous
l’avons connue à Londres, mais il faut avoir été enfermé
quelque temps soi-même dans une salle d’hôpital pour en
apprécier toute la beauté. J’ai été ému quand la supérieure
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
271
de l’hôpital de Boulouwayo m’a apporté l’unique rose de son
petit parterre (je n’avais pas vu de rose depuis douze ans) —
et non moins à Kimberley, quand, jour après jour, j’ai vu des
fleurs m’apporter de touchants messages d’affection et de
sympathie. Je crois vraiment que c’est là un des chemins les
plus directs pour toucher le cœur d’un malade et lui faire du
bien.
« Un long trajet de trente-six à trente-sept heures de che-
min de fer m’a amené à Stellenbosh, où M. Neethling, pasteur
de l’Église hollandaise, et son excellente femme, la sœur de
M. Andrew Murray, m’ont reçu à bras ouverts. C’est M. Neeth-
ling qui a collecté les 2,875 francs destinés à l’achat de ma wa-
gonnette. J’ai cru d’abord qu’il avait demandé cette somme
aux membres de son Église; pas du tout, c’est à ses collè-
gues les pasteurs, exclusivement, qu’il s’est adressé, deman-
dant que chacun donne une livre sterling. Quelques-uns ont
donné davantage; personne n’a refusé. Aussi, quand, le jour
même de mon arrivée à Stellenbosh, j’ai rebroussé chemin
pour assister aux réunions de Wellington, ai-je été reçu
comme une vieille connaissance et un ami. J’v ai rencontré des
pasteurs et des indigènes de toutes les parties de la colonie,
de l’État libre et même du Transvaal. M. Duddley Kidd, direc-
teur delà mission générale du Sud de l’Afrique, etM. Morgan,
le vénéré éditeur du Christian , étaient là aussi. J’ai donc pu
recueillir avec avidité les miettes de leur festin.
« Hier j’ai été au Cap prendre mon passage à bord du
Warwick Castle qui doit partir le 21 de ce mois. Une heure
après, toutes les places étaient retenues. Je vais visiter
Worcester, où se fait une grande œuvre parmi les noirs et où
se trouve un établissement pour les aveugles et un pour les
sourds-muets. Puis, je verrai Wellington, bien connu par
son institut missionnaire et sa grande et admirable école de
jeunes filles. J’irai ensuite passer les derniers jours à la ville
du Gap avant de m’embarquer. Je suis arrivé à ce degré de
convalescence où je pourrais manger le cuir de mes souliers.
Dieu m’a béni abondamment. C’a été une grande joie pour
272
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
moi de me rencontrer hier avec les missionnaires de Val-
dézia, M. H. Berthoud et M. de Meuron, et avec ma chère
filleule, Marie Mabille. Adieu, ou plutôt au revoir . A bientôt.
J’ai eu la terrible tentation de rebrousser chemin et de re-
tourner au Zambèze, mais comment? Priez que Dieu bénisse
abondamment le voyage en Europe des chers Jalla et le
mien. »
F. Coillard.
NOUVELLES DES STATIONS
A Léaluyi.
Nous extrayons les passages suivants d’une lettre deM. Ad.
Jalla, datée de Léaluyi les 27 et 31 janvier. M. Jalla se mon-
tre très préoccupé du voyage de M. Coillard. Voici ce qu’il
écrit à ce sujet :
Léaluyi, 27 janvier 1896.
« ... Pourquoi Dieu aurait-il permis que notre doyen, le
fondateur de la mission, quittât le pays pour le rappeler à lui
en plein désert? Je ne puis le croire. J’espère encore qu’il lui
accordera d’atteindre l’Europe, où il recevra les soins que ré-
clame son état, et qu’un beau ministère lui est réservé dans
les Églises, où sa présence même ne peut que réveiller l’inté-
rêt en faveur du Zambèze.
« ... Nous avons grand besoin d’être soutenus, maintenant
qu’est parti celui auquel nous étions heureux d’avoir recours
pour toutes sortes de conseils et dont le seul nom était une
force dans ce pays que nous évangélisons. Tous nos collè-
gues peuvent se joindre à moi pour vous dire le vide que
M. Coillard a laissé derrière lui; mais c’est principalement
sur ma femme et sur moi que retombe la charge que notre
doyen vient de déposer...
«... L’inondation envahit graduellement la plaine. N’était
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
273
la chaussée, notre termitière ne serait plus qu’un îlot. Nous
sommes bien à l’étroit au plus fort de l’inondation; aussi au-
i rions-nous voulu faire de grands travaux de terrassement
pour nous mettre un peu plus au large. La famine nous a
! empêchés d’accomplir tous nos plans. Ce n’est que depuis
Il trois semaines que nous avons des escouades de trente à
soixante femmes par jour. Cependant, si le niveau de l’eau ne
s’élève pas trop, nous agrandirons notre îlot d’un huitième.
Une autre année nous en ferons autant et, au bout de quatre
ou cinq ans, nous aurons doublé la superficie de la termitière
i primitive.
« Nous avons passé les fêtes de Noël et du nouvel an avec
les Béguin et Davit, et nous en avons beaucoup joui. Je
pense que Davit vous a fait le récit de son installation le
5 courant à Séfula. Brave Davit, il est là-bas, faisant ses pre-
mières armes tout seul. Heureusement qu’il a de bons voi-
sins, Paulus et sa femme, qui sont aussi de bons aides pour
l’évangélisation. Et puis, nous avons l’assurance que Dieu
veillera sur lui et le bénira...
<r Notre village est tout tranquille, le roi étant parti hier
avec presque toute la population mâle, pour une partie de
chasse. Avec son amabilité habituelle, il est venu me saluer
en passant. Si vous l’aviez entendu parler, dimanche passé,
en sortant du culte, où j’avais parlé sur la parole de Dieu à
Caïn : « Où est ton frère? », vous auriez pu croire qu’il allait
faire le pas décisif... Que de fois il parle comme un chrétien
et nous édifie même! Ah! que ne pouvons-nous le décider à
se jeter aux pieds du Sauveur! Il est beaucoup moins or-
gueilleux qu’autrefois, et il semble sentir son péché à certains
moments... Oh ! continuons à prier !...
« Toutes ces dernières semaines, il y a eu beaucoup d’é-
trangers au village, des gens venant de tous les côtés, quel-
ques-uns des extrémités du pays soumis aux Barotsis. Nous
nous sommes efforcés de les voir. La plupart d’entre eux
sont venus aux cultes du dimanche. Mais comme nous vou-
drions avoir plus de temps à consacrer à l'évangélisation de
274
.JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
la population flottante de Léaluyi ! Et les malades!... Bien
qu’on éloigne de la capitale tous ceux qui semblent l’être
gravement ou pour longtemps, ils sont cependant nombreux
ceux qui ont recours à nous pour des médecines; il en vient
en moyenne quatre ou cinq par jour, quelquefois beaucoup
plus. La préparation et la distribution des médecines me
prend parfois des demi-journées. Comme je regrette de ne
pas en savoir plus long et de ne pouvoir consacrer plus de
temps à cette branche de mon ministère! Quel beau champ
de travail pour un médecin-missionnaire!...
« A. Jalla. »
A Nalolo.
Lettre de M. E . Béguin .
Nalolo, 30 janvier 1896.
Bien cher monsieur,
Au Zambèze comme en Europe, chacun aime, autant que
possible, passer les fêtes de Noël et du nouvel an en famille.
Ici, notre famille se compose des différents membres de notre
mission. C’est à cause de cela que les plus rapprochés, nos
amis Ad. Jalla, de Léaluyi, et nous de Nalolo, avons désiré
nous réunir pour célébrer ensemble Noël et le commence-
ment de la nouvelle année.
Il y avait du reste une autre raison à notre réunion : c’est
que, le premier dimanche de janvier, M. Jalla et moi devions
accompagner notre ami P. Davit à Séfula, pour l’installer
comme missionnaire de cette station.
Donc, le mardi 24 décembre, un peu avant le lever du soleil,
nous entrions dans nos canots. Voilà trois mois que la saison
des pluies a commencé; aussi le Zambèze est-il gros; le
voyage se fait aussi plus rapidement qu’à la saison sèche :
tandis qu’alors il est difficile d’arriver à Léaluyi même, et
qu’il faut pour cela traîner les canots en maints endroits,
maintenant, au contraire, la navigation est partout très fa-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
275
cile, et huit heures après notre départ de Nalolo nous dé-
barquions à Léaluyi.
Les quinze jours que nous y avons passés ont été assez rem-
plis. Nous avons assisté d'abord aux examens de l'école de
Léaluyi : elle est très nombreuse, elle a plus de cent enfants.
Aussi n’est-ce pas trop des deux instituteurs-évangélistes qui
en sont chargés. Ces examens se sont faits en présence du roi
et de plusieurs chefs. Les résultats ont, en général, été satis-
faisants et ont montré que quoique nous ayons souvent à nous
plaindre de la méthode des instituteurs, qui sont très routi-
niers, et surtout du peu de régularité de beaucoup d’élèves,
cependant il se fait des progrès, et les enfants arrivent à lire
et à écrire couramment. En outre, ils apprennent les quatre
règles, de la géographie et surtout l'histoire sainte.
Les examens ont été suivis d'une discussion entre les
chefs présents, à propos de la fréquentation de l’école que
plusieurs, le roi entre autres, trouvent défectueuse. C'est, en
effet, le cas, et il est regrettable que le roi ne soit pas mieux
secondé qu’il ne l’est dans les efforts qu’il fait pour obliger
les élèves à une fréquentation régulière. Léwanika apprécie
l’école et désire qu’elle soit suivie par beaucoup d’enfants et
régulièrement, mais tous les chefs ne le suivent pas dans
cette voie. Cette fête scolaire s'est terminée par une distribu-
tion de prix aux meilleurs élèves et par une collation composée
de café et de viande de bœuf offerte à tous les élèves.
Le samedi 4 janvier, M. Jalla et moi nous nous rendions à
Séfula, tandis que les dames restaient ensemble à Léaluyi.
A Séfula nous retrouvions M. Davit, qui nous avait précédés
la veille.
La cérémonie du lendemain nous a montré, une fois de plus,
combien il est heureux que la station de Séfula soit de nou-
veau occupée par un missionnaire. Nous avons eu, aux deux
cultes, des assemblées de plus de 250 personnes, ce qui n’a
rien d’extraordinaire pour Séfula, où l’auditoire pourrait faci-
lement être plus nombreux. Cette station est très importante
au point de vue missionnaire, car non seulement c’est un
276
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
centre de population et de population agricole assez séden-
taire, mais surtout ce sont des gens relativement indépen-
dants du roi et des grands chefs, ce qui est un grand avan-
tage pour le missionnaire et l’évangélisation; tandis que nous,
dans les stations capitales, à Léaluyi et à Nalolo, nous n’a-
vons que des chefs et des esclaves, c’est-à-dire la population
la plus voyageuse qu’il soit possible d’imaginer : ces gens
sont constamment en expédition. En outre, les capitales ne
servent guère que de pied-à-terre à toute cette population
groupée autour du roi et de la reine. Chacun de ceux qui la
composent a, quelque part dans le pays, son village où il va
ordinairement séjourner. La conséquence est que nous avons
rarement, plusieurs dimanches de suite, le même auditoire.
A Séfula, la population est beaucoup plus stable, plus nom-
breuse ; elle subit beaucoup moins l’influence des chefs, de
sorte qu’il peut s’y faire une œuvre beaucoup plus sérieuse.
Mais je reviens à l’installation de M. Davit. Elle a été ou-
verte par un sermon de M. Ad. Jalla, qui a prêché sur cette
parole: « Où est ton frère? » (Gen. IY, 9). Après lui, M. Davit
a aussi adressé quelques paroles à l’assemblée, en prenant
comme texte: « Prêche la parole, insiste en temps et hors de
temps, reprends, censure et exhorte avec toutes sortes de
douceur et en instruisant» (IITim.IV, 2). Puis Sumba, un des
grands chefs du pays, gendre du roi, qui, de plus, est un de
nos chrétiens les plus sérieux, un de ceux dans lesquels nous
pouvons avoir le plus de confiance, a parlé au nom du roi,
par lequel il était envoyé, et qui l’avait chargé d’exhorter les
habitants de la contrée de Séfula à suivre assidûment les
cultes et l’école. Enfin, l’évangéliste Paulus et quelques
fidèles ont exprimé leur joie d’avoir de nouveau un mission-
naire. Peu après, les auditeurs se réunissaient pour un se-
cond culte où je méditai cette parole du Seigneur : « L’homme
ne vivra pas seulement de pain, mais il vivra de toute parole
qui sort de la bouche de Dieu» (Mat. VI, 4).
Le lendemain, plus de 60 élèves étaient présents pour la ren-
trée de l’école : ce chiffre pourrait être plus élevé; il l’a été
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
277
du reste, et nous espérons bien qu’il ne tardera pas à l’être de
nouveau.
De retour à Léaluyi, nous assistons, le 8 janvier, à un évé-
nement qui marquera dans l’histoire de la mission du Zam-
bèze : c’est l’ouverture de l’École biblique ou d’évangélistes,
qui avait lieu en présence du roi, quelques chefs et autres
personnes. L’école, confiée, comme on le sait, à M. Ad. Jalla,
s’ouvre avec une douzaine de jeunes gens qui font une bonne
impression de sérieux. Ici encore, le roi s’est montré très
bienveillant; il a exhorté ces jeunes gens à étudier avec sé-
rieux, leur rappelant que, par le fait de leur entrée dans cette
école, ils étaient affranchis de corvées ou autres obliga-
tions.
Que Dieu, dont nous voulons avant tout la gloire, veuille
mettre sa bénédiction spéciale sur cette école afin qu'elle de-
vienne un foyer d’évangélistes zélés et que, grâce à elle, nos
stations aient bientôt des annexes et que l’évangélisation du
pays en soit hâtée !
Eug. Béguin.
P. S. — Grâce à Dieu, nous sommes bien. Ici, à Nalolo,
l’œuvre se continue sans qu’il s’y passe rien de saillant. Nos
cultes et l’école sont bien suivis par une bonne moyenne d’au-
diteurs attentifs. Malheureusement nous ne voyons pas de
conversions.
A Kazungula
Dans une lettre datée du 19 février, M. Boiteux commence
par nous annoncer l’heureuse naissance d’une petite Marie
Boiteux, à la date du 17 février. Madame Goy s’est trouvée
à Kazungula pour cet événement de famille et a été d’un
grand secours à nos amis. Leur joie à tous est très grande,
et c’est de tout cœur que nous nous y associons.
Passant aux nouvelles de la station, M. Boiteux nous écrit
les lignes suivantes :
21
?78
JOlï^N^L ^VANGÉ^pUlSS
... « Vou§ sqve? peuj-êfre les difficultés qui ont marqué Je
début de la nouvelle année; serait-elle peut-être l’année
terrible poqr ce peuple au col roide? En même temps qu’une
redoutable épidémie ravage lps troupeaux 4e bétail, l’unique
ressource 4ù pays, des bruits de guerre éclatent et les lou
lou lou des femmes se font entendre stridents et sauvages.
« Cette maladie, qu’on signalait au Mashikolumboué, peu
de temps après notre arrivée dans le pays, a anéanti tout ce
qu’il y avait de bétail, petit ou gros, dans la contrée. La mi-
sère y est telle, dit-on, que des Boshikolumjioué (Jl! Nord,
s’étant mis eq route vers le Sud (Jans l’espérance d’y trouver
de quoi vivre, pioururent tous ep chemin, victimes de la
faim. En décembre, juste au moment où nos chers voyageurs
UQUS quittaient, une cinquantaine de porteurs, envoyés par
les Méthodistes primitifs pour prendre ici des bagages, n’a-
vaient pour toutes victuailles qu’une espèce de fruit jaune et
4pr, muni à l’intérieur d’un noyau plus dur encore.
« Au commencement de l’année, voici que la peste bovine
franchit les limites 4ù Boshikolumboué et qu’elle sévit dans
toute sa rigueur sur Seshéké et les environs. Il ne reste plus
qne tête de gros bétail dans le kraal de nos amis Goy. Eux qui,
jusqu’ici, avaient du lait en abondance, n’en ont plus une
goutte maintenant. C’est une bien grande épreuve, car per-
sonne en Europe ne se fera une juste idée du prix qu’a pour
nous une tasse de lait, et qui dit une tasse de lait, dit une ou
deux vaches, car les bonnes laitières sont inconnues dans ce
pays. Tout est nu, à Seshéké, tout est aride : à peine y trouve-
rait-on dix têtes de gros bétail. Maintenant, la maladie, tout
en se dirigeant vers le Borotsé, a franchi le fleuve et en fait
des siennes de l’autre côté où, chaque jour, dans chaque
kral important, on abat de dix à quinze bêtes.
« On parle aussi de guerre, vous ai-je dit. C’est Morémi,
le grand chef du lac Ngami, qui déclare la guerre à Léwa-
nika ou, à son défaut, à Litia, son fils, à propos d’une ques-
tion de territoire qui, sqr les cartes d’Afrique, est aux cou-
leurs de l’influence allemande. Morémi réclame donc le
SOCIÉTÉ DI2S WISS|ONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS 279
Linianti, prétendant que ce fleuve et sa rive Sud sont à lui.
De 11* le conflit cpii pourrait dégénérer en unp guerre ouverte
et amener l’ennemi à nos portes. »
M. Boiteux continue sa lettre à la date du 2*2 février. Il
F»' > »3?» i ' . •> * n, OT77' .- •*« • • ' i-r *. ; 'u * t <>
pous parle d’une sorte d’arrêt dans le développement de
l’œuvre spirituel^ . Plusieurs néophytes sont retournés en ar-
rière. Un triage s’opère qui fera la séparation entre la balle
et le bon grain.
Tous les amis du Zambèze se souviendront du moment
• •• u 1 ; : •[! . î * -’ •• .. vut
critique que traverse à cette heure la station dé Kazungula
et prieront pour la jeune Église formée et pour nos mission-
naires dont la santé est ébranlée. Voici en effet ce que M. Boi-
teux nous en dit lui-mème :
« Depuis le nouvel an il ne s’est pas écoulé upe semaine,
je crois, que je n’aie été alité deux ou trois jours. Une journée
de travail consciencieux ou plutôt assidu me mef en bas pour
les deux ou trois jpups suivants. Si vous savjez combien c<et
état de chqses ipe rend malheureux!... »
SÉNÉGAL
L’ŒUVRE DE SÛR — PROCHAIN DÉPART DE M ESCANDE
Extrait d’une lettre de M. Escar\de.
o Tj k v* y .1* • a " f i 7 . “nt
Saint-Louis, le 15 avril 1896.
« ...Vous me demandez, dans votre lettre, si « l’expérience
« de Sôr semble réussir. » Je puis répondre que pon seule|pen^
moi, mais aussi mes autres collaborateurs, sommes (je plqs
en plus convaincus que là est la vraie place de la mission.
A dire vrai, nous avons du mal à attirer les adultes; même
ceux qui, la semaine, vont librement chez M. Nichol ou
Samba, franchiront difficilement la porte de notre chapelle le
dimanche. Ce sera Jà un travail de longue haleine, pailleprs.
280
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tant que le culte indigène a lieu à Saint-Louis, nous nous
trouvons dans des conditions défavorables pour faire évan-
géliser les gens d’âge mûr.
« Auprès de la jeunesse, c’est une autre affaire. M. Pétre-
quin m’écrit ce matin qu’il vient de recevoir à l’école du jour
son dix-neuvième externe. Nous n’en n’avions jamais eu au-
tant. Notez que tous ces élèves fréquentent notre école du
dimanche. Bien d’autres aussi. Le mois dernier, les écoles
arabes ayant donné vacances, nous avons eu une fois ok en-
fants, un autre dimanche 63. C’est vous dire que nous avons
là un encouragement. C’est sur les plus âgés que nous cher-
chons surtout à exercer une influence chrétienne. M. Pétre-
quin s’occupe d’eux, M. Nichol aussi. Chaque jeudi, celui-ci
réunit les huit aînés des externes pour une leçon de caté-
chisme, laquelle a, jusqu’ici, été très bien suivie. Il nous
faudrait quelque chose de semblable pour les filles, mais cela
ne pourra avoir lieu que quand mademoiselle Buttner sera
installée à Sôr elle aussi. J'espère pouvoir bientôt compléter
ces détails de vive voix.
«... Vous ai-je dit que nous faisons, en ce moment, deux
cours d’instruction religieuse, l’un en français, l'autre en
bambara ? C’est M. Bolle qui s’est chargé du premier. 11 est
destiné aux aînés de nos internes, qui se sont convertis l’an
dernier et qui semblent vraiment sincères dans leur désir de
servir Jésus. L’autre, dont je m’occupe, est pour nos chrétiens
libérés de Béthesda qui font profession ouverte de christia-
nisme. Je ne saurais vous dire la joie que j’éprouve à ins-
truire ces néophytes, pour lesquels tout ce que je dis, ou à
peu près, est nouveau. Mais qu’il faut être simple avec ces
grands enfants, incapables de suivre longtemps un raisonne-
ment et de comprendre les notions abstraites les plus élémen-
taires !
« Pendant mon absence, M. Nichol leur apprendra l’his-
toire sainte. A mon retour, je les reprendrai pour deux ou
trois mois pour bien voir où ils en seront et combler leurs
lacunes. Après cela nous verrons quels sont ceux qui seront
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
281
dignes de recevoir le baptême et de prendre rang parmi
les membres de notre petit troupeau. Dix catéchumènes!
c'est pour nous un beau chiffre, et nous ne pouvons que re-
mercier Dieu de nous avoir accordé cette grande joie avant
de nous permettre le repos... »
CONGO FRANÇAIS
ARRIVÉE DE M. F. FAURE A LAMBARÉNÉ — NOUVELLES
DE TALAGOUGA
Par lettre datée du 8 mars, M. Faure nous informe qu’il est
bien arrivé à Lambaréné, le 6 mars, après quarante et un
jours de voyage.
M. Haug était allé à la rencontre de notre frère, et les gens
de la station avaient illuminé en son honneur. Pour mieux
exprimer leur joie, ils ont tiré des coups de feu...
« Je suis très heureux, dit M. Faure, de l’accueil affectueux
que les gens d'ici m’ont fait. J'ai assisté aujourd’hui aux
cultes pahouin et galoa. A ce dernier, j’ai dû faire mes
premières armes et dire quelques mots traduits par Nédaka.
Je suis aussi allé à l’école du dimanche, où j’ai tenu l’harmo-
nium et fait chanter en pahouin, en galoa et en français...
« Jé suis enchanté du pays et de ma maison. Moi qui avais
une peur affreuse de vivre dans un pays plat, j’arrive dans
un pays montagneux, avec, de ma maison, une vue splen-
dide sur le fleuve et des collines.
« Haug va bien, en ce sens qu’il s’occupe toute la journée;
mais il a de temps à autre des attaques de fièvre. »
Dans la station de Talagouga, confiée, en l’absence de
M. Allégret, aux soins de M. Forget, l’œuvre missionnaire a
dû rester stationnaire. Maintenir, dans la mesure du possible,
les positions acquises, tel a été le but de M. Forget, et encore
iOÜRNÂi bfe§ MISSION^ ÉVANGÉLIQUES
n’y a-t-il pàs réussi aussi complètement qu’il l’eÜt désiré, là
fiêvré Payant fréquemment entrave dans son activité.
La petite Rèiiée Forget souffrait d'une érupticüi cutanée üri
peu inquiétante, « sans parler dès fourniis qui, ajouté
M. Forget, se sont mises de la partie pouf lüi faire des plaies,
la dévorant pendant son sommeil ».
« De Lambaréné, ajoute M. Forget, j'ai quelques lignes :
tout va bien ».
Nous ne pouvons malheureusement pas dire qu’il en soit
de même en ce qui toiiche la santé de madame Gacon. Son
état, sans causer des craintes sérieuses immédiates, ne laisse
pas que d’être peu satisfaisant.
... « Nos précédentes lettres, écrit M. Gacon, le 25 mars,
vous ont parlé de la maladie de ma femme. Elle n’a pas été
àlitée jusqu’à maintenait, Dieu soit loué; et elle a {tu sup-
porter sa mauvaise toux. Mais ce mal diminue J>ouf faire
place à d’autres malaises encore plus à redbiitér; tout ce
que nous avohs fait pour les combàttre a été ihutile. Toute-
fois, le mieux sëmble revenir depuis huit jours; voüs croirêi
que j’en suis coûtent!...
cc S’il arrivait que cela prît une mauvaise tournüre, nous
serions obligés d’aiier à Libreville côiisulter le docteur et y
prendre les médicaments nécessaires. Nous en soitmies dé-
pourvus ici, et pefsonnè n’à rëihjtlacé lé docteur de N’djolé,
M. Pélissier. »
Nous avoîis désiré, Une fois de plus, associer nos lecteurs
âux préoccupations dé nos frërës et sœurs dü Coügo. Ils
pourront ainsi bénir Dieu avec nous pour les délivrances déjà
reçues et le prier d’accorder de nouvelles marques de fcâ mi-
séricorde à ceux qüi f estent sous le coup de l’épreuve, en par-
ticulier à madame Gàcon et à son mari.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
283
T AÏ Tl
ARRIVÉE DE M. ET MADAME HDGÜENIN À ftÀtAÎÈA
Partis du Hâvre le 14 décembre 1895, nos amis ont débar-
qué à Papéété le 13 février derhier, en bonne santé, malgré
un long et fatigant voyage.
« Peu d’instants après leur arrivée, écrit M. Yernier, nous
avons fléchi les genoux devant le trône de notre Père céleste
et nous l’avons remercié avec dès cœurs débordants de re-
connaissante pour tous ses bienfaits. La piété sereine et
douce de nos amis nous a réconfortés, encouragés. Gomme
vous, nous avons la conviction que c’est Dieu qui les a choisis
et qu’il leur réserve une carrière bénie ».
Malheureusement la situation politique était encore trou-
blée au moment où M. Huguenin arrivait à Taïti, et ce n’est
que le 3 avril, jour de Pâques, que le gouverneur l’a au-
torisé à quitter Papéété pour rejoindre le poste qui lui est
assigné. Cependant le séjour un peu prolongé que M. Hu-
guenin a dû faire à Taïti même n’a été perdu ni pour lui ni
pour nos amis qu’il a pu seconder dans leur lourde tâche.
Ajoutons que M. Brunei a pu aller à la rencontre de nos
voyageurs, et les conduire lui-même à Raïatéa.
RAPPORT
DE LA CONFÉRENCE MISSIONNAIRE DES ILES DE LA SOCIÉTÉ
sur l’Exercice 1895-1896.
.4 messieurs lés membres du Comité des Missions évangéliques
de Paris.
Papéété. Taïti, 12 janvier 1896.
Messieurs et très honorés frères,
Le 14 décembre 1895, vos missionnaires des Iles de la So-
ciété se sont réunis à Papéété afin d’examiner ensemble, et
284
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
sous le regard de Dieu, les résultats obtenus dans leurs dif-
férents champs de travail, au cours de l’année dernière, ainsi
que les besoins qui s’imposent à eux pour une nouvelle
année.
C’est le résumé de ses délibérations, aussi bien qu’un extrait
de notes particulières fournies par chacun de ses membres,
que la Conférence missionnaire de Taiti me charge, mes-
sieurs et très honorés frères, de vous transmettre aujour-
d’hui.
M. Brun n’avait pu se joindre à nous, mais il nous avait
envoyé son rapport sur Mooréa; par contre, M. Brunei avait
pu quitter Raïatéa, pour peu de temps il est vrai, car il n’est
resté que trente-six heures à Taïti.
Le personnel de notre mission, vous le savez, messieurs,
n'a subi, au cours de l’année dernière, aucune modification,
sauf les vides causés dans nos rangs parle départ de tous nos
absents : M. et madame Yiénot, madame Vernier et ses en-
fants, et madame Pourésy. Leur absence se fait vivement sen-
tir pour nous tous, et à bien des égards; aussi, nous espé-
rons que l’année prochaine ne s’écoulera pas sans les
ramener, en grande partie du moins, au milieu de nous.
Divers changements survenus dans le gouvernement de
notre petit pays, la question politique intimement liée ici à la
vie de nos Églises, les troubles de Raïatéa, tous ces petits
événements, insignifiants peut-être en Europe, mais d’une
importance capitale pour nous, n’ont pas laissé que de nous
préoccuper beaucoup pendant l’année dernière. Plus d’un
point noir subsiste encore à notre horizon, plus d’une partie
de notre œuvre, vous le verrez par ces notes, laisse encore
beaucoup à désirer et reste pour nous un sujet d’anxiété et de ,
prières. Mais nous ne saurions méconnaître que cette année,
si fertile pour nous en préoccupations de tout genre, a été
également féconde en bénédictions. En toute occasion, la
main du Seigneur a été visiblement avec nous, et, si les
nuages noirs qui assombrissaient notre ciel ne sont point )
encore entièrement dissipés, nous avons la ferme conviction |
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
285
que Dieu saura, le moment venu, écarter tout obstacle de
notre route et faire luire sur toutes nos iles la pure clarté de
son Évangile.
Les statistiques jointes à ce rapport vous indiquant, mes-
sieurs, les divers changements, accroissement ou diminution,
survenus dans chacune de nos paroisses, nous nous borne-
rons aujourd’hui à examiner dans leur ensemble chacun de
nos trois groupes de Taïti, Mooréa et des Iles Sous-le-Vent,
ï. — Taïti et les Iles Australes .
Grâce à Dieu et au zèle de son conducteur spirituel,
l’Eglise de Papéété, malgré les tentations auxquelles ses
membres sont exposés plus que partout ailleurs, continue à
être la lumière placée sur la montagne et éclairant tous les
euvirons. Laissons d’ailleurs la parole à M. Vernier :
« L’Église du chef-lieu, nous dit-il, a reçu, au cours de
l’année écoulée, bien des marques de la faveur d’En-Haut.
Elle a vu ses rangs s’augmenter d'un nombre inusité de mem-
bres et dépasse actuellement le chiffre de 300, qu’elle n’a at-
teint dans aucune statistique depuis plus d’un quart de siècle.
Les services religieux continuent à y être bien suivis le di-
manche; l’Esprit du divin Maître s’y fait sentir dans la mé-
ditation de sa Parole et dans les autres moyens de grâce; ceux
qui ont faim et soif de justice y trouvent en abondance ce
qu’il faut à leurs âmes. La classe des candidats à la qualité
de membre de l’Église est en permanence. Il y est donné
chaque dimanche, le premier de chaque mois excepté, les
enseignements destinés à préparer les admissions dans
l’Église. Le recrutement de cette classe est dû principale-
ment à l’activité des sœurs de l’Église qui recommencent
chaque mois leurs visites d’appel dans les maisons des in-
décis et des indifférents. Elles mettent à cette œuvre un cou-
rage et une persévérance que rien ne lasse, et Dieu bénit
leurs efforts.
« L’Église a encore montré sa vitalité par son intérêt pour
joühNÂL Bé§ i&ïssiorts ÉVA^GÈiioûtes
iës oeuvres religieuses. Outre les 1,750 francs qü’elle U sOUs-
cfits pour Fcfeuvre dès missions et une soriifrië de 300 francs
destinée à l’école pastorale, elle a collecté plus dë 500 ffattcs
pour des œuvres charitables, ët àjbüté 5,500 flancs à son
Mds pour IR fconstlüction d’iin nouveau tefhplë. Les écdlës
reli^leusës sotit bieü suivies, délie du jeudi en particulier.
« Â côté de dès faits èhcoürageRhts, il s’en ëst produit qui
ont jeté Une ombre triste sür le tableaü. beux familles, polir
des motifs qui paraissent tout autres qu’une conviction véri-
table, sont passées à d’ autres communions religieuses. Quel-
ques membres de l’Église sont retournés à leur ancien train
dë vie ët ont été exclus du tfbupëau. Mais Dieu est puissant
pour lëuf iribntref ià folie de lëiir cbndùitë et les ramener
datis la bergelie. »
Malheureüsèrilerit, toütés lës Églises de Taïti rie sont pas
aussi florissantes que celle dû chef-lieu. Che2 lës ünes, comme
Mahinà et Petpara, lé inanqüë de vië religieuse provient
peut-être dë l’état tnalUdif dë leurs pastëürs; d’aütres, aVëc
d’excellents cdhduCtèurs splritüels, se montrent trop accessi-
bles Rux tentatibiis qili les entourent. Pour toutes, les fêtes
dti 14 jÜillet, auxquelles on avait voulu donner cette année
iinë splëtideur tdütë particulière, ont été une triste pierre
d’achoppëinënt. Placés entre lès coiürtiandemeùts de Dieu et
lës désirs de leur cCéur, nos pauvrès indigènes cèdent trop
souvent à cës derniers, tranquillisant leur CoiiscièhCe avec le
fallacieux prétexte qùe ëe qui est établi par le gouvernement
ne saurait être mauvais. PoUrràit-oh lës en blâttier lorsque
de plùs éclairés donnent l’ëxemple de ces réjouissances cou-
pables ! Mâis quelle humiliation, pour nous Français, dè voir,
sous cbüleur de patriotisme, remettre en honneur des dansés
dbëëènes, interdites autrefois par les lois du protectorat, et
inviter tbüt Üh peuple âla débauche.
L’Église de Punania R été tout particulièrement éprouvée.
Par unë inconcevable confusion, relativement à ee qui est
permis à des chrétiens et ce qui ne l’est pas, plusieurs ont
pris part â cës danses ressuscitées du paganisme. La fidélité
société ÜeS Missions évangéliques dé paris
2$7
courageuse du pastëur â avertir ses brebis égarées lui a valb
d’âbord le mécontentemëtit de bèaucoüp de membres de là
paroisse, qui ën soiit Veriüs à le Qualifier de bergèr infidèle,
puis une haine que riül nfe chëfchait a déguiser. Comme
conséquence, l’Esprit de Dieu S’èst rëtiré de plusiëufS, les-
quels ont fait chütë süf chiite et dût été retranchés du trou-
peau. Pëhdàïit pliisièurs itidis les cultes püblics ont été beau-
coup moins fréquentés qu’aupartivant, et un grand nonibrë
des enfahts ont désappris le chemin des écbles religieuses.
Le pasteur et sa compagne gémissent encore sür les égare-
itients de leurs brebis perdues et soupirent après des jours
meilleurs.
À Tiaréi également, le troupeau et le berger de ce district,
qiii pouvaient être donnés ratifiée dernière eü exemple a
beaucoup, ont subi, à l’oècasion des fêtes, une épreuve infi-
niment regrettable potif leur foi et leur vie chrétienne. Soit
rtianqüe dé lumièrès chez le pastëur, sbit crainte d’être mdl
vus en haut lieu, ils ont cru devoir être non seülëmetit spec-
tateurs, mais aiissi acteiirs dans des amusements qui ne pou-
vaieht qu’être préjudiciables à leur piété. Plusieurs se sont
livrés aux exèès de riritëtiipëftiiice, et une quihzainë de mem-
bres qüi ont persisté datis leürs égarements ont dû être
exclus dii troupeau. Seul, uti diacre a eu le courage moral de
refuser toute participation à des choses que condamnait sa
conscience, et, enprésëtice des menaces les plüs sévères, qui,
dti* resté, n’bnt pas été ëxécutéëS, il s’est déclaré tout prêt à
se laisser conduire ëii pHsdti. Il a été vraiment le sel de la
terre, et, en proclamant lës droits de lâ conscience, ce n’ëst
pas sètilemënt à l’Église de Tiarëi qu’il a donné une leçon
très bpportüne, mais à beaucoup d’autres Églises, y compris
leurs conducteurs.
Assez éloignées de Taïti, et d’un accès difficile aux vais-
seaux, les Iles Australes sont moins exposées aux tentations
mondaines ; aussi la vie religieuse y est-elle prospère et l'œu-
vre de Dieu s’y poursuit avec fruit. Raïvavaé construit un
nouveau temple. Tutuhaï et Rurutu ont vu deux jeunes gens,
288
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Hamau et Puoroo, revenir exercer les fonctions pastorales
dans leur île natale, après trois années d’études à l’école pas-
torale de Mooréa. Malgré tous leurs efforts, les Mormons et
les Adventistes n’ont pas réussi à prendre pied dans ces îles.
Ce qu’il faudrait néanmoins à ce groupe des lies Australes,
ce qu’elles nous réclament depuis longtemps, c’est un mis-
sionnaire européen, installé au milieu d’elles, pouvant faire
de fréquents séjours dans chaque île, organiser les écoles et
stimuler le zèle de nos pasteurs indigènes, très bien disposés,
mais souvent un peu endormis. La difficulté et la lenteur des
communications, ainsi que les multiples occupations qui le
retiennent à Papéété, n'ont jamais permis à M. Vernier de vi-
siter ces îles comme il l’aurait voulu. Deux fois seulement il a
pu se rendre àRurutu et à Rimatara, jamais encore à Tuhuaï
et à Raïvavaé. Devrons-nous, là aussi, attendre que le pays
soit ouvert aux prêtres, pour reconquérir ensuite, et au prix
de quels efforts! des îles qui, à l’heure actuelle, sont entière-
ment protestantes ?
Bien importante aussi est la place qu’occupe dans nos
préoccupations et dans nos prières cet immense archipel des
Tuamotous, comptant plus d’une centaine d’îles, si proche
de nous et sur lequel nous n’avons pu jusqu’ici exercer au-
cune action sérieuse, faute d’ouvriers et de moyens de com-
munication.
Si, comme nous l’espérons fortement, messieurs et très
honorés frères, ils vous est possible de nous accorder le ba-
teau missionnaire que nous vous demandons, ce sera pour
notre mission océanienne un grand pas de fait. Mais ce ne
sera pas tout : nous aurons, si je puis m’exprimer ainsi, le
chameau qui nous permettra de traverser le désert, mais où
est celui qui le montera?
(A suivre.)
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
289
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
LA CARTE DES MISSIONS POUR L’AN 1895 A 1896 (1).
Notre première parole sera celle de l’action de grâces. Oui :
Béni soit Dieu de nous avoir délivrés, pour le moment du
moins, de toute inquiétude matérielle! Nous voulons rester
accessibles et attentifs à toute question sérieuse, à toute cri-
tique sincère. Mais nous tenons à exprimer aujourd’hui notre
gratitude à nos fidèles collaborateurs, à ces milliers de chré-
tiens de France, de Hollande, de Suisse, d’Italie, etc., qui ont
pourvu, par leurs généreux concours, à ce que des questions
angoissantes ne fussent pas même posées.
Notre Société a conservé de ses débuts une sorte de tradi-
tion œcuménique et l’habitude de rester en rapport de sym-
pathie avec le mouvement missionnaire général de l’époque.
Les baron de Staël, les Lutteroth, les Monod, les Pres-
sensé et surtout le grand Stapfer, qui avaient cru d’abord
ne fonder qu’une Société auxiliaire de Bâle, puisaient leurs
motifs dans les pensées les plus élevées et ont prouvé que
l’intérêt pour l’œuvre des missions est particulièrement
propre à élargir les cœurs et à ennoblir les âmes. Ce ne fut
que peu à peu qu’ils furent conduits par la Providence à
prendre en mains la conquête du monde païen. Les nouvelles
du champ des missions étaient rares à cette époque et les
journaux missionnaires peu nombreux; aussi cherchaient-ils
(1) Extrait d’une allocution prononcée par M. Appia, à la réunion fa-
milière du 26 avril 1896.
290 JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
volontiers leurs exemples dans le passé le plus reculé : à l’o-
rigine même de l’Église et de l’œuvre des missions.
Notre position aujpurd hui est différente, et la difficulté
inverse : c’est la surabondance des faits connus et constatés j
qui nous embarrasse, puisqu’il y a 75 à 80 grandes Sociétés
et non moins de journaux, qu’entre grandes et petites Socié-
tés on peut en compter, avec le docteur Gundert, 218. L’œu- !
vre des missions a non seulement été mise partout en évi-
dence, mais est devenue l’une des grandes puissances qui i
agissent dans le monde. Et en effet, elle nous présente deux
mondes ennemis, deux principes, deux armées en regard
l’une de l’autre : d’un côté le règne de Dieu avec ses lois, ses 1
droits, ses biens, son armée, qui a entendu l’ordre de marche
(Matthieu XXVIII, 18) et qui veut obéir a son roi; de l’autre,
un royaume de ténèbres avec ses désordres, ses iniquités et
ses souffrances sans nombre, royaume divisé et déjà ruiné
en principe, mais qui mène encore ses troupes au combat
contre le Roi des rois, obéissant, malgré son désordre, à
l’impulsion d’une puissance unique, invisible et malfai-
sante.
Les forces de la mission sont avant tout les motifs qui
l’inspirent, les pensées divines qui en sont l’origine.
Le premier, le plus grand motif après l’obéissance — on
ne saurait trop le répéter, — a été d’emblée l’amour de Notre
Seigneur Jésus-Christ pour nous. Voyant l’humanité dis-
persée et épuisée, comme un troupeau sans berger, Il passa
la nuit sur la montagne et, le lendemain au matin. Il choisit
ses premiers douze missionnaires.
La même force qui avait fait descendre du ciel le Maître,
anima dès lors les disciples.
« L’amour de Christ nous presse et nous possède, étant
« persuadés, que si un seul est mort pour tous, tous sont
« morts (en Lui), et qu’il est mort afin que ceux qui vivent
a ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est
« mort et ressuscité pour eux » (II Cor. V).
A l’amour de Christ vient s’ajouter fé pitfé pour les âmes
MISSES ÉVANG^LIQyES
perdqys, fa sympathie humaine pour les souffrances c[p
monde païep pt? cpmme jpoyen d’entretenir cette sympathie,
notre relation personnelle avec les païens, ou notre connais-
sance détaillée de leur |éfat quj nous pousse à l’action. Nos
assemblées missionnaires sont partipulièrement destinées à
faciliter et à répandrp cette connaissance nécessaire à une
sympathie jqtelligente.
Au moment où allait commencer |e grand mouvement mis-
sionnaire de la t|p du siècle dernier, vous eussiez trouvé dans
la petite ville de fyettering un pauvre savetier, raccommodant
des souliers; devant lui, fixées sur fa paroi, quelques feuilles
de papier collées epsemble, sur lesquelles il marquait au
fur et à mesure les informations diverses qu’il pouvait re-
cueillir concernant le monde païen. Jout en travaillant à ses
souliers, Guiflaume Carey priait pour les païens, étudiait et
complétait sa carte. Essayons de dresser en pensée la nôtre,
surtout pour l’an 1895. Carey éyaluai), en 1784, le nombre
des païens à 420 millions, celui des chrétiens à 331. Nous
savons aujourd’hui, d’après les statistiques de Warneck
( Theologisches Hülfsregister : «fusfjLis Perthes, 1892), que le
monde compte un nombre environ double d’habitants :
1,470 millions, dont 7 sont juifs, 445 sont chrétiens, 185 ma-
hométans, et le reste païens. En 1784, la petite troupe des
missionnaires était imperceptible. Aujourd’hui l’Almanach
de l’ American B oard pour 1896 évalue leur nombre à 11,574,
en y comptant ceux qui évangélisent les pays catholiques.
Nous l’évaluons à 7 ou 8,000 fipmmes et femmes, outre 3,750
pasteurs indigènes.
A l’époque. de Carey, le monde entier semblait fermé. Per-
sonne ne pouvait pénétrer en Chine ni au Japon; aux Indes
anglaises le travail missionnaire était interdit; l’Afrique était
inconnue; l'Océanie seule sembfait accessible, et c’est à Tahiti
ou à l’Afrique occidentale que Carey se destinait; c’est dans
ces îles lointaines que Dieu exerçait sa jeune armée, l’encou-
rageant par des succès partiels, jusqu’au moment où les bar-
292
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
rières tomberaient l’une après l’autre, et où ;le monde en-
tier serait ouvert, comme aujourd’hui, aux influences chré-
tiennes.
Carev, sachant que la Parole de Dieu est la grande arme
missionnaire, a accompli lui-mème, avec ses collaborateurs,
le travail inouï, gigantesque, de traduire la Bible entière en
7 langues et le Nouveau Testament en 21; mais aujourd’hui,
1895, les Sociétés bibliques disposent de l’Écriture en 326 lan-
gues et dialectes; selon le Dr R. Cust, en 381. 5 langues nou-
velles apparaissent annuellement (de 1881 à 1891) sur la liste,
et l’an dernier (1895), 7. Ainsi se multiplient et se perfec-
tionnent les armes. Partout le nombre des ouvriers s'est
accru; et l’œuvre a été patiemment, fidèlement poursuivie,
souvent avec beaucoup de larmes, comme sur la côte occi-
dentale de l’Afrique, où la seule Société de Bâle a perdu,
l’an dernier, en 1896, 18 missionnaires. Et tandis que, dans
les contrées païennes, l’Évangile est fidèlement prêché, là
où la misère matérielle a été plus pressante que l’ignorance
religieuse, comme en Arménie, c’est la mission qui a nourri
et continue à nourrir des milliers et des dizaines de mille de
malheureux mourants et affamés.
Supposons maintenant que nous eussions devant nous
une grande carte murale, où tout ce qui est païen fût marqué
en noir, et qu’au moyen de l’électricité nous essayions d’v
marquer, en lumière blanche ou en couleur, les lieux parti-
culièrement favorisés pendant l’an 1895.
Malgré les indicibles souffrances de nos frères d'Arménie,
nous marquerions d’une clarté spéciale les travaux admi-
rables des missionnaires américains dans tout l'Empire turc.
Aux Indes, hollandaises , nous illuminerions Sumatra, avec
ses 31,076 chrétiens et ses 22 stations.
Aux Indes britanniques, les provinces du nord-ouest, où la
seule Société Épiscopale Méthodiste signale 15,000 à 20,000
baptêmes par an.
Peut-être aussi le Travancore, où un évangéliste tamyl,
nommé V. David, ancien interprète de M. Georges Grubb,
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
293
attire à lui les foules d’une manière tout à fait extraordinaire.
En Afrique , c’est l’Ouganda que nous signalerions. Vous
vous souvenez des jeunes martyrs noirs, chantant des psaumes
au sein des flammes, en juin 1886; vous vous souvenez de la
guerre désastreuse entre catholiques, protestants et musul-
mans, en 1892. Aujourd’hui, en 1895, il y a eu, pour la seule
mission protestante, 3,000 baptêmes et 921 confirmations.
L’évêque Tucker a compté 200 églises bâties ; et j’ai là le ta-
bleau des offices des 23 églises de la capitale et de sa banlieue.
Yoici ce que je lis dans le journal de mai 1896, extrait d’une
lettre de miss Furley, l’une des premières dames mission-
naires arrivées dans le pays, en septembre 1895, à l’immense
joie des femmes wagandas : « Quelle merveilleuse église que
« celle de Mengo! elle rappelle les anciennes peintures des
« constructions de Ninive : 200 troncs d’arbre en soutiennent
« la toiture de joncs; et comptez que, pour hisser chaque
« tronc sur la colline, il a fallu 100 hommes. Je n’oublierai
« jamais le spectacle que présentait la cathédrale, quand j’y
« entrai : cette vraie mer de faces noires silencieuses et re-
« cueillies; on en évaluait le nombre à 7,000. Je n’ai pu
« m’empêcher de pleurer d’émotion ! »
En Chine , ce ne serait pas encore la teinte lumineuse que
nous aurions le droit de projeter sur notre carte, malgré les
46 Sociétés et les 1,400 missionnaires qui travaillent dans
l’immense empire du Milieu. On s’accorde cependant à recon-
naître que des temps nouveaux s’annoncent ou même ont
commencé. Il est vrai que les treize martyrs de Koutcheng
parlent de haine nationale et de persécution; mais l’orgueil
chinois a été humilié. Le conseiller intime de l’empereur a
fait venir le missionnaire Richard, pour lui demander ses
conseils et des indications sur la meilleure manière de profi-
ter de la civilisation occidentale.
Le préfet de Nanking a fait publier une proclamation qui
justifie les missionnaires chrétiens, et l’on se souvient de la
Bible imprimée en six exemplaires, dans les presses de
Schangai, et dont les femmes chrétiennes de la Chine ont fait
294
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
cadeau à l’impératrice-mère, sous le titre : « Le livre classique
pour le salut du monde ».
Je n’essaierai pas de donner une teinte blanche, noire ou
grise au Japon; j’ai devant moi le dernier rapport de V Ameri-
can Board partagé en deux : le côté obscur ou les craintes,
et le côté clair ou les espérances. C’est dire qu’il y a place
au Japon' pour les unes et les autres. Et néanmoins, quelle
transformation parmi ces 41 millions de Japonais, depuis le
temps où les missionnaires ne pouvaient encore enseigner que
les mathématiques, la mécanique ou la géographie!
G. Appia.
BIBLIOGRAPHIE
On nous communique la note suivante :
«Nous sommes heureux de pouvoir annoncer, dans les co-
lonnes de ce journal, la traduction française des Nouveaux
Actes des apôtres, du Dr Pierson, qui paraîtra D. Y. en no-
vembre, avec une préface de M. le professeur Charles Porret,
de Lausanne, par les soins de M. le pasteur Dardier, de Ge-
nève. Ce livre est une merveilleuse condensation de l’histoire
des missions, surtout pendant ce dernier siècle. La thèse
qu’il développe, c’est que les temps apostoliques revivent avec
leur caractère héroïque, extraordinaire, miraculeux, dans
l’ère des missions. On ne sait ce qu’il faut admirer le plus
dans cet ouvrage, de la hardiesse et de la nouveauté des
aperçus, de la richesse des informations ou de la poésie du
style. On pourrait presque l’appeler le « poème des missions »,
tant l’auteur écrit avec enthousiasme et d’une manière en-
traînante. Nous ne pouvons en donner ici une idée complète.
Qu’il nous suffise de dire que dix-sept esquisses biographi-
ques de missionnaires célèbres n’en forment qu’une minime
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
295
partie, 80 pages sur plus de 500. C’est une mine inépuisable
d’anecdotes. En même temps, les vues d’ensemble n’y font
pas défaut. C’est un des ouvrages les mieux faits pour sti-
muler, par une perpétuelle leçon de choses, en même temps
que par de magistrales études bibliques, la soif de l’extraor-
dinaire chrétien. Le prix du volume pour les souscripteurs
sera de 2 fr. 60 franco (5 exemplaires, 11 fr. 25; 10 exem-
plaires 22 fr. 50) payables à. la réception du volume. La sous-
cription est ouverte jusqu’au 30 juin. S'adresser à M. Wyler ,
4 , boulevard du Théâtre , Genève. »
Le traducteur : D. Lortsch.
i
DERNIÈRE HEURE
Un bateau missionnaire pour Taïti.
Nos lecteurs auront vu, dans le rapport de la Conférence de
Taïti, le vœu exprimé par nos frères de posséder un bateau
missionnaire pour faciliter le travail de direction religieuse
et d’évangélisation qui leur incombe dans les nombreux
archipels ouverts à leur influence. Ce travail, à la fois pasto-
ral et missionnaire, se poursuit actuellement dans des condi-
tions très défavorables. Un bateau appartenant à la Société
en serait l’instrument nécessaire. La conférence de Taïti,
pénétrée de cette conviction, a chargé M. Viénot de la faire
partager au Comité. Notre frère y a réussi et, dans une de ses
dernières séances, le Comité a décidé l’acquisition du bateau
demandé.
Cette décision a été prise dans des conditions qui nous
paraissent de nature à la justifier pleinement aux yeux des
amis des missions.
Tout d’abord, ce n’est qu’après plusieurs délibérations et
après une longue et minutieuse enquête, que le Comité a
pris sa résolution. Instruit par l’expérience, il a tenu à ne
296
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
décider une acquisition aussi importante qu’après s’être en-
touré de toutes les lumières propres à éclairer son jugement.
En second lieu, il a été entendu, sur la proposition même
de M. Viénot, que les fonds destinés à l’achat du bateau se -
raient demandés de préférence à des personnes qui, jusqu’à
présent, n’ont pas coopéré à l’œuvre des missions mais qui se
sentiraient poussées à faire un don pour cet objet spécial.
Dans tous les cas, la collecte pour le bateau ne devra porter
aucune atteinte aux ressources de l’œuvre générale.
Enfin, le Comité a tenu à communiquer à la conférence de
Taïti le projet sous la forme définitive qu’il a prise après
l’élaboration à laquelle il a été soumis. Ainsi sera constaté
jusque dans le détail le plein accord entre les parties inté-
ressées; mais cet accord existe dès maintenant sur le prin-
cipe et les grandes lignes du plan adopté ; c’est dire que la
souscription pour le bateau missionnaire de Taïti est, dès à
présent, ouverte.
-s - — ff C523 "b — su
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20384.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
297
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
ENCORE ON SUJET D’ACTIONS DE GRACES
Je ne mourrai point, mais je vivrai,
et je raconterai les œuvres de l’Éter-
nel. (Psaume CXVIII, 17.)
Un nouveau sujet d’actions de grâces s’ajoute à ceux qui
nous ont été accordés ces derniers mois. Le cher et vénéré
fondateur de la mission du Zambèze, M. Goillard, est parmi
nous. Le 18 juin, à sept heures du soir, nous avons eu la joie
de le saluer à la gare du Nord, et, depuis lors, il est l’hôte de
notre Maison des missions.
Que de délivrances il a fallu pour que ce revoir pût s’ac-
complir! Lui-même seplaitàles énumérer, et l’un de nos vice-
présidents nous exhortait aussi, dans le service d’actions de
grâces qui a suivi la réception de M. Goillard par le Comité,
à n’en oublier aucune.
Si M. Goillard et nos amis Jalla avaient quitté le Zambèze
seulement quinze jours plus tard, ils eussent pu être arrêtés
juillet 1896. 23
298
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
en plein désert par la peste bovine et se trouver en détresse,
sans moyen d’avancer, au cœur du pays des Matébélés, au
moment même des troubles qui ensanglantent cette région.
Mais Dieu veillait sur nos voyageurs ; il les a gardés de
tous ces périls, et ils ont pu atteindre Kimberley, où des soins
Intelligents et une intervention médicale devenue indispen-
sable ont délivré M. Coillard des cruelles douleurs qui le tor-
turaient. C’est ainsi qu’il est arrivé au Cap et a pu prendre son
passage sur le Warwick-Castle , refusant, malgré les instances
d’amis préoccupés de lui assurer un voyage plus conforta-
ble, de retarder de huit jours son départ, et échappant ainsi
au terrible naufrage du Drummond-Castle !
En prolongeant ainsi les jours de son serviteur, en nous le
rendant fatigué, certes, moins fort qu'il y a quatorze ans,
mais cependant en santé, Dieu n’a-t-il pas montré qu’il lui
réservait une tâche à remplir parmi nous?
Certes, le retour de M. Coillard doit avoir pour effet de
donner à la mission du Zambèze une impulsion nouvelle.
Mais à côté et au-dessus de ce résultat, nous en entrevoyons
un autre, plus élevé encore : c'est de contribuer au réveil de
nos Églises et de les associer plus étroitement à l’œuvre de
Dieu, non pas tant par des appels à leur libéralité que par la
prédication de la vie crucifiée et consacrée.
Au moment où il débarquait à Londres, M. Coillard rece-
vait une invitation à se rendre au concile presbytérien qui
allait se réunir à Glasgow. L’occasion était bonne pour plai-
der la cause du Zambèze, et cependant M. Coillard refusa,
tenant à venir sans retard s’asseoir au foyer de notre famille
missionnaire française et désirant que sa première parole
publique fût prononcée à Paris.
Nous voyons dans ce simple fait une promesse. Oui, Dieu
bénira et rendra fécond le séjour de M. Coillard parmi nous.
Ce réveil missionnaire que nous demandons et qui, sur plus
d’un point, semble s’annoncer, cette consécration à Dieu de
nos maisons, de nos intérieurs de famille, de tout ce qui est
à. nous; ces vocations nombreuses que nous désirons et que
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
299'
l’œuvre réclame, il accordera à son serviteur d’y contribuer
puissamment, lui procurant ainsi cette joie, la plus douce que
le missionnaire puisse goûter sur cette terre après celles que
lui donne la conversion des païens : la certitude d’avoir été
l’instrument d’une bénédiction pour l’Église et le pays dont il
est le fils.
.<* <? ' ‘ts i~-~ p — ■
A NOS DONATEURS
Remerciements d’un missionnaire.
Avec quelle joie et quel soulagement nous avons appris
qu’il n’y avait pas de déficit! Nous osions à peine l’espérer,
mais nous aurions dû croire davantage en Dieu et dans les
amis des missions. Pour nous, qui sommes au loin, le mot
de «déficit» a quelque chose de lugubre et de décourageant.
Nous allons aux extrêmes, et nous voyons déjà la pau-
vreté, l’œuvre arrêtée ou diminuée, et plus encore. Nous
avons tort. Nous ne connaissons pas les trésors de dévoue-
ment, de générosité et d’amour que renferment nos Églises
de langue française. Nous le voyons quand nous faisons,
une fois dans notre vie, une tournée dans ces Églises. Je
suis reparti de France avec le souvenir bienfaisant de tous
les égards qu’on m’a témoignés en France et en Alsace, en
Suisse et en Hollande, uniquement parce que j’étais un mis-
sionnaire. Mais, de loin, nous discernons moins bien ces
choses-là et nous prenons vite peur...
... J’aime beaucoup penser à ceux qui ont fait ce grand
effort pour écarter ce déficit. Je crois partager leur joie
lorsque la bonne nouvelle leur est parvenue. Ils se sont dit :
« Je suis pour quelque chose dans cette victoire. J’y ai été de
mes cinq sous ou de mes cent francs » . Je me réjouis d’avance
de lire leurs noms sur la couverture du. Journal, lecture que
300
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
je fais religieusement, pieusement, avec beaucoup d'intérêt
et force sentiments. Je ne connais presque aucun donateur,
mais je lis leurs noms et les aime tout autant.
On voudrait savoir qu’ils ont non seulement donné, mais
reçu. Quand on donne bien, on reçoit quelque chose en re-
tour. Bien donner, c’est jouer à qui perd gagne. Nos amis ont
vu ce qu’ils peuvent faire, c’est-à-dire beaucoup. Ils peuvent
être fiers, ou plutôt reconnaissants, de la force qu'ils pos-
sèdent et qu’ils viennent de constater une fois de plus.
Et puis, il n’y a pas à dire, il n’y a de plaisir à donner que
quand on fait un sacrifice; quand on se prive, qu’on s’impose
donc une certaine souffrance, alors commence le plaisir de
donner. Il y a des gens qui ne jouissent pas de donner, parce
qu’ils ne donnent pas assez. Il manque à leur don l’élément
du sacrifice, le fait du renoncement qui apporte la vraie jouis-
sance. Il serait étrange de dire à quelqu’un : Vous n’aimez
pas donner, il vous coûte de donner, parce que vous donnez
trop peu. Ce quelqu’un s’étonnerait si nous lui parlions
ainsi... Mais j’ai peut-être tort. Le fin fond de l’affaire, le
secret de la joie de la libéralité, c’est l’amour qui seul peut
provoquer les sacrifices, qui seul trouve du bonheur dans
le renoncement.
En tous cas, — et toute théorie à part, — je me figure que
les sommes qui ont été envoyées à la Société représentent
beaucoup de sacrifices réels, beaucoup de renoncement, beau-
coup d’amour, donc aussi beaucoup de joie pour ceux qui les
ont données. Et c’est comme cela que cela doit être...
—
VOYAGE ET ARRIVÉE DE M. COILLARD
Nos lecteurs nous sauront gré de leur faire part des der-
nières lignes reçues de M. Coillard pendant son long et diffi-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
301
cile voyage. Voici d’abord quelques extraits d'une lettre écrite
encore en Afrique.
Wynburg, 20 mai 1896.
... « Ce billet est le dernier que vous recevrez de moi d’A-
frique. Dieu voulant, je m'embarquerai demain avec mes deux
Zambéziens, à bord du Warwick Castle , comme je vous l‘ai
déjà annoncé. A cette saison, tous les paquebots sont pleins,
les places assurées des mois à l’avance. C’est à grand’peine
que j’ai pu en trouver une déjà occupée par cinq autres pas-
sagers. Mes amis, MM. Matthewet Cartwright s’en sont émus
et ont trouvé moyen, par leur grande influence, d’obtenir
pour moi une cabine de première, tout en restant un passager
de deuxième classe. Le Seigneur est bon pour moi; il a in-
cliné bien des cœurs envers moi, l’un de ses petits. Je suis
confondu des bontés dont j'ai déjà été l’objet pendant mon
séjour dans ces parages.
« Quel immense changement s’est opéré ici depuis 1837!
L’Église hollandaise s’est réveillée de sa léthargie, et non
seulement elle a appris à donner de son argent, mais elle a
aussi appris à donner de ses enfants. Je crois qu’il y a cinq
Murray missionnaires, — soit au Transvaal, au pays de Banyaïs
et au Nyassa, — dont un fils d’Andrew Murray, les autres, ses
neveux, sans compter sa propre fille et le fils et la fille de
M. Neethling, son beau-père. N’est-ce pas beau? Reconnais-
sons-le : le Seigneur a fait de grandes choses.
« Je voudrais avoir le temps de vous dire un peu ce que j'ai
vu et, en omettant les écoles, vous parler d’un établissement,
à Worcester, pour les aveugles et les sourds-muets. C’est
vraiment admirable, et j’avoue que tout cela m’a pris par
surprise. Je comprends qu’on ait au sud de l’Afrique des
usines pour la confection des confitures et la conservation
des fruits et même pour la fabrication des meilleures allu-
mettes chimiques que je connaisse. Mais un établissement de
sourds-muets, — et il s’y trouve actuellement 70 élèves, gar-
çons et filles — voilà qui éclipse à mes yeux tout le reste.
302
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
« Et puis j’aurais à vous parler de ces noirs qui, à Wor-
cester, soutiennent leurs pasteurs, et ont des écoles de tous
grades; de ces noirs qui ont bâti leur église, une très belle église,
qui ne le cède en rien à aucune église de blancs des environs,
tant pour l’architecture que pour l’ameublement de l’inté-
rieur. C’est la Société de Barmen qui travaille là.
« Et surtout c’est de Wellington que j’aurais à vous parler.
M. Pauw, qui a succédé à notre vénéré M. Bisseux, me disait :
« Ah! cet homme de Dieu avait posé de solides fondements;
nous n’avons eu qu’à édifier, nous ». Et il me racontait quels
sacrifices ces noirs, maintenant tout à fait civilisés, ont faits
depuis dix ans pour acquérir un terrain, bâtir l’église, les
écoles, leur beau presbytère, et entretenir leur pasteur, auquel
ils font un traitement de 5,000 francs, ou plus, et il ajoutait :
« Dites aux chrétiens de France que leurs sacrifices et les la-
beurs de leur vénéré représentant n’ont pas été vains. »
» Aller voir la chapelle, maintenant une grande et belle église,
la chaumière où M. Bisseux a vécu et commencé son œuvre
parmi les esclaves des descendants des réfugiés français à la
Vallée du Charron, c’était en quelque sorte un pèlerinage.
J’aurais voulu Détendre, ce pèlerinage de vénération et d’af-
fection, jusqu’à Montagu, où ce vétéran de la vieille roche
s’est endormi, il y a six mois, et où il repose jusqu’au matin
de la résurrection. Je n'ai pas pu. Partout le nom de ce père
de notre mission française en Afrique est entouré d’affection,
et sa mémoire est en bénédiction.
» M. Andrew Murray m’a lu quelques extraits d’un journal
tenu par une fermière hollandaise — descendante de hugue-
nots, — où elle raconte l’intérêt qu’elle prend au salut de ses
esclaves et à tout ce qui se fait pour eux. Elle raconte com-
ment la première église a été construite par eux à la Vallée
du Charron : un tel s’engageait à donner le travail de tant
d’esclaves; un autre de tant de journées à rouler des pierres;
un troisième à fournir tels ou tels matériaux, etc. 11 y a
soixante-dix ou quatre-vingts ans de cela. Cette vénérable
chrétienne, qui devançait son Église d’un siècle, se consacrait
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
303
à l'éducation de ses « chers esclaves », c’est-à-dire qu’elle
leur enseignait à lire', elle leur enseignait aussi l’histoire bi-
blique et le catéchisme, et se réjouissait des moindres pro-
grès qu’ils faisaient.
» Un jour où plusieurs d’entre eux furent baptisés et admis
à la Sainte-Gène, elle fut transportée de joie et de louanges.
Elle était émue, elle aurait voulu s’asseoir à la sainte table
avec eux. Mais les préjugés de son milieu étaient encore
trop formidables.
» J’ai supplié M. Andrew Murray de publier quelques-unes
de ces feuilles; elles appartiennent à l’Église et sont des
plus édifiantes. J’espère qu’il le fera.
» Au Cap aussi, nous avons été chaleureusement accueillis.
Un ami, à moi inconnu, mais qui dit m’avoir entendu il y a
dix-sept ou dix-huit ans, m’envoyait, même avant de m’avoir
vu, un chèque de 230 fr. J’ai eu de la joie à revoir M. et ma-
dame Matthew, de très vieux amis, et aussi M. Cartwright, un
ardent ami de notre mission et un homme zélé pour le ser-
vice de Dieu et l’évangélisation. C’est un laïque, un grand
commerçant, un homme des plus affairés, mais qui ne vous le
fait jamais sentir. 11 a du temps pour tout et pour tous. Il
évangélise et il est un des conférenciers les plus goûtés et,
avec des magnifiques projections, « un conférencier idéal »,
comme disent les journaux. Je suis son hôte ici à sa maison
de campagne.
» Et maintenant, il me faut clore. Je ne sais pas si le mieux
dont je jouis, malgré ma faiblesse, sera permanent. Mais je
bénis le Seigneur de ce qu’il m’accorde, même si ce n’était
qu’un temps de répit. »
Londres, 13 juin 1896.
Cher monsieur Boegner,
« Que c’est donc aimable de votre part de m’avoir envoyé, à
bord même du Warwick, un message de bienvenue! Vos pa-
roles, si pleines d’affection et d’encouragement, m’orit touché
304
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
et m’ont fait du bien. Oh ! si vous attendez quelque chose de
moi, souvenez-vous que je ne suis qu’un pauvre vase fêlé et
vide, et demandez ardemment au Seigneur qu’il me remplisse
de sa grâce et m'oigne de son Saint-Esprit. Je viens à vous
tremblant, plein de défiance de moi-même, écrasé par le
sentiment de mon incapacité. Je suis rouillé, je ne suis pas
l’homme de la mission. Je serais enclin à vous dire :
a Donnez-moi de votre huile, car ma lampe s’éteint. » Mais
je sens de plus en plus combien je dois me rejeter entière-
ment sur le Seigneur. Le trouble de mes pensées est un
manque de foi, je le sais. Dieu n’a-t-il pas choisi les choses
folles de ce monde, les faibles, les méprisées, les viles et les
ignorantes, et même celles qui ne sont point pour accomplir
son œuvre et glorifier son nom ?
« Qui a fait la bouche de l’homme, ou qui a fait le muet ou
le sourd, le voyant ou l’aveugle? N’est-ce pas moi l’Éternel?
Va donc maintenant »,... dit-il à Moïse. — a Va donc mainte-
nant », m’a-t-il dit. Je l’ai compris. Cela me suffit.
« Ce n’est qu’hier matin que nous avons débarqué à Londres
même, après le plus beau voyage que l’on puisse désirer. Un
temps de vrai repos et de bénédiction pour moi. Le temps a
été magnifique. Il est vrai qu’après avoir dépassé Las Palmas
et dans le golfe de Gascogne, une rafale est venue briser la
monotonie du voyage; la mer a été passablement houleuse.
Mais, à me voir si bien portant, jouissant de bonnes nuits de
sommeil et doué d’un excellent appétit, — deux bienfaits qui,
depuis longtemps, n’existaient plus pour moi que dans le sou-
venir, — j’aurais pu me croire un tout jeune homme et un bon
marin. Certainement, il vous serait difficile maintenant de
réaliser que j’ai été naguère si souffrant. Le paquebot qui,
frété par le gouvernement, avait conduit des troupes au Cap
et n’y était resté que trois jours, n’était pas plein; de sorte
que, grâce à l’intervention d’un ami, j’ai pu, comme je vous
l’ai dit, avoir à moi tout seul une cabine de quatre places.
Pour rendre service à une dame, j’ai pris avec moi un de ses
fils ; mais il avait une trop grande surabondance de vie pour
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
305
rester un instant dans la cabine pendant le jour. Cette dame,
pensez, elle venait du Lessouto même, et nous nous étions
connus même avant notre départ pour le pays des Banyaïs.
Quoique fille d’un pasteur anglican, un concours de circons-
tances, à la mort de son mari, a élargi son esprit et son cœur,
de sorte qu'elle peut prendre un intérêt actif à notre belle
œuvre du Lessouto. Nous avions, en outre, des amis hollan-
dais de la Perle, tous des hommes craignant Dieu, — un bon
levain de piété qui nous a permis d’établir un culte journa-
lier au salon même, du consentement des passagers et du ca-
pitaine. Comme il se trouvait un pasteur hollandais à bord,
nous avons pu, à la requête du capitaine lui-même, diriger
alternativement les services du dimanche matin et soir.
« Mes garçons aussi ont joui de la traversée. Bien que dans
une société des plus mauvaises (en troisième), Sémonji a fait
preuve d’un caractère sérieux, digne de sa profession chré-
tienne, et a virilement résisté aux tentations dont on l’a ob-
sédé. Un excellent jeune homme, le sommellier, les a en-
tourés l’un et l’autre d'égards.
« Vous ai-je dit qu'après avoir eu la joie de rencontrer ma
filleule Marie Mabille, au Cap, et les Henri Berthoud, avec
leurs compagnons, j’ai eu la grande, la douce surprise de
voir arriver à Stellenbosh, un soir, — le dernier soir que j’y
passais, — M. et madame Paul Berthoud? Vous savez les liens
qui m'attachent à ce cher ami; ce sont des liens sanctifiés de
part et d’autre par la douleur. Inutile de vous dire quel rayon
de lufriière cette rencontre, — cette soirée et la journée du
lendemain, — ont été pour moi. Dieu les bénisse ces chers,
ces précieux amis! M. Berthoud a vieilli, grandi, devrais-je
peut-être dire, — mais a peu changé. C’est aussi ce que tout le
monde dit de moi. Je ne suis pas encore le vétéran, le véné-
rable que vous voulez bien me faire.
« Vous le voyez, cher frère, la bonne main du Seigneur a été
sur nous. Il nous a comblés, il m’a comblé de bénédictions.
Je ne puis que chanter le psaume CII1, et vous demander de
mêler vos actions de grâces et vos louanges aux miennes. En
306
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
me retrouvant une fois de plus sur le sol de notre vieille
Europe, je pense à Jacob revenant de Paddan-Aran et retour-
nant à Béthel pour y sacrifier, s’y consacrer à nouveau au
Seigneur, et à nouveau aussi y recevoir la bénédiction des
promesses... »
F. Coillard.
C’est jeudi soir 18 juin que M. Coillard a débarqué à Paris.
Plusieurs personnes avaient tenu à se rendre à la gare pour
lui serrer la main sans perdre une minute. Notre frère a été
particulièrement sensible à cette marque d’affection. Le 22,
le Comité s’est réuni en séance extraordinaire pour le rece-
voir, ainsi que M. Ratsimihaba, l’envoyé spécial de la reine
de Madagascar à Paris. Après la séance, un culte de Sainte-
Cène et d’actions de grâces groupait, outre les membres du
Comité, un bon nombre d’amis qui avaient désiré, avec notre
vénéré missionnaire, entourer la table du Seigneur dans une
même pensée de foi et de reconnaissance.
Notons, enfin, que M. Coillard doit se faire entendre à la
réunion sjoéciale que nous annoncions dans notre dernière
livraison pour le dimanche 28 juin, à 4 heures, et qui a été
transférée à 8 h. 1 /4 du soir, et convoquée à l’Oratoire pour
la rendre accessible au plus grand nombre possible de per-
sonnes.
ARRIVÉE DU MISSIONNAIRE ESCANDE
Nous avons apris avec une grande joie que M. Escande a
enfin pu s’embarquer avec sa femme et son enfant le 31 mai
dernier, à bord du Daliomé, et débarquer heureusement
à Marseille le 10 juin écoulé. Les circonstances nous ont
empêchés de faire connaître d'avance celte arrivée à nos
amis de Marseille. Cependant, M. Escande a pu être pré-
senté par M. Mouline à la réunion de prières du jeudi ma-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
3Û7
tin, et y prendre part. « Il a donné, écrit M. Moulines, sur
l’œuvre du Sénégal, des détails intéressants et émouvants qui
ne seront pas oubliés des amis des missions. Après un jour
de repos dont il avait grand besoin, il est parti avec sa chère
compagne et leur bel enfant. »
M. Escande s’est rendu, pour quelques jours, dans sa
famille, à Bordeaux, et doit arriver à Paris le 27 au soir. Il
prendra part à la réunion de prières qui aura lieu le 28 à
l’Oratoire. Peu après, il se dirigera sur Genève, dans la
famille de sa femme, où l’un et l’autre ont bâte, on le com-
prend, d’aller retrouver l’aînée de leurs enfants.
DÉPART DE M. LE MISSIONNAIRE TEISSERÈS
Ainsi que nous l’annoncions dans notre dernière livraison,
M. et madame Teisserès ont pu s’embarquer, le 25 juin, à
Marseille. Ils ont pris place à bord du navire le Taygète.
Nous sommes heureux de sentir nos amis reprendre le
chemin de leur champ de travail, où ils sont impatiemment
attendus. Que les prières de l’Eglise les accompagnent pen-
dant leur long voyage !
NOTES DU MOIS
Gomme l’an dernier, nous avons convié les amis des mis-
sions à inaugurer nos efforts par une réunion de prières spé-
ciale qui se tiendrait soit le 28 juin, soit l’un des dimanches
de juillet. Nous n’avons pas besoin d’insister sur l’utilité
qu’il y a à mettre ainsi, dès l’abord, et avant même que l’été
ait ralenti notre travail, ce travail même et toute notre œuvre
sous la bénédiction de Dieu. Faisons effort pour que cette
308
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
réunion de prières ait lieu dans le plus grand nombre
d’Églises possible. Que dans les centres où elle ne pourra
être organisée, la mission soit au moins l’objet d'une men-
tion spéciale dans le culte principal de l’Église. Qu'à
défaut de réunions publiques, les chrétiens s’associent pour
prier dans leurs maisons. Qu’au culte de famille même les
missions soient spécialement mentionnées, et qu'ainsi, de
toutes nos Églises, monte vers Dieu une fervente prière pour
lui demander les moyens d’accomplir dans son entier la tâche
qu’il nous impose et pour réclamer en faveur de toutes nos
missions un grand progrès intérieur et extérieur.
Nous informons nos lecteurs que le Rapjoort annuel de la
Société des Missions paraîtra prochainement. Il sera, comme
d’habitude, envoyé gratuitement aux donateurs et souscrip-
teurs de la Société. Nous prenons la liberté d’en recommander
la lecture attentive à tous nos amis. Il nous paraît être un des
moyens les plus simples et les meilleurs pour se faire une
juste idée de la nature et de l’étendue de notre œuvre, comme
aussi de ses ressources et de ses moyens d’action.
Sous peu, nous publierons également une brochure sur
Madagascar. Au moment où notre Société va entreprendre une
œuvre dans la grande île africaine, il y a un très grand inté-
rêt à se rendre compte de la situation actuelle de la mission
dans ce vaste pays et d’indiquer comment nos Églises de
France peuvent coopérer tout ensemble au maintien et au dé-
veloppement des travaux d’évangélisation dans notre nouvelle
colonie. Nous espérons que l’opuscule que nous annonçons
renfermera toutes les informations propres à répondre aux
préoccupations qui se rattachentàce nouveau champ de travail.
Enfin, nos amis apprendront avec intérêt que notre i9e Cir-
culaire aux Comités auxiliaires est expédiée en ce moment
même dans les départements et à l’étranger. Cette circulaire
peut être demandée à la Maison des Missions.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
309
M. le missionnaire Christol a pu visiter l’Église de Montpel-
lier et quelques Églises du Gard et de l’Aude. On nous écrit
que cette tournée a eu de bons résultats.
Le 14 juillet se tiendra, à Saint-Jean-du-Gard, ou dans une
église voisine, une grande fête régionale des missions, en
plein air. M. le missionnaire B. Escandea accepté de prendre
part à cette fête.
MADAGASCAR
L’ACTIVITÉ DE NOS DÉLÉGUÉS. — APPROBATION GÉNÉRALE DONNÉE A
NOTRE INTERVENTION A MADAGASCAR. — UNE LETTRE DE LA REINE
RANAVALO AU COMITÉ DES MISSIONS. — IMPORTANTES DÉCISIONS.
Les nouvelles de nos délégués continuent à être bonnes.
Leurs dernières lettres nous les montrent arrivés au terme de
la laborieuse campagne qu’ils ont entreprise dans Tlmérina.
Leur projet était, comme nous l’avons dit il y a un mois, de
visiter ensuite le Betsiléo et d’assister à la Conférence de la
mission norvégienne où ils étaient cordialement invités. Mais
l’insécurité croissante due aux mouvements des favahalos les
a obligés de renoncer pour le moment à ce projet; la confé-
rence elle-même a dû être contremandée. Espérons que ces
difficultés ne seront que momentanées et que nos amis pour-
ront mettre à exécution cette partie si importante de leurs
plans.
Voici d’ailleurs quelques lignes que M.Krüger nous adresse
à l’intention de nos lecteurs :
«... Nous venons de passer deux mois à visiter et à exhor-
ter une cinquantaine d’assemblées chrétiennes dans un rayon
de 25 à 30 kilomètres autour de Tananarive. Trois ou quatre
fois, nous avons poussé des pointes jusqu’à 50 kilomètres de
310
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
la capitale. Dans la plupart des cas, lé missionnaire a con-
voqué les chrétiens de tout le district dans l’Église où nous
passions. Il s’agissait de rassurer ces populations; et, à cet
égard, on reconnaît en haut lieu que nous avons contribué
pour notre faible part à la pacification de ce pays. Les jé-
suites exploitent le préjugé qu'ils ont mis en circulation il y
a longtemps, à savoir que tout Français est de ce fait même
catholique, et réciproquement que tout protestant est un
ennemi de la France. Ils font répandre ce bruit dans la
campagne par leurs émissaires, avec force menaces contre
les récalcitrants; et les pauvres paysans hovas, crédules à
l’excès, considérant toute parole qui émane d’un Français
comme un ordre, ployant trop facilement l’échine par une
longue accoutumance à l’oppression, tremblaient de devoir
abandonner le christianisme et la Bible pour la religion de la
Vierge et du prêtre. Si le quart seulement des remerciements
qui nous ont été infligés est vrai, nous n’aurons pas perdu
notre temps.
a Aussi bien on réclamait notre présence dans le Betsiléo.
Je m'étais arrangé pour aller assister, avec le surintendant
des missions norwégiennes, à la Conférence de ses mission-
naires qui devait se tenir en mai à Fianarantsoa. Les ex-
ploits des fahavalos, bandes de brigands, d'insoumis et d'in-
surgés* rendent cette conférence impossible et isolent Fiana-
rantsoa de Tananarive. La poignée de soldats que la France
a laissés à Madagascar ne suffit pas à tenir en échec ces ban-
dits, qui se montrent à tous les coins de l'horizon, chassant
devant eux la population paisible du pays... »
Le défaut d'espace nous empêche de faire de plus amples
extraits de la correspondance de nos envoyés. Mais ce que
nous tenons à constater, c’est le sentiment unanime d’appro-
bation, et nous dirions volontiers le soulagement avec lequel
leur présence et leur activité à Madagascar ont été partout
accueillies* Le Synode général officieux de l'Église réformée,
réuni A Sedan, leur a. envoyé un message d'affection et de
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
311
gratitude, et a réservé l'une des soirées de sa session à une
conférence du directeur de la Maison des missions sur la
question de Madagascar (1). Le Synode de l’Église de la Con-
fession d’Augsbourg, réuni à Montbéliard, après avoir ap-
prouvé la création d’un Comité auxiliaire de la Mission nor-
végienne à Paris et éventuellement à Montbéliard, a tenu à
donner à notre Société un témoignage de sa reconnaissance
pour l’envoi de MM. Lauga et Krïiger. Yoici le texte de
l’ordre du jour adopté, en séance du 11 juin 1896, par le
Synode :
« Le Synode général, informé de ce qui a été fait par la
Société des missions de Paris en faveur des intérêts protes-
tants à Madagascar, en exprime sa satisfaction et sa recon-
naissance. Il recommande à cette occasion aux prières et aux
libéralités de l’Église l’œuvre des missions évangéliques. »
Mais ce n’est pas seulement en France que l’envoi de nos
délégués à Madagascar a été hautement approuvé. Il l’a été
aussi, nous croyons pouvoir le dire, par l’ensemble de la
I chrétienté évangélique.
La plus importante des revues des missions, YAUgemeine
l Missionszeitschrift , consacre un article de son numéro de
I juin à la situation de Madagascar, et parle avec satisfaction
de cette délégation et de la haute importance qu’elle tire des
circonstances.
Le directeur de l’hôpital protestant de Tananarive, M. le
Dr J. Backwell Fenn, actuellement en Europe, nous écrivait
récemment : « J’aurais pu pleurer de joie en lisant le récit de
l’arrivée de nos délégués à Madagascar, et je bénis Dieu de ce
que vous avez pu faire partir ces deux excellents frères » (2).
(1) Les journaux religieux ont rendu compte de cette soirée. Tel de
ces compte-rendus, d’ailleurs très sympathique, renferme de légères
inexactitudes d’expression qui se rectifieront d’elles-mêmes par la lecture
de la brochure sur Madagascar que nous annonçons d’autre part.
(2) Voir aussi à la page 26 du Rapport annuel de notre Société qui va
312
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Le secrétaire de la Conférence des missionnaires quakers
de Madagascar a envoyé au président de notre Société, par
lettre du 23 avril, l’expression officielle de la reconnaissance
de ses collègues pour cette mission si opportune.
« Nous désirons, ainsi s’expriment ces missionnaires, dire
que, dans notre ferme conviction, tout est providentiel dans
cette visite, aussi bien le choix des hommes qui forment la
délégation que le moment où elle a lieu. Nous tenons à affir-
mer que, selon notre intime persuasion, cette visite est la ré-
ponse à beaucoup de prières qui, aussi bien l’an dernier
qu’auparavant, sont montées vers Dieu pour ce pays et pour
l’œuvre missionnaire qui s’y accomplit ».
Voici enfin un document qu’on lira avec émotion : c’est
une lettre que la reine de Madagascar a adressée au prési-
dent de notre Société, M. Jules de Seynes, par l’intermédiaire
de l’un des officiers de son palais, M. Paul Ratsimihaba, en-
voyé en mission spéciale au président de la République :
Antananarivo, 25 avril 1896.
« Monsieur,
« Je ne veux pas que mon envoyé parte pour la France
sans un message bien spécial qui puisse vous faire com-
prendre toute la joie que j’ai éprouvée de l'arrivée parmi
nous de M. le pasteur Lauga et de M. le professeur Krüger.
« Je tiens surtout à vous dire qu’ils ont fait preuve en toute
circonstance d’un grand zèle et d’un grand dévouement.
Leur présence a déjà raffermi les chrétiens qui avaient pres-
que perdu confiance. C’est là pour moi un sujet de grande
satisfaction et aussi de vive reconnaissance envers vous. Que
Dieu vous fortifie en toute bonne œuvré, c’est là le vœu de
« Ranavalo III.
«< Reine de Madagascar. >»
paraître incessamment, une lettre du Dr H. Christ. Socin, membre du
Comité de la Société de missions de Bâle, donnant aussi un cordial appui
à notre entreprise.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
313
On le voit, jusqu’à ce jour, Dieu nous a conduits : il lui a
plu de favoriser, par des débuts relativement aisés, une
œuvre qui pourra, dans la suite, nous occasionner des luttes
et nous imposer de grands efforts.
Ce que sera exactement cette œuvre, nous ne le savons
pas encore ; nous voyons cependant se dessiner les grandes
lignes de la future entreprise. Elle consistera essentiellement
à continuer ce qu’ont si bien commencé MM. Lauga et Krüger.
Ceux-ci nous ont demandé de ne pas attendre leur retour
pour chercher les hommes auxquels devra être remise leur
succession. Il importe au plus haut point qu’il ne se produise
aucun intérim dans la représentation du protestantisme fran-
çais à Tananarive. Le culte français, malgré le petit nombre
d'auditeurs qu’il groupe chaque dimanche, devra, si pos-
sible, ne plus être interrompu; en même temps, nous de-
vrons sans doute, bien que rien ne soit encore décidé à cet
égard, accepter une part de direction dans l’Église dite du
palais, et peut-être aussi l’école dépendant de cette même
Église. Ce qui est urgent, c’est que nos délégués actuels puis-
sent transmettre à des successeurs capables la garde des inté-
rêts qui leur ont été confiés et le trésor d’expériences et
d’informations qu’ils ont accumulé pendant leurs tournées;
il serait très désirable enfin que ces successeurs pussent
arriver avant la mauvaise saison où les voyages sont dan-
gereux.
Nous espérons être en mesure d’annoncer dès le mois pro-
chain .le nom de l’homme ou des hommes qui seront choisis
pour accomplir cette grande tâche. D’ici là, nous demandons
à nos Églises de ne pas se relâcher dans leurs prières pour que
cette affaire continue à être dirigée et menée à bien par l’Es-
prit de Dieu. Qu’il veuille désigner lui-même les hommes qu’il
a choisis dans nos Églises pour l’œuvre de Madagascar; qu’il
dicte leur réponse à ceux auxquels des appels ont été ou se-
ront adressés, afin que toute cette entreprise tourne à sa
gloire et à l’avancement de son règne.
Constatons, en terminant, l’entente fraternelle qui s’est éta-
24
314 JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
blie, quant à la direction de l’œuvre à faire à Madagascar,
entre la Société des Colonies et la Société des Missions. Il a été
reconnu d'un commun accord que, au moins dans la phase
actuelle, nous sommes en présence, à Madagascar, non pas
de deux œuvres, mais d’une seule œuvre, et que le caractère
de cette œuvre, où prédomine presque exclusivement l’intérêt
des missions et des Églises indigènes, la fait incontestable-
ment rentrer dans le champ d'activité de la Société des Mis-
sions. C’est donc à cette Société que reviendra la charge
redoutable de diriger l’entreprise dans son ensemble.
Dans les circonstances troublées où se trouve Madagas-
car, en présence de l’action catholique si forte et si concen-
trée, cette unité d’action et par conséquent de direction
nous parait imposée par le devoir. Elle n’empêchera pas la
Société des Colonies de s'intéresser au culte français, qu’elle
a tenu à revendiquer comme étant de son ressort, mais qui
ne justifierait pas, quant à présent du moins, l’envoi d’un
agent spécial. Il a été convenu que ce culte serait confié à
l’un des pasteurs envoyés par notre Société (comme cela se
fait à Taïti et au Sénégal) ; — mais la Société des colonies affir-
mera son lien avec cet agent en prenant à sa charge une part
de son traitement et en recevant de lui des rapports sur la
partie de l’œuvre qui l’intéresse. Il a été entendu de plus que
la Société des missions, en procédant à la nomination de
l’agent, se mettra d’accord avec la Société des Colonies et
que, dans l’intérêt de l’œuvre, qui nécessite de constants
rapports avec les autorités, son choix se portera autant que
possible sur un candidat ayant un caractère officiel ou pou-
vant le recevoir par une affiliation à un Consistoire à titre
d'auxiliaire.
Ajoutons que ces conditions ne s’appliquent qu’au candidat
auquel sera confié le culte français: notre Comité prévoit,
en effet, dès maintenant, que l’œuvre à faire comportera la
présence, non pas d’un seul, mais de deux pasteurs ou mis-
sionnaires; et nos démarches sont faites dans la pensée de ce
double envoi.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
315
LESSOUTO
RAPPORT DE LA CONFÉRENCE
des Missionnaires du Lessouto sur l’année 1895-1896.
Morija, le 25 mars 1896.
Messieurs et honorés directeurs,
Notre Conférence annuelle vient de se réunir à Morija.
M. Christol, en route pour l’Europe, ainsi que MM. P. Ger-
mond et Bertschy, pour des raisons indépendantes de leur
volonté, n’ont pas pu se joindre à nous. Par contre, nous
avons eu la joie de revoir au milieu de nous M. Marzolff,
que la santé de madame Marzolff avait retenu en Europe
plus longtemps qu’il n’aurait aimé. Nos séances ont com-
mencé le 18 mars et ont duré jusqu'au 25.
Quel est le résultat de notre travail en 1895 ? Les rap-
ports présentés à la Conférence laissent l’impression d’une
année peu encourageante au point de vue des succès exté-
rieurs. Peu de conversions, peu de progrès; par contre, une
certaine indifférence chez nos chrétiens. Et pourtant, nous
avons travaillé comme par le passé ; la semence a été répan-
due avec zèle et persévérance, mais où sont les fruits ?
Le grand ennemi de notre œuvre, le paganisme, est encore
fort aq Lessouto. On dirait même que, plus que par le passé,
il prend conscience de sa puissance et s’oppose systémati-
quement aux progrès de l’Évangile. Nos frères du Nord en
savent quelque chose. Écoutez le fait suivant :
« Dimanche dernier (c’est-à-dire le 1er mars), nous devions
« prier pour la pluie » à Léribé. Lydia ’Mamosa, veuve du
chef Molapo, avait convoqué tous les païens des environs par
messages spéciaux. Il en vint une vingtaine à peine.
« La veille, le soi-disant prophète Moqholotsana deman-
dait aux ancêtres, dans le village de Molapo, à grands ren-
316
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
forts de simagrées et de chants païens, de faire tomber de
la pluie. Chez Jonathan, le grand chef du district, les femmes
se réunissaient pour « chanter pour la pluie», et se donnaient
des forces en mangeant un bœuf que le chef leur avait pro-
curé pour la circonstance. Et, le dimanche même, Khétisa Mo-
lapo, envoyé par Jonathan, parcourait les Maloutis en quête
de singes et d’antilopes. Il tua quatre singes et les apporta au
faiseur de pluie, qui n’en fut pas satisfait. Il lui en fallait un ,
vieux n’ayant plus de dents... Nos Nemrods, fatigués et affa-
més, s’en retournèrent l’oreille basse...
« Dieu soit loué! nos prières de dimanche dernier n’ont pas
été exaucées. Il n’a pas plu, il ne pleut pas, il ne semble pas 1
qu’il doive pleuvoir de longtemps. Les païens ne pourront
pas se vanter d’avoir réussi à faire de la pluie. Quant aux ]
chrétiens, ils se consoleront de la sécheresse actuelle en pen-
sant que Dieu fait bien ce qu’il fait, et ne refuse les biens
qu’on lui demande que quand c’est nécessaire. »
A Kalo, M. Ghristeller est bien seul, ne comptant que six j
chrétiens dans les environs immédiats de la station, dont un
homme seulement, l’instituteur. Aux annexes, la situation j
n’est guère meilleure, trois annexes n’ayant pour tout chré-
tiens que l’évangéliste et sa femme. Mais M. Cbristeller nous
dit plus loin : « Les auditoires sont encourageants, les païens
viennent très régulièrement et nous espérons que plusieurs
feront le pas décisif. »
Un fait réjouissant, c’est que ce petit nombre de chrétiens
a réuni plus de 500 francs comme contribution d’Église, sans
parler de 75 francs, donnés par les gens d’une seule annexe,
pour l’achat d’un cloche.
Léribé est aussi un centre où le paganisme règne en maître,
a II est religion d’état, populaire, aimé, soutenu, encouragé,
empiré même par les chefs ». Gomme conséquence naturelle,
l’immoralité et la polygamie augmentent. Peut-on s’étonner
si, par ci, par là, un chrétien faible, vivant dans ce milieu, se
laisse séduire et retourne à ces coutumes qui avaient été les;
STATISTIQUE DES ÉGLISES DU LESSOUTO.
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Anié . . .
Mahinn.
Papénon
Tiaréi . .
Malmena
Bapa. . . .
Mataiéa .
Papéari .
Vaïiaû . .
Téahupoi
Tant ira..
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Afaahiti .
Iiitiaa.. .
Rimatava .
Riirutu . .
Ttibuai . . .
/ Haapiti...
) Afaréaitn,
Téaharoa .
PapétoaV. .
Raiatea..
Tahaa. . .
Iîorabora
Huabine.
Manpiti. .
• H a en outre été vendu par M. Vernier pour 6.750 fr. de Bibles et livres religieux.
•* Les collectes faites dans l'arrondissement sud de Tahiti sont celles de l’annle dernière, 1891.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
317
siennes autrefois? Et pourtant M. Dieterlen nous dit que les
chutes ont été nombreuses. Il y a eu 64 conversions et 121 per-
sonnes ont été reçues dans l’Église. Une de ces conversions
vaut la peine d’être rapportée :
« On m’appela un jour dans le village de Simone pour voir
une femme qui, revenant d’une nuit d’orgies, s’était préci-
pitée dans les rochers et gravement blessée. Je trouvai cette
femme encore abrutie pas son ivresse et par sa chute, assou-
pie, la face tuméfiée et couverte de sang, incapable de dire
et de comprendre quoi que ce soit. Je la revis plus tard et
souvent. Elle divagua; elle disait en riant sottement que cer-
tainement elle continuerait à boire du yoala (bière enivrante),
car elle l’aimait beaucoup. Sa famille, toute païenne qu’elle
était, voyant qu’elle perdait la raison, déclara qu’il n’y avait
qu’un moyen de la guérir : l’envoyer à la prière. Elle alla
donc à la prière du matin. Elle y prit goût. Un jour elle vint
à l’église, puis elle y revint. Ce fut une de nos rares audi-
trices païennes sur laquelle, ou sur la présence de laquelle
nous pussions compter. Ses traits s’éclairaient et s’adoucis-
saient. Elle commença à parler aux anciens, puis à moi.
Actuellement elle est catéchumène; très ignorante, certes, et
très fermée, mais essayant sincèrement de se familiariser
avec les vérités évangéliques et les devoirs de la vie chré-
tienne. »
Léribé compte 9 annexes; dans le nombre, l’une d’elles,
Koloyané, mérite une mention toute spéciale :
« Koloyané, écrit M. Dieterlen, est la perle de mes annexes
et, probablement, l’une des plus vivantes et des plus géné-
reuses du Lessouto. Peu de personnes de l’Église ou de la
classe donnent moins de 6 francs comme contribution an-
nuelle; beaucoup, même des catéchumènes, en donnent 10. >•
Bel exemple à imiter!
D’un bond, nous nous transportons à l’extrême sud du
pays, à la Sébapala, où M. Pascal travaille dans des condi-
tions qui ressemblent beaucoup à celles de nos stations du
nord. Là aussi le paganisme est toujours fort. Fait curieux,
318
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
c’est dans ces stations, où les difficultés extérieures sont les
plus grandes, que l’Évangile semble avoir porté le plus de
fruits cette année-ci. Laissez-nous vous citer le récit suivant
détaché du rapport de M. Pascal :
« Ma-Nkata, sœur de Lérotholi, dont le mari fut tué pen-
dant la guerre de Moorosi, en 1879, fait remonter sa conver-
sion à cette guerre même. « Enserrés, disait-elle, lors de son
« baptême, par les lances ennemies et les boucliers de mes
« propres frères, un jour vint où nous n’osâmes plus des-
ct cendre des rochers au pied desquels coulait une fraîche
« fontaine; la soif nous desséchait; nous crûmes la fin pro-
« che. Réunis par le vieux chef, nous nous adressâmes au
« Dieu des chrétiens : le soir, les nombreux creux des ro-
te chers étaient remplis d’eau tombée du ciel. Nous étions
« sauvés ! C’est la première fois, ajoute-t-elle, qu’à genoux, je
c< m’écriai : Il y a un Dieu ! »
Ces rayons de lumière brillent d’un éclat d’autant plus vif
qu’ils se produisent là où les ténèbres sont les plus épaisses.
En ce qui concerne 'maintenant les plus anciennes Églises
duLessouto, celles où l’Évangile est annoncé depuis long-
temps déjà, il est assez triste de remarquer que ces Églises
passent par un temps d’arrêt. Telle Église a de tristes chutes
à déplorer, telle autre accuse des progrès d'un côté et un
recul de l’autre. Ailleurs encore il n’y a ni progrès ni recul.
Où chercher la cause de cet état stationnaire ?
« Cela est dû, nous dit M. Jacottet, principalement à un ni-
veau moins élevé de vie chrétienne. Le christianisme semble
ne plus avoir de prise sur les âmes; il a comme moins d’élan,
moins de vie ; voilà la caractéristique de notre Église en ce
moment. Cette tiédeur spirituelle amène comme un redouble-
ment de péchés et de ^scandales. Ce n’est pas, comme dans
le nord, recrudescence du paganisme; dans nos Églises on a
rompu avec le paganisme sessouto, mais l’immoralité n’est
pas détruite, loin de là. »
M. Marzolff parle aussi de cet affaiblissement moral
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
319
dans la vie de nos Églises. M. Louis Mabille attire notre at-
tention sur une difficulté qui semble aller en grandissant,
celle du recrutement de bons évangélistes et maîtres d’école.
Cela est d’autant plus important que la marche d’une annexe
dépend beaucoup de la valeur morale et spirituelle de l’ins-
tituteur et de l’évangéliste. Ces difficultés peuvent devenir
graves quand ces ouvriers, indispensables à l’extension de
notre œuvre, manifestent des tendances à une fâcheuse indé-
pendance, comme cela s’est présenté dans une des annexes
rattachées àMorija. M. Ellenberger, lui aussi, déplore, dans
son rapport, deux ou trois cas semblables.
Pourtant, nous avons hâte de le dire, afin d’éviter qu’on
tire une conclusion trop pessimiste de nos observations, le
corps de nos évangélistes est composé, en général, d’hommes
sur lesquels on peut compter.
« Je n’ai qu’à me louer, nous dit M. Vollet, des évangé-
listes. Je les ai trouvés capables et dévoués; ce sont de
précieux auxiliaires, des gens sur lesquels on peut comp-
ter. »
En parlant de nos évangélistes, c’est ici l’endroit de dire un
mot de la caisse centrale qui pourvoit à leur entretien. C’est
la première année qu’elle a fonctionné. L’essai a réussi, grâce
aux efforts de son gérant et à la bonne volonté de tous les
intéressés, en particulier de l’Église d’Hermon qui a eu à
verser une assez forte somme. Une fois que son fonctionne-
ment sera bien établi, elle rendra les meilleurs services à
notre œuvre en permettant à nos évangélistes de compter sur
un salaire uniforme et régulier. Qu’il nous soit permis, à cette
occasion, de remercier le Comité de son beau don de 3,000 fr.
en faveur de cette caisse.
En présence de cet arrêt apparent dans la marche de nos
Églises les plus anciennes, il y a un fait réjouissant qu’il est
bon de noter, c’est que les auditoires sont restés réguliers et
nombreux, et le nombre des catéchumènes est assez élevé.
320
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
D'autre part, les contributions d’Église ont été bonnes dans
toutes ces paroisses.
Thabana-Mofèna est sans missionnaire depuis quelques
mois. En nous rendant à la Conférence et en passant à Tha-
bana-Moréna, il nous a été pénible de ne plus trouver celui
qui avait été le fondateur de cette station et qui, pendant
trente-cinq ans, en avait été le fidèle pasteur. Cette Église,
avec la station de Siloé , est en ce moment entre les mains
de M. Louis Germond. Celui-ci a eu la joie d’enregis-
trer 140 conversions. Ici aussi, les contributions des chrétiens
ont été assez élevées, preuve qu’il y a encore de la vie. Ne
perdons pas courage! et que Dieu veuille se servir de ce
noyau pour susciter un réveil des consciences! C’est le vœu
général, un même cri à Dieu qui se retrouve à peu près dans
tous les rapports : « Il nous faudrait un nouveau baptême de
l’Esprit saint. »
Il fait bon s’arrêter un moment à écouter M. Ellenberger
nous raconter la mort édifiante de plusieurs vieux chrétiens
de Massitissi :
« Voici d’abord le brave et fidèle Simone Tuéba, qui a été,
pendant plus de cinquante ans, une lumière au milieu de son
peuple et une des plus belles colonnes de l’Église par sa vie
et la fermeté de sa foi. Ensuite le pieux et dévoué Sauli Ma-
thabatha, ancien devin et guerrier, qui a combattu contre
Sébitoané, en 1823, et contre Moshesh. Il est mort dans sa
quatre-vingt-seizième année, après avoir servi joyeusement le
Seigneur pendant vingt-cinq ans, et avoir amené bien des âmes
au pied de la croix. C’est, enfin, l’humble ’Ma-Yané, lépreuse
chrétienne, dont la patience dans les épreuves et la confiance
dans le Seigneur en ont fait une fille de Job. Quelques mi-
nutes avant sa mort, elle a désiré voir le ciel et respirer l’air
frais. Une fois dehors, elle demanda à son mari et à ses en-
fants de lui chanter un cantique. Le mari, à sa demande, fit
la prière et, peu de secondes après être rentrée dans sa
maison, les souffrances prirent fin, et ’Ma-Yané fut, selon son
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
321
désir, reçue dans l’assemblée des fidèles qui contemplent la
face du Seigneur. »
D’un autre côté, nous devons saluer avec joie tous les
efforts qui sont faits pour réveiller le zèle de nos Églises. Les
réunions de groupe, réunissant les chrétiens de plusieurs sta-
tions, inaugurées il y a quelques années, semblent réussir
partout où elles s’organisent. Cana, Thaba-Bossiou et laSéba-
pala ont eu, à tour de rôle, de ces réunions pendant l’exer-
cice écoulé.
Nos deux stations du Griqualand East n’ont pas pu être
représentées par leurs missionnaires. M. Bertschy a reçu
45 nouveaux membres dans l’Église, le plus haut chiffre de-
puis son arrivée à Paballong. D’un autre côté, la marche de
l’Église a été plus satisfaisante que les années précédentes.
M. Germond vient, dernièrement, de s’installer à Mafubé,
son nouveau poste, avec sa famille, et il s’est mis avec ardeur
à sa nouvelle tâche. Pour entrer en contact avec son trou-
peau, M. Germond a commencé à faire venir un à un les mem-
bres de son Église, pour s’entretenir avec eux. Là aussi,
M. Germond demande un réveil des consciences.
Il nous reste ençore à parler des Ecoles.
11 est réjouissant de constater que, tant au point de vue du
niveau de l’instruction qu’à celui du nombre des élèves ces
écoles ont fait un progrès considérable. A ce propos, laissez-
nous vous citer un extrait du rapport de M. Christol :
« Un fait qui prouve en faveur des instituteurs de l’école de
la station d’Hermon, c’est que, depuis un an au moins,
Bénoni et surtout son collègue Richard Chocobane, ont fait,
avec une grand régularité et sur leur propre initiative, une
école le samedi, pour les autres instituteurs et évangélistes;
les meilleurs élèves étaient le père et les deux oncles du sus-
dit Richard! »
L'Ecole des jeunes filles de Thaba-Bossiou semble être rede-
venue populaire auprès des Bassoutos, à en juger d’après le
322
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
chiffre des élèves qui est monté à 33, lors de la dernière ren-
trée.
A Léloaleng, nos apprentis de YÉcole industrielle ont
beaucoup travaillé. Différents bâtiments ont été construits,
entre autres une jolie maison en briques sur la station même,
et une remise pour le wagon. L’atelier de charronnage et
de forge s’est aussi développé. L’école fait une grande perte
cette année : M. et madame Preen vont prendre leur retraite.
Depuis la fondation de l’école, en 1878, M. Preen avait été
attaché à la direction de cette œuvre.
Léloaleng, avec sa belle verdure et ses beaux bâtiments,
est une preuve éloquente de l’activité de notre frère. Qu'il
nous soit permis ici, au nom de la Conférence, d’exprimer à
M. et madame Preen nos sentiments de reconnaissance pour
lout ce qu’ils ont été pour cette école. C’est la première fois
qu’elle change de direction. Que Dieu accorde à ceux qui
prennent la place de M. et de madame Preen d’aimer cette
œuvre comme ils l’ont aimée !
L 'Ecole biblique compte actuellement 47 élèves, dont 22 ve-
nant du Transvaal ou du Zambèze. Ce dernier chiffre prouve
combien cette école est populaire au dehors, et combien est
grande l’influence qu’exerce au loin notre mission. Cette der-
nière remarque s’applique aussi à notre imprimerie et au dé-
pôt de livres , œuvres placées, de même que l’École biblique,
sous la direction de M. Alfred Casalis.
Le rapport de M. H. Dyke, le directeur de YEcole normale ,
nous apprend que l’année 1895 a été une des meilleures dans
l’histoire de cette institution. L’École comptait 102 élèves,
chiffre qu’elle n’avait encore jamais atteint auparavant. Notre
frère a droit à toute notre reconnaissance pour les beaux
résultats obtenus par ses élèves aux examens du gouver-
nement. Sur 43 candidats, 35 ont été reçus. Ces succès ont
valu à M. Dyke, de la part des autorités de l’instruction pu-
blique du Cap, un témoignage élogieux qui a sa valeur.
Les 5 étudiants de YÉcole de théologie ont terminé leurs
études il y a quelques jours. Uu examen final a eu lieu à
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
323
Thaba-Bossiou et a été passé avec succès par les 5 candidats.
La Conférence vient d’assigner un poste à chacun de nos
futurs pasteurs indigènes. Il n’est que juste d’adresser à nos
frères Dieterlen et Jacottet nos vifs remerciements pour le
zèle et le soin dont ils ont fait preuve dans l’accomplissement
de la tâche qui leur avait été confiée. Ils ont droit à toutes
nos félicitations quant aux résultats obtenus.
En résumé, la situation actuelle de notre œuvre au Les-
souto, sans être bonne sur toute la ligne, ne doit pourtant pas
donner lieu au découragement. Nous avons indiqué, au cours
de ce rapport, par ci, par là, quelques points lumineux. Hauts
et bas, ombres et lumières, joies et tristesses, n’est-ce pas la
vie de toute œuvre faite par des hommes? Nous désirons
bien faire, mais par combien de luttes, de déboires, de chutes
même et d’humiliations n’avons-nous pas à passer ! « Fac et
spera », c’est ainsi qu’un de nos frères terminait son rapport.
«Agis et espère», c’est aussi en prenant ces mots à cœur
que nous regardons vers l’avenir, nous souvenant que si
nous faisons souvent mal notre œuvre, la semence que nous
nous efforçons de répandre est incorruptible et portera des
fruits en son temps (1).
Veuillez recevoir, messieurs et honorés directeurs, nos res-
pectueuses salutations.
Pour la Conférence des missionnaires du Lessouto,
Edgar W. Kruger.
(1) Voir les tableaux statistiques du Lessouto et de Taïti annexés à
la présente livraison. (Réd.)
324
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
CONGO FRANÇAIS
NOUVELLES RÉCENTES
La santé de nos missionnaires. — Œuvre scolaire de Lambaréné.
— Travaux divers dans la station. — Tournées en perspective.
— Nos voyageurs.
Des lettres, reçues de nos deux stations de Talagouga et
de Lambaréné, nous apportent de meilleures nouvelles des
santés de nos missionnaires. Cependant madame Gacon s’est
trouvée assez sérieusement atteinte pour qu’un voyage à Li-
breville ait été jugé nécessaire. Ce voyage a eu lieu, et, en
date du 30 avril, M. Gacon nous envoie l'avis du docteur
Pellissier estimant qu’il est urgent pour madame Gacon de
revenir en Europe. Nous ne savons encore si ce conseil a été
suivi. M. et madame Gacon désiraient attendre le retour
de M. Allégret avant de prendre un parti. Mais il est pro-
bable que, d’ici peu, nous saurons la décision à laquelle
ils se sont arrêtés. Il y a là un sujet de préoccupation bien
grave pour nos amis et pour tous ceux qui s’intéressent à eux
et à l’œuvre si utile qu’ils poursuivent.
« ... Je suis de plus en plus content de l’école, écrit
M. Faure, le 3 mai. J’ai maintenant 40 élèves, chiffre auquel
nous pensons nous arrêter. Mais si l’école va bien, je ne puis
pas éprouver la même satisfaction du local où elle se fait :
l’école tombe en ruines, et, les jours de pluie, je dois mettre
mon imperméable pour faire les leçons. Les jours de tornade,
j’ai toujours peur que tout s’effondre. Mais on ne peut tout
faire à la fois. Les ouvriers sont en train d’édifier un palais
qui s’appelle le dortoir des filles, et, sans doute, l’école des
garçons viendra en son temps.
« ... De jour en jour je m’aperçois que ma préparation, si
spéciale pour un missionnaire, peut être d’une grande aide
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
325
pour le pays et pour la mission. Tant il est vrai que, dans
l’œuvre de Dieu, il y a place pour toutes les bonnes volontés
et toutes les aptitudes... Ma santé est très bonne; j’ai cepen-
dant eu, a la fin de mars, mon premier accès de fièvre,
bénin, heureusement, puisqu’il ne m’a immobilisé que trois
jours... »
« Je suis toujours très occupé, débordé, réellement , nous
dit, de son côté, M. Haug, le 29 avril, car je veux faire tout
ce qu’il m’est possible de faire. Ce qui m’absorbe, c’est tou-?
jours le magasin où la tâche est très difficile à remplir en ce
moment. Puis, ce sont les gens qui viennent demander des
conseils, des palabres à régler, des prisonniers faits par les
Pahouins à délivrer, de la médecine à distribuer, et toutes
sortes d’autres choses, en somme secondaires pour la mis-
sion. Et surtout, ce qui demande une surveillance continuelle,
ce sont les réparations incessantes que nécessitent nos mai-
sons en bambous et en planches, que les termites ruinent en
trois ou quatre ans; c’est aussi la construction du grand dor-
toir des filles, que je voudrais achever avant le retour des
chaleurs. A cela s’ajoutent beaucoup d’autres choses que je
voudrais entreprendre, mais je dois y renoncer pour faire des
voyages : un premier à Wambolia, où l’évangéliste Ogula
m’appelle pour des prédications, les gens étant maintenant
de retour de leurs plantations et se trouvant réunis aux vil-
lages; une seconde tournée, à la fin de mai, pour les commu-
nions dans les annexes d’Igenja et de Wambolia...
« ... M. Richard, s’il vient, nous sera très précieux et nous
soulagera beaucoup; mais il faut bien se rendre compte que,
dans ce pays où tous les indigènes ont l’esprit commercant
et attachent une grande importance aux questions d’argent,
la tâche du trésorier-magasinier est une des plus délicates de
l’œuvre... »
Nos amis savent que ce que M. Haug prenait pour une pos-
sibilité s’est réalisé en ce qui touche M. Richard. Nous en
326
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
sommes une fois de plus heureux et reconnaissants, dans la
persuasion de tout le bien qu’un homme doué de ses apti-
tudes pourra faire à notre mission du Congo.
Nous avons d’ailleurs de bonnes nouvelles de nos mission-
naires, MM. et Mesdames Allégret et Richard, en route pour
ce champ de mission. Nous savons qu’ils ont touché à
Dakar, où ils ont eu le plaisir de voir M. le docteur Morin et,
plus tard, à Grand-Bassam. Peu avant cette dernière escale,
la mer a été mauvaise et nos voyageurs en ont tous été
éprouvés. Nous espérons qu’ils sont maintenant arrivés,
sinon à Talagouga, du moins à Lambaréné.
TA ! T I
RAPPORT
DE LA CONFÉRENCE MISSIONNAIRE DES ILES DE LA SOCIÉTÉ
sur l’Exercice 1895-1896.
Suite et fin (1).
Ecoles françaises indigènes.
Nous croyons superflu, Messieurs, de vous transmettre,
comme nous l’avons fait d’autres années, les rapports offi-
ciels de la Commission d’inspection qui, deux fois par an,
visite nos écoles de Papéété.Ces rapports, aussi élogieux que
les précédents, ne vous apprendraient rien de nouveau; no-
tons simplement qu’ils constatent, pour l’école des garçons,
une réelle insuffisance du personnel eu égard au nombre des
élèves.
Cependant, malgré les éloges qui leur sont prodigués,
malgré les services incontestables qu’elles rendent à la colo-
(1) Voir notre livraison de juin, page 283.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
327
nie, nos écoles ont passé cette année par une crise dont elles
sont heureusement sorties victorieuses, mais qui aurait pu
leur être fatale si Dieu n’avait point veillé sur elles.
Pour plusieurs raisons qu’il serait trop long d’énumérer
ici, les écoles du gouvernement, aussi bien dans les districts
qu’au chef-lieu, étant tombées dans un état de décadence
complète, un certain nombre de pétitions, dont la source
n’est pas difficile à deviner, ont été adressées à l’administra-
tion pour lui demander la remise complète de l’instruction
publique aux mains des congrégations catholiques. Cette
combinaison, si elle eût réussi, aurait donné un appui consi-
dérable à nos ennemis, en même temps qu'elle eût porté un
coup funeste à nos écoles. Cependant, grâce à Dieu, et, nous
devons le reconnaître, à l’esprit de justice de plusieurs de
nos gouvernants, non seulement ces pétitions n’ont pas
abouti, mais encore nous avons obtenu du conseil général
une subvention assez importante pour nous permettre de
faire face aux nouveaux besoins que nous crée chaque année
l’augmentation du nombre de nos élèves.
En l'absence de M. et madame Yiénot, mademoiselle E. Ban-
zet, l’institutrice la plus ancienne dans la maison, dirige l’é-
cole des filles, et M. Ahnne, celle des garçons.
« L 'école française-indigène des filles , nous écrit mademoi-
selle Banzet, compte en ce moment 295 élèves réparties comme
suit :
« lre et 2e classes, 53 élèves ; institutrice mademoiselle E.
Banzet.
« 3e classe, 42 élèves ; institutrice mademoiselle A. Gooding.
« 4e classe, 74 élèves ; institutrices mesdemoiselles Sarah
Horley et Hina Poutoru.
« Salle d’asile, 126 élèves; institutrice mademoiselle Ville-
méjane (1), aidée de mademoiselle Tehaari Tehei.
« Résultat des études : en décembre 1894, deux brevets
(1) Mademoiselle Villeméjane a depuis quitté l’oeuvre. (Note de la ré-
daction.)
328
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
élémentaires; en janvier 1895, un certificat d’aptitude à l’en-
seignement dans les districts; en juin 1895, deux brevets
élémentaires, 7 certificats d’études primaires.
« Quelques élèves sont internes et, tout en poursuivant leurs
études, se forment aux travaux du ménage.
« A l’école de la semaine se rattache une école du di-
manche française, dont les moniteurs et monitrices se recru-
tent parmi les jeunes instituteurs et institutrices des Écoles
françaises-indigènes. Cette école est fréquentée par les Euro-
péens protestants de la colonie, des demi-blancs et quelques
indigènes. Elle compte de 70 à 80 présences par dimanche.
a Nous n'avons pas eu, dans le cours de cette année, de
fautes très graves à réprimer parmi nos élèves. Quelques
jeunes filles nous donnent des craintes sérieuses pour l’avenir
et nous font redouter le moment où elles auront à se con-
duire elle-mêmes; cependant on peut dire que, en général,
l’esprit est bon et que nos enfants ont le désir de bien faire.
Que n’avons-nous, pour nos grandes filles, les ressources
d’un ouvroir qui, en leur procurant quelques moyens d’exis-
tence, les arracheraient aux terribles tentations qui les en-
tourent !...
« Mademoiselle Sophie Banzet s’est chargée spécialement
et d’une façon entièrement bénévole, de la préparation au
brevet, ce qui allège beaucoup le travail des institutrices de la
mission. Deux anciennes élèves ont également offert leur con-
cours gracieux pour l’enseignement de l’anglais et des tra-
vaux à l'aiguille. Toutes les jeunes institutrices de l’école des
filles et l’aide de la salle d’asile sont d’anciennes élèves de la
maison. La plus ancienne, mademoiselle Alice Gooding, est
un appui précieux et fait preuve d’un vrai dévouement; les
plus jeunes semblent suivre ses traces et prendre à cœur la
prospérité de nos écoles missionnaires.
a Mais il serait urgent que le Comité des missions voulût
bien nous envoyer une personne sûre et dévouée qui pût
s’occuper de la salle d’asile et se charger d’une partie de la
surveillance des élèves ».
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
329
L'école française-indigène des garçons compte 140 élèves
et 3 instituteurs : MM. Ahnne, Arutaia Matarua, Maraetefau
Tefaurua.
Ces deux derniers, purs Tahitiens, sont d’anciens élèves
de notre école qui ont obtenu leur brevet français au cours
de l’année dernière et nous secondent d'une manière efficace;
ils promettent de devenir d’excellents instituteurs, intelli-
gents et dévoués, en même temps que des chrétiens sincères
qui pourront être en exemple à leurs condisciples. Il est si.
rare de rencontrer parmi notre jeunesse indigène des jeunes
gens véritablement convaincus et fermement résolus à résister
aux tentations de toutes sortes qui les entourent! Jusqu’à
présent, ceux-ci, ainsi qu’un certain noyau d’élèves plus
jeunes, mais sérieux et se destinant également à l’enseigne-
ment ou au pastorat, ne nous ont donné que des sujets de
satisfaction. Demandons à Dieu qu’ils ne trompent pas notre
attente.
Plusieurs élèves nous ont quittés après avoir obtenu leur
certificat d’études : l’un d’eux est entré à l’imprimerie du
gouvernement, où nous espérons lui voir faire un chemin ho-
norable ; un autre est petit commissionnaire dans l’étude de
notre ami M° Goupil; un troisième est retourné dans son
île natale, où il remplit les fonctions d’instituteur. Tous, nous
l'espérons, deviendront un jour des hommes utiles à leurs
compatriotes et à la cause du Seigneur.
Quelques jeunes gens sont également pensionnaires chez
M. Ahnne, qui a dû en refuser d’autres, faute de place pour
les loger.
L’absence de M. Yiénot se fait vivement sentir pour notre
école des garçons, qui pourra difficilement, tant que cette
absence durera, prendre une plus grande extension, si toute-
fois elle ne subit pas de diminution. Malgré le dévouement
et les capacités de nos aides indigènes, les Tahitiens sont un
peu comme les Juifs d'autrefois et les hommes de tous les
temps : « Est-il jamais rien venu de bon de Nazareth? » Ils
aiment assez avoir des maîtres d’une autre couleur qu’eux-
25
330
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
mêmes, et l'école des frères avec ses cinq instituteurs euro-
péens jouit d’un grand prestige à leurs yeux.
Nous faisons donc des vœux pour que notre cher directeur
ne s’attarde pas trop longtemps en France.
N’oublions pas de mentionner avec reconnaissance le con-
cours tout gracieux que prête à notre école des garçons ma-
demoiselle Isabelle Walker. pour des leçons d’anglais aux
jeunes Européens, et M. X. Caillet, ancien officier de marine,
qui veut bien, une fois par semaine, faire à nos jeunes indi-
gènes un cours de navigation et de mathématiques.
II. — Mooréa.
La vie religieuse des paroisses et des Églises de Mooréa,
constate avec tristesse M. Brun, est presque partout la même,
et l’on peut dire qu’elle laisse généralement beaucoup à dé-
sirer.
Dans les trois paroisses de Haapiti, Afaréaitu et Teuharoa,
les services religieux aussi bien que les écoles du jeudi et du
dimanche sont en général mal suivis. La faute en peut être
attribuée, pense M. Brun, à la décadence des écoles, qui sont
en très petit nombre et mal tenues. Les enfants les fréquen-
tent très peu et prennent ainsi des habitudes d’indiscipline
et de vagabondage dont ils se débarrassent difficilement plus
tard. La situation est un peu meilleure à Papétoaï, grâce aux
étudiants de l’école de théologie qui s’occupent avec zèle des
écoles du jeudi et du dimanche.
Cette école jMstorale qui, nous l'avons déjà dit l’an dernier,
dépend du Conseil supérieur des Églises tahitiennes et non
de la Conférence missionnaire, continue à prospérer et à
rendre des services importants à notre mission en Océanie.
« Grâce aux collectes assez réjouissantes durant l’exer-
cice 1894-1893. nous dit son directeur, cette école a pu
compter 15 élèves. L’un d’eux a dû être expulsé à cause
d'une faute grave qu'il avait commise avant d’y entrer;
3 viennent d’être consacrés pasteurs; l’un a été installé à
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
331
Taïti, un autre à Mooréa, et le troisième ira sous peu accom-
plir une œuvre missionnaire aux Tuamotous. Il nous reste
maintenant 11 étudiants avec leurs familles, c’est-à-dire une
cinquantaine d’individus environ.
« Grâce à l’intérêt que les Églises de Tahiti et de Mooréa
ont manifesté pour leur École pastorale et au secours que
la conférence missionnaire a bien voulu accorder, nous avons
pu construire une nouvelle demeure contenant cinq cham-
bres, ce qui porte à douze le nombre des chambres que l’École
peut mettre à la disposition des élèves et de leurs familles.
Outre cela, il existe, près du presbytère, une salle d’études
où se donnent les leçons, bien qu’elle ne soit pas encore
entièrement achevée.
a Nos élèves et leurs familles nous procurent des sujets de
satisfaction. Leurs relations entre eux sont bonnes; ils parais-
sent avoir entre eux une véritable affection; ils vivent en paix
et obéissent très volontiers à celui d’entre eux qui est chargé
de les surveiller et de faire exécuter les ordres de leur direc-
teur. Ils suivent très régulièrement les services religieux qui
se font le dimanche, le mercredi et le vendredi, et donnent
un bon exemple à toute la paroisse par leur conduite irré-
prochable. Ils accompagnent de temps en temps le pasteur
de Papétoaï dans ses courses missionnaires. Ils aiment beau-
coup leur culte du matin et du soir fait en commun et se
plaisent dans le grand et bel enclos qu’ils habitent. Pour se
procurer leur pain quotidien, ils sont obligés de faire tous
les jours un exercice qui leur est salutaire. L’amour de l’é-
tude et un peu de paresse physique les forcent à jeûner quel-
quefois. Ils apprennent leurs leçons avec beaucoup d’ardeur;
nolls exigeons cela d’eux, car rien ne leur profite davantage
que ce qui leur a coûté de la peine. Si nous cultivons la mé-
moire, c’est surtout l’intelligence que nous cherchons à faire
croître, car cette faculté laisse beaucoup à désirer chez le
Tahitien. Quant à l'éducation proprement dite, que de soins
elle réclame ! Le cœur, l’esprit de famille, la volonté et sur-
tout la conscience ont grandement besoin d’être développés.
332
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Tout indigène est naturellement porté à la fausseté et à la
dissimulation; il manque souvent d’énergie et de persévé-
rance et se laisse facilement aller à l’orgueil.
« Oh ! que l’esprit de Dieu nous aide de plus en plus à former
des pasteurs et des missionnaires capables, énergiques, hum-
bles, droits, consciencieux et animés d’un grand amour pour
Christ et pour les âmes qu’il est venu racheter au prix de
son sang! »
III. — lies Sous-le-Vent.
« Au point de vue religieux, nous dit M. Brunei, la situa-
tion est à peu près identique à celle de l'exercice précédent.
Dans tous nos troupeaux, beaucoup d’endormis, beaucoup
de chrétiens qui le sont sans savoir pourquoi ni comment,
faute d’une instruction préalable suffisante. Quelques-uns,
par-ci, par-là, ouvrent les yeux, et commencent à se rendre
compte qu'il faut travailler pendant qu’il est jour. Notre plus
grand ennemi est certainement la paresse, la langueur spi-
rituelle. Il n’est pas le seul.
« Nous avons déjà parlé, l'an dernier, de l’adventisme. Un
moment, cette secte sembla prendre pied chez nous, à Raïa-
téa. Aux deux premiers missionnaires étaient venus se join-
dre trois instituteurs ou institutrices; les semailles eurent
lieu, abondantes ; on attendit six mois, un an, rien ne leva.
Les trois derniers venus s’embarquèrent alors pour une autre
destination, et les deux chefs de la mission se sont momen-
tanément éloignés, eux aussi, à cause de la guerre imminente.
« Autre péril : la résurrection, dans certaines de nos îles
(Maupiti, Borabora, Tahaa), des pratiques païennes : sor-
cellerie, divination, etc. Satan se démène, mais Dieu est avec
nous, et l’ennemi ne l’emportera pas.
« L’Église de Huahine n’a pas eu cette année de fêtes de
missions. Il y a à cette abstention bien des causes qu’il est
inutile de développer ici. Dieu veuille seulement qu’en 1896
le vent souffle dans une autre direction qu’en 1893! »
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
333
Au point de vue politique, la mission de M. Chessé, com-
missaire général de la République en Océanie, a apporté
plusieurs changements au régime gouvernemental des Iles
Sous-le-Vent. Les reines de Huahine et de Borabora ont défi-
nitivement abdiqué, et les chefs indigènes élus parle suffrage
universel, conjointement avec des vice-résidents français,
feront désormais appliquer les lois indigènes. Ces modifica-
tions seront-elles profitables à la cause de notre mission et à
l'avancement du règne de Dieu dans ces îles? C’est ce que
l’avenir démontrera, mais certains faits nous font craindre le
contraire.
A Raïatéa, la situation est aussi compliquée que par le
passé. Malgré des pourparlers qui ont duré plus de deux
mois, malgré l’état de siège imposé à cette île, la majorité
des rebelles est plus entêtée que jamais, et(M. Chessé a dû
repartir sans avoir obtenu une solution.
Comment cette situation se dénouera-t-elle? Sera-t-on
obligé d'en venir à l’effusion du sang? « Plus que jamais, nous
dit M. Brunei, nous sentons le besoin de compter sur Celui
qui, jusqu’à présent, s’est montré fidèle, tout en le bénissant
de nous avoir épargné jusqu’ici la guerre, qui, plus d'une fois,
nous a paru imminente. Que notre prière soit celle des disci-
ples d’Emmaüs : Seigneur, demeure avec nous ! »
Conclusion.
Au moment de terminer ce rapport, où des faits réjouis-
sants alternent avec d’autres d’une nature plutôt attristante,
nous ne pouvons nous empêcher, messieurs et très honorés
frères, d’avoir très présent à l'esprit un rapport que nous
lisions dernièrement sur la mission morave au Groëland; il
nous a frappés par la similitude qu’il nous fait constater entre
les Esquimaux et nos Tahitiens, au point de vue moral et spi-
rituel.
Permettez-nous, messieurs, de vous en citer quelques pas-
sages [Journal de l'unité des frères , août 1895) : « Les mission-
334
JOURNAL DES/ MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
naires moraves du Groenland sont unanimes à se déclarer sa-
tisfaits des écoles qu’ils dirigent ; ils se louent également de
la bonne marche de l’école complémentaire ouverte aux
adultes. Bonne aussi, la fréquentation du culte public...
Néanmoins, l’impression générale que laisse la conduite des
chrétiens indigènes est loin d’être réjouissante. Dominé par
un esprit charnel, le Groënlandais succombe facilement aux
mauvais instincts de sa nature. Il fait de son ventre son Dieu.
Il est rare de rencontrer des jeunes gens et des jeunes filles
qui n'aient jamais été sous le coup de la discipline de l’Eglise.
Souvent violé, le septième commandement ne s’est pas encore
gravé dans les tables du cœur des indigènes, et la lutte con-
tinue, incessante, contre l’immoralité. Eh quoi, ce pauvre
peuple auquel l’Évangile est annoncé depuis cent soixante
ans, ne devrait-il pas être plus fort à l’heure du danger? »
N’est-elle pas frappante cette ressemblance entre deux
peuples si différents par leurs origines, leurs mœurs, les
pays qu’ils habitent? N’y a-t-il pas là une bonne preuve à
opposer à ceux qui prétendent que la moralité, le bien et la
vertu, comme l’immoralité, le mal et le vice ne sont qu’une
affaire de tempérament et de climat et varient suivant la lati-
tude? à ceux qui prétendent que nous faisons une œuvre
contre nature en voulant soumettre à notre morale des indi-
vidus nés sous un autre climat que le nôtre? Non, Satan est
partout le même, au Nord comme au Sud, dans les déserts
glacés du Groenland comme sous les cieux ardents des tro-
piques; le cœur de l’homme aussi ne change pas, toujours
faible et accessible à la tentation.
Et nous ne saurions mieux dire qu’en concluant, avec le
vénérable M. Kogel, président de la mission du Groenland :
« J’avoue qu’il ne nous semble pas toujours facile de conti-
nuer avec joie une œuvre souillée de plus d’une vilaine tache.
Mais ce qui est plus grave, c’est cette réflexion qui s'impose :
Le Seigneur serait-il mécontent de nous, ses serviteurs? Y
aurait-il en nous-mêmes quelque obstacle l’empêchant de
bénir notre travail?... Aidez-nous à demander à Dieu de nous
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
335
ouvrir les yeux sur nous-mêmes et sur les besoins de l’œuvre
qu’il nous a confiée. Suppliez-le aussi de nous accorder la
force nécessaire pour accomplir, selon ses desseins, ce que
nous aurons reconnu être sa volonté. »
Telle est également, messieurs, la prière que vous adres-
sent vos missionnaires de l’Océanie.
Pour la Conférence missionnaire.
Le Secrétaire : Ed. Ahnne.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
PUISSANCE DU PAGANISME AUX INDES (I)
Nous avons passé en revue quelques-uns de nos succès et
montré quelques-unes de nos armes. Regardons maintenant
l'armée ennemie et ses ressources. En parlant de 840 mil-
lions de païens et de 185 millions de musulmans, nous avons
déjà indiqué l’étendue du pays à conquérir, la grandeur de
l’armée à combattre.
Arrêtons-nous d’abord aux Indes, à ce pays type du pa-
ganisme, avec ses 100 nations diverses, ses 30,000 sectes, ses
33 millions de divinités, ses 123 langues et ses 288,159,672
habitants (en comptant le Birman) gouvernés par une puis-
sance protestante. Celle-ci s’interdit de se mêler directement
de la religion de ses subordonnés, mais travaille efficacement
à les développer par l’instruction. Tandis qu’en 181 3 elle ne dé-
pensait pour cet objet que 250,000 francs, en 1888 elle en a dé-
pensé 40 millions. Les progrès de l’instruction primaire, tels
(1) Voir l’article La Carte des Missions , dans notre livraison de juin,
pa»e 289.
336
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
qu’ils résultent du recensement de 1891, sont très sensibles :
dix ans auparavant, c’est-à-dire en 1881, il y avait aux Indes
1,955,177 hommes et 60,567 sachant lire et écrire; en 1891,
il y avait environ 3 millions d’hommes et 109,684 femmes. •
Là, comme partout ailleurs, l’Évangile bénéficie de tout vrai
progrès et favorise l’instruction saine, comme le démontre le
fait que chez les païens des Indes 3 femmes et 60 hommes sur
1,000 savent lire; parmi les chrétiens, 343 hommes et 136
femmes. Néanmoins les progrès de l’Évangile sont moins
rapides qu’on ne l’espérait il y a dix ans, alors qu’en un seul
jour, en 1884, le missionnaire Downie baptisait 2,222 Télou-
gous, et l’évêque Caldwell, de 1877 à 1878, 23,564 Tamils du
Tinevelly. Le catholicisme, qui travaille depuis 350 ans, est
parvenu à réunir 1,243.529 adeptes; on compte 200,000
chrétiens syriens et 592,612 protestants, ce qui n’indique pas
pour les dix dernières années un progrès très notable.
Là, comme dans tous les champs de mission, s’accomplis-
sent les deux paraboles du grain de moutarde et du levain.
Parmi les populations méprisées des hommes sans caste, la
petite semence est devenue rapidement un grand arbre : en
1845, il n’y avait aucun Kol chrétien; en 1851, quand on bâtit
la première église chrétienne dans le pays des Kols, on
comptait 60 baptisés; aujourd’hui, 38,866, outre 13,031 con-
vertis de la Société anglicane. On vient d’y ériger une pyra-
mide de granit de 8 pieds de haut, à l’occasion du jubilé cin-
quantenaire de la mission, et d’y fonder la station d'Ebé-
nézer. En quelques années, les Santals se sont convertis au
nombre de 12,000, et les Télougous, au nombre de 75,642.
De même, dans le Birman, les Karens, méprisés par les maî-
tres du pays, se sont fait baptiser au nombre de 101,300.
Quelques-uns ont conclu de ces faits qu’on devrait concen-
trer les efforts sur les parias, les tribus kolariennes et les
hommes sans caste. Ce serait une grave erreur. A côté de la
croissance rapide de la petite graine de senevé, se poursuit
le travail lent, continu, invisible du levain dans la pâte.
Il est aussi étonnant qu’incontestable que, dans les écoles
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
33F
supérieures des Bâlois, des Écossais et des Américains, on
voit rarement se produire des conversions; plusieurs en ont
conclu à l’inutilité du travail scolaire.
Mais l’influence d’éducateurs chrétiens ne peut pas restera
la longue sans effet décisif. Leurs leçons jettent dans les in-
telligences, les consciences et les cœurs des semences fé-
condes de vérité morale, scientifique, sociale, qui germent tôt
ou tard, qui créent une nouvelle atmosphère, gagnent la
sympathie et la confiance et préparent une grande transfor-
mation finale. L'une et l’autre méthode ont été annoncées par
le Seigneur ; l’une et l’autre doivent être suivies.
L’influence chrétienne agit même sur ses adversaires :
témoin ce Congrès national, qui a réuni à Poona, le 27 dé-
cembre 1895, 1.500 délégués et 4.500 visiteurs de toutes les
parties de l’Inde, et où, au milieu de l’assemblée presque
entièrement composée de païens, on a souvent parlé de
Dieu, cité la Bible, fait appel aux principes de justice,
mangé et bu avec les membres de castes différentes, comme
si l’on était dans un pays européen.
Malheureusement la culture est une arme à deux tran-
chants qui peut avoir des effets très divers: preuves en soient,
d’une part, les milliers d’indous qui suivent des conférences
d’apologétique chrétienne, qui lisent les auteurs classiques
anglais et la Bible, et, d’autre part, l’influence délétère de la
littérature immorale de l’Europe, ou ce que disait dernière-
ment M. Samuel Smith, membre du parlement, qui rappor-
tait avoir vu aux Indes au moins 200 traités païens destinés à
combattre et quelquefois à dénigrer de la façon 1a. plus blas-
phématoire et la plus honteuse la foi chrétienne. Tschetti
était un homme hautement estimé à Madras pour sa culture
et sa distinction; arrivé à la conviction chrétienne, il s’était
fait baptiser sans bruit à Calcutta. A son retour, ses parents
l’assiégèrent, le supplièrent d’abjurer sa nouvelle foi : il résis-
tait, lorsqu’une main perfide lui fit tenir la Vie de Jésus Christ
par Renan; le coup était porté, il abjura. Quant à ceux que
la culture moderne a détachés des erreurs du paganisme, ils
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
33 8
sont d’ordinaire ressaisis par la puissance de la caste. Témoin
ce Yivicananda, qui fit tant parler de lui au parlement des
religions de Chicago : arrivé aux Indes, il a été contraint
d’expier son contact avec les chrétiens en se soumettant au
rite dégoûtant qui veut que l’homme contaminé absorbe un
autre produit de la vache que le lait. Même Keshub Chunder
Sen consentit à quelque chose d’analogue, lorsqu’il s'agit de
marier sa fille.
Cependant le travail préparatoire se poursuit malgré tout.
Comment faire croire à des milliers de jeunes gens qui ont
lu Platon. Shakespeare, la Bible, Milton, Pascal, que la
religion indoue, avec ses pratiques absurdes ou immondes,
puisse se maintenir bien longtemps encore? Madame Besant
s étant prise d’enthousiasme pour les religions de l’Inde, pré-
tendant y voir toutes sortes de merveilles, le Reis and Ragyet ,
journal rédigé par un Indou orthodoxe et païen, lui a ré-
pondu : « Quand une dame anglaise, décente et cultivée, se
« montre l’admiratrice du mysticisme « tantrique » et du
» culte de Krishna, il est du devoir de tout ami de son pays
« de lui déclarer que tous les hommes sensés n'ont que faire
« de son éloquence et qu’elle ne fait autre chose que dorer
« par sa rhétorique la pourriture même. Telle qu’elle se pra-
« tique aujourd'hui, la religion indoue moderne a pour prin-
« cipal ingrédient le culte du vice. »
De Tiroupati, ville du Sud, cent des principaux résidents
sont venus à Madras présenter au vice-roi une pétition, de-
mandant que le gouvernement voulût bien prendre en main
la gestion des fonds des temples. « La grande majorité des
« prêtres, écrit à ce propos le Daily Hindu, l’un des journaux
« païens les plus lus de Madras, dilapident par leurs débau-
« ches les pieuses contributions de la veuve et de l’orphelin,
« et les fondations religieuses ne font que maintenir l’exis-
« tence d’une masse gigantesque de crimes, de vices et d’es-
a croqueries. »
D’autres auteurs païens, qui ont fondé la Société des traités
et de la prédication indoue, s’écrient, dans un document
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
339
traduit par le docteur Scudder : « Que de milliers et de mil-
« liers ces missionnaires gagnent au christianisme! Si nous
| « continuons à dormir, ils les gagneront tous et nos temples
« seront changés en églises. Que notre peuple se lève pour
« chasser de nos pays le christianisme ! » Le docteur Cham-
berlain, de Madanapatui, distingue trois tendances marquées
chez les opposants : la tendance la plus générale est celle de
l’agnosticisme ou de l’absolue incrédulité; d’autres veulent
ressusciter l’antique religion védique ; les troisièmes sont dis-
posés à accepter Je christianisme, mais sans un Christ divin.
| C’est le point de vue que soutient le journal The Indian social
Reformer. Un autre, c’est le journal Amrita Bazaar Patrika,
va plus loin encore et affirme qu'il n’y a pas un vrai Indou
qui ne connaisse et ne respecte la Bible et ne soit disposé à
admettre l’avatar ou l’incarnation du Christ et à l’ajouter à
celles des autres divinités. Rien n’empêche un véritable Indou
de s’écrier: «O Père, sauve-moi pour l’amour de Jésus-Christ!»
C’est ainsi que la société littéraire Arya de Calcutta a entre-
pris de traduire la Bible en bengali classique. Sir Charles El-
liott, lieutenant-gouverneur des Indes, qui a observé l’état
des esprits pendant trente ans, disait naguère :
a En dépit des oppositions, j’observe chez les classes su-
« périeures de l’Inde un courant caché sous la surface, qui
« les porte vers le christianisme, et nous pouvons regarder
« avec confiance en avant, vers le jour où toute l’Inde se
a prosternera aux pieds du Christ, qui seul est capable de
« l’élever, de la purifier, de la sauver ! »
Là, eomme partout ailleurs, l’ennemi c’est le vieil homme,
qui tantôt se glorifie de sa haute antiquité, tantôt essaie de
se costumer à la moderne, de renouveler ses formes, son lan-
gage, ses armes, sa tactique, pour dérouter ses adversaires.
Dans le monde païen, la vie individuelle est très réduite, c’est
la vie nationale, domestique, la vie du clan qui domine et qui
s’oppose à l’Évangile. Aux Indes, le grand ennemi c’est la
caste. Habitué à se courber sous le destin, sous la divinité
impersonnelle, le peuple de l’Inde, comme celui de la Chine,
340
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
exalte le respect de l’autorité au détriment de l'initiative per- <
sonnelle, la soumission à la mère, aux ancêtres, à la famille,
aux dépens de la conviction, l’habitude aux dépens de la
conscience.
Lorsque le jeune étudiant brahmine, l’un des dix mille can-
didats qui se présentent annuellement à l’université de Cal-
cutta, est arrivé à y être admis, à y étudier quelques années !
et à se rendre momentanément indépendant des erreurs in-
tellectuelles du brahminisme, la mère, la grand’ mère, le
mariage et la caste le ressaisissent avec mille liens. « Ce n’est 1
« pas tant le manque de courage qui l’empêche de faire le pas
« décisif et de demander le baptême », écrivait naguère le ’
Révérend A. Fornocy, qui travaille au collège de Duff à Cal- j
cutta; « c’est plutôt une sorte de scrupule de conscience, une :
« foi profonde, que l’obéissance vaut mieux que la persuasion;
« et cette foi intime s’associe étrangement à son habitude in- -
« doue qui lui fait prévoir et accepter Aous les avantages =
« que lui vaudront ses liens avec la famille. L’un deux
« disait : « Personne ne m’empêche dans ma famille de lire
a la Bible, de prier, de faire ce qui me plaît; on ne m’interdit
« que le baptême. »
Se séparer violemment de tout ce qui fait la dignité de
votre existence ; de membre vivant, influent, heureux d’un
ensemble, devenir tout à coup un paria, un être isolé, mau-
dit de tous, déshérité et indigent, cela n’est pas seulement
douloureux pour le cœur, mais problématique pour la cons-
cience. Est-il juste de se mettre du côté du plus fort contre le
faible? Est-ce patriotique d’accepter la religion des conqué-
rants? Est-ce généreux d’abandonner son peuple à l’heure
même où son existence nationale est mise en question? C’est
en se posant toutes ces douloureuses questions que le chef
chrétien Philippe combattait les colons puritains du Massa-
chusetts.
C’est dans ces sentiments-là que les chefs bassoutos renou- j
vellent, probablement sans y croire, les cérémonies païennes
de leurs ancêtres et répondent au missionnaire Marzolff :
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
341
« Votre Dieu est celui des chrétiens ; les nôtres sont nos an-
cêtres Mosh'ech, Molapo, et leurs pères. »
C’est par cet attachement aux traditions nationales que
sont retenus des millions d’indous, de Chinois et de nègres.
Combien grande doit être la puissance du saint Esprit pour
rompre des charmes si irrésistibles, faire tomber des barrières
séculaires et créer des affections si nouvelles, que le païen
préfère la famille des enfants du Dieu des blancs à celle dans
laquelle il est né lui-même !
Nous n’ignorons pas que dans beaucoup de nations païen-
nes les sentiments naturels de la famille sont affaiblis et
presque étouffés par la vie matérielle et par la cruauté, au
point que M. Jalla ayant essayé de faire comprendre ce que
c’est que l’amour de Dieu, en le comparant à celui d’un père,
ne fut nullement compris par les Barotsis, fut obligé de cher-
cher une autre image et vit enfin qu’on le comprenait, lorsque,
substituant la mère au père, il dit à ses auditeurs : « Comme
« une mère est émue de compassion envers ses enfants, ainsi
« Dieu est ému envers nous! »
Mais ce que la famille restreinte et intime a perdu, le clan,
la tribu, la peuplade, la caste le regagne et enveloppe l’âme
du païen dans un filet aux mailles serrées d’une force presque
irrésistible.
Mais, malgré cela, nous répétons avec le missionnaire Stern,
à la dernière fête de Bâle : « 11 y a une différence immense
entre aujourd’hui et le temps où j’arrivai aux Indes, il y a
46 ans. Même les ‘indigènes ont la persuasion que l’Évan-
gile triomphera, et nous attendons le jour de la victoire.
Plusieurs des Indous cultivés disent que l’Évangile n’est
pas encore la forme dernière de la religion, et qu’ils
attendent cette forme parfaite et définitive : ils attendront
longtemps ! »
G. Appia.
342
JOURNAL UES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
VARIÉTÉS
ÜNE VISITE A LA « MISSION DES UNIVERSITÉS »
A ZANZIBAR
La mer avait été assez agitée pendant la nuit. Vers quatre
heures du matin, au moment où le paquebot s’engageait dans
le canal de Zanzibar, le garçon vint ouvrir le sabord de ma
cabine. Nous étions sous le couvert de l’île et ne risquions
plus des paquets d’eau. De ma couchette, j'apercevais une
bande de terre plate, couverte de végétation. Ce n’était guère
qu’une silhouette noire qui défilait sous mes yeux. Cepen-
dant je distinguais deux formes, — les plus caractéristiques,
comme j’ai pu en juger plus tard, — quelque chose comme une
boule épaisse, opaque, massive, un arbre évidemment, le
manguier, ainsi que je le compris quand il fit jour; à côté,
ou le plus souvent au-dessus, cette sorte d’étoile légère,
aérienne, que le cocotier découpe sur le ciel, à distance.
Le lever du soleil fut merveilleux; les teintes jaunes clair,
orange, puis rose se succédèrent, communiquant aux flots un
miroitement opalin. Soudain les rayons de l'astre du jour
étincelèrent; ce fut de l’or pur partout, or poli, éblouissant
dans le ciel* or mat sur une bande de nuages, paillettes d’or
semées à profusion sur la mer.
Dans l’île qui s'éclairait maintenant, il me sembla voir,
sous les manguiers en boule et le panache des cocotiers, une
bande rouge, interrompue parfois; dessous, du vert clair et
frais ; dessous encore du vert foncé, frangé dans le bas de
l'écume qui déferlait sur une étroite plage jaune ou qui cou-
ronnait les brisants sous une falaise basse, affouillée profon-
dément.
Quand je montai sur le pont, après avoir déjeuné* nous
étions mouillés en rade devant la ville de Zanzibar. Au centre
du panorama, qui ressemble à celui de toutes les villes orien-
VARIÉTÉS
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taies, au sens d’Arabes, s’élevait le palais du sultan, un
grand cube bleuâtre, entouré de trois ou quatre étages de
vérandas; en avant de ce bâtiment se dresse une tour. Dans
la rade, outre trois ou quatre vapeurs, une centaine environ
de boutres, portant presque tous le pavillon tout rouge du
sultanat de Zanzibar. Plus d'un de ces bateaux a fait sans
doute, en 1874, l’odieux trafic qui amenait au marché de
Zanzibar une douzaine de mille esclaves, ce qui restait
de quelques soixante mille capturés dans l’intérieur africain .
Et qui oserait affirmer que l’un ou l’autre de ces « dhaou » ne
fait pas encore, mais clandestinement, le commerce d’ébène
vivant?
Quelle histoire, presque miraculeuse, que celle des événe-
ments principaux qui se sont accomplis en vue de Zanzibar,
durant les vingt-cinq dernières années ! La suppression offi-
cielle de la traite ; le départ de Stanley à la recherche de Li-
vingstone; le passage du corps de ce martyr pour aller à l’ab-
baye de Westminster, porté par deux serviteurs dont il avait
gagné le cœur; la nouvelle expédition du reporter américain
pour tracer sur la carte d’Afrique le cours du Congo; les
convois de mission qui partirent après cela pour l’ou-Ganda
et pour Tanganyika ; les conflits politiques entre l’Angleterre
et l’Allemagne; l’effondrement irrémédiable du pouvoir et de
la dynastie de Bargash. Les événements semblent se hâter
et se presser en cette fin de siècle, vers quoi? sinon vers la
venue de Celui qui vient faire triompher son Église et faire
régner la justice et la paix sur cette pauvre terre souillée de
tant de crimes et arrosée de tant de larmes !
De nombreuses barques avaient entouré l’échelle du paque-
bot. L’une d’entre elles, « licensed to carry five persons » —
l’inscription affirme le protectorat anglais, — me porte à
terre. Là, point de débarcadère, point de ponton, pas de
quai; rien que le gravier de la plage; Une bande de nègres se
précipite à l’eau à notre rencontre ; on se met debout sur
l’avant de la barque; deux solides gaillards vous empoignent
par les deux jambes et vous déposent à quelques pas plus
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
loin sur le sable humide. Alors, comme dans tous les pays
étrangers, une meute de conducteurs s’acharne au voyageur.
Le plus simple est d’avancer, autant qu’on le peut, sans rien
dire. Un nègre, assez joli, de treize à quatorze ans proba-
blement, portant un bonnet rouge, et pour tout vêtement une
longue et légère gandoura lilas, nous accompagne, mon com-
pagnon et moi, avec plus de persévérance que les autres et
sans grandes démonstrations. Il s’est apparemment proposé
de prendre possession et charge de nos deux personnes. Il
réussit. Engagés dans un dédale de ruelles étroites, nous
finissons par être heureux de l’avoir et nous condescendons
à lui adresser la parole, — c’est l’anglais qu’il parait com-
prendre le moins mal, — pour lui demander où est la poste.
Les rues sont moins étroites que celles de Gonstantine, par
exemple, mais elles sont profondément ravinées, et, comme
il avait plu à torrents pendant la nuit, il nous faut sans cesse
éviter des trous assez profonds et remplis d’eau. La majorité
des échoppes, surtout les meilleures, sont tenues par des
Indous. Les petites, où l’on vend des fruits, du riz, des épices
dont l’cdeur pénétrante s’exhale de partout, ou des ga-
lettes dont l’huile rance mêle un relent âcre à tout ce concert
d’odeurs, ont pour patrons des nègres. Dans les grandes bou-
tiques, celles des Indous, celles qui ont des enseignes en an-
glais, on voit de l’argenterie indoue, des étoffes, des soieries,
des tapis brodés, des bijoux, des objets en bois de santal, des
meubles sculptés, et maints autres articles. Quelques rares
magasins européens sont tenus par des juifs ou par des mu-
lâtres portugais ou d’origine portugaise, des Souza, des Si-
loa, etc. Plus rarement encore, par ci, par là, un hôtel euro-
péen peu engageant, mal famé presque toujours, nous
avait-on dit.
(A suivre .) F. H. Kruger.
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20451.
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SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
345
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
L'APPEL DE DIEU
Paris, le 23 juillet 1896.
Nos amis savent déjà par les journaux religieux les dou-
loureuses nouvelles qui, pendant le mois de juillet, nous sont
arrivées de nos champs de travail.
Deux de nos missions sont en deuil : au Congo, nous avons
perdu madame Gacon; au Zambèze, c’est un missionnaire,
M. Auguste Goy, qui nous a été enlevé.
Nous donnons plus loin, sur les ouvriers que Dieu nous a
repris, tous les détails propres à intéresser nos lecteurs. Ici
nous voudrions seulement, avec notre reconnaissance pour
les fidèles ouvriers que nous avons perdus et notre profonde
sympathie pour les familles affligées, dire les réflexions que
nous inspire le nouveau et double deuil de notre Société.
Quand la mort nous ravit l’un de nos missionnaires, notre
premier mouvement est de nous interroger nous-mêmes, et de
août 1896. 26
346
JOURNAL DES MISSIONS ^ANGÉLIQUES
nous demander si toutes les précautions ont été prises, si tout
a été fait pour ménager la santé et la vie de nos ouvriers.
Cet examen, nous nous y sommes livrés cette fois encore,,
et nous ne manquerons pas de recommander une fois de plus
à nos frères et sœurs tous les ménagements et toutes les me-
sures que dicte la prudence. Mais, cela fait, il restera cette \
grande et triste vérité : c’est qu’une des raisons qui forcent
nos missionnaires à se multiplier et parfois à se refuser le \
repos nécessaire, c’est leur petit nombre.
Et de nouveau nous entendons retentir dans nos cœurs la j
douloureuse parole du Maître : Il y a peu d'ouvriers.
Oui, il y a peu d’ouvriers. Où sont-ils les hommes prêts à j
tout quitter, famille, amis, patrie, pour l’avancement du]
règne de Dieu? Aussi longtemps qu’il s’agit d’applaudir à une
entreprise, de l’encourager, les voix s’élèvent, nombreuses, |
empressées. Mais que l’appel du Maître se fasse entendre:*
« Qui enverrai-je et qui ira pour moi? » Alors, brusquement
le silence se fait, et ils sont rares ceux qui répondent : « Me
voici; envoie moi. »
Ils sont rares partout : mais, faut-il le dire ? Ils sont rares^
surtout dans nos Églises de France. Ne l’oublions pas, les j
derniers ouvriers tombés sur le sillon n’étaient pas des
Français. M. Goy était Suisse; M. Jacot et madame Gacon,
morts au Congo français, étaient Suisses.
Grâce à Dieu, le nombre de nos élèves français a augmenté
ces derniers temps. Mais combien la proportion est eneore
faible ! Et combien ils sont peu nombreux dans nos Églises
ceux qui ont fait à Dieu le sacrifice complet d’eux-mêmes et
de ceux qui leur appartiennent!
Nous trouvons naturel de donner nos enfants à la patrie ter-
restre. Qu’une expédition lointaine consume des milliers
d’existences, nous ne nous en étonnons pas. Mais que Dieu nous
demande l'un des nôtres pour son armée à lui, pour ses con-
quêtes à lui, nous reculons...
Et cependant, — nous l’écrivons en tremblant, — si nosj
deuils ont une signification ; si l’appel qui nous est adressé
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
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pour Madagascar a un but, n'est-ce pas celui-là : une plus
entière consécration de nous-mêmes et de tout ce qui est à
no-us, au service de Dieu ?
Qu’il nous donne lui-même d'entendre ses ordres et d’y
répondre, quoiqu’il en coûte à la chair et au sang, par une
entière obéissance !
COURAGE, SÉRIEUX ET SINCÉRITÉ
11 est réconfortant, au moment où Dieu met devant nous de
si grandes tâches, de voir les exemples de foi que nous don-
nent nos Sociétés sœurs et les bénédictions que Dieu accorde
à leurs efforts.
La Société épiscopale d’Angleterre va célébrer, dans trois
ans, son jubilé centenaire. Fondée en 1799, elle fit, pendant
quatre ans, appel à des jeunes gens anglais, sans obtenir une
seule réponse favorable, et dut accepter, comme premiers
ouvriers, en 1804, deux Allemands. De 1818 à 1848, Bâle ne
lui fournit pas moins de 96 missionnaires ; mais dès lors elle
est devenue la première des sociétés protestantes. Depuis
1887, elle a adopté le principe d’accepter, quel que soit
l’état *de ses finances, les services de tout ministre anglais
bien qualifié, qui s’offrira à elle pour l'œuvre des missions,
comptant sur Dieu pour lui fournir, avec les ouvriers, les res -
sources nécessaires. Il en est résulté une augmentation con-
sidérable du personnel missionnaire. Du chiffre qu’il attei-
gnait en 1886, environ 450 dont 268 missionnaires euro-
péens consacrés, il s’est élevé, en 1894, à 903, et, pendant
l’année dernière, de 903 à 973. Mais il y a plus : la même So-
ciété se prépare à envoyer, cet automne, 70 nouveaux ou-
vriers qui n’attendent plus que leurs dernières instructions.
Les dépenses ont suivi la même marche ascendante. En
348
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
1893, elles ont atteint le chiffre de 7,275,000 francs, tandis
que les ressources à peu près assurées ne sont que de 6 mil-
lions et demi. Cet automne, la Société se propose de renvoyer
dans l’ou-Ganda MM. Pilkington et Baskerville avec plusieurs
dames missionnaires. Parmi ceux qui s’offrent à partir, on
compte un nombre croissant de pasteurs et de candidats mu-
nis de leurs grades, et sortant des collèges de Cambridge.
Le Dr A. R. Cook, neveu de l’évêque Bickersteth d’Exeter,
part aux frais des amis des missions de Hampstead; M. E. B.
Wigram subvient lui-même à ses dépenses. En outre, il vient
de se former, depuis les réunions des volontaires de Liver-
pool, sous la présidence du Rév. E. A. Stuart, une sorte
d’association de diaconesses et de femmes-docteurs libres,
qui partent en partie à leurs propres frais pour Bombay,
afin d’y travailler au bien spirituel et physique des habitants
de l’immense cité indoue. Miss Gollock, conuue pour ses tra-
vaux en faveur des femmes de l’Inde, fait partie du Conseil de
direction.
A cette occasion, le Comité vient de publier, le 9 juin, une
série de résolutions. La première est un acte de joyeuse con- j
fiance en Dieu et d’actions de grâce. La deuxième relève les !
efforts faits pendant les dernières années par les amis des
missions et le nombre croissant de réunions de prières insti-
tuées en faveur de l’évangélisation du monde. La troisième
met les amis de l’œuvre au courant des difficultés financières
du moment. La quatrième annonce les augmentations prévues
dans le personnel et dans les champs d’action. La cinquième
fait observer que la bénédiction divine a été particulièrement
accordée aux efforts de la Société, depuis que le Comité a
adopté résolument une marche d’expansion et de foi, marche
qu’il ne saurait abandonner, à moins d’y être contraint par
Dieu lui-même. Enfin, la sixième est un appel confiant et
sérieux aux prières et à la libéralité de ceux qui vont voir
partir bientôt, pour les champs divers du monde païen,
70 missionnaires nouveaux.
Ce même esprit de foi et d’initiative se retrouve dans un
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
m
article de M . Baskerville, qui réjouit ses lecteurs par la revue
des remarquables progrès obtenus sur les bords du lac Vic-
toria et accompagne la carie de l’ou-Ganda de preuves
évidentes qu’il faut, pour cette mission en plein rapport,
un nombre beaucoup plus considérable de missionnaires
européens, le Comité ayant été obligé, contrairement à ses
principes, de laisser plusieurs stations aux soins d’un seul
homme.
D’autre part, le Journal de Bâle nous présente les intéres-
sants portraits de quelques-uns des 18 ouvriers, pour la plu-
part fort jeunes, que la Société a perdus depuis 1895. On ne
peut considérer sans émotion les traits de ces jeunes chré-
tiens, morts au champ des missions, et qui ont trouvé aus-
sitôt des successeurs prêts à relever leur manteau.
C’est cette foi courageuse et ce sérieux dans le sacrifice
que Dieu est en droit d’attendre de l’Église qui envoie les
missionnaires. Le Dr Pilkington, de l’ou-Ganda, le rappe-
lait à la grande réunion annuelle de St-Jame’s Hall : « Sa-
vez-vous, disait-il, comment la bénédiction nous est ar-
rivée dernièrement dans l’ou-Ganda? — Par la confession
de nos péchés! — Nous nous sommes jugés nous-mêmes,
et Dieu ne nous a pas jugés. Écoutez ce qui nous arriva :
Un de nos convertis vint un jour dire au Conseil d’Église
qu’il retournait à la polygamie ou au paganisme. Je le pris
à part, lui fis sentir sa responsabilité et lui dis : « Vous
rendez-vous compte de ce que vous faites? » Il me répondit :
« Je vous dis que le christianisme ne me fait aucun bien ».
Oh! combien je voudrais que tout chrétien d’Europe fût
aussi sincère que ce noir! — Nous nous mîmes à prier entre
chrétiens et à confesser nos fautes; nous racontâmes au culte
du lendemain matin le fait humiliant de cet homme, dési-
reux de quitter une religion qui lui semblait impuissante,
et nous dîmes aux auditeurs : « Accumulez autant de bois,
sec ou vert, que vous voudrez, ce bois ne vous réchauffera
pas; ce qu’il faut, c’est que le feu du Saint-Esprit descende
sur notre bois, pour mettre tout en flammes! » De nos
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
confessions est venu notre relèvement; l'œuvre a repris, et
parmi les premiers à se convertir s’est trouvé cet homme
qui allait renier la foi. Je ne pense pas qu’iï dise maintenant
que le christianisme ne lui fait pas de bien ! »
N’est-ce pas là ce qu’il nous faut, à l’heure actuelle, à nous
aussi : la consécration joyeuse, le courage de la foi, le sé-
rieux du sacrifice et, avant tout, la pleine sincérité devant
Dieu?
G. A.
RÉUNION DU 28 JUIN A L ORATOIRE
Disons-le d’emblée : la réunion du 28 juin 1896 a été une
des plus belles assemblées de missions dont nous ayons gardé
le souvenir. Bien avant l’heure indiquée, le grand temple de
l’Oratoire se trouvait rempli; même les galeries supérieures
ont dû être ouvertes pour recevoir les arrivants. Get em-
pressement des amis des missions devait être amplement
justifié. Il s’agissait, en effet, de revoir et d’entendre M. Coil-
lard, le fondateur de la mission du Zambèze ; cet homme,
naguère si malade qu’à plusieurs reprises l’Église l’a consi-
déré comme mourant, et qui se trouvait au milieu de nous,
faible encore, mais en bonne santé. Un grand attrait de la
réunion était aussi la présence de M. Ratsimihaba, officier
malgache, en mission à Paris, et chargé par la reine d’un
message spécial pour le Comité. Enfin, le Sénégal était re-
présenté par M. le missionnaire B. Escande, arrivé la veille à
Paris.
Apres le chant du cantique : « C’est un rempart que notre
Dieu, » la lecture d’une portion des Saintes Ecriture et la
prière, faites par M. Hollard, le président M. J. de Seynes a
souhaité une cordiale bienvenue aux trois représentants de
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
351
nos missions présents parmi nous. Ensuite, il a donné la pa-
role à M. Lâcherai qui, s’inspirant de la circonstance, a
prononcé une belle allocution que nous voudrions pouvoir
reproduire en entier. Le manque de place nous oblige à nous
borner à quelques extraits.
« Il y a quelques mois, a dit 1* orateur, un pasteur malgache
écrivait sur son carnet, avec une émotion reconnaissante :
Aujourd’hui nos yeux ont vu un pasteur français. Nous éprou-
vons ce soir, en voyant au milieu de nous un protestant mal-
gache, un sentiment du même genre.
« Ce qu’est là-bas pour nos compatriotes le représentant de
notre Société des missions, ou plutôt du protestantisme
français, M. Lauga, et avec lui M. Krüger, vous l’êtes ici pour
nous. Vous représentez à nos yeux le protestantisme malga-
che tout entier, et votre présence nous rend sensible le lien
qui existe désormais entre nos Églises et les vôtres. Ce soir,
c’est la France protestante qui vous reçoit; c’est en son nom
que nous nous sentons le droit et que nous sommes heureux
de vous dire : nous, protestants français, nous considérons
les protestants de Madagascar comme nos frères; nous nous
préoccupons de leurs besoins ; nous avons le souci de leur
avenir; nous voulons — et nous sommes décidés à faire tout
ce qui nous sera possible pour cela — qu’ils puissent conti-
nuer à adorer Dieu selon leur conscience, à lire sa parole,
et à répandre librement la connaissance de son Évangile dans
la grande île africaine.
« .... Nous savons qu’il y a dans l’histoire de vos Églises
des pages aussi belles que les plus belles pages de notre his-
toire. Nous savons que Jésus-Christ a eu parmi vous, comme
parmi vos ancêtres, des confesseurs et des martyrs et qu’il a
encore aujourd’hui parmi vous de fidèles disciples, et c’est
pourquoi nous sommes convaincus que vos Églises sortiront
de la crise qu’elles traversent, fortifiées et agrandies,.
« Vous n’avez pas attendu jusqu’à la fin de ce siècle pour
connaître 1a liberté religieuse. Elle existe daos votre île depuis
le jour où une grande reine chrétienne a proclamé que dans
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JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
ses états la prière (c’est le nom sous lequel vous désignez le
culte chrétien) n’était ni commandée ni défendue. Inscrite
depuis plus de cent ans dans nos lois, il n’est pas possible que
là où flotte le drapeau de la France, cette liberté des âmes, la
plus nécessaire de toutes, ne soit pas respectée et maintenue.
Vous en avez reçu la promesse formelle et nous sommes assu-
rés qu'aucun gouvernement n’oserait reprendre sur ce point
la parole de la France.
« ... Je dois me borner à ces quelques paroles pour vous
exprimer toute notre cordiale et fraternelle sympathie, car il
me reste encore à dire à ces deux frères blancs qui nous arri-
vent d’Afrique quelque chose de l'affection et de la joie qui
remplit nos cœurs.
« L’un deux est pour moi presque un inconnu; c’est à
peine si je me souviens de lui avoir serré la main, un jour, à
la maison des missions. Mais il y a entre lui et notre Église
de l’Oratoire un lien très spécial et très étroit, c’est la pauvre
esclave rachetée et entretenue par notre école du dimanche,
celle que nos enfants, et nous avec eux, nomment toujours « la
« petite Emilie». Nous savons à quel poste difficile Dieu vous
a appelé, mon jeune frère, et avec quelle courageuse ardeur
vous vous y êtes rendu et vous y tenez bon. Le Sénégal! Ce
nom signifie pour nous un pays de sable et.de feu, un sol
aride, un climat meurtrier. Ce nom signifie également une
œuvre lente et pénible, tous les fanatismes et tous les paga-
nismes à refouler, des résultats incertains et un perpétuel
recommencement. Voilà comment nous nous représentons
cette vieille mission du Sénégal, et voilà aussi pourquoi nous
bénissons Dieu de ce que, là où plusieurs sont déjà tombés,
vaincus par la maladie ou lassés de la lutte, vous êtes resté
debout, toujours vaillant, patient et fidèle.
« Et que dirai-je à celui qui nous revient du centre de l’A-
frique après une absence de quatorze ans? Avec quelle atten-
tion passionnée nous l’avons suivi là-bas, sur les bords du
Zambèze, dans ce pays d’effroyable corruption où il allait, au
nom de nos Églises, porter l’Évangile de la sainteté et du sa-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARTS
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lut! Avec quel ardent intérêt nous nous sommes associés à
ses durs labeurs, à ses épreuves et à ses joies! Avec quel
espoir nous nous sommes demandé — jusqu’à la dernière
heure — s’il nous serait donné de le revoir encore ici-bas !
« Voici, disait saint Paul en parlant de son cher Epapbrodite,
« il a été malade et tout près de la mort, mais Dieu a eu
« pitié de lui, et non seulement de lui, mais aussi de
« nous (1). » Ne dirait-on pas que c’est pour nous que ces
choses ont été écrites ?
« Parmi ceux qui sont dans ce temple, il y en a plus d’un
assurément qui se souvient d’avoir entendu, au mois de
janvier 1882, ces paroles mémorables : «Que cette heure vous
apprenne ce que vos missionnaires vous demandent. Ils ne
vous demandent ni votre pitié, ni votre admiration. Votre
pitié, ils n’en ont pas besoin. Votre admiration, ils n’en sont
pas dignes. Mais ce qu’ils espèrent de vous, c’est votre sym-
pathie, c’est un redoublement de prières. » — Vous les avez
eues, cher et vénéré frère, cette sympathie et ces prières
redoublées que vous espériez. Elles vous sont venues non
seulement de la France protestante, mais de toute la chré-
tienté évangélique, — d’Italie, de Suisse, d’Alsace, de Belgi-
que, d’Angleterre, de cette Hollande où, je puis l’attester,
vous avez eu dès le commencement et vous avez encore tant
d’amis fidèles. Mais quoi que vous ayez pu dire, nous avons
été forcés d’y ajouter quelque chose de plus, — non pas notre
pitié, sans doute, mais cette admiration — ou, si décidément
vous ne voulez pas de ce mot, — ce respect plein d’amour
qui est dû à tous les grands serviteurs de Dieu, choisis par lui
et appelés à faire dans le monde, par la présence de son Es-
prit, dans l’humilité et dans la foi, son œuvre éternelle. Vous
avez ajouté à la couronne de notre Société des missions un
de ses plus beaux fleurons, et au nom de tous ceux qui de-
mandent à Dieu que son règne vienne, nous vous en bénis-
(1) Phil. II, 27.
3 U
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
soifs, ou plutôt nous en bénissons Celui aussi à qui seul nous
voulons tous ici donner gloire. »
Au moment où M. Lacheret cessait de parler, un beau chant,
exécuté par le chœur de l’Oratoire, s’est fait entendre et a
puissamment contribué à l'édification de rassemblée.
La parole est ensuite donnée à M. E scande : « Il m’eût été
doux, dit-il, de me présenter devant vous comme notre vénéré
frère Coillard, les mains pleines de gerbes. Il m’eût été doux
de vous dire : parti en votre nom pour prêcher Jésus-Christ
aux peuplades de la Sénégambie, nous avons vu des foules
accourir pour entendre notre message, des pécheurs par cen-
taines passer des ténèbres à la lumière. Hélas! il faut être
plus modeste, et au lieu de vous parler de gerbes, je dois me
borner à vous parler d’épis. »
Puis, après avoir rendu compte de quelques-unes des dif-
ficultés de l’œuvre du Sénégal, M. Escande a ajouté : « Le
Seigneur n’a pas trompé notre attente. Une éclaircie s’est faite
dans notre ciel. Coup sur coup, dix conversions survenues,
tant parmi les enfants de notre école .que parmi les adultes,
sont venues nous montrer que Dieu avait mis sa bénédiction
et son sceau sur l’œuvre de nos mains... Dix conversions,
c’est peu sans doute ; mais n’est-ce pas l’ondée qui précède
la pluie fécondante ? Nous la voulons pour Saint-Louis, pour
ces vastes régions de l’Afrique occidentale française qui vont
du fleuve du Sénégal à la Côte d’ivoire et de l’Océan au lac
Tchad, pour cet immense domaine colonial huit fois grand
comme la mère-patrie et que, seuls, les missionnaires fran-
çais ont le droit d’évangéliser...
« Puissions-nous seulement prendre toujours mieux cons-
cience, vous ici, nous là-bas, de ce que Dieu réclame de nous,
des travaux qu’il nous propose, des sacrifices auxquels il
nous appelle I Et puisse-t-il nous trouver partout et toujours
fidèles à notre poste — fidèles à le prier, fidèles à le servir —
fidèles à nous tenir dans l’humilité véritable, pour qu’à lui et
à lui seul soit la gloire. »
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
355
Le moment est venu pour M. Coillard de se faire entendre.
Pendant près de quarante minutes il tient l’auditoire sus-
pendu à ses lèvres par le récit à la fois sobre et émouvant
des difficultés de toutes sortes accumulées sur sa route et la
manière dont Dieu l’en a fait triompher. Nous renonçons à
résumer ce discours ; notre frère devant se faire entendre dans
plusieurs Églises, les amis des Missions ne seront donc pas
lésés : ils auront le privilège de voir et d’entendre notre vail-
lant missionnaire lui-même.
Une brève allocution de M. Edouard Sa utter, toute vibrante
d’émotion et de reconnaissance, a terminé la série des discours.
« Nos cœurs sont pleins, a-t-il dit en s’adressant à M. Coillard,
et il faut qu’ils débordent. Nous ne pouvons pas vous Laisser
dire que notre présence ici est simplement la preuve de l’in-
térêt que nous portons à votre œuvre. Elle signifie autre chose
encore : elle signifie que nous vous avons voué depuis long-
temps une profonde affection, toute faite de respect et de re-
connaissance... Des bords du Zambèze, vous nous avez bien
souvent fortifiés, consolés, éclairés. Une chose nous man-
quait, nous ne pouvions pas vous voir. Nous nous disions,
chaque fois que vous nous faisiez du bien : quand donc, oh !
quand donc le verrai-je? Ce jour est enfin venu, Dieu en soit
mille fois béni !...
«... Ah! vous ne pouvez pas nous empêcher de vous dire
tout ce que nous éprouvons pour vous d’ardente reconnais-
sance. Us sont tout prêts à se lever pour confirmer mon dire,
ceux qui étaient découragés, abattus, prêts à perdre toute
confiance et à penser : « Dieu m’oublie ». Et voici, le Journal
des Missions arrivait; ils cherchaient votre signature, et à
mesure qu’ils vous lisaient, la paix redescendait dans leur
âme; ils comprenaient comment il faut attendre en silence la
délivrance de l’Éternel, et ils n’osaient plus parler de décou-
ragement, puisque vous, vous là-bas, vous ne vous découra-
giez pas...
«... Vous ne voulez pas qu’on vous admire ni qu’on vous
356
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
exalte. Nous n’y pensons pas nous-mêmes. Nous savons que
vous n’auriez jamais pu être tout ce que vous avez été ; vous
n’auriez jamais fait tout ce que vous avez fait si vous aviez
cherché en vous-même le secret de votre force et de votre vie.
Ce n’est pas vous qui l’avez vécue, cette vie ; c’est Christ qui
l’a vécue en vous. Gloire à Jésus-Christ!...
a... Nous avons beaucoup reçu du Seigneur par votre en-
tremise; vous pouvez maintenant beaucoup nous demander
en son nom. Vous voulez, toujours plus, notre argent; vous
voulez nos fils et nos filles, vous voulez nos vies, — deman-
dez-nous tout cela. En vérité, ne serions-nous pas des hypo-
crites si, par notre présence ici, nous ne disions pas à notre
Divin Maître : « Parle, Seigneur, demande, commande, nous
« voulons être obéissants ! »
« Mais pourquoi tant de paroles! Et ne répondrai -je pas
plus complètement encore aux sentiments qui remplissent
tous nos cœurs en vous demandant, ô mon frère, la permission
de vous donner en notre nom à tous la plus tendre et la plus
respectueuse des accolades! »
Une prière de M. G. Appia, présentant à Dieu tous nos
champs de mission et toutes les missions, a dignement clos
cette réunion qui a été une vraie fête pour tous ceux qui ont
eu le privilège d’y assister.
La collecte faite dans les rangs de l’assemblée a produit
722 francs, auxquels un anonyme a ajouté, dès le lendemain,
la somme de 1,000 francs.
NOTES Dü MOIS
Nous tenons à annoncer sans retard, quitte à en rendre
compte plus tard en détail, une publication due à la plume
de M. le missionnaire Jacottet et qui a pour titre : Études
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
357
sur les langues du Haut- Zambèze ; textes originaux recueillis
et traduits en français et 'précédés d'une esquisse grammati-
cale (1). C’est là une bonne fortune pour tous les amateurs de
linguistique et de grammaire comparée. Ceux, toujours plus
nombreux, qu’intéressent les langues africaines y trouveront
certainement leur compte, et nous remercions M. Jacottet
pour ce beau travail qui fait honneur à la Société des mis-
sions.
Mentionnons une modeste publication intitulée : Catalogue
des principaux ouvrages, journaux et publications missionnaires
en langue française . Ce catalogue, dressé par M. D. Couve,
étudiant à Montauban et futur missionnaire, et publié par
le Comité du « Mouvement volontaire des Étudiants se desti-
nant aux Missions», rendra service à tous ceux qui veulent
étudier les questions relatives aux missions.
Nous rappelons que la deuxième édition du beau livre :
E. Dhombres , quelques souvenirs, a paru il y a quelque temps
déjà. Nous engageons ceux de nos lecteurs qui le peuvent
à se procurer ce volume; ils y trouveront à la fois une édi-
fication saine et forte et des informations précieuses sur les
événements auxquels M. Dhombres fut mêlé, L’ouvrage con-
tient, en appendice, les discours prononcés lors des funé-
railles du regretté pasteur de Paris. Nous rappelons que cet
ouvrage se vend au profit de la Société des missions.
Un autre livre plus modeste, mais très attachant aussi, est
celui intitulé : Une Femme missionnaire , souvenirs de la vie et
de la mort de madame Coillard. Plusieurs de nos amis le
connaissent déjà; nous voudrions recommander à tous les
autres de se procurer ce petit volume et de le faire connaître
autour d’eux.
Dans sa dernière séance, le Comité a prononcé l’admission
de M. P. Tisseau comme élève missionnaire. M. Tisseau en-
trera, en octobre, dans la section préparatoire des Bati-
(1) Se vend à Paris, chez Ernest Leroux, éditeur, ^8, rue Bonaparte.
358
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
gttolles. Le Comité a aussi accepté les services de M. Th.
Burnier, élève de la Faculté libre de Lausanne. M. Burnier
passera im an à la Maison des missions avant qu’une desti-
nation lui soit assignée.
Notes sommes heureux d’annoncer à nos lecteurs que les
Églises du Poitou viennent d'organiser un Comité auxi-
liaire pour leur région. Ce Comité auxiliaire du Poitou a
constitué comme suit son bureau : MM. Gonin, pasteur à
Melle, président ; Delattre, pasteur à Saint-Laurent, secré-
taire, et Jézéquel, pasteur à Souvigné, trésorier.
MADAGASCAR
Dernières nouvelles de nos délégués. — Importantes
décisions.
Comme nous le faisions prévoir il y a un mois, nos deux
délégués se sont vus dans l’impossibilité d’effectuer à l’épo-
que fixée d’avance cette visite au Betsiléo, à laquelle ils
étaient si chaleureusement invités parles missionnaires de ce
district. Le mouvement fahavaliste, dont la lettre de M. Kroger,
publiée ci-dessous (1), donne une idée d’ensemble, a barré la
route du Sud, et ils ont dû renoncer, à leur grand regret, à
un projet qui leur tenait à cœur autant qu’à nous-mêmes. Espé-
rons que ce projet pourra être repris dans une période plus
calme par celui de nos délégués qui doit prolonger encore
son séjour à Tananarive pendant quelques mois en attendant
d’être lui-même remplacé.
Nos amis ont jugé, en effet, que le moment était venu pour
(1) Voir l’article : A propos de V attaque de la Mission norvégienne à
Sù'abé, page 386.
SOCIÉTÉ BES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
dm
eux d’arrêter leurs plans de retour. Après mure délibération,
ils se sont tracé le programme suivant :
Tananarive et les districts accessibles qui l’entourent ayant
été visités à fond, il leur a paru qu’en fixant à la fin de juin
le terme de leur activité commune, ils avaient fait aussi large
que possible la part de l’enquête et des travaux préparatoires
dont ils ont été chargés. Il a donc été entendu que, sauf évé-
nement imprévu, M. Krüger quitterait Tananarive le 30 juin,
et s’embarquerait le 7 juillet à Tamatave pour la Réunion,
l’île Maurice, et Natal. Si rien n’a mis obstacle à ce projet,
M. Krüger, au moment où ce journal paraîtra, aura débarqué
à Durban et sera à la veille d’arriver au Lessouto qu’il compte
visiter en passant. Il consacrera à cette visite le mois d’aoât,
et, dès les premiers jours de septembre, il s’embarquera au
Cap de manière à arriver en Europe un peu avant la rentrée
de la Maison des missions.
Disons tout, de suite qu’en se rendant au Lessouto, M. Krü-
ger espérait y rencontrer un membre du Comité délégué de
Paris pour visiter notre plus ancien' champ de travail. Nous
n’avons pas besoin de dire à quel point une députation de ioe
genre répondrait aux vœux, soit de nos frères du Lessouto,
soit du Comité lui-même. Elle reste inscrite à notre ordre du
jour et noms espérons bien qu’un jour elle pourra s’effectuer
dans de bonnes conditions. Actuellement, la chose n’a pas été
possible, à notre grand regret.
Quand à M. Lauga, il reste pour le moment à Tananarive;
mais lui aussi pense à un retour que ses devoirs envers son
Église et envers les siens ne lui permettent pas, pense-t-il, die
différer longtemps. Aussi nous presse-t-il de lui envoyer le
successeur auquel il remettra le dépôt actuellement placé
entre ses mains.
Telles sont les décisions de nos délégués; elles ont été pri-
ses le 24 mai, jour de la Pentecôte, après une longue et sé-
rieuse délibération ; le Comité en a eu connaissance à la fin de
juin. On sait, d’autre part, par notre dernière livraison, les
résolutions qui venaient d’être prises ici à cette date. Pour
360
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
y donner suite, le Comité a adressé vocation simultanément
à deux pasteurs, l’un et l’autre bien qualifiés, au jugement
de ceux qui les connaissent, pour remplacer nos délégués.
De ces deux pasteurs, l’un a cru devoir décliner l’appel du
Comité : il lui a paru que ses circonstances personnelles s’op-
posaient à son départ. L’autre a accepté, et nous pouvons
dès maintenant le présenter à nos lecteurs, en exprimant
notre profonde reconnaissance de son entrée au service
des missions : c’est M. Edmond Meyer, actuellement pasteur
à Hargicourt (Aisne), anciennement pasteur à Saint Geniès
(Gard). M. Meyer est depuis longtemps attaché à l’œuvre
des missions , vers laquelle il est attiré par une véritable
vocation. Les obstacles qui se sont opposés jusqu’à ce jour
à son départ ont cédé devant l’appel pour Madagascar.
Malheureusement, si le concours de M. Meyer nous est
acquis, son départ ne pourra pas se faire à temps pour que
M. Lauga puisse l’installer lui-même dans ses fonctions.
M. Meyer comprenait comme nous, comme nos Églises, le
prix qu’aurait eu, et pour lui-même et pour l’œuvre, cette
transmission immédiate ; mais il lui a été impossible de se
dégager de manière à partir en temps utile. Il faut se rappeler,
en effet, que la bonne saison pour aller à Madagascar va de
mai à octobre. M. Meyer aurait dû, pour rejoindre à temps
M. Lauga et permettre à celui-ci de partir avant que la saison
soit tout à fait mauvaise, quitter la France dès le mois d’août,
ou, au plus tard, au commencement de septembre. Malgré toute
notre insistance et malgré toute sa bonne volonté, M. Meyer
n’a pas cru pouvoir se mettre en route dans un délai aussi
court; il n’a pas cru possible, non plus, comme nous le lui
avions proposé, de partir seul en ajournant à l’année prochaine
le voyage de sa famille. Ce n’est donc qu’au printemps pro-
chain qu’il pourra partir avec les siens pour Tananarive.
Le remplacement de nos délégués par leurs successeurs
définitifs n’ayant pu se faire, il a fallu avoir recours à un
intérimaire d’autant plus difficile à trouver que le temps
qui nous était laissé pour le rechercher était plus court. Où
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
361
trouver l’homme prêt à partir presque immédiatement et
suffisamment préparé à la tâche difficile qui incombera au
remplaçant, même provisoire, de M. Lauga? Nos délégués, pré-
voyant le cas d’un intérim , avaient pensé qu’un des élèves
missionnaires ayant fini leurs études pourrait en être
chargé; mais cette combinaison n’a pas paru au Comité
offrir les garanties suffisantes, et il a cherché ailleurs.
Sans l’état de pénurie où les événements de ces dernières
années ont réduit la mission du Lessouto, il eût été naturel
de demander à l’un des missionnaires français de ce champ
de travail de passer le détroit de Mozambique et de prêter son
concours à l’œuvre que nous avons commencée à Madagas-
car; nous sommes assurés qu’en temps normal un appel de
ce genre eût trouvé notre corps missionnaire du Lessouto
unanimement disposé à nous prêter son concours. Mais, ici
encore, nous nous heurtions à de véritables impossibilités : le
Lessouto n’a pas le nombre d’hommes qu’il lui faudrait pour
suffire à l’œuvre actuelle ; lui prendre un de ses ouvriers,
même pour un temps limité, c’eût été faire de l’ordre avec
du désordre, ouvrir une brèche pour en combler une autre.
Il a donc fallu renoncer à une combinaison qui, à d’autres
égards, se recommandait par de si bonnes raisons.
Cependant, le temps pressait; il fallait agir. A moins de
prier M. Krüger lui-même de rebrousser chemin et de rem-
placer son collègue à Tananarive, il fallait trouver un homme
auquel ses circonstances personnelles permissent de partir
presque immédiatement. Nous sommes heureux de dire que
cet homme s’est trouvé dans la personne du missionnaire
Escande, récemment arrivé du Sénégal. Informé par nous
de l’embarras où nous mettait l’ajournement du départ de
M. Meyer, M. Escande nous a immédiatement télégraphié :
«Suis à la disposition du Comité. Que Dieu vous dirige. »
Il est superflu de dire combien il nous en a coûté de deman-
der à notre missionnaire de renoncer à un congé bien mérité
et qui, une fois déjà, avait été ajourné. Mais les circonstances
ne nous laissaient pas la liberté d’agir autrement, et nous
27
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
362:
avons accepté avec reconnaissance le concours de M. Es-
cande, dans l'espoir que son voyage à Madagascar portera
d’heureux: fruits-, aussi bien pour luwnême que pounfœuvre
du Sénégal.
La date exacte du départ de M. Escande n’est pas encore
fixée : il aura lieu* si possible, par le courrier qui quitte
Marseille le 25 août.
Get exposé serait incomplet si nous taisions l’impression
pénible sous laquelle nous nous sommes trouvés pendant nos
recherches de ces derniers temps. C’est celle du petit nombre
d'hommes véntablement disponibles que possède actuellement
noire protestantisme pour l'œuvre de Madagascar. Nous souli-
gnons à dessein ces mots, espérant qu’ils iront; troubler dans
leur repos ceux que Dieu a peut-être désignés déjà pour cette
grande œuvre, mais qui s’ignorent encore eux-mêmes, ou
n’ont pas le courage de s’offrir.
G’,est avec une joie profonde que nous saluons, à son entrée
dans fœuvre, M. E. Meyer. Mais Madagascar réclame de nous
plus qu'un homme; il nous en faut plusieurs : il en faut pour
l’œuvre pastorale et missionnaire proprement dite; il en faut
pour l’œuvre scolaire qui s’imposera, tant dans le6 éta-
blissements relevant des autres missions que dans celui
dont nous aurons peut-être nous-mêmes àaccepter la oharge.
Nos délégués nous diront exactement en quoi consistera
l’œuvre qui nous attend à Madagascar; mais Inexpérience
montre que si nous voulons être prêts à temps , il faut
nous préparer d'avance. Nous avons reçu* quelques offres de
service : il en est dans le nombre qui paraissent utilisables^
mais il nous en faut d’autres encore, pour que, le moment
venu, nous puissions choisir et envoyer à Madagascar des
cadres vraiment solides, des hommes bien qualifiés et ca-
pables de diriger l’œuvre future. Que ceux qui ont quelque
ouverture à nous faire, pasteurs, professeurs, ou instituteurs,
ne tardent donc pas à nous écrire. Il n’y a pas de temps à
perdre.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
36H
LESSOUTO
LA STATION UE CA.NA,
La vue de la station de Cana que nous mettons en tête de
ce numéro a été faite peu de temps après l’inauguration de
la nouvelle chapelle.
Cette station a d’abord été fondée en 1840 par M. le mis-
sionnaire Reck, mais à; peine les premiers travaux d’installar
tion étaient-ils commencés, que des querelles- interminables
surgirent parmi les chefs du pays, si bien que M. Keck dut
suspendre ses travaux et aller occuper un autre poste.
Ce ne fut que longtemps après, en 1872, que M. Kohler fut
appelé à reprendre cette oeuvre qu’il dirige encore actuelle-
ment.
La chapelle, qui récemment a été élevée sous la* direction
de M; Kohler, fait non .seulement l’éloge de l’architecte, mais
aussi celui des élèves de notre école industrielle de Léloaleng
qui en ont été les maçons et les charpentiers.
Si l’œuvre de Cana a été longue à se développer — la popu-
lation du district l’étant, montrée plus qu’ailleurs rebelle à
l’influence de l’Évangile — les chiffres indiqués par la der-
nière, statistique sont des plus encourageants. Les membres
d’Église atteignent le total de 444, plus 215 catéchumènes
répartis dans 10 annexes et dans une population de. 12 à
45,000* âmes.
L’œuvre de Dieu avance, malgré les difficultés de tous
genres qulelle rencontre. Partout ses progrès sont évidents et
faits pour réjouir tous ceux qui. répètent les paroles du Sau-
veur : « Que ton règne vienne! »
364
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
M. MERCIER A LÉLOALENG
On se souvient que M. Mercier, empêché de continuer son
voyage au Zambèze, s’est installé pour quelque temps au Les-
souto. Nous espérons que ce retard, tout en lui permettant
d’attendre un compagnon de voyage, lui procurera l’occa-
sion de faire bonne connaissance avec le Lessouto et spé-
cialement avec l’Ecole industrielle de Léloaleng. Un stage
dans cette école lui sera d’une grande utilité pour sa car-
rière future. Il met d’ailleurs son temps à profit, comme le
montrent les lignes suivantes extraites d’une lettre écrite
de Léloaleng en date du 8 juin.
« Il y a environ quinze jours que je travaille à l’école, où
je fais du charronnage, de la forge, de la charpente, de la
ferblanterie, des réparations de pendules, etc. Le soir, ma
femme et moi prenons des leçons de sessouto et d’anglais de
mesdemoiselles Louise et Mary Cochet.
« Au sud de l’Afrique, c’est maintenant l’hiver, et nous le
sentons; il fait réellement froid par moments, et les journées
sont courtes. A l’atelier, le travail commence à neuf heures
et demie et se termine à cinq heures. De sept à neuf heures,
nous avons nos leçons, et le reste du temps pour les apprendre.
Vous voyez que nos journées sont suffisamment remplies...
« L’Ecole industrielle est très intéressante. On y fait des
meubles de sapin, de la charpente, des réparations de wa-
gons et de voitures, la forge, la taille de la pierre, la maçon-
nerie et des réparations de toutes sortes, même des casseroles.
Les élèves, qui sont en ce moment au nombre de quarante-six,
ont tous les jours, avant le travail, une leçon de calcul mental,
d’anglais et de lecture en sessouto, etc. C’est mademoiselle
Louise Cochet qui donne ces leçons. Quelques élèves appren-
nent le charronnage et la forge; d’autres la bâtisse ou la me-
nuiserie. Certains de ces garçons sont très adroits... »
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
365
AU JOUR LE JOUR
[Extraits du Journal d’un missionnaire.)
Le iO mars. — J’ai vu aujourd’hui, à Maté, un homme de
vingt-quatre ans environ, nommé Masothonyané, un impo-
tent. Ses jambes sont pliées en deux, ses genoux ankylosés.
Pour circuler, il glisse sur ses pieds, s’appuyant d’un côté sur
un bâton, de l’autre sur sa main garnie d’un petit soulier en
peau de mouton. 11 fait ainsi, pour aller à l’Église, trois ou
quatre kilomètres à travers les pierres et les ravins. Il est
converti. Il évangélise dans les villages voisins. Il voudrait
devenir évangéliste. — Voilà un homme qui, probablement,
doit son salut à une infirmité physique. S’il était ingambe,
il courrait les fêtes païennes comme ses camarades qui, ainsi
que sa famille entière, sont tous païens. — Bel exemple à
citer aux gens que rien n’empêche de fréquenter les services
religieux et qui pourtant n’y vont jamais.
1er juin. — Un jeune païen vient de mourir dans les envi-
rons. Bien entendu, on dit qu’il a été ensorcelé par un rival
qui lui a fait boire de la bière dans laquelle il avait mis
quelque chose. Au Lessouto, ne meurent de mort naturelle
que les vieillards; tous les autres passent pour avoir été en-
sorcelés. Avant de mourir il dit : « Autrefois je disais que les
choses de Dieu n’étaient que des fables. Aujourd’hui, je vois
que c’est la vérité vraie. » — La mort, qui ferme les yeux du
corps, ouvre parfois ceux de l’âme. Mais que de gens, pour
avoir refusé de voir la vérité, meurent dans les ténèbres de
l’incrédulité, sans Dieu et sans espérance !
24 juin. — Ntholé me disait aujourd’hui :
— Oui, je m’enivre quand je vais travailler dans les champs
avec d’autres hommes.
— Mais, pourquoi ne pas boire modérément?
— Si je bois peu, les gens diront que je dédaigne leur
nourriture.
386
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Une sotte peur, surtout des vauriens, suffit donc pour
pousser un homme à s’enivrer? Hélas! au fond de bien des
vies perdues, il y a cela, et il n’y a que cela, au commence-
ment de la dégringolade du moins.
i 9 juillet. — Rencontré sur la grande route une jeune
femme (très jolie) avec laquelle j’ai échangé les salutations
d’usage. Elle me dit :
— Qui es-tu?
— Je suis le missionnaire de L...
— Ah ! C’est toi qui arraches les dents?
Être missionnaire de l’Évangile et n’ être connu que comme
arracheur de dents, ce n’est pas du tout l’idéal. Pour bien des
païens, nous ne sommes guère autre chose : des gens qui
donnent des purgatifs et des émétiques, et qui extraient les
dents. C’est la faute des païens, qui ne s’intéressent pas à
l’Evangile. Mais encore, que ce ne soit pas celle du mission-
naire qui « cache la lumière sous un boisseau ».
3 août. — Vu l’une des femmes de feu Sékouati, un renégat
qui vient de mourir en parlant de repentance, de foi, d'es-
pérances chrétiennes.
J’ai demandé à cette femme :
— Eh bien! penses-tu toujours à ce que Sékouati disait
ayant de mourir?
— Oui, je ne l’ai pas oublié ; je me le rappelle, et je m’en
sers pour consoler les gens qui viennent me consoler.
La malheureuse! elle parle de donner aux autres les conso-
lations de l’Évangile alors qu’elle a quitté son vrai mari pour
vivre avec un autre homme, et qu’elle est encore tonte
païenne elle -même ! Patois de Canaan, phrases pieuses, cela
abonde parmi les païens comme ailleurs. On en use avec
naïveté, croyant que c'est comme cela qu’il faut faire, liais
que de fois le païen est d’une hypocrisie cynique en parlant
de Dieu !
6 novembre. — Un chef a convoqué les chrétiens de son
district pour qu’ils « prient pour la pluie». Ils sont venus
avec leurs évangélistes. On a prêché, on a prié. Pendant ee
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
367
temps un docteur païen, faiseur de pluie de son métier, fai-
sait toutes sortes de simagrées et d’incantations pour attirer
les nuages. Et une troupe d’hommes courait les montagnes
pour tuer des antilopes et des singes, certaines parties du
corps de ces innocentes bêtes étant, paraît-il, nécessaires
pour ouvrir les bondes du ciel. Le docteur avait suggéré à
son chef de convoquer les Chrétiens, et combiné ce triple
effort pour obtenir la pluie. « Comme cela, disait-il, je suis
plus sûr de réussir. Trois valent mieux qu’un. » — Un far-
ceur, celui-là, un malin. Ils sont tous comme cela, comptant
sur l’ignorance et la crédulité du gros public pour le duper à
leur guise. Ce qui prouve combien les païens sont embourbés
dans leurs erreurs, c’est qu’ils croient encore fermement *à
leurs sorciers et se laissent tromper par eux avec la plus
aveugle complaisance. Qui aime les ténèbres en pâtit.
f6 décembre. — Une vieille chrétienne m’a amené ce matin
un petit enfant pour que je lui donne de la médecine.
— Pourquoi n’est-ce pas sa mère qui l’a apporté ?
— C’est que sa mère est païenne ; elle dit : Si je vais moi-
même, j’ai peur que monsieur ne me dise de me convertir...
Allons! je ne suis plus connu pour un arracheur de dents
seulement. C’est un progrès. Être connu pourvouloir la con-
version des païens et y pousser ferme, c!est bien Là ce que
doit ambitionner un missionnaire. — Mais encore ne faut-il
pas abuser, de peur d’éloigner les gens au lieu de les attirer.
Ah! mon Dieu, comment faire pour avoir le tact, la mesure,
la sagesse nécessaires pour manier ces païens si bizarres'?.*.
.£ octobre . — Visite d’A***, un chrétien d’une annexe, que
je ne connais pas encore. Il a fait trois heures à cheval pour
me voir. Figure presque jaune, regard limpide et intense,
expression intelligente et intéressante. Il me dit :
— Je vivais en paix, quand un jour je me suis senti mal à
l’aise dans mon âme. AM1**, où j’étais en visite, on me de-
manda de faire la prière du matin. J’acceptai, je priai. Un
autre jour, je dus refuser, parce que je sentais que je n’étais
pas encore un saint (!), que j’étais encore pécheur. Je n’ai pu
368
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
dormir pendant plusieurs nuits. Une nuit, je crus que je par-
lais à quelqu’un. Il me montrait que, jusqu’à présent, quoi-
que chrétien, je ne m’étais pas réellement donné à Dieu. Je
crois que c’est Jésus qui m’a envoyé ce «miracle» pour m’é-
clairer sur moi-même. Aujourd’hui je me donne à lui réelle-
ment, de tout mon cœur, pour être son témoin et le servir. »
Cela dit avec un accent de sincérité et de conviction, et une
sérénité extraordinaire.
Cette démarche remarquable m’jpt frappé. C’est le réveil
individuel et spontané, le vrai réveil. Dans ce pays où le pa-
ganisme fait régner le silence de la mort, ou encore parmi
des gens qui abusent tellement du jargon religieux que l’on
ne sait plus qui croire, voir cet homme et l’entendre a été un
régal pour mon âme, un verre d’eau fraîche offert à un tra-
vailleur altéré. Donnez-nous quelques hommes comme celui-
là, et ce pays sera transformé. Un vrai homme et l’Esprit de
Dieu avec lui, quelle puissance!
3 février . — Un de mes évangélistes est venu me parler au-
jourd’hui, un peu confus.
— J’ai écrit une lettre à mon chef pour me plaindre de son
attitude envers l’Église. C’est lui qui m’a demandé de venir
chez lui comme évangéliste. Je suis venu. Et maintenant, il ne
met jamais les pieds à l’église, et ses gens non plus. Il travaille
le dimanche comme pour me narguer. Il ne se soucie pas de
moi. Cela m’irrite. Je me dis et je lui écris : Pourquoi ai-je
quitté mon vieux père? Pourquoi ai-je quitté l’Église dont
j’étais membre? Je ferais mieux de retourner chez moi...»
S’attrister, se décourager, murmurer, ce n’est certes pas
un bon moyen pour faire avancer le règne de Dieu. Mais,
voyez-vous, quand on travaille de tout cœur, avec prière et
amour, pour le bien de ses frères, et que ceux-ci vous igno-
rent et font fi de vos appels et de vos conseils, cela finit par
vous user et vous irriter. On se fâche ou on se décourage.
Les missionnaires ont de ces heures de désarroi, quelquefois
ce sont des jours. Dans ces cas-là, le meilleur est de dire qu’on
s’est levé du pied gauche et qu’un bon sommeil dissipera les
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
369
nuages. Le plus sage est aussi de se taire. Parler ou écrire
quand on est de mauvaise humeur, cela ne produit rien de
bon. Regarder droit à Dieu et le servir, Lui, voilà qui relève
le courage et ramène la joie et l’espérance sans lesquelles
on ne peut rien. [A suivre.)
ZAMBÈZE
MORT DE M. AUGUSTE GOY
C’est par une lettre de M. Boiteux que nous avons appris
cette douloureuse nouvelle. Voici en quels termes il nous ra-
conte la fin de notre bienheureux frère :
Seshéké, le 28 avril 1896.
... Il y a cinq semaines aujourd’hui, nous quittions Kazun-
gula — ma femme, mon enfant et moi — pour venir cher-
cher à Seshéké un peu de repos. Nous passâmes quinze jours
agréables sous le toit hospitalier de nos chers amis Goy, et,
quand nous les quittâmes, après avoir ensemble célébré la
Sainte Cène, nous repartions un peu remis de notre faiblesse
et laissions nos amis tout à fait bien.
Huit jours après, selon qu’il le faisait chaque année, à pa-
reille époque, la crue du fleuve et l’inondation des plaines
riveraines facilitant la chose, notre frère se mettait en route
pour une tournée d’évangélisation dans le Bo-Subia. Son
absence devait durer dix à douze jours. Or, mardi dernier,
— il n’y a pas huit jours, — à la nuit, il rentrait à Seshéké
exténué, brûlant de fièvre. 11 se mit au lit et ne se releva plus :
le dimanche 26, — avant hier, à cinq heures du matin, — il
quittait les siens, laissant, pour tous ses bien-aimés d’affec-
tueux messages.
370
JOUKNlAX VDES MISSIONS ' É V AN GÉMQUES
Dans le courant de la semaine, j'avais été averti par ma-
dame 'Goy -de la rentrée .précipitée de son mari et de son
état; mais rien dans son message ne nous effraya outre me-
sure. Mais samedi soir m’arrivaient d’autres messagers por-
teurs de nouvelles plus graves. Notre sœur, sans me le de-
mander ouvertement, me faisait sentir que ma présence
à Seshéké lui serait précieuse. Toute la semaine, notre
chère enfant nous avait causé les plus vives inquiétudes;
moi-même j'avais été étendu , la journée du samedi du-
rant, sur mon lit, en proie aux plus violents maux de tête
que j'aie jamais ressentis. Je résolus cependant de partir dès
l’aube, le lendemain. Nos craintes au sujet de la petite Marie
se dissipaient un peu, et ces névralgies, si elles ne dispa-
raissaient pas pendant la nuit, seraient certainement dimi-
nuées par l'air frais du fleuve. Je partis donc le lendemain,
ordonnai à mes bateliers de Taire effort pouir que le soir
même nous fussions à Seshéké...
... Hélas ! un peu avant l’heure à laquelle je me met-
tais en route pour Seshéké, notre pauvre ami, lui, partait
pour le ciel. Je n’ai plus revu de lui que ses restes inani-
més...
Je ne connaissais notre ami que depuis un an, pas même ;
diverses circonstances où nous nous vîmes — le départ des
Jalla, de M. Coillard, de la petite Flore, les maladies de
ma femme, l’obligation dans laquelle nous fûmes, le mois
passé, de prendre quelque repos ici — nous avaient appris
à nous connaître et à nous aimer toujours plus. Lors de
notre dernière entrevue, nous avions décidé de nous voir
au moins tous les deux mois, afin de nous entretenir de
notre œuvre, de nos travaux, de nous conseiller mutuelle-
ment, etc.,»Htc.
Ut maintenant, lui aussi, comme ce cher Jacot dont jte viens
de relire iavec la -plus profonde émotion la lettre publiée dans
le journal de février; lui aussi nous a quittés, et me voici
désormais seud missionnaire pour Jes deux stations du
« Bas » î
SOCIÉTÉ DBS .MISSIONS ÉVAN&ÉLIQUES DE PARIS
371
Voici maintenant quelques détails sur la fin de notre frère;
c’est madame Goy qui me les a donnés.
Le samedi soir, avant de rentrer à Seshéké, M. Goy avait
atteint — ce qu’il faisait pour la première fois au cours de ces
voyages — un village situé sur le Linyanti, à deux fortes
journées de canot de Seshéké. 11 tint là plusieurs cultes, dont
un le samedi, deux le dimanche. Au soir de ce jour, il se. sen-
tit soudain fatigué et fiévreux. A son lever, le lendemain, se
sentant peu bien, il fit prendre à ses garçons la route du re-
tour et n’arriva, ici, « comme je l’ai dit déjà, que mardi, tard
dans la soirée. Exténué, brisé, il se jeta tout habillé sur son
lit, et ce n’est que plus tard et aidé de sa femme qu’il put se
déshabiller. La fièvre se déclara plus forte encore, pour ne
tomber un peu que le vendredi. Une de ces premières nuits,
me dit madame Goy, se croyant au service du dimanche, il
prononça une allocution d’une très grande clarté et dans un
sessouto parfait. — « Que fais-tu? lui dit-elle, tu prêches ;mais
tu n’es pas à la chapelle. — C’est mal ce que tu fais là, me
déranger quand je parle à l'église!... et prions, ajouta-t-il;
puis après : Chantons maintenant, le chant.. ,^» — Ce n’est qu'à
la fin qu’il s’éveilla, tout étonné de ce que lui racontait sa
femme.
Le vendredi, il fut tout à fait bien, notre sœur renaissait à
l'espérance; entre eux deux ils parlèrent même de faire quel-
ques pas dehors le lendemain. « Comme je serai heureux, di-
sait notre ami, de revoir la maison entièrement remise à neuf
(par la réparation du toit et le plâtrage des murs) et les
cours bien propres. »
Il éprouvait cependant une grande fatigue. Mais l'op-
pression qu’il ressentait du côté de la poitrine et la fièvre
semblaient avoir disparu ; cette dernière ne tarda pas à re-
venir.
Samedi matin, madame Goy fut frappée du chaogementqu’a-
vait opéré la nuit. Son mari possédait encore toute son intel-
ligence, mais sa voix était rauque et comme arrêtée à la gorge.
Aarone, l’évangéliste, appelé par madame Goy, fut également
372
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
terrifié. « Ma mère, dit-il, il faut envoyer un canot à Kazun-
gula, il faut avertir le missionnaire... Ma mère, on ne cache
point les maladies à des amis. »
L’après-midi de ce jour fut mauvaise aussi ; le délire ne le
quitta pas. Vers cinq heures du soir, la princesse — une ter-
rible femme qui en a fait voir de rudes à nos amis — étant
venue le voir, soudainement, comme tiré d’un rêve, il se ré-
veilla, s’assit sur son lit et, regardant la princesse : « Écoute »,
lui dit-il, et, le plus sensément, le plus sagement qu’il est pos-
sible, il lui parla de ses fautes passées, la reprit très sévère-
ment. Les paroles d’un moribond auront-elles fait une brèche
au cœur de cette pauvre femme ? Hélas ! on n’ose presque pas
l'espérer !
Le délire le reprit encore jusque vers neuf heures. Il sentait
qu’il s’en allait. Madame Goy voulant le quitter un instant
pour faire la prière avec les enfants dans la cour, — Fais-les
venir ici, dit-il, nous ferons la prière ensemble »Et effective-
ment, il fit lui-même une très belle prière en sessouto. Puis,
s’adressant aux enfants : a Allez, allez, mes enfants, il est tard,
allez vous reposer. »
Dès lors, ce fut tout, excepté cependant une prière en
français qu’il fit pendant la nuit, assis sur sa couche, et
dans laquelle il nomma tous nos champs de missions, et de-
manda des grâces toutes spéciales pour la journée du len-
demain.
Il ne reconnut plus personne, si ce n'est, à certains inter-
valles, son garçon Matongo et sa femme.
Vers le matin, quelques heures avant la fin, il commença à
fixer obstinément le faîte du toit, et de temps à autre, levant
l’index de chaque main : « Que c’est beau, quelle foule! di-
sait-il toujours en sessouto; oh! ces gens, faites-les entrer,
faites-les entrer. »
Vers quatre heures, il se calma; une heure plus tard, il s’é-
teignait, allait chercher auprès de Dieu le repos dont il avait
tant besoin, et célébrer dans le ciel ce dimanche pour lequel,
quelques heures auparavant, il avait demandé des grâces
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
373
toutes spéciales. — Il aurait eu trente-trois ans le 17 mai
prochain.
Croyez-moi votre toujours respectueusement attaché.
Emile Boiteux.
Nous venons de voir quelle fut la fin du serviteur de Dieu
qui vient de nous quitter; nous voudrions retracer brièvement
ce que fut sa carrière :
Auguste Goy, d’origine Suisse (vaudois), était né àVaulion,
le 17 mai 1863 ; il avait vingt-quatre ans quand il partit pour
le Zambèze. Jusqu’à treize ans, il vécut chez ses parents où il
reçut, de sa mère spécialement, ses premières impressions
pieuses. Successivement jardinier et vigneron dans sa patrie,
il fut amené à TUnion chrétienne, alors qu’il habitait près de
Vevey (dans les années 1880-1883). Il y trouva des amis;
mieux que cela, il apprit à s’y poser la grande question de
«la seule chose nécessaire ». Soit au cours de ses études pri-
maires, soit pendant son apprentissage, les meilleurs témoi-
gnages furent toujours rendus à son zèle au travail, à sa
persévérance et à son esprit sérieux. Ce fut à Vevey qu’il
entendit M. Coillard, qui préparait alors, par ses conférences
dans les Églises (en 1880-1881), l’établissement définitif de la
mission au Zambèze; puis M. Christol, qui allait s’embarquer
peu après avec M. Coillard; et, comme il le dit plus tard,
A. Goy fut touché par la parole des deux missionnaires et
frappé du fait surtout qu’il fallait des hommes pour la mission.
Il se sentit appelé à une consécration plus complète à
Dieu; il pensa la réaliser en acceptant une place d’aide-infir-
mier à l’hôpital de la Chaux-de-Fonds; mais, au bout d'une
année, malgré le dévouement qu’il avait déployé dans ses
modestes fonctions, ayant lu un rapport de notre Société, et
comprenant mieux encore qu’il fallait avant tout des hommes
pour l’œuvre missionnaire, il se sentit, comme il le dit lui-
même, « poussé vers les païens, et il lui sembla qu’il y avait
une voix d’en haut qui l'appelait ! »
Faisant le pas décisif et mettant par là le repos dans sa
3:4
JOURNAL DES MISSIONS ÉV ANGÉLIQUES
conscience, il demanda son entrée dans- la mission die Bâle;
son ambition était aussi petite que son désir d’être utile était
réel : il aspirait à être admis comme aide-missionnaâre
après le temps- de la préparation. « Le désir de me con-
sacrer entièrement à l’œuvre du Seigneur presse mon cœur,
écrivait-il. Ce désir m’est venu en pensant à l’amour de Dieu
et à ces pauvres peuples privés de l’Évangile! » A Bâle; où il*
demeura deux ans et où, malgré sa bonne volonté, là langue
allemande, employée dans les leçons qu’il suivait, lui opposa
un obstacle insurmontable, il laissa un excellent souvenir; et
ce fut avec la pleine approbation de ses directeurs qu’il de-
manda à passer à la mission de Paris. Son admission lui fut
accordée en octobre 1886.
Après avoir pensé à faire ses études régulières à la Maison
des missions, il1 se vit arrêté par de violents maux de tête et
comprit que ces études n’étaient point le domaine où il avait
à travailler. En ce moment même, M. Coillard réclamait un
jardinier pour le Zambèze; on résolut d’envoyer A. Guy. Cette
décision fut prise le 6 décembre 1886, et, le 17 janvier 1887,
le nouvel aide-missionnaire faisait ses adieux aux membres
et- amis de notre Société. Dardier, dont la carrière mission-
naire devait être si courte, partait avec lui ; tous deux de-
vaient rejoindre, à Kimberley, M. et madame Louis Jallà; qui
les avaient précédés de quelques semaines. L’allocution d’ Au-
guste Goy (1), en cette séance d’adieux, dit mieux que nous
ne le pourrions faire combien sincère était son désir de ser-
vir Dieu dans la mission et avec quel sentiment il partait.
« Quoique mon travail spécial, dit-il, doive être le jardinage
et l’agriculture, je ne désire et ne veux pas d'autre but* et
d’autre résultat de mes travaux que de répandre la lumière
de l’Évangile. Quand le moment est arrivé où il faut se sé-
parer de tout ce que l’on aime et dire adieu à parents, amis,
bienfaiteurs; pays-bien-aimé, une émotion pénible s’empare
(1) Voir Journal des Missions, année* 1887, page 34.
SOCIÉTÉ DES BUSSIONS- ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
37 «>
du oœur. Mais, si j’éprouve cette émotion pénible, il y a aussi
dans mon cœur des sentiments de joie qui me poussent à<
radoration et à la louange; »
En mars 4887 s’opérait, à Kimberley, la rencontre de
M. et madame L. Jalla et des deux nouveaux ouvriers (4.) ;
le 30< août de la même année, la petite caravane avait franchi
le Zambèze; Ce fut à Séfula* auprès de M. Coillard, que s’éta-
blit A. Goy. Pendant une année et demie, il [s’adonna soit à<
des travaux d’ordre purement matériel, pour lesquels il fut
d’une grande utilité, soit à l’œuvre de l’évangélisation et de
l’instruction des Barotsis. Dans les lettres qu’il adressa au
Comité de la Société, il montra non seulement sa joie d’être
au service de la mission, mais aussi son affection, pour ses
compagnons dlœuvre : la morti de son camarade Dardier fut
pour lui une perte cruelle.
En décembre 1888>, il entreprenait un voyage au Lessouto,
où il visita une partie des Eglises : « Quand je vois toutes ces
Églises, écrivait-ilyces grandes congrégations, ces nombreux
communiants* je suis heureux, mais... jaloux, en pensant à
notre chère mission du Zambèze. Ma prière journalière est
que, comme celle du Lessouto, elle devienne un foyer de lu-
mières et surtout un moyen de salut pour nos pauvres Zam-
béziens. Je voudrais avoir dix ans de plus : après ce
temps, je l’espère, nous aurons aussi de nombreux, chré-
tiens au Zambèze. » Ces dix années. Dieu ne les lui accorda
pas, mais A. Goy eut la joie, h son retour du Lessouto, après
son mariage avec mademoiselle Keck, de travailler, d’une
manière plus directe encore qu auparavant, à l’œuvre qui
avait toute son affection. En 1890, il reprenait, des mains de
M. Jeanmairet, la* direction complète de la station de Seshéké,
et, dès lors, fit œuvre de missionnaire.
(1) Dardier et< Goy, ainsi que M. Jalla; furent chargés, en partant'
par V AeeooiaJLion française' pour V avancement des. sciences , d’une mission
scientifique dans les territoires du Zambèze qu’ils visiteraient; M. Goy
était tout spécialëment désigné pour là, partie de botanique de cette
mission.
3*76
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Durant les cinq années qu’il y passa, au milieu d'é-
preuves telles que la mort de son premier enfant, un fils,
soutenu dans son travail par sa compagne et par les béné-
dictions que Dieu lui accorda, en particulier la naissance de
deux filles, il sut conserver son courage et cet amour pre-
mier qui l’avait amené à se dévouer à la cause missionnaire.
Il fut à la fois évangéliste et instituteur, tâches dans lesquel-
les il fut secondé par sa femme. S’il trouva parfois, comme il
le dit, un terrain dur à défricher, le réveil qui se propagea
de Kazungula à Seshéké, en septembre 1894, lui fut un en-
couragement puissant. Comme le constate le Rapport du
Zambèze, publié dans le numéro de mars 1896 du Journal des
Missions , A. Goy eut la joie de voir à Seshéké de nombreux
professants... Beaucoup de convertis l’ont édifié par les té-
moignages de leur sincérité, et il ne doute pas que-, si Dieu a
laissé germer l’ivraie dans le champ, il ne s’y trouve encore
beaucoup de bon grain.
La vie de ce serviteur de Dieu fut modeste. Mais n’ou-
blions pas qu’il n’est pas de petite tâche quand elle est accom-
plie pour le Maître. Il fut un de ces travailleurs dont le nom
est peut-être rarement cité par les hommes, mais dont l’œuvre
demeure quand ils s’endorment dans le Seigneur, parce que
cette œuvre fut la plus grande qui soit ici-bas, celle du salut
des âmes. * '
DERNIÈRES NOUVELLES
Des stations de Kl Vallée, nous n’avons heureusement que
de bonnes nouvelles. L’abondance des matières nous empê-
che seule de les communiquer aujourd’hui à nos lecteurs.
Nous préférons laisser encore la parole à M. Boiteux, qui,,
dans un post-scriptum à sa lettre du 28 avril, nous donne
les nouvelles suivantes de sa station et de la situation géné-
rale du pays :
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
377
« Pendant que j'étais à Seshéké, la maladie qui avait dé-
truit le bétail de cette station s’était portée à Kazungula, où
je ne retrouvai plus qu'un bœuf à mon retour. Je vous ai dit
aussi les inquiétudes que nous a causées notre chère enfant;
elle est mieux maintenant, Dieu soit loué !
« La poste, arrivée hier soir, nous apprend que l’épidémie
du bétail a fait son apparition àMangwato. Cette nouvelle a
pour nous une terrible signification : nous ne verrons peut-
être pas de wagons cette année, et nous touchons à la fin de
nos provisions ! C’est la disette en perspective. Il me faudra
peut-être retourner dans le sud avec une centaine de porteurs,
J’en parlerai à mes collègues.
« Nous ne sommes cependant pas découragés, mais fort
inquiets. Cette année est une année terrible : épizootie, guerre
au pays des Matabélés, et le reste. Je ne puis me défendre de
craindre une série d’événements malheureux fondant sur ce
peuple et ce pays des Barotsis, si endurcis, si difficiles à ame-
ner aux pieds de Jésus. Dieu qui a parlé par cette terrible
maladie du bétail, ne pourrait-il pas se lasser enfin ? Je ne
suis pas seul à partager ces craintes... Priez, priez pour
nous ! »
L'appel de notre frère sera certainement entendu de tous
ceux qui portent sur leur cœur cette mission du Zambèze si
douloureusement éprouvée.
CONGO FRANÇAIS
MORT DE MADAME GACON
Un télégramme, daté de Libreville, le 7 juillet, nous a ap-
porté la douloureuse nouvelle de la mort de madame Gacon.
Un volumineux courrier, reçu le 18 juillet, et contenant des
28
378
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
lettres allant jusqu’au 12 juin, ne nous donne aucun détail
sur cet événement, auquel nous ne pouvons encore assigner
une date précise.
On se rappelle (1) que, descendus à Libreville pour con-
sulter, M. et madame Gacon avaient reçu du docteur Pélis-
sier l’avis formel que le retour en Europe s’imposait à eux.
Le Comité s’était, depuis des mois, préoccupé de la santé de
madame Gacon et avait suggéré l’idée d’un voyage dans le
Nord et d’un séjour au bord de la mer, à Ténériffe, par
exemple. — On se souvient aussi qu’après avoir appris qu'une
mesure plus radicale s’imposait à eux, nos amis avaient cru
devoir, avant de se mettre en route, attendre l’arrivée de
M. Allégret. C’est pendant ce délai que madame Gacon a suc-
combé. On peut d’ailleurs se demander si le climat européen
eût pu lui rendre la santé. Notre sœur souffrait, en effet, d’une
laryngo-bronchite chronique, dont il semble qu’elle n’eût pu
que difficilement guérir.
Quoi qu’il en soit, désirant procéder lui-même à son démé-
nagement et mettre ordre à ses affaires et particulièrement à
son établissement industriel, M. Gacon retourna vers le 15 mai
à Talagouga, accompagné de sa femme toujours malade. C'est
là que nous le trouvons le 8 juin, nous donnant les nouvelles
suivantes :
« Nous voici de nouveau à Talagouga depuis trois semaines.
Ma femme est d’une faiblesse inouïe... Notre chez-nous n’a
plus de charma! De concert avec M. Forget, nous avons décidé
le retour par le bateau du 5 juillet, celui-là même qui amè-
nera les Allégret. Je le dis : ma femme est à bout de forces;
il faut partir, malgré tout le plaisir que j’aurais à aider M. Al-
légret dans ses constructions nouvelles...
«... Ma santé est bonne pour le moment, toujours point de
fièvre; Dieu soit béni! Mon dernier voyage m’a fait du bien ;
comme toujours, du reste, l’air de la mer m’a vivifié. S’il en
était ainsi pour ma femme, nous ne songerions pas au retour,
(1) Voir la livraison de juillet, page 324.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
379
je vous l'assure. Nous sommes attachés aux noirs de ce pays,
qui est le nôtre en somme. »
10 juin. — « Ce soir, arrivée de M. Allégret et de sa fa-
mille, tous en bonne santé. Heureux sommes-nous de les
revoir ; ils apporteront de la vie et de l’entrain, à partir de
demain matin. Ma femme a passé une nuit pénible, mais le
Seigneur nous a soutenus et secourus, comme il le fait depuis
longtemps. Je suis un peu troublé par les emballages et les
dispositions à prendre à partir de demain pour M. Allégret...»
Le danger qui menaçait depuis longtemps nos pauvres amis
les a ainsi atteints au moment où ils espéraient pouvoir s’em-
barquer, après avoir laissé tout en ordre à Talagouga. Le
Seigneur en a jugé autrement et a détruit cet espoir. Que sa
volonté soit faite !
Voici dans quels termes un ami qui a bien connu madame
Gacon a désiré rendre à sa mémoire un hommage auquel
nous souscrivons entièrement :
« La nouvelle de sa mort a consterné ses amis. Quant à
%
elle, elle la prévoyait, écrivant le 6 avril à une amie : « Il va
« sans dire que je ne laisserai pas mon mari sans déchire-
« ments, mais la mort ne me fait pas peur, au contraire; je
« jouis à la pensée du repos, du pardon et de la grâce qui
« sont tout prêts pour moi, pour l’éternité ! Cette pensée
« m'inonde de bonheur... Aussi, ne dites pas, si je meurs :
« Pauvre madame Gacon! dites ; Pauvre M. Gacon! parce
« qu’il sera seul et dans l'épreuve. »
oc C’est bien aussi ce que nous disons, nous qui avons connu
cette femme d'élite depuis longtemps, et qui pouvons mesu-
rer toute l’étendue de la perte que fait son mari et que fait la
mission.
« Élévée depuis l’âge de dix ans à Vallorbes (1), par une
(1) Madame Marie Gacon-Frantz était née à Lausanne le 14 mai 1860.
Ayant perdu ses parents lorsqu’elle était encore jeune, elle fut élevée à
Vallorbes dans la famille d’un instituteur pieqx, M. Julien Glardon. C’est
à Vallorbes également qu’eut lieu son mariage, le 2 mars 1892, peu avant
‘ son départ pour le Congo.
380
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
amie maternelle, Marie Frantz se faisait aimer de tous ceux qui
l’ont connue enfant. Très intelligente, elle fit plus tard à Neu-
châtel des études en vue d’obtenir le brevet d'institutrice pri-
maire, puis partit pour l’Allemagne, mais pour revenir bientôt
et occuper la place où la trouva quelques années plus tard
M. Gacon, celle d’institutrice à Noiraigue, dans le Val-de-Tra-
vers. Là, elle se fit apprécier de chacun; aussi son mariage
fut-il un vrai deuil pour ses élèves et les autorités scolaires,
qui rendaient le meilleur témoignage à la fermeté de son carac-
tère jointe à une inaltérable douceur, la virent partir à regret.
g La vocation missionnaire avait précédé son mariage; car
quand M. Gacon fit sa connaissance, mademoiselle Frantz fai-
sait déjà des démarches pour être occupée dans l’œuvre des
Zénanas, aux Indes.
« Qui dira le secours intellectuel, moral et spirituel qu’elle
apporta à son mari et à la mission pendant les quatre ans que
dura leur bonheur ? En Afrique, comme en Europe, connaître
madame Gacon et l’aimer, c’était tout un. Elle répandait au-
tour d’elle par son extrême modestie, son amabilité et sa pro-
fonde piété, la bonne odeur de Christ.
« Que celui qui fut sa vie soit la force et la consolation de
son pauvre mari, bien dépouillé, puisqu’il a perdu un tel
trésor ! »
ARRIVÉE DE MM. ET Mmes ALLÉGRET ET RICHARD
NOUVELLES DE LA MISSION
Ainsi qu’on l’a vu plus haut, nos voyageurs sont heureuse-
ment arrivés au terme de leur long voyage. Le mardi 9 juin,
ils touchaient à Lambaréné, où s’arrêtaient M. et madame
Richard, tandis que M. et madame Allégret continuaient leur
route sur Talagouga, où ils débarquaient le lendemain soir
10 juin.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
381
M. Faure, qui avait séjourné jusque-là à Lambaréné, ira
sous peu renforcer la station de Talagouga, affaiblie par le
départ probable de M. et madame Forget etdeM. et madame
Gacon.
M. Richard, en date du 12 juin, après avoir parlé de l’ex-
cellent accueil qu’il a reçu à Lambaréné de MM. Haug et Faure,
nous informe qu’il va remplacer provisoirement ce dernier à
l’école des garçons, qui compte 45 ou 46 élèves. Plusieurs fil-
lettes s’étant présentées pour Fécole, madame Richard espère
pouvoir s’occuper d’elles et les réunir dans une chambre de
l’ancienne maison de M. Jacot.
Nous avons lieu d’être reconnaissants des bonnes nouvelles
qui nous arrivent de Lambaréné. Nos jeunes missionnaires,
MM. Haug et Faure, paraissent pleins de santé, de zèle et d’en-
train, comme nous le montrent les extraits ci-après de leurs
dernières lettres :
«... Voilà, écrit M. Faure en date du lCkjuin, deux ou trois
courriers par lesquels vous n’avez reçu aucune lettre de moi,
et je tiens à vous dire, sans plus tarder, que le manque de
temps est la seule cause de mon silence. Haug m’a laissé seul
ici assez longtemps, et j’ai voulu m’occuper de tout sans lais-
ser l’école. Enfin, depuis plusieurs jours, je préparais mon
déménagement, qui heureusement est fini, et j’ai voulu aussi
mettre la maison en bon état.
« Ma santé, chose importante ici, est très bonne, et depuis
neuf semaines je n’ai pas eu de fièvre; c’est exceptionnel,
parait-il. M. Haug va relativement bien, quoique la fièvre
fasse de temps à autre une apparition. Entre deux accès, il
doit aller en voyage faire des communions ou des tournées.
Dimanche dernier, nous avons eu la communion ici. A cette
occasion, Haug a baptisé huit personnes et en a admis quinze
comme catéchumènes. Cette première grande réunion de
communions m’a fait mieux connaître l’œuvre et les caté-
chistes, et a encore augmenté, si cela est possible, l’affection
que j’éprouve pour ces gens. Vous ne serez pas étonnés d’ap-
382
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
prendre que, de plus en plus, je suis heureux d’être ici, que
j’y vois ma place, mon devoir immédiat, et aussi, il faut bien
le dire, le bonheur le plus complet et la joie que, seul, Jésus
peut mettre dans notre cœur. Mon expérience de la vie mis-
sionnaire n’est pas vieille (peut-on même parler d’expérience ?),
mais pas une minute, même aux moments de maladie, de
fatigue, d’isolement, je n’ai regretté la décision prise il y a
huit mois.
« M. et madame Richard sont bien arrivés hier. Haug et
moi avons été les attendre et avons salué M. et madame
Allégret.
« Il est déjà entendu que le prochain « Éclaireur » m’emmè-
nera à Talagougà. Encore un déménagement 1 Mais peu im-
porte; ici, tout est joie. »
De son côté, M. Haug nous donne d’intéressants détails sur
son activité des derniers mois. En novembre, décembre et
janvier, il a fait trois absences de dix jours chacune, et, pen-
dant ce temps, la station, avec vingt enfants et six ouvriers
(abstraction faite des pagayeurs), a marché sans accroc.
Notre jeune frère a fait 700 kilomètres en pirogue en sept
mois pour inspecter, prêcher, et faire la connaissance des
gens. Il se sent, nous écrit-il, toujours plus de goût pour
l’évangélisation. Des hommes, même des païens, viennent
lui demander de régler leurs palabres.
Malgré ces absences répétées et cette activité extérieure
vraiment infatigable, la station n'est pas devenue une
brousse, comme il y aurait eu lieu de le craindre : les chemins
ont toujours été propres ; les plantations ont été sarclées et,
en février, à l’époque où M. Faure allait arriver, tout a été net-
toyé et refait à fond, afin que le nouvel arrivant pût avoir une
impression d’ordre et de propreté.
C’est le cœur plein de reconnaissance que nos amis ap-
prendront la manière dont notre jeune missionnaire con-
çoit et accomplit sa tâche. Veuille le Seigneur lui continuer
la santé dont il a joui jusqu’à maintenant !
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
383
D’autre part, M. Haug nous informe que la petite vérole a
éclaté dans le pays, et se préoccupe d'arrêter l’épidémie en
faisant une campagne de vaccination. Il en profiterait pour
faire de l’évangélisation itinérante.
Les nouvelles reçues de Talagouga sont, malheureusement,
moins encourageantes. Voici ce que nous dit de sa santé
M. Forget, en date du 19 mai :
« Je suis de nouveau atteint, comme l’an passé, et, cette
fois, ce n’est pas moi seul, c’est aussi ma femme. Il y a de ces
jours où vous nous verriez la face bilieuse, couchés l’un près
de l’autre, chacun faisant effort pour donner à l’autre un peu
de secours. »
Aussi ne sommes-nous pas surpris que notre frère ait
manifesté la crainte de se voir forcé de partir incessamment,
comme nous l’apprenons par une lettre de M, Haug. Peut-être
M. et madame Forget. sont-ils embarqués' à cette heure, en
route pour l'Europe. C’est ce que nous saurons bientôt.
T AÏ Tl
ARRIVÉE DE M. ET MADAME HUGUENIN A RAIATÉA
Voici, en date du 21 avril, en quels termes M. Brunei raconte
l’arrivée de ses nouveaux collaborateurs :
« Nous les tenons enfin, mais non sans peine! Vous devinez
de qui il s’agit : de nos chers amis Huguenin. Retenus en
février par le gouverneur, en mars par la maladie, nous dé-
sespérions de les voir arriver sur nos lointaines plages. Le
29 mars, le vapeur de la Nouvelle-Zélande, se rendant à Taïti,
eut l’esprit de toucher Raiatéa. Je ne fis qu’un bond du pres-
bytère à ce vapeur et, le soir du même jour, je faisais enfin, à
384
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Papéété, la connaissance de nos collaborateurs. C'est seule-
ment huit jours plus tard, le lundi 6 avril, que nous débar-
quions tous enfin à Haiatéa.
« Oh ! que d’actions de grâce n’avons-nous pas rendues à
Dieu, ce jour-là et les jours suivants et aujourd’hui encore !
a II est donc vrai qu’il faut demander pour recevoir, et
demander avec persévérance. L’attente a été longue, mais
notre joie est d’autant plus intense; oui, intense et complète,
sans arrière-pensée, car Dieu nous a donné l’homme qu'il
fallait à notre œuvre. Ce renfort ne double pas, il décuple
nos forces ici, aux îles Sous-le-Vent; et si Dieu me permet
de rester à mon poste, ayant à mes côtés ce courageux et
dévoué compagnon d’armes, nous ferons, j’espère, avec son
secours, de bonne et utile besogne.
« Nous avons commencé depuis quinze jours des réunions
de prières, comme à la maison des Missions, le samedi soir.
Nous étudions l’Évangile de Jean et instruisons tour à tour.
« Ils vous parleront eux-mêmes de l’accueil qui leur était
réservé. A mon avis cet accueil n’a rien laissé à désirer. Les
autorités indigènes en corps nous ont exprimé leur satisfaction
de l’arrivée de nos deux amis. Le roi a été le plus éloquent
de tous; il a fallu pour obtenir ce résultat beaucoup de pru-
dence et de tact...
« Le jeudi 9 avril j’ai présenté M. et madame Huguenin à
leurs futurs élèves et, le 10, notre ami se mettait à l’œuvre. Je
me suis rendu à l’école encore pendant deux ou trois jours,
pour bien le mettre au courant, et maintenant il est tout à fait
à son affaire, aimant ses élèves et déjà aimé d'eux.
« Nous allons construire pour nos amis une jolie case con-
fortable, dans l’enclos de la mission. Une goélette nous ap-
portera le bois dans une quinzaine de jours, et nous commen-
cerons aussitôt. Depuis une huitaine nos amis se portent on
ne peut mieux ; ils sont pleins de joie et d’entrain. Que Dieu
leur conserve la santé ainsi qu’à nous, et notre bonheur sera
sans mélange. Merci à vous, au Comité des Missions pour ce
renfort venu à une époque si opportune... »
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
385
De son côté, M. Huguenin, par une lettre du 30 avril,
raconte son arrivée à Raiatéa. Voici quelques extraits de
cette lettre :
« Comme vous le voyez, c’est enfin d’Uturoa que je vous
écris, et il y a vingt jours que je tiens mon école...
« Nous avons été reçus extraordinairement bien à Uturoa.
Les membres de l’église nous ont fait deux « arofa » et les
enfants deux aussi. De plus, les chanteurs sont venus nous
chanter des a himene » tout un soir, ce qui leur a valu d’être
arrêtés par les « mutor » envoyés par le vice-roi et la reine
de Borabora, furieux de voir l’affection que les indigènes
nous témoignent déjà, car ces chants ne sont réservés géné-
ralement qu’aux rois et gouverneurs.
« J’ai cent vingt élèves inscrits, et chaque jour de cent à
cent dix présences.
« Je tiens la classe de 8 à 11 et de 2 à 5 heures. Ma chère
femme s’est chargée des leçons de couture et de la direction
générale du chant. Tout marche àmerveille4 Je suis enchanté
de ma petite école, et j’espère beaucoup de mes petits Océa-
niens, bien que nous devions marcher à tout petits pas. Mais
nous avons le temps devant nous, et nous ne sommes pas
houspillés ici comme à Papéété par la peur des jésuites, avec
lesquels il faut lutter à tout prix.
« M. Brunei a établi ici une discipline excellente et a posé
des bases solides sur lesquelles il fait bon bâtir. Je trouve
aussi le pays beaucoup plus pittoresque qu’à Taïti, et je crois
que nous y travaillerons avec joie et plaisir. »
* —
386
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
MADAGASCAR
A PROPOS DE L’ATTAQUE DE LA MISSION NORVÉGIENNE
A SIRABÉ
Qui l’eût dit, il y a trois mois, quand nous parcourions ce
pays en tous sens, qu’il était à la veille d’être ravagé par un
vent de rébellion? Tout paraissait si paisible. Seuls, les jé-
suites, dans quelques coins où ils se croyaient à l’abri de té-
moins, troublaient des campagnards timorés en développant
leur thème favori à Madagascar : « Pour être Français, il
faut être catholique. » Ne savent-ils pas que cela est un men-
songe? Notre seule présence, plus que notre parole, a ras-
suré nombre de communautés, où une réelle inquiétude
commençait à s’emparer des esprits.
Mais la paix publique n’était guère troublée. Comment
l’a-t-elle été depuis ? Les causes sont toujours complexes et
obscures. Les faits peuvent se ramener aux grandes lignes
suivantes.
L’échauffourée du 22 novembre dernier, à Arivonimamo,
environ à 60 kilomètres au sud-ouest de Tananarive, qui
coûta la vie à cet excellent M. Johnson, à sa femme et à leurs
enfants, qui fit des beaux bâtiments de la mission protes-
tante un monceau de décombres, se calma presque aussitôt.
On put la considérer comme un spasme, violent sans doute,
suite des excitations de la dernière guerre, mais destiné à
demeurer un accident isolé.
Subitement, dans la semaine du 13 au 20 mars, on en-
tendit parler de troubles graves, rayonnant autour d’Anjo-
robé, à une centaine de kilomètres environ au nord-est de
Tananarive. En même temps, un autre foyer d’agitation
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
387
était signalé beaucoup plus près de la capitale, à quelque
45 kilomètres vers le sud-est, près de Nosibé, Les meurtres
de l’ingénieur Duret et de ses compagnons européens et in-
digènes venaient de là; une autre conséquence fut l’abandon
de la station de la mission de Londres à Tsiafahy, à moins
de 25 kilomètres au sud de Tananarive.
On inclinait à attribuer tout cela à des bandes de brigands.
De temps immémorial, des bandits rançonnent ici des vil-
lages ou des voyageurs isolés, dès le commencement de la
saison sèche; puis, ils disparaissent de nouveau. Il fallut re-
connaître bientôt que le mouvement actuel était d’autre na-
ture, au moins dans le nord. Les troupes envoyées à Anjo-
robé se heurtèrent en route, dès Ambatomainty, à environ
40 kilomètres de Tananarive, contre des bandes nom-
breuses, mal armées, mais qui attaquaient vigoureusement
la colonne, sans pouvoir l’arrêter. Tandis qu’elle continuait
sa marche, ralentie par son grand nombre ainsi que par les
difficultés du ravitaillement, et poussait jusqu’à Ambaton-
drazaka, dans le pays des Sihanaka, à 200 kilomètres de Ta-
nanarive, les bandes se reformaient après le passage de l’ex-
pédition et soulevaient toute la contrée le long de la forêt
qui borde le plateau de l’Émyrne, à Lorient. Dans la seconde
moitié d’avril, les environs d’Ankéramadinika, à une journée
sur le chemin de la capitale vers la côte, n’étaient plus sûrs.
Huit jours plus tard, dans la nuit du 30 avril au 1er mai, deux
fonctionnaires du gouvernement hova furent égorgés à trois
heures seulement de la capitale, dans la même direction. Un
mois après cela, les environs d’Ambohimanga, à 20 kilo-
mètres à peine au nord de Tananarive, commencèrent à s’a-
giter, et les troubles se propagèrent comme une traînée de
poudre de là vers l’ouest. Pendant plusieurs nuits, nous
voyions l’horizon de ces côtés éclairé par les lueurs d’in-
cendies. Vers la même époque, le foyer de Nosibé se ralluma
dans le sud-est, et Sirabé était attaqué dans le sud-ouest.
Quiconque connaît le pays, ou suit cette marche des événe-
ments sur une carte, s’aperçoit aisément qu'en moins de
388
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
trois mois, l’insurrection — car on ne peut plus parler de
simple brigandage — a enveloppé Tananarive comme une
ceinture menaçante, se serrant sensiblement et assez vite,
ne laissant qu’une ouverture du côté de l’ouest.
Voilà les faits. Pour en faire comprendre le caractère, il
suffit de raconter l’attaque de Sirabé.
Le meneur des rebelles au sud de l’Ankaratra est un
nommé Rainibetsimisaraka, bandit redouté dans toute cette
région depuis pas mal d’années. Sirabé est situé à 130 kilo-
mètres, à vol d’oiseau, au sud de Tananarive; il faut trois
journées de marche pour y arriver, en contournant le massif
de l’Ankaratra. Dès 1869, la mission norvégienne y fonda sa
deuxième station. Elle est devenue l’une des plus impor-
tantes du district septentrional du Betsiléo. La statistique du
mois d’avril dernier y compte 4,068 membres, dont 766 en-
fants. Les bâtiments comprennent une très jolie église, la
maison du missionnaire Rosaas avec ses dépendances, la
maison d’école, un sanatorium fort bien aménagé, un hô-
pital, dont le directeur, le Dr Ebbell, vient de terminer la
construction d’une spacieuse maison d’habitation; enfin, à
quelque distance de là, dans la direction de Bétafo, la lépro-
serie, consistant en une soixantaine de maisonnettes dispo-
sées autour d’une église. Trois cents et quelques lépreux y
sont soignés sous la direction dévouée de la sœur Maria Fo-
reide. A l’hôpital, près de 200 malades ont été reçus pour un
temps plus ou moins prolongé au cours de l’année der-
nière, et 2,005 autres malades ont fait, durant la même
année, 4,900 visites à la polyclinique.
C’était l’époque de la conférence annuelle. La plupart des
missionnaires s’étaient rendus à Fianarantsoa pour y as-
sister. Seuls, MM. Vig, de Masinandraina, et Engh, de Bé-
tafo, s’étaient établis temporairement à Sirabé avec 16 mem-
bres féminins et 9 enfants de la mission norvégienne du Bet-
siléo septentrional.
Le dimanche de Pentecôte, 24 mai dernier, après le culte
du matin, la rumeur se répandit que les rebelles marchaient
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
389
sur Loharano, une autre station norvégienne (1), située à
deux heures et demie vers Test. Dans l’après-midi, ce bruit
se confirma, et bientôt on apprit de source certaine que
toute la station de Loharano venait d’être pillée et saccagée
et était en flammes. M. Gulbrandsen, le missionnaire qui
était à Fianarantsoa, et sa femme, réfugiée à Sirabé, ont
perdu tout ce qu’ils possédaient. On n’y pensait guère sur
le moment, car le message ajoutait que les rebelles avan-
çaient dans la direction de Sirabé.
Il y avait en séjour au sanatorium l’interprète français de
la résidence de Bétafo, M. Gerbinis, et sa jeune femme. Le
résident de Bétafo, M. Alby, bien connu et fort apprécié de
nos missionnaires de Taïti, avait stationné à Bétafo 20 mi-
liciens malgaches, sous les ordres de deux sergents français;
il était lui-même en tournée dans le sud avec une trentaine
de miliciens, le gouverneur Rainijaonary et ses troupes.
J1 restait à Bétafo un secrétaire de la résidence, trois ser-
gents et une trentaine de miliciens, tous ^nouvellement re-
crutés. M. Gerbinis dépêcha immédiatement un messager à
Bétafo, à, environ trois heures de marche de Sirabé, afin d’ob-
tenir des secours. Lundi, à deux heures du matin, il arriva
un sergent et 16 miliciens. Le plan de défense fut vite arrêté.
Les forces dont on disposait étaient insuffisantes pour dé-
fendre le village; on décida donc de se retrancher dans la
maison du missionnaire Rosaas, la seule qui fût couverte de
tuiles et qui offrît quelque résistance à l’arme la plus dange-
reuse des brigands en pareil cas, l’incendie. Les femmes et
les enfants furent consignés sous les combles.
Vers dix heures du matin, des hurlements sauvages et si-
nistres annonçaient l’arrivée de l’ennemi. Bientôt, les tuiles
volèrent en éclats sous une grêle de balles et, des combles,
les femmes furent obligées de descendre au second étage.
Une lutte acharnée s’engagea alors jusque vers cinq heures
(1) Fondée en 1870, et comptant 2,797 membres.
390
JOUiaïAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
du soir. Les assaillants étaient au nombre de 1,500 au
moins: ils avaient un drapeau rouge; derrière eux se mas-
sait la foule indécise, prête à prendre part au pillage, si la
victoire restait aux insurgés. « En moins de temps qu’il n’en
faut pour le dire, écrit mademoiselle Engh (1), nous vîmes
le sanatorium et l’hôpital investis, pillés, dévastés, et presque
aussitôt les toits en roseaux de ces constructions furent in-
cendiés. » Puis, la maison du Dr Ebbell fut attaquée. Comme
le tir des assiégés commandait la porte, les forcenés per-
dirent pas mal d’hommes avant de se décider à entrer par
derrière, après avoir brisé un contrevent. Un panache de
fumée couronnant le chaume du toit fît connaître aux as-
siégés cette manœuvre. Cette maison en feu était à une dou-
zaine de mètres de celle du missionnaire Rosaas.
De trois côtés il y avait donc des flammes. « De toutes
parts, des masses d’hommes, avides de notre sang, nous en-
touraient, dit M. L. Vig. Ils se démenaient pire que des bêtes
féroces. Et dire que dans cet hôpital saccagé et s’en allant en
flammes, tant de Malgaches avaient retrouvé la vie, tant
d’autres avaient été soulagés et soignés jusqu’à leur dernier
soupir par des mains dévouées et charitables! Est-ce là le
fruit de l’œuvre du Samaritain accompli par le Dr Ebbell et
les deux sœurs diaconesses Anna Hofstad et Maria Tot-
land ? o
L’un des sergents, l’héroïque Delalbre, tenta de faire une
diversion en s’élançant au milieu des bandits. Ils étaient trop
nombreux. De plus, ils envahissaient la porte nord de l’en-
clos. 11 fallut rappeler le sergent, qui revint couvert de sang,
mais non dangereusement blessé. Ce jour-là ou le lende-
main, vrai troupier de France, il cueillit avant de rentrer, et
sous le feu de l’ennemi, une gerbe de fleurs au jardin pour
(1) Plusieurs lettres, reçues de Sirabé, m’ont été obligeamment com-
muniquées par le l)r Borchgrevink, surintendant de la mission norvé-
gienne. D’autres détails proviennent de la bouche de madame Gulbrand-
sen, arrivée ici avant-hier.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
391
l’offrir aux dames qui le pansèrent. Puis il alla s’accroupir
sur la véranda, et de là, visant avec calme, il fusillait les as-
saillants. A chaque coup qui portait, il s’exclamait : Tsar à
va, tompoko ê ? « Cela va bien, monseigneur?» la salutation
usuelle qu’on adresse à un noble.
La porte de l’enclos n’en fut pas moins forcée, et les ban-
dits se massèrent derrière l’une des dépendances contenant
des provisions, à quelques pas seulement de la maison. Une
fois de plus, Delalbre se dévoua et, avec quelques miliciens,
il alla chercher’ dans cette maisonnette, dont l’ennemi per-
çait déjà le mur opposé, six bidons de pétrole qui eussent pu
devenir une arme redoutable entre les mains des brigands.
Les hommes, excités par l’intérêt de la lutte, s’oubliaient.
Mais qu’on se figure le sentiment des femmes et des enfants,
voyant ces hordes sauvages, farouches, impitoyables, innom-
brables de tous côtés, des flammes tout autour de la maison,
et sachant que le peu de munitions de leurs défenseurs s’é-
puisaient rapidement!
Cependant l’attaque cessa vers cinq heures, bien que la
maison restât cernée. Quand la nuit fut tombée, des lueurs
rouges éclairèrent l’horizon sud et ouest, ainsi que du côté de
Masinandraina. C’était les églises des annexes incendiées par
les rebelles. Plus près, à l’horreur indicible de tous, mais
surtout de la sœur Maria Foreide, on voyait brûler Ambohi-
piantrana, le village et l’église des lépreux. « Pauvres gens !
s’écria mademoiselle Engh, faut-il qu’ils aient à souffrir du
fait ‘d’avoir accepté les soins chrétiens de quelques Euro-
péens! »
Avec cela, l’attente d’un secours énervait les assiégés. Les
quelques soldats et les deux sergents restés à Bétafo vien-
draient-ils? « Nous les attendions lundi soir, dit un témoin;
notre attente fiévreuse atteignit son comble mardi, dans la
matinée. Rien. Alors, nous comprîmes que c’était fini. » En
effet, le secrétaire de la résidence, les deux sergents et vingt-
trois recrues s’étaient avancés jusqu’à près de deux kilo-
mètres de Sirabé lundi soir, vers cinq heures; ils virent tout
392
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
le village en feu ; la fusillade qu’ils avaient entendue dans
l’après-midi avait cessé. Ils en tirèrent la conclusion assez
naturelle que les assiégés avaient succombé, et quand ils
aperçurent l’incendie d’Ambohipiantrana, ils se replièrent
sur Tananarive. C’est ainsi que nous eûmes ici des nou-
velles de la tragédie.
Mardi, l’ennemi parut surtout occupé à emporter du butin.
Ce n’est que vers midi qu’il se reforma en colonne pour re-
nouveler l’assaut. Mais alors ce fut une lutte à mort qui dura
jusqu’au soir. L’ancien sanatorium, mitoyen de l’enclos, fut
incendié; puis, une construction basse, couvrant deux mou-
lins. Le cercle de feu se rétrécissait autour de la maison Ro-
saas. Et il ne restait que quelques cartouches, que se parta-
gèrent les meilleurs tireurs.
Pendant quelque tem^ lu, destruction de l’église absorba
l’ennemi. Ce n’était pas pour rassurer les assiégés. « Je sou-
haite à tout chrétien et à tout homme civilisé de ne jamais
entendre des hurlements et des cris diaboliques comme ceux
qui nous glaçaient jusqu’à la moelle des os, pendant que cette
cohue de sauvages brisaient tout ce qui avait été consacré au
Seigneur», dit l’un des missionnaires; et mademoiselle Engh
écrit : a Tout fut brisé en menus morceaux : les bancs, la
chaire, l’autel, les fonts baptismaux, l’harmonium, les portes,
les fenêtres. Les clameurs sataniques qui accompagnaient
cette dévastation furent ce qui m’épouvanta le plus. »
La nuit du mardi au mercredi fut relativement tranquille ;
mais la lumière du nouveau jour, — cela ne faisait de doute
pour personne, — devait éclairer la fin du siège. «Nous étions
préparés à quitter cette vie, disent presque dans les mêmes
termes toutes les lettres que j’ai sous les yeux. Nous en
avions fait le sacrifice. Et je suis persuadé, ajoute M. Yig, que
nous nous serions tous retrouvés au ciel. Mais, tout prêts à
mourir que nous fussions, je dois avouer que la figure sous
laquelle la mort se présentait à nous me faisait frémir d’hor-
reur. Les cris démoniaques de la veille emplissaient encore
nos oreilles. »
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
393
Mercredi, les bandits n’arrivèrent pas en masse et en rangs
serrés. Ils venaient par petits groupes. Ils avaient renoncé à
donner l’assaut. Ils ignoraient qu’avec les quelques cartou-
ches qui restaient, il eût été impossible de les tenir à distance.
Ils avaient changé de tactique. Ils ramassaient maintenant
du bois et d’autre combustible pour enfumer les assiégés. En
même temps, ils réunissaient de grandes quantilés de poivre
de Cayenne, assaisonnement d’un grand usage dans le peu-
ple ; le poivre, lancé dans le feu, dégage une fumée âcre, in-
tolérable. Ils apportèrent même un baril de poudre. D’autres
arrivaient armés de bêches pour miner la maison aux quatre
coins.
« Les liens de la mort nous enserraient,, écrit M. Yig. Nous
criions du fond de nos cœurs au Dieu de notre salut, quoique,
à vues humaines, tout espoir fût vain. M. Gerbinis, qui, jus-
que-là, s’était évertué à relever notre moral, déclara que
maintenant il nry avait plus de secours à attendre sauf de
Dieu. Le Seigneur nous livrera-t-il tous à une mort affreuse?
Permettra-t-il que ces païens hurlent de joie, pensant avoir
vaincu le Dieu des chrétiens? Nous étions là 27 Norvégiens,
16 femmes et jeunes filles, 9 enfants et 2 hommes; 5 Français,
M. et madame Gerbinis et les 3 sergents; soit 32 Européens,
plus 33 miliciens iftalgaches et quelques autres indigènes qui
s’étaient réfugiés auprès de nous. N’avions-nous pas le droit
d’espérer que Dieu aurait pitié des petits enfants? Tant que
nous priions, nous le croyions; mais après cela, en face de la
réalité visible, les ténèbres nous envahissaient derechef. »
Vers une heure de l’après-midi, mercredi 27 mai, l’un de
ces malheureux crut apercevoir une troupe nombreuse sur
les collines, vers l’ouest. Tous les regards se fixèrent sur ce
point de l’horizon. Était-ce le secours attendu vainement de-
puis plus de deux jours? ou était-ce un nouveau renfort de
l’ennemi allant hâter le dénouement final? Comme les as-
siégeants continuaient diligemment les préparatifs de l’incen-
die, on inclinait vers la seconde alternative. Mais voici qu’on
aperçoit clairement, au-dessus de la colonne qui approchait,
29
394
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
le drapeau blanc. Ce ne sont donc pas des rebelles. Nul doute
n’est plus possible. Notre Dieu est un Dieu qui exauce les
prières. « Nous ne pouvions contenir notre joyeuse émotion,
raconte mademoiselle Engh; des cris de joie éclatèrent parmi
les miliciens; toute la maison en retentissait; l’un dansait,
l'autre battait des mains. Ceux-là seuls qui ont vu la mort en
face sur les grandes eaux, accrochés à quelque épave, déses-
pérant de vivre, puis soudain recueillis par une embarcation
apparue inopinément, miraculeusement, ceux-là seuls peu-
vent mesurer* ce que nous avons ^prouvé à cette heure. »
M. Vig exprime la mêm~ ^c^sée À «Jamais nous ne pour-
rons oublier ce moment. Notre vie nous était rendue comme
par miracle. »
Aussi bien c’est par une intervention providentielle, dont
les détails seraient trop longs à exposer ici, que M. Alby et
Rainijaonary avaient modifié leur itinéraire et étaient arrivés
à Tranomainty mardi soir. Là, ils apprirent ce qui se passait
à Sirabé. Fatigués d’une longue journée de marche, ils repar-
tirent aussitôt et arrivèrent à Bétafo vers quatre heures du
matin ; après quelques heures de repos indispensable, ils
marchèrent sur Sirabé.
Les rebelles semblent ne pas les avoir vus venir, ou bien ils
les prenaient effectivement pour des alliés# Ils furent surpris
et tués en grand nombre. On ramassa, dans la soirée et le
lendemain, plus de 500 cadavres.
On poursuivait encore les fuyards, que la sœur Maria Fo-
reide avait déjà couru au village des lépreux, rassurant et
pansant les impotents qu’elle y trouvait en vie, à l’abri de
quelque pan de mur ou cachés dans les broussailles.
« De douloureux soupirs se mêlaient à notre joie, écrit
M. Yig vers la fin de sa lettre, quand nous vîmes de près les
traces de la terrible dévastation tout autour de nous. » Sans
compter les pertes personnelles des missionnaires, les dégâts
de la Société norvégienne sont évalués à plus de 200,000 fr.
dans tout le district. « Mais, ajoute le missionnaire, ces dé-
sastres matériels ne sont pas les pires... Ce qui vient d arri-
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
395
ver retardera notre œuvre ici de beaucoup d’années. Je ne
puis même, par instants, me défaire de la crainte que tout ne
soit à recommencer. »
Cette attaque de Sirabé est, jusqu’ici, l’épisode le plus dra-
matique de la crise que nous traversons à Madagascar. Mais le
caractère de ce mouvement de rébellion est identique partout.
11 y a un fonds premier de brigandage dans tout cela. Sur ce
«fahavalisme », qui a toujours existé à Madagascar à l’état
sporadique, se greffe aujourd’hui un élément nouveau et qui
devient nettement prépondérant: c’est une réaction nationale
et païenne contre tout Européen et chrétien. Les « fahavalo »,
puisque ce nom continue à être donné aux rebelles, en veu-
lent à tous les Européens, non pas seulement aux Français;
de même, ils incendient partout les églises. On compte, jus-
qu’à ce jour, cent vingt et quelques églises brûlées, et il y a
bien des districts envahis sur lesquels il n'y a point de ren-
seignements. Ces mêmes bandes d’insurgés massacrent
quand ils le peuvent les évangélistes, les pasteurs, les insti-
tuteurs, pour peu que ces hommes soient les représentants
des coutumes des vazaha ou « gens d’outre-mer». En plu-
sieurs endroits, ils ont détruit tous les livres ou papiers
qu’ils ont pu trouver. Tous ces insurgés ont remis en vigueur
les vieilles coutumes païennes : ils promènent avec eux des
idoles et ont pleine confiance dans leurs charmes. Ils impo-
sent ces pratiques aux populations paisibles dont ils en-
vahissent les villages. Ceux qui refusent de renoncer au
christianisme, sont menacés de mort et tués s’ils ne réussis-
sent pas à s'échapper. Mais il y a eu plusieurs martyrs au-
thentiques. On se demande s’il existe un troisième facteur,
Y a-t-il des chefs? Ces chefs s’entendent-ils? Plus que cela,
les fils de toute cette agitation ne sont-ils pas tenus ici à
Tananarive par quelques personnages importants? En secret,
on prononce des noms, mais les preuves manquent absolu-
ment.
Dieu sait ce qu’il en est. Il sait aussi quelle sera l’issue que
nous ne pouvons prévoir. En négligeant ici tout le côté poli-
396
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tique, il est évident que le christianisme de Madagascar passe
r
par une crise grave. L’Eglise de Jésus-Christ en sortira puri-
fiée, car l'Éternel règne.
F. H. K.
VARIÉTÉS
UNE VISITE A LA « MISSION DES UNIVERSITÉS »
A ZANZIBAR (1)
Dans d’autres rues, il n’y a pas de boutiques; les mai-
sons ont peu d'ouvertures ; par contre, les battants des
portes sont très remarquables : de bois épais, profondément
sculptés; les dessins sont géométriques, le style est arabe,
sauf dans des travaux plus récents, ce semble, où l’on sent
l’influence indoue. Plusieurs de ces portes sont, en outre,
garnies de clous en cuivre jaune, polygonaux, de cinq à huit
centimètres de diamètre ; quelquefois ces clous ont la forme
de fuseaux, se terminant en pointe, comme pour défendre
l’accès aux intrus. Cela donne un air cossu à ces maisons ;
leurs habitants ont l’air d’avoir conscience d’eux-mêmes. La
fermeture ou serrure de ces portes est non moins curieuse :
elle est fixée à l’extrémité supérieure du poteau médian, en
relief sur les deux battants dont il recouvre la jointure; c’est
une chaîne solide, longue de vingt-cinq à trente centimètres ;
le dernier chaînon passe par une épaisse boucle de fer
scellée dans le linteau ou dans le mur; on passe un énorme
cadenas dans la boucle, par dessus le chaînon accroché; un
tour de clef ou deux peut-être, et les gens qui restent dans la
maison sont bien, comme on dit, sous clef. Soit dit en pas-
sant, on estime les habitants de la ville de Zanzibar à 80,000
(i) Voir page 342.
VARIÉTÉS
397
habitants; d’autres disent 100,000 habitants. J’ai demandé
un plan de la ville; cela n’existe pas. Aussi bien le dédale, en
apparence inextricable de ces ruelles tortueuses eâ s’entre-
croisant comme un écheveau embrouillé, donnerait du tra-
vail à une escouade de géomètres-arpenteurs. Dans les rues
sans magasins, il y a peu de monde; dans les autres, il y
foule. C’est un aspect décidément pittoresque, surtout quand,
de distance en distance, le fin stipe d’un cocotier incliné et
couronné de son panache retroussé par la brise, se montre à
l’extrémité d’une ruelle, ou que, dans un coin où s’accumu-
lent les immondices, une végétation drue, luisante, dont la
couleur verte a une intensité invraisemblable, attire l’œil.
Parmi les passants, on distingue aisément le nègre portefaix,
homme de peine; à l’heure matinale où je traversais les rues
de Zanzibar, de nombreuses négresses, vêtues d’un pagne,
avec, par-dessus, une étoffe de couleur voyante, serrée autour
de la poitrine comprimée, passant sous les bras qui demeu-
rent libres, et retombant jusqu’à mi-corps. Sur la tête, dont
les cheveux étaient artistement et curieusement nattés, elles
portaient de l’eau, la provision pour la journée, sans doute;
mais ce qui leur servait d’amphore gâtait le tableau : dans la
plupart des cas, c’étaient des bidons de pétrole. Les Indous
conservent leur costume, le seul apparemment qui permette,
sous ces latitudes, de passer la journée sans fondre comme
du beurre sur un poêle : une calotte blanche, légère, ajourée;
une veste, en mousseline transparente quand le propriétaire
est aisé, largement décolletée et garnie de broderies de soie;
un pantalon de même étoffe, ou plutôt une culotte, puis-
qu’elle s’arrête au genou; aux pieds des sandales. Les Arabes
semblent former l’aristocratie. J’en ai vu deux, entre autres,
qui étaient de vrais Arabes d’opéra, avec, en plus, tout ce
que peut donner la réalité et le cadre authentique. Un tur^
ban, tissu de soie; une belle tête, fine, intelligente; la barbe
noire, soignée, toujours rasée sous l’oreille et sous la mâ-
choire ; un vêtement de couleur foncée, bleu ou marron, en
forme de cafetan, ouvert largement sur le devant, et laissant
398
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
apparaître une belle gandoura blanche, relevée de broderies
en soie jaune ou bleuâtre; la gandoura, qui retombe jusque
sur les babouches, est retenue autour des reins par une cein-
ture blanche ou de couleur, dans laquelle reluit un large cou-
telas à poignée ciselée et ornée de pierreries, à gaine non
moins richement travaillée. Ajoutez à cela un port droit, la
démarche assurée et consciente de gens qui n’évitent per-
sonne, mais auxquels on cède le haut du pavé, et vous aurez
une idée de l’aristocratie de Zanzibar, que la traite des
esclaves a enrichie.
Après avoir affranchi nos lettres à la poste, je donnai à notre
cicerone lilas le mot d’ordre : « English cathédral. » Il répéta
en inclinant la tête, et nous mena à l’ancien marché aux
esclaves, où l’évêque anglican Steere, aidé du consul sir John
Kirk, a fait construire une cathédrale dont on voit, au large
de Zanzibar déjà, le haut clocher. Son profil traditionnel, tour
carrée et flèche pyramidale assez élancée, jure quelque peu
avec le style architectural adopté pour la nef, arcades en fer
à cheval, baies en trèfle mauresque, et autres motifs caracté-
ristiques. De fort beaux vitraux ferment les hautes fenêtres;
l’ameublement, la tenture des autels, car il y en a deux dans
des chapelles latérales, outre le maître-autel, tout est installé
avec goût et avec la plus pure correction liturgique. Des
stalles massives, dont le bois a été sculpté à Bombay, gar-
nissent les deux côtés du chœur. On ne s’y tromperait pas,
si on l’ignorait, la Société des universités qui dirige l’œuvre
des missions à Zanzibar, mais qui travaille surtout dans l’in-
térieur africain et sur le Nyassa, appartient à la fraction la
plus ritualiste de l’Église anglicane.
Nous fûmes conduits au presbytère à travers un admirable
jardin. Une sorte de mimosa attire surtout notre attention : son
feuillage, si délicatement découpé, disparaissait par endroits
sous une profusion de fleurs d’un rouge intense, ardent; ce
sont d’énormes calices à cinq pétales, avec un pistil rouge
mais à pollen jaune, le tout grand comme la paume de la
main. Voilà les arbres qui, le matin, avaient rayé d’une ligne
VARIÉTÉS
399
rouge le paysage de Zanzibar qui passait sous mes yeux.
Sous la porte ouverte de la maison, où nous avait conduits
notre jeune guide, derrière la cathédrale, à droite de l’abside,
quelques négrillons, auxquels je demandai le missionnaire,
disparurent. Après un assez long moment, parut un homme
jeune encore, imberbe, vêtu d’une longue soutane blanche à
cordelière noire. La présentation fut cordiale en somme; le
prêtre se mit à notre disposition, à condition que nous lui
accordions un instant pour terminer une conversation impor-
tante avec un membre de son troupeau. Il appela un inten-
dant, un de ses collègues, vêtu comme lui. Nous montâmes
un escalier de pierre assez étroit. Toute la maison a un cachet
oriental bien compris et adapté au climat. Cela dénote de la
part des constructeurs une ouverture d’esprit et une accom-
modation, une souplesse peu communes, de la part d’anglo-
saxons surtout. Du reste, ceux qui lisent la publication de la
mission dite des Univérsités savent combien on y rencontre
de théorie saine, de principes justes, concernant, par exem-
ple, l’éducation, ou plutôt le degré de civilisation convenant
au clergé indigène. Cela tend à prouver une fois de plus
qu’une forte culture intellectuelle, au grand air, en contact
avec le mouvement de la pensée contemporaine, est un avan-
tage partout, surtout en mission. A condition, cela va sans
dire, qu’une piété réelle, un christianisme personnel et
intense soit l’âme de l’activité apostolique. Mais, cela posé,
l’action du missionnaire sera maladroite ou efficace, plus ou
moins saine ou malsaine, suivant que le missionnaire a des
principes fermes et justes ou est mal orienté, borné, travail-
lant inconsciemment et dépourvu de toute idée générale.
Dans la chambre du missionnaire, personne ne se serait
mépris sur la nationalité de l’habitant. La physionomie parti-
culière des livres qui, nombreux, garnissaient tout près de
deux parois de la cellule, eussent suffi à faire deviner l’An-
glais : quelques portraits, entre autres celui de l’évêque
Smythies, en grand costume épiscopal, la mitre en tête, la
crosse en main. Son successeur, A. Richardson, arrivé en
m
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Afrique en août dernier, est un mathématicien distingué; sa
bibliothèque de 20,000 volumes le suit; elle est encore en
route. Un grand crucifix au chevet du lit; des croix, en géné-
ral un peu plus que de raison, marquent le caractère ecclé-
siastique spécial de cette mission. J’ai été d’autant plus heu-
reux de voir, parmi des papiers empilés dans un coin, la
couleur et le titre familier du C hur ch Missionary Intelligence!'.
On ne reste donc pas ici, comme je l’ai remarqué trop sou-
vent dans d’autres stations de mission, indifférent à tout ce
que l’on ne fait pas soi-mème. L’habitant de cette chambre,
ses collègues peut-être, feuillettent, je l’espère, au moins les
pages où ils peuvent suivre les merveilleux progrès que
l’Évangile de Jésus fait sur le continent en face de Zanzibar,
surtout sur les rives septentrionales du Victoria-Nyanza.
C’est le moins, puisque les deux missions sont faites par des
membres de la même Église anglicane. Mais qui ne saurait
quelles tendances diverses et même contraires s’agitent sous
les vastes plis du manteau anglican ! Il paraît pourtant que
les évêques Tucker, de l’Afrique équatoriale, et Kestel-Cor-
nish, de Madagascar, fréquentent également la résidence de
l’évêque de Zanzibar.
(A suivre.) F. H. Kruger.
Dernière heure. — Dans ses dernières séances, le Co-
mité a arrêté la destination de deux élèves ayant fini leurs
études, MM. Paul Louis Yernier et Auguste Coïsson.
Le premier a été appelé à renforcer la mission de Taïti, et
le second celle du Zambèze; mais l’époque de leur départ
nest point encore fixée. La consécration de M. Vernier aura
lieu à Montmeyran, le 20 août prochain; celle de M. Coïsson,
dans les premiers jours de septembre, aux Vallées Yaudoises.
Le Gérant: A. Bûegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20511.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
401
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
A PROPOS DE NOS DEUILS
Réflexions d’un missionnaire.
Un de nos missionnaires nous adresse du Lessouto, à pro-
pos de la mort de M. Goy, ces réflexions qui s’appliquent
aussi au deuil récent de la mission du Congo :
« La mort de Goy a été pour nous un coup de foudre. Pau-
vre madame Goy I Pauvre mission du Zambèze !
« Et pourtant, ces morts de missionnaires et même ces dé-
parts de missionnaires pour les pays insalubres, cela a quel-
que chose de grand que Ton devrait remarquer. (J’en parle à
mon aise, parce que je suis dans un pays salubre entre tous,
donc tout à fait en dehors de la question.)
« Il faut féliciter nos Églises de posséder des hommes qui,
comme nos collègues du Congo, du Sénégal et du Zambèze,
vont bravement, dans toute la force de la jeunesse, libres
ment, volontairement, s'exposer à la maladie et s’offrir à la
mort. Ils ont le loisir de faire leurs réflexions avant de par-
SEPTEMBRE 1896. 30
402
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tir, de regarder les dangers en face et de se placer en pré-
sence de la mort. Et pourtant ils y vont! Ils savent que Dar-
dier y est mort, que Bonzon, H. Jacot, Lauga, Golaz et
d’autres y sont morts... Et pourtant ils y vont!...
« Nos Églises de langue française produisent donc encore
des hommes et des femmes de cette trempe. On y suce encore
le lait des convictions fortes jusqu’au sacrifice suprême et du
dévouement à Dieu plus fort que la mort. Les prédications et
les instructions de nos pasteurs produisent encore de ces vo-
cations qui permettent à des pères et à des mères d’envoyer
leurs enfants au poste du danger et de renoncer à eux-mêmes
complètement...
« C’est un honneur pour nos Eglises que ces sacrifices, une
preuve de leur vitalité, un fruit de leur piété et de leur amour.
On peut encore tout espérer d'Êglises qui suscitent des mis-
sionnaires pareils et qui les remplacent quand ils sont tom-
bés sur le champ de bataille. On a vu avec raison, dans les
exploits de nos soldats de Madagascar, une preuve de la va-
leur de l’armée française et de la France. Il faut voir, dans
les missions dangereuses, une preuve de la valeur de nos
Églises. Car des Églises qui produisent des « martyrs » sont
capables de réaliser toutes les espérances que l’on fonde sur
elles. Au-dessous de l’apathie extérieure il y a des trésors de
renoncement et de foi que mettent à la lumière les victoires
sur le déficit et l'envoi de missionnaires aux postes dange-
reux... »
Avons-nous raison, avons-nous tort de publier ces lignes
encourageantes? Nous croyons qu’elles pourront faire du
bien, à condition de nous pousser tous : Églises, familles,
pasteurs, simples chrétiens, à un humble retour sur nous-
mêmes, montrant à chacun où il en est de sa consécration
à Dieu et de ce don sans réserve qui va jusqu’au sacrifice
et jusqu’à la mort.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
4-03'
NOS MISSIONNAIRES EN CONGÉ
Il ne peut entrer dans notre pensée de suivre pas à pas
nos missionnaires en séjour parmi nous, surtout pendant ce
temps de congé; cependant nos amis nous sauront gré de
les tenir au courant de leurs mouvements.
M. Christol s’est installé à Paris avec sa famille ; mais, dès
son arrivée, il s’est mis à la disposition du Comité et des
Églises pour parler des missions : c’est ainsi qu’il a pu se
faire entendre, à plusieurs reprises, à Paris, notamment à
la fête de la jeunesse; àLaforce, à Carcassonne, à Montpellier,
dans le Calvados, ailleurs encore.
M. Escande a pu, à peine arrivé, prendre part à la fête des
missions de Saint-Jean-du-Gard. M. Ch. Viénot a représenté
notre Société à la fête des missions de la vallée de la Dor-
dogne.
MM. Jacotiet et Z. Jalla sont allés, après un court séjour à
la Maison des missions, s’installer au sein de leurs familles,
dans leur patrie respective. Le commencement de leur
congé doit être consacré à un repos bien mérité; cependant,
on ne sera pas étonné que, l’un et l’autre, nos frères aient dù,
à peine arrivés, prendre part à diverses fêtes et réunions des
missions. M. L. Jalla nous a fait un récit touchant de la ré-
ception qui lui a été faite dans son pays. Nous en reprodui-
sons quelques lignes :
«"A Turin, un vrai cortège nous attendait à la gare. Pa-
rents, amis, tout ce qui avait pu s’y rendre y était. Le vendredi
soir, les Unions de jeunes gens et de jeunes filles s’étaient
concertées d’avance pour nous souhaiter ensemble la bienve-
nue et avaient invité, de plus, nos nombreux parents de Tu-
rin. Nous eûmes une charmante soirée, avec chœurs composés
tout exprès pour notre retour, surabondance de fleurs, ra-
fraîchissements, etc. Les quatre pasteurs vaudois de Turin y
étaient, et même ceux des autres dénominations. Nous étions
404
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
confus de tout l’intérêt qu’on nous témoignait. Oh! si ma
mère était encore là, comme ces joies du retour eussent été
complètes, mille fois plus douces !
« Nous sommes montés à La Tour le samedi soir. On aurait
dit que connus et inconnus avaient été prévenus de notre ar-
rivée. Entre autre, notre Mofaéa (1) excita une telle curiosité
parmi les gamins de La Tour, qu’ils formèrent groupe au-
tour d’elle, et elle en sanglota de la station à la maison. Oh!
cette maison sans ma chère mère ! Sa pensée était dans nos
cœurs à tous, et les pleurs se mêlaient à la joie de se retrou-
ver. Tous nos plus proches parents ici soupèrent et passè-
rent la soirée avec nous.
« On voulut nous souhaiter publiquement la bienvenue, le
dimanche soir, au temple de Saint-Jean. On avait renvoyé
jusque-là l’inauguration de la lumière électrique. Nous pen-
sions n’y trouver que des amis de Saint-Jean : aussi vous de-
vinez notre surprise en y trouvant, malgré l’heure tardive,
tous les pasteurs du Val Pelis et jusqu’à M. et madame Weit-
zecker, venus exprès du Pomaret, et puis une foule! Le
temple en regorgeait; il y avait, en tous cas, plus d’un mil-
lier de personnes. Nous ne savions où nous cacher, et il fallut
se tenir sur l’estrade. Un chœur, très bien exercé, dirigea
plusieurs chants pour la circonstance. Il y avait là des per-
sonnes venues de loin, très loin même. M. W. Meille nous
souhaita la bienvenue au nom de tous, puis nous offrit un
splendide service de communion et le portrait de ma mère,
en grandeur naturelle. Je répondis, naturellement; puis cha-
cun des pasteurs parla à son tour. A dix heures et demie
passés on sortait, après une collecte pour le Zambèze.
« Oh! que j’aimerais avoir une parole plus éloquente et
plus chaleureuse que la mienne pour mieux nourrir, au pro-
fit des missions, la sympathie dont on nous entoure... »
N’est-il pas vrai que de semblables tableaux font toucher
du doigt tout le profit qu’une Église tire de ce qu elle fait
(1) Petite Zambézienne qui accompagne M. et madame Jalla.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
405
pour les missions? En donnant son intérêt, son argent, ses
enfants, c’est pour elle qu’elle travaille, c’est elle-même
qu’elle eurichit tout en faisant du bien aux païens.
Quant à M. Coillard , il est actuellement à Contrexeville
faisant une cure. Il s’y trouve assez seul, mais jouit, nous
écrit-il, de cette solitude qui lui procure un repos bien néces-
saire et lui permet de mettre à jour sa correspondance. Avant
de s’y installer, il avait pris part, en Angleterre, aux réunions
de Guildford et de Keswick, réunions auxquelles participent
des milliers de chrétiens venus de tous côtés pour chercher,
dans la prière et l’étude de la parole de Dieu, le secret d’une
communion renouvelée avec le Maître et d’une force nouvelle
pour son service. Notre missionnaire a beaucoup joui de ce
temps de retraite. A Guildford, comme à Keswick, il a joui de
tout ce que l’hospitalité chrétienne la plus délicate peut offrir
à un serviteur de Dieu, fatigué. A Keswick, il a eu le privilège
de demeurer sous le même toit que le missionnaire Hudson
Taylor. Il écrit à ce propos :
« Avant de nous être vus, nous n’étions pas des étrangers;
nous devînmes amis, je crois que je puis le dire sans ostenta-
tion. Les réunions ont été bien belles et bien bonnes. J’aurais
voulu que vous fussiez à ce festin spirituel. La vue seule de
ces milliers de personnes qui, une heure à l’avance, cher-
chent une place dans cette énorme tente — elle en contient
trois mille, dit-on — est frappante... Ce qui m’a fait le plus
de bien, ce sont les études bibliques de M. Hubert Brooke.
J’irais à dix lieues pour en entendre une... »
M. Goillard nous donne ensuite des nouvelles des deux
Zambéziens qu’il a ramenés avec lui : « Je les ai placés chez
M. H. Grattan Guinness, à Cliff. Sémonji est aimé de tout le
monde, et, jusqu’à présent, ne me donne que de la joie. Oh!
que Dieu le garde humble et droit. Samata a donné d’abord
un peu plus de peine. Actuellement on est content de lui.
Mais c’est sa conversion qu’il nous faut, n’est-ce pas?
« J’ai eu, ici et là, l’occasion de parler de notre mission.
406
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Si vous saviez comme mon cœur brûle en pensant au Zam-
bèze ! Notre dernier deuil est un coup de tonnerre. Réveil-
lera-t-il nos Églises et nos jeunes gens? Eh bienl oui, je le
crois. Il nous faut quinze ouvriers pour le Zambèze... quinze.
« Quinze I vous n’y pensez pas, me dit quelqu’un en levant
« les mains au ciel. Et où prendre l’argent? » — Eh bien!
oui, levons les mains au ciel, les cœurs aussi, et nous aurons
les hommes et l’argent, quelque audacieux que cela paraisse.
Je ne puis pas m’agenouiller sans crier : «Et les quinze, Sei-
gneur? » (Rom. VIII, 26.)
♦ I "I IIO O' ÜUL
NOTES Dü MOIS
Les Examens semestriels de la Maison des missions ont eu
lieu le 24 juillet. La rentrée des élèves aura lieu le 16 octo-
bre. Cette date a été choisie pour laisser à M. Krüger la
marge nécessaire à son voyage de retour. Nous sommes heu-
reux d’ajouter que, selon toute probabilité, M. Krüger pourra
être des nôtres à la date choisie.
Une épreuve particulièrement douloureuse vient d’attein-
dre la famille d’un des ouvriers de la mission romande. Le
31 juillet, nous avions la joie de saluer, à la Maison des mis-
sions, à leur passage à Paris, M. et madame Henri Junod, re-
venant de Delagoa-Bay, pour leur premier congé d’Europe.
Ils ramenaient avec eux leur deuxième enfant, une petite
fille de seize mois environ. Nous fûmes frappés des ravages
que le climat de la côte insalubre où travaillent nos frères
romands avait faits dans cette constitution d’enfant. Ce-
pendant M. et madame Junod nous assurèrent que depuis
plusieurs mois la santé de l’enfant s’était consolidée, et que
le bon air de la Suisse ferait le reste. Hélas ! le soir
même, en chemin de fer, une crise se produisit; les pauvres
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
407
parents durent descendre à Laroche, dans l'Yonne, et c’est
là, dans un petit hôtel, qu’ils virent expirer leur enfant au
bout de vingt heures de souffrances. Le lendemain, ils arri-
vèrent à destination avec un cercueil. La sympathie de tous
les amis des missions entourera certainement notre frère
et notre sœur dans leur deuil.
SITUATION FINANCIÈRE
le 20 août 1896.
Notre trésorier nous communique la note suivante :
Pour faire face à la dépense prévue pour 1896-97, qui
est de 373,000 »
Il faudrait une recette mensuelle de 31,000 francs, ce qui
fait pour les 4 mois et 20 jours écoulés, du 1er avril au
20 août 1896, un chiffre total de 145,800 >
Nous n’avons .reçu jusqu’à ce jour, pendant le même
laps de temps, qu’une somme de 55,000 »
faisant une différence en moins de 89,200 -
Les recettes du Zambèze sont à ce jour de 38,767 70
au lieu de 9,300 »
qu’on avait reçus l’année dernière à pareille époque.
Nos lecteurs l’auront remarqué ; c’est la première fois, en
ce nouvel exercice, que nous publions cette situation finan-
cière, destinée à mettre sous leurs yeux, mois après mois, les
besoins de notre œuvre et les efforts accomplis.
Nous attirons l’attention des amis des missions sur le chif-
fre de la dépense prévue. Ce chiffre est sensiblement plus
élevé que l’an dernier. Cela provient du fait que le Comité a
voulu, en votant le budget de l’année, tenir compte de tous
les besoins des divers champs de missions et de tous les ren-
forts votés. C’est ainsi que ce budget comprend l’envoi d'un
missionnaire à Maré; l’envoi d’un missionnaire à Taïti; le
408
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
remplacement d’un des missionnaires que la mort et les dé-
parts ont pris au Lessouto; d’autres crédits encore. Enfin,
une certaine marge a été laissée à l’imprévu, qui ne manque
jamais de se produire.
En un mot, le Comité s’est placé en présence de ses divers
champs de travail, et il a voté à chacun, non pas tout ce qu’il
voudrait pouvoir lui accorder, mais les secours qui lui ont
paru indispensables à sa bonne marche. En le faisant, il a
compté sur le secours de Dieu, qui ne lui a jamais fait défaut
jusqu’à ce jour; il a compté aussi sur nos Églises, qui ne nous
abandonneront pas, nous en avons la conviction, aussi long-
temps qu’elles nous verront marcher dans les voies de cette
fidélité qui ne veut accepter de tâche nouvelle que de la main
de Dieu, mais qui, une fois un devoir clairement imposé, s’y
soumet sans arrière-pensée et entend l’accomplir jusqu'au
bout.
Nos amis, nous en avons l’assurance, nous aideront, cette
année encore, à marcher dans cette voie de courage et de
fidélité.
En fait, si la somme que nous leur demandons pour l’œu-
vre générale dépasse celle que nous réclamions il y a un an,
elle n’est supérieure que de quelques milliers de francs à celle
qu’ils nous ont effectivement procurée. Ce qu’ils ont fait en
1895-1896, ils le feront cette année encore, et ils sauront y
ajouter cet effort supplémentaire, toujours nécessaire pour
confirmer une victoire remportée par une nouvelle victoire.
Nous devons encore rappeler que l’œuvre du Zambèze et
celle de Madagascar sont défrayées toutes deux par des
caisses spéciales. Celle de Madagascar a été alimentée jus-
qu’à ce jour par une série de dons individuels, qui, nous y
comptons fermement, se renouvelleront et se multiplieront à
mesure que la tâche à remplir dans la grande île africaine se
montrera plus clairement à nous, avec ses exigences, qui se-
ront certainement considérables. Nous avons la ferme con-
fiance qu’à l'œuvre nouvelle que Dieu nous impose à Mada-
gascar correspondent, dans nos Églises, des énergies, des
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
409
ressources en hommes et en argent qui se manifesteront au
fur et à mesure des besoins. Une statistique récente, dressée
d’après notre dernier Rapport, ne nous rappelait-elle pas
qu’il y a environ 380 de nos Églises sur 800 qui ne font rien
pour les missions? Et, parmi celles qui donnent, combien en
est-il qui bornent leur coopération à un minimum indigne
d’elles-mêmes ! Dans notre profonde conviction, l'œuvre de
Madagascar est la mise en demeure adressée 'par Dieu à nos
Eglises de France d'avoir à rectifier la proportion de leur par -
ticipation à V œuvre des Missions.
Signalons, en terminant, avec une profonde reconnais-
sance, l’état réjouissant de la caisse du Zambèze , qui est en
grand progrès sur l’an dernier.
MADAGASCAR
Départ de M. Krüger pour l’Afrique méridionale. — Attaques
et calomnies. — Départ de M. Escande.
C’est le 27 juin que nos deux délégués se sont séparés.
M. Lauga, après avoir énuméré les compagnons de voyage de
M. Krüger, ajoute : « On le voit, notre ami est en bonne com-
pagnie; et, quant à la partie du voyage qui, hélas! est dan-
gereuse, il la fera sous forte escorte militaire, en profitant des
patrouilles qui sillonnent la route pour la tenir libre. De nom-
breux amis ont accompagné les voyageurs jusqu’au rocher
traditionnel d’Ambatomaro, situé à cinq kilomètres. Quant à
moi, j’ai poussé plus loin et ne me suis séparé de mon ami
qu’à moitié chemin d’Isoavina, et à une dizaine de kilomètres
de Tananarive. J’ai eu en le quittant, et pendant vingt-cinq
minutes environ, un mauvais moment : j’avais le cœur serré,
et la pensée de la responsabilité qui va peser sur mes seules
épaules au moment peut-être le plus difficile de notre
410
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
mission, m’a donné de l’angoisse. Mais je me suis recueilli et
ressaisi, et je compte sur Dieu pour peupler ma solitude et
m'aider dans ma tâche. »
Nous n’avons pas beaucoup de détails sur le voyage de
M. Krüger jusqu’à la côte. Il s’est effectué sans incident,
grâce surtout à l’escorte militaire dont le convoi était pourvu.
En effet, à peu d’heures du passage de ce convoi, un voya-
geur avait été assailli et pillé par les Fahavalos.
L'embarquement à Tamatave devait se faire le 30 juin ou
le 1er juillet. En réalité il n’a eu lieu que le 8 de ce mois, le
navire sur lequel M. Krüger devait prendre passage ayant eu
du retard. Le débarquement à Durban aura sans doute été re-
tardé d’autant, peut être jusqu’aux premiers jours d’août (1).
La longueur du trajet s’explique par l’itinéraire du paquebot
qui touche à la Réunion et à l’ile Maurice avant de rebrous-
ser chemin et de se diriger sur Durban (2).
Revenons à Madagascar et donnons une pensée d’affection
et de sollicitude à celui de nos délégués qui y reste seul et
dans une situation, hélas! moins favorable qu’aux premiers
jours. En terminant sa lettre, M. Lauga en dit quelques mots,
puis il ajoute : «Les difficultés grandissent, et j’ai besoin
d’une double mesure de l’esprit de prudence, de sagesse et
de force que Dieu seul peut donner. »
Dans une dépêche reçue il y a quelques jours, M. Lauga,
répondant au vœu qui lui avait été exprimé de le voir pro-
longer son séjour et, si possible, de se charger de l’œuvre
de Madagascar à titre définitif, nous annonce qu’il lui est im-
possible de déférer à ce vœu, mais qu’il attendra son succes-
seur jusqu’en novembre.
Heureusement, il ne sera pas obligé de l’attendre si
longtemps. Aujourd’hui même, 24 août, M. Escande doit
(1) Voir les nouvelles de la dernière heure, à la fin de cet article.
(2) Il arrive parfois que ce hateau touche Tamatave en revenant de
l'île Maurice ; mais cette escale n’a lieu qu’exceptionnellement. Si elle
était régulière, M. Krüger aurait pu rester dix à quinze jours de plus à
Madagascar.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
4M
être arrivé à Marseille; demain il s’embarquera à bord de
l’ Iraouaddy . Si rien ne s’y oppose, il pourra être rendu à
Tamatave les premiers jours d’octobre.
L’époque de l’année, la dispersion générale des membres
du Comité, et le fait que M. Escande a pris ses vacances en
Suisse, dans la famille de sa femme, ont empêché d’organiser,
à l’occasion de son départ, une réunion d’adieux qui, en toute
autre saison, eût répondu aux vœux des amis des missions.
Il importait cependant que M. Escande ne partît pas pour
Madagascar sans avoir pu s’entretenir avec un représentant
du Comité. Le directeur de la Maison des missions a pu se
rendre dans le Valais, où se trouvait M. Escande, et, dans un
service intime, invoquer sur lui et sur tous les intérêts engagés
dans son voyage, la bénédiction de Dieu. Le Comité auxiliaire
de Marseille se proposait, de son côté, d’organiser une réu-
nion d’adieux le 24 août dans l’après-midi (1).
Avant de terminer cet article, nous devons dire un mot
d’un incident que les journaux politiques ont fait connaître à
la plupart de nos lecteurs. Nos délégués ont décidé, après y
avoir mûrement réfléchi, d’accepter la proposition qui leur
a été faite d’amener en France et de placer dans une famille
chrétienne un jeune prince malgache, appelé Rakotoména,
âgé de dix-huit ans, et auquel on espère fournir ainsi le
moyen de commencer une vie nouvelle. En acceptant de se
charger de ce compagnon de voyage, M. Kriiger n’a, certes,
pas obéi à ses préférences, mais à ce qui lui a paru, comme
à M. Lauga, son simple devoir de chétien et de Français.
La voyage du jeune prince malgache n’en a pas moins
fourni l’occasion d’une attaque indirecte, mais d’autant plus
dangereuse, contre notre Société. Sa prochaine arrivée a été
signalée au ministre, dans une lettre rendue publique et qui
établissait une solidarité compromettante entre un de nos dé-
(1) Notons, pour éviter toute interprétation inexacte des faits, que
c’est en réponse à une question posée par le directeur que M. Escande
a envoyé le télégramme par lequel il se mettait à la disposition du Co-
mité. (Voir p. 361.)
412
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
légués et un jeune homme que l’on représentait comme un
ennemi de la France et un des auteurs responsables de la
dernière guerre. Pour achever de nous nuire, l’auteur de la
lettre ajoutait que le prince, « qu’accompagne le pasteur
Krüger », avait choisi la voie anglaise , par crainte de se voir
refuser le passage sur les bateaux français.
Le directeur a rectifié les faits dans les journaux qu’il a pu
atteindre; en même temps il s’est adressé au gouvernement
et, en mettant sous les yeux du Ministre tous les renseigne-
ments que la Société possède, il n’a pas eu de peine à montrer
dans quel esprit a été prise la mesure incriminée, — mesure
qui n’eût certainement recueilli que des éloges de la part de
ceux qui l’incriminent, si elle avait été prise et exécutée par la
mission catholique.
Si nous mentionnons ici cet incident, ce n’est pas pour as-
socier le Journal des Missions aux polémiques que ne man-
quera pas de soulever, dans l’avenir comme dans le passé,
l’intervention de nos Églises à Madagascar. Nous tenions
seulement à montrer à nos lecteurs à quelles attaques, à
quelles difficultés nous expose l’accomplissement du devoir
qu’après mûre réflexion nous avons discerné et accepté de
remplir dans la grande île africaine. Nous devons nous at-
tendre à voir nos pas épiés, nos démarches travesties, nos
intentions dénaturées. Il y a quelques mois déjà, dans une
intention facile à pénétrer, certaines correspondances de Ma-
dagascar représentaient nos délégués comme ayant assisté à
une réunion de pasteurs indigènes où un missionnaire anglais
avait, dit-on, ouvertement prêché la révolte. Il suffit d’une mi-
nute de réflexion pour voir apparaître, dans toute son énor-
mité, la fausseté de ce récit : un fait de ce genre eût appelé,
de la part des autorités, une répression aussi rapide que mé-
ritée. Mais qu’importe! On sait le pouvoir de la calomnie
lancée à propos. Si nous en parlons, ce n’est pas, encore
une fois, pour entreprendre ici de réfuter, encore moins
de discuter les mensonges que l’on invente contre nous;
c’est seulement pour mettre en garde nos amis contre les
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413
informations qu’ils pourraient trouver dans les journaux;
c’est aussi pour les préparer à une conséquence, hélas! pré-
vue dans l’œuvre de Madagascar, conséquence pénible, mais
inévitable, qu’il nous faut accepter, en nous souvenant que
nous sommes les disciples de Celui qui a dit : « Heureux
serez-vous lorsque les hommes vous diront des injures et di-
ront faussement contre vous toute sorte de mal... »
Que notre œuvre reste seulement son œuvre, que son
Esprit continue seulement à nous inspirer et à nous con-
duire, et alors, en effet, qu’importent les attaques et les ca-
lomnies des hommes !
Dernière heure. — Nous recevons, en même temps, une
lettre de M. Krüger, datée du 27 juillet, et annonçant son
arrivée à Durban, et une lettre de M. Dietprlen, datée du
2 août, et mentionnant que, l’avant-veille, le 31 juillet, il a
eu la joie de rencontrer M. Krüger à Harrismith, ville de
l’État libre de l’Orange, située au nord du Lessouto.
L’état de santé de M. Krüger se ressentait encore, à ce mo-
ment, de la fatigue et des émotions qui avaient marqué la
fin de son séjour à Madagascar. Aussi a-t-il dû se résigner à
faire dans la voiture de la poste le trajet de Harrismith à
Kalo, au lieu de faire le voyage à cheval, comme il avait
d’abord été convenu. Nous ne doutons pas que le climat sa-
lubre de l’Afrique méridionale n’achève de remettre M. Krü-
ger.
Une lettre de M. Escande, datée de Marseille, du 25 août,
nous informe que la réunion d’adieux, dont il a été fait men-
tion plus haut, a eu lieu le 24, à trois heures, dans la salle du
Consistoire, sous la présidence de M. le pasteur Thraen, avec
le concours de toutes les Églises. Le soir du même jour, une
réunion de prières a encore été tenue à la chapelle de l’Église
libre.
4U
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
LESSOUTO
AU JOUR LE JOUR
( Extraits du Journal d'un missionnaire. )
Suite et fin (1).
3 mars. — Le chef Motsuéné, quoique possédant déjà une
vingtaine de femmes, est en train d’en épouser en même
temps deux nouvelles, comme son oncle Jonathan, qui s’est
marié cinq fois l’année dernière. L’une des fiancées (excusez 1
la profanation de ce mot si poétique) est la sœur du grand’- *
père de Motsuéné, donc sa grand’tante. Elle est pourtant de
beaucoup plus jeune que lui. En Europe, chose pareille serait
impossible. Vous criez à la plaisanterie, vous croyez à une
mystification? Dans les pays où règne la polygamie, cela j
s’explique et se comprend. L’arrière-grand-père de Motsuéné,
le célèbre chef Moshesh, épousa des jeunes filles jusque dans ;
l’âge le plus avancé, c’est-à-dire qu’il en achetait (car c’est 1
presque un achat dans la pratique) pour une trentaine de ;
bêtes à cornes chacune. Quand il mourut, ces jeunes filles \
épousèrent à d’autres hommes et eurent des enfants. Ces en-
fants, nés longtemps après la mort du mari officiel de leurs
mères, ce sont pourtant des fils et des filles de Moshesh,
« puisque c’est lui qui a donné le bétail». Ainsi, un homme
peut avoir des enfants vingt ans après sa mort, des enfants
qui se réclament et se glorifient de son nom, et qui disent; en
se rengorgeant : Je suis un enfant de Moshesh.
Cette fille qui épouse son petit-neveu, de vingt ans plus âgé
qu’elle, sait que sept femmes de son fiancé l’ont déjà quitté
pour cause de mauvais traitements; qu’il lui en reste une
quinzaine d’autres, et qu’il courtise une autre fille en même
temps qu’elle-même. Elle est convertie, elle est catéchumène.
(1) Voir page 365.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
415
Mais pensez : devenir la femme du gros chef Motsuéné, ne
fût-ce que la vingt-septième, quel honneur ! Folle qui s’y re-
fuserait !
Dans quelques mois, elle nous reviendra en pleurs et des
bleus sur tout le corps... Mais que de gens n’apprennent la
sagesse et n’écoutent les bons conseils qu 'après avoir fait une
sottise !
Mais pardon d’avoir parlé polygamie. C’est un monde si
plein de turpitudes qu’on ne peut y faire allusion sans cho-
quer les oreilles si délicates des Européens.
7 mars . — Dimanche dernier, à la requête de notre reine,
qui est chrétienne, nous avons prié pour la pluie, dont nous
avons un besoin urgent pour les champs. Quoique convoqués
par messagers spéciaux, les païens ne sont pas venus s’asso-
cier à nous. Il yen avait vingt au plus. Mais, la veille, ils
avaient « chanté pour la pluie » dans la capitale et dans le
village du défunt grand chef du district. Le paganisme,
quoique essentiellement conservateur, tolère cependant quel-
ques innovations. Il y a près d’ici un bonhomme qui se dit en
communication spéciale avec les morts et qui apporte leurs
oracles aux vivants. On le croit, bien entendu, puisqu’il dit
que c’est vrai et qu’il y a du mystère dans ses actes. C’est lui
qui mène chefs et gens comme il veut, et qui indique ce qu’il
faut faire pour qu’il pleuve. Cette fois-ci, il a déclaré qu’il lui
fallait des singes ! Un grand chef et ses hommes se sont lancés
dans les montagnes, et, après une chasse fatigante, ont rap-
porté trois singes morts et un petit vivant. «Ce n’est pas
cela, leur a-t-il été répondu. Il me faut un singe vieux,
n’ayant plus de dents. » Comme si cela se trouvait facile-
ment, un singe pareil!...
Les païens, chefs en tête, ont donc recouru à leurs ancêtres
pour obtenir de la pluie, pendant que la poignée de chrétiens
que nous sommes la demandait à Dieu.
Dieu soit loué, les prières des chrétiens n’ont pas été exau-
cées. Il n’a pas plu et il ne pleut pas. Nous avions raison de
crier à Dieu, mais nous priions, dans notre ignorance, sans
416
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
nous douter que les païens travaillaient de leur côté et à leur
manière. S’il avait plu, ils se seraient attribué le succès, et
leurs superstitions auraient été renforcées et glorifiées; le
nom de Dieu aurait été blasphémé plus que jamais.
Ah! non! Périssent nos récoltes et que nos prières soient
écartées, mais que le nom de Dieu et son Église ne soient pas
davantage livrés aux injures et aux risées des païens! Que le
paganisme n’augmente pas son prestige!
Qu’il fait bon, en priant, savoir que Dieu se réserve le droit
de ne pas exaucer toutes nos prières et fait le triage entre ce
que nous pouvons recevoir et ce qui doit nous être refusé. Ce
qui nous encourage à tout demander avec foi, ce n’est pas la
certitude que Dieu nous donnera tout ce que nous demandons
ainsi, mais celle qu’il ne nous donnera que ce qui est réelle-
ment bon et d’accord avec sa sagesse, qui est sainte, bonne,
clairvoyante et prévoyante. Quand il ne nous exauce pas,
nous pouvons être sûrs qu’il a de bonnes raisons pour cela,
même sans que nous les connaissions.
Le vieux Mahonko — un païen qui ne manque pas un culte
le dimanche — est venu me voir avec sa seconde femme,
’Mamakéfolané. Encore une de ces situations embrouillées
que crée la polygamie! Mahonko était un des grands conseil-
lers de Molapo. Son chef lui dit un jour : « Tu te fatigues à
venir chaque jour ici et à rentrer le soir dans ton village. Il
faut que tu aies un ménage chez moi. Je te donne cette jeune
fille. » Et il lui donna (ou prêta) une étrangère, dont le chef
des Amasuazi lui avait un jour fait cadeau, comme Loben-
goula qui, il y a trois ans, envoya à Jonathan deux filles et
deux garçons en signe d’amitié.
Mamakéfolané s’est convertie, puis est allée se faire bapti-
ser par les anglicans, en général peu curieux de l’état civil
de leurs néophytes. Elle est revenue chez nous et est rede-
venue catéchumène. Que faire d’elle? J’aurais voulu lui dire:
«Tu n’as ni famille, ni patrie, Mahonko est à la fois ton mari
et ton père. Reste sa femme, sois-lui fidèle ; je te recevrai
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
417
quand même dans l’Église. » Mais les règlements de notre
mission s’y opposent...
Mahonko est donc venu pour libérer Mamakéfolané. «Je ne
dirai pas, comme Abraham, qu’elle est ma sœur alors qu’elle
est ma femme (réminiscence d’une de mes récentes prédica-
tions), mais mes prétentions s’arrêteront à ce titre. » La voilà
hors d’embarras. Je la recevrai dimanche prochain.
Cela réglé, non sans émotion, j’entreprends Mahonko lui-
même, lui disant que ce serait pour lui aussi le moment de se
donner à Dieu. Il faut croire que mes traits ont frisé son
cœur de près, car tout à coup il se lève et se dirige vers un
porte-lettres accroché au mur : «Qu’est-ce que cet animal?
On dirait une antilope. » Et il montrait un chamois sculpté
sur la face de ce porte-lettres.
Voilà comment on se dérobe à la vérité, au salut et à Dieu,
quand on n’en veut pas: «Qu’est-ce que cet animal?» — Créer
une diversion, même absurde, fuir les appels de l’Évangile,
couper court à un entretien gênant, c’est la tactique des
païens qui ont la conscience malade. Malgré cela, ils disent :
« Nous ne refusons pas de nous convertir; nous nous conver-
tirons quand Dieu s’occupera de nous, quand il nous appel-
lera. »
—
ZAMBÈZE
L’ÉCOLE BIBLIQUE DE LÉALUYI
(. Extraits d'une lettre particulière de M. A. J alla.)
Léaluyi, 29 janvier 1896.
... « Nous devons songer à bâtir notre édifice spirituel avec
les matériaux du pays, et imprimer dès l’abord un caractère
essentiellement missionnaire à notre œuvre. Il faut que nous
mettions d’emblée l’évangélisation du pays sur la conscience
31
418
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
et sur le cœur de nos congrégations, qu’elles en sentent la
responsabilité, qu’elles fournissent les ouvriers et les fonds si
nécessaires. C’est une question urgente : toutes les portes
nous sont ouvertes; le seront-elles longtemps?
... « Vous savez que notre vénéré doyen M. Coillard s'était
déjà occupé pendant près d’un an de l’instruction de quatre
jeunes gens qui se destinaient à évangéliser ce pays. Hélas!
de ces quatre, il n’en reste que deux; des autres, l’un accom-
pagnera probablement M. Coillard en Europe, l’autre est
mort subitement le 1er novembre par accident, en saisissant
mal son fusil.
« Ce fut le 16 septembre que je fis le dernier appel à ceux
qui désiraient se vouer à l’évangélisation du pays; je leur
donnai trois jours pour peser une dernière fois les mobiles qui
les déterminaient. Le lendemain, il y en eut sept qui s’offri-
rent. Le 21, nous eûmes une réunion de prières spéciale pour
eux. Le 23, ils comparurent devant la Conférence avec les
quatre évangélistes bassoutos du Borotsé pour subir leurs
examens d’entrée. Un jeune garçon de Kazungula, amené par
mon frère, complétait la bande.
« L’examen ne porta que sur la lecture, l’écriture, l’ortho-
graphe et les connaissances bibliques, outre ce que nous vou-
drions appeler la vocation. Le résultat fut satisfaisant. La
Conférence décida que cinq des nouveaux composeraient la
première classe, avec les deux jeunes gens dégrossis par
M. Coillard. Les trois autres, plus faibles, formeraient une
seconde classe.
« Le 4 octobre, nos frères nous quittaient pour rentrer dans
leurs stations. Le 7, nous ouvrions l’école, et jusqu’au nouvel
an je m’occupai des nouveaux, visant surtout à les dégrossir
et à les habituer au travail intellectuel. La Conférence avait
insisté sur la nécessité d’unir le travail manuel aux études
proprement dites. Que pouvions-nous faire de mieux que de
leur faire bâtir leur école? Dès le lendemain, ils consacrèrent
leurs après-midi à ces travaux, et vous auriez joui de voir
l’entrain avec lequel ces jeunes gens ont apporté du sable
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419
pour niveler le sol, puis préparé et hissé les pieux, le comble
e t les roseaux, et enfin, comment ils ont fait le couvrage de
chaume. Notre école a une douzaine de mètres de long sur
quatre de large et 3m,75 de haut (je parle de la hauteur des
murs) .
« Quand, avec ma femme, nous allâmes accompagner
M. Coillard, ce furent nos élèves qui conduisirent notre canot
jusqu’à Séoma, aller et retour. Nous aurions aimé profiler de
l’occasion pour évangéliser plusieurs villages avant de ren-
trer sur notre station, mais la famine hâta notre retour. Ce-
pendant, tant à. Séoma qu’à Nguanama et à Itufa, nos élèves
évangélistes rendirent leur témoignage. De retour ici le 18 no-
vembre, nous reprîmes les leçons et les travaux le 2o. Le
8 courant, le jour même où ils achevaient le faîte de l’école,
nous eûmes à la chapelle la séance d’entrée. Le roi, tous nos
professants et beaucoup d’élèves y étaient présents, avec quel-
ques chefs. Nos amis Béguin, qui étaient venus passer avec nous
les fêtes de Noël et du nouvel, an étaient encore des nôtres.
Après avoir lu quelques versets de Ésaïe VI, Jér. I et
Rom. X, et parlé du sérieux et de la beauté de la vocation
des évangélistes, M. Béguin leur adressa de bonnes paroles,
principalement sur la nécessité d’apprendre, avant d’être à
même d’enseigner. Notre évangéliste Willie s’arrêta sur les
difficultés que tout évangéliste peut s’attendre à rencontrer.
Mokamba, que les lettres de M. Coiliard vous ont fait con-
naître, leur dit : « Nous sommes heureux de vous voir vous
vouer à l’évangélisation du pays, persévérez. Vos compa-
gnons ne manqueront pas de se moquer de vous: persévérez
comme Moïse, qui a préféré être méprisé avec le peuple de
Dieu plutôt que d’être appelé le fils de la fille de Pharaon,
parce qu'il pensait que les richesses d’Égypte étaient péris-
sables, taudis que Dieu lui en réservait d’éternelles. Veillez
sur vous-mêmes, car désormais on ne vous appellera plus
seulement croyants, mais évangélistes. » Sébéo leur adressa
aussi d'excellentes paroles : « Mes frères, sachez que dès
aujourd’hui on se moquera de vous en disant : vous voulez
420
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
faire les blancs tout en étant noirs comme nous; où avez-
vous trouvé ces choses? N'importe, prenez courage. » Le roi
Léwanika ajouta : « Moka, c’est toi qui étais à mon service
personnel avec Séwakutilibellé. Pensez-vous que par le fait
que vous sortez de ma capitale, elle cessera de subsister? Si
je viens ici et que j’apprenne que l’un de vous trouble les
missionnaires en disant qu’il veut retourner à la capitale...
cela ne se fera pas tant que je serai roi. Eussé-je le droit de
le faire, j’établirais une loi pour ceux qui deviennent rené-
gats. Vous avez désormais un autre roi. » J'ajoutai quelques
mots pour remercier les orateurs. Puis l'un des élèves évan-
gélistes termina la séance par une prière de consécration du
roi faite au nom de tous ses condisciples.
« Le lendemain, nos jeunes gens firent leurs adieux à leurs
parents, amis et chefs. A quatre heures, ils se rassemblè-
rent sur la place publique pour shoaelela. C'était prendre
officiellement congé de tous et remercier le roi qui les a
libérés. Ils sont chez nous depuis lors. J'oubliais de vous dire
que la veille, nous avions, dès le matin, fait tuer le bœuf que
M. Goy avait donné à l’école, et que le soir, au sortir de la
réunion, nous offrîmes à nos élèves un dîner composé de
pain, viande et café au lait miellé. Nous leur donnâmes un
setsiba , une chemise et un livre à chacun. Plus tard, je
donnai dans la chapelle une séance de lanterne magique ;
je montrai une partie de la belle collection de vues que
M. Coillard a donnée aux stations du Borotsé.
g Tout en essayant de donner à nos jeunes gens un déve-
loppement général, nous visons surtout à leur rendre l’étude
de la Parole de Dieu attrayante et familière. Les classes que
nous tenons le matin avant déjeuner, ils les ont en commun
avec tous nos professants les plus avancés : il en est de même
des réunions de chant, qui réunissent en outre les jeunes
gens et les jeunes filles de la station. Nos jeunes gens doivent
préparer eux-mêmes leurs repas et ont une ou deux heures
de travail manuel par jour, tantôt le matin, tantôt l’après-
midi, selon que cela convient.
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m
« Indépendamment des dépenses de fondation de l’école,
du dortoir et du matériel scolaire, le coût annuel de chaque
élève évangéliste est de 100 francs par an. Veuille le Seigneur
continuer à pourvoir à nos besoins comme il l’a fait jus-
qu’ici... Nos meilleurs remerciements à ceux qui, connus ou
inconnus, ont pensé à nous aider dans cette branche si
importante de notre activité.
« A. Jalla. »
— - — a b ** — - «
A NAL0L0
Lettre de M. Béguin.
La station se transforme. — L’inondation et ses conséquences
pour la mission. — La propre justice chez les païens. — Le ré-
veil de l’an dernier; ivraie et bon grain. — La peste bovine et
ses suites.
Nalolo, 27 avril 1896.
Bien cher monsieur,
Voilà longtemps que j’espérais pouvoir vous annoncer
l’achèvement de la chapelle de Nalolo. Je puis enfin le faire
aujourd’hui. Commencée en juillet dernier, nous comptions
l’inaugurer à Noël; mais nous avons eu plusieurs causes de
retard : d'abord, pendant les six derniers mois de 1895, la
famine régnait au Borotsé, de sorte que nous avons dû res-
treindre le nombre de nos ouvriers, et, quant à ceux qui nous
restaient, nous ne pouvions pas exiger d’eux une bien grande
somme de travail, étant donné que nous n’avions pas tou-
jours de quoi les nourrir convenablement. Puis, au mois de
septembre, vint la conférence qui amena nécessairement une
interruption dans nos travaux de station. Enfin, nous avons
eu beaucoup de peine à trouver les femmes nécessaires pour
les plâtrages. C’est ainsi que cette construction a pris beau-
coup plus de temps qu’elle n’aurait dû. Enfin, elle est ter-
422
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
minée. Demandez avec nous à Dieu qu’elle soit un monument
à sa gloire ; puisse-t-elle être comme un phare au milieu de
cette plaine du Borotsé, où il existe encore tant de supersti-
tions et d’ignorances !
Petit à petit, notre station s’arrange. Le misérable hameau
que nous avons trouvé lors de notre arrivée, en octobre 1894,
n’avait absolument aucun arbre, comme, du reste, presque
tout le Borotsé ; nous espérons avoir, d’ici à un an ou deux, de
l’ombre, car j’ai planté plusieurs arbres qui prospèrent bien.
Malheureusement, à part quelques bananiers, nous n’avons
pas d’arbres fruitiers; j’ai planté des noyaux de pêchers et
d’abricotiers, mais ils n’ont rien donné. C’est dommage, car
dans les jours de fièvre, il ferait bon avoir quelques fruits.
Mais il vaut mieux n’y pas penser.
Nous sommes actuellement en pleine inondation; elle a été
très forte cette année, plus forte que celle d’il y a deux ans,
qui, cependant, avait déjà fait parler d’elle. Notre station est
transformée en un ilôt qui devient malheureusement le refuge
d’une quantité d’hôtes immondes dont nous nous passerions
bien volontiers : ce sont des serpents, dont quelques-uns sont
énormes; les crocodiles, qui m’ont pris une vache et un
agneau; les termites, qui travaillent et détruisent plus que
jamais; le séruyi , ces terribles fourmis rougeâtres, carni-
vores, qui ne connaissent aucun obstacle et viennent tious
attaquer la nuit dans nos lits; ce sont des crapauds, des
chats sauvages, et surtout des souris et des rats. Le nombre
de ceux-ci est légion, et quand même nous en avons tué au
moins cent cinquante pendant la saison des pluies, la station
en pullule encore. Les dégâts qu’ils nous font sont épouvan-
tables : ils s'introduisent partout, et ma femme pourrait vous
dire que, quoique nous ne soyons pas même depuis deux ans
dans le pays, elle n’a presque plus une pièce de son trous-
seau intacte. Pour ces rongeurs, il n’y a rien de sacré : dans
les linges les plus ordinaires, comme dans les draps et les
nappes, ils font des trous qui font le désespoir des ména-
gères.
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423
Ce temps de l’inondation est un temps de vacances pour
l’école, car la population de Nalolo passe les deux mois des
plus hautes eaux au bord de la plaine, là où les eaux s’ar-
rêtent. C’est à deux heures de canot de chez nous; nous y
allons chaque dimanche, alternativement, l’évangéliste et
moi, pour y célébrer les cultes. Nous y avons de beaux audi-
toires, car nous y retrouvons non seulement la population de
Nalolo, mais aussi la population de cette région, que nous
n’avons pas d’ordinaire. Ces gens sont attentifs et recueillis,
ce qui ne veut pas dire qu’ils soient chrétiens. Hélas! si bien
disposés qu’ils paraissent, si peu incrédules qu’ils soient, il
se fait cependant bien peu de changement dans leur vie.
Le sentiment du péché leur fait défaut. Tous, surtout les
chefs, sont remplis de propre justice. Notre Mokuaé, par
exemple, quoique auditrice régulière des cultes et générale-
ment assez aimable, est, pour moi, la personnification de l’or-
gueil et du contentement de soi-même. Elle a de nombreux
crimes sur la conscience; elle a même tué de sa propre main.
Cela ne l’empêche pas d’être très satisfaite d’elle-même et de
se donner un brevet d’innocence; et, le pis encore, c’est que
mentir est devenu pour elle, comme pour la plupart des
Zambéziens, une seconde nature; aussi ne sait-on jamais jus-
qu’à quel point on peut la croire.
C’est étonnant, pour ce séjour de deux mois aux mafolo ,
aux pâturages littéralement, c’est-à-dire en dehors de l’inon-
dation, les belles constructions que ces gens se font; ce ne
sont que des branches d’arbre, mais ces enfants de la nature
en ‘tirent un parti admirable : c’est bien fait et très propre; la
maison du chef, entre autres, est tout à fait remarquable. Les
constructions sont plus ou moins hautes et vastes, suivant
l’importance des individus. Celles de Mokuaé les dominent
toutes ; les autres s’abaissent graduellement, suivant l’impor-
tance des personnages, pour finir par celles des esclaves, dans
lesquelles on n’entre qu’en rampant.
Cette période de l’inondation, où tout le pays est transformé
en un lac, serait propice à l’évangélisation, n’était que pen-
424
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
dant ce temps, plus qu’à toute autre époque, les gens sont
constamment en expéditions. Que nous aimerions, pour ces
courses à travers le pays, avoir un bateau un peu plus con-
fortable que ne le sont les canots zambéziens : ce ne sont que
des troncs d’arbres creusés, peu agréables et pas même tou-
jours sûrs. Nous avons visité quelquefois un village qui ne se
trouve pas loin de chez nous, Kambaé , et dont les habitants
pourraient bien venir au culte, mais ils ont toujours de nom-
breuses excuses pour ne pas le faire, et si nous voulons les
évangéliser, nous devons aller chez eux. Du reste, quand
nous y allons, ils nous reçoivent toujours très bien et sont
très attentifs à ce que nous leur disons. Kambaé est un en-
droit assez intéressant : c’est le tombeau d’un ancien roi
morotsé, qui, comme tous les tombeaux de rois, est un pèle-
rinage où l’on va chercher des oracles dans toutes les cir-
constances un peu importantes de la vie : avant d’entre-
prendre une expédition, en cas de maladie, etc., et l’on offre
des sacrifices aux mânes de celui qui repose en cet endroit.
Ces tombeaux sont toujours sous de beaux ombrages, au
pied d’un arbre, où un trou est pratiqué et dans lequel on
verse généralement du lait caillé et, selon qu’il est absorbé
plus ou moins vite, on déclare le dieu plus ou moins satis-
fait, plus ou moins favorable au projet sur lequel on le con-
sulte. Quand je visite ce village, c’est à côté même de ce tom-
beau que nous avons un culte. Qu’il est à propos, alors, de leur
annoncer le Dieu vivant, le Sauveur mort pour nos péchés,
mais ressuscité; Celui qui n’est pas resté dans la tombe,
mais qui en est sorti, qui est remonté au ciel où II vit, d’où
Il nous voit et entend toutes nos prières.
Si nous avons pu autrefois vous annoncer nos joies, la
riche moisson qui semblait s’annoncer pour notre mission,
nous devons aussi, hélas! vous faire part de nos peines. Plu-
sieurs de ceux qui avaient publiquement déclaré vouloir
servir Dieu sont tombés dans des fautes graves; même des
enfants de notre maison s’en sont rendus coupables, et nous
avons dû les chasser! Et ces chagrins, nous ne sommes pas
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425
seuls à les avoir. De même que le réveil avait été général, de
même c’est partout qu’il y a des défections à constater. Nous
l’avions prévu ; nous savions bien que dans notre champ il y
avait beaucoup d’ivraie; nous n’en sommes pas moins pro-
fondément tristes de ces faits. Il faut être indulgents envers
ces malheureux : on doit se rappeler de quel milieu ils sor-
tent et où ils se trouvent encore. Pour eux, l’immoralité n’a
pas la gravité qu’elle a pour des gens élevés sous l’influence
du christianisme. Non seulement ils ont de grandes et nom-
breuses tentations, mais encore ils sont faibles. Et cependant,
il n’en est pas moins vrai que nous ne saurions être trop sé-
vères. Une fois qu’il est notoire que quelque membre de la
classe a commis une faute grave, nous devons le mettre sous
discipline, et même l’expulser, ne serait-ce que pour faire
entrer dans l’esprit de ces gens la notion de la sainteté, qui
leur fait absolument défaut. Du reste, tout en prêchant
l’Évangile au plus grand nombre possible, le but suprême
doit être de former une Église aussi pure que possible...
Si nous avons des chagrins de l’ordre spirituel, nous en
avons aussi de l’ordre matériel. Vous avez appris le terrible
fléau qui a frappé nos amis du Bas, et qui nous menace
aussi : une épidémie épouvantable a sévi, parmi les ani-
maux sauvages d'abord, d’où elle s’est étendue ensuite aux
animaux domestiques, si bien qu’il n’existe presque plus une
tête de bétail dans la région, de Seshéké à Kazungula.
Une des conséquences les plus inquiétantes de la chose,
c’est qu’on nous annonce comme très probable que, même
d’ici- à deux ans, il ne nous arrivera pas de wagons du Sud.
Pour comprendre ce que cela aura de terrible, il faut se
rendre compte que nous vivons presque uniquement de
produits européens; même notre pain nous vient du sud.
Dès lors, si nos provisions n’arrivent pas, nous serons ré-
duits à la nourriture indigène. Ce ne sera pas très varié, car
elle se borne à peu près au maïs; ce ne sera surtout pas un
régime très fortifiant... Nous ne voulons cependant pas nous
inquiéter outre mesure; et surtout, noüs ne voulons pas ou-
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blier que nous avons au ciel un Père dont la puissance est
illimitée et qui pourra nous rendre forts et vaillants, alors
même que nous ne devrions vivre que de maïs...
Ces nouvelles ne sont pas aussi bonnes que nous le vou-
drions : mademoiselle Buttner et M. et madame Pétrequin
semblent souffrir beaucoup de l’hivernage. M. Bolle se sent
bien faible pour porter le fardeau que l’absence de M. Es-
cande fait reposer sur ses épaules. Nous recommandons tout
spécialement la mission du Sénégal et ses ouvriers aux
prières de nos amis.
Les dernières nouvelles reçues de nos stations de l’Ogowé
vont jusqu’au 1er juillet, et sont antérieures, par conséquent,
à la mort de madame Gacon. Tel était, néanmoins, Pétat de
la malade au moment de son départ, que nos amis ne con-
servaient que peu d’espoir de la voir se remettre ou même
arriver au terme de son voyage. « Elle est, écrit M. Allégret,
d’une douceur et d’une résignation touchantes, et le cœur se
serre devoir, à vues humaines, sa carrière déjà finie. »
C’est le 10 juin, comme nous le disions il y a un mois, que
M. et madame Allégret sont arrivés à Talagoilga. M. Faure
Eug. Béguin.
SÉNÉGAL
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m
les y a rejoints le 1er juillet. « 11 nous semble déjà, dit M. Al-
légret, n’avoir jamais quitté Talagouga. Cependant, nous
avons fait, en France, provision de précieux souvenirs qui
font chaud au cœur lorsque, tout à coup, nous nous les rap-
pelons. Cela a été pour nous une grande joie de revoir Tala-
gouga, et c’est avec ce sentiment de délivrance que nous
avons débarqué et que nous sommes entrés dans notre home.
Ce long voyage, avec deux petits enfants, nous angoissait mal-
gré tout, et, lorsqu'à Bordeaux le paquebot a levé l’ancre,
nous étions plus émus en les regardant qu’en pensant à
nous-mêmes. Mais notre Dieu a été, une fois de plus, miséri-
cordieux envers nous, et, de toutes les traversées, celle-ci a
été la meilleure et la plus agréable... Lajoie des indigènes et
les marques d’affection qu’ils nous, ont données nous ont été
aussi un précieux encouragement. A mesure que nous re-
montions le fleuve et que nous passions devant les villages,
c’était, surtout en approchant de Talagouga, de bruyantes
démonstrations lorsqu’ils nous reconnaissaient. »
Les premiers jours ont été employés à l’installation. Le
transfert de la station, décidé il y a plus d’un an et qui doit
se faire prochainement, n'a pu se faire immédiatement ;
l’emplacement du nouveau Talagouga, qui sera logé, comme
nous croyons l’avoir dit déjà, dans une île du fleuve située
en amont du poste actuel, ne pourra avoir lieu qu’après di-
vers travaux préparatoires, outre ceux que M. Forget a déjà
faits avant l’arrivée de M. AlJégret. M. Forget lui-même est
souvent entravé par la fièvre. Le dernier courrier ne dit rien
de ses plans.
A Lambaréné, nous trouvons M. Richard s’installant dans
la maison de M. Jacot et reprenant l’école des mains de
M. Faure. Avant de partir pour Talagouga, celui-ci nous a
adressé un résumé de ses expériences scolaires; nous en di-
rons quelque chose à nos lecteurs dans un mois.
Un mot de M. Allégret résume l’impression que nous a
laissée ce courrier : « Mon refrain, dit-il, sera le même qu’au-
428
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
trefois : nous sommes peu nombreux et faibles, le champ est*
vaste et prêt à être ensemencé, et nous allons de l’avant,
comptant que Dieu nous enverra, au moment voulu, le se-
cours nécessaire. »
Quant à M. et madame Teisserès, ils sont heureusement
arrivés à Libreville le 19 juillet ; madame Teisserès a beau-
coup souffert de la traversée.
'•V /*'
LES DERNIERS MOMENTS DE MADAME GACON
i
M. Gacon est de retour en Suisse. Il n’a pas cru devoir in- ;■
terrompre le voyage qu’il avait entrepris pour essayer d’ob- j
tenir d’un changement d’air une amélioration dans l’état de j
sa femme. Voici en quels termes il raconte la fin de madame 1
Gacon :
'
A bord de la Ville de Maranhao,
27 juillet 1896.
Cher monsieur.
Depuis le 7 de ce mois vous avez pris part à ma douleur, j
Je vous ai télégraphié de Libreville peu après l’ensevelisse- 9
ment. Nous avons quitté Talagouga le 1er juillet et sommes 3
arrivés le 5 au Cap Lopez. Nous n’avons pas eu besoin d’y 1
attendre longtemps le grand bateau qui devait nous emme- à
ner. Pour cette dernière journée, ma femme était relative- 1
ment bien; rien ne m’aurait fait croire que c’était la dernière.
Toute la journée du 5 a été employée au chargement; ce
n’est que le soir, à huit heures, que le bateau s’est mis en
route pour Libreville.
A neuf heures du soir, j’ai voulu lui parler, mais elle vou-
lait dormir, m'a-t-elle dit... Voilà sa dernière parole...
Cependant elle est partie joyeuse, ayant confiance en son
Dieu... Je lui avais dit, le matin même : « Dieu veut peut-être
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
429
te rappeler durant ce voyage ! — Comme 11 lui plaira! Je suis
prête ! » Elle n’a eu aucune défaillance ni crainte.
Je vous laisse à penser quelle nuit j’ai passée dans ce ba-
teau, n’osant pas crier comme je l’aurais désiré... Le matin
venu, nous étions en face de Libreville. Je demandai au ca-
pitaine la chaloupe à vapeur pour aller, à Baraka (1), avertir
le Dr Nassau, et faire creuser la fosse dans le cimetière. Nous
avons trouvé un cercueil fait d’avance aux travaux publics, et,
de suite, je suis retourné [à bord, et suis reparti pour Baraka
avec la chaloupe*, car c’est loin.
Je n’ai eu que le Dr Nassau et madame Ogden pour me con-
soler. Les noirs sont venus en masse à l’ensevelissement. Une
vieille femme, que nous connaissions très bien, m’a dit : « Ne
pleure plus. Tu veux te faire du mal. Le Seigneur t’a donné
cette femme, Il te la reprend. Eh bien! tu sais où elle est?
C’est fini, ne pleure plus! » Mes larmes coulent à flots, ne
m’en voulez pas. Je ne puis pas vous en dire plus...
Le Dr Nassau, voyant mon état, m’a conseillé de continuer
mon voyage parce que je suis anémié. Le Dr Pélissier, qui est
venu à bord, m’a dit la même chose.
Ma femme est morte le 6 juillet à deux heures du matin.
Je vous salue bien affectueusement.
Y. Gacon.
Dans une lettre plus récente, datée de Yallorbes, en Suisse,
M. Gacon donne sur madame Gacon quelques détails précieux
à reoueillir :
« Yous l’ai-je dit ou non? C’est ma femme qui tenait à re-
tourner dans l’Ogowé pour y mettre en ordre ses effets.
J’avais pensé un instant la faire partir pour Bordeaux, par le
bateau en rade à Libreville, le 7 mai... Du reste, la maladie
était trop avancée; j’aurais eu la douleur de ne plus la revoir,
le Dr Pélissier me l’a affirmé au départ...
« A Talagouga, elle était presque toujours la première
(1) Baraka est le siège de la mission américaine. — (Réd.)
430
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
levée, avant le jour. Elle commençait la journée par une
demi-heure de recueillement et de prière... Sa maison était
toujours un modèle d’ordre. Il y avait des noirs des deux
sexes qui venaient par groupes assister au culte et à la prière,
qui, pour elle, étaient au centre de tout. Mes ouvriers aussi
profitaient de ses enseignements. Dans ce pays ou l’on est
facilement excité et irrité, combien il est précieux d’avoir à
ses côtés une aide tranquille et paisible, qui met toujours de
l'huile et qui ne médit jamais...
o 11 est certain que le Congo est un pays meurtrier. La
mort frappe partout. J'ai connu, soit chez nous, soit chez les
Américains, environ douze missionnaires, hommes et femmes,
qui actuellement ne sont plus... »
Avant de suivre notre missionnaire dans cette phase nou-
velle de sa carrière, je tiens à détacher des souvenirs de son
premier voyage en Chine une page qui m’a fait une profonde
impression.
Hudson Taylor s’était associé au grand missionnaire écos-
sais Burns et avait, de concert avec lui, entrepris diverses
courses d’évangélisation dans la province de Chékiang. Au
(1) Voir pages 94 et 240. Nous recommandons à nos lecteurs, au mo-
ment où nous reprenons la publication de cette étude sur Hudson Taylor
et son œuvre, de vouloir bien en relire le commencement, afin d’en
avoir l'impression d’ensemble.
V. G.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
HUDSON TAYLOR
et la Mission de la Chine intérieure (1).
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
431
cours d’un de ces voyages, il avait été abandonné par ses
porteurs et avait perdu ses bagages. Fatigué par une série
de longues marches et de nuits sans sommeil, affamé, les
pieds meurtris, presque sans argent, il arrive dans la ville
où il espère rentrer en possession de ses effets et retrouver
ses gens ; mais cette attente se trouve déçue. En vain il
parcourt toute la ville, va de la porte du nord à la porte de
l’est : il ne trouve rien. Sur ces entrefaites, la nuit tombe. Il
cherche un abri; partout on le repousse, personne ne veut
loger l’étranger. *A deux heures du matin, las de chercher,
il s’étend sous le porche d’une pagode et, plaçant sa bourse
sous sa tête, il essaie de dormir. Presque aussitôt il voit s’ap-
procher un individu de mauvaise mine, qui cependant s’é-
loigne quand il voit que l’étranger ne dort pas.
A la fin, épuisé, le missionnaire commence à s’assoupir,
quand un bruit léger le réveille : ce sont deux hommes qui
viennent s’asseoir silencieusement à ses pieds. Au bout d’un
moment, ils vont chercher du renfort ; ils sont trois, main-
tenant, à l’entourer. Un grand malaise l’envahit; cepen-
dant, il regarde à Dieu, montre à ses compagnons qu’il ne
dort pas et, finalement, se met à chanter des cantiques
pour se tenir éveillé. Enfin, le jour parait, et le pauvre voya-
geur, après d’autres ennuis trop longs à raconter, doit re-
prendre, toujours à pied, et malade de fatigue, son long et
pénible voyage. Enfin, il trouve un abri et peut laver ses
pieds fatigués.
Rentrant en lui-même, il se met à passer en revue ses sou-
venirs, s’humilie d’avoir été si préoccupé de ses effets perdus
et si indifférent à la pensée des âmes perdues qui l’entourent.
« Alors, dit-il, je m’approchai de Jésus comme un pauvre
pécheur, et je le bénis de ce qu’en lui j’étais reçu en grâce
et sanctifié. Ah! l’amour de Jésus! comme je le ressentis
alors ! J’avais appris par expérience ce que c’est que d’être
rejeté et méprisé, de n’avoir pas un lieu où reposer sa tête; et
je comprenais mieux qu’auparavant la grandeur de l’amour
qui l’a poussé, lui, le Fils de Dieu, à quitter la gloire des de-
43-2
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
meures célestes pour venir souffrir ici-bas et pour mourir
sur la croix. Je le vis pauvre, méprisé, homme de douleurs,
sachant ce que c’est que la langueur ; je le revis, au puits de
Jacob, fatigué, altéré, affamé... ; et je lui demandai pardon; je
jurai de le suivre pas à pas et d’être à jamais tout à Lui... Je
priai pour mes amis d’Angleterre, pour m.es collaborateurs...
De douces larmes, larmes de joie et de tristesse tout en-
semble, coulèrent de mes yeux, si bien que j’oubliai la fa-
tigue de la route et que j’arrivai à destination sans m'en être
douté... »
II
#
Les travaux et les souffrances de son ministère avaient
gravement altéré la santé de H. Taylor. Aussi un voyage en
Angleterre s’imposait-il. Il quitta la Chine en 4860, et vint
s'établir à Londres. Son but, cependant, n'était nullement de
se reposer. Il désirait trouver les collaborateurs dont il avait
besoin pour la petite œuvre indépendante qu’il avait com-
mencée, avec l’aide d'un de ses collègues, à Ning-po, dans la
province de Ché-Kiang. Il estimait à cinq le nombre des nou-
veaux missionnaires dont il avait besoin. Les trouver, repar-
tir; voilà quel était son but.
A son grand chagrin, les médecins qui l’examinèrent lui
déclarèrent qu’il n’était pas question pour lui de retourner
en Chine avant plusieurs années. Ce fut d’abord une amère
épreuve pour sa foi. Mais sa confiance en Dieu ne tarda pas
à l’emporter sur toute velléité de découragement. Il se pro-
mit que ce temps d’absence forcée ne serait pas perdu pour
la Chine, et il entreprit, avec un chrétien chinois qu’il avait
ramené avec lui, de réviser et d’achever la traduction du
Nouveau Testament dans le dialecte usité à Ning-po et aux
environs.
Ce travail, si différent de l’activité à laquelle il s’était
adonné les dernières années, devait cependant exercer sur
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
433
la suite de sa carrière une grande influence. Mis chaque
jour en contact avec le texte sacré, il se familiarisait de plus
en plus avec la pensée divine ; sa foi grandit, se fortifia,
s’épura; il acquit aussi des vues plus claires sur les prin-
cipes de l’œuvre missionnaire. Il résume ainsi les conclu-
sions auxquelles l’amenèrent, sur ce point particulier, ses
études : « La Parole de Dieu m’a appris que ce qu’il faut
pour obtenir des ouvriers capables de faire une œuvre bénie,
ce ne sont pas çles appels élaborés, c’est, avant tout, la prière,
qui demande à Dieu de susciter de tels ouvriers, et, en se-
cond lieu, l’accroissement de la vie spirituelle de l’Église, de-
venant assez intense pour que des hommes en grand nombre
sentent l’impossibilité de rester en place et soient forcés de
partir. Je vis que la méthode apostolique n’était pas de se
préoccuper avant tout des voies et moyens, mais d’aller et
de faire l’œuvre de Dieu, comptant sur Celui qui a dit :
« Cherchez surtout le royaume de Dieu et sa justice, et tout
a le reste vous sera donné par-dessus. »
Tout en poursuivant son travail de révision, H. Taylor ne
perdait pas de vue la Chine. Les cinq ouvriers demandés
pour l’œuvre de Ning-po s’étaient trouvés ; l’argent pour
les envoyer avait été donné de même; ils avaient été équipés
et étaient partis. Mais cela ne suffisait pas à H. Taylor. Il y
avait dans son cabinet de travail, toujours sous ses yeux, une
grande carte de la Chine. La pensée de cet immense empire
l’obgédait. Il avait sans cesse présents à l’esprit ces 380 mil-
lions d’hommes, et le contraste entre cet océan humain
et la petitesse des efforts faits jusqu’alors pour les évan-
géliser, l’écrasait. A la vérité, ces efforts, faibles en com-
paraison de la tâche à accomplir, représentaient cependant
une série déjà longue de patients et héroïques travaux. La
Société de Londres, depuis 1803, la grande Société Améri-
caine, la Société de Bâle, d’autres Sociétés encore, anglaises,
écossaises, américaines, etc., étaient à l’œuvre et ne ces-
saient d’étendre leurs opérations et de multiplier leurs sacri-
fices. De grands résultats avaient été obtenus; la Bible avait
32
434
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
été traduite; des Églises, recrutées par des conversions indi-
viduelles, avaient été formées. Mais ces efforts s’étaient con-
centrés sur les provinces du littoral, et spécialement sur le
voisinage des ports ouverts aux Européens par les divers
traités imposés successivement à la Chine. L’intérieur du
pays restait inoccupé et, à vues humaines, impénétrable. Sur
les dix-huit provinces de l'empire, onze restaient fermées à
l’Évangile.
Ces onze provinces hantaient la pensée de notre mission-
naire. Il voyait ces masses humaines vivant dans les ténè-
bres et précipitées rapidement dans la mort sans que la lu-
mière de l’Évangile eut été placée devant eux. «Chaque mois,
se disait-il, un million de Chinois meurent sans Dieu. » Et la
pensée de porter l’Évangile dans toutes les parties de la
Chine, et particulièrement à la Chine intérieure, cette pensée
revenait sans cesse devant son esprit. 11 l’écartait par une
fin de non recevoir. Elle revenait obstinément. Il se disait :
« Si cinq ouvriers ont pu être obtenus pour notre modeste
œuvre de Ning-po, pourquoi n’en pas demander d’autres
pour le reste du pays? » — Mais la grandeur même de la re-
quête, — la grandeur aussi de l’entreprise qu’il entrevoyait,
— effrayait son âme. Les ouvriers trouvés, il faudrait les
équiper, les embarquer, les soutenir. C’était une œuvre nou-
velle à créer, et quelle œuvre! Il n’osait, décidément, se
risquer...
Nous ne pouvons suivre, dans toutes ses phases, ce com-
bat intérieur. Il fut si violent qu’à un moment donné la santé
d’Hudson Taylor s’altéra. Il dut quitter Londres et s’installer
chez un ami, M. Pearse, qui habitait au bord de la mer, à
Brighton. C’était en juin 1865.
Le dimanche, 25 juin, arriva. Tandis que les cloches son-
naient et que le peuple chrétien remplissait les églises, notre
missionnaire, sentant l’impérieux besoin de se trouver seul
avec Dieu, descendit sur la plage. C’était une radieuse ma-
tinée d’été. Et cependant, l’âme de H. Taylor était pleine
de tristesse. Sa pensée le ramenait à la Chine. « Pendant
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
m
que, ici, dans les églises, le peuple chrétien se réjouit et
chante, plus de mille âmes, dans le Céleste Empire, passent
de la vie à la mort, sans Dieu, sans espérance ! » Le paga-
nisme, comme un sombre fantôme, f obsédait. Et alors se
produisit dans son âme la crise décisive de sa vie. Seul, sur
le sable de la mer que le flot quittait, il reprit son entretien
avec Dieu; de nouveau iî entendit l’appel; mais, cette fois,
il se rendit, il répondit par le oui de l’obéissance. Il osa enfin
prier, sachante quoi il s’engageait, mais s’en remettant à
Dieu des conséquences. Il pria et demanda à Dieu, avec con-
fiance, deux ouvriers 'pour chacune des provinces inoccu-
pées de la Chine. Cette prière délivra son âme. Il écrivit en
marge de sa Bible ces simples mots : « Prié pour obtenir
vingt-quatre ouvriers de bonne volonté et Capables. A Brigh-
ton, ce 25 juin 1865. » — Puis, plein de joie et de paix, il
rentra à la maison. La nuit suivante, il put dormir.
La nouvelle mission était fondée. Il s’agissait dé l’organi-
ser, d’en déterminer les principes. Quant à l’organisation, elle
se réduisit d’abord à fort peu de chose. H. Tatylor avait un
ami, un laïque, M. W. T. Berger, qui vivait avec sa femme à
la campagne, à St-Hill. II fut entendu que cet ami se char-
gerait de la partie intérieure de l’œuvre : correspondance,
réception et expédition des fonds et des renforts, tandis que
H. Taylor lui-même dirigerait l’œuvre en Chine. On ne forma
un Comité que plus tard; pour le moment, cette simple orga-
nisation pouvait suffire.
Ce qui est plus important, ce sont les principes de la nou-
velle mission. Elle s’appelle : Mission de la Chine intérieure '.
Parla, le but poursuivi était clairement indiqué; en même
temps, toute concurrence avec les autres Sociétés était écartée.
Celles-ci avaient leur champ de travail dans les provinces du
littoral ; H. Taylor revendiquait pour son domaine l’intérieur,
jusqu’à ce jour inaccessible.
Cette même préoccupation d’éviter toute rivalité avec les
autres Sociétés se retrouve dans deux autres principes de la
436
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
mission : \° elle ne se rattache à aucune Eglise spéciale et
évite par là de détourner vers elle les fonds que ces Églises
réservent à leurs missions particulières’; 2° elle ne fait pas
de collecte, et, par là encore, elle espère éviter ce qui ressem-
ble à une concurrence avec d’autres entreprises similaires.
Cette suppression des collectes, cependant, tient à une cause
plus profonde encore. Nous y retrouvons la grande règle d’Hud-
son Taylor : Agir sur les hommes, par Dieu, au moyen de la
prière. Tout demander à Dieu, tout obtenir de lui. Et, comme
conséquence naturelle, ne rien devoir aux hommes; ne jamais
contracter de dettes. Il serait illogique de déclarer à Dieu qu’on
compte entièrement sur lui et, en même temps, de recourir aux
emprunts. En s’associant à H. Taylor, ses collaborateurs sa-
vent qu’ils ne peuvent compter sur rien de fixe comme traite-
ment et comme subventions. Ils ne peuvent compter que sur la
fidélité de Dieu, mettant au cœur de ses enfants de pourvoir
aux besoins de son œuvre et de ses ouvriers. Enfin, dernier
principe : la mission recherchera, dans les hommes et les
femmes qui entreront à son service, avant tout, les qualifica-
tions spirituelles. Elle leur demandera non pas quelles études
ils ont faites, mais quelles preuves ils ont reçues, dans leur vie
antérieure, de leur aptitude à exercer le ministère évangé-
lique; s’ils ont été en bénédiction à d’autres âmes; s’ils ont
mis la main à Tœuvre de Dieu, etc.
Que, dans ces principes, il y ait matière à critique, je ne le
conteste pas. Il est facile de voir, notamment en ce qui touche
les collectes, l’indice d’une sorte d’opposition entre l’emploi
des moyens naturels et le recours à la grâce de Dieu. Cette
même opposition peut conduire à condamner l’emploi de la
médecine, conséquence que H. Taylor repousse explicite-
ment. Il est facile aussi de voir que la collecte, supprimée
dans sa forme directe, peut reparaître sous une forme dé-
guisée, et qu’il est telle manière de dire : « Je ne collecte
pas », qui équivaut à un appel. Le mode de préparation
des missionnaires de H. Taylor appelle aussi quelques res-
trictions.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
437
Mais, cette part faite aux réserves, faisons aussi la part, et
bien large, à l’approbation. Pour tout dire, en un mot, sur
bien des points, H. Taylor, et c’est son mérite, n'a fait que
revenir à l’esprit primitif des missions évangéliques; et ce
qu’il y a de bon dans ses principes, c'est précisément ce qui
découle de cet esprit, ce qui en est l’expression. C'est donc à
cet esprit qu’il faut nous attacher avant tout. Et cet esprit,
qui n’en sent la nécessité? Qui ne voudrait le posséder dans
une plus grande mesure? Cet esprit, en un mot, c’est la foi.
La foi qui veut honorer Dieu, la foi qui veut obéir , la foi qui
attend tout de Dieu.
La foi qui veut honorer Dieu. Nos pères disaient que la fin
de l'homme, c’est de glorifier Dieu. Oh! comme nous avons
perdu ce souci de l’honneur de Dieu, qui faisait leur force !
Ces mots : l’honneur de Dieu, la gloire de Dieu, n’ont presque
plus de sens pour nous. Pour H. Taylor, ils expriment Tune de
ses préoccupations dominantes. Il souffre de voir Dieu, en
quelque sorte, voilé parles intermédiaires humains; l’œuvre
de Dieu rendue dépendante de tant de conditions, encom-
brée de tant de moyens extérieurs et de règles administra-
tives. C’est pourquoi il écarte, d’une manière trop absolue
peut-être, tous ces moyens et toutes ces conditions. Il pro-
clame que Dieu seul est suffisant pour faire l’œuvre de Dieu.
Il n’accepte pas, comme définitives, les proportions mes-
quines où cette œuvre a été enfermée longtemps. Il trouve
humiliantes, pour Dieu et pour son peuple, ces proportions;
il en réclame d'autres plus dignes de Dieu, de l’Église, de
l’œuvre à faire; et cette œuvre agrandie, décuplée, il la veut
aussi plus rapide, plus simple, plus directe.
La foi qui veut obéir. Jésus-Christ a dit : Allez par tout le
monde prêcher l'Évangile à toute créature. Cet ordre, H. Tay-
lor le prend à la lettre. Son dernier appel à la prière porte ce
simple titre ; A toute créature. Cet ordre de Jésus-Christ,
il l’oppose triomphalement à toutes les objections du dehors,
comme il l’a opposé à ses propres hésitations. Il l’oppose
non seulement à l’Église infidèle qui désobéit, il l’oppose
438 JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
aussi à la paresse, à la timidité, à l’esprit de routine des
chrétiens qui veulent bien faire l’œuvre de Dieu, mais avec
une lenteur qui lui semble en contradiction avec la pensée du
Christ et des apôtres.
Et enfin, la foi qui demande tout à Dieu et qui attend tout
de lui. Nous avons vu H. Taylor tout jeune s’exercer à la
prière de la foi : rien d’étonnant à ce que cette prière reste
le levier de toute son œuvre. L’histoire de sa vie est une des
plus merveilleuses démonstrations de la vérité de cette parole
de Jésus : « Demandez, et vous recevrez. » On ne peut le lire
sans être édifié et encouragé à la prière.
La foi, voilà l’esprit qui anime H. Taylor et qui explique
l'étonnante sève de tout ce qu’il dit et écrit. Mais, à cette
foi, il faut joindre la charité : la compassion immense pour
le monde qui périt, et particulièrement pour la Chine que Dieu
lui a confiée comme son champ de travail spécial. C’est cette
charité qui vivifie et pénètre les écrits et les appels de H. Tay-
lor; c’est elle qui fait de lui un des plus grands avocats que
la cause de la Chine ait trouvés en Europe, et un des plus
grands apôtres que l’Évangile ait eus en Chine jusqu’à ce
jour.
La mission étant décidée en principe, il fallait l’établir dans
les faits. H. Taylor consacra ce qui lui restait de temps à
faire connaître la Chine , ses besoins et ses droits. Il publia,
sous ce titre, une brochure dont l’effet fut immense, et dont
les éditions se sont succédé rapidement. En même temps, il
mettait sa parole au service de la cause à laquelle il s’était
donné ; et, tout en persévérant dans la prière, il ne perdit
aucune occasion de la plaider en public.
Écoutons le récit de deux incidents qui remontent à cette
époque, et où l’homme se peint tout entier avec sa foi si tenace
et l’originalité spéciale de son caractère.
C'était vers la fin de 1865. H. Taylor avait été invité à
prendre part à la Conférence annuelle de Perth, en Écosse,
grande assemblée de chrétiens qui se réunissent pour s’édj-
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
439
fier en commun. Tout en s’y rendant, H. Taylor était, comme
à l’ordinaire, hanté par la pensée de la Chine et de ses
titres à la compassion des chrétiens. L’idée lui vint de saisir
l’occasion que lui offrait la Conférence pour plaider la cause
chère à son cœur. Mais, c'était là une dérogation aux habi-
tudes et aux règles de la réunion ; aussi, crut-il bien faire de
s’ouvrir de son dessein au président. Celui-ci se récria :
« Mais, cher monsieur, ceci est tout à fait hors de question !
Il y a là un malentendu! Nos réunions sont réservées à la
seule édification. » H. Taylor expliqua qu’il n’y avait pas
contradiction entre son sujet et l’édification des chrétiens ;
que l’obéissance aux ordres de Jésus Christ rentrait sûre-
ment dans cette édification; bref, il fut si persuasif, et sur-
tout il se montra si convaincu, si oppressé par le fardeau dont
il voulait délivrer son âme, qu’à la fin le président donna l’au-
torisation demandée. Vingt minutes lui étaient accordées à la
réunion du lendemain matin.
Quand, ce jour-là, quatre heures du matin sonnèrent,
H. Taylor était déjà à genoux dans sa chambre. Ce qu’il de-
mandait à Dieu, on le devine. Il avait une occasion unique de
faire entendre l’appel de la Chine devant l’Église de sa patrie.
Il demandait à Dieu la grâce d’en faire un emploi décisif.
Quand il se vit en présence de l’immense assemblée, un
tremblement nerveux s’empara de lui. Incapable de parler, il
trouva seulement la force de dire : Prions. Alors, dans une
prière qui prit au moins le quart du temps dont il disposait,
il répandit son âme devant Dieu dans une fervente prière
pour la Chine et pour que l’esprit de Dieu lui fût donné à lui-
même et l’aidât à faire entendre aux chrétiens l’appel de ce
grand pays.
Lorsqu’il se releva de sa prière, toute angoisse était partie.
Il parla avec simplicité, avec puissance. Il raconta l’histoire
de deux bateliers chinois, qu’il avait vus lui-même refuser
leur secours à un malheureux qui se noyait, ne voulant pas
se déranger pour si peu. L’assemblée frémissait d’indigna-
tion lorsque, d’une voix tonnante, H. Taylor s’écria : « Tu es
440
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
cet homme-là ! » et qu’il montra l'indifférence du monde
chrétien aux misères et aux hontes du monde païen.
Assurément, ceux qui entendirent cet appel ne l’oublièrent
jamais.
Quelques mois plus tard, en avril 1866, H. Taylor se trou-
vait à Totteridge, près de Londres. Il avait accepté de parler
dans une réunion, à la condition qu’il n’y eût pas de collecte.
Il parla si bien et excita tant de sympathie que le président
déclara qu'il y aurait tout de même une collecte. «Après ce
que nous avons entendu, c’est pour nous un besoin de don-
ner. Je sais que M. Taylor a refusé cette collecte, je lui donne
acte de son refus, mais je suis assuré que chacun ici m’ap-
prouvera si je prends sur moi de passer outre. » A la surprise
générale, H. Taylor se lève et insiste pour que la décision
prise soit maintenue, a Mon désir, dit-il, n’est pas que vous
vous soulagiez par un don immédiat des émotions que vous
ressentez. Mon désir est que mes paroles restent présentes à
votre esprit et dans vos cœurs. Quand vous aurez réfléchi,
faites ce que vous voudrez, mais je persiste à repousser toute
collecte immédiate.
La séance fut levée. Chacun rentra chez soi. H. Taylor était
précisément l’hôte de l’ami qui avait présidé la réunion. Pen-
dant toute la soirée, cet ami fut pensif et ne dit rien. Le len-
demain, il entra dans la chambre de H. Taylor et lui remit un
chèque de 500 livres sterling (12,500 francs). « Tenez, dit-il.
Si l’on avait fait une collecte hier, je n’eusse donné que
quelques guinées. Ce chèque est le fruit de mes réflexions.
J’ai passé la nuit à genoux, disant à Dieu : Seigneur, que
veux-tu que je fasse ? Et voilà la réponse qui s’est imposée à
moi. »
Ce don et bien d’autres encore vinrent montrer à H. Taylor
et à ses amis que le sceau de l’approbation divine reposait
sur leurs projets. Dès les premiers mois de 1866, près de
75,000 francs avaient été reçus. En même temps, les hommes
se présentaient. Après un sérieux examen, un certain nombre
furent admis, et, le 26 mai 1866, toute la petite armée mis-
VARIÉTÉS
441
sionnaire, comptant dix-huit personnes, s’embarquait à bord
du navire à voiles le Lammermoor. Après un voyage acci-
denté, mais où les bénédictions de Dieu abondèrent, les voya-
geurs débarquaient à Shanghaï. C’était au commencement
d’octobre 1866.
• VARIÉTÉS
UNE VISITE A LA « MISSION DES UNIVERSITÉS »
A ZANZIBAR (1)
(Suite.)
L’œuvre faite par les missionnaires dans la ville de Zanzi-
bar est, en somme, une œuvre de paroisse. Ce sont d’anciens
esclaves libérés qui forment la paroisse. La maison où j’étais
sert de home à une soixantaine de jeunes nègres, confiés à la
mission, et que l’on met en apprentissage en ville. Le soir,
vers six heures, ils rentrent; le service du soir, Yevening
prayer quotidienne, est célébré à la cathédrale ; ensuite, la
maison s’anime. Je promis de revenir pour voir cela ; l’emploi
de m.on après-dîner m’en empêcha dans la suite. Il y a aussi
un dispensaire, et l’on vient de commencer une école élémen-
taire pour les enfants du quartier. C’est l’humble début d’une
mission d’attaque. Les Zanzibarites étant musulmans, on se
heurtera à toutes les difficultés que rencontre la mission
chrétienne en face de l’islam, surtout en pays musulman.
Cette portion de l’œuvre « des Universités », ou plutôt cette
station groupée autour de la cathédrale, se nomme Mkuna-
(1) Vpir pages 342 et 396.
442
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
zini; le nom provient d’un arbre qui pousse derrière la mai-
son et qui s’appelle, en swahéli, kunazi; le locatif mkunazini
signifie donc « près du kunazi » .
J’avais le désir de visiter les deux autres stations dans l’île
de Zanzibar, Kiungani et Mbweni. Comment s’y rendre? La
voie de terre présente des difficultés spéciales; le sultan
seul possède des voitures à Zanzibar : on en obtient par l’in-
termédiaire des consuls, mais il aurait fallu faire des dé-
marches dès le matin. Par contre, les missionnaires de Mku- .
nazini nous apprirent que l’on pouvait aller assez facilement
à Mbweni en barque. Il y a environ quatre milles marins, soit
7,5 kilomètres de la rade à la pointe de Mbweni; et, en sui-
vant l’arc que décrit la baie, on peut aller visiter Kiungani,
environ à mi-chemin.
Le plus simple parut donc de retourner déjeuner à bord et
de se mettre en route vers midi. Sur le pont de 1 1 Iraouaddy
un véritable bazar indou s’était installé. A bâbord, on ven-
dait de tout; à tribord, un charmeur de serpents attirait de
nombreux spectateurs. Sauf les sept à huit serpents, parmi
lesquels un serpent cobra, la scène n’avait d’intérêt que par
ce que l’imagination prête au nom de charmeur; le charme
était nul. Mais je me demandai pourquoi la Société des Uni-
versités n’a pas encore commencé une œuvre de mission
parmi les nombreux indous de Zanzibar; l'évêque de Mau-
rice et la Société de la propagation de l’Évangile lui donnent
l’exemple à Maurice, sur la côte est de Madagascar et à
Natal.
Après le repas, je surveillai les embarcations qui se pres-
saient autour de l’échelle du bord. L’une d’elles, qui me parut
mieux bâtie, plus légère, et montée par deux rameurs solides,
fut hélée. Débattre le prix fut une longue affaire, les consé-
quences de la tour de Babel empêchant une entente facile.
J’offrais quatre roupies, qui finirent par être acceptées comme
prix convenu. D’ailleurs, nous n’avons eu qu’à nous louer de
notre barque qui filait bien, et de nos rameurs qui maniaient
l’aviron comme des marins de profession. Jusqu’ici je n’ai pas
VARIÉTÉS
i43
commandé de matelots noirs plus tranquilles, plus réguliers,
j’allais dire, mieux élevés. L’un s’appelait Khamisi; il igno-
rait toute langue autre que le swahéli et se contentait d’ébau-
cher de gros et bons sourires. L’autre, Djouma, avait passé
trois mois et demi à bord d’un vapeur de Hambourg; il avait
vu Naples, Marseille, Lisbonne, Hambourg; Marseille semble
lui avoir laissé l’impression la plus vive. Gomme il serait inté-
ressant de fixer, si l’on parlait couramment swahéli et si l’on
gagnait la confiance de Djouma, ce qui surnage de toutes ses
expériences dans l’esprit de ce nègre qui a vu le monde 1
Gomme le vent était avec nous, nous marchions bien. De
temps à autre, une lame plus forte se brisait contre Lavant du
canot et nous éclaboussait; le balancement saccadé était plu-
tôt agréable. Nous allions vers le sud, contournant le pro-
montoire où s’élève le consulat anglais, passant ensuite de-
vant l’hôpital français, très bien tenu, dit-on, par les sœurs
delà congrégation du Saint-Esprit et du saint cœur de Marie.
J’aurais beaucoup désiré visiter la mission catholique; mais
il m’a été impossible de loger plus que je n’ai fait dans les
dix heures d’escale dont je disposais. Après cela, nous aper-
çûmes le pavillon du consulat allemand et celui du consul des
État-Unis. Puis, vint un village indigène, fouillis de cases
assez minables d’aspect. Sur la plage, dans l’eau jusqu’à mU
corps, deux où trois femmes cherchaient des crabes ou des
coquillages, je ne saurais le dire. A partir de là, quelques
habitations isolées s’égrènent encore sur la côte où l’éton-
nante végétation reprend encore le dessus. Elle est exubé-
rante; elle rappelle, en son genre, les chairs trop pleines des
peintures de Rubens : aux manguiers, aux cocotiers et aux
mimosas, se mêlaient ici, sans compter la végétation des des-
sous, des casuarinas, d’un caractère tout différent, comme
égarés ici.
Une demi-heure de navigation, et nous échouons le canot
sur le sable de la plage. La plage a dix ou douze mètres de
large; elle monte doucement : alors commence immédiate-
ment la végétation drue, luisante, épineuse, comme impa-
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tiente d’envahir le rivage où une puissance plus forte l’em-
pêche pourtant d’avancer. Une douzaine de têtes de bétail
paissaient à l’écart. Un chemin, un sentier plutôt, grimpe à
travers un jardin féerique. J’ai remarqué surtout des buis-
sons de frangipane avec des fleurs à calice blanc, profond,
jaune vif au fond, ayant la consistance de la fleur d’oranger,
mais dix fois plus grandes; puis des hybriques, dont la flo-
raison présente une variété presque infinie de tons pourpres,
roses violets, panachés, tigrés. Au haut du sentier, sur lequel
nous avions croisé quelques garçons qui nous saluaient en
disant : « Yambo , mboni! d si j’ai bien compris, nous arri-
vâmes devant une maison d’apparence arabe, d’un étage, de
forme cubique, à porte basse et étroite. A travers, on plonge
du regard dans un couloir, une sorte de promenoir, dont les
arcades s’ouvrent des deux côtés sur deux cours. Plusieurs
garçons et jeunes gens, tous vêtus d’une veste et d’une cu-
lotte en percale blanche, quelquefois avec un galon rouge, et
auxquels je demande le missionnaire, font venir un monsieur
vêtu comme ceux de Mkunazini, d’une longue soutane blan-
che. La réception fut cordiale. Le révérend M. D. nous offrit
de nous conduire partout avant le lunch qu’on préparait.
La visite commença par l’église : style arabe, plus authen-
tique encore qu’à Zanzibar; pas de vitraux, pas même de vi-
tres ; les baies sont fermées de grilles en fer d’un travail lé-
ger et élégant, fait à Bombay. Dans le chœur un maître-autel,
drapé avec goût, de couleur sombre. Tous les jours, on cé-
lèbre dans cette église la liturgie du culte du matin et du culte
du soir en swahéli. Tous les élèves de l’institution, — car
Kiungani est un centre scolaire, — assistent à ces deux ser-
vices. De plus, trois fois par semaine, on célèbre une early
communion , à laquelle les élèves assistent à volonté. Le
nombre des élèves varie beaucoup, trop peut-être; mais on n’y
peut rien changer. Il y en a actuellement 80; il y a peu de
mois, il y en avait 120. On peut en recevoir jusqu’à 150. Il
faut des cadres solides et beaucoup d’application à la fois et
de souplesse de la part des maîtres, pour garantir une marche
VARIÉTÉS
m
régulière malgré les allées et venues. Elles proviennent du
fait que beaucoup d’élèves font de longs voyages pour entrer
à l’école de Kiungani. Il y avait des garçons de wa-kondé,
wa-yao et wa-nyasa, par exemple. Ces derniers mettent trois
mois et demi à venir de leur pays jusqu’à Zanzibar. On ne
peut pas leur fixer un terme pour arriver. Ils ne pourraient
que difficilement voyager seuls, ils seraient exposés à être
exploités ou même réduits en esclavage. Ces garçons se met-
tent donc en route lorsqu’un missionnaire fait le voyage ou
quand il y a l’occasion d’un convoi de confiance. A quelque
date qu’ils arrivent à Kiungani, ils sont reçus et mis dans
l’une des classes, presque toujours dans la sixième. Cela
suppose une instruction première reçue dans leur pays d’ori-
gine ; elle dure habituellement trois à quatre ans. Les mis-
sionnaires du continent ne font partir un élève pour Kiungani
que lorsqu'il sait lire et écrire couramment le swahéli et qu’il
comprend un récit anglais, très facile, à première vue.
A Kiungani, il y a six classes. La sixième est élémentaire ;
la première, ou head class , compte en moyenne de 12 à 15
élèves; à leur sortie, ils sont employés comme instituteurs.
Au-dessus d’eux, il y a une section théologique dont les étu-
diants — on distingue, en effet, ces élèves par le nom de stu-
dents — suivent certains cours professés aux futurs institu-
teurs, bien qu'ils aient déjà passé régulièrement par la
première classe, et, en outre, ils ont des cours spéciaux et
pas mal de temps pour l’étude personnelle, contrôlée régu-
lièrement par des interrogations et des travaux écrits.
Un sommaire du tableau des leçons donnera une idée du
travail que l’on fait à Kiungani. Les étudiants préparent leurs
leçons de 7 h. 1/4 du matin à 8 heures ; de 8 heures à 8 h. 1/2,
à la chapelle. De 9 h. 1/2 à 10 h. 1/4, ils assistent à un cours
théologique, où l’on traite un sujet trois fois par semaine.
On fait ensuite de l’homilétique de 10 h. 1/4 à 10 h. 3/4. Entre
11 heures et midi, les étudiants suivent la leçon d’anglais
donnée à la classe supérieure. De 2 heures à 2 h. 3/4, le pro-
fesseur discute avec les élèves et leur explique les livres qu’il
446
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
les a chargés de lire. De 2 h. 3/4 à 3 h. f/2, traduction an-
glaise dans la première classe. Entre 4 heures et 3 heures, on
prépare trois fois par semaine un commentaire biblique. Les
deux autres jours on traite en swahéli ce même commentaire.
Dans la soirée, de 8 h. d/2 à 9 h. 1/2, les étudiants font étude
avec les élèves de la classe supérieure. Dans quelques rares
cas, — on m’a cité celui du révérend Peter Limo, — l’un ou
l’autre des étudiants a été admis à faire un peu de grec.
Dans la classe supérieure, on fait de la géométrie, de l’al-
gèbre, de l’arithmétique, de la musique, de la diction, de
l’histoire biblique et de l’histoire de l’Église, de la géogra-
phie et, en outre, quatre heures d’anglais par jour. Les livres
anglais, lus, analysés, expliqués et traduits en swahéli, sont
de deux espèces : les uns traitent de sujets profanes, choisis
pour élargir l’horizon des élèves; une autre série est théolo-
gique : ce sont, outre ce que les Allemands nomment Bibel-
kunde, des explications du catéchisme. Les élèves qui pas-
sent un bon examen sur un livre lu et digéré, reçoivent le
volume en prix.
Il y a, en effet, deux examens semestriels par an, l’un en
janvier, l’autre en juillet. Les étudiants sont interrogés sur
les cours qu’ils suivent avec la classe supérieure; mais on ne
publie pas leurs notes. Gn insiste ainsi sur une distinction
entre eux et les élèves ; on cultive le sentiment de la hiérar-
chie et de la subordination. J’ai sous les yeux les résultats
de l’examen du mois de janvier 1896. Dans la première classe,
sur un maximum de 1,040 points, les deux meilleurs élèves
ont obtenu, l’un 673> l’autre 523 points; le dernier élève de
classement est resté à 376 points. Ces résultats, pas tout à
fait satisfaisants, sont dûs exceptionnellement aux interroga-
tions beaucoup trop difficiles faites par un missionnaire ré-
cemment arrivé et auquel l’expérience manque eneore.
Il y a quatre missionnaires à Kiungani, tous célibataires.
Un seul est ordonné prêtre. L'un des autres est un jeune
savant, ancien tutor à Christ Church College, Oxford, et qui
parait destiné à reprendre les travaux linguistiques par les^
VARIÉTÉS
447
quels l’évêque Steere a illustré cette mission. Ce même pro-
fesseur fait des cours libres sur des sujets d'ordre général. Il
faut ajouter encore que les élèves de la classe supérieure
manquent à tour de rôle deux tiers des leçons pendant un
mois sur trois, pour prendre part à l’enseignement dans les
classes inférieures, sous la direction du professeur. C’est de la
pédagogie appliquée. D’autre part, les meilleurs d'entre les
étudiants sont nommés lecteurs, — le rôle d’anagnoste était
le premier degré des ordres dans l’ancienne Eglise chré-
tienne, — et prennent une part active aux services religieux
et aux catéchismes tenus à Kiungani et dans les environs.
Dans les classes inférieures, les élèves de la deuxième classe
ont obtenu, le premier, 527 points sur 830; les deux sui-
vants, 441 et 418; les trois derniers, 302, 250 et 197. Dans la
troisième classe, les trois premiers ont eu, sur un maximum
de 715, 448, 389 et 250; les cinq derniers, 201, 176, 133, 121
et 118. La quatrième classe n’a fait, sur un maximum de 625,
que 357 et 300 dans la personne des deux premiers élèves, et
203 et 183 dans celle des deux derniers.
Sous la direction, suffisamment discrète, je crois, des mis-
sionnaires, il s’est formé parmi les étudiants et élèves de la
classe supérieure une association ou, suivant un mot en fa-
veur dans les cercles ritualistes, une ghilde de saint Paul,
en swahéli : Chama cha Pàolo Makatifu. L’organisation, au-
tant que j’ai pu la pénétrer, est assez simple. Les membres
s’astreignent à certains exercices de dévotion. Ils ont la
faveur de pouvoir se retirer dans des cellules réservées pour
cela, comme les anciens Gebetskæmmerlein dans les combles
de la Maison des missions de Bâle. Entré au service actif de
l’Église, on reste membre de la ghilde. Elle compte actuel-
lement une trentaine de membres, dont 6 prêtres, 3 diacres
et 5 lecteurs, tous indigènes, cela va sans dire. Il se peut que
cela contribue à développer dans ces jeunes gens l’habitude
de porter une certaine responsabilité, et aussi l’initiative per-
sonnelle. Cela prépare donc, dans une certaine mesure,
l’émancipation et l’indépendance de l’Église africaine. On
448
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
sait combien les missionnaires de la Société dite « des Uni-
versités » ont l’œil ouvert sur ces questions, et combien ils
insistent en particulier sur ce qu’il ne faut pas que les prê-
tres indigènes soient travestis en pseudo-Européens. J’ai été
heureux d’entendre, dans ce milieu, l’un des missionnaires
exprimer l’espoir de voir un jour le Prayer-Book remanié,
refondu et mis au point pour les Africains par des Africains.
Le principe me paraît incontestablement juste; son applica-
tion pourrait bien avoir pour conséquence la constitution et
l’organisation d’une Église africaine passablement différente
de ce qui est actuellement l’idéal anglican.
En parcourant toutes les salles de classe, j’ai vu dans le sa-
lon de lecture réservé aux étudiants quelques-uns des livres
qu’on leur fait étudier. Ce sont ceux qu’on trouve dans tous
les séminaires anglicans. Au premier rang, naturellement,
Pearson's Exposition of tlie Creed, par Walford ; The Church's
doctrine of the Incarnation , par Wilberforce ; The Missionai'y’s
Fondation of Doctrine; puis le commentaire simplifié de
Westcott sur l’Évangile de saint Jean. Ouverts sur la table,
il y avait quelques tomes d’un Dictionary of doctrinal and
historical Theology. J’espère qu’on n’y puise pas trop de ren-
seignements superficiels et de parade. Le Dictionary of the
Bible de Smith se trouvait aussi là et est d’un usage plus
utile. Il faut rappeler ici, pour prévenir une impression
erronée à propos de ces livres anglais, que les leçons théolo-
giques se donnent comme toutes les autres, en swahéli.
(A suivre.) F. H. Kruger.
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20581.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
44
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
DEUX CONSÉCRATIONS
M. Paul L. Vernier et M. A. Coïsson.
Au cours de ces dernières semaines, deux de nos élèves
missionnaires ont reçu l'imposition des mains : MM. Paul-Louis
Vernier, le 27 août, et Auguste Coïsson, le 10 septembre. Le
peu d'espace dont nous disposons nous force malheureuse-
ment à nous borner à un compte-rendu sommaire de ces
deux cérémonies, qui, l’une et l’autre, ont produit, nous
écrit-on,* une profonde impression sur les auditeurs nom-
breux et attentifs qui en ont été les témoins.
La consécration de M. Paul-Louis Vernier a eu lieu à Mont-
meyran, dans le même temple où, trente ans auparavant, le
père du candidat, le missionnaire Vernier, et son oncle, le pas-
teur Paul Vernier, maintenant décédé, avaient reçu l’imposition
des mains. « La journée du 27 août, nous %crit le nouveau
missionnaire, a été belle au-delà de toute expression; elle a
été particulièrement bénie pour celui qui vous parle, et ceux
qui y ont assisté en ont, je suis sûr, emporté une impression
octobre 1896. 33
450
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
bienfaisante. Beaucoup de pasteurs, beaucoup de monde.
Vingt pasteurs m’ont imposé les mains... »
Au début du service, M. le pasteur Benoit , de Montauban,
est monté en chaire, a lu la Bible et prononcé la prière;
puis M. le pasteur Mouline, de Marseille, membre honoraire
du Comité des Missions, oncle du candidat, a prononcé le dis-
cours de consécration sur le texte connu Rom. X, v. 14 et 15.
«Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Com-
ment donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont point cru?
Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont point entendu
parler? Et comment en entendront-ils parler s’il n’y a per-
sonne qui soit envoyé? » Après cette prédication, d’une forte
ordonnance, et très émouvante dans certaines de ses parties,
M. le pasteur T . Fallot, président du Conseil auxiliaire de la
Drôme, et lui aussi membre honoraire du Comité de Paris, a
fait prendre au candidat les engagements d’usage et lui a
présenté les vœux du Comité auxiliaire. Puis a eu lieu l’acte
même de la consécration, pendant que M. le pasteur Elle Ver-
nier, oncle du candidat, prononçait la prière.
La cérémonie s’est terminée par l’allocution du candidat, dont
nous ne pouvons, à notre regret, donner ici qu'un court ré-
sumé. La reconnaissance, l’action de grâces en ont occupé
la première partie. Le passé du candidat ne lui inspire que
gratitude et louanges. Fils d’un dévoué missionnaire, il
n’a reçu, à Taïti, dans sa famille, comme au foyer de ses
oncles et tantes, en Europe, que des exemples de piété, de
dévouement à la cause de Dieu et de tendre affection.
Il tient à mentionner aussi une grave maladie, qui a failli,
il y a quelques années, mettre un terme à sa vie, et son
séjour de trois ans à la Maison des Missions, qui a, dit-il, été
décisif pour sa vocation de missionnaire. Ces grâces de Dieu
sont présentes à son esprit, lui font sentir plus vivement les
faiblesses et les misères de sa vie personnelle, et devant le
ministère qui va lui être confié, il tremble. Ce qui le rassure,
c’est qu’il va prêcher, non ses expériences, sa pensée ou sa
personne, mais Jésus-Christ et son Evangile. Cet Évangile
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
451
est suffisant pour la double tâche qui attend le futur mission-
naire de Taïti : conserver et conquérir. « En effet, dit-il, -si
l’Evangile est connu dans les Iles de la Société, il existe
encore des archipels reculés, où il n’a pas été annoncé, et... si
l’œuvre des missions à Taïti se réduit plutôt à conserver des
résultats acquis, il n’èn est pas de même dans les archipels
païens, où la mission doit surtout présenter le caractère d’une
conquête. .»
En terminant, le candidat a exposé le contenu de l’Evan-
gile, tel qu’il le comprend, avec tous les témoins fidèles de
Jésus-Christ, missionnaires et autres. « Je m’écarterai avec
soin, dit-il, dans ma prédication comme dans ma vie, de tout
ce que je ne croirai pas conforme à la volonté de mon Maître.
Je prêcherai l’amour de Dieu pour tous les hommes, même
les plus dégradés, sans cependant oublier d’insister quand
il le faudra sur sa sainteté; je prêcherai la foi en Jésus-
Christ, mort pour nos péchés, ressuscité pour notre justifi-
cation. Je le présenterai comme celui en qui s’est accomplie
la réconciliation entre Dieu et le pécheur. Que Dieu m’aide à
mettre en pratique moi-même, le premier, ce que j’annon-
cerai aux autres! Qu’il me rappelle toujours qu’une seule
inconséquence de ma part peut compromettre gravement
l’œuvre du Maître que je prétends servir. La pensée que je suis
son serviteur me soutiendra. Elle me donne, pour le moment
même, l’espérance que Dieu ne m’abandonnera pas... (1) »
La consécration de M. Auguste Goïsson a eu lieu à la Tour,
le pittoresque chef-lieu de ces Vallées vaudoises qui nous
ont déjà fourni plusieurs bons et fidèles missionnaires. C’est
le directeur de la Maison qui devait prononcer le discours de
consécration : des circonstances personnelles l’ayant privé de
cette joie, comme aussi de celle de participer à la consécra-
(l)Nous devions recevoir un compte rendu détaillé de la consécration
de M. Vernier. 11 ne nous est pas parvenu à l’heure actuelle : c’est ce
qui explique les lacunes de notre récit. {. Réd .)
452
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tion de M. Vernier, M.le pasteur Appia avait bien voulu se
charger, à la demande du Comité, de présider celle de
M. Coïsson. La présence de MM. Coillard et Louis Jalla, re-
présentants de cette mission du Zambèze pour laquelle a été
désigné M. Coïsson, ajoutait à la fête un élément de puissant
et sain intérêt. Aussi l'assistance était-elle très considérable :
« depuis longtemps, nous écrit-on, on n’avait eu une si belle
assemblée; le grand temple de la Tour débordait ».
C’est M. L. Jalla qui a ouvert le service par la lecture de la
Parole de Dieu et la confession des péchés. Puis, pendant que
l’assemblée chantait le beau cantique : « Toi qui dans la
nuit de la vie », M. Appia est monté en chaire et « a prononcé,
nous écrit un témoin oculaire, un des meilleurs sermons que
j’aie jamais entendus : tout parlait au cœur ; l’assemblée a suivi
avec attention jusqu'au dernier mot. Son texte était 2 Timo-
thée II, 3 et 4, et son développement a porté sur les trois
points suivants : 1° Le fait même qui motive la réunion : un
combattant s’enrôle pour la sainte guerre des missions;
2° le motif souverain qui va désormais diriger toutes ses
actions: plaire à celui qui l’a enrôlé; 3° la mesure de son
service : d’après la nature, les lois humaines et divines,
le serviteur de Dieu ne peut s’attendre à l’approbation de son
Maître, au succès, à la victoire, que s’il prend entièrement
au sérieux le service auquel il s’est voué et s’y donne sans
partage. »
Après ce discours, tandis que l’assemblée entonnait les
strophes entraînantes du cantique : « Debout, sainte cohorte»,
M . Coïsson est monté en chaire à son tour et a rendu compte de sa
foi et de sa vocation. Nous n’avons pas sous les yeux le texte de
son allocution, mais nous savons qu’elle a été en profonde
harmonie avec le reste de cette belle soirée (1). On a chanté :
« J’ai soif de ta présence », puis M. Appia a lu la liturgie de
consécration, et l’imposition des mains a eu lieu. La prière de
(1). Cette allocution vient de nous parvenir. Nous en publierons quel-
ques extraits dans un mois.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
453
consécration a été prononcée par M. le professeur P. Geymo -
naty président du Synode. Pendant que les pasteurs consa-
crants donnaient au nouveau ministre l’accolade fraternelle,
un chœur a chanté le cantique : « Mon cœur, mon corps,
mon âme ne m’appartiennent plus »; puis M. Coillard est
monté en chaire et a prononcé une émouvante allocution,
dont le texte lui a été fourni par le mot de Saül à David: «Va,
et que le Seigneur soit avec toi » (1 Paul, 17, 37.) (1).
Telles ont été ces deux fêtes. En les racontant, nous avons
surtout désiré faire connaître aux amis des missions les nou-
veaux ouvriers que notre Société va faire partir pour ses
champs de travail. Ils n’oublieront pas leurs noms, et ils en
feront mention dans leurs prières, demandant à Dieu, pour
chacun d’eux, la grâce d’être un bon et fidèle serviteur, digne
d’entendre un jour comme récompense de son travail le
« Cela va bien » du Maître.
Nous n’avons pas besoin, à cette occasion, de recommander
aux prières de tous nos amis l’activité et surtout la santé de
notre frère Coillard, qui a assisté au synode de l’Église vau-
doise et vient de faire une série de réunions et de prédica-
tions en Piémont, à Saint-Jean, Torre-Pellice, Villar, Pomaret,
Turin, éveillant partout un grand intérêt. Il a pris part
ensuite aux réunions d’étudiants de Sainte-Croix, et traverse
Paris, d’où il se rend à Liverpool, en attendant de pouvoir
commencer ses tournées en France.
(1) Les organisateurs de la fête nous prient d’exprimer le regret qu’ils
éprouvent de n’avoir pas fait place, dans le programme de la fête, à
M. Je pasteur J. Weitzecker, missionnaire honoraire. Nos lecteurs
savent tout ce qu’a eu de douloureux le ministère de ce frère au Les-
souto. Mais la mission du Zambèze, elle aussi, a reçu de lui un signalé
service; c’est en s’offrant pour le poste de Léribé qu’il a rendu possible
le départ de M. Coillard pour le nouveau champ de travail auquel il s’é-
tait consacré.
454
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
SITUATION FINANCIÈRE
au 20 septembre 1896.
Notre trésorier nous communique la note suivante :
Pour faire face à la dépense prévue pour 1896-97, qui
est de 373,000 »
Il faudrait une recette^mensuelle de 31,000 francs, ce qui
fait pour les 5 mois et 20 jours écoulés, du 1er avril au
20 septembre 1896, un chiffre total de 176,000 »
Nous n’avons reçu jusqu’à ce jour, pendant le même
laps de temps, qu’une somme de 60,345 »
faisant une. différence en moins de 115,655 >
Les recettes du Zambèze sont à ce jour de 39,674 >
au lieu de 10,437 »
qu’on avait reçus l’année dernière à pareille époque.
MADAGASCAR
Les dernières nouvelles qui nous sont parvenues de M. Es-
cande sont datées du 30 août. Voici, du reste, la plus grande
partie de sa lettre :
« A bord de Ylraouadcly, en vue de Port-Saïd,
le 30 août 1896.
« Cher Monsieur Boegner,
« Je vous ai déjà écrit pour vous raconter l'accueil si cor-
dial que m’ont fait les amis de Marseille. Ils sont venus, au
nombre d’une douzaine, m’accompagner jusqu’au bateau.
Dès ce moment, un lien très étroit m’unit à eux.
« Nous sommes une cinquantaine de passagers de première
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
455
et de seconde classe, dont un certain nombre débarqueront
ici à Port-Saïd. Plusieurs vont à la Réunion, quelques An-
glais même vont jusqu’à Pile Maurice. Tous les autres,
parmi lesquels dix officiers, sont à destination de Mada-
gascar.
« Ces officiers escortent à peu près trois cents soldats de
la légion étrangère qui vont renforcer l’effectif ordinaire de
l’île. Comme il y a parmi eux une assez forte proportion de
protestants, j’ai déjà commencé auprès d’eux mon ministère
actif. Quel bonheur que je me sois pourvu de brochures alle-
mandes ! Beaucoup de ces légionnaires sont les anciens su-
jets de l’empereur Guillaume, dont ils parlent du reste la
langue. Il y a aussi pas mal d’Italiens.
« Chose étrange ! les fonctionnaires manquent presque
complètement. Il est vrai que ce n'est guère le moment
d’aller à Madagascar, puisque nous arriverons là-bas au
commencement des pluies. Je cherche à nouer connaissance
avec mes compagnons de voyage et ai déjà eu de bonnes
conversations avec plus d’un.
« La mer est aussi belle que possible. Nous avons énormé-
ment joui de notre traversée du détroit de Messine; vu du
large, le littoral de lTtalie, à cet endroit, est vraiment pitto-
resque. J’ignore si, à cause du choléra qui sévit en Égypte,
on va nous permettre de mettre pied à terre à Port-Saïd. Je
m’arrangerai, dans tous les cas, pour que cette lettre parte et
aille vous donner de mes nouvelles.
« Que vous dirai-je d’autre? Je suis heureux, parce que je
me sens à la place où le Maître m’a appelé. Tout ce que je
Lui demande, c’est qu’il me donne de le servir partout et
toujours avec fidélité. Je pense que vous avez dû recevoir
hier ou aujourd’hui des nouvelles de Saint-Louis. Combien
il me tarde de les connaître ! Dieu veuille veiller sur mes
chers collaborateurs, qui portent là-bas le faix du jour.
« B. Escande. »
Les lettres que nous avons reçues de M. Lauga montrent
456
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
combien sera bienvenue la nouvelle, qu’il n’avait pas encore
reçue en expédiant son dernier courrier, de la prochaine ar-
rivée de M. Escande. Ces lettres, datées du 16, du 28 et du
30 juillet, ont trait, en grande partie, aux arrangements pris
pour relever de leurs postes nos délégués et pour assurer la
continuation de leur œuvre. Nous y trouvons aiissi d’intéres-
sants détails sur la situation. Celle-ci, comme nos lecteurs le
savent, est loin de s’améliorer. Au point de vue religieux et
missionnaire, elle est même fort sombre. M. Lauga nous parle
des efforts faits par les Jésuites pour exploiter ces temps de
trouble à leur profit.
« Ils ont commencé, écrit-il, sur ces populations terro-
risées par le brigandage dont elles sont les victimes, autant
que par les événements de l’an dernier, une œuvre d’intimi-
dation qui pourrait, si on n’y opposait pas une action éner-
gique, avoir les plus graves conséquences. Dans toutes les
stations excentriques plus ou moins atteintes par l’insurrec-
tion, ils obtiennent qu’on envoie des postes militaires, — ce
qui est excellent, — mais au lieu de se contenter de travailler
loyalement sous cette protection, ils en profitent pour faire
une guerre déloyale et acharnée au protestantisme. Aux
officiers chargés de défendre la région et de conduire les en-
quêtes, et qui, dans ces villages sans ressources, sont presque
toujours leurs hôtes, ils dénoncent systématiquement comme
rebelles les hommes qui ont quelque influence religieuse
dans l’Église protestante, toujours de beaucoup les plus
nombreux, et qui. après avoir été les premières victimes des
Favahalos, qui ont détruit, pillé et brûlé leurs maisons, quand
ils ne pouvaient pas les massacrer eux-mêmes, se voient
appréhendés par ceux qu’ils croyaient leurs protecteurs.
Puis, les troupeaux une fois privés de leurs hommes in-
fluents, ils se livrent sans ménagement à leur œuvre d’inti-
midation, publiant, au milieu de ces populations apeurées,
que quiconque ne viendra pas à l’Église catholique sera
considéré comme rebelle et en subira les conséquences.
« J’ai dû, depuis le départ de Krüger, recommencer mes
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
457
courses au-dehors pour aller dans diverses directions essayer
d’empêcher cette œuvre diabolique de porter ses fruits, et
j’espère y avoir en partie, et pour un temps du moins,
réussi. »
Comme conséquence de ces tristes faits, où M. Lauga ne
voit que le commencement de la « guerre au couteau »,
que la mission jésuite, au dire d’un homme bien placé pour
en juger, se propose de faire au protestantisme à Madagas-
car, notre délégué prévoit que nos Églises seront appelées à
de plus grands efforts que nous n’avions supposé au début.
Son prochain retour en France, et celui de M. Krüger, main-
tenant imminent, permettront de fixer les proportions de
l’entreprise au moins dans la période des débuts. Dieu veuille
qu’alors nos Églises et nous-mêmes soyons à la hauteur des
sacrifices qui nous seront demandés.
En attendant, M. Lauga fait ce qu’il peut pour soutenir la
lutte. Nous l’avons vu cherchant à réparer et à raffermir les
Églises : une lettre plus récente nous le montre consacrant
ses matinées à l’enseignement du français dans le grand col-
lège protestant de Tananarive. Plus loin, il nous annonce son
prochain départ pour le Betsiléo que, dans une période an-
térieure, il avait été empêché de visiter avec son collègue.
Son départ, rendu possible par la présence d’une escorte,
devait avoir lieu dans le cours du mois d’août, et son absence
devait se prolonger jusqu'au 20 septembre.
Nous publions, sous la rubrique Variétés, la traduction d’une
lettré d’une chrétienne indigène appartenant à la mission
norvégienne. Nos lecteurs apprécieront à sa valeur ce docu-
ment qui nous permet de jeter un coup d’œil sur la vie inté-
rieure des communautés malgaches, en cette période troublée
de leur histoire.
En terminant cet article, nous apprenons la nouvelle du
rappel en France du résident général de Madagascar, M. La-
roche. Il ne nous appartient pas d’apprécier l’administration
de ce haut fonctionnaire : ce que nous pouvons et devons
mentionner ici, sous peine de manquer à la plus élémentaire
458
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
reconnaissance, c’est l’esprit d’équité qui a présidé à sa con-
duite à l’égard des missions. G’est à dessein que nous ne di-
sons pas : les missions protestantes, car, dans notre convic-
tion, M. Laroche n’a entendu favoriser aucune confession.
Seulement, pénétré de l’importance du facteur religieux dans
le problème si complexe de ^administration de Madagascar,
il s’est refusé à traiter en ennemie la mission protestante. Il
a vu en elle un auxiliaire possible, nécessaire, de l’œuvre de
civilisation pacifique à laquelle il désirait se dévouer. Nous
ne doutons pas que cette politique, déjà suivie par le général
Duchesne, n’ait contribué à écarter de grandes difficultés,
en diminuant les défiances excitées par le parti qui s’obstine
à identifier l’influence française avec le catholicisme.» C'est ce
que méconnaissent les adversaires de M. Laroche, qui n’ont
pu lui pardonner de s’ètre refusé à gouverner au profit d’une
minorité religieuse, sans parler des appétits matériels avec
lesquels cette minorité s’est trouvée liguée.
Nous tenons aussi à reconnaître la haute bienveillance té-
moignée par M. Laroche à nos délégués. Sa confiance en eux,
l’appui cordial qu’il a prêté à leur mission, dont il reconnais-
sait toute l’importance au point de vue français, ne s-e sont
pas démentis un seul jour. Notre respectueuse gratitude l’ac-
compagne au moment où il quitte un poste difficile entre
tous et où il a eu le rare mérite de rester fidèle à la ligne de
conduite que lui dictaient à la fois sa raison d’homme poli-
tique et sa conscience.
Dernière heure. — Madame Escande nous écrit, le 23 sep-
tembre : « J’ai reçu une lettre de mon mari, d’Aden. La mer
Rouge a été clémente dans le début, mais la chaleur a été
terrible à la fin : un passager y a succombé. Dieu a gardé
mon mari... Seul dans sa cabine, il a pu dormir à l’aise et a
été très bien. »
M. Krüger est attendu à Paris pour les premiers jours
d’octobre.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
459
LESSOUT O
BEAUX SUCCÈS DE L’ÉCOLE NORMALE DE MORIJâ
M. H. Dyke nous envoie le tableau comparatif des résultats
obtenus aux examens' qui, chaque année, mettent en concur-
rence les institutions indigènes de l'Afrique du sud et four-
nissent à leurs élèves l’occasion de conquérir les brevets de
capacité leur donnant le droit de tenir des écoles.
Les élèves admis se partagent en trois classes : la première
de ces trois classes porte le nom de honours et comprend
ceux qui sont reçus avec distinction.
Depuis de longues années, l’École normale de Morija oc-
cupait un bon rang dans le classement des épreuves; mais
elle ne pouvait songer à lutter avec les fameuses institutions
de Lovedale et de Healdtown et leur cédait forcément le
pas (1).
Or, voici, d’après une note que vient de nous envoyer
M. Dyke, le résultat des examens de cette année :
Avec honneur
En 2e cl.
En 3e cl.
Total
Morija . .
10
9
1
20
Lovedale .
4
20
6
30
Clarkebury
3
10
2
15
Healdtown
2
5
1
8
Bensonvale
2
6
1
9
Umtata. .
a
0
0
1
Blythwood
i
0
0
1
Matelele .
i
1
0
2.
Zonnebloem
0
4
\
5
Shawbury .
0
4
0
4
(1) Ces deux institutions, établies en Cafrerie, relèvent, la première
de l’Église libre d’Écosse, la seconde de l’Église méthodiste. L’institu-
tion de Lovedale, à laquelle notre journal a consacré jadis un article
dù à la plume de M. Krüger, doit sa prospérité actuelle à un homme du
plus rare mérite, autrefois compagnon de Livingstone, le Dr Stewart,
ami personnel de plusieurs de nos missionnaires. Les dimensions de
cet établissement et le personnel nombreux dont il dispose rendent le
succès de Morija encore plus remarquable.
460
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
On le voit, si, par le chiffre total des élèves admis, Mo-
rija n’occupe que le second rang, ce qui s'explique fort bien
par la supériorité numérique de Lovedale, pour la qualité
des résultats obtenus par les candidats admis, il tient de
beaucoup la première place. Comme le dit M. Dyke, direc-
teur de notre établissement de Morija : c Qu’à Dieu soit la
gloire! »
LA STATION DE MAKÉNENG
Lettre de M. Vollet.
Un contraste. — Où en est l’évangélisation du Lessouto. —
L’Église, la résistance païenne, les chefs.
Makéneng, 28 septembre 1895 (1).
Cher Monsieur Boegner,
Aujourd’hui, je m'accorde quelques instants de repos, et
je veux les employer à vous faire part de mes premières im-
pressions de Makéneng. Si j’ai tardé à vous écrire, c’est que
je tenais à avoir une opinion sur l’œuvre qui m’a été confiée,
avant d’en parler,
Ce n’est pas sans une certaine émotion que j’ai quitté la
grandiose vallée de la Maphutseng, la vieille station, les beaux
ombrages sous lesquels de vaillants pionniers de la Mission
se reposent de leurs travaux. Les choses du passé ont un
charme auquel je suis particulièrement sensible. De plus, je
m’étais attaché à mes paroissiens, je m’étais habitué à leur
manière d'être au cours de ces deux années, et il est tou-
jours dur de quitter ceux dont on est connu, auxquels on est
habitué, pour aller vivre au milieu d’une population de
même race, il est vrai, mais différente par son passé et ses
(1) Nous publions cette étude malgré sa date déjà ancienne. Nos lec-
teurs y trouveront certainement intérêt et profit.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
461
prétentions. Enfin, je n'ai pas à m’en cacher, il faisait bon
vivre à Béthesda, près d’une rivière ombragée, entouré de
vieux jardins dont les arbres, en été, ployaient sous le
fruit, sur une station bien outillée et pourvue de tous les ac-
cessoires indispensables au genre de vie rustique qui s’im-
pose à nous dans ce pays. Au lieu de cela, Makéneng, un
petit carré adossé à une chaîne de collines pierreuses; comme
vue, ce que l’on peut appeler au Lessouto la plaine; plus de
rivière, plus d’arbres; comme habitation, une minuscule
maisonnette jaune et laide, rendue plus vulgaire encore par
son affreux toit de zinc; pas d’accessoires, pas de débarras,
tout à créer, beaucoup de travail matériel en perspective,
beaucoup de dépenses, la vie chère et difficile. Je n’étais
pas sans inquiétude non plus au sujet de mon voyage, qui
devait s’effectuer en plein hiver, ma femme étant d’une santé
délicate qui réclame des ménagements, et mon enfant venant
d’avoir une bronchite assez grave. Grâce à Dieu, tout s’est
bien passé. M. Ellenberger, qui était venu prendre posses-
sion de l’Église jusqu’au retour de M. Marzolff, avec sa com-
plaisance habituelle, nous a donné un bon coup de main
au moment du départ. Nous avons rencontré sur notre route
beaucoup d’obligeance de la part des marchands et des fonc-
tionnaires; nous avons pu jouir en chemin de la bonne hos-
pitalité de notre ami Louis Germond; enfin, ayant quitté
Maphutseng un matin, nous sommes arrivés à Makéneng le
surlendemain, au coucher du soleil, il y a maintenant un peu
plus de deux mois.
Je puis vous dire, dès à présent, que je n’ai pas rencontré
toutes les difficultés auxquelles j’étais préparé, et que le ca-
ractère des chrétiens de la paroisse de Makéneng n’est pas
aussi terrible qu’on me l’avait représenté. Cependant, la po-
sition du missionnaire est certainement plus difficile ici qu’à
Maphutseng. A Maphutseng, l’élément chrétien, moins nom-
breux, plus éloigné du vent de la colonie et de l’Etat libre,
est resté plus rapproché du type primitif du Mossouto : mal-
léable, aimable. Il n’en est pas de même à Makéneng : un
462
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
grand nombre de chrétiens le sont depuis fort longtemps;
pendant de longues années ils ont vécu indépendants de la
conférence du Lessouto ; si je ne me trompe, c’est du temps
où M. Dieterlen était à Hermon qu’ils se sont rattachés com-
plètement à notre Église. — Ils ont acquis de la sorte des
qualités et des défauts. Comme qualités : le sentiment de
leur dignité et de leur responsabilité, certainement plus fort
ici qu’à Maphutseng; comme défauts : un certain orgueil,
une certaine raideur. Cette catégorie de chrétiens n’est pas la
plus nombreuse, mais c’est elle qui donne le ton. Autre ca-
ractéristique, celle-là plus généraLe : presque tous les mem-
bres de l'Église ont fait un séjour plus ou moins prolongé
dans la Colonie ; leur caractère primitif s’y est modifié : ils
ont pris celui du noir colonial, bien différent du Mossouto. Le
noir colonial a atteint un degré de civilisation relativement
avancé, son esprit est plus ouvert, et il le sait ; le blanc a
perdu pour lui de son prestige, il n’en a plus d’autre que
celui qui s’attache à la crainte. Le missionnaire ne doit ni ne
peut se faire craindre, il en est amoindri ; les sentiments de
respect attachés à la fonction ne compensent qu’en partie
le mépris que l’on éprouve pour un blanc qui n’est redouté
ni redoutable. Le voisinage de Maféteng, presque une petite
ville coloniale, contribue beaucoup à maintenir le caractère
colonial au district. Tout cela, ce sont des nuances presque
imperceptibles, que j’exagère en les décrivant; elles échappe-
raient à un étranger, qui trouverait que tous les chrétiens du
Lessouto se ressemblent. Moi, je le sens à une certaine ré-
serve qu’il me faudra dissiper, une certaine froideur qu’il
faudra fondre. D’autre part, le niveau religieux et intellec-
tuel de l’ensemble de l’Église me semble plus avancé qu’à
Maphutseng; le corps des évangélistes est incontestablement
très supérieur à celui de cette Église au point de vue de l’ins-
truction et du talent.
Je vous ai parlé de l’élément chrétien au milieu duquel
doit s’exercer mon pastorat; passons à l’élément païen, la
masse sombre à conquérir. C’est, dans ce district, une masse
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
4-63
solide et résistante. Nous avons d’abord de nombreux rené-
gats ; ils ont conservé de leur passage dans l’Église un cer-
tain vernis de civilisation qui les rapproche des chrétiens ;par
l’apparence : la ressemblance s’arrête là. Ce sont nos en-
nemis jurés : non contents de se tenir à l’écart pour leur
propre compte, ils sont agressifs, ergotent, discutent, et
cherchent à semer la dissatisfaction parmi les chrétiens. Ils
sont l’état-major de la résistance au christianisme. Vient en-
suite la grande masse primitive qui semble se fermer chaque
jour davantage à notre influence. Il se produit en ce moment
au Lessouto une sorte de phénomène de polarisation : sous
le courant de l'Évangile, la tribu se divise en deux masses
qui deviennent chaque jour plus distinctes et plus éloignées
l'une de l’autre. Les caractères spécifiques de chaque masse
vont s’intensifiant d’année en année, La différence est ici
beaucoup plus marquée qu’à Maphutseng : là, on a affaire à
des païens honteux et souvent aussi, hélas! à des chrétiens
paganisants; ici, le paganisme dresse ouvertement la tête;
pas d’erreur possible. L’évangélisation, dans ces conditions,
est rendue très difficile : les païens refusent d’assister a&x
réunions que l’on fait pour eux dans leurs villages. Nous
n’avons donc plus seulement en face de nous de l’apathie, de
l’attachement à d’antiques coutumes, nous avons de l’hosti-
lité non déguisée.
Les promoteurs, les soutiens de cette résistance, de cette
hostilité sont les chefs. Ils ont vaguement conscience de leur
progressive déchéance, mais ils ne sont pas assez éclairés
pour en découvrir les causes. Leur salut serait de se mettre
à la tête du progrès, d’assurer et d’étendre leur pouvoir sur
de nouvelles bases; ils en sont incapables, ils sont au-des-
sous de leur tâche de pasteurs de peuples. Du reste, mainte-
nant, au Lessouto, il est trop tard; il est encore temps au
Zambèze, mais tout juste. Dans leur aveuglement, ils repous-
sent et combattent la seule influence qui, en l’état des choses,
pourrait, sinon conserver leur pouvoir irrémédiablement
pourri, du moins amortir leur chute et adoucir leur dépos-
464
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
session, pour se raccrocher à toutes les pratiques qui ne peu-
vent que précipiter un dénouement qui leur sera fatal. Triste
noblesse que celle du Lessouto, et Letsié, l’héritier pré-
somptif, sous la dépendance duquel je vis et qui, par de mes-
quines vilenies, trouve de temps à autre le moyen de me le
rappeler, en est un bon spécimen. Rapacité, duplicité, tout
ce qui est honteux, tortueux et bas, voilà ce qui le caracté-
rise. Il m’en coûte de me faire à moi-même cet aveu, je m’y
suis longtemps refusé, mais devant l’évidence je ne puis faire
autrement. Bien que la place concédée aux noirs dans le sud
de l’Afrique soit loin d’être équitable, tous les Bassoutos
avancés, tous ceux qui pensent, et j’en connais qui pensent
fort bien et fort juste, aspirent après la délivrance. C’est
triste de voir une population sans patriotisme; la faute en
est aux chefs. En Europe ce sont les chefs qui ont fait les na-
tions; en Afrique ce sont eux qui les détruisent. C’est qu’en
Europe les chefs, tout barbares et grossiers qu’ils étaient,
étaient chrétiens et les soutiens de l’Église, tandis qu’ici ils
usent contre l’Église de tous les moyens dont ils osent dis-
poser.
Vous pouvez voir que nous vivons à une époque difficile et
que notre tâche n’est pas aisée. Je m’efforce de l’accomplir
fidèlement. Le premier point est de conquérir la confiance de
mon troupeau, troupeau inquiet, qui, en quelques années,
a vu se succéder trois missionnaires et qui en est mécontent.
J’applique tous mes soins à obtenir ce résultat : je cours les
annexes, je visite les écoles; dans mon district propre, je
vais visiter chaque chrétien individuellement chez lui. C’est
la meilleure manière de faire véritablement connaissance. La
glace se fond, on s’aperçoit que le nouveau missionnaire
n’est pas plus terrible que ses prédécesseurs; le missionnaire
découvre, de son côté, que sous la réserve qui l’attriste il y a
beaucoup de timidité. De cette façon on apprend à connaître
son terrain, le village, les chefs. On rencontre des jeunes
femmes qui vont aux champs, fillettes qui vont au ruisseau,
hommes qui se rendent à une fête de yoala ; on cause un
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
465
brin de la pluie, du beau temps, des récoltes ; on aborde le
terrain religieux, on jette au hasard la bonne semence, — c’est
là notre rôle, — à Dieu de la faire germer. C’est un travail de
longue haleine : les chrétiens sont nombreux et dispersés, et
je suis encore loin d’avoir vu tous mes paroissiens de cette
façon-là. Ceux que j’ai vus, je sens que je les tiens, — ce sont
des amis. Je fais aussi de ci, de là, des connaissances qui m’é-
difient. Je suis sorti plus d’une fois encouragé, réchauffé, de
tel ou tel enclos de roseaux que j’ai visité. Je vous conterai
cela quelqu’autre jour.
J’ai aussi des travaux matériels à n’en plus finir : enclore la
station, construire quelque débarras, quelque magasin où
je puisse conserver du fourrage et du grain, restaurer la
route de wagon, régulariser le cours du ruisseau, planter
des arbres, défricher...
Grâce à Dieu, je jouis généralement d’une excellente santé,
je ne me ressens que de loin en loin de mes fièvres zambé-
ziennes; ma femme, bien que d’une santé délicate, suffit à sa
tâche; notre petite Charlotte continue à se développer, elle
est resplendissante de santé, toujours joyeuse, ne pleure
presque jamais. Je ne m’imaginais pas qu’un enfant pût être
une telle bénédiction dans une famille.
ÉMILE VOLLET.
MENUS INCIDENTS DE LA VIE MISSIONNAIRE
20 juillet 1896.
Samedi dernier, un Boer, que je connais un peu, est venu
me prier de lui arracher une dent, une molaire très gâtée qui
le tourmentait depuis quinze jours.
Arracher une dent à un Mossouto, je le fais sans enthou-
siasme, mais sans trop de crainte. Mais opérer un blanc, cela
ne me va pas. Enfin, j’ai planté mon Boer sur un escabeau,
34
466' JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
j’ai tiré. Il se met à geindre et à se lever sur ses talons,. si
bien que je dus lâcher prise. Il disait: «Ah! ah!» et. semr,
blait absolument anéanti. Il fallut bien qu’il me laissât recom-
mencer. Je le grondai en patois hollandais (vous voyez celai),
je saisis la. molaire,, et,, voyant qu’elle ne se cassait pas, je me
jurai de l’avoir, coûte que coûte. Et je tirai! et je tirai! et je
la sortis, toute dure qu'elle était. Van Rensburg (c’est le nom
de la victime) resta anéanti pendant près d’une heure, moi
lui prodiguant mes petits soins, mes félicitations.... Puis, une
tasse de thé le ravigota. Il parla, il reprit vie, me demanda
mon prix. «Mon prix? vous plaisantez, .je vous ai rendu ser-
vice, voilà tout. — Au moins ferez-vous prendre un peu de
beurre chez moi lundi?... — Je veux bien, mais je ne sais si
mes chevaux pourront faire la course? » Il va partir, il se
ravise : «Je veux pourtant vous donner quelque chose pour
votre Église. » Moi : « Pour cela, pas de refus. » Il fouille son
gousset. Je me disais : Il va; me donner une pièce de qua-
rante sous. Il me donne... vous allez dire : dix sous ou deux
sous, et rire de la lésinerie de ce Boer. Eh bien! pas du tout,
vous n’y êtes pas. Il me donne une livre sterling* une pièce
de vingt-cinq francs ! Ah! le brave homme! Vingt-cinq francs
pour mes constructions!... Voilà une dent qui m’a rapporté
quelque chose. Et moi qui ne désirais pas avoir à opérer les
Boers! Je vais désirer de devenir leur arracheur de dents.
Chaque fois que j’en verrai venir un, je me dirai : Voilà un
homme qui a vingt-cinq francs dans la bouche; à moi l’hon-
neur de les décrocher. Et je serai presque content de battre
monnaie pour mon Église avec un davier au poing.
H. D.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
467
SÉNÉGAL
RETOUR EN FRANGE DE MADEMOISELLE BUTTNER
NOUVELLES DE LA MISSION
Notre dernière livraison parlait des -inquiétudes que nous
inspirait l’état des santé de nos missionnaires. Depuis lors,
une dépêche de M. Bolle nous a annoncé le départ pour la
France de mademoiselle Buttner. Cette décision a été prise sur
l’avis de plusieurs médecins, au nombre desquels se trouvait
M. le Dr Jean Morin, à ce moment en passage à Saint-Louis.
Grâce à Dieu, ceUe mesure a été prise à temps pour éviter
à la mission une perte nouvelle. Tout permet d’espérer
qu’un séjour assez court en France permettra à mademoi-
selle Buttner de reprendre le chemin du Sénégal en posses-
sion de toutes ses forces. Elle a eu Davantage de faire la tra-
versée avec M. et madame Jean Morin, qui ont fait leur pos-
sible pour la soulager et l’assister. Arrivée à Bordeaux, vers
le 12 septembre, elle est actuellement à Montbéliard, où ha-
bite une partie de sa famille.
Du Sénégal même, les nouvelles sanitaires sont meil-
leures. M. et madame Pétrequin sont maintenant rétablis,
mais ils ont eu à passer des moments bien difficiles.
Encore en proie à la fièvre, madame Pétrequin a donné le
jour, le 6 août, à un petit garçon, qui a reçu le nom de
Théophile. M. Pétrequin, malade lui-même, a dû quitter le lit,
où le retenait une forte fièvre, pour donner ses soins à sa
femme et à l'enfant nouveau-né. Pendant ce temps, made-
moiselle Buttner était elle-même retenue chez elle par la
maladie. On juge des heures pénibles qu’ont dû traverser nos
amis. Heureusement, M. Bolle n’a pas été atteint jusqu’à
ce jour par le clihiat. M. Nlchol aussi, Fevangéliste woîof,
a pu continuer sans interruption son activité.
468
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
CONGO FRANÇAIS
DERNIÈRES NOUVELLES
Prochain retour en France de M. Haug. — L’école de Lambaréné.
— Demande de congé de M. Forget. — M. Allégret et la station
de Talagouga.
Les derniers courriers du Congo nous apportent la nouvelle
de la prochaine arrivée en France de M. Haug. M. Teisserès
nous explique les raisons qui ont poussé nos frères à décider
d'urgence ce retour : « Notre première impression a été pé-
nible. Il avait une figure si fatiguée, avec ce teint jaune parti-
culier à ceux qui ont vécu dans ces pays. Cette année de tra-
vail compte double pour lui. J'en suis encore à me demander
comment il a pu tenir ainsi tout seul avec la responsabilité
d’une œuvre de cette importance.
« Trois jours après notre arrivée, un nouvel accès le
prenait, et il me faisait appeler, grelottant la fièvre. Ces fris-
sons me rappelaient ceux auxquels MM. Good, Gacon et
Jacot nous avaient habitués, et j’ai cru de suite à une bi-
lieuse hématurique. Grâce à Dieu, il n’en a rien été, mais
j’estime qu’il ne serait ni sage ni prudent qu’il continuât
plus longtemps à s'affaiblir. Il lui faut un repos sérieux en
France. Il vous écrit, je pense, de son côté, pour vous annon-
cer son arrivée, par le prochain courrier de Bordeaux. »
Dans cette même lettre, M. Teisserès nous raconte sa tra-
versée et son arrivée. C’est à Libreville qu’il a appris, par un
employé de la douane, la mort de madame Gacon. L’état de
madame Teisserès a empêché nos amis de quitter le bord, en
sorte qu’ils n’ont pu avoir aucun détail sur ce douloureux
événement. Depuis l’installation à Lambaréné, madame Teis-
serès a repris ses forces et se porte aussi bien que possible,
ainsi que sa petite Yvonne. Quant à M. et madame Richard ,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
469
ils se sont mis avec entrain au travail, et semblent jusqu’à
présent supporter assez bien leur nouveau genre de vie*
M. Richard a repris l’école des mains de M. Faure.
Citons à ce propos quelques lignes où celui-ci nous fait
part de ses expériences scolaires, pendant les quelques mois
de son séjour à Lambaréné :
« J’ai trouvé ici 25 à 28 élèves. J’en ai eu jusqu’à 45. Je
les avais divisés en deux grandes classes que l’instituteur noir
et moi dirigions. Thomas avait les trois dernières divisions, et
moi les trois premières. Thomas enseignait la lecture, fran-
çaise et indigène, l’écriture, le calcul jusqu’à la soustraction
inclusivement; il faisait en outre apprendre des phrases
françaises d’après la méthode de M. Jacot. A mes grands,
j’apprenais un peu de grammaire française, quelques règles
simples et surtout très pratiques. Je leur ai fait faire quel-
ques dictées et des exercices grammaticaux. Enfin, ils ont
commencé à faire des problèmes très simples sur les quatre
opérations, problèmes ayant un sens très pratique et que,
dans leur village, ils sont appelés à résoudre constamment.
Quelques notions de géographie, l’étude de la Bible française,
la lecture du Nouveau Testament indigène complétaient
l’enseignement.
« Je suis étonné du travail, de l’intelligence de mes élèves,
comme de leur caractère en général, des Pahouins comme
des Galoas. On doit cependant leur reprocher leur mollesse
et la lenteur de leur esprit. Mais faisons la part des choses
et ne comparons pas la longue suite de siècles de civilisation,
de travail d’esprit et de christianisme que nous avons derrière
nous, avec les siècles de barbarie des ancêtres noirs. Et qui
sait si les petits Gaulois d’il y a deux mille ans n’auraient pas
ressemblé aux petits Galoas d’ici?
« En tout cas, ce qui n’est sûrement pas leur faute, et ce
qui a nui à la bonne marche de l’école, c’est le changement
continuel de maîtres et de direction. Voilà quatre ou cinq ans
que cette école tombe à qui elle peut, et jamais le même maître
ne l’a dirigée plus d’un an de suite. Je crois que l’école ne
470
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
marchera bien que lorsqu'il y aura un instituteur en titre et à
poste fixe.
« Dans un article du journal écrit par Bonzon, j’ai vu
qu’il ne partageait pas l’opinion d’après laquelle le jeune
noir subit un arrêt dans le développement de son intelli-
gence. Haug pense, au contraire, que, vers dix-huit ou même
quinze ans, l’instruction est forcément terminée. Mon opinion
n’est pas faite encore. J'ai eu à l’école de grands élèves ayant
commencé très tard. Ils ont été pour moi une entrave, mais
c’est aussi le cas des grands garçons blancs qui apprennent
à lire à vingt ans. Je n’ai pas pu suivre un enfant et voir
comment il traverse la « crise » .
De Talagouga nous arrive encore une demande de congé,
celle de M. Forget, que deux années de travail sous le ciel du
Congo ont rendu incapable de tout travail. Est-il étonnant
que M. Allégret , malgré la présence de M. Faure et malgré
son élasticité et son ressort, se sente parfois écrasé sous le
fardeau? « Je livre, écrit-il le 27 juillet, un rude combat, et
parfois je me dis : C’est une pure folie, avec deux on’ne fera
pas quatre. Ce que j’ai trouvé ici, il est facile de se le re-
présenter en se rappelant l’état de santé de Forget depuis
un an, et celui de Gacon depuis quelques mois... Forget a
fait ce qu’il a pu; il a bravement tenu ferme au poste...
Maintenant, il y a tout à reprendre : écoles, travaux, évan-
gélisation, magasin. Faure s’occupe de l’école; nous n'avons
reçu que peu de garçons, vingt-cinq, je crois; et nous nous
en tiendrons à peu près à ce nombre pour ne pas dépasser
nos forces. Le matin, il les a à l’école, l’après-midi, il étudie
le pahouin et les fait travailler, et sa journée est bien remplie.
Il a sur eux une bonne influence... A part l’école, j’ai tout le
reste, et la tâche m’écrase. J’ai été sur le point de renoncer à
l’établissement sur l’île, et cependant c’est une question de
santé. Mais je ne puis renoncer, même pour un temps, à l’évan-
gélisation ; il faut que j’aille, malgré tout, et que je prêche.
Et quel champ ! J’ai fait deux grandes tournées dans le bas,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
471
il m’en reste une dans le haut et une dans la brousse, et par-
tout on me dit : « Ah! enfin! enfin! nous nous demandions
si la parole de Dieu allait nous être enlevée ». Et de tous côtés
je vois de nouvelles courses à faire... »
Quant à l’établissement de la station sur l’île, bien qu'il n’ait
pu se faire à l’arrivée, comme on l'espérait, M. Allégret le juge
toujours utile à l'œuvre. Il se produit, dit-il, une concentra-
tion aux environs de Ndjolé, et la station aura des milliers de
Pahouins à sa portée. Seulement, l’installation sera difficile;
il faut choisir l’emplacement, pour cela il faut débrousser.
« On débrousse ferme en ce moment, ajoute M. Allégret, ceci
ne peut être fait que pendant la saison sèche. Je préfère aller
lentement, attendre, pour monter la maison, qu’il n’y ait plus
d’hésitation possible et qu’on voie bien nettement la meilleure
place, pour faire enfin du définitif. »
« Surveiller et diriger ces travailleurs, acheter des vivres,
tenir les comptes, tout cela m'est retombé lourdement - sur
les épaules. Je voudrais pouvoir suffire à tout; je cours d’un
catéchumène au magasin, du magasin à la scierie, de la
scierie à l'île (une heure de pirogue), puis je pars pour une
tournée. Je m’épuise sans parvenir à tout faire; et j’ai eu
dans une dernière tournée un violent accès de fièvre. Il faut
aller de l’avant, et cependant les forces ne suffisent pas. Il
faut des remplaçants à ceux qui nous quittent... il me fau-
drait quelqu’un pour le magasin et la surveillance matérielle
de la station... Quant à moi, je veux et je dois évangéliser... »
Nous citons telles quelles ces lignes de M. Allégret; puis-
sent-elles nous aider à trouver les hommes que l’œuvre du
Congo réclame; puissent-elles aussi nous pousser à demander
à Dieu pour nos missionnaires son esprit, qui est un esprit
d’ordre, de force et de paix, et qui seul peut les guider dans
le dédale de travaux qui les sollicitent.
472
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
TA i T I
LE BATEAU MISSIONNAIRE
Une dépêche, confirmée, quelques semaines après, par une
lettre de M. Vernier, nous a appris que la Conférence avait, à
l’unanimité, approuvé le projet relatif à l’acquisition d’un
bateau missionnaire, tel qu’il a été définitivement arrêté,
après une longue et sérieuse étude, entre le Comité et
M. Viénot, réprésentant de la Conférence et chargé par elle
d’exposer ses vues sur la question et d’agir en son nom.
Il ne nous reste donc qu’à prier nos amis de faire aboutir
le plus tôt possible la souscription ouverte, sans pour cela
restreindre leurs libéralités, plus nécessaires que jamais, en
faveur de notre œuvre générale.
La lettre de M. Brunei, que nous publions ci-dessous,
montre toute l’utilité qu’aura pour notre mission océanienne
le bateau qu’elle demande à nos Églises.
AUX ILES SOUS-LE-VENT
Lettre de M. Brunei.
Maupiti, ce 26 mai 1896.
Bien cher Monsieur Boegner,
Excusez-moi de vous écrire au crayon, je n’ai pas d’encre
ici, ou plutôt, j’en ai bien, mais en poudre, et encore perdue
au fond de quelque caisse solidement clouée. Je suis venu la
semaine dernière à Maupiti pour présider les Fêtes de mis-
sions; hier matin, je devais faire voile vers Borabora, mais
impossible; depuis quarante-huit heures je suis prisonnier,
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
473
prisonnier non des hommes, mais des éléments : le vent et
la grosse mer. La grosse mer suffit à empêcher les embarca-
tions de franchir l’étroite et dangereuse passe de Maupiti;
lorsque le vent contraire vient s’y ajouter, il n’y a plus qu’à
demander à Dieu de faire cesser l’un et d’apaiser l’autre ;
c’est ce que je fais en cet instant, car il serait bien à souhaiter
que je pusse au moins présider la seconde partie des Fêtes
de Missions, qui aura lieu jeudi prochain à Borabora (c’est
aujourd’hui même que ces fêtes ont commencé).
L’Église de Raïatéa nous a, cette année encore, réjouis;
depuis 1893 (date de notre arrivée dans cette île), chaque
année nouvelle s’esbsignalée par un bond en avant prodigieux ;
celui de 1896 dépasse tous les autres. Il est vrai que j’avais
cette année une fameuse flèche dans mon carquois (l’arrivée
de nos chers amis Huguenin, qui se sont mis à l’œuvre aus-
sitôt leurs malles débouclées). Contrairement à mon habi-
tude, je n’ai pas fait cette année de sermon d’appel (en faveur
des missions); à l’issue d’un de nos cultes j’ai simplement dit
à nos amis ceci : « Vous avez devant vous M. et madame Hu-
guenin qui ont tout quitté pour venir instruire vos enfants.
La Société des missions de Paris est heureuse, — après vous
avoir envoyé un missionnaire, — de vous envoyer aujourd’hui
un instituteur. Nos Fêtes de Missions auront donc une double
signification; elles diront : 1° Si oui ou non vous êtes heureux
de posséder enfin un instituteur dévoué et qualifié, pour vos
enfants; 2° si oui ou non vous êtes reconnaissants à la Société
de Paris de la nouvelle preuve de sympathie qu’elle vient de
vous donner. »
Nos chers indigènes ont répondu aux deux questions par
l’affirmative. Ils sont ici (au village central) au nombre de 350
(hommes, femmes et enfants). Voici la pite qu’ils ont mise
dans le tronc les 6 et 8 mai derniers : 3,040 francs. Où ont-ils
pris cette somme? je ne sais. Ce que je puis affirmer, c’est
que les neuf dixièmes, pour ne pas dire tous, voulaient aller
de l’avant. Dieu leur a rendu possible ce qu’ils voulaient si
ardemment. Je suis sùr, cher monsieur Boegner, que vous
474
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
serez heureux d’apprendre ce résultat; il nous a encouragés,
réjouis, et vous réjouira aussi. Le 13 mai j’ai donné, avec
l’ami Huguenin, une séance de lanterne magique dans la
maison d'école pour parents et enfants : elle était bondée; les
enfants ont chanté, M. et madame Huguenin aussi. Cette
intéressante soirée s’est terminée par une distribution de
biscuits aux tout petits, fort nombreux dans l’auditoire. Ma-
dame Huguenin, qui avait eu cette excellente idée, se tenàit
à la porte, une caisse en fer blanc de fort jolie dimension
entre les bras, et distribuait au fur et à mesure que les tout
petits défilaient.
J’ai déjà eu l’occasion de vous dire, cher monsieur Boegner,
que si l'Église de Raïatéa m’encourageait, celle de Tahaa me
donnait au contraire passablement de fil à retordre. Vous
serez d’autant plus heureux d’apprendre que, cette année,
certaines difficultés semblent se résoudre d’elles-mêmes.
D’anciens réfractaires ont pris part à nos Fêtes de missions;
les collectes sont en progrès.
Pour vous parler enfin du rocher (1) auquel je suis en-
chaîné (pas comme Prométhée fort heureusement), je vous
dirai que j’y ai passé une dizaine de jours fort bien remplis.
Deux principales occupations : les Fêtes de missions et la
guerre aux sorciers, personnages d’autant plus terribles que
ce sont des sorciers bibliques , ainsi nommés parce qu’ils
essayent de justifier leurs odieuses pratiques au moyen de
versets de nos livres saints.
Je ne m’arrêterai pas sur les Fêtes de missions; elles orrt
bien marché, et les collectes (comme à Raïatéa et Tahaa) sont
en progrès. Maupiti demande un bon instituteur indigène
parlant français; nous allons tâcher de les satisfaire. Des
sorciers, quelques mots : cette graine pagano-diabolique
réparait, hélas, dans nos lointains parages. Les malades sont
mis par eux à la question, et les morts aussi. A la racine du
(1) Maupiti n’est en effet qu’un immense rocher jeté au sein de l’Océan,
mais d’une fertilité étonnante.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
475
plus insignifiant malaise se trouve un démon quelconque, et,
pour chasser le démon, il faut traverser un brasier ou se
livrer à certaines pratiques, dignes du paganisme le plus pur.
Or, ce qui nous navre, c’est que plusieurs de ces affreux
sorciers font partie de l’Église de Jésus-Christ et osent
appuyer leurs pratiques immorales sur des passages de
l’Écriture.
Voulez-vous, au courant de la plume, un épisode intéres-
sant de la vie du grand sorcier des Iles Sous-le-Vent, Tou-
poua? Il y a quelques années, il avait établi ses pénates à
Raïatéa. Un de ses compatriotes, à moitié aveugle, vient le
trouver : « Tu vois, lui dit-il, mon infirmité, je sais que tu es
grand docteur, rends-moi la vue ». Toupoua ému le met
aussitôt en traitement. Les jours se passent, le malade ne
guérit pas. Que fait alors notre pauvre infirme? Il retourne
dans son village et revient peu après chez Toupoua avec sa
femme. Un nouveau traitement commence... à la suite du-
quel il perd entièrement la vue et, chose fort désagréable,
sa compagne, que le malin sorcier décida à émigrer avec lui,
comme récompense sans doute des nombreux services qu’il
avait eu l’occasion de rendre à son ancien époux! Croiriez-
vous qu’après ce coup-là Toupoua est resté une de nos célé-
brités, dont on recherche les conseils et les onguents? C’est
un fait.
Mais revenons à Maupiti. Je profitai donc de mon séjour
dans cette île pour convoquer à plusieurs reprises le diaconat.
Au cours de notre premier entretien, l’un de ces braves fut
rudement pris à partie par ses collègues, pour s’être compro-
mis avec les sorciers en maintes circonstances: il essaya bien
de se disculper ou de se justifier, mais sans y réussir. Après
l’avoir interrogé et sérieusement exhorté, je lui fis promettre
de rompre entièrement avec ses anciens amis, puis je leur
fis approuver une sorte d’ordre du jour par lequel ils s’enga-
gent à combattre énergiquement (j’allais dire unguibus et
rostro) la sorcellerie sous toutes ses formes. Un paragraphe
touchant les membres de l’Église compromis est ainsi conçu :
476
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
« Les membres de l’Église qui auront trempé dans ces pra-
« tiques païennes seront repris jusqu’à trois fois; à la troi-
« sième exhortation, ceux qui ne se seront pas repentis et
« qui n’auront pas rompu avec les sorciers seront exclus de
« l’Eglise ». Dieu veuille seconder nos efforts et faire rentrer
sous terre (et pour toujours) le cadavre récalcitrant du paga-
nisme.
Le jour de la Pentecôte (24 mai) je me suis par deux fois (à
dix heures et à trois heures de l'après-midi) adressé à l'Eglise
et à l'ile tout entière, réunies dans le temple du chef-lieu, le
matin, pour combattre la sorcellerie (Deut. XVIII, 9-14); le
soir pour leur démontrer l’utilité des missions (Actes XVI, 9).
Huahine, ce 22 juin.
Me voici, cher monsieur Boegner, à Huahine, après escale
à Borabora et Raïatéa.
Comme je vous l’écrivais le 26 mai de Maupiti, j’étais pri-
sonnier, dans cette île, de la mer et des vents. Le 27 au matin,
il me sembla que Dieu avait répondu à mes prières, le vent
avait un peu tourné et la mer était beaucoup moins forte
(quoique grosse encore). Je résolus de ne pas différer davan-
tage mon départ; à huit heures et demie j'étais prêt; mon
bateau ne le fut qu’à onze heures. « Courage, me dit-on de
toutes parts, il y a encore de la mer aux récifs (1) ! » Nous
partons, le capitaine, un matelot, une femme indigène et
moi. Je m’installe à l’avant et fixe la haute mer; au bout
d’une heure, nous arrivons devant la passe, les vagues y sont
formidables. « Vois, me dit le capitaine, comme la mer est
encore grosse ». Je ne réponds pas et regarde toujours au-
delà des récifs. Au bout d’un instant, le capitaine répète sa
phrase : « Entre vite, ajoute-t-il, les vagues vont te couvrir ».
Je me laisse glisser à l'intérieur. Quels bonds les vagues fu-
(1) Ce qui signifie : Vous aurez de la peine à franchir la passe.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
477
rieuses impriment à notre pauvre esquif! Le matelot tient le
gouvernail de la main droite et la corde de la grande voile
de la main gauche ; le capitaine a saisi une rame et, en agis-
sant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, essaye de nous main-
tenir à une distance respectueuse des écueils. Cette manœu-
vre dure deux minutes au plus. « Impossible de sortir, me
cria alors le capitaine, nous allons nous briser, il faut faire
demi-tour ». « Tu es le maître de ton bateau, lui dis-je, fais
ce que tu veux ». Je n’eus pas besoin de le lui répéter deux
fois... Pour moi, je m’étais étendu sur le lest et j’avais fermé
les yeux, la tête commençait déjà à me tourner. Malheureu-
sement, si je ne voyais pas, je ne pouvais m’empêcher de
sentir et le roulis et le tangage et tout ce que l’on ressent
quand on est aux prises avec la grosse mer à travers une
passe comme celle de Maupiti. Combien ce manège dura-t-il?
Cinq minutes, dix, peut-être, je ne sais. Mais, voulant savoir
où nous en étions, je me levai soudain et vis, à mon grand
étonnement et aussi à ma grande joie, que nous étions dehors I
Que s’était-il passé? Le, capitaine, après m’avoir dit que nous
ne pouvions sortir, avait essayé de faire voile vers la terre,
mais sa manœuvre contrariée par le vent ne réussit pas ; il se
trouvait donc en présence de cette alternative : sortir coûte
que coûte ou aller se briser sur les récifs. Il ne perdit pas son
sang-lroid, son matelot non plus, si bien qu’au lieu de deve-
nir la proie des vagues nous fûmes portés par elles en pleine
mer; par elles, ai-je dit, et aussi par l’amour de notre
Dieu.
Le 28 au matin nous arrivions à Borabora, juste à temps
pour prendre part à la seconde partie des Fêtes de mis-
sions.
Après toutes les démarches qui avaient été faites auprès
des autorités indigènes et du pasteur lui-même, je craignais
un peu que nos fêtes ne fussent bien compromises. Une fois
de plus, cher monsieur Boegner, Dieu a confondu la sagesse
des sages de ce monde ou plutôt la ruse des renards, et nous
avons eu à Borabora de belles et bonnes fêtes.
JOURNAL I>ES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
47*8'
Et, maintenant me voici. à Huahine avec toute ma famille (1);
ici, la situation est plus difficile, plus tendue, et je ne saurais
vous dire pour le moment si nos Fêtes de missions auront
lieu ici.. ~
Voici le tableau de nos collectes de cette année :
Collectes aux îles Sous le-Vent (1896).
ILES
HABITANTS
MEMBRES
d’église
COLLECTES
Raïatéa
400 (2)
150
3.026 f. 50
Tâhaa
300 (3)
120
1.384 75
Borahora. .... ..
1.200
450
2.466 50
Maupiti
400
168
691 50
Huahine . . . ... . .
?
9
9
Total
2 300
888
7.569 f. 25
Je tiens* cher Monsieur Boegner, à vqus remercier en mon
nom personnel, (la .Conférence le fera de son côté) pour la
décision du Comité au sujet de notre bateau missionnaire.
Vous ne sauriez .croire combien cette perspective me remplit
de joie, il est vrai que j’ai quelque intérêt à ce que ce projet
ahoutisse, et, étant en somme depuis trois ans le seul mis-
sionnaire malmené par l’Océan, inondé pendant des heures
dans des côtres de 5 à 6 tonneaux, où je suis blotti comme
Diogène dans le sien (excusez, je ne l’ai pas cherché), je me
suis étonné plus d’une fois de n’avoir pas encore eu de re-
chute rhumatismale ou autre. Dieu me garde évidemment,
mais il ne faut pas le tenter.
(1) C’est grâce à l’arrivée de nos amis Huguenin que nous avons pu,
quitter Raïatéa en famille.
(2) Il y a, à Raïatéa, de 12 à 1,500 habitants, mais 400 au maximum
out accepté l’autorité de la France et participent aux fêtes de Missions*
(3) Même remarque, que pour. Raïatéa.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
479
30 avril,
4' mai,
18 —
27' —
29 —
4 juin,
13 —
20 —
27 —
29 —
29 —
3' juillet
Mon s bilan pour 1896:
(1er mai — 3 juillet).
départ de Raïatéa pour Borabora.
”■ — Borabora pour Raïatéa.
— Raïatéa pour M’aupiti .
— Maupiti pour Borabora.
Borabora pour Raïatéa.
Raïatéa pour Huahine .
— Huahine pour Raïatéa .
— Raïatéa pour Huahine .
— Huahine pour Raïatéa .
Raïatéa pour Huahine .
— Huahine pour Tàïti . .
— Taïti pour Huahine . .
— Huahine pour Raïatéa .
16 h. dé mer
12 —
32 —
21 —
20 —
24 —
5 —
12 —
2 1/2 (vapr)'
7 —
34 —
?
Soit. 185 h. de mer.
Dépenses de cô très : 500 francs !
Et. je n’ai pas. le pied marin! G.. Brunel.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
HUDSON TAYtOR
et la Mission de la Chine intérieure (1).
lll
Il me faudrait maintenant raconter l’histoire de la mission,
elle-même. Vous devinez que tel n’est pas mon dessein. Je
dois me borner à marquer, en quelques mots, les étapes de
(1) Voir, pages 94,, 24£ et 430.,
480
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
cette histoire merveilleuse. Je le ferai sous forme d'un court
résumé chronologique :
De 1866 à 1872, la mission prend pied et s’étend peu à peu,
mais sans sortir encore des provinces voisines de la mer. Elle
subit diverses épreuves; la persécution ne lui est point épar-
gnée : plusieurs de ses membres sont frappés, blessés; on
démolit et on incendie leurs maisons àYang-Chau. H. Taylor
perd un de ses enfants. Un sombre nuage semble descendre
sur lui et sur son œuvre. Cependant il ne perd pas courage,
mais persévère à regarder vers les régions encore fermées de
l’intérieur.
En 1873, les circonstances semblent plus défavorables que
jamais. Cependant la prière des missionnaires ne se décourage
pas et le secours réclamé à Dieu arrive, si bien qu’en 1874
un pas décisif peut être fait vers l’intérieur. Le missionnaire
Judd et sa femme s’établissent à Wu-Chang, sur le grand
fleuve Yang-tsé, centre important de l’intérieur et qui com-
mande toute une série de routes commerciales et fluviales.
D’autres progrès se font dans diverses directions; l’intérieur
est sérieusement attaqué.
En 1874-1875, la mission traverse une nouvelle crise. Son
organisation intérieure avait dû être modifiée. Un conseil
avait été chargé de la représenter en Angleterre. La corres-
pondance et tout le travail du secrétariat avaient été confiés
à une femme, miss Blatchley, chargée, en outre, de l’éduca-
tion des enfants de H. Taylor. Après des années d’un tra-
vail incessant, dévoué, admirable, cette femme était morte.
A ce moment même, H. Taylor et sa femme revenaient
d’Asie. On se disait : quand le fondateur de l’œuvre sera là,
tout ira bien. Mais voici qu’à peine arrivé, le missionnaire
tombe malade et se voit cloué, pour plusieurs mois, sur son
lit, incapable d’écrire une lettre. Chose merveilleuse, ce temps
de erise se trouve être aussi un temps de bénédiction. Ces
longues heures de solitude ne restent pas stériles. Incapable
d’agir, H. Taylor peut prier. Il prie, et il arrive à la con-
viction qu’un nouveau pas doit être fait. Il invite les fidèles à
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
481
s’associer à lui pour demander à Dieu dix-huit nouveaux
missionnaires pour les provinces intérieures de la Chine.
Les ouvriers déjà partis ont leurs postes, qui ne peuvent
être dégarnis. Il faut, pour les neuf provinces encore fermées,
dix-huit hommes qui puissent aller, deux par deux, d’abord
explorer ces vastes régions et, ensuite, s’y établir ou y instal-
ler d’autres ouvriers.
Les événements qui suivent justifient cet acte de foi. Non
seulement les ouvriers et les fonds se trouvent, mais, au
moment même où ils sont disponibles, la Chine s’ouvre. La
convention de Ché-fou, signée le 13 septembre 1876, rend
désormais toute la Chine accessible aux étrangers. Ainsi, au
moment où les ouvriers surgissent, les portes s’ouvrent. Et
alors commence une série de voyages apostoliques du plus
palpitant intérêt. Toutes les provinces non encore abordées
sont parcourues, depuis le Hu-nan, le Honan, le Hu-pé, jus-
qu’au Shensi, au Shansi, au Kang-su, au Si-chuen, au Yunnan
et au Kwangsi. '
Rien n’est émouvant comme ces voyages qui, en deux ans,
conduisirent des hommes de la China lnland Mission jusqu’aux
neiges éternelles du Thibet, jusqu’au Haut-Birman, jusqu’à
la grande muraille qui ferme la Chine au nord. Assurément,
ces voyages vivront dans les souvenirs de l’Église; ils for-
meront une des pages les plus remarquables de l’histoire des
missions modernes.
Mais, ces provinces visitées, il faut s’y établir. Et, pour s’y
établir, il faut de nouveaux ouvriers. C’est alors que la mis-
sion fait, dans la voie de la foi, un nouveau pas en avant.
H. Taylor avait fait un nouveau voyage en Europe et avait pu
compléter l’organisation intérieure, encore si rudimentaire,
de la mission. Il revenait fortifié en Chine et visitait diverses
parties de son champ de travail. Peu après avait lieu, à Han-
kow, une Conférence des missionnaires de la Chine intérieure.
L’ordre du jour portait précisément la grande question de l'in-
térieur, plus urgente que jamais après les voyages que nous
mentionnions tout à l’heure. Les premiers jours se passèrent
35
482
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
en méditations, en exhortations, et surtout en prières. Puis, la
grande question fut abordée. On passa en revue les postes
existants, les postes à créer, et l’on fît le relevé des renforts
jugés indipensables. Quand le travail fut fini, on fit l’addition :
soixante-dix ouvriers nouveaux paraissaient nécessaires.
Alors, ces hommes et ces femmes, forts dans la foi, n’eurent
ni doute ni défiance. Ils demandèrent à Dieu, et résolurent
d’inviter l’Église à demander avec eux les soixante-dix ou-
vriers manquants. Cependant, mêlant la sagesse qui calcule
à la foi qui croit que rien n’est impossible à Dieu, ils jugè-
rent que la mission était encore trop faible pour absorber à Ja
fois un renfort si considérable, et ils demandèrent à Dieu qu’il
voulût bien répartir l’arrivée de ces troupes nouvelles sur un
espace de trois ans : les années 1882, 1883 et 1884. Et telle
était leur confiance en Dieu, qu’ils ne voulurent pas se sépa-
rer sans avoir rendu grâces à ce Dieu qui entend les requêtes
de ses enfants et qui les exauce.
L’année 1882 était à peine commencée que, déjà, les pre-
miers détachements des renforts arrivaient. Et le secours
financier, lui aussi, arrivait. En débarquant à Marseille,
quelque temps après, (car sa présence en Europe avait été,
de nouveau, jugée nécessaire), H. Taylor reçut un numéro
du journal de la mission contenant, entre autres, un don
anonyme de 3,000 liv. st., c’est-à-dire de 75,000 francs, qui
portait seulement ces mots: Papa, 1,000 liv. st. ; maman,
1,000 liv. st. ; Albert, 200 liv. st.; Henry, 200 liv. st. ; Rose,
200 liv. st. ; Amy, 200 liv. st., etc. — Total : 3,000 liv. st.
Ai-je besoin d’ajouter qu’avant la fin des trois ans, la Chine
avait vu arriver, non pas 70, mais 76 ouvriers nouveaux, dont
H. Taylor dit lui-même qu’il les considérait comme de véri-
tables dons de Dieu à la mission.
Dans le nombre, il nous faut mentionner quelques hommes
dont l’entrée au service de la mission fit grand bruit : C’est
d’abord un médecin des plus distingués, Harold Shoffield, qui
partit, abandonnant pour le service de Dieu la position la
plus brillante, l’avenir le plus riche de promesses. C’est, en
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
483
suite, la fameuse équipe d’étudiants de Cambridge : ce Studd,
le champion du cricket, ce Stanley Smith, aussi distingué
par ses succès athlétiques que par ses capacités intellec-
tuelles; et cinq autres jeunes gens, dont deux jeunes offi-
ciers, la fleur de la jeunesse anglaise, qui, à la surprise gé-
nérale, venaient montrer au monde que le service de Christ
est encore assez attrayant pour qu’il vaille la peine de tout
quitter pour l’embrasser.
Mais hâtons-nous. A la fin de 1886, la mission s’était en-
core étendue : il avait fallu perfectionner l’organisation, for-
tifier les cadres pour les recrues devenues nécessaires. Ces
recrues, il fallait les demander à Dieu. Une réunion des di-
recteurs provinciaux de l’œuvre eut lieu à Gan-King, et là,
on prit une résolution plus hardie encore que la précédente,
et l’on demanda à Dieu cent ouvriers pour l’année suivante
Si grande était l’assurance de ces hommes, qu’ils résolurent
de préparer sur-le-champ les locaux nécessaires à la réception
et à l’instruction des jeunes recrues. On créa deux maisons
de missions : l’une à Yang-Chau, pour les femmes; l’autre à
Gan-King, pour les hommes. Ces maisons furent pourvues, la
première, d’une directrice ; la seconde, d’un directeur, l’une
et l’autre missionnaires expérimentés. Ainsi s’acheva 4886.
Et 1887 ne s’était pas terminé que les derniers venus des
cent nouveaux missionnaires avaient quitté l’Angleterre.
Dans le nombre se trouvait mademoiselle Géraldine Guinness,
l’auteur bien connu du livre excellent : Dans l'Orient lointain.
Six années se sont écoulées depuis lors. La mission de la
Chine intérieure n’a fait que grandir. Elle a grandi par la
base. A la branche anglaise de son organisation intérieure
se sont ajoutées : d’abord une branche américaine en 1887 ;
une branche australienne en 1890, outre des associations
auxiliaires ayant fourni chacune son contingent d’ouvriers,
et qui sont établies : en Suède, depuis 1887; en Norvège,
depuis 1890; en Allemagne, depuis 1890; en Finlande, de-
puis 1891 ; et dans les Églises Scandinaves de l’Amérique du
Nord, depuis 1891.
484
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
La mission compte actuellement — ou, plus exactement,
comptait, en janvier 1894, — après vingt-sept ans d’exis-
tence :
110 stations et 100 annexes.
550 missionnaires, hommes et femmes.
326 aides-missionnaires.
4,008 membres d’Église communiants.
Non content de ces progrès, H. Taylor, toujours plus préoc-
cupé d’obéir sans retard à l’ordre du Maître, avait publié, à
la fin de 1889, un appel où il réclamait les prières de l’Église
pour obtenir pour la Chine, dans l’espace de cinq années,
mille nouveaux missionnaires...
11 est temps de conclure. N’est-il pas vrai que de ce long
récit se dégage une impression fortifiante de la réalité de Dieu,
de la vérité de ses promesses, de la puissance de la prière, de
la suffisance de la foi ? Eh bien ! mes frères, ma conclusion
la voici : cette impression, elle est vraie. Laissons-la péné-
trer jusqu’au fond de notre cœur et s’y transformer en un
intense désir et une ferme résolution de constater, nous
aussi, dans une mesure plus grande que jusqu’à ce jour, la
réalité de Dieu, la vérité de ses promesses, la puissance de
la prière, la suffisance de la foi. Dieu est-il seulement le Dieu
de H. Taylor et de ses compatriotes ? N’est-il pas aussi notre
Dieu? Ne peut-il pas nous exaucer, nous aussi, et nous ac-
corder pour l’Afrique, pour l’Océanie, pour nos missions, les
hommes et les ressources, — mais surtout les hommes, —
dont nous avons besoin ?
Oui, il le peut, et il le fera, si nous le lui demandons, et s il
rencontre en nous, — ne l’oublions pas, car tout est là, —
s’il rencontre en nous des volontés entièrement, et d’avance,
soumises à l’action du Saint-Esprit.
La foi qui se confie aux promesses de Dieu, la foi qui obéit
aux ordres de Dieu et à ses moindres volontés, voilà la seule
condition à réaliser pour que notre prière soit entendue.
VARIÉTÉS
485
Croyons ainsi, et nous verrons, nous aussi, les choses ma-
gnifiques de Dieu. A. B.
VARIÉTÉS
ONE VISITE A LA « MISSION DES UNIVERSITÉS »
A ZANZIBAR (1)
(Suite et fin.)
Dans Tune des cours, on nous a montré l’imprimerie très
bien montée. Le Nouveau Testament swahéli y a été imprimé
jadis. On y publie, outre de nombreuses brochures — l’une
des plus récentes sur la succession apostolique (!), — une
revue de 16 à 32 pages in-8°, suivant l’abondance des ma-
tières; une couverture bleue portant le titre peu prétentieux
de la revue Msimuligi, « Celui qui fait causer » . Elle est entiè-
rement rédigée par des naturels; l’un des missionnaires se
contente de lire une épreuve de contrôle. Elle paraît quatre à
six fois par an. Elle donne des nouvelles des diverses sta-
tions, parfois aussi une étude.
Au fond de cette même cour, il y a les dortoirs, c’est-à-dire
deux ou trois grandes salles où les élèves couchent sur des
nattes qui, de jour, sont roulées dans un coin. Ilya aussi une
infirmerie, avec cinq ou six lits. Une des particularités de
toutes les pièces où entrent les élèves, c’est que tous les sa-
medis, elles sont lavées à grande eau de haut en bas. L’eau
provient d’une source du jardin ; mais, pour boire, on em-
ploie l’eau de deux citernes très fraîches. La contrée n’est
pas exempte de paludisme; mais les accidents graves sont
rares. Les miasmes sortent des marais dans l’intérieur de
(1) Voir pages 342, 396 et 441.
486
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
nie, où le soir on voit s’élever un brouillard malsain, que le
vent amène trop souvent à Kiungani.
Le fond de la nourriture des élèves consiste en riz et en
poissons frits. C’est bien joli de les voir assis en groupes sous
les arcades de l’un des corridors ; il y règne un clair-obscur
bienfaisant, et les reflets verts que lui communique la végéta-
tion des cours, rend cette lumière éteinte plus fraîche, par
l’imagination du moins. Chaque garçon a une assiette; ils
font, du riz bien cuit, une boule qu’ils portent ensuite à leur
bouche. Ni cuiller, ni fourchette. Plus tard, des moineaux
japonais, au plumage gris relevé de rouge et de noir, im-
portés jadis par feu sir John Kirk et répandus maintenant
dans toute l’île, sont venus becqueter familièrement les
restes.
Encore un fait que j’allais oublier et qui mérite une men-
tion. Les offrandes faites par les élèves aux cultes et aux
communions servent à payer la bourse d’un Mélanésien dans
l’institut de la mission fondée par l’héroïque Patteson. De
même quelques manguiers du jardin sont marqués comme
réservés, on dirait volontiers comme consacrés. Leurs fruits,
récoltés par les élèves,, sont vendus au profit du même Méla-
nésien. Une très jolie et non moins excellente habitude.
Du haut de l’un des toits plats de l’institution, sous un so-
leil de feu, mais tempéré par une bonne brise, on nous fait
encore jeter un coup d’œil circulaire sur l’établissement, les
jardins, les environs et la mer. Vers le sud, la plage dessine
une courbe assez profonde; sur le promontoire où se termine
la courbe, on aperçoit quelques maisons à travers la ver-
dure, c’est Mbweni.
Un de nos rameurs avait lavé et séché son costume blanc.
Il s’habille à la hâte, et nous mettons le cap sur la pointe de
Mbweni, car il faut doubler le promontoire, suivant les ren-
seignements que je viens de recueillir. Cette course a été un
véritable repos, grâce au vent rafraîchissant; nos bons ra-
meurs mouvaient l’aviron avec une nouvelle vigueur; l’em-
barcation obéissait admirablement à la barre.
VARIÉTÉS
487
Au moment de quitter la^plage de Kiungani, nous avions
admiré June bande d'élèves qui s’ébattaient dans les flots
tièdes, se poursuivant à la nage. En accostant Mbweni, nous
vîmes une troupe de filles qui se livraient, mais plus paisible-
ment, aux délices d’un bain de mer. Les garçons avaient
laissé leurs costumes sur le sable; les filles portaient une
sorte de peignoir.
Comme à Kiungani, un sentier conduit de la plage, en
montant, vers l'intérieur. Au bout du sentier, qui traverse un
jardin tout aussi enchanteur que celui de Kiungani, se dresse
une grande maison à laquelle un joli perron encadré de ver-
dure donne quelque chose comme un aspect seigneurial.
Quelques filles qui jasaient là allèrent quérir le mission-
naire. La haute taille de M. K., revêtu non pas d’une sou-
tane mais d’une longue redingote blanche, sa bonne figure
encadrée d’une barbe poivre et sel, ses yeux petits et vifs, sa
voix qui a des intonations enfantines, son parler tantôt
hésitant, tantôt repartant avec un normal élan, tout cela
reste pour moi intimement lié à Mbweni. Cet homme excel-
lent, marié, du reste, et, à cause de cela peut-être, plus à mon
niveau, mieux à ma portée que ses collègues à mine un peu
monacale, M. K., dis-je, se fit un devoir de nous accompagner
partout. Et que de fois, pendant notre promenade, lui échappa
le regret de n’être plus sur le continent où le christianisme
attaque le paganisme de force, où l’on est vraiment mission-
naire. Il accomplit sa tâche ailleurs et autrement qu’il ne
voudrait peut-être. Dieu sait pourquoi et ne bénira pas moins
l’œuvre faite à Mbweni.
Qu’est-ce que Mbweni? Un terrain donné à la mission, à
condition qu’elle y logerait, soignerait et instruirait des es-
claves libérés. Le noyau de l’œuvre est donc constitué par un
village d'esclaves affranchis; leurs cases sont disséminées
dans une vaste forêt de cocotiers. Outre ce qu’on consomme
sur place, on vend par année moyenne 16,000 noix de coco,
à raison de deux roupies le cent, soit environ trois pour dix
centimes, si je ne fais erreur. Les habitants du village sont
488
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
actuellement au nombre de 250 environ ; une centaine de
plus demeure sur un terrain avoisinant qui appartient au
sultan. Il y a en outre 80 filles à l’école et 75 garçons tout
jeunes, à l’une des extrémités de la plantation. Cela fait un
total de plus de 500 personnes, arrachées aux misères de
l’esclavage. C’est quelque chose, et on doit apprécier le ré-
sultat obtenu par l’action combinée de la civilisation et de la
mission. Pourtant, il y a un revers. Deux défauts éclatent
presque à première vue. Ce ramassis de gens de toute prove-
nance manque de toute cohésion première, ce qui entrave
singulièrement le progrès social. A Sierra-Léone, la même
expérience a été faite en grand. En second lieu — et cela rend
à Mbweni la situation pire qu’à Sierra-Léone — tous ces li-
bérés sont et demeurent des parasites. Rien ne sollicite en
eux l’initiative personnelle. Comment faire? Le problème me
paraît insoluble. On est parti du mauvais pied; plus on va,
plus il est difficile de changer de pas. Il faudrait tailler dans
le vif, peut-être; faire cesser le privilège qui fait de tous les
noirs des espèces d’hospitalisés paresseux, et les transplanter
sur le continent comme travailleurs libres. Ils feraient alors
l’apprentissage de la vie. Au point de vue du christianisme
formel et apparent, le déchet serait considérable; c’est ce qui
fera qu’on reculera sans doute toujours devant cette mesure
radicale. 11 va sans dire que les enfants sont exclus de ces
considérations. Tel que Mbweni existe, on ne pourrait y
pratiquer qu’une méthode de dressage familière aux jésuites
et en accord avec leurs conceptions religieuses mais qui ré-
pugne heureusement à la saine sève du christianisme évan-
gélique. Cependant on glisse sur une pente fâcheuse. Aux
grandes fêtes, on voit de 170 à 180 communiants à l’église
Saint-J ean-de-Mbweni; dans le nombre, il y a une trentaine
de filles de l’école, « et nous exerçons une certaine pression
sur nos paroissiens », avouait le missionnaire. Il se peut que
je me trompe; mais j’aimerais mieux interpréter cet aveu
spontané comme une confession qui déchargeait la conscience
du brave homme.
VARIÉTÉS
489
Dans l’école des filles, dirigée par une dame qui semble
s’épanouir dans son travail, la plupart des élèves ne reçoi-
vent qu’une instruction élémentaire. Cela suffit, si elles l’as-
similent. On les fait travailler au jardin; on leur enseigne à
manier l’aiguille ; elles tressent des nattes; elles font les tra-
vaux du ménage, elles pilent le riz. Pourquoi les faire dormir
dans des lits? Sauf cela, elles continueraient à mener la vie
qu’elles auraient menée chez elles, avec, en plus, la lumière de
Christ qui les éclaire. Les meilleures élèves sont séparées et
instruites davantage; parmi elles les instituteurs et les prêtres
indigènes peuvent se choisir leurs compagnes. Dans le jar-
din, nous avons vu un très bel exemplaire de l’arbre du voya-
geur, originaire de Madagascar. C'est à sir J. Kirk qu’on
fait remonter cet essai d’acclimatation, de même que l’intro-
duction à Mbweni de plusieurs autres plantes étrangères à
Zanzibar.
Quelles traces un homme entreprenant et qui ne se laisse
pas couler au fil du laisser-aller habituel, pourrait laisser
dans un pays I
L’école des garçons est à deux kilomètres environ de l’école
des filles. Le chemin qui y conduit traverse le village et la
forêt de cocotiers, au milieu de laquelle nous avons passé
près d’un énorme baobab. Le bâtiment de l’école a été cons-
truit sur le faîte du promontoire; un site idéal. On l’a inau-
guré au milieu de 1894. C’est donc la construction la plus
récente des trois stations de la mission de Zanzibar. Aupa-
ravant il y avait une école toute élémentaire de garçons à
Mkunazini, et une autre pour les garçons du a Schamba»,
c’est-à-dire de la plantation de Mbweni. Les deux ont été
réunies dans le nouvel établissement. Au haut des marches
de la porte d’entrée, on plonge, par-delà les cocotiers, dans
l’intérieur ondulé de l’île ; de la véranda du premier étage de
l’autre façade, on domine le demi-cercle jaune de la plage,
au bout de laquelle on aperçoit la flèche de la cathédrale qui
se dresse au-dessus de la ville de Zanzibar; puis la mer bleue,
moutonnant sous la brise; et quand il fait bien clair on peut
490
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
distinguer au loin les montagnes de l’ou-Sagara, que notre
aimable guide ne peut oublier.
On compte actuellement 75 enfants à l’école des garçons,
40 venus de Mkunazini et 35 de Mbweni. L’instruction
donnée est celle d’une école primaire. Il y a cependant une
classe supérieure, où les élèves les mieux doués sont prépa-
rés à entrer à Kiungani. Leur maître est un ancien élève
de Kiungani. Dans la grande salle d’école, nous avons aussi
vu à l’œuvre, avec la directrice, une « miss », relati-
vement jeune, jolie et fraîche. Les garçons formaient
des groupes. Les uns lisaient, tantôt couramment,
tantôt en ânonnant. J’en ai presque effrayé un en lisant
par-dessus son épaule un mot de cinq ou de six syl-
labes qui, malgré plusieurs élans, lui opposait un obs-
tacle infranchissable. D’autres écrivaient. Comme on n’a
pas de cahiers avec modèles calligraphiés en swahéli, ce
sont des mots anglais qu’imitaient les élèves. L’un de
ces gamins s’escrimait, la tête penchée, la langue entre
les dents, tout juste comme le font les écoliers euro-
péens, à tracer la majuscule, bien compliquée, il faut l’a-
vouer, de K; il copiait avec ardeur les trois mots de Keel
King Knives. Comme dans la plupart des écoles de nègres,
le calcul réussit assez mal.
La directrice m’offrit de faire chanter les élèves. L’un des
maîtres noirs choisit le chant, donna le ton, et les enfants
partirent à deux voix avec un ensemble et un entrain parfaits.
Le titre des numéros chantés était : « Mchezo wa Cricket , le
jeu du cricket ». Cela ne pouvait manquer dans un recueil
rédigé par des Anglais. A Kiungani, le missionnaire nous avait
montré, près de la plage, l’emplacement où l’on joue au
« foot-ball » — par 30° degrés à l’ombre! — et on joue au
soleil. De temps à autre, l’un des missionnaires prend part
au jeu — sans la soutane, je pense; — ils prétendent que cela
leur dégage le foie. Pendant le chant à Mbweni, j’ai admiré
les têtes de tous ces négrillons. Ce serait ü*n tableau à pein-
dre, avec, à travers les fenêtres, sans vitres, fermées seule-
Variétés
491
ment par de fins grillages, la vue sur les jardins, éclairés par
un soleil éblouissant.
Il fallait songer au retour. Pourquoi, en repassant par Pes-
calier, mon regard est-il tombé sur une statue de la Vierge
tenant l'enfant Jésus, haute de 75 centimètres environ, peinte
en couleurs claires, comme on en voit des douzaines alignées
dans les boutiques de marchands d’idoles du quartier Saint-
Sulpice, à Paris? Ces bravés amis, si zélés, si intelligents, ne
comprennent-ils pas qu'en poussant leurs aspirations catho-
liques jusqu’au seuil delà mariolâtrie, ils jouent avec le feu?
Dans sa maison d’habitation, la femme de notre conduc-
teur obligeant nous offrit une tasse de thé. On regarda des
photographies, on causa des progrès du christianisme sur le
continent africain; mais il fallut couper court et redescendre
sur la plage.
En cinq quarts d'heure, nos rameurs nous ramenèrent à
bord de P Iraouaddy , quelques minutes avant le coucher du
soleil. F. Herm-Krugèr.
ENCORE L’ATTAQUE DE SIRABÉ
Lettre d’Esther Zacharias, élevée dans l’École norvégienne de
M. et madame Borchgrevinck, femme de Radafy, gouverneur
de Nanatonana, et frère de Rainijoanary, gouverneur général
du Vakinankaratra, tous deux, avec M. le résident Alby, libé-
rateurs d’Antsirabe.
Chers papa et maman — (noms donnés par les en-
fants de PÉcole norvégienne à M. et madame
Borchgrevinck),
Je suis arrivée ici samedi après la défaite des rebelles qui
avait eu lieu mercredi. Oh ! vous ne sauriez croire dans quel
492
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
triste état j'ai trouvé toutes choses ici à Antsirabé. Toutes les
maisons en ruines, l’hôpital et tout ce qui l’entourait détruit
de fond en comble. Ceux qui pourraient voir tout ceci sans
pleurer n’auraient vraiment pas de cœur, car c’est horrible.
Songez donc ! Sirabé ! Qui eût jamais pu soupçonner que Si-
rabé en serait là un jour, et que des gens qui ont entendu la
parole de Dieu pendant si longtemps pourraient se conduire
de la sorte envers ceux qui leur ont apporté le message de
l’amour de Dieul « Quel mal nous ont donc fait les mission-
« naires? C’est ce que je demande à tous ceux auxquels je
« parle : ils n’ont pris ni nos biens ni notre sol, ils se sont
« donnés à nous, eux et tout ce qu’ils avaient, et ils ont
« quitté leur famille pour venir nous apporter la Bonne nou-
« velle. » Oh! que Dieu ait pitié de Madagascar et lui par-
donne ses péchés.
Radafy (son mari) me prie de vous remercier beaucoup
pour votre lettre. Il dit qu’il est honteux de recevoir une telle
lettre de vous : « Je n’ai rien fait qui ne fût strictement mon
« devoir, dit-il. et qu’est donc ce que j’ai pu faire en compa-
« raison de ce que les missionnaires ont fait pour moi et mon
« peuple! » Et certes cela est vrai, chers papa et maman;
c’est nous qui devons vous remercier, vous et les mission-
naires, de ne pas perdre courage alors que nous nous sommes
si mal conduits à votre égard. Que Dieu nous pardonne nos
péchés !
Quand Radafy est parti pour secourir Sirabé, il n’avait
pas le moindre espoir de trouver nos amis vivants, car
les rebelles avaient répandu le bruit que tous les Yazahas
(Européens) avaient été massacrés, et c'est avec le cœur
bien lourd qu’il allait pour recueillir au moins leurs corps,
afin que ces cruels Fahavalos ne les mutilent pas. S’il avait
pu soupçonner qu’ils étaient encore vivants et entourés
d’ennemis, il ne se serait pas arrêté en route pour permettre
à ses soldats de cuire leur riz. Partis à quatre heures du ma-
tin, ils étaient arrivés à deux heures de l’après-midi à Bétafo.
Mais imaginez leur joie quand ils apprirent que Rainijoanary
VARIÉTÉS
493
(le gouverneur général, frère de Radafy) venait, lui aussi, d’ar-
river, et quand ils apprirent en même temps que les Vaza-
has vivaient encore, mais que si l’on ne se hâtait pas de leur
porter secours il serait bientôt trop tard. Ils partirent aussi-
tôt et atteignirent Sirabé au point du jour, et à onze heures
les rebelles étaient vaincus. Mais vous savez déjà tout cela.
A Nanatonana (le village de sa résidence), nous n'avons su
ces bonnes nouvelles qu’un jour et demi plus tard. Nous
avions tous le cœur brisé : nous pleurions sur nos amis, car
plusieurs nous disaient les avoir vu massacrer sous leurs
propres yeux, ajoutant qu’ils ne savaient pas ce qui arrive-
rait à Radafy qui, disaient-ils, avait été fait prisonnier par
les rebelles avec son beau-frère, tandis que tous ses soldats
s’étaient joints à l’ennemi. Nous étions à bout de courage :
en disant nous, j’entends ma belle-mère, mes deux belles-
sœurs et moi qui étions abandonnées par tous les gens du vil-
lage, comme étant les amis des Vazahas. Je m’étais assise
près de la fenêtre de notre chambre qui donne sur la route,
pour que personne ne pût arriver sans que je le visse, de
peur qu’il n’eût le temps, s’il rencontrait quelqu’un du vil-
lage, d’inventer et de me dire un mensonge, et parce que je
voulais apprendre directement les tristes nouvelles. Nous
avons prié même quand tout le monde nous disait qu’il n’y
avait plus aucun espoir, répétant toujours : « O Dieu, Toi
qui as tout pouvoir en tes mains, empêche Madagascar de
répandre tant de sang innocent! » et nous finissions toujours
en disant : « Tu ne peux pas, tu ne voudras pas permettre
que toutes ces précieuses vies soient perdues ». Nous ordon-
nions presque à Dieu d’exaucer nos prières et, Il l’a fait.
Le mercredi vers le soir, nous apprîmes qu’Ellen (mademoi-
selle Engh, élevée chez M. Borchgrevinck et compagne de jeu
d’Esther Radafy) avait été tuée d’une manière barbare et
horriblement mutilée. J’étais absolument désespérée, mais je
n’osais pas le dire aux Klanderud (le directeur de l’École in-
dustrielle et sa famille, réfugiés chez Rafady) ; je leur conseillai
seulement de partir sans retard pour la capitale pour sauver
494
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
leurs vies. Ils insistèrent alors pour savoir les raisons qui me
faisaient leur conseiller un départ si brusque. Oh! papa et
maman, que Dieu me pardonne, car je leur ai menti : je leur
dis que je n’avais rien appris de grave mais que, n'ayant au-
cune nouvelle de Radafy, j’étais effrayée pour eux. Je sortis
pour leur chercher un peu de café ; mais quand j’entrai dans
la cuisine je vis mes jeunes filles (ses esclaves) qui chucho-
taient ensemble* s’arrêter brusquement en me voyant. Quand
je leur demandai de quoi elles parlaient, elles ne voulurent pas
d’abord le dire; mais comme je les pressais : « Après tout,
dirent-elles, nous pouvons le lui dire. » Et elles me racontè-
rent qu’outre Ellen on avait aussi tué et affreusement mutilé
M. Engh et M. Vig. J’oubliai complètement mon café et re-
vins auprès de M. Klanderud pour les supplier de partir tout
de suite pour la capitale. Je n’osai pas leur dire ce que je
venais d’apprendre et répondis encore à leurs questions en
leur disant que je n’avais rien appris de spécial. Nous nous
procurâmes quelques mauvaises filanzanes et ils partirent à
cinq heures. M. Klanderud devait marcher, parce que nous
n’avions pas pu trouver assez de porteurs.
Quand ils furent partis, une femme entra et me dit qu’il était
heureux pour nous qu’ils fussent sortis de la maison, et que je
devais maintenant quitter mes vêtements européens et m'ha-
biller comme une femme malgache. Je lui répondis que ce se-
rait une grande honte pour moi de faire pareille chose, car,
après Dieu, c’était aux Vazahas que je devais la vie et tout ce
que j’avais, et que je considérais comme un honneur que les
gens nous appelassent amis des Vazahas, ma famille et moi.
Oui, reprit-elle, mais si vous vous habillez comme nous, peut-
être épargneront-ils quand même votre vie. « Je ne suis pas
« assez sotte pour le croire, repris-je; ils me tueront même si
« j’ai un lamba, non seulement parce que je suis une amie des
« Vazahas, mais parce que je suis la femme de Radafy, car
« ils sont irrités contre Ranijoanari et lui pour avoir dit ré-
<i cemment, dans l’assemblée du grand marché, que les re-
« belles ruinaient et perdaient notre pays. Et puis je n’ai pas
VARIÉTÉS
495
« peur de mourir, parce que je sais que Dieu me prendra alors
« dans sa Maison où je retrouverai ma mère et tous nos chers
« amis si odieusement massacrés à Antsirabé. » Non, papa
et maman, je n’ai pas honte d’être une amie des Yazahas, ja-
mais, jamais; et Radafy non plus, ni aucun membre de notre
famille n’en aura jamais honte. Je considère comme une très
grande faveur que vous nous permettiez encore de nous ap-
peler vos enfants, nous qui avons si honteusement payé tout
le bien que vous nous avez fait : nous ne sommes certaine-
ment pas dignes de dénouer les cordons de vos souliers. Oh!
c’est vraiment épouvantable de voir comment le diable peut
pervertir l’esprit et le cœur des gens. Pensez, être si cruels
envers ceux qui ont été pour nous des pères et des mères si
dévoués! Car, si les rebelles n’avaient pas été vaincus, Mazi-
mandrana, Bétafo, Soavina, Ambohimasina et Nanatonana
auraient fait la même chose que Sirabé. Mais il est bien vrai,
comme l’a dit dimanche dernier, dans son sermon, le pasteur
Rosaas, que « Dieu ne sere. jamais vaincu : les hommes ont
« formé le dessein de tuer et de mutiler ; et ils ont en effet
« pillé et tourmenté; mais ils ne sauraient faire plus que
« Dieu ne le permet, car Dieu ne peut être vaincu. »
Oui! il est bien vrai que la victoire est à Lui et non aux
hommes. Les hommes ont tout fait pour nous faire désespérer,
et nous avons réellement désespéré : mais quand notre foi en
était à son plus faible degré et quand nous avions abandonné tout
espoir... alors est arrivée la joyeuse nouvelle que Dieu avait
entendu nos prières, que tous les Vazahas étaient vivants et
que pas un n’avait même été blessé. Oh! quelle joie nous
avons eue : nous avons pleuré, ri, battu des mains. Et cela
nous est arrivé si soudainement. C’est le jeudi soir, à cinq
heures, que je reçus la lettre de Radafy : nous convoquâmes
tout le village dans notre maison qui était bondée : il n’avait
pas eu le temps d’écrire longuement, mais c’en était assez,
pour ceux qui avaient eu secrètement l'intention de se join-
dre aux rebelles quand ils arriveraient à Nanatonana, que
d’apprendre qu’ils avaient été complètement battus, et que
496
JOURNAL DBS MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
tous les Vazahas étaient vivants. Je leur dis : « Vous pouvez
« voir maintenant que le Dieu des Vazahas est le plus fort. »
On aurait pu nous croire folles quand la lettre arriva. Lors-
que Radafy était parti, ma belle-mère était si malade qu’il
m’avait dit, comme nous nous séparions : « Soigne-la bien,
« mais je crains de ne plus la retrouver quand je reviendrai. »
Mais sa lettre a été la meilleure de toutes les médecines : elle
s’est assise sur son lit et a battu des mains, tandis que nous
dansions autour d’elle. Que Dieu soit loué de n’avoir pas per-
mis que nous fussions couverts de confusion devant nos en-
nemis !....
C’est moi, votre fille, qui vous salue, Estuer
Pour traduction littéralement conforme ,
H, Lauga, pasteur.
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20617.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
497
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
QUESTION DE FOI
Paris, le 22 octobre 1896.
Nous devrions peut-être, à cette époque de l’année où tout
parle de travail et d’effort, passer en revue nos champs de
missions et exhorter nos lecteurs à redoubler de zèle et
d’activité.
Le temps, le courage nous manquent pour entreprendre
cette revue, recommencée bien des fois déjà, et que les amis
de notre œuvre sauront bien faire eux-mêmes (1).
C’est à quoi nous les convions aujourd’hui; c’est l’effort
que nous attendons de leur amour. Qu’ils lisent avec atten-
tion cette livraison; qu’ils évoquent, l’une après l’autre, nos
missions anciennes, nos missions nouvelles, avec leurs diffî-
(1) Le directeur de la Maison des Missions a été retenu, puis récemment
rappelé en Alsace par la maladie et la mort de son frère, M. Charles
Boegner, ancien pasteur, aumônier de la Maison des Diaconesses de
Strasbourg. Ce deuil occasionne quelque retard dans l’expédition des
affaires et dans la correspondance. Le directeur de la Maison des Missions
espère qu’on excusera ce retard et prie ceux qu’il n’a pu aviser directe-
ment de la mort de M. Ch. Boegner de bien vouloir se considérer comme
informés par la présente note.
NOVEMBRE 1896.
36
498
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
cultés et leurs besoins; et qu’après s’être ainsi chargés de
notre fardeau, ils le déposent avec nous aux pieds de Celui
qui peut, aujourd’hui comme autrefois, se servir de nos fai-
bles ressources pour satisfaire aux besoins des multitudes
qu’il nous appelle à nourrir, à Madagascar aussi bien qu’au
Lessouto; à Taïti comme au Sénégal et au Zambèze.
Mais n’est-ce pas trop demander? Ce vaste ensemble peut-
il, à la longue, rester un? Et les membres dont il se compose
ne vont-ils pas, en vertu de leur diversité même, s’isoler les
uns des autres et prendre chacun un développement propre?
Questions angoissantes et qui peuvent surgir dans les esprits
les plus dévoués à notre cause.
Et cependant, plus nous y réfléchissons, plus s’affermit en
nous la conviction que cette tâche si lourde et si complexe,
la foi peut l’accomplir. Oui, le maintien de notre patrimoine
dans son intégrité est, avant tout, une question de foi. Aussi
longtemps qu’au centre de ce vaste organisme battra un cœur
chaud et vivant, l’œuvre gardera son unité. Ce cœur chaud,
ce cœur vivant, c’est le vôtre, chers amis; c’est le mien, c’est
celui de tout ami de nos missions, qu’il soit membre du Co-
mité directeur ou simple souscripteur du Sou missionnaire.
Ce cœur* où sont inscrits, les uns à côté des autres, les noms
de nos divers champs de travail et de nos ouvriers, qui em-
brasse d’un même amour Madagascar et le Zambèze, qui prie
pour le Congo comme pour Taïti, qui s’appuie sur les pro-
messes de Dieu et réclame la venue de son règne à Maré,
comme au Sénégal et au Lessouto, voilà le foyer et le lien de
nos diverses œuvres, et voilà la garantie de leur progrès.
Car ce cœur-là, ce cœur qui aime, qui prie, qui obéit, qui
espère, c’est précisément ce à quoi Dieu ne résiste pas, — que
dis-je? — c’est ce à quoi Dieu a tout promis et à quoi il accorde
tout. Il faut nous débarrasser de l'idée toute humaine d’une
certaine limite assignée, une fois pour toutes, à l’activité
et aux ressources d’une Société comme la nôtre. Les res-
sources sont à Dieu; l’or est à lui, l’argent lui appartient; il
est aussi le Maître de la moisson qui suscite et envoie les
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
499
ouvriers; ces hommes, cet argent, il peut les diriger où il lui
plaît. Or, il lui plaît, précisément, de les accorder à la foi,
cette foi fût-elle le partage de la dernière des Sociétés de
missions, ou du plus faible des chrétiens.
« Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de
Dieu ?» — « Je vous dis, en vérité, que si vous aviez de la foi
gros comme un grain de moutarde, vous diriez à cette mon-
tagne : Jette-toi au milieu de la mer, et elle vous obéirait. »
Oh! ayons la foi, la foi qui obéit et qui se confie; la foi qui
abandonne tout à Dieu et qui attend tout de Dieu, et, nous
aussi, nous verrons les choses magnifiques de Dieu...
NOTES DC MOIS
M. E. Haug , dont le retour était annoncé dans notre der-
nière livraison, est arrivé à Paris le 30 septembre. Nous espé-
rons que le séjour qu’il va faire au milieu de nous rétablira
promptement sa santé, compromise par le climat du Congo.
Nos missionnaires en Europe ont fait plusieursjïcmniées de
visites aux Églises. On verra ailleurs celles que M. Coillard
a pu faire et qu’il nous raconte lui-même. M. Christol s’est
rendu dans le Midi, où il a visité les Églises de Montpellier,
du Yigan, de Calvisson, de Codognan, etc. M. Jacottet a fait
un voyage à Londres pour s’y occuper de la-réimpression de
la Bible sessouto. De son côté, M. Louis Jalla a donné un grand
nombre de conférences dans les Églises vaudoises de l’Italie.
Nous pouvons espérer que de tout ce travail résultera un re-
nouvellement d’intérêt et de zèle pour la cause des missions.
Nous ne saurions’ récommander trop vivement à nos amis
le livre intitulé «* Ernest Dhombrés, quelques souvenirs » , qui
en est à sa seconde édition. Cette édition a été sensiblement
augmentée et soigneusement revue par l’auteur, si bien que
500
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
le nouveau volume forme un beau livre dont la lecture est
singulièrement instructive et fortifiante. Les demandes peu-
vent être adressées soit à la Maison des Missions, soit à
M. Schultz, 9, rue Laffitte.
Le Petit Message!' de Noël est actuellement en préparation.
Il renfermera des articles de MM. Coillard, Krüger, Viénot,
Christol, Escande, Haug, etc. Des dessins dûs à la plume de
MM. Christol et Schlumberger, ainsi que des photogravures
promettent une riche illustration de cette brochure de Noël.
Nous la recommandons dès maintenant à l’attention bien-
veillante de nos lecteurs.
C’est l’avant dernière fois que paraît le Journal des Missions
pour 1896. Nous prenons la liberté d’y rendre attentifs nos
abonnés pour qu'ils veuillent bien nous faciliter la tâche,
soit en renouvelant leur abonnement aussitôt que possible,
soit en nous procurant de nouveaux abonnés.
SITUATION FINANCIÈRE
au 20 octobre 1896.
Notre trésorier nous communique la note suivante :
Pour faire face à la dépense prévue pour 1896-97. qui
est de 373.000 »
Il faudrait une recette mensuelle de 31,000 francs, ce qui
fait pour les 6 mois et 20 jours écoulés, du 1er avril au
20 octobre 1896, un chiffre total de 207,000 *
Nous n’avons reçu jusqu’à ce jour, pendant le même
laps de temps, qu'une somme de 75,900 »
faisant une différence en moins de 131,100
Les recettes du Zambèze sont à ce jour de 43.275 »
au lieu de 11,900 »
qu'on avait reçus l’année dernière à pareille époque.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
501
RENTRÉE DE LA MAISON DES MISSIONS
le 16 octobre 1896.
Comme Tannée dernière, celte séance a eu lieu à la cha-
pelle de la Maison des missions où, malgré le mauvais temps,
nous avions la joie de voir groupés de nombreux amis, parmi
lesquels plusieurs pasteurs ou professeurs de théologie.
La séance, présidée par M. R. Hollard, est ouverte par une
prière de M. J. Goguel. M. Hollard rappelle les circonstances
particulières où se fait cette rentrée. C’est d’abord le direc-
teur de la Maison des missions qui est retenu en Alsace par
les obsèques de son frère aîné, et dont l'absence en un tel
jour se fait vivement sentir. Puis, à côté de ce deuil de
famille, il y a les deuils des champs de mission : M. Jacot,
au Congo, et, plus récemment, M. Goy, au Zambèze, tombés
l’un et l’autre à la fleur de l’âge. « C’est comme à des
soldats que je parle, dit M. Hollard en s’adressant aux élèves,
mais il y a dans ces douloureux souvenirs quelque chose
qui élève vos études et votre vocation et qui leur donne je ne
sais quelle gravité et quelle beauté. »
Il mentionne aussi les sujets de joie et d’actions de grâce.
Et, tout naturellement, le nom de M. Coillard est prononcé,
ainsi que celui de M. Krüger, revenu depuis dix jours seule-
ment de son voyage à Madagascar et dont la présence ex-
cite une vive reconnaissance envers Dieu. Enfin, l’orateur
rappelle le nom deM. J. Dubois, ce jeune candidat en théologie
de la Suisse française qui s’est voué avec tant de sollicitude
aux études des élèves pendant l’absence de M. Krüger. La
Maison des missions lui garde un souvenir reconnaissant.
M. Hollard, s’adressant ensuite plus spécialement aux
élèves, leur parle de leur devoir actuel, qui est de faire de
bonnes études, et leur rappelle les conditions qui en assu-
reront le succès. Chercher Dieu partout, dans le livre où il
a déposé sa pensée à l’égard des hommes; le chercher en
502
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Jésus-Christ surtout, qui nous montre ce que Dieu pense
de l’homme et ce qu’il attend de l’homme; puis dans la vie
de l’Église, la vie des saints et des marty rs, de cette série
ininterrompue de témoins qui ont vécu la vie de Christ.
Enfin, après avoir signalé les dangers que peuvent présenter
les études, il indique le moyen d’y parer : se tenir aux pieds
de la croix de Jésus-Christ, et lui apporter sa foi, sa voca-
tion, son être tout entier; obéir, puis penser à ceux auxquels
l’Évangile n’a point été annoncé et entendre leurs plaintes
lointaines et lugubres. Alors les études seront bienfaisantes
et propres à former ceux qui s’y adonnent pour la grande
tâche qui attend tout missionnaire.
La parole est ensuite donnée à M. Krüger, qui exprime sa
joie de se trouver de nouveau au milieu de ses élèves, après
une longue séparation. Il les remercie de l’accueil affectueux
qu’ils lui ont fait, et exprime également sa reconnaissance
aux amis qui ont tenu à assister à cette réunion.
Après quoi, M. Krüger expose en détail et d’une manière
très vivante le plan des études qui vont se poursuivre pendant
l’année à la Maison des Missions, Puis il communique à l’as-
semblée ses impressions de retour, alors que, débarquant à
Paris au milieu de l’allégresse générale des fêtes du 6 octobre,
il ne pouvait s’empêcher d’entendre les gémissements d’un
peuple que l’on est en train d’égorger, aux portes mêmes de
l’Europe. Combien tout cela est sérieux, solennel même ! Sé-
rieuse aussi la tâche que nous aurons à accomplir à Mada-
gascar, où l’Évangile est menacé de tant de façons. Armons-
nous donc pour la lutte, dit en terminant M. Krüger, et inspi-
rons-nous des sentiments qui animaient Josué lorsque, se
prosternant devant l’Étemel, il lui disait : « Qu’est-ce que
mon Seigneur dit à son serviteur? Et le chef de l'armée de
l’Éternel dit à Josué : Ote tes souliers de tes pieds, car le lieu
sur lequel tu te tiens est saint. »
M. le pasteur Appia adresse également aux élèves quelques
exhortations qu’il rattache à cette parole : « Je suis le chemin ,
la vérité et la vie ». Il presse les jeunes étudiants de faire la
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
503
connaissance personnelle, vivante de Christ. Le connaître
Lui, la vie, pour le donner ensuite à connaître et engendrer la
vie en d'autres âmes, tel est le secret du succès dans l’activité
missionnaire.
C’est encore M. Appia qui termine cette réunion par une
prière dans laquelle ni le directeur de la Maison des Missions,
ni les élèves, ni les champs de travail ne sont oubliés. Cette
prière laisse l'assemblée sous une impression particulière-
ment fortifiante et bénie.
2 de nos élèves ont achevé leurs études et ont reçu la
consécration; 3 ont du interrompre leur préparation, l’un
pour raison de santé, les deux autres à cause du service mi-
litaire ; 9 la poursuivent à la Maison des Missions, 5 sont en
section préparatoire; enfin, il se trouve dans des Facultés de
théologie quelques jeunes gens qui étudient avec l’intention
d’entrer au service de notre Société.
SOUVENIRS DE LA CONSÉCRATION DES MISSIONNAIRES
P. VERNIER ET A. C0ISS0N
Nous sommes aujourd'hui en mesure de combler les la-
cunes que, faute d’avoir reçu à temps les renseignements
voulus, nous avons dû laisser subsister dans le récit de ces
deux cérémonies.
Nous empruntons au compte rendu détaillé que M. le pas-
teur Peloux, de Crest, nous a envoyé de la consécration de
M. P. L. Vernier, le passage suivant du discours de M. Mouline :
« Pour croire, il faut connaître , et le moyen de connaître
n’est pas de méditer, de réfléchir, de sonder profondément,
d’imaginer ou de raisonner savamment, mais à' entendre par-
ler. Ce n’est pas l’effort de la sagesse humaine, c’est le témoi-
gnage, non une théorie, une spéculation, un système, mais
une nouvelle, la bonne nouvelle. Le petit enfant qui a en-
tendu cette nouvelle est infiniment mieux instruit que le plus
504
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
grand savant auquel celte bonne nouvelle n’est point par-
venue ou qui Ta rejetée. Que dis-je? Ce petit enfant est seul
instruit, et le grand savant n’est qu’un grand ignorant. Un
fait ne s’invente pas, il se produit et se publie...
« La prédication, voilà le témoignage qu’il faut entendre
pour connaître valablement et sûrement le Seigneur qui
sauve. La prédication non d’un Évangile quelconque, flot-
tant, incertain, variant selon le temps, le milieu et la per-
sonnalité de ceux qui le prêchent, mais l’Évangile unique,
que Jésus*Christ lui-même a fait, et dont il a fixé la forme par
l'autorité de sa parole et les directions de son Esprit..., l’Évan-
gile de Dieu qui ne peut pas et ne doit pas changer ; qui, à
l’image de Celui qui en est l’unique objet, est le même hier,
aujourd’hui, éternellement..., qui doit rester ce qu'il est, ce
que Dieu a voulu qu’il soit, sous peine de n’être plus que
l’Évangile impuissant de la sagesse humaine, et non l’Evan-
gile du Seigneur...
a Pour que l’Évangile soit prêché, il faut des envoyés.
Quiconque a le privilège de croire en Lui doit se considérer
comme l’envoyé du Seigneur pour annoncer à son entourage
le nom et les vertus de Celui qui l'a appelé des ténèbres à sa
merveilleuse lumière... Mais, parmi ces envoyés, il y a une
élite dans laquelle s’incarne pour ainsi dire cette sublime et
sainte vocation qui est le devoir et la gloire de toute l’Église
de Jésus-Christ; ce sont les missionnaires.
« Voilà bien les envoyés par excellence, par le témoignage
desquels le nom de Jésus-Christ parvient à ceux qui ne l’ont
point encore entendu... Envoyés! c’est le Seigneur lui-même
qui envoie ses vrais envoyés. Lui seul a qualité et autorité
pour leur adresser cette vocation, pour les rendre capables
d’en remplir fidèlement les devoirs, d’en surmonter les diffi-
cultés et d’en exercer l’influence bénie. C’est seulement
après qu’il a choisi, Lui, ses envoyés, que l’Église peut les
consacrer valablement par l’imposition des mains. Il faut que
cette voix du Seigneur, tout missionnaire l'ait entendue dis-
tinctement et y ait répondu : Me voici, pour être envoyé... »
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
505
Nos lecteurs seront heureux d’entendre cet écho de la pré-
dication de M. Mouline. Nous ne pouvons malheureuse-
ment leur procurer le même avantage en ce qui touche le
sermon prononcé à la consécration de M. Coïsson, à la Tour;
en revanche, nous citerons un fragment du récit très simple
et très émouvant que le candidat a fait de sa vocation. Aussi
bien, c’est là surtout le but de ces comptes rendus: faire
connaître nos futurs missionnaires à ceux qui, sans avoir vu
leurs visages, seront, dès le jour de leur départ, leurs soutiens
et leurs amis.
«... Voici, a ditM. Coïsson, comment je me suis senti appelé
à devenir missionnaire. Mes plus anciens souvenirs à ce sujet
remontent à la dernière visite de notre cher et vénéré M. Coil-
lard, que j’ai eu le grand privilège de revoir au milieu de nous
en cette occasion. J’étais bien jeune alors, je n’étais qu’un en-
fant; aussi, bien qu’y tenant une grande place, ces souvenirs
sont-ils vagues dans ma pensée. Je me rappelle avoir accompa-
gné ma mère, un dimanche après-midi, à une réunion de
missions tenue en plein air, où M. Coillard, qui nous avait fait
l’honneur de venir jusque dans nos Vallées, devait plaider la
cause de cette grande œuvre qu’il allait entreprendre sur les
bords du Zambèze. Une carte du sud de l’Afrique était sus-
pendue à un arbre, et je sais que j’avais écouté les paroles de
l’orateur avec plus d’attention que je ne le faisais habituelle-
ment en pareille occasion. L’impression de ce jour ne devait
être que passagère, semble-t-il; dès le lendemain, en effet,
j’avais oublié la réunion qui m’avait si vivement intéressé la
veille. Mais, plus tard, lorsque le moment vint où j’ai de-
mandé à Dieu de me guider dans le choix d’une carrière, ce
même tableau reparut devant mes yeux; la voix de l’orateur
répéta à nouveau dans ma pensée ses chaleureux appels, et
j’entendis en même temps la voix de mon divin Maître me
dire comme aux disciples : « La moisson est grande, mais il
y a peu d’ouvriers. »
« D’autres circonstances devaient contribuer à me faire
aimer les missions jusqu’à leur donner ma vie. En 1886, je fus
506
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
vivement impressionné par la consécration et le départ de
M. Louis Jalla; je sentis réellement que je devais partir à
mon tour Lorsque le moment serait venu, pour cette Afrique
qui occupa dès lors une si grande place dans mon cœur.
J’assistai avec un intérêt plus grand encore aux réunions
d’adieux de MM. Adolphe Jalla et B. Pascal-
« Mais le moment de ma vie de collège que je saluai avec
un plaisir tout nouveau, ce fut celui où, comme étudiant, je
devins membre de la petite Société de missions « Pra-del-
Torno ». Dès lors, j’eus l’occasion de m’occuper plus particu-
lièrement des progrès de l’Évangile en pays païen; les
nouvelles de nos missionnaires m’intéressaient surtout, et
mon cœur était joyeux lorsque je partais avec un camarade,
pour aller raconter dans nos campagnes ce que Dieu faisait
là-bas, par les mains de nos frères, à la gloire de son nom.
Comment pourrais-je dire tout le bien que je reçus dans ces
heures consacrées aux missions; et puis, par cette œuvre que
nous accomplissions, bien imparfaitement, il est vrai, mais
pour notre Maître, ne devenions-nous pas, malgré notre
jeunesse, ses messagers et ses ambassadeurs, des soldats
qui luttaient à leur poste sous le drapeau du Christ? Et ces
moments bénis étaient bien faits pour me rapprocher de Dieu
et pour me fortifier dans ma vocation.
« Cependant, malgré la ferme conviction intérieure, qui
alors surtout s’empara de moi, que je devais être un jour
missionnaire, les dernières années que je passai au collège
furent des années de lutte et de doute. Deux amis intimes que
j’avais alors et qui, eux aussi, s’étaient voués à la mission
dans le fond de leur cœur, partageaient avec moi mes craintes
et mes espérances. Jamais je n’avais osé dire ma vocation à
mes parents. Je croyais que la pensée de me voir partir peut-
être pour toujours leur serait trop pénible; et puis, me sentant
le fils unique de la famille, je croyais que des devoirs parti-
culiers devaient m’empêcher de partir pour un pays si éloi-
gné. Et pourtant, chaque fois que je demandais à Dieu de me
montrer la voie qu’il m’avait tracée, toutes ces difficultés
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
507
semblaient disparaître de devant mes yeux, et ce même ta-
bleau qui m’avait si fortement frappé dans ma jeunesse, cette
carte d’Afrique, le visage aimé de M. GoiHard, reparaissaient
à nouveau devant moi, et la voix, que j’avais entendue bien
souvent déjà, me répétait : a Toi, va annoncer le royaume de
Dieu. » C’est alors que, mes études finies au collège de la
Tour, je ne pus plus résister à l’appel de Dieu, et j’envoyai
ma demande d’admission à la Maison des missions de Paris... »
UNE FÊTE MISSIONNAIRE DANS LA VAÜNAGE
Nous recevons la lettre suivante :
Caveirac, le 1^ octobre 1896.
Le dimanche 27 septembre, à deux heures de l’après-midi,
une foule évaluée à environ cinq cents personnes, venues de
Yergèze et des villages avoisinants, était rassemblée sous les
ombrages de Pascalet, où avait été tenue déjà, il y a quelques
années, une fête missionnaire. La réunion, organisée par les
soins et sous les auspices du Comité auxiliaire de Montpellier,
avait été convoquée à l’occasion de la visite de M. le mis-
sionnaire Christol dans la région.
M. le pasteur Bourelly, de Yergèze, qui présidait, a lu divers
passages bibliques appropriés à la circonstance, puis M. Da-
dre, de Nages, a prononcé la prière.
On a entendu ensuite successivement MM. Molines de
Montpellier, Christol et Ribard de Calvisson.
M. Molines, dans une introduction générale sur l’histoire des
missions, a fait ressortir avec évidence la nécessité pour l’É-
glise d’évangéliser en dehors de son sein, sous peine d’être
infidèle au mandat qu’elle a reçu de son chef et de perdre
508
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
avec sa force d’expansion jusqu'à sa raison d'être. Mais si les
obligations sont grandes, si le devoir est pressant et impérieux,
il y a dans son accomplissement le plus précieux des privilè-
ges: celui d’être associé à l’oeuvre éternelle de salut accomplie
par le Christ et de faire de chaque sauvé un sauveur.
M. Christol, après quelques détails pleins d’intérêt relatifs
aux coutumes et au langage des Bassoutos, a adressé de sé-
rieuses exhortations à l’auditoire, en prenant pour point de
départ le verset des Hébreux : « La parole de Dieu est vi-
vante », et en l’illustrant par de nombreux faits empruntés
à son expérience missionnaire. L’Esprit de Dieu a converti
des centaines de pécheurs arrachés à toutes les puissances
de mal et de mort, et accompli chez les convertis des miracles
merveilleux dans l’ordre du dévouement, du sacrifice, du re-
noncement total à soi-même.
M. Rihard, s’inspirant des souvenirs qu’évoquait chez tous
le lieu de la réunion, n’a pas eu de peine à montrer que tout
huguenot, vraiment reconnaissant de l’œuvre accomplie par
ses pères, devait à ses origines mêmes de propager partout la
foi conquise et conservée au prix de tant d’héroïques souf-
frances.
Après une dernière prière de M. Mourgue, l’assemblée
s’est dispersée, emportant, nous le savons, de beaux souvenirs
de cette après-midi favorisée par un temps magnifique. Dieu
veuille mettre le sceau de son Esprit sur les impressions re-
çues et déterminer chacun des auditeurs de Pascalet à se
consacrer sans réserve et à « être fidèle » à son service!
E. M.
tssr
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
509
LETTRE DE M. COILLARD
A M. A. Boegner, directeur de la Maison des missions.
« Mes allées et venues ». — A Contréxeville. — Au Ban de la
Roche. — Dans les Vallées vaudoises. — En Suisse. — Les let-
tres du Zambèze.
Genollier-sur-Nyon, 28 septembre 1896.
Bien cher frère et ami,
Je profite d’un moment de tranquillité et de repos pour
vous dire un mot de « mes allées et de mes venues ». « Pierre
qui roule n’amasse pas mousse », dit le proverbe, et je sup-
pose que c'est vrai. Mais il n’y a pas seulement des pierres
qui roulent, heureusement; il y a aussi des abeilles qui vol-
tigent et qui vont de fleur en fleur, butinant, et recueillant
leur miel. J’aime mieux me croire une abeille qu’une pierre,
je vous assure. Je viens de visiter un bon petit coin du jardin
de Dieu, et, si vous le voulez, je vais partager un peu de mon
miel avec vous. Au Zambèze, nous en avons de très fin et très
parfumé, et qui est très apprécié des gourmets aristocrates.
Mais j’en ai trouvé du bien meilleur dans les vallées vaudoises
que je viens de visiter.
Vous le savez, j’avais avec moi une des nièces de ma chère
femme, qui s’était donné la tâche de soigner son oncle
comme une Marthe bonne et dévouée qu’elle est.
Elle m’avait rejoint à Contréxeville où j’ai fait une cure
que Dieu a bénie. J’avais cru d’abord m’y trouver un peu
seul au milieu des étrangers qui y affluent de toutes parts.
Mais bientôt, le pasteur vénéré et aimé de Sedan, M. Goulden,
et son aimable sœur, m’ont découvert, m’ont comblé de
bontés, — comme, plus tard, madame de Falguerolles, — et
ont fait tout ce que l'affection pouvait faire pour me rendre
510
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
agréable le séjour, du reste fort peu attrayant, de Contréxe-
ville. Une de nos excursions qui restera longtemps gravée
dans mes souvenirs, c’est celle de Domrémy, — un vrai pèle-
rinage patriotique.
Du site admirable de la basilique en construction, nous
avons pu contempler ensemble le panorama immense qui se
déroule devant vous. A vos pieds, la belle et riche vallée de
la Meuse, parsemée de villages proprets, dont la blancheur
se détache agréablement sur un fond de riche verdure, et
sillonnée par les méandres argentés de la rivière; puis un
cadre de collines couvertes de sapins, couronnées, ici, de la
pile imposante du château des ducs de Lorraine; là, de
ruines antiques dont on vous parle, et que l’on fait remonter
à Julien l’Apostat; derrière, d’autres collines moins vertes et
plus bleues; puis d’autres, d’autres plus loin, d’autres encore
qui s’en vont, fuyant à l’arrière-plan, pour se perdre dans la
brume ou se confondre avec le ciel. C’est une vision de l’in-
fini. Je conçois qu’une jeune fdle pieuse et rêveuse, gardant
ses moutons, toujours seule en présence de ce spectacle
sublime qui rapproche de Dieu, et émue des malheurs de la
France, ait entendu, dans le silence de cette nature gran-
diose, se répercuter le£ aspirations de son âme, comme des
voix descendant du ciel, et se soit sentie inspirée pour sa
noble mission! — Autre temps, autres mœurs. La France
saigne encore de ses plaies; mais, grâce à Dieu, elle a aussi
ses Jeanne d’Arc qui s’inspirent à la source jaillissante de la-
vie, et qui, en se donnant et se dépensant elles-mêmes dans
toutes les sphères de l’activité chrétienne, peuvent dire avec
l’apôtre : « L’amour* de Christ nous presse! » — Les temps
héroïques ne sont pas passés. Et à toutes, je voudrais crier :
« Soyez fermes en la foi; portez-vous vaillamment, fortifiez-
vous. Dieu n’est pas injuste pour oublier votre œuvre et le
travail de la charité. Ne vous relâchez point en faisant le
bien, car vous moissonnerez en la propre saison si vous ne
devenez point lâches. »
Pourquoi faut-il un contraste à ce beau tableau? Contréxe-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
511
ville est un centre tout catholique, mais visité, pendant la
saison, par des protestants plus ou moins nombreux. Les
Anglais, qu’on y trouve comme partout, y ont leur chapelain
et leur église; — chapelle bien modeste, mais de bon goût,
et qui leur suffit. Là, ils' sont chez eux, et, en vérité, on ne
peut pas leur en vouloir s’ils sont un peu exclusifs. L’hospi-
talité a souvent quelque chose de gênant, et il faut de la
grâce, et même beaucoup, pour la pratiquer.
Nous aussi, protestants français, nous y avons un bon cha-
pelain, un de ces pasteurs évangéliques dévoués et aimés à
qui Ton voudrait pouvoir donner au moins une bicyclette,
pour épargner ses jambes et ses chaussures. Mais on rougit
en pensant que nous n’y avons pas même une chambre où
nous puissions paisiblement adorer Dieu et écouter sa Pa-
role. La salle de la commune, un pauvre taudis, est bien là
quand on ne s’en sert pas. Mais pour y arriver, il faut du
courage pour fendre son chemin à travers les foules attirées
par les saltimbanques, et il faut une puissance peu commune de
concentration et de recueillement pour entendre le son subtil
de l’Évangile au milieu de la musique étourdissante de la
foire sous les fenêtres. Qui remédiera à cet état de choses si
déplorable? Qui en prendra l’initiative? On dit qu’il faut
12 ou 15,000 francs.
Ma cure faite, ma feuille de route était signée pour Rothau,
une vraie constellation de familles chrétiennes, un foyer ar-
dent de vie et d’affection. Nous tombons là au milieu d’amis
de vieille date et passons deux de ces journées qui rappellent
les joies glorieuses du Thabor. C’est surtout la vie chrétienne
qui fait le thème de nos entretiens et de nos méditations, —
et ces cantiques, admirables d’exécution, retentissent encore
dans mes souvenirs comme les échos de l’harmonie du
ciel, où nous chanterons bientôt le cantique nouveau. Ah 1
que ce sera beau! Le cœur en bondit de joie... Là, plus
d’efforts, plus de désaccords, plus de voix fausses, plus
de cœurs hors de ton! Heureux les coryphées! heureux
les privilégiés qui toucheront les harpes d’or!... Nous avons
512
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
abondamment reçu à cet Élim et l’avons quitté rafraîchis et
fortifiés. Deux jours de chemin de fer. Nous passons, comme
à tire-d’aile, à travers la Suisse ; nous visitons Milan, effleu-
rons Turin, et nous débarquons à Saint-Jean ! En voilà du
chemin en deux jours ! Quel temps aurions-nous mis avec nos
lourds chariots africains et nos bœufs!
Un chrétien, moins encore qu’un homme du monde, ne
voyage pas les yeux fermés, surtout dans de tels pays. Un
prince du ciel qui se promène dans les vastes domaines de
son Père! Mais son cœur, son âme, son être tout entier s’épa-
nouit; il s’abreuve et s’enivre d’admiration en présence des
œuvres de Celui qui a daigné faire de lui son fils et son héritier.
Satan disait au Seigneur, en lui montrant tous les royaumes
du monde et leur gloire : « Je te donnerai toutes ces choses,
si... ». Ah ! le père du mensonge, l'imposteur ! il avait l’au-
dace d’offrir ce qui ne lui appartenait pas ! Une voix, la vérité
même, retentit partout dans la nature, et me redit ce que le
Dieu qui m’a aimé y a partout inscrit : a Si vous êtes fils , vous
êtes héritiers; héritiers, dis-je, de Dieu, et co-héritiers de
Christ. Toutes choses sont à vous! »
Et le génie de l’homme, cette étincelle de la divinité, il
nous confond, nous, enfants du désert, par les merveilles
qu’il va multipliant et perfectionnant. Chaque victoire rem-
portée sur la nature, chaque invention, l’inspire d’une ardeur
nouvelle et lui arrache ce cri que de tous côtés les échos ré-
pètent à l’envi : Excelsior ! Plus haut ! oui, plus haut encore!
Plus haut toujours! Jusqu’où?... Plût à Dieu que ce ne fût
que pour le bien de l’humanité, pour développer ses connais-
sances, ses ressources et ses jouissances, et non pour s’entr’é-
gorger plus scientifiquement, et avec plus de précision, avec
des frères que Dieu a créés du même sang, et pour lesquels
Jésus-Christ a donné sa vie.
Mais, pardon. Nous arrivons à onze heures du soir au pres-
bytère de Saint- Jean. La lettre qui nous annonçait n’arrive
qu’un jour après nous. Le service postal de par ici vaut pres-
que celui du Zambèze. On ne nous attend donc pas à celte
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513
heure indue; mais nous n’avons pas besoin d’être importuns
pour nous faire ouvrir la porte. Et l’ardente affection de nos
amis nous fait tout oublier et donne des ailes aux quelques
jours passés avec eux. Jours bien employés : c’est une vente
d’abord organisée et faite par des jeunes filles qui portent gra-
cieusement le costume vaudois, et gracieusement aussi vous
offrent les produits de toute une année de leur travail. Je ne
m’étonne pas que cette vente ait doublé le produit qu’on en
espérait. L’évangélisation de l’Italie et l’évangélisation du
Zambèze, deux sœurs, la main dans la main, en bénissent
ensemble Dieu tout d’abord et ces chères jeunes filles aussi.
Puis les visites, les dîners, où l’on fait au cercle de la famille
une large place au Zambèze, puis les réunions au grand
temple où l’on est accouru même de loin. Il n’y a pas de glace
là, je vous en réponds.
Et quelle joie de se revoir avec ces bons Louis Jalla! C’est
le Zambèze en Italie. Que de changements depuis notre sépa-
ration àKimberley. Pour eux, je suis un ressuscité, un mi-
racle de la bonté de Dieu. Pour moi, ils sont comme des anges
de Dieu dont je ne me lasse pas de contempler les visages.
Ils se sont déjà fait du bien dans ce milieu de chaleur et de
vie. Je n’ai rien à leur envier. J’ai déjà ma part, et je l’aurai
plus forte encore, de cette surabondance de bonnes choses.
D’un pas, nous sommes à La Tour. Ce n’est certes pas l’indi-
gence ni une économie sordide que l’on trouve à l’hôtel des
Appia. C’est un festin intellectuel et spirituel pour le cœur et
l’esprit de chaque jour et de chaque instant. De fait, on rit
plus aux Airals Blancs en un jour qu’en une année au Zambèze.
Puis c’est le synode qui s’ouvre solennellement, le 7, par une
prédication, malheureusement en italien. Pour moi, il faut
bien l’avouer, et probablement aussi pour beaucoup d’autres,
c’est la mouche dans le parfum. On s’est étonnamment italia-
nisé depuis quinze ans. Nous qui sommes si chauvins, n’en
faisons pas un crime à nos cousins germains. Mais moi qui
vénère, trop peut-être, les traditionsdu passé, je m’en attriste,
pourtant je n’en puis mais.
37
514
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
La journée du jeudi, le 10, est, pour le public la plus
intéressante de toutes. C’est la réception des délégués étran-
gers. Ils sont peu nombreux, depuis que la langue fran-
çaise a passé à barrière-plan . Les Églises presbytériennes
d’Angleterre, les églises libres d’Ecosse et de Suisse y sont
dignement représentées. Mais le Zambèze aussi, et on lui
fait la part large. Il le fallait, car M. Bertrand est là qui parle
en explorateur impartial , mais qui trahit bientôt à son insu
l’affection qu'il a vouée à l’œuvre et à ses ouvriers. Et puis Louis
Jalla est là, c’est un enfant des vallées. Quand on voit tous
ces yeux braqués sur lui, ce monde suspendu à ses lèvres et
ces visages tout illuminés, on sent comme un courant élec-
trique qui vous gagne, et je partage cordialement l’orgueil-
leuse et légitime satisfaction qui semble dire : « Celui-là, au
moins, c’est le nôtre ! » Comme consolation, le vénérable mo-
dérateur me dit que moi aussi les Églises vaudoises m’ont
adopté, que chez elles j’ai droit de cité. Je ne puis pas de-
mander plus, mais je ne puis pas désirer moins.
Il faut pourtant bien le confesser. J’éprouve du malaise, vous
direz que c'est mal, mais un sentiment de jalousie pour les
Églises de ma patrie me tourmente. En 1881, lors de ma pre-
mière visite aux Vallées, on s’intéressait médiocrement aux
missions. Le vénéré pasteur de Turin, feu M. Meille, disait :
< < Ah ! si seulement un courant missionnaire pouvait s’établir ! »
Eh bien, ce courant, Dieu l’a établi. Il a réchauffé les cœurs,
réveillé les consciences, délié la bourse des pauvres et des
riches. Des pères et des mères n’ont pas hésité à mettre leurs
fsaacs sur l’autel... Depuis lors, ces Églises, qui ne sont pas
riches, certes., ont envoyé neuf de leurs fils et de leurs filles en
mission, dont au Zambèze sept ! Et celles de France, un seul,
votre serviteur !~. Et quand, dans ces vallées vaudoises, je
vois de ces jeunes filles et de ces jeunes gens brûlant d’impa-
fience de s’enrôler avec nous, et que je vois leurs pères et
leurs mères joyeux et se sentir honorés que Dieu leur de-
mande le fruit de leurs entrailles... je ne me sentirais pas
ému à jalousie et je n’aurais pas de douleur au cœur en peu-
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2? | V
OlO
sant à ma chère patrie !... Il ne faudrait plus être Français.
Elles étaient bien chaleureuses et bien vivantes les diverses
réunions que nous eûmes, tant pour le public en général que
pour les écoles, pour les jeunes filles, pour les jeunes gens
en particulier.
11 fut surtout bien solennel, ce service où notre jeune frère
Coïsson fut mis à part pour le saint ministère. Vous en avez
parlé dans le dernier numéro du journal (je continue ma
lettre le 6 octobre); donc cela suffit. Que je dise pourtant
combien j’ai été frappé d’entendre M. Appia, avec l’autorité
que lui donne sa longue expérience, mettre l’accent sur ce
qui fait la force motrice de tout ministère joyeux et béni :
pour lui plaire! 'plaire à Jésus! Quelle vision humiliante nous
avons eue, nous autres, qui ne sommes plus jeunes, d’un
ministère terni par tant de misères, paralysé par tant d’in-
fidélités ! Quels horizons ouverts devant nous, devant ce
jeune frère à l’entrée de sa carrière ! Lui, nous initiant au
développement de sa vie spirituelle et de sa vocation, nous a
laissé l’impression que c’est un conscrit de la bonne trempe
qui gagnera sûrement ses épaulettes.
Il faisait bon se trouver là avec M. et madame Weitzec-
ker, un trait d’union si puissant entre les Églises de langue
française, le Lessouto et la mission zambézienne. Mais voir
des amis auxquels je dois tant, ça ne suffisait pas. Il fallait
passer avec eux deux jours dans leur paisible presbytère du
Pomaret, deux jours à causer à cœur joie du Lessouto et de
ce Léribé qui leur est cher comme à moi. Il fallait aussi en-
semble plaider au temple la cause du Zambèze, pour laquelle
les Weitzecker ont personnellement fait de vrais sacrifices.
Cette visite est trop courte.
Du Pomaret, c’est à Turin que nous allons.
On dit que tout le monde est dispersé à la campagne. On ne
le croirait pas à voir l’assemblée du dimanche matin et l’em-
pressement que les amis mettent à nous souhaiter la bien-
venue. Ce dimanche-là est un vrai jour de fête.
L’heure du départ sonnée, nous roulons sur la voie ferrée,
0 16
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
passons un jour à Genève où notre infatigable ami M. Bertrand
nous fait les honneurs de l'exposition de son musée. Puis, après
quelques heures de voyage de plus, nous tombons à Sainte-
Croix, au milieu d’une réunion d’étudiants, un peu ahuri
pour ma part et ne sachant trop que dire. Le soir, il faut
encore prendre une petite part à une nombreuse assemblée
missionnaire où Coumassie donne la main à Lorenzo-Marques,
embrassant à la fois Lessouto et Zambèze.
Heureusement que les cœurs y sont chauds, car il fait froid
là-haut. Il y pleut, il y neige même ; aussi avons-nous hâte de
gagner Genollier, une de ces retraites que certainement les
Chartreux et les Trappistes nous envieraient s’ils la connais-
saient. Au milieu de la pluie, le soleil nous a souri un mo-
ment pour nous faire contempler dans toute leur beauté
les Alpes couvertes de leur manteau de neige. Ce Béthanie
que le Seigneur a embelli pour nous de sa présence, ce n’était
donc pas une prison. Nous nous y sommes retrempés, nous y
avons été bénis.
Depuis que j’ai commencé cette lettre, j’ai quitté cette belle
retraite et me voici en Angleterre pour un mois. La plume me
démange pour vous étaler quelques-uns des rayons de mon
miel; vous parler de telle école du dimanche, où 17 fr.
distribués en 10 cent, à chaque élève, ont produit en une an-
née la somme de 600 francs! — de cette femme qui, je le sais,
se compte parmi les « petits » et qui donne tout le fruit de
ses économies « pour l’envoi des quinze ! — des enfants de
telle et telle famille, d’humbles servantes qui font des sacri-
fices semblables, aussi « pour les quinze! » — de ces dames qui
s’émeuvent de la position de nos bien-aimés du Zambèze et
s’ingénient pour trouver le moyen de les ravitailler...
Mais non, ce serait de l’indiscrétion ; le Seigneur le sait,
cela suffît. Ce ne sont, direz-vous, que les « cinq pains et les
deux poissons ». Oui, mais dans sa main et avec sa bénédic-
tion ils se multiplieront pour nourrir les multitudes, et il en
résultera encore « douze corbeilles » de miettes qui seront
votre festin et le nôtre.
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517
En terminant, voici enfin un courrier du Zambèze. Les nou-
velles! elles me donnent le mal du pays. Ce sont, à l’ouest, les
envahissements des Portugais qui disputent à Léwanika une
partie de son territoire; au sud, ce sont les menaces des Ba-
Tawana du lac Ngami; et à l’est, l’invasion des Matébélés,
dont larumeur sème jusqu’à Léaluyi l’épouvante etla panique.
Ce sont les défections qui affligent nos amis, mais sans les
abattre, car le triage ne peut que faire du bien en révélant le
bon grain. C’est la fièvre aussi qui a mis la vie de quelques-
uns de nos frères en danger. Ce sont des tombes qui se creu-
sent aussi là-bas. Nous nous saluions avec frère Goy il n’y a
que quelques mois a Séshéké, lui jeune encore, fort et bien
portant, moi, à vues humaines, usé et presque mourant. Lui
n'est plus. Dieu l’a pris à Lui. De lui, il ne nous reste plus
que le souvenir de sa vie, de son développement spirituel et
de son activité; plus que sa tombe pour nous rappeler qu’il
faut «travailler pendant qu’il fait jour... que la nuit vient!... »
Et puis, c’est un autre ouvrier du Seigneur dont j’admirais
la force et la santé, et ses rares aptitudes d’un caractère tout
pratique. Il était un homme taillé pour être, sous un bon chef,
un pionnier de première trempe, un homme que j’ai estimé
et aimé, et qui avait la direction d’une œuvre à laquelle nous
nous sommes associés de tout cœur dans la mesure du possi-
ble. C’est M. Buckenham, de la Mission des méthodistes primi-
tifs chez les Mashikulomboe. Il est tombé, lui aussi!... Après
sept années d’une vie zambézienne peut-être plus rude et plus
dure encore que la nôtre, abreuvé d’épreuves, il reprenait
enfin, malgré lui, le chemin de la patrie avec sa femme. Il arri-
vait à Kazungula où soit faiblesse, soit surtout le manque de
moyens de locomotion, il dut forcément s’arrêter. Deux mois
après il y rendait le dernier soupir. Sa femme, malade elle-
même, et déjà si éprouvée par la mort de son unique petite
fille qui était le centre de sa vie, est là comme notre chère
madame Goy, attendant pour quitter le pays que les commu-
nications de roulage se rétablissent. Ah! ces tombes, quel
appel solennel à notre jeunesse chrétienne! Le Seigneur crie :
518
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
« Qui enverrai-je? » Le poste le plus difficile n’est-il pas le
poste d’honneur? Ou bien, dites : l’héroïsme n’est-il réservé
exclusivement que pour le carnage du champ de bataille?
Serait-il banni du service du Prince de la paix? Voilà une des
forteresses de Satan que nous assiégeons. Ceux qui sont sur *
la brèche succombent, tombent les uns après les autres. Qui
donc va accourir pour ramasser leurs armes^ renforcer les
rangs de ceux qui luttent encore, et monter à l’assaut ?
Ces tombes, pour ma part, c’est le bruissement des ailes
de la mort. Il a passé près, tout près, et j’ai frémi. Il revien-
dra; le temps est court. Mon Dieu, garde-moi de la tristesse
qui abat et du découragement qui paralyse! Donne-moi de
me fortifier toujours plus en toi et d’entonner encore le chant
du triomphe et de la louange !
Plus que vainqueurs ! telle est notre devise.
A vous de cœur,
F. Coillard.
MADAGASCAR
Le retour de M. F. H. Krüger. — M. Lauga au Betsiléo. —
Heureuse traversée et arrivée de M. Escande à Tamatave.
i
M. Krüger est de retour à Paris depuis quelques jours, en
très bonne santé. Les amis des Missions, présents à la séance
de rentrée de notre Maison, ont eu le bonheur de le voir et
de l’entendre. Le Comité, à son tour, va le recevoir et s’entre-
tenir avec lui dans une séance extraordinaire fixée au 26 oc-
tobre (1) 11 serait prématuré, avant cette séance, de résumer
(1) Lors de la séance ordinaire d’octobre, qui a eu lieu le 12, M. Krü-
ger était absent.
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519
les impressions de notre délégué, ou de formuler les propo-
sitions qu’il rapporte. Ce que nous pouvons dire, cependant,
sans crainte de nous tromper, c’est d’abord que l’œuvre qui
doit nous être confiée sera considérable, plus, sans doute,
%
que nous n’aurions pensé d’abord; et c’est, ensuite, que cette
œuvre sera difficile et mêlée d'amertumes. Il est inutile que
nous insistions sur ce point ; les expériences de ces derniers
mois l'ont suffisamment mis eu lumière. Ne nous en affli-
geons d’ailleurs pas outre mesure. Difficile ou facile, le devoir
est le devoir. Voir la tâche qui nous est réservée, et, cette
tâche discernée, l’accomplir bravement, sans nous préoccuper
des calomnies, des critiques, des commentaires des uns ou
des autres, telle doit être, particulièrement en ce qui touche
Madagascar, notre ligne de conduite. Que Dieu nous y aide !
Les deux derniers courriers ne nous ont apporté aucune
lettre de M. Lauga. Le fait était prévu et tient à ce que notre
délégué a pu donner suite à son projet de partir pour le
Betsiléo, sous escorte, à la date du 14 août. Nous ne savons
rien non plus de la date de son retour en France. Nous lui avons
demandé, conformément au vœu exprimé par tous ceux qu’in-
téresse l’œuvre de Madagascar, de prolonger autant qu’il le
pourra son séjour, même après l’arrivée de M. Escande. Il serait
d’un haut intérêt et d’une grande utilité pour notre œuvre que
M. Lauga, après avoir été en relation avec la première admi-
nistration envoyée dans l’ile, fit aussi la connaissance du
nouveau résident et pût lui présenter lui-même M. Escande.
En attendant que nous possédions le récit de la visite de
M. Lauga à la mission norvégienne, nous sommes heureux
de pouvoir citer ici les lignes suivantes, dues à la plume d’un
de nos résidents coloniaux qui a été à même de voir de
près l’attitude excellente de cette mission et de lui rendre
le témoignage qu’elle mérite. Nous les empruntons à une
lettre de cet administrateur à M. Viénot, dont il a fait la
connaissance personnelle en Océanie, et auquel elles ont été
remises par un missionnaire norvégien, M. Rosaas, lors de
son récent passage à Paris :
520
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
« Antsirabé, le 30 juin 1896.
« Cher monsieur,
« M. le révérend Rosaas vous présentera ce mot, et je me
réjouis pour notre amitié d’introduire auprès de vous un
homme tel que M. Rosaas. Il est des vôtres par la religion,
par le cœur et par l’expérience des choses; je n’ai rien de
plus à dire pour qu’il vous soit agréable et pour me justifier,
mais ce que je tiens que vous sachiez avant tout, c’est que
M. le révérend Rosaas et toute sa famille ont été pour moi, et
pour tous les Français à Antsirabé une véritable providence;
que, depuis plus d’un mois, sa maison est la nôtre, dans les
conditions les plus embarrassantes pour lui, et que, malgré
toutes nos mésaventures, sa parfaite amabilité nous a donné
l’illusion de nous trouver à notre aise comme si de rien
n’était. M. Rosaas vous contera lui-même les événements qui
m’ont rendu son obligé après avoir été l’admirateur de son
œuvre. Je ne pense pas qu’il me soit possible de mieux témoi-
gner ma gratitude à M. Rosaas qu’en vous l'adressant. Il va
en France recruter des instituteurs capables d’enseigner le
français dans ses écoles. Vous rendrez un grand service au
résident du Vakinankarata en aidant M. Rosaas dans son
entreprise, et la cause française vous devra un service de
plus... »
Si nous sommes sans nouvelles de M. Lauga, en revanche
nous avons la bonne fortune de communiquer à nos lecteurs
la lettre suivante de M. Escande, heureusement arrivé à Ta-
matave le 15 septembre dernier :
A bord de Ylraouaddy, le il septembre 1896.
Cher Monsieur Boegner,
Notre voyage touche à sa fin. Demain, nous verrons la
grande île. Ce n’est pas trop tôt. Je brûle d’envie de mettre
pied à terre. Il faut dire aussi qu’une semblable traversée à
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
521
ce moment-ci de l’année est toujours éprouvante. La mer
Rouge a tenu à justifier la terreur qu’elle inspire. La chaleur
y a été accablante, même pour un vieux Sénégalais comme
moi. Jugez de ce qu’ont souffert ceux qui, pour la première
fois, voyaient les tropiques! C’est à ce point qu’un passager
de première classe a succombé à une congestion pulmonaire,
juste au moment où le plus dur était passé, — c’est-à-dire où
nous jetions l’ancre devant Djibouti, — et que deux autres,
un sergent de la légion étrangère et un gendarme à destina-
tion, l’un, de Madagascar, l’autre, de la Réunion, ont failli,
eux aussi, être suffoqués. On s’étonne seulement que les ac-
cidents n’aient pas été plus nombreux avec ces trois cent
vingt soldats de la Légion étrangère entassés les uns sur les
autres un peu partout, sur le pont, dans l’entrepont, dans la
cale, et se disputant, — au moins dans la mer Rouge, — le
peu d’air respirable.
Depuis que nous avons doublé le cap Gardafui, la chaleur
a diminué, mais, pendant deux jours, la mer a été si houleuse
que presque tous les passagers ont été sur le flanc. Encore,
aujourd’hui, il me faut faire un grand effort pour tenir ma
plume et rassembler mes idées. J’espère qu’une fois dé-
barqué, cela ira mieux.
J’ai mentionné en passant les soldats de la légion étran-
gère qui vont renforcer la colonne de Madagascar et y réta-
blir la sécurité. Je me suis beaucoup occupé d’eux pendant
ce voyage. Je leur ai distribué un tas de brochures dont je
m’étais abondamment pourvu au départ. Quelques-uns même
ont désiré que je leur prête de mes livres à moi. Justement
j’en avais deux qui ont admirablement fait leur affaire. Ce
sont les Extraits de Talmage , et un recueil des Questions vi-
tales, de Frank Thomas.
J’ai également cherché à lier connaissance avec quelques-
uns de mes compagnons de route. Ce sont, je crois vous
l’avoir déjà dit, des officiers, cinq ou six fonctionnaires, et un
nombre à peu près égal de commerçants, qui se rendent
comme moi à Madagascar; une colonie de créoles qui re-
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
522
tournent à la Réunion; enfin, une demi-douzaine d’Anglais
qui vont rejoindre leurs postes à File Maurice.
... J'espère que RL Lauga aura su mon arrivée à temps
pour m’envoyer ses instructions à Tamatave. Nous serons
toute une caravane pour faire la route jusqu’à Tananarive, et
comme les légionnaires nous serviront d’escorte, nous voya-
gerons en toute sécurité, d’autant plus que le général Gai-
lieni aura passé par là avec ses troupes.
Ai-je besoin de me recommander à vos prières et à celles
de l’Église? A mesure que j’approche du terme du voyage, je
sens plus vivement la difficulté et la délicatesse de la mission
qui m’a été confiée. C’est sur Dieu que je compte pour l’ac-
complir jusqu’au bout. 11 a fait des promesses, des promesses
positives, certaines. Par la foi, je m’en empare pour qu’il les
réalise à mon égard et à l’égard de son œuvre de Madagascar.
Mardi , 15 septembre. — Me voici débarqué. Quelle joie!
Sur la rade de Tamatave, une foule de curieux blancs et
noirs, venus, les uns pour examiner les nouveaux arrivants
ou recevoir quelque collègue, les autres pour offrir leurs
services. Les hôtels regorgent; on finit pourtant par me
trouver une pièce à peu près convenable où, moyennant que
je ne sois pas trop exigeant sous le rapport du couchage et
du lavage, je ne serai pas trop mal. Cela manque surtout de
propreté. Heureusement, ce n’est que pour deux jours. —
Bien que, au point de vue de la végétation, nous soyons ici au
plus mauvais moment de l’année, il y a de la verdure partout,
sur les arbres et dans les jardins. En passant, je reconnais
un certain nombre d’arbres du Sénégal : le filas, le caout-
chouc, l’acacia, le tamarinier, le papayer; mais ceux d’ici
sont plus fournis, plus élancés : ou voit que les pluies doi-
vent être abondantes.
Une activité extraordinaire règne dans la ville. Cela tient à
ce qu’étant le point où atterrissent les bateaux, le commerce
y est très prospère. Durant ces dix dernières années* les bou-
tiques de toute espèce ont surgi comme par enchantement.
On y trouve de tout, mais que c’est cher! Un des grands
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
523
avantages de Tamatave sur Saint-Louis, c’est qu’à Tamatave
on a de la place tant qu'on veut. On peut donc avoir des jar-
dins spacieux, de vastes vérandahs bien ombragées, des rues
larges et coupées à angles droits, — au moins dans le quar-
tier européen. N’était le sable dans lequel on patauge affreu-
sement, ce serait un endroit charmant.
Une des curiosités de la ville ce sont assurément les
« bourjanes », ou porteurs, qui se poursuivent de rue en rue
par bandes à la recherche de clients. C’est avec eux que j'au-
rai affaire dès demain. Ils doivent venir à huit heures pour
ficeler mes caisses, préparer la filanzane et les provisions du
voyage. A deux heures de l’après-midi, Dieu voulant, nous
nous mettrons en route pour la capitale. M. Bang s-est mis à
ma disposition pour me faciliter mes préparatifs, et^ comme
c'est un homme expert en la matière, j’ai bon espoir que rien
ne viendra contrecarrer mes projets. — J’avais d’abord pensé
suivre la légion étrangère, ce qui me paraissait être une
garantie de sécurité. J’y ai renoncé ; voici pourquoi : les sol-
dats ne devant faire que des étapes de douze kilomètres, il
m’eût fallu vingt- cinq jours pour atteindre Tananarive. J’ai
préféré me joindre à un jeune commerçant avec lequel j’ai
fait connaissance sur le bateau. D’ailleurs il est possible
que nous trouvions en route d’autres caravanes. Je pars
sans me dissimuler les dangers du voyage. Plus que jamais
les bandes de brigands font parler d’elles. On dit aujourd’hui
même que ces terribles Fahavalos viennent de brûler un'vil-
lage important dans le nord de l’île. Les rebords du haut pla-
teau sont toujours très troublés. Ce qui me rassure, c’est que,
d’étape en étape (à partir de la troisième), nous aurons une
escorte fournie par le gouvernement. Ce qui me rassure sur-
tout, c’est que l’Éternel règne, et que pas un cheveu de ma
tête ne tombera à terre sans sa permission.
Ce matin, à la première heure, j’ai vu entrer chez moi le
révérend Houlder de laL. M. S., qui, informé de mon arrivée,
venait me saluer. Que c’est doux, après des semaines et des
semaines pendant lesquelles on n’a entendu proférer que des
oU
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
paroles de mépris ou de haiue contre les indigènes, d’enten-
dre enfin parler d’eux avec amour. 11 m’a raconté les péripé-
ties de son œuvre. Il m’a dit comment, après avoir obtenu des
succès missionnaires, réussi à grouper une assez forte con-
grégation et fondé une école prospère, la guerre était survenue
qui avait dispersé son troupeau, fermé son école, et tué son
évangéliste noir ; — comment, depuis lors, il cherchait à
rassembler ses membres épars — (il n’en a plus qu’une
soixantaine), sans même qu’il ait le privilège de les réunir
dans son église transformée depuis deux ans en caserne. Que
dis-je? même sa maison d’habitation a été saisie et livrée
aux troupes, tandis que la maison d’école de la S. P. G. est
occupée par la gendarmerie française.
Est-il besoin de vous dire que pendant ce temps les jésuites
jouissent à leur aise de leurs bâtiments religieux et scolaires?
Chez le révérend Houlder je trouvai deux autres mission-
naires de la même Société : le révérend Richardson, le direc-
teur de l’École normale de Tananarive, je crois, qui attend
que le pays soit pacifié pour rejoindre son poste, — et le
révérend Wilson, qui a longtemps vécu dans la province
d’Antsihanaka, et que l’insurrection a forcé de fuir. Tous les
temples anglais de cette province, moins un, ont été brûlés,
les stations ont été ravagées, les missionnaires ont dû cher-
cher refuge soit dans la capitale, soit sur la côte. Il n’y a plus
là maintenant que des ruines. Que c’est triste! M. Wilson est
ici, attendant des instructions de sa Société, mais profondé-
ment découragé, ses collègues aussi, découragés moins
encore par l’incendie et le meurtre que promènent partout
les Fahavalos, que par les vexations auxquelles ils sont en
butte
Quelques lignes de M. Lauga m’apprennent qu’il est en ce
moment dans le Betsiléo et qu’il ne rentrera à Tananarive que
vers les derniers jours de septembre; il est donc probable
que j’arriverai une semaine avant lui, mais il a pris ses dis-
positions pour que je sois reçu dès que je mettrai le pied
dans la capitale.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
525
C’est de ce dernier endroit que j e vous enverrai ma prochaine
lettre. Que Dieu lui-même m'y accompagne sain et sauf et
qu’il me donne d’y glorifier son saint nom et d’y bien servir
sa sainte cause.
Tout à vous de cœur,
B. Escande.
LESSOUTO
PROGRÈS ET BESOINS DE L’HEURE ACTUELLE
La caisse centrale. — Une nouvelle École industrielle. — Les
hommes qu’il faut au Lessouto.
Il y a un mois, nous publiions les encourageants résultats
du travail de notre Ecole normale de Morija, que M. Dyke,
après le regretté docteur Casalis, dirige avec tant de dévoue-
ment. Depuis lors, nous avons reçu d’autres nouvelles éga-
lement bonnes et propres à nous montrer, sous quelques-uns
de ses aspects actuels, la situation de la tribu à laquelle nos
Églises s’intéressent depuis si longtemps (1).
M. Kohler nous envoie les comptes de la Caisse centrale
pour le premier semestre de l’année 1896. On sait que cette
Caisse centralise les contributions des Églises et sert au paie-
ment des évangélistes et des pasteurs indigènes. Elle est donc
un des instruments indispensables de l’autonomie progressive
de ces Églises, une des conditions de sa croissance normale.
Or il résulte de la lettre de M. Kohler que, pendant cette nou-
(1) Signalons d’abord la reconnaissance unanime de nos mission-
naires pour la visite que leur a faite M. Krüger, revenant de Mada-
gascar. Leur seul regret a été que le séjour de notre ami parmi eux
fût si court. Il ne leur a pas moins apporté un encouragement et une
joie dont ils expriment leur profonde gratitude.
526
JOURNAL DES FISSIONS ÉVANGÉLIQUES
velle période de six mois, l’institution que la sollicitude de
nos missionnaires a réussi à créer au Lessouto a fonctionné
admirablement. Les Églises ont contribué dans la mesure de
leurs ressources et en conformité avec les prévisions des
administrateurs de la caisse. En tenant compte des dons
spéciaux, toujours bienvenus, faits en France, en Suisse et
ailleurs pour les évangélistes du Lessouto, du produit des
collectes organisées par les Comités auxiliaires d’Angleterre
et d'Ecosse, et d’offrandes recueillies dans l’Afrique australe,
les ressources de la Caisse centrale ont atteint, pendant le
premier semestre 1896, la somme de 23,758 fr. 60. Les dé-
penses n’ayant pas atteint ce chiffre, le nouveau semestre a
pu être abordé avec une encaisse de 3,894 fr. 45.
Après nous avoir signalé ces chiffres encourageants,
M. Kohler ajoute : « Il ne faudrait pas en conclure qu’il en
sera de même pour le semestre actuel. Vous pouvez voir que
par l intermédiaire de M. Dyke la caisse a reçu 5000 francs
d’Ecosse. Cet envoi ne se renouvellera pas cette année.
« Le semestre actuel est plus chargé que le premier; en
voici les raisons : il y a quatre pasteurs indigènes qui n’ont
reçu qu’un trimestre dans le semestre passé, n’étant entrés
en fonctions qu’en avril, et ils recevront le semestre actuel
en entier; de plus, certaines allocations faites par le gouver-
nement à nos écoles ont été supprimées, ces écoles n’ayant
plus le nombre d’enfants réglementaire. Pour leur venir en
aide, la caisse fait une allocation plus forte à ces annexes.
Voilà les deux principales raisons de l’augmentation de dé-
penses pour le semestre actuel.
« Quant aux recettes, elles ne seront pas augmentées, du
moins ici, puisque les cotisations de nos Églises sont les
mêmes que pour le semestre passé. — Néanmoins, pour peu
que les amis de l’œuvre nous aident, nous pourrons, pour le
semestre présent, joindre les deux bouts. Je ne saurais vous
dire combien nous sommes reconnaissants envers tous nos
amis qui nous ont assistés dans le passé et envers le Comité
qui, l’année dernière, a comblé notre déficit. Quel souci de
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
527
moins pour la plupart des missionnaires de n'avoir plus à
collecter pour faire face aux besoins urgents de leur œu-
vre! » (1)
Nous apprenons par M. Jeanmairet, secrétaire de la com-
mission exécutive de la Conférence du Lessouto, une autre
nouvelle qui réjouira les amis des missions, comme elle a
réjoui notre Comité.
Il y a un certain temps déjà, le chef Lérotholi avait
exprimé le désir de voir sa tribu dotée d’une seconde école
industrielle, celle que notre mission a fondée à Léloaleng
étant située trop loin du centre du pays pour suffire à tous
les besoins. Il ne pouvait être question pour notre Société de
créer elle-même cette nouvelle école; le moment est d’ailleurs
venu où les progrès de la tribu et l’intelligence croissante
qu’elle a des bienfaits de la civilisation doivent l'engager à
s’imposer des sacrifices qu’on n’aurait pu lui demander au-
trefois.
C'est ce qu’a compris le chef Lérotholi. Il a levé un impôt
sur tout le pays. Dès le 27 avril dernier, le produit s’élevait
à 45,000 francs, et, vers le milieu de juin, à 75,000 francs.
Après quoi, il s’est mis en rapport, soit avec l’administra-
tion, soit avec la conférence de nos missionnaires, sollici-
tant ses conseils et lui demandant de s’intéresser activement
à son entreprise. Il serait trop long de raconter en détail les
négociations qui s’en sont suivies. Bornons-nous à en dire le
résultat qui est profondément réjouissant pour notre mis-
sion : c’est que la direction de l’école lui a été offerte sans
qu’il doive en résulter aucuns frais pour notre Société. Notre
(1) Ajoutons qu’il résulte des dernières lettres reçues de l’Afrique aus-
trale que la peste bovine a maintenant franchi la limite sud du Trans-
vaal, qu’elle a fait son apparition dans l’État libre de l’Orange et qu’elle
menace le Lessouto; que, d’autre part, les sauterelles sévissent plus
que jamais dans le midi de l’Afrique et que la sécheresse y exerce de
nouveau ses ravages. On voit au milieu de quelles difficultés nos Églises
du Lessouto s’acquittent de leur tâche et combien notre aide et notre
sympathie leur sont précieuses.
528
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
seule obligation sera de fournir le directeur de l’école, et
celle-ci rentrera ainsi dans l’organisme scolaire rattaché à
notre mission, sans nous imposer aucune charge additionnelle.
Telles sont les propositions que nous a transmises la com-
mission exécutive de la Conférence. Le Comité n’a pu expri-
mer qu’un avis favorable à une combinaison qui présente
ce double avantage de montrer le prix qu’attachent à la ci-
vilisation et à l’instruction la tribu et surtout son chef, et
de laisser à notre Société la place dirigeante qu’elle occupe
dans l’éducation des Bassoutos. Il ne faut pas oublier, en
effet, qu’à côté de nos ouvriers on trouve, au Lessouto, des
catholiques et des ritualistes, et cependant Lérotholi a voulu
s’adresser aux Fora, aux missionnaires français, c’est-à-dire
à nous, pour diriger la nouvelle école industrielle. Cette fidé-
lité nous touche et nous honore : sachons la mériter.
Il ne faudrait pas croire cependant que tout fût pour le
mieux dans notre mission du Lessouto. Cette œuvre, si pros-
père à certains égards, souffre cependant d’un mal auquel
nous devons apporter toute notre attention. Ce mal, c’est la
blessure que lui ont faite, ces dernières années, la mort ou le
départ de plusieurs de ses ouvriers.
Les vides qui se sont creusés dans ses rangs ont laissé le
corps missionnaire affaibli, amoindri à ses propres yeux,
parfois découragé. L’œuvre suit sa marche normale, les
collectes, au moins dans le dernier semestre, ont été bonnes,
les examens ont abouti à de brillants succès; la mission
reçoit, des chefs de la tribu, des marques de confiance ; — et
cependant nos frères éprouvent le besoin d’étre encouragés et
fortifiés. Ce qu’il leur faut avant tout, Fun d’entre eux nous
le disait récemment encore, c’est un baptême nouveau de
l’Esprit de courage, d’espérance, de sagesse, de force; —
mais ils ont besoin aussi d’un renfort au sens ordinaire du
mot.
Il ne s’agit pas, bien entendu, de revenir en arrière, de
multiplier les postes des missionnaires européens, de renon-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
529
cer à faire appel, de plus en plus, aux forces indigènes. C’est
précisément cet emploi croissant de l’élément indigène qui
rend indispensable la présence d’un état-major européen aussi
bien constitué que possible. La mission a perdu en MM. Ma-
bille et Duvoisin des hommes de premier ordre, et c’est de
tels hommes, d’hommes qui soient à tous égards, mais avant
tout, spirituellement et moralement, à la hauteur de la tâche
actuelle; d’hommes capables et qui soient, tout d’abord, des
hommes de Dieu, qu’elle a besoin maintenant.
Ces hommes, - il n’en faut pas un grand nombre, mais
nous croyons que deux au moins seront nécessaires. — Il
s’agit de les trouver, et, pour les trouver, il faut les de-
mander à Dieu. Lui qui nous a fourni, en même temps,
un Mercier pour le Zambèze, un Huguenin pour Raïatéa.
un Bolle pour le Sénégal, un Richard et un Faure pour le
Congo, nous refusera-t-il les hommes que réclame la mission
du Lessouto? N’est-il pas toujours le Maître de la moisson? Ne
nous a-t-il pas Lui-même exhortés à lui demander ces ou-
vriers qu’il connaît, qu’il a peut-être déjà choisis, et qui n’at-
tendent que son ordre pour s’offrir?
Un important courrier, allant du 28 mai au Ier juillet, nous
est arrivé du Zambèze. On verra plus loin, par des lettres de
MM. Ad. Jalla et Davit, l’état actuel de l’œuvre dans les
stations de la Vallée. Quant à la santé de nos ouvriers, les
nouvelles sont sérieuses en ce qui touche M. Davit, qui a été
gravement atteint et qui, à vues humaines, n’a dû son salut
ZAMBÈZE
UN NOUVEAU COURRIER
38
530
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
qu’à la sollicitude éclairée de ses collègues Jalla et Béguin.
M. Davit a dû être transporté de Séfula à Léaluyi pour y re-
cevoir les soins qu’exigeait son état. Il était alors si faible,
si inconscient même, qu’il garde à peine le souvenir de ce
voyage.
Par contre, M. et madame Béguin étaient bien portants,
ainsi que leur enfant. Voici ce que dit, à ce propos, M. Béguin,
dans une lettre datée de Nalolo, le 23 juin : « Pour ce qui est
de nous personnellement, grâce à Dieu, nous sommes très
bien, tant ma femme que notre enfant et moi-même. Cette
année-ci, nous avons eu très peu la fièvre, pas même une
fois par mois, et toujours de très courts accès qui ne nous
ont jamais empêchés de faire notre travail. Quant à notre
Marguerite, elle a une excellente santé, elle ne se porterait
pas mieux en Europe; elle est très développée... »
Plus loin, M. Béguin parle des regrets et de la tristesse
que lui cause la mort de M. Goy, ainsi qu’à tous nos mission-
naires.
« Quand vous recevrez ma lettre, vous aurez sans doute
déjà appris les mauvaises nouvelles de Séshéké. La mort de
M. Goy a été un coup terrible pour nous, car nous l’aimions
tous, et il occupait parfaitement la place d’un mission-
naire. Sa mort fait au milieu de nous un grand vide qui ne
pourra être comblé que par l’arrivée d’un nouveau collègue,
car M. Goy faisait toute l’œuvre d’un missionnaire; il ne lui
manquait que la consécration; et nous étions tous d’accord
qu’elle lui fût donnée; nous espérions que dans deux ans,
lors de son voyage en Europe, il l’aurait reçue... En atten-
dant, voilà Boiteux qui se trouve seul missionnaire pour les
stations du Bas; heureusement, il a pour l’aider mademoi-
selle Kiener et l’évangéliste John... »
De Kazungula, en date du 24 juillet, M. Boiteux nous in-
forme de la mort de M. Buckenham, chef de la mission mé-
thodiste, de passage sur la station, où, malgré les soins qui
lui ont été prodigués, il a été emporté par des vomissements
de sang provoqués, paraît-il, par un fexcès de fatigue. Notre
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
531
vive sympathie entoure sa famille et la mission à laquelle il
appartenait.
A LÉALUYI
Lettre de M. A. J alla.
Une année terrible. — Un douloureux courrier. — Épreuves di-
verses. — Il nous faut une phalange d’ouvriers. — Nouvelles
de l’œuvre.
Loatile, 28 mai 1896.
Cher Monsieur Boegner,
... Vous n’ignorez pas que le départ de M. Coillard et la
fondation de l’École évangélique ont plus que doublé notre
travail, et nous avons été des premiers à apprendre le deuil
qui a frappé notbe famille... A bien des égards, c’est une
terrible année que 1896.
Il a plu à Dieu de nous faire passer par le creuset. La même
poste du 9 courant qüi nous apporta la nouvelle du départ
de noire mère bien-aimée, nous jeta dans la consternation
par la nouvelle encore plus inattendue de la mort de notre
ami A. Goy. N’était que nous savons par l’expérience comme
par la foi que le Seigneur ne se trompe pas, mais qu’il fait
contribuer toutes choses au bien de ceux qui l’aiment et â
l’avancement de son règne, nbus auriohs été découragés et
abattus. Pourquoi, l’année même du départ du fondateur dé
là hiission et pendant le congé du plus ancien de ses collabo-
rateurs, pourquoi enlever à notre œuvre, à Séshéké, à sa
jeune femme, cet ami que nous étions si contents de senti*
dans le Bas? Pourquoi cette perte? Notre frère connaissait
très bien ta langue, il avait appris à connaître les Zattibé-
ziens, il avait acquis beaucoup d’expérience; cela nous avait
532
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
frappés pendant la dernière conférence... nous avions tous
beaucoup joui de lui... Pourquoi?... Nous le saurons un jour
et nous en bénirons Dieu; mais le ciel nous paraît sombre.
Cependant, quelle belle mort que la sienne, mort au retour
d’une tournée d’évangélisation, mort sous le harnais, mort
sur la brèche! Ce n’est pas lui que nous plaignons. Il l’a
quitté ce pays de fièvre, de légèreté, de corruption, de men-
songes, de larmes ; il est auprès de notre Sauveur ! Pauvre
madame Goy, veuve après six ans de mariage, et veuve au
Zambèze, loin de tous ses parents et de sa fille aînée et dans
l’impossibilité d’aller auprès d’eux! Nous espérons beaucoup
qu’elle consentira à venir attendre chez nous que le pays se
rouvre !
Voilà maintenant Boiteux seul missionnaire dans le Bas,
lui nouvellement arrivé et déjà aux prises avec les difficultés,
affligé des déboires causés par un grand nombre de renégats.
Il faudrait que Béguin ou moi pussions nous rendre à Sé-
shéké, mais impossible : il ne peut être question que nous
abandonnions nos stations. Cependant Boiteux ne peut être
laissé seul. Il faudra que Davit aille à notre place (1). De
toutes nos stations, c’est bien Séfula qui peut être le plus faci-
lement laissé entre les mains d’un évangéliste, surtout quand
cet évangéliste est un homme de confiance comme Pauluse.
Séfula est à portée tant de Nalolo que de Léaluyi, beaucoup
plus que Séshéké ne l’est de Kazungula. Notre brave Davit
semble prêt à partir. Nous sommes tristes de devoir si tôt
nous séparer de lui. Il faisait bon le sentir à Séfula et le voir
de temps à autre arriver à Loatile. Nous l’avons reçu le
7 courant. Je l’avais invité à aller avec moi à Libonda; l’état
de ma femme ne me permit pas de l’y conduire. Le pauvre
ami nous en revint le 12 après-midi, dans un état inquiétant,
épuisé par la fièvre, des vomissements et la dyssenterie. Il
ne put se relever que trois jours après, ainsi que ma femme.
(1) Ce plan n’a pu être exécuté à cause de la grave maladie de notre
frère.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
533
Nous avons passé par de mauvais moments : la station était
transformée en hôpital, des malades partout. Dieu en soit
béni! tout le monde est rétabli, sauf la femme d’un de nos
élèves évangélistes qui semble menacée d’ascite. Davit a été
le premier à reprendre ses forces. Quoiqu’avec un peu de
fatigue, il a présidé le culte de dimanche matin (le 17), avec
un auditoire de 320 personnes. Ses progrès pour le sessouto
ont été rapides depuis janvier, il ne fait que très peu de
fautes de grammaire, et son vocabulaire s’est passablement
enrichi.
30 mai.
Il y a trois semaines, nous avions entendu parler de la révolte
des Matébélés ; mais comme ce n’était que par des rapports
verbaux, nous en doutions un peu. Hélas! depuis lors on
parle de massacres... Comme nous bénissons Dieu de ce qu’ils
ne sont pas survenus quelques semaines plus tôt! C’est une
délivrance que le Seigneur a accordée à nos frères en voyage,
semblable à celle dont ils ont été les objets à leur départ de
Kazungula. Fussent-il partis un peu plus tard, ils n’auraient
pas trouvé de quoi former un seul attelage.
Et notre chère sœur madame Goy, quand la voie du Sud
s’ouvrira-t-elle? Et M. et madame Mercier?... Tout ce que
nous espérons, c’est qu’ils ont vu l’impossibilité de venir nous
secourir maintenant, et qu’ils ont été arrêtés en delà de
Mangwato. Surchargés de travail comme nous le sommes,
réduits en nombre, toutes les portes encore ouvertes devant
nous, nous n’avons pas d’espoir de renfort! Je frémis en pen-
sant que je suis à présent, au Zambèze, l’ainé de la Mission.
Une des leçons que le Seigneur veut nous enseigner c’est de
regarder toujours plus à Lui. Au milieu de nos afflictions
et de nos détresses il nous répète : « Ma grâce te suffît, ma
force s’accomplit dans ta faiblesse. »
Autre sujet de préoccupation : nos articles d’échange, nos
provisions de tous genres tirent rapidement à leur fin, et
nous ne pouvons compter ici recevoir quoi que ce soit dans le
534
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
courant de Tannée... Gomme nous sommes reconnaissants
pour les promesses du Sauveur!
Nous n’avons jamais eu un plus grand besoin des prières
des amis de cette mission. Elles nous sont assurées, n’est-ce
pas? Nous demandons au Maître de nous donner d’être fidèles,
« fidèles jusqu'à la mort ». Quand surviendra-t-elle? Notre
désir est de fournir une longue carrière, mais nos temps sont
entre les mains de Dieu. Nous ne nous serions pas douté que
la première fosse qu’on creuserait serait celle de notre frère
Goy. On n’a pas seulement à souffrir de la fièvre au Zambèze;
on peut y devenir invalide, comme notre cher M. Goillard et
le brave Waddell, on peut y mourir. Puissent les Églises être
fidèles! Ce qu’il nous faut, c’est une phalange de missionnaires
prête à entrer dans ce champ, dès que la porte en sera rou-
verte. Il faut combler les vides et aller de l’avant.
31 mai.
C’est notre dernier jour de correspondance, il faut clore.
Nous pensons beaucoup à vous tous ces temps-ci, avec sym-
pathie et prières, car nous savons bien qu’elle est lourde votre
tâche et que des soucis de toutes sortes ont pesé sur vous ces
derniers mois. Que Dieu vous soutienne, vous dirige et allège
en tous temps votre fardeau! Pauvre mission du Congo,
jeune et faible comme la nôtre, il a plu à Dieu de la faire
passer, elle aussi, par le creuset! Qu’il veuille lui-même rem-
placer les soldats qui tombent sur le champ de bataille!
L’œuvre ici nous semble depuis quelque temps stationnaire.
Je dirais même qu’il y a recul; le paganisme semble s’afficher
avec plus d’éclat. Tous les soirs nous sommes affligés
par le bruit des chants et des danses. La légèreté de nos
Zambéziens nous fait frémir ! Bien que nous ayons fait notre
possible pour que chaque dimanche il y eût un de nous au
campement de chasse, cependant cette vie de distractions
p’a pas manqué de nuire à l’œuvre de Dieu dans les cœurs.
Us sont rentrés à la capitale le 28 avril avec plus de pompe
que jamais. Le roi y était attendu par des marchands;
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
535
ceux-ci lui firent espérer qu’il commencerait bientôt à rece-
voir de la Compagnie les 50,000 francs annuels qu’elle lui
promit en 1890; ils offrirent de payer le caoutchouc 2fr. 50
la livre; ils promirent de lui amener toutes sortes d’objets...
Vous qui connaissez notre pauvre Léwanika, vous devinez le
reste: son cœur ne pensa plus qu’à l’argent et aux richesses
de toutes sortes. Il fallut les bruits de guerre, la menace
d’une invasion des Matébélés pour l’en détourner et lui rap-
peler sa faiblesse.
Cependant nous n’avons pas lieu de nous plaindre de la
fréquentation des cultes. Nous avons eu une moyenne de
275 auditeurs pendant ces derniers mois. Le nombre des
élèves de l’école s’est maintenu à une moyenne de 95 depuis
la réouverture (46); avant-hier ils étaient 114. Nos classes,
ainsi que les prières du malin, continuent à être fréquentées
par la plupart des professants. Malgré les moqueries des
païens qui ne les appellent plus guère que « les fous », ils
ont tenu bon jusqu’à ce jour. Que Dieu les garde!
Notre Ecole d" évangélistes nous a, elle aussi, donné des
soucis, ainsi que nous l’avions prévu en la prenant. Deux des
élèves ont déclaré, il y a quelques jours, être fatigués de leurs
études et vouloir rentrer au village, saisissant comme pré-
texte qu’ils ne pouvaient abandonner le tabac à priser. Moi,
disait l’un, fils de Ma-rotsé, ce que j'aime c’est d’aller et ve-
nir comme je l’entends, chasser ce que je veux et me reposer
quand cela me plaît. Quant à l’autre, nature renfermée, peu
appliqué à son travail, nous sentions depuis longtemps que
son cœur était ailleurs. Mais au village la réception qui leur
fut faite ne fut pas telle qu’ils l’avaient espérée ; le roi, très
vexé contre eux, leur fit dire : « Que venez- vous faire ici? Je n’ai
pas besoin de vous, » et ne daigna même pas s’entretenir avec
eux. Depuis lors ils couchent au village, mais viennent sou-
vent sur la station et y rôdent comme des âmes en peine. Le
fils des « Ma-rotsé», lui, n’a pas grand’chose à craindre delà
colère du roi; l’autre, pauvre esclave a eu vent que le roi se
propose de le châtier vertement et même de lui enlever sa
536
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
fiancée, une gentille enfant qui est chez nous. Il se déclare
repentant et me supplie chaque jour de le reprendre. Mais
j’hésite beaucoup, car je ne puis croire à un changement radi-
cal de son cœur. Les huit autres persévèrent, ils font des pro-
grès et semblent se plaire chez -nous. Ils se sont bien conduits
dans l’affaire de leurs anciens condisciples. Entourez-les avec
nous de sympathie et d’intercessions! qu’ils deviennent de
fidèles témoins du Sauveur auprès de leurs compatriotes !
Qui viendra nous rejoindre de la Maison des Missions?...
Je suppose que mon frère va jouir de quelques mois d’un
repos bien nécessaire, jusqu’à octobre ou novembre. Chers
amis! comme leur arrivée à La Tour, à notre maisonnette, a
dû être triste! Où devons-nous chercher M. Coillard? Com-
ment va-t-il? Comme nous espérons que Dieu exaucera à son
égard les prières de tant d’amis en lui donnant du soulage-
ment, en lui accordant le bonheur de pouvoir encore tra-
vailler pour le Seigneur!
Votre bien dévoué,
Ad. J alla.
SÉNÉGAL
L’ÉCOLE DES FILLES
Mademoiselle Buttner se trouvant, comme on sait, à Mont-
béliard, où elle refait ses forces épuisées, nous écrit les lignes
suivantes au sujet de son école :
a ... Je n'ai pas eu un grand nombre d’élèves : 6 internes,
3 externes pendant les premiers mois; 7 internes et 2 ex-
ternes à la fin de l’année scolaire. Les progrès généraux sont
assez satisfaisants, et l’examen de fin d’année est bien
meilleur que le précédent. Prise dans son ensemble, l’année a
été assez bonne. Je suis moins satisfaite de quelques-unes
de mes élèves, si je les juge individuellement.
« Panda (externe) n’est venue qu’à la condition expresse
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
537
qu’on ne lui ferait faire que de la couture et des ouvrages
manuels : pas de lecture ni d’écriture. Je suis obligée de
passer outre, ne pouvant pas m’occuper d’elle tout le jour.
L’influence morale que j’espérais exercer sur elle a été nulle
jusqu’à maintenant. Goundo, Marguerite Diop, Lydie ont fait
beaucoup de progrès dans leurs études et elles sont aussi
devenues plus habiles dans les ouvrages manuels et les tra-
vaux du ménage. Au point de vue moral et spirituel, Lydie
a une très mauvaise influence sur les deux autres, et j’ai
beaucoup de peine à agir sur elles. Lissa , Pauline , Emilie
sont de bonnes filles sérieuses et vraiment converties. Pen-
dant toute l’année, elles ont fait leur possible pour bien faire.
Emilie a quitté la maison au printemps pour entrer en ser-
vice dans une maison européenne.
« Charlotte mérite une mention spéciale. Après sept ou
huit mois d’absence, elle est revenue à la maison. J’ai beau-
coup hésité à la reprendre à cause de son mauvais caractère.
L’ayant admise de nouveau, je n’ai eu qu’à me louer de la
décision prise. Charlotte a fait de sérieux efforts pour chan-
ger et, une fois même elle est venue me dire qu’elle avait
donné son cœur à Jésus. Sa conduite des jours suivants a un
peu démenti ses paroles, mais je crois qu’un travail sérieux
se fait en elle. Dieu veuille que nous le voyions aboutir à une
conversion sincère et durable !
« En dehors de l’école, surtout pendant les derniers mois,
je me suis beaucoup occupée des soins à donner aux malades.
Nous avons eu plusieurs cas d’ophthalmie parmi les gens de
Béthesda. L’état sanitaire de l’école a été bon; Lissa, seule,
a eu en juillet un violent accès de fièvre.
a II m’a été impossible de faire de l’évangélisation comme
je l’aurais désiré. Il faudrait pour cela que je n’habite pas
à Saint-Louis, maisà Sôr, car je sors de classe à cinq heures,
je ne puis être à Sôr avant 6 heures, trop tard pour aller
faire des visites dans les demeures... »
JOÏÏRNA^ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUE^
538
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
CHRONIQUE DES MISSIONS (1) 2
DK NOUVEAU A KOUMASSI. LA FIN DE LA PUISSANCE DES ACHANTI. — HIS-
TOIRE D’UNE CLOCHE. — ONZE MORTS. — LE PRIMAT ü’aNGLETERRE.
Il y a trois ans, l’une de nos revues se terminait par la
question ; « tyl. Fr. Ramseyer, le doyen des missionnaires bâ-
lois de la Côte de l’Or, verra- t-il jamais une Église chrétienne
à Koumassi(2)? » De passage à Paris, peu après, M. Rapaseyer
nous dit luj-ippme quelque chose de ses espérances. Au com-
menceipent de la présente année, elles se sont réalisées d’une
façou ipattendup.
On se rappelle que Perempé ou prempeh, le roi des Achanti,
fermait l’accès de son pays au ppmmercp britannique. Les
Anglais dirigèrent, en décembre dernier, une expédition mi-
litaire, admirablement organisée, sur Kourqassi, la capitale
des Achantj. Le 17 janvier 1896, cette cité fut occupée. Le
roi s’humilia jusque dans la poussière, embrassant nu-pieds
et nu-téte, devant tout son peuple assemblé, les genoux de
sir Francis Scott, ce qui ne l’empêcha pas d’être conduit
comme prisonnier à la côte. Du même coup, la puissappe des
(1) Nos lecteurs seront peureux de voir se renouer aujourd’hui la série
des chroniques de M. Krüger. 11 va les continuer sans interruption et
reprendra aussi, dès notre prochaine livraison, la suite des nouvelles
détachées, dont nous avions commencé, en janvier dernier, la publica-
tion.
(2) Voir le Journal des Missions, 1893, p. 436.
■ *•'. f %r :
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
539
Achanti, dont l’origine remonte aux premières années du dix-
septième siècle, fut définitivement anéantie.
Les droits de l’Angleterre dans cette affaire ne sont que
spécieux, ni plus ni moins que ceux qui servent d'ordinaire
à justifier n'importe quelle expédition coloniale. Mais quand on
sait quelque chose des horribles « coutumes » qui ont amoncelé
des collines d’ossements humains dans Koumassi, sur l’Apété-
séni ou place des Vautours, par exemple, et qui ont fait de
Bantama, le lieu de sépulture des souverains Achanti, un
marécage de sang humain, on pousse un soupir de soulage-
ment à la nouvelle de la suppression de toutes ces atrocités.
Perempé, depuis 1888, comme Mensa, son prédécesseur, et
tous les rois antérieurs, s’était toujours opposé à l’établisse-
ment d’un missionnaire dans sa capitale et dans son pays.
Mais quand Perempé apprit que les troupes britanniques s’é-
taient mises en route, il se souvint de M. Ramseyer qu’il avait
connu jadis, durant les quatre années de la captivité de ce
missionnaire à Koumassi, et il dépêcha trois messagers à
Abétifi, la station de M. Ramseyer, pour prier l’homme de
Dieu d’intercéder en sa faveur. Il était trop tard. Dès le 25 jan-
vier, un autre messager spécial apparaissait à Abétifi. C’était
une estafette de sir Francis Scott annonçant, par une attention
gracieuse à l’ancien prisonnier du roi de Koumassi, que le
pouvoir des Achanti était brisé, et que tout le pays resterait
désormais ouvert à l’activité des missionnaires chrétiens.
Dix jours plus tard, M. Ramseyer se mit en route avec son
neveu et collègue, Ed. Perregaux (1). Le 10 février, il écrit
de Koumassi : « Ce n’est pas un rêve ! J’y suis de nouveau, à
Koumassi!... Le Seigneur écoute les prières de ses enfants.
Nous sommes à Koumassi, Perregaux et moi ; nous y sommes
comme missionnaires, et nous y sommes libres! Et tout le
pays des Achanti est ouvert devant nous! (2)... »
(1) Voir le Journal des Missions, 1895, p. 334.
(2) De r Evangelische Heidenbote (Bâle), 1896, p. 35.
540
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Peu de jours après, le gouverneur britannique offrit aux
missionnaires un terrain, à mi-chemin entre la cité et Bantama ;
et un soldat de l’expédition, un nègre chrétien des Antilles, tira
de sa bourse un florin comme première contribution aux frais
de construction de la nouvelle station.
De plus, avant même d’exister, la station bàloise de Kou-
massi possède une cloche. L'histoire en est curieuse. Il y a
quelque trente ans, cette cloche faisait entendre ses appels du
haut de l’église de Hô, une station de la Société de Brème, dans
le pays de Togo actuel. Dans une de leurs grandes courses de
pillage, les Achanti traversèrent le Yolta, et brûlèrent Hô,
le 25 juin 1869. La cloche fut emportée à Koumassi avec le
reste du butin. Suspendue dans un grand arbre branchu, au
milieu de la ville sanguinaire, elle a dû mainte fois faire en-
tendre sa voix pour rehausser l’éclat des grandes fêtes païen-
nes. M. Ramseyer connaissait cette cloche. 11 la demanda à
sir Francis Scott et l’obtint facilement. Maintenant cette cloche
historique a sans doute déjà retenti pour inviter les habitants
de Koumassi à écouter à la fois des appels à la repentance et
la proclamation publique, libre et joyeuse, du nom de Jésus-
Christ (1).
L'occupation de Koumassi marque une date importante
dans l’histoire de la mission bàloise à la Côte de l’Or (2). Ce
sera, par la grâce de Dieu, le point de départ d'un nouveau
développement vers le Nord, dans la direction de Nkoransa.
(1) Evangelisches Missions-Magazin (Bâle), 1896, p. 292 et suiv.
(2) Cette mission comptait, au 1er janvier dernier, 10 stations, 144 an-
nexes et 43 missionnaires. 936 membres, dont 831 païens convertis et
baptisés, ont été ajoutés à l’Église pendant l’année 1895. Au 1er janvier
1896, on comptait 13,972 membres d’Église. L’augmentation a été de
113 0/0 durant les dix dernières années. Dans les écoles, il y a 4,126 élèves,
dont 2,709 garçons et 1,417 filles; et sur l’ensemble, il y a 3,111 enfants
de chrétiens et 1,015 enfants de païens. (LXXXIer Jahresbericht der Evan-
gelischen Missionsgesellschaft zu Basel. Bàle, 1895, p. 10; Der Evang. Hei-
denbote , Bàle, 1896, p. 52; Allgem. Missions-Zeitschrift; Berlin, 1896,
p. 146).
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
541
C’est dès maintenant pour nos amis de Bâle un point lumineux
dans une année bien sombre. Car, sur une cinquantaine de
missionnaires que la Société de Bâle emploie dans l’Afrique
occidentale, elle en a perdu onze entre le 1er février et le
mois d’août de Tannée courante (1). On comprend que le
directeur ait commencé son rapport annuel par ce cri du
prophète : a Certainement tu es un Dieu qui te caches, ô Dieu
d’Israël, le Sauveur! »
Aussi bien Ton entend souvent parler des dangers que cou-
rent les missionnaires et des responsabilités de la mission;
mais de quelle immense responsabilité ne se chargent pas
ceux qui refusent de travailler pour l’avancement du règne de
Dieu! Il y a quelques mois, le primat d’Angleterre, l’archevê-
que Benson, qui vient de mourir subitement le 11 octobre
dernier, a essayé de faire comprendre cela à ses auditeurs,
en présidant l’assemblée annuelle de la Société pour la propa-
gation de l’Évangile. A cet effet, il a cité les paroles suivantes
adressées par quelques Indiens à un évêque de la Colombie
(Canada) : « Pourquoi les âmes périraient-elles? Pourquoi les
tenir éloignées de Dieu? Il ouvre les portes; pourquoi laisser
le diable les fermer?... Marchons comme Jésus a marché!
Quand le soleil luisait, il parlait ; quand la tempête faisait rage,
il parlait; quand les étoiles répandaient leur douce clarté, il
parlait encore; et il parlait, quand les disciples ne voyaient
que les vagues qui remplissaient leur barque (2). »
C’est enfantin ; c’est naïf, comme la foi doit l’être. C’est
vrai. F. H. K.
?
(1) Der Evangelische Heidenbote (Bâle), 1896, pp. 17, 26, 35, 42, 50
et 75.
(2) The Mission Field (Londres); 1896, p. 245.
JOURNAL DÈS MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
542
POUR LES ARMÉNIENS
La question arménienne intéresse de plus en plus vive-
ment parmi nous les cœurs chrétiens. Lès pasteurs de Paris,
réunis le 19, au Saint-Esprit, ont décidé de provoquer tout
ensemble une vaste collecte et un pétitioiinement en faveur
des Arméniens. Dans cette réunion, un professeur français
de Constantinople, correspondant de la Revue de Paris, a
confirmé « de visu » tous les faits que le Père Charmettan a
mis en lumière. Pour montrer quelle peut être la coiifiancè
que méritent les statistiques officielles, il a cité l’exettiple de
la ville d’Ak-Hissar, dans le vilayet d’Ismidt, à vingt milles
environ du Bosphore. Là, au sein d’une population de Cir-
cassiens et de Mohadjin, vivaient un certain nombre de fa-
milles arméniennes. Le chef du gouvernement local leur per-
suada, pour éviter tout conflit, de déposer leurs armes avant
de se rendre au marché ; ils y consentirent avec cette passi-
vité résignée que M. Quillard relevait comme un caractère
frappant de la population arménienne. Aussitôt, lé rriassacre
commença; après avoir tué des centaines de ces pauvres gens,
on jeta leurs cadavres dans les puits et dans le fleuve Sac-
charia. Deux cadavres restèrent seuls étendus sut* le sol.
L’autorité centrale survint; on lût montra les d'etix cadavres
et elle informa le gouvernement de Constantinople qu’il h’ÿ
avait « rien » eu; jusqu'à ce que les religieux Assomption-
nistes eussent retiré trente-cinq cadavres des puits! Un
membre du Comité, M. le pasteur Goût, a pu envoyer aux
malheureux de Constantinople 5,000 francs; un autre membre
du Comité, à une amie chrétienne, plusieurs centaines de
francs.
Deux autres ont eu la joie de pouvoir apporter eux-mèmes,
ou par un intermédiaire, 400 francs aux pauvres fugitifs,
venus de Marseille et recueillis, à la rue Auber, par l’Armée
Dissions évangéliques
543
du Salut; il y en avait de Constantinople, d’Aintab, Orfàh,
même des élèves des écoles de Beyrouth, Une femme présënte
avait eu sept membres de sa famille tués. Le spectacle de ces
pauvres gens était profondément émouvant.
L’Alliance évangélique a collecté plus dë 10,000 francs.
Mais que sont de pareilles sommes, quand on songe aux
500.000 malheureux, privés de tout â l’entrée de l’hiver?
M. Charles Yernes a fait un chaleureux appel à tous les cœürs
chrétiens. On sait que Miss Kimball, de New-York, docteur
en médecine, qui avait organisé à Van un admirable système
de secours par le travail, a dû quitter le pays et a traversé
Paris en septembre, retournant en Amérique. A Londres, elle
a été « interviewée » par un de nos amis, auquel elle a assuré
que le missionnaire américain de Van, Dr Reynolds, con-
tinuerait le système d’assistance par le travail autant que le
permettraient les ressources. De son côté, le Président de la
Croix-Rouge, M. Gustave Moynier, a reçu une lettre de miss
Clara Barton, la courageuse organisatrice des ambulances.
Nous y lisons ce qui suit : « Je vous écris du milieu de ce pays
« des missionnaires-martyrs ; car quand on a été témoin du dé-
« vouement des missionnaires américains, de leur vaillance,
« de leur patience à toute épreuve, on ne peut les appeler
« autrement... L’œuvre de la Croix-Rouge eût été impossible
« sans leur concours. » Miss Barton et ses aides, M. Pullman
et le docteur Hubbell, ont travaillé très efficacement; ils ont
fait venir des médecins de Beyrouth pour soigner plus de
8.000 varioleux et typhoïques, puis ils se sont rendus dans les
montagnes et ont apporté eux-mêmes aux paysans, privés de
tout, du bétail, des semences, des outils et même des ouvriers
capables de les instruire à se reconstituer eux-mêmes un outil-
lage nouveau. Après les massacres de Van, du mois de juin,
les missionnaires de Van ont fourni journellement jusqu’à
15.000 rations de soupe aux réfugiés de la campagne. Malheu-
reusement, les récoltes ont été mauvaises et les exactions des
autorités insupportables. Lorsque l’une des missionnaires de
Van a rapporté â Constantinople que, de 530 villages des en-
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
5U
virons de la ville, 500 avaient été pillés et ruinés, il a plu au
sultan de l’appeler une menteuse. L’état actuel de la popula-
tion est des plus angoissant, et les missionnaires hommes
qui restent au poste, — tandis que le Comité a décidé, pa-
raît-il, de laisser aux femmes la liberté de se rendre à la
frontière, — méritent toute notre sympathie, nos interces-
sions et nos secours en argent et en vêtements; car comment
faire, dès à présent, émigrer toute la population, comme le
propose M. Willard, qui a visité les lieux? Nous rappelons à
nos lecteurs que les dons sont recueillis par le trésorier de
l’Alliance évangélique, M. Paul Theis. Que Dieu veuille élever
la sympathie des chrétiens à la hauteur des souffrances de
ces frères persécutés d’Orient !
G. A.
— - — — ~
Le Gérant : A. Boegner.
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20670.
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
545
SOCIÉTÉ
DES
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
PROCHAIN ENVOI D’HOMMES A MADAGASCAR ET Aïï ZAMBÈZE
Paris, le 26 novembre 1896.
Les nouvelles apportées par le dernier courrier de Mada-
gascar font prévoir de mauvais jours pour les missions
protestantes. L’odieux système de mensonges et de calomnies
qui persiste à représenter le mouvement fahavaliste comme
solidaire du protestantisme, — alors que les premières vic-
times ont été des missionnaires protestants et que sur six
cents églises et chapelles détruites, cent vingt à peine appar-
tenaient au culte catholique, — ce système a déjà porté plus
d’un fruit et bien des indices font pressentir une période
dont le caractère dominant sera de prendre, sur bien des
points, le contre-pied du régime libéral et bienveillant au
quel M. Laroche a attaché son nom.
Il est bon de l’affirmer, en face du débordement de men-
songes qui s’est produit dans la presse : jusqu’à ce jour,
Fattitude de la mission protestante a été irréprochable. Les
engagements pris devant le ministre par les directeurs des
sociétés qui travaillent à Madagascar ont été tenus; les mis-
sionnaires, après avoir accueilli avec reconnaissance le nou-
DÉCEMBRE 1896. 39
34£
JOURNAL DES- MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
veau régime qui promettait à leurs Églises la liberté reli-
gieuse et au pays la sécurité et tous les avantages d’un bon
gouvernement, ont fait ce qui dépendait d’eux pour apporter
un appui cordial et sans réserve à ce gouvernement. 11 a fallu
toute la mauvaise foi d’adversaires implacables pour obscur-
cir sur ce point la vérité, à laquelle les administra-
teurs impartiaux rendent témoignage. Malheureusement, ce
témoignage n’a pas le pouvoir de se faire entendre partout,
et la calomnie poursuit son œuvre.
Quoi qu’il en soit, le devoir de nos Églises est plus clair
que jamais. Elles doivent favoriser de tout leur pouvoir
l’effort de la mission protestante pour s’adapter aux condi-
tions actuelles, et pour cela introduire des éléments français
dans l’œuvre religieuse et dans la direction des écoles. Nous
avons la satisfaction d’annoncer que ces mesures sont en
voie d’exécution. Le Comité prépare pour le printemps
prochain un important envoi d’hommes. Nous avons déjà
nommé le pasteur qui a accepté de succéder à MM. Lauga et
Escande. A ce pasteur est venu s’adjoindre un jeune homme
qui vient de terminer ses études à l’Ecole normale supérieure
et qu’une parole de M. Coillard, entendue à la réunion du 28
juin dernier, a décidé à se faire missionnaire. La prépara-
tion universitaire et les aptitudes spéciales de ce jeune
frère le désignent pour les écoles de Madagascar, sans ex-
clure le ministère pastoral proprement dit, qui pourra lui
être conféré plus tard et auquel il aura le temps de se pré-
parer dans la pratique à Madagascar.
Nous devons nous borner à ces indications quant à pré-
sent. Dans un mois, pensons-nous, nous pourrons être plus
précis et exposer avec plus de détails notre plan d'action.
Ajoutons cependant qu’à l’heure actuelle nous sommes en
pourparlers avec plusieurs instituteurs qui pourront trouver
place, comme professeurs de français, soit dans les missions
existantes, soit dans un important établissement scolaire
dont nous avons accepté en principe la direction. Dans le
nombre se trouve un homme que sa piété et sa longue expé-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES- DE PARIS
547
rience de l’enseignement de notre langue désignent précisé-
ment, pensons-nous;, pour diriger cet établissement..
Peut-être nos lecteurs s’étonneront-ils- de ces informations
un peu vagues;: nous espérons qu’ils nous sauront gré de
les leur fournir telles quelles ; elles leur prouveront en tous
cas que les mois- écoulés n’ont pas- été perdus-, et que l’en-
quête poursuivie avec tant de soins; par MM. Lauga et Krüger,
ainsi que leurs travaux préparatoires,. n’ont pas: été perdus.
Mais,, hâtons-nous de L’ajouter, rien nlest encore; terminé.
Tel des hommes avec lesquels nous sommes en correspon-
dance peut encore se trouver retenu ; la situation peut
aussi s’aggraver et nous imposer des envois d'hommes plus
considérables.. Nos Églises auront l’occasion de prouver la
sincérité et la profondeur de l’intérêt qu.’elles portent à l’œu-
vre de Dieu à Madagascar en faisant pour cette oeuvre des
dons spéciaux, qui, nous l’espérons fermement, ne: porteront
aucun préjudice à l’appui qu’elles donnent à nos autres mis-
sions. Et surtout, ils voudront faire, à cette œuvre si diffi-
cile, une grande place dans- leurs prières. La lutte où nous
entrons, non pour l’avoir désirée eh recherchée^ mais con-
traints et forcés par le devoir, cette lutte sera, terrible; Fai-
llies et. peu nombreux comme nous le sommes-, nous serions
infailliblement vaincus, si nous n’avions laiCentitude de com-
battre pour le pur Evangile, et si. nous ne pouvions compter,
à ce titre, sur: les directions et sur le. secours du Tout-Puis-
sant.
De Madagascar au Zambèze la transition est brusque: Et
cependant, le fait même que nous signalions tout à l’heure, —
cette vocation née au- contact du pionnier delà mission des
Barotsis et profitant à Madagascar, — ce fait ne montre-t-il
pas le lien qui unit entre elles les- diverses hranches de
notre œuvre? C’est une joie pour nous d’annoncer qu’au
moment, même où notre envoi d’hommes à Madagascar
sera prêt à partir, nous pourrons- aussi faire partir des ren-
forts pour le Zambèze. Nos lecteurs connaissent la situation
348
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
sérieuse où se trouvent nos jeunes missionnaires, affaiblis
par la mort de l’un d’entre eux, privés du concoursde leurs
aînés, à peu près coupés du reste du monde par les suites de
la peste bovine. L’envoi de renforts et le ravitaillement sont
aussi difficiles qu’ils sont nécessaires. Un seul moyen s’offre
pour transporter des hommes et des provisions, c’est l’emploi
de wagons légers traînés par des ânes. Ce moyen est dispen-
dieux ; mais le Comité n’a pas hésité, devant les besoins pres-
sants de nos frères, à y avoir recours. M. et madame Mercier,
que rejoindront en temps utile M. Coïsson et sa jeune femme,
se mettront en route en avril prochain; l’expédition sera pré-
parée avec le plus grand soin par M. Whiteley, l’agent et
l’ami de la mission à Maféking. Au reste, M. Coillard a tenu
à entretenir lui-même les amis des Missions de ce projet;
nous les renvoyons donc à sa lettre, que l’on trouvera dans la
suite de cette livraison.
Pourquoi faut-il qu’après le Zambèze et Madagascar, nous
ne puissions pas montrer nos autres missions recevant, elles
aussi, des renforts et, du même coup, le moyen de s’étendre?
Mais non; plusieurs de nos champs attendent les ouvriers
qu’ils réclament depuis longtemps, et leur pénurie, avec l’état
stationnaire qui en résulte pour l’œuvre elle-même, nous
tourmente et nous désole. Nous ne disons rien du Lessouto, qui
attend toujours l’homme ou les hommes qui lui sont néces-
saires; mentionnons seulement Maré, cette petite île située au
milieu de l’océan Pacifique, et dont l’histoire a été comme la
répétition anticipée et en petit de celle de Madagascar. Nous
donnons plus loin les dernières nouvelles de Maré ; puissent
les appels que ces pauvres insulaires nous envoient de si loin
être entendus et susciter parmi nous l’homme ou les hommes
que cette œuvre réclame.
Est-il nécessaire de le rappeler en terminant? Les envois
d’hommes toujours plus nombreux ne se feront qu’au prix
d’un grand effort de notre part. Effort avant tout spirituel :
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
549
la prière est notre meilleure arme, le levier que Dieu a mis
entre nos mains pour soulever les montagnes. Mais aussi
effort matériel, indispensable si nous voulons trouver les res-
sources indispensables à notre œuvre sans cesse agrandie.
Nous ne ferons, à ce sujet, aucun appel retentissant : nous
parlons à des amis qui, deux fois déjà, ont su nous sauver ou
nous préserver du déficit. Nous leur rappelons seulement
que l’année est aux deux tiers écoulée, et que quatre mois
seulement nous séparent de la fin de l’exercice. Ils pren-
dront à cœur les besoins de notre œuvre et voudront une fois
de plus nous permettre de dire, quand s’achèvera l’année :
« Jusqu’ici, l’Eternel nous a secourus. »
UNE PROPOSITION
Quelques amis des missions ont eu le désir de resserrer le
lien qui unit déjà tous les chrétiens ayant à cœur l’avance-
ment du règne de Dieu par la prédication aux païens de l’É-
vangile de notre bien aimé Sauveur et Maître Jésus-Christ, en
fondant une Union de prières pour les missions en gé-
néral, et pour les Missions françaises en particulier. Le comité
de la Société des Missions de Paris, et les missionnaires à qui
cette idée a été soumise, l’ont chaleureusement approuvée et en-
couragée. Ils y ont vu une première réponse à la Question de
foi posée dans le numéro de novembre du Journal des Missions.
Plus que personne ils sentent le besoin d’être soutenus par les
prières de leurs frères et de leurs sœurs, parce que, plus que
personne, ils voient croître chaque jour l’importance et les dif-
ficultés de l’œuvre qui leur est confiée. Il leur faut des hommes,
de l’argent; il leur faut la lumière d’En-haut pour être guidés
dans la solution des questions compliquées qui se posent
devant eux; il leur faut une mesure peu commune de foi de
350
JOURNAL DBS MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
patience, de persévérance, do courage et d’amour. Gomment
obtiendront-ils tout cela, sinon par la prière, par celle qu’ils
font eux- mêmes monter sans cesse au trône de grâce et par
celle de leurs frères et sœurs dans la foi, qui se -souviennent
avec eux des promesses de Dieu en Jésus-Christ et croient
à sa fidélité ?
Pour rendre cette union de prières à la fois plus intéres-
sante et plus efficace, il importe que des sujets définis de
prières soient indiqués périodiquement à ses membres. Ceux
d'entre eux qui sont abonnés au Journal des Missions n’au-
raient certainement pas de peine à en dresser une liste pour
leur usage.
Pour ceux-là cependant, et à plus forte raison pour les
autres, une liste préparée par les soins du directeur de la
Maison des Missions sera certainement la bienvenue, étant
bien entendu, d’ailleurs, que chacun sera libre d’y ajouter les
sujets qui lui tiennent particulièrement à cœur.
Voici donc ce que nous proposons :
1° Une association est formée entre tous les amis des Mis-
sions évangéliques qui voudront y prendre part, sous le nom
dil’nioii de prières pour les Missions.
2° Les membres de cette association s’engagent à prier
chaque jour pour les Missions, spécialement pour celles qui
sont soutenues par la ■Société des Missions évangéliques de
Paris.
3° Le Journal des Missions et le Petit Messager des Missions
publieront chaque mois une liste de sujets de prières. Cette
même liste, imprimée sur une feuille à part, sera envoyée di-
rectement aux membres de l’Union de prières qui en auront
fait • la demande.
4° Les demandes d’inscription seront adressées à mademoi-
selle Estelle Monod, 1-8, rue Molitor, à Paris ; il y sera immé-
diatement répondu par l’envoi d’une carte de membre et
d’une première liste de-sujets de prières.
Les demandes seront autant que possible accompagnées de
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
551
60 centimes en timbres-postes, pour les frais pendant l’an-
née 1897.
2 novembre 1896.
DÉPARTS ET ARRIVÉES DE MISSIONNAIRES
M. Forget, dont la -santé était depuis longtemps ébranlée
par les fatigues et le climat du Congo, a dû revenir en Eu-
rope pour refaire ses forces. Il a débarqué, le 12 novembre,
avec sa famille, au Havre, et s’est installé, depuis lors, à
Saint-Lô, où son beau-frère, M. Lecerf, est pasteur. Notre
missionnaire est venu à Paris et a été reçu par le Comité, de
même que son collègue, M. Haug, arrivé en France, comme
on s’en souvient, vers la fin de septembre dernier.
Mademoiselle Henriette Buttner, que la maladie avait obli-
gée d’abandonner sa tâche, se trouve maintenant assez bien
pour songer à la reprendre. Elle compte, en effet, -s’embar-
quer à Bordeaux, le 4 décembre prochain, pour Saint-Louis,
où l’attend son œuvre scolaire.. Nous sommes heureux: que
notre jeune sœur ait pu retrouver si promptement la santé et
les forces, et nous accompagnons son retour au Sénégal de
nos vœux et de nos prières.
Nous avons eu, d’autre part, le chagrin d’apprendre, par
une dépêche arrivée ici le 23 novembre, que M. Pétrequin,
malade, se voyait obligé >de venir chercher ta guérison en
Europe. Quand ces lignes paraîtront, il sera .sur le point de
déharquer en France. 11 y a, dans ces voyages, imposés par
la raison de 6anté, une 'nécessité à laquelle nous ne pouvons
échapper et qui nous fait toucher du doigt tout ce qu’offrent
de sérieux les entreprises missionnaires dans ces pays d’A-
frique où le climat est hostile aux Européens.
552
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
NOTES Dü MOIS
La saison d’hiver, qui est pour nos Sociétés religieuses la
période active par excellence, impose aussi à nos mission-
naires en congé des efforts extraordinaires. C’est la bonne
saison pour les tournées, et de tous côtés arrivent des invita-
tions qui, presque toujours, indiquent les trois premiers mois
de Tannée comme le moment favorable qu’il ne faut manquer
à aucun prix. Le Comité, si désireux qu’il soit de faire profiter
nos Églises de la présence de nos missionnaires, a le devoir
de concilier autant que possible leurs exigences avec les
ménagements dus à la santé de nos ouvriers. 11 prie les
Églises de lui faciliter la tâche en se montrant aussi accom-
modantes et aussi patientes qu’elles le pourront. Plus elles
nous laisseront de marge, mieux nous pourrons les satis-
faire.
S'inspirant de ces pensées, le Comité a engagé M. Coillard
à ne pas quitter Paris, où il est arrivé le \ 1 novembre, avant
le 15 janvier. Ce séjour prolongé, que M. Coillard consacre
avant tout à préparer la publication de ses lettres, n’aura pas
été perdu pour les Églises de notre ville. Peu de jours après son
arrivée, notre frère prenait une part active à la Retraite pasto-
rale dont nos journaux ont rendu compte, et qui, cette année
encore, s’est tenue à la Maison des Missions. Le 22 novembre,
il s’est fait entendre avec son collègue, M. L. Jalla, dans une
grande réunion tenue à l Église de la Rédemption. Le mer-
credi 2 décembre, une réunion du même genre doit se tenir
à la chapelle du Luxembourg; et le dimanche 6 décembre,
nos frères prendront part à la réunion mensuelle de l’Ora-
toire. Nous ne disons rien des réunions privées auxquelles
ils sont conviés presque chaque jour. Mais nous tenons à
mentionner spécialement la conférence que M. Coillard doit
donner dans l’amphithéâtre de la Faculté de théologie, le
mercredi soir, 16 décembre. Huit jours auparavant M.Krüger
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
553
donnera, dans le même local, une causerie sur Mada-
gascar.
Nous nous réservons d’indiquer en janvier le programme
des tournées de M. Coillard; elles commenceront, sans doute,
par une visite à Montauban, et se continueront, probable-
ment, par la Normandie. M. Jalla, qui a consacré les mois
d’été et d’automne à parcourir les Églises vaudoises des Val-
lées et d’une partie de Pitalie, doit visiter, dès le mois de dé-
cembre, quelques centres de l’Est; en janvier, il pense visiter
les Églises de la Bourgogne et du Doubs, pour rejoindre en-
suite M. Coillard.
M. Christol, de son côté, achève en ce moment une labo-
rieuse campagne dans le Poitou, M. Haug, après quelques se-
maines passées en Alsace et à Paris, entreprend une tournée
dans la Drôme et dans l’Ardèche.
Nos amis ont entre les mains la dernière livraison du Jour-
nal des Missions. Ce n’est pas à nous qu’il appartient d’ap-
précier cette publication, ni de signaler l’intérêt croissant
des circonstances particulières que traverse notre Société.
L’extension de son œuvre à Madagascar, non moins que les
difficultés qu’elle rencontre sur certains points, comme au
Congo, au Zambèze, sont bien faites pour gagner les sym-
pathies de nos amis. Nous croyons inutile de leur demander
de nous rester fidèles; nous comptons sur eux comme sur des
amis. Mais nous attendons d’eux quelque chose de plus;
c'est qu'ils gagnent de nouveaux lecteurs à notre Journal, en le
faisant pénétrer dans les milieux où il devrait être connu.
Nous pensons, en particulier, à ces nombreuses Eglises qui,
jusqu’ici, ne se sont presque pas doutées de l’existence de la
Société des Missions de Paris.
Nous recommandons à l’attention de nos lecteurs le Petit
Messager de Noël , qui forme, comme d'habitude, une intéres-
sante brochure de 48 pages, abondamment illustrée. On peut
s’adresser, pour lés commandes, soit à M. A. Boegner, 102,
boulevard Arago, soit à M. Schultz, 9, rue Laffitte.
oai
JOURNAL DES 'MISSION5 T&YA'N GÉLIQUES
’Notre -Société verra sous peu paraître d’autres publication-s.
La série s’ouvrira par un beau recueil de lettres et de gra-
vures que notre missionnaire, M. Christol, prépare en cemo-
ment, et qui paraîtra à temps pour être offert en étrennes.
Ce livre donnera une juste idée de ce qu’est la vie indigène et
la vie missionnaire dans l’Afrique australe. Et il aura la bonne
fortune de nous être présenté par M. le professeur Raoul
Allier, dans une brochure traitant de l’artindigène au sud de
l’Afrique. Le;titre complet de l'ouvrage sera le suivant : Au
sud de i A frique; notes et croquis d'un missionnaire.
Un peu plus tard, nous aurons, en un ou deux volumes, les
lettres de M. Coillard parues ces vingt dernières années dans
le Journal des Missions . Notre frère travaille -en ce moment
même à la publication de cette correspondance.
Un album du Zambèze est également en préparation et
verra le jour dans les premiers mois de l’année prochaine.
De son côté, M. Jacottet projette la publication d’un petit
livre d’une centaine de pages sur la mission du Lessouto.
Ainsi se combleront peu à peu les lacunes que nous consta-
tons dans notre littérature missionnaire, en sorte que ceux
qui ont à cœur de connaître nos diverses œuvres, — et ils
sont toujours plus nombreux, — ne seront plus embarrassés
dans leurs recherches.
SOCIÉTÉ 'DBS MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
555
SITUATION FINANCIÈRE
au 20 novembre 1896.
Notre trésorier nous communique la note suivante :
Pour faire face à la dépense prévue pour 1896-97, qui
est de 373,000 »
Il faudrait une recette mensuelle de 31 y000 francs, ce qui
fait pour les 6 mois et 20 jours écoulés, du 1er avril au
20 octobre 1896, un chiffre total de 238,000 »
Nous n’avons reçu jusqu’à ce jour, pendant le même
laps de temps, qu’une somme de. . . . . 89,300 »
faisant une différence en moins de 148,700 »
Les recettes Au. Zambèze sont à ce jour de. 52,505 »
au lieu de 12,205 i»
qu’on avait reçus l’année dernière à pareille époque.
Nos lecteurs verront avec reconnaissance le progres ses
recettes du Zambèze. Ils devront toutefois se souvenir que ce
progrès est dû, avant tout, à un don anonyme de 25,000
francs, dont ils ont trouvé la mention touchante sur la cou-
verture de notre livraison de septembre. Loin de se ralentir
dans leurs efforts, ils verront dans ce beau don une nouvelle
raison d’accorder leur appui à une œuvre que Dieu a bénie et
dont il a fait une source de bénédictions. Ils y puiseront
aussi un zèle nouveau pour soutenir l’œuvre générale de
notre Société, dont les recettes sont bien en retard sur ce
qu’elles devraient être à-cette époque de l’année. Pas de dé-
ficit, mais progrès général par l'effort personnel et le fidèle
emploi des moyens d’action dont nous disposons : que telle
soit plus que jamais notre règle.
556
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
LETTRE DE M. COILLARD
Paris, 20 novembre 1896.
Mes chers amis,
C’est d’Angleterre que je prenais congé de vous le mois
dernier. Je m’y étais rendu pour affaires, pour reprendre ha-
leine, et, surtout, pour m’y retremper dans un peu de recueil-
lement. Ce fut le recueillement dans la communion des
saints. La communion des saints! Yous savez si j’y attache
du prix. C’est bien beau d’avoir le télégraphe et le téléphone
dans la prière qui, passant par le trône de la grâce, mettent
le pèlerin et la sentinelle des postes perdus en communica-
tion avec les foyers de vie et le corps d’armée. Mais c’est
bien plus beau, bien plus doux encore, de se voir face à face,
causer, prier et louer ensemble.
Ma première visite fut pour Liverpool, cet autre monde fié-
vreux des affaires, où la vie est à la plus haute pression. Et
cependant, il y a là de ces commerçants surmenés qui trou-
vent encore le moyen de consacrer à l’évangélisation de leur
argent, de leur repos et même de leur temps. C’est là qu’était
M. Radcliffe, de mémoire bénie, et maintenant dans la gloire,
et c’est là que ses fils, chacun sous sa responsabilité, poursui-
vent son œuvre d'évangélisation. Ce qui me frappe à Liver-
pool, c’est l’individualisme presque exagéré. On travaille
beaucoup, mais chacun séparément. Peu de cohésion, peu de
solidarité. C’est, sans contredit, un développement extraordi-
naire de forces et d’activité; mais c’est aussi le danger d’émiet-
ter les ressources, de restreindre les horizons, et de resserrer
le cœur.
J’ai eu des joies à Liverpool. J’y rencontrais des frères et
des amis qui ne m’étaient connus que par la correspondance ;
je m’y retrouvais surtout avec Hudson Taylor, un de ces « vail-
lants » du roi « dont la louange est dans toutes les Églises».
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
557
Et non sans raison, car près de lui on se sent avec un homme
qui marche et qui vit avec Dieu. Toujours le même, au salon
comme sur l’estrade des réunions, calme, serein, simple,
et toujours puissant, il vous rappelle instinctivement les pa-
roles du Sauveur : « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau
vive couleront de son sein ». Gardons-nous bien du culte de
l’homme : nous ne pouvons pourtant pas nous empêcher
d’honorer celui que le Roi honore, et en qui brille la grâce de
Dieu d’une manière si peu commune.
Là aussi, je fus mis en rapport avec un autre homme dont
je désirais ardemment, et depuis longtemps, voir le visage :
c’est l’évêque anglican de Liverpool, le docteur Ryle. Quand
il prêchait sur le froment et la paille, quelque part en An-
gleterre, il y a quarante-cinq ans, il se doutait fort peu que
les échos de ses appels, sous la forme d’un petit traité fran-
çais, iraient loin, et dans un vallon du Jura réveiller la cons-
cience d’un jeune homme figé dans la religiosité et la propre
justice, et l’amèneraient aux pieds du Sauveur. J’étais alors à
Glay. Lui est maintenant un vieillard octogénaire.
Ayant entendu parler de moi, il m’invita à l’aller voir. La
simplicité et l’humilité sont les plus beaux ornements du
chrétien; tout le reste, après tout, n’est qu’accessoire. Nous
causâmes, nous nous mîmes à genoux; il me bénit, marqua
sur son portrait, qu’il me donna: Jean X1Y, 1-3, et me dit en
partant : « C’est si bon de penser que nous allons là où il n’y
a plus de séparation ! » Et de tout mon cœur je dis : Amen !
A Bristol, cette belle ville où abondent les Églises, cette
c< ville de saints », je vis aussi et j’entendis un autre homme
de Dieu, George Muller, dont les expériences ont fortifié et
stimulé tant de chrétiens et d’ouvriers du Seigneur. Je visitai
ces cinq vastes établissements où la pensée, frappée d’éton-
nement, voudrait inscrire sur le frontispice de chacun ce que
Hudson Taylor a fait graver sur le portique de la Maison de
la mission de la Chine intérieure : « Ayez la foi en Dieu ! »
Que c’estbeaul Que c’est grand! Quelle puissance que la foi!...
En entendant un homme comme George Muller paraphra-
558*
JOURNAL DES- MISSIONS- ÉVANGÉLIQUES
ser un épisode de l’histoire d’Élie, je ne pus me défendre
d’un sentiment de désappointement. Je me disais-: « Vrai-
ment, il n’est pas nécessaire d’être George Muller pour dire
cela ; tout autre; pourrait dire mieux..»,1 Mais, .simples comme
elles étaient, elles avaient une puissance irrésistible. Et quand
je regardais le visage vénérable de ce saint homme, quelque
chose me subjuguait. C'était comme Moïse descendant de la
montagne, réflétant la gloire de Dieu! Tant il est vrai que ce
qu’il y a de réel en nous,, c’est moins ce que nous disons: que
ce que nous sommes. Après: tout, marcher avec Dieu, de-
meurer en Jésus, vivre de sa vie, tout est là : le pardon, la
sanctification, la puissance.
Je fis là une curieuse expérience, qui fait contraste avec
celles- que je viens de raconter, et avec d’autres- dont je ne
dis- rien. Des amis avaient mis tant d’insistance pour que
j’allasse voir un de ces- hommes éminents qui; appartiennent
moins à une dénomination qu’à l’Église tout entière, que je
cédai. C’est contre mes principes, et, par une erreur assez:
singulière, je n’avais pas d’introductiou directe^
IL va sans dire que- je fus reçu avec la plus: grande: cordia-
lité. Nous- causâmes de l’œuvre de Dieu en général et de notre
mission, en particulier. Puisse digne homme, un peu embar-
rassé, fouilla ses- poches et me dit : « Voici quelques: shillings
pour votre mission. » Je rougis. Évidemment, il me prenait
pour un collecteur. Je lui dis qu’il se trompait, et, comme le
feu lord Shafteshury dans une circonstance semblable, sa fi-
gure s’illumina; il. me dit qu’ü était heureux de l’apprendre
et me promit son: concours pour des réunions ultérieures.
Déplorable métier qne celui de. collecteur! J’aimerais mieux;,
je crois, casser des pierres-, Ne risquons-nous pas ainsi de
mettre au premier plan la question, d’argent, et. de nous peu-
ver d’un intérêt plus permanent et d’une coopération plus
personnelle et plus effective?
Enfin, à Londres, j’eus la jouissance d’assister à des confé-
rences sur la seconda venue du Sauveur. A en juger par le
silence: général qui se fait sur ce sujet,, on pourrait se deman-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS. ÉVANGÉLIQUES- DE PARIS
559
der si nous croyons véritablement ce que nous disons :« 11
est monté au ciel d’où II reviendra, ..
J'entendais un jour un pasteur faire la remarque qu’il n’a-
vait jamais prêché sur un sujet pareil.. « Nous ne prêchons
que l'Évangile, nous.. « Quel Évangile! tronquaainsi d’une, mé-
rité glorieuse que lesapôtres prêchaient et qui met le pécheur
en présence d’un Sauveur réel, et vivant I... Pour le chrétien,
quelle source inépuisable de joie et de consolation! Jésus res-
suscité et glorifié- dit. « Voici, je viens bientôt! » Rester
muet, c’est de l’indifférence. Puissions-nous répondre avec,
amour et adoration : « Oui, Seigneur Jésus,, viens !...
Si j e m’arrêtais ici, 1e. but de ma lettre ne serait pas atteint.
J'ai sur le cœur de. vous dire deux mots snr notre mission du
Zambèze. Elle nous préoccupe, et vous aussi.
On a peu d’idée, en France,, de ce qu’a été la peste bovine
dans cette partie de l’Afrique. Venue apparemment de l’inté-
rieur, elle s’est propagée d’abord par le g.rosr gibier. Les na-
tifs racontaient avec stupéfaction comment,, dans leurs
chasses au nord du Zambèze, ils avaient trouvé morts dans,
les champs des. troupeaux entiers d’antilopes.. C'était inexpli-
cable. Le fléau, depuis lors, a balayé le pays, du Ma Cbicou-
lombœ et les régions zambéziennes. du Rorotsé. Il a. sévi en-
suite dans le pays des Matébélés, des Béchuanas,, dm
Transvaal.. Si bien que dans tous ces pays, naguère si riches
en troupeaux de gros bétail,, on aurait aujourd’hui de la
peine à; trouver de. qmoi monter un attelage. Les prix en sont
décuplés et seraient, inabordables pour nous. Un seul attelage
reviendrait, m’assure-t-on, à la somme d’au moins 13,500,
francs. Aujourd’hui, la peste poursuit sa marche dévastatrice
dans l’État libre de l’Orange. Elle menace,, hélas ! le pays des-
Bassoutos et. la Colonie du Cap elle-même.
Le. roulage est devenu presque impossible de Mafékeng à
Boulouwayo et revenait dernièrement à 2 fr. 50 le kilogramme,
250 francs les 100 kilos. Qn se sert de mulets* qui sont très
chers et sont, de plus, dans tous ces parages-là, sujets aux
560
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
mêmes maladies que les chevaux. On utilise aussi les ânes,
mais ils sont peu satisfaisants comme bêtes de trait pour de
longs trajets, dans ces contrées de sable ou de bourbiers.
Pour le Zambèze, il ne saurait être question de roulage.
Personne ne veut y aller. Depuis un an, des caisses pour la
mission se sont accumulées à Palapye, et il est absolument
impossible de les expédier. Ce sont là des renseignements
que me donnait ou confirmait un de nos amis qui nous sert
d'agent, qui vient de Mafékeng et que j'ai vu l'autre jour à
Londres.
Nous sommes ainsi placés en présence de deux grandes
difficultés. La première, c’est l’approvisionnement de nos
bien-aimés frères du Zambèze. Notre digne ami, M. Bertrand,
de Genève, s’en est ému, et avec lui plusieurs dames de cette
ville. Ces amis ont immédiatement mis à notre disposition la
somme de 2,500 francs, pour couvrir les frais de transport
aussi bien que l’achat de provisions et de conserves en boîtes.
L’achât est tout ce qu’il y a de plus facile, mais l’expédi-
tion!... Comme je viens de le montrer, la route de Mafékeng
est, pour le moment, barrée. Celle de l’Est, dont plusieurs
s’informent, n’existe pas. Le Zambèze, interrompu de Kazun-
gula jusqu’au Zumbo par des cataractes et des rapides, n’est
pas navigable. Il ne nous reste donc que celle de l’Ouest, par
Benguella et le Bihé. Là, les droits de douane sont très oné-
reux, et le service des porteurs difficile, parfois chanceux et
toujours dispendieux. Mais nous n’avons pas le choix. C’est
la seule route qui nous reste, pour le présent , je souligne...
Nous avons déjà fait des démarches préliminaires qui abou-
tiront, nous l’espérons.
L’autre difficulté, c’est celle des hommes. La mission, af-
faiblie par l’absence de M. et madame L. Jalla et la mienne,
par la maladie de M. Davit et par la mort de notre cher frère
Goy, doit être secourue sans délai. Nous avons les hommes :
M. et madame Mercier, au Lessouto, M. Coïssonet sa fiancée,
en Piémont, n’attendent que la signature de leur feuille de
route. Et c'est là, je vous assure, un peu plus qu’un trait de
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
561
plume. Nous pouvons les expédier en mars ou avril avec des
attelages d’ânes, si peu satisfaisants qu’ils soient, à condi-
tion qu’ils se contentent de fort peu de bagages, et que vous-
mêmes, nos amis et nos collaborateurs, vous ne reculiez pas
devant un grand effort à faire! Voulez-vous le faire? et le
faire sans délai?... M. Coïsson et sa future compagne rejoin-
draient M. et madame Mercier au Lessouto ou au terminus
du chemin de fer; nous ferions, avec la maison Whiteley,
Walker et G0, tous les arrangements nécessaires pour que ce
voyage soit organisé aussi bien que possible. C'est le cas
d’une garnison assiégée qu'il est urgent de secourir à tout
prix. Sans parler de notre chère sœur madame Goy (et de
madame Buckenham), qu’il faut ramener dans la vie civili-
sée. Si vous êtes avec nous, nous pouvons le faire. Et cer-
tainement vous êtes avec nous. Dites-le nous, montrez-le
nous.
A ce sombre nuage, je voudrais vous montrer une bordure
d’argent. La voici :
Et d’abord, chers amis, n’êtes-vous pas frappés comme
nous des encouragements que Dieu nous a déjà donnés? Les
recettes du Zambèze à ce jour ne sont pas du tout les recettes
ordinaires. C’est bien pour contribuer à l’envoi des 15 que le
don spécial de 25,000 francs a été fait, et ce don, quoiqu’il
soit placé sous la rubrique de Londres, n’est pas, — je tiens à
le dire, — entièrement étranger à la France.
Si nous avons souffert et gémi ensemble aux jours sombres
de l’épreuve, et si nous partageons ensemble les préoccupa-
tions et les soucis de la situation actuelle, bénissons aussi en-
semble le Seigneur de ce qu’il fait et veut encore faire pour
étayer notre faible foi.
Pourquoi ne mettrait-il pas au cœur de tous ses économes
d’ouvrir joyeusement les trésors qu’il leur a confiés! Que ce
serait beau, si une étincelle d’enthousiasme pouvait passer
par nos Eglises, — si nous tous , oui, « tous, nous pouvions
être entraînés par le cœur et animés de bonne volonté!... »
De telle sorte que ceux qui font le service du sanctuaire se-
40
56-2
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
raient obligés de dire: « On apporte plus qu’il ne faut! ».
Ex.. 35 et 36.
Et puis, au mois de février 1897, mars au plus tard, le che-
min de fer sera ouvert au trafic jusqu’à Palapye, de sorte que
nos amis n’auront plus que 500 kilomètres de désert à traver-
ser. C’est ce qui justifie l’emploi des ânes. On espère qu'à la
fin de la même année, cette même grande ligne du Cap sera
ouverte jusqu’à Boulouwayo. Pensez -donc, comme cela va
nous rapprocher du Zambèze!
Mais Boulouwayo ne sera que le terminus d'une étape.
L’immense artère ferrée sera, de nécessité, poussée vers le
nord, jusqu’à Salisbury, le poste de la civilisation le plus
avancé. Et Salisbury même, par une ligne déjà en partie cons-
truite, sera mis en communication avec l'Océan Indien au
port de Beira. Quels changements ! quels progrès ! Dans ce
monde, c’est vrai, le ma! est toujours mêlé au bien; mais le
bien l'est aussi quelquefois au mal. Aussi, tout en tremblant
devant le flot de l’immigration européenne qui monte si ra-
pidement, nous pouvons nous réjouir de ces progrès et de
ces changements qui ouvrent l'intérieur à la civilisation et à
l'Évangile.
Que les voies de Dieu sont admirables! » L’homme s’agite,
mais Dieu le mène. » Ces dernières années, fléaux après fléaux
ont désolé ces contrées de l’Afrique, les événements se sont
précipités, les révolutions et les guerres ont jeté partout la
confusion et l’in sécurité, et l'on se demande avec stupeur ce
qui va suivre. Mais l’œil de Dieu est dans ce chaos, et ses des-
seins s’accomplissent. Il est permis à l'homme de foi de re-
garder l’avenir avec calme et espérance. Tout ce qui nous
paraît actuellement confusion et recul peut être précisément
ce qui va préparer le chemin du Seigneur et aplanir ses
sentiers. Le vice radical des populations indigènes, c’est
la paresse. Maintenant appauvries, elles apprendront for-
cément à travailler. Les efforts étonnants qui ont déjà
été faits sont la garantie de ceux qu’on tentera encore
pour utiliser les forces latentes et exploiter les ressources
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
563
encore si peu connues de l'Afrique. Et à nous, chrétiens, Dieu
nous inspirera un amour plus profond, un enthousiasme plus
vrai, un dévouement plus entier, des sacrifices plus réels, et
une activité moins intermittente et plus sérieuse.
F. Coillard.
27 novembre.
P. S. — Nous apprenons par nos agents qu’un envoi, —
nécessairement restreint, — de marchandises et de provi-
sions a pu être fait de Palapye au commencement du mois.
Et ils nous donnent l’assurance que, par des sacrifices im-
posés parles circonstances et acceptés, ils peuvent, dès main-
tenant, préparer et faciliter l’expédition de nos amis Mercier
et Coïsson.
Nous croyons aussi que, tout considéré, c’est là la voie la
plus simple et la plus sûre d’envoyer à nos frères les appro-
visionnements de leurs amis.
Bénissons Dieu !
MADAGASCAR
La visite de M. Lauga dans le Betsiléo. — L’enseignement du
français dans les écoles malgaches. — Projet de retour de
M. Lauga.
Nous empruntons les lignes qui suivent à une lettre parti-
culière de M. Lauga. Nous croyons que nos amis ne liront pas
sans intérêt quelques détails sur cette tournée que nous vou-
drions raconter tout au long. Mais le manque de place nous
force à abréger. La lettre est datée de Fianarantsoa, le
1er septembre.
«... A Ambositra, nous sommes descendus dans la belle
maison missionnaire qui s’y trouve, mais qui était vide de
564
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
ses habitants. M. et madame Brockway étaient rentrés depuis
quelques mois et définitivement en Angleterre, après trente-
huit ans d’un ministère béni, dont nous avons pu cons-
tater les résultats. Leur fils, qui les aidait depuis cinq ou
six ans, et devait les remplacer, ayant été pris, à la suite
des événements d’Antsirabé, d’un accès d’aliénation mentale,
a été obligé d’aller se reposer quelque temps au Gap. La do-
mesticité de la maison, prévenue, je ne sais trop comment,
de notre passage, nous attendait toutes voiles dehors, et
nous avons passé, dans cette demeure, où se voyaient les
traces du départ précipité des maîtres, un jour et deux nuits
bien tranquilles. Le dimanche, j’ai naturellement dû payer
de ma personne, et j’ai prêché le matin et l’après-midi, tra-
duit par le docteur Borchgrevinck, dans une grande église
entièrement pleine, aux deux services, c’est-à-dire devant au
moins mille personnes.
o ... Le lundi matin, à six heures, nous repartions avec
cinq miliciens et un caporal indigènes que le sergent Muller
a absolument voulu nous donner comme escorte. La précau-
tion était inutile, car, à quelques heures d’Ambositra, nous
entrions dans le vrai Betsiléo, où tout est parfaitement calme.
En deux jours, et en traversant des montagnes boisées qui
nous reposaient des montagnes dénudées de l’Émyrne, nous
avons atteint la station d’Ambohimasoa, où nous avons été
reçus par toute la congrégation luthérienne, cinq à six cents
personnes au moins, conduite par M. Joannès Johnson, notre
hôte ici, et M. Haill, le missionnaire anglais de l’endroit.
C’est à environ deux kilomètres d’Ambohimasoa, et au mo-
ment où, parvenant au sommet d’une montagne, nous décou-
vrions, sur la hauteur d’en face, la jolie petite ville qui était
notre étape, que nous avons aperçu, descendant de cette hau-
teur, un long cortège. « Seraient-ce des Fahavalos? » me dit
l’un de mes compagnons de route... Mais, outre que nous
nous savions en pays décidément ami, l'écho nous apporta
bientôt le son des cantiques que cette petite armée pacifique
chantait en venant à notre rencontre. Au bout d’un quart
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
565
d’heure, nous les avions rejoints, juste au bas de la mon-
tagne. Nous descendons de nos chevaux; le docteur Borch-
grevinck nous présente aux deux missionnaires et aux pas-
teurs indigènes, et, prenant la tête de la procession, nous ar-
rivons bientôt à l’église luthérienne. Là, nouveaux petits dis-
cours de bienvenue; après quoi, M. Haill nous emmène tous
dans sa jolie maison dont nous allons tous être les hôtes, et
nous présente à sa jeune et charmante femme, débarquée à
Madagascar depuis cinq semaines, et arrivée dans sa station
quinze jours avant nous.
« ... Le mercredi matin, à neuf heures, grande réunion
dans l’église luthérienne, où j’ai parlé avec entrain, traduit
par M. Johnson, au district duquel appartient cette église.
Après mon discours a commencé l’examen de «visitation »
du surintendant qui m’a beaucoup intéressé; examen public
de tous les adultes membres de l’Église, puis examen des
écoliers de tous âges, de huit à vingt ans. A quatre heures,
nouveau service, présidé par moi dans l’église de la Société
de Londres, avec le même traducteur. — Le lendemain jeudi,
dès quatre heures du matin, nous étions debout pour partir
à cinq heures et demie. Après cinq heures de marche assez
rapide, nous avons atteint Alakamisi. Là, nous nous sommes
séparés des Borchgrevinck qui allaient à l’ouest, droit à La-
languina, où je devais, avec M. Johnson, les rejoindre le len-
demain, et nous avons, nous, filé sur Fianarantsoa, où nous
sommes arrivés à cinq heures du soir. Tous les missionnaires
anglais sont venus à ma rencontre à environ deux kilomètres
de la ville.
«... Nous nous sommes dirigés vers la maison de M. John-
son, qui devait être notre hôte pendant les huit premiers
jours. Quelles aimables et cordiales familles que ces familles
norwégiennes au milieu desquelles nous vivons ! Les Johnson,
plus particulièrement, chez lesquels nous sommes, m’ont
conquis le cœur. M. Johnson (Joannès), — car il y a un mis-
sionnaire anglais qui s’appelle aussi Johnson, — est un
homme jeune encore, d’environ trente-cinq ans, je pense,
566
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
dont le visage respire l’intelligence et l’énergie, sans façon,
plein d’entrain. 11 est évidemment une des personnalités mar-
quantes de la mission luthérienne, et sa femme est la digne
compagne d'un tel homme; elle m'a aussi gagné le cœur. Ils
ont un petit garçon de cinq ans qu’ils gâtent un peu, —
malgré eux, me disent-ils, — depuis la mort d’un autre petit
garçon d’un an plus jeune....
a ... A Lalanguina, grande réunion : l’église est trop petite
pour contenir les treize cents auditeurs qui nous y attendent,
et on improvise un temple en plein air, où, pendant une
heure (traduction comprise), je fais les frais du service. Après
le service, examen de a visitation », puis, à quatre heures et
demie, départ pour chez le prince... — son nom m'échappe,
— le premier descendant de la famille royale du Betsiléo ;
magnifique homme qui nous attendait à dîner. Douze plats!
musique tout le temps du repas; orchestre très rudimentaire
et très malgache qui m’avait reçu avec la Marseillaise , et
chœur d’hommes et de femmes, chantant des chansons du
crû. Le susdit prince m’a porté un toast charmant (sans vin),
m’exprimant la joie de voir de ses yeux un pasteur protes-
tant français. A six heures et demie, nous nous remettions en
route pour arriver ici, à Fianarantsoa, en pleine nuit, à neuf
heures. Samedi, visites officielles, puis aux missionnaires an-
glais, au séminaire norwégien, qu’on va inaugurer dans huit
jours. Dimanche, c’est-à-dire hier, j’ai présidé le service
du matin à l’Église luthérienne, et celui de l’après-midi, à
celle de la Société de Londres. Grands auditoires, en parti-
culier chez les Anglais, où il y avait au moins quinze cents
personnes.
« ... Ma présence ici était ardemment désirée par tous, et
j’ai bien fait de venir : c’était bien le devoir. Le Betsiléo est,
plus encore que l’Émyrne, la citadelle des jésuites, qui
mènent contre les protestants une ardente campagne... Mais
quel programme tous ces amis m’ont tracé !!! Pire encore que
celui de nos visites dans l'Émyrne. Comme je ne peux leur
donner que quinze jours, le docteur Borchgrevinck,m’emme-
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
567
nant avec lui, dans l’ouest, iis ont fait les bouchées doubles.
D’ici au 14 septembre, tous les jours, j’ai un ou deux services
à trois, à quatre et cinq heures de route, ce qui, avec le retour,
quand nous rentrons, c’est-à-dire une fois sur deux, fera
huit et dix heures de cheval. J’en suis essoufflé à l’avance,
mais impossible de se dérober... Je ne me sens d’ailleurs nul-
lement fatigué par ces longs voyages à cheval, et je suis très
dispos de corps et de cœur... »
Dans une lettre plus récente, M. Lauga résume ainsi ses
impressions sur sa tournée au Betsiléo :
. « ... J’aurais beaucoup à dire sur mon voyage et ma visite
de l’œuvre norwégienne. Je me suis beaucoup attaché à cette
œuvre et à ses ouvriers : par exemple, ceux qui avaient
accusé les missionnaires anglais d’abuser de nous, m’ont
fourni, — il est vrai que j’étais seul, — m’ont fourni une
activité encore plus fiévreuse; mais je ne m’en plains pas,
puisqu’aussi bien, sauf un peu de fatigue morale, je suis
tout à fait bien. Je me suis beaucoup lié avec le docteur
Borchgrevinck, cet homme paisible, bon, d’un jugement si
sain et d’un .esprit si large. J’ai formé avec l’un de leurs
meilleurs missionnaires, celui qui sera sans doute le surin-
tendant, l’année prochaine, M. Johnson de Fianarantsoa, une
véritable et solide amitié. Bref, je suis heureux que Dieu
m'ait permis ce voyage, où il m’a si évidemment gardé et
qui m’a permis d<e connaître l’œuvre de nos frères luthé-
riens et celle de la Société de Londres du Betsiléo, qui me
paraît supérieure à celle de l'Emyrne. »
Dans une lettre postérieure, datée du 9 octobre, M. Lauga,
après avoir parlé de sa rencontre avec M. Escande, s’ex-
prime comme suit au sujet des arrêtés administratifs réglant
l’introduction du français dans les écoles malgaches :
k L’obligation d’enseigner le français, même dans les
écoles de campagne, va être publiée, paraît- il, dans Y Officiel
de demain. C’est un nouveau coup des jésuites, qui contour-
neront l’arrêté en appelant leurs écoles « Écoles françaises »,
568
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
— ce qui, sauf pour la capitale, est une duperie, — et se
contenteront de cette enseigne trompeuse pour faire fermer
des écoles rivales, seules peuplées d’enfants qu'ils comptent
bien absorber.
La vérité est que, depuis notre arrivée ici, les missionnaires
anglais et norwégiens ont fait un immense effort pour enseigner
le français dans toutes les écoles. Si seulement on veut être
équitable, nous pouvons être tranquilles, car l’effort en ce
sens n’existe que chez les protestants. Si on est simplement
impartial, et si on exige des instituteurs des garanties sé-
rieuses, dans un an la victoire sera à nous sur ce terrain, où
les missionnaires protestants, quelle que soit leur nationalité,
défient toute concurrence. Mais si on se contente de l'enseigne
fallacieuse « d’École française » sans exiger l’enseignement
réel, effectif, du français, alors la jeunesse, c’est-à-dire
l’avenir, nous échappera. Ce qui est certain, c’est que depuis
que nous sommes ici nous avons fait tout ce qui est humaine-
ment possible de faire pour pousser à V étude du français , aidés
dans nos efforts patriotiques par les missionnaires qui , ayant
tous accepté loyalement le régime français , ont tout fait
pour nous donner satisfaction. Deux de nos compatriotes, en
position de bien voir, m’ont dit qu’ils avaient été humiliés, en
tant que Français, de comparer les écoles catholiques, soi-
disant françaises, avec les écoles protestantes, et cela, à tous
les points de vue. L’un de ces messieurs me disait qu’à Am-
bositra, pas un enfant de l’école catholique, horriblement
mal tenue, n’a pu lui dire un mot de français, tandis qu’à
l’école de la mission anglaise on lui a récité et chanté du
français, et que plusieurs enfants lui avaient dit quelques
mots. Et les choses sont ainsi partout. Est-ce étonnant quand
on connaît les jésuites et quand on sait quels amis a en eux
l’instruction des enfants U! Je répète que cela est absolument
vrai partout, hormis dans la capitale, où je crois qu’on fait un
peu mieux. »
En terminant sa lettre, M. Lauga expose ses projets de
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
569
retour. Il comptait pouvoir s’embarquer à Tamatave soit
le 18 novembre, soit le 3 décembre. Nous ne savons encore à
quelle décision il se sera arrêté. Sa santé, d’ailleurs, était
bonne.
TAÏTI (J)
NOUVELLES DE L’ÉCOLE DE PAPÉÉTÉ
Nous tenons à ne pas laisser se terminer l’année sans an-
noncer diverses nouvelles concernant nos écoles de Taïti, et
que nos amis apprendront avec intérêt.
Pendant les dernières vacances, Mademoiselle Barrier,
belle-sœur de M. Brunei, est partie pour Taïti, appelée par
la direction des écoles de Papéété pour y fonder une classe de
couture, dont le besoin se faisait depuis longtemps sentir.
Mademoiselle Barrier ne relève pas directement du Comité;
celui-ci n’en a pas moins vu avec un grand intérêt cette
jeune personne accepter l’appel qui lui était adressé et s’en
aller au loin donner son temps et ses forces à l’œuvre sco-
laire que nous poursuivons à Taïti.
Les amis dévoués qui se consacrent à cette œuvre ont
réussi, pendant le cours de cette année, à doter d’une nou-
velle école un des districts éloignés de la capitale et situé
(1) A notre grand regret, nous nous voyons obligés de renvoyer au
prochain numéro des articles concernant nos champs de mission, no-
tamment une étude de M. Dieterlen sur la peste bovine, une lettre de
M. Marzolff, une lettre de M. Brun, etc.
570
JOURNAL ©ES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
près de la presqu’île qui réunit les deux moitiés de Taïti. L’é-
cole de Taravao, dont la fondation première remonte à 1895,.
sera un nouveau moyen de conserver une salutaire influence
sur la jeunesse de nos églises. La direction en a été confiée à
un jeune Taïtien, formé à notre école de Papéété, et ses dé-
buts font bien augurer de la suite de sa carrière.
Nos frères de Taïti ont été affligés, il y a quelques mois,
par une perte bien sensible. Il s’agit d’une jeune fille, Tehaavi
a Tamahare a Mato, qui a été enlevée dans la fleur de sa jeu-
nesse : elle n’avait que 21 ans. Mais depuis environ deux ans,
elle avait succédé à Mademoiselle Abry à la salle d’asile et,
comme cette dernière, elle vient d’entrer prématurément dans
son repos. — « Elle est partie heureuse, écrit M. Yiénot, et
encourageant sa nombreuse famille, lui demandant de ne pas
la pleurer, mais plutôt de suivre fidèlement « celui qui est le
chemin, la vérité et la vie. » Tehaavi, grande belle jeune fille,
pure indigène, avait réussi non seulement à mériter, mais à
obtenir — ce qui est plus rare — la confiance et l’estime de
toute la population de Papéété, largement représentée à ses
obsèques... Après le départ pour le ciel de Marie Abry, celui
pour la France de Madame Pourésv, de Jeanne Vernier,
arrive le rappel de Tehaavi. C’est une rude secousse pour nos
écoles, et les jeunes aides que nous formons sur place ne
peuvent suffire à remplir ces vides, ce qui oblige Mademoi-
selle Banzet à prendre une trop lourde part de la tâche gé-
nérale .. »
ILES DE LA LOYAUTÉ
Maré.
Depuis de longs mois, nous n’avons rien dit de la lointaine
mission de Maré. Pourtant ce petit roeher de corail jeté près
de la Nouvelle-Calédonie, au milieu de l'Océan polynésien,
n’a pas moins droit que tout autre de nos champs de travail
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
571
à la sympathie des amis des Missions et au bienveillant in-
térêt de notre Comité. Que si même notre sollicitude devait
s’exercer en raison directe des difficultés d’un poste en pays
païen, Maré pourrait presque se placer en tête sur notre
liste !
Si nous avons gardé le silence à son sujet, c’est que la
situation ne s’était pas sensiblement modifiée depuis le petit
résumé que nous en tracions en novembre 1894, dans ces
mêmes colonnes.
A cette époque, M. Lengereau, fils de l’aumônier de Nou-
méa, à qui nous aimons rendre ici, à nouveau, le témoignage
qu’il avait déployé des capacités exceptionnelles en un poste
exceptionnellement difficile, M. Lengereau venait de quitter
Maré pour un congé illimité, et le gouvernement français
avait décidé que le poste devenu vacant serait occupé, désor- '
mais, par un instituteur de carrière. M. et Madame Rousseau
venaient de débuter à Maré, et tout nous faisait bien augurer
de leurs débuts. Cet espoir-là n’a pas été trompé, et les lettres
de M. Rousseau nous ont apporté des détails qui fixeront nos
lecteurs sur l’état politique et religieux de 111e.
Au mois de janvier dernier, il nous annonçait avec joie et
la fusion des deux partis longtemps séparés de l’Église protes-
tante à Maré, et l’amélioration des rapports avec les autorités
représentées par le résident, homme droit, impartial, cou-
rageux, qui a rendu, dit-il, « hautement justice aux amis de
la Brousse », c’est-à-dire à la faction la plus vivante et la
moins nombreuse de notre Église. Mais à côté de cette double
cause de satisfaction, il y avait une lourde inquiétude; et,
quelques mois pins tard, une nouvelle lettre de M. Rousseau
nous confirmait ce réveil du paganisme que sa première
nous signalait avee angoisse. En effet, la corruption grandit
à Maré, surtout parmi les jeunes : sous le couvert de fêtes
religieuses où l’on chante des cantiques, où l’on écoute des
paroles de l’Évangile, où l’on collecte pour les Missions, on
voit reparaître des coutumes dont l’esprit est plus païen que
chrétien et dont la convenance est presque contestable. Trop
572
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
naïfs, les Natas (1) se réjouissent, parce que ces représenta-
tions théâtrales mettent en scène David et Goliath ou tels
autres héros bibliques et ramènent au temple où elles ont
lieu tel ivrogne, tel débauché qui n'y reparaissait plus depuis
longtemps.
En face de cet état de choses, urgent est l’envoi d’un
homme à Maré ; deux fois urgent si l’on se rappelle que les
prêtres maristes sont là toujours prêts à profiter du désarroi
pour étendre leur influence, quand ils ne fomentent pas
eux-mêmes des agitations et des difficultés.
Urgent l’envoi de ce Français, appelé par les missionnaires
des autres îles Loyalty, émus, comme ceux de Madagascar,
à la pensée de laisser sans conducteurs des troupeaux qu’ils
ont longtemps protégés. Et comment ne pas transcrire ici
quelques mots au moins glanés parmi les appels des indi-
gènes qui nous ont été transmis par M. Lengereau père, et
que nous avons sous les yeux :
« J’ai besoin d’un catéchisme protestant pour mes enfants;
je vous prie de me l’envoyer. J’ai besoin que quelqu’un vienne
dans ma tribu àKaora, pour instruire les enfants et puis pour
veiller sur eux, sur ma femme et les autres, pour qu’ils se
conduisent toujours bien. » Votre serviteur, Jules Gagéno.
Et encore :
« Nous, des tribus de Hanaïlou et Marma, avons l’hon-
neur de vous faire savoir que les grands chefs Mindjia, Baro,
etc., etc., désirent vivement la création de deux écoles dans
leurs villages, etc. » Les chefs déclarent qu’ils se charge-
raient de donner les locaux nécessaires pour l’installation dos
écoles et le logement des instituteurs, etc.
On le voit, il faut absolument un homme pour Maré ; mais,
ainsi que nous l’avons déjà répété de temps en temps, avec
tristesse et inquiétude, cet homme est particulièrement diffi-
cile à trouver. Avant tout, il doit, sauf impossibilité absolue,
être Français. Ce Français doit être d’un caractère trempé
(1) Évangélistes indigènes.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
573
et taillé dans l’étoffe de ceux qui, uniquement soucieux de
l’approbation de Dieu, peuvent marcher seuls sans être ni
abattus par les difficultés, ni rebutés par la malveillance.
Pour être à la hauteur de cette tâche, pour nourrir à la fois
les uns et protéger les autres de la contagion du mal ; pour
se mouvoir sans faiblesses et sans imprudences, entre les
autorités d’une part et les divers partis religieux de l’autre,
cet homme doit, en un mot, être revêtu d’une double mesure
de l’Esprit de Dieu, se révélant dans sa vie par une sagesse
clairvoyante, digne d’un vrai serviteur de Jésus-Christ.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
CHRONIQUE DES MISSIONS
l’islam EN AFRIQUE. — ESSAI DE L’ENTAMER AU SOUDAN OCCIDENTAL. —
NOS ESPÉRANCES RESSUSCITERONT. — OGBOPUTALUNAOZO. — l’aSSOCIA-
TION HAOUSSA. — SURS DE VAINCRE.
Un jour, l’islam poussa son verrou entre l’Europe et l’A-
frique, que la Méditerranée unit plutôt qu’elle ne les sépare.
Il ne serait pas difficile de montrer que toute l’histoire de
l’Afrique, en tout cas celle des relations de l’Europe avec le
massif et noir continent, est déterminée par ce fait. Mais com-
ment l’islam a-t-il remplacé le christianisme dans l’Afrique
du Nord? Là, comme ailleurs, les causes des grands mouve-
ments historiques sont complexes; cependant, dans ce cas
particulier, l’une d’elles se dégage aisément, elle parait do-
miner toutes les autres, et elle nous donne une leçon bien sé-
rieuse : une Église, héroïque à ses débuts, conquérante d’a-
bord, pleine de vitalité, s’est égarée, — elle ne s’est pas en-
574
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
dormie; elle faisait beaucoup de bruit, — et « son chandelier
a été ôté de sa place ».
Donc, au lieu du christianisme, c’est l’islam qui règne en
Afrique, entre la Méditerranée et l’équateur, ou à peu près.
Longtemps, cet islam africain a été considéré comme impéné-
trable, comme réfractaire au christianisme. Bien des gens,
même des chrétiens, paraît-il, pensent encore ainsi. Il y a
huit ans à peine que, dans certains cereles, on s’émut de l’in-
dolence des chrétiens à l’égard des musulmans.
Dès 1889, le jeune et vaillant Wilmot Brooke (1) a voulu
entamer de front le domaine du croissant au Soudan occiden-
tal. C’est le seul point où l’attaque soit possible; au Soudan
oriental, il y a le mahdisme, et le Soudan occidental, ou fran-
çais, est agité par des guerres incessantes. Les pionniers de la
mission chrétienne au Soudan choisirent comme base d’opé-
ration Lokodja, au confluent de la Bénoué avec le Niger. La
jeunesse et les grands espoirs les rendaient hardis. Us étaient
une demi-douzaine. Un an après la fondation de la mission,
J. -A. Robinson demeurait seul au poste. Tous les autres
avaient dû se retirer en Europe devant la fièvre. C’était en
avril 1891. Robinson mourut à Lokodja, le 25 juin de la même
année (2). Peu de mois après, le 3 avril 1892, Wilmot Brooke,
retourné à Lokodja, y succomba à son tour. Dans ses papiers,
on trouva, parmi d’autres notes, les suivantes : « Si je meurs
à Lokodja, je désire être enseveli à côté de Robinson... Il
faudra ensuite reprendre le plus rapidement possible les tra-
vaux réguliers de notre mission... 11 importe de poursuivre
l’évangélisation de bourgade en bourgade dans un rayon
d’environ cinquante kilomètres autour de Lokodja et de
Gbébé... Dites aux chrétiens qu’il faut travailler tandis qu’il
est jour ; la nuit vient où personne ne peut travailler (3). »
(1) Voir le Journal des Missions, 1890, pp. 115 et suiv. ; 237 et suiv.,
435 et suiv. ; 1891, pp. 78 et suiv.; 1892, pp. 223 et suiv.
(2) The Church Missionary Intelligence r (Londres), 1892, p. 360.
(3) The Church Missionary Intelligençer (Londres), 1892, p. 456.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
575
De mars 1892 en automne 1894, il n’y eut plus à Lokodja
que deux ou trois aides indigènes. L’entreprise de Wilmot
Brooke et de ses amis avait, échoué. « lin échec ne prouve
pas toujours qu’une erreur ait été commise », avait dit l’or-
gane des missions anglicanes (1) au début de cette œuvre
dont on devinait les périls. Et, comme exemple, il rappelait
les travaux et l’attente déçue de Krapf (2) dans l’Afrique
orientale, ainsi que les paroles de cet infatigable mission-
naire : a 11 se peut que nos espérances les plus ardentes soient
mises au tombeau ; comme Lazare, elles ressusciteront, et
nos yeux verront la gloire de Dieu. » Cela s’est accompli au
centre de l’Afrique orientale, etKrapfvécut pour l’apprendre.
N’en sera-t-il pas de même un jour au Soudan central et dans
toute l’Afrique occidentale?
Aussi bien, en 4893, on comptait sur l’expérience et l’é-
nergie du successeur de Crowther, l’évêque Hill(3). Il avait
emmené au Niger un état-major choisi avec soin. Mais les
voies de Dieu sont parfois bien incompréhensibles. Le nouvel
évêque arriva à Lagos le 12 décembre 1893 ; le 5 janvier sui-
vant, il mourut de la fièvre ; sa femme le suivit dans la tombe
dès le lendemain; le révérend E.-W. Mathias succomba le
17 janvier, à Forcados, et le révérend A.-E. Sealey, à Warrie,
le 21 du même mois. Mademoiselle Maxwell avait été rembar-
quée pour l’Europe dès le 13 janvier, à la hâte, malade de la
fièvre; sa compagne, mademoiselle Mansbridge, fut enlevée
par la terrible maladie de ces côtes, à Lagos, le 23 jan-
vier 1893.
De tout l’entourage de l’évêque Hill, il ne restait plus que
le révérend C.-E. Watney, qui atteignit Lokodja en automne
1894 (4). Les indigènes le surnommèrent Ogboputalunaozo, ce
(1) The Church Missionary Intelligencer (Londres), 1890, p. 2.
(2) De 1837 à 1843, un pionnier évangélique en Abyssinie; puis, de
1843 à 1833, l’un des pionniers de la mission chrétienne sur la côte du
Zanguebar. Il est mort en novembre 1881.
(3) Voir le Journal des Missions, 1893, p. 363.
(4) Proceedings of the Church Miss. Society (Londres, 1893), p. 70.
576
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
qui signifie « celui qui est resté lorsque le maître a vendu
tous les autres». Mais, dès le 9 juin 1895, lui aussi a été
« vendu » par le Maître. Il repose dans le petit enclos de la
mission, à Lokodja, à côté des tombes de J. -A. Robinson et
de W. Brooke. Quatre ans auparavant, au printemps 1891,
quand il s’était offert à la mission anglicane et qu’on lui pro-
posa d'aller au Niger, il répondit, après mûre réflexion, qu’il
était prêt à partir, quoiqu’il n’ignorât pas les dangers du cli-
mat ; qu’il était heureux à la pensée de s’en remettre à l’amour
d’un Guide qui ne peut pas se tromper; que partant, il lais-
serait sa vie au service de son Dieu, si cela était nécessaire,
considérant dès l’abord comme un très grand honneur d’ob-
tenir une place au premier rang de l’armée joyeusement con-
quérante, et qu’il prenait la solennelle et sérieuse résolution
de dépenser toutes ses forces dans cette guerre sainte (1).
Et dire qu’il est des chrétiens qui, laborieusement, cher-
chent dans un passé lointain des exemples d’héroïsme et de
foi! Ont-ils des yeux pour ne pas voir? N’est-ce pas aujour-
d’hui que des apôtres donnent leur vie pour l’amour du Christ
et s’écrient, avec Krapf, que les victoires de l’Église seront
gagnées par-dessus leurs tombes? S’il est quelque chose d’é-
trange et d’inquiétant, c’est que ce saint enthousiasme n’é-
meuve personne, que cette contagion sacrée ne gagne per-
sonne parmi nous.
Et si quelqu’un pensait que ce sont là des sacrifices insen-
sés et inutiles, je répondrais, avec M. Tugwell, l’évêque actuel
du Niger : « Ces hommes ne gaspillent pas leur vie; ils ne la
perdent pas. C’est une gloire pour eux que de la donner.
Gaspiller, perdre sa vie, c’est vivre et mourir peut-être sans
avoir fait un seul effort pour avancer le règne de notre Sau-
veur adorable (2). »
Tout de même, on aurait pu craindre un recul, temporaire
(1) The Church Missionary Intelligence r (Londres), 1895, p. 769.
(2) Proceedings of the Church Miss. Society (Londres, 1896), p. 73.
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
577
au moins après tous ces deuils. Il n’en est rien. L’impulsion
donnée à la mission du Soudan par W. Brooke a été trop
forte. Les défaites essuyées ont mis en relief les difficultés de
la tâche. On n’a pas fermé les yeux. On n’a pas continué à se
lancer contre l’obstacle dans un entraînement superbe, à l’a-
venture, sous prétexte de compter sur Dieu. On s’est assis,
comme s’il s’agissait de construire la tour dont parle le
Maître. On a réfléchi en même temps qu’on a prié. La ques-
tion a été étudiée dans son ensemble. Sur cette voie, on a ob-
tenu une vue plus claire; l’on pourra désormais imprimer
une direction plus sure à l’action qui va être engagée comme
à nouveau.
L’évêque Tugwell a remonté le Niger en octobre 1895 et a
visité le nouvel émir de Bida. Ce souverain musulman reçut
aimablement le missionnaire de Jésus-Christ. Il ne fit aucune
objection contre la réouverture de la station de Kipo-Hill,
près d’Eggân, sur le Niger, et se montra très désireux de col-
laborer avec l’évêque contre l’inondation alcoolique dont le
Soudan est menacé (1).
Quelques mois plus tard, en avril dernier, M. Tugwell,
accompagné du missionnaire L.-H.-W. Nott, un ancien offi-
cier de l’armée anglaise, s’est aventuré jusqu’à Keffi. Navi-
guant sur la Bénoué, ils ont atteint en trois jours Loko, à
(1) The Church Missionary Intelligence!' (Londres), 1896, pp. 186 et
suiv. — L’évêque Tugwell a été entraîné dans une polémique de jour-
naux par sa protestation contre le gouverneur, sir Gilbert Carter, à
propos de l’importation d’alcools dans le Protectorat du Niger. Suivant
les documents officiels du Protectorat, la valeur de l’alcool importé en
1893 était de 3,250,000 francs; elle est montée, en 1894, à 5 millions
850,000 francs ; cela représente 118,686 hectolitres d’alcools introduits dans
le pays. Le Kolonialblatt de Berlin enregistre 11,491 hectolitres d’eau-de-
vie (valeur, 685,000 francs) importés à Kaméroun. — A elle seule, la
ville d’Abéokouta a envoyé à Londres une pétition couverte de 8,207 si-
gnatures de chrétiens, de musulmans et de païens contre l’introduction
d’alcools dans le pays. Soit dit en passant, ce document est un rouleau
long de 250 pieds (76 mètres). Les chrétiens ont pris l’initiative de ce
mouvement ( The Church Miss. Intelligence!' ; Londres, 1896, pp. 209
et 227).
41
578
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
quelque cent trente kilomètres de Lokodja. Puis, se dirigeant
vers le nord, ils sont arrivés, le 8 avril, à Naçarowa (1) .Ils y
visitèrent une école arabe, où, comme d'ordinaire, les enfants
ânonnaient des versets du Coran sans comprendre un mot
d’arabe. M. Nott demanda s’il ne vaudrait pas mieux apprendre
des prières dont on comprendrait la signification. « Oh! sans
doute, fut la réponse fort spécieuse; mais Dieu comprend
tout de même! » Le 11, les missionnaires entrèrent à Keffi.
Cent cinquante esclaves y étaient exposés en vente sur le
marché. Mais personne ne molesta les deux chrétiens. Un
mallam ou lettré haoussa leur promit même de traduire de
l’arabe dans sa langue les Actes des Apôtres et l’épître aux
Romains. En somme, cette excursion vers les bords du Soudan
est pleine de promesses.
Le frère du missionnaire J. -A. Robinson, le révérend C.-H.
Robinson, a poussé beaucoup plus loin l’exploration du pays
haoussa. Entre les mois d’août 1894 et de mai 1895, M. Ro-
binson a circulé dans le Soudan occidental; il a fait un séjour
prolongé à Kano, l’antique capitale haoussa, à plus de cinq
cents kilomètres au nord de Lokodja, à près de mille kilo-
mètres de l’embouchure du Niger. Il estime que les deux tiers
de la population sont encore fétichistes, et que l’islam, imposé
aux Haoussa au commencement de ce siècle, lors de l’immi-
gration des Foulbé (2), n’est guère qu’un vernis léger.
M. Robinson n’est pas missionnaire. Il veut préparer les
voies à la mission. C’est le côté original de cette stratégie
chrétienne.
Après la mort de J. -A. Robinson, quelques-uns de ses amis
formèrent, en souvenir du défunt, qui s’était vivement inté-
(1) Les journaux de voyage sont publiés par le Church Miss. Intel li-
gencer (Londres), 1896, pp. 590 et suivantes.
(2) Appelés Fellâni au Soudan, ce sont les Peuhls du Sénégal. —
Les études de M. Robinson ont été consignées dans un volume qui vient
de paraître sous le titre de Hausaland or Fifteen Hunclred Miles through
the Central Soudan , chez Sampson Low et O, à Londres (1896).
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
579
ressé aux Haoussa, une association pour l’étude du pays
haoussa, « avec l’intention de favoriser les intérêts supérieurs
de ces peuples et de traduire en leur langue les Écritures et
d’autres ouvrages appropriés. » Ces termes un peu vagues
s'expliquent par le fait que des linguistes comme MM. Max
Muller, Peile, Robertson Smith, des naturalistes comme
M. Fr. Galton, des négociants comme sir George Goldie se
sont affiliés à cette association. Il y a là des questions d'in-
térêt général. La langue haoussa n’est pas un dialecte quel-
conque, par exemple; elle est parlée par un centième de la
population du monde. M. Robinson partit comme premier
« étudiant», ou explorateur de l’association haoussa. Il vécut
un an sur les frontières de la Tunisie pour y apprendre le
haoussa. Après cela seulement il alla voyager au Soudan,
capable de comprendre les habitants et de se faire comprendre
d'eux. Comme fruits de ce voyage, il rapporte, outre des ren-
seignements variés et précis, le dictionnaire haoussa du mis-
sionnaire J. -F. Schœn (4), soigneusement révisé, des poésies
et autres textes haoussa, les évangiles de Jean et de Luc, tra-
duits en haoussa par des lettrés indigènes. Il conseille aux
missionnaires d'aller apprendre le haoussa au nord de l’A-
frique, dans un climat relativement sain, et de ne se rendre
qu'ainsi armés au Soudan, par la voie du Niger. Les décès
seront moins fréquents parmi les missionnaires, pense-t-il,»
en tous cas, ils pourront se mettre à l’œuvre dès leur arrivée
dans le pays.
Le jour de Pâques, au Soudan, l'évêque Tugwell écrivait
dans son carnet : « Ici, à la porte du Soudan, nous venons de
célébrer le souvenir de là résurrection de Celui dont nous
souhaitons de proclamer le nom dans le pays tout entier.
Nous avançons, sûrs de n’être pas vaincus, certains de la
victoire finale, quoique au travers de défaites peut-être. Le
(1) Un précurseur, qui avait accompagné en 1841 la première expédi-
tion du Niger, et a publié une grammaire (1862) et un dictionnaire
haoussa (1876). 11 est mort en 1889.
580
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
Christ est ressuscité. Le Christ règne. Nous sommes ses
ambassadeurs (1). »
Voilà la foi qui conquiert le monde. F. H. K.
BULLETIN MENSUEL DES MISSIONS
EUROPE. — Un livre utile. — 11 y a six ans, deux
pasteurs m’ont remercié d’avoir annoncé dans le Journal des
Missions (1890, p. 319) un volume des plus utiles pour qui-
conque veut parler des Missions en public. Il vient de paraître
une deuxième édition de ce livre : Die Mission auf der Kanzel,
ein mission s homiletisches Hilfs-und Handbuch, par J. Hesse
(Calw et Stuttgart, 1897, 446 pages in 8°). Même ceux qui
possèdent la première édition feraient bien d’acquérir la se-
conde, tant le travail est refondu, renouvelé, amélioré. On y
trouve : Des conseils pour tenir une réunion de missions
(pp. 7-58); des textes, des thèmes et des dispositions pour
services de missions (pp. 58-210); des cadres liturgiques (pp.
211-245); un calendrier des principales dates de l’histoire
des missions, avec renvoi aux sources (pp. 246-281); un choix
d'exemples et d’histoires convenablement groupés (pp. 282-
435); enfin, plusieurs index (pp. 436-446j. Tous les pasteurs
qui savent un peu d’allemand devraient avoir et constam-
ment manier cet excellent manuel.
Missions et vacances. — Du 29 septembre au 1er oc-
tobre dernier, on a inauguré à Freudenstadt, sur le versant
wurtembergeois de laForêt-Noire, des cours publics et gratuits
dans lesquels on a présenté aux auditeurs les diverses faces
de la question des missions. Divers conférenciers ont exposé,
l’un, un voyage apostolique autour du monde, comme intro-
(1) The Church Miss. Intelligence r (Londres), 1896, p. 591.
BULLETIN MENSUEL DES MISSIONS
581
duction générale; l'autre, une vue d’ensemble sur les travaux
de la mission de Bâle; d’autres, l’histoire des divers champs
de travail des missionnaires bâlois ; un membre du Comité
des missions de Bâle a montré comment opère la direction de
cette Société; enfin, comme couronnement, il a été question
de la science des missions c’est-à-dire de la théorie, de la
méthode, des principes et de la connaissance pratique des
missions. Ceux qui avaient organisé cette conférence pasto-
rale d’un nouveau genre s’attendaient à avoir vingt à vingt-
cinq auditeurs; il s’en est réuni plus de cent. Et chaque
soir on priait avec plus d’ardeur: « Que ton règne vienne ! (1)»
Du travail pour trois ans. — La Société anglicane
des missions est, de toutes les Sociétés de ce genre, la plus
puissante. Les recettes totales de son 97e exercice, clos le
31 mars dernier, se sont montées à 7, 151 ,750 francs. Elle compte
458 missionnaires, dont 364 consacrés, sans compter 213 aides
féminines. Le nombre des chrétiens que réunissent ses 462
stations est de 217,825, y compris 24,151 catéchumènes; sur
ce total de chrétiens, il y a 58,564 communiants. Dans ses
2,130 écoles, on compte 88,205 élèves (2).
Dans trois ans, le 12 avril 1899, cette Société terminera le
premier siècle de son activité. Pour célébrer dignement cet
anniversaire, elle propose à ses amis de jeter un coup d’œil
sur le passé, afin de mieux comprendre le présent — ce sera
l'œuvre de quelques historiens spécialistes; — puis, de faire
un grand pas en avant. Ce dernier point est l’essentiel. Le mot
d’ordre est : Un plus grand nombre de missionnaires, et plus
de fonds pour leur permettre d’aller de l’avant. Comme le
nombre de ses missionnaires s’est doublé entre le mois d’oc-
tobre 1887 et le mois d’octobre 1894 — un remarquable pro-
grès — la Société espère de doubler encore une fois le chiffre
démissionnaires d’ici au 12 avril 1899. Pour réaliser tout
(1) Calwer Missionsblatl, 1 896, pp. 82-87.
(2) Proceedings of the Church Miss. Society (Londres, 1896), pp. XVIII
et (80).
582
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
cela, elle exhorte ses amis:l° à prendre la résolution d’avan-
cer; 2° à avancer effectivement, et 3° à se rendre compte du
fait qu’ils avancent, à savoir qu’aujourd’hui ils n’en sont
pas où ils étaient hier, ni demain où ils sont aujourd’hui (1).
Le conseil est hon pour tous.
Les « coloniaux ». — « Il y a huit ou dix ans, l’exal-
tation coloniale avait le verbe haut et poussait avec impé-
tuosité les Sociétés de Missions à l’action patriotique... On
signalait alors les grosses sommes qui afflueraient dans les
caisses de la mission, aussitôt que celle-ci se déciderait à
entrer dans le courant populaire et à tenir compte de l’opi-
nion nationale... Nos missionnaires sont partis pour l’Afrique
orientale ; nous nous sommes mis à l’œuvre énergiquement,
et nous constatons aujourd’hui que l’ardeur apostolique de
nos mouches du coche n’a été qu’un feu de paille : elle a jeté
une brillante et rapide lueur pour s’éteindre tout aussi rapi-
dement... Et nous traînons depuis lors un déficit qui alourdit
notre marche en avant!... » Extrait d’un discours prononcé
par le pasteur Bruckisch à l’assemblée annuelle de la Société
des Missions de Berlin, le 3 juin dernier (2).
AFRIQUE. — Meurtre de deux missionnaires
allemands. — Karl Segebrock, un Gourlandais, âgé de
24 ans, et Ewald Ovir, un Esthonien, âgé de 23 ans, tous deux
au service de la mission luthérienne de Leipzig, viennent
d’être assassinés, dans la nuit du 19 au 20 octobre dernier,
sur les flancs du mont Mérou, à trois journées de marche du
Kilima-Ndjaro, dans l’Afrique orientale. Ils allaient fonder
une quatrième station dans cette région (3). Les trois stations
existantes occupent les terrasses méridionales de Kilima-
Ndjaro ; à l’ouest, Madjamé ou Nkaroungo, à 1,540 mètres
(1) The Church Missionary Intelligence r (Londres), 1896, pp. 241 à 253.
(2) Berliner Missionsberichte (Berlin), 1896, pp. 309 et suiv. — Comp. le
Journal des Missions , 1891, p. 107 et 150; 1892, p. 183; 1894, p, 379 et
suivantes.
(3) Hannoversches Missions-Volksblatt (Hanovre), 1896, p. 44.
VARIÉTÉS
583
d’altitude, fondée en octobre 1893 ; à l’est, Mamba, à une
altitude de \ ,500 à 1,609 mètres, établi en juin 1894; et, entre
les deux, Mocbi, créée le 12 février dernier, en partie par
Segebrock.
ASIE. — Combien t’a-t-on payé pour ta con-
version ? demandait un Chinois à un autre, récemment
reçu dans une communauté chrétienne; cinquante francs?
— Bien plus, fut la prompte réponse. — Cent francs? —
Beaucoup plus. — Mille francs? — Toujours plus. Alors?
— Tu vois, dit le chrétien, ils m’ont donné ce livre — et il
montrait à son compagnon une Bible : — il vaut plus que tous
les trésors du monde, car il m’enseigne le chemin qui mène
à Dieu et à la félicité éternelle (1). F. H. K.
— 8 <L —
VARIÉTÉS
DE TAMATAVE A TANANARIVE
Lettre de M. Escande.
Tananarive, le 29 septembre 1896.
Cher Monsieur Boegner,
Enfin, me voici rendu à ma nouvelle destination! Ce n’est
pas trop tôt, Dix jours de voyage en chaise à porteurs, sous
le soleil des tropiques, c’est suffisant, pour ne pas dire plus.
Maintenant, tout cela est fini, j’ai atteint la capitale.
Il vous plaira peut-être de savoir comment mon yoyage
s’est effectué, dans quelles conditions, avec quelles res-
sources. Aussi bien ces détails pourront être utiles aux fu-
turs ouvriers de Madagascar.
Il est évident qu’un semblable voyage ne s’improvise pas.
Si j’avais été livré à mes seules lumières, il m’eût certaine-
(1) Calwer Missionsblatt für Kinder (Calw), 1896, p. 132.
584
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
ment fallu plusieurs jours pour m’organiser. Grâce aux ren-
seignements de mes prédécesseurs, grâce surtout à un négo-
ciant de Tamatave, ami de notre œuvre, je suis parvenu à
être prêt le surlendemain de mon débarquement. C’est lui
qui m’a choisi mes provisions de route, m’a fourni un lit de
camp, m’a acheté une batterie de cuisine naturellement fort
sommaire ; c’est lui également qui m’a trouvé mes a bour-
janes », c’est-à-dire mes porteurs. Ceci n’a pas été chose fa-
cile. Quoique ceux qui se livrent à ce métier soient légion,
ils sont trop peu nombreux pour les besoins du moment.
Songez qu’à cette heure tout s’organise dans l’île, principale-
ment sur la côte et dans la capitale. Les soldats et les fonc-
tionnaires affluent; les négociants anciens élargissent leur
commerce; quelques nouveaux s’établissent. Un certain
nombre de colons (trop peu, malheureusement) accourent
pour tenter fortune. Tout cela occasionne un va et vient
considérable entre Tamatave et Tananarive; les bourjanes
sont réquisitionnés par le gouvernement, qui a toutes les
peines du monde à réunir le chiffre nécessaire... Quoi qu’il
en soit, j’ai eu les miens; dix-neuf, s’il vous plaît : huit pour
porter la filanzane, dix pour porter mes colis, plus le chef,
qu’on nomme ici a commandeur», qui ne porte rien, lui,
mais qui est responsable de ses hommes. Pour le quart
d’heure, leur salaire est exorbitant. J’ai payé les miens
32 fr. 50 chacun, sans compter les cadeaux qu’ils se fai-
saient donner de village en village pour s’acheter quelques
douceurs : manioc, canne à sucre, ou tabac.
Ce qui contribue à renchérir le vo}age, c’est que la plu-
part des villages étant abandonnés dans la région troublée
par les Fahavalos, il faut se munir de conserves pour toute
la route. C’est à peine si, de loin en loin, nous avons pu nous
procurer du riz, des bananes et des œufs. C’est seulement
l’avant-dernier jour que nous avons pu mettre sous la dent
un peu de viande fraîche; combien appréciée, il est superflu
de le dire.
Vous vous souvenez de notre palanquin de Sierra-Léone
VARIÉTÉS
585
qui me joua un si vilain tour? La filanzane ne vaut pas
mieux. On n'est guère moins secoué avec elle. Et quels ca-
hots ! A Sierra-Léone, au moins, les chemins étaient à peu
près convenables. Ici, sauf la partie refaite par les soldats du
génie, la route est absolument abominable, très dangereuse
aussi par suite de la configuration particulière du sol. A
peine quitte-t-on le littoral qu’on arrive aux premières
pentes du grand massif central où se trouve la province de
fÉmyrne, avec Tananarive pour chef-lieu. On monte par gra-
dins jusqu’à 1,500 mètres, pour redescendre à 1,400 — alti-
tude de Tananarive. Ce qu’il y a de curieux dans ces mon-
tagnes, c’est qu’il y a très peu de pics élevés ; ce sont des sé-
ries de mamelons accolés les uns aux autres, se succédant
sans intervalles, par où j’entends qu’il n’existe pas de vallée
continue pour permettre l’établissement d’une route. Celle-ci
doit suivre les accidents du terrain; elle monte pour redes-
cendre, pour remonter encore, et cela indéfiniment. 11 y a
des jours où nous avons grimpé, puis dégringolé delà sorte,
jusqu’à quarante et cinquante fois. Or, ces chemins de mon-
tagnes, ravinés par les pluies, sont — quelques-uns, du
moins — de vrais casse-cous. Ou bien ils inclinent de je ne
sais combien de degrés, mais suffisamment, en tous cas,
pour que vous ayez du mal à garder l’équilibre sur votre
perchoir, ou bien ils côtoient des crevasses qui vous donnent
le vertige, et, ce qu’il y a de pire, c'est que ces misérables
bourjanes, précisément à ces endroits périlleux, se lancent
en avant à toute vitesse, comme s’ils avaient juré votre
perte. Un faux pas de l’un d’eux, et c'en est fait de vous. Mais
ce faux pas, ils ne le font point; ils ont une sûreté de pied à
toute épreuve et finissent bien vite, comme malgré vous, à
vous inspirer la plus absolue confiance.
Du reste, à cela comme à tout autre chose, on s’habitue
promptement. Si, les deux premiers jours, on a les reins
quelque peu brisés, les jours suivants on prend son parti de
ce genre de locomotion. Tandis que les bourjanes vous em-
portent par monts et par vaux, on songe, on lit, on médite,
586
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
on prie (c’est là du moins ce que j’ai fait), et, quand on est
las, on regarde le paysage.
Celui-ci diffère du tout au tout suivant les endroits. Sur la
côte ouest, la végétation est très douce : ce sont surtout des
arbustes et des plantes arborescentes qui, par l’entrelace-
ment des lianes et des ronces, forment des fourrés impéné-
trables. La forêt proprement dite ne commence que beau-
coup plus haut, à mi-chemin de la capitale, et encore n’est-
elle pas considérable, puisque, dans sa plus grande largeur,
elle n'a guère que trente kilomètres. Il est vrai qu’elle repa-
raît à différentes reprises plus loin, jusqu’aux confins de
l’Ëmyrne, où elle disparaît tout à fait. Vous dirai-je mon ra-
vissement de contempler la végétation tropicale dans toute
sa splendeur? Quelle différence avec mon pauvre Sénégal, si
sec, si nu, si aride ! Rien de poétique comme ces gorges pro-
fondes où coulent rivières et ruisseaux ombragés par des
épaisseurs de verdure qui forment arc au-dessus d’eux, et
dont le silence n'est troublé que par le chant des oiseaux ou
le pleurnichement lamentable des singes ! Quand les ponts
manquaient, nos bourganes sautaient de roc en roc ou — ce
qui arrivait le plus fréquemment — entraient dans l’eau jus-
qu’aux hanches, à leur très grande satisfaction.
# Le reste du pays a un tout autre aspect. Les mamelons
sont dénudés; il n’y pousse qu’une herbe desséchée à ce
moment-ci de l’année, et à laquelle on met le feu en prévi-
sion de pluies prochaines. Les bas-fonds, par contre, sont
frais et verdoyants. On y trouve en masse : le bambou, le
bananier, le rafia et l’arbre du voyageur. Cette partie-ci de
l’île étant plutôt pauvre, on y rencontre très peu d’habi-
tants.
Deux fois par jour, nous nous arrêtions dans les villages;
à midi, pour déjeuner; le soir, pour dîner et passer la nuit.
La population est très hospitalière : il suffit que le « comman-
deur » ait jeté son dévolu sur une case pour que les proprié-
taires de cette case déménagent aussitôt pour vous en laisser
la libre jouissance. Quand je parle de leur hospitalité au pré-
VARIÉTÉS
587
sent, j’ai peut-être tort. C’est au passé qu’il en faudrait
parler. Hospitaliers, ils l’étaient jadis (comme, d’ailleurs,
tous les noirs de l’Afrique), quand les communications étaient
rares entre le centre de l’île et la côte. Mais, aujourd’hui qu’il
passe quotidiennement des convois et des caravanes considé-
rables, ce qui était hospitalité est devenu commerce. Il y a,
maintenant, dans presque tous les villages, des cases exclusi-
vement destinées aux voyageurs et que l’on paie vingt cen-
times le jour et un franc la nuit.
A peine arrivés à l’étape, les porteurs se transforment en
domestiques : ils vous apportent de l’eau pour vous débar-
bouiller, dressent les lits de camp, vont acheter le bois pour
allumer le feu, cuisent le souper, vous servent à table, tout
cela avec une bonne grâce parfaite. Ce sont vraiment d’excel-
lentes gens que ces bourjanes; ils jouissent dans le pays
d’une réputation d’honnêteté bien méritée. Ayant besoin de
notre protection, ils se sont, dès l’abord, déclarés les amis de
la France. Ce n’est point parmi eux que les Fahavalos ont
trouvé des recrues.
Vous supposez, sans doute, qu’après une journée de filan-
zane, on doive dormir à poings fermés. Cela serait, n’était ce
qu’on appelle chez nous une cavalerie légère, — les puces,
puisqu’il faut les appeler par leur nom. Le Sénégal m’ayant
habitué à ces voisins incommodes, je n’en ai pas plus souffert
qu’il ne faut; en dépit d’eux, j’ai fait de bons sommes. Mais
ce sont mes compagnons de route qui en ont pâti. L’un d’eux
s’était littéralement ensanglanté de pied en cap et avait fina-
lement pris le parti de passer la nuit dehors, malgré le froid
intense qui règne la nuit sur ces hauts plateaux.
Les quatre premiers jours, nos étapes dépassaient qua-
rante kilomètres ; les jours suivants, il a fallu modérer notre
ardeur. Nous avions, en effet, une escorte militaire qu’il s’a-
gissait de suivre au petit pas pour bénéficier de sa protection.
Cette protection était rendue nécessaire par les dangers que
fout courir aux caravanes les bandes d’insurgés qui troublent
le pays. C’est qu’ils sont terribles, ces Fahavalos! Ce sont de
588
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
véritables brigands de Calabre, pillant les convois, défendant,
sous peine de mort, qu’on cultive les rizières et les champs,
fondant sur les villages, la nuit, pour voler les bœufs, s’em-
parer des provisions, emmener de force avec eux les hommes
valides, et, pour mieux arriver à leurs fins, incendiant tout
sur leur passage... Cela vous serre le cœur de traverser ces
masses de villages, autrefois prospères, aujourd’hui en ruines,
et, près d’eux, les champs en friche, les rizières transfor-
mées en marais. Où étaient jadis l’activité et la vie, ils ont
mis le désert et la mort. Ces Fahavalos sont d’une audace in-
croyable. N’ont-ils pas attaqué la caravane du général Gal-
liéni lui -même? Il est vrai qu’ils ont eu soin de s’en prendre
aux bourjanes de l’arrière-garde, aux retardataires. C’est éga-
lement un retardataire de notre caravane à nous qu’ils ont
dévalisé après lui avoir planté une sagaie dans le bras. Heu-
reusement pour cet infortuné porteur qu’il était près d’un
poste militaire. A ses cris, la troupe est accourue, mais les
voleurs avaient disparu. On comprend après cela la frayeur
des bourjanes. Chemin faisant, ils vous racontent, en les am-
plifiant, toutes sortes d’histoires de ce genre et vous dési-
gnent les endroits où leurs confrères ont eu maille à partir
avec les insurgés. Malgré les charges écrasantes que certains
d’entre eux portent, ils font des efforts surhumains pour
rester près de l’escorte, à proximité du secours.
A deux reprises, j’ai eu le privilège peu enviable d’aperce-
voir de ces Fahavalos. La première fois, ils étaient cinq ou
six sur une colline voisine, occupés à surveiller nos mouve-
ments; la seconde fois, ils étaient toute une bande qui cher-
chaient à se cacher des sentinelles françaises éparpillées sur
tous les sommets d’alentour. Je ne les ai pas seulement
aperçus, je les ai aussi entendus. Nous avions fait halte à Sa-
botsy pour y passer la nuit. A dix heures du soir, les bour-
janes nous réveillent en criant : les Fahavalos! les Fahava-
los î C’étaient ceux-ci, en effet, qui attaquaient le village
voisin. Au même instant, les tirailleurs indigènes passent en
courant devant la case, et bientôt la fusillade éclate : feux de
VARIÉTÉS
589
salve de nos soldats et riposte des ennemis. A une heure,
nouvelle alerte : les Fahavalos se sont jetés sur un autre ha-
meau. Malheureusement, leurs coups sont vite faits. Le pil-
lage accompli, ils se dérobent aux poursuites et rentrent
dans leurs repaires. En nous réveillant le matin, nous aper-
çûmes, à quelques pas de notre porte, un pauvre homme
qui avait eu la tête fendue, près de l’oreille, par une hache
et que ses concitoyens apportaient au docteur militaire. Nous
sûmes, en outre, que plusieurs autres, du même village,
avaient été maltraités et qu’un manquait à l’appel, probable-
ment massacré par ces sauvages.
Mes compagnons de route n’étaient qu’à moitié rassurés,
surtout un négociant qui emmenait avec lui une quantité
considérable de marchandises... Quant à moi, j’étais calme,
confiant en Dieu. Ne savais-je pas que « l’ange de l’Éternel
campe autour de ceux qui le craignent et les garantit? » Dieu
a montré une fois de plus que ses promesses sont certaines et
véritables.
Quelle joie cela a été pour nous quand, au matin du neu-
vième jour, nous avons entrevu de loin la capitale! C’était du
délire chez nos bourjanes qui, pour peu, eussent pris le mors
aux dents. D'ailleurs, rien à craindre par ici. Ce coin de pays
est tranquille. Les postes sont nombreux et bien fournis; ils
tiennent en respect les pillards. Il résulte de ce fait que la
population des provinces tend toujours plus à se concentrer
vers Tananarive où elle est sûre d’être en sécurité. Les vil-
lages se multipliant, les coteaux sont cultivés, les rizières
verdoient dans les vallées. Il y a mieux encore. Les habita-
tions, au lieu d’être faites en écorces et d’être recouvertes de
feuillage, comme c’est le cas dans toute la partie est de l’île,
sont ici de véritables maisons bâties en argile, — souvent à
étages; — plusieurs d’entre elles accusent une architecture
qui n’est pas sans grâce ; on y voit des tourelles, des véran-
das, etc. On sent qu’on a affaire ici avec une population po-
licée, civilisée. Ce n’est pas pour rien qu’on aperçoit un peu
partout des temples et des maisons d’école. Oui, des temples
590
JOURNAL DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
et des maisons d’école, où l’on enseigne le pur Évangile, où
l’on travaille pour le compte du Sauveur, notre commun
Maître. De voir cela, on a le cœur tout ragaillardi et l’on se
sent pressé de demander à Dieu que par le fait du nouvel état
de choses dans lequel le pays vient d’entrer, l’œuvre mis-
sionnaire, son œuvre à Lui, ne soit pas compromise.
Aux portes de la capitale, je rencontre un des partisans de
la Société des amis qui vient m’offrir de me recevoir sous
son toit jusqu’à ce que M. Lauga soit de retour du Betsiléo.
Ma solitude est donc finie, car chez M. Standing je me trouve
vraiment chez moi. Que la communion fraternelle est pour-
tant une douce chose !
J’espère vous parler sous peu de mon travail. 11 faut, préa-
lablement, que je m’organise. Je compte sur vos prières.
Votre bien affectionné, B. Escande.
P. S. — M. Lauga vient enfin d’arriver; je vais pouvoir
organiser ma vie. Ce n’est pas à dire qu’en son absence, j’aie
perdu mon temps. J’ai reçu une foule de visites, j’ai beau-
coup vu, j’ai beaucoup entendu. Je vous dirai prochainement
mes impressions.
DERNIÈRE HEURE
En mettant sous presse, nous recevons des lettres de
MM. Lauga et Escande, datées de fin octobre. Les nouvelles
sont bonnes, mais nos frères nous pressent de faire partir
au plus tôt les ouvriers destinés à Madagascar.
Le Gérant : A. Boegner.
TABLE DES MATIÈRES
SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉVANGÉLIQUES DE PARIS
Pages
La Société des Missions à l’entrée de 1896 \
Madagascar 7
Herman Jacot 11
Notes du mois 15, 107, 156, 251, 307, 356, 499, 552
Adieux et départ de MM. Lauga et Krüger pour Madagascar. 53
Adieux de M. et madame Ivan Mercier et de MM. Albert
Bolle et Félix Faure 56
A ceux qui partent (cantique, par Edouard Monod). ... 62
ln memoriam. — M. Alfred André. — M. le pasteur Guil-
laume Monod. — M. le pasteur Louitz. — Madame veuve
Adèle Jalla 63
Notre situation financière 65
Comment il faut lire le Journal des Missions 66
Un danger 101
Les hommes qu’il faudra pour Madagascar 104
Le dernier mois de l’exercice 105
Arrivée de madame Jacot 106
Entre Aden et Madagascar (lettre de M. F. H. Krüger) ... 109
Madagascar. — Sur l’Océan Indien. — A Tamatave. — Une
délibération des missionnaires de l’Emyrne. — Une im-
portante démarche. — Les hommes que réclame l’œuvre
de Madagascar 149
Encore un ouvrier pour le Congo 160
Une fête missionnaire à Réalville 162
Jusqu'ici l’Eternel nous a secourus 201
Situation financière à la clôture de l’exercice 1895-96 202
Assemblée générale du 23 avril 1896 203
Etudiants missionnaires 204
Une rectification 205
Nos délégués à Madagascar. — De Tamatave à la capitale. —
A Tananarive 206
Où prendrons-nous des pains pour cette multitude? 245
Nos assemblées annuelles 248
Départ de MM. et mesdames Allégret et Richard 249
Arrivée de missionnaires 250
Madagascar. — La situation religieuse et l’état des esprits à
Madagascar. — Comment nos délégués s’acquittent de
leur mandat. — Inspection d’écoles et visites d’Eglises,
— ■ Accueil excellent. — Premiers résultats de l’enquête.
Prochaines décisions. — Attaques inévitables 253
Encore un sujet d’actions de grâces 297
A nos donateurs. — Remerciements d’un missionnaire. . . . 299
Voyage et arrivée de M. Goillard 300
Arrivée du missionnaire Escande. * 306
Départ de M. le missionnaire Teisserès 307
592
TABLE DES MATIÈRES
Madagascar. — L’activité de nos délégués. — Approbation gé-
nérale donnée à notre intervention à Madagascar. — Une
lettre de la reine Ranavalo au Comité des Missions. —
Importantes décisions
L'appel de Dieu
Courage sérieux et sincérité
Réunion du 28 juin à l’Oratoire
Madagascar. — Dernières nouvelles de nos délégués. — Im-
portantes décisions
A propos de nos deuils. Réflexions d’un missionnaire ....
Nos missionnaires en congé
Notes du mois
Situation financière au 20 août 1896
Madagascar. — Départ de M. Krüger pour l’Afrique méridio-
nale.— Attaques et calomnies. — Départ de M. Escande.
Deux consécrations. — M. P. L. Vernier et M. A. Coïsson .
Situation financière au 20 septembre 1896
Madagascar
Question de foi
Situation financière
Rentrée de la Maison des missions
Souvenirs de la consécration des missionnaires P. Vernier et
A. Goisson
Une fête missionnaire dans la Vaunage
Lettre de M. Coillard. — « Mes allées et venues ». — A Con-
trexéville. — Au Banc de la Roche. — Dans les Vallées
vaudoises. — En Suisse. — Les lettres du Zambèze . . .
Madagascar. — Le retour de M. F. H. Krüger. — M. Lauga
au Betsiléo. — Heureuse traversée et arrivée de M. Es-
cande à Tamatave .
Prochain envoi d’hommes à Madagascar et au Zambèze . . .
Une proposition
Départs et arrivées de missionnaires
Situation financière
Lettre de M. Coillard
Madagascar. — La visite de M. Lauga dans le Betsiléo. —
L’enseignement du français dans les écoles malgaches. —
Projets de retour de M. Lauga
LESSOUTO
Lettre de M. Paul Germond
Heureuse arrivée de M. et madame Marzolff
Dans le Haut Lessouto. Etude de M. H. Dieterlen .... 68,
Nouvelles diverses. — Démission de M. Preen. — Nos
grandes écoles
Aux approches du départ
Isaac Bisseux
Sur une tombe
Réunion annuelle de la Conférence
M. et madame Mercier au Lessouto
Où le paganisme peut aboutir
Rapport de la Conférence des missionnaires du Lessouto sur
l’année 1895*96
Pages
309
345
347
350
358
401
403
406
407
409
449
454
454
497
500
501
503
507
509
518
545
549
551
555
556
563
17
67
112
164
166
212
213
262
263
263
315
TABLE DES MATIÈRES
593
Pages
La stalion de Cana . . 363
M. Mercier à Léloaleng 364
Au jour le jour. Extraits du journal d’un missionnaire . . 365, 414
Beaux succès de l’Ecole normale de Morija 459
La station de Makéneng. — Un contraste. — Où en est l’évan-
gélisation du Lessouto. — L’Eglise, la résistance païenne,
les chefs 460
Menus incidents de la vie missionnaire 465
Progrès et besoins de l’heure actuelle. — La caisse centrale.
— Une nouvelle école industrielle. — Les hommes qu’il
faut au Lessouto 525
ZAMBÈZE
Dernières nouvelles. Maladie de M. Goillard 23
Quelques lignes de M. Goillard 25
Une exploration missionnaire. — A la capitale de Kakengé.
— Un accueil peu amical. — En danger. — Protection de
Dieu. — L’Evangile est annoncé. — Conversion des bate-
liers. — Le fatal « demain » 28
Dernières nouvelles 77
Récit du voyage de MM. Davit et Boiteux. Extraits de let-
tres . . 78
Nouvelles de M. et madame Mercier 122
La mission du Zambèze, de juillet 1894 à septembre 1895. 122, 222
En quittant le Zambèze (lettre de M. Goillard) 169
Dernières nouvelles. — Le voyage de MM. Coillard et Jalla.
— M. et madame Mercier au Lessouto. — Nouvelles des
stations j 74
Nouvelles de MM. Goillard et Jalla 220
En danger dans le désert 230
Noyage de MM. Goillard et Jalla. — A Maféking. — Pians
bouleversés. — La peste bovine. — La révolte des Maté-
bélés. — Allées et venues. — M. Goillard à l’hôpital de
Kimberley. — Une délivrance. — En route pour l’Europe. 267
Nouvelles des stations. 272
Mort de M. Auguste Goy 369
Dernières nouvelles 376
L’Ecole biblique de Léaluyi 417
A Nalolo. — La station se transforme. — L’inondation et ses
conséquences pour la mission. — La propre justice chez
les païens. — Le réveil de l’an dernier. — Ivraie et bon
grain. — La peste bovine et ses suites 42'.
Un nouveau courrier 529
A Léaluyi. — Une année terrible. — Un douloureux courrier.
— Epreuves diverses. — Il nous faut une phalange d’ou-
vriers. — Nouvelles de l’oeuvre 531
SÉNÉGAL
Dernières nouvelles 38
42
m
TABLE DES MATIÈRES
Voyage de M. Albert Bolle 126
Lettre de M. Escande 126
Arrivée de M. A. Bolle à Saint-Louis 181
L’œuvre de Sor. — Prochain départ de M. Escande 279
Dernières nouvelles 426
Retour en France de mademoiselle Buttner. — Nouvelles de
la mission 4fi7
L'école des filles 536
CONGO FRANÇAIS
La mort de M. Jacot. — Sa dernière lettre et son dernier
appel. — Sa fin. — Son œuvre. — Les besoins de la mis-
sion du Congo 83
Dernières nouvelles 92
Nouvelles de MM. F. Faure et E. Iiaug 132
Voyage de M. Faure . . 182
Nouvelles de madame Gacon et de MM. Forget et Haug . . . 183
Arrivée de M. F. Faure à Lambaréné. — Nouvelles de Tala-
gouga 281
Nouvelles récentes. — La santé de nos missionnaires. —
Œuvre scolaire à Lambaréné. — Travaux divers dans la
station. — Tournées en perspective. — Nos voyageurs. . 324
Mort de madame Gacon 377
Arrivée de MM. et mesdamee Allégret et Richard. — Nou-
velles de la mission 380
Nouvelles récentes. 426
Les derniers moments de madame Gacon 4*28
Dernières nouvelles. — Prochain retour en France de M. Haug.
— L’école de Lambaréné.— Demande de congé de M. For-
get. — M. Allégret et la station de Talagouga 468
TAÏTI
Nouvelles de M. et madame Huguenin 93
Réunions de prières et réveil à Raïatéa 133
Rapport de la conférence missionnaire des Iles de la Société
Le bateau missionnaire 472
Aux Iles Sous-le-Vent 472
Nouvelles de l’Ecole de Papéété 569
Iles de la Loyauté. — Maré 570
MISSIONS ÉVANGÉLIQUES
CHRONIQUE DES MISSIONS
Comment l’Évangile fut introduit dans l’archipel de Cook. _ —
Un jeune missionnaire mécontent. — Merveilleuse his-
TABLE DES MATIÈRES 595
Pages
toire d’Aou-Oura. — A Papeiha, le premier catéchiste
polynésien à Aitoutaki. — Les idoles renversées. — Dan-
gers à Mangala. — A la recherche de Rarotonga. — La
victoire 39
Hudson Taylor et la mission de la Chine intérieure. 94, 240,430, 479
Les massacres d’Arménie et les Missions 137
Martyrs arméniens 184
Paroles d’un archevêque sur les missions 192
L’œuvre des missions norvégiennes à Madagascar 237
La carte ries missions pour l’an 1895 à 1896 289
Puissance du paganisme aux Indes 335
Madagascar. — A propos de l’attaque de la mission norvé-
De nouveau à Koumassi. — La fin de la puissance des Achan-
tis. — Histoire d’une cloche 538
Pour les Arméniens. 542
L’Islam en Afrique. — Essai de l’entamer au Soudan occi-
dental. — Nos espérances ressusciteront. — Ogboputa-
lunaozo. — L’association Haoussa. — Sûrs de vaincre . . 573
BULLETIN MENSUEL DES MISSIONS
Afrique. — Expédition anglaise contre Koumassi 47
Mort triomphale d’un ancien féticheur 48
L’œuvre survit aux ouvriers 48
Une carrière longue et bénie 49
L’espérance du missionnaire 50
Troubles à Madagascar 50
Meurtre de deux missionnaires allemands .... 582
Asie. — Un confesseur mandchou 51
Le mouvement des volontaires de la mission .... 146
Une statistique des missions protestantes 146
Un témoignage en faveur des missions. ...... 147
Un déficit comblé 148
Le Rév. Nathanaël Georges Clark 148
Combien a-t-on payé pour ta conversion? 583
Europe. — Un livre utile 580
Missions et vacances 580
Du travail pour trois ans 581
Les coloniaux 582
BIBLIOGRAPHIE
Judson, ou Vœux du nouvel an et leur accomplissement
(G. Appia) 52
Contes populaires des Bassoutos (E. Jacottet) 99
Nouveaux actes des apôtres 294
VARIÉTÉS
Cheikh Othman 193
596
TABLE UES MATIÈRES
Pages
Une visite à la « Mission des Universités », à Zanzi-
Encore l’attaque de Sirabé 491
De Tamatave à Tananarive. Lettre de M. B. Escande . . . 583
DERNIÈRE HEURE
Arrivée d’un courrier du Congo français 52
Départ de M. et madame Mercier et de M. F. Faure 100
Arrivée de M. Christol * . 244
Réunion familière du 26 avril à la Maison des missions. . . . 244
Un bateau missionnaire pour Taïti 295
Destination arrêtée pour les élèves Coïsson et Vernier .... 400
Nouvelles de MM. Lauga et Escande 590
AVIS ET NOUVELLES
Vente des Missions 100
GRAVURES, CARTES ET TABLEAUX STATISTIQUES
Herman Jacot 1
Archipel des Iles de Cook 42
Tableau statistique des Eglises du Lessouto 315
Tableau statistique des Eglises de Taïti, Iles Australes, Moo-
réa et Iles Sous-le-Vent \ . . 317
La station de Cana ....... 345
Paris. — Imprimerie de Ch. Noblet, 13, rue Cujas. — 20788.
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1-7 v.71
Journal Des Missions Evangéliques
Princeton Theological Semmary-Speer Library
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