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Full text of "Journal Des Missions Evangeliques"

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SEP  16  1907 
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JOURNAL 


DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


PARIS.  IMPRIMERIE  RE  CHARLES  NCHLET 
13,  rue  cujas.  — 1896 


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JOURNAL 


DES 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


TROISIÈME  SÉRIE  — VINGT  ET  UNIÈME  ANNÉE 


SOIXANTE  ET  ONZIÈME  ANNÉE 


PARIS 

PUBLIÉ  PAR  LA  SOCIÉTÉ  DES;  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 

A LA  MAISON  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 

102,  boulevard  arago,  102 


1896 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


1 


SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


LA  SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  A L’ENTRÉE  DE  1896 

Paris,  le  26  décembre  1895. 

Jamais,  semble-t-il,  la  Société  des  Missions  n’a  terminé 
une  année  dans  des  circonstances  aussi  sérieuses  que  celles 
que  nous  traversons  aujourd’hui. 

La  question  de  Madagascar,  qui  depuis  longtemps  pesait 
sur  nos  esprits,  s’est  brusquement  posée  devant  nous.  Cette 
question  est  si  grave,  si  complexe,  les  solutions  qu’elle  com- 
porte impliquent  des  conséquences  si  sérieuses,  qu’il  nous  a 
paru  indispensable  d’aller  l’étudier  sur  les  lieux.  Nos  délé- 
gués sont  choisis;  ils  vont  partir.  Le  5 janvier,  l’Église  de 
Paris  entendra  leurs  adieux.  Le  6,  ils  prendront  congé  du 
Comité.  Le  10,  ils  lèveront  l’ancre  à Marseille.  D’ici  là,  les 
préparatifs  de  leur  départ  et  de  leur  mission  tiendront  la 
première  place  dans  nos  pensées  et  dans  nos  instants. 

Est-ce  à dire  que  cette  préoccupation  diminue  notre  solli- 
citude pour  nos  missions  elles-mêmes?  A Dieu  ne  plaise  ! Et 
•janvier  1896.  1 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


c’est  précisément  pour  rappeler  à nos  amis,  au  début  de 
l’année  nouvelle,  ces  missions  et  leurs  besoins  que  nous  écri- 
vons ces  lignes. 


I 

Pour  la  seconde  fois  depuis  sa  création,  notre  mission  du 
Congo  est  dans  le  deuil.  Les  détails  que  nous  donnons  plus 
loin  surM.  Jacot  leur  montreront  la  grandeur  de  notre  perte 
-et  la  situation  vraiment  grave  où  se  trouve  la  mission  elle- 
même. 

La  question  des  renforts  qui,  nos  lecteurs  l'ont  vu,  nous 
préoccupait  il  y a un  mois,  a dû  être  réglée  d'urgence.  Un 
jeune  ingénieur  agronome,  M.  F.  Faure , qui  avait  offert,  l'au- 
tomne dernier,  ses  services  à notre  Société  en  qualité  d'auxi- 
liaire, a insisté  pour  être  envoyé  au  Congo.  Cette  demande  a 
été  prise  en  considération.  Nous  aurions  voulu  pouvoir 
adjoindre  à M.  Faure  un  missionnaire  consacré.  Le  seul  de 
nos  élèves  actuellement  prêt  à partir  s’était  offert,  mais  il 
a dû  être  écarté  à la  suite  de  l’examen  médical  auquel  nous 
soumettons  nos  futurs  ouvriers  avant  de  leur  assigner  un 
poste.  M.  Faure  partira  donc  seul  le  janvier,,  de  Marseille. 
C’est  le  cas  de  dire  : Qu’est-ce  qu’un  seul  homme  pour  tant 
ffe  besoins? 

A peu  près  en  même  temps  que  ce  départ,  nous  en  verrons 
s’effectuer  deux  autres  : celui  de  M.  Albert  Bolle,  jeune  mi- 
nistre neuchâtelois,  qui  s’est  offert  pour  Y intérim  rendu  né- 
cessaire par  le  prochain  congé  de  M.  Escande  au  Sénégal , et 
celui  de  M.  Mercier t artisan  missionnaire,  pour  le  Zambèze. 

Si,  d’autre  part,  nous  tenons  compte  du  récent  envoi  de 
M.  et  madame  Huguenin  à Raiatéa , nous  pouvons  constater 
avec  une  profonde  reconnaissance  que  ce  n'est  pas  en  vain 
que  nous  avons  demandé  des  hommes  à Dieu  et  aux  Eglises. 
Mais  est-ce  à dire  que  notre  appel  d'il  y a quelques  mois  ait 
perdu  sa  raison  d’être,  et  que  le  mot  de  Jésus  : « Il  y a peu 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


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d’ouvriers  » cesse  d’être  vrai  de  notre  champ?  On  en  jugera 
par  ce  rapide  exposé  (1)  : 

Maré  n’a  pas  de  missionnaire  depuis  le  départ  de  M.  Len- 
gereau. 

Au  Congo , il  faudrait,  vu  le  climat,  nous  écrivait  M.  Jacot 
peu  avant  sa  mort,  trois  missionnaires  par  station,  sans 
compter  un  quatrième  en  congé;  or,  actuellement,  il  n’y  a 
que  deux  hommes  à Talagouga  et  un  seul  à Lambaréné. 

Du  Zambèze  nous  arrive  la  nouvelle  que  M.  Coillard  est 
gravement  malade,  et  cette  nouvelle  donne  une  force  parti- 
culière à son  appel  bien  connu  : « Envoyez  dix  hommes,  dix 
hommes  du  type  d’Étienne,  et  la  journée  est  à nous!  » 

Nos  frères  du  Lessouto,  affaiblis  par  la  mort  et  par  les 
départs,  se  sentent  découragés  et  fléchissent  sous  le  poids  de 
leur  œuvre. 

La  mission  du  Sénégal  ne  peut  prendre  un  essor  vigoureux 
si  elle  reste  aussi  maigrement  pourvue  en  hommes  qu’elle 
l’est  aujourd’hui. 

Taiti,  enfin,  quoique  renforcé  par  l’envoi  de  M.  Huguenin, 
nous  demande  les  moyens  de  pourvoir  aux  besoins  spirituels 
des  nombreuses  îles  et  archipels  formant  les  établissements 
français  de  l’Océanie. 

Sans  que  nous  y insistions,  nos  amis  sentiront  qu’en  pré- 
sence de  tels  besoins  il  est  plus  nécessaire  que  jamais  de 
demander  au  Maître  de  la  moisson  ces  ouvriers  nombreux 
que  la  moisson  réclame. 

II 

Mais  d’autres  devoirs  s’imposent.  Nos  lecteurs  nous  ren- 
dront cette  justice  que,  depuis  bien  des  mois,  nous  leur  avons 
épargné  les  appels  financiers.  A vrai  dire,  nous  ne  croyons 


(1)  Cet  exposé,  de  même  que  quelques  passages  de  la  suite  de  cet  ar- 
ticle, est  emprunté  à notre  18e  circulaire  à nos  Comités  auxiliaires,  qui 
vient  d’être  expédiée. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


pas  leur  en  avoir  adressé  souvent.  Nous  leur  avons  parlé,  à 
cœur  ouvert,  de  la  situation  de  notre  œuvre,  qui  est  leur 
œuvre  ; nous  les  avons  mis  au  courant  des  affaires  de  cette 
Société  des  Missions  qu’ils  forment  eux-mêmes,  donc,  de  leurs 
affaires.  Nous  ne  ferons  pas  autre  chose  aujourd’hui. 

Par  la  dernière  note  de  notre  trésorier,  nos  lecteurs  ont  pu 
voir  qu’il  y a un  mois  nos  recettes  étaient  de  35,000  francs 
en  retard  sur  l’époque  correspondante  de  l’année  dernière, 
déficit  non  compris.  Cette  situation  s’est  légèrement  amé- 
liorée. Aujourd’hui,  l’écart  est  de  26,393  fr.  75.  Pour  que  les 
recettes  atteignent  le  chiffre  prévu  des  dépenses,  il  faut  donc 
que  nous  recevions,  d'ici  au  SI  mars , la  somme  de  250,400  fr. 

Quant  aux  dons  reçus  pour  le  Zambèze,  ils  sont,  en  ce  mo- 
ment, de  14,500  francs  inférieurs  à ce  qu’ils  étaient  il  y a un 
an. 


III 


Cette  situation  a de  quoi  nous  préoccuper.  Ce  n’est  pas, 
hâtons-nous  de  le  dire,  que  nous  soyons  inquiets  pour  l’avenir. 
Nous  croyons  fermement  que,  depuis  quelque  temps,  la  cause 
des  Missions  fait  de  sérieux  progrès  parmi  nous.  Il  y a,  dans 
nos  Églises,  un  nombre  croissant  de  jeunes  pasteurs  qui  sont 
remplis  de  l’amour  des  Missions  et  qui  travaillent  à répandre 
cet  amour  dans  leurs  paroisses.  Leur  zèle  a déjà  porté  un 
fruit  précieux  : c’est  la  formation,  dans  le  cours  de  l’année 
qui  s’achève,  de  quatre  nouveaux  Comités  auxiliaires  : ceux 
de  la  Seine-Inférieure,  de  la  Dordogne,  des  Cévennes  et  de  la 
Basse-Ardèche,  auxquels  on  peut  ajouter  celui  de  la  Drôme,  qui  j 
vient  de  se  reconstituer  sous  la  présidence  de  M.  le  pasteur  I 
Fallot,  membre  honoraire  du  Comité  directeur. 

Et  ce  n’est  pas  là  une  organisation  purement  théorique  : 
nous  assistons  au  groupement  de  forces  fraîches,  de  bonnes 
volontés  en  grande  partie  nouvelles.  Il  y a là,  pour  l’avenir 
de  notre  Société,  de  belles  promesses  pour  lesquelles  nous 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


O 


bénissons  Dieu.  Mais  si  l’avenir  est  rassurant,  le  présent  immé- 
diat n’en  exige  pas  moins  de  nous  de  sérieuses  résolutions. 

IV 

Ces  résolutions,  un  mot  les  résume  : il  faut  que,  cette  fois 
encore,  nous  terminions  l’année  sans  déficit.  Le  déficit,  en 
reparaissant,  rouvrirait  toutes  les  questions,  compromettrait 
la  prospérité  et  peut-être  l’unité  de  notre  belle  œuvre. 

Au  contraire,  en  triomphant  une  seconde  fois  de  ce  vieil 
ennemi,  nous  affirmerons,  une  seconde  fois,  notre  ferme  in- 
tention de  faire,  dans  toute  son  étendue,  l’œuvre  que  Dieu 
nous  confie.  Nous  montrerons  aussi  que  nous  sommes  prêts 
pour  la  tâche  qu’il  nous  réserve  à Madagascar  et  dont  nos 
délégués  vont  étudier  la  nature  et  l’étendue.  Cette  tâche, 
comment  l’entreprendre  si  l’argent  manque  pour  les  an- 
ciennes? 

Donc,  pas  de  déficit,  que  tel  soit  notre  mot  d’ordre,  et  que 
telle  soit  la  réalité  des  faits  au  31  mars  prochain.  Pour  qu’il 
en  soit  ainsi,  le  devoir  est  tracé  : il  faut  que  chacun  fasse  lui- 
même  et  obtienne  des  autres  la  somme  de  travaux  et  de  sa- 
crifices qui  nous  a permis  de  terminer  si  bien  l’année  der- 
nière. Nous  ne  parlons  pas  ici  de  la  souscription  spéciale 
pour  le  déficit,  mais  bien  de  ce  qui  a été  fait  pour  l’œuvre 
générale.  Chacun  de  nous  sait  dans  quelle  mesure  il  a con- 
tribué, par  son  effort,  au  résultat  obtenu.  Cet  effort,  il  s’agit 
de  le  renouveler.  Et,  comme  il  est  des  diminutions  de  recettes 
qu’il  n’est  pas  en  notre  pouvoir  d’empêcher,  il  faut  nous 
proposer  comme  but  d’obtenir  chacun,  dans  le  réseau  de  son 
influence,  ce  quelque  chose  en  plus  sans  lequel  le  niveau  at- 
teint il  y a un  an  ne  saurait  être  ni  dépassé,  ni  même  main- 
tenu. 

Est-il  besoin  de  dire  que,  dans  l’effort  dont  nous  parlons, 
la  prière  se  place  en  première  ligne?  «L’or  et  l’argent  sont  à 
Dieu.  » Avant  de  collecter  auprès  des  hommes,  adressons- 
nous  donc  à Lui.  Attendons  de  Lui,  demandons-Lui  ces 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


« choses  plus  grandes  » qu’un  ami  nous  promettait  en  son 
nom  après  notre  délivrance  de  mars  dernier. 


Y 

Qu’on  nous  permette,  avant  de  finir,  un  mot  en  faveur  du 
Journal  des  Misssions  et  de  son  frère  cadet  : le  Petit  Messager 
des  Missions.  D'habitude,  nous  recommandons  ces  publica- 
tions à nos  lecteurs  dans  la  dernière  livraison  de  l’année. 
Nous  avons  négligé  de  le  faire  cette  fois  : en  serons-nous  punis 
en  voyant  s’arrêter  la  marche  ascendante  qu’a  suivie  jusqu’à 
ce  jour  le  nombre  de  nos  abonnés?  Nous  voulons  espérer  que 
non,  et  nous  comptons  que  les  amis  de  notre  journal  lui  don- 
neront une  nouvelle  preuve  de  leur  attachement  en  faisant 
de  la  propagande  en  sa  faveur. 

Le  moment  est  d’autant  mieux  choisi  pour  cette  campagne, 
qu’à  partir  du  présent  numéro  notre  journal  se  présente 
légèrement  agrandi  et  modifié  dans  sa  partie  relative  à l’œu- 
vre des  Missions  dans  son  ensemble.  Comme  l’indique  son 
titre,  notre  feuille  a été  fondée  avant  tout  pour  faire  con- 
naître cette  œuvre.  Au  début,  les  travaux  de  notre  Société 
n’y  tenaient  qu’une  place  restreinte.  Tout  en  cédant  à la  né- 
cessité et  en  faisant  cette  place  plus  grande  que  par  le  passé, 
nous  n’avons  jamais  perdu  de  vue  notre  but  primordial,  qui 
est  d’intéresser  nos  Églises  à la  cause  du  règne  de  Dieu  dans 
toute  son  ampleur.  De  là  nos  Chroniques  mensuelles  où 
l’œuvre  des  Missions  a été,  depuis  dix  ans,  suivie  de  près 
dans  toutes  ses  parties.  Pour  donner  à cette  partie  de  notre 
Journal  toute  l’importance  qui  lui  revient,  et  pour  la  rendre 
plus  accessible  à tous,  nous  avons  résolu  de  la  dédoubler  et 
d’en  répartir  le  contenu  entre  des  Nouvelles  détachées,  aussi 
complètes  et  aussi  suivies  que  possible,  et  des  Etudes  déve- 
loppées. Nous  espérons  que,  sous  cette  nouvelle  forme,  notre 
journal  verra  s’agrandir  encore  et  son  action  et  son  cercle 
4e  lecteurs. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


VI 

Est-il  nécessaire  qu’en  terminant  nous  recommandions 
notre  œuvre  aux  intercessions  de  ses  amis?  Jamais  notre 
Société  n’a  eu  un  plus  grand  besoin  de  la  ferme  direction  du 
Divin  Chef  de  l'Église.  Placée  entre  Madagascar  où  elle  envoie 
ses  éclaireurs,  et  les  champs  de  travail  dont  elle  est  respon- 
sable et  qui  tous  réclament  son  appui,  elle  ne  peut  que  se  re- 
commander à Celui  qui  est  puissant  pour  la  préserver  de 
toute  erreur  et  lui  fournir  tout  ce  dont  elle  a besoin. 

C’est  pourquoi,  au  début  de  l’année,  promettons-nous  de 
prier  pour  lès  Missions  avec  plus  de  fidélité  et  de  ferveur  que 
jusqu’à  ce  jour.  Et  que  chacun  de  nous  se  fasse  un  devoir  de 
participer  à la  réunion  du  9 janvier,  que  les  chrétiens  du 
monde  entier  consacrent  aux  Missions.  Recommandons  à 
Dieu  nos  délégués,  qui,  le  lendemain,  s’embarqueront  à Mar- 
seille. Recommandons-lui  notre  œuvre  tout  entière,  et  sur- 
tout demandons-lui  son  Esprit,  qui  seul  mettra  nos  Églises  et 
nous  mettra  nous-mêmes  en  mesure  d’accomplir,  dans  toute 
son  étendue,  la  tâche  qu’il  nous  impose! 

— 

MADAGASCAR 

Nous  sommes  en  mesure  de  compléter  les  détails  que  nous 
donnions,  il  y a un  mois,  sur  les  mesures  prises  par  notre 
Société  à propos  de  Madagascar. 

Le  pasteur  auqùel  le  Comité  s’est  adressé  et  qui  a répondu 
favorablement  à son  appel,  est  M.  Henri  Lauga,  de  Reims. 
Par  ses  origines  missionnaires  (1),  par  son  caractère,  par  ses 
attaches  avec  les  diverses  branches  de  la  famille  protestante, 
par  sa  connaissance  de  l’anglais,  enfin  et  surtout  par  l’esprit 
qui  l’anime,  M.  Lauga  semble  désigné  pour  la  tâche  qui  va 
lui  être  confiée.  Nos  Églises  lui  sauront  gré  de  l’avoir  acceptée 


(1)  Le  père  de  M.  Lauga  a travaillé  pendant  de  longues  années  comme 
auxiliaire  de  nos  missionnaires  de  l’Afrique  du  Sud. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


et  s’uniront  à nous  pour  remercier  les  membres  de  sa  famille 
et  son  Église  qui  veulent  bien  le  laisser  partir  au  prix  d’un 
sacrifice  dont  nous  sentons  l’étendue. 

Le  collègue  qui  sera  adjoint  à M.  Lauga  n’est  autre  que 
M.  F.  H.  Krüger,  professeur  de  la  Maison  des  Missions,  trop 
connu  de  nos  lecteurs  par  ses  Chroniques  pour  que  nous 
ayons  à expliquer  les  titres  qui  justifient  le  choix  du  Comité. 
Rappelons  seulement  que  M.  Krüger  connaît  les  missions  non 
seulement  par  ses  études  de  cabinet,  mais  aussi  par  le  séjour 
de  deux  années  qu’il  a fait  au  Lessouto  comme  premier 
directeur  de  l’École  de  théologie.  Ajoutons  que  MM.  Lauga  et 
Krüger  sont  d’anciens  amis,  et  que  si  leurs  différences  de  ca- 
ractère et  l’indépendance  de  leurs  vues  nous  garantissent 
une  enquête  (1)  aussi  impartiale  et  aussi  sérieuse  que  possible, 
l’union  de  leurs  cœurs  et  l'intimité  spirituelle  qui  régnera 
entre  eux  nous  donnent  aussi,  quant  à leur  mission,  un  pré- 
cieux gage  de  succès. 

A d’autres  égards  encore,  la  pensée  que  notre  députation  se 
composera  de  deux  hommes,  nous  soulage  et  nous  tranquillise. 
L’époque  où  nos  frères  se  mettent  en  route  n’est  pas  favo- 
rable. Si  le  moment  présent  n’était  pas  si  important,  si  déci- 
sif, dirions-nous,  il  est  certain  qu’une  autre  saison  eût  été 
préférable.  Mais  nos  délégués  eux-mêmes  ont  insisté  pour 
partir  tout  de  suite,  et  le  Comité  n’a  pu  que  se  rendre  à leurs 
raisons.  C’est  l’heure  où,  à Madagascar,  les  questions  s’étu- 
dient, les  positions  se  prennent,  les  impressions  peut-être  dé- 
finitives se  gravent  dans  les  esprits.  C’est  (le  moment  où  les 
administrateurs  se  mettent  en  route,  où  la  mission  catho- 
lique, qui  n’a  jamais  caché  son  espoir  d’exploiter  à son  profit 
la  situation  nouvelle,  va  faire  de  grands  efforts  pour  arriver 
à ses  fins.  Est-ce  dans  un  tel  moment  que  les  représentants 

(t)  Est-il  besoin  de  dire  qu’un  des  premiers  soins  de  nos  délégués,  en 
arrivant  à Tananarive,  sera  d'y  ouvrir  un  culte  français  ? Ils  ne  feront 
en  cela  qu’imiter  l’exemple  de  nos  missionnaires  du  Sénégal  et  de  Taïti, 
qui,  à côté  de  leurs  travaux  parmi  les  indigènes,  donnent  leurs  soins 
pastoraux  à nos  compatriotes. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


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de  nos  Églises  doivent  se  tenir  à l’écart  et  attendre  la  saison 
favorable?  Le  Comité  et  nos  délégués  ne  l’ont  pas  pensé,  et 
la  Maison  des  Missions  elle-même  n’a  pas  reculé  devant  le 
lourd  sacrifice  que  lui  impose  le  départ  de  son  professeur. 
Nos  amis  voudront  bien  s’en  souvenir  et  demander  à Dieu 
qu’il  puisse  être  pourvu  sans  trop  de  difficultés  à son  rem- 
placement. 

Constatons,  en  terminant,  que  jusqu’à  ce  jour,  nous  n’avons 
que  des  actions  de  grâces  à rendre  à Dieu  pour  la  manière 
dont  la  situation  se  présente  à Madagascar  au  point  de  vue 
des  missions.  Le  témoignage  rendu  par  la  presse  de  tous  les 
pays  à l’excellente  attitude  de  nos  soldats;  les  soins  qu’un 
bon  nombre  de  ceux-ci  ont  reçus  dans  l’hôpital  protestant  de 
Tananarive,  la  démarche  faite  par  les  représentants  des  mis- 
sions évangéliques  auprès  du  général  Duchesne,  la  bienveil- 
lance avec  laquelle  celui-ci  les  a encouragés  à persévérer  dans 
leurs  travaux;  le  récent  départ  d’un  résident  général  animé 
d’un  grand  esprit  de  sagesse  et  d’équité  : tout  cela  est  d’un 
excellent  augure  et  nous  remplit  de  reconnaissance.  Nos  dé- 
légués ne  manqueront  pas  de  témoigner  aux  autorités  notre 
gratitude  pour  ces  procédés,  qui  sont  d’un  bon  augure  pour 
l’avenir.  Car  que  pouvons-nous  souhaiter,  comme  chrétiens 
et  comme  Français,  si  ce  n’est  que  les  missions  et  les  Églises 
protestantes  de  Madagascar,  en  harmonisant  leur  action  avec 
les  circonstances  nouvelles  où  elle  est  appelée  à s’exercer, 
puissent  s’épanouir  librement  pour  le  plus  grand  bien  des 
indigènes  et  de  notre  pays  lui-même?  Les  missions,  en  effet, 
tout  en  s’adonnant  à leur  tâche  avant  tout  spirituelle,  sont  les 
auxiliaires  nées  de  la  bonne  civilisation  et  des  gouvernements 
qui  travaillent  à la  répandre. 

Quand  l’expédition  de  Madagascar  fut  décidée,  la  chré- 
tienté évangélique,  témoin  des  prétentions  romaines,  et  se 
souvenant  des  expériences  du  passé,  ne  put  se  défendre  d’une 
grande  anxiété  au  sujet  de  l’avenir  des  missions  protestantes. 
Un  chrétien  de  Bâle  recommanda  ces  missions  aux  prières  de 
l’Église.  «Que  demanderons-nous  à Dieu?  disait-il  en  termi- 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


nant  sa  brochure.  Tel  ou  tel  résultat  militaire?  Telle  ou  telle 
combinaison  politique?  Nullement  ! Nous  dirons  seulement  à 
Dieu  : a Seigneur,  entoure  toi-même  ton  Église  de  Madagascar 
d’un  mur  de  llammes,  afin  que,  quoi  qu’il  arrive,  Ta  cause 
prospère  et  Ton  règne  avance  ! » 

Cette  prière  n’a-t-elle  pas  été,  jusqu’ici,  exaucée  sous  nos 
yeux?  Elle  le  sera  encore  si,  dans  l’enquête  qui  se  prépare, 
dans  les  décisions  qui  seront  prises,  dans  tout  ce  qui  sera  dit 
et  fait  à propos  de  Madagascar,  nous  restons  invariablement 
fidèles  au  mot  d’ordre  du  Maître  : Premièrement  le  royaume  de 
Dieu,  et  tout  le  reste  viendra  par-dessus. 


HERMAN  JACOT 

Aucun  détail  ne  nous  est  encore  parvenu  sur  la  mort  pré- 
maturée de  ce  missionnaire,  annoncée  en  dernière  heure,  il 
y a un  mois,  et  qui  nous  a fait  éprouver  à tous  une  si  dou- 
loureuse émotion.  Le  télégramme  chiffré  qui  nous  en  appor- 
tait la  nouvelle  était  daté  de  Libreville,  le  25  novembre,  et  ne 
renfermait,  outre  le  fait  même,  que  cette  simple  mention  : 
« Prévenez  famille,  envoyez  renfort;  madame  .Jacot  ne  se  pro- 
pose pas  de  quitter  immédiatement  le  Congo  ». 

De  nombreuses  lettres  de  sympathie  nous  ont  été  adressées 
à l’occasion  de  ce  nouveau  dehil  ; les  journaux  religieux  aussi 
ont  tenu  à signaler  la  grande  perte  que  subit  notre  mission 
du  Congo  français,  sitôt  après  la  mort  de  M.  Bonzon.  Nous 
exprimons  aux  uns  et  aux  autres  notre  vive  gratitude,  tout  en 
recommandant  à leurs  prières  la  famille  de  notre  frère  et  tout 
particulièrement  sa  jeune  femme,  demeurée  veuve  avec  deux 
petits  enfants.  Il  est  juste  que,  dans  l’isolement  et  l’affliction, 
notre  sœur  se  sente  soutenue  par  la  certitude  que  beaucoup 
d’amis  élèvent  chaque  jour  en  sa  faveur  leurs  pensées  et  leurs 
cœurs  à Dieu.  Il  faut  aussi  que  notre  jeune  mission  du  Congo, 
passée  au  crible  en  ce  moment,  soit  l’objet  des  intercessions 


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constantes  de  tous  ceux  qui  veulent  voir  le  règne  de  Dieu 
s’établir  dans  cette  contrée  païenne.  Qu’ils  reprennent  cou- 
rage en  se  souvenant  de  la  Parole  du  divin  Chef  de  l’Église  : 
« Si  le  grain  mis  en  terre  ne  meurt  point,  il  ne  porte  pas  de 
fruit;  mais  s’il  meurt,  il  porte  beaucoup  de  fruits.  » 

Nous  espérons  que  les  prochains  courriers  nous  apporte- 
ront le  récit  des  derniers  moments  de  M.  Jacot.  Voici,  en 
attendant,  quelques  détails  biographiques  sur  l’ouvrier  ex- 
cellent que  nous  venons  de  perdre  (1). 

Herman  Jacot  est  né  à Genève  le  21  novembre  1864.  Son 
père,  qui  vit  encore,  est  Suisse,  d’origine  huguenote;  sa  mère 
était  Française,  du  département  de  Saône-et-Loire  : née  dans 
le  catholicisme,  elle  fut  amenée  à la  foi  évangélique  par  la  pa- 
role d’un  colporteur  biblique.  Au  moment  où  le  jeune  Her- 
man allait  avoir  cinq  ans,  sa  famille  émigra  en  Amérique. 
Laissons  notre  frère  nous  dire  lui-même  comment  il  fut  amené 
à la  foi  et  à la  carrière  missionnaire.  Voici  ce  qu’il  écrivait  en 
mai  1890  au  Comité  des  Missions  étrangères  de  l’Église  pres- 
bytérienne d’Amérique,  sous  la  direction  duquel  il  débuta 
dans  l’œuvre  de  la  mission  : 

a J’ai  senti  l’influence  chrétienne  de  ma  famille  s’exercer 
fortement  sur  mes  jeunes  années,  et  lorsque,  à l’âge  de 
treize  ans,  j’assistai  à des  réunions  religieuses  tenues  à Saint- 
Louis  par  deux  évangélistes,  je  fus  amené  à donner  mon 
cœur  sans  réserve  au  Sauveur.  Comme  le  moment  appro- 
chait où  je  devais  faire  choix  d’une  carrière,  je  sentis  que  ma 
vie  ne  pourrait  être  mieux  employée  que  dans  le  pastorat,  et 
je  résolus  de  poursuivre  les  études  nécessaires  pour  y ar- 
river. 

« A vrai  dire,  je  ne  pensais  pas  alors  aux  missions  étran- 
gères; j’éprouvais  même  quelque  terreur  à l’idée  que  c’était 
peut-être  cette  carrière-là  qui  m’était  réservée.  Je  savais  ce- 
pendant qu’en  me  donnant  au  service  de  Dieu  je  devais  être 


(1)  Nos  lecteurs  trouveront,  en  tête  de  cette  livraison,  un  portrait 
d’Herman  Jacot,  exécuté  d’après  sa  dernière  photographie. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


prêt  à aller  n’importe  où  il  m’enverrait.  C’est  dans  cet  espoir 
que  je  me  préparai  au  ministère. 

« En  1883,  ma  famille  vint  s’établir  à New-York  et,  dès 
lors,  je  fus  mis  en  rapport  avec  l’Église  évangélique  fran- 
çaise. Je  fis  mes  classes  au  collège  de  Columbia  et  devins  ba- 
chelier ès-lettres  en  1887.  La  même  année,  en  automne,  j’en- 
trai au  séminaire  théologique  de  l’Union.  C’est  alors  que  la 
question  de  la  direction  à donner  à ma  vie  s’imposa  avec 
force  à mon  esprit  et  devint  pendant  longtemps  l’objet  de 
mes  prières.  J’arrivai  peu  à peu  à la  conviction  que  je  devais 
aller  là  où  les  besoins  étaient  les  plus  pressants,  c’est-à-dire 
parmi  les  païens.  Je  fus  confirmé  dans  cette  persuasion  par 
le  fait  qu’aucun  lien  particulier  ne  me  forçait  à rester  dans 
mon  pays,  et  aussi  par  mon  excellente  santé. 

« L’été  dernier,  j’eus  l’occasion  de  faire  un  voyage  en 
France  et  la  joie  de  faire  la  connaissance  de  M.  Boegner,  di- 
recteur de  la  Maison  des  missions  à Paris.  À la  suite  de  cette 
visite,  mes  pensées  se  tournèrent  avec  plus  de  force  encore 
du  côté  du  monde  païen.  J’entrai  alors  en  relations  avec  di- 
verses Sociétés  de  missions,  car  mon  désir  était  de  trouver  le 
champ  de  travail  où  je  pourrais  faire  le  meilleur  usage  de 
mes  forces,  et  où  il  serait  évident  que  le  Seigneur  m’appel- 
lerait. 

« Un  matin,  je  vins  parler  au  Dr  Gillespie  de  cette  grave 
question  et,  aussitôt,  il  me  proposa  le  Gabon,  comme  étant  le 
champ  d’activité  qui  me  convenait  exactement.  Encore  in- 
décis, cependant,  je  m’accordai  dix  jours  de  réflexion  et  de 
prières,  lorsqu’au  soir  du  dixième  jour  je  reçus  une  lettre  de 
M.  Boegner  m’encourageant  beaucoup  à entrer  dans  ce 
champ  d’activité. 

« Aujourd’hui  donc,  désirant  suivre  ce  que  je  considère 
comme  les  indications  de  la  Providence,  et  dans  un  senti- 
ment d’humble  soumission  à la  volonté  de  Dieu,  je  viens  for- 
mellement vous  demander  de  travailler  au  Congo,  sous  votre 
direction.  Que  rendrai-je  à Dieu  en  retour  de  toutes  les  bé- 
nédictions qu'il  a répandues  sur  moi  dès  mon  enfance,  si  ce 


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n’est  une  consécration  de  tout  mon  être  à son  service,  par  le 
moyen  qui  pourra  le  mieux  l’honorer  et  le  glorifier  ! » 

C’est  dans  ces  sentiments  que  Herman  Jacot  se  préparait 
à partir.  Le  7 août  1890,  il  épousait  mademoiselle  Hélène 
Lador,  de  Sainte-Croix,  en  Suisse,  et  le  10  septembre,  le 
jeune  couple  s’embarquait  à Liverpool  pour  le  Gabon.  La 
conférence  les  plaça  à Lambaréné  où,  pendant  trois  ans,  ils 
jouirent  d’une  bonne  santé  et  virent  la  bénédiction  de  Dieu 
reposer  sur  leurs  travaux. 

Comme  nos  lecteurs  s’en  souviennent,  la  Société  fut  ame- 
née, en  1893,  à reprendre  la  station  de  Lambaréné,  fondée 
par  la  Mission  presbytérienne  d’Amérique.  Très  attaché  à son 
œuvre,  M.  Jacot  exprima  le  désir  de  n’en  être  point  séparé, 
et,  d’accord  avec  le  Comité  dont  il  dépendait,  il  demanda  son 
admission  dans  nos  rangs,  par  une  lettre  datée  de  Lamba- 
réné, le  29  juin  1893.  Cette  lettre  était  ainsi  conçue  : 

« ...Ayant  appris  par  le  Journal  des  Missions  et  par  MM.  Al- 
légret  et  Teisserès,  la  nouvelle  de  votre  décision  au  sujet  de 
la  reprise  de  Lambaréné,  je  viens  vous  demander  le  privilège 
de  rester  dans  mon  champ  de  travail  et  d’être  reçu  au  nombre 
des  missionnaires  de  votre  Société. 

« Les  motifs  qui  me  poussent  à cette  démarche  sont  mon 
attachement  à mon  champ  de  travail  et  la  sympathie  que 
j’éprouve  pour  votre  Société  et  l’esprit  qui  l’anime. 

« Notre  pauvre  station  a déjà  eu  tant  de  changements  dans 
son  personnel,  qu’après  être  entré  en  plein  dans  le  travail, 
avoir  appris  la  langue,  gagné  la  confiance  et,  j’espère,  l’affec- 
tion des  indigènes,  je  ne  puis  m’empêcher  de  penser  qu’un 
nouveau  changement  ne  pourrait  que  nuire  à l’œuvre.  D’ail- 
leurs, ma  présence  ici,  et  l’attachement  que  j’ai  pour  les  deux 
Sociétés,  serviraient  de  trait  d’union  pendant  le  changement 
d’administration. 

« D’autre  part,  l’intérêt  que  j’ai  toujours  porté  à l’œuvre 
de  votre  Société,  les  liens  qui  m’unissent  aux  pays  de  langue 
française,  et  enfin  les  relations  agréables  que  j’ai  eues  déjà 
avec  plusieurs  d’entre  vous  et  avec  vos  représentants  au 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Congo  français,  me  portent  à croire  que  je  pourrai  travailler 
harmonieusement  et  sans  arrière-pensée  sous  votre  direction 
et  soutenu  de  vos  prières...  J'espère  que  rien  de  grave  ne 
viendra  s’opposer  à ce  désir.  » 

Rien,  en  effet,  ne  pouvait  s’y  opposer,  et,  au  mois  d’octobre 
1893,  l’adjonction  de  M.  Herman  Jacot  au  nombre  de  nos 
missionnaires  du  Congo  était  décidée  par  le  Comité  qui  n’eut, 
dans  la  suite,  qu'à  se  féliciter  de  l’appoint  de  forces  vives  et 
de  dévouement  que  devait  apporter  à notre  œuvre  ce  nouvel 
ouvrier.  Parla  fermeté  et  la  douceur  de  son  caractère,  par  sa 
solide  piété,  par  l’expérience  acquise  dans  sa  collaboration 
avec  les  missionnaires  américains,  par  son  esprit  méthodique 
et  son  entente  de  l’administration,  il  prit  d'emblée  une  place 
très  importante  dans  notre  jeune  mission. 

Peu  après  avoir  demandé  son  entrée  dans  nos  rangs, 
M.  Jacot  était  saisi  d’un  violent  accès  de  fièvre,  et  la  Confé- 
rence décida  d’urgence  son  rapatriement  en  Europe.  Il  quitta 
en  effet  le  Congo,  débarqua  à Bordeaux  le  9 octobre  et  se 
rendit  d’abord  à Sainte-Croix,  chez  les  parents  de  sa  femme, 
puis  à New-York,  chez  son  père.  Il  ne  tarda  pas  à retrouver 
toutes  ses  forces  et  la  belle  santé  qui  lui  était  naturelle,  si 
bien  qu'au  mois  de  mai  1894,  il  pouvait  s’embarquer  de  nou- 
veau pour  l’Afrique,  plein  d’entrain  et  de  confiance  dans  l’a- 
venir. Il  était  loin  alors,  et  nous  aussi,  certes,  de  penser  que 
la  terrible  fièvre  viendrait  si  promptement  faucher  cette  vie 
pleine  de  promesses.  « Tes  voies,  6 Éternel,  ne  sont  pas  nos 
voies,  » et  nous  nous  inclinons,  comme  ton  jeune  serviteur, 
« dans  un  sentiment  d’humble  soumission  à ta  volonté  ». 

Qu’on  nous  permette,  en  finissant,  de  citer  la  réponse  que 
faisait  récemment  notre  regretté  missionnaire  à l’objection 
si  souvent  élevée  contre  les  missions,  auxquelles  on  reproche 
de  coûter  trop  d’argent  et  trop  d’hommes.  Ce  sont  quelques 
lignes  adressées  le  1er  mars  1895  à M.  Jacot  père,  qui  veut  bien 
nous  les  communiquer. 

« ...Pour  ceux  qui  se  demandent  si  les  missions  valent  ce 


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qu’elles  coûtent,  je  leur  demanderai  de  considérer  ceci  par 
exemple  : Notre  budget  de  Lambaréné  est  d’environ  30,000  fr. 
par  an  (1),  y compris  les  voyages,  etc..  Ce  sont  les  dépenses 
de  quatre  Eglises  dont  chacune  a plus  de  cent  membres  et 
cent  catéchumènes,  soit  200  chrétiens.  Il  faut  comprendre 
aussi  dans  cette  somme  les  frais  de  deux  écoles  internes  où 
cent  élèves  sont  instruits.  Je  puis  dire  que  nos  Églises  coûtent 
moins  qu’à  New-York  et  que  les  résultats  sont  bien  plus  évi- 
dents.. Et  dire  que  nous  ne  sommes  qu’à  l’époque  des  se- 
mailles, où  tout  est  plus  coûteux  et  difficile.  Plus  tard,  ces 
Églises  se  suffiront  à elles-mêmes  et  pourront  évangéliser  les 
tribus  environnantes.  Encore  une  fois,  oui,  les  missions  valent 
ce  qu’elles  coûtent,  même  en  envisageant  la  question  au  point 
de  vue  des  hommes  d’affaires. 

« Quant  à la  perte  de  vies,  des  milliers  et  des  milliers  de 
chrétiens  ont  déjà  donné  la  leur  pour  leur  foi.  Faut-il  en 
ménager  encore  quelques  dizaines  quand  il  s’agit  de  répandre 
cette  foi  dans  le  monde  entier  et  par  obéissance  à l’ordre  de 
notre  Maître?  Lui  qui  n’a  pas  ménagé  la  sienne  et  qui,  du 
reste,,  nous  promet  la  victoire  ?...  » 


NOTES  Dü  MOIS 

La  réunion  d'adieux , annoncée  dans  notre  dernier  numéro, 
a eu  lieu  le  jeudi  12  décembre,  à quatre  heures,  à la  Maison 
des'  missions.  De  nombreux  amis  de  notre  œuvre  s’y  trou- 
vaient réunis.  M.  F.  Puaux , qui  présidait,  a adressé  des  pa- 
roles d’encouragement  et  de  sympathie  à M.  et  à madame  Hu - 
guenin,  qui,  le  lendemain,  allaient  nous  quitter  pour  se  rendre 
à Raiatéa,  le  poste  qui  leur  a été  assigné.  En  termes  empreints 
de  simplicité  et  de  sérieux,  M.  Huguenin  a raconté  comment 


(1)  En  fait,  ce  chiffre,  qui  représentait  les  desiderata  de  la  mission,  a 
été  réduit  à une  somme  moindre  ( Réd .). 


16 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


il  fut  amené  à la  foi,  d’abord,  et,  ensuite,  au  désir  de  se  con~ 
sacrer  au  serivce  de  Dieu.  Ses  paroles  ont  produit  une  vive 
impression  sur  l’assistance.  Puis  M.  Ch.  Viénot  a grandement 
intéressé  l’auditoire  par  le  récit  de  quelques-uns  des  épisodes 
de  la  vie  missionnaire  dans  ces  lointains  parages.  Un  service 
de  sainte  Gène  a terminé  cette  bonne  et  bienfaisante  réunion. 

A l’occasion  du  départ  de  MM.  Lauga  et  Krüger  pour  Ma- 
dagascar, une  réunion  d’adieux  aura  lieu  le  dimanche  5 jan- 
vier, à 8 h.  1/4  du  soir,  à l'Oratoire.  Quant  aux  réunions  de 
prières  pour  les  missions  du  jeudi  9 janvier  à 8 h.  1/4  du  soir, 
elles  auront  lieu,  comme  d’habitude,  dans  les  locaux  sui- 
vants : Chapelle  Taitbout , 42,  rue  de  Provence  ; Église  des 
Billettes,  24,  rue  des  Archives;  Maison  des  missions,  102,  bou- 
levard Arago. 

Une  autre  réunion  d'adieux  aura  lieu  probablement  le 
21  janvier,  pour  prendre  congé  de  trois  nouveaux  mission- 
naires. M.  A.  Bolle , de  Neuchâtel,  ira  au  Sénégal  remplacer 
M.  Escande,  pendant  le  congé  que  celui-ci  doit  prendre  l’année 
prochaine.  M.  F.  Faure , ingénieur  agroDome,  partira  pour 
renforcer  la  station  de  Lambaréné,  au  Congo  français. 
Enfin,  M.  et  madame  Mercier , dont  le  départ  pour  le  Zam- 
bèze est  décidé  depuis  longtemps,  nous  quitteront  pour  ce 
lointain  champ  de  travail.  Nous  recommandons  tous  ces  ou- 
vriers à la  sollicitude  et  aux  prières  de  l’Église. 


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LESSOUTO 

LETTRE  DE  M.  PAUL  GERMOND 
Au  Comité  de  la  Société  des  Missions  évangéliques  de  Paris  (1). 

i 

Thabana-Morèna,  25  octobre  1895. 

Messieurs  et  honorés  frères, 

Je  reviens  de  Mafube,  mon  nouveau  poste,  où  j’ai  passé 
l’hiver.  Ma  femme  étant  malade,  nous  avons  dû  nous  séparer. 
Elle  est  restée  à Thabana-Morèna  avec  les  enfants,  et  je  me 
suis  rendu  où  le  devoir  m’appelait,  en  compagnie  de  mon  fils 
Maurice.  Là,  j’ai  mis  ordre  à quelques  affaires  pressantes, 
j’ai  visité  les  annexes,  je  me  suis  surtout  orienté.  Après  trois 
mois,  je  suis  revenu  à Thabana-Morèna  pour  présider  à mon 
déménagement.  J’ai  eu  la  joie  de  trouver  ma  chère  femme  un 
peu  mieux  et  les  enfants  très  bien.  Nous  faisons  nos  paquets, 
et  si  la  pluie  voulait  bien  tomber  et  faire  pousser  l’herbe,  nous 
serions  en  route.  Il  nous  sera  pénible  de  dire  adieu  à Thabana- 
Morèna,  à cette  chère  église,  à cette  jolie  station,  avec  ses 
beaux  ombrages,  sa  claire  fontaine,  et  tant  de  souvenirs. 
Mais  pourquoi  s’attarder  à en  faire  le  compte?  L’Ecclésiaste 
dirait  que  cela  aussi  est  une  vanité. 

Une  grande  consolation  m’est  accordée,  celle  de  laisser 
mon  œuvre  dans  un  état  prospère.  Un  travail  s’est  fait  dans 
les  cœurs  ces  dernières  années.  Il  a été  lent,  mais  soutenu. 
Quand,  du  haut  de  la  falaise,  on  regarde  la  mer,  c’est  en 
voyant  le  flot  recouvrir  peu  à peu  les  écueils  et  les  sables 
t qu’on  s’aperçoit  que  la  marée  monte.  Nos  travaux  se  sont 
succédé  sans  incidents,  comme  une  vague  suit  l’autre.  Le 
niveau  général  s’est  élevé  cependant,  c’est  incontestable.  Les 
bas-fonds,  les  écueils  ont  disparu.  J’ai  craint  le  reflux,  mais 


(I)  Le  manque  de  place  nous  oblige  à remettre  à plus  tard  la  publica- 
tion d’une  intéressante  étude  de  M:  Dieterlen  sur  le  Haut-Lessouto. 

2 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


par  la  bonté  de  Dieu  il  n'est  pas  venu.  Notre  Église  est  ani- 
mée d’un  bon  esprit,  son  témoignage  au  milieu  du  monde  est 
devenu  une  réalité.  Quelle  meilleure  consolation  pouvait 
m’être  accordée  au  moment  de  la  quitter  ! 

Aujourd’hui  j’ai  mis  la  main  à un  ouvrage  que  je  renvoyais 
toujours  à une  meilleure  occasion  : j’ai  renouvelé  les  étiquettes 
de  mes  flacons  de  médecine  avant  de  les  emballer.  L’état  des 
choses  était  devenu  dangereux.  Ma  pharmacie,  il  est  vrai, 
contient  surtout  des  remèdes  de  bonne  femme,  mais  il  y en 
a aussi  d’autres.  Eugénie  de  Guérin  nous  dit  dans  son  jour- 
nal que,  cousant  des  draps,  elle  avait  su  y coudre  mainte 
bonne  pensée.  J’en  ai  collé  plus  d’une  avec  mes  étiquettes. 
Qu’elles  sont  donc  posées  de  travers  dans  notre  pauvre 
monde,  voire  même  dans  notre  monde  religieux,  et  qu’elles 
sont  exagérées  là  même  où  elles  sont  à leur  place!  A l’époque 
des  martyrs,  il  suffisait  d’avoir  été  trouvé  fidèle.  Les  inscrip- 
tions des  catacombes  de  Rome  le  prouvent.  Aujourd’hui,  un 
serviteur  de  Christ,  même  avant  que  sa  tombe  soit  creusée, 
sera  proclamé  admirable,  étonnant,  héroïque,  et  les  œuvres 
qu’il  lui  a été  donné  de  faire  seront  puissantes,  inouïes,  j’ai 
même  lu  gigantesques.  Ce  sont  surtout  les  missionnaires  qui 
sont  héroïques.  Leur  vie  n’est-elle  pas  la  vie  chrétienne 
idéale  ! Ah  ! prenons  garde  à ces  exagérations,  à ces  fausses 
étiquettes  appliquées  par  des  mains  amies,  sans  doute,  mais 
bien  imprudentes.  Je  connais  des  réveils  qui  ont  été  brusque- 
ment arrêtés  pour  avoir  été  trop  prônés  à leur  début.  J’ai  vu 
des  humiliations  amères  descendre  sur  des  têtes  innocentes, 
et  j’ai  pensé  avec  tristesse  aux  coups  d’encensoir  qui  les 
avaient  précédées.  Des  héros,  des  martyrs,  il  y en  a eu  dans 
le  monde  missionnaire,  il  y en  a et  il  y en  aura  encore,  cela 
est  sûr,  mais  n’y  en  a-t-il  pas  ailleurs?  Dans  les  hôpitaux, 
dans  les  refuges,  dans  les  humbles  presbytères  et  parmi  les 
déshérités,  les  méconnus  d’ici-bas,  qui,  courbés  sous  le  faix, 
vont  leur  chemin  sans  murmurer.  D’eux  on  ne  parle  pas.  Ne 
les  plaignons  pas!  Ils  sont  à l’abri.  Ce  n’est  pas  d’eux  qu’il 
sera  dit  : « Voici,  ils  ont  leur  récompense  ».  Notre  dix-neu- 


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vième  siècle  aura  été  un  grand  siècle,  même  dans  le  domaine 
religieux.  Il  est  toutefois  un  champ  de  ce  domaine  qu’il  a bien 
négligé  et  que  les  siècles  antérieurs  cultivaient  avec  plus  de 
soin,  celui  de  l’humilité. 

Me  voici  au  bout  de  mes  étiquettes  et  de  ma  morale! 

J’ai  lu  dernièrement  les  regrets  d’un  missionnaire  qui, 
ayant  fait,  comme  on  dit,  sa  théologie,  aurait  voulu  recom- 
mencer et  faire  davantage.  Quant  à moi,  je  donnerais  la  moi- 
tié de  la  mienne  (il  est  vrai  qu’elle  ne  pèse  pas  lourd)  pour 
une  somme  égale  de  connaissances  médicales.  C’est  une  si 
grande  chose  que  de  pouvoir  secourir,  et  d’une  manière  effi- 
cace, les  pauvres  malades  qui  nous  entourent.  On  aura  bien 
des  déconvenues,  c’est  certain.  Les  indigènes  avaleront  tout 
ce  qu’on  voudra,  mais  l’effet  d’un  remède  doit  être  immédiat. 
Parlez-leur  de  régime,  de  traitement,  de  mesures  hygiéni- 
ques, ils  ne  vous  écoutent  pas.  Par  le  fait  de  leur  ignorance 
ou  de  leurs  préventions,  les  soins  qu’on  leur  donne  n’auront 
souvent  aucun  résultat,  mais  un  acte  de  charité  n’est  jamais 
perdu  et  fera  davantage  pour  gagner  les  cœurs  que  mainte 
prédication. 

A deux  pas  de  la  station  habite  une  famille  bien  éprouvée. 
Quand  je  passe  devant  la  maison,  je  ne  puis  me  défendre  d’un 
sentiment  de  tristesse;  il  me  semble  que  si  j’avais  été  plus  ca- 
pable, disons  moins  ignorant,  j’aurais  pu  lui  apporter  un  se- 
cours efficace.  Voici  quelques  années  déjà  que  le  brave  Ezé- 
kiel  nous  a quittés,  et  je  sens  encore  combien  il  me  manque. 
Il  ne  possédait  aucun  don  exceptionnel,  mais  il  avait  deux 
qualités  bien  rares  chez  un  Mossouto,  la  droiture  de  cœur  et 
le  désintéressement.  Dans  ces  discussions  parfois  désagréables 
qui  ont  lieu  dans  nos  conseils  d’Église,  où  le  plaisir  de  fer- 
railler est  plus  évident  que  le  désir  d’arriver  à la  vérité,  c'é- 
tait une  jouissance  pour  moi  que  d’entendre  Ezékiel  mettre 
fin  aux  arguties  par  quelques  mots  frappés  au  coin  du  bon 
sens  et  du  sérieux  chrétien.  Il  a rempli  bien  des  fonctions  à 
Thabana-Morèna,  successivement  ancien  d’Église,  maître 
d’école,  évangéliste,  il  était  prêt  à rendre  tous  les  services 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


qu’on  lui  demandait,  et  la  question  de  salaire  n’en  était  pas 
une  pour  lui.  Qu'il  montât,  qu’il  descendît,  selon  que  les 
temps  étaient  plus  ou  moins  durs,  jamais  je  ne  l’ai  entendu 
récriminer.  Il  n’en  est  plus  de  même  aujourd’hui,  la  nouvelle 
génération  est  plus  forte  en  arithmétique.  A cette  occasion, 
je  ne  puis  résister  à l’envie  de  vous  citer  un  petit  détail  qui 
me  revient  à l’esprit. 

Nous  nous  étions  arrangés , quelques  gens  de  Thabana- 
Morèna  et  moi,  pour  envoyer  au  moulin.  Chacun  devait 
prendre  sa  part  des  frais  et  apporter  son  sac.  Les  meuniers 
ont  leur  réputation  faite  depuis  longtemps,  et  elle  n’est  pas 
bonne.  On  leur  en  prête  sans  doute,  et  maintenant  que  notre 
école  industrielle  de  Leloaleng  possède  un  moulin,  nous  se- 
rions malvenus  de  nous  attaquer  à la  corporation.  Bref,  au 
retour,  il  fut  évident  que  le  meunier  avait  eu  la  main  longue, 
et  que  ses  prélèvements  avaient  porté  sur  le  dernier  sac  qui 
se  trouvait  être  celui  d'Ezékiel.  Ce  fut  une  scène  intéres- 
sante pour  l’observateur.  « Voici  mon  sac,  je  le  reconnais,  il 
est  plein,  c’est  bien.  » — « Voici  le  mien,  c’est  là  ma  marque, 
il  n’y  a rien  à dire.  » — « Mais  le  mien  n’est  qu’à  moitié 
plein,  répartit  Ezékiel.  » — « C’est  fâcheux,  pauvre  ami,  ce 
meunier  est  un  grand  vaurien.  Il  te  faudra  aller  lui  parler.  » 
C’était  la  nature  humaine  prise  sur  le  vif.  « Que  penses-tu  de 
cela?  demandai-je  à Ezékiel.  — Rien,  me  dit-il,  ce  meunier 
est  un  voleur,  mais  il  vaut  mieux  que  la  perte  soit  tombée 
sur  moi  que  sur  un  autre,  il  n’y  aura  du  moins  pas  de  que- 
relles. » 

Ce  détail,  me  dira-t-on,  ne  valait  pas  la  peine  d’être  relevé. 
Sans  doute,  il  ne  s’agit  que  d’un  peu  de  farine,  et  en  Europe 
on  est  moins  à cheval  sur  son  bon  droit;  mais  nous  sommes  en 
Afrique.  J’exigeai  que  le  déficit  fût  partagé  et  réparti  entre 
tous,  à commencer  par  le  missionnaire.  Décision  qui  ne  fut 
pas  du  goût  de  chacun,  car  je  surpris  telle  mère  en  Israël  qui 
s’en  allait  hochant  la  tête  et  grommelant. 

La  santé  d’Ezékiel,  qui  toujours  avait  été  bonne,  commença 
à décliner.  Cela  avait  commencé  par  une  pleurésie  dont  il  ne 


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n 


s’était  pas  complètement  rétabli.  Pendant  des  semaines,  il  ne 
fît  que  traîner.  Nous  épuisâmes  toutes  nos  connaissances  mé- 
dicales et  sans  succès.  11  passait  ses  journées  assis  au  pied 
d’un  mur,  au  soleil,  sa  Bible  près  de  lui.  Toujours  calme, 
souriant  aux  amis  qui  venaient  le  voir,  reconnaissant  de  ce 
qu’on  faisait  pour  lui,  fidèle  jusqu’à  la  fin  et  par  sa  patience 
et  par  les  sérieuses  exhortations  qu’il  adressa  à plus  d’un.  Le 
dernier  jour,  il  dit  à sa  femme  : « Ne  me  donne  plus  de  re- 
mèdes, ne  me  parle  même  plus,  je  désire  être  seul  avec  Dieu  ! » 
Un  long  silence  se  fit.  La  figure  du  mourant  était  parfaite- 
ment calme  ; ses  yeux,  dirigés  en  haut,  avaient  une  telle  in- 
tensité d’expression,  que  ma  femme  qui  venait  d’entrer, 
s’écria,  toute  saisie  : « Oh  ! mais  il  voit  Dieu  ! » Le  regard 
s’éteignit,  ce  fut  la  fin,  si  paisible,  que  son  beau-père  qui 
l’avait  soigné  dit  naïvement  : « Il  est  parti  sans  mourir.  » Le 
chef  Lerothodi,  en  apprenant  sa  mort,  lui  rendit  ce  témoi- 
gnage : « En  voilà  un  qui  était  un  vrai  chrétien  ! » 

La  pauvre  veuve  était  restée  seule  avec  une  nombreuse  fa- 
mille. De  ses  trois  fils,  l’aîné  est  un  vaurien,  le  plus  jeune 
pouvait  tourner  ou  assez  bien  ou  très  mal.  Le  second  ressem- 
blait au  père  et  de  figure  et  par  la  piété.  Il  se  proposait  de 
devenir  évangéliste  et  il  travaillait  avec  zèle  dans  ce  but. 
Revenu  chez  lui  pour  les  vacances,  il  tombe  malade  et  meurt. 
Toutes  les  espérances  de  la  mère  se  reportèrent  sur  le  cadet, 
qui,  reçu  à l’école  manuelle  de  M.  Preen,  avait  appris  à tra- 
vailler et  s’y  était  converti.  Son  apprentissage  terminé,  il 
revient  à la  maison,  promettant  à sa  mère  d’être  son  soutien 
et  dé  l’aider  à élever  ses  petites  sœurs.  Il  tient  parole,  se  met 
au  travail  avec  tant  d’ardeur  qu’il  y gagne  une  fluxion  de  poi- 
trine. Le  cœur  serré,  nous  eûmes  à l’ensevelir  à côté  de  son 
père  et  de  son  frère. 

Qu’il  est  parfois  difficile  à remplir  le  ministère  de  consola- 
tion dont  nous  sommes  chargés  de  la  part  de  Christ!  Quand 
je  revis  la  pauvre  mère,  je  ne  pus  que  lui  dire  : « Oh  ! que  ta 
foi  ne  défaille  point,  et  ne  te  laisse  pas  aller  à murmurer  contre 
Dieu!  » D’un  ton  très  calme,  elle  me  répondit  : «Non,  mon 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


missionnaire,  ma  foi  n’est  pas  ébranlée.  Bien  qu’étant  écrasée 
par  toutes  ces  épreuves,  je  vois  clairement  que  mes  appuis 
terrestres  devaient  m’être  ôtés.  Je  vivais  trop  de  la  foi  de 
mon  mari.  J’avais  confiance  en  mon  fils  pour  l’avenir.  Jésus 
doit  me  suffire  désormais.  Il  m’aidera  à accomplir  ma  tâche, 
mais  il  me  tarde  de  l’avoir  achevée.  » 

C’est  lorsque  la  maladie  ou  le  deuil  viennent  visiter  les 
Bassoutos  qu’on  peut  le  mieux  se  rendre  compte  de  la  pro- 
fondeur de  leurs  sentiments  religieux.  La  douleur  est  une 
pierre  de  touche,  l’alliage  est  y vite  séparé  de  l’or  pur. 

La  fièvre  typhoïde  a sévi,  ces  dernières  semaines,  dans  un 
village  près  de  la  station.  Une  des  premières  victimes  a été 
une  excellente  chrétienne  que  le  travail  et  la  peine  avaient 
usée  avant  le  temps.  La  dernière  fois  que  je  la  vis,  elle  ne 
pouvait  plus  entendre  ni  parler,  mais  son  sourire  témoigna 
qu’elle  m’avait  reconnu.  J’adressai  quelques  paroles  d’encou- 
ragement à son  mari,  qui  me  répondit  en  essuyant  ses  larmes  : 
« Je  ne  cesse  de  prier  Dieu  pour  elle,  mais  quand  j’ajoute  : 
Que  ta  volonté  se  fasse  et  non  la  mienne,  alors  mon  cœur 
s’affaisse  et  j’ai  peur!  » Deux  jours  après,  il  lui  fallut  se 
charger  de  cette  croix  qu’il  redoutait.  Il  est  seul  maintenant 
avec  neuf  enfants!  La  mère  était  partie  en  pleine  paix  : « Te 
souviens-tu,  dit-elle  à une  amie,  du  mariage  de  ma  fille? 
Nous  avions  trouvé  la  fête  si  belle!  J’en  verrai  bientôt  une 
autre,  et  une  glorieuse,  celle  des  noces  de  l’Agneau  ! » Elle 
était  en  exemple  à toutes  les  femmes  chrétiennes.  Tranquille, 
travailleuse,  courageuse  en  face  du  mal,  je  n’avais  jamais  eu 
à lui  reprocher  le  moindre  écart  de  conduite.  C’est  une  cruelle 
perte  pour  l’Église  que  son  départ. 

Sa  sœur,  la  pauvre  Justina  Mafrede,  a eu  une  vie  bien  dure. 
Mariée  à un  instituteur  qui  a fort  mal  tourné,  elle  a eu  la 
douleur  de  se  voir  chassée  de  chez  elle  par  une  rivale  et  sé- 
parée de  ses  enfants.  Réfugiée  auprès  de  son  père,  un  chré- 
tien fidèle,  mais  de  caractère  timide  et  qui  aurait  dû  prendre 
plus  énergiquement  sa  défense,  elle  tomba  malade,  surtout  de 
tristesse.  « Je  suis  fatiguée,  que  me  sert  de  vivre?  — A prier 


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pour  ton  mari,  répondit  le  père,  afin  que  Dieu  le  ramène  et 
lui  fasse  trouver  grâce!  » Cet  hiver,  elle  fut  de  nouveau  très 
mal.  Un  jour  que  j’étais  allé  lavoir,  et  que,  chose  excessive- 
ment rare  au  Lessouto,  elle  entassait  remerciements  sur  re- 
merciements, je  lui  dis  : « Ne  me  remercie  donc  pas  tant, 
mon  enfant,  je  suis  content  d’avoir  pu  t’être  utile.  — Non, 
dit-elle,  je  dois  remercier,  car  ce  sont  tes  prédications  qui  ont 
fait  que  j’ai  pu  regarder  la  mort  sans  trembler  lorsqu’elle 
était  devant  moi.  » 

Oui,  en  s’occupant  des  malheureux  on  reçoit  plus  qu’on  ne 
donne,  et  c’est  pourquoi  je  regrette  de  faire  si  malle  peu  que 
je  fais. 

Comment  les  Bassoutos  se  comportent-ils  envers  leurs  ma- 
lades? Y a-t-il  contraste  à cet  égard  entre  les  chrétiens  et  les 
païens?  Ce  serait  une  question  intéressante  à étudier.  Peut- 
être  le  ferai-je  dans  ma  prochaine  lettre.  Celle-ci  est  déjà  assez 
longue. 

Recevez,  Messieurs  et  honorés  frères,  l’assurance  de  mes 
sentiments  affectueux  et  dévoués.  P.  Germond. 


ZAMBÈZE 

DERNIÈRES  NOUVELLES.  — MALADIE  DE  M.  COILLARD 

Des  nouvelles  du  Zambèze,  allant  jusqu’au  22  octobre, 
pour  les  stations  du  Bas,  jusqu’au  24  septembre  pour  celles 
de  la  Vallée,  viennent  de  nous  arriver.  Ce  courrier,  très  im- 
portant, contenait,  outre  des  lettres  particulières,  un  compte 
rendu  officiel  des  travaux  de  la  cinquième  conférence  du  Zam- 
bèze et  un  rapport  sur  la  marche  de  l’œuvre  missionnaire  de 
juillet  1894  à septembre  1895.  Ce  dernier  document  sera  pu- 
blié aussitôt  que  possible. 

La  cinquième  conférence,  ouverte  à Léaluyi  le  13  sep- 
tembre, sous  la  présidence  de  M.  F.  Coillard,  comptait  tous 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


les  missionnaires  du  Zambèze,  à l’exception  de  M.  Boiteux, 
commis  à la  garde  de  la  station  de  Kazungula,  en  l’absence 
de  son  chef,  M.  L.  Jalla. 

C’est  le  14  août  que  les  missionnaires  du  Bas,  à savoir 
MM.  L.  Jalla,  Goy  et  Davit,  se  mettaient  en  route  pour  Léa- 
luyi,  avec  l’évangéliste  Théodore  et  sa  femme.  Le  6 septembre, 
après  un  voyage  agrémenté  d’incidents  parfois  émouvants, 
ils  sont  parvenus  sains  et  sauf  à Léaluyi.  Mais  leur  arrivée  a 
été  attristée  par  l’état  de  santé  inquiétant  de  M.  Coillard. 

« Le  cher  M.  Coillard,  écrit  L.  Jalla,  à la  date  du  22  oc- 
tobre, nous  a inquiétés  tout  le  mois;  quelquefois  nous  crai- 
gnions qu’il  ne  s’éteignît  dans  la  nuit.  11  n’a  pu  que  de 
temps  à autre  s’asseoir  à table  avec  nous,  et  ses  gémisse- 
ments, jour  et  nuit,  nous  faisaient  mal  à tous  ». 

Dès  lors,  la  Conférence  n’avait  plus  qu’une  pensée  relative- 
ment à M.  Coillard  : le  conserver,  si  c’était  encore  possible. 
« Aussi,  continue  M.  Jalla,  la  seule  possibilité  de  l’avoir 
pour  quelque  temps  en  vie  est  qu’il  parte  le  plus  tôt  pos- 
sible, s’il  le  peut.  Avec  des  soins  entendus,  et  sous  un  meil- 
leur climat,  la  santé  pourra  peut-être  lui  être  rendue.  C’est 
pourquoi  mes  collègues  et  moi  l’avons  pressé  de  quitter  le 
Zambèze.  Il  y a consenti,  si  je  hâtais  moi-même  mon  dé- 
part. Nos  collègues  nous  en  ont  fait  un  devoir.  Aussi,  quoi- 
que ce  soit  très  précipité  pour  nous,  voici  quels  sont  nos 
plans  : M.  Coillard  nous  arriverait  ici,  à Kazungula,  fin  no- 
vembre, et  au  commencement  de  décembre  nous  nous  met- 
trions en  route  en  passant  par  Buluwayo,  Palapye  et  Mafé- 
king.  J’arriverai,  s’il  plaît  à Dieu,  en  Europe  vers  la  fin  de 
février,  ou  même  avant.  Quant  à M.  Coillard,  il  s’arrêtera 
quelques  mois  au  Lessouto,  s’il  est  assez  bien,  ce  dont  je 
doute  beaucoup.  Si  ces  plans  réussissent,  nous  prendrons 
nos  mesures  pour  rencontrer  les  renforts  à M'aféking  et  les 
en  réexpédier,  d 

On  le  voit,  si  les  projets  de  nos  frères  ont  pu  s’exécuter,  il 
y aura,  quand  paraîtront  ces  lignes,  un  mois  environ  qu’ils 
se  sont  mis  en  route  vers  le  sud. 


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Un  mot  seulement  de  la  cinquième  conférence.  Elle  a siégé 
du  13  au  24  septembre  et  n’a  duré  si  longtemps  que  par  suite 
de  la  maladie  de  M.  Coillard.  En  effet,  ses  collègues  tenaient 
à ce  qu’il  parût  à chacune  de  leurs  séances,  qu’à  grand’peine 
il  présidait  de  son  lit  de  souffrances.  Quand  les  forces  lui 
faisaient  défaut,  c’est  M.  Louis  Jalla  qui  prenait  la  présidence. 

Nos  missionnaires  avaient  à leur  ordre  du  jour  nombre  de 
questions  d’une  grande  importance,  entre  autres  la  discipline 
ecclésiastique,  les  règles  d’admission  dans  l’Église,  etc.;  puis 
la  création  d’une  école  d’évangélistes;  le  placement  provisoire 
des  missionnaires  Davit  et  Boiteux,  le  premier  à Séfula,  le 
second  à Kazungula;  et  plusieurs  questions  d’ordre  inté- 
rieur. 

Le  manque  de  place  nous  empêche  de  publier  quelques 
fragments  du  récit  que  M.  le  capitaine  Bertrand,  de  Genève, 
a fait  de  son  séjour  dans  nos  stations  du  Zambèze.  Il  parle 
de  nos  ouvriers  et  de  leur  travail  avec  une /sympathie  et  une 
admiration  très  réelles.  Nous  espérons  bien  pouvoir  faire  pro- 
fiter nos  lecteurs,  au  moins  en  partie,  de  ce  qu’a  écrit  ce 
voyageur  qui, d’emblée,  s’est  considéré  comme  l’ami  et  Fhôte 
de  nos  missionnaires. 


QUELQUES  LIGNES  DE  M.  COILLARD  (1) 

Léaluyi,  26  août  1895. 

Mon  bien  cher  frère  Boegner, 

Vous  n’aurez  pas  une  longue  lettre  de  moi,  cette  fois-ci.  Je 
relève,  une  fois  encore,  de  maladie.  Affection  des  reins,  in- 
flammation de  la  vessie-,  que  sais-je?  Une  légion  de  maux 
qui  m’ont  cloué  sur  mon  lit  pendant  quinze  jours,  après  m’a- 
voir fait  souffrir  à peu  près  toute  l’année.  Et,  encore,  si  nous 


(1)  Cette  lettre  est  antérieure  au  dernier  courrier;  nous  croyons  cé- 
pendant  devoir  la  publier. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


en  connaissions  la  vraie  cause?  J’ai  bien,  par  correspondance, 
consulté  un  docteur  de  mes  amis  (le  fils  d’un  ami),  à Kim- 
berley;  mais  sa  réponse,  que  peut-elle  être  et  quand  me  par- 
viendra-t-elle? Aussi,  je  crois  qu'il  me  faut  me  rendre,  quoi 
qu’il  m'en  coûte.  Et  si  les  Béguin  peuvent  me  prêter  leur 
wagon,  il  faudra  que  j’aille  à Kimberley  pour  consultation 
médicale.  De  là  au  Lessouto,  il  n’y  a qu’un  pas.  Ce  qui  m'ef- 
fraie, c’est  ce  voyage  en  wagon;  pourrai-je  le  supporter? 
Voilà  dix  mois  que  je  suis  souffrant  et  bon  à rien.  En  tout 
cas,  je  ne  partirai  pas  avant  avril  ou  mai  prochain. 

C’est  au  commencement  de  ces  jours  de  réclusion  et  de 
souffrance  que  j’ai  reçu  vos  deux  lettres  du  10  et  17  mai.  Cette 
dernière  surtout,  que  j’ai  lue  à plusieurs,  m’a  fait  immensé- 
ment de  bien.  J’y  ai,  en  quelque  sorte,  entendu  votre  cœur 
comme  par  un  microphone.  Et  je  vous  ai  bien  compris,  malgré 
la  distance.  Je  m’associe  bien  à toutes  vos  préoccupations, 
relativement  à la  question  de  Madagascar.  « La  lumière  est 
semée  pour  le  juste  et  la  joie  pour  ceux  qui  sont  droits  de 
cœur.  » Dieu  tirera  sa  gloire  de  tout  cela... 

Votre  rapport  est  palpitant  d’intérêt;  mais  il  est  triste. 
Tous  nos  champs  de  travail  réclament  du  renfort,  et  vous 
n’en  avez  pas  à envoyer.  Les  vocations  missionnaires  sont 
rares.  Il  y a bien  deux  notes  joyeuses,  celle  du  déficit  com- 
blé et  défunt  — elle  est  pure  celle-là  — et  celle  du  réveil  au 
Zambèze.  Hélas!  là,  je  crains;  nous  aurions  bien  des  déboires 
et  des  tristesses  à enregistrer.  Louis  .lalla  ne  le  verra  peut- 
être  pas  sur  sa  station,  car  il  va  en  Europe;  mais,  prépa- 
rons-nous-y, il  y aura  un  jour  de  triage Et  ce  temps 

de  crise  a déjà  commencé  ici  où  le  paganisme  lève  haut  la 
tête.  C’est  la  question  du  mariage  qui  a été  la  pierre  de 
touche,  à Séfula  d’abord,  ici  ensuite.  — Le  mariage  chrétien 
les  effraie  par  ses  engagements.  Le  mariage  païen  est  plus 
commode  : on  se  marie  et  se  démarie  à volonté,  pour  se  re- 
marier et  se  démarier,  sans  que  personne  ait  quoi  que  ce 
soit  à y voir.  C’est  plus  commode.  Ce  serait  une  bien  bonne 
chose  si  vous  pouviez  nous  envoyer  le  jeune  homme  dont 


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vous  parlez  (1)  et  l’artisan  dès  cette  année.  Vous  pourriez 
sauver  notre  outillage,  prévenir  de  grandes  pertes,  quant 
aux  wagons,  et  donner  une  grande  impulsion  aux  travaux 
matériels  en  fournissant  bois  et  planches,  etc.  Au  'plus  tôt , 
si  les  fonds  le  permettent,  au  plus  tôt. 

2 septembre. 

Depuis  que  je  vous  ai  écrit,  j’ai  eu  une  rechute,  et  me  voici 
de  nouveau  un  peu  mieux.  Espérons  que  ce  sera  durable.  J’ai 
donné  de  l’anxiété  à mes  amis;  et,  sans  un  de  mes  garçons  qui 
m’a  soigné  avec  une  assiduité,  une  affection  que  je  ne  pensais 
plus  trouver  au  Zambèze,  je  ne  sais  ce  que  j’aurais  fait  de 
nuit  comme  de  jour.  Les  Adolphe  ont  bien  fait  leur  possible; 
eux-mêmes,  avec  leurs  préparatifs  pour  la  Conférence,  étaient 
écrasés.  Je  crois  vraiment  que  je  dois  à la  mission,  à mes 
amis,  de  ne  plus  hésiter  à envisager  cette  triste  perspective 
de  lever  l’ancre  en  avril  et  nous  laisser  aborder  là  où  Dieu 
nous  conduira,  là  où  il  sait,  où  il  veut,  Lui. 

Mes  yeux  tombent  sur  ce  que  je  dis  de  M.  Mercier  et  de 
l’autre...  Je  vous  en  prie,  n hésitez  pas  à l’envoyer  Y an  pro- 
chain. C’est  urgent,  si  vous  voulez  sauver  la  situation,  et 
surtout  aussi  nos  intérêts  à Séfula.  Les  ateliers  tombent,  la 
scierie  et  notre  outillage  se  ruinent,  nos  wagons  se  détério- 
rent et  sont  hors  d’usage.  Un  charron  aurait  pu  encore 
mettre  ma  wagonnette  sur  pied,  et  me  permettre  de  voyager 
lestement  et  avec  confort.  Dans  dix-huit  mois  elle  sera  déjà 
irréparable,  et  ainsi  du  reste.  Que  de  pertes  ! 

Je  ne  puis  pas  en  dire  davantage.  Je  vous  écrirai  plus  tard, 
si  Dieu  me  rétablit.  N'hésitez  pas. 


(1)  Un  jeune  laïque,  sans  faire  d’offres  positives  et  à titre  confidentiel, 
avait  exprimé  la  pensée  de  se  vouer  un  jour  à la  mission  du  Zambèze. 
Le  directeur,  sans  prononcer  aucun  nom,  avait  signalé  ce  fait  encoura- 
geant à M.  Coillard. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Adieu,  mon  bien  cher  frère  ; mes  salutations  affectueuses 
à M.  Appia.  J'ai  son  texte  au  pied  de  mon  lit  : L’Éternel  est 


A la  capitale  de  Kakengé.  — Un  accueil  peu  amical.  — En 
danger.  — Protection  de  Dieu.  — L’Évangile  est  annoncé.  — 
Conversion  des  bateliers.  — Le  fatal  « demain  ». 

Heureusement  qu’un  bon  esprit  règne  parmi  notre  monde. 
La  perspective  d’arriver  bientôt  chez  Kakengé  ranime  leur 
courage,  a C’est  un  grand  chef;  chez  lui,  nous  sommes  sûrs 
d’être  bien  reçus  et  d’oublier  la  faim  ».  Hélas!  combien  peu 
ils  se  doutaient  de  ce  qui  nous  attendait  ! 

Nous’ forçons  donc  les  étapes;  nous  passons  sur  la  rive 
droite  de  la  Ruéna , une  petite  rivière  qui  vient  en  serpentant 
de  l’ouest  : c’est  quelque  part  par  ici  que  se  trouvait  autrefois 
la  capitale  du  grand  chef  des  ba-Lubale,  Kakenge.  Aujour- 
d’hui, l’héritier  de  ce  nom  a déménagé;  mais  ce  n’est  pas 
bien  loin,  car  les  hameaux  se  parsèment,  s’agglomèrent  sur 
la  rive  ; on  voit  des  piétons  se  croiser,  des  canots  minuscules 
descendre  ou  remonter  le  courant;  il  y a du  mouvement  et 
de  la  vie.  Tout  nous  dit  que  nous  approchons. 

Nous  arrivons  en  effet  le  30  mai,  au  milieu  du  jour,  par  une 
chaleur  suffocante.  On  nous  avait  dit  : « Vous  verrez  de  loin 
une  grande,  grande  maison,  très  haute;  il  n’y  en  a pas  de  pa- 
reille dans  le  pays.  C’est  la  capitale  de  Kakenge.  De  la  berge, 
nous  vîmes,  en  effet,  un  toit  de  chaume  pointu  qui  dominait 


celui  que  te  guérit. 
Adieu,  chers  amis. 


F.  Coillard. 


UNE  EXPLORATION  MISSIONNAIRE  (1) 

(Suite  et  fia). 


III 


(1)  Voir  année  1895,  pages  466  et  495. 


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29 


de  haut  de  petites  huttes  qui  perçaient  à peine  au  milieu  des 
buissons.  C’est  donc  bien  là. 

Nous  amarrons  les  canots  au  milieu  d’un  concours  de  cu- 
rieux, d’enfants  surtout.  Après  nous  être  annoncés,  nous 
attendons  longtemps  la  réponse  du  chef.  Cela  ne  nous  in- 
quiète pas,  nous  la  connaissons,  cette  gent-là.  Enfin  la  voici, 
et  ce  sont  des  hommes  d'âge  mûr  qui  nous  l’apportent.  « On 
fait  les  affaires  comme  il  faut  chez  Kakenge,  pensais-je...  » 
Sans  même  nous  saluer,  au  mépris  de  la  courtoisie  la  plus 
élémentaire,  et  sur  un  ton  bourru  et  hautain,  ces  hommes, 
au  nom  de  Kakenge,  nous  signifiaient  l'ordre  de  passer  le 
fleuve  et  d’aller  camper  sur  l’autre  rive  ! Quelle  tuile  1 Pour 
l'ombrage  et  le  bois  à brûler,  c’eût  été  mieux  pour  nous, 
mais  il  m’en  coûtait  de  mettre  le  fleuve  entre  nous  et  les  gens 
que  nous  étions  venus  visiter,  et  c’est  ce  que  je  répondis. 
Liomba,  lui,  et  nos  Barotsis,  prirent  la  chose  comme  une  in- 
sulte. Kakenge  est  un  vassal  que  Léwanika  vient  d’investir 
de  son  autorité.  Il  y eut  de  l’aigre-doux  dans  cette  première 
entrevue,  et  elle  nous  laissa  sous  une  pénible  impression. 

Une  demi-iieure  après  les  mêmes  messagers  revenaient, 
cette  fois  avec  une  cohue  de  jeunes  gens  tous  armés  de  fusils  ! 
« Le  chef  Kakenge  dit  que  puisque  vous  le  voulez,  vous, 
vous  pouvez  camper  ici.  » — « Fort  bien,  mais  quelle  est  cette 
manière  de  nous  recevoir  avec  des  fusils?  » Après  une  alter- 
cation un  peu  vive.,  que  je  pus  heureusement  modérer,  nous 
obtînmes  que  tous  les  fusils  qui  allaient  s’augmentant  avec 
de  nouveaux  arrivants,  retournassent  au  village.. 

Ce  premier  danger  écarté.,  il  m’était  impossible  d'accepter 
cettte  situation,  sans  raison  déjà  si  tendue.  J’envoie  donc  un 
de  ces  hommes  dire  au  chef  que  je  demande  instamment  à le 
voir  sans  délai. Il  me  répond  que  «la  dignité  d’un  grand  chef 
comme  lui  ne  lui  .permet  pas  de  recevoir  un  étranger  ainsi, 
qu’il  verrait  et  me  manderait  dans  quelques  jours  s’il  le  jugeait 
bon  ».  C’était  crâne,  et  pendant  ce  temps  arrivaient  de  çà  et 
de  là  des  bandes  d’hommes  armés.  La  nuit  survenue,  les 
tambours  se  mirent  à battre,  on  tirait  du  fusil  coup  sur  coup, 


30 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


on  criait,  on  hurlait,  c’était  un  vacarme  épouvantable  ; les 
danses  avaient  commencé,  des  danses  sur  le  caractère  des- 
quelles nous  ne  nous  méprenions  pas.  Personne  ne  dormit 
cette  nuit-là.  Nous  ne  fûmes  pourtant  pas  attaqués. 

Le  lendemain  matin,  je  renouvelai  mon  message  à Kakenge, 
accentuant  qu’il  était  de  toute  importance  que  je  le  visse.  Il 
répondit  qu’il  voulait  savoir,  lui,  ce  que  j’étais  venu  faire 
dans  son  pays  avec  une  bande  de  Barotsis,  sans  sa  permis- 
sion, et  sans  même  l’avertir  ; qu’avant  même  de  voir  son 
visage,  il  s'agissait  tout  d’abord,  tant  pour  Liomba  que  pour 
moi,  de  lui  payer  le  mosapo,  c’est-à-dire  l’hommage,  l’impôt 
plutôt  qu’il  exige  des  marchands  noirs  portugais  qui  viennent 
dans  son  pays. 

J’en  appelai  aux  messagers  que  je  lui  avais  envoyés,  à.  la 
lettre  que  je  lui  avais  demandé  d’expédier,  avec  mon  message, 
à Makatoro,  sa  mère.  Je  lui  dis  que  je  n’étais  pas  un  mar- 
chand, ni  même  un  voyageur,  mais  un  moruti,  et  que  je  n’étais 
venu  dans  son  pays  que  pour  enseigner  les  choses  de  Dieu. 
J’ajoutai  que  je  ne  refusais  pas  de  lui  faire  un  cadeau  quand 
j’aurais  vu  la  manière  dont  il  me  recevrait,  mais  que  je  ne  con- 
sentirais jamais  à lui  payer  le  mosapo  des  mambaris,  et  qu’il 
devait  se  le  tenir  pour  dit.  Toute  la  matinée  se  passa  en 
pourparlers.  Kakenge  finit  apparemment  par  céder,  et  sans 
plus  exiger  le  fameux  mosapo,  il  nous  manda  au  lekhotla.  Il 
était  là  trônant  sur  un  escabeau,  drapé  dans  une  grosse  cou- 
verture de  laine  de  couleur,  à l’ombre  d’un  énorme  parapluie 
de  coton  bleu  que  tenait  un  esclave.  La  place  était  remplie 
d’hommes  chamarrés  de  leurs  ornements  de  guerre  et,  en- 
tourée des  faisceaux  de  leurs  fusils.  Le  cercle  s’ouvre  devant 
nous  pour  se  refermer  après,  et  on  nous  fait  asseoir  au  grand 
soleil,  en  face,  mais  à distance  du  chef.  Je  le  saluai,  et  mes 
gens  aussi  ; il  ne  répondit  qu’à  moi  seul,  et,  pendant  quelques 
minutes,  nous  nous  étudiâmes  mutuellement. 

J’essayai  de  bien  expliquer  le  but  de  mon  voyage,  insistant 
sur  le  fait  des  messagers  que  je  lui  avais  envoyés.  Malheu- 
reusement, mes  interprètes  ma-mboë  étaient  paralysés  de 


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31 


frayeur,  et  mes  paroles  devaient  passer  par  six  bouches,  six 
éditions  nouvelles  avant  de  lui  parvenir.  Kakenge  n’était  pas 
d'humeur  à écouter  mes  explications,  qu’il  traitait  de  men- 
songes. 

Il  m’interrompit  brusquement  et  se  lança  lui-même  dans 
un  discours  passionné  que  personne  ne  pouvait  m’inter- 
préter. a Que  dit-il?  demandai-je  à Liomba  ».  — « Oh!  il  est 
très  en  colère,  il  nous  insulte  et  nous  menace  ».  Sa  figure  et 
ses  gestes,  aussi  bien  que  l’attitude  fort  peu  rassurante  de  ses 
gens  le  disaient  assez,  etje  m’en  rendais  parfaitement  compte. 

Il  nous  tint  là  plus  d’une  heure  à rôtir  au  soleil,  et,  quand 
il  eut  épuisé  son  effervescence,  il  se  leva  subitement  et  dis- 
parut précipitamment  dans  la  cour  de  son  harem.  Ainsi  se 
termina  cette  entrevue  sur  laquelle  j’avais  tant  compté. 

Mes  gens  qui,  pour  la  plupart,  comprennent  la  langue, 
étaient  terrifiés.  Tous  mornes  et  silencieux,  chacun  était  tout 
entier  à ses  pensées.  Des  rumeurs  sinistres  couraient  aussi 
de  bouche  en  bouche.  Deux  d’entre  eux  avaient  contracté  avec 
des  ba-Lubale  l’alliance  du  sang  (1),  et  ces  nouveaux  frères, 
fidèles  à des  obligations  inviolables,  leur  avaient  confié  que 
Kakenge,  par  pure  haine  pour  les  Barotsis,  avait  juré  notre 
perte,  et  que  si  nous  échappions  de  ses  mains,  il  avait  donné 
des  ordres  en  amont  pour  nous  arrêter  et  nous  massacrer.  Il 
se  trouve  par  là  un  certain  chef  du  nom  de  Kalipa  que  Léwa- 
nika  a destitué  en  faveur  du  Kakenge  actuel,  qui  s'était  chargé 
de  l’affaire.  Liomba  était  le  seul  qui  eût  gardé  son  calme. 
Tauira,lui,  essayait  de  consoler  ses  amis  d’infortune  en  leur 
répétant  platoniquement  qu’  a après  tout  on  ne  meurt  qu’une 
fois».  D’autres,  je  l’appris  plus  tard,  avaient  clandestinement 
chargé  leurs  canots  et  se  proposaient  de  se  sauver  de  nuit. 
J’en  avais  bien  surpris  qui  chargeaient  leurs  fusils.  Aussi,  en 
voyant  les  jeunes  gens  du  village  — les  hommes  ne  se  mon- 


(1)  Les  parties  contractantes  avaient  mêlé  à un  peu  de  nourriture, 
et  en  présence  de  témoins,  quelques  gouttes  de  sang  extraites  l’une  de 
l’autre.  F.  C. 


32 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


traient  pas,  eux  — aller  et  venir  dans  notre  campement, 
s’asseoir  sur  nos  nattes,  toucher  à tout,  se  comporter  avec 
impudence,  ma  crainte,  à moi,  c’était  que  nos  jeunes  gens  ne 
cédassent  à ces  provocations  et  ne  missent  ainsi  le  feu  aux 
poudres. 

Notre  réunion  du  soir  fut  ce  qu’elle  pouvait  être  dans  ces 
circonstances.  Personne  n’y  manquait.  J’exhortai  mes  pauvres 
gens  à mettre  leur  confiance  en  Dieu.  Je  leur  racontai  nos 
aventures  avec  Masonda  chez  les  ba-Nyaï,  et  leur  montrai 
la  délivrance  merveilleuse  que  le  Seigneur  nous  avait  ac- 
cordée. « Eh  bien,  mes  amis,  leur  dis-je,  remarquez  mes  pa- 
roles, il  en  sera  de  même  ici.  Dieu  dit  dans  sa  Parole  que  les 
cœurs  des  rois  sont  dans  sa  main,  et  que  comme  des  ruis- 
seaux d’eau  il  les  incline  comme  il  lui  plaît.  J'ai  toujours  fait 
l’expérience  que  c’est  vrai,  même  en  venant  dans  votre  propre 
pays,  où  nous  avons  trouvé  plus  de  difficultés  que  vous  ne 
vous  l'imaginez.  Le  cœur  de  Kakenge  est  dans  la  main  de 
Dieu  comme  celui  de  Léwanika,  comme  celui  de  Masonda. 
Demain,  vous  le  verrez,  Kakenge,  non  seulement  nous  enverra 
de  la  nourriture,  mais  il  nous  donnera  aussi  des  paroles  de 
paix,  et  pas  un  de  nos  cheveux  ne  tombera  par  terre.  » Mes 
paroles  peuvent  paraître  audacieuses  et  téméraires  ; c’étaient 
des  paroles  convaincues.  Ces  hommes  les  écoutaient  avec 
étonnement.  Après  cela,  personne  ne  songea  à se  sauver.  On 
ne  dormit  pas,  cela  va  sans  dire,  tous  criaient  à Dieu,  et  les 
païens  plus  que  les  autres.  Pour  moi,  j’étais  calme  et  con- 
fiant, parce  que  je  sentais  que  la  gloire  de  mon  Dieu  était  en 
jeu.  Le  matin  parut;  nous  n’avions  pas  été  attaqués,  mais  où 
était  la  délivrance  promise? 

J’envoyai  dire  à Kakenge  que  j’allais  le  voir  moi  tout 
seul.  «Attends,  me  répondit-il,  je  ne  peux  pas  causer  avec 
quelqu’un  qui  a faim.  » Était-ce  la  première  lueur  de  l’exau- 
cement? Pas  pour  mes  gens,  en  tous  cas,  au  contraire. 
Toute  la  matinée  se  passa  ainsi  dans  l’attente.  Rien ! L’après- 
midi  s’avançait,  rien!  Enfin,  vers  les  3 heures,  une  procession 
que  je.  vis  sortir  du  village  s’avança  lentement  vers  le  campe- 


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ment.  C'était  la  nourriture  'promise  de  Kakenge!  Des  corbeilles 
de  manioc,  du  millet,  des  patates,  des  poules,  et  que  sais-je? 
Tout  le  monde  se  réunit.  « Moruti , dit  un  vieux,  voici  les 
liyoumbou  de  Kakenge.  Maintenant,  fais-lui  un  présent  digne 
de  toi  et  digne  de  lui...  Tu  lui  as  donné  l’autre  jour  de  l’étoffe, 
elle  était  ensanglantée  (à  fond'rouge),  et  il  Ta  passée  à ses  es- 
claves; tu  as  ajouté  delà  blanche,  il  Ta  offerte  aux  dieux;  de 
la  verroterie  aussi,  et  il  Ta  distribuée  à ses  femmes.  Lui  n’a 
encore  rien  de  toi;  tu  as  de  belles  choses,  donne!  » Ce  furent 
des  transactions  délicates  que  celles-là,  et  qui  prirent  du 
temps.  Je  n’étais  pas  très  traitable,  moi,  et  pour  cause;  je  ne 
m’étais  pas  pouvu  pour  pareille  éventualité.  Enfin  je  mis  la 
main  sur  une  pièce  d’étoffe  qui  prit  les  yeux  de  mes  ba- 
Lubale  et,  pour  ne  pas  embrouiller  de  nouveau  les  affaires  : 
« Allons,  dis-je  à mes  gens,  je  la  porte  moi-même  à Kakenge; 
venez  le  remercier  pour  sa  nourriture.  » Déjoués,  les  messa- 
gers du  chef,  me  voyant  déterminé,  se  mirent  à la  tète  de  la  file. 

En  nous  voyant  déboucher  au  lekhothla  sans  plus  de  céré- 
monie, Kakenge  se  sauva  dans  sa  cour.  Je  lui  envoyai  l’étoffe 
et  dis  à mes  gens  : a La  salutation  royale,  maintenant?»  Ils  se 
mirent  instantanément  en  position,  et  leurs  puissants  Yo  shô  ! 
et  leurs  battements  des  mains  produisirent  un  tel  effet,  que 
pendant  que  le  messager  envoyé  pour  me  remercier  de  l’étoffe 
parlait  encore,  Kakenge  lui-même,  au  mépris  de  sa  dignité, 
accourait,  prenait  son  escabeau  et  venait  se  planter  devant 
moi.  Sa  figure  rayonnait  : « Maintenant,  dit-il,  je  crois  à vos 
bonnes  intentions,  oubliez  ma  mauvaise  humeur  des  jours 
passés.  J’avais  envoyé  des  ordres  en  amont  pour  qu’on  vous 
arrêtât;  je  vais  les  contremander  et  vous  annoncer  à Naka- 
toro.  Ce  sont  mes  gens  qui  vous  conduiront.  Seulement, 
ajouta-t-il,  ne  prenez  pas  les  ha-Lubale  pour  des  femmes  »... 
Puis,  tout  à coup,  il  se  jette  à la  renverse,  se  raidit,  gigotte, 
s’égratigne,  fait  d’affreuses  contorsions,  il  roule  les  yeux, 
grince  des  dents  et  pousse  des  cris  horribles.  Puis  soudain, 
se  calmant,  il  se  lève  et  se  sauve  dans  sa  cour.  Nous  restons 
ébahis.  J’avais  cru  d’abord  que  l’homme  avait  une  crise  et 

3 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


voulais  faire  chercher  de  Feau;  mais  tout  son  monde  s'était 
levé  et,  pour  Fapplaudir,  poussaient  des  cris  sauvages.  Je 
compris  alors  que  Kakenge  vantait  son  courage  en  imitant 
une  bète  féroce  luttant  avec  sa  proie  et  la  dévorant.  Que 
n'avais-je  ma  caméra! 

Cette  dernière  scène  tragi-comique  eût  un  peu  terni  les 
bonnes  impressions  de  mes  compagnons,  si  Kakenge  ne  s’était 
hâté  de  nous  envoyer,  avec  un  peu  de  nourriture,  un  aimable 
messager,  nous  invitant  à aller  le  lendemain  « chanter  chez 
lui.  » C’était  le  jour  de  la  Pentecôte.  Dieu  s’était  glorifié. 
Je  me  sentais  ému,  le  soir,  en  voyant  mes  gens  à leurs  feux 
cuire  leur  nourriture.  Les  uns  causaient,  commentant  avec 
animation  les  événements;  les  plus  jeunes,  eux,  reprodui- 
saient la  scène  sauvage  dont  ils  venaient  d’être  témoins; 
d’autres  étaient  pensifs  et  ne  disaient  rien. 

La  prudence  me  fit  renoncer  à poursuivre  mon  voyage 
jusque  chez  Nyakotoro,  et  on  peut  le  comprendre  sans  plus 
d’explication. 

Le  lendemain,  le  jour  de  Pentecôte,  nous  allâmes  au  lekho- 
Ihla,  non  plus  comme  des  disgraciés,  cette  fois.  Les  fusils 
avaient  disparu  ; Kakenge  et  ses  hommes  se  groupèrent  autour 
de  nous;  nos  chants  attirèrent  les  femmes  et  les  enfants  du  vil- 
lage et,  là  aussi,  nous  publiâmes  la  bonne  nouvelle  du  salut. 
Liomba  étonna  grandement  Kakenge  quand  il  lui  dit  qu’il 
était  un  croyant,  lui,  le  gendre  du  roi,  Liomba.  Il  pensait 
sans  doute  — et  il  n’est  pas  le  seul  — que  l'Évangile  est  pour 
les  pauvres  et  les  pe-tits  de  ce  monde...  et  non  pour  Jes  grands 
que  Dieu  honorera  d’une  manière  spéciale  ou  qui,  peut-être, 
honoreront  Dieu  en  entrant  dans  son  ciel. 

Je  le  surpris  à mon  tour  en  lui  annonçant  ma  décision  de 
rebrousser  chemin.  « On  dira  que  c’est  Kakenge  qui  t’a  ar- 
rêté, » dit-il.  Mais  voyant  que  j’étais  bien  décidé  et  qu’aucune 
de  ses  promesses  ne  pourrait  m’ébranler,  il  voulut  absolu- 
ment que  nous  ne  prissions  congé  de  lui  que  le  lendemain  ma- 
tin. « Mais  nous  voulons  partir  de  bonne  heure!  — N’importe, 
on  me  réveillera.  » En  effet,  le  lundi  de  grand  matin,  pendant 


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qu’on  abattait  la  tente  et  chargeait  les  canots,  nous  courûmes 
chez  lui  et  le  trouvâmes  nous  attendant.  Je  pus  même,  malgré 
sa  répugnance,  prendre  une  mauvaise  photographie  de  lui. 
Il  nous  donna  encore  une  corbeille  de  farine  : « Reviens  l’an- 
née prochaine,  me  dit-il,  tu  ne  trouveras  plus  d’obstacles  sur 
ton  chemin,  et  tu  prendras  deux  de  mes  enfants  pour  les  ins- 
truire. Je  te  les  donnerais  aujourd'hui;  mais  le  chemin  de  Léa- 
luyi  n’est  pas  encore  assez  battu.  » J’étais  tout  à fait  de  son 
avis.  Une  fois  en  bateaux,  je  vous  laisse  à penser  si  nos  bate- 
liers ramèrent!  Le  point  noir  maintenant,  c’était  la  disette. 

En  descendant,  nous  apprîmes  qu’un  chef  du  nom  de  Kenya, 
dans  l’espoir  que  nous  passerions  chez  lui,  avait  effectivement 
intercepté  nos  messagers  et  même  la  lettre  qu’il  devait  expé- 
dier à Kakenge.  Son  village  était  trop  loin  du  fleuve,  et  nous 
ajournâmes  notre  visite  jusqu’au  retour.  De  dépit,  lui  ne 
voulut  rien  expédier.  Cela  explique  en  partie  l’attitude  de 
Kakenge,  et  l’exonère  à mes  yeux.  Je  le  confesse,  quand  il 
protestait  n’avoir  rien  reçu  de  nous,  je  ne  croyais  pas  à sa 
véracité.  Quoi  qu’il  en  soit,  je  crois  que  cet  incident  ne  contri- 
buera pas  peu  à amortir  les  animosités  intertribales  et  à af- 
fermir la  paix.  Une  chose  bien  certaine,  c’est  que  si  plus  tard 
je  pouvais  refaire  le  même  voyage,  même  avec  une  bande  de 
Barotsis,  nous  n’aurions  plus  les  mêmes  dangers  à courir. 

L'infortuné  Kenya,  apprenant  nos  aventures,  était  hors  de 
lui-même,  et  courait  après  nous.  Nous  ne  pouvions  pas  l’at- 
tendre, la  faim  nous  chassait.  Tout  en  le  condamnant,  nous 
fîmes  tout  ce  que  nous  pûmes,  par  le  moyen  de  son  frère 
Mosoandungu,  pour  le  calmer  et  le  rassurer.  Cela  nous  em- 
pêcha de  prendre  son  enfant  chez  Mosongo  pour  l’emmener  à 
l’école,  comme  cela  avait  été  convenu.  Au  retour,  notre  brave 
ami  Sindé  nous  reçut  avec  la  même  chaleur  de  cœur  qu’en 
allant . Malheureusement,  une  ophtalmie  purulente,  qui  le  rete- 
nait dans  sa  maison,  nous  empêcha  de  le  voir.  Ce  fut  aussi  la 
cause  pour  laquelle  son  propre  fils  et  deux  de  ses  neveux  ne 
purent  non  plus  partir  avec  nous  pour  venir  à l’école. 

Dès  le  commencement  du  voyage,  j’avais  senti  pour  nos  ba- 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


teliers  une  vive  sollicitude;  leur  conversion  était  le  sujet  de 
mes  prières;  des  exhortations  individuelles  et  de  pressants 
appels  leur  avaient  été  souvent  adressés.  Nos  cultes  du  matin 
et  ceux  du  soir  surtout  avaient  toujours  été  sérieux.  Après 
nos  aventures  chez  Kakenge,  ce  sérieux  devint  encore  plus 
intense. 

Un  soir,  c’était  chez  Sindé  et  c’était  le  9 juin,  nous  étions 
campés  dans  un  bois  touffu  qu’éclairaient  mal  les  pâles  rayons 
de  la  lune.  Vous  m’auriez  vu,  avec  tous  mes  gens  accroupis 
autour  du  feu  central  de  notre  bivouac.  Un  sentiment  de 
grande  solennité  nous  avait  saisis.  J’avais  une  fois  encore 
adressé  de  sérieuses  paroles  à ces  hommes  qui,  pendant  six 
semaines,  avaient  partagé  ma  vie  dans  ce  voyage  aventureux. 
Je  m’étais  tu.  Le  silence  avait  succédé  à mes  paroles...  Un 
garçon  le  rompit  enfin  : « Je  suis  Mosesanyane,  de  Lépakae, 
dit-il  d’une  voix  tremhlottante.  L’an  passé,  j’ai  travaillé  chez 
notre  père  le  moruti;  mon  temps  fini,  je  me  suis  sauvé  avec 
un  dard  au  coeur.  Je  me  disais  : « Bah,  ça  passera,  ce  n’est 
qu’une  impression  »,  et  je  croyais  ma  blessure  guérie.  Mais 
à Sapuma  un  nouveau  dard  m'a  transpercé.  En  pensant  au 
grand  jour  où,  même  les  rois,  les  grands,  les  riches,  diront 
aux  rochers  et  aux  montagnes  de  tomber  sur  eux,  je  me  suis 
demandé  comment  moi,  pauvre  et  petit  que  je  suis,  je  pour- 
rais échapper.  Je  n’ai  depuis  lors  cessé  de  crier  au  Seigneur 
Jésus  pour  qu’il  ait  pitié  de  moi.  Je  crois  qu’il  m’a  entendu, 
et  je  suis  à lui...  » 

Un  autre,  un  homme  fait,  déclare  que  ce  sont  nos  aven- 
tures chez  Kakenge  qui  lui  ont  ouvert  les  yeux  et  l’ont  dé- 
cidé. «Quand  notre  père  affirmait  que  le  cœur  de  Kakenge  lui 
aussi  est  dans  la  main  de  Dieu,  je  me  disais,  moi  : « Nous 
verrons!  le  moruti  est-il  un  devin?  Cela  nous  semblait  aussi 
étrange  que  la  parole  de  Jésus  à ses  disciples  : « il  dort , et  je 
m’en  vais  l’éveiller»,  et  pourtant  il  était  bien  mort.  Eh  bien, 
oui,  Dieu  a fait  un  miracle.  Quand  nous  nous  attendions  à 
être  massacrés,  il  a changé  le  cœur  de  Kakenge  envers  nous. 
Dieu  entend  les  prières;  c’est  bien  vrai.  Après  avoir  été  poussé 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


37 


par  la  frayeur  à prier,  j’ai  commencé  à prier  pour  le  pardon 
de  mes  péchés.  » 

Un  troisième,  un  terrible  caractère  celui-là,  et  bien  connu, 
le  dernier  dont  nous  aurions  attendu  un  tel  langage  : « Quand 
j’ai  vu  àSapuma  mon  frère  de  servitude,  Molonda,  se  déclarer 
pour  le  Seigneur,  cela  m’a  fait  un  tel  effet  que  je  me  suis 
sauvé  dans  la  forêt,  et  là  j’ai  pleuré  et  crié  comme  un  en- 
fant. Matengenya  est  bien  mauvais,  me  disais-je,  c'est  vrai  ; 
c’est  un  adultère,  un  voleur,  un  menteur,  tout  le  monde  le 
méprise.  Est-il  donc  trop  mauvais  pour  que  Jésus  le  sauve? 
Non,  il  est  venu  chercher  et  sauver  ce  qui  était  perdu.  On  me 
le  disait,  j’en  riais;  maintenant,  je  le  crois  ». 

Puis  ce  fut  un  autre,  puis  un  autre  encore,  dix  en  tout; 
disons  onze  en  comptant  un  de  nos  guides  ma-mboë,  un 
homme  qui  grisonne.  Ce  grand  chasseur  d’hippopotames 
nous  étonnait  dès  l’abord  par  l’avidité  avec  laquelle  il  écou- 
tait ce  que  nous  disions  du  Seigneur  Jésus,  et  le  feu  avec  le- 
quel il  transmettait  aux  autres  ce  qu’il  en  avait  saisi.  Impos- 
sible, pensions-nous,  qu’il  ne  soit  qu’un  porte-voix  qui  donne 
tout  et  ne  garde  rien.  Quel  puissant  évangéliste  la  grâce  de 
Dieu  pourrait  en  faire  dans  ces  quartiers  ténébreux!...  Lui 
aussi  se  déclara  pour  le  Seigneur.  Dans  la  nuit,  le  courant 
emporta  son  canot;  il  nous  quitta  pour  le  chercher,  et  nous 
ne  l’avons  pas  revu.  Mais  s’il  tient  bon,  nous  le  verrons  sou- 
vent à Léaluyi,  malgré  la  distance  (1). 

Enfin  il  y en  avait  bien  un  douzième.  Ah  ! oui,  un  cher  et 
intéressant  jeune  homme  pour  qui  nous  avons  lutté  avec  an- 
goisse. Il  était  là,  près  de  moi,  tremblant  de  tous  ses  membres, 
la  tête  cachée  dans  ses  mains  et  contenant  mal  son  émotion. 
Je  l’attendais,  mais  il  ne  dit  rien.  Après  la  réunion,  il  me  fit 
dire  qu’  « il  n’y  tenait  plus  » et  qu'il  fallait  qu’il  se  déclarât 
demain.  Il  ne  le  fit  pas,  le  courage  lui  manqua  ; le  lendemain 


(1)  La  distance  de  Léaluyi  au  village  actuel  de  Kakenge  est,  en  sui- 
vant les  méandres  du  fleuve,  de  près  de  600  kilomètres. 


38  JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


fut  encore  demain.  Il  ne  l’a  pas  fait,  hélas!  et  aujourd’hui,  pour 
lui,  c’est  encore  demain ! 

G’estle  samedi,  15  juin,  que  nous  sommes  rentrés  à Léaluyi 
joyeux,  heureux  de  nous  retrouver  avec  les  chers  Adolphe, 
de  revoir  Léwanika,  nos  jeunes  gens,  tout  le  monde,  et  péné- 
trés de  reconnaissance  envers  Dieo*  dont  la  bonne  main  avait 
été  si  visiblement  sur  nous  dans  tout  ce  voyage  de  six  se- 
maines. 

Le  lendemain,  au  service  du  matin,  l’église  était  pleine. 
Mokuaé  de  Nalolo  était  en  visite.  Ceux  qui  professent  d’avoir 
trouvé  le  Seigneur  Jésus  dans  ce  voyage,  se  levèrent,  et,  une 
fois  encore,  déclarèrent  individuellement  vouloir  le  suivre  et 
le  servir.  Mais  de  ces  dix,  deux  n’étaient  pas  là  ; ils  avaient 
reculé,  et  l’un,  je  le  Grains,  pour  tout  de  bon.  Puissent  les 
autres  persévérer! 

Je  n’ajoute  rien  à ma  lettre,  déjà  trop  longue  malheureu- 
sement! 

« Celui  qui  est  sage  prendra  garde  à ces  choses  et  considé- 
rera les  bontés  de  l’Éternel  » Ps.  107. 

Votre  affectionné  dans  le  Seigneur.  F.  Cqillard. 


SÉNÉGAL 

DERNIÈRES  NOUVELLES 

Par  lettre  du  29  novembre,  écrite  à bord  des  Andes, 
M.  E.  Pétrequin  donne  d’intéressants  détails  sur  son  voyage 
de  retour  à Saint-Louis.  Ce  voyage  s’est  effectué  dans  de 
bonnes  conditions  pour  lui  et  pour  les  deux  dames  qui 
étaient  à bord  avec  lui,  madame  Pétrequin  et  mademoiselle 
Buttner.  Arrivés  à Saint-Louis  le  2 décembre,  nos  mission- 
naires se  sont  aussitôt  mis  à l’œuvre,  M.  E.  Pétrequin  à 
l’école  des  garçons,  et  mademoiselle  Buttner  à celle  des  filles. 
Nous  apprenons,  d’autre  part,  que  notre  jeune  institutrice  a 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


39 


commencé  son  travail  avec  joie  et  entrain,  et  que  tout  fait 
bien  augurer  de  sa  carrière.  Qu’il  plaise  à Dieu  de  leur  con- 
server à tous  force  et  santé  pour  l'accomplissement  de 
l’œuvre  à la  fois  humble  et  grande  qui  leur  est  confiée  ! 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 

COMMENT  L’ÉVANGILE  FUT  INTRODUIT  DANS  L’ARCHIPEL 

DE  COOK 

UN  JEUNE  MISSIONNAIRE  MÉCONTENT.  — MERVEILLEUSE  HISTOIRE  DAOU-OURA. 

— PAPÉIHA,  LE  PREMIER  CATÉCHISTE  POLYNÉSIEN  A AITOUTAKI.  — LES 

IDOLES  RENVERSÉES.  — DANGERS  A MANGAlÀ.  — A LA  RECHERCHE  DE 

RAROTONGA.  — LÀ  VICTOIRE. 

Le  7 juillet  4820,  un  jeune  missionnaire  — il  était  âgé  de 
vingt-quatre  ans  et  habitait  Raïatéa  (1)  depuis  deux  ans  en- 
viron — écrivit  à ses  directeurs,  à Londres,  qu’il  estimait 
son  champ  de  travail  trop  restreint  et  qu’il  se  préparait  à le 
quitter  ; « Je  n’ai  d’autre  désir  en  mon  cœur  que  de  vivre  et 
de  mourir  en  travaillant  pour  mon  Sauveur,  disait-il  dans  son 
épitre  (2);  mais  je  regrette  d’être  jamais  venu  ici  ».  Et  il  énu- 
mérait, parmi  d’autres  raisons,  le  petit  nombre  d’habitants 
des  îles  Sous  le  Vent.  Vers  la  fin  de  sa  lettre,  il  disait  : « Si 
quelque  navire  faisant  voile  pour  l’Angleterre  touchait  ici,  je 
m’embarquerais.  Que  diriez-vous  de  me  voir  apparaître  ino- 
pinément à la  Maison  des  Missions?  » Il  faut  espérer  qu’on 
n’aurait  pas  hésité,  dans  ce  cas,  à réprimander  sévèrement  ce 
soldat  indiscipliné  et  à le  remercier  ensuite. 

(1)  La  station  actuelle  de  notre  missionnaire  M.  G.  Brunei,  que  vont 
rejoindre  M..  et  madame  Huguenin.  Voyez,  du  reste,  la  Carte  de  la  Poly- 
nésie française , publiée  dans  le  Journal  des  Missions,  1892,  p.  329. 

(2)  E.  Prout,  Memoirs  of  the  life  of  the  Rev.  J.  Williams,  Londres,  1843, 

p.  119. 


40  JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Cependant  cet  homme  avait  en  lui  l’étoffe  d’un  héros.  Dieu 
le  savait,  il  eut  pitié  de  lui  et  lui  fournit  du  travail. 

Huit  mois  après  la  rédaction  de  son  étrange  lettre,  John 
Williams  — car  c’est  de  cet  apôtre  de  la  Polynésie  qu’il  est 
question  — aperçut,  au  large  de  Raïatéa,  une  voilure  de 
forme  inaccoutumée.  L’embarcation,  pilotée  par  des  pêcheurs 
raïatéans  sortis  à sa  rencontre,  réussit  à entrer  dans  la  rade. 
Son  histoire  est  l’un  des  incidents  les  plus  dramatiques  et  les 
plus  merveilleux  dans  les  annales  si  riches  en  miracles  de 
l’Église  polynésienne. 

En  1820,  un  navire  européen  avait  apporté  les  germes 
d’une  épidémie  mortelle  à Rouroutou  (1).  Neuf  dixièmes  de 
la  population  périrent.  Un  jeune  chef,  Aou-oura,  attribuant 
cette  peste  au  courroux  de  quelque  divinité  et  pensant 
échapper  à « l’esprit  qui  dévore  »,  s’embarqua  avec  un  de 
ses  amis,  quelques  compagnons  et  leurs  femmes  pour  se  ré- 
fugier sur  une  terre  voisine.  Ils  demeurèrent  pendant  quelque 
temps  à Toubouaï.  Puis,  espérant  que  la  colère  des  dieux 
contre  Rouroutou  avait  eu  le  temps  de  s’épuiser,  ils  appareil- 
lèrent pour  retourner  chez  eux,  au  commencement  de  1821. 
Une  tempête  les  surprit.  Pendant  une  semaine,  ils  furent  jetés 
çà  et  là  parla  fureur  des  flots.  L’une  des  pirogues  périt.  Dans 
l’autre,  Aou-oura,  avec  une  vingtaine  de  compagnons,  finit  par 
atterrir  à Maoupiti,  la  plus  occidentale  des  îles  Sous  le  Vent; 
ils  étaient  à moitié  morts  de  faim  et  de  soif.  On  les  ranima,  et 
dans  la  suite,  ils  entendirent  parler  des  hommes  blancs  éta- 
blis à Raïatéa.  Aou-oura  voulut  voir  ces  étrangers  dont  on 
lui  disait  tant  de  bien,  et  il  y réussit,  comme  on  l’a  vu;  car 
la  barque  aperçue  par  J.  Williams,  en  mars  1821,  n’était  autre 
que  celle  des  compagnons  d’Aou-oura. 

Le  missionnaire  de  Raïatéa  évangélisa  et  instruisit  les 
étrangers.  En  moins  de  quatre  mois,  Aou-oura  apprit  à lire 
et  à écrire  tolérablement  la  langue  des  îles  de  la  Société,  peu 
différente  de  celle  de  Rouroutou;  et,  mieux  que  cela,  il  com- 


(1)  Voir  la  carte  citée  ci-dessus  et  le  Journal  des  Missions . 1892,  p.  483. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


41 


prit  que  le  Dieu  vivant  et  vrai  l’avait  jeté  dans  une  tempête 
au  pied  de  la  croix  du  Christ. 

Ni  Aou-oura  ni  ses  compagnons  n’oubliaient  Rouroutou. 
Quand  le  brick  a Hope  » jeta  l’ancre  devant  Raïatéa,  le  3 juil- 
let 1821,  son  capitaine,  mis  au  fait,  promit  de  transporter 
Aou-oura  et  sa  suite  dans  leur  île.  Mais  alors  Aou-oura  refusa 
de  partir  sans  instructeurs  pour  ses  compatriotes.  « Comment 
retourner  dans  mon  pays  ténébreux,  disait-il,  sans  y porter 
la  lumière?  » Williams  réunit  la  communauté  chrétienne  de 
Raïatéa  et  l’informa  du  désir  d’Aou-oura.  Deux  diacres,  les 
meilleurs,  entendirent  cet  appel  comme  venant  de  Dieu.  Dans 
les  termes  mêmes  du  prophète,  ils  dirent  :•  a Nous  voici, 
envoie-nous!  » L’Église,  dans  une  réunion  solennelle,  les  mit 
à part  pour  l’évangélisation  de  Rouroutou,  comme  l’avait  fait 
jadis  la  communauté  d’Antioche  pour  Saul  et  Barnabas.  Ils 
partirent  avec  Aou-oura  dès  le  5 juillet. 

Le  8 août  suivant,  une  barque  à voile  entra  dans  la  rade 
de  Raïatéa;  elle  apportait  comme  chargement  toutes  les 
idoles  de  Rouroutou,  avec  une  lettre  des  deux  diacres  Maha- 
ména  et  Pouna  annonçant  la  victoire  du  Christ  dans  cette 
île  lointaine  (1). 

Les  entretiens  de  J.  Williams  avec  le  chef  Aou-oura  avaient 
fait  entrevoir  au  missionnaire  des  horizons  nouveaux;  l’offre 
spontanée  des  deux  diacres  d’aller  servir  de  catéchistes  dans 
une  île  éloignée,  avait  fait  naître  dans  l’esprit  de  Williams  la 
pensée  d’évangéliser  les  innombrables  îles  du  Pacifique  par 
des  insulaires  chrétiens.  Ces  deux  impressions  reçues  alors, 
en.  1821,  se  reflètent  clairement  dans  les  mémoires  rédigés 
par  Williams  et  dans  sa  correspondance.  L’aventure  mira- 


(t)  Les  documents  authentiques  de  cette  histoire,  résumée  ci-dessus, 
sont  une  lettre  des  missionnaires  Threlkeld  et  Williams,  dans  J.  Mont- 
gomery, Journal  of  voyages  and  travels  by  the  Rev.  D.  Tyerman  and 
G.  Bennet  Esq.,  etc.,  Londres,  1831,  t.  1,  pp.  419  et  suiv.  ; comp.  J.  Wil- 
liams, A narrative  of  Missionary  Entreprises  in  the  South  Sea  Islands,  Lon 
dres,  1837,  pp.  38  et  suiv.  et  W.  Ellis,  Polynesian  Researches , Londres, 
1831,  t.  ITI,  pp.  395  et  suiv. 


42 


-JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


culeuse  d\Aou-oura  de  Rouroutou  fît  ainsi  de  J.  Williams 
l’apôtre  du  Pacifique. 

Aou-oura  avait  beaucoup  parlé  d’qn  groupe  d’iles  situées 
à environ  375  milles  vers  le  nord-ouest  de  Rouroutou.  Le  ca- 
pitaine Cook  avait,  le  premier,  relevé  deux  îlots  au  centre  de 
ce  groupe,  en  1773,  et  leur  avait  donné  le  nom  d’iles  Hervey* 


îHCWdeftris  I RAROTONGA 

• Echelle  M.OOO.OOO. 


y^lPAïtoutaki 


, . ...i./iou-oTou 

IJ  nervey . <0) 

' l.Mahoüaé 


I.Fénoua-Iti 


20?lat  .sud- 


TAtîôûST 


âf.  Mitiaro 


OCEAN 


l.Mabuké 

F / O a E 


.Ranotonga 


ÉcKeÜç  de  1:5.000.000. 
/tihmàp?» s 

O 25  50  IOO 


î.  Mangaîa 


F.  H.  K. 
M°?Boraf  «i/ 


ARCHIPEL  DES  ILES  DE  COOK 


qu’on  donne  encore  parfois  à l’archipel  entier.  En  France,  un 
autre  nom,  celui  d’archipel  de  Cook,  a prévalu.  On  compte 
neuf  îles  dans  le  groupe,  mais  il  n’y  en  a guère  que  quatre 
qui  soient  de  quelque  importance,  comme  on  peut  le  voir  sur 
la  carte  ci-dessus.  Ce  sont  Aïtoütaki,  Atiou,  Rarotonga  et 
Mangaîa.  Sauf  les  deux  dernières,  ce  sont  des  îles  basses,  en- 
tourées de  récifs  coralliens.  L île  de  Rarotonga  seule  forme 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


43 


une  masse  imposante  avec  son  volcan  éteint  qui  se  dresse  à 
près  de  1,500  mètres  d’altitude  (1)» 

L’attention  de  J.  Williams  se  porta  d’abord  sur  ces  îles. 
Obligé  d’aller  à Sydney  en  Australie,  à cause  d’une  grave 
maladie  de  sa  femme,  il  emmena  deux  catéchistes,  Papéïba 
et  Vahapata,  et  obtint  que  le  capitaine  relâcherait  en  route, 
à Àïtoutaki.  On  s’y  arrêta  le  26  octobre  1821.  Immédiatement 
le  navire  fut  environné  d’une  nuée  de  pirogues  pleines  de 
sauvages,  cannibales,  comme  on  le  sut  plus  tard,  tatoués  des 
pieds  à la  tête,  badigeonnés  de  couleurs  bariolées,  gesticu- 
lant, s’agitant,  criant  comme  des  possédés.  Le  chef,  nommé 
Tamatoa,  fut  invité  à monter  à bord.  La  langue  que  parlaient 
ces  naturels  ressemblait  assez  à celle  des  îles  Sous  le  Vent 
pour  que  Williams  pût  aisément  comprendre  et  se  faire  en- 
tendre (2).  Il  offrit  les  deux  catéchistes  au  chef,  à condition 
qu’il  les  protégerait.  Tamatoa  se  jeta  sur  eux  et  frotta  vigou- 
reusement son  nez  contre  le  leur,  suivant  la  salutation  en 
usage  alors  dans  ces  pays  (3). 

En  s’enquérant  ensuite  des  autres  îles  du  groupe,  Wil- 
liams apprit  que  Rarotonga,  dont  Aou-oura  lui  avait  déjà 
parlé,  et  dont  le  nom  revenait  fréquemment  dans  toutes  les 
légendes  de  Taïti,  de  Raïatéa  et  d’ailleurs,  était  la  plus 


(1)  Les  chiffres  actuellement  connus  de  la  population  de  ces  îles,  sont: 
Aïtoutaki,  2,000  habitants,  superficie  50  kmq.  ; Atiou,  1,218  habitants  et 
70  kmq.;  Rarotonga,  3,000  habitants  et  81  kmq.;  Mangaïa,  2,000  habi- 
tants et  67  kmq.  La  surface  totale  des  îles  du  groupe  est  de  368  kmq.  et 
la  population  totale  de  8,900  habitants,  d’après  Wagner  et  Supan,  Die 
Bevœlkerung  der  Erde , Gotha,  1891,  p.  246. 

(2)  Voici  le  Commencement  du  Psaume  CIII  en  tahitien  (éd.  de  la 
Riblê  de  1863)  : E haamaitai  ici  Iehova,  e tau  varua , e to  rôto  ia  ’u  nei,  i 
to  ’na  ra  ioa  mo‘a.  Ce  qui  équivaut,  en  rarotongan  (éd.  de  la  Bible  de 
1888)  à : E akameitaki  ia  Iehova,  e tahu  vaerua,  e to  roto  katoa  iaku  nei , i 
tona  ra  ingoa  tapu.  Sauf  d’assez  rares  termes  différents,  il  n’y  a que  des 
permutations  régulières  de  consonnes;  en  tahitien,  «homme»  se  dit 
tciata;  dans  l’archipel  de  Gook  et  de  Samoa,  tangata;  les  deux  corres- 
pondent au  hawaiien  kanaka. 

(3)  J.  Williams,  ouvr.  cité,  p.  52. 


44 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


grande  et  la  plus  populeuse,  bien  qu’à  cette  époque  elle  ne 
fût  encore  marquée  sur  aucune  carte  du  Pacifique.  Tel  fut  le 
premier  pas  de  la  mission  chrétienne  dans  l’archipel  de  Cook. 

La  suite  est  non  moins  merveilleuse.  A Sydney,  dès  le  mois 
d’avril  1822,  Williams  reçut  des  nouvelles  d’Aïtoutaki.  L’É- 
vangile rencontrait  encore  de  l’opposition,  mais  il  y avait 
trouvé  aussi  des  cœurs  ouverts  et  prêts  à recevoir  la  bonne 
nouvelle  de  pardon.  Quelques  hommes  avaient  dit  au  messa- 
ger : « Quand  tu  verras  Viriamou  — ils  prononçaient  ainsi  le 
nom  de  Williams  — dis-lui  que  lorsqu’il  reviendra,  nous  brû- 
lerons nos  dieux  et  nous  détruirons  nos  maraé  (1)  pour  ac- 
cepter la  parole  du  Dieu  véritable  ». 

Mais  Williams,  de  retour  à Raïatéa  depuis  le  commence- 
ment de  juillet  4822.  ne  put,  malgré  le  désir  de  son  cœur,  se 
rendre  aux  îles  Cook  qu’en  juillet  4 823.  Un  de  ses  collègues 
et  six  catéchistes  l’accompagnèrent  alors.  Le  9 juillet,  ils  je- 
tèrent l’ancre  devant  Aïtoutaki.  «Nous  pensions  les  trouver 
prêts  à tenir  leur  promesse  et  à abandonner  l’idolâtrie,  écrit 
Williams  ; et  voici,  à notre  grand  étonnement,  cela  était  fait 
déjà».  «La  parole  de  Dieu  est  bonne!»  criaient  de  loin  les 
rameurs  des  pirogues  qui  s’avançaient  à la  rencontre  du 
bateau;  « tout  va  bien  aujourd’hui  à Aïtoutaki!  La  bonne 
parole  a pris  racine  à Aïtoutaki  ! » (2)  En  effet,  une  chapelle 
de  70  mètres  de  long  avait  été  construite,  et  les  missionnaires 
arrivaient  à point  pour  l’inaugurer.  Ils  se  demandaient  s’il 
était  bien  vrai  que,  dix-huit  mois  auparavant,  les  plus  noires 
ténèbres  du  paganisme  recouvraient  cette  île. 

Williams  se  mit  alors  à la  recherche  de  Rarotonga.  Plu- 
sieurs Rarotongans,  qui  avaient  accepté  le  christianisme  à 
Aïtoutaki,  désiraient  d’ailleurs  rentrer  chez  eux.  Mais  on  na- 


(1)  Nom  donné  aux  sanctuaires.  Voir  du  reste  J.  Williams,  ouvr.  cité, 
p.  56. 

(2)  E.  Prout,  ouvr.  cité,  p.  178,  et  J.  Williams,  ouvr.  cité,  p.  59. 


MISSIONS  EVANGELIQUES  Ad 


vigua  vainement  dans  la  direction  indiquée;  Rarotonga  ne  se 
montra  pas. 

Le  cap  fut  donc  mis  sur  Mangaïa.  Là,  les  insulaires  prirent 
une  attitude  défiante.  Papéïha,  l’excellent  diacre  de  Raïatéa  et 
catéchiste  d’Aïtoutaki,  offrit  de  s’aventurer  jusque  sur  le  récif 
de  corail,  de  parlementer  et  de  nager  ensuite  seul  jusqu’au 
rivage.  Il  persuada  de  la  sorte  à l’un  des  chefs  de  recevoir 
des  instructeurs.  A cette  nouvelle,  deux  catéchistes,  Taoua  et 
Haavi,  avec  leurs  femmes,  consentirent  à accompagner  Pa- 
péïha à terre.  A peine  la  chaloupe  eut-elle  atterri,  que  les 
sauvages  se  jetèrent  sur  les  trois  hommes  et  commencèrent  à 
les  ligotter,  d’autres  pillèrent  le  contenu  du  canot,  et  les  deux 
femmes  furent  enlevées  et  emportées  sous  bois.  Un  coup  de 
canon  tiré  à bord  du  navire  inspira  une  terreur  salutaire  à 
ces  forcenés  ; les  deux  femmes  purent  se  sauver  vers  le  ri- 
vage, où  les  catéchistes  relevés  sautèrent  avec  elles  dans  la 
barque  et  retournèrent  à bord,  n’ayant  plus  pour  se  couvrir 
que  quelques  lambeaux  d’étoffe  et  les  marques  des  violences 
subies  (1).  Il  fallut  renoncer  à laisser  des  catéchistes  à Man- 
gaïa après  cet  échec. 

Par  contre,  les  habitants  d’Atiou,  de  Mitiaro  et  de  Maouké, 
inconnus  encore  des  Européens,  saluèrent  avec  joie  les  caté- 
chistes qui  leur  proposèrent  de  rester  avec  eux.  11  en  fut 
comme  l’exprime  le  psalmiste  : 

Dès  qu’ils  entendent  parler  de  moi,  ils  se  soumettent. 

Les  fils  de  l’étranger  viennent  me  llatter  (Ps.  XVIII,  45). 

Williams  ne  pouvait  se  résoudre  à abandonner  Rarotonga. 
De  nouvelles  informations  furent  prises  sur  sa  situation  ; mais 
les  vents  étaient  contraires.  Le  capitaine,  craignant  de  voir 
manquer  les  vivres,  exigea,  un  matin,  le  retour  à Raïatéa. 
Williams  demanda  que  l’on  attendît  jusqu’à  huit  heures,  que 


(1)  W.-W.  Gill,  Life  in  the  Southern  Isles,  Londres,  s.  d.,  pp.  90  et 
suiv. 


46 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


la  brume  eût  eu  le  temps  de  se  lever.  Quatre  fois  il  fit  monter  un 
matelot  indigène  au  haut  du  mât  sans  résultat.  Enfin,  peu  de 
minutes  avant  l’heure  fixée  par  le  capitaine,  la  vigie  s’écria  : 
« Teie,  teie , taua  ferma,  nei  ! Voici,  voici  la  terre  que  nous 
cherchons  ! » 

Les  Rarotongans  descendirent  à terre  avec  Papéïha,  et  fu- 
rent fort  bien  reçus.  Quelques  catéchistes  avec  leurs  femmes 
allèrent  tout  de  suite  passer  la  nuit  dans  f ile.  Mais  le  lende- 
main matin,  ils  revinrent  tous  dans  un  état  plus  pitoyable 
encore^  qu’après  l’aventure  de  Mangaïa  ; ils  avaient  souf- 
fert ce  que  la  plume  se  refuse  à décrire.  Le  chef  qui  les  avait 
engagés  à rester  s’excusa  en  attribuant  la  perfidie  à l’un  de 
ses  rivaux.  Il  persistait  à demander  un  catéchiste  pour  lui- 
même.  L’indomptable  Papéïha  résolut  de  rester  seul  à Raro- 
tonga.  Il  savait  que  Dieu  est  plus  fort  que  les  hommes,  et  il  ne 
pouvait  se  décider  à laisser  sans  berger  les  quelques  Raro- 
tongans chrétiens,  convertis  par  son  ministère  à Aïtoutaki. 

Aux  premiers  jours  du  mois  d’août  1823,  cinq  semaines 
après  avoir  quitté  la  rade  de  Raïatéa,  J.  Williams  y rentra. 
Son  bateau  était  vide  de  catéchistes  et  rempli  d’idoles.  Le 
missionnaire  rentrait,  joyeux  « comme  celui  qui  a fait  un 
grand  butin  (1).  » 

Environ  dix  mois  plus  tard,  le  navire  qui  portait  de  Tahiti 
en  Nouvelle-Zélande  deux  inspecteurs  délégués  de  la  mis- 
sion de  Londres,  s’arrêta  devant  Atiou,  le  16  juin  1824. 
Toute  l’île  était  christianisée,  toutes  les  idoles  étaient  brû- 
lées. Le  18,  ils  touchèrent  à Rarotonga;  les  insulaires,  peu  de 
mois  auparavant  si  grossiers,  si  féroces,  si  perfides,  mainte- 
nant subjugués  par  la  grâce  salutaire  de  Dieu,  construisaient 
une  immense  église.  Quelques  jours  avant  cela,  le  même  na- 
vire avait  laissé  à Mangaïa  deux  catéchistes  non  mariés,  Da- 
vida  et  Tiéré.  Ils  y furent  salués  avec  joie.  Car,  peu  après  la 
scène  de  juillet  1823,  une  épidémie  s’était  abattue  surfile. 


(1)  Psaumes  CXIX,  162. 


BULLETIN  MENSUEL  DES  MISSIONS 


47 


Les  insulaires  y avaient  vu  un  châtiment  que  leur  infligeait  la 
divinité  dont  ils  avaient  maltraité  les  messagers.  Par 
l’arrivée  de  nouveaux  catéchistes,  ils  se  crurent  rentrés  en 
faveur,  et,  quinze  mois  plus  tard,  le  missionnaire  H.  Bourne, 
faisant  une  tournée  dans  ces  parages,  trouva  cent  vingt  con- 
vertis (1). 

Ainsi  se  réalisa,  dans  l’archipel  de  Cook  la  promesse  de  ce 
texte  de  Noël  : 

Le  peuple  qui  marche  dans  les  ténèbres 
Voit  une  grande  lumière; 

Sur  ceux  qui  habitaient  le  pays  de  l’ombre  de  la  mort 
La  lumière  resplendit  (Esaïe  IX,  1). 


BULLETIN  MENSUEL  DES  MISSIONS 

AFRIQUE  — Expédition  anglaise  contre  Cou- 
massi.  — Le  roi  des  Achantis,  enhardi  sans  doute  par  les 
demi-mesures  prises  contre  lui  en  1894 , a peut-être  rêvé  de 
restaurer  l’empire  achanti  avec  ses  onze  royaumes  vassaux, 
auquel  l'expédition  du  général  Wolseley  mit  fin  en  1874.  Il  se 
pourrait  fort  bien,  du  reste,  que  l’alcool,  qui  inonde  de  plus 
en  plus  le  pays,  fût  pour  quelque  chose  dans  l’excitation  des 
esprits.  L’importation  de  Y « eau-de-mort  » par  les  ports  de 
la  Côte  de  l'Or  s’est  élevée  de  2,198,561  litres  en  1883,  à 
6,553,315  litres  en  1893  (2).  Quoi  qu’il  en  soit,  le  roi  Prempé 
de  Coumassi  a refusé  de  recevoir  un  résident  anglais  qu’on 
veut  lui  imposer;  il  a laissé  passer,  sans  répondre,  le  31  oc- 
tobre dernier,  date  de  l’ultimatum  britannique.  Une  expédi- 
tion a donc  été  préparée  contre  lui.  Depuis  lors,  il  prétend  se 
soumettre  ; mais  on  ne  se  fie  guère  à sa  bonne  foi. 


(1)  J.  Montgomery,  ouvr.  cité , t.  Il,  p.  116  et  suiv. 

(2)  D'après  le  Times,  dans  le  Bulletin  du  Comité  de  l’Afrique  française , 
1895,  p.  312. 


48 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Mort  triomphante  d’un  ancien  féticheur.  — Même 
si  la  guerre  avec  les  Achantis  est  évitée,  l'Évangile  aura  souf- 
fert de  ces  troubles.  Il  y a un  an  déjà,  l'un  des  missionnaires 
d’Abétifî  (1),  le  frère  E.  Perregaux,  constatait  une  irritation 
grandissante  contre  les  chrétiens  dans  les  annexes  de  sa  sta- 
tion; mais  les  encouragements  ne  faisaient  pas  non  plus  dé- 
faut au  jeune  ouvrier.  A Bompata,  dans  la  plaine  dominée  par 
l’Okwawou,  on  raconta  à M.  Perregaux  comment  mourut  un 
ancien  féticheur,  devenu  l’un  des  piliers  de  la  jeune  commu- 
nauté, organisée  dans  ce  village  vers  1891  seulement.  La 
vieille  mère  du  défunt,  que  le  missionnaire  a pu,  durant  ce 
même  voyage,  recevoir  par  le  baptême  dans  l’Église,  disait  : 
« Nous  souffrions,  mais  nous  ne  pouvions  pas  pleurer.  Il 
était  si  heureux!  » Et  elle  ajoutait  : « J’ai  perdu  plusieurs  de 
mes  enfants  par  la  mort.  Aucun  n'a  pu  me  dire  où  il  allait; 
mais  lui  le  savait.  C’est  pourquoi  je  crois,  et  je  suis  moi- 
même  heureuse  (2)  ! » 

L’œuvre  survit  aux  ouvriers.  — La  fièvre  continue 
à faucher  les  ouvriers  de  Dieu  dans  le  climat  meurtrier  de  la 
côte  occidentale  de  l’Afrique.  Le  22  octobre  dernier,  le  frère 
G.  Rœss  est  mort  à la  Côte  de  l’Or,  où  il  travaillait  depuis  six 
ans.  C’est  le  septième  décès  dans  les  rangs  des  missionnaires 
de  Bâle  sur  la  côte  occidentale  de  l’Afrique,  depuis  le  mois 
de  mai  dernier. 

Mais  l’œuvre  progresse.  Jamais  il  n’y  avait  eu  autant  de  bap- 
têmes de  païens  que  pendant  le  dernier  exercice.  Dans  le  pays 
d’Akem  surtout,  parmi  les  peuplades  tchi  (3),  les  néophytes 
sont  très  nombreux.  La  forteresse  du  paganisme  ne  s’écroule 
pas  encore  par  grands  pans  de  mur,  ce  ne  sont  que  des 
pierres  isolées  qui  se  détachent;  mais  la  fréquence  du  fait  est 
remarquable  et  commence  à désagréger  la  masse  païenne. 
Pour  le  faire  voir,  il  suffira  de  rappeler  qu’en  1864,  après 


(1)  Voir  le  Journal  des  Missions,  1893,  p.  456. 

(2)  Der  Evangelische  Heidenbote  (Baie),  1895,  p.  46. 

(3)  Voir  le  Journal  des  Missiotis,  1893,  p.  452. 


i 

BULLETIN  MENSUEL  DES  MISSIONS  49 


37  années  de  travail,  la  mission  de  Bâle  comptait  à la  Côte  de 
l’Or  961  chrétiens.  Au  cours  du  dernier  exercice,  on  a enregis- 
tré 962  baptêmes  d'adultes,  et  le  nombre  des  chrétiens  se  mon- 
tait à 13,036,  dont  5,442  communiants;  de  plus,  il  y avait 
479  catéchumènes  (1). 

Une  carrière  longue  et  bénie.  — L’Église  presby- 
térienne unie  d’Écosse  pleure  également  un  de  ses  mission- 
naires, mort  dans  l’estuaire  du  Yieux-Calabar  ; mais  cette 
mort  termine  une  longue  carrière.  C’est  l’exemple  d’une  rare 
longévité  sur  la  côte  occidentale  de  l’Afrique.  Hugh  G.  Gol- 
die,  né  à Kilwinning  (Écosse)  en  1815,  partit  en  1841  pour 
la  Jamaïque;  six  ans  après,  il  fut  envoyé  au  Yieux-Calabar, 
où  il  arriva  en  juin  1847.  Il  y a travaillé  pendant  quarante- 
huit  ans.  Les  dates  principales  de  sa  vie  comptent  parmi  les 
faits  saillants  de  l’histoire  de  la  mission  du  Yieux-Calabar.  En 
1853,  le  16  octobre,  il  baptisa  à Creektown  le  premier  con- 
verti de  cette  mission,  Esien  Esien  Ukpabio.  Dix-neuf  ans  plus 
tard,  il  put  consacrer  au  saint  ministère  ce  même  premier  con- 
verti, comme  premier  pasteur  de  son  peuple.  Dès  1862, 
H.  Goldie  avait  publié  le  Nouveau  Testament,  traduit  par  lui 
en  éfik,  une  langue  qu’il  a été  le  premier  à étudier  et  à écrire. 
Son  activité  tranquille  et  persévérante,  silencieuse  et  profonde, 
si  différente  de  la  réclame  tapageuse  qui  envahit  même  le 
champ  des  missions,  laisse  le  souvenir  d’un  homme  de  Dieu 
qui  s’efface  pour  remettre  tout  l’honneur  comme  l’action  réelle 
à son  Maître.  L’une  de  ses  dernières  paroles,  écho  du  dia- 
logue de  son  âme  avec  Dieu,  fut  : « Je  suis  fatigué  d’at- 
tendre (2).  » 


(1)  Der  Evangelische  Heidenbote  (Bâle),  1895,  p.  91  ; LXXXer  Jahresbe- 
richt  der  Evangelischen  Missionsgesellschaft  zu  Basel  (Bâle,  1895),  p.  16  et 
suiv.;  comp.  Monats-Blatt  der  Norddeutschen  Missionsgesellschaft  (Brème) 
1895,  p.  92. 

(2)  T he Missionary  Record  of  the  UP.  Church,  1895,  pp.  310  et  suiv.;  et 
pp.  354  et  suiv.  Comp.  le  Journal  des  Missions,  1895,  p.  364,  et  1892, 

p.  221. 


4 


50 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


L’espérance  du  missionnaire.  — Des  rives  du  lac 
Moëro,  où  il  s’est  établi  (1),  le  missionnaire  D.  Crawford, 
écrit  le  30  mai  dernier  : « Des  centaines  de  gens  se  diraient 
chrétiens  si  nous  osions  les  y autoriser;  mais  Dieu  a jeté  un 
solide  fondement;  personne  n’en  peut  poser  un  autre.  Nous 
annonçons  donc  une  « personne  »,  Jésus,  « la  pierre  de  scan- 
dale ».  Ces  pauvres  adorateurs  de  fétiches,  aux  yeux  desquels 
la  lumière  d’en  haut  n’a  jamais  brillé,  ne  voient  pas  la  beauté 
du  Crucifié  et  ne  peuvent  l’aimer.  On  parle  d’aller  en  Afrique; 
c’est  descendre  en  Afrique  qu’il  faudrait  dire.  Car  l’ennemi  a 
creusé  une  fosse  profonde  où  ces  pauvres  gens  que  nous  aimons 
sont  tombés.  Ils  ne  savent  pas  dans  quelle  nuit  ils  s’agitent, 
ces  hommes  pour  qui  cependant  la  croix  a été  dressée  en 
Judée.  Mais  nous,  l’espérance  envahit  notre  cœur  comme  un 
joyeux  carillon  de  Noël,  sonnant  là-haut  aux  quatre  coins  des 
cieux,  et  une  vision  lumineuse  nous  enseigne  que  les  desseins 
de  Dieu  se  réaliseront  dans  le  monde  païen  (2)  » 

Troubles  à Madagascar.  — Le  30  novembre  dernier, 
le  secrétaire  de  l’Association  des  Amis  (dits  quakers)  pour  les 
missions  étrangères,  reçut  de  Madagascar  le  télégramme  sui- 
vant : « Les  Johnson  assassinés  dans  une  bagarre;  mademoi- 
selle Clark  sauvée.  » Depuis  lors,  l’agence  Reuter  a publié  une 
dépêche  datée  de  Tananarive,  le  23  novembre  : « Hier,  une 
cohue  d’environ  deux  mille  naturels  a envahi  la  station  d’Ari- 
vonimamo.  M.  Johnson,  sa  femme  et  leur  enfant  ont  été  mas- 
sacrés et  mutilés.  La  populace  est  excitée  contre  les  étran- 
gers; d’autres  désordres  sont  à prévoir.  » En  effet,  peu  de 
jours  après,  le  télégraphe  annonçait  la  destruction  de  la  sta- 
tion de  Ramaïnandro,  à quelque  30  kilomètres  au  sud-est  de 
Tananarive,  dans  la  haute  vallée  de  l’Ikopa.  Le  missionnaire 
E.-O.  Mac-Mahon,  qui  occupe  ce  poste  depuis  1883,  au  service 
de  la  Société  ritualiste  anglicane,  a pu  se  soustraire  à la  fureur 
des  assaillants. 


(1)  Voir  le  Journal  des  missions,  1895,  pp.  447  et  suiv. 

(2)  Echoes  of  Service  (Bath),  1895,  p.  265. 


BULLETIN  MENSUEL  D ES  MISSIONS 


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Arivonimamo  est  situé  à près  de  50  kilomètres  à l’ouest  de 
Tananarive.  William  Johnson,  missionnaire  à Madagascar 
depuis  1871,  occupait  cette  station  depuis  1894  seulement. 

I]  ne  faut  pas  trop  s’étonner  de  ces  excès.  Madame  Johnson 
écrivait  dans  sa  dernière  lettre  : « Les  gens  autour  de  nous 
disent  : « La  loi  est  morte,  il  n’y  a plus  de  loi.  » « 11  n'est  pas 
douteux,  ajoute  le  journal  The  Friend  (1),  qui  cite  avec  sym- 
pathie le  premier  article  sur  Madagascar  dans  la  livraison  de 
décembre  de  notre  Journal  des  Missions,  que  l’occupation 
française  a exaspéré  les  sentiments  des  Malgaches.  La  con- 
duite des  troupes  a été  excellente,  sans  contredit;  nul  désordre 
ne  s’est  produit  ; on  ne  peut  que  féliciter  la  France  de  la  mo- 
dération de  ses  exigences  et  de  la  considération  témoignée  à 
la  reine;  mais  il  demeure  que  le  changement  de  régime  a dé- 
chaîné dans  tout  le  pays  les  pires  passions.  » 

ASIE.—  Un  confesseur  mandchou.— A Liao-Yagn, 
en  Mandchourie,  où  le  missionnaire  écossais  J. -A.  Wylie  a été 
assassiné  au  début  de  la  guerre  sino-japonaise  (2),  un  caté- 
chumène du  nom  de  Tang  fut  saisi,  en  mai  dernier,  par  une 
bande  de  soldats  tartares,  dépouillé  de  tous  ses  vêtements  et 
ligotté.  Puis,  on  lui  mit  la  pointe  d’une  épée  sur  la  gorge,  en 
lui  demandant  s’il  était  de  ceux  qui  croient  en  Jésus.  — « Oui, 
répondit-il,  je  suis  un  chrétien  1 » Sur  cela,  il  fut  traîné  de- 
vant un  officier  pour  être  condamné.  Mais  l’officier,  se  rappe- 
lant sans  doute  les  conséquences  du  meurtre  de  Wylie,  dé- 
clara qu’il  ne  s’occuperait  pas  de  ce  cas.  On  rendit  donc  la 
liberté  au  prisonnier.  Le  dimanche  suivant,  le  catéchiste  Li- 
Yoruen-Dien  demanda  au  martyr  ce  qui  lui  avait  inspiré  le 
courage  de  confesser  Christ.  — « Je  venais  de  lire  l’histoire  du 
reniement  de  Pierre,  raconta  Tang,  et  combien  amèrement  il 
pleura  après  cela.  Comment  pouvais-je,  moi,  renier  mon 
Seigneur  ? » M.  Li  ajoute  que  la  vie  de  ce  chrétien  non  bap- 
tisé confirme  sa  profession  chrétienne  (3). 

(1)  Londres,  1895,  n°  49,  p.  797. 

(2)  Voir  le  Journal  des  Missions,  1894,  p.  436. 

(3)  The  Missionary  Record  of  the  U. P.  Church,  1895,  p.  262. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


BIBLIOGRAPHIE 


Jud§on,  ou  Vœux  île  nouvel  an  et  leur  accomplis- 
sement, par  G.  Appia,  pasteur.  Société  des  Écoles  du  Di- 
manche, 33,  rue  des  Saints-Pères,  Paris.  0 fr.  20  cent. 

La  vie  de  Judson  appartient  à ce  qu’il  y a de  plus  grand 
dans  l’histoire  du  règne  de  Dieu.  En  attendant  le  livre  qu’un 
auteur  encore  inconnu  nous  donnera  sur  ce  beau  sujet,  il 
faut  savoir  gré  à M.  Appia  d’en  avoir  extrait,  par  avance, 
quelques-unes  des  pages  les  plus  émouvantes  et  les  plus  ins- 
tructives. C’est  ici  un  traité  de  Noël  d’un  genre  particulier  : 
on  y trouve  des  faits,  des  citations,  des  chiffres,  en  un  mot 
une  nourriture  substantielle  et  forte.  Nous  le  recommandons 
vivement  à nos  lecteurs. 


DERNIÈRE  HEURE 

Arrivée  d’un  courrier  du  Congo  français. 

Ce  courrier,  daté  du  29  octobre  et  du  7 novembre,  nous 
apprend  que  la  mort  de  M.  Jacot  remonte  déjà  au  24  octobre, 
et  nous  donne  sur  cette  mort  des  détails,  que,  à notre  grand 
regret,  nous  devons  ajourner  au  mois  prochain. 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20041. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


53 


SOCIÉTÉ 

• • - » 1 r , . ' - * " c , v 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


ADIEUX  ET  DÉPART  DE  MM.  LAUGA  ET  KRUGER 
POUR  MADAGASCAR 

Nos  journaux  religieux  ont  parlé  au  long  de  la  belle  et 
émouvante  séance  où  MM.  Lauga  et  Krüger  ont  fait  leurs 
adieux  et  ont  été  recommandés  par  nos  prières  à la  grâce  de 
Dieu.  Nous  comptons  publier  le  compte  rendu  développé  de 
cette  séance,  aussi  n’en  parlerons-nous  ici  que  brièvement. 

C’était  le  5 janvier  au  soir,  à l’Oratoire;  l’assistance  était 
celle  des  grands  jours.  Après  la  lecture  de  la  Parole  de  Dieu 
et  une  prière  de  M.  le  pasteur  Dumas,  M.  Jules  de  Seynes, 
président  de  la  Société  a,  dans  une  brève  allocution,  expliqué 
les  motifs  qui  ont  décidé  la  Société  des  missions  à agir.  Le 
moment,  a-t-il  dit,  est  venu,  pour  les  protestants  français,  de 
passer  de  la  période  de  l’attente  à celle  de  l’action.  Puis,  ca- 
ractérisant les  deux  délégués  choisis,  M.  de  Seynes  a pu  con- 
clure, — et  nous  croyons  qu’en  cela  il  a exprimé  le  senti- 
ment général,  — que  nous  avions  lieu  de  remercier  Dieu  de 
nous  avoir  fait  trouver,  pour  une  tâche  difficile,  deux 
FÉVRIER  1896.  5 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


hommes  bien  qualifiés,  et  possédant,  à des  titres  divers,  la 
confiance  de  nos  Églises. 

Les  deux  délégués  ont  ensuite  pris  la  parole,  M.  Lauga  a 
exprimé  ce  qu'ils  comptent  faire  à Madagascar.  Avant  tout,  don- 
ner, par  les  faits,  un  démenti  au  mensonge  courant  et  si  sou- 
vent exploité  contre  nous,  à savoir  : que  bon  Français  est  syno- 
nyme de  catholique;  protestant  synonyme  d’adversaire  de  la 
France.  Les  500,000  chrétiens  évangéliques  qui  habitent  Mada- 
gascar, et  nos  compatriotes  eux-mêmes,  verront  de  leurs  yeux 
le  contraire;  ils  apprendront,  s’ils  ne  le  savent  déjà,  que  le 
drapeau  de  la  France  est  assez  large  pour  abriter  tous  les  en- 
fants delà  France,  quelle  que  soit  leur  religion;  la  première 
liberté  inscrite  dans  nos  lois  est  et  restera  la  liberté  de 
conscience.  Voilà  le  premier  devoir.  Mais  qu’y  a-t-il  à faire 
encore?  Pouvons-nous  songer  à remplacer  les  nombreuses  et 
florissantes  missions  qui  travaillent  pour  le  bien  de  Mada- 
gascar? Non;  car,  outre  que  nous  n’aurions  aucun  droit  à le 
faire,  notre  protestantisme  n’est  assez  riche  ni  en  hommes, 
ni  en  argent,  pour  pratiquer  cette  substitution.  Que 
nos  frères  d’Angleterre  et  de  Norvège  continuent  à tra- 
vailler, comme  par  le  passé,  sans  autre  préoccupation  que 
l’intérêt  spirituel  des  tribus  qu’ils  évangélisent  ! A nous  de 
rechercher  comment  nous  pourrons  les  aider  à s’accommoder 
à la  situation  nouvelle  créée  par  la  conquête.  Peut-être 
l’œuvre  qui  s’imposera  sera-t-elle  plus  spécialement  l’œuvre 
scolaire,  la  création  d’institutions  supérieures  d’éducation; 
c’est  précisément  ce  qu’il  convient  d’étudier  sur  place. 

M.  Krüger,  lui,  a cherché  à dégager  la  pensée  qui,  en  pré- 
sence des  questions  graves  et  délicates  qui  se  dressent  de- 
vant nos  envoyés,  leur  fournira  l’orientation  dont  ils  ont  be- 
soin. A première  vue,  leur  tâche  complexe  lui  apparaît  comme 
apparaît  au  voyageur,  en  cette  saison  mauvaise,  la  côte  de 
Madagascar;  une  brume  malsaine  en  voile  les  contours,  en 
rend  dangereux  et  pénibles  les  abords.  Mais,  à mesure  qu’on 
s’élève  vers  le  plateau  central,  on  retrouve  le  bon  air,  le  ciel 
brillant.  Nous  aussi,  dans  l’angoissant  problème  qui  nous 


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occupe,  redisons  le  sursum  corda  des  anciens;  élevons-nous 
au-dessus  des  préoccupations,  des  passions  humaines,  vers 
ces  régions  sereines  où  l’on  marche  avec  Dieu  par  la  foi;  à 
cette  hauteur  une  pensée  domine  tout,  éclaire  tout  : celle  du 
Royaume  de  Dieu  qu’il  faut  rechercher  avant  tout  et  à laquelle 
il  faut  tout  subordonner. 

Après  un  chant,  trois  orateurs,  MM.  B.  Couve,  Appia  et 
Hollard  ont  pris  la  parole,  représentant  chacun,  non  pas  seu- 
lement notre  Comité  où  ils  occupent  des  charges  importantes, 
mais  aussi,  quoique  d’une  manière  toute  officieuse,  les  di- 
verses Églises  dont  les  membres  collaborent  à l’œuvre  de 
notre  Société. 

Nous  ne  pouvons  résumer  ici  ces  discours,  qui  seront  pu- 
bliés; ils  ont,  chacun  à sa  manière,  contribué  à l’impression 
profonde  laissée  par  la  séance,  qui  s’est  terminée  après  une 
prière  du  directeur  de  la  Maison  des  missions  (1). 

Les  jours  qui  avaient  précédé  et  qui  ont  suivi  cette  séance 
ont  été  remplis  de  manière  à laisser  bièn  peu  de  temps  à nos 
délégués  pour  leurs  derniers  préparatifs,  que  la  soudaineté 
de  leur  départ  les  avait  forcés  à hâter  beaucoup.  Le  3 janvier; 
ils  avaient  été  présentés  au  ministre  des  Colonies  par  les 
membres  du  bureau  de  la  Société.  Le  lundi,  6 janvier,  ils  ont 
reçu  les  instructions  du  Comité.  Le  soir  de  ce  jour,  M . Lauga 
retournait  à Reims  pour  prendre  congé  des  siens.  Le  mer- 
credi, 8 janvier,  il  était  de  retour  à Paris  pour  le  service  de 
sainte  Cène  qui  préoède  le  départ  de  tous  nos  missionnaires. 
Le  soir  de  ce  même  jour,  ils  prenaient  le  train  de  Marseille. 
Le* 9,  ils  participaient,  dans  cette  ville,  à la  réunion  de 
prières  pour  les  missions,  et,  le  10,  ils  s’embarquaient  à bord 
de  l'Iraouaddy,  entourés,  jusqu’au  dernier  moment,  de  nom- 
breux amis,  dont  plusieurs  ont  tenu  à les  accompagner 
jusque  sur  le  pont  du  paquebot. 


(1)  Une  collecte,  faite  dans  les  rangs  de  l’assemblée,  a produit  la 
somme  de  682  fr.  25  centimes. 


56 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


P.  S.  Le  22  janvier.  — Nous  venons  de  recevoir  des  lettres 
de  nos  délégués;  ils  ont  atteint  Port-Saïd  en  bonne  santé:, 
à part  la  première  nuit,  ils  ont  eu  une  bonne  traversée. 


ADIEUX  DE  M.  ET  MADAME  IVAN  MERCIER 
ET  DE  MM.  ALBERT  BOLLE  ET  FÉLIX  FAURE 


Cette  réunion  s’est  tenue  dans  le  temple  du  Saint-Esprit,, 
le  22  janvier,  à 8 h.  1/4  du  soir.  Un  très  nombreux  auditoire 
témoignait  de  l’intérêt  que  ce  triple  départ  a éveillé  parmi 
les  amis  des  missions. 

Après  l’envoi  de  M.  et  madame  Huguenin  à Raïatéa,  de 
MM.  Lauga  et  Krüger  à Madagascar,  c’était  le  tour  du 
Congo,  du  Sénégal  et  du  Zambèze  de  recevoir  un  renfort  très 
nécessaire  et  depuis  longtemps  désiré. 

M.  le  pasteur  Goguel  a ouvert  la  séance  par  la  lecture  d’une 
portion  de  l’Écriture  sainte  et  la  prière.  Puis,  dans  une  allo-> 
cution  chaleureuse  et  bien  appropriée,  M.  Hollard , qui  prési- 
dait, a présenté  les  trois  missionnaires  à l’assemblée  : M.  Al- 
bert Bolle,  qui  part  pour  le  Sénégal  afin  d’y  remplacer 
M.  Escande,  pendant  que  celui-ci  viendra  prendre  en  Europe 
un  temps  de  repos  bien  mérité;  M.  F.  faure,  désigné  pour 
aller  renforcer  la  station  de  Lambaréné,  si  cruellement  éprou- 
vée par  deux  deuils  successifs  et  rapprochés;  enfin,  M.  et  ma- 
dame Mercier,  qui  vont  rejoindre  la  mission  du  Zambèze,  où 
M.  Mercier,  pour  répondre  au  désir  si  souvent  exprimé  par 
M.  Coillard,  cherchera  à fonder  une  école  industrielle. 

L’un  de  ces  missionnaires,  M.  Faure,  est  un  enfant  de  nos 
Églises  ; les  deux  autres  nous  sont  donnés  par  les  Églises  de 
la  Suisse  française  : M.  Bolle,  par  celle  de  Neuchâtel,  et 
M.  Mercier  par  celle  de  Genève.  Il  fut  un  temps  où  c’était  la 
France  qui  donnait  des  missionnaires  à la  Suisse  : les  Farel, 


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les  Calvin  et  d’autres.  Aujourd’hui  c’est  la  Suisse  qui  en  en- 
voie à la  France.  Ils  peuvent  être  assurés  qu’ils  sont  accueillis 
avec  joie  et  reconnaissance. 

De  ces  trois  missionnaires,  remarque  encore  M.  Hollard, 
un  seul  est  consacré  : M.  Bolle;  les  deux  autres  sont  des 
laïques.  Mais  de  quel  précieux  secours  les  laïques  chrétiens 
n’ont-iîs  pas  été  à l’Église  de  tous  les  temps,  témoin  Aquilas 
et  Priscille,  ce  couple  de  tisserands  que  ne  dédaignait  pas 
d’écouter  le  savant  Apollos,  et  qui  s’acquirent  des  titres  im- 
périssables à l’affection  et  à la  reconnaissance  du  grand  apôtre 
des  Gentils.  Vivre  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  travailler  à re- 
lever la  dignité  humaine  en  relevant  la  dignité  du  travail, 
préparer  par  là  un  terrain  favorable  à la  mission,  telle  est  la 
grande  tâche  de  nos  missionnaires  laïques. 

Deux  de  nos  amis  iront  travailler  dans  les  pays  soumis  à 
l’influence  française  : le  Sénégal  et  le  Congo.  Nous  nous  en 
réjouissons.  Il  faut  que  la  France,  en  agrandissant  son  do- 
maine colonial,  songe  aux  responsabilités  morales  qui  lui  in- 
combent à l’égard  des  peuplades  désormais  placées  à l’abri 
de  son  drapeau.  Au  bienfait  de  la  civilisation,  il  faut  joindre 
le  bienfait  qui  les  renferme  tous,  celui  de  l’Evangile.  C’est  là 
pour  les  chrétiens  protestants  de  France  un  devoir  étroit  au- 
quel nous  ne  voulons  point  faillir.  Mais  ce  ne  sera  point  un 
motif  de  nous  désintéresser  des  missions  établies  en  d’au- 
tres pays,  et  pour  le  seul  bien  de  ceux  qui  les  habitent.  Telle 
est  la  mission  du  Zambèze  où  se  rendent  M.  et  madame  Mer- 
cier. Ce  n'est  pas  seulement  le  support  que  nous  réclamons 
pour  ces  œuvres,  entreprises  et  accomplies  dans  le  plus  pur 
esprit  missionnaire,  c’est  l’amour  et  le  dévouement.  Ces  mis- 
sions ont  besoin  de  nous...  et  nous  avons  encore  plus  besoin 
d’elles.  Nul  ne  peut  dire  ce  que  nous  leur  devons.  Et  notre  pays, 
bien  loin  d’y  perdre  quelque  chose,  y gagnera.  Il  enrichira 
son  capital  moral,  le  meilleur  et  le  plus  durable  de  tous.  On 
pourra  dire  de  quelques-uns  de  ses  enfants  : « Voilà  des 
hommes  qui  parlent  le  français  et  qui,  avec  un  désintéresse- 
ment  absolu,  sont  venus  dans  ce  lointain  pays  dans  le  seul 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


but  d’y  travailler  au  relèvement  de  l’indigène.  » Ce  sera  là 
pour  notre  patrie  un  grand  gain  et  un  grand  honneur. 

Puis,  après  avoir  dit  aux  partants  tous  les  vœux  de  ras- 
semblée, le  président  leur  laisse  comme  mot  d’ordre  de  leur 
activité  cette  parole  de  Jésus  : « Cherchez  premièrement  le 
royaume  de  Dieu  et  sa  justice,  et  toutes  les  autres  choses  vous 
seront  données  par  dessus.  » 

Le  manque  d’espace  nous  empêche  de  reproduire  dans 
leur  entier  les  paroles  que  chacun  de  nos  amis  a ensuite 
adressées  à l'assemblée.  Nous  essaierons,  du  moins,  d’en 
donner  la  substance  et  de  faire  faire  ainsi  à nos  lecteurs 
la  connaissance  de  nos  trois  nouveaux  missionnaires. 

M.  Albert  Bolle , qui  est  âgé  de  vingt-trois  ans  et  demi,  est 
né  aux  Bayards,  dans  le  Jura  neuchâtelois.  Dès  Page  de  qua- 
torze à quinze  ans,  il  dut  s’éloigner  du  toit  paternel  pour 
faire  ses  classes  à Neuchâtel.  L’affection  d’une  famille  amie 
qu’il  rencontra  dans  cette  ville  lui  fut  un  préservatif  contre 
beaucoup  de  dangers. 

Le  culte  domestique,  la  prière  qui  s’y  faisait,  ainsi  que  son 
instruction  religieuse  reçue  de  M.  le  pasteur  Descoeudres, 
exercèrent  une  action  décisive  sur  son  développement  spi- 
rituel, et  lui  permirent  de  a connaître  les  saintes  exigences  de 
l’amour  de  Dieu  et  la  joie  du  pardon  ». 

Au  moment  d’entreprendre  ses  études  théologiques, 
M.  Bolle  ignorait  encore  qu’il  serait  missionnaire  ; cette  pen- 
sée lui  faisait  même  éprouver  une  certaine  répugnance.  Mais 
Dieu  se  réservait  de  l’amener  à la  soumission  à sa  volonté 
par  le  moyen  de  l’épreuve  : « Fais  de  moi  ce  que  tu  veux, 
dit-il  au  Seigneur  5 s’il  le  faut,  je  partirai.  » 

Pendant  deux  ans,  il  attendit  un  signe  des  desseins  de  Dieu 
envers  lui,  quand,  un  jour,  M.  Godet  lui  demanda  s’il  voulait 
aller  au  Sénégal,  a Pourquoi  pas?  répondit-il,  si  j’y  suis 
appelé  ».  Après  quelque  temps  de  réflexion,  et  non  sans 
crainte,  il  offrit  ses  services  à M.  Boegner,  et  eut  la  joie  de 
les  voir  agréer. 


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C'est  dans  le  sentiment  d’une  grande  faiblesse  que  M.  Bolle 
va  rejoindre  son  travail.  « Il  n’ignore  pas,  dit-il,  les  dangers 
auxquels  il  s’expose,  l’insalubrité  du  climat,  les  difficultés 
inhérentes  à toute  œuvre  missionnaire,  celles  très  spéciales 
de  l’œuvre  du  Sénégal,  la  grandeur  de  la  responsabilité  qui 
ne  tardera  pas  à lui  incomber  : tout  cela,  il  s’en  est  rendu 
compte.  Et  en  disant  adieu  aux  Églises,  il  est  heureux  de 
penser  qu’à  la  Maison  des  missions  et  ailleurs,  en  France  et 
en  Suisse,  il  y aura  des  chrétiens  pour  intercéder  en  sa  fa- 
veur, comme  en  faveur  des  autres  missionnaires.  » 

C'est  par  des  récits  et  par  des  séances  de  missions  que, 
en  1888,  M.  Mercier  a été  amené  à s’offrir  pour  l’œuvre  de 
Dieu  parmi  les  païens.  Mais  à ce  moment-là  des  circonstances 
de  famille  l’empêchèrent  de  donner  suite  à son  dessein. 

Au  printemps  dernier,  à la  lecture  dès  appels  répétés  de 
M.  Goillard,  demandant  un  aide-missionnaire  pour  le  Zam- 
bèze, M.  Mercier  sentit  cette  vocation  se  réveiller  en  lui. 
Libre  désormais,  il  résolut,  d’accurd  avec  sa  femme,  de  faire 
ses  offres  de  service  à la  Société  des  missions  de  Paris,  qui  les 
accepta. 

Il  espère  que  son  activité  ne  s’exercera  pas  seulement  au- 
près des  jeunes  noirs  de  l’école  professionnelle,  mais  qu’il 
pourra  aussi  aider  les  missionnaires  dans  leurs  travaux  ma- 
nuels. « S’il  m’était  donné,  dit-il,  de  pouvoir  assainir,  em- 
bellir quelque  peu  leur  demeure,  j’en  bénirais  mon  Dieu.  » 

M.  Mercier  passe  ensuite  en  revue  quelques-unes  des  ob- 
jections que  l’on  fait  à l’œuvre  de  la  mission  : « Avez-vous 
bien  réfléchi  que  vous  quittez  parents,  amis,  patrie,  confort 
de  la  vie  civilisée,  pour  aller  au  devant  de  difficultés  de  toute 
nature  : fièvre,  maladie,  mort  prématurée  peut-être?...  D’au- 
tres, mieux  que  moi,  ont  déjà  répondu  à cette  objection.  Un 
mot  seulement  : quand  Dieu  dit  à Abraham  : « Sors  de  ton 
a pays  et  de  ta  parenté  et  va  au  pays  que  je  te  montrerai  », 
Abraham  ne  s’est  pas  inquiété  de  ce  qui  l’attendait  hors  de 
son  pays.  La  voix  de  Dieu  parla,  il  obéit. 


60 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


((  ...  Dans  une  séance  semblable  à celle-ci,  qui  eut  lieu  le 
8 décembre  à Genève,  j'ai  eu  l’occasion  d’adresser  mes  chauds 
remerciements  à de  nombreux  amis.  J’éprouve  un  besoin  non 
moins  pressant  de  remercier  ici  publiquement  le  Comité  des 
missions  de  Paris  qui  a bien  voulu  agréer  mes  offres  de  ser- 
vice... 

« Lors  de  la  construction  du  temple,  continue  M.  Mercier, 
l'Éternel  dit  à Moïse  : «Sache  que  j’ai  choisi  Bethsaléel.  Je  l’ai 
« rempli  de  l’Esprit  de  Dieu,  de  sagesse,  d’intelligence  et  de 
« savoir  pour  toutes  sortes  d'ouvrages...  » Vous  demanderez 
au  Seigneur  de  faire  de  moi  un  Bethsaléel,  dont  le  travail  soit 
pénétré  de  la  puissance  du  Saint-Esprit  et  éclairé  de  sa  lu- 
mière. Vous  demanderez  que  tous  les  jeunes  nègres  de  l’école 
professionnelle  de  Séfula,  non  seulement  se  tournent  plus  ou 
moins  vers  l’Évangile,  mais  prennent  rang  dans  l’armée  con- 
quérante de  Jésus-Christ  et  deviennent  à leur  tour  des  Beth- 
saléel remplis  de  l'Esprit  de  Dieu.  » 

C’est  à la  parabole  des  ouvriers  (Matth.  20,  1-8)  que 
M.  F.  Faure  rattache  les  paroles  qu’il  prononce.  Luinussi  a 
entendu  l’appel  du  Maître  : Va  travailler  à ma  vigne.  Tel  est 
l’ordre  qu’il  entendit  en  lisant  un  vieux  Rapport  de  la  Société 
qui  fut,  entre  les  mains  de  Dieu,  l’instrument  de  sa  conver- 
sion, comme  ce  fut  par  un  Rapport  de  la  Société  que  Dieu 
leva,  il  y a six  mois,  les  derniers  obstacles  qui  s’opposaient 
au  départ  de  M.  Faure. 

« Travailler  dans  sa  vigne  ! » C’est  ce  qu’il  cherchait  à faire 
comme  élève  de  l’Institut  agronomique  ou  lorsque,  soldat, 
il  parcourait  les  sentiers  glacés  des  Alpes,  et  c’est  en- 
core ce  qu’il  cherche  à l’aurore  d'une  vie  inconnue.  Mais  il 
peut  dire,  lui  aussi  : « Je  sais  en  qui  j’ai  cru  >.  , et  a l’assu- 
rance que  le  Seigneur  fera  servir  ses  connaissances  agricoles 
à l’avancement  de  son  règne. 

Sa  grande  préoccupation  sera  d’anoncer  l’amour  de  Dieu 
pour  l’homme  pécheur.  Mis  en  contact  avec  l’Évangile,  le 
païen  aussi  sent  s’éveiller  en  lui  des  notions  de  progrès  mo- 


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ral  et  matériel.  Quelle  forme  pratique  donner  à cette  vie  nou- 
velle? Ne  sera-ce  pas,  à côté  de  beaucoup  d’autres,  l’indus- 
trie agricole?  Aussi  M.  Faure  espère-t-il  que,  le  moment 
venu,  il  pourra  fonder  un  établissement  agricole  qui  com- 
blera une  lacune  dans  la  mission.  De  jeunes  chrétiens,  de- 
venus des  agriculteurs  expérimentés,  rentreraient  dans  leurs 
villages,  évangéliseraient  autour  d’eux  tout  en  faisant  de  la 
culture  pour  leur  propre  compte. 

« Gomme  pour  les  ouvriers  de  la  parabole,  la  onzième 
heure  est  venue  pour  moi,  dit  M.  Faure.  Que  Dieu  me  donne 
de  bien  employer  le  peu  de  temps  que  j’aurai  à le  servir...  » 

Le  directeur  de  la  Maison  des  missions  tient  à prononcer 
une  parole  de  reconnaissance.  Aucun  de  ces  trois  jeunes 
hommes  n’a  été  préparé  à la  Maison  des  missions.  Nous  nous 
trouvions,  il  y a quelques  mois,  dans  une  grande  pénurie 
d’ouvriers.  Beaucoup  de  prières  sont  montées  à Dieu  pour 
qu'il  suscite  des  vocations,  et  ces  trois  missionnaires  nous 
ont  été  donnés.  A Dieu  seul  soit  toute  la  gloire! 

M.  le  pasteur  E . Sautter , dans  une  vibrante  allocution,  fait 
voir  combien  sont  dignes  d’envie  ceux  qui  vont  partir  et  quel 
exemple  ils  nous  donnent  de  liberté  pour  le  service  du  Maître, 
de  consécration  à sa  cause  et,  par  là  même,  de  dévouement 
chrétien.  L’Église  ne  sera-t-elle  pas  reconnaissante  de  telles 
preuves  de  la  vitalité  de  l’Évangile  et  n’en  sera-t-elle  pas 
émue  à jalousie  ? 

Une  prière  de  M.  le  pasteur  A.  Bonzon  termine  cette  belle 
et  bienfaisante  réunion,  où  la  pensée  de  nos  deux  mission- 
naires morts  au  Congo,  Charles  Bonzon  et  Herman  Jacot,  a 
été  présente  dans  bien  des  cœurs  (1). 

Le  lendemain,  22  janvier,  à 3 heures,  le  Comité,  réuni  en 
séance  extraordinaire,  remettait  leurs  instructions  à nos  mis- 
sionnaires et  prenait  officiellement  congé  d’eux.  A 4 h.  1/2, 


(1)  La  collecte  faite  dans  les  rangs  de  l’assemblée  a produit  348  fr. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


avait  lieu  à la  Maison  des  missions  un  service  de  sainte  Cène. 

Ce  même  jour,  à 10  heures  du  soir,  M.  F.  Faure  prenait  le 
train  de  Marseille,  où  il  doit  s’embarquer,  le  25  janvier,  à 
bord  du  Tliibet,  à destination  de  Libreville.  Il  était  accom- 
pagné jusqu’à  Dijon  par  M.  A.  Bolle,  qui  se  rendait  pour 
quelques  jours  chez  ses  parents,  en  Suisse,  et  qui  partira, 
le  5 février,  de  Bordeaux  pour  Saint-Louis,  son  champ 
de  travail.  Quant  à M.  et  madame  Mercier,  ils  ont  quitté  Paris 
le  23  janvier  pour  se  rendre  à Londres.  Là  ils  devaient  avoir 
une  entrevue  avec  M.  Waddell,  l’aide  dévoué  de  M.  Goillard. 
Ils  s’embarqueront  le  23,  à Southampton,  à bord  du  Hawarden 
Castle , à destination  de  la  ville  du  Cap. 


A CEDX  QUI  PARTENT  (1) 


Partez  pour  le  combat,  soldats  de  l’Évangile  ! 
Affrontez  sans  frayeur  des  dangers  glorieux! 

Le  Dieu  fort  est  pour  vous  contre  les  dieux  d’argile, 
Encor  debout  sous  tous  les  deux. 

Vos  armes  sont  la  foi,  qui  n’est  jamais  trompée, 
L’ardente  charité,  qui  console  et  guérit, 
L’indomptable  espérance,  et  l’invincible  épée 
Qui  doit  sa  trempe  au  Saint-Esprit. 

Le  mensonge  et  l’erreur,  l’infamie  et  les  crimes, 
Voilà  les  ennemis  qu’il  vous  faudra  braver; 

Et  le  prix  immortel  de  vos  combats  sublimes, 

Ce  sont  des  âmes  à sauver. 

Partez  donc  ! le  désert  attend  sa  délivrance  : 

Allez,  au  lieu  des  pleurs,  faire  éclater  des  chants  ! 
Allez  dire  au  païen  qui  meurt  sans  espérance  : 

« Jésus  est  mort  pour  les  méchants  ! » 


(1)  Ce  cantique,  pour  la  consécration  ou  le  départ  des  missionnaires, 
se  chante  sur  l’air  : « Je  chanterai , Seigneur , tes  œuvres  magnifiques...  » 


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63 


Des  captifs  de  Satan  brisant  les  lourdes  chaînes, 
Courbez-les  sous  le  joug  léger  du  Roi  des  rois; 

Allez  faire  flotter  sur  les  rives  lointaines 
L’étendard  sanglant  de  la  Croix! 

...Seigneur!  étends,  par  eux,  tes  conquêtes  divines  : 
Que,  partout  proclamant  l’Évangile  éternel, 

Et  portant,  s’il  le  faut,  ta  couronne  d’épines, 

Aux  pécheurs  ils  ouvrent  ton  ciel! 

Toi  qui  conduis  leurs  pas,  donne-leur  la  victoire! 

Et  qu’après  les  périls,  les  larmes,  les  labeurs, 

Au  terme  de  leur  course,  ils  partagent  ta  gloire, 
Comme  ils  partagent  tes  douleurs  ! 


IN  MEMORIAM 

M.  Alfred  André.  — M.  le  pasteur  Guillaume  Monod.  — M.  le  pas- 
teur Louitz.  — Madame  veuve  Adèle  Jalla. 

Avec  toutes  nos  Eglises  et  nos  Sociétés  religieuses,  nous 
entourons  la  famille  de  M.  Alfred  André  de  notre  profonde 
sympathie,  dans  l’épreuve  si  soudaine  qui  l’atteint  dans  la 
personne  de  son  chef.  Fils  d’une  des  amies  les  plus  dévouées 
et  les  plus  énergiques  de  notre  œuvre,  madame  André- Wal- 
ther,  frère  de  la  présidente  actuelle  du  Comité  auxiliaire  des 
Dames,  M.  Alfred  André  tenait  de  trop  près  à notre  œuvre 
pour  ne  pas  s’y  intéresser  d’une  manière  suivie  et  active; 
et  bien  qu’il  eût  réservé  à d’autres  causes  son  intérêt  prin- 
cipal, il  a eu  plus  d’une  fois  l’occasion  de  venir  en  aide 
d’une  manière  spéciale  à notre  Société,  outre  l’appui  régulier 
qu’il  lui  donnait.  Nous  nous  rappelons  la  reconnaissance  du 
fondateur  de  notre  Maison,  le  Dr  G.  Monod,  mentionnant  le 
don  supplémentaire  que  M.  Alfred  André  lui  avait  fait  par- 
venir la  veille  même  de  la  dédicace  de  l’édifice,  et  qui  per- 


Édouard  Monod, 


64 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


mettait  d’inaugurer  celui-ci  libre  de  toute  dette.  Il  y a peu  de 
jours  encore,  M.  André  s’inscrivait  en  tête  d’une  liste  de  dons 
spéciaux  pour  nos  frais  d’enquête  à Madagascar.  Enfin  nous 
aimons  à mentionner  que,  l’avant -veille  de  sa  mort,  « se  sen- 
tant déjà  tout  mal  en  train  et  grippé  »,  comme  il  nous  l’é- 
crivait, il  nous  avait  procuré,  par  son  intervention,  une 
réduction  importante  sur  les  frais  de  voyage  de  M.  F.  Faure 
de  Paris  à Marseille.  Que  Dieu  console  sa  veuve  et  tous  les 
siens,  et  qu’il  suscite  dans  nos  Églises  beaucoup  d’hommes 
qui  se  consacrent,  «corps  et  biens»,  à son  service! 

M.  le  pasteur  Guillaume  Monod , que  nous  venons  de  con- 
duire à sa  dernière  demeure,  a été,  pendant  près  de  vingt 
années,  membre  de  notre  Comité.  11  y était  entré  en  1856,  en 
remplacement  de  son  frère  Adolphe.  11  y siégea  jusqu’en  1863, 
à côté  de  son  frère  Frédéric,  l’un  des  fondateurs  de  notre  So- 
ciété, et  y vit  entrer,  en  1866,  son  frère  plus  jeune,  le  Dr  G. 
Monod,  à Pinitiative  duquel  notre  Société  doit  sa  Maison.  11 
se  retira  en  1876,  mais,  plus  d’une  fois  encore,  il  eut  l’occa- 
sion de  mettre  sa  parole  enflammée  au  service  de  notre 
œuvre  qu’il  aimait  et  soutenait  de  ses  prières.  Sa  figure  vé- 
nérable nous  manquera  dans  nos  Assemblées,  où  il  représen- 
tait la  forte  génération  du  Réveil,  aujourd’hui  disparue, 
comme  son  affectueuse  et  paternelle  bienveillance  manquera 
à ceux  qu’elle  a souvent  réchauffés  et  encouragés. 

Nous  ne  pouvons  que  mentionner  ici  la  mort  de  M.  le  pas- 
teur Louitz,  de  Bordeaux,  repris,  lui  aussi,  à l’affection  des 
siens,  et  qui,  membre  du  Comité  auxiliaire  de  sa  région, 
était  un  bon  et  fidèle  ami  de  notre  œuvre.  Ceux  d’entre  nous 
qui  allaient  à Bordeaux  plaider  la  cause  de  notre  Société, 
se  rappellent  avec  reconnaissance  son  accueil  sympathique 
et  les  prières  puissantes  et  pleines  de  sève  biblique  où  il  re- 
commandait à Dieu  notre  œuvre  et  ses  représentants. 


.Madame  veuve  Adèle  J alla,  née  Biolley,  que  Dieu  a reprise 


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à lui  à Florence,  le  22  décembre  dernier,  n’avait  à sa  disposi- 
tion, pour  servir  nos  missions,  ni  une  grande  fortune,  ni  l’in- 
fluence réservée  au  pastorat;  et  cependant  notre  Société  fait 
en  elle  une  grande  perte  et  lui  doit  une  profonde  reconnais- 
sance. Madame  Jalla  avait  fait  à notre  cause  le  plus  beau  de 
tous  les  dons  : elle  lui  avait  donné  deux  hommes.  Veuve  elle- 
même  d’un  fidèle  pasteur  des  Vallées  Vaudoises,  elle  a vu 
quatre  de  ses  cinq  fils  se  vouer  au  ministère  : l’aîné  et  le 
quatrième  servent  l’Église  vaudoise  à La  Tour  et  à Florence; 
les  deux  autres  sont  missionnaires  au  Zambèze.  Honneur  à 
la  mémoire  de  cette  noble  femme,  de  cette  vaillante  et  humble 
chrétienne  qui  sut  élever  des  hommes  et  former  des  soldats 
pour  le  service  actif  de  Jésus-Christ  ! Dieu  veuille  multiplier 
dans  nos  Églises  les  foyers  où  l’œuvre  de  Dieu  est  en  hon- 
neur et  où  la  pensée  de  s’y  vouer  sans  réserve  paraît  aussi 
naturelle  aux  parents  qu’aux  enfants! 


NOTRE  SITUATION  FINANCIÈRE 


Cette  situation  s’est  améliorée  depuis  un  mois  ; l’écart  entre 
les  recettes  de  l’an  dernier  et  celles  de  cette  année  a di- 
minué; il  était,  le  23  janvier,  de  2,000  francs  environ.  Il 
ne  faudrait  pas,  cependant,  que  ce  progrès  nous  fit  illusion. 
Pour  terminer  l’exercice  sans  déficit,  il  est  nécessaire  que  nous 
recevions , d'ici  au  3 i mars , 1 65,000  francs.  L’an  dernier,  cette 
somme  n’a  été  obtenue  que  par  un  grand  effort  de  tous  nos 
amis,  pasteurs  et  laïques,  collecteurs  et  souscripteurs,  et  par 
des  dons  extraordinaires  ; il  faut  que  ces  efforts  et  ces  dons 
se  renouvellent,  d’autant  plus  que  nous  sommes  toujours  ex- 
posés à voir  nos  dépenses  dépasser  le  chiffre  prévu. 

Nous  attirons,  d’une  manière  spéciale,  l’attention  des  amis 
des  Missions  sur  la  situation  de  la  caisse  du  Zambèze.  Les  re- 
cettes pour  cette  mission  ne  sont , à cette  heure,  que  de 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


j 6,840  fr.  20,  tandis  qu'il  y a un  an  elles  étaient  de  35,570 
francs.  Nous  espérons  qu’il  n’y  a là  qu’un  simple  retard,  mais 
ce  retard  appelle  l’action  énergique  de  tous  ceux  qui  aiment 
l’œuvre  du  Zambèze  et  bénissent  Dieu  pour  le  bien  qu’elle  fait 
non  seulement  en  Afrique,  mais  aussi  dans  nos  Églises. 

Dieu  nous  a accordé  la  joie  de  renforcer  le  personnel  de  cette 
mission.  Ce  serait  nous  montrer  ingrats  envers  le  Maître  qui 
nous  a donné  ces  nouveaux  ouvriers,  que  de  ne  pas  subvenir  à 
leur  envoi  et  à leur  entretien.  Nos  amis  ne  voudront  pas  qu’à 
son  arrivée  parmi  nous  (si  Dieu  nous  le  ramène)  M.  Coillard 
soit  accueilli  par  la  nouvelle  que  l’œuvre  fondée  par  lui  est 
affligée  d’un  déficit. 

Nous  avons  dit  nos  préoccupations;  mentionnons  encore 
quelques  encouragements  accordés,  ces  jours  derniers,  à 
notre  foi.  Une  amie,  qui  veut  demeurer  inconnue,  nous  a fait 
un  don  anonyme  de  1,000  francs.  Un  ami  des  Missions  a en- 
voyé d’Alsace  100  francs  pour  les  frais  d’enquête  à Mada- 
gascar et  100  francs  pour  évita'  le  déficit.  Une  amie  du  Midi 
a donné,  à partager  entre  ces  deux  mêmes  objets,  une  somme 
de  4,000  francs.  Un  pasteur  de  l’étranger  nous  a fait  parvenir 
1,000  francs  pour  notre  œuvre  générale.  Ces  faits,  d’autres 
encore  que  nous  pourrions  citer,  montrent  la  constante  fidé- 
lité de  Dieu  envers  notre  œuvre.  Remercions-le  de  ces  en- 
couragements, persévérons  à lui  demander  le  pain  quotidien 
pour  nos  missions  et,  tout  en  faisant,  chacun  à son  poste,  ce 
qui  dépend  de  nous,  attendons  de  lui  de  grandes  choses;  il 
fera  par  nous  de  grandes  choses  ! 


COMMENT  IL  FAUT  LIRE  LE  « JOURNAL  DES  MISSIONS  » 

Les  lignes  qu’on  va  lire  n’étaient  pas  destinées  à la  publi- 
cité. Elles  sont  empruntées  à une  lettre  adressée  par  une 
de  nos  lectrices  à son  amie,  qui  nous  les  a communiquées, 
pensant  avec  raison  que  nous  y trouverions  un  encourage- 
ment. 


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« ...  Le  Journal  des  missions  se  lirait  comparativement  vite  ; 
mais  moi,  — c’est  sans  doute  parce  que  je  suis  de  la  vieille 
école,  — je  relis  deux  ou  plusieurs  fois  certains  passages; 
puis,  après  la  lecture  d’un  certain  nombre  de  ces  passages,  je 
lève  mes  yeux  vers  les  montagnes  d’où  nous  viendra  le  se- 
cours. Oui,  souvent,  après  la  lecture  de  telle  ou  telle  page, 
je  me  sens  comme  forcée  de  faire  une  halte,  et,  dans  une 
fervente  prière,  je  remets  entre  les  mains  de  mon  Dieu  les 
missionnaires...,  demandant  pour  eux  les  clartés  d’En-Haut, 
le  courage  et  l’amour  nécessaire  pour  triompher  de  tous  les 
obstacles.  » 

— — 


LESSOUTO 

HEUREUSE  ARRIVÉE  DE  M.  ET  MADAME  MARZOLFF 

M.  et  madame  Marzolff  se  sont  embarqués,  comme  on  sait, 
le  9 novembre  à bord  du  Noi'man.  Le  voyage,  jusqu’à  Madère, 
a été  pénible,  et  n’est  guère  devenu  plus  agréable  dans  la 
suite,  le  soleil  s’étant  peu  montré  durant  la  traversée.  La  so- 
ciété avec  laquelle  voyageaient  nos  missionnaires  n’était  pas 
faite  pour  diminuer  cette  impression  profonde  d’isolement 
que  le  chrétien,  le  missionnaire  en  particulier,  est  appelé  à 
porter  si  souvent.  « La  moitié  des  passagers,  écrit  M.  Mar- 
zolff le  22  novembre,  est  de  nationalité  allemande,  et  une 
bonne  partie  se  dirige  vers  les  mines  d’or.  Johannisburg, 
tel  est  le  nom  qu’on  lit  avec  monotonie  sur  presque  toutes 
les  chaises.  La  richesse  est  là,  peut-être  aussi  la  misère; 
mais,  sur  le  navire  et  de  loin,  c’est  la  fortune  qu’on  en- 
trevoit ; elle  sourit,  et  on  croit  déjà  la  saisir.  Si  les  hommes 
couraient  avec  la  même  ardeur  vers  les  richesses  durables  ! 
Mais,  à part  deux  familles,  personne  ici  ne  laisse  entrevoir 
de  la  piété. 

« Un  Hollandais,  me  parlant  de  l’Amérique  du  Sud,  y voit 
les  blancs  et  les  noirs  en  lutte.  Il  faudra,  tôt  ou  tard,  que 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Tune  des  races  cède  la  place  à l’autre  et  soit  jetée  à la  mer. 
Or,  nous  sommes  en  ce  moment  les  plus  forts,  l’intérêt  ne 
commande-t-il  pas  que  les  noirs  soient  éliminés  comme  les 
Indiens  de  l’Amérique  du  Nord?  La  mission,  dans  un  tel  mi- 
lieu, ne  peut  apparaître  que  comme  un  non-sens,  un  mal. 
Heureusement  l’homme  propose,  mais  Dieu  règne;  et,  tant 
qu’il  régnera,  nous  pourrons  continuer  tranquillement  notre 
œuvre.  Les  projets  des  méchants  ne  subsisteront  point.  » 

M.  et  madame  Marzolffont  débarqué  au  Cap  le  26  novembre. 
De  là  ils  se  sont  rendus  au  Lessouto  en  passant  par  Aliwal- 
North.  Les  premiers  jours  de  décembre,  ils  arrivaient  à Bé- 
tesda,  leur  station.  C’est  là  que  les  nombreux  amis  que  M.  Mar- 
zolff  a intéressés  et  édifiés  pendant  ses  tournées  dans  nos 
Églises,  devront  le  rejoindre  et  l’entourer,  ainsique  madame 
Marzolff,  de  leurs  prières.  En  pensant  à nos  missionnaires  re- 
prenant courageusement  leur  travail,  ils  n’oublieront  pas 
leurs  deux  fillettes,  restées  en  Europe  pour  leur  éducation, 
et  dont  la  place  doit  paraître  bien  vide  aux  parents  rentrés 
seuls  au  foyer. 


DANS  LE  HAUT -LESSOUTO 

Étude  de  M.  H.  Dieterlen. 

[On  se  souvient  que  M.  Dieterlen  a été  appelé  à prendre  la 
direction  de  l’œuvre  de  Léribé,  tout  en  continuant  son  ensei- 
gnement aux  élèves  de  l’Ecole  de  théologie.  Trop  fatigué  pour 
continuer  à mener  de  front  ces  deux  grandes  tâches,  M.  Die- 
terlen a dû  se  décharger  de  la  seconde,  et  c’est  sous  la  direc- 
tion du  missionnaire  de  Thaba-Bossiou,  M.  Ed.  Jacottet,  que 
se  forment  actuellement  nos  futurs  pasteurs  indigènes.  On 
sait  que  Thaba-Bossiou  est  déjà  le  siège  de  l’École  supérieure 
de  jeunes  filles,  et  le  centre  d’une  œuvre  importante  d’évangé- 
lisation : M.  Jacottet  n’a  pas  hésité  néanmoins  à se  charger  des 


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élèves  de  M.  Dieterlen  et  à assurer  ainsi  le  recrutement  du 
corps  pastoral  indigène. 

Tout  entier  à son  œuvre  d’évangélisation,  M.  Dieterlen  a 
tenu  à se  rendre  compte  des  dimensions  et  des  besoins  de 
l’œuvre  qui  lui  était  échue.  C'est  le  résultat  de  ses  observa- 
tions qu’il  a désiré  mettre  sous  nos  yeux  dans  l’étude  qu’on 
va  lire.] 

I 

Quitter  le  centre  du  Lessouto  pour  s’établir  dans  sa  partie 
septentrionale,  ce  n’est,  au  point  de  vue  matériel,  que  chan- 
ger de  station  et  de  voisins.  Au  point  de  vue  de  l’œuvre  mis- 
sionnaire, c’est  partir  des  grandes  Eglises  et  des  régions  où 
le  christianisme  a fait  le  plus  de  progrès  pour  s’établir  au 
milieu  de  populations  où  le  paganisme  a gardé  pour  ainsi 
dire  tout  son  pouvoir  et  où  l’Eglise  est  numériquement  petite 
et  faible.  Dans  le  centre  et  le  sud  du  Lessouto,  on  est  sur- 
tout frappé  par  les  progrès  visibles  de  l’Évangile,  encore 
qu’il  ne  faille  pas  les  exagérer.  Dans  le  nord,  c’est-à-dire 
depuis  Cana  jusqu’à  Kalo,  en  passant  par  Léribé,  on  re- 
marque avant  tout,  et  d’une  manière  douloureuse,  la  gran- 
deur, la  puissance  et  la  vitalité  du  vrai  paganisme  des  Bas- 
soutos,  et  la  ténacité  avec  laquelle  il  veille  à sa  conservation. 

Le  Haut-Lessouto,  par  quoi  nous  désignons  les  districts  où 
se  trouvent  les  stations  de  Cana,  Léribé  et  Kalo,  est  encore 
sous  la  domination  exclusive  du  paganisme  traditionnel  qui 
est  loin,  bien  loin  d’être  vaincu.  Et  l’Église  poursuit  lente- 
ment et  péniblement  une  tâche  des  plus  difficiles,  dont  seule 
sa'  confiance  en  les  promesses  de  Dieu  lui  permet  d’espérer 
un  jour  l’accomplissement. 

Les  trois  stations  susmentionnées  possèdent  à la  vérité  un 
assez  grand  nombre  d’annexes  établies  dans  les  principaux 
centres  de  population,  et,  en  général,  de  fondation  récente. 
Les  missionnaires  du  Lessouto  ont  compris  qu’il  ne  s’agissait 
pas  pour  eux  de  n’entreprendre  la  fondation  d’une  annexe 
nouvelle  que  quand  sa  sœur  aînée  serait  pourvue  de  tout 

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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


ce  qui  est  nécessaire  à son  existence  et  à son  fonctionne- 
ment normal.  Procéder  ainsi,  c’eût  été  former  quelques  petits 
noyaux  de  chrétiens  choyés  et  cultivés  en  serre  chaude,  et 
laisser  la  masse  des  païens  croupir  pendant  de  longues  an- 
nées encore  dans  les  ténèbres  et  la  corruption. 

Ils  estimèrent  avec  raison  qu’il  fallait,  le  plus  vite  possible, 
jeter  des  évangélistes  partout  où  il  semblerait  nécessaire  d’en 
établir,  quitte  à consolider  plus  tard  un  travail  exécuté  rapi- 
dement et  d’une  manière  incomplète.  Ils  décidèrent  donc  la 
prise  de  possession  immédiate  des  postes  d’évangélisation  les 
plus  importants.  Et  ceux  d’entre  eux  que  retenait  le  manque 
de  ressources  ou  la  prudence  humaine  finirent  par  subir 
l’impulsion  de  leurs  collègues  plus  aventureux  et  suivirent  le 
mouvement. 

Mais  entendons-nous,  et  comprenons  ce  qu’au  Lessouto 
nous  voulons  exprimer  par  ces  mots  : fonder  une  annexe. 

Fonder  une  annexe,  c’est  tout  simplement  prendre  un  évan- 
géliste à sa  famille  et  l’établir  au  centre  d’un  certain  nombre 
de  villages  païens.  On  lui  fournit  un  abri  quelconque,  une 
hutte  de  roseau  où  il  trouve  à peine  de  quoi  se  blottir  pen- 
dant la  nuit.  Oq  le  présente  à quelques  centaines  de  païens 
qu’il  doit  évangéliser  et  au  chef  qui  est  censé  devoir  être  son 
protecteur.  L’annexe  est  fondée  en  ce  sens  qu’un  chrétien  est 
là,  chargé  d’annoncer  le  règne  de  Dieu  aux  païens,  et  l’annon- 
çant tant  qu’il  peut.  C’était  la  chose  à faire,  le  devoir  clair, 
immédiat,  l’essence  même  de  la  mission.  L’Evangile  est  prê- 
ché là  où  il  ne  l’était  pas,  cette  assurance  est  pour  le  mission- 
naire une  joie,  un  soulagement  et  une  espérance.  Plût  à Dieu 
que  nous  pussions,  aujourd’hui  même,  lancer  une  nouvelle 
escouade  d’éclaireurs  dans  les  coins  sombres  du  Lessouto  et 
nous  dire  enfin  que  toutes  Iqs  annexes  qui  devraient  être 
fondées  le  sont. 

Une  fois  l’annexe  ainsi  fondée,  il  reste  encore...  à la  fonder. 
Il  faut  y construire  une  chapelle  qui  servira  en  même  temps  de 
maison  d’école,  et  une  demeure  définitive  et  convenable  pour 
l’évangéliste  qui  remplira  aussi  les  fonctions  d’instituteur. 


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Sous  ce  rapport,  que  nous  sommes  donc  loin  d’avoir  des 
annexes  réellement  fondées  ! Pour  ne  citer  qu'un  exemple, 
voyez  le  district  de  Léribé. 

Quand  j’arrivai  ici  à la  fin  de  janvier  1895,  je  trouvai  dans 
ma  paroisse  neuf  annexes  fondées  par  mes  prédécesseurs,  et 
je  les  bénis  de  les  avoir  fondées.  Seulement,  je  trouvai  aussi 
que,  pour  que  ces  annexes  fussent  réellement  installées  et 
convenablement  outillées,  il  fallait  y faire  construire  ni  plus 
ni  moins  que  quatre  chapelles  et  huit  maisonnettes  d’évangé« 
listes  ou  d’instituteurs! 

Si  je  voulais  un  peu  dire  ce  que  ces  constructions  impli- 
quent pour  un  missionnaires  de  tracas,  de  déboires,  de  cour- 
ses, de  dépenses  et  de  soucis,  j’aurais  de  quoi  écrire  ici  un 
chapitre  assez  lamentable.  Mais  mon  intention  n’est  pas  de 
pousser  nos  amis  à s'apitoyer  sur  notre  compte.  Mon  seul  but 
était  de  hautement  affirmer  que  dans  le  Haut-Lessouto,  et, 
en  général,  dans  le  Lessouto  entier,  toutes  les  annexes  qui 
devraient  exister  ne  sont  pas  encore  établies,  et  que  plusieurs 
de  celles  qui  sont  déjà  fondées  ne  le  sont  que  par  le  fait  de 
l’installation  d’un  évangéliste  parmi  les  païens.  Les  statis- 
tiques ne  donnent  que  des  chiffres  secs.  J1  était  bon  que,  à 
ces  chiffres  si  beaux  sur  le  papier,  et  pourquoi  pas  dans  la 
réalité?  vinssent  s’ajouter  des  explications  destinées  à re- 
mettre les  choses  au  point  et  à couper  court  à des  félicita- 
tions que  nous  ne  méritons  ni  de  nous  décerner  à nous-mêmes 
ni  de  recevoir  des  amis  de  notre  mission.  Moins  d'éloges  et 
plus  d'argent,  s’il  vous  plaît,  voilà  ce  que  je  voudrais  dire 
aux  chrétiens  de  France,  qui  si  souvent  et  trop  souvent  se  re- 
présentent l’œuvre  du  Lessouto  comme  tellement  prospère 
qu’elle  n’est  presque  plus  une  œuvre  missionnaire! 

Il  y a donc,  dans  le  Haut-Lessouto,  des  annexes  à fonder  et 
des  annexes  complètes,  et  d’autres  qui  n’en  sont  encore  qu’aux 
plus  modestes  débuts  de  leur  existence  et  de  leur  activité. 

Il  s’y  trouve  aussi  des  chrétiens.  Gomptons-les  d’après  notre 
statistique  de  mars  1895. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


A cette  époque,  la  paroisse  de  Kalo  comptait  49  chrétiens 
et  29  catéchumènes  contre...  10,  12  ou  15,000  païens. 

Dans  celle  de  Léribé,  nous  trouvons  347  chrétiens  et 
235  catéchumènes  contre  20,000  païens. 

Dans  celle  de  Canà,  406  chrétiens  et  252  catéchumènes 
également  contre  20,000  païens. 

(Le  nombre  des  païens,  je  l’indique  approximativement, 
en  m’aidant  des  résultats  du  dernier  recensement  de  la  popu- 
lation du  Lessouto;  et  je  crois  donner,  pour  Léribé  et  Cana, 
des  chiffres  plutôt  inférieurs  que  supérieurs  à la  réalité.) 

Ainsi  cinquante  chrétiens  contre  dix  mille  païens,  six  cents 
contre  vingt  mille.  Ou  — ce  qui  n’est  pas  la  même  chose  — 
vingt  mille  païens  contre  six  cents  chrétiens,  et  dix  mille 
contre  cinquante  ! Voilà  des  chiffres  qui  ont  leur  éloquence 
et  qui  n’ont  pas  besoin  d’être  commentés.  Les  chrétiens  du 
Haut-Lessouto  sont  donc,  en  gros,  quinze  cents,  disséminés 
parmi  plus  de  cinquante  mille  païens.  C’est  tout  dire. 

Ajoutez  que  les  conversions  sont  rares  et  que  nos  trou- 
peaux n’augmentent  que  très  lentement.  Dans  les  parties  du 
Lessouto  où  le  christianisme  a acquis  son  droit  de  bourgeoi- 
sie et  est  fortement  enraciné,  le  recrutement  et  les  progrès 
de  l’Église  sont  plus  naturels  et  plus  faciles.  De  nos  côtés,  il 
n’en  est  pas  encore  ainsi.  Le  christianisme  est  encore  consi- 
déré comme  un  corps  étranger,  gênant  et  menaçant  l’orga- 
nisme social,  et  devant  être  tenu  en  échec  ou  combattu.  Dans 
de  pareilles  conditions,  la  conversion  devient  singulièrement 
difficile  et  exige  de  celui  qui  s’y  décide  un  courage  moral  et 
une  conviction  très  fermes. 

Pour  être  complet  et  juste,  je  devrais  signaler  les  sacrifices 
qu’ont  à faire  les  Bassoutos  qui  entrent  dans  l’Église  : leurs 
pertes  matérielles,  la  considération  à laquelle  ils  renoncent, 
le  blâme  et  le  mépris  qu’ils  encourent,  les  persécutions  de 
détail  auxquelles  ils  s’exposent.  Et  je  devrais  admirer  et  louer 
leur  courage,  leur  persévérance  et  leur  foi. 

Mais  ce  serait  m’écarter  de  mon  sujet,  qui  est  surtout  de 
montrer  les  faits  qui  impressionnent  tout  d’abord  l’homme 


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qui  s’établit  dans  le  Haut-Lessouto,  les  traits  saillants  de  la 
situation  actuelle,  les  grandes  lignes  du  tableau. 

11  faut,  à cet  égard,  remarquer  Fextrême  dissémination  de 
nos  chrétiens  et  leur  isolement  parmi  les  païens.  On  parle  en 
France  des  protestants  disséminés  et  des  inconvénients  qui 
résultent  de  leur  dispersion  parmi  les  catholiques.  Au  Les- 
souto,  ces  inconvénients  sont  de  même  nature,  mais  combien 
plus  graves,  étant  données  les  mœurs  et  coutumes  des  païens  ! 
Une  famille  chrétienne  toute  seule  dans  un  village  païen,  c’est 
encore  beau.  Mais  figurez-vous  une  femme  seule  chrétienne 
dans  sa  propre  famille  et  dans  son  village,  un  jeune  homme 
seul  chrétien  à des  lieues  à la  ronde  ! Voilà  qui  est  difficile  et 
dangereux,  d’autant  plus  que  le  paganisme  reste  à l’affût  de 
ceux  qui  l’ont  abandonné  et  cherche  sans  cesse  à les  ressai- 
sir. Il  a pour  auxiliaires  les  coutumes  mêmes  des  Bassoutos 
qui  en  sont  tout  imprégnés  et  qui  forment  autour  des  indi- 
vidus un  réseau  presque  impossible  à traverser.  Toute  cir- 
constance de  la  vie  du  Mossouto,  depuis  la  naissance  jus- 
qu’au mariage  et  à la  mort,  le  sollicite  à accomplir  un  rite 
ou  à pratiquer  une  coutume  incompatible  avec  la  foi  et  la 
morale  chrétiennes.  On  y est  englobé  sans  le  vouloir,  presque 
sans  le  savoir;  et  cela  d’autant  plus  facilement  que  ce  Mos- 
souto devenu  chrétien  pense  encore  comme  un  Mossouto, 
voit  comme  lui,  sent  comme  lui.  Il  ne  comprend  pas  tou- 
jours pourquoi  il  doit  renoncer  à telle  coutume  de  ses  ancê- 
tres, à laquelle  il  croit  encore  et  que  son  cœur  naturel,  sti- 
mulé par  les  sollicitations  de  sa  famille,  de  ses  amis  et  de  ses 
chefs,  désire  qu’il  garde  et  pratique. 

De  là  des  compromis  avec  le  paganisme,  qui  sont  d’autant 
plus  nuisibles  à la  vie  religieuse  de  ce  chrétien  qu’il  les  fait 
en  cachette.  De  là  des  faiblesses  spirituelles,  une  piété  un 
peu  terne  et  parfois  contredite  par  les  œuvres.  De  là,  aussi, 
— pas  souvent,  heureusement,  — des  retours  complets  au 
paganisme,  comme  celui  que  je  voudrais  citer  ici. 

J’ai  dans  une  de  mes  annexes  un  chrétien  nommé  Paul  qui, 
jusqu’à  présent,  avait  toujours  bravement  accompli  ses  de- 


74 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


voirs  et  gardé  sa  foi.  Mais  voilà!  toute  sa  famille  est  païenne* 
Son  père,  sa  mère,  sa  femme,  ses  enfants,  sa  parenté,  ils- 
sont  tous  païens,  et  païens  convaincus.  Sa  fille  est  arrivée  à 
l’âge  où  les  jeunes  Bassoutoses  sont  initiées  aux  mystères  du 
paganisme.  Le  chef  du  district  la  demande  pour  tenir  com- 
pagnie à sa  propre  fille  qui  doit  subir  (très  joyeusement)  ces 
rites  nationaux.  Paul,  on  l’ignore;  parce  qu’il  est  chrétien, 
on  ne  tiendra  aucun  compte  de  lui.  On  s’adresse  à ses  pa- 
rents, à sa  femme,  à la  jeune  fille,  qui  tous  donnent  leur 
consentement.  Paul  proteste  ; il  nous  demande  conseil.  Nous 
l’exhortons  à affirmer  ses  droits  de  père  et  de  chrétien  et  à 
disposer  de  sa  fille  selon  ses  convictions.  Mais  tout  le  monde 
est  contre  lui  ; une  pression  énorme  pèse  sur  lui.  Il  se  trouble, 
il  faiblit,  sa  résistance  devient  molle  ; sa  piété  est  ébranlée. 
De  fil  en  aiguille,  il  arrive  à consentir.  Voilà  un  homme  à la 
mer,  un  chrétien  qui  va  renier  sa  foi.  Le  paganisme  a vaincu. 
Est-ce  très  étonnant  ?...  Et  c’était  le  seul  homme  chrétien  de 
l'annexe  de  Makokoané  !... 

Il  faut  louer  Dieu  de  ce  que  de  pareilles  défections  ne  soient 
pas  plus  fréquentes.  Mais  il  faut  aussi  reconnaître  les  tenta- 
tions qui  entourent  nos  chrétiens  dans  leur  isolement  et  com- 
prendre que  la  faiblesse  numérique  d’une  Eglise  l’empêche, 
à certains  égards,  d’être  un  levain  irrésistible  et  une  lumière 
qui  attire  les  regards  de  celui  qui  observe  la  situation  reli- 
gieuse et  morale  du  Haut-Lessouto. 

II 

Ainsi  donc,  ce  qui  frappe  le  missionnaire  dans  le  Haut- 
Lessouto,  ce  n’est  ni  la  prospérité  des  annexes  et  des  écoles, 
ni  le  nombre  et  la  qualité  des  chrétiens.  Ce  qui  l’impressionne 
et  le  remue,  c’est  la  puissance  et  la  vitalité  du  paganisme. 

Ce  qui  importe  maintenant,  c’est  de  caractériser  ce  paga- 
nisme dont  je  viens  d’établir  l’immense  supériorité  numé- 
rique. Car  s’il  y a chrétiens  et  chrétiens,  il  y a aussi  païens 
et  païens;  et  l’on  n’ignore  pas  que  certains  Bassoutos  qui 


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s’appellent  païens  parce  qu’ils  ne  sont  pas  membres  de 
l’Eglise,  n’ont  cependant  conservé  que  très  peu  de  coutumes 
païennes  et  ont,  par  contre,  adopté  une  grande  partie  du 
Credo  et  des  coutumes  des  chrétiens. 

Tel  n’est  pas  le  cas  des  païens  du  Haut-Lessouto.  Dans 
leur  ensemble,  mais  non  sans  exception,  ils  sont  restés  et 
tiennent  à honneur  de  rester  des  païens  de  la  vieille  époque 
et  à conserver  avec  un  soin  jaloux  les  us  et  coutumes  des 
temps  anciens.  Ce  sont  des  païens  paganisants,  authentiques, 
satisfaits,  convaincus  et  endurcis,  ils  veulent  être  païens,  ils 
ne  veulent  pas  devenir  chrétiens,  et  ils  blâment  ou  plaignent 
ceux  qui  le  deviennent. 

Au  risque  de  me  contredire  absolument,  j’affirmerai  d’abord 
que  les  païens  du  Haut-Lessouto,  comme  ceux  de  tout  le 
pays,  ont  en  général  accepté  lidée  de  l’existence  de  Dieu,  je 
veux  dire  du  Dieu  de  la  Bible.  Son  nom  revient  très  fréquem- 
ment dans  leurs  paroles  et  dans  leurs  discours.  Ils  en  abusent 
même,  et  les  phrases  pieuses  sont  monnaie  courante  parmi 
eux  quand  ils  parlent  à des  chrétiens  ou  surtout  à yles  Euro- 
péens. 

Mais  quelle  idée  se  font-ils  de  Dieu? 

Voici,  à cet  égard,  deux  faits  que  je  viens  de  noter  au 
cours  d’un  petit  voyage. 

Près  de  Cana,  à l’issue  d’une  de  ces  séances  d’ivrognerie 
qui  sont  en  ce  moment  si  fréquentes,  une  querelle  s’est  en- 
gagée (c’est  presque  de  rigueur  en  pareille  occasion)  entre  un 
païen  chétif  et  malingre  et  quelques  camarades.  Il  s’est  armé 
de  son  couieau  de  poche,  s’est  jeté  sur  ses  assaillants,  en  a 
tué  un  sur  place  et  en  a blessé  quatre  autres.  On  s’étonnait 
de  ce  qu’un  homme  si  faible  ait  pu  en  frapper  cinq  et  de  plus 
forts  que  lui. 

Quelqu’un  répondit  : « C’est  en  effet  extraordinaire.  Il  n’a 
pu  le  faire  qu’avec  l’aide  de  Dieu.  » 

Plus  loin,  je  causais  avec  un  homme  rencontré  sur  la  route 
et  je  lui  disais  : « Il  est  pourtant  fâcheux  que  les  Bassoutos 
ne  puissent  pas  vivre  sans  se  chamailler. 


76 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


— Ne  dis  pas  que  ce  sont  les  Bassoutos  qui  en  sont  cause. 

— Pourquoi? 

— Parce  que  ce  ne  sont  pas  eux.  C'est  Dieu. 

— Comment  Dieu? 

— Mais  oui  ! Dieu  n’est-il  pas  appelé  le  Dieu  des  guerres 
(c’est-à-dire  des  armées)  ? Toutes  ces  querelles,  c’est  Dieu  qui 
les  suscite. 

Ces  deux  traits  cadrent  parfaitement  avec  ce  que  me  disent 
à chaque  instant  des  païens  du  cru,  des  gens  qui  sont  hos- 
tiles à l’Évangile  et  à l’Église,  et  qui  vivent  dans  la  corruption 
et  le  vice  : « Dieu?  Mais  nous  aussi  nous  sommes  ses  enfants. 
Il  nous  donne  la  pluie  et  le  sorgho,  des  bestiaux  et  des 
enfants.  Quand  nous  sommes  dans  la  peine  nous  le  prions. 
Personne  ne  peut  nier  l’existence  de  Dieu.  » 

Et  de  fait,  il  y a de  vrais  païens  qui,  en  cas  de  maladie  ou 
de  danger,  s’adressent  à Dieu  pour  être  secourus.  Ils  le  disent 
du  moins. 

Alors,  quelle  idée  ont-ils  de  Dieu?  Une  bien  commode,  en 
vérité.  C’est  un  être  supérieur  aux  hommes,  puissant,  géné- 
reux, dont  le  rôle  consiste  à bénir  et  à secourir  les  hommes, 
auquel  on  peut  recourir  en  cas  de  grand  besoin  et  qui,  en 
somme,  est  responsable  de  tout  ce  qui  arrive  à l’homme,  en 
particulier  de  sa  mort. 

Jusqu’ici,  tout  va  bien.  Mais  après?  C’est  un  Dieu  qui  ne 
fait  nulle  différence  entre  le  mal  et  le  bien,  qui  doit  tout 
donner  et  ne  veut  rien  recevoir;  qui  n’a  ni  lois  ni  comman- 
dements à prescrire  aux  hommes,  et  qui  ne  s’occupe  ni  de 
leur  conduite  ni  des  dispositions  de  leur  cœur.  C’est  un  Dieu 
amoral , neutre,  sans  principes,  sans  sainteté.  « 11  fait  luire 
son  soleil  sur  les  bons  et  les  méchants,  il  fait  pleuvoir  sur  les 
justes  et  les  injustes.  » Oh!  la  parole  que  les  Bassoutos  ai- 
ment et  approuvent  ! Indifférence  morale  et  fatalisme,  voilà 
ce  qu’ils  abritent  sous  le  nom  de  Dieu,  dont  ils  font  un  si  grand 
usage,  ou  un  si  grand  abus. 

(A  suivre.) 


H.  Dieterlen. 


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77 


ZAMBÈZE 

DERNIÈRES  NOUVELLES 

Les  nouvelles  publiées  ici  même,  il  y a un  mois,  nous  ont 
été  confirmées  par  une  lettre  de  madame  Adolphe  Jalla,  datée 
du  8 octobre,  de  Léaluyi,  etpar  une  carte  postale  deM.  Louis 
Jalla,  datée  du  15  novembre,  de  Kazungula. 

Madame  Jalla  parle  ainsi  du  prochain  départ  de  M.  Coil- 
lard : 

a Nous  avons,  plus  que  jamais,  besoin  de  votre  intérêt  et 
de  votre  amour,  maintenant  que  M.  Coillard  va  nous  quitter, 
maintenant  que  nous  allons  avoir  de  plus  grandes  responsa- 
bilités, une  tâche  plus  étendue,  une  œuvre  complexe  à pour- 
suivre à la  fois  dans  le  village,  à la  station  et  dans  l’Ecole 
d'évangélistes  que  la  conférence  a placée  sous  la  direction 
temporaire  de  mon  mari.  Vous  redoublerez  de  prières  pour 
nous,  n’est-ce  pas?  Oh!  comme  nous  sentons  le  besoin  d’être 
soutenus,  dirigés  par  Dieu,  au  commencement  de  cette  nou- 
velle période  de  notre  vie  missionnaire.  M.  Coillard  a écrit  à 
M.  Boegner  les  motifs  de  son  départ  : je  n’y  puis  rien  ajouter. 
Si,  d’un  côté,  nous  sommes  tristes  à la  pensée  de  le  perdre, 
de  vivre  sans  lui  à côté  de  ce  monarque  léger  et  tyran,  nous 
ne  pouvons,  d’un  autre  côté,  que  nous  réjouir  à la  pensée 
qu’un  retour  dans  les  pays  civilisés  peut  procurer  à notre 
cher  doyen,  si  ce  n’est  une  guérison  complète,  du  moins  une 
existence  supportable.  Ses  souffrances  ont  été  continuelles 
depuis  deux  mois,  et  sa  vie  nous  fait  penser  au  martyre.  » 

Parlant  de  la  conférence,  madame  Jalla  ajoute  : « Nous 
avons  eu  un  beau  mois  de  septembre...  Je  voudrais  pouvoir 

le  faire  revivre  pour  vous Nous  avons  tant  joui  de  nos 

amis  et  frères  du  Bas...  Quelles  bonnes  causeries,  quelles 
charmantes  soirées!..  M.  Coillard  ne  pouvait  pas  toujours 
être  avec  nous,  et  souvent  ses  souffrances  l’ont  retenu  seul 
dans  sa  chambre  ou  sur  son  lit.  Nous  avons  réalisé  une  fois 


78 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


de  plus  combien  il  est  doux  pour  des  frères  de  se  retrouver 
ensemble,  et  nous  nous  sommes  séparés  le  cœur  gros.  » 

M.  L.  Jalla  écrit  de  son  côté  : «Nous  sommes  en  pleins  em- 
ballages. Nous  attendons  M.  Coillard  la  semaine  prochaine, 
et  comme  la  pluie  semble  devoir  tomber,  nous  pourrons 
peut-être  partir  aux  premiers  jours  de  décembre  pour  Bulu- 
wayo.  Je  ne  quitterai  pas  notre  cher  doyen  en  route  ; il  est 
trop  peu  bien.  Il  ne  va  pas  mieux  qu’en  septembre.  Si  les 
Mercier  sont  encore  à Paris  à l’arrivée  de  ces  lignes,  je  vous 
prie  de  les  faire  partir  immédiatement  pour  Maféking  tout 
droit.  Nous  sommes  tous  bien;  nous  avons  eu  de  grandes 
anxiétés  pour  notre  dernier  enfant,  et  l’enfant  de  John.  Dieu 
nous  les  a rendus,  dans  sa  bonté.  Est-il  donc  possible  que 
dans  environ  trois  mois  d'ici  je  puisse  être  auprès  de  vous?  » 
Nos  lecteurs  savent  quel  deuil  assombrira  le  retour  de 
M.  Jalla  en  Europe  : il  trouvera  vide,  au  foyer  paternel,  la 
place  de  cette  mère  qu’il  se  réjouit  tant  de  retrouver...  Nos 
amis  l'entoureront  de  leur  sympathie  dans  cette  grande 
épreuve.  Quant  à l’époque  de  son  retour,  nous  ne  croyons 
pas  qu’elle  puisse  précéder  de  beaucoup  le  milieu  du  mois  de 
mars.  D après  les  instructions  qu’il  trouvera  à son  arrivée  à 
Maféking,  terme  actuel  du  chemin  de  fer,  M.  Jalla  devra  y 
attendre  nos  amis  Mercier  et  ne  se  séparer  d’eux  qu’après 
avoir  dûment  organisé  leur  voyage. 

RÉCIT  DU  VOYAGE  DE  MM.  DAVIT  ET  BOITEUX  (1) 

Extraits  de  lettres. 

« Il  y a dix  jours,  écrivait  M.  Boiteux  à la  date  du  4 août, 
que  nous  sommes  arrivés  au  terme  de  notre  long  et  pénible 
voyage.  » 


(i)  Voir  le  Jounal  des  Missions , année  1895,  pages  477  et  506. 


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Puis  il  continue  en  expliquant  comment  lui  et  son  compa- 
gnon, M.  Davit,  ont  dû  se  séparer  à Mangwato,  celui-ci  étant 
obligé  d’attendre  des  caisses  en  retard,  tandis  que  lui-même 
était  pressé  d’arriver  au  but  avec  les  évangélistes  Théo- 
dore et  Alitha  sa  femme,  Aarone  et  Alina  sa  femme  et  leur 
enfant.  Mais  il  a subi,  en  chemin,  mille  contretemps  : d’une 
part,  la  mauvaise  volonté  du  driver  (1)  qui,  de  plus,  ne  con- 
naissait pas  la  route  et  finit  par  les  abandonner  seuls,  un  beau 
matin;  de  l’autre,  la  maladie  grave  du  leader,  qui  nous  est 
racontée  dans  les  lignes  suivantes  : 

«...  Nous  étions  à peine  en  route  depuis  huit  jours,  lorsque 
notre  leader  se  plaignit  de  douleurs  dans  tout  le  corps.  Le 
surlendemain,  son  corps  se  couvrait  de  milliers  de  boutons, 
et  je  voyais  un  varioleux  pour  la  première  fois.  Vous  devinez 
quelle  perplexité  fut  la  nôtre  ! On  nous  conseillait  d’abandonner 
le  pauvre  garçon  dans  quelque  endroit  où  il  y aurait  de  l’eau, 
en  lui  laissant  un  peu  de  nourriture;  mais  nous  ne  pûmes 
nous  y résoudre.  Nous  l’installâmes  de  notre  mieux  sur  la 
caisse  du  wagon,  le  séparant  un  peu  de  l'intérieur  par  une 
toile  tendue.  Sa  maladie  dura  un  bon  mois.  Il  en  réchappa, 
les  yeux  même  intacts,  grâce,  je  pense,  à de  fréquents  lavages 
au  sublimé,  grâce  surtout  à Dieu  qui  le  garda... 

«...  C’était  le  2 juillet,  nous  allions  nous  remettre  en  route 
(sans  driver  1)  après  deux  ou  trois  jours  de  repos,  et  franchir 
un  immense  espace  sans  eau,  lorsque  arrivèrent  trois  voya- 
geurs, dont  un  me  remit  un  billet  envoyé  par  Davit  et  daté 
ainsi  : 

a 29  juin,  dans  le  désert  et  la  désolation.  » 

Son  driver  et  son  leader , me  disait-il,  étaient  également  in- 
capbles,  et  il  me  suppliait  de  lui  envoyer  du  secours.  Vous 
dire  mon  embarras  serait  difficile  ! Mes  bœufs  étaient  fatigués 


(1)  On  appelle  driver  et  leader  les  deux  hommes  qui  sont  indispensa- 
bles pour  conduire  un  attelage  de  bœufs.  Le  premier  tient  le  fouet  et 
excite  l’attelage;  le  seeond  se  tient  à la  tête  du  convoi  et  le  conduit. 

(Réd.) 


80 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


et  avaient  déjà  mille  peines  à traîner  mon  lourd  wagon  ; je 
ne  pouvais  songer  à leur  faire  rebrousser  chemin...  D’autre 
part,  pouvais-je  laisser  Davit  sans  réponse?...  Je  demandai 
donc  à ma  femme  de  me  laisser  aller  le  rejoindre  tan- 
dis qu’elle  continuerait  la  route  en  avant  avec  le  reste  de 
l’expédition.  Elle  y consentit  courageusement,  mais  non  sans 
émotion.  Je  pris  du  pain,  un  peu  de  viande  et  de  lait,  et,  la 
carabine  sur  l’épaule,  je  partis,  accompagné  d’un  de  nos  gar- 
çons. 

a Les  messagers  ayant  mis  deux  jours  et  demi  à nous  re- 
joindre, je  pensais  qu’en  deux  jours  au  plus  nous  aurions 
retrouvé  Davit  qui,  pendant  ce  temps,  avait  dû  avancer  un 
peu  à notre  rencontre.  Le  soir  du  premier  jour,  après  avoir 
marché  cinq  heures,  nous  nous  arrêtâmes  pour  préparer  notre 
lit.  Ce  fut  vite  fait  : la  terre  nue  à côté  d’un  grand  feu  devait 
me  tenir  lieu  de  matelas.  Je  le  trouvai  dur  et  surtout  froid, 
car  nous  étions  ën  hiver  et  la  glace  s’était  montrée. 

« Le  lendemain  nous  croisâmes  deux  voyageurs  venant  de 
Baluwayo,  auprès  de  qui  nous  nous  informâmes  des  wa- 
gons cherchés;  mais  ils  n’en  savaient  rien.  Cette  nouvelle 
m’émut  beaucoup,  car  notre  provision  de  pain  touchait  à sa 
fin!  Aussi  ce  jour-là  ne  mangeai-je  rien  du  tout.  Mon  garçon 
en  fut  tout  troublé,  et  il  le  témoignait  par  un  de  ces  claque- 
ments de  palais  qui  expriment  chez  le  noir  de  la  contrariété 
ou  de  la  peine.  Vers  le  soir,  un  nuage  de  poussière  signala 
l’arrivée  d’un  wagon.  C’étaient  des  Anglais  à qui,  dans  mon 
mauvais  langage,  je  demandai  quelque  nourriture.  J’étais  un 
peu  honteux  de  mendier  ainsi,  mais  j’avais  faim,  et  mon  gar- 
çon aussi.  Ils  me  donnèrent  la  moitié  d’un  gros  pain  tout 
frais,  dont  nous  dévorâmes  aussitôt  un  morceau  énorme.  Il 
était  5 heures,  nous  ne  pouvions  songer  à aller  plus  loin  ce 
jour-là. 

« Nous  avions  tant  espéré  que  la  nuit  ne  tomberait  pas 
avant  que  nous  eussions  rencontré  Davit  ! Mais  le  lendemain' 
il  fallut  encore  reprendre  notre  marche.  Je  commençais  à me 
demander  avec  une  vraie  angoisse  si  nous  suivions  la  bonne 


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route  et  si  nous  rencontrerions  jamais  mon  camarade.  Et  il 
ne  nous  restait,  de  nouveau,  plus  de  pain!...  Sur  le  soir,  ce- 
pendant, nous  atteignîmes  un  village  de  Masaroas  (Bushmen) 
situé  près  de  l’eau,  et,  à force  de  faire  des  questions,  nous 
comprîmes  que  le  wagon  de  Davit  n’était  pas  loin.  Je  me 
hâtai  de  décharger  ma  carabine  pour  avertir  mon  ami  de  notre 
voisinage.  Ces  détonations  successives  se  produisant  sans  que 
j’eusse  à recharger  mon  arme,  étonnèrent  ces  pauvres  gens, 
a Voyez,  leur  dis-je,  je  pourrais  tirer  sur  vous  tous  succes- 
sivement; mais  je  suis  un  missionnaire  et  je  viens  vous  dire 
que  Dieu  vous  aime,  et  je  vous  tends  la  main  comme  à des 
frères.  » A ces  mots,  le  plus  considéré  d’entre  eux  prit  la 
mienne  avec  confiance,  et  j’en  vis  un  autre  qui  s’éloignait.  — 
Celui-là,  pensai-je,  en  a assez  de  mon  pauvre  discours...  car 
il  faut  vous  dire  que  je  sais  à peine  quelques  mots  de  leur 
langue...  Mais  non,  au  bout  d’un  moment,  il  revenait  avec  un 
gros  morceau  d’antilope  fraîchement  tuée,  qu’il  me  donna... 
Je  l’aurais  bien  embrassé  ! Ce  brave  Masaroa,  d’une  tribu 
universellement  méprisée,  il  se  montrait  donc  le  plus  géné- 
reux de  tous  !... 

« J’attendis  jusqu’à  11  heures  du  soir,  mais  Davit  n’arrivait 
toujours  pas.  Cette  attente  dura  encore  jusqu’au  milieu  du  len- 
demain. Oh!  que  les  heures  me  parurent  longues  durant  cette 
nuit  et  cette  demi-journée!...  L’antilope  grillée  me  parut  dé- 
licieuse; mais  mon  estomac  détraqué  par  le  jeûne  n’en  put 
supporter  beaucoup.  Davit,  heureusement,  finit  par  arriver, 
et  son  pain  me  rendit  un  peu  de  force. 

« Malgré  la  fatigue,  nous  causâmes  tard  dans  la  nuit,  au- 
près du  feu.  Nous  avions  tant  à nous  raconter!  Nous  restâmes 
ensemble  deux  jours  et,  après  nous  être  reposés  et  avoir 
donné  à Davit  toutes  les  indications  nécessaires  au  voyage 
qu’il  poursuivait  derrière  nous,  nous  repartîmes.  C’était  le 
dimanche  soir,  et  le  lendemain,  après  avoir  marché  tout  le 
jour  et  une  bonne  partie  de  la  nuit,  nous  nous  retrouvâmes 
au  point  d’où  nous  étions  partis  huit  jours  auparavant.  Ah  ! 
qu’il  me  parut  triste  de  ne  plus  y retrouver  ma  chère  femme! 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Où  était-elle?  Gomment  son  voyage  se  poursuivait-il?  Avait- 
elle  trouvé  de  l’eau?.,,  La  fatigue  nous  retint,  le  lendemain 
matin,  un  peu  plus  longtemps  que  je  n’en  avais  eu  le  projet, 
et,  à peine  avions-nous  marché  une  heure  que  mon  boy  me 
montra  avec  épouvante  des  traces  toutes  fraîches  sur  le  sol... 
Ainsi  donc,  si  j'étais  parti  plus  tôt,  comme  je  le  voulais,  nous 
nous  serions  trouvés  en  face  du  terrible  roi  du  désert!  Ainsi 
Dieu  veillait  sur  nous  ! Malgré  ce  sentiment  réconfortant,  je 
ne  pus  m'empêcher  d’avoir  un  frisson  ; d’autant  plus  que  la 
route  était  bordée  de  hautes  herbes  touffues...  Qui  sait  si  le 
lion  n’était  pas  encore  caché  par  là?  Nous  avançâmes  avec 
précaution,  le  soleil  était  de  feu.  Pour  étancher  la  soif  qui 
nous  dévorait,  nous  buvions  de  temps  à autre  une  goutte 
d’eau  de  nos  gourdes.  A midi,  tout  était  vide,  et  lorsque, 
après  trois  heures  de  marche,  nous  arrivâmes  à un  étang,  il 
était  à sec  ! Et  nous  étions  à dix  heures  de  marche  de  la  pro- 
chaine eau  !... 

« Nous  essayâmes  de  réparer  un  peu  nos  forces  épuisées 
en  avalant  quelques  bouchées  de  pain,  mais  elles  s’arrê- 
taient à notre  gosier  desséché,  et  nous  passâmes  une  nuit 
terrible.  Oh!  mon  Dieu,  m’écriai-je,  en  reprenant  notre 
marche  le  lendemain  matin,  toi  qui  nous  as  donné  du  pain 
alors  que  nous  mourrions  de  faim,  ne  nous  donneras-tu  pas 
de  l’eau  alors  que  nous  périssons  de  soif?...  A peine  avais-je 
prié  ainsi,  que  nous  vîmes  apparaître,  à un  contour  du  chemin, 
les  mêmes  hommes  qui,  huit  jours  auparavant,  nous  avaient 
déjà  sauvé  la  vie.  Ils  nous  versèrent  de  l’eau  en  abondance, 
et  nous  bûmes  avec  délices...  Mais  ce  nouveau  témoignage  de 
la  bonté  de  Dieu  me  rendait  confus,  et  je  pleurai  de  gratitude! 
Je  venais,  d’ailleurs,  de  recevoir  un  billet  de  ma  femme, 
qui  me  racontait  les  péripéties  de  leur  voyage,  le  manque 
d’eau,  le  rugissement  du  lion,  etc.,  etc...  Bref,  le  lendemain 
nous  étions  réunis,  et,  le  26,  nous  arrivions  à Kazungula  : 
nous  avions  mis  dix  semaines  à faire  un  trajet  que  les  trains 
de  France  accomplissent  en  dix-sept  heures!  Mais  quel  bon- 
heur ce  fut  de  recevoir  le  bon  accueil  du  missionnaire 


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M.  L.  Jalla,  bien  triste,  pourtant,  du  départ  de  son  cher  petit 
Edouard.  Vous  savez  que  nous  restons  à Kazungula,  tandis 
que  Davit  va  à Séfula.  Nous  devons,  avant  tout,  nous  occuper 
d’apprendre  la  langue.  .«  E.  B.  » 


CONGO  FRANÇAIS 

LA.  MORT  DE  M.  JACOT 

Sa  dernière  lettre  et  son  dernier  appel.  — Sa  fin.  — Son  œuvre. 

— Les  besoins  de  la  mission  du  Congo. 

Les  derniers  courriers  du  Congo  nous  ont  enfin  apporté  les 
détails  si  longtemps  attendus  sur  la  mort  de  l’excellent  mis- 
sionnaire que  nous  avons  perdu.  Ils  nous  ont  apporté  aussi 
une  lettre  de  lui,  lettre  que  la  mort  l’a  empêché  d’achever,  et 
qui  constitue  par  là  même  le  plus  émouvant  et  le  plus  sérieux 
des  appels.  Nous  publions  cette  lettre  sans  y rien  changer  et 
en  la  complétant  par  celles  que  madame  Jacot  et  M.  Haug 
nous  ont  adressées  les  jours  suivants. 

La  dernière  lettre  de  M.  Jacot. 

Lambaréné,  le  24  octobre  1895. 

Cher  monsieur  Boegner, 

Depuis  la  dernière  fois  que  je  vous  ai  écrit,  au  commence- 
ment d’août,  je  crois,  je  n’ai  rien  de  brillant  à vous  annoncer. 
Vers  la  fin  de  ce  mois,  comme  nous  étions  sur  le  point  de 
nous  embarquer  en  famille  pour  Talagouga,  tant  pour  nous 
reposer  nous-mêmes  que  pour  donner  un  coup  de  main  d’en- 
couragement à nos  amis  Forget  et  Gacon,  ma  femme  fut  prise 
d’un  fort  accès  de  fièvre  qui  nous  contraignit  de  renvoyer  notre 
voyage.  Le  deuxième  jour  je  fus  pris  à mon  tour  et,  pendant 
une  semaine,  nous  avons  été  malades  ensemble,  de  sorte  que 
M.  Haug  fut  contraint  de  venir  s’installer  deux  jours  chez 
nous  pour  nous  soigner.  Le  11  octobre  nous  avons  pu  enfin 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


monter  à Talagouga,  mais  à peine  arrivés,  le  troisième  jour, 
je  fus  pris  de  violents  frissons.  Bientôt  les  symptômes  de  la  bi- 
lieuse hématurique  parurent,  mais  heureusement  ne  durèrent 
pas  longtemps.  Le  docteur  Pélissier,  de  N’Djolé,  vint  et  pres- 
crivit les  remèdes  usuels,  en  somme  le  traitement  qu’on 
m’avait  fait  suivre  sur  la  Minerve , lors  de  mon  premier  dé- 
part. La  fièvre  baissa  peu  à peu,  et  lorsque  YÉclaireur  re- 
monta de  nouveau,  le  27,  je  pouvais  rester  assis  un  moment. 
J’aurais  bien  voulu  rester  encore  une  ou  deux  semaines  afin 
de  me  remettre  davantage,  mais  au  reçu  de  la  lettre  de  Haug, 
qui  ne  savait  plus  où  donner  de  la  tête  avec  tout  le  travail  et 
surtout  les  soucis  de  la  station,  il  n’y  avait  pas  à hésiter.  On 
me  transporta  en  hamac  sur  le  vapeur,  et  nous  sommes  ar- 
rivés sains  et  saufs  à Lambaréné  le  samedi  soir.  Heureuse- 
ment que  nous  étions  descendus,  car  le  mercredi  suivant, 
avant  que  je  pusse  encore  sortir,  Haug  fut  pris  d’une  violente 
fièvre,  qui  ne  voulait  pas  cédera  la  quinine.  Enfin,  comme  je  ne 
pouvais  descendre  assez  souvent  pour  le  soigner,  nous  l’avons 
engagé  à se  faire  transporter  chez  nous.  Une  dose  d’antifé- 
brine  accomplit  ce  que  la  quinine  n’avait  pu  faire,  et  au  bout 
de  deux  ou  trois  jours  il  put  retourner  chez  lui. 

L’époque  des  communions  approchait,  de  nouveau  ren- 
voyées d’un  mois  afin  de  permettre  notre  petite  visite  à 
Talagouga.  J’étais  encore  faible,  mais  au  lieu  de  faire  une 
grande  tournée  de  douze  jours,  en  prêchant  une  quarantaine 
de  fois,  comme  je  fais  d’habitude,  je  pensais  aller  tout  tran- 
quillement à Igenja  faire  les  baptêmes  et  les  services  stricte- 
ment nécessaires.  Même  ce  simple  plan,  je  n’ai  pu  l’exécuter. 
À peine  arrivé  à Wombolia,  où  j’ai  fait  halte  pour  midi,  j’ai 
senti  venir  la  fièvre,  et,  bien  à contre- cœur  je  vous  assure, 
j’ai  donné  l’ordre  à mes  pagayeurs  de  rebrousser  chemin. 
Nous  sommes  arrivés  à la  maison  à 8 heures  du  soir,  et  je 
n’ai  eu  qu’à  me  féliciter  de  n’avoir  pas  continué  mon  voyage. 
De  nouveau  je  devenais  jaune  jusqu’au  blanc  des  yeux,  et,  crai- 
gnant une  rechute  de  ma  bilieuse  hématurique,  ce  qui  n’eût 
pas  manqué  d’être  grave,  nous  décidâmes  qu’il  valait  mieux 


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partir  par  la  première  occasion  pour  le  cap  Lopez  ou  Libre- 
ville, espérant  qu'un  changement  d’air  ferait  du  bien.  Mais  la 
Moëve , sur  laquelle  nous  comptions  et  qui  était  attendue 
chaque  jour,  ne  vint  pas,  n’est  pas  encore  venue  ; il  ne  se 
présenta  pas  d’autre  occasion,  et  nous  avons  considéré  cela 
comme  un  indice  de  la  volonté  du  Maître.  Nous  restons;  et 
autant  il  m’en  avait  coûté  de  laisser  Haug  tout  à fait  seul, 
autant  suis-je  content  de  pouvoir  rester  et  de  le  seconder,  si 
je  ne  puis  faire  davantage. 

Ces  derniers  jours  ont  été  bien  semblables  aux  autres. 
Haug  a de  nouveau  eu  la  fièvre  en  même  temps  que  ma 
femme.  Hier  ils  étaient  remis,  mais  c’était  à mon  tour  à me 
mettre  au  lit.  Edmond  a aussi  eu  plusieurs  accès,  le  dernier 
étant  d’hier.  Vous  le  voyez,  depuis  un  ou  deux  mois,  nous  vi- 
vons comme  dans  un  hôpital,  et  notre  pauvre  œuvre  en 
souffre.  Haug  a renvoyé  bon  nombre  de  ses  élèves,  afin  de 
simplifier  son  travail  et  de  pouvoir  faire  une  partie  du  mien. 
Grâce  à Dieu,  les  fièvres  se  sont  en  quelque  sorte  alternées, 
et  nous  avons  pu  l’un  ou  l’autre  faire  le  strict  nécessaire. 

Je  ne  sais  à quoi  attribuer  ce  mauvais  état  de  santé  général. 
Les  Forget,  surtout  M.  Forget,  sont  très  souvent  malades. 
Les  Gacon  sont  au  Cap  depuis  six  semaines.  Il  est  vrai  que 
c’est  le  mauvais  moment  de  l’année,  le  commencement  des 
pluies;  mais,  à part  cela,  la  saison  doit  être  particulièrement 
mauvaise. 

Si  j’entre  dans  tous  ces  détails,  cher  monsieur,  ce  n’est 
pas,  croyez-moi,  pour  me  plaindre,  et  encore  moins  pour 
rendre  notre  situation  intéressante  (elle  l’est  assez  peu), 
mais  c’est  pour  souligner  une  fois  de  plus  nos  demandes  pour 
du  renfort.  Trois  missionnaires  desservant  la  station  de  Lam- 
baréné  équivalent  à un  effectif  de  deux  missionnaires  seule- 
ment, puisqu’il  y en  a presque  toujours  un  en  congé  ou  en 
voyage  de  santé.  Or,  deux  missionnaires  ne 'peuvent  pas  suf- 
fire à la  tâche  actuelle;  ils  s’y  épuisent  quand  ils  ne  succom- 
bent pas.  Il  n’est  pas  question  ici,  notez-le  bien,  d’un  agran- 
dissement de  notre  activité,  mais  simplement  de  la  conser- 

7 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


vatioQ  de  la  santé  et  des  forces  des  missionnaires  qui 
travaillent  à ce  qui  a déjà  été  commencé. 

Si,  il  y a une  quinzaine  de  jours,  j’avais  eu  une  rechute 
grave  de  ma  fièvre  bilieuse  hématurique,  malgré  tout  mon 
regret  de  laisser  mon  œuvre  en  plan,  et  encore  plus  celui  de 
laisser  Haug  seul  sur  la  station,  j’estimerais  une  folie  que  de 
prolonger  plus  longtemps  mon  séjour  ici,  et  vous  auriez  reçu 
un  télégramme  annonçant  mon  départ  et  demandant  du  ren- 
fort. Le  Seigneur  n’a  pas  permis  que  notre  foi  fût  ainsi  mise 
à l’épreuve,  mais  je  cite  ce  cas  pour  vous  montrer  ce  qui  peut 
arriver  d’un  moment  à l’autre  lorsqu’on  n’est  que  deux  sur 
notre  station.  Ailleurs,  cela  n’aurait  pas  les  mêmes  inconvé- 
nients, et  l’on  pourrait  à la  rigueur  simplement  fermer  la  sta- 
tion. Ici  ce  serait  un  grand  pas  en  arrière.  Pour  le  Congo,  on 
est  obligé  de  compter  avec  un  climat  traître,  et  il  faudrait  que, 
au  moment  où  cela  devient  nécessaire,  un  missionnaire  ma- 
lade ou  convalescent  pût  quitter  son  poste  sans  arrière-pensée 
et  aller  prendre  du  repos  soit  à la  côte,  soit  en  faisant  un 
petit  voyage  sur  mer.  Dans  notre  situation  actuelle  ce  serait 
bien  difficile  et  bien  pénible  pour  celui  qui  reste,  surtout  si, 
comme  Haug,  il  n’a  pas  même  une  femme  pour  le  soigner. 

Une  autre  considération  qui  ne  doit  pas  être  sans  poids  au 
point  de  vue  de  l’économie,  c’est  que  le  nouveau  missionnaire 
arrivant  ici,  par  le  fait  que  le  travail  matériel  nécessaire  se 
fait  déjà  par  ses  collègues,  aurait  les  coudées  tout  à fait 
franches  pour  se  livrer  au  vrai  travail  de  la  mission,  et  par 
cela  même  il  augmenterait  notre  force  effective,  non  pas  du 
quart,  mais  bien  du-tiers  ou  davantage.  De  plus,  étant  donnés  les 
frais  courants  élevés  de  la  station  pour  personnel,  écoles,  etc., 
son  traitement  n’augmenterait  pas  de  beaucoup  le  chiffre 
total  de  notre  budget,  tandis  que  sa  présence  et  son  travail 
augmenteraient  très  sensiblement  le  rendement  de  notre  ac- 
tivité. 

Je  sais  que  les  membres  du  Comité  ne  s’arrêteront  pas  trop 
à la  question  des  frais  du  moment  qu’il  s’agit  d’entrer  dans 
une  voie  que  Dieu  nous  indique.  La  plus  grande  difficulté,  c’est 


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de  trouver  l’ouvrier;  mais  je  vous  prie,  cher  monsieur, 
tout  en  envoyant  des  renforts  à d’autres  champs,  qui  en  ont 
besoin  pour  s'étendre,  de  ne  pas  oublier  notre  pauvre  Lamba- 
réné,  qui  est  moins  connu,  mais  qui  en  a encore  plus  besoin 
pour  poursuivre  la  tâche  qui  lui  est  échue  (1). 

Lettre  de  madame  Jacot. 

Lambaréné,  29  octobre. 

Cher  monsieur  Boegner, 

Oui,  « notre  pauvre  Lambaréné!  » C’est  plus  que  jamais  le 
cas  de  le  dire,  maintenant  qu’elle  est  glacée  par  la  mort,  la 
main  de  celui  qui  traçait  ces  lignes.  Il  nous  laisse  pleins  de 
tristesse,  moi-même  anéantie,  la  station  entière  sous  un 
voile  de  deuil.  Il  était  d’une  si  forte  constitution  que  nous 
étions  loin  de  nous  douter,  lui  le  premier,  que  l’issue  de  cette 
fièvre  serait  fatale.  Hier  encore  il  me  disait  que  tout  son  désir 
serait  de  vivre  encore  ; il  lui  tardait  de  partir  pour  aller  se 
remettre  à Libreville,  sur  la  Minerve  (bateau  hôpital).  Mais 
le  Seigneur  avait  en  vue  quelque  chose  de  meilleur  pour  son 


(1)  Nous  trouvons  parfaitement  justifiée  la  demande  de  M.  Jacot,  si 
douloureusement  soulignée  par  sa  mort.  Nous  tenons  à faire  remarquer 
à nos  amis  qu’il  n’a  pas  dépendu  de  nous  de  renforcer  la  mission  du 
Congo  plus  qu’elle  ne  l’a  été  ces  derniers  temps.  La  mort  a repris  deux  des 
ouvriers  qui  y travaillaient.  Des  raisons  de  santé  ont,  d’autre  part,  re- 
tenu en  Europe  deux  candidats  sérieux  : un  missionnaire  médecin  etuD 
aide-missionnaire,  tous  deux  mariés  et  qui,  l’un  et  l’autre,  aspiraient  de- 
puis longtemps  à travailler  au  Congo.  Enfin,  comme  nous  le  disions  il 
y a un  mois,  un  élève  missionnaire  qui  s’était  présenté  pour  ce  champ 
de  travail,  a été  écarté  après  examen  médical.  On  voit  que,  s’il  n’avait 
tenu  qu’à  nous  et  aux  hommes  de  bonne  volonté  partis  pour  le  Congo  ou 
prêts  à s’y  rendre,  cette  mission  compterait  plus  du  double  de  son  per- 
sonnel d’aujourd’hui.  Ajoutons  qu’à  l’heure  présente,  nous  portons  les 
conséquences  du  chiffre  tout  à fait  insuffisant  des  vocations  missionnaires 
et  surtout  des  vocations  missionnaires  françaises.  Cette  disette  d'hommes 
tend  à diminuer,  on  le  sait;  mais  il  s’en  faut  que  nos  Églises  et  nos  fa- 
milles chrétiennes,  dans  leur  généralité,  comprennent  et  accomplissent 
ce  don  entier  d’elles-mêmes  à Dieu  qui  implique,  s’il  le  demande,  le 
don  de  ce  qui  nous  est  plus  cher  que  nous-mêmes,  — de  nos  enfants. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


serviteur  fatigué,  une  place  dans  les  lieux  célestes  au  lieu 
d’un  lit  d’hôpital.  Il  me  dit  hier  : a Je  suis  paisible  ».  Nous 
priâmes  encore  ensemble  au  milieu  de  la  nuit,  et,  comme 
M.  Haug  vous  l’a  sans  doute  écrit,  mon  cher  mari  s’éteignit 
doucement  à 8 h.  1/2  ce  matin  (4).  L’expression  de  son  visage 
est  plus  que  paisible,  elle  est  joyeuse,  il  voyait  certainement 
déjà  la  gloire  du  ciel  au  moment  suprême. 

Quoique  ma  douleur  soit  profonde,  mon  deuil  immense,  je 
suis  heureuse  de  sentir  mon  bien-aimé  à l’abri  désormais  au- 
près de  Jésus,  ce  Jésus  qu’il  a tant  aimé  et  si  bien  servi.  Son 
ambition,  sa  préoccupation  constante  était  de  lui  gagner  des 
âmes.  Il  se  repose  maintenant  de  ses  travaux  dans  un  pays 
salubre , où  la  malaria  est  inconnue.  L’Éternel  l’avait  donné, 
rÉternell’a  ôté,  que  le  nom  de  l’Éternel  soit  béni! 

MM.  Allégret  et  Teisserès  vous  diront  tout  ce  qu’il  était  : un 
vaillant  homme,  un  homme  de  foi  et  de  prière,  une  âme 
transparente  dans  sa  droiture.  Que  Dieu  suscite  à notre  mis- 
sion si  éprouvée  encore  bien  des  ouvriers  tels  que  lui!  Il  m’a 
été  bien  précieux  d’avoir  l’appui  de  M.  Haug  dans  ces  jour- 
nées difficiles.  Les  indigènes  nous  ont  également  beaucoup 
entourés,  et  leur  sympathie  m’est  particulièrement  précieuse. 

Je  ne  suis  pas  encore  fixée  sur  le  moment  du  départ,  crai- 
gnant de  rentrer  en  Suisse  au  cœur  de  l'hiver  avec  mes  petits 
garçons,  dont  le  second  n’a  que  dix  mois.  Que  Dieu  soit  lui- 
même  mon  conseiller! 

Croyez-moi,  cher  monsieur  et  frère,  votre  dévouée  dans  le 
Seigneur,  Hélène  Jacot. 

Lettre  de  M.  Haug. 

Lambaréné,  29  octobre. 

Oui,  cela  est  bien  vrai,  Jacot  aussi  est  mort!  Lui  qui 
représentait  ici  la  tradition  d’ordre,  de  méthode  et  de  piété 
aussi;  lui  que  nous  pouvions  croire  complètement  indis- 


(1)  M.  Jacot  est  donc  mort  le  29  octobre  et  non  le  24,  comme  nous 
l’avons  dit,  il  y a un  mois,  à la  dernière  heure. 


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pensable  à notre  œuvre,  il  ne  nous  soutiendra  plus  par 
son  expérience  et  par  sa  foi!  Seuls,  chacun  dans  sa  station, 
avec  le  poids  écrasant  des  églises,  de  la  comptabilité,  des  ma- 
gasins, de  l’œuvre  scolaire,  des  constructions,  etc.  Seuls,  sans 
l’espoir  d’avoir  du  secours  avant  trois  mois  ou  plus  ! Et  ma 
dame  Jacot,  veuve  d’un  mari  qui  pour  elle  symbolisait  la 
force,  sur  le  point  de  faire  seule,  avec  ses  petits  enfants,  un 
long  voyage  en  mer  pour  arriver  en  Europe  par  les  plus 
grands  froids  ! 

Il  y a six  heures  seulement  qu’il  est  mort  ; le  courrier  part 
demain  matin,  et  il  n’y  en  aura  plus  probablement  avant  un 
mois,  il  faut  donc  que  je  vous  écrive  maintenant  les  détails 
du  malheur  qui  nous  frappe.  Mais  la  tête  me  tourne  encore, 
je  suis  exténué  par  deux  nuits  de  veille  venant  après  deux 
mois  d’un  travail  excessif.  Il  m’est  impossible  de  rassembler 
mes  idées,  et  je  ne  pourrai  que  vous  raconter  d’une  façon  in- 
cohérente les  derniers  événements.  La  lettre  commencée  par 
M.  Jacot,  que  nous  vous  envoyons,  vous  donne  des  nouvelles 
jusqu’au  20  octobre  environ.  Ce  qu’elle  contient  de  demande 
de  renforts,  je  le  signe  absolument.  Il  est  indispensable  que 
nous  soyons  quatre  missionnaires  attachés  à la  station  de 
Lambaréné,  car  l’un  d’eux  sera  toujours  en  congé  de  ma- 
ladie, et  deux  missionnaires  sur  la  station  sont,  l’événement 
le  montre  et  je  le  souligne  trois  fois,  trop  peu  même  pour 
maintenir  l’œuvre  dans  ses  limites  actuelles.  Quant  aux 
hommes  à envoyer,  ils  se  trouveront,  j’en  ai  la  conviction. 
Et  qu’ils  viennent  sans  crainte,  car,  je  le  répète,  on  peut  vivre 
ici,  à la  condition  de  pouvoir  se  ménager. 

Jacot  avait  donc  décidé,  pour  l’œuvre  et  pour  moi,  de  res- 
ter ici  et  de  renoncer  à son  projet  de  voyage.  Quand  la  fièvre 
qui  l’a  emporté  s’est  déclarée,  nous  ne  nous  sommes  pas  in- 
quiétés outre  mesure,  et  ce  n’est  que  sur  le  conseil  du  doc- 
teur Pélissier,  qui  voyait  plus  clair  que  nous,  que  les  projets 
de  départ  ont  été  repris.  Lors  de  cette  visite  du  docteur,  jeudi 
dernier,  Jacot  a encore  pu  se  lever  pour  le  recevoir,  mais 
déjà  la  fièvre  prenait  le  caractère  pernicieux  d’une  bilieuse. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Dimanche,  il  n’a  pas  pu  garder  la  quinine  qu’on  lui  avait 
donnée,  et  nous  avons  dû  songer  aux  injections.  Mais  avant 
de  passer  à ce  moyen  toujours  dangereux,  nous  avons  encore 
recouru  aux  conseils  du  docteur,  encore  en  séjour  ici.  Il  a 
prescrit  des  lavements  nutritifs  additionnés  de  quinine,  et, 
quoiqu’il  prononçât  un  diagnostic  assez  sérieux,  l’espoir  de 
pouvoir  faire  gagner  Libreville  et  l’hôpital  de  la  Minerve  à 
notre  cher  malade  nous  soutenait.  Cet  espoir  est  devenu  une 
quasi-certitude  dimanche  soir,  quand  YÉclaireur  a passé  à 
Lambaréné  montant  à N’Djolé  (ramenant  les  Gacon).  Le  capi- 
taine nous  annonçait  qu’il  passerait  par  notre  bras  de  l’O- 
gôoué  pour  prendre  M.  et  madame  Jacot  à la  station  même, 
et  qu’il  correspondrait  au  cap  Lopez  avec  un  paquebot  par- 
tant le  jour  même  pour  Libreville.  C’était  le  salut,  pensions- 
nous.  Mais,  dans  la  nuit  du  dimanche  à lundi,  les  symptômes 
se  sont  subitement  aggravés  : la  faiblesse  est  devenue  extrême, 
le  pouls  dur  et  fréquent  ; le  malade  est  tombé  dans  un  état  de 
somnolence  presque  continu.  M.  *Manas,  le  chef  de  poste, 
nous  a recommandé  de  pousser  la  dose  quotidienne  de  qui- 
nine au  maximum,  et  m’a  dit,  en  confidence,  « de  prendre 
garde  » . Pendant  la  journée,  un  mieux  sensible  a eu  l’air  de  se 
produire,  la  fièvre  a baissé  et  la  torpeur  a diminué.  C’est  ce 
matin,  à 4 heures,  que  j’ai  commencé  à me  rendre  compte 
que  la  fin  approchait.  La  langue  s’est  embarrassée,  la  stu- 
peur a augmenté  et  la  fièvre  a repris.  A 8 heures,  Jacot 
a essayé  en  vain  de  rendre  la  bile  dont  son  estomac  regor- 
geait, un  terrible  frisson  l’a  agité  et,  une  demi-heure  après, 
il  s’éteignait  presque  sans  agonie. 

L’enterrement  aura  lieu  demain,  devant  tous  les  blancs  de 
Lambaréné  et  une  foule  de  chrétiens  et  de  païens,  Galoas  et 
Pahouins.  Comment  aurai-je  la  force  de  montrer  à tous  ces 
gens  quel  sens  cette  mort  doit  avoir  pour  eux,  moi  dont  la 
foi  est  si  faible  ! 

Seigneur,  aie  pitié  de  moi,  soutiens  le  courage  de  ceux  que 
tu  éprouves  et  soutiens-nous  dans  la  lourde  tâche  que  tu 
mets  devant  nous! 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


91 


Il  m’est  impossible  de  vous  dire  dès  maintenant  ce  que 
nous  perdons  en  Jacot;  je  ne  le  sentirai  que  peu  à peu  et  tous 
les  jours  davantage  quand,  dans  les  difficultés  qui  ne  man- 
queront pas  de  se  produire,  je  n’aurai  plus,  pour  me  con- 
seiller, cette  haute  intelligence  dirigée  par  cette  piété  ardente, 
cette  expérience  profonde  et  ce  tact  admirable  qui  caractéri- 
saient celui  que  nous  avons  perdu. 

Priez  tous  pour  nous,  et  n’oubliez  pas  votre  dévoué 

E.  Haug. 


Encore  quelques  lignes  de  madame  Jacot. 

Lambaréné,  7 novembre  1895. 

Cher  monsieur  Boegner, 

Il  y a maintenant  huit  jours  que  mon  mari  bien  aimé  nous 
a quittés  pour  la  patrie  céleste.  Le  vide  qu’il  fait  dans  notre 
cercle  de  famille  est  immense,  et  l’affliction  est  générale  et 
bien  réelle  chez  les  indigènes.  Nous  ne  pouvons  comprendre 
pourquoi  Dieu  a repris  à Lui  ce  noble  ouvrier  dont  l’unique 
ambition  était  de  gagner  des  âmes  au  Sauveur.  Il  prêchait 
« en  temps  et  hors  de  temps  »,  soit  dans  ses  courses  d’évan- 
gélisation, soit  à la  station  même,  dans  ses  rapports  journa- 
liers avec  grands  et  petits.  Il  possédait  bien  le  mpongoué,  et 
travaillait  avec  acharnement  à l’acquisition  du  pahouin,  dans 
lequel  il  conversait  déjà  librement  sans  interprète. 

A part  l’œuvre  centrale  qu’il  poursuivait  comme  pasteur  et 
missionnaire,  il  n’est  pas  resté  inactif  dans  le  domaine  litté- 
raire. La  traduction  en  mpongoué  du  « Voyage  du  chrétien  », 
celle  d’une  douzaine  de  cantiques  (entre  autres  : « Oh!  que 
ton  joug  est  facile!  » — « J’ai  un  bon  Père...  » — « Reste 
avec  nous,  Seigneur...  » — « Plus  que  vainqueurs  »);  la  ré- 
daction d’un  premier  livre  de  lecture  mpongoué,  voilà  encore 
des  « œuvres  qui  le  suivent  » et  qui  seront,  j’en  suis  sûre,  en 
bénédiction  pour  plusieurs.  Il  avait  également  commencé  un 
vocabulaire  pahouin  qui  contenait  déjà  plus  de  600  mots. 

Et  maintenant,  Dieu  l’a  appelé  à un  service  meilleur  et  plus 


92 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


élevé,  mais  nous  croyons  fermement  que  la  bonne  semence 
répandue  par  lui  dans  les  cœurs  ne  sera  pas  perdue;  elle 
germera  certainement  à la  gloire  de  Dieu. 

M.  Haug  m’a  été  d’un  grand  secours  pendant  ces  jours  dif- 
ficiles; sans  lui,  je  me  serais  sentie  bien  isolée. 

M.  et  madame  Forget  nous  sont  arrivés  samedi  dernier; 
leur  sympathie  m’a  également  été  bien  précieuse.  M.  Forget 
est  reparti  hier  pour  Talagouga,  en  pirogue  ; Madame  restera 
encore  quelque  temps  avec  moi,  je  suis  si  heureuse  de  l’avoir  ! 

Si  ce  n’étaient  mes  enfants,  auxquels  je  me  dois  en  premier 
lieu,  je  resterais  volontiers  au  service  de  la  Société  en  me 
consacrant  à l’école  des  filles.  Plus  tard,  peut-être,  Dieu 
m’accordera-t-il  la  joie  d’y  revenir  moi-même  ou  d’y  envoyer 
un  de  mes  fils,  c’est  là  mon  vœu  le  plus  cher  !... 

Hélène  Jacot. 


DERNIÈRES  NOUVELLES 


Des  lettres  du  Congo  nous  sont  arrivées,  allant  du  8 au 
26  novembre.  Elles  sont  remplies  de  l’émotion  et  des  regrets 
que  cause  à nos  amis  la  mort  de  M.  Jacot,  que  tous  considé- 
raient comme  un  missionnaire  excellent,  d'une  grande  acti- 
vité et  plein  du  désir  de  sauver  les  âmes. 

A Lambaréné,  où  un  si  grand  vide  vient  de  se  faire,  l’œuvre 
se  poursuivra  dans  des  proportions  modestes,  jusqu’à 
l’arrivée  des  premiers  renforts.  M.  Haug  étant  actuellement 
le  seul  missionnaire  de  la  station,  l’œuvre  scolaire  a aussi  dû 
être  forcément  réduite.  A la  nouvelle  de  la  mort  de  M.  Jacot, 
M.  et  madame  Forget  se  sont  aussitôt  rendus  à Lambaréné. 
Madame  Forget  y a prolongé  son  séjour,  tandis  que  M.  For- 
get rentrait  à Talagouga,  où  les  soins  de  la  station  récla- 
maient sa  présence.  Il  nous  informe  que  madame  Jacot,  qui 
s’est  ensuite  rendue  à Talagouga  avec  madame  Forget,  songe 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


93 


à rentrer  en  Europe,  mais  n’a  pu  encore  fixer  la  date  de  son 
départ. 

La  santé  de  tous  nos  ouvriers  était  meilleure  aux  dernières 
nouvelles.  11  y a là,  pour  tous  ceux  qui  aiment  cette  mission, 
un  grand  sujet  de  reconnaissance. 


T AÏ  Tl 

NOUVELLES  DE  M.  ET  MADAME  HÜGUENIN 

Comme  nous  l’avons  annoncé  il  y a un  mois,  M.  et  ma- 
dame Huguenin  ont  quitté  Paris,  dans  la  nuit  du  13  au  14  dé- 
cembre, et  se  sont  embarqués,  quelques  heures  après,  à bord 
du  paquebot  transatlantique  la  Bourgogne.  Ils  sont  arrivés  à 
New-York  le  22  décembre,  et  ont  dû  en  repartir  dès  le  len- 
demain. Le  27  décembre,  ils  arrivaient  à San-Francisco,  d’où 
ils  devaient  repartir,  le  3 janvier,  à bord  du  Tronic  bird,  pour 
Taïti. 

La  traversée  de  l’Atlantique  a été,  nous  disent  nos  voya- 
geurs, très  pénible,  surtout  au  début.  A New-York,  le  temps 
a été  si  court  que  nos  amis  n’ont  guère  pu  profiter  des  lettres 
de  recommandation  que  nous  leur  avions  remises.  A San- 
Francisco,  par  contre,  ils  ont  été  fort  bien  accueillis  par 
M.  le  pasteur  Dupuy,  qui  leur  a prêté  toute  l’assistance  pos- 
sible. Espérons  que  sur  l'Océan  Pacifique  ils  auront  un  voyage 
facile  et  reposant. 


94- 


JOURNAL  DÉS  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


HUDSON  TAYLOR 

et  la  mission  de  la  Chine  intérieure  (1). 


La  guerre  qui,  l’an  dernier,  a mis  aux  prises  la  Chine  et  le 
Japon,  nous  a remplis  de  surprise  et  d’étonnement.  Pour  ceux 
d’entre  nous  — et  c’est  la  grande  majorité  — qui  ne  sont  pas 
exactement  familiarisés  avec  les  choses  de  la  mission  et  de  la 
politique,  la  puissance  militaire  du  Japon,  le  jeu  souple  et 
fort  de  son  administration,  ses  allures  de  nation  civilisée 
constituent  un  problème  des  plus  intéressants.  Qu'est-ce  que 
cette  sorte  de  Prusse  qui  surgit  tout  armée  des  brumes  do- 
rées de  l'extrême  Orient?  Quelles  ont  été  les  causes  de  cette 
soudaine  élévation?  Et  surtout,  quelle  part  revient  à l'Évan- 
gile, aux  missions  chrétiennes  de  cette  transformation?  Ques- 
tion bien  digne  d’occuper  notre  esprit  et  qui  mériterait  à 
elle  seule  une  ample  étude. 

Mais  si  le  Japon  excite  notre  admiration,  la  Chine  — n’est- 
il  pas  vrai?  — nous  inspire  de  la  pitié  et  même  de  la  sympa- 
thie. Elle  n'est  pas,  nous  le  savons,  sans  mériter  le  sort  qui 
l'atteint,  elle  qui  s’est  enfermée  obstinément,  depuis  des  siè- 
cles, dans  le  culte  orgueilleux  de  son  passé,  et  qui  a mis  à 


(1)  L’étude  qu’on  va  lire  est  une  conférence  donnée  en  1895  à l’église 
du  Saint-Esprit.  La  rapidité  avec  laquelle  s’est  effectué  le  départ  de 
M.  Krüger  pour  Madagascar,  et  d’autres  circonstances,  ne  nous  ont  pas 
permis,  jusqu’à  ce  jour,  de  combler  le  vide  laissé  dans  la  rédaction  de 
ce  journal  par  son  absence;  mais  nous  ferons  ce  qui  dépend  de  nous 
pour  que,  dès  le  mois  prochain,  le  programme  que  nous  nous  sommes 
tracé  soit  rempli  dans  la  mesure  du  possible.  ( Rêd.j 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


95 


résister  aux  influences  étrangères  autant  de  soin  que  le 
Japon  en  a pris  à les  rechercher.  Et  néanmoins,  nous  ne  sau- 
rions envisager  ses  malheurs  actuels  sans  compassion.  Notre 
pensée  s'arrête  émue  devant  cet  empire  de  380  millions  d’ha- 
bitants formant,  à lui  seul,  un  quart  du  genre  humain,  et 
nous  nous  demandons  quel  avenir  lui  est  réservé. 

Parmi  ceux  qui  préparent  cet  avenir,  peu  d'hommes  actuel- 
lement vivants  auront  exercé  une  aussi  grande  influence  que 
celui  dont  nous  allons  nous  entretenir  : Hudson  Tay - 
lor  (1).  Lui-même  serait  peut-être  étonné  de  ce  jugement,  tant 
la  pensée  de  jouer  un  rôle  dans  l’histoire,  d’exercer  une  ac- 
tion sociale,  lui  est  étrangère.  Sa  préoccupation,  c’est  le  salut 
des  âmes  par  l’Évangile.  Apporter  aux  Chinois,  le  plus  vite 
possible,  le  pain  de  vie,  tel  est  l’unique  but  de  ses  efforts. 
Mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  que  son  action,  comme 
celle  des  missions  chrétiennes  en  général,  n'ait  pas  des  con- 
séquences incalculables  pour  l’avenir  de  la  Chine.  Saint  Paul 
ne  pensait  guère,  en  portant  l’Evangile  de  Jérusalem  à 
Rome,  que  les  nations  les  plus  fortes  et  les  plus  libres  du 
monde  naîtraient,  des  siècles  après  lui,  de  sa  parole.  En  cela, 
comme  dans  tous  les  ordres,  s’accomplit  la  grande  loi  for- 
mulée par  le  Maître  : « Cherchez  premièrement  le  royaume 
de  Dieu  et  sa  justice,  et  tout  le  reste  vous  sera  donné  par  des- 
sus. » Oui,  tout  le  reste  ; les  missionnaires,  qui  travaillent  à 
sauver  les  âmes,  préparent  le  salut  des  nations. 

Un  mot  encore  avant  d’entrer  en  matière.  Pour  être  com- 
plète, notre  étude  devrait  débuter  par  un  exposé  des  travaux 
des  diverses  missions  à l’œuvre  en  Chine,  lorsque  Hudson 


(1)  Voir,  sur  Hudson  Taylor  et  sa  mission,  le  Journal  des  Missions3 
1894,  p.  90  et  suivantes;  sur  les  Missions  en  Chine,  les  Chroniques  sui- 
vantes : année  1886,  p.  34  et  sniv.;  année  1888,  p.  208;  année  1890,  p.  390,* 
année  1891,  p.  282,  389  et  430;  année  1895,  p.  399  et  suiv. 

Voir  surtout,  sur  notre  sujet  : Story  of  the  China  Inland-Mission  ; par 
Géraldine  Guinness,  2 vol.,  chez  Morgan  and  Scott,  Londres,  et  Allge - 
meine  Missions  Zeitschrift,  Die  China  Inland-Mission , par  P.  F.  Hart- 
mann. 


96 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Taylor  est  entré  en  activité.  Le  temps  nous  manque  pour  cet 
exposé.  Rappelons  seulement,  pour  n’être  pas  trop  incom- 
plet, les  faits  suivants  : en  1865,  année  où  fut  fondée  la  mis- 
sion de  la  Chine  intérieure,  TEvangile  était  représenté,  dans 
l'Empire  du  Milieu,  par  plusieurs  Sociétés,  notamment  la 
Société  de  Londres,  qui  y avait  envoyé  dès  1803  l’un  de  ses 
pionniers,  Robert  Morrison;  la  Société  des  missions  améri- 
caines, dite  American  board;  la  Société  des  missions  de  Bâle; 
la  Société  des  missions  anglicanes;  d’autres  Sociétés  encore. 
De  grands  travaux  avaient  été  accomplis;  des  Eglises,  recru- 
tées par  le  travail  patient  de  la  conversion  individuelle, 
avaient  été  formées.  Mais  ces  efforts  s’étaient  concentrés  sur 
les  provinces  du  littoral  et  voisines  des  ports  ouverts  aux 
Européens  par  les  divers  traités  passés  avec  la  Chine  après 
les  guerres  qui  l’avaient  forcée  à renoncer  à son  isolement. 
L’intérieur  du  pays  restait  inoccupé  et,  à vues  humaines, 
impénétrable.  Sur  les  18  provinces  de  l’empire,  11  restaient 
fermées  à l’Évangile. 


I 

James-Hudson  Taylor  naquit  le  31  mai  1832  à Barnsley, 
dans  le  Yorkshire,  en  Angleterre.  Son  père,  James  Taylor, 
sans  être  lui-même  missionnaire,  avait  consacré  une  partie 
de  sa  vie  à l’évangélisation,  et  prenait  un  grand  intérêt  aux 
missions.  Deux  années  avant  la  naissance  de  son  fils,  il  avait 
eu  entre  les  mains  les  récits  de  voyage  du  capitaine  Basil 
Hall,  qui  avaient  excité  dans  son  esprit  un  vif  intérêt  pour  la 
Chine.  Sa  femme,  madame  Taylor,  était  une  chrétienne  sé- 
rieuse et  distinguée.  L'un  et  l’autre  se  faisaient  du  service  de 
Dieu  une  idée  très  élevée  et  conséquente.  Us  avaient  coutume 
de  répéter  que,  du  moment  qu’un  Etre  tel  que  Dieu  existe,  le 
seul  emploi  raisonnable  et  bon  que  l’on  puisse  faire  de  la  vie 
était  de  se  confier  à Lui  complètement  et  de  se  vouer  tout 
entier  à son  service. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


97 


Malgré  l’influence  que  de  tels  parents  ne  pouvaient  man- 
quer d’exercer,  le  jeune  Hudson  Taylor  n’était  pas  croyant. 
Sous  l’influence  d’amis  incrédules,  il  s’était  peu  à peu  éloi- 
gné de  la  foi;  sa  vie,  sans  être  immorale,  était  mondaine  et 
remplissait  ses  parents  d’inquiétude.  Ils  redoublèrent  de 
prières  à son  sujet,  suppliant  Dieu  de  ne  pas  permettre  que 
leur  fils  unique  fût  définitivement  gagné  par  le  monde. 

Un  jour  que  madame  Taylor  était  en  visite  chez  des  amis, 
elle  se  sentit  invinciblement  poussée  à prier  pour  son  fils. 
Elle  se  retira  dans  sa  chambre,  ferma  sa  porte  et  se  mit  à 
genoux,  résolue  à ne  pas  se  relever  qu’elle  ne  se  sentît  assu- 
rée de  l’exaucement.  Elle  passa  ainsi  plusieurs  heures,  plai- 
dant pour  son  fils  jusqu’à  ce  qu’enfin  il  lui  fût  impossible  de 
prier  davantage  et  qu’elle  se  sentît  forcée  de  louer  Dieu  de 
ce  que,  elle  en  avait  la  certitude  par  le  Saint-Esprit,  son 
vœu  était  accompli. 

Pendant  ce  temps,  que  faisait  le  jeune  Hudson  Taylor?  C’é- 
tait un  jour  de  congé;  il  était  entré  dans  la  bibliothèque  de  son 
père,  feuilletant  des  livres  et  cherchant  ainsi  à occuper  ses 
loisirs.  En  fin  de  compte,  il  trouva  un  traité  religieux  qui  lui 
parut  intéressant.  Il  le  prit  en  se  disant  : « Il  y a sans  doute 
là  une  histoire  précédant  la  morale  de  la  fin.  Je  lirai  l’his- 
toire, mais  je  me  dispenserai  de  la  morale.  » Il  se  mit  donc  à 
lire,  presque  avec  distraction,  lorsque  ses  yeux  tombèrent 
sur  ces  mots  : « L’œuvre  accomplie  de  Christ.  » Ces  mots  le 
frappèrent.  « Qu’est-ce  que  l’auteur  veut  dire  par  là?  » Im- 
imêdiatement,  la  parole  de  Jésus  mourant  sur  la  croix  lui  re- 
vint à l’esprit  : « Tout  est  accompli.  » Et  qu’est-ce  qui  est 
accompli?  se  demanda-t-il  encore.  11  répondit  sans  hésiter  : 
Ce  qui  est  accompli,  c’est  la  rédemption  pleine  et  parfaite, 
la  satisfaction  fournie  pour  nos  fautes,  la  dette  payée,  Christ 
mort  pour  nos  péchés  et  pour  ceux  de  tout  le  monde.  — 
Mais,  poursuivit-il,  si  l’œuvre  est  accomplie  et  la  dette 
payée,  que  me  reste-t-il  à faire?...  Et  en  même  temps,  sous 
l’action  du  Saint-Esprit,  montait  dans  son  cœur,  comme 
une  aube  grandissante,  la  joyeuse  conviction  qu’il  ne  lui  res- 


98 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tait  qu'une  chose  à faire  : tomber  à genoux  et  accepter  ce 
Sauveur  et  son  salut  et  lui  en  rendre  des  actions  de  grâces 
éternelles... 

Ce  que  fut  le  revoir  de  la  mère  et  du  fils,  il  est  plus  facile 
de  l'imaginer  que  de  le  décrire.  « Je  sens  encore,  disait  plus 
tard  Hudson  Taylor,  les  bras  de  cette  mère  bien-aimée  m’en- 
tourant avec  tendresse  lorsque,  quinze  jours  plus  tard,  elle 
revint  et  que  je  lui  dis  le  grand  miracle.  « Je  sais  tout,  mon 
g garçon,  me  dit-elle;  voilà  quinze  jours  que  je  bénis  Dieu 
« de  ce  qui  s'est  passé.  » Et  elle  lui  raconta  tout  : sa  prière, 
l’assurance  qu’elle  avait  eue  d’être  exaucée.  « Vous  convien- 
drez avec  moi,  dit  plus  tard  Hudson  Taylor,  qu’il  serait  bien 
étrange  que  je  ne  crusse  pas  de  tout  mon  cœurau  pouvoir  de 
la  prière.  » 

Yoilà  comment  Hudson  Taylor  fut  converti.  Il  ne  tarda  pas 
à sentir  l’appel  de  Dieu  et  à se  vouer  à son  service.  Ici  en- 
core, il  faut  l’entendre.  « Peu  après  ma  conversion,  dit-il, 
par  une  autre  après-midi  de  congé,  je  me  retirai  dans  ma 
chambre  pour  me  recueillir  en  la  présence  de  mon  Dieu,  lui 
parler  à loisir  de  mes  projets  et  recevoir  ses  directions...  Je 
me  rappelle  encore  avec  quelle  ardeur,  dans  la  joie  de  me 
sentir  un  enfant  de  Dieu,  je  lui  répétais  mon  amour  pour  Lui, 
qui  m’avait  sauvé..  Je  le  suppliai  de  me  donner  quelque  chose 
à faire  pour  lui,  quelque  travail  par  lequel  je  pusse  lui 
prouver  ma  reconnaissance.  M’étant  ainsi  consacré  à lui 
sans  réserve,  ayant,  pour  ainsi  dire,  offert  ma  vie,  mon  être 
tout  entier,  sur  l’autel  des  sacrifices,  j’eus  un  sentiment  so- 
lennel de  la  présence  de  Dieu,  en  mèmè  temps  que  la  cer- 
titude que  mon  offrande  avait  été  agréée. 

g Pour  quel  service  Dieu  m’avait-il  accepté?  Je  l'ignorais; 
mais  la  pensée  que  je  ne  m’appartenais  plus  à moi-même  me 
remplissait,  tout  enfant  que  j’étais  encore,  d’une  joie  indi- 
cible, et  ce  sentiment,  qui  ne  m’a  jamais  quitté  depuis,  m’a 
été,  à travers  toute  ma  carrière,  un  soutien  et  une  force 
inappréciables. 

« Quelque  temps  après,  cependant,  la  pensée  que  j’étais 


BIBLIOGRAPHIE 


99 


appelé  à donner  ma  vie  à la  Chine  s’empara  de  mon  es- 
prit... » (A  suivre,) 


BIBLIOGRAPHIE 


Coatteg  populaires  des  Hassoutos,  recueillis,  et  tra- 
duits par  E.  Jacottet. 

1 vol.  in-18,  xxm-292  pages.  — Paris,  E.  Leroux.  Prix  : 5 francs. 

Voici  un  livre  dont  il  faut  remercier  l’auteur.  Grâce  à lui, 
les  savants  qui  s'occupent  d’ethnographie  ou  de  psychologie 
comparée  pourront  faire  la  connaissance  presque  directe 
d’un  peuple  qu’ils  ne  connaissent  guère  et  que  nos  chers  mis- 
sionnaires travaillent  à transformer;  ils  seront  reconnais- 
sants à l’homme  qui  a su,  avec  patience  et  critique,  réunir  ces 
précieux  documents. 

C’est  sans  nul  doute  par  des  triomphes  spirituels  que  la 
mission  doit  se  recommander;  elle  ne  doit  pas  cependant 
négliger  de  rendre  service,  quand  elle  le  peut,  à la  science 
européenne.  Le  cas  si  remarquable  de  M.  Jacottet  montre 
comment  cette  pensée  peut  aller  de  pair  avec  le  zèle  le  plus 
ardent  pour  la  conquête  des  âmes.  C’est  d’ailleurs  pour  se 
mettre  mieux  en  état  de  remplir  ses  devoirs  de  messager  de 
la  Bonne  Nouvelle  qu’il  s’est  attelé  à ce  travail.  Désirant 
apprendre  à fond  la  langue  du  pays,  la  pénétrer  complètement, 
en  explorer  tous  les  détails,  il  s’est  dit  que  le  meilleur  moyen 
était  de  se  faire  raconter  par  des  Bassoutos  des  contes  en 
sessouto.  « Au  point  de  vue  linguistique,  nous  raconte-t-il, 
je  n’ai  eu  qu’à  m’en  féliciter;  j’avais  là,  en  effet,  la  langue 
telle  qu’on  l a toujours  parlée,  sans  aucun  mélaoge  d’élé- 
ments étrangers  ou  d’idées  venues  du  dehors.  » Petit  à petit, 


100 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


il  s’est  laissé  prendre  au  charme  de  ces  naïfs  récits;  il  s’est 
mis  à les  recueillir  avec  amour.  Les  amis  des  Missions  les 
liront  aussi  avec  un  vif  plaisir.  Ils  trouveront  dans  ce  volume 
un  moyen  de  connaître  ce  que  pensaient  et  racontaient  les 
Bassoutos  bien  avant  l’introduction  de  l’Evangile  chez  eux; 
et  il  n'était  que  temps  de  fixer  cette  littérature  parlée. 
Pour  recueillir  ces  récits  populaires,  M.  Jacottet  a dû  s’a- 
dresser aux  vieillards;  les  jeunes  gens  ne  les  savent  plus. 
Encore  quelques  années,  et  il  aurait  été  impossible  de  noter 
ces  échos  mourants  d’autrefois. 

Plaçons  à côté  de  ce  volume  la  brochure  dans  laquelle 
M.  Jacottet  a rassemblé  des  contes  et  des  légendes  du  pays 
des  Ba-Rotsi  (1).  11  les  a recueillis  de  deux  jeunes  Zambéziens 
qui  ont  été  envoyés  au  Lessouto  pour  suivre  les  écoles  de 
notre  mission.  Les  amateurs  de  littérature  populaire  y décou- 
vriront de  vraies  perles.  Et  pour  nous,  tout  ce  qui  nous  révèle 
mieux  l’âme  des  Ba-Rotsi  a un  intérêt  tragique. 

Raoul  Allier. 

(1)  Contes  et  traditions  du  Haut-Zambèze , recueillis  et  traduits  par 
E.  Jacottet.  — Une  brochure  in-8,  45  pages.  — Paris,  E.  Leroux  (extrait 
de  la  Revue  des  traditions  populaires). 


Dernière  heure.  — Le  départ  de  M.  et  madame  Mer- 
cier et  de  M.  Félix  Faure  s’est  effectué  dans  les  meilleures 
conditions  possibles.  A Marseille,  FUnion  chrétienne  a tenu  à 
témoigner  tout  son  intérêt  à M.  .Faure  par  une  réunion  des 
plus  bienfaisantes. 

Vente  annuelle.  — La  vente  en  faveur  des  missions 
aura  lieu  les  mercredi  18  et  jeudi  19  mars  prochain,  à la  Salle 
de  la  Société  d’horticulture,  84,  rue  de  Grenelle.  Les  dons 
peuvent  être  adressés  à madame  Boegner,  Maison  des  Mis- 
sions, 102,  boulevard  Arago,  Paris. 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20093. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


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SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


UN  DANGER 

La  cause  des  missions  fait,  dans  nos  Églises,  d’indéniables 
progrès;  l’accroissement,  si  lent  soit-il,  de  nos  ressources, 
le  chiffre,  moins  insignifiant  qu’autrefois,  des  vocations,  le 
prouvent.  Et  cependant  cette  cause  est  menacée  actuellement 
d’un  danger  que  nous  croyons  devoir  signaler  à ses  amis. 

Ce  danger,  c’est  que  l’intérêt  pour  les  missions  perde  quel- 
que chose  de  son  sérieux  et  de  sa  profondeur  en  se  portant 
moins  sur  ce  qui,  dans  cette  œuvre,  est  essentiel,  et  davan- 
tage sur  ce  qui  est  secondaire  ou  accessoire. 

L’utilité  sociale  du  travail  des  missionnaires,  ses  consé- 
quences pour  la  vie  matérielle,  pour  l’industrie,  pour  le  com- 
merce, ses  rapports  avec  l’exploration  géographique,  avec 
l’expansion  coloniale,  avec  la  politique,  voilà  les  aspects  de 
notre  œuvre  qui  attirent  et  qui  retiennent  aujourd’hui  l’at- 
tention de  beaucoup  d’esprits. 

Est-ce  à tort?  Non,  aussi  longtemps  que  toutes  ces  consi- 
dérations restent  subordonnées  à la  grande  question  centrale 
du  salut  des  âmes  et  du  règne  de  Dieu.  Car  la  vie  humaine 
est  une;  il  n’y  a pas  opposition  entre  les  divers  domaines  où 
mars  1896.  8 


102 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


elle  se  déploie;  l'Évangile  est  un  principe  de  guérison,  non 
seulement  pour  Famé,  mais  aussi  pour  la  vie  extérieure  des 
individus  et  des  nations. 

Où  le  danger  commence,  c’est  quand  l’extérieur  arrive  à 
nous  voiler  l’intérieur;  quand  les  considérations  d’ordre  ma- 
tériel, social,  national,  viennent  à primer  dans  les  esprits  la 
grande  préoccupation  centrale  du  monde  perdu  qu’il  faut  ap- 
peler, par  l’Évangile,  à la  connaissance  du  Dieu  sauveur. 

Mais  ce  danger  possible  est-il  un  danger  réel?  Nous  le  crai- 
gnons, et  nous  manquerions  à notre  devoir  si  nous  ne  le  di- 
sions pas. 

Prenons  un  exemple,  celui  du  rapport  qui  existe  entre 
l’œuvre  des  missions  et  l’expansion  coloniale.  Que  cette  ques- 
tion préoccupe  les  esprits,  rien  de  plus  légitime.  La  Société 
des  missions  a prouvé,  non  pas  seulement  ces  derniers  temps, 
mais  dès  son  origine,  qu’elle  avait  conscience  de  ses  devoirs 
envers  les  indigènes  habitant  les  possessions  lointaines  de  la 
France.  Il  n’est  question  ni  de  contester  ces  devoirs  ni  de 
marchander  à ceux  qui  les  remplissent  notre  vive  sympathie. 
Ils  y ont  tous  les  droits,  et,  ajoutons-le,  ils  en  ont  le  plus 
grand  besoin,  car  aux  difficultés  de  l’œuvre  missionnaire 
viennent  trop  souvent  s'ajouter  pour  eux  des  difficultés  et 
des  amertumes  spéciales,  naissant  de  ceux-là  mêmes  qui  de- 
vraient les  protéger  et  les  soutenir. 

Mais  voici  le  péril  : c’est  de  subordonner  l’essentiel  à l’ac- 
cessoire; c’est  de  voir  dans  l’intérêt  colonial  le  but,  dans  la 
mission  un  simple  moyen  d arriver  au  but.  N’est-ce  pas  ainsi 
que,  pour  quelques  esprits,  tout  au  moins,  les  choses  se  pré- 
sentent aujourd’hui? 

Que  Dieu  nous  garde  de  cet  esprit  ! Car  s’il  venait  à préva- 
loir, ce  qui  serait  compromis,  ce  ne  serait  pas  seulement 
celles  de  nos  missions  qui  se  poursuivent  en  dehors  de  tout 
lien  avec  notre  pays,  ce  seraient  nos  œuvres  coloniales  elles- 
mêmes.  Une  entreprise  religieuse  qui  consent  à ne  plus  être 
que  l’instrument  d’un  intérêt  terrestre,  si  respectable  soit-il, 
cette  entreprise  se  suicide  elle-même  : le  sel  a perdu  sa  sa- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


103 


veur  ; il  n’est  plus  bon  qu’à  être  jeté  dehors  et  foulé  aux  pieds 
par  les  hommes. 

C’est  pourquoi,  plus  que  jamais,  tout  en  acceptant  résolu- 
ment tous  les  devoirs,  anciens  et  nouveaux  que  Dieu  nous 
impose,  inscrivons  sur  notre  drapeau  : « Premièrement,  le 
Règne  de  Dieu  I » 

Mais  proclamer  une  devise,  si  juste  soit-elle,  ne  suffit  pas; 
il  faut  que  cette  devise  soit  une  vérité,  qu’elle  reste  la  règle 
de  nos  actes,  qu’elle  soit  l’inspiration  non  seulement  des  amis 
anciens  qui  n’en  ont  jamais  dévié,  mais  aussi  de  ces  amis 
nouveaux  et  nombreux  que  Dieu  suscite  à notre  œuvre. 

Il  nous  faut  élever  nos  cœurs  à la  hauteur  où  les  place  Jésus 
dans  la  prière  qu'il  nous  a enseignée  : « Ton  règne  vienne , ta 
volonté  soit  faite  sur  la  terre  — sur  toute  la  terre  — comme  au 
ciel.  » Plus,  ici-bas,  dans  le  domaine  des  affaires  terrestres,  les 
horizons  se  rétrécissent  et  les  barrières  s’élèvent,  plus  il  nous 
faut  élargir  nos  horizons  et  ouvrir  nos  âmes  aux  intérêts  gé- 
néraux de  l’humanité.  Jésus-Christ  est  notre  Roi,  la  terre  est 
son  héritage  ; c’est  cet  héritage  qu’il  faut  lui  conquérir  : voilà 
notre  tâche.  Ne  la  rapetissons  pas! 

Nous  appelons  dans  nos  prières  un  temps  où,  aux  discus- 
sions et  aux  agitations  actuelles,  si  souvent  stériles,  succé- 
dera dans  les  âmes  le  réveil  du  zèle  apostolique,  l’esprit  de 
la  sainte  croisade,  non  pas  de  celle  qui  va  conquérir  un  sé- 
pulcre vide,  mais  de  celle  qui,  portant  l’Évangile  aux  extré- 
mités de  la  terre,  prépare  le  retour  glorieux  du  Roi  que  la 
terre  désire  et  que  l’Eglise  sert  dans  l’opprobre  en  attendant 
de  partager  son  triomphe. 

Ce  réveil,  le  verrons-nous?  Ne  le  voyons-nous  pas  déjà 
s’annoncer  à l’horizon?  Cet  intérêt  croissant  manifesté  par 
nos  Eglises;  ces  jeunes  pasteurs  s’associant  pour  travailler  à 
notre  œuvre;  cet  appel  à notre  jeunesse  qui  franchit  les  mers 
et  va  peut-être  amener  à la  mission  des  volontaires  en  grand 
nombre,  n’en  seraient-ce  pas  les  signes  précurseurs? 

Dieu  le  veuille  I — Dieu  le  veut. 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


\ 04 


LES  HOMMES  QU’IL  FAUDRA  POUR  MADAGASCAR 

Plus  nous  avançons,  plus  nous  nous  rendons  compte  que 
la  tâche  qui  s’imposera  au  protestantisme  français  à Mada- 
gascar sera  avant  tout  une  tâche  scolaire.  Quelle  forme  revê- 
tira-t-elle? Sera-ce  l’introduction  d’éléments  français  dans 
les  grandes  écoles  protestantes  existantes?  Sera-ce  la  créa- 
tion d’un  collège  dépendant  directement  de  notre  Société? 
Quoi  qu’il  en  soit,  nous  pouvons  prévoir  dès  aujourd  hui  que, 
d’ici  peu  de  temps,  nous  nous  trouverons  appelés  à fournir 
un  certain  nombre  de  professeurs  français  aux  grandes  écoles 
missionnaires  malgaches.  C’est  à dessein  que  nous  em- 
ployons ce  mot  de  professeur;  il  ne  s’agit  pas,  en  effet,  d’en- 
voyer à Madagascar  de  simples  maîtres  d’école;  les  treize 
cents  écoles  de  la  mission  norvégienne,  les  cent  et  quelques 
mille  écoliers  des  diverses  missions  anglaises  sont  dirigés  par 
des  maîtres  d'école  indigènes,  et,  sans  parler  de  l’impossibi- 
lité où  nous  serions  de  fournir  même  la  dixième  partie  du 
personnel  nécessaire,  ce  serait  suivre  une  marche  rétrograde 
que  de  vouloir  confier  à des  Européens  un  travail  que  les 
forces  indigènes  suffisent  parfaitement  à accomplir. 

Ce  qu’il  faudra  à Madagascar,  ce  sont  des  hommes  ca- 
pables d’instruire,  en  particulier  dans  la  langue  française, 
les  futurs  maîtres  d’école  et  les  futurs  pasteurs  indigènes. 
Ces  hommes,  il  les  faut  naturellement  protestants,  et  bons 
protestants;  mais  il  les  faut  aussi  animés  d’un  véritable  es- 
prit missionnaire,  faute  de  quoi  leur  coopération  avec  l’œu- 
vre de  la  mission  sera  impossible;  enfin,  il  les  faut  très  ca- 
pables, l’expérience  ayant  montré  que  l’emploi,  en  missions, 
d’hommes  insuffisants,  intellectuellement  et  surtout  morale- 
ment et  spirituellement,  peut  faire  un  très  grand  mal. 

Or,  les  hommes  tels  que  ceux  que  nous  venons  de  carac- 
tériser sont  rares  dans  nos  Églises,  et  plus  rares  encore 
ceux  qui,  ayant  les  qualités  et  les  aptitudes  requises,  ont  le 
désir  de  se  consacrer  à l’œuvre  de  Dieu  en  pays  lointain. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


105 


11  importe  donc  que,  dès  à présent,  ceux  qui  ont  à cœur 
l’avenir  des  Églises  et  des  missions  malgaches  se  préoc- 
cupent de  recruter  avec  nous  le  personnel  qui  nous  sera  de- 
mandé, et  nous  adressent,  aussitôt  qu'ils  le  pourront,  les 
candidats  qui,  dans  leur  pensée,  possèdent  les  aptitudes 
nécessaires  pour  l’œuvre  à faire  dans  la  grande  île.  11  faut 
que  ces  candidats  se  mettent  en  rapport  avec  nous,  nous 
fassent  leurs  offres  de  service  et  nous  indiquent  leurs  réfé- 
rences. 11  faut,  en  un  mot,  autant  que  possible,  que  nous 
soyons  prêts  à agir  quand  le  moment  sera  venu. 

Il  va  sans  dire  que  cette  action  elle-même  reste  subor- 
donnée, dans  sa  forme  et  dans  son  étendue,  aux  indications 
que  nous  fournira  l’enquête  actuellement  ouverte;  mais 
l’importance  même  que  nous  attachons  à cette  enquête  nous 
oblige  à ne  rien  négliger  pour  que  l’action  puisse  suivre 
d’aussi  près  que  possible  l’information  (1). 


LE  DERNIER  MOIS  DE  L’EXERCICE 

De  l’emploi  que  nous  ferons  de  ce  mois  dépend  la  question 
de  savoir  si.  oui  ou  non,  nous  aurons,  comme  l’an  dernier,  la 
joie  de  clore  nos  comptes,  le  31  mars,  sans  aucun  déficit. 

La  situation  générale  reste  ce  qu’elle  était  il  y a un  mois. 
Les  recettes  ont  même  un  peu  dépassé  le  niveau  de  l’an  der- 
nier (abstraction  faite  de  la  collecte  pour  le  déficit).  Cepen- 
dant, pour  faire  face  à toutes  les  dépenses  prévues,  il  faut 
que  nous  recevions  encore , d'ici  à la  fin  de  mars , 132,400  francs. 

Quant  aux  recettes  de  la  caisse  du  Zambèze,  elles  conti- 
nuent à présenter  un  retard  considérable  sur  l’an  dernier. 


(1)  Outre  les  forces  enseignantes  dont  nous  venons  de  parler,  il  y aura 
place  aussi  à Madagascar,  sans  aucun  doute,  pour  un  ou  deux  mission- 
naires-médecins et  pour  des  gardes-malades  ou,  peut-être,  pour  des 
diaconesses  françaises. 


106 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Le  49  février,  la  différence  en  moins,  entre  cette  année  et  la 
précédente  était  de  18.400  francs . 

Ces  chiffres  se  passent  de  commentaires;  ils  nous  dispensent 
de  tout  appel.  Nous  n’avons  qu’un  mot  à dire  : que  chacun 
de  nous  fasse  son  possible. 

Et  puis,  quand  nous  aurons  donné  et  fait  donner  dans  la 
mesure  de  nos  forces,  rappelons-nous  qu’il  reste  un  moyen 
d’action,  c’est  de  crier  à Dieu,  de  lui  dire  nos  besoins  et  de 
lui  demander  de  se  glorifier  une  fois  encore  dans  notre  in- 
firmité. 


ARRIVÉE  DE  MADAME  JAGOT 

Partie  du  cap  Lopez  le  5 janvier,  madame  Jacot  est  arrivée' 
le  29  à Bordeaux,  où  elle  a été  reçue  par  M.  Th.  Escande. 
Le  1er  février,  elle  débarquait  à Paris,  accompa’gnée  de  ses 
deux  petits  enfants,  Edmond,  âgé  de  quatre  ans  et  demi,  et 
Roger,  qui  vient  d’atteindre  son  treizième  mois.  C’est  seule- 
ment à son  arrivée  à Bordeaux,  que  notre  sœur  a reçu  les 
témoignages  de  notre  sympathie,  car  les  lettres  qui  lui  ont 
été  écrites  à Lambaréné  ne  sont  pas  arrivées  à temps  pour  lui 
être  remises.  Cela  ne  l’a  pas  empêchée  de  supporter  vaillam- 
ment son  épreuve,  comme  le  montrent  les  lignes  suivantes 
écrites  près  de  Dakar,  à bord  de  la  Ville  de  Macéio  : 

...  « Diverses  raisons  m’ont  poussée  à ne  pas  différer  mon 
départ  de  Lambaréné.  Mais  qu’il  m’a  été  dur  de  le  quitter  et 
de  m’arracher  à la  tombe  de  mon  mari  ! Et  il  semble  que  la 
distance  ne  fasse  qu’intensifier  la  douleur;  c’est  parfois 
terrible,  et  sans  la  prière,  je  ne  sais  ce  que  je  deviendrais. 
Mais  Dieu  est  fidèle,  son  secours  ne  m’a  pas  encore  fait 
défaut  dans  les  heures  où  la  souffrance  est  aiguë,  et  je  puis 
encore  le  bénir  à travers  les  larmes...  » 

Après  avoir  passé  quelques  jours  à Paris,  madame  Jacot 
s’est  rendue  à Sainte-Croix,  dans  sa  famille.  Elle  y restera 


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quelque  temps  et  sera  heureuse  d’accepter  ensuite  l’offre 
qu’un  généreux  ami  lui  a faite  d’aller  séjourner  dans  le  Midi 
pendant  les  derniers  mois  d’hiver.  Ses  enfants,  subitement 
transplantés  d’un  climat  chaud  dans  un  pays  froid  et  en 
plein  hiver,  en  ont  déjà  subi  les  atteintes,  et  c’est  une  vraie 
bonne  fortune  que  de  pouvoir  ainsi  leur  ménager  la  tran- 
sition entre  les  tropiques  et  notre  atmospère  septentrionale. 


NOTES  Dü  MOIS 

Nous  apprenons  avec  une  vive  émotion  que  le  gouverne- 
ment portugais  a décidé  Y expulsion  des  missionnaires  de  la 
Suisse  Romande , travaillant  à la  baie  de  Delagoa  et  dans  les 
environs.  Nous  exprimons  notre  profonde  sympathie  à nos 
frères  et  aux  Églises  qui  les  soutiennent. 

A la  dernière  heure  on  nous  dit  que  l’arrêté  d’expulsion  ne 
vise  qu’un  seul  missionnaire.  MM.  Paul  de  Goulon  et  P.  Ber- 
thoud  sont  allés  à Lisbonne  pour  demander  le  retrait  de 
cette  mesure. 

M.  le  pasteur  Munthe-Kaas , de  Norvège,  a été  délégué  par 
la  Société  norvégienne  des  missions  pour  entretenir  les  chré- 
tiens de  France  des  grands  intérêts  que  cette  Société  possède 
à Madagascar,  où  elle  dirige,  comme  nos  amis  le  savent,  une 
œuvre  prospère.  Il  a indiqué  les  formes  que  pourrait  prendre, 
dans  sa  pensée,  la  coopération  des  Églises  de  France  à l’œu- 
vre de  Madagascar  ; ses  vues  concordent  avec  ce  que  nous 
disons  plus  haut  à ce  sujet. 

M.  Munthe-Kaas  a profité  de  sa  visite  à Paris  pour  voir  le 
président  de  la  République  et  le  ministre  des  Colonies  et  les 
assurer  de  la  pleine  collaboration  que  cette  Société  accordera 
à l’autorité  française  dans  l’œuvre  de  pacification  et  de  civi- 
lisation qu’elle  poursuit  à Madagascar. 


108 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Nous  rappelons  que  la  Vente  annuelle  en  faveur  des  mis- 
sions aura  lieu  les  mercredi  18  et  jeudi  19  mars  prochain,  à 
la  salle  de  la  Société  d'horticulture,  84,  rue  de  Grenelle.  Les 
objets  peuvent  être  adressés  à madame  Boegner,  102,  boule- 
vard Arago.  Les  spécialités  alimentaires  sont  toujours  très 
appréciées.  Nous  espérons  que  les  amis  des  missions  feront 
un  effort  spécial  pour  faire  réussir  cette  vente,  à laquelle 
concourent  tant  de  bonnes  volontés  et  qui  impose  un  si  grand 
travail  aux  dames  organisatrices.  Celles-ci  ont  vu  leurs  rangs 
éclaircis  par  la  mort,  les  deuils  et  la  maladie;  raison  de  plus 
pour  les  aider  de  tout  notre  pouvoir  au  succès  de  la  vente. 

11  y a moins  d’un  an,  nous  recommandions  à nos  lecteurs 
l’excellent  volume  consacré  à la  mémoire  de  M.  Ernest  Dhom- 
bres.  La  première  édition  a été  enlevée  en  peu  de  temps;  nous 
avons  le  plaisir  d’annoncer  que  la  deuxième  édition  va  pa- 
raître un  de  ces  jours. 

Cette  deuxième  édition  De  diffère  que  peu  de  la  première; 
cependant  l’auteur  a pu  y ajouter  divers  faits  intéressant 
l’œuvre  des  missions.  On  trouvera  à la  couverture  les  condi- 
tions de  la  vente  qui  se  fait,  comme  pour  la  première  édition, 
au  profit  des  missions. 

Le  départ  de  M.  Krüger  nous  a obligés,  à notre  grand  re- 
gret, à différer  la  publication  de  Yalbum  du  Zambèze , que 
nous  annoncions  il  y a quelques  mois.  L’album  paraîtra,  si 
rien  ne  s’y  oppose,  avant  la  fin  de  l’année. 

Aux  tournées  que  nous  annoncions  en  décembre  sont  ve- 
nues s’en  ajouter  d’autres.  M.  Teisserès  est  en  ce  moment 
dans  le  Gard  ; de  là,  il  se  rendra  à Montauban,  puis  dans  le 
pays  de  Montbéliard.  M.  Allégret  a visité  la  Normandie  et  il 
a donné  récemment  une  conférence  à Saint-Quentin  et  un 
grand  nombre  de  séances  à Paris.  Mentionnons  enfin  le 
voyage  que  M.  le  pasteur  L.  Monod  a bien  voulu  faire  en 
Angleterre  et  en  Ecosse,  au  lieu  et  place  de  M.  Krüger,  pour 


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plaider  dans  ces  deux  pays  la  cause  des  pasteurs  et  des 
évangélistes  indigènes  du  Lessouto.  M.  Appia,  qui  devait  se 
charger  de  quelques  réunions  à Londres,  ayant  été  retenu 
par  la  maladie,  a été  remplacé  par  le  directeur.  Celui-ci  avait 
eu  l’occasion,  quelques  semaines  auparavant,  de  représenter 
notre  Société  à Nantes. 

Pendant  le  cours  du  mois  de  février,  M.  Donald  Fraser, 
candidat  en  théologie  de  Glasgow , a visité  Paris,  Montauban, 
Lyon,  et  divers  centres  universitaires  de  la  Suisse  française. 
S’adressant  spécialement  aux  étudiants,  il  a cherché  à les 
gagner  à la  cause  du  mouvement  des  volontaires  de  la  mission, 
qui  s’est  produit  et  qui  se  continue  en  ce  moment  dans  les 
collèges  d’Amérique  et  d’Angleterre.  L’avenir  montrera,  nous 
l’espérons,  que  la  visite  de  notre  jeune  frère  n’a  pas  été 
inutile. 

Bien  que  près  de  deux  mois  nous  séparent  encore  de  nos 
réunions  annuelles , rappelons-en  la  date,  quand  ce  ne  serait 
que  pour  engager  nos  lecteurs  à les  préparer  d’avance  par  la 
prière.  Sauf  avis  contraire,  notre  assemblée  générale  aura 
lieu  le  soir  du  jeudi  23  avril,  à l’Église  de  la  Rédemption.  La 
réunion  familière  d’usage  se  tiendra  le  dimanche  suivant, 
dans  l’après-midi,  à la  Maison  des  Missions.  Demandons 
à Dieu  que  d'abondantes  bénédictions  accompagnent  ces 
séances. 


ENTRE  ADEN  ET  MADAGASCAR 

Lettre  de  M.  F.  H.  Kruger. 

Entre  Ajibouti  et  Adeü,  21  janvier  1896. 

Mon  cher  ami, 

La  mer  Rouge  ne  nous  a pas  été  clémente.  Contrairement 
à toutes  les  traditions,  le  ciel  est  resté  couvert  et  la  mer 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


secouée;  restait  la  chaleur  humide  dont  nous  ressentions 
doublement  le  poids. 

Il  s'ensuit  que  je  dispose  de  quelques  heures  seulement 
pour  liquider  la  correspondance  de  près  d’une  semaine.  C’est 
demain  matin  qu’on  remet  les  lettres  à Aden.  Le  bureau  sui- 
vant est  Zanzibar,  sept  jours  après  Aden. 

Malgré  pas  mal  d’ennuis  résultant  de  nos  préparatifs  pré- 
cipités, malgréla  rapidité  de  notre  départ,  qui  fait  qu’il  nous 
semble  souvent  encore  rêver,  — et  le  rêve  ressemble  presque 
à un  cauchemar,  — nous  sommes  de  plus  en  plus  persuadés 
que  nous  avons  bien  fait  de  partir  par  ce  courrier. 

L’arrivée  à Madagascar  de  nos  compagnons  de  voyage  dé- 
cidera probablement  de  l’avenir  de  cette  nouvelle  colonie. 
L’administration  est  représentée  par  une  fournée  de  résidents, 
auxquels  le  secrétaire  général  de  la  résidence  de  Tananarive 
donne  le  mot  d’ordre,  un  mot  d’ordre  excellent,  autant  que 
nous  pouvons  en  juger.  Un  inspecteur  des  douanes,  embarqué 
au  dernier  moment,  pose  les  jalons  du  nouveau  régime  doua- 
nier. Un  directeur  du  Comptoir  national  d’escompte  va  juger 
de  la  nouvelle  situation  faite  à sa  banque.  Des  ingénieurs  des 
mines,  de  petits  capitalistes,  des  colons  pleins  d'initiative 
veulent  voir  ce  qu’est  Madagascar.  L’évêque  anglican  se  pro- 
pose de  faire  une  dernière  tournée  pastorale  dans  l'ile,  et 
de  remettre  ensuite  la  houlette  à des  mains  plus  jeunes. 

Ne  sommes-nous  pas  à notre  place,  au  milieu  de  ce  monde 
qui  s’agite  et  que  tant  d’intérêts  divers  mettent  en  mouve- 
ment ? 

A notre  place?  Pas  nous;  personne  ne  le  sent  mieux  que 
nous,  et,  ensemble,  nous  le  confessons  à Dieu  tous  les  jours. 
Mais  la  cause  de  l’Évangile,  ou  encore,  la  grande  commu- 
nauté des  enfants  de  Dieu  de  langue  française,  dont  nous 
avons  l’honneur  d’être  les  délégués,  devait  avoir  des  repré- 
sentants au  milieu  de  la  troupe  de  tous  ceux  qui  tiennent 
entre  leurs  mains  les  destinées  françaises  de  Madagascar.  Cela 
était  indispensable. 

Que  ferons-nous?  Dieu  le  sait.  Cela  seul  nous  soutient.  Si, 


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111 


comme  je  viens  de  le  dire,  le  développement  ultérieur  de 
notre  nouvelle  possession  dépend  en  partie  de  nos  compa- 
gnons de  voyage,  — avec  lesquels  il  était  bon  que  nous  pus- 
sions nous  entretenir  librement,  comme  on  cause  sur  le  pont 
d’un  paquebot  entre  les  parois  duquel  on  est  emprisonné 
ensemble  pendant  tout  près  d’un  mois,  — nous  savons  pour- 
tant que,  du  haut  des  deux,  notre  Dieu,  le  Seigneur  des  Sei- 
gneurs et  le  Roi  des  Rois,  lui  qui  a conduit  le  passé  de 
l’histoire  du  christianisme  à Madagascar,  tient  les  fils  du 
présent  et  du  futur.  Ne  cessez  pas  de  lui  demander,  avec 
nous,  que  nous  soyons  ses  instruments,  que  notre  amour 
pour  lui  domine  tout,  et  qu’au  milieu  des  scènes  étranges 
qui,  pendant  des  mois,  vont  se  dérouler  sous  nos  yeux,  au 
milieu  des  conflits  de  volontés  contraires,  nous  demeurions 
sine  captivitate  revum , pour  parler  le  langage  de  1’  «Imita- 
tion »,  uniquement  liés  par  sa  volonté. 

Avec  l’expression  de  notre  double  et  vieille  affection  com- 
mune, 

Ton 

F.  H.  K. 

P.  S.  — Nous  avons  eu  le  privilège  et  la  joie,  dimanche 
dernier,  de  célébrer  un  très  court  culte  avec  sept  ou  huit 
auditeurs.  On  nous  a accordé  le  fumoir  pour  cela.  C’est  la 
première  fois  que  le  fait  s’est  présenté  à bord  d’un  vapeur 
des  Messageries  maritimes,  m’a  dit  le  commissaire  du  bord. 

F.  H.  K. 


-Z — 


112 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


LESSO  U TO 

DANS  LE  HAUT-LESSOUTO 

Etude  de  M.  H.  Dieterlen. 

Suite  et  fin  (1). 

Cette  conception  de  Dieu  ne  laisse  évidemment  aucune 
place  au  christianisme.  Pas  de  morale,  pas  de  péché.  Alors, 
pourquoi  un  Sauveur?  Pourquoi  Jésus?  Pourquoi  la  repen- 
tance, la  lutte  contre  la  chair,  le  renoncement,  la  crainte  du 
mal,  la  peur  d’un  jugement,  le  combat  pour  la  vie  éternelle? 
A quoi  bon  l'Évangile?  A quoi  bon  l’Église,  et  ses  cultes,  et 
sa  discipline?  Ne  sommes-nous  pas  enfants  de  Dieu  sans  tout 
cela? 

Et  voilà  comment  il  se  fait  que  le  païen,  tout  en  prétendant 
croire  en  Dieu,  continue  à vivre  dans  l’impiété,  dans  les 
péchés  de  la  chair  : adultère,  ivrogne,  matérialiste  jusqu’aux 
moelles;  et  avec  cela  content  de  son  sort  et  sans  inquiétude 
pour  son  avenir  éternel. 

Chose  plus  curieuse  et  plus  triste  encore  ! Il  croit  en  un 
certain  Dieu  qu’il  a fait  à sa  convenance  et  que  l’on  pourrait 
justement  comparer  à de  la  fausse  monnaie,  et  pourtant  il  a 
gardé  ses  dieux  nationaux,  qui  sont  ses  ancêtres.  Il  est  rare 
qu’il  nous  en  parle,  probablement  parce  que  c’est  le  fond 
même  de  sa  pensée. 

Je  chevauchais,  il  y a quelques  semaines,  à côté  d’un  jeune 
homme,  et  je  lui  demandais  où  il  allait.  A mes  questions, 
voilà  ce  qu’il  répondit  : 

« Je  vais  à Tsikoané,  chez  notre  grand  chef  Jonathan  Mo- 
lapo.il  nous  a invités  à faire  beaucoup  de  bière.  Nous  la  boi- 
rons. Ce  sera  une  grande  fête.  Il  y aura  une  prophétesse  qui 


(1)  Voir  page  68. 


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113 


priera  pour  la  pluie.  Elle  la  demandera  à nos  dieux,  àMolapo, 
à Moshesh,  à Mokhachané,  nos  anciens  rois.  Ils  sont  là,  dans 
la  terre.  Nous  crierons  : La  pluie!  la  pluie!  Vous  avez  vos 
dieux  et  nous  avons  les  nôtres,  comme  vous  avez  vos  méde- 
cins et  nous  les  nôtres...  » 

C’était  avouer  sans  la  moindre  fausse  honte  ce  culte  des 
ancêtres  qui,  dans  le  Haut-Lessouto,  me  semble  être  plus 
généralement  pratiqué  qu’ailleurs. 

Tout  récemment  encore,  un  homme,  rendu  loquace  et 
communicatif  par  de  trop  copieuses  libations,  et  par  cela 
même  plus  franc  et  plus  courageux,  m’exposait  sa  théologie 
en  m’affirmant  que  les  défunts  devenaient  des  dieux,  et  que 
lui-même  ne  comprendrait  pas  qu’après  sa  mort  il  ne  soit 
pas  le  dieu  de  ses  enfants. 

Il  ne  s’agit  pas  ici  de  bravades.  Ces  gens  ne  posaient  pas 
pour  des  esprits  forts.  Ils  disaient  ce  qui  est.  La  fête  dont  me 
parlait  le  premier  a eu  lieu.  Sous  le  patronage  du  grand  chef, 
des  « prophètes  » — car  on  a emprunté  le  mot  au  christia- 
nisme — ont  rendu  grâces  aux  ancêtres  pour  la  splendide 
récolte  de  sorgho  qu’on  venait  de  faire  et,  par  la  même  occa- 
sion ont  demandé  à ces  dieux  d’accorder  à leur  peuple  une 
nouvelle  et  abondante  moisson.  C’est  poussés  par  ces  dieux 
mêmes,  disaient-ils,  qu’ils  leur  adressaient  ces  louanges  et 
ces  prières,  à grand  renfort  de  chants  bizarres,  de  contor- 
sions grotesques  et  de  costumes  empruntés  aux  temps 
anciens.  On  but  beaucoup  de  bière,  on  se  grisa,  on  échan- 
gea* force  coups  de  langue  et  de  bâton.  Et  le  culte  des  ancê- 
tres reçut  une  fois  de  plus  la  sanction  des  chefs  et  mérita 
d’être  appelé  la  religion  nationale  des  Bassoutos  du  Haut- 
Lessouto. 

Le  Dieu  des  chrétiens,  on  en  parle  donc  beaucoup,  et,  en 
certaines  circonstances,  en  cas  de  guerre  par  exemple,  on  in- 
voque sérieusement  ses  délivrances.  Au  Centre  on  l’eût  offi- 
ciellement prié  ces  derniers  mois  pour  qu’il  fasse  cesser  la 
terrible  sécheresse  que  nous  venons  de  traverser.  Ici,  per- 
sonne n’a  proposé  qu’on  ait  une  de  ces  réunions  de  prières 


114 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


pour  la  pluie  qui  ailleurs  ont  passé  dans  les  mœurs  des  Bas- 
soutos  païens  et  de  leurs  chefs.  On  a recouru  aux  ancêtres  ; 
cela  suffisait,  paraît-il.  S’abaisser  jusqu’à  demander  les 
prières  de  l'Église,  s’humilier,  s’avouer  vaincu,  c'eût  été  trop 
pénible  pour  Jonathan  et  ses  frères. 

S’il  nous  semble  impossible  de  concilier  le  culte  des  an- 
cêtres avec  celui  du  vrai  Dieu,  et  s’il  nous  semble  même 
odieux  de  songer  à ce  rapprochement  sacrilège,  nos  païens, 
moins  scrupuleux  et  plus  faciles  à contenter,  ont  trouvé  un 
biais  satisfaisant  leur  raison.  Et  ce  biais,  ils  ont  été  le  cher- 
cher... dans  la  religion  catholique. 

« J’aime  la  religion  catholique,  disait  notre  grand  chef.  Au 
moins,  chez  elle,  on  ne  s’adresse  pas  directement  à Dieu.  On 
s’adresse  à des  intermédiaires,  aux  saints.  Nous  aussi,  nous 
nous  servons  d’intermédiaires,  qui  sont  nos  ancêtres.  » 

— Mais,  lui  fut-il  répondu,  les  saints  du  catholicisme  étaient 
des  saints,  des  hommes  qui  vivaient  dans  la  crainte  et  au 
service  de  Dieu.  Vos  ancêtres,  eux,  n’étaient  que  de  simples 
hommes  et  des  pécheurs. 

— Des  pécheurs!  Est-ce  que  quelqu’un  prétendrait  que 
mon  père  Molapo  a jamais  volé? 

Nos  vieux  chefs  bassoutos  canonisés  par  leurs  descen- 
dants, et  servant  d’intermédiaires  entre  les  hommes  et  Dieu, 
c’est  un  comble.  Et,  pour  dire  vrai,  je  ne  crois  pas  que  Jo- 
nathan, quoique  l’auteur  de  cette  singulière  théorie,  y croie 
lui-même.  Se  tromper  volontairement,  essayer  de  se  séduire 
par  de  faux  raisonnements,  c’est  encore  un  trait  caracté- 
ristique du  païen  qui,  tout  au  fond  de  sa  conscience,  se  sent 
dévoyé  et  coupable,  mais  qui  refuse,  coûte  que  coûte,  de  dé- 
mordre de  ses  erreurs,  parce  qu’elles  lui  plaisent  et  lui 
donnent  toute  latitude  pour  suivre  les  mauvais  instincts  de 
sa  nature. 

Au  fond  de  cette  conscience,  il  règne  un  malaise  plus  ou 
moins  sensiBle  ou  senti.  Et  s’il  y a beaucoup,  beaucoup  de 
païens  qui  croient  que  l’on  peut  offenser  les  hommes  et  être 
puni  par  eux,  mais  qu’on  ne  peut  irriter  Dieu,  il  en  est  aussi 


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115 


un  certain  nombre  que  les  remords  tourmentent  et  qui  ne 
sont  pas  heureux  d’ètre  païens  et  pécheurs. 

Je  connais  un  chef  important  de  mon  district  qui,  parfois, 
appelle  son  évangéliste,  fut-ce  même  au  milieu  de  la  nuit,  et 
qui  lui  demande  de  lui  parler  de  Dieu  et  de  prier  avec  lui, 
parce  que,  dit-il,  « ma  conscience  me  tourmente  ».  Cela  ne 
l'empêche  pas  de  continuer  à vivre  comme  un  pur  païen.  Mais 
l’aiguillon  est  là,  au  fond  de  son  cœur.  Celui-là  sent  ce  que 
c’est  que  le  péché. 

(Me  sera-t-il  permis,  à ce  propos,  de  corriger  ou  d’expli- 
quer une  parole  d’un  missionnaire  du  Lessouto  qu’a  repro- 
duite un  numéro  du  Journal  des  Missions  de  l’année  1895?  Ce 
collègue  disait  que  le  sentiment  du  péché  jouait  un  très 
petit  rôle  dans  la  conversion  des  Bassoutos,  et  que  c’était  en 
général  des  rêves  qui  produisaient  cette  dernière.  Oui,  di- 
rais-je, ce  sont  très  souvent  des  rêves  qui  sont  l’occasion  de 
ces  conversions;  mais  ces  rêves,  ils  sont  précisément  le  pro- 
duit d’une  conscience  troublée  par  le  sentiment  du  péché  ; ils 
roulent  en  général  sur  ces  sujets  : La  vue  des  péchés  qu’on 
a commis;  la  porte  du  ciel  défendue  à l’homme  parce  qu’il 
est  coupable;  les  reproches  de  Dieu  au  pécheur  impénitent 
ou  non  pardonné;  le  jugement  dernier  et  la  condamnation 
du  méchant.  C’est  assez  indiquer  qu’un  certain  sentiment  du 
péché  a précédé  et  produit  ces  rêves  et  est  la  cause  de  la 
conversion  dont  le  rêve  n’est  que  l’occasion  accidentelle.  A 
vrai  dire,  sans  sentiment  de  péché,  y a-t-il  possibilité  d’une 
conversion  réelle,  de  repentance,  de  désir  de  pardon  et 
d’acceptation  du  salut  en  Jésus-Christ?) 

Pour  revenir  à notre  sujet  : Si  le  Dieu  des  chrétiens  n’est, 
pour  nos  païens,  qu’un  être  sans  morale,  et  si  le  culte  des 
ancêtres  est  resté  au  fond  de  leurs  cœurs,  il  n’est  pas  éton- 
nant que  le  paganisme  national  et  traditionnel  des  Bassoutos 
ait  conservé  ici  tout  son  prestige  et  toute  son  autorité.  Le 
Dieu  de  la  Bible  attire  les  hommes  en  haut  et  en  avant;  c’est 
un  Dieu  de  progrès,  de  perfection  et  de  sainteté.  C’est  celui 
qu’on  ne  veut  pas.  Les  dieux  des  Bassoutos,  immobiles  et 


146 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


immuables  dans  leurs  tombes,  représentants  d’un  passé  peu 
glorieux  en  somme,  mais  qu’embellissent  les  récits  des 
guerres  d’autrefois  et  la  crainte  des  blancs,  retiennent  leurs 
descendants  sur  la  voie  du  progrès  et  tournent  leurs  regards 
vers  le  passé  et  vers  la  terre.  Un  peuple  qui  vénère  ses  ancê- 
tres comme  des  dieux  peut-il  réellement  progresser?  Pour 
progresser,  il  faut  se  transformer,  abandonner  les  idées  et 
les  coutumes  du  passé,  adopter  celles  du  présent,  de  l’avenir 
et  de  l’étranger.  Faire  cela,  ne  serait-ce  pas  offenser  les  pères, 
se  séparer  d’eux,  les  critiquer? 

Nos  Bassoutos,  sans  s’en  douter,  sont  les  victimes  du  res- 
pect qu’ils  portent  à leurs  ancêtres.  Leur  attachement  aux 
coutumes  nationales,  même  aux  plus  ineptes,  en  provient 
dans  une  large  mesure. 

Mais  il  y a plus,  et  autre  chose. 

Je  remarque  -ces  temps-ci  une  grande  abondance  de  fêtes 
de  circoncision  des  jeunes  garçons  et  d'initiation  des  filles.  Ils 
y passent  tous , elles  y passent  toutes ; on  nous  enlève  même 
des  enfants  dont  la  mère  est  chrétienne  et  qui,  jusqu’à  présent, 
fréquentaient  nos  temples  et  nos  écoles. 

La  polygamie  est  aussi  florissante  que  jamais,  et,  du  reste, 
les  païens  la  justifient  en  puisant  des  arguments  en  sa  faveur 
dans  l’Ancien  Testament,  où  ils  abondent. 

« Vous  me  reprochez  d’avoir  plusieurs  femmes,  disait  un 
chef.  Dieu  n’est  pas  si  dur  que.  vous.  N’a-t-il  pas  désigné 
comme  successeur  de  David,  et  béni  Salomon,  le  fils  de  Bath- 
Scébah,  une  concubine?  Et  Abraham?  Et  Jacob?  Et  tant  d’au- 
tres, hommes  aimés  de  Dieu  et  pourtant  polygames,  qu’en 
faites -vous?  » 

On  n’épouse  une  femme  qu’en  donnant  à ses  parents  trente 
tètes  de  bétail  et  dix  moutons.  Ce  n’est  pas  exactement  un 
marché,  et  ce  n’est  pas  la  femme  que  l’on  achète;  ce  dont  on 
s’assure  la  propriété,  ce  sont  les  enfants  que  cette  femme 
mettra  au  monde  et  qui  doivent  être  nombreux.  Que  son  mari 
meure,  peu  importe.  Elle  passera  à l’un  de  ses  frères  qui 
suscitera  une  descendance  au  défunt,  tout  en  ayant  sa  propre 


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femme  à lui.  Et  si  cet  arrangement  ne  se  réalise  pas  ou 
échoue,  peu  importe  encore.  Cette  pauvre  veuve  est  con- 
damnée à un  veuvage  perpétuel,  mais  non  à la  stérilité.  La 
continence  est  une  vertu  qui  dépasse  ses  forces  morales... 

Elle  aura  donc  des  enfants.  Peu  importe  leur  provenance  : 
ce  sont  des  enfants,  ils  vont  augmenter  la  famille  du  défunt, 
dont  les  parents,  en  bons  spéculateurs,  veulent  en  avoir  pour 
leur  bétail.  Quelles  tristes  choses  je  pourrais  citer  à ce  sujet, 
rien  qu’en  racontant  la  vie  de  deux  jeunes  veuves  qui  vivent 
en  ce  moment  même  dans  ma  station  ! 

Mais  passons.  Il  importait  de  rappeler  que  les  coutumes 
du  paganisme  traditionnel  des  Bassoutos  sont,  ici,  bien  loin 
d’avoir  disparu  ou  d’avoir  perdu  leur  popularité. 

Pourquoi? 

Tout  d’abord  parce  qu’elles  correspondent  aux  mauvaises 
passions  du  cœur  humain,  aux  convoitises  de  la  chair,  à la 
paresse,  et  à la  grossièreté  de  la  nature  de  nos  païens. 

— Qu’est-ce  qui  t’empêche  donc  de  t’occuper  de  Dieu  et  de 
ton  âme? 

— Moi?  Je  veux  boire  de  la  bière. 

Traduisez  : Je  veux  pouvoir  m’enivrer  et  m’abrutir  à ma 
guise. 

Mais  il  y a plus,  et,  disons-le  avec  soulagement,  il  y a 
mieux.  Tout  n’est  pas  matérialisme  et  animalité  dans  l’atta- 
chement de  nos  Bassoutos  aux  traditions  et  aux  coutumes  de 
leurs  pères.  C’est  aussi  une  affaire  de  patriotisme  et  le  pro- 
duit de  l’instinct  de  la  conservation. 

Nous  vivons  dans  des  temps  où  les  races  noires  du  sud  de 
l’Afrique  sont,  l’une  après  l’autre,  dépouillées  de  leur  indé- 
pendance et  de  leurs  rois  légitimes,  et  exposées  à perdre, 
rapidement  peut-être,  leur  individualité  et  leur  existence  en 
tant  que  nations.  La  peur  d’être  dispersés  hante,  à juste 
titre,  les  noirs  de  nos  pays,  comme  autrefois  les  hommes  qui 
bâtirent  la  tour  de  Babel.  La  tour  de  Babel,  sur  laquelle  nos 
Bassoutos  fondent  Tespoir  de  rester  forts,  unis,  eux-mêmes, 

9 


J 18 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


ce  sont  leurs  coutumes  nationales,  auxquelles  ils  se  cram- 
ponnent avec  une  persistance  digne  d'une  meilleure  cause. 
Ils  font  une  mauvaise  spéculation,  et,  s’ils  avaient  la  moindre 
connaissance  de  l’histoire  du  monde,  ils  comprendraient  que 
le  seul  moyen,  pour  ün  peuple  non  civilisé,  de  ne  pas  être 
englouti  et  détruit  par  le  courant  de  la  civilisation,  c’est  de 
s’y  jeter  résolument  et  d’être  porté  par  lui.  Mais  ils  ignorent 
l’histoire  du  passé,  et  ils  comprennent  peu  l’histoire  contem- 
poraine du  Sud  de  l’Afrique  qui,  pourtant,  devrait  être  pour 
eux  une  leçon  de  choses  des  plus  instructives  et  des  plus  me- 
naçantes. 

Fiers  de  leur  passé  et  de  leur  nom,  de  leurs  coutumes  et  de 
leurs  plaisirs,  ils  cherchent  encore  leur  salut  dans  le  main- 
tien des  choses  du  passé.  Si  d'autres  se  perdent  pour  avoir 
été  trop  entreprenants,  ils  périront  pour  avoir  été  trop  con- 
servateurs. 

La  principale  responsabilité  de  cette  erreur  repose  sur  nos 
chefs.  C’est  eux  qui  se  sont  constitués  les  grands-prêtres  du 
paganisme  et  des  traditions  nationales.  C’est  eux  qui  prêchent 
l’attachement  aux  coutumes  des  pères,  et  qui  favorisent  les 
superstitions,  les  fêtes  païennes,  les  orgies,  la  polygamie,  la 
circoncision  et  le  reste.  Ce  sont  eux  aussi  qui  sont  les  plus 
redoutables  adversaires  du  christianisme  et  de  l'Église  de 
Jésus.  En  pareille  matière,  leur  autorité  est  incontestable  et 
incontestée,  leur  exemple  et  leurs  paroles  font  force  de  loi 
parmi  leurs  sujets.  Ils  ne  sont  pas  indifférents  ou  neutres  en 
matière  de  religion;  ils  sont  nettement  hostiles  à l’Évangile, 
et  leurs  gens,  pris  dans  leur  ensemble  et  toute  part  faite  pour 
d’assez  nombreuses  exceptions,  le  sont  aussi. 

En  présence  du  christianisme,  — c’est  le  fait  qui  m’a  le 
plus  frappé  dans  le  Haut-Lessouto,  — les  païens  observent 
une  attitude  évidemment  défensive.  Iis  ne  l’aiment  pas,  ils 
n’en  veulent  pas;  ils  s’en  défient  comme  d'une  puissance  de 
désintégration  et  comme  un  trouble-fête,  comme  un  intrus 
auquel  il  faut  soigneusement  fermer  la  porte  des  cœurs,  des 
familles  et  de  la  tribu.  Le  paganisme  est  la  religion  d'État. 


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Toute  concurrence  est  un  ennui,  une  complication  et  un 
danger,  la  menace  d’un  établissement  d’un  État  dans  l’État, 
avec  toutes  les  conséquences  que  ce  fait  comporte. 

Les  progrès  du  christianisme  inquiètent  les  chefs  et  susci- 
tent leur  jalousie,  qui  est  très  grande.  Ils  voient  dans  l’Évan- 
gile un  pouvoir  rival  du  leur.  Quand  un  de  leurs  hommes 
manifeste  des  velléités  de  se  convertir,  ils  cherchent  à l’en 
dissuader  et  recourent  à beaucoup  de  moyens  indirects  pour 
l’en  empêcher,  ou,  s’il  devient  chrétien,  pour  le  faire  aposta- 
sier.  Leurs  sujets,  par  complaisance  pour  eux  ou  par  convic- 
tion, en  agissent  de  même. 

Un  des  hommes  les  plus  compétents  et  les  plus  respectables 
du  district  de  Léribé  me  disait  un  jour  ces  paroles  qui  valent 
la  peine  d’être  reproduites  et  méditées  : « Je  suis  convaincu 
que  si  nous  n’avions  pas  au  Lessouto  des  résidents  européens, 
les  chrétiens  bassoutos  de  ce  district  auraient  à rendre 
témoignage  de  leur  foi  en  versant  leur  sang  pour  elle.  » 

La  présence  des  missionnaires,  il  est  vrai,  est,  aux  yeux 
des  Bassoutos,  une  chose  de  grand  prix.  Ils  ne  voudraient 
pas  nous  voir  partir.  Ils  ont  conscience  des  bienfaits  tem- 
porels que  leur  ont  apportés  nos  prédécesseurs,  et  ils  répè- 
tent volontiers  que  a la  tribu  des  Bassoutos  doit  son  salut  et 
son  existence  aux  missionnaires  français  ».  A leurs  yeux,  nous 
sommes,  comme  disait  un  chef  du  district  de  Kalo,  une  corne, 
c’est-à-dire  un  talisman  ayant  la  faculté  de  les  protéger 
contre  les  maléfices  et  les  malheurs  qui  pourraient  les  me- 
nacer. 

Mais,  s’ils  voulaient  ou  pouvaient  comprendre  leurs  propres 
sentiments  et  ensuite  les  exprimer  franchement,  ils  nous  di- 
raient volontiers  : « Nous  tenons  à vous.  Demeurez  avec 
nous...,  pourvu  que  vous  n’obteniez  pas  de  résultats  de  vos 
travaux  ». 

La  tâche  de  l’Église  est  singulièrement  compliquée  et  diffi- 
cile quand  elle  a affaire  à un  adversaire  si  habile,  si  puissant, 
et  qui  a pour  lui  les  traditions  séculaires  d’un  peuple,  ses 
préjugés,  ses  habitudes,  ses  chefs,  et  l’immense  majorité  de 


120 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


ses  gens.  Nos  efforts  sont  contrecarrés,  nos  erreurs  de  tac- 
tique sont  immédiatement  relevées  et  tournées  contre  nous. 
Les  inconséquences  et  les  péchés  des  chrétiens  sont  guettés 
avec  vigilance,  et  on  nous-les  jette  à la  tête  en  disant  : « Les 
chrétiens  aussi  commettent  adultère  »,  comme  on  me  l’a  dit 
plus  d’une  fois  ici.  A nos  prédications  chrétiennes  on  oppose 
des  prédications  païennes;  à nos  fêtes  d’Église,  des  fêtes  de 
sensualité  et  de  dissipation. 

Annoncer  l’Évangile  ici,  ce  n’est  pas  offrir  aux  païens  un 
remède  désiré  par  le  malade  qui  a conscience  de  la  gravité 
de  son  état  et  qui  veut  être  guéri.  Ce  n’est  pas  lui  ouvrir  la 
porte  d’une  salle  de  festin  dans  laquelle  il  souhaite  d’être 
admis.  Loin  de  là!  C’est  importuner  des  gens  qui  sont  con- 
tents de  leur  sort  et  d’eux- mêmes;  c’est  déclarer  à un  adver- 
saire très  puissant  une  guerre  de  longue  haleine,  et  lutter 
pour  remporter  la  victoire  après  une  longue  campagne  et  de 
grands  combats.  Nous  y allons  de  tout  cœur,  pour  Dieu  et 
pour  l’humanité.  Et  j’espère  que  ceux  qui  liront  ce  qui  pré- 
cède ne  me  croiront  ni  pessimiste,  ni  découragé. 


J’ai  cru  devoir  donner  aux  amis  de  notre  mission  une  idée 
de  la  situation  du  Haut-Lessouto^  dans  ses  lignes  générales, 
avec  ses  traits  les  plus  caractéristiques,  telle  que  je  l’ai  vue 
et  étudiée  pendant  le  cours  des  neuf  mois  que  j’y  ai  passés. 

Quand  un  voyageur  se  trouve  pour  la  première  fois  en  face 
des  hautes  montagnes  des  Alpes,  il  ne  peut  se  défendre  d’un 
sentiment  de  malaise,  de  tristesse  et  d’effroi.  11  ne  voit,  de 
loin,  que  pentes  abruptes,  précipices  et  torrents,  murailles  de 
roches  et  de  glace,  désert,  froid  et  mort.  C’est  là  sa  pre- 
mière impression,  celle  qui  s’impose  à son  esprit  et  s’empare 
de  son  cœur.  Il  ne  tarde  cependant  pas  à découvrir  que  dans 
ce  désert  et  parmi  ces  rochers  poussent  des  touffes  de 
gazon  verdoyant  et  s’épanouissent  de  superbes  fleurs.  Il  y 
voit  le  sentier  du  chévrier  et  les  traces  du  voyageur,  et  il  y 
entend  le  chant  des  oiseaux.  C’est  la  vie  que  les  chauds 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


121 


rayons  du  soleil  font  surgir  au  sein  de  ce  chaos  sauvage  et 
de  cette  désolation. 

Il  en  est  de  même  du  paganisme  qui  nous  entoure.  Les 
grandes  lignes,  l’ensemble,  la  masse,  tout  cela  vous  remplit 
de  tristesse  et  de  frayeur,  et  vous  paralyse.  Peu  à peu  on  y 
découvre  des  fleurs,  des  âmes  simples  que  l’Évangile  a arra- 
chées des  griffes  du  monstre  et  dont  il  fait  l’éducation  en  vue 
du  royaume  de  Dieu.  Il  voit  les  premiers  indices  de  la  vie 
surgissant  du  milieu  de  la  mort,  sous  l’influence  de  la  grâce 
divine.  Il  se  réjouit,  il  prend  courage,  il  espère,  il  lutte,  il 
rend  grâces,  voyant  dans  chaque  grain  de  semence  jeté  en 
terre  la  promesse  des  glorieuses  moissons  de  l'avenir. 

Voilà  où  nous  en  sommes!  Puissent  nos  amis  partager  nos 
travaux  et  nos  épreuves,  pour  pouvoir  un  jour,  avec  nous, 
fouler  aux  pieds  le  paganisme  si  orgueilleux  qui,  aujourd’hui 
encore,  nous  défie  et  fait  échec  à nos  efforts  les  plus  persé- 
vérants (1). 

H.  Dieterlen. 


(i)  Rappelons  que  l’évangélisation  du  Lessouto  est  défrayée  par  une 
caisse  centrale  qu’alimentent  avant  tout  et  pour  la  plus  large  part  les 
contributions  des  Églises  indigènes.  Cette  caisse  reçoit  aussi  l’appui 
d’un  certain  nombre  de  chrétiens  d’Angleterre  et  d’Écosse,  auxquels 
nous  avons  fait  appel  pour  cette  branche  de  notre  œuvre,  ainsi  que  les 
dons  faits  « pour  les  évangélistes  du  Lessouto  » par  quelques  amis  de 
nos  Églises. 

On  a pu  juger  par  le  commencement  de  l’article  de  M.  Dieterlen  à 
quel  point  nos  missionnaires  ont  besoin  des  ressources  que  nous  pou- 
vons mettre  à leur  disposition,- 


t» — tS2T 


122 


JOURNAL'  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


ZAMBÈZE 

NOUVELLES  DE  M.  ET  MADAME  MERCIER 

Comme  nous  l’annoncions  il  y a un  mois,  M.  et  madame 
Mercier  se  sont  embarqués  à Southampton,  le  25  janvier,  à 
bord  du  Hawarden  Castle.  L’entrevue  projetée  avec  M.  Wad- 
dell,  à Londres,  a pu  avoir  lieu.  M.  Mercier  a reçu  de  l’ancien 
aide  de  M.  Coillard  toutes  sortes  de  renseignements  prati- 
ques de  la  plus  grande  utilité.  Nous  avons  le  regret  d’ap- 
prendre que  l’état  de  santé  de  M.  Waddell  est  loin  d’être 
réjouissant  et  qu’il  lui  faudra  bien  du  temps  pour  qu’il  re- 
trouve les  forces  et  l’entrain  qu’il  a si  largement  dépensés  au 
service  de  la  mission  du  Zambèze. 

A Loqdres,  M.  le  pasteur  Roehrich  s’est  obligeamment  mis 
à la  disposition  de  M.  Mercier  pour  l’aider  à régler  les  di- 
verses affaires  auxquelles  il  faut  toujours  mettre  ordre  avant 
de  s’embarquer.  Madame  Hart,  une  amie  de  nos  missions,  a 
bien  voulu  offrir  sa  cordiale  hospitalité  à nos  voyageurs. 

De  Madère,  M.  et  madame  Merçier  nous  écrivent  qu’ils  ont 
jusque-là  fait  bon  voyage,  sur  une  mer  relativement  calme. 
Ils  étaient  pleins  de  confiance,  sachant  qu’ils  marchaient  vers 
le  Zambèze,  et  ils  s’avançaient  « les  cœurs  en  haut  » . 


LA  MISSION  DO  ZAMBÈZE 
de  juillet  1894  à septembre  1895. 

Au  Comité  de  la  Société  des  Missions  de  Paris. 
Messieurs  et  chers  frères, 

La  cinquième  Conférence  de  la  mission  du  Zambèze  vient 
d’avoir  lieu  à Léaluyi,  du  13  au  25  septembre.  Elle  réunissait 
les  missionnaires  de  Kazungula,  Seshéké,  Nalolo  et  Léaluyi, 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


153 


sous  la  présidence  de  notre  vénéré  doyen  M.  Coillard;  elle  sou- 
haitait aussi  la  bienvenue  à M.  Davit,  le  futur  missionnaire 
de  Séfula  ; quant  à ses  compagnons  de  voyage,  M.  et  madame 
Boiteux,  ils  étaient  restés  à Kazungula,  de  sorte  que  nous 
n’avions  pas  le  plaisir  de  les  avoir  au  milieu  de  nous.  Nous 
avons  si  rarement  la  joie  d'être  tous  réunis,  que  c’est  tou- 
jours une  fête  quand  cela  arrive;  cependant,  un  gros  nuage 
assombrissait  notre  réunion  : notre  président,  très  peu  bien 
depuis  deux  mois,  ne  pouvait  se  joindre  à nous  qu’au  prix 
d’efforts  extraordinaires. 

Chaque  missionnaire  a présenté  à la  Conférence  un  rapport 
sur  la  marche  de  sa  station  pendant  Texercice  écoulé.  C’est 
de  ces  rapports  particuliers  qu’est  extrait  le  compte  rendu 
général  que  nous  vous  envoyons  ; comme  la  plupart  des  faits 
relatés  vous  sont  déjà  connus  par  les  lettres  qui  vous  ont  été 
envoyées  dans  le  courant  de  l’année,  nous  nous  bornerons  à 
rappeler  maintenant  les  principaux  événements  de  cette  pé- 
riode. 

Remontons  ensemble  le  fleuve,  et  voyons  successivement 
les  stations  qui  s’y  trouvent.  Voici  tout  d’abord  Kazungula. 
Vous  comprendrez  sans  peine  que  le  missionnaire  de  cette 
station,  M.  Louis  J alla,  commence  son  rapport  par  des  ac- 
tions de  grâces,  car,  pendant  cette  dernière  année,  Dieu  lui  a 
accordé  de  nombreux  sujets  de  joie  dans  son  travail.  Alors 
que  pendant  les  premières  années  de  l’existence  de  cette  sta- 
tion, c’est  avec  grand’peine  que  le  missionnaire  réussissait 
à avoir  une  trentaine  d’auditeurs  seulement,  aujourd’hui  le 
nombre  a presque  décuplé.  Le  fait  est  dû,  en  grande  partie,  à 
l’installation,  à Kazungula,  de  Litia,  le  fils  aîné  de  Léwanika, 
ce  qui  a amené  un  grand  développement  de  ce  village,  autre- 
fois assez  insignifiant.  Mais  ce  n’est  pas  seulement  à cause  de  la 
fréquentation  des  cultes  que  M.  Louis  Jalla  a lieu  de  se  réjouir; 
c’est  surtout  à cause  des  nombreuses  personnes  qui  ont  pu- 
bliquement déclaré  vouloir  servir  Dieu.  Aujourd’hui,  il  y a à 
Kazungula  130  professants  qui  sont  surtout  des  hommes  dans 


1-24 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


la  force  de  l’âge.  A leur  tête  se  trouve  Lilia,  qui,  dès  son  ar- 
rivée à Kazungula,  s’est  montré  des  mieux  disposés  : il  a 
fait  implorer  la  bénédiction  de  Dieu  sur  l’emplacement  où  il 
allait  construire  son  village  ; peu  après,  il  renvoyait  sa 
deuxième  femme  et  faisait  une  profession  publique  de  sa 
foi. 

Son  influence  s’est  aussi  fait  sentir  dans  l’école,  en  ce  qu’il 
a pressé  les  gens  à y envoyer  leurs  enfants;  cette  école  a eu 
un  maximum  de  70  enfants,  avec  une  moyenne  de  51  élèves 
réguliers.  Leurs  progrès  sont  réjouissants  et  sont  dus  en 
grande  partie  à l’activité  de  mademoiselle  Kiener,  à laquelle 
incombe  spécialement  le  soin  de  cette  école.  A Noël,  les  en- 
fants eurent  une  fête,  avec  jeux,  collation,  arbre  de  Noël  et 
séance  de  lanterne  magique. 

Le  missionnaire  et  mademoiselle  Kiener  ont  été  secondés 
dans  leur  travail  par  l’évangéliste  John.  Celui-ci  a aussi  fait 
une  tournée  d’évangélisation  de  quinze  jours  dans  le  Botoka, 
dans  les  environs  des  chutes  Victoria.  Partout,  il  a rencontré 
un  excellent  accueil,  et  il  serait  bon  de  pouvoir  placer  un 
missionnaire  dans  cette  région. 

Au  mois  de  juin,  la  station  de  Kazungula  était  mise  en 
émoi  par  l'arrivée  d/une  dizaine  de  chercheurs  d'or;  cepen- 
dant, grâce  à Dieu,  aucun  événement  grave  n’a  troublé  la 
paix. 

A peu  près  à la  même  époque  mourait  Mokumba,  l’ancien 
chef  de  Kazungula  ; cette  mort  faillit  être  l’occasion  d’une  re- 
crudescence de  paganisme,  mais  Litia  réussit  à réprimer  ce 
mouvement. 

Si  la  station  de  Kazungula  a connu  beaucoup  de  beaux 
jours  pendant  cette  dernière  année,  soit  à cause  des  progrès 
réjouissants  de  l’œuvre,  soit  dans  la  vie  de  famille  du  mis- 
sionnaire et  de  l’évangéliste  qui,  tous  les  deux,  ont  été  réjouis 
par  la  naissance  d’enfants,  d’autre  part,  ils  ont  aussi  connu 
des  jours  sombres  : la  maladie  les  a souvent  visités,  surtout 
l’évangéliste  et  sa  femme,  et,  par-dessus  tout,  le  deuil  a 
frappé  nos  amis:  pour  la  troisième  fois,  Dieu  leur  a repris  un 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


125 


enfant  ; après  Marguerite  et  Annita,  ce  fut  Edouard , qui 
mourait  le  8 juillet,  après  quinze  jours  de  maladie,  alors  qu’il 
allait  avoir  deux  ans. 

Pour  terminer  ce  qui  concerne  la  station  de  Kazungula, 
nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  citer  M.  Jalla  lui-même  : 
« En  jetant  un  regard  rétrospectif  sur  ces  douze  mois,  à tra- 
vers les  joies  et  les  épreuves  qui  nous  ont  été  dispensées, 
nous  bénissons  le  Seigneur  de  sa  bonté  paternelle,  nous 
adorons  ses  voies,  nous  le  louons  d’avoir  transformé  la  pe- 
tite station  de  Kazungula  de  1894  en  un  des  principaux 
centres  du  pays,  par  l’arrivée  de  Litia,  et  d’avoir  changé  en 
allégresse  Jes  craintes  que  nous  avait  inspirées  sa  venue,  par 
le  développement  si  encourageant  qu’a  pris  dès  lors  le  réveil 
de  Kazungula.  A Lui  seul  en  soit  la  gloire  ! » 

Continuant  notre  marche,  à deux  jours  de  distance  seule- 
ment, nous  arrivons  à Seshéké.  Ici  aussi,  nous  trouvons  la 
joie;  comme  M.  Jalla,  M.  Goy  a vu  un  réveil  se  produire 
parmi  ses  auditeurs,  si  bien  qu'il  y a aujourd’hui,  à Seshéké, 
de  nombreux  professants,  parmi  lesquels  la  princesse  Akunu- 
ghisa,  fille  de  la  reine  Mokuaé,  et  chef  suprême  de  Seshéké. 
Il  se  tient  chez  elle,  chaque  semaine,  sous  la  direction  de  ma- 
dame Goy,  une  réunion  pour  les  femmes. 

M.  Goy  exprime  des  craintes  sur  le  sérieux  de  quelques- 
unes  de  ces  conversions;  cependant,  beaucoup  de  ces  con- 
vertis l’ont  édifié  par  les  témoignages  de  leur  sincérité,  et  il 
ne  doute  pas  que.  si  Dieu  a laissé  germer  de  l’ivraie  dans  le 
champ,  il  s’y  trouve  pourtant  aussi  beaucoup  de  bons  grains. 

Les  cultes  du  dimanche  matin  ont  été  suivis  par  une 
moyenne  de  110  auditeurs. 

L'école,  jusqu’à  présent  complètement  à la  charge  de  M.  et 
madame  Goy,  puisque  mademoiselle  Keck,  qui  en  avait  été 
chargée,  a dû  quitter  le  pays  pour  cause  de  santé,  a aussi 
donné  de  la  satisfaction  au  missionnaire  de  Seshéké. 

A côté  de  cette  activité  réjouissante  qui  se  poursuit  par  les 
divers  cultes  et  l’école,  Satan  n’a  pas  manqué  d’agir  aussi  ; il 


126 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


se  manifeste  tout  un  parti  d’opposition,  avec  la  plupart  des 
chefs  à sa  tête,  qui  proteste  contre  les  progrès  de  l’Évangile, 
au  nom  des  anciennes  traditions. 

La  maladie  a aussi  visité  la  station  de  Seshéké;  mademoi- 
selle Keck  fut  particulièrement  atteinte,  elle  dut  même  quitter 
le  pays.  M.  et  madame  Goy  ne  furent  pas  épargnés  non 
plus,  ils  durent  même  demander  du  secours  à Kazungula. 
Grâce  à Dieu,  ils  sont  de  nouveau  bien  aujourd'hui,  et  ils 
sont  enfin  réjouis  par  l’arrivée  de  l’évangéliste  Aarone  et  sa 
femme,  qui  vont  leur  être  d’un  précieux  secours,  spéciale- 
ment pour  l’école.  (A  suivre.) 


SÉNÉGAL 

VOYAGE  DE  M.  ALBERT  BOLLE 

Avant  de  s’embarquer  à Bordeaux,  M.  Bolle  a pu  faire  la 
connaissance  des  membres  du  Comité  auxiliaire  de  cette  ville 
et  celle  de  plusieurs  autres  amis.  Une  réunion  familière, 
«très  intéressante»,  nous  écrit-on,  a pu  avoir  lieu  le  veille 
de  son  embarquement.  Le  5 février,  il  allait  occuper,  à bord 
du  Brésil,  la  cabine  qui  lui  était  réservée.  Parmi  les  passa- 
gers se  trouvait  un  membre  de  la  Croix  bleue,  originaire  de 
Zurich,  et  se  rendant  au  Brésil. 

Une  carte  postale,  écrite  de  Lisbonne,  nous  apprend  que 
M.  Bolle  a fait  jusque-là  un  excellent  voyage. 


LETTRE  DE  M ESCANDE 

Saint-Louis,  le  10  janvier  1896. 

• - 

Cher  monsieur  Boegner, 

Avec  quel  soupir  de  soulagement  nous  avons  vu  notre  soli- 


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127 


tucle  prendre  fin,,  je  ne  saurais  l’exprimer.  Il  faut  bien  le  dire, 
l’arrivée  de  nos  chers  collaborateurs  n’était  pas  seulement 
un  cordial  pour  notre  cœur,  c’était  une  nécessité  pour  la 
bonne  marche  de  l’œuvre.  M.  Nichol  a bien  fait  tout  ce  qui 
était  en  son  pouvoir  pour  suppléer  M.  Pétrequin,  — et  son 
concours  nous  a été  extrêmement  utile.  Il  n’en  reste  pas 
moins  que  ces  mois  de  désorganisation  ont  été  préjudicia- 
bles à la  discipline,  et  qu’après  avoir,  parla  force  des  choses, 
lâché  un  peu  les  rênes,  on  éprouve  quelque  difficulté  à les  re- 
prendre en  main.  J’ajoute  que  l’hivernage  a été  dur,  que  les  ma- 
ladies ont  été  nombreuses,  et  non  moins  nombreux  nos  soucis. 

Si  «deux  valent  mieux  qu’un  »,  comme  l’affirme  l’Ecclé- 
siaste,  à plus  forte  raison  cinq  valent  mieux  que  deux  : nous 
en  faisons  l’expérience  depuis  que  mademoiselle  Buttner, 
M.  et  madame  Pétrequin  sont  à Saint-Louis. 

Mademoiselle  Buttner  bénéficie  du  travail  que  mademoi- 
selle Lasserre,  ma  belle-sœur,  a accompli  durant  son  trop 
court  séjour  au  milieu  de  nous.  L’esprit  de  la  maison  est 
bon,  très  bon  même.  D’une  façon  générale  nous  trouvons 
chez  nos  fillettes  de  l’application  et  de  la  bonne  volonté.  La 
conversion  de  nos  aînées  n’a  pas  été  un  feu  de  paille,  mais 
une  œuvre  sérieuse  qui  se  fait  juger  par  ses  fruits. 

Ces  fruits,  nous  avons  eu  tout  dernièrement  l’occasion'  de 
les  toucher  du  doigt.  Dans  les  premiers  jours  de  novembre, 
le  tétanos  se  déclarait  chez  une  de  nos  internes,  une  grande 
fille  de  seize  ans,  et,  en  quelques  heures,  la  mettait  aux 
portes  du  tombeau.  Le  docteur  avait  perdu  tout  espoir.  Nous- 
mêmes,  après  avoir  supplié  Dieu  de  nous  l’épargner,  nous  lui 
en  avions  fait  le  sacrifice.  Il  semblait  que  ce  fût  la  fin.  Mais, 
tandis  que  d’indicibles  souffrances  contractaient  son  pauvre 
corps,  il  y avait  sur  le  visage  de  notre  chère  malade  une 
paix,  une  sérénité,  que  l’espérance  chrétienne  peut  seule  don- 
ner. Ses  paroles  exprimaient  la  confiance,  et  son  désir  était 
d'aller  au  plus  tôt  « vers  son  Père  » et  d’être  pour  jamais 
« tout  près  de  son  Sauveur.  » 

Dieu  a eu  pitié  de  nous  et  nous  l’a  rendue.  Oh  ! comme  nou's 


128 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


comprenons  mieux  maintenant  l’efficacité  de  la  prière  et  la 
puissance  de  la  foi  ! 

C'est  à Sôr  que  M.  et  madame  Pétrequin  se  sont  établis,  par 
suite  du  transfert  dans  ce  faubourg  de  notre  école  du  chef- 
lieu.  Celle-ci,  nous  le  sentions  depuis  longtemps,  n’était  pas 
dans  son  vrai  milieu  à Saint-Louis.  Elle  comptait  bien  plu- 
sieurs externes,  des  Wolofs  en  particulier;  mais,  d’abord,  la 
concurrence  des  écoles  laïque  et  congréganiste  était  trop 
forte;  ensuite,  nous  n’avions  aucune  prise  sur  ces  élèves:  ils 
ne  suivaient  ni  nos  cultes  ni  notre  école  du  dimanche.  Bref, 
l’œuvre  religieuse  n’y  trouvait  aucun  profit.  A Sôr,  les  condi- 
tions sont  tout  autres  : le  fanatisme  y est  moins  farouche, 
partant  l’opposition  moins  grande.  Je  ne  doute  pas  qu’avec 
une  direction  ferme  comme  celle  de  M.  et  madame  Pétrequin, 
nous  n’obtenions  cette  année-ci  des  résultats  encore  plus  en- 
courageants que  l’an  dernier. 

A part  nos  internes,  cette  école  est  fréquentée  par  une 
vingtaine  de  jeunes  Bambaras  et  Wolofs,  dont  nous  cher- 
chons à cultiver  l’âme  en  même  temps  que  l’intelligence.  La 
maison  de  l’instituteur  est  un  centre  de  ralliement  pour  tous 
ces  gamins  désœuvrés.  Ils  se  trouvent  là  sous  une  influence 
chrétienne  qu’ils  subissent  en  quelque  sorte  malgré  eux. 
Détail  à noter  : la  jeune  génération  de  Béthesda  a commencé 
à nous  fournir  son  contingent  : trois  garçons,  parmi  les  plus 
âgés,  suivent  régulièrement  les  classes.  Que  sera-ce  quand 
la  réserve,  je  veux  dire  les  vingt  et  quelques  marmots  du 
village  auront  poussé  et  seront  en  âge  de  venir  à l’école! 

Cette  jeunesse  qui  se  fait  chaque  jour  sa  place  plus  grande 
au  soleil,  avec  quelle  sollicitude  ne  la  suivons-nous  pas!  S’il 
est  partout  vrai  de  dire  que  la  jeunesse  est  l’espoir  de  l’ave- 
nir, il  me  semble  que  c’est  tout  spécialement  le  cas  pour 
notre  mission  de  Saint-Louis.  Vous  qui  la  connaissez  pour 
l’avoir  vue  de  vos  yeux,  vous  avez  remarqué  qu’à  part  les 
quelques  internes  de  nos  écoles,  c’est  parmi  les  adultes  spé- 
cialement qu’elle  se  recrutait,  parmi  les  esclaves  des  deux 
sexes  qui,  assez  heureux  pour  échapper  à leurs  maîtres, 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


129 


venaient  se  faire  affranchir  à Saint-Louis.  Et  parmi  ces 
adultes,  que  de  vieillards!  que  de  ménages  sans  enfants! 
L’élément  jeune  faisait  défaut. 

Ce  mode  de  recrutement,  le  seul  possible  alors,  n’allait  pas 
sans  de  sérieux  inconvénients.  La  plupart  de  ces  libérés  arri- 
vant ici  à un  âge  où  il  ne  leur  était  plus  possible  d’apprendre 
le  wolof,  ils  ne  profitaient  en  rien  de  nos  différents  services 
pour  indigènes.  De  plus,  ne  sachant  ni  lire,  ni  chanter,  et 
étant  trop  vieux  pour  se  mettre  à l’étude,  ils  étaient  des 
auditeurs  passifs,  ne  participant  au  culte  que  par  une  atten- 
tion plus  ou  moins  distraite. 

Grâce  à la  nouvelle  génération  qui  se  forme,  tout  cela  va 
changer.  Et  d’abord  ces  enfants,  quelles  que  soient  leur  origine 
et  leur  nationalité,  connaîtront  au  moins  le  wolof  et  le  fran- 
çais; ils  pourront  posséder  chacun  sa  Bible,  son  catéchisme, 
son  livre  de  cantiques.  Ils  prendront  une  part  active  à nos 
cultes;  ils  nous  permettront  d’établir  des  réunions  d'édifica- 
tion mutuelle;  enfin,  ceux  d’entre  eux  qui  se  convertiront 
seront  à même  de  nous  aider  dans  l’évangélisation  des  vil- 
lages voisins,  toutes  choses  impossibles  avec  la  vieille  géné- 
ration qui  s’en  va.  C'est  donc  avec  confiance  que  nous  envi- 
sageons l’avenir.  « Nous  moissonnerons  en  temps  opportun, 
si  nous  ne  nous  décourageons  pas.  » 

Et  pourquoi  nous  décourager,  quand  nous  voyons  notre 
école  du  dimanche  de  Sôr  prospérer  au-delà  de  notre  at- 
tente? Nous  pouvions  croire  que,  le  premier  mouvement  de 
curiosité  passé,  un  éclaircissement  se  ferait  dans  ses  rangs. 
Il  n’en  est  rien.  Ou  plutôt  si,  durant  l’hivernage,  le  chiffre  a 
légèrement  baissé,  il  s’est  de  nouveau  rapproché  de  la  qua- 
rantaine dès  le  retour  de  la  saison  sèche,  pour  s’y  maintenir 
jusqu’à  aujourd’hui.  La  fête  de  Noël  pour  nos  deux  écoles  du 
dimanche  de  Saint-Louis  et  de  Sôr  a rassemblé  autour  de  notre 
arbre  plus  de  soixante  enfants.  N’est-ce  pas  l’indice  quel’œuvre 
de  Saint-Louis  n’est  ni  morte,  ni  moribonde,  et  qu’avec  la 
grâce  de  Dieu  elle  verra  de  meilleurs  jours  luire  sur  elle? 

Au  reste,  les  encouragements  nous  viennent  d’un  autre 


130 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


côté  encore.  Notre  chervillage  de  Béthesda,  qui,  pendant  des 
années,  a semblé  dormir  du  lourd  sommeil  de  l'indifférence 
et  de  l’apathie,  paraît  vouloir  s’éveiller.  Déjà,  l’an  dernier,  je 
vous  racontais  comment  un  jeune  couple  (Lamine  et  Adama) 
avait  fait  profession  de  christianisme.  Malheureusement, 
une  querelle  survenue  entre  la  femme  et  une  de  ses  compa- 
triotes m’obligea  à suspendre  leur  instruction  religieuse.  Ils 
me  supplient  de  la  reprendre.  D’autres  aussi  me  supplient, 
soit  parce  qu’ils  ont  fait  le  pas  décisif,  soit  parce  qu’ils  sont 
disposés  à le  faire.  On  sent,  même  chez  ceux  qui  n’ont  encore 
rien  manifesté,  une  certaine  préoccupation  des  choses  reli- 
gieuses, le  désir  d’en  savoir  davantage  sur  l’Évangile.  Jè 
crois  qu’une  fois  le  branle  donné,  les  premiers  prosélytes 
entrés  dans  l’Église,  beaucoup  d’autres  suivront.  Vous  les 
connaissez,  ils  sont  craintifs,  timides,  routiniers,  doués  d’une 
force  d’inertie  peu  commune  : il  faut  une  secousse  pour  les 
décider. 

Ce  léger  mouvement  de  réveil,  dont  je  ne  voudrais  pas 
exagérer  l’importance,  devait  fatalement  susciter  de  l’oppo- 
sition. Voici  sous  quelle  forme  elle  s’est  produite.  Il  faut 
commencer  par  vous  dire  que  les  maris  admettent  volontiers 
que  leurs  femmes  se  convertissent,  mais  à une  condition  : 
c’est  qu’elles  se  convertissent  en  même  temps  qu’eux  ou 
après  eux,  mais  jamais  avant.  Avant,  cela  leur  semble  une 
usurpation  de  leurs  prérogatives  maritales.  Aussi,  quand  ce 
dernier  cas  se  présente,  sommes-nous  sûrs  que  la  jalousie  se 
mettra  bientôt  de  la  partie;  après  la  jalousie  les  résistances; 
après  les  résistances  les  tiraillements.  Or  donc,  Ngolo  Konaté 
ayant  su  que  sa  femme  Amy  Diop  (celle  dont  je  vous  ai  plus 
d’une  fois  parlé,  sur  laquelle  nous  fondions  de  grandes  espé- 
rances), ayant  su,  dis-je,  qu’elle  s’était  déclarée  chrétienne, 
en  conçut  un  dépit  mal  déguisé.  Néanmoins,  sur  mes  ins- 
tances, il  se  résigna,  quoique  de  mauvaise  grâce,  à lui  laisser 
suivre  le  cours  des  catéchumènes.  Ce  temps  de  répit  ne  dura 
pas.  A mesure  que  s’approchait  le  moment  du  baptême,  son 
humeur  chagrine  augmentait,  et  cela,  malgré  le  redouble- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


13  1 


ment  d’afï'ection  dont  Amy  l’entourait.  Un  matin  il  plia  ses 
tentes,  nous  fit  ses  adieux,  et  partit,  emmenant  sa  femme  et 
sa  fille  loin  de  notre  atteinte. 

Pareille  mésaventure  nous  était  arrivée  auparavant  avec 
deux  de  nos  anciennes  élèves,  Zénabou  et  Thénen,  qui,  ce- 
pendant, étaient  déjà  membres  de  notre  troupeau  quand  elles 
se  marièrent.  Cela  avait  fini  par  ne  plus  plaire  du  tout  à Bo- 
kary  et  à Bandiougou,  lesquels  se  sentaient  humiliés  de  ne 
pas  occuper  dans  l’église  une  place  égale  à celle  de  leur 
femme.  Depuis  trois  ans  qu’ils  ont  quitté  Saint-Louis,  nous 
ne  les  avons  plus  jamais  revus. 

Heureusement  que,  si  les  uns  partent,  d’autres  reviennent. 
C’est  d’abord  Thiané,  cette  ancienne  pensionnaire  de  la  mis- 
sion, qui,  après  s’être  donnée  à Dieu,  avait  été  entraînée  aux 
plus  graves  désordres  par  un  des  jeunes  gens,  membre  de 
notre  Église  (1).  Sa  conscience  a fini  par  parler.  Thiané  a 
rompu  (extérieurement  du  moins)  avec  le  mal.  Grâce  au  tra- 
vail que  nous  lui  avons  procuré,  elle  gagne  honnêtement  son 
pain  et  celui  de  son  enfant.  Nous  ne  nous  réjouissons  qu’en 
tremblant,  car  les  tentations  qui  l’entourent  sont  immenses. 

Demandez  à Dieu,  avec  nous,  qu’il  la  préserve  de  « toute 
chute»,  et  la  ramène  entièrement  à Lui. 

L’autre  enfant  prodigue,  c’est  notre  brave  Jean  Damblé, 
lequel  nous  a causé,  lui  aussi,  à côté  de  beaucoup  de  joies, 
bien  des  angoisses.  Quand,  il  y a deux  ans,  il  nous  quitta 
pour  s’engager  comme  tirailleur  sénégalais,  il  semblait  qu’il 
fût  irrémédiablement  perdu,  qu’il  eût  foulé  aux  pieds  les  der- 
niers scrupules.  Nous  le  pleurions  comme  on  pleure  un 
mort.  Et  voilà  qu’un  jour  il  nous  écrivit  pour  nous  dire  ses 
regrets  et  nous  supplier  de  lui  pardonner.  Ah  ! C’est  que  le 
métier  militaire  avait  été  une  rude  école  pour  lui!  C’est  qu’il 
avait  touché  la  mort  de  près  ! c’est  qu’à  voir  ses  camarades 


(1)  Ce  jeuue  homme,  ancien  instituteur  de  la  mission,  est  mort  depuis 
lors,  après  avoir  manifesté  des  sentiments  de  profonde  repentance. 


132 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tomber  à ses  côtés  pour  ne  plus  se  relever,  il  avait  fait  des 
réflexions  salutaires...  Il  est  maintenant  de  retour  à Saint- 
Louis,  et  la  satisfaction  qu’il  nous  témoigne  de  se  retrouver 
près  de  nous  est  touchante.  Pourquoi  ne  pas  croire  qu’un 
jour,  — bientôt,  — je  pourrai  vous  dire  de  lui  : « Il  était 
perdu,  mais  maintenant  il  est  retrouvé.  » 

Je  reste  votre  bien  affectionné  et  toujours  dévoué. 

Benjamin  Escande. 


CONGO  FRANÇAIS 

NOUVELLES  DE  MM.  F.  FAURE  ET  E.  HAUG 

C’est,  comme  on  s’en  souvient,  le  25  janvier  que  M.  Faure 
s’est  embarqué  à Marseille,  à bord  du  Tibet.  La  veille  de  son 
départ,  plusieurs  amis  se  sont  réunis  pour  l’entourer  de  leur 
sympathie  et  de  leurs  prières.  Un  mot,  écrit  de  Marseille  au 
dernier  moment,  nous  apprend  combien  ces  témoignages 
d’affection  chrétienne  ont  été  précieux,  à notre  jeune  mission- 
naire. 

Par  une  lettre  datée  de  Dakar,  le  2 février,  M.  Faure  nous 
donne  de  bonnes  nouvelles  de  son  voyage  qui,  jusque-là, 
avait  été  des  plus  faciles,  grâce  à une  bonne  mer  et  au  fait 
que  le  voyageur  se  trouve  être,  de  sa  nature,  un  excellent 
marin.  Le  capitaine  du  navire  a également,  par  son  amabi- 
lité, apporté  sa  part  d’agrément  à la  traversée. 

« Nous  sommes,  écrit  M.  Faure,  onze  passagers  de  seconde 
classe,  dont  deux  prêtres  venant  de  Madagascar  et  allant,  l’un 
à Konakry,  l’autre  à Libreville,  et  une  sœur  allant  aussi  à 
Konakry.  Nous  avons  jusqu’ici  de  bons  rapports,  quoique  un 
peu  froids.  L’un  des  prêtres  a été  pris  d’un  accès  de  fièvre: 
je  lui  ai  communiqué  le  remède  au  poivre  de  Cayenne;  il  le 
connaît  déjà,  m’en  a dit  beaucoup  de  bien  et  compte  l’appli- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


133 


quer  aujourd’hui...  Il  se  trouve  aussi  à bord  des  employés 
d’administration.  J'ai  eu  de  bonnes  conversations  avec  l'un 
de  ces  derniers,  catholique  indifférent  ; nous  comptons  lire  la 
Bible  ensemble  dès  demain...  » 

Nous  ne  savons  que  fort  peu  de  chose  de  M.  Haug.  Il  nous 
écrivait,  à la  date  du  12  décembre,  qu’il  se  trouvait  seul  à 
Lambaréné,  s’y  livrait  à un  travail  acharné,  interrompu  ce- 
pendant par  de  fréquents  accès  de  fièvre.  Il  mentionne  un 
voyage  aux  postes  les  plus  avancés,  à cent  kilomètres  en 
aval  de  Lambaréné,  et  dit  qu’il  en  est  revenu  très  satisfait. 
M.  Haug  termine  sa  courte  missive  par  ces  mots  : « J’attends 
du  secours  avec  impatience.  » Nous  sommes  heureux  de  pen- 
ser que  ce  renfort  attendu  est  maintenant  près  de  lui  arriver. 


T AIT  I 

RÉUNIONS  DE  PRIÈRES  ET  DE  RÉVEIL  A RAIATÉA 

Nous  avons  publié,  en  décembre,  une  portion  de  lettre  du 
missionnaire  Brunei,  racontant  les  difficultés  politiques  que 
traversent  les  Iles  Sous  le  Vent,  Raïatéa  en  particulier.  Les 
extraits  suivants  diront  la  situation  telle  qu’elle  était  en  oc- 
tobre dernier  : 

« Quand  vous  lirez  ces  lignes,  un  conflit  sanglant  se  sera 
peut-être  produit...  Dès  son  arrivée,  le  3 août,  M.  Ghessé, 
commissaire  général  de  la  République  française,  a tenté,  mais 
en  vain,  d’arriver  à une  solution  pacifique  : ses  ambassa- 
deurs ont  été  éconduits  par  les  rebelles.  A Huahine,  la  famille 
royale  a déjà  abdiqué,  et  la  France  est,  désormais,  seule 
maîtresse  des  destinées  de  cette  île.  A Borabora,  la  reine  est 
toujours  reine;  la  loi  indigène  est  toujours  en  vigueur,  mais 
c’est  un  résident  français  qui  la  fera  exécuter.  Chez  nous,  au 
point  de  vue  politique,  horizon  bien  noir,  comme  aussi, 

10 


134 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


hélas!  au  point  de  vue  religieux...  Ne  crbyez  pas,  cher  mon- 
sieur Boegner,  que  te  soit  pour  vous  inspirer  la  pitié  què 
je  parle  ainsi.  La  pitié  deà  chrétiens  de  France,  ttOùs  n’en 
avons  pas  besoin;  ce  qu’il  nous  faut,  à noiis  autres  missioh- 
naires,  c’est  leur  sympathie  et  leurs  prières... 

«Notre  peiiple  taïtien  a entendu,  à la  fin  du  siècle  dernier, 
la  prédication  de  l’Évangile  et  a accepté  cet  Évangile  aü  com- 
mencement de  notre  dix-neuvième  siècle.  Mais,  où  sont  les 
fruits?...  L'amour  fraternel,  par  exemple,  manque  totale- 
ment parmi  eüx.  Le  mot  amour  revient  sans  cesse  sur  leurs 
lèvres,  il  est  dans  toutes  leurs  salutations;  mais  la  chose  elle- 
même  est  absente.  Pour. un  tronc  de  bananier,  pour  quelques 
pierres  du  chemin,  ce  sont  des  disputes  incessantes,  des  pro- 
cès et  des  cris.  Le  mois  dernier,  j’ai  exclu  de  l’Église  un 
diacre  et  sa  femme  trop  portés  à ce  genre  de  distraction  ou 
de  scandale.  Si  l’on  juge  de  la  foi  d’après  les  œuvres  qu’elle 
produit,  celle  des  Taïtiens  n’a  encore  que  peu  de  racines. 
Si  j’ajoute  que  la  sorcellerie  relève  la  tête,  je  vous  aurai 
convaincu  du  besoin  urgent  que  nous  avons  de  vos  prières 
et  de  l’intervention  de  notre  Dieu. 

« Préoccupé  de  cet  état  de  choses,  je  résolus,  à la  fin  du 
mois  d’âoût,  d’organiser  dans  le  temple  du  chef-lieu  une 
série  de  réunions  de  prières  destinées,  dans  ma  pensée,  à 
devenir,  avec  le  secours  de  Dieu,  des  réunions  de  réveil... 
Ma  proposition  fut  acceptée  par  l’Église  comme  par  les 
diacres,  et  les  réunions  furent  fixées  aux  9,  10  et  11  sep- 
tembre. Afin  que  les  exhortations  et  les  prières  de  nos  indi- 
gènes ne  se  perdissent  pas  dans  de  vagues  généralités,  je 
choisis  trois  sujets  bien  déterminés,  un  pour  chaque  jour  : 

«1°  Le  Péché  (sa  cause,  ses  fruits,  son  salaire); 

« 2°  La  Rédemption  (le  Rédempteur,  le  chemin  qui  conduit 
à Lui;  les  devoirs  de  ceux  qui  l’ont  trouvé); 

« 3°  Le  Royauime  des  deux  et  la  sanctification. 

« Le  lundi  9 septembre,  à sept  heures  et  demie  du  matin, 
nous  sommes  dans  le  vaste  temple  d’Outouroa  : hommes, 
femmes,  enfants,  chrétiens  et  non  chrétiens,  ont  répondu  à 


société  des  Dissions  évangéliques  de  paris 


135 


l’appel.  C’est  l’auditoire  du  dimanche  au  très  grand  complet 
Je  préside,  assisté  de  deux  diacres...  Après  que  ceux-ci  ont 
parlé  et  prié,  je  me  lève,  et,  m’adressant  aux  chrétiens  : 

« A Vous  la  parole  maintenant,  amis  ; que  celui  qui  a dans  le 
cœur  quelque  chose  à dire  à Dieu  ou  à ses  frères  ne  reste  pas 
itfùet.  » Un  membre  de  l’Église,  T.,  se  lève  et  me  répond  : 
— « Ne  sois  pas  fâché  de  ce  que  je  vais  te  dire,  mais  ce  que  tu 
nous  u^^ades,  nous  ne  l’avons  jamais  fait;  nous  ne  pou- 
vons, nous,  Taïtiens,  parler  en  public  comme  tu  nous  y 
engages.  » — « Puisque  toi  tu  n’as  rien  à dire,  répondis-je, 
reste  tranquille,  et  que  ceux  à qui  Dieu  inspire  quelques 
bonnes  paroles  nous  les  fassent  entendre...  » Ce  bref  avis 
sembla  ouvrir  toutes  les  bouches;  jusqu’à  midi,  prières, 
exhortations  et  cantiques  se  succédèrent  sans  interruption. 
T.  lui-même  fit  comme  les  autres. 

« Le  mercredi,  grâce  au  concours  de  la  partie  féminine  de 
l’Église,  flous  étions  encore,  à deux  heures,  dans  la  maison 
de  Dieu.  Au  début  de  cette  réunion,  j’avais  donné  la  parole 
aux  « sœurs»  aussi  bien  qu’aux  <* frères».  Elles  la  prirent 
courageusement,  et,  une  ou  deux  fois,  il  y eut  jusqu’à  trois 
où  quatre  voix  qui  se  firent  entendre  au  même  moment  dans 
les  différents  coins  de  l’auditoire,  pour  prier  oü  bien  pour 
exhorter  des  sœurs  plus  jeunes  à sortir  Tésolument  de  leur 
vie  de  péché. 

« Inutile  de  vous  dire  que,  pendant  ces  trois  jours,  toutes 
les  occupations  ordinaires  avaient  été  interrompues,  soit  chez 
les  commerçants,  soit  dans  les  plantations. 

a Et  maintenant,  que  dire  des  résultats?  Je  crois  qu’ils  ont 
été  plus  réels  que  visibles.  Il  y a eu  certainement  quelque 
chose  de  fait  parmi  les  Tauréa-réa  (indigènes  non  chrétiens). 
Plusieurs  se  sont  levés,  au  cours  de  ces  réunions,  et  ont 
fait  des  déclarations  de  foi  qu’ils  ne  démentiront  pas,  j’es- 
père. Quant  aux  chrétiens,  je  me  flatte  qu’ils  auront  été  un 
peu  seéoués,  ce  qui  était  mon  but  principal.  Pour  le  présent, 
je  les  vois  seulement  suivre  plus  régulièrement  le  culte;  mais 
j’ôse  espérer  de  la  bonté  de  Dieu  des  résultats  qui  se  mani- 


136 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


festeront  peu  à peu,  sous  des  formes  variées,  dans  l’Église  et 
au  dehors. 

« Le  jeudi  12  septembre,  nous  avons  eu  une  réunion  spé- 
ciale pour  les  enfants  et  la  jeunesse.  Nous  leur  avons  adressé 
de  pressantes  exhortations  entremêlées  d’anecdotes  à l’appui, 
et,  vers  dix  heures,  pour  ne  pas  les  lasser,  j’ai  terminé  la 
réunion  en  annonçant  que  je  commencerais  pour  les  aînés, 
âgés  d’au  moins  quatorze  ans,  qui  le  désireraient,  une  ins- 
truction religieuse  le  jeudi  matin.  Neuf  se  sont  présentés,  et, 
sur  ma  demande,  ont  mis  par  écrit  leurs  intentions  pour 
l’avenir.  Voici  ce  que  m’a  écrit  Rité,  un  de  mes  meilleurs 
élèves,  âgé  de  seize  ans  : 

« A M.  Brunei,  missionnaire.  Je  te  fais  savoir  ma  pensée 
« sur  cette  classe  du  jeudi.  Je  désire  la  suivre  pour  acquérir 
« maintenant  de  l’instruction,  et,  plus  tard,  quand  périra 
« mon  corps,  la  vie  éternelle.  » 

« D’un  autre  : — a Je  désire  suivre  ta  classe,  et  voici  la  ré- 
« solution  que  j’ai  prise  : rejeter  à jamais  loin  de  moi  les 
« mauvaises  paroles  et  le  mensonge,  et  devenir  un  serviteur 
« de  Dieu  dès  maintenant  et  à toujours.  Amen.  Tamuéla.  » 

« D’un  autre  encore  : «Voici  pourquoi  je  désire  faire  partie 
« de  cette  classe  du  jeudi,  c’est  afin  d’être  aussi  conduit  par 
« toi  sur  le  droit  chemin.  Tua.  » 

« Enfin  cette  lettre,  d’une  jeune  fille  de  dix-sept  ans,  nous 
a beaucoup  réjouis  : — « Je  te  fais  savoir  le  désir  ardemment 
a désiré  par  mon  cœur.  Voici  mon  premier  désir  : que  j’ap- 
« prenne  à veiller  sur  moi-même  en  présence  des  tentations 
« du  diable.  Voici  le  second  : que  j’apprenne  à toujours 
« mieux  connaître  et  comprendre  la  Parole  de  Dieu.  Voici  le 
« troisième  : quand  mon  cœur  aura  été  éclairé  par  cette  Pa- 
« rôle,  me  donner  toute  entière  à Jésus  et  le  servir  Lui  seul, 
« en  me  souvenant  que  si  j’ai  une  demeure  agréable  sur  cette 
« terre,  je  dois  rechercher  une  demeure  meilleure  encore 
« pour  mon  âme  quand  viendra  la  fin.  Tels  sont  mes  vrais 
« désirs;  c’est  tout.  Térani.  » 

« Vous  savez,  cher  monsieur,  que  le  catéchuménat  est 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


137 


inconnu  dans  nos  îles...  Aurai-je  la  joie  de  voir  ces  neuf 
jeunes  gens  persévérer?  Dieu  le  sait,  et  Dieu  le  veuille. 

J’ai,  une  fois  de  plus,  repris  l’école  de  semaine,  après  un 
mois  et  demi  de  vacances.  Nous  dépassons  toujours  la  cen- 
taine. Et  notre  instituteur?  Quand  viendra-t-il  à notre  aide? 
Ce  cri,  cet  appel  est  bien  monotone;  mais  vous  nous  excusez, 
n’est-ce  pas?  vu  l’urgence. 

« L’influenza  fait  des  ravages  dans  nos  îles.  Nous  y avons 
passé,  ma  femme  et  moi,  mais  aujourd’hui  nous  sommes  sur 
pied.  Notre  Evangéline  se  porte  à merveille. 

« G.  Brunel.  » 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 

LES  MASSACRES  D’ARMÉNIE  ET  LES  MISSIONS 

Peu  d’œuvres  inspiraient  jusqu’ici  à l’ami  du  progrès  une 
satisfaction  et  presque  un  orgueil  plus  légitime  que  le  travail 
accompli  en  Orient  depuis  soixante-dix  à quatre-vingts  ans, 
par  les  missions  américaines.  Tout  était  propre  à inspirer 
l’admiration  : le  plan  en  avait  été  conçu  d’emblée  avec  une 
sorte  de  majestueuse  grandeur.  L’ambition  de  ces  hommes 
venus  de  l’extrême  Occident  était  de  rendre  aux  lieux  qu’a- 
vaient sanctifiés  la  vie  et  la  mort  du  Christ  et,  en  général, 
aux  peuples  de  l’Orient,  les  bienfaits  de  l’Évangile  qu’ils 
avaient  reçus  jadis  eux-mêmes  de  ces  contrées  lointaines;  et, 
après  avoir  relevé  les  chrétiens  d’Asie,  ils  nourrissaient  l’es- 
pérance d’agir  par  eux  sur  les  musulmans. 

Non  seulement  le  plan  était  grand  et  généreux,  mais  les 
deux  pionniers  qui  en  tentèrent  la  réalisation,  Plinius  Fiske, 
cousin  de  Fidélia  Fiske,  et  Lévi  Parsons,  étaient  des  hommes 
et  des  chrétiens  de  premier  ordre.  C’était  le  moment  où  la 
nation  grecque  donnait  le  branle  et  s’apprêtait  à secouer  le 


138  JOURNAL  DES  RISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


joug  du  Croissant.  Les  deux  jeunes  missionnaires  améri- 
cains purent  encore  faire  pénétrer  l’étude  du  Nouveau  Testa- 
ment parmi  les  800  étudiants  du  beau  collège  de  Chio  peu  de 
temps  avant  l’épouvantable  massacre  çxercé  par  les  Turcs  sur 
la  population  grecque.  A eux  se  joignit  bientôt  comme  com- 
pagnon de  travail  Jonas  King,  qqi  fut  le  premier  missionnaire 
subventionné  parla  Société  de  Paris,  et  le  même  qui  eut  sur 
madame  André-Walther  une  influence  décisive,  ainsi  que  le 
constate  son  fils,  le  regretté  Alfred  André,  dans  le  beau  vo- 
lume qu’il  a consacré  à la  mémoire  de  sa  mère. 

Hélas  ! la  carrière  si  bien  commencée  des  deux  envoyés  de 
l’Évangile  fut  arrêtée  dès  son  printemps.  Nous  ne  les  suivrons 
pas  dans  leur  pèlerinage  savant  et  fructueux  aux  sept  Églises 
de  l’Apocalypse,  ni  à Alexandrie  et  à Jérusalem.  Parsons  suc- 
combait à ses  fatigues  dès  le  10  février  1822;  il  s’éteignit 
dans  les  bras  de  son  ami  Fiske  en  lui  disant  : « L’ange  de 
l’Éternel  campe  autour  de  ceux  qui  le  craignent,  et  les  ga- 
rantit ».  Le  23  octobre  1825,  Fiske  succombait  à s.on  tour  à 
Beyrouth,  à l’âge  de  trente-trois  ans,  déclarant  avec  bonheur 
qu’il  estimait  que  sa  pensée  directrice,  pendant  les  dix-sept 
dernières  années  de  sa  vie,  avait  été  l’honneur  de  Jésus-Christ 
et  le  bien  de  son  Église.  Quant  à Jonas  King,  il  se  consacra  à 
la  Grèce,  dont  il  avait  épousé  une  des  filles,  et  où  il  est  mort 
il  y a fort  peu  d’années;  mais  son  passage  dans  le  Liban 
ne  fut  pas  sans  laisser  de  trace.  Bon  influence,  quoique  de 
courte  durée,  y avait  été  profonde,  et  donna  à l’Église  évan- 
gélique de  Syrie  son  premier  martyr,  le  noble  Asaad-el-Shi- 
diak.  L’un  des  principaux  centres  de  l’activité  missionnaire 
américaine  fut  désormais  Beyrouth,  alors  petite  vijle  de 

12.000  âmes,  qui  est  devenue  une  immense  cité  de  près  de 

100.000  habitants.  C’est  là  que  vient  de  mourir,  après 
soixante  ans  de  ministère,  Cornélius  Van  Allen  Van  Dyke, 
laissant  comme  prix  de  ses  longs  travaux  une  traduction 
classique  de  la  Bible  en  arabe. 

Il  y aurait  un  magnifique  livre  à écrire  pour  retracer,  après 
ftufus  Anderson,  la  marche  ascendante  sûre  de  l’ouvre 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


139 


commencée  avec  tant  (le  foi,  au  milieu  (les  troubles  de  la 
guerre  d’indépendance  grecque.  Pour  ne  parler  que  de  la 
Syrie,  on  y compte  aujourd’hui  (1894)  18,837  écoliers,  dont 
9,081  filles,  dans  200  écoles  entretenues  par  18  sociétés;  les 
seules  29  écoles  de  madame  Bowen  Thompson,  continuées 
par  madame  Mott,  ont  3,500  enfants.  On  compte  en  Syrie 
31  lectrices  de  la  Bible  ; une  école  normale;  depuis  1866,  une 
université  avec  l’école  de  médecine  du  docteur  Post  et  de  ses 
collègues;  et,  depuis  1874,  un  collège  théologique.  Les  dia- 
conesses de  Kaiserwerth  y ont  également  un  pensionnat. 
Ce  qu’est  devenu  Çeyrouth  pour  la  Syrie,  Andrinople,  Sa- 
makow  l’ont  été  pour  la  Bulgarie;  Marash,  avec  son  collège  et 
ses  écoles,  pour  la  ÇhaJdée;  Ormiah,  pour  la  Perse;  Mar- 
sovau,  Aïntab  et  surtout  Harpout,  avec  ses  12  constructions 
missionnaires,  pour  les  Arménieps.  C'est  ainsi  que  se  sont 
successivement  formés  et  développés  des  centres  scolaires  et 
théologiques  pour  les  quatre  langues  principales  que  l’on 
parle  dans  l’empire  turc.  C'est  sur  ce  magnifique  travail,  sur 
ces  champs  si  féconds  de  culture  intellectuelle,  de  charité 
chrétienne,  de  persévérance  et  de  foi,  que  vient  de  s’abattre 
la  main  meurtrière  du  fanatisme  musulman,  dans  l'intention 
évidente  de  ruiner  si  possible  définitivement  pes  peuples  qui 
pommençaient  à relever  la  tête  et  pour  les  empêcher  d’ar- 
river jamais,  comme  |es  Grecs  et  les  Bulgares,  à l’émanci- 
pation nationale. 

Nos  lecteurs  se  spnt  deipandé  certainement  bien  des  fois, 
durant  ces  derniers  mois,  quel  est  le  devoir  des  chrétiens 
d’Qccident  en  face  des  atrocités  sans  nom  qui  se  sopt  accom- 
plies depuis  le  mois  d’aout  dernier  contre  leurs  frères  d’0~ 
rient. 

Le  pitoyable  avortement  des  prétendus  essais  de  réforme 
promis  par  le  sultan,  l’humili^ntp  impuissance  de  la  diplo- 
matie européenne  qui  s’est  effrayée  de  son  ombre  et  dont  le 
discours  de  la  reine  Victoria  semble  affirmer  plus  ou  moins 
l'incompétence  volontaire,  la  misère  immense  des  survivants, 
]Les  25  à 40,000  meurtres,  les  horreurs  sans  nom  commises 


140 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


sur  des  femmes  et  des  enfants,  en  partie  au  nom  du  sultan, 
tout  cet  ensemble  de  crimes  qui  ont  dépassé,  dit-on,  les  bou- 
cheries de  Ghio  en  1822,  tout  cela,  se  demande-t-on,  doit-il 
en  définitive  n'aboutir  qu’à  des  articles  de  journaux  et  à 
des  lamentations  de  philanthropes  bien  intentionnés,  mais 
impuissants?  Y a-t-il  une  réponse  à donner  à ces  ques- 
tions angoissantes?  Il  y a peut-être,  au  milieu  des  faux 
rapports  que  publie  une  presse  intéressée  et  souvent  vénale, 
à répondre  d’abord  par  la  constatation  des  faits.  Ajoutons-y 
un  souvenir  reconnaissant  et  pieux  pour  les  dix-neuf  pasteurs 
arméniens  protestants  qui  sont  morts  martyrs  de  leur  foi; 
enfin,  et  c’est  là  surtout  le  but  de  ces  lignes,  établissons  par 
des  preuves  sans  réplique  l’admirable  tenue  des  mission- 
naires faisant  face  à l’orage,  se  donnant  tout  entiers  à leur 
œuvre  sainte  et  exposant  joyeusement  leur  vie  dans  une 
pleine  soumission  à la  volonté  de  Dieu. 

Quant  à la  marche  des  événements,  nous  n’avons  pas  sous 
les  yeux  le  rapport  de  la  commission  d’enquête,  mais  le  Mis- 
sionary  Herald , journal  de  la  grande  Société  de  Y American 
Board  du  mois  de  février,  ainsi  que  le  journal  du  Dr  Pierson  du 
même  mois,  expliquent  les  faits  d’après  des  renseignements 
de  première  main  et  des  données  très  sûres.  Les  massacre^, 
disent-ils,  n’ont  eu  lieu,  à quatre  exceptions  près,  que  dans  le 
territoire  des  six  provinces  o,ù  devaient  être  exécutées  les  ré- 
formes exigées.  Lorsque  les  bandes  dévastatrices  des  Kurdes 
et  des  Circassiens,  estimées  à trois  mille,  s’approchèrent  de 
la  frontière  des  deux  provinces  de  Sivas  et  d’Angora,  elles 
furent  rencontrées  et  éconduites  par  les  autorités  locales  et 
par  un  certain  nombre  de  musulmans  influents  de  la  pro- 
vince d’Angora,  qui  les  obligèrent  à reculer  en  leur  déclarant 
qu’elles  n’étaient  point  autorisées  à dépasser  la  province  de 
Sivas.  Les  massacres  commencèrent,  de  l’aveu  de  tous,  au 
moment  même  où  la  Porte,  ayant  la  main  forcée  par  les 
puissances  européennes,  promettait  d'entreprendre  les  ré- 
formes si  longtemps  attendues,  C’est  alors  que  les  premiers 
meurtres  en  ‘masse  eurent  lieu  à Trébizonde.  L’attaque  se 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


141 


limita  presque  exclusivement  à la  population  arménienne.  A 
Marash,  les  trois  écoles  de  la  mission  américaine  furent  pil- 
lées, l’une  d’elles  brûlée,  mais  les  bâtiments  du  collège  des 
filles,  où  résidaient  les  Américains,  ne  furent  point  détruits. 
A Harpout,  huit  bâtiments  de  la  mission  furent  brûlés,  mais 
les  vies  des  Américains  furent  épargnées. 

Quant  à la  méthode,  elle  a été  uniforme,  consistant  à tuer, 
dans  un  temps  limité,  un  aussi  grand  nombre  d’Arméniens 
que  possible  et  à réduire  leurs  familles  à la  mendicité. 

On  a choisi,  pour  ces  meurtres,  les  heures  des  affaires,  et, 
lorsque  la  peur  faisait  fermer  aux  Arméniens  leurs  magasins, 
les  autorités  locales  induisaient  par  de  fausses  promesses  les 
infortunés  négociants  à rouvrir  leurs  bureaux.  A peu  près 
partout,  les  musulmans  ont  commencé  par  une  attaque  si- 
multanée contre  les  marchés,  immédiatement  après  la  prière 
de  midi,  faisant  main  basse  sur  tous  les  patrons  et  leurs 
commis  ! A Diarbékir,  non  contents  de  tuer  et  de  piller,  ils 
ont  brûlé  les  magasins.  A Erzeroum  et  Sivas,  ils  se  sont 
abattus  sur  un  grand  nombre  d’autres  maisons.  Il  faut  re- 
marquer que  la  chose  s’exécutait  avec  un  certain  ordre.  Le 
commencement  et  la  fin  de  l’horrible  besogne  se  faisaient  sur 
un  signal  que  donnait  le  cor  de  chasse.  Après  le  mas- 
sacre, on  contraignait  les  parents  des  victimes  à enterrer  les 
cadavres.  A Erzeroum,  cinq  cents,  et  à Sivas,  huit  cents  ca- 
davres nus  et  mutilés  ont  été  ainsi  traînés  dans  les  cime- 
tières et  déposés  dans  une  fosse  commune.  On  estime  le 
nombre  des  victimes,  dans  les  six  provinces,  de  vingt-cinq  à 
quarante  mille.  Un  correspondant  très  bien  informé  insiste 
sur  la  marche  systématique  des  massacres. 

D’après  le  plan  de  réforme  dressé  sur  le  papier,  les 
charges  civiles,  les  emplois  de  juges  et  de  directeurs  de  la 
police  devaient  être  répartis,  dans  les  six  provinces,  entre 
mahométans  et  chrétiens,  au  prorata  de  la  population  de 
chaque  localité.  C’était  là  « la  pilule  amère  » que  ne  pou- 
vaient avaler  ces  Turcs  mahométans  qui  avaient  tenu  pen- 
dant six  siècles  les  Arméniens  sous  leur  verge  de  fer.  Le  re- 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ANGÉLIQUES 


142 


mède  a été  vite  trouvé,  et  aussitôt  appliqué  : réduire  partout 
le  nombre  des  Arméniens*  eu  massacrant  tous  ceux  qui  pou- 
vaient prendre  quelque  part  à la  reconstitution  sociale  pro- 
mise, et  liyrer  les  autres  à la  mort  par  la  misère  et  le  froid. 

p Ce  qu’il  y a de  plus  horrible,  dit  Je  correspondant  laïque 
de  la  Missionary  Review  de  février  1896,  c’pst  que  ces  atro- 
cités n’ont  pas  été  accomplies  par  une  troupe  de  bandits, 
mais  sur  l’ordre  4U  sqltan.  Je  le  déclare  hautement,  en 
m’appuyant  sur  les  preuves  les  plus  abondantes,  et  je  vou- 
drais que  mon  accusation  fût  aussi  retentissante  que  pos- 
sible, & la  lionte  du  sultan  iV^dulrHamid  II.  Il  est  reconnu 
aujour4’bui»  par  ceux  qui  ont  voix  au  chapitre,  que  c’est  le 
sultan  qui  a ordonné  aux  étudiants  softas  (de  ^larsovan) 
d’accomplir  leurs  actes  atroces  de  fanatisme.  — On  parle  de 
six  mille  victimes  dp  la  boucherie  du  mois  d’août.  — C’est 
lui  qui  a poussé  les  Kurdes  à se  jeter  sur  les  provinces  de 
l’Ouest.  Non  content  de  cela,  U a récompensé  par  des  faveurs 
en  argent  et  par  des  positions  gouvernementales  les  bour- 
reaux, qui  s’en  sont  vantés,  lorsqu’il  a envoyé  à Erzproum 
Shakir-Pacha  comme  commissaire  impérial,  chargé  d’exécuter 
les  réformes,  aussitôt  deux  horribles  massacres  s’y  sont  ac- 
complis sous  ses  yeux  et  de  son  aveu.  Après  cela,  qu’il  y ait 
encore  des  gens  disposés  à exalter  l’humanité  de  celui  qui 
ose  s’appeler  « l’ombre  du  Dieu  de  la  terre  a , c’est  lepr  af- 
faire! Quant  à nous,  dit  le  correspondant,  il  nous  semble 
parfois  que  Dieu  nous  ait  abandonnés  et  qu’il  ait  détourné  sa 
face  de  ce  pays.  L’histoire  des  derniers  mQis  est  une  igno- 
minie pour  notre  siècle  et  uue  tache  sur  le  nom  4e  l’Eurppp* 
Les  horreurs  et  les  souffrances  que  nous  ayons  eues  sous  les 
yeux  sont  sans  parallèle  dans  l’histoire.  » 

A ces  faits  atroces  il  fait  bon  opposer  la  fidélité  dos  mar- 
tyrs et  la  foi  des  survivants*  Quant  aux  martyrs,  Jp  temps 
n’est  pas  encore  venu  de  dresser  leurs  « aptes  authentiques». 
Nous  nous  contentons  des  dix-neuf  noms  de  pasteurs  protes- 
tants massacrés,  que  nous  publierons  prochainement  d’après 
le  Chrisfiqn. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


U3 


Mais  il  est  un  autre  fait  qui  reste  acquis  à l’histoire  4e  l’É- 
glise, c’est  que,  par  la  grâce  de  Dieu,  la  fidélité  à toute  épreuve 
des  missionnaires  américains  placés  au  sein  du  danger  a été 
absolue.  Nous  sommes  obligé  de  nous  borner,  et  de  nous 
contenter  de  quelques  citation^.  « Il  y a trois  ans,  écrit  W. 
A.  Farnsworth  de  Césarée,  je  me  sentais  déjà  comme  sur 
une  poudrière  ; les  explosions,  longtemps  retardées,,  ont  enfin 
éclaté,  et  ont  dépassé  toutes  nos  craintes.  Ceux  qui  ne  re- 
gardent les  missionnaires  que  comme  des  citoyens  améri- 
cains disent  bien  à leur  aise  : « Il  faut  qu’ils  fuient  comme  on 
« quitte  une  maison  en  feu.  >>  fit  certes  la  question  est  diffi- 
cile, quand  il  s'agit  de  la  vie  de  pqs  enfants.  Ma  fille,  avec 
ses  cinq  petits  enfants,  a été  pendant  des  semaines  sous  la 
menace  des  attaques  de$  hordes  de  meurtriers.  Devait-elle, 
avec  ses  chers  enfants,  aller  se  placer  au  loin  sous  la  protec- 
tion de  la  bannière  rayée  et  étoilée  des  États-jJpis?  Çqmbien 
je  suis  heureux  qu’elle  ne  m’ait  pas  posé  la  question,  mais  se 
soit  adressée  directement  au  Maître,  qui  l’a  placée  pù  elle  est. 
J’ai  la  confiance  qu’il  la  rendra  capable  de  répondre  de  la 
bonne  paapière.  Ni  elle  ni  aucun  autre  missionnaire,  que  je 
sache,  n’a  eu  un  instant  de  doute  sur  ce  point.  » 

« Nous  continuons,  écrit  dé  Schwjfàt  la  collaboratrice  de 
miss  Procter,  à poursuivre  notre  œuvre  cpmme  auparavant; 
nous  nous  sentons  entré  les  ipains  de  notre  Dieu  tpqt  puis- 
sant,  qui  nous  gardera  et  nous  digéra,  un  ipoment  après 
l’autre.  Cje  n’est  pas  au  berger  de  s’enfuir  au  premier  signal 
de  danger  et  d’abandonner  ses  Jjrebis.  Du  respe,  les  Euro- 
péens ne  sont  pas  plus  exposés  que  les  autres,  à l’heure  pré- 
sente, et  le  danger  est  àfissi  bien  pour  les  phrétiens  syriens 
que  pour  nous.  IJ  y a eq  dfi?  nouvelles  fausses,  des  exagéra- 
tions. Pans  le  Liban,  il  y a fort  peu  de  piusujmans,  et  la  po- 
pulation est  drpse  et  phpétienne,  de  sorfe  que  la  Palestine 
est  bien  plus  exposée  que  la  Syrie.  » 

« Y a-t-il  jamais  eu  un  temps,  éprit  un  autre,  où  les  mis- 
sionnaires ajent  pu  faire  autant  de  bien  au  peuple  effrayé, 
affligé,  désespéré,  pour  lequel  leur  simple  présence  est  pne 


iU 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


consolation  et  une  protection  ? Prenez  Talas,  faubourg  de  Cé- 
sarée  : ici,  aucun  massacre  n’a  eu  lieu  ; mais  la  terreur  a été 
telle  que  soixante  femmes  se  sont  réfugiées  dans  la  maison 
des  missionnaires  et  ÿ travaillent  maintenant  à fabriquer  les 
vêtements  pour  les  villageois  du  voisinage,  que  les  brigands 
ont  laissé  presque  nus.  Près  d’elles,  deux  dames  américaines 
continuent  leur  œuvre  éducatrice  au  milieu  des  soixante 
jeunes  filles  du  pensionnat  missionnaire.  Que  deviendraient 
ces  brebis  perdues  si  les  missionnaires  avaient  fui  à la  vue 
du  cyclone?  Elles  ont  agi  avec  sagesse  en  restant  à leur 
poste.  Nous  dirons  la  même  chose  de  la  brave  miss  Brower, 
de  Sivas,  qui  a si  noblement  arraché  à la  populace  une 
femme  arménienne  ; de  miss  Coffîng,  à ïladjin,  de  madame 
Mongommery  et  de  miss  Webb,  de  même  que  de  leur  coura- 
geuse compagne  en  Mésopotamie. 

« S’il  est  plus  sage,  même  pour  ces  femmes  isolées,  même 
pour  ces  mères  de  famille,  de  demeurer  au  poste,  certes 
la  question  ne  se  pose  même  pas  pour  les  missionnaires 
hommes.  C’est  en  temps  de  guerre  qu’une  nation  montre 
ce  que  vaut  son  patriotisme,  et  c’est  à l’heure  de  la  persécu- 
tion que  les  missionnaires  prouvent  et  ont  prouvé  quelle 
est  leur  véritable  valeur.  Prenez,  par  exemple,  l’un  des 
plus  jeunes,  M.  Wingate  : lui  et  miss  Burrage  étaient  seuls  à 
Césarée  dans  la  terrible  journée  du  30  novembre.  Une  lettre 
particulière  lui  rend  le  témoignage  suivant  : « Il  a sauvé  plu- 
sieurs vies,  il  a accompli  noblement  sa  tâche,  et  l’expérience 
de  sa  conduite  lui  a valu  auprès  de  plusieurs  un  crédit  im- 
mense. Il  vint,  accompagné  d’un  officier  de  police,  à Zab- 
tieh  pour  réclamer,  dans  une  maison  turque,  une  fian- 
cée et  la  fille  d’une  famille  de  son  voisinage,  enlevées  pen- 
dant les  troubles,  et  les  obtint  l’une  et  l’autre.  » Ces  faits  ap- 
partiennent à l’histoire,  et  si  nos  missionnaires  peuvent  rester 
dans  le  pays  (à  cet  égard  mes  seules  craintes  viennent  du  côté 
de  la  Russie),  une  belle  page  s’ouvre  pour  leur  activité  future. 
On  estime  tous  les  Arméniens  de  l’empire  à deux  millions  et 
demi,  qui  seront  désormais  plus  disposés  que  jamais  à ac- 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


145 


cepter  les  messagers  de  l’Évangile.  Que  tous  les  amis  de 
l’humanité  assistent  la  Société  de  Ja  Croix  Rouge  dans  son 
œuvre  généreuse.  » (On  sait  que,  contrairement  aux  espé- 
rances du  rédacteur  de  la  lettre,  le  sultan  aurait  refusé  de 
laisser  intervenir  la  Société  de  la  Croix  Rouge  ; mais  plu- 
sieurs espèrent  que  l’énergie  de  mademoiselle  Barton,  qui  se 
rend  à Constantinople,  parviendra  à triompher  des  résis- 
tances des  autorités.) 

Le  Dr  Barnum,  missionnaire  d'Harpout,  écrivait,  peu  de 
temps  avant  les  massacres  : « Quoi  qu’il  arrive,  nous  sommes 
heureux  de  nous  trouver  ici.  Si  le  Seigneur  permet  que  nos 
vies  soient  retranchées  au  milieu  de  l’émeute,  ce  sera  parce 
que  le  pays  pourra  être  béni  davantage  par  un  pareil  sacri- 
fice que  de  toute  autre  manière.  Peut-être  quelque  chose  de 
ce  genre  est-il  nécessaire  et,  pour  ma  part,  j’y  suis  tout  pré- 
paré. Ce  sont  des  temps  difficiles  où  il  faut  vivre  près  de  Dieu, 
et  j’espère  que  nous  le  faisons.  La  population  est  agitée,  mais 
nous  sommes  tranquilles,  car  nous  avons  l’assurance  qu’en 
tout  ceci  la  main  de  Dieu  est  à l’œuvre.  Il  ne  permettra  pas 
que  nous  commettions  quelque  grave  méprise  ». 

D’autres  lettres  respirent  la  même  assurance.  Citons  celle 
de  madame  Montgommery,  qui  occupe  seule  le  poste  d’A- 
dana,  sans  aucun  missionnaire  homme  près  d’elle.  Elle  écri- 
vait à ceux  qui  la  pressaient  de  quitter  la  station  : « Quoique 
nous  entendions  de  tous  côtés  parler  d’affreux  massacres  et 
que  nous  ne  sachions  pas  ce  qui  attend  notre  peuple,  cepen- 
dant la  foi  nous  assure  que  tout  ceci  fait  partie  des  événe- 
ments qui  préparent  la  venue  du  Royaume  pour  lequel  nous 
avons  tant  prié  et  si  longtemps  travaillé.  Pour  ma  part,  je 
considère  le  fait  de  me  trouver  au  poste  en  ce  moment 
comme  un  privilège  qui  couronne  ma  carrière,  et  comme  la 
joie  de  ma  vie  : d’abord  parce  que  notre  présence  a une 
grande  importance  pour  ce  peuple  en  détresse  et  dans  l’an- 
goisse, ensuite  parce  que  rien  ne  nous  révèle  mieux  que  les 
expériences  actuelles  la  réalité  de  l’action  de  Dieu  dans  les 
cœurs.  Certes,  la  foi,  la  charité  et  l’intelligence  spirituelle  que 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


plusieurs  montrent  sont  manifestement  une  œuvre  divine  ». 

Le  journal  missionnaire  s’étonne  que  le  gouvernement 
américain  tolère  les  obstacles  que  la  Porte  oppose  à l’établis- 
sement des  consulats  américains  d’Erzeroum  et  de  Harpout; 
en  même  temps  il  se  réjouit  de  voir  le  corps  missionnaire 
faire  si  vaillante  contenance  et  préférer  les  périls  et  la  mort  à 
l’abandon  de  leurs  fidèles.  lime  semble  que  nous  pouvons  af- 
firmer sans  présomption  qu’une  espérance  aussi  bien  fondée 
sur  Dieu  et  ses  promesses  ne  saurait  être  déçue,  et  que  tant  de 
souffrances  seront  bénies  et  fécondes.  On  aime  à constater, 
comme  l’a  fait  une  correspondance  du  Journal  de  Lausanne 
du  4 févier,  que  même  chez  les  musulmans,  de  généreux  dé- 
fenseurs se  sont  élevés  en  faveur  des  missionnaires  et  des 
chrétiens.  G.  Appia. 


BULLETIN  MENSUEL  DES  MISSIONS 

Le  mouvement  des  volontaires  de  la  mission. 

— L’événement  le  plus  remarquable  de  cette  année,  dans 
l’ordre  des  missions,  est  la  grande  réunion  d’étudiants  qui 
s’est  tenue  à Liverpool  du  1er  au  5 janvier.  Cette  réunion  se 
rattache  au  mouvement,  né  en  Amérique  et  propagé  plus 
récemment  en  Angleterre,  et  dont  l’effet  a été  de  grouper  des 
deux  côtes  de  l’Océan  plus  de  5,000  étudiants  fermement 
résolus  à se  consacrer  aux  missions  aussitôt  leurs  études 
achevées,  et  dans  la  mesure  où  il  sê  trouvera  des  Sociétés  ou 
des  Églises  disposées  à les  envoyer.  Nous  comptions  parler 
en  détail  de  ce  fait  aussi  nouveau  que  réjouissant  dans  l’his- 
toire de  l’Église,  mais  ce  sujet  a dû  céder  la  place  à celui  de 
l’Arménie,  d’un  intérêt  encore  plus  urgent. 

Une  statistique  des  missions  protestantes.  — 
D’après  cette  statistique,  publiée  dans  Y Almanach  de  la  grande 
Société  des  missions  dite  Àmencan  board , il  existe  actuéllë- 


BULLETIN  MENSUEL  DES  MlSSl'ONS 


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ment  15i  sociétés  ou  associations  de  missions  protestantes, 
employant  un  chiffre  total  de  11,574  ouvriers  européens,  doiit 
6,355  hommes.  Les  stations  sont  âu  nofiibrë  de  5,055,  les 
annexes,  de  17,84.3.  tl  y a 70,033  outriefs  indigènes  a-ssbciës 
au  travail  des  missionnaires.  Le  chiffre  des  ttiembres  commu- 
niants des  diverses  Églises  fondées  par  la  mission  se  monte 
à 1,157,668.  Lés  dons  reçus  par  lés  diverses  Sociétés  ont  été 
de  72  millions  209,035  francs.  Il  faut  ajouter  que  quelques- 
unes  des  sociétés  comprises  dans  cette  statistique  consacrent 
tout  ou  partiè  de  leur  activité  à la  mission  intérieure. 

Un  témoignage  en  faveur  des  missions.  — Les 
massacres  des  missionnaires  qui  se  sont  produits  en  Chine 
et  les  horreurs  dont  l’Arménie  a été  le  théâtre,  ont  fourni  à 
un  certain  nombre  de  journaux,  Soit  en  Europe,  soit  en  Amé- 
rique, l’ôccâsion  de  renouveler  dés  attaques  déjà  anciennes 
contre  les  missions.  Un  journal  de  New-York  a publié  une 
lettre  de  M.  H.  S.  Maxim,  l’ittvënteur  du  fameux  canon  de 
ce  nom,  et  dans  laquelle  l’auteur  présente  les  missions  comme 
une  cause  de  perturbation  et  un  obstacle  à la  paix.  L'amiral 
américain  Georges  Ë.  Ëel-Knap  à répondu  à ces  attaques 
dans  le  Journal  de  Boston , par  ün  article  qui  renferme  un  des 
plus  beaux  témoignages  qui  aient  été  rendus  aux  missions 
ces  derniers  temps.  « Lés  railleurs  et  les  sceptiques,  y lisons- 
nous,  vous  diront  que  les  missions  ont  échoué  et  qu’aucun 
résultat  substantiel  n’â  été  obtenu  à la  suite  des  efforts  faits 
pour  évangéliser  l’Orient  et  d’autres  contrées.  CeS  esprits  in- 
crédules ne  voient  pas  cè  qüi,  cependant,  së  passe  sous  leurs 
yeux  : les  changements,  les  progrès  qui  ne  cessent  de  modi- 
fier la  condition  même  matérielle  de  l’univers...  Qui  sait?  Au 
moment  même  où  ils  décrient  l'oeuvré  des  missions,  ils  ti- 
rent peut-être  dans  leurs  affaires  un  profit  réel  de  l’œuvre 
accomplie  et  des  informations  fournies  par  les  missionnaires. 
Je  l’affirme  comme  un  fait  qui  ne  saurait  être  contredit  par 
personne  : depuis  les  empereurs,  vice-rois*  gouverneurs,  ju- 
ges, consuls,  généraux,  ministres,  amiraux,  marchands,  jus- 
qu’aux derniers  des  coolies,  il  n’est  personne  en  Chine  ou  au 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Japon,  dans  le  Siam  ou  en  Corée,  qui  ne  soit  redevable  cha- 
que jour,  pour  une  bonne  part,  de  sa  sécurité  et  de  sa  vie, 
au  travail  accompli  par  les  missionnaires.  >.• 

Un  déficit  comblé.  — L'Église  morave  a terminé  sa 
dernière  année  financière  avec  un  déficit  de  143,666  fr.  25 
dans  sa  caisse  des  missions.  Un  appel  à la  prière  a été  adressé 
aux  membres  de  l’Église.  Ceux-ci  se  sont  humiliés,  ont  fait 
des  sacrifices,  et  ont  réussi,  avec  le  secours  des  amis  que  les 
missions  moraves  comptent  dans  le  monde  entier,  à payer 
l’arriéré.  En  ce  moment,  l’Église  morave  demande  à ses 
soutiens  d’augmenter  de  200,600  francs  ses  ressources  an- 
nuelles pour  l’aider  à développer  son  œuvre,  notamment 
dans  l’Afrique  orientale  et  dans  le  Queensland. 

Le  Rév.  Nathanaël  Georges  Clark,  secrétaire  de 
Y American  Board,  la  plus  ancienne  des  Sociétés  de  missions 
américaines,  vient  de  mourir,  le  4 janvier  dernier.  11  avait 
débuté  dans  sa  charge  en  1866,  aux  côtés  du  Dr  Rufus  An- 
derson, et  y était  resté  jusqu’en  1894.  Pendant  ces  longues 
années,  il  avait  porté  le  poids  écrasant  de  la  correspondance 
et  de  la  direction  d’une  œuvre  qui  ne  compte  pas  moins  de 
20  champs  de  travail,  102  stations,  187  missionnaires  con- 
sacrés, 13  missionnaires  médecins,  180  femmes  missionnaires 
non  mariées;  en  tout  572  missionnaires,  hommes  et  femmes. 
Le  nombre  des  chrétiens  communiants  est  de  44,413,  répartis 
entre  461  Églises.  Les  écoles  de  la  mission  sont  fréquentées 
par  53,615  élèves;  et  le  revenu  de  la  Société  pour  1895  s’est 
élevé  à 3,583,685  francs.  C’est  principalement  au  Dr  Clark 
qu’est  due  la  part  de  plus  en  plus  grande  prise  par  Y American 
Board  à l’évangélisation  du  Japon.  Neesima,  le  patriote  chré- 
tien japonais,  le  fondateur  bien  connu  de  l’université  japo- 
naise, la  Doshisha,  n’eut  pas  d’ami  et  de  soutien  plus  fidèle 
que  le  Dr  Clark. 

Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20144. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


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SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


MADAGASCAR 


Sur  l’océan  Indien.  — A Tamatave.  — Une  délibération  des  mis- 
sionnaires de  l’Ernyme.  — Une  importante  démarche.  — Les 
hommes  que  réclame  l’oeuvre  de  Madagascar. 

* 

Nous  n’avons  jusqu’à  présent,  en  ce  qui  touche  Madagascar, 
que  des  sujets  de  reconnaissance;  on  en  jugera' tout  d’abord 
par  les  nouvelles  que  nous  avons  reçues  de  noft  délégués. 
Ecoutons  M.  Lauga  nous  rendre  compte  de  la  seco’ilde  partie 
de  la  traversée. 


A bord  de  Ylraouaddy,  27  janvier  1896. 

« Mon  cher  directeur, 

« Faut-il  vraiment,  comme  me  l’a  dit  mon  compagnon  de 
voyage  et  ami  Krüger,  que  vous  ayez  à chacune  de  nos  es-< 
cales  des  nouvelles  de  nous?  Si  cela  est  vrai,  il  ne  l’est  pas 
moins,  paraît-il,  que  c’est  à mon  tour  de  vous  donner  ces 

avril  1896.  11 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


nouvelles.  Le  malheur  est  seulement  que  j’aurai  tout  dit, 
quand  je  vous  aurai  appris  que  notre  voyage  se  poursuit  dans 
les  conditions  les  plus  favorables.  La  mer  est  décidément 
clémente  depuis  que  nous  avons  touché  à Djibouti,  et  les  pro- 
nostics quelque  peu  effrayants  qu’on  nous  avait  fait  entendre 
sur  notre  entrée  dans  l’océan  Indien  ne  se  sont  pas  réalisés, 
grâce  à Dieu.  Je  dis  « grâce  à Dieu  » parce  que  j’ai  avec  vous 
la  conviction  que  Dieu  dirige  les  détails  aussi  bien  que  l’en- 
semble de  notre  vie,  et  qu’il  lui  a plu,  dans  nos  circonstances 
particulières,  de  se  montrer  miséricordieux  en  nous  favorisant 
d’un  temps  tout  à fait  exceptionnel,  nous  assurent  les  hommes 
compétents  du  bord,  et  qu’ils  attribuent,  eux,  à cette  triste 
divinité  du  Hasard,  la  seule,  hélas!  que  semblent  connaître 
nos  co-passagers.  Oui!  c’est  la  bonté  de  notre  Père  céleste 
qui  nous  a épargné  jusqu’ici  les  petits  comme  les  grands 
déboires  d’une  mauvaise  traversée,  et,  quoi  qu’il  nous  réserve 
dans  l’avenir,  nous  l’en  remercions  du  fond  du  cœur. 

« Nous  l’avons  fait  aussi  dans  le  second  service  religieux  que 
nous  avons  célébré  hier  avec  dix  passagers  protestants,  dans 
le  fumoir  des  premières  que,  sur  ma  demande,  le  comman- 
dant et  l’aimable  commissaire  du  bord  ont  mis  gracieusement 
à notre  disposition.  C’est  la  première  fois,  paraît-il,  qu’on  cé- 
lèbre un  service  religieux  à bord  d’un  paquebot  des  Messa- 
geries, et  quelques  colons  fanatiques  de  Maurice  et  de 
Bourbon  s’en  sont  plaints,  nous  dit-on,  comme  d’une  provo- 
cation, malgré  le  caractère  tout  intime  de  ce  culte. 

« Vous  connaissez  par  expérience  la  monotonie  de  la  vie 
de  bord  et  je  n’ai  que  faire  de  vous  en  parler.  Aussi  bien  cette 
monotonie  a-t-elle  été  agréablement  rompue  par  nos  diffé- 
rentes escales  à Port-Saïd,  Djibouti  et  Aden,  qui  nous  ont 
jetés  en  quelques  jours  dans  cette  civilisation  orientale,  si 
différente  de  la  nôtre  et  que,  en  ce  qui  me  concerne,  je  voyais 
pour  la  première  fois,  vous  jugez  avec  quel  intérêt.  Si  seule- 
ment, à côté  de  cet  attrait  du  nouveau,  nous  retrouvons  à 
Zanzibar,  où  nous  allons  toucher  demain,  la  jouissance  spi- 
rituelle que  nous  a procurée  notre  visite  à la  Mission  médi- 


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cale  d’Aden,  dont  Krüger  a entretenu  vos  lecteurs  (1),  nous  es- 
timerons ne  pas  l’avoir  payée  trop  cher  par  six  longs  jours  de 
cette  vie  d’inaction,  bien  énervante  pour  certaines  natures.  Se 
trouver,  au  premier  contact  avec  des  hommes  qu'on  n’avait 
jamais  vus,  en  pleine  communion  d’esprit;  sentir  son  cœur 
vibrer  d’un  même  amour  dans  une  même  foi!  c’est  bien  l’un 
des  plus  précieux  privilèges  d’un  vrai  christianisme,  et  ce 
privilège,  les  courageux  docteurs  Young  et  Millar  nous  l’ont 
fait  expérimenter  une  fois  de  plus.  Douce  compensation  à 
l’épreuve  de  la  séparation  que,  du  reste,  nous  avaient  appor- 
tée déjà  toutes  ces  lettres  et  messages  télégraphiques  d'amis 
connus  et  inconnus  que  nous  avons  reçus  au  moment  même 
où  notre  paquebot  s’ébranlait  pour  se  lancer  sur  des  flots  uq. 
peu  trop  agités  au  gré  du  plus  grand  nombre.  Qu’ils  reçoi- 
vent ici  l’expression  de  notre  chaleureuse  reconnaissance 
tous  ces  amis  qui,  des  quatre  points  cardinaux  de  notre  chère 
patrie,  ont  tenu  à nous  dire  une  fois  de  plus  qu’ils  étaient 
avec  nous  par  le  cœur  et  la  prière.  Leurs  vœux  nous  ont  pro- 
fondément touchés  et  réconfortés  et,  en  les  remerciant  cor- 
dialement, nous  osons  leur  demander  par  votre  entremise  de 
nous  continuer  leurs  sympathies  et  leurs  prières  pour  une 
œuvre  qui  est  la  leur,  puisqu’elle  est,  par  la  grâce  de  Dieu, 
celle  de  toutes  nos  Églises  protestantes  de  France  ! Encore  un 
peu  plus  de  huit  jours  et,  Dieu  voulant,  nous  toucherons  le 
sol  désormais  français  de  Madagascar.  Que  Dieu  y réalise  pour 
nous  tous,  et  à sa  gloire,  la  belle  promesse  du  Psaume  121, 
verset  8. 

« Recevez,  mon  cher  ami,  pour  vous  et  pour  tout  votre  en- 
tourage, les  salutations  chrétiennes  bien  affectueuses  de  vos 
•deux  vieux  amis  tout  à vous  de  cœur 


« H.  Lauga.  » 

* 

* * 

Peu  de  jours  après  la  lettre  que  l’on  vient  de  lire,  un  autre 


(1)  Voir  à la  fin  de  cette  livraison,  page  193,  l’intéressant  article  de 
AI.  Krüger  intitulé  : Cheikh  Othman. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


courrier  nous  apportait  la  nouvelle  de  l'arrivée  à Tamatave 
de  nos  délégués,  et  de  leur  départ  presque  immédiat  pour 
Tananarive.  On  sait  que  ce  séjour  sur  la  côte  nous  préoccu- 
pait; nous  avions  été  avertis  qu’à  cette  époque  de  l’année 
tout  spécialement  il  offre  un  sérieux  danger.  Aussi  avons- 
nous  fait  ce  qui  dépend  de  nous  pour  l’abréger.  Grâce  à un 
télégramme  envoyé  par  les  soins  d’un  ami,  M.  W.  Thompson, 
des  porteurs  ont  été  envoyés  de  Tananarive  à nos  voyageurs, 
qui  ont  pu  ainsi  partir  sans  aucun  retard  pour  la  capitale. 
Ecoutons  M.  Krüger  nous  rendre  compte  de  cet  incident  si 
intéressant  du  voyage  : 


Tamatave,  le  5 février  1896. 

« Notre  séjour  à bord  de  l 'Iraouaddy  a pris  fin  aujourd’hui. 
La  première  nouvelle  que  nous  avons  eue  ce  matin  à bord, 
par  le  commis  que  M.  Ch.  Bang  a envoyé  à notre  rencontre, 
c’est  que  nos  porteurs  commandés  à Tananarive  n’étaient  pas 
encore  venus,  et  qu’il  y avait  peu  d’espoir  qu’il  en  vînt,  que 
les  compagnons  de  M.  Laroche,  arrivés  au  commencement 
du  mois,  n’avaient  réussi  à partir  que  samedi  dernier,  qu’il 
y avait  des  troubles  dans  le  pays,  qu’un  chef  de  fahavalos 
avait  été  fusillé  hier  à Tamatave.  Notre  compagnon  de  voyage, 
M.  Geldard,  négociant  ici  depuis  douze  ans,  ainsi  que  l'évêque 
anglican  nous  dit  que  nous  en  avions,  dans  ces  circonstances, 
pour  un  mois  de  séjour  à Tamatave. 

« Je  ne  sais  ce  que  pensait  mon  ami  Lauga,  j’avoue  que  je 
fus  un  peu  déçu  d’avoir  beaucoup  espéré. 

« Nos  colis  furent  embarqués  dans  un  canot;  l’évêque  de- 
manda à profiter  de  la  même  embarcation.  A moitié  chemin 
entre  le  paquebot  et  la  plage  de  Tamatave,  nous  croisons  un 
autre  canot  qui  portait  un  missionnaire  à la  rencontre  de  son 
évêque.  On  s’accoste,  et  nous  apprenons  par  cette  occasion 
que  vingt-six  porteurs  venaient  d’arriver  pour  nous  de  Tana- 
narive. Voilà  comment  il  ne  faut  jamais  douter  de  la  bonté  de 
Dieu. 


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« Tout  n’est  pas  encore  gagné;  nous  tâcherons  d’organiser 
notre  convoi  demain  matin  et  de  partir  dans  l’après-midi;  et 

idéjà  M.  Bang  nous  dit  qu’il  ne  faut  pas  compter  sur  tous  nos 
hommes.  On  en  demande  tant  que  l’un  ou  l’autre  pourrait 
bien  se  laisser  débaucher.  Il  nous  dit  aussi  que  les  prix  sont 
presque  doublés,  vu  l’afïluence  énorme  d’étrangers.  J’ajou- 
terai un  mot  demain  pour  vous  dire  comment  nous  aurons 
réussi  à partir. 

« La  chaleur  est  lourde  et  humide.  Le  thermomètre  marque 
33°  à l'ombre.  J’écris  dans  le  magasin  de  M.  Bang.  Dans  les 
rues  circulent  tous  les  types  de  la  création  : Malgaches  du 
jaune  au  noir,  Annamites,  Indous,  tirailleurs  algériens  et 
haoussas,  Européens,  la  plupart  à pied  comme  de  simples 
mortels,  quelques-uns  à mulet,  d’autres  en  filanzanes.  Il  y a 
ici  d’admirables  papillons  noir  et  azur  qu’on  prendrait  pour 
des  oiseaux.  Au-delà  de  la  rue,  une  végétation  merveilleuse, 
une  floraison  multicolore  s’épanouissent  dans  le  jardin  du 
voisin. 

« F.  H.  Kruger.  » 


« P.  S . — Les  vingt-six  hommes  sont  là,  les  colis  sont  dis- 
tribués, nous  partons  vers  quatre  heures.  Que  l’Éternel  aille 
devant  nous! 

« F.  H.  K.  » 


* 

* * 

Tandis  que  nos  délégués  s’acheminent  ainsi  vers  le  but  de 
leur  voyage,  il  semble  que  Dieu  les  y devance  et  prépare  les 
esprits  et  les  cœurs  à l’œuvre  qu’ils  vont  accomplir.  Nous 
apprenons  en  effet  que  le  16  janvier,  la  conférence  des  mis- 
sionnaires de  la  Société  de  Londres  établis  dans  l’Emyrne 
a adopté  des  décisions  qui  faciliteront  singulièrement  l’en- 
quête de  nos  envoyés.  Ils  ont  émis  et  envoyé  à leurs  directeurs 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


■ — — 

* 

le  vœu  que  ceux-ci  se  mettent  en  rapport  avec  la  Société  des 
Missions  de  Paris,  de  manière  à faciliter  l’intervention  du 
protestantisme  français  à Madagascar.  Leur  préoccupation  se 
porte  surtout  sur  la  nécessité  d’introduire  le  français  dans  les 
grandes  écoles  existantes.  Ils  motivent  ce  vœu  par  la  néces- 
sité de  montrer  aux  Malgaches  que  l’on  peut  être  à la  fois  bon 
Français  et  protestant,  et  de  détruire  ainsi  un  malentendu 
que  les  adversaires  de  l’Évangile  ne  cessent  d’entretenir  et 
d’exploiter.  En  terminant  ils  expriment  l’espoir  que  l’année 
ne  se  terminera  pas  sans  que  Madagascar  ait  reçu  la  visite  de 
missionnaires  protestants  français. 


* 

* * 

Si  de  Madagascar  nous  revenons  aux  événements  qui  se 
passent  sous  nos  yeux,  nous  sommes  heureux  de  pouvoir 
constater  des  faits  tout  aussi  encourageants.  Nous  avons 
mentionné,  il  y a un  mois,  la  démarche  que  M.  Munthe- 
Kaas  a faite,  au  nom  de  la  mission  norvégienne,  auprès  du 
ministre  des  colonies.  La  Société  de  Londres,  qui  avait  eu, 
dès  la  fin  de  l’année  dernière,  la  pensée  d’une  démarche  du 
même  genre,  et  la  Société  des  Amis  ou  Quakers,  ont  tenu  à 
veair  à leur  tour  donner  à notre  gouvernement  l’assurance 
du  zèle  qu’elles  mettraient  l’une  et  l’autre  à adapter  leur 
action  aux  conditions  nouvelles  où  elle  est  appelée  à s’exercer 
désormais.  Le  11  mars,  une  députation  composée,  pour  la 
Société  de  Londres,  de  M.  R.  Wardlaw Thompson,  secrétaire; 
de  M.  Cousins,  missionnaire  à Madagascar,  et  de  M.  Arthur 
Marshall,  membre  du  Conseil  directeur;  et,  pour  la  Société  des 
Amis,  de  M.  Watson  Grâce,  secrétaire;  de  M.  le  Dr  S.  Backwell 
Fenn,  directeur  de  l’hôpital  protestant  de  Tananarive;  et  de 
M.  Crosfield  (1),  a été  présentée  au  ministre  des  colonies  par 


(!)  Le  père  de  M.  Crosfield  s’est  acquis  des  droits  à notre  reconnais-» 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


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le  chargé  d’affaires  de  l’ambassade  anglaise  et  l’a  entretenu  de 
l’œuvre  faite  parles  deux  Sociétés  à Madagascar.  Les  commu- 
nications faites  au  ministre  avaient  été  au  préalable  rédigées 
et  traduites  en  français;  des  exemplaires  imprimés  de  ces 
deux  notes  nous  ont  été  communiqués;  nous  y trouvons  les 
déclarations  les  plus  satisfaisantes.  Les  deux  Sociétés  affir- 
ment leur  intention  de  développer,  dans  la  mesure  du  pos- 
sible, l’enseignement  du  français  dans  leurs  écoles  supé- 
rieures; elles  donnent  aussi  l’une  et  l’autre  l’assurance  de 
leur  vif  désir  de  travailler  à leur  œuvre  pacifique  en  pleine 
harmonie  avec  le  nouvel  ordre  de  choses  cordialement 
accepté;  l’une  et  l’autre  enfin  témoignent  de  la  reconnais- 
sance inspirée  aux  missionnaires  et  à leurs  directeurs  par 
l’attitude  bienveillante  du  général  Duchesne  et  de  M.  La- 
roche. 

Voici,  du  reste,  quelques  lignes  empruntées  à chacun  des 
deux  documents.  La  note  de  la  Société  de  Londres  se  termine 
ainsi  : a Les  directeurs  ont  la  conviction  que  le  gouvernement 
ne  saurait  trouver  à Madagascar  aucune  partie  de  la  popula- 
tion qui  soit  plus  intelligente  et  plus  amie  du  progrès  que 
celle  qui  se  trouve  placée  sous  les  soins  des  missionnaires  de 
la  Société  de  Londres,  ni  aucun  agent  européen  plus  sincè- 
rement désireux  de  servir  de  tout  son  pouvoir  les  intérêts 
supérieurs  du  peuple,  en  mettant  de  côté  tout  autre  motif, 
que  ne  le  sont  les  missionnaires  de  la  Société  des  Missions  de 
Londres.  » 

Voici,  d'autre  part,  comment  conclut  la  Société  des  Amis  : 
elle  assure  le  gouvernement  a que  tous  ses  efforts  tendront, 
dans  l’avenir  comme  dans  le  passé,  à la  diffusion  du  christia- 
nisme et  de  la  civilisation  du  peuple.  En  ce  qui  concerne  l’é- 
ducation, sa  ferme  intention  est,  dans  la  mesure  du  possible, 
de  faire  à l’enseignement  de  la  langue  française  la  place  qui 
lui  revient  dans  les  grandes  écoles.  Elle  a l’espoir  que  sous 


sance  de  Français  ; c’est  lui  qui  introduisit  à Paris  le  premier  convoi  de 
vivres  envoyé  à la  ville  affamée  par  les  Quakers  après  la  capitulation. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


un  gouvernement  bon,  sage  et  bienveillant,  le  vrai  progrès  et 
les  intérêts  supérieurs  du  peuple  de  Madagascar  seront  assurés 
et  pourront  se  développer  d’une  manière  constante  (1)  ». 

% 

* * 

Il  ne  nous  reste,  comme  conclusion  de  cet  article,  qu’à 
rappeler  et  à recommander  à nos  amis  la  question  des  hommes 
qu’il  faudra  pour  Madagascar  (2),  et  qui  bientôt,  sans  doute, 
nous  seront  demandés.  Nous  le  répétons,  ce  que  l’œuvre 
exige,  ce  sont  des  hommes  très  capables  et  animés  d’un  es- 
prit véritablement  chrétien  et  missionnaire.  Il  serait  déplo- 
rable que,  nous  trouvant  en  présence  d'un  gouvernement 
bienveillant,  de  Sociétés  des  Missions  toutes  prêtes  à faire 
place  à l’enseignement  de  notre  langue,  notre  protestantisme 
se  trouvât  hors  d’état  de  fournir  les  hommes  qui  lui  sont  de- 
mandés. 


NOTES  DO  MOIS 

Il  est  encore  impossible,  à la  date  où  nous  écrivons  (le 
25  mars),  de  dire  comment  se  terminera  notre  année  finan- 
cière. A l’heure  actuelle,  il  nous  reste  à recevoir  58,000  francs 
pour  atteindre,  avant  le  1er  avril,  le  chiffre  prévu  des  dépenses 


(1)  Dans  la  soirée  du  li  mars,  le  président  et  les  vice-présidents  de 
la  Société  se  trouvant  empêchés,  un  membre  du  Comité  a fourni  à un 
certain  nombre  de  ses  collègues,  de  membres  de  la  Société  centrale  et 
d’autres  personnalités  protestantes  l’occasion  de  se  rencontrer  avec  les 
délégués.  L’entretien  a été  aussi  intéressant  que  cordial.  Les  assistants 
ont  beaucoup  remarqué  une  déclaration  du  missionnaire  Cousins  qui, 
parlant  au  nom  de  ses  collègues  aussi  bien  qu’au  sien  propre,  a déclaré 
qu’il  considérerait  comme  un  crime  de  ne  pas  apporter,  par  une  adhésion 
sans  réserve,  un  appui  cordial  au  gouvernement  du  pays  auquel  les 
événements  ont  remis  le  soin  de  présider  aux  destinées  de  Madagascar. 

(2)  Voir  l’article  publié  sur  ce  texte  dans  notre  précédente  livraison, 
page  104. 


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157 


qui  se  monte  à 360,000  francs.  Hâtons-nous  d’ajouter  que  si 
l’on  tient  compte  des  rentrées  prévues  la  somme  encore  man- 
quante se  trouve  notablement  diminuée.  Cependant  telle  de 
ces  rentrées  peut  faire  défaut  ou  se  trouver  inférieure  à ce 
que  nous  espérons;  d’un  autre  côté,  les  dépenses  effectives 
peuvent  avoir  dépassé  nos  prévisions;  pour  toutes  ces  rai- 
sons, bien  qu’à  six  jours  de  la  fin  de  l’exercice,  il  ne  nous 
est  pas  encore  permis  d’en  préjuger  la  conclusion. 

Telle  qu’elle  est,  la  situation  est  encourageante  et  propre  à 
inspirer  la  reconnaissance.  Depuis  le  20  février,  nous  avons 
reçu  pour  l’œuvre  générale  74,000  francs.  Dans  cette  somme 
rentre  le  produit  de  la  vente  qui,  à la  fin  du  deuxième  jour, 
avait  atteint  21,213  fr.  30,  soit  615  fr.  35  de  plus  que  l’an  der- 
nier. Ce  chiffre  a déjà  été  augmenté  et  le  sera  encore  par  des 
recettes  additionnelles.  Nous  exprimons  notre  profonde  re- 
connaissance aux  amies  dévouées  auxquelles  est  dû  ce  ré- 
sultat. Dans  leur  nombre  nous  comptons  aussi  bien  les  dames 
organisatrices,  dont  l’effort  pendant  les  jours  de  la  vente  est 
énorme,  que  les  infatigables  travailleuses  des  réunions  de 
couture,  toujours  plus  nombreuses,  qui  envoient  à Paris  le 
produit  de  leur  travail.  Il  est  difficile  de  ne  pas  être  ému 
en  voyant  affluer  à la  Maison  des  missions  ces  paquets  grands 
et  petits,  qui  viennent  témoigner,  chacun  à sa  manière, 
que  partout,  auprès,  au  loin,  dans  les  villes,  dans  les  vil- 
lages et  jusque  dans  les  Églises  perdues  des  Cévennes  et  des 
Pyrénées,  on  aime  les  missions,  on  travaille  et  on  prie  pour 
elles. 

D'autres  efforts  expliquent  le  progrès  accompli  depuis  un 
mois.  Il  y a quelques  jours,  la  poste  nous  remettait  trois 
lettres.  La  première  venait  d’une  ville  de  l’Est  et  contenait 
325  francs,  « reliquat,  écrivait  notre  correspondante,  de  ce 
que  j’ai  dans  ma  caisse  des  missions  ».  La  seconde  portait  le 
timbre  de  Suisse;  elle  était  d’une  jeune  fille  : « Je  suis  heu- 
reuse, écrivait-elle,  de  pouvoir  vous  envoyer  encore,  avant  la 


458 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


clôture  des  comptes,  500  francs  que  je  viens  de  recevoir. 
J’espère  tant  que  vous  pourrez,  comme  l’année  dernière,  finir 
sans  déficit.  Ce  serait  si  beau  » ! Enfin  la  troisième  contenait 
ces  mots  : « J’ai  le  plaisir  de  vous  envoyer  une  somme  de 

10.000  francs  en  faveur  de  la  Société  des  missions  dont  vous 
êtes  le  directeur...  Je  vous  prie  seulement  de  ne  pas  me 
nommer,  et  de  remplacer  mon  nom  par  ces  mots  : Une  amie 
des  missions  qui  désire  garder  V anonyme.  » 

D’autre  part,  nous  avons  appris  par  le  journal  l 'Église 
libre  qu’une  famille  chrétienne  s’était  engagée  à verser  à 
notre  Société  une  somme  de  5,000  francs  si  d’autres  dons  ve- 
naient s’ajouter  au  sien  en  quantité  suffisante  pour  empêcher 
le  déficit.  Dieu  veuille,  en  réponse  à ces  efforts  et  aux  prières 
qui  de  bien  des  cœurs  montent  vers  lui,  nous  accorder  une 
fin  d’exercice  telle  que  nous  puissions  commencer  avec  joie 
une  nouvelle  année  de  travail. 

Cette  joie  ne  serait  pas  complète  si  les  fonds  du  Zambèze 
restaient  en  souffrance.  A l’heure  actuelle,  ils  sont  encore  de 

13.000  francs  environ  en  retard  sur  l’an  dernier.  Espérons 
que  ce  n’est  là,  en  effet,  qu’un  retard  et  que  d’ici  à peu  de 
jours  il  y sera  remédié  (i). 

Ainsi  que  nos  lecteurs  ont  pu  s’en  apercevoir,  notre  Comité 
a demandé  à une  collecte  spéciale,  faite  par  voie  de  démarches 
individuelles,  les  fonds  nécessaires  à l’envoi  d’une  délégation 
à Madagascar.  La  somme  demandée  est  de  20,000  francs;  si, 
comme  nous  l’espérons,  elle  dépasse  les  frais  de  voyage  et 
d’entretien  de  MM.  Lauga  et  Krüger,  le  reste  sera  mis  en  ré- 
serve pour  l’œuvre  à entreprendre  après  leur  retour.  A l’heure 
actuelle,  les  fonds  recueillis  atteignent  le  chiffre  de  16,000 
francs. 


(1)  Nous  apprenons,  à la  dernière  heure,  que  la  vente  organisée  par  la 
Zambézia,  société  de  jeunes  filles  de  Vevey,  a produit  3,150  francs. 


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159 


Comme  nous  l’avons  fait  prévoir  il  y a un  mois,  la  mesure 
prise  contre  la  mission  romande  ne  concerne  qu’un  seul  mis- 
sionnaire, M.  le  Dr  Liengme,  que  l’onaccuse  d’avoir  commis  des 
imprudences  de  paroles  dans  ses  relations  avec  le  chef  Goun- 
gounyané,  adversaire  du  Portugal,  et  qui  devra  être  trans- 
féré dans  un  autre  champ  de  travail.  Ces  nouvelles  nous  ont 
été  rapportées  directement  par  MM.  de  Coulon  et  Paul  Ber- 
thoud,  à leur  retour  de  Lisbonne.  Nous  avons  eu  le  plaisir  de 
les  voir  l’un  et  l’autre  à la  Maison  des  Missiops.  M.  de  Cou- 
lon, qui  est  membre  honoraire  de  notre  Comité,  a pu  assister 
à l’une  de  ses  séances  et  y recevoir  l’expression  de  notre  gra- 
titude pour  tout  ce  qu’il  a fait  pour  notre  Société. 

La  Mission  Romande  se  prépare  à faire  un  envoi  important 
de  missionnaires.  Le  11  avril  prochain  plusieurs  ouvriers  doi- 
vent s’embarquer  à destination  de  l’Afrique  du  Sud,  ce  sont  : 
M.  et  madame  Henri  Berthoud,  qui  retournent  à leur  poste 
après  trois  ans  de  congé;  M.  et  madame  Abel  de  Meuron; 
mademoiselle  Marguerite  de  Meuron  et  mesdemoiselles  Pittet 
et  Jacot.  M.  et  madame  Paul  Berthoud,  M.  et  madame  Eber- 
hard  et  M.  madame  Borel  suivront  par  un  courrier  ultérieur. 
Mademoiselle  Marie  \1abille,  qui  a passé  deux  ans  en  France 
pour  compléter  son  éducation,  repartira  également  par  le 
courrier  du  11  avril,  pour  prendre  du  service  dans  la  mission 
du  Lessouto. 

Le  27  février,  M.  et  madame  Allégret,  qui  se  trouvent  actuel- 
lement à la  Maison  des  Missions,  ont  été  réjouis  par  la  nais- 
sance d’un  second  fils  qui  a reçu  le  nom  d’Éric.  La  santé  de 
madame  Teisserès  laisse  toujours  à désirer  et  retardera  son 
départ  et  celui  de  son  mari.  Celui-ci  n’a  pas  non  plus  re- 
trouvé toutes  ses  forces;  il  a dû,  se  trouvant  très  fatigué, 
interrompre  une  tournée  dans  l’Est. 

Nous  rappelons  que  notre  assemblée  générale  annuelle 
est  fixée  au  23  avril  et  aura  lieu  à la  Rédemption,  sous  la 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


présidence  de  M.  J.  deSeynes.  La  réunion  familière  aura  lieu, 
comme  dordinaire,  le  dimanche  suivant,  dans  l’après-midi, 
à trois  heures,  à la  Maison  des  Missions.  M.  Àppia,  remis  de 
la  maladie  dont  nous  avons  parlé,  la  présidera.  Nous  espé- 
rons que  les  missionnaires  présents  à Paris  pourront  se  faire 
entendre  dans  ces  deux  réunions. 

Nos  journaux  religieux  ont  parlé  du  deuil  qui  a frappé,  à 
peu  de  jours  de  distance,  MM.  Léopold  et  Théodore  Monod. 
Nous  exprimons  à ces  deux  amis  notre  profonde  et  respec- 
tueuse sympathie.  Quand  M.  Léopold  Monod  a perdu  son  fils, 
il  revenait  de  la  tournée  de  collectes  qu’il  a faite  en  Angle- 
terre pour  notre  mission  du  Lessouto.  Quant  à madame  Théo- 
dore Monod,  elle  était  une  de  nos  fidèles  et  dévouées  collec- 
trices du  Sou  missionnaire  à Paris;  son  intérêt  soutenu,  sa 
présence  assidue  à nos  réunions  étaient  pour  nous  un  en- 
couragement. 

ENCORE  UN  OUVRIER  POUR  LE  CONGO 

Une  de  nos  plus  lourdes  préoccupations  vient  du  petit 
nombre  des  ouvriers  que  compte  actuellement  la  mission 
du  Congo.  Sans  les  pertes  qui  l’ont  affaiblie,  elle  compterait 
aujourd’hui  treize  personnes;  après  la  mort  de  MM.  Donzon 
et  Jacot  elle  est  manifestement  trop  peu  nombreuse.  Aussi 
est-ce  avec  une  joie  profonde  que  nous  venons  annoncer  à 
nos  amis  la  prochaine  entrée  en  ligne,  au  Congo  français, 
d’un  nouvel  ouvrier,  M.  Henri  Richard,  de  Villefranche. 

C’est  le  27  octobre  dernier,  dans  le  nouveau  temple  de  Lyon, 
que  M.  Richard  entendit  l’appel  auquel  il  vient  de  répondre 
avec  sa  femme.  C’était  à l’occasion  du  synode  des  Églises  li- 
bres. Une  grande  réunion  de  missions  avait  été  convoquée 
par  le  comité  auxiliaire  de  Lyon;  le  missionnaire  Allégret 
parla  de  la  mission  du  Congo;  le  directeur  rappela  que  ce  qui 
manque  encore  plus  que  l’argent,  ce  sont  les  hommes.  Cette 
pensée  s’empara  de  l’esprit  de  M.  Richard,  qui  depuis  plu- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


161 


sieurs  années  éprouvait  le  besoin  de  se  consacrer  entièrement 
à l’œuvre  de  Dieu,  et  peu  de  jours  après  nous  recevions  ses 
offres  de  services.  M.  Richard  se  proposait  pour  Madagascar. 
Nous  dûmes  l’engager  à attendre  que  le  rapport  de  nos  dé- 
légués nous  eût  permis  de  lui  dire  s’il  se  trouvait  dans  la 
grande  île  un  poste  répondant  à ses  aptitudes. 

Des  semaines  s’écoulèrent;  la  mort  de  M.  Jacot,  la  présence 
à Paris  des  missionnaires  Allégret  et  Teisserès  amenèrent  le 
Comité  à étudier  à fond  les  besoins  de  l’œuvre  du  Congo.  Une 
impression  de  plus  en  plus  nette  se  fit  jour  dans  nos  esprits; 
parmi  les  nombreux  ouvriers  que  réclame  cette  œuvre,  — elle 
n’exige,  nous  affirment  nos  missionnaires,  pas  moins  de  trois 
missionnaires  par  station,  sans  parler  d’un  quatrième  en  congé, 
— il  faut  faire  une  large  place  à l’élément  laïque.  En  particu- 
lier, il  faut  que  nos  missionnaires  puissent  être  déchargés , 
dans  la  mesure  du  possible,  de  la  partie  'matérielle  de  leur 
travail,  des  échanges,  delà  tenue  des  magasins,  de  la  corres- 
pondance et  de  la  comptabilité  qui  s’y  rattachent , des  états 
de  situation  qu’il  faut  dresser  pour  se  rendre  compte  du  travail 
de  la  scierie,  etc.,  etc.  Et  nous  nous  disions  qu’un  agent  laïque, 
pouvant  leur  rendre  ces  divers  services,  serait,  entre  tous,  le 
bienvenu. 

Or,  justement  à ce  moment,  M.  Richard  vint  à Paris.  A 
notre  grande  surprise,  il  ne  nous  parla  plus  de  Madagascar, 
mais  du  Congo.  De  lui-même,  en  lisant  notre  dernier  Rapport 
annuel,  il  en  était  venu  à l’idée  qu’il  manquait  à la  mission 
un  rouage  comme  celui  que  nous  venons  de  décrire,  et  qu’il 
pourrait  être  ce  rouage.  On  juge  de  notre  satisfaction  et  de 
notre  reconnaissance.  Après  1 enquête  et  les  pourparlers  in- 
dispensables, M.  Richard  fut  agréé. 

M.  Richard  quitte,  pour  aller  en  mission,  une  position  lu- 
crative de  commissionnaire  et  de  représentant  de  diverses 
maisons  de  commerce.  Sa  situation  était  en  voie  de  s’amé- 
liorer. Il  part  joyeusement,  n’ayant  depuis  des  années  qu’un 
désir,  s’employer  directement  et  sans  partage  à l’œuvre  de 
Dieu.  Sa  femme  partage  entièrement  ses  sentiments.  Ils  n’ont 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


162 


pas  d'enfants  et  sont  en  mesure  de  partir  dans  le  mois  de  mai, 
avec  M.  Allégret.  Ajoutons  qu’ils  ont  tenu  à prendre  à leur 
charge  tous  leurs  frais  d’équipement. 

Il  y a un  peu  moins  d’un  an  nous  parlions  de  notre  disette 
d’hommes,  et  nous  répétions  la  parole  de  Notre  Seigneur  : Il 
y a peu  d'ouvriers ! Et  depuis  lors,  nous  avons  successivement 
vu  venir  à nous  M.  et  madame  Mercier,  M.  Bolle,  M.  F.  Faure, 
M.  et  madame  Huguenin,  M.  et  madame  Richard,  — huit  ou- 
vriers sur  lesquels  nous  ne  pouvions  absolument  pas  compter, 
qui  nous  ont  été  donnés  les  uns  après  les  autres,  et  qui,  d’ici 
peu,  seront  tous  en  ligne! 

Oui,  notre  Dieu  exauce  la  prière.  Continuons  à lui  exposer 
tous  nos  besoins;  il  y répondra  a selon  ses  richesses,  avec 
gloire  ». 


UNE  FÊTE  MISSIONNAIRE  A RÉALVILLE 
(Tarn-et  Garonne). 

L’Église  de  Réalville  avait,  le  26  février  dernier,  le  privi- 
lège, trop  rare  dans  nos  paroisses  de  campagne,  d’assister  à 
l’une  de  ces  fêtes  qui  laissent  une  trace  bénie  dans  les  cœurs 
et  y font  naître,  mieux  que  tous  les  discours,  un  ardent  intérêt 
pour  l’œuvre  poursuivie  en  pays  païens  par  nos  chers  mis- 
sionnaires. Le  grand  attrait  de  la  journée,  fort  bien  organisée 
par  M.  le  pasteur  Diény,  c’était  la  présence  de  M.  Teisserès, 
qu’entouraient  plusieurs  pasteurs  de  Montauban  ou  des  envi- 
rons et  un  certain  nombre  d’étudiants  amis  des  Missions. 
Dans  l’après-midi,  malgré  la  difficulté  qu’éprouvent  ordinai- 
rement nos  paysans  à s’arracher  de  leurs  travaux  un  jour  de 
semaine,  un  nombreux  auditoire,  dont  les  Églises  voisines, 
Albias,  Bioule,  Négrepelisse  et  Caussade,  formaient  une  partie, 
se  pressait  dans  le  temple.  M.  le  pasteur  Louis  Lafon,  de 
Montauban,  qui  présidait,  nous  a montré,  dans  une  rapide 
introduction  à Y Histoire  des  missions  contemporaines,  l’exis- 
tence de  l’esprit  missionnaire  et  des  missions  elles-mêmes 


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depuis  Jésus-Christ  et  dès  les  premiers  siècles  de  l’Église,  et 
le  commandement  du  Christ  : « Allez  et  instruisez  toutes  les 
nations...  >:■  servant  de  mot  d’ordre  aux  apôtres  de  l’ancienne 
Europe,  de  la  Gaule  surtout,  pour  soumettre,  par  la  puis- 
sance du  Saint-Esprit,  les  païens  d’alors  à l’Évangile  de  Jésus. 
Et  de  ces  faits  se  dégageait  un  enseignement  que  M.  Lafon  a 
mis  en  lumière  en  terminant  : ce  que  l’Église  a toujours  con- 
sidéré comme  son  devoir,  c’est  son  devoir  aujourd’hui  encore. 

Avec  M.  D.  Benoit,  nous  avons  parcouru  ensuite,  à grands 
pas,  l’histoire  d’une  de  nos  missions  françaises,  populaire 
entre  toutes,  mais  sûrement  nouvelle  pour  plus  d’un  audi- 
teur, la  mission  parmi  les  Bassoutos.  Dans  une  allocution 
toute  vibrante  d’émotion,  l’historien  des  pasteurs  et  des  mar- 
tyrs du  désert  nous  a montré,  dans  ce  Lessouto  dont  il  nous 
a poétiquement  décrit  les  beautés,  les  progrès  et  les  diffi- 
cultés de  l’œuvre  des  Casalis  et  des  Arbousset.  L’heure  était 
déjà  avancée  quand  M.  Teisserès  a pris  la  parole.  Après  nous 
avoir  raconté  la  courte  histoire  de  la  mission  française  du 
Congo,  il  est  entré  dans  quelques-uns  de  ces  détails  que  peut 
seul  raconter  celui  qui  en  a été  le  témoin  et  l’ouvrier.  Je  ne 
saurais  dire  avec  quel  intérêt  l’auditoire  tout  entier  écoutait 
ces  récits  de  conversions,  lentes  et  difficiles  souvent,  mais 
complètes,  qui  sont  la  joie  et  le  suprême  encouragement  des 
missionnaires. 

Le  soir,  l’auditoire  était  plus  nombreux  encore;  une  séance 
de  projections  allait  nous  transporter  en  pleine  mission.  Pen- 
dant une  heure  M.  Teisserès  nous  a conduit  de  Talagouga  à 
Lâmbaréné,  dans  la  forêt  ou  sur  le  fleuve,  au  milieu  des 
villages  païens'  ou  sur  le  seuil  des  maisons  de  prières.  Et  nous 
nous  sommes  quittés  sous  l’impression  mélancolique  et  dou- 
loureuse de  la  dernière  de  ces  vues  : le  petit  cimetière,  clos 
de  planches,  où,  seule  encore,  mais  semblant  en  appeler  d’au- 
tres, se  dressait  une  croix...  Impression  bienfaisante,  plutôt, 
car  cette  croix,  c’est  ici,  non  le  symbole  de  la  mort,  mais  celui 
de  la  vie  conquise  par  la  croix  du  Christ  et  apportée  aux  païens 
par  des  hommes  pour  qui  mourir  c’est  vivre  encore. 


164 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Dieu  veuille  que  nos  Églises  gardent  de  cette  belle  journée 
un  intérêt  plus  grand  pour  nos  missionnaires,  pour  leur 
œuvre  et  pour  toute  l’œuvre  de  Dieu. 


Th.  Lelièvre. 


LESSOUTO 

NOUVELLES  DIVERSES 
Démission  de  M.  Preen.  — Nos  grandes  écoles. 

La  conférence[des  missionnaires  du  Lessouto  a dû  se  réunir 
à Morija  dans  le  cours  du  mois  qui  s’achève.  Entre  autres 
questions  portées  à son  ordre  du  jour,  se  trouvait  la  démis- 
sion de  M.  Jean  Preen,  que  la  fatigue  et  une  santé  diminuée 
plus  encore  que  l’âge  ont  obligé  à quitter  la  direction  de 
l’Ecole  industrielle  de  Léloaleng.  Cette  démission,  reçue  il  y 
a quelques  semaines  déjà  par  le  Comité,  sera  apprise  avec  re- 
gret par  tous  ceux  qui  ont  été  à même  d’apprécier  la  valeur 
et  l’importance  des  travaux  de  M.  Preen.  Celui-ci  est  au 
service  de  la  Société  depuis  1869;  il  compte  donc  vingt- 
six  ans  d’activité.  Après  un  court  séjour  au  Sénégal,  où  il 
accompagna,  en  qualité  d’instituteur,  MM.  Andrauit  et  Villé- 
ger,  M.  Preen  se  rendait  en  1872  au  Lessouto,  où  il  est  resté 
jusqu’à  ce  jour.  Son  activité  s’est  partagée  entre  la  station  de 
Matatiélé,  dont  il  fut  longtemps  chargé,  et  l’École  industrielle, 
d’abord  établie  à Thabana-Morèna,  oùM.  Germond  contribua 
beaucoup  à sa  création,  puis  installée  définitivement  à Léloa- 
leng, au-delà  de  l’Orange,  où  elle  a pris,  ces  dernières  années 
surtout,  un  beau  développement. 

Le  Comité  a exprimé  à M.  Preen  ses  affectueux  regrets  de 
sa  retraite,  et  sa  reconnaissance  des  services  qu’il  a rendus 
à notre  œuvre.  L’École  industrielle  a complété  l’organisme  de 
notre  enseignement  supérieur  au  Lessouto;  elle  a été  pour  les 
Bassoutos  eux-mêmes  d’une  utilité  qui  ne  fera  que  grandir, 


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165 


nous  en  avons  la  conviction.  M.  Edgar  Krüger,  qui  doit  suc- 
céder à M.  Preen  comme  directeur  de  l’École,  nous  écrit  : 
a Ce  sera  une  lourde  charge  et  je  me  demande  souvent  si  je 
pourrai  suffire  à la  tâche  tout  seul.  Je  pense  que  ce  sera 
dès  après  la  Conférence  que  j’aurai  à entrer  dans  mes  nou- 
velles fonctions.  Vous  avouerai-je  que  cette  perspective  me 
fait  quelquefois  un  peu  peur?  Vous  voudrez  bien  vous  souve- 
nir de  nous  dans  vos  prières...  » 

L’école  elle-même  va  bien;  M.  Krüger  nous  parle  de  travaux 
lucratifs  soit  de  construction,  soit  de  charronnage,  qui  ont 
pu  être  exécutés  parles  apprentis,  et  dont  le  produit  a permis 
de  faire  face  à certains  frais  indispensables  sans  peser  en  rien 
sur  la  Société.  Nous  y reviendrons  dans  le  rapport  annuel. 

L 3 Ecole  normale  de  Morija  vient  de  remporter  un  beau 
succès  aux  examens  annuels  de  la  Colonie  : sur  23  élèves  pré- 
sentés, 18  ont  été  admis.  Par  ce  succès,  cette  institution  s’est 
placée  au  troisième  rang  dans  la  série  très  nombreuse  des 
établissements  similaires  pour  indigènes  de  toute  l’Afrique 
du  Sud.  Il  y a lieu  de  bénir  Dieu  de  ce  beau  succès  et  aussi 
d’en  féliciter  le  directeur  de  l’Ecole,  M.  Dyke  qui,  par  son 
énergie  et  sa  persévérance,  contribue  puissamment  à maintenir 
notre  mission  à la  hauteur  où  elle  doit  rester  au  point  de  vue 
de  l’éducation,  pour  conserver  son  action  sur  la  marche 
païenne  et  maintenir  ses  positions  vis-à-vis  du  catholicisme 
et  du  ritualisme.  Rappelons  que  l’École  normale  compte  plus 
de  100  élèves. 

L "Ecole  de  jeunes  filles  de  Thaba-Bossiou , confiée  aux  soins 
de  mesdemoiselles  Cochet  et  E.  Jacot,  continue  de  son  côté 
son  travail  de  bonne  éducation  chrétienne.  Elle  possède  ac- 
tuellement 33  élèves.  Le  Petit  Messager  du  mois  prochain 
contiendra  sur  cette  école  des  détails  d’autant  plus  intéres- 
sants que  nous  sommes  restés  assez  longtemps  sans  pouvoir 
en  donner  des  nouvelles. 

Il  en  est  de  même  de  YÊcole  théologique  qui,  des  mains  de 
M.  Dieterlen,  a passé,  comme  nous  l’avons  expliqué  antérieu- 

12 


166 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


rement,  à celles  de  M.  Jacottet.  Les  cinq  élèves  qu’elle 
compte  viennent  de  terminer  leur  cycle  d’études.  M.  Jacottet 
nous  promet  à leur  sujet,  pour  ce  journal,  un  rapport  qui 
sera  le  bienvenu.  Nous  espérons  aussi  en  recevoir  un  sur 
l’ Ecole  biblique  que  dirige  M.  Alfred  Casalis  et  dont  nos  lec- 
teurs n’ont  pas  entendu  parler  depuis  bien  des  mois.  Voici, 
en  attendant  ce  rapport,  quelques  détails  : « L’école  compte 
actuellement  56  élèves.  Six  jeunes  gens  l’ont  quittée  récem- 
ment pour  aller  occuper  des  postes  d’évangélistes  au  Lessouto 
et  au  Transvaal.  Les  six  catéchistes  sortis  de  l’École  biblique 
pour  aller  au  Zambèze  continuent  leur  œuvre  avec  zèle  et 
courage,  et  sont  bien  secondés  par  leurs  femmes.  Leurs 
lettres  montrent  que  leur  œuvre  leur  est  chère  et  qu’ils  la 
font  avec  amour.  » 

AUX  APPROCHES  DU  DÉPART 

Lettre  de  M . Christol. 

Hermon,  ler  janvier  1896. 

Bien  cher  monsieur, 

Si  l’on  a fait  des  études  intéressantes  sur  le  jour  de  l’an 
chez  les  Japonais,  on  n’aura  certainement  pas  la  même  bonne 
fortune  dans  ce  pays.  Ce  jour  y ressemble  étonnamment  à un 
autre  jour.  Au  moment  où  je  vous  écris,  il  y a sans  doute  du 
bruit  sur  les  boulevards  de  Paris  ; ici,  pas  le  moindre  écho 
de  la  boutique  à treize  sous,  pas  seulement  le  plus  petit  cri 
de  joie  annonçant  qu’un  polichinelle  ou  un  jeu  de  quilles  est 
dans  les  bras  d’un  petit  garçon,  ou  une  poupée  sur  le  cœur 
d’une  fillette. 

A la  station  même,  on  bat  le  blé  ; là-bas  on  le  coupe  ; plus 
loin,  des  gens  sarclent  leur  champ,  tandis  que  d'autres  vont 
en  course.  N’allez  pas  supposer  au  moins  que  ceux-ci  vont 
faire  des  visites  de  jour  de  l’an  ou  déposer  leur  carte  chez  des 
personnages  officiels,  vous  vous  tromperiez  tout  à fait.  L’un  va 
peut-être  tout  bonnement  voir  si  sa  vache  a un  veau,  tandis 


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167 


que  l’autre  va  donner  un  coup  d’œil  à son  champ  d’avoine  ou 
est  à la  recherche  de  ses  moutons  échappés  la  nuit  der- 
nière... 

Un  de  nos  amis,  Ralabané,  nous  disait  ce  matin  que  beau- 
coup d’indigènes  ne  croient  pas  au  « nouvel  an  »,  et  disent, 
sans  y aller  par  quatre  chemins  : « Ké  papadi  féela  ! » — c’est 
une  chose  de  rien  ! 

Il  est  de  fait  qu’à  l’œil  nu  hier  ressemble  à aujourd’hui; 
quant  au  soleil  il  est  tout  aussi  brûlant  aujourd’hui  qu'hier. 
Aussi,  quoi  d’étonnant  si  nos  amis  les  Eassoutos  n’y  compren- 
nent rien  et  raisonnent  un  peu  comme  notre  petit  Gabriel, 
auquel  sa  maman  apprenait  la  venue  de  la  nouvelle  année  et 
qui  disait  : « Alors  il  y aura  quoi?  » 

Nous  avons  eu,  comme  les  années  précédentes,  une  réu- 
nion de  longue-veille  dans  la  nuit;  il  y avait  beaucoup  de 
monde,  car  ce  service  est  très  aimé  de  nos  chrétiens  d’Her- 
mon  ; puis,  chose  rare  dans  cette  saison  pluvieuse,  nous 
avons  eu  très  beau  temps,  et,  par  dessus  le  marché,  un  ma- 
gnifique clair  de  lune.  Cette  dernière  est  chargée  ici,  comme 
du  reste  un  peu  partout  en  Afrique,  de  l’éclairage  public, 
mais  rarement  elle  s’en  acquitte  aussi  bien  que  la  nuit  der- 
nière. 

L’éclairage  intérieur  de  l’église  était  aussi  fort  brillant  et 
bien  plus  lumineux  que  d’ordinaire  : il  faut  bien  marcher 
avec  son  siècle!  Nous  avions  allumé  notre  lampe  à une  extré- 
mité de  la  chapelle,  tandis  qu’à  l’opposé  nous  avions  installé 
une*douzaine  de  bougies;  aussi  on  voyait  très  bien  partout,  à 
part  au  centre  et  sur  les  côtés. 

La  réunion  a très  bien  marché  ; on  était  recueilli  et  ému  ; 
certains  chants  paraissaient  solennels  à ce  moment,  surtout 
l’un  des  plus  beaux  de  notre  recueil,  écrit  par  M.  Goillard,  sur 
un  air  exquis  de  Palestrina  : 

Yo  ! ho  phéla  ha  rona  keng  ?... 

« Oh!  qu’est-ce  que  notre  vie,  la  jeunesse  et  la  force?  C’est 

un  rêve  qui  nous  saisit,  c’est  un  simple  brouillard.  » 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Ce  moment  est  grave  aussi  pour  nous.  Dans  quelques  se- 
maines nous  devons  faire  nos  préparatifs  de  départ  pour  la 
France,  et  cela  pour  plusieurs  raisons  : nos  aînés  doivent  en- 
fin commencer  sérieusement  leur  éducation,  et  puis,  après 
quatorze  ans  de  séjour  au  Lessouto,  on  a besoin  de  rentrer 
quelque  peu  dans  la  vie  civilisée,  car  le  fardeau  d’une  Église 
comme  celle  qui  nous  est  confiée,  joint  aux  difficultés  de  la  vie 
particulière  à la  contrée,  moins  grandes  qu'au  Congo  et  au 
Zambèze,  cela  va  sans  dire,  mais  qui  n’en  existent  pas  moins 
et  font  sentir  leur  poids  avec  les  années,  rendent  ce  départ 
absolument  nécessaire. 

De  l’autre  côté,  nous  nous  sentons  tristes,  ma  femme  et 
moi,  de  quitter  le  Lessouto.  J’ai  beau  m’en  blâmer  sérieuse- 
ment et  trouver  cela  indigne  d’un  Parisien,  la  chose  est  ainsi. 
Nous  aurons  cependant  la  joie  de  revoir  notre  fils  aîné,  en 
France  depuis  plus  de  deux  ans,  des  parents  et  des  amis 
fidèles  dont  l’affection  nous  a été  précieuse;  mais,  tout  de 
même,  la  pensée  qu’il  nous  faudra  partir  d’ici  déjà  dans  le 
courant  de  mars,  nous  peine  véritablement  beaucoup.  Le 
pays  n’est  pas  précisément  beau,  il  n’a  rien  d’agreste  ou  de 
pittoresque  qui  le  rende  attrayant,  il  n’a  même  pas,  àHermon, 
le  moindre  cachet  africain,  mais  tant  d’amis  noirs  nous  le 
font  aimer,  et  tant  d’épreuves  partagées  ensemble  nous  y at- 
tachent! 

Voilà  huit  ans  que  nous  sommes  à Hermon,  remplaçant 
nos  amis  Dieterlen  appelés  à un  autre  poste.  L’œuvre  à la- 
quelle ils  avaient  tant  travaillé  a progressé  et  suivi  un  déve- 
loppement réjouissant. 

Les  écoles,  branche  de  l’œuvre  missionnaire  à laquelle  je 
me  suis  toujours  vivement  intéressé,  ont  grandi  sensible- 
ment, sinon  en  science,  du  moins  en  nombre.  Elles  comptaient 
à notre  arrivée  environ  380  élèves  pour  le  district  tout  en- 
tier; aujourd’hui  elles  ont  973  écoliers. 

A la  même  époque,  les  membres  de  l’Église  s’élevaient  au 
chiffre  de  588  qui,  cette  année,  atteint  celui  de  1,061.  Les  ca- 
téchumènes ont  aussi  progressé  dans  la  même  proportion. 


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Les  collectes  ont  suivi  un  mouvement  analogue  : il  y a six 
ans,  nous  avions  de  la  peine  à arriver  à la  somme  de  2,000  fr., 
tandis  que  celle  de  l'exercice  qui  vient  de  clore  hier  dépasse 
le  chiffre  de  5,100  francs.  Aussi  avons-nous  pu  donner  der- 
nièrement la  somme  de  1,550  francs  pour  l’évangélisation  du 
Lessouto,  sans  parler  d’une  petite  contribution  à celle  du 
Zambèze. 

La  masse  païenne  nous  entoure  encore  et  le  paganisme  en- 
serre nos  chrétiens  chez  lesquels  il  y a beaucoup  à corriger, 
à purifier  et  à perfectionner;  mais  néanmoins  ces  faits  indi- 
quent une  réelle  vitalité,  dont  nous  avons  lieu  de  bénir  Dieu, 
en  lui  disant  avec  le  sentiment  de  nos  faiblesses  et  de  nos  né- 
gligences : « Tout  ce  que  nous  faisons,  c’est  Toi  qui  l’accom- 
plis pour  nous»  (Ésaïe,  26,  12). 

Excusez  la  longueur  de  ces  détails  qu’il  m’a  paru  intéres- 
sant de  vous  citer. 

Veuillez,  cher  monsieur,  recevoir  nos  vœux  pour  madame 
Boegner,  vous-même  et  tous  les  habitants  de  la  Maison  des 
missions,  avec  nos  salutations  bien  cordiales. 

Votre  tout  dévoué  dans  le  Sauveur. 

Fréd.  Christol. 

— * ■ S tSS1  ~B  


ZAMBÈZE 

EN  QUITTANT  LE  ZAMBÈZE 

Lettre  de  M.  Coillard. 

Kazungula,  12  décembre  1895. 

Mon  bien  cher  frère  monsieur  Boegner, 

D’autres  vous  auront  écrit  à mon  sujet.  Mais  quoi  qu’il  m’en 
coûte,  et  bien  que  la  plume  tremble  dans  ma  main,  je  vous 
dois  quelques  lignes  pour  que  vous  ne  vous  exagériez  pas 
mon  état.  Je  suis  malade,  je  vous  l’ai  dit.  Voilà  longtemps 
que  je  lutte.  Mais  le  mal  se  confirme  et  m’impose  le  devoir  de 
quitter  le  pays  pour  ne  pas  être  un  fardeau  à mes  amis  et 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


aussi  pour  aller  chercher  les  secours  médicaux  que  nous 
n’avons  pas  au  Zambèze. 

Voilà  donc  ma  carrière  qui  va  se  clore  après  tout,  et  se 
clore  dans  de  sombres  nuages.  Je  ne  m’y  attendais  pas,  je  ne 
voulais  pas  y croire.  Je  m’obstinais  à compter  encore  sut 
quelques  années  de  ministère  actif,  et  je  nourrissais  même 
secrètement  l’espoir  que  c’est  dans  ce  pays,  à Séfula,  disons- 
le,  que  je  reposerais  à côté  de  celle  qui,  pendant  tant  d'an- 
nées, a partagé  tous  mes  labeurs  et  toutes  les  péripéties  de  ma 
vie  agitée.  J y comptais  tellement,  que  je  souriais  de  tout 
mon  cœur  aux  nouveaux  horizons  que  mon  voyage  chez  Ka- 
kengé  avait  ouverts  devant  moi.  Il  m’a  été  dur  de  plier  ma  vo- 
lonté à celle  de  mon  Maître.  Il  me  semblait  que  j’avais  de  si 
excellentes  raisons  1 Le  Seigneur  ne  discute  pas,  Lui.  11  appe- 
santit sa  main  sur  moi  et,  peu  à peu,  par  un  effet  de  sa  grâce, 
m’amena  une  fois  encore  à m’abandonner  entièrement  à sa 
volonté.  Il  m’apprit  même  tout  à nouveau  à la  trouver  non 
seulement  'parfaite , ce  dont  nous  ne  doutons  jamais,  mais 
aussi  bonne  et  agréable. 

Je  fis  donc,  avec  l’aide  de  mes  garçons,  ce  que  je  pus  en 
fait  de  préparatifs,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  grand’  chose.  Je 
désirais  ardemment  visiter  au  moins  une  dernière  fois  le  vil- 
lage; ce  désir  de  mon  cœur  ne  me  fut  pas  accordé,  un  dé- 
sappointement d’autant  plus  amer  que  je  ne  pouvais  pas 
recevoir  de  visiteurs,  à part  de  rares  exceptions.  J’eus  la 
douloureuse  satisfaction  d’un  tête  à tête  avec  Andréase,  mon 
pauvre  enfant  prodigue.  Il  reviendra,  j’en  ai  la  confiance,  et 
ses  confessions  me  l’affirment,  mais,  pour  le  moment,  il  en 
est  encore  à paître  les  pourceaux  et  à envier  leurs  carouges. 
Le  roi,  lui,  qui  venait  me  voir  assez  fréquemment,  me  disait 
un  jour  : « Ah  ! si  je  ne  suis  pas  encore  sauvé,  ce  n’est  pas  ta 
faute.  Tu  ne  t’es  pas  donné  de  repos,  mais  tu  ne  m’en  as  pas 
donné  non  plus!  » 

Le  Seigneur  dans  sa  bonté  me  donna  assez  de  force  et  de 
grâce  pour  adresser  à nos  chères  gens  mes  dernièresexhorta- 
tions  et  mes  adieux. 


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Et  puis...  le  30  octobre,  trois  ans  donc,  presque  jour  pour 
jour,  après  mon  arrivée,  je  quittais  Léaluyi,  la  termitière  de 
Loatile  qui  m’est  devenue  si  chère,  et,  porté  en  litière,  je  partais 
tout  seul  pour  Séfula.  Les  Adolphe  Jalla  devaient  partir  le  len- 
demain et  aller  m'attendre  àNalolo.  Trajet  bien  mélancolique 
et  bien  douloureux  que  ce  trajet  de  Léaluyi  à Séfula!  C’était  la 
première  fois  de  ma  vie  que  je  me  trouvais  berné  sur  ce  ma- 
telas que  chaque  pas  des  porteurs  faisait  rebondir.  Et  puis, 
cette  litière  se  cassa,  il  fallut  à plusieurs  reprises  la  raccom- 
moder; puis  survint  la  nuit,  un  violent  orage  éclata;  le  wagon 
qui  nous  avait  devancés  avec  les  bagages  s’était  ensablé  à dis- 
tance. C’est  au  milieu  de  la  nuit  que  nous  atteignîmes  la  sta- 
tion. Plus  de  lumière  à la  fenêtre  maintenant.  Personne  ne 
nous  y attendait  — et  qui  nous  aurait  attendus,  je  vous  prie? 
■ — Quelle  désolation  ! N’en  parlons  pas.  Je  me  jetai  sur  mon 
lit  où  je  me  roulai  dan§  l’angoisse  jusqu’au  matin.  Je  passai 
deux  jours  à Séfula.  Ouire  mes  expériences  purement  per- 
sonnelles, ce  fut  un  rayon  de  soleil  que  la  réunion  d’adieux, 
très  nombreuse  et  intéressante. 

Le  samedi  matin,  je  me  remis  en  litière  pour  Nalolo.  Mais 
avant  que  mon  triste  cortège  se  mît  en  route,  m’arriva  un 
exprès  d’Adolphe.  Son  corps  ruisselait  de  sueur,  il  avait  les 
yeux  hagards,  la  voix  étouffée,  ses  lèvres  tremblaient.  Qu’est- 
il  donc  arrivé?  J’ouvre  le  billet  qu’il  me  tend.  Quelle  atter- 
rante nouvelle  ! Séonya,  mon  garçon,  vient  de  se  tuer  d’un  coup 
de  fusil!...  Voulant  chasser  des  canards,  il  tira  du  canot, 
par  le  canon,  son  fusil  qui,  selon  l’incorrigible  habitude  de 
tous  les  indigènes  du  sud  de  l’Afrique,  se  trouvait  chargé  et 
armé.  Un  accroc  lâcha  la  détente,  et  le  malheureux  garçon 
reçut  toute  la  charge  de  grenaille  dans  la  tempe.  Il  tomba  in- 
sensible, et  peu  de  temps  après  rendait  le  dernier  soupir.  Les 
Adolphe  conduisirent  son  cadavre  à Nalolo,  où  je  ne  pus  que 
dégonfler  mon  cœur  sur  son  tombeau!  Quel  nuage  sur  le 
commencement  de  ce  voyage  que  tout  concourait  déjà  à 
rendre  si  triste  ! 

Les  chers  Adolphe  m’accompagnèrent  jusqu’à  Séoma,  et 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


M.  Goy  vint  me  rencontrer  dans  les  parages  de  Katima-Mollo. 
Malgré  tous  les  soins  qu’on  avait  mis  à rendre  mon  canot  aussi 
confortable  qu’un  canot  peut  l’être,  le  voyage  m’éprouva  beau- 
coup. Il  me  semblait  parfois  que  je  ne  pourrais  jamais  arriver 
au  bout  de  la  première  grande  étape,  à Kazungula.  M’y  voici 
pourtant  par  la  bonté  de  Dieu.  Je  ne  suis  pas  sans  de  vives 
appréhensions  au  sujet  du  voyage  en  wagon  qui  est  devant 
moi,  et  bien  autrement  pénible  qu’en  canot.  Mais  j’ai  tort.  Le 
mieux  c’est  de  m’abandonner  entièrement  au  Seigneur  et  me 
confier  en  lui,  sans  restriction,  pour  tout  ce  qui  me  concerne. 
Il  ne  se  trompe  jamais,  Lui. 

Les  chers  Ad.  Jalla  tout  d’abord,  puis  les  amis  Goy  et  les 
Louis  Jalla  ensuite,  m’ont  prodigué  tous  les  soins  que  peut 
inspirer  l’affection.  Il  n’en  est  pas  moins  vrai  que  de  tomber 
malade,  seul  et  sans  secours  médicaux  éclairés  dans  ce 
pays,  c’est  chose  cruelle.  Dans  notre  ignorance,  nous  fai- 
sons pour  le  mieux.  Nous  combattons  souvent  les  symptômes 
et  nous  ignorons  la  nature  du  mal.  Dieu  est  miséricordieux 
envers  ses  enfants,  Il  l’a  été  envers  moi,  car  outre  les  amis 
que  j’ai  mentionnés,  il  m’a  fait  trouver  parmi  mes  garçons, 
non  seulement  une  affection  que  je  connaissais  bien  déjà, 
mais  aussi  un  dévouement  dont  je  me  doutais  peu  et  qui  ne 
s’est  jamais  démenti.  Sémonji,  surtout,  m’a  été  un  garde- 
malade  admirable,  prévoyant  ou  devinant  mes  besoins,  s’in- 
géniant pour  tenter  mon  appétit  et  égayer  ma  chambre  de 
malade,  faisant  tout  avec  empressement,  joyeusement  et  sans 
bruit.  Il  ne  m’a  jamais  quitté,  ni  de  nuit  ni  de  jour.  Et  le 
soir,  quand  il  étend  sa  natte  au  pied  de  mon  lit,  il  faut  l’en- 
tendre épancher  son  cœur  en  supplications,  demandant  un 
peu  de  mieux,  un  peu  de  sommeil  pour  « son  père,  ce  vieux 
serviteur  de  Dieu.  » Et  dans  la  nuit,  instantanément  sur  pied 
au  premier  appel.  Qu’aurais-je  jamais  fait  sans  lui?  Qu’au- 
rais-je jamais  fait  s’il  se  fût  fatigué  de  son  service?  Le  cher 
garçon,  en  apprenant  ma  résolution  de  quitter  le  pays  pour 
chercher  des  secours  médicaux,  m’a  instamment  supplié  de 
ne  pas  le  laisser  derrière.  Il  ne  veut  pas  me  quitter  que  je  ne 


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sois  mieux,  qu’il  ne  me  sache  en  bonnes  mains;  il  ira  partout 
où  j’irai...  Et  si  j’allais  en  Europe?...  Eh  bien  oui,  il  y ira, 
lui  aussi,  à moins  que  je  ne  le  renie  comme  mon  enfant.  De 
fait,  c’est  une  dette  de  reconnaissance  qui  s’accroît  tous  les 
jours,  et  d’un  caractère  sacré.  Mon  désir  serait  de  le  placer  à 
l’Institut  de  M.  Guinness,  où  les  vents  alizés  du  Ciel  entretien- 
nent la  vie  missionnaire.  Il  retournerait  ainsi  dans  son  pays 
plus  riche  en  instruction  et  mieux  qualifié  soit  pour  l’ensei- 
gnement, soit  pour  l’évangélisation.  C’est  jouer  gros  jeu,  je  le 
sais,  mais  il  me  semble  voir  si  clairement  la  main  de  Dieu 
en  tout  cela,  que  je  suis  sans  crainte.  Quant  à mon  pauvre 
Nyondo,  lui,  il  est  marié,  donc  pas  question  de  l’emmener. 
Et  puis  nous  comptons  sur  lui  pour  l’évangélisation.  Pauvre 
garçon!  chaque  fois  qu’il  était  question  de  mon  départ,  il 
mettait  sa  tête  sur  ses  genoux  et  se  prenait  à pleurer.  Il  a 
voulu  m’accompagner  jusqu’ici,  et,  comme  je  m’y  attendais, 
nous  avons  eu  des  scènes  attendrissantes. 

J’ai  passé  trois  semaines  à Kazungula,  attendant  le  wagon 
qui  amenait  mes  bagages  de  la  vallée.  Il  est  arrivé  enfin,  et 
dans  quelquesjours  nous  traverserons  le  fleuve.  A cette  dou- 
loureuse perspective,  vous  le  comprenez,  j’ai  le  cœur  gros. 
C’est  un  bouleversement  complet  de  mes  plans  et  de  mes  dé- 
sirs. Et  cependant  un  rayon  de  lumière  éclaire  mes  ténèbres 
et  ma  tristesse.  Quelle  différence  entre  le  passage  d’aujour- 
d’hui et  celui^de  1884  ! Alors,  pas  une  âme  dans  cette  immense 
contrée  qui  connût  le  nom  même  du  Seigneur,  pas  une  qui  le 
priât.  Divisés  en  deux  bandes  pendant  la  traversée  de  mes 
bagages,  le  soir,  au  bivouac,  nous  nous  entre-répondions 
d’une  rive  à l’autre  par  nos  chants.  Tlong  ho  Yesu!  et  nos 
voix  se  perdaient  dans  le  désert  sans  écho. 

Aujourd’hui,  reconnaissons-le  à sa  gloire,  le  Seigneur  a 
fait  de  grandes  choses.  Cette  station  même  de  Kazungula, 
avec  son  grand  village,  où  tout  est  si  prospère,  le  témoigne. 

Malgré  les  départs  et  les  défections  qui  nous  ont  si  souvent 
affligés,  nous  avons  actuellement  7 missionnaires  européens, 
4 dames,  6 évangélistes  et  leurs  femmes,  tous  dévoués  à notre 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


chère  mission,  tous  unis  dans  les  liens  intimes  d’une  famille. 
Nous  comptons  5 stations  florissantes  et,  sur  chacune  dlelles, 
un  nombre  plus  ou  moins  grand  de  Zambéziens  qui  professent 
avoir  trouvé  le  Sauveur.  Aujourd’hui  on  chante  ici  les  louanges 
de  Dieu  et  on  prie. 

Mais  ce  qui  me  remplit  de  joie  et  de  reconnaissance  envers 
le  Seigneur,  c’est  surtout  cette  école  d'évangélistes  que  nous 
avons  confiée  à notre  cher  frère  Adolphe  Jalla  avec  10  élèves. 
Mon  pauvre  Séonya  était  le  onzième  et  Sémonji  eût  fait  le 
douzième,  tous  des  jeunes  gens  du  pays  et  le  fruit  de  nos 
écoles. 

Et  puis  voilà  M.  et  madame  Mercier  qui  vont  relever  les 
ruines  de  Séfula  et  y ouvrir  enfin  notre  école  industi'ielle.  Ne 
sont-ce  pas  là  les  lueurs  qui  annoncent  l’aube  du  jour  où  la 
gloire  de  Dieu  brillera  dans  ce  pays,  et  où  les  ténèbres  du  pa- 
ganisme se  dissiperont? 

Et  puis,  faut-il  le  confesser?  je  ne  puis  m'empêcher  de  ca- 
resser l’espoir  que  mon  départ  du  Zambèze  n’est  pas  définitif. 
Dieu  peut  me  rendre  la  santé,  renouveler  ma  jeunesse  et  me 
permettre  de  revenir  un  jour  dans  ce  beau  champ  de  travail, 
alors  que  la  moisson  sera  venue  et  que  ceux  qui  ont  semé  et 
ceux  qui  auront  déjà  moissonné  pourront  se  réjouir  en- 
semble. 

Croyez -moi,  cher  frère,  votre  affectionné  en  Lui , 

F.  Coillard. 


DERNIÈRES  NOUVELLES 

Le  voyage  de  MM.  Coillard  et  Jalla.  — M.  et  madame  Mercier 
au  Lessouto.  — Nouvelles  des  stations. 

Depuis  que  notre  dernière  livraison  a paru,  trois  courriers 
reçus  dans  l’espace  de  trois  semaines  nous  ont  apporté  les 
nouvelles  si  impatiemment  attendues  de  M.  Coillard  et  de  ses 
compagnons  de  voyage.  M.  Coillard  lui-même  a pu  nous  en- 


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voyer  une  lettre  de  Buluwayo,  outre  celle  qu’il  nous  avait 
adressée  de  Kazungula,  et  que  nous  publions  ci-dessus. 
M.  Jalla,  de  son  côté,  nous  a tenus  fidèlement  au  courant  des 
incidents  du  voyage. 

Celui-ci  a débuté  dans  des  conditions  fort  difficiles.  Le  dé- 
part ayant  dû  être  retardé,  pour  diverses  raisons,  jusqu’au 
18  décembre,  nos  missionnaires  ont  trouvé  le  chemin  défoncé 
par  les  pluies  si  bien  qu’ils  n’ont  pu  avancer  tout  d'abord 
que  lentement.  « Il  y a aujourd’hui  vingt  et  un  jours,  écrit 
M.  Jalla  le  7 janvier,  que  nous  quittions  Kazungula,  et  nous 
ne  sommes  quà  trois  jours  de  marche  de  notre  chère  station  !... 
Nous  avons  trouvé  les  routes  tellement  détrempées,  qu’à 
chaque  petit  bourbier  il  nous  faut  décharger  nos  wagons  et 
doubler  nos  attelages  pour  en  sortir.  Vous  vous  représentez 
combien  ces  difficultés  sont  redoublées  et  rendues  pénibles 
pour  un  malade.  Dans  notre  wagon,  nos  trois  enfants  (1)  trou- 
vent bien  ce  genre  de  vie  peu  de  leur  goût,  mais  avec  notre 
bonne  santé  à tous  cela  va  encore  ; cela  augmente  la  dose  de 
patience  qu’il  faut  posséder  pour  être  un  bon  missionnaire 
africain.  Nous  avons  passé  huit  jours  sans  bouger  de  place 
dans  l’interminable  bourbier  de  Kazuma  : il  a une  largeur 
d’une  vingtaine  de  kilomètres.  Ni  ma  femme  ni  les  enfants 
ne  pouvaient  descendre  du  wagon  à cause  de  la  boue.  Pen- 
dant ce  temps,  tous  les  bœufs  et  les  garçons  essayaient 
d’amener  le  wagon  de  M.  Coillard  au-delà  du  bourbier.  Quand 
vint  notre  tour,  le  soleil  avait  fait  son  œuvre  de  miséricorde 
depuis  deux  jours,  et  en  quatre  heures,  avec  notre  wagon 
chargé,  nous  franchîmes  tout  l’espace  parcouru  à grand 
peine  par  M.  Coillard  en  quatre  jours  avec  son  wagon  dé- 
chargé... » 

Laissons  maintenant  la  parole  à M.  Coillard  : 

a Le  tracé  de  la  route,  comme  tout  ce  pays-là,  n’était  qu’une 
épouvantable  fondrière  où  nos  bœufs  s’enfoncaient  jusqu’au 


(1)  M.  et  madame  Jalla  emmènent  avec  eux,  outre  leurs  deux  garçons, 
la  petite  Flore  Goy,  que  ses  parents  envoient  dans  le  sud. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


ventre,  parfois  sans  pouvoir  prendre  pied  pour  donner  un 
coup  de  collier,  et  nos  voitures,  les  quatre  roues  à la  fois, 
s’affaissaient  dans  ces  interminables  bourbiers.  Il  fallait  alors, 
pour  les  alléger,  que  nos  garçons  portassent  à dos  nos  quel-  ; 
ques  bagages  et  nos  provisions.  Nous  n’avancions  qu’en  dou- 
blant nos  attelages  et  en  traînant  nos  wagons  l’un  après  l’au- 
tre, de  bourbier  en  bourbier,  de  sorte  que  nous  étions  souvent 
séparés  des  jours  entiers.  Malade  ou  non,  impossible  de 
rester  indifférent  à des  difficultés  qui  menaçaient  de  faire 
avorter  notre  voyage.  Aussi,  souffrant,  épuisé,  dormant  mal, 
mangeant  peu,  je  me  demandais  quelquefois  si  j’arriverais 
jamais  au  terme  d'un  voyage  si  extraordinairement  aventu- 
reux et  pénible. 

«Mais,  qui  se  lasserait  de  le  répéter?  Le  Seigneur  est  bon  et 
fidèle.  Comme  sa  présence  illumine  les  lénèbres!  et  comme 
sa  communion  fortifie!  Que  de  leçons  il  nous  enseigne  dans 
les  difficultés,  et  que  de  bénédictions  il  nous  fait  trouver  dans 
les  épreuves!  C’est  alors  que  nous  apprenons  aies  chants 
de  la  nuit  ».  Ne  croyez-vous  pas  que  ce  soit  un  ange  qui 
veille  à notre  chevet  et  qui,  dans  un  sommeil  agité  et  entre- 
coupé, vient  murmurer  à votre  oreille  un  message  d’En-Haut, 
une  promesse,  une  prière  et  une  louange  : « Ma  grâce  te  suf- 
fit »!  — « Ne  vous  inquiétez  de  rien,  car  il  prend  soin  de 
vous.  » — a Invoque-moi  au  jour  de  ta  détresse,  je  t’en  déli- 
vrerai et  tu  me  glorifieras,  » etc. 

« Ce  sont  là  les  chants  de  la  nuit  et,  pour  qui  les  apprend  à 
l’école  du  Seigneur,  les  circonstances  extérieures  sont  singu- 
lièrement transformées  et  sanctifiées,  et  même  le  désert,  sa 
solitude  et  ses  impraticables  bourbiers  deviennent  autant  de 
Béthels.  Je  bénis  Dieu  d’avoir  passé  par  là.  De  Patamatengaà 
Buluwayo,  le  voyage  a été  bien  moins  difficile.  Les  pluies  ont 
complètement  cessé,  les  marécages  se  sont  desséchés,  les 
étangs  avaient  de  l’eau  et  la  route  était  bonne.  Nous  lais- 
sâmes les  sables  profonds  en  quittant  la  route  de  Palapye  et 
nous  cheminâmes  sur  un  terrain  sûr.  Le  pays  est  boisé,  avec 
quelques  éclaircies  çà  et  là.  Mais  c’est  toujours  le  bush,  a la 


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brousse  »,  comme  nous  disons,  dont  les  fourrés  épineux  obs- 
truent le  chemin  et  s’acharnent  à nos  tentes  de  wagons.  Rien, 
absolument  rien,  dans  cette  végétation  arborescente  qui  rap- 
pelle que  nous  sommes  sous  les  tropiques. 

« De  Patamatenga  — un  amas  de  masures  — devenu  une 
ferme,  jusqu’à  Buluwayo,  une  distance  de  plus  de  300  milles, 
nous  n’avons  pas  rencontré  âme  qui  vive,  si  ce  n’est  quel- 
ques Masaroas  ou  Bushmen  qui  errent  dans  ces  bois.  Quel  est 
l’avenir  de  ce  pays?  Sera-t-il  jamais  habité,  colonisé? 

« A présent,  ces  immensités  où  règne  un  silence  de  mort 
que  les  cahotements  de  nos  voitures  et  les  claquements  de 
nos  fouets  seuls  interrompent,  ont  un  je  ne  sais  quoi  indéfi- 
nissable qui  vous  saisit.  On  s’y  sent  petit,  impotent,  perdu  ! 

« Un  jour  que  nous  cheminions  dans  un  petit  vallon  ver- 
doyant, entre  des  monticules  boisés,  nous  nous  arrêtâmes 
tous  comme  involontairement  devant  un  arbre  isolé.  A son 
pied,  une  haie  d’épines  entourait  un  tombeau.  Sur  le  tronc 
une  main  amie  avait  enlevé  un  carré  d’écorce  et  grossière- 
ment tracé  cette  épitaphe  : 

STUART 
5 jan.  1895. 

« C’était,  paraît-il,  un  capitaine  de  l’armée  anglaise  qui, 
après  avoir  été  en  garnison  à Natal,  allait  rentrer  dans  sa  pa- 
trie. Mais  avant  de  quitter  l’Afrique,  il  voulut  voir  les  chutes 
Victoria.  Il  se  mit  en  route  tout  seul,  avec  un  ou  deux  por- 
teurs indigènes,  et  atteignit  son  but.  Il  parait  que  c’était  un 
homme  plein  d’énergie  et  aimant  les  aventures.  Au  retour  la 
fièvre  le  prit.  En  proie  aux  tortures  de  la  soif,  et  abandonné 
par  ses  garçons,  il  s’était  couché  sous  cet  arbre  et. ..  y mourut. 
Un  passant  ou  quelqu’un  qui  avait  eu  vent  de  son  sort  vint  lui 
rendre  la  sépulture.  Et  ne  croyez  pas  que  ce  soit  là  un  cas  isolé. 
Loin  de  là.  On  raconte  des  histoires  bien  tristes  d’officiers 
anglais,  de  jeunes  gens  de  bonne  famille,  tous  pleins  de  vie 
et  de  pétulance,  ne  rêvant  qu’aventures  dans  ce  pays  de  la 
liberté,  mais  sans  prudence  aucune  : ils  s’aventurent  souvent 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tout  seuls  à la  chasse»  s’égarent  dans  les  bois  et  Unissent  par 
y mourir  de  soif.  Leur  lieu  de  repos  n’est  connu  que  de  Dieu 
seul;  là  ils  dorment  dans  ces  solitudes  silencieuses  jusqu’au 
matin  du  grand  jour  de  la  résurrection. 

«C’est  le  15  courant  que  nous  arrivâmes  enfin  à Buluwayo. 
Je  n’aurais  pas  pu  aller  plus  loin  sans  m'arrêter;  j’étais  à 
bout  de  forces.  Le  lendemain,  j’étais  admis  à l’hôpital,  ce  re- 
fuge de  ceux  qui  n’ont  ni  foyer  ni  amis,  et  entre  les  mains 
d’un  docteur  qui  d’emblée  parut  comprendre  mon  cas.  Il  me 
témoigna  beaucoup  de  bonté  et  d’intérêt,  et  non  seulement 
il  me  donna  ses  conseils  et  ses  soins  gratis,  mais  il  m’obtint 
la  même  faveur  de  la  direction  de  l’hôpital.  Et  ce  n’est  pas 
peu  de  chose,  car  autrement  j’eusse  dû  payer  18  fr.  50  par 
jour.  Je  ne  puis  dire  les  égards  et  les  bontés  dont  on  m’a 
entouré.  Les  autorités  de  la  ville  sont  venues  me  visiter  et 
s’étaient  entendues  avec  le  docteur  pour  me  pousser  à rester 
deux  ou  trois  mois  à l’hôpital — toujours  gratis  — jusqu’à  ce 
que  le  docteur  me  juge  assez  bien  pour  continuer  mon  pé- 
nible voyage.  Il  n’est  pas  jusqu’aux  sœurs  de  charité  qui  ont 
la  direction  de  l’hôpital  qui  ne  m’aient  prodigué  leurs  soins 
dans  un  esprit  de  dévouement  qui  m’a  édifié.  D’autres  amis, 
peu  nombreux,  c’est  vrai,  se  sont  ingéniés  pour  pourvoir  à 
mon  confort.  J’en  suis  vraiment  bien  touché  et  humilié. 

« C’est  ici,  il  vous  en  souvient,  qu’il  y a dix-huit  ans,  Loben- 
gula  nous  avait  retenus  prisonniers.  Quels  changements  de- 
puis lors!  Voici  une  ville  qu’on  a tracée  sur  une  grande 
échelle  et  qui  promet  de  devenir  un  autre  Johannesburg.  Vous 
seriez  étonné  du  prix  du  terrain,  comme  du  prix  de  toutes 
les  denrées  en  général.  Et  on  y mène  une  vie,  le  croiriez-vous, 
aussi  agitée,  aussi  affairée  qu’à  Londres.  On  n’a  le  temps  de 
voir  personne,  ni  de  causer  à l’aise  avec  personne.  C’est  un 
tourbillon  incessant.  L’emplacement  de  la  ville  couvre  un 
vaste  plateau  entouré  de  coteaux  légèrement  boisés,  et  déjà 
parsemés  de  villas.  » 

Dans  la  fin  de  sa  lettre,  M.  Coillard  nous  parle  de  ses  plans. 
Les  médecins  lui  déconseillent  le  passage  par  le  Lessouto  et 


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J 79 


l'engagent  à se  rendre  en  Europe  pour  s’y  faire  soigner,  en 
prenant  quelques  semaines  de  repos  au  Cap  avant  de  s’em- 
barquer. Cependant  M.  Coillard  ajoute  : o II  faudrait  que  je 
fusse  bien  malade  pour  renoncer  à ma  visite  au  Lessouto.  » 

Quant  à M.  L.  Jalla,  ses  dernières  lignes,  datées  du  17  fé- 
vrier, de  Buluwayo,  sont  écrites  sous  l’impression  de  la  mort 
de  sa  mère,  qu’il  vient  d’apprendre  par  une  lettre  du  direc- 
teur. Les  deux  courriers  précédents,  contenant,  avec  nos  pre- 
miers messages  de  sympathie,  les  lettres  de  sa  famille  et  tous 
les  détails  sur  ce  triste  événement,  l’avaient  manqué,  ayant 
sans  doute  été  le  chercher  au  Zambèze  après  son  départ. 

« Depuis  le  courrier  reçu  à Kazungula  (et  expédié  d’Europe 
le  11  octobre),  nous  n’avions  plus  rien  appris  d’Europe,  quand 
avant-hier  je  reçois  par  notre  agent  de  Maféking  vos  lignes  du 
17  janvier.  Je  me  hâte  de  les  lire  dans  la  rue.  Oh  ! quel  coup  ! 
Ma  chère  mère  partie  pour  le  ciel  ! Le  plus  fort  lien  qui  m’unis- 
sait à l’Europe  rompu,  au  moment  où  nous  nous  réjouissions 
de  pouvoir  compter  les  semaines  qui  nous  séparaient  de  la 
réunion...  avec  elle  surtout.  C’est  bien  dur,  douloureux  et 
mystérieux...  La  maison  sans  cette  mère  tendrement  aimée, 
ce  n’est  plus  la  maison...  Comme  notre  voyage  est  décoloré 
maintenant!  Les  liens  d’ici-bas  deviennent  rares;  heureuse- 
ment qu’au  ciel  ils  se  multiplient,  nous  en  rapprochant  nous 
aussi.  » 

Au  moment  même  où  nos  voyageurs  approchaient  de  Bu- 
luwayo, M.  et  madame  Mercier  arrivaient  au  Cap  le  12  fé- 
vrier, après  une  bonne  traversée.  En  pressant,  comme  nous 
l’avons  fait,  leur  départ,  nous  espérions  qu’ils  rencontreraient 
MM.  Coillard  et  Jalla  à Maféking,  point  extrême  de  laligne  du 
Gap,  et  pourraient  se  remettre  en  route  presque  immédiate- 
ment eu  profitant  des  instructions  et  des  arrangements  pris 
par  leurs  devanciers.  Mais  le  retard  considérable  subi  par 
ceux-ci  a entraîné  un  changement  de  plans  que  nous  ne  pou- 
vons qu’approuver.  Au  lieu  de  passer  au  Cap,  à Kimberley  ou 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


à Maféking  les  deux  mois  qui  devaient  s’écouler  encore  avant 
l’arrivée  de  MM.  Goillard  et  Jalla,  nos  amis  sont  allés  tout 
simplement  au  Lessouto,  suivant  en  cela  les  instructions  que 
M.  Jalla  a pu  leur  télégraphier  de  Buluwayo.  M.  Alfred  Ca- 
salis,  averti  de  son  côté  par  télégramme,  a pris  les  arrange- 
ments nécessaires  pour  faire  prendre  les  nouveaux  arrivants 
à Aliwal,  où  ils  ont  dû  arriver  le  29  février.  On  voit  que  tout 
s’arrange  pour  le  mieux  : nos  amis  Mercier  auront  le  bénéfice 
d’un  séjour  dans  nos  stations  du  sud;  ils  pourront  voir  l’école 
industrielle  de  Léloaleng  ; de  plus,  ils  emmèneront  avec  eux 
un  catéchiste  qui  pourra  les  aider  de  son  expérience  des 
choses  de  l’Afrique,  et  qui,  peut-être,  ne  sera  autre  que  Lévi> 
l'ancien  collaborateur  de  M.  Goillard  aux  débuts  de  la  mis- 
sion du  Zambèze. 

Quelques  mots  encore  au  sujet  des  missionnaires  restés  au 
Zambèze.  Ils  sentent  douloureusement,  on  le  comprendra, 
l’absence  de  leurs  aînés,  et  se  recommandent  instamment  à 
nos  prières.  Nous  devons  renoncer,  faute  de  place,  à citer 
aujourd’hui  leurs  lettres;  disons  seulement  qu’ils  ne  perdent 
pas  courage  et  se  préparent  à supporter  de  leur  mieux  le 
fardeau  qui  pèse  désormais  tout  entier  sur  leurs  jeunes 
épaules.  M.  Davit,  après  avoir  passé  les  dernières  semaines 
de  l’année  à Léaluyi,  auprès  de  M.  et  madame  Ad.  Jalla,  a dû 
s’installer  à Séfula , la  station  qui  lui  est  actuellement  assi- 
gnée. M.  Béguin  nous  donne  de  bonnes  nouvelles  de  Nalolo . 
Quant  à M.  Boiteux,  il  a passé  par  le  creuset  de  l’épreuve; 
peu  après  le  départ  de  MM.  Jalla  et  Coillard,  sa  femme  a été 
gravement  malade;  aux  dernières  nouvelles  elle  allait  mieux. 

Le  roi  lui-même  restait  ce  qu  i]  a été  ces  derniers  temps, 
bien  disposé,  mais  hésitant.  « Au  moment  où  nous  venions  de 
traverser  le  fleuve,  écrit  M.  Coillard,  le  roi  me  faisait  savoir 
qu’il  avait  renvoyé  deux  de  ses  femmes  et  me  donnait  à en- 
tendre que  c’était  le  commencement  de  la  dispersion  de  son 
harem.  C’était  un  ballon  d’essai,  je  suppose,  pour  se  rendre 
compte  de  l’impression  qu’une  mesure  radicale  produirait 


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tant  sur  les  chefs  que  sur  la  nation.  Dans  ma  réponse,  je  le 
conjurai  de  ne  pas  marchander  avec  Dieu  plus  longtemps, 
mais  de  se  donner  entièrement.  Priez  pour  lui  et  pour  votre 
frère 


« F.  Coillard.  » 


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SÉNÉGAL 

ARRIVÉE  DE  M.  A.  BOLLE  A SAINT-LOUIS 

Le  15  février,  M.  Bolle  est  heureusement  arrivé  à Saint- 
Louis,  après  un  excellent  voyage.  Il  nous  écrit,  le  2 mars, 
une  lettre  dont  nous  détachons  les  passages  suivants  : 

...  « Vous  m’avez  demandé  si  j’ai  vu  M.  Morin  à Rufisque. 
Il  m’a  retenu  par  télégramme  pendant  que  j’étais  à Dakar  et 
il  m’a  invité  à dîner  et  à coucher  chez  lui.  Je  m’y  suis  rendu 
et  j’ai  passé  à Rufisque  des  instants  délicieux.  L’accueil  qui 
m’a  été  fait  était  d’une  cordialité  toute  chrétienne.  J’en  garde 
un  beau  et  reconnaissant  souvenir.  Au  coucher  du  soleil,  le 
docteur  et  moi  avons  fait  une  promenade  à cheval  pour  voir 
un  peu  Rufisque.  C’était  la  première  fois  que  je  montais  en 
selle.  J’en  ai  beaucoup  joui.  Mon  cheval,  très  docile  d’ail- 
leurs, ne  m’a  pas  infligé  d’humiliation,  bien  qu’à  plusieurs 
reprises  j’aie  manqué  perdre  l’équilibre. 

« Mon  arrivée  à Saint  Louis  a été  pour  moi  une  vraie  fête. 
Déjàavant  Saint-Louis  j’avais  eu  la  joie  de  serrer  la  main  à 
M.  Escande,  à M.  Pétrequin  et  àM.  Nichol,  qui  étaient  venus 
au-devant  de  moi  à Rao,  une  ou  deux  stations  avant  Saint- 
Louis.  A la  gare,  je  saluai  madame  Escande  et  madame  Pé- 
trequin qui  m’offrit  un  frais  bouquet  de  lilas  de  son  jardin.  Il 
était  le  bienvenu,  après  les  chaleurs  et  le  sable  du  Cayor,  où 
je  n’avais  vu,  pour  ainsi  dire,  pas  une  fleur  ; cela  m’avait 
frappé.  A la  gare  encore,  je  pus  déjà  saluer  plusieurs  gens  de 
la  mission,  spécialement  les  garçons  et  les  filles  de  l’école. 

« J’arrivais  un  samedi.  Avant  la  réunion  de  prières,  M.  Es- 

13 


182  JOURNAL  DES  MISSIONS  flVANGÉLIQUES 

cande  a fait  exécuter  uu  chant  aux  jeunes  gens  et  aux  jeunes 
fUleg.  Il  lit  impression  sur  moi.  C’est  le  numéro  477  des  can- 
tiques populaires  : « Voici  de  tes  enfaqts,  Seigneur,  une  poi- 
gnée ».  Je  ne  saurais  vous  dire  l’émotion  qui  me  gagnait  à 
mesure  que  je  suivais  sur  le  recueil  ces  belles  paroles,  chantées 
par  ces  enfants  noirs,  les  enfants  de  la  mission.  Après  cela, 
la  réunion  de  prières,  mais  seulement  de  notre  famille  mis- 
sionnaire : M.  et  madame  Escande,  M.  et  madame  Pétrequin, 
mademoiselle  Bnttner  et  moi. 

« M.  et  madame  Escande  sont  extrêmement  aimables. 
M.  Escande  s’est  mis  à ma  disposition  pour  mon  installation, 
pour  faire  mes  achats.  Il  avait  loué  deux  belles  chambres 
fort  agréables,  tout  près  de  chez  lui;  j’ai  dû  les  meubler  et 
me  faire  uu  intérieur. 

a M.  Escande  m’a  présenté  aux  protestants  de  Saint-Louis; 
il  m’a  accompagné  dans  mes  visites  aux  personnages  officiels. 
11  m’a  présenté  au  culte  woloff,  aux  gens  de  Pont-de-Khor  et 
de  Sôr.  Ceux  qui  m’intéressent  le  plus,  ce  sont  les  noirs.  Hier 
dimanche,  1er  mars,  nous  avons  eu  notre  premier  service 
français  à 5 heures  du  soir,  tandis  qu’auparavant  il  avait 
lieu,  paraît-il,  à 8 heures  et  demie  du  soir.  M.  Escande  m’a 
installé  et  a fait  une  allocution  bienfaisante  sur  ce  texte  : 
a Fais  l’œuvre  d’un  prédicateur  de  l’Évangile  ».  J’ai  ensuite 
parlé  sur  ce  texte  : a Me  voici,  je  viens,  ô Dieu!  pour  faire  ta 
volonté  ».  L’auditoire  que  nous  avons  eu  était  nombreux; 
M.  Escande  en  a été  satisfait.  » 



CONGO 

VOYAGE  DE  M.  FAURE 

Bon  vent,  bpnne  mer  et  bonne  santé  ; ainsi  peut  se  résumer 
la  traversée  de  M.  Faure  jusqu’à  Libreville,  où  il  est  heureu- 
sement arrivé  le  17  février. 

Après  avoir  parlé  de  la  cordiale  hospitalité  reçue  à Baraka, 


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183 


de  la  part  du  Dr  Nassau,  vétéran  de  la  piission  américaine, 
notre  missionnaire  ajoute  : 

« Je  compte  partir  le  25  à bord  de  V Eclaireur  et  arriver  à 
; Lambaréné  le  28,  pour  m’installer  le  1er  mars.  J’ai  reçu  ici  une 
lettre  de  Haug  qui  a l’air  de  se  porter  bien  et  qui  m’atteqd 
avec  une  impatience  dont  vous  pouvez  vous  douter. 

« Hier  soir  j’ai  pu  assister  à un  culte  dans  la  salle  d’écqlp, 
Il  y avait  une  quarantaine  de  personnes,  et  le  culte  était  pré- 
sidé par  un  diacre.  Pes  hommes  et  dç.s  femmes  indigènes  ont 
.parlé.  Quel  dommage  que  je  n’aie  pu  rien  y comprendre!  Le 
chant  m’a  beaucoup  étonné.  Je  m’attendais  à une  horrible 
cacophonie  et  j'ai  entendu  de  très  beaux  cantiques  à trois 
voix.  Les  gens  ont  la  voix  très  juste  et  le  sens  de  la  musique. 
Aussi  je  me  promets  des  chœurs  et  des  exécutions  artistiques 
à Lambaréné.  Ces  chrétiens  mpongoués  m’ont  paru  très  sé- 
rieux et  sincères.  Le  diacre  a parlé  avec  beaucoup  de  chaleur 
et  a lu  la  Bible  avec  expression...  » 


NOUVELLES  DE  MADAME  GACON  ET  DE  MM.  FORGET 
ET  HAUG 

En  date  du  26  janvier,  madame  Gacon  nous  donnait  d’in- 
téressants détails  sur  l’École  de  jeunes  filles  de  Talagouga. 
Sa  lettre  se  termine  par  ces  mots  : 

« Nos  santés  ne  sont  pas  brillantes,  mais  cela  ya,  malgré 
tout,. juste  assez  bien  pour  rester  debout  au  poste...  » 

De  son  côté,  M.  Forget,  écrivant  à la  mèmè  date,  nous  in- 
forme que  madame  Forget  était  rentrée  à Talggouga  très 
fatiguée,  après  le  départ  de  madame  Jacot  pour  l’Europe. 
M.  Forget  lui-même,  quoique  beaucoup  mieux,  avait  encore 
fréquemment  des  attaques  de  fièvre,  surtout  après  un  travail 
quelque  peu  suivi.  Il  se  proposait  de  faire  sous  peu  une 
visite  à M.  Haug  qui,  comme  on  le  sait,  se  trouvait  seul  dans 
l’importante  station  de  Lambaréné.  « Les  Gacqn,  ajoute 
M.  Forget,  vont  doucement.  » 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


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Nous  avons  aussides  nouvelles  directes  deM.  Haug.  Par  une 
carte  postale  du  7 février,  il  nous  faisait  savoir  qu’il  était  en 
plein  dans  les  grandes  communions  et  avait  eu  quatre  con- 
seils d’Église  en  deux  jours  pour  régler  les  questions  rela- 
tives au  baptême  des  candidats  et  à leur  admission  à la  Sainte- 
Gène.  a Je  suis  très  satisfait,  écrit-il,  de  ma  tournée  aux  lacs. 
J’ai  bon  courage,  mais  suis  harassé  mentalement  et  intellec- 
tuellement. Un  renfort  sérieux  est  indispensable...  » 

Nous  sommes  heureux  de  penser  que  depuis  plus  d’un 
mois  ce  renfort  est  arrivé  à M.  Haug. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


MARTYRS  ARMÉNIENS 

« Pendant  longtemps  on  a considéré,  en  Allemagne,  les 
« rapports  sur  l’Arménie,  comme  des  exagérations,  dues  à 
« la  politique  anglaise,  que  nous  n’avons  du  reste  aucune 
« intention  de  défendre;  mais  nous  sommes  persuadé  que 
.<  cette  incrédulité  voulue  est  l’effet  de  l’aveuglement  et  du 
« parti  pris  : les  exécutions,  les  violences,  les  incendies,  les 
« viols,  les  meurtres,  les  massacres  en  masse,  les  raffine- 
« ments  inouïs  de  cruauté,  ont  atteint  un  degré  d’atrocité 
« qui  est  presque  sans  précédent  dans  l’histoire  du  crime; 
« aucun  mot  ne  saurait  suffire  pour  les  désigner;  nous  ne 
« connaissons  que  celui  de  « diabolique».  Ainsi  s’exprime, 
en  résumé,  le  Dr  Warneck  dans  son  journal  de  mars,  annon- 
çant un  prochain  article  de  fond  sur  l’Arménie. 

Les  détails  sûrs  nous  arrivent  enfin  de  sources  très  di- 
verses. Un  bureau  spécial  d’informations  à été  créé  à Lon- 
dres, 3 Arundel  Street  Strand  W.  G.,  auquel  le  Rev.  cha- 
noine H.  Scott  Holland  a donné  le  poids  de  son  nom  et  qui 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


185 


nous  fournit  les  renseignements  suivants  : « Le  pouvoir  bien- 
« faisant  de  la  Russie,  qui  avait  arrêté  sur  le  Danube  le  flot 
« dévastateur  des  Turcs,  a été  également  actif  en  Asie,  re- 
« poussant  les  Turcs  du  Caucase  à l’Ararat.  La  jeunesse 
« arménienne  entra  en  masse  dans  les  écoles  et  les  charges  : 
« en  1868,  un  Arménien,  le  général  Loris  Mélikoff,  passa  la 
« frontière  turque;  Tannée  russe  fit  tomber  Kars  et  envahit 
« Erzeroum;  et  malgré  les  réductions  faites  parle  congrès  de 
« Berlin,  la  bande  de  pays  arménien  cédée  par  le  traité  de 
« San-Stéphano  à la  Russie,  demeura  à peu  près  identique. 

« C’est  sur  cette  frontière  qu’on  a vu  arriver,  pendant  toute 
« l’année,  des  hordes  d'hommes,  de  femmes,  d’enfants  nus, 
« mourants,  harcelés,  franchissant  cette  ligne  invisible  de  la 
a frontière  russe  pour  fuir  le  pays  de  la  rapine,  de  l’outrage, 
« de  la  guerre,  et  trouver  une  terre  où  règne  la  loi,  la  paix, 
« la  tranquillité.  Ils  demandaient,  pour  tout  bienfait,  le  droit 
« de  vivre  et  de  ne  pas  être  tués  ou  affamés.  Comme  aux 
« temps  de  la  captivité  d’Égypte,  dans  cette  nouvelle  terre 
« de  Goscen,  gouvernée  par  le  grand  tsar  blanc,  régnait  pour 
« eux  la  lumière,  tandis  que  les  ténèbres  de  l’Égypte  cou- 
« vraient  les  pays  du  Sultan.  » 

Pour  empêcher  les  armées  russes  de  recommencer  leurs 
annexions,  les  autorités  musulmanes  ont  donc  résolu  de  dé- 
truire tous  les  Arméniens  de  la  frontière,  de  les  remplacer 
par  des  bandes  turques  et  d’opposer  ainsi  aux  cosaques 
russes,  non  des  alliés  chrétiens,  mais  de  cruels  et  courageux 
barbares,  les  Kurdes  musulmans.  Tel  est  le  plan  qui  paraît 
avoir  été  l’inspiration  des  massacres.  La  mesure  était  habile 
et  elle  a été  exécutée  avec  une  conséquence,  un  ensemble  et 
une  cruauté  sans  nom. 

Les  statistiques  fournies  par  les  Turcs  et  les  appréciations 
sommaires  du  nombre  des  morts  nous  semblent  impossibles  à 
contrôler;  nous  donnerons  néanmoins  en  note  un  tableau  pu- 
blié par  le  bureau  d’informations  de  Londres.  Quant  aux  hor- 
reurs inouïes  perpétrées  parles  Turcs  et  les  Kurdes,  nous  ne 
pouvons  exposer  nos  lecteurs  à en  subir  la  description  et  nous 


JOURNAL  bÈS  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


186 


les  renvoyons  à l’article  du  Dr  Üilloh,  dans  la  Contemporary 
Aëviêw  de  janvier.  Ên  ce  qui  touche  ceux  que  nous  pouvons 
appeler  à bon  droit  lès  martyrs  de  la  foi,  nous  distinguerons 
les  renseignements  reçus  de  prëiïiièrë  main  et  ceux  que  renfer- 
ment iés  rapports  du  Révérend  Greeri,  du  Dr  Dillon,  etle  jour- 
nal le  Christian.  Le  Journal  missionnaire  dé  Èâle  du  mois  de 
mars  reçoit  d’un  ancien  élève  de  ia  Maison  des  missibiüs  de 
Bâle,  actuellement  pasteur  d'une  église  arménienne,  une  lettre 
datée  du  1 février,  à laquelle  nous  empruntons  ce  qui  siiit  : 

« Àvant-biër  j’ài  reçu  d’Urfa  l’effrayante  nouvelle  qu’au 
second  massacré  (le  premier  avait  eu  lieu  le  3 novembre  et  a 
coûté  la  vie  à 300  victimes)  des  26  et  27  décembre,  ëriviron 
3,000  chrétiens  ont  été  massacrés  ët  qüe  nôtre  cher  frère 
Hâgop  Àbühajatian,  élève  de  Bâle  de  1865  à 1869,  est  mort 
hiartyr.  Vous  savez  que  depuis  1869  ii  avait  été  à la  têië  de 
l'Eglise  de  sa  ville  natale,  où  Dieu  avait  visiblement  béni 
ses  efforts.  Son  Église  comptait  600  aines;  mais  le  fruit  de 
son  long  travail  paraît,  à vue  humaine,  avoir  péri  avec  lui; 
car,  de  sa  seule  Église,  94  hommes  adultes,  2 femmes  et 
2 jeunes  filles  ont  été  massacrés. 

« Je  n’ai  pas  de  nouvelles  directes  du  frère  N.  de  Harpout; 
biais  dans  cette  seule  station  14  prédicateurs  évangéliques 
sont  morts  martyrs.  Nous  émigrerions  volontiers  en  Amérique, 
mais  le  gouvernement  s’oppose  à tout  départ. 

« Priez  pour  nous!  nous  vivons  ici  dans  une  constante 
angoisse  et  n’avons  plus  à espérer  de  secours  que  de  Dieu 
seul.  Mais  les  chrétiens  de  tous  pays  devraient  crier  à Lui, 
pour  que  bientôt  il  nous  fasse  rendre  justice.  Ma  vieille  mère, 
ina  fehime  et  mes  huit  enfants  se  recommandent  à vos 
prières!  » Le  rédacteur  ajoute  qu’il  faut  être  très  prudëùt 
dans  la  Correspondance,  les  Turcs  ouvrant  les  lettres. 

Là  tactique  des  Turcs,  comme  celle  de  Dioclétien  ou  de 
François  Ièr,  a été  d’accuser  les  chrëtieüs  et  les  missionnaires 
de  conspirations  politiques. 

Quant  aux  seconds,  le  Herald  contient  (page  90)  ce  qui 
suit  : « Des  employés  supérieurs  du  gouvernement  turc  ont 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


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répandu  le  bruit  que  nos  missionnaires  aüraiënt  excité  lès 
Arméniens  à la  révolte.  C’est  là  une  indigne  calomnie,  au 
sujet  de  laquelle  nos  missionnaires  ont  réclamé  officiellement 
line  enquête  ; nous  avons  le  ferme  espoir  qu’ils  l’obtiendront.  » 

Un  autre  correspondant  écrit  au  journal  de  Lausanne  : 
« Nous  savons  des  cas  d’Arméniens  jetés  en  prison  et  qui  se 
sont  laissés  tourmenter  plutôt  que  de  signer  des  documents 
accusant  les  missionnaires  de  menées  politiques  ».  Et  le  doc- 
teur Judson  Smith  écrivait  de  Boston  le  mois  deriiier  : « Nos 
missionnaires  pratiquent  et  inculquëbt  partout  la  loyauté 
envers  le  gouvernement  turc;  et  celui-ci  h’à  pas  eu,  depuis 
soixante-dix  ans,  de  plus  sincères  amis  que  les  envoyés  de 
« PAmerican  Board.  » 

Le  Christian  de  février  a raconté  la  touchante  histoire 
d'un  enfant  martyr  que  nous  n’avons  pas  lieu  dé  croire  apo- 
cryphe. 

Une  martyre  de  douze  ans. 

À Cësarée,  dans  la  province  d’Angora,  cinq  chrétiens  furent 
massacrés  par  les  Turcs  le  30  novembre.  Dans  une  des  mai- 
sons protestantes  de  la  ville  se  trouvaient  un  père  avec  sa 
petite  fille  âgée  de  douze  ans;  ils  étaient  seuls,,  iâ  mère 
s’étant  rendue  dans  un  autre  quartier  auprès  d’une  fille  ma- 
riée. Ün  Turc  à l’aspect  faroubhé  pénétra  soudain  dans  la 
chambre  où  se  tenait  la  petite  fille  ei,  s’adressant  à elle  d’une 
voix  aussi  douce  qu’il  pouvait  : « Mort  enfant,  lui  dit-il,  ton 
père  a été  tué  parce  qu’il  n’a  pas  voulu  acceptèr  la  religion 
de  l’Islam.  Je  dois  maintenant  te  faire  mahométane.  Si  tu  y 
consens,  je  t’emmènerai  chez  moi  et  te  traiterai  comme  ma 
fille.  Veux-tu  devenir  mahométane?  » L’enfant  répondit  : 
« Je  crois  en  Jésus-Christ.  Il  est  mon  Sauveur.  Je  l’aime.  Je 
ne  puis  faire  ce  que  tu  demandés,  dusses-tu  me  tuer!  » Fu- 
rieux, le  Turc  tomba  sur  la  malheüreüse  enfant,  la  frappant 
et  la  blessant  à douze  endroits  différents. 

Ce  qui  suivit,  nul  ne  le  sait.  La  maison  fut  misé  à sac,  puis 
incendiée;  le  cadavre  du  père  disparut  dans  les  flamiiies; 
mais  le  soir  du  même  jour  un  char  s’arrêtait  devant  la  porte 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


de  la  maison  où  demeurait  la  mère  de  la  petite  fille.  Un  voi- 
sin, son  ami,  quoique  Turc,  lui  dit  : a Je  t'ai  apporté  le  ca- 
davre de  ta  fillette.  Tu  es  mon  amie,  et  je  ne  pouvais  pas  le 
laisser  gisant  là-bas  à l’abandon.  Je  suis  bien  peiné  que  cela 
soit  arrivé  ».  La  mère  transporta  dans  la  maison  le  corps  de 
sa  fille  et  s’aperçut  qu’elle  respirait  encore.  Un  chirurgien  fut 
appelé;  il  ramena  l’enfant  à sa  connaissance,  et  maintenant 
elle  est  en  voie  de  guérison.  On  lui  avait  appris  de  bonne 
heure,  dans  les  écoles  missionnaires,  à aimer  le  Sauveur  et 
à étudier  la  Bible.  Cette  enfant  confesseur  n’est-elle  pas  la 
sœur  de  tous  nos  chrétiens  d’Europe?  Sera-t-elle  livrée  à la 
ruine,  elle  et  ses  pareils? 

Le  Dr  Tracy  écrit  de  Marsovan,  en  date  du  28  no- 
vembre 1895  : a On  pourrait  croire  que  les  événements  tra- 
giques des  derniers  temps  doivent  fournir  très  ample  matière 
à notre  correspondance  : il  n’en  est  rien.  A la  vue  des  ter- 
ribles jugements  de  Dieu,  nous  nous  sommes  tus,  comme 
frappés  de  stupeur.  Certes,  ce  sont  là  des  jours  solennels. 
Depuis  le  15  novembre,  nous  ne  cessons  de  recevoir  des  rap- 
ports de  près  et  de  loin,  les  uns  plus  terribles  que  les  autres. 
A Vézir-Kéopreu,  le  diacre  et  55  autres  ont  été  tués;  àZilleh, 
2 évangéliques  et,  avec  eux,  beaucoup  de  grégoriens  (c’est 
ainsi  que  se  désignent  les  Arméniens  de  la  vieille  Église,  en 
souvenir  du  grand  disciple  d’Origène  : Grégoire  lTllumina- 
teur).  Il  y a eu  peu  ou  point  de  désordres  à Hajikini,  à Avkat, 
Gumusket  Samsoun.  Kaoza,  en  revanche,  a été  le  théâtre  de 
scènes  horribles;  les  50  maisons  arméniennes  ont  été  pillées, 
et  30  hommes  tués,  dit-on.  A Marsovan  il  y a eu  123  vic- 
times et  le  pillage  a été  affreux.  Le  lendemain  du  massacre, 
j’ai  trouvé  90  cadavres  jetés  devant  les  fenêtres  de  notre  col- 
lège. Le  gouvernement  fournit  maintenant  des  rations  aux 
affamés  et  leur  vient  ainsi  efficacement  en  aide.  » 

Ce  détail  trouve  son  interprétation  dans  la  remarque  d’un 
employé  du  gouvernement  qui  dit  : Nous  ne  savons  vraiment 
ce  que  Ton  demande  de  nous  : tantôt  nous  devons  attaquer  les 
chrétiens,  et  ensuite  on  nous  ordonne  de  leur  donner  du  pain. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


189 


Il  est  bien  probable  que  le  gouvernement  veut  jouer  ainsi  un 
double  jeu,  pour  tromper  tout  le  monde.  Le  missionnaire 
continue  : « C’est  un  vrai  miracle  qu’aucun  missionnaire 
n’ait  été  tué.  Ici,  nous  avons  vu  arriver,  pour  les  jours  du 
danger,  deux  ou  trois  officiers  avec  une  trentaine  de  soldats 
chargés  de  nous  protéger. 

« Notre  ambassadeur  s’est  admirablement  conduit  en  en- 
voyant constamment  des  dépêches  télégraphiques  pour  s'as- 
surer de  notre  état.  Il  paraît  qu’en  haut  lieu  comme  ici,  on  a 
résolu  que  rien  ne  serait  tenté  contre  nous.  Nous  avons  inter- 
rompu nos  écoles  populaires,  mais  nous  avons  toujours  au 
collège  nos  130  pensionnaires  ». 

Nos  lecteurs  auront  lu  peut-être  dans  les  journaux  le  trait 
saisissant  des  femmes  de  Sassoun,  auxquelles  on  peut  bien 
appliquer  les  paroles  des  deux  huguenotes  emprisonnées  à 
la  Bastille  à côté  de  Bernard  Palissy  et  qui  firent  dire  au  roi 
Henri  IIÏ  « qu’elles  seraient  martyres  de  leur  honneur  comme 
elles  l'étaient  de  celui  de  Dieu  ».  Le  Révérend  Greene  ra- 
conte qu’après  avoir  défendu  leur  position  pendant  vingt- 
quatre  heures,  écrasées  par  le  nombre,  elles  furent  obligées 
de  s’arrêter.  Plusieurs  portaient  leurs  enfants  sur  leur  dos 
tandis  que  leurs  aînés  les  assistaient  dans  le  combat.  Voyant 
la  position  désespérée,  la  femme  de  Grgo  s’avança  vers  la  cime 
du  roc  et  cria  : « Sœurs,  il  vous  faut  choisir  : ou  bien  oublier 
vos  maris,  vos  foyers,  votre  sainte  religion  et  adopter  la  foi 
mahométane  et  être  déshonorées,  ou  suivre  mon  exemple  ». 
Après  quoi,  prenant  son  enfant  dans  ses  bras,  elle  se  pré- 
cipita du  haut  du  rocher  dans  une  sorte  d’abîme.  Une  se- 
conde, une  troisième,  une  quatrième  suivirent  son  exemple, 
et  les  enfants  avec  elles.  Le  ravin  se  remplit  et  les  ennemis 
eux-mêmes  furent  saisis  d’horreur  à ce  spectacle.  Cinquante 
femmes  furent  faites  prisonnières;  mais  aucune  ne  trahit  la 
retraite  de  Grgo  et  de  ses  braves.  La  femme  qui  sauvait  ainsi 
Phonneur  de  son  sexe  s'appelait  Schaké.  Quoique  nous  ne 
puissions  pas  l’appeler  directement  un  martyr  de  la  foi,  son 
nom  mérite  d’être  copservé  à la  postérité. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Le  pasteur  Hubbard,  de  Sivas,  actuellement  détenu  à Cons- 
tantinople, nous  donne  des  détails  sur  quëlqlies  fidèles  qui 
ont  passé  par  la  fournaise  et  obtenu  la  couronne  dii  martyre. 
« L’oeüvre  du  Rév.  Garabed  Kuludjian,  pasteur  protestant  de 
Sivas,  faisait  de  visibles  progrès.  Sa  femme  avait  été,  pendant 
des  années,  maîtresse  de  l’École  supérieure  de  jeûnes  filles 
de  Marsovan;  elle  était  estimée  et  chérie  de  tous,  et  leurs 
quatre  filles,  dont  l’ainée  n’était  pas  encore  âgée  de  seize  ans, 
avaient  largement  bénéficié  de  l'influence  maternelle.  Le  10  no- 
vembre, Garabed  prêcha  a son  troupeau  un  sermon  impres- 
sif  sur  ce  texte  : « Tous  les  cheveux  de  votre  tête  sont 
comptés  ». 

Le  11  novembre,  à midi,  le  tumulte  éclatait.  Le  pasteur  fut 
forcé  de  s’enfermer  avec  quelques  compagnons  arméniens  à 
l'étage  supérieure  d’un  « khan  ».  Là,  ils  furent  découverts, 
dévalisés,  puis  abandonnés,  tandis  que  la  tempête  faisait  rage 
au  dehors.  Le  pasteur  pria  et  veilla  avec  ses  compagnons 
jusqu’au  moment  où  une  nouvelle  troupe  de  musulmans  vint 
cette  fois  pour  les  tuer. 

L’attitude  digne  et  calme  du  pasteur  qui  les  abordait  fit 
hésiter  les  assaillants;  ils  lui  offrirent  la  liberté  à condition 
de  renier  sa  foi.  Malgré  le  souci  que  devaient  lui  donner  sa 
femme,  d'une  santé  délicate,  et  ses  quatre  filles,  sa  réponse 
fut  : « Je  ne  crois  pas  seulement  en  Christ,  mais  je  donne  ma 
vie  pour  lui  amener  d’autres  âmes  ».  « Alors  nous  sommes 
obligés  de  vous  tuer  » . Et  tandis  qu’il  élevait  ses  deux  mains 
vers  le  ciel,  comme  pour  exprimer  sa  confiance  inébranlable 
en  Dieu,  ils  lui  tirèrent  deux  coups  de  fusil.  Le  lendemain 
matin  son  corps  fut  trouvé  par  des  amis  presque  entièrement 
dépouillé  de  tout  vêtement  et  jeté  dans  l’arrière-cour  du 
« khan  » . Comme  les  massacres  ne  faisaient  encore  que 
grandir,  il  ne  put  être  porté  au  lieu  de  sépulture  des  protes- 
tants que  ne  protégeait  aucune  muraille;  aussi  fut-il  joint 
aux  huit  cents  autres  cadavres  que  l’on  entassa  dans  une 
énorme  tranchée. 

Au  cimetière  grégorien  un  prêtre  arménien  se  glissa  a la 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


m 


dérobée  vers  les  cadavres,  pour  dire  une  courbe  prière  et  les 
abandonner  ensuite  à la  terre  et  à Dieu. 

Le  Rev.  Sarkis  Merkashian,  pasteur  depuis  des  années  à 
Chooukouth,  dans  le  district  de  Harpout,  fut  dévalisé  avec  sa 
famille,  chassé  de  sa  demeure  par  l’incendie  et  blessé.  Après 
quoi,  des  Musulmans  le  tourmentèrent  pendant  trois  jours 
pour  lui  faire  embrasser  leur  foi.  Lui  aussi,  malgré  le  souci 
que  devait  lui  donner  la  pensée  d’une  épouse  et  de  six  en- 
fants, resta  fidèle  jusqu’au  bout  et  fût  enfin  ihis  à mort.  On 
connaît  bien  d’autres  pasteurs  qui,  pendant  ces  journées  de 
novembre,  scellèrent  ainsi  leur  dernier  sermon  de  lëür  propre 
sang. 

Hàgope  Pattian,  un  humble  membre  de  l’Église  de  Mar- 
sovan,  s’était  particulièrement  fait  aimer  par  ies  hommes  de 
toutes  croyances  pendant  la  dernière  épidémie  de  choléra 
qui  a sévi  dans  cette  ville.  Le  15  novembre,  la  tempête 
éclata,  mais  elle  le  trouva  prêt.  Gomme  les  coups  de  la  hache 
meurtrière  tombaient  sur  sa  tète,  un  ami  entendit  à travers 
une  porte  voisine  ses  dernières  paroles:  « Père,  pàfdonne- 
leur,  car  ils  ne  savent  ce  qu’ils  font  ».  Puis  cette  autre  : 
« Père,  jë  remets  mon  esprit  entre  tes  mains  ». 

Ne  conclurons-nous  pas,  avec  le  Herald  de  l’American 
Board  : « Depuis  des  siècles  (peut-être)  la  noble  armée  des 
martyrs  n’a  pas  vu  un  accroissement  aüssi  rapide  que  du- 
rant l’année  dernière.  Certes,  l’Église  chrétienne  n’a  rien  à 
craindre  pour  soii  avenir,  quand  elle  voit  ses  enfants  rendre 
à leur  Sauveur  de  pareils  témoignages!  » 

«.  Si  nous  vivons,  l’œuvre  continuera,  écrit  M.  Gâtes,  prési- 
dent du  collège  de  Harpout,  et  nous  attendrons  que  les  chré- 
tiens nous  soutiennent.  On  nous  commande  de  quitter,  mais 
nous  n’allons  pas  abandonner  notre  poste.  Nous  sommes 
prêts  à inouHr  pour  notre  œuvre;  les  autres  doivent  être  prêts 
à nous  soutenir  de  leurs  dons. 

« Je  ne  voudrais  pas  échanger  la  paix  dont  ndüs  jouissons 
et  l’assurance  de  la  faveur  et  du  secours  divins  pour  les 
places  les  plus  élevées  qü’oû  pourrait  nous  Offrir  en  Àmé- 


192 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


rique...  C’est  pour  le  peuple  de  Dieu  l'heure  de  montrer  qu'il 
a confiance  dans  le  triomphe  de  sa  cause.  Je  voudrais  pouvoir 
parler  de  façon  à ce  que  tous  les  chrétiens  d'Amérique  nous 
entendissent.  Que  nous  vivions  ou  que  nous  mourions,  nous 
nous  réjouissons  dans  le  Seigneur.  Dites  au  peuple  de  Dieu 
de  se  lever  et  de  rebâtir  les  murs  de  la  ville  qui  sont  tombés 
et  les  temples  qui  sont  en  ruine.  » 

Madame  Raynolds  écrit  de  Van  : Le  Dr  Kimbal  fournit  du 
travail  à près  de  5,000  affamés;  hier  nous  avions  500  audi- 
teurs à notre  culte.  Il  semble  que  notre  devoir  est  de  rester 
et  de  profiter  des  occasions  présentes,  nous  confiant  en  Dieu 
pour  l’avenir.  L’épreuve  la  plus  grande  est  qu'il  n’y  a,  dans 
la  situation,  aucun  rayon  d’espérance.  Ce  n’est  qu’en  regar- 
dant à Dieu  que  nous  pouvons  trouver  quelque  consolation. 
Nous  comprenons  maintenant  l’expression  biblique  : « La  foi 
et  la  patience  des  saints  » (Apocal.  XIII,  10). 

A la  vue  de  tant  de  douleurs  et  de  tant  de  dévouement,  le 
peuple  de  Dieu  va-t-il  demeurer  inerte,  sans  prières,  sans 
protestation,  sans  secours  efficaces  pour  les  frères  qui  souf- 
frent ? 

G.  Appia. 

P.  S.  Le  duc  de  Westminster  a reçu  tout  récemment  d’un 
officier  au  service  de  la  Turquie  la  statistique  suivante  : 

Tués  par  les  armes,  29,544;  brûlés  vifs,  1,383;  morts  de 
faim,  de  froid,  de  maladie,  de  peur,  6,354  ; femmes  contraintes 
d’épouser  des  Turcs,  1,532;  malheureux  réduits  à vivre  de 
charité,  92,960  ; églises,  maisons  religieuses,  écoles  détruites, 
227;  convertis  de  force  dans  la  province  seule  d’Harpout, 
15,000. 

PAROLES  D’UN  ARCHEVÊQUE  SUR  LES  MISSIONS 

L’archevêque  de  Cantorhéry,  adressant  une  allocution  au 
jeune  clergé  sur  l’évangélisation,  le  17  février  1896,  a pro- 
noncé quelques  paroles  que  nous  tenons  à citer  : 


VARIÉTÉS 


\ 93 


« Aucune  Église  ne  saurait  être  vivante  sans  s’efforcer 
a d’accomplir  le  commandement  de  tous  les  commandements 
« du  Sauveur.  Le  premier  devoir  d’un  chrétien  est  d’amener 
« d’autres  hommes  à devenir  chrétiens,  et  le  devoir  d’une 
« Église  est  de  fonder  d’autres  Églises  chrétiennes,  jusqu’à 
« ce  que  le  monde  entier  en  soit  couvert.  » 


VARIÉTÉS 

CHEIKH  OTHMAN 

22  janvier  1896. 

...  Vers  six  heures  du  matin,  la  machine  stoppa.  Nous 
étions  en  face  du  massif  rocheux,  presque  effrayant,  d’Aden. 
Une  affiche  nous  annonça  peu  après  que  Y Iraouaddy  lèverait 
l’ancre  à une  heure  du  soir;  soit  environ  six  heures  pour  aller 
à terre. 

Une  barque,  conduite  par  quatre  rameurs  somali,  nous 
conduisit  en  trois  quarts  d’heure  au  quai  de  débarquement. 
De  ma  vie,  je  n’ai  vu  des  montagnes  aussi  sombres,  tout  en 
pointes  et  en  angles,  dont  le  seul  aspect  blesse.  Gela  paraît  in- 
finiment plus  dur  que  du  fer.  Des  masses  coniques,  mais 
toutes  hérissées  d’aspérités,  s’étagent  les  unes  derrière  les 
autres:  sur  l’une  des  plus  basses  se  dresse  le  sémaphore.  Le 
long  du  rivage,  on  aperçoit  quelques  toits  sous  lesquels  les 
maisons  semblent  se  faire  petites,  écrasées  par  la  nature  sau- 
vage et  menaçante.  Le  soleil  était  encore  derrière  cet  amas 
de  montagnes  ; vus  à contre-jour,  ces  rocs  d’un  brun  noirâtre 
prenaient  une  apparence  encore  plus  sombre  et  plus  hostile. 
Pas  la  moindre  trace  de  végétation. 

Sur  le  quai,  deux  agents  de  police  nous  débarrassèrent 
prestement  de  la  meute  des  guides.  Plus  tard,  nous  en  vîmes 
partout  de  ces  bons  génies.  Ils  portent  un  uniforme  brun 


194 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


clair  jaunâtre,  une  nuance  moins  foncée  que  notre  nouvelle 
tenue  coloniale;  ils  sont  naturellement  armés  du  «club»  tra- 
ditionnel de  policemen  de  Londres,  de  grands  et  forts  gail- 
lards, comme  leurs  collègues  de  la  cité;  mais  ils  s'en  distin- 
guent par  leur  teint  basané,  leur  poil  noir  et  luisant  comme 
du  jais,  et  par  ce  qu’il  y a de  plus  marquant  dans  leur  accou- 
trement, un  énorme  turban  bleu,  d’où  sort  une  calotte  en 
forme  de  pyramide  rouge.  C’était  pour  nous  rappeler  que  nous 
étions  dans  une  possession  britannique,  dans  une  dépendance 
de  l’Inde,  en  Asie.  Les  agents  de  la  police  d’Aden  sont  tous 
indous. 

Parmi  nos  compagnons  de  route,  il  y avait  un  lieutenant 
de  marine  qui  connaît  les  escales  de  toutes  les  mers;  il  se 
rendait  au  magasin  français,  dont  nous  aurions  autrement 
ignoré  l’existence.  Dans  cette  ville  anglaise,  nous  fûmes  d’ail- 
leurs étonnés  de  trouver,  sur  la  place  principale,  un  Hôtel 
de  l’Europe,  un  Hôtel  des  Voyageurs,  un  Hôtel  de  l’Univers, 
comme  dans  la  plus  endormie  de  nos  villes  de  province.  Non 
loin  de  là,  une  grande  enseigne  tire  l’œil  : « Magasin  »,  et 
des  deux  côtés  de  la  porte  : a Vêtements  » et  «Aliments  ». 
Les  maisons  n’ont,  sauf  deux  ou  trois  exceptions,  qu’un  seul 
étage.  Les  toits  sont  plats.  Au  rez-de-chaussée,  il  y a des  ar- 
cades qui  forment  véranda;  au  premier  étage,  la  véranda  est 
fermée  par  des  grillages  en  bois.  Tout  est  blanchi  à la  chaux. 

Dans  le  «magasin  »,  un  commis  dont  l’accent  trahissait  le 
Jura  bernois  nous  montre  des  pince-nez  à verres  fumés,  que 
nous  demandions.  Tout  en  choisissant,  M.  Lauga  s’enquit 
d’un  M.  Ch.,  le  fils  de  l’excellent  ami  qui  nous  a hébergés  à 
Marseille.  Il  se  trouve  que  c’était  le  patron  du  commis,  le  pro- 
priétaire du  magasin.  Il  ne  tarda  pas  à paraître,  grand,  fort, 
un  ancien  cuirassier,  la  poitrine  couverte  maintenant  d’une 
longue  barbe  flottante.  Fidèle  aux  traditions  paternelles,  il  se 
met  aimablement  à notre  disposition  et  nous  invite  à visiter 
Aden.  Il  nous  informe,  en  effet,  que  nous  n’étions  encore  qu’à 
Steamer  Point,  le  faubourg  ou  mieux  le  port  d’Aden.  La  ville 
se  cache  dans  l’une  des  gorges  ténébreuses,  ou  qui  nous 


VARIÉTÉS 


1D5 


avaient  paru  telles  le  matin,  et  qui  déchirent  le  lourd  massif 
volcanique. 

J’avais  un  autre  plan.  11  y a environ  neuf  ans  ( I),  j’ai  raconté 
dans  le  Journal  des  Missions  les  débuts  d’une  œuvre  aposto- 
lique qui  m’avait  vivement  intéressé.  Un  jeune  lord  écossais, 
répétiteur  d’arabe  à Oxford,  pris  d’amour  pour  le  Sauveur, 
décida  de  mettre  ce  qu’il  avait  et  ce  qu'il  savait  au  service 
de  son  divin  Maître  pour  la  conversion  des  païens.  Ion  Keith- 
Falconer  savait  l’arabe  et  avait  de  l’argent.  Dieu  le  conduisit 
à Aden.  De  là,  il  pensa  attaquer  le  berceau  de  l'islam,  l’Yé- 
men et  toute  l’Arabie.  Après  un  voyage  d’étude  fait  en  1885, 
si  je  ne  me  trompe,  il  choisit  comme  emplacement  de  sa  station 
le  village  arabe  de  Cheikh  Othmân,  à 16  kilomètres  au  nord 
d'Aden,  sur  la  limite  du  territoire  britannique.  Il  s’y  fixa  avec 
sa  jeune  femme,  si  je  ne  fais  erreur,  à la  fin  de  1886,  vivant 
de  ses  propres  ressources,  mais  rattaché  au  Comité  des  mis- 
sions de  l’Église  libre  d’Écosse.  Je  m’étais  pris  d’enthou- 
siasme pour  cette  entreprise.  Vers  le  milieu  de  1887,  le  Free 
Çhurch  Montkly  m’apprit  la  mort  de  Ion  Keith -Falconer. 
Mes  voies  ne  sont  pas  vos  voies,  dit  FÉternel. 

Depuis  lors,  je  suis  de  loin  cette  mission  comme  bien  d’au- 
tres. La  mère  et  la  veuve  du  jeune  arabisant  enseveli  au  ci- 
metière militaire  d’Aden,  ont  fait  une  fondation  qui  garantit 
le  traitement  de  deux  missionnaires  à Cheikh  Othmân. 
L’Église  libre  d’Écosse  prit  en  main  la  direction  complète  de 
l’œuvre.  Suivant  la  pensée  du  fondateur,  on  fit  de  cette  œu- 
vre une  mission  médicale.  C’est  à peu  près  le  seul  moyen 
d’agir  sur  des  musulmans,  le  seul  à portée,  en  tout  cas,  pour 
entamer  l’islam  en  Arabie.  Deux  ou  trois  missionnaires  mé- 
decins prirent  successivement  les  fièvres  à Cheikh  Othmân  et 
durent  rentrer  en  Europe;  même  un  Syrien  chrétien,  le  doc- 
teur Zeitoûn,  je  crois,  ne  résista  pas  au  climat.  On  continue 
néanmoins,  mais  les  nouvelles  sont  rares. 


(1)  Voir  Journal  des  Missions,  année  1883,  p.  488;  1887,  p.  280  et  314 
1888,  p.  149. 


196 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Je  hasarde  dooc  la  question  : « Serait-il  possible  d’aller  à 
Cheikh  Othmân  sans  manquer  le  départ  du  paquebot  et  sans 
dépasser  les  ressources  d’un  budget  modeste?  — Parfaite- 
ment, répond  M.  Ch.  J’y  vais  parfois  voir  un  client;  mais  je 
dois  vous  avertir  que  la  maison  du  missionnaire  est  fermée 
depuis  une  quinzaine  de  jours,  dit-on.  » J’insistai  un  peu. 
On  renonça  à la  visite  d’Aden  et  de  ses  citernes  dont  les  fon- 
dements remontent  aux  Phéniciens,  si  l’on  en  croit  certains 
archéologues.  M.  Ch.  fit  avancer  une  des  voitures  dont  nous 
avions  déjà  remarqué  l’allure  fantastique.  Elles  sont  de  fa- 
brique américaine;  leur  légèreté  et  le  galop  du  cheval  qui  les 
tire  frappent  à’autant  plus  que  l’on  voit  à côté  des  chariots 
placés  sur  deux  roues,  dont  chacune  est  taillée  dans  un  seul 
madrier  et  que  ce  véhicule  patriarcal  est  traîné  par  un  dro- 
madaire ou,  non  moins  pacifiquement,  par  deux  petits  bœufs 
zébus,  importés  d’Inde. 

A peine  installés  dans  notre  «spider  »,  nous  sommes  em- 
portés par  le  cheval  lancé  au  galop.  Comment  vous  décrire 
cette  course  de  cinq  quarts  d’heure?  Cela  prendrait  trop  de 
place.  Le  trafic,  sur  cette  route,  est  assez  important.  Nous 
avons  croisé  plusieurs  centaines  de  chameaux,  sans  compter 
les  ânes  et  les  voitures.  D’ordinaire,  c’étaient  des  caravanes 
de  douze  à vingt  bêtes  : les  unes  portaient  du  bois  mort;  cela 
faisait,  artistement  échaffaudé  sur  l’animal,  comme  une 
énorme  carapace;  d’autres  étaient  chargées  d’outres  rem- 
plies d’eau,  de  sacs  de  café,  de  dattes  ou  d’autres  denrées  en- 
core. Un  chameau  porte,  paraît-il,  entre  200  et  250  kilo- 
grammes. Et  quels  beaux  types  de  chameliers!  Des  Arabes 
d’Arabie!  pour  tout  vêtement  un  pagne  sale,  et  un  turban, 
habituellement  bleu  foncé.  Leur  peau,  dont  la  nuance  va  de 
l’olivâtre  au  brun  rouge  bronzé,  est  toujours  d’un  beau  iriat; 
ils  paraissent  bien  nourris,  plutôt  secs,  découplés,  tout  en 
muscles. 

Au  poste  de  police,  vers  l’entrée  du  village,  M.  Ch.  de- 
manda le  bungalow  du  padri , encore  deux  mots  venus  de 
l’Inde.  Nous  étions  tout  près;  mais  l’agent  nous  informa  que 


VARIÉTÉS 


197 


le  padri  n’y  était  pas.  Je  proposai  de  jeter  au  moins  un  coup 
d’œil  sur  la  maison  et  les  dépendances.  Dans  un  hangar  ap- 
parut un  vieil  Indou  parlant  anglais.  Nous  avions  eu  raison 
de  persévérer.  — « Le  padri  est  au  dispensaire,  là-bas,  dans 
le  village  »,  nous  dit  le  serviteur.  Le  cocher  affirma  qu’il  con- 
naissait l’endroit,  et  nous  déposa,  après  un  quart  d’heure  de 
course  échevelée  à travers  le  village,  devant  un  magnifique 
jardin,  au  milieu  duquel  on  apercevait  un  grand  et  beau  bâ- 
timent. L’installation  luxueuse  m’étonna  un  peu.  Nous  mon- 
tâmes sous  la  véranda.  Ce  fut  de  nouveau  un  Indou  qui  vint 
à notre  rencontre  pour  nous  dire  que  nous  étions  à l’hôpital 
du  gouvernement  et  que  le  dispensaire  du  docteur  Yojung  se 
trouvait  dans  une  autre  direction.  Cette  fois-ci,  le  cocher,  un 
jeune  nègre,  menace  de  se  mettre  en  grève;  il  nous  assura 
avec  force  gestes  que  son  cheval  était  mort.  — « Bien,  dit 
M.  Ch.,  tu  es  le  numéro  82;  on  te  retrouvera.»  Cela  fut 
énoncé  d’une  voix  tranquille  et  opéra  merveille.  Le  cheval 
ressuscita.  Nous  partîmes  au  galop,  et  cinq  minutes  plus 
tard,  nous  descendions  devant  une  maison  assez  spacieuse, 
à un  étage  et  très  simple.  Tout  autour  des  espèces  de  youc- 
cas,  haut  de  trois  ou  quatre  mètres,  poussaient  au  hasard  et 
naturellement,  là  comme  dans  tout  le  village;  par  ci  par  là, 
un  tamarisc  ou  un  mimosa. 

Sous  l’arcade-véranda,  une  quinzaine  de  personnes,  hom- 
mes, femmes  et  enfants  attendaient,  assises  ou  couchées;  une 
forte  odeur  d’acide  phénique  se  dégageait  de  l’intérieur.  La 
rumeur  causée  par  notre  arrivée  fit  paraître  un  grand  Écos- 
sais, vêtu  de  coutil  blanc,  la  figure  ouverte  et  souriante, 
barbe  et  cheveux  noirs.  — «Docteur  Young?  demandai-je.  — 
Myself  »,  fut  la  réponse.  Je  présentai  mes  compagnons  et  moi- 
même.  Le  docteur  nous  fit  entrer  dans  la  salle  des  consulta- 
tions. Il  n’y  avait  que  trois  chaises.  L'une  s’effondra  sous 
M.  Lauga.  M.  Young,  qui  se  tenait  debout,  s’appuyant  sur  sa 
table,  ramassa  les  trois  morceaux,  — Lauga  s’était  ramassé 
lui-même,  comme  il  convient  à un  Béarnais.  Le  docteur  remit 
en  place  les  membres  disjoints  du  siège,  — comme  il  convient 

14 


198 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


à un  médecin-chirurgien,  et  Lauga  eut  le  courage  de  se  ras- 
seoir. La  conversation  n’avait  pas  cessé,  ne  s’était  pas  même 
interrompue;  notre  hôte  n’avait  pas  sourcillé;  il  est  calme, 
comme  il  convient  à un  Écossais. 

Après  un  moment,  il  nous  pria  de  l’excuser  s’il  continuait 
son  travail.  On  amena  un  garçon  d’une  douzaine  d’années.  Il 
avait  au  genou  droit  une  terrible  plaie.  Il  se  nommait  Moham- 
med, venait  pour  la  première  fois,  bien  que  souffrant  depuis 
plusieurs  mois,  et  faisait  la  grimace  pendant  que  le  docteur, 
qui  avait  noté  d’abord  l’état  civil  du  patient  sur  un  registre, 
tâtait  la  jambe.  Il  pansa  la  plaie,  dit  au  garçon  de  revenir,  et 
nous  dit  à nous  qu’il  le  chloroformerait  alors  pour  faire  une 
incision  profonde.  Puis,  ce  fut  une  petite  fille  de  cinq  ans, 
amenée  par  son  père  : elle  avait  à nu  une  partie  du  métatarse 
gauche.  Un  homme  pâle  et  maigre  souffrait  de  la  fièvre.  En- 
suite, ce  fut  le  tour  d’une  femme.  M.  Young  nous  pria  de 
monter  au  premier  pendant  cette  consultation.  Il  a un  infir- 
mier indigène  qui  interroge  d’abord  les  malades;  mais 
M.  Young  parle  couramment  l’arabe.  Il  nous  promit  de  faire 
cherchjer  son  collègue,  le  docteur  Millar,  arrivé  il  y a quel- 
ques semaines  seulement. 

Tous  les  jours,  sauf  le  dimanche,  il  défile  ainsi  dans  ce  ca- 
binet médical  de  quinze  à quatre-vingts  malades  et  blessés, 
une  cinquantaine  en  moyenne.  Ils  se  réunissent  dès  huit 
heures  du  matin.  Chaque  journée  est  commencée  par  un  culte 
sous  la  véranda.  Les  malades  qui  savent  lire,  et  tous  ceux 
indifféremment  qui  viennent  de  l’intérieur,  reçoivent  une 
petite  feuille  coloriée,  imprimée  à Lahr  et  sur  laquelle  on  a 
calligraphié  en  arabe  un  passage  biblique.  Quelquefois,  de 
préférence  encore  pour  l’intérieur,  on  donne  au  consultant 
un  Évangile  ou  un  Nouveau  Testament  arabe.  Il  est  arrivé 
des  malades  d’une  distance  de  trente  jours  de  voyage.  Le 
sultan  de  Béhân,  à quinze  jours  au  nord  de  Cheikh  Othmân, 
est  venu,  sans  être  malade,  passer  deux  jours  au  dispensaire 
de  la  mission,  pour  voir  ce  dont  ses  gens  lui  avaient  souvent 
parlé  avec  tant  de  reconnaissance.  Ainsi  la  renommée  de  la 


VARIÉTÉS 


199 


charité,  pratiquée  à l’exemple  du  Maître  qui  avait  compassion 
de  ceux  qui  souffraient,  se  répand  dans  les  tribus  autour 
d’Aden,  comme  un  parfum  de  bonne  odeur.  La  Bonne  Nou- 
velle aussi  est  semée  à tous  les  vents,  et,  par  la  grâce  de 
Dieu,  deviendra  un  parfum  de  vie  pour  ceux  qui  l’accepte- 
ront. 

Il  serait  difficile  de  faire  plus  ou  d’adapter  une  autre  mé- 
thode aux  circonstances  locales.  L’invitation  d’assister  à un 
culte  chrétien  irriterait  les  musulmans  sans  profit  pour  la 
cause  de  l’Évangile.  Il  faut  se  contenter  du  contact  personnel 
qui  s’établit  au  dispensaire  construit  sur  l’emplacement 
choisi  par  Ion  Keith-Falkoner  ; puis,  profiter  des  relations 
personnelles  créées  ainsi.  Quand  le  docteur  Millar  saura  assez 
d’arabe  pour  diriger  seul  le  dispensaire,  le  docteur  Young 
se  propose  de  faire  régulièrement  des  tournées  dans  l’inté- 
rieur pour  visiter  ses  patients,  et  surtout  pour  parler  du 
grand  médecin  qui  guérit  le  corps  et  l’âme.  Qui  marchandera 
l’admiration  à ces  deux  hommes,  expatriés  dans  un  pays  fié- 
vreux et  désolé,  sous  un  soleil  impitoyable,  travaillant  jour 
après  jour,  ne  voyant  que  peu  ou  point  de  résultats  spirituels, 
mais  croyant  qu’ils  aplanissent  en  Arabie  la  voie  de  Celui  qui 
vient,  qui  viendra  quand  son  nom  sera  proclamé  partout.  Ils 
croient  cela  et  ne  comptent  pas  leurs  peines  etleurs  sacrifices. 
Ils  sont  deux  et  prient  ensemble.  Dieu  les  entend  et  les  exau- 
cera. Si  peu  d’apparence  que  cela  ait  aux  yeux  des  hommes, 
Cheikh  Othmàn  est  un  beau  poste  parmi  tous  les  ouvrages 
d’attaque  que  le  christianisme  élève  contre  le  monde  éloigné 
du  Christ. 

Au  premier  étage,  nous  avons  trouvé  une  école,  un  embryon 
d’école;  mais  là  encore  ces  hommes  font  ce  qu’ils  peuvent. 
Un  banc  d’école  et  cinq  élèves  d’une  dizaine  d’années  en 
moyenne;  un  grand  élève  d’environ  quinze  ans,  assis  à une 
table  séparée;  un  tableau  noir,  et,  devant,  le  maître  d’école, 
Iskander  Aboût,  un  Syrien  du  Liban,  élevé  dans  les  écoles  des 
Quakers,  voilà  tout.  L’instituteur  enseigne  l’arabe  et  l’anglais. 
S’il  n’enseignait  pas  l’anglais,  il  n’aurait  pas  d’élèves  du  tout. 


200 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


L’instruction  religieuse,  c’est-à-dire  la  prédication  de  l’Évan- 
gile, fait  naturellement  partie  du  programme.  L’élève  de 
quinze  ans  est  un  Parsi;  sa  mère  est  Arabe;  son  père  est  venu 
de  Bombay  à Aden.  J’ai  fait  lire  une  phrase  anglaise  à l’un 
des  petits  qui  s’en  est  fort  bien  tiré,  et  a traduit  ensuite  cor- 
rectement l’anglais  en  arabe. 

La-dessus,  le  docteur  Millar  arriva.  Je  lui  rappelai  sa  cham- 
bre à Sardinia-Terrace,  à Glasgow,  en  face  de  laquelle  nos 
bons  amis  Alston  m’avaient  parlé  de  lui,  à son  insu,  parce 
qu’il  avait  eu  un  instant  la  pensée  de  suivre  Henry  Dyke  au 
Lessouto.  Il  se  souvient  d'avoir  entendu  une  de  mes  confé- 
rences à Édimbourg.  Nous  nous  étions  manqués  en  Écosse  et 
nous  nous  rencontrions  en  Arabie. 

Le  temps  passait  vite,  et  il  eût  été  plus  que  fâcheux  de 
manquer  le  départ  de  l'Iraouaddy.  Ces  messieurs  nous  avaient 
invités  à déjeuner  avec  eux.  Le  dispensaire  est  l’ancienne  ha- 
bitation de  Keith-Falconer.  Elle  est  en  plein  village  et  sur 
un  terrain  paludéen.  De  là,  la  distance  qui  sépare  la  maison 
d’habitation  du  dispensaire,  au  bénéfice  des  missionnaires. 
Le  docteur  Young  n’a  guère  eu  d’accès  de  fièvre  sérieux  depuis 
trois  ans.  Ces  braves  jeunes  célibataires  se  mirent  en  quatre 
pour  nous  servir  un  déjeuner  plus  que  convenable.  Du  « por- 
ridge »,  pour  rappeler  leur  patrie  lointaine,  puis  quatre 
boîtes  de  conserves;  enfin,  du  café  au  lait  et  des  biscuits;  le 
tout  servi  par  le  vieil  Indou. 

Le  fiacre  numéro  82  fut  hélé  après  cela;  une  cordiale  et 
longue  poignée  de  main,  et  en  nous  recommandant  les  uns 
les  autres  à la  grâce  de  Dieu,  nous  nous  séparâmes. 

F.  H.  K. 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20213. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


201 


SOCIÉTÉ 


DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


« JUSQU’ICI  L’ÉTERNEL  NOUS  A SECOURUS  » 

Paris,  le  25  avril  1896. 

Le  temps  nous  manque  (1)  pour  entretenir  nos  amis  comme 
nous  le  voudrions  de  la  nouvelle  délivrance  accordée  à notre 
Société.  Notre  cœur  est  plein  de  reconnaissance  envers  Dieu 
qui,  à toutes  les  grâces  qu’il  nous  avait  déjà  accordées  pen- 
dant l’année  — envoi  de  renforts  dans  plusieurs  de  nos  champs 
de  travail  — heureuse  tournure  prise  par  les  affaires  de  Ma- 
dagascar au  point  de  vue  des  missions,  — ajoute  encore  ce 
bienfait  de  nous  permettre  de  terminer  l’année  sans  aucun 
déficit. 

Nous  remercions  du  fond  du  cœur  tous  les  amis  connus  et 
inconnus  qui  ont  été,  entre  les  mains  de  Dieu  les  instruments 
de  cette  victoire.  Et  nous  le  bénissons,  Lui,  de  sa  fidélité  et 
de  sa  miséricorde.  Il  sait  notre  ardent  désir  de  n’accepter 


(1)  La  date  où  paraît  cette  livraison  coïncide  avec  nos  Assemblées 
annuelles  et  avec  tout  ce  qui  s’y  rattache  : la  rédaction  du  rapport,  la 
préparation  des  réunions,  etc.  De  là  des  lacunes  que  comblera  le  pro- 
chain numéro. 

MAI  1896. 


15 


202 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


d'autres  tâches  que  celles  qu’il  nous  impose,  et,  ces  tâches  ] 
acceptées,  de  n’en  déserter  aucune.  Il  sait  aussi  que  pour  ac-  1 
complir  ces  tâches,  nous  ne  pouvons  compter  que  sur  lui. 
Car  que  sommes-nous  avec  toute  notre  bonne  volonté  et  notre  J 
zèle?  Nous  sommes  l’impuissance  même,  et  s’il  ne  nous  don-  i 
nait  jour  après  jour  les  forces  et  les  ressources  dont  nous  , 
avons  besoin,  nous  serions  depuis  longtemps  débordés  et  ■ 
écrasés.  Mais  si  nous  sommes  insuffisants,  il  est,  lui,  à la  j 
hauteur  de  toutes  les  situations.  Il  vient  de  nous  le  montrer 
une  fois  de  plus.  Oh  ! qu’il  est  doux,  après  la  rude  journée  de  ! 
marche  qui  est  derrière  nous,  de  nous  arrêter  un  instant  et 
de  dresser  au  bord  du  chemin  notre  Ebénézer  I 

Oui,  « jusqu’ici  l’Éternel  nous  a secourus  ».  11  nous  aidera 
encore  dans  la  suite.  Reprenons  avec  confiance  la  lutte,  les 
yeux  arrêtés  non  sur  nous-mêmes  et  sur  notre  faiblesse,  mais  j 
sur  le  but  glorieux  de  nos  efforts  et  sur  les  promesses  de 
Dieu,  en  serrant  dans  nos  cœurs  la  parole  que  notre  président 
tenait  à nous  rappeler  pour  le  jour  de  notre  Assemblée  an-  | 
nuelle  : « L’Éternel  découvre  le  bras  de  sa  sainteté  aux  yeux 
de  toutes  les  nations,  et  toutes  les  extrémités  de  la  terre  ver- 
ront le  salut  de  Dieu  ! » 


SITUATION  FINANCIÈRE 
à la  clôture  de  l’exercice  1895  1896. 


OEUVRE  GÉNÉRALE 

1894  95  1895-96 

354.831  40  Recettes  de  l’exercice  1895-96  367.690  65 

355.158  80  Dépenses 367.400  30 

Différence  en  excédent  de  recettes 290  35 

Lesquels,  ajoutés  au  reliquat  de  caisse  de  l’exer- 
cice précédent 4.223  50 

forment  un  encaisse  de 4.513  85 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


203 


ZAMBÈZE 


59  551  65  Recettes 52.853  30 

Reliquat  de  caisse  de  l’exercice  précédent.  . . 5.470  85 

Ensemble.  58.324  15 

57.552  75  Dépenses 57.639  85 

Différence  en  caisse 684  30 


MADAGASCAR 


Dons  reçus  de  divers 16.563  05 

Dépenses  payées  au  31  avril  1896 8.933  55 

Solde  en  caisse 7.629  50 


ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE  DU  23  AVRIL  1896 

Nous  ne  donnerons  pas  aujourd’hui  un  compte  rendu  dé- 
taillé de  cette  réunion,  sur  laquelle  nous  nous  proposons  de 
revenir  dans  un  mois.  C’est  hier  au  soir  qu’elle  a eu  lieu,  et 
sous  peine  de  mettre  notre  journal  en  retard,  nous  devons 
nous  borner  à constater  avec  reconnaissance  que  nous  avons 
eu  une  bonne  assemblée. 

A l’heure  indiquée,  le  président  de  la  Société,  M.  J.  deSeynes, 
a pris  place  sur  l’estrade,  entouré  de  ses  collègues  et  de 
plusieurs  missionnaires.  La  séance  est  déclarée  ouverte  et 
l’on  chante  un  cantique.  Puis,  M.  le  pasteur  Appia  lit  un 
fragment  des  saintes  Écritures  et  prononce  une  prière.  Après 
quoi  le  président  prononce  une  brève  allocution  où  sont  rap- 
pelés les  faits  caractéristiques  de  l’année.  Il  rend  notamment 
un  hommage  de  gratitude  et  de  regrets  à la  mémoire  de  nos 
frères  MM.  Bonzon  et  Jacot,  décédés  au  Congo  français.  En- 
suite le  directeur  donne  un  court  abrégé  du  rapport  annuel, 
qui  sera  bientôt  publié,  et  dont  la  lecture  attentive  ne  saurait 
être  trop  recommandée  à tous  ceux  qui  tiennent  à s’associer 
en  connaissance  de  cause  aux  travaux  de  notre  Société.  Quant 
au  rapport  financier , dont  les  principaux  chiffres  seulement 


204 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


sont  indiqués  par  M.  Gruner , il  laisse  l’assemblée  sous  l’im- 
pression d’une  profonde  reconnaissance  : en  effet,  cette  année 
encore,  loin  de  clore  ses  comptes  avec  un  déficit,  la  Société 
constate  un  léger  encaisse,  tant  pour  son  œuvre  générale  que 
pour  celle  du  Zambèze. 

La  partie  officielle  du  programme  de  la  soirée  étant  épuisée, 
le  président  donne  successivement  la  parole  à M.  A.  Bertrand , 
explorateur  genevois  qui  revient  du  Zambèze  et  qui,  de  visu , 
nous  entretient  de  l’œuvre  accomplie  par  nos  vaillants  mission- 
naires; à M.  Viênoty  qui  nous  transporte  dans  le  champ  dissé- 
miné des  îles  océaniennes,  et  enfin  à M.  U.  Teisserès,  dont  la 
parole  chaude  et  sympathique  nous  fait  assister  aux  joies  et 
aux  douleurs  de  la  mission  du  Congo.  Ces  discours,  que  nous 
n’avons  pas  le  temps  d’analyser,  seront  communiqués  à nos 
lecteurs  — au  moins  en  résumé  — dans  la  prochaine  li- 
vraison du  journal. 

Une  fervente  prière  de  M.  le  pasteur  /.  Bianquis,  de  Rouen, 
a terminé  cette  bienfaisante  soirée.  La  collecte,  faite  dans  les 
rangs  de  l’assemblée  par  les  élèves  missionnaires,  a produit 
438  fr.  15. 


ÉTUDIANTS  MISSIONNAIRES 


Le  14  février  s’est  constitué,  à Genève,  pour  les  pays  de 
langue  française,  un  Comité  du  mouvement  volontaire  des 
étudiants  se  destinant  aux  missions.  Ce  mouvement,  né  il  y 
a une  dizaine  d’années  en  Amérique,  et  qui  s’est  propagé 
depuis  en  Grande-Bretagne,  en  Hollande,  en  Suède,  en  Nor- 
vège, en  Danemark,  en  Allemagne,  aux  Indes,  au  Japon,  en 
Australie,  se  propose  de  réveiller  chez  les  étudiants  l’intérêt 
pour  les  missions  et  de  les  engager  eux-mêmes  à publier 
parmi  les  païens  le  salut  par  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu.  Le 
Comité  exécutif  est  formé  de  quatre  étudiants,  tous  futurs 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


205 


missionnaires.  Parmi  eux,  M.  R.  de  Prosch,  candidat  en 
théologie,  élève  de  la  Faculté  de  médecine  de  Genève,  remplit 
les  fonctions  de  secrétaire-trésorier,  et  M.  D.  Couve,  élève  de 
la  Faculté  de  théologie  de  Montauban,  celles  de  secrétaire  iti- 
nérant. Il  a été  adjoint  à ce  Comité  exécutif  un  Conseil  hono- 
raire composé  de  : MM.  Barde,  professeur  à l’École  de  théo- 
logie de  Genève  ; Boegner,  directeur  de  la  Maison  des  mis- 
sions évangéliques  de  Paris;  Guye,  vice-président  du  Comité 
de  la  misssion  des  Églises  libres  de  la  Suisse  romande; 
Leenhardt,  professeur  à la  Faculté  de  théologie  de  Montau- 
ban; Jean  Monnier,  pasteur,  secrétaire  général  du  Cercle  des 
étudiants  protestants  de  Paris. 

M.  Daniel  Couve  a été  chargé  de  visiter,  pendant  les  mois 
de  mai  et  juin,  les  étudiants  chrétiens  de  Suisse  et  de  France, 
et  quelques  Unions  chrétiennes,  pour  les  entretenir  de  la 
question  missionnaire  et  des  responsabilités  de  la  jeunesse 
chrétienne  vis-à-vis  du  monde  païen.  Le  Comité  du  mouve- 
ment, prie  tous  les  amis  des  missions  de  se  souvenir  de  son 
œuvre  dans  leurs  prières  et  de  demander  à Dieu  de  répandre 
son  Esprit  sur  la  jeunesse  de  nos  Églises. 

Pour  tous  les  renseignements,  on  peut  s’adresser  au  siège 
du  Comité,  Union  chrétienne  de  jeunes  gens,  3,  rue  Général 
Dufour,  Genève,  ou  à M.  D.  Couve,  Faculté  de  théologie  de 
Montauban. 


UNE  RECTIFICATION 

Dans  notre  dernière  livraison  (1),  parlant  des  mesures  pri- 
ses par  le  gouvernement  portugais  à Fendroit  de  la  mission 
romande  de  Delagoa-Bay,  nous  nous  sommes  servis  de  ter- 
mes qui  doivent  être  légèrement  modihés.  La  situation  exacte 
ressort  du  passage  suivant  du  Bulletin  de  la  mission  romande, 


(1)  Voir  notre  livraison  d’avril,  page  159. 


206 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


que  nous  sommes  heureux  de  communiquer  à nos  lecteurs  : 
« On  reconnaît  en  Portugal  que  les  accusations  formulées 
contre  les  missionnaires  suisses  se  dissipent  à mesure  que  les 
faits  sont  mieux  connus. 

« Tout  récemment,  un  journal  de  Porto  renfermait  les- 
lignes  suivantes  : 

« Il  paraît  finalement  constaté  que  les  missionnaires 
suisses  n’ont  eu  absolument  aucune  part  aux  derniers  évé- 
« nements  d’Afrique,  événements  qui  ont  eu  pour  résultat  la 
chute  de  Gungunyane.  » 

« 11  résulte  de  tout  ceci  qu’aucun  de  nos  missionnaires,, 
pas  même  le  docteur  Liengme,  n’est  expulsé.  » 


NOS  DÉLÉGUÉS  A MADAGASCAR 
De  Tamatave  à la  capitale.  — A Tananarive. 


Nous  extrayons  les  lignes  suivantes  d’une  lettre  particu- 
lière de  M.  Lauga  au  directeur  : 

Faravohitra-Tananarive.  le  24  février  1896. 

Mon  cher  ami, 

...  Nous  voici  donc  au  terme  de  notre  voyage,  et  quel  lar 
borieux,  quel  rude  voyage  que  celui  de  Tamatave  à Tanana- 
rive ! Il  faut,  pour  se  faire  une  idée  approchante  de  ces  diffi- 
cultés, y avoir  passé,  car  toute  description  sera  forcément 
incomplète. 

Les  deux  premiers  jours,  de  Tamatave  à Andovorante, 
n’ont  rien  de  particulièrement  difficile.  On  longe  la  côte  dans 
un  pays  qui  n’est  ni  joli  ni  laid,  où  le  sentier  suivi  par  les 
filanzanes  se  perd  souvent  dans  des  marais  ou  aboutit  à des- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


207 


rivières  qu’il  faut  traverser  en  pirogue.  C’est,  en  réalité,  le 
temps  qu’il  faut  pour  s’habituer  à ce  genre  de  locomotion  peu 
élégant,  mais  en  somme  supportable. 

Cependant,  à partir  d’Andovorante,  ou,  pour  mieux  dire,  à 
partir  de  Maromby,  — puisque  le  trajet  du  premier  de  ces 
villages  au  second  se  fait  en  trois  heures  de  pirogue,  — on 
entre  dans  la  région  montagneuse  qui  aboutit  au  plateau  de 
l’Imérina.  Ce  sont  trois  véritables  chaînes  de  montagnes  suc- 
cessives, séparées  par  de  petites  vallées  qu’il  faut  gravir  et 
descendre  tour  à tour.  Les  sentiers,  — vrais  sentiers  de  cha- 
mois, — sont  souvent  si  étroits,  si  escarpés,  qu’à  moins  d’être 
un  véritable  montagnard  on  hésiterait  à s’y  engager.  Et 
pourtant  nos  huit  porteurs  qui,  quatre  par  quatre,  se  succè- 
dent à la  filanzane  toutes  les  deux  ou  trois  minutes,  et  cela 
sans  arrêter  l’attelage,  y passent  deux  de  front  avec  une  habi- 
leté et  une  sûreté  de  pieds  qui  ont  bientôt  fait  de  dissiper 
nos  craintes  et  de  nous  inspirer  une  entière  confiance.  Même 
dans  les  endroits  vraiment  périlleux  et  qu’on  peut,  sans  au- 
cune exagération,  appeler  des  précipices,  on  se  laisse  porter 
sans  l’ombre  de  frayeur  : tout  au  plus  se  tient-on  un  peu  plus 
fortement  aux  bras  de  l’étroit  palanquin  pour  ne  pas  être 
projeté  en  avant  ou  sur  les  côtés.  Je  ne  suis  pas  encore  re- 
venu de  mon  étonnement,  mêlé  d’admiration,  moi  qui  ai 
quelque  prétention  à être  appelé  un  alpiniste,  à la  pensée 
que  ces  hommes  ont  pu,  sans  accident  aucun,  nous  faire  tra- 
verser ces  innombrables  casse-cou  qui  se  reproduisent  tous 
les  quarts  d’heure  quand  ce  n’est  pas  davantage.  En- 
core, dans  la  saison  sèche,  pourrait-on,  quoique  avec  peine, 
en  admettre  la  possibilité,  mais  on  sait  que  nous  avons 
voyagé  dans  la  plus  mauvaise  saison,  la  saison  des  pluies; 
et,  bien  que  que  nous  ayons  été  relativement  privilégiés  à 
cet  égard,  nous  avons  pu,  cependant,  apprendre  à savoir  ce 
que  sont  ces  pluies  équatoriales,  vrais  torrents  qui  tombent 
du  ciel  et  en  quelques  minutes  transforment  en  rivières  les 
ruisseaux  et  en  ruisseaux  les  sentiers,  déjà  si  difficiles,  suivis 
par  les  porteurs  qui  n’en  marchent  pas  moins  sûrement  avec 


208 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


de  l’eau  jusqu’aux  genoux  et,  dans  certaines  rivières  et  ri- 
zières, jusqu’aux  aisselles. 

Mais  je  renonce  à raconter  cette  rude  montée  à la  capi- 
tale, qui  a été  pour  nous  tout  particulièrement  difficile  par 
suite  de  la  maladie  de  Krüger.  Grâce  à Dieu,  on  peut  mainte- 
nant parler  de  cette  maladie,  puisque  notre  ami  est  en  pleine 
convalescence;  mais  le  fait  est  qu’il  a été  très  souffrant  et  qu’il 
lui  a fallu,  pour  supporter  les  cahots  de  la  filanzane  et  s’y 
tenir  assis  aux  endroits  difficiles,  toute  l’énergie  morale  dont 
il  était  capable.  J’ai  fait  de  mon  mieux  pour  le  soigner,  dès 
que  nous  arrivions  aux  étapes  ; mais  il^n’en  a pas  moins  souf- 
fert cruellement,  tant  au  physique  qu’au  moral,  de  l’impos- 
sibilité où  nous  nous  trouvions  de  lui  donner  les  soins  qui  lui 
eussent  été  nécessaires.  Pendant  huit  jours,  je  ne  l’ai  soutenu 
qu'avec  du  bouillon,  du  lait  concentré  et  un  peu  de  ce  cham- 
pagne vivifiant  que  je  dois  à la  libéralité  prévoyante  de  mes 
chers  amis  de  Reims.  Et  ces  nuits  passées  trop  souvent  dans 
des  villages  complètement  raziés  ou  brûlés  par  les  fahavalos, 
et  où  il  fallait  se  contenter  d’une  case  à demi  reconstruite  ! 
Enfin  tout  cela  est,  par  la  bonté  de  Dieu,  loin  derrière  nous, 
et,  depuis  six  jours,  ce  ne  sont  ni  les  soins,  ni  les  témoignages 
d’affection  chrétienne  qui  nous  manquent. 

Nos  frères  des  différentes  missions  nous  ont  accueillis  avec 
une  joie  et  une  sympathie  qui  nous  touchent  profondément, 
et  nous  ne  saurons  jamais  assez  les  remercier  pour  les  mille 
prévenances,  pleines  de  tact  et  de  délicatesse,  dont  ils  nous 
ont  entourés.  Je  te  charge,  mon  cher  ami,  d’exprimer  à leurs 
directeurs,  en  Europe,  notre  profonde  reconnaissance  pour 
tout  ce  que  ces  frères  ont  fait  et  font  encore  pour  nous. 

Et  maintenant  nous  voici,  ou  plutôt  me  voici  à l’œuvre, 
puisque  mon  compagnon  ne  m’a  pas  encore  rejoint  en  ville. 
Te  raconter  ma  vie  pendant  ces  dix  jours  nécessiterait  un  vo- 
lume : qu’il  te  suffise,  pour  aujourd’hui,  de  savoir  que  mon 
temps,  du  matin  au  soir,  a été  pris  par  des  visites  à recevoir 
ou  à faire.  Tous  les  pasteurs  indigènes  de  la  ville,  à com- 
mencer par  les  trois  pasteurs  du  palais,  qui  étaient  chez  moi. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


209 


à huit  heures  du  matin,  le  lendemain  de  notre  arrivée,  et  un 
certain  nombre  de  pasteurs  des  environs,  sont  venus  me  sou- 
haiter la  bienvenue.  Et  quelle  joie  expansive  et  touchante 
que  celle  que,  du  premier  au  dernier,  ils  ont  manifestée  en 
voyant  enfin  « le  visage  d’un  pasteur  protestant  français  » ! 
Très  sérieusement,  ils  commençaient  à douter  de  l’existence 
d’un  protestantisme  français,  et,  malgré  leurs  missionnaires 
qui  leur  avaient  parlé  de  nous  et  fait  espérer  notre  arrivée, 
ils  se  demandaient  avec  anxiété  si  les  Jésuites  ne  disaient 
pas  vrai  en  affirmant,  comme  ils  le  font  encore,  qu’il  n’y  a en 
France,  comme  protestants,  que  des  étrangers!  Et  que  d’au- 
tres faits  plus  graves  qui  nous  prouvent  que  nous  ne  sommes 
pas  arrivés  un  jour  trop  tôt  ! 

J’aurais  bien  des  choses  intéressantes  à te  dire  sur  ces 
visites  des  pasteurs  malgaches,  mais  je  ne  le  puis  aujour- 
d’hui. J’ai  été  reçu  on  ne  peut  plus  cordialement  à la  rési- 
dence générale  par  M.  Laroche;  il  m’a  assuré  que,  sans  vou- 
loir en  rien  faire  de  politique  religieuse  ou  confessionnelle, 
il  nous  prêterait  son  concours  toutes  les  fois  que  cela  nous 
serait  nécessaire.  J'ai  aussi  été  reçu  en  audience  par  la  reine 
(pauvre  et  intéressante  femme!)  dès  jeudi  dernier  : elle  eût 
voulu  me  recevoir  déjà  dès  lundi;  mais,  espérant  que  Krüger 
pourrait  venir  avec  moi,  j’ai  retardé  autant  que  possible 
cette  entrevue.  Cependant,  mon  ami  ne  pouvant  pas  encore 
quitter  l’hôpital  et  M.  Laroche  me  conseillant  de  faire  au 
plus  tôt  cette  visite,  je  me  suis  exécuté.  Ici  encore  un  excel- 
lent accueil.  Enfin,  hier  23,  j’ai  parlé  dans  l’Église  de  la 
reine,  et  devant  elle,  à l’aide  d’un  interprète;  j’ai  essayé  de 
mon  mieux  de  rassurer  ces  cœurs  tremblants  et  ces  esprits 
inquiets 

Priez  beaucoup  pour  nous!  La  tâche  nous  paraissait  dif- 
ficile de  loin  ; elle  l’est,  de  près,  mille  et  mille  fois  plus,  et 
nous  avons  besoin  d’une  mesure  de  sagesse  et  de  prudence 
surhumaines.  Demandez  à Dieu  de  nous  les  donner. 

Jamais  votre  Comité  n’a  répondu  plus  directement  à la  vo- 
lonté de  Dieu  que  lorsqu’il  a pris  la  décision  d’envoyer  une 


210 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


délégation  à Madagascar  ; mais  cela  ne  suffit  pas  : il  faut  qu’il 
nous  soutienne  ardemment  de  ses  prières  dans  l’œuvre  diffi- 
cile, à certains  égards  périlleuse,  qu’il  nous  a confiée. 

Présente  au  Comité  mes  salutations  chrétiennes  bien  afïec" 
tueuses. 

Ton  H.  Lauga. 

P.  S.  — J’ouvre  dimanche  prochain  (1er  mars)  un  culte  fran- 
çais. Grâce  à Dieu,  ma  santé  est  excellente,  bien  que  la  fièvre 
des  régions  malsaines  que  nous  avons  traversées  m’ait  fait, 
dans  la  nuit  de  jeudi  à vendredi,  une  visite  aussi  chaude 
qu’inattendue  et  importune. 

H.L. 

Nous  complétons  l’intéressante  lettre  de  M.  Lauga  par 
quelques  détails  empruntés  à une  lettre  plus  récente  de 
M.  Krüger.  Comme  son  collègue,  il  parle  de  la  réception  en- 
thousiaste qui  leur  a été  faite  par  la  population  malgache 
chrétienne.  Des  pasteurs,  des  députations  nombreuses  de 
diverses  Églises  ont  tenu,  dès  le  premier  moment,  à mani- 
fester à nos  délégués  toute  la  joie  que  leur  causait  leur  pré- 
sence. On  les  a comblés  de  cadeaux;  des  provisions  de  toutes 
sortes  leur  ont  été  offertes:  10  dindes,  20  poulets,  4 canards, 
2 moutons,  des  œufs,  des  paniers  de  riz,  du  bois;  de  sorte 
que  le  ménage  de  nos  frères  s’est  d’emblée  trouvé  abondam- 
ment pourvu.  Ils  habitent  dans  la  ville  une  demeure  conve- 
nable et  ont  un  domestique  pour  prendre  soin  de  la  maison, 
faire  les  repas,  etc. 

MM.  Lauga  et  Krüger  ont  eu  une  nouvelle  entrevue  avec 
M.  Laroche,  dont  l’accueil  a été  des  plus  bienveillants.  Le 
jeudi  5 mars,  ils  ont  fait  une  visite  officielle  à la  Reine,  qui 
les  a très  bien  reçus  et  leur  a demandé  de  baptiser  un  enfant 
adopté  par  elle. 

Le  culte  français,  qui  a été  inauguré  le  1er  mars  à Tanana- 
rive,  a eu  lieu  dans  l’école  des  filles  située  derrière  l’église 
d’Ambatonakanga.  Cette  école  est  construite  en  forme  de  cha- 


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pelle.  La  reine  y a avait  fait  apporter  un  harmonium.  On  avait 
fait  imprimer  une  feuille  de  quatre  pages  donnant  l’ordre  du 
culte  et  quelques  cantiques.  Pour  assurer  le  chant,  on  avait 
fait  exercer  quelques  cantiques  en  français  à une  vingtaine 
d’élèves  du  collège  de  la  Mission  de  Londres.  Il  y avait,  à ce 
premier  culte,  21  Français  présents,  dont  7 officiers  et  un  ca- 
poral. Quatre  de  ces  officiers  étaient  envoyés  par  le  général 
Yoyron.  Le  reste  étaient  des  civils  et,  au  premier  rang,  M.  La- 
roche. La  reine  s’était  fait  représenter  par  deux  princes 
malgaches  sachant  le  français.  M.  Lauga  a commencé  par 
adresser  des  remerciements  au  Résident  général,  à la  reine  et 
aux  missionnaires  de  Londres  pour  le  bienveillant  concours 
qu’ils  ont  accordé  à l’établissement  du  culte  protestant  fran- 
çais à Tananarive,  ces  derniers  en  prêtant  le  local  où  il  a été 
inauguré.  Puis,  M.  Lauga  a prêché  sur  : « Vous  serez  mes 
témoins.  » Les  Malgaches  ont  attaché  une  grande  importance 
à l’établissement  de  ce  culte. 

Le  dimanche  8 mars,  avait  lieu  le  second  service  français, 
présidé  par  M.  Krüger;  il  a réuni  seize  auditeurs  français,  au 
nombre  desquels  se  trouvait  le  Résident  général. 

Outre  les  visites  officielles  faites  ou  reçues,  l’établissement 
d’un  culte  français , nos  délégués  avaient  à organiser  leurs 
tournées  et  à pourvoir  à de  très  nombreuses  réunions  que 
les  diverses  Églises  leur  demandaient  de  faire.  Ne  sachant 
comment  répondre  à toutes  les  demandes,  nos  frères  ont  prié 
les  missionnaires  de  les  aider  à dresser  leur  plan  de  cam- 
pagne. Le  7 mars,  un  entretien  a eu  lieu  à cet  effet.  A la 
suite  de  cette  petite  conférence,  il  a été  décidé  que  nos  en- 
voyés auraient  six  réunions  par  semaine  outre  trois  par  di- 
manche, sans  compter  le  service  français.  La  série  des  réu- 
nions sera  imprimée  et  communiquée  à tous  les  intéressés 
afin  qu'ils  convoquent  le  plus  de  monde  possible  pour  la  vi- 
site projetée. 

Le  surintendant  norvégien,  M.  Borchgrevink,  a invité  nos 
délégués  à assister  à la  conférence  du  Betsiléo , à Fiana- 
rantsoa,  à huit  journées  de  Tananarive.  Comme  les  Norvé- 


212 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


giens  n’ont  presque  rien  àTananarive,  il  importe  que  nos  dé- 
légués aillent  voir  leur  œuvre  là  où  elle  atteint  son  plus  grand 
développement.  M.  Borchgrevink  estime  d’ailleurs  que  les 
Églises  dépendant  de  la  mission  norvégienne  ont  autant  be- 
soin d’être  visitées  et  rassurées  que  celles  de  la  capitale.  Nos 
frères  ne  demandaient  qu’à  se  rendre  aux  raisons  de  M.  Bor- 
chgrevink, et  il  a été  éventuellement  convenu  queM.  Lauga 
irait  à la  conférence  norvégienne  pour  rentrer  à Tananarive 
au  bout  de  quinze  jours,  ce  qui  n’empêchera  pas  M.  Krüger 
de  visiter  en  détail  cette  mission  (1). 

On  le  voit,  le  travail  de  nos  frères  est  très  considérable  et 
ils  ont  plus  que  jamais  besoin  des  prières  des  Églises  qui  les 
ont  envoyés. 


LESSO  U TO 

ISAAC  BISSEUX 

Nous  recevons  la  nouvelle  de  la  mort  de  M.  Isaac  Bisseux, 
le  doyen  de  notre  corps  missionnaire  et  le  premier  élève 
qu’ait  possédé  notre  Maison. 

Isaac  Bisseux  est  décédé  à l’âge  de  quatre-vingt-huit  ans,  à 
Montagu,  dans  le  Transvaal,  chez  sa  fille  auprès  de  laquelle 
il  s’était  retiré.  M.  Bisseux  est  un  des  trois  premiers  mission- 
naires envoyés  par  notre  Société.  Tandis  que  ses  deux  com- 
pagnons Lemue  et  Rolland  allaient  fonder  une  œuvre  parmi 
les  Béchuanas,  il  s’occupait  d’instruire  dans  la  foi  chrétienne 
les  esclaves  noirs  des  fermiers  d’origine  huguenote,  établis  à 
la  vallée  du  Charron,  et  dans  ce  qu’on  appelle  encore  aujour- 
d’hui le  « Coin  français  ». 

Nous  nous  proposons  de  revenir  sur  cette  belle  et  longue 


(1)  On  trouvera  plus  loin  un  article  de  M.  le  pasteur  Munthe-Kaas  sur 
la  mission  norvégienne. 


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213 


carrière;  mais  nous  devions  au  moins  signaler  aujourd’hui 
le  départ  de  ce  vétéran  de  notre  mission. 


SUR  UNE  TOMBE 

Lettre  du  missionnaire  Dieterlen  à sa  mère . 

Léribé,  9 mars  1895. 

Nous  avons  enterré  hier  Maria  ’Mamoliboéa,  la  malade  dont 
je  t’ai  souvent  parlé  dans  mes  lettres  de  ces  derniers  mois. 
Elle  est  morte  samedi  matin  « quand  les  secondes  poules 
chantaient  »,  c'est-à-dire  au  lever  du  soleil.  Et  sa  mort  est 
pour  l’Église  et  pour  nous  une  véritable  perte. 

C’était  une  de  ces  femmes  que  nous  aimons  comme  des 
mères  et  que  Dieu  nous  envoie  pour  remplacer,  dans  une  cer- 
taine mesure,  bien  entendu,  nos  véritables  mamans,  celles 
que  nous  avons  laissées  loin,  bien  loin,  de  l’autre  côté  de 
l’Océan,  à l’autre  bout  du  monde.  On  les  respecte,  on  les  aime 
d’un  amour  filial  qui  remue  le  cœur  et  l’apaise. 

Sa  piété  était  la  simplicité  même,  celle  de  nos  vieilles 
JBassoutoses,  que  je  voudrais  pouvoir  décrire  et  définir,  tout 
en  sentant  combien  c'est  difficile.  Je  me  la  figure  surtout 
comme  peu  compliquée  et  très  pratique.  Pas  d’envolées,  pas 
de  grande  sentimentalité,  pas  de  mysticisme.  Une  affaire  de 
conviction,  de  conscience  et  de  devoir.  On  vivait  loin  de 
Dieu  et  dans  le  mal,  maintenant  on  comprend  autrement  la 
vie.  11  s’agit  d’avoir  par  Jésus-Christ  le  pardon  des  péchés, 
de  vivre  selon  Dieu,  de  marcher  vers  la  vie  éternelle,  d’ac- 
complir fidèlement  ses  devoirs  de  chrétien  et  de  ne  plus  pac- 
tiser avec  le  paganisme.  11  est  possible  qu’un  peu  de  mérite 
des  œuvres,  pas  mal  de  superstitions  et  de  coutumes  païennes 
se  mêlent  à la  chose,  mais  sans  orgueil  et  sans  malice.  N’ou- 
blions pas  que  des  gens  qui  viennent  de  si  loin  et  de  si  bas 
ne  peuvent  ni  comprendre  toutes  les  subtilités  de  la  théo- 


214 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


logie,  ni  se  débarrasser  d’erreurs  invétérées  dont  elles  ne  se 
rendent  guère  compte. 

Quand  Maria  tomba  malade  et  que  le  mal  se  fut  aggravé, 
on  la  conduisit  à cinq  ou  six  kilomètres  d’ici,  chez  son  frère 
Lélahla,  dans  un  village  absolument  païen.  Consulter  un  mé- 
decin européen,  c’eût  été  facile.  Elle  était  femme  de  Molapo 
et  mère  de  chefs.  Ses  fils  ont  assez  de  bétail  pour  épouser 
quatre  ou  cinq  femmes  en  un  an.  Mais,  soit  avarice,  soit  fa- 
talisme, soit  insouciance,  personne  ne  songea  à chercher  le 
médecin  voisin.  Des  docteurs  indigènes  essayèrent  de  leurs 
drogues  et  ne  purent  rien. 

Un  jour  cependant,  Jonathan  Molapo  envoya  deux  hommes 
pour  proposer  à la  malade  de  la  a laver*.  Laver,  cela  veut 
dire  tuer  un  bœuf,  en  prendre  la  bile,  et  en  frotter  le  corps 
du  patient  en  invoquant  les  mânes  des  ancêtres.  C’est  un  sa- 
crifice offert  aux  défunts,  donc  du  paganisme  pur.  Maria  re- 
*fusa  énergiquement  en  disant  : « J’ai  été  lavée  par  le  baptême, 
cela  me  suffit.  » 

J’allai  souvent  la  voir.  La  première  fois  je  trouvai  Lélahla, 
son  frère  et  chef  du  village,  assis  sous  un  saule,  aussi  peu 
vêtu  que  possible,  étalant  au  grand  air  son  corps  replet  et 
dodu,  en  mangeant  une  soupe  au  lait  avec  un  air  de  satis- 
faction enfantine  et  de  béatitude  imperturbable.  Nous  cau- 
sâmes : 

— Et  quand  deviendras-tu  chrétien,  toi,  Lélahla? 

— Ah  !...  Est-ce  qu’un  vieux  comme  moi  pourrait  encore 
devenir  chrétien  ? 

Après  ma  visite  à Maria,  je  convoquai  les  gens.  Nous  nous 
assîmes  sous  le  saule  en  question,  qui  abrite  les  repas  de 
Lélahla,  les  causeries  des  hommes  et  leur  sommeil,  les 
séances  de  leur  tribunal  et  les  petits  cultes  des  gens  qui 
évangélisent.  La  malade  y fut  amenée.  Un  vieux  que  j’invi- 
tais me  répondit  : « La  prière,  nous  aimons  cela,  nous,  les 
vieux,  » Je  leur  lus  une  parabole  et  la  leur  expliquai.  Et, 
après  le  culte,  nous  eûmes  avec  Maria  une  conversation  inté- 
ressante, comme  on  peut  en  avoir  après  un  service,  et,  je 


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dois  l’avouer,  faite  en  grande  partie  pour  la  galerie,  pour  ces 
païens  muets,  mais  tout  oreilles,  qu’un  enseignement  indi- 
rect touchera  peut-être  plus  sûrement  qu’une  instruction  di- 
recte, une  conversation  étant  parfois  plus  intéressante  qu’une 
homélie... 

La  dernière  fois  que  je  vis  Maria  vivante,  elle  était  près 
de  sa  fin,  mais  très  heureuse.  Lydia,  la  première  femme  de 
Molapo,  lui  avait  lu  un  cantique.  Pour  les  Bassoutos,  un  can- 
tique, c’est  la  parole  de  Dieu  tout  comme  la  Bible,  et  cela 
leur  reste  davantage.  Ce  cantique  Pavait  touchée  : a Lydia 
m’a  apporté  une  grande  bénédiction.  Elle  a coupé  mes 
mains  noires,  et  il  m’est  poussé  des  mains  blanches  avec 
lesquelles  je  me  cramponne  (à  Jésus).  » Voulant  dire  ainsi 
qu’elle  n’était  plus  la  pécheresse  souillée  qui  ne  peut  espérer 
en  Dieu,  mais  qu’elle  avait  le  pardon  et  les  espérances  de  la 
foi.  Elle  ajouta  : «Je  ne  demande  qu’une  chose,  c’est  que  la 
volonté  de  Dieu  se  fasse.  » 

Vendredi,  à midi,  on  m’envoya  un  messager  pour  me  pré- 
venir que  la  fin  approchait.  Le  drôle  n’arriva  que  le  soir, 
alors  qu’il  n’était  plus  temps  de  chercher  mes  chevaux  qui, 
en  ce  moment,  paissaient  jour  et  nuit  sur  la  montagne.  Il 
avait,  en  route,  appris  qu’il  y avait  de  la  boisson  dans  un  vil- 
lage, et  il  était  allé  boire,  sans  scrupule  et  sans  remords. 
Samedi,  quand  j’arrivai,  Maria  était  morte. 

Ce  qui  m’a  frappé,  ce  sont  les  témoignages  d’affection  et  de 
reconnaissance  que  l’on  exprima  à son  égard  : 

« Elle  était  la  mère  des  orphelins  des  autres  femmes.  » 

« Quoique  femme  de  polygame,  elle  ne  fut  jamais  ja- 
louse. Elle  resta  toujours  serviable,  dévouée,  paisible  et 
bonne.  » 

« Personne  n’avait  rien  à lui  reprocher.  Avoir  des  griefs 
contre  ’Mamoliboéa?  autant  en  avoir  contre  cette  pierre  ou 
cet  arbre.  » 

« Quand  la  famine  nous  faisait  les  gros  yeux,  on  ne  reve- 
nait jamais  de  chez  elle  sans  être  rassasié  et  sans  rapporter 
quelque  chose  pour  les  enfants.  » 


216 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


« Elle  était  ma  Maria,  j’étais  sa  Rahaba.  Que  ferai-je  sans 
elle  ? » 

« Elle  avait  un  cœur  droit  et  beau,  un  cœur  blanc.  » 

Païens  et  chrétiens  parlaient  d’elle  de  la  même  manière  et 
disaient  qu’en  elle  ils  avaient  vu  ce  qu’est  une  vraie  chré- 
tienne. 

C’est  qu’elle  avait  là  charité , la  vertu  chrétienne  par  excel- 
lence, la  charité  qui,  on  l’oublie  trop  souvent,  est  a plus 
grande  que  la  foi  et  l’espérance.  » Elle  était  de  la  famille  des 
Dorcas  que  l’on  pleure  parce  qu’on  les  aime  et  que  l’on  aime 
parce  qu’elles  ont  aimé.  Le  jour  où  un  ivrogne  répandit  dans 
le  pays  le  bruit  (un  faux  bruit)  qu’elle  était  morte,  les  femmes 
éclatèrent  en  sanglots  dans  les  champs.  Chacun  déposa  sa 
pioche  et  retourna  à la  maison,  en  signe  de  deuil,  selon  la 
coutume  si  belle  du  pays... 

Nous  sommes  allés  hier  matin  au  village  de  Molapo  pour 
l’ensevelissement.  Il  fallut  attendre  deux  heures  que  la  tombe 
fût  achevée.  Des  hommes  à peu  près  nus  taillaient  à grands 
coups  de  pic  dans  l’argile  durcie  par  la  sécheresse,  offrant  aux 
regards  une  magnifique  exibition  de  muscles  puissants  sou- 
levant la  peau  brune  que  la  transpiration  faisait  briller  au 
soleil.  La  fosse  terminée,  il  fallut  encore  y tailler  le  réduit 
dans  lequel  on  dépose  le  cercueil  et  qui  sera  recouvert  de 
lourdes  dalles  avant  que  la  terre  soit  rejetée  dans  la  tombe. 
Autant  de  précautions  prises  contre  les  sorciers  qui  pour- 
raient bien  chercher  à déterrer  ce  cadavre  pour  en  enlever 
des  lambeaux  destinés  à la  fabrication  de  charmes  malfai- 
sants. 

Beaucoup  d’hommes  assistent  au  travail  : les  uns  causent 
en  cercle  sur  le  gazon,  d’autres  prisent  en  bâillant  ou  som- 
meillent. Il  y a des  vieux  en  grand  nombre,  avec  leurs 
figures  calmes  où  se  lisent  les  passions  éteintes,  la  jouissance 
paisible  de  leur  petit  bonheur,  l’autorité  de  l’expérience  et  la 
sérénité  de  l’incrédule  qu’aucun  doute  ou  préoccupation  reli- 
gieuse ne  contrarie; — ces  vieux  Bassoutos  que  la  civilisation 
européenne  a à peine  effleurés  et  qu’elle  n’a  pas  déformés. 


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217 


IA  côté  d’eux,  les  jeunes  hommes,  l’air  sensuel,  vicieux  et 
impertinent,  les  cheveux  coupés  de  près  sur  tout  le  crâne, 
sauf  au-dessus  du  front  sur  lequel  ils  pendent  en  petites 
tresses  ou  relevés  en  diadème  de  laine  noire  et  sale,  — des 
garçons  qui  ont  travaillé  au  dehors,  qui  ont  vu  de  près  les 
blancs  et  leurs  vices  (car  leurs  vertus,  on  ne  les  remarque 
pas  quand  on  est  païen,  cela  n’a  rien  d’intéressant  ou  qui 
invite  à l’imitation),  qui  y ont  goûté,  qui  aiment  l’eau-de-vie 
et  le  reste;  des  figures  «retour  des  mines  d’or  » enfin;  j’al- 
lais dire  des  airs  canaille  et  de  vauriens. 

Une  faiseuse  de  pluie  rôde  par  là,  la  chevelure  longue  et 
crasseuse,  pommadée  de  rouge,  le  cou  garni  d’amulettes  et 
de  petites  cornes  contenant  des  charmes,  le  regard  vague  et 
éteint,  perdu  dans  des  rêveries  lointaines;  une  coquine  ou 
une  hallucinée?  Je  penche  pour  l’hallucination.  Ces  gens  croient 
avoir  la  mission  de  converser  avec  les  défunts  et  d’obtenir 
d’eux  des  confidences  et  de  la  pluie.  Ils  croient  en  eux- 
mêmes.  Ils  « se  gobent».  C'est  ce  qui  leur  donne  tant  de  pres- 
tige et  leur  permet  de  soutenir  longtemps  un  rôle  en  somme 
très  ingrat. 

On  a hâtivement  assemblé  quelques  perches  avec  des  cour- 
roies. Le  cercueil  y est  déposé.  Une  trentaine  d’hommes  l'en- 
lèvent, et  le  cortège  se  met  en  marche.  De  décorum,  point. 
Les  porteurs  vont  vite  à travers  les  pierres  et  les  épines;  le 
cercueil  roulant  et  tangant  au-dessus  de  leur  masse  comme 
un  petit  bateau  sur  une  vague.  On  cause,  on  s’avertit,  on 
s’appelle  : Par  ici!  Attention!  Doucement!...  etc. 

Moliboéa,  le  fils  de  la  défunte,  est  coiffé  d’un  très  vieux  cha- 
peau de  paille,  sans  chaussures,  et  enveloppé  dans  la  plus 
sale  couverture  qu’il  a pu  trouver.  Ce  n’est  pas  de  la  négli- 
gence, car  il  est  d’habitude  très  convenablement  vêtu.  Non, 
c’est  un  signe  de  deuil.  Lors  d’un  enterrement,  les  Bassoutos 
qui  gardent  les  traditions,  sont  toujours  misérablement  vêtus, 
ce  qui  donne  au  cortège  une  apparence  plus  triste  encore. 

Nous  arrivons.  Le  cercueil  est  descendu  dans  la  tombe  et 
soigneusement  mis  en  place.  Toute  l’assemblée  s’assied  sur 

16 


218 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


l'herbe.  Jonathan  Molapo  pleure  à chaudes  larmes.  Ces 
larmes,  des  larmes  vraies,  qui  coulent  de  ses  yeux,  cela 
renverse  toutes  les  idées  que  je  me  fais  de  son  caractère.  Je 
le  crois  rusé,  perfide,  orgueilleux,  égoïste.  Et  pourtant  il 
pleure  de  vraies  larmes  sur  la  tombe  d'une  femme  qui  était 
la  femme  de  son  père,  une  des  nombreuses  femmes  de  son 
père,  mais  qui  n’était  pas  sa  mère  à lui...  Je  ne  comprends 
plus,  ou  plutôt  je  ne  comprends  pas  encore.  J ai  tort  de  juger, 
même  d'avoir  des  impressions.  Cet  homme,  étant  un  grand 
chef,  est  plus  compliqué  que  le  commun  des  mortels.  Il  fau- 
dra chercher  à le  connaître  de  plus  près,  pour  être  juste  et 
charitable. 

Nous  avons  chanté  ce  beau  cantique  : 

Encore  quelques  jours  sur  la  terre, 

Encore  quelque  peu  de  misère... 

dont  les  paroles  et  la  mélodie  se  marient  si  bien,  et  qui.  sur 
le  bord  d une  tombe,  font  vibrer  dans  le  cœur  de  l'homme  les 
cordes  les  meilleures  et  les  plus  sensibles. 

Des  sanglots,  des  crises  de  pleurs,  des  cris  partent  des 
groupes  de  femmes  dispersées  sous  les  pêchers. 

J'ai  pris  pour  texte  de  mon  allocution  : a Maria  (Marie)  a 
choisi  la  bonne  part,  qui  ne  lui  sera  pas  ôtée.  » 

Puis,  voyant  que  j’avais  devant  moi  la  fine  fieur  du  paga- 
nisme de  Léribé,  chefs  en  tête,  je  n'ai  pu  résister  au  besoin 
de  leur  parler  d'un  sujet  qui  pèse  lourdement  sur  mon  cœur, 
lis  invoquent  les  défunts  au  lieu  de  prier  le  seul  vrai  Dieu. 
Alors  que  la  sécheresse  et  les  criquets  détruisent  les  récoltes, 
ils  ont  recours  à des  sorciers  et  offrent  des  sacrifices  à leurs 
ancêtres.  Ils  accentuent  leur  paganisme,  ils  s’y  embourbent. 
Les  chefs  y ramènent  leur  peuple  en  lui  en  prêchant  la  beauté 
et  la  légitimité. 

Pouvais-je  me  taire?  Parler  de  cela  à l'occasion  d'un  enfer- 
ment, ne  sera-ce  pas  un  impair,  un  manque  de  tact?  D'autre 
part,  ai -je  le  droit  de  ne  rien  dire,  et  de  laisser  ainsi  passer 
une  occasion  unique  de  chercher  à leur  ouvrir  les  yeux? 


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Je  m’étais  posé  ces  questions  hier,  avec  angoisse.  Je  me 
suis  décidé  à parler.  Une  transition  quelconque  m’a  permis- 
de  passer  de  celle  qui  était  dans  la  tombe,  immobile  et  déli- 
vrée, aux  vivants  qui  l’entouraient,  exposés  à toutes  les  ten- 
tations d’un  monde  corrompu,  et  esclaves  d’un  paganisme 
plus  tenace  que  jamais.  J’ai  évité  toute  expression  blessanter 
surtout  pour  des  gens  susceptibles  et  chatouilleux  comme 
nos  chefs.  Mais  j’ai  dit  la  vérité.  J’ai  vidé  mon  cœur,  ou  plu- 
tôt j’ai  déchargé  ma  conscience,  et  je  les  ai  suppliés  de  ces- 
cer  d’invoquer  leurs  faux  dieux  pour  quenous  puissions  de 
nouveau  prier  le  vrai  Dieu. 

Trois  poignées  de  terre  jetées  sur  le  cercueil  et  une  prière. 

J’offre  la  parole  à Jonathan,  qui  devait  parler.  Il  me  dit 
qu’il  n’a  rien  à dire  : je  lui  avais  sans  doute  coupé  le  discours 
très  chrétien  qu’il  n’aurait  pas  manqué  de  nous  faire. 

Le  résident,  qui  est  chrétien  professant,  exprime  sa  sym- 
pathie à 1’assemblée  et  ajoute  quelques  paroles  religieuses 
qui,  sortant  d’une  bouche  laïque  et  dites  par  un  homme  de 
sa  position,  avaient  un  grand  poids.  La  parole  d’un  laïque, 
toute  simple  qu’elle  soit,  a souvent  beaucoup  plus  de  force 
que  celle  d’un  pasteur  qui,  lui,  est  un  professionnel  et  ne  peut 
parler  autrement  que  dans  le  sens  chrétien. 

Après  la  bénédiction  on  se  retire.  Les  fils  de  Molapo  vien- 
nent l’un  après  l’autre  jeter  de  la  terre  dans  la  tombe.  C’est 
du  nouveau  pour  quelques-uns.  Il  y vont  par  pelletées  qui 
font  dans  la  fosse  un  bruit  sinistre. 

Nous  prenons  congé  des  chefs.  Jonathan  me  serre  les  mains 
et  me  remercie  aimablement  d’avoir  enterré  sa  mère  et  nous 
souhaite  un  bon  retour  à la  maison.  Fatigués  et  grillés  par 
un  soleil  ardent,  nous  remontons  à cheval  et,  au  bout  d’une 
bonne  demi-heure,  nous  mettons  pied  à terre  dans  la  station. 

Cet  enterrement  a eu  son  épilogue.  Après  notre  départ, 
Jonathan  a réuni  les  gens  et  leur  a fait  un  petit  discours  à sa 
façon,  émaillé  de  citations  bibliques.  «Ce  que  le  missionnaire 
a dit  est  vrai.  (Ça,  c’est  de  la  politesse  de  forme).  Il  a raison. 
Nous  aussi  nous  avons  raison.  Mon  grand-père  Moshesh  ac- 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


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cueillait  indistinctement  blancs  et  noirs,  Cafres  et  Boers, 
chaque  peuple  prie  à sa  manière.  Les  blancs  ont  leur  foi,  nous 
avons  la  nôtre.  Notre  faiseur  de  pluie  a raison  de  la  deman- 
der aux  ancêtres.  Il  dit  que  c’est  sa  vocation.  Un  Mossouto 
pourrait-il  dire  un  mensonge?  (!)  Quant  à la  pluie,  ce  n’est 
pas  seulement  au  Lessouto  qu’il  ne  pleut  pas.  Dieu  nous  don- 
nera de  la  pluie,  lui  qui  n’oublie  pas  même  le  passereau. 
Restons  des  Bassoutos  et  gardons  nos  coutumes.  » On  a crié  : 
« Tu  as  raison,  chef.  La  pluie  ! la  pluie!  » 

En  somme,  Jonathan  a démoli  mon  sermon...  après  mon 
départ,  derrière  mon  dos.  C’est  son  habitude.  Je  le  savais, 
mais  je  ne  pouvais  pas  ne  pas  parler  ainsi.  Il  faudra  que  j’aie 
une  entrevue  avec  lui,  que  nous  traitions  la  question  face  à 
face,  comme  des  hommes...,  s’il  s'y  prête.  Et  qui  sait  s’il  ne 
m’éconduira  pas  avec  d’aimables  sourires,  des  paroles  miel- 
leuses et  cette  politesse  moqueuse  qu’il  doit  à la  bonne  édu- 
cation qu’il  a reçue  dans  les  écoles  de  la  colonie  du  Cap,  et 
à son  scepticisme  invétéré... 


ZAMBÈZE 

NOUVELLES  DE  MM.  COILLARD  ET  JALLA 

Palapye,  14  mars  1896- 

Bien  cher  frère  et  ami  Monsieur  Boegner, 

Un  mot  seulement  pour  vous  remercier  de  votre  bonne 
lettre  reçue  ici. 

Je  regrette  d’avoir  à vous  dire  que  mon  état  ne  s’améliore 
pas,  au  contraire.  Le  voyage  de  Boulouwayo  ici  a été  des  plus 
pénibles.  Le  wagon  me  tue.  J’ai  dû  louer  ici  une  wagonnette 
avec  ressorts  pour  me  conduire  à Maféking.  Mais  elle  est  si 
petite  que  je  ne  sais  trop  comment  cela  ira.  Les  L.  Jalla  ont 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


221 


quitté  avant-hier  dans  un  wagon  loué.  Je  partirai  dans  deux 
ou  trois  jours  et  les  rattraperai  en  route.  Je  ne  tiens  pas  à 
rester  à l’hôtel  plus  longtemps  qu’il  ne  faut.  C’est  probable- 
ment à Kimberley  que  je  m’arrêterai  pour  soins  médicaux. 
Mais  c’est  surtout  au  Cap  que  je  ferai,  sur  l'avis  du  docteur, 
un  séjour  d’un  mois  ou  six  semaines  avant  de  m’embarquer. 
Les  Jalla,  eux,  me  laisseront  à Kimberley  et  prendront  les 
devants.  Si  mon  état  s’améliorait,  je  ne  perdrais  pas  mon 
temps  au  Cap.  Vous  ne  savez  peut-être  pas  que  les  amis  de 
Stellenbosh  (l)et  environs,  en  apprenant  l’effondrement  de  ma 
wagonnette,  ont  fait  une  souscription  pour  m’en  procurer 
une  autre  et  m’ont  envoyé  2,875  francs. 

Je  dois  forcément  renoncer  à aller  au  Lessouto.  Ce  voyage, 
que  le  docteur  condamne,  n’aurait  aucun  résultat  satisfaisant, 
au  contraire.  Toujours  couché  sur  le  dos  en  proie  à de  vives 
douleurs,  je  ne  pourrais  ni  parler,  ni  prêcher,  ni  voir  les 
gens. 

Voilà  un  long  chapitre  sur  moi.  Excusez.  Je  prends  à cœur 
ce  que  vous  dites  sur  Madagascar.  Ne  croyez  pas  que  je  me 
désintéresse  de  toutes  ces  questions,  loin  de  là,  mais  décidé- 
ment, écrire,  c’est  trop  pour  moi. 

Je  m’arrête  donc.  Quel  choc  que  la  mort  de  M.  Alfred  André  ! 
Que  de  vides  partout.  Heureux  sont  les  morts  qui  meurent  au 
Seigneur!  Oui  heureux l 

Votre  affectionné, 

F.  Coillard. 

P . S.  — 16  mars.  Une  chose  qui  cause  un  grand  émoi  et 
même  une  grande  panique,  c’est  la  peste  bovine  qui  a éclaté 
par  ici.  On  tue  les  bœufs  par  centaines  sur  le  moindre 
symptôme.  Nous  avons  eu  le  bonheur  d’arriver  quelques  jours 
avant  et  de  vendre  tous  nos  bœufs. 

F.  C. 


(1)  Petite  ville  aux  environs  du  Cap.  Notre  missiou  y possède  de 
chauds  amis. 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


2-22 


M.  Jean  Jalla,  professeur  à la  Tour,  a bien  voulu  nous  com- 
muniquer les  nouvelles  suivantes  qui  sont  les  plus  récentes 
que  nous  ayons  : 

« Mon  frère  est  parti,  le  12  mars,  de  Palapye  où  il  avait  pu 
vendre  wagons  et  bœufs  à de  bonnes  conditions  et  en  louer 
d’autres.  M.  Coillard  ne  devait  partir  que  le  16  dans  une  car- 
riole plus  rapide  et  cependant  précéder  mon  frère  à Maféking, 
mais  il  n’avait  plus  de  nouvelles  de  son  vénéré  compagnon 
de  voyage,  ce  qui  n’était  pas  sans  l’inquiéter. 

a A Pala,  un  cordon  de  quarantaine  tenait  arrêtés  plus  de 
100  wagons  à cause  de  la  peste  bovine.  Mon  frère  put  trouver 
un  wagon  venu  du  sud  et  qui  s’en  retournait  à vide.  Il  quitta 
les  wagons  loués  jusque-là,  prit  possession  de  son  nouveau 
véhicule  et  put  continuer  sa  route  sans  retard. 

« C’est  sous  la  date  du  27  mars,  d’un  endroit  appelé  Mot - 
loatsi,  à 40  milles  de  Maféking,  que  mon  frère  trace  ces 
lignes.  Il  espérait  arriver  dans  cette  ville  le  30;  mais  il  avait 
à traverser  encore  un  second  cordon  sanitaire  qui  Poblige- 
rait  à un  nouveau  déménagement.  Ses  prochaines  lettres  se- 
ront de  Maféking  (1).  » 


LA  MISSION  DO  ZAMBÈZE 
de  juillet  1894  à septembre  1895. 

Suite  et  fin  (2). 

Remontant  encore  le  fleuve,  nous  arrivons  à Nalolo  après 
un  voyage  d’environ  quinze  jours.  Cette  station  vient  de  célé- 
brer son  premier  anniversaire.  Ce  n’est  cependant  pas  depuis 
cette  année  seulement  que  les  gens  de  Nalolo  ont  entendu  la 


(1)  On  se  souvient  que  c’est  à Maféking  que  se  trouve  la  tête  de  ligne 
du  chemin  de  fer  conduisant  à la  ville  du  Cap.  En  touchant  à Maféking, 
nos  amis  seront  donc  hors  des  grandes  difficultés  du  voyage. 

(2)  Voir  Journal  des  Missions,  p.  122. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


223 


prédication  de  l’Évangile;  depuis  longtemps,  cet  important 
village  avait  été  visité  soit  par  M.  Goillard,  soit  par  M.  Ad.  Jalla, 
soit  par  les  évangélistes;  en  outre,  de  nombreux  enfants 
avaient  suivi  l’école  de  Séfula,  puis  celle  de  Léaluyi.  Gela  ex- 
pliquera comment  le  missionnaire  de  Nalolo,  M.  Béguin,  a 
trouvé  d’emblée  un  auditoire  nombreux,  attentif  et  bien  dis- 
cipliné, et  cela  expliquera  aussi  comment,  là  comme  ailleurs, 
il  y a des  professants;  parmi  eux,  nous  remarquons  spéciale- 
ment Kaïba,  fils  de  la  reine,  et  Akabuna,  fils  du  mari  de  la 
reine,  c’est-à-dire  les  deux  jeunes  hommes  les  plus  influents 
de  Nalolo. 

Grâce  à la  présence  de  l’évangéliste  Jakobo  et  de  sa  femme 
Noréa , dès  la  fondation  de  la  station  les  cultes  et  l’école  ont 
pu  se  tenir  régulièrement. 

Les  auditoires  du  dimanche  ont  été  d’une  moyenne  de 
200  personnes,  chiffre  qui  a souvent  été  beaucoup  plus  élevé, 
mais  qui  a aussi  souvent  été  moindre.  Cela  dépend  malheu- 
reusement de  la  reine  : lorsqu’elle  vient,  il  y a de  nombreux 
auditeurs;  mais  qu’elle  soit  absente,  l’assistance  est  considé- 
rablement réduite.  M.  Béguin  rend  cependant  à Mokuaé  le 
témoignage  d’avoir,  en  général,  suivi  les  cultes  assidûment. 

L 'école,  inaugurée  le  1er  janvier  avec  50  élèves,  en  avait 
bientôt  80,  mais  il  fallut  alors  interrompre  à cause  de  l’inon- 
dation. Après  trois  mois  de  vacances  forcées,  l’école  pouvait 
-s’ouvrir  de  nouveau,  mais  seulement  avec  une  moyenne  de 
50  élèves,  beaucoup  étant  absents  du  village  à cause  de  la 
famine  qui  règne  en  ce  moment  dans  le  Borotsé. 

11  a paru  intéressant  au  missionnaire  de  Nalolo  de  dresser 
une  statistique  des  malades  soignés,  cela  afin  de  donner  une 
idée  de  ce  que  pourrait  être  l’activité  d’un  médecin  mission- 
naire dans  ce  pays  : il  a une  moyenne  d’environ  100  malades 
par  mois,  souffrant  surtout  des  yeux,  des  voies  respiratoires 
et  des  intestins. 

Pour  compléter  le  tableau  de  ce  qui  s’est  fait  à Nalolo  pen- 
dant cette  première  année,  il  faut  dire  un  mot  des  construc- 
tions; elles  ont  naturellement  pris  la  grande  part  dans  la  vie 


224  JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


du  missionnaire,  puisqu’il  fallait  fonder  la  station.  Tout 
d’abord  il  a fallu  construire  un  lieu  d’habitation  provisoire, 
ainsi  qu’un  abri  pour  les  cultes  et  l’école,  puis  la  maison  du 
missionnaire  avec  toutes  les  dépendances  que  cela  comporte, 
enfin  il  a pu  commencer  la  construction  d’une  chapelle.  De 
son  côté,  l’évangéliste  a du  aussi  bâtir  ; comme  le  mission- 
naire, après  avoir  d’abord  élevé  et  habité  des  huttes,  il  a 
construit  une  maison  quadrangulaire. 

Quant  à la  santé,  les  missionnaires  de  Nalolo  ont  lieu  de 
remercier  Dieu;  ils  ont  naturellement  payé  leur  tribut  à la 
fièvre  du  pays,  mais  ils  n’ont  eu  aucun  accident  ou  maladie 
grave. 

M.  Béguin  termine  son  rapport  en  disant  que  cette  pre- 
mière année  ne  lui  laisse  en  somme  que  de  bonnes  impres- 
sions : les  gens  ont  été  aimables  et  il  n’a  jamais  eu  à souffrir 
quoi  que  ce  soit  de  leur  part.  Cependant  il  a eu  quelques 
frottements  avec  la  reine:  cela  était  inévitable;  car  si  Mokuaé 
avait  désiré  avoir  un  missionnaire,  c’était  en  pensant  trouver 
en  lui  un  fournisseur  bénévole  de  tout  ce  qu’il  lui  plairait  de 
demander,  ou  bien  encore,  sans  tact,  elle  voulait  s’ingérer 
dans  les  affaires  d’Église  ou  de  famille.  Ne  pouvant  admettre 
ces  prétentions,  le  missionnaire  a dû  quelquefois  la  remettre 
à sa  place,  ce  qui  fut  naturellement  assez  pénible  pour  une 
reine  habituée  à voir  chacun  s’accroupir  humblement  devant 
elle.  M.  Béguin  regarde  cependant  l’avenir  avec  confiance.  Il 
reconnaît  que  c’est  bien  plus  par  manque  d’éducation  que  par 
mauvais  vouloir  que  la  reine  a parfois  mal  agi;  d’autre  part, 
il  reconnaît  que  lui-même  n’a  pas  toujours  su  la  prendre  par 
le  bon  côté  et  qu’il  aurait  souvent  pu  agir  envers  elle  avec 
plus  de  patience. 

Quittant  Nalolo  et  nous  dirigeant  vers  le  nord-est,  nous  ar- 
rivons à Séfula.  Pendant  cette  dernière  année,  cette  station 
a été  sans  missionnaire,  laissée  aux  soins  de  l’évangéliste 
Paulus , sous  la  direction  des  missionnaires  de  Léaluyi.  Ceux- 
ci  lui  rendent  un  bon  témoignage.  Voici  ce  que  M.  Ad.  Jalla, 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


225 


l’auteur  du  rapport  de  Séfula,  dit  de  lui  : «Nous  n’avons  que 
du  bien  à dire  de  cet  évangéliste  : sa  fidélité,  son  zèle,  sa 
piété,  sa  connaissance  des  vérités  chrétiennes  nous  le  font 
considérer  comme  un  excellent  ouvrier  indigène,  un  homme 
digne  de  la  confiance  que  nous  lui  avons  accordée,  en  lui  lais- 
sant la  direction  de  cette  station.  Sa  femme,  Elisa,  a été  une 
bonne  acquisition  pour  notre  mission,  elle  a beaucoup  aidé 
Paulus  à l’école  comme  pour  l’instruction  des  catéchumènes 
femmes  et  enfants,  malgré  les  fréquentes  attaques  de  fièvre 
qu’elle  a eues.  » 

Jusqu’au  nouvel  an,  l’œuvre  faite  à Séfula  était  très  réjouis- 
sante : on  y comptait  plus  de  100  enfants  à l’école  et  plus  de 
90  professants,  pour  la  plupart  des  adultes  pleins  de  zèle, 
soit  pour  assister  aux  cultes,  soit  pour  visiter  les  villages 
voisins,  afin  d’en  amener  d’autres. 

C'est  sur  ces  entrefaites  qu’arrivèrent  les  accusations  de 
certains  chefs  contre  les  évangélistes;  vous  savez  déjà  com- 
ment ils  durent  comparaître  au  khothia  de  Léaluyi,  comment 
ils  y furent  insultés,  mais  aussi  comment  le  roi  prit  leur  dé- 
fense. L’œuvre  de  Séfula  en  ressentit  cependant  le  contre- 
coup, le  parti  païen  devint  plus  agressif,  et  plusieurs  défec- 
tions eurent  lieu  parmi  les  professants.  Un  vieux  chef  poly- 
game voulut  profiter  de  ces  circonstances  pour  traduire 
devant  le  tribunal  de  Léaluyi  une  de  ses  femmes  devenue 
chrétienne;  le  roi  s’y  opposa,  mais  consentit  à ce  qu’il  y eût 
une  discussion  publique  à ce  sujet;  l’Évangile  en  sortit  vic- 
torieux, car  malgré  les  nombreux  chefs  qui  réclamèrent  leurs 
droits  sur  leurs  femmes,  le  roi  déclara  en  dernier  ressort  que 
« toute  femme  de  polygame  serait  libre  de  suivre  les  pres- 
criptions de  sa  conscience  et  la  loi  de  l’Évangile  en  se  décla- 
rant chrétienne.  » 

Cependant  quelque  temps  après  une  nouvelle  crise  avait 
lieu  à propos  du  mariage  chrétien.  Toute  polygamie  ou  po- 
lyandrie est  incompatible  avec  la  profession  de  foi  chrétienne; 
dès  lors,  plusieurs  de  ceux  qui  avaient  déclaré  vouloir  être 
enfants  de  Dieu  et  qui  cependant  continuaient  à vivre  dans  la 


226 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


dissolution  furent  mis  en  demeure  de  rompre  avec  le  péché. 
Cela  parut  dur  à quelques-uns;  de  là  de  nouvelles  défections. 
Grâce  à Dieu,  à côté  de  ces  sujets  de  grande  tristesse,  il  y 
a aussi  des  faits  réjouissants  à constater,  par  exemple,  une 
collecte  instituée  parmi  les  fidèles,  ou  encore  le  plâtrage  de 
l’église  accompli  gratuitement  par  les  femmes  delà  classe. 

En  résumé,  l’œuvre  de  Séfula  porte  aujourd’hui  des  fruits 
réjouissants,  il  y a là  un  bon  noyau  de  chrétiens  décidés,  car 
malgré  les  défections  dont  nous  avons  parlé,  il  s’y  trouve  en- 
core 64  professants  adultes.  Il  faut  toutefois  remarquer  que 
l’œuvre  pourrait  être  plus  prospère;  qu’aujour  d’hui  elle  est 
plutôt  en  souffrance  et  qu’il  serait  regrettable  que  l’évangé- 
liste y fût  encore  laissé  seul.  Aussi  sommes-nous  heureux  de 
pouvoir  y placer  de  nouveau  un  missionnaire  dans  la  per- 
sonne de  M.  Davit;  cela  est  d’autant  plus  urgent  que  les  bâ- 
timents de  la  station  souffrent  beaucoup  de  l’absence  d’un 
missionnaire. 

Reprenant  notre  marche,  nous  arrivons  enfin  à Léaluyi. 
Gomme  les  autres  missionnaires,  ceux  de  cette  station  ont  eu 
beaucoup  de  joie  dans  leur  œuvre  pendant  l’année  qui  vient 
de  s’écouler;  c’est  M.  Coillard  qui  devait  présenter  le  rapport 
de  cette  station,  malheureusement  la  maladie  l’en  a empêché; 
c’est  encore  M.  Ad.  Jalla  qui  nous  fait  l’histoire  de  l’œuvre  de 
Léaluyi  pendant  cette  dernière  période.  Elle  est  pleine  de  faits 
réjouissants.  Pendant  les  premiers  mois,  des  auditoires 
de  500  personnes  se  pressent  dans  la  chapelle,  beaucoup 
font  profession  de  christianisme  ; ils  sont  pleins  de  zèle  et 
vont  évangéliser  les  villages  voisins  ; l’opposition  qu’ils  ren- 
contrent les  fortifie  bien  plus  qu’elle  ne  les  décourage;  ils 
instituent  spontanément  une  réunion  d’édification  mutuelle 
et  d’évangélisation  qu’ils  tiennent  au  coucher  du  soleil,  tantôt 
dans  l’un,  tantôt  dans  l’autre  des  quartiers  de  la  capitale.  Les 
conversions  continuent,  malgré  l’opposition  toujours  plus 
forte  de  certains  chefs,  qui  ont  le  premier  ministre  à leur 
tête.  Et  pourtant,  parmi  les  convertis,  nous  trouvons  Mo- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


227 


fcamba,  un  des  principaux  chefs  du  pays,  et  sa  femme,  Mpo- 
lolaa , la  fille  aînée  de  Léwanika.  Celui-ci  lui-même  se  montre 
fort  bien  disposé,  il  prend  en  public  la  défense  de  l’Évan- 
gile, abolit  plusieurs  superstitions,  et  tout  porte  à croire  que 
lui  aussi  va  se  déclarer  pour  Dieu. 

C'est  alors  que  survint  l’inondation  qui  chaque  année  trans- 
forme la  vaste  plaine  du  Borotsé  en  un  grand  lac.  Cette 
époque  est  pleine  de  distractions  : « Fhumeur  de  nos  Zambé- 
ziens,  dit  le  rapport,  toujours  voyageuse,  le  devient  alors  au 
suprême  degré.  Pendant  la  crue,  les  femmes  sont  toutes  à 
leurs  champs  de  sorgho  qui  vont  être  convertis  en  îlots,  tandis 
que  les  hommes  ne  pensent  qu’à  la  chasse  ou  à la  pêche. 
L’école  est  en  souffrance,  les  auditoires  tombent  à une 
moyenne  de  300.  » 

Vers  la  fin  de  l’inondation,  ce  fut  pire  encore  : le  roi  s’en 
alla  faire  une  expédition  de  chasse,  et  les  trois  cinquièmes  de 
la  population  le  suivirent;  les  auditoires  n’eurent  plus  qu’une 
moyenne  de  130  personnes  ; beaucoup  de  catéchumènes  étaient 
absents,  et  l’école  n’avait  plus  que  de  40  à 60  enfants. 

C’est  pendant  ce  temps  que  M.  Coillard  fit  un  voyage  d’ex- 
ploration missionnaire  avec  une  douzaine  de  catéchumènes  à 
travers  le  Haut-Borotsé  et  une  partie  du  Ba-Lunda  et  du  bu- 
bale. Ce  sont  des  régions  très  peuplées  qui  sont  encore  sans 
missionnaire,  et  où  M.  Coillard  a souvent  rencontré  des  gens 
qui  avaient  déjà  entendu  l’Évangile  dans  la  chapelle  de  Léa- 
luyi,  fait  qui  montre  toute  l’importance  de  cette  station  où 
se  trouvent  constamment  des  visiteurs. 

Lorsqu’enfin  la  période  des  absences  et  des  distractions 
fut  close,  nos  missionnaires  eurent  le  chagrin  de  constater 
qu’elle  avait  été  funeste  au  développement  spirituel  de  plu- 
sieurs. Voici  ce  qu’en  dit  leur  rapport  : 

« Le  cri  que  nous  poussons  depuis  lors  ce  n’est  plus  : « En 
avant!  » mais  : «Oh!  qui  nous  fera  être  ce  que  nous  étions 
autrefois!»  Nos  catéchumènes  ont  abandonné  leur  premier 
zèle,  on  n’entend  plus  le  village  retentir  de  leurs  chants,  on 
ne  les  voit  plus  guère  pressant  les  gens  d’ouvrir  leur  cœur  au 


228  JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Sauveur;  ils  ne  nous  parlent  plus  aussi  souvent  de  bonnes 
tournées  dans  les  villages  environnants;  ils  n’accourent  plus 
si  régulièrement  à nos  classes  et  à l’école;  plusieurs  sont  déjà 
tombés  et  gisent  comme  des  pierres  d’achoppement  sur  la 
route  qui  mène  à la  ville  de  refuge.  Cependant  la  plupart  de 
ceux  qui  sont  tombés  sont  des  jeunes  gens  et  des  jeunes 
filles,  ou  des  enfants  qui  s’étaient  donné  le  change,  prenant  des 
impressions  et  de  bons  désirs  pour  la  conversion.  Naturelle- 
ment, le  joug  du  Maître,  si  doux  pour  celui  qui  le  porte  vo- 
lontiers, meurtrit  les  autres.  Nous  pleurons  sur  ces  défec- 
tions, mais  nous  avons  de  l’espoir,  car  il  reste  encore  quelque 
chose  de  bon.  Les  pertes  sont  d’ailleurs  en  partie  compensées 
par  de  nouvelles  conversions  d’adultes.  » 

Parmi  ces  conversions,  il  faut  citer,  entre  autres,  celle  d’une 
des  femmes  du  roi,  Nolianga.  Elle  obtint  son  affranchissement 
et  put  ainsi  quitter  le  harem;  ce  fut  le  signal  d’un  redouble- 
ment d’opposition  de  la  part  des  adversaires;  Nolianga  fut 
traitée  de  folle;  elle  tint  bon  cependant  et  renonça  aux  hon- 
neurs et  à sa  dignité  de  reine  pour  suivre  son  Sauveur. 

Comme  à Séfula,  il  s’est  fait  une  collecte  parmi  les  catéchu- 
mènes, et  cela,  non  sans  sacrifices  : nous  avons  la  famine  ac- 
tuellement, et  pourtant  plusieurs  se  sont  encore  privés  pour 
pouvoir  donner  une  partie  de  leur  nourriture.  Le  produit 
de  ces  collectes  est  destiné  à former  un  fonds  pour  l’en- 
tretien d’évangélistes  zambéziens. 

Ceci  nous  amène  à dire  un  mot  de  Y Ecole  d' évangélistes  que 
M.  Coillard  a fondée  au  mois  de  novembre  avec  quatre  jeunes 
hommes.  Ils  ont  montré  beaucoup  d’intérêt  pour  ces  études, 
qui  ont  consisté  surtout  en  exégèses  cursives,  en  introduc- 
tions aux  livres  de  la  Bible  et  en  analyses  de  sermons.  M.  Coil- 
lard a mis  tous  ses  soins  à cet  enseignement,  et  ce  n’est  que 
la  maladie  qui  l’a  interrompu.  Aujourd’hui,  notre  école 
d’évangélistes  est  fondée  et  la  direction  en  est  provisoi- 
rement remise  à M.  Ad.  Jalla.  Nous  comptons  beaucoup 
sur  cette  école  pour  l’évangélisation  des  tribus  soumises  à 
Léwanika.  Il  faut  que  cette  œuvre  se  fasse  par  des  enfants 


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229 


du  pays;  il  nous  serait  impossible  d’y  suffire  nous-mêmes. 

Pour  compléter  ce  qui  concerne  l’œuvre  de  Léaluyi,  il  faut 
dire  un  mot  des  cultes  du  matin.  Sur  toutes  les  stations,  il  se 
célèbre  un  culte  chaque  jour  au  lever  du  soleil  ; ce  culte  n’est 
guère  suivi  que  par  les  catéchumènes,  mais  ce  qui  caracté- 
rise celui  de  Léaluyi,  c’est  que  les  catéchumènes  y récitent 
un  verset  de  leur  choix.  Il  en  est  résulté  pour  eux  une  con- 
naissance remarquable  de  la  Bible,  et,  chose  étonnante,  ils 
fouillent  spécialement  l’Ancien  Testament. 

Enfin,  Léaluyi  a une  École  du  dimanche  dirigée  par  ma- 
dame Ad.  Jalla;  elle  se  fait  comme  en  Europe,  avec  groupes 
et  leçon  générale. 

A Léaluyi,  comme  ailleurs,  les  travaux  manuels  n’ont  pas 
manqué  : M.  A.  Jalla  et  l’évangéliste  Willie  ont  eu  à cons- 
truire leurs  maisons  ; il  a fallu  entretenir  les  bâtiments  exis- 
tants, faire  des  travaux  de  terrassement,  afin  d’avoir  plus  de 
place  au  temps  de  l’inondation. 

Enfin,  la  maladie  a souvent  compliqué  la  tâche  des  mis- 
sionnaires de  Léaluyi,  particulièrement  de  M.  Goillard.  Pen- 
dant cette  dernière  année,  il  a presque  toujours  été  souffrant 
et,  à plusieurs  reprises,  son  mal  a eu  des  périodes  aiguës. 
« Sa  résignation  et  son  oubli  de  lui-même  au  sein  de  ses  vives 
souffrances  furent  une  éloquente  prédication  pour  nous 
comme  pour  les  indigènes.  En  dehors  de  notre  doyen,  celui 
de  notre  famille  missionnaire  qui  eut  le  plus  à souffrir,  ce  fut 
l’évangéliste  Willie,  dont  nous  pouvons  dire  sans  exagération 
qu'il*  eut  la  fièvre  en  moyenne  un  jour  sur  trois  »,  ce  qui  l’o- 
bligea plusieurs  fois  à laisser  toute  la  charge  de  l’école  à 
M.  et  madame  A.  Jalla. 

Vous  le  voyez,  Messieurs,  la  mission  du  Zambèze  est  arrivée 
aujourd’hui  à un  moment  sérieux  de  son  existence.  Partout  des 
conversions  se  manifestent,  et  avec  elles  surgissent  des  ques- 
tions dont  peut  dépendre  tout  l’avenir  de  notre  œuvre  : ce 
sont  des  questions  relatives  au  mariage,  à la  polygamie  et 
aux  conditions  d’entrée  dans  l’Église.  C’est  à cela  qu’il  faut 


230 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


songer  : l’édification  de  l’Église  de  Jésus-Christ.  Que  Dieu 
nous  donne  pour  cela  la  sagesse  dont  nous  avons  besoin, 
qu’il  nous  pénètre  de  son  Saint  Esprit,  et  qu’ainsi  son  nom 
soit  glorifié  ! 

Mais  aussi,  que  les  amis  de  notre  œuvre  ne  nous  oublient 
pas,  qu'ils  s’unissent  à nous  par  leurs  prières  pour  faire  cette 
œuvre  qui  exige  tant  de  sagesse,  de  prudence,  de  patience  et 
d’amour  ! 

Et  puis,  qu’ils  se  rendent  compte  que  si  notre  œuvre  gran- 
dit, les  besoins  augmentent  en  même  temps.  Nous  sommes 
encore  bien  peu  nombreux,  nous  sommes  loin  d’occuper  tout 
le  pays,  et  voilà  une  compagnie  minière  qui  va  venir  s’y  éta- 
blir avec  l'espoir  d’y  trouver  de  l’or.  Que  seront  les  consé- 
quences morales  de  ce  fait?  Nous  ne  savons,  mais  elles  pour- 
raient bien  n’être  pas  des  plus  favorables  à notre  œuvre. 
L'expérience,  hélas!  nous  montre  que  la  civilisation  euro- 
péenne, sans  le  christianisme,  est  plus  corruptrice  que  mora_ 
lisatrice.  N’est-ce  pas  là  un  aiguillon  de  plus  pour  que  les 
chrétiens  prennent  à cœur  de  faire  leur  possible  pour  contre- 
balancer ces  influences  funestes!  Oh!  qu’au  moins,  lorsque 
Dieu  nous  adresse  cette  question  : Où  est  ton  frère?  nous  ne 
répondions  pas  : Je  ne  sais;  suis-je  le  gardien  de  mon  frère? 
mais  que  plutôt,  les  uns  et  les  autres,  nous  comprenions  tou- 
jours mieux  notre  devoir  de  chrétiens  ! 

Au  nom  de  la  Conférence  du  Zambèze, 
Eug.  Béguin. 


EN  DANGER  DANS  LE  DÉSERT 

Episode  du  voyage  de  M.  Davit. 

On  se  rappelle  les  émouvants  détails  que  M.  Boiteux  nous 
donnait  il  y a quelques  mois  sur  son  voyage  à travers  le  dé- 


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231 


sert  (1).  A son  tour  M.  Davit  a tenu  à nous  raconter,  dans  une 
lettre  qui  vient  de  nous  parvenir,  quelques  incidents  de  ce 
même  voyage,  un  des  plus  difficiles  qui  aient  été  effectués 
par  nos  missionnaires. 

On  se  rappelle  que,  dans  le  plan  concerté  entre  nous  et  nos 
frères  du  Zambèze,  MM.  Davit  et  Boiteux  devaient  rencon- 
trer, au  Cap  ou  à Kimberley,  M.  Coillard  lui-même,  auquel 
nous  étions  trop  heureux  de  pouvoir  confier  l’organisation  de 
leur  expédition;  on  sait  aussi  comment  le  départ  de  M.  Coil- 
lard dut  être  ajourné  au  dernier  moment,  ce  qui  priva  nos 
jeunes  missionnaires  de  ses  conseils  et  de  ses  directipns. 
Leurs  arrangements  s’en  ressentirent  forcément,  non  moins 
que  leur  voyage  lui-même. 

Empêchés  par  le  manque  d’espace  de  publier  dans  son  en- 
tier le  récit  de  M.  Davit,  nous  nous  bornons  à en  extraire 
quelques  pages.  Elles  se  rapportent  à la  partie  du  voyage  où, 
suivant  les  conseils  assez  peu  compréhensibles  de  l’agent  de 
Palapyé  (le  nouveau  Mangwato),  nos  missionnaires  firent 
route  séparément. 

« En  vous  écrivant  le  10  juin,  dit  M.  Davit,  j’étais  joyeux  et 
confiant  dans  l’avenir.  Et  cependant,  lorsque  Boiteux  m’an- 
nonça qu’il  ne  m’attendrait  pas  à la  Nata,  ainsi  que  cela  avait 
été  convenu  d’abord,  je  sentis  l’inquiétude  me  prendre.  Car 
j’étais  seul  et  je  sentais  bien  que  je  dépendais  entièrement  de 
mes  gens,  qui,  du  reste,  n’ont  pas  tardé  à justifier  mes 
craintes.  La  semaine  même  qui  suivit  le  10  juin  ne  se  passa 
pas  sans  que  j’eusse  à verser  des  larmes.  C’était  le  commen- 
cement des  angoisses;  et,  depuis  le  16  juin,  où  j’arrivai  à la 
Nata  sans  y trouver  les  Boiteux,  mon  voyage,  qui  ne  devait 
finir  que  le  9 août,  et  encore  grâce  au  secours  que  je  deman- 
dai à M.  Jalla  et  qu’il  m’envoya  sans  retard,  a été  un  voyage 
de  forçat.  Je  n’exagère  pas,  soyez-en  sûr. 


(I)  Voir  notre  livraison  de  février,  p.  78  et  ss. 


232 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


« Mon  attelage  valait  très  peu,  et  mon  conducteur  valait 
moins  que  rien.  Le  matin  du  15  juin,  il  cassa  le  timon  tout 
neuf  du  wagon  dans  les  plaines  des  Macaricari,  et,  chose  qui 
n’est  jamais  arrivée,  ce  ne  fut  que  le  dix-huitième  timon  qui 
amena  mon  wagon  au  bord  du  Zambèze  ! Mes  garçons  firent 
eux-mêmes  le  premier,  mais  il  fut  bientôt  brisé,  et,  depuis  lors, 
je  les  fis  presque  tous  moi-même.  Deux  fois  j’ai  dû  décharger 
le  wagon  pour  pouvoir  le  faire  sortir  des  fondrières  d’où  un 
bon  attelage  aurait  suffi  pour  le  tirer  rondement. 

<c  Après  la  Nata,  il  y a un  espace  sans  eau  que  les  wagons 
ordinaires  parcourent  en  deux  jours;  le  mien  (je  dis  le  mien 
pour  être  bref)  en  mit  dix.  C’est  le  mercredi  19  juin  que  je 
quittai  définitivement  la  Nata,  où  il  y a en  abondance  de 
l’eau  excellente,  et  mon  wagon  n’arriva  au  prochain  étang 
que  le  samedi  soir  29.  Jugez  vous-méme  de  mes  angoisses 
pendant  tout  ce  temps.  Ma  provision  d’eau,  dans  laquelle 
puisaient  mes  gens  aussi  bien  que  moi,  fut  bientôt  finie,  et  déjà 
le  samedi  22,  je  me  fis  du  thé  avec  la  dernière  eau  qui  me 
restait.  En  temps  ordinaire,  je  l'aurais  bue  toute  à déjeuner; 
mais  la  Nata  était  loin  derrière  nous,  et  je  ne  savais  pas  si  et 
quand  j’en  trouverais  en  avant,  d’autant  plus  que  le  wagon 
était  là,  enfoncé  dans  le  sable  depuis  vingt-quatre  heures, 
et  je  ne  savais  pas  comment  j’en  sortirais.  Les  bœufs, 
après  de  vains  efforts,  avaient  été  envoyés  en  avant  à la  re- 
cherche de  l'eau  dès  le  vendredi  soir,  et  ce  n’est  que  le  samedi 
soir  qu’ils  furent  de  retour.  11  fallait  donc  ménager  l'eau  et  le 
pain,  ou  plutôt  le  thé  et  le  pain,  car  je  n’avais  plus  le  moyen 
de  faire  de  la  soupe. 

« Imaginez-vous  dans  quelles  transes  je  passai  cette  jour- 
née, et  avec  quelle  inquiétude  je  vis  tomber  la  nuit  du  sa- 
medi sans  voir  les  bœufs,  car  ils  n’arrivèrent  qu’à  la  nuit 
obscure.  Les  voilà,  enfin;  mais,  pas  plus  qu’avant,  le  wagon 
ne  se  meut.  Que  faire  de  nuit?  Rien,  sinon  attendre  au  len- 
demain, en  demandant  à Dieu  la  délivrance. 

« Le  lendemain  dimanche,  23  juin,  je  fus  obligé  de  travailler 
pendant  une  heure,  eu  me  levant,  à refaire  un  timon.  C’était 


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233 


le  quatrième;  après  quoi,  altéré,  je  bus  la  dernière  demi- 
tasse  de  thé  froid  que  j'avais  gardée  jusqu'à  la  dernière 
extrémité,  pendant  que  les  bœufs  essayaient  de  partir,  ou 
plutôt  qu’on  essayait  de  les  faire  partir.  Mais  les  heures  se 
passaient  et  ils  n’avançaient  pas  d’un  pouce.  Ma  détresse  aug- 
mentait, d'autant  plus  que  je  n’avais  aucune  idée  de  la  dis- 
tance à laquelle  se  trouvait  l’eau;  et  la  chaleur  du  jour  unie 
au  sentiment  que  j’étais  loin  de  l’eau  de  tous  côtés,  eut  bien- 
tôt fait  de  produire  en  moi  une  soif  ardente.  Enfin,  vers  onze 
heures,  à bout  d’espoir,  je  pris  sur  moi  quelques  petites  pro- 
visions et  me  disposais  à retourner  vers  la  Nata  pour  me  dé- 
saltérer. 11  m'aurait  fallu  marcher  tout  le  jour,  dormir  à la 
belle  étoile  et  ne  revenir  que  le  lendemain.  Mais,  comme  je 
partais,  mon  conducteur  me  dit  que  je  ferais  mieux  d’aller 
en  avant,  que  je  trouverais  l’eau  tout  aussi  vite,  et  que,  si  le 
wagon  réussissait  à partir,  j’en  serais  moins  éloigné,  d’autant 
plus  qu’un  wagon  de  transport  qui  voyageait  avec  moi,  mais 
avec  moins  de  difficulté,  était,  me  disait-on,  déjà  arrivé  à 
l’eau  où  il  attendait  le  mien. 

« Je  m’achemine  donc  dans  ce  sens,  et,  après  vingt  mi- 
nutes de  marche,  je  me  retourne  et  vois  avec  surprise  que  le 
wagon  était  en  mouvement,  et,  comme  la  mauvaise  route 
dans  laquelle  le  wagon  était  enfoncé  depuis  le  vendredi  ma- 
tin à six  heures  ne  durait  que  quelques  centaines  de  pas,  elle 
fut  bientôt  franchie,  et  cela  me  remit  un  peu.  J’attends,  puis 
marche  avec  le  wagon  jusqu’à  trois  heures  de  l’après-midi; 
puis,  la  route  redevenue  mauvaise  l’empêche  d’aller  plus 
loin;  tandis  que  moi,  qui  n’avais  pris  de  tout  le  jour  qu’une 
demi-tasse  de  thé  froid  et  un  pain  de  la  grosseur  d’une 
pomme,  je  continue  encore  pendant  deux  heures,  n’ayant 
guère  d'autres  forces  que  celles  toutes  factices  que  me 
donnait  l’illusion  que,  peut-être,  je  trouverais  de  l’eau.  Illu- 
sion bien  vaine,  car,  surpris  par  la  nuit,  il  me  fallut  refaire 
deux  heures  pour  retourner  à mon  wagon.  Je  marchais 
comme  un  forcené,  et,  de  temps  en  temps,  je  tombais  littéra- 
lement exténué  de  fatigue  et  de  soif  pour  répandre  devant 

17 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


23* 


Dieu  mes  larmes;  mais  le  ciel  de  la  miséricorde  semblait 
aussi  d’airain  gue  le  ciel  de  la  pluie  ! 

« Arrivé  au  wagon.,  j ’ouvris  une  caisse  de  vin  que  j’avais  heu- 
reusement  avec  moi.  Mais  du  vin,  dans  ces  conditions,  c’était 
presque  du  poison,  et  c’était  cependant  la  seule  substance 
liquide  qui  pouvait  soulager  ma  gorge  enflammée.  J’en  avalai 
un  peu,  par  petites  gorgées,  après  quoi  j’essayai  de  me  livrer 
au  repos;  mais  quel  repos!  Enfin  revint  l’aurore,  et  il  me 
semblait  que  ce  devait  être  le  jour  de  la  délivrance.  Ce  fut,  au 
contraire,  une  des  journées  les  plus  tristes  de  ma  vie.  Le 
seul  individu  qui  restait  avec  moi  partit  avec  les  bœufs 
épuisés  pour  aller  les  abreuver.  Il  prit  en  même  temps  avec 
lui,  sur  ma  demande,  deux  coquemars  et  deux  gourdes 
pour  m’apporter  de  l’eau  à son  retour.  «Elle  ne  doit  pas  être 
si  loin,  cette  eau,  me  dis-je,  car  nous  en  avons  fait  déjà,  du 
chemin,  depuis  la  Natal»  J’espérais  qu’il  reviendrait  vers  midi. 
Vaine  attente!  11  ne  revint  pas  de  tout  le  jour.  Et  moi,  je  pas- 
sai ma  journée  seul  avec  le  wagon,  entouré  de  l’inconnu  de 
tous  côtés,  essayant  de  me  nourrir,  mais  ne  pouvant  m’atta- 
quer à rien  ; et,  à la  nuit  noire,  ne  voyant  apparaître  per- 
sonne, je  me  mis  au  lit,  ne  sachant  pas  si  je  me  relèverais. 

« Mais,  ô surprise!  vers  8 heures  une  voix  m’appelle,  c’est 
un  autre  de  mes  garçons  qui  m’apporte  de  l’eau.  Il  me  la  fait 
bouillir,  et  je  m’en  fais  du  café  que  je  déguste  pendant  deux 
heures  en  bénissant  Dieu  de  cette  merveilleuse  délivrance. 
Après  quoi  j’eus  une  nuit  beaucoup  moins  agitée  et  pus  atten- 
dre avec  patience  les  bœufs  qui  ne  devaient  revenir  que  le 
lendemain,  25  juin.  J’eus  de  l’eau  pour  ce  jour  en  en  usant 
modérément,  mais  les  bœufs  se  faisaient  attendre.  Enfin,  les 
voici,  et  deux  attelages,  cette  fois.  Ils  essaient  de  partir. 
Impossible!  Ils  essayent  le  lendemain,  mais  rien  ne  bouge, 
et  nous  voilà  de  nouveau,  et  plus  que  jamais,  dans  la  diffi- 
culté et  dans  l’angoisse. 

« Enfin,  après  avoir  longtemps  attendu,  à 6 h.  45  minutes  du 
matin,  je  pars  avec  un  peu  de  farine  (je  n’avais  plus  de  pain), 
riz,  thé,  café,  etc,,  et  les  ustensiles  pour  préparer  ces  ali- 


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ments,  bien  décidé  à marcher  jusqu’à  l’eau,  coûte  que  coâte. 
Mais  elle  est  loin,  la  route  est  sablonneuse,  et  la  soif  me  dé- 
vore. En  vain  je  m’approche  de  tous  les  trous,  étangs  dessé- 
chés ou  creux  de  toute  sorte  : les  désillusions  se  arrivent  et 
l’eau  ne  se  trouve  pas.  Vers  trois  heures  de  l’après-midi, 
ayant  trouvé  un  endroit  un  peu  humide,  j’y  creusai  avec  la 
main  un  puits,  que  j’ai  eu  le  loisir  de  mesurer  plus  tard,  pro- 
fond de  0m,75  centimètres,  large  de  0“,40,  puis  plongeai  mon 
bâton  encore  de  O"1, 20  centimètres,  espérant  en  voir  jaillir 
une  goutte  d’eau;  mais  rien  ! Je  pris  au  fond  de  ce  trou  du 
sable  un  peu  humide  et  m’en  remplis  la  bouche,  mais  je  n’en 
fus  pas  soulagé. 

« Je  me  remis  en  route,  et  les  environs,  moins  désolés,  sem- 
blaient me  dire  que  l’eau  n’était  pas  loin.  Je  ramasse  mes 
forces,  j’avance,  et  bientôt,  à mes  cris  répétés,  répond  la  voix 
du  gardien  du  wagon  qui  m’avait  devancé  et  qui  m’attendait 
auprès  de  l’eau.  Il  vint  à ma  rencontre,  me  dit  que  l’eau  était 
tout  près,  et,  enfin,  à 3 h.  45  de  l’après-midi,  après  huit 
heures  et  demie  de  marche,  j’arrive  près  d’un  étang  dont 
l’eau  était  assez  peuplée.  N’importe!  c’était  de  l’eau.  Aussi 
me  précipitai-je  à cet  étang  où  je  me  désaltérai  petit  à petit. 
Après  ça,  je  me  préparai  un  modeste  souper.  Je  dis  modeste, 
car  les  provisions  que  j’avais  pu  prendre  avec  moi  n’étaient 
pas  abondantes,  et  je  ne  savais  pas  quand  je  pourrais  en  re- 
prendre au  wagon  qui  était  bien  loin  derrière  moi.  Trop 
chargé  déjà,  je  n’avais  pu  prendre  avec  moi  qu’un  châle,  et 
là,  il  me  fallut  dormir  dehors.  Je  grelottai  toute  la  nuit  mal- 
gré le  bon  feu  qui  flambait  à côté  de  moi  ; car  le  feu  n’était 
que  d’un  côté,  de  l’autre  il  y avait  de  l’eau  qui  devait  tem- 
porairement remplacer  le  thermomètre  que  j’avais  laissé  au 
wagon,  et  tous  les  matins  elle  était  couverte  de  glace.  C’est 
ainsi  que  je  passai  les  trois  nuits  du  26  au  27,  du  27  au  28  et 
du  28  au  29  juin.  Le  jour  de  mon  arrivée  était  un  mercredi, 
et  je  n’avais  pas  vu  d’eau  depuis  le  mercredi  précédent. 

« Le  29,  mes  provisions  étant  épuisées,  je  me  chargeai 
d’eau  et  repartis  à la  rencontre  du  wagon.  Boiteux  avait  sou- 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


vent  eu  l’occasion  de  m’envoyer  quelques  mots;  moi,  je  n’en 
avais  pas  eu  une  seule  pour  lui.  Mais,  après  avoir  cette  fois 
marché  environ  une  heure  vers  mon  wagon,  je  rencontrai 
trois  Zambéziens  qui  rentraient  chez  eux.  J'écrivis  par 
leur  moyen  à Boiteux  de  venir  à mon  secours,  coûte  que 
coûte,  avec  des  bœufs,  conducteurs,  etc.,  car  autrement  je 
serais  mort  dans  ce  désert  et  dans  cette  désolation. 

« Car  il  a eu  ses  ennuis,  lui  aussi,  et,  meilleur  correspon- 
dant que  moi,  il  vous  en  a sans  doute  écrit  depuis  longtemps. 
Mais,  enfin,  il  avait  avec  lui  deux  évangélistes  et  leurs  femmes 
qui  pouvaient  l’aider  et,  en  tous  cas,  lui  servir  d’interprètes 
auprès  des  noirs  ; moi,  j’étais  seul  avec  des  gens  que  je  ne 
comprenais  presque  pas  et  qui,  ayant  compris  depuis  long- 
temps qu’au  fond  c’était  moi  qui  dépendais  d’eux  plus  qu’eux 
de  moi,  en  abusaient  d’une  manière  honteuse.  Vous  ne 
vous  faites  pas  d’idée  des  larmes  que  j’ai  versées  à travers 
le  désert!  Et  plus  d’une  fois  je  me  suis  demandé  si  peut-être 
Dieu  ne  se  servirait  pas  de  ces  angoisses  pour  me  montrer 
que  ma  place  n’était  pas  au  Zambèze.  Je  le  bénis  maintenant 
de  ce  que,  à travers  tant  de  difficultés,  Il  m’a  cependant 
amené  jusqu’ici  et  me  montre  maintenant  une  œuvre  à faire 
pour  sa  gloire.  Mais  alors  j’étais  bien  ébranlé.  Ce  billet  expé- 
dié, je  repris  ma  marche  pour  rejoindre  le  wagon,  ne  sachant 
ni  où,  ni  quand  je  le  rencontrerais,  et,  après  une  heure  et 
demie  de  marche,  je  l’aperçois  qui  avance  lentement,  mais  qui 
avance  cependant.  Un  quart  d’heure  me  suffit  pour  le  rejoin- 
dre, et,  à 9 heures  du  soir,  nous  dételions  tout  près  de  l’eau. 
C’était  le  samedi  29  juin,  et  tout  cela  se  passait  à une  dis- 
tance à peu  près  égale  de  Palapyé,  de  Kazungula  et  de  tout 
autre  endroit  habité. 

« Je  ne  veux  pas  continuer  ma  lettre  d’une  manière  aussi 
détaillée,  car  je  vous  ennuierais  trop,  et  je  devrais  y consa- 
crer un  temps  qui  m’échappe.  D’autant  plus  que  si  mes  en- 
nuis n’ont  cessé  qu’au  moment  où  je  pouvais  enfin  m’unir 
dans  des  actions  de  grâce  avec  nos  frères  de  Kazungula,  le 
tableau,  noir,  mais  vrai,  que  je  viens  de  vous  faire  représente 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


237 


cependant  le  point  culminant  de  mes  angoisses.  Le  lende- 
main , quatre  bergers  de  Khama,  que  gavais  vus  déjà  deux 
jours  auparavant,  qui  étaient  des  chrétiens  et  auxquels 
j’avais  dit  que  j’étais  missionnaire,  arrivèrent  vers  moi, 
m’apportant  un  morceau  de  gnou,  qui  ne  pesait  pas  moins 
de  cinq  kilos.  Je  pus,  ce  jour-là,  me  refaire  complètement. 
C’était  le  30  juin.  Dans  la  nuit  du  30  juin  au  premier  juillet, 
mon  thermomètre  à maxima  et  minima  descendit  à 3°  cen- 
tigrades au-dessous  de  zéro.  Ce  fut  la  nuit  la  plus  froide  de 
l’année...» 

P.  Davit. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 

L’ŒUVRE  DES  MISSIONS  NORVÉGIENNES 
A MADAGASCAR  (1) 

Délégué  à Paris  en  février  dernier  par  la  Société  des  mis- 
sions de  Norvège,  j’ai  eu  l’occasion  de  faire  connaître  un  peu 
dans  les  centres  protestants  nos  travaux  à Madagascar,  cela 
grâce  à l’empressement  avec  lequel  m’ont  reçu  nos  frères 
français  en  la  foi. 

C’est  donc  avec  reconnaissance  que  je  saisis  l’occasion  que 
m’a  offerte  si  libéralement  le  rédacteur  du  Journal  des  mis- 
sions de  fournir  quelques  détails  sur  l’œuvre  qu’avec  l’aide 
de  Dieu  la  Société  norvégienne  a pu  faire  à Madagascar  du- 
rant les  vingt-cinq  années  écoulées. 


(1)  Nous  sommes  heureux  de  pouvoir  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lec- 
teurs ce  tableau  abrégé  des  missions  norvégiennes  à Madagascar.  Notre 
Journal  leur  en  avait  d’ailleurs  parlé  fréquemment  (voir  Journal  des 
missions,  1886,  p.  144  et  191  ; 1894,  p,  291,  et  1895,  p.  519;  ce  dernier  ar- 
ticle donne  les  chiffres  plus  récents). 


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JOURNAL  DES  HISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


La  plupart  -des  stations  de  notre  Société  se  trouvent  dans 
le  Betsiléo,  province  située  au  sud  de  ITmérina;  les  autres 
sont  répandues  dans  le  pays,  un  peu  partout,  ainsi,  par 
exemple,  aussi  dans  le  Bara,  contrée  encore  peu  connue,  et 
dans  la  partie  méridionale  de  File.  Elles  sont  au  ©ombre  ée 
28,  avec  autant  de  pasteurs,  instruits,  les  uns  à Féoote  des 
missions  de  Stavanger,  les  autres,  bacheliers  en  théologie 
de  F université  de  Christiania.  Tous  ces  missionnaires  ont  été 
consacrés  au  saint  ministère  par  des  dignitaires  de  l'Église 
de  Norvège. 

Autour  de  chacune  de  ces  28  stations  centrales  se  groupent 
des  annexes  desservies  par  les  missionnaires  norvégiens  et 
les  pasteurs  indigènes  formés  dans  notre  séminaire  théolo- 
gique et  qui  sont  au  nombre  d’environ  60.  Les  550  annexes 
ont  chacune  son  école  primaire;  celles-ci  sont  dirigées  par 
des  maîtres  indigènes,  au  nombre  de  1,200.  Nos  écoles  ins- 
truisent 37,000  élèves;  le  nombre  des  adultes  baptisés  s’élève 
à 50,000. 

Nous  avons  aussi  une  mission  médicale  que  dirigent  deux 
docteurs  de  l’université  de  Christiania.  Le  dernier  rapport 
annuel  accuse  l’admission  dans  les  polycliniques  de  9,000  ma- 
lades. Indépendamment  de  ces  établissements,  il  existe  à 
Sirabé  une  léproserie  offrant  300  places. 

Le  budget  de  la  Société  pour  l’œuvre  de  Madagascar  est 
d’environ  500,000  francs,  somme  que  l’on  trouvera  élevée  si 
l’on  considère  qu’elle  est  formée  de  dons  volontaires  fournis 
par  une  population  plutôt  pauvre  et  comptant  deux  millions 
d’hommes  seulement. 

L’intérêt  pour  les  missions  est  général,  et  dans  chacune  de 
nos  paroisses,  depuis  Lindesnœs  jusqu’au  cap  Nord,  il  y a des 
amis  des  missions  qui,  chaque  année,  adressent  leurs  dons  à 
la  Société,  dont  le  comité  directeur  se  trouve  à Stavanger. 

Au-dessus  du  comité  directeur  se  trouvent  les  comités  ré- 
gionaux (de  district)  ; ils  ont  leur  siège  dans  les  villes  les  plus 
importantes  et  ils  servent  d’intermédiaires  entre  le  comité  di- 
recteur et  les  groupes  paroissiaux,  qui  sont  au  nombre  de  900. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


23$ 


Tous,  les  trois  ans,  il  y a une  assemblée  générale  composée 
des  délégués  des  différents  groupes;  on  les  reçoit  dlans  les 
familles  de  la  ville  durant  les  trois  ou  quatre  jours  que  dure 
l’assemblée  générale. 

Notre  Société  désire  recueillir  des  sympathies  parmi  nos 
frères  en  la  foi  de  France;  nous  avons  besoin  de  leur  intérêt 
et  de  leurs  prières.  Nous  désirons  que  nos  missionnaires  en 
préparation  soient  mis  en  état  de  se  familiariser  avec  la  langue 
française  avant  qu’ils  se  rendent  à leurs  champs  d’activité.  A 
cet  effet,  ils  reçoivent  dès  à présent  des  leçons  de  français  à 
l’école  des  missions,  de  sorte  qu’ils  connaissent  les  éléments 
de  la  grammaire  ; mais  il  faut  encore  qu’ils  puissent,  avant 
leur  départ,  faire  un  séjour  d’un  an  en  France. 

J'ose  dire  que  nos  missionnaires  ont  toujours  observé  une 
stricte  neutralité  et  qu’ils  n’ont  poursuivi  aucun  dessein  po- 
litique, comme  aussi  je  suis  sûr  que  le  gouvernement  français 
trouvera  pour  son  œuvre  de  civilisation  des  alliés  de  con- 
fiance en  nos  missionnaires. 

Nous  désirons  seulement  qu’avant  tout  et  toujours  ils  soient 
soumis  à l’ordre  de  notre  Seigneur  Jésus  Christ  : « Allez  et 
faites  disciples  tous  les  peuples.  » 

Nous  désirons  pouvoir  en  toute  paix  et  sécurité  propager 
le  royaume  de  Dieu  au  sein  de  la  grande  île  africaine,  ré- 
pandre dans  les  cœurs  la  semence  de  la  parole  de  Dieu,  sa- 
chant que  les  fruits  viendront  en  leur  temps.  Parla  même  oc- 
casion, et  comme  amis  du  peuple  français  avec  lequel  nous 
unissent  des  liens  séculaires,  nous  désirons  pouvoir  contri- 
buer à la  civilisation  de  Madagascar,  ce  qui  aujourd’hui  est 
la  grande  tâche  qui  incombe  à la  France. 

Nous  désirons  tendre  une  main  fraternelle  à nos  frères  fran- 
çais en  la  foi,  lorsque,  pour  une  raison  ou  une  autre,  ils  se 
trouveront  amenés  à Madagascar,  soit  pour  visiter  l’île,  soit 
pour  l’habiter,  certains  que  sur  nos  stations  ils  trouveront 
toujours  des  amis  prêts  à leur  ouvrir  leur  cœur  et  leur  maison, 
à leur  souhaiter  une  cordiale  bienvenne. 

Pour  conclure,  je  dois  exprimer  ma  vive  gratitude  pour 


240 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


l’accueil  si  cordial  que  j’ai  trouvé  parmi  nos  frères  pendant 
mon  séjour  en  France,  accueil  fait  moins  a ma  personne  qu’au 
membre  de  la  Société  des  missions  norvégiennes,  au  nom 
de  laquelle  je  les  remercie. 

Veuille  le  Maître  de  la  mission  bénir  abondamment  les 
églises  protestantes  de  France,  ouvrir  les  cœurs  à l’entre- 
prise du  travail,  exaucer  leurs  prières  et  augmenter  la  parti- 
cipation à la  grande  œuvre  missionnaire! 

La  bénédiction  reçue  par  la  création  au  loin  des  Églises 
nouvelles  refluera  avec  abondance  sur  les  Églises  de  la  mère- 
patrie. 

Signé  : H.  Munthe-Kaas,  pasteur. 


HUDSON  TAYLOR 

et  les  missions  de  la  Chine  intérieure  (1). 


Franchissons  quelques  années.  Nous  retrouvons  le  jeune 
Hudson  Taylor  à l’Université  de  Hull,  étudiant  la  médecine. 
Il  s’est  senti  graduellement  confirmé  dans  la  pensée  qu'il  doit 
être  missionnaire  en  Chine,  et  la  lecture  d’un  ouvrage  sur  ce 
pays  lui  a donné  l’idée  que,  pour  l’accomplissement  de  son 
projet,  la  médecine,  la  chirurgie  surtout,  lui  sera  fort  utile. 
Il  se  prépare  donc  à sa  carrière  par  de  bonnes  études.  Mais, 
en  même  temps,  il  s’y  prépare  moralement  et  spirituellement. 
Il  persévère  dans  la  prière  et  dans  l’étude  de  la  parole  de 
Dieu.  Il  met  à part  pour  le  service  de  Dieu  et  pour  les  pauvres, 
qu’il  visite  le  dimanche,  la  dîme  de  son  revenu.  Mais  comme 
ce  revenu  est  très  modeste,  il  se  voit  obligé  de  quitter  la  jolie 
chambre  qu’il  occupe  dans  le  centre  de  la  ville  pour  aller 
s’établir  dans  un  pauvre  logement  des  faubourgs  et  de  ré- 


(1)  Voir  page  94. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


241 


duire  beaucoup  sa  dépense.  Il  s’habitue  ainsi,  de  bonne 
heure,  à la  simplicité  et  au  renoncement. 

Voilà,  direz-vous,  une  préparation  sérieuse.  Et  cependant 
elle  ne  suffît  pas  au  futur  missionnaire.  Une  pensée  le  tour- 
mente. A-t-il  la  foi  nécessaire  à un  missionnaire?  Une  fois 
parti,  une  fois  seul  au  milieu  des  païens,  privé  de  toute  com- 
munication rapide  avec  l’Église,  hors  de  portée  du  secours, 
il  sera  réduit  à compter  sur  Dieu  seul  ; il  ne  pourra  agir  sur  les 
hommes  que  par  son  intermédiaire.  Saura-t-il  le  faire?  Sa 
confiance  en  Dieu  sera-t-elle  assez  robuste  pour  cela? 

Pour  répondre  à cette  question,  notre  étudiant  ne  voit 
qu’un  moyen  : c’est  de  fortifier  sa  foi  par  l’exercice,  en  la 
soumettant  par  avance  aux  épreuves  qu’il  prévoit.  Voici, 
entre  plusieurs  exemples,  uu  des  incidents  auxquels  cette 
préoccupation  donna  lieu.  Le  chef  dont  il  était  l’aide,  un 
chirurgien,  lui  avait  recommandé  de  lui  rappeler  tous  les 
trois  mois  la  somme  qui  lui  était  due.  Toujours  préoccupé 
de  son  idée,  Hudson  Taylor  prend  tout  d’un  coup  la  résolu- 
tion de  ne  plus  réclamer  directement  ce  qui  lui  était  dû, 
mais  de  demander  à Dieu  de  remettre  lui-même  la  chose  en 
mémoire  à son  chef  et  de  l'encourager  ainsi  en  exauçant  sa 
prière. 

Le  jour  du  paiement  arrive;  le  chef  oublie  de  payer.  Le 
jeune  homme  ne  dit  rien,  mais  continue  à prier.  Des  jours, 
des  semaines  se  passent,  jusqu’à  ce  qu’enfin  il  ne  lui  reste 
que  quelques  sous.  Situation  d’autant  plus  embarrassante 
que,  à la  fin  de  la  semaine,  il  doit  payer  lui-même  sa  note  à 
l’hôtel.  Que  faire?  Réclamer?  Rien  de  plus  légitime.  Mais  il  a 
fait  de  cette  question  la  pierre  de  touche  de  sa  foi  : parler, 
ce  serait  se  déclarer  incapable  de  compter  sur  Dieu  seul,  et 
par  conséquent  d’aller  en  Chine.  Il  se  taira  donc.  Et  c’est 
ainsi  qu’arrive  le  samedi  soir  où  le  terme  est  dû.  Taylor  a 
répandu  son  cœur  devant  Dieu;  le  calme  y est  rentré,  il  est 
plein  de  confiance,  mais  résolu  à se  taire.  Vers  cinq  heures, 

• son  chef  arrive,  lui  parle  de  choses  et  d’autres,  et,  tout  à 
coup,  changeant  de  sujet  : A propos,  Taylor,  ne  devrais-je 

18 


242 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


pas  bientôt  vous  payer?  — Grande  est  l’émotion  de  l’étu- 
diant; il  la  maîtrise  pour  dire  qu'un  trimestre  lui  est  dû  de- 
puis quinze  jours,  — Vraiment?  reprend  le  chef,  quel  mal- 
heur! Pourquoi  ne  pas  me  l’avoir  rappelé?  Je  viens  juste- 
ment d'envoyer  chez  mon  banquier  Pargent  que  j’avais  en 
main!  On  comprend  l’amère  déception  du  jeune  homme  et 
son  trouble;  cependant,  un  regard  sur  Dieu  lui  donne  la 
force  de  se  taire  et  de  rester  calme,  même  quand  son  chef 
s’éloigne  pour  rentrer  dans  son  appartement,  Peu  à peu,  la 
coufiance,  la  joie  inondent  son  cœur.  Et  voici  qu’au  moment 
de  quitter  le  laboratoire,  il  entend  le  pas  du  docteur,  qui  re- 
paraît, demande  son  livre  de  comptes  et,  tout  en  écrivant, 
raconte  qu’un  de  ses  clients  vient  à l’instant  de  lui  payer  sa 
note.  « N’est-ce  pas  une  singulière  idée,  ajoute-t-il,  pour  un 
richard  pareil,  d’arriver  chez  un  docteur  à dix  heures  du  soir 
pour  le  payer!  Mais  il  paraît  que  quelque  chose  le  poussait, 
et  il  n’a  pas  eu  de  repos  qu’il  ne  fût  venu. 

« Je  ris  de  bon  cœur,  moi  aussi,  de  l’aventure,  continua 
Hudson  Taylor,  et  j’en  avais  oublié  mes  préoccupations, 
lorsque  le  docteur  s’écria  en  tirant  son  portefeuille  : 

« Mais,  par  le  fait,  Taylor,  puisque  je  suis  en  dette  avec 
vous,  prenez  ces  billets  comme  acompte,  et,  la  semaine  pro- 
chaine, je  vous  remettrai  le  complément. 

« Mon  cœur  bondit  de  joie  à ces  paroles,  et  ce  soir-là,  re- 
tiré dans  ma  chambre,  je  bénis  Dieu  avec  transport  de  ce 
qu’après  tout  il  me  destinait  à la  Chine.  » 

Cette  expérience  ne  parut  pas  suffisante  à Taylor;  il  s’en 
imagina  diverses  autres  que  je  n’ai  pas  le  temps  de  vous  ra- 
conter. 11  est  facile  de  montrer  ce  qu’il  y a de  factice  et  d’ar- 
bitraire dans  les  épreuves  auxquelles  le  futur  missionnaire 
soumettait  sa  foi.  J’en  demeure  d’accord,  et  cependant  je 
n’ose  critiquer  et  je  m’arrête,  plein  de  respect  pour  l’homme 
qui  sent  assez  le  prix  de  la  foi  pour  soumettre  la  sienne  à un 
pareil  entraînement.  Après  tout,  il  ne  faisait  qu’appliquer  à 
son  être  spirituel  la  préparation  que  nous  faisons  subir  à nos 
muscles  par  la  gymnastique.  Qu'est  celle-ci,  sinon  une  repro- 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


243 


duction  anticipée  et  artificielle  des  difficultés  que  tous  auront 
plus  tard  à affronter  dans  la  vie  réelle!  Libre  à eux,  d’ail- 
leurs, de  ne  pas  imiter  Hudson  Taylor;  de  juger  qu’il  vaut 
mieux  laisser  Dieu  lui-même  mettre  notre  foi  à l’épreuve 
plutôt  que  l’y  soumettre  nous-mêmes.  Ce  qui  est  certain, 
c’est  que,  dès  ce  moment,  on  pouvait  beaucoup  attendre  d’un 
homme  qui  apportait  à sa  préparatiun  spirituelle  tant  de  dé- 
cision et  d’énergie. 

Quelque  temps  après,  Hudson  Taylor  partait  pour  la 
Chine.  11  avait  reçu  vocation  d’une  Société  fondée  par  le 
grand  missionnaire  Guzlaff,  sous  le  nom  de  : Société  d’évan- 
gélisation de  la  Chine.  Le  19  septembre  1853,  le  jeune  mis- 
sionnaire recevait,  à bord  du  Dumfries , les  dernières  étreintes 
de  sa  mère,  et,  dix  mois  après,  il  abordait  à Sanghaï.  C’était 
le  1er  mars  1854. 

Je  ne  vous  raconterai  pas  cette  première  période  du  mi- 
nistère de  Hudson  Taylor,  malgré  tout  l’intérêt  qui  s’y  at- 
tache. Le  missionnaire  y fait  ses  premières  armes;  le  fonda- 
teur de  la  mission  de  la  Chine  intérieure  achève  sa  prépara- 
tion. Les  incidents  émouvants  y abondent,  mais  toujours 
l’intérêt  principal  s’attache  à l’homme  lui-même,  que  nous 
voyons  toujours  aussi  simple  de  cœur,  aussi  ferme  dans  ses 
résolutions,  aussi  courageux  et  toujours  plus  grand  dans  sa 
foi. 

Ce  premier  séjour  de  Hudson  Taylor  en  Chine  dura  sept 
ans.  Il  fut  marqué  par  deux  grands  événements  : son  ma- 
riage avec  miss  Dyers,  la  fille  d'un  missionnaire,  en  1859,  et, 
avant  cela,  sa  séparation  d’avec  la  Société  dont  il  avait  dé- 
pendu jusqu’à  ce  jour.  Cette  Société  avait  été  à plusieurs  re- 
prises en  déficit,  et  Hudson  Taylor  trouva  cela  en  contradic- 
tion avec  ce  précepte  : Ne  devez  rien  à personne.  Il  hésita 
longtemps  à prendre  une  résolution  qui  le  privait  de  toute 
ressource  fixe.  Il  se  décida  finalement  avec  un  de  mes  collè- 
gues et  vécut  dès  lors  comissionnaire  indépendant  de  ce  que 
la  libéralité  de  ses  amis  mettait  à sa  disposition . Hudson  Taylor 
a souvent  déclaré  n’avoir  jamais  regretté  sa  détermination  : 


244 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


il  y voyait  au  contraire  le  point  de  départ  de  grandes  béné- 
dictions. Mais  ceci  nous  amène  à une  nouvelle  phase  de  sa 
vie,  la  phase  décisive  où,  de  simple  missionnaire,  il  devint 
fondateur  de  missions  et  pionnier.  Nous  verrons  que,  dans 
cette  nouvelle  phase,  sa  vie  n’est  pas  moins  riche  d’ensei- 
gnement que  dans  la  première. 

(A  suivre.) 

n S*  ~ -g— — si 


DERNIÈRE  HEURE 

Arrivée  de  M.  Christol.  — M.  le  missionnaire  Ghristol  et  sa 
famille  sont  heureusement  arrivés  en  Angleterre,  et  sont  at- 
tendus à Paris  pour  mercredi  29  avril. 

Réunion  familière  du  26  avril , à la  Maison  des  missions.  — 
On  a entendu,  à cette  réunion  : M.  le  pasteur  G.  Appia  sur  ce 
sujet  : a Christianisme  et  paganisme;  les  deux  armées  en 
présence;  succès  et  revers  des  missions  pendant  ces  der- 
nières années  »;  M.  le  professeur  Simpson  d’Édimbourg,  et 
M.  E.  Allégret,  qui  doit  repartir  pour  son  poste  du  Congo 
français  avec  sa  famille  et  avec  M.  et  madame  Richard,  le 
10  mai  prochain,  de  Bordeaux.  Nous  recommandons  ces 
voyageurs  aux  prières  des  amis  des  missions. 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20289. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


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SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


00  PRENDRONS-NOUS  DES  PAINS  PODR  CETTE  MULTITUDE? 


Paris,  le  29  mai  1896. 

Nous  sommes  entrés  dans  la  nouvelle  année  sous  une  im- 
pression solennelle.  La  crise  de  croissance  que  notre  Société 
traverse  va  arriver  à son  point  décisif.  Dans  peu  de  semaines 
nous  saurons  à quoi  nous  en  tenir  sur  l'œuvre  à faire  à 
Madagascar,  et  tout  indique  que  cette  œuvre,  sans  avoir 
rien  de  commun  avec  la  substitution  entrevue  par  quelques- 
uns,  sera  coûteuse.  D’un  autre  côté,  nous  voyons  nos  tâches 
actuelles  grandir,  et  chacune,  à sa  manière,  réclame  notre 
assistance.  Le  Congo,  le  Zambèze,  le  Sénégal  ne  peuvent 
qu’aspirer  à croître.  Taïti  et  le  Lessouto,  sans  cesser  de 
tendre  à cette  autonomie  que  toute  mission  doit  s’assigner 
comme  but,  nous  demandent,  précisément  à cette  heure,  un 
appui  nécessaire  pour  traverser  des  temps  difficiles.  Maré 
attend  toujours  le  missionnaire  qui  y fera,  sur  une  échelle 
modeste,  l’œuvre  que  nous  accomplissons  à Taïti  et  que  nous 
préparons  à Madagascar.  Disons-le  nettement,  sans  une  aug- 
juin  1896.  19 


246 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


mentation  sérieuse  de  notre  personnel  et  de  nos  ressources, 
nous  serons  incapables  de  remplir  la  tâche  qui  s’impose  à 
nous  dans  tous  ces  champs  de  travail. 

« D’où  prendrons-nous  des  pains  dans  le  désert  pour 
nourrir  cette  multitude?  » Ce  cri  des  disciples  s’échappe  de 
notre  cœur  angoissé.  Ils  avaient  à nourrir  cinq  mille  hommes 
avec  cinq  pains  et  deux  poissons.  Nous  avions  déjà  cinq 
champs  de  travail  à cultiver,  et  en  voici  un  sixième  qui  nous 
appelle.  N’est-ce  pas  l’impossible  qui  nous  est  demandé? 

Et  cependant  l’impossible  s’est  réalisé,  les  cinq  mille 
hommes  ont  été  nourris  dans  le  désert.  « Donnez-leur  vous- 
mêmes  à manger  »,  a dit  le  Seigneur.  Puis,  levant  les  yeux 
au  ciel,  il  rend  grâces;  il  prend  les  pains  et  les  rompt;  ses 
disciples  les  distribuent  aux  foules;  tous  en  mangent  et  sont 
rassasiés. 

C’est  notre  conviction  profonde  que  ce  miracle  peut  se  re- 
nouveler pour  notre  Société.  Pour  cela,  il  nous  faut  une 
seule  chose,  la  foi  : la  foi  qui  prie,  la  foi  qui  obéit  et  qui 
agit.  Si  cette  foi  nous  manque,  la  belle  œuvre  que  jusqu’à 
présent  Dieu  a conservée  une  et  prospère  entre  nos  mains 
9era  compromise;  si,  au  contraire,  nous  croyons,  Dieu  hono- 
rera notre  foi  en  nous  laissant  notre  champ  de  travail  dans 
toute  sa  beauté  et  son  unité. 

Ce  champ  de  travail,  ce  n’est  pas  nous  qui  l’avons  choisi; 
nos  diverses  œuvres,  nous  ne  les  avons  pas  cherchées;  elles 
se  sont  imposées  à nous;  il  n’en  est  pas  une,  surtout  parmi 
les  dernières  venues,  contre  laquelle  nous  ne  nous  soyons 
d’abord  défendus  : nous  ne  les  avons  acceptées  que  con- 
traints par  le  sentiment  du  devoir.  Or  Dieu  n’impose  à ses 
serviteurs  aucune  tâche  sans  mettre  à leur  disposition  les 
moyens  de  l’accomplir.  Si  donc  nous  acceptons  ces  tâches 
avec  foi,  comme  de  sa  main  ; si  nous  réclamons  de  lui,  avec 
foi,  les  ressources  et  les  hommes  nécessaires,  et  si,  comme 
les  disciples,  nous  nous  mettons  bravement  à l’œuvre,  rom- 
pant aux  foules  nos  cinq  pains  et  nos  deux  poissons,  eh 
bien!  aujourd’hui  comme  autrefois.  Dieu  bénira  et  multi- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS  247 

pliera.  Il  l’a  fait  déjà,  ces  dernières  années;  il  le  fera  encore. 
Il  fera  surgir  les  hommes.  Il  évoquera,  auprès,  au  loin,  les 
ressources.  11  doublera  en  peu  d’années  le  chiffre  de  nos 
missionnaires.  Il  nous  donnera  les  50  ou  les  100,000  francs 
supplémentaires  que  réclame  notre  œuvre  agrandie.  Et  rien 
ne  manquera  à ce  nouveau  miracle  de  sa  grâce  : pas  même 
les  douze  paniers  de  restes;  pas  même  la  bénédiction  ac- 
cordée par  surcroît  à nous,  aux  amis  des  missions,  aux 
Églises... 

Le  devoir  est  donc  clair;  remettons-nous  à l'œuvre,  cha- 
cun dans  sa  sphère;  tirons  chacun  le  meilleur  parti  des 
moyens  d’action  dont  il  dispose.  Mais  surtout  et  d’abord, 
prions.  Les  pains  ne  se  multiplient  qu’après  avoir  été  tou- 
chés et  bénis  par  le  Maître.  Jésus  lui-même  ne  les  rompt 
qu’après  avoir  levé  les  yeux  au  ciel  et  rendu  grâces.  Il  faut 
donc,  cette  année  encore,  mettre  la  prière  et  l’action  de  grâces 
au  point  de  départ  et  au  centre  de  nos  efforts. 

Pénétrée  du  désir  d’agir  dans  cet  esprit,  notre  Société  a 
résolu,  comme  les  années  prédédentes,  de  convoquer  les 
amis  des  missions  à une  réunion  spéciale  de  prières,  fixée 
au  dimanche  28  juin  (1),  et  qui,  nous  l’espérons,  ne  se  tien- 
dra pas  seulement  à Paris,  mais  dans  un  grand  nombre 
d’Églises.  Cette  réunion  fournira  un  point  de  ralliement  aux 
prières  individuelles;  mais,  est-il  besoin  de  le  dire?  elle  n’en 
tiendra  pas  lieu,  bien  au  contraire.  Aujourd’hui  comme 
naguère,  la  victoire  dépend  de  l’action  personnelle,  com- 
mencée dans  la  prière  et  continuée  dans  le  travail  et  le  sa- 
crifice. 




(1)  A Paris,  la  réunion  se  tiendra  à quatre  heures  à la  Maison  des 
missions.  Des  avis  ultérieurs  concernant  cette  réunion  paraîtront  dans 
les  journaux  et  dans  la  circulaire  aux  Comités  auxiliaires  actuellement 
en  préparation. 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


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NOS  ASSEMBLÉES  ANNUELLES 

Réunion  familière  du  26  avril  à la  Maison  des  Missions. 

Nous  aurions  voulu  parler  en  détail  de  cette  belle  réunion  ; 
malheureusement  le  défaut  d’espace  nous  en  empêche.  No- 
tons qu’elle  a été  particulièrement  nombreuse;  à Theure 

indiquée,  la  chapelle  se  trouvait  comble  et  les  auditeurs  ont 

^ • \ 

du  se  placer  dans  les  deux  pièces  attenantes  qui,  à leur  tour, 
se  sont  trouvées  complètement  remplies. 

C’est  devant  cette  assemblée  compacte  et  sympathique  que 
le  président,  M.  Appia,  a prononcé  une  allocution  aussi  riche 
d’informations  que  pénétrée  du  souffle  missionnaire.  Ce  dis- 
cours se  trouve  partiellement  reproduit  dans  la  présente 
livraison  du  Journal. 

C'est  M.  Simpson , professeur  de  sciences  à Edimbourg,  qui 
succède  à M.  Appia.  Il  s’exprime  en  français  et  nous  apprend 
d’une  manière  charmante  qu’un  peu  de  sang  huguenot 
coule  dans  ses  veines  et  qu’il  voudrait  en  avoir  beaucoup 
plus.  M.  Simpson  parle  avec  chaleur  de  ce  mouvement  qui 
porte  la  jeunesse  universitaire  anglo-saxonne  vers  la  grande 
œuvre  de  l’évangélisation  du  monde.  Il  exprime  l’espoir  que 
cette  noble  cause  trouvera  dans  la  jeunesse  de  langue  fran- 
çaise de  nombreux  et  vaillants  soutiens. 

Après  M.  Simpson,  M.  Allégret , notre  missionnaire,  prend 
la  parole.  Il  est  sur  le  point  de  retourner  à son  poste,  après 
un  temps  de  repos  passé  parmi  nous.  Il  ne  veut  pas  regarder 
en  arrière,  c’est  en  avant,  c’est  du  côté  de  l’Afrique  que  se 
dirigent  ses  pensées  et  ses  vœux.  Là-bas,  on  lutte  pour  la 
cause  de  l’Évangile  et,  dans  la  chaleur  du  combat,  plus  d’un 
vaillant  a déjà  succombé;  il  faut  donc  aller  renforcer  les 
rangs  éclaircis  et  partager  les  fatigues  de  ceux  qui  sont 
restés  sur  la  brèche.  Pour  gagner  la  bataille,  M.  Allégret 
compte  sans  doute  sur  les  précautions  de  l’hygiène,  mais 
avant  sur  la  protection  de  Dieu,  sur  sa  force  tout-puissante 


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qui  peut  accomplir  des  merveilles  et  qui  fera  ce  miracle  de 
transformer  les  sauvages  pahouins  en  une  nation  chrétienne. 

Le  directeur  de  la  Maison  des  Missions  prononce  une  pa- 
role de  gratitude  et  d’espérance.  Il  exprime  sa  reconnais- 
sance envers  Dieu  de  ce  qu’il  a béni  si  richement  la  société 
des  missions  pendant  l’année  écoulée  et  le  ferme  espoir  que 
des  bénédictions  plus  grandes  lui  sont  réservées.  M.  Boegner 
salue  entre  autres  le  mouvement  qui  se  dessine  dans  la  jeu- 
nesse française  en  faveur  de  la  mission  comme  le  signe  et  le 
gage  d’une  impulsion  nouvelle  et  puissante  donnée  à notre 
œuvre  dans  notre  pays.  Que  le  règne  de  Jésus  vienne;  qu’il 
soit  reconnu  et  proclamé  comme  le  roi  de  l’humanité  tout 
entière,  n’est-ce  pas  là  que  doivent  tendre  les  meilleurs 
efforts  et  les  prières  les  plus  ferventes  de  l’Église? 

Excellente  réunion  qui  laissera  un  souvenir  béni  dans  le 
cœur  de  tous  ceux  qui  y ont  assisté.  — La  collecte  faite  dans 
les  rangs  de  rassemblée  a produit  300  francs. 

L’impression  dominante  que  nous  laissent  nos  Assemblées 
de  cette  année  est  celle  de  la  reconnaissance.  A chacune 
d’elles,  l’assistance  a été  très  nombreuse.  Les  deux  séances 
ont  été  traversées  par  un  souffle  chaud  et  sympathique.  Certes, 
il  y a eu  des  points  faibles,  des  lacunes  qu'une  autre  année 
pourra  combler;  mais  c’était  pour  nous  un  besoin  de  le 
constater  : en  préparant  nos  fêtes  annuelles  par  la  prière, 
les  amis  de  notre  œuvre  ne  se  sont  point  trompés;  ils  en  ont 
assuré  le  succès  et  en  ont  fait  l’occasion  et  le  point  de  départ 
de  bénédictions  nouvelles. 


DÉPART  DE  MM.  ET  MESDAMES  ALLÉGRET  ET  RICHARD 

Partis  de  Paris  le  5 mai,  nos  voyageurs  se  sont  embarqués 
le  10  à Bordeaux,  à bord  de  la  Ville  de  Maranhao. 

L’accueil  qu’ils  ont  reçu  de  nos  frères  de  Bordeaux  les  a 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


grandement  réjouis  et  encouragés.  Le  dimanche  matin,  au 
moment  de  quitter  le  port,  plusieurs  amis  ont  encore  été  leur 
serrer  la  main  au  bateau. 

Des  lettres  de  MM.  Allégret  et  Richard,  envoyées  de  Téné- 
riffe,  à la  date  du  13  mai,  nous  donnent  les  meilleures  nou- 
velles de  leur  voyage.  Aucun  de  nos  quatre  passagers  n’a 
été  malade  et  leurs  messages,  qui  respirent  la  confiance,  nous 
parlent  des  bienfaits  qu’ils  trouvent  dans  la  communion  fra- 
ternelle. Qu’il  plaise  à Dieu  de  continuer  à bénir  un  voyage 
qui  a si  bien  commencé  ! 

Monsieur  et  madame  Teisserès  doivent  s’embarquer,  le 
25  juin,  à Marseille  pour  le  Congo. 


ARRIVÉE  DE  MISSIONNAIRES 

M.  et  madame  Christol  et  leurs  enfants,  dont  nous  avons 
annoncé  l’arrivée  en  Angleterre,  sont  à Paris  depuis  le 
29  avril. 

Depuis  lors,  nous  avons  été  heureux  d’accueillir  au  milieu 
de  nous  MM.  E.  Jacottet  et  L.  Jalla  qui  reviennent  l’un  du 
Lessouto  et  l’autre  du  Zambèze.  M.  Jacottet  a débarqué  à 
Paris  le  mardi  19  mai,  et  M.  Jalla  le  20  mai.  Nos  frères 
étaient  accompagnés  de  leurs  familles  qui,  grâce  à Dieu,  sont 
en  bonne  santé.  Les  uns  et  les  autres  ont  été  pendant  plu- 
sieurs jours  les  hôtes  de  la  Maison  des  Missions.  Le  27  mai, 
M.  Jacottet  est  reparti  avec  sa  famille  pour  Neuchâtel,  sa 
ville  natale;  le  même  jour,  nos  amis  Jalla  continuaient  leur 
route  sur  les  Vallées  vaudoises,  leur  pays  d’origine. 

Pendant  le  séjour  que  nos  missionnaires  ont  fait  parmi 
nous,  nous  avons  pu  leur  offrir  deux  occasions  de  se  rencon- 
trer avec  les  amis  des  missions.  Le  dimanche  24  mai,  ils  ont 
pu  adresser  des  encouragements  aux  collecteurs  du  Sou  et 
du  Franc  missionnaires  assemblés  à la  Maison  des  missions  ; 


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2ol 


le  mardi  26  au  soir,  une  soirée  familière  groupait  autour 
d’eux  les  membres  du  Comité  directeur  et  du  Comité  des 
dames,  et  quelques  amis  de  Paris  et  de  la  province,  qui  ont 
été  heureux  de  cette  occasion  de  les  saluer  à leur  passage. 

* » * - 

4 

NOTES  DO  MOIS 

Nos  lecteurs  trouveront  plus  loin  une  lettre  de  M.  Coillard 
annonçant  qu’à  la  suite  d’une  opération  notre  frère  s'est 
trouvé  sensiblement  mieux  et  a pu  retenir  sa  place  à bord  du 
Warwick  Castle  qui  a dû  quitter  le  Cap  le  21  mai.  C’est  donc 
vers  le  10  juin  que  notre  vétéran  arrivera  en  Europe.  Nos  amis 
s’uniront  à nous  pour  remercier  Dieu  de  ces  bonnes  nou- 
velles et  pour  lui  demander  de  bénir  abondamment  le  sé- 
jour que  notre  frère  va  faire  parmi  nous. 

M.  le  missionnaire  Escande  et  sa  famille  doivent  s’embar- 
quer à Dakar  le  31  mai  et  arriver  à Marseille  entre  le  10 
et  le  13  juin. 

La  réunion  annuelle  des  collecteurs  du  Sou  et  du  franc 
missionnaires  a eu  lieu  à la  Maison  des  missions  le  dimanche 
24  mai,  jour  de  la  Pentecôte.  Cette  date  avait  été  choisie  pour 
profiter  de  la  présence  à Paris  de  MM.  Christol,  Jacottet  et 
Jalla.  M.  A'ppia  présidait  la  séance.  Après  la  lecture  d’un  pe- 
tit rapport  annuel  et  quelques  mots  du  directeur,  nos  trois 
missionnaires  ont  pris  la  parole  et  ont  vivement  intéressé 
leurs  jeunes  auditeurs.  Yoici,  d’après  les  indications  fournies 
par  notre  trésorier  délégué,  les  résultats  de  l’année  : 


1894  95  SOU  MISSIONNAIRE  1895-96 

5.290  95  Paris 4.314  05 

22.426  » Départements 24.010  65 

11.919  55  Etranger.  10-773  25 

39.636  50  Ensemble.  39.097  95 


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FRANC  MISSIONNAIRE 


1.170  » Paris.  . . . 
1.469  50  Départements 


1.218  55 
2.173  » . 
604  » 


576  15  Étranger. 
3.205  65 


Ensemble.  3.995  55 


On  remarquera  que  si  le  produit  du  Franc  missionnaire  est 
en  progrès  sensible  sur  l’an  dernier,  celui  du  Sou  mission- 
naire a perdu  du  terrain,  puisque  de  39,  636  fr.  50  il  est  des- 
cendu à 39,097  fr.  95;  soit  une  perte  de  538  fr.  55.  La  perte 
provient  du  Sou  missionnaire  de  l’étranger,  qui  a perdu 
1,143  fr.  30,  mais  surtout  de  la  collecte  de  Paris  qui  est  en 
baisse  de  876  fr.  90.  La  différence  sur  l’ensemble  serait  beau- 
coup plus  forte  si  les  départements  n’étaient  en  progrès 
de  1,584  fr.  65  sur  l’an  dernier.  Nous  espérons  que  tous  nos 
collecteurs  feront  leur  examen  de  conscience  et  s’efforceront 
de  réparer  Ja  défaite  partielle  de  cette  année.  Il  est  vrai  que 
le  chiffre  obtenu  l’an  dernier  représentait  un  progrès  de 
8,814  fr.  90  sur  celui  de  l'année  précédente  et  qu’un  certain 
recul  ne  doit  pas  trop  nous  surprendre;  il  n'en  est  pas  moins 
sûr  qu’un  effort  nouveau  peut  et  doit  être  tenté  pour  que  nous 
dépassions  non  seulement  le  niveau  de  cette  année,  mais 
encore,  et  de  beaucoup,  celui  de  l’année  dernière. 

Pendant  ces  dernières  semaines,  les  missionnaires  présents 
en  France  ont  pu  se  faire  entendre  dans  diverses  localités. 
M.  Ch.  Viénot  a pris  part,  le  lundi  de  la  Pentecôte,  à la  fête 
missionnaire  de  la  vallée  de  la  Dordogne.  M.  le  pasteur  Len- 
gereau,  ancien  missionnaire  à Ma  ré,  a représenté  notre 
œuvre  à la  fête  célébrée  le  même  jour  dans  le  Béarn,  sous 
les  auspices  du  Comité  auxiliaire  de  cette  région.  Le  jour  de 
l’Ascension,  M.  U.  Teisserès  a parlé  à la  fête  missionnaire  de 
Dieulefit. 

M.  Christol  doit  se  rendre  à Montpellier  d’ici  peu  de  jours. 
Le  8 juin,  le  directeur  de  la  Maison  des  missions  doit  donner 


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à Sedan,  à l’occasion  du  Synode  réformé,  une  conférence  sur 
Madagascar  et  les  missions  protestantes  françaises. 

Quant  aux  missionnaires  qui  viennent  d’arriver,  ils  pren- 
dront d’abord  un  temps  de  repos,  après  quoi  ils  se  mettront 
à la  disposition  des  Églises  et  des  Comités  auxiliaires.  Ceux 
qui  désirent  leur  visite  sont  priés  de  se  mettre  en  rapport 
avec  nous. 


MADAGASCAR 

Extraits  de  lettres  de  M.  Lauga. 

La  situation  religieuse  et  l’état  des  esprits  à Madagascar.  — Com- 
ment nos  délégués  s’acquittent  de  leur  mandat.  — Inspection 
d’écoles  et  visites  d’Églises.  — Accueil  excellent.  — Premiers 
résultats  de  l’enquête.  — Prochaines  décisions.  — Attaques 
inévitables. 

Faravahitra-Tananarive,  20  mars  1896. 

...  Que  notre  arrivée  a été  providentielle!  C’est  ce  que 
ne  cesssent  de  nous  répéter  les  missionnaires  qui  nous  en- 
tourent, et  ce  dont  nous  nous  apercevons  nous-mêmes  de 
jour  en  jour.  On  ne  peut  guère  se  faire  de  loin  une  idée, 
même  approchante,  de  l’état  d’esprit  des  populations  qui 
nous  entourent.  Chez  la  masse,  le  moral  a été  tué  par  l’op- 
pression odieuse  des  grands  qui,  assoiffés  d’or  (ou  plutôt 
d’argent,  car  l’or  n’existe  pas  ici  comme  métal  monnayé),  ont 
usé  pour  s’en  procurer  de  tous  les  moyens,  inventant  des  ac- 
cusations contre  ceux  dont  ils  convoitaient  les  biens,  les 
jetant  en  prison  ou  les  faisant  décapiter  après  des  jugements 
de  complaisance,  ou  bien  les  dépouillant  purement  et  sim- 
plement par  la  violence.  Trente  ans  de  ce  régime  de  violences 
et  de  mensonges  ont,  je  le  répète,  démoralisé  les  masses  qui, 
tremblant  toujours  pour  la  vie  ou  les  biens,  en  sont  venues  à 
n’avoir  plus  aucun  courage  et  auxquelles  une  menace,  un 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


simple  regard  d’un  des  puissants  du  jour  suffiront  pour  faire 
jurer  qu'il  fait  nuit  en  plein  jour.  Aussi  quand,  après  la  con- 
quête, les  jésuites  et  leurs  partisans  se  sont  mis  à crier  tout 
haut  que  pour  être  Français  il  fallait  se  faire  catholiques,  ces 
gens  ont-ils  pris  peur.  Dans  une  foule  de  villages  ils  n’osaient 
plus  aller  à lÉglise  et  se  demandaient  avec  angoisse  s’il  ne 
faudrait  pas  aller  plus  loin  et  entrer  dans  l’Église  romaine. 
Le  général  Duchesne  a,  certes,  fait  beaucoup  pour  les  rassu- 
rer, mais  il  n’y  a réussi  que  partiellement,  même  dans  la  ca- 
pitale; au  loin,  on  n’a  pas  connu  ses  déclarations,  ou  bien, 
grâce  aux  affirmations  contraires  des  catholiques,  on  n’y  a 
pas  cru. 

Certes,  il  y a des  exceptions  au  principe  général  que  je 
pose  là.  Les  chrétiens  vrais  ont  tenu  bon  un  peu  partout,  mais 
ils  n’en  étaient  pas  moins  très  inquiets,  eux  aussi:  et,  comme 
ils  sont  la  minorité  dans  ces  masses  protestantes  de  nom  et 
de  préférence,  mais  encore  singulièrement  ignorantes,  l’état 
général  des  esprits  était  vraiment  inquiétant.  Il  n’y  avait  pas 
eu  encore  beaucoup  de  défections,  mais  on  pouvait  les  prévoir 
à brève  échéance.  C’est  là-dessus  que  nous  sommes  arrivés, 
affirmant  par  notre  seule  présence  l’existence  d’un  protes- 
tantisme français  à laquelle  on  ne  croyait  plus,  et,  par  là 
même,  commençant  à rassurer  un  peu  ceux  qui  nous  voyaient 
ou  entendaient  parler  directement  de  nous. 

Quel  sera  le  résultat  final  de  notre  venue?  C’est  le  secret 
de  Dieu  ; mais,  en  tous  cas.  notre  devoir  était  nettement 
tracé.. Il  fallait  y répondre  le  plus  possible  pour  apporter  au 
plus  grand  nombre  possible  un  peu  d’assurance  et  essayer  de 
leur  rendre  le  courage.  Et  c’est  ce  que  nous  faisons  dans 
l’Imérina,  en  attendant  que  nous  allions  le  faire  dans  le  Betsi- 
léo  où  on  nous  appelle  à grands  cris.  Le  reste  est  entre  les 
mains  de  Dieu  et  aussi  entre  les  mains  de  nos  Églises  de 
France,  qui  ont  ici  de  grands  et  saints  devoirs  ! 

Ce  pays  est.  en  effet,  en  ce  qui  concerne  l'Imérina  et  le 
Betsiléo  (c’est-à-dire  dans  le  tiers  seul  civilisé,  le  reste  est  sau- 
vage et  païen),  presque  entièrement  protestant.  Oh!  un  pro- 


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testantisme  très  superficiel  il  est  vrai,  et  qui  a dans  sa  masse 
une  intelligence  bien  imparfaite  de  ce  qu’est  l’Évangile;  mais, 
enfin,  il  est  protestant  : je  dis  plus,  même  les  masses  qui  n’ont 
que  le  vernis  (et  encore!)  du  christianisme  tiennent  beau- 
coup à cette  forme  qui  répond  si  bien  à leurs  besoins  et  à leurs 
tendances.  Le  catholicisme  est  trop  formaliste  et  trop  sacer- 
dotal pour  eux...  Et  puis,  il  parle  une  langue  étrangère,  ce  qui 
ne  leur  va  pas.  Je  ne  crois  pas  que  les  masses  dont  j’ai  parlé 
comprennent  les  différences  doctrinales  qui  les  séparent 
du  catholicisme,  mais  elles  ne  l'aiment  pas  et,  il  faut  bien 
le  dire,  ses  procédés  de  mensonge  et  d’intimidation  qui 
leur  rappellent  ceux  dont  ils  ont  souffert  depuis  trente  ou 
quarante  ans  de  la  part  des  grands,  leurs  compatriotes,  ne 
sont  pas  faits  pour  les  attirer  : ils  disent  souvent,  avec  une 
véritable  naïveté,  que  ce  n’est  ni  par  conviction  ni  par  préfé- 
rence, mais  uniquement  par  peur,  — pour  être  protégés, 
qu’ils  se  feraient  catholiques.  Et  quel  malheur  ce  serait! 
Quelle  responsabilité  que  celle  qui  pèserait  sur  nous  devant 
Dieu  si  nous  ne  faisions  tout  pour  l’empêcher  ! Je  sens  mon 
cœur  brûler  au  dedans  de  moi  quand  je  vois  devant  moi 
ces  foules  qui  ont  elles-mêmes  bâti  ces  innombrables  églises, 
qui  les  remplissent  deux  fois  tous  les  dimanches,  auxquelles 
on  peut  par  conséquent  annoncer  l’Évangile,  prêcher  la  con- 
version, qui  sont,  en  d’autres  termes,  sous  l'influence  directe 
de  l’Évangile,  et  que  je  me  dis  qu’on  pourrait  perdre  tout  cela 
et  le  jeter  dans  les  ténèbres  du  romanisme!  Ce  serait  un 
crime,  et  nous  devons  tout  faire  pour  qu*il  ne  soit  pas  com- 
mis. Certes,  je  crois  qu’il  faut  travailler  énergiquement  à 
épurer  et  développer  la  foi  et  la  vie  religieuse  du  noyau 
vraiment  chrétien,  que  là  est  l’avenir,  mais  à condition  de 
ne  pas  abandonner  la  masse  qui  n’est  que  nominalement 
chrétienne. 

Du  reste,  je  retrouve  dans  le  protestantisme  malgache  en 
général  (hélas!)  notre  protestantisme  français,  et  je  sens  et 
pense  ici  ce  que  je  sens  et  pense  dans  nos  Églises,  que  je  ne 
voudrais  pour  rien  au  monde  abandonner  en  proie  au  catho- 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


licisme  sous  prétexte  qu’elles  n’ont  qu’un  christianisme  pu- 
rement nominal.  Il  y a plus,  la  masse  non  encore  chrétienne 
aime,  je  le  répète,  son  protestantisme  qui  cadre  avec  son 
tempérament  et  ne  l’abandonnerait  pas  volontiers.  A nous  à 
profiter  de  cet  attachement  extérieur  pour  tâcher  de  la  chan- 
ger en  quelque  chose  de  meilleur  et  de  faire  de  ces  protes- 
tants des  chrétiens!  C’est  là  ce  que  je  leur  prêche  partout 
dans  ces  grandes  Églises,  presque  toujours  trop  petites  pour 
contenir  les  foules  qui  y accourent.  En  les  rassurant  quant  à 
la  liberté  de  conscience  et  de  culte,  je  leur  dis,  en  dévelop- 
pant ces  deux  idées  sous  différentes  formes,  suivant  les  mi- 
lieux: «Restez  protestants,  c’est-à-dire  dans  la  lumière;  mais 
ne  vous  contentez  pas  de  cela  : devenez  chrétiens.  » 


Tananarive,  le  16  mars  1896. 

...  Nous  avons  commencé  nos  tournées  la  semaine  der- 
nière. Ce  matin  nous  avons  visité  longuement  et  inspecté  la 
grande  école  des  filles  de  Taravolutra  (Société  des  Quakers) 
qui  compte  400  élèves  de  sept  à vingt  ans  et  qui,  comme 
l’école  supérieure  de  la  même  société,  nous  a fait  une  excel- 
lente impression.  Décidément  ces  Quakers  sont  des  maîtres 
éducateurs;  tout  est  tenu  avec  un  ordre  et  une  méthode 
admirables.  Et  quelles  excellentes  gens!  si  simples  et  si 
dévoués. 

Notre  après-midi  a été  prise  par  une  série  de  visites  de 
différentes  délégations  d'Églises  de  la  capitale.  Certes  le 
spectacle  est  intéressant  : imaginez-vous  quarante  ou  cin- 
quante femmes  drapées  dans  des  lambas  qui  recouvrent  des 
robes  généralement  blanches  et  ornées  de  plus  ou  moins  de 
dentelles,  suivant  la  situation  de  celles  qui  les  portent, 
assises  sur  la  pelouse  de  notre  jardin,  et  derrière  elles,  ou 
les  encadrant,  trente  ou  quarante  hommes  ayant  en  tête  le 
pasteur;  sur  le  côté,  généralement,  trois  ou  quatre  esclaves 
portant  dindons,  poulets,  œufs,  riz,  etc.,  etc.,  — vous  aurez 
l’idée  du  spectacle  que  nous  avons  eu  trois  fois  aujourd’hui. 


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C’est  bien  joli  comme  coup  d’œil,  mais  à la  longue  c’est  bien 
fatigant,  et  il  faut  parler  toujours  au  moyen  d’interprètes  et 
toujours  aussi  redire  les  mêmes  choses,  en  réponse  aux  témoi- 
gnages si  sincères  de  la  joie  de  ces  braves  gens,  dont  le  pas- 
teur indigène  se  fait  l’organe. 

On  ne  se  fera  que  difficilement  en  France  l’idée  de  la  joie 
et  de  la  reconnaissance  des  Églises  de  Madagascar  à la  vue 
des  pasteurs  français.  On  était  si  persuadé,  malgré  le  dire 
des  missionnaires,  qu’il  n’y  avait  pas  de  protestants  français, 
qu’on  serait  tracassé  ou  persécuté  pour  sa  foi,  qu’on  ne  se 
lasse  pas  de  venir  nous  voir  et  nous  exprimer  une  affection 
et  une  reconnaissance  qui  se  lisent  dans  les  yeux  mieux 
encore  qu’ils  ne  sont  exprimés.  Mais,  je  le  répète,  c’est  bien 
fatigant.  Et  puis...  qu’allons-nous  faire  de  toute  cette  volaille? 
Nous  avons  beau  en  manger,  le  troupeau  s’augmente  tous  les 
jours.  Heureusement  qu’il  n’y  a que  dix-sept  Églises  dans  la 
capitale  et  que  nous  en  verrons  le  bout. 

Deux  auditeurs  assidus  de  notre  congrégation  du  dimanche, 
catholiques,  il  est  vrai,  mais  bien  rattachés  à nous  de  cœur, 
viennent  de  nous  quitter.  C’est  moi  qui  étais  en  dernier  lieu  de 
service  à notre  Église  française.  Un  moment  j’ai  eu  bien  peur 
de  n’avoir  que  trois  auditeurs  Français  : le  Résident  général, 
M.  Lemaire  et  un  lieutenant;  mais  quelques  minutes  après 
l’ouverture  du  service  nos  fidèles  des  dimanches  précédents 
sont  arrivés  et  nous  étions  dix-huit  Français,  plus  une  qua- 
rantaine de  Malgaches,  en  comptant  mon  chœur  des  jeunes 
gens  du  collège  qui  nous  restent  fidèles.  Certes  ce  culte  était 
nécessaire  pour  l’affirmation  de  notre  droit  et  de  notre  exis- 
tence en  tant  que  protestants  français,  comme  pour  l’édifi- 
cation de  nos  quelques  coreligionnaires;  mais  il  est  une 
grande  entrave  pour  nos  tournées... 

19  mars.  — Me  voici  de  retour  de  ma  pointe  dans  l’intérieur 
et  un  peu  courbaturé  par  trois  journées  à cheval  dans  ces 
chemins  impossibles  de  montagnes;  car  bien  que  je  n’aie  pas 
encore  de  cheval  à moi,  j’ai  fait  cette  chevauchée  par  néces- 
sité. En  effet,  au  moment  où  nous  allions  partir  en  filanzane, 


258 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


mes  huit  porteurs,  comprenant  qu’il  s’agissait  d’une  longue 
course,  avaient  filé  à l’anglaise  ou  plutôt  à la  malgache,  et  je 
me  suis  trouvé  à pied.  Gomme  nos  différentes  réunions 
étaient  convoquées,  il  fallait  à tout  prix  partir.  Le  mission- 
naire Jukes  m’ayant  demandé  si  je  consentirais  à aller  à 
cheval,  m’a,  sur  ma  réponse  affirmative,  procuré  le  cheval 
de  M.  Sharman,  le  directeur  du  collège;  j’enfourchais  ma 
monture  une  demi-heure  après.  Partis,  grâce  au  retard  occa- 
sionné par  la  défection  de  nos  porteurs,  à 9 heures  au  lieu  1 
de  8,  nous  sommes  arrivés  à Ambohimaloza,  notre  première  1 
étape,  à midi. 

L’auditoire  nous  attendait  là  depuis  longtemps.  La  popu- 
lation est  très  dense  dans  tout  l’Emyrne.  La  petite  ville  où  ] 
nous  étions  est  habitée  presque  exclusivement  par  des  An- 
dianes,  c’est-à-dire  par  des  nobles  plus  ou  moins  apparentés 
avec  la  cour.  La  ville  se  compose  de  trois  villages:  l’un,  au 
sommet  de  la  montagne,  dans  un  site  ravissant,  et  deux 
autres  à droite  et  à gauche  de  la  route,  sur  le  versant  de  la 
montagne.  Chacun  des  villages  possède  une  jolie  Église  pro- 
testante et  il  y a aussi  une  très  jolie  Église  catholique.  Les 
gens  étaient  convoqués  dans  la  plus  grande  Église  protestante, 
et  j’ai  bien  vite  vu,  en  entrant,  aux  visages  presque  bleus  et 
aux  lambas  multicolores  et  pleins  de  goût,  que  j’avais  affaire 
à l’aristocratie. 

Je  devais,  pour  cette  tournée,  avoir  un  interprète  français; 
mais  dans  l’impossibilité  où  nous  avions  été  de  trouver  des 
porteurs,  nous  l’avions  laissé  en  ville.  Les  pasteurs  de  l’en- 
droit me  présentèrent  alors  un  instituteur  qui,  disent-ils, 
comprend  le  français;  mais,  pour  m’en  assurer,  je  lui  pose 
quelques  questions  élémentaires  et  me  persuade  qu’il  ne  sera 
pas  à la  hauteur.  Cependant,  comme  les  gens  y tienuent,  je 
consens  à essayer;  mais  au  bout  de  quelques  minutes  le 
pauvre  garçon  demande  lui-mème  grâce,  quoique  je  parle 
très  lentement  par  des  phrases  très  courtes.  Me  voilà  réduit  à 
parler  anglais,  M.  Jukes  interprétant;  mais  cela  valait  mieux 
pour  tous,  car  je  me  demande  aujourd’hui  ce  qu’auraient 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


pensé  de  moi  et  de  mon  allocution  ces  hauts  personnages. 
Imaginez-vous  l’effet  produit  sur  eux  par  ce  petit  spécimen 
de  traduction  que  M.  Jukes  m’a  révélé  après  le  service,  a Mes 
frères  et  mes  sœurs  en  Jésus-Christ,  c’est  une  grande  joie 
pour  moi  de  me  trouver  au  milieu  de  vous».  Traduction  : 
« Je  viens  vous  dire  : Repentez-vous  aujourd’hui  de  tous  vos 
grands  péchés  ».  Voyez-vous  le  joli  exorde  insinuant?  et 
comme  il  a bien  dû  disposer  ces  braves  nobles  à mon  égard. 
J’en  ai  frémi  quand  je  l’ai  su.  Du  reste  je  sentais,  à l’attitude  de 
l’auditoire,  que  ça  n’allait  pas,  qu’on  avait  l’air  surpris;  aussi 
ai-je  éprouvé  un  soulagement  à reprendre  l’anglais  et  à être 
traduit.  Après  mon  allocution,  des  pasteurs  indigènes  m’ont 
remercié  très  chaleureusement.  A trois  heures,  nous  repar- 
tions pour  nous  enfoncer  en  pleine  montagne  et  pour  arriver, 
à cinq  heures,  à un  petit  village  situé  sur  l'ultime  sommet 
d’un  mamelon  très  élevé  et  qui  a exigé  de  la  part  de  ma 
monture  des  tours  de  force  dont  je  n’eusse  jamais  cru  un 
cheval  capable. 

Là  encore  on  nous  attendait  depuis  trois  heures.  Auditoire 
tout  différent  de  celui  du  matin  : gens  simples,  très  effrayés 
par  les*  menaces  des  prêtres  et  de  leurs  partisans.  Je  les  ai 
rassurés  de  mon  mieux  et  exhortés  à la  fidélité.  C’était  vrai- 
ment touchant  de  voir  ces  gens,  au  nombre  de  cinq  à six 
cents,  qui  ne  voulaient  pas  sortir  du  temple  et  demandaient  si  le 
vasaha  français  ne  pouvait  pas  leur  parler  encore.  Mais  il  se  fai- 
sait, tard  et  nous  devions  aller  à une  heure  plus  loin  où  nous 
avaient  devancés  notre  cuisinier  et  les  porteurs  de  nos  lits. 
Arrivés  au  gîte,  nous  en  avions  assez,  moi  surtout,  qui  ne  suis 
plus  habitué  au  cheval.  Nous  avons  soupé  d’un  poulet  au  riz 
et  avons  ensuite  fait  un  culte  qui  a été  une  vraie  causerie 
religieuse  entre  nous  deux  sur  Jean  XV.  J’ai  pu  me  croire  un 
moment  causant  avec  mon  vieil  ami  H.,  et  c’a  été  pour  moi 
une  jouissance. 

Le  lendemain  nous  arrivions  à Ambaromanza.  L’église  était 
bondée  de  monde  ; c’est  au  point  que  nous  avons  de  la 
peine  à arriver  à l’estrade.  On  avait  chanté,  prié  et  lu  déjà 


*260 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


pendant  deux  heures,  mais  on  n’en  a chanté  qu’avec  plus 
d’entrain  quand  nous  avons  fait  notre  apparition.  Et  vrai- 
ment le  chant  de  cette  foule  de  1,009  à 1,200  âmes  entassées 
dans  l’église,  obstruant  les  trois  portes  et  les  six  fenêtres, 
m’a  empoigné.  Et  puis  ces  yeux  brillants  de  joie,  fixés  sur 
moi,  cette  expression  de  sympathie  qui  se  lisait  sur  tous  ces 
visages  bruns  ou  noirs  étaient  bien  faits  pour  vous  remuer. 
J’ai  parlé  une  demi-heure  toujours  sur  le  même  thème,  mais 
avec  une  note  plus  religieuse  qu’ailleurs,  les  exhortant  à ne 
pas  se  contenter  de  la  forme  de  l’Évangile,  mais  à lui  ouvrir 
leurs  cœurs  pour  se  laisser  transformer  par  lui  en  de  nou- 
velles créatures.  Avec  la  traduction  cela  fait  une  heure. 

Vous  croyez  que  ces  gens  en  avaient  assez.  Non,  non.  Après 
les  allocutions  chaleureuses  de  trois  évangélistes  venus  avec 
des  bandes  de  gens,  de  huit  et  dix  heures  de  marche,  quel- 
ques-uns même  de  plus  loin,  il  m’a  fallu,  bon  gré,  mal  gré, 
recommencer  à répondre  à quelques  questions.  Nous  ne 
sommes  sortis  qu’à  une  heure,  et  encore  a-t-il  fallu  que  nous 
missions  nous-mêmes  le  point  final,  pour  lequel  j’ai  dû 
chanter  tout  seul  en  français:  « Reste  avec  nous,  Seigneur  », 
sur  la  demande  de  l’auditoire.  Je  ne  puis  dire  l’émotion  pro- 
duite sur  ces  gens  par  mon  chant!  Les  larmes  étaient  dans 
tous  les  yeux,  et  il  s’est  passé  deux  ou  trois  minutes  avant 
que  l’auditoire  pût  reprendre  le  même  chant  en  malgache, 
le  premier  verset  avec  des  voix  tremblotantes  d’émotion,  les 
autres  versets  avec  un  entrain  empoignant... 

H.  Lauga. 

Nous  résumons,  d’après  deux  courriers  plus  récents,  les 
dernières  nouvelles  de  nos  délégués.  A la  date  du  21  avril,  leur 
santé  était  bonne.  Ils  continuaient  leurs  visites  aux  écoles  et 
aux  Églises,  en  suivant  un  laborieux  programme  préparé  de 
concert  avec  les  missionnaires  des  diverses  Sociétés,  toujours 
empressés  à faciliter  leur  mission,  qu’ils  avaient  d’avance 
appelée  de  leurs  vœux.  Leurs  rapports  avec  le  résident  et  avec 
les  autorités  continuaient  à être  bons.  Après  l’Imérina  ils  de- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


261 


vaient,  l’un  après  l’autre,  se  rendre  dans  le  Betsiléo,  où  les  in- 
vitaient en  particulier  les  missionnaires  norvégiens.  Quant 
au  culte  français,  il  continuait  à être  célébré  sans  interrup- 
tion, avec  une  moyenne  de  12  à 20  auditeurs  français. 

Ces  mêmes  courriers  nous  ont  apporté  les  premiers  élé- 
ments du  rapport  que,  dans  nos  prévisions,  nos  délégués  ne 
devaient  nous  remettre  qu’à  leur  retour.  11  leur  a paru,  dès 
à présent,  possible  de  caractériser  l’œuvre  qui,  dans  la  suite, 
devra  incomber  au  protestantisme  français  à Madagascar,  et 
de  formuler  à cet  égard  quelques  propositions.  Ces  divers 
renseignements  ont  été  communiqués  à la  Société  centrale, 
qui  a exprimé  le  désir  de  voir  sa  section  des  colonies  prendre 
sa  part  dans  les  travaux  à accomplir  à Madagascar.  Les  deux 
Sociétés  vont  délibérer  sur  ces  documents,  s’entendre  sur  les 
domaines  respectifs  de  leur  activité,  et  nous  espérons  être  en 
mesure  d’annoncer,  dès  le  mois  prochain,  les  décisions  qui 
auront  été  prises.  La  question  de  principe  résolue,  restera 
celle  des  hommes  Que  tous  ceux  qui  ont  à cœur  la  cause  de 
l’Évangile  à Madagascar  s’unissent  à nous  pour  demander  à 
Dieu  de  susciter  et  de  désigner  lui-même  les  hommes  aux- 
quels sera  confiée  la  tâche  difficile  de  continuer  l’œuvre  si 
bien  préparée  et  commencée  par  nos  délégués  MM.  Lauga  et 
Krüger. 

Selon  toute  probabilité,  ce  qu’il  faudra  pour  cela  c’est, 
avant  tout,  un  pasteur  rempli  de  l’esprit  missionnaire,  et 
doué  de  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  continuer  cette 
fonction  d’intermédiaire  et  de  médiateur  qui  sera  sa  prin- 
cipale tâche,  sans  préjudice  des  fonctions  particulières  qui 
pourront  lui  être  dévolues. 

Ce  qu’il  faudra  ensuite,  ce  sont  des  instituteurs  très  capa- 
bles, ou  plutôt  des  professeurs  pouvant  enseigner  le  français 
dans  les  écoles  supérieures  des  missions  protestantes  exis- 
tantes. Ce  sont  ces  missions  elles-mêmes  qui  demandent  ces 
maîtres;  niais  il  est  probable  que  notre  protestantisme  fran- 
çais devra  posséder,  lui  aussi,  à Tananarive,  son  établissement 
d'instruction. 


20 


262 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Ce  pasteur-missionnaire,  ces  instituteurs  ou  professeurs, 
aidez-nous  à les  trouver,  chers  lecteurs.  Signalez-nous  les 
noms  de  ceux  auxquels  un  appel  pourrait  être  adressé. 
Aidez-nous  de  vos  prières,  aidez-nous  de  vos  conseils;  sans 
votre  concours  nous  ne  pouvons  que  peu  de  chose. 

Cet  aperçu  de  la  situation  à Madagascar  serait  incomplet 
si  nous  ne  disions  un  mot  des  attaques  qui  ont  été  dirigées, 
dans  quelques  journaux  politiques,  contre  nos  délégués.  Il 
fallait  s’y  attendre;  bien  plus,  il  faut  d’avance  nous  résigner 
à ce  que,  quoi  que  nous  entreprenions  dans  la  grande  île  afri- 
caine, nous  voyions  nos  intentions  travesties,  nos  meilleurs 
efforts  dénaturés.  Calomniés  et  injuriés,  quand  nous  avons  cru 
que  l’heure  de  l’action  n’avait  pas  sonné,  nous  le  serons  tout 
autant  dans  notre  activité  elle-même.  Quelle  que  soit  cette 
action  et  quels  que  soient  ceux  qui  s’en  chargeront,  l’attaque 
se  produira.  Le  mieux  est  de  ne  pas  nous  en  émouvoir  et  de 
ne  pas  permettre  à l’opinion  de  nous  faire  dévier,  de  l’épais- 
seur d’un  cheveu,  de  notre  ligne  d’action.  Pourvu  que  notre 
conscience  nous  rende  le  témoignage  que  nous  faisons  notre 
devoir,  cherchant  premièrement  le  règne  de  Dieu,  cela  suffit. 


LESSO  U TO 

RÉUNION  ANNUELLE  DE  LA  CONFÉRENCE 

La  Conférence  des  missionnaires  du  Lessouto  s’est  réunie 
à Morija;  ses  séances  ont  duré  du  18  au  25  mars.  Le  manque 
d’espace  nous  empêche  de  publier  dès  aujourd'hui  le  rapport 
que  nous  adressent  nos  frères,  bien  qu’il  soit  déjà  composé. 
Nous  espérons  pouvoir  le  faire  paraître  le  mois  prochain,  I 
ainsi  que  le  tableau  statistique  qui  l’accompagne. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS  263 


M.  ET  MADAME  MERCIER  AU  LESSOUTO 


M.  Mercier,  que  nous  avons  laissé  (p.  179)  se  rendant  du 
Cap  au  Lessouto,  a été  faire  visite  à MM.  Coillard  et  Jalla,  à 
leur  passage  à Kimberley.  Cette  entrevue  était  désirable  à 
tous  égards.  S'entretenir  de  l’œuvre  qui  l’attend  à Séfula,  et, 
d’abord,  arrêter  les  grandes  lignes  et,  autant  que  possible, 
les  détails  de  son  voyage  avec  les  vétérans  de  l’œuvre  du 
Zambèze,  était  une  bonne  fortune  pour  notre  jeune  frère. 

Avec  M.  Mercier,  nous  sommes  frappés  de  la  manière  pro- 
videntielle dont  Dieu  a retardé  son  départ  pour  l'intérieur. 
Si  les  premiers  plans  avaient  pu  s’exécuter,  il  se  serait 
trouvé,  avec  sa  jeune  femme  et  ses  compagnons  indigènes, 
en  plein  désert  avec  des  attelages  fusillés,  ou  bien,  ce  qui 
eût  été  plus  tragique  encore,  entre  les  mains  des  Matébélés 
en  révolte;  autant  dire  dans  la  gueule  du  lion.  «Aussi,  ajoute 
M.  Mercier,  bénissons-nous  Dieu  pour  sa  paternelle  protec- 
tion et  sommes-nous  portés  à nous  confier  plus  fermement 
en  son  amour  et  en  sa  puissance  ». 

En  attendant  que  leur  départ  pour  le  Zambèze  puisse  s’ef- 
fectuer, M.  et  madame  Mercier  utilisent  leur  temps  en  étu- 
diant le  sessouto  et  l’œuvre  missionnaire  qu’ils  ont  sous  les 
yeux.  Après  quelques  semaines  passées  à Morija,  ils  doivent 
se  rendre  à Léloaleng,  où  ils  verront  de  près  une  école  indus- 
trielle analogue  à celle  qu’ils  devront  organiser  au  Zambèze. 
Ici  encore,  tout  est  pour  le  mieux. 


Pour  savoir  où  le  paganisme  de  nos  Bassoutos  peut  les 
conduire,  notons  le  fait  suivant  qui  est  arrivé  en  mai  1895; 
je  dis  bien  : 1895,  il  n’y  a pas  un  an. 

Dans  le  district  de  Kalo  vit  un  petit  clan  d’indigènes  appe- 


Oü  LE  PAGANISME  PEUT  ABOUTIR 


264 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


lés  les  Makholokhoé.  Nous  avons  parmi  eux  une  annexe 
fondée  il  y a une  quinzaine  d’années  environ.  Le  chef  de 
cette  peuplade  s’appelle  Molopi. 

Molopi,  comme  tant  d’autres,  est  polygame.  Il  a plusieurs 
iîls,  des  hommes  faits.  Ces  fils,  — triste,  mais  fréquent  ré- 
sultat de  la  polygamie,  — étaient  jaloux  les  uns  des  autres 
et  se  disputaient  la  succession  éventuelle  de  leur  vieux  père. 
11  s’agissait  de  dépouiller  leur  frère  aîné  de  ses  droits.  Au 
reste,  le  père,  préférant  au  fils  de  sa  première  femme,  qui 
lui  avait  été  donnée  par  son  propre  père,  ceux  d’autres  de 
ses  femmes,  de  celles  qu’il  avait  choisies  et  aimées,  favori- 
sait sous  main  les  prétentions  de  ces  derniers. 

Mais  comment  dépouiller  l'héritier  légitime?  Employer  la 
ruse  ou  la  violence?  Cela  ne  réussirait  pas.  Restait  la  méde- 
cine. «Appelons  Khokong,  le  médecin  zoulou  qui  possède 
tant  de  science  occulte  et  qui  peut  tant  de  choses.  » 

Khokong  arrive  de  la  Natalie.  «Que  faut-il  faire,  lui  de- 
mande-t-on, pour  enlever  à notre  frère  ses  droits  de  chef?  » 
— « Fournissez-moi  un  os  d’homme,  et  j’ai  votre  affaire.  » 
Les  fils  de  Molopi  ont  entendu.  Mais  un  os  d’homme,  cela 
ne  se  trouve  pas  comme  ça.  Déterrer  un  mort,  non.  Alors, 
quoi?  Qu’à  cela  ne  tienne!  On  s’arrangera. 

Quelques  jours  plus  tard,  on  buvait  de  la  bière  (c’est- 
à-dire  ou  s’enivrait)  dans  un  village  voisin  et  on  dansait.  Les 
fils  de  Molopi  étaient  là  aussi,  avec  un  projet  diabolique  en 
tête.  Ils  avaient  choisi  leur  victime,  un  innocent,  le  premier 
venu,  un  jeune  homme  païen  nommé  Daniel,  un  membre  de 
leur  propre  clan.  Ils  jetèrent  dans  sa  bière  une  médecine 
appelée  «Suis-le»,  ayant  pour  effet  de  forcer  celui  qui  l’a 
hue  à suivre  ceux  qui  la  lui  ont  fait  boire... 

Le  soir,  Daniel  était  entraîné  dans  un  ravin,  assailli  par  ces 
misérables  qui,  fermant  l’oreille  à ses  supplications,  l’étouf- 
faient sous  leurs  talons  et  lui  tordaient  le  cou. 

Le  cadavre  fut  porté  de  nuit  dans  une  hutte  abandonnée. 
On  le  montra  au  sorcier  zoulou  en  lui  disant  : « \oici  le  gi- 
bier que  nous  avons  tué  pour  toi.  » 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


265 


Il  se  mit  au  travail,  enleva  du  corps  une  oreille,  trois  ou 
quatre  doigts,  autant  d’orteils,  peut-être  d’autres  morceaux 
encore.  Tout  cela  fut  grillé  et  calciné  dans  un  couvercle  de 
marmite,  mélangé  avec  des  plantes  et  des  drogues,  trituré, 
moulu,  réduit  en  poudre  : la  précieuse  «médecine  du  pou- 
voir ».  Khokong  fit  ensuite  quelques  incisions  sur  le  corps 
des  assasins,  y introduisit  avec  son  pouce  un  peu  de  cette 
horrible  poudre  noire.  Ils  étaient  munis  du  charme  qui  de- 
vait infailliblement  leur  procurer  les  droits  dont  ils  voulaient 
déposséder  l’héritier  légitime,  leur  propre  frère,  leur  aîné. 

Quant  au  cadavre  mutilé  de  Daniel,  il  fut  jeté  dans  un 
champ,  où  on  le  découvrit  trois  jours  après. 

Inutile  de  raconter  comment  les  coupables  furent  décou- 
verts et  le  procès  qui  suivit.  Molopi  et  ses  fils  avaient  voulu 
obtenir  le  pouvoir  à l’aide  d’un  meurtre  ; ils  ne  réussirent 
qu’à  se  faire  dépouiller  à jamais  de  tous  leurs  droits  de  chefs 
et  à être  condamnés  à sept  ans  de  prison,  n’échappant  à la 
potence  que  parce  qu’on  ne  put  trouver  de  témoin  absolu- 
ment véridique.  Beau  résultat  de  la  sanglante  supercherie  du 
vieux  docteur  zoulou!... 

Ce  fait  atroce  est  absolument  exceptionnel  au  Lessouto.  Ce 
crime  a été  réprouvé  par  toute  la  tribu.  Il  n’en  est  pas  moins 
le  produit  tout  naturel  du  paganisme,  qui  conduit  à ces 
extrémités,  et  que  seules  l’influence  de  l’Évangile  et  de  la 
civilisation,  et  la  présence  d’autorités  européennes  empêchent 
de  multiplier  des  crimes  de  ce  genre. 

Il  est  plus  que  probable,  du  reste,  qu'il  se  passe  dans  le 
pays  plus  d’énormités  de  cette  espèce  qu’on  ne  pense,  mais 
qu’elles  ne  paraissent  pas  à la  lumière.  Au  lieu  d’un  assassi- 
nat par  la  violence,  il  y a des  empoisonnements.  Ensorceler 
une  personne,  c’est  presque  toujours  l’empoisonner.  Nom- 
breux sont  ceux  qui  essaient  au  moins  de  satisfaire  par  des 
moyens  occultes  leurs  jalousies,  leurs  haines,  et  leurs  ambi- 
tions. 

Le  paganisme  entretient  dans  le  sein  du  peuple  les  supers- 
titions les  plus  ridicules  et  aussi  les  plus  dangereuses.  Et  le 


266 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


cœur  du  païen,  comme  sa  courte  intelligence,  sont  dans  leur 
élément  quand  il  s’agit  de  pratiques  superstitieuses  et  de  mé- 
decines à tout  faire.  Le  paganisme,  dirons-nous  dans  le  lan- 
gage du  pays,  est  bien  la  vache  qui  fait  des  veaux  comme  le 
crime  ci-dessus  raconté. 

Qu'on  ne  nous  parle  pas  de  ce  paganisme  poétique,  enfan- 
tin, innocent,  vraie  idylle  de  la  nature,  adaptation  plus  ou 
moins  réussie  des  mœurs  patriarcales  des  Israélites  à la  na- 
ture et  aux  goûts  des  nègres  africains! 

Les  hommes  de  Dieu  qui  ont  fondé  les  missions  du  Sud  de 
l’Afrique  voyaient  et  jugeaient  comme  on  le  faisait  dans  la 
première  moitié  de  ce  siècle,  à la  manière  de  Jean-Jacques 
Rousseau.  Ils  professaient,  sans  le  savoir,  un  idéalisme  qui 
leur  montrait  toutes  choses  sous  un  jour  favorable,  et  dont 
leurs  écrits  présentent  des  exemples  très  caractéristiques.  On 
y cherche  en  vain  l'horreur  du  paganisme,  sa  crudité,  sa 
corruption,  ses  turpitudes  et  le  reste. 

Aujourd’hui,  nous  sommes  réalistes.  Nous  avons  à nous 
défendre  de  l’être  trop.  Nous  voyons  les  choses  comme  elles 
sont.  Le  paganisme  nous  apparaît  hideux,  impur,  brutal  et 
abrutissant,  bestial  bien  souvent.  Nous  voulons  le  représen- 
ter ainsi,  tel  quel. 

Plus  on  remarque  l’horreur  du  paganisme,  plus  beau  appa- 
raît l’Evangile  libérateur,  plus  impérieux  aussi  se  montre  le 
devoir  des  chrétiens  de  détester  le  monstre  et  de  le  combattre 
à outrance. 

C’est  pour  mettre  une  fois  de  plus  ce  devoir  en  évidence  et 
sur  la  conscience  de  nos  Églises,  que  j’ai  cru  devoir  raconter 
ici  le  crime  des  fils  de  Molopi. 


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267 


ZAMBÈZE 

VOYAGE  DE  MM.  COILLARD  ET  JALLA 

Extraits  de  lettres  de  M.  Coillard  et  M.  L.  Jalla. 

A Maféking.  — Plans  bouleversés  — La  peste  bovine.  — La  ré- 
volte des  Matébélés.  — Allées  et  venues.  — M.  Coillard  à l’hô- 
pital de  Kimberley.  — Une  délivrance.  — En  route  pour  l’Eu- 
rope. 

Maféking,  1er  avril  1896. 

...  Nous  voici  aujourd’hui  dans  des  circonstances  bien 
difficiles  encore.  11  semblait  que  tout  irait  sur  des  roulettes 
pour  le  voyage  de  M.  Coillard  et  le  nôtre,  et  pour  l’expédition 
Mercier,  et  voilà  tous  nos  plans  bouleversés.  Je  me  suis  arrêté 
cinq  jours  à Maféking,  où  j’ai  pu  vendre  nos  deux  lourds  wa- 
gons à un  bon  prix,  ainsi  que  tous  nos  bœufs.  J’ai  aussi  réglé 
diverses  affaires  pour  épargner  aux  Mercier  tout  arrêt  ou  tout 
ennui;  puis,  M.  Coillard  désirant  essayer  un  véhicule  plus 
léger  que  le  wagon  et  plus  confortable,  je  louai  une  wagon- 
nette  pour  l’amener  ici  et  un  wagon  pour  moi-même. 

Ces  arrangements  entraînaient  forcément  une  séparation 
de  Palapye  ici.  M.  Coillard  comptait  partir  quatre  jours  après 
nous  et  nous  rejoindre  ici  pour  continuer  ensemble  le  voyage. 
Je  quittai  donc  Palapye  le  12  mars.  En  route,  la  quarantaine 
fut  établie  pour  tout  wagon  venant  de  Palapye  et  plus  loin; 
mais,  grâce  à des  circonstances  tout  à fait  exceptionnelles,  je 
réussis,  à Palla,  à changer  de  wagon  jpour  atteindre  Gabe- 
rone  au  pas  de  course.  Là,  je  priai  M.  Ellenberger  de  s’in- 
former où  était  M.  Coillard,  de  l’aider  à atteindre  Gaborone 
et  de  m’en  informer  aussitôt,  car  c’était  déjà  une  déception 
de  ne  rien  apprendre  de  lui.  Puis,  continuant  notre  route  à 
grande  vitesse,  j’espérais  déjà  atteindre  Maféking  sans  re- 
tard, quand,  à 35  milles  d’ici,  deux  envoyés  du  gouverne- 
ment arrêtent  notre  wagon  en  plein  champ,  loin  de  l’eau, 


268 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


détellent  les  bœufs,  tandis  que  les  agents  de  police  les  fusil- 
lent un  à un.  Puis,  laissant  des  ordres  pour  les  enterrer,  ils 
continuent  leur  course  destructive  jusqu’à  Gaberone,  fusil- 
lant ainsi  plus  de  3,000  bœufs  pour  lesquels  le  gouverne- 
ment donne  une  certaine  compensation.  Cette  mesure  a été 
prise  pour  empêcher,  si  possible,  la  peste  bovine  qui  dévastait 
tout  le  pays  jusqu’à  Boulouwayo  de  faire  irruption  dans  la 
colonie. 

Vous  devinez  notre  déception  en  nous  voyant  ainsi  loin  de 
tout  secours  et  notre  attelage,  entièrement  sain,  étendu  fusillé 
à cinquante  mètres  de  nous.  Nous  regrettions  ces  braves 
bêtes  presque  comme  des  amis.  J’expédiai  de  suite,  mais 
sans  aucun  résultat,  un  garçon  à Maféking  pour  y chercher 
ânes  ou  mulets;  c’était  le  27  mars  au  soir.  Le  28  se  passa 
dans  l’attente.  Le  29,  ayant  appris  qu’on  ne  pouvait  rien  faire 
pour  nous  à Maféking,  nous  prîmes,  ma  famille  et  moi,  la 
voiture  de  poste  qui  nous  déposait,  après  douze  heures  de 
marche  ici,  à Maféking,  où  nous  descendîmes  à l’hôtel.  Au- 
jourd’hui, moyennant  173  francs,  j’ai  pu  faire  chercher  mon 
bagage.  Pas  un  seul  bœuf  ne  peut  voyager  entre  ici  et  Boulou- 
wayo, et  il  y a 800  wagons  privés  de  leurs  attelages  arrêtés 
sur  la  route.  On  ne  sait  jusqu’à  quand  cela  durera. 

Sur  ces  entrefaites,  les  Matébélés  se  sont  révoltés,  tuant 
des  centaines  de  blancs  et  menaçant  l’existence  même  de 
Boulouwayo  dans  son  entier.  Vous  devinez  l’excitation  qui 
règne  ici;  aussi  ai-je  fait  dire  à Mercier  qu’il  ne  devrait  pas 
quitter  le  Lessouto  avant  fin  octobre,  car  en  admettant  même 
que  les  communications  s’ouvrent  d’ici  à un  mois,  ce  que 
personne  ne  croit,  ce  serait  déjà  trop  tard  pour  faire  le 
voyage  de  Palapye  au  Zambèze.  Je  vais  faire  tout  mon  pos- 
sible pour  faciliter  le  voyage  de  nos  amis.  Les  wagons  seront 
choisis  et  achetés,  ainsi  que  l’attelage,  et  je  leur  laisserai  les 
indications  nécessaires  pour  la  route. 

Cependant,  ma  première  pensée,  en  arrivant  ici,  fut  pour 
M.  Coillard.  Je  télégraphiai  à Palapye  et  appris  qu'il  en  était 
parti  le  48  mars.  Je  télégraphiai  à Gaberone,  mais  la  ligne 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


269 


était  rompue.  Sur  ce,  j’apprends  que  M.  Coillard  doit  être  à 
Molépolole.  Sachant  où  il  se  trouve,  j’espère  pouvoir  louer 
un  cart  et  aller  le  chercher.  En  tous  cas,  je  ne  quitterai  pas 
Maféking  sans  lui.  En  attendant,  ma  femme  partira  avec  les 
enfants,  lundi,  pour  Kimberley  et,  de  là,  ira  m’attendre  à 
Stellenbosh. 

Comme  tout  ceci  retarde  notre  arrivée  en  Europe,  et  com- 
bien nous  souhaitons  d’avoir  des  nouvelles  de  vous  tous  ! Je 
tremble  pour  la  santé  de  notre  cher  M.  Krüger  à Madagascar. 
Je  suis  anxieux  de  connaître  le  résultat  de  la  mission  confiée 
à nos  délégués.  Quels  horizons  nouveaux  pour  la  Société! 
Nous  sommes  bien  en  famille,  le  voyage  nous  a tous  beau- 
coup fortifiés.. 

Il  y a ici  et  en  route  une  masse  de  voyageurs  encore  plus 
mal  partagés  que  nous.  Si  seulement  M.  Coillard  était  ici, 
tout  irait  bien...  La  question  de  Boulouwayo  est  très  inquié- 
tante, et  le  soulèvement  des  Matébélés  est  d’une  grande  gra- 
vité aussi  pour  le  Zambèze.  Guerres  et  massacres  sont  à 
l’ordre  du  jour.  Veillons  et  prions;  c’est  Dieu  qui  règne... 

L.  J ALLA. 

Par  une  lettre  du  15  avril,  M.  Ellenberger  nous  informe 
de  la  manière  dont  M.  Coillard  a pu  continuer  sa  route. 
Arrêté,  en  effet,  à Molépolole,  à cause  de  la  quarantaine,  il 
expédia  le  lundi  3 mars  un  express  à M.  Surmon,  le  magistrat 
de  -Gaberone,  pour  le  prier  d’envoyer  des  bœufs.  Celui-ci  fit 
répondre  que  cela  lui  était  impossible.  Le  lendemain,  nouvel 
envoyé  de  M.  Coillard  demandant  un  laisser-passer.  Nouveau 
refus  du  magistrat.  Là-dessus,  M.  Surmon,  apprenant  la  ma- 
ladie de  M.  Coillard,  envoya  sa  propre  voiture  attelée  de  che- 
vaux pour  le  chercher  à Molépolole  et  l’amener  à Gaberone,  où 
il  arriva  le  vendredi  3 avril. 

Après  deux  jours  de  repos,  M.  Goillard  repartait  de  Gabe- 
rone, toujours  dans  la  voiture  de  M.  Surmon.  Cependant, 
M.  Jalla  avait  mis  à exécution  son  projet  de  rechercher  son 
vénéré  collègue.  Rebroussant  chemin  de  Maféking,  avec  une 


270 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


voiture  légère,  il  rencontra  M.  Coillard  après  trois  jours  de 
marche.  Celui-ci  put  alors  quitter  le  véhicule  de  M.  Surmon 
et  entrer  dans  le  cart  de  M.  Jalla  avec  lequel  il  acheva  de 
franchir  la  distance  qui  le  séparait  de  Maféking.  Ils  y 
rentraient  peu  après,  et  dans  quels  sentiments  de  reconnais- 
sance envers  Dieu  et  les  hommes,  on  se  le  représente  sans 
peine. 

Nous  devons  renoncer  à suivre  dans  tous  ses  incidents  le 
voyage  de  nos  missionnaires.  Disons  seulement  que  M.  et 
madame  Jalla  ont  pu,  en  se  contentant  d’une  cabine  de  troi- 
sième classe,  prendre  passage  au  Cap  sur  le  Guelph,  où  se 
trouvait  aussi  la  famille  Jacottet,  et  qui  devait  lever  l’ancre 
le  23  ou  le  24  avril. 

Quant  à M.  Coillard,  c’est  lui-même  qui  nous  renseignera 
sur  ses  mouvements. 

Kimberley,  le  26  avril  1896. 

...  « Me  voici  donc  à l’hôpital  que  j’espère  quitter  dans 
deux  jours  pour  le  Cap.  J’ai  fait  de  nouvelles  expériences... 
J’ai  été  mis  sous  chloroforme  à deux  reprises,  la  deuxième 
fois  pendant  deux  heures  entières,  pour  une  opération  qui 
parait  avoir  réussi,  grâce  à Dieu.  Mais  j’avoue  que  pour  moi 
c’était  redoutable.  Le  Dr  Mac  Kenzie,  le  fils  du  missionnaire 
de  ce  nom,  bien  connu,  m’a  prodigué  tous  les  soins  possibles, 
et  j’ai  contracté  envers  lui  une  grande  dette  de  reconnais- 
sance. 


Stellenbosh,  3 mai. 

« J’ai  pu  quitter  Kimberley  le  29  avril.  J y ai  laissé  des 
amis  tant  parmi  les  garde-malades  que  parmi  les  malades 
eux-mêmes.  Une  dame  de  la  ville,  deux  même,  ont  pris  à 
tâche  de  ne  pas  laisser  ma  chambre  sans  fleurs.  J’ai  toujours 
aimé  la  mission  des  fleurs  dans  les  hôpitaux,  telle  que  nous 
l’avons  connue  à Londres,  mais  il  faut  avoir  été  enfermé 
quelque  temps  soi-même  dans  une  salle  d’hôpital  pour  en 
apprécier  toute  la  beauté.  J’ai  été  ému  quand  la  supérieure 


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271 


de  l’hôpital  de  Boulouwayo  m’a  apporté  l’unique  rose  de  son 
petit  parterre  (je  n’avais  pas  vu  de  rose  depuis  douze  ans)  — 
et  non  moins  à Kimberley,  quand,  jour  après  jour,  j’ai  vu  des 
fleurs  m’apporter  de  touchants  messages  d’affection  et  de 
sympathie.  Je  crois  vraiment  que  c’est  là  un  des  chemins  les 
plus  directs  pour  toucher  le  cœur  d’un  malade  et  lui  faire  du 
bien. 

« Un  long  trajet  de  trente-six  à trente-sept  heures  de  che- 
min de  fer  m’a  amené  à Stellenbosh,  où  M.  Neethling,  pasteur 
de  l’Église  hollandaise,  et  son  excellente  femme,  la  sœur  de 
M.  Andrew  Murray,  m’ont  reçu  à bras  ouverts.  C’est  M.  Neeth- 
ling qui  a collecté  les  2,875  francs  destinés  à l’achat  de  ma  wa- 
gonnette.  J’ai  cru  d’abord  qu’il  avait  demandé  cette  somme 
aux  membres  de  son  Église;  pas  du  tout,  c’est  à ses  collè- 
gues les  pasteurs,  exclusivement,  qu’il  s’est  adressé,  deman- 
dant que  chacun  donne  une  livre  sterling.  Quelques-uns  ont 
donné  davantage;  personne  n’a  refusé.  Aussi,  quand,  le  jour 
même  de  mon  arrivée  à Stellenbosh,  j’ai  rebroussé  chemin 
pour  assister  aux  réunions  de  Wellington,  ai-je  été  reçu 
comme  une  vieille  connaissance  et  un  ami.  J’v  ai  rencontré  des 
pasteurs  et  des  indigènes  de  toutes  les  parties  de  la  colonie, 
de  l’État  libre  et  même  du  Transvaal.  M.  Duddley  Kidd,  direc- 
teur delà  mission  générale  du  Sud  de  l’Afrique,  etM.  Morgan, 
le  vénéré  éditeur  du  Christian , étaient  là  aussi.  J’ai  donc  pu 
recueillir  avec  avidité  les  miettes  de  leur  festin. 

« Hier  j’ai  été  au  Cap  prendre  mon  passage  à bord  du 
Warwick  Castle  qui  doit  partir  le  21  de  ce  mois.  Une  heure 
après,  toutes  les  places  étaient  retenues.  Je  vais  visiter 
Worcester,  où  se  fait  une  grande  œuvre  parmi  les  noirs  et  où 
se  trouve  un  établissement  pour  les  aveugles  et  un  pour  les 
sourds-muets.  Puis,  je  verrai  Wellington,  bien  connu  par 
son  institut  missionnaire  et  sa  grande  et  admirable  école  de 
jeunes  filles.  J’irai  ensuite  passer  les  derniers  jours  à la  ville 
du  Gap  avant  de  m’embarquer.  Je  suis  arrivé  à ce  degré  de 
convalescence  où  je  pourrais  manger  le  cuir  de  mes  souliers. 
Dieu  m’a  béni  abondamment.  C’a  été  une  grande  joie  pour 


272 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


moi  de  me  rencontrer  hier  avec  les  missionnaires  de  Val- 
dézia,  M.  H.  Berthoud  et  M.  de  Meuron,  et  avec  ma  chère 
filleule,  Marie  Mabille.  Adieu,  ou  plutôt  au  revoir . A bientôt. 
J’ai  eu  la  terrible  tentation  de  rebrousser  chemin  et  de  re- 
tourner au  Zambèze,  mais  comment?  Priez  que  Dieu  bénisse 
abondamment  le  voyage  en  Europe  des  chers  Jalla  et  le 
mien.  » 

F.  Coillard. 


NOUVELLES  DES  STATIONS 
A Léaluyi. 

Nous  extrayons  les  passages  suivants  d’une  lettre  deM.  Ad. 
Jalla,  datée  de  Léaluyi  les  27  et  31  janvier.  M.  Jalla  se  mon- 
tre très  préoccupé  du  voyage  de  M.  Coillard.  Voici  ce  qu’il 
écrit  à ce  sujet  : 

Léaluyi,  27  janvier  1896. 

« ...  Pourquoi  Dieu  aurait-il  permis  que  notre  doyen,  le 
fondateur  de  la  mission,  quittât  le  pays  pour  le  rappeler  à lui 
en  plein  désert?  Je  ne  puis  le  croire.  J’espère  encore  qu’il  lui 
accordera  d’atteindre  l’Europe,  où  il  recevra  les  soins  que  ré- 
clame son  état,  et  qu’un  beau  ministère  lui  est  réservé  dans 
les  Églises,  où  sa  présence  même  ne  peut  que  réveiller  l’inté- 
rêt en  faveur  du  Zambèze. 

« ...  Nous  avons  grand  besoin  d’être  soutenus,  maintenant 
qu’est  parti  celui  auquel  nous  étions  heureux  d’avoir  recours 
pour  toutes  sortes  de  conseils  et  dont  le  seul  nom  était  une 
force  dans  ce  pays  que  nous  évangélisons.  Tous  nos  collè- 
gues peuvent  se  joindre  à moi  pour  vous  dire  le  vide  que 
M.  Coillard  a laissé  derrière  lui;  mais  c’est  principalement 
sur  ma  femme  et  sur  moi  que  retombe  la  charge  que  notre 
doyen  vient  de  déposer... 

«...  L’inondation  envahit  graduellement  la  plaine.  N’était 


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273 


la  chaussée,  notre  termitière  ne  serait  plus  qu’un  îlot.  Nous 
sommes  bien  à l’étroit  au  plus  fort  de  l’inondation;  aussi  au- 
i rions-nous  voulu  faire  de  grands  travaux  de  terrassement 
pour  nous  mettre  un  peu  plus  au  large.  La  famine  nous  a 
! empêchés  d’accomplir  tous  nos  plans.  Ce  n’est  que  depuis 
Il  trois  semaines  que  nous  avons  des  escouades  de  trente  à 
soixante  femmes  par  jour.  Cependant,  si  le  niveau  de  l’eau  ne 
s’élève  pas  trop,  nous  agrandirons  notre  îlot  d’un  huitième. 
Une  autre  année  nous  en  ferons  autant  et,  au  bout  de  quatre 
ou  cinq  ans,  nous  aurons  doublé  la  superficie  de  la  termitière 
i primitive. 

« Nous  avons  passé  les  fêtes  de  Noël  et  du  nouvel  an  avec 
les  Béguin  et  Davit,  et  nous  en  avons  beaucoup  joui.  Je 
pense  que  Davit  vous  a fait  le  récit  de  son  installation  le 
5 courant  à Séfula.  Brave  Davit,  il  est  là-bas,  faisant  ses  pre- 
mières armes  tout  seul.  Heureusement  qu’il  a de  bons  voi- 
sins, Paulus  et  sa  femme,  qui  sont  aussi  de  bons  aides  pour 
l’évangélisation.  Et  puis,  nous  avons  l’assurance  que  Dieu 
veillera  sur  lui  et  le  bénira... 

<r  Notre  village  est  tout  tranquille,  le  roi  étant  parti  hier 
avec  presque  toute  la  population  mâle,  pour  une  partie  de 
chasse.  Avec  son  amabilité  habituelle,  il  est  venu  me  saluer 
en  passant.  Si  vous  l’aviez  entendu  parler,  dimanche  passé, 
en  sortant  du  culte,  où  j’avais  parlé  sur  la  parole  de  Dieu  à 
Caïn  : « Où  est  ton  frère?  »,  vous  auriez  pu  croire  qu’il  allait 
faire  le  pas  décisif...  Que  de  fois  il  parle  comme  un  chrétien 
et  nous  édifie  même!  Ah!  que  ne  pouvons-nous  le  décider  à 
se  jeter  aux  pieds  du  Sauveur!  Il  est  beaucoup  moins  or- 
gueilleux qu’autrefois,  et  il  semble  sentir  son  péché  à certains 
moments...  Oh  ! continuons  à prier  !... 

« Toutes  ces  dernières  semaines,  il  y a eu  beaucoup  d’é- 
trangers au  village,  des  gens  venant  de  tous  les  côtés,  quel- 
ques-uns des  extrémités  du  pays  soumis  aux  Barotsis.  Nous 
nous  sommes  efforcés  de  les  voir.  La  plupart  d’entre  eux 
sont  venus  aux  cultes  du  dimanche.  Mais  comme  nous  vou- 
drions avoir  plus  de  temps  à consacrer  à l'évangélisation  de 


274 


.JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


la  population  flottante  de  Léaluyi  ! Et  les  malades!...  Bien 
qu’on  éloigne  de  la  capitale  tous  ceux  qui  semblent  l’être 
gravement  ou  pour  longtemps,  ils  sont  cependant  nombreux 
ceux  qui  ont  recours  à nous  pour  des  médecines;  il  en  vient 
en  moyenne  quatre  ou  cinq  par  jour,  quelquefois  beaucoup 
plus.  La  préparation  et  la  distribution  des  médecines  me 
prend  parfois  des  demi-journées.  Comme  je  regrette  de  ne 
pas  en  savoir  plus  long  et  de  ne  pouvoir  consacrer  plus  de 
temps  à cette  branche  de  mon  ministère!  Quel  beau  champ 
de  travail  pour  un  médecin-missionnaire!... 

« A.  Jalla.  » 


A Nalolo. 

Lettre  de  M.  E . Béguin . 

Nalolo,  30  janvier  1896. 

Bien  cher  monsieur, 

Au  Zambèze  comme  en  Europe,  chacun  aime,  autant  que 
possible,  passer  les  fêtes  de  Noël  et  du  nouvel  an  en  famille. 
Ici,  notre  famille  se  compose  des  différents  membres  de  notre 
mission.  C’est  à cause  de  cela  que  les  plus  rapprochés,  nos 
amis  Ad.  Jalla,  de  Léaluyi,  et  nous  de  Nalolo,  avons  désiré 
nous  réunir  pour  célébrer  ensemble  Noël  et  le  commence- 
ment de  la  nouvelle  année. 

Il  y avait  du  reste  une  autre  raison  à notre  réunion  : c’est 
que,  le  premier  dimanche  de  janvier,  M.  Jalla  et  moi  devions 
accompagner  notre  ami  P.  Davit  à Séfula,  pour  l’installer 
comme  missionnaire  de  cette  station. 

Donc,  le  mardi  24  décembre,  un  peu  avant  le  lever  du  soleil, 
nous  entrions  dans  nos  canots.  Voilà  trois  mois  que  la  saison 
des  pluies  a commencé;  aussi  le  Zambèze  est-il  gros;  le 
voyage  se  fait  aussi  plus  rapidement  qu’à  la  saison  sèche  : 
tandis  qu’alors  il  est  difficile  d’arriver  à Léaluyi  même,  et 
qu’il  faut  pour  cela  traîner  les  canots  en  maints  endroits, 
maintenant,  au  contraire,  la  navigation  est  partout  très  fa- 


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275 


cile,  et  huit  heures  après  notre  départ  de  Nalolo  nous  dé- 
barquions à Léaluyi. 

Les  quinze  jours  que  nous  y avons  passés  ont  été  assez  rem- 
plis. Nous  avons  assisté  d'abord  aux  examens  de  l'école  de 
Léaluyi  : elle  est  très  nombreuse,  elle  a plus  de  cent  enfants. 
Aussi  n’est-ce  pas  trop  des  deux  instituteurs-évangélistes  qui 
en  sont  chargés.  Ces  examens  se  sont  faits  en  présence  du  roi 
et  de  plusieurs  chefs.  Les  résultats  ont,  en  général,  été  satis- 
faisants et  ont  montré  que  quoique  nous  ayons  souvent  à nous 
plaindre  de  la  méthode  des  instituteurs,  qui  sont  très  routi- 
niers, et  surtout  du  peu  de  régularité  de  beaucoup  d’élèves, 
cependant  il  se  fait  des  progrès,  et  les  enfants  arrivent  à lire 
et  à écrire  couramment.  En  outre,  ils  apprennent  les  quatre 
règles,  de  la  géographie  et  surtout  l'histoire  sainte. 

Les  examens  ont  été  suivis  d'une  discussion  entre  les 
chefs  présents,  à propos  de  la  fréquentation  de  l’école  que 
plusieurs,  le  roi  entre  autres,  trouvent  défectueuse.  C'est,  en 
effet,  le  cas,  et  il  est  regrettable  que  le  roi  ne  soit  pas  mieux 
secondé  qu’il  ne  l’est  dans  les  efforts  qu’il  fait  pour  obliger 
les  élèves  à une  fréquentation  régulière.  Léwanika  apprécie 
l’école  et  désire  qu’elle  soit  suivie  par  beaucoup  d’enfants  et 
régulièrement,  mais  tous  les  chefs  ne  le  suivent  pas  dans 
cette  voie.  Cette  fête  scolaire  s'est  terminée  par  une  distribu- 
tion de  prix  aux  meilleurs  élèves  et  par  une  collation  composée 
de  café  et  de  viande  de  bœuf  offerte  à tous  les  élèves. 

Le  samedi  4 janvier,  M.  Jalla  et  moi  nous  nous  rendions  à 
Séfula,  tandis  que  les  dames  restaient  ensemble  à Léaluyi. 
A Séfula  nous  retrouvions  M.  Davit,  qui  nous  avait  précédés 
la  veille. 

La  cérémonie  du  lendemain  nous  a montré,  une  fois  de  plus, 
combien  il  est  heureux  que  la  station  de  Séfula  soit  de  nou- 
veau occupée  par  un  missionnaire.  Nous  avons  eu,  aux  deux 
cultes,  des  assemblées  de  plus  de  250  personnes,  ce  qui  n’a 
rien  d’extraordinaire  pour  Séfula,  où  l’auditoire  pourrait  faci- 
lement être  plus  nombreux.  Cette  station  est  très  importante 
au  point  de  vue  missionnaire,  car  non  seulement  c’est  un 


276 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


centre  de  population  et  de  population  agricole  assez  séden- 
taire, mais  surtout  ce  sont  des  gens  relativement  indépen- 
dants du  roi  et  des  grands  chefs,  ce  qui  est  un  grand  avan- 
tage pour  le  missionnaire  et  l’évangélisation;  tandis  que  nous, 
dans  les  stations  capitales,  à Léaluyi  et  à Nalolo,  nous  n’a- 
vons que  des  chefs  et  des  esclaves,  c’est-à-dire  la  population 
la  plus  voyageuse  qu’il  soit  possible  d’imaginer  : ces  gens 
sont  constamment  en  expédition.  En  outre,  les  capitales  ne 
servent  guère  que  de  pied-à-terre  à toute  cette  population 
groupée  autour  du  roi  et  de  la  reine.  Chacun  de  ceux  qui  la 
composent  a,  quelque  part  dans  le  pays,  son  village  où  il  va 
ordinairement  séjourner.  La  conséquence  est  que  nous  avons 
rarement,  plusieurs  dimanches  de  suite,  le  même  auditoire. 
A Séfula,  la  population  est  beaucoup  plus  stable,  plus  nom- 
breuse ; elle  subit  beaucoup  moins  l’influence  des  chefs,  de 
sorte  qu’il  peut  s’y  faire  une  œuvre  beaucoup  plus  sérieuse. 

Mais  je  reviens  à l’installation  de  M.  Davit.  Elle  a été  ou- 
verte par  un  sermon  de  M.  Ad.  Jalla,  qui  a prêché  sur  cette 
parole:  « Où  est  ton  frère?  » (Gen.  IY,  9).  Après  lui,  M.  Davit 
a aussi  adressé  quelques  paroles  à l’assemblée,  en  prenant 
comme  texte:  « Prêche  la  parole,  insiste  en  temps  et  hors  de 
temps,  reprends,  censure  et  exhorte  avec  toutes  sortes  de 
douceur  et  en  instruisant»  (IITim.IV,  2).  Puis  Sumba,  un  des 
grands  chefs  du  pays,  gendre  du  roi,  qui,  de  plus,  est  un  de 
nos  chrétiens  les  plus  sérieux,  un  de  ceux  dans  lesquels  nous 
pouvons  avoir  le  plus  de  confiance,  a parlé  au  nom  du  roi, 
par  lequel  il  était  envoyé,  et  qui  l’avait  chargé  d’exhorter  les 
habitants  de  la  contrée  de  Séfula  à suivre  assidûment  les 
cultes  et  l’école.  Enfin,  l’évangéliste  Paulus  et  quelques 
fidèles  ont  exprimé  leur  joie  d’avoir  de  nouveau  un  mission- 
naire. Peu  après,  les  auditeurs  se  réunissaient  pour  un  se- 
cond culte  où  je  méditai  cette  parole  du  Seigneur  : « L’homme 
ne  vivra  pas  seulement  de  pain,  mais  il  vivra  de  toute  parole 
qui  sort  de  la  bouche  de  Dieu»  (Mat.  VI,  4). 

Le  lendemain,  plus  de  60  élèves  étaient  présents  pour  la  ren- 
trée de  l’école  : ce  chiffre  pourrait  être  plus  élevé;  il  l’a  été 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


277 


du  reste,  et  nous  espérons  bien  qu’il  ne  tardera  pas  à l’être  de 
nouveau. 

De  retour  à Léaluyi,  nous  assistons,  le  8 janvier,  à un  évé- 
nement qui  marquera  dans  l’histoire  de  la  mission  du  Zam- 
bèze : c’est  l’ouverture  de  l’École  biblique  ou  d’évangélistes, 
qui  avait  lieu  en  présence  du  roi,  quelques  chefs  et  autres 
personnes.  L’école,  confiée,  comme  on  le  sait,  à M.  Ad.  Jalla, 
s’ouvre  avec  une  douzaine  de  jeunes  gens  qui  font  une  bonne 
impression  de  sérieux.  Ici  encore,  le  roi  s’est  montré  très 
bienveillant;  il  a exhorté  ces  jeunes  gens  à étudier  avec  sé- 
rieux, leur  rappelant  que,  par  le  fait  de  leur  entrée  dans  cette 
école,  ils  étaient  affranchis  de  corvées  ou  autres  obliga- 
tions. 

Que  Dieu,  dont  nous  voulons  avant  tout  la  gloire,  veuille 
mettre  sa  bénédiction  spéciale  sur  cette  école  afin  qu'elle  de- 
vienne un  foyer  d’évangélistes  zélés  et  que,  grâce  à elle,  nos 
stations  aient  bientôt  des  annexes  et  que  l’évangélisation  du 
pays  en  soit  hâtée  ! 

Eug.  Béguin. 

P.  S.  — Grâce  à Dieu,  nous  sommes  bien.  Ici,  à Nalolo, 
l’œuvre  se  continue  sans  qu’il  s’y  passe  rien  de  saillant.  Nos 
cultes  et  l’école  sont  bien  suivis  par  une  bonne  moyenne  d’au- 
diteurs attentifs.  Malheureusement  nous  ne  voyons  pas  de 
conversions. 

A Kazungula 

Dans  une  lettre  datée  du  19  février,  M.  Boiteux  commence 
par  nous  annoncer  l’heureuse  naissance  d’une  petite  Marie 
Boiteux,  à la  date  du  17  février.  Madame  Goy  s’est  trouvée 
à Kazungula  pour  cet  événement  de  famille  et  a été  d’un 
grand  secours  à nos  amis.  Leur  joie  à tous  est  très  grande, 
et  c’est  de  tout  cœur  que  nous  nous  y associons. 

Passant  aux  nouvelles  de  la  station,  M.  Boiteux  nous  écrit 
les  lignes  suivantes  : 


21 


?78 


JOlï^N^L  ^VANGÉ^pUlSS 


...  « Vou§  sqve?  peuj-êfre  les  difficultés  qui  ont  marqué  Je 
début  de  la  nouvelle  année;  serait-elle  peut-être  l’année 
terrible  poqr  ce  peuple  au  col  roide?  En  même  temps  qu’une 
redoutable  épidémie  ravage  lps  troupeaux  4e  bétail,  l’unique 
ressource  4ù  pays,  des  bruits  de  guerre  éclatent  et  les  lou 
lou  lou  des  femmes  se  font  entendre  stridents  et  sauvages. 

« Cette  maladie,  qu’on  signalait  au  Mashikolumboué,  peu 
de  temps  après  notre  arrivée  dans  le  pays,  a anéanti  tout  ce 
qu’il  y avait  de  bétail,  petit  ou  gros,  dans  la  contrée.  La  mi- 
sère y est  telle,  dit-on,  que  des  Boshikolumjioué  (Jl!  Nord, 
s’étant  mis  eq  route  vers  le  Sud  (Jans  l’espérance  d’y  trouver 
de  quoi  vivre,  pioururent  tous  ep  chemin,  victimes  de  la 
faim.  En  décembre,  juste  au  moment  où  nos  chers  voyageurs 
UQUS  quittaient,  une  cinquantaine  de  porteurs,  envoyés  par 
les  Méthodistes  primitifs  pour  prendre  ici  des  bagages,  n’a- 
vaient pour  toutes  victuailles  qu’une  espèce  de  fruit  jaune  et 
4pr,  muni  à l’intérieur  d’un  noyau  plus  dur  encore. 

« Au  commencement  de  l’année,  voici  que  la  peste  bovine 
franchit  les  limites  4ù  Boshikolumboué  et  qu’elle  sévit  dans 
toute  sa  rigueur  sur  Seshéké  et  les  environs.  Il  ne  reste  plus 
qne  tête  de  gros  bétail  dans  le  kraal  de  nos  amis  Goy.  Eux  qui, 
jusqu’ici,  avaient  du  lait  en  abondance,  n’en  ont  plus  une 
goutte  maintenant.  C’est  une  bien  grande  épreuve,  car  per- 
sonne en  Europe  ne  se  fera  une  juste  idée  du  prix  qu’a  pour 
nous  une  tasse  de  lait,  et  qui  dit  une  tasse  de  lait,  dit  une  ou 
deux  vaches,  car  les  bonnes  laitières  sont  inconnues  dans  ce 
pays.  Tout  est  nu,  à Seshéké,  tout  est  aride  : à peine  y trouve- 
rait-on  dix  têtes  de  gros  bétail.  Maintenant,  la  maladie,  tout 
en  se  dirigeant  vers  le  Borotsé,  a franchi  le  fleuve  et  en  fait 
des  siennes  de  l’autre  côté  où,  chaque  jour,  dans  chaque 
kral  important,  on  abat  de  dix  à quinze  bêtes. 

« On  parle  aussi  de  guerre,  vous  ai-je  dit.  C’est  Morémi, 
le  grand  chef  du  lac  Ngami,  qui  déclare  la  guerre  à Léwa- 
nika  ou,  à son  défaut,  à Litia,  son  fils,  à propos  d’une  ques- 
tion de  territoire  qui,  sqr  les  cartes  d’Afrique,  est  aux  cou- 
leurs de  l’influence  allemande.  Morémi  réclame  donc  le 


SOCIÉTÉ  DI2S  WISS|ONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS  279 

Linianti,  prétendant  que  ce  fleuve  et  sa  rive  Sud  sont  à lui. 
De  11*  le  conflit  cpii  pourrait  dégénérer  en  unp  guerre  ouverte 
et  amener  l’ennemi  à nos  portes.  » 

M.  Boiteux  continue  sa  lettre  à la  date  du  2*2  février.  Il 

F»' > »3?»  i ' . •>  * n,  OT77'  .-  •*« • • ' i-r  *.  ; 'u * t <> 

pous  parle  d’une  sorte  d’arrêt  dans  le  développement  de 
l’œuvre  spirituel^ . Plusieurs  néophytes  sont  retournés  en  ar- 
rière. Un  triage  s’opère  qui  fera  la  séparation  entre  la  balle 
et  le  bon  grain. 

Tous  les  amis  du  Zambèze  se  souviendront  du  moment 

• ••  u 1 ; : •[!  . î * -’  •• ..  vut 

critique  que  traverse  à cette  heure  la  station  dé  Kazungula 
et  prieront  pour  la  jeune  Église  formée  et  pour  nos  mission- 
naires dont  la  santé  est  ébranlée.  Voici  en  effet  ce  que  M.  Boi- 
teux nous  en  dit  lui-mème  : 

« Depuis  le  nouvel  an  il  ne  s’est  pas  écoulé  upe  semaine, 
je  crois,  que  je  n’aie  été  alité  deux  ou  trois  jours.  Une  journée 
de  travail  consciencieux  ou  plutôt  assidu  me  mef  en  bas  pour 
les  deux  ou  trois  jpups  suivants.  Si  vous  savjez  combien  c<et 
état  de  chqses  ipe  rend  malheureux!...  » 

SÉNÉGAL 

L’ŒUVRE  DE  SÛR  — PROCHAIN  DÉPART  DE  M ESCANDE 

Extrait  d’une  lettre  de  M.  Escar\de. 

o Tj  k v*  y .1*  • a " f i 7 . “nt 

Saint-Louis,  le  15  avril  1896. 

« ...Vous  me  demandez,  dans  votre  lettre,  si  « l’expérience 
« de  Sôr  semble  réussir.  » Je  puis  répondre  que  pon  seule|pen^ 
moi,  mais  aussi  mes  autres  collaborateurs,  sommes  (je  plqs 
en  plus  convaincus  que  là  est  la  vraie  place  de  la  mission. 
A dire  vrai,  nous  avons  du  mal  à attirer  les  adultes;  même 
ceux  qui,  la  semaine,  vont  librement  chez  M.  Nichol  ou 
Samba,  franchiront  difficilement  la  porte  de  notre  chapelle  le 
dimanche.  Ce  sera  Jà  un  travail  de  longue  haleine,  pailleprs. 


280 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tant  que  le  culte  indigène  a lieu  à Saint-Louis,  nous  nous 
trouvons  dans  des  conditions  défavorables  pour  faire  évan- 
géliser les  gens  d’âge  mûr. 

« Auprès  de  la  jeunesse,  c’est  une  autre  affaire.  M.  Pétre- 
quin  m’écrit  ce  matin  qu’il  vient  de  recevoir  à l’école  du  jour 
son  dix-neuvième  externe.  Nous  n’en  n’avions  jamais  eu  au- 
tant. Notez  que  tous  ces  élèves  fréquentent  notre  école  du 
dimanche.  Bien  d’autres  aussi.  Le  mois  dernier,  les  écoles 
arabes  ayant  donné  vacances,  nous  avons  eu  une  fois  ok  en- 
fants, un  autre  dimanche  63.  C’est  vous  dire  que  nous  avons 
là  un  encouragement.  C’est  sur  les  plus  âgés  que  nous  cher- 
chons surtout  à exercer  une  influence  chrétienne.  M.  Pétre- 
quin  s’occupe  d’eux,  M.  Nichol  aussi.  Chaque  jeudi,  celui-ci 
réunit  les  huit  aînés  des  externes  pour  une  leçon  de  caté- 
chisme, laquelle  a,  jusqu’ici,  été  très  bien  suivie.  Il  nous 
faudrait  quelque  chose  de  semblable  pour  les  filles,  mais  cela 
ne  pourra  avoir  lieu  que  quand  mademoiselle  Buttner  sera 
installée  à Sôr  elle  aussi.  J'espère  pouvoir  bientôt  compléter 
ces  détails  de  vive  voix. 

«...  Vous  ai-je  dit  que  nous  faisons,  en  ce  moment,  deux 
cours  d’instruction  religieuse,  l’un  en  français,  l'autre  en 
bambara  ? C’est  M.  Bolle  qui  s’est  chargé  du  premier.  11  est 
destiné  aux  aînés  de  nos  internes,  qui  se  sont  convertis  l’an 
dernier  et  qui  semblent  vraiment  sincères  dans  leur  désir  de 
servir  Jésus.  L’autre,  dont  je  m’occupe,  est  pour  nos  chrétiens 
libérés  de  Béthesda  qui  font  profession  ouverte  de  christia- 
nisme. Je  ne  saurais  vous  dire  la  joie  que  j’éprouve  à ins- 
truire ces  néophytes,  pour  lesquels  tout  ce  que  je  dis,  ou  à 
peu  près,  est  nouveau.  Mais  qu’il  faut  être  simple  avec  ces 
grands  enfants,  incapables  de  suivre  longtemps  un  raisonne- 
ment et  de  comprendre  les  notions  abstraites  les  plus  élémen- 
taires ! 

« Pendant  mon  absence,  M.  Nichol  leur  apprendra  l’his- 
toire sainte.  A mon  retour,  je  les  reprendrai  pour  deux  ou 
trois  mois  pour  bien  voir  où  ils  en  seront  et  combler  leurs 
lacunes.  Après  cela  nous  verrons  quels  sont  ceux  qui  seront 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


281 


dignes  de  recevoir  le  baptême  et  de  prendre  rang  parmi 
les  membres  de  notre  petit  troupeau.  Dix  catéchumènes! 
c'est  pour  nous  un  beau  chiffre,  et  nous  ne  pouvons  que  re- 
mercier Dieu  de  nous  avoir  accordé  cette  grande  joie  avant 
de  nous  permettre  le  repos...  » 


CONGO  FRANÇAIS 

ARRIVÉE  DE  M.  F.  FAURE  A LAMBARÉNÉ  — NOUVELLES 
DE  TALAGOUGA 

Par  lettre  datée  du  8 mars,  M.  Faure  nous  informe  qu’il  est 
bien  arrivé  à Lambaréné,  le  6 mars,  après  quarante  et  un 
jours  de  voyage. 

M.  Haug  était  allé  à la  rencontre  de  notre  frère,  et  les  gens 
de  la  station  avaient  illuminé  en  son  honneur.  Pour  mieux 
exprimer  leur  joie,  ils  ont  tiré  des  coups  de  feu... 

« Je  suis  très  heureux,  dit  M.  Faure,  de  l’accueil  affectueux 
que  les  gens  d'ici  m’ont  fait.  J'ai  assisté  aujourd’hui  aux 
cultes  pahouin  et  galoa.  A ce  dernier,  j’ai  dû  faire  mes 
premières  armes  et  dire  quelques  mots  traduits  par  Nédaka. 
Je  suis  aussi  allé  à l’école  du  dimanche,  où  j’ai  tenu  l’harmo- 
nium et  fait  chanter  en  pahouin,  en  galoa  et  en  français... 

« Jé  suis  enchanté  du  pays  et  de  ma  maison.  Moi  qui  avais 
une  peur  affreuse  de  vivre  dans  un  pays  plat,  j’arrive  dans 
un  pays  montagneux,  avec,  de  ma  maison,  une  vue  splen- 
dide sur  le  fleuve  et  des  collines. 

« Haug  va  bien,  en  ce  sens  qu’il  s’occupe  toute  la  journée; 
mais  il  a de  temps  à autre  des  attaques  de  fièvre.  » 

Dans  la  station  de  Talagouga,  confiée,  en  l’absence  de 
M.  Allégret,  aux  soins  de  M.  Forget,  l’œuvre  missionnaire  a 
dû  rester  stationnaire.  Maintenir,  dans  la  mesure  du  possible, 
les  positions  acquises,  tel  a été  le  but  de  M.  Forget,  et  encore 


iOÜRNÂi  bfe§  MISSION^  ÉVANGÉLIQUES 


n’y  a-t-il  pàs  réussi  aussi  complètement  qu’il  l’eÜt  désiré,  là 
fiêvré  Payant  fréquemment  entrave  dans  son  activité. 

La  petite  Rèiiée  Forget  souffrait  d'une  érupticüi  cutanée  üri 
peu  inquiétante,  « sans  parler  dès  fourniis  qui,  ajouté 
M.  Forget,  se  sont  mises  de  la  partie  pouf  lüi  faire  des  plaies, 
la  dévorant  pendant  son  sommeil  ». 

« De  Lambaréné,  ajoute  M.  Forget,  j'ai  quelques  lignes  : 
tout  va  bien  ». 

Nous  ne  pouvons  malheureusement  pas  dire  qu’il  en  soit 
de  même  en  ce  qui  toiiche  la  santé  de  madame  Gacon.  Son 
état,  sans  causer  des  craintes  sérieuses  immédiates,  ne  laisse 
pas  que  d’être  peu  satisfaisant. 

...  « Nos  précédentes  lettres,  écrit  M.  Gacon,  le  25  mars, 
vous  ont  parlé  de  la  maladie  de  ma  femme.  Elle  n’a  pas  été 
àlitée  jusqu’à  maintenait,  Dieu  soit  loué;  et  elle  a {tu  sup- 
porter sa  mauvaise  toux.  Mais  ce  mal  diminue  J>ouf  faire 
place  à d’autres  malaises  encore  plus  à redbiitér;  tout  ce 
que  nous  avohs  fait  pour  les  combàttre  a été  ihutile.  Toute- 
fois, le  mieux  sëmble  revenir  depuis  huit  jours;  voüs  croirêi 
que  j’en  suis  coûtent!... 

cc  S’il  arrivait  que  cela  prît  une  mauvaise  tournüre,  nous 
serions  obligés  d’aiier  à Libreville  côiisulter  le  docteur  et  y 
prendre  les  médicaments  nécessaires.  Nous  en  soitmies  dé- 
pourvus ici,  et  pefsonnè  n’à  rëihjtlacé  lé  docteur  de  N’djolé, 
M.  Pélissier.  » 

Nous  avoîis  désiré,  Une  fois  de  plus,  associer  nos  lecteurs 
âux  préoccupations  dé  nos  frërës  et  sœurs  dü  Coügo.  Ils 
pourront  ainsi  bénir  Dieu  avec  nous  pour  les  délivrances  déjà 
reçues  et  le  prier  d’accorder  de  nouvelles  marques  de  fcâ  mi- 
séricorde à ceux  qüi  f estent  sous  le  coup  de  l’épreuve,  en  par- 
ticulier à madame  Gàcon  et  à son  mari. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


283 


T AÏ  Tl 

ARRIVÉE  DE  M.  ET  MADAME  HDGÜENIN  À ftÀtAÎÈA 

Partis  du  Hâvre  le  14  décembre  1895,  nos  amis  ont  débar- 
qué à Papéété  le  13  février  derhier,  en  bonne  santé,  malgré 
un  long  et  fatigant  voyage. 

« Peu  d’instants  après  leur  arrivée,  écrit  M.  Yernier,  nous 
avons  fléchi  les  genoux  devant  le  trône  de  notre  Père  céleste 
et  nous  l’avons  remercié  avec  dès  cœurs  débordants  de  re- 
connaissante pour  tous  ses  bienfaits.  La  piété  sereine  et 
douce  de  nos  amis  nous  a réconfortés,  encouragés.  Gomme 
vous,  nous  avons  la  conviction  que  c’est  Dieu  qui  les  a choisis 
et  qu’il  leur  réserve  une  carrière  bénie  ». 

Malheureusement  la  situation  politique  était  encore  trou- 
blée au  moment  où  M.  Huguenin  arrivait  à Taïti,  et  ce  n’est 
que  le  3 avril,  jour  de  Pâques,  que  le  gouverneur  l’a  au- 
torisé à quitter  Papéété  pour  rejoindre  le  poste  qui  lui  est 
assigné.  Cependant  le  séjour  un  peu  prolongé  que  M.  Hu- 
guenin a dû  faire  à Taïti  même  n’a  été  perdu  ni  pour  lui  ni 
pour  nos  amis  qu’il  a pu  seconder  dans  leur  lourde  tâche. 

Ajoutons  que  M.  Brunei  a pu  aller  à la  rencontre  de  nos 
voyageurs,  et  les  conduire  lui-même  à Raïatéa. 


RAPPORT 

DE  LA  CONFÉRENCE  MISSIONNAIRE  DES  ILES  DE  LA  SOCIÉTÉ 
sur  l’Exercice  1895-1896. 


.4  messieurs  lés  membres  du  Comité  des  Missions  évangéliques 
de  Paris. 

Papéété.  Taïti,  12  janvier  1896. 

Messieurs  et  très  honorés  frères, 

Le  14  décembre  1895,  vos  missionnaires  des  Iles  de  la  So- 
ciété se  sont  réunis  à Papéété  afin  d’examiner  ensemble,  et 


284 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


sous  le  regard  de  Dieu,  les  résultats  obtenus  dans  leurs  dif- 
férents champs  de  travail,  au  cours  de  l’année  dernière,  ainsi 
que  les  besoins  qui  s’imposent  à eux  pour  une  nouvelle 
année. 

C’est  le  résumé  de  ses  délibérations,  aussi  bien  qu’un  extrait 
de  notes  particulières  fournies  par  chacun  de  ses  membres, 
que  la  Conférence  missionnaire  de  Taiti  me  charge,  mes- 
sieurs et  très  honorés  frères,  de  vous  transmettre  aujour- 
d’hui. 

M.  Brun  n’avait  pu  se  joindre  à nous,  mais  il  nous  avait 
envoyé  son  rapport  sur  Mooréa;  par  contre,  M.  Brunei  avait 
pu  quitter  Raïatéa,  pour  peu  de  temps  il  est  vrai,  car  il  n’est 
resté  que  trente-six  heures  à Taïti. 

Le  personnel  de  notre  mission,  vous  le  savez,  messieurs, 
n'a  subi,  au  cours  de  l’année  dernière,  aucune  modification, 
sauf  les  vides  causés  dans  nos  rangs  parle  départ  de  tous  nos 
absents  : M.  et  madame  Yiénot,  madame  Vernier  et  ses  en- 
fants, et  madame  Pourésy.  Leur  absence  se  fait  vivement  sen- 
tir pour  nous  tous,  et  à bien  des  égards;  aussi,  nous  espé- 
rons que  l’année  prochaine  ne  s’écoulera  pas  sans  les 
ramener,  en  grande  partie  du  moins,  au  milieu  de  nous. 

Divers  changements  survenus  dans  le  gouvernement  de 
notre  petit  pays,  la  question  politique  intimement  liée  ici  à la 
vie  de  nos  Églises,  les  troubles  de  Raïatéa,  tous  ces  petits 
événements,  insignifiants  peut-être  en  Europe,  mais  d’une 
importance  capitale  pour  nous,  n’ont  pas  laissé  que  de  nous 
préoccuper  beaucoup  pendant  l’année  dernière.  Plus  d’un 
point  noir  subsiste  encore  à notre  horizon,  plus  d’une  partie 
de  notre  œuvre,  vous  le  verrez  par  ces  notes,  laisse  encore 
beaucoup  à désirer  et  reste  pour  nous  un  sujet  d’anxiété  et  de  , 
prières.  Mais  nous  ne  saurions  méconnaître  que  cette  année, 
si  fertile  pour  nous  en  préoccupations  de  tout  genre,  a été 
également  féconde  en  bénédictions.  En  toute  occasion,  la 
main  du  Seigneur  a été  visiblement  avec  nous,  et,  si  les 
nuages  noirs  qui  assombrissaient  notre  ciel  ne  sont  point  ) 
encore  entièrement  dissipés,  nous  avons  la  ferme  conviction  | 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


285 


que  Dieu  saura,  le  moment  venu,  écarter  tout  obstacle  de 
notre  route  et  faire  luire  sur  toutes  nos  iles  la  pure  clarté  de 
son  Évangile. 

Les  statistiques  jointes  à ce  rapport  vous  indiquant,  mes- 
sieurs, les  divers  changements,  accroissement  ou  diminution, 
survenus  dans  chacune  de  nos  paroisses,  nous  nous  borne- 
rons aujourd’hui  à examiner  dans  leur  ensemble  chacun  de 
nos  trois  groupes  de  Taïti,  Mooréa  et  des  Iles  Sous-le-Vent, 

ï.  — Taïti  et  les  Iles  Australes . 

Grâce  à Dieu  et  au  zèle  de  son  conducteur  spirituel, 
l’Eglise  de  Papéété,  malgré  les  tentations  auxquelles  ses 
membres  sont  exposés  plus  que  partout  ailleurs,  continue  à 
être  la  lumière  placée  sur  la  montagne  et  éclairant  tous  les 
euvirons.  Laissons  d’ailleurs  la  parole  à M.  Vernier  : 

« L’Église  du  chef-lieu,  nous  dit-il,  a reçu,  au  cours  de 
l’année  écoulée,  bien  des  marques  de  la  faveur  d’En-Haut. 
Elle  a vu  ses  rangs  s’augmenter  d'un  nombre  inusité  de  mem- 
bres et  dépasse  actuellement  le  chiffre  de  300,  qu’elle  n’a  at- 
teint dans  aucune  statistique  depuis  plus  d’un  quart  de  siècle. 
Les  services  religieux  continuent  à y être  bien  suivis  le  di- 
manche; l’Esprit  du  divin  Maître  s’y  fait  sentir  dans  la  mé- 
ditation de  sa  Parole  et  dans  les  autres  moyens  de  grâce;  ceux 
qui  ont  faim  et  soif  de  justice  y trouvent  en  abondance  ce 
qu’il  faut  à leurs  âmes.  La  classe  des  candidats  à la  qualité 
de  membre  de  l’Église  est  en  permanence.  Il  y est  donné 
chaque  dimanche,  le  premier  de  chaque  mois  excepté,  les 
enseignements  destinés  à préparer  les  admissions  dans 
l’Église.  Le  recrutement  de  cette  classe  est  dû  principale- 
ment à l’activité  des  sœurs  de  l’Église  qui  recommencent 
chaque  mois  leurs  visites  d’appel  dans  les  maisons  des  in- 
décis et  des  indifférents.  Elles  mettent  à cette  œuvre  un  cou- 
rage et  une  persévérance  que  rien  ne  lasse,  et  Dieu  bénit 
leurs  efforts. 

« L’Église  a encore  montré  sa  vitalité  par  son  intérêt  pour 


joühNÂL  Bé§  i&ïssiorts  ÉVA^GÈiioûtes 


iës  oeuvres  religieuses.  Outre  les  1,750  francs  qü’elle  U sOUs- 
cfits  pour  Fcfeuvre  dès  missions  et  une  soriifrië  de  300  francs 
destinée  à l’école  pastorale,  elle  a collecté  plus  dë  500  ffattcs 
pour  des  œuvres  charitables,  ët  àjbüté  5,500  flancs  à son 
Mds  pour  IR  fconstlüction  d’iin  nouveau  tefhplë.  Les  écdlës 
reli^leusës  sotit  bieü  suivies,  délie  du  jeudi  en  particulier. 

« Â côté  de  dès  faits  èhcoürageRhts,  il  s’en  ëst  produit  qui 
ont  jeté  Une  ombre  triste  sür  le  tableaü.  beux  familles,  polir 
des  motifs  qui  paraissent  tout  autres  qu’une  conviction  véri- 
table, sont  passées  à d’ autres  communions  religieuses.  Quel- 
ques membres  de  l’Église  sont  retournés  à leur  ancien  train 
dë  vie  ët  ont  été  exclus  du  tfbupëau.  Mais  Dieu  est  puissant 
pour  lëuf  iribntref  ià  folie  de  lëiir  cbndùitë  et  les  ramener 
datis  la  bergelie.  » 

Malheureüsèrilerit,  toütés  lës  Églises  de  Taïti  rie  sont  pas 
aussi  florissantes  que  celle  dû  chef-lieu.  Che2  lës  ünes,  comme 
Mahinà  et  Petpara,  lé  inanqüë  de  vië  religieuse  provient 
peut-être  dë  l’état  tnalUdif  dë  leurs  pastëürs;  d’aütres,  aVëc 
d’excellents  cdhduCtèurs  splritüels,  se  montrent  trop  accessi- 
bles Rux  tentatibiis  qili  les  entourent.  Pour  toutes,  les  fêtes 
dti  14  jÜillet,  auxquelles  on  avait  voulu  donner  cette  année 
iinë  splëtideur  tdütë  particulière,  ont  été  une  triste  pierre 
d’achoppëinënt.  Placés  entre  lès  coiürtiandemeùts  de  Dieu  et 
lës  désirs  de  leur  cCéur,  nos  pauvrès  indigènes  cèdent  trop 
souvent  à cës  derniers,  tranquillisant  leur  CoiiscièhCe  avec  le 
fallacieux  prétexte  qùe  ëe  qui  est  établi  par  le  gouvernement 
ne  saurait  être  mauvais.  PoUrràit-oh  lës  en  blâttier  lorsque 
de  plùs  éclairés  donnent  l’ëxemple  de  ces  réjouissances  cou- 
pables ! Mâis  quelle  humiliation,  pour  nous  Français,  dè  voir, 
sous  cbüleur  de  patriotisme,  remettre  en  honneur  des  dansés 
dbëëènes,  interdites  autrefois  par  les  lois  du  protectorat,  et 
inviter  tbüt  Üh  peuple  âla  débauche. 

L’Église  de  Punania  R été  tout  particulièrement  éprouvée. 
Par  unë  inconcevable  confusion,  relativement  à ee  qui  est 
permis  à des  chrétiens  et  ce  qui  ne  l’est  pas,  plusieurs  ont 
pris  part  â cës  danses  ressuscitées  du  paganisme.  La  fidélité 


société  ÜeS  Missions  évangéliques  dé  paris 


2$7 


courageuse  du  pastëur  â avertir  ses  brebis  égarées  lui  a valb 
d’âbord  le  mécontentemëtit  de  bèaucoüp  de  membres  de  là 
paroisse,  qui  ën  soiit  Veriüs  à le  Qualifier  de  bergèr  infidèle, 
puis  une  haine  que  riül  nfe  chëfchait  a déguiser.  Comme 
conséquence,  l’Esprit  de  Dieu  S’èst  rëtiré  de  plusiëufS,  les- 
quels ont  fait  chütë  süf  chiite  et  dût  été  retranchés  du  trou- 
peau. Pëhdàïit  pliisièurs  itidis  les  cultes  püblics  ont  été  beau- 
coup moins  fréquentés  qu’aupartivant,  et  un  grand  nonibrë 
des  enfahts  ont  désappris  le  chemin  des  écbles  religieuses. 
Le  pasteur  et  sa  compagne  gémissent  encore  sür  les  égare- 
itients  de  leurs  brebis  perdues  et  soupirent  après  des  jours 
meilleurs. 

À Tiaréi  également,  le  troupeau  et  le  berger  de  ce  district, 
qiii  pouvaient  être  donnés  ratifiée  dernière  eü  exemple  a 
beaucoup,  ont  subi,  à l’oècasion  des  fêtes,  une  épreuve  infi- 
niment regrettable  potif  leur  foi  et  leur  vie  chrétienne.  Soit 
rtianqüe  dé  lumièrès  chez  le  pastëur,  sbit  crainte  d’être  mdl 
vus  en  haut  lieu,  ils  ont  cru  devoir  être  non  seülëmetit  spec- 
tateurs, mais  aiissi  acteiirs  dans  des  amusements  qui  ne  pou- 
vaieht  qu’être  préjudiciables  à leur  piété.  Plusieurs  se  sont 
livrés  aux  exèès  de  riritëtiipëftiiice,  et  une  quihzainë  de  mem- 
bres qüi  ont  persisté  datis  leürs  égarements  ont  dû  être 
exclus  dii  troupeau.  Seul,  uti  diacre  a eu  le  courage  moral  de 
refuser  toute  participation  à des  choses  que  condamnait  sa 
conscience,  et,  enprésëtice  des  menaces  les  plüs  sévères,  qui, 
dti*  resté,  n’bnt  pas  été  ëxécutéëS,  il  s’est  déclaré  tout  prêt  à 
se  laisser  conduire  ëii  pHsdti.  Il  a été  vraiment  le  sel  de  la 
terre,  et,  en  proclamant  lës  droits  de  lâ  conscience,  ce  n’ëst 
pas  sètilemënt  à l’Église  de  Tiarëi  qu’il  a donné  une  leçon 
très  bpportüne,  mais  à beaucoup  d’autres  Églises,  y compris 
leurs  conducteurs. 

Assez  éloignées  de  Taïti,  et  d’un  accès  difficile  aux  vais- 
seaux, les  Iles  Australes  sont  moins  exposées  aux  tentations 
mondaines  ; aussi  la  vie  religieuse  y est-elle  prospère  et  l'œu- 
vre de  Dieu  s’y  poursuit  avec  fruit.  Raïvavaé  construit  un 
nouveau  temple.  Tutuhaï  et  Rurutu  ont  vu  deux  jeunes  gens, 


288 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Hamau  et  Puoroo,  revenir  exercer  les  fonctions  pastorales 
dans  leur  île  natale,  après  trois  années  d’études  à l’école  pas- 
torale de  Mooréa.  Malgré  tous  leurs  efforts,  les  Mormons  et 
les  Adventistes  n’ont  pas  réussi  à prendre  pied  dans  ces  îles. 

Ce  qu’il  faudrait  néanmoins  à ce  groupe  des  lies  Australes, 
ce  qu’elles  nous  réclament  depuis  longtemps,  c’est  un  mis- 
sionnaire européen,  installé  au  milieu  d’elles,  pouvant  faire 
de  fréquents  séjours  dans  chaque  île,  organiser  les  écoles  et 
stimuler  le  zèle  de  nos  pasteurs  indigènes,  très  bien  disposés, 
mais  souvent  un  peu  endormis.  La  difficulté  et  la  lenteur  des 
communications,  ainsi  que  les  multiples  occupations  qui  le 
retiennent  à Papéété,  n'ont  jamais  permis  à M.  Vernier  de  vi- 
siter ces  îles  comme  il  l’aurait  voulu.  Deux  fois  seulement  il  a 
pu  se  rendre  àRurutu  et  à Rimatara,  jamais  encore  à Tuhuaï 
et  à Raïvavaé.  Devrons-nous,  là  aussi,  attendre  que  le  pays 
soit  ouvert  aux  prêtres,  pour  reconquérir  ensuite,  et  au  prix 
de  quels  efforts!  des  îles  qui,  à l’heure  actuelle,  sont  entière- 
ment protestantes  ? 

Bien  importante  aussi  est  la  place  qu’occupe  dans  nos 
préoccupations  et  dans  nos  prières  cet  immense  archipel  des 
Tuamotous,  comptant  plus  d’une  centaine  d’îles,  si  proche 
de  nous  et  sur  lequel  nous  n’avons  pu  jusqu’ici  exercer  au- 
cune action  sérieuse,  faute  d’ouvriers  et  de  moyens  de  com- 
munication. 

Si,  comme  nous  l’espérons  fortement,  messieurs  et  très 
honorés  frères,  ils  vous  est  possible  de  nous  accorder  le  ba- 
teau missionnaire  que  nous  vous  demandons,  ce  sera  pour 
notre  mission  océanienne  un  grand  pas  de  fait.  Mais  ce  ne 
sera  pas  tout  : nous  aurons,  si  je  puis  m’exprimer  ainsi,  le 
chameau  qui  nous  permettra  de  traverser  le  désert,  mais  où 
est  celui  qui  le  montera? 


(A  suivre.) 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


289 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


LA  CARTE  DES  MISSIONS  POUR  L’AN  1895  A 1896  (1). 

Notre  première  parole  sera  celle  de  l’action  de  grâces.  Oui  : 
Béni  soit  Dieu  de  nous  avoir  délivrés,  pour  le  moment  du 
moins,  de  toute  inquiétude  matérielle!  Nous  voulons  rester 
accessibles  et  attentifs  à toute  question  sérieuse,  à toute  cri- 
tique sincère.  Mais  nous  tenons  à exprimer  aujourd’hui  notre 
gratitude  à nos  fidèles  collaborateurs,  à ces  milliers  de  chré- 
tiens de  France,  de  Hollande,  de  Suisse,  d’Italie,  etc.,  qui  ont 
pourvu,  par  leurs  généreux  concours,  à ce  que  des  questions 
angoissantes  ne  fussent  pas  même  posées. 

Notre  Société  a conservé  de  ses  débuts  une  sorte  de  tradi- 
tion œcuménique  et  l’habitude  de  rester  en  rapport  de  sym- 
pathie avec  le  mouvement  missionnaire  général  de  l’époque. 

Les  baron  de  Staël,  les  Lutteroth,  les  Monod,  les  Pres- 
sensé  et  surtout  le  grand  Stapfer,  qui  avaient  cru  d’abord 
ne  fonder  qu’une  Société  auxiliaire  de  Bâle,  puisaient  leurs 
motifs  dans  les  pensées  les  plus  élevées  et  ont  prouvé  que 
l’intérêt  pour  l’œuvre  des  missions  est  particulièrement 
propre  à élargir  les  cœurs  et  à ennoblir  les  âmes.  Ce  ne  fut 
que  peu  à peu  qu’ils  furent  conduits  par  la  Providence  à 
prendre  en  mains  la  conquête  du  monde  païen.  Les  nouvelles 
du  champ  des  missions  étaient  rares  à cette  époque  et  les 
journaux  missionnaires  peu  nombreux;  aussi  cherchaient-ils 


(1)  Extrait  d’une  allocution  prononcée  par  M.  Appia,  à la  réunion  fa- 
milière du  26  avril  1896. 


290  JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


volontiers  leurs  exemples  dans  le  passé  le  plus  reculé  : à l’o- 
rigine même  de  l’Église  et  de  l’œuvre  des  missions. 

Notre  position  aujpurd  hui  est  différente,  et  la  difficulté 
inverse  : c’est  la  surabondance  des  faits  connus  et  constatés  j 
qui  nous  embarrasse,  puisqu’il  y a 75  à 80  grandes  Sociétés 
et  non  moins  de  journaux,  qu’entre  grandes  et  petites  Socié- 
tés on  peut  en  compter,  avec  le  docteur  Gundert,  218.  L’œu-  ! 
vre  des  missions  a non  seulement  été  mise  partout  en  évi- 
dence, mais  est  devenue  l’une  des  grandes  puissances  qui  i 
agissent  dans  le  monde.  Et  en  effet,  elle  nous  présente  deux 
mondes  ennemis,  deux  principes,  deux  armées  en  regard 
l’une  de  l’autre  : d’un  côté  le  règne  de  Dieu  avec  ses  lois,  ses  1 
droits,  ses  biens,  son  armée,  qui  a entendu  l’ordre  de  marche 
(Matthieu  XXVIII,  18)  et  qui  veut  obéir  a son  roi;  de  l’autre, 
un  royaume  de  ténèbres  avec  ses  désordres,  ses  iniquités  et 
ses  souffrances  sans  nombre,  royaume  divisé  et  déjà  ruiné 
en  principe,  mais  qui  mène  encore  ses  troupes  au  combat 
contre  le  Roi  des  rois,  obéissant,  malgré  son  désordre,  à 
l’impulsion  d’une  puissance  unique,  invisible  et  malfai- 
sante. 

Les  forces  de  la  mission  sont  avant  tout  les  motifs  qui 
l’inspirent,  les  pensées  divines  qui  en  sont  l’origine. 

Le  premier,  le  plus  grand  motif  après  l’obéissance  — on 
ne  saurait  trop  le  répéter,  — a été  d’emblée  l’amour  de  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ  pour  nous.  Voyant  l’humanité  dis- 
persée et  épuisée,  comme  un  troupeau  sans  berger,  Il  passa 
la  nuit  sur  la  montagne  et,  le  lendemain  au  matin.  Il  choisit 
ses  premiers  douze  missionnaires. 

La  même  force  qui  avait  fait  descendre  du  ciel  le  Maître, 
anima  dès  lors  les  disciples. 

« L’amour  de  Christ  nous  presse  et  nous  possède,  étant 
« persuadés,  que  si  un  seul  est  mort  pour  tous,  tous  sont 
« morts  (en  Lui),  et  qu’il  est  mort  afin  que  ceux  qui  vivent 
a ne  vivent  plus  pour  eux-mêmes,  mais  pour  Celui  qui  est 
« mort  et  ressuscité  pour  eux  » (II  Cor.  V). 

A l’amour  de  Christ  vient  s’ajouter  fé  pitfé  pour  les  âmes 


MISSES  ÉVANG^LIQyES 


perdqys,  fa  sympathie  humaine  pour  les  souffrances  c[p 
monde  païep  pt?  cpmme  jpoyen  d’entretenir  cette  sympathie, 
notre  relation  personnelle  avec  les  païens,  ou  notre  connais- 
sance détaillée  de  leur  |éfat  quj  nous  pousse  à l’action.  Nos 
assemblées  missionnaires  sont  partipulièrement  destinées  à 
faciliter  et  à répandrp  cette  connaissance  nécessaire  à une 
sympathie  jqtelligente. 

Au  moment  où  allait  commencer  |e  grand  mouvement  mis- 
sionnaire de  la  t|p  du  siècle  dernier,  vous  eussiez  trouvé  dans 
la  petite  ville  de  fyettering  un  pauvre  savetier,  raccommodant 
des  souliers;  devant  lui,  fixées  sur  fa  paroi,  quelques  feuilles 
de  papier  collées  epsemble,  sur  lesquelles  il  marquait  au 
fur  et  à mesure  les  informations  diverses  qu’il  pouvait  re- 
cueillir concernant  le  monde  païen.  Jout  en  travaillant  à ses 
souliers,  Guiflaume  Carey  priait  pour  les  païens,  étudiait  et 
complétait  sa  carte.  Essayons  de  dresser  en  pensée  la  nôtre, 
surtout  pour  l’an  1895.  Carey  éyaluai),  en  1784,  le  nombre 
des  païens  à 420  millions,  celui  des  chrétiens  à 331.  Nous 
savons  aujourd’hui,  d’après  les  statistiques  de  Warneck 
( Theologisches  Hülfsregister  : «fusfjLis  Perthes,  1892),  que  le 
monde  compte  un  nombre  environ  double  d’habitants  : 
1,470  millions,  dont  7 sont  juifs,  445  sont  chrétiens,  185  ma- 
hométans,  et  le  reste  païens.  En  1784,  la  petite  troupe  des 
missionnaires  était  imperceptible.  Aujourd’hui  l’Almanach 
de  l’ American  B oard  pour  1896  évalue  leur  nombre  à 11,574, 
en  y comptant  ceux  qui  évangélisent  les  pays  catholiques. 
Nous  l’évaluons  à 7 ou  8,000  fipmmes  et  femmes,  outre  3,750 
pasteurs  indigènes. 

A l’époque. de  Carey,  le  monde  entier  semblait  fermé.  Per- 
sonne ne  pouvait  pénétrer  en  Chine  ni  au  Japon;  aux  Indes 
anglaises  le  travail  missionnaire  était  interdit;  l’Afrique  était 
inconnue;  l'Océanie  seule  sembfait  accessible,  et  c’est  à Tahiti 
ou  à l’Afrique  occidentale  que  Carey  se  destinait;  c’est  dans 
ces  îles  lointaines  que  Dieu  exerçait  sa  jeune  armée,  l’encou- 
rageant par  des  succès  partiels,  jusqu’au  moment  où  les  bar- 


292 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


rières  tomberaient  l’une  après  l’autre,  et  où  ;le  monde  en- 
tier serait  ouvert,  comme  aujourd’hui,  aux  influences  chré- 
tiennes. 

Carev,  sachant  que  la  Parole  de  Dieu  est  la  grande  arme 
missionnaire,  a accompli  lui-mème,  avec  ses  collaborateurs, 
le  travail  inouï,  gigantesque,  de  traduire  la  Bible  entière  en 
7 langues  et  le  Nouveau  Testament  en  21;  mais  aujourd’hui, 
1895,  les  Sociétés  bibliques  disposent  de  l’Écriture  en  326  lan- 
gues et  dialectes;  selon  le  Dr  R.  Cust,  en  381.  5 langues  nou- 
velles apparaissent  annuellement  (de  1881  à 1891)  sur  la  liste, 
et  l’an  dernier  (1895),  7.  Ainsi  se  multiplient  et  se  perfec- 
tionnent les  armes.  Partout  le  nombre  des  ouvriers  s'est 
accru;  et  l’œuvre  a été  patiemment,  fidèlement  poursuivie, 
souvent  avec  beaucoup  de  larmes,  comme  sur  la  côte  occi- 
dentale de  l’Afrique,  où  la  seule  Société  de  Bâle  a perdu, 
l’an  dernier,  en  1896,  18  missionnaires.  Et  tandis  que,  dans 
les  contrées  païennes,  l’Évangile  est  fidèlement  prêché,  là 
où  la  misère  matérielle  a été  plus  pressante  que  l’ignorance 
religieuse,  comme  en  Arménie,  c’est  la  mission  qui  a nourri 
et  continue  à nourrir  des  milliers  et  des  dizaines  de  mille  de 
malheureux  mourants  et  affamés. 

Supposons  maintenant  que  nous  eussions  devant  nous 
une  grande  carte  murale,  où  tout  ce  qui  est  païen  fût  marqué 
en  noir,  et  qu’au  moyen  de  l’électricité  nous  essayions  d’v 
marquer,  en  lumière  blanche  ou  en  couleur,  les  lieux  parti- 
culièrement favorisés  pendant  l’an  1895. 

Malgré  les  indicibles  souffrances  de  nos  frères  d'Arménie, 
nous  marquerions  d’une  clarté  spéciale  les  travaux  admi- 
rables des  missionnaires  américains  dans  tout  l'Empire  turc. 

Aux  Indes,  hollandaises , nous  illuminerions  Sumatra,  avec 
ses  31,076  chrétiens  et  ses  22  stations. 

Aux  Indes  britanniques,  les  provinces  du  nord-ouest,  où  la 
seule  Société  Épiscopale  Méthodiste  signale  15,000  à 20,000 
baptêmes  par  an. 

Peut-être  aussi  le  Travancore,  où  un  évangéliste  tamyl, 
nommé  V.  David,  ancien  interprète  de  M.  Georges  Grubb, 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


293 


attire  à lui  les  foules  d’une  manière  tout  à fait  extraordinaire. 

En  Afrique , c’est  l’Ouganda  que  nous  signalerions.  Vous 
vous  souvenez  des  jeunes  martyrs  noirs,  chantant  des  psaumes 
au  sein  des  flammes,  en  juin  1886;  vous  vous  souvenez  de  la 
guerre  désastreuse  entre  catholiques,  protestants  et  musul- 
mans, en  1892.  Aujourd’hui,  en  1895,  il  y a eu,  pour  la  seule 
mission  protestante,  3,000  baptêmes  et  921  confirmations. 
L’évêque  Tucker  a compté  200  églises  bâties  ; et  j’ai  là  le  ta- 
bleau des  offices  des  23  églises  de  la  capitale  et  de  sa  banlieue. 
Yoici  ce  que  je  lis  dans  le  journal  de  mai  1896,  extrait  d’une 
lettre  de  miss  Furley,  l’une  des  premières  dames  mission- 
naires arrivées  dans  le  pays,  en  septembre  1895,  à l’immense 
joie  des  femmes  wagandas  : « Quelle  merveilleuse  église  que 
« celle  de  Mengo!  elle  rappelle  les  anciennes  peintures  des 
« constructions  de  Ninive  : 200  troncs  d’arbre  en  soutiennent 
« la  toiture  de  joncs;  et  comptez  que,  pour  hisser  chaque 
« tronc  sur  la  colline,  il  a fallu  100  hommes.  Je  n’oublierai 
« jamais  le  spectacle  que  présentait  la  cathédrale,  quand  j’y 
« entrai  : cette  vraie  mer  de  faces  noires  silencieuses  et  re- 
« cueillies;  on  en  évaluait  le  nombre  à 7,000.  Je  n’ai  pu 
« m’empêcher  de  pleurer  d’émotion  ! » 

En  Chine , ce  ne  serait  pas  encore  la  teinte  lumineuse  que 
nous  aurions  le  droit  de  projeter  sur  notre  carte,  malgré  les 
46  Sociétés  et  les  1,400  missionnaires  qui  travaillent  dans 
l’immense  empire  du  Milieu.  On  s’accorde  cependant  à recon- 
naître que  des  temps  nouveaux  s’annoncent  ou  même  ont 
commencé.  Il  est  vrai  que  les  treize  martyrs  de  Koutcheng 
parlent  de  haine  nationale  et  de  persécution;  mais  l’orgueil 
chinois  a été  humilié.  Le  conseiller  intime  de  l’empereur  a 
fait  venir  le  missionnaire  Richard,  pour  lui  demander  ses 
conseils  et  des  indications  sur  la  meilleure  manière  de  profi- 
ter de  la  civilisation  occidentale. 

Le  préfet  de  Nanking  a fait  publier  une  proclamation  qui 
justifie  les  missionnaires  chrétiens,  et  l’on  se  souvient  de  la 
Bible  imprimée  en  six  exemplaires,  dans  les  presses  de 
Schangai,  et  dont  les  femmes  chrétiennes  de  la  Chine  ont  fait 


294 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


cadeau  à l’impératrice-mère,  sous  le  titre  : « Le  livre  classique 
pour  le  salut  du  monde  ». 

Je  n’essaierai  pas  de  donner  une  teinte  blanche,  noire  ou 
grise  au  Japon;  j’ai  devant  moi  le  dernier  rapport  de  V Ameri- 
can Board  partagé  en  deux  : le  côté  obscur  ou  les  craintes, 
et  le  côté  clair  ou  les  espérances.  C’est  dire  qu’il  y a place 
au  Japon'  pour  les  unes  et  les  autres.  Et  néanmoins,  quelle 
transformation  parmi  ces  41  millions  de  Japonais,  depuis  le 
temps  où  les  missionnaires  ne  pouvaient  encore  enseigner  que 
les  mathématiques,  la  mécanique  ou  la  géographie! 

G.  Appia. 


BIBLIOGRAPHIE 

On  nous  communique  la  note  suivante  : 

«Nous  sommes  heureux  de  pouvoir  annoncer,  dans  les  co- 
lonnes de  ce  journal,  la  traduction  française  des  Nouveaux 
Actes  des  apôtres,  du  Dr  Pierson,  qui  paraîtra  D.  Y.  en  no- 
vembre, avec  une  préface  de  M.  le  professeur  Charles  Porret, 
de  Lausanne,  par  les  soins  de  M.  le  pasteur  Dardier,  de  Ge- 
nève. Ce  livre  est  une  merveilleuse  condensation  de  l’histoire 
des  missions,  surtout  pendant  ce  dernier  siècle.  La  thèse 
qu’il  développe,  c’est  que  les  temps  apostoliques  revivent  avec 
leur  caractère  héroïque,  extraordinaire,  miraculeux,  dans 
l’ère  des  missions.  On  ne  sait  ce  qu’il  faut  admirer  le  plus 
dans  cet  ouvrage,  de  la  hardiesse  et  de  la  nouveauté  des 
aperçus,  de  la  richesse  des  informations  ou  de  la  poésie  du 
style.  On  pourrait  presque  l’appeler  le  « poème  des  missions  », 
tant  l’auteur  écrit  avec  enthousiasme  et  d’une  manière  en- 
traînante. Nous  ne  pouvons  en  donner  ici  une  idée  complète. 
Qu’il  nous  suffise  de  dire  que  dix-sept  esquisses  biographi- 
ques de  missionnaires  célèbres  n’en  forment  qu’une  minime 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


295 


partie,  80  pages  sur  plus  de  500.  C’est  une  mine  inépuisable 
d’anecdotes.  En  même  temps,  les  vues  d’ensemble  n’y  font 
pas  défaut.  C’est  un  des  ouvrages  les  mieux  faits  pour  sti- 
muler, par  une  perpétuelle  leçon  de  choses,  en  même  temps 
que  par  de  magistrales  études  bibliques,  la  soif  de  l’extraor- 
dinaire chrétien.  Le  prix  du  volume  pour  les  souscripteurs 
sera  de  2 fr.  60  franco  (5  exemplaires,  11  fr.  25;  10  exem- 
plaires 22  fr.  50)  payables  à.  la  réception  du  volume.  La  sous- 
cription est  ouverte  jusqu’au  30  juin.  S'adresser  à M.  Wyler , 
4 , boulevard  du  Théâtre , Genève.  » 

Le  traducteur  : D.  Lortsch. 

i 

DERNIÈRE  HEURE 

Un  bateau  missionnaire  pour  Taïti. 

Nos  lecteurs  auront  vu,  dans  le  rapport  de  la  Conférence  de 
Taïti,  le  vœu  exprimé  par  nos  frères  de  posséder  un  bateau 
missionnaire  pour  faciliter  le  travail  de  direction  religieuse 
et  d’évangélisation  qui  leur  incombe  dans  les  nombreux 
archipels  ouverts  à leur  influence.  Ce  travail,  à la  fois  pasto- 
ral et  missionnaire,  se  poursuit  actuellement  dans  des  condi- 
tions très  défavorables.  Un  bateau  appartenant  à la  Société 
en  serait  l’instrument  nécessaire.  La  conférence  de  Taïti, 
pénétrée  de  cette  conviction,  a chargé  M.  Viénot  de  la  faire 
partager  au  Comité.  Notre  frère  y a réussi  et,  dans  une  de  ses 
dernières  séances,  le  Comité  a décidé  l’acquisition  du  bateau 
demandé. 

Cette  décision  a été  prise  dans  des  conditions  qui  nous 
paraissent  de  nature  à la  justifier  pleinement  aux  yeux  des 
amis  des  missions. 

Tout  d’abord,  ce  n’est  qu’après  plusieurs  délibérations  et 
après  une  longue  et  minutieuse  enquête,  que  le  Comité  a 
pris  sa  résolution.  Instruit  par  l’expérience,  il  a tenu  à ne 


296 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


décider  une  acquisition  aussi  importante  qu’après  s’être  en- 
touré de  toutes  les  lumières  propres  à éclairer  son  jugement. 

En  second  lieu,  il  a été  entendu,  sur  la  proposition  même 
de  M.  Viénot,  que  les  fonds  destinés  à l’achat  du  bateau  se  - 
raient  demandés  de  préférence  à des  personnes  qui,  jusqu’à 
présent,  n’ont  pas  coopéré  à l’œuvre  des  missions  mais  qui  se 
sentiraient  poussées  à faire  un  don  pour  cet  objet  spécial. 
Dans  tous  les  cas,  la  collecte  pour  le  bateau  ne  devra  porter 
aucune  atteinte  aux  ressources  de  l’œuvre  générale. 

Enfin,  le  Comité  a tenu  à communiquer  à la  conférence  de 
Taïti  le  projet  sous  la  forme  définitive  qu’il  a prise  après 
l’élaboration  à laquelle  il  a été  soumis.  Ainsi  sera  constaté 
jusque  dans  le  détail  le  plein  accord  entre  les  parties  inté- 
ressées; mais  cet  accord  existe  dès  maintenant  sur  le  prin- 
cipe et  les  grandes  lignes  du  plan  adopté  ; c’est  dire  que  la 
souscription  pour  le  bateau  missionnaire  de  Taïti  est,  dès  à 
présent,  ouverte. 


-s - — ff  C523  "b  — su 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20384. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


297 


SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


ENCORE  ON  SUJET  D’ACTIONS  DE  GRACES 


Je  ne  mourrai  point,  mais  je  vivrai, 
et  je  raconterai  les  œuvres  de  l’Éter- 
nel.  (Psaume  CXVIII,  17.) 

Un  nouveau  sujet  d’actions  de  grâces  s’ajoute  à ceux  qui 
nous  ont  été  accordés  ces  derniers  mois.  Le  cher  et  vénéré 
fondateur  de  la  mission  du  Zambèze,  M.  Goillard,  est  parmi 
nous.  Le  18  juin,  à sept  heures  du  soir,  nous  avons  eu  la  joie 
de  le  saluer  à la  gare  du  Nord,  et,  depuis  lors,  il  est  l’hôte  de 
notre  Maison  des  missions. 

Que  de  délivrances  il  a fallu  pour  que  ce  revoir  pût  s’ac- 
complir! Lui-même  seplaitàles  énumérer,  et  l’un  de  nos  vice- 
présidents  nous  exhortait  aussi,  dans  le  service  d’actions  de 
grâces  qui  a suivi  la  réception  de  M.  Goillard  par  le  Comité, 
à n’en  oublier  aucune. 

Si  M.  Goillard  et  nos  amis  Jalla  avaient  quitté  le  Zambèze 
seulement  quinze  jours  plus  tard,  ils  eussent  pu  être  arrêtés 
juillet  1896.  23 


298 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


en  plein  désert  par  la  peste  bovine  et  se  trouver  en  détresse, 
sans  moyen  d’avancer,  au  cœur  du  pays  des  Matébélés,  au 
moment  même  des  troubles  qui  ensanglantent  cette  région. 
Mais  Dieu  veillait  sur  nos  voyageurs  ; il  les  a gardés  de 
tous  ces  périls,  et  ils  ont  pu  atteindre  Kimberley,  où  des  soins 
Intelligents  et  une  intervention  médicale  devenue  indispen- 
sable ont  délivré  M.  Coillard  des  cruelles  douleurs  qui  le  tor- 
turaient. C’est  ainsi  qu’il  est  arrivé  au  Cap  et  a pu  prendre  son 
passage  sur  le  Warwick-Castle , refusant,  malgré  les  instances 
d’amis  préoccupés  de  lui  assurer  un  voyage  plus  conforta- 
ble, de  retarder  de  huit  jours  son  départ,  et  échappant  ainsi 
au  terrible  naufrage  du  Drummond-Castle  ! 

En  prolongeant  ainsi  les  jours  de  son  serviteur,  en  nous  le 
rendant  fatigué,  certes,  moins  fort  qu'il  y a quatorze  ans, 
mais  cependant  en  santé,  Dieu  n’a-t-il  pas  montré  qu’il  lui 
réservait  une  tâche  à remplir  parmi  nous? 

Certes,  le  retour  de  M.  Coillard  doit  avoir  pour  effet  de 
donner  à la  mission  du  Zambèze  une  impulsion  nouvelle. 
Mais  à côté  et  au-dessus  de  ce  résultat,  nous  en  entrevoyons 
un  autre,  plus  élevé  encore  : c'est  de  contribuer  au  réveil  de 
nos  Églises  et  de  les  associer  plus  étroitement  à l’œuvre  de 
Dieu,  non  pas  tant  par  des  appels  à leur  libéralité  que  par  la 
prédication  de  la  vie  crucifiée  et  consacrée. 

Au  moment  où  il  débarquait  à Londres,  M.  Coillard  rece- 
vait une  invitation  à se  rendre  au  concile  presbytérien  qui 
allait  se  réunir  à Glasgow.  L’occasion  était  bonne  pour  plai- 
der la  cause  du  Zambèze,  et  cependant  M.  Coillard  refusa, 
tenant  à venir  sans  retard  s’asseoir  au  foyer  de  notre  famille 
missionnaire  française  et  désirant  que  sa  première  parole 
publique  fût  prononcée  à Paris. 

Nous  voyons  dans  ce  simple  fait  une  promesse.  Oui,  Dieu 
bénira  et  rendra  fécond  le  séjour  de  M.  Coillard  parmi  nous. 
Ce  réveil  missionnaire  que  nous  demandons  et  qui,  sur  plus 
d’un  point,  semble  s’annoncer,  cette  consécration  à Dieu  de 
nos  maisons,  de  nos  intérieurs  de  famille,  de  tout  ce  qui  est 
à. nous;  ces  vocations  nombreuses  que  nous  désirons  et  que 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


299' 


l’œuvre  réclame,  il  accordera  à son  serviteur  d’y  contribuer 
puissamment,  lui  procurant  ainsi  cette  joie,  la  plus  douce  que 
le  missionnaire  puisse  goûter  sur  cette  terre  après  celles  que 
lui  donne  la  conversion  des  païens  : la  certitude  d’avoir  été 
l’instrument  d’une  bénédiction  pour  l’Église  et  le  pays  dont  il 
est  le  fils. 


.<*  <?  ' ‘ts  i~-~  p — ■ 

A NOS  DONATEURS 
Remerciements  d’un  missionnaire. 

Avec  quelle  joie  et  quel  soulagement  nous  avons  appris 
qu’il  n’y  avait  pas  de  déficit!  Nous  osions  à peine  l’espérer, 
mais  nous  aurions  dû  croire  davantage  en  Dieu  et  dans  les 
amis  des  missions.  Pour  nous,  qui  sommes  au  loin,  le  mot 
de  «déficit»  a quelque  chose  de  lugubre  et  de  décourageant. 
Nous  allons  aux  extrêmes,  et  nous  voyons  déjà  la  pau- 
vreté, l’œuvre  arrêtée  ou  diminuée,  et  plus  encore.  Nous 
avons  tort.  Nous  ne  connaissons  pas  les  trésors  de  dévoue- 
ment, de  générosité  et  d’amour  que  renferment  nos  Églises 
de  langue  française.  Nous  le  voyons  quand  nous  faisons, 
une  fois  dans  notre  vie,  une  tournée  dans  ces  Églises.  Je 
suis  reparti  de  France  avec  le  souvenir  bienfaisant  de  tous 
les  égards  qu’on  m’a  témoignés  en  France  et  en  Alsace,  en 
Suisse  et  en  Hollande,  uniquement  parce  que  j’étais  un  mis- 
sionnaire. Mais,  de  loin,  nous  discernons  moins  bien  ces 
choses-là  et  nous  prenons  vite  peur... 

...  J’aime  beaucoup  penser  à ceux  qui  ont  fait  ce  grand 
effort  pour  écarter  ce  déficit.  Je  crois  partager  leur  joie 
lorsque  la  bonne  nouvelle  leur  est  parvenue.  Ils  se  sont  dit  : 
« Je  suis  pour  quelque  chose  dans  cette  victoire.  J’y  ai  été  de 
mes  cinq  sous  ou  de  mes  cent  francs  » . Je  me  réjouis  d’avance 
de  lire  leurs  noms  sur  la  couverture  du.  Journal,  lecture  que 


300 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


je  fais  religieusement,  pieusement,  avec  beaucoup  d'intérêt 
et  force  sentiments.  Je  ne  connais  presque  aucun  donateur, 
mais  je  lis  leurs  noms  et  les  aime  tout  autant. 

On  voudrait  savoir  qu’ils  ont  non  seulement  donné,  mais 
reçu.  Quand  on  donne  bien,  on  reçoit  quelque  chose  en  re- 
tour. Bien  donner,  c’est  jouer  à qui  perd  gagne.  Nos  amis  ont 
vu  ce  qu’ils  peuvent  faire,  c’est-à-dire  beaucoup.  Ils  peuvent 
être  fiers,  ou  plutôt  reconnaissants,  de  la  force  qu'ils  pos- 
sèdent et  qu’ils  viennent  de  constater  une  fois  de  plus. 

Et  puis,  il  n’y  a pas  à dire,  il  n’y  a de  plaisir  à donner  que 
quand  on  fait  un  sacrifice;  quand  on  se  prive,  qu’on  s’impose 
donc  une  certaine  souffrance,  alors  commence  le  plaisir  de 
donner.  Il  y a des  gens  qui  ne  jouissent  pas  de  donner,  parce 
qu’ils  ne  donnent  pas  assez.  Il  manque  à leur  don  l’élément 
du  sacrifice,  le  fait  du  renoncement  qui  apporte  la  vraie  jouis- 
sance. Il  serait  étrange  de  dire  à quelqu’un  : Vous  n’aimez 
pas  donner,  il  vous  coûte  de  donner,  parce  que  vous  donnez 
trop  peu.  Ce  quelqu’un  s’étonnerait  si  nous  lui  parlions 
ainsi...  Mais  j’ai  peut-être  tort.  Le  fin  fond  de  l’affaire,  le 
secret  de  la  joie  de  la  libéralité,  c’est  l’amour  qui  seul  peut 
provoquer  les  sacrifices,  qui  seul  trouve  du  bonheur  dans 
le  renoncement. 

En  tous  cas,  — et  toute  théorie  à part,  — je  me  figure  que 
les  sommes  qui  ont  été  envoyées  à la  Société  représentent 
beaucoup  de  sacrifices  réels,  beaucoup  de  renoncement,  beau- 
coup d’amour,  donc  aussi  beaucoup  de  joie  pour  ceux  qui  les 
ont  données.  Et  c’est  comme  cela  que  cela  doit  être... 

— 


VOYAGE  ET  ARRIVÉE  DE  M.  COILLARD 


Nos  lecteurs  nous  sauront  gré  de  leur  faire  part  des  der- 
nières lignes  reçues  de  M.  Coillard  pendant  son  long  et  diffi- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


301 


cile  voyage. Voici  d’abord  quelques  extraits  d'une  lettre  écrite 
encore  en  Afrique. 

Wynburg,  20  mai  1896. 

...  « Ce  billet  est  le  dernier  que  vous  recevrez  de  moi  d’A- 
frique. Dieu  voulant,  je  m'embarquerai  demain  avec  mes  deux 
Zambéziens,  à bord  du  Warwick  Castle , comme  je  vous  l‘ai 
déjà  annoncé.  A cette  saison,  tous  les  paquebots  sont  pleins, 
les  places  assurées  des  mois  à l’avance.  C’est  à grand’peine 
que  j’ai  pu  en  trouver  une  déjà  occupée  par  cinq  autres  pas- 
sagers. Mes  amis,  MM.  Matthewet  Cartwright  s’en  sont  émus 
et  ont  trouvé  moyen,  par  leur  grande  influence,  d’obtenir 
pour  moi  une  cabine  de  première,  tout  en  restant  un  passager 
de  deuxième  classe.  Le  Seigneur  est  bon  pour  moi;  il  a in- 
cliné bien  des  cœurs  envers  moi,  l’un  de  ses  petits.  Je  suis 
confondu  des  bontés  dont  j'ai  déjà  été  l’objet  pendant  mon 
séjour  dans  ces  parages. 

« Quel  immense  changement  s’est  opéré  ici  depuis  1837! 
L’Église  hollandaise  s’est  réveillée  de  sa  léthargie,  et  non 
seulement  elle  a appris  à donner  de  son  argent,  mais  elle  a 
aussi  appris  à donner  de  ses  enfants.  Je  crois  qu’il  y a cinq 
Murray  missionnaires, — soit  au  Transvaal,  au  pays  de  Banyaïs 
et  au  Nyassa,  — dont  un  fils  d’Andrew  Murray,  les  autres,  ses 
neveux,  sans  compter  sa  propre  fille  et  le  fils  et  la  fille  de 
M.  Neethling,  son  beau-père.  N’est-ce  pas  beau?  Reconnais- 
sons-le  : le  Seigneur  a fait  de  grandes  choses. 

« Je  voudrais  avoir  le  temps  de  vous  dire  un  peu  ce  que  j'ai 
vu  et,  en  omettant  les  écoles,  vous  parler  d’un  établissement, 
à Worcester,  pour  les  aveugles  et  les  sourds-muets.  C’est 
vraiment  admirable,  et  j’avoue  que  tout  cela  m’a  pris  par 
surprise.  Je  comprends  qu’on  ait  au  sud  de  l’Afrique  des 
usines  pour  la  confection  des  confitures  et  la  conservation 
des  fruits  et  même  pour  la  fabrication  des  meilleures  allu- 
mettes chimiques  que  je  connaisse.  Mais  un  établissement  de 
sourds-muets,  — et  il  s’y  trouve  actuellement  70  élèves,  gar- 
çons et  filles  — voilà  qui  éclipse  à mes  yeux  tout  le  reste. 


302 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


« Et  puis  j’aurais  à vous  parler  de  ces  noirs  qui,  à Wor- 
cester,  soutiennent  leurs  pasteurs,  et  ont  des  écoles  de  tous 
grades;  de  ces  noirs  qui  ont  bâti  leur  église,  une  très  belle  église, 
qui  ne  le  cède  en  rien  à aucune  église  de  blancs  des  environs, 
tant  pour  l’architecture  que  pour  l’ameublement  de  l’inté- 
rieur. C’est  la  Société  de  Barmen  qui  travaille  là. 

« Et  surtout  c’est  de  Wellington  que  j’aurais  à vous  parler. 
M.  Pauw,  qui  a succédé  à notre  vénéré  M.  Bisseux,  me  disait  : 
« Ah!  cet  homme  de  Dieu  avait  posé  de  solides  fondements; 
nous  n’avons  eu  qu’à  édifier,  nous  ».  Et  il  me  racontait  quels 
sacrifices  ces  noirs,  maintenant  tout  à fait  civilisés,  ont  faits 
depuis  dix  ans  pour  acquérir  un  terrain,  bâtir  l’église,  les 
écoles,  leur  beau  presbytère,  et  entretenir  leur  pasteur,  auquel 
ils  font  un  traitement  de  5,000  francs,  ou  plus,  et  il  ajoutait  : 
« Dites  aux  chrétiens  de  France  que  leurs  sacrifices  et  les  la- 
beurs de  leur  vénéré  représentant  n’ont  pas  été  vains.  » 

» Aller  voir  la  chapelle,  maintenant  une  grande  et  belle  église, 
la  chaumière  où  M.  Bisseux  a vécu  et  commencé  son  œuvre 
parmi  les  esclaves  des  descendants  des  réfugiés  français  à la 
Vallée  du  Charron,  c’était  en  quelque  sorte  un  pèlerinage. 
J’aurais  voulu  Détendre,  ce  pèlerinage  de  vénération  et  d’af- 
fection, jusqu’à  Montagu,  où  ce  vétéran  de  la  vieille  roche 
s’est  endormi,  il  y a six  mois,  et  où  il  repose  jusqu’au  matin 
de  la  résurrection.  Je  n'ai  pas  pu.  Partout  le  nom  de  ce  père 
de  notre  mission  française  en  Afrique  est  entouré  d’affection, 
et  sa  mémoire  est  en  bénédiction. 

» M.  Andrew  Murray  m’a  lu  quelques  extraits  d’un  journal 
tenu  par  une  fermière  hollandaise  — descendante  de  hugue- 
nots, — où  elle  raconte  l’intérêt  qu’elle  prend  au  salut  de  ses 
esclaves  et  à tout  ce  qui  se  fait  pour  eux.  Elle  raconte  com- 
ment la  première  église  a été  construite  par  eux  à la  Vallée 
du  Charron  : un  tel  s’engageait  à donner  le  travail  de  tant 
d’esclaves;  un  autre  de  tant  de  journées  à rouler  des  pierres; 
un  troisième  à fournir  tels  ou  tels  matériaux,  etc.  11  y a 
soixante-dix  ou  quatre-vingts  ans  de  cela.  Cette  vénérable 
chrétienne,  qui  devançait  son  Église  d’un  siècle,  se  consacrait 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


303 


à l'éducation  de  ses  « chers  esclaves  »,  c’est-à-dire  qu’elle 
leur  enseignait  à lire',  elle  leur  enseignait  aussi  l’histoire  bi- 
blique et  le  catéchisme,  et  se  réjouissait  des  moindres  pro- 
grès qu’ils  faisaient. 

» Un  jour  où  plusieurs  d’entre  eux  furent  baptisés  et  admis 
à la  Sainte-Gène,  elle  fut  transportée  de  joie  et  de  louanges. 
Elle  était  émue,  elle  aurait  voulu  s’asseoir  à la  sainte  table 
avec  eux.  Mais  les  préjugés  de  son  milieu  étaient  encore 
trop  formidables. 

» J’ai  supplié  M.  Andrew  Murray  de  publier  quelques-unes 
de  ces  feuilles;  elles  appartiennent  à l’Église  et  sont  des 
plus  édifiantes.  J’espère  qu’il  le  fera. 

» Au  Cap  aussi,  nous  avons  été  chaleureusement  accueillis. 
Un  ami,  à moi  inconnu,  mais  qui  dit  m’avoir  entendu  il  y a 
dix-sept  ou  dix-huit  ans,  m’envoyait,  même  avant  de  m’avoir 
vu,  un  chèque  de  230  fr.  J’ai  eu  de  la  joie  à revoir  M.  et  ma- 
dame Matthew,  de  très  vieux  amis,  et  aussi  M.  Cartwright,  un 
ardent  ami  de  notre  mission  et  un  homme  zélé  pour  le  ser- 
vice de  Dieu  et  l’évangélisation.  C’est  un  laïque,  un  grand 
commerçant,  un  homme  des  plus  affairés,  mais  qui  ne  vous  le 
fait  jamais  sentir.  11  a du  temps  pour  tout  et  pour  tous.  Il 
évangélise  et  il  est  un  des  conférenciers  les  plus  goûtés  et, 
avec  des  magnifiques  projections,  « un  conférencier  idéal  », 
comme  disent  les  journaux.  Je  suis  son  hôte  ici  à sa  maison 
de  campagne. 

» Et  maintenant,  il  me  faut  clore.  Je  ne  sais  pas  si  le  mieux 
dont  je  jouis,  malgré  ma  faiblesse,  sera  permanent.  Mais  je 
bénis  le  Seigneur  de  ce  qu’il  m’accorde,  même  si  ce  n’était 
qu’un  temps  de  répit.  » 


Londres,  13  juin  1896. 


Cher  monsieur  Boegner, 

« Que  c’est  donc  aimable  de  votre  part  de  m’avoir  envoyé,  à 
bord  même  du  Warwick,  un  message  de  bienvenue!  Vos  pa- 
roles, si  pleines  d’affection  et  d’encouragement,  m’orit  touché 


304 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


et  m’ont  fait  du  bien.  Oh  ! si  vous  attendez  quelque  chose  de 
moi,  souvenez-vous  que  je  ne  suis  qu’un  pauvre  vase  fêlé  et 
vide,  et  demandez  ardemment  au  Seigneur  qu’il  me  remplisse 
de  sa  grâce  et  m'oigne  de  son  Saint-Esprit.  Je  viens  à vous 
tremblant,  plein  de  défiance  de  moi-même,  écrasé  par  le 
sentiment  de  mon  incapacité.  Je  suis  rouillé,  je  ne  suis  pas 
l’homme  de  la  mission.  Je  serais  enclin  à vous  dire  : 
a Donnez-moi  de  votre  huile,  car  ma  lampe  s’éteint.  » Mais 
je  sens  de  plus  en  plus  combien  je  dois  me  rejeter  entière- 
ment sur  le  Seigneur.  Le  trouble  de  mes  pensées  est  un 
manque  de  foi,  je  le  sais.  Dieu  n’a-t-il  pas  choisi  les  choses 
folles  de  ce  monde,  les  faibles,  les  méprisées,  les  viles  et  les 
ignorantes,  et  même  celles  qui  ne  sont  point  pour  accomplir 
son  œuvre  et  glorifier  son  nom  ? 

« Qui  a fait  la  bouche  de  l’homme,  ou  qui  a fait  le  muet  ou 
le  sourd,  le  voyant  ou  l’aveugle?  N’est-ce  pas  moi  l’Éternel? 
Va  donc  maintenant  »,...  dit-il  à Moïse.  — a Va  donc  mainte- 
nant »,  m’a-t-il  dit.  Je  l’ai  compris.  Cela  me  suffit. 

« Ce  n’est  qu’hier  matin  que  nous  avons  débarqué  à Londres 
même,  après  le  plus  beau  voyage  que  l’on  puisse  désirer.  Un 
temps  de  vrai  repos  et  de  bénédiction  pour  moi.  Le  temps  a 
été  magnifique.  Il  est  vrai  qu’après  avoir  dépassé  Las  Palmas 
et  dans  le  golfe  de  Gascogne,  une  rafale  est  venue  briser  la 
monotonie  du  voyage;  la  mer  a été  passablement  houleuse. 
Mais,  à me  voir  si  bien  portant,  jouissant  de  bonnes  nuits  de 
sommeil  et  doué  d’un  excellent  appétit,  — deux  bienfaits  qui, 
depuis  longtemps,  n’existaient  plus  pour  moi  que  dans  le  sou- 
venir, — j’aurais  pu  me  croire  un  tout  jeune  homme  et  un  bon 
marin.  Certainement,  il  vous  serait  difficile  maintenant  de 
réaliser  que  j’ai  été  naguère  si  souffrant.  Le  paquebot  qui, 
frété  par  le  gouvernement,  avait  conduit  des  troupes  au  Cap 
et  n’y  était  resté  que  trois  jours,  n’était  pas  plein;  de  sorte 
que,  grâce  à l’intervention  d’un  ami,  j’ai  pu,  comme  je  vous 
l’ai  dit,  avoir  à moi  tout  seul  une  cabine  de  quatre  places. 
Pour  rendre  service  à une  dame,  j’ai  pris  avec  moi  un  de  ses 
fils  ; mais  il  avait  une  trop  grande  surabondance  de  vie  pour 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


305 


rester  un  instant  dans  la  cabine  pendant  le  jour.  Cette  dame, 
pensez,  elle  venait  du  Lessouto  même,  et  nous  nous  étions 
connus  même  avant  notre  départ  pour  le  pays  des  Banyaïs. 
Quoique  fille  d’un  pasteur  anglican,  un  concours  de  circons- 
tances, à la  mort  de  son  mari,  a élargi  son  esprit  et  son  cœur, 
de  sorte  qu'elle  peut  prendre  un  intérêt  actif  à notre  belle 
œuvre  du  Lessouto.  Nous  avions,  en  outre,  des  amis  hollan- 
dais de  la  Perle,  tous  des  hommes  craignant  Dieu,  — un  bon 
levain  de  piété  qui  nous  a permis  d’établir  un  culte  journa- 
lier au  salon  même,  du  consentement  des  passagers  et  du  ca- 
pitaine. Comme  il  se  trouvait  un  pasteur  hollandais  à bord, 
nous  avons  pu,  à la  requête  du  capitaine  lui-même,  diriger 
alternativement  les  services  du  dimanche  matin  et  soir. 

« Mes  garçons  aussi  ont  joui  de  la  traversée.  Bien  que  dans 
une  société  des  plus  mauvaises  (en  troisième),  Sémonji  a fait 
preuve  d’un  caractère  sérieux,  digne  de  sa  profession  chré- 
tienne, et  a virilement  résisté  aux  tentations  dont  on  l’a  ob- 
sédé. Un  excellent  jeune  homme,  le  sommellier,  les  a en- 
tourés l’un  et  l’autre  d'égards. 

« Vous  ai-je  dit  qu'après  avoir  eu  la  joie  de  rencontrer  ma 
filleule  Marie  Mabille,  au  Cap,  et  les  Henri  Berthoud,  avec 
leurs  compagnons,  j’ai  eu  la  grande,  la  douce  surprise  de 
voir  arriver  à Stellenbosh,  un  soir,  — le  dernier  soir  que  j’y 
passais,  — M.  et  madame  Paul  Berthoud?  Vous  savez  les  liens 
qui  m'attachent  à ce  cher  ami;  ce  sont  des  liens  sanctifiés  de 
part  et  d’autre  par  la  douleur.  Inutile  de  vous  dire  quel  rayon 
de  lufriière  cette  rencontre,  — cette  soirée  et  la  journée  du 
lendemain,  — ont  été  pour  moi.  Dieu  les  bénisse  ces  chers, 
ces  précieux  amis!  M.  Berthoud  a vieilli,  grandi,  devrais-je 
peut-être  dire,  — mais  a peu  changé.  C’est  aussi  ce  que  tout  le 
monde  dit  de  moi.  Je  ne  suis  pas  encore  le  vétéran,  le  véné- 
rable que  vous  voulez  bien  me  faire. 

« Vous  le  voyez,  cher  frère,  la  bonne  main  du  Seigneur  a été 
sur  nous.  Il  nous  a comblés,  il  m’a  comblé  de  bénédictions. 
Je  ne  puis  que  chanter  le  psaume  CII1,  et  vous  demander  de 
mêler  vos  actions  de  grâces  et  vos  louanges  aux  miennes.  En 


306 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


me  retrouvant  une  fois  de  plus  sur  le  sol  de  notre  vieille 
Europe,  je  pense  à Jacob  revenant  de  Paddan-Aran  et  retour- 
nant à Béthel  pour  y sacrifier,  s’y  consacrer  à nouveau  au 
Seigneur,  et  à nouveau  aussi  y recevoir  la  bénédiction  des 
promesses...  » 

F.  Coillard. 

C’est  jeudi  soir  18  juin  que  M.  Coillard  a débarqué  à Paris. 
Plusieurs  personnes  avaient  tenu  à se  rendre  à la  gare  pour 
lui  serrer  la  main  sans  perdre  une  minute.  Notre  frère  a été 
particulièrement  sensible  à cette  marque  d’affection.  Le  22, 
le  Comité  s’est  réuni  en  séance  extraordinaire  pour  le  rece- 
voir, ainsi  que  M.  Ratsimihaba,  l’envoyé  spécial  de  la  reine 
de  Madagascar  à Paris.  Après  la  séance,  un  culte  de  Sainte- 
Cène  et  d’actions  de  grâces  groupait,  outre  les  membres  du 
Comité,  un  bon  nombre  d’amis  qui  avaient  désiré,  avec  notre 
vénéré  missionnaire,  entourer  la  table  du  Seigneur  dans  une 
même  pensée  de  foi  et  de  reconnaissance. 

Notons,  enfin,  que  M.  Coillard  doit  se  faire  entendre  à la 
réunion  sjoéciale  que  nous  annoncions  dans  notre  dernière 
livraison  pour  le  dimanche  28  juin,  à 4 heures,  et  qui  a été 
transférée  à 8 h.  1 /4  du  soir,  et  convoquée  à l’Oratoire  pour 
la  rendre  accessible  au  plus  grand  nombre  possible  de  per- 
sonnes. 


ARRIVÉE  DU  MISSIONNAIRE  ESCANDE 

Nous  avons  apris  avec  une  grande  joie  que  M.  Escande  a 
enfin  pu  s’embarquer  avec  sa  femme  et  son  enfant  le  31  mai 
dernier,  à bord  du  Daliomé,  et  débarquer  heureusement 
à Marseille  le  10  juin  écoulé.  Les  circonstances  nous  ont 
empêchés  de  faire  connaître  d'avance  celte  arrivée  à nos 
amis  de  Marseille.  Cependant,  M.  Escande  a pu  être  pré- 
senté par  M.  Mouline  à la  réunion  de  prières  du  jeudi  ma- 


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3Û7 


tin,  et  y prendre  part.  « Il  a donné,  écrit  M.  Moulines,  sur 
l’œuvre  du  Sénégal,  des  détails  intéressants  et  émouvants  qui 
ne  seront  pas  oubliés  des  amis  des  missions.  Après  un  jour 
de  repos  dont  il  avait  grand  besoin,  il  est  parti  avec  sa  chère 
compagne  et  leur  bel  enfant.  » 

M.  Escande  s’est  rendu,  pour  quelques  jours,  dans  sa 
famille,  à Bordeaux,  et  doit  arriver  à Paris  le  27  au  soir.  Il 
prendra  part  à la  réunion  de  prières  qui  aura  lieu  le  28  à 
l’Oratoire.  Peu  après,  il  se  dirigera  sur  Genève,  dans  la 
famille  de  sa  femme,  où  l’un  et  l’autre  ont  bâte,  on  le  com- 
prend, d’aller  retrouver  l’aînée  de  leurs  enfants. 


DÉPART  DE  M.  LE  MISSIONNAIRE  TEISSERÈS 

Ainsi  que  nous  l’annoncions  dans  notre  dernière  livraison, 
M.  et  madame  Teisserès  ont  pu  s’embarquer,  le  25  juin,  à 
Marseille.  Ils  ont  pris  place  à bord  du  navire  le  Taygète. 

Nous  sommes  heureux  de  sentir  nos  amis  reprendre  le 
chemin  de  leur  champ  de  travail,  où  ils  sont  impatiemment 
attendus.  Que  les  prières  de  l’Eglise  les  accompagnent  pen- 
dant leur  long  voyage  ! 


NOTES  DU  MOIS 

Gomme  l’an  dernier,  nous  avons  convié  les  amis  des  mis- 
sions à inaugurer  nos  efforts  par  une  réunion  de  prières  spé- 
ciale qui  se  tiendrait  soit  le  28  juin,  soit  l’un  des  dimanches 
de  juillet.  Nous  n’avons  pas  besoin  d’insister  sur  l’utilité 
qu’il  y a à mettre  ainsi,  dès  l’abord,  et  avant  même  que  l’été 
ait  ralenti  notre  travail,  ce  travail  même  et  toute  notre  œuvre 
sous  la  bénédiction  de  Dieu.  Faisons  effort  pour  que  cette 


308 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


réunion  de  prières  ait  lieu  dans  le  plus  grand  nombre 
d’Églises  possible.  Que  dans  les  centres  où  elle  ne  pourra 
être  organisée,  la  mission  soit  au  moins  l’objet  d'une  men- 
tion spéciale  dans  le  culte  principal  de  l’Église.  Qu'à 
défaut  de  réunions  publiques,  les  chrétiens  s’associent  pour 
prier  dans  leurs  maisons.  Qu’au  culte  de  famille  même  les 
missions  soient  spécialement  mentionnées,  et  qu'ainsi,  de 
toutes  nos  Églises,  monte  vers  Dieu  une  fervente  prière  pour 
lui  demander  les  moyens  d’accomplir  dans  son  entier  la  tâche 
qu’il  nous  impose  et  pour  réclamer  en  faveur  de  toutes  nos 
missions  un  grand  progrès  intérieur  et  extérieur. 

Nous  informons  nos  lecteurs  que  le  Rapjoort  annuel  de  la 
Société  des  Missions  paraîtra  prochainement.  Il  sera,  comme 
d’habitude,  envoyé  gratuitement  aux  donateurs  et  souscrip- 
teurs de  la  Société.  Nous  prenons  la  liberté  d’en  recommander 
la  lecture  attentive  à tous  nos  amis.  Il  nous  paraît  être  un  des 
moyens  les  plus  simples  et  les  meilleurs  pour  se  faire  une 
juste  idée  de  la  nature  et  de  l’étendue  de  notre  œuvre,  comme 
aussi  de  ses  ressources  et  de  ses  moyens  d’action. 

Sous  peu,  nous  publierons  également  une  brochure  sur 
Madagascar.  Au  moment  où  notre  Société  va  entreprendre  une 
œuvre  dans  la  grande  île  africaine,  il  y a un  très  grand  inté- 
rêt à se  rendre  compte  de  la  situation  actuelle  de  la  mission 
dans  ce  vaste  pays  et  d’indiquer  comment  nos  Églises  de 
France  peuvent  coopérer  tout  ensemble  au  maintien  et  au  dé- 
veloppement des  travaux  d’évangélisation  dans  notre  nouvelle 
colonie.  Nous  espérons  que  l’opuscule  que  nous  annonçons 
renfermera  toutes  les  informations  propres  à répondre  aux 
préoccupations  qui  se  rattachentàce  nouveau  champ  de  travail. 

Enfin,  nos  amis  apprendront  avec  intérêt  que  notre  i9e  Cir- 
culaire aux  Comités  auxiliaires  est  expédiée  en  ce  moment 
même  dans  les  départements  et  à l’étranger.  Cette  circulaire 
peut  être  demandée  à la  Maison  des  Missions. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


309 


M.  le  missionnaire  Christol  a pu  visiter  l’Église  de  Montpel- 
lier et  quelques  Églises  du  Gard  et  de  l’Aude.  On  nous  écrit 
que  cette  tournée  a eu  de  bons  résultats. 

Le  14  juillet  se  tiendra,  à Saint-Jean-du-Gard,  ou  dans  une 
église  voisine,  une  grande  fête  régionale  des  missions,  en 
plein  air.  M.  le  missionnaire  B.  Escandea  accepté  de  prendre 
part  à cette  fête. 


MADAGASCAR 

L’ACTIVITÉ  DE  NOS  DÉLÉGUÉS.  — APPROBATION  GÉNÉRALE  DONNÉE  A 

NOTRE  INTERVENTION  A MADAGASCAR.  — UNE  LETTRE  DE  LA  REINE 

RANAVALO  AU  COMITÉ  DES  MISSIONS.  — IMPORTANTES  DÉCISIONS. 

Les  nouvelles  de  nos  délégués  continuent  à être  bonnes. 
Leurs  dernières  lettres  nous  les  montrent  arrivés  au  terme  de 
la  laborieuse  campagne  qu’ils  ont  entreprise  dans  Tlmérina. 
Leur  projet  était,  comme  nous  l’avons  dit  il  y a un  mois,  de 
visiter  ensuite  le  Betsiléo  et  d’assister  à la  Conférence  de  la 
mission  norvégienne  où  ils  étaient  cordialement  invités.  Mais 
l’insécurité  croissante  due  aux  mouvements  des  favahalos  les 
a obligés  de  renoncer  pour  le  moment  à ce  projet;  la  confé- 
rence elle-même  a dû  être  contremandée.  Espérons  que  ces 
difficultés  ne  seront  que  momentanées  et  que  nos  amis  pour- 
ront mettre  à exécution  cette  partie  si  importante  de  leurs 
plans. 

Voici  d’ailleurs  quelques  lignes  que  M.Krüger  nous  adresse 
à l’intention  de  nos  lecteurs  : 

«...  Nous  venons  de  passer  deux  mois  à visiter  et  à exhor- 
ter une  cinquantaine  d’assemblées  chrétiennes  dans  un  rayon 
de  25  à 30  kilomètres  autour  de  Tananarive.  Trois  ou  quatre 
fois,  nous  avons  poussé  des  pointes  jusqu’à  50  kilomètres  de 


310 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


la  capitale.  Dans  la  plupart  des  cas,  lé  missionnaire  a con- 
voqué les  chrétiens  de  tout  le  district  dans  l’Église  où  nous 
passions.  Il  s’agissait  de  rassurer  ces  populations;  et,  à cet 
égard,  on  reconnaît  en  haut  lieu  que  nous  avons  contribué 
pour  notre  faible  part  à la  pacification  de  ce  pays.  Les  jé- 
suites exploitent  le  préjugé  qu'ils  ont  mis  en  circulation  il  y 
a longtemps,  à savoir  que  tout  Français  est  de  ce  fait  même 
catholique,  et  réciproquement  que  tout  protestant  est  un 
ennemi  de  la  France.  Ils  font  répandre  ce  bruit  dans  la 
campagne  par  leurs  émissaires,  avec  force  menaces  contre 
les  récalcitrants;  et  les  pauvres  paysans  hovas,  crédules  à 
l’excès,  considérant  toute  parole  qui  émane  d’un  Français 
comme  un  ordre,  ployant  trop  facilement  l’échine  par  une 
longue  accoutumance  à l’oppression,  tremblaient  de  devoir 
abandonner  le  christianisme  et  la  Bible  pour  la  religion  de  la 
Vierge  et  du  prêtre.  Si  le  quart  seulement  des  remerciements 
qui  nous  ont  été  infligés  est  vrai,  nous  n’aurons  pas  perdu 
notre  temps. 

a Aussi  bien  on  réclamait  notre  présence  dans  le  Betsiléo. 
Je  m'étais  arrangé  pour  aller  assister,  avec  le  surintendant 
des  missions  norwégiennes,  à la  Conférence  de  ses  mission- 
naires qui  devait  se  tenir  en  mai  à Fianarantsoa.  Les  ex- 
ploits des  fahavalos,  bandes  de  brigands,  d'insoumis  et  d'in- 
surgés*  rendent  cette  conférence  impossible  et  isolent  Fiana- 
rantsoa de  Tananarive.  La  poignée  de  soldats  que  la  France 
a laissés  à Madagascar  ne  suffit  pas  à tenir  en  échec  ces  ban- 
dits, qui  se  montrent  à tous  les  coins  de  l'horizon,  chassant 
devant  eux  la  population  paisible  du  pays...  » 

Le  défaut  d'espace  nous  empêche  de  faire  de  plus  amples 
extraits  de  la  correspondance  de  nos  envoyés.  Mais  ce  que 
nous  tenons  à constater,  c’est  le  sentiment  unanime  d’appro- 
bation, et  nous  dirions  volontiers  le  soulagement  avec  lequel 
leur  présence  et  leur  activité  à Madagascar  ont  été  partout 
accueillies*  Le  Synode  général  officieux  de  l'Église  réformée, 
réuni  A Sedan,  leur  a.  envoyé  un  message  d'affection  et  de 


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311 


gratitude,  et  a réservé  l'une  des  soirées  de  sa  session  à une 
conférence  du  directeur  de  la  Maison  des  missions  sur  la 
question  de  Madagascar (1).  Le  Synode  de  l’Église  de  la  Con- 
fession d’Augsbourg,  réuni  à Montbéliard,  après  avoir  ap- 
prouvé la  création  d’un  Comité  auxiliaire  de  la  Mission  nor- 
végienne à Paris  et  éventuellement  à Montbéliard,  a tenu  à 
donner  à notre  Société  un  témoignage  de  sa  reconnaissance 
pour  l’envoi  de  MM.  Lauga  et  Krïiger.  Yoici  le  texte  de 
l’ordre  du  jour  adopté,  en  séance  du  11  juin  1896,  par  le 
Synode  : 

« Le  Synode  général,  informé  de  ce  qui  a été  fait  par  la 
Société  des  missions  de  Paris  en  faveur  des  intérêts  protes- 
tants à Madagascar,  en  exprime  sa  satisfaction  et  sa  recon- 
naissance. Il  recommande  à cette  occasion  aux  prières  et  aux 
libéralités  de  l’Église  l’œuvre  des  missions  évangéliques.  » 

Mais  ce  n’est  pas  seulement  en  France  que  l’envoi  de  nos 
délégués  à Madagascar  a été  hautement  approuvé.  Il  l’a  été 
aussi,  nous  croyons  pouvoir  le  dire,  par  l’ensemble  de  la 
I chrétienté  évangélique. 

La  plus  importante  des  revues  des  missions,  YAUgemeine 
l Missionszeitschrift , consacre  un  article  de  son  numéro  de 
I juin  à la  situation  de  Madagascar,  et  parle  avec  satisfaction 
de  cette  délégation  et  de  la  haute  importance  qu’elle  tire  des 
circonstances. 

Le  directeur  de  l’hôpital  protestant  de  Tananarive,  M.  le 
Dr  J.  Backwell  Fenn,  actuellement  en  Europe,  nous  écrivait 
récemment  : « J’aurais  pu  pleurer  de  joie  en  lisant  le  récit  de 
l’arrivée  de  nos  délégués  à Madagascar,  et  je  bénis  Dieu  de  ce 
que  vous  avez  pu  faire  partir  ces  deux  excellents  frères  » (2). 


(1)  Les  journaux  religieux  ont  rendu  compte  de  cette  soirée.  Tel  de 
ces  compte-rendus,  d’ailleurs  très  sympathique,  renferme  de  légères 
inexactitudes  d’expression  qui  se  rectifieront  d’elles-mêmes  par  la  lecture 
de  la  brochure  sur  Madagascar  que  nous  annonçons  d’autre  part. 

(2)  Voir  aussi  à la  page  26  du  Rapport  annuel  de  notre  Société  qui  va 


312 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Le  secrétaire  de  la  Conférence  des  missionnaires  quakers 
de  Madagascar  a envoyé  au  président  de  notre  Société,  par 
lettre  du  23  avril,  l’expression  officielle  de  la  reconnaissance 
de  ses  collègues  pour  cette  mission  si  opportune. 

« Nous  désirons,  ainsi  s’expriment  ces  missionnaires,  dire 
que,  dans  notre  ferme  conviction,  tout  est  providentiel  dans 
cette  visite,  aussi  bien  le  choix  des  hommes  qui  forment  la 
délégation  que  le  moment  où  elle  a lieu.  Nous  tenons  à affir- 
mer que,  selon  notre  intime  persuasion,  cette  visite  est  la  ré- 
ponse à beaucoup  de  prières  qui,  aussi  bien  l’an  dernier 
qu’auparavant,  sont  montées  vers  Dieu  pour  ce  pays  et  pour 
l’œuvre  missionnaire  qui  s’y  accomplit  ». 

Voici  enfin  un  document  qu’on  lira  avec  émotion  : c’est 
une  lettre  que  la  reine  de  Madagascar  a adressée  au  prési- 
dent de  notre  Société,  M.  Jules  de  Seynes,  par  l’intermédiaire 
de  l’un  des  officiers  de  son  palais,  M.  Paul  Ratsimihaba,  en- 
voyé en  mission  spéciale  au  président  de  la  République  : 

Antananarivo,  25  avril  1896. 

« Monsieur, 

« Je  ne  veux  pas  que  mon  envoyé  parte  pour  la  France 
sans  un  message  bien  spécial  qui  puisse  vous  faire  com- 
prendre toute  la  joie  que  j’ai  éprouvée  de  l'arrivée  parmi 
nous  de  M.  le  pasteur  Lauga  et  de  M.  le  professeur  Krüger. 

« Je  tiens  surtout  à vous  dire  qu’ils  ont  fait  preuve  en  toute 
circonstance  d’un  grand  zèle  et  d’un  grand  dévouement. 
Leur  présence  a déjà  raffermi  les  chrétiens  qui  avaient  pres- 
que perdu  confiance.  C’est  là  pour  moi  un  sujet  de  grande 
satisfaction  et  aussi  de  vive  reconnaissance  envers  vous.  Que 
Dieu  vous  fortifie  en  toute  bonne  œuvré,  c’est  là  le  vœu  de 

« Ranavalo  III. 

«<  Reine  de  Madagascar.  >» 


paraître  incessamment,  une  lettre  du  Dr  H.  Christ.  Socin,  membre  du 
Comité  de  la  Société  de  missions  de  Bâle,  donnant  aussi  un  cordial  appui 
à notre  entreprise. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


313 


On  le  voit,  jusqu’à  ce  jour,  Dieu  nous  a conduits  : il  lui  a 
plu  de  favoriser,  par  des  débuts  relativement  aisés,  une 
œuvre  qui  pourra,  dans  la  suite,  nous  occasionner  des  luttes 
et  nous  imposer  de  grands  efforts. 

Ce  que  sera  exactement  cette  œuvre,  nous  ne  le  savons 
pas  encore  ; nous  voyons  cependant  se  dessiner  les  grandes 
lignes  de  la  future  entreprise.  Elle  consistera  essentiellement 
à continuer  ce  qu’ont  si  bien  commencé  MM.  Lauga  et  Krüger. 
Ceux-ci  nous  ont  demandé  de  ne  pas  attendre  leur  retour 
pour  chercher  les  hommes  auxquels  devra  être  remise  leur 
succession.  Il  importe  au  plus  haut  point  qu’il  ne  se  produise 
aucun  intérim  dans  la  représentation  du  protestantisme  fran- 
çais à Tananarive.  Le  culte  français,  malgré  le  petit  nombre 
d'auditeurs  qu’il  groupe  chaque  dimanche,  devra,  si  pos- 
sible, ne  plus  être  interrompu;  en  même  temps,  nous  de- 
vrons sans  doute,  bien  que  rien  ne  soit  encore  décidé  à cet 
égard,  accepter  une  part  de  direction  dans  l’Église  dite  du 
palais,  et  peut-être  aussi  l’école  dépendant  de  cette  même 
Église.  Ce  qui  est  urgent,  c’est  que  nos  délégués  actuels  puis- 
sent transmettre  à des  successeurs  capables  la  garde  des  inté- 
rêts qui  leur  ont  été  confiés  et  le  trésor  d’expériences  et 
d’informations  qu’ils  ont  accumulé  pendant  leurs  tournées; 
il  serait  très  désirable  enfin  que  ces  successeurs  pussent 
arriver  avant  la  mauvaise  saison  où  les  voyages  sont  dan- 
gereux. 

Nous  espérons  être  en  mesure  d’annoncer  dès  le  mois  pro- 
chain .le  nom  de  l’homme  ou  des  hommes  qui  seront  choisis 
pour  accomplir  cette  grande  tâche.  D’ici  là,  nous  demandons 
à nos  Églises  de  ne  pas  se  relâcher  dans  leurs  prières  pour  que 
cette  affaire  continue  à être  dirigée  et  menée  à bien  par  l’Es- 
prit de  Dieu.  Qu’il  veuille  désigner  lui-même  les  hommes  qu’il 
a choisis  dans  nos  Églises  pour  l’œuvre  de  Madagascar;  qu’il 
dicte  leur  réponse  à ceux  auxquels  des  appels  ont  été  ou  se- 
ront adressés,  afin  que  toute  cette  entreprise  tourne  à sa 
gloire  et  à l’avancement  de  son  règne. 

Constatons,  en  terminant,  l’entente  fraternelle  qui  s’est  éta- 

24 


314  JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


blie,  quant  à la  direction  de  l’œuvre  à faire  à Madagascar, 
entre  la  Société  des  Colonies  et  la  Société  des  Missions.  Il  a été 
reconnu  d'un  commun  accord  que,  au  moins  dans  la  phase 
actuelle,  nous  sommes  en  présence,  à Madagascar,  non  pas 
de  deux  œuvres,  mais  d’une  seule  œuvre,  et  que  le  caractère 
de  cette  œuvre,  où  prédomine  presque  exclusivement  l’intérêt 
des  missions  et  des  Églises  indigènes,  la  fait  incontestable- 
ment rentrer  dans  le  champ  d'activité  de  la  Société  des  Mis- 
sions. C’est  donc  à cette  Société  que  reviendra  la  charge 
redoutable  de  diriger  l’entreprise  dans  son  ensemble. 

Dans  les  circonstances  troublées  où  se  trouve  Madagas- 
car, en  présence  de  l’action  catholique  si  forte  et  si  concen- 
trée, cette  unité  d’action  et  par  conséquent  de  direction 
nous  parait  imposée  par  le  devoir.  Elle  n’empêchera  pas  la 
Société  des  Colonies  de  s'intéresser  au  culte  français,  qu’elle 
a tenu  à revendiquer  comme  étant  de  son  ressort,  mais  qui 
ne  justifierait  pas,  quant  à présent  du  moins,  l’envoi  d’un 
agent  spécial.  Il  a été  convenu  que  ce  culte  serait  confié  à 
l’un  des  pasteurs  envoyés  par  notre  Société  (comme  cela  se 
fait  à Taïti  et  au  Sénégal)  ; — mais  la  Société  des  colonies  affir- 
mera son  lien  avec  cet  agent  en  prenant  à sa  charge  une  part 
de  son  traitement  et  en  recevant  de  lui  des  rapports  sur  la 
partie  de  l’œuvre  qui  l’intéresse.  Il  a été  entendu  de  plus  que 
la  Société  des  missions,  en  procédant  à la  nomination  de 
l’agent,  se  mettra  d’accord  avec  la  Société  des  Colonies  et 
que,  dans  l’intérêt  de  l’œuvre,  qui  nécessite  de  constants 
rapports  avec  les  autorités,  son  choix  se  portera  autant  que 
possible  sur  un  candidat  ayant  un  caractère  officiel  ou  pou- 
vant le  recevoir  par  une  affiliation  à un  Consistoire  à titre 
d'auxiliaire. 

Ajoutons  que  ces  conditions  ne  s’appliquent  qu’au  candidat 
auquel  sera  confié  le  culte  français:  notre  Comité  prévoit, 
en  effet,  dès  maintenant,  que  l’œuvre  à faire  comportera  la 
présence,  non  pas  d’un  seul,  mais  de  deux  pasteurs  ou  mis- 
sionnaires; et  nos  démarches  sont  faites  dans  la  pensée  de  ce 
double  envoi. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


315 


LESSOUTO 

RAPPORT  DE  LA  CONFÉRENCE 
des  Missionnaires  du  Lessouto  sur  l’année  1895-1896. 

Morija,  le  25  mars  1896. 

Messieurs  et  honorés  directeurs, 

Notre  Conférence  annuelle  vient  de  se  réunir  à Morija. 
M.  Christol,  en  route  pour  l’Europe,  ainsi  que  MM.  P.  Ger- 
mond  et  Bertschy,  pour  des  raisons  indépendantes  de  leur 
volonté,  n’ont  pas  pu  se  joindre  à nous.  Par  contre,  nous 
avons  eu  la  joie  de  revoir  au  milieu  de  nous  M.  Marzolff, 
que  la  santé  de  madame  Marzolff  avait  retenu  en  Europe 
plus  longtemps  qu’il  n’aurait  aimé.  Nos  séances  ont  com- 
mencé le  18  mars  et  ont  duré  jusqu'au  25. 

Quel  est  le  résultat  de  notre  travail  en  1895  ? Les  rap- 
ports présentés  à la  Conférence  laissent  l’impression  d’une 
année  peu  encourageante  au  point  de  vue  des  succès  exté- 
rieurs. Peu  de  conversions,  peu  de  progrès;  par  contre,  une 
certaine  indifférence  chez  nos  chrétiens.  Et  pourtant,  nous 
avons  travaillé  comme  par  le  passé  ; la  semence  a été  répan- 
due avec  zèle  et  persévérance,  mais  où  sont  les  fruits  ? 

Le  grand  ennemi  de  notre  œuvre,  le  paganisme,  est  encore 
fort  aq  Lessouto.  On  dirait  même  que,  plus  que  par  le  passé, 
il  prend  conscience  de  sa  puissance  et  s’oppose  systémati- 
quement aux  progrès  de  l’Évangile.  Nos  frères  du  Nord  en 
savent  quelque  chose.  Écoutez  le  fait  suivant  : 

« Dimanche  dernier  (c’est-à-dire  le  1er  mars),  nous  devions 
« prier  pour  la  pluie  » à Léribé.  Lydia  ’Mamosa,  veuve  du 
chef  Molapo,  avait  convoqué  tous  les  païens  des  environs  par 
messages  spéciaux.  Il  en  vint  une  vingtaine  à peine. 

« La  veille,  le  soi-disant  prophète  Moqholotsana  deman- 
dait aux  ancêtres,  dans  le  village  de  Molapo,  à grands  ren- 


316 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


forts  de  simagrées  et  de  chants  païens,  de  faire  tomber  de 
la  pluie.  Chez  Jonathan,  le  grand  chef  du  district,  les  femmes 
se  réunissaient  pour  « chanter  pour  la  pluie»,  et  se  donnaient 
des  forces  en  mangeant  un  bœuf  que  le  chef  leur  avait  pro- 
curé pour  la  circonstance.  Et,  le  dimanche  même,  Khétisa  Mo- 
lapo,  envoyé  par  Jonathan,  parcourait  les  Maloutis  en  quête 
de  singes  et  d’antilopes.  Il  tua  quatre  singes  et  les  apporta  au 
faiseur  de  pluie,  qui  n’en  fut  pas  satisfait.  Il  lui  en  fallait  un  , 
vieux  n’ayant  plus  de  dents...  Nos  Nemrods,  fatigués  et  affa- 
més, s’en  retournèrent  l’oreille  basse... 

« Dieu  soit  loué!  nos  prières  de  dimanche  dernier  n’ont  pas 
été  exaucées.  Il  n’a  pas  plu,  il  ne  pleut  pas,  il  ne  semble  pas  1 
qu’il  doive  pleuvoir  de  longtemps.  Les  païens  ne  pourront 
pas  se  vanter  d’avoir  réussi  à faire  de  la  pluie.  Quant  aux  ] 
chrétiens,  ils  se  consoleront  de  la  sécheresse  actuelle  en  pen- 
sant que  Dieu  fait  bien  ce  qu’il  fait,  et  ne  refuse  les  biens 
qu’on  lui  demande  que  quand  c’est  nécessaire.  » 

A Kalo,  M.  Ghristeller  est  bien  seul,  ne  comptant  que  six  j 
chrétiens  dans  les  environs  immédiats  de  la  station,  dont  un 
homme  seulement,  l’instituteur.  Aux  annexes,  la  situation  j 
n’est  guère  meilleure,  trois  annexes  n’ayant  pour  tout  chré- 
tiens que  l’évangéliste  et  sa  femme.  Mais  M.  Cbristeller  nous 
dit  plus  loin  : « Les  auditoires  sont  encourageants,  les  païens 
viennent  très  régulièrement  et  nous  espérons  que  plusieurs 
feront  le  pas  décisif.  » 

Un  fait  réjouissant,  c’est  que  ce  petit  nombre  de  chrétiens 
a réuni  plus  de  500  francs  comme  contribution  d’Église,  sans 
parler  de  75  francs,  donnés  par  les  gens  d’une  seule  annexe, 
pour  l’achat  d’un  cloche. 

Léribé  est  aussi  un  centre  où  le  paganisme  règne  en  maître, 
a II  est  religion  d’état,  populaire,  aimé,  soutenu,  encouragé, 
empiré  même  par  les  chefs  ».  Gomme  conséquence  naturelle, 
l’immoralité  et  la  polygamie  augmentent.  Peut-on  s’étonner 
si,  par  ci,  par  là,  un  chrétien  faible,  vivant  dans  ce  milieu,  se 
laisse  séduire  et  retourne  à ces  coutumes  qui  avaient  été  les; 


STATISTIQUE  DES  ÉGLISES  DU  LESSOUTO. 


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STATIONS  g 

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MISSIONNAIRE.  I y. 

ÉCOLES. 

OUVRIERS 

européens. 

OUVRIERS 

indigènes. 

DIMINUTION 

AUGMENTATION 

MEMBRES  D’ÉGLISE. 

CATÉ' 

MÈN 

CHU- 

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ACTES. 

ÉCOLES. 

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(o)  Professeurs,  institutrices,  contre-maitres,  etc. 
h Anciennement  et  nouvellement  mis  sous  discipline, 
(r;  Sont  compris  dans  le  total  les  membres  S.  D. 


H, ES  SüUS-LE  VÎNT.  1I00RÉA.  ILES  AUSTRALES.  Arrondissrmeul  Sl’D" 


STATISTIQUE  DES  ÉGLISES  DE  TAHITI,  iLES  AUSTRALES,  MOORÉA  ET  ÎLES  SOUS-LE-VENT. 


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DIMINUTION 

AUGMENTATION 

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ACTES. 

ECOLES 

COLLECTES 

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Garçons. 

Filles. 

Pour 

les  missions. 

Pour 

construction 
de  temples,  et< 

Pour  répara- 
tions, frais  de 

cultes,  etc. 

Pour  l’Ecole 
Pastorale 
de 

Mooréa. 

TOTAUX. 

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Papa  l a 
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Riirutu . . 
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) Afaréaitn, 
Téaharoa . 
PapétoaV. . 

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Tahaa. . . 
Iîorabora 
Huabine. 
Manpiti. . 


• H a en  outre  été  vendu  par  M.  Vernier  pour  6.750  fr.  de  Bibles  et  livres  religieux. 

•*  Les  collectes  faites  dans  l'arrondissement  sud  de  Tahiti  sont  celles  de  l’annle  dernière,  1891. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


317 


siennes  autrefois?  Et  pourtant  M.  Dieterlen  nous  dit  que  les 
chutes  ont  été  nombreuses.  Il  y a eu  64  conversions  et  121  per- 
sonnes ont  été  reçues  dans  l’Église.  Une  de  ces  conversions 
vaut  la  peine  d’être  rapportée  : 

« On  m’appela  un  jour  dans  le  village  de  Simone  pour  voir 
une  femme  qui,  revenant  d’une  nuit  d’orgies,  s’était  préci- 
pitée dans  les  rochers  et  gravement  blessée.  Je  trouvai  cette 
femme  encore  abrutie  pas  son  ivresse  et  par  sa  chute,  assou- 
pie, la  face  tuméfiée  et  couverte  de  sang,  incapable  de  dire 
et  de  comprendre  quoi  que  ce  soit.  Je  la  revis  plus  tard  et 
souvent.  Elle  divagua;  elle  disait  en  riant  sottement  que  cer- 
tainement elle  continuerait  à boire  du  yoala  (bière  enivrante), 
car  elle  l’aimait  beaucoup.  Sa  famille,  toute  païenne  qu’elle 
était,  voyant  qu’elle  perdait  la  raison,  déclara  qu’il  n’y  avait 
qu’un  moyen  de  la  guérir  : l’envoyer  à la  prière.  Elle  alla 
donc  à la  prière  du  matin.  Elle  y prit  goût.  Un  jour  elle  vint 
à l’église,  puis  elle  y revint.  Ce  fut  une  de  nos  rares  audi- 
trices païennes  sur  laquelle,  ou  sur  la  présence  de  laquelle 
nous  pussions  compter.  Ses  traits  s’éclairaient  et  s’adoucis- 
saient. Elle  commença  à parler  aux  anciens,  puis  à moi. 
Actuellement  elle  est  catéchumène;  très  ignorante,  certes,  et 
très  fermée,  mais  essayant  sincèrement  de  se  familiariser 
avec  les  vérités  évangéliques  et  les  devoirs  de  la  vie  chré- 
tienne. » 

Léribé  compte  9 annexes;  dans  le  nombre,  l’une  d’elles, 
Koloyané,  mérite  une  mention  toute  spéciale  : 

« Koloyané,  écrit  M.  Dieterlen,  est  la  perle  de  mes  annexes 
et,  probablement,  l’une  des  plus  vivantes  et  des  plus  géné- 
reuses du  Lessouto.  Peu  de  personnes  de  l’Église  ou  de  la 
classe  donnent  moins  de  6 francs  comme  contribution  an- 
nuelle; beaucoup,  même  des  catéchumènes,  en  donnent  10.  >• 
Bel  exemple  à imiter! 

D’un  bond,  nous  nous  transportons  à l’extrême  sud  du 
pays,  à la  Sébapala,  où  M.  Pascal  travaille  dans  des  condi- 
tions qui  ressemblent  beaucoup  à celles  de  nos  stations  du 
nord.  Là  aussi  le  paganisme  est  toujours  fort.  Fait  curieux, 


318 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


c’est  dans  ces  stations,  où  les  difficultés  extérieures  sont  les 
plus  grandes,  que  l’Évangile  semble  avoir  porté  le  plus  de 
fruits  cette  année-ci.  Laissez-nous  vous  citer  le  récit  suivant 
détaché  du  rapport  de  M.  Pascal  : 

« Ma-Nkata,  sœur  de  Lérotholi,  dont  le  mari  fut  tué  pen- 
dant la  guerre  de  Moorosi,  en  1879,  fait  remonter  sa  conver- 
sion à cette  guerre  même.  « Enserrés,  disait-elle,  lors  de  son 
« baptême,  par  les  lances  ennemies  et  les  boucliers  de  mes 
« propres  frères,  un  jour  vint  où  nous  n’osâmes  plus  des- 
ct  cendre  des  rochers  au  pied  desquels  coulait  une  fraîche 
« fontaine;  la  soif  nous  desséchait;  nous  crûmes  la  fin  pro- 
« che.  Réunis  par  le  vieux  chef,  nous  nous  adressâmes  au 
« Dieu  des  chrétiens  : le  soir,  les  nombreux  creux  des  ro- 
te chers  étaient  remplis  d’eau  tombée  du  ciel.  Nous  étions 
« sauvés  ! C’est  la  première  fois,  ajoute-t-elle,  qu’à  genoux,  je 
c<  m’écriai  : Il  y a un  Dieu  ! » 

Ces  rayons  de  lumière  brillent  d’un  éclat  d’autant  plus  vif 
qu’ils  se  produisent  là  où  les  ténèbres  sont  les  plus  épaisses. 

En  ce  qui  concerne  'maintenant  les  plus  anciennes  Églises 
duLessouto,  celles  où  l’Évangile  est  annoncé  depuis  long- 
temps déjà,  il  est  assez  triste  de  remarquer  que  ces  Églises 
passent  par  un  temps  d’arrêt.  Telle  Église  a de  tristes  chutes 
à déplorer,  telle  autre  accuse  des  progrès  d'un  côté  et  un 
recul  de  l’autre.  Ailleurs  encore  il  n’y  a ni  progrès  ni  recul. 
Où  chercher  la  cause  de  cet  état  stationnaire  ? 

« Cela  est  dû,  nous  dit  M.  Jacottet,  principalement  à un  ni- 
veau moins  élevé  de  vie  chrétienne.  Le  christianisme  semble 
ne  plus  avoir  de  prise  sur  les  âmes;  il  a comme  moins  d’élan, 
moins  de  vie  ; voilà  la  caractéristique  de  notre  Église  en  ce 
moment.  Cette  tiédeur  spirituelle  amène  comme  un  redouble- 
ment de  péchés  et  de  ^scandales.  Ce  n’est  pas,  comme  dans 
le  nord,  recrudescence  du  paganisme;  dans  nos  Églises  on  a 
rompu  avec  le  paganisme  sessouto,  mais  l’immoralité  n’est 
pas  détruite,  loin  de  là.  » 

M.  Marzolff  parle  aussi  de  cet  affaiblissement  moral 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


319 


dans  la  vie  de  nos  Églises.  M.  Louis  Mabille  attire  notre  at- 
tention sur  une  difficulté  qui  semble  aller  en  grandissant, 
celle  du  recrutement  de  bons  évangélistes  et  maîtres  d’école. 
Cela  est  d’autant  plus  important  que  la  marche  d’une  annexe 
dépend  beaucoup  de  la  valeur  morale  et  spirituelle  de  l’ins- 
tituteur et  de  l’évangéliste.  Ces  difficultés  peuvent  devenir 
graves  quand  ces  ouvriers,  indispensables  à l’extension  de 
notre  œuvre,  manifestent  des  tendances  à une  fâcheuse  indé- 
pendance, comme  cela  s’est  présenté  dans  une  des  annexes 
rattachées  àMorija.  M.  Ellenberger,  lui  aussi,  déplore,  dans 
son  rapport,  deux  ou  trois  cas  semblables. 

Pourtant,  nous  avons  hâte  de  le  dire,  afin  d’éviter  qu’on 
tire  une  conclusion  trop  pessimiste  de  nos  observations,  le 
corps  de  nos  évangélistes  est  composé,  en  général,  d’hommes 
sur  lesquels  on  peut  compter. 

« Je  n’ai  qu’à  me  louer,  nous  dit  M.  Vollet,  des  évangé- 
listes. Je  les  ai  trouvés  capables  et  dévoués;  ce  sont  de 
précieux  auxiliaires,  des  gens  sur  lesquels  on  peut  comp- 
ter. » 

En  parlant  de  nos  évangélistes,  c’est  ici  l’endroit  de  dire  un 
mot  de  la  caisse  centrale  qui  pourvoit  à leur  entretien.  C’est 
la  première  année  qu’elle  a fonctionné.  L’essai  a réussi,  grâce 
aux  efforts  de  son  gérant  et  à la  bonne  volonté  de  tous  les 
intéressés,  en  particulier  de  l’Église  d’Hermon  qui  a eu  à 
verser  une  assez  forte  somme.  Une  fois  que  son  fonctionne- 
ment sera  bien  établi,  elle  rendra  les  meilleurs  services  à 
notre  œuvre  en  permettant  à nos  évangélistes  de  compter  sur 
un  salaire  uniforme  et  régulier.  Qu’il  nous  soit  permis,  à cette 
occasion,  de  remercier  le  Comité  de  son  beau  don  de  3,000  fr. 
en  faveur  de  cette  caisse. 

En  présence  de  cet  arrêt  apparent  dans  la  marche  de  nos 
Églises  les  plus  anciennes,  il  y a un  fait  réjouissant  qu’il  est 
bon  de  noter,  c’est  que  les  auditoires  sont  restés  réguliers  et 
nombreux,  et  le  nombre  des  catéchumènes  est  assez  élevé. 


320 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


D'autre  part,  les  contributions  d’Église  ont  été  bonnes  dans 
toutes  ces  paroisses. 

Thabana-Mofèna  est  sans  missionnaire  depuis  quelques 
mois.  En  nous  rendant  à la  Conférence  et  en  passant  à Tha- 
bana-Moréna,  il  nous  a été  pénible  de  ne  plus  trouver  celui 
qui  avait  été  le  fondateur  de  cette  station  et  qui,  pendant 
trente-cinq  ans,  en  avait  été  le  fidèle  pasteur.  Cette  Église, 
avec  la  station  de  Siloé , est  en  ce  moment  entre  les  mains 
de  M.  Louis  Germond.  Celui-ci  a eu  la  joie  d’enregis- 
trer 140  conversions.  Ici  aussi,  les  contributions  des  chrétiens 
ont  été  assez  élevées,  preuve  qu’il  y a encore  de  la  vie.  Ne 
perdons  pas  courage!  et  que  Dieu  veuille  se  servir  de  ce 
noyau  pour  susciter  un  réveil  des  consciences!  C’est  le  vœu 
général,  un  même  cri  à Dieu  qui  se  retrouve  à peu  près  dans 
tous  les  rapports  : « Il  nous  faudrait  un  nouveau  baptême  de 
l’Esprit  saint.  » 

Il  fait  bon  s’arrêter  un  moment  à écouter  M.  Ellenberger 
nous  raconter  la  mort  édifiante  de  plusieurs  vieux  chrétiens 
de  Massitissi  : 

« Voici  d’abord  le  brave  et  fidèle  Simone  Tuéba,  qui  a été, 
pendant  plus  de  cinquante  ans,  une  lumière  au  milieu  de  son 
peuple  et  une  des  plus  belles  colonnes  de  l’Église  par  sa  vie 
et  la  fermeté  de  sa  foi.  Ensuite  le  pieux  et  dévoué  Sauli  Ma- 
thabatha,  ancien  devin  et  guerrier,  qui  a combattu  contre 
Sébitoané,  en  1823,  et  contre  Moshesh.  Il  est  mort  dans  sa 
quatre-vingt-seizième  année,  après  avoir  servi  joyeusement  le 
Seigneur  pendant  vingt-cinq  ans,  et  avoir  amené  bien  des  âmes 
au  pied  de  la  croix.  C’est,  enfin,  l’humble  ’Ma-Yané,  lépreuse 
chrétienne,  dont  la  patience  dans  les  épreuves  et  la  confiance 
dans  le  Seigneur  en  ont  fait  une  fille  de  Job.  Quelques  mi- 
nutes avant  sa  mort,  elle  a désiré  voir  le  ciel  et  respirer  l’air 
frais.  Une  fois  dehors,  elle  demanda  à son  mari  et  à ses  en- 
fants de  lui  chanter  un  cantique.  Le  mari,  à sa  demande,  fit 
la  prière  et,  peu  de  secondes  après  être  rentrée  dans  sa 
maison,  les  souffrances  prirent  fin,  et  ’Ma-Yané  fut,  selon  son 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


321 


désir,  reçue  dans  l’assemblée  des  fidèles  qui  contemplent  la 
face  du  Seigneur.  » 

D’un  autre  côté,  nous  devons  saluer  avec  joie  tous  les 
efforts  qui  sont  faits  pour  réveiller  le  zèle  de  nos  Églises.  Les 
réunions  de  groupe,  réunissant  les  chrétiens  de  plusieurs  sta- 
tions, inaugurées  il  y a quelques  années,  semblent  réussir 
partout  où  elles  s’organisent.  Cana,  Thaba-Bossiou  et  laSéba- 
pala  ont  eu,  à tour  de  rôle,  de  ces  réunions  pendant  l’exer- 
cice écoulé. 

Nos  deux  stations  du  Griqualand  East  n’ont  pas  pu  être 
représentées  par  leurs  missionnaires.  M.  Bertschy  a reçu 
45  nouveaux  membres  dans  l’Église,  le  plus  haut  chiffre  de- 
puis son  arrivée  à Paballong.  D’un  autre  côté,  la  marche  de 
l’Église  a été  plus  satisfaisante  que  les  années  précédentes. 

M.  Germond  vient,  dernièrement,  de  s’installer  à Mafubé, 
son  nouveau  poste,  avec  sa  famille,  et  il  s’est  mis  avec  ardeur 
à sa  nouvelle  tâche.  Pour  entrer  en  contact  avec  son  trou- 
peau, M.  Germond  a commencé  à faire  venir  un  à un  les  mem- 
bres de  son  Église,  pour  s’entretenir  avec  eux.  Là  aussi, 
M.  Germond  demande  un  réveil  des  consciences. 

Il  nous  reste  ençore  à parler  des  Ecoles. 

11  est  réjouissant  de  constater  que,  tant  au  point  de  vue  du 
niveau  de  l’instruction  qu’à  celui  du  nombre  des  élèves  ces 
écoles  ont  fait  un  progrès  considérable.  A ce  propos,  laissez- 
nous  vous  citer  un  extrait  du  rapport  de  M.  Christol  : 

« Un  fait  qui  prouve  en  faveur  des  instituteurs  de  l’école  de 
la  station  d’Hermon,  c’est  que,  depuis  un  an  au  moins, 
Bénoni  et  surtout  son  collègue  Richard  Chocobane,  ont  fait, 
avec  une  grand  régularité  et  sur  leur  propre  initiative,  une 
école  le  samedi,  pour  les  autres  instituteurs  et  évangélistes; 
les  meilleurs  élèves  étaient  le  père  et  les  deux  oncles  du  sus- 
dit Richard!  » 

L'Ecole  des  jeunes  filles  de  Thaba-Bossiou  semble  être  rede- 
venue populaire  auprès  des  Bassoutos,  à en  juger  d’après  le 


322 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


chiffre  des  élèves  qui  est  monté  à 33,  lors  de  la  dernière  ren- 
trée. 

A Léloaleng,  nos  apprentis  de  YÉcole  industrielle  ont 
beaucoup  travaillé.  Différents  bâtiments  ont  été  construits, 
entre  autres  une  jolie  maison  en  briques  sur  la  station  même, 
et  une  remise  pour  le  wagon.  L’atelier  de  charronnage  et 
de  forge  s’est  aussi  développé.  L’école  fait  une  grande  perte 
cette  année  : M.  et  madame  Preen  vont  prendre  leur  retraite. 
Depuis  la  fondation  de  l’école,  en  1878,  M.  Preen  avait  été 
attaché  à la  direction  de  cette  œuvre. 

Léloaleng,  avec  sa  belle  verdure  et  ses  beaux  bâtiments, 
est  une  preuve  éloquente  de  l’activité  de  notre  frère.  Qu'il 
nous  soit  permis  ici,  au  nom  de  la  Conférence,  d’exprimer  à 
M.  et  madame  Preen  nos  sentiments  de  reconnaissance  pour 
lout  ce  qu’ils  ont  été  pour  cette  école.  C’est  la  première  fois 
qu’elle  change  de  direction.  Que  Dieu  accorde  à ceux  qui 
prennent  la  place  de  M.  et  de  madame  Preen  d’aimer  cette 
œuvre  comme  ils  l’ont  aimée  ! 

L 'Ecole  biblique  compte  actuellement  47  élèves,  dont  22  ve- 
nant du  Transvaal  ou  du  Zambèze.  Ce  dernier  chiffre  prouve 
combien  cette  école  est  populaire  au  dehors,  et  combien  est 
grande  l’influence  qu’exerce  au  loin  notre  mission.  Cette  der- 
nière remarque  s’applique  aussi  à notre  imprimerie  et  au  dé- 
pôt de  livres , œuvres  placées,  de  même  que  l’École  biblique, 
sous  la  direction  de  M.  Alfred  Casalis. 

Le  rapport  de  M.  H.  Dyke,  le  directeur  de  YEcole  normale , 
nous  apprend  que  l’année  1895  a été  une  des  meilleures  dans 
l’histoire  de  cette  institution.  L’École  comptait  102  élèves, 
chiffre  qu’elle  n’avait  encore  jamais  atteint  auparavant.  Notre 
frère  a droit  à toute  notre  reconnaissance  pour  les  beaux 
résultats  obtenus  par  ses  élèves  aux  examens  du  gouver- 
nement. Sur  43  candidats,  35  ont  été  reçus.  Ces  succès  ont 
valu  à M.  Dyke,  de  la  part  des  autorités  de  l’instruction  pu- 
blique du  Cap,  un  témoignage  élogieux  qui  a sa  valeur. 

Les  5 étudiants  de  YÉcole  de  théologie  ont  terminé  leurs 
études  il  y a quelques  jours.  Uu  examen  final  a eu  lieu  à 


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323 


Thaba-Bossiou  et  a été  passé  avec  succès  par  les  5 candidats. 
La  Conférence  vient  d’assigner  un  poste  à chacun  de  nos 
futurs  pasteurs  indigènes.  Il  n’est  que  juste  d’adresser  à nos 
frères  Dieterlen  et  Jacottet  nos  vifs  remerciements  pour  le 
zèle  et  le  soin  dont  ils  ont  fait  preuve  dans  l’accomplissement 
de  la  tâche  qui  leur  avait  été  confiée.  Ils  ont  droit  à toutes 
nos  félicitations  quant  aux  résultats  obtenus. 

En  résumé,  la  situation  actuelle  de  notre  œuvre  au  Les- 
souto,  sans  être  bonne  sur  toute  la  ligne,  ne  doit  pourtant  pas 
donner  lieu  au  découragement.  Nous  avons  indiqué,  au  cours 
de  ce  rapport,  par  ci,  par  là,  quelques  points  lumineux.  Hauts 
et  bas,  ombres  et  lumières,  joies  et  tristesses,  n’est-ce  pas  la 
vie  de  toute  œuvre  faite  par  des  hommes?  Nous  désirons 
bien  faire,  mais  par  combien  de  luttes,  de  déboires,  de  chutes 
même  et  d’humiliations  n’avons-nous  pas  à passer  ! « Fac  et 
spera  »,  c’est  ainsi  qu’un  de  nos  frères  terminait  son  rapport. 
«Agis  et  espère»,  c’est  aussi  en  prenant  ces  mots  à cœur 
que  nous  regardons  vers  l’avenir,  nous  souvenant  que  si 
nous  faisons  souvent  mal  notre  œuvre,  la  semence  que  nous 
nous  efforçons  de  répandre  est  incorruptible  et  portera  des 
fruits  en  son  temps  (1). 

Veuillez  recevoir,  messieurs  et  honorés  directeurs,  nos  res- 
pectueuses salutations. 

Pour  la  Conférence  des  missionnaires  du  Lessouto, 
Edgar  W.  Kruger. 


(1)  Voir  les  tableaux  statistiques  du  Lessouto  et  de  Taïti  annexés  à 
la  présente  livraison.  (Réd.) 


324 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


CONGO  FRANÇAIS 

NOUVELLES  RÉCENTES 

La  santé  de  nos  missionnaires.  — Œuvre  scolaire  de  Lambaréné. 

— Travaux  divers  dans  la  station.  — Tournées  en  perspective. 

— Nos  voyageurs. 

Des  lettres,  reçues  de  nos  deux  stations  de  Talagouga  et 
de  Lambaréné,  nous  apportent  de  meilleures  nouvelles  des 
santés  de  nos  missionnaires.  Cependant  madame  Gacon  s’est 
trouvée  assez  sérieusement  atteinte  pour  qu’un  voyage  à Li- 
breville ait  été  jugé  nécessaire.  Ce  voyage  a eu  lieu,  et,  en 
date  du  30  avril,  M.  Gacon  nous  envoie  l'avis  du  docteur 
Pellissier  estimant  qu’il  est  urgent  pour  madame  Gacon  de 
revenir  en  Europe.  Nous  ne  savons  encore  si  ce  conseil  a été 
suivi.  M.  et  madame  Gacon  désiraient  attendre  le  retour 
de  M.  Allégret  avant  de  prendre  un  parti.  Mais  il  est  pro- 
bable que,  d’ici  peu,  nous  saurons  la  décision  à laquelle 
ils  se  sont  arrêtés.  Il  y a là  un  sujet  de  préoccupation  bien 
grave  pour  nos  amis  et  pour  tous  ceux  qui  s’intéressent  à eux 
et  à l’œuvre  si  utile  qu’ils  poursuivent. 

« ...  Je  suis  de  plus  en  plus  content  de  l’école,  écrit 
M.  Faure,  le  3 mai.  J’ai  maintenant  40  élèves,  chiffre  auquel 
nous  pensons  nous  arrêter.  Mais  si  l’école  va  bien,  je  ne  puis 
pas  éprouver  la  même  satisfaction  du  local  où  elle  se  fait  : 
l’école  tombe  en  ruines,  et,  les  jours  de  pluie,  je  dois  mettre 
mon  imperméable  pour  faire  les  leçons.  Les  jours  de  tornade, 
j’ai  toujours  peur  que  tout  s’effondre.  Mais  on  ne  peut  tout 
faire  à la  fois.  Les  ouvriers  sont  en  train  d’édifier  un  palais 
qui  s’appelle  le  dortoir  des  filles,  et,  sans  doute,  l’école  des 
garçons  viendra  en  son  temps. 

« ...  De  jour  en  jour  je  m’aperçois  que  ma  préparation,  si 
spéciale  pour  un  missionnaire,  peut  être  d’une  grande  aide 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


325 


pour  le  pays  et  pour  la  mission.  Tant  il  est  vrai  que,  dans 
l’œuvre  de  Dieu,  il  y a place  pour  toutes  les  bonnes  volontés 
et  toutes  les  aptitudes...  Ma  santé  est  très  bonne;  j’ai  cepen- 
dant eu,  a la  fin  de  mars,  mon  premier  accès  de  fièvre, 
bénin,  heureusement,  puisqu’il  ne  m’a  immobilisé  que  trois 
jours...  » 

« Je  suis  toujours  très  occupé,  débordé,  réellement , nous 
dit,  de  son  côté,  M.  Haug,  le  29  avril,  car  je  veux  faire  tout 
ce  qu’il  m’est  possible  de  faire.  Ce  qui  m’absorbe,  c’est  tou-? 
jours  le  magasin  où  la  tâche  est  très  difficile  à remplir  en  ce 
moment.  Puis,  ce  sont  les  gens  qui  viennent  demander  des 
conseils,  des  palabres  à régler,  des  prisonniers  faits  par  les 
Pahouins  à délivrer,  de  la  médecine  à distribuer,  et  toutes 
sortes  d’autres  choses,  en  somme  secondaires  pour  la  mis- 
sion. Et  surtout,  ce  qui  demande  une  surveillance  continuelle, 
ce  sont  les  réparations  incessantes  que  nécessitent  nos  mai- 
sons en  bambous  et  en  planches,  que  les  termites  ruinent  en 
trois  ou  quatre  ans;  c’est  aussi  la  construction  du  grand  dor- 
toir des  filles,  que  je  voudrais  achever  avant  le  retour  des 
chaleurs.  A cela  s’ajoutent  beaucoup  d’autres  choses  que  je 
voudrais  entreprendre,  mais  je  dois  y renoncer  pour  faire  des 
voyages  : un  premier  à Wambolia,  où  l’évangéliste  Ogula 
m’appelle  pour  des  prédications,  les  gens  étant  maintenant 
de  retour  de  leurs  plantations  et  se  trouvant  réunis  aux  vil- 
lages; une  seconde  tournée,  à la  fin  de  mai,  pour  les  commu- 
nions dans  les  annexes  d’Igenja  et  de  Wambolia... 

« ...  M.  Richard,  s’il  vient,  nous  sera  très  précieux  et  nous 
soulagera  beaucoup;  mais  il  faut  bien  se  rendre  compte  que, 
dans  ce  pays  où  tous  les  indigènes  ont  l’esprit  commercant 
et  attachent  une  grande  importance  aux  questions  d’argent, 
la  tâche  du  trésorier-magasinier  est  une  des  plus  délicates  de 
l’œuvre...  » 

Nos  amis  savent  que  ce  que  M.  Haug  prenait  pour  une  pos- 
sibilité s’est  réalisé  en  ce  qui  touche  M.  Richard.  Nous  en 


326 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


sommes  une  fois  de  plus  heureux  et  reconnaissants,  dans  la 
persuasion  de  tout  le  bien  qu’un  homme  doué  de  ses  apti- 
tudes pourra  faire  à notre  mission  du  Congo. 

Nous  avons  d’ailleurs  de  bonnes  nouvelles  de  nos  mission- 
naires, MM.  et  Mesdames  Allégret  et  Richard,  en  route  pour 
ce  champ  de  mission.  Nous  savons  qu’ils  ont  touché  à 
Dakar,  où  ils  ont  eu  le  plaisir  de  voir  M.  le  docteur  Morin  et, 
plus  tard,  à Grand-Bassam.  Peu  avant  cette  dernière  escale, 
la  mer  a été  mauvaise  et  nos  voyageurs  en  ont  tous  été 
éprouvés.  Nous  espérons  qu’ils  sont  maintenant  arrivés, 
sinon  à Talagouga,  du  moins  à Lambaréné. 


TA  ! T I 

RAPPORT 

DE  LA  CONFÉRENCE  MISSIONNAIRE  DES  ILES  DE  LA  SOCIÉTÉ 
sur  l’Exercice  1895-1896. 

Suite  et  fin  (1). 

Ecoles  françaises  indigènes. 

Nous  croyons  superflu,  Messieurs,  de  vous  transmettre, 
comme  nous  l’avons  fait  d’autres  années,  les  rapports  offi- 
ciels de  la  Commission  d’inspection  qui,  deux  fois  par  an, 
visite  nos  écoles  de  Papéété.Ces  rapports,  aussi  élogieux  que 
les  précédents,  ne  vous  apprendraient  rien  de  nouveau;  no- 
tons simplement  qu’ils  constatent,  pour  l’école  des  garçons, 
une  réelle  insuffisance  du  personnel  eu  égard  au  nombre  des 
élèves. 

Cependant,  malgré  les  éloges  qui  leur  sont  prodigués, 
malgré  les  services  incontestables  qu’elles  rendent  à la  colo- 


(1)  Voir  notre  livraison  de  juin,  page  283. 


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327 


nie,  nos  écoles  ont  passé  cette  année  par  une  crise  dont  elles 
sont  heureusement  sorties  victorieuses,  mais  qui  aurait  pu 
leur  être  fatale  si  Dieu  n’avait  point  veillé  sur  elles. 

Pour  plusieurs  raisons  qu’il  serait  trop  long  d’énumérer 
ici,  les  écoles  du  gouvernement,  aussi  bien  dans  les  districts 
qu’au  chef-lieu,  étant  tombées  dans  un  état  de  décadence 
complète,  un  certain  nombre  de  pétitions,  dont  la  source 
n’est  pas  difficile  à deviner,  ont  été  adressées  à l’administra- 
tion pour  lui  demander  la  remise  complète  de  l’instruction 
publique  aux  mains  des  congrégations  catholiques.  Cette 
combinaison,  si  elle  eût  réussi,  aurait  donné  un  appui  consi- 
dérable à nos  ennemis,  en  même  temps  qu'elle  eût  porté  un 
coup  funeste  à nos  écoles.  Cependant,  grâce  à Dieu,  et,  nous 
devons  le  reconnaître,  à l’esprit  de  justice  de  plusieurs  de 
nos  gouvernants,  non  seulement  ces  pétitions  n’ont  pas 
abouti,  mais  encore  nous  avons  obtenu  du  conseil  général 
une  subvention  assez  importante  pour  nous  permettre  de 
faire  face  aux  nouveaux  besoins  que  nous  crée  chaque  année 
l’augmentation  du  nombre  de  nos  élèves. 

En  l'absence  de  M.  et  madame  Yiénot,  mademoiselle  E.  Ban- 
zet,  l’institutrice  la  plus  ancienne  dans  la  maison,  dirige  l’é- 
cole des  filles,  et  M.  Ahnne,  celle  des  garçons. 

« L 'école  française-indigène  des  filles , nous  écrit  mademoi- 
selle Banzet,  compte  en  ce  moment  295  élèves  réparties  comme 
suit  : 

« lre  et  2e  classes,  53  élèves  ; institutrice  mademoiselle  E. 
Banzet. 

« 3e  classe,  42  élèves  ; institutrice  mademoiselle  A.  Gooding. 

« 4e  classe,  74  élèves  ; institutrices  mesdemoiselles  Sarah 
Horley  et  Hina  Poutoru. 

« Salle  d’asile,  126  élèves;  institutrice  mademoiselle  Ville- 
méjane  (1),  aidée  de  mademoiselle  Tehaari  Tehei. 

« Résultat  des  études  : en  décembre  1894,  deux  brevets 


(1)  Mademoiselle  Villeméjane  a depuis  quitté  l’oeuvre.  (Note  de  la  ré- 
daction.) 


328 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


élémentaires;  en  janvier  1895,  un  certificat  d’aptitude  à l’en- 
seignement dans  les  districts;  en  juin  1895,  deux  brevets 
élémentaires,  7 certificats  d’études  primaires. 

« Quelques  élèves  sont  internes  et,  tout  en  poursuivant  leurs 
études,  se  forment  aux  travaux  du  ménage. 

« A l’école  de  la  semaine  se  rattache  une  école  du  di- 
manche française,  dont  les  moniteurs  et  monitrices  se  recru- 
tent parmi  les  jeunes  instituteurs  et  institutrices  des  Écoles 
françaises-indigènes.  Cette  école  est  fréquentée  par  les  Euro- 
péens protestants  de  la  colonie,  des  demi-blancs  et  quelques 
indigènes.  Elle  compte  de  70  à 80  présences  par  dimanche. 

a Nous  n'avons  pas  eu,  dans  le  cours  de  cette  année,  de 
fautes  très  graves  à réprimer  parmi  nos  élèves.  Quelques 
jeunes  filles  nous  donnent  des  craintes  sérieuses  pour  l’avenir 
et  nous  font  redouter  le  moment  où  elles  auront  à se  con- 
duire elle-mêmes;  cependant  on  peut  dire  que,  en  général, 
l’esprit  est  bon  et  que  nos  enfants  ont  le  désir  de  bien  faire. 
Que  n’avons-nous,  pour  nos  grandes  filles,  les  ressources 
d’un  ouvroir  qui,  en  leur  procurant  quelques  moyens  d’exis- 
tence, les  arracheraient  aux  terribles  tentations  qui  les  en- 
tourent !... 

« Mademoiselle  Sophie  Banzet  s’est  chargée  spécialement 
et  d’une  façon  entièrement  bénévole,  de  la  préparation  au 
brevet,  ce  qui  allège  beaucoup  le  travail  des  institutrices  de  la 
mission.  Deux  anciennes  élèves  ont  également  offert  leur  con- 
cours gracieux  pour  l’enseignement  de  l’anglais  et  des  tra- 
vaux à l'aiguille.  Toutes  les  jeunes  institutrices  de  l’école  des 
filles  et  l’aide  de  la  salle  d’asile  sont  d’anciennes  élèves  de  la 
maison.  La  plus  ancienne,  mademoiselle  Alice  Gooding,  est 
un  appui  précieux  et  fait  preuve  d’un  vrai  dévouement;  les 
plus  jeunes  semblent  suivre  ses  traces  et  prendre  à cœur  la 
prospérité  de  nos  écoles  missionnaires. 

a Mais  il  serait  urgent  que  le  Comité  des  missions  voulût 
bien  nous  envoyer  une  personne  sûre  et  dévouée  qui  pût 
s’occuper  de  la  salle  d’asile  et  se  charger  d’une  partie  de  la 
surveillance  des  élèves  ». 


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329 


L'école  française-indigène  des  garçons  compte  140  élèves 
et  3 instituteurs  : MM.  Ahnne,  Arutaia  Matarua,  Maraetefau 
Tefaurua. 

Ces  deux  derniers,  purs  Tahitiens,  sont  d’anciens  élèves 
de  notre  école  qui  ont  obtenu  leur  brevet  français  au  cours 
de  l’année  dernière  et  nous  secondent  d'une  manière  efficace; 
ils  promettent  de  devenir  d’excellents  instituteurs,  intelli- 
gents et  dévoués,  en  même  temps  que  des  chrétiens  sincères 
qui  pourront  être  en  exemple  à leurs  condisciples.  Il  est  si. 
rare  de  rencontrer  parmi  notre  jeunesse  indigène  des  jeunes 
gens  véritablement  convaincus  et  fermement  résolus  à résister 
aux  tentations  de  toutes  sortes  qui  les  entourent!  Jusqu’à 
présent,  ceux-ci,  ainsi  qu’un  certain  noyau  d’élèves  plus 
jeunes,  mais  sérieux  et  se  destinant  également  à l’enseigne- 
ment ou  au  pastorat,  ne  nous  ont  donné  que  des  sujets  de 
satisfaction.  Demandons  à Dieu  qu’ils  ne  trompent  pas  notre 
attente. 

Plusieurs  élèves  nous  ont  quittés  après  avoir  obtenu  leur 
certificat  d’études  : l’un  d’eux  est  entré  à l’imprimerie  du 
gouvernement,  où  nous  espérons  lui  voir  faire  un  chemin  ho- 
norable ; un  autre  est  petit  commissionnaire  dans  l’étude  de 
notre  ami  M°  Goupil;  un  troisième  est  retourné  dans  son 
île  natale,  où  il  remplit  les  fonctions  d’instituteur.  Tous,  nous 
l'espérons,  deviendront  un  jour  des  hommes  utiles  à leurs 
compatriotes  et  à la  cause  du  Seigneur. 

Quelques  jeunes  gens  sont  également  pensionnaires  chez 
M.  Ahnne,  qui  a dû  en  refuser  d’autres,  faute  de  place  pour 
les  loger. 

L’absence  de  M.  Yiénot  se  fait  vivement  sentir  pour  notre 
école  des  garçons,  qui  pourra  difficilement,  tant  que  cette 
absence  durera,  prendre  une  plus  grande  extension,  si  toute- 
fois elle  ne  subit  pas  de  diminution.  Malgré  le  dévouement 
et  les  capacités  de  nos  aides  indigènes,  les  Tahitiens  sont  un 
peu  comme  les  Juifs  d'autrefois  et  les  hommes  de  tous  les 
temps  : « Est-il  jamais  rien  venu  de  bon  de  Nazareth?  » Ils 
aiment  assez  avoir  des  maîtres  d’une  autre  couleur  qu’eux- 

25 


330 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


mêmes,  et  l'école  des  frères  avec  ses  cinq  instituteurs  euro- 
péens jouit  d’un  grand  prestige  à leurs  yeux. 

Nous  faisons  donc  des  vœux  pour  que  notre  cher  directeur 
ne  s’attarde  pas  trop  longtemps  en  France. 

N’oublions  pas  de  mentionner  avec  reconnaissance  le  con- 
cours tout  gracieux  que  prête  à notre  école  des  garçons  ma- 
demoiselle Isabelle  Walker.  pour  des  leçons  d’anglais  aux 
jeunes  Européens,  et  M.  X.  Caillet,  ancien  officier  de  marine, 
qui  veut  bien,  une  fois  par  semaine,  faire  à nos  jeunes  indi- 
gènes un  cours  de  navigation  et  de  mathématiques. 

II.  — Mooréa. 

La  vie  religieuse  des  paroisses  et  des  Églises  de  Mooréa, 
constate  avec  tristesse  M.  Brun,  est  presque  partout  la  même, 
et  l’on  peut  dire  qu’elle  laisse  généralement  beaucoup  à dé- 
sirer. 

Dans  les  trois  paroisses  de  Haapiti,  Afaréaitu  et  Teuharoa, 
les  services  religieux  aussi  bien  que  les  écoles  du  jeudi  et  du 
dimanche  sont  en  général  mal  suivis.  La  faute  en  peut  être 
attribuée,  pense  M.  Brun,  à la  décadence  des  écoles,  qui  sont 
en  très  petit  nombre  et  mal  tenues.  Les  enfants  les  fréquen- 
tent très  peu  et  prennent  ainsi  des  habitudes  d’indiscipline 
et  de  vagabondage  dont  ils  se  débarrassent  difficilement  plus 
tard.  La  situation  est  un  peu  meilleure  à Papétoaï,  grâce  aux 
étudiants  de  l’école  de  théologie  qui  s’occupent  avec  zèle  des 
écoles  du  jeudi  et  du  dimanche. 

Cette  école  jMstorale  qui,  nous  l'avons  déjà  dit  l’an  dernier, 
dépend  du  Conseil  supérieur  des  Églises  tahitiennes  et  non 
de  la  Conférence  missionnaire,  continue  à prospérer  et  à 
rendre  des  services  importants  à notre  mission  en  Océanie. 

« Grâce  aux  collectes  assez  réjouissantes  durant  l’exer- 
cice 1894-1893.  nous  dit  son  directeur,  cette  école  a pu 
compter  15  élèves.  L’un  d’eux  a dû  être  expulsé  à cause 
d'une  faute  grave  qu'il  avait  commise  avant  d’y  entrer; 
3 viennent  d’être  consacrés  pasteurs;  l’un  a été  installé  à 


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331 


Taïti,  un  autre  à Mooréa,  et  le  troisième  ira  sous  peu  accom- 
plir une  œuvre  missionnaire  aux  Tuamotous.  Il  nous  reste 
maintenant  11  étudiants  avec  leurs  familles,  c’est-à-dire  une 
cinquantaine  d’individus  environ. 

« Grâce  à l’intérêt  que  les  Églises  de  Tahiti  et  de  Mooréa 
ont  manifesté  pour  leur  École  pastorale  et  au  secours  que 
la  conférence  missionnaire  a bien  voulu  accorder,  nous  avons 
pu  construire  une  nouvelle  demeure  contenant  cinq  cham- 
bres, ce  qui  porte  à douze  le  nombre  des  chambres  que  l’École 
peut  mettre  à la  disposition  des  élèves  et  de  leurs  familles. 
Outre  cela,  il  existe,  près  du  presbytère,  une  salle  d’études 
où  se  donnent  les  leçons,  bien  qu’elle  ne  soit  pas  encore 
entièrement  achevée. 

a Nos  élèves  et  leurs  familles  nous  procurent  des  sujets  de 
satisfaction.  Leurs  relations  entre  eux  sont  bonnes;  ils  parais- 
sent avoir  entre  eux  une  véritable  affection;  ils  vivent  en  paix 
et  obéissent  très  volontiers  à celui  d’entre  eux  qui  est  chargé 
de  les  surveiller  et  de  faire  exécuter  les  ordres  de  leur  direc- 
teur. Ils  suivent  très  régulièrement  les  services  religieux  qui 
se  font  le  dimanche,  le  mercredi  et  le  vendredi,  et  donnent 
un  bon  exemple  à toute  la  paroisse  par  leur  conduite  irré- 
prochable. Ils  accompagnent  de  temps  en  temps  le  pasteur 
de  Papétoaï  dans  ses  courses  missionnaires.  Ils  aiment  beau- 
coup leur  culte  du  matin  et  du  soir  fait  en  commun  et  se 
plaisent  dans  le  grand  et  bel  enclos  qu’ils  habitent.  Pour  se 
procurer  leur  pain  quotidien,  ils  sont  obligés  de  faire  tous 
les  jours  un  exercice  qui  leur  est  salutaire.  L’amour  de  l’é- 
tude et  un  peu  de  paresse  physique  les  forcent  à jeûner  quel- 
quefois. Ils  apprennent  leurs  leçons  avec  beaucoup  d’ardeur; 
nolls  exigeons  cela  d’eux,  car  rien  ne  leur  profite  davantage 
que  ce  qui  leur  a coûté  de  la  peine.  Si  nous  cultivons  la  mé- 
moire, c’est  surtout  l’intelligence  que  nous  cherchons  à faire 
croître,  car  cette  faculté  laisse  beaucoup  à désirer  chez  le 
Tahitien.  Quant  à l'éducation  proprement  dite,  que  de  soins 
elle  réclame  ! Le  cœur,  l’esprit  de  famille,  la  volonté  et  sur- 
tout la  conscience  ont  grandement  besoin  d’être  développés. 


332 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Tout  indigène  est  naturellement  porté  à la  fausseté  et  à la 
dissimulation;  il  manque  souvent  d’énergie  et  de  persévé- 
rance et  se  laisse  facilement  aller  à l’orgueil. 

« Oh  ! que  l’esprit  de  Dieu  nous  aide  de  plus  en  plus  à former 
des  pasteurs  et  des  missionnaires  capables,  énergiques,  hum- 
bles, droits,  consciencieux  et  animés  d’un  grand  amour  pour 
Christ  et  pour  les  âmes  qu’il  est  venu  racheter  au  prix  de 
son  sang!  » 

III.  — lies  Sous-le-Vent. 

« Au  point  de  vue  religieux,  nous  dit  M.  Brunei,  la  situa- 
tion est  à peu  près  identique  à celle  de  l'exercice  précédent. 
Dans  tous  nos  troupeaux,  beaucoup  d’endormis,  beaucoup 
de  chrétiens  qui  le  sont  sans  savoir  pourquoi  ni  comment, 
faute  d’une  instruction  préalable  suffisante.  Quelques-uns, 
par-ci,  par-là,  ouvrent  les  yeux,  et  commencent  à se  rendre 
compte  qu'il  faut  travailler  pendant  qu’il  est  jour.  Notre  plus 
grand  ennemi  est  certainement  la  paresse,  la  langueur  spi- 
rituelle. Il  n’est  pas  le  seul. 

« Nous  avons  déjà  parlé,  l'an  dernier,  de  l’adventisme.  Un 
moment,  cette  secte  sembla  prendre  pied  chez  nous,  à Raïa- 
téa.  Aux  deux  premiers  missionnaires  étaient  venus  se  join- 
dre trois  instituteurs  ou  institutrices;  les  semailles  eurent 
lieu,  abondantes  ; on  attendit  six  mois,  un  an,  rien  ne  leva. 
Les  trois  derniers  venus  s’embarquèrent  alors  pour  une  autre 
destination,  et  les  deux  chefs  de  la  mission  se  sont  momen- 
tanément éloignés,  eux  aussi,  à cause  de  la  guerre  imminente. 

« Autre  péril  : la  résurrection,  dans  certaines  de  nos  îles 
(Maupiti,  Borabora,  Tahaa),  des  pratiques  païennes  : sor- 
cellerie, divination,  etc.  Satan  se  démène,  mais  Dieu  est  avec 
nous,  et  l’ennemi  ne  l’emportera  pas. 

« L’Église  de  Huahine  n’a  pas  eu  cette  année  de  fêtes  de 
missions.  Il  y a à cette  abstention  bien  des  causes  qu’il  est 
inutile  de  développer  ici.  Dieu  veuille  seulement  qu’en  1896 
le  vent  souffle  dans  une  autre  direction  qu’en  1893!  » 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


333 


Au  point  de  vue  politique,  la  mission  de  M.  Chessé,  com- 
missaire général  de  la  République  en  Océanie,  a apporté 
plusieurs  changements  au  régime  gouvernemental  des  Iles 
Sous-le-Vent.  Les  reines  de  Huahine  et  de  Borabora  ont  défi- 
nitivement abdiqué,  et  les  chefs  indigènes  élus  parle  suffrage 
universel,  conjointement  avec  des  vice-résidents  français, 
feront  désormais  appliquer  les  lois  indigènes.  Ces  modifica- 
tions seront-elles  profitables  à la  cause  de  notre  mission  et  à 
l'avancement  du  règne  de  Dieu  dans  ces  îles?  C’est  ce  que 
l’avenir  démontrera,  mais  certains  faits  nous  font  craindre  le 
contraire. 

A Raïatéa,  la  situation  est  aussi  compliquée  que  par  le 
passé.  Malgré  des  pourparlers  qui  ont  duré  plus  de  deux 
mois,  malgré  l’état  de  siège  imposé  à cette  île,  la  majorité 
des  rebelles  est  plus  entêtée  que  jamais,  et(M.  Chessé  a dû 
repartir  sans  avoir  obtenu  une  solution. 

Comment  cette  situation  se  dénouera-t-elle?  Sera-t-on 
obligé  d'en  venir  à l’effusion  du  sang?  « Plus  que  jamais,  nous 
dit  M.  Brunei,  nous  sentons  le  besoin  de  compter  sur  Celui 
qui,  jusqu’à  présent,  s’est  montré  fidèle,  tout  en  le  bénissant 
de  nous  avoir  épargné  jusqu’ici  la  guerre,  qui,  plus  d'une  fois, 
nous  a paru  imminente.  Que  notre  prière  soit  celle  des  disci- 
ples d’Emmaüs  : Seigneur,  demeure  avec  nous  ! » 

Conclusion. 

Au  moment  de  terminer  ce  rapport,  où  des  faits  réjouis- 
sants alternent  avec  d’autres  d’une  nature  plutôt  attristante, 
nous  ne  pouvons  nous  empêcher,  messieurs  et  très  honorés 
frères,  d’avoir  très  présent  à l'esprit  un  rapport  que  nous 
lisions  dernièrement  sur  la  mission  morave  au  Groëland;  il 
nous  a frappés  par  la  similitude  qu’il  nous  fait  constater  entre 
les  Esquimaux  et  nos  Tahitiens,  au  point  de  vue  moral  et  spi- 
rituel. 

Permettez-nous,  messieurs,  de  vous  en  citer  quelques  pas- 
sages [Journal  de  l'unité  des  frères , août  1895)  : « Les  mission- 


334 


JOURNAL  DES/  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


naires  moraves  du  Groenland  sont  unanimes  à se  déclarer  sa- 
tisfaits des  écoles  qu’ils  dirigent  ; ils  se  louent  également  de 
la  bonne  marche  de  l’école  complémentaire  ouverte  aux 
adultes.  Bonne  aussi,  la  fréquentation  du  culte  public... 
Néanmoins,  l’impression  générale  que  laisse  la  conduite  des 
chrétiens  indigènes  est  loin  d’être  réjouissante.  Dominé  par 
un  esprit  charnel,  le  Groënlandais  succombe  facilement  aux 
mauvais  instincts  de  sa  nature.  Il  fait  de  son  ventre  son  Dieu. 
Il  est  rare  de  rencontrer  des  jeunes  gens  et  des  jeunes  filles 
qui  n'aient  jamais  été  sous  le  coup  de  la  discipline  de  l’Eglise. 
Souvent  violé,  le  septième  commandement  ne  s’est  pas  encore 
gravé  dans  les  tables  du  cœur  des  indigènes,  et  la  lutte  con- 
tinue, incessante,  contre  l’immoralité.  Eh  quoi,  ce  pauvre 
peuple  auquel  l’Évangile  est  annoncé  depuis  cent  soixante 
ans,  ne  devrait-il  pas  être  plus  fort  à l’heure  du  danger?  » 

N’est-elle  pas  frappante  cette  ressemblance  entre  deux 
peuples  si  différents  par  leurs  origines,  leurs  mœurs,  les 
pays  qu’ils  habitent?  N’y  a-t-il  pas  là  une  bonne  preuve  à 
opposer  à ceux  qui  prétendent  que  la  moralité,  le  bien  et  la 
vertu,  comme  l’immoralité,  le  mal  et  le  vice  ne  sont  qu’une 
affaire  de  tempérament  et  de  climat  et  varient  suivant  la  lati- 
tude? à ceux  qui  prétendent  que  nous  faisons  une  œuvre 
contre  nature  en  voulant  soumettre  à notre  morale  des  indi- 
vidus nés  sous  un  autre  climat  que  le  nôtre?  Non,  Satan  est 
partout  le  même,  au  Nord  comme  au  Sud,  dans  les  déserts 
glacés  du  Groenland  comme  sous  les  cieux  ardents  des  tro- 
piques; le  cœur  de  l’homme  aussi  ne  change  pas,  toujours 
faible  et  accessible  à la  tentation. 

Et  nous  ne  saurions  mieux  dire  qu’en  concluant,  avec  le 
vénérable  M.  Kogel,  président  de  la  mission  du  Groenland  : 
« J’avoue  qu’il  ne  nous  semble  pas  toujours  facile  de  conti- 
nuer avec  joie  une  œuvre  souillée  de  plus  d’une  vilaine  tache. 
Mais  ce  qui  est  plus  grave,  c’est  cette  réflexion  qui  s'impose  : 
Le  Seigneur  serait-il  mécontent  de  nous,  ses  serviteurs?  Y 
aurait-il  en  nous-mêmes  quelque  obstacle  l’empêchant  de 
bénir  notre  travail?...  Aidez-nous  à demander  à Dieu  de  nous 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


335 


ouvrir  les  yeux  sur  nous-mêmes  et  sur  les  besoins  de  l’œuvre 
qu’il  nous  a confiée.  Suppliez-le  aussi  de  nous  accorder  la 
force  nécessaire  pour  accomplir,  selon  ses  desseins,  ce  que 
nous  aurons  reconnu  être  sa  volonté.  » 

Telle  est  également,  messieurs,  la  prière  que  vous  adres- 
sent vos  missionnaires  de  l’Océanie. 

Pour  la  Conférence  missionnaire. 

Le  Secrétaire  : Ed.  Ahnne. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


PUISSANCE  DU  PAGANISME  AUX  INDES  (I) 

Nous  avons  passé  en  revue  quelques-uns  de  nos  succès  et 
montré  quelques-unes  de  nos  armes.  Regardons  maintenant 
l'armée  ennemie  et  ses  ressources.  En  parlant  de  840  mil- 
lions de  païens  et  de  185  millions  de  musulmans,  nous  avons 
déjà  indiqué  l’étendue  du  pays  à conquérir,  la  grandeur  de 
l’armée  à combattre. 

Arrêtons-nous  d’abord  aux  Indes,  à ce  pays  type  du  pa- 
ganisme, avec  ses  100  nations  diverses,  ses  30,000  sectes,  ses 
33  millions  de  divinités,  ses  123  langues  et  ses  288,159,672 
habitants  (en  comptant  le  Birman)  gouvernés  par  une  puis- 
sance protestante.  Celle-ci  s’interdit  de  se  mêler  directement 
de  la  religion  de  ses  subordonnés,  mais  travaille  efficacement 
à les  développer  par  l’instruction.  Tandis  qu’en  181 3 elle  ne  dé- 
pensait pour  cet  objet  que  250,000  francs,  en  1888  elle  en  a dé- 
pensé 40  millions.  Les  progrès  de  l’instruction  primaire,  tels 


(1)  Voir  l’article  La  Carte  des  Missions , dans  notre  livraison  de  juin, 
pa»e  289. 


336 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


qu’ils  résultent  du  recensement  de  1891,  sont  très  sensibles  : 
dix  ans  auparavant,  c’est-à-dire  en  1881,  il  y avait  aux  Indes 
1,955,177  hommes  et  60,567  sachant  lire  et  écrire;  en  1891, 
il  y avait  environ  3 millions  d’hommes  et  109,684  femmes.  • 
Là,  comme  partout  ailleurs,  l’Évangile  bénéficie  de  tout  vrai 
progrès  et  favorise  l’instruction  saine,  comme  le  démontre  le 
fait  que  chez  les  païens  des  Indes  3 femmes  et  60  hommes  sur 
1,000  savent  lire;  parmi  les  chrétiens,  343  hommes  et  136 
femmes.  Néanmoins  les  progrès  de  l’Évangile  sont  moins 
rapides  qu’on  ne  l’espérait  il  y a dix  ans,  alors  qu’en  un  seul 
jour,  en  1884,  le  missionnaire  Downie  baptisait  2,222  Télou- 
gous,  et  l’évêque  Caldwell,  de  1877  à 1878,  23,564  Tamils  du 
Tinevelly.  Le  catholicisme,  qui  travaille  depuis  350  ans,  est 
parvenu  à réunir  1,243.529  adeptes;  on  compte  200,000 
chrétiens  syriens  et  592,612  protestants,  ce  qui  n’indique  pas 
pour  les  dix  dernières  années  un  progrès  très  notable. 

Là,  comme  dans  tous  les  champs  de  mission,  s’accomplis- 
sent les  deux  paraboles  du  grain  de  moutarde  et  du  levain. 
Parmi  les  populations  méprisées  des  hommes  sans  caste,  la 
petite  semence  est  devenue  rapidement  un  grand  arbre  : en 
1845,  il  n’y  avait  aucun  Kol  chrétien;  en  1851,  quand  on  bâtit 
la  première  église  chrétienne  dans  le  pays  des  Kols,  on 
comptait  60  baptisés;  aujourd’hui,  38,866,  outre  13,031  con- 
vertis de  la  Société  anglicane.  On  vient  d’y  ériger  une  pyra- 
mide de  granit  de  8 pieds  de  haut,  à l’occasion  du  jubilé  cin- 
quantenaire de  la  mission,  et  d’y  fonder  la  station  d'Ebé- 
nézer.  En  quelques  années,  les  Santals  se  sont  convertis  au 
nombre  de  12,000,  et  les  Télougous,  au  nombre  de  75,642. 
De  même,  dans  le  Birman,  les  Karens,  méprisés  par  les  maî- 
tres du  pays,  se  sont  fait  baptiser  au  nombre  de  101,300. 

Quelques-uns  ont  conclu  de  ces  faits  qu’on  devrait  concen- 
trer les  efforts  sur  les  parias,  les  tribus  kolariennes  et  les 
hommes  sans  caste.  Ce  serait  une  grave  erreur.  A côté  de  la 
croissance  rapide  de  la  petite  graine  de  senevé,  se  poursuit 
le  travail  lent,  continu,  invisible  du  levain  dans  la  pâte. 

Il  est  aussi  étonnant  qu’incontestable  que,  dans  les  écoles 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


33F 


supérieures  des  Bâlois,  des  Écossais  et  des  Américains,  on 
voit  rarement  se  produire  des  conversions;  plusieurs  en  ont 
conclu  à l’inutilité  du  travail  scolaire. 

Mais  l’influence  d’éducateurs  chrétiens  ne  peut  pas  restera 
la  longue  sans  effet  décisif.  Leurs  leçons  jettent  dans  les  in- 
telligences, les  consciences  et  les  cœurs  des  semences  fé- 
condes de  vérité  morale,  scientifique,  sociale,  qui  germent  tôt 
ou  tard,  qui  créent  une  nouvelle  atmosphère,  gagnent  la 
sympathie  et  la  confiance  et  préparent  une  grande  transfor- 
mation finale.  L'une  et  l’autre  méthode  ont  été  annoncées  par 
le  Seigneur  ; l’une  et  l’autre  doivent  être  suivies. 

L’influence  chrétienne  agit  même  sur  ses  adversaires  : 
témoin  ce  Congrès  national,  qui  a réuni  à Poona,  le  27  dé- 
cembre 1895,  1.500  délégués  et  4.500  visiteurs  de  toutes  les 
parties  de  l’Inde,  et  où,  au  milieu  de  l’assemblée  presque 
entièrement  composée  de  païens,  on  a souvent  parlé  de 
Dieu,  cité  la  Bible,  fait  appel  aux  principes  de  justice, 
mangé  et  bu  avec  les  membres  de  castes  différentes,  comme 
si  l’on  était  dans  un  pays  européen. 

Malheureusement  la  culture  est  une  arme  à deux  tran- 
chants qui  peut  avoir  des  effets  très  divers:  preuves  en  soient, 
d’une  part,  les  milliers  d’indous  qui  suivent  des  conférences 
d’apologétique  chrétienne,  qui  lisent  les  auteurs  classiques 
anglais  et  la  Bible,  et,  d’autre  part,  l’influence  délétère  de  la 
littérature  immorale  de  l’Europe,  ou  ce  que  disait  dernière- 
ment M.  Samuel  Smith,  membre  du  parlement,  qui  rappor- 
tait avoir  vu  aux  Indes  au  moins  200  traités  païens  destinés  à 
combattre  et  quelquefois  à dénigrer  de  la  façon  1a.  plus  blas- 
phématoire et  la  plus  honteuse  la  foi  chrétienne.  Tschetti 
était  un  homme  hautement  estimé  à Madras  pour  sa  culture 
et  sa  distinction;  arrivé  à la  conviction  chrétienne,  il  s’était 
fait  baptiser  sans  bruit  à Calcutta.  A son  retour,  ses  parents 
l’assiégèrent,  le  supplièrent  d’abjurer  sa  nouvelle  foi  : il  résis- 
tait, lorsqu’une  main  perfide  lui  fit  tenir  la  Vie  de  Jésus  Christ 
par  Renan;  le  coup  était  porté,  il  abjura.  Quant  à ceux  que 
la  culture  moderne  a détachés  des  erreurs  du  paganisme,  ils 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


33  8 


sont  d’ordinaire  ressaisis  par  la  puissance  de  la  caste.  Témoin 
ce  Yivicananda,  qui  fit  tant  parler  de  lui  au  parlement  des 
religions  de  Chicago  : arrivé  aux  Indes,  il  a été  contraint 
d’expier  son  contact  avec  les  chrétiens  en  se  soumettant  au 
rite  dégoûtant  qui  veut  que  l’homme  contaminé  absorbe  un 
autre  produit  de  la  vache  que  le  lait.  Même  Keshub  Chunder 
Sen  consentit  à quelque  chose  d’analogue,  lorsqu’il  s'agit  de 
marier  sa  fille. 

Cependant  le  travail  préparatoire  se  poursuit  malgré  tout. 
Comment  faire  croire  à des  milliers  de  jeunes  gens  qui  ont 
lu  Platon.  Shakespeare,  la  Bible,  Milton,  Pascal,  que  la 
religion  indoue,  avec  ses  pratiques  absurdes  ou  immondes, 
puisse  se  maintenir  bien  longtemps  encore?  Madame  Besant 
s étant  prise  d’enthousiasme  pour  les  religions  de  l’Inde,  pré- 
tendant y voir  toutes  sortes  de  merveilles,  le  Reis  and  Ragyet , 
journal  rédigé  par  un  Indou  orthodoxe  et  païen,  lui  a ré- 
pondu : « Quand  une  dame  anglaise,  décente  et  cultivée,  se 
« montre  l’admiratrice  du  mysticisme  « tantrique  » et  du 
» culte  de  Krishna,  il  est  du  devoir  de  tout  ami  de  son  pays 
« de  lui  déclarer  que  tous  les  hommes  sensés  n'ont  que  faire 
« de  son  éloquence  et  qu’elle  ne  fait  autre  chose  que  dorer 
« par  sa  rhétorique  la  pourriture  même.  Telle  qu’elle  se  pra- 
« tique  aujourd'hui,  la  religion  indoue  moderne  a pour  prin- 
« cipal  ingrédient  le  culte  du  vice.  » 

De  Tiroupati,  ville  du  Sud,  cent  des  principaux  résidents 
sont  venus  à Madras  présenter  au  vice-roi  une  pétition,  de- 
mandant que  le  gouvernement  voulût  bien  prendre  en  main 
la  gestion  des  fonds  des  temples.  « La  grande  majorité  des 
« prêtres,  écrit  à ce  propos  le  Daily  Hindu,  l’un  des  journaux 
« païens  les  plus  lus  de  Madras,  dilapident  par  leurs  débau- 
« ches  les  pieuses  contributions  de  la  veuve  et  de  l’orphelin, 
« et  les  fondations  religieuses  ne  font  que  maintenir  l’exis- 
« tence  d’une  masse  gigantesque  de  crimes,  de  vices  et  d’es- 
a croqueries.  » 

D’autres  auteurs  païens,  qui  ont  fondé  la  Société  des  traités 
et  de  la  prédication  indoue,  s’écrient,  dans  un  document 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


339 


traduit  par  le  docteur  Scudder  : « Que  de  milliers  et  de  mil- 
« liers  ces  missionnaires  gagnent  au  christianisme!  Si  nous 
| « continuons  à dormir,  ils  les  gagneront  tous  et  nos  temples 
« seront  changés  en  églises.  Que  notre  peuple  se  lève  pour 
« chasser  de  nos  pays  le  christianisme  ! » Le  docteur  Cham- 
berlain, de  Madanapatui,  distingue  trois  tendances  marquées 
chez  les  opposants  : la  tendance  la  plus  générale  est  celle  de 
l’agnosticisme  ou  de  l’absolue  incrédulité;  d’autres  veulent 
ressusciter  l’antique  religion  védique  ; les  troisièmes  sont  dis- 
posés à accepter  Je  christianisme,  mais  sans  un  Christ  divin. 

| C’est  le  point  de  vue  que  soutient  le  journal  The  Indian  social 
Reformer.  Un  autre,  c’est  le  journal  Amrita  Bazaar  Patrika, 
va  plus  loin  encore  et  affirme  qu'il  n’y  a pas  un  vrai  Indou 
qui  ne  connaisse  et  ne  respecte  la  Bible  et  ne  soit  disposé  à 
admettre  l’avatar  ou  l’incarnation  du  Christ  et  à l’ajouter  à 
celles  des  autres  divinités.  Rien  n’empêche  un  véritable  Indou 
de  s’écrier:  «O  Père,  sauve-moi  pour  l’amour  de  Jésus-Christ!» 
C’est  ainsi  que  la  société  littéraire  Arya  de  Calcutta  a entre- 
pris de  traduire  la  Bible  en  bengali  classique.  Sir  Charles  El- 
liott, lieutenant-gouverneur  des  Indes,  qui  a observé  l’état 
des  esprits  pendant  trente  ans,  disait  naguère  : 

a En  dépit  des  oppositions,  j’observe  chez  les  classes  su- 
« périeures  de  l’Inde  un  courant  caché  sous  la  surface,  qui 
« les  porte  vers  le  christianisme,  et  nous  pouvons  regarder 
« avec  confiance  en  avant,  vers  le  jour  où  toute  l’Inde  se 
a prosternera  aux  pieds  du  Christ,  qui  seul  est  capable  de 
« l’élever,  de  la  purifier,  de  la  sauver  ! » 

Là,  eomme  partout  ailleurs,  l’ennemi  c’est  le  vieil  homme, 
qui  tantôt  se  glorifie  de  sa  haute  antiquité,  tantôt  essaie  de 
se  costumer  à la  moderne,  de  renouveler  ses  formes,  son  lan- 
gage, ses  armes,  sa  tactique,  pour  dérouter  ses  adversaires. 
Dans  le  monde  païen,  la  vie  individuelle  est  très  réduite,  c’est 
la  vie  nationale,  domestique,  la  vie  du  clan  qui  domine  et  qui 
s’oppose  à l’Évangile.  Aux  Indes,  le  grand  ennemi  c’est  la 
caste.  Habitué  à se  courber  sous  le  destin,  sous  la  divinité 
impersonnelle,  le  peuple  de  l’Inde,  comme  celui  de  la  Chine, 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


exalte  le  respect  de  l’autorité  au  détriment  de  l'initiative  per-  < 
sonnelle,  la  soumission  à la  mère,  aux  ancêtres,  à la  famille, 
aux  dépens  de  la  conviction,  l’habitude  aux  dépens  de  la 
conscience. 

Lorsque  le  jeune  étudiant  brahmine,  l’un  des  dix  mille  can- 
didats qui  se  présentent  annuellement  à l’université  de  Cal- 
cutta, est  arrivé  à y être  admis,  à y étudier  quelques  années  ! 
et  à se  rendre  momentanément  indépendant  des  erreurs  in- 
tellectuelles du  brahminisme,  la  mère,  la  grand’  mère,  le 
mariage  et  la  caste  le  ressaisissent  avec  mille  liens.  « Ce  n’est  1 
« pas  tant  le  manque  de  courage  qui  l’empêche  de  faire  le  pas 
« décisif  et  de  demander  le  baptême  »,  écrivait  naguère  le  ’ 
Révérend  A.  Fornocy,  qui  travaille  au  collège  de  Duff  à Cal-  j 
cutta;  « c’est  plutôt  une  sorte  de  scrupule  de  conscience,  une  : 
« foi  profonde, que  l’obéissance  vaut  mieux  que  la  persuasion; 

« et  cette  foi  intime  s’associe  étrangement  à son  habitude  in-  - 
« doue  qui  lui  fait  prévoir  et  accepter  Aous  les  avantages  = 
« que  lui  vaudront  ses  liens  avec  la  famille.  L’un  deux 
« disait  : « Personne  ne  m’empêche  dans  ma  famille  de  lire 
a la  Bible,  de  prier,  de  faire  ce  qui  me  plaît;  on  ne  m’interdit 
« que  le  baptême.  » 

Se  séparer  violemment  de  tout  ce  qui  fait  la  dignité  de 
votre  existence  ; de  membre  vivant,  influent,  heureux  d’un 
ensemble,  devenir  tout  à coup  un  paria,  un  être  isolé,  mau- 
dit de  tous,  déshérité  et  indigent,  cela  n’est  pas  seulement 
douloureux  pour  le  cœur,  mais  problématique  pour  la  cons- 
cience. Est-il  juste  de  se  mettre  du  côté  du  plus  fort  contre  le 
faible?  Est-ce  patriotique  d’accepter  la  religion  des  conqué- 
rants? Est-ce  généreux  d’abandonner  son  peuple  à l’heure 
même  où  son  existence  nationale  est  mise  en  question?  C’est 
en  se  posant  toutes  ces  douloureuses  questions  que  le  chef 
chrétien  Philippe  combattait  les  colons  puritains  du  Massa- 
chusetts. 

C’est  dans  ces  sentiments-là  que  les  chefs  bassoutos  renou-  j 
vellent,  probablement  sans  y croire,  les  cérémonies  païennes 
de  leurs  ancêtres  et  répondent  au  missionnaire  Marzolff  : 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


341 


« Votre  Dieu  est  celui  des  chrétiens  ; les  nôtres  sont  nos  an- 
cêtres Mosh'ech,  Molapo,  et  leurs  pères.  » 

C’est  par  cet  attachement  aux  traditions  nationales  que 
sont  retenus  des  millions  d’indous,  de  Chinois  et  de  nègres. 

Combien  grande  doit  être  la  puissance  du  saint  Esprit  pour 
rompre  des  charmes  si  irrésistibles,  faire  tomber  des  barrières 
séculaires  et  créer  des  affections  si  nouvelles,  que  le  païen 
préfère  la  famille  des  enfants  du  Dieu  des  blancs  à celle  dans 
laquelle  il  est  né  lui-même  ! 

Nous  n’ignorons  pas  que  dans  beaucoup  de  nations  païen- 
nes les  sentiments  naturels  de  la  famille  sont  affaiblis  et 
presque  étouffés  par  la  vie  matérielle  et  par  la  cruauté,  au 
point  que  M.  Jalla  ayant  essayé  de  faire  comprendre  ce  que 
c’est  que  l’amour  de  Dieu,  en  le  comparant  à celui  d’un  père, 
ne  fut  nullement  compris  par  les  Barotsis,  fut  obligé  de  cher- 
cher une  autre  image  et  vit  enfin  qu’on  le  comprenait,  lorsque, 
substituant  la  mère  au  père,  il  dit  à ses  auditeurs  : « Comme 
« une  mère  est  émue  de  compassion  envers  ses  enfants,  ainsi 
« Dieu  est  ému  envers  nous!  » 

Mais  ce  que  la  famille  restreinte  et  intime  a perdu,  le  clan, 
la  tribu,  la  peuplade,  la  caste  le  regagne  et  enveloppe  l’âme 
du  païen  dans  un  filet  aux  mailles  serrées  d’une  force  presque 
irrésistible. 

Mais,  malgré  cela,  nous  répétons  avec  le  missionnaire  Stern, 
à la  dernière  fête  de  Bâle  : « 11  y a une  différence  immense 
entre  aujourd’hui  et  le  temps  où  j’arrivai  aux  Indes,  il  y a 
46  ans.  Même  les ‘indigènes  ont  la  persuasion  que  l’Évan- 
gile triomphera,  et  nous  attendons  le  jour  de  la  victoire. 
Plusieurs  des  Indous  cultivés  disent  que  l’Évangile  n’est 
pas  encore  la  forme  dernière  de  la  religion,  et  qu’ils 
attendent  cette  forme  parfaite  et  définitive  : ils  attendront 
longtemps  ! » 


G.  Appia. 


342 


JOURNAL  UES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


VARIÉTÉS 

ÜNE  VISITE  A LA  « MISSION  DES  UNIVERSITÉS  » 

A ZANZIBAR 

La  mer  avait  été  assez  agitée  pendant  la  nuit.  Vers  quatre 
heures  du  matin,  au  moment  où  le  paquebot  s’engageait  dans 
le  canal  de  Zanzibar,  le  garçon  vint  ouvrir  le  sabord  de  ma 
cabine.  Nous  étions  sous  le  couvert  de  l’île  et  ne  risquions 
plus  des  paquets  d’eau.  De  ma  couchette,  j'apercevais  une 
bande  de  terre  plate,  couverte  de  végétation.  Ce  n’était  guère 
qu’une  silhouette  noire  qui  défilait  sous  mes  yeux.  Cepen- 
dant je  distinguais  deux  formes,  — les  plus  caractéristiques, 
comme  j’ai  pu  en  juger  plus  tard,  — quelque  chose  comme  une 
boule  épaisse,  opaque,  massive,  un  arbre  évidemment,  le 
manguier,  ainsi  que  je  le  compris  quand  il  fit  jour;  à côté, 
ou  le  plus  souvent  au-dessus,  cette  sorte  d’étoile  légère, 
aérienne,  que  le  cocotier  découpe  sur  le  ciel,  à distance. 

Le  lever  du  soleil  fut  merveilleux;  les  teintes  jaunes  clair, 
orange,  puis  rose  se  succédèrent,  communiquant  aux  flots  un 
miroitement  opalin.  Soudain  les  rayons  de  l'astre  du  jour 
étincelèrent;  ce  fut  de  l’or  pur  partout,  or  poli,  éblouissant 
dans  le  ciel*  or  mat  sur  une  bande  de  nuages,  paillettes  d’or 
semées  à profusion  sur  la  mer. 

Dans  l’île  qui  s'éclairait  maintenant,  il  me  sembla  voir, 
sous  les  manguiers  en  boule  et  le  panache  des  cocotiers,  une 
bande  rouge,  interrompue  parfois;  dessous,  du  vert  clair  et 
frais  ; dessous  encore  du  vert  foncé,  frangé  dans  le  bas  de 
l'écume  qui  déferlait  sur  une  étroite  plage  jaune  ou  qui  cou- 
ronnait les  brisants  sous  une  falaise  basse,  affouillée  profon- 
dément. 

Quand  je  montai  sur  le  pont,  après  avoir  déjeuné*  nous 
étions  mouillés  en  rade  devant  la  ville  de  Zanzibar.  Au  centre 
du  panorama,  qui  ressemble  à celui  de  toutes  les  villes  orien- 


VARIÉTÉS 


343 


taies,  au  sens  d’Arabes,  s’élevait  le  palais  du  sultan,  un 
grand  cube  bleuâtre,  entouré  de  trois  ou  quatre  étages  de 
vérandas;  en  avant  de  ce  bâtiment  se  dresse  une  tour.  Dans 
la  rade,  outre  trois  ou  quatre  vapeurs,  une  centaine  environ 
de  boutres,  portant  presque  tous  le  pavillon  tout  rouge  du 
sultanat  de  Zanzibar.  Plus  d'un  de  ces  bateaux  a fait  sans 
doute,  en  1874,  l’odieux  trafic  qui  amenait  au  marché  de 
Zanzibar  une  douzaine  de  mille  esclaves,  ce  qui  restait 
de  quelques  soixante  mille  capturés  dans  l’intérieur  africain . 
Et  qui  oserait  affirmer  que  l’un  ou  l’autre  de  ces  « dhaou  » ne 
fait  pas  encore,  mais  clandestinement,  le  commerce  d’ébène 
vivant? 

Quelle  histoire,  presque  miraculeuse,  que  celle  des  événe- 
ments principaux  qui  se  sont  accomplis  en  vue  de  Zanzibar, 
durant  les  vingt-cinq  dernières  années  ! La  suppression  offi- 
cielle de  la  traite  ; le  départ  de  Stanley  à la  recherche  de  Li- 
vingstone; le  passage  du  corps  de  ce  martyr  pour  aller  à l’ab- 
baye de  Westminster,  porté  par  deux  serviteurs  dont  il  avait 
gagné  le  cœur;  la  nouvelle  expédition  du  reporter  américain 
pour  tracer  sur  la  carte  d’Afrique  le  cours  du  Congo;  les 
convois  de  mission  qui  partirent  après  cela  pour  l’ou-Ganda 
et  pour  Tanganyika  ; les  conflits  politiques  entre  l’Angleterre 
et  l’Allemagne;  l’effondrement  irrémédiable  du  pouvoir  et  de 
la  dynastie  de  Bargash.  Les  événements  semblent  se  hâter 
et  se  presser  en  cette  fin  de  siècle,  vers  quoi?  sinon  vers  la 
venue  de  Celui  qui  vient  faire  triompher  son  Église  et  faire 
régner  la  justice  et  la  paix  sur  cette  pauvre  terre  souillée  de 
tant  de  crimes  et  arrosée  de  tant  de  larmes  ! 

De  nombreuses  barques  avaient  entouré  l’échelle  du  paque- 
bot. L’une  d’entre  elles,  « licensed  to  carry  five  persons  » — 
l’inscription  affirme  le  protectorat  anglais,  — me  porte  à 
terre.  Là,  point  de  débarcadère,  point  de  ponton,  pas  de 
quai;  rien  que  le  gravier  de  la  plage;  Une  bande  de  nègres  se 
précipite  à l’eau  à notre  rencontre  ; on  se  met  debout  sur 
l’avant  de  la  barque;  deux  solides  gaillards  vous  empoignent 
par  les  deux  jambes  et  vous  déposent  à quelques  pas  plus 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


loin  sur  le  sable  humide.  Alors,  comme  dans  tous  les  pays 
étrangers,  une  meute  de  conducteurs  s’acharne  au  voyageur. 
Le  plus  simple  est  d’avancer,  autant  qu’on  le  peut,  sans  rien 
dire.  Un  nègre,  assez  joli,  de  treize  à quatorze  ans  proba- 
blement, portant  un  bonnet  rouge,  et  pour  tout  vêtement  une 
longue  et  légère  gandoura  lilas,  nous  accompagne,  mon  com- 
pagnon et  moi,  avec  plus  de  persévérance  que  les  autres  et 
sans  grandes  démonstrations.  Il  s’est  apparemment  proposé 
de  prendre  possession  et  charge  de  nos  deux  personnes.  Il 
réussit.  Engagés  dans  un  dédale  de  ruelles  étroites,  nous 
finissons  par  être  heureux  de  l’avoir  et  nous  condescendons 
à lui  adresser  la  parole,  — c’est  l’anglais  qu’il  parait  com- 
prendre le  moins  mal,  — pour  lui  demander  où  est  la  poste. 

Les  rues  sont  moins  étroites  que  celles  de  Gonstantine,  par 
exemple,  mais  elles  sont  profondément  ravinées,  et,  comme 
il  avait  plu  à torrents  pendant  la  nuit,  il  nous  faut  sans  cesse 
éviter  des  trous  assez  profonds  et  remplis  d’eau.  La  majorité 
des  échoppes,  surtout  les  meilleures,  sont  tenues  par  des 
Indous.  Les  petites,  où  l’on  vend  des  fruits,  du  riz,  des  épices 
dont  l’cdeur  pénétrante  s’exhale  de  partout,  ou  des  ga- 
lettes dont  l’huile  rance  mêle  un  relent  âcre  à tout  ce  concert 
d’odeurs,  ont  pour  patrons  des  nègres.  Dans  les  grandes  bou- 
tiques, celles  des  Indous,  celles  qui  ont  des  enseignes  en  an- 
glais, on  voit  de  l’argenterie  indoue,  des  étoffes,  des  soieries, 
des  tapis  brodés,  des  bijoux,  des  objets  en  bois  de  santal,  des 
meubles  sculptés,  et  maints  autres  articles.  Quelques  rares 
magasins  européens  sont  tenus  par  des  juifs  ou  par  des  mu- 
lâtres portugais  ou  d’origine  portugaise,  des  Souza,  des  Si- 
loa,  etc.  Plus  rarement  encore,  par  ci,  par  là,  un  hôtel  euro- 
péen peu  engageant,  mal  famé  presque  toujours,  nous 
avait-on  dit. 

(A  suivre .)  F.  H.  Kruger. 

Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20451. 


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L À STATION  DE  C A N A (Dessin  de  M.  ChristoU) 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


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SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


L'APPEL  DE  DIEU 


Paris,  le  23  juillet  1896. 

Nos  amis  savent  déjà  par  les  journaux  religieux  les  dou- 
loureuses nouvelles  qui,  pendant  le  mois  de  juillet,  nous  sont 
arrivées  de  nos  champs  de  travail. 

Deux  de  nos  missions  sont  en  deuil  : au  Congo,  nous  avons 
perdu  madame  Gacon;  au  Zambèze,  c’est  un  missionnaire, 
M.  Auguste  Goy,  qui  nous  a été  enlevé. 

Nous  donnons  plus  loin,  sur  les  ouvriers  que  Dieu  nous  a 
repris,  tous  les  détails  propres  à intéresser  nos  lecteurs.  Ici 
nous  voudrions  seulement,  avec  notre  reconnaissance  pour 
les  fidèles  ouvriers  que  nous  avons  perdus  et  notre  profonde 
sympathie  pour  les  familles  affligées,  dire  les  réflexions  que 
nous  inspire  le  nouveau  et  double  deuil  de  notre  Société. 

Quand  la  mort  nous  ravit  l’un  de  nos  missionnaires,  notre 
premier  mouvement  est  de  nous  interroger  nous-mêmes,  et  de 
août  1896.  26 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ^ANGÉLIQUES 


nous  demander  si  toutes  les  précautions  ont  été  prises,  si  tout 
a été  fait  pour  ménager  la  santé  et  la  vie  de  nos  ouvriers. 

Cet  examen,  nous  nous  y sommes  livrés  cette  fois  encore,, 
et  nous  ne  manquerons  pas  de  recommander  une  fois  de  plus 
à nos  frères  et  sœurs  tous  les  ménagements  et  toutes  les  me- 
sures que  dicte  la  prudence.  Mais,  cela  fait,  il  restera  cette  \ 
grande  et  triste  vérité  : c’est  qu’une  des  raisons  qui  forcent 
nos  missionnaires  à se  multiplier  et  parfois  à se  refuser  le  \ 
repos  nécessaire,  c’est  leur  petit  nombre. 

Et  de  nouveau  nous  entendons  retentir  dans  nos  cœurs  la  j 
douloureuse  parole  du  Maître  : Il  y a peu  d'ouvriers. 

Oui,  il  y a peu  d’ouvriers.  Où  sont-ils  les  hommes  prêts  à j 
tout  quitter,  famille,  amis,  patrie,  pour  l’avancement  du] 
règne  de  Dieu?  Aussi  longtemps  qu’il  s’agit  d’applaudir  à une 
entreprise,  de  l’encourager,  les  voix  s’élèvent,  nombreuses, | 
empressées.  Mais  que  l’appel  du  Maître  se  fasse  entendre:* 
« Qui  enverrai-je  et  qui  ira  pour  moi?  » Alors,  brusquement 
le  silence  se  fait,  et  ils  sont  rares  ceux  qui  répondent  : « Me 
voici;  envoie  moi.  » 

Ils  sont  rares  partout  : mais,  faut-il  le  dire  ? Ils  sont  rares^ 
surtout  dans  nos  Églises  de  France.  Ne  l’oublions  pas,  les  j 
derniers  ouvriers  tombés  sur  le  sillon  n’étaient  pas  des 
Français.  M.  Goy  était  Suisse;  M.  Jacot  et  madame  Gacon, 
morts  au  Congo  français,  étaient  Suisses. 

Grâce  à Dieu,  le  nombre  de  nos  élèves  français  a augmenté 
ces  derniers  temps.  Mais  combien  la  proportion  est  eneore 
faible  ! Et  combien  ils  sont  peu  nombreux  dans  nos  Églises 
ceux  qui  ont  fait  à Dieu  le  sacrifice  complet  d’eux-mêmes  et 
de  ceux  qui  leur  appartiennent! 

Nous  trouvons  naturel  de  donner  nos  enfants  à la  patrie  ter- 
restre. Qu’une  expédition  lointaine  consume  des  milliers 
d’existences,  nous  ne  nous  en  étonnons  pas.  Mais  que  Dieu  nous 
demande  l'un  des  nôtres  pour  son  armée  à lui,  pour  ses  con- 
quêtes à lui,  nous  reculons... 

Et  cependant,  — nous  l’écrivons  en  tremblant,  — si  nosj 
deuils  ont  une  signification  ; si  l’appel  qui  nous  est  adressé 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


347 


pour  Madagascar  a un  but,  n'est-ce  pas  celui-là  : une  plus 
entière  consécration  de  nous-mêmes  et  de  tout  ce  qui  est  à 
no-us,  au  service  de  Dieu  ? 

Qu’il  nous  donne  lui-même  d'entendre  ses  ordres  et  d’y 
répondre,  quoiqu’il  en  coûte  à la  chair  et  au  sang,  par  une 
entière  obéissance  ! 


COURAGE,  SÉRIEUX  ET  SINCÉRITÉ 


11  est  réconfortant,  au  moment  où  Dieu  met  devant  nous  de 
si  grandes  tâches,  de  voir  les  exemples  de  foi  que  nous  don- 
nent nos  Sociétés  sœurs  et  les  bénédictions  que  Dieu  accorde 
à leurs  efforts. 

La  Société  épiscopale  d’Angleterre  va  célébrer,  dans  trois 
ans,  son  jubilé  centenaire.  Fondée  en  1799,  elle  fit,  pendant 
quatre  ans,  appel  à des  jeunes  gens  anglais,  sans  obtenir  une 
seule  réponse  favorable,  et  dut  accepter,  comme  premiers 
ouvriers,  en  1804,  deux  Allemands.  De  1818  à 1848,  Bâle  ne 
lui  fournit  pas  moins  de  96  missionnaires  ; mais  dès  lors  elle 
est  devenue  la  première  des  sociétés  protestantes.  Depuis 
1887,  elle  a adopté  le  principe  d’accepter,  quel  que  soit 
l’état  *de  ses  finances,  les  services  de  tout  ministre  anglais 
bien  qualifié,  qui  s’offrira  à elle  pour  l'œuvre  des  missions, 
comptant  sur  Dieu  pour  lui  fournir,  avec  les  ouvriers,  les  res  - 
sources nécessaires.  Il  en  est  résulté  une  augmentation  con- 
sidérable du  personnel  missionnaire.  Du  chiffre  qu’il  attei- 
gnait en  1886,  environ  450  dont  268  missionnaires  euro- 
péens consacrés,  il  s’est  élevé,  en  1894,  à 903,  et,  pendant 
l’année  dernière,  de  903  à 973.  Mais  il  y a plus  : la  même  So- 
ciété se  prépare  à envoyer,  cet  automne,  70  nouveaux  ou- 
vriers qui  n’attendent  plus  que  leurs  dernières  instructions. 

Les  dépenses  ont  suivi  la  même  marche  ascendante.  En 


348 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


1893,  elles  ont  atteint  le  chiffre  de  7,275,000  francs,  tandis 
que  les  ressources  à peu  près  assurées  ne  sont  que  de  6 mil- 
lions et  demi.  Cet  automne,  la  Société  se  propose  de  renvoyer 
dans  l’ou-Ganda  MM.  Pilkington  et  Baskerville  avec  plusieurs 
dames  missionnaires.  Parmi  ceux  qui  s’offrent  à partir,  on 
compte  un  nombre  croissant  de  pasteurs  et  de  candidats  mu- 
nis de  leurs  grades,  et  sortant  des  collèges  de  Cambridge. 
Le  Dr  A.  R.  Cook,  neveu  de  l’évêque  Bickersteth  d’Exeter, 
part  aux  frais  des  amis  des  missions  de  Hampstead;  M.  E.  B. 
Wigram  subvient  lui-même  à ses  dépenses.  En  outre,  il  vient 
de  se  former,  depuis  les  réunions  des  volontaires  de  Liver- 
pool,  sous  la  présidence  du  Rév.  E.  A.  Stuart,  une  sorte 
d’association  de  diaconesses  et  de  femmes-docteurs  libres, 
qui  partent  en  partie  à leurs  propres  frais  pour  Bombay, 
afin  d’y  travailler  au  bien  spirituel  et  physique  des  habitants 
de  l’immense  cité  indoue.  Miss  Gollock,  conuue  pour  ses  tra- 
vaux en  faveur  des  femmes  de  l’Inde,  fait  partie  du  Conseil  de 
direction. 

A cette  occasion,  le  Comité  vient  de  publier,  le  9 juin,  une 
série  de  résolutions.  La  première  est  un  acte  de  joyeuse  con-  j 
fiance  en  Dieu  et  d’actions  de  grâce.  La  deuxième  relève  les  ! 
efforts  faits  pendant  les  dernières  années  par  les  amis  des 
missions  et  le  nombre  croissant  de  réunions  de  prières  insti- 
tuées en  faveur  de  l’évangélisation  du  monde.  La  troisième 
met  les  amis  de  l’œuvre  au  courant  des  difficultés  financières 
du  moment.  La  quatrième  annonce  les  augmentations  prévues 
dans  le  personnel  et  dans  les  champs  d’action.  La  cinquième 
fait  observer  que  la  bénédiction  divine  a été  particulièrement 
accordée  aux  efforts  de  la  Société,  depuis  que  le  Comité  a 
adopté  résolument  une  marche  d’expansion  et  de  foi,  marche 
qu’il  ne  saurait  abandonner,  à moins  d’y  être  contraint  par 
Dieu  lui-même.  Enfin,  la  sixième  est  un  appel  confiant  et 
sérieux  aux  prières  et  à la  libéralité  de  ceux  qui  vont  voir 
partir  bientôt,  pour  les  champs  divers  du  monde  païen, 
70  missionnaires  nouveaux. 

Ce  même  esprit  de  foi  et  d’initiative  se  retrouve  dans  un 


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m 


article  de  M . Baskerville,  qui  réjouit  ses  lecteurs  par  la  revue 
des  remarquables  progrès  obtenus  sur  les  bords  du  lac  Vic- 
toria et  accompagne  la  carie  de  l’ou-Ganda  de  preuves 
évidentes  qu’il  faut,  pour  cette  mission  en  plein  rapport, 
un  nombre  beaucoup  plus  considérable  de  missionnaires 
européens,  le  Comité  ayant  été  obligé,  contrairement  à ses 
principes,  de  laisser  plusieurs  stations  aux  soins  d’un  seul 
homme. 

D’autre  part,  le  Journal  de  Bâle  nous  présente  les  intéres- 
sants portraits  de  quelques-uns  des  18  ouvriers,  pour  la  plu- 
part fort  jeunes,  que  la  Société  a perdus  depuis  1895.  On  ne 
peut  considérer  sans  émotion  les  traits  de  ces  jeunes  chré- 
tiens, morts  au  champ  des  missions,  et  qui  ont  trouvé  aus- 
sitôt des  successeurs  prêts  à relever  leur  manteau. 

C’est  cette  foi  courageuse  et  ce  sérieux  dans  le  sacrifice 
que  Dieu  est  en  droit  d’attendre  de  l’Église  qui  envoie  les 
missionnaires.  Le  Dr  Pilkington,  de  l’ou-Ganda,  le  rappe- 
lait à la  grande  réunion  annuelle  de  St-Jame’s  Hall  : « Sa- 
vez-vous, disait-il,  comment  la  bénédiction  nous  est  ar- 
rivée dernièrement  dans  l’ou-Ganda?  — Par  la  confession 
de  nos  péchés!  — Nous  nous  sommes  jugés  nous-mêmes, 
et  Dieu  ne  nous  a pas  jugés.  Écoutez  ce  qui  nous  arriva  : 
Un  de  nos  convertis  vint  un  jour  dire  au  Conseil  d’Église 
qu’il  retournait  à la  polygamie  ou  au  paganisme.  Je  le  pris 
à part,  lui  fis  sentir  sa  responsabilité  et  lui  dis  : « Vous 
rendez-vous  compte  de  ce  que  vous  faites?  » Il  me  répondit  : 
« Je  vous  dis  que  le  christianisme  ne  me  fait  aucun  bien  ». 

Oh!  combien  je  voudrais  que  tout  chrétien  d’Europe  fût 
aussi  sincère  que  ce  noir!  — Nous  nous  mîmes  à prier  entre 
chrétiens  et  à confesser  nos  fautes;  nous  racontâmes  au  culte 
du  lendemain  matin  le  fait  humiliant  de  cet  homme,  dési- 
reux de  quitter  une  religion  qui  lui  semblait  impuissante, 
et  nous  dîmes  aux  auditeurs  : « Accumulez  autant  de  bois, 
sec  ou  vert,  que  vous  voudrez,  ce  bois  ne  vous  réchauffera 
pas;  ce  qu’il  faut,  c’est  que  le  feu  du  Saint-Esprit  descende 
sur  notre  bois,  pour  mettre  tout  en  flammes!  » De  nos 


350 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


confessions  est  venu  notre  relèvement;  l'œuvre  a repris,  et 
parmi  les  premiers  à se  convertir  s’est  trouvé  cet  homme 
qui  allait  renier  la  foi.  Je  ne  pense  pas  qu’iï  dise  maintenant 
que  le  christianisme  ne  lui  fait  pas  de  bien  ! » 

N’est-ce  pas  là  ce  qu’il  nous  faut,  à l’heure  actuelle,  à nous 
aussi  : la  consécration  joyeuse,  le  courage  de  la  foi,  le  sé- 
rieux du  sacrifice  et,  avant  tout,  la  pleine  sincérité  devant 
Dieu? 


G.  A. 


RÉUNION  DU  28  JUIN  A L ORATOIRE 


Disons-le  d’emblée  : la  réunion  du  28  juin  1896  a été  une 
des  plus  belles  assemblées  de  missions  dont  nous  ayons  gardé 
le  souvenir.  Bien  avant  l’heure  indiquée,  le  grand  temple  de 
l’Oratoire  se  trouvait  rempli;  même  les  galeries  supérieures 
ont  dû  être  ouvertes  pour  recevoir  les  arrivants.  Get  em- 
pressement des  amis  des  missions  devait  être  amplement 
justifié.  Il  s’agissait,  en  effet,  de  revoir  et  d’entendre  M.  Coil- 
lard, le  fondateur  de  la  mission  du  Zambèze  ; cet  homme, 
naguère  si  malade  qu’à  plusieurs  reprises  l’Église  l’a  consi- 
déré comme  mourant,  et  qui  se  trouvait  au  milieu  de  nous, 
faible  encore,  mais  en  bonne  santé.  Un  grand  attrait  de  la 
réunion  était  aussi  la  présence  de  M.  Ratsimihaba,  officier 
malgache,  en  mission  à Paris,  et  chargé  par  la  reine  d’un 
message  spécial  pour  le  Comité.  Enfin,  le  Sénégal  était  re- 
présenté par  M.  le  missionnaire  B.  Escande,  arrivé  la  veille  à 
Paris. 

Apres  le  chant  du  cantique  : « C’est  un  rempart  que  notre 
Dieu,  » la  lecture  d’une  portion  des  Saintes  Ecriture  et  la 
prière,  faites  par  M.  Hollard,  le  président  M.  J.  de  Seynes  a 
souhaité  une  cordiale  bienvenue  aux  trois  représentants  de 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


351 


nos  missions  présents  parmi  nous.  Ensuite,  il  a donné  la  pa- 
role à M.  Lâcherai  qui,  s’inspirant  de  la  circonstance,  a 
prononcé  une  belle  allocution  que  nous  voudrions  pouvoir 
reproduire  en  entier.  Le  manque  de  place  nous  oblige  à nous 
borner  à quelques  extraits. 

« Il  y a quelques  mois,  a dit  1* orateur,  un  pasteur  malgache 
écrivait  sur  son  carnet,  avec  une  émotion  reconnaissante  : 
Aujourd’hui  nos  yeux  ont  vu  un  pasteur  français.  Nous  éprou- 
vons ce  soir,  en  voyant  au  milieu  de  nous  un  protestant  mal- 
gache, un  sentiment  du  même  genre. 

« Ce  qu’est  là-bas  pour  nos  compatriotes  le  représentant  de 
notre  Société  des  missions,  ou  plutôt  du  protestantisme 
français,  M.  Lauga,  et  avec  lui  M.  Krüger,  vous  l’êtes  ici  pour 
nous.  Vous  représentez  à nos  yeux  le  protestantisme  malga- 
che tout  entier,  et  votre  présence  nous  rend  sensible  le  lien 
qui  existe  désormais  entre  nos  Églises  et  les  vôtres.  Ce  soir, 
c’est  la  France  protestante  qui  vous  reçoit;  c’est  en  son  nom 
que  nous  nous  sentons  le  droit  et  que  nous  sommes  heureux 
de  vous  dire  : nous,  protestants  français,  nous  considérons 
les  protestants  de  Madagascar  comme  nos  frères;  nous  nous 
préoccupons  de  leurs  besoins  ; nous  avons  le  souci  de  leur 
avenir;  nous  voulons  — et  nous  sommes  décidés  à faire  tout 
ce  qui  nous  sera  possible  pour  cela  — qu’ils  puissent  conti- 
nuer à adorer  Dieu  selon  leur  conscience,  à lire  sa  parole, 
et  à répandre  librement  la  connaissance  de  son  Évangile  dans 
la  grande  île  africaine. 

« ....  Nous  savons  qu’il  y a dans  l’histoire  de  vos  Églises 
des  pages  aussi  belles  que  les  plus  belles  pages  de  notre  his- 
toire. Nous  savons  que  Jésus-Christ  a eu  parmi  vous,  comme 
parmi  vos  ancêtres,  des  confesseurs  et  des  martyrs  et  qu’il  a 
encore  aujourd’hui  parmi  vous  de  fidèles  disciples,  et  c’est 
pourquoi  nous  sommes  convaincus  que  vos  Églises  sortiront 
de  la  crise  qu’elles  traversent,  fortifiées  et  agrandies,. 

« Vous  n’avez  pas  attendu  jusqu’à  la  fin  de  ce  siècle  pour 
connaître  1a  liberté  religieuse.  Elle  existe  daos  votre  île  depuis 
le  jour  où  une  grande  reine  chrétienne  a proclamé  que  dans 


352 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


ses  états  la  prière  (c’est  le  nom  sous  lequel  vous  désignez  le 
culte  chrétien)  n’était  ni  commandée  ni  défendue.  Inscrite 
depuis  plus  de  cent  ans  dans  nos  lois,  il  n’est  pas  possible  que 
là  où  flotte  le  drapeau  de  la  France,  cette  liberté  des  âmes,  la 
plus  nécessaire  de  toutes,  ne  soit  pas  respectée  et  maintenue. 
Vous  en  avez  reçu  la  promesse  formelle  et  nous  sommes  assu- 
rés qu'aucun  gouvernement  n’oserait  reprendre  sur  ce  point 
la  parole  de  la  France. 

« ...  Je  dois  me  borner  à ces  quelques  paroles  pour  vous 
exprimer  toute  notre  cordiale  et  fraternelle  sympathie,  car  il 
me  reste  encore  à dire  à ces  deux  frères  blancs  qui  nous  arri- 
vent d’Afrique  quelque  chose  de  l'affection  et  de  la  joie  qui 
remplit  nos  cœurs. 

« L’un  deux  est  pour  moi  presque  un  inconnu;  c’est  à 
peine  si  je  me  souviens  de  lui  avoir  serré  la  main,  un  jour,  à 
la  maison  des  missions.  Mais  il  y a entre  lui  et  notre  Église 
de  l’Oratoire  un  lien  très  spécial  et  très  étroit,  c’est  la  pauvre 
esclave  rachetée  et  entretenue  par  notre  école  du  dimanche, 
celle  que  nos  enfants,  et  nous  avec  eux,  nomment  toujours  « la 
« petite  Emilie».  Nous  savons  à quel  poste  difficile  Dieu  vous 
a appelé,  mon  jeune  frère,  et  avec  quelle  courageuse  ardeur 
vous  vous  y êtes  rendu  et  vous  y tenez  bon.  Le  Sénégal!  Ce 
nom  signifie  pour  nous  un  pays  de  sable  et.de  feu,  un  sol 
aride,  un  climat  meurtrier.  Ce  nom  signifie  également  une 
œuvre  lente  et  pénible,  tous  les  fanatismes  et  tous  les  paga- 
nismes à refouler,  des  résultats  incertains  et  un  perpétuel 
recommencement.  Voilà  comment  nous  nous  représentons 
cette  vieille  mission  du  Sénégal,  et  voilà  aussi  pourquoi  nous 
bénissons  Dieu  de  ce  que,  là  où  plusieurs  sont  déjà  tombés, 
vaincus  par  la  maladie  ou  lassés  de  la  lutte,  vous  êtes  resté 
debout,  toujours  vaillant,  patient  et  fidèle. 

« Et  que  dirai-je  à celui  qui  nous  revient  du  centre  de  l’A- 
frique après  une  absence  de  quatorze  ans?  Avec  quelle  atten- 
tion passionnée  nous  l’avons  suivi  là-bas,  sur  les  bords  du 
Zambèze,  dans  ce  pays  d’effroyable  corruption  où  il  allait,  au 
nom  de  nos  Églises,  porter  l’Évangile  de  la  sainteté  et  du  sa- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARTS 


353 


lut!  Avec  quel  ardent  intérêt  nous  nous  sommes  associés  à 
ses  durs  labeurs,  à ses  épreuves  et  à ses  joies!  Avec  quel 
espoir  nous  nous  sommes  demandé — jusqu’à  la  dernière 
heure  — s’il  nous  serait  donné  de  le  revoir  encore  ici-bas  ! 
« Voici,  disait  saint  Paul  en  parlant  de  son  cher  Epapbrodite, 
« il  a été  malade  et  tout  près  de  la  mort,  mais  Dieu  a eu 
« pitié  de  lui,  et  non  seulement  de  lui,  mais  aussi  de 
« nous  (1).  » Ne  dirait-on  pas  que  c’est  pour  nous  que  ces 
choses  ont  été  écrites  ? 

« Parmi  ceux  qui  sont  dans  ce  temple,  il  y en  a plus  d’un 
assurément  qui  se  souvient  d’avoir  entendu,  au  mois  de 
janvier  1882,  ces  paroles  mémorables  : «Que  cette  heure  vous 
apprenne  ce  que  vos  missionnaires  vous  demandent.  Ils  ne 
vous  demandent  ni  votre  pitié,  ni  votre  admiration.  Votre 
pitié,  ils  n’en  ont  pas  besoin.  Votre  admiration,  ils  n’en  sont 
pas  dignes.  Mais  ce  qu’ils  espèrent  de  vous,  c’est  votre  sym- 
pathie, c’est  un  redoublement  de  prières.  » — Vous  les  avez 
eues,  cher  et  vénéré  frère,  cette  sympathie  et  ces  prières 
redoublées  que  vous  espériez.  Elles  vous  sont  venues  non 
seulement  de  la  France  protestante,  mais  de  toute  la  chré- 
tienté évangélique,  — d’Italie,  de  Suisse,  d’Alsace,  de  Belgi- 
que, d’Angleterre,  de  cette  Hollande  où,  je  puis  l’attester, 
vous  avez  eu  dès  le  commencement  et  vous  avez  encore  tant 
d’amis  fidèles.  Mais  quoi  que  vous  ayez  pu  dire,  nous  avons 
été  forcés  d’y  ajouter  quelque  chose  de  plus,  — non  pas  notre 
pitié,  sans  doute,  mais  cette  admiration  — ou,  si  décidément 
vous  ne  voulez  pas  de  ce  mot,  — ce  respect  plein  d’amour 
qui  est  dû  à tous  les  grands  serviteurs  de  Dieu,  choisis  par  lui 
et  appelés  à faire  dans  le  monde,  par  la  présence  de  son  Es- 
prit, dans  l’humilité  et  dans  la  foi,  son  œuvre  éternelle.  Vous 
avez  ajouté  à la  couronne  de  notre  Société  des  missions  un 
de  ses  plus  beaux  fleurons,  et  au  nom  de  tous  ceux  qui  de- 
mandent à Dieu  que  son  règne  vienne,  nous  vous  en  bénis- 


(1)  Phil.  II,  27. 


3 U 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


soifs,  ou  plutôt  nous  en  bénissons  Celui  aussi  à qui  seul  nous 
voulons  tous  ici  donner  gloire.  » 

Au  moment  où  M.  Lacheret  cessait  de  parler,  un  beau  chant, 
exécuté  par  le  chœur  de  l’Oratoire,  s’est  fait  entendre  et  a 
puissamment  contribué  à l'édification  de  rassemblée. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à M.  E scande  : « Il  m’eût  été 
doux,  dit-il,  de  me  présenter  devant  vous  comme  notre  vénéré 
frère  Coillard,  les  mains  pleines  de  gerbes.  Il  m’eût  été  doux 
de  vous  dire  : parti  en  votre  nom  pour  prêcher  Jésus-Christ 
aux  peuplades  de  la  Sénégambie,  nous  avons  vu  des  foules 
accourir  pour  entendre  notre  message,  des  pécheurs  par  cen- 
taines passer  des  ténèbres  à la  lumière.  Hélas!  il  faut  être 
plus  modeste,  et  au  lieu  de  vous  parler  de  gerbes,  je  dois  me 
borner  à vous  parler  d’épis.  » 

Puis,  après  avoir  rendu  compte  de  quelques-unes  des  dif- 
ficultés de  l’œuvre  du  Sénégal,  M.  Escande  a ajouté  : « Le 
Seigneur  n’a  pas  trompé  notre  attente.  Une  éclaircie  s’est  faite 
dans  notre  ciel.  Coup  sur  coup,  dix  conversions  survenues, 
tant  parmi  les  enfants  de  notre  école  .que  parmi  les  adultes, 
sont  venues  nous  montrer  que  Dieu  avait  mis  sa  bénédiction 
et  son  sceau  sur  l’œuvre  de  nos  mains...  Dix  conversions, 
c’est  peu  sans  doute  ; mais  n’est-ce  pas  l’ondée  qui  précède 
la  pluie  fécondante  ? Nous  la  voulons  pour  Saint-Louis,  pour 
ces  vastes  régions  de  l’Afrique  occidentale  française  qui  vont 
du  fleuve  du  Sénégal  à la  Côte  d’ivoire  et  de  l’Océan  au  lac 
Tchad,  pour  cet  immense  domaine  colonial  huit  fois  grand 
comme  la  mère-patrie  et  que,  seuls,  les  missionnaires  fran- 
çais ont  le  droit  d’évangéliser... 

« Puissions-nous  seulement  prendre  toujours  mieux  cons- 
cience, vous  ici,  nous  là-bas,  de  ce  que  Dieu  réclame  de  nous, 
des  travaux  qu’il  nous  propose,  des  sacrifices  auxquels  il 
nous  appelle  I Et  puisse-t-il  nous  trouver  partout  et  toujours 
fidèles  à notre  poste  — fidèles  à le  prier,  fidèles  à le  servir  — 
fidèles  à nous  tenir  dans  l’humilité  véritable,  pour  qu’à  lui  et 
à lui  seul  soit  la  gloire.  » 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


355 


Le  moment  est  venu  pour  M.  Coillard  de  se  faire  entendre. 
Pendant  près  de  quarante  minutes  il  tient  l’auditoire  sus- 
pendu à ses  lèvres  par  le  récit  à la  fois  sobre  et  émouvant 
des  difficultés  de  toutes  sortes  accumulées  sur  sa  route  et  la 
manière  dont  Dieu  l’en  a fait  triompher.  Nous  renonçons  à 
résumer  ce  discours  ; notre  frère  devant  se  faire  entendre  dans 
plusieurs  Églises,  les  amis  des  Missions  ne  seront  donc  pas 
lésés  : ils  auront  le  privilège  de  voir  et  d’entendre  notre  vail- 
lant missionnaire  lui-même. 

Une  brève  allocution  de  M.  Edouard  Sa utter,  toute  vibrante 
d’émotion  et  de  reconnaissance,  a terminé  la  série  des  discours. 
« Nos  cœurs  sont  pleins,  a-t-il  dit  en  s’adressant  à M.  Coillard, 
et  il  faut  qu’ils  débordent.  Nous  ne  pouvons  pas  vous  Laisser 
dire  que  notre  présence  ici  est  simplement  la  preuve  de  l’in- 
térêt que  nous  portons  à votre  œuvre.  Elle  signifie  autre  chose 
encore  : elle  signifie  que  nous  vous  avons  voué  depuis  long- 
temps une  profonde  affection,  toute  faite  de  respect  et  de  re- 
connaissance... Des  bords  du  Zambèze,  vous  nous  avez  bien 
souvent  fortifiés,  consolés,  éclairés.  Une  chose  nous  man- 
quait, nous  ne  pouvions  pas  vous  voir.  Nous  nous  disions, 
chaque  fois  que  vous  nous  faisiez  du  bien  : quand  donc,  oh  ! 
quand  donc  le  verrai-je?  Ce  jour  est  enfin  venu,  Dieu  en  soit 
mille  fois  béni  !... 

«...  Ah!  vous  ne  pouvez  pas  nous  empêcher  de  vous  dire 
tout  ce  que  nous  éprouvons  pour  vous  d’ardente  reconnais- 
sance. Us  sont  tout  prêts  à se  lever  pour  confirmer  mon  dire, 
ceux  qui  étaient  découragés,  abattus,  prêts  à perdre  toute 
confiance  et  à penser  : « Dieu  m’oublie  ».  Et  voici,  le  Journal 
des  Missions  arrivait;  ils  cherchaient  votre  signature,  et  à 
mesure  qu’ils  vous  lisaient,  la  paix  redescendait  dans  leur 
âme;  ils  comprenaient  comment  il  faut  attendre  en  silence  la 
délivrance  de  l’Éternel,  et  ils  n’osaient  plus  parler  de  décou- 
ragement, puisque  vous,  vous  là-bas,  vous  ne  vous  découra- 
giez pas... 

«...  Vous  ne  voulez  pas  qu’on  vous  admire  ni  qu’on  vous 


356 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


exalte.  Nous  n’y  pensons  pas  nous-mêmes.  Nous  savons  que 
vous  n’auriez  jamais  pu  être  tout  ce  que  vous  avez  été  ; vous 
n’auriez  jamais  fait  tout  ce  que  vous  avez  fait  si  vous  aviez 
cherché  en  vous-même  le  secret  de  votre  force  et  de  votre  vie. 
Ce  n’est  pas  vous  qui  l’avez  vécue,  cette  vie  ; c’est  Christ  qui 
l’a  vécue  en  vous.  Gloire  à Jésus-Christ!... 

a...  Nous  avons  beaucoup  reçu  du  Seigneur  par  votre  en- 
tremise; vous  pouvez  maintenant  beaucoup  nous  demander 
en  son  nom.  Vous  voulez,  toujours  plus,  notre  argent;  vous 
voulez  nos  fils  et  nos  filles,  vous  voulez  nos  vies,  — deman- 
dez-nous  tout  cela.  En  vérité,  ne  serions-nous  pas  des  hypo- 
crites si,  par  notre  présence  ici,  nous  ne  disions  pas  à notre 
Divin  Maître  : « Parle,  Seigneur,  demande,  commande,  nous 
« voulons  être  obéissants  ! » 

« Mais  pourquoi  tant  de  paroles!  Et  ne  répondrai -je  pas 
plus  complètement  encore  aux  sentiments  qui  remplissent 
tous  nos  cœurs  en  vous  demandant,  ô mon  frère,  la  permission 
de  vous  donner  en  notre  nom  à tous  la  plus  tendre  et  la  plus 
respectueuse  des  accolades!  » 

Une  prière  de  M.  G.  Appia,  présentant  à Dieu  tous  nos 
champs  de  mission  et  toutes  les  missions,  a dignement  clos 
cette  réunion  qui  a été  une  vraie  fête  pour  tous  ceux  qui  ont 
eu  le  privilège  d’y  assister. 

La  collecte  faite  dans  les  rangs  de  l’assemblée  a produit 
722  francs,  auxquels  un  anonyme  a ajouté,  dès  le  lendemain, 
la  somme  de  1,000  francs. 




NOTES  Dü  MOIS 

Nous  tenons  à annoncer  sans  retard,  quitte  à en  rendre 
compte  plus  tard  en  détail,  une  publication  due  à la  plume 
de  M.  le  missionnaire  Jacottet  et  qui  a pour  titre  : Études 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


357 


sur  les  langues  du  Haut- Zambèze  ; textes  originaux  recueillis 
et  traduits  en  français  et  'précédés  d'une  esquisse  grammati- 
cale (1).  C’est  là  une  bonne  fortune  pour  tous  les  amateurs  de 
linguistique  et  de  grammaire  comparée.  Ceux,  toujours  plus 
nombreux,  qu’intéressent  les  langues  africaines  y trouveront 
certainement  leur  compte,  et  nous  remercions  M.  Jacottet 
pour  ce  beau  travail  qui  fait  honneur  à la  Société  des  mis- 
sions. 

Mentionnons  une  modeste  publication  intitulée  : Catalogue 
des  principaux  ouvrages,  journaux  et  publications  missionnaires 
en  langue  française . Ce  catalogue,  dressé  par  M.  D.  Couve, 
étudiant  à Montauban  et  futur  missionnaire,  et  publié  par 
le  Comité  du  « Mouvement  volontaire  des  Étudiants  se  desti- 
nant aux  Missions»,  rendra  service  à tous  ceux  qui  veulent 
étudier  les  questions  relatives  aux  missions. 

Nous  rappelons  que  la  deuxième  édition  du  beau  livre  : 
E.  Dhombres , quelques  souvenirs,  a paru  il  y a quelque  temps 
déjà.  Nous  engageons  ceux  de  nos  lecteurs  qui  le  peuvent 
à se  procurer  ce  volume;  ils  y trouveront  à la  fois  une  édi- 
fication saine  et  forte  et  des  informations  précieuses  sur  les 
événements  auxquels  M.  Dhombres  fut  mêlé,  L’ouvrage  con- 
tient, en  appendice,  les  discours  prononcés  lors  des  funé- 
railles du  regretté  pasteur  de  Paris.  Nous  rappelons  que  cet 
ouvrage  se  vend  au  profit  de  la  Société  des  missions. 

Un  autre  livre  plus  modeste,  mais  très  attachant  aussi,  est 
celui  intitulé  : Une  Femme  missionnaire , souvenirs  de  la  vie  et 
de  la  mort  de  madame  Coillard.  Plusieurs  de  nos  amis  le 
connaissent  déjà;  nous  voudrions  recommander  à tous  les 
autres  de  se  procurer  ce  petit  volume  et  de  le  faire  connaître 
autour  d’eux. 

Dans  sa  dernière  séance,  le  Comité  a prononcé  l’admission 
de  M.  P.  Tisseau  comme  élève  missionnaire.  M.  Tisseau  en- 
trera, en  octobre,  dans  la  section  préparatoire  des  Bati- 


(1)  Se  vend  à Paris,  chez  Ernest  Leroux,  éditeur,  ^8,  rue  Bonaparte. 


358 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


gttolles.  Le  Comité  a aussi  accepté  les  services  de  M.  Th. 
Burnier,  élève  de  la  Faculté  libre  de  Lausanne.  M.  Burnier 
passera  im  an  à la  Maison  des  missions  avant  qu’une  desti- 
nation lui  soit  assignée. 

Notes  sommes  heureux  d’annoncer  à nos  lecteurs  que  les 
Églises  du  Poitou  viennent  d'organiser  un  Comité  auxi- 
liaire pour  leur  région.  Ce  Comité  auxiliaire  du  Poitou  a 
constitué  comme  suit  son  bureau  : MM.  Gonin,  pasteur  à 
Melle,  président  ; Delattre,  pasteur  à Saint-Laurent,  secré- 
taire, et  Jézéquel,  pasteur  à Souvigné,  trésorier. 


MADAGASCAR 

Dernières  nouvelles  de  nos  délégués.  — Importantes 
décisions. 

Comme  nous  le  faisions  prévoir  il  y a un  mois,  nos  deux 
délégués  se  sont  vus  dans  l’impossibilité  d’effectuer  à l’épo- 
que fixée  d’avance  cette  visite  au  Betsiléo,  à laquelle  ils 
étaient  si  chaleureusement  invités  parles  missionnaires  de  ce 
district.  Le  mouvement  fahavaliste,  dont  la  lettre  de  M.  Kroger, 
publiée  ci-dessous  (1),  donne  une  idée  d’ensemble,  a barré  la 
route  du  Sud,  et  ils  ont  dû  renoncer,  à leur  grand  regret,  à 
un  projet  qui  leur  tenait  à cœur  autant  qu’à  nous-mêmes.  Espé- 
rons que  ce  projet  pourra  être  repris  dans  une  période  plus 
calme  par  celui  de  nos  délégués  qui  doit  prolonger  encore 
son  séjour  à Tananarive  pendant  quelques  mois  en  attendant 
d’être  lui-même  remplacé. 

Nos  amis  ont  jugé,  en  effet,  que  le  moment  était  venu  pour 


(1)  Voir  l’article  : A propos  de  V attaque  de  la  Mission  norvégienne  à 
Sù'abé,  page  386. 


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dm 


eux  d’arrêter  leurs  plans  de  retour.  Après  mure  délibération, 
ils  se  sont  tracé  le  programme  suivant  : 

Tananarive  et  les  districts  accessibles  qui  l’entourent  ayant 
été  visités  à fond,  il  leur  a paru  qu’en  fixant  à la  fin  de  juin 
le  terme  de  leur  activité  commune,  ils  avaient  fait  aussi  large 
que  possible  la  part  de  l’enquête  et  des  travaux  préparatoires 
dont  ils  ont  été  chargés.  Il  a donc  été  entendu  que,  sauf  évé- 
nement imprévu,  M.  Krüger  quitterait  Tananarive  le  30  juin, 
et  s’embarquerait  le  7 juillet  à Tamatave  pour  la  Réunion, 
l’île  Maurice,  et  Natal.  Si  rien  n’a  mis  obstacle  à ce  projet, 
M.  Krüger,  au  moment  où  ce  journal  paraîtra,  aura  débarqué 
à Durban  et  sera  à la  veille  d’arriver  au  Lessouto  qu’il  compte 
visiter  en  passant.  Il  consacrera  à cette  visite  le  mois  d’aoât, 
et,  dès  les  premiers  jours  de  septembre,  il  s’embarquera  au 
Cap  de  manière  à arriver  en  Europe  un  peu  avant  la  rentrée 
de  la  Maison  des  missions. 

Disons  tout,  de  suite  qu’en  se  rendant  au  Lessouto,  M.  Krü- 
ger espérait  y rencontrer  un  membre  du  Comité  délégué  de 
Paris  pour  visiter  notre  plus  ancien'  champ  de  travail.  Nous 
n’avons  pas  besoin  de  dire  à quel  point  une  députation  de  ioe 
genre  répondrait  aux  vœux,  soit  de  nos  frères  du  Lessouto, 
soit  du  Comité  lui-même.  Elle  reste  inscrite  à notre  ordre  du 
jour  et  noms  espérons  bien  qu’un  jour  elle  pourra  s’effectuer 
dans  de  bonnes  conditions.  Actuellement,  la  chose  n’a  pas  été 
possible,  à notre  grand  regret. 

Quand  à M.  Lauga,  il  reste  pour  le  moment  à Tananarive; 
mais  lui  aussi  pense  à un  retour  que  ses  devoirs  envers  son 
Église  et  envers  les  siens  ne  lui  permettent  pas,  pense-t-il,  die 
différer  longtemps.  Aussi  nous  presse-t-il  de  lui  envoyer  le 
successeur  auquel  il  remettra  le  dépôt  actuellement  placé 
entre  ses  mains. 

Telles  sont  les  décisions  de  nos  délégués;  elles  ont  été  pri- 
ses le  24  mai,  jour  de  la  Pentecôte,  après  une  longue  et  sé- 
rieuse délibération  ; le  Comité  en  a eu  connaissance  à la  fin  de 
juin.  On  sait,  d’autre  part,  par  notre  dernière  livraison,  les 
résolutions  qui  venaient  d’être  prises  ici  à cette  date.  Pour 


360 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


y donner  suite,  le  Comité  a adressé  vocation  simultanément 
à deux  pasteurs,  l’un  et  l’autre  bien  qualifiés,  au  jugement 
de  ceux  qui  les  connaissent,  pour  remplacer  nos  délégués. 
De  ces  deux  pasteurs,  l’un  a cru  devoir  décliner  l’appel  du 
Comité  : il  lui  a paru  que  ses  circonstances  personnelles  s’op- 
posaient à son  départ.  L’autre  a accepté,  et  nous  pouvons 
dès  maintenant  le  présenter  à nos  lecteurs,  en  exprimant 
notre  profonde  reconnaissance  de  son  entrée  au  service 
des  missions  : c’est  M.  Edmond  Meyer,  actuellement  pasteur 
à Hargicourt  (Aisne),  anciennement  pasteur  à Saint  Geniès 
(Gard).  M.  Meyer  est  depuis  longtemps  attaché  à l’œuvre 
des  missions , vers  laquelle  il  est  attiré  par  une  véritable 
vocation.  Les  obstacles  qui  se  sont  opposés  jusqu’à  ce  jour 
à son  départ  ont  cédé  devant  l’appel  pour  Madagascar. 

Malheureusement,  si  le  concours  de  M.  Meyer  nous  est 
acquis,  son  départ  ne  pourra  pas  se  faire  à temps  pour  que 
M.  Lauga  puisse  l’installer  lui-même  dans  ses  fonctions. 
M.  Meyer  comprenait  comme  nous,  comme  nos  Églises,  le 
prix  qu’aurait  eu,  et  pour  lui-même  et  pour  l’œuvre,  cette 
transmission  immédiate  ; mais  il  lui  a été  impossible  de  se 
dégager  de  manière  à partir  en  temps  utile.  Il  faut  se  rappeler, 
en  effet,  que  la  bonne  saison  pour  aller  à Madagascar  va  de 
mai  à octobre.  M.  Meyer  aurait  dû,  pour  rejoindre  à temps 
M.  Lauga  et  permettre  à celui-ci  de  partir  avant  que  la  saison 
soit  tout  à fait  mauvaise,  quitter  la  France  dès  le  mois  d’août, 
ou,  au  plus  tard,  au  commencement  de  septembre.  Malgré  toute 
notre  insistance  et  malgré  toute  sa  bonne  volonté,  M.  Meyer 
n’a  pas  cru  pouvoir  se  mettre  en  route  dans  un  délai  aussi 
court;  il  n’a  pas  cru  possible,  non  plus,  comme  nous  le  lui 
avions  proposé,  de  partir  seul  en  ajournant  à l’année  prochaine 
le  voyage  de  sa  famille.  Ce  n’est  donc  qu’au  printemps  pro- 
chain qu’il  pourra  partir  avec  les  siens  pour  Tananarive. 

Le  remplacement  de  nos  délégués  par  leurs  successeurs 
définitifs  n’ayant  pu  se  faire,  il  a fallu  avoir  recours  à un 
intérimaire  d’autant  plus  difficile  à trouver  que  le  temps 
qui  nous  était  laissé  pour  le  rechercher  était  plus  court.  Où 


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361 


trouver  l’homme  prêt  à partir  presque  immédiatement  et 
suffisamment  préparé  à la  tâche  difficile  qui  incombera  au 
remplaçant,  même  provisoire,  de  M.  Lauga?  Nos  délégués,  pré- 
voyant le  cas  d’un  intérim , avaient  pensé  qu’un  des  élèves 
missionnaires  ayant  fini  leurs  études  pourrait  en  être 
chargé;  mais  cette  combinaison  n’a  pas  paru  au  Comité 
offrir  les  garanties  suffisantes,  et  il  a cherché  ailleurs. 

Sans  l’état  de  pénurie  où  les  événements  de  ces  dernières 
années  ont  réduit  la  mission  du  Lessouto,  il  eût  été  naturel 
de  demander  à l’un  des  missionnaires  français  de  ce  champ 
de  travail  de  passer  le  détroit  de  Mozambique  et  de  prêter  son 
concours  à l’œuvre  que  nous  avons  commencée  à Madagas- 
car; nous  sommes  assurés  qu’en  temps  normal  un  appel  de 
ce  genre  eût  trouvé  notre  corps  missionnaire  du  Lessouto 
unanimement  disposé  à nous  prêter  son  concours.  Mais,  ici 
encore,  nous  nous  heurtions  à de  véritables  impossibilités  : le 
Lessouto  n’a  pas  le  nombre  d’hommes  qu’il  lui  faudrait  pour 
suffire  à l’œuvre  actuelle  ; lui  prendre  un  de  ses  ouvriers, 
même  pour  un  temps  limité,  c’eût  été  faire  de  l’ordre  avec 
du  désordre,  ouvrir  une  brèche  pour  en  combler  une  autre. 
Il  a donc  fallu  renoncer  à une  combinaison  qui,  à d’autres 
égards,  se  recommandait  par  de  si  bonnes  raisons. 

Cependant,  le  temps  pressait;  il  fallait  agir.  A moins  de 
prier  M.  Krüger  lui-même  de  rebrousser  chemin  et  de  rem- 
placer son  collègue  à Tananarive,  il  fallait  trouver  un  homme 
auquel  ses  circonstances  personnelles  permissent  de  partir 
presque  immédiatement.  Nous  sommes  heureux  de  dire  que 
cet  homme  s’est  trouvé  dans  la  personne  du  missionnaire 
Escande,  récemment  arrivé  du  Sénégal.  Informé  par  nous 
de  l’embarras  où  nous  mettait  l’ajournement  du  départ  de 
M.  Meyer,  M.  Escande  nous  a immédiatement  télégraphié  : 
«Suis  à la  disposition  du  Comité.  Que  Dieu  vous  dirige.  » 
Il  est  superflu  de  dire  combien  il  nous  en  a coûté  de  deman- 
der à notre  missionnaire  de  renoncer  à un  congé  bien  mérité 
et  qui,  une  fois  déjà,  avait  été  ajourné.  Mais  les  circonstances 
ne  nous  laissaient  pas  la  liberté  d’agir  autrement,  et  nous 

27 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


362: 


avons  accepté  avec  reconnaissance  le  concours  de  M.  Es- 
cande,  dans  l'espoir  que  son  voyage  à Madagascar  portera 
d’heureux: fruits-,  aussi  bien  pour  luwnême  que  pounfœuvre 
du  Sénégal. 

La  date  exacte  du  départ  de  M.  Escande  n’est  pas  encore 
fixée  : il  aura  lieu*  si  possible,  par  le  courrier  qui  quitte 
Marseille  le  25  août. 

Get  exposé  serait  incomplet  si  nous  taisions  l’impression 
pénible  sous  laquelle  nous  nous  sommes  trouvés  pendant  nos 
recherches  de  ces  derniers  temps.  C’est  celle  du  petit  nombre 
d'hommes  véntablement  disponibles  que  possède  actuellement 
noire  protestantisme  pour  l'œuvre  de  Madagascar.  Nous  souli- 
gnons à dessein  ces  mots,  espérant  qu’ils  iront;  troubler  dans 
leur  repos  ceux  que  Dieu  a peut-être  désignés  déjà  pour  cette 
grande  œuvre,  mais  qui  s’ignorent  encore  eux-mêmes,  ou 
n’ont  pas  le  courage  de  s’offrir. 

G’,est  avec  une  joie  profonde  que  nous  saluons,  à son  entrée 
dans  fœuvre,  M.  E.  Meyer.  Mais  Madagascar  réclame  de  nous 
plus  qu'un  homme;  il  nous  en  faut  plusieurs  : il  en  faut  pour 
l’œuvre  pastorale  et  missionnaire  proprement  dite;  il  en  faut 
pour  l’œuvre  scolaire  qui  s’imposera,  tant  dans  le6  éta- 
blissements relevant  des  autres  missions  que  dans  celui 
dont  nous  aurons  peut-être  nous-mêmes  àaccepter  la  oharge. 
Nos  délégués  nous  diront  exactement  en  quoi  consistera 
l’œuvre  qui  nous  attend  à Madagascar;  mais  Inexpérience 
montre  que  si  nous  voulons  être  prêts  à temps , il  faut 
nous  préparer  d'avance.  Nous  avons  reçu*  quelques  offres  de 
service  : il  en  est  dans  le  nombre  qui  paraissent  utilisables^ 
mais  il  nous  en  faut  d’autres  encore,  pour  que,  le  moment 
venu,  nous  puissions  choisir  et  envoyer  à Madagascar  des 
cadres  vraiment  solides,  des  hommes  bien  qualifiés  et  ca- 
pables de  diriger  l’œuvre  future.  Que  ceux  qui  ont  quelque 
ouverture  à nous  faire,  pasteurs,  professeurs,  ou  instituteurs, 
ne  tardent  donc  pas  à nous  écrire.  Il  n’y  a pas  de  temps  à 
perdre. 


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36H 


LESSOUTO 

LA  STATION  UE  CA.NA, 

La  vue  de  la  station  de  Cana  que  nous  mettons  en  tête  de 
ce  numéro  a été  faite  peu  de  temps  après  l’inauguration  de 
la  nouvelle  chapelle. 

Cette  station  a d’abord  été  fondée  en  1840  par  M.  le  mis- 
sionnaire Reck,  mais  à;  peine  les  premiers  travaux  d’installar 
tion  étaient-ils  commencés,  que  des  querelles-  interminables 
surgirent  parmi  les  chefs  du  pays,  si  bien  que  M.  Keck  dut 
suspendre  ses  travaux  et  aller  occuper  un  autre  poste. 

Ce  ne  fut  que  longtemps  après,  en  1872,  que  M.  Kohler  fut 
appelé  à reprendre  cette  oeuvre  qu’il  dirige  encore  actuelle- 
ment. 

La  chapelle,  qui  récemment  a été  élevée  sous  la*  direction 
de  M;  Kohler,  fait  non  .seulement  l’éloge  de  l’architecte,  mais 
aussi  celui  des  élèves  de  notre  école  industrielle  de  Léloaleng 
qui  en  ont  été  les  maçons  et  les  charpentiers. 

Si  l’œuvre  de  Cana  a été  longue  à se  développer  — la  popu- 
lation du  district  l’étant,  montrée  plus  qu’ailleurs  rebelle  à 
l’influence  de  l’Évangile  — les  chiffres  indiqués  par  la  der- 
nière, statistique  sont  des  plus  encourageants.  Les  membres 
d’Église  atteignent  le  total  de  444,  plus  215  catéchumènes 
répartis  dans  10  annexes  et  dans  une  population  de.  12  à 
45,000*  âmes. 

L’œuvre  de  Dieu  avance,  malgré  les  difficultés  de  tous 
genres  qulelle  rencontre.  Partout  ses  progrès  sont  évidents  et 
faits  pour  réjouir  tous  ceux  qui.  répètent  les  paroles  du  Sau- 
veur : « Que  ton  règne  vienne!  » 


364 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


M.  MERCIER  A LÉLOALENG 

On  se  souvient  que  M.  Mercier,  empêché  de  continuer  son 
voyage  au  Zambèze,  s’est  installé  pour  quelque  temps  au  Les- 
souto.  Nous  espérons  que  ce  retard,  tout  en  lui  permettant 
d’attendre  un  compagnon  de  voyage,  lui  procurera  l’occa- 
sion de  faire  bonne  connaissance  avec  le  Lessouto  et  spé- 
cialement avec  l’Ecole  industrielle  de  Léloaleng.  Un  stage 
dans  cette  école  lui  sera  d’une  grande  utilité  pour  sa  car- 
rière future.  Il  met  d’ailleurs  son  temps  à profit,  comme  le 
montrent  les  lignes  suivantes  extraites  d’une  lettre  écrite 
de  Léloaleng  en  date  du  8 juin. 

« Il  y a environ  quinze  jours  que  je  travaille  à l’école,  où 
je  fais  du  charronnage,  de  la  forge,  de  la  charpente,  de  la 
ferblanterie,  des  réparations  de  pendules,  etc.  Le  soir,  ma 
femme  et  moi  prenons  des  leçons  de  sessouto  et  d’anglais  de 
mesdemoiselles  Louise  et  Mary  Cochet. 

« Au  sud  de  l’Afrique,  c’est  maintenant  l’hiver,  et  nous  le 
sentons;  il  fait  réellement  froid  par  moments,  et  les  journées 
sont  courtes.  A l’atelier,  le  travail  commence  à neuf  heures 
et  demie  et  se  termine  à cinq  heures.  De  sept  à neuf  heures, 
nous  avons  nos  leçons,  et  le  reste  du  temps  pour  les  apprendre. 
Vous  voyez  que  nos  journées  sont  suffisamment  remplies... 

« L’Ecole  industrielle  est  très  intéressante.  On  y fait  des 
meubles  de  sapin,  de  la  charpente,  des  réparations  de  wa- 
gons et  de  voitures,  la  forge,  la  taille  de  la  pierre,  la  maçon- 
nerie et  des  réparations  de  toutes  sortes,  même  des  casseroles. 
Les  élèves,  qui  sont  en  ce  moment  au  nombre  de  quarante-six, 
ont  tous  les  jours,  avant  le  travail,  une  leçon  de  calcul  mental, 
d’anglais  et  de  lecture  en  sessouto,  etc.  C’est  mademoiselle 
Louise  Cochet  qui  donne  ces  leçons.  Quelques  élèves  appren- 
nent le  charronnage  et  la  forge;  d’autres  la  bâtisse  ou  la  me- 
nuiserie. Certains  de  ces  garçons  sont  très  adroits...  » 


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365 


AU  JOUR  LE  JOUR 

[Extraits  du  Journal  d’un  missionnaire.) 

Le  iO  mars.  — J’ai  vu  aujourd’hui,  à Maté,  un  homme  de 
vingt-quatre  ans  environ,  nommé  Masothonyané,  un  impo- 
tent. Ses  jambes  sont  pliées  en  deux,  ses  genoux  ankylosés. 
Pour  circuler,  il  glisse  sur  ses  pieds,  s’appuyant  d’un  côté  sur 
un  bâton,  de  l’autre  sur  sa  main  garnie  d’un  petit  soulier  en 
peau  de  mouton.  11  fait  ainsi,  pour  aller  à l’Église,  trois  ou 
quatre  kilomètres  à travers  les  pierres  et  les  ravins.  Il  est 
converti.  Il  évangélise  dans  les  villages  voisins.  Il  voudrait 
devenir  évangéliste.  — Voilà  un  homme  qui,  probablement, 
doit  son  salut  à une  infirmité  physique.  S’il  était  ingambe, 
il  courrait  les  fêtes  païennes  comme  ses  camarades  qui,  ainsi 
que  sa  famille  entière,  sont  tous  païens.  — Bel  exemple  à 
citer  aux  gens  que  rien  n’empêche  de  fréquenter  les  services 
religieux  et  qui  pourtant  n’y  vont  jamais. 

1er  juin.  — Un  jeune  païen  vient  de  mourir  dans  les  envi- 
rons. Bien  entendu,  on  dit  qu’il  a été  ensorcelé  par  un  rival 
qui  lui  a fait  boire  de  la  bière  dans  laquelle  il  avait  mis 
quelque  chose.  Au  Lessouto,  ne  meurent  de  mort  naturelle 
que  les  vieillards;  tous  les  autres  passent  pour  avoir  été  en- 
sorcelés. Avant  de  mourir  il  dit  : « Autrefois  je  disais  que  les 
choses  de  Dieu  n’étaient  que  des  fables.  Aujourd’hui,  je  vois 
que  c’est  la  vérité  vraie.  » — La  mort,  qui  ferme  les  yeux  du 
corps,  ouvre  parfois  ceux  de  l’âme.  Mais  que  de  gens,  pour 
avoir  refusé  de  voir  la  vérité,  meurent  dans  les  ténèbres  de 
l’incrédulité,  sans  Dieu  et  sans  espérance  ! 

24  juin.  — Ntholé  me  disait  aujourd’hui  : 

— Oui,  je  m’enivre  quand  je  vais  travailler  dans  les  champs 
avec  d’autres  hommes. 

— Mais,  pourquoi  ne  pas  boire  modérément? 

— Si  je  bois  peu,  les  gens  diront  que  je  dédaigne  leur 
nourriture. 


386 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Une  sotte  peur,  surtout  des  vauriens,  suffit  donc  pour 
pousser  un  homme  à s’enivrer?  Hélas!  au  fond  de  bien  des 
vies  perdues,  il  y a cela,  et  il  n’y  a que  cela,  au  commence- 
ment de  la  dégringolade  du  moins. 

i 9 juillet.  — Rencontré  sur  la  grande  route  une  jeune 
femme  (très  jolie)  avec  laquelle  j’ai  échangé  les  salutations 
d’usage.  Elle  me  dit  : 

— Qui  es-tu? 

— Je  suis  le  missionnaire  de  L... 

— Ah  ! C’est  toi  qui  arraches  les  dents? 

Être  missionnaire  de  l’Évangile  et  n’ être  connu  que  comme 
arracheur  de  dents,  ce  n’est  pas  du  tout  l’idéal.  Pour  bien  des 
païens,  nous  ne  sommes  guère  autre  chose  : des  gens  qui 
donnent  des  purgatifs  et  des  émétiques,  et  qui  extraient  les 
dents.  C’est  la  faute  des  païens,  qui  ne  s’intéressent  pas  à 
l’Evangile.  Mais  encore,  que  ce  ne  soit  pas  celle  du  mission- 
naire qui  « cache  la  lumière  sous  un  boisseau  ». 

3 août.  — Vu  l’une  des  femmes  de  feu  Sékouati,  un  renégat 
qui  vient  de  mourir  en  parlant  de  repentance,  de  foi,  d'es- 
pérances chrétiennes. 

J’ai  demandé  à cette  femme  : 

— Eh  bien!  penses-tu  toujours  à ce  que  Sékouati  disait 
ayant  de  mourir? 

— Oui,  je  ne  l’ai  pas  oublié  ; je  me  le  rappelle,  et  je  m’en 
sers  pour  consoler  les  gens  qui  viennent  me  consoler. 

La  malheureuse!  elle  parle  de  donner  aux  autres  les  conso- 
lations de  l’Évangile  alors  qu’elle  a quitté  son  vrai  mari  pour 
vivre  avec  un  autre  homme,  et  qu’elle  est  encore  tonte 
païenne  elle -même  ! Patois  de  Canaan,  phrases  pieuses,  cela 
abonde  parmi  les  païens  comme  ailleurs.  On  en  use  avec 
naïveté,  croyant  que  c'est  comme  cela  qu’il  faut  faire,  liais 
que  de  fois  le  païen  est  d’une  hypocrisie  cynique  en  parlant 
de  Dieu  ! 

6 novembre.  — Un  chef  a convoqué  les  chrétiens  de  son 
district  pour  qu’ils  « prient  pour  la  pluie».  Ils  sont  venus 
avec  leurs  évangélistes.  On  a prêché,  on  a prié.  Pendant  ee 


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367 


temps  un  docteur  païen,  faiseur  de  pluie  de  son  métier,  fai- 
sait toutes  sortes  de  simagrées  et  d’incantations  pour  attirer 
les  nuages.  Et  une  troupe  d’hommes  courait  les  montagnes 
pour  tuer  des  antilopes  et  des  singes,  certaines  parties  du 
corps  de  ces  innocentes  bêtes  étant,  paraît-il,  nécessaires 
pour  ouvrir  les  bondes  du  ciel.  Le  docteur  avait  suggéré  à 
son  chef  de  convoquer  les  Chrétiens,  et  combiné  ce  triple 
effort  pour  obtenir  la  pluie.  « Comme  cela,  disait-il,  je  suis 
plus  sûr  de  réussir.  Trois  valent  mieux  qu’un.  » — Un  far- 
ceur, celui-là,  un  malin.  Ils  sont  tous  comme  cela,  comptant 
sur  l’ignorance  et  la  crédulité  du  gros  public  pour  le  duper  à 
leur  guise.  Ce  qui  prouve  combien  les  païens  sont  embourbés 
dans  leurs  erreurs,  c’est  qu’ils  croient  encore  fermement  *à 
leurs  sorciers  et  se  laissent  tromper  par  eux  avec  la  plus 
aveugle  complaisance.  Qui  aime  les  ténèbres  en  pâtit. 

f6  décembre.  — Une  vieille  chrétienne  m’a  amené  ce  matin 
un  petit  enfant  pour  que  je  lui  donne  de  la  médecine. 

— Pourquoi  n’est-ce  pas  sa  mère  qui  l’a  apporté  ? 

— C’est  que  sa  mère  est  païenne  ; elle  dit  : Si  je  vais  moi- 
même,  j’ai  peur  que  monsieur  ne  me  dise  de  me  convertir... 

Allons!  je  ne  suis  plus  connu  pour  un  arracheur  de  dents 
seulement.  C’est  un  progrès.  Être  connu  pourvouloir  la  con- 
version des  païens  et  y pousser  ferme,  c!est  bien  Là  ce  que 
doit  ambitionner  un  missionnaire.  — Mais  encore  ne  faut-il 
pas  abuser,  de  peur  d’éloigner  les  gens  au  lieu  de  les  attirer. 
Ah!  mon  Dieu,  comment  faire  pour  avoir  le  tact,  la  mesure, 
la  sagesse  nécessaires  pour  manier  ces  païens  si  bizarres'?.*. 

.£  octobre . — Visite  d’A***,  un  chrétien  d’une  annexe,  que 
je  ne  connais  pas  encore.  Il  a fait  trois  heures  à cheval  pour 
me  voir.  Figure  presque  jaune,  regard  limpide  et  intense, 
expression  intelligente  et  intéressante.  Il  me  dit  : 

— Je  vivais  en  paix,  quand  un  jour  je  me  suis  senti  mal  à 
l’aise  dans  mon  âme.  AM1**,  où  j’étais  en  visite,  on  me  de- 
manda de  faire  la  prière  du  matin.  J’acceptai,  je  priai.  Un 
autre  jour,  je  dus  refuser,  parce  que  je  sentais  que  je  n’étais 
pas  encore  un  saint  (!),  que  j’étais  encore  pécheur.  Je  n’ai  pu 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


dormir  pendant  plusieurs  nuits.  Une  nuit,  je  crus  que  je  par- 
lais à quelqu’un.  Il  me  montrait  que,  jusqu’à  présent,  quoi- 
que chrétien,  je  ne  m’étais  pas  réellement  donné  à Dieu.  Je 
crois  que  c’est  Jésus  qui  m’a  envoyé  ce  «miracle»  pour  m’é- 
clairer sur  moi-même.  Aujourd’hui  je  me  donne  à lui  réelle- 
ment, de  tout  mon  cœur,  pour  être  son  témoin  et  le  servir.  » 

Cela  dit  avec  un  accent  de  sincérité  et  de  conviction,  et  une 
sérénité  extraordinaire. 

Cette  démarche  remarquable  m’jpt  frappé.  C’est  le  réveil 
individuel  et  spontané,  le  vrai  réveil.  Dans  ce  pays  où  le  pa- 
ganisme fait  régner  le  silence  de  la  mort,  ou  encore  parmi 
des  gens  qui  abusent  tellement  du  jargon  religieux  que  l’on 
ne  sait  plus  qui  croire,  voir  cet  homme  et  l’entendre  a été  un 
régal  pour  mon  âme,  un  verre  d’eau  fraîche  offert  à un  tra- 
vailleur altéré.  Donnez-nous  quelques  hommes  comme  celui- 
là,  et  ce  pays  sera  transformé.  Un  vrai  homme  et  l’Esprit  de 
Dieu  avec  lui,  quelle  puissance! 

3 février . — Un  de  mes  évangélistes  est  venu  me  parler  au- 
jourd’hui, un  peu  confus. 

— J’ai  écrit  une  lettre  à mon  chef  pour  me  plaindre  de  son 
attitude  envers  l’Église.  C’est  lui  qui  m’a  demandé  de  venir 
chez  lui  comme  évangéliste.  Je  suis  venu.  Et  maintenant,  il  ne 
met  jamais  les  pieds  à l’église,  et  ses  gens  non  plus.  Il  travaille 
le  dimanche  comme  pour  me  narguer.  Il  ne  se  soucie  pas  de 
moi.  Cela  m’irrite.  Je  me  dis  et  je  lui  écris  : Pourquoi  ai-je 
quitté  mon  vieux  père?  Pourquoi  ai-je  quitté  l’Église  dont 
j’étais  membre?  Je  ferais  mieux  de  retourner  chez  moi...» 

S’attrister,  se  décourager,  murmurer,  ce  n’est  certes  pas 
un  bon  moyen  pour  faire  avancer  le  règne  de  Dieu.  Mais, 
voyez-vous,  quand  on  travaille  de  tout  cœur,  avec  prière  et 
amour,  pour  le  bien  de  ses  frères,  et  que  ceux-ci  vous  igno- 
rent et  font  fi  de  vos  appels  et  de  vos  conseils,  cela  finit  par 
vous  user  et  vous  irriter.  On  se  fâche  ou  on  se  décourage. 
Les  missionnaires  ont  de  ces  heures  de  désarroi,  quelquefois 
ce  sont  des  jours.  Dans  ces  cas-là,  le  meilleur  est  de  dire  qu’on 
s’est  levé  du  pied  gauche  et  qu’un  bon  sommeil  dissipera  les 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


369 


nuages.  Le  plus  sage  est  aussi  de  se  taire.  Parler  ou  écrire 
quand  on  est  de  mauvaise  humeur,  cela  ne  produit  rien  de 
bon.  Regarder  droit  à Dieu  et  le  servir,  Lui,  voilà  qui  relève 
le  courage  et  ramène  la  joie  et  l’espérance  sans  lesquelles 
on  ne  peut  rien.  [A  suivre.) 


ZAMBÈZE 

MORT  DE  M.  AUGUSTE  GOY 

C’est  par  une  lettre  de  M.  Boiteux  que  nous  avons  appris 
cette  douloureuse  nouvelle.  Voici  en  quels  termes  il  nous  ra- 
conte la  fin  de  notre  bienheureux  frère  : 

Seshéké,  le  28  avril  1896. 

...  Il  y a cinq  semaines  aujourd’hui,  nous  quittions  Kazun- 
gula  — ma  femme,  mon  enfant  et  moi  — pour  venir  cher- 
cher à Seshéké  un  peu  de  repos.  Nous  passâmes  quinze  jours 
agréables  sous  le  toit  hospitalier  de  nos  chers  amis  Goy,  et, 
quand  nous  les  quittâmes,  après  avoir  ensemble  célébré  la 
Sainte  Cène,  nous  repartions  un  peu  remis  de  notre  faiblesse 
et  laissions  nos  amis  tout  à fait  bien. 

Huit  jours  après,  selon  qu’il  le  faisait  chaque  année,  à pa- 
reille époque,  la  crue  du  fleuve  et  l’inondation  des  plaines 
riveraines  facilitant  la  chose,  notre  frère  se  mettait  en  route 
pour  une  tournée  d’évangélisation  dans  le  Bo-Subia.  Son 
absence  devait  durer  dix  à douze  jours.  Or,  mardi  dernier, 
— il  n’y  a pas  huit  jours,  — à la  nuit,  il  rentrait  à Seshéké 
exténué,  brûlant  de  fièvre.  11  se  mit  au  lit  et  ne  se  releva  plus  : 
le  dimanche  26,  — avant  hier,  à cinq  heures  du  matin,  — il 
quittait  les  siens,  laissant,  pour  tous  ses  bien-aimés  d’affec- 
tueux messages. 


370 


JOUKNlAX  VDES  MISSIONS  ' É V AN GÉMQUES 


Dans  le  courant  de  la  semaine,  j'avais  été  averti  par  ma- 
dame 'Goy  -de  la  rentrée  .précipitée  de  son  mari  et  de  son 
état;  mais  rien  dans  son  message  ne  nous  effraya  outre  me- 
sure. Mais  samedi  soir  m’arrivaient  d’autres  messagers  por- 
teurs de  nouvelles  plus  graves.  Notre  sœur,  sans  me  le  de- 
mander ouvertement,  me  faisait  sentir  que  ma  présence 
à Seshéké  lui  serait  précieuse.  Toute  la  semaine,  notre 
chère  enfant  nous  avait  causé  les  plus  vives  inquiétudes; 
moi-même  j'avais  été  étendu , la  journée  du  samedi  du- 
rant, sur  mon  lit,  en  proie  aux  plus  violents  maux  de  tête 
que  j'aie  jamais  ressentis.  Je  résolus  cependant  de  partir  dès 
l’aube,  le  lendemain.  Nos  craintes  au  sujet  de  la  petite  Marie 
se  dissipaient  un  peu,  et  ces  névralgies,  si  elles  ne  dispa- 
raissaient pas  pendant  la  nuit,  seraient  certainement  dimi- 
nuées par  l'air  frais  du  fleuve.  Je  partis  donc  le  lendemain, 
ordonnai  à mes  bateliers  de  Taire  effort  pouir  que  le  soir 
même  nous  fussions  à Seshéké... 

...  Hélas  ! un  peu  avant  l’heure  à laquelle  je  me  met- 
tais en  route  pour  Seshéké,  notre  pauvre  ami,  lui,  partait 
pour  le  ciel.  Je  n’ai  plus  revu  de  lui  que  ses  restes  inani- 
més... 

Je  ne  connaissais  notre  ami  que  depuis  un  an,  pas  même  ; 
diverses  circonstances  où  nous  nous  vîmes  — le  départ  des 
Jalla,  de  M.  Coillard,  de  la  petite  Flore,  les  maladies  de 
ma  femme,  l’obligation  dans  laquelle  nous  fûmes,  le  mois 
passé,  de  prendre  quelque  repos  ici  — nous  avaient  appris 
à nous  connaître  et  à nous  aimer  toujours  plus.  Lors  de 
notre  dernière  entrevue,  nous  avions  décidé  de  nous  voir 
au  moins  tous  les  deux  mois,  afin  de  nous  entretenir  de 
notre  œuvre,  de  nos  travaux,  de  nous  conseiller  mutuelle- 
ment, etc.,»Htc. 

Ut  maintenant,  lui  aussi,  comme  ce  cher  Jacot  dont  jte  viens 
de  relire  iavec  la -plus  profonde  émotion  la  lettre  publiée  dans 
le  journal  de  février;  lui  aussi  nous  a quittés,  et  me  voici 
désormais  seud  missionnaire  pour  Jes  deux  stations  du 

« Bas  » î 


SOCIÉTÉ  DBS  .MISSIONS  ÉVAN&ÉLIQUES  DE  PARIS 


371 


Voici  maintenant  quelques  détails  sur  la  fin  de  notre  frère; 
c’est  madame  Goy  qui  me  les  a donnés. 

Le  samedi  soir,  avant  de  rentrer  à Seshéké,  M.  Goy  avait 
atteint  — ce  qu’il  faisait  pour  la  première  fois  au  cours  de  ces 
voyages  — un  village  situé  sur  le  Linyanti,  à deux  fortes 
journées  de  canot  de  Seshéké.  11  tint  là  plusieurs  cultes,  dont 
un  le  samedi,  deux  le  dimanche.  Au  soir  de  ce  jour,  il  se.  sen- 
tit soudain  fatigué  et  fiévreux.  A son  lever,  le  lendemain,  se 
sentant  peu  bien,  il  fit  prendre  à ses  garçons  la  route  du  re- 
tour et  n’arriva,  ici,  « comme  je  l’ai  dit  déjà,  que  mardi,  tard 
dans  la  soirée.  Exténué,  brisé,  il  se  jeta  tout  habillé  sur  son 
lit,  et  ce  n’est  que  plus  tard  et  aidé  de  sa  femme  qu’il  put  se 
déshabiller.  La  fièvre  se  déclara  plus  forte  encore,  pour  ne 
tomber  un  peu  que  le  vendredi.  Une  de  ces  premières  nuits, 
me  dit  madame  Goy,  se  croyant  au  service  du  dimanche,  il 
prononça  une  allocution  d’une  très  grande  clarté  et  dans  un 
sessouto  parfait. — « Que  fais-tu?  lui  dit-elle,  tu  prêches  ;mais 
tu  n’es  pas  à la  chapelle.  — C’est  mal  ce  que  tu  fais  là,  me 
déranger  quand  je  parle  à l'église!...  et  prions,  ajouta-t-il; 
puis  après  : Chantons  maintenant,  le  chant.. ,^» — Ce  n’est  qu'à 
la  fin  qu’il  s’éveilla,  tout  étonné  de  ce  que  lui  racontait  sa 
femme. 

Le  vendredi,  il  fut  tout  à fait  bien,  notre  sœur  renaissait  à 
l'espérance;  entre  eux  deux  ils  parlèrent  même  de  faire  quel- 
ques pas  dehors  le  lendemain.  « Comme  je  serai  heureux,  di- 
sait notre  ami,  de  revoir  la  maison  entièrement  remise  à neuf 
(par  la  réparation  du  toit  et  le  plâtrage  des  murs)  et  les 
cours  bien  propres.  » 

Il  éprouvait  cependant  une  grande  fatigue.  Mais  l'op- 
pression qu’il  ressentait  du  côté  de  la  poitrine  et  la  fièvre 
semblaient  avoir  disparu  ; cette  dernière  ne  tarda  pas  à re- 
venir. 

Samedi  matin,  madame  Goy  fut  frappée  du  chaogementqu’a- 
vait  opéré  la  nuit.  Son  mari  possédait  encore  toute  son  intel- 
ligence, mais  sa  voix  était  rauque  et  comme  arrêtée  à la  gorge. 
Aarone,  l’évangéliste,  appelé  par  madame  Goy,  fut  également 


372 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


terrifié.  « Ma  mère,  dit-il,  il  faut  envoyer  un  canot  à Kazun- 
gula,  il  faut  avertir  le  missionnaire...  Ma  mère,  on  ne  cache 
point  les  maladies  à des  amis.  » 

L’après-midi  de  ce  jour  fut  mauvaise  aussi  ; le  délire  ne  le 
quitta  pas.  Vers  cinq  heures  du  soir,  la  princesse  — une  ter- 
rible femme  qui  en  a fait  voir  de  rudes  à nos  amis  — étant 
venue  le  voir,  soudainement,  comme  tiré  d’un  rêve,  il  se  ré- 
veilla, s’assit  sur  son  lit  et,  regardant  la  princesse  : « Écoute  », 
lui  dit-il,  et,  le  plus  sensément,  le  plus  sagement  qu’il  est  pos- 
sible, il  lui  parla  de  ses  fautes  passées,  la  reprit  très  sévère- 
ment. Les  paroles  d’un  moribond  auront-elles  fait  une  brèche 
au  cœur  de  cette  pauvre  femme  ? Hélas  ! on  n’ose  presque  pas 
l'espérer  ! 

Le  délire  le  reprit  encore  jusque  vers  neuf  heures.  Il  sentait 
qu’il  s’en  allait.  Madame  Goy  voulant  le  quitter  un  instant 
pour  faire  la  prière  avec  les  enfants  dans  la  cour,  — Fais-les 
venir  ici,  dit-il,  nous  ferons  la  prière  ensemble  »Et  effective- 
ment, il  fit  lui-même  une  très  belle  prière  en  sessouto.  Puis, 
s’adressant  aux  enfants  : a Allez,  allez,  mes  enfants,  il  est  tard, 
allez  vous  reposer.  » 

Dès  lors,  ce  fut  tout,  excepté  cependant  une  prière  en 
français  qu’il  fit  pendant  la  nuit,  assis  sur  sa  couche,  et 
dans  laquelle  il  nomma  tous  nos  champs  de  missions,  et  de- 
manda des  grâces  toutes  spéciales  pour  la  journée  du  len- 
demain. 

Il  ne  reconnut  plus  personne,  si  ce  n'est,  à certains  inter- 
valles, son  garçon  Matongo  et  sa  femme. 

Vers  le  matin,  quelques  heures  avant  la  fin,  il  commença  à 
fixer  obstinément  le  faîte  du  toit,  et  de  temps  à autre,  levant 
l’index  de  chaque  main  : « Que  c’est  beau,  quelle  foule!  di- 
sait-il toujours  en  sessouto;  oh!  ces  gens,  faites-les  entrer, 
faites-les  entrer.  » 

Vers  quatre  heures,  il  se  calma;  une  heure  plus  tard,  il  s’é- 
teignait, allait  chercher  auprès  de  Dieu  le  repos  dont  il  avait 
tant  besoin,  et  célébrer  dans  le  ciel  ce  dimanche  pour  lequel, 
quelques  heures  auparavant,  il  avait  demandé  des  grâces 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


373 


toutes  spéciales.  — Il  aurait  eu  trente-trois  ans  le  17  mai 
prochain. 

Croyez-moi  votre  toujours  respectueusement  attaché. 

Emile  Boiteux. 

Nous  venons  de  voir  quelle  fut  la  fin  du  serviteur  de  Dieu 
qui  vient  de  nous  quitter;  nous  voudrions  retracer  brièvement 
ce  que  fut  sa  carrière  : 

Auguste  Goy,  d’origine  Suisse  (vaudois),  était  né  àVaulion, 
le  17  mai  1863  ; il  avait  vingt-quatre  ans  quand  il  partit  pour 
le  Zambèze.  Jusqu’à  treize  ans,  il  vécut  chez  ses  parents  où  il 
reçut,  de  sa  mère  spécialement,  ses  premières  impressions 
pieuses.  Successivement  jardinier  et  vigneron  dans  sa  patrie, 
il  fut  amené  à TUnion  chrétienne,  alors  qu’il  habitait  près  de 
Vevey  (dans  les  années  1880-1883).  Il  y trouva  des  amis; 
mieux  que  cela,  il  apprit  à s’y  poser  la  grande  question  de 
«la  seule  chose  nécessaire  ».  Soit  au  cours  de  ses  études  pri- 
maires, soit  pendant  son  apprentissage,  les  meilleurs  témoi- 
gnages furent  toujours  rendus  à son  zèle  au  travail,  à sa 
persévérance  et  à son  esprit  sérieux.  Ce  fut  à Vevey  qu’il 
entendit  M.  Coillard,  qui  préparait  alors,  par  ses  conférences 
dans  les  Églises  (en  1880-1881),  l’établissement  définitif  de  la 
mission  au  Zambèze;  puis  M.  Christol,  qui  allait  s’embarquer 
peu  après  avec  M.  Coillard;  et,  comme  il  le  dit  plus  tard, 
A.  Goy  fut  touché  par  la  parole  des  deux  missionnaires  et 
frappé  du  fait  surtout  qu’il  fallait  des  hommes  pour  la  mission. 

Il  se  sentit  appelé  à une  consécration  plus  complète  à 
Dieu;  il  pensa  la  réaliser  en  acceptant  une  place  d’aide-infir- 
mier à l’hôpital  de  la  Chaux-de-Fonds;  mais,  au  bout  d'une 
année,  malgré  le  dévouement  qu’il  avait  déployé  dans  ses 
modestes  fonctions,  ayant  lu  un  rapport  de  notre  Société,  et 
comprenant  mieux  encore  qu’il  fallait  avant  tout  des  hommes 
pour  l’œuvre  missionnaire,  il  se  sentit,  comme  il  le  dit  lui- 
même,  « poussé  vers  les  païens,  et  il  lui  sembla  qu’il  y avait 
une  voix  d’en  haut  qui  l'appelait  ! » 

Faisant  le  pas  décisif  et  mettant  par  là  le  repos  dans  sa 


3:4 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉV ANGÉLIQUES 


conscience,  il  demanda  son  entrée  dans-  la  mission  die  Bâle; 
son  ambition  était  aussi  petite  que  son  désir  d’être  utile  était 
réel  : il  aspirait  à être  admis  comme  aide-missionnaâre 
après  le  temps-  de  la  préparation.  « Le  désir  de  me  con- 
sacrer entièrement  à l’œuvre  du  Seigneur  presse  mon  cœur, 
écrivait-il.  Ce  désir  m’est  venu  en  pensant  à l’amour  de  Dieu 
et  à ces  pauvres  peuples  privés  de  l’Évangile!  » A Bâle;  où  il* 
demeura  deux  ans  et  où,  malgré  sa  bonne  volonté,  là  langue 
allemande,  employée  dans  les  leçons  qu’il  suivait,  lui  opposa 
un  obstacle  insurmontable,  il  laissa  un  excellent  souvenir;  et 
ce  fut  avec  la  pleine  approbation  de  ses  directeurs  qu’il  de- 
manda à passer  à la  mission  de  Paris.  Son  admission  lui  fut 
accordée  en  octobre  1886. 

Après  avoir  pensé  à faire  ses  études  régulières  à la  Maison 
des  missions,  il1  se  vit  arrêté  par  de  violents  maux  de  tête  et 
comprit  que  ces  études  n’étaient  point  le  domaine  où  il  avait 
à travailler.  En  ce  moment  même,  M.  Coillard  réclamait  un 
jardinier  pour  le  Zambèze;  on  résolut  d’envoyer  A.  Guy.  Cette 
décision  fut  prise  le  6 décembre  1886,  et,  le  17  janvier  1887, 
le  nouvel  aide-missionnaire  faisait  ses  adieux  aux  membres 
et- amis  de  notre  Société.  Dardier,  dont  la  carrière  mission- 
naire devait  être  si  courte,  partait  avec  lui  ; tous  deux  de- 
vaient rejoindre,  à Kimberley,  M.  et  madame  Louis  Jallà;  qui 
les  avaient  précédés  de  quelques  semaines.  L’allocution  d’ Au- 
guste Goy  (1),  en  cette  séance  d’adieux,  dit  mieux  que  nous 
ne  le  pourrions  faire  combien  sincère  était  son  désir  de  ser- 
vir Dieu  dans  la  mission  et  avec  quel  sentiment  il  partait. 
« Quoique  mon  travail  spécial,  dit-il,  doive  être  le  jardinage 
et  l’agriculture,  je  ne  désire  et  ne  veux  pas  d'autre  but*  et 
d’autre  résultat  de  mes  travaux  que  de  répandre  la  lumière 
de  l’Évangile.  Quand  le  moment  est  arrivé  où  il  faut  se  sé- 
parer de  tout  ce  que  l’on  aime  et  dire  adieu  à parents,  amis, 
bienfaiteurs;  pays-bien-aimé,  une  émotion  pénible  s’empare 


(1)  Voir  Journal  des  Missions,  année*  1887,  page  34. 


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37  «> 


du  oœur.  Mais,  si  j’éprouve  cette  émotion  pénible,  il  y a aussi 
dans  mon  cœur  des  sentiments  de  joie  qui  me  poussent  à< 
radoration  et  à la  louange;  » 

En  mars  4887  s’opérait,  à Kimberley,  la  rencontre  de 
M.  et  madame  L.  Jalla  et  des  deux  nouveaux  ouvriers  (4.)  ; 
le  30< août  de  la  même  année,  la  petite  caravane  avait  franchi 
le  Zambèze;  Ce  fut  à Séfula*  auprès  de  M.  Coillard,  que  s’éta- 
blit A.  Goy.  Pendant  une  année  et  demie,  il  [s’adonna  soit  à< 
des  travaux  d’ordre  purement  matériel,  pour  lesquels  il  fut 
d’une  grande  utilité,  soit  à l’œuvre  de  l’évangélisation  et  de 
l’instruction  des  Barotsis.  Dans  les  lettres  qu’il  adressa  au 
Comité  de  la  Société,  il  montra  non  seulement  sa  joie  d’être 
au  service  de  la  mission,  mais  aussi  son  affection,  pour  ses 
compagnons  dlœuvre  : la  morti  de  son  camarade  Dardier  fut 
pour  lui  une  perte  cruelle. 

En  décembre  1888>,  il  entreprenait  un  voyage  au  Lessouto, 
où  il  visita  une  partie  des  Eglises  : « Quand  je  vois  toutes  ces 
Églises,  écrivait-ilyces  grandes  congrégations,  ces  nombreux 
communiants*  je  suis  heureux,  mais...  jaloux,  en  pensant  à 
notre  chère  mission  du  Zambèze.  Ma  prière  journalière  est 
que,  comme  celle  du  Lessouto,  elle  devienne  un  foyer  de  lu- 
mières et  surtout  un  moyen  de  salut  pour  nos  pauvres  Zam- 
béziens.  Je  voudrais  avoir  dix  ans  de  plus  : après  ce 
temps,  je  l’espère,  nous  aurons  aussi  de  nombreux,  chré- 
tiens au  Zambèze.  » Ces  dix  années.  Dieu  ne  les  lui  accorda 
pas,  mais  A.  Goy  eut  la  joie,  h son  retour  du  Lessouto,  après 
son  mariage  avec  mademoiselle  Keck,  de  travailler,  d’une 
manière  plus  directe  encore  qu  auparavant,  à l’œuvre  qui 
avait  toute  son  affection.  En  1890,  il  reprenait,  des  mains  de 
M.  Jeanmairet,  la*  direction  complète  de  la  station  de  Seshéké, 
et,  dès  lors,  fit  œuvre  de  missionnaire. 


(1)  Dardier  et<  Goy,  ainsi  que  M.  Jalla;  furent  chargés,  en  partant' 
par  V AeeooiaJLion  française' pour  V avancement  des.  sciences , d’une  mission 
scientifique  dans  les  territoires  du  Zambèze  qu’ils  visiteraient;  M.  Goy 
était  tout  spécialëment  désigné  pour  là,  partie  de  botanique  de  cette 
mission. 


3*76 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Durant  les  cinq  années  qu’il  y passa,  au  milieu  d'é- 
preuves telles  que  la  mort  de  son  premier  enfant,  un  fils, 
soutenu  dans  son  travail  par  sa  compagne  et  par  les  béné- 
dictions que  Dieu  lui  accorda,  en  particulier  la  naissance  de 
deux  filles,  il  sut  conserver  son  courage  et  cet  amour  pre- 
mier qui  l’avait  amené  à se  dévouer  à la  cause  missionnaire. 
Il  fut  à la  fois  évangéliste  et  instituteur,  tâches  dans  lesquel- 
les il  fut  secondé  par  sa  femme.  S’il  trouva  parfois,  comme  il 
le  dit,  un  terrain  dur  à défricher,  le  réveil  qui  se  propagea 
de  Kazungula  à Seshéké,  en  septembre  1894,  lui  fut  un  en- 
couragement puissant.  Comme  le  constate  le  Rapport  du 
Zambèze,  publié  dans  le  numéro  de  mars  1896  du  Journal  des 
Missions , A.  Goy  eut  la  joie  de  voir  à Seshéké  de  nombreux 
professants...  Beaucoup  de  convertis  l’ont  édifié  par  les  té- 
moignages de  leur  sincérité,  et  il  ne  doute  pas  que-,  si  Dieu  a 
laissé  germer  l’ivraie  dans  le  champ,  il  ne  s’y  trouve  encore 
beaucoup  de  bon  grain. 

La  vie  de  ce  serviteur  de  Dieu  fut  modeste.  Mais  n’ou- 
blions pas  qu’il  n’est  pas  de  petite  tâche  quand  elle  est  accom- 
plie pour  le  Maître.  Il  fut  un  de  ces  travailleurs  dont  le  nom 
est  peut-être  rarement  cité  par  les  hommes,  mais  dont  l’œuvre 
demeure  quand  ils  s’endorment  dans  le  Seigneur,  parce  que 
cette  œuvre  fut  la  plus  grande  qui  soit  ici-bas,  celle  du  salut 
des  âmes.  * ' 


DERNIÈRES  NOUVELLES 

Des  stations  de  Kl  Vallée,  nous  n’avons  heureusement  que 
de  bonnes  nouvelles.  L’abondance  des  matières  nous  empê- 
che seule  de  les  communiquer  aujourd’hui  à nos  lecteurs. 
Nous  préférons  laisser  encore  la  parole  à M.  Boiteux,  qui,, 
dans  un  post-scriptum  à sa  lettre  du  28  avril,  nous  donne 
les  nouvelles  suivantes  de  sa  station  et  de  la  situation  géné- 
rale du  pays  : 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


377 


« Pendant  que  j'étais  à Seshéké,  la  maladie  qui  avait  dé- 
truit le  bétail  de  cette  station  s’était  portée  à Kazungula,  où 
je  ne  retrouvai  plus  qu'un  bœuf  à mon  retour.  Je  vous  ai  dit 
aussi  les  inquiétudes  que  nous  a causées  notre  chère  enfant; 
elle  est  mieux  maintenant,  Dieu  soit  loué  ! 

« La  poste,  arrivée  hier  soir,  nous  apprend  que  l’épidémie 
du  bétail  a fait  son  apparition  àMangwato.  Cette  nouvelle  a 
pour  nous  une  terrible  signification  : nous  ne  verrons  peut- 
être  pas  de  wagons  cette  année,  et  nous  touchons  à la  fin  de 
nos  provisions  ! C’est  la  disette  en  perspective.  Il  me  faudra 
peut-être  retourner  dans  le  sud  avec  une  centaine  de  porteurs, 
J’en  parlerai  à mes  collègues. 

« Nous  ne  sommes  cependant  pas  découragés,  mais  fort 
inquiets.  Cette  année  est  une  année  terrible  : épizootie,  guerre 
au  pays  des  Matabélés,  et  le  reste.  Je  ne  puis  me  défendre  de 
craindre  une  série  d’événements  malheureux  fondant  sur  ce 
peuple  et  ce  pays  des  Barotsis,  si  endurcis,  si  difficiles  à ame- 
ner aux  pieds  de  Jésus.  Dieu  qui  a parlé  par  cette  terrible 
maladie  du  bétail,  ne  pourrait-il  pas  se  lasser  enfin  ? Je  ne 
suis  pas  seul  à partager  ces  craintes...  Priez,  priez  pour 
nous  ! » 

L'appel  de  notre  frère  sera  certainement  entendu  de  tous 
ceux  qui  portent  sur  leur  cœur  cette  mission  du  Zambèze  si 
douloureusement  éprouvée. 


CONGO  FRANÇAIS 

MORT  DE  MADAME  GACON 

Un  télégramme,  daté  de  Libreville,  le  7 juillet,  nous  a ap- 
porté la  douloureuse  nouvelle  de  la  mort  de  madame  Gacon. 
Un  volumineux  courrier,  reçu  le  18  juillet,  et  contenant  des 

28 


378 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


lettres  allant  jusqu’au  12  juin,  ne  nous  donne  aucun  détail 
sur  cet  événement,  auquel  nous  ne  pouvons  encore  assigner 
une  date  précise. 

On  se  rappelle  (1)  que,  descendus  à Libreville  pour  con- 
sulter, M.  et  madame  Gacon  avaient  reçu  du  docteur  Pélis- 
sier l’avis  formel  que  le  retour  en  Europe  s’imposait  à eux. 
Le  Comité  s’était,  depuis  des  mois,  préoccupé  de  la  santé  de 
madame  Gacon  et  avait  suggéré  l’idée  d’un  voyage  dans  le 
Nord  et  d’un  séjour  au  bord  de  la  mer,  à Ténériffe,  par 
exemple. — On  se  souvient  aussi  qu’après  avoir  appris  qu'une 
mesure  plus  radicale  s’imposait  à eux,  nos  amis  avaient  cru 
devoir,  avant  de  se  mettre  en  route,  attendre  l’arrivée  de 
M.  Allégret.  C’est  pendant  ce  délai  que  madame  Gacon  a suc- 
combé. On  peut  d’ailleurs  se  demander  si  le  climat  européen 
eût  pu  lui  rendre  la  santé.  Notre  sœur  souffrait,  en  effet,  d’une 
laryngo-bronchite  chronique,  dont  il  semble  qu’elle  n’eût  pu 
que  difficilement  guérir. 

Quoi  qu’il  en  soit,  désirant  procéder  lui-même  à son  démé- 
nagement et  mettre  ordre  à ses  affaires  et  particulièrement  à 
son  établissement  industriel,  M.  Gacon  retourna  vers  le  15  mai 
à Talagouga,  accompagné  de  sa  femme  toujours  malade.  C'est 
là  que  nous  le  trouvons  le  8 juin,  nous  donnant  les  nouvelles 
suivantes  : 

« Nous  voici  de  nouveau  à Talagouga  depuis  trois  semaines. 
Ma  femme  est  d’une  faiblesse  inouïe...  Notre  chez-nous  n’a 
plus  de  charma!  De  concert  avec  M.  Forget,  nous  avons  décidé 
le  retour  par  le  bateau  du  5 juillet,  celui-là  même  qui  amè- 
nera les  Allégret.  Je  le  dis  : ma  femme  est  à bout  de  forces; 
il  faut  partir,  malgré  tout  le  plaisir  que  j’aurais  à aider  M.  Al- 
légret dans  ses  constructions  nouvelles... 

«...  Ma  santé  est  bonne  pour  le  moment,  toujours  point  de 
fièvre;  Dieu  soit  béni!  Mon  dernier  voyage  m’a  fait  du  bien  ; 
comme  toujours,  du  reste,  l’air  de  la  mer  m’a  vivifié.  S’il  en 
était  ainsi  pour  ma  femme,  nous  ne  songerions  pas  au  retour, 


(1)  Voir  la  livraison  de  juillet,  page  324. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


379 


je  vous  l'assure.  Nous  sommes  attachés  aux  noirs  de  ce  pays, 
qui  est  le  nôtre  en  somme.  » 

10  juin.  — « Ce  soir,  arrivée  de  M.  Allégret  et  de  sa  fa- 
mille, tous  en  bonne  santé.  Heureux  sommes-nous  de  les 
revoir  ; ils  apporteront  de  la  vie  et  de  l’entrain,  à partir  de 
demain  matin.  Ma  femme  a passé  une  nuit  pénible,  mais  le 
Seigneur  nous  a soutenus  et  secourus,  comme  il  le  fait  depuis 
longtemps.  Je  suis  un  peu  troublé  par  les  emballages  et  les 
dispositions  à prendre  à partir  de  demain  pour  M.  Allégret...» 

Le  danger  qui  menaçait  depuis  longtemps  nos  pauvres  amis 
les  a ainsi  atteints  au  moment  où  ils  espéraient  pouvoir  s’em- 
barquer, après  avoir  laissé  tout  en  ordre  à Talagouga.  Le 
Seigneur  en  a jugé  autrement  et  a détruit  cet  espoir.  Que  sa 
volonté  soit  faite  ! 

Voici  dans  quels  termes  un  ami  qui  a bien  connu  madame 
Gacon  a désiré  rendre  à sa  mémoire  un  hommage  auquel 
nous  souscrivons  entièrement  : 

« La  nouvelle  de  sa  mort  a consterné  ses  amis.  Quant  à 

% 

elle,  elle  la  prévoyait,  écrivant  le  6 avril  à une  amie  : « Il  va 
« sans  dire  que  je  ne  laisserai  pas  mon  mari  sans  déchire- 
« ments,  mais  la  mort  ne  me  fait  pas  peur,  au  contraire;  je 
« jouis  à la  pensée  du  repos,  du  pardon  et  de  la  grâce  qui 
« sont  tout  prêts  pour  moi,  pour  l’éternité  ! Cette  pensée 
« m'inonde  de  bonheur...  Aussi,  ne  dites  pas,  si  je  meurs  : 
« Pauvre  madame  Gacon!  dites  ; Pauvre  M.  Gacon!  parce 
« qu’il  sera  seul  et  dans  l'épreuve.  » 

oc  C’est  bien  aussi  ce  que  nous  disons,  nous  qui  avons  connu 
cette  femme  d'élite  depuis  longtemps,  et  qui  pouvons  mesu- 
rer toute  l’étendue  de  la  perte  que  fait  son  mari  et  que  fait  la 
mission. 

« Élévée  depuis  l’âge  de  dix  ans  à Vallorbes  (1),  par  une 


(1)  Madame  Marie  Gacon-Frantz  était  née  à Lausanne  le  14  mai  1860. 
Ayant  perdu  ses  parents  lorsqu’elle  était  encore  jeune,  elle  fut  élevée  à 
Vallorbes  dans  la  famille  d’un  instituteur  pieqx,  M.  Julien  Glardon.  C’est 
à Vallorbes  également  qu’eut  lieu  son  mariage,  le  2 mars  1892,  peu  avant 
‘ son  départ  pour  le  Congo. 


380 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


amie  maternelle,  Marie  Frantz  se  faisait  aimer  de  tous  ceux  qui 
l’ont  connue  enfant.  Très  intelligente,  elle  fit  plus  tard  à Neu- 
châtel des  études  en  vue  d’obtenir  le  brevet  d'institutrice  pri- 
maire, puis  partit  pour  l’Allemagne,  mais  pour  revenir  bientôt 
et  occuper  la  place  où  la  trouva  quelques  années  plus  tard 
M.  Gacon,  celle  d’institutrice  à Noiraigue,  dans  le  Val-de-Tra- 
vers.  Là,  elle  se  fit  apprécier  de  chacun;  aussi  son  mariage 
fut-il  un  vrai  deuil  pour  ses  élèves  et  les  autorités  scolaires, 
qui  rendaient  le  meilleur  témoignage  à la  fermeté  de  son  carac- 
tère jointe  à une  inaltérable  douceur,  la  virent  partir  à regret. 

g La  vocation  missionnaire  avait  précédé  son  mariage;  car 
quand  M.  Gacon  fit  sa  connaissance,  mademoiselle  Frantz  fai- 
sait déjà  des  démarches  pour  être  occupée  dans  l’œuvre  des 
Zénanas,  aux  Indes. 

« Qui  dira  le  secours  intellectuel,  moral  et  spirituel  qu’elle 
apporta  à son  mari  et  à la  mission  pendant  les  quatre  ans  que 
dura  leur  bonheur  ? En  Afrique,  comme  en  Europe,  connaître 
madame  Gacon  et  l’aimer,  c’était  tout  un.  Elle  répandait  au- 
tour d’elle  par  son  extrême  modestie,  son  amabilité  et  sa  pro- 
fonde piété,  la  bonne  odeur  de  Christ. 

« Que  celui  qui  fut  sa  vie  soit  la  force  et  la  consolation  de 
son  pauvre  mari,  bien  dépouillé,  puisqu’il  a perdu  un  tel 
trésor  ! » 


ARRIVÉE  DE  MM.  ET  Mmes  ALLÉGRET  ET  RICHARD 
NOUVELLES  DE  LA  MISSION 

Ainsi  qu’on  l’a  vu  plus  haut,  nos  voyageurs  sont  heureuse- 
ment arrivés  au  terme  de  leur  long  voyage.  Le  mardi  9 juin, 
ils  touchaient  à Lambaréné,  où  s’arrêtaient  M.  et  madame 
Richard,  tandis  que  M.  et  madame  Allégret  continuaient  leur 
route  sur  Talagouga,  où  ils  débarquaient  le  lendemain  soir 
10  juin. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


381 


M.  Faure,  qui  avait  séjourné  jusque-là  à Lambaréné,  ira 
sous  peu  renforcer  la  station  de  Talagouga,  affaiblie  par  le 
départ  probable  de  M.  et  madame  Forget  etdeM.  et  madame 
Gacon. 

M.  Richard,  en  date  du  12  juin,  après  avoir  parlé  de  l’ex- 
cellent accueil  qu’il  a reçu  à Lambaréné  de  MM.  Haug  et  Faure, 
nous  informe  qu’il  va  remplacer  provisoirement  ce  dernier  à 
l’école  des  garçons,  qui  compte  45  ou  46  élèves.  Plusieurs  fil- 
lettes s’étant  présentées  pour  Fécole,  madame  Richard  espère 
pouvoir  s’occuper  d’elles  et  les  réunir  dans  une  chambre  de 
l’ancienne  maison  de  M.  Jacot. 

Nous  avons  lieu  d’être  reconnaissants  des  bonnes  nouvelles 
qui  nous  arrivent  de  Lambaréné.  Nos  jeunes  missionnaires, 
MM.  Haug  et  Faure,  paraissent  pleins  de  santé,  de  zèle  et  d’en- 
train, comme  nous  le  montrent  les  extraits  ci-après  de  leurs 
dernières  lettres  : 

«...  Voilà,  écrit  M.  Faure  en  date  du  lCkjuin,  deux  ou  trois 
courriers  par  lesquels  vous  n’avez  reçu  aucune  lettre  de  moi, 
et  je  tiens  à vous  dire,  sans  plus  tarder,  que  le  manque  de 
temps  est  la  seule  cause  de  mon  silence.  Haug  m’a  laissé  seul 
ici  assez  longtemps,  et  j’ai  voulu  m’occuper  de  tout  sans  lais- 
ser l’école.  Enfin,  depuis  plusieurs  jours,  je  préparais  mon 
déménagement,  qui  heureusement  est  fini,  et  j’ai  voulu  aussi 
mettre  la  maison  en  bon  état. 

« Ma  santé,  chose  importante  ici,  est  très  bonne,  et  depuis 
neuf  semaines  je  n’ai  pas  eu  de  fièvre;  c’est  exceptionnel, 
parait-il.  M.  Haug  va  relativement  bien,  quoique  la  fièvre 
fasse  de  temps  à autre  une  apparition.  Entre  deux  accès,  il 
doit  aller  en  voyage  faire  des  communions  ou  des  tournées. 
Dimanche  dernier,  nous  avons  eu  la  communion  ici.  A cette 
occasion,  Haug  a baptisé  huit  personnes  et  en  a admis  quinze 
comme  catéchumènes.  Cette  première  grande  réunion  de 
communions  m’a  fait  mieux  connaître  l’œuvre  et  les  caté- 
chistes, et  a encore  augmenté,  si  cela  est  possible,  l’affection 
que  j’éprouve  pour  ces  gens.  Vous  ne  serez  pas  étonnés  d’ap- 


382 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


prendre  que,  de  plus  en  plus,  je  suis  heureux  d’être  ici,  que 
j’y  vois  ma  place,  mon  devoir  immédiat,  et  aussi,  il  faut  bien 
le  dire,  le  bonheur  le  plus  complet  et  la  joie  que,  seul,  Jésus 
peut  mettre  dans  notre  cœur.  Mon  expérience  de  la  vie  mis- 
sionnaire n’est  pas  vieille  (peut-on  même  parler  d’expérience  ?), 
mais  pas  une  minute,  même  aux  moments  de  maladie,  de 
fatigue,  d’isolement,  je  n’ai  regretté  la  décision  prise  il  y a 
huit  mois. 

« M.  et  madame  Richard  sont  bien  arrivés  hier.  Haug  et 
moi  avons  été  les  attendre  et  avons  salué  M.  et  madame 
Allégret. 

« Il  est  déjà  entendu  que  le  prochain  « Éclaireur  » m’emmè- 
nera à Talagougà.  Encore  un  déménagement  1 Mais  peu  im- 
porte; ici,  tout  est  joie.  » 

De  son  côté,  M.  Haug  nous  donne  d’intéressants  détails  sur 
son  activité  des  derniers  mois.  En  novembre,  décembre  et 
janvier,  il  a fait  trois  absences  de  dix  jours  chacune,  et,  pen- 
dant ce  temps,  la  station,  avec  vingt  enfants  et  six  ouvriers 
(abstraction  faite  des  pagayeurs),  a marché  sans  accroc. 

Notre  jeune  frère  a fait  700  kilomètres  en  pirogue  en  sept 
mois  pour  inspecter,  prêcher,  et  faire  la  connaissance  des 
gens.  Il  se  sent,  nous  écrit-il,  toujours  plus  de  goût  pour 
l’évangélisation.  Des  hommes,  même  des  païens,  viennent 
lui  demander  de  régler  leurs  palabres. 

Malgré  ces  absences  répétées  et  cette  activité  extérieure 
vraiment  infatigable,  la  station  n'est  pas  devenue  une 
brousse,  comme  il  y aurait  eu  lieu  de  le  craindre  : les  chemins 
ont  toujours  été  propres  ; les  plantations  ont  été  sarclées  et, 
en  février,  à l’époque  où  M.  Faure  allait  arriver,  tout  a été  net- 
toyé et  refait  à fond,  afin  que  le  nouvel  arrivant  pût  avoir  une 
impression  d’ordre  et  de  propreté. 

C’est  le  cœur  plein  de  reconnaissance  que  nos  amis  ap- 
prendront la  manière  dont  notre  jeune  missionnaire  con- 
çoit et  accomplit  sa  tâche.  Veuille  le  Seigneur  lui  continuer 
la  santé  dont  il  a joui  jusqu’à  maintenant  ! 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


383 


D’autre  part,  M.  Haug  nous  informe  que  la  petite  vérole  a 
éclaté  dans  le  pays,  et  se  préoccupe  d'arrêter  l’épidémie  en 
faisant  une  campagne  de  vaccination.  Il  en  profiterait  pour 
faire  de  l’évangélisation  itinérante. 

Les  nouvelles  reçues  de  Talagouga  sont,  malheureusement, 
moins  encourageantes.  Voici  ce  que  nous  dit  de  sa  santé 
M.  Forget,  en  date  du  19  mai  : 

« Je  suis  de  nouveau  atteint,  comme  l’an  passé,  et,  cette 
fois,  ce  n’est  pas  moi  seul,  c’est  aussi  ma  femme.  Il  y a de  ces 
jours  où  vous  nous  verriez  la  face  bilieuse,  couchés  l’un  près 
de  l’autre,  chacun  faisant  effort  pour  donner  à l’autre  un  peu 
de  secours.  » 

Aussi  ne  sommes-nous  pas  surpris  que  notre  frère  ait 
manifesté  la  crainte  de  se  voir  forcé  de  partir  incessamment, 
comme  nous  l’apprenons  par  une  lettre  de  M,  Haug.  Peut-être 
M.  et  madame  Forget.  sont-ils  embarqués'  à cette  heure,  en 
route  pour  l'Europe.  C’est  ce  que  nous  saurons  bientôt. 


T AÏ  Tl 

ARRIVÉE  DE  M.  ET  MADAME  HUGUENIN  A RAIATÉA 


Voici,  en  date  du  21  avril,  en  quels  termes  M.  Brunei  raconte 
l’arrivée  de  ses  nouveaux  collaborateurs  : 

« Nous  les  tenons  enfin,  mais  non  sans  peine!  Vous  devinez 
de  qui  il  s’agit  : de  nos  chers  amis  Huguenin.  Retenus  en 
février  par  le  gouverneur,  en  mars  par  la  maladie,  nous  dé- 
sespérions de  les  voir  arriver  sur  nos  lointaines  plages.  Le 
29  mars,  le  vapeur  de  la  Nouvelle-Zélande,  se  rendant  à Taïti, 
eut  l’esprit  de  toucher  Raiatéa.  Je  ne  fis  qu’un  bond  du  pres- 
bytère à ce  vapeur  et,  le  soir  du  même  jour,  je  faisais  enfin,  à 


384 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Papéété,  la  connaissance  de  nos  collaborateurs.  C'est  seule- 
ment huit  jours  plus  tard,  le  lundi  6 avril,  que  nous  débar- 
quions tous  enfin  à Haiatéa. 

« Oh  ! que  d’actions  de  grâce  n’avons-nous  pas  rendues  à 
Dieu,  ce  jour-là  et  les  jours  suivants  et  aujourd’hui  encore  ! 

a II  est  donc  vrai  qu’il  faut  demander  pour  recevoir,  et 
demander  avec  persévérance.  L’attente  a été  longue,  mais 
notre  joie  est  d’autant  plus  intense;  oui,  intense  et  complète, 
sans  arrière-pensée,  car  Dieu  nous  a donné  l’homme  qu'il 
fallait  à notre  œuvre.  Ce  renfort  ne  double  pas,  il  décuple 
nos  forces  ici,  aux  îles  Sous-le-Vent;  et  si  Dieu  me  permet 
de  rester  à mon  poste,  ayant  à mes  côtés  ce  courageux  et 
dévoué  compagnon  d’armes,  nous  ferons,  j’espère,  avec  son 
secours,  de  bonne  et  utile  besogne. 

« Nous  avons  commencé  depuis  quinze  jours  des  réunions 
de  prières,  comme  à la  maison  des  Missions,  le  samedi  soir. 
Nous  étudions  l’Évangile  de  Jean  et  instruisons  tour  à tour. 

« Ils  vous  parleront  eux-mêmes  de  l’accueil  qui  leur  était 
réservé.  A mon  avis  cet  accueil  n’a  rien  laissé  à désirer.  Les 
autorités  indigènes  en  corps  nous  ont  exprimé  leur  satisfaction 
de  l’arrivée  de  nos  deux  amis.  Le  roi  a été  le  plus  éloquent 
de  tous;  il  a fallu  pour  obtenir  ce  résultat  beaucoup  de  pru- 
dence et  de  tact... 

« Le  jeudi  9 avril  j’ai  présenté  M.  et  madame  Huguenin  à 
leurs  futurs  élèves  et,  le  10,  notre  ami  se  mettait  à l’œuvre.  Je 
me  suis  rendu  à l’école  encore  pendant  deux  ou  trois  jours, 
pour  bien  le  mettre  au  courant,  et  maintenant  il  est  tout  à fait 
à son  affaire,  aimant  ses  élèves  et  déjà  aimé  d'eux. 

« Nous  allons  construire  pour  nos  amis  une  jolie  case  con- 
fortable, dans  l’enclos  de  la  mission.  Une  goélette  nous  ap- 
portera le  bois  dans  une  quinzaine  de  jours,  et  nous  commen- 
cerons aussitôt.  Depuis  une  huitaine  nos  amis  se  portent  on 
ne  peut  mieux  ; ils  sont  pleins  de  joie  et  d’entrain.  Que  Dieu 
leur  conserve  la  santé  ainsi  qu’à  nous,  et  notre  bonheur  sera 
sans  mélange.  Merci  à vous,  au  Comité  des  Missions  pour  ce 
renfort  venu  à une  époque  si  opportune...  » 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


385 


De  son  côté,  M.  Huguenin,  par  une  lettre  du  30  avril, 
raconte  son  arrivée  à Raiatéa.  Voici  quelques  extraits  de 
cette  lettre  : 

« Comme  vous  le  voyez,  c’est  enfin  d’Uturoa  que  je  vous 
écris,  et  il  y a vingt  jours  que  je  tiens  mon  école... 

« Nous  avons  été  reçus  extraordinairement  bien  à Uturoa. 
Les  membres  de  l’église  nous  ont  fait  deux  « arofa  » et  les 
enfants  deux  aussi.  De  plus,  les  chanteurs  sont  venus  nous 
chanter  des  a himene  » tout  un  soir,  ce  qui  leur  a valu  d’être 
arrêtés  par  les  « mutor  » envoyés  par  le  vice-roi  et  la  reine 
de  Borabora,  furieux  de  voir  l’affection  que  les  indigènes 
nous  témoignent  déjà,  car  ces  chants  ne  sont  réservés  géné- 
ralement qu’aux  rois  et  gouverneurs. 

« J’ai  cent  vingt  élèves  inscrits,  et  chaque  jour  de  cent  à 
cent  dix  présences. 

« Je  tiens  la  classe  de  8 à 11  et  de  2 à 5 heures.  Ma  chère 
femme  s’est  chargée  des  leçons  de  couture  et  de  la  direction 
générale  du  chant.  Tout  marche  àmerveille4  Je  suis  enchanté 
de  ma  petite  école,  et  j’espère  beaucoup  de  mes  petits  Océa- 
niens, bien  que  nous  devions  marcher  à tout  petits  pas.  Mais 
nous  avons  le  temps  devant  nous,  et  nous  ne  sommes  pas 
houspillés  ici  comme  à Papéété  par  la  peur  des  jésuites,  avec 
lesquels  il  faut  lutter  à tout  prix. 

« M.  Brunei  a établi  ici  une  discipline  excellente  et  a posé 
des  bases  solides  sur  lesquelles  il  fait  bon  bâtir.  Je  trouve 
aussi  le  pays  beaucoup  plus  pittoresque  qu’à  Taïti,  et  je  crois 
que  nous  y travaillerons  avec  joie  et  plaisir.  » 


* — 


386 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 

MADAGASCAR 

A PROPOS  DE  L’ATTAQUE  DE  LA  MISSION  NORVÉGIENNE 
A SIRABÉ 

Qui  l’eût  dit,  il  y a trois  mois,  quand  nous  parcourions  ce 
pays  en  tous  sens,  qu’il  était  à la  veille  d’être  ravagé  par  un 
vent  de  rébellion?  Tout  paraissait  si  paisible.  Seuls,  les  jé- 
suites, dans  quelques  coins  où  ils  se  croyaient  à l’abri  de  té- 
moins, troublaient  des  campagnards  timorés  en  développant 
leur  thème  favori  à Madagascar  : « Pour  être  Français,  il 
faut  être  catholique.  » Ne  savent-ils  pas  que  cela  est  un  men- 
songe? Notre  seule  présence,  plus  que  notre  parole,  a ras- 
suré nombre  de  communautés,  où  une  réelle  inquiétude 
commençait  à s’emparer  des  esprits. 

Mais  la  paix  publique  n’était  guère  troublée.  Comment 
l’a-t-elle  été  depuis  ? Les  causes  sont  toujours  complexes  et 
obscures.  Les  faits  peuvent  se  ramener  aux  grandes  lignes 
suivantes. 

L’échauffourée  du  22  novembre  dernier,  à Arivonimamo, 
environ  à 60  kilomètres  au  sud-ouest  de  Tananarive,  qui 
coûta  la  vie  à cet  excellent  M.  Johnson,  à sa  femme  et  à leurs 
enfants,  qui  fit  des  beaux  bâtiments  de  la  mission  protes- 
tante un  monceau  de  décombres,  se  calma  presque  aussitôt. 
On  put  la  considérer  comme  un  spasme,  violent  sans  doute, 
suite  des  excitations  de  la  dernière  guerre,  mais  destiné  à 
demeurer  un  accident  isolé. 

Subitement,  dans  la  semaine  du  13  au  20  mars,  on  en- 
tendit parler  de  troubles  graves,  rayonnant  autour  d’Anjo- 
robé,  à une  centaine  de  kilomètres  environ  au  nord-est  de 
Tananarive.  En  même  temps,  un  autre  foyer  d’agitation 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


387 


était  signalé  beaucoup  plus  près  de  la  capitale,  à quelque 
45  kilomètres  vers  le  sud-est,  près  de  Nosibé,  Les  meurtres 
de  l’ingénieur  Duret  et  de  ses  compagnons  européens  et  in- 
digènes venaient  de  là;  une  autre  conséquence  fut  l’abandon 
de  la  station  de  la  mission  de  Londres  à Tsiafahy,  à moins 
de  25  kilomètres  au  sud  de  Tananarive. 

On  inclinait  à attribuer  tout  cela  à des  bandes  de  brigands. 
De  temps  immémorial,  des  bandits  rançonnent  ici  des  vil- 
lages ou  des  voyageurs  isolés,  dès  le  commencement  de  la 
saison  sèche;  puis,  ils  disparaissent  de  nouveau.  Il  fallut  re- 
connaître bientôt  que  le  mouvement  actuel  était  d’autre  na- 
ture, au  moins  dans  le  nord.  Les  troupes  envoyées  à Anjo- 
robé  se  heurtèrent  en  route,  dès  Ambatomainty,  à environ 
40  kilomètres  de  Tananarive,  contre  des  bandes  nom- 
breuses, mal  armées,  mais  qui  attaquaient  vigoureusement 
la  colonne,  sans  pouvoir  l’arrêter.  Tandis  qu’elle  continuait 
sa  marche,  ralentie  par  son  grand  nombre  ainsi  que  par  les 
difficultés  du  ravitaillement,  et  poussait  jusqu’à  Ambaton- 
drazaka,  dans  le  pays  des  Sihanaka,  à 200  kilomètres  de  Ta- 
nanarive, les  bandes  se  reformaient  après  le  passage  de  l’ex- 
pédition et  soulevaient  toute  la  contrée  le  long  de  la  forêt 
qui  borde  le  plateau  de  l’Émyrne,  à Lorient.  Dans  la  seconde 
moitié  d’avril,  les  environs  d’Ankéramadinika,  à une  journée 
sur  le  chemin  de  la  capitale  vers  la  côte,  n’étaient  plus  sûrs. 
Huit  jours  plus  tard,  dans  la  nuit  du  30  avril  au  1er  mai,  deux 
fonctionnaires  du  gouvernement  hova  furent  égorgés  à trois 
heures  seulement  de  la  capitale,  dans  la  même  direction.  Un 
mois  après  cela,  les  environs  d’Ambohimanga,  à 20  kilo- 
mètres à peine  au  nord  de  Tananarive,  commencèrent  à s’a- 
giter, et  les  troubles  se  propagèrent  comme  une  traînée  de 
poudre  de  là  vers  l’ouest.  Pendant  plusieurs  nuits,  nous 
voyions  l’horizon  de  ces  côtés  éclairé  par  les  lueurs  d’in- 
cendies. Vers  la  même  époque,  le  foyer  de  Nosibé  se  ralluma 
dans  le  sud-est,  et  Sirabé  était  attaqué  dans  le  sud-ouest. 
Quiconque  connaît  le  pays,  ou  suit  cette  marche  des  événe- 
ments sur  une  carte,  s’aperçoit  aisément  qu'en  moins  de 


388 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


trois  mois,  l’insurrection  — car  on  ne  peut  plus  parler  de 
simple  brigandage  — a enveloppé  Tananarive  comme  une 
ceinture  menaçante,  se  serrant  sensiblement  et  assez  vite, 
ne  laissant  qu’une  ouverture  du  côté  de  l’ouest. 

Voilà  les  faits.  Pour  en  faire  comprendre  le  caractère,  il 
suffit  de  raconter  l’attaque  de  Sirabé. 

Le  meneur  des  rebelles  au  sud  de  l’Ankaratra  est  un 
nommé  Rainibetsimisaraka,  bandit  redouté  dans  toute  cette 
région  depuis  pas  mal  d’années.  Sirabé  est  situé  à 130  kilo- 
mètres, à vol  d’oiseau,  au  sud  de  Tananarive;  il  faut  trois 
journées  de  marche  pour  y arriver,  en  contournant  le  massif 
de  l’Ankaratra.  Dès  1869,  la  mission  norvégienne  y fonda  sa 
deuxième  station.  Elle  est  devenue  l’une  des  plus  impor- 
tantes du  district  septentrional  du  Betsiléo.  La  statistique  du 
mois  d’avril  dernier  y compte  4,068  membres,  dont  766  en- 
fants. Les  bâtiments  comprennent  une  très  jolie  église,  la 
maison  du  missionnaire  Rosaas  avec  ses  dépendances,  la 
maison  d’école,  un  sanatorium  fort  bien  aménagé,  un  hô- 
pital, dont  le  directeur,  le  Dr  Ebbell,  vient  de  terminer  la 
construction  d’une  spacieuse  maison  d’habitation;  enfin,  à 
quelque  distance  de  là,  dans  la  direction  de  Bétafo,  la  lépro- 
serie, consistant  en  une  soixantaine  de  maisonnettes  dispo- 
sées autour  d’une  église.  Trois  cents  et  quelques  lépreux  y 
sont  soignés  sous  la  direction  dévouée  de  la  sœur  Maria  Fo- 
reide.  A l’hôpital,  près  de  200  malades  ont  été  reçus  pour  un 
temps  plus  ou  moins  prolongé  au  cours  de  l’année  der- 
nière, et  2,005  autres  malades  ont  fait,  durant  la  même 
année,  4,900  visites  à la  polyclinique. 

C’était  l’époque  de  la  conférence  annuelle.  La  plupart  des 
missionnaires  s’étaient  rendus  à Fianarantsoa  pour  y as- 
sister. Seuls,  MM.  Vig,  de  Masinandraina,  et  Engh,  de  Bé- 
tafo, s’étaient  établis  temporairement  à Sirabé  avec  16  mem- 
bres féminins  et  9 enfants  de  la  mission  norvégienne  du  Bet- 
siléo septentrional. 

Le  dimanche  de  Pentecôte,  24  mai  dernier,  après  le  culte 
du  matin,  la  rumeur  se  répandit  que  les  rebelles  marchaient 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


389 


sur  Loharano,  une  autre  station  norvégienne  (1),  située  à 
deux  heures  et  demie  vers  Test.  Dans  l’après-midi,  ce  bruit 
se  confirma,  et  bientôt  on  apprit  de  source  certaine  que 
toute  la  station  de  Loharano  venait  d’être  pillée  et  saccagée 
et  était  en  flammes.  M.  Gulbrandsen,  le  missionnaire  qui 
était  à Fianarantsoa,  et  sa  femme,  réfugiée  à Sirabé,  ont 
perdu  tout  ce  qu’ils  possédaient.  On  n’y  pensait  guère  sur 
le  moment,  car  le  message  ajoutait  que  les  rebelles  avan- 
çaient dans  la  direction  de  Sirabé. 

Il  y avait  en  séjour  au  sanatorium  l’interprète  français  de 
la  résidence  de  Bétafo,  M.  Gerbinis,  et  sa  jeune  femme.  Le 
résident  de  Bétafo,  M.  Alby,  bien  connu  et  fort  apprécié  de 
nos  missionnaires  de  Taïti,  avait  stationné  à Bétafo  20  mi- 
liciens malgaches,  sous  les  ordres  de  deux  sergents  français; 
il  était  lui-même  en  tournée  dans  le  sud  avec  une  trentaine 
de  miliciens,  le  gouverneur  Rainijaonary  et  ses  troupes. 
J1  restait  à Bétafo  un  secrétaire  de  la  résidence,  trois  ser- 
gents et  une  trentaine  de  miliciens,  tous  ^nouvellement  re- 
crutés. M.  Gerbinis  dépêcha  immédiatement  un  messager  à 
Bétafo,  à,  environ  trois  heures  de  marche  de  Sirabé,  afin  d’ob- 
tenir des  secours.  Lundi,  à deux  heures  du  matin,  il  arriva 
un  sergent  et  16  miliciens.  Le  plan  de  défense  fut  vite  arrêté. 
Les  forces  dont  on  disposait  étaient  insuffisantes  pour  dé- 
fendre le  village;  on  décida  donc  de  se  retrancher  dans  la 
maison  du  missionnaire  Rosaas,  la  seule  qui  fût  couverte  de 
tuiles  et  qui  offrît  quelque  résistance  à l’arme  la  plus  dange- 
reuse des  brigands  en  pareil  cas,  l’incendie.  Les  femmes  et 
les  enfants  furent  consignés  sous  les  combles. 

Vers  dix  heures  du  matin,  des  hurlements  sauvages  et  si- 
nistres annonçaient  l’arrivée  de  l’ennemi.  Bientôt,  les  tuiles 
volèrent  en  éclats  sous  une  grêle  de  balles  et,  des  combles, 
les  femmes  furent  obligées  de  descendre  au  second  étage. 
Une  lutte  acharnée  s’engagea  alors  jusque  vers  cinq  heures 


(1)  Fondée  en  1870,  et  comptant  2,797  membres. 


390 


JOUiaïAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


du  soir.  Les  assaillants  étaient  au  nombre  de  1,500  au 
moins:  ils  avaient  un  drapeau  rouge;  derrière  eux  se  mas- 
sait la  foule  indécise,  prête  à prendre  part  au  pillage,  si  la 
victoire  restait  aux  insurgés.  « En  moins  de  temps  qu’il  n’en 
faut  pour  le  dire,  écrit  mademoiselle  Engh  (1),  nous  vîmes 
le  sanatorium  et  l’hôpital  investis,  pillés,  dévastés,  et  presque 
aussitôt  les  toits  en  roseaux  de  ces  constructions  furent  in- 
cendiés. » Puis,  la  maison  du  Dr  Ebbell  fut  attaquée.  Comme 
le  tir  des  assiégés  commandait  la  porte,  les  forcenés  per- 
dirent pas  mal  d’hommes  avant  de  se  décider  à entrer  par 
derrière,  après  avoir  brisé  un  contrevent.  Un  panache  de 
fumée  couronnant  le  chaume  du  toit  fît  connaître  aux  as- 
siégés cette  manœuvre.  Cette  maison  en  feu  était  à une  dou- 
zaine de  mètres  de  celle  du  missionnaire  Rosaas. 

De  trois  côtés  il  y avait  donc  des  flammes.  « De  toutes 
parts,  des  masses  d’hommes,  avides  de  notre  sang,  nous  en- 
touraient, dit  M.  L.  Vig.  Ils  se  démenaient  pire  que  des  bêtes 
féroces.  Et  dire  que  dans  cet  hôpital  saccagé  et  s’en  allant  en 
flammes,  tant  de  Malgaches  avaient  retrouvé  la  vie,  tant 
d’autres  avaient  été  soulagés  et  soignés  jusqu’à  leur  dernier 
soupir  par  des  mains  dévouées  et  charitables!  Est-ce  là  le 
fruit  de  l’œuvre  du  Samaritain  accompli  par  le  Dr  Ebbell  et 
les  deux  sœurs  diaconesses  Anna  Hofstad  et  Maria  Tot- 
land  ? o 

L’un  des  sergents,  l’héroïque  Delalbre,  tenta  de  faire  une 
diversion  en  s’élançant  au  milieu  des  bandits.  Ils  étaient  trop 
nombreux.  De  plus,  ils  envahissaient  la  porte  nord  de  l’en- 
clos. 11  fallut  rappeler  le  sergent,  qui  revint  couvert  de  sang, 
mais  non  dangereusement  blessé.  Ce  jour-là  ou  le  lende- 
main, vrai  troupier  de  France,  il  cueillit  avant  de  rentrer,  et 
sous  le  feu  de  l’ennemi,  une  gerbe  de  fleurs  au  jardin  pour 


(1)  Plusieurs  lettres,  reçues  de  Sirabé,  m’ont  été  obligeamment  com- 
muniquées par  le  l)r  Borchgrevink,  surintendant  de  la  mission  norvé- 
gienne. D’autres  détails  proviennent  de  la  bouche  de  madame  Gulbrand- 
sen,  arrivée  ici  avant-hier. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


391 


l’offrir  aux  dames  qui  le  pansèrent.  Puis  il  alla  s’accroupir 
sur  la  véranda,  et  de  là,  visant  avec  calme,  il  fusillait  les  as- 
saillants. A chaque  coup  qui  portait,  il  s’exclamait  : Tsar  à 
va,  tompoko  ê ? « Cela  va  bien,  monseigneur?»  la  salutation 
usuelle  qu’on  adresse  à un  noble. 

La  porte  de  l’enclos  n’en  fut  pas  moins  forcée,  et  les  ban- 
dits se  massèrent  derrière  l’une  des  dépendances  contenant 
des  provisions,  à quelques  pas  seulement  de  la  maison.  Une 
fois  de  plus,  Delalbre  se  dévoua  et,  avec  quelques  miliciens, 
il  alla  chercher’ dans  cette  maisonnette,  dont  l’ennemi  per- 
çait déjà  le  mur  opposé,  six  bidons  de  pétrole  qui  eussent  pu 
devenir  une  arme  redoutable  entre  les  mains  des  brigands. 

Les  hommes,  excités  par  l’intérêt  de  la  lutte,  s’oubliaient. 
Mais  qu’on  se  figure  le  sentiment  des  femmes  et  des  enfants, 
voyant  ces  hordes  sauvages,  farouches,  impitoyables,  innom- 
brables de  tous  côtés,  des  flammes  tout  autour  de  la  maison, 
et  sachant  que  le  peu  de  munitions  de  leurs  défenseurs  s’é- 
puisaient rapidement! 

Cependant  l’attaque  cessa  vers  cinq  heures,  bien  que  la 
maison  restât  cernée.  Quand  la  nuit  fut  tombée,  des  lueurs 
rouges  éclairèrent  l’horizon  sud  et  ouest,  ainsi  que  du  côté  de 
Masinandraina.  C’était  les  églises  des  annexes  incendiées  par 
les  rebelles.  Plus  près,  à l’horreur  indicible  de  tous,  mais 
surtout  de  la  sœur  Maria  Foreide,  on  voyait  brûler  Ambohi- 
piantrana,  le  village  et  l’église  des  lépreux.  « Pauvres  gens  ! 
s’écria  mademoiselle  Engh,  faut-il  qu’ils  aient  à souffrir  du 
fait  ‘d’avoir  accepté  les  soins  chrétiens  de  quelques  Euro- 
péens! » 

Avec  cela,  l’attente  d’un  secours  énervait  les  assiégés.  Les 
quelques  soldats  et  les  deux  sergents  restés  à Bétafo  vien- 
draient-ils? « Nous  les  attendions  lundi  soir,  dit  un  témoin; 
notre  attente  fiévreuse  atteignit  son  comble  mardi,  dans  la 
matinée.  Rien.  Alors,  nous  comprîmes  que  c’était  fini.  » En 
effet,  le  secrétaire  de  la  résidence,  les  deux  sergents  et  vingt- 
trois  recrues  s’étaient  avancés  jusqu’à  près  de  deux  kilo- 
mètres de  Sirabé  lundi  soir,  vers  cinq  heures;  ils  virent  tout 


392 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


le  village  en  feu  ; la  fusillade  qu’ils  avaient  entendue  dans 
l’après-midi  avait  cessé.  Ils  en  tirèrent  la  conclusion  assez 
naturelle  que  les  assiégés  avaient  succombé,  et  quand  ils 
aperçurent  l’incendie  d’Ambohipiantrana,  ils  se  replièrent 
sur  Tananarive.  C’est  ainsi  que  nous  eûmes  ici  des  nou- 
velles de  la  tragédie. 

Mardi,  l’ennemi  parut  surtout  occupé  à emporter  du  butin. 
Ce  n’est  que  vers  midi  qu’il  se  reforma  en  colonne  pour  re- 
nouveler l’assaut.  Mais  alors  ce  fut  une  lutte  à mort  qui  dura 
jusqu’au  soir.  L’ancien  sanatorium,  mitoyen  de  l’enclos,  fut 
incendié;  puis,  une  construction  basse,  couvrant  deux  mou- 
lins. Le  cercle  de  feu  se  rétrécissait  autour  de  la  maison  Ro- 
saas.  Et  il  ne  restait  que  quelques  cartouches,  que  se  parta- 
gèrent les  meilleurs  tireurs. 

Pendant  quelque  tem^  lu,  destruction  de  l’église  absorba 
l’ennemi.  Ce  n’était  pas  pour  rassurer  les  assiégés.  « Je  sou- 
haite à tout  chrétien  et  à tout  homme  civilisé  de  ne  jamais 
entendre  des  hurlements  et  des  cris  diaboliques  comme  ceux 
qui  nous  glaçaient  jusqu’à  la  moelle  des  os,  pendant  que  cette 
cohue  de  sauvages  brisaient  tout  ce  qui  avait  été  consacré  au 
Seigneur»,  dit  l’un  des  missionnaires;  et  mademoiselle  Engh 
écrit  : a Tout  fut  brisé  en  menus  morceaux  : les  bancs,  la 
chaire,  l’autel,  les  fonts  baptismaux,  l’harmonium,  les  portes, 
les  fenêtres.  Les  clameurs  sataniques  qui  accompagnaient 
cette  dévastation  furent  ce  qui  m’épouvanta  le  plus.  » 

La  nuit  du  mardi  au  mercredi  fut  relativement  tranquille  ; 
mais  la  lumière  du  nouveau  jour,  — cela  ne  faisait  de  doute 
pour  personne,  — devait  éclairer  la  fin  du  siège.  «Nous  étions 
préparés  à quitter  cette  vie,  disent  presque  dans  les  mêmes 
termes  toutes  les  lettres  que  j’ai  sous  les  yeux.  Nous  en 
avions  fait  le  sacrifice.  Et  je  suis  persuadé,  ajoute  M.  Yig,  que 
nous  nous  serions  tous  retrouvés  au  ciel.  Mais,  tout  prêts  à 
mourir  que  nous  fussions,  je  dois  avouer  que  la  figure  sous 
laquelle  la  mort  se  présentait  à nous  me  faisait  frémir  d’hor- 
reur. Les  cris  démoniaques  de  la  veille  emplissaient  encore 
nos  oreilles.  » 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


393 


Mercredi,  les  bandits  n’arrivèrent  pas  en  masse  et  en  rangs 
serrés.  Ils  venaient  par  petits  groupes.  Ils  avaient  renoncé  à 
donner  l’assaut.  Ils  ignoraient  qu’avec  les  quelques  cartou- 
ches qui  restaient,  il  eût  été  impossible  de  les  tenir  à distance. 
Ils  avaient  changé  de  tactique.  Ils  ramassaient  maintenant 
du  bois  et  d’autre  combustible  pour  enfumer  les  assiégés.  En 
même  temps,  ils  réunissaient  de  grandes  quantilés  de  poivre 
de  Cayenne,  assaisonnement  d’un  grand  usage  dans  le  peu- 
ple ; le  poivre,  lancé  dans  le  feu,  dégage  une  fumée  âcre,  in- 
tolérable. Ils  apportèrent  même  un  baril  de  poudre.  D’autres 
arrivaient  armés  de  bêches  pour  miner  la  maison  aux  quatre 
coins. 

« Les  liens  de  la  mort  nous  enserraient,, écrit  M.  Yig.  Nous 
criions  du  fond  de  nos  cœurs  au  Dieu  de  notre  salut,  quoique, 
à vues  humaines,  tout  espoir  fût  vain.  M.  Gerbinis,  qui,  jus- 
que-là, s’était  évertué  à relever  notre  moral,  déclara  que 
maintenant  il  nry  avait  plus  de  secours  à attendre  sauf  de 
Dieu.  Le  Seigneur  nous  livrera-t-il  tous  à une  mort  affreuse? 
Permettra-t-il  que  ces  païens  hurlent  de  joie,  pensant  avoir 
vaincu  le  Dieu  des  chrétiens?  Nous  étions  là  27  Norvégiens, 
16  femmes  et  jeunes  filles,  9 enfants  et  2 hommes;  5 Français, 
M.  et  madame  Gerbinis  et  les  3 sergents;  soit  32  Européens, 
plus  33  miliciens  iftalgaches  et  quelques  autres  indigènes  qui 
s’étaient  réfugiés  auprès  de  nous.  N’avions-nous  pas  le  droit 
d’espérer  que  Dieu  aurait  pitié  des  petits  enfants?  Tant  que 
nous  priions,  nous  le  croyions;  mais  après  cela,  en  face  de  la 
réalité  visible,  les  ténèbres  nous  envahissaient  derechef.  » 

Vers  une  heure  de  l’après-midi,  mercredi  27  mai,  l’un  de 
ces  malheureux  crut  apercevoir  une  troupe  nombreuse  sur 
les  collines,  vers  l’ouest.  Tous  les  regards  se  fixèrent  sur  ce 
point  de  l’horizon.  Était-ce  le  secours  attendu  vainement  de- 
puis plus  de  deux  jours?  ou  était-ce  un  nouveau  renfort  de 
l’ennemi  allant  hâter  le  dénouement  final?  Comme  les  as- 
siégeants continuaient  diligemment  les  préparatifs  de  l’incen- 
die, on  inclinait  vers  la  seconde  alternative.  Mais  voici  qu’on 
aperçoit  clairement,  au-dessus  de  la  colonne  qui  approchait, 

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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


le  drapeau  blanc.  Ce  ne  sont  donc  pas  des  rebelles.  Nul  doute 
n’est  plus  possible.  Notre  Dieu  est  un  Dieu  qui  exauce  les 
prières.  « Nous  ne  pouvions  contenir  notre  joyeuse  émotion, 
raconte  mademoiselle  Engh;  des  cris  de  joie  éclatèrent  parmi 
les  miliciens;  toute  la  maison  en  retentissait;  l’un  dansait, 
l'autre  battait  des  mains.  Ceux-là  seuls  qui  ont  vu  la  mort  en 
face  sur  les  grandes  eaux,  accrochés  à quelque  épave,  déses- 
pérant de  vivre,  puis  soudain  recueillis  par  une  embarcation 
apparue  inopinément,  miraculeusement,  ceux-là  seuls  peu- 
vent mesurer* ce  que  nous  avons  ^prouvé  à cette  heure.  » 
M.  Vig  exprime  la  mêm~  ^c^sée  À «Jamais  nous  ne  pour- 
rons oublier  ce  moment.  Notre  vie  nous  était  rendue  comme 
par  miracle.  » 

Aussi  bien  c’est  par  une  intervention  providentielle,  dont 
les  détails  seraient  trop  longs  à exposer  ici,  que  M.  Alby  et 
Rainijaonary  avaient  modifié  leur  itinéraire  et  étaient  arrivés 
à Tranomainty  mardi  soir.  Là,  ils  apprirent  ce  qui  se  passait 
à Sirabé.  Fatigués  d’une  longue  journée  de  marche,  ils  repar- 
tirent aussitôt  et  arrivèrent  à Bétafo  vers  quatre  heures  du 
matin  ; après  quelques  heures  de  repos  indispensable,  ils 
marchèrent  sur  Sirabé. 

Les  rebelles  semblent  ne  pas  les  avoir  vus  venir,  ou  bien  ils 
les  prenaient  effectivement  pour  des  alliés#  Ils  furent  surpris 
et  tués  en  grand  nombre.  On  ramassa,  dans  la  soirée  et  le 
lendemain,  plus  de  500  cadavres. 

On  poursuivait  encore  les  fuyards,  que  la  sœur  Maria  Fo- 
reide  avait  déjà  couru  au  village  des  lépreux,  rassurant  et 
pansant  les  impotents  qu’elle  y trouvait  en  vie,  à l’abri  de 
quelque  pan  de  mur  ou  cachés  dans  les  broussailles. 

« De  douloureux  soupirs  se  mêlaient  à notre  joie,  écrit 
M.  Yig  vers  la  fin  de  sa  lettre,  quand  nous  vîmes  de  près  les 
traces  de  la  terrible  dévastation  tout  autour  de  nous.  » Sans 
compter  les  pertes  personnelles  des  missionnaires,  les  dégâts 
de  la  Société  norvégienne  sont  évalués  à plus  de  200,000  fr. 
dans  tout  le  district.  « Mais,  ajoute  le  missionnaire,  ces  dé- 
sastres matériels  ne  sont  pas  les  pires...  Ce  qui  vient  d arri- 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


395 


ver  retardera  notre  œuvre  ici  de  beaucoup  d’années.  Je  ne 
puis  même,  par  instants,  me  défaire  de  la  crainte  que  tout  ne 
soit  à recommencer.  » 

Cette  attaque  de  Sirabé  est,  jusqu’ici,  l’épisode  le  plus  dra- 
matique de  la  crise  que  nous  traversons  à Madagascar.  Mais  le 
caractère  de  ce  mouvement  de  rébellion  est  identique  partout. 
11  y a un  fonds  premier  de  brigandage  dans  tout  cela.  Sur  ce 
«fahavalisme  »,  qui  a toujours  existé  à Madagascar  à l’état 
sporadique,  se  greffe  aujourd’hui  un  élément  nouveau  et  qui 
devient  nettement  prépondérant:  c’est  une  réaction  nationale 
et  païenne  contre  tout  Européen  et  chrétien.  Les  « fahavalo  », 
puisque  ce  nom  continue  à être  donné  aux  rebelles,  en  veu- 
lent à tous  les  Européens,  non  pas  seulement  aux  Français; 
de  même,  ils  incendient  partout  les  églises.  On  compte,  jus- 
qu’à ce  jour,  cent  vingt  et  quelques  églises  brûlées,  et  il  y a 
bien  des  districts  envahis  sur  lesquels  il  n'y  a point  de  ren- 
seignements. Ces  mêmes  bandes  d’insurgés  massacrent 
quand  ils  le  peuvent  les  évangélistes,  les  pasteurs,  les  insti- 
tuteurs, pour  peu  que  ces  hommes  soient  les  représentants 
des  coutumes  des  vazaha  ou  « gens  d’outre-mer».  En  plu- 
sieurs endroits,  ils  ont  détruit  tous  les  livres  ou  papiers 
qu’ils  ont  pu  trouver.  Tous  ces  insurgés  ont  remis  en  vigueur 
les  vieilles  coutumes  païennes  : ils  promènent  avec  eux  des 
idoles  et  ont  pleine  confiance  dans  leurs  charmes.  Ils  impo- 
sent ces  pratiques  aux  populations  paisibles  dont  ils  en- 
vahissent les  villages.  Ceux  qui  refusent  de  renoncer  au 
christianisme,  sont  menacés  de  mort  et  tués  s’ils  ne  réussis- 
sent pas  à s'échapper.  Mais  il  y a eu  plusieurs  martyrs  au- 
thentiques. On  se  demande  s’il  existe  un  troisième  facteur, 
Y a-t-il  des  chefs?  Ces  chefs  s’entendent-ils?  Plus  que  cela, 
les  fils  de  toute  cette  agitation  ne  sont-ils  pas  tenus  ici  à 
Tananarive  par  quelques  personnages  importants?  En  secret, 
on  prononce  des  noms,  mais  les  preuves  manquent  absolu- 
ment. 

Dieu  sait  ce  qu’il  en  est.  Il  sait  aussi  quelle  sera  l’issue  que 
nous  ne  pouvons  prévoir.  En  négligeant  ici  tout  le  côté  poli- 


396 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tique,  il  est  évident  que  le  christianisme  de  Madagascar  passe 

r 

par  une  crise  grave.  L’Eglise  de  Jésus-Christ  en  sortira  puri- 
fiée, car  l'Éternel  règne. 

F.  H.  K. 


VARIÉTÉS 

UNE  VISITE  A LA  « MISSION  DES  UNIVERSITÉS  » 

A ZANZIBAR  (1) 

Dans  d’autres  rues,  il  n’y  a pas  de  boutiques;  les  mai- 
sons ont  peu  d'ouvertures  ; par  contre,  les  battants  des 
portes  sont  très  remarquables  : de  bois  épais,  profondément 
sculptés;  les  dessins  sont  géométriques,  le  style  est  arabe, 
sauf  dans  des  travaux  plus  récents,  ce  semble,  où  l’on  sent 
l’influence  indoue.  Plusieurs  de  ces  portes  sont,  en  outre, 
garnies  de  clous  en  cuivre  jaune,  polygonaux,  de  cinq  à huit 
centimètres  de  diamètre  ; quelquefois  ces  clous  ont  la  forme 
de  fuseaux,  se  terminant  en  pointe,  comme  pour  défendre 
l’accès  aux  intrus.  Cela  donne  un  air  cossu  à ces  maisons  ; 
leurs  habitants  ont  l’air  d’avoir  conscience  d’eux-mêmes.  La 
fermeture  ou  serrure  de  ces  portes  est  non  moins  curieuse  : 
elle  est  fixée  à l’extrémité  supérieure  du  poteau  médian,  en 
relief  sur  les  deux  battants  dont  il  recouvre  la  jointure;  c’est 
une  chaîne  solide,  longue  de  vingt-cinq  à trente  centimètres  ; 
le  dernier  chaînon  passe  par  une  épaisse  boucle  de  fer 
scellée  dans  le  linteau  ou  dans  le  mur;  on  passe  un  énorme 
cadenas  dans  la  boucle,  par  dessus  le  chaînon  accroché;  un 
tour  de  clef  ou  deux  peut-être,  et  les  gens  qui  restent  dans  la 
maison  sont  bien,  comme  on  dit,  sous  clef.  Soit  dit  en  pas- 
sant, on  estime  les  habitants  de  la  ville  de  Zanzibar  à 80,000 


(i)  Voir  page  342. 


VARIÉTÉS 


397 


habitants;  d’autres  disent  100,000  habitants.  J’ai  demandé 
un  plan  de  la  ville;  cela  n’existe  pas.  Aussi  bien  le  dédale,  en 
apparence  inextricable  de  ces  ruelles  tortueuses  eâ  s’entre- 
croisant comme  un  écheveau  embrouillé,  donnerait  du  tra- 
vail à une  escouade  de  géomètres-arpenteurs.  Dans  les  rues 
sans  magasins,  il  y a peu  de  monde;  dans  les  autres,  il  y 
foule.  C’est  un  aspect  décidément  pittoresque,  surtout  quand, 
de  distance  en  distance,  le  fin  stipe  d’un  cocotier  incliné  et 
couronné  de  son  panache  retroussé  par  la  brise,  se  montre  à 
l’extrémité  d’une  ruelle,  ou  que,  dans  un  coin  où  s’accumu- 
lent les  immondices,  une  végétation  drue,  luisante,  dont  la 
couleur  verte  a une  intensité  invraisemblable,  attire  l’œil. 
Parmi  les  passants,  on  distingue  aisément  le  nègre  portefaix, 
homme  de  peine;  à l’heure  matinale  où  je  traversais  les  rues 
de  Zanzibar,  de  nombreuses  négresses,  vêtues  d’un  pagne, 
avec,  par-dessus,  une  étoffe  de  couleur  voyante,  serrée  autour 
de  la  poitrine  comprimée,  passant  sous  les  bras  qui  demeu- 
rent libres,  et  retombant  jusqu’à  mi-corps.  Sur  la  tête,  dont 
les  cheveux  étaient  artistement  et  curieusement  nattés,  elles 
portaient  de  l’eau,  la  provision  pour  la  journée,  sans  doute; 
mais  ce  qui  leur  servait  d’amphore  gâtait  le  tableau  : dans  la 
plupart  des  cas,  c’étaient  des  bidons  de  pétrole.  Les  Indous 
conservent  leur  costume,  le  seul  apparemment  qui  permette, 
sous  ces  latitudes,  de  passer  la  journée  sans  fondre  comme 
du  beurre  sur  un  poêle  : une  calotte  blanche,  légère,  ajourée; 
une  veste,  en  mousseline  transparente  quand  le  propriétaire 
est  aisé,  largement  décolletée  et  garnie  de  broderies  de  soie; 
un  pantalon  de  même  étoffe,  ou  plutôt  une  culotte,  puis- 
qu’elle s’arrête  au  genou;  aux  pieds  des  sandales.  Les  Arabes 
semblent  former  l’aristocratie.  J’en  ai  vu  deux,  entre  autres, 
qui  étaient  de  vrais  Arabes  d’opéra,  avec,  en  plus,  tout  ce 
que  peut  donner  la  réalité  et  le  cadre  authentique.  Un  tur^ 
ban,  tissu  de  soie;  une  belle  tête,  fine,  intelligente;  la  barbe 
noire,  soignée,  toujours  rasée  sous  l’oreille  et  sous  la  mâ- 
choire ; un  vêtement  de  couleur  foncée,  bleu  ou  marron,  en 
forme  de  cafetan,  ouvert  largement  sur  le  devant,  et  laissant 


398 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


apparaître  une  belle  gandoura  blanche,  relevée  de  broderies 
en  soie  jaune  ou  bleuâtre;  la  gandoura,  qui  retombe  jusque 
sur  les  babouches,  est  retenue  autour  des  reins  par  une  cein- 
ture blanche  ou  de  couleur,  dans  laquelle  reluit  un  large  cou- 
telas à poignée  ciselée  et  ornée  de  pierreries,  à gaine  non 
moins  richement  travaillée.  Ajoutez  à cela  un  port  droit,  la 
démarche  assurée  et  consciente  de  gens  qui  n’évitent  per- 
sonne, mais  auxquels  on  cède  le  haut  du  pavé,  et  vous  aurez 
une  idée  de  l’aristocratie  de  Zanzibar,  que  la  traite  des 
esclaves  a enrichie. 

Après  avoir  affranchi  nos  lettres  à la  poste,  je  donnai  à notre 
cicerone  lilas  le  mot  d’ordre  : « English  cathédral.  » Il  répéta 
en  inclinant  la  tête,  et  nous  mena  à l’ancien  marché  aux 
esclaves,  où  l’évêque  anglican  Steere,  aidé  du  consul  sir  John 
Kirk,  a fait  construire  une  cathédrale  dont  on  voit,  au  large 
de  Zanzibar  déjà,  le  haut  clocher.  Son  profil  traditionnel,  tour 
carrée  et  flèche  pyramidale  assez  élancée,  jure  quelque  peu 
avec  le  style  architectural  adopté  pour  la  nef,  arcades  en  fer 
à cheval,  baies  en  trèfle  mauresque,  et  autres  motifs  caracté- 
ristiques. De  fort  beaux  vitraux  ferment  les  hautes  fenêtres; 
l’ameublement,  la  tenture  des  autels,  car  il  y en  a deux  dans 
des  chapelles  latérales,  outre  le  maître-autel,  tout  est  installé 
avec  goût  et  avec  la  plus  pure  correction  liturgique.  Des 
stalles  massives,  dont  le  bois  a été  sculpté  à Bombay,  gar- 
nissent les  deux  côtés  du  chœur.  On  ne  s’y  tromperait  pas, 
si  on  l’ignorait,  la  Société  des  universités  qui  dirige  l’œuvre 
des  missions  à Zanzibar,  mais  qui  travaille  surtout  dans  l’in- 
térieur africain  et  sur  le  Nyassa,  appartient  à la  fraction  la 
plus  ritualiste  de  l’Église  anglicane. 

Nous  fûmes  conduits  au  presbytère  à travers  un  admirable 
jardin.  Une  sorte  de  mimosa  attire  surtout  notre  attention  : son 
feuillage,  si  délicatement  découpé,  disparaissait  par  endroits 
sous  une  profusion  de  fleurs  d’un  rouge  intense,  ardent;  ce 
sont  d’énormes  calices  à cinq  pétales,  avec  un  pistil  rouge 
mais  à pollen  jaune,  le  tout  grand  comme  la  paume  de  la 
main.  Voilà  les  arbres  qui,  le  matin,  avaient  rayé  d’une  ligne 


VARIÉTÉS 


399 


rouge  le  paysage  de  Zanzibar  qui  passait  sous  mes  yeux. 

Sous  la  porte  ouverte  de  la  maison,  où  nous  avait  conduits 
notre  jeune  guide,  derrière  la  cathédrale,  à droite  de  l’abside, 
quelques  négrillons,  auxquels  je  demandai  le  missionnaire, 
disparurent.  Après  un  assez  long  moment,  parut  un  homme 
jeune  encore,  imberbe,  vêtu  d’une  longue  soutane  blanche  à 
cordelière  noire.  La  présentation  fut  cordiale  en  somme;  le 
prêtre  se  mit  à notre  disposition,  à condition  que  nous  lui 
accordions  un  instant  pour  terminer  une  conversation  impor- 
tante avec  un  membre  de  son  troupeau.  Il  appela  un  inten- 
dant, un  de  ses  collègues,  vêtu  comme  lui.  Nous  montâmes 
un  escalier  de  pierre  assez  étroit.  Toute  la  maison  a un  cachet 
oriental  bien  compris  et  adapté  au  climat.  Cela  dénote  de  la 
part  des  constructeurs  une  ouverture  d’esprit  et  une  accom- 
modation, une  souplesse  peu  communes,  de  la  part  d’anglo- 
saxons  surtout.  Du  reste,  ceux  qui  lisent  la  publication  de  la 
mission  dite  des  Univérsités  savent  combien  on  y rencontre 
de  théorie  saine,  de  principes  justes,  concernant,  par  exem- 
ple, l’éducation,  ou  plutôt  le  degré  de  civilisation  convenant 
au  clergé  indigène.  Cela  tend  à prouver  une  fois  de  plus 
qu’une  forte  culture  intellectuelle,  au  grand  air,  en  contact 
avec  le  mouvement  de  la  pensée  contemporaine,  est  un  avan- 
tage partout,  surtout  en  mission.  A condition,  cela  va  sans 
dire,  qu’une  piété  réelle,  un  christianisme  personnel  et 
intense  soit  l’âme  de  l’activité  apostolique.  Mais,  cela  posé, 
l’action  du  missionnaire  sera  maladroite  ou  efficace,  plus  ou 
moins  saine  ou  malsaine,  suivant  que  le  missionnaire  a des 
principes  fermes  et  justes  ou  est  mal  orienté,  borné,  travail- 
lant inconsciemment  et  dépourvu  de  toute  idée  générale. 

Dans  la  chambre  du  missionnaire,  personne  ne  se  serait 
mépris  sur  la  nationalité  de  l’habitant.  La  physionomie  parti- 
culière des  livres  qui,  nombreux,  garnissaient  tout  près  de 
deux  parois  de  la  cellule,  eussent  suffi  à faire  deviner  l’An- 
glais : quelques  portraits,  entre  autres  celui  de  l’évêque 
Smythies,  en  grand  costume  épiscopal,  la  mitre  en  tête,  la 
crosse  en  main.  Son  successeur,  A.  Richardson,  arrivé  en 


m 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Afrique  en  août  dernier,  est  un  mathématicien  distingué;  sa 
bibliothèque  de  20,000  volumes  le  suit;  elle  est  encore  en 
route.  Un  grand  crucifix  au  chevet  du  lit;  des  croix,  en  géné- 
ral un  peu  plus  que  de  raison,  marquent  le  caractère  ecclé- 
siastique spécial  de  cette  mission.  J’ai  été  d’autant  plus  heu- 
reux de  voir,  parmi  des  papiers  empilés  dans  un  coin,  la 
couleur  et  le  titre  familier  du  C hur ch  Missionary  Intelligence!'. 
On  ne  reste  donc  pas  ici,  comme  je  l’ai  remarqué  trop  sou- 
vent dans  d’autres  stations  de  mission,  indifférent  à tout  ce 
que  l’on  ne  fait  pas  soi-mème.  L’habitant  de  cette  chambre, 
ses  collègues  peut-être,  feuillettent,  je  l’espère,  au  moins  les 
pages  où  ils  peuvent  suivre  les  merveilleux  progrès  que 
l’Évangile  de  Jésus  fait  sur  le  continent  en  face  de  Zanzibar, 
surtout  sur  les  rives  septentrionales  du  Victoria-Nyanza. 
C’est  le  moins,  puisque  les  deux  missions  sont  faites  par  des 
membres  de  la  même  Église  anglicane.  Mais  qui  ne  saurait 
quelles  tendances  diverses  et  même  contraires  s’agitent  sous 
les  vastes  plis  du  manteau  anglican  ! Il  paraît  pourtant  que 
les  évêques  Tucker,  de  l’Afrique  équatoriale,  et  Kestel-Cor- 
nish,  de  Madagascar,  fréquentent  également  la  résidence  de 
l’évêque  de  Zanzibar. 

(A  suivre.)  F.  H.  Kruger. 


Dernière  heure.  — Dans  ses  dernières  séances,  le  Co- 
mité a arrêté  la  destination  de  deux  élèves  ayant  fini  leurs 
études,  MM.  Paul  Louis  Yernier  et  Auguste  Coïsson. 

Le  premier  a été  appelé  à renforcer  la  mission  de  Taïti,  et 
le  second  celle  du  Zambèze;  mais  l’époque  de  leur  départ 
nest  point  encore  fixée.  La  consécration  de  M.  Vernier  aura 
lieu  à Montmeyran,  le  20  août  prochain;  celle  de  M.  Coïsson, 
dans  les  premiers  jours  de  septembre,  aux  Vallées  Yaudoises. 


Le  Gérant:  A.  Bûegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20511. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


401 


SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


A PROPOS  DE  NOS  DEUILS 
Réflexions  d’un  missionnaire. 


Un  de  nos  missionnaires  nous  adresse  du  Lessouto,  à pro- 
pos de  la  mort  de  M.  Goy,  ces  réflexions  qui  s’appliquent 
aussi  au  deuil  récent  de  la  mission  du  Congo  : 

« La  mort  de  Goy  a été  pour  nous  un  coup  de  foudre.  Pau- 
vre madame  Goy  I Pauvre  mission  du  Zambèze  ! 

« Et  pourtant,  ces  morts  de  missionnaires  et  même  ces  dé- 
parts de  missionnaires  pour  les  pays  insalubres,  cela  a quel- 
que chose  de  grand  que  Ton  devrait  remarquer.  (J’en  parle  à 
mon  aise,  parce  que  je  suis  dans  un  pays  salubre  entre  tous, 
donc  tout  à fait  en  dehors  de  la  question.) 

« Il  faut  féliciter  nos  Églises  de  posséder  des  hommes  qui, 
comme  nos  collègues  du  Congo,  du  Sénégal  et  du  Zambèze, 
vont  bravement,  dans  toute  la  force  de  la  jeunesse,  libres 
ment,  volontairement,  s'exposer  à la  maladie  et  s’offrir  à la 
mort.  Ils  ont  le  loisir  de  faire  leurs  réflexions  avant  de  par- 
SEPTEMBRE  1896.  30 


402 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tir,  de  regarder  les  dangers  en  face  et  de  se  placer  en  pré- 
sence de  la  mort.  Et  pourtant  ils  y vont!  Ils  savent  que  Dar- 
dier  y est  mort,  que  Bonzon,  H.  Jacot,  Lauga,  Golaz  et 
d’autres  y sont  morts...  Et  pourtant  ils  y vont!... 

« Nos  Églises  de  langue  française  produisent  donc  encore 
des  hommes  et  des  femmes  de  cette  trempe.  On  y suce  encore 
le  lait  des  convictions  fortes  jusqu’au  sacrifice  suprême  et  du 
dévouement  à Dieu  plus  fort  que  la  mort.  Les  prédications  et 
les  instructions  de  nos  pasteurs  produisent  encore  de  ces  vo- 
cations qui  permettent  à des  pères  et  à des  mères  d’envoyer 
leurs  enfants  au  poste  du  danger  et  de  renoncer  à eux-mêmes 
complètement... 

« C’est  un  honneur  pour  nos  Eglises  que  ces  sacrifices,  une 
preuve  de  leur  vitalité,  un  fruit  de  leur  piété  et  de  leur  amour. 
On  peut  encore  tout  espérer  d'Êglises  qui  suscitent  des  mis- 
sionnaires pareils  et  qui  les  remplacent  quand  ils  sont  tom- 
bés sur  le  champ  de  bataille.  On  a vu  avec  raison,  dans  les 
exploits  de  nos  soldats  de  Madagascar,  une  preuve  de  la  va- 
leur de  l’armée  française  et  de  la  France.  Il  faut  voir,  dans 
les  missions  dangereuses,  une  preuve  de  la  valeur  de  nos 
Églises.  Car  des  Églises  qui  produisent  des  « martyrs  » sont 
capables  de  réaliser  toutes  les  espérances  que  l’on  fonde  sur 
elles.  Au-dessous  de  l’apathie  extérieure  il  y a des  trésors  de 
renoncement  et  de  foi  que  mettent  à la  lumière  les  victoires 
sur  le  déficit  et  l'envoi  de  missionnaires  aux  postes  dange- 
reux... » 


Avons-nous  raison,  avons-nous  tort  de  publier  ces  lignes 
encourageantes?  Nous  croyons  qu’elles  pourront  faire  du 
bien,  à condition  de  nous  pousser  tous  : Églises,  familles, 
pasteurs,  simples  chrétiens,  à un  humble  retour  sur  nous- 
mêmes,  montrant  à chacun  où  il  en  est  de  sa  consécration 
à Dieu  et  de  ce  don  sans  réserve  qui  va  jusqu’au  sacrifice 
et  jusqu’à  la  mort. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


4-03' 


NOS  MISSIONNAIRES  EN  CONGÉ 

Il  ne  peut  entrer  dans  notre  pensée  de  suivre  pas  à pas 
nos  missionnaires  en  séjour  parmi  nous,  surtout  pendant  ce 
temps  de  congé;  cependant  nos  amis  nous  sauront  gré  de 
les  tenir  au  courant  de  leurs  mouvements. 

M.  Christol  s’est  installé  à Paris  avec  sa  famille  ; mais,  dès 
son  arrivée,  il  s’est  mis  à la  disposition  du  Comité  et  des 
Églises  pour  parler  des  missions  : c’est  ainsi  qu’il  a pu  se 
faire  entendre,  à plusieurs  reprises,  à Paris,  notamment  à 
la  fête  de  la  jeunesse;  àLaforce,  à Carcassonne,  à Montpellier, 
dans  le  Calvados,  ailleurs  encore. 

M.  Escande  a pu,  à peine  arrivé,  prendre  part  à la  fête  des 
missions  de  Saint-Jean-du-Gard.  M.  Ch.  Viénot  a représenté 
notre  Société  à la  fête  des  missions  de  la  vallée  de  la  Dor- 
dogne. 

MM.  Jacotiet  et  Z.  Jalla  sont  allés,  après  un  court  séjour  à 
la  Maison  des  missions,  s’installer  au  sein  de  leurs  familles, 
dans  leur  patrie  respective.  Le  commencement  de  leur 
congé  doit  être  consacré  à un  repos  bien  mérité;  cependant, 
on  ne  sera  pas  étonné  que,  l’un  et  l’autre,  nos  frères  aient  dù, 
à peine  arrivés,  prendre  part  à diverses  fêtes  et  réunions  des 
missions.  M.  L.  Jalla  nous  a fait  un  récit  touchant  de  la  ré- 
ception qui  lui  a été  faite  dans  son  pays.  Nous  en  reprodui- 
sons quelques  lignes  : 

«"A  Turin,  un  vrai  cortège  nous  attendait  à la  gare.  Pa- 
rents, amis,  tout  ce  qui  avait  pu  s’y  rendre  y était.  Le  vendredi 
soir,  les  Unions  de  jeunes  gens  et  de  jeunes  filles  s’étaient 
concertées  d’avance  pour  nous  souhaiter  ensemble  la  bienve- 
nue et  avaient  invité,  de  plus,  nos  nombreux  parents  de  Tu- 
rin. Nous  eûmes  une  charmante  soirée,  avec  chœurs  composés 
tout  exprès  pour  notre  retour,  surabondance  de  fleurs,  ra- 
fraîchissements, etc.  Les  quatre  pasteurs  vaudois  de  Turin  y 
étaient,  et  même  ceux  des  autres  dénominations.  Nous  étions 


404 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


confus  de  tout  l’intérêt  qu’on  nous  témoignait.  Oh!  si  ma 
mère  était  encore  là,  comme  ces  joies  du  retour  eussent  été 
complètes,  mille  fois  plus  douces  ! 

« Nous  sommes  montés  à La  Tour  le  samedi  soir.  On  aurait 
dit  que  connus  et  inconnus  avaient  été  prévenus  de  notre  ar- 
rivée. Entre  autre,  notre  Mofaéa  (1)  excita  une  telle  curiosité 
parmi  les  gamins  de  La  Tour,  qu’ils  formèrent  groupe  au- 
tour d’elle,  et  elle  en  sanglota  de  la  station  à la  maison.  Oh! 
cette  maison  sans  ma  chère  mère  ! Sa  pensée  était  dans  nos 
cœurs  à tous,  et  les  pleurs  se  mêlaient  à la  joie  de  se  retrou- 
ver. Tous  nos  plus  proches  parents  ici  soupèrent  et  passè- 
rent la  soirée  avec  nous. 

« On  voulut  nous  souhaiter  publiquement  la  bienvenue,  le 
dimanche  soir,  au  temple  de  Saint-Jean.  On  avait  renvoyé 
jusque-là  l’inauguration  de  la  lumière  électrique.  Nous  pen- 
sions n’y  trouver  que  des  amis  de  Saint-Jean  : aussi  vous  de- 
vinez notre  surprise  en  y trouvant,  malgré  l’heure  tardive, 
tous  les  pasteurs  du  Val  Pelis  et  jusqu’à  M.  et  madame  Weit- 
zecker,  venus  exprès  du  Pomaret,  et  puis  une  foule!  Le 
temple  en  regorgeait;  il  y avait,  en  tous  cas,  plus  d’un  mil- 
lier de  personnes.  Nous  ne  savions  où  nous  cacher,  et  il  fallut 
se  tenir  sur  l’estrade.  Un  chœur,  très  bien  exercé,  dirigea 
plusieurs  chants  pour  la  circonstance.  Il  y avait  là  des  per- 
sonnes venues  de  loin,  très  loin  même.  M.  W.  Meille  nous 
souhaita  la  bienvenue  au  nom  de  tous,  puis  nous  offrit  un 
splendide  service  de  communion  et  le  portrait  de  ma  mère, 
en  grandeur  naturelle.  Je  répondis,  naturellement;  puis  cha- 
cun des  pasteurs  parla  à son  tour.  A dix  heures  et  demie 
passés  on  sortait,  après  une  collecte  pour  le  Zambèze. 

« Oh!  que  j’aimerais  avoir  une  parole  plus  éloquente  et 
plus  chaleureuse  que  la  mienne  pour  mieux  nourrir,  au  pro- 
fit des  missions,  la  sympathie  dont  on  nous  entoure...  » 

N’est-il  pas  vrai  que  de  semblables  tableaux  font  toucher 
du  doigt  tout  le  profit  qu’une  Église  tire  de  ce  qu  elle  fait 


(1)  Petite  Zambézienne  qui  accompagne  M.  et  madame  Jalla. 


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pour  les  missions?  En  donnant  son  intérêt,  son  argent,  ses 
enfants,  c’est  pour  elle  qu’elle  travaille,  c’est  elle-même 
qu’elle  eurichit  tout  en  faisant  du  bien  aux  païens. 

Quant  à M.  Coillard , il  est  actuellement  à Contrexeville 
faisant  une  cure.  Il  s’y  trouve  assez  seul,  mais  jouit,  nous 
écrit-il,  de  cette  solitude  qui  lui  procure  un  repos  bien  néces- 
saire et  lui  permet  de  mettre  à jour  sa  correspondance.  Avant 
de  s’y  installer,  il  avait  pris  part,  en  Angleterre,  aux  réunions 
de  Guildford  et  de  Keswick,  réunions  auxquelles  participent 
des  milliers  de  chrétiens  venus  de  tous  côtés  pour  chercher, 
dans  la  prière  et  l’étude  de  la  parole  de  Dieu,  le  secret  d’une 
communion  renouvelée  avec  le  Maître  et  d’une  force  nouvelle 
pour  son  service.  Notre  missionnaire  a beaucoup  joui  de  ce 
temps  de  retraite.  A Guildford,  comme  à Keswick,  il  a joui  de 
tout  ce  que  l’hospitalité  chrétienne  la  plus  délicate  peut  offrir 
à un  serviteur  de  Dieu,  fatigué.  A Keswick,  il  a eu  le  privilège 
de  demeurer  sous  le  même  toit  que  le  missionnaire  Hudson 
Taylor.  Il  écrit  à ce  propos  : 

« Avant  de  nous  être  vus,  nous  n’étions  pas  des  étrangers; 
nous  devînmes  amis,  je  crois  que  je  puis  le  dire  sans  ostenta- 
tion. Les  réunions  ont  été  bien  belles  et  bien  bonnes.  J’aurais 
voulu  que  vous  fussiez  à ce  festin  spirituel.  La  vue  seule  de 
ces  milliers  de  personnes  qui,  une  heure  à l’avance,  cher- 
chent une  place  dans  cette  énorme  tente  — elle  en  contient 
trois  mille,  dit-on  — est  frappante...  Ce  qui  m’a  fait  le  plus 
de  bien,  ce  sont  les  études  bibliques  de  M.  Hubert  Brooke. 
J’irais  à dix  lieues  pour  en  entendre  une...  » 

M.  Goillard  nous  donne  ensuite  des  nouvelles  des  deux 
Zambéziens  qu’il  a ramenés  avec  lui  : « Je  les  ai  placés  chez 
M.  H.  Grattan  Guinness,  à Cliff.  Sémonji  est  aimé  de  tout  le 
monde,  et,  jusqu’à  présent,  ne  me  donne  que  de  la  joie.  Oh! 
que  Dieu  le  garde  humble  et  droit.  Samata  a donné  d’abord 
un  peu  plus  de  peine.  Actuellement  on  est  content  de  lui. 
Mais  c’est  sa  conversion  qu’il  nous  faut,  n’est-ce  pas? 

« J’ai  eu,  ici  et  là,  l’occasion  de  parler  de  notre  mission. 


406 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Si  vous  saviez  comme  mon  cœur  brûle  en  pensant  au  Zam- 
bèze ! Notre  dernier  deuil  est  un  coup  de  tonnerre.  Réveil- 
lera-t-il nos  Églises  et  nos  jeunes  gens?  Eh  bienl  oui,  je  le 
crois.  Il  nous  faut  quinze  ouvriers  pour  le  Zambèze...  quinze. 
« Quinze I vous  n’y  pensez  pas,  me  dit  quelqu’un  en  levant 
« les  mains  au  ciel.  Et  où  prendre  l’argent?  » — Eh  bien! 
oui,  levons  les  mains  au  ciel,  les  cœurs  aussi,  et  nous  aurons 
les  hommes  et  l’argent,  quelque  audacieux  que  cela  paraisse. 
Je  ne  puis  pas  m’agenouiller  sans  crier  : «Et  les  quinze,  Sei- 
gneur? » (Rom.  VIII,  26.) 

♦ I "I  IIO  O'  ÜUL 

NOTES  Dü  MOIS 


Les  Examens  semestriels  de  la  Maison  des  missions  ont  eu 
lieu  le  24  juillet.  La  rentrée  des  élèves  aura  lieu  le  16  octo- 
bre. Cette  date  a été  choisie  pour  laisser  à M.  Krüger  la 
marge  nécessaire  à son  voyage  de  retour.  Nous  sommes  heu- 
reux d’ajouter  que,  selon  toute  probabilité,  M.  Krüger  pourra 
être  des  nôtres  à la  date  choisie. 

Une  épreuve  particulièrement  douloureuse  vient  d’attein- 
dre la  famille  d’un  des  ouvriers  de  la  mission  romande.  Le 
31  juillet,  nous  avions  la  joie  de  saluer,  à la  Maison  des  mis- 
sions, à leur  passage  à Paris,  M.  et  madame  Henri  Junod,  re- 
venant de  Delagoa-Bay,  pour  leur  premier  congé  d’Europe. 
Ils  ramenaient  avec  eux  leur  deuxième  enfant,  une  petite 
fille  de  seize  mois  environ.  Nous  fûmes  frappés  des  ravages 
que  le  climat  de  la  côte  insalubre  où  travaillent  nos  frères 
romands  avait  faits  dans  cette  constitution  d’enfant.  Ce- 
pendant M.  et  madame  Junod  nous  assurèrent  que  depuis 
plusieurs  mois  la  santé  de  l’enfant  s’était  consolidée,  et  que 
le  bon  air  de  la  Suisse  ferait  le  reste.  Hélas  ! le  soir 
même,  en  chemin  de  fer,  une  crise  se  produisit;  les  pauvres 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


407 


parents  durent  descendre  à Laroche,  dans  l'Yonne,  et  c’est 
là,  dans  un  petit  hôtel,  qu’ils  virent  expirer  leur  enfant  au 
bout  de  vingt  heures  de  souffrances.  Le  lendemain,  ils  arri- 
vèrent à destination  avec  un  cercueil.  La  sympathie  de  tous 
les  amis  des  missions  entourera  certainement  notre  frère 
et  notre  sœur  dans  leur  deuil. 


SITUATION  FINANCIÈRE 
le  20  août  1896. 

Notre  trésorier  nous  communique  la  note  suivante  : 

Pour  faire  face  à la  dépense  prévue  pour  1896-97,  qui 
est  de 373,000  » 

Il  faudrait  une  recette  mensuelle  de  31,000  francs,  ce  qui 
fait  pour  les  4 mois  et  20  jours  écoulés,  du  1er  avril  au 
20  août  1896,  un  chiffre  total  de 145,800  > 

Nous  n’avons  .reçu  jusqu’à  ce  jour,  pendant  le  même 

laps  de  temps,  qu’une  somme  de 55,000  » 

faisant  une  différence  en  moins  de 89,200  - 

Les  recettes  du  Zambèze  sont  à ce  jour  de 38,767  70 

au  lieu  de 9,300  » 

qu’on  avait  reçus  l’année  dernière  à pareille  époque. 

Nos  lecteurs  l’auront  remarqué  ; c’est  la  première  fois,  en 
ce  nouvel  exercice,  que  nous  publions  cette  situation  finan- 
cière, destinée  à mettre  sous  leurs  yeux,  mois  après  mois,  les 
besoins  de  notre  œuvre  et  les  efforts  accomplis. 

Nous  attirons  l’attention  des  amis  des  missions  sur  le  chif- 
fre de  la  dépense  prévue.  Ce  chiffre  est  sensiblement  plus 
élevé  que  l’an  dernier.  Cela  provient  du  fait  que  le  Comité  a 
voulu,  en  votant  le  budget  de  l’année,  tenir  compte  de  tous 
les  besoins  des  divers  champs  de  missions  et  de  tous  les  ren- 
forts votés.  C’est  ainsi  que  ce  budget  comprend  l’envoi  d'un 
missionnaire  à Maré;  l’envoi  d’un  missionnaire  à Taïti;  le 


408 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


remplacement  d’un  des  missionnaires  que  la  mort  et  les  dé- 
parts ont  pris  au  Lessouto;  d’autres  crédits  encore.  Enfin, 
une  certaine  marge  a été  laissée  à l’imprévu,  qui  ne  manque 
jamais  de  se  produire. 

En  un  mot,  le  Comité  s’est  placé  en  présence  de  ses  divers 
champs  de  travail,  et  il  a voté  à chacun,  non  pas  tout  ce  qu’il 
voudrait  pouvoir  lui  accorder,  mais  les  secours  qui  lui  ont 
paru  indispensables  à sa  bonne  marche.  En  le  faisant,  il  a 
compté  sur  le  secours  de  Dieu,  qui  ne  lui  a jamais  fait  défaut 
jusqu’à  ce  jour;  il  a compté  aussi  sur  nos  Églises,  qui  ne  nous 
abandonneront  pas,  nous  en  avons  la  conviction,  aussi  long- 
temps qu’elles  nous  verront  marcher  dans  les  voies  de  cette 
fidélité  qui  ne  veut  accepter  de  tâche  nouvelle  que  de  la  main 
de  Dieu,  mais  qui,  une  fois  un  devoir  clairement  imposé,  s’y 
soumet  sans  arrière-pensée  et  entend  l’accomplir  jusqu'au 
bout. 

Nos  amis,  nous  en  avons  l’assurance,  nous  aideront,  cette 
année  encore,  à marcher  dans  cette  voie  de  courage  et  de 
fidélité. 

En  fait,  si  la  somme  que  nous  leur  demandons  pour  l’œu- 
vre générale  dépasse  celle  que  nous  réclamions  il  y a un  an, 
elle  n’est  supérieure  que  de  quelques  milliers  de  francs  à celle 
qu’ils  nous  ont  effectivement  procurée.  Ce  qu’ils  ont  fait  en 
1895-1896,  ils  le  feront  cette  année  encore,  et  ils  sauront  y 
ajouter  cet  effort  supplémentaire,  toujours  nécessaire  pour 
confirmer  une  victoire  remportée  par  une  nouvelle  victoire. 

Nous  devons  encore  rappeler  que  l’œuvre  du  Zambèze  et 
celle  de  Madagascar  sont  défrayées  toutes  deux  par  des 
caisses  spéciales.  Celle  de  Madagascar  a été  alimentée  jus- 
qu’à ce  jour  par  une  série  de  dons  individuels,  qui,  nous  y 
comptons  fermement,  se  renouvelleront  et  se  multiplieront  à 
mesure  que  la  tâche  à remplir  dans  la  grande  île  africaine  se 
montrera  plus  clairement  à nous,  avec  ses  exigences,  qui  se- 
ront certainement  considérables.  Nous  avons  la  ferme  con- 
fiance qu’à  l'œuvre  nouvelle  que  Dieu  nous  impose  à Mada- 
gascar correspondent,  dans  nos  Églises,  des  énergies,  des 


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409 


ressources  en  hommes  et  en  argent  qui  se  manifesteront  au 
fur  et  à mesure  des  besoins.  Une  statistique  récente,  dressée 
d’après  notre  dernier  Rapport,  ne  nous  rappelait-elle  pas 
qu’il  y a environ  380  de  nos  Églises  sur  800  qui  ne  font  rien 
pour  les  missions?  Et,  parmi  celles  qui  donnent,  combien  en 
est-il  qui  bornent  leur  coopération  à un  minimum  indigne 
d’elles-mêmes  ! Dans  notre  profonde  conviction,  l'œuvre  de 
Madagascar  est  la  mise  en  demeure  adressée  'par  Dieu  à nos 
Eglises  de  France  d'avoir  à rectifier  la  proportion  de  leur  par - 
ticipation  à V œuvre  des  Missions. 

Signalons,  en  terminant,  avec  une  profonde  reconnais- 
sance, l’état  réjouissant  de  la  caisse  du  Zambèze , qui  est  en 
grand  progrès  sur  l’an  dernier. 


MADAGASCAR 

Départ  de  M.  Krüger  pour  l’Afrique  méridionale.  — Attaques 
et  calomnies.  — Départ  de  M.  Escande. 

C’est  le  27  juin  que  nos  deux  délégués  se  sont  séparés. 
M.  Lauga,  après  avoir  énuméré  les  compagnons  de  voyage  de 
M.  Krüger,  ajoute  : « On  le  voit,  notre  ami  est  en  bonne  com- 
pagnie; et,  quant  à la  partie  du  voyage  qui,  hélas!  est  dan- 
gereuse, il  la  fera  sous  forte  escorte  militaire,  en  profitant  des 
patrouilles  qui  sillonnent  la  route  pour  la  tenir  libre.  De  nom- 
breux amis  ont  accompagné  les  voyageurs  jusqu’au  rocher 
traditionnel  d’Ambatomaro,  situé  à cinq  kilomètres.  Quant  à 
moi,  j’ai  poussé  plus  loin  et  ne  me  suis  séparé  de  mon  ami 
qu’à  moitié  chemin  d’Isoavina,  et  à une  dizaine  de  kilomètres 
de  Tananarive.  J’ai  eu  en  le  quittant,  et  pendant  vingt-cinq 
minutes  environ,  un  mauvais  moment  : j’avais  le  cœur  serré, 
et  la  pensée  de  la  responsabilité  qui  va  peser  sur  mes  seules 
épaules  au  moment  peut-être  le  plus  difficile  de  notre 


410 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


mission,  m’a  donné  de  l’angoisse.  Mais  je  me  suis  recueilli  et 
ressaisi,  et  je  compte  sur  Dieu  pour  peupler  ma  solitude  et 
m'aider  dans  ma  tâche.  » 

Nous  n’avons  pas  beaucoup  de  détails  sur  le  voyage  de 
M.  Krüger  jusqu’à  la  côte.  Il  s’est  effectué  sans  incident, 
grâce  surtout  à l’escorte  militaire  dont  le  convoi  était  pourvu. 
En  effet,  à peu  d’heures  du  passage  de  ce  convoi,  un  voya- 
geur avait  été  assailli  et  pillé  par  les  Fahavalos. 

L'embarquement  à Tamatave  devait  se  faire  le  30  juin  ou 
le  1er  juillet.  En  réalité  il  n’a  eu  lieu  que  le  8 de  ce  mois,  le 
navire  sur  lequel  M.  Krüger  devait  prendre  passage  ayant  eu 
du  retard.  Le  débarquement  à Durban  aura  sans  doute  été  re- 
tardé d’autant,  peut  être  jusqu’aux  premiers  jours  d’août  (1). 
La  longueur  du  trajet  s’explique  par  l’itinéraire  du  paquebot 
qui  touche  à la  Réunion  et  à l’ile  Maurice  avant  de  rebrous- 
ser chemin  et  de  se  diriger  sur  Durban  (2). 

Revenons  à Madagascar  et  donnons  une  pensée  d’affection 
et  de  sollicitude  à celui  de  nos  délégués  qui  y reste  seul  et 
dans  une  situation,  hélas!  moins  favorable  qu’aux  premiers 
jours.  En  terminant  sa  lettre,  M.  Lauga  en  dit  quelques  mots, 
puis  il  ajoute  : «Les  difficultés  grandissent,  et  j’ai  besoin 
d’une  double  mesure  de  l’esprit  de  prudence,  de  sagesse  et 
de  force  que  Dieu  seul  peut  donner.  » 

Dans  une  dépêche  reçue  il  y a quelques  jours,  M.  Lauga, 
répondant  au  vœu  qui  lui  avait  été  exprimé  de  le  voir  pro- 
longer son  séjour  et,  si  possible,  de  se  charger  de  l’œuvre 
de  Madagascar  à titre  définitif,  nous  annonce  qu’il  lui  est  im- 
possible de  déférer  à ce  vœu,  mais  qu’il  attendra  son  succes- 
seur jusqu’en  novembre. 

Heureusement,  il  ne  sera  pas  obligé  de  l’attendre  si 
longtemps.  Aujourd’hui  même,  24  août,  M.  Escande  doit 


(1)  Voir  les  nouvelles  de  la  dernière  heure,  à la  fin  de  cet  article. 

(2)  Il  arrive  parfois  que  ce  hateau  touche  Tamatave  en  revenant  de 
l'île  Maurice  ; mais  cette  escale  n’a  lieu  qu’exceptionnellement.  Si  elle 
était  régulière,  M.  Krüger  aurait  pu  rester  dix  à quinze  jours  de  plus  à 
Madagascar. 


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être  arrivé  à Marseille;  demain  il  s’embarquera  à bord  de 
l’ Iraouaddy . Si  rien  ne  s’y  oppose,  il  pourra  être  rendu  à 
Tamatave  les  premiers  jours  d’octobre. 

L’époque  de  l’année,  la  dispersion  générale  des  membres 
du  Comité,  et  le  fait  que  M.  Escande  a pris  ses  vacances  en 
Suisse,  dans  la  famille  de  sa  femme,  ont  empêché  d’organiser, 
à l’occasion  de  son  départ,  une  réunion  d’adieux  qui,  en  toute 
autre  saison,  eût  répondu  aux  vœux  des  amis  des  missions. 

Il  importait  cependant  que  M.  Escande  ne  partît  pas  pour 
Madagascar  sans  avoir  pu  s’entretenir  avec  un  représentant 
du  Comité.  Le  directeur  de  la  Maison  des  missions  a pu  se 
rendre  dans  le  Valais,  où  se  trouvait  M.  Escande,  et,  dans  un 
service  intime,  invoquer  sur  lui  et  sur  tous  les  intérêts  engagés 
dans  son  voyage,  la  bénédiction  de  Dieu.  Le  Comité  auxiliaire 
de  Marseille  se  proposait,  de  son  côté,  d’organiser  une  réu- 
nion d’adieux  le  24  août  dans  l’après-midi  (1). 

Avant  de  terminer  cet  article,  nous  devons  dire  un  mot 
d’un  incident  que  les  journaux  politiques  ont  fait  connaître  à 
la  plupart  de  nos  lecteurs.  Nos  délégués  ont  décidé,  après  y 
avoir  mûrement  réfléchi,  d’accepter  la  proposition  qui  leur 
a été  faite  d’amener  en  France  et  de  placer  dans  une  famille 
chrétienne  un  jeune  prince  malgache,  appelé  Rakotoména, 
âgé  de  dix-huit  ans,  et  auquel  on  espère  fournir  ainsi  le 
moyen  de  commencer  une  vie  nouvelle.  En  acceptant  de  se 
charger  de  ce  compagnon  de  voyage,  M.  Kriiger  n’a,  certes, 
pas  obéi  à ses  préférences,  mais  à ce  qui  lui  a paru,  comme 
à M.  Lauga,  son  simple  devoir  de  chétien  et  de  Français. 

La  voyage  du  jeune  prince  malgache  n’en  a pas  moins 
fourni  l’occasion  d’une  attaque  indirecte,  mais  d’autant  plus 
dangereuse,  contre  notre  Société.  Sa  prochaine  arrivée  a été 
signalée  au  ministre,  dans  une  lettre  rendue  publique  et  qui 
établissait  une  solidarité  compromettante  entre  un  de  nos  dé- 

(1)  Notons,  pour  éviter  toute  interprétation  inexacte  des  faits,  que 
c’est  en  réponse  à une  question  posée  par  le  directeur  que  M.  Escande 
a envoyé  le  télégramme  par  lequel  il  se  mettait  à la  disposition  du  Co- 
mité. (Voir  p.  361.) 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


légués  et  un  jeune  homme  que  l’on  représentait  comme  un 
ennemi  de  la  France  et  un  des  auteurs  responsables  de  la 
dernière  guerre.  Pour  achever  de  nous  nuire,  l’auteur  de  la 
lettre  ajoutait  que  le  prince,  « qu’accompagne  le  pasteur 
Krüger  »,  avait  choisi  la  voie  anglaise , par  crainte  de  se  voir 
refuser  le  passage  sur  les  bateaux  français. 

Le  directeur  a rectifié  les  faits  dans  les  journaux  qu’il  a pu 
atteindre;  en  même  temps  il  s’est  adressé  au  gouvernement 
et,  en  mettant  sous  les  yeux  du  Ministre  tous  les  renseigne- 
ments que  la  Société  possède,  il  n’a  pas  eu  de  peine  à montrer 
dans  quel  esprit  a été  prise  la  mesure  incriminée,  — mesure 
qui  n’eût  certainement  recueilli  que  des  éloges  de  la  part  de 
ceux  qui  l’incriminent,  si  elle  avait  été  prise  et  exécutée  par  la 
mission  catholique. 

Si  nous  mentionnons  ici  cet  incident,  ce  n’est  pas  pour  as- 
socier le  Journal  des  Missions  aux  polémiques  que  ne  man- 
quera pas  de  soulever,  dans  l’avenir  comme  dans  le  passé, 
l’intervention  de  nos  Églises  à Madagascar.  Nous  tenions 
seulement  à montrer  à nos  lecteurs  à quelles  attaques,  à 
quelles  difficultés  nous  expose  l’accomplissement  du  devoir 
qu’après  mûre  réflexion  nous  avons  discerné  et  accepté  de 
remplir  dans  la  grande  île  africaine.  Nous  devons  nous  at- 
tendre à voir  nos  pas  épiés,  nos  démarches  travesties,  nos 
intentions  dénaturées.  Il  y a quelques  mois  déjà,  dans  une 
intention  facile  à pénétrer,  certaines  correspondances  de  Ma- 
dagascar représentaient  nos  délégués  comme  ayant  assisté  à 
une  réunion  de  pasteurs  indigènes  où  un  missionnaire  anglais 
avait,  dit-on,  ouvertement  prêché  la  révolte.  Il  suffit  d’une  mi- 
nute de  réflexion  pour  voir  apparaître,  dans  toute  son  énor- 
mité, la  fausseté  de  ce  récit  : un  fait  de  ce  genre  eût  appelé, 
de  la  part  des  autorités,  une  répression  aussi  rapide  que  mé- 
ritée. Mais  qu’importe!  On  sait  le  pouvoir  de  la  calomnie 
lancée  à propos.  Si  nous  en  parlons,  ce  n’est  pas,  encore 
une  fois,  pour  entreprendre  ici  de  réfuter,  encore  moins 
de  discuter  les  mensonges  que  l’on  invente  contre  nous; 
c’est  seulement  pour  mettre  en  garde  nos  amis  contre  les 


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413 


informations  qu’ils  pourraient  trouver  dans  les  journaux; 
c’est  aussi  pour  les  préparer  à une  conséquence,  hélas!  pré- 
vue dans  l’œuvre  de  Madagascar,  conséquence  pénible,  mais 
inévitable,  qu’il  nous  faut  accepter,  en  nous  souvenant  que 
nous  sommes  les  disciples  de  Celui  qui  a dit  : « Heureux 
serez-vous  lorsque  les  hommes  vous  diront  des  injures  et  di- 
ront faussement  contre  vous  toute  sorte  de  mal...  » 

Que  notre  œuvre  reste  seulement  son  œuvre,  que  son 
Esprit  continue  seulement  à nous  inspirer  et  à nous  con- 
duire, et  alors,  en  effet,  qu’importent  les  attaques  et  les  ca- 
lomnies des  hommes  ! 

Dernière  heure.  — Nous  recevons,  en  même  temps,  une 
lettre  de  M.  Krüger,  datée  du  27  juillet,  et  annonçant  son 
arrivée  à Durban,  et  une  lettre  de  M.  Dietprlen,  datée  du 
2 août,  et  mentionnant  que,  l’avant-veille,  le  31  juillet,  il  a 
eu  la  joie  de  rencontrer  M.  Krüger  à Harrismith,  ville  de 
l’État  libre  de  l’Orange,  située  au  nord  du  Lessouto. 

L’état  de  santé  de  M.  Krüger  se  ressentait  encore,  à ce  mo- 
ment, de  la  fatigue  et  des  émotions  qui  avaient  marqué  la 
fin  de  son  séjour  à Madagascar.  Aussi  a-t-il  dû  se  résigner  à 
faire  dans  la  voiture  de  la  poste  le  trajet  de  Harrismith  à 
Kalo,  au  lieu  de  faire  le  voyage  à cheval,  comme  il  avait 
d’abord  été  convenu.  Nous  ne  doutons  pas  que  le  climat  sa- 
lubre de  l’Afrique  méridionale  n’achève  de  remettre  M.  Krü- 
ger. 

Une  lettre  de  M.  Escande,  datée  de  Marseille,  du  25  août, 
nous  informe  que  la  réunion  d’adieux,  dont  il  a été  fait  men- 
tion plus  haut,  a eu  lieu  le  24,  à trois  heures,  dans  la  salle  du 
Consistoire,  sous  la  présidence  de  M.  le  pasteur  Thraen,  avec 
le  concours  de  toutes  les  Églises.  Le  soir  du  même  jour,  une 
réunion  de  prières  a encore  été  tenue  à la  chapelle  de  l’Église 
libre. 


4U 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


LESSOUTO 


AU  JOUR  LE  JOUR 

( Extraits  du  Journal  d'un  missionnaire.  ) 

Suite  et  fin  (1). 

3 mars.  — Le  chef  Motsuéné,  quoique  possédant  déjà  une 
vingtaine  de  femmes,  est  en  train  d’en  épouser  en  même 
temps  deux  nouvelles,  comme  son  oncle  Jonathan,  qui  s’est 
marié  cinq  fois  l’année  dernière.  L’une  des  fiancées  (excusez  1 
la  profanation  de  ce  mot  si  poétique)  est  la  sœur  du  grand’-  * 
père  de  Motsuéné,  donc  sa  grand’tante.  Elle  est  pourtant  de 
beaucoup  plus  jeune  que  lui.  En  Europe,  chose  pareille  serait 
impossible.  Vous  criez  à la  plaisanterie,  vous  croyez  à une 
mystification?  Dans  les  pays  où  règne  la  polygamie,  cela  j 
s’explique  et  se  comprend.  L’arrière-grand-père  de  Motsuéné, 
le  célèbre  chef  Moshesh,  épousa  des  jeunes  filles  jusque  dans  ; 
l’âge  le  plus  avancé,  c’est-à-dire  qu’il  en  achetait  (car  c’est  1 
presque  un  achat  dans  la  pratique)  pour  une  trentaine  de  ; 
bêtes  à cornes  chacune.  Quand  il  mourut,  ces  jeunes  filles  \ 
épousèrent  à d’autres  hommes  et  eurent  des  enfants.  Ces  en- 
fants, nés  longtemps  après  la  mort  du  mari  officiel  de  leurs 
mères,  ce  sont  pourtant  des  fils  et  des  filles  de  Moshesh, 

« puisque  c’est  lui  qui  a donné  le  bétail».  Ainsi,  un  homme 
peut  avoir  des  enfants  vingt  ans  après  sa  mort,  des  enfants 
qui  se  réclament  et  se  glorifient  de  son  nom,  et  qui  disent;  en 
se  rengorgeant  : Je  suis  un  enfant  de  Moshesh. 

Cette  fille  qui  épouse  son  petit-neveu,  de  vingt  ans  plus  âgé 
qu’elle,  sait  que  sept  femmes  de  son  fiancé  l’ont  déjà  quitté 
pour  cause  de  mauvais  traitements;  qu’il  lui  en  reste  une 
quinzaine  d’autres,  et  qu’il  courtise  une  autre  fille  en  même 
temps  qu’elle-même.  Elle  est  convertie,  elle  est  catéchumène. 


(1)  Voir  page  365. 


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415 


Mais  pensez  : devenir  la  femme  du  gros  chef  Motsuéné,  ne 
fût-ce  que  la  vingt-septième,  quel  honneur  ! Folle  qui  s’y  re- 
fuserait ! 

Dans  quelques  mois,  elle  nous  reviendra  en  pleurs  et  des 
bleus  sur  tout  le  corps...  Mais  que  de  gens  n’apprennent  la 
sagesse  et  n’écoutent  les  bons  conseils  qu 'après  avoir  fait  une 
sottise  ! 

Mais  pardon  d’avoir  parlé  polygamie.  C’est  un  monde  si 
plein  de  turpitudes  qu’on  ne  peut  y faire  allusion  sans  cho- 
quer les  oreilles  si  délicates  des  Européens. 

7 mars . — Dimanche  dernier,  à la  requête  de  notre  reine, 
qui  est  chrétienne,  nous  avons  prié  pour  la  pluie,  dont  nous 
avons  un  besoin  urgent  pour  les  champs.  Quoique  convoqués 
par  messagers  spéciaux,  les  païens  ne  sont  pas  venus  s’asso- 
cier à nous.  Il  yen  avait  vingt  au  plus.  Mais,  la  veille,  ils 
avaient  « chanté  pour  la  pluie  » dans  la  capitale  et  dans  le 
village  du  défunt  grand  chef  du  district.  Le  paganisme, 
quoique  essentiellement  conservateur,  tolère  cependant  quel- 
ques innovations.  Il  y a près  d’ici  un  bonhomme  qui  se  dit  en 
communication  spéciale  avec  les  morts  et  qui  apporte  leurs 
oracles  aux  vivants.  On  le  croit,  bien  entendu,  puisqu’il  dit 
que  c’est  vrai  et  qu’il  y a du  mystère  dans  ses  actes.  C’est  lui 
qui  mène  chefs  et  gens  comme  il  veut,  et  qui  indique  ce  qu’il 
faut  faire  pour  qu’il  pleuve.  Cette  fois-ci,  il  a déclaré  qu’il  lui 
fallait  des  singes  ! Un  grand  chef  et  ses  hommes  se  sont  lancés 
dans  les  montagnes,  et,  après  une  chasse  fatigante,  ont  rap- 
porté trois  singes  morts  et  un  petit  vivant.  «Ce  n’est  pas 
cela,  leur  a-t-il  été  répondu.  Il  me  faut  un  singe  vieux, 
n’ayant  plus  de  dents.  » Comme  si  cela  se  trouvait  facile- 
ment, un  singe  pareil!... 

Les  païens,  chefs  en  tête,  ont  donc  recouru  à leurs  ancêtres 
pour  obtenir  de  la  pluie,  pendant  que  la  poignée  de  chrétiens 
que  nous  sommes  la  demandait  à Dieu. 

Dieu  soit  loué,  les  prières  des  chrétiens  n’ont  pas  été  exau- 
cées. Il  n’a  pas  plu  et  il  ne  pleut  pas.  Nous  avions  raison  de 
crier  à Dieu,  mais  nous  priions,  dans  notre  ignorance,  sans 


416 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


nous  douter  que  les  païens  travaillaient  de  leur  côté  et  à leur 
manière.  S’il  avait  plu,  ils  se  seraient  attribué  le  succès,  et 
leurs  superstitions  auraient  été  renforcées  et  glorifiées;  le 
nom  de  Dieu  aurait  été  blasphémé  plus  que  jamais. 

Ah!  non!  Périssent  nos  récoltes  et  que  nos  prières  soient 
écartées,  mais  que  le  nom  de  Dieu  et  son  Église  ne  soient  pas 
davantage  livrés  aux  injures  et  aux  risées  des  païens!  Que  le 
paganisme  n’augmente  pas  son  prestige! 

Qu’il  fait  bon,  en  priant,  savoir  que  Dieu  se  réserve  le  droit 
de  ne  pas  exaucer  toutes  nos  prières  et  fait  le  triage  entre  ce 
que  nous  pouvons  recevoir  et  ce  qui  doit  nous  être  refusé.  Ce 
qui  nous  encourage  à tout  demander  avec  foi,  ce  n’est  pas  la 
certitude  que  Dieu  nous  donnera  tout  ce  que  nous  demandons 
ainsi,  mais  celle  qu’il  ne  nous  donnera  que  ce  qui  est  réelle- 
ment bon  et  d’accord  avec  sa  sagesse,  qui  est  sainte,  bonne, 
clairvoyante  et  prévoyante.  Quand  il  ne  nous  exauce  pas, 
nous  pouvons  être  sûrs  qu’il  a de  bonnes  raisons  pour  cela, 
même  sans  que  nous  les  connaissions. 

Le  vieux  Mahonko  — un  païen  qui  ne  manque  pas  un  culte 
le  dimanche  — est  venu  me  voir  avec  sa  seconde  femme, 
’Mamakéfolané.  Encore  une  de  ces  situations  embrouillées 
que  crée  la  polygamie!  Mahonko  était  un  des  grands  conseil- 
lers de  Molapo.  Son  chef  lui  dit  un  jour  : « Tu  te  fatigues  à 
venir  chaque  jour  ici  et  à rentrer  le  soir  dans  ton  village.  Il 
faut  que  tu  aies  un  ménage  chez  moi.  Je  te  donne  cette  jeune 
fille.  » Et  il  lui  donna  (ou  prêta)  une  étrangère,  dont  le  chef 
des  Amasuazi  lui  avait  un  jour  fait  cadeau,  comme  Loben- 
goula  qui,  il  y a trois  ans,  envoya  à Jonathan  deux  filles  et 
deux  garçons  en  signe  d’amitié. 

Mamakéfolané  s’est  convertie,  puis  est  allée  se  faire  bapti- 
ser par  les  anglicans,  en  général  peu  curieux  de  l’état  civil 
de  leurs  néophytes.  Elle  est  revenue  chez  nous  et  est  rede- 
venue catéchumène.  Que  faire  d’elle?  J’aurais  voulu  lui  dire: 
«Tu  n’as  ni  famille,  ni  patrie,  Mahonko  est  à la  fois  ton  mari 
et  ton  père.  Reste  sa  femme,  sois-lui  fidèle  ; je  te  recevrai 


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417 


quand  même  dans  l’Église.  » Mais  les  règlements  de  notre 
mission  s’y  opposent... 

Mahonko  est  donc  venu  pour  libérer  Mamakéfolané.  «Je  ne 
dirai  pas,  comme  Abraham,  qu’elle  est  ma  sœur  alors  qu’elle 
est  ma  femme  (réminiscence  d’une  de  mes  récentes  prédica- 
tions), mais  mes  prétentions  s’arrêteront  à ce  titre.  » La  voilà 
hors  d’embarras.  Je  la  recevrai  dimanche  prochain. 

Cela  réglé,  non  sans  émotion,  j’entreprends  Mahonko  lui- 
même,  lui  disant  que  ce  serait  pour  lui  aussi  le  moment  de  se 
donner  à Dieu.  Il  faut  croire  que  mes  traits  ont  frisé  son 
cœur  de  près,  car  tout  à coup  il  se  lève  et  se  dirige  vers  un 
porte-lettres  accroché  au  mur  : «Qu’est-ce  que  cet  animal? 
On  dirait  une  antilope.  » Et  il  montrait  un  chamois  sculpté 
sur  la  face  de  ce  porte-lettres. 

Voilà  comment  on  se  dérobe  à la  vérité,  au  salut  et  à Dieu, 
quand  on  n’en  veut  pas: «Qu’est-ce  que  cet  animal?»  — Créer 
une  diversion,  même  absurde,  fuir  les  appels  de  l’Évangile, 
couper  court  à un  entretien  gênant,  c’est  la  tactique  des 
païens  qui  ont  la  conscience  malade.  Malgré  cela,  ils  disent  : 
« Nous  ne  refusons  pas  de  nous  convertir;  nous  nous  conver- 
tirons quand  Dieu  s’occupera  de  nous,  quand  il  nous  appel- 
lera. » 

— 

ZAMBÈZE 

L’ÉCOLE  BIBLIQUE  DE  LÉALUYI 

(. Extraits  d'une  lettre  particulière  de  M.  A.  J alla.) 

Léaluyi,  29  janvier  1896. 

...  « Nous  devons  songer  à bâtir  notre  édifice  spirituel  avec 
les  matériaux  du  pays,  et  imprimer  dès  l’abord  un  caractère 
essentiellement  missionnaire  à notre  œuvre.  Il  faut  que  nous 
mettions  d’emblée  l’évangélisation  du  pays  sur  la  conscience 

31 


418 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


et  sur  le  cœur  de  nos  congrégations,  qu’elles  en  sentent  la 
responsabilité,  qu’elles  fournissent  les  ouvriers  et  les  fonds  si 
nécessaires.  C’est  une  question  urgente  : toutes  les  portes 
nous  sont  ouvertes;  le  seront-elles  longtemps? 

...  « Vous  savez  que  notre  vénéré  doyen  M.  Coillard  s'était 
déjà  occupé  pendant  près  d’un  an  de  l’instruction  de  quatre 
jeunes  gens  qui  se  destinaient  à évangéliser  ce  pays.  Hélas! 
de  ces  quatre,  il  n’en  reste  que  deux;  des  autres,  l’un  accom- 
pagnera probablement  M.  Coillard  en  Europe,  l’autre  est 
mort  subitement  le  1er  novembre  par  accident,  en  saisissant 
mal  son  fusil. 

« Ce  fut  le  16  septembre  que  je  fis  le  dernier  appel  à ceux 
qui  désiraient  se  vouer  à l’évangélisation  du  pays;  je  leur 
donnai  trois  jours  pour  peser  une  dernière  fois  les  mobiles  qui 
les  déterminaient.  Le  lendemain,  il  y en  eut  sept  qui  s’offri- 
rent. Le  21,  nous  eûmes  une  réunion  de  prières  spéciale  pour 
eux.  Le  23,  ils  comparurent  devant  la  Conférence  avec  les 
quatre  évangélistes  bassoutos  du  Borotsé  pour  subir  leurs 
examens  d’entrée.  Un  jeune  garçon  de  Kazungula,  amené  par 
mon  frère,  complétait  la  bande. 

« L’examen  ne  porta  que  sur  la  lecture,  l’écriture,  l’ortho- 
graphe et  les  connaissances  bibliques,  outre  ce  que  nous  vou- 
drions appeler  la  vocation.  Le  résultat  fut  satisfaisant.  La 
Conférence  décida  que  cinq  des  nouveaux  composeraient  la 
première  classe,  avec  les  deux  jeunes  gens  dégrossis  par 
M.  Coillard.  Les  trois  autres,  plus  faibles,  formeraient  une 
seconde  classe. 

« Le  4 octobre,  nos  frères  nous  quittaient  pour  rentrer  dans 
leurs  stations.  Le  7,  nous  ouvrions  l’école,  et  jusqu’au  nouvel 
an  je  m’occupai  des  nouveaux,  visant  surtout  à les  dégrossir 
et  à les  habituer  au  travail  intellectuel.  La  Conférence  avait 
insisté  sur  la  nécessité  d’unir  le  travail  manuel  aux  études 
proprement  dites.  Que  pouvions-nous  faire  de  mieux  que  de 
leur  faire  bâtir  leur  école?  Dès  le  lendemain,  ils  consacrèrent 
leurs  après-midi  à ces  travaux,  et  vous  auriez  joui  de  voir 
l’entrain  avec  lequel  ces  jeunes  gens  ont  apporté  du  sable 


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419 


pour  niveler  le  sol,  puis  préparé  et  hissé  les  pieux,  le  comble 
e t les  roseaux,  et  enfin,  comment  ils  ont  fait  le  couvrage  de 
chaume.  Notre  école  a une  douzaine  de  mètres  de  long  sur 
quatre  de  large  et  3m,75  de  haut  (je  parle  de  la  hauteur  des 
murs) . 

« Quand,  avec  ma  femme,  nous  allâmes  accompagner 
M.  Coillard,  ce  furent  nos  élèves  qui  conduisirent  notre  canot 
jusqu’à  Séoma,  aller  et  retour.  Nous  aurions  aimé  profiler  de 
l’occasion  pour  évangéliser  plusieurs  villages  avant  de  ren- 
trer sur  notre  station,  mais  la  famine  hâta  notre  retour.  Ce- 
pendant, tant  à.  Séoma  qu’à  Nguanama  et  à Itufa,  nos  élèves 
évangélistes  rendirent  leur  témoignage.  De  retour  ici  le  18  no- 
vembre, nous  reprîmes  les  leçons  et  les  travaux  le  2o.  Le 
8 courant,  le  jour  même  où  ils  achevaient  le  faîte  de  l’école, 
nous  eûmes  à la  chapelle  la  séance  d’entrée.  Le  roi,  tous  nos 
professants  et  beaucoup  d’élèves  y étaient  présents,  avec  quel- 
ques chefs.  Nos  amis  Béguin,  qui  étaient  venus  passer  avec  nous 
les  fêtes  de  Noël  et  du  nouvel,  an  étaient  encore  des  nôtres. 

Après  avoir  lu  quelques  versets  de  Ésaïe  VI,  Jér.  I et 
Rom.  X,  et  parlé  du  sérieux  et  de  la  beauté  de  la  vocation 
des  évangélistes,  M.  Béguin  leur  adressa  de  bonnes  paroles, 
principalement  sur  la  nécessité  d’apprendre,  avant  d’être  à 
même  d’enseigner.  Notre  évangéliste  Willie  s’arrêta  sur  les 
difficultés  que  tout  évangéliste  peut  s’attendre  à rencontrer. 
Mokamba,  que  les  lettres  de  M.  Coiliard  vous  ont  fait  con- 
naître, leur  dit  : « Nous  sommes  heureux  de  vous  voir  vous 
vouer  à l’évangélisation  du  pays,  persévérez.  Vos  compa- 
gnons ne  manqueront  pas  de  se  moquer  de  vous:  persévérez 
comme  Moïse,  qui  a préféré  être  méprisé  avec  le  peuple  de 
Dieu  plutôt  que  d’être  appelé  le  fils  de  la  fille  de  Pharaon, 
parce  qu'il  pensait  que  les  richesses  d’Égypte  étaient  péris- 
sables, taudis  que  Dieu  lui  en  réservait  d’éternelles.  Veillez 
sur  vous-mêmes,  car  désormais  on  ne  vous  appellera  plus 
seulement  croyants,  mais  évangélistes.  » Sébéo  leur  adressa 
aussi  d'excellentes  paroles  : « Mes  frères,  sachez  que  dès 
aujourd’hui  on  se  moquera  de  vous  en  disant  : vous  voulez 


420 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


faire  les  blancs  tout  en  étant  noirs  comme  nous;  où  avez- 
vous  trouvé  ces  choses?  N'importe,  prenez  courage.  » Le  roi 
Léwanika  ajouta  : « Moka,  c’est  toi  qui  étais  à mon  service 
personnel  avec  Séwakutilibellé.  Pensez-vous  que  par  le  fait 
que  vous  sortez  de  ma  capitale,  elle  cessera  de  subsister?  Si 
je  viens  ici  et  que  j’apprenne  que  l’un  de  vous  trouble  les 
missionnaires  en  disant  qu’il  veut  retourner  à la  capitale... 
cela  ne  se  fera  pas  tant  que  je  serai  roi.  Eussé-je  le  droit  de 
le  faire,  j’établirais  une  loi  pour  ceux  qui  deviennent  rené- 
gats. Vous  avez  désormais  un  autre  roi.  » J'ajoutai  quelques 
mots  pour  remercier  les  orateurs.  Puis  l'un  des  élèves  évan- 
gélistes termina  la  séance  par  une  prière  de  consécration  du 
roi  faite  au  nom  de  tous  ses  condisciples. 

« Le  lendemain,  nos  jeunes  gens  firent  leurs  adieux  à leurs 
parents,  amis  et  chefs.  A quatre  heures,  ils  se  rassemblè- 
rent sur  la  place  publique  pour  shoaelela.  C'était  prendre 
officiellement  congé  de  tous  et  remercier  le  roi  qui  les  a 
libérés.  Ils  sont  chez  nous  depuis  lors.  J'oubliais  de  vous  dire 
que  la  veille,  nous  avions,  dès  le  matin,  fait  tuer  le  bœuf  que 
M.  Goy  avait  donné  à l’école,  et  que  le  soir,  au  sortir  de  la 
réunion,  nous  offrîmes  à nos  élèves  un  dîner  composé  de 
pain,  viande  et  café  au  lait  miellé.  Nous  leur  donnâmes  un 
setsiba , une  chemise  et  un  livre  à chacun.  Plus  tard,  je 
donnai  dans  la  chapelle  une  séance  de  lanterne  magique  ; 
je  montrai  une  partie  de  la  belle  collection  de  vues  que 
M.  Coillard  a donnée  aux  stations  du  Borotsé. 

g Tout  en  essayant  de  donner  à nos  jeunes  gens  un  déve- 
loppement général,  nous  visons  surtout  à leur  rendre  l’étude 
de  la  Parole  de  Dieu  attrayante  et  familière.  Les  classes  que 
nous  tenons  le  matin  avant  déjeuner,  ils  les  ont  en  commun 
avec  tous  nos  professants  les  plus  avancés  : il  en  est  de  même 
des  réunions  de  chant,  qui  réunissent  en  outre  les  jeunes 
gens  et  les  jeunes  filles  de  la  station.  Nos  jeunes  gens  doivent 
préparer  eux-mêmes  leurs  repas  et  ont  une  ou  deux  heures 
de  travail  manuel  par  jour,  tantôt  le  matin,  tantôt  l’après- 
midi,  selon  que  cela  convient. 


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m 


« Indépendamment  des  dépenses  de  fondation  de  l’école, 
du  dortoir  et  du  matériel  scolaire,  le  coût  annuel  de  chaque 
élève  évangéliste  est  de  100  francs  par  an.  Veuille  le  Seigneur 
continuer  à pourvoir  à nos  besoins  comme  il  l’a  fait  jus- 
qu’ici... Nos  meilleurs  remerciements  à ceux  qui,  connus  ou 
inconnus,  ont  pensé  à nous  aider  dans  cette  branche  si 
importante  de  notre  activité. 

« A.  Jalla.  » 

— - — a b ** — - « 


A NAL0L0 

Lettre  de  M.  Béguin. 

La  station  se  transforme.  — L’inondation  et  ses  conséquences 
pour  la  mission.  — La  propre  justice  chez  les  païens.  — Le  ré- 
veil de  l’an  dernier;  ivraie  et  bon  grain.  — La  peste  bovine  et 
ses  suites. 

Nalolo,  27  avril  1896. 

Bien  cher  monsieur, 

Voilà  longtemps  que  j’espérais  pouvoir  vous  annoncer 
l’achèvement  de  la  chapelle  de  Nalolo.  Je  puis  enfin  le  faire 
aujourd’hui.  Commencée  en  juillet  dernier,  nous  comptions 
l’inaugurer  à Noël;  mais  nous  avons  eu  plusieurs  causes  de 
retard  : d'abord,  pendant  les  six  derniers  mois  de  1895,  la 
famine  régnait  au  Borotsé,  de  sorte  que  nous  avons  dû  res- 
treindre le  nombre  de  nos  ouvriers,  et,  quant  à ceux  qui  nous 
restaient,  nous  ne  pouvions  pas  exiger  d’eux  une  bien  grande 
somme  de  travail,  étant  donné  que  nous  n’avions  pas  tou- 
jours de  quoi  les  nourrir  convenablement.  Puis,  au  mois  de 
septembre,  vint  la  conférence  qui  amena  nécessairement  une 
interruption  dans  nos  travaux  de  station.  Enfin,  nous  avons 
eu  beaucoup  de  peine  à trouver  les  femmes  nécessaires  pour 
les  plâtrages.  C’est  ainsi  que  cette  construction  a pris  beau- 
coup plus  de  temps  qu’elle  n’aurait  dû.  Enfin,  elle  est  ter- 


422 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


minée.  Demandez  avec  nous  à Dieu  qu’elle  soit  un  monument 
à sa  gloire  ; puisse-t-elle  être  comme  un  phare  au  milieu  de 
cette  plaine  du  Borotsé,  où  il  existe  encore  tant  de  supersti- 
tions et  d’ignorances  ! 

Petit  à petit,  notre  station  s’arrange.  Le  misérable  hameau 
que  nous  avons  trouvé  lors  de  notre  arrivée,  en  octobre  1894, 
n’avait  absolument  aucun  arbre,  comme,  du  reste,  presque 
tout  le  Borotsé  ; nous  espérons  avoir,  d’ici  à un  an  ou  deux,  de 
l’ombre,  car  j’ai  planté  plusieurs  arbres  qui  prospèrent  bien. 
Malheureusement,  à part  quelques  bananiers,  nous  n’avons 
pas  d’arbres  fruitiers;  j’ai  planté  des  noyaux  de  pêchers  et 
d’abricotiers,  mais  ils  n’ont  rien  donné.  C’est  dommage,  car 
dans  les  jours  de  fièvre,  il  ferait  bon  avoir  quelques  fruits. 
Mais  il  vaut  mieux  n’y  pas  penser. 

Nous  sommes  actuellement  en  pleine  inondation;  elle  a été 
très  forte  cette  année,  plus  forte  que  celle  d’il  y a deux  ans, 
qui,  cependant,  avait  déjà  fait  parler  d’elle.  Notre  station  est 
transformée  en  un  ilôt  qui  devient  malheureusement  le  refuge 
d’une  quantité  d’hôtes  immondes  dont  nous  nous  passerions 
bien  volontiers  : ce  sont  des  serpents,  dont  quelques-uns  sont 
énormes;  les  crocodiles,  qui  m’ont  pris  une  vache  et  un 
agneau;  les  termites,  qui  travaillent  et  détruisent  plus  que 
jamais;  le  séruyi , ces  terribles  fourmis  rougeâtres,  carni- 
vores, qui  ne  connaissent  aucun  obstacle  et  viennent  tious 
attaquer  la  nuit  dans  nos  lits;  ce  sont  des  crapauds,  des 
chats  sauvages,  et  surtout  des  souris  et  des  rats.  Le  nombre 
de  ceux-ci  est  légion,  et  quand  même  nous  en  avons  tué  au 
moins  cent  cinquante  pendant  la  saison  des  pluies,  la  station 
en  pullule  encore.  Les  dégâts  qu’ils  nous  font  sont  épouvan- 
tables : ils  s'introduisent  partout,  et  ma  femme  pourrait  vous 
dire  que,  quoique  nous  ne  soyons  pas  même  depuis  deux  ans 
dans  le  pays,  elle  n’a  presque  plus  une  pièce  de  son  trous- 
seau intacte.  Pour  ces  rongeurs,  il  n’y  a rien  de  sacré  : dans 
les  linges  les  plus  ordinaires,  comme  dans  les  draps  et  les 
nappes,  ils  font  des  trous  qui  font  le  désespoir  des  ména- 
gères. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


423 


Ce  temps  de  l’inondation  est  un  temps  de  vacances  pour 
l’école,  car  la  population  de  Nalolo  passe  les  deux  mois  des 
plus  hautes  eaux  au  bord  de  la  plaine,  là  où  les  eaux  s’ar- 
rêtent. C’est  à deux  heures  de  canot  de  chez  nous;  nous  y 
allons  chaque  dimanche,  alternativement,  l’évangéliste  et 
moi,  pour  y célébrer  les  cultes.  Nous  y avons  de  beaux  audi- 
toires, car  nous  y retrouvons  non  seulement  la  population  de 
Nalolo,  mais  aussi  la  population  de  cette  région,  que  nous 
n’avons  pas  d’ordinaire.  Ces  gens  sont  attentifs  et  recueillis, 
ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu’ils  soient  chrétiens.  Hélas!  si  bien 
disposés  qu’ils  paraissent,  si  peu  incrédules  qu’ils  soient,  il 
se  fait  cependant  bien  peu  de  changement  dans  leur  vie. 
Le  sentiment  du  péché  leur  fait  défaut.  Tous,  surtout  les 
chefs,  sont  remplis  de  propre  justice.  Notre  Mokuaé,  par 
exemple,  quoique  auditrice  régulière  des  cultes  et  générale- 
ment assez  aimable,  est,  pour  moi,  la  personnification  de  l’or- 
gueil et  du  contentement  de  soi-même.  Elle  a de  nombreux 
crimes  sur  la  conscience;  elle  a même  tué  de  sa  propre  main. 
Cela  ne  l’empêche  pas  d’être  très  satisfaite  d’elle-même  et  de 
se  donner  un  brevet  d’innocence;  et,  le  pis  encore,  c’est  que 
mentir  est  devenu  pour  elle,  comme  pour  la  plupart  des 
Zambéziens,  une  seconde  nature;  aussi  ne  sait-on  jamais  jus- 
qu’à quel  point  on  peut  la  croire. 

C’est  étonnant,  pour  ce  séjour  de  deux  mois  aux  mafolo , 
aux  pâturages  littéralement,  c’est-à-dire  en  dehors  de  l’inon- 
dation, les  belles  constructions  que  ces  gens  se  font;  ce  ne 
sont  que  des  branches  d’arbre,  mais  ces  enfants  de  la  nature 
en  ‘tirent  un  parti  admirable  : c’est  bien  fait  et  très  propre;  la 
maison  du  chef,  entre  autres,  est  tout  à fait  remarquable.  Les 
constructions  sont  plus  ou  moins  hautes  et  vastes,  suivant 
l’importance  des  individus.  Celles  de  Mokuaé  les  dominent 
toutes  ; les  autres  s’abaissent  graduellement,  suivant  l’impor- 
tance des  personnages,  pour  finir  par  celles  des  esclaves,  dans 
lesquelles  on  n’entre  qu’en  rampant. 

Cette  période  de  l’inondation,  où  tout  le  pays  est  transformé 
en  un  lac,  serait  propice  à l’évangélisation,  n’était  que  pen- 


424 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


dant  ce  temps,  plus  qu’à  toute  autre  époque,  les  gens  sont 
constamment  en  expéditions.  Que  nous  aimerions,  pour  ces 
courses  à travers  le  pays,  avoir  un  bateau  un  peu  plus  con- 
fortable que  ne  le  sont  les  canots  zambéziens  : ce  ne  sont  que 
des  troncs  d’arbres  creusés,  peu  agréables  et  pas  même  tou- 
jours sûrs.  Nous  avons  visité  quelquefois  un  village  qui  ne  se 
trouve  pas  loin  de  chez  nous,  Kambaé , et  dont  les  habitants 
pourraient  bien  venir  au  culte,  mais  ils  ont  toujours  de  nom- 
breuses excuses  pour  ne  pas  le  faire,  et  si  nous  voulons  les 
évangéliser,  nous  devons  aller  chez  eux.  Du  reste,  quand 
nous  y allons,  ils  nous  reçoivent  toujours  très  bien  et  sont 
très  attentifs  à ce  que  nous  leur  disons.  Kambaé  est  un  en- 
droit assez  intéressant  : c’est  le  tombeau  d’un  ancien  roi 
morotsé,  qui,  comme  tous  les  tombeaux  de  rois,  est  un  pèle- 
rinage où  l’on  va  chercher  des  oracles  dans  toutes  les  cir- 
constances un  peu  importantes  de  la  vie  : avant  d’entre- 
prendre une  expédition,  en  cas  de  maladie,  etc.,  et  l’on  offre 
des  sacrifices  aux  mânes  de  celui  qui  repose  en  cet  endroit. 
Ces  tombeaux  sont  toujours  sous  de  beaux  ombrages,  au 
pied  d’un  arbre,  où  un  trou  est  pratiqué  et  dans  lequel  on 
verse  généralement  du  lait  caillé  et,  selon  qu’il  est  absorbé 
plus  ou  moins  vite,  on  déclare  le  dieu  plus  ou  moins  satis- 
fait, plus  ou  moins  favorable  au  projet  sur  lequel  on  le  con- 
sulte. Quand  je  visite  ce  village,  c’est  à côté  même  de  ce  tom- 
beau que  nous  avons  un  culte.  Qu’il  est  à propos,  alors,  de  leur 
annoncer  le  Dieu  vivant,  le  Sauveur  mort  pour  nos  péchés, 
mais  ressuscité;  Celui  qui  n’est  pas  resté  dans  la  tombe, 
mais  qui  en  est  sorti,  qui  est  remonté  au  ciel  où  II  vit,  d’où 
Il  nous  voit  et  entend  toutes  nos  prières. 

Si  nous  avons  pu  autrefois  vous  annoncer  nos  joies,  la 
riche  moisson  qui  semblait  s’annoncer  pour  notre  mission, 
nous  devons  aussi,  hélas!  vous  faire  part  de  nos  peines.  Plu- 
sieurs de  ceux  qui  avaient  publiquement  déclaré  vouloir 
servir  Dieu  sont  tombés  dans  des  fautes  graves;  même  des 
enfants  de  notre  maison  s’en  sont  rendus  coupables,  et  nous 
avons  dû  les  chasser!  Et  ces  chagrins,  nous  ne  sommes  pas 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


425 


seuls  à les  avoir.  De  même  que  le  réveil  avait  été  général,  de 
même  c’est  partout  qu’il  y a des  défections  à constater.  Nous 
l’avions  prévu  ; nous  savions  bien  que  dans  notre  champ  il  y 
avait  beaucoup  d’ivraie;  nous  n’en  sommes  pas  moins  pro- 
fondément tristes  de  ces  faits.  Il  faut  être  indulgents  envers 
ces  malheureux  : on  doit  se  rappeler  de  quel  milieu  ils  sor- 
tent et  où  ils  se  trouvent  encore.  Pour  eux,  l’immoralité  n’a 
pas  la  gravité  qu’elle  a pour  des  gens  élevés  sous  l’influence 
du  christianisme.  Non  seulement  ils  ont  de  grandes  et  nom- 
breuses tentations,  mais  encore  ils  sont  faibles.  Et  cependant, 
il  n’en  est  pas  moins  vrai  que  nous  ne  saurions  être  trop  sé- 
vères. Une  fois  qu’il  est  notoire  que  quelque  membre  de  la 
classe  a commis  une  faute  grave,  nous  devons  le  mettre  sous 
discipline,  et  même  l’expulser,  ne  serait-ce  que  pour  faire 
entrer  dans  l’esprit  de  ces  gens  la  notion  de  la  sainteté,  qui 
leur  fait  absolument  défaut.  Du  reste,  tout  en  prêchant 
l’Évangile  au  plus  grand  nombre  possible,  le  but  suprême 
doit  être  de  former  une  Église  aussi  pure  que  possible... 

Si  nous  avons  des  chagrins  de  l’ordre  spirituel,  nous  en 
avons  aussi  de  l’ordre  matériel.  Vous  avez  appris  le  terrible 
fléau  qui  a frappé  nos  amis  du  Bas,  et  qui  nous  menace 
aussi  : une  épidémie  épouvantable  a sévi,  parmi  les  ani- 
maux sauvages  d'abord,  d’où  elle  s’est  étendue  ensuite  aux 
animaux  domestiques,  si  bien  qu’il  n’existe  presque  plus  une 
tête  de  bétail  dans  la  région,  de  Seshéké  à Kazungula. 

Une  des  conséquences  les  plus  inquiétantes  de  la  chose, 
c’est  qu’on  nous  annonce  comme  très  probable  que,  même 
d’ici-  à deux  ans,  il  ne  nous  arrivera  pas  de  wagons  du  Sud. 
Pour  comprendre  ce  que  cela  aura  de  terrible,  il  faut  se 
rendre  compte  que  nous  vivons  presque  uniquement  de 
produits  européens;  même  notre  pain  nous  vient  du  sud. 
Dès  lors,  si  nos  provisions  n’arrivent  pas,  nous  serons  ré- 
duits à la  nourriture  indigène.  Ce  ne  sera  pas  très  varié,  car 
elle  se  borne  à peu  près  au  maïs;  ce  ne  sera  surtout  pas  un 
régime  très  fortifiant...  Nous  ne  voulons  cependant  pas  nous 
inquiéter  outre  mesure;  et  surtout,  noüs  ne  voulons  pas  ou- 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


blier  que  nous  avons  au  ciel  un  Père  dont  la  puissance  est 
illimitée  et  qui  pourra  nous  rendre  forts  et  vaillants,  alors 
même  que  nous  ne  devrions  vivre  que  de  maïs... 


Ces  nouvelles  ne  sont  pas  aussi  bonnes  que  nous  le  vou- 
drions : mademoiselle  Buttner  et  M.  et  madame  Pétrequin 
semblent  souffrir  beaucoup  de  l’hivernage.  M.  Bolle  se  sent 
bien  faible  pour  porter  le  fardeau  que  l’absence  de  M.  Es- 
cande  fait  reposer  sur  ses  épaules.  Nous  recommandons  tout 
spécialement  la  mission  du  Sénégal  et  ses  ouvriers  aux 
prières  de  nos  amis. 


Les  dernières  nouvelles  reçues  de  nos  stations  de  l’Ogowé 
vont  jusqu’au  1er  juillet,  et  sont  antérieures,  par  conséquent, 
à la  mort  de  madame  Gacon.  Tel  était,  néanmoins,  Pétat  de 
la  malade  au  moment  de  son  départ,  que  nos  amis  ne  con- 
servaient que  peu  d’espoir  de  la  voir  se  remettre  ou  même 
arriver  au  terme  de  son  voyage.  « Elle  est,  écrit  M.  Allégret, 
d’une  douceur  et  d’une  résignation  touchantes,  et  le  cœur  se 
serre  devoir,  à vues  humaines,  sa  carrière  déjà  finie.  » 

C’est  le  10  juin,  comme  nous  le  disions  il  y a un  mois,  que 
M.  et  madame  Allégret  sont  arrivés  à Talagoilga.  M.  Faure 


Eug.  Béguin. 


SÉNÉGAL 


DERNIÈRES  NOUVELLES 


CONGO  FRANÇAIS 


NOUVELLES  RÉCENTES 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


m 


les  y a rejoints  le  1er  juillet.  « 11  nous  semble  déjà,  dit  M.  Al- 
légret,  n’avoir  jamais  quitté  Talagouga.  Cependant,  nous 
avons  fait,  en  France,  provision  de  précieux  souvenirs  qui 
font  chaud  au  cœur  lorsque,  tout  à coup,  nous  nous  les  rap- 
pelons. Cela  a été  pour  nous  une  grande  joie  de  revoir  Tala- 
gouga, et  c’est  avec  ce  sentiment  de  délivrance  que  nous 
avons  débarqué  et  que  nous  sommes  entrés  dans  notre  home. 
Ce  long  voyage,  avec  deux  petits  enfants,  nous  angoissait  mal- 
gré tout,  et,  lorsqu'à  Bordeaux  le  paquebot  a levé  l’ancre, 
nous  étions  plus  émus  en  les  regardant  qu’en  pensant  à 
nous-mêmes.  Mais  notre  Dieu  a été,  une  fois  de  plus,  miséri- 
cordieux envers  nous,  et,  de  toutes  les  traversées,  celle-ci  a 
été  la  meilleure  et  la  plus  agréable...  Lajoie  des  indigènes  et 
les  marques  d’affection  qu’ils  nous,  ont  données  nous  ont  été 
aussi  un  précieux  encouragement.  A mesure  que  nous  re- 
montions le  fleuve  et  que  nous  passions  devant  les  villages, 
c’était,  surtout  en  approchant  de  Talagouga,  de  bruyantes 
démonstrations  lorsqu’ils  nous  reconnaissaient.  » 

Les  premiers  jours  ont  été  employés  à l’installation.  Le 
transfert  de  la  station,  décidé  il  y a plus  d’un  an  et  qui  doit 
se  faire  prochainement,  n'a  pu  se  faire  immédiatement  ; 
l’emplacement  du  nouveau  Talagouga,  qui  sera  logé,  comme 
nous  croyons  l’avoir  dit  déjà,  dans  une  île  du  fleuve  située 
en  amont  du  poste  actuel,  ne  pourra  avoir  lieu  qu’après  di- 
vers travaux  préparatoires,  outre  ceux  que  M.  Forget  a déjà 
faits  avant  l’arrivée  de  M.  AlJégret.  M.  Forget  lui-même  est 
souvent  entravé  par  la  fièvre.  Le  dernier  courrier  ne  dit  rien 
de  ses  plans. 

A Lambaréné,  nous  trouvons  M.  Richard  s’installant  dans 
la  maison  de  M.  Jacot  et  reprenant  l’école  des  mains  de 
M.  Faure.  Avant  de  partir  pour  Talagouga,  celui-ci  nous  a 
adressé  un  résumé  de  ses  expériences  scolaires;  nous  en  di- 
rons quelque  chose  à nos  lecteurs  dans  un  mois. 

Un  mot  de  M.  Allégret  résume  l’impression  que  nous  a 
laissée  ce  courrier  : « Mon  refrain,  dit-il,  sera  le  même  qu’au- 


428 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


trefois  : nous  sommes  peu  nombreux  et  faibles,  le  champ  est* 
vaste  et  prêt  à être  ensemencé,  et  nous  allons  de  l’avant, 
comptant  que  Dieu  nous  enverra,  au  moment  voulu,  le  se- 
cours nécessaire.  » 

Quant  à M.  et  madame  Teisserès,  ils  sont  heureusement 
arrivés  à Libreville  le  19  juillet  ; madame  Teisserès  a beau- 
coup souffert  de  la  traversée. 


'•V  /*' 

LES  DERNIERS  MOMENTS  DE  MADAME  GACON 

i 

M.  Gacon  est  de  retour  en  Suisse.  Il  n’a  pas  cru  devoir  in-  ;■ 
terrompre  le  voyage  qu’il  avait  entrepris  pour  essayer  d’ob-  j 
tenir  d’un  changement  d’air  une  amélioration  dans  l’état  de  j 
sa  femme.  Voici  en  quels  termes  il  raconte  la  fin  de  madame  1 
Gacon  : 

' 

A bord  de  la  Ville  de  Maranhao, 

27  juillet  1896. 

Cher  monsieur. 

Depuis  le  7 de  ce  mois  vous  avez  pris  part  à ma  douleur,  j 
Je  vous  ai  télégraphié  de  Libreville  peu  après  l’ensevelisse-  9 
ment.  Nous  avons  quitté  Talagouga  le  1er  juillet  et  sommes  3 
arrivés  le  5 au  Cap  Lopez.  Nous  n’avons  pas  eu  besoin  d’y  1 
attendre  longtemps  le  grand  bateau  qui  devait  nous  emme-  à 
ner.  Pour  cette  dernière  journée,  ma  femme  était  relative-  1 
ment  bien;  rien  ne  m’aurait  fait  croire  que  c’était  la  dernière. 
Toute  la  journée  du  5 a été  employée  au  chargement;  ce 
n’est  que  le  soir,  à huit  heures,  que  le  bateau  s’est  mis  en 
route  pour  Libreville. 

A neuf  heures  du  soir,  j’ai  voulu  lui  parler,  mais  elle  vou- 
lait dormir,  m'a-t-elle  dit...  Voilà  sa  dernière  parole... 

Cependant  elle  est  partie  joyeuse,  ayant  confiance  en  son 
Dieu...  Je  lui  avais  dit,  le  matin  même  : « Dieu  veut  peut-être 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


429 


te  rappeler  durant  ce  voyage  ! — Comme  11  lui  plaira!  Je  suis 
prête  ! » Elle  n’a  eu  aucune  défaillance  ni  crainte. 

Je  vous  laisse  à penser  quelle  nuit  j’ai  passée  dans  ce  ba- 
teau, n’osant  pas  crier  comme  je  l’aurais  désiré...  Le  matin 
venu,  nous  étions  en  face  de  Libreville.  Je  demandai  au  ca- 
pitaine la  chaloupe  à vapeur  pour  aller,  à Baraka  (1),  avertir 
le  Dr  Nassau,  et  faire  creuser  la  fosse  dans  le  cimetière.  Nous 
avons  trouvé  un  cercueil  fait  d’avance  aux  travaux  publics,  et, 
de  suite,  je  suis  retourné  [à  bord,  et  suis  reparti  pour  Baraka 
avec  la  chaloupe*,  car  c’est  loin. 

Je  n’ai  eu  que  le  Dr  Nassau  et  madame  Ogden  pour  me  con- 
soler. Les  noirs  sont  venus  en  masse  à l’ensevelissement.  Une 
vieille  femme,  que  nous  connaissions  très  bien,  m’a  dit  : « Ne 
pleure  plus.  Tu  veux  te  faire  du  mal.  Le  Seigneur  t’a  donné 
cette  femme,  Il  te  la  reprend.  Eh  bien!  tu  sais  où  elle  est? 
C’est  fini,  ne  pleure  plus!  » Mes  larmes  coulent  à flots,  ne 
m’en  voulez  pas.  Je  ne  puis  pas  vous  en  dire  plus... 

Le  Dr  Nassau,  voyant  mon  état,  m’a  conseillé  de  continuer 
mon  voyage  parce  que  je  suis  anémié.  Le  Dr  Pélissier,  qui  est 
venu  à bord,  m’a  dit  la  même  chose. 

Ma  femme  est  morte  le  6 juillet  à deux  heures  du  matin. 

Je  vous  salue  bien  affectueusement. 

Y.  Gacon. 

Dans  une  lettre  plus  récente,  datée  de  Yallorbes,  en  Suisse, 
M.  Gacon  donne  sur  madame  Gacon  quelques  détails  précieux 
à reoueillir  : 

« Yous  l’ai-je  dit  ou  non?  C’est  ma  femme  qui  tenait  à re- 
tourner dans  l’Ogowé  pour  y mettre  en  ordre  ses  effets. 
J’avais  pensé  un  instant  la  faire  partir  pour  Bordeaux,  par  le 
bateau  en  rade  à Libreville,  le  7 mai...  Du  reste,  la  maladie 
était  trop  avancée;  j’aurais  eu  la  douleur  de  ne  plus  la  revoir, 
le  Dr  Pélissier  me  l’a  affirmé  au  départ... 

« A Talagouga,  elle  était  presque  toujours  la  première 


(1)  Baraka  est  le  siège  de  la  mission  américaine.  — (Réd.) 


430 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


levée,  avant  le  jour.  Elle  commençait  la  journée  par  une 
demi-heure  de  recueillement  et  de  prière...  Sa  maison  était 
toujours  un  modèle  d’ordre.  Il  y avait  des  noirs  des  deux 
sexes  qui  venaient  par  groupes  assister  au  culte  et  à la  prière, 
qui,  pour  elle,  étaient  au  centre  de  tout.  Mes  ouvriers  aussi 
profitaient  de  ses  enseignements.  Dans  ce  pays  ou  l’on  est 
facilement  excité  et  irrité,  combien  il  est  précieux  d’avoir  à 
ses  côtés  une  aide  tranquille  et  paisible,  qui  met  toujours  de 
l'huile  et  qui  ne  médit  jamais... 

o 11  est  certain  que  le  Congo  est  un  pays  meurtrier.  La 
mort  frappe  partout.  J'ai  connu,  soit  chez  nous,  soit  chez  les 
Américains,  environ  douze  missionnaires,  hommes  et  femmes, 
qui  actuellement  ne  sont  plus...  » 


Avant  de  suivre  notre  missionnaire  dans  cette  phase  nou- 
velle de  sa  carrière,  je  tiens  à détacher  des  souvenirs  de  son 
premier  voyage  en  Chine  une  page  qui  m’a  fait  une  profonde 
impression. 

Hudson  Taylor  s’était  associé  au  grand  missionnaire  écos- 
sais Burns  et  avait,  de  concert  avec  lui,  entrepris  diverses 
courses  d’évangélisation  dans  la  province  de  Chékiang.  Au 


(1)  Voir  pages  94  et  240.  Nous  recommandons  à nos  lecteurs,  au  mo- 
ment où  nous  reprenons  la  publication  de  cette  étude  sur  Hudson  Taylor 
et  son  œuvre,  de  vouloir  bien  en  relire  le  commencement,  afin  d’en 
avoir  l'impression  d’ensemble. 


V.  G. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


HUDSON  TAYLOR 


et  la  Mission  de  la  Chine  intérieure  (1). 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


431 


cours  d’un  de  ces  voyages,  il  avait  été  abandonné  par  ses 
porteurs  et  avait  perdu  ses  bagages.  Fatigué  par  une  série 
de  longues  marches  et  de  nuits  sans  sommeil,  affamé,  les 
pieds  meurtris,  presque  sans  argent,  il  arrive  dans  la  ville 
où  il  espère  rentrer  en  possession  de  ses  effets  et  retrouver 
ses  gens  ; mais  cette  attente  se  trouve  déçue.  En  vain  il 
parcourt  toute  la  ville,  va  de  la  porte  du  nord  à la  porte  de 
l’est  : il  ne  trouve  rien.  Sur  ces  entrefaites,  la  nuit  tombe.  Il 
cherche  un  abri;  partout  on  le  repousse,  personne  ne  veut 
loger  l’étranger. *A  deux  heures  du  matin,  las  de  chercher, 
il  s’étend  sous  le  porche  d’une  pagode  et,  plaçant  sa  bourse 
sous  sa  tête,  il  essaie  de  dormir.  Presque  aussitôt  il  voit  s’ap- 
procher un  individu  de  mauvaise  mine,  qui  cependant  s’é- 
loigne quand  il  voit  que  l’étranger  ne  dort  pas. 

A la  fin,  épuisé,  le  missionnaire  commence  à s’assoupir, 
quand  un  bruit  léger  le  réveille  : ce  sont  deux  hommes  qui 
viennent  s’asseoir  silencieusement  à ses  pieds.  Au  bout  d’un 
moment,  ils  vont  chercher  du  renfort  ; ils  sont  trois,  main- 
tenant, à l’entourer.  Un  grand  malaise  l’envahit;  cepen- 
dant, il  regarde  à Dieu,  montre  à ses  compagnons  qu’il  ne 
dort  pas  et,  finalement,  se  met  à chanter  des  cantiques 
pour  se  tenir  éveillé.  Enfin,  le  jour  parait,  et  le  pauvre  voya- 
geur, après  d’autres  ennuis  trop  longs  à raconter,  doit  re- 
prendre, toujours  à pied,  et  malade  de  fatigue,  son  long  et 
pénible  voyage.  Enfin,  il  trouve  un  abri  et  peut  laver  ses 
pieds  fatigués. 

Rentrant  en  lui-même,  il  se  met  à passer  en  revue  ses  sou- 
venirs, s’humilie  d’avoir  été  si  préoccupé  de  ses  effets  perdus 
et  si  indifférent  à la  pensée  des  âmes  perdues  qui  l’entourent. 
« Alors,  dit-il,  je  m’approchai  de  Jésus  comme  un  pauvre 
pécheur,  et  je  le  bénis  de  ce  qu’en  lui  j’étais  reçu  en  grâce 
et  sanctifié.  Ah!  l’amour  de  Jésus!  comme  je  le  ressentis 
alors  ! J’avais  appris  par  expérience  ce  que  c’est  que  d’être 
rejeté  et  méprisé,  de  n’avoir  pas  un  lieu  où  reposer  sa  tête;  et 
je  comprenais  mieux  qu’auparavant  la  grandeur  de  l’amour 
qui  l’a  poussé,  lui,  le  Fils  de  Dieu,  à quitter  la  gloire  des  de- 


43-2 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


meures  célestes  pour  venir  souffrir  ici-bas  et  pour  mourir 
sur  la  croix.  Je  le  vis  pauvre,  méprisé,  homme  de  douleurs, 
sachant  ce  que  c’est  que  la  langueur  ; je  le  revis,  au  puits  de 
Jacob,  fatigué,  altéré,  affamé...  ; et  je  lui  demandai  pardon;  je 
jurai  de  le  suivre  pas  à pas  et  d’être  à jamais  tout  à Lui...  Je 
priai  pour  mes  amis  d’Angleterre,  pour  m.es  collaborateurs... 
De  douces  larmes,  larmes  de  joie  et  de  tristesse  tout  en- 
semble, coulèrent  de  mes  yeux,  si  bien  que  j’oubliai  la  fa- 
tigue de  la  route  et  que  j’arrivai  à destination  sans  m'en  être 
douté...  » 

II 

# 

Les  travaux  et  les  souffrances  de  son  ministère  avaient 
gravement  altéré  la  santé  de  H.  Taylor.  Aussi  un  voyage  en 
Angleterre  s’imposait-il.  Il  quitta  la  Chine  en  4860,  et  vint 
s'établir  à Londres.  Son  but,  cependant,  n'était  nullement  de 
se  reposer.  Il  désirait  trouver  les  collaborateurs  dont  il  avait 
besoin  pour  la  petite  œuvre  indépendante  qu’il  avait  com- 
mencée, avec  l’aide  d'un  de  ses  collègues,  à Ning-po,  dans  la 
province  de  Ché-Kiang.  Il  estimait  à cinq  le  nombre  des  nou- 
veaux missionnaires  dont  il  avait  besoin.  Les  trouver,  repar- 
tir; voilà  quel  était  son  but. 

A son  grand  chagrin,  les  médecins  qui  l’examinèrent  lui 
déclarèrent  qu’il  n’était  pas  question  pour  lui  de  retourner 
en  Chine  avant  plusieurs  années.  Ce  fut  d’abord  une  amère 
épreuve  pour  sa  foi.  Mais  sa  confiance  en  Dieu  ne  tarda  pas 
à l’emporter  sur  toute  velléité  de  découragement.  Il  se  pro- 
mit que  ce  temps  d’absence  forcée  ne  serait  pas  perdu  pour 
la  Chine,  et  il  entreprit,  avec  un  chrétien  chinois  qu’il  avait 
ramené  avec  lui,  de  réviser  et  d’achever  la  traduction  du 
Nouveau  Testament  dans  le  dialecte  usité  à Ning-po  et  aux 
environs. 

Ce  travail,  si  différent  de  l’activité  à laquelle  il  s’était 
adonné  les  dernières  années,  devait  cependant  exercer  sur 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


433 


la  suite  de  sa  carrière  une  grande  influence.  Mis  chaque 
jour  en  contact  avec  le  texte  sacré,  il  se  familiarisait  de  plus 
en  plus  avec  la  pensée  divine  ; sa  foi  grandit,  se  fortifia, 
s’épura;  il  acquit  aussi  des  vues  plus  claires  sur  les  prin- 
cipes de  l’œuvre  missionnaire.  Il  résume  ainsi  les  conclu- 
sions auxquelles  l’amenèrent,  sur  ce  point  particulier,  ses 
études  : « La  Parole  de  Dieu  m’a  appris  que  ce  qu’il  faut 
pour  obtenir  des  ouvriers  capables  de  faire  une  œuvre  bénie, 
ce  ne  sont  pas  çles  appels  élaborés,  c’est,  avant  tout,  la  prière, 
qui  demande  à Dieu  de  susciter  de  tels  ouvriers,  et,  en  se- 
cond lieu,  l’accroissement  de  la  vie  spirituelle  de  l’Église,  de- 
venant assez  intense  pour  que  des  hommes  en  grand  nombre 
sentent  l’impossibilité  de  rester  en  place  et  soient  forcés  de 
partir.  Je  vis  que  la  méthode  apostolique  n’était  pas  de  se 
préoccuper  avant  tout  des  voies  et  moyens,  mais  d’aller  et 
de  faire  l’œuvre  de  Dieu,  comptant  sur  Celui  qui  a dit  : 
« Cherchez  surtout  le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice,  et  tout 
a le  reste  vous  sera  donné  par-dessus.  » 

Tout  en  poursuivant  son  travail  de  révision,  H.  Taylor  ne 
perdait  pas  de  vue  la  Chine.  Les  cinq  ouvriers  demandés 
pour  l’œuvre  de  Ning-po  s’étaient  trouvés  ; l’argent  pour 
les  envoyer  avait  été  donné  de  même;  ils  avaient  été  équipés 
et  étaient  partis.  Mais  cela  ne  suffisait  pas  à H.  Taylor.  Il  y 
avait  dans  son  cabinet  de  travail,  toujours  sous  ses  yeux,  une 
grande  carte  de  la  Chine.  La  pensée  de  cet  immense  empire 
l’obgédait.  Il  avait  sans  cesse  présents  à l’esprit  ces  380  mil- 
lions d’hommes,  et  le  contraste  entre  cet  océan  humain 
et  la  petitesse  des  efforts  faits  jusqu’alors  pour  les  évan- 
géliser, l’écrasait.  A la  vérité,  ces  efforts,  faibles  en  com- 
paraison de  la  tâche  à accomplir,  représentaient  cependant 
une  série  déjà  longue  de  patients  et  héroïques  travaux.  La 
Société  de  Londres,  depuis  1803,  la  grande  Société  Améri- 
caine, la  Société  de  Bâle,  d’autres  Sociétés  encore,  anglaises, 
écossaises,  américaines,  etc.,  étaient  à l’œuvre  et  ne  ces- 
saient d’étendre  leurs  opérations  et  de  multiplier  leurs  sacri- 
fices. De  grands  résultats  avaient  été  obtenus;  la  Bible  avait 

32 


434 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


été  traduite;  des  Églises,  recrutées  par  des  conversions  indi- 
viduelles, avaient  été  formées.  Mais  ces  efforts  s’étaient  con- 
centrés sur  les  provinces  du  littoral,  et  spécialement  sur  le 
voisinage  des  ports  ouverts  aux  Européens  par  les  divers 
traités  imposés  successivement  à la  Chine.  L’intérieur  du 
pays  restait  inoccupé  et,  à vues  humaines,  impénétrable.  Sur 
les  dix-huit  provinces  de  l'empire,  onze  restaient  fermées  à 
l’Évangile. 

Ces  onze  provinces  hantaient  la  pensée  de  notre  mission- 
naire. Il  voyait  ces  masses  humaines  vivant  dans  les  ténè- 
bres et  précipitées  rapidement  dans  la  mort  sans  que  la  lu- 
mière de  l’Évangile  eut  été  placée  devant  eux.  «Chaque  mois, 
se  disait-il,  un  million  de  Chinois  meurent  sans  Dieu.  » Et  la 
pensée  de  porter  l’Évangile  dans  toutes  les  parties  de  la 
Chine,  et  particulièrement  à la  Chine  intérieure,  cette  pensée 
revenait  sans  cesse  devant  son  esprit.  11  l’écartait  par  une 
fin  de  non  recevoir.  Elle  revenait  obstinément.  Il  se  disait  : 
« Si  cinq  ouvriers  ont  pu  être  obtenus  pour  notre  modeste 
œuvre  de  Ning-po,  pourquoi  n’en  pas  demander  d’autres 
pour  le  reste  du  pays?  » — Mais  la  grandeur  même  de  la  re- 
quête, — la  grandeur  aussi  de  l’entreprise  qu’il  entrevoyait, 
— effrayait  son  âme.  Les  ouvriers  trouvés,  il  faudrait  les 
équiper,  les  embarquer,  les  soutenir.  C’était  une  œuvre  nou- 
velle à créer,  et  quelle  œuvre!  Il  n’osait,  décidément,  se 
risquer... 

Nous  ne  pouvons  suivre,  dans  toutes  ses  phases,  ce  com- 
bat intérieur.  Il  fut  si  violent  qu’à  un  moment  donné  la  santé 
d’Hudson  Taylor  s’altéra.  Il  dut  quitter  Londres  et  s’installer 
chez  un  ami,  M.  Pearse,  qui  habitait  au  bord  de  la  mer,  à 
Brighton.  C’était  en  juin  1865. 

Le  dimanche,  25  juin,  arriva.  Tandis  que  les  cloches  son- 
naient et  que  le  peuple  chrétien  remplissait  les  églises,  notre 
missionnaire,  sentant  l’impérieux  besoin  de  se  trouver  seul 
avec  Dieu,  descendit  sur  la  plage.  C’était  une  radieuse  ma- 
tinée d’été.  Et  cependant,  l’âme  de  H.  Taylor  était  pleine 
de  tristesse.  Sa  pensée  le  ramenait  à la  Chine.  « Pendant 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


m 


que,  ici,  dans  les  églises,  le  peuple  chrétien  se  réjouit  et 
chante,  plus  de  mille  âmes,  dans  le  Céleste  Empire,  passent 
de  la  vie  à la  mort,  sans  Dieu,  sans  espérance  ! » Le  paga- 
nisme, comme  un  sombre  fantôme,  f obsédait.  Et  alors  se 
produisit  dans  son  âme  la  crise  décisive  de  sa  vie.  Seul,  sur 
le  sable  de  la  mer  que  le  flot  quittait,  il  reprit  son  entretien 
avec  Dieu;  de  nouveau  iî  entendit  l’appel;  mais,  cette  fois, 
il  se  rendit,  il  répondit  par  le  oui  de  l’obéissance.  Il  osa  enfin 
prier,  sachante  quoi  il  s’engageait,  mais  s’en  remettant  à 
Dieu  des  conséquences.  Il  pria  et  demanda  à Dieu,  avec  con- 
fiance, deux  ouvriers  'pour  chacune  des  provinces  inoccu- 
pées de  la  Chine.  Cette  prière  délivra  son  âme.  Il  écrivit  en 
marge  de  sa  Bible  ces  simples  mots  : « Prié  pour  obtenir 
vingt-quatre  ouvriers  de  bonne  volonté  et  Capables.  A Brigh- 
ton,  ce  25  juin  1865.  » — Puis,  plein  de  joie  et  de  paix,  il 
rentra  à la  maison.  La  nuit  suivante,  il  put  dormir. 

La  nouvelle  mission  était  fondée.  Il  s’agissait  dé  l’organi- 
ser, d’en  déterminer  les  principes.  Quant  à l’organisation,  elle 
se  réduisit  d’abord  à fort  peu  de  chose.  H.  Tatylor  avait  un 
ami,  un  laïque,  M.  W.  T.  Berger,  qui  vivait  avec  sa  femme  à 
la  campagne,  à St-Hill.  II  fut  entendu  que  cet  ami  se  char- 
gerait de  la  partie  intérieure  de  l’œuvre  : correspondance, 
réception  et  expédition  des  fonds  et  des  renforts,  tandis  que 
H.  Taylor  lui-même  dirigerait  l’œuvre  en  Chine.  On  ne  forma 
un  Comité  que  plus  tard;  pour  le  moment,  cette  simple  orga- 
nisation pouvait  suffire. 

Ce  qui  est  plus  important,  ce  sont  les  principes  de  la  nou- 
velle mission.  Elle  s’appelle  : Mission  de  la  Chine  intérieure '. 
Parla,  le  but  poursuivi  était  clairement  indiqué;  en  même 
temps,  toute  concurrence  avec  les  autres  Sociétés  était  écartée. 
Celles-ci  avaient  leur  champ  de  travail  dans  les  provinces  du 
littoral  ; H.  Taylor  revendiquait  pour  son  domaine  l’intérieur, 
jusqu’à  ce  jour  inaccessible. 

Cette  même  préoccupation  d’éviter  toute  rivalité  avec  les 
autres  Sociétés  se  retrouve  dans  deux  autres  principes  de  la 


436 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


mission  : \°  elle  ne  se  rattache  à aucune  Eglise  spéciale  et 
évite  par  là  de  détourner  vers  elle  les  fonds  que  ces  Églises 
réservent  à leurs  missions  particulières’;  2°  elle  ne  fait  pas 
de  collecte,  et,  par  là  encore,  elle  espère  éviter  ce  qui  ressem- 
ble à une  concurrence  avec  d’autres  entreprises  similaires. 

Cette  suppression  des  collectes,  cependant,  tient  à une  cause 
plus  profonde  encore.  Nous  y retrouvons  la  grande  règle  d’Hud- 
son Taylor  : Agir  sur  les  hommes,  par  Dieu,  au  moyen  de  la 
prière.  Tout  demander  à Dieu,  tout  obtenir  de  lui.  Et,  comme 
conséquence  naturelle,  ne  rien  devoir  aux  hommes;  ne  jamais 
contracter  de  dettes.  Il  serait  illogique  de  déclarer  à Dieu  qu’on 
compte  entièrement  sur  lui  et,  en  même  temps,  de  recourir  aux 
emprunts.  En  s’associant  à H.  Taylor,  ses  collaborateurs  sa- 
vent qu’ils  ne  peuvent  compter  sur  rien  de  fixe  comme  traite- 
ment et  comme  subventions.  Ils  ne  peuvent  compter  que  sur  la 
fidélité  de  Dieu,  mettant  au  cœur  de  ses  enfants  de  pourvoir 
aux  besoins  de  son  œuvre  et  de  ses  ouvriers.  Enfin,  dernier 
principe  : la  mission  recherchera,  dans  les  hommes  et  les 
femmes  qui  entreront  à son  service,  avant  tout,  les  qualifica- 
tions spirituelles.  Elle  leur  demandera  non  pas  quelles  études 
ils  ont  faites,  mais  quelles  preuves  ils  ont  reçues,  dans  leur  vie 
antérieure,  de  leur  aptitude  à exercer  le  ministère  évangé- 
lique; s’ils  ont  été  en  bénédiction  à d’autres  âmes;  s’ils  ont 
mis  la  main  à Tœuvre  de  Dieu,  etc. 

Que,  dans  ces  principes,  il  y ait  matière  à critique,  je  ne  le 
conteste  pas.  Il  est  facile  de  voir,  notamment  en  ce  qui  touche 
les  collectes,  l’indice  d’une  sorte  d’opposition  entre  l’emploi 
des  moyens  naturels  et  le  recours  à la  grâce  de  Dieu.  Cette 
même  opposition  peut  conduire  à condamner  l’emploi  de  la 
médecine,  conséquence  que  H.  Taylor  repousse  explicite- 
ment. Il  est  facile  aussi  de  voir  que  la  collecte,  supprimée 
dans  sa  forme  directe,  peut  reparaître  sous  une  forme  dé- 
guisée, et  qu’il  est  telle  manière  de  dire  : « Je  ne  collecte 
pas  »,  qui  équivaut  à un  appel.  Le  mode  de  préparation 
des  missionnaires  de  H.  Taylor  appelle  aussi  quelques  res- 
trictions. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


437 


Mais,  cette  part  faite  aux  réserves,  faisons  aussi  la  part,  et 
bien  large,  à l’approbation.  Pour  tout  dire,  en  un  mot,  sur 
bien  des  points,  H.  Taylor,  et  c’est  son  mérite,  n'a  fait  que 
revenir  à l’esprit  primitif  des  missions  évangéliques;  et  ce 
qu’il  y a de  bon  dans  ses  principes,  c'est  précisément  ce  qui 
découle  de  cet  esprit,  ce  qui  en  est  l’expression.  C'est  donc  à 
cet  esprit  qu’il  faut  nous  attacher  avant  tout.  Et  cet  esprit, 
qui  n’en  sent  la  nécessité?  Qui  ne  voudrait  le  posséder  dans 
une  plus  grande  mesure?  Cet  esprit,  en  un  mot,  c’est  la  foi. 
La  foi  qui  veut  honorer  Dieu,  la  foi  qui  veut  obéir , la  foi  qui 
attend  tout  de  Dieu. 

La  foi  qui  veut  honorer  Dieu.  Nos  pères  disaient  que  la  fin 
de  l'homme,  c’est  de  glorifier  Dieu.  Oh!  comme  nous  avons 
perdu  ce  souci  de  l’honneur  de  Dieu,  qui  faisait  leur  force  ! 
Ces  mots  : l’honneur  de  Dieu,  la  gloire  de  Dieu,  n’ont  presque 
plus  de  sens  pour  nous.  Pour  H.  Taylor,  ils  expriment  Tune  de 
ses  préoccupations  dominantes.  Il  souffre  de  voir  Dieu,  en 
quelque  sorte,  voilé  parles  intermédiaires  humains;  l’œuvre 
de  Dieu  rendue  dépendante  de  tant  de  conditions,  encom- 
brée de  tant  de  moyens  extérieurs  et  de  règles  administra- 
tives. C’est  pourquoi  il  écarte,  d’une  manière  trop  absolue 
peut-être,  tous  ces  moyens  et  toutes  ces  conditions.  Il  pro- 
clame que  Dieu  seul  est  suffisant  pour  faire  l’œuvre  de  Dieu. 
Il  n’accepte  pas,  comme  définitives,  les  proportions  mes- 
quines où  cette  œuvre  a été  enfermée  longtemps.  Il  trouve 
humiliantes,  pour  Dieu  et  pour  son  peuple,  ces  proportions; 
il  en  réclame  d'autres  plus  dignes  de  Dieu,  de  l’Église,  de 
l’œuvre  à faire;  et  cette  œuvre  agrandie,  décuplée,  il  la  veut 
aussi  plus  rapide,  plus  simple,  plus  directe. 

La  foi  qui  veut  obéir.  Jésus-Christ  a dit  : Allez  par  tout  le 
monde  prêcher  l'Évangile  à toute  créature.  Cet  ordre,  H.  Tay- 
lor le  prend  à la  lettre.  Son  dernier  appel  à la  prière  porte  ce 
simple  titre  ; A toute  créature.  Cet  ordre  de  Jésus-Christ, 
il  l’oppose  triomphalement  à toutes  les  objections  du  dehors, 
comme  il  l’a  opposé  à ses  propres  hésitations.  Il  l’oppose 
non  seulement  à l’Église  infidèle  qui  désobéit,  il  l’oppose 


438  JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 

aussi  à la  paresse,  à la  timidité,  à l’esprit  de  routine  des 
chrétiens  qui  veulent  bien  faire  l’œuvre  de  Dieu,  mais  avec 
une  lenteur  qui  lui  semble  en  contradiction  avec  la  pensée  du 
Christ  et  des  apôtres. 

Et  enfin,  la  foi  qui  demande  tout  à Dieu  et  qui  attend  tout 
de  lui.  Nous  avons  vu  H.  Taylor  tout  jeune  s’exercer  à la 
prière  de  la  foi  : rien  d’étonnant  à ce  que  cette  prière  reste 
le  levier  de  toute  son  œuvre.  L’histoire  de  sa  vie  est  une  des 
plus  merveilleuses  démonstrations  de  la  vérité  de  cette  parole 
de  Jésus  : « Demandez,  et  vous  recevrez.  » On  ne  peut  le  lire 
sans  être  édifié  et  encouragé  à la  prière. 

La  foi,  voilà  l’esprit  qui  anime  H.  Taylor  et  qui  explique 
l'étonnante  sève  de  tout  ce  qu’il  dit  et  écrit.  Mais,  à cette 
foi,  il  faut  joindre  la  charité  : la  compassion  immense  pour 
le  monde  qui  périt,  et  particulièrement  pour  la  Chine  que  Dieu 
lui  a confiée  comme  son  champ  de  travail  spécial.  C’est  cette 
charité  qui  vivifie  et  pénètre  les  écrits  et  les  appels  de  H.  Tay- 
lor; c’est  elle  qui  fait  de  lui  un  des  plus  grands  avocats  que 
la  cause  de  la  Chine  ait  trouvés  en  Europe,  et  un  des  plus 
grands  apôtres  que  l’Évangile  ait  eus  en  Chine  jusqu’à  ce 
jour. 

La  mission  étant  décidée  en  principe,  il  fallait  l’établir  dans 
les  faits.  H.  Taylor  consacra  ce  qui  lui  restait  de  temps  à 
faire  connaître  la  Chine , ses  besoins  et  ses  droits.  Il  publia, 
sous  ce  titre,  une  brochure  dont  l’effet  fut  immense,  et  dont 
les  éditions  se  sont  succédé  rapidement.  En  même  temps,  il 
mettait  sa  parole  au  service  de  la  cause  à laquelle  il  s’était 
donné  ; et,  tout  en  persévérant  dans  la  prière,  il  ne  perdit 
aucune  occasion  de  la  plaider  en  public. 

Écoutons  le  récit  de  deux  incidents  qui  remontent  à cette 
époque,  et  où  l’homme  se  peint  tout  entier  avec  sa  foi  si  tenace 
et  l’originalité  spéciale  de  son  caractère. 

C'était  vers  la  fin  de  1865.  H.  Taylor  avait  été  invité  à 
prendre  part  à la  Conférence  annuelle  de  Perth,  en  Écosse, 
grande  assemblée  de  chrétiens  qui  se  réunissent  pour  s’édj- 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


439 


fier  en  commun.  Tout  en  s’y  rendant,  H.  Taylor  était,  comme 
à l’ordinaire,  hanté  par  la  pensée  de  la  Chine  et  de  ses 
titres  à la  compassion  des  chrétiens.  L’idée  lui  vint  de  saisir 
l’occasion  que  lui  offrait  la  Conférence  pour  plaider  la  cause 
chère  à son  cœur.  Mais,  c'était  là  une  dérogation  aux  habi- 
tudes et  aux  règles  de  la  réunion  ; aussi,  crut-il  bien  faire  de 
s’ouvrir  de  son  dessein  au  président.  Celui-ci  se  récria  : 
« Mais,  cher  monsieur,  ceci  est  tout  à fait  hors  de  question  ! 
Il  y a là  un  malentendu!  Nos  réunions  sont  réservées  à la 
seule  édification.  » H.  Taylor  expliqua  qu’il  n’y  avait  pas 
contradiction  entre  son  sujet  et  l’édification  des  chrétiens  ; 
que  l’obéissance  aux  ordres  de  Jésus  Christ  rentrait  sûre- 
ment dans  cette  édification;  bref,  il  fut  si  persuasif,  et  sur- 
tout il  se  montra  si  convaincu,  si  oppressé  par  le  fardeau  dont 
il  voulait  délivrer  son  âme,  qu’à  la  fin  le  président  donna  l’au- 
torisation demandée.  Vingt  minutes  lui  étaient  accordées  à la 
réunion  du  lendemain  matin. 

Quand,  ce  jour-là,  quatre  heures  du  matin  sonnèrent, 
H.  Taylor  était  déjà  à genoux  dans  sa  chambre.  Ce  qu’il  de- 
mandait à Dieu,  on  le  devine.  Il  avait  une  occasion  unique  de 
faire  entendre  l’appel  de  la  Chine  devant  l’Église  de  sa  patrie. 
Il  demandait  à Dieu  la  grâce  d’en  faire  un  emploi  décisif. 

Quand  il  se  vit  en  présence  de  l’immense  assemblée,  un 
tremblement  nerveux  s’empara  de  lui.  Incapable  de  parler,  il 
trouva  seulement  la  force  de  dire  : Prions.  Alors,  dans  une 
prière  qui  prit  au  moins  le  quart  du  temps  dont  il  disposait, 
il  répandit  son  âme  devant  Dieu  dans  une  fervente  prière 
pour  la  Chine  et  pour  que  l’esprit  de  Dieu  lui  fût  donné  à lui- 
même  et  l’aidât  à faire  entendre  aux  chrétiens  l’appel  de  ce 
grand  pays. 

Lorsqu’il  se  releva  de  sa  prière,  toute  angoisse  était  partie. 
Il  parla  avec  simplicité,  avec  puissance.  Il  raconta  l’histoire 
de  deux  bateliers  chinois,  qu’il  avait  vus  lui-même  refuser 
leur  secours  à un  malheureux  qui  se  noyait,  ne  voulant  pas 
se  déranger  pour  si  peu.  L’assemblée  frémissait  d’indigna- 
tion lorsque,  d’une  voix  tonnante,  H.  Taylor  s’écria  : « Tu  es 


440 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


cet  homme-là  ! » et  qu’il  montra  l'indifférence  du  monde 
chrétien  aux  misères  et  aux  hontes  du  monde  païen. 

Assurément,  ceux  qui  entendirent  cet  appel  ne  l’oublièrent 
jamais. 

Quelques  mois  plus  tard,  en  avril  1866,  H.  Taylor  se  trou- 
vait à Totteridge,  près  de  Londres.  Il  avait  accepté  de  parler 
dans  une  réunion,  à la  condition  qu’il  n’y  eût  pas  de  collecte. 
Il  parla  si  bien  et  excita  tant  de  sympathie  que  le  président 
déclara  qu'il  y aurait  tout  de  même  une  collecte.  «Après  ce 
que  nous  avons  entendu,  c’est  pour  nous  un  besoin  de  don- 
ner. Je  sais  que  M.  Taylor  a refusé  cette  collecte,  je  lui  donne 
acte  de  son  refus,  mais  je  suis  assuré  que  chacun  ici  m’ap- 
prouvera si  je  prends  sur  moi  de  passer  outre.  » A la  surprise 
générale,  H.  Taylor  se  lève  et  insiste  pour  que  la  décision 
prise  soit  maintenue,  a Mon  désir,  dit-il,  n’est  pas  que  vous 
vous  soulagiez  par  un  don  immédiat  des  émotions  que  vous 
ressentez.  Mon  désir  est  que  mes  paroles  restent  présentes  à 
votre  esprit  et  dans  vos  cœurs.  Quand  vous  aurez  réfléchi, 
faites  ce  que  vous  voudrez,  mais  je  persiste  à repousser  toute 
collecte  immédiate. 

La  séance  fut  levée.  Chacun  rentra  chez  soi.  H.  Taylor  était 
précisément  l’hôte  de  l’ami  qui  avait  présidé  la  réunion.  Pen- 
dant toute  la  soirée,  cet  ami  fut  pensif  et  ne  dit  rien.  Le  len- 
demain, il  entra  dans  la  chambre  de  H.  Taylor  et  lui  remit  un 
chèque  de  500  livres  sterling  (12,500  francs).  « Tenez,  dit-il. 
Si  l’on  avait  fait  une  collecte  hier,  je  n’eusse  donné  que 
quelques  guinées.  Ce  chèque  est  le  fruit  de  mes  réflexions. 
J’ai  passé  la  nuit  à genoux,  disant  à Dieu  : Seigneur,  que 
veux-tu  que  je  fasse  ? Et  voilà  la  réponse  qui  s’est  imposée  à 
moi.  » 

Ce  don  et  bien  d’autres  encore  vinrent  montrer  à H.  Taylor 
et  à ses  amis  que  le  sceau  de  l’approbation  divine  reposait 
sur  leurs  projets.  Dès  les  premiers  mois  de  1866,  près  de 
75,000  francs  avaient  été  reçus.  En  même  temps,  les  hommes 
se  présentaient.  Après  un  sérieux  examen,  un  certain  nombre 
furent  admis,  et,  le  26  mai  1866,  toute  la  petite  armée  mis- 


VARIÉTÉS 


441 


sionnaire,  comptant  dix-huit  personnes,  s’embarquait  à bord 
du  navire  à voiles  le  Lammermoor.  Après  un  voyage  acci- 
denté, mais  où  les  bénédictions  de  Dieu  abondèrent,  les  voya- 
geurs débarquaient  à Shanghaï.  C’était  au  commencement 
d’octobre  1866. 


• VARIÉTÉS 


UNE  VISITE  A LA  « MISSION  DES  UNIVERSITÉS  » 
A ZANZIBAR  (1) 

(Suite.) 


L’œuvre  faite  par  les  missionnaires  dans  la  ville  de  Zanzi- 
bar est,  en  somme,  une  œuvre  de  paroisse.  Ce  sont  d’anciens 
esclaves  libérés  qui  forment  la  paroisse.  La  maison  où  j’étais 
sert  de  home  à une  soixantaine  de  jeunes  nègres,  confiés  à la 
mission,  et  que  l’on  met  en  apprentissage  en  ville.  Le  soir, 
vers  six  heures,  ils  rentrent;  le  service  du  soir,  Yevening 
prayer  quotidienne,  est  célébré  à la  cathédrale  ; ensuite,  la 
maison  s’anime.  Je  promis  de  revenir  pour  voir  cela  ; l’emploi 
de  m.on  après-dîner  m’en  empêcha  dans  la  suite.  Il  y a aussi 
un  dispensaire,  et  l’on  vient  de  commencer  une  école  élémen- 
taire pour  les  enfants  du  quartier.  C’est  l’humble  début  d’une 
mission  d’attaque.  Les  Zanzibarites  étant  musulmans,  on  se 
heurtera  à toutes  les  difficultés  que  rencontre  la  mission 
chrétienne  en  face  de  l’islam,  surtout  en  pays  musulman. 

Cette  portion  de  l’œuvre  « des  Universités  »,  ou  plutôt  cette 
station  groupée  autour  de  la  cathédrale,  se  nomme  Mkuna- 


(1)  Vpir  pages  342  et  396. 


442 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


zini;  le  nom  provient  d’un  arbre  qui  pousse  derrière  la  mai- 
son et  qui  s’appelle,  en  swahéli,  kunazi;  le  locatif  mkunazini 
signifie  donc  « près  du  kunazi  » . 

J’avais  le  désir  de  visiter  les  deux  autres  stations  dans  l’île 
de  Zanzibar,  Kiungani  et  Mbweni.  Comment  s’y  rendre?  La 
voie  de  terre  présente  des  difficultés  spéciales;  le  sultan 
seul  possède  des  voitures  à Zanzibar  : on  en  obtient  par  l’in- 
termédiaire des  consuls,  mais  il  aurait  fallu  faire  des  dé- 
marches dès  le  matin.  Par  contre,  les  missionnaires  de  Mku-  . 
nazini  nous  apprirent  que  l’on  pouvait  aller  assez  facilement 
à Mbweni  en  barque.  Il  y a environ  quatre  milles  marins,  soit 
7,5  kilomètres  de  la  rade  à la  pointe  de  Mbweni;  et,  en  sui- 
vant l’arc  que  décrit  la  baie,  on  peut  aller  visiter  Kiungani, 
environ  à mi-chemin. 

Le  plus  simple  parut  donc  de  retourner  déjeuner  à bord  et 
de  se  mettre  en  route  vers  midi.  Sur  le  pont  de  1 1 Iraouaddy 
un  véritable  bazar  indou  s’était  installé.  A bâbord,  on  ven- 
dait de  tout;  à tribord,  un  charmeur  de  serpents  attirait  de 
nombreux  spectateurs.  Sauf  les  sept  à huit  serpents,  parmi 
lesquels  un  serpent  cobra,  la  scène  n’avait  d’intérêt  que  par 
ce  que  l’imagination  prête  au  nom  de  charmeur;  le  charme 
était  nul.  Mais  je  me  demandai  pourquoi  la  Société  des  Uni- 
versités n’a  pas  encore  commencé  une  œuvre  de  mission 
parmi  les  nombreux  indous  de  Zanzibar;  l'évêque  de  Mau- 
rice et  la  Société  de  la  propagation  de  l’Évangile  lui  donnent 
l’exemple  à Maurice,  sur  la  côte  est  de  Madagascar  et  à 
Natal. 

Après  le  repas,  je  surveillai  les  embarcations  qui  se  pres- 
saient autour  de  l’échelle  du  bord.  L’une  d’elles,  qui  me  parut 
mieux  bâtie,  plus  légère,  et  montée  par  deux  rameurs  solides, 
fut  hélée.  Débattre  le  prix  fut  une  longue  affaire,  les  consé- 
quences de  la  tour  de  Babel  empêchant  une  entente  facile. 
J’offrais  quatre  roupies,  qui  finirent  par  être  acceptées  comme 
prix  convenu.  D’ailleurs,  nous  n’avons  eu  qu’à  nous  louer  de 
notre  barque  qui  filait  bien,  et  de  nos  rameurs  qui  maniaient 
l’aviron  comme  des  marins  de  profession.  Jusqu’ici  je  n’ai  pas 


VARIÉTÉS 


i43 


commandé  de  matelots  noirs  plus  tranquilles,  plus  réguliers, 
j’allais  dire,  mieux  élevés.  L’un  s’appelait  Khamisi;  il  igno- 
rait toute  langue  autre  que  le  swahéli  et  se  contentait  d’ébau- 
cher de  gros  et  bons  sourires.  L’autre,  Djouma,  avait  passé 
trois  mois  et  demi  à bord  d’un  vapeur  de  Hambourg;  il  avait 
vu  Naples,  Marseille,  Lisbonne,  Hambourg;  Marseille  semble 
lui  avoir  laissé  l’impression  la  plus  vive.  Gomme  il  serait  inté- 
ressant de  fixer,  si  l’on  parlait  couramment  swahéli  et  si  l’on 
gagnait  la  confiance  de  Djouma,  ce  qui  surnage  de  toutes  ses 
expériences  dans  l’esprit  de  ce  nègre  qui  a vu  le  monde  1 

Gomme  le  vent  était  avec  nous,  nous  marchions  bien.  De 
temps  à autre,  une  lame  plus  forte  se  brisait  contre  Lavant  du 
canot  et  nous  éclaboussait;  le  balancement  saccadé  était  plu- 
tôt agréable.  Nous  allions  vers  le  sud,  contournant  le  pro- 
montoire où  s’élève  le  consulat  anglais,  passant  ensuite  de- 
vant l’hôpital  français,  très  bien  tenu,  dit-on,  par  les  sœurs 
delà  congrégation  du  Saint-Esprit  et  du  saint  cœur  de  Marie. 
J’aurais  beaucoup  désiré  visiter  la  mission  catholique;  mais 
il  m’a  été  impossible  de  loger  plus  que  je  n’ai  fait  dans  les 
dix  heures  d’escale  dont  je  disposais.  Après  cela,  nous  aper- 
çûmes le  pavillon  du  consulat  allemand  et  celui  du  consul  des 
État-Unis.  Puis,  vint  un  village  indigène,  fouillis  de  cases 
assez  minables  d’aspect.  Sur  la  plage,  dans  l’eau  jusqu’à  mU 
corps,  deux  où  trois  femmes  cherchaient  des  crabes  ou  des 
coquillages,  je  ne  saurais  le  dire.  A partir  de  là,  quelques 
habitations  isolées  s’égrènent  encore  sur  la  côte  où  l’éton- 
nante végétation  reprend  encore  le  dessus.  Elle  est  exubé- 
rante; elle  rappelle,  en  son  genre,  les  chairs  trop  pleines  des 
peintures  de  Rubens  : aux  manguiers,  aux  cocotiers  et  aux 
mimosas,  se  mêlaient  ici,  sans  compter  la  végétation  des  des- 
sous, des  casuarinas,  d’un  caractère  tout  différent,  comme 
égarés  ici. 

Une  demi-heure  de  navigation,  et  nous  échouons  le  canot 
sur  le  sable  de  la  plage.  La  plage  a dix  ou  douze  mètres  de 
large;  elle  monte  doucement  : alors  commence  immédiate- 
ment la  végétation  drue,  luisante,  épineuse,  comme  impa- 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tiente  d’envahir  le  rivage  où  une  puissance  plus  forte  l’em- 
pêche pourtant  d’avancer.  Une  douzaine  de  têtes  de  bétail 
paissaient  à l’écart.  Un  chemin,  un  sentier  plutôt,  grimpe  à 
travers  un  jardin  féerique.  J’ai  remarqué  surtout  des  buis- 
sons de  frangipane  avec  des  fleurs  à calice  blanc,  profond, 
jaune  vif  au  fond,  ayant  la  consistance  de  la  fleur  d’oranger, 
mais  dix  fois  plus  grandes;  puis  des  hybriques,  dont  la  flo- 
raison présente  une  variété  presque  infinie  de  tons  pourpres, 
roses  violets,  panachés,  tigrés.  Au  haut  du  sentier,  sur  lequel 
nous  avions  croisé  quelques  garçons  qui  nous  saluaient  en 
disant  : « Yambo , mboni!  d si  j’ai  bien  compris,  nous  arri- 
vâmes devant  une  maison  d’apparence  arabe,  d’un  étage,  de 
forme  cubique,  à porte  basse  et  étroite.  A travers,  on  plonge 
du  regard  dans  un  couloir,  une  sorte  de  promenoir,  dont  les 
arcades  s’ouvrent  des  deux  côtés  sur  deux  cours.  Plusieurs 
garçons  et  jeunes  gens,  tous  vêtus  d’une  veste  et  d’une  cu- 
lotte en  percale  blanche,  quelquefois  avec  un  galon  rouge,  et 
auxquels  je  demande  le  missionnaire,  font  venir  un  monsieur 
vêtu  comme  ceux  de  Mkunazini,  d’une  longue  soutane  blan- 
che. La  réception  fut  cordiale.  Le  révérend  M.  D.  nous  offrit 
de  nous  conduire  partout  avant  le  lunch  qu’on  préparait. 

La  visite  commença  par  l’église  : style  arabe,  plus  authen- 
tique encore  qu’à  Zanzibar;  pas  de  vitraux,  pas  même  de  vi- 
tres ; les  baies  sont  fermées  de  grilles  en  fer  d’un  travail  lé- 
ger et  élégant,  fait  à Bombay.  Dans  le  chœur  un  maître-autel, 
drapé  avec  goût,  de  couleur  sombre.  Tous  les  jours,  on  cé- 
lèbre dans  cette  église  la  liturgie  du  culte  du  matin  et  du  culte 
du  soir  en  swahéli.  Tous  les  élèves  de  l’institution,  — car 
Kiungani  est  un  centre  scolaire,  — assistent  à ces  deux  ser- 
vices. De  plus,  trois  fois  par  semaine,  on  célèbre  une  early 
communion , à laquelle  les  élèves  assistent  à volonté.  Le 
nombre  des  élèves  varie  beaucoup,  trop  peut-être;  mais  on  n’y 
peut  rien  changer.  Il  y en  a actuellement  80;  il  y a peu  de 
mois,  il  y en  avait  120.  On  peut  en  recevoir  jusqu’à  150.  Il 
faut  des  cadres  solides  et  beaucoup  d’application  à la  fois  et 
de  souplesse  de  la  part  des  maîtres,  pour  garantir  une  marche 


VARIÉTÉS 


m 


régulière  malgré  les  allées  et  venues.  Elles  proviennent  du 
fait  que  beaucoup  d’élèves  font  de  longs  voyages  pour  entrer 
à l’école  de  Kiungani.  Il  y avait  des  garçons  de  wa-kondé, 
wa-yao  et  wa-nyasa,  par  exemple.  Ces  derniers  mettent  trois 
mois  et  demi  à venir  de  leur  pays  jusqu’à  Zanzibar.  On  ne 
peut  pas  leur  fixer  un  terme  pour  arriver.  Ils  ne  pourraient 
que  difficilement  voyager  seuls,  ils  seraient  exposés  à être 
exploités  ou  même  réduits  en  esclavage.  Ces  garçons  se  met- 
tent donc  en  route  lorsqu’un  missionnaire  fait  le  voyage  ou 
quand  il  y a l’occasion  d’un  convoi  de  confiance.  A quelque 
date  qu’ils  arrivent  à Kiungani,  ils  sont  reçus  et  mis  dans 
l’une  des  classes,  presque  toujours  dans  la  sixième.  Cela 
suppose  une  instruction  première  reçue  dans  leur  pays  d’ori- 
gine ; elle  dure  habituellement  trois  à quatre  ans.  Les  mis- 
sionnaires du  continent  ne  font  partir  un  élève  pour  Kiungani 
que  lorsqu'il  sait  lire  et  écrire  couramment  le  swahéli  et  qu’il 
comprend  un  récit  anglais,  très  facile,  à première  vue. 

A Kiungani,  il  y a six  classes.  La  sixième  est  élémentaire  ; 
la  première,  ou  head  class , compte  en  moyenne  de  12  à 15 
élèves;  à leur  sortie,  ils  sont  employés  comme  instituteurs. 
Au-dessus  d’eux,  il  y a une  section  théologique  dont  les  étu- 
diants — on  distingue,  en  effet,  ces  élèves  par  le  nom  de  stu- 
dents  — suivent  certains  cours  professés  aux  futurs  institu- 
teurs, bien  qu'ils  aient  déjà  passé  régulièrement  par  la 
première  classe,  et,  en  outre,  ils  ont  des  cours  spéciaux  et 
pas  mal  de  temps  pour  l’étude  personnelle,  contrôlée  régu- 
lièrement par  des  interrogations  et  des  travaux  écrits. 

Un  sommaire  du  tableau  des  leçons  donnera  une  idée  du 
travail  que  l’on  fait  à Kiungani.  Les  étudiants  préparent  leurs 
leçons  de  7 h.  1/4  du  matin  à 8 heures  ; de  8 heures  à 8 h.  1/2, 
à la  chapelle.  De  9 h.  1/2  à 10  h.  1/4,  ils  assistent  à un  cours 
théologique,  où  l’on  traite  un  sujet  trois  fois  par  semaine. 
On  fait  ensuite  de  l’homilétique  de  10  h.  1/4  à 10  h.  3/4.  Entre 
11  heures  et  midi,  les  étudiants  suivent  la  leçon  d’anglais 
donnée  à la  classe  supérieure.  De  2 heures  à 2 h.  3/4,  le  pro- 
fesseur discute  avec  les  élèves  et  leur  explique  les  livres  qu’il 


446 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


les  a chargés  de  lire.  De  2 h.  3/4  à 3 h.  f/2,  traduction  an- 
glaise dans  la  première  classe.  Entre  4 heures  et  3 heures,  on 
prépare  trois  fois  par  semaine  un  commentaire  biblique.  Les 
deux  autres  jours  on  traite  en  swahéli  ce  même  commentaire. 
Dans  la  soirée,  de  8 h.  d/2  à 9 h.  1/2,  les  étudiants  font  étude 
avec  les  élèves  de  la  classe  supérieure.  Dans  quelques  rares 
cas,  — on  m’a  cité  celui  du  révérend  Peter  Limo,  — l’un  ou 
l’autre  des  étudiants  a été  admis  à faire  un  peu  de  grec. 

Dans  la  classe  supérieure,  on  fait  de  la  géométrie,  de  l’al- 
gèbre, de  l’arithmétique,  de  la  musique,  de  la  diction,  de 
l’histoire  biblique  et  de  l’histoire  de  l’Église,  de  la  géogra- 
phie et,  en  outre,  quatre  heures  d’anglais  par  jour.  Les  livres 
anglais,  lus,  analysés,  expliqués  et  traduits  en  swahéli,  sont 
de  deux  espèces  : les  uns  traitent  de  sujets  profanes,  choisis 
pour  élargir  l’horizon  des  élèves;  une  autre  série  est  théolo- 
gique : ce  sont,  outre  ce  que  les  Allemands  nomment  Bibel- 
kunde,  des  explications  du  catéchisme.  Les  élèves  qui  pas- 
sent un  bon  examen  sur  un  livre  lu  et  digéré,  reçoivent  le 
volume  en  prix. 

Il  y a,  en  effet,  deux  examens  semestriels  par  an,  l’un  en 
janvier,  l’autre  en  juillet.  Les  étudiants  sont  interrogés  sur 
les  cours  qu’ils  suivent  avec  la  classe  supérieure;  mais  on  ne 
publie  pas  leurs  notes.  Gn  insiste  ainsi  sur  une  distinction 
entre  eux  et  les  élèves  ; on  cultive  le  sentiment  de  la  hiérar- 
chie et  de  la  subordination.  J’ai  sous  les  yeux  les  résultats 
de  l’examen  du  mois  de  janvier  1896.  Dans  la  première  classe, 
sur  un  maximum  de  1,040  points,  les  deux  meilleurs  élèves 
ont  obtenu,  l’un  673>  l’autre  523  points;  le  dernier  élève  de 
classement  est  resté  à 376  points.  Ces  résultats,  pas  tout  à 
fait  satisfaisants,  sont  dûs  exceptionnellement  aux  interroga- 
tions beaucoup  trop  difficiles  faites  par  un  missionnaire  ré- 
cemment arrivé  et  auquel  l’expérience  manque  eneore. 

Il  y a quatre  missionnaires  à Kiungani,  tous  célibataires. 
Un  seul  est  ordonné  prêtre.  L'un  des  autres  est  un  jeune 
savant,  ancien  tutor  à Christ  Church  College,  Oxford,  et  qui 
parait  destiné  à reprendre  les  travaux  linguistiques  par  les^ 


VARIÉTÉS 


447 


quels  l’évêque  Steere  a illustré  cette  mission.  Ce  même  pro- 
fesseur fait  des  cours  libres  sur  des  sujets  d'ordre  général.  Il 
faut  ajouter  encore  que  les  élèves  de  la  classe  supérieure 
manquent  à tour  de  rôle  deux  tiers  des  leçons  pendant  un 
mois  sur  trois,  pour  prendre  part  à l’enseignement  dans  les 
classes  inférieures,  sous  la  direction  du  professeur.  C’est  de  la 
pédagogie  appliquée.  D’autre  part,  les  meilleurs  d'entre  les 
étudiants  sont  nommés  lecteurs,  — le  rôle  d’anagnoste  était 
le  premier  degré  des  ordres  dans  l’ancienne  Eglise  chré- 
tienne, — et  prennent  une  part  active  aux  services  religieux 
et  aux  catéchismes  tenus  à Kiungani  et  dans  les  environs. 

Dans  les  classes  inférieures,  les  élèves  de  la  deuxième  classe 
ont  obtenu,  le  premier,  527  points  sur  830;  les  deux  sui- 
vants, 441  et  418;  les  trois  derniers,  302,  250  et  197.  Dans  la 
troisième  classe,  les  trois  premiers  ont  eu,  sur  un  maximum 
de  715,  448,  389  et  250;  les  cinq  derniers,  201,  176,  133,  121 
et  118.  La  quatrième  classe  n’a  fait,  sur  un  maximum  de  625, 
que  357  et  300  dans  la  personne  des  deux  premiers  élèves,  et 
203  et  183  dans  celle  des  deux  derniers. 

Sous  la  direction,  suffisamment  discrète,  je  crois,  des  mis- 
sionnaires, il  s’est  formé  parmi  les  étudiants  et  élèves  de  la 
classe  supérieure  une  association  ou,  suivant  un  mot  en  fa- 
veur dans  les  cercles  ritualistes,  une  ghilde  de  saint  Paul, 
en  swahéli  : Chama  cha  Pàolo  Makatifu.  L’organisation,  au- 
tant que  j’ai  pu  la  pénétrer,  est  assez  simple.  Les  membres 
s’astreignent  à certains  exercices  de  dévotion.  Ils  ont  la 
faveur  de  pouvoir  se  retirer  dans  des  cellules  réservées  pour 
cela,  comme  les  anciens  Gebetskæmmerlein  dans  les  combles 
de  la  Maison  des  missions  de  Bâle.  Entré  au  service  actif  de 
l’Église,  on  reste  membre  de  la  ghilde.  Elle  compte  actuel- 
lement une  trentaine  de  membres,  dont  6 prêtres,  3 diacres 
et  5 lecteurs,  tous  indigènes,  cela  va  sans  dire.  Il  se  peut  que 
cela  contribue  à développer  dans  ces  jeunes  gens  l’habitude 
de  porter  une  certaine  responsabilité,  et  aussi  l’initiative  per- 
sonnelle. Cela  prépare  donc,  dans  une  certaine  mesure, 
l’émancipation  et  l’indépendance  de  l’Église  africaine.  On 


448 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


sait  combien  les  missionnaires  de  la  Société  dite  « des  Uni- 
versités » ont  l’œil  ouvert  sur  ces  questions,  et  combien  ils 
insistent  en  particulier  sur  ce  qu’il  ne  faut  pas  que  les  prê- 
tres indigènes  soient  travestis  en  pseudo-Européens.  J’ai  été 
heureux  d’entendre,  dans  ce  milieu,  l’un  des  missionnaires 
exprimer  l’espoir  de  voir  un  jour  le  Prayer-Book  remanié, 
refondu  et  mis  au  point  pour  les  Africains  par  des  Africains. 
Le  principe  me  paraît  incontestablement  juste;  son  applica- 
tion pourrait  bien  avoir  pour  conséquence  la  constitution  et 
l’organisation  d’une  Église  africaine  passablement  différente 
de  ce  qui  est  actuellement  l’idéal  anglican. 

En  parcourant  toutes  les  salles  de  classe,  j’ai  vu  dans  le  sa- 
lon de  lecture  réservé  aux  étudiants  quelques-uns  des  livres 
qu’on  leur  fait  étudier.  Ce  sont  ceux  qu’on  trouve  dans  tous 
les  séminaires  anglicans.  Au  premier  rang,  naturellement, 
Pearson's  Exposition  of  tlie  Creed,  par  Walford  ; The  Church's 
doctrine  of  the  Incarnation , par  Wilberforce  ; The  Missionai'y’s 
Fondation  of  Doctrine;  puis  le  commentaire  simplifié  de 
Westcott  sur  l’Évangile  de  saint  Jean.  Ouverts  sur  la  table, 
il  y avait  quelques  tomes  d’un  Dictionary  of  doctrinal  and 
historical  Theology.  J’espère  qu’on  n’y  puise  pas  trop  de  ren- 
seignements superficiels  et  de  parade.  Le  Dictionary  of  the 
Bible  de  Smith  se  trouvait  aussi  là  et  est  d’un  usage  plus 
utile.  Il  faut  rappeler  ici,  pour  prévenir  une  impression 
erronée  à propos  de  ces  livres  anglais,  que  les  leçons  théolo- 
giques se  donnent  comme  toutes  les  autres,  en  swahéli. 

(A  suivre.)  F.  H.  Kruger. 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20581. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


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SOCIÉTÉ 


DES 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


DEUX  CONSÉCRATIONS 
M.  Paul  L.  Vernier  et  M.  A.  Coïsson. 

Au  cours  de  ces  dernières  semaines,  deux  de  nos  élèves 
missionnaires  ont  reçu  l'imposition  des  mains  : MM.  Paul-Louis 
Vernier,  le  27  août,  et  Auguste  Coïsson,  le  10  septembre.  Le 
peu  d'espace  dont  nous  disposons  nous  force  malheureuse- 
ment à nous  borner  à un  compte-rendu  sommaire  de  ces 
deux  cérémonies,  qui,  l’une  et  l’autre,  ont  produit,  nous 
écrit-on,*  une  profonde  impression  sur  les  auditeurs  nom- 
breux et  attentifs  qui  en  ont  été  les  témoins. 

La  consécration  de  M.  Paul-Louis  Vernier  a eu  lieu  à Mont- 
meyran,  dans  le  même  temple  où,  trente  ans  auparavant,  le 
père  du  candidat,  le  missionnaire  Vernier,  et  son  oncle,  le  pas- 
teur Paul  Vernier, maintenant  décédé,  avaient  reçu  l’imposition 
des  mains.  « La  journée  du  27  août,  nous  %crit  le  nouveau 
missionnaire,  a été  belle  au-delà  de  toute  expression;  elle  a 
été  particulièrement  bénie  pour  celui  qui  vous  parle,  et  ceux 
qui  y ont  assisté  en  ont,  je  suis  sûr,  emporté  une  impression 
octobre  1896.  33 


450 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


bienfaisante.  Beaucoup  de  pasteurs,  beaucoup  de  monde. 
Vingt  pasteurs  m’ont  imposé  les  mains...  » 

Au  début  du  service,  M.  le  pasteur  Benoit , de  Montauban, 
est  monté  en  chaire,  a lu  la  Bible  et  prononcé  la  prière; 
puis  M.  le  pasteur  Mouline,  de  Marseille,  membre  honoraire 
du  Comité  des  Missions,  oncle  du  candidat,  a prononcé  le  dis- 
cours de  consécration  sur  le  texte  connu  Rom.  X,  v.  14  et  15. 
«Quiconque  invoquera  le  nom  du  Seigneur  sera  sauvé.  Com- 
ment donc  invoqueront-ils  celui  en  qui  ils  n’ont  point  cru? 
Et  comment  croiront-ils  en  celui  dont  ils  n’ont  point  entendu 
parler?  Et  comment  en  entendront-ils  parler  s’il  n’y  a per- 
sonne qui  soit  envoyé?  » Après  cette  prédication,  d’une  forte 
ordonnance,  et  très  émouvante  dans  certaines  de  ses  parties, 
M.  le  pasteur  T . Fallot,  président  du  Conseil  auxiliaire  de  la 
Drôme,  et  lui  aussi  membre  honoraire  du  Comité  de  Paris,  a 
fait  prendre  au  candidat  les  engagements  d’usage  et  lui  a 
présenté  les  vœux  du  Comité  auxiliaire.  Puis  a eu  lieu  l’acte 
même  de  la  consécration,  pendant  que  M.  le  pasteur  Elle  Ver- 
nier, oncle  du  candidat,  prononçait  la  prière. 

La  cérémonie  s’est  terminée  par  l’allocution  du  candidat,  dont 
nous  ne  pouvons,  à notre  regret,  donner  ici  qu'un  court  ré- 
sumé. La  reconnaissance,  l’action  de  grâces  en  ont  occupé 
la  première  partie.  Le  passé  du  candidat  ne  lui  inspire  que 
gratitude  et  louanges.  Fils  d’un  dévoué  missionnaire,  il 
n’a  reçu,  à Taïti,  dans  sa  famille,  comme  au  foyer  de  ses 
oncles  et  tantes,  en  Europe,  que  des  exemples  de  piété,  de 
dévouement  à la  cause  de  Dieu  et  de  tendre  affection. 
Il  tient  à mentionner  aussi  une  grave  maladie,  qui  a failli, 
il  y a quelques  années,  mettre  un  terme  à sa  vie,  et  son 
séjour  de  trois  ans  à la  Maison  des  Missions,  qui  a,  dit-il,  été 
décisif  pour  sa  vocation  de  missionnaire.  Ces  grâces  de  Dieu 
sont  présentes  à son  esprit,  lui  font  sentir  plus  vivement  les 
faiblesses  et  les  misères  de  sa  vie  personnelle,  et  devant  le 
ministère  qui  va  lui  être  confié,  il  tremble.  Ce  qui  le  rassure, 
c’est  qu’il  va  prêcher,  non  ses  expériences,  sa  pensée  ou  sa 
personne,  mais  Jésus-Christ  et  son  Evangile.  Cet  Évangile 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


451 


est  suffisant  pour  la  double  tâche  qui  attend  le  futur  mission- 
naire de  Taïti  : conserver  et  conquérir.  « En  effet,  dit-il,  -si 
l’Evangile  est  connu  dans  les  Iles  de  la  Société,  il  existe 
encore  des  archipels  reculés,  où  il  n’a  pas  été  annoncé,  et...  si 
l’œuvre  des  missions  à Taïti  se  réduit  plutôt  à conserver  des 
résultats  acquis,  il  n’èn  est  pas  de  même  dans  les  archipels 
païens,  où  la  mission  doit  surtout  présenter  le  caractère  d’une 
conquête.  .» 

En  terminant,  le  candidat  a exposé  le  contenu  de  l’Evan- 
gile, tel  qu’il  le  comprend,  avec  tous  les  témoins  fidèles  de 
Jésus-Christ,  missionnaires  et  autres.  « Je  m’écarterai  avec 
soin,  dit-il,  dans  ma  prédication  comme  dans  ma  vie,  de  tout 
ce  que  je  ne  croirai  pas  conforme  à la  volonté  de  mon  Maître. 
Je  prêcherai  l’amour  de  Dieu  pour  tous  les  hommes,  même 
les  plus  dégradés,  sans  cependant  oublier  d’insister  quand 
il  le  faudra  sur  sa  sainteté;  je  prêcherai  la  foi  en  Jésus- 
Christ,  mort  pour  nos  péchés,  ressuscité  pour  notre  justifi- 
cation. Je  le  présenterai  comme  celui  en  qui  s’est  accomplie 
la  réconciliation  entre  Dieu  et  le  pécheur.  Que  Dieu  m’aide  à 
mettre  en  pratique  moi-même,  le  premier,  ce  que  j’annon- 
cerai aux  autres!  Qu’il  me  rappelle  toujours  qu’une  seule 
inconséquence  de  ma  part  peut  compromettre  gravement 
l’œuvre  du  Maître  que  je  prétends  servir.  La  pensée  que  je  suis 
son  serviteur  me  soutiendra.  Elle  me  donne,  pour  le  moment 
même,  l’espérance  que  Dieu  ne  m’abandonnera  pas...  (1)  » 

La  consécration  de  M.  Auguste  Goïsson  a eu  lieu  à la  Tour, 
le  pittoresque  chef-lieu  de  ces  Vallées  vaudoises  qui  nous 
ont  déjà  fourni  plusieurs  bons  et  fidèles  missionnaires.  C’est 
le  directeur  de  la  Maison  qui  devait  prononcer  le  discours  de 
consécration  : des  circonstances  personnelles  l’ayant  privé  de 
cette  joie,  comme  aussi  de  celle  de  participer  à la  consécra- 


(l)Nous  devions  recevoir  un  compte  rendu  détaillé  de  la  consécration 
de  M.  Vernier.  11  ne  nous  est  pas  parvenu  à l’heure  actuelle  : c’est  ce 
qui  explique  les  lacunes  de  notre  récit.  {. Réd .) 


452 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tion  de  M.  Vernier,  M.le  pasteur  Appia  avait  bien  voulu  se 
charger,  à la  demande  du  Comité,  de  présider  celle  de 
M.  Coïsson.  La  présence  de  MM.  Coillard  et  Louis  Jalla,  re- 
présentants de  cette  mission  du  Zambèze  pour  laquelle  a été 
désigné  M.  Coïsson,  ajoutait  à la  fête  un  élément  de  puissant 
et  sain  intérêt.  Aussi  l'assistance  était-elle  très  considérable  : 
« depuis  longtemps,  nous  écrit-on,  on  n’avait  eu  une  si  belle 
assemblée;  le  grand  temple  de  la  Tour  débordait  ». 

C’est  M.  L.  Jalla  qui  a ouvert  le  service  par  la  lecture  de  la 
Parole  de  Dieu  et  la  confession  des  péchés.  Puis,  pendant  que 
l’assemblée  chantait  le  beau  cantique  : « Toi  qui  dans  la 
nuit  de  la  vie  »,  M.  Appia  est  monté  en  chaire  et  « a prononcé, 
nous  écrit  un  témoin  oculaire,  un  des  meilleurs  sermons  que 
j’aie  jamais  entendus  : tout  parlait  au  cœur  ; l’assemblée  a suivi 
avec  attention  jusqu'au  dernier  mot.  Son  texte  était  2 Timo- 
thée II,  3 et  4,  et  son  développement  a porté  sur  les  trois 
points  suivants  : 1°  Le  fait  même  qui  motive  la  réunion  : un 
combattant  s’enrôle  pour  la  sainte  guerre  des  missions; 
2°  le  motif  souverain  qui  va  désormais  diriger  toutes  ses 
actions:  plaire  à celui  qui  l’a  enrôlé;  3°  la  mesure  de  son 
service  : d’après  la  nature,  les  lois  humaines  et  divines, 
le  serviteur  de  Dieu  ne  peut  s’attendre  à l’approbation  de  son 
Maître,  au  succès,  à la  victoire,  que  s’il  prend  entièrement 
au  sérieux  le  service  auquel  il  s’est  voué  et  s’y  donne  sans 
partage.  » 

Après  ce  discours,  tandis  que  l’assemblée  entonnait  les 
strophes  entraînantes  du  cantique  : « Debout,  sainte  cohorte», 
M . Coïsson  est  monté  en  chaire  à son  tour  et  a rendu  compte  de  sa 
foi  et  de  sa  vocation.  Nous  n’avons  pas  sous  les  yeux  le  texte  de 
son  allocution,  mais  nous  savons  qu’elle  a été  en  profonde 
harmonie  avec  le  reste  de  cette  belle  soirée  (1).  On  a chanté  : 

« J’ai  soif  de  ta  présence  »,  puis  M.  Appia  a lu  la  liturgie  de 
consécration,  et  l’imposition  des  mains  a eu  lieu.  La  prière  de 


(1).  Cette  allocution  vient  de  nous  parvenir.  Nous  en  publierons  quel- 
ques extraits  dans  un  mois. 


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453 


consécration  a été  prononcée  par  M.  le  professeur  P.  Geymo - 
naty  président  du  Synode.  Pendant  que  les  pasteurs  consa- 
crants donnaient  au  nouveau  ministre  l’accolade  fraternelle, 
un  chœur  a chanté  le  cantique  : « Mon  cœur,  mon  corps, 
mon  âme  ne  m’appartiennent  plus  »;  puis  M.  Coillard  est 
monté  en  chaire  et  a prononcé  une  émouvante  allocution, 
dont  le  texte  lui  a été  fourni  par  le  mot  de  Saül  à David:  «Va, 
et  que  le  Seigneur  soit  avec  toi  » (1  Paul,  17,  37.)  (1). 

Telles  ont  été  ces  deux  fêtes.  En  les  racontant,  nous  avons 
surtout  désiré  faire  connaître  aux  amis  des  missions  les  nou- 
veaux ouvriers  que  notre  Société  va  faire  partir  pour  ses 
champs  de  travail.  Ils  n’oublieront  pas  leurs  noms,  et  ils  en 
feront  mention  dans  leurs  prières,  demandant  à Dieu,  pour 
chacun  d’eux,  la  grâce  d’être  un  bon  et  fidèle  serviteur,  digne 
d’entendre  un  jour  comme  récompense  de  son  travail  le 
« Cela  va  bien  » du  Maître. 

Nous  n’avons  pas  besoin,  à cette  occasion,  de  recommander 
aux  prières  de  tous  nos  amis  l’activité  et  surtout  la  santé  de 
notre  frère  Coillard,  qui  a assisté  au  synode  de  l’Église  vau- 
doise  et  vient  de  faire  une  série  de  réunions  et  de  prédica- 
tions en  Piémont,  à Saint-Jean,  Torre-Pellice,  Villar,  Pomaret, 
Turin,  éveillant  partout  un  grand  intérêt.  Il  a pris  part 
ensuite  aux  réunions  d’étudiants  de  Sainte-Croix,  et  traverse 
Paris,  d’où  il  se  rend  à Liverpool,  en  attendant  de  pouvoir 
commencer  ses  tournées  en  France. 


(1)  Les  organisateurs  de  la  fête  nous  prient  d’exprimer  le  regret  qu’ils 
éprouvent  de  n’avoir  pas  fait  place,  dans  le  programme  de  la  fête,  à 
M.  Je  pasteur  J.  Weitzecker,  missionnaire  honoraire.  Nos  lecteurs 
savent  tout  ce  qu’a  eu  de  douloureux  le  ministère  de  ce  frère  au  Les- 
souto.  Mais  la  mission  du  Zambèze,  elle  aussi,  a reçu  de  lui  un  signalé 
service;  c’est  en  s’offrant  pour  le  poste  de  Léribé  qu’il  a rendu  possible 
le  départ  de  M.  Coillard  pour  le  nouveau  champ  de  travail  auquel  il  s’é- 
tait consacré. 


454 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


SITUATION  FINANCIÈRE 
au  20  septembre  1896. 


Notre  trésorier  nous  communique  la  note  suivante  : 


Pour  faire  face  à la  dépense  prévue  pour  1896-97,  qui 

est  de 373,000  » 

Il  faudrait  une  recette^mensuelle  de  31,000  francs,  ce  qui 
fait  pour  les  5 mois  et  20  jours  écoulés,  du  1er  avril  au 
20  septembre  1896,  un  chiffre  total  de 176,000  » 

Nous  n’avons  reçu  jusqu’à  ce  jour,  pendant  le  même 

laps  de  temps,  qu’une  somme  de 60,345  » 

faisant  une.  différence  en  moins  de 115,655  > 

Les  recettes  du  Zambèze  sont  à ce  jour  de 39,674  > 

au  lieu  de 10,437  » 

qu’on  avait  reçus  l’année  dernière  à pareille  époque. 


MADAGASCAR 

Les  dernières  nouvelles  qui  nous  sont  parvenues  de  M.  Es- 
cande  sont  datées  du  30  août.  Voici,  du  reste,  la  plus  grande 
partie  de  sa  lettre  : 

« A bord  de  Ylraouadcly,  en  vue  de  Port-Saïd, 
le  30  août  1896. 

« Cher  Monsieur  Boegner, 

« Je  vous  ai  déjà  écrit  pour  vous  raconter  l'accueil  si  cor- 
dial que  m’ont  fait  les  amis  de  Marseille.  Ils  sont  venus,  au 
nombre  d’une  douzaine,  m’accompagner  jusqu’au  bateau. 
Dès  ce  moment,  un  lien  très  étroit  m’unit  à eux. 

« Nous  sommes  une  cinquantaine  de  passagers  de  première 


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455 


et  de  seconde  classe,  dont  un  certain  nombre  débarqueront 
ici  à Port-Saïd.  Plusieurs  vont  à la  Réunion,  quelques  An- 
glais même  vont  jusqu’à  Pile  Maurice.  Tous  les  autres, 
parmi  lesquels  dix  officiers,  sont  à destination  de  Mada- 
gascar. 

« Ces  officiers  escortent  à peu  près  trois  cents  soldats  de 
la  légion  étrangère  qui  vont  renforcer  l’effectif  ordinaire  de 
l’île.  Comme  il  y a parmi  eux  une  assez  forte  proportion  de 
protestants,  j’ai  déjà  commencé  auprès  d’eux  mon  ministère 
actif.  Quel  bonheur  que  je  me  sois  pourvu  de  brochures  alle- 
mandes ! Beaucoup  de  ces  légionnaires  sont  les  anciens  su- 
jets de  l’empereur  Guillaume,  dont  ils  parlent  du  reste  la 
langue.  Il  y a aussi  pas  mal  d’Italiens. 

« Chose  étrange  ! les  fonctionnaires  manquent  presque 
complètement.  Il  est  vrai  que  ce  n'est  guère  le  moment 
d’aller  à Madagascar,  puisque  nous  arriverons  là-bas  au 
commencement  des  pluies.  Je  cherche  à nouer  connaissance 
avec  mes  compagnons  de  voyage  et  ai  déjà  eu  de  bonnes 
conversations  avec  plus  d’un. 

« La  mer  est  aussi  belle  que  possible.  Nous  avons  énormé- 
ment joui  de  notre  traversée  du  détroit  de  Messine;  vu  du 
large,  le  littoral  de  lTtalie,  à cet  endroit,  est  vraiment  pitto- 
resque. J’ignore  si,  à cause  du  choléra  qui  sévit  en  Égypte, 
on  va  nous  permettre  de  mettre  pied  à terre  à Port-Saïd.  Je 
m’arrangerai,  dans  tous  les  cas,  pour  que  cette  lettre  parte  et 
aille  vous  donner  de  mes  nouvelles. 

« Que  vous  dirai-je  d’autre?  Je  suis  heureux,  parce  que  je 
me  sens  à la  place  où  le  Maître  m’a  appelé.  Tout  ce  que  je 
Lui  demande,  c’est  qu’il  me  donne  de  le  servir  partout  et 
toujours  avec  fidélité.  Je  pense  que  vous  avez  dû  recevoir 
hier  ou  aujourd’hui  des  nouvelles  de  Saint-Louis.  Combien 
il  me  tarde  de  les  connaître  ! Dieu  veuille  veiller  sur  mes 
chers  collaborateurs,  qui  portent  là-bas  le  faix  du  jour. 

« B.  Escande.  » 


Les  lettres  que  nous  avons  reçues  de  M.  Lauga  montrent 


456 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


combien  sera  bienvenue  la  nouvelle,  qu’il  n’avait  pas  encore 
reçue  en  expédiant  son  dernier  courrier,  de  la  prochaine  ar- 
rivée de  M.  Escande.  Ces  lettres,  datées  du  16,  du  28  et  du 
30  juillet,  ont  trait,  en  grande  partie,  aux  arrangements  pris 
pour  relever  de  leurs  postes  nos  délégués  et  pour  assurer  la 
continuation  de  leur  œuvre.  Nous  y trouvons  aiissi  d’intéres- 
sants détails  sur  la  situation.  Celle-ci,  comme  nos  lecteurs  le 
savent,  est  loin  de  s’améliorer.  Au  point  de  vue  religieux  et 
missionnaire,  elle  est  même  fort  sombre.  M.  Lauga  nous  parle 
des  efforts  faits  par  les  Jésuites  pour  exploiter  ces  temps  de 
trouble  à leur  profit. 

« Ils  ont  commencé,  écrit-il,  sur  ces  populations  terro- 
risées par  le  brigandage  dont  elles  sont  les  victimes,  autant 
que  par  les  événements  de  l’an  dernier,  une  œuvre  d’intimi- 
dation qui  pourrait,  si  on  n’y  opposait  pas  une  action  éner- 
gique, avoir  les  plus  graves  conséquences.  Dans  toutes  les 
stations  excentriques  plus  ou  moins  atteintes  par  l’insurrec- 
tion, ils  obtiennent  qu’on  envoie  des  postes  militaires,  — ce 
qui  est  excellent,  — mais  au  lieu  de  se  contenter  de  travailler 
loyalement  sous  cette  protection,  ils  en  profitent  pour  faire 
une  guerre  déloyale  et  acharnée  au  protestantisme.  Aux 
officiers  chargés  de  défendre  la  région  et  de  conduire  les  en- 
quêtes, et  qui,  dans  ces  villages  sans  ressources,  sont  presque 
toujours  leurs  hôtes,  ils  dénoncent  systématiquement  comme 
rebelles  les  hommes  qui  ont  quelque  influence  religieuse 
dans  l’Église  protestante,  toujours  de  beaucoup  les  plus 
nombreux,  et  qui.  après  avoir  été  les  premières  victimes  des 
Favahalos,  qui  ont  détruit,  pillé  et  brûlé  leurs  maisons,  quand 
ils  ne  pouvaient  pas  les  massacrer  eux-mêmes,  se  voient 
appréhendés  par  ceux  qu’ils  croyaient  leurs  protecteurs. 
Puis,  les  troupeaux  une  fois  privés  de  leurs  hommes  in- 
fluents, ils  se  livrent  sans  ménagement  à leur  œuvre  d’inti- 
midation, publiant,  au  milieu  de  ces  populations  apeurées, 
que  quiconque  ne  viendra  pas  à l’Église  catholique  sera 
considéré  comme  rebelle  et  en  subira  les  conséquences. 

« J’ai  dû,  depuis  le  départ  de  Krüger,  recommencer  mes 


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457 


courses  au-dehors  pour  aller  dans  diverses  directions  essayer 
d’empêcher  cette  œuvre  diabolique  de  porter  ses  fruits,  et 
j’espère  y avoir  en  partie,  et  pour  un  temps  du  moins, 
réussi.  » 

Comme  conséquence  de  ces  tristes  faits,  où  M.  Lauga  ne 
voit  que  le  commencement  de  la  « guerre  au  couteau  », 
que  la  mission  jésuite,  au  dire  d’un  homme  bien  placé  pour 
en  juger,  se  propose  de  faire  au  protestantisme  à Madagas- 
car, notre  délégué  prévoit  que  nos  Églises  seront  appelées  à 
de  plus  grands  efforts  que  nous  n’avions  supposé  au  début. 
Son  prochain  retour  en  France,  et  celui  de  M.  Krüger,  main- 
tenant imminent,  permettront  de  fixer  les  proportions  de 
l’entreprise  au  moins  dans  la  période  des  débuts.  Dieu  veuille 
qu’alors  nos  Églises  et  nous-mêmes  soyons  à la  hauteur  des 
sacrifices  qui  nous  seront  demandés. 

En  attendant,  M.  Lauga  fait  ce  qu’il  peut  pour  soutenir  la 
lutte.  Nous  l’avons  vu  cherchant  à réparer  et  à raffermir  les 
Églises  : une  lettre  plus  récente  nous  le  montre  consacrant 
ses  matinées  à l’enseignement  du  français  dans  le  grand  col- 
lège protestant  de  Tananarive.  Plus  loin,  il  nous  annonce  son 
prochain  départ  pour  le  Betsiléo  que,  dans  une  période  an- 
térieure, il  avait  été  empêché  de  visiter  avec  son  collègue. 
Son  départ,  rendu  possible  par  la  présence  d’une  escorte, 
devait  avoir  lieu  dans  le  cours  du  mois  d’août,  et  son  absence 
devait  se  prolonger  jusqu'au  20  septembre. 

Nous  publions,  sous  la  rubrique  Variétés,  la  traduction  d’une 
lettré  d’une  chrétienne  indigène  appartenant  à la  mission 
norvégienne.  Nos  lecteurs  apprécieront  à sa  valeur  ce  docu- 
ment qui  nous  permet  de  jeter  un  coup  d’œil  sur  la  vie  inté- 
rieure des  communautés  malgaches,  en  cette  période  troublée 
de  leur  histoire. 

En  terminant  cet  article,  nous  apprenons  la  nouvelle  du 
rappel  en  France  du  résident  général  de  Madagascar,  M.  La- 
roche. Il  ne  nous  appartient  pas  d’apprécier  l’administration 
de  ce  haut  fonctionnaire  : ce  que  nous  pouvons  et  devons 
mentionner  ici,  sous  peine  de  manquer  à la  plus  élémentaire 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


reconnaissance,  c’est  l’esprit  d’équité  qui  a présidé  à sa  con- 
duite à l’égard  des  missions.  G’est  à dessein  que  nous  ne  di- 
sons pas  : les  missions  protestantes,  car,  dans  notre  convic- 
tion, M.  Laroche  n’a  entendu  favoriser  aucune  confession. 
Seulement,  pénétré  de  l’importance  du  facteur  religieux  dans 
le  problème  si  complexe  de  ^administration  de  Madagascar, 
il  s’est  refusé  à traiter  en  ennemie  la  mission  protestante.  Il 
a vu  en  elle  un  auxiliaire  possible,  nécessaire,  de  l’œuvre  de 
civilisation  pacifique  à laquelle  il  désirait  se  dévouer.  Nous 
ne  doutons  pas  que  cette  politique,  déjà  suivie  par  le  général 
Duchesne,  n’ait  contribué  à écarter  de  grandes  difficultés, 
en  diminuant  les  défiances  excitées  par  le  parti  qui  s’obstine 
à identifier  l’influence  française  avec  le  catholicisme.»  C'est  ce 
que  méconnaissent  les  adversaires  de  M.  Laroche,  qui  n’ont 
pu  lui  pardonner  de  s’ètre  refusé  à gouverner  au  profit  d’une 
minorité  religieuse,  sans  parler  des  appétits  matériels  avec 
lesquels  cette  minorité  s’est  trouvée  liguée. 

Nous  tenons  aussi  à reconnaître  la  haute  bienveillance  té- 
moignée par  M.  Laroche  à nos  délégués.  Sa  confiance  en  eux, 
l’appui  cordial  qu’il  a prêté  à leur  mission,  dont  il  reconnais- 
sait toute  l’importance  au  point  de  vue  français,  ne  s-e  sont 
pas  démentis  un  seul  jour.  Notre  respectueuse  gratitude  l’ac- 
compagne au  moment  où  il  quitte  un  poste  difficile  entre 
tous  et  où  il  a eu  le  rare  mérite  de  rester  fidèle  à la  ligne  de 
conduite  que  lui  dictaient  à la  fois  sa  raison  d’homme  poli- 
tique et  sa  conscience. 

Dernière  heure.  — Madame  Escande  nous  écrit,  le  23  sep- 
tembre : « J’ai  reçu  une  lettre  de  mon  mari,  d’Aden.  La  mer 
Rouge  a été  clémente  dans  le  début,  mais  la  chaleur  a été 
terrible  à la  fin  : un  passager  y a succombé.  Dieu  a gardé 
mon  mari...  Seul  dans  sa  cabine,  il  a pu  dormir  à l’aise  et  a 
été  très  bien.  » 

M.  Krüger  est  attendu  à Paris  pour  les  premiers  jours 
d’octobre. 


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459 


LESSOUT O 

BEAUX  SUCCÈS  DE  L’ÉCOLE  NORMALE  DE  MORIJâ 

M.  H.  Dyke  nous  envoie  le  tableau  comparatif  des  résultats 
obtenus  aux  examens' qui,  chaque  année,  mettent  en  concur- 
rence les  institutions  indigènes  de  l'Afrique  du  sud  et  four- 
nissent à leurs  élèves  l’occasion  de  conquérir  les  brevets  de 
capacité  leur  donnant  le  droit  de  tenir  des  écoles. 

Les  élèves  admis  se  partagent  en  trois  classes  : la  première 
de  ces  trois  classes  porte  le  nom  de  honours  et  comprend 
ceux  qui  sont  reçus  avec  distinction. 

Depuis  de  longues  années,  l’École  normale  de  Morija  oc- 
cupait un  bon  rang  dans  le  classement  des  épreuves;  mais 
elle  ne  pouvait  songer  à lutter  avec  les  fameuses  institutions 
de  Lovedale  et  de  Healdtown  et  leur  cédait  forcément  le 
pas  (1). 

Or,  voici,  d’après  une  note  que  vient  de  nous  envoyer 
M.  Dyke,  le  résultat  des  examens  de  cette  année  : 


Avec  honneur 

En  2e  cl. 

En  3e  cl. 

Total 

Morija  . . 

10 

9 

1 

20 

Lovedale  . 

4 

20 

6 

30 

Clarkebury 

3 

10 

2 

15 

Healdtown 

2 

5 

1 

8 

Bensonvale 

2 

6 

1 

9 

Umtata.  . 

a 

0 

0 

1 

Blythwood 

i 

0 

0 

1 

Matelele  . 

i 

1 

0 

2. 

Zonnebloem 

0 

4 

\ 

5 

Shawbury . 

0 

4 

0 

4 

(1)  Ces  deux  institutions,  établies  en  Cafrerie,  relèvent,  la  première 
de  l’Église  libre  d’Écosse,  la  seconde  de  l’Église  méthodiste.  L’institu- 
tion de  Lovedale,  à laquelle  notre  journal  a consacré  jadis  un  article 
dù  à la  plume  de  M.  Krüger,  doit  sa  prospérité  actuelle  à un  homme  du 
plus  rare  mérite,  autrefois  compagnon  de  Livingstone,  le  Dr  Stewart, 
ami  personnel  de  plusieurs  de  nos  missionnaires.  Les  dimensions  de 
cet  établissement  et  le  personnel  nombreux  dont  il  dispose  rendent  le 
succès  de  Morija  encore  plus  remarquable. 


460 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


On  le  voit,  si,  par  le  chiffre  total  des  élèves  admis,  Mo- 
rija  n’occupe  que  le  second  rang,  ce  qui  s'explique  fort  bien 
par  la  supériorité  numérique  de  Lovedale,  pour  la  qualité 
des  résultats  obtenus  par  les  candidats  admis,  il  tient  de 
beaucoup  la  première  place.  Comme  le  dit  M.  Dyke,  direc- 
teur de  notre  établissement  de  Morija  : c Qu’à  Dieu  soit  la 
gloire!  » 


LA  STATION  DE  MAKÉNENG 

Lettre  de  M.  Vollet. 

Un  contraste.  — Où  en  est  l’évangélisation  du  Lessouto.  — 
L’Église,  la  résistance  païenne,  les  chefs. 

Makéneng,  28  septembre  1895  (1). 

Cher  Monsieur  Boegner, 

Aujourd’hui,  je  m'accorde  quelques  instants  de  repos,  et 
je  veux  les  employer  à vous  faire  part  de  mes  premières  im- 
pressions de  Makéneng.  Si  j’ai  tardé  à vous  écrire,  c’est  que 
je  tenais  à avoir  une  opinion  sur  l’œuvre  qui  m’a  été  confiée, 
avant  d’en  parler, 

Ce  n’est  pas  sans  une  certaine  émotion  que  j’ai  quitté  la 
grandiose  vallée  de  la  Maphutseng,  la  vieille  station,  les  beaux 
ombrages  sous  lesquels  de  vaillants  pionniers  de  la  Mission 
se  reposent  de  leurs  travaux.  Les  choses  du  passé  ont  un 
charme  auquel  je  suis  particulièrement  sensible.  De  plus,  je 
m’étais  attaché  à mes  paroissiens,  je  m’étais  habitué  à leur 
manière  d'être  au  cours  de  ces  deux  années,  et  il  est  tou- 
jours dur  de  quitter  ceux  dont  on  est  connu,  auxquels  on  est 
habitué,  pour  aller  vivre  au  milieu  d’une  population  de 
même  race,  il  est  vrai,  mais  différente  par  son  passé  et  ses 


(1)  Nous  publions  cette  étude  malgré  sa  date  déjà  ancienne.  Nos  lec- 
teurs y trouveront  certainement  intérêt  et  profit. 


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461 


prétentions.  Enfin,  je  n'ai  pas  à m’en  cacher,  il  faisait  bon 
vivre  à Béthesda,  près  d’une  rivière  ombragée,  entouré  de 
vieux  jardins  dont  les  arbres,  en  été,  ployaient  sous  le 
fruit,  sur  une  station  bien  outillée  et  pourvue  de  tous  les  ac- 
cessoires indispensables  au  genre  de  vie  rustique  qui  s’im- 
pose à nous  dans  ce  pays.  Au  lieu  de  cela,  Makéneng,  un 
petit  carré  adossé  à une  chaîne  de  collines  pierreuses;  comme 
vue,  ce  que  l’on  peut  appeler  au  Lessouto  la  plaine;  plus  de 
rivière,  plus  d’arbres;  comme  habitation,  une  minuscule 
maisonnette  jaune  et  laide,  rendue  plus  vulgaire  encore  par 
son  affreux  toit  de  zinc;  pas  d’accessoires,  pas  de  débarras, 
tout  à créer,  beaucoup  de  travail  matériel  en  perspective, 
beaucoup  de  dépenses,  la  vie  chère  et  difficile.  Je  n’étais 
pas  sans  inquiétude  non  plus  au  sujet  de  mon  voyage,  qui 
devait  s’effectuer  en  plein  hiver,  ma  femme  étant  d’une  santé 
délicate  qui  réclame  des  ménagements,  et  mon  enfant  venant 
d’avoir  une  bronchite  assez  grave.  Grâce  à Dieu,  tout  s’est 
bien  passé.  M.  Ellenberger,  qui  était  venu  prendre  posses- 
sion de  l’Église  jusqu’au  retour  de  M.  Marzolff,  avec  sa  com- 
plaisance habituelle,  nous  a donné  un  bon  coup  de  main 
au  moment  du  départ.  Nous  avons  rencontré  sur  notre  route 
beaucoup  d’obligeance  de  la  part  des  marchands  et  des  fonc- 
tionnaires; nous  avons  pu  jouir  en  chemin  de  la  bonne  hos- 
pitalité de  notre  ami  Louis  Germond;  enfin,  ayant  quitté 
Maphutseng  un  matin,  nous  sommes  arrivés  à Makéneng  le 
surlendemain,  au  coucher  du  soleil,  il  y a maintenant  un  peu 
plus  de  deux  mois. 

Je  puis  vous  dire,  dès  à présent,  que  je  n’ai  pas  rencontré 
toutes  les  difficultés  auxquelles  j’étais  préparé,  et  que  le  ca- 
ractère des  chrétiens  de  la  paroisse  de  Makéneng  n’est  pas 
aussi  terrible  qu’on  me  l’avait  représenté.  Cependant,  la  po- 
sition du  missionnaire  est  certainement  plus  difficile  ici  qu’à 
Maphutseng.  A Maphutseng,  l’élément  chrétien,  moins  nom- 
breux, plus  éloigné  du  vent  de  la  colonie  et  de  l’Etat  libre, 
est  resté  plus  rapproché  du  type  primitif  du  Mossouto  : mal- 
léable, aimable.  Il  n’en  est  pas  de  même  à Makéneng  : un 


462 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


grand  nombre  de  chrétiens  le  sont  depuis  fort  longtemps; 
pendant  de  longues  années  ils  ont  vécu  indépendants  de  la 
conférence  du  Lessouto  ; si  je  ne  me  trompe,  c’est  du  temps 
où  M.  Dieterlen  était  à Hermon  qu’ils  se  sont  rattachés  com- 
plètement à notre  Église.  — Ils  ont  acquis  de  la  sorte  des 
qualités  et  des  défauts.  Comme  qualités  : le  sentiment  de 
leur  dignité  et  de  leur  responsabilité,  certainement  plus  fort 
ici  qu’à  Maphutseng;  comme  défauts  : un  certain  orgueil, 
une  certaine  raideur.  Cette  catégorie  de  chrétiens  n’est  pas  la 
plus  nombreuse,  mais  c’est  elle  qui  donne  le  ton.  Autre  ca- 
ractéristique, celle-là  plus  généraLe  : presque  tous  les  mem- 
bres de  l'Église  ont  fait  un  séjour  plus  ou  moins  prolongé 
dans  la  Colonie  ; leur  caractère  primitif  s’y  est  modifié  : ils 
ont  pris  celui  du  noir  colonial,  bien  différent  du  Mossouto.  Le 
noir  colonial  a atteint  un  degré  de  civilisation  relativement 
avancé,  son  esprit  est  plus  ouvert,  et  il  le  sait  ; le  blanc  a 
perdu  pour  lui  de  son  prestige,  il  n’en  a plus  d’autre  que 
celui  qui  s’attache  à la  crainte.  Le  missionnaire  ne  doit  ni  ne 
peut  se  faire  craindre,  il  en  est  amoindri  ; les  sentiments  de 
respect  attachés  à la  fonction  ne  compensent  qu’en  partie 
le  mépris  que  l’on  éprouve  pour  un  blanc  qui  n’est  redouté 
ni  redoutable.  Le  voisinage  de  Maféteng,  presque  une  petite 
ville  coloniale,  contribue  beaucoup  à maintenir  le  caractère 
colonial  au  district.  Tout  cela,  ce  sont  des  nuances  presque 
imperceptibles,  que  j’exagère  en  les  décrivant;  elles  échappe- 
raient à un  étranger,  qui  trouverait  que  tous  les  chrétiens  du 
Lessouto  se  ressemblent.  Moi,  je  le  sens  à une  certaine  ré- 
serve qu’il  me  faudra  dissiper,  une  certaine  froideur  qu’il 
faudra  fondre.  D’autre  part,  le  niveau  religieux  et  intellec- 
tuel de  l’ensemble  de  l’Église  me  semble  plus  avancé  qu’à 
Maphutseng;  le  corps  des  évangélistes  est  incontestablement 
très  supérieur  à celui  de  cette  Église  au  point  de  vue  de  l’ins- 
truction et  du  talent. 

Je  vous  ai  parlé  de  l’élément  chrétien  au  milieu  duquel 
doit  s’exercer  mon  pastorat;  passons  à l’élément  païen,  la 
masse  sombre  à conquérir.  C’est,  dans  ce  district,  une  masse 


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4-63 


solide  et  résistante.  Nous  avons  d’abord  de  nombreux  rené- 
gats ; ils  ont  conservé  de  leur  passage  dans  l’Église  un  cer- 
tain vernis  de  civilisation  qui  les  rapproche  des  chrétiens  ;par 
l’apparence  : la  ressemblance  s’arrête  là.  Ce  sont  nos  en- 
nemis jurés  : non  contents  de  se  tenir  à l’écart  pour  leur 
propre  compte,  ils  sont  agressifs,  ergotent,  discutent,  et 
cherchent  à semer  la  dissatisfaction  parmi  les  chrétiens.  Ils 
sont  l’état-major  de  la  résistance  au  christianisme.  Vient  en- 
suite la  grande  masse  primitive  qui  semble  se  fermer  chaque 
jour  davantage  à notre  influence.  Il  se  produit  en  ce  moment 
au  Lessouto  une  sorte  de  phénomène  de  polarisation  : sous 
le  courant  de  l'Évangile,  la  tribu  se  divise  en  deux  masses 
qui  deviennent  chaque  jour  plus  distinctes  et  plus  éloignées 
l'une  de  l’autre.  Les  caractères  spécifiques  de  chaque  masse 
vont  s’intensifiant  d’année  en  année,  La  différence  est  ici 
beaucoup  plus  marquée  qu’à  Maphutseng  : là,  on  a affaire  à 
des  païens  honteux  et  souvent  aussi,  hélas!  à des  chrétiens 
paganisants;  ici,  le  paganisme  dresse  ouvertement  la  tête; 
pas  d’erreur  possible.  L’évangélisation,  dans  ces  conditions, 
est  rendue  très  difficile  : les  païens  refusent  d’assister  a&x 
réunions  que  l’on  fait  pour  eux  dans  leurs  villages.  Nous 
n’avons  donc  plus  seulement  en  face  de  nous  de  l’apathie,  de 
l’attachement  à d’antiques  coutumes,  nous  avons  de  l’hosti- 
lité non  déguisée. 

Les  promoteurs,  les  soutiens  de  cette  résistance,  de  cette 
hostilité  sont  les  chefs.  Ils  ont  vaguement  conscience  de  leur 
progressive  déchéance,  mais  ils  ne  sont  pas  assez  éclairés 
pour  en  découvrir  les  causes.  Leur  salut  serait  de  se  mettre 
à la  tête  du  progrès,  d’assurer  et  d’étendre  leur  pouvoir  sur 
de  nouvelles  bases;  ils  en  sont  incapables,  ils  sont  au-des- 
sous de  leur  tâche  de  pasteurs  de  peuples.  Du  reste,  mainte- 
nant, au  Lessouto,  il  est  trop  tard;  il  est  encore  temps  au 
Zambèze,  mais  tout  juste.  Dans  leur  aveuglement,  ils  repous- 
sent et  combattent  la  seule  influence  qui,  en  l’état  des  choses, 
pourrait,  sinon  conserver  leur  pouvoir  irrémédiablement 
pourri,  du  moins  amortir  leur  chute  et  adoucir  leur  dépos- 


464 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


session,  pour  se  raccrocher  à toutes  les  pratiques  qui  ne  peu- 
vent que  précipiter  un  dénouement  qui  leur  sera  fatal.  Triste 
noblesse  que  celle  du  Lessouto,  et  Letsié,  l’héritier  pré- 
somptif, sous  la  dépendance  duquel  je  vis  et  qui,  par  de  mes- 
quines vilenies,  trouve  de  temps  à autre  le  moyen  de  me  le 
rappeler,  en  est  un  bon  spécimen.  Rapacité,  duplicité,  tout 
ce  qui  est  honteux,  tortueux  et  bas,  voilà  ce  qui  le  caracté- 
rise. Il  m’en  coûte  de  me  faire  à moi-même  cet  aveu,  je  m’y 
suis  longtemps  refusé,  mais  devant  l’évidence  je  ne  puis  faire 
autrement.  Bien  que  la  place  concédée  aux  noirs  dans  le  sud 
de  l’Afrique  soit  loin  d’être  équitable,  tous  les  Bassoutos 
avancés,  tous  ceux  qui  pensent,  et  j’en  connais  qui  pensent 
fort  bien  et  fort  juste,  aspirent  après  la  délivrance.  C’est 
triste  de  voir  une  population  sans  patriotisme;  la  faute  en 
est  aux  chefs.  En  Europe  ce  sont  les  chefs  qui  ont  fait  les  na- 
tions; en  Afrique  ce  sont  eux  qui  les  détruisent.  C’est  qu’en 
Europe  les  chefs,  tout  barbares  et  grossiers  qu’ils  étaient, 
étaient  chrétiens  et  les  soutiens  de  l’Église,  tandis  qu’ici  ils 
usent  contre  l’Église  de  tous  les  moyens  dont  ils  osent  dis- 
poser. 

Vous  pouvez  voir  que  nous  vivons  à une  époque  difficile  et 
que  notre  tâche  n’est  pas  aisée.  Je  m’efforce  de  l’accomplir 
fidèlement.  Le  premier  point  est  de  conquérir  la  confiance  de 
mon  troupeau,  troupeau  inquiet,  qui,  en  quelques  années, 
a vu  se  succéder  trois  missionnaires  et  qui  en  est  mécontent. 
J’applique  tous  mes  soins  à obtenir  ce  résultat  : je  cours  les 
annexes,  je  visite  les  écoles;  dans  mon  district  propre,  je 
vais  visiter  chaque  chrétien  individuellement  chez  lui.  C’est 
la  meilleure  manière  de  faire  véritablement  connaissance.  La 
glace  se  fond,  on  s’aperçoit  que  le  nouveau  missionnaire 
n’est  pas  plus  terrible  que  ses  prédécesseurs;  le  missionnaire 
découvre,  de  son  côté,  que  sous  la  réserve  qui  l’attriste  il  y a 
beaucoup  de  timidité.  De  cette  façon  on  apprend  à connaître 
son  terrain,  le  village,  les  chefs.  On  rencontre  des  jeunes 
femmes  qui  vont  aux  champs,  fillettes  qui  vont  au  ruisseau, 
hommes  qui  se  rendent  à une  fête  de  yoala ; on  cause  un 


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465 


brin  de  la  pluie,  du  beau  temps,  des  récoltes  ; on  aborde  le 
terrain  religieux,  on  jette  au  hasard  la  bonne  semence,  — c’est 
là  notre  rôle,  — à Dieu  de  la  faire  germer.  C’est  un  travail  de 
longue  haleine  : les  chrétiens  sont  nombreux  et  dispersés,  et 
je  suis  encore  loin  d’avoir  vu  tous  mes  paroissiens  de  cette 
façon-là.  Ceux  que  j’ai  vus,  je  sens  que  je  les  tiens, — ce  sont 
des  amis.  Je  fais  aussi  de  ci,  de  là,  des  connaissances  qui  m’é- 
difient. Je  suis  sorti  plus  d’une  fois  encouragé,  réchauffé,  de 
tel  ou  tel  enclos  de  roseaux  que  j’ai  visité.  Je  vous  conterai 
cela  quelqu’autre  jour. 

J’ai  aussi  des  travaux  matériels  à n’en  plus  finir  : enclore  la 
station,  construire  quelque  débarras,  quelque  magasin  où 
je  puisse  conserver  du  fourrage  et  du  grain,  restaurer  la 
route  de  wagon,  régulariser  le  cours  du  ruisseau,  planter 
des  arbres,  défricher... 

Grâce  à Dieu,  je  jouis  généralement  d’une  excellente  santé, 
je  ne  me  ressens  que  de  loin  en  loin  de  mes  fièvres  zambé- 
ziennes;  ma  femme,  bien  que  d’une  santé  délicate,  suffit  à sa 
tâche;  notre  petite  Charlotte  continue  à se  développer,  elle 
est  resplendissante  de  santé,  toujours  joyeuse,  ne  pleure 
presque  jamais.  Je  ne  m’imaginais  pas  qu’un  enfant  pût  être 
une  telle  bénédiction  dans  une  famille. 

ÉMILE  VOLLET. 


MENUS  INCIDENTS  DE  LA  VIE  MISSIONNAIRE 

20  juillet  1896. 

Samedi  dernier,  un  Boer,  que  je  connais  un  peu,  est  venu 
me  prier  de  lui  arracher  une  dent,  une  molaire  très  gâtée  qui 
le  tourmentait  depuis  quinze  jours. 

Arracher  une  dent  à un  Mossouto,  je  le  fais  sans  enthou- 
siasme, mais  sans  trop  de  crainte.  Mais  opérer  un  blanc,  cela 
ne  me  va  pas.  Enfin,  j’ai  planté  mon  Boer  sur  un  escabeau, 

34 


466'  JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


j’ai  tiré.  Il  se  met  à geindre  et  à se  lever  sur  ses  talons,. si 
bien  que  je  dus  lâcher  prise.  Il  disait:  «Ah!  ah!»  et.  semr, 
blait  absolument  anéanti.  Il  fallut  bien  qu’il  me  laissât  recom- 
mencer. Je  le  grondai  en  patois  hollandais  (vous  voyez  celai), 
je  saisis  la.  molaire,,  et,,  voyant  qu’elle  ne  se  cassait  pas,  je  me 
jurai  de  l’avoir,  coûte  que  coûte.  Et  je  tirai!  et  je  tirai!  et  je 
la  sortis,  toute  dure  qu'elle  était.  Van  Rensburg  (c’est  le  nom 
de  la  victime)  resta  anéanti  pendant  près  d’une  heure,  moi 
lui  prodiguant  mes  petits  soins,  mes  félicitations....  Puis,  une 
tasse  de  thé  le  ravigota.  Il  parla,  il  reprit  vie,  me  demanda 
mon  prix.  «Mon  prix?  vous  plaisantez, .je  vous  ai  rendu  ser- 
vice, voilà  tout.  — Au  moins  ferez-vous  prendre  un  peu  de 
beurre  chez  moi  lundi?...  — Je  veux  bien,  mais  je  ne  sais  si 
mes  chevaux  pourront  faire  la  course?  » Il  va  partir,  il  se 
ravise  : «Je  veux  pourtant  vous  donner  quelque  chose  pour 
votre  Église.  » Moi  : « Pour  cela,  pas  de  refus.  » Il  fouille  son 
gousset.  Je  me  disais  : Il  va;  me  donner  une  pièce  de  qua- 
rante sous.  Il  me  donne...  vous  allez  dire  : dix  sous  ou  deux 
sous,  et  rire  de  la  lésinerie  de  ce  Boer.  Eh  bien!  pas  du  tout, 
vous  n’y  êtes  pas.  Il  me  donne  une  livre  sterling*  une  pièce 
de  vingt-cinq  francs  ! Ah!  le  brave  homme!  Vingt-cinq  francs 
pour  mes  constructions!...  Voilà  une  dent  qui  m’a  rapporté 
quelque  chose.  Et  moi  qui  ne  désirais  pas  avoir  à opérer  les 
Boers!  Je  vais  désirer  de  devenir  leur  arracheur  de  dents. 
Chaque  fois  que  j’en  verrai  venir  un,  je  me  dirai  : Voilà  un 
homme  qui  a vingt-cinq  francs  dans  la  bouche;  à moi  l’hon- 
neur de  les  décrocher.  Et  je  serai  presque  content  de  battre 
monnaie  pour  mon  Église  avec  un  davier  au  poing. 

H.  D. 


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467 


SÉNÉGAL 

RETOUR  EN  FRANGE  DE  MADEMOISELLE  BUTTNER 
NOUVELLES  DE  LA  MISSION 

Notre  dernière  livraison  parlait  des  -inquiétudes  que  nous 
inspirait  l’état  des  santé  de  nos  missionnaires.  Depuis  lors, 
une  dépêche  de  M.  Bolle  nous  a annoncé  le  départ  pour  la 
France  de  mademoiselle  Buttner.  Cette  décision  a été  prise  sur 
l’avis  de  plusieurs  médecins,  au  nombre  desquels  se  trouvait 
M.  le  Dr  Jean  Morin,  à ce  moment  en  passage  à Saint-Louis. 
Grâce  à Dieu,  ceUe  mesure  a été  prise  à temps  pour  éviter 
à la  mission  une  perte  nouvelle.  Tout  permet  d’espérer 
qu’un  séjour  assez  court  en  France  permettra  à mademoi- 
selle Buttner  de  reprendre  le  chemin  du  Sénégal  en  posses- 
sion de  toutes  ses  forces.  Elle  a eu  Davantage  de  faire  la  tra- 
versée avec  M.  et  madame  Jean  Morin,  qui  ont  fait  leur  pos- 
sible pour  la  soulager  et  l’assister.  Arrivée  à Bordeaux,  vers 
le  12  septembre,  elle  est  actuellement  à Montbéliard,  où  ha- 
bite une  partie  de  sa  famille. 

Du  Sénégal  même,  les  nouvelles  sanitaires  sont  meil- 
leures. M.  et  madame  Pétrequin  sont  maintenant  rétablis, 
mais  ils  ont  eu  à passer  des  moments  bien  difficiles. 
Encore  en  proie  à la  fièvre,  madame  Pétrequin  a donné  le 
jour,  le  6 août,  à un  petit  garçon,  qui  a reçu  le  nom  de 
Théophile.  M.  Pétrequin,  malade  lui-même,  a dû  quitter  le  lit, 
où  le  retenait  une  forte  fièvre,  pour  donner  ses  soins  à sa 
femme  et  à l'enfant  nouveau-né.  Pendant  ce  temps,  made- 
moiselle Buttner  était  elle-même  retenue  chez  elle  par  la 
maladie.  On  juge  des  heures  pénibles  qu’ont  dû  traverser  nos 
amis.  Heureusement,  M.  Bolle  n’a  pas  été  atteint  jusqu’à 
ce  jour  par  le  clihiat.  M.  Nlchol  aussi,  Fevangéliste  woîof, 
a pu  continuer  sans  interruption  son  activité. 


468 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


CONGO  FRANÇAIS 

DERNIÈRES  NOUVELLES 

Prochain  retour  en  France  de  M.  Haug.  — L’école  de  Lambaréné. 
— Demande  de  congé  de  M.  Forget.  — M.  Allégret  et  la  station 
de  Talagouga. 

Les  derniers  courriers  du  Congo  nous  apportent  la  nouvelle 
de  la  prochaine  arrivée  en  France  de  M.  Haug.  M.  Teisserès 
nous  explique  les  raisons  qui  ont  poussé  nos  frères  à décider 
d'urgence  ce  retour  : « Notre  première  impression  a été  pé- 
nible. Il  avait  une  figure  si  fatiguée,  avec  ce  teint  jaune  parti- 
culier à ceux  qui  ont  vécu  dans  ces  pays.  Cette  année  de  tra- 
vail compte  double  pour  lui.  J'en  suis  encore  à me  demander 
comment  il  a pu  tenir  ainsi  tout  seul  avec  la  responsabilité 
d’une  œuvre  de  cette  importance. 

« Trois  jours  après  notre  arrivée,  un  nouvel  accès  le 
prenait,  et  il  me  faisait  appeler,  grelottant  la  fièvre.  Ces  fris- 
sons me  rappelaient  ceux  auxquels  MM.  Good,  Gacon  et 
Jacot  nous  avaient  habitués,  et  j’ai  cru  de  suite  à une  bi- 
lieuse hématurique.  Grâce  à Dieu,  il  n’en  a rien  été,  mais 
j’estime  qu’il  ne  serait  ni  sage  ni  prudent  qu’il  continuât 
plus  longtemps  à s'affaiblir.  Il  lui  faut  un  repos  sérieux  en 
France.  Il  vous  écrit,  je  pense,  de  son  côté,  pour  vous  annon- 
cer son  arrivée,  par  le  prochain  courrier  de  Bordeaux.  » 
Dans  cette  même  lettre,  M.  Teisserès  nous  raconte  sa  tra- 
versée et  son  arrivée.  C’est  à Libreville  qu’il  a appris,  par  un 
employé  de  la  douane,  la  mort  de  madame  Gacon.  L’état  de 
madame  Teisserès  a empêché  nos  amis  de  quitter  le  bord,  en 
sorte  qu’ils  n’ont  pu  avoir  aucun  détail  sur  ce  douloureux 
événement.  Depuis  l’installation  à Lambaréné,  madame  Teis- 
serès a repris  ses  forces  et  se  porte  aussi  bien  que  possible, 
ainsi  que  sa  petite  Yvonne.  Quant  à M.  et  madame  Richard , 


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ils  se  sont  mis  avec  entrain  au  travail,  et  semblent  jusqu’à 
présent  supporter  assez  bien  leur  nouveau  genre  de  vie* 
M.  Richard  a repris  l’école  des  mains  de  M.  Faure. 

Citons  à ce  propos  quelques  lignes  où  celui-ci  nous  fait 
part  de  ses  expériences  scolaires,  pendant  les  quelques  mois 
de  son  séjour  à Lambaréné  : 

« J’ai  trouvé  ici  25  à 28  élèves.  J’en  ai  eu  jusqu’à  45.  Je 
les  avais  divisés  en  deux  grandes  classes  que  l’instituteur  noir 
et  moi  dirigions.  Thomas  avait  les  trois  dernières  divisions,  et 
moi  les  trois  premières.  Thomas  enseignait  la  lecture,  fran- 
çaise et  indigène,  l’écriture,  le  calcul  jusqu’à  la  soustraction 
inclusivement;  il  faisait  en  outre  apprendre  des  phrases 
françaises  d’après  la  méthode  de  M.  Jacot.  A mes  grands, 
j’apprenais  un  peu  de  grammaire  française,  quelques  règles 
simples  et  surtout  très  pratiques.  Je  leur  ai  fait  faire  quel- 
ques dictées  et  des  exercices  grammaticaux.  Enfin,  ils  ont 
commencé  à faire  des  problèmes  très  simples  sur  les  quatre 
opérations,  problèmes  ayant  un  sens  très  pratique  et  que, 
dans  leur  village,  ils  sont  appelés  à résoudre  constamment. 
Quelques  notions  de  géographie,  l’étude  de  la  Bible  française, 
la  lecture  du  Nouveau  Testament  indigène  complétaient 
l’enseignement. 

« Je  suis  étonné  du  travail,  de  l’intelligence  de  mes  élèves, 
comme  de  leur  caractère  en  général,  des  Pahouins  comme 
des  Galoas.  On  doit  cependant  leur  reprocher  leur  mollesse 
et  la  lenteur  de  leur  esprit.  Mais  faisons  la  part  des  choses 
et  ne  comparons  pas  la  longue  suite  de  siècles  de  civilisation, 
de  travail  d’esprit  et  de  christianisme  que  nous  avons  derrière 
nous,  avec  les  siècles  de  barbarie  des  ancêtres  noirs.  Et  qui 
sait  si  les  petits  Gaulois  d’il  y a deux  mille  ans  n’auraient  pas 
ressemblé  aux  petits  Galoas  d’ici? 

« En  tout  cas,  ce  qui  n’est  sûrement  pas  leur  faute,  et  ce 
qui  a nui  à la  bonne  marche  de  l’école,  c’est  le  changement 
continuel  de  maîtres  et  de  direction.  Voilà  quatre  ou  cinq  ans 
que  cette  école  tombe  à qui  elle  peut,  et  jamais  le  même  maître 
ne  l’a  dirigée  plus  d’un  an  de  suite.  Je  crois  que  l’école  ne 


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marchera  bien  que  lorsqu'il  y aura  un  instituteur  en  titre  et  à 
poste  fixe. 

« Dans  un  article  du  journal  écrit  par  Bonzon,  j’ai  vu 
qu’il  ne  partageait  pas  l’opinion  d’après  laquelle  le  jeune 
noir  subit  un  arrêt  dans  le  développement  de  son  intelli- 
gence. Haug  pense,  au  contraire,  que,  vers  dix-huit  ou  même 
quinze  ans,  l’instruction  est  forcément  terminée.  Mon  opinion 
n’est  pas  faite  encore.  J'ai  eu  à l’école  de  grands  élèves  ayant 
commencé  très  tard.  Ils  ont  été  pour  moi  une  entrave,  mais 
c’est  aussi  le  cas  des  grands  garçons  blancs  qui  apprennent 
à lire  à vingt  ans.  Je  n’ai  pas  pu  suivre  un  enfant  et  voir 
comment  il  traverse  la  « crise  » . 

De  Talagouga  nous  arrive  encore  une  demande  de  congé, 
celle  de  M.  Forget,  que  deux  années  de  travail  sous  le  ciel  du 
Congo  ont  rendu  incapable  de  tout  travail.  Est-il  étonnant 
que  M.  Allégret , malgré  la  présence  de  M.  Faure  et  malgré 
son  élasticité  et  son  ressort,  se  sente  parfois  écrasé  sous  le 
fardeau?  « Je  livre,  écrit-il  le  27  juillet,  un  rude  combat,  et 
parfois  je  me  dis  : C’est  une  pure  folie,  avec  deux  on’ne  fera 
pas  quatre.  Ce  que  j’ai  trouvé  ici,  il  est  facile  de  se  le  re- 
présenter en  se  rappelant  l’état  de  santé  de  Forget  depuis 
un  an,  et  celui  de  Gacon  depuis  quelques  mois...  Forget  a 
fait  ce  qu’il  a pu;  il  a bravement  tenu  ferme  au  poste... 
Maintenant,  il  y a tout  à reprendre  : écoles,  travaux,  évan- 
gélisation, magasin.  Faure  s’occupe  de  l’école;  nous  n'avons 
reçu  que  peu  de  garçons,  vingt-cinq,  je  crois;  et  nous  nous 
en  tiendrons  à peu  près  à ce  nombre  pour  ne  pas  dépasser 
nos  forces.  Le  matin,  il  les  a à l’école,  l’après-midi,  il  étudie 
le  pahouin  et  les  fait  travailler,  et  sa  journée  est  bien  remplie. 
Il  a sur  eux  une  bonne  influence...  A part  l’école,  j’ai  tout  le 
reste,  et  la  tâche  m’écrase.  J’ai  été  sur  le  point  de  renoncer  à 
l’établissement  sur  l’île,  et  cependant  c’est  une  question  de 
santé.  Mais  je  ne  puis  renoncer,  même  pour  un  temps,  à l’évan- 
gélisation ; il  faut  que  j’aille,  malgré  tout,  et  que  je  prêche. 
Et  quel  champ  ! J’ai  fait  deux  grandes  tournées  dans  le  bas, 


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il  m’en  reste  une  dans  le  haut  et  une  dans  la  brousse,  et  par- 
tout on  me  dit  : « Ah!  enfin!  enfin!  nous  nous  demandions 
si  la  parole  de  Dieu  allait  nous  être  enlevée  ».  Et  de  tous  côtés 
je  vois  de  nouvelles  courses  à faire...  » 

Quant  à l’établissement  de  la  station  sur  l’île,  bien  qu'il  n’ait 
pu  se  faire  à l’arrivée,  comme  on  l'espérait,  M.  Allégret  le  juge 
toujours  utile  à l'œuvre.  Il  se  produit,  dit-il,  une  concentra- 
tion aux  environs  de  Ndjolé,  et  la  station  aura  des  milliers  de 
Pahouins  à sa  portée.  Seulement,  l’installation  sera  difficile; 
il  faut  choisir  l’emplacement,  pour  cela  il  faut  débrousser. 
« On  débrousse  ferme  en  ce  moment,  ajoute  M.  Allégret,  ceci 
ne  peut  être  fait  que  pendant  la  saison  sèche.  Je  préfère  aller 
lentement,  attendre,  pour  monter  la  maison,  qu’il  n’y  ait  plus 
d’hésitation  possible  et  qu’on  voie  bien  nettement  la  meilleure 
place,  pour  faire  enfin  du  définitif.  » 

« Surveiller  et  diriger  ces  travailleurs,  acheter  des  vivres, 
tenir  les  comptes,  tout  cela  m'est  retombé  lourdement - sur 
les  épaules.  Je  voudrais  pouvoir  suffire  à tout;  je  cours  d’un 
catéchumène  au  magasin,  du  magasin  à la  scierie,  de  la 
scierie  à l'île  (une  heure  de  pirogue),  puis  je  pars  pour  une 
tournée.  Je  m’épuise  sans  parvenir  à tout  faire;  et  j’ai  eu 
dans  une  dernière  tournée  un  violent  accès  de  fièvre.  Il  faut 
aller  de  l’avant,  et  cependant  les  forces  ne  suffisent  pas.  Il 
faut  des  remplaçants  à ceux  qui  nous  quittent...  il  me  fau- 
drait quelqu’un  pour  le  magasin  et  la  surveillance  matérielle 
de  la  station...  Quant  à moi,  je  veux  et  je  dois  évangéliser...  » 
Nous  citons  telles  quelles  ces  lignes  de  M.  Allégret;  puis- 
sent-elles nous  aider  à trouver  les  hommes  que  l’œuvre  du 
Congo  réclame;  puissent-elles  aussi  nous  pousser  à demander 
à Dieu  pour  nos  missionnaires  son  esprit,  qui  est  un  esprit 
d’ordre,  de  force  et  de  paix,  et  qui  seul  peut  les  guider  dans 
le  dédale  de  travaux  qui  les  sollicitent. 


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TA  i T I 

LE  BATEAU  MISSIONNAIRE 

Une  dépêche,  confirmée,  quelques  semaines  après,  par  une 
lettre  de  M.  Vernier,  nous  a appris  que  la  Conférence  avait,  à 
l’unanimité,  approuvé  le  projet  relatif  à l’acquisition  d’un 
bateau  missionnaire,  tel  qu’il  a été  définitivement  arrêté, 
après  une  longue  et  sérieuse  étude,  entre  le  Comité  et 
M.  Viénot,  réprésentant  de  la  Conférence  et  chargé  par  elle 
d’exposer  ses  vues  sur  la  question  et  d’agir  en  son  nom. 

Il  ne  nous  reste  donc  qu’à  prier  nos  amis  de  faire  aboutir 
le  plus  tôt  possible  la  souscription  ouverte,  sans  pour  cela 
restreindre  leurs  libéralités,  plus  nécessaires  que  jamais,  en 
faveur  de  notre  œuvre  générale. 

La  lettre  de  M.  Brunei,  que  nous  publions  ci-dessous, 
montre  toute  l’utilité  qu’aura  pour  notre  mission  océanienne 
le  bateau  qu’elle  demande  à nos  Églises. 


AUX  ILES  SOUS-LE-VENT 

Lettre  de  M.  Brunei. 

Maupiti,  ce  26  mai  1896. 

Bien  cher  Monsieur  Boegner, 

Excusez-moi  de  vous  écrire  au  crayon,  je  n’ai  pas  d’encre 
ici,  ou  plutôt,  j’en  ai  bien,  mais  en  poudre,  et  encore  perdue 
au  fond  de  quelque  caisse  solidement  clouée.  Je  suis  venu  la 
semaine  dernière  à Maupiti  pour  présider  les  Fêtes  de  mis- 
sions; hier  matin,  je  devais  faire  voile  vers  Borabora,  mais 
impossible;  depuis  quarante-huit  heures  je  suis  prisonnier, 


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prisonnier  non  des  hommes,  mais  des  éléments  : le  vent  et 
la  grosse  mer.  La  grosse  mer  suffit  à empêcher  les  embarca- 
tions de  franchir  l’étroite  et  dangereuse  passe  de  Maupiti; 
lorsque  le  vent  contraire  vient  s’y  ajouter,  il  n’y  a plus  qu’à 
demander  à Dieu  de  faire  cesser  l’un  et  d’apaiser  l’autre  ; 
c’est  ce  que  je  fais  en  cet  instant,  car  il  serait  bien  à souhaiter 
que  je  pusse  au  moins  présider  la  seconde  partie  des  Fêtes 
de  Missions,  qui  aura  lieu  jeudi  prochain  à Borabora  (c’est 
aujourd’hui  même  que  ces  fêtes  ont  commencé). 

L’Église  de  Raïatéa  nous  a,  cette  année  encore,  réjouis; 
depuis  1893  (date  de  notre  arrivée  dans  cette  île),  chaque 
année  nouvelle  s’esbsignalée  par  un  bond  en  avant  prodigieux  ; 
celui  de  1896  dépasse  tous  les  autres.  Il  est  vrai  que  j’avais 
cette  année  une  fameuse  flèche  dans  mon  carquois  (l’arrivée 
de  nos  chers  amis  Huguenin,  qui  se  sont  mis  à l’œuvre  aus- 
sitôt leurs  malles  débouclées).  Contrairement  à mon  habi- 
tude, je  n’ai  pas  fait  cette  année  de  sermon  d’appel  (en  faveur 
des  missions);  à l’issue  d’un  de  nos  cultes  j’ai  simplement  dit 
à nos  amis  ceci  : « Vous  avez  devant  vous  M.  et  madame  Hu- 
guenin qui  ont  tout  quitté  pour  venir  instruire  vos  enfants. 
La  Société  des  missions  de  Paris  est  heureuse,  — après  vous 
avoir  envoyé  un  missionnaire,  — de  vous  envoyer  aujourd’hui 
un  instituteur.  Nos  Fêtes  de  Missions  auront  donc  une  double 
signification;  elles  diront  : 1°  Si  oui  ou  non  vous  êtes  heureux 
de  posséder  enfin  un  instituteur  dévoué  et  qualifié,  pour  vos 
enfants;  2°  si  oui  ou  non  vous  êtes  reconnaissants  à la  Société 
de  Paris  de  la  nouvelle  preuve  de  sympathie  qu’elle  vient  de 
vous  donner.  » 

Nos  chers  indigènes  ont  répondu  aux  deux  questions  par 
l’affirmative.  Ils  sont  ici  (au  village  central)  au  nombre  de  350 
(hommes,  femmes  et  enfants).  Voici  la  pite  qu’ils  ont  mise 
dans  le  tronc  les  6 et  8 mai  derniers  : 3,040  francs.  Où  ont-ils 
pris  cette  somme?  je  ne  sais.  Ce  que  je  puis  affirmer,  c’est 
que  les  neuf  dixièmes,  pour  ne  pas  dire  tous,  voulaient  aller 
de  l’avant.  Dieu  leur  a rendu  possible  ce  qu’ils  voulaient  si 
ardemment.  Je  suis  sùr,  cher  monsieur  Boegner,  que  vous 


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serez  heureux  d’apprendre  ce  résultat; il  nous  a encouragés, 
réjouis,  et  vous  réjouira  aussi.  Le  13  mai  j’ai  donné,  avec 
l’ami  Huguenin,  une  séance  de  lanterne  magique  dans  la 
maison  d'école  pour  parents  et  enfants  : elle  était  bondée;  les 
enfants  ont  chanté,  M.  et  madame  Huguenin  aussi.  Cette 
intéressante  soirée  s’est  terminée  par  une  distribution  de 
biscuits  aux  tout  petits,  fort  nombreux  dans  l’auditoire.  Ma- 
dame Huguenin,  qui  avait  eu  cette  excellente  idée,  se  tenàit 
à la  porte,  une  caisse  en  fer  blanc  de  fort  jolie  dimension 
entre  les  bras,  et  distribuait  au  fur  et  à mesure  que  les  tout 
petits  défilaient. 

J’ai  déjà  eu  l’occasion  de  vous  dire,  cher  monsieur  Boegner, 
que  si  l'Église  de  Raïatéa  m’encourageait,  celle  de  Tahaa  me 
donnait  au  contraire  passablement  de  fil  à retordre.  Vous 
serez  d’autant  plus  heureux  d’apprendre  que,  cette  année, 
certaines  difficultés  semblent  se  résoudre  d’elles-mêmes. 
D’anciens  réfractaires  ont  pris  part  à nos  Fêtes  de  missions; 
les  collectes  sont  en  progrès. 

Pour  vous  parler  enfin  du  rocher  (1)  auquel  je  suis  en- 
chaîné (pas  comme  Prométhée  fort  heureusement),  je  vous 
dirai  que  j’y  ai  passé  une  dizaine  de  jours  fort  bien  remplis. 
Deux  principales  occupations  : les  Fêtes  de  missions  et  la 
guerre  aux  sorciers,  personnages  d’autant  plus  terribles  que 
ce  sont  des  sorciers  bibliques , ainsi  nommés  parce  qu’ils 
essayent  de  justifier  leurs  odieuses  pratiques  au  moyen  de 
versets  de  nos  livres  saints. 

Je  ne  m’arrêterai  pas  sur  les  Fêtes  de  missions;  elles  orrt 
bien  marché,  et  les  collectes  (comme  à Raïatéa  et  Tahaa)  sont 
en  progrès.  Maupiti  demande  un  bon  instituteur  indigène 
parlant  français;  nous  allons  tâcher  de  les  satisfaire.  Des 
sorciers,  quelques  mots  : cette  graine  pagano-diabolique 
réparait,  hélas,  dans  nos  lointains  parages.  Les  malades  sont 
mis  par  eux  à la  question,  et  les  morts  aussi.  A la  racine  du 


(1)  Maupiti  n’est  en  effet  qu’un  immense  rocher  jeté  au  sein  de  l’Océan, 
mais  d’une  fertilité  étonnante. 


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plus  insignifiant  malaise  se  trouve  un  démon  quelconque,  et, 
pour  chasser  le  démon,  il  faut  traverser  un  brasier  ou  se 
livrer  à certaines  pratiques,  dignes  du  paganisme  le  plus  pur. 
Or,  ce  qui  nous  navre,  c’est  que  plusieurs  de  ces  affreux 
sorciers  font  partie  de  l’Église  de  Jésus-Christ  et  osent 
appuyer  leurs  pratiques  immorales  sur  des  passages  de 
l’Écriture. 

Voulez-vous,  au  courant  de  la  plume,  un  épisode  intéres- 
sant de  la  vie  du  grand  sorcier  des  Iles  Sous-le-Vent,  Tou- 
poua? Il  y a quelques  années,  il  avait  établi  ses  pénates  à 
Raïatéa.  Un  de  ses  compatriotes,  à moitié  aveugle,  vient  le 
trouver  : « Tu  vois,  lui  dit-il,  mon  infirmité,  je  sais  que  tu  es 
grand  docteur,  rends-moi  la  vue  ».  Toupoua  ému  le  met 
aussitôt  en  traitement.  Les  jours  se  passent,  le  malade  ne 
guérit  pas.  Que  fait  alors  notre  pauvre  infirme?  Il  retourne 
dans  son  village  et  revient  peu  après  chez  Toupoua  avec  sa 
femme.  Un  nouveau  traitement  commence...  à la  suite  du- 
quel il  perd  entièrement  la  vue  et,  chose  fort  désagréable, 
sa  compagne,  que  le  malin  sorcier  décida  à émigrer  avec  lui, 
comme  récompense  sans  doute  des  nombreux  services  qu’il 
avait  eu  l’occasion  de  rendre  à son  ancien  époux!  Croiriez- 
vous  qu’après  ce  coup-là  Toupoua  est  resté  une  de  nos  célé- 
brités, dont  on  recherche  les  conseils  et  les  onguents?  C’est 
un  fait. 

Mais  revenons  à Maupiti.  Je  profitai  donc  de  mon  séjour 
dans  cette  île  pour  convoquer  à plusieurs  reprises  le  diaconat. 
Au  cours  de  notre  premier  entretien,  l’un  de  ces  braves  fut 
rudement  pris  à partie  par  ses  collègues,  pour  s’être  compro- 
mis avec  les  sorciers  en  maintes  circonstances:  il  essaya  bien 
de  se  disculper  ou  de  se  justifier,  mais  sans  y réussir.  Après 
l’avoir  interrogé  et  sérieusement  exhorté,  je  lui  fis  promettre 
de  rompre  entièrement  avec  ses  anciens  amis,  puis  je  leur 
fis  approuver  une  sorte  d’ordre  du  jour  par  lequel  ils  s’enga- 
gent à combattre  énergiquement  (j’allais  dire  unguibus  et 
rostro)  la  sorcellerie  sous  toutes  ses  formes.  Un  paragraphe 
touchant  les  membres  de  l’Église  compromis  est  ainsi  conçu  : 


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« Les  membres  de  l’Église  qui  auront  trempé  dans  ces  pra- 
« tiques  païennes  seront  repris  jusqu’à  trois  fois;  à la  troi- 
« sième  exhortation,  ceux  qui  ne  se  seront  pas  repentis  et 
« qui  n’auront  pas  rompu  avec  les  sorciers  seront  exclus  de 
« l’Eglise  ».  Dieu  veuille  seconder  nos  efforts  et  faire  rentrer 
sous  terre  (et  pour  toujours)  le  cadavre  récalcitrant  du  paga- 
nisme. 

Le  jour  de  la  Pentecôte  (24  mai)  je  me  suis  par  deux  fois  (à 
dix  heures  et  à trois  heures  de  l'après-midi)  adressé  à l'Eglise 
et  à l'ile  tout  entière,  réunies  dans  le  temple  du  chef-lieu,  le 
matin,  pour  combattre  la  sorcellerie  (Deut.  XVIII,  9-14);  le 
soir  pour  leur  démontrer  l’utilité  des  missions  (Actes  XVI,  9). 


Huahine,  ce  22  juin. 

Me  voici,  cher  monsieur  Boegner,  à Huahine,  après  escale 
à Borabora  et  Raïatéa. 

Comme  je  vous  l’écrivais  le  26  mai  de  Maupiti,  j’étais  pri- 
sonnier, dans  cette  île,  de  la  mer  et  des  vents.  Le  27  au  matin, 
il  me  sembla  que  Dieu  avait  répondu  à mes  prières,  le  vent 
avait  un  peu  tourné  et  la  mer  était  beaucoup  moins  forte 
(quoique  grosse  encore).  Je  résolus  de  ne  pas  différer  davan- 
tage mon  départ;  à huit  heures  et  demie  j'étais  prêt;  mon 
bateau  ne  le  fut  qu’à  onze  heures.  « Courage,  me  dit-on  de 
toutes  parts,  il  y a encore  de  la  mer  aux  récifs  (1)  ! » Nous 
partons,  le  capitaine,  un  matelot,  une  femme  indigène  et 
moi.  Je  m’installe  à l’avant  et  fixe  la  haute  mer;  au  bout 
d’une  heure,  nous  arrivons  devant  la  passe,  les  vagues  y sont 
formidables.  « Vois,  me  dit  le  capitaine,  comme  la  mer  est 
encore  grosse  ».  Je  ne  réponds  pas  et  regarde  toujours  au- 
delà  des  récifs.  Au  bout  d’un  instant,  le  capitaine  répète  sa 
phrase  : « Entre  vite,  ajoute-t-il,  les  vagues  vont  te  couvrir  ». 
Je  me  laisse  glisser  à l'intérieur.  Quels  bonds  les  vagues  fu- 


(1)  Ce  qui  signifie  : Vous  aurez  de  la  peine  à franchir  la  passe. 


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rieuses  impriment  à notre  pauvre  esquif!  Le  matelot  tient  le 
gouvernail  de  la  main  droite  et  la  corde  de  la  grande  voile 
de  la  main  gauche  ; le  capitaine  a saisi  une  rame  et,  en  agis- 
sant tantôt  d’un  côté,  tantôt  de  l’autre,  essaye  de  nous  main- 
tenir à une  distance  respectueuse  des  écueils.  Cette  manœu- 
vre dure  deux  minutes  au  plus.  « Impossible  de  sortir,  me 
cria  alors  le  capitaine,  nous  allons  nous  briser,  il  faut  faire 
demi-tour  ».  « Tu  es  le  maître  de  ton  bateau,  lui  dis-je,  fais 
ce  que  tu  veux  ».  Je  n’eus  pas  besoin  de  le  lui  répéter  deux 
fois...  Pour  moi,  je  m’étais  étendu  sur  le  lest  et  j’avais  fermé 
les  yeux,  la  tête  commençait  déjà  à me  tourner.  Malheureu- 
sement, si  je  ne  voyais  pas,  je  ne  pouvais  m’empêcher  de 
sentir  et  le  roulis  et  le  tangage  et  tout  ce  que  l’on  ressent 
quand  on  est  aux  prises  avec  la  grosse  mer  à travers  une 
passe  comme  celle  de  Maupiti.  Combien  ce  manège  dura-t-il? 
Cinq  minutes,  dix,  peut-être,  je  ne  sais.  Mais,  voulant  savoir 
où  nous  en  étions,  je  me  levai  soudain  et  vis,  à mon  grand 
étonnement  et  aussi  à ma  grande  joie,  que  nous  étions  dehors  I 
Que  s’était-il  passé?  Le, capitaine,  après  m’avoir  dit  que  nous 
ne  pouvions  sortir,  avait  essayé  de  faire  voile  vers  la  terre, 
mais  sa  manœuvre  contrariée  par  le  vent  ne  réussit  pas  ; il  se 
trouvait  donc  en  présence  de  cette  alternative  : sortir  coûte 
que  coûte  ou  aller  se  briser  sur  les  récifs.  Il  ne  perdit  pas  son 
sang-lroid,  son  matelot  non  plus,  si  bien  qu’au  lieu  de  deve- 
nir la  proie  des  vagues  nous  fûmes  portés  par  elles  en  pleine 
mer;  par  elles,  ai-je  dit,  et  aussi  par  l’amour  de  notre 
Dieu. 

Le  28  au  matin  nous  arrivions  à Borabora,  juste  à temps 
pour  prendre  part  à la  seconde  partie  des  Fêtes  de  mis- 
sions. 

Après  toutes  les  démarches  qui  avaient  été  faites  auprès 
des  autorités  indigènes  et  du  pasteur  lui-même,  je  craignais 
un  peu  que  nos  fêtes  ne  fussent  bien  compromises.  Une  fois 
de  plus,  cher  monsieur  Boegner,  Dieu  a confondu  la  sagesse 
des  sages  de  ce  monde  ou  plutôt  la  ruse  des  renards,  et  nous 
avons  eu  à Borabora  de  belles  et  bonnes  fêtes. 


JOURNAL  I>ES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


47*8' 


Et, maintenant  me  voici. à Huahine  avec  toute  ma  famille  (1); 
ici,  la  situation  est  plus  difficile,  plus  tendue,  et  je  ne  saurais 
vous  dire  pour  le  moment  si  nos  Fêtes  de  missions  auront 
lieu  ici..  ~ 

Voici  le  tableau  de  nos  collectes  de  cette  année  : 


Collectes  aux  îles  Sous  le-Vent  (1896). 


ILES 

HABITANTS 

MEMBRES 

d’église 

COLLECTES 

Raïatéa 

400  (2) 

150 

3.026  f.  50 

Tâhaa  

300  (3) 

120 

1.384  75 

Borahora. ....  .. 

1.200 

450 

2.466  50 

Maupiti 

400 

168 

691  50 

Huahine  . . . ...  . . 

? 

9 

9 

Total 

2 300 

888 

7.569  f.  25 

Je  tiens*  cher  Monsieur  Boegner,  à vqus  remercier  en  mon 
nom  personnel,  (la  .Conférence  le  fera  de  son  côté)  pour  la 
décision  du  Comité  au  sujet  de  notre  bateau  missionnaire. 
Vous  ne  sauriez  .croire  combien  cette  perspective  me  remplit 
de  joie,  il  est  vrai  que  j’ai  quelque  intérêt  à ce  que  ce  projet 
ahoutisse,  et,  étant  en  somme  depuis  trois  ans  le  seul  mis- 
sionnaire malmené  par  l’Océan,  inondé  pendant  des  heures 
dans  des  côtres  de  5 à 6 tonneaux,  où  je  suis  blotti  comme 
Diogène  dans  le  sien  (excusez,  je  ne  l’ai  pas  cherché),  je  me 
suis  étonné  plus  d’une  fois  de  n’avoir  pas  encore  eu  de  re- 
chute rhumatismale  ou  autre.  Dieu  me  garde  évidemment, 
mais  il  ne  faut  pas  le  tenter. 


(1)  C’est  grâce  à l’arrivée  de  nos  amis  Huguenin  que  nous  avons  pu, 
quitter  Raïatéa  en  famille. 

(2)  Il  y a,  à Raïatéa,  de  12  à 1,500  habitants,  mais  400  au  maximum 
out  accepté  l’autorité  de  la  France  et  participent  aux  fêtes  de  Missions* 

(3)  Même  remarque,  que  pour.  Raïatéa. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


479 


30  avril, 
4'  mai, 
18  — 

27'  — 

29  — 

4 juin, 
13  — 
20  — 

27  — 

29  — 
29  — 

3' juillet 


Mon  s bilan  pour  1896: 
(1er  mai  — 3 juillet). 

départ  de  Raïatéa  pour  Borabora. 
”■ — Borabora  pour  Raïatéa. 

— Raïatéa  pour  M’aupiti  . 

— Maupiti  pour  Borabora. 

Borabora  pour  Raïatéa. 
Raïatéa  pour  Huahine  . 
— Huahine  pour  Raïatéa  . 

— Raïatéa  pour  Huahine  . 

— Huahine  pour  Raïatéa  . 

Raïatéa  pour  Huahine  . 
— Huahine  pour  Tàïti  . . 

— Taïti  pour  Huahine  . . 

— Huahine  pour  Raïatéa  . 


16  h.  dé  mer 
12  — 

32  — 

21  — 

20  — 

24  — 

5 — 

12  — 

2 1/2  (vapr)' 
7 — 

34  — 

? 


Soit. 185  h.  de  mer. 

Dépenses  de  cô très  : 500  francs  ! 

Et.  je  n’ai  pas.  le  pied  marin!  G..  Brunel. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 

HUDSON  TAYtOR 

et  la  Mission  de  la  Chine  intérieure  (1). 


lll 

Il  me  faudrait  maintenant  raconter  l’histoire  de  la  mission, 
elle-même.  Vous  devinez  que  tel  n’est  pas  mon  dessein.  Je 
dois  me  borner  à marquer,  en  quelques  mots,  les  étapes  de 


(1)  Voir,  pages  94,,  24£  et  430., 


480 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


cette  histoire  merveilleuse.  Je  le  ferai  sous  forme  d'un  court 
résumé  chronologique  : 

De  1866  à 1872,  la  mission  prend  pied  et  s’étend  peu  à peu, 
mais  sans  sortir  encore  des  provinces  voisines  de  la  mer.  Elle 
subit  diverses  épreuves;  la  persécution  ne  lui  est  point  épar- 
gnée : plusieurs  de  ses  membres  sont  frappés,  blessés;  on 
démolit  et  on  incendie  leurs  maisons  àYang-Chau.  H.  Taylor 
perd  un  de  ses  enfants.  Un  sombre  nuage  semble  descendre 
sur  lui  et  sur  son  œuvre.  Cependant  il  ne  perd  pas  courage, 
mais  persévère  à regarder  vers  les  régions  encore  fermées  de 
l’intérieur. 

En  1873,  les  circonstances  semblent  plus  défavorables  que 
jamais.  Cependant  la  prière  des  missionnaires  ne  se  décourage 
pas  et  le  secours  réclamé  à Dieu  arrive,  si  bien  qu’en  1874 
un  pas  décisif  peut  être  fait  vers  l’intérieur.  Le  missionnaire 
Judd  et  sa  femme  s’établissent  à Wu-Chang,  sur  le  grand 
fleuve  Yang-tsé,  centre  important  de  l’intérieur  et  qui  com- 
mande toute  une  série  de  routes  commerciales  et  fluviales. 
D’autres  progrès  se  font  dans  diverses  directions;  l’intérieur 
est  sérieusement  attaqué. 

En  1874-1875,  la  mission  traverse  une  nouvelle  crise.  Son 
organisation  intérieure  avait  dû  être  modifiée.  Un  conseil 
avait  été  chargé  de  la  représenter  en  Angleterre.  La  corres- 
pondance et  tout  le  travail  du  secrétariat  avaient  été  confiés 
à une  femme,  miss  Blatchley,  chargée,  en  outre,  de  l’éduca- 
tion des  enfants  de  H.  Taylor.  Après  des  années  d’un  tra- 
vail incessant,  dévoué,  admirable,  cette  femme  était  morte. 
A ce  moment  même,  H.  Taylor  et  sa  femme  revenaient 
d’Asie.  On  se  disait  : quand  le  fondateur  de  l’œuvre  sera  là, 
tout  ira  bien.  Mais  voici  qu’à  peine  arrivé,  le  missionnaire 
tombe  malade  et  se  voit  cloué,  pour  plusieurs  mois,  sur  son 
lit,  incapable  d’écrire  une  lettre.  Chose  merveilleuse,  ce  temps 
de  erise  se  trouve  être  aussi  un  temps  de  bénédiction.  Ces 
longues  heures  de  solitude  ne  restent  pas  stériles.  Incapable 
d’agir,  H.  Taylor  peut  prier.  Il  prie,  et  il  arrive  à la  con- 
viction qu’un  nouveau  pas  doit  être  fait.  Il  invite  les  fidèles  à 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


481 


s’associer  à lui  pour  demander  à Dieu  dix-huit  nouveaux 
missionnaires  pour  les  provinces  intérieures  de  la  Chine. 
Les  ouvriers  déjà  partis  ont  leurs  postes,  qui  ne  peuvent 
être  dégarnis.  Il  faut,  pour  les  neuf  provinces  encore  fermées, 
dix-huit  hommes  qui  puissent  aller,  deux  par  deux,  d’abord 
explorer  ces  vastes  régions  et,  ensuite,  s’y  établir  ou  y instal- 
ler d’autres  ouvriers. 

Les  événements  qui  suivent  justifient  cet  acte  de  foi.  Non 
seulement  les  ouvriers  et  les  fonds  se  trouvent,  mais,  au 
moment  même  où  ils  sont  disponibles,  la  Chine  s’ouvre.  La 
convention  de  Ché-fou,  signée  le  13  septembre  1876,  rend 
désormais  toute  la  Chine  accessible  aux  étrangers.  Ainsi,  au 
moment  où  les  ouvriers  surgissent,  les  portes  s’ouvrent.  Et 
alors  commence  une  série  de  voyages  apostoliques  du  plus 
palpitant  intérêt.  Toutes  les  provinces  non  encore  abordées 
sont  parcourues,  depuis  le  Hu-nan,  le  Honan,  le  Hu-pé,  jus- 
qu’au Shensi,  au  Shansi,  au  Kang-su,  au  Si-chuen,  au  Yunnan 
et  au  Kwangsi.  ' 

Rien  n’est  émouvant  comme  ces  voyages  qui,  en  deux  ans, 
conduisirent  des  hommes  de  la  China  lnland  Mission  jusqu’aux 
neiges  éternelles  du  Thibet,  jusqu’au  Haut-Birman,  jusqu’à 
la  grande  muraille  qui  ferme  la  Chine  au  nord.  Assurément, 
ces  voyages  vivront  dans  les  souvenirs  de  l’Église;  ils  for- 
meront une  des  pages  les  plus  remarquables  de  l’histoire  des 
missions  modernes. 

Mais,  ces  provinces  visitées,  il  faut  s’y  établir.  Et,  pour  s’y 
établir,  il  faut  de  nouveaux  ouvriers.  C’est  alors  que  la  mis- 
sion fait,  dans  la  voie  de  la  foi,  un  nouveau  pas  en  avant. 
H.  Taylor  avait  fait  un  nouveau  voyage  en  Europe  et  avait  pu 
compléter  l’organisation  intérieure,  encore  si  rudimentaire, 
de  la  mission.  Il  revenait  fortifié  en  Chine  et  visitait  diverses 
parties  de  son  champ  de  travail.  Peu  après  avait  lieu,  à Han- 
kow,  une  Conférence  des  missionnaires  de  la  Chine  intérieure. 
L’ordre  du  jour  portait  précisément  la  grande  question  de  l'in- 
térieur, plus  urgente  que  jamais  après  les  voyages  que  nous 
mentionnions  tout  à l’heure.  Les  premiers  jours  se  passèrent 

35 


482 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


en  méditations,  en  exhortations,  et  surtout  en  prières.  Puis,  la 
grande  question  fut  abordée.  On  passa  en  revue  les  postes 
existants,  les  postes  à créer,  et  l’on  fît  le  relevé  des  renforts 
jugés  indipensables.  Quand  le  travail  fut  fini,  on  fit  l’addition  : 
soixante-dix  ouvriers  nouveaux  paraissaient  nécessaires. 

Alors,  ces  hommes  et  ces  femmes,  forts  dans  la  foi,  n’eurent 
ni  doute  ni  défiance.  Ils  demandèrent  à Dieu,  et  résolurent 
d’inviter  l’Église  à demander  avec  eux  les  soixante-dix  ou- 
vriers manquants.  Cependant,  mêlant  la  sagesse  qui  calcule 
à la  foi  qui  croit  que  rien  n’est  impossible  à Dieu,  ils  jugè- 
rent que  la  mission  était  encore  trop  faible  pour  absorber  à Ja 
fois  un  renfort  si  considérable,  et  ils  demandèrent  à Dieu  qu’il 
voulût  bien  répartir  l’arrivée  de  ces  troupes  nouvelles  sur  un 
espace  de  trois  ans  : les  années  1882,  1883  et  1884.  Et  telle 
était  leur  confiance  en  Dieu,  qu’ils  ne  voulurent  pas  se  sépa- 
rer sans  avoir  rendu  grâces  à ce  Dieu  qui  entend  les  requêtes 
de  ses  enfants  et  qui  les  exauce. 

L’année  1882  était  à peine  commencée  que,  déjà,  les  pre- 
miers détachements  des  renforts  arrivaient.  Et  le  secours 
financier,  lui  aussi,  arrivait.  En  débarquant  à Marseille, 
quelque  temps  après,  (car  sa  présence  en  Europe  avait  été, 
de  nouveau,  jugée  nécessaire),  H.  Taylor  reçut  un  numéro 
du  journal  de  la  mission  contenant,  entre  autres,  un  don 
anonyme  de  3,000  liv.  st.,  c’est-à-dire  de  75,000  francs,  qui 
portait  seulement  ces  mots:  Papa,  1,000  liv.  st. ; maman, 
1,000  liv.  st.  ; Albert,  200  liv.  st.;  Henry,  200  liv.  st.  ; Rose, 
200  liv.  st.  ; Amy,  200  liv.  st.,  etc.  — Total  : 3,000  liv.  st. 

Ai-je  besoin  d’ajouter  qu’avant  la  fin  des  trois  ans,  la  Chine 
avait  vu  arriver,  non  pas  70,  mais  76  ouvriers  nouveaux,  dont 
H.  Taylor  dit  lui-même  qu’il  les  considérait  comme  de  véri- 
tables dons  de  Dieu  à la  mission. 

Dans  le  nombre,  il  nous  faut  mentionner  quelques  hommes 
dont  l’entrée  au  service  de  la  mission  fit  grand  bruit  : C’est 
d’abord  un  médecin  des  plus  distingués,  Harold  Shoffield,  qui 
partit,  abandonnant  pour  le  service  de  Dieu  la  position  la 
plus  brillante,  l’avenir  le  plus  riche  de  promesses.  C’est,  en 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


483 


suite,  la  fameuse  équipe  d’étudiants  de  Cambridge  : ce  Studd, 
le  champion  du  cricket,  ce  Stanley  Smith,  aussi  distingué 
par  ses  succès  athlétiques  que  par  ses  capacités  intellec- 
tuelles; et  cinq  autres  jeunes  gens,  dont  deux  jeunes  offi- 
ciers, la  fleur  de  la  jeunesse  anglaise,  qui,  à la  surprise  gé- 
nérale, venaient  montrer  au  monde  que  le  service  de  Christ 
est  encore  assez  attrayant  pour  qu’il  vaille  la  peine  de  tout 
quitter  pour  l’embrasser. 

Mais  hâtons-nous.  A la  fin  de  1886,  la  mission  s’était  en- 
core étendue  : il  avait  fallu  perfectionner  l’organisation,  for- 
tifier les  cadres  pour  les  recrues  devenues  nécessaires.  Ces 
recrues,  il  fallait  les  demander  à Dieu.  Une  réunion  des  di- 
recteurs provinciaux  de  l’œuvre  eut  lieu  à Gan-King,  et  là, 
on  prit  une  résolution  plus  hardie  encore  que  la  précédente, 
et  l’on  demanda  à Dieu  cent  ouvriers  pour  l’année  suivante 
Si  grande  était  l’assurance  de  ces  hommes,  qu’ils  résolurent 
de  préparer  sur-le-champ  les  locaux  nécessaires  à la  réception 
et  à l’instruction  des  jeunes  recrues.  On  créa  deux  maisons 
de  missions  : l’une  à Yang-Chau,  pour  les  femmes;  l’autre  à 
Gan-King,  pour  les  hommes.  Ces  maisons  furent  pourvues,  la 
première,  d’une  directrice  ; la  seconde,  d’un  directeur,  l’une 
et  l’autre  missionnaires  expérimentés.  Ainsi  s’acheva  4886. 

Et  1887  ne  s’était  pas  terminé  que  les  derniers  venus  des 
cent  nouveaux  missionnaires  avaient  quitté  l’Angleterre. 
Dans  le  nombre  se  trouvait  mademoiselle  Géraldine  Guinness, 
l’auteur  bien  connu  du  livre  excellent  : Dans  l'Orient  lointain. 

Six  années  se  sont  écoulées  depuis  lors.  La  mission  de  la 
Chine  intérieure  n’a  fait  que  grandir.  Elle  a grandi  par  la 
base.  A la  branche  anglaise  de  son  organisation  intérieure 
se  sont  ajoutées  : d’abord  une  branche  américaine  en  1887  ; 
une  branche  australienne  en  1890,  outre  des  associations 
auxiliaires  ayant  fourni  chacune  son  contingent  d’ouvriers, 
et  qui  sont  établies  : en  Suède,  depuis  1887;  en  Norvège, 
depuis  1890;  en  Allemagne,  depuis  1890;  en  Finlande,  de- 
puis 1891  ; et  dans  les  Églises  Scandinaves  de  l’Amérique  du 
Nord,  depuis  1891. 


484 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


La  mission  compte  actuellement  — ou,  plus  exactement, 
comptait,  en  janvier  1894,  — après  vingt-sept  ans  d’exis- 
tence : 

110  stations  et  100  annexes. 

550  missionnaires,  hommes  et  femmes. 

326  aides-missionnaires. 

4,008  membres  d’Église  communiants. 

Non  content  de  ces  progrès,  H.  Taylor,  toujours  plus  préoc- 
cupé d’obéir  sans  retard  à l’ordre  du  Maître,  avait  publié,  à 
la  fin  de  1889,  un  appel  où  il  réclamait  les  prières  de  l’Église 
pour  obtenir  pour  la  Chine,  dans  l’espace  de  cinq  années, 
mille  nouveaux  missionnaires... 


11  est  temps  de  conclure.  N’est-il  pas  vrai  que  de  ce  long 
récit  se  dégage  une  impression  fortifiante  de  la  réalité  de  Dieu, 
de  la  vérité  de  ses  promesses,  de  la  puissance  de  la  prière,  de 
la  suffisance  de  la  foi  ? Eh  bien  ! mes  frères,  ma  conclusion 
la  voici  : cette  impression,  elle  est  vraie.  Laissons-la  péné- 
trer jusqu’au  fond  de  notre  cœur  et  s’y  transformer  en  un 
intense  désir  et  une  ferme  résolution  de  constater,  nous 
aussi,  dans  une  mesure  plus  grande  que  jusqu’à  ce  jour,  la 
réalité  de  Dieu,  la  vérité  de  ses  promesses,  la  puissance  de 
la  prière,  la  suffisance  de  la  foi.  Dieu  est-il  seulement  le  Dieu 
de  H.  Taylor  et  de  ses  compatriotes  ? N’est-il  pas  aussi  notre 
Dieu?  Ne  peut-il  pas  nous  exaucer,  nous  aussi,  et  nous  ac- 
corder pour  l’Afrique,  pour  l’Océanie,  pour  nos  missions,  les 
hommes  et  les  ressources,  — mais  surtout  les  hommes,  — 
dont  nous  avons  besoin  ? 

Oui,  il  le  peut,  et  il  le  fera,  si  nous  le  lui  demandons,  et  s il 
rencontre  en  nous,  — ne  l’oublions  pas,  car  tout  est  là,  — 
s’il  rencontre  en  nous  des  volontés  entièrement,  et  d’avance, 
soumises  à l’action  du  Saint-Esprit. 

La  foi  qui  se  confie  aux  promesses  de  Dieu,  la  foi  qui  obéit 
aux  ordres  de  Dieu  et  à ses  moindres  volontés,  voilà  la  seule 
condition  à réaliser  pour  que  notre  prière  soit  entendue. 


VARIÉTÉS 


485 


Croyons  ainsi,  et  nous  verrons,  nous  aussi,  les  choses  ma- 
gnifiques de  Dieu.  A.  B. 


VARIÉTÉS 


ONE  VISITE  A LA  « MISSION  DES  UNIVERSITÉS  » 

A ZANZIBAR  (1) 

(Suite  et  fin.) 

Dans  Tune  des  cours,  on  nous  a montré  l’imprimerie  très 
bien  montée.  Le  Nouveau  Testament  swahéli  y a été  imprimé 
jadis.  On  y publie,  outre  de  nombreuses  brochures  — l’une 
des  plus  récentes  sur  la  succession  apostolique  (!),  — une 
revue  de  16  à 32  pages  in-8°,  suivant  l’abondance  des  ma- 
tières; une  couverture  bleue  portant  le  titre  peu  prétentieux 
de  la  revue  Msimuligi,  « Celui  qui  fait  causer  » . Elle  est  entiè- 
rement rédigée  par  des  naturels;  l’un  des  missionnaires  se 
contente  de  lire  une  épreuve  de  contrôle.  Elle  paraît  quatre  à 
six  fois  par  an.  Elle  donne  des  nouvelles  des  diverses  sta- 
tions, parfois  aussi  une  étude. 

Au  fond  de  cette  même  cour,  il  y a les  dortoirs,  c’est-à-dire 
deux  ou  trois  grandes  salles  où  les  élèves  couchent  sur  des 
nattes  qui,  de  jour,  sont  roulées  dans  un  coin.  Ilya  aussi  une 
infirmerie,  avec  cinq  ou  six  lits.  Une  des  particularités  de 
toutes  les  pièces  où  entrent  les  élèves,  c’est  que  tous  les  sa- 
medis, elles  sont  lavées  à grande  eau  de  haut  en  bas.  L’eau 
provient  d’une  source  du  jardin  ; mais,  pour  boire,  on  em- 
ploie l’eau  de  deux  citernes  très  fraîches.  La  contrée  n’est 
pas  exempte  de  paludisme;  mais  les  accidents  graves  sont 
rares.  Les  miasmes  sortent  des  marais  dans  l’intérieur  de 


(1)  Voir  pages  342,  396  et  441. 


486 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


nie,  où  le  soir  on  voit  s’élever  un  brouillard  malsain,  que  le 
vent  amène  trop  souvent  à Kiungani. 

Le  fond  de  la  nourriture  des  élèves  consiste  en  riz  et  en 
poissons  frits.  C’est  bien  joli  de  les  voir  assis  en  groupes  sous 
les  arcades  de  l’un  des  corridors  ; il  y règne  un  clair-obscur 
bienfaisant,  et  les  reflets  verts  que  lui  communique  la  végéta- 
tion des  cours,  rend  cette  lumière  éteinte  plus  fraîche,  par 
l’imagination  du  moins.  Chaque  garçon  a une  assiette;  ils 
font,  du  riz  bien  cuit,  une  boule  qu’ils  portent  ensuite  à leur 
bouche.  Ni  cuiller,  ni  fourchette.  Plus  tard,  des  moineaux 
japonais,  au  plumage  gris  relevé  de  rouge  et  de  noir,  im- 
portés jadis  par  feu  sir  John  Kirk  et  répandus  maintenant 
dans  toute  l’île,  sont  venus  becqueter  familièrement  les 
restes. 

Encore  un  fait  que  j’allais  oublier  et  qui  mérite  une  men- 
tion. Les  offrandes  faites  par  les  élèves  aux  cultes  et  aux 
communions  servent  à payer  la  bourse  d’un  Mélanésien  dans 
l’institut  de  la  mission  fondée  par  l’héroïque  Patteson.  De 
même  quelques  manguiers  du  jardin  sont  marqués  comme 
réservés,  on  dirait  volontiers  comme  consacrés.  Leurs  fruits, 
récoltés  par  les  élèves,,  sont  vendus  au  profit  du  même  Méla- 
nésien. Une  très  jolie  et  non  moins  excellente  habitude. 

Du  haut  de  l’un  des  toits  plats  de  l’institution,  sous  un  so- 
leil de  feu,  mais  tempéré  par  une  bonne  brise,  on  nous  fait 
encore  jeter  un  coup  d’œil  circulaire  sur  l’établissement,  les 
jardins,  les  environs  et  la  mer.  Vers  le  sud,  la  plage  dessine 
une  courbe  assez  profonde;  sur  le  promontoire  où  se  termine 
la  courbe,  on  aperçoit  quelques  maisons  à travers  la  ver- 
dure, c’est  Mbweni. 

Un  de  nos  rameurs  avait  lavé  et  séché  son  costume  blanc. 
Il  s’habille  à la  hâte,  et  nous  mettons  le  cap  sur  la  pointe  de 
Mbweni,  car  il  faut  doubler  le  promontoire,  suivant  les  ren- 
seignements que  je  viens  de  recueillir.  Cette  course  a été  un 
véritable  repos,  grâce  au  vent  rafraîchissant;  nos  bons  ra- 
meurs mouvaient  l’aviron  avec  une  nouvelle  vigueur;  l’em- 
barcation obéissait  admirablement  à la  barre. 


VARIÉTÉS 


487 


Au  moment  de  quitter  la^plage  de  Kiungani,  nous  avions 
admiré  June  bande  d'élèves  qui  s’ébattaient  dans  les  flots 
tièdes,  se  poursuivant  à la  nage.  En  accostant  Mbweni,  nous 
vîmes  une  troupe  de  filles  qui  se  livraient,  mais  plus  paisible- 
ment, aux  délices  d’un  bain  de  mer.  Les  garçons  avaient 
laissé  leurs  costumes  sur  le  sable;  les  filles  portaient  une 
sorte  de  peignoir. 

Comme  à Kiungani,  un  sentier  conduit  de  la  plage,  en 
montant,  vers  l'intérieur.  Au  bout  du  sentier,  qui  traverse  un 
jardin  tout  aussi  enchanteur  que  celui  de  Kiungani,  se  dresse 
une  grande  maison  à laquelle  un  joli  perron  encadré  de  ver- 
dure donne  quelque  chose  comme  un  aspect  seigneurial. 
Quelques  filles  qui  jasaient  là  allèrent  quérir  le  mission- 
naire. La  haute  taille  de  M.  K.,  revêtu  non  pas  d’une  sou- 
tane mais  d’une  longue  redingote  blanche,  sa  bonne  figure 
encadrée  d’une  barbe  poivre  et  sel,  ses  yeux  petits  et  vifs,  sa 
voix  qui  a des  intonations  enfantines,  son  parler  tantôt 
hésitant,  tantôt  repartant  avec  un  normal  élan,  tout  cela 
reste  pour  moi  intimement  lié  à Mbweni.  Cet  homme  excel- 
lent, marié,  du  reste,  et,  à cause  de  cela  peut-être,  plus  à mon 
niveau,  mieux  à ma  portée  que  ses  collègues  à mine  un  peu 
monacale,  M.  K.,  dis-je,  se  fit  un  devoir  de  nous  accompagner 
partout.  Et  que  de  fois,  pendant  notre  promenade,  lui  échappa 
le  regret  de  n’être  plus  sur  le  continent  où  le  christianisme 
attaque  le  paganisme  de  force,  où  l’on  est  vraiment  mission- 
naire. Il  accomplit  sa  tâche  ailleurs  et  autrement  qu’il  ne 
voudrait  peut-être.  Dieu  sait  pourquoi  et  ne  bénira  pas  moins 
l’œuvre  faite  à Mbweni. 

Qu’est-ce  que  Mbweni?  Un  terrain  donné  à la  mission,  à 
condition  qu’elle  y logerait,  soignerait  et  instruirait  des  es- 
claves libérés.  Le  noyau  de  l’œuvre  est  donc  constitué  par  un 
village  d'esclaves  affranchis;  leurs  cases  sont  disséminées 
dans  une  vaste  forêt  de  cocotiers.  Outre  ce  qu’on  consomme 
sur  place,  on  vend  par  année  moyenne  16,000  noix  de  coco, 
à raison  de  deux  roupies  le  cent,  soit  environ  trois  pour  dix 
centimes,  si  je  ne  fais  erreur.  Les  habitants  du  village  sont 


488 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


actuellement  au  nombre  de  250  environ  ; une  centaine  de 
plus  demeure  sur  un  terrain  avoisinant  qui  appartient  au 
sultan.  Il  y a en  outre  80  filles  à l’école  et  75  garçons  tout 
jeunes,  à l’une  des  extrémités  de  la  plantation.  Cela  fait  un 
total  de  plus  de  500  personnes,  arrachées  aux  misères  de 
l’esclavage.  C’est  quelque  chose,  et  on  doit  apprécier  le  ré- 
sultat obtenu  par  l’action  combinée  de  la  civilisation  et  de  la 
mission.  Pourtant,  il  y a un  revers.  Deux  défauts  éclatent 
presque  à première  vue.  Ce  ramassis  de  gens  de  toute  prove- 
nance manque  de  toute  cohésion  première,  ce  qui  entrave 
singulièrement  le  progrès  social.  A Sierra-Léone,  la  même 
expérience  a été  faite  en  grand.  En  second  lieu  — et  cela  rend 
à Mbweni  la  situation  pire  qu’à  Sierra-Léone  — tous  ces  li- 
bérés sont  et  demeurent  des  parasites.  Rien  ne  sollicite  en 
eux  l’initiative  personnelle.  Comment  faire?  Le  problème  me 
paraît  insoluble.  On  est  parti  du  mauvais  pied;  plus  on  va, 
plus  il  est  difficile  de  changer  de  pas.  Il  faudrait  tailler  dans 
le  vif,  peut-être;  faire  cesser  le  privilège  qui  fait  de  tous  les 
noirs  des  espèces  d’hospitalisés  paresseux,  et  les  transplanter 
sur  le  continent  comme  travailleurs  libres.  Ils  feraient  alors 
l’apprentissage  de  la  vie.  Au  point  de  vue  du  christianisme 
formel  et  apparent,  le  déchet  serait  considérable;  c’est  ce  qui 
fera  qu’on  reculera  sans  doute  toujours  devant  cette  mesure 
radicale.  11  va  sans  dire  que  les  enfants  sont  exclus  de  ces 
considérations.  Tel  que  Mbweni  existe,  on  ne  pourrait  y 
pratiquer  qu’une  méthode  de  dressage  familière  aux  jésuites 
et  en  accord  avec  leurs  conceptions  religieuses  mais  qui  ré- 
pugne heureusement  à la  saine  sève  du  christianisme  évan- 
gélique. Cependant  on  glisse  sur  une  pente  fâcheuse.  Aux 
grandes  fêtes,  on  voit  de  170  à 180  communiants  à l’église 
Saint-J ean-de-Mbweni;  dans  le  nombre,  il  y a une  trentaine 
de  filles  de  l’école,  « et  nous  exerçons  une  certaine  pression 
sur  nos  paroissiens  »,  avouait  le  missionnaire.  Il  se  peut  que 
je  me  trompe;  mais  j’aimerais  mieux  interpréter  cet  aveu 
spontané  comme  une  confession  qui  déchargeait  la  conscience 
du  brave  homme. 


VARIÉTÉS 


489 


Dans  l’école  des  filles,  dirigée  par  une  dame  qui  semble 
s’épanouir  dans  son  travail,  la  plupart  des  élèves  ne  reçoi- 
vent qu’une  instruction  élémentaire.  Cela  suffit,  si  elles  l’as- 
similent. On  les  fait  travailler  au  jardin;  on  leur  enseigne  à 
manier  l’aiguille  ; elles  tressent  des  nattes;  elles  font  les  tra- 
vaux du  ménage,  elles  pilent  le  riz.  Pourquoi  les  faire  dormir 
dans  des  lits?  Sauf  cela,  elles  continueraient  à mener  la  vie 
qu’elles  auraient  menée  chez  elles,  avec,  en  plus,  la  lumière  de 
Christ  qui  les  éclaire.  Les  meilleures  élèves  sont  séparées  et 
instruites  davantage;  parmi  elles  les  instituteurs  et  les  prêtres 
indigènes  peuvent  se  choisir  leurs  compagnes.  Dans  le  jar- 
din, nous  avons  vu  un  très  bel  exemplaire  de  l’arbre  du  voya- 
geur, originaire  de  Madagascar.  C'est  à sir  J.  Kirk  qu’on 
fait  remonter  cet  essai  d’acclimatation,  de  même  que  l’intro- 
duction à Mbweni  de  plusieurs  autres  plantes  étrangères  à 
Zanzibar. 

Quelles  traces  un  homme  entreprenant  et  qui  ne  se  laisse 
pas  couler  au  fil  du  laisser-aller  habituel,  pourrait  laisser 
dans  un  pays  I 

L’école  des  garçons  est  à deux  kilomètres  environ  de  l’école 
des  filles.  Le  chemin  qui  y conduit  traverse  le  village  et  la 
forêt  de  cocotiers,  au  milieu  de  laquelle  nous  avons  passé 
près  d’un  énorme  baobab.  Le  bâtiment  de  l’école  a été  cons- 
truit sur  le  faîte  du  promontoire;  un  site  idéal.  On  l’a  inau- 
guré au  milieu  de  1894.  C’est  donc  la  construction  la  plus 
récente  des  trois  stations  de  la  mission  de  Zanzibar.  Aupa- 
ravant il  y avait  une  école  toute  élémentaire  de  garçons  à 
Mkunazini,  et  une  autre  pour  les  garçons  du  a Schamba», 
c’est-à-dire  de  la  plantation  de  Mbweni.  Les  deux  ont  été 
réunies  dans  le  nouvel  établissement.  Au  haut  des  marches 
de  la  porte  d’entrée,  on  plonge,  par-delà  les  cocotiers,  dans 
l’intérieur  ondulé  de  l’île  ; de  la  véranda  du  premier  étage  de 
l’autre  façade,  on  domine  le  demi-cercle  jaune  de  la  plage, 
au  bout  de  laquelle  on  aperçoit  la  flèche  de  la  cathédrale  qui 
se  dresse  au-dessus  de  la  ville  de  Zanzibar;  puis  la  mer  bleue, 
moutonnant  sous  la  brise;  et  quand  il  fait  bien  clair  on  peut 


490 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


distinguer  au  loin  les  montagnes  de  l’ou-Sagara,  que  notre 
aimable  guide  ne  peut  oublier. 

On  compte  actuellement  75  enfants  à l’école  des  garçons, 
40  venus  de  Mkunazini  et  35  de  Mbweni.  L’instruction 
donnée  est  celle  d’une  école  primaire.  Il  y a cependant  une 
classe  supérieure,  où  les  élèves  les  mieux  doués  sont  prépa- 
rés à entrer  à Kiungani.  Leur  maître  est  un  ancien  élève 
de  Kiungani.  Dans  la  grande  salle  d’école,  nous  avons  aussi 
vu  à l’œuvre,  avec  la  directrice,  une  « miss  »,  relati- 
vement jeune,  jolie  et  fraîche.  Les  garçons  formaient 
des  groupes.  Les  uns  lisaient,  tantôt  couramment, 
tantôt  en  ânonnant.  J’en  ai  presque  effrayé  un  en  lisant 
par-dessus  son  épaule  un  mot  de  cinq  ou  de  six  syl- 
labes qui,  malgré  plusieurs  élans,  lui  opposait  un  obs- 
tacle infranchissable.  D’autres  écrivaient.  Comme  on  n’a 
pas  de  cahiers  avec  modèles  calligraphiés  en  swahéli,  ce 
sont  des  mots  anglais  qu’imitaient  les  élèves.  L’un  de 
ces  gamins  s’escrimait,  la  tête  penchée,  la  langue  entre 
les  dents,  tout  juste  comme  le  font  les  écoliers  euro- 
péens, à tracer  la  majuscule,  bien  compliquée,  il  faut  l’a- 
vouer, de  K;  il  copiait  avec  ardeur  les  trois  mots  de  Keel 
King  Knives.  Comme  dans  la  plupart  des  écoles  de  nègres, 
le  calcul  réussit  assez  mal. 

La  directrice  m’offrit  de  faire  chanter  les  élèves.  L’un  des 
maîtres  noirs  choisit  le  chant,  donna  le  ton,  et  les  enfants 
partirent  à deux  voix  avec  un  ensemble  et  un  entrain  parfaits. 
Le  titre  des  numéros  chantés  était  : « Mchezo  wa  Cricket , le 
jeu  du  cricket  ».  Cela  ne  pouvait  manquer  dans  un  recueil 
rédigé  par  des  Anglais.  A Kiungani,  le  missionnaire  nous  avait 
montré,  près  de  la  plage,  l’emplacement  où  l’on  joue  au 
« foot-ball  » — par  30°  degrés  à l’ombre!  — et  on  joue  au 
soleil.  De  temps  à autre,  l’un  des  missionnaires  prend  part 
au  jeu  — sans  la  soutane,  je  pense;  — ils  prétendent  que  cela 
leur  dégage  le  foie.  Pendant  le  chant  à Mbweni,  j’ai  admiré 
les  têtes  de  tous  ces  négrillons.  Ce  serait  ü*n  tableau  à pein- 
dre, avec,  à travers  les  fenêtres,  sans  vitres,  fermées  seule- 


Variétés 


491 


ment  par  de  fins  grillages,  la  vue  sur  les  jardins,  éclairés  par 
un  soleil  éblouissant. 

Il  fallait  songer  au  retour.  Pourquoi,  en  repassant  par  Pes- 
calier,  mon  regard  est-il  tombé  sur  une  statue  de  la  Vierge 
tenant  l'enfant  Jésus,  haute  de  75  centimètres  environ,  peinte 
en  couleurs  claires,  comme  on  en  voit  des  douzaines  alignées 
dans  les  boutiques  de  marchands  d’idoles  du  quartier  Saint- 
Sulpice,  à Paris?  Ces  bravés  amis,  si  zélés,  si  intelligents,  ne 
comprennent-ils  pas  qu'en  poussant  leurs  aspirations  catho- 
liques jusqu’au  seuil  delà  mariolâtrie,  ils  jouent  avec  le  feu? 

Dans  sa  maison  d’habitation,  la  femme  de  notre  conduc- 
teur obligeant  nous  offrit  une  tasse  de  thé.  On  regarda  des 
photographies,  on  causa  des  progrès  du  christianisme  sur  le 
continent  africain;  mais  il  fallut  couper  court  et  redescendre 
sur  la  plage. 

En  cinq  quarts  d'heure,  nos  rameurs  nous  ramenèrent  à 
bord  de  P Iraouaddy , quelques  minutes  avant  le  coucher  du 
soleil.  F.  Herm-Krugèr. 


ENCORE  L’ATTAQUE  DE  SIRABÉ 

Lettre  d’Esther  Zacharias,  élevée  dans  l’École  norvégienne  de 
M.  et  madame  Borchgrevinck,  femme  de  Radafy,  gouverneur 
de  Nanatonana,  et  frère  de  Rainijoanary,  gouverneur  général 
du  Vakinankaratra,  tous  deux,  avec  M.  le  résident  Alby,  libé- 
rateurs d’Antsirabe. 


Chers  papa  et  maman  — (noms  donnés  par  les  en- 
fants de  PÉcole  norvégienne  à M.  et  madame 
Borchgrevinck), 

Je  suis  arrivée  ici  samedi  après  la  défaite  des  rebelles  qui 
avait  eu  lieu  mercredi.  Oh  ! vous  ne  sauriez  croire  dans  quel 


492 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


triste  état  j'ai  trouvé  toutes  choses  ici  à Antsirabé.  Toutes  les 
maisons  en  ruines,  l’hôpital  et  tout  ce  qui  l’entourait  détruit 
de  fond  en  comble.  Ceux  qui  pourraient  voir  tout  ceci  sans 
pleurer  n’auraient  vraiment  pas  de  cœur,  car  c’est  horrible. 
Songez  donc  ! Sirabé  ! Qui  eût  jamais  pu  soupçonner  que  Si- 
rabé  en  serait  là  un  jour,  et  que  des  gens  qui  ont  entendu  la 
parole  de  Dieu  pendant  si  longtemps  pourraient  se  conduire 
de  la  sorte  envers  ceux  qui  leur  ont  apporté  le  message  de 
l’amour  de  Dieul  « Quel  mal  nous  ont  donc  fait  les  mission- 
« naires?  C’est  ce  que  je  demande  à tous  ceux  auxquels  je 
« parle  : ils  n’ont  pris  ni  nos  biens  ni  notre  sol,  ils  se  sont 
« donnés  à nous,  eux  et  tout  ce  qu’ils  avaient,  et  ils  ont 
« quitté  leur  famille  pour  venir  nous  apporter  la  Bonne  nou- 
« velle.  » Oh!  que  Dieu  ait  pitié  de  Madagascar  et  lui  par- 
donne ses  péchés. 

Radafy  (son  mari)  me  prie  de  vous  remercier  beaucoup 
pour  votre  lettre.  Il  dit  qu’il  est  honteux  de  recevoir  une  telle 
lettre  de  vous  : « Je  n’ai  rien  fait  qui  ne  fût  strictement  mon 
« devoir,  dit-il.  et  qu’est  donc  ce  que  j’ai  pu  faire  en  compa- 
« raison  de  ce  que  les  missionnaires  ont  fait  pour  moi  et  mon 
« peuple!  » Et  certes  cela  est  vrai,  chers  papa  et  maman; 
c’est  nous  qui  devons  vous  remercier,  vous  et  les  mission- 
naires, de  ne  pas  perdre  courage  alors  que  nous  nous  sommes 
si  mal  conduits  à votre  égard.  Que  Dieu  nous  pardonne  nos 
péchés  ! 

Quand  Radafy  est  parti  pour  secourir  Sirabé,  il  n’avait 
pas  le  moindre  espoir  de  trouver  nos  amis  vivants,  car 
les  rebelles  avaient  répandu  le  bruit  que  tous  les  Yazahas 
(Européens)  avaient  été  massacrés,  et  c'est  avec  le  cœur 
bien  lourd  qu’il  allait  pour  recueillir  au  moins  leurs  corps, 
afin  que  ces  cruels  Fahavalos  ne  les  mutilent  pas.  S’il  avait 
pu  soupçonner  qu’ils  étaient  encore  vivants  et  entourés 
d’ennemis,  il  ne  se  serait  pas  arrêté  en  route  pour  permettre 
à ses  soldats  de  cuire  leur  riz.  Partis  à quatre  heures  du  ma- 
tin, ils  étaient  arrivés  à deux  heures  de  l’après-midi  à Bétafo. 
Mais  imaginez  leur  joie  quand  ils  apprirent  que  Rainijoanary 


VARIÉTÉS 


493 


(le  gouverneur  général,  frère  de  Radafy)  venait,  lui  aussi,  d’ar- 
river, et  quand  ils  apprirent  en  même  temps  que  les  Vaza- 
has  vivaient  encore,  mais  que  si  l’on  ne  se  hâtait  pas  de  leur 
porter  secours  il  serait  bientôt  trop  tard.  Ils  partirent  aussi- 
tôt et  atteignirent  Sirabé  au  point  du  jour,  et  à onze  heures 
les  rebelles  étaient  vaincus.  Mais  vous  savez  déjà  tout  cela. 

A Nanatonana  (le  village  de  sa  résidence),  nous  n'avons  su 
ces  bonnes  nouvelles  qu’un  jour  et  demi  plus  tard.  Nous 
avions  tous  le  cœur  brisé  : nous  pleurions  sur  nos  amis,  car 
plusieurs  nous  disaient  les  avoir  vu  massacrer  sous  leurs 
propres  yeux,  ajoutant  qu’ils  ne  savaient  pas  ce  qui  arrive- 
rait à Radafy  qui,  disaient-ils,  avait  été  fait  prisonnier  par 
les  rebelles  avec  son  beau-frère,  tandis  que  tous  ses  soldats 
s’étaient  joints  à l’ennemi.  Nous  étions  à bout  de  courage  : 
en  disant  nous,  j’entends  ma  belle-mère,  mes  deux  belles- 
sœurs  et  moi  qui  étions  abandonnées  par  tous  les  gens  du  vil- 
lage, comme  étant  les  amis  des  Vazahas.  Je  m’étais  assise 
près  de  la  fenêtre  de  notre  chambre  qui  donne  sur  la  route, 
pour  que  personne  ne  pût  arriver  sans  que  je  le  visse,  de 
peur  qu’il  n’eût  le  temps,  s’il  rencontrait  quelqu’un  du  vil- 
lage, d’inventer  et  de  me  dire  un  mensonge,  et  parce  que  je 
voulais  apprendre  directement  les  tristes  nouvelles.  Nous 
avons  prié  même  quand  tout  le  monde  nous  disait  qu’il  n’y 
avait  plus  aucun  espoir,  répétant  toujours  : « O Dieu,  Toi 
qui  as  tout  pouvoir  en  tes  mains,  empêche  Madagascar  de 
répandre  tant  de  sang  innocent!  » et  nous  finissions  toujours 
en  disant  : « Tu  ne  peux  pas,  tu  ne  voudras  pas  permettre 
que  toutes  ces  précieuses  vies  soient  perdues  ».  Nous  ordon- 
nions presque  à Dieu  d’exaucer  nos  prières  et,  Il  l’a  fait. 

Le  mercredi  vers  le  soir,  nous  apprîmes  qu’Ellen  (mademoi- 
selle Engh,  élevée  chez  M.  Borchgrevinck  et  compagne  de  jeu 
d’Esther  Radafy)  avait  été  tuée  d’une  manière  barbare  et 
horriblement  mutilée.  J’étais  absolument  désespérée,  mais  je 
n’osais  pas  le  dire  aux  Klanderud  (le  directeur  de  l’École  in- 
dustrielle et  sa  famille,  réfugiés  chez  Rafady)  ; je  leur  conseillai 
seulement  de  partir  sans  retard  pour  la  capitale  pour  sauver 


494 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


leurs  vies.  Ils  insistèrent  alors  pour  savoir  les  raisons  qui  me 
faisaient  leur  conseiller  un  départ  si  brusque.  Oh!  papa  et 
maman,  que  Dieu  me  pardonne,  car  je  leur  ai  menti  : je  leur 
dis  que  je  n’avais  rien  appris  de  grave  mais  que,  n'ayant  au- 
cune nouvelle  de  Radafy,  j’étais  effrayée  pour  eux.  Je  sortis 
pour  leur  chercher  un  peu  de  café  ; mais  quand  j’entrai  dans 
la  cuisine  je  vis  mes  jeunes  filles  (ses  esclaves)  qui  chucho- 
taient ensemble*  s’arrêter  brusquement  en  me  voyant.  Quand 
je  leur  demandai  de  quoi  elles  parlaient,  elles  ne  voulurent  pas 
d’abord  le  dire;  mais  comme  je  les  pressais  : « Après  tout, 
dirent-elles,  nous  pouvons  le  lui  dire.  » Et  elles  me  racontè- 
rent qu’outre  Ellen  on  avait  aussi  tué  et  affreusement  mutilé 
M.  Engh  et  M.  Vig.  J’oubliai  complètement  mon  café  et  re- 
vins auprès  de  M.  Klanderud  pour  les  supplier  de  partir  tout 
de  suite  pour  la  capitale.  Je  n’osai  pas  leur  dire  ce  que  je 
venais  d’apprendre  et  répondis  encore  à leurs  questions  en 
leur  disant  que  je  n’avais  rien  appris  de  spécial.  Nous  nous 
procurâmes  quelques  mauvaises  filanzanes  et  ils  partirent  à 
cinq  heures.  M.  Klanderud  devait  marcher,  parce  que  nous 
n’avions  pas  pu  trouver  assez  de  porteurs. 

Quand  ils  furent  partis,  une  femme  entra  et  me  dit  qu’il  était 
heureux  pour  nous  qu’ils  fussent  sortis  de  la  maison,  et  que  je 
devais  maintenant  quitter  mes  vêtements  européens  et  m'ha- 
biller comme  une  femme  malgache.  Je  lui  répondis  que  ce  se- 
rait une  grande  honte  pour  moi  de  faire  pareille  chose,  car, 
après  Dieu,  c’était  aux  Vazahas  que  je  devais  la  vie  et  tout  ce 
que  j’avais,  et  que  je  considérais  comme  un  honneur  que  les 
gens  nous  appelassent  amis  des  Vazahas,  ma  famille  et  moi. 
Oui,  reprit-elle,  mais  si  vous  vous  habillez  comme  nous,  peut- 
être  épargneront-ils  quand  même  votre  vie.  « Je  ne  suis  pas 
« assez  sotte  pour  le  croire,  repris-je;  ils  me  tueront  même  si 
« j’ai  un  lamba,  non  seulement  parce  que  je  suis  une  amie  des 
« Vazahas,  mais  parce  que  je  suis  la  femme  de  Radafy,  car 
« ils  sont  irrités  contre  Ranijoanari  et  lui  pour  avoir  dit  ré- 
<i  cemment,  dans  l’assemblée  du  grand  marché,  que  les  re- 
« belles  ruinaient  et  perdaient  notre  pays.  Et  puis  je  n’ai  pas 


VARIÉTÉS 


495 


« peur  de  mourir,  parce  que  je  sais  que  Dieu  me  prendra  alors 
« dans  sa  Maison  où  je  retrouverai  ma  mère  et  tous  nos  chers 
« amis  si  odieusement  massacrés  à Antsirabé.  » Non,  papa 
et  maman,  je  n’ai  pas  honte  d’être  une  amie  des  Yazahas,  ja- 
mais, jamais;  et  Radafy  non  plus,  ni  aucun  membre  de  notre 
famille  n’en  aura  jamais  honte.  Je  considère  comme  une  très 
grande  faveur  que  vous  nous  permettiez  encore  de  nous  ap- 
peler vos  enfants,  nous  qui  avons  si  honteusement  payé  tout 
le  bien  que  vous  nous  avez  fait  : nous  ne  sommes  certaine- 
ment pas  dignes  de  dénouer  les  cordons  de  vos  souliers.  Oh! 
c’est  vraiment  épouvantable  de  voir  comment  le  diable  peut 
pervertir  l’esprit  et  le  cœur  des  gens.  Pensez,  être  si  cruels 
envers  ceux  qui  ont  été  pour  nous  des  pères  et  des  mères  si 
dévoués!  Car,  si  les  rebelles  n’avaient  pas  été  vaincus,  Mazi- 
mandrana,  Bétafo,  Soavina,  Ambohimasina  et  Nanatonana 
auraient  fait  la  même  chose  que  Sirabé.  Mais  il  est  bien  vrai, 
comme  l’a  dit  dimanche  dernier,  dans  son  sermon,  le  pasteur 
Rosaas,  que  « Dieu  ne  sere. jamais  vaincu  : les  hommes  ont 
« formé  le  dessein  de  tuer  et  de  mutiler  ; et  ils  ont  en  effet 
« pillé  et  tourmenté;  mais  ils  ne  sauraient  faire  plus  que 
« Dieu  ne  le  permet,  car  Dieu  ne  peut  être  vaincu.  » 

Oui!  il  est  bien  vrai  que  la  victoire  est  à Lui  et  non  aux 
hommes.  Les  hommes  ont  tout  fait  pour  nous  faire  désespérer, 
et  nous  avons  réellement  désespéré  : mais  quand  notre  foi  en 
était  à son  plus  faible  degré  et  quand  nous  avions  abandonné  tout 
espoir...  alors  est  arrivée  la  joyeuse  nouvelle  que  Dieu  avait 
entendu  nos  prières,  que  tous  les  Vazahas  étaient  vivants  et 
que  pas  un  n’avait  même  été  blessé.  Oh!  quelle  joie  nous 
avons  eue  : nous  avons  pleuré,  ri,  battu  des  mains.  Et  cela 
nous  est  arrivé  si  soudainement.  C’est  le  jeudi  soir,  à cinq 
heures,  que  je  reçus  la  lettre  de  Radafy  : nous  convoquâmes 
tout  le  village  dans  notre  maison  qui  était  bondée  : il  n’avait 
pas  eu  le  temps  d’écrire  longuement,  mais  c’en  était  assez, 
pour  ceux  qui  avaient  eu  secrètement  l'intention  de  se  join- 
dre aux  rebelles  quand  ils  arriveraient  à Nanatonana,  que 
d’apprendre  qu’ils  avaient  été  complètement  battus,  et  que 


496 


JOURNAL  DBS  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


tous  les  Vazahas  étaient  vivants.  Je  leur  dis  : « Vous  pouvez 
« voir  maintenant  que  le  Dieu  des  Vazahas  est  le  plus  fort.  » 
On  aurait  pu  nous  croire  folles  quand  la  lettre  arriva.  Lors- 
que Radafy  était  parti,  ma  belle-mère  était  si  malade  qu’il 
m’avait  dit,  comme  nous  nous  séparions  : « Soigne-la  bien, 
« mais  je  crains  de  ne  plus  la  retrouver  quand  je  reviendrai.  » 
Mais  sa  lettre  a été  la  meilleure  de  toutes  les  médecines  : elle 
s’est  assise  sur  son  lit  et  a battu  des  mains,  tandis  que  nous 
dansions  autour  d’elle.  Que  Dieu  soit  loué  de  n’avoir  pas  per- 
mis que  nous  fussions  couverts  de  confusion  devant  nos  en- 
nemis !.... 

C’est  moi,  votre  fille,  qui  vous  salue,  Estuer 

Pour  traduction  littéralement  conforme , 

H,  Lauga,  pasteur. 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20617. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


497 


SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


QUESTION  DE  FOI 


Paris,  le  22  octobre  1896. 

Nous  devrions  peut-être,  à cette  époque  de  l’année  où  tout 
parle  de  travail  et  d’effort,  passer  en  revue  nos  champs  de 
missions  et  exhorter  nos  lecteurs  à redoubler  de  zèle  et 
d’activité. 

Le  temps,  le  courage  nous  manquent  pour  entreprendre 
cette  revue,  recommencée  bien  des  fois  déjà,  et  que  les  amis 
de  notre  œuvre  sauront  bien  faire  eux-mêmes  (1). 

C’est  à quoi  nous  les  convions  aujourd’hui;  c’est  l’effort 
que  nous  attendons  de  leur  amour.  Qu’ils  lisent  avec  atten- 
tion cette  livraison;  qu’ils  évoquent,  l’une  après  l’autre,  nos 
missions  anciennes,  nos  missions  nouvelles,  avec  leurs  diffî- 


(1)  Le  directeur  de  la  Maison  des  Missions  a été  retenu,  puis  récemment 
rappelé  en  Alsace  par  la  maladie  et  la  mort  de  son  frère,  M.  Charles 
Boegner,  ancien  pasteur,  aumônier  de  la  Maison  des  Diaconesses  de 
Strasbourg.  Ce  deuil  occasionne  quelque  retard  dans  l’expédition  des 
affaires  et  dans  la  correspondance.  Le  directeur  de  la  Maison  des  Missions 
espère  qu’on  excusera  ce  retard  et  prie  ceux  qu’il  n’a  pu  aviser  directe- 
ment de  la  mort  de  M.  Ch.  Boegner  de  bien  vouloir  se  considérer  comme 
informés  par  la  présente  note. 

NOVEMBRE  1896. 


36 


498 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


cultés  et  leurs  besoins;  et  qu’après  s’être  ainsi  chargés  de 
notre  fardeau,  ils  le  déposent  avec  nous  aux  pieds  de  Celui 
qui  peut,  aujourd’hui  comme  autrefois,  se  servir  de  nos  fai- 
bles ressources  pour  satisfaire  aux  besoins  des  multitudes 
qu’il  nous  appelle  à nourrir,  à Madagascar  aussi  bien  qu’au 
Lessouto;  à Taïti  comme  au  Sénégal  et  au  Zambèze. 

Mais  n’est-ce  pas  trop  demander?  Ce  vaste  ensemble  peut- 
il,  à la  longue,  rester  un?  Et  les  membres  dont  il  se  compose 
ne  vont-ils  pas,  en  vertu  de  leur  diversité  même,  s’isoler  les 
uns  des  autres  et  prendre  chacun  un  développement  propre? 
Questions  angoissantes  et  qui  peuvent  surgir  dans  les  esprits 
les  plus  dévoués  à notre  cause. 

Et  cependant,  plus  nous  y réfléchissons,  plus  s’affermit  en 
nous  la  conviction  que  cette  tâche  si  lourde  et  si  complexe, 
la  foi  peut  l’accomplir.  Oui,  le  maintien  de  notre  patrimoine 
dans  son  intégrité  est,  avant  tout,  une  question  de  foi.  Aussi 
longtemps  qu’au  centre  de  ce  vaste  organisme  battra  un  cœur 
chaud  et  vivant,  l’œuvre  gardera  son  unité.  Ce  cœur  chaud, 
ce  cœur  vivant,  c’est  le  vôtre,  chers  amis;  c’est  le  mien,  c’est 
celui  de  tout  ami  de  nos  missions,  qu’il  soit  membre  du  Co- 
mité directeur  ou  simple  souscripteur  du  Sou  missionnaire. 
Ce  cœur*  où  sont  inscrits,  les  uns  à côté  des  autres,  les  noms 
de  nos  divers  champs  de  travail  et  de  nos  ouvriers,  qui  em- 
brasse d’un  même  amour  Madagascar  et  le  Zambèze,  qui  prie 
pour  le  Congo  comme  pour  Taïti,  qui  s’appuie  sur  les  pro- 
messes de  Dieu  et  réclame  la  venue  de  son  règne  à Maré, 
comme  au  Sénégal  et  au  Lessouto,  voilà  le  foyer  et  le  lien  de 
nos  diverses  œuvres,  et  voilà  la  garantie  de  leur  progrès. 

Car  ce  cœur-là,  ce  cœur  qui  aime,  qui  prie,  qui  obéit,  qui 
espère,  c’est  précisément  ce  à quoi  Dieu  ne  résiste  pas,  — que 
dis-je?  — c’est  ce  à quoi  Dieu  a tout  promis  et  à quoi  il  accorde 
tout.  Il  faut  nous  débarrasser  de  l'idée  toute  humaine  d’une 
certaine  limite  assignée,  une  fois  pour  toutes,  à l’activité 
et  aux  ressources  d’une  Société  comme  la  nôtre.  Les  res- 
sources sont  à Dieu;  l’or  est  à lui,  l’argent  lui  appartient;  il 
est  aussi  le  Maître  de  la  moisson  qui  suscite  et  envoie  les 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


499 


ouvriers;  ces  hommes,  cet  argent,  il  peut  les  diriger  où  il  lui 
plaît.  Or,  il  lui  plaît,  précisément,  de  les  accorder  à la  foi, 
cette  foi  fût-elle  le  partage  de  la  dernière  des  Sociétés  de 
missions,  ou  du  plus  faible  des  chrétiens. 

« Ne  t’ai-je  pas  dit  que  si  tu  crois,  tu  verras  la  gloire  de 
Dieu  ?»  — « Je  vous  dis,  en  vérité,  que  si  vous  aviez  de  la  foi 
gros  comme  un  grain  de  moutarde,  vous  diriez  à cette  mon- 
tagne : Jette-toi  au  milieu  de  la  mer,  et  elle  vous  obéirait.  » 

Oh!  ayons  la  foi,  la  foi  qui  obéit  et  qui  se  confie;  la  foi  qui 
abandonne  tout  à Dieu  et  qui  attend  tout  de  Dieu,  et,  nous 
aussi,  nous  verrons  les  choses  magnifiques  de  Dieu... 


NOTES  DC  MOIS 

M.  E.  Haug , dont  le  retour  était  annoncé  dans  notre  der- 
nière livraison,  est  arrivé  à Paris  le  30  septembre.  Nous  espé- 
rons que  le  séjour  qu’il  va  faire  au  milieu  de  nous  rétablira 
promptement  sa  santé,  compromise  par  le  climat  du  Congo. 

Nos  missionnaires  en  Europe  ont  fait  plusieursjïcmniées  de 
visites  aux  Églises.  On  verra  ailleurs  celles  que  M.  Coillard 
a pu  faire  et  qu’il  nous  raconte  lui-même.  M.  Christol  s’est 
rendu  dans  le  Midi,  où  il  a visité  les  Églises  de  Montpellier, 
du  Yigan,  de  Calvisson,  de  Codognan,  etc.  M.  Jacottet  a fait 
un  voyage  à Londres  pour  s’y  occuper  de  la-réimpression  de 
la  Bible  sessouto.  De  son  côté,  M.  Louis  Jalla  a donné  un  grand 
nombre  de  conférences  dans  les  Églises  vaudoises  de  l’Italie. 
Nous  pouvons  espérer  que  de  tout  ce  travail  résultera  un  re- 
nouvellement d’intérêt  et  de  zèle  pour  la  cause  des  missions. 

Nous  ne  saurions’  récommander  trop  vivement  à nos  amis 
le  livre  intitulé  «*  Ernest  Dhombrés,  quelques  souvenirs  » , qui 
en  est  à sa  seconde  édition.  Cette  édition  a été  sensiblement 
augmentée  et  soigneusement  revue  par  l’auteur,  si  bien  que 


500 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


le  nouveau  volume  forme  un  beau  livre  dont  la  lecture  est 
singulièrement  instructive  et  fortifiante.  Les  demandes  peu- 
vent être  adressées  soit  à la  Maison  des  Missions,  soit  à 
M.  Schultz,  9,  rue  Laffitte. 

Le  Petit  Message!'  de  Noël  est  actuellement  en  préparation. 
Il  renfermera  des  articles  de  MM.  Coillard,  Krüger,  Viénot, 
Christol,  Escande,  Haug,  etc.  Des  dessins  dûs  à la  plume  de 
MM.  Christol  et  Schlumberger,  ainsi  que  des  photogravures 
promettent  une  riche  illustration  de  cette  brochure  de  Noël. 
Nous  la  recommandons  dès  maintenant  à l’attention  bien- 
veillante de  nos  lecteurs. 

C’est  l’avant  dernière  fois  que  paraît  le  Journal  des  Missions 
pour  1896.  Nous  prenons  la  liberté  d’y  rendre  attentifs  nos 
abonnés  pour  qu'ils  veuillent  bien  nous  faciliter  la  tâche, 
soit  en  renouvelant  leur  abonnement  aussitôt  que  possible, 
soit  en  nous  procurant  de  nouveaux  abonnés. 


SITUATION  FINANCIÈRE 
au  20  octobre  1896. 

Notre  trésorier  nous  communique  la  note  suivante  : 


Pour  faire  face  à la  dépense  prévue  pour  1896-97.  qui 

est  de 373.000  » 

Il  faudrait  une  recette  mensuelle  de  31,000  francs,  ce  qui 
fait  pour  les  6 mois  et  20  jours  écoulés,  du  1er  avril  au 
20  octobre  1896,  un  chiffre  total  de 207,000  * 

Nous  n’avons  reçu  jusqu’à  ce  jour,  pendant  le  même 

laps  de  temps,  qu'une  somme  de 75,900  » 

faisant  une  différence  en  moins  de 131,100 

Les  recettes  du  Zambèze  sont  à ce  jour  de 43.275  » 

au  lieu  de 11,900  » 

qu'on  avait  reçus  l’année  dernière  à pareille  époque. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


501 


RENTRÉE  DE  LA  MAISON  DES  MISSIONS 
le  16  octobre  1896. 

Comme  Tannée  dernière,  celte  séance  a eu  lieu  à la  cha- 
pelle de  la  Maison  des  missions  où,  malgré  le  mauvais  temps, 
nous  avions  la  joie  de  voir  groupés  de  nombreux  amis,  parmi 
lesquels  plusieurs  pasteurs  ou  professeurs  de  théologie. 

La  séance,  présidée  par  M.  R.  Hollard,  est  ouverte  par  une 
prière  de  M.  J.  Goguel.  M.  Hollard  rappelle  les  circonstances 
particulières  où  se  fait  cette  rentrée.  C’est  d’abord  le  direc- 
teur de  la  Maison  des  missions  qui  est  retenu  en  Alsace  par 
les  obsèques  de  son  frère  aîné,  et  dont  l'absence  en  un  tel 
jour  se  fait  vivement  sentir.  Puis,  à côté  de  ce  deuil  de 
famille,  il  y a les  deuils  des  champs  de  mission  : M.  Jacot, 
au  Congo,  et,  plus  récemment,  M.  Goy,  au  Zambèze,  tombés 
l’un  et  l’autre  à la  fleur  de  l’âge.  « C’est  comme  à des 
soldats  que  je  parle,  dit  M.  Hollard  en  s’adressant  aux  élèves, 
mais  il  y a dans  ces  douloureux  souvenirs  quelque  chose 
qui  élève  vos  études  et  votre  vocation  et  qui  leur  donne  je  ne 
sais  quelle  gravité  et  quelle  beauté.  » 

Il  mentionne  aussi  les  sujets  de  joie  et  d’actions  de  grâce. 
Et,  tout  naturellement,  le  nom  de  M.  Coillard  est  prononcé, 
ainsi  que  celui  de  M.  Krüger,  revenu  depuis  dix  jours  seule- 
ment de  son  voyage  à Madagascar  et  dont  la  présence  ex- 
cite une  vive  reconnaissance  envers  Dieu.  Enfin,  l’orateur 
rappelle  le  nom  deM.  J.  Dubois,  ce  jeune  candidat  en  théologie 
de  la  Suisse  française  qui  s’est  voué  avec  tant  de  sollicitude 
aux  études  des  élèves  pendant  l’absence  de  M.  Krüger.  La 
Maison  des  missions  lui  garde  un  souvenir  reconnaissant. 

M.  Hollard,  s’adressant  ensuite  plus  spécialement  aux 
élèves,  leur  parle  de  leur  devoir  actuel,  qui  est  de  faire  de 
bonnes  études,  et  leur  rappelle  les  conditions  qui  en  assu- 
reront le  succès.  Chercher  Dieu  partout,  dans  le  livre  où  il 
a déposé  sa  pensée  à l’égard  des  hommes;  le  chercher  en 


502 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Jésus-Christ  surtout,  qui  nous  montre  ce  que  Dieu  pense 
de  l’homme  et  ce  qu’il  attend  de  l’homme;  puis  dans  la  vie 
de  l’Église,  la  vie  des  saints  et  des  marty  rs,  de  cette  série 
ininterrompue  de  témoins  qui  ont  vécu  la  vie  de  Christ. 
Enfin,  après  avoir  signalé  les  dangers  que  peuvent  présenter 
les  études,  il  indique  le  moyen  d’y  parer  : se  tenir  aux  pieds 
de  la  croix  de  Jésus-Christ,  et  lui  apporter  sa  foi,  sa  voca- 
tion, son  être  tout  entier;  obéir,  puis  penser  à ceux  auxquels 
l’Évangile  n’a  point  été  annoncé  et  entendre  leurs  plaintes 
lointaines  et  lugubres.  Alors  les  études  seront  bienfaisantes 
et  propres  à former  ceux  qui  s’y  adonnent  pour  la  grande 
tâche  qui  attend  tout  missionnaire. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à M.  Krüger,  qui  exprime  sa 
joie  de  se  trouver  de  nouveau  au  milieu  de  ses  élèves,  après 
une  longue  séparation.  Il  les  remercie  de  l’accueil  affectueux 
qu’ils  lui  ont  fait,  et  exprime  également  sa  reconnaissance 
aux  amis  qui  ont  tenu  à assister  à cette  réunion. 

Après  quoi,  M.  Krüger  expose  en  détail  et  d’une  manière 
très  vivante  le  plan  des  études  qui  vont  se  poursuivre  pendant 
l’année  à la  Maison  des  Missions,  Puis  il  communique  à l’as- 
semblée ses  impressions  de  retour,  alors  que,  débarquant  à 
Paris  au  milieu  de  l’allégresse  générale  des  fêtes  du  6 octobre, 
il  ne  pouvait  s’empêcher  d’entendre  les  gémissements  d’un 
peuple  que  l’on  est  en  train  d’égorger,  aux  portes  mêmes  de 
l’Europe.  Combien  tout  cela  est  sérieux,  solennel  même  ! Sé- 
rieuse aussi  la  tâche  que  nous  aurons  à accomplir  à Mada- 
gascar, où  l’Évangile  est  menacé  de  tant  de  façons.  Armons- 
nous  donc  pour  la  lutte,  dit  en  terminant  M.  Krüger,  et  inspi- 
rons-nous des  sentiments  qui  animaient  Josué  lorsque,  se 
prosternant  devant  l’Étemel,  il  lui  disait  : « Qu’est-ce  que 
mon  Seigneur  dit  à son  serviteur?  Et  le  chef  de  l'armée  de 
l’Éternel  dit  à Josué  : Ote  tes  souliers  de  tes  pieds,  car  le  lieu 
sur  lequel  tu  te  tiens  est  saint.  » 

M.  le  pasteur  Appia  adresse  également  aux  élèves  quelques 
exhortations  qu’il  rattache  à cette  parole  : « Je  suis  le  chemin , 
la  vérité  et  la  vie  ».  Il  presse  les  jeunes  étudiants  de  faire  la 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


503 


connaissance  personnelle,  vivante  de  Christ.  Le  connaître 
Lui,  la  vie,  pour  le  donner  ensuite  à connaître  et  engendrer  la 
vie  en  d'autres  âmes,  tel  est  le  secret  du  succès  dans  l’activité 
missionnaire. 

C’est  encore  M.  Appia  qui  termine  cette  réunion  par  une 
prière  dans  laquelle  ni  le  directeur  de  la  Maison  des  Missions, 
ni  les  élèves,  ni  les  champs  de  travail  ne  sont  oubliés.  Cette 
prière  laisse  l'assemblée  sous  une  impression  particulière- 
ment fortifiante  et  bénie. 

2 de  nos  élèves  ont  achevé  leurs  études  et  ont  reçu  la 
consécration;  3 ont  du  interrompre  leur  préparation,  l’un 
pour  raison  de  santé,  les  deux  autres  à cause  du  service  mi- 
litaire ; 9 la  poursuivent  à la  Maison  des  Missions,  5 sont  en 
section  préparatoire;  enfin,  il  se  trouve  dans  des  Facultés  de 
théologie  quelques  jeunes  gens  qui  étudient  avec  l’intention 
d’entrer  au  service  de  notre  Société. 


SOUVENIRS  DE  LA  CONSÉCRATION  DES  MISSIONNAIRES 
P.  VERNIER  ET  A.  C0ISS0N 

Nous  sommes  aujourd'hui  en  mesure  de  combler  les  la- 
cunes que,  faute  d’avoir  reçu  à temps  les  renseignements 
voulus,  nous  avons  dû  laisser  subsister  dans  le  récit  de  ces 
deux  cérémonies. 

Nous  empruntons  au  compte  rendu  détaillé  que  M.  le  pas- 
teur Peloux,  de  Crest,  nous  a envoyé  de  la  consécration  de 
M.  P.  L.  Vernier,  le  passage  suivant  du  discours  de  M.  Mouline  : 

« Pour  croire,  il  faut  connaître , et  le  moyen  de  connaître 
n’est  pas  de  méditer,  de  réfléchir,  de  sonder  profondément, 
d’imaginer  ou  de  raisonner  savamment,  mais  à' entendre  par- 
ler. Ce  n’est  pas  l’effort  de  la  sagesse  humaine,  c’est  le  témoi- 
gnage, non  une  théorie,  une  spéculation,  un  système,  mais 
une  nouvelle,  la  bonne  nouvelle.  Le  petit  enfant  qui  a en- 
tendu cette  nouvelle  est  infiniment  mieux  instruit  que  le  plus 


504 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


grand  savant  auquel  celte  bonne  nouvelle  n’est  point  par- 
venue ou  qui  Ta  rejetée.  Que  dis-je?  Ce  petit  enfant  est  seul 
instruit,  et  le  grand  savant  n’est  qu’un  grand  ignorant.  Un 
fait  ne  s’invente  pas,  il  se  produit  et  se  publie... 

« La  prédication,  voilà  le  témoignage  qu’il  faut  entendre 
pour  connaître  valablement  et  sûrement  le  Seigneur  qui 
sauve.  La  prédication  non  d’un  Évangile  quelconque,  flot- 
tant, incertain,  variant  selon  le  temps,  le  milieu  et  la  per- 
sonnalité de  ceux  qui  le  prêchent,  mais  l’Évangile  unique, 
que  Jésus*Christ  lui-même  a fait,  et  dont  il  a fixé  la  forme  par 
l'autorité  de  sa  parole  et  les  directions  de  son  Esprit...,  l’Évan- 
gile de  Dieu  qui  ne  peut  pas  et  ne  doit  pas  changer  ; qui,  à 
l’image  de  Celui  qui  en  est  l’unique  objet,  est  le  même  hier, 
aujourd’hui,  éternellement...,  qui  doit  rester  ce  qu'il  est,  ce 
que  Dieu  a voulu  qu’il  soit,  sous  peine  de  n’être  plus  que 
l’Évangile  impuissant  de  la  sagesse  humaine,  et  non  l’Evan- 
gile du  Seigneur... 

a Pour  que  l’Évangile  soit  prêché,  il  faut  des  envoyés. 
Quiconque  a le  privilège  de  croire  en  Lui  doit  se  considérer 
comme  l’envoyé  du  Seigneur  pour  annoncer  à son  entourage 
le  nom  et  les  vertus  de  Celui  qui  l'a  appelé  des  ténèbres  à sa 
merveilleuse  lumière...  Mais,  parmi  ces  envoyés,  il  y a une 
élite  dans  laquelle  s’incarne  pour  ainsi  dire  cette  sublime  et 
sainte  vocation  qui  est  le  devoir  et  la  gloire  de  toute  l’Église 
de  Jésus-Christ;  ce  sont  les  missionnaires. 

« Voilà  bien  les  envoyés  par  excellence,  par  le  témoignage 
desquels  le  nom  de  Jésus-Christ  parvient  à ceux  qui  ne  l’ont 
point  encore  entendu...  Envoyés!  c’est  le  Seigneur  lui-même 
qui  envoie  ses  vrais  envoyés.  Lui  seul  a qualité  et  autorité 
pour  leur  adresser  cette  vocation,  pour  les  rendre  capables 
d’en  remplir  fidèlement  les  devoirs,  d’en  surmonter  les  diffi- 
cultés et  d’en  exercer  l’influence  bénie.  C’est  seulement 
après  qu’il  a choisi,  Lui,  ses  envoyés,  que  l’Église  peut  les 
consacrer  valablement  par  l’imposition  des  mains.  Il  faut  que 
cette  voix  du  Seigneur,  tout  missionnaire  l'ait  entendue  dis- 
tinctement et  y ait  répondu  : Me  voici,  pour  être  envoyé...  » 


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Nos  lecteurs  seront  heureux  d’entendre  cet  écho  de  la  pré- 
dication de  M.  Mouline.  Nous  ne  pouvons  malheureuse- 
ment leur  procurer  le  même  avantage  en  ce  qui  touche  le 
sermon  prononcé  à la  consécration  de  M.  Coïsson,  à la  Tour; 
en  revanche,  nous  citerons  un  fragment  du  récit  très  simple 
et  très  émouvant  que  le  candidat  a fait  de  sa  vocation.  Aussi 
bien,  c’est  là  surtout  le  but  de  ces  comptes  rendus:  faire 
connaître  nos  futurs  missionnaires  à ceux  qui,  sans  avoir  vu 
leurs  visages,  seront,  dès  le  jour  de  leur  départ,  leurs  soutiens 
et  leurs  amis. 

«...  Voici,  a ditM.  Coïsson,  comment  je  me  suis  senti  appelé 
à devenir  missionnaire.  Mes  plus  anciens  souvenirs  à ce  sujet 
remontent  à la  dernière  visite  de  notre  cher  et  vénéré  M.  Coil- 
lard, que  j’ai  eu  le  grand  privilège  de  revoir  au  milieu  de  nous 
en  cette  occasion.  J’étais  bien  jeune  alors,  je  n’étais  qu’un  en- 
fant; aussi,  bien  qu’y  tenant  une  grande  place,  ces  souvenirs 
sont-ils  vagues  dans  ma  pensée.  Je  me  rappelle  avoir  accompa- 
gné ma  mère,  un  dimanche  après-midi,  à une  réunion  de 
missions  tenue  en  plein  air,  où  M.  Coillard,  qui  nous  avait  fait 
l’honneur  de  venir  jusque  dans  nos  Vallées,  devait  plaider  la 
cause  de  cette  grande  œuvre  qu’il  allait  entreprendre  sur  les 
bords  du  Zambèze.  Une  carte  du  sud  de  l’Afrique  était  sus- 
pendue à un  arbre,  et  je  sais  que  j’avais  écouté  les  paroles  de 
l’orateur  avec  plus  d’attention  que  je  ne  le  faisais  habituelle- 
ment en  pareille  occasion.  L’impression  de  ce  jour  ne  devait 
être  que  passagère,  semble-t-il;  dès  le  lendemain,  en  effet, 
j’avais  oublié  la  réunion  qui  m’avait  si  vivement  intéressé  la 
veille.  Mais,  plus  tard,  lorsque  le  moment  vint  où  j’ai  de- 
mandé à Dieu  de  me  guider  dans  le  choix  d’une  carrière,  ce 
même  tableau  reparut  devant  mes  yeux;  la  voix  de  l’orateur 
répéta  à nouveau  dans  ma  pensée  ses  chaleureux  appels,  et 
j’entendis  en  même  temps  la  voix  de  mon  divin  Maître  me 
dire  comme  aux  disciples  : « La  moisson  est  grande,  mais  il 
y a peu  d’ouvriers.  » 

« D’autres  circonstances  devaient  contribuer  à me  faire 
aimer  les  missions  jusqu’à  leur  donner  ma  vie.  En  1886,  je  fus 


506 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


vivement  impressionné  par  la  consécration  et  le  départ  de 
M.  Louis  Jalla;  je  sentis  réellement  que  je  devais  partir  à 
mon  tour  Lorsque  le  moment  serait  venu,  pour  cette  Afrique 
qui  occupa  dès  lors  une  si  grande  place  dans  mon  cœur. 
J’assistai  avec  un  intérêt  plus  grand  encore  aux  réunions 
d’adieux  de  MM.  Adolphe  Jalla  et  B.  Pascal- 

« Mais  le  moment  de  ma  vie  de  collège  que  je  saluai  avec 
un  plaisir  tout  nouveau,  ce  fut  celui  où,  comme  étudiant,  je 
devins  membre  de  la  petite  Société  de  missions  « Pra-del- 
Torno  ».  Dès  lors,  j’eus  l’occasion  de  m’occuper  plus  particu- 
lièrement des  progrès  de  l’Évangile  en  pays  païen;  les 
nouvelles  de  nos  missionnaires  m’intéressaient  surtout,  et 
mon  cœur  était  joyeux  lorsque  je  partais  avec  un  camarade, 
pour  aller  raconter  dans  nos  campagnes  ce  que  Dieu  faisait 
là-bas,  par  les  mains  de  nos  frères,  à la  gloire  de  son  nom. 
Comment  pourrais-je  dire  tout  le  bien  que  je  reçus  dans  ces 
heures  consacrées  aux  missions;  et  puis,  par  cette  œuvre  que 
nous  accomplissions,  bien  imparfaitement,  il  est  vrai,  mais 
pour  notre  Maître,  ne  devenions-nous  pas,  malgré  notre 
jeunesse,  ses  messagers  et  ses  ambassadeurs,  des  soldats 
qui  luttaient  à leur  poste  sous  le  drapeau  du  Christ?  Et  ces 
moments  bénis  étaient  bien  faits  pour  me  rapprocher  de  Dieu 
et  pour  me  fortifier  dans  ma  vocation. 

« Cependant,  malgré  la  ferme  conviction  intérieure,  qui 
alors  surtout  s’empara  de  moi,  que  je  devais  être  un  jour 
missionnaire,  les  dernières  années  que  je  passai  au  collège 
furent  des  années  de  lutte  et  de  doute.  Deux  amis  intimes  que 
j’avais  alors  et  qui,  eux  aussi,  s’étaient  voués  à la  mission 
dans  le  fond  de  leur  cœur,  partageaient  avec  moi  mes  craintes 
et  mes  espérances.  Jamais  je  n’avais  osé  dire  ma  vocation  à 
mes  parents.  Je  croyais  que  la  pensée  de  me  voir  partir  peut- 
être  pour  toujours  leur  serait  trop  pénible;  et  puis,  me  sentant 
le  fils  unique  de  la  famille,  je  croyais  que  des  devoirs  parti- 
culiers devaient  m’empêcher  de  partir  pour  un  pays  si  éloi- 
gné. Et  pourtant,  chaque  fois  que  je  demandais  à Dieu  de  me 
montrer  la  voie  qu’il  m’avait  tracée,  toutes  ces  difficultés 


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507 


semblaient  disparaître  de  devant  mes  yeux,  et  ce  même  ta- 
bleau  qui  m’avait  si  fortement  frappé  dans  ma  jeunesse,  cette 
carte  d’Afrique,  le  visage  aimé  de  M.  GoiHard,  reparaissaient 
à nouveau  devant  moi,  et  la  voix,  que  j’avais  entendue  bien 
souvent  déjà,  me  répétait  : a Toi,  va  annoncer  le  royaume  de 
Dieu.  » C’est  alors  que,  mes  études  finies  au  collège  de  la 
Tour,  je  ne  pus  plus  résister  à l’appel  de  Dieu,  et  j’envoyai 
ma  demande  d’admission  à la  Maison  des  missions  de  Paris...  » 


UNE  FÊTE  MISSIONNAIRE  DANS  LA  VAÜNAGE 

Nous  recevons  la  lettre  suivante  : 

Caveirac,  le  1^  octobre  1896. 

Le  dimanche  27  septembre,  à deux  heures  de  l’après-midi, 
une  foule  évaluée  à environ  cinq  cents  personnes,  venues  de 
Yergèze  et  des  villages  avoisinants,  était  rassemblée  sous  les 
ombrages  de  Pascalet,  où  avait  été  tenue  déjà,  il  y a quelques 
années,  une  fête  missionnaire.  La  réunion,  organisée  par  les 
soins  et  sous  les  auspices  du  Comité  auxiliaire  de  Montpellier, 
avait  été  convoquée  à l’occasion  de  la  visite  de  M.  le  mis- 
sionnaire Christol  dans  la  région. 

M.  le  pasteur  Bourelly,  de  Yergèze,  qui  présidait,  a lu  divers 
passages  bibliques  appropriés  à la  circonstance,  puis  M.  Da- 
dre,  de  Nages,  a prononcé  la  prière. 

On  a entendu  ensuite  successivement  MM.  Molines  de 
Montpellier,  Christol  et  Ribard  de  Calvisson. 

M.  Molines,  dans  une  introduction  générale  sur  l’histoire  des 
missions,  a fait  ressortir  avec  évidence  la  nécessité  pour  l’É- 
glise d’évangéliser  en  dehors  de  son  sein,  sous  peine  d’être 
infidèle  au  mandat  qu’elle  a reçu  de  son  chef  et  de  perdre 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


avec  sa  force  d’expansion  jusqu'à  sa  raison  d'être.  Mais  si  les 
obligations  sont  grandes,  si  le  devoir  est  pressant  et  impérieux, 
il  y a dans  son  accomplissement  le  plus  précieux  des  privilè- 
ges: celui  d’être  associé  à l’oeuvre  éternelle  de  salut  accomplie 
par  le  Christ  et  de  faire  de  chaque  sauvé  un  sauveur. 

M.  Christol,  après  quelques  détails  pleins  d’intérêt  relatifs 
aux  coutumes  et  au  langage  des  Bassoutos,  a adressé  de  sé- 
rieuses exhortations  à l’auditoire,  en  prenant  pour  point  de 
départ  le  verset  des  Hébreux  : « La  parole  de  Dieu  est  vi- 
vante »,  et  en  l’illustrant  par  de  nombreux  faits  empruntés 
à son  expérience  missionnaire.  L’Esprit  de  Dieu  a converti 
des  centaines  de  pécheurs  arrachés  à toutes  les  puissances 
de  mal  et  de  mort,  et  accompli  chez  les  convertis  des  miracles 
merveilleux  dans  l’ordre  du  dévouement,  du  sacrifice,  du  re- 
noncement total  à soi-même. 

M.  Rihard,  s’inspirant  des  souvenirs  qu’évoquait  chez  tous 
le  lieu  de  la  réunion,  n’a  pas  eu  de  peine  à montrer  que  tout 
huguenot,  vraiment  reconnaissant  de  l’œuvre  accomplie  par 
ses  pères,  devait  à ses  origines  mêmes  de  propager  partout  la 
foi  conquise  et  conservée  au  prix  de  tant  d’héroïques  souf- 
frances. 

Après  une  dernière  prière  de  M.  Mourgue,  l’assemblée 
s’est  dispersée,  emportant,  nous  le  savons,  de  beaux  souvenirs 
de  cette  après-midi  favorisée  par  un  temps  magnifique.  Dieu 
veuille  mettre  le  sceau  de  son  Esprit  sur  les  impressions  re- 
çues et  déterminer  chacun  des  auditeurs  de  Pascalet  à se 
consacrer  sans  réserve  et  à « être  fidèle  » à son  service! 

E.  M. 


tssr 


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LETTRE  DE  M.  COILLARD 

A M.  A.  Boegner,  directeur  de  la  Maison  des  missions. 

« Mes  allées  et  venues  ».  — A Contréxeville.  — Au  Ban  de  la 
Roche.  — Dans  les  Vallées  vaudoises.  — En  Suisse.  — Les  let- 
tres du  Zambèze. 

Genollier-sur-Nyon,  28  septembre  1896. 

Bien  cher  frère  et  ami, 

Je  profite  d’un  moment  de  tranquillité  et  de  repos  pour 
vous  dire  un  mot  de  « mes  allées  et  de  mes  venues  ».  « Pierre 
qui  roule  n’amasse  pas  mousse  »,  dit  le  proverbe,  et  je  sup- 
pose que  c'est  vrai.  Mais  il  n’y  a pas  seulement  des  pierres 
qui  roulent,  heureusement;  il  y a aussi  des  abeilles  qui  vol- 
tigent et  qui  vont  de  fleur  en  fleur,  butinant,  et  recueillant 
leur  miel.  J’aime  mieux  me  croire  une  abeille  qu’une  pierre, 
je  vous  assure.  Je  viens  de  visiter  un  bon  petit  coin  du  jardin 
de  Dieu,  et,  si  vous  le  voulez,  je  vais  partager  un  peu  de  mon 
miel  avec  vous.  Au  Zambèze,  nous  en  avons  de  très  fin  et  très 
parfumé,  et  qui  est  très  apprécié  des  gourmets  aristocrates. 
Mais  j’en  ai  trouvé  du  bien  meilleur  dans  les  vallées  vaudoises 
que  je  viens  de  visiter. 

Vous  le  savez,  j’avais  avec  moi  une  des  nièces  de  ma  chère 
femme,  qui  s’était  donné  la  tâche  de  soigner  son  oncle 
comme  une  Marthe  bonne  et  dévouée  qu’elle  est. 

Elle  m’avait  rejoint  à Contréxeville  où  j’ai  fait  une  cure 
que  Dieu  a bénie.  J’avais  cru  d’abord  m’y  trouver  un  peu 
seul  au  milieu  des  étrangers  qui  y affluent  de  toutes  parts. 
Mais  bientôt,  le  pasteur  vénéré  et  aimé  de  Sedan,  M.  Goulden, 
et  son  aimable  sœur,  m’ont  découvert,  m’ont  comblé  de 
bontés,  — comme,  plus  tard,  madame  de  Falguerolles,  — et 
ont  fait  tout  ce  que  l'affection  pouvait  faire  pour  me  rendre 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


agréable  le  séjour,  du  reste  fort  peu  attrayant,  de  Contréxe- 
ville.  Une  de  nos  excursions  qui  restera  longtemps  gravée 
dans  mes  souvenirs,  c’est  celle  de  Domrémy,  — un  vrai  pèle- 
rinage patriotique. 

Du  site  admirable  de  la  basilique  en  construction,  nous 
avons  pu  contempler  ensemble  le  panorama  immense  qui  se 
déroule  devant  vous.  A vos  pieds,  la  belle  et  riche  vallée  de 
la  Meuse,  parsemée  de  villages  proprets,  dont  la  blancheur 
se  détache  agréablement  sur  un  fond  de  riche  verdure,  et 
sillonnée  par  les  méandres  argentés  de  la  rivière;  puis  un 
cadre  de  collines  couvertes  de  sapins,  couronnées,  ici,  de  la 
pile  imposante  du  château  des  ducs  de  Lorraine;  là,  de 
ruines  antiques  dont  on  vous  parle,  et  que  l’on  fait  remonter 
à Julien  l’Apostat;  derrière,  d’autres  collines  moins  vertes  et 
plus  bleues;  puis  d’autres,  d’autres  plus  loin,  d’autres  encore 
qui  s’en  vont,  fuyant  à l’arrière-plan,  pour  se  perdre  dans  la 
brume  ou  se  confondre  avec  le  ciel.  C’est  une  vision  de  l’in- 
fini. Je  conçois  qu’une  jeune  fdle  pieuse  et  rêveuse,  gardant 
ses  moutons,  toujours  seule  en  présence  de  ce  spectacle 
sublime  qui  rapproche  de  Dieu,  et  émue  des  malheurs  de  la 
France,  ait  entendu,  dans  le  silence  de  cette  nature  gran- 
diose, se  répercuter  le£  aspirations  de  son  âme,  comme  des 
voix  descendant  du  ciel,  et  se  soit  sentie  inspirée  pour  sa 
noble  mission!  — Autre  temps,  autres  mœurs.  La  France 
saigne  encore  de  ses  plaies;  mais,  grâce  à Dieu,  elle  a aussi 
ses  Jeanne  d’Arc  qui  s’inspirent  à la  source  jaillissante  de  la- 
vie,  et  qui,  en  se  donnant  et  se  dépensant  elles-mêmes  dans 
toutes  les  sphères  de  l’activité  chrétienne,  peuvent  dire  avec 
l’apôtre  : « L’amour* de  Christ  nous  presse!  » — Les  temps 
héroïques  ne  sont  pas  passés.  Et  à toutes,  je  voudrais  crier  : 
« Soyez  fermes  en  la  foi;  portez-vous  vaillamment,  fortifiez- 
vous.  Dieu  n’est  pas  injuste  pour  oublier  votre  œuvre  et  le 
travail  de  la  charité.  Ne  vous  relâchez  point  en  faisant  le 
bien,  car  vous  moissonnerez  en  la  propre  saison  si  vous  ne 
devenez  point  lâches.  » 

Pourquoi  faut-il  un  contraste  à ce  beau  tableau?  Contréxe- 


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ville  est  un  centre  tout  catholique,  mais  visité,  pendant  la 
saison,  par  des  protestants  plus  ou  moins  nombreux.  Les 
Anglais,  qu’on  y trouve  comme  partout,  y ont  leur  chapelain 
et  leur  église;  — chapelle  bien  modeste,  mais  de  bon  goût, 
et  qui  leur  suffit.  Là,  ils'  sont  chez  eux,  et,  en  vérité,  on  ne 
peut  pas  leur  en  vouloir  s’ils  sont  un  peu  exclusifs.  L’hospi- 
talité a souvent  quelque  chose  de  gênant,  et  il  faut  de  la 
grâce,  et  même  beaucoup,  pour  la  pratiquer. 

Nous  aussi,  protestants  français,  nous  y avons  un  bon  cha- 
pelain, un  de  ces  pasteurs  évangéliques  dévoués  et  aimés  à 
qui  Ton  voudrait  pouvoir  donner  au  moins  une  bicyclette, 
pour  épargner  ses  jambes  et  ses  chaussures.  Mais  on  rougit 
en  pensant  que  nous  n’y  avons  pas  même  une  chambre  où 
nous  puissions  paisiblement  adorer  Dieu  et  écouter  sa  Pa- 
role. La  salle  de  la  commune,  un  pauvre  taudis,  est  bien  là 
quand  on  ne  s’en  sert  pas.  Mais  pour  y arriver,  il  faut  du 
courage  pour  fendre  son  chemin  à travers  les  foules  attirées 
par  les  saltimbanques,  et  il  faut  une  puissance  peu  commune  de 
concentration  et  de  recueillement  pour  entendre  le  son  subtil 
de  l’Évangile  au  milieu  de  la  musique  étourdissante  de  la 
foire  sous  les  fenêtres.  Qui  remédiera  à cet  état  de  choses  si 
déplorable?  Qui  en  prendra  l’initiative?  On  dit  qu’il  faut 
12  ou  15,000  francs. 

Ma  cure  faite,  ma  feuille  de  route  était  signée  pour  Rothau, 
une  vraie  constellation  de  familles  chrétiennes,  un  foyer  ar- 
dent de  vie  et  d’affection.  Nous  tombons  là  au  milieu  d’amis 
de  vieille  date  et  passons  deux  de  ces  journées  qui  rappellent 
les  joies  glorieuses  du  Thabor.  C’est  surtout  la  vie  chrétienne 
qui  fait  le  thème  de  nos  entretiens  et  de  nos  méditations,  — 
et  ces  cantiques,  admirables  d’exécution,  retentissent  encore 
dans  mes  souvenirs  comme  les  échos  de  l’harmonie  du 
ciel,  où  nous  chanterons  bientôt  le  cantique  nouveau.  Ah  1 
que  ce  sera  beau!  Le  cœur  en  bondit  de  joie...  Là,  plus 
d’efforts,  plus  de  désaccords,  plus  de  voix  fausses,  plus 
de  cœurs  hors  de  ton!  Heureux  les  coryphées!  heureux 
les  privilégiés  qui  toucheront  les  harpes  d’or!...  Nous  avons 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


abondamment  reçu  à cet  Élim  et  l’avons  quitté  rafraîchis  et 
fortifiés.  Deux  jours  de  chemin  de  fer.  Nous  passons,  comme 
à tire-d’aile,  à travers  la  Suisse  ; nous  visitons  Milan,  effleu- 
rons Turin,  et  nous  débarquons  à Saint-Jean  ! En  voilà  du 
chemin  en  deux  jours  ! Quel  temps  aurions-nous  mis  avec  nos 
lourds  chariots  africains  et  nos  bœufs! 

Un  chrétien,  moins  encore  qu’un  homme  du  monde,  ne 
voyage  pas  les  yeux  fermés,  surtout  dans  de  tels  pays.  Un 
prince  du  ciel  qui  se  promène  dans  les  vastes  domaines  de 
son  Père!  Mais  son  cœur,  son  âme,  son  être  tout  entier  s’épa- 
nouit; il  s’abreuve  et  s’enivre  d’admiration  en  présence  des 
œuvres  de  Celui  qui  a daigné  faire  de  lui  son  fils  et  son  héritier. 
Satan  disait  au  Seigneur,  en  lui  montrant  tous  les  royaumes 
du  monde  et  leur  gloire  : « Je  te  donnerai  toutes  ces  choses, 
si...  ».  Ah  ! le  père  du  mensonge,  l'imposteur  ! il  avait  l’au- 
dace d’offrir  ce  qui  ne  lui  appartenait  pas  ! Une  voix,  la  vérité 
même,  retentit  partout  dans  la  nature,  et  me  redit  ce  que  le 
Dieu  qui  m’a  aimé  y a partout  inscrit  : a Si  vous  êtes  fils , vous 
êtes  héritiers;  héritiers,  dis-je,  de  Dieu,  et  co-héritiers  de 
Christ.  Toutes  choses  sont  à vous!  » 

Et  le  génie  de  l’homme,  cette  étincelle  de  la  divinité,  il 
nous  confond,  nous,  enfants  du  désert,  par  les  merveilles 
qu’il  va  multipliant  et  perfectionnant.  Chaque  victoire  rem- 
portée sur  la  nature,  chaque  invention,  l’inspire  d’une  ardeur 
nouvelle  et  lui  arrache  ce  cri  que  de  tous  côtés  les  échos  ré- 
pètent à l’envi  : Excelsior  ! Plus  haut  ! oui,  plus  haut  encore! 
Plus  haut  toujours!  Jusqu’où?...  Plût  à Dieu  que  ce  ne  fût 
que  pour  le  bien  de  l’humanité,  pour  développer  ses  connais- 
sances, ses  ressources  et  ses  jouissances,  et  non  pour  s’entr’é- 
gorger plus  scientifiquement,  et  avec  plus  de  précision,  avec 
des  frères  que  Dieu  a créés  du  même  sang,  et  pour  lesquels 
Jésus-Christ  a donné  sa  vie. 

Mais,  pardon.  Nous  arrivons  à onze  heures  du  soir  au  pres- 
bytère de  Saint- Jean.  La  lettre  qui  nous  annonçait  n’arrive 
qu’un  jour  après  nous.  Le  service  postal  de  par  ici  vaut  pres- 
que celui  du  Zambèze.  On  ne  nous  attend  donc  pas  à celte 


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heure  indue;  mais  nous  n’avons  pas  besoin  d’être  importuns 
pour  nous  faire  ouvrir  la  porte.  Et  l’ardente  affection  de  nos 
amis  nous  fait  tout  oublier  et  donne  des  ailes  aux  quelques 
jours  passés  avec  eux.  Jours  bien  employés  : c’est  une  vente 
d’abord  organisée  et  faite  par  des  jeunes  filles  qui  portent  gra- 
cieusement le  costume  vaudois,  et  gracieusement  aussi  vous 
offrent  les  produits  de  toute  une  année  de  leur  travail.  Je  ne 
m’étonne  pas  que  cette  vente  ait  doublé  le  produit  qu’on  en 
espérait.  L’évangélisation  de  l’Italie  et  l’évangélisation  du 
Zambèze,  deux  sœurs,  la  main  dans  la  main,  en  bénissent 
ensemble  Dieu  tout  d’abord  et  ces  chères  jeunes  filles  aussi. 
Puis  les  visites,  les  dîners,  où  l’on  fait  au  cercle  de  la  famille 
une  large  place  au  Zambèze,  puis  les  réunions  au  grand 
temple  où  l’on  est  accouru  même  de  loin.  Il  n’y  a pas  de  glace 
là,  je  vous  en  réponds. 

Et  quelle  joie  de  se  revoir  avec  ces  bons  Louis  Jalla!  C’est 
le  Zambèze  en  Italie.  Que  de  changements  depuis  notre  sépa- 
ration àKimberley.  Pour  eux,  je  suis  un  ressuscité,  un  mi- 
racle de  la  bonté  de  Dieu.  Pour  moi,  ils  sont  comme  des  anges 
de  Dieu  dont  je  ne  me  lasse  pas  de  contempler  les  visages. 
Ils  se  sont  déjà  fait  du  bien  dans  ce  milieu  de  chaleur  et  de 
vie.  Je  n’ai  rien  à leur  envier.  J’ai  déjà  ma  part,  et  je  l’aurai 
plus  forte  encore,  de  cette  surabondance  de  bonnes  choses. 
D’un  pas,  nous  sommes  à La  Tour.  Ce  n’est  certes  pas  l’indi- 
gence ni  une  économie  sordide  que  l’on  trouve  à l’hôtel  des 
Appia.  C’est  un  festin  intellectuel  et  spirituel  pour  le  cœur  et 
l’esprit  de  chaque  jour  et  de  chaque  instant.  De  fait,  on  rit 
plus  aux  Airals  Blancs  en  un  jour  qu’en  une  année  au  Zambèze. 
Puis  c’est  le  synode  qui  s’ouvre  solennellement,  le  7,  par  une 
prédication,  malheureusement  en  italien.  Pour  moi,  il  faut 
bien  l’avouer,  et  probablement  aussi  pour  beaucoup  d’autres, 
c’est  la  mouche  dans  le  parfum.  On  s’est  étonnamment  italia- 
nisé depuis  quinze  ans.  Nous  qui  sommes  si  chauvins,  n’en 
faisons  pas  un  crime  à nos  cousins  germains.  Mais  moi  qui 
vénère,  trop  peut-être,  les  traditionsdu  passé,  je  m’en  attriste, 
pourtant  je  n’en  puis  mais. 


37 


514 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


La  journée  du  jeudi,  le  10,  est,  pour  le  public  la  plus 
intéressante  de  toutes.  C’est  la  réception  des  délégués  étran- 
gers. Ils  sont  peu  nombreux,  depuis  que  la  langue  fran- 
çaise a passé  à barrière-plan . Les  Églises  presbytériennes 
d’Angleterre,  les  églises  libres  d’Ecosse  et  de  Suisse  y sont 
dignement  représentées.  Mais  le  Zambèze  aussi,  et  on  lui 
fait  la  part  large.  Il  le  fallait,  car  M.  Bertrand  est  là  qui  parle 
en  explorateur  impartial , mais  qui  trahit  bientôt  à son  insu 
l’affection  qu'il  a vouée  à l’œuvre  et  à ses  ouvriers.  Et  puis  Louis 
Jalla  est  là,  c’est  un  enfant  des  vallées.  Quand  on  voit  tous 
ces  yeux  braqués  sur  lui,  ce  monde  suspendu  à ses  lèvres  et 
ces  visages  tout  illuminés,  on  sent  comme  un  courant  élec- 
trique qui  vous  gagne,  et  je  partage  cordialement  l’orgueil- 
leuse et  légitime  satisfaction  qui  semble  dire  : « Celui-là,  au 
moins,  c’est  le  nôtre  ! » Comme  consolation,  le  vénérable  mo- 
dérateur me  dit  que  moi  aussi  les  Églises  vaudoises  m’ont 
adopté,  que  chez  elles  j’ai  droit  de  cité.  Je  ne  puis  pas  de- 
mander plus,  mais  je  ne  puis  pas  désirer  moins. 

Il  faut  pourtant  bien  le  confesser.  J’éprouve  du  malaise,  vous 
direz  que  c'est  mal,  mais  un  sentiment  de  jalousie  pour  les 
Églises  de  ma  patrie  me  tourmente.  En  1881,  lors  de  ma  pre- 
mière visite  aux  Vallées,  on  s’intéressait  médiocrement  aux 
missions.  Le  vénéré  pasteur  de  Turin,  feu  M.  Meille,  disait  : 

< < Ah  ! si  seulement  un  courant  missionnaire  pouvait  s’établir  ! » 
Eh  bien,  ce  courant,  Dieu  l’a  établi.  Il  a réchauffé  les  cœurs, 
réveillé  les  consciences,  délié  la  bourse  des  pauvres  et  des 
riches.  Des  pères  et  des  mères  n’ont  pas  hésité  à mettre  leurs 
fsaacs  sur  l’autel...  Depuis  lors,  ces  Églises,  qui  ne  sont  pas 
riches,  certes.,  ont  envoyé  neuf  de  leurs  fils  et  de  leurs  filles  en 
mission,  dont  au  Zambèze  sept  ! Et  celles  de  France,  un  seul, 
votre  serviteur  !~.  Et  quand,  dans  ces  vallées  vaudoises, je 
vois  de  ces  jeunes  filles  et  de  ces  jeunes  gens  brûlant  d’impa- 
fience  de  s’enrôler  avec  nous,  et  que  je  vois  leurs  pères  et 
leurs  mères  joyeux  et  se  sentir  honorés  que  Dieu  leur  de- 
mande le  fruit  de  leurs  entrailles...  je  ne  me  sentirais  pas 
ému  à jalousie  et  je  n’aurais  pas  de  douleur  au  cœur  en  peu- 


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2?  | V 

OlO 


sant  à ma  chère  patrie  !...  Il  ne  faudrait  plus  être  Français. 

Elles  étaient  bien  chaleureuses  et  bien  vivantes  les  diverses 
réunions  que  nous  eûmes,  tant  pour  le  public  en  général  que 
pour  les  écoles,  pour  les  jeunes  filles,  pour  les  jeunes  gens 
en  particulier. 

11  fut  surtout  bien  solennel,  ce  service  où  notre  jeune  frère 
Coïsson  fut  mis  à part  pour  le  saint  ministère.  Vous  en  avez 
parlé  dans  le  dernier  numéro  du  journal  (je  continue  ma 
lettre  le  6 octobre);  donc  cela  suffit.  Que  je  dise  pourtant 
combien  j’ai  été  frappé  d’entendre  M.  Appia,  avec  l’autorité 
que  lui  donne  sa  longue  expérience,  mettre  l’accent  sur  ce 
qui  fait  la  force  motrice  de  tout  ministère  joyeux  et  béni  : 
pour  lui  plaire!  'plaire  à Jésus!  Quelle  vision  humiliante  nous 
avons  eue,  nous  autres,  qui  ne  sommes  plus  jeunes,  d’un 
ministère  terni  par  tant  de  misères,  paralysé  par  tant  d’in- 
fidélités ! Quels  horizons  ouverts  devant  nous,  devant  ce 
jeune  frère  à l’entrée  de  sa  carrière  ! Lui,  nous  initiant  au 
développement  de  sa  vie  spirituelle  et  de  sa  vocation,  nous  a 
laissé  l’impression  que  c’est  un  conscrit  de  la  bonne  trempe 
qui  gagnera  sûrement  ses  épaulettes. 

Il  faisait  bon  se  trouver  là  avec  M.  et  madame  Weitzec- 
ker,  un  trait  d’union  si  puissant  entre  les  Églises  de  langue 
française,  le  Lessouto  et  la  mission  zambézienne.  Mais  voir 
des  amis  auxquels  je  dois  tant,  ça  ne  suffisait  pas.  Il  fallait 
passer  avec  eux  deux  jours  dans  leur  paisible  presbytère  du 
Pomaret,  deux  jours  à causer  à cœur  joie  du  Lessouto  et  de 
ce  Léribé  qui  leur  est  cher  comme  à moi.  Il  fallait  aussi  en- 
semble plaider  au  temple  la  cause  du  Zambèze,  pour  laquelle 
les  Weitzecker  ont  personnellement  fait  de  vrais  sacrifices. 
Cette  visite  est  trop  courte. 

Du  Pomaret,  c’est  à Turin  que  nous  allons. 

On  dit  que  tout  le  monde  est  dispersé  à la  campagne.  On  ne 
le  croirait  pas  à voir  l’assemblée  du  dimanche  matin  et  l’em- 
pressement que  les  amis  mettent  à nous  souhaiter  la  bien- 
venue. Ce  dimanche-là  est  un  vrai  jour  de  fête. 

L’heure  du  départ  sonnée,  nous  roulons  sur  la  voie  ferrée, 


0 16 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


passons  un  jour  à Genève  où  notre  infatigable  ami  M.  Bertrand 
nous  fait  les  honneurs  de  l'exposition  de  son  musée.  Puis,  après 
quelques  heures  de  voyage  de  plus,  nous  tombons  à Sainte- 
Croix,  au  milieu  d’une  réunion  d’étudiants,  un  peu  ahuri 
pour  ma  part  et  ne  sachant  trop  que  dire.  Le  soir,  il  faut 
encore  prendre  une  petite  part  à une  nombreuse  assemblée 
missionnaire  où  Coumassie  donne  la  main  à Lorenzo-Marques, 
embrassant  à la  fois  Lessouto  et  Zambèze. 

Heureusement  que  les  cœurs  y sont  chauds,  car  il  fait  froid 
là-haut.  Il  y pleut,  il  y neige  même  ; aussi  avons-nous  hâte  de 
gagner  Genollier,  une  de  ces  retraites  que  certainement  les 
Chartreux  et  les  Trappistes  nous  envieraient  s’ils  la  connais- 
saient. Au  milieu  de  la  pluie,  le  soleil  nous  a souri  un  mo- 
ment pour  nous  faire  contempler  dans  toute  leur  beauté 
les  Alpes  couvertes  de  leur  manteau  de  neige.  Ce  Béthanie 
que  le  Seigneur  a embelli  pour  nous  de  sa  présence,  ce  n’était 
donc  pas  une  prison.  Nous  nous  y sommes  retrempés,  nous  y 
avons  été  bénis. 

Depuis  que  j’ai  commencé  cette  lettre,  j’ai  quitté  cette  belle 
retraite  et  me  voici  en  Angleterre  pour  un  mois.  La  plume  me 
démange  pour  vous  étaler  quelques-uns  des  rayons  de  mon 
miel;  vous  parler  de  telle  école  du  dimanche,  où  17  fr. 
distribués  en  10  cent,  à chaque  élève,  ont  produit  en  une  an- 
née la  somme  de  600  francs!  — de  cette  femme  qui,  je  le  sais, 
se  compte  parmi  les  « petits  » et  qui  donne  tout  le  fruit  de 
ses  économies  « pour  l’envoi  des  quinze ! — des  enfants  de 
telle  et  telle  famille,  d’humbles  servantes  qui  font  des  sacri- 
fices semblables,  aussi  « pour  les  quinze!  » — de  ces  dames  qui 
s’émeuvent  de  la  position  de  nos  bien-aimés  du  Zambèze  et 
s’ingénient  pour  trouver  le  moyen  de  les  ravitailler... 

Mais  non,  ce  serait  de  l’indiscrétion  ; le  Seigneur  le  sait, 
cela  suffît.  Ce  ne  sont,  direz-vous,  que  les  « cinq  pains  et  les 
deux  poissons  ».  Oui,  mais  dans  sa  main  et  avec  sa  bénédic- 
tion ils  se  multiplieront  pour  nourrir  les  multitudes,  et  il  en 
résultera  encore  « douze  corbeilles  » de  miettes  qui  seront 
votre  festin  et  le  nôtre. 


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517 


En  terminant,  voici  enfin  un  courrier  du  Zambèze.  Les  nou- 
velles! elles  me  donnent  le  mal  du  pays.  Ce  sont,  à l’ouest,  les 
envahissements  des  Portugais  qui  disputent  à Léwanika  une 
partie  de  son  territoire;  au  sud,  ce  sont  les  menaces  des  Ba- 
Tawana  du  lac  Ngami;  et  à l’est,  l’invasion  des  Matébélés, 
dont  larumeur  sème  jusqu’à  Léaluyi  l’épouvante  etla  panique. 
Ce  sont  les  défections  qui  affligent  nos  amis,  mais  sans  les 
abattre,  car  le  triage  ne  peut  que  faire  du  bien  en  révélant  le 
bon  grain.  C’est  la  fièvre  aussi  qui  a mis  la  vie  de  quelques- 
uns  de  nos  frères  en  danger.  Ce  sont  des  tombes  qui  se  creu- 
sent aussi  là-bas.  Nous  nous  saluions  avec  frère  Goy  il  n’y  a 
que  quelques  mois  a Séshéké,  lui  jeune  encore,  fort  et  bien 
portant,  moi,  à vues  humaines,  usé  et  presque  mourant.  Lui 
n'est  plus.  Dieu  l’a  pris  à Lui.  De  lui,  il  ne  nous  reste  plus 
que  le  souvenir  de  sa  vie,  de  son  développement  spirituel  et 
de  son  activité;  plus  que  sa  tombe  pour  nous  rappeler  qu’il 
faut  «travailler  pendant  qu’il  fait  jour...  que  la  nuit  vient!...  » 
Et  puis,  c’est  un  autre  ouvrier  du  Seigneur  dont  j’admirais 
la  force  et  la  santé,  et  ses  rares  aptitudes  d’un  caractère  tout 
pratique.  Il  était  un  homme  taillé  pour  être,  sous  un  bon  chef, 
un  pionnier  de  première  trempe,  un  homme  que  j’ai  estimé 
et  aimé,  et  qui  avait  la  direction  d’une  œuvre  à laquelle  nous 
nous  sommes  associés  de  tout  cœur  dans  la  mesure  du  possi- 
ble. C’est  M.  Buckenham,  de  la  Mission  des  méthodistes  primi- 
tifs chez  les  Mashikulomboe.  Il  est  tombé,  lui  aussi!...  Après 
sept  années  d’une  vie  zambézienne  peut-être  plus  rude  et  plus 
dure  encore  que  la  nôtre,  abreuvé  d’épreuves,  il  reprenait 
enfin,  malgré  lui,  le  chemin  de  la  patrie  avec  sa  femme.  Il  arri- 
vait à Kazungula  où  soit  faiblesse,  soit  surtout  le  manque  de 
moyens  de  locomotion,  il  dut  forcément  s’arrêter.  Deux  mois 
après  il  y rendait  le  dernier  soupir.  Sa  femme,  malade  elle- 
même,  et  déjà  si  éprouvée  par  la  mort  de  son  unique  petite 
fille  qui  était  le  centre  de  sa  vie,  est  là  comme  notre  chère 
madame  Goy,  attendant  pour  quitter  le  pays  que  les  commu- 
nications de  roulage  se  rétablissent.  Ah!  ces  tombes,  quel 
appel  solennel  à notre  jeunesse  chrétienne!  Le  Seigneur  crie  : 


518 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


« Qui  enverrai-je?  » Le  poste  le  plus  difficile  n’est-il  pas  le 
poste  d’honneur?  Ou  bien,  dites  : l’héroïsme  n’est-il  réservé 
exclusivement  que  pour  le  carnage  du  champ  de  bataille? 
Serait-il  banni  du  service  du  Prince  de  la  paix?  Voilà  une  des 
forteresses  de  Satan  que  nous  assiégeons.  Ceux  qui  sont  sur  * 
la  brèche  succombent,  tombent  les  uns  après  les  autres.  Qui 
donc  va  accourir  pour  ramasser  leurs  armes^  renforcer  les 
rangs  de  ceux  qui  luttent  encore,  et  monter  à l’assaut  ? 

Ces  tombes,  pour  ma  part,  c’est  le  bruissement  des  ailes 
de  la  mort.  Il  a passé  près,  tout  près,  et  j’ai  frémi.  Il  revien- 
dra; le  temps  est  court.  Mon  Dieu,  garde-moi  de  la  tristesse 
qui  abat  et  du  découragement  qui  paralyse!  Donne-moi  de 
me  fortifier  toujours  plus  en  toi  et  d’entonner  encore  le  chant 
du  triomphe  et  de  la  louange  ! 

Plus  que  vainqueurs  ! telle  est  notre  devise. 

A vous  de  cœur, 

F.  Coillard. 


MADAGASCAR 

Le  retour  de  M.  F.  H.  Krüger.  — M.  Lauga  au  Betsiléo.  — 
Heureuse  traversée  et  arrivée  de  M.  Escande  à Tamatave. 

i 

M.  Krüger  est  de  retour  à Paris  depuis  quelques  jours,  en 
très  bonne  santé.  Les  amis  des  Missions,  présents  à la  séance 
de  rentrée  de  notre  Maison,  ont  eu  le  bonheur  de  le  voir  et 
de  l’entendre.  Le  Comité,  à son  tour,  va  le  recevoir  et  s’entre- 
tenir avec  lui  dans  une  séance  extraordinaire  fixée  au  26  oc- 
tobre (1)  11  serait  prématuré,  avant  cette  séance,  de  résumer 


(1)  Lors  de  la  séance  ordinaire  d’octobre,  qui  a eu  lieu  le  12,  M.  Krü- 
ger était  absent. 


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519 


les  impressions  de  notre  délégué,  ou  de  formuler  les  propo- 
sitions qu’il  rapporte.  Ce  que  nous  pouvons  dire,  cependant, 
sans  crainte  de  nous  tromper,  c’est  d’abord  que  l’œuvre  qui 

doit  nous  être  confiée  sera  considérable,  plus,  sans  doute, 

% 

que  nous  n’aurions  pensé  d’abord;  et  c’est,  ensuite,  que  cette 
œuvre  sera  difficile  et  mêlée  d'amertumes.  Il  est  inutile  que 
nous  insistions  sur  ce  point  ; les  expériences  de  ces  derniers 
mois  l'ont  suffisamment  mis  eu  lumière.  Ne  nous  en  affli- 
geons d’ailleurs  pas  outre  mesure.  Difficile  ou  facile,  le  devoir 
est  le  devoir.  Voir  la  tâche  qui  nous  est  réservée,  et,  cette 
tâche  discernée,  l’accomplir  bravement,  sans  nous  préoccuper 
des  calomnies,  des  critiques,  des  commentaires  des  uns  ou 
des  autres,  telle  doit  être,  particulièrement  en  ce  qui  touche 
Madagascar,  notre  ligne  de  conduite.  Que  Dieu  nous  y aide  ! 

Les  deux  derniers  courriers  ne  nous  ont  apporté  aucune 
lettre  de  M.  Lauga.  Le  fait  était  prévu  et  tient  à ce  que  notre 
délégué  a pu  donner  suite  à son  projet  de  partir  pour  le 
Betsiléo,  sous  escorte,  à la  date  du  14  août.  Nous  ne  savons 
rien  non  plus  de  la  date  de  son  retour  en  France.  Nous  lui  avons 
demandé,  conformément  au  vœu  exprimé  par  tous  ceux  qu’in- 
téresse l’œuvre  de  Madagascar,  de  prolonger  autant  qu’il  le 
pourra  son  séjour,  même  après  l’arrivée  de  M.  Escande.  Il  serait 
d’un  haut  intérêt  et  d’une  grande  utilité  pour  notre  œuvre  que 
M.  Lauga,  après  avoir  été  en  relation  avec  la  première  admi- 
nistration envoyée  dans  l’ile,  fit  aussi  la  connaissance  du 
nouveau  résident  et  pût  lui  présenter  lui-même  M.  Escande. 

En  attendant  que  nous  possédions  le  récit  de  la  visite  de 
M.  Lauga  à la  mission  norvégienne,  nous  sommes  heureux 
de  pouvoir  citer  ici  les  lignes  suivantes,  dues  à la  plume  d’un 
de  nos  résidents  coloniaux  qui  a été  à même  de  voir  de 
près  l’attitude  excellente  de  cette  mission  et  de  lui  rendre 
le  témoignage  qu’elle  mérite.  Nous  les  empruntons  à une 
lettre  de  cet  administrateur  à M.  Viénot,  dont  il  a fait  la 
connaissance  personnelle  en  Océanie,  et  auquel  elles  ont  été 
remises  par  un  missionnaire  norvégien,  M.  Rosaas,  lors  de 
son  récent  passage  à Paris  : 


520 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


« Antsirabé,  le  30  juin  1896. 

« Cher  monsieur, 

« M.  le  révérend  Rosaas  vous  présentera  ce  mot,  et  je  me 
réjouis  pour  notre  amitié  d’introduire  auprès  de  vous  un 
homme  tel  que  M.  Rosaas.  Il  est  des  vôtres  par  la  religion, 
par  le  cœur  et  par  l’expérience  des  choses;  je  n’ai  rien  de 
plus  à dire  pour  qu’il  vous  soit  agréable  et  pour  me  justifier, 
mais  ce  que  je  tiens  que  vous  sachiez  avant  tout,  c’est  que 
M.  le  révérend  Rosaas  et  toute  sa  famille  ont  été  pour  moi,  et 
pour  tous  les  Français  à Antsirabé  une  véritable  providence; 
que,  depuis  plus  d’un  mois,  sa  maison  est  la  nôtre,  dans  les 
conditions  les  plus  embarrassantes  pour  lui,  et  que,  malgré 
toutes  nos  mésaventures,  sa  parfaite  amabilité  nous  a donné 
l’illusion  de  nous  trouver  à notre  aise  comme  si  de  rien 
n’était.  M.  Rosaas  vous  contera  lui-même  les  événements  qui 
m’ont  rendu  son  obligé  après  avoir  été  l’admirateur  de  son 
œuvre.  Je  ne  pense  pas  qu’il  me  soit  possible  de  mieux  témoi- 
gner ma  gratitude  à M.  Rosaas  qu’en  vous  l'adressant.  Il  va 
en  France  recruter  des  instituteurs  capables  d’enseigner  le 
français  dans  ses  écoles.  Vous  rendrez  un  grand  service  au 
résident  du  Vakinankarata  en  aidant  M.  Rosaas  dans  son 
entreprise,  et  la  cause  française  vous  devra  un  service  de 
plus...  » 

Si  nous  sommes  sans  nouvelles  de  M.  Lauga,  en  revanche 
nous  avons  la  bonne  fortune  de  communiquer  à nos  lecteurs 
la  lettre  suivante  de  M.  Escande,  heureusement  arrivé  à Ta- 
matave  le  15  septembre  dernier  : 

A bord  de  Ylraouaddy,  le  il  septembre  1896. 

Cher  Monsieur  Boegner, 

Notre  voyage  touche  à sa  fin.  Demain,  nous  verrons  la 
grande  île.  Ce  n’est  pas  trop  tôt.  Je  brûle  d’envie  de  mettre 
pied  à terre.  Il  faut  dire  aussi  qu’une  semblable  traversée  à 


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521 


ce  moment-ci  de  l’année  est  toujours  éprouvante.  La  mer 
Rouge  a tenu  à justifier  la  terreur  qu’elle  inspire.  La  chaleur 
y a été  accablante,  même  pour  un  vieux  Sénégalais  comme 
moi.  Jugez  de  ce  qu’ont  souffert  ceux  qui,  pour  la  première 
fois,  voyaient  les  tropiques!  C’est  à ce  point  qu’un  passager 
de  première  classe  a succombé  à une  congestion  pulmonaire, 
juste  au  moment  où  le  plus  dur  était  passé,  — c’est-à-dire  où 
nous  jetions  l’ancre  devant  Djibouti,  — et  que  deux  autres, 
un  sergent  de  la  légion  étrangère  et  un  gendarme  à destina- 
tion, l’un,  de  Madagascar,  l’autre,  de  la  Réunion,  ont  failli, 
eux  aussi,  être  suffoqués.  On  s’étonne  seulement  que  les  ac- 
cidents n’aient  pas  été  plus  nombreux  avec  ces  trois  cent 
vingt  soldats  de  la  Légion  étrangère  entassés  les  uns  sur  les 
autres  un  peu  partout,  sur  le  pont,  dans  l’entrepont,  dans  la 
cale,  et  se  disputant,  — au  moins  dans  la  mer  Rouge,  — le 
peu  d’air  respirable. 

Depuis  que  nous  avons  doublé  le  cap  Gardafui,  la  chaleur 
a diminué,  mais,  pendant  deux  jours,  la  mer  a été  si  houleuse 
que  presque  tous  les  passagers  ont  été  sur  le  flanc.  Encore, 
aujourd’hui,  il  me  faut  faire  un  grand  effort  pour  tenir  ma 
plume  et  rassembler  mes  idées.  J’espère  qu’une  fois  dé- 
barqué, cela  ira  mieux. 

J’ai  mentionné  en  passant  les  soldats  de  la  légion  étran- 
gère qui  vont  renforcer  la  colonne  de  Madagascar  et  y réta- 
blir la  sécurité.  Je  me  suis  beaucoup  occupé  d’eux  pendant 
ce  voyage.  Je  leur  ai  distribué  un  tas  de  brochures  dont  je 
m’étais  abondamment  pourvu  au  départ.  Quelques-uns  même 
ont  désiré  que  je  leur  prête  de  mes  livres  à moi.  Justement 
j’en  avais  deux  qui  ont  admirablement  fait  leur  affaire.  Ce 
sont  les  Extraits  de  Talmage , et  un  recueil  des  Questions  vi- 
tales, de  Frank  Thomas. 

J’ai  également  cherché  à lier  connaissance  avec  quelques- 
uns  de  mes  compagnons  de  route.  Ce  sont,  je  crois  vous 
l’avoir  déjà  dit,  des  officiers,  cinq  ou  six  fonctionnaires,  et  un 
nombre  à peu  près  égal  de  commerçants,  qui  se  rendent 
comme  moi  à Madagascar;  une  colonie  de  créoles  qui  re- 


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522 


tournent  à la  Réunion;  enfin,  une  demi-douzaine  d’Anglais 
qui  vont  rejoindre  leurs  postes  à File  Maurice. 

...  J'espère  que  RL  Lauga  aura  su  mon  arrivée  à temps 
pour  m’envoyer  ses  instructions  à Tamatave.  Nous  serons 
toute  une  caravane  pour  faire  la  route  jusqu’à  Tananarive,  et 
comme  les  légionnaires  nous  serviront  d’escorte,  nous  voya- 
gerons en  toute  sécurité,  d’autant  plus  que  le  général  Gai- 
lieni  aura  passé  par  là  avec  ses  troupes. 

Ai-je  besoin  de  me  recommander  à vos  prières  et  à celles 
de  l’Église?  A mesure  que  j’approche  du  terme  du  voyage,  je 
sens  plus  vivement  la  difficulté  et  la  délicatesse  de  la  mission 
qui  m’a  été  confiée.  C’est  sur  Dieu  que  je  compte  pour  l’ac- 
complir jusqu’au  bout.  11  a fait  des  promesses,  des  promesses 
positives,  certaines.  Par  la  foi,  je  m’en  empare  pour  qu’il  les 
réalise  à mon  égard  et  à l’égard  de  son  œuvre  de  Madagascar. 

Mardi , 15  septembre.  — Me  voici  débarqué.  Quelle  joie! 
Sur  la  rade  de  Tamatave,  une  foule  de  curieux  blancs  et 
noirs,  venus,  les  uns  pour  examiner  les  nouveaux  arrivants 
ou  recevoir  quelque  collègue,  les  autres  pour  offrir  leurs 
services.  Les  hôtels  regorgent;  on  finit  pourtant  par  me 
trouver  une  pièce  à peu  près  convenable  où,  moyennant  que 
je  ne  sois  pas  trop  exigeant  sous  le  rapport  du  couchage  et 
du  lavage,  je  ne  serai  pas  trop  mal.  Cela  manque  surtout  de 
propreté.  Heureusement,  ce  n’est  que  pour  deux  jours.  — 
Bien  que,  au  point  de  vue  de  la  végétation,  nous  soyons  ici  au 
plus  mauvais  moment  de  l’année,  il  y a de  la  verdure  partout, 
sur  les  arbres  et  dans  les  jardins.  En  passant,  je  reconnais 
un  certain  nombre  d’arbres  du  Sénégal  : le  filas,  le  caout- 
chouc, l’acacia,  le  tamarinier,  le  papayer;  mais  ceux  d’ici 
sont  plus  fournis,  plus  élancés  : ou  voit  que  les  pluies  doi- 
vent être  abondantes. 

Une  activité  extraordinaire  règne  dans  la  ville.  Cela  tient  à 
ce  qu’étant  le  point  où  atterrissent  les  bateaux,  le  commerce 
y est  très  prospère.  Durant  ces  dix  dernières  années*  les  bou- 
tiques de  toute  espèce  ont  surgi  comme  par  enchantement. 
On  y trouve  de  tout,  mais  que  c’est  cher!  Un  des  grands 


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523 


avantages  de  Tamatave  sur  Saint-Louis,  c’est  qu’à  Tamatave 
on  a de  la  place  tant  qu'on  veut.  On  peut  donc  avoir  des  jar- 
dins spacieux,  de  vastes  vérandahs  bien  ombragées,  des  rues 
larges  et  coupées  à angles  droits,  — au  moins  dans  le  quar- 
tier européen.  N’était  le  sable  dans  lequel  on  patauge  affreu- 
sement, ce  serait  un  endroit  charmant. 

Une  des  curiosités  de  la  ville  ce  sont  assurément  les 
« bourjanes  »,  ou  porteurs,  qui  se  poursuivent  de  rue  en  rue 
par  bandes  à la  recherche  de  clients.  C’est  avec  eux  que  j'au- 
rai affaire  dès  demain.  Ils  doivent  venir  à huit  heures  pour 
ficeler  mes  caisses,  préparer  la  filanzane  et  les  provisions  du 
voyage.  A deux  heures  de  l’après-midi,  Dieu  voulant,  nous 
nous  mettrons  en  route  pour  la  capitale.  M.  Bang  s-est  mis  à 
ma  disposition  pour  me  faciliter  mes  préparatifs,  et^  comme 
c'est  un  homme  expert  en  la  matière,  j’ai  bon  espoir  que  rien 
ne  viendra  contrecarrer  mes  projets.  — J’avais  d’abord  pensé 
suivre  la  légion  étrangère,  ce  qui  me  paraissait  être  une 
garantie  de  sécurité.  J’y  ai  renoncé  ; voici  pourquoi  : les  sol- 
dats ne  devant  faire  que  des  étapes  de  douze  kilomètres,  il 
m’eût  fallu  vingt- cinq  jours  pour  atteindre  Tananarive.  J’ai 
préféré  me  joindre  à un  jeune  commerçant  avec  lequel  j’ai 
fait  connaissance  sur  le  bateau.  D’ailleurs  il  est  possible 
que  nous  trouvions  en  route  d’autres  caravanes.  Je  pars 
sans  me  dissimuler  les  dangers  du  voyage.  Plus  que  jamais 
les  bandes  de  brigands  font  parler  d’elles.  On  dit  aujourd’hui 
même  que  ces  terribles  Fahavalos  viennent  de  brûler  un'vil- 
lage  important  dans  le  nord  de  l’île.  Les  rebords  du  haut  pla- 
teau sont  toujours  très  troublés.  Ce  qui  me  rassure,  c’est  que, 
d’étape  en  étape  (à  partir  de  la  troisième),  nous  aurons  une 
escorte  fournie  par  le  gouvernement.  Ce  qui  me  rassure  sur- 
tout, c’est  que  l’Éternel  règne,  et  que  pas  un  cheveu  de  ma 
tête  ne  tombera  à terre  sans  sa  permission. 

Ce  matin,  à la  première  heure,  j’ai  vu  entrer  chez  moi  le 
révérend  Houlder  de  laL.  M.  S.,  qui,  informé  de  mon  arrivée, 
venait  me  saluer.  Que  c’est  doux,  après  des  semaines  et  des 
semaines  pendant  lesquelles  on  n’a  entendu  proférer  que  des 


oU 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


paroles  de  mépris  ou  de  haiue  contre  les  indigènes,  d’enten- 
dre enfin  parler  d’eux  avec  amour.  11  m’a  raconté  les  péripé- 
ties de  son  œuvre.  Il  m’a  dit  comment,  après  avoir  obtenu  des 
succès  missionnaires,  réussi  à grouper  une  assez  forte  con- 
grégation et  fondé  une  école  prospère,  la  guerre  était  survenue 
qui  avait  dispersé  son  troupeau,  fermé  son  école,  et  tué  son 
évangéliste  noir  ; — comment,  depuis  lors,  il  cherchait  à 
rassembler  ses  membres  épars  — (il  n’en  a plus  qu’une 
soixantaine),  sans  même  qu’il  ait  le  privilège  de  les  réunir 
dans  son  église  transformée  depuis  deux  ans  en  caserne.  Que 
dis-je?  même  sa  maison  d’habitation  a été  saisie  et  livrée 
aux  troupes,  tandis  que  la  maison  d’école  de  la  S.  P.  G.  est 
occupée  par  la  gendarmerie  française. 

Est-il  besoin  de  vous  dire  que  pendant  ce  temps  les  jésuites 
jouissent  à leur  aise  de  leurs  bâtiments  religieux  et  scolaires? 

Chez  le  révérend  Houlder  je  trouvai  deux  autres  mission- 
naires de  la  même  Société  : le  révérend  Richardson,  le  direc- 
teur de  l’École  normale  de  Tananarive,  je  crois,  qui  attend 
que  le  pays  soit  pacifié  pour  rejoindre  son  poste,  — et  le 
révérend  Wilson,  qui  a longtemps  vécu  dans  la  province 
d’Antsihanaka,  et  que  l’insurrection  a forcé  de  fuir.  Tous  les 
temples  anglais  de  cette  province,  moins  un,  ont  été  brûlés, 
les  stations  ont  été  ravagées,  les  missionnaires  ont  dû  cher- 
cher refuge  soit  dans  la  capitale,  soit  sur  la  côte.  Il  n’y  a plus 
là  maintenant  que  des  ruines.  Que  c’est  triste!  M.  Wilson  est 
ici,  attendant  des  instructions  de  sa  Société,  mais  profondé- 
ment découragé,  ses  collègues  aussi,  découragés  moins 
encore  par  l’incendie  et  le  meurtre  que  promènent  partout 
les  Fahavalos,  que  par  les  vexations  auxquelles  ils  sont  en 
butte 

Quelques  lignes  de  M.  Lauga  m’apprennent  qu’il  est  en  ce 
moment  dans  le  Betsiléo  et  qu’il  ne  rentrera  à Tananarive  que 
vers  les  derniers  jours  de  septembre;  il  est  donc  probable 
que  j’arriverai  une  semaine  avant  lui,  mais  il  a pris  ses  dis- 
positions pour  que  je  sois  reçu  dès  que  je  mettrai  le  pied 
dans  la  capitale. 


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525 


C’est  de  ce  dernier  endroit  que  j e vous  enverrai  ma  prochaine 
lettre.  Que  Dieu  lui-même  m'y  accompagne  sain  et  sauf  et 
qu’il  me  donne  d’y  glorifier  son  saint  nom  et  d’y  bien  servir 
sa  sainte  cause. 

Tout  à vous  de  cœur, 

B.  Escande. 


LESSOUTO 

PROGRÈS  ET  BESOINS  DE  L’HEURE  ACTUELLE 

La  caisse  centrale.  — Une  nouvelle  École  industrielle.  — Les 
hommes  qu’il  faut  au  Lessouto. 


Il  y a un  mois,  nous  publiions  les  encourageants  résultats 
du  travail  de  notre  Ecole  normale  de  Morija,  que  M.  Dyke, 
après  le  regretté  docteur  Casalis,  dirige  avec  tant  de  dévoue- 
ment. Depuis  lors,  nous  avons  reçu  d’autres  nouvelles  éga- 
lement bonnes  et  propres  à nous  montrer,  sous  quelques-uns 
de  ses  aspects  actuels,  la  situation  de  la  tribu  à laquelle  nos 
Églises  s’intéressent  depuis  si  longtemps  (1). 

M.  Kohler  nous  envoie  les  comptes  de  la  Caisse  centrale 
pour  le  premier  semestre  de  l’année  1896.  On  sait  que  cette 
Caisse  centralise  les  contributions  des  Églises  et  sert  au  paie- 
ment des  évangélistes  et  des  pasteurs  indigènes.  Elle  est  donc 
un  des  instruments  indispensables  de  l’autonomie  progressive 
de  ces  Églises,  une  des  conditions  de  sa  croissance  normale. 
Or  il  résulte  de  la  lettre  de  M.  Kohler  que,  pendant  cette  nou- 


(1)  Signalons  d’abord  la  reconnaissance  unanime  de  nos  mission- 
naires pour  la  visite  que  leur  a faite  M.  Krüger,  revenant  de  Mada- 
gascar. Leur  seul  regret  a été  que  le  séjour  de  notre  ami  parmi  eux 
fût  si  court.  Il  ne  leur  a pas  moins  apporté  un  encouragement  et  une 
joie  dont  ils  expriment  leur  profonde  gratitude. 


526 


JOURNAL  DES  FISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


velle  période  de  six  mois,  l’institution  que  la  sollicitude  de 
nos  missionnaires  a réussi  à créer  au  Lessouto  a fonctionné 
admirablement.  Les  Églises  ont  contribué  dans  la  mesure  de 
leurs  ressources  et  en  conformité  avec  les  prévisions  des 
administrateurs  de  la  caisse.  En  tenant  compte  des  dons 
spéciaux,  toujours  bienvenus,  faits  en  France,  en  Suisse  et 
ailleurs  pour  les  évangélistes  du  Lessouto,  du  produit  des 
collectes  organisées  par  les  Comités  auxiliaires  d’Angleterre 
et  d'Ecosse,  et  d’offrandes  recueillies  dans  l’Afrique  australe, 
les  ressources  de  la  Caisse  centrale  ont  atteint,  pendant  le 
premier  semestre  1896,  la  somme  de  23,758  fr.  60.  Les  dé- 
penses n’ayant  pas  atteint  ce  chiffre,  le  nouveau  semestre  a 
pu  être  abordé  avec  une  encaisse  de  3,894  fr.  45. 

Après  nous  avoir  signalé  ces  chiffres  encourageants, 
M.  Kohler  ajoute  : « Il  ne  faudrait  pas  en  conclure  qu’il  en 
sera  de  même  pour  le  semestre  actuel.  Vous  pouvez  voir  que 
par  l intermédiaire  de  M.  Dyke  la  caisse  a reçu  5000  francs 
d’Ecosse.  Cet  envoi  ne  se  renouvellera  pas  cette  année. 

« Le  semestre  actuel  est  plus  chargé  que  le  premier;  en 
voici  les  raisons  : il  y a quatre  pasteurs  indigènes  qui  n’ont 
reçu  qu’un  trimestre  dans  le  semestre  passé,  n’étant  entrés 
en  fonctions  qu’en  avril,  et  ils  recevront  le  semestre  actuel 
en  entier;  de  plus,  certaines  allocations  faites  par  le  gouver- 
nement à nos  écoles  ont  été  supprimées,  ces  écoles  n’ayant 
plus  le  nombre  d’enfants  réglementaire.  Pour  leur  venir  en 
aide,  la  caisse  fait  une  allocation  plus  forte  à ces  annexes. 
Voilà  les  deux  principales  raisons  de  l’augmentation  de  dé- 
penses pour  le  semestre  actuel. 

« Quant  aux  recettes,  elles  ne  seront  pas  augmentées,  du 
moins  ici,  puisque  les  cotisations  de  nos  Églises  sont  les 
mêmes  que  pour  le  semestre  passé.  — Néanmoins,  pour  peu 
que  les  amis  de  l’œuvre  nous  aident,  nous  pourrons,  pour  le 
semestre  présent,  joindre  les  deux  bouts.  Je  ne  saurais  vous 
dire  combien  nous  sommes  reconnaissants  envers  tous  nos 
amis  qui  nous  ont  assistés  dans  le  passé  et  envers  le  Comité 
qui,  l’année  dernière,  a comblé  notre  déficit.  Quel  souci  de 


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527 


moins  pour  la  plupart  des  missionnaires  de  n'avoir  plus  à 
collecter  pour  faire  face  aux  besoins  urgents  de  leur  œu- 
vre! » (1) 


Nous  apprenons  par  M.  Jeanmairet,  secrétaire  de  la  com- 
mission exécutive  de  la  Conférence  du  Lessouto,  une  autre 
nouvelle  qui  réjouira  les  amis  des  missions,  comme  elle  a 
réjoui  notre  Comité. 

Il  y a un  certain  temps  déjà,  le  chef  Lérotholi  avait 
exprimé  le  désir  de  voir  sa  tribu  dotée  d’une  seconde  école 
industrielle,  celle  que  notre  mission  a fondée  à Léloaleng 
étant  située  trop  loin  du  centre  du  pays  pour  suffire  à tous 
les  besoins.  Il  ne  pouvait  être  question  pour  notre  Société  de 
créer  elle-même  cette  nouvelle  école;  le  moment  est  d’ailleurs 
venu  où  les  progrès  de  la  tribu  et  l’intelligence  croissante 
qu’elle  a des  bienfaits  de  la  civilisation  doivent  l'engager  à 
s’imposer  des  sacrifices  qu’on  n’aurait  pu  lui  demander  au- 
trefois. 

C'est  ce  qu’a  compris  le  chef  Lérotholi.  Il  a levé  un  impôt 
sur  tout  le  pays.  Dès  le  27  avril  dernier,  le  produit  s’élevait 
à 45,000  francs,  et,  vers  le  milieu  de  juin,  à 75,000  francs. 
Après  quoi,  il  s’est  mis  en  rapport,  soit  avec  l’administra- 
tion, soit  avec  la  conférence  de  nos  missionnaires,  sollici- 
tant ses  conseils  et  lui  demandant  de  s’intéresser  activement 
à son  entreprise.  Il  serait  trop  long  de  raconter  en  détail  les 
négociations  qui  s’en  sont  suivies.  Bornons-nous  à en  dire  le 
résultat  qui  est  profondément  réjouissant  pour  notre  mis- 
sion : c’est  que  la  direction  de  l’école  lui  a été  offerte  sans 
qu’il  doive  en  résulter  aucuns  frais  pour  notre  Société.  Notre 

(1)  Ajoutons  qu’il  résulte  des  dernières  lettres  reçues  de  l’Afrique  aus- 
trale que  la  peste  bovine  a maintenant  franchi  la  limite  sud  du  Trans- 
vaal, qu’elle  a fait  son  apparition  dans  l’État  libre  de  l’Orange  et  qu’elle 
menace  le  Lessouto;  que,  d’autre  part,  les  sauterelles  sévissent  plus 
que  jamais  dans  le  midi  de  l’Afrique  et  que  la  sécheresse  y exerce  de 
nouveau  ses  ravages.  On  voit  au  milieu  de  quelles  difficultés  nos  Églises 
du  Lessouto  s’acquittent  de  leur  tâche  et  combien  notre  aide  et  notre 
sympathie  leur  sont  précieuses. 


528 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


seule  obligation  sera  de  fournir  le  directeur  de  l’école,  et 
celle-ci  rentrera  ainsi  dans  l’organisme  scolaire  rattaché  à 
notre  mission,  sans  nous  imposer  aucune  charge  additionnelle. 
Telles  sont  les  propositions  que  nous  a transmises  la  com- 
mission exécutive  de  la  Conférence.  Le  Comité  n’a  pu  expri- 
mer qu’un  avis  favorable  à une  combinaison  qui  présente 
ce  double  avantage  de  montrer  le  prix  qu’attachent  à la  ci- 
vilisation et  à l’instruction  la  tribu  et  surtout  son  chef,  et 
de  laisser  à notre  Société  la  place  dirigeante  qu’elle  occupe 
dans  l’éducation  des  Bassoutos.  Il  ne  faut  pas  oublier,  en 
effet,  qu’à  côté  de  nos  ouvriers  on  trouve,  au  Lessouto,  des 
catholiques  et  des  ritualistes,  et  cependant  Lérotholi  a voulu 
s’adresser  aux  Fora,  aux  missionnaires  français,  c’est-à-dire 
à nous,  pour  diriger  la  nouvelle  école  industrielle.  Cette  fidé- 
lité nous  touche  et  nous  honore  : sachons  la  mériter. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  tout  fût  pour  le 
mieux  dans  notre  mission  du  Lessouto.  Cette  œuvre,  si  pros- 
père à certains  égards,  souffre  cependant  d’un  mal  auquel 
nous  devons  apporter  toute  notre  attention.  Ce  mal,  c’est  la 
blessure  que  lui  ont  faite,  ces  dernières  années,  la  mort  ou  le 
départ  de  plusieurs  de  ses  ouvriers. 

Les  vides  qui  se  sont  creusés  dans  ses  rangs  ont  laissé  le 
corps  missionnaire  affaibli,  amoindri  à ses  propres  yeux, 
parfois  découragé.  L’œuvre  suit  sa  marche  normale,  les 
collectes,  au  moins  dans  le  dernier  semestre,  ont  été  bonnes, 
les  examens  ont  abouti  à de  brillants  succès;  la  mission 
reçoit,  des  chefs  de  la  tribu,  des  marques  de  confiance  ; — et 
cependant  nos  frères  éprouvent  le  besoin  d’étre  encouragés  et 
fortifiés.  Ce  qu’il  leur  faut  avant  tout,  Fun  d’entre  eux  nous 
le  disait  récemment  encore,  c’est  un  baptême  nouveau  de 
l’Esprit  de  courage,  d’espérance,  de  sagesse,  de  force;  — 
mais  ils  ont  besoin  aussi  d’un  renfort  au  sens  ordinaire  du 
mot. 

Il  ne  s’agit  pas,  bien  entendu,  de  revenir  en  arrière,  de 
multiplier  les  postes  des  missionnaires  européens,  de  renon- 


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529 


cer  à faire  appel,  de  plus  en  plus,  aux  forces  indigènes.  C’est 
précisément  cet  emploi  croissant  de  l’élément  indigène  qui 
rend  indispensable  la  présence  d’un  état-major  européen  aussi 
bien  constitué  que  possible.  La  mission  a perdu  en  MM.  Ma- 
bille  et  Duvoisin  des  hommes  de  premier  ordre,  et  c’est  de 
tels  hommes,  d’hommes  qui  soient  à tous  égards,  mais  avant 
tout,  spirituellement  et  moralement,  à la  hauteur  de  la  tâche 
actuelle;  d’hommes  capables  et  qui  soient,  tout  d’abord,  des 
hommes  de  Dieu,  qu’elle  a besoin  maintenant. 

Ces  hommes,  - il  n’en  faut  pas  un  grand  nombre,  mais 
nous  croyons  que  deux  au  moins  seront  nécessaires.  — Il 
s’agit  de  les  trouver,  et,  pour  les  trouver,  il  faut  les  de- 
mander à Dieu.  Lui  qui  nous  a fourni,  en  même  temps, 
un  Mercier  pour  le  Zambèze,  un  Huguenin  pour  Raïatéa. 
un  Bolle  pour  le  Sénégal,  un  Richard  et  un  Faure  pour  le 
Congo,  nous  refusera-t-il  les  hommes  que  réclame  la  mission 
du  Lessouto?  N’est-il  pas  toujours  le  Maître  de  la  moisson?  Ne 
nous  a-t-il  pas  Lui-même  exhortés  à lui  demander  ces  ou- 
vriers qu’il  connaît,  qu’il  a peut-être  déjà  choisis,  et  qui  n’at- 
tendent que  son  ordre  pour  s’offrir? 


Un  important  courrier,  allant  du  28  mai  au  Ier  juillet, nous 
est  arrivé  du  Zambèze.  On  verra  plus  loin,  par  des  lettres  de 
MM.  Ad.  Jalla  et  Davit,  l’état  actuel  de  l’œuvre  dans  les 
stations  de  la  Vallée.  Quant  à la  santé  de  nos  ouvriers,  les 
nouvelles  sont  sérieuses  en  ce  qui  touche  M.  Davit,  qui  a été 
gravement  atteint  et  qui,  à vues  humaines,  n’a  dû  son  salut 


ZAMBÈZE 


UN  NOUVEAU  COURRIER 


38 


530 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


qu’à  la  sollicitude  éclairée  de  ses  collègues  Jalla  et  Béguin. 
M.  Davit  a dû  être  transporté  de  Séfula  à Léaluyi  pour  y re- 
cevoir les  soins  qu’exigeait  son  état.  Il  était  alors  si  faible, 
si  inconscient  même,  qu’il  garde  à peine  le  souvenir  de  ce 
voyage. 

Par  contre,  M.  et  madame  Béguin  étaient  bien  portants, 
ainsi  que  leur  enfant.  Voici  ce  que  dit,  à ce  propos,  M.  Béguin, 
dans  une  lettre  datée  de  Nalolo,  le  23  juin  : « Pour  ce  qui  est 
de  nous  personnellement,  grâce  à Dieu,  nous  sommes  très 
bien,  tant  ma  femme  que  notre  enfant  et  moi-même.  Cette 
année-ci,  nous  avons  eu  très  peu  la  fièvre,  pas  même  une 
fois  par  mois,  et  toujours  de  très  courts  accès  qui  ne  nous 
ont  jamais  empêchés  de  faire  notre  travail.  Quant  à notre 
Marguerite,  elle  a une  excellente  santé,  elle  ne  se  porterait 
pas  mieux  en  Europe;  elle  est  très  développée...  » 

Plus  loin,  M.  Béguin  parle  des  regrets  et  de  la  tristesse 
que  lui  cause  la  mort  de  M.  Goy,  ainsi  qu’à  tous  nos  mission- 
naires. 

« Quand  vous  recevrez  ma  lettre,  vous  aurez  sans  doute 
déjà  appris  les  mauvaises  nouvelles  de  Séshéké.  La  mort  de 
M.  Goy  a été  un  coup  terrible  pour  nous,  car  nous  l’aimions 
tous,  et  il  occupait  parfaitement  la  place  d’un  mission- 
naire. Sa  mort  fait  au  milieu  de  nous  un  grand  vide  qui  ne 
pourra  être  comblé  que  par  l’arrivée  d’un  nouveau  collègue, 
car  M.  Goy  faisait  toute  l’œuvre  d’un  missionnaire;  il  ne  lui 
manquait  que  la  consécration;  et  nous  étions  tous  d’accord 
qu’elle  lui  fût  donnée;  nous  espérions  que  dans  deux  ans, 
lors  de  son  voyage  en  Europe,  il  l’aurait  reçue...  En  atten- 
dant, voilà  Boiteux  qui  se  trouve  seul  missionnaire  pour  les 
stations  du  Bas;  heureusement,  il  a pour  l’aider  mademoi- 
selle Kiener  et  l’évangéliste  John...  » 

De  Kazungula,  en  date  du  24  juillet,  M.  Boiteux  nous  in- 


forme de  la  mort  de  M.  Buckenham,  chef  de  la  mission  mé- 
thodiste, de  passage  sur  la  station,  où,  malgré  les  soins  qui 
lui  ont  été  prodigués,  il  a été  emporté  par  des  vomissements 
de  sang  provoqués,  paraît-il,  par  un  fexcès  de  fatigue.  Notre 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


531 


vive  sympathie  entoure  sa  famille  et  la  mission  à laquelle  il 
appartenait. 


A LÉALUYI 

Lettre  de  M.  A.  J alla. 

Une  année  terrible.  — Un  douloureux  courrier.  — Épreuves  di- 
verses. — Il  nous  faut  une  phalange  d’ouvriers.  — Nouvelles 
de  l’œuvre. 


Loatile,  28  mai  1896. 

Cher  Monsieur  Boegner, 

...  Vous  n’ignorez  pas  que  le  départ  de  M.  Coillard  et  la 
fondation  de  l’École  évangélique  ont  plus  que  doublé  notre 
travail,  et  nous  avons  été  des  premiers  à apprendre  le  deuil 
qui  a frappé  notbe  famille...  A bien  des  égards,  c’est  une 
terrible  année  que  1896. 

Il  a plu  à Dieu  de  nous  faire  passer  par  le  creuset.  La  même 
poste  du  9 courant  qüi  nous  apporta  la  nouvelle  du  départ 
de  noire  mère  bien-aimée,  nous  jeta  dans  la  consternation 
par  la  nouvelle  encore  plus  inattendue  de  la  mort  de  notre 
ami  A.  Goy.  N’était  que  nous  savons  par  l’expérience  comme 
par  la  foi  que  le  Seigneur  ne  se  trompe  pas,  mais  qu’il  fait 
contribuer  toutes  choses  au  bien  de  ceux  qui  l’aiment  et  â 
l’avancement  de  son  règne,  nbus  auriohs  été  découragés  et 
abattus.  Pourquoi,  l’année  même  du  départ  du  fondateur  dé 
là  hiission  et  pendant  le  congé  du  plus  ancien  de  ses  collabo- 
rateurs, pourquoi  enlever  à notre  œuvre,  à Séshéké,  à sa 
jeune  femme,  cet  ami  que  nous  étions  si  contents  de  senti* 
dans  le  Bas?  Pourquoi  cette  perte?  Notre  frère  connaissait 
très  bien  ta  langue,  il  avait  appris  à connaître  les  Zattibé- 
ziens,  il  avait  acquis  beaucoup  d’expérience;  cela  nous  avait 


532 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


frappés  pendant  la  dernière  conférence...  nous  avions  tous 
beaucoup  joui  de  lui...  Pourquoi?...  Nous  le  saurons  un  jour 
et  nous  en  bénirons  Dieu;  mais  le  ciel  nous  paraît  sombre. 
Cependant,  quelle  belle  mort  que  la  sienne,  mort  au  retour 
d’une  tournée  d’évangélisation,  mort  sous  le  harnais,  mort 
sur  la  brèche!  Ce  n’est  pas  lui  que  nous  plaignons.  Il  l’a 
quitté  ce  pays  de  fièvre,  de  légèreté,  de  corruption,  de  men- 
songes, de  larmes  ; il  est  auprès  de  notre  Sauveur  ! Pauvre 
madame  Goy,  veuve  après  six  ans  de  mariage,  et  veuve  au 
Zambèze,  loin  de  tous  ses  parents  et  de  sa  fille  aînée  et  dans 
l’impossibilité  d’aller  auprès  d’eux!  Nous  espérons  beaucoup 
qu’elle  consentira  à venir  attendre  chez  nous  que  le  pays  se 
rouvre  ! 

Voilà  maintenant  Boiteux  seul  missionnaire  dans  le  Bas, 
lui  nouvellement  arrivé  et  déjà  aux  prises  avec  les  difficultés, 
affligé  des  déboires  causés  par  un  grand  nombre  de  renégats. 
Il  faudrait  que  Béguin  ou  moi  pussions  nous  rendre  à Sé- 
shéké,  mais  impossible  : il  ne  peut  être  question  que  nous 
abandonnions  nos  stations.  Cependant  Boiteux  ne  peut  être 
laissé  seul.  Il  faudra  que  Davit  aille  à notre  place  (1).  De 
toutes  nos  stations,  c’est  bien  Séfula  qui  peut  être  le  plus  faci- 
lement laissé  entre  les  mains  d’un  évangéliste,  surtout  quand 
cet  évangéliste  est  un  homme  de  confiance  comme  Pauluse. 
Séfula  est  à portée  tant  de  Nalolo  que  de  Léaluyi,  beaucoup 
plus  que  Séshéké  ne  l’est  de  Kazungula.  Notre  brave  Davit 
semble  prêt  à partir.  Nous  sommes  tristes  de  devoir  si  tôt 
nous  séparer  de  lui.  Il  faisait  bon  le  sentir  à Séfula  et  le  voir 
de  temps  à autre  arriver  à Loatile.  Nous  l’avons  reçu  le 
7 courant.  Je  l’avais  invité  à aller  avec  moi  à Libonda;  l’état 
de  ma  femme  ne  me  permit  pas  de  l’y  conduire.  Le  pauvre 
ami  nous  en  revint  le  12  après-midi,  dans  un  état  inquiétant, 
épuisé  par  la  fièvre,  des  vomissements  et  la  dyssenterie.  Il 
ne  put  se  relever  que  trois  jours  après,  ainsi  que  ma  femme. 


(1)  Ce  plan  n’a  pu  être  exécuté  à cause  de  la  grave  maladie  de  notre 
frère. 


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533 


Nous  avons  passé  par  de  mauvais  moments  : la  station  était 
transformée  en  hôpital,  des  malades  partout.  Dieu  en  soit 
béni!  tout  le  monde  est  rétabli,  sauf  la  femme  d’un  de  nos 
élèves  évangélistes  qui  semble  menacée  d’ascite.  Davit  a été 
le  premier  à reprendre  ses  forces.  Quoiqu’avec  un  peu  de 
fatigue,  il  a présidé  le  culte  de  dimanche  matin  (le  17),  avec 
un  auditoire  de  320  personnes.  Ses  progrès  pour  le  sessouto 
ont  été  rapides  depuis  janvier,  il  ne  fait  que  très  peu  de 
fautes  de  grammaire,  et  son  vocabulaire  s’est  passablement 
enrichi. 


30  mai. 

Il  y a trois  semaines,  nous  avions  entendu  parler  de  la  révolte 
des  Matébélés  ; mais  comme  ce  n’était  que  par  des  rapports 
verbaux,  nous  en  doutions  un  peu.  Hélas!  depuis  lors  on 
parle  de  massacres...  Comme  nous  bénissons  Dieu  de  ce  qu’ils 
ne  sont  pas  survenus  quelques  semaines  plus  tôt!  C’est  une 
délivrance  que  le  Seigneur  a accordée  à nos  frères  en  voyage, 
semblable  à celle  dont  ils  ont  été  les  objets  à leur  départ  de 
Kazungula.  Fussent-il  partis  un  peu  plus  tard,  ils  n’auraient 
pas  trouvé  de  quoi  former  un  seul  attelage. 

Et  notre  chère  sœur  madame  Goy,  quand  la  voie  du  Sud 
s’ouvrira-t-elle?  Et  M.  et  madame  Mercier?...  Tout  ce  que 
nous  espérons,  c’est  qu’ils  ont  vu  l’impossibilité  de  venir  nous 
secourir  maintenant,  et  qu’ils  ont  été  arrêtés  en  delà  de 
Mangwato.  Surchargés  de  travail  comme  nous  le  sommes, 
réduits  en  nombre,  toutes  les  portes  encore  ouvertes  devant 
nous,  nous  n’avons  pas  d’espoir  de  renfort!  Je  frémis  en  pen- 
sant que  je  suis  à présent,  au  Zambèze,  l’ainé  de  la  Mission. 
Une  des  leçons  que  le  Seigneur  veut  nous  enseigner  c’est  de 
regarder  toujours  plus  à Lui.  Au  milieu  de  nos  afflictions 
et  de  nos  détresses  il  nous  répète  : « Ma  grâce  te  suffît,  ma 
force  s’accomplit  dans  ta  faiblesse.  » 

Autre  sujet  de  préoccupation  : nos  articles  d’échange,  nos 
provisions  de  tous  genres  tirent  rapidement  à leur  fin,  et 
nous  ne  pouvons  compter  ici  recevoir  quoi  que  ce  soit  dans  le 


534 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


courant  de  Tannée...  Gomme  nous  sommes  reconnaissants 
pour  les  promesses  du  Sauveur! 

Nous  n’avons  jamais  eu  un  plus  grand  besoin  des  prières 
des  amis  de  cette  mission.  Elles  nous  sont  assurées,  n’est-ce 
pas?  Nous  demandons  au  Maître  de  nous  donner  d’être  fidèles, 
« fidèles  jusqu'à  la  mort  ».  Quand  surviendra-t-elle?  Notre 
désir  est  de  fournir  une  longue  carrière,  mais  nos  temps  sont 
entre  les  mains  de  Dieu.  Nous  ne  nous  serions  pas  douté  que 
la  première  fosse  qu’on  creuserait  serait  celle  de  notre  frère 
Goy.  On  n’a  pas  seulement  à souffrir  de  la  fièvre  au  Zambèze; 
on  peut  y devenir  invalide,  comme  notre  cher  M.  Goillard  et 
le  brave  Waddell,  on  peut  y mourir.  Puissent  les  Églises  être 
fidèles!  Ce  qu’il  nous  faut,  c’est  une  phalange  de  missionnaires 
prête  à entrer  dans  ce  champ,  dès  que  la  porte  en  sera  rou- 
verte. Il  faut  combler  les  vides  et  aller  de  l’avant. 

31  mai. 

C’est  notre  dernier  jour  de  correspondance,  il  faut  clore. 
Nous  pensons  beaucoup  à vous  tous  ces  temps-ci,  avec  sym- 
pathie et  prières,  car  nous  savons  bien  qu’elle  est  lourde  votre 
tâche  et  que  des  soucis  de  toutes  sortes  ont  pesé  sur  vous  ces 
derniers  mois.  Que  Dieu  vous  soutienne,  vous  dirige  et  allège 
en  tous  temps  votre  fardeau!  Pauvre  mission  du  Congo, 
jeune  et  faible  comme  la  nôtre,  il  a plu  à Dieu  de  la  faire 
passer,  elle  aussi,  par  le  creuset!  Qu’il  veuille  lui-même  rem- 
placer les  soldats  qui  tombent  sur  le  champ  de  bataille! 

L’œuvre  ici  nous  semble  depuis  quelque  temps  stationnaire. 
Je  dirais  même  qu’il  y a recul;  le  paganisme  semble  s’afficher 
avec  plus  d’éclat.  Tous  les  soirs  nous  sommes  affligés 
par  le  bruit  des  chants  et  des  danses.  La  légèreté  de  nos 
Zambéziens  nous  fait  frémir  ! Bien  que  nous  ayons  fait  notre 
possible  pour  que  chaque  dimanche  il  y eût  un  de  nous  au 
campement  de  chasse,  cependant  cette  vie  de  distractions 
p’a  pas  manqué  de  nuire  à l’œuvre  de  Dieu  dans  les  cœurs. 
Us  sont  rentrés  à la  capitale  le  28  avril  avec  plus  de  pompe 
que  jamais.  Le  roi  y était  attendu  par  des  marchands; 


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535 


ceux-ci  lui  firent  espérer  qu’il  commencerait  bientôt  à rece- 
voir de  la  Compagnie  les  50,000  francs  annuels  qu’elle  lui 
promit  en  1890;  ils  offrirent  de  payer  le  caoutchouc  2fr.  50 
la  livre;  ils  promirent  de  lui  amener  toutes  sortes  d’objets... 
Vous  qui  connaissez  notre  pauvre  Léwanika,  vous  devinez  le 
reste:  son  cœur  ne  pensa  plus  qu’à  l’argent  et  aux  richesses 
de  toutes  sortes.  Il  fallut  les  bruits  de  guerre,  la  menace 
d’une  invasion  des  Matébélés  pour  l’en  détourner  et  lui  rap- 
peler sa  faiblesse. 

Cependant  nous  n’avons  pas  lieu  de  nous  plaindre  de  la 
fréquentation  des  cultes.  Nous  avons  eu  une  moyenne  de 
275  auditeurs  pendant  ces  derniers  mois.  Le  nombre  des 
élèves  de  l’école  s’est  maintenu  à une  moyenne  de  95  depuis 
la  réouverture  (46);  avant-hier  ils  étaient  114.  Nos  classes, 
ainsi  que  les  prières  du  malin,  continuent  à être  fréquentées 
par  la  plupart  des  professants.  Malgré  les  moqueries  des 
païens  qui  ne  les  appellent  plus  guère  que  « les  fous  »,  ils 
ont  tenu  bon  jusqu’à  ce  jour.  Que  Dieu  les  garde! 

Notre  Ecole  d" évangélistes  nous  a,  elle  aussi,  donné  des 
soucis,  ainsi  que  nous  l’avions  prévu  en  la  prenant.  Deux  des 
élèves  ont  déclaré,  il  y a quelques  jours,  être  fatigués  de  leurs 
études  et  vouloir  rentrer  au  village,  saisissant  comme  pré- 
texte qu’ils  ne  pouvaient  abandonner  le  tabac  à priser.  Moi, 
disait  l’un,  fils  de  Ma-rotsé,  ce  que  j'aime  c’est  d’aller  et  ve- 
nir comme  je  l’entends,  chasser  ce  que  je  veux  et  me  reposer 
quand  cela  me  plaît.  Quant  à l’autre,  nature  renfermée,  peu 
appliqué  à son  travail,  nous  sentions  depuis  longtemps  que 
son  cœur  était  ailleurs.  Mais  au  village  la  réception  qui  leur 
fut  faite  ne  fut  pas  telle  qu’ils  l’avaient  espérée  ; le  roi,  très 
vexé  contre  eux,  leur  fit  dire  : « Que  venez- vous  faire  ici?  Je  n’ai 
pas  besoin  de  vous,  » et  ne  daigna  même  pas  s’entretenir  avec 
eux.  Depuis  lors  ils  couchent  au  village,  mais  viennent  sou- 
vent sur  la  station  et  y rôdent  comme  des  âmes  en  peine.  Le 
fils  des  « Ma-rotsé»,  lui,  n’a  pas  grand’chose  à craindre  delà 
colère  du  roi;  l’autre,  pauvre  esclave  a eu  vent  que  le  roi  se 
propose  de  le  châtier  vertement  et  même  de  lui  enlever  sa 


536 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


fiancée,  une  gentille  enfant  qui  est  chez  nous.  Il  se  déclare 
repentant  et  me  supplie  chaque  jour  de  le  reprendre.  Mais 
j’hésite  beaucoup,  car  je  ne  puis  croire  à un  changement  radi- 
cal de  son  cœur.  Les  huit  autres  persévèrent,  ils  font  des  pro- 
grès et  semblent  se  plaire  chez -nous.  Ils  se  sont  bien  conduits 
dans  l’affaire  de  leurs  anciens  condisciples.  Entourez-les  avec 
nous  de  sympathie  et  d’intercessions!  qu’ils  deviennent  de 
fidèles  témoins  du  Sauveur  auprès  de  leurs  compatriotes  ! 

Qui  viendra  nous  rejoindre  de  la  Maison  des  Missions?... 

Je  suppose  que  mon  frère  va  jouir  de  quelques  mois  d’un 
repos  bien  nécessaire,  jusqu’à  octobre  ou  novembre.  Chers 
amis!  comme  leur  arrivée  à La  Tour,  à notre  maisonnette,  a 
dû  être  triste!  Où  devons-nous  chercher  M.  Coillard?  Com- 
ment va-t-il?  Comme  nous  espérons  que  Dieu  exaucera  à son 
égard  les  prières  de  tant  d’amis  en  lui  donnant  du  soulage- 
ment, en  lui  accordant  le  bonheur  de  pouvoir  encore  tra- 
vailler pour  le  Seigneur! 

Votre  bien  dévoué, 

Ad.  J alla. 


SÉNÉGAL 

L’ÉCOLE  DES  FILLES 

Mademoiselle  Buttner  se  trouvant,  comme  on  sait,  à Mont- 
béliard, où  elle  refait  ses  forces  épuisées,  nous  écrit  les  lignes 
suivantes  au  sujet  de  son  école  : 

a ...  Je  n'ai  pas  eu  un  grand  nombre  d’élèves  : 6 internes, 
3 externes  pendant  les  premiers  mois;  7 internes  et  2 ex- 
ternes à la  fin  de  l’année  scolaire.  Les  progrès  généraux  sont 
assez  satisfaisants,  et  l’examen  de  fin  d’année  est  bien 
meilleur  que  le  précédent.  Prise  dans  son  ensemble,  l’année  a 
été  assez  bonne.  Je  suis  moins  satisfaite  de  quelques-unes 
de  mes  élèves,  si  je  les  juge  individuellement. 

« Panda  (externe)  n’est  venue  qu’à  la  condition  expresse 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


537 


qu’on  ne  lui  ferait  faire  que  de  la  couture  et  des  ouvrages 
manuels  : pas  de  lecture  ni  d’écriture.  Je  suis  obligée  de 
passer  outre,  ne  pouvant  pas  m’occuper  d’elle  tout  le  jour. 
L’influence  morale  que  j’espérais  exercer  sur  elle  a été  nulle 
jusqu’à  maintenant.  Goundo,  Marguerite  Diop,  Lydie  ont  fait 
beaucoup  de  progrès  dans  leurs  études  et  elles  sont  aussi 
devenues  plus  habiles  dans  les  ouvrages  manuels  et  les  tra- 
vaux du  ménage.  Au  point  de  vue  moral  et  spirituel,  Lydie 
a une  très  mauvaise  influence  sur  les  deux  autres,  et  j’ai 
beaucoup  de  peine  à agir  sur  elles.  Lissa , Pauline , Emilie 
sont  de  bonnes  filles  sérieuses  et  vraiment  converties.  Pen- 
dant toute  l’année,  elles  ont  fait  leur  possible  pour  bien  faire. 
Emilie  a quitté  la  maison  au  printemps  pour  entrer  en  ser- 
vice dans  une  maison  européenne. 

« Charlotte  mérite  une  mention  spéciale.  Après  sept  ou 
huit  mois  d’absence,  elle  est  revenue  à la  maison.  J’ai  beau- 
coup hésité  à la  reprendre  à cause  de  son  mauvais  caractère. 
L’ayant  admise  de  nouveau,  je  n’ai  eu  qu’à  me  louer  de  la 
décision  prise.  Charlotte  a fait  de  sérieux  efforts  pour  chan- 
ger et,  une  fois  même  elle  est  venue  me  dire  qu’elle  avait 
donné  son  cœur  à Jésus.  Sa  conduite  des  jours  suivants  a un 
peu  démenti  ses  paroles,  mais  je  crois  qu’un  travail  sérieux 
se  fait  en  elle.  Dieu  veuille  que  nous  le  voyions  aboutir  à une 
conversion  sincère  et  durable  ! 

« En  dehors  de  l’école,  surtout  pendant  les  derniers  mois, 
je  me  suis  beaucoup  occupée  des  soins  à donner  aux  malades. 
Nous  avons  eu  plusieurs  cas  d’ophthalmie  parmi  les  gens  de 
Béthesda.  L’état  sanitaire  de  l’école  a été  bon;  Lissa,  seule, 
a eu  en  juillet  un  violent  accès  de  fièvre. 

a II  m’a  été  impossible  de  faire  de  l’évangélisation  comme 
je  l’aurais  désiré.  Il  faudrait  pour  cela  que  je  n’habite  pas 
à Saint-Louis,  maisà  Sôr,  car  je  sors  de  classe  à cinq  heures, 
je  ne  puis  être  à Sôr  avant  6 heures,  trop  tard  pour  aller 
faire  des  visites  dans  les  demeures...  » 


JOÏÏRNA^  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUE^ 


538 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


CHRONIQUE  DES  MISSIONS (1) 2 

DK  NOUVEAU  A KOUMASSI.  LA  FIN  DE  LA  PUISSANCE  DES  ACHANTI.  — HIS- 

TOIRE D’UNE  CLOCHE.  — ONZE  MORTS.  — LE  PRIMAT  ü’aNGLETERRE. 

Il  y a trois  ans,  l’une  de  nos  revues  se  terminait  par  la 
question  ; « tyl.  Fr.  Ramseyer,  le  doyen  des  missionnaires  bâ- 
lois  de  la  Côte  de  l’Or,  verra- t-il  jamais  une  Église  chrétienne 
à Koumassi(2)?  » De  passage  à Paris,  peu  après, M.  Rapaseyer 
nous  dit  luj-ippme  quelque  chose  de  ses  espérances.  Au  com- 
menceipent  de  la  présente  année,  elles  se  sont  réalisées  d’une 
façou  ipattendup. 

On  se  rappelle  que  Perempé  ou  prempeh,  le  roi  des  Achanti, 
fermait  l’accès  de  son  pays  au  ppmmercp  britannique.  Les 
Anglais  dirigèrent,  en  décembre  dernier,  une  expédition  mi- 
litaire, admirablement  organisée,  sur  Kourqassi,  la  capitale 
des  Achantj.  Le  17  janvier  1896,  cette  cité  fut  occupée.  Le 
roi  s’humilia  jusque  dans  la  poussière,  embrassant  nu-pieds 
et  nu-téte,  devant  tout  son  peuple  assemblé,  les  genoux  de 
sir  Francis  Scott,  ce  qui  ne  l’empêcha  pas  d’être  conduit 
comme  prisonnier  à la  côte.  Du  même  coup,  la  puissappe  des 


(1)  Nos  lecteurs  seront  peureux  de  voir  se  renouer  aujourd’hui  la  série 
des  chroniques  de  M.  Krüger.  11  va  les  continuer  sans  interruption  et 
reprendra  aussi,  dès  notre  prochaine  livraison,  la  suite  des  nouvelles 
détachées,  dont  nous  avions  commencé,  en  janvier  dernier,  la  publica- 
tion. 

(2)  Voir  le  Journal  des  Missions,  1893,  p.  436. 

■ *•'.  f %r  : 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


539 


Achanti,  dont  l’origine  remonte  aux  premières  années  du  dix- 
septième  siècle,  fut  définitivement  anéantie. 

Les  droits  de  l’Angleterre  dans  cette  affaire  ne  sont  que 
spécieux,  ni  plus  ni  moins  que  ceux  qui  servent  d'ordinaire 
à justifier  n'importe  quelle  expédition  coloniale.  Mais  quand  on 
sait  quelque  chose  des  horribles  « coutumes  » qui  ont  amoncelé 
des  collines  d’ossements  humains  dans  Koumassi,  sur  l’Apété- 
séni  ou  place  des  Vautours,  par  exemple,  et  qui  ont  fait  de 
Bantama,  le  lieu  de  sépulture  des  souverains  Achanti,  un 
marécage  de  sang  humain,  on  pousse  un  soupir  de  soulage- 
ment à la  nouvelle  de  la  suppression  de  toutes  ces  atrocités. 

Perempé,  depuis  1888,  comme  Mensa,  son  prédécesseur,  et 
tous  les  rois  antérieurs,  s’était  toujours  opposé  à l’établisse- 
ment d’un  missionnaire  dans  sa  capitale  et  dans  son  pays. 
Mais  quand  Perempé  apprit  que  les  troupes  britanniques  s’é- 
taient mises  en  route,  il  se  souvint  de  M.  Ramseyer  qu’il  avait 
connu  jadis,  durant  les  quatre  années  de  la  captivité  de  ce 
missionnaire  à Koumassi,  et  il  dépêcha  trois  messagers  à 
Abétifi,  la  station  de  M.  Ramseyer,  pour  prier  l’homme  de 
Dieu  d’intercéder  en  sa  faveur.  Il  était  trop  tard.  Dès  le  25  jan- 
vier, un  autre  messager  spécial  apparaissait  à Abétifi.  C’était 
une  estafette  de  sir  Francis  Scott  annonçant,  par  une  attention 
gracieuse  à l’ancien  prisonnier  du  roi  de  Koumassi,  que  le 
pouvoir  des  Achanti  était  brisé,  et  que  tout  le  pays  resterait 
désormais  ouvert  à l’activité  des  missionnaires  chrétiens. 

Dix  jours  plus  tard,  M.  Ramseyer  se  mit  en  route  avec  son 
neveu  et  collègue,  Ed.  Perregaux  (1).  Le  10  février,  il  écrit 
de  Koumassi  : « Ce  n’est  pas  un  rêve  ! J’y  suis  de  nouveau,  à 
Koumassi!...  Le  Seigneur  écoute  les  prières  de  ses  enfants. 
Nous  sommes  à Koumassi,  Perregaux  et  moi  ; nous  y sommes 
comme  missionnaires,  et  nous  y sommes  libres!  Et  tout  le 
pays  des  Achanti  est  ouvert  devant  nous! (2)...  » 


(1)  Voir  le  Journal  des  Missions,  1895,  p.  334. 

(2)  De r Evangelische  Heidenbote  (Bâle),  1896,  p.  35. 


540 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Peu  de  jours  après,  le  gouverneur  britannique  offrit  aux 
missionnaires  un  terrain,  à mi-chemin  entre  la  cité  et  Bantama  ; 
et  un  soldat  de  l’expédition,  un  nègre  chrétien  des  Antilles,  tira 
de  sa  bourse  un  florin  comme  première  contribution  aux  frais 
de  construction  de  la  nouvelle  station. 

De  plus,  avant  même  d’exister,  la  station  bàloise  de  Kou- 
massi  possède  une  cloche.  L'histoire  en  est  curieuse.  Il  y a 
quelque  trente  ans,  cette  cloche  faisait  entendre  ses  appels  du 
haut  de  l’église  de  Hô,  une  station  de  la  Société  de  Brème,  dans 
le  pays  de  Togo  actuel.  Dans  une  de  leurs  grandes  courses  de 
pillage,  les  Achanti  traversèrent  le  Yolta,  et  brûlèrent  Hô, 
le  25  juin  1869.  La  cloche  fut  emportée  à Koumassi  avec  le 
reste  du  butin.  Suspendue  dans  un  grand  arbre  branchu,  au 
milieu  de  la  ville  sanguinaire,  elle  a dû  mainte  fois  faire  en- 
tendre sa  voix  pour  rehausser  l’éclat  des  grandes  fêtes  païen- 
nes. M.  Ramseyer  connaissait  cette  cloche.  11  la  demanda  à 
sir  Francis  Scott  et  l’obtint  facilement.  Maintenant  cette  cloche 
historique  a sans  doute  déjà  retenti  pour  inviter  les  habitants 
de  Koumassi  à écouter  à la  fois  des  appels  à la  repentance  et 
la  proclamation  publique,  libre  et  joyeuse,  du  nom  de  Jésus- 
Christ  (1). 

L'occupation  de  Koumassi  marque  une  date  importante 
dans  l’histoire  de  la  mission  bàloise  à la  Côte  de  l’Or  (2).  Ce 
sera,  par  la  grâce  de  Dieu,  le  point  de  départ  d'un  nouveau 
développement  vers  le  Nord,  dans  la  direction  de  Nkoransa. 


(1)  Evangelisches  Missions-Magazin  (Bâle),  1896,  p.  292  et  suiv. 

(2)  Cette  mission  comptait,  au  1er  janvier  dernier,  10  stations,  144  an- 
nexes et  43  missionnaires.  936  membres,  dont  831  païens  convertis  et 
baptisés,  ont  été  ajoutés  à l’Église  pendant  l’année  1895.  Au  1er  janvier 
1896,  on  comptait  13,972  membres  d’Église.  L’augmentation  a été  de 
113  0/0  durant  les  dix  dernières  années.  Dans  les  écoles,  il  y a 4,126  élèves, 
dont  2,709  garçons  et  1,417  filles;  et  sur  l’ensemble,  il  y a 3,111  enfants 
de  chrétiens  et  1,015  enfants  de  païens.  (LXXXIer  Jahresbericht  der  Evan- 
gelischen  Missionsgesellschaft  zu  Basel.  Bàle,  1895,  p.  10;  Der  Evang.  Hei- 
denbote , Bàle,  1896,  p.  52;  Allgem.  Missions-Zeitschrift;  Berlin,  1896, 
p.  146). 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


541 


C’est  dès  maintenant  pour  nos  amis  de  Bâle  un  point  lumineux 
dans  une  année  bien  sombre.  Car,  sur  une  cinquantaine  de 
missionnaires  que  la  Société  de  Bâle  emploie  dans  l’Afrique 
occidentale,  elle  en  a perdu  onze  entre  le  1er  février  et  le 
mois  d’août  de  Tannée  courante  (1).  On  comprend  que  le 
directeur  ait  commencé  son  rapport  annuel  par  ce  cri  du 
prophète  : a Certainement  tu  es  un  Dieu  qui  te  caches,  ô Dieu 
d’Israël,  le  Sauveur!  » 

Aussi  bien  Ton  entend  souvent  parler  des  dangers  que  cou- 
rent les  missionnaires  et  des  responsabilités  de  la  mission; 
mais  de  quelle  immense  responsabilité  ne  se  chargent  pas 
ceux  qui  refusent  de  travailler  pour  l’avancement  du  règne  de 
Dieu!  Il  y a quelques  mois,  le  primat  d’Angleterre,  l’archevê- 
que Benson,  qui  vient  de  mourir  subitement  le  11  octobre 
dernier,  a essayé  de  faire  comprendre  cela  à ses  auditeurs, 
en  présidant  l’assemblée  annuelle  de  la  Société  pour  la  propa- 
gation de  l’Évangile.  A cet  effet,  il  a cité  les  paroles  suivantes 
adressées  par  quelques  Indiens  à un  évêque  de  la  Colombie 
(Canada)  : « Pourquoi  les  âmes  périraient-elles?  Pourquoi  les 
tenir  éloignées  de  Dieu?  Il  ouvre  les  portes;  pourquoi  laisser 
le  diable  les  fermer?...  Marchons  comme  Jésus  a marché! 
Quand  le  soleil  luisait,  il  parlait  ; quand  la  tempête  faisait  rage, 
il  parlait;  quand  les  étoiles  répandaient  leur  douce  clarté,  il 
parlait  encore;  et  il  parlait,  quand  les  disciples  ne  voyaient 
que  les  vagues  qui  remplissaient  leur  barque  (2).  » 

C’est  enfantin  ; c’est  naïf,  comme  la  foi  doit  l’être.  C’est 

vrai.  F.  H.  K. 

? 


(1)  Der  Evangelische  Heidenbote  (Bâle),  1896,  pp.  17,  26,  35,  42,  50 
et  75. 

(2)  The  Mission  Field  (Londres);  1896,  p.  245. 


JOURNAL  DÈS  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


542 


POUR  LES  ARMÉNIENS 

La  question  arménienne  intéresse  de  plus  en  plus  vive- 
ment parmi  nous  les  cœurs  chrétiens.  Lès  pasteurs  de  Paris, 
réunis  le  19,  au  Saint-Esprit,  ont  décidé  de  provoquer  tout 
ensemble  une  vaste  collecte  et  un  pétitioiinement  en  faveur 
des  Arméniens.  Dans  cette  réunion,  un  professeur  français 
de  Constantinople,  correspondant  de  la  Revue  de  Paris,  a 
confirmé  « de  visu  » tous  les  faits  que  le  Père  Charmettan  a 
mis  en  lumière.  Pour  montrer  quelle  peut  être  la  coiifiancè 
que  méritent  les  statistiques  officielles,  il  a cité  l’exettiple  de 
la  ville  d’Ak-Hissar,  dans  le  vilayet  d’Ismidt,  à vingt  milles 
environ  du  Bosphore.  Là,  au  sein  d’une  population  de  Cir- 
cassiens  et  de  Mohadjin,  vivaient  un  certain  nombre  de  fa- 
milles arméniennes.  Le  chef  du  gouvernement  local  leur  per- 
suada, pour  éviter  tout  conflit,  de  déposer  leurs  armes  avant 
de  se  rendre  au  marché  ; ils  y consentirent  avec  cette  passi- 
vité résignée  que  M.  Quillard  relevait  comme  un  caractère 
frappant  de  la  population  arménienne.  Aussitôt,  lé  rriassacre 
commença;  après  avoir  tué  des  centaines  de  ces  pauvres  gens, 
on  jeta  leurs  cadavres  dans  les  puits  et  dans  le  fleuve  Sac- 
charia.  Deux  cadavres  restèrent  seuls  étendus  sut*  le  sol. 
L’autorité  centrale  survint;  on  lût  montra  les  d'etix  cadavres 
et  elle  informa  le  gouvernement  de  Constantinople  qu’il  h’ÿ 
avait  « rien  » eu;  jusqu'à  ce  que  les  religieux  Assomption- 
nistes  eussent  retiré  trente-cinq  cadavres  des  puits!  Un 
membre  du  Comité,  M.  le  pasteur  Goût,  a pu  envoyer  aux 
malheureux  de  Constantinople  5,000  francs;  un  autre  membre 
du  Comité,  à une  amie  chrétienne,  plusieurs  centaines  de 
francs. 

Deux  autres  ont  eu  la  joie  de  pouvoir  apporter  eux-mèmes, 
ou  par  un  intermédiaire,  400  francs  aux  pauvres  fugitifs, 
venus  de  Marseille  et  recueillis,  à la  rue  Auber,  par  l’Armée 


Dissions  évangéliques 


543 


du  Salut;  il  y en  avait  de  Constantinople,  d’Aintab,  Orfàh, 
même  des  élèves  des  écoles  de  Beyrouth,  Une  femme  présënte 
avait  eu  sept  membres  de  sa  famille  tués.  Le  spectacle  de  ces 
pauvres  gens  était  profondément  émouvant. 

L’Alliance  évangélique  a collecté  plus  dë  10,000  francs. 
Mais  que  sont  de  pareilles  sommes,  quand  on  songe  aux 

500.000  malheureux,  privés  de  tout  â l’entrée  de  l’hiver? 
M.  Charles  Yernes  a fait  un  chaleureux  appel  à tous  les  cœürs 
chrétiens.  On  sait  que  Miss  Kimball,  de  New-York,  docteur 
en  médecine,  qui  avait  organisé  à Van  un  admirable  système 
de  secours  par  le  travail,  a dû  quitter  le  pays  et  a traversé 
Paris  en  septembre,  retournant  en  Amérique.  A Londres,  elle 
a été  « interviewée  » par  un  de  nos  amis,  auquel  elle  a assuré 
que  le  missionnaire  américain  de  Van,  Dr  Reynolds,  con- 
tinuerait le  système  d’assistance  par  le  travail  autant  que  le 
permettraient  les  ressources.  De  son  côté,  le  Président  de  la 
Croix-Rouge,  M.  Gustave  Moynier,  a reçu  une  lettre  de  miss 
Clara  Barton,  la  courageuse  organisatrice  des  ambulances. 
Nous  y lisons  ce  qui  suit  : « Je  vous  écris  du  milieu  de  ce  pays 
« des  missionnaires-martyrs  ; car  quand  on  a été  témoin  du  dé- 
« vouement  des  missionnaires  américains,  de  leur  vaillance, 
« de  leur  patience  à toute  épreuve,  on  ne  peut  les  appeler 
« autrement...  L’œuvre  de  la  Croix-Rouge  eût  été  impossible 
« sans  leur  concours.  » Miss  Barton  et  ses  aides,  M.  Pullman 
et  le  docteur  Hubbell,  ont  travaillé  très  efficacement;  ils  ont 
fait  venir  des  médecins  de  Beyrouth  pour  soigner  plus  de 

8.000  varioleux  et  typhoïques,  puis  ils  se  sont  rendus  dans  les 
montagnes  et  ont  apporté  eux-mêmes  aux  paysans,  privés  de 
tout,  du  bétail,  des  semences,  des  outils  et  même  des  ouvriers 
capables  de  les  instruire  à se  reconstituer  eux-mêmes  un  outil- 
lage nouveau.  Après  les  massacres  de  Van,  du  mois  de  juin, 
les  missionnaires  de  Van  ont  fourni  journellement  jusqu’à 

15.000  rations  de  soupe  aux  réfugiés  de  la  campagne.  Malheu- 
reusement, les  récoltes  ont  été  mauvaises  et  les  exactions  des 
autorités  insupportables.  Lorsque  l’une  des  missionnaires  de 
Van  a rapporté  â Constantinople  que,  de  530  villages  des  en- 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


5U 


virons  de  la  ville,  500  avaient  été  pillés  et  ruinés,  il  a plu  au 
sultan  de  l’appeler  une  menteuse.  L’état  actuel  de  la  popula- 
tion est  des  plus  angoissant,  et  les  missionnaires  hommes 
qui  restent  au  poste,  — tandis  que  le  Comité  a décidé,  pa- 
raît-il, de  laisser  aux  femmes  la  liberté  de  se  rendre  à la 
frontière,  — méritent  toute  notre  sympathie,  nos  interces- 
sions et  nos  secours  en  argent  et  en  vêtements;  car  comment 
faire,  dès  à présent,  émigrer  toute  la  population,  comme  le 
propose  M.  Willard,  qui  a visité  les  lieux?  Nous  rappelons  à 
nos  lecteurs  que  les  dons  sont  recueillis  par  le  trésorier  de 
l’Alliance  évangélique,  M.  Paul  Theis.  Que  Dieu  veuille  élever 
la  sympathie  des  chrétiens  à la  hauteur  des  souffrances  de 
ces  frères  persécutés  d’Orient  ! 

G.  A. 


— - — — ~ 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20670. 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


545 


SOCIÉTÉ 

DES 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


PROCHAIN  ENVOI  D’HOMMES  A MADAGASCAR  ET  Aïï  ZAMBÈZE 

Paris,  le  26  novembre  1896. 

Les  nouvelles  apportées  par  le  dernier  courrier  de  Mada- 
gascar font  prévoir  de  mauvais  jours  pour  les  missions 
protestantes.  L’odieux  système  de  mensonges  et  de  calomnies 
qui  persiste  à représenter  le  mouvement  fahavaliste  comme 
solidaire  du  protestantisme,  — alors  que  les  premières  vic- 
times ont  été  des  missionnaires  protestants  et  que  sur  six 
cents  églises  et  chapelles  détruites,  cent  vingt  à peine  appar- 
tenaient au  culte  catholique,  — ce  système  a déjà  porté  plus 
d’un  fruit  et  bien  des  indices  font  pressentir  une  période 
dont  le  caractère  dominant  sera  de  prendre,  sur  bien  des 
points,  le  contre-pied  du  régime  libéral  et  bienveillant  au 
quel  M.  Laroche  a attaché  son  nom. 

Il  est  bon  de  l’affirmer,  en  face  du  débordement  de  men- 
songes qui  s’est  produit  dans  la  presse  : jusqu’à  ce  jour, 
Fattitude  de  la  mission  protestante  a été  irréprochable.  Les 
engagements  pris  devant  le  ministre  par  les  directeurs  des 
sociétés  qui  travaillent  à Madagascar  ont  été  tenus;  les  mis- 
sionnaires, après  avoir  accueilli  avec  reconnaissance  le  nou- 
DÉCEMBRE  1896.  39 


34£ 


JOURNAL  DES-  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


veau  régime  qui  promettait  à leurs  Églises  la  liberté  reli- 
gieuse et  au  pays  la  sécurité  et  tous  les  avantages  d’un  bon 
gouvernement,  ont  fait  ce  qui  dépendait  d’eux  pour  apporter 
un  appui  cordial  et  sans  réserve  à ce  gouvernement.  11  a fallu 
toute  la  mauvaise  foi  d’adversaires  implacables  pour  obscur- 
cir sur  ce  point  la  vérité,  à laquelle  les  administra- 
teurs impartiaux  rendent  témoignage.  Malheureusement,  ce 
témoignage  n’a  pas  le  pouvoir  de  se  faire  entendre  partout, 
et  la  calomnie  poursuit  son  œuvre. 

Quoi  qu’il  en  soit,  le  devoir  de  nos  Églises  est  plus  clair 
que  jamais.  Elles  doivent  favoriser  de  tout  leur  pouvoir 
l’effort  de  la  mission  protestante  pour  s’adapter  aux  condi- 
tions actuelles,  et  pour  cela  introduire  des  éléments  français 
dans  l’œuvre  religieuse  et  dans  la  direction  des  écoles.  Nous 
avons  la  satisfaction  d’annoncer  que  ces  mesures  sont  en 
voie  d’exécution.  Le  Comité  prépare  pour  le  printemps 
prochain  un  important  envoi  d’hommes.  Nous  avons  déjà 
nommé  le  pasteur  qui  a accepté  de  succéder  à MM.  Lauga  et 
Escande.  A ce  pasteur  est  venu  s’adjoindre  un  jeune  homme 
qui  vient  de  terminer  ses  études  à l’Ecole  normale  supérieure 
et  qu’une  parole  de  M.  Coillard,  entendue  à la  réunion  du  28 
juin  dernier,  a décidé  à se  faire  missionnaire.  La  prépara- 
tion universitaire  et  les  aptitudes  spéciales  de  ce  jeune 
frère  le  désignent  pour  les  écoles  de  Madagascar,  sans  ex- 
clure le  ministère  pastoral  proprement  dit,  qui  pourra  lui 
être  conféré  plus  tard  et  auquel  il  aura  le  temps  de  se  pré- 
parer dans  la  pratique  à Madagascar. 

Nous  devons  nous  borner  à ces  indications  quant  à pré- 
sent. Dans  un  mois,  pensons-nous,  nous  pourrons  être  plus 
précis  et  exposer  avec  plus  de  détails  notre  plan  d'action. 
Ajoutons  cependant  qu’à  l’heure  actuelle  nous  sommes  en 
pourparlers  avec  plusieurs  instituteurs  qui  pourront  trouver 
place,  comme  professeurs  de  français,  soit  dans  les  missions 
existantes,  soit  dans  un  important  établissement  scolaire 
dont  nous  avons  accepté  en  principe  la  direction.  Dans  le 
nombre  se  trouve  un  homme  que  sa  piété  et  sa  longue  expé- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES-  DE  PARIS 


547 


rience  de  l’enseignement  de  notre  langue  désignent  précisé- 
ment, pensons-nous;,  pour  diriger  cet  établissement.. 

Peut-être  nos  lecteurs  s’étonneront-ils- de  ces  informations 
un  peu  vagues;:  nous  espérons  qu’ils  nous  sauront  gré  de 
les  leur  fournir  telles  quelles  ; elles  leur  prouveront  en  tous 
cas  que  les  mois- écoulés  n’ont  pas-  été  perdus-,  et  que  l’en- 
quête poursuivie  avec  tant  de  soins;  par  MM.  Lauga  et  Krüger, 
ainsi  que  leurs  travaux  préparatoires,. n’ont  pas:  été  perdus. 

Mais,,  hâtons-nous  de  L’ajouter,  rien  nlest  encore;  terminé. 
Tel  des  hommes  avec  lesquels  nous  sommes  en  correspon- 
dance peut  encore  se  trouver  retenu  ; la  situation  peut 
aussi  s’aggraver  et  nous  imposer  des  envois  d'hommes  plus 
considérables..  Nos  Églises  auront  l’occasion  de  prouver  la 
sincérité  et  la  profondeur  de  l’intérêt  qu.’elles  portent  à l’œu- 
vre de  Dieu  à Madagascar  en  faisant  pour  cette  oeuvre  des 
dons  spéciaux,  qui,  nous  l’espérons  fermement,  ne:  porteront 
aucun  préjudice  à l’appui  qu’elles  donnent  à nos  autres  mis- 
sions. Et  surtout,  ils  voudront  faire,  à cette  œuvre  si  diffi- 
cile, une  grande  place  dans- leurs  prières.  La  lutte  où  nous 
entrons,  non  pour  l’avoir  désirée  eh  recherchée^  mais  con- 
traints et  forcés  par  le  devoir,  cette  lutte  sera,  terrible;  Fai- 
llies et.  peu  nombreux  comme  nous  le  sommes-,  nous  serions 
infailliblement  vaincus,  si  nous  n’avions  laiCentitude  de  com- 
battre pour  le  pur  Evangile,  et  si. nous  ne  pouvions  compter, 
à ce  titre,  sur:  les  directions  et  sur  le.  secours  du  Tout-Puis- 
sant. 

De  Madagascar  au  Zambèze  la  transition  est  brusque:  Et 
cependant,  le  fait  même  que  nous  signalions  tout  à l’heure,  — 
cette  vocation  née  au-  contact  du  pionnier  delà  mission  des 
Barotsis  et  profitant  à Madagascar,  — ce  fait  ne  montre-t-il 
pas  le  lien  qui  unit  entre  elles  les-  diverses  hranches  de 
notre  œuvre?  C’est  une  joie  pour  nous  d’annoncer  qu’au 
moment,  même  où  notre  envoi  d’hommes  à Madagascar 
sera  prêt  à partir,  nous  pourrons-  aussi  faire  partir  des  ren- 
forts pour  le  Zambèze.  Nos  lecteurs  connaissent  la  situation 


348 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


sérieuse  où  se  trouvent  nos  jeunes  missionnaires,  affaiblis 
par  la  mort  de  l’un  d’entre  eux,  privés  du concoursde  leurs 
aînés,  à peu  près  coupés  du  reste  du  monde  par  les  suites  de 
la  peste  bovine.  L’envoi  de  renforts  et  le  ravitaillement  sont 
aussi  difficiles  qu’ils  sont  nécessaires.  Un  seul  moyen  s’offre 
pour  transporter  des  hommes  et  des  provisions,  c’est  l’emploi 
de  wagons  légers  traînés  par  des  ânes.  Ce  moyen  est  dispen- 
dieux ; mais  le  Comité  n’a  pas  hésité,  devant  les  besoins  pres- 
sants de  nos  frères,  à y avoir  recours.  M.  et  madame  Mercier, 
que  rejoindront  en  temps  utile  M.  Coïsson  et  sa  jeune  femme, 
se  mettront  en  route  en  avril  prochain;  l’expédition  sera  pré- 
parée avec  le  plus  grand  soin  par  M.  Whiteley,  l’agent  et 
l’ami  de  la  mission  à Maféking.  Au  reste,  M.  Coillard  a tenu 
à entretenir  lui-même  les  amis  des  Missions  de  ce  projet; 
nous  les  renvoyons  donc  à sa  lettre,  que  l’on  trouvera  dans  la 
suite  de  cette  livraison. 

Pourquoi  faut-il  qu’après  le  Zambèze  et  Madagascar,  nous 
ne  puissions  pas  montrer  nos  autres  missions  recevant,  elles 
aussi,  des  renforts  et,  du  même  coup,  le  moyen  de  s’étendre? 
Mais  non;  plusieurs  de  nos  champs  attendent  les  ouvriers 
qu’ils  réclament  depuis  longtemps,  et  leur  pénurie,  avec  l’état 
stationnaire  qui  en  résulte  pour  l’œuvre  elle-même,  nous 
tourmente  et  nous  désole.  Nous  ne  disons  rien  du  Lessouto,  qui 
attend  toujours  l’homme  ou  les  hommes  qui  lui  sont  néces- 
saires; mentionnons  seulement  Maré,  cette  petite  île  située  au 
milieu  de  l’océan  Pacifique,  et  dont  l’histoire  a été  comme  la 
répétition  anticipée  et  en  petit  de  celle  de  Madagascar.  Nous 
donnons  plus  loin  les  dernières  nouvelles  de  Maré  ; puissent 
les  appels  que  ces  pauvres  insulaires  nous  envoient  de  si  loin 
être  entendus  et  susciter  parmi  nous  l’homme  ou  les  hommes 
que  cette  œuvre  réclame. 

Est-il  nécessaire  de  le  rappeler  en  terminant?  Les  envois 
d’hommes  toujours  plus  nombreux  ne  se  feront  qu’au  prix 
d’un  grand  effort  de  notre  part.  Effort  avant  tout  spirituel  : 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


549 


la  prière  est  notre  meilleure  arme,  le  levier  que  Dieu  a mis 
entre  nos  mains  pour  soulever  les  montagnes.  Mais  aussi 
effort  matériel,  indispensable  si  nous  voulons  trouver  les  res- 
sources indispensables  à notre  œuvre  sans  cesse  agrandie. 
Nous  ne  ferons,  à ce  sujet,  aucun  appel  retentissant  : nous 
parlons  à des  amis  qui,  deux  fois  déjà,  ont  su  nous  sauver  ou 
nous  préserver  du  déficit.  Nous  leur  rappelons  seulement 
que  l’année  est  aux  deux  tiers  écoulée,  et  que  quatre  mois 
seulement  nous  séparent  de  la  fin  de  l’exercice.  Ils  pren- 
dront à cœur  les  besoins  de  notre  œuvre  et  voudront  une  fois 
de  plus  nous  permettre  de  dire,  quand  s’achèvera  l’année  : 
« Jusqu’ici,  l’Eternel  nous  a secourus.  » 


UNE  PROPOSITION 

Quelques  amis  des  missions  ont  eu  le  désir  de  resserrer  le 
lien  qui  unit  déjà  tous  les  chrétiens  ayant  à cœur  l’avance- 
ment du  règne  de  Dieu  par  la  prédication  aux  païens  de  l’É- 
vangile de  notre  bien  aimé  Sauveur  et  Maître  Jésus-Christ,  en 
fondant  une  Union  de  prières  pour  les  missions  en  gé- 
néral, et  pour  les  Missions  françaises  en  particulier.  Le  comité 
de  la  Société  des  Missions  de  Paris,  et  les  missionnaires  à qui 
cette  idée  a été  soumise,  l’ont  chaleureusement  approuvée  et  en- 
couragée. Ils  y ont  vu  une  première  réponse  à la  Question  de 
foi  posée  dans  le  numéro  de  novembre  du  Journal  des  Missions. 
Plus  que  personne  ils  sentent  le  besoin  d’être  soutenus  par  les 
prières  de  leurs  frères  et  de  leurs  sœurs,  parce  que,  plus  que 
personne,  ils  voient  croître  chaque  jour  l’importance  et  les  dif- 
ficultés de  l’œuvre  qui  leur  est  confiée.  Il  leur  faut  des  hommes, 
de  l’argent;  il  leur  faut  la  lumière  d’En-haut  pour  être  guidés 
dans  la  solution  des  questions  compliquées  qui  se  posent 
devant  eux;  il  leur  faut  une  mesure  peu  commune  de  foi  de 


350 


JOURNAL  DBS  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


patience,  de  persévérance,  do  courage  et  d’amour.  Gomment 
obtiendront-ils  tout  cela,  sinon  par  la  prière,  par  celle  qu’ils 
font  eux- mêmes  monter  sans  cesse  au  trône  de  grâce  et  par 
celle  de  leurs  frères  et  sœurs  dans  la  foi,  qui  se -souviennent 
avec  eux  des  promesses  de  Dieu  en  Jésus-Christ  et  croient 
à sa  fidélité  ? 

Pour  rendre  cette  union  de  prières  à la  fois  plus  intéres- 
sante et  plus  efficace,  il  importe  que  des  sujets  définis  de 
prières  soient  indiqués  périodiquement  à ses  membres.  Ceux 
d'entre  eux  qui  sont  abonnés  au  Journal  des  Missions  n’au- 
raient certainement  pas  de  peine  à en  dresser  une  liste  pour 
leur  usage. 

Pour  ceux-là  cependant,  et  à plus  forte  raison  pour  les 
autres,  une  liste  préparée  par  les  soins  du  directeur  de  la 
Maison  des  Missions  sera  certainement  la  bienvenue,  étant 
bien  entendu,  d’ailleurs,  que  chacun  sera  libre  d’y  ajouter  les 
sujets  qui  lui  tiennent  particulièrement  à cœur. 

Voici  donc  ce  que  nous  proposons  : 

1°  Une  association  est  formée  entre  tous  les  amis  des  Mis- 
sions évangéliques  qui  voudront  y prendre  part,  sous  le  nom 
dil’nioii  de  prières  pour  les  Missions. 

2°  Les  membres  de  cette  association  s’engagent  à prier 
chaque  jour  pour  les  Missions,  spécialement  pour  celles  qui 
sont  soutenues  par  la  ■Société  des  Missions  évangéliques  de 
Paris. 

3°  Le  Journal  des  Missions  et  le  Petit  Messager  des  Missions 
publieront  chaque  mois  une  liste  de  sujets  de  prières.  Cette 
même  liste,  imprimée  sur  une  feuille  à part,  sera  envoyée  di- 
rectement aux  membres  de  l’Union  de  prières  qui  en  auront 
fait  • la  demande. 

4°  Les  demandes  d’inscription  seront  adressées  à mademoi- 
selle Estelle  Monod,  1-8,  rue  Molitor,  à Paris  ; il  y sera  immé- 
diatement répondu  par  l’envoi  d’une  carte  de  membre  et 
d’une  première  liste  de-sujets  de  prières. 

Les  demandes  seront  autant  que  possible  accompagnées  de 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


551 


60  centimes  en  timbres-postes,  pour  les  frais  pendant  l’an- 
née 1897. 

2 novembre  1896. 


DÉPARTS  ET  ARRIVÉES  DE  MISSIONNAIRES 

M.  Forget,  dont  la  -santé  était  depuis  longtemps  ébranlée 
par  les  fatigues  et  le  climat  du  Congo,  a dû  revenir  en  Eu- 
rope pour  refaire  ses  forces.  Il  a débarqué,  le  12  novembre, 
avec  sa  famille,  au  Havre,  et  s’est  installé,  depuis  lors,  à 
Saint-Lô,  où  son  beau-frère,  M.  Lecerf,  est  pasteur.  Notre 
missionnaire  est  venu  à Paris  et  a été  reçu  par  le  Comité,  de 
même  que  son  collègue,  M.  Haug,  arrivé  en  France,  comme 
on  s’en  souvient,  vers  la  fin  de  septembre  dernier. 

Mademoiselle  Henriette  Buttner,  que  la  maladie  avait  obli- 
gée d’abandonner  sa  tâche,  se  trouve  maintenant  assez  bien 
pour  songer  à la  reprendre.  Elle  compte,  en  effet,  -s’embar- 
quer à Bordeaux,  le  4 décembre  prochain,  pour  Saint-Louis, 
où  l’attend  son  œuvre  scolaire..  Nous  sommes  heureux:  que 
notre  jeune  sœur  ait  pu  retrouver  si  promptement  la  santé  et 
les  forces,  et  nous  accompagnons  son  retour  au  Sénégal  de 
nos  vœux  et  de  nos  prières. 

Nous  avons  eu,  d’autre  part,  le  chagrin  d’apprendre,  par 
une  dépêche  arrivée  ici  le  23  novembre,  que  M.  Pétrequin, 
malade,  se  voyait  obligé  >de  venir  chercher  ta  guérison  en 
Europe.  Quand  ces  lignes  paraîtront,  il  sera  .sur  le  point  de 
déharquer  en  France.  11  y a,  dans  ces  voyages,  imposés  par 
la  raison  de  6anté,  une 'nécessité  à laquelle  nous  ne  pouvons 
échapper  et  qui  nous  fait  toucher  du  doigt  tout  ce  qu’offrent 
de  sérieux  les  entreprises  missionnaires  dans  ces  pays  d’A- 
frique où  le  climat  est  hostile  aux  Européens. 


552 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


NOTES  Dü  MOIS 

La  saison  d’hiver,  qui  est  pour  nos  Sociétés  religieuses  la 
période  active  par  excellence,  impose  aussi  à nos  mission- 
naires en  congé  des  efforts  extraordinaires.  C’est  la  bonne 
saison  pour  les  tournées,  et  de  tous  côtés  arrivent  des  invita- 
tions qui,  presque  toujours,  indiquent  les  trois  premiers  mois 
de  Tannée  comme  le  moment  favorable  qu’il  ne  faut  manquer 
à aucun  prix.  Le  Comité,  si  désireux  qu’il  soit  de  faire  profiter 
nos  Églises  de  la  présence  de  nos  missionnaires,  a le  devoir 
de  concilier  autant  que  possible  leurs  exigences  avec  les 
ménagements  dus  à la  santé  de  nos  ouvriers.  11  prie  les 
Églises  de  lui  faciliter  la  tâche  en  se  montrant  aussi  accom- 
modantes et  aussi  patientes  qu’elles  le  pourront.  Plus  elles 
nous  laisseront  de  marge,  mieux  nous  pourrons  les  satis- 
faire. 

S'inspirant  de  ces  pensées,  le  Comité  a engagé  M.  Coillard 
à ne  pas  quitter  Paris,  où  il  est  arrivé  le  \ 1 novembre,  avant 
le  15  janvier.  Ce  séjour  prolongé,  que  M.  Coillard  consacre 
avant  tout  à préparer  la  publication  de  ses  lettres,  n’aura  pas 
été  perdu  pour  les  Églises  de  notre  ville.  Peu  de  jours  après  son 
arrivée,  notre  frère  prenait  une  part  active  à la  Retraite  pasto- 
rale dont  nos  journaux  ont  rendu  compte,  et  qui,  cette  année 
encore,  s’est  tenue  à la  Maison  des  Missions.  Le  22  novembre, 
il  s’est  fait  entendre  avec  son  collègue,  M.  L.  Jalla,  dans  une 
grande  réunion  tenue  à l Église  de  la  Rédemption.  Le  mer- 
credi 2 décembre,  une  réunion  du  même  genre  doit  se  tenir 
à la  chapelle  du  Luxembourg;  et  le  dimanche  6 décembre, 
nos  frères  prendront  part  à la  réunion  mensuelle  de  l’Ora- 
toire. Nous  ne  disons  rien  des  réunions  privées  auxquelles 
ils  sont  conviés  presque  chaque  jour.  Mais  nous  tenons  à 
mentionner  spécialement  la  conférence  que  M.  Coillard  doit 
donner  dans  l’amphithéâtre  de  la  Faculté  de  théologie,  le 
mercredi  soir,  16  décembre.  Huit  jours  auparavant  M.Krüger 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


553 


donnera,  dans  le  même  local,  une  causerie  sur  Mada- 
gascar. 

Nous  nous  réservons  d’indiquer  en  janvier  le  programme 
des  tournées  de  M.  Coillard;  elles  commenceront,  sans  doute, 
par  une  visite  à Montauban,  et  se  continueront,  probable- 
ment, par  la  Normandie.  M.  Jalla,  qui  a consacré  les  mois 
d’été  et  d’automne  à parcourir  les  Églises  vaudoises  des  Val- 
lées et  d’une  partie  de  Pitalie,  doit  visiter,  dès  le  mois  de  dé- 
cembre, quelques  centres  de  l’Est;  en  janvier,  il  pense  visiter 
les  Églises  de  la  Bourgogne  et  du  Doubs,  pour  rejoindre  en- 
suite M.  Coillard. 

M.  Christol,  de  son  côté,  achève  en  ce  moment  une  labo- 
rieuse campagne  dans  le  Poitou,  M.  Haug, après  quelques  se- 
maines passées  en  Alsace  et  à Paris,  entreprend  une  tournée 
dans  la  Drôme  et  dans  l’Ardèche. 

Nos  amis  ont  entre  les  mains  la  dernière  livraison  du  Jour- 
nal des  Missions.  Ce  n’est  pas  à nous  qu’il  appartient  d’ap- 
précier cette  publication,  ni  de  signaler  l’intérêt  croissant 
des  circonstances  particulières  que  traverse  notre  Société. 
L’extension  de  son  œuvre  à Madagascar,  non  moins  que  les 
difficultés  qu’elle  rencontre  sur  certains  points,  comme  au 
Congo,  au  Zambèze,  sont  bien  faites  pour  gagner  les  sym- 
pathies de  nos  amis.  Nous  croyons  inutile  de  leur  demander 
de  nous  rester  fidèles;  nous  comptons  sur  eux  comme  sur  des 
amis.  Mais  nous  attendons  d’eux  quelque  chose  de  plus; 
c'est  qu'ils  gagnent  de  nouveaux  lecteurs  à notre  Journal,  en  le 
faisant  pénétrer  dans  les  milieux  où  il  devrait  être  connu. 
Nous  pensons,  en  particulier,  à ces  nombreuses  Eglises  qui, 
jusqu’ici,  ne  se  sont  presque  pas  doutées  de  l’existence  de  la 
Société  des  Missions  de  Paris. 

Nous  recommandons  à l’attention  de  nos  lecteurs  le  Petit 
Messager  de  Noël , qui  forme,  comme  d'habitude,  une  intéres- 
sante brochure  de  48  pages,  abondamment  illustrée.  On  peut 
s’adresser,  pour  lés  commandes,  soit  à M.  A.  Boegner,  102, 
boulevard  Arago,  soit  à M.  Schultz,  9,  rue  Laffitte. 


oai 


JOURNAL  DES  'MISSION5  T&YA'N GÉLIQUES 


’Notre  -Société  verra  sous  peu  paraître  d’autres  publication-s. 
La  série  s’ouvrira  par  un  beau  recueil  de  lettres  et  de  gra- 
vures que  notre  missionnaire,  M.  Christol,  prépare  en  cemo- 
ment,  et  qui  paraîtra  à temps  pour  être  offert  en  étrennes. 
Ce  livre  donnera  une  juste  idée  de  ce  qu’est  la  vie  indigène  et 
la  vie  missionnaire  dans  l’Afrique  australe.  Et  il  aura  la  bonne 
fortune  de  nous  être  présenté  par  M.  le  professeur  Raoul 
Allier,  dans  une  brochure  traitant  de  l’artindigène  au  sud  de 
l’Afrique.  Le;titre  complet  de  l'ouvrage  sera  le  suivant  : Au 
sud  de  i A frique;  notes  et  croquis  d'un  missionnaire. 

Un  peu  plus  tard,  nous  aurons,  en  un  ou  deux  volumes,  les 
lettres  de  M.  Coillard  parues  ces  vingt  dernières  années  dans 
le  Journal  des  Missions . Notre  frère  travaille  -en  ce  moment 
même  à la  publication  de  cette  correspondance. 

Un  album  du  Zambèze  est  également  en  préparation  et 
verra  le  jour  dans  les  premiers  mois  de  l’année  prochaine. 

De  son  côté,  M.  Jacottet  projette  la  publication  d’un  petit 
livre  d’une  centaine  de  pages  sur  la  mission  du  Lessouto. 
Ainsi  se  combleront  peu  à peu  les  lacunes  que  nous  consta- 
tons dans  notre  littérature  missionnaire,  en  sorte  que  ceux 
qui  ont  à cœur  de  connaître  nos  diverses  œuvres,  — et  ils 
sont  toujours  plus  nombreux,  — ne  seront  plus  embarrassés 
dans  leurs  recherches. 


SOCIÉTÉ  'DBS  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


555 


SITUATION  FINANCIÈRE 

au  20  novembre  1896. 

Notre  trésorier  nous  communique  la  note  suivante  : 


Pour  faire  face  à la  dépense  prévue  pour  1896-97,  qui 

est  de 373,000  » 

Il  faudrait  une  recette  mensuelle  de  31  y000  francs,  ce  qui 
fait  pour  les  6 mois  et  20  jours  écoulés,  du  1er  avril  au 
20  octobre  1896,  un  chiffre  total  de 238,000  » 

Nous  n’avons  reçu  jusqu’à  ce  jour,  pendant  le  même 

laps  de  temps,  qu’une  somme  de.  . . . . 89,300  » 

faisant  une  différence  en  moins  de 148,700  » 

Les  recettes  Au. Zambèze  sont  à ce  jour  de. 52,505  » 

au  lieu  de 12,205  i» 

qu’on  avait  reçus  l’année  dernière  à pareille  époque. 


Nos  lecteurs  verront  avec  reconnaissance  le  progres  ses 
recettes  du  Zambèze.  Ils  devront  toutefois  se  souvenir  que  ce 
progrès  est  dû,  avant  tout,  à un  don  anonyme  de  25,000 
francs,  dont  ils  ont  trouvé  la  mention  touchante  sur  la  cou- 
verture de  notre  livraison  de  septembre.  Loin  de  se  ralentir 
dans  leurs  efforts,  ils  verront  dans  ce  beau  don  une  nouvelle 
raison  d’accorder  leur  appui  à une  œuvre  que  Dieu  a bénie  et 
dont  il  a fait  une  source  de  bénédictions.  Ils  y puiseront 
aussi  un  zèle  nouveau  pour  soutenir  l’œuvre  générale  de 
notre  Société,  dont  les  recettes  sont  bien  en  retard  sur  ce 
qu’elles  devraient  être  à-cette  époque  de  l’année.  Pas  de  dé- 
ficit, mais  progrès  général  par  l'effort  personnel  et  le  fidèle 
emploi  des  moyens  d’action  dont  nous  disposons  : que  telle 
soit  plus  que  jamais  notre  règle. 


556 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


LETTRE  DE  M.  COILLARD 


Paris,  20  novembre  1896. 


Mes  chers  amis, 

C’est  d’Angleterre  que  je  prenais  congé  de  vous  le  mois 
dernier.  Je  m’y  étais  rendu  pour  affaires,  pour  reprendre  ha- 
leine, et,  surtout,  pour  m’y  retremper  dans  un  peu  de  recueil- 
lement. Ce  fut  le  recueillement  dans  la  communion  des 
saints.  La  communion  des  saints!  Yous  savez  si  j’y  attache 
du  prix.  C’est  bien  beau  d’avoir  le  télégraphe  et  le  téléphone 
dans  la  prière  qui,  passant  par  le  trône  de  la  grâce,  mettent 
le  pèlerin  et  la  sentinelle  des  postes  perdus  en  communica- 
tion avec  les  foyers  de  vie  et  le  corps  d’armée.  Mais  c’est 
bien  plus  beau,  bien  plus  doux  encore,  de  se  voir  face  à face, 
causer,  prier  et  louer  ensemble. 

Ma  première  visite  fut  pour  Liverpool,  cet  autre  monde  fié- 
vreux des  affaires,  où  la  vie  est  à la  plus  haute  pression.  Et 
cependant,  il  y a là  de  ces  commerçants  surmenés  qui  trou- 
vent encore  le  moyen  de  consacrer  à l’évangélisation  de  leur 
argent,  de  leur  repos  et  même  de  leur  temps.  C’est  là  qu’était 
M.  Radcliffe,  de  mémoire  bénie,  et  maintenant  dans  la  gloire, 
et  c’est  là  que  ses  fils,  chacun  sous  sa  responsabilité,  poursui- 
vent son  œuvre  d'évangélisation.  Ce  qui  me  frappe  à Liver- 
pool, c’est  l’individualisme  presque  exagéré.  On  travaille 
beaucoup,  mais  chacun  séparément.  Peu  de  cohésion,  peu  de 
solidarité.  C’est,  sans  contredit,  un  développement  extraordi- 
naire de  forces  et  d’activité;  mais  c’est  aussi  le  danger  d’émiet- 
ter les  ressources,  de  restreindre  les  horizons,  et  de  resserrer 
le  cœur. 

J’ai  eu  des  joies  à Liverpool.  J’y  rencontrais  des  frères  et 
des  amis  qui  ne  m’étaient  connus  que  par  la  correspondance  ; 
je  m’y  retrouvais  surtout  avec  Hudson  Taylor,  un  de  ces  « vail- 
lants » du  roi  « dont  la  louange  est  dans  toutes  les  Églises». 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


557 


Et  non  sans  raison,  car  près  de  lui  on  se  sent  avec  un  homme 
qui  marche  et  qui  vit  avec  Dieu.  Toujours  le  même,  au  salon 
comme  sur  l’estrade  des  réunions,  calme,  serein,  simple, 
et  toujours  puissant,  il  vous  rappelle  instinctivement  les  pa- 
roles du  Sauveur  : « Celui  qui  croit  en  moi,  des  fleuves  d’eau 
vive  couleront  de  son  sein  ».  Gardons-nous  bien  du  culte  de 
l’homme  : nous  ne  pouvons  pourtant  pas  nous  empêcher 
d’honorer  celui  que  le  Roi  honore,  et  en  qui  brille  la  grâce  de 
Dieu  d’une  manière  si  peu  commune. 

Là  aussi,  je  fus  mis  en  rapport  avec  un  autre  homme  dont 
je  désirais  ardemment,  et  depuis  longtemps,  voir  le  visage  : 
c’est  l’évêque  anglican  de  Liverpool,  le  docteur  Ryle.  Quand 
il  prêchait  sur  le  froment  et  la  paille,  quelque  part  en  An- 
gleterre, il  y a quarante-cinq  ans,  il  se  doutait  fort  peu  que 
les  échos  de  ses  appels,  sous  la  forme  d’un  petit  traité  fran- 
çais, iraient  loin,  et  dans  un  vallon  du  Jura  réveiller  la  cons- 
cience d’un  jeune  homme  figé  dans  la  religiosité  et  la  propre 
justice,  et  l’amèneraient  aux  pieds  du  Sauveur.  J’étais  alors  à 
Glay.  Lui  est  maintenant  un  vieillard  octogénaire. 

Ayant  entendu  parler  de  moi,  il  m’invita  à l’aller  voir.  La 
simplicité  et  l’humilité  sont  les  plus  beaux  ornements  du 
chrétien;  tout  le  reste,  après  tout,  n’est  qu’accessoire.  Nous 
causâmes,  nous  nous  mîmes  à genoux;  il  me  bénit,  marqua 
sur  son  portrait,  qu’il  me  donna:  Jean  X1Y,  1-3,  et  me  dit  en 
partant  : « C’est  si  bon  de  penser  que  nous  allons  là  où  il  n’y 
a plus  de  séparation  ! » Et  de  tout  mon  cœur  je  dis  : Amen  ! 

A Bristol,  cette  belle  ville  où  abondent  les  Églises,  cette 
c<  ville  de  saints  »,  je  vis  aussi  et  j’entendis  un  autre  homme 
de  Dieu,  George  Muller,  dont  les  expériences  ont  fortifié  et 
stimulé  tant  de  chrétiens  et  d’ouvriers  du  Seigneur.  Je  visitai 
ces  cinq  vastes  établissements  où  la  pensée,  frappée  d’éton- 
nement, voudrait  inscrire  sur  le  frontispice  de  chacun  ce  que 
Hudson  Taylor  a fait  graver  sur  le  portique  de  la  Maison  de 
la  mission  de  la  Chine  intérieure  : « Ayez  la  foi  en  Dieu  ! » 
Que  c’estbeaul  Que  c’est  grand!  Quelle  puissance  que  la  foi!... 

En  entendant  un  homme  comme  George  Muller  paraphra- 


558* 


JOURNAL  DES-  MISSIONS-  ÉVANGÉLIQUES 


ser  un  épisode  de  l’histoire  d’Élie,  je  ne  pus  me  défendre 
d’un  sentiment  de  désappointement.  Je  me  disais-:  « Vrai- 
ment, il  n’est  pas  nécessaire  d’être  George  Muller  pour  dire 
cela  ; tout  autre; pourrait  dire  mieux..»,1  Mais, .simples  comme 
elles  étaient,  elles  avaient  une  puissance  irrésistible.  Et  quand 
je  regardais  le  visage  vénérable  de  ce  saint  homme,  quelque 
chose  me  subjuguait.  C'était  comme  Moïse  descendant  de  la 
montagne,  réflétant  la  gloire  de  Dieu!  Tant  il  est  vrai  que  ce 
qu’il  y a de  réel  en  nous,,  c’est  moins  ce  que  nous  disons:  que 
ce  que  nous  sommes.  Après:  tout,  marcher  avec  Dieu,  de- 
meurer en  Jésus,  vivre  de  sa  vie,  tout  est  là  : le  pardon,  la 
sanctification,  la  puissance. 

Je  fis  là  une  curieuse  expérience,  qui  fait  contraste  avec 
celles- que  je  viens  de  raconter,  et  avec  d’autres- dont  je  ne 
dis-  rien.  Des  amis  avaient  mis  tant  d’insistance  pour  que 
j’allasse  voir  un  de  ces- hommes  éminents  qui;  appartiennent 
moins  à une  dénomination  qu’à  l’Église  tout  entière,  que  je 
cédai.  C’est  contre  mes  principes,  et,  par  une  erreur  assez: 
singulière,  je  n’avais  pas  d’introductiou  directe^ 

IL  va  sans  dire  que- je  fus  reçu  avec  la  plus: grande:  cordia- 
lité. Nous-  causâmes  de  l’œuvre  de  Dieu  en  général  et  de  notre 
mission,  en  particulier.  Puisse  digne  homme,  un  peu  embar- 
rassé, fouilla  ses-  poches  et  me  dit  : « Voici  quelques:  shillings 
pour  votre  mission.  » Je  rougis.  Évidemment,  il  me  prenait 
pour  un  collecteur.  Je  lui  dis  qu’il  se  trompait,  et,  comme  le 
feu  lord  Shafteshury  dans  une  circonstance  semblable,  sa  fi- 
gure s’illumina;  il. me  dit  qu’ü  était  heureux  de  l’apprendre 
et  me  promit  son:  concours  pour  des  réunions  ultérieures. 
Déplorable  métier  qne  celui  de.  collecteur!  J’aimerais  mieux;, 
je  crois,  casser  des  pierres-,  Ne  risquons-nous  pas  ainsi  de 
mettre  au  premier  plan  la  question,  d’argent,  et.  de  nous  peu- 
ver  d’un  intérêt  plus  permanent  et  d’une  coopération  plus 
personnelle  et  plus  effective? 

Enfin,  à Londres,  j’eus  la  jouissance  d’assister  à des  confé- 
rences sur  la  seconda  venue  du  Sauveur.  A en  juger  par  le 
silence:  général  qui  se  fait  sur  ce  sujet,,  on  pourrait  se  deman- 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS.  ÉVANGÉLIQUES-  DE  PARIS 


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der  si  nous  croyons  véritablement  ce  que  nous  disons  :«  11 
est  monté  au  ciel  d’où  II  reviendra, .. 

J'entendais  un  jour  un  pasteur  faire  la  remarque  qu’il  n’a- 
vait jamais  prêché  sur  un  sujet  pareil..  « Nous  ne  prêchons 
que  l'Évangile,  nous.. « Quel  Évangile!  tronquaainsi  d’une,  mé- 
rité glorieuse  que  lesapôtres  prêchaient  et  qui  met  le  pécheur 
en  présence  d’un  Sauveur  réel,  et  vivant  I...  Pour  le  chrétien, 
quelle  source  inépuisable  de  joie  et  de  consolation!  Jésus  res- 
suscité et  glorifié-  dit. « Voici,  je  viens  bientôt!  » Rester 
muet,  c’est  de  l’indifférence.  Puissions-nous  répondre  avec, 
amour  et  adoration  : « Oui,  Seigneur  Jésus,,  viens  !... 

Si  j e m’arrêtais  ici,  1e.  but  de  ma  lettre  ne  serait  pas  atteint. 
J'ai  sur  le  cœur  de.  vous  dire  deux  mots  snr  notre  mission  du 
Zambèze.  Elle  nous  préoccupe,  et  vous  aussi. 

On  a peu  d’idée,  en  France,,  de  ce  qu’a  été  la  peste  bovine 
dans  cette  partie  de  l’Afrique.  Venue  apparemment  de  l’inté- 
rieur, elle  s’est  propagée  d’abord  par  le  g.rosr  gibier.  Les  na- 
tifs racontaient  avec  stupéfaction  comment,,  dans  leurs 
chasses  au  nord  du  Zambèze,  ils  avaient  trouvé  morts  dans, 
les  champs  des.  troupeaux  entiers  d’antilopes..  C'était  inexpli- 
cable. Le  fléau,  depuis  lors,  a balayé  le  pays,  du  Ma  Cbicou- 
lombœ  et  les  régions  zambéziennes.  du  Rorotsé.  Il  a.  sévi  en- 
suite dans  le  pays  des  Matébélés,  des  Béchuanas,,  dm 
Transvaal..  Si  bien  que  dans  tous  ces  pays,  naguère  si  riches 
en  troupeaux  de  gros  bétail,,  on  aurait  aujourd’hui  de  la 
peine  à;  trouver  de.  qmoi  monter  un  attelage.  Les  prix  en  sont 
décuplés  et  seraient,  inabordables  pour  nous.  Un  seul  attelage 
reviendrait,  m’assure-t-on,  à la  somme  d’au  moins  13,500, 
francs.  Aujourd’hui,  la  peste  poursuit  sa  marche  dévastatrice 
dans  l’État  libre  de  l’Orange.  Elle  menace,,  hélas  ! le  pays  des- 
Bassoutos  et. la  Colonie  du  Cap  elle-même. 

Le.  roulage  est  devenu  presque  impossible  de  Mafékeng  à 
Boulouwayo  et  revenait  dernièrement  à 2 fr.  50  le  kilogramme, 
250  francs  les  100  kilos.  Qn  se  sert  de  mulets*  qui  sont  très 
chers  et  sont,  de  plus,  dans  tous  ces  parages-là,  sujets  aux 


560 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


mêmes  maladies  que  les  chevaux.  On  utilise  aussi  les  ânes, 
mais  ils  sont  peu  satisfaisants  comme  bêtes  de  trait  pour  de 
longs  trajets,  dans  ces  contrées  de  sable  ou  de  bourbiers. 

Pour  le  Zambèze,  il  ne  saurait  être  question  de  roulage. 
Personne  ne  veut  y aller.  Depuis  un  an,  des  caisses  pour  la 
mission  se  sont  accumulées  à Palapye,  et  il  est  absolument 
impossible  de  les  expédier.  Ce  sont  là  des  renseignements 
que  me  donnait  ou  confirmait  un  de  nos  amis  qui  nous  sert 
d'agent,  qui  vient  de  Mafékeng  et  que  j'ai  vu  l'autre  jour  à 
Londres. 

Nous  sommes  ainsi  placés  en  présence  de  deux  grandes 
difficultés.  La  première,  c’est  l’approvisionnement  de  nos 
bien-aimés  frères  du  Zambèze.  Notre  digne  ami,  M.  Bertrand, 
de  Genève,  s’en  est  ému,  et  avec  lui  plusieurs  dames  de  cette 
ville.  Ces  amis  ont  immédiatement  mis  à notre  disposition  la 
somme  de  2,500  francs,  pour  couvrir  les  frais  de  transport 
aussi  bien  que  l’achat  de  provisions  et  de  conserves  en  boîtes. 
L’achât  est  tout  ce  qu’il  y a de  plus  facile,  mais  l’expédi- 
tion!... Comme  je  viens  de  le  montrer,  la  route  de  Mafékeng 
est,  pour  le  moment,  barrée.  Celle  de  l’Est,  dont  plusieurs 
s’informent,  n’existe  pas.  Le  Zambèze,  interrompu  de  Kazun- 
gula  jusqu’au  Zumbo  par  des  cataractes  et  des  rapides,  n’est 
pas  navigable.  Il  ne  nous  reste  donc  que  celle  de  l’Ouest,  par 
Benguella  et  le  Bihé.  Là,  les  droits  de  douane  sont  très  oné- 
reux, et  le  service  des  porteurs  difficile,  parfois  chanceux  et 
toujours  dispendieux.  Mais  nous  n’avons  pas  le  choix.  C’est 
la  seule  route  qui  nous  reste,  pour  le  présent , je  souligne... 
Nous  avons  déjà  fait  des  démarches  préliminaires  qui  abou- 
tiront, nous  l’espérons. 

L’autre  difficulté,  c’est  celle  des  hommes.  La  mission,  af- 
faiblie par  l’absence  de  M.  et  madame  L.  Jalla  et  la  mienne, 
par  la  maladie  de  M.  Davit  et  par  la  mort  de  notre  cher  frère 
Goy,  doit  être  secourue  sans  délai.  Nous  avons  les  hommes  : 
M.  et  madame  Mercier,  au  Lessouto,  M.  Coïssonet  sa  fiancée, 
en  Piémont,  n’attendent  que  la  signature  de  leur  feuille  de 
route.  Et  c'est  là,  je  vous  assure,  un  peu  plus  qu’un  trait  de 


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561 


plume.  Nous  pouvons  les  expédier  en  mars  ou  avril  avec  des 
attelages  d’ânes,  si  peu  satisfaisants  qu’ils  soient,  à condi- 
tion qu’ils  se  contentent  de  fort  peu  de  bagages,  et  que  vous- 
mêmes,  nos  amis  et  nos  collaborateurs,  vous  ne  reculiez  pas 
devant  un  grand  effort  à faire!  Voulez-vous  le  faire?  et  le 
faire  sans  délai?...  M.  Coïsson  et  sa  future  compagne  rejoin- 
draient M.  et  madame  Mercier  au  Lessouto  ou  au  terminus 
du  chemin  de  fer;  nous  ferions,  avec  la  maison  Whiteley, 
Walker  et  G0,  tous  les  arrangements  nécessaires  pour  que  ce 
voyage  soit  organisé  aussi  bien  que  possible.  C'est  le  cas 
d’une  garnison  assiégée  qu'il  est  urgent  de  secourir  à tout 
prix.  Sans  parler  de  notre  chère  sœur  madame  Goy  (et  de 
madame  Buckenham),  qu’il  faut  ramener  dans  la  vie  civili- 
sée. Si  vous  êtes  avec  nous,  nous  pouvons  le  faire.  Et  cer- 
tainement vous  êtes  avec  nous.  Dites-le  nous,  montrez-le 
nous. 

A ce  sombre  nuage,  je  voudrais  vous  montrer  une  bordure 
d’argent.  La  voici  : 

Et  d’abord,  chers  amis,  n’êtes-vous  pas  frappés  comme 
nous  des  encouragements  que  Dieu  nous  a déjà  donnés?  Les 
recettes  du  Zambèze  à ce  jour  ne  sont  pas  du  tout  les  recettes 
ordinaires.  C’est  bien  pour  contribuer  à l’envoi  des  15  que  le 
don  spécial  de  25,000  francs  a été  fait,  et  ce  don,  quoiqu’il 
soit  placé  sous  la  rubrique  de  Londres,  n’est  pas,  — je  tiens  à 
le  dire,  — entièrement  étranger  à la  France. 

Si  nous  avons  souffert  et  gémi  ensemble  aux  jours  sombres 
de  l’épreuve,  et  si  nous  partageons  ensemble  les  préoccupa- 
tions et  les  soucis  de  la  situation  actuelle,  bénissons  aussi  en- 
semble le  Seigneur  de  ce  qu’il  fait  et  veut  encore  faire  pour 
étayer  notre  faible  foi. 

Pourquoi  ne  mettrait-il  pas  au  cœur  de  tous  ses  économes 
d’ouvrir  joyeusement  les  trésors  qu’il  leur  a confiés!  Que  ce 
serait  beau,  si  une  étincelle  d’enthousiasme  pouvait  passer 
par  nos  Eglises,  — si  nous  tous , oui,  « tous,  nous  pouvions 
être  entraînés  par  le  cœur  et  animés  de  bonne  volonté!...  » 
De  telle  sorte  que  ceux  qui  font  le  service  du  sanctuaire  se- 

40 


56-2 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


raient  obligés  de  dire:  « On  apporte  plus  qu’il  ne  faut!  ». 
Ex..  35  et  36. 

Et  puis,  au  mois  de  février  1897,  mars  au  plus  tard,  le  che- 
min de  fer  sera  ouvert  au  trafic  jusqu’à  Palapye,  de  sorte  que 
nos  amis  n’auront  plus  que  500  kilomètres  de  désert  à traver- 
ser. C’est  ce  qui  justifie  l’emploi  des  ânes.  On  espère  qu'à  la 
fin  de  la  même  année,  cette  même  grande  ligne  du  Cap  sera 
ouverte  jusqu’à  Boulouwayo.  Pensez -donc,  comme  cela  va 
nous  rapprocher  du  Zambèze! 

Mais  Boulouwayo  ne  sera  que  le  terminus  d'une  étape. 
L’immense  artère  ferrée  sera,  de  nécessité,  poussée  vers  le 
nord,  jusqu’à  Salisbury,  le  poste  de  la  civilisation  le  plus 
avancé.  Et  Salisbury  même,  par  une  ligne  déjà  en  partie  cons- 
truite, sera  mis  en  communication  avec  l'Océan  Indien  au 
port  de  Beira.  Quels  changements  ! quels  progrès  ! Dans  ce 
monde,  c’est  vrai,  le  ma!  est  toujours  mêlé  au  bien;  mais  le 
bien  l'est  aussi  quelquefois  au  mal.  Aussi,  tout  en  tremblant 
devant  le  flot  de  l’immigration  européenne  qui  monte  si  ra- 
pidement, nous  pouvons  nous  réjouir  de  ces  progrès  et  de 
ces  changements  qui  ouvrent  l'intérieur  à la  civilisation  et  à 
l'Évangile. 

Que  les  voies  de  Dieu  sont  admirables!  » L’homme  s’agite, 
mais  Dieu  le  mène.  » Ces  dernières  années,  fléaux  après  fléaux 
ont  désolé  ces  contrées  de  l’Afrique,  les  événements  se  sont 
précipités,  les  révolutions  et  les  guerres  ont  jeté  partout  la 
confusion  et  l’in  sécurité,  et  l'on  se  demande  avec  stupeur  ce 
qui  va  suivre.  Mais  l’œil  de  Dieu  est  dans  ce  chaos,  et  ses  des- 
seins s’accomplissent.  Il  est  permis  à l'homme  de  foi  de  re- 
garder l’avenir  avec  calme  et  espérance.  Tout  ce  qui  nous 
paraît  actuellement  confusion  et  recul  peut  être  précisément 
ce  qui  va  préparer  le  chemin  du  Seigneur  et  aplanir  ses 
sentiers.  Le  vice  radical  des  populations  indigènes,  c’est 
la  paresse.  Maintenant  appauvries,  elles  apprendront  for- 
cément à travailler.  Les  efforts  étonnants  qui  ont  déjà 
été  faits  sont  la  garantie  de  ceux  qu’on  tentera  encore 
pour  utiliser  les  forces  latentes  et  exploiter  les  ressources 


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encore  si  peu  connues  de  l'Afrique.  Et  à nous,  chrétiens,  Dieu 
nous  inspirera  un  amour  plus  profond,  un  enthousiasme  plus 
vrai,  un  dévouement  plus  entier,  des  sacrifices  plus  réels,  et 
une  activité  moins  intermittente  et  plus  sérieuse. 

F.  Coillard. 

27  novembre. 

P.  S.  — Nous  apprenons  par  nos  agents  qu’un  envoi,  — 
nécessairement  restreint,  — de  marchandises  et  de  provi- 
sions a pu  être  fait  de  Palapye  au  commencement  du  mois. 
Et  ils  nous  donnent  l’assurance  que,  par  des  sacrifices  im- 
posés parles  circonstances  et  acceptés,  ils  peuvent,  dès  main- 
tenant, préparer  et  faciliter  l’expédition  de  nos  amis  Mercier 
et  Coïsson. 

Nous  croyons  aussi  que,  tout  considéré,  c’est  là  la  voie  la 
plus  simple  et  la  plus  sûre  d’envoyer  à nos  frères  les  appro- 
visionnements de  leurs  amis. 

Bénissons  Dieu  ! 


MADAGASCAR 

La  visite  de  M.  Lauga  dans  le  Betsiléo.  — L’enseignement  du 
français  dans  les  écoles  malgaches.  — Projet  de  retour  de 
M.  Lauga. 

Nous  empruntons  les  lignes  qui  suivent  à une  lettre  parti- 
culière de  M.  Lauga.  Nous  croyons  que  nos  amis  ne  liront  pas 
sans  intérêt  quelques  détails  sur  cette  tournée  que  nous  vou- 
drions raconter  tout  au  long.  Mais  le  manque  de  place  nous 
force  à abréger.  La  lettre  est  datée  de  Fianarantsoa,  le 
1er  septembre. 

«...  A Ambositra,  nous  sommes  descendus  dans  la  belle 
maison  missionnaire  qui  s’y  trouve,  mais  qui  était  vide  de 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


ses  habitants.  M.  et  madame  Brockway  étaient  rentrés  depuis 
quelques  mois  et  définitivement  en  Angleterre,  après  trente- 
huit  ans  d’un  ministère  béni,  dont  nous  avons  pu  cons- 
tater les  résultats.  Leur  fils,  qui  les  aidait  depuis  cinq  ou 
six  ans,  et  devait  les  remplacer,  ayant  été  pris,  à la  suite 
des  événements  d’Antsirabé,  d’un  accès  d’aliénation  mentale, 
a été  obligé  d’aller  se  reposer  quelque  temps  au  Gap.  La  do- 
mesticité de  la  maison,  prévenue,  je  ne  sais  trop  comment, 
de  notre  passage,  nous  attendait  toutes  voiles  dehors,  et 
nous  avons  passé,  dans  cette  demeure,  où  se  voyaient  les 
traces  du  départ  précipité  des  maîtres,  un  jour  et  deux  nuits 
bien  tranquilles.  Le  dimanche,  j’ai  naturellement  dû  payer 
de  ma  personne,  et  j’ai  prêché  le  matin  et  l’après-midi,  tra- 
duit par  le  docteur  Borchgrevinck,  dans  une  grande  église 
entièrement  pleine,  aux  deux  services,  c’est-à-dire  devant  au 
moins  mille  personnes. 

o ...  Le  lundi  matin,  à six  heures,  nous  repartions  avec 
cinq  miliciens  et  un  caporal  indigènes  que  le  sergent  Muller 
a absolument  voulu  nous  donner  comme  escorte.  La  précau- 
tion était  inutile,  car,  à quelques  heures  d’Ambositra,  nous 
entrions  dans  le  vrai  Betsiléo,  où  tout  est  parfaitement  calme. 
En  deux  jours,  et  en  traversant  des  montagnes  boisées  qui 
nous  reposaient  des  montagnes  dénudées  de  l’Émyrne,  nous 
avons  atteint  la  station  d’Ambohimasoa,  où  nous  avons  été 
reçus  par  toute  la  congrégation  luthérienne,  cinq  à six  cents 
personnes  au  moins,  conduite  par  M.  Joannès  Johnson,  notre 
hôte  ici,  et  M.  Haill,  le  missionnaire  anglais  de  l’endroit. 
C’est  à environ  deux  kilomètres  d’Ambohimasoa,  et  au  mo- 
ment où,  parvenant  au  sommet  d’une  montagne,  nous  décou- 
vrions, sur  la  hauteur  d’en  face,  la  jolie  petite  ville  qui  était 
notre  étape,  que  nous  avons  aperçu,  descendant  de  cette  hau- 
teur, un  long  cortège.  « Seraient-ce  des  Fahavalos?  » me  dit 
l’un  de  mes  compagnons  de  route...  Mais,  outre  que  nous 
nous  savions  en  pays  décidément  ami,  l'écho  nous  apporta 
bientôt  le  son  des  cantiques  que  cette  petite  armée  pacifique 
chantait  en  venant  à notre  rencontre.  Au  bout  d’un  quart 


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d’heure,  nous  les  avions  rejoints,  juste  au  bas  de  la  mon- 
tagne. Nous  descendons  de  nos  chevaux;  le  docteur  Borch- 
grevinck  nous  présente  aux  deux  missionnaires  et  aux  pas- 
teurs indigènes,  et,  prenant  la  tête  de  la  procession,  nous  ar- 
rivons bientôt  à l’église  luthérienne.  Là,  nouveaux  petits  dis- 
cours de  bienvenue;  après  quoi,  M.  Haill  nous  emmène  tous 
dans  sa  jolie  maison  dont  nous  allons  tous  être  les  hôtes,  et 
nous  présente  à sa  jeune  et  charmante  femme,  débarquée  à 
Madagascar  depuis  cinq  semaines,  et  arrivée  dans  sa  station 
quinze  jours  avant  nous. 

« ...  Le  mercredi  matin,  à neuf  heures,  grande  réunion 
dans  l’église  luthérienne,  où  j’ai  parlé  avec  entrain,  traduit 
par  M.  Johnson,  au  district  duquel  appartient  cette  église. 
Après  mon  discours  a commencé  l’examen  de  «visitation  » 
du  surintendant  qui  m’a  beaucoup  intéressé;  examen  public 
de  tous  les  adultes  membres  de  l’Église,  puis  examen  des 
écoliers  de  tous  âges,  de  huit  à vingt  ans.  A quatre  heures, 
nouveau  service,  présidé  par  moi  dans  l’église  de  la  Société 
de  Londres,  avec  le  même  traducteur.  — Le  lendemain  jeudi, 
dès  quatre  heures  du  matin,  nous  étions  debout  pour  partir 
à cinq  heures  et  demie.  Après  cinq  heures  de  marche  assez 
rapide,  nous  avons  atteint  Alakamisi.  Là,  nous  nous  sommes 
séparés  des  Borchgrevinck  qui  allaient  à l’ouest,  droit  à La- 
languina,  où  je  devais,  avec  M.  Johnson,  les  rejoindre  le  len- 
demain, et  nous  avons,  nous,  filé  sur  Fianarantsoa,  où  nous 
sommes  arrivés  à cinq  heures  du  soir.  Tous  les  missionnaires 
anglais  sont  venus  à ma  rencontre  à environ  deux  kilomètres 
de  la  ville. 

«...  Nous  nous  sommes  dirigés  vers  la  maison  de  M.  John- 
son, qui  devait  être  notre  hôte  pendant  les  huit  premiers 
jours.  Quelles  aimables  et  cordiales  familles  que  ces  familles 
norwégiennes  au  milieu  desquelles  nous  vivons  ! Les  Johnson, 
plus  particulièrement,  chez  lesquels  nous  sommes,  m’ont 
conquis  le  cœur.  M.  Johnson  (Joannès),  — car  il  y a un  mis- 
sionnaire anglais  qui  s’appelle  aussi  Johnson,  — est  un 
homme  jeune  encore,  d’environ  trente-cinq  ans,  je  pense, 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


dont  le  visage  respire  l’intelligence  et  l’énergie,  sans  façon, 
plein  d’entrain.  11  est  évidemment  une  des  personnalités  mar- 
quantes de  la  mission  luthérienne,  et  sa  femme  est  la  digne 
compagne  d'un  tel  homme;  elle  m'a  aussi  gagné  le  cœur.  Ils 
ont  un  petit  garçon  de  cinq  ans  qu’ils  gâtent  un  peu,  — 
malgré  eux,  me  disent-ils,  — depuis  la  mort  d’un  autre  petit 
garçon  d’un  an  plus  jeune.... 

a ...  A Lalanguina,  grande  réunion  : l’église  est  trop  petite 
pour  contenir  les  treize  cents  auditeurs  qui  nous  y attendent, 
et  on  improvise  un  temple  en  plein  air,  où,  pendant  une 
heure  (traduction  comprise),  je  fais  les  frais  du  service.  Après 
le  service,  examen  de  a visitation  »,  puis,  à quatre  heures  et 
demie,  départ  pour  chez  le  prince...  — son  nom  m'échappe, 
— le  premier  descendant  de  la  famille  royale  du  Betsiléo  ; 
magnifique  homme  qui  nous  attendait  à dîner.  Douze  plats! 
musique  tout  le  temps  du  repas;  orchestre  très  rudimentaire 
et  très  malgache  qui  m’avait  reçu  avec  la  Marseillaise , et 
chœur  d’hommes  et  de  femmes,  chantant  des  chansons  du 
crû.  Le  susdit  prince  m’a  porté  un  toast  charmant  (sans  vin), 
m’exprimant  la  joie  de  voir  de  ses  yeux  un  pasteur  protes- 
tant français.  A six  heures  et  demie,  nous  nous  remettions  en 
route  pour  arriver  ici,  à Fianarantsoa,  en  pleine  nuit,  à neuf 
heures.  Samedi,  visites  officielles,  puis  aux  missionnaires  an- 
glais, au  séminaire  norwégien,  qu’on  va  inaugurer  dans  huit 
jours.  Dimanche,  c’est-à-dire  hier,  j’ai  présidé  le  service 
du  matin  à l’Église  luthérienne,  et  celui  de  l’après-midi,  à 
celle  de  la  Société  de  Londres.  Grands  auditoires,  en  parti- 
culier chez  les  Anglais,  où  il  y avait  au  moins  quinze  cents 
personnes. 

« ...  Ma  présence  ici  était  ardemment  désirée  par  tous,  et 
j’ai  bien  fait  de  venir  : c’était  bien  le  devoir.  Le  Betsiléo  est, 
plus  encore  que  l’Émyrne,  la  citadelle  des  jésuites,  qui 
mènent  contre  les  protestants  une  ardente  campagne...  Mais 
quel  programme  tous  ces  amis  m’ont  tracé  !!!  Pire  encore  que 
celui  de  nos  visites  dans  l'Émyrne.  Comme  je  ne  peux  leur 
donner  que  quinze  jours,  le  docteur  Borchgrevinck,m’emme- 


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nant  avec  lui,  dans  l’ouest,  iis  ont  fait  les  bouchées  doubles. 
D’ici  au  14  septembre,  tous  les  jours,  j’ai  un  ou  deux  services 
à trois,  à quatre  et  cinq  heures  de  route,  ce  qui,  avec  le  retour, 
quand  nous  rentrons,  c’est-à-dire  une  fois  sur  deux,  fera 
huit  et  dix  heures  de  cheval.  J’en  suis  essoufflé  à l’avance, 
mais  impossible  de  se  dérober...  Je  ne  me  sens  d’ailleurs  nul- 
lement fatigué  par  ces  longs  voyages  à cheval,  et  je  suis  très 
dispos  de  corps  et  de  cœur...  » 

Dans  une  lettre  plus  récente,  M.  Lauga  résume  ainsi  ses 
impressions  sur  sa  tournée  au  Betsiléo  : 

. « ...  J’aurais  beaucoup  à dire  sur  mon  voyage  et  ma  visite 
de  l’œuvre  norwégienne.  Je  me  suis  beaucoup  attaché  à cette 
œuvre  et  à ses  ouvriers  : par  exemple,  ceux  qui  avaient 
accusé  les  missionnaires  anglais  d’abuser  de  nous,  m’ont 
fourni,  — il  est  vrai  que  j’étais  seul,  — m’ont  fourni  une 
activité  encore  plus  fiévreuse;  mais  je  ne  m’en  plains  pas, 
puisqu’aussi  bien,  sauf  un  peu  de  fatigue  morale,  je  suis 
tout  à fait  bien.  Je  me  suis  beaucoup  lié  avec  le  docteur 
Borchgrevinck,  cet  homme  paisible,  bon,  d’un  jugement  si 
sain  et  d’un  .esprit  si  large.  J’ai  formé  avec  l’un  de  leurs 
meilleurs  missionnaires,  celui  qui  sera  sans  doute  le  surin- 
tendant, l’année  prochaine,  M.  Johnson  de  Fianarantsoa,  une 
véritable  et  solide  amitié.  Bref,  je  suis  heureux  que  Dieu 
m'ait  permis  ce  voyage,  où  il  m’a  si  évidemment  gardé  et 
qui  m’a  permis  d<e  connaître  l’œuvre  de  nos  frères  luthé- 
riens et  celle  de  la  Société  de  Londres  du  Betsiléo,  qui  me 
paraît  supérieure  à celle  de  l'Emyrne.  » 

Dans  une  lettre  postérieure,  datée  du  9 octobre,  M.  Lauga, 
après  avoir  parlé  de  sa  rencontre  avec  M.  Escande,  s’ex- 
prime comme  suit  au  sujet  des  arrêtés  administratifs  réglant 
l’introduction  du  français  dans  les  écoles  malgaches  : 

k L’obligation  d’enseigner  le  français,  même  dans  les 
écoles  de  campagne,  va  être  publiée,  paraît- il,  dans  Y Officiel 
de  demain.  C’est  un  nouveau  coup  des  jésuites,  qui  contour- 
neront l’arrêté  en  appelant  leurs  écoles  « Écoles  françaises  », 


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— ce  qui,  sauf  pour  la  capitale,  est  une  duperie,  — et  se 
contenteront  de  cette  enseigne  trompeuse  pour  faire  fermer 
des  écoles  rivales,  seules  peuplées  d’enfants  qu'ils  comptent 
bien  absorber. 

La  vérité  est  que,  depuis  notre  arrivée  ici,  les  missionnaires 
anglais  et  norwégiens  ont  fait  un  immense  effort  pour  enseigner 
le  français  dans  toutes  les  écoles.  Si  seulement  on  veut  être 
équitable,  nous  pouvons  être  tranquilles,  car  l’effort  en  ce 
sens  n’existe  que  chez  les  protestants.  Si  on  est  simplement 
impartial,  et  si  on  exige  des  instituteurs  des  garanties  sé- 
rieuses, dans  un  an  la  victoire  sera  à nous  sur  ce  terrain,  où 
les  missionnaires  protestants,  quelle  que  soit  leur  nationalité, 
défient  toute  concurrence.  Mais  si  on  se  contente  de  l'enseigne 
fallacieuse  « d’École  française  » sans  exiger  l’enseignement 
réel,  effectif,  du  français,  alors  la  jeunesse,  c’est-à-dire 
l’avenir,  nous  échappera.  Ce  qui  est  certain,  c’est  que  depuis 
que  nous  sommes  ici  nous  avons  fait  tout  ce  qui  est  humaine- 
ment possible  de  faire  pour  pousser  à V étude  du  français , aidés 
dans  nos  efforts  patriotiques  par  les  missionnaires  qui , ayant 
tous  accepté  loyalement  le  régime  français , ont  tout  fait 
pour  nous  donner  satisfaction.  Deux  de  nos  compatriotes,  en 
position  de  bien  voir,  m’ont  dit  qu’ils  avaient  été  humiliés,  en 
tant  que  Français,  de  comparer  les  écoles  catholiques,  soi- 
disant  françaises,  avec  les  écoles  protestantes,  et  cela,  à tous 
les  points  de  vue.  L’un  de  ces  messieurs  me  disait  qu’à  Am- 
bositra,  pas  un  enfant  de  l’école  catholique,  horriblement 
mal  tenue,  n’a  pu  lui  dire  un  mot  de  français,  tandis  qu’à 
l’école  de  la  mission  anglaise  on  lui  a récité  et  chanté  du 
français,  et  que  plusieurs  enfants  lui  avaient  dit  quelques 
mots.  Et  les  choses  sont  ainsi  partout.  Est-ce  étonnant  quand 
on  connaît  les  jésuites  et  quand  on  sait  quels  amis  a en  eux 
l’instruction  des  enfants  U!  Je  répète  que  cela  est  absolument 
vrai  partout,  hormis  dans  la  capitale,  où  je  crois  qu’on  fait  un 
peu  mieux.  » 

En  terminant  sa  lettre,  M.  Lauga  expose  ses  projets  de 


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569 


retour.  Il  comptait  pouvoir  s’embarquer  à Tamatave  soit 
le  18  novembre,  soit  le  3 décembre.  Nous  ne  savons  encore  à 
quelle  décision  il  se  sera  arrêté.  Sa  santé,  d’ailleurs,  était 
bonne. 


TAÏTI  (J) 

NOUVELLES  DE  L’ÉCOLE  DE  PAPÉÉTÉ 


Nous  tenons  à ne  pas  laisser  se  terminer  l’année  sans  an- 
noncer diverses  nouvelles  concernant  nos  écoles  de  Taïti,  et 
que  nos  amis  apprendront  avec  intérêt. 

Pendant  les  dernières  vacances,  Mademoiselle  Barrier, 
belle-sœur  de  M.  Brunei,  est  partie  pour  Taïti,  appelée  par 
la  direction  des  écoles  de  Papéété  pour  y fonder  une  classe  de 
couture,  dont  le  besoin  se  faisait  depuis  longtemps  sentir. 

Mademoiselle  Barrier  ne  relève  pas  directement  du  Comité; 
celui-ci  n’en  a pas  moins  vu  avec  un  grand  intérêt  cette 
jeune  personne  accepter  l’appel  qui  lui  était  adressé  et  s’en 
aller  au  loin  donner  son  temps  et  ses  forces  à l’œuvre  sco- 
laire que  nous  poursuivons  à Taïti. 

Les  amis  dévoués  qui  se  consacrent  à cette  œuvre  ont 
réussi,  pendant  le  cours  de  cette  année,  à doter  d’une  nou- 
velle école  un  des  districts  éloignés  de  la  capitale  et  situé 


(1)  A notre  grand  regret,  nous  nous  voyons  obligés  de  renvoyer  au 
prochain  numéro  des  articles  concernant  nos  champs  de  mission,  no- 
tamment une  étude  de  M.  Dieterlen  sur  la  peste  bovine,  une  lettre  de 
M.  Marzolff,  une  lettre  de  M.  Brun,  etc. 


570 


JOURNAL  ©ES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


près  de  la  presqu’île  qui  réunit  les  deux  moitiés  de  Taïti.  L’é- 
cole de  Taravao,  dont  la  fondation  première  remonte  à 1895,. 
sera  un  nouveau  moyen  de  conserver  une  salutaire  influence 
sur  la  jeunesse  de  nos  églises.  La  direction  en  a été  confiée  à 
un  jeune  Taïtien,  formé  à notre  école  de  Papéété,  et  ses  dé- 
buts font  bien  augurer  de  la  suite  de  sa  carrière. 

Nos  frères  de  Taïti  ont  été  affligés,  il  y a quelques  mois, 
par  une  perte  bien  sensible.  Il  s’agit  d’une  jeune  fille,  Tehaavi 
a Tamahare  a Mato,  qui  a été  enlevée  dans  la  fleur  de  sa  jeu- 
nesse : elle  n’avait  que  21  ans.  Mais  depuis  environ  deux  ans, 
elle  avait  succédé  à Mademoiselle  Abry  à la  salle  d’asile  et, 
comme  cette  dernière,  elle  vient  d’entrer  prématurément  dans 
son  repos.  — « Elle  est  partie  heureuse,  écrit  M.  Yiénot,  et 
encourageant  sa  nombreuse  famille,  lui  demandant  de  ne  pas 
la  pleurer,  mais  plutôt  de  suivre  fidèlement  « celui  qui  est  le 
chemin, la  vérité  et  la  vie.  » Tehaavi,  grande  belle  jeune  fille, 
pure  indigène,  avait  réussi  non  seulement  à mériter,  mais  à 
obtenir  — ce  qui  est  plus  rare  — la  confiance  et  l’estime  de 
toute  la  population  de  Papéété,  largement  représentée  à ses 
obsèques...  Après  le  départ  pour  le  ciel  de  Marie  Abry,  celui 
pour  la  France  de  Madame  Pourésv,  de  Jeanne  Vernier, 
arrive  le  rappel  de  Tehaavi.  C’est  une  rude  secousse  pour  nos 
écoles,  et  les  jeunes  aides  que  nous  formons  sur  place  ne 
peuvent  suffire  à remplir  ces  vides,  ce  qui  oblige  Mademoi- 
selle Banzet  à prendre  une  trop  lourde  part  de  la  tâche  gé- 
nérale ..  » 

ILES  DE  LA  LOYAUTÉ 

Maré. 

Depuis  de  longs  mois,  nous  n’avons  rien  dit  de  la  lointaine 
mission  de  Maré.  Pourtant  ce  petit  roeher  de  corail  jeté  près 
de  la  Nouvelle-Calédonie,  au  milieu  de  l'Océan  polynésien, 
n’a  pas  moins  droit  que  tout  autre  de  nos  champs  de  travail 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 


571 


à la  sympathie  des  amis  des  Missions  et  au  bienveillant  in- 
térêt de  notre  Comité.  Que  si  même  notre  sollicitude  devait 
s’exercer  en  raison  directe  des  difficultés  d’un  poste  en  pays 
païen,  Maré  pourrait  presque  se  placer  en  tête  sur  notre 
liste  ! 

Si  nous  avons  gardé  le  silence  à son  sujet,  c’est  que  la 
situation  ne  s’était  pas  sensiblement  modifiée  depuis  le  petit 
résumé  que  nous  en  tracions  en  novembre  1894,  dans  ces 
mêmes  colonnes. 

A cette  époque,  M.  Lengereau,  fils  de  l’aumônier  de  Nou- 
méa, à qui  nous  aimons  rendre  ici,  à nouveau,  le  témoignage 
qu’il  avait  déployé  des  capacités  exceptionnelles  en  un  poste 
exceptionnellement  difficile,  M.  Lengereau  venait  de  quitter 
Maré  pour  un  congé  illimité,  et  le  gouvernement  français 
avait  décidé  que  le  poste  devenu  vacant  serait  occupé,  désor-  ' 
mais,  par  un  instituteur  de  carrière.  M.  et  Madame  Rousseau 
venaient  de  débuter  à Maré,  et  tout  nous  faisait  bien  augurer 
de  leurs  débuts.  Cet  espoir-là  n’a  pas  été  trompé,  et  les  lettres 
de  M.  Rousseau  nous  ont  apporté  des  détails  qui  fixeront  nos 
lecteurs  sur  l’état  politique  et  religieux  de  111e. 

Au  mois  de  janvier  dernier,  il  nous  annonçait  avec  joie  et 
la  fusion  des  deux  partis  longtemps  séparés  de  l’Église  protes- 
tante à Maré,  et  l’amélioration  des  rapports  avec  les  autorités 
représentées  par  le  résident,  homme  droit,  impartial,  cou- 
rageux, qui  a rendu,  dit-il,  « hautement  justice  aux  amis  de 
la  Brousse  »,  c’est-à-dire  à la  faction  la  plus  vivante  et  la 
moins  nombreuse  de  notre  Église.  Mais  à côté  de  cette  double 
cause  de  satisfaction,  il  y avait  une  lourde  inquiétude;  et, 
quelques  mois  pins  tard,  une  nouvelle  lettre  de  M.  Rousseau 
nous  confirmait  ce  réveil  du  paganisme  que  sa  première 
nous  signalait  avee  angoisse.  En  effet,  la  corruption  grandit 
à Maré,  surtout  parmi  les  jeunes  : sous  le  couvert  de  fêtes 
religieuses  où  l’on  chante  des  cantiques,  où  l’on  écoute  des 
paroles  de  l’Évangile,  où  l’on  collecte  pour  les  Missions,  on 
voit  reparaître  des  coutumes  dont  l’esprit  est  plus  païen  que 
chrétien  et  dont  la  convenance  est  presque  contestable.  Trop 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


naïfs,  les  Natas  (1)  se  réjouissent,  parce  que  ces  représenta- 
tions théâtrales  mettent  en  scène  David  et  Goliath  ou  tels 
autres  héros  bibliques  et  ramènent  au  temple  où  elles  ont 
lieu  tel  ivrogne,  tel  débauché  qui  n'y  reparaissait  plus  depuis 
longtemps. 

En  face  de  cet  état  de  choses,  urgent  est  l’envoi  d’un 
homme  à Maré  ; deux  fois  urgent  si  l’on  se  rappelle  que  les 
prêtres  maristes  sont  là  toujours  prêts  à profiter  du  désarroi 
pour  étendre  leur  influence,  quand  ils  ne  fomentent  pas 
eux-mêmes  des  agitations  et  des  difficultés. 

Urgent  l’envoi  de  ce  Français,  appelé  par  les  missionnaires 
des  autres  îles  Loyalty,  émus,  comme  ceux  de  Madagascar, 
à la  pensée  de  laisser  sans  conducteurs  des  troupeaux  qu’ils 
ont  longtemps  protégés.  Et  comment  ne  pas  transcrire  ici 
quelques  mots  au  moins  glanés  parmi  les  appels  des  indi- 
gènes qui  nous  ont  été  transmis  par  M.  Lengereau  père,  et 
que  nous  avons  sous  les  yeux  : 

« J’ai  besoin  d’un  catéchisme  protestant  pour  mes  enfants; 
je  vous  prie  de  me  l’envoyer.  J’ai  besoin  que  quelqu’un  vienne 
dans  ma  tribu  àKaora,  pour  instruire  les  enfants  et  puis  pour 
veiller  sur  eux,  sur  ma  femme  et  les  autres,  pour  qu’ils  se 
conduisent  toujours  bien.  » Votre  serviteur,  Jules  Gagéno. 

Et  encore  : 

« Nous,  des  tribus  de  Hanaïlou  et  Marma,  avons  l’hon- 
neur de  vous  faire  savoir  que  les  grands  chefs  Mindjia,  Baro, 
etc.,  etc.,  désirent  vivement  la  création  de  deux  écoles  dans 
leurs  villages,  etc.  » Les  chefs  déclarent  qu’ils  se  charge- 
raient de  donner  les  locaux  nécessaires  pour  l’installation  dos 
écoles  et  le  logement  des  instituteurs,  etc. 

On  le  voit,  il  faut  absolument  un  homme  pour  Maré  ; mais, 
ainsi  que  nous  l’avons  déjà  répété  de  temps  en  temps,  avec 
tristesse  et  inquiétude,  cet  homme  est  particulièrement  diffi- 
cile à trouver.  Avant  tout,  il  doit,  sauf  impossibilité  absolue, 
être  Français.  Ce  Français  doit  être  d’un  caractère  trempé 


(1)  Évangélistes  indigènes. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


573 


et  taillé  dans  l’étoffe  de  ceux  qui,  uniquement  soucieux  de 
l’approbation  de  Dieu,  peuvent  marcher  seuls  sans  être  ni 
abattus  par  les  difficultés,  ni  rebutés  par  la  malveillance. 
Pour  être  à la  hauteur  de  cette  tâche,  pour  nourrir  à la  fois 
les  uns  et  protéger  les  autres  de  la  contagion  du  mal  ; pour 
se  mouvoir  sans  faiblesses  et  sans  imprudences,  entre  les 
autorités  d’une  part  et  les  divers  partis  religieux  de  l’autre, 
cet  homme  doit,  en  un  mot,  être  revêtu  d’une  double  mesure 
de  l’Esprit  de  Dieu,  se  révélant  dans  sa  vie  par  une  sagesse 
clairvoyante,  digne  d’un  vrai  serviteur  de  Jésus-Christ. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


CHRONIQUE  DES  MISSIONS 

l’islam  EN  AFRIQUE.  — ESSAI  DE  L’ENTAMER  AU  SOUDAN  OCCIDENTAL.  — 
NOS  ESPÉRANCES  RESSUSCITERONT.  — OGBOPUTALUNAOZO.  — l’aSSOCIA- 
TION  HAOUSSA.  — SURS  DE  VAINCRE. 

Un  jour,  l’islam  poussa  son  verrou  entre  l’Europe  et  l’A- 
frique, que  la  Méditerranée  unit  plutôt  qu’elle  ne  les  sépare. 
Il  ne  serait  pas  difficile  de  montrer  que  toute  l’histoire  de 
l’Afrique,  en  tout  cas  celle  des  relations  de  l’Europe  avec  le 
massif  et  noir  continent,  est  déterminée  par  ce  fait.  Mais  com- 
ment l’islam  a-t-il  remplacé  le  christianisme  dans  l’Afrique 
du  Nord?  Là,  comme  ailleurs,  les  causes  des  grands  mouve- 
ments historiques  sont  complexes;  cependant,  dans  ce  cas 
particulier,  l’une  d’elles  se  dégage  aisément,  elle  parait  do- 
miner toutes  les  autres,  et  elle  nous  donne  une  leçon  bien  sé- 
rieuse : une  Église,  héroïque  à ses  débuts,  conquérante  d’a- 
bord, pleine  de  vitalité,  s’est  égarée,  — elle  ne  s’est  pas  en- 


574 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


dormie;  elle  faisait  beaucoup  de  bruit,  — et  « son  chandelier 
a été  ôté  de  sa  place  ». 

Donc,  au  lieu  du  christianisme,  c’est  l’islam  qui  règne  en 
Afrique,  entre  la  Méditerranée  et  l’équateur,  ou  à peu  près. 
Longtemps,  cet  islam  africain  a été  considéré  comme  impéné- 
trable, comme  réfractaire  au  christianisme.  Bien  des  gens, 
même  des  chrétiens,  paraît-il,  pensent  encore  ainsi.  Il  y a 
huit  ans  à peine  que,  dans  certains  cereles,  on  s’émut  de  l’in- 
dolence des  chrétiens  à l’égard  des  musulmans. 

Dès  1889,  le  jeune  et  vaillant  Wilmot  Brooke  (1)  a voulu 
entamer  de  front  le  domaine  du  croissant  au  Soudan  occiden- 
tal. C’est  le  seul  point  où  l’attaque  soit  possible;  au  Soudan 
oriental,  il  y a le  mahdisme,  et  le  Soudan  occidental,  ou  fran- 
çais, est  agité  par  des  guerres  incessantes.  Les  pionniers  de  la 
mission  chrétienne  au  Soudan  choisirent  comme  base  d’opé- 
ration Lokodja,  au  confluent  de  la  Bénoué  avec  le  Niger.  La 
jeunesse  et  les  grands  espoirs  les  rendaient  hardis.  Us  étaient 
une  demi-douzaine.  Un  an  après  la  fondation  de  la  mission, 
J. -A.  Robinson  demeurait  seul  au  poste.  Tous  les  autres 
avaient  dû  se  retirer  en  Europe  devant  la  fièvre.  C’était  en 
avril  1891.  Robinson  mourut  à Lokodja,  le  25  juin  de  la  même 
année  (2).  Peu  de  mois  après,  le  3 avril  1892,  Wilmot  Brooke, 
retourné  à Lokodja,  y succomba  à son  tour.  Dans  ses  papiers, 
on  trouva,  parmi  d’autres  notes,  les  suivantes  : « Si  je  meurs 
à Lokodja,  je  désire  être  enseveli  à côté  de  Robinson...  Il 
faudra  ensuite  reprendre  le  plus  rapidement  possible  les  tra- 
vaux réguliers  de  notre  mission...  11  importe  de  poursuivre 
l’évangélisation  de  bourgade  en  bourgade  dans  un  rayon 
d’environ  cinquante  kilomètres  autour  de  Lokodja  et  de 
Gbébé...  Dites  aux  chrétiens  qu’il  faut  travailler  tandis  qu’il 
est  jour  ; la  nuit  vient  où  personne  ne  peut  travailler  (3).  » 


(1)  Voir  le  Journal  des  Missions,  1890,  pp.  115  et  suiv.  ; 237  et  suiv., 
435  et  suiv.  ; 1891,  pp.  78  et  suiv.;  1892,  pp.  223  et  suiv. 

(2)  The  Church  Missionary  Intelligence r (Londres),  1892,  p.  360. 

(3)  The  Church  Missionary  Intelligençer  (Londres),  1892,  p.  456. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


575 


De  mars  1892  en  automne  1894,  il  n’y  eut  plus  à Lokodja 
que  deux  ou  trois  aides  indigènes.  L’entreprise  de  Wilmot 
Brooke  et  de  ses  amis  avait,  échoué.  « lin  échec  ne  prouve 
pas  toujours  qu’une  erreur  ait  été  commise  »,  avait  dit  l’or- 
gane des  missions  anglicanes  (1)  au  début  de  cette  œuvre 
dont  on  devinait  les  périls.  Et,  comme  exemple,  il  rappelait 
les  travaux  et  l’attente  déçue  de  Krapf  (2)  dans  l’Afrique 
orientale,  ainsi  que  les  paroles  de  cet  infatigable  mission- 
naire : a 11  se  peut  que  nos  espérances  les  plus  ardentes  soient 
mises  au  tombeau  ; comme  Lazare,  elles  ressusciteront,  et 
nos  yeux  verront  la  gloire  de  Dieu.  » Cela  s’est  accompli  au 
centre  de  l’Afrique  orientale,  etKrapfvécut  pour  l’apprendre. 
N’en  sera-t-il  pas  de  même  un  jour  au  Soudan  central  et  dans 
toute  l’Afrique  occidentale? 

Aussi  bien,  en  4893,  on  comptait  sur  l’expérience  et  l’é- 
nergie du  successeur  de  Crowther,  l’évêque  Hill(3).  Il  avait 
emmené  au  Niger  un  état-major  choisi  avec  soin.  Mais  les 
voies  de  Dieu  sont  parfois  bien  incompréhensibles.  Le  nouvel 
évêque  arriva  à Lagos  le  12  décembre  1893  ; le  5 janvier  sui- 
vant, il  mourut  de  la  fièvre  ; sa  femme  le  suivit  dans  la  tombe 
dès  le  lendemain;  le  révérend  E.-W.  Mathias  succomba  le 
17  janvier,  à Forcados,  et  le  révérend  A.-E.  Sealey,  à Warrie, 
le  21  du  même  mois.  Mademoiselle  Maxwell  avait  été  rembar- 
quée  pour  l’Europe  dès  le  13  janvier,  à la  hâte,  malade  de  la 
fièvre;  sa  compagne,  mademoiselle  Mansbridge,  fut  enlevée 
par  la  terrible  maladie  de  ces  côtes,  à Lagos,  le  23  jan- 
vier 1893. 

De  tout  l’entourage  de  l’évêque  Hill,  il  ne  restait  plus  que 
le  révérend  C.-E.  Watney,  qui  atteignit  Lokodja  en  automne 
1894  (4).  Les  indigènes  le  surnommèrent  Ogboputalunaozo,  ce 


(1)  The  Church  Missionary  Intelligencer  (Londres),  1890,  p.  2. 

(2)  De  1837  à 1843,  un  pionnier  évangélique  en  Abyssinie;  puis,  de 
1843  à 1833,  l’un  des  pionniers  de  la  mission  chrétienne  sur  la  côte  du 
Zanguebar.  Il  est  mort  en  novembre  1881. 

(3)  Voir  le  Journal  des  Missions,  1893,  p.  363. 

(4)  Proceedings  of  the  Church  Miss.  Society  (Londres,  1893),  p.  70. 


576 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


qui  signifie  « celui  qui  est  resté  lorsque  le  maître  a vendu 
tous  les  autres».  Mais,  dès  le  9 juin  1895,  lui  aussi  a été 
« vendu  » par  le  Maître.  Il  repose  dans  le  petit  enclos  de  la 
mission,  à Lokodja,  à côté  des  tombes  de  J. -A.  Robinson  et 
de  W.  Brooke.  Quatre  ans  auparavant,  au  printemps  1891, 
quand  il  s’était  offert  à la  mission  anglicane  et  qu’on  lui  pro- 
posa d'aller  au  Niger,  il  répondit,  après  mûre  réflexion,  qu’il 
était  prêt  à partir,  quoiqu’il  n’ignorât  pas  les  dangers  du  cli- 
mat ; qu’il  était  heureux  à la  pensée  de  s’en  remettre  à l’amour 
d’un  Guide  qui  ne  peut  pas  se  tromper;  que  partant,  il  lais- 
serait sa  vie  au  service  de  son  Dieu,  si  cela  était  nécessaire, 
considérant  dès  l’abord  comme  un  très  grand  honneur  d’ob- 
tenir une  place  au  premier  rang  de  l’armée  joyeusement  con- 
quérante, et  qu’il  prenait  la  solennelle  et  sérieuse  résolution 
de  dépenser  toutes  ses  forces  dans  cette  guerre  sainte  (1). 

Et  dire  qu’il  est  des  chrétiens  qui,  laborieusement,  cher- 
chent dans  un  passé  lointain  des  exemples  d’héroïsme  et  de 
foi!  Ont-ils  des  yeux  pour  ne  pas  voir?  N’est-ce  pas  aujour- 
d’hui que  des  apôtres  donnent  leur  vie  pour  l’amour  du  Christ 
et  s’écrient,  avec  Krapf,  que  les  victoires  de  l’Église  seront 
gagnées  par-dessus  leurs  tombes?  S’il  est  quelque  chose  d’é- 
trange et  d’inquiétant,  c’est  que  ce  saint  enthousiasme  n’é- 
meuve personne,  que  cette  contagion  sacrée  ne  gagne  per- 
sonne parmi  nous. 

Et  si  quelqu’un  pensait  que  ce  sont  là  des  sacrifices  insen- 
sés et  inutiles, je  répondrais,  avec  M.  Tugwell,  l’évêque  actuel 
du  Niger  : « Ces  hommes  ne  gaspillent  pas  leur  vie;  ils  ne  la 
perdent  pas.  C’est  une  gloire  pour  eux  que  de  la  donner. 
Gaspiller,  perdre  sa  vie,  c’est  vivre  et  mourir  peut-être  sans 
avoir  fait  un  seul  effort  pour  avancer  le  règne  de  notre  Sau- 
veur adorable  (2).  » 

Tout  de  même,  on  aurait  pu  craindre  un  recul,  temporaire 


(1)  The  Church  Missionary  Intelligence r (Londres),  1895,  p.  769. 

(2)  Proceedings  of  the  Church  Miss.  Society  (Londres,  1896),  p.  73. 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


577 


au  moins  après  tous  ces  deuils.  Il  n’en  est  rien.  L’impulsion 
donnée  à la  mission  du  Soudan  par  W.  Brooke  a été  trop 
forte.  Les  défaites  essuyées  ont  mis  en  relief  les  difficultés  de 
la  tâche.  On  n’a  pas  fermé  les  yeux.  On  n’a  pas  continué  à se 
lancer  contre  l’obstacle  dans  un  entraînement  superbe,  à l’a- 
venture, sous  prétexte  de  compter  sur  Dieu.  On  s’est  assis, 
comme  s’il  s’agissait  de  construire  la  tour  dont  parle  le 
Maître.  On  a réfléchi  en  même  temps  qu’on  a prié.  La  ques- 
tion a été  étudiée  dans  son  ensemble.  Sur  cette  voie,  on  a ob- 
tenu une  vue  plus  claire;  l’on  pourra  désormais  imprimer 
une  direction  plus  sure  à l’action  qui  va  être  engagée  comme 
à nouveau. 

L’évêque  Tugwell  a remonté  le  Niger  en  octobre  1895  et  a 
visité  le  nouvel  émir  de  Bida.  Ce  souverain  musulman  reçut 
aimablement  le  missionnaire  de  Jésus-Christ.  Il  ne  fit  aucune 
objection  contre  la  réouverture  de  la  station  de  Kipo-Hill, 
près  d’Eggân,  sur  le  Niger,  et  se  montra  très  désireux  de  col- 
laborer avec  l’évêque  contre  l’inondation  alcoolique  dont  le 
Soudan  est  menacé  (1). 

Quelques  mois  plus  tard,  en  avril  dernier,  M.  Tugwell, 
accompagné  du  missionnaire  L.-H.-W.  Nott,  un  ancien  offi- 
cier de  l’armée  anglaise,  s’est  aventuré  jusqu’à  Keffi.  Navi- 
guant sur  la  Bénoué,  ils  ont  atteint  en  trois  jours  Loko,  à 


(1)  The  Church  Missionary  Intelligence!'  (Londres),  1896,  pp.  186  et 
suiv.  — L’évêque  Tugwell  a été  entraîné  dans  une  polémique  de  jour- 
naux par  sa  protestation  contre  le  gouverneur,  sir  Gilbert  Carter,  à 
propos  de  l’importation  d’alcools  dans  le  Protectorat  du  Niger.  Suivant 
les  documents  officiels  du  Protectorat,  la  valeur  de  l’alcool  importé  en 
1893  était  de  3,250,000  francs;  elle  est  montée,  en  1894,  à 5 millions 
850,000  francs  ; cela  représente  118,686  hectolitres  d’alcools  introduits  dans 
le  pays.  Le  Kolonialblatt  de  Berlin  enregistre  11,491  hectolitres  d’eau-de- 
vie  (valeur,  685,000  francs)  importés  à Kaméroun.  — A elle  seule,  la 
ville  d’Abéokouta  a envoyé  à Londres  une  pétition  couverte  de  8,207  si- 
gnatures de  chrétiens,  de  musulmans  et  de  païens  contre  l’introduction 
d’alcools  dans  le  pays.  Soit  dit  en  passant,  ce  document  est  un  rouleau 
long  de  250  pieds  (76  mètres).  Les  chrétiens  ont  pris  l’initiative  de  ce 
mouvement  ( The  Church  Miss.  Intelligence!' ; Londres,  1896,  pp.  209 
et  227). 


41 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


quelque  cent  trente  kilomètres  de  Lokodja.  Puis,  se  dirigeant 
vers  le  nord,  ils  sont  arrivés,  le  8 avril,  à Naçarowa  (1)  .Ils  y 
visitèrent  une  école  arabe,  où,  comme  d'ordinaire,  les  enfants 
ânonnaient  des  versets  du  Coran  sans  comprendre  un  mot 
d’arabe.  M.  Nott  demanda  s’il  ne  vaudrait  pas  mieux  apprendre 
des  prières  dont  on  comprendrait  la  signification.  « Oh!  sans 
doute,  fut  la  réponse  fort  spécieuse;  mais  Dieu  comprend 
tout  de  même!  » Le  11,  les  missionnaires  entrèrent  à Keffi. 
Cent  cinquante  esclaves  y étaient  exposés  en  vente  sur  le 
marché.  Mais  personne  ne  molesta  les  deux  chrétiens.  Un 
mallam  ou  lettré  haoussa  leur  promit  même  de  traduire  de 
l’arabe  dans  sa  langue  les  Actes  des  Apôtres  et  l’épître  aux 
Romains.  En  somme,  cette  excursion  vers  les  bords  du  Soudan 
est  pleine  de  promesses. 

Le  frère  du  missionnaire  J. -A.  Robinson,  le  révérend  C.-H. 
Robinson,  a poussé  beaucoup  plus  loin  l’exploration  du  pays 
haoussa.  Entre  les  mois  d’août  1894  et  de  mai  1895,  M.  Ro- 
binson a circulé  dans  le  Soudan  occidental;  il  a fait  un  séjour 
prolongé  à Kano,  l’antique  capitale  haoussa,  à plus  de  cinq 
cents  kilomètres  au  nord  de  Lokodja,  à près  de  mille  kilo- 
mètres de  l’embouchure  du  Niger.  Il  estime  que  les  deux  tiers 
de  la  population  sont  encore  fétichistes,  et  que  l’islam,  imposé 
aux  Haoussa  au  commencement  de  ce  siècle,  lors  de  l’immi- 
gration des  Foulbé  (2),  n’est  guère  qu’un  vernis  léger. 

M.  Robinson  n’est  pas  missionnaire.  Il  veut  préparer  les 
voies  à la  mission.  C’est  le  côté  original  de  cette  stratégie 
chrétienne. 

Après  la  mort  de  J. -A.  Robinson,  quelques-uns  de  ses  amis 
formèrent,  en  souvenir  du  défunt,  qui  s’était  vivement  inté- 


(1)  Les  journaux  de  voyage  sont  publiés  par  le  Church  Miss.  Intel  li- 
gencer  (Londres),  1896,  pp.  590  et  suivantes. 

(2)  Appelés  Fellâni  au  Soudan,  ce  sont  les  Peuhls  du  Sénégal.  — 
Les  études  de  M.  Robinson  ont  été  consignées  dans  un  volume  qui  vient 
de  paraître  sous  le  titre  de  Hausaland  or  Fifteen  Hunclred  Miles  through 
the  Central  Soudan , chez  Sampson  Low  et  O,  à Londres  (1896). 


MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


579 


ressé  aux  Haoussa,  une  association  pour  l’étude  du  pays 
haoussa,  « avec  l’intention  de  favoriser  les  intérêts  supérieurs 
de  ces  peuples  et  de  traduire  en  leur  langue  les  Écritures  et 
d’autres  ouvrages  appropriés.  » Ces  termes  un  peu  vagues 
s'expliquent  par  le  fait  que  des  linguistes  comme  MM.  Max 
Muller,  Peile,  Robertson  Smith,  des  naturalistes  comme 
M.  Fr.  Galton,  des  négociants  comme  sir  George  Goldie  se 
sont  affiliés  à cette  association.  Il  y a là  des  questions  d'in- 
térêt général.  La  langue  haoussa  n’est  pas  un  dialecte  quel- 
conque, par  exemple;  elle  est  parlée  par  un  centième  de  la 
population  du  monde.  M.  Robinson  partit  comme  premier 
« étudiant»,  ou  explorateur  de  l’association  haoussa.  Il  vécut 
un  an  sur  les  frontières  de  la  Tunisie  pour  y apprendre  le 
haoussa.  Après  cela  seulement  il  alla  voyager  au  Soudan, 
capable  de  comprendre  les  habitants  et  de  se  faire  comprendre 
d'eux.  Comme  fruits  de  ce  voyage,  il  rapporte,  outre  des  ren- 
seignements variés  et  précis,  le  dictionnaire  haoussa  du  mis- 
sionnaire J. -F.  Schœn  (4),  soigneusement  révisé,  des  poésies 
et  autres  textes  haoussa,  les  évangiles  de  Jean  et  de  Luc,  tra- 
duits en  haoussa  par  des  lettrés  indigènes.  Il  conseille  aux 
missionnaires  d'aller  apprendre  le  haoussa  au  nord  de  l’A- 
frique, dans  un  climat  relativement  sain,  et  de  ne  se  rendre 
qu'ainsi  armés  au  Soudan,  par  la  voie  du  Niger.  Les  décès 
seront  moins  fréquents  parmi  les  missionnaires,  pense-t-il,» 
en  tous  cas,  ils  pourront  se  mettre  à l’œuvre  dès  leur  arrivée 
dans  le  pays. 

Le  jour  de  Pâques,  au  Soudan,  l'évêque  Tugwell  écrivait 
dans  son  carnet  : « Ici,  à la  porte  du  Soudan,  nous  venons  de 
célébrer  le  souvenir  de  là  résurrection  de  Celui  dont  nous 
souhaitons  de  proclamer  le  nom  dans  le  pays  tout  entier. 
Nous  avançons,  sûrs  de  n’être  pas  vaincus,  certains  de  la 
victoire  finale,  quoique  au  travers  de  défaites  peut-être.  Le 


(1)  Un  précurseur,  qui  avait  accompagné  en  1841  la  première  expédi- 
tion du  Niger,  et  a publié  une  grammaire  (1862)  et  un  dictionnaire 
haoussa  (1876).  11  est  mort  en  1889. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


Christ  est  ressuscité.  Le  Christ  règne.  Nous  sommes  ses 
ambassadeurs  (1).  » 

Voilà  la  foi  qui  conquiert  le  monde.  F.  H.  K. 


BULLETIN  MENSUEL  DES  MISSIONS 


EUROPE.  — Un  livre  utile.  — 11  y a six  ans,  deux 
pasteurs  m’ont  remercié  d’avoir  annoncé  dans  le  Journal  des 
Missions  (1890,  p.  319)  un  volume  des  plus  utiles  pour  qui- 
conque veut  parler  des  Missions  en  public.  Il  vient  de  paraître 
une  deuxième  édition  de  ce  livre  : Die  Mission  auf  der  Kanzel, 
ein  mission  s homiletisches  Hilfs-und  Handbuch,  par  J.  Hesse 
(Calw  et  Stuttgart,  1897,  446  pages  in  8°).  Même  ceux  qui 
possèdent  la  première  édition  feraient  bien  d’acquérir  la  se- 
conde, tant  le  travail  est  refondu,  renouvelé,  amélioré.  On  y 
trouve  : Des  conseils  pour  tenir  une  réunion  de  missions 
(pp.  7-58);  des  textes,  des  thèmes  et  des  dispositions  pour 
services  de  missions  (pp. 58-210);  des  cadres  liturgiques  (pp. 
211-245);  un  calendrier  des  principales  dates  de  l’histoire 
des  missions,  avec  renvoi  aux  sources  (pp.  246-281);  un  choix 
d'exemples  et  d’histoires  convenablement  groupés  (pp.  282- 
435);  enfin,  plusieurs  index  (pp.  436-446j.  Tous  les  pasteurs 
qui  savent  un  peu  d’allemand  devraient  avoir  et  constam- 
ment manier  cet  excellent  manuel. 

Missions  et  vacances.  — Du  29  septembre  au  1er  oc- 
tobre dernier,  on  a inauguré  à Freudenstadt,  sur  le  versant 
wurtembergeois  de  laForêt-Noire,  des  cours  publics  et  gratuits 
dans  lesquels  on  a présenté  aux  auditeurs  les  diverses  faces 
de  la  question  des  missions.  Divers  conférenciers  ont  exposé, 
l’un,  un  voyage  apostolique  autour  du  monde,  comme  intro- 


(1)  The  Church  Miss.  Intelligence r (Londres),  1896,  p.  591. 


BULLETIN  MENSUEL  DES  MISSIONS 


581 


duction  générale;  l'autre,  une  vue  d’ensemble  sur  les  travaux 
de  la  mission  de  Bâle;  d’autres,  l’histoire  des  divers  champs 
de  travail  des  missionnaires  bâlois  ; un  membre  du  Comité 
des  missions  de  Bâle  a montré  comment  opère  la  direction  de 
cette  Société;  enfin,  comme  couronnement,  il  a été  question 
de  la  science  des  missions  c’est-à-dire  de  la  théorie,  de  la 
méthode,  des  principes  et  de  la  connaissance  pratique  des 
missions.  Ceux  qui  avaient  organisé  cette  conférence  pasto- 
rale d’un  nouveau  genre  s’attendaient  à avoir  vingt  à vingt- 
cinq  auditeurs;  il  s’en  est  réuni  plus  de  cent.  Et  chaque 
soir  on  priait  avec  plus  d’ardeur:  « Que  ton  règne  vienne  ! (1)» 

Du  travail  pour  trois  ans.  — La  Société  anglicane 
des  missions  est,  de  toutes  les  Sociétés  de  ce  genre,  la  plus 
puissante.  Les  recettes  totales  de  son  97e  exercice,  clos  le 
31  mars  dernier,  se  sont  montées  à 7, 151 ,750  francs.  Elle  compte 
458  missionnaires,  dont  364  consacrés,  sans  compter  213  aides 
féminines.  Le  nombre  des  chrétiens  que  réunissent  ses  462 
stations  est  de  217,825,  y compris  24,151  catéchumènes;  sur 
ce  total  de  chrétiens,  il  y a 58,564  communiants.  Dans  ses 
2,130  écoles,  on  compte  88,205  élèves  (2). 

Dans  trois  ans,  le  12  avril  1899,  cette  Société  terminera  le 
premier  siècle  de  son  activité.  Pour  célébrer  dignement  cet 
anniversaire,  elle  propose  à ses  amis  de  jeter  un  coup  d’œil 
sur  le  passé,  afin  de  mieux  comprendre  le  présent  — ce  sera 
l'œuvre  de  quelques  historiens  spécialistes;  — puis,  de  faire 
un  grand  pas  en  avant.  Ce  dernier  point  est  l’essentiel.  Le  mot 
d’ordre  est  : Un  plus  grand  nombre  de  missionnaires,  et  plus 
de  fonds  pour  leur  permettre  d’aller  de  l’avant.  Comme  le 
nombre  de  ses  missionnaires  s’est  doublé  entre  le  mois  d’oc- 
tobre 1887  et  le  mois  d’octobre  1894  — un  remarquable  pro- 
grès — la  Société  espère  de  doubler  encore  une  fois  le  chiffre 
démissionnaires  d’ici  au  12  avril  1899.  Pour  réaliser  tout 


(1)  Calwer  Missionsblatl,  1 896,  pp.  82-87. 

(2)  Proceedings  of  the  Church  Miss.  Society  (Londres,  1896),  pp.  XVIII 
et  (80). 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


cela,  elle  exhorte  ses  amis:l°  à prendre  la  résolution  d’avan- 
cer; 2°  à avancer  effectivement,  et  3°  à se  rendre  compte  du 
fait  qu’ils  avancent,  à savoir  qu’aujourd’hui  ils  n’en  sont 
pas  où  ils  étaient  hier,  ni  demain  où  ils  sont  aujourd’hui  (1). 
Le  conseil  est  hon  pour  tous. 

Les  « coloniaux  ».  — « Il  y a huit  ou  dix  ans,  l’exal- 
tation coloniale  avait  le  verbe  haut  et  poussait  avec  impé- 
tuosité les  Sociétés  de  Missions  à l’action  patriotique...  On 
signalait  alors  les  grosses  sommes  qui  afflueraient  dans  les 
caisses  de  la  mission,  aussitôt  que  celle-ci  se  déciderait  à 
entrer  dans  le  courant  populaire  et  à tenir  compte  de  l’opi- 
nion nationale...  Nos  missionnaires  sont  partis  pour  l’Afrique 
orientale  ; nous  nous  sommes  mis  à l’œuvre  énergiquement, 
et  nous  constatons  aujourd’hui  que  l’ardeur  apostolique  de 
nos  mouches  du  coche  n’a  été  qu’un  feu  de  paille  : elle  a jeté 
une  brillante  et  rapide  lueur  pour  s’éteindre  tout  aussi  rapi- 
dement... Et  nous  traînons  depuis  lors  un  déficit  qui  alourdit 
notre  marche  en  avant!...  » Extrait  d’un  discours  prononcé 
par  le  pasteur  Bruckisch  à l’assemblée  annuelle  de  la  Société 
des  Missions  de  Berlin,  le  3 juin  dernier  (2). 

AFRIQUE.  — Meurtre  de  deux  missionnaires 
allemands.  — Karl  Segebrock,  un  Gourlandais,  âgé  de 
24  ans,  et  Ewald  Ovir,  un  Esthonien,  âgé  de  23  ans,  tous  deux 
au  service  de  la  mission  luthérienne  de  Leipzig,  viennent 
d’être  assassinés,  dans  la  nuit  du  19  au  20  octobre  dernier, 
sur  les  flancs  du  mont  Mérou,  à trois  journées  de  marche  du 
Kilima-Ndjaro,  dans  l’Afrique  orientale.  Ils  allaient  fonder 
une  quatrième  station  dans  cette  région  (3).  Les  trois  stations 
existantes  occupent  les  terrasses  méridionales  de  Kilima- 
Ndjaro  ; à l’ouest,  Madjamé  ou  Nkaroungo,  à 1,540  mètres 


(1)  The  Church  Missionary  Intelligence r (Londres),  1896,  pp.  241  à 253. 

(2)  Berliner  Missionsberichte  (Berlin),  1896,  pp.  309  et  suiv.  — Comp.  le 
Journal  des  Missions , 1891,  p.  107  et  150;  1892,  p.  183;  1894,  p,  379  et 
suivantes. 

(3)  Hannoversches  Missions-Volksblatt  (Hanovre),  1896,  p.  44. 


VARIÉTÉS 


583 


d’altitude,  fondée  en  octobre  1893  ; à l’est,  Mamba,  à une 
altitude  de  \ ,500  à 1,609  mètres,  établi  en  juin  1894;  et,  entre 
les  deux,  Mocbi,  créée  le  12  février  dernier,  en  partie  par 
Segebrock. 

ASIE.  — Combien  t’a-t-on  payé  pour  ta  con- 
version ? demandait  un  Chinois  à un  autre,  récemment 
reçu  dans  une  communauté  chrétienne;  cinquante  francs? 

— Bien  plus,  fut  la  prompte  réponse.  — Cent  francs?  — 
Beaucoup  plus.  — Mille  francs?  — Toujours  plus.  Alors? 

— Tu  vois,  dit  le  chrétien,  ils  m’ont  donné  ce  livre  — et  il 

montrait  à son  compagnon  une  Bible  : — il  vaut  plus  que  tous 
les  trésors  du  monde,  car  il  m’enseigne  le  chemin  qui  mène 
à Dieu  et  à la  félicité  éternelle  (1).  F.  H.  K. 

— 8 <L  — 

VARIÉTÉS 

DE  TAMATAVE  A TANANARIVE 

Lettre  de  M.  Escande. 

Tananarive,  le  29  septembre  1896. 

Cher  Monsieur  Boegner, 

Enfin,  me  voici  rendu  à ma  nouvelle  destination!  Ce  n’est 
pas  trop  tôt,  Dix  jours  de  voyage  en  chaise  à porteurs,  sous 
le  soleil  des  tropiques,  c’est  suffisant,  pour  ne  pas  dire  plus. 
Maintenant,  tout  cela  est  fini,  j’ai  atteint  la  capitale. 

Il  vous  plaira  peut-être  de  savoir  comment  mon  yoyage 
s’est  effectué,  dans  quelles  conditions,  avec  quelles  res- 
sources. Aussi  bien  ces  détails  pourront  être  utiles  aux  fu- 
turs ouvriers  de  Madagascar. 

Il  est  évident  qu’un  semblable  voyage  ne  s’improvise  pas. 
Si  j’avais  été  livré  à mes  seules  lumières,  il  m’eût  certaine- 


(1)  Calwer  Missionsblatt  für  Kinder  (Calw),  1896,  p.  132. 


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JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


ment  fallu  plusieurs  jours  pour  m’organiser.  Grâce  aux  ren- 
seignements de  mes  prédécesseurs,  grâce  surtout  à un  négo- 
ciant de  Tamatave,  ami  de  notre  œuvre,  je  suis  parvenu  à 
être  prêt  le  surlendemain  de  mon  débarquement.  C’est  lui 
qui  m’a  choisi  mes  provisions  de  route,  m’a  fourni  un  lit  de 
camp,  m’a  acheté  une  batterie  de  cuisine  naturellement  fort 
sommaire  ; c’est  lui  également  qui  m’a  trouvé  mes  a bour- 
janes  »,  c’est-à-dire  mes  porteurs.  Ceci  n’a  pas  été  chose  fa- 
cile. Quoique  ceux  qui  se  livrent  à ce  métier  soient  légion, 
ils  sont  trop  peu  nombreux  pour  les  besoins  du  moment. 
Songez  qu’à  cette  heure  tout  s’organise  dans  l’île,  principale- 
ment sur  la  côte  et  dans  la  capitale.  Les  soldats  et  les  fonc- 
tionnaires affluent;  les  négociants  anciens  élargissent  leur 
commerce;  quelques  nouveaux  s’établissent.  Un  certain 
nombre  de  colons  (trop  peu,  malheureusement)  accourent 
pour  tenter  fortune.  Tout  cela  occasionne  un  va  et  vient 
considérable  entre  Tamatave  et  Tananarive;  les  bourjanes 
sont  réquisitionnés  par  le  gouvernement,  qui  a toutes  les 
peines  du  monde  à réunir  le  chiffre  nécessaire...  Quoi  qu’il 
en  soit,  j’ai  eu  les  miens;  dix-neuf,  s’il  vous  plaît  : huit  pour 
porter  la  filanzane,  dix  pour  porter  mes  colis,  plus  le  chef, 
qu’on  nomme  ici  a commandeur»,  qui  ne  porte  rien,  lui, 
mais  qui  est  responsable  de  ses  hommes.  Pour  le  quart 
d’heure,  leur  salaire  est  exorbitant.  J’ai  payé  les  miens 
32  fr.  50  chacun,  sans  compter  les  cadeaux  qu’ils  se  fai- 
saient donner  de  village  en  village  pour  s’acheter  quelques 
douceurs  : manioc,  canne  à sucre,  ou  tabac. 

Ce  qui  contribue  à renchérir  le  vo}age,  c’est  que  la  plu- 
part des  villages  étant  abandonnés  dans  la  région  troublée 
par  les  Fahavalos,  il  faut  se  munir  de  conserves  pour  toute 
la  route.  C’est  à peine  si,  de  loin  en  loin,  nous  avons  pu  nous 
procurer  du  riz,  des  bananes  et  des  œufs.  C’est  seulement 
l’avant-dernier  jour  que  nous  avons  pu  mettre  sous  la  dent 
un  peu  de  viande  fraîche;  combien  appréciée,  il  est  superflu 
de  le  dire. 

Vous  vous  souvenez  de  notre  palanquin  de  Sierra-Léone 


VARIÉTÉS 


585 


qui  me  joua  un  si  vilain  tour?  La  filanzane  ne  vaut  pas 
mieux.  On  n'est  guère  moins  secoué  avec  elle.  Et  quels  ca- 
hots ! A Sierra-Léone,  au  moins,  les  chemins  étaient  à peu 
près  convenables.  Ici,  sauf  la  partie  refaite  par  les  soldats  du 
génie,  la  route  est  absolument  abominable,  très  dangereuse 
aussi  par  suite  de  la  configuration  particulière  du  sol.  A 
peine  quitte-t-on  le  littoral  qu’on  arrive  aux  premières 
pentes  du  grand  massif  central  où  se  trouve  la  province  de 
fÉmyrne,  avec  Tananarive  pour  chef-lieu.  On  monte  par  gra- 
dins jusqu’à  1,500  mètres,  pour  redescendre  à 1,400  — alti- 
tude de  Tananarive.  Ce  qu’il  y a de  curieux  dans  ces  mon- 
tagnes, c’est  qu’il  y a très  peu  de  pics  élevés  ; ce  sont  des  sé- 
ries de  mamelons  accolés  les  uns  aux  autres,  se  succédant 
sans  intervalles,  par  où  j’entends  qu’il  n’existe  pas  de  vallée 
continue  pour  permettre  l’établissement  d’une  route.  Celle-ci 
doit  suivre  les  accidents  du  terrain;  elle  monte  pour  redes- 
cendre, pour  remonter  encore,  et  cela  indéfiniment.  11  y a 
des  jours  où  nous  avons  grimpé,  puis  dégringolé  delà  sorte, 
jusqu’à  quarante  et  cinquante  fois.  Or,  ces  chemins  de  mon- 
tagnes, ravinés  par  les  pluies,  sont  — quelques-uns,  du 
moins  — de  vrais  casse-cous.  Ou  bien  ils  inclinent  de  je  ne 
sais  combien  de  degrés,  mais  suffisamment,  en  tous  cas, 
pour  que  vous  ayez  du  mal  à garder  l’équilibre  sur  votre 
perchoir,  ou  bien  ils  côtoient  des  crevasses  qui  vous  donnent 
le  vertige,  et,  ce  qu’il  y a de  pire,  c'est  que  ces  misérables 
bourjanes,  précisément  à ces  endroits  périlleux,  se  lancent 
en  avant  à toute  vitesse,  comme  s’ils  avaient  juré  votre 
perte.  Un  faux  pas  de  l’un  d’eux,  et  c'en  est  fait  de  vous.  Mais 
ce  faux  pas,  ils  ne  le  font  point;  ils  ont  une  sûreté  de  pied  à 
toute  épreuve  et  finissent  bien  vite,  comme  malgré  vous,  à 
vous  inspirer  la  plus  absolue  confiance. 

Du  reste,  à cela  comme  à tout  autre  chose,  on  s’habitue 
promptement.  Si,  les  deux  premiers  jours,  on  a les  reins 
quelque  peu  brisés,  les  jours  suivants  on  prend  son  parti  de 
ce  genre  de  locomotion.  Tandis  que  les  bourjanes  vous  em- 
portent par  monts  et  par  vaux,  on  songe,  on  lit,  on  médite, 


586 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


on  prie  (c’est  là  du  moins  ce  que  j’ai  fait),  et,  quand  on  est 
las,  on  regarde  le  paysage. 

Celui-ci  diffère  du  tout  au  tout  suivant  les  endroits.  Sur  la 
côte  ouest,  la  végétation  est  très  douce  : ce  sont  surtout  des 
arbustes  et  des  plantes  arborescentes  qui,  par  l’entrelace- 
ment des  lianes  et  des  ronces,  forment  des  fourrés  impéné- 
trables. La  forêt  proprement  dite  ne  commence  que  beau- 
coup plus  haut,  à mi-chemin  de  la  capitale,  et  encore  n’est- 
elle  pas  considérable,  puisque,  dans  sa  plus  grande  largeur, 
elle  n'a  guère  que  trente  kilomètres.  Il  est  vrai  qu’elle  repa- 
raît à différentes  reprises  plus  loin,  jusqu’aux  confins  de 
l’Ëmyrne,  où  elle  disparaît  tout  à fait.  Vous  dirai-je  mon  ra- 
vissement de  contempler  la  végétation  tropicale  dans  toute 
sa  splendeur?  Quelle  différence  avec  mon  pauvre  Sénégal,  si 
sec,  si  nu,  si  aride  ! Rien  de  poétique  comme  ces  gorges  pro- 
fondes où  coulent  rivières  et  ruisseaux  ombragés  par  des 
épaisseurs  de  verdure  qui  forment  arc  au-dessus  d’eux,  et 
dont  le  silence  n'est  troublé  que  par  le  chant  des  oiseaux  ou 
le  pleurnichement  lamentable  des  singes  ! Quand  les  ponts 
manquaient,  nos  bourganes  sautaient  de  roc  en  roc  ou  — ce 
qui  arrivait  le  plus  fréquemment  — entraient  dans  l’eau  jus- 
qu’aux hanches,  à leur  très  grande  satisfaction. 

# Le  reste  du  pays  a un  tout  autre  aspect.  Les  mamelons 
sont  dénudés;  il  n’y  pousse  qu’une  herbe  desséchée  à ce 
moment-ci  de  l’année,  et  à laquelle  on  met  le  feu  en  prévi- 
sion de  pluies  prochaines.  Les  bas-fonds,  par  contre,  sont 
frais  et  verdoyants.  On  y trouve  en  masse  : le  bambou,  le 
bananier,  le  rafia  et  l’arbre  du  voyageur.  Cette  partie-ci  de 
l’île  étant  plutôt  pauvre,  on  y rencontre  très  peu  d’habi- 
tants. 

Deux  fois  par  jour,  nous  nous  arrêtions  dans  les  villages; 
à midi,  pour  déjeuner;  le  soir,  pour  dîner  et  passer  la  nuit. 
La  population  est  très  hospitalière  : il  suffit  que  le  « comman- 
deur » ait  jeté  son  dévolu  sur  une  case  pour  que  les  proprié- 
taires de  cette  case  déménagent  aussitôt  pour  vous  en  laisser 
la  libre  jouissance.  Quand  je  parle  de  leur  hospitalité  au  pré- 


VARIÉTÉS 


587 


sent,  j’ai  peut-être  tort.  C’est  au  passé  qu’il  en  faudrait 
parler.  Hospitaliers,  ils  l’étaient  jadis  (comme,  d’ailleurs, 
tous  les  noirs  de  l’Afrique),  quand  les  communications  étaient 
rares  entre  le  centre  de  l’île  et  la  côte.  Mais,  aujourd’hui  qu’il 
passe  quotidiennement  des  convois  et  des  caravanes  considé- 
rables, ce  qui  était  hospitalité  est  devenu  commerce.  Il  y a, 
maintenant,  dans  presque  tous  les  villages,  des  cases  exclusi- 
vement destinées  aux  voyageurs  et  que  l’on  paie  vingt  cen- 
times le  jour  et  un  franc  la  nuit. 

A peine  arrivés  à l’étape,  les  porteurs  se  transforment  en 
domestiques  : ils  vous  apportent  de  l’eau  pour  vous  débar- 
bouiller, dressent  les  lits  de  camp,  vont  acheter  le  bois  pour 
allumer  le  feu,  cuisent  le  souper,  vous  servent  à table,  tout 
cela  avec  une  bonne  grâce  parfaite.  Ce  sont  vraiment  d’excel- 
lentes gens  que  ces  bourjanes;  ils  jouissent  dans  le  pays 
d’une  réputation  d’honnêteté  bien  méritée.  Ayant  besoin  de 
notre  protection,  ils  se  sont,  dès  l’abord,  déclarés  les  amis  de 
la  France.  Ce  n’est  point  parmi  eux  que  les  Fahavalos  ont 
trouvé  des  recrues. 

Vous  supposez,  sans  doute,  qu’après  une  journée  de  filan- 
zane,  on  doive  dormir  à poings  fermés.  Cela  serait,  n’était  ce 
qu’on  appelle  chez  nous  une  cavalerie  légère,  — les  puces, 
puisqu’il  faut  les  appeler  par  leur  nom.  Le  Sénégal  m’ayant 
habitué  à ces  voisins  incommodes,  je  n’en  ai  pas  plus  souffert 
qu’il  ne  faut;  en  dépit  d’eux,  j’ai  fait  de  bons  sommes.  Mais 
ce  sont  mes  compagnons  de  route  qui  en  ont  pâti.  L’un  d’eux 
s’était  littéralement  ensanglanté  de  pied  en  cap  et  avait  fina- 
lement pris  le  parti  de  passer  la  nuit  dehors,  malgré  le  froid 
intense  qui  règne  la  nuit  sur  ces  hauts  plateaux. 

Les  quatre  premiers  jours,  nos  étapes  dépassaient  qua- 
rante kilomètres  ; les  jours  suivants,  il  a fallu  modérer  notre 
ardeur.  Nous  avions,  en  effet,  une  escorte  militaire  qu’il  s’a- 
gissait de  suivre  au  petit  pas  pour  bénéficier  de  sa  protection. 
Cette  protection  était  rendue  nécessaire  par  les  dangers  que 
fout  courir  aux  caravanes  les  bandes  d’insurgés  qui  troublent 
le  pays.  C’est  qu’ils  sont  terribles,  ces  Fahavalos!  Ce  sont  de 


588 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


véritables  brigands  de  Calabre,  pillant  les  convois,  défendant, 
sous  peine  de  mort,  qu’on  cultive  les  rizières  et  les  champs, 
fondant  sur  les  villages,  la  nuit,  pour  voler  les  bœufs,  s’em- 
parer des  provisions,  emmener  de  force  avec  eux  les  hommes 
valides,  et,  pour  mieux  arriver  à leurs  fins,  incendiant  tout 
sur  leur  passage...  Cela  vous  serre  le  cœur  de  traverser  ces 
masses  de  villages,  autrefois  prospères,  aujourd’hui  en  ruines, 
et,  près  d’eux,  les  champs  en  friche,  les  rizières  transfor- 
mées en  marais.  Où  étaient  jadis  l’activité  et  la  vie,  ils  ont 
mis  le  désert  et  la  mort.  Ces  Fahavalos  sont  d’une  audace  in- 
croyable. N’ont-ils  pas  attaqué  la  caravane  du  général  Gal- 
liéni  lui -même?  Il  est  vrai  qu’ils  ont  eu  soin  de  s’en  prendre 
aux  bourjanes  de  l’arrière-garde,  aux  retardataires.  C’est  éga- 
lement un  retardataire  de  notre  caravane  à nous  qu’ils  ont 
dévalisé  après  lui  avoir  planté  une  sagaie  dans  le  bras.  Heu- 
reusement pour  cet  infortuné  porteur  qu’il  était  près  d’un 
poste  militaire.  A ses  cris,  la  troupe  est  accourue,  mais  les 
voleurs  avaient  disparu.  On  comprend  après  cela  la  frayeur 
des  bourjanes.  Chemin  faisant,  ils  vous  racontent,  en  les  am- 
plifiant, toutes  sortes  d’histoires  de  ce  genre  et  vous  dési- 
gnent les  endroits  où  leurs  confrères  ont  eu  maille  à partir 
avec  les  insurgés.  Malgré  les  charges  écrasantes  que  certains 
d’entre  eux  portent,  ils  font  des  efforts  surhumains  pour 
rester  près  de  l’escorte,  à proximité  du  secours. 

A deux  reprises,  j’ai  eu  le  privilège  peu  enviable  d’aperce- 
voir de  ces  Fahavalos.  La  première  fois,  ils  étaient  cinq  ou 
six  sur  une  colline  voisine,  occupés  à surveiller  nos  mouve- 
ments; la  seconde  fois,  ils  étaient  toute  une  bande  qui  cher- 
chaient à se  cacher  des  sentinelles  françaises  éparpillées  sur 
tous  les  sommets  d’alentour.  Je  ne  les  ai  pas  seulement 
aperçus,  je  les  ai  aussi  entendus.  Nous  avions  fait  halte  à Sa- 
botsy  pour  y passer  la  nuit.  A dix  heures  du  soir,  les  bour- 
janes nous  réveillent  en  criant  : les  Fahavalos!  les  Fahava- 
los î C’étaient  ceux-ci,  en  effet,  qui  attaquaient  le  village 
voisin.  Au  même  instant,  les  tirailleurs  indigènes  passent  en 
courant  devant  la  case,  et  bientôt  la  fusillade  éclate  : feux  de 


VARIÉTÉS 


589 


salve  de  nos  soldats  et  riposte  des  ennemis.  A une  heure, 
nouvelle  alerte  : les  Fahavalos  se  sont  jetés  sur  un  autre  ha- 
meau. Malheureusement,  leurs  coups  sont  vite  faits.  Le  pil- 
lage accompli,  ils  se  dérobent  aux  poursuites  et  rentrent 
dans  leurs  repaires.  En  nous  réveillant  le  matin,  nous  aper- 
çûmes, à quelques  pas  de  notre  porte,  un  pauvre  homme 
qui  avait  eu  la  tête  fendue,  près  de  l’oreille,  par  une  hache 
et  que  ses  concitoyens  apportaient  au  docteur  militaire.  Nous 
sûmes,  en  outre,  que  plusieurs  autres,  du  même  village, 
avaient  été  maltraités  et  qu’un  manquait  à l’appel,  probable- 
ment massacré  par  ces  sauvages. 

Mes  compagnons  de  route  n’étaient  qu’à  moitié  rassurés, 
surtout  un  négociant  qui  emmenait  avec  lui  une  quantité 
considérable  de  marchandises...  Quant  à moi,  j’étais  calme, 
confiant  en  Dieu.  Ne  savais-je  pas  que  « l’ange  de  l’Éternel 
campe  autour  de  ceux  qui  le  craignent  et  les  garantit?  » Dieu 
a montré  une  fois  de  plus  que  ses  promesses  sont  certaines  et 
véritables. 

Quelle  joie  cela  a été  pour  nous  quand,  au  matin  du  neu- 
vième jour,  nous  avons  entrevu  de  loin  la  capitale!  C’était  du 
délire  chez  nos  bourjanes  qui,  pour  peu,  eussent  pris  le  mors 
aux  dents.  D'ailleurs,  rien  à craindre  par  ici.  Ce  coin  de  pays 
est  tranquille.  Les  postes  sont  nombreux  et  bien  fournis;  ils 
tiennent  en  respect  les  pillards.  Il  résulte  de  ce  fait  que  la 
population  des  provinces  tend  toujours  plus  à se  concentrer 
vers  Tananarive  où  elle  est  sûre  d’être  en  sécurité.  Les  vil- 
lages se  multipliant,  les  coteaux  sont  cultivés,  les  rizières 
verdoient  dans  les  vallées.  Il  y a mieux  encore.  Les  habita- 
tions, au  lieu  d’être  faites  en  écorces  et  d’être  recouvertes  de 
feuillage,  comme  c’est  le  cas  dans  toute  la  partie  est  de  l’île, 
sont  ici  de  véritables  maisons  bâties  en  argile,  — souvent  à 
étages;  — plusieurs  d’entre  elles  accusent  une  architecture 
qui  n’est  pas  sans  grâce  ; on  y voit  des  tourelles,  des  véran- 
das, etc.  On  sent  qu’on  a affaire  ici  avec  une  population  po- 
licée, civilisée.  Ce  n’est  pas  pour  rien  qu’on  aperçoit  un  peu 
partout  des  temples  et  des  maisons  d’école.  Oui,  des  temples 


590 


JOURNAL  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 


et  des  maisons  d’école,  où  l’on  enseigne  le  pur  Évangile,  où 
l’on  travaille  pour  le  compte  du  Sauveur,  notre  commun 
Maître.  De  voir  cela,  on  a le  cœur  tout  ragaillardi  et  l’on  se 
sent  pressé  de  demander  à Dieu  que  par  le  fait  du  nouvel  état 
de  choses  dans  lequel  le  pays  vient  d’entrer,  l’œuvre  mis- 
sionnaire, son  œuvre  à Lui,  ne  soit  pas  compromise. 

Aux  portes  de  la  capitale,  je  rencontre  un  des  partisans  de 
la  Société  des  amis  qui  vient  m’offrir  de  me  recevoir  sous 
son  toit  jusqu’à  ce  que  M.  Lauga  soit  de  retour  du  Betsiléo. 
Ma  solitude  est  donc  finie,  car  chez  M.  Standing  je  me  trouve 
vraiment  chez  moi.  Que  la  communion  fraternelle  est  pour- 
tant une  douce  chose  ! 

J’espère  vous  parler  sous  peu  de  mon  travail.  11  faut,  préa- 
lablement, que  je  m’organise.  Je  compte  sur  vos  prières. 

Votre  bien  affectionné,  B.  Escande. 

P.  S.  — M.  Lauga  vient  enfin  d’arriver;  je  vais  pouvoir 
organiser  ma  vie.  Ce  n’est  pas  à dire  qu’en  son  absence,  j’aie 
perdu  mon  temps.  J’ai  reçu  une  foule  de  visites,  j’ai  beau- 
coup vu,  j’ai  beaucoup  entendu.  Je  vous  dirai  prochainement 
mes  impressions. 


DERNIÈRE  HEURE 

En  mettant  sous  presse,  nous  recevons  des  lettres  de 
MM.  Lauga  et  Escande,  datées  de  fin  octobre.  Les  nouvelles 
sont  bonnes,  mais  nos  frères  nous  pressent  de  faire  partir 
au  plus  tôt  les  ouvriers  destinés  à Madagascar. 


Le  Gérant  : A.  Boegner. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


SOCIÉTÉ  DES  MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES  DE  PARIS 

Pages 

La  Société  des  Missions  à l’entrée  de  1896 \ 

Madagascar 7 

Herman  Jacot 11 

Notes  du  mois 15,  107,  156,  251,  307,  356,  499,  552 

Adieux  et  départ  de  MM.  Lauga  et  Krüger  pour  Madagascar.  53 
Adieux  de  M.  et  madame  Ivan  Mercier  et  de  MM.  Albert 

Bolle  et  Félix  Faure 56 

A ceux  qui  partent  (cantique,  par  Edouard  Monod).  ...  62 

ln  memoriam.  — M.  Alfred  André.  — M.  le  pasteur  Guil- 
laume Monod.  — M.  le  pasteur  Louitz. — Madame  veuve 

Adèle  Jalla 63 

Notre  situation  financière 65 

Comment  il  faut  lire  le  Journal  des  Missions 66 

Un  danger 101 

Les  hommes  qu’il  faudra  pour  Madagascar 104 

Le  dernier  mois  de  l’exercice 105 

Arrivée  de  madame  Jacot 106 

Entre  Aden  et  Madagascar  (lettre  de  M.  F.  H.  Krüger)  ...  109 

Madagascar.  — Sur  l’Océan  Indien.  — A Tamatave.  — Une 
délibération  des  missionnaires  de  l’Emyrne.  — Une  im- 
portante démarche.  — Les  hommes  que  réclame  l’œuvre 

de  Madagascar 149 

Encore  un  ouvrier  pour  le  Congo 160 

Une  fête  missionnaire  à Réalville 162 

Jusqu'ici  l’Eternel  nous  a secourus 201 

Situation  financière  à la  clôture  de  l’exercice  1895-96 202 

Assemblée  générale  du  23  avril  1896 203 

Etudiants  missionnaires 204 

Une  rectification 205 

Nos  délégués  à Madagascar.  — De  Tamatave  à la  capitale.  — 

A Tananarive 206 

Où  prendrons-nous  des  pains  pour  cette  multitude? 245 

Nos  assemblées  annuelles 248 

Départ  de  MM.  et  mesdames  Allégret  et  Richard 249 

Arrivée  de  missionnaires 250 

Madagascar.  — La  situation  religieuse  et  l’état  des  esprits  à 
Madagascar.  — Comment  nos  délégués  s’acquittent  de 
leur  mandat.  — Inspection  d’écoles  et  visites  d’Eglises, 

— ■ Accueil  excellent.  — Premiers  résultats  de  l’enquête. 

Prochaines  décisions.  — Attaques  inévitables 253 

Encore  un  sujet  d’actions  de  grâces 297 

A nos  donateurs.  — Remerciements  d’un  missionnaire.  . . . 299 

Voyage  et  arrivée  de  M.  Goillard 300 

Arrivée  du  missionnaire  Escande.  * 306 

Départ  de  M.  le  missionnaire  Teisserès 307 


592 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Madagascar.  — L’activité  de  nos  délégués.  — Approbation  gé- 
nérale donnée  à notre  intervention  à Madagascar.  — Une 
lettre  de  la  reine  Ranavalo  au  Comité  des  Missions.  — 

Importantes  décisions 

L'appel  de  Dieu 

Courage  sérieux  et  sincérité 

Réunion  du  28  juin  à l’Oratoire 

Madagascar.  — Dernières  nouvelles  de  nos  délégués.  — Im- 
portantes décisions 

A propos  de  nos  deuils.  Réflexions  d’un  missionnaire  .... 

Nos  missionnaires  en  congé 

Notes  du  mois 

Situation  financière  au  20  août  1896 

Madagascar.  — Départ  de  M.  Krüger  pour  l’Afrique  méridio- 
nale.— Attaques  et  calomnies. — Départ  de  M.  Escande. 
Deux  consécrations.  — M.  P.  L.  Vernier  et  M.  A.  Coïsson  . 

Situation  financière  au  20  septembre  1896 

Madagascar 

Question  de  foi 

Situation  financière 

Rentrée  de  la  Maison  des  missions 

Souvenirs  de  la  consécration  des  missionnaires  P.  Vernier  et 

A.  Goisson 

Une  fête  missionnaire  dans  la  Vaunage 

Lettre  de  M.  Coillard.  — « Mes  allées  et  venues  ».  — A Con- 
trexéville.  — Au  Banc  de  la  Roche.  — Dans  les  Vallées 
vaudoises.  — En  Suisse.  — Les  lettres  du  Zambèze  . . . 
Madagascar.  — Le  retour  de  M.  F.  H.  Krüger.  — M.  Lauga 
au  Betsiléo.  — Heureuse  traversée  et  arrivée  de  M.  Es- 
cande à Tamatave . 

Prochain  envoi  d’hommes  à Madagascar  et  au  Zambèze  . . . 

Une  proposition 

Départs  et  arrivées  de  missionnaires 

Situation  financière 

Lettre  de  M.  Coillard 

Madagascar.  — La  visite  de  M.  Lauga  dans  le  Betsiléo.  — 
L’enseignement  du  français  dans  les  écoles  malgaches. — 
Projets  de  retour  de  M.  Lauga 

LESSOUTO 

Lettre  de  M.  Paul  Germond 

Heureuse  arrivée  de  M.  et  madame  Marzolff 

Dans  le  Haut  Lessouto.  Etude  de  M.  H.  Dieterlen  ....  68, 
Nouvelles  diverses.  — Démission  de  M.  Preen.  — Nos 

grandes  écoles 

Aux  approches  du  départ 

Isaac  Bisseux 

Sur  une  tombe 

Réunion  annuelle  de  la  Conférence 

M.  et  madame  Mercier  au  Lessouto 

Où  le  paganisme  peut  aboutir 

Rapport  de  la  Conférence  des  missionnaires  du  Lessouto  sur 
l’année  1895*96  


Pages 


309 

345 

347 

350 

358 

401 

403 

406 

407 

409 

449 

454 

454 

497 

500 

501 

503 

507 


509 


518 

545 

549 

551 

555 

556 


563 


17 

67 

112 

164 

166 

212 

213 

262 

263 

263 


315 


TABLE  DES  MATIÈRES 


593 


Pages 

La  stalion  de  Cana  . . 363 

M.  Mercier  à Léloaleng 364 

Au  jour  le  jour.  Extraits  du  journal  d’un  missionnaire  . . 365,  414 

Beaux  succès  de  l’Ecole  normale  de  Morija 459 

La  station  de  Makéneng.  — Un  contraste.  — Où  en  est  l’évan- 
gélisation du  Lessouto.  — L’Eglise,  la  résistance  païenne, 

les  chefs 460 

Menus  incidents  de  la  vie  missionnaire 465 

Progrès  et  besoins  de  l’heure  actuelle.  — La  caisse  centrale. 

— Une  nouvelle  école  industrielle.  — Les  hommes  qu’il 
faut  au  Lessouto 525 

ZAMBÈZE 

Dernières  nouvelles.  Maladie  de  M.  Goillard 23 

Quelques  lignes  de  M.  Goillard 25 

Une  exploration  missionnaire.  — A la  capitale  de  Kakengé. 

— Un  accueil  peu  amical.  — En  danger.  — Protection  de 
Dieu.  — L’Evangile  est  annoncé.  — Conversion  des  bate- 
liers. — Le  fatal  « demain  » 28 

Dernières  nouvelles 77 

Récit  du  voyage  de  MM.  Davit  et  Boiteux.  Extraits  de  let- 
tres . . 78 

Nouvelles  de  M.  et  madame  Mercier 122 

La  mission  du  Zambèze,  de  juillet  1894  à septembre  1895. 122,  222 

En  quittant  le  Zambèze  (lettre  de  M.  Goillard) 169 

Dernières  nouvelles.  — Le  voyage  de  MM.  Coillard  et  Jalla. 

— M.  et  madame  Mercier  au  Lessouto.  — Nouvelles  des 
stations  j 74 

Nouvelles  de  MM.  Goillard  et  Jalla 220 

En  danger  dans  le  désert 230 

Noyage  de  MM.  Goillard  et  Jalla.  — A Maféking.  — Pians 
bouleversés.  — La  peste  bovine.  — La  révolte  des  Maté- 
bélés.  — Allées  et  venues.  — M.  Goillard  à l’hôpital  de 
Kimberley.  — Une  délivrance.  — En  route  pour  l’Europe.  267 

Nouvelles  des  stations.  272 

Mort  de  M.  Auguste  Goy 369 

Dernières  nouvelles 376 

L’Ecole  biblique  de  Léaluyi 417 

A Nalolo.  — La  station  se  transforme.  — L’inondation  et  ses 
conséquences  pour  la  mission. — La  propre  justice  chez 
les  païens.  — Le  réveil  de  l’an  dernier.  — Ivraie  et  bon 

grain.  — La  peste  bovine  et  ses  suites 42'. 

Un  nouveau  courrier 529 

A Léaluyi.  — Une  année  terrible.  — Un  douloureux  courrier. 

— Epreuves  diverses.  — Il  nous  faut  une  phalange  d’ou- 
vriers. — Nouvelles  de  l’oeuvre 531 

SÉNÉGAL 

Dernières  nouvelles 38 

42 


m 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Voyage  de  M.  Albert  Bolle 126 

Lettre  de  M.  Escande 126 

Arrivée  de  M.  A.  Bolle  à Saint-Louis 181 

L’œuvre  de  Sor.  — Prochain  départ  de  M.  Escande 279 

Dernières  nouvelles 426 

Retour  en  France  de  mademoiselle  Buttner.  — Nouvelles  de 

la  mission 4fi7 

L'école  des  filles 536 

CONGO  FRANÇAIS 

La  mort  de  M.  Jacot.  — Sa  dernière  lettre  et  son  dernier 
appel.  — Sa  fin.  — Son  œuvre. — Les  besoins  de  la  mis- 
sion du  Congo 83 

Dernières  nouvelles 92 

Nouvelles  de  MM.  F.  Faure  et  E.  Iiaug 132 

Voyage  de  M.  Faure . . 182 

Nouvelles  de  madame  Gacon  et  de  MM.  Forget  et  Haug  . . . 183 

Arrivée  de  M.  F.  Faure  à Lambaréné.  — Nouvelles  de  Tala- 

gouga 281 

Nouvelles  récentes.  — La  santé  de  nos  missionnaires.  — 
Œuvre  scolaire  à Lambaréné.  — Travaux  divers  dans  la 
station.  — Tournées  en  perspective.  — Nos  voyageurs.  . 324 

Mort  de  madame  Gacon 377 

Arrivée  de  MM.  et  mesdamee  Allégret  et  Richard.  — Nou- 
velles de  la  mission 380 

Nouvelles  récentes.  426 

Les  derniers  moments  de  madame  Gacon 4*28 

Dernières  nouvelles.  — Prochain  retour  en  France  de  M.  Haug. 

— L’école  de  Lambaréné.— Demande  de  congé  de  M.  For- 
get. — M.  Allégret  et  la  station  de  Talagouga 468 

TAÏTI 

Nouvelles  de  M.  et  madame  Huguenin 93 

Réunions  de  prières  et  réveil  à Raïatéa 133 


Rapport  de  la  conférence  missionnaire  des  Iles  de  la  Société 


Le  bateau  missionnaire 472 

Aux  Iles  Sous-le-Vent 472 

Nouvelles  de  l’Ecole  de  Papéété 569 

Iles  de  la  Loyauté.  — Maré 570 

MISSIONS  ÉVANGÉLIQUES 

CHRONIQUE  DES  MISSIONS 

Comment  l’Évangile  fut  introduit  dans  l’archipel  de  Cook.  _ — 

Un  jeune  missionnaire  mécontent.  — Merveilleuse  his- 


TABLE  DES  MATIÈRES  595 


Pages 

toire  d’Aou-Oura.  — A Papeiha,  le  premier  catéchiste 
polynésien  à Aitoutaki. — Les  idoles  renversées. — Dan- 
gers à Mangala. — A la  recherche  de  Rarotonga.  — La 

victoire 39 

Hudson  Taylor  et  la  mission  de  la  Chine  intérieure. 94, 240,430,  479 

Les  massacres  d’Arménie  et  les  Missions 137 

Martyrs  arméniens 184 

Paroles  d’un  archevêque  sur  les  missions 192 

L’œuvre  des  missions  norvégiennes  à Madagascar 237 

La  carte  ries  missions  pour  l’an  1895  à 1896 289 

Puissance  du  paganisme  aux  Indes 335 

Madagascar.  — A propos  de  l’attaque  de  la  mission  norvé- 


De  nouveau  à Koumassi.  — La  fin  de  la  puissance  des  Achan- 

tis.  — Histoire  d’une  cloche 538 

Pour  les  Arméniens. 542 

L’Islam  en  Afrique.  — Essai  de  l’entamer  au  Soudan  occi- 
dental. — Nos  espérances  ressusciteront.  — Ogboputa- 
lunaozo.  — L’association  Haoussa.  — Sûrs  de  vaincre  . . 573 


BULLETIN  MENSUEL  DES  MISSIONS 

Afrique.  — Expédition  anglaise  contre  Koumassi 47 

Mort  triomphale  d’un  ancien  féticheur 48 

L’œuvre  survit  aux  ouvriers 48 

Une  carrière  longue  et  bénie 49 

L’espérance  du  missionnaire 50 

Troubles  à Madagascar 50 

Meurtre  de  deux  missionnaires  allemands  ....  582 

Asie.  — Un  confesseur  mandchou 51 

Le  mouvement  des  volontaires  de  la  mission  ....  146 

Une  statistique  des  missions  protestantes 146 

Un  témoignage  en  faveur  des  missions.  ......  147 

Un  déficit  comblé 148 

Le  Rév.  Nathanaël  Georges  Clark 148 

Combien  a-t-on  payé  pour  ta  conversion? 583 

Europe.  — Un  livre  utile 580 

Missions  et  vacances 580 

Du  travail  pour  trois  ans 581 

Les  coloniaux 582 


BIBLIOGRAPHIE 

Judson,  ou  Vœux  du  nouvel  an  et  leur  accomplissement 

(G.  Appia) 52 

Contes  populaires  des  Bassoutos  (E.  Jacottet) 99 

Nouveaux  actes  des  apôtres 294 


VARIÉTÉS 

Cheikh  Othman 193 


596 


TABLE  UES  MATIÈRES 


Pages 

Une  visite  à la  « Mission  des  Universités  »,  à Zanzi- 


Encore  l’attaque  de  Sirabé 491 

De  Tamatave  à Tananarive.  Lettre  de  M.  B.  Escande  . . . 583 

DERNIÈRE  HEURE 

Arrivée  d’un  courrier  du  Congo  français 52 

Départ  de  M.  et  madame  Mercier  et  de  M.  F.  Faure 100 

Arrivée  de  M.  Christol * . 244 

Réunion  familière  du  26  avril  à la  Maison  des  missions.  . . . 244 

Un  bateau  missionnaire  pour  Taïti 295 

Destination  arrêtée  pour  les  élèves  Coïsson  et  Vernier  ....  400 

Nouvelles  de  MM.  Lauga  et  Escande 590 

AVIS  ET  NOUVELLES 

Vente  des  Missions 100 

GRAVURES,  CARTES  ET  TABLEAUX  STATISTIQUES 

Herman  Jacot 1 

Archipel  des  Iles  de  Cook 42 

Tableau  statistique  des  Eglises  du  Lessouto 315 

Tableau  statistique  des  Eglises  de  Taïti,  Iles  Australes,  Moo- 

réa  et  Iles  Sous-le-Vent \ . . 317 

La  station  de  Cana .......  345 


Paris.  — Imprimerie  de  Ch.  Noblet,  13,  rue  Cujas.  — 20788. 


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Journal  Des  Missions  Evangéliques 

Princeton  Theological  Semmary-Speer  Library 


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