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Full text of "Journal des savants"

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BUREAU  DU  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


M.  Martin  (du  Nord),  garde  des  sceaux,  président. 


Assistants  . . 


M.  Lebrun,  de  Tlnstitut,  Académie  française,  secrétaire  du  bureau. 

M.  QuATREMERE  DE  QuiNCY,  de  llostitut.  Académie  des  inscriptions 
et  belles-lettres. 

M.  Lacroix,  de  Tlnstitui,  Académie  des  sciences. 

M.  QuATREMÈfiiE,  de  llnstitut,  Académit  des  inscriptions  et  belles- 
lettres. 


Auteurs. 


j  M.  BiOT,  de  llnatitui,  Académie  des  sciences. 

If.  RADiL-RocitfTTE,  de  rinsiitut ,  Académie  des  inscriptions  et  btlles- 
lettres ,  et  seiirétaire  perpélud  de  l'Académie  des  beaux-arts. 

M.  Cousin,  de  Tlnsti  tut.  Académie  française  et  Académie  des  sciences 
morales  et  politiques. 

M.  Letronne,  deTInstitut,  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres. 

M.  Chevreul  ,  de  Tlnstitut,  Académie  des  sciences. 

M.  Eugène  Burnouf,  de  llnstitut.  Académie  des  inscriptions  et  belles- 
lettres. 

M.  Flourens,  de  Tlnstitut,  Académie  française,  et  secrétaire  perpé- 
tuel de  r Académie  des  sciences. 

M.  Naudet,  de  Tlnslitul,  Académie  des  inscriptions  et  belles -lettres 
et  Académie  des  sciences  morales  et  politiques. 

M.  Villemain,  deTInstitut,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  fran- 
çaise. 

M.  Patin,  de  Tlnstitut,  Académie  française. 

M.  Lirri,  de  Tlnstitut,  Académie  des  sciences. 
\  M.  Magnin,  de  llnstitut.  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres. 


JOURNAL 

DES  SAVANTS. 


ANNÉE  1843. 


PARIS. 

IMPRIMERIE  ROYALE. 
M  DCCC  XLIII. 


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JOURNAL 


DES  SAVANTS. 


JANVIER  1843. 


Documents  inédits  sur  Domat. 


PREMIER    ARTICLE. 


Domat  est,  par  excellence,  notre  jurisconsulte  philosophe.  Gujas  ha^ 
bite  en  quelque  sorte  avec  Tantiquité  romaine  :  ce  qui  l'occupe ,  c*esl 
redit  du  préteur,  la  restitution  et  Tinterprétation  légitime  du  texte  au- 
thentique. Dumoulin  s'enfonce  dans  les  coutumes  et  le  droit  canon, 
pour  y  disputer  la  raison  et  Téquité  à  la  barbarie  qui  Tenveloppe  lui- 
même.  Domat  a  travaillé  pour  la  société  nouvelle  que  Richelieu  et 
Louis  XIV  tiraient  peu  à  peu  du  chaos  du  moyen  âge.  Cest  au  profit  du 
présent  qu  il  interroge  le  passé ,  les  lois  romaines  et  les  coutumes ,  les  sou- 
mettant les  unes  et  les  autres  aux  principes  éternels  de  la  justice  et  à  Tes- 
prit  du  christianisme.  Il  est  incomparablement  le  plus  grand  jurisconsulte 
du  xvu*  siècle;  il  a  inspiré  et  presque  formé  d^Aguesseau;  il  a  quelque- 
ibis  prévenu  Montesquieu  et  frayé  la  route  à  cette  réforme  générale  des 
lois  entreprise  et  commencée  par  la  révolution  française  et  réalisée  par 
f  empire.  Les  Lois  civiles  Bans  leur  ordre  naturel  sont  comme  la  préface 
du  code  Napoléon.  La  même  législation  pour  la  même  société ,  sur  le 
fondement  immuable  de  la  justice  et  à  la  lumière  de  cette  grande  ph9 
losophie  qu'on  appelle  le  christianisme,  tel  est  Tobjet  de  Touvrage  de 
Domat.  Sa  méthode  est  celle  de  la  géométrie.  Gomme  la  plupart  de  ses 
amis  de  Port-Royal  et  à  l'exemple  de  Pascal,  Domat  avait  étudié  avec 
svccès  les  mathématiques  ;  il  en  transporta  le^  habitudes  dans  la  corn- 


6  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

position  des  Lois  civiles.  U  y  part  des  maximes  les  plus  générales  pom* 
arriver,  de  degré  en  degré  et  par  im  enchaînement  rigoureux  et  lumi- 
neux, aux  dispositions  les  {dus  particulières,  itn|mmant  ainsi  à  tous  les 
détails  des  lois  la  grandeur  de  leurs  premiers  principes,  et  à  1* édifice 
entier  xme  simplicité  austère  et  majestueuse.  Le  style  de  Domat  nest 
point,  il  est  vrai,  du  premier  ordre  :  il  n'a  ni  1* énergie  passionnée  du 
style  de  Pascal ,  ni  ces  traits  de  grandetff  qui  éclatent  de  loin  en  loin  dans 
la  diction  abondante  et  un  peu  diffuse  d'Ârnauld;  il  n*e  pas  non  plus  Télé- 
gance  et  laménité  répandue  dans  les  Essais  de  Nicole  ;  mais  il  possède 
au  moins  l^s  qualités  essentielles  de  la  belle  prose  du  xvii*  siècle ,  le  na- 
turel, la  correction,  la  clarté.  Tordre,  la  gravité. 

A  ces  titres  divers  le  nom  de  Domat  est  illustre ,  mais  sa  vie  est  très- 
peu  connue.  Tandis  que  lion  compte  plusieurs  biographies  étendues  et 
savantes  de  Cujas,  qui  assurément  mérite  bien  cet  honneur,  tandis  que 
les  éloges  et  les  notices  historiques  s'accumulent  chaque  jour  sur  la 
mémoire  de  Pothier,  k  peine  quelques  pages  obscures  ont-elles  été  ac- 
cordées à  Domat,  et  notxs «n ^mmes  encore  à  ces  belles  paroles,  tant 
de  fois  répétées,  de  d'Âguesseau,  dans  ses  instructions  à  son  fils  sûr 
l'étude  de  la  jurisprudence  {Œavres  Àe  d'Aguesseau,  t.  I,  p.  ayS): 
«  Personne  n'a  mieux  approfondi  que  cet  auteur  le  véritable  principe 
des  lois,  et  ne  l'a  expliqué  d'une  manière  plus  digne  d'un  phiiosoj^he^ 
d'un  jurisconsulte  et  d'un  chrétien.  Après  avoir  remonté  jusqu'au  pre- 
mier principe,  il  descend  jusqu'aux  dernières  comséquences.  H  les  dé- 
veloppe dans  un  ordre  presque  géométrique  :  toutes  les  différentens  es- 
pèces de  lois  y  sont  dé^Blées  avec  les  caractères  qin  les  distinguent. 
C'est  le  plan  général  de  la  société  civile  le  xmewc  fiait  et  le  plus  achevé 
qm  ait  jamais  paru,  et  je  l'ai  toujours  regiardé  commue  un  ouvrage 
précieux  que  j'ai  vu  croître  et  presque  naîtra  eMre  mes  mains  por  l'a- 
mitié que  l'auteur  avait  pour  moi.  Vous  devez  vous  «titiier  heureux , 
mon  t^faer  fils ,  de  trouver  cet  ouvirage  fait  avant  que  voM  eiitriee  idlms 
l'éttde  de  la  jurisprudence.  Vous  y  af^rtere»  un  esprit  noc^-^eukment 
de  jurisconsulte  mais  de  législateur,  si  vous  le  lisec  avec  f  attention  qu'il 
nrâite  ;  et  vous  serei:  en  état ,  par  les  principes,  qu'il  vous  donnera ,  de 
démêler  de  vous-même,  dans  toiltes  les  lois  qfue  voc»  Kpbè,  ce  qui 
^partient  à  la  justice  naturelle  et  imm^iable  -de  ce  qui  ^n'^est  que  l'on- 
nage  d'une  volonté  positive  et  arbitraire.,  4e  ne  vows  point  laisser 
éblouir  par  les  subtilités  qui  sont  souvent  répandues  idans  les  juriscon- 
sultes romains,  et  de  puiser  avec  sàreté  dans  ce  trésor  de  la  raisoti 

humaine  et  du  sens-commun n  £t  ailleurs  (p.  a  7 5  )  :  «  V^s  serei  «en 

état,  après  cela,  de  commencer  &  lire  les  instiw6DM  «le  luitîniefi,  et. 


JANVIER  1843.  7 

quoique  f  ordre  n*en  soit  pas  vicieux,  vous  souhaiteres  néanmoins  plus 
d'une  fois  qu'il  eût  pu  être  tracé  par  M.  Domat  au  lieu  de  l'être  par 
M.  Tribonien.n 

On  connaît  aussi  la  lettre  de  Boileau  à  Brossette ,  où  il  appelle  Do- 
mat le  restaurateur  de  la  raison  dans  la  jurisprudence  {Œuvres  de  Boileau, 
édit.  de  Saint*Surin,  t.  IV,  p.  5 1 5). 

Après  ces  hommages  rendus  k  Domat  par  le  poète  de  la  raison  et 
par  l'illustre  auteur  des  ordonnances  de  lySi  et  de  lySS,  nous  ren» 
controns ,  parmi  les  Additions  de  Perrière  à  la  nouvelle  édition  des  Vies 
des  plus  célèbres  jurisconsultes  de'Taisand  (Paris,  1 787,  p.  634-38) ,  une 
notice  biographique  fort  courte ,  mais  puisée  à  de  bonnes  sources  qui 
ne  sont  pas  indiquées.  Terrasson  en  a  tiré  la  page  unique  qu'il  aocorde  à 
Domat  dans  l'Histoire  de  la  jurisprudence  romaine  (Paris ,  1 74  o ,  p.  482). 
Les  deux  derniers  éditeurs  de  Domat,  M.  Carré  (1"  édition  in-8*,  Pa- 
ris, 1822)  et  M.  Rémy  (Paris,  i835),  ont  été  encore  plus  brefs  que 
Terrasson;  ils  déclarent  l'un  et  l'autre  que  c'est  dans  ses  ouvrages  quil 
fautchercher  Domat ,  car  ils  sont,  pour  ainsi  dire,  sa  vie  entière  ^  Enfin,  la 
Biographie  universelle  (artide  de  M.  Bernardi)  est,  s  il  est  possible, 
plus  vide  encore  de  tout  renseignement  historique. 

Par  une  sorte  de  compensation ,  un  article  de  cette  même  Biographie 
universelle  sur  Prévost  de  la  Jannès  nous  apprend  que  ce  maître  et  ce 
prédécesseur  de  Pothier  à  l'Université  d'Orléans,  qui  s'était  formé  lui- 
même  à  la  grande  jurisprudence  dans  les  écrits  de  Domat,  avait  laissé 
manuscrite  «  une  Histoire  de  la  vie  et  des  ouvrages  de  Jean  Domat,  qu'en 
1742  il  était  dans  Tintention  de  publier.  Mais  l'impression  éprouva  di- 
vers obstacles,  dont  le  jprincipsd  était  l'opposition  du  censeur  royal 
Hardion,  qui,  taxant,  on  ne  sait  trop  sur  quel  fondement,  l'ouvrage  de 
jansénisme ,  exigeait  de  nombreuses  corrections  qui  l'eussent  défiguré , 
et,  par-dessus  tout,  le  retranchement  absolu  de  tout  ce  qui,  dans  cet 
écrit,  avait  trait  à  Pascal,  compatriote  et  ami  de  Domat.  Cet  éloge, 
réuni  à  deux  ouvrages  inédits  de  Prévost ,  faisait  partie  de  la  bibliothèque 
publique  de  la  ville  d'Oriéans.  Ce  recueil ,  indiqué  au  catalogue  de  1777 
par  D.  Fabre ,  a  disparu ,  ainsi  que  plusieurs  autres ,  lors  du  désordre 
momentané  qui  exista  dans  cet  établissement  à  l'époque  des  troubles 
révolutionnaires.  »  L'éloquent  et  savant  éditeur  de  Pothier,  M.  Dupin, 
dans  sa  dissertation  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  ce  célèbre  juriscon- 
sulte (  Œcft;re5  de  PoAier,  Paris,  1824,  tome  I*  p.  lxxxix],  après  avoir 

'  M.  Carré,  Notice  sur  Domat,  p.  1.  M.  Rémy  (p.  1  )  répète  cette  phrase  :  «C'est 
donc  seulement  dans  ses  ouYrages  qu*U  faut  le  chercher  font  entier.  » 


8  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

cité  ce  passage  curieux  dé  ^a  Biographie  unirerselle,  remarque  qu'il  est 
commode  de  tout  rejeter  sur  les  troubles  révolutionnaires.  (cSans  dis- 
puter, dil-il,  sur  Tépoque  où  cet  enlèvement  d'un  manuscrit  suspect 
de  jansénisme  a  pu  avoir  lieu,  je  crob  qu'on  peut  assurer  que  cet  en- 
lèvement a  eu  lieu  avec  discernement  par  un  de  ceux  à  qui  Touvrage 
avait  déplu ,  et  qui  voyaient  dans  labolition  de  l'ancienne  censure  l'a- 
néantissement de  l'obstacle  apporté  jusque-là  à  la  publication  du  ma- 
nuscrit. Isfecit  cui  prodest  » 

Nous  n'avons  point  retrouvé  l'écrit  si  regrettable  de  Prévost  de  la 
Jannès;  mais  nous  sommes  à  peu  près  certain  de  connaître  et  de  pos- 
séder la  source  à  laquelle  il  avait  puisé  lui-même  les  documents  authen- 
tiques dont  il  avait  pu  se  servir.  Dans  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
royale  (Supplément  français,  n**  i485}  qui  contient  les  mémoires  de 
Marguerite  Perrier  sur  sa  famille  et  sur  les  amis  de  sa  famille,  avec  une 
foule  de  lettres  et  de  pièces  de  toute  sorte,  nous  trouvons  (p.  268) 
un  écrit  intitulé  :  Mémoire  pour  servir  à  Ihistoire  de  la  t)ie  de  M,  Domaty 
avocat  da  roi  aa  présidial  de  Clermont  en  Auvergne.  Ce  mémoire  ne  parait 
pas  de  la  main  de  Marguerite  Perrier,  puisqu'elle  y  est  citée ,  mais  il  a 
été  composé  évidemment  sur  des  renseignements  fournis  par  elle.  Il  est 
plus  étendu  que  l'article  de  Ferrière,  et  c'est  la  source  première  et  par- 
faitement sûre  de  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  Domat  ;  car  Marguerite 
PeiTier  l'avait  longtemps  connu  à  Paris  et  à  Clermont,  à  différentes 
époques;  elle  partageait  ses  opinions,  elle  avait  vécu  dans  le  même 
parti  et  avait  été  mêlée  à  toute  sa  vie.  Plusieurs  écrivains  jansénistes,  par 
exemple  l'auteur  du  Recueil  de  plusieurs  pièces  pour  servir  à  l'histoire 
de  Port-Royal  (Utrecht,  1 7/10)  et  celui  du  SuJ>plément  au  Nécrologe  de 
Port-Royal  (1"  partie,  lySS),  ont  eu  connaissance  de  ce  mémoire. 
Prévost  de  la  Jannès ,  qui  était  imbu  de  l'esprit  de  Domat ,  et  qui ,  comme 
Pothier,  était  lié  au  parti  janséniste,  l'avait  eu  probablement  sous  les 
yeux,  ainsi  que  les  pièces  qui  l'accompagnent,  c'est-à-dire  plusiem^ 
lettres  inédites,  les  seules  de  Domat  qui  soient  venues  jusqu'à  nous,  et 
deé  Pensées  ou  trouvées  dans  ses  papiers  après  sa  mort,  ou  recueillies 
dans  sa  conversation ,  et  qui  portent  un  caractère  manifeste  d'authen- 
ticité. Nous  publierons  ioi  intégralement  le  mémoire,  en  y  joignant 
divers  morceaux  de  Domat,  que  contient  notre  manuscrit,  et  nous  ter- 
minerons par  les  Pensées  elles-mêmes ,  dont  quelques-unes  s'élèvent  au- 
dessus  du  style  ordinaire  des  Lois  civiles  et  jusqu'à  la  manière  énergique 
et  mélancolique  de  Pascal.  Ces  divers  documents,  en  faisant  mieux  con- 
naître Domat,  mettront  encore  plus  haut  sa  mémoire,  et  ajouteit)nt  à 
l'admiration  universelle  excitée  par  le  jurisconsulte  le  respect  singulier 


JANVIER  1843.  9 

que  mérite  l'homme  par  la  beauté  de  Tâme  et  ta  vigueur  soutenue  du 
caractère. 

«MÉMOIRE  |)Our  servir  à  i*histoirc  de  la  vie  de  M.  Domat,  avocat  du  roy  au  prési- 

dial  de  Clermont  en  Auvergne. 

«  M.  Jean  Domat  naquit  à  Clermont,  le  3o  novembre  1626.  Son  père , 
qui  s'appeloit  Jean  comme  lui,  étoit  bourgeois.  Sa  mère  sappcloit  Mar- 
guerite Vaugron,  petite-fille  de  M.  de  Basmaison,  célèbre  commenta- 
teur de  la  Coutume  d'Auvergne.  H  avoit  un  frère  qui  se  fit  jésuite,  et 
deux  sœurs  qui  furent  mariées.  Le  pèreSirmond,  jésuite,  grand-oncle 
de  M.  Domat,  confesseur  du  roi  Louis  XIII,  se  chargea  de  son  éduca- 
tion. Il  le  conduisit  h  Paris,  le  mit  au  collège  de  Clermont,  où,  avec 
les  humanités  et  la  philosophie,  il  apprit  encore  le  gi'ec,  l'italien ,  l'es- 
pagnol et  la  géométrie.  La  vivacité,  la  beauté,  l'élévation  et  la  justesse 
de  son  esprit,  lui  donnoient  une  merveilleuse  facilité  pour  toutes  sortes 
de  sciences  ^ 

«  Aprèé  le  cours  des  études  du  collège,  il  revint  dans  sa  famille.  Il  fut 
ensuite  prendre  ses  licences  en  droit  dans  l'Université  de  Bourges. 
M.  Emérilius^  lui  trouva  tant  de  capacité,  qu'il  lui  offrit  le  bonnet  de 
docteur  quoiqu'il  n'eût  que  vingt  ans.  Au  retour  de  Bourges ,  il  suivît 
le  barreau  et  commença  à  plaider  avec  un  succès  extraordinaire.  Il  con- 
tinua cet  exercice  durant  neuf  à  dix  ans,  et,  pour  remplir  plus  digne- 
ment cet  emploi,  il  s'appliqua  sérieusement  à  l'étude  du  droit.  A  cette 
étude  il  joignit  celle  de  la  religion,  et  se  désabusa  bientôt  des  fausses 
préventions  qu'on  lui  avoit  inspirées  dans  le  collège  des  jésuites. 

«  Il  fit  une  liaison  étroite  avec  le  célèbre  M.  Pascal.  Leurs  premiers 
entretiens  et  leurs  premières  conférences  furent  sur  les  mathématiques  ; 
ils  firent  ensemble  plusieurs  expériences  sur  la  pesanteur  de  l'air,  etc. 
Dans  la  suite  ils  s'entretinrent  sur  les  importantes  affaires  de  l'Église , 
troublée,  comme  l'on  sait,  par  la  faction  des  jésuites.  Personne  ne  fut 
plus  parfaitement  uni  de  sentiments  avec  M.  Pascal,  sur  les  affaires 
de  la  religion,  que  M.  Domat  ;  c'est  sans  doute  ce  qui  engagea  M.  Pascal 
h  lui  confier,  préférablement  à  tout  autre ,  quelques  écrits  qu'il  avoit 
faits  sut  la  signature  du  formulaire.  M"*  Perrier  a  dit  au  P.  Guerrier  que 

*  Ferrière ,  dans  Taisand ,  ajoute  que ,  «  après  avoir  fait  son  cours  de  philosophie  , 
il  en  soutint  des  thèses  générales  avec  le  fils  de  M.  le  prince  de  Conti.  »  —  *  Per- 
rière :  EmervUle.  Terrasson ,  avec  raison  :  Edmond  Morille,  professeur  de  droit  à 
Bourges,  mort  en  i647t  et  dont  la  notice  est  dans  Taisand,  tandis  quËmerville 
ou  Ëmérillc  est  absolument  inconnu» 


10  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

8on  oncle  avoil  prié  M.  Domat,  en  lui  remettant  ces  papiers,  de  ie^ 
brûler,  si  les  religieuses  de  Port-Royal  se  soutenoient  dans  la  perséco- 
tion  qu'elles  soufiroient  à  ce  sujel,  et  de  les  rendre  publics,  si  elles 
plioient.  M.  Domat  fut  aussi  très -lié  avec  la  famille  de  M.  Pascal,  et 
avec  Messieurs  de  Port-Royal,  qui  rcslimoienl  beaucoup  et  prenoient 
ses  avis  sur  des  matières  de  théologie.  Sétant  trouvé  à  Paris  durant  la 
dernière  maladie  de  M.  Pascal,  après  lui  avoir  rendu  les  devoirs/I'un 
ami  sincère ,  il  reçut  ses  derniers  soupirs. 

»  A  l'âge  de  vingt-deux  ans,  M.  Domat  épousa  M''^  Blondel .  de  bonne 
famille,  suivant  plutôt  la  volonté  de  son  père,  à  qui  il  etoit  parfaite- 
ment soumis,  que  sa  propre  inclination.  Dieu  bénit  ce  mariage  en  leur 
donnant  plusieurs  enfants  ^  après  la  naissance  desquels .  fepouse  n  é- 
tant  pas  moins  chrétienne  que  l'époux .  ils  firent  ronooitre  par  leur 
conduite  le  motif  qui  les  avoit  unis. 

<'  Sept  ou  huit  ans  après  son  mariage ,  il  fut  pourvu  d  une  charge  d  a- 
vocat  du  rov  au  siège  présidial  de  Clermont .  dont  il  renoplit  les  devoirs 
avec  dignité  pendant  près  de  ti  ente  années;  ses  conclusions  lurent  tou- 
jours suivies  à  l'exception  de  trois  ou  quatre.  Il  etoit  ferme  dans  1  exer- 
cice de  ses  fonctions  ;  nulle  considération  humaiiif  ne  i  afioiblis6oit 
ayant  fàdt  mettre  en  prison  un  homme  qui  fut  surpris  dans  une  action 
contraire  aux  bonnes  mœurs  et  à  la  police,  et  M.  l'intendant  de  la  pro- 
vince, dans  une  visite  aux  prisons,  après  avoir  appris  du  prisoonier 
la  cause  de  sa  détention.  Tayaut  élaip,  \i.  Donifet  le  fit  remettre  en 
prison. 

«Les  grands  jours  étant  veous  à  Clermont  en  166 5.  M.  Domat  fit 
avec  MM.  les  présidents  de  Novion,  Pelletier  et  Talon,  une  étroite  liai- 
son qui  a  duré  jusqu'à  la  mort.  Ces  messieurs,  après  avoir  reconnu  sa 
capacité  et  son  intenté ,  lui  confièrent  le  soin  de  plusieurs  aŒures  im- 
portantes ,  et  en  particulier  la  recherche  de  la  noblesse  qui  abosoit  de 
son  autorité  ^.  Ny  les  menaces  de  plusieurs  gentilshonunes  qui  avoiect 
juré  sa  perte,  ny  quelques  coups  de  fiisil  tirés  sur  lui .  ne  furent  point 
capuihles  de  l'intimider  dans  les  fonctions  de  sa  charge. 

t  Au  commencement  de  l'année  166a,  les  jésuites  emplovèrent  bien 

'  Ferrière,  1,  1.  :  «  Son  père  Tavoit  ûiariè,  le  8  juillet  16A8,  avec  la  fiUe  du  sieur 
Blondel,  avocat  an  présidial  de  Qermont.  D  en  eut  treize  enfants.  Huit  rnoorurent 
trés-jeunes ,  et  les  cinq  autres ,  qui  restèrent ,  éioient  trois  filles  et  deux  garçcois , 
Jean  Domat,  chanoine  de  la  cathédrale  de  Gennont,  el  Gâbert  Domat.  oonseîUer 
a  ia  cour  des  aides  de  la  même  ville.  >  —  *^Terra!«sQn  dit  que  les  présidents  de  No» 
rion ,  Lepelletier  et  Talon ,  lui  confièrent  le  soin  de  plusiairs  afiaires  importantes , 
«tant  désigner  la  nature  de  ces  affaires.  Les  df  taiis  donnés  dam  oeue  partie  du 
mémoire  sont  entièrement  nouveaux. 


JANVIER  1843.  11 

des  artifices  çt  des  fourberies  pour  s  emparer  du  collège  de  Clermont; 
MM.  les  chanoines  de  Téglise  cathédrale  écrivirent  à  M.  Domat,  qui 
étoit  à  Paris,  et  lui  envoyèrent  une  procuration,  en  le  priant  de  s'op- 
poser en  leur  nom  à  cet  établissement,  ^ ai  ne  peut,  disoient-ils ,  produire 
d'autre  effet  que  l'interruption  de  cette  quiétude  que  nos  pères  nous  ont  con- 
servée depuis  tant  d'années,  M.  Domat  fit  de  son  mieux  pour  rendre  ser- 
vice en  cette  occasion  à  sa  patrie,  mais  sans  succès,  le  père  Annat, 
confesseur  du*roy,  ayant  sçu  tromper  ce  prince  par  ses  impostures^. 

«Quelques  années  après,  un  ecclésiastique,  M.  Légerat,  de  la  com- 
munauté de  Saint-Joseph;  établie  à  Lyon,  qui  est  mort  leur  supérieur 
général ,  après  avoir  prêché  deux  années  consécutives  deux  avents  et 
deux  carêmes  dans  la  cathédrale  de  Clermont  avec  un  concours,  un 
applaudissement  et  un  succès  extraordinaires ,  fit  un  bon  et  beau  dis- 
cours sur  lamour  de  Dieu.  Los  jésuites ,  ennemis  jurés  de  ce  grand  pré- 
cepte, engagèrent  M.  Tévêque  (M.  Barbouze)  à  interdire  ce  prédica- 
teur, qui  se  disposoit  à  prêcher  Tavent  et  le  carême  suivant  à  Riom. 
M.  Domat,  ne  pouvant  faire  autre  chose  pour  réparer  l'injure  faite  à  la 
religion  et  au  premier  précepte  par  Tinterdit  de  cet  excellent  prédica- 
teur des  vérités  de  TEvangile,  ramassa  plusieurs  attestations  de  gens 
d*honneur  qui  rendoient  témoignage  qrfil  n*avoit  rien  dit  que  de  con- 
forme à  la  doctrine  de  TÉglise ,  et  les  lui  remit  entre  les  mains. 

^  Vers  le  même  temps  M.  Domat  fit  un  voyage  à  Aleth  pour  consulter 
le  grand  évêque  (M.  Pavillon)  qui  en  rcmpÛssoit  le  siège.  Sa  famille  et 
plusieurs  de  ses  amis  le  pressoient  de  se  défaire  de  sa  charge  d'avocat 
du  roy ,  afin  qu'ayant  plus  de  temps  à  travailler  dans  son  cabinet  les 
émoluments  qui  lui  en  reviendroient  le  missent  en  état  de  fournir  aux 
besoins  de  sa  famille,  car  il  n étoit  pas  riche.  M.  d' Aleth,  connoissant 
la  manière  dont  il  remplissoit  les  fonctions  de  sa  charge ,  fut  d'avis  qu'il 
ne  s'en  défît  pas  ^. 

«Le  désintéressement  de  M.  Domat  ne  pouvoit  être  plus  grand;  il 
aimoit  tendrement  sa  famille ,  qui  étoit  assez  nombreuse ,  il  en  sentpit 
les  besoins,  et  néanmoins  ses  amis,  ne  pouvoient  lui  persuader  de  dimi- 
nuer les  gratis  dans  les  adaires  où  il  étoit  employé;  il  refusa  même  cons- 
tamment le  don  d'un  bien  considérable  qu'un  ami  le  pressa  longtemps 
d'accepter,  et,  lorsqu'on  lui  représentoit  qu'il  laisseroit  des  enfants  sans 
bien  :  Si  c'est  la  volonté  de  Dieu ,  disoit-il ,  je  ne  dois  pas  m'y  opposer'. 

«  L'estime  générale  qu'il  s'étoit  *acquise  par  son  savoir,  par  son  inté- 

'  Voy.  notre  second  «rticle.  —  *  Hist.  de  Port- Royal,  t.  IV,  p.  465.  —  *  Suppl 
au  Néendoge,  p.  661 . 

a. 


12  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

grité  et  par  sa  droiture,  le  rendoit  l'arbitre  de  toutes  les  grandes  affaires 
de  la  province. 

«  II  avoit  un  grand  amour  pour  les  pauvres  ^  et  les  soulageoit  selon  son 
pouvoir,  et  prenoit  un  soin  particulier  des  affaires  des  hôpitaux^.  Mais, 
s*appliquant  ainsi  à  rendre  service  au  prochain ,  il  ne  négligeoit  en  rien 
les  devoirs  de  sa  charge;  il  étoit  laborieux  et  nétoit  jamais  détourné  par 
aucun  amusement.  Si  on  le  pressoit  de  prendre  quelque  repos  :  «  Tra- 
vaillons, disoit-il;  nous  nous  reposerons  dans  le  ParadiS*.  »  - 

((Ayant  partagé ,  (lans  les  premières  années  de  son  établissement,  la 
succession  d'un  oncle  chanoine ,  il  remit  aux  pauvres ,  dans  la  suite ,  avec 
une  scrupuleuse  exactitude ,  tout  ce  qu  il  put  soupçonner  y  avoir  de  bien 
ecclésiastique  dans  cette  succession  *. 

((  Dieu  avoit  donné  à  M.  Domat  de  grands  sentiments  de  religion  ;  il 
saffligeoit  sur  tous  les  maux  de'  TÉglise,  il  gémissoit  continuellement 
du  déluge  d'erreurs  qui,  par  la  négligence  ou  la  foiblesse  des  pasteurs, 
ternissoient  la  pureté  de  la  foy,  renversoient  la  règle  sainte  des  niœiirs, 
et  faisoient  mépriser  celle  de  la  discipline,  a  N-aurois-je  jamais ,  disoit-il , 
la  consolation  de  voir  un  pape  chrétien  sur  la  chaire  de  saint  Pierre  ^!  » 
.  Il  n  estimoit  que  les  prédicateurs  qui  annonçoient  les  véiités  de  l'Evan- 
gile avec  une  simplicité  digncde  la  parole  de  Dieu. 

((Il  ne  permit  point  à  M.  son  fds,  l'ecclésiastique,  de  prendre  des 
grades  en  Sorbonne,  parce  qu'il  étoit  fort  opposé  aux  signatures  que 
l'on  y  exige ,  quoiqu'il  lui  eût  été  très-facile  d'obtenir  un  bénéfice  pour 
ce  fils,  et  que  les  affaires  de  sa  famille  dussent^  selon  l'usage  du  monde, 
le  porter  à  faire  quelque  démarche  pour  cela  ;  il  ne  voulut  ni  en  faire, 
ni  consentii'  qu'on  en  fit^.  Les  jésuites,  dans  la  province,  le  r^gardoient 
comme  leur  grand  ennemi'';  il  l'étoit  en  effet,  non  de  Içurs  personnes, 
mais  de  leurs  mauvaises  doctrines ,  de  leur  morale  corrompue  et  de  leurs 
pratiques  dangereuses;  aussi  ne  voulut-il  jamais  leur  confier  l'éducation 
de  ses  enfants. 

((  La  confusion  que  M.  Domat  remarqua  dans  les  lois  le  détermina 
à  en  faire  une  étude  singulière,  et  à  s'appliquer  en  même  temps  à  un 
travail  qui  ne  devoit  être  que  pour  son  usage  particulier  et  pour  ses 

*  SuppL  au  Nécroloqe,  p.  46i;  Hist.  de  Port-Royal,  t.  IV,  p.  465.  —  *  Additions  de 
Ferrière  p.  638.  —  Suppl.  aa  Nécrologe  et  Hist.  de  Port-Royal.  C'est  le  mot  qu'a- 
dressa aussi ,  dit-on ,  Arnauld  à  Nicole.  —»•*  ibid.  —  ^  Suppl.  au  Nécrologe.  —  *  Suppl. 
au  Nécrologe,  —  '  Le  Supplément  au  Nécrologe  parle  de  Ténergie  avec  laquelle , 
en  1673,  «il  réprima  le  P.  Duhamel ,  jésuile ,  qui  avait  osé,  dans  la  catliédrale  de 
Clermont,  prêcher  rinfaillibilité  du  pape  et  contredire  les  maximes  du  royaume  et 
les  sentiments  de  l'Eglise  gallicane.  »  Voyez,  sur  ce  point,  notre  second  article. 


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enfants  qui  voudroient  prendre  le  parti  de  la  robe  ;  mais ,  l'ayant  fait  voir 
à  quelques-uns  de  ses  amis,  ils  le  trouvèrent  si  beau,  et  jugèrent  qui! 
pouiToit  être  si  utile  au  public,  quils  l'engagèrent  à  le  communiquer 
^  des  personnes  habiles  et  constituées  en  dignité. 

«  En  1 681 ,  il  fit  un  voyage  exprès  à  Paris.  Le  plan  de  son  ouvrage, 
et  ce  qu'il  avoit  déjà  fait,  fut  si  goûté,  que  S.  M.  lui  ordonna  de  le  con- 
tinuer, avec  promesse  d'une  pension  de  2,oojo  livres  ^ 

«M.  Domat  se  retira  donc  tout  à  fait  à  Paris,  pour  s'appliquer  uni- 
quement à  cet  ouvrage,  c'est-à-dire  aux  Lois  civiles  dans  leur  ordre  na- 
turel ,  et  travailler  sous  les  yeux  de  ceux  qui  l'y  avoient  engagé  ;  il  le  leui* 
comQîuniquoit  à  mesure  qu'il  avançoit.  Ces  messieurs  goùtoient  de  plus 
en  plus  l'ouvrage,  et  M.  d'Aguesseau,  conseiller  d'Etat,  lui  dit  en  lui 
remettant  un  cahier  où  étoit  le  traité  de  l'usure  :  «Je  savois,  Monsieur, 
uque  l'usure  étoit  défendue  par  fEcriture  et  par  les  lois;  mais  je  ne  la 
u  savois  pas  contraire  au  droit  naturel  :  votre  écrit  m'en  a  persuadé  ^.  » 
M.  Domat  ne  pouvoit  s'empêcher  d'applaudir  lui-même  à  son  ouvrage 
et  de  marquer  en  quelques  occasions  l'estime  qu'il  en  faisoit;  s'en  étant 
expliqué  de  la  sorte  à  un  ami,  il  dit  tout  de  suite  :  u  Je  suis  surpris  que 
«Dieu  se  soit  servi  d'un  petit  homme,  d'un  homme  de  néant  comme 
«moi,  pour  faire  un  si  bel  ouvrage,  pendant  qu'il  y  a  à  Paris  des  per- 
«  sonnes  d'un  si  grand  mérite  *.  » 

«Lorsque  son  afnour  pour  la  justice  et  pour  la  vérité  l'obligeoit  à 
s'élevei'  avec  force  contre  tout  ce  qui  y  étoit  contraire,  il  conservoit 
dans  son  cœur  de  vifs  sentiments  de  mépris  pour  lui-même ,  et  ces  sen- 
timents se  produisoient  quelquefois  malgré  lui  au  dehors ,  comme  il 
parut  dans  une  rencontre  où  un  ecclésiastique  de  mérite  ,  parlant  dans 
une  compjignie  très-avantageusement  d'une  personne,  après  en  avoii* 
fait  un  éloge  accompli  :  «  U  vous  ressemble,  »  lui  dit-il.  M.  Domat ,  par 
un  mouvement  subit ,  répondit  avec  sa  vivacité  naturelle  :  «  C'est  donc 
«  quelque  chose  de  bien  horrible  !  » 

«L'application  au  travail  causa  à  M.  Domat  de  grandes  iniirmijtés  ' 
qui  le  conduisirent  au  tombeau  ;  il  souffroit  de  violents  accès  d'asthme 

^  Perrière  dit  que  ce  fut  M.  Lepelletier  qui  fut  le  protecteur  de  Domat  auprès 
(lu  roi.  «  L*attention  que  M.  Lepelletier  avoit  pour  le  bien  public  fit  qu'il  se  résolut 
(Ven  parier  à  Sa  Majesté  de  manière  à  en  être  écouté  favorablement.  Le  roi,  qui 
connoissoit  sa  candeur,  sa  probité  et  son  discernement,  très-satisfait  du  rapport  qu'il 
lui  venoit  de  faire ,  lui  répondit  qu'il  falloit  que  Fauteur  restât  à  Paris  pour  le  con- 
duire à  sa  perfection ,  pour  raison  de  quoi  Sa  Majesté  lui  accordoit  une  pension  de* 
2,000  livres.  »  Terras^on  fait  le  même  récit.  —  *  Cf.  le  Recueil  d'Utrecht.  H  s'agit 
ici  de  M.  d'Aguesseau,  conseiller  d'Etat,  père  de  l'illustre  chancelier.  —  *  Cf.  SuppL 
oo  Nicroloife  et  UisL  de  Port-RoyaL 


14  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  de  vivos  douleurs  de  la  pierre  :  ces  deux  maux  furent  Texerciee  de 
sa  patience  et  le  moyen  dont  Dieu  se  servit  pour  le  purifier  plus  par- 
faitement. Il  disoit  souvent  avec  action  de  grâces ,  pendant  ses  grandes 
douleurs  :  «  C'est  un  excellent  moyen  dont  Dieu  se  sert  poor  purifier 
«  les  hommes.  »  Un  de  ses  amis  Tétant  venu  voir  dans  un  violent  accès 
d'asthme,  M.  Domat,  voyant  cet  ami  touché  de  son  état  :  uCé  mal  n*est 
((  rien,  lui  ditril ,  en  comparaison  de  lautre  (c  est-à-dire  des  douleurs  de 
«la  pierre);  vous  voyez,  ajouta-t-il,  que  je  suis  bien  impatient',. imîs  je 
une  puis  m*empêcher  de  crier.»  Il  disoit  encore  k  cet  ami  que»  s'ap- 
pliquant  quelquefois  au  travail  durant  les  plus  vives  douleurs  de  b 
pierre,  il  ne  les  sentoit  plus;  il  lui  dit  aussi  que^  par  ouhli,  lui. étant 
arrivé  de  faire  deux  fois  les  mêmes  titres  et  les  mêmes  sections,  il  les 
avoit  trouvés  si  parfaitement  conformes ,  qu'il  n  y  avoit  pas  eu  un  mot 
de  différence.  Souvent,  après  avoir  médité  pendant  la  nuit  la  section 
ou  le  titre  sur  lequel  il  devoit  travailler  en  se  levant,  il  Técrivoit  cou- 
ramment, et  le  donnoit  en  même  temps  au  copiste  pour  le  distribuer 
aux  personnes  t\  qui  il  le  communiquoit. 

«  U  s  étoit  fait  une  si  grande  réputation  à  la  cour,  que  feu  M.  le  ré- 
gent, qu'on  nommoit  alors  M.  le  duc  de  Chartres,  voulut  ayoir  avec 
lui  une  conférence  sur  son  ouvrage,  dont  le  prince  parut  fort  content^. 

«Les  Lois  civiles  dans  leur  ordre  naturel  furent  imprimées  par 
*  Coignard,  en  1696,  en  3  tomes  in-à**;  le  Droit  public,  qui  est  une 
suite  des  lois  civiles,  fut  aussi  imprimé  chez  le  même  libraire,  i^rès  la 
mort  de  M.  Domat,  en  1697.  M.  Domat,  pendant  Texercice  d  avocat 
du  roy,  avoit  fait  plusieurs  harangues  que  Ton  trouvoit  belles,  mais 
qu'il  n'a  point  revues ,  et  qu'il  auroit  même  jetées  au  feu ,  si  ses  en&nts 
ne  l'en  avoient  pas  détourné'^. 

«  Enfm ,  consumé  par  le  travail  et  par  ses  grands  maux,  U* mourut  â 
Paris,  le  1  li  mars  1696^,  dans  une  grande  paix ,  âgé  de  70  ans  3  mois 
4. jours.  Il  voulut  être  enterré  dans  le  cimetière  de  Saint-Benoit,  sa  pa- 
roisse ;  il  laissa  en  mourant  cinq  enfants,  dont  trois  filles  et  deux  fils. 

• 

*  Perrière  et  Terrasson  disent  que  Domat,  conduit  par  M.  Lepelletier,  fat  admis 
à  présenter  à  Louis  XIV  les  premiers  volumes  des  Lois  civiles  à  mesure  qu'ils  pa- 
rurent. —  *  Ces  harangues  se  trouvent  dans  fédition  in-folio  de  Domat  de  1705. 
£Ues  furent  prononcées  de  Tannée  1667  à  Tannée  i683.  Elles  occopent  quarante 
pages  ii^-foUo  à  deux  colonnes.  Presque  toutes  ces  harangues  rouleat  sur  le»  devoirs 
des  juges  et  des  avocats.  Elles  ont  un  caractère  particulier  de  sévérité.  Les  lois  ro- 
maines y  sont  très-rarement  citées;  mais,  en  revanche,  la  Bible  et  l'Evangile  y  re- 
viennent si  fréquemment,  qu*on  prendrait  ces  harangues  pour  des  sermons  «  si  Ion 
ne  eonnaissait  le  nom  de  1  auteur.  —  '  Terrasson  donné  la  inéme  date.  Ferrière  : 
mars  1695. 


JANVIER  1843.  15 

Mesdemoiselles  ses  filles  sont  mortes  dans  un  âge  assez  avancé;  elles  ont 
été  le  modèle*des  vierges  chrétiennes  de  leur  temps  par  leur  piété,  leur 
modestie  »  la  retraite  et  Téloignement  de  ce  que  le  monde  estime  et  re- 
cherche. M.  son  fils  aîné  est  chanoine  de  la  cathédrale  de  Clermont,  et 
le  second ,  conseiller  à  la  cour  des  aides  de  la  même  ville.  » 

Le  mémoire  jusqu'alors  inédit  sur  la  vie  de  Domat,  que  nous  vanons 
de  transcrire ,  contient  bien  des  particularités  nouvelles.  11  nous  initie  aux 
sentiments  les  plus  intimes  et  nous  découvre  le  fond  de  cette  âhie  qu'une 
religion  forte  et  éclairée  avait  préparée  et,  en  quelque  sorte ,  consacrée  au 
service  de  l'humanité  et  de  la  science.  Deux  points  obscurs  de  la  vie  de 
Domat  reçoivent  surtout  ici  de  vives  lumières ,  ses  rapports  avec  Pascal 
et  ses  démêlés  avec  les  jésuites. 

On  savait  déjà  que  les  mathématiques  avaient  été  un  des  liens  do 
Pascal  et  de  Domat.  Le  Recueil  de  plusieurs  pièces  pour  servir  à  Thi.v 
toire  de  Port-Royal  le  dit  expressément  (  p.  a  7  4  )  :  «  L'amour  qu'il  (M.  Do 
mat)  avait  pour  les  mathématiques  fut  ce  qui  lui  donna  occasion  de  se 
lier  si  étroitement  avec  M.  Pascal.»  L'Histoire  do  Tabbaye  de  Por( 
Royal  (t.  IV,  p.  USlx)  le  répète;  mais  c^  que  nous  ignorions  jusqu'ici, 
c'est  que  Domat  eût  fait  avec  Pascal  les  célèbres  expériences  sur  la  pe- 
santeur de  l'air.  Il  est  fâcheux  que  ce  renseignement  ne  soit  pas  plus 
détaillé. 

Nous  connaissons  beaucoup  mieux  le  rôle  que  joua  Domat  dans  l'af- 
faire alors  si  importante  de  la  signature  du  formulaire  que  l'autorité 
e6clésiastique  imposait  aux  religieuses  de  Port-Royal.  Ce  qui  se  trouve» . 
à  cet  égard ,  dans  notre  mémoire  est  confirmé  et  développé  par  les  deux 
écrits  jansénistes  que  nous  avons  cités.  Le  Supplément  au  Nécrologe  de 
Port -Royal  (p.  460)  s'exprime  ainsi  :  «  Se  trouvant  à  Paris  dans  le  temps 
que  l'on  commença  à. exiger  la  signature  du  formulaire,  il  (Domat)  as 
sista  à  toutes  les  assemblées  qui  se  tinrent  pour  chercher  les  moyens  de 
foire  signer  les  religieuses  de  Port-Royal  d'une  manière  qui  contentât 
les  supérieures  sans  donner  atteinte  à  la  pureté  de  leur  foi  ni  aux  règles 
de  la  sincérité  chrétienne M.  Pascal  n'approuva  aucune  des  résolu- 
tions où  l'on  s'arrêta.  11  prétendit  que  non-seulement  on  ne  devait  pas 
laisser  soupçonner  que  l'on  attribuât  les  cinq  propositions  à  Jansénius , 
mais  encore  qu'il  fallait  avoir  soin ,  en  signant  leur  condamnation ,  de 
mettre  à  couvert  le  sens  de  Jansénius,  parce  que  c'était  celui  de  la  grâce 
efficace  par  elle-même ,  et ,  par  conséquent ,  la  pure  doctrine  de  Sain  t- Au- 
gustin  et  de  toute  l'Église.  M.  Domat  fut  de  l'avis  de  M.  Pascal.  »  Le  * 
Recueil  d'Utrecht,  qui  expose  d'après  Mai^uerite  Perrier  tout  le  détail 
de  cette  affaire,  raconte,  page  3 1  a ,  que,  dans  une  dernière  conférence» 


16  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qui  eut  lieu,  à  ce  sujet,  chez  Pascal ,  celui-ci,  voyant  la  plupart  de  ceux 
qui  étaient  présents  passer  à  l'avîs  d^Arnauld  et  de  Nicole ,  «  en  fut  si 
pénétré  de  douleur,  qu'il  se  trouva  mal  et  perdit  la 'parole  et  la  con- 
naissance; tout  le  monde  fut  surpris  et  on  s'empressa  pour  le  faire  re- 
venir. Ensuite  ces  messieurs  se  retirèrent  et  il  ne  resta  que  M.  de  Roanès 
et  i\L  Domat  (qui  eut  grande  part  aux  écrits  de  M.  Pçiscal)  et  M.  Perrier 
le  iils.  » 

Quels  peuvent  être  ces  écrits  de  Pascal  auxquels  Domat  aurait  eu 
une  grande  part?  Seraient-ce  quelques  parties  des  Provinciales?  Cela 
n'est  guère  admissible.  Il  reste  donc  que  ce  soit  iesfactams  pour  les  cu- 
rés de  Paris,  que  la  tradition  janséniste  attribue  à  Pascal ,  ou  ses  écrits 
aujourd'hui  perdus  contre  la  signature  du  formulaire.  Nous  inclinerions 
h  penser  qu  il  s'agit  de  ces  derniers;  du  moins  le  Supplément  au  Nécro- 
loge  de  Port-Royal  nous  apprend  que  Domat  écrivit  comme  Pascal 
pour  défendre  leurs  sentiments  communs  :  «  Quel  sujet  le  public  n'a-t-il 
pas  de  se  plaindre  de  ce  que ,  pour  des  raisons  qu'il  ne  saurait  approu- 
ver, on  Ta  privé  jusqu'à  présent  des  lumières  qu'il  eût  pu  tirer  de  ce  que 
ces  deux  grands  hommes  avaiejit  écrit  en  cette  occasion  !  »  Le  Recueil 
d'Utrecht,  en  lyAo,  confirme  ce  que  disait,  en  lySS,  le  Supplément  au 
Nécrologe.  Recueil,  page  3  a  a  :  «Pour  les  écrits  de  M.  Pascal  on  ne  sait 
s'ils  existent  encore.  Il  les  confia  à  M.  Domat  préférablement  à  tout 
autre,  et  le  pria  de  les  brûler,  si  les  religieuses  de  Port-Royal  se  sou- 
tenaient, et  de  les  faire  imprimer,  si  elles  pliaient.  M.  de  Roariès,  qui  en 
avait  des  copies,  les  brûla.  Pour  M.  Domat,  une  lettre  de  M.  l'évêqùe 
d'Aleth  témoigne  qu'il  fut  vivement-  sollicité  d'en  faire  autant.  »  Notre 
manuscrit  contient  quatre  lettres  de  cet  évêque  à  Domat  où  cette  affaire 
est  rappelée.  Il  paraît  qu'il  s'était  élevé  quelque  différent  entre  Domat 
et  la  famille  de  Pascal ,  particulièrement  en  ce  qui  regardait  les  écrits 
que  Pascal  avait  confiés  k  Domat ,  et  que  celui-ci  refusait  de  rendre  à 
MM.  Perrier.  Troisième  lettre  de  M.  d'Aleth  à  Domat  :  «J'ai  regardé, 
monsieur,  comme  une  marque  de  votre  confiance  et  de  votre  amitié 
la  connoissance  que  vous  avez  voulu  me  donner  par  M.  Pège  de  ce 
qui  s'est  passé  entre  vous  et  la  famille  de  M.  Perrier.  La  part  que  je 
prends  à  ce  qui  vous  touche  et  l'estime  particulière  que  j'ai  pour  votre 
personne  me  portèrent  dès  lors  à  vous  écrire  pour  vous  porter  à  faire 
toutes  les  avances  qui  dépendent  de  vous  pour  une  réconciliation  sin- 
cère et  vraiment  chrétienne U  y  a  encore  un  autre  point  qui  n'a  rien 

de  commun  avec  cette  affaire  et  qui  néanmoins  peut  beaucoup  nuire 
ou  beaucoup  contribuer  à  votre  réconciliation  :  c'est  touchant  certains 
écrits  de  feu  M.  Pascal  qui  vous  ont  été  confiés.  On  croit,  par  la  qua* 


JANVIER  1843.  17 

lité  de  ces  écrits  et  vu  Tétat  de  votre  famille,  qu'il  y  a  beaucoup  d'in- 
convénients que  vous  les  gardiez;  et,  comme  on  ne  voit  pas  quelle» uti- 
lité on  en  pourroit  tirer  à  Tavenir,  et  qu  il  y  a ,  au  contraire.,  tout  sujet  de 
craindre  qu'on  en  abuse  d'une  manière  préjudiciable  à  la  vérité  et  à  la 
mémoire  de  M.  Pascal ,  on  pense  que  vous  êtes  dans  l'obligation  de  les 
remettre  à  ses  parents ,  entre  les  mains  desquels  ils  ne  courent  pas  le 
même  risque,  ou  de  les  brûler  en  leur  présence,  sans  en  retenir  de  copie, 
■  comme  a  fait  une  personne  de  qualité  et  de  mérite,  ami  de  M.  Pascal, 
qui  avoit  une  copie  des  mêmes  écrits.  C'est,  monsieur,  ce  que  je  crois 
que  vous  devez  faire  par  principe  de  conscience  et  d'honneur,  et  même 
vous  servir  de  cette  occasion  comme  d'un  moyen  pour  faciliter  et  affer- 
mir votre  réconciliation Nicolas,  évêque  d'Aleth ,  à  Aleth,  ce  26 

septembre  1 676.  »  On  ignore  ce  que  fit  Domat;  on  voit  seulement  par 
une  autre  lettre  de  M.  d'Aleth  qu'il  se  réconcilia  avec  les  Perrier.  «  Je 
n*ai  point  eu,  monsieur,  l'occasicui  de  vous'  écrire  depuis  que  j'ai  su 
votre  parfaite  réunion  avec  là  famille  de  M""  Perrier  :  j'en  ai  été  ex- 
trêmement consolé  et  édifié i^'août  1677  ^-^ 

'  Puisque  Domat  fut  le  confident  et  peut-être  le  collaborateur  de  Pascal , 
puisqu'il  l'assista  dans^a  dernière  maladie  et  reçut  ses  derniers  soupirs , 
comme  nous  l'apprepd  l'auteur  inconnu  de  notre  mémoire ,  nul  n'était 
plus  capable  que  lui  de  témoigner  des  derniers  sentiments  de  son  ami 
et  de  la  fausseté  de  la  prétendue  rétractation  que  Pascal  aurait  faite  à 
son  lit  de  mort,  entre  les  mains  de  M.  Beurier,  curé  de  Saint-Etienne^. 
Aussi,  quand  M.  de  Péréfixe ,  archevêque  de  Paris, "voulut  faire  usage 
de  cette  prétendue  rétractation,  personne  n'eut  plus  d'autorité  que 
Domat  pour  s'opposer  à  ces  bruits  mensongers  et  attester  que  Pascal 
était  mort  comme  avait  écrit  l'auteur  des  Provinciales.  Un  M.  Audigier 
ayant  eu  l'idée  de  publier  la  déclaration  que  M.  l'archevêque  avait  sur- 
prise au  curé  de  Saint-Etienne,  Domat  se  joignit  à  M"*  Perrier  afin 
d'empêcher  la  propagation  de  cette  calomnie.  Notre  manuscrit  renferme 
la  lettre  suivant|^,  jusqu'ici  entièrement  inconnue,  de  Domat  à  ce  M:  Au- 
digier :  «  Vous  serez  peut-être  surpris  de  la  liberté  que  je  prends  de  vous 
écrire  sur  le  même  sujet  dont  M"*  Perrier  vous  écrit  aussi,  parce  que  la 
considération  que  je  sçay  que  vous  avez  pour  son  mérite,  et  pour  le 
grand  intérêt  qui  l'oblige  à  vous  faire  la  prière  qu'elle  vous  fait,  devroil 

• 

'  Les  quatre  lettres  de  M.  d* Aleth  sont  terminées  par  cette  noie  dans  le  manus- 
crit :  •  On  a  copié  ces  quatre  lettres  sur  les  originaux ,  qui  sont  entre  les  mains  de 
M.  Domat ,  conseiller  à.la  cour  des  aides ,  ù\s  de  celui  à  qui  elles  ont  été  écrites.  » 
—  *  Voyez,  sur  celle  rétractation ,  le  Recueil  d'Utrecht,  p.  3^7,  et  le  Supplémenl 
au  Néérologe ,  p.  a8o. 


18  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

me  persuader  que  rien  de  ma  part  ne  peut  vous  toucher  à  Tégal  de  sa 
prière  et  de  ses  raisons.  Mais,  monsieur,  j*ai  cru  par  une  autre  yeue  que 
je  manquerois  à  ce  que  je  dois  à  la  mémoire  d^  M.  Pascal,  si  je  nég^i- 
geois  de  témoigner,  dans  une  occasion  de  cette  conséquence ,  combien 
je  m'attache  à  tout  ce  qui  peut  intéresser  Thonneur  de  son  nom.  Vous 
savez,  monsieur,  les  raisons  qui  me  donnent  ces  sentiments;  car  vous 
connoissez  beaucoup  mieux  que  le  commun  le  mérite  extraordinaire  de 
M.  Pascal,  et  surtout  quelle  étoit  sa  sincérité  et  sa  fermeté  proportionnée 
à  rélévation  de  son  esprit.  Et,  quand  je  naurois  pas  eu  la  part  singulière 
qu'il  m*a  fait  Thonneur  de  me  donner  dans  son  amitié ,  je  ne  pourrois  me 
dispenser,  en  cette  rencontre ,  de  vous  faire  connoître,  monsieur,  que  le 
sujet  de  sa  prétendue  rétractation  est  une  calomnie,  la  moins  vraisem- 
blable à  tous  ceux  qui  ont  connu  M.  Pascal,  et  la  plus  fausse,  en  effet, 
qui  ait  jamais  été  pensée;  et  aussi  le  malentendu  qui  en  fut  la  cause  s'est 
expliqué  par  la  rétractation  de  la  personne  qui  avoit  donné  sujet  à  ce 
bruit,  delà  manière  que  M"*  Perrier  vous  l'expliquera  par  sa  lettre  :  et 
je  dois  ajouter  à  son  témoignage  et  à  son  récit  que  personne  au  monde 
n'a  jamais  sçu  mieux  que  moy  les  sentiments  de  M.  Pascal  sur  ce  sujet, 
et  pendiant  sa  vie ,  et  pendant  sa  maladie ,  et  à  sa  fhort  ;  et  je  puis ,  mon- 
sieur, vous  assurer  par  ma  connoissance  de  la  vérité  de  cette. histoire, 
dont  je  ne  répète  pas  le  récit  que  vous  en  fait  M™  Perrier.  Ainsi,  mon- 
sieur, je  m'assure  avec  elle  et  sa  famille  et  tous  les  amis  de  M.  Pascal, 
et  pour  l'estime  que  vous  avez  de  son  mérite,  que  vous  laisserez  à 
M"**  Perrier  le  dr©it  naturel  du  sort  de  la  pièce  qui  est  tombée  entre 
vos  mains .  et  qu'au  lieu  de  l'obligation  du  bon  office  que  vous  penserez 
rendre ,  on  vous  aura  celle  de  n*en  pas  rendre  un  très-mauvais  et  à  la 
mémoire  de  M.  Pascal  et  au  repos  de  M°"  sa  sœur.  Un  voilà  trop  pour 
vous  recommander  une  demande  aussi  juste,  et  où  vous  êtes  san$  autre 
intérêt  que  d'obliger  les  personnes  qui  vous  prient  de  le  £adre  d*une  autre 

manière  ;  je  profite  de  cette  occasion  pour  vous  assurer Dobiat. 

A  Glermont,  le  1 5  janvier  1 682 .  Copié  sur  l'original.  »  ^ 

V.  COUSIN. 

(  La  suite  au  prochain  cahier.  ) 


JANVIER  1843.  19 

La'JREàle  Galle  Ri  a  di  Tobino,  illustrata  da  Rob.  d'Azeglio,  di- 
rettore  délia  medesima.  Torino,  in-folio,  fescicoH  1-24»  i835- 
i842. 

TROISIÂME    ARTICLE. 

Je  viens  d*indiquer  brièvement  plusieurs  des  principaux  ouvrages  de 
peinture  que  renferme  la  Galerie  de  Turin ,  et  qui ,  n'étant  pas  encore 
publiés ,  serviront  à  accroître  de  plus  en  plus  l'intérêt  du  recueil  de 
M.  d'Azeglio,  et  peuvent,  dès  ce  moment,  en  faire  apprécier  Timportance 
à' nos  lectem's.  Il  résulte  de  cet  aperçu  que ,  bien  que  formée,  pour  ainsi 
dire,  au  hasard  des  circonstances ,  sans  but  arrêté ,  par  des  princes  qui 
n'avaient  ni  le  goût  ni  les  connaissances  nécessaires  pour  composer  une 
galerie  de  tableaux  dans  un  ordre  et  dans  un  esprit  conformes  à  l'inté- 
rêt de  l'art,  cette  galerie,  riche  de  cinq  cent  huit  tableaux,  distribués 
en  vingt  pièces,  tant  grandes  que  petites  ^ ,  est  déjà  néanmoins  l'une  des 
plus  considérables  de  l'Italie ,  sous  le  double  rapport  du  nombre  et  du 
mérite  des  ouvrages;  et  l'on  peut  croire  que  ce  qui  y  manque  y  sera 
tôt  ou  tard  ajouté ,  grâce  à  la  générosité  d'un  monarque  qui  ne  laisse 
échapper  aucune  occasion  de  contribuer  à  l'instruction  de  ses  peuples 
par  tous  les  moyens  de  sa  pxiissaiice,  et  qui  a  trouvé  dans  M.  d'Azeglio 
l'homme  le  plus  capable  de  seconder,  à  cet  égard,  ses  nobles  intentions. 

D  nous  reste  maintenant  à  faire  connaître,  autant  que  le  comporte 
l'espace  où  nous  devons  nous  renfermer,  les  morceaux  de  peinture  déjà 
publiés  dans  les  XXIV  premières  livraisons  du  recueil  de  M.  d'Azeglio, 
dont  quelques-uns  ont  été  cités  dans  notre  premier  article,  mais  seu- 
lement à  cause  des  observations  générales  dont  ils  nous  fournissaient 
l'occasion  et  le  sujet;  après  quoi  nous  aurons  à  signaler  à  nos  lecteurs  ce 
qui  forme  le  principsd  caractère  de  ce  recueil ,  ce  qui  le  distingue  de  toutes 
les  publications  du  même  genre,  sans  exception,  le  mérîtlTlittéraîre  et 
historique  du  texte  qui  accompagne  les  planches,  et  qui  esfdû  tout 
entier  à  la  plume  de  M.  d'Azeglio. 

'  Je  ne  puis  m^empécher,  à  cette  occasion,  de  signaler,  comme  une  idée  aussi 
heureuse  que  neuve,  la  manière  dont  Thabile  architecte  delà  Pinacotltèqae  de  Mu- 
nich ,  M.  L.  de  Klenze ,  a  distribué  les  tableaux  de  ceUe  magnifique  collection  en 
gi*andes  salles,  destinées  à  recevoir  les  principaux  ouvrages  de  chaque  maître  et 
de  chaque  époque,  lesquelles  salles  sont  accompagnées  de  petites  pièces  où  sont 
placés  les  tableaux  de  moindre  dimension  des  mêmes  maîtres  ou  des  mêmes  écoles  ; 
ce  qui  rend  Tétude  de  ces  ouvrages,  de  proportion  différente t^inliniment  plus  com- 
mode, en  ménageant  à  Foeil  et  à Tesprit  des  divisions  utiles  et  des  repos  nécessaires. 

3. 


20  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Les  tableaux  déjà  publiés'de  la  Galerie  de  Turin ,  dont  nous  avons  les 
estampes  sous  les  yeux,  peuvent  se  ranger  en  quatre  classes  principales  : 
tableaux  d*histoire  ou  de  genre,  portraits  et  paysages.  La  distribution  de 
tout  l'ouvrage  est  faite  d'après  ce  principe ,  c'est-à-dire  de  manière  que 
chaque  livraison ,  composée  de  quatre  planches ,  offre  généralement  deux 
tableaux  d'histoire  et  de  genre,  un  portrait  et  un  paysage.  Ce  mode  de 
distribution  laisse,  sans  doute,  beaucoup  à  désirer  sous  le  rapport  de  l'ordre 
historique  et  chronologique  dans  lequel  doivent  être  classées  les  diverses 
productions  de  l'art,  dans  les  différentes  écoles  ;  mais  c'est,  en  réalité ,  le 
seul  que  comporte  un  genre  de  publication  périodique  par  livraisons , 
tel  que  celui  qui  se  pratique  généralement  de  nos  jours;  et  j'ajoute  que 
ce  désordre  jipparent  se  trouve  réparé,  autant  qu'il  est  possà)le,  dans 
toute  la  suite  de  l'ouvrage ,  par  le  texte  même  de  l'éditeur,  qui  ofire  un 
cours  à  peu  près  complet  de  l'histoire  de  l'art,  où  chaque  objet  est  re- 
mis à  sa  place ,  chaque  artiste  apprécié  suivant  sa  valeur  et  jugé  d'après 
son  époque;  d'où  il  suit  que  le  classement  rigoureux,  qui  ne  saurait 
avoii*  lieu  dans  la  galerie  même,  s'établit  graduellement  dans  le  texte  du 
livrer  qui  la  représente. 

Voici  maintenant  la  liste  des  tableaux  pid)liés  dans  les  deux  volumes 
que  nous  avons  entre  les  mains,  à  commencer  par  les  tableaux  d*his- 
toire.  Un  Gaudenzio  Ferrari ,  la  Déposition  de  croix,  chef-d'œuvre  de  l'é- 
cole piémontaise,  publié  ici  pour  la  première  fois,  d'après  uiie  bonne 
gravure  laissée  imparfaite  par  feu  Garavaglia ,  de  Florence ,  et  terminée 
par  Anderloni,  de  Milan  ;  un  Raphaël ,  la  Madonna  délia  tenda,  déjà  gravée 
par  Toschi;  une  Sainte  Famille ,  de  Mantegna;  deux  bell&  Vierges,,  de 
Carlo  Dolci ,  et  une  de  Sassoferrato  ;  cinq  Guerchin ,  tableaux  de  demi- 
figures  ,  un  seul  excepté ,  le  Retour  de  l'Enfant  prodigue ,  un  des  bons  ou- 
vrages de  ce  maître ,  et  l'une  des  bonnes  gravmres  du  recueil ,  due  à  feu 
Rosaspina,  de  Bologne;  quatre  Guide,  dont  un  est  la  «Sainte  CatheYine, 
vierge  et  moi^e,  ouvrage  de  la  meilleure  manière  de  ce  peintre,  l'un  de 
ceux  o{k  brille  au  plus  haut  degré  le  mérite  de  la  beauté  dans  les  têtes 
de  femme,  qui  le  distingue  entre  tous  les  peintres  des  écoles  italiennes  ; 
Un  Sementi,  la  Cléopâtre,  copie  d'après  le  Guide  ;  un  Gentileschi,  Y  An- 
nonciation, beau  tableau ,  qui  fit  longtemps  partie  de  notre  musée  du 
Louvre  ;  un  Dan.  Grespi ,  la  Confession  de  Saint-Jean  Népomncène,  un  des 
chefs  -  d'œuvre  de  la  galerie ,  et  lune  des  plus  belles  productions  de 
l'école  milanaise  pour  la  vérité  et  la  puissance  de  l'effet ,  très-bien  gra- 
vée par  Ferreri  ;  un  Jule  César  Procaccini  ;  un  Moraxone  ;  un  Calvart , 
Sainte  Marie  Magdeleine  portée  aax  cieax,  un  des  plus  beaux  ouvrages  de 
ce  maître  et  de  toute  la  galerie  ;  deux  Albane ,  |'un  et  l'autre  du  même 


■JANVIER  1843.        '  21 

sujet,  Salmacis  et  Hermaphrodite,  traité  de  deux  manières  diflerentes, 
une  fois  avec  un  détail  d'une  inconvenance  qu  on  a  peine  à  croire  pos- 
sible ,  et  qui  fut  cependant  très-familière  à  quelques  peintres  flamands , 
enti*e  autres,  à  Patenier;  deux  Cignani,  élève  de  l'Aibane,  plus  réservé 
que  son  maître,  et  plus  soigneux  dans  lexécution  de  ses  ouvrages,  mais 
qui  porta  cette  qualité  de  son  talent  jusqu'à  l'excès ,  un  de  ces  peintres 
dont  Cicéron  disait  :  Pictores  qui  non  sentirent  quid  esset  satis  ;  un  Bemar- 
dino  Lanini ,  charmant  tableau ,  où  Ton  admire  la  grandeur  de  style  de 
Gaudenzio  Ferrari,  maître  de  l'artiste ,  tempérée  par  la  grâce  de  Léonard 
de  Vinci;  un  Allori;  un  Annibal  Caracci  ;  deux  Schidone ;  un  Carlo  Ma- 
ratta  ;  un  Salviati  ;  un  Palma  Vecchip ,  superbe  tableau  de  ce  peintre , 
où  l'on  retrouve  toute  la  dignité  de  composition  et  toute  la  beauté  des 
figures  de  femme ,  jointes  à  la  magie  de  la  couleur,  qui  lui  assignent 
un  rang  si  élevé  dans  Técole  vénitienne,  où  il  n'eut  de  supérieur  que  le 
Titien,  dont  il  était  l'élève.  A  ces  tableaux  des  diverses  écoles  italiennes 
je  dois  ajouter  ceux  des  écoles  allemande  et  flamande ,  tels  que  trois 
Rubens,dont  une  Sainte  Famille  et  une  Magdeleine,ce  dernier  sujet  traité 
plusieurs  fois  par  ce  peintre ,  et  une  fois ,  entre  autres ,  d'une  manière 
supérieure ,  il  faut  le  dire,  à  ce  tableau  de  la  Galerie  de  Turin;  deux  Ant. 
Van-Dyck,  une  Madone  et  une  Sainte  Famille,  l'une  et  l'autre  exécutées 
dans  la  manière  italienne  de  l'auteur ,  où  il  rivalise ,  dans  le  second  sur- 
tout ,  avec  toutes  les  qualités  de  Técole  vénitienne  ;  et  un  Aldegrever,  la 
VisitiUion,  charmant  tableau  d'école  allemande,  où  l'on  retrouve,  avec 
le  sentiment  et  la  naïveté  d'un  Fra  Angelico,  le  style  de  draperie  d'Alb. 
Durer,  maître  de  l'auteur. 

Parmi  les  tableaux  de  genre ,  tous  produits  dans  les  écoles  hollandaise 
et  flamande,  qui  surpassent  à  elles  seules,  dans  cetta classe  de  pein- 
tures ,  toutes  les  autres  écoles ,  à  la  fois  par  le  mérite  et  par  le  nombre 
de  leurs  ouvrages ,  je  puis  citer  quelques-uns  des  chefs-d'œuvre  les  plus 
célèbres  des  maîtres  de  Hariem ,  de  Leyde ,  d'Anvers  et  de  Bruxelles  : 
un  Van-Ostade,  son  Joueur  de  flûte;  trois  Dav.  Téniers,  deux  Intérieurs 
d'auberge  et  de  taverne ,  et  un  Joueur  de  vielle ,  tabeau  de  la  meilleure 
manière  de  ce  maître,  qui  eut  aussi  plus  d'un  degré  dans  son  style*,  un 
Hochtemburg,  la  Bataille  de  Turin,  magnifique  composition  d'un  artiste 
qui  avait  voué  ses  talents  aux  victoires  du  prince  Eugène  \  comme  Wou- 
vermaiis,  son  maître,  à  celles  de  Louis  XIV  ;  deux  Miéris,  le  Joueur  de 
-vielle  et  la  Bonne  mère ,  ce  dernier  ouvrage ,  un  des  chefs-d'œuvre  de  la 

'  Des  trois  tableaux  de  cet  artiste  qui  existent  au  musée  royal  de  la  Haye ,  \\\n 
représente  le  prince  Eugène  à  cheval,  entouré  i officiers  ;  et  c^est  un  de  ses  plus  beaux 
ouYrages. 


22  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

peinttu^e  hollandaise  et  Tun  des  bijoux  de  la  Galerie  de  Turin ,  un  tableau 
où  Ton  retrouve  tout  le  charme  tie  couleur  et  tout  le  fini  d'etécution 
que  lauteur  avait  puisés  à  Técole  de  Gérard  Dow,  son  maître ,  avec 
une  qualité  de  dessin  supérieure  ;  un  Wouvermans  ;  un  Rubens ,  groupe 
licencieux  d'une  Paysanne  et  d'un  Soldat,  où  Fauteur  semblait,  comme 
plus  d  un  peintre  célèbre  de  Tantiquité,  se  délasser  de  travaux  plus  sé- 
rieux en  jouant  avec  son  pinceau. 

Mais,  de  tous  ces  tableaux  de  genre,  d'école  hollandaise,  le  plus  re- 
marquable  sans  doute ,  d'abord  par  son  propre  mérite,  puis  par  la  fata- 
lité étrange  qui  semble  avoir  voué  &  Toubli  le  nom  de  l'auteur  de  ce 
chef-d'œuvre,  c'est  V Intérieur  de  temple  protestant  peint  par  Pierre-Jean 
Saenredam ,  dont  M.  d'Azeglio  nous  «  donné  une  bonne  gravure ,  t.  II , 
pi.  LU.  Ce  tableau ,  où  la  fidélité  de  l'imitation ,  dans  tout  ce  «qui  tient 
aux  effets  de  la  perspective,  est  porté  k  un  degré  de  perfection  qui  fit 
dire  à  notre  célèbre  peintre  Granet,  après  avoir  passé  une  heure  entière 
k  le  considérer  ^  :  «Da  tanti  anni  che  io  studio  sul  vero,  io  mi  credeva 
u  da  quai  cosa ,  ma  costui  mi  prova  ch'  io  sono  un  ignorante  ;  »  ce  tableau , 
qui  excita  au  même  degré  l'admiration  d'Horace  Vernet,  quand  il  le  vit 
pour  la  première  fois  dans  la  Galerie  de  Turin ,  est ,  jusqu'id ,  presque  le 
seul  ouvrage  connu  de  son  auteur  ;  et  cet  auteur  lui-même ,  qui  fût  resté 
ignoré ,  s'il  n'eut  pas  écrit  son  nom  de  sa  propre  main  sur  la  base  d'une 
des  colonnes-du  temple  que  représente  son  tableau,  a  échappé  aux  inves- 
tigations des  nombreux  Iiistoriens  de  l'art  moderne ,  tels  que  d'Afgen- 
ville ,  Decamps ,  FéKbien  ,  de  Piles,  Mechêin ,  qui  ont  mis  tant  de  ^èle 
et  de  soin  à  rechercher  les  moindres  titres  de  célébrité  des  peintres  fla- 
mands et  hollandais.  Gault  de  Saint-Germain  est,  au  témoignage  de 
M.  d'Azeglio,  i%  seul  de  ces  historiens  de  la  peinture  hollandaise  qui 
fasse  mention  d'un  tableau  de  i^aenredam ,  représentant  Yhôtel  de  ville  de 
Harlem,  Du  reste ,  le  savant  éditeur  de  la  Galerie  de  Turin  observe  qu'on 
ne  connaît  ni  le  lieu  et  l'époque  de  sa  naissance ,  ni  fa  date  de  sa  mort; 
il  suppose  seulement  qu'il  pourrait  bien  avoir  été  de  la  même  famille , 
et  peut-être  aussi  la  même  personne  qu'un  Hanz  ou  Jean  Saenredam, 
célèbre  graveur,  cité  dans  le  Dictionnaire  de  Bassano  et  dans  celui  de 
Ticozzî,  comme  né  à  Sardam  en  1 565  ^  et  mort  en  1 607  ;  et  il  affirme 
qu'en  tout  cas  ce  peintre  appartient ,  par  le  genre  même  de  son  talent , 
à  l'école  hollandaise  ;  ce  qui  est  effectivement  indubitable.  Je  puis  com- 
pléter ce  peu  de  renseignements  donnés  par  M.  d'AzegKo  sur  le  compte* 

'  M.  d*Azeglio  rapporte,  t.  II,  p.  i38,  les  paroles  prononcées  par- M.  Granet  en 
italien,  comme  elles  lui  furent,  sans  doute,  aictèes  par  le  long  usage  qu'it p^sède 
de  cette  langue. 


JANVIER  1843.  23 

d'un  peintre  si  injustement  oublié  dans  Thistoire  de  Tart  de  son  pays, 
en  ajoutant,  sur  la  foi  de  FioriUo  ^  qu'il  était  né  à  Asfelt,  en  i Sgy,  et 
qu  il  eut  la  réputation  d'un  des  meilleurs  peintres  de  perspective  de  son 
temps  :  ce  qui  se  trouve  tout  à  fait^' accord  avec  le  genre  de  mérite  qui 
brille  au  plus  haut  degré  dans  le  tableau  de  cet  artiste  que  possède  la 
Galerie  de  Turin,  et  qui  est  d'autant  plus  précieux,  indépendamment  de . 
ce  mérite  même,  qu'il  n'existe,  à  ma  connaissance,  aucun  tableau  de 
Saenredam,  l'égal,  si  ce  n'est  le  maître  des  Steenwich  et  des  Peeterneer 
dans  les  collections  publiques  de  la  Hollande. 

*  En  fait  de  portraits ,  de  toutes  les  écoles,  nous  devons  déjà  à  M.  d'A* 
seglio  plusieurs  des  plus  beaux  de  ceux  que  possède  la  Galerie  de  Turin  : 
un  Giorgione ,  Jeune  guerrier  en  demi-figure ,  un  de  ces  rares  ouvrages 
d*un  artiste  qui  fit  faire  un  si  grand  pas  à  l'art  de  peindre ,  et  dont  la 
carrière  fut  si  courte;  un  Titien,  de  Personnage  inconnu;  deux  superbes 
Bronziûo,  Cosme  /'^  grand-duc  de  Toscane,  el  Éléonore  de  Tolède,  sa 
femme  ;  un  Velasquez ,  Philippe  IV,  d'Espagne  ;  un  Aldegrever,  Person- 
nage inconnu,  peinture  où  la  vérité  d'imitation  rappelle  l'école  et  la  ma- 
nière d'Alb^  Durer,  à  laquelle  appartenait  ce  peintre,  dont  on  possède 
plusieurs  ouvrages  à  la  Pinacothèffue  de  Manich;  trois  Rubens,  tous  les  ^ 
trois  dû  Personnages  inconnus ,  dont  l'un.  Figure  d'homme  en  pied,  est 
l'une  des  plus  belles  productions  de  l'artiste  en  ce  genre ,  une  de  celles 
où  se  montrent  avec  le  plus  d'avantage  la  iranchise  de  son  pinceau  et  la 
puissance  de  sa  couleur;  six  Holbein ,  tous  les  six  presque  également  ad- 
mirables par  la  réunion  des^qualités  qui  distinguent  ce  peintre  si  exact  et 
si  vrai,  et  non  moins  recommandables  par  la  célébrité  des  personnages 
qu'ils  représentent,  Érasme,  Luther,  Calvin,  le  cardinal  de  Lénoncourt, 
et  Charles  JU,  dac  de  Savoie  ;  le  sixième  est  le  portrait  d'an  Jeune  homme 
inconnu;  deux  Van-Dy  ck ,  Amédée  et  Louise-Christine  de  Savoie  -  Carignan , 
deux  charmâtes  figures  d'enfant,  où  brille  tout  le  talent  de  l'artiste 
flamand,  épuré  et  perfectionné  par  son  long  séjour  en  Italie,  et  leprmce 
Thomas  de  Savoie,  représenté  à  cheval ,  un  deschefs^'œuvre  de  Van-Dy  ck , 
gravé  par  P.  j^ptius,  célèbre  graveur  d'Anvers;  un  Jean-le-Duc,  larès- 
beau  pOTtrait  oe Personnage  inconnu;  un  Gérard  Dow,  portrait  de ^elque 

'  FioriUo,  G^lckicfcte  der  zeichnenden  Kûnste  in  Deutschland  ttndder  vereinigten  Nie- 
derlanden,  t.  U»  p.  485-486.  D'après  cette  date,  tbumie  à  Fioriilo  par  quelque  do- 
cument autheatiîpie ,  il  est  évident  que  notre  Pien^eaa  SaeDredam  ne  peut  >étre 
le  Jean  Saenredam  cité  oomme  graoeur  parmi  les  élèves  de  Goltadus,  dont  recelé 
fleurit  de  i558  à  1617;  v<9y.  au  sujet  de  ce  dernier,  Kugler,  Handbach  der  Kunst- 
gmehkhte,  p.  S^TM^otMerve  que  le  nom  de  P.  J.  Saenredam ,  peintre  de  perspective,  ê 
a  parcfllemeni  échappé  à  la  mémoire  de  œ  dernier  historien  de  l*art. 


24  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Savant  contemporain ,  l'un  des  ouvrages  les  plus  précieux  du  maître ,  parce 
qu'on  y  trouve,  avec  l'effet  général ,  le  caractère  du  fond  et  le  clair-obscur 
qui  tiennent  encore  à  l'école  de  Rembrandt,  son  maître,  un  maniement 
de  pinceau,  un  fini  d'exécution  et  unececherclie  de  la  forme,  qui  rentrent 
dans  sa  propre  manière,  et  qui  le  distinguent  à  un  si  haut  degré  entre 
,  tous  les  peintres  hollandais;  c'est  donc  un  de  ces  ouvrages  de  transition 
dans  la  carrière  d'un  artiste ,  si  importants  à  étudier,  parce  qu'ils  ré- 
vèlent à  un  œil  intelligent  tout  ce  qu'un  peintre  peut  devoir  à  l'éducation 
en  même  temps  qu'à  la  nature.  Je  terminerai  cette  énumération  de  por- 
traits par  l'indication  du  plus  important  de  tous ,  sinon  par  son  mérite? 
qui  est  pourtant  excellent ,  du  moins  par  les  contrariétés  d'opinions  dont 
il  a  été  et  dont  il  est  encore  l'objet;  c'est  un  Portrait  de  bourgmestre  y  at- 
tribué par  les  uns  à  Rubens,  par  d'autres  à  Rembrandt,  par  le  plus 
grand  nombre  et  par  M.  d'Azeglio  lui-même  à  Maas,  élève  de  Rem- 
brandt, qui  atteignit,  dans  le  portrait,  genre  de  peinture  auquel  il 
finit  par  se  livrer  exclusivement,  une  telle  supériorité,  que  ses  ouvrages 
furent  souvent  comparés  à  ceux  de  son  maître,  excepté  par  lui-même, 
qui  se  faisait  gloire  en  toute  occasion  de  reconnaître  l'incomparable 
mérite  de  Rembrandt.  Je  ne  me  hasarderai  pas  à  décider  une  ques- 
tion ainsi  débattue  entre  tant  d'habiles  connaisseurs;  toutefois,  je  dois 
dire  que  l'opinion  de  M.  d'Azeglio  me  parait  la  plus  probable,  d'après 
la  connaissance  profonde  qu'il  possède  de  l'histoire  de  l'art,*  jointe 
à  la  grande  expérience  qu'il  s'est  acquise  de  la  peinture  même ,  en  la 
pratiquant. 

Enfin,  dans  le  paysage,  où  nous  i*etrouvons  encore  Rubens,  avec 
toutes  les  qualités  de  son  talent ,  dans  une  Chasse  de  sanglier,  le  seul  restant 
de  quatre  tableaux  pareils  qu'il  avait  exécutés  pour  Victor  Amédée  I* 
dans  le  château  de  la  Vénerie ,  nous  avons  à  citer  trois  Both  d'Italie , 
qui  sont  au  nombre  des  meilleurs  de  ce  maître  hollandais ,  dont  le  style, 
comme  paysagiste,  s'était  agrandi  en  Italie,  sans  rien  perdre  de  sa  finesse 
dé  ton  hollandaise,  et  en  conservant  malheureusement  aussi  son  goût 
de  personnages  vulgaires,  qui  contraste  encore  davanta|^  dans  des  sites 
poétiques;  deux  Pannini;  deux  Gaspard  Poussin ,  d'un  mérite  ordinaire, 
plutôt  que  d'un  ordre  supérieur  ;  deux  Claude  Lorrain ,  qui  sont  du 
nombre  des  plus  beaux  et  des  plus  magnifiques  de  ce  maître  ;  un  Gas- 
pard de  Witte  ;  deux  Freedeman  de  Vries ,  peintre  hollandais ,  qui  se 
distingua  surtout  par  ses  fabriques,  et  qui,  dans  quelques-uns  de  ses 
ouvrages ,  atteignit  presque  à  la  perfection  d'Hobbema ,  rival  souvent 
heureux  de  l'inimitable  nuysdael;  et  un  Bakhuizen,  le  frand  peintre  de 
marine  hollandais,  dont  on  nous  donne  ici  une  Tempête,  sujet  favori  des 


JANVIER  1843.  25 

compositions  de  cet  artiste ,  qui  s  y  est  montré  varié  et  inépuisable 
comme  ia  nature  quii  imitait  si  soigneusement. 

Tel  est  l'aperçu  succinct  que  je  puis  donner  des  tableaux  déjà  publiés 
de  la  Galerie  de  Turin ,  et  qui,  joint  à  l'indication  qui  précède  des  prin- 
cipaux ouvrages  de  cette  galerie  dont  s'enrichira  successivement  le  re- 
cueil de  M.  d'Azeglio ,  doit  mettre  nos  lectçurs  à  même  d'apprécier  la 
richesse  de  cette  collection  royale,  conséquemment/aussi  Fimportance 
du  service  qu'a  rendu  son  éditeur  aux  amis  de  l'art,  en  la  publiant  avec 
tout  le  soin  qui  a  présidé  dès  Torigine  à  cette  publication ,  et  qui  ne 
fait  que  s'accroître  à  mesure  qu'elle  se  continue. 

Il  ne  nous  reste  plus,  pour  achever  le  compte  que  nous  avons  voulu 
rendre  de  la  Galerie  de  Turin ,  qu'à  parler  du  texte ,  qui  en  constitue , 
comme  nous  l'avons  déjà  dit,  un  des  principaux  mérites.  Mais  la  ma- 
tière est  si  abondante ,  et  l'espace  qui  nous  es^ laissé  est  si  court,  que 
c'est  à  peine  si  nous  pourrons  donner  une  faible  idée  de  ce  texte ,  ^û 
tout  entier  à  la  p)umc  de  M.  d'Azeglio.  Pour  être  juste  envers  lui,  nous 
dirons  d'abord  que  nous  ne  connaissons  aucune  collection  de  tableaux 
qui  ait  été  décrite  avec  la  même  étendue  et  avec  le  même  soin ,  avec 
cette  abondance  de  vues  et  avec  cette  exactitude  de  recherches,  qui 
témoignent  à  la  fois  la  passion  de  l'auteur  pour  son  sujet  "et  Tintelli- 
gence  qu'il  en  possède.  On  trouve  ici  des  qualités  qui  sont  bien  rarement 
réunies,  et  dont  le  concours  est  cepea^idant  nécessaire  pour  produire 
une  pareille  œuvre,  le  savoir  de  l'artiste  et  le  talent  d^  l'écrivain;  et  on 
les  trouve  réunies  de  manière  qu'elles  se  servent  mutuellement,  sans 
jamais  se  nuire.  M.  d'Apeglio  a  pratiqué  l'art  de  peindre,  assez  pour  en 
connaître  les  secrets,  a  plus  forte  raison  pour  en  démêler  avec  saga- 
cité, pour  en  analyser  avec  ju^esse  les  qualités  et  les  défauts,  dans 
toutes  les  productions  qu'il  en  décrit.  Sous  le  rapport  technique ,  ses 
appréciations  sont  donc  toujours  empreintes  de  cette  connaissance  po- 
sitive des  choses ,  qui  manque  trop  so,uvent  aux  hommes  qui  écrivent 
sur  les  arts ,  avec  plus  d'imagination  que  d'expérience,  et  avec  plus  de 
goût  que  de  savoir.  D'im  autre  côté ,  M.  d'Azeglio  ne  se  laisse  pas  tel- 
lement préoccuper  par  les  connaissances  de  l'artiste ,  qu'il  attache  aux 
qualités  intrinsèques  d'une  peintiu'e  et  à  ses  mérites  techniques  une 
importance  disproportionnée  avec  son  cfiet  et  sa  valeur  morales.  C'est 
toujours ,  comme  nous  l'avons  dit  dans  notre  premier  article ,  d'un  point 
de  vue  très-élevé  qu'il  juge  les  ouvrages  de  l'ai^t ,  en  les  rapportant  à  ce 
noble  but  de  l'imitation ,  qui  est  d'élever  l'âme  et  d'apurer  l'esprit^par 
la  représentation^  du  beau  et  du  noble  en  tout  genre;  et,  sous  ce  rapport 
encore ,  les  appréciations  de  M.  d'Azeglio,  toujours  dictées  par  ce  pro- 


26  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

fond  sentiment  de  la  vraie  destination  de  Tart,  forment  tout  un  corps 
de  doctrines ,  où  la  philosophie  et  Thistoire  sont  perpétuellement  ap- 
pelées en  témoignage,  pour  servir  à  Tétude  de  Fart,  en  en  exposant 
les  principes ,  en  même  temps  qti*il  en  produit  les  modèles.  Il  résulte 
de  Ûl  que  le  texte  de  M.d*Azeglio  offre  un  mérite  tout  à  fait  indépendant 
de  celui  de  la  galerie  qu  il^  est  destiné  à  faire  connaître ,  mérite  qui  en 
ferait,  à  part  même  des  peintures  quil  accompagne,  un  livre  éminem- 
ment-utile à  f instruction  de  tous  ceux  qui  voient  dans  Thistoire  de  lart 
un  des  plus  brillants  chapitres  de  Thistoire  de  Tesprit  humain.' 

Malgré  le  mérite  des  peintures  qui  composent  la  Galerie  de  Turin ,  il 
'est  certain  que  toutes  ces  peintures  nétantpas  du  premier  ordre ,  n^me 
dans  la  classe  i  laquelle  elles  appartiennent,  la  description  de  ces  ou- 
vrages risquerait  d'offrir  peu  d'intérêt,  si  elle  se  bornait  ou  à  une  simple 
appréciation  pittoresque  ou  à  une  analyse  purement  historique;  mais 
iljBst  rare  qu'un  tableau,  même  d'un  ordre  secondaire,  même  d'un  mé- 
rite médiocre,  ne  suggère  pas  à  M.  d'Azeglio  quelques-unes  de  ces  con- 
sidérations, tirées  soit  de  la  nature  du  sujet,  soit  de  la  philosophie  de 
l'art  en  général ,  sôit  de  la  vie  de  l'artiste  en  particulier,  qui  rachètent 
abondamment,  par  l'importance  des  vues  que  l'auteur  a  su  y  répandre 
et. par  le  charme  de  style  avec  lequel  il  les  expose,  la  faiblesse  relative 
de  l'ouvrage  qui  en  a  fourni  l'occasion  et  le  sujet,  et,  à  cet  égard,  je 
puis  dire  qu'il  serait  difficile  de  se  faire  une  idée  de  toutes  les  ressources 
que  M.  d'Azeglio  puise  à  la  fois  dans  son  vaste  savoir  et  dans  sa  riche 
imagination,  pour  ajouter  au  mérite  des  peintures  qu'il  décrit  par  celui 
des  observations  qu'il  y  rattache ,  si  l'on  n'avait  pas  lu  attentivement 
le  texte  de  la  Galerie  de  Turin.  Ainsi,  pour  en  citer  quelques  exemples, 
les  réflexions  de  l'auteur  sur  le  génie  ^e  l'art  antique ,  où  la  perfection 
de  la  forme  était  tout,  par  opposition  à  celui  de  l'art  moderne,  où  l'ex- 
pression de  l'âme  tient  le  premier  rang,  réflexions  inspirées  par  la  Ma- 
dmie  de  Sassoferrato ,  t.  I*',  pi.  xxii;  le^  remarques  sur  la  vitesse  et  la 
&cilité  du  travail,  qui,  de  tout  temps,  ont  perdu  les  arts,  à  l'occasion 
d'un  tableau  du  Guerchin,  t.  P',  pi.  xxxi;  celles  qui  on^  pour  objet  les 
dangers  de  l'imitation  des  maîtres,  quelquefois  substituée  à  l'étude  de 
la  nature,  et  les  avantages  d'une  bonne  direction  dans  l'imitation  des 
Grecs ,  au  sujet  du  Portrait  de  Philippe  W  par  Velasquez ,  1. 1".  pi.  xxxvi  ; 
les  considérations  sur  l'utilité  des  sujets  religieux  par  rapport  aux  mœuis 
publiques,  où  l'auteur  fait  ressortir,  dans  un  parallèle  historique  d'une 
véifté  à  laquelle  il  serait  possible  d'ajouter  encore  beaucoup  de  traits', 

.  ■'  La  dissertation  dans  laquelle  l'auteur  expose  les  principaux  traits  de  ce  qui 


JANVIER  1843.  27 

tout  Tavantage  moral  de  Fart  chrétien  sur  l'art  antique,  dont  le  prin- 
cipe, d'accord  avec  celui  d'une  religion  naturelle,  était  essentiellement 
sensuel,  et  par  là  même  nécessairement  licencieux,  considérations  qui 
sont  inspirées  à  M.  d'Azeglio  par  une  figure  du  Sauveur  de  C.  Cignani, 
t.  II,  pi.  Lxi;  des  vues,  pleines  de  savoir  et  dégoût,  sur  ce  que  c'est  ^e 
le  beau  et  la  beauté  dans  les  ouvrages  de  Tart,  h  propos  de  la  Sainte  Cathe- 
rine du  Guide,  t.  11^  pi.  lxxxvi;  des  remarques  sur  le  degré  de  eompé> 
tence  et  d'utilité  des  jugements  publics,  à  l'occasion  du  Saint  Pierre  re- 
pentant de  Tiarini,  t.  Il,  pi.  lxxxix;  tous  ces  morceaux,  dont  je  suis 
obligé  de  me  borner  à  indiquer  l'objet  et  le  mérite ,  et  bien  d'autres 
encore,  dont  je  ne  puis  même  donner  l'indication,  sont  autant  de  disser- 
tations où  des  aperçus  neufs  et  ingénieux ,  appuyés  de  textes  historiques 
et  nourris  de  citations  instructives ,  sont  exposés  dans  un  style  plein  de 
chaleur,  d'éclat  et  de  mouvement,  qui  y  ajoute  encore  un  nouveau 
prix. 

A  côté  de  ces  dissertations,  qui  traitent  divers  points  de  l'esthétique 
et  de  la  philosophie  de  l'art ,  se  placent  d'autres  morceaiuc  purement 
historiques,  qui  ont  pour  objet,  soit  le  sujet  du  tableau,  soit  quelque 
circonstance  de  la  vie  ou  du  talent  du  peintre ,  ou  la  biographie  même 
de  l'artiste,  soit  une  particularité  intéressante  de  l'histoire  de  l'art.  Telles 
sont  les  explications  que  M.  d'Àeeglio  a  jointes  au  tableau  de  la  BàtaiUe 
de  Turin,  par  Hochtemburg,  et  au  Portrait  du  prince  Thomas,  par  Van- 
Dyck  ^  qui  sont  deux  morceaux  historiques  d'un  grand  n^érite ,  par  l'é- 
tendue et  la  variété  des  recherches ,  par  l'importance  et  la  nouveauté 
des  résultats;  tels  sont  encore  les  détails  donnés  par  l'auteur  5ar  les 
femmes  illustres  du  xvj*  siècle,  à  propos  du  Portrait  de  Marguerite- de  Va- 
lois, par  Gh.  Amberger;  sur  les  oracles  des  songes,  à  l'occasion  du  tableau 
d'Allori,  le  Songe  de  Jacob:  sur  les  hermaphrodites,  au  sujet  du  tableau 
de  l'Albane ,  d'après  la  fable  de  Salmacis  ;  surtout  les  biographies  de 
Cosme  1"",  grand-duc  de  Toscane,  et  de  Calvin,  servant  de  texte  expli- 
catif aux  portraits  de  ces  deux  personnages  par  Bronzino  et  Holbein. 
Telles  sont,  dans  un  autre  genre,  les  notices  de  Rubens,  de  Giorgione, 

constituait  la  licence  de  Vart  antique  remplit  les  pages  197  à  a  18  du  tome  II. 
Dans  cette  partie  de  son  travail ,  il  se  montre  d'accord  avec  les  idées  que  nous 
avons  exposées  nous-mêmes  dans  nos  Peintures  antiques  inédites,  p.*  a&6-a68;  et 
nous  profitons  de  cette  occasion  pour  dire  que,  comme  les  résultats' de  notre  tra- 
vail ont  été  contestés,  nous  nous  proposons  de  revenir  sur  ce  sujet,  et  de  prouver, 
par  de  nouveaux  témoignages  appuyés  de  nombreux  monuments ,  que  celte  licence 
de  fart  était  liée  au  principe  même  de  la  religion  hellénique,  et  qu'elle  était  inhé- 
rente à  tout  le  système  de  la  civilisation  grecque  :  ce  sera  fobjet  de  la  IV*  de  nos 
Lettres  archéologiques  sur  la  peinture  des  Grecs,  adressée  à  M.  Fr.  Jacobs. 

4. 


28  JOURNAL  DES  SAVANTS- 

du  Guerchin,  de  Mantegna,  de  Dan.  Crespi,  où  sont  exposées  beaucoup 
de  vues  neuves  et  curieuses  sur  la  vie  et  le  talent  de  ces  artistes.  Je  ci- 
terai encore,  comme  morceaux  historiques  d*un  mérite  etd*un  intérêt 
bien  supérieurs  à  ceux  qui  composent  le  texte  des  autres  galeries,  This- 
toiiv  de  la  peinture  de  paysage  chez  les  modernes,  à  Toccasion  des 
paysages  de  Freederaan  de  Vries  et  de  Both  à'italie  ;  les  recherches 
sur  les  peintures  des  sujets  vulgaires  des  anciens,  rapprochées  des  bam- 
bochades  et  caricatures  modernes ,  à  propos  de  l'Intérieur  de  taverne  de 
Dav.  Téniers;  les  détails  sur  Técole  de  Modène  et  sur  celle  de  Man- 
toue,  qui  accompagnent  la  description  des  tableaux  de  Schidone  et  de 
Mantegna.  Généralement,  M.  d'Azeglio  aime  i\  mettre  en  rapport  les 
particularités  connues  de  l'histoire  de  Tart  des  anciens  avec  celle  de 
Tart  des  modernes,  à  expliquer  et  à  justifier  Tune  par  l'autre;  et  il  se 
montre  partout  aussi  nourri  des  souvenirs  de  l'antiquité  que  familiarisé 
avec  les  monuments  de  son  pays.  Ce  sont  ces  rapprochements,  tou- 
jours instructifs,  produits  sous  une  forme  toujours  ingénieuse  et  pi- 
quante, alors  même  qu'on  pourrait  trouver  à  y  reprendre  çà  et  là  quelque 
chose  de  hasardé  ou  d'inexact,  qui  donnent  à  son  texte  historique  un 
caractère  particulier,  et  qui  en  rendent ,  par  ce  mélange  d'ifhagination 
et  de  savoir,  d'érudition  et  de  goût,  rehaussé  par  le  charme  du  style,  la 
lecture  singulièrement  attachante.  Nous  croyons  donc ,  et  c'est  la  con- 
clusion du  long  et  consciencieux  examen  auquel  nous  nous  sommes  li- 
vré ,  que  la  publication  de  la  Galerie  de  Tmrin  est  un  véritable  service 
rendu  à  l'étude  de  l'art,  et  que  cet  ouvrage,  dû  au  talent  de  M.  d'Aze- 
glio,  réunit  toutes  les  conditions  du  succès  le  plus  légitime  et  le  plus 
honorable. 

RAOUL-ROCHETTE. 


JANVIER  1843.  29 

Théâtre  chinois,  on  choix  de  pièces  de  théâtre  composées  sous  les 
empereurs  mongols,  traduites  pour  la  première  fois  sur  le  texte  ori- 
ginal, précédées  d!une  introduction  et  accompagnées  de  notes,  par 
M.  Bazin  aîné.  Paris,  Imprimerie  royale,  i838,  i  vol.  in-8**. 

Le  Pi-pA'KI ,  ou  histoire  du  luth,  drame  chinois  de  Kao-tong-kia , 
représenté  à  Péking,  en  lâOâ,  avec  les  changements  de  Mao-tseu, 
traduit  sur  le  texte  original,  par  M.  Bazin  aîné.  Paris,  Impri- 
merie royale,  i84i,  i  vol.  in-8^ 

TROISIEME    ET    DERNIER    ARTICLE. 

Avant  de  passer  à  Texamen  du  Pi-pa-ki,  il  nous  reste  à  faire  connaître, 
^  dans  la  première  publication  de  M.  Bazin ,  une-  quatrième  et  dernière 
pièce,  intitulée  Le  ressentiment  de  Teou-ngo ,  ou,  pour  transcrire  ici 
le  titre  dans  son  entier  :  «  Le  ressentiment  de  Téou-ngo  qui  touche  le' 
ciel  et  émeut  la  terre.  » 

Ce  tsa-ki  ou  drame  entremêlé  d'ariettes  a  pour  sujet  Thistoiie  mi- 
raculeuse d'une  jeune  femme  injustement  condamnée  à  mort,  et  dent 
Tombre  irritée  opère  des  prodiges  qui  font  enfm  reconnaître  son  inno- 
cence. Cette  légende  a,  comme  on  voit,  beaucoup  de  ressemblance 
avec  celles  que  représentaient  sur  leurs  tréteaux  nos  aieux  des  xiv*  et 
XV*  siècles.  On  ne  peut,  en  effet,  mieux  comparer  ce  drame  quà  nos 
anciens  miracles  de  sainte  Catherine ,  de  saint  Nicolas  et  de  saint  Jean- 
Baptiste. 

Le  prologue  (car  cette  pièce ,  comme  la  majeure  partie  de  celles  qui 
ont  été  représentées  sous  la  dynastie  des  Kin  et  des  Youen ,  se  compose 
d'un  prologue  suivi  de  quatre  actes  ou  coupures),  le  prologue,  dis-je. 
nous  introduit  dans  la  maison  d'une  veuve  déjà  sur  le  retoiu*,  madame 
Tsai ,  à  qui  son  mari  a-laissé  une  fortune  assez  considérable  et  un  fils  âgé 
de  huit  ans.  Celte  dame ,  qui  habite  la  ville  de  Tsou-tcheou,  a  prêté  à 
un  pauvre  bachelier  de  son  voisinage,  nommé  Teou-tien-tchang,  vingt 
taels  d'argent,  qui ,  avec  les  intérêts  d'une  année  (intérêts  que  l'auteur 
ne  représente  point  comme  usuraires),  forment  une  dette  totale  do 
quarante  taels.  Comment  ce  pauvre  homme  ,  qui,  suivant  l'expression 
de  l'auteur  chinois ,  ne  possède  que  les  quatre  murs ,  pourrait-il  acquit- 
ter cette  somme  "}  Heureusement  il  a  une  fille  âgée  de  sept  ans ,  que  les 
agréments  précoces  de  sa  personne  et  ses  qualités  aimables  ont  fait  re- 


30.  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

marquer  de  madame  Tsaï.  Celle-ci  désire  vivement  faire  un  jour  i^a  bru 
de  cette  jeune  fdle  ;  et ,  comme,  à  la  Chine ,  il  est  d'usage  que  l'époux 
et  non  pas  Tépouse  apporte  une  dot,  madame  Tsaï  propose  au  bache- 
lier de  lui  faire  remise  de  la  totalité  de  sa  créance,  et  de  lui  donner 
en  sus  dix  taels  d'argent,  pour  aller  à  la  capitale  subir  ses  examens  de 
licencié,  s'il  veut  remettre  la  jeune  Touan-yun  entre  ses  mains,  et 
consentir  à  ce  qu'elle  soit  fiancée  à  son  fils.  Teou-tien-tchang  ne  peut 
qu'accepter  avec  reconnaissance  une  proposition  aussi  avantageuse ,  et 
se  met  en  route  pour  aller  tenter  la  fortune  aux  élections  du  prin- 
temps, non  sans  avoir  adressé  à  sa  fdle  les  plus  sages  et  les  plus  tendres 
conseils. 

Dans  l'intervalle  qui  sépare  le  prologue  du  premier  acte ,  treize  ans 
se  sont  écoulés.  Madame  Tsaï  a  quitté  la  ville  de  Tsou-tcheou  pour  se 
fixer  dans  celle  de  Chan-yang^.  La  fdle  du  bachelier  Teou"  a  changé 
son  nom  d'enfance  en  celui  de  '['eou-ngo.  Ayant  atteint  sa  dix -sep- 
tième année ,  elle  a  épousé  le  fils  de  madame  Tsaï ,  que  la  mort  lui  a 
enlevé  presque  aussitôt.  Veuve  à  dix-neuf  ans ,  elle  vit  dans  une  pro- 
fonde tristesse  et  dans  une  parfaite  régularité  auprès  de  sa  belle-mère. 
L'expression  de  la  mélancolie  de  cette  jeune  femme  mérite  d'être  citée. 
Voici  en  quels  termes  elle  récapitule  tous  les  chagrins  de  sa  vie  :  «  Dès 
TAge  de  trois  ans  je  perdis  ma  mère ,  à  sept  ans  mon  père  se  sépara  de 
moi  ;  quelque  temps  après  j'épousai  un  homme  dans  la  société  duquel 

je  vivais  heureuse  ;  mab  la  destinée  trancha  bientôt  le  fil  de  ses  jours 

Peut-être  que ,  dans  ma  vie  précédente,  je  n'ai  pas  observé  les  rites  et 
brûlé  les  parfums  des  sacrifices  ;  voilà  pourquoi,  depuis  que  je  suis  sor- 
tie du  sein  de  ma  mère,  j'ai  appelé  sur  ma  tête  toutes  les  disgrâces.  Il 
faut  qu'on  exhorte  les  hommes  à  faire  le  bien  dans  cette  vie ,  afin  qu'ils 
soient  heureux  dans  la  suivante  ^.  » 

Cependant  madame  Tsaï ,  qui  a  prêté  à  un  apothicaire  de  la  ville  de 

^U  y  a  ici  un  peu  d*obscurité,  par  la  faute  du  traducteur  ou  de  l'auteur. 
Madame  Tsai  dit  (acte  I*',  scène  a)  :  •  Je  demeurais  auk'efois  dans  le  district  de 
Chan-yang,  où  je  menais  une  vie  calme  et  tranquille.  »  Toute  la  suite  de  la  pièce 

Ïrouve  qu'elle  devait  dire  au  contraire  :  t  Je  demeurais  autrefois  dans  la  ville  de 
'sou-tcheou,  et  je  suis  venue  m*établir  dans  celle  de  Chan-yang.  »  En.eÇet,  on  voil 
(acte  IV,  scène  i**)  qu'après  sa  première  promotion  Teou- tien 'tchang  envoya  un 
messager  à  sa  fille,  chez  madame  Tsai,  dans  la  ville  de  Tsou-Tcheou,  et  que  ce 
messager  ne  put  découvrir  ces  deux  femmes ,  parce  qu'elles  étaient  allées  s'élablii* 
à  Chan-yang,  ville  voisine  et  dépendant  de  la  juridiction  administrative  de  Tsou- 
tcheou. —  *  M.  Bazin  a  traduit  ce  dernier  membre  de  phrase  par  •  afin  qu'ils  soient 
heureux  dans  l'autre.  »  Cette  expression  «  dans  l'autre  vie  •  m'a  paru  substituer  une 
idée  chrétienne  k  une  idée  booddhiqne.  Je  fais  M.  Baiin  juge  de  ma  correction. 


JANVIER  1843.  31 

Chan-yang ,  au  docteui'  SaMoii ,  dix  taels  d'argent ,  se  rend  un  matin 
au  domicile  de  son  débiteur,  pour  lui  demander  le  remboursement  de 
cette  somme.  Le  docteur  répond  i  madame  Tsaï  qu  il  n  a  pas  assez  d'ar- 
gent dans  sa  boutique  pour  la  satisfaire ,  et  la  prie  de  laccompagnei*  à 
sa  maison  des  champs,  qui  est  voisine.  Arrivé  dan$  un  lieu  écarté,  le 
scélérat  prend  sa  ceinture,  en  fait  une  corde,  et  se  dispose  à  étrangler 
cette  pauvre  femme.  Par  bonheur,  deux  hommes  du  peuple,  Li-lao  et 
son  fds  Tchang-lu-eul ,  accourent  à  ses  cris  et  Tarrachent  des  mains  de 
Saï-lou ,  qui  prend  la  fuite.  Dans  l'effusion  de  sa  reconnaissance  ,  ma- 
dame Tsai  apprend  à  ces  inconnus  qu'ils  ont  sauvé  les  jours  d'une 
veuve  qui  passe  sa  vie  avec  une  jeune  bru,  qui  est  veuve  comme  elle. 
Cette  confidence  inspire  une  singulière  pensée  à  ses  libérateurs.  Le  père 
prétend  à  la  main  de  madame  Tsaï,  le  fils  à  celle  de  sa  bru.  La  pauvre 
femme  se  récrie  à  celle  étrange  proposition  ;  elle  prie  ces  deux  hommes 
de  la  laisser  retourner  chez  elle,  et  leur  promet  de  récompenser,  pai* 
une  honnête  quantité  de  biDets  de  banque",  l'important  service  qu'elle  a 
reçu  d'eux.  Mais  cette  manière  d'éluder  leur  demande  les  irrite.  Le  plus 
jeune  et  le  plus  violent  des  deux  féerie  :  «Qi^i!  madame,  vous  osez 
nous  refuser!...^.  Eh  bien,  n'en  parlons  plus.  Je  porte  encore  sur  moi 
la  corde  de  Saï-lou,  et  je  vais  finir  ce  qu'il  avait  commencé.  »  Madame 
Tsaï  est  bien  dlflgée  de  céder  à  cet  argument  péremptoire ,  et  re- 
tourne en  leur  compagnie  dans  sa  maison  ;  mais ,  quand  1  eou  -  ngo 
apprend  ce  que  prétendent  ces  deux  misérables,  elle  entre  dans  une  vio- 
lente colère ,  et  n'épargne  pas  même  les  reproches  à  sa  tremblante  belle- 
mère,  a  Pourriez- vous  bien,  madame,  consentir  à  rompre  les  liens  qui 
vous  attachaient  à  votre  premier  mari  ?  Quoi  !  lorsque  la  terre  de  son 
tombeau  est  encore  humide,  vous  songeriez  à  seiTer  dans  votre  armoire 
les  habits  4iun  nouvel  époux!»  Malgré  ces  représentations,  madame 
Tsaï,  qui  ne  pai^ait  pas  absolument  indifférente  aux  projets  de  Li-lao  . 
prie  ses  deux  redoutables  libérateurs  d'excuser  les  emportements  de  sa 
belle-fille  et  les  invite  à  rester  dans  sa  maison.  Cependant  Tchang- 
lu-eul  ti*ame,  pour  vaincre  la  résistance  obstinée  de  la  jeune  veuve,  un 
complot  abbminable  :  il  empoisonnera  madame  Tsaï  et  imputera  ce 
crime  à  Teou-ngo ,  si  elle  continue  à  lui  refuser  sa  main.  11  s'agit  d'a- 
bord de  se  procurgr  du  poison.  Il  a  remarqué  une  pharmacie  de  mau- 
vaise apparence  à  l'extrémité  de  la  ville,  dans  un  quartier  désert.  Il 
entre  dans  cette  boutique  et  demande  hardiment  du  poison.  L'apothi- 
caire étonné  fait  quelques  diflicultés;  mais  Tchang-lu-eul  a  reconnu  Saï- 
lou  ,  qui ,  n'ayant  pas  de  scrupules  à  opposer  k  un  homme  dont  le  témoi- 
gnage peut  lui  coûter  la  vie,  fournit  le  poison  qu'il  demande.  Toutefois 


\ 


32  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

• 

Saj4ou  croit  prudent  de  quitter  la  ville  de  Chan-yang  et  de  se  retirer  à 
Kia-tcheou,  où  il  vendra  de  la  mort-aux-rats,  ce  qui  est  à  peine  changer 
de  profession. 

Sur  ces  entrefaites,  madame  Tsai  étant  tombée  malade,  Tchang-lu-eul 
jette,  à  la  dérobée»  du  poison  dans  une  tasse  de  bouillon  que  Teou- 
ngo  a  préparée  pour  sa  belle-mère.  Celle-ci,  n ayant  pu  en  faire  usage, 
la  présente  à  Li-lao,  qui  la  boit  et  tombe  mort  aussitôt.  Tchang-lu-eul 
accuse  à  grands  cris  Teou-ngo  de  la  mort  de  son  père  :  a  Malheureuse, 
s  écrie-t-il ,  c*est  toi  qui  as  tué  mon  père  par  le  poison ,  et  maintenant 
tu  voudrais  fuir  pour  échapper  au  châtiment Choisissez,  de  sor- 
tir de  cette  maison  volontairement  ou  par  autoiité  de  justice.  »  — 
«Qu entendez-vous,  répond  Teou-ngo,  par  ces  mots  «sortir  volontai- 
rement ou  par  autorité  de  justice?  » 

TCHANG-LU-EUL. 

« 

«Si  vous  ne  vous  retirez  d'ici  que  par  autorité  de  justice,  je  vous 
traînerai  devant  les  magistrats  ;  vous  endurerez ,  Tmi  après  Tautre ,  tous 

les  genres  de  tortures. P Si,  au  contraire,  vous  vous  retirez  de  bon 

gré ,  vous  deviendrez  sur-le-champ  mon  épouse. ... . .  »  . 

De  son  côté ,  madame  Tsaî  conjure  sa  belle-fille  de  céder  aux  instances 
de  Tchang-lu-eul;  mais  Teou-ngo  demeure  inébranMie  :  «Une  femme 
vertueuse,  dit-elle,  ne  convole  jamais  à  de  secondes  noces.  Quand  je 
songe  qu'il  y  a  deux  ans  h  peine  je  jouissais  encore  des  chastes  plai- 
sirs que  le  ciel  réserve  aux  époux ,  dites-moi ,  puis-je  me  décider  à  prendre 
un  autre  homme  pour  mari? — Comme  ce  n'est  pas  moi,  Tchang- 
lu-eul,  qui  ai  empoisonné  votre  père,  tout  ce  que  je  désire,  c'est  d'al- 
ler avec  vous  trouver  le  magistrat.  » 

Je  n'ai  cité  ce  morceau  presque  dans  son  entier  que  peur  montrer 
qu'il  offre  une  bien  singulière  ressemblance  avec  un  passage  d'un  autre 
drame  chinois ,  le  Cercle  de  craie.  Au  premier  acte  de  cette  pièce ,  tra- 
duite, comme  on  sait,  par  M.  Stanislas  Julien,  on  voit  une  femme  lé- 
gitime empoisonner  son  mari  dans  une  tasse  de  bouillon ,  et  accuser  de 
ce  crime  Haï-tang,  la  seconde  femme  :  «  Tu  as  tué  par  le  poison  le  sei- 
gneur Ma,  s'écrie-t-elle,  et  après  cela  tu  voudrais  fuir  pour  te  tirer 
d'affaire.  Dis -moi,  veux- tu  te  retirer  de  bon  gré  ou  par  autorité  de 
justice?» 

HAÎ-TANG. 

.  u  Qu'est-ce  que  c'est  que  «  se  retirer  par  autorité  de  justice  ou  se  re- 
x(  tirer  de  bon  gré  ?  » 


JANVIER  1843.  33 

MADAME    MA. 

((  Si  tu  te  retires  de  bon  gré  et  me  laisses  le  jeune  enfant ,  tous  les  biens 
du  seigneur  Ma,  ses  maisons,  ses  meubles,  ses  eiFets,  tout  cela  sera  ^ 

toi Mais,  si  tu  ne  veuiCtc  retirer  que  par  autorité  de  justice ,  je  te 

rappellerai  que  tu  as  empoisonné  ton  mari.  Allons  toutes  les  deux  trou- 
ver le  magistrat. 

HAÏ-TANG. 

<(  Gomme  ce  n*est  pas  moi  qui  ai  empoisonné  le  seigneur  Ma ,  que 
puis-je  craindre  du  magistrat?  Je  le  veux  bien  ;  allons  le  trouver  en- 
semble. » 

.  On  voit  que  les  auteurs  dramatiques  chinois  ne  se  font  pas  un  grand 
scrupule  de  s'emprunter  les  uns  aux  autres ,  non-seulement  des  situa- 
tions ,  mais  des  parties  entières  de  dialogue  dont  ils  varie&t  à  peine  les 
expressions. 

Le  juge  devant  lequel  Tchang-lu-eul  accuse  Teou-ngo  est  un  cer- 
tain Tao-ouo,  magistrat  prévaricateur,  qui,  comme  le  juge  du  Cercle  de 
craie,  n*aime  que  Targent,  et,  grâce  à  ce  blanc  métal,  donne  toujours 
raison  à  l'accusateur.  Dans  la  pièce  qui  nous  occupe ,  ce  juge  inique  fait 
parade  de  sa  turpitude  par  un  jeu  de  théâtre  tout  à  fait  grotesque.  En 
entrant  dans  le  tribunal ,  Tchang-lu-eul  et  Teou-ngo  s'agenouillent ,  con- 
formément à  l'usage  qui  veut,  à  la  Chine,  que  l'accusateur  et  l'accusé 
se  prosternent  devant  le  juge,  comme  des  etifants  devant  leur  père. 
Tao-ouo  descend  de  son  siège  et  s'agenouille  devant  Tchang-lu-eul.  »  Que 
faites-vous,  lui  dit  à  l'oreille  l'huissier  du  tribunal?  cet  homme  est  l'ac- 
cusateur; pourquoi  vous  mettez-vous  à  genoux  devant  lui?— ^  Ne  sa- 
vez-vous  donc  pas,  reprend  l'impudent  et  facétieux  magistrat,  que,  toutes 
les  fois  qu'un  accusateur  se  présente,  je  dois  honorer  en  lui  le  père  et- 
la  mère  qui  me  nourrissent?  » 

Par  ordre  de  cet  homme  inique,  Teou-ngo  est  appliquée  à  la  torture. 
En  un  instant  son  corp&  est  déchiré. à  coups  de  verges.  Mais,  au  mi- 
lieu des  plus  cruelles  douleurs ,  elle  ne  cesse  de  protester  de  son  inno- 
cence. «Puisque  ce  n'est  pas  vous,  s'écrie  le  juge  impatienté,  que  l'on 
mette  à  la  torture  cette  autre  femme.  »  Alors  Teou-ngo,  pour  éviter  à 
sa  belle-mère  les  horribles  souffrances  de  la  torture ,  consent  k  '  se  dé- 
clarer coupable  et  avoue  le  crime  qu'elle  n  a  point  commis.  Tao-ouo 
prononce  aussitôt  contre  elle  la  peine  de  mort,  et  fixe  Texécution  de 
l'arrêt  au  lendemain. 

Le  troisième  acte  nous  fait  suivre,  dans  ses  moindres  détails,  l'exécu- 


34  JOURNAl.  DBS  SAVANTS. 

• 

tion  d'une  s'enteiice  capitale  à  la  Chine.  D*abord  les  agents  de  la  force 
publique  ferment  Tentrée  des  rues  et  interdisent  la  circulation.  Un  ar- 
cher frappe,  à  trois  reprises,  trois  coups  de  tam-tam.  Le  bourreau,  te- 
nant d'une  main  un  drapeau  et  de  l'autre  une  épée,  accompagne  la  con- 
damnée ,  qui  s'avance  chargée  d'une  chaîne  d^fer  etd*une  lourde  cangue. 
Arrivé  sur  la  place  publique ,  l'exécuteur  lui  demande  si  elle  ne  voit 
personne  dans  la  foule  à  qui  elle  veuille  adresser  un  adieu  ou  une  prière. 
Teou-ngo  reconhaît  madame  Tsaï  qui  sanglotte;  elle  l'appelle  et  lui  re- 
commande le  spin  de  sa  triste  mémoire.  Puis,  se  tournant  vers  le  pro- 
cureur criminel,  elle  demande  pour  toute  grâce  qu'on  étale  sous  ses 
pieds  une  natte,  et  qu'on  suspet^de  à  la  lance  du  drapeau  deux  mor- 
ceaux de  soie  blanche.  «Pour  prouver,  dit-elle,  que  je  meurs  victime 
àc^utïe  fâusse^ccusation ,  quand  le  glaive  du  bourreau  tranchera  ma  tête, 
ne  croyez  pas  qu'une  seule  goutte  de  mon  sai^  tombe  sur  la  terre:  il 

ira  rougir  les*  morceaux  de  soie  blanche  de  ce  drapeau Sans  des 

prodiges  capables  de  frapper  les  imaginations,* je  ne  ferais  pas  éda- 
terla  justice  du  ciel.  »  Puis,  s'ailimant  de  plus  en  plus  à  l'idée  de  l'injus- 
tice dont  elle  est  victime  :  û  Nous  sommes  maintenant  dans  la  saison  où 
fon  supporte  avec  peine  le  poids  de  la  chaleur;  eh  bien,  pour  prou- 
ver mon  innocence*  le  ciel  fera  tomber  une  neige  épaisse  et  froide  qui 

couvrira  mon  corps Oui ,  je  suis  si  profondément  indignée ,  que 

je  vem(  que  mon  courroux  fasse  voler  dans  l'air  les  fleurs  de  l'eau  gla- 
ëée;  je  veux  que  ces  fleurs  enveloppent  mon  cadavre,  afin  qu'on  n'ait 
pas  besoin  d'un  char  couvert  d'une  étoffe  unie ,  ni  de  chevaux  blancs , 
pour  le  transpofter  dans  une  sépulture  déserte.  • .'.  Quand  je  ne  se- 
rai plus  qu'un  démon  sans  tète ,  gardant  au  fond  du  cœur  le  ressenti- 
ment de  mon  injuste  condamnation ,  j'appellerai  svlv  l'arrondissement 
de Tsou-tcheou une  sécheresse  qui  durera  trois  années.  « .  (On  entend 
le  bruit  do  vent  qui  souffle.)  Nuages ,  qui  flottez  dans  l'air  à  cause  de 
hioi,  obscurcissez  le  ciel!  Vents,  gémissants  à  cause  denu)i,  descendes 
eh  to}u*billons !  Oh!  fasse  le  ciel  que  mes  troia  imprécations  saodbin- 
plissent!»    •  .  • 

L'épée  de  l'exécuteur  frappe  Teou*ngo.  Et  aussitôt  k  neige  comnence 
à  blanchir  Ife  sol ,  et  pas  une  goutte  de  sang  ne  rougit  la  natte  ;  il  a  volé 
en  bouillonnant  sur  les  deux  mt^rceaux  de  soie  Uandie.  Enfin  la  troi- 
sième ht  la  plus  terrible  menace  de  Teou-ngo ,  une  sécheresse  de  trois 
années-,  afflige  l'arrondissement  de  Taou-tchedU.  C»  fléau  pesait  enepre 
sur  la  province ,  quand  anffe  on  des  grands  fonctionnaires  de  l'empire , 
chargé  de  reviSer  les  sentences  et  de  scruter  la  condkiite-  des  juge».  Ce 
nftagîstràt  redmitable  exeree^dei ibnctÎDna^  et,  qui  {dus  est,  efliploie«un 

•  4     • 


JANVIER  1843.  35 

langage  absolument  semblables  à  ceux  d*un  juge  du  même  grade  qui 
figure  dans  THistoire  du  cercle  de  craie.  Quoique  iatigué  d*une  longue 
route,  ce  magistrat  fait  demander  aux  employés  des  six  bureaux  (aux 
commis  du  greiTe  criminel  apparemment)  les  dossiers  des  affaires  ju- 
gées depuis  la  dernière  inspection ,  et  il  se  met  en  devoir  d'examiner 
ces  pièces  à  la  clarté  d'une  lampe.  Or  ce  vigilant  délégué  de  lempe- 
reur  n'est  autre  que  Tancien  bachelier  Tcou-tien-tchang ,  le  père  de 
Teou-ngo ,  qui,  il  y  a  seize  ans,  est  allé  prendre  ses  grades  dans  la  ca- 
pitale et  est  arrivé  à  la  plus  haute  fonction  de  la  magistrature.  Depuis 
longtemps  il  a  fait  chercher  à  Tsou-tcheou  sa  fille  et  madame  Tsaï; 
mais  4>érsonne  n'a  pu  lui  indiquer  le  lieu  de  leur  résidence.  Parmi  les 
pièces  quil  parcourt,  il  est  frappé  d'en  trouver  une  relative  à  im  crime 
conunis.  par  une  jeune  femme  qui  porte  son  nom.  Mais  ^pnpoisonne* 
ment  d'un  beau-père  par  une  bru  est  un  des  dix  crimes  qu'on  ne  par- 
donne jamais.  L'accusée  »'est  reconnue  coupable;  ccst  une  affaire  con- 
sommée. Il  remet  la  pièce  officielle  sous  les  autres  et  continue  l'examen; 
mais,  malgré  ses  efforts,  la  &tigue  l'emporte  et  il  s'endort.  Cependant 
l'ombre  toujour^rritée  de  Teou-ngo,  qui  plane  et  gémit  incessamment 
dans  les  tourbillons  et  les  nuages,  avertie  de  l'arrivée  de  son  père,  se 
glisse  en  voltigeant  dans  la  salle  du  tribunal  et  apparaît  en  songe  au 
mandarin.  Teoû-tien-tchang  se  réveille  fort  ému  d'avoir  vu  dans  son  rêve 
sa  fille  Touan-y4in  éplorée.  Il  veut  continuer  son  travail  ;  mais  l'ombre 
voltige  autour  de  la  lampe  et  de  temps  en  temps  l'obscurcit.  Pendant 
que  Teou-tien-tchang  mouche  la  lampe ,  l'ombre  retourne  les  pièces ,  de 
.sorte  que,  quand  il  veut  continuer  son  examen ,  la  première  affaire  qu'il 
a  sous  les  yeux  est  celle  d'une  jeune  femme,  nommée  Teou-ngo,  qui 
a  empoisonné  son  beau-père.  Le  magistrat,  qui  se  rappelle  avoir  placé 
ces  papiers  sous  les  autres,  est  saisi  d'étonnement  et  de  crainte;  il.  les 
replace  dessous  et  veut  passer  à  une  autre  affaire;  mais  l'ombre. vol- 
tige encore  autour  de  la  lampe  et  l'obscurcit.  Le  juge  mouche  la  lampe, 
et  Fomhre  retourna  de  nouveau  les  pièces;  le  premier  procès  qui  s'offre 
k  lui  est  toujours  celui  de  Teou-ngo.  Il  ne  peut  plus  douter  qu'il  n'y 
ait  des  démons  dans  le  palais  de  Tsou-tcheou.  En  effet,  l'ombre  appa- 
raît et  bondit  au  milieu  de  la  salle.  Elle  pleure  et  demande  justice  à 
son  père.  Dans  une  très-minutieuse  naiTation ,  elle  lui  raconte  de  point 
en  point  comment  elle  a  changé  son  noni  d'enfance  en  celui  de  Teou- 
ngo,  et  elle  n'oublie  aucune  des  circonstances;  bien  connues  de  nous, 
de  la  mort  de  Li-lao,  des  traitements  injustes  qu'elle  a  subis  et  des  pro- 
diges par  lesquels  elle  s'efforce ,  depuis  trois  ans ,  de  faire  éclater  son 
innocence.  Teou-tien-tchang ,-  versant  des  larmes,  promet  à  sa  fille  une 

5. 


• 


• 


36  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

complète  réhabilitation,  et,  en  effet,  aussitôt  le  jour  venu,  il  donne 
ordre  de  rechercher  tous  les  coupables ,  et  en  fait  bonne  et  prompte 
justice.   •  • 

Je  me  hâte,  à  présent,  de  passer  à  fexamen  de  la  seconde  publica- 
tion de  M.  Bazin. 

Le  Pi-pa-ki,-ou  l'Histoire  du  luth,  est  un  drame  qui  diffère  essen- 
tiellement, par  la  forme  et  surtout  par  ^étendue,  de  ceux  dont  nous 
nous  sommes  occupé  jusqu'ici.  Bien  que  composé  sQus*la  dynastie 
mongole,  comme  tous  les  drames  chinois  que  nous  connaissons,  il  na 
d*autre  rapport  avec  les  youen-pen  et  les  tsa-ki  que  tl'être,  ainsi  que 
ces  pièces,  entremêlé  de  diailogue  et  de  cbant;  il  diffère  de  ces  ou- 
vrages en  ce  qu'au  lieu  d'être  resserré  en  quatre  actes  il  se  déroule  en 
tableaux  nqmbreux.  Le  Si*siang-ki,  ou  l'Histoire  du  pavillon  d'Occident , 
ofiFre  seize  acTes  ou  tableaux  ^  Le  Pi-pa-ki,  ou  l'Histoire  du  kith ,  err  con- 
tient quaranfe-deux.  L'éditeur  chinois  diBs  cent  pièces  de  la  dynastie  des 
Youen,  dont  nous  avons  rapporté  les  classifications  dans  notre  précé- 
dent article,  a  donc  été  un  peu  trop  restrictif,  en^^ne  mentionnant 
comme  usitées  sous  la  dynastie  des  Kin  et  des  Youerf||ue  trois  espèces 
de  drames,  à  savoir  :  les  youen-pen ,  les  tâa-ki  et  les  yen-kia  ou  bluettes. 
Ce  critique  aurait  dû  ajouter  à  ces  trois  catégories  de  pièces  les  drames 
à  longs  développements ,  tels  que  le  Pi-pa-ki  et  le  Si-siang-ki;  et  il  était 
d'autant  plus  nécessaire  de  tenir  compte  de  ces  vastes  compositions, 
que  le  Si-siang-ki  passe,  au  jugement  des  lettrés,  pour  un  des  dix  chefs- 
d'œuvre  de  la  littérature  chinoise ,  et  que  l'auteur  de  ce  dfame ,  Waç- 
cbi-fou ,  figure  au  premier  rang  dans  le  catalogue  des  auteurs  qui  dnt  ' 
écrit  pour  le  théâtre  sous  les  Youen^. 

On  a  lieu  d'être  surpris  que  le  nom  de  l'auteur  du  Pi-pa-ki,  JCao-tong- 
kia^  aujourd'hui  si  célèbre  à  la  Chine,  ne  soit  pas  mentionné  sur  cette 
liste^  quoique  cet  auteur  ait  écrit  l'Histoire  du  luth  vers  le  milieu  du 
XIV*  siècle  et,  par  conséquent,  sous  les  Youen  ^.  Le  docteur  Ching-chan , 
qui  a  publié,  en  1 70^ ,  une  édition  du  Pi-pa-ki,  précédée  d'une  préface 
diaioguée  traduite  par  M.* Bazin,  s'étonne  de  l'oubli  de  ses  prédéces-, 
seurs  et  surtout  du  silence  de  Han-hiu-tseu ,  qui  a  composé  de  -savantes 
dissertations  sur  les  dramesje  cette  époque  et  dressé  une  liste  de  leurs 
auteurs^.  On  ne  peut  expliquer  cette  singulière  omission  que  par  le  peu 

'  M.  Stanislas  Julien  a  traduit,  en  i83â,  le  premier  de  ces  actes  ou  tableaux  dans 
un  recueil  périodique,  TEurope  littéraire.  —  Ce  catalogue,  traduit  par  M.  Bazin, 
porte  à  treize  le  «lombre  des  pièces  de  Wan-ch^-fou.  —  ^  La  dynastie  des  Youen 
a  pris/in  Tan  1878  de  notre  ère.  — -  *  H  est  douteux  que  la  liste,  dressée  par  Han- 
hiu-iseu,  des  auteurs  dramatiques  du  temps  des  Youen,  soit  la  même  que  le  cata- 


> 


JANVIER  1843.  37 

•de  succès  qu'obtint  le  Pi-pa-kî,  du  vivant  de  son  auteur.  Ce  ne  fut 
t]u*au  commencement  du  siècle  suivant, 'en  iliolxy  Sbus'la  dynastie  des 
Sling,  qu'un  homme  de  lettres  habile,  Mao-tscu,  reloucha  les  paroles 
et  les  airs  de  ce  drame  et  le  fît  rejouer  sur  le  théâtre  de  Pékin ,  avec 
un  succès  qui  s* est  toujours  soutenu  depuis  :  «Dès  qu'on  ouvre  un 
marché  quelque  part,  même  dans  le  plus  petit  hameau,  dit  l'éditeur 
de  1 70  A  ,  si  une  troupe  de  comédiens  arrive  et  que  les  acteurs  montent 
sur  la  scène  pour  jouer  le  Pi-pa-ki,  c'est  à  qui  viendra  les  entendre. . . 
Alors,  parmi  tous  les  spectateurs,  propriétaires,  matrones  du  iieu  \ 
Jeunes  pâtres,  loucherons,  vieillards  vénérables,  on  n'en  voit  pas  im 
seul  qui  n'ait  les  joues  rouges  et  les  oreilles  brûlantes  ;  les  larmes  cou- 
lent des  yeux ,  tous  les  visages  sont  consternés;  on  n'entend  plus  que 
des  soupirs,  des  gémissements ,  des  sanglots ,  des  cris ,  et  cela  dure  jus- 
qu'à la  fin  de  la  représentation »  Mao-tseu  ne  se  contenta  pas 

d'avoir  restitué  à  la  scène  cette  œuvre  attendrissante;  il  en  publia  une 
édition  nouvelle ,  et  intitula  ce  drame  corrigé  et  commenté  :  le  Livre  du 
septième  tksaî'tseu  ou  écrivain  de  génie  ^.  Depuis  lors  la  renommée  de 
Kao-tong-kia  n'a  pas  cessé  de  s'accit)ître.  Une  des  éditions  sur  lesquelles 
\f .  Bazin  a  travaillé  ne  renferme  pas  moins  de  quatorze  préfaces.  On  en 
est  venu,  sous  la  dynastie  Thaï-tsing,  aujourd'hui  régnante,  à  déclarer  le 
Pi-pa-ki  l'ouvrage  le  plus  utile  aux  mœurs  '.  On  recommande  la  lecture  de 
ce  drame  aux  époux,  aux  fils,  aux  fidèles  sujets  de  l'État  L'éditeur  de  1 7  o  A  *, 
malgré  plusieurs  critiques  judicieuses  qui  portent  sur  la  contexture  de 
la  pièce,  parle  des  beautés  morales  du  Pi-pa-ki  avec  une  exagération 
laudative  et  une  sentimentalité  prêcheuse  qui  rappellent ,  d'une  manière 
frappante ,  le  pathos  philosophique  de  Diderot  dans  les  dissertations  qui 
accompagnent  ses  drames  à  prétentions  vertueuses  :  u  Un  tableau  telque 
celui  que  vous  venez  de  lire,  s'écrie  le  critique  chinois,  vaut  mieux 
qu'un  chapitre  tout  entier  du  Li-sao-tsi.  Oui ,  celui  qui  lit  le  Ming-fou- 
ki  et  ne  verse  pas  de  larmes  n'est  pas  un  sujet  fidèle  :  celui  qui  lit  le 

Jogue  traduit  par  M.  Baxin  et  placé  a  ia  tôte  de  son  Théâtre  chinois.  Voici  ce  qu*a 
dit  Ching-chan ,  en  1704,  dans  sa  préface,  du  Pi-pa-ki  :  •  J*ai  parcouru  le  catalogue 
Je  Han-hiu-tseu. . . .  j'ai  vu  la  liste  des  auteurs  dramatiques,  depuis  Tong-li  jusqu'au 

dernier;  il  y  a  en  tout  cent  quatre-vingt-sept  écrivains »  Or  le  catalogue  traduit 

par  M.  Bazin  ne  commence  pas  à  Tong-li ,  dont  le  nom  ne  figure  même  pas  sur  ia 
liste ,  et  le  nombre  des  auteurs  n*est  pas  de  cent  quatre-vingt-sept.  -^-^  *  Ce  passage 
prQuve  qu'en  1704  les  femmes  respectables* tissistaient,- en  Chine,  aux  représenta- 
tions dramatiques.  — -  '  On  a  vu  plus  haut  que  les  lettrés  cpmptaient  six  çhers- 


•38  JOURNAL  IJES  SAVANTS. 

Pi-pa-ki  de  Kao-tong-kia  et  ne  verse  pas  de  larmes  est  un  homme  qui 
n'a  jamais  aim*^  s^  père  ni  ^'mère!  »  Et  un  peu  pl«s  loiâ  :  u  Gomme 
la  piéti^  filiale  de  Tchao-ou-niang  est  touchante  !  Quelle  profonde  sen- 
sibilité!... Chaque  mot  est  une  larme  et  chaque  laftne  est  une  perle!...  » 
Nous  savons  beaucoup  de  gré  h  M.  Bazin  de  nous  avoir  fait  connaître 
ce  très-curieux  échantillon  de  la  critique  admirative  à  la  Chine.  Nous 
le  remercions  encoi*e  d*avoir  traduit  un  petit  prologue ,  qui  n'est  pas 
dans  l'édition  du  docteur  Ghing-chan ,  mais  qui  se  trouve  dans  l'édition 
probablement  plus  récente  que  possède  la  Bibliothèque  royale-  Ce  pro- 
lo<aie  nous  montre  le  directeur  du  théâtre  délibérant,  avec  les  comé- 
diens réunis  dans  le  foyer,  sur  le  choix  de  1»  pièce  qu'ils  vont  représenter 
devant  le  public.  Le  directeur  propose  de  jouer  un  tchouen-khi ,  c'est- 
à-dire  un  des  drames  historiques  composés  soua  la  dynastie  des  Thang; 
mais  les  comédien§  demandent  à  représenter  le  Pi-pa-ki,  Le  directeur 
leur  fait  remarquer  qu'il  est  plus  aisé  de  faire  rire  les-hommes  que  de 
les  faire  pleurer:  axiome  qui,  dans  notre  Europe,  ^rait  pour  le  moins 
contestable.  Néanmoins,  il  consent  à  ce  qu'on  joue  le  Pi-pa-ki.  U 
entre  donc  en  scène,  annonce  la  pièce  aux  spectateurs  et  les  prie  d'é- 
couter l'argument,  qui  est  une  exposition  tout  à  fiadtdans  la  forme,  des 
prologues  de  Plante.  Puis,  ayant  rejoint  les  acteurs,  messieurs,  leur 
dit-il,  je  ne  veux  pas  que  celte  représentation  dure  trop  longtemps, 
tâchez  de  finir  aujourd'hui  (ce  qui  prouve  que  les  représentations  chi- 
noises, comme  jadis  celles  de  nos  mystères,  durent  quelquefois  plu- 
sieurs jour^.  Enfin,  il  leur  adresse  cette  dernière  -  recommandation 
pleine  de  bon  sens  :  a  Mais  surtout,  messieurs,  ne  retranchez  rien.  » 

Malheureusement  M.  Bazin ,  â  qui  nous  empruntons  la  traduction 
de  ce  conseil ,  n  en  a  pas  reconnu  toute  Texcellence.  Il  a  cru  pouvoir 
,  opérer  de  nombreux  reti-anchements  dans  le  Pi-pa-ki.  Des  avis  pourtant, 
et  des  avis  venant  de  la  Chine,  comme  celui-ci,  ne  lui  ont  pas  manqué. 
On  lit  dans  la  préface  de  l'édition  de  l  yoil,  â  propos  de  quelques  lon- 
gueurs reprochées  â  l'Histoire  dû  lutlj  :  wDes  longueurs! y  songez-vous? 
Parce  que  le  Si-siang-ki  n'a  que  seize  actes  on'le  trouve  trop  court  et  l'on 
voudrait  y  ajouter  des  scènes;  parce  que  le  Pî-pa-kî  a  quarante-deux 
tableaux,  on  le  trouve  trop  long  et  l'on  voudrait  en  retrancher  plu- 
sieurs passages  ;  mais  tout  critique  avisé  n'ignore  point  qu'il  n'est  pas 
plus  à  propos  de  faire  des  additions  au  Si-âiang-ki  que  des  coupures  au 
Pi-pa-ki.  Si,  parce  qu'un  canard  a  les  jambes  trop  courte3,  on  voulait 
les  allonger,  on  le nmtilerait ;  et  si,  parce  qu'une  cigogne  a  le  cou  trop 
long,  on  voulait  le  raccourcir,  on  la  tuerait...  n  En  dépit  de  cet  avertis- 
sement naïf,  mail  au  fond  trèf-iensé ,  M.  Bàni),  qui  a  traduit  tout  en- 


JANVIER  1843.  39 

tières  et  ave(^  la  plus  scrapuleuse  exactitude  les  quatre  pièces  de  son 
Théâtre  chinois  ^ ,  a  cru  pouvoir  prendre  plus  de  liberté  dans  sa  seconde 
publication  :  des  quarante-deux  tableaux  qui  composent  le  Pi-pa-ki,  il 
•  en  a  retranché  dix-huit.  Gomment  n'a-t-il  pas  vu  que  c'était  là  précisément 
vouloir  raccourcir  le  cou  de  la  cigogne?  Comment  n  a- t-il  pas  senti  que 
ce  qu'on  souhaite  d'un  tr^ucteur  de  drames  et  de  romans  chinois ,  ce 
n'est  pas  qu'il  refasse  ces  ouvrages  selon  les  lois  de  Tari  européen ,  mais 
qu'il  nous  les  montre  dans  leurs  proportions ,  et  même ,  s'il  ^  a  lieu ,  dans 
leur  difformité  naturelle? 

Nous  regrettons  d'autant  plus  que  M.  Bazin  ait  appliqué  le 'système 
meurtrier  de  Tabréviation  au  Pi-pa-ki,  qu'autant  qu'on  en  peut  juger,  la 
foime  de  ce  remarquable  ouvrage  est  de  beaucoup  moins  imparfaite 
que  celle  de  tous  les  .autres  drames  chinois  qu'on  nous  a  fait  connaître 
jusqu'à  ce  jour.  On  ne  trouve  point  ici,  au  commencement  db  chaque 
scène ,  comme  dans  toutes  les  pièces  des  Youen  ,  cette  formule  initiale 
si  fatigante  et  qui  rappelle  nos  vieux  mystères  :  a  Mon  liom  de  famille  est 
Tchang,  mon  surnom  I,  je  suis  originaire  de  Nan-king,  etc.  »  ou  bien  : 

u  C'est  moi  qui  suis  Fan-sou »  On  ne  trouve  pas  non  plus  dans  ^^efte 

pièce  les  fastidieuses  répétitions  de  discours  et  de  faits  déjà  connus  du 
spectateur,  qui  attestent  l'enfance  de  l'art  théâtral,  et  qui  sont  si  fré- 
quentes dans  les  drames  du  répertoire  des  Youen.  En  un  mot,  le 
Pi-pa-ki,  retouché  par  Mao-tseu,  nous^ donne  une  idée  des  progrès, 
faibles  sans  doute,  mais  pourtant  remarquables,  que  l'art  du  théâtre  a 
fiadts  à  la  Chine  du  xiv*  au  xv*  siècle  de  notice  ère. 

Ce  drame  est  trop  étendu  e^  trop  chargé  d'épisodes  »  ppur  que  je 
puisse  essayer  d'en  tracer  une  analyse  complète.  Je  tacherai  seulement 
d'indiquer  en  peu  de^  mots,  ses  imperfections  et  ses  beaut^.  L'action , 
quoique  une ,  se  divise  en  deux  parties  tout  à  fait  distinctes ,  mais  qui 
ont  entre  elles  de  certains  rapports  de  ressemblance  ou  d'opposition  ; 
ce  qui  établit  une  sorte  de  parsdlélisme  continu  qui,  dans  les  idées  chi- 
noises ,*  est  le  plus  gr^nd  mérite  d'une  composition  La  scène  se  passe 
alternativement  dans  un  viUage  de  la  frontière ,  nommé  Tchin-lieou .  et 
dans  la  ville  de  Tdiang-ugan ,  aiors  capitale  de  l'empire.  Dans  le  village 
habite  une  honnête  famille,  composée  de  M.  Tsaî,  de  sa  femme,  de 
leur  fils  Tsaî^yong  et  de  leur  bru  Tchao-ou-niang.  M.  Tsaï  n'a  qu'une 
pensée,  qu'un  désir,  celui  de  voir  gon  fils,  jeune  bachelier  c^e  grande 
espérance ,  se  rendre- à  la  capitale  et  concomir  poui»  un  grade  supérieur. 

'  M.  Baiin  pousse  la  fidélité ,  dans  le  Théâtre  chinois ,  jusqu'à  donner  en  note  le 
trèt-petit  nomore  de  passages  fa'il  croit  devoir  retrancher  ou  modifier. 


JOURNAL  DES  SAVANTS. 
Madame  Tsaï  est  fort  opposée  à  ce  voyage,  et  le  Jeune  hoqame  éprouve 
aus^i  la  plus  vive  ré[iugnance  à  exposer  ses  vieux  parents  el  sa  jeune 
femme  à  tous  les  accidents  qui  peuvent  survenir  pendant  son  absence. 
Ce  n'est  que  poui-  obéir  à  la  volonté  formelle  de  son  père  qu'il  se  résout  ■ 
h  partir,  après  avoir  recommandé  ses  père  et  mère  el  sa  jeune  épouse 
,iux  soins  d'un  bon  et  obligeant  voisin ,  M.  Xf^^^ng-  Dans  la  capitale  . 
nous  avons  sous  les  yeux  l'intérieur  d'une  famille  toute  différente.  Voici 
l'hôtel  et  les  jardins  du  riche  seigneur  Nieou ,  précepteur  de  la  famille 
impériale,  qui  consacre  tous  ses  loisirs  à  l'éducation  de  sa  fdle.  l'aimable 
Nieou-chi,  auprès  de  laquelle  il  a  placé  une  sage  gouvernante  et  une 
jeime  sui\anle  presque  aussi  éveillée  que  la  petite  Fan-sou  de  la  Soubrette 
accomplie.  Toute  l'ambition  du  seigneur  Nieou  est  de  trouver  pour  sa 
fille  un  époux  digne  d'elle.  Cependant,  au  village  de  Tcbin-lieou .  les 
tristes  pressenlinienls  de  madame  Tsaï  s'accomplissent  :  les  années  s'é- 
coulent et  leur  fds  ne  revient  pas;  une  inondation  ruine  le  pays;  la  fa- 
mine survient  ;  les.deux  pauvres  vieillards  sont  réduits  à  la  plus  extrême 
misère.  Leur  bru ,  la  vertueuse  Tchao-ou-niang ,  vend  un  à  un  tous  ses 
bijoux,  toutes  ses  pannes,  pour  faire  subsister  ses  vieux  parents.  Leur 
charitable  voisin.  M.  Tcliang,  vient  aussi  souvent  à  leur  aide;  mais  en- 
fin ils  meurent  de  misère  l'un  après  l'autre.  V  ous  demandez  quel  obstacle 
s'est  opposé  au  retour  de  Tsa'i-yong?  Il  a  obtenu  la  palme  académique, 
il  est  devenu  magistrat  de  première  classe  et  a  été  prpmu  au  grade  de 
ministie  d'État.  Bien  plus,  par  ordre  exprès  de  l'empereur,  et  malgré 
ses  refus  réitérés  .  il  a  été  contraint  d'épouser  la  fille  du  précepteur  de 
la  famille  ijiipériaie ,  la  charmante  Nieou-chi.  Pourquoi  n'a-t-il  pas  Iran- 
chement  informé  le  seignem'  Nieou  et  l'empereur  du  premier  mariage 
qu'il  a  contracté.^  Pourquoi,  ne  pouvant  quitter  la  capitale  ,  n'a-t-il  pas 
écrit  ou  envoyé  un  exprès  à  sa  famille?  C'étaient  ih  des  démarches  fa- 
ciles, indispensables .  et  dont  l'oubli  est  fort  mal  motivé. dans  la  pièce. 
Au  reste ,  ces  grossières  invraisemblances ,  qui  sont  le  défaut  capital  de 
ce  drame  ,  n'ont  pas  échappé  aux  critiques  chinois ,  notamment  k  l'en- 
thousiaste éditeur  de  i  -oZi  ';  mais  il  faut  reeonnaitre.en  revanche,  qu'il 
résulte  de  ces  invraisemblances  une  situation  d'un  intérêt  puissant  et 
dont  l'auteur  a  lire  les  effets  les  plus  dramatiques.  Rien  n'est  mieux  senti 
que  les  remords  et  la  tristesse  de  Tsaï-jong ,  qui ,  plein  du  souvenir  de 
sa  famille  et  de  sa  jeune  femme,  maudit  la  science,  les  succès  littéraires, 
les  grandeurs .  la  beauté  même  et  les  grâces  de  sa  nouvelle  épouse.  EUeD 
n'est  plus  louchant  que  la^anière  froide  et  triste,  et  néanmoins  douce 

'  toy.  le  Pi-pa-ki,  préface  de  l'éditeur  cliinois.  p.  i6  cl  17,       1 1— 1  '»i      1   i' 


JANVIER  1843.  41 

cl  affectueuse  dont  il  ajourne  les  questions  et  élude  les  caresses  de  Nieou- 
chi.  Une  scène  surtout  est  vraiment  charmante;  c'est,  je  crois,  celle 
qui  a  fait  nommer  ce  drame  l'Histoire  du  luth.  Un  soi»,^seul  et  pensif  dans 
sa  bibliothèque,  Tsaï-yong  essaie  de  tirer  quelques  accords  de  son  luth. 
Il  est  surpris  par  sa  jeune  épouse  qui  lui  demande  la  faveur  de  l'entendre  ; 
car  eUe  aussi  a  du  chagrin ,  et  elle  croit  qu'une  romance  lui  serait  un 
soulagement.  Tsaï-yong  ne  peut  se  refuser  à  cette  prière.  Il  propose  à 
Nieou-chi  de  lui  chanter  «  Le  faisan  qui ,  le  matin ,  prend  son  vol.  » 
Mais  la  jeune  femme  n'approuve  pas  ce  choix;  il  n'y  a  pas  d'amour  là- 
dedans  ;  c'est  une  chanson  de  chasseur.  «  Eh  bien ,  dit  le  jeune  homme , 
je  vais  vous  chanter  «  L'oiseau  louen  séparé  de  la  compagne  qu'il  aime.  » 
—  L'époux  et  l'épouse  ne  sont-ils  pas  réunis?  répond  Nieou-chi;  pour- 
quoi voulez-vous  déplorer  sur  votre  luth  les  regrets  du  veuvage? 

TSAÏ-YONG. 

"  Alors  chantons  une  autre  chanson.  Que  dites-vous  de  la  romance 
intitulée  uLe  ressentiment  de  la  belle  Tchao-kiun?» 

NIEOU-CHI. 

u  Qu'avez-vous  besoin  de  chanter  la  vengeance  dans  le  palais  de  Han  ? 
La  paix  et  la  concorde  habitent  ici.  Seigneur,  dans  le  calme  de  cette 
belle  soirée,  devant  ces  perspectives  ravissantes,  chantez-moi  la  ro- 
mance (I  Quand  la  tempête  agite  les  pins.  » 

Tsaï-yong  acquiesce  h  ce  désir;  mais  il  se  trompe  et  chante  l'air 
((  Quand  je  pehse  que  je  retournerai  dans  mon  pays  natal.  »  Nieou-chi 
l'interrompt,  et  il  recommence  ;  mais  il  se  trompe  encore ,  et  chante 
l'air  de  «  La  cigogne  délaissée.  »  Cette  scène,  qui  se  prolonge  et  amène 
une  demi  -  explication  entre  les  deux  époux,  serait  pleine  de  grâce  et 
d'intérêt  sur  tous  les  théâtres  dû  monde. 

Enfin  Tsai-yong  se  résout  à  faire  ce  par  où  il  aurait  dû  commencer, 
l'aveu  de  sa  position  à  sa  femme  et  à  son  beau-père.  L'un  et  Tautre  ap- 
prouvent qu'il  envoie  un  messager  à  Tchin-lieou  pour  en  ramener  sa 
famille.  Comme  il  est  permis  et,  de  plus,  très-commim ,  à  la  Chine,  d'a- 
voir deux  femmes ,  et  que  la  seconde  est  tenue  seulement  à  quelque 
subordination  à  H^ard  de  la  première ,  ^ieou-chi  consent  de  bonne 
grâce  à  un  partage  qui  rendra  le  bonheur  à  son  mari. 

Que  fait  cependant  Tcfaao-ou-niang?  Elle  a  vu  mourir  de  misère  son 
beau-père  et  sa  belle-mère;  mais  comment  leur  rendra-t-elle  les  derniers 
devoirs  ?  Elle  coupe  sa  chevelure  et  la  vend  pour  subvenir  aux  fi*ais  de 
leiirs  funérailles.  Elle  ramasse  avec  ses  mains  de  la  terre  dans  le  pan 

6 


42  JOURNAJ.  DES  SAVANTS. 

de  sa  tunique  pour  leur  élever  un  tombeau.  Aveitie  par  un  songe  pro- 
phétique ,  elle  revêt  un  habit  blanc  de  religieuse ,  prend  un  luth ,  et , 
amaigrie  par  la  sopCTrancé ,  s  achemine  versia  capitale  en  chantant  et  en 
demandant  laumône  sur  la  route.  Ayant  découvert  Fhôtel  qu'habite 
Tsaî-yong,  et  sachant  que  Nieou-chi  cherche  à  louer  deux  nouvelles  ser- 
vantes pour  soigner  la  famille  de  son  mari  dont  elle  attend  l'arrivée , 
Tchao-ou-niang  se  présente  à  elle.  C  est  une  scène  on  ne  peut  plus  heu- 
reusement conçue ,  et  non  moins  heureusement  exécutée ,  que  celle  où 
de  question  en  question ,  de  confidence  en  confidence ,  ces  deux  femmes 
commencent  à  se  comprendre,  à  s'aimer,  et  finissent  par  se  reconnaître. 
Quelle  frappante  péripétie  !  Quel  touchant  échange  de  rôle  entre  ces 
deux  femmes!  «  Hélas  !  madame ,  s'écrie  Nieou-chi,  c'est  à  cause  de  moi 
que  vous  avez  souffert  tant  d'humiliations,  éprouvé  tant  de  douleurs!. s. 
mais  aussi  vous  serez  à  jamais  citée  comme  un  modèle  de  piété  filiale  !... 
Asseyez -vous,  madame,  pour  recevoir  les  salutations  de  votre  ser- 
vante...» 

Après  les  retranchements  qu'a  éprouvés  cet  ouvrage,  il  serait,  sans 
doute,  peu  prudent  de  vouloir  porter  un  jugement  sur  son  ensemble. 
On  aurait  à  craindre  que  les  parties  qui  restent  à  connaître  ne  vinssent 
donner  un  démenti  à  l'opinion  qu'on  émettrait  sur  celles  que  Ton  con- 
naît. Je  me  bornerai,  pour  ma  part,  à  une  seule  observation.  Cette 
pièce,  qui  fronde  les  institutions  nationales  de  la  Chine,  notamment 
les  examinateurs  et  les  concours,  et  qui,  dans  plusieurs  passages,  mé- 
nage assez  peu  les  croyances  religieuses,  n'en  a  pas  moins  la  plus  haute 
prétention  à  la  catéchisation  morale.  Chose  singulière!  Ce  drame,  qui 
a  est  connu  que  d'hier  en  Europe,  semble  le  type  et  comme  le  modèle 
de  ce  que  Diderot,  avec  les  critiques  allemands  du  dernier  siècle,  ap- 
pelait le  comique  honnête  et  vertueux.  La  Soubrette  accomplie  nous  a  rap- 
pelé la  sentimentalité  fine  et  railleuse*  de  Marivaux;  le  Pi-pa-ki  nous 
rappelle  le  drame  à  la  fois  déclamatoire  et  larmoyant,  sentimental  et 
frondeur,  de  Diderot,  de  Mercier  et  de  Lessing. 

Au  reste ,  quelle  que  soit  la  valeur  littéraire  de  ces  productions  théâ- 
trales,  valeur  qui  me  paraît  assez  grande,  sinon  dans  la  disposition  et 
les  ressorts  de  l'intrigue ,  au  moins  dans  l'exécution  de  quelques  scènes , 
nous  n'en  devons  pas  mokis  une  extrême  reconnaislince  à  M.  Bazin, 
pour  avoir  mis  à  notre  portée  des  ouvrages  remplis  de  notions  inté- 
ressantes sur  le  génie  littéraire,  les  moeurs  privées  et  les  sentiments  in- 
time» d'un  peo]^  cpai  occupe  une  place  si  considérable  dans  Tespèce 
humaine. 

MAGNIN. 


JANVIER  1843.  43 

Histoire  de  là  vie  et  des  poésies  d'Horace,  accompagnée  dHun 
portrait  et  dune  carte,  par  M.  le  baron  Walckenaer,>  membre 
de  r Institut  de  France  [Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres), 
Paris,  imprimerie  de  Bruneau,  librairie  de  L.  G.  Michaud, 

•    i84o,  2  vol.  in-8"  de  696  et  666  pages. 

Epitre  d  Horace  aux  Pisons  sur  lart  poétique.  Texte  revu 
sur  les  manuscrits  et  les  éditions  les  plus  estimées,  version  fran- 
çaise,  notes  diverses,  discussion  de  leçons  et  interprétations  diffé-- 
rentes,  études  sur  les  préceptes,  etc.;  précédé  dune  introduction 
où  sont%traitées  diverses  questions  relatives  à  ce  poème,  par  B. 
Gonod',  professeur  de  rhétorique  au  collège  royal  de  Clermont, 
bibliothécaire  de  la  ville;  suivi  dune  traduction  en  vers  français , 
par  C.  F.  X.  Chanlaire,  professeur  de  rhétorique  au  collège  royal 
du  Puy.  Clermont-Ferrand ,  imprimerie  et  librairie  de  Thi- 
baud-Landriot,  i84i,  1  vol.  in-8**  de  xii-335  pages. 

Art  poétique  d'Horace,  traduction  nouvelle  par  J.  B.  Pérennès, 
doyen  de  la  faculté  des  lettres  de  Besançon.  Besançon ,  impri- 
merie de  Outhenin-Chalandre  fils,  i84i  »  in-8**  de  20  pages. 

Art  poétique  d'Horace,  traduit,  en  vers  par  Bon  Le  Camus,  an- 
cien élève  de  V école  polytechnique.  Riom  ,  imprimerie  de  Salles 
fils;  Paris,  librairie  de  L.  Hachette,  i84it  ia-S""  de  33  pages. 

C1NQUIÈM1B    ET    DERNIER    ARTICLE  ^ 

Pendant  que  M.  Gonod  commentait  TArt  poétique  d*Horace  avec  le 
soin  curieux  et  la  sagacité  dont  je  Tai  loué  précédemment,  plusieurs 
littérateurs,  appartenant  la  plupart,  ainsi  que  lui,  à  TUniversité,  faisaient 
de  ce  poème  des  traductions  en  vers  dont  il  me  reste  à  dire  im  mot, 
pour  ne  pas  manquer  aux  promesses  de  mon  titre. 

Nul  ancien  n*a  été,  chez  nous ,  et  probablement  aussi  chez  les  autres 
nations,  plus  souvent  traduit  en  vers  que  ne  Fa  été  Horace;  et  parmi 
ses  œuvres  il  n  y  en  a  peut-être  point  que  nous  nous  soyons  plus  ap- 
pliqués à  reproduire  de  cette  manière  que  son  Art  poétique.  Non- 
seulement  rÉpître   aux  Pisons  a  trouvé  place  à  la  suite  des  épitres 

^  Voyez  les  quatre  premiers  dans  les  cahiers  d'octobre  i84i,  p.  6a  i,  de  janvier, 
février  et  octobre  i84a ,  p.  ti6,  83  et  Sga. 


44  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dans  nûs  versions  complètes  du  poète,  mais  elle  a  été  encore  le  su- 
jet spécial  d*une  multitude  d'essais  parliels,  où  nos  écrivains  se  sont 
efforcés  de  rendre,  sans  jamais  arriver  à  une  expression  définitive,  la 
force  de  sens ,  la  précision,  la  vivacité  de  tour,  qui  en  font  un  des  rares 
chefs-d'œuvre  du  genre  didactique  :  non-seulement  on  a  renouvelé  sans 
fin  cette  lutte  difficile ,  d'autres  diraient  impossible ,  contre  un  texte 
gravé  dans  toutes  les  mémoires  et  objet  du  plus  redoutable  contrôle  pour 
la  fidélité  et  l'agrément  de  ses  copies ,  mais,  on  s'est  quelquefois  libre- 
ment inspiré  des  idées  et  du  style  de  son  auteur  en  rédigeant  de  nou- 
veaux codes  plus  particulièrement  appropriés  à  l'usage  des  modernes. 
Rien  n'atteste  la  valeur  de  cette  production  célèbre,  comme  une  si 
constante  préoccupation,  et  le  nombre  toujours  croissant#)e  traduc- 
tions, d'imitations,  qui  n'ont  pu  y  mettre  un  terme.  • 

Dès  le  commencement  du  xvi*  siècle,  un  certain  Charles  Fontaine, 
auteur  de  poésies  recueillies  en  i555,  sous  le  titre  singulièrement 
prétentieux  de  Ruisseau  de  Fontaine,  avait  entrepris  une  traduction  en 
vers  de  l'Art  poétique  d'Horace ,  qu'une  concurrence  décourageante 
lui  fit  abandonner,  ou  du  moins  supprimer.  Il  en  porta  toutefois 
quelques  vers  à  la  connaissance  du  public,  lorsqu'en  i55i  il  donna 
une  réfutation  du  manifeste  littéraire  publié ,  au  nom  d'une  école  nou- 
velle de  poésie  ,  par  Joachim  du  Bellay,  sous  le  titre  de  Défense  et  illus- 
tration de  la  langue  française.  Cette  réfutation  était  elle-même  intitulée , 
du  nom  d'un  critique  célèbre  dontHorace,  dans  ces  vers  si  connus  : 
QuintiKo  si  quid  recitares,  etc.\  a  tracé  le  portrait,  Quintil  Horatian,  et 
Charles  Fontaine  trouvait  là  une  occasion,  qu'il  avait  peut-être  cher- 
chée ,  de  citer  sa  traduction.  La  ruse  innocente  de  sa  vanité  nous 
permet  de  faire  connaître  quel  humble  point  de  départ  ont  eu  nos 
nombreuses  traductions  de  l'Art  poétique  d'Horace. 

Si  tu  iisois  quelque  chose  à  Quintil , 

Cecy  corrige,  et  cela,  disoit-il. 

Si  tu  disois  mieux  faire  ne  pouvoir. 

Et  essayé  deux  ou  Ut)is  fois  à  voir, 

Il  commandoit  effacer  à  la  plume 

Vers  mal  tournez  et  remettre  à  i*enclume. 

Si  mieux  aymois  défendre  ton  erreur 

Que  Tameuder  et  changer  en  meilleur. 

Plus  pas  un  mot;  plus  il  ne  prenoit  peine, 

Peine  perdue  et  diligence  vaine  ; 

Mais  permettoit  que  sans  envie  ou  rage 

Amasses  seul  et  toy  et  ton  ouvrage. 

'  Epist.  ad  Pison,  v.  ^38. 


JANVIER  1843-  45 

Ainsi  commence,  assez  facilement,  la  citation  de  Charles  Fontaine. 
Je  ne  pourrais  continuer  de  la  transcrire  sans  arriver  à  des  vers  bien 
pénibles,  quelquefois  bien  barbares,  qui  font  comprendre  comment 
fauteur,  dont  f ouvrage  avait  été  anticipé,  cest  son  expression,  crut 
prudent  de  ne  point  lutter  contre  le  grand  succès  obtenu,  dans  finter- 
valle,  et  pour  de  longues  années,  par  la  traduction  de  Jacques  Pelletier 
du  Mans. 

La  trace  d*un  premier  essai,  rendu  public  en  1 54o ,  est  sensible  dans 
ce  nouveau  titre  d  une  édition  plus  souvent  citée  :  UArt  poétique  d'Horace, 
traduit  en  vers  francois  par  Jacques  Pelletier  du  Mans,  recongnu  par  Vauteur 
depuis  la  première  impression;  imprimée  à  Paris  par  Michel  de  Vascosan,  au 
mois  d'aoust  1565.  Elle  ne  Test  pas  moins  dans  cette  épigraphe  :  Moins 
et  meilleur,  par  laquelle  le  traducteur  semble  annoncer  qu'il  a  pris  soin 
de  réduire,  et  de  rendre  ainsi  plus  conforme  aivnodèle ,  sa  version  d'un 
poète  qui,  dit -il  dans  sa  dédicace,  a  excellé  eu  brièveté  sentencieuse.  En 
preuve  de  cet  effort  louable  on  peut  citer,  par  exemple,  la  manière  dont 
il  a  rendu  le  vers,  naturalisé  dans  notre  langue  par  Boileau  : 

Id  vitium  ducit  culps  ftiga  ;  si  caret  arte  *. 

L'esprit  humain  en  erreur  est  induit 
En  l'évitant,  s'il  n'est  par  art  conduit. 

On  peut  citer  cette  traduction  de  la  tirade,  Sumite  materiam,  etc.  ^ 

Vous,  écrivains,  prenez  un  argument 

A  vous  égal ,  et  pensez  longuement 

Ce  que  pourrez ,  ce  que  ne  pourrez  point  : 

Qui  son  suget  aura  choisi  à  point 

Selon  sa  force,  il  n'aura  nul  défaut 

De  motz  exquis ,  ni  d'ordre  td  qu'il  faut. 

Il  n  échappe  point  à  nos  lecteurs  que  le  traducteur  de  FArt  poétique 
latin  ne  tient  pas  compte  de  la  règle  établie  par  le  français  pour  l'entre- 
lacement  des  rimes  masculines  et  féminines;  que,  d'autre  part,  il  est, 
par  quelques  réformes  d*orthographe ,  poussées  ailleurs  chez  lui  jusqu'à 
des  excès  bizarres,  fort  en  avant  de  l'usage.  Son  style  n'est  pas  exempt,  il 
s'en  faut,  du  prosaïsme  que  Ton  n'évitait  guère  alors  dans  les  sujets  sé- 
rieux ;  il  n'a  rien  non  plus  de  la  roideur  pédantesque  et  de  l'obscurité 
que  devait  bientôt  introduire  dans  la  haute  poésie  l'imitation  indiscrète 
des  formes  grecques  et  latines;  il  procède  non  des  exemples  de  Ronsard, 
qui  étaient  encore  à  venir,  mais  de  ceux  de  Marot ,  dont  il  reproduit 

* 

'  Epiit.  ad  Pif9/i.  v.  3i.  —  '  Ibid.  y.  38. 


46  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

quelquefois  assez  heureusement  les  allures  lestes,  faciles,  gracieuses. 
Voici  comme  Pelletier  a  rendu  la  charmante  comparaison  d'Horace  :  Ut 
silvœfoliis,  etc.  ^ 

Ni  plus  ni  moins  qu*un  bois  se  renouvelle , 
Par  chacun  an ,  de  verdure  nouvelle , 
Aiant  jette  tout  son  premier  feuillage  ; 
Ainsi  des  motz  se  passe  le  vieil  âge, 
Et  sont  en  fleur  les  vocables  récens , 
Ainsi  que  sont  jeunes  adolescens. 

Sa  traduction  du  Tableau  des  quatre  âges ,  Reddere  qui  voces  jam  scit 
paer,  etc.^,  se  soutient,  malgré  Tantiquité  du  style,  par  une  aimable 
naïveté  et  quelques  hons  traits,  contre  les  imitations  qu*en  ont  faites, 
avant  Boileau,  Régnier  *,  et  après,  Delille  *.  On  me  saura  gré ,  je  pense  , 
de  la  rapporter  :  qui  lit  aujourd'hui  Pelletier,  et  combien  sont  à  même 
de  le  lire? 

L'enfant  petit  qui  desia  sait  parier, 
Et  qui  seulet  fermement  peut  aller , 
Est  de  jouer  à  ses  pareilz  bien  aise  : 
Il  se  courrousse  et  soudain  se  rappaise , 
Et  à  tous  coups  change  d'affection. 

L*adolescent,  hors  la  correction 

Du  pédagogue ,  aime  chevaux  et  chasse , 

Et  aa  soleil  sus  Vherhe  se  déldsse^. 

Facilement  à  malice  6*applicque , 

Et  rudement  aux  remontrans  replicque , 

Est  bien  à  tard  de  son  bien  provident, 

Prodigue,  fier,  convoiteux  et  ardent. 

Tôt  ennuie  de  son  premier  plaisir. 

L*agc  viril  change  et  met  son  désir 
A  biens  avoir  et  amis  mériter, 
Craint  son  honneur  et  sait  bien  éviter 
Ce  que  changer  conviendroit  par  après. 

Plusieurs  ennuiz  environnent  de  près 
L^homme  vieillard  :  car  étant  plantureux 
En  biens  aquis,  tant  il  est  malheureux, 
n  les  épargne,  et  user  il  n*en  ose  ; 
Il  est  timide  et  froid  en  toute  chose. 
Grand  délaieur,  long  d*espoir,  imbécille. 
Et  curieux  du  futur,  difficile. 
Plein  de  chagrin ,  louant  le  temps  premier 

*  Epist  ad  Pisoh.  v.  60.  —  * Ihid.  v.  i58.  —  '  Sat  V.  —  *  L'Imagination,  ch.  vi. 
— Ml  est  inutfle  d'insister  sur  la  faute  de  sens  commise  ici  par  le  vieux  traducteur. 


JANVIER  1843.  47 

Qu'il  étoit  jeune,  et  censeur  coutumier 
Des  jeunes  gens 

La  traduction  de  Pelletier,  contemporaine  d'une  traduction  des  Sa- 
tires et  des  Épîtres  d'Horace,  donnée  en  iS/ig-iSSi,  avec  applaudis- 
sement, par  François  Habert,  eut,  je  Tai  déjà  dit,  une  longue  existence, 
et  cela ,  à  une  époque  où  les  révolutions  de  la  langue  vieillissaient  vite 
les  ouvrages.  Elle  reparut  pour  la  troisième  fois  en  i555;  en  i583  on 
la  réimprimait  encore  dans  un  Horace  de  plusieurs  mains ,  donné  par 
Luc  Delaporte ,  auteur  lui-même  de  la  traduction  des  Odes  qui  ouvrait 
ce  recueil.  Pelletier,  que  son  succès  encouragea  depuis  à  traiter  lui- 
même,  mais  en  prose,  pour  l'instruction  de  son  temps,  de  la  Poétique  \ 
ne  s  était  pas  fait  scrupule  d'habiller  quelquefois  son  auteur  à  la  mo- 
derne. Les  Sosies,  qu enrichissent  les  bons  livres  (feic  meret  œra  liber 
Sosiis  ^)j  le  copiste  négligent  qui  tombe  toujours  dans  la  même  faute  [ut 
scriptor  si  peccat  idem  Ubrarius  usqae  *  ) ,  étaient  devenus  pour  lui  des  im- 
primeurs ,  et  le  musicien  dont  il  est  question  dans  ce  dernier  endroit 

[ciûiarœdus chorda  (fui  semper  oberrat  eadem'^)  un  organiste!  Bien 

plus  ,  à  des  noms  anciens  il  s'était  quelquefois  permis  de  substituer  des 
noms  modernes ,  de  dire  Poiet  [sic)  et  Liset  au  lieu  de  Messala  et^Cas- 
cellius  Aulus  ^;  pour  Cécile  et  Plante,  Alain  et  Meung-,  pour  Virgile  et 
Varius  ^ ,  Marot  et  Mellin. 

Mais  en  ceci  peat-on  favorizer 

Alain  et  Mun  (51c)  et  qu'un  pareil  crédit 

Soit  à  Marot  et  Meiiin  (sic)  interdit  ? 

Cela  conduisait  à  Fidée  de  tirer,  par  voie  de  simple  imitation,  de 
rÉpître  aux  Pisons  «  un  Art  poétique  françois.  »  C'est  ce  que  ne  larda  pas 
de  faire ,  sous  ce  titre  même ,  un  écrivain  connu  par  des  succès  dans 
l'idylle ,  dans  la  satire ,  déjà  accoutumé ,  par  conséquent ,  à  chercher  des 
inspirations  chez  Horace ,  Jean  Vauquelin  de  la  Fresnaie. 

Son  poème  a  pour  base  TÉpître  aux  Pisons,  et  même  l'Epître  à  Au- 
guste, de  sujet  littéraire,  comme  on  sait,  l'une  et  l'autre  traduites  ou 
imitées  presque  en  entier,  distribuées  en  trois  livres  et  mêlées,  sans 
grand  art  de  composition,  d'enseignements  nouveaux  sur  les  genres 
plus  particulièrement  traités  par  les  modernes,  de  détails  fort  curieux 
pour  nous  sur  les  auteurs  qui  paraissaient  alors  offirir  de  ces  genres  des 
modèles  achevés.  Cet  ouvrage  se  distingue  par  l'emploi  assez  discret 

'  L*Art  poétique  de  Jacques  Peletier  du  Mans ,  départi  en  deus  livres,  Lyon ,  1 555. 

—  '  Epùt  ad  Pison,  v.  345.  —  '  Ihid.  v.  354.  —  ^  HM.  y.  356.  —  *  Ihid.  y.  370. 

—  •  Ihid.  V.  54  sqq-  * 


48  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

de  rérudition  du  temps,  une  assez  grande  justesse  d'idées ,  de  l'abon- 
dance,  de  la  franchise  dans  le  style,  et,  au  milieu  de  vers  souvent 
aussi  prosaïques  que  ceux  de  Fontaine  et  de  Pelletier,  comme  chez 
eux  quelques  heureuses  rencontres  de  pensée  et  de  langage.  C'est 
ainsi  que,  pour  peindre  le  débrouillement  confus  de  notre  langue,  il 
s'est  servi,  peut-être  le  premier,  de  cette  expression,  souvent  répétée  : 

Et  dénouant  le  nœud,  qui  la  tenoit  pressée  ^ . . . 

qu'il  a  dit,  au  sujet  des  emprunts  habiles  par  lesquels  elle  s'est  en- 
richie : 

Et  comme  nous  voyons  beaucoup  d^herbes  plantées 
D*un  bon  terroir  en  Tautre ,  et  les  greffes  entées 
Dessus  un  autre  pied ,  derechef  revenir 
El  de  leur  premier  tronc  perdre  le  souvenir  * 

qu'il  a  donné  aux  poètes  cet  excellent  conseil ,  d'un  tour  si  poétique  : 

n  faut  monter  aux  cieux  sur  Taisle  du  penser  '. 

Boileau ,  si  dédaigneux  pour  le  xvi*  siècle,  avait  lu ,  non  sans  quelque 
fruit,  Vauquelin  de  La  Fresnaie,  comme  le  témoignent  les  passages 
suivTints ,  où  se  trouvent  en  germe  des  vers  trop  connus  pour  les  rappor- 
ter ici  : 

Et  vous  plais t  en  peinture  une  chose  hideuse , 
Qui  seroit ,  à  la  voir  ea  essence ,  fâcheuse  ^. 

Le  théâtre  jamais  ne  doit  .être  rempli 

D*un  argument  plus  long  que  d'un  jour  accompli  ^ 

Si  Ton  pouvait  douter  du  secours  efficace  qu'ont  prêté  à  notre  langue , 
jusque-là  toute  folâtre ,  toute  femilière,  pour  s'élever  aux  sujets  graves, 
les  langues  anciennes,  on  en  trouverait  une  preuve  de  plus  dans  cet 
ouvrage,  mi-parti  d'imitation,  de  traduction,  et  dont  la  meilleure  moitié 
est  certainement  celle  que  l'auteur  doit  à  Horace.  On  y  pourrait  re- 
cueillir un  assez  grand  nombre  de  passages  où  l'influence  du  texte  ori- 
ginal se  fait  sentir  par  un  progrès  de  vivacité  et  d'élégance.  Je  ne  crois 
pas  qu'on  ait  jamais  mieux  rendu,  par  exemple,  ce  que  dit  Horace  du 
jeune  homme ,  Cereus  in  vUiamJlecti  ^,  que  par  ce  vers  : 

Au  vice ,  comme  cire«  il  est  ployaUe  et  tendre  \ 
J'en  dirais  presque  autant  de  la  traduction  du  versate  dia^,  etc.  : 

'  Ch.  II.  —  •  Ibii.  —  »  Ch.  III.  —  *  Ch.  I.  —  *  Ch.  ii.  —  •  Epist  ad  Pison. 
V.  i63.  —  '  Ch.  II.  —  ^  Epist,  ai  Piton,  v.  Sg. 


JANVIER  1843.  49 

Penseï  longtemps  au  faix  qae  vous  pourrez  porter  ^  ; 

d*une  Comparaison ,  où  déjà ,  on  Ta  vu  plus  haut ,  avait  assez  bien  réussi 
Pelletier  : 

Comme  on  voit  tous  les  ans  les  feuilles  s'en  aller  ^ 
Au  bois  naistre  et  mourir  ei  puis  renouveller, 
Ainsi  le  vieux  langage  et  les  vieux  mots  périssent, 
Et,  comme  jeunes  gens,  les  nouveaux  refleurissent'. 

L'Art  poétique  François  ne  parut  qu  en  1 6o5 ,  1 6 1  si ,  en  tête  de  deux 
éditions',  dont  une  posthume,  des  œuvres  de  Vauquelin  de  La  Fres- 
naie.  Il  avait  été  composé  hien  des  années  auparavant,  comme  le  fait 
connaître  un  épilogue  dans  lequel  Tauteur,  à  Texemple  du  chantre  des 
Géorgiques,  a  pris  soin  de  dater  son  œuvre.  Nous  y  voyons  que  ce  fut 
vers  1674,4  répoque  où  Henri III  passait  du  trône  de  Pologne  au  trône 
de  France,  et  sur  l'invitation  de  ce  prince,  quii  commença  à  s  en  occu- 
per. Cette  circonstance  explique  l'apparition  assez  étrange, lorsque  déjà 
était  venu  Maiherhe,  d'un  Art  poétique  écrit  dans  la  langue  moitié  noble, 
et  moitié  basse,  semi- française,  semi-latine,  de  Ronsard*;  d'im  Art 
poétique  dans  lequel  Ronsard,  et,  a  sa  suite, les  poètes  de  la  Pléiade, 
Djsportrs,  Bertaut,  Garnier  enfin,  st^nl  proposés  à  l'admiration,  à  l'imi- 
tation des  écrivains  comme  les  maîtres  de  l'art;  dans  le. |uel  Malherbe 
lui-même ,  devant  qui  disparaissait  au  moment  même  toute  cette  littéra- 
ture ,  n'est  nommé  qu'en  passant,  et  encore  en  sa  qualité  de  poète  nor- 
mand ,  compatriote  de  l'auteur. 

Entreprendre  de  dicter  des  lois  aux  poètes  quand  la  langue  était  en- 
core flottante,  les  principaux  genres  à  peine  essayés,  les  règles  géné- 
rales^u  goût  inaperçues  au  milieu  de  la  confusion  anar^hique  des  fan- 
taisies individuelles,  les  esprits  dans  l'éblouissement  de  quelques  gloires 
hasardeuses  auxquelles  avait  manqué  l'épreuve  du  temps,  c'était  là  un 
dessein  d'une  hardiesse  bien  prématurée.  Il  eût  dû  raisonnablement  être 

'  Cil.  I.  —  '  Ibid.  Cf.  Epist,  ad  Pison.  v.  Go.  —  ^  Les  diveims  poésies  du  sieur  de 
]a  Fresnaie-Vauquclin ,  Caen,  i6o5,  id.  161a.  Voy.  Goujet,  Bibliothèque  française , 
éd.  de  i74a«  1-  IH ,  p.  98,  /i3g  sq.  —  *  On  lit  dans  la  préface,  écrite  par  Vauque- 
lin de  la  Frcsnaie ,  et  qui  ouvre  son  recueil  publié  un  an  avant  sa  mort  :  t  Lecteurs, 
ce  sont  ici  des  vieilles  et  des  nouvelles  poésies  :  vieilles,  car  la  pluspart  sont  com- 
posées il  y  a  longtemps;  nouvelles,  car  ou  n*esccil  point  à  celle  heure  comme  on 

^scrivoit  quai)d  elles  turent  escrites Le  public  où  j^cslois  allaché ,  lous*Ics 

troubles  de  ce  royaume  avenus  de  mon  âge,  elle  soin  de  mon  mén(\ge,  m*eni- 
pes(.  lièrent  île  les  revoir  et  de  les  faire  imprimer  alors  que  leur  langue  et  leur  stile 
eust  esté,  peut-être,  receu  comme  celuy  de  l)eauooup  qui  firent  voir  leurs  ouvrages 
au  même  temps.» 


50  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

réservé  pour  un  tcmp»  plus  oouibmie  à  ceint  cà  Horace  avait  rédigé 
son  code  immortel ,  pour  ce  temps  de  maturité  auquel  Torigina^  imita- 
teur dHorace,  Boileau,  cent  ans  environ  après  Vauqudin  de  la  Fres- 
naie,  en  1 672,  nous  donna  notre  véritable  Art  poétique,  celui  qu'avaient 
lentement  préparé,  avec  les  souvenirs  des  préceptes  et  des  exemples 
antiques,  les  chefs-d'œuvre  reconnus,  consacrés,  des  vrais  génies  mo- 
dernes, la  soumission  universelle  des  écrivains,  Tadhéûcn  de  tout  le 
public  aux  grands  principes  de  la  composition  et  du  style;  celui  dont 
l'autorité  avait  enfin  pour  interprète,  sans  parier  de  la  haute  raison  et 
de  la  forte  expression  de  son  auteur,  une  langue  capable  de  durée; 
f  Art  poétique  qu'on  ne  referait  point. 

On  fa  refait  pourtant,  et  plusieurs  fois,  mais  dans  des  intentions 
bien  diverses  et  de  bien  diverses  manières. 

Un  poète  ridicule,  qui,  en  i8o3,  avait 'recommencé  la  Phèdre  de 
Racine ,  recommiença ,  en  1 8 1  si ,  l'Art  {>oétique  de  Boileau ,  et  associa  in- 
scdemntent  Horace  à  cette  nouv^e  profimation,  comme  il  avait  associé 
Euripide  à  la  première^,  d'abord  dans  ce  titre:  Épitre  sur  ïwrt  poétique 
en  général,  divisé  en  quatre  épitres  aux  Pisons  modernes,  ensuite  dans  ces 
vdrs,  début  d'une  nouvelle  production^,  où  il  disait  plus  justement 
qu'il  ne  pensait  : 

J*ai,  sur  les  pas  d* Horace,  eo  dépit  de  Boileau, 
Dicté  pour  le  poète  un  code  tout  nouveau. 

Ce  fut,  au  contraire,  sous  Tinvocation  à^  Boileau ,  et  comme  supplé- 
ment à  son  Art  poétique ,  pour  donner  les  règles  des  genres  dont  il  n'a- 
vait point  parié ,  que  P.  J.  B.  Ghaucbard  publia  en  1811,  et  surtout  en 
1.81 7,  dans  nue  édition  complètement  refondue  et  renouvelée.|  j|  Poé- 
tique secoDoaire.  C'est  un  ouvrage  judicieux,  mais  d'un  tour  flus  cor- 
rect que  poétique.  La  division  princi^le  en.  est  empruntée,  à  ce  vers 
d'Horaee  : 

Aut  pqadesse  Yolont  aut  delectare  poeta  '. 

On  peut  regai^r  cocune  un  honunage  délicat  et  à  Horace  et  à  Boi- 
leau ,  en  même  temps  qu'aux  doctrines  enseignées  par  leurs  vers ,  le  Nou- 
vd  Art  poétique,  dans  lequd  un  écrivain  fort  instruit  de  notre  histoire 
littéi*aire  et  fort  spirituel ,  M .  Viollet  Le  Duc ,  a  exposé  ironiquement , 
àojfs  forme  de  préceptes,  la  pratique,  les  procédés  de  composition  et 

« 
^  Bippofyte,  tragédie 

OMieaux,  représentée  à  .  ^^,  ««..  .^  ^w«..^  ^«.  ^„..~.,  .^  ^  , ^^ • 

*-  '  L'Art  aa  quatrain,  par  le  même,  181a.  *-  '  fyist.  ad  Pimm,  t.  SU. 


JANVIER  1843.  SI 

de  conduite  de  quelles  auteurs  du  temps.  Là  se  nencpotcent  des 
imitations  indirectes  de  quelques  passages  d'Horace  que  je  d(Ms  rappe- 
ler; par  exemple,  cette  piquante  contre-partie  du  conseil  qu'il  donne 
de  se  choisir  un  sévère  Âristarque  : 

Choisissez  des  amis  dont  la  douce  indulgence 
Goûte  de  vos  écrits  Theureuse  négligence; 
Doimex-leur,  un  beau  jour,  pour  vous  encourager. 
Avec  un  dîner  fin ,  tous  vos  vers  à  juger. 

Le  Nouvel  Art  poétique. a  été  imprimé  trois  fois  en  1809;  une  qua- 
trième édition  serait,  je  crois,  bien  accueillie;  mais  elle  ne  pourrait  pa- 
raître sans  suppléments.  L'art  de  composer  et  d'écrire  a  fait,  depuis 
1 809 ,  bien  des  progrès. 

La  revue  des  imitateurs  de  l'Épître  aux  Pisons  m'a  conduit  asses  près 
de  ce  temps-ci  ;  il  me  faut  maintenant  revenir  sur  mes  pas ,  et ,  repre- 
nant la  suite  interrompue  de  ses  traducteurs ,  enregistrer,  après  Pelletier 
du  Mans,  Jacques  Mondot,  les  frères  Robert  et  Antoine  Le  Chevalier 
d'Agneaux.  Le  premier,  auteur,  vers  1079,  de  la  première  traduction 
en  vers  français  que  l'on  eût  encore  publiée  des  odes  d'Horace ,  n'a  point 
rendue  publique  celle  qu'il  annonçait  avoir  faite  du  reste  des  œuvres  de 
ce  poète  ;  les  deux  autres  ayant  donné ,  dans  l'année  1  58q  ,  une  version 
eu  vers  français  de  Virgile,  y  joignirent  bientôt  une  version  semblable 
d'Horace,  plus  exacte  qu'él^ante  et  poétique,  dont  pourtant  les  deux 
éditions,  de  i58&,  de  i588,  attestent  le  succès. 

Il  ne  parait  pas  que,  pendant  toute  la  durée  du  xvii*  siècle ,  il  ait  paru 
une  seule  traduction  en  vers  de  l'Épitre  aux  Pisons,  si  souvent  traduite 
en  prose  à  la  même  époque  et  au  commencement  du  siècle  suivant, 
par  Martignac,  Bienvenu,  MaroUes,  Maucroix,  Dacier,  Brueys,  Tar- 
teron ,  Sanadon ,  etc.  avec  les  autres  œuvres  du  poète.  C'est  peut-être 
quon  redoutait  d'avoir  à  lutter,  non-seulement  contre  Horace,  mais 
contre  ses  deux  imitateurs,  Vauquelin  de  laFresnaie  d'abord,  et  ensuite, 
à  dater  de  1 672 ,  ooileau. 

On  ne  s'y  enhardit  qu'après  la  mort  de  ce  grand  poète ,  en  1711, 
année  où  un  littérateur  qui  s'est  fort  exercé  à  rendre  en  vers  les  anciens , 
Prepetit  de  Grammont,  prêtre,  ancien  recteur  de  l'université  de  Paris 
et  professeur  émérite  en  éloquence,  rouvrit  la  carrière  par  une  traduc- 
tion fidèle  et  correcte,  mais  qui  fut  jugée  froide,  languissante,  surtout 
prolixe.  Elle  n'a  pas  moins  de  732  vers,  ce  qui  est  beaucoup  pour  en 

• 

'  Episi.  ai  Pison.  v.  419  sqq. 


7 


52  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

rendre  4 7 6. L'ouvrage  était,  d'ailleurs,  accompagné  d'analyses  et  de  notes 
dont  on  a  loue  le  goût  et  Térudition. 

H  commence  une  longue  suite  de  traductions  ia  plupart  complète* 
ment  oubliées.  Telles  sont  celles  de  labbé  Salmon  en  1 762 ,  de  Lefebvrc 
Laroche  en  1 798 ,  de  S.  M.  Clornetle  en  1 802 ,  de  A.  Dadaoust  en  1 8o3, 
du  baron  de  Ballainvilliers  en  181  a,  du  marquis  de  Sy  en  1816,  de 
H . Terrasson  en  1819,  de  J.B. Ppupareni8a8,deM.Baudoinen  i834, 
d'autres  encore  sans  doute,  échappées  à  Tattention  des  bibliographes  : 

M ulti  praeterea  quos  dama  obscura  recondît. 

Ces  traductions  méritaient-elles  l'obscurité  où  elles  sont  restées? 

'peut-éire  pas  toutes.  M.  Gonod,  dans  sa  notice  des  ouvrages  sur  Horace 

qu'il  a  consultés  et  cités,  trouve  celle  de  Lefebvre  Laroche  un  des  plus 

heureux  essais  qui  aient  été  faits  en  ce  genre  ;  il  en  recommande  les 

notes,  qui  lui  paraissent  pleines  de  goût. 

J'ai  eu  entre  les  mains  l'ouvrage  du  marquis  de  Sy.  H  est  peu  remar- 
quable; mais,  dans  la  préface  qui  le  précède,  se  trouve  rapporté  un 
petit  fait  assez  curieux.  Le  marquis ,  retiré  en  An^eterre  pendant  l'émi- 
gration, y  voyait  souvent  Delille,  duquel  il  apprit  que  ce  poète,  cher- 
chant un  sujet  de  traduction ,  avait  quelque  temps  hésité  entre  TElssai 
sur  l'homme  de  Pope  et  l'Art  poétique  d'Horace.  Ce  fut  à  son  refus  et 
sur  son  invitation  que  lui-même  osa  entreprendre ,  après  et  avant  tant 
d'autres,  ce  qui  avait  peut-être  effrayé  l'illustre  traducteur.  Un  jour  qu'U 
lui  parlait  de  la  difficulté  de  rendre  ce  passage  : 

Nec  deùs  intersit ,  nisi  dignus  vindice  n^dus 
Incident  \ 

Delille ,  avec  cette  aimable  facilité  d'improvisation  dont  il  a  donné  tant 
de  preuves ,  repai^tit  par  ces  deux  vers  dont  le  marquis  de  Sy  ne  manqua 
p9^,  bien  entendu,  de  profiter  : 

Et  que  Tintrigue  enfin ,  où  votre  ëspri(  se  joue, 
S*o£hre  digne  d'un  dieu ,  quand  un  dieu  la  d£ioue. 

La  traduction  que  ne  voulut  point  faille  Delille  fut  tentée  par  un  autre 
poète  célèbre  de  ce  temps,  M.  J.  Chénier,  qui ,  d'ailleurs,  dans  son  Essai 
sur  les  principes  des  arts,  comme  son  frère  André,  dans  le  poème  de 
l'Invention ,  a  plus  d'une  fois  imité  TÉpître  aux  Pisons.  U  reprit  le  mètre 
dont  s'étaient  servis  ses  vieux  prédécesseurs  Fontaine  et  PeUetier  ;  peut- 
être  à  tort,  car  ce  mètre  familier,  d'une  facilité  qui  semble  négligée,  a 

'  E/riit,  ad  Pifon.  v.  191. 


JANVIER  1843.  53 

dit  Voltaire,  convient  peut-être  moins  que  Thexamèlre  à  la  gravité  di- 
dactique. Chénier,  qui  le  maniait  fort  bien,  lui  a  du  de  rendre  avec  ai- 
sance certains  passages  difficiles  à  transporter  dans  notre  poésie ,  le  début 
du  poème  entre  autres,  dont  je  ne  sacbe  pas  qu  aucun  autre  se  soit  beu- 
reusement  tiré  : 

Si  quelque  peintre  osait  associer 
A  tète  d  homme  oreilles  de  coursier, 
Plumes  d*aig]on ,  corps  de  nymphe  jolie  ; 
SI  de  ce  corps  les  plis  voluptueux 
Se  terminaient  en  poisson  (orlucux, 
Que  diriez-YOus  d*une  telle  folie  ^  ? 

11  s'est  parfois  servi  avec  art  de  sa  brièveté,  de  sa  rapidité,  pour  faire 
courir  la  maxime,  selon  le  précepte  même  du  poète ^,  comme- dans 
ce  vers,  auquel  on  en  pourrait  joindre  bon  nombre  d'autres  : 

Le  bien  penser  conduit  au  bien  écrire  '. 

• 

Mais  on  doit  regretter  que,  trop  indécis  entre  les  procédés  de  la  tra- 
duction et  ceux  de  Timitation,  se  contentant  le  plus  souvent  d*à  peu 
près  vulgaires ,  il  ait  pris  trop  de  licence  avec  un  texte  digne  de  plus 
de  respect;  quil  lui  ait  donné  parfois  une  couleur  trop  moderne;  que 
des  inexactitudes,  des  faiblesses ,  des  incorrections  même,  déparent  une 
production  trop  courte  pour  que  la  perfection  n*y  fût  point  de  ri* 
gueur,  et  dont  un  peu  plus  d*eÔbrt  et  de  travail  eût  pu  faii*e  un  des 
monuments  de  la  traduction  française.  A  quelle  époque  Tébaucha-f-il? 
Je  ne  le  sais.  Son  excellent  biograpbe ,-  M.  Daunou ,  l'ignorait  sans  doute , 
car  il  ne  l'a  point  dit  ;  mais  elle  ne  parut  qu'après  sa  mort ,  en  1 8 1 8 , 
dans  un  recueil  de  ses  poésies  postlmmes. 

  cette  époque ,  depuis  longtemps  déjà ,  le  public  était  en  possession 
de  la  traduction  de  M.  Daiu.  Aux  Odes,  publiées  dès  1798,  avaient 
été  ajoutées,  dans  l'édition  de  i8oiï  et  les  suivantes,  les  Satires  et  les 
Épitres,  quelques-unes,  entre  autres  rËpitre  aux  Pisons,  d'une  autre 
main ,  celle  d*un  collaborateur  que  M.  Dam  avait  trouvé  dans  sa  fa- 
mille, son  beau-frère,  M.  Lebrun.  Cette  traduction,  en  général  exacte, 
sauf  pourtant  la  stibstitution  d'un  nom  de  fantaisie ,  le  nom  de  Sceva , 
au  nom  historique  du  fameux  orateur  Messala  ^,  écrite  d'un  style  cor- 
rect et  naturel ,  manque  de  cette  poésie  dont  étincellent  les  discours  fa- 
miliers d'Horace.  On  y  voudrait  plus  de  vivacité,  de  rapidité.  Le  pré- 
cepte du  poète  : 

'  &^isL  ad  Pûon,  9i  i  sqq.  —  *  Serm.  I,  x ,  9.  —  '  Epist.  ai  Pimmi.  y.  3og.  — 
^  *  /m.  V.  370. 


54  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Est  breritate  Dpus  ntcurrat  sentientîa,  iieu  m 
Impediat  verbis  lassas  onerantibos  awres  ' , 

y  semble  trop  mis  en  oubli. 

Ce  défaut  n*est  pas  assurément  celui  de  la  version  de  TÂrt  poétique 
qu  a  donnée  en  1 835 ,  et  reproduite  en  1 838,  après  de  nouveaux  efforts, 
M.  MoUevaut.  Ce  traducteur  infatigable  et  courageux,  qui  s'est  mesuré 
contre  la  plupart  des  poètes  latins,  et  n'a  éludé  aucune  des  difficultés  de 
la  traduction,  convaincu,  avec  raison,  que  la  concision  était  au  nombre 
des  mérites  les  plus  caractéristiques  du  poème  d'Horace ,  s'est  appliqué 
à  le  rendre  vers  pour  vers.  Il  s'est  proposé,  je  crois,  une  difficulté  in- 
surmontable. Nos  hexamètres ,  de  douze  syllabes  invariablement,  ne 
peuvent  contenir  ce  que  contenaient  les  six  pieds  prosodiques  des  hexa- 
mètres latins;  et  il  faut  cependant  qu'ils  donnent  place  à  des  mots  pa- 
rasites dont  ceux-ci  n'étaient  point  embarrassés.  De  là,  à  part  la  difficidté 
de  suivre  de  si  près  un  poète  d'une  telle  plénitude  de  sens,  d'une  telle 
rapidité  d'expression ,  une  inégalité  matérielle  qui  ne  permet  pas  de 
rendre  exactement  le  vers  par  le  vers,  sans  des  sacrifices  de  plus  d'un 
genre ,  sacrifice  de  certains  détails  que  retranche  l'inexorable  mesure, 
et,  ce  qui  est  plus  grave,  en  certains  cas,  sacrifice  de  l'harmonie,  de 
l'aisance,  de  la  clarté.  C'est  traduit  avec  cette  rigueur,  qu'Horace 
pourrait  dire  quelquefois  :  Brevis  esse  lahoro^  obscurusjio^.  J'appuierais 
facilement  la  franchise  de  cette  critique  par  la  citation  de  quelques  pas- 
sages de  M.  Mollevaut,  dans  lesquels  le  latin  ne  se  retrouve  pas  tout 
entier,  et  où  paraît  trop  l'effort  qui  a  voidu  l'y  faire  tenir.  Il  me  serait 
possible  aussi  de  montrer  qu'en  certains  endroits  la  contrainte  qu'il  s'im- 
posait lui  a  fait  exprimer  avec  bonheur  la  brièveté  de  Toriginal. 

Deux  excès  sont  à  fuir  dans  une  traduction  d'Horace ,  le  trop  et  le 
trop  peu.  Celui  qui  le  premier  tenta  l'œuvre ,  le  vieux  Pelletier,  l'écri- 
vait à  Mellin  de  Saint-Gelais  : 

Le  plus  souvent,  la  règle  et  loi  du  mètre 
Nous  rend  contrainls  d'ajouter  ou  d^omeltre  ; 
Ou,  en  voulant  suivre  fidèlement 
L'original,  il  nous  prend  tdlement, 
Qu'il  faut  user  d'une  grand'  jpériphrase 
Qui  veut  sauver  du  vulgaire  la  phrase. 

Horace  lui-même  semblait  avoir  voulu  avertir  d avance  ses  inter- 
prètes de  ne  pas  se  donner  trop  libre  carrière,  et  de  n'aller  point  non 
plus  s'emprisonner  dans  im  cercle  trop  étroit  : 

*  Serm,  I,  x,  g.  —  •  Epist  ad  Pison.  v  a5. 


JANVIER  1843.  55 

Non  circa  Yilem  patnluniqne  moraberi»  odbem  ; 
Nec  veriram  verbo  curabis  reddere ,  fidus 
Interpres  ;  nec  desilies  imitator  in  arctum , 
Unde  pedem  proferre  pudor  vetet,  aut  operis  lex  \ 

Quelques  traducteurs ,  dans  ces  derniers  temps ,  profitant  mieux  de 
Tavis  que  leurs  devanciers ,  ont  cherché ,  entre  les  longueurs  trop  com- 
modes de  la  paraphrase  et  les  gênes  de  la  version  littérale,  un  milieu 
difficile  à  garder. 

M.  Duchemin,  qui,  comme  autrefois  les  frères  d*Agneaux,  nous  a 
donné,  en  iSSg,  après  un  Virgile  complet,  un  Horace  complet  aussi, 
y  a  visé,  dans  sa  traduction  de  l'Ait  poétique  particulièrement,  avec 
un  zèle  digne  d'estime.  Je  n'oserais  dire  qu'il  y  ait  complètement  réussi; 
que ,  plus  fidèle  à  la  lettre  qu'à  l'esprit  de  son  modèle ,  il  l'ait  toujours 
exprimé  aaaez  poétiquement. 

Suivant,  un  peu  avant  lui,  une  voie  pareille,  M.  Ragon,  dans  la  tra- 
duction d'Horace  par  laquelle  il  aj>réludé,  de  i83i  à  iSSy,  à  ses  tra- 
ductions du  Ghilde-Harold  deByron,  des  Lusiades  de  Camoêns^,  a  rendu 
f  Épitre  aux  Pisons  avec  un  plus  heureux  mélange  d'exactitude  et  d'élé- 
gance. Peut-être  cette  élégance  se  montre-t-elle  parfois  trop  facile  à  ad- 
mettre certaines  formes  usées  du  vocabulaire  poétique;  peut-être  ne 
s'abstient-elle  pas  assez  de  certains  mouvements  par  lesquels  les  poètes 
didactiques  modernes,  depuis  Delille  surtout,  donnent  à  leurs  idées 
une  sorte  de  chaleur  factice  ;  je  retrancherais  volontiers  ces  apostrophes 

qui  ne  sont  pas  dans  Horace  :  Cherchez-vous  un  sujet? Voyez  dans 

Vélégie....  Entendezr-vous  Çfs  vers?  etc.  A  ces  défauts  près,  l'Art  poétique 
de  M.  Ragon,  irréprochable  quant  au  sens,  complet  par  la  reproduction 
scrupuleuse  des  principaux  détails  de  la  pensée  et  du  style ,  se  fait  lire 
sans  fatigue  et  même  avec  plaisir,  ce  qui,  dans  ce  genre  d'ouvrages, 
n'est  pas  un  mérite  commun.  Voici,  ce  me  semble,  sur  le  caractère 
périssable  de  tous  les  ouvrages  de  l'homme ,  le  langage  compris ,  de 
fort  bons  vers  : 

Qu*ici-bas  iaiUemeiU  Thonmie  imprime  sa  trace  I 
Tout  ce  qui  vient  de  nous  est  promis  à  la  mort. 
Qa*une  royale  main  creuse  ce  vaste  port 
Où  Neptune  repose  a  Fabri  des  orages; 
Que  ce  fleuve,  aux  moissons  épaignant  ses  ravages. 
Docile ,  appremie  à  suivre  an  utile  détour  ; 
Que,  nourricier  nouveau  des  cités  d«lentour. 
Ce  marais,  de  ton  sein  chassant  son  onde  impure. 


'  Efist.  ad  Pimn.  v.  i33.  —  '  Paris,  t833  el  i84a. 


56  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Appelle  la  charrue  et  s*ouvre  à  la  culture  ; 

Ces  ouvrages  mourront,  car  îIb  sont  d*un  mortel  : 

£t  les  mots  brilleraient  d*un  édat  éternel  *  I 

Jarrive  par  un  bien  long  chemin  aux  trois  traductions  de  l'Epitre 
aux  Pisons ,  publiées  en  1 84 1^,  que  mentionne  mon  titre ,  et  c'est  pour 
les  associer  à  l'éloge  qui  vient  d'être  fait  de  l'ouvrage  de  M.  Ragon. 

Quelque  chose  manque  encore  pour  la  fermeté,  ia  précision  du  styler 
à  ceiie  de  M.  Pérennès,  écrite,  ce  semble,  un  peu  rapidemçnt,  et  qui, 
avec  les  avantages  de  la  facilité,  oQre  aussi  quelques-uns  de  ses  incon- 
vénients. On  doit  beaucoup  attendre  des  soins  nouveaux  que  donnera 
k  son  œuvre  l'auteur,  qui ,  en  sa  double  qualité  de  doyen  de  ia  faculté 
des  lettres  et  de  secrétaire  de  l'Académie  de  Besançon ,  publie ,  chaque 
année,  de  bons  morceaux  de  prose  et  de  vers,  et  dont  je  suis  heureux 
de  pouvoir  rappeler  ici  les  Principes  de  littérature  ',  ouvrage  fort  esti- 
mable ,  favorablement  accueilli  en  1 83 7.  J'apprends  que  sa  traduction, 
imprimée  il  est  vrai ,  mais  à  peine  distribuée ,  n'est  considérée  par  lui 
que  comùie  un  essai ,  qu'il  se  propose  de  revoir  et  de  corriger  avec  la 
sévérité  et  la  patience  recommandées  par  Quintilius  à  ses  amis,  et 
implicitement  par  Horace  à  ses  traducteurs. 

I^e  choix  est  embarrassant  entre  MM.  Chanlaire  et  Le  Camus,  tous 
deux  exacts,  serrant  de  près,  dans  une  mesure  raisonnable,  le  texte 
original,  l'exprimant  avec  une  précision  élégante;  mais  l'un  plus  aisé 
peut-être ,  tandis  que  l'autre  compense  ce  que  sa  manière  a  de  laborieux 
par  plus  de  sévérité. 

M.  Chanlaire  a  traduit  un  passage  bien  djjTicile  à  rendre,  celui  qui 
renferme  les  lois  du  vers  iambique,  Syllaba  longa  breviy  e<c.  *,  d'une 
manière  qui  me  semble  heureuse  et  propre  à  recommander  son  travail  : 

^  Epist.  ad  Pison.  v.  63.  —  *  Il  en  a  paru  depuis  une  quatrième,  d'un  tour  dégagé, 
mais  qui  n'est  pas  sans  négligences ,  sans  faiblesses ,  où  certaines  expressions 
manquent  de  propriété ,  d*élégance  ;  où ,  selon  un  procédé  trop  en  usage  aujour- 
d'hui, les  viers  enjambent  assez  cofistamment  les  uns  sur  les  autres.  Bien  qu'à  tout 
prendre  elle  ne  manque  pas  de  mérite ,  je  la  crois  inférieure  aux  trois  autres.  En 
voici  le  titre,  qui  complétera ,  je  Tespère,  cette  revue  :  «  Art  poétique  d'Horace,  tra- 
duit en  vers  français,  suivi  d'une  épître  et  d'une  ode  aussi  traduites  en  vers  français, 
par  Y.  J.  M.  Pérennès,  gérant  de  l'école  des  sciences  appliquées,  à  Paris;  avec  le 
texte  en  regard  et  des  notes  reproduisant  les  imitations  de  Boileau  et  de  Delille. 
Paris,  imprimerie  de  Cosson ,  librairie  de  Maumus,  i84a  • —  ^  Principes  de  littéra- 
ture mis  en  harmonie  avec  la  morale  chrétienne,  ou  Essai  sur  V accord  du  beau,  du  bon 
et  du  vrai,  dans  les  ouvrages  de  l'esprit,  par  J.  B.  Pérennès.  Besançon,  imprimerie 
de  Sainte- Agathe  ;  Paris,  librairie  de  Hachette,  1837,  ^  ^^^-  i'^'^'*  ^^  ^^^  pages.  — 
*  Epist.  ad  Pison.  v.  261.  •      - 


JANVIER   1843.  57 

D*une  longue  suivie  une  brève  autrefois 
Reçut  le  nom  d*iambe  ;  et  le  vers  où ,  six  fois  , 
Ce  pied  vif  et  rapide  apportait  à  Toreille 
Le  retour  cadencé  d*une  chute  pareille , 
Dut  le  nom  de  trimètre  à  sa  légèreté. 
Pour  donner  à  sa  marche  un  peu  de  gravité , 
L*iambe,  complaisant,  de  son  vieil  héritage 
Naguère  au  lent  spondée  accorda  le  partage, 
Sans  souffrir  qu*au  second ,  au  quatrième  rang , 
Jamais  son  allié  devînt  son  concurrent 

Le  passage  dans  lequel  Horace  exprime  le  caractère  du  même  vers, 
Àrcliilocham  proprio,  etc.  ^  n'a  pas  été  reproduit  moins  heureusement 
par  M.  Le  Camus  : 

lyArchiloquc  outragé  Tiambe  arma  la  rage  ; 
Chez  Thalle  et  sa  sœur  on  en  garde  Tusage  ; 
n  sied  au  dialogue ,  aide  au  jeu  des  acteurs , 
Et  du  peuple  assemblé  surmonte  les  clameurs. 

Mettons  les  deux  interprètes  aux  prises  dans  la  traduction  du  même 
passage  ,  par  exemple  le  rapprochement  fameux  :  ut  pictara  poesis^.  Voici 
comme  le  traduit  en  vers  coulants  et  agréables  M.  Chanlah'e  : 

De  notre  art ,  dira-t-on  «  la  peinture  est  Timage  : 
Tel  tableau,  vu  de  près,  captive  davantage, 
Un  autre  flatte  mieux,  regardé  de  plus  loin; 
Celui-ci,  moins  parfait,  d'un  peu  d  ombre  a  besoin  ; 
Celui-là  ne  craint  pas  ToBil  d'un  juge  sévère, 
Et  souffre  volontiers  que  le  grand  jour  T éclaire. 
L'un  n'a  plu  qu'une  fois,  l'autre  plaira  toujours. 

M.  Le  Camus  dit  non  moins  biefa  et  d'une  façon  plus  brève  et  plus 
ferme ,  en  cinq  vers ,  comme  Horace  : 

La  peinture  et  notre  art  ont  de  la  ressemblance  : 
Telle  œuvre  est  bien  de  près  et  telle  autre  à  distance  ; 
L'une  aime  un  demi-jour,  Tautre  un  jour  éclatant, 
Et  des  fins  connaisseurs  ne  craint  point  l'œil  perçant  : 
L*uDe  plaît  une  fois,  l'autre  sait  toujours  plaire. 

Les  deux  ouvrages  ont  été  fort  travaillés  par  leurs  auteurs.  Le  pre- 
mier, déjà  connu  en  i833,  ne  s'est  pas  remontré  sans  de  grands  chan- 
gements ,  sans  avoir  beaucoup  gagné  au  Umœ  labor  et  mora ,  prescrit  par 
Horace  ;  le  second ,  depuis  l'édition  que  mon  titre  fait  connaître ,  a 
reparu ,  retouché  et  amélioré ,  à  la  suite  d'une  traduction  des  Satires 

'  Eput.  ad  Piton,  v.  79.  — *  Ihii.  v.  36i. 

8 


58  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  des  Épîtres^  M.  Le  Camus,  qui,  en  i835,  avait  publié  une  traduc- 
tion des  Odes^,  nous  a  ainsi  donné  un  Horace  complet,  le  dernier  en 
date  de  tous  ceux  que  nous  possédons,  mais  de  tous  aussi,  je  le  crois, 
celui  où  a  été  abordé  le  plus  franchement  le  problème  de  Tart  de  tra- 
duire, problème  trop  éludé  aujourd'hui  dans  tant  de  versions  impro- 
visées, d'une  élégance  sans  exactitude  ou  d'une  liltéralité  plate,  je  veux 
dire  Tunion  difficile  de  la  stricte  fidélité  avec  les  mérites  qui  font  le  bon 
style.  Cette  production  sérieuse,  qui  sera  peut-être  peu  remarquée,  eût 
fait  un  grand  honneur  à  M.  Le  Camus,  dans  un  temps  où  ce  genre  de 
travaux  était  plus  encouragé  par  l'attention  de  la  critique  et  le  goût  du 
public. 

PATIN. 

'  Satires  et  Epîtres  d'Homce,  traduites  en  vers  par  Bon  Le  Camus,  ancien  élève 
de  l'école  polytechnique,  Paris,  librairie  de  Hachette,  i84a.  —  *  Odes  d* Horace, 
traduites  en  vers  par  B.  L.  C.  ancien  élève  de  fécole  polytechnique,  Paris ,  librairies 
de  Hachette  et  de  Meriin,  i835. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


•INSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE. 

ACADÉMIE   DES  SCIENCES. 

Dans  la  séasce  publique  annuelle  du  ig  décembre  i8Âa  les  prix  décernés  et  les 
sujets  de  prix  proposés  ont  été  proclamés  dans  Tordre  suivant  : 

PRIX  DÉCERNÉS. 

Sciences  physiques.  Le  prix  de  physiologie  expérimentale ,  consistant  en  une  mé- 
daille d*or  de  la  valeur  de  8g5  francs ,  a  été  partagé  entre  M.  le  docteur  Longet , 
pour  ses  quatre  mémoires  :  Sur  les  fonctions  du  larynx  chez  les  mammifères  ;  sur  Virri- 
tahilité  musculaire;  Sur  les  fonctions  sensoriales  et  motrices  du  cordon  de  la  mx)eUe  épi- 
nière  et  les  racines  des  nerfs  qui  en  émanent  et  Sur  les  fonctions  de  Vépiglotte,  et  M.  le 
professeur  Matleucci,  pour  son  Essai  sur  les  phénomènes  électriques  des  animaux.  L'A- 
cadémie accorde ,  en  outre,  à  chacun  de  ces  deux  concurrents,  pour  les  dédommager 
des  frais  auxquels  les  ont  entraînés  leurs  expériences,  une  somme  de  i,5oo  francs. 
Des  mentions  honorables  ont  été  accordées  à  un  ouvrage  de  M.  le  docteur  Négrier, 
d* Angers ,  intitulé  :  Recherches  anatomiques  et  physiologiques  sur  les  ovaires  de  Vespèce 
hamaine  considérés  spécialement  dans  leur  influence  sur  la  menstruation,  et  à  un  mé- 


JANVIER  1843.  59 

moire ,  en  italien ,  snr  Tinfluence  de  la  nourriture  et  de  la  boisson  sur  la  fécondité 
et  la  proportion  des  sexes  dans  les  naissances  chez  T espèce  humaine ,  ainsi  que  sur 
le  nombre  et  la  position  des  mamelles  dans  tous  les  mammifères ,  par  M.  le  profes- 
seur Bellingier,  de  Turin. 

Les  prix  relatifs  aux  arts  insalubres  ont  été  décernés,  savoir  :  3,ooo  francs  à  M.  de 
la  Rive,  professeur  de  physique  à  Genève,  pour  avoir  le  premier  appliqué  les  forces 
électriques  à  la  dorure  des  métaux  et ,  en  particulier ,  du  bronze ,  du  laiton  et  du 
cuivre;  6,000  francs  à  M.  Elkington,  pour  la  découverte  de  son  procédé  de  dorure 
par  voie  humide  et  pour  la  découverte  de  ses  procédés  relatifs  à  la  dorure  galvanique 
et  à  l'application  de  l'argent  sur  les  métaux,  et  6,000  francs  à  M.  de  Ruolz«  pour 
la  découverte  et  Tapplicalion  industrielle  d'un  grand  nombre  de  moyens  propres 
soit  à  dorer  les  métaux,  soit  a  les  argenter,  soit  à  les  platiner,  soit  enfin  à  détermi- 
ner la  précipitation  économique  des  métaux  les  uns  sur  les  autres  par  Taction  de 
la  pile. 

Sur  les  fonds  destinés  par  M.  de  Montyon  aux  prix  de  médecine  et  de  chirurgie, 
rAcadémie  a  accordé,  à  titre  de  récompense,  à  M.  Bouillaud,  pour  ses  deux  ou- 
vragés sur  les  Maladies  du  cœur  et  sur  le  Rhumatisme,  la  somme  de  4iOOO  francs; 
à  M.  Amussat,  pour  sa  Nouvelle  méthode  d'entérotomie  lombaire,  3,ooo  francs;  à 
M.  Grisolle,  pour  son  livre  sur  la  pneumonie,  a, 000  francs;  à  M.  Ségalas,  pour  son 
nouveau  mode  de  traitement  des  Jistules  urinaires,  i,5oo  francs  ;  à  M.  Ricord,  pour 
le  perfectionnement  qu'il  a  apporté  à  cette  méthode ,  1,000  francs  ;  et,  comme  en- 
couragement, à  M.  A.  Becquerel,  pour  ses  recherches  sur  la  séméiotique  des  urines, 
1 ,000  francs.  Le  mémoire  de  M.  Félix  Hatin  sur  Vhémaleucose  a  obtenu  une  men- 
tion honorable. 

Sciences  mathématiques,  L*Académie  a  décidé  qu'il  n  y  avait  pas  lieu  d'accorder  le 
prix  d'astronomie  fondé  par  Lalande  (année  i8iii). 

Le  prix  de  mécanique  (année  i84i)  a  été  décerné  à  M.  Carville,  pour  une  ma- 
chine destinée  à  mouler  les  briques. 

Le  prix  de  statistique  n'ayant  pas  été  donné  en  18Â0,  l'Académie  a  décerné,  pour 
le  concours  de  i84i«  deux  prix  de  valeur  égale,  l'un  à  M.  Dufau,  pour  son  Traité 
de  statistiqne,  l'autre  à  M.  Surell,  ingénieur  des  ponts  et  chaussées,  pour  son  ou- 
vrage intitulé  :  Etudes  sur  lei  torrents  des  Hautes- Alpes,  L'Académie  a  accordé,  en 
outre,  à  M.  Surell,  une  indemnité  de  5oo  francs.  M.  Lachèse,  médecin  à  Angers , 
a  obtenu  une  mention  honorable  pour  sa  Statistique  des  conseils  de  révision  dans  le  dé' 
partement  de  Maine-et-Loire, 

Madame  la  marquise  de  Laplace  ayan|  fondé,  à  perpétuité,  en  faveur  du  pre- 
mier élève  sortant  ae  Técole  polytechnique,  un  prix  annuel  consistant  dans  la  col- 
lection complète  des  ouvrages  de  Laplace.  M.  le  président  a  remis  de  sa  main  les 
cinq  volumes  de  la  Mécanique  céleste,  Y  Exposition  du  système  du  monde  et  le  Traité 
des  probabilités  k  M.  Bossey  (Adolphe- Armand),  premier  élève  sortant  de  la  promo- 
tion de  i84i. 

PRIX    PROPOSÉS. 

Sciences  physiques.  Aucun  mémoire  n'ayant  été  adressé  sur  la  question  de  la  cha- 
leur spécifique  des  corps  mise  au  concours  de  l'année  i84i«  cette  question  a  été  re- 
tirée et  remplacée  par  celle  de  la  chaleur  dégagée  dans  les  combinaisons  physiques,  pour 
laquelle  le  prix  sera  douUé  et  porté  à  6,000  francs.  (Voir  ci-après  le  programme  de 
cette  nouvelle  question  mise  au  concours  de  i845.) 

L'Académie  ra|^pelle qu «Ue  a  remis  au  concours,  pour  sujet  du  grand  prix  des 

8. 


^ 


60  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

sciences  physiques  à  décerner  en  i8â3,  les  deux  questions  suivantes  :  «  i^  Déter- 
miner, par  des  expériences  d'acoustique  et  de  physiologie ,  quel  est  le  mécanisme  de 
la  production  de  la  voix  chez  Thomme  ;  a**  déterminer,  par  des  recherches  anato- 
miques ,  la  structure  comparée  de  Torgane  de  la  voix  chez  Thomme  et  chez  les  ani- 
maux mammifères.  > 

L'Académie  a  remis  également  au  concours,  pour  i8A3,le  sujet  suivant ,  qu'elle 
avait  d'abord  proposé  pour  le  grand  prix  de  physique  de  1 83g  :  «  Déterminer,  par 
des  expériences  précises ,  quelle  est  la  succession  des  changements  chimiques ,  phy- 
siques et  organiques,  qui  ont  lieu  dans  l'œuf,  pendant  le  développement  du  fœtus, 
chez  les  oiseaux  et  les  batraciens.  (Voir  notre  cahier  de  juillet  i84o,  p.  Â4a.) 

Les  mémoires  présentés  pour  ces  deux  concours  devront  être  remis  au  secré- 
tariat de  l'Institut  avant  le  i*  avril  i8à3. 

L'Académie  décernera,  dans  sa  séance  publique  de  i843,  le  grand  piix  de 
10,000  francs  relatif  à  la  vaccine,  et  le  prix  de  i,5oo  francs,  fondé  par  M.  Manni, 
sur  la  question  des  morts  apparentes. 

L'Académie  propose  pour  sujet  du  grand  prix  des  sciences  physiques,  qui  sera 
décerné,  s'il  y  a  lieu,  dans  la  séance  publique  de  i845,  la  question  suivante':  Dé- 
terminer, par  des  expériences  précises ,  les  quantités  de  chaleur  dégagées  dans  les  combi- 
naisons chimiques.  Plusieurs  physiciens  distingués  ont  cherché  à  déterminer,  par  des 
expériences  directes,  les  quantités  de  chaleur  dégagées  pendant  la  combinaison  de 
quelques  corps  simples  avec  l'oxygène  ;  mais  leurs  résultats  présentent  des  diver- 
gences trop  CTandes,  pour  que  l'on  puisse  les  regarder  comme  suffisamment  établis, 
même  pour  les  corps ,  tels  que  l'hydrogène  et  le  carbone,  qui  ont  plus  particulière- 
ment fixé  leur  attention.  L'Académie  propose  de  déterminer,  par  des  expériences 
précises  :  i*Ia  chaleur  dégagée  par  la  combustion  vive,  dans  l'oxygène,  d'un  cer- 
tain nombre  de  corps  simples,  tels  que  l'hydrogène,  le  carbone,  le  soufre,  le  phos- 
1>hore,  le  fer,  le  zinc,  etc.  etc.;  a**  la  chaleur  dégagée,  dans  des  circonstances  ana- 
ogues,  par  la  combustion  vive  de  quelques-uns  de  ces  mêmes  corps  simples,  dans 
le  chlore;  3'  lorsque  le  même  corps  simple  peut  former,  par  la  combustion  directe, 
dans  l'oxygène,  plusieurs  combinaisons,  il  conviendra  de  déterminer  les  quantités 
de  chaleur  qui  sont  successivement  dégagées;  iC  on  déterminera ,  par  la  voie  di- 
recte des  expériences ,  les  quantités  de  chaleur  dégagées  dans  la  combustion ,  par 
l'oxygène,  de  quelques  corps  composés  binaires,  bien  définis,  dont  les  deux  éléments 
soient  combustibles,  comme  les  hydrogènes  carbonés ,  l'hydrogène  phosphore,  quel- 

3ues  sulfures  métalliques  ;  5"*  enfin  les  expériences  récentes  de  MM.  Hess  et  An- 
rews  font  prévoir  les  résultats  importants  que  la  théorie  chimique  pourra  déduire 
de  la  comparaison  des  quantités  de  chaleur  dégagées  dans  les  combinaisons  et  dé- 
compositions opérées  par  la  voie  humide.  L'Académie  propose  de  confirmer,  par  de 
nouvelles  expériences ,  les  résultats  annoncés  par  ces  physiciens ,  et  d'étendre  ces 
recherches  à  un  plus  grand  nombre  de  réactions  chimiques,  en  se  bornant  toutefois 
aux  réactions  les  plus  simples.  Elle  émet  le  vœu  que  les  concurrents  veuillent  bien 
déterminer,  autant  que  cela  sera  possible,  les  intensités  des  courants  électriques 
qui  se  développent  pendant  ces  mêmes  réactions ,  afin  de  pouvoir  les  comparer  aux 
quantités  de  chideur  dégagées. 

Ce  prix  sera  de  6,000  francs.  Les  mémoires  devront  être  parvenus  au  secrétariat 
de  rinstilut  avant  le  1"  avril  i845.  • 

Sciences  mathématiques.  L'Académie  décernera ,  dans  sa  prochaine  séance  publique, 
le  grand  prix  des  sciences  mathématiques  de  i84a«  dont  le  sujet  est  la  question 
suivante  :  «  Trouver  les  équations  aux  limites  que  l'on  doit  joindre  aux  équations  in- 


JANVIER  1843.  61 

définies ,  pour  déterminer  complètement  les  maxima  et  les  minima  des  intégrales 
multiples.  >  Ce  concours  a  été  clos  le  i*'  avril  i842. 

L'Académie  rappelle  qu'elle  a  mis  au  concours ,  pour  sujet  du  grand  prix  des 
sciences  mathématiques  de  Tannée  i84*^«  la  question  suivante  :  «Perfectionner  les 
méthodes  par  lesquelles  on  résout  le  problème  des  perturbations  de  la  lune  ou  des 
planètes,  et  remplacer  les  développements  ordinaires  en  séries  de  sinus  et  de  cosi- 
nus par  d'autres  développements  plus  convergents,  composés  de  termes  périodiques 
que  Ton  puisse  calculer  facilement  à  Taide  de  certaines  tables  construites  une  fois 
pour  toutes.  » 

Les  mémoires  devront  être  arrivés  au  secrétariat  de  1* Académie  avant  le  i*'  avril 
i843. 

Le  roi,  sur  la  proposition  de  M.  le  baron  Charles  Dupin,  ayant  ordonné  qu  un 
prix  de  6,000  francs  serait  décerné  par  l'Académie  des  sciences,  en  i83G,«au 
meilleur  ouvrage  ou  mémoire  sur  l'emploi  le  plus  avantageux  de  la  vapeur  pour  la 
marche  des  navires ,  et  le  système  de  mécanisme ,  d'arrimage  et  d'armement  qu'on 
doit  préférer  pour  cette  classe  de  bâtiments,  >  l'Académie  annonça  qu'elle  décerne- 
rait le  prix  dans  sa  séance  de  i836.  Les  auteurs  des  inventions  présentées  n'avaient 
pas  donné  aux  commissaires  de  l'Académie  les  moyens  d^efiectuer  ces  expériences , 
qui  seules  pouvaient  en  constater  le  mérite  pratique.  L'Académie  remit  donc  la 
question  au  concours.  De  nouvelles  pièces ,  de  nouvelles  inventions  furent  admises 
à  concourir  avec  les  premières.  Aucun  des  mémoires  n'ayant  pcuru  digne  du  prix, 
l'Académie  propose  encore  une  fois  la  même  question. 

Le  prix,  s*il  y  a  lieu,  sera  décerné  dans  la  séance  publique  de  i844.  Les  mé- 
moires devront  être  arrivés  au  secrétariat  de  l'Institut  au  1"  mars  i844. 

M.  Puissant,  membre  de  l'Académie  des  sciences,  est  mort  à  Paris  le  1 1  janvier. 


SOCIETES  SAVANTES. 

La  Société  des  antiquaires  de  Normandie  avait  proposé  pour  le  concours  de  i84a 
le  sujet  de  prix  suivant  :  Faire  connaître  Tétat  du  commerce  et  de  l'industrie  en 
Normandie  depuis  Rollon  jusqu'à  Jcansans-Tcrre.  Le  mémoire  envoyé  n'ayant  pas 
été  jugé  digne  du  prix,  ce  concours  a  été  prorogé  jusqu'en  i843.  Le  prix  est  porté 
à  4oo  francs.  La  société  décernera,  en  i844*  une  médaille  d'or  de  5oo  francs  à  l'au- 
teur du  meilleur  mémoire  sur  la  famille  des  Talvas.  Les  concurrents  devront  faire 
connaître  les  titres  honorifiques  et  les  possessions  des  membres  de  cette  famille , 
tant  en  Normandie  que  dans  les  provinces  limitrophes  et  en  Angleterre.  Ils  indi- 
queront les  établissements  religieux  et  civils  qu'ils  ont  fondés  et  les  événements 
auxquels  ils  ont  pris  part.  Adresser  les  mémoires ,  pour  ce  dernier  concours ,  à 
M.  (servais,  secrétaire  perpétuel ,  avant  le  i**  juin  i844. 

LIVRES   NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Mémoires  de  flnstitat  royal  de  France.  Académie  des  inscriptions  et  belles  lettres. 
Tome  XV  (  1"  partie).  Paris,  Imprimerie  royale,  i84a  ,  in-4*  de  4a3  pages  avec 
planches.  —  Cette  première  partie  du  tome  XV  contient  onze  morceaux,  dont  voici 


62  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

les  titres  :  Mémoire  de  M.  Pardessus  sur  le  commerce  de  la  soie  chez  les  anciens , 
antérieurement  au  vi*  siècle  de  Tère  chrétienne,  époque  où  l'éducation  des  vers  à 
soie  a  é(é  introduite  en  Europe  (lu  à  TAcadémie,  le  a3  mai  i83a)  ;  —  Mémoire 
de  M.  Dauuou ,  où  Ton  examine  si  les  anciens  philosophes  ont  considéré  le  Destin 
comme  une  force  aveugle  ou  comme  une  puissance  intelligente  (lu  le  22  mai  181 2)  ; 
-;—  Mémoire  de  M.  Champollion  le  jeune  sur  les  signes  employés  par  les  anciens 
Égyptiens  à  la  notation  des  divisions  du  temps  dans  leurs  trois  systèmes  d*écriture 
(lu  le  18  mars  i83i  j  ;  —  Mémoire  de  M.  Séguier  de  Saint-Brisson  sur  Miltiade 
et  les  auteurs  de  sa  race  ;  —  Mémoire  de  M.  MoUevaut  sur  la  statue  de  Laocoon, 
mise  en  parallèle  avec  le  Laocoon  de  Virgile  ;  —  Mémoire  de  M.  le  baron  Walcke- 
naër  sur  la  chronologie  de  l'histoire  des  Javanais  et  sur  Tépoque  de  la  fondation  de 
Madjapahit  (lu  le  28  décembre  1818)  ;  — Conjectures  archéologiques  de  M.  Raoul- 
Rochctte  sur  le  groupe  antique  dont  faisait  partie  le  torse  du  Belvédère,  précédées 
de  considérations  sur  Tutilité  de  Tétude  des  médailles  pour  la  connaissance  de 
Thistuire  de  la  statuaire  antique  ;  —  Mémoire  de  M.  Berger  de  Xivrey  sur  une 
tentative  d'insurrection  organisée  dans  le  Magne,  de  1612  à  1619,  au  nom  du  duc 
de  Nevers,  comme  héritier  des  droits  des  Paléologues  (  lu  le  9  juillet  i84i,  et 
déjà  publié  dans  la  Bibliothèque  de  l'école  des  chartes ,  t.  II ,  p.  5Aa-553  )  ;  —  Nou- 
velles recherches  de  M.  P.  Paris  sur  le  véritable  auteur  du  songe  du  Vergier  (  deux 
mémoires)  ;  •—  Mémoire  de  M.  Natalis  de  Wailly  sur  des  fragments  de  papyrus, 
écrits  en  latin,  et  déposés  au  cabinet  des  antiques  de  la  Bibliothèque  royale,  an 
musée  du  Louvre  et  au  musée  des  antiquités  de  la  ville  de  Leyde. 

Essai  sur  les  cours  d'amour,  par  Frédéric  Diez,  professeur  de  belles -lettres  à 
l'université  de  Bonn  ;  traduit  de  l'allemand  et  annoté  par  M.  le  baron  Ferdinand  de 
Roisin.  Imprimerie  de  Danel ,  à  Lille  ;  librairies  de  J.  Labitte,  à  Paris,  et  de  Vanackère 
à  Lille,  1842,  brochure  in-8°  de  20  pages.  —  Cet  opuscule  a  paru  en  Allemagne 
en  1826,  et  a  été  suivi,  en  1826,  d  un  ouvrage  plus  considérable  du  même  auteur 
(la  poésie  des  troubadours,  Die  poésie  der  troubadours) ,  dont  M.  Raynouard  a  rendu 
compte  dans  ce  journal  (v.  cahier  de  juin  1828).  M.  Diez  a  encore  publié,  en  1829, 
les  vies  et  les  œuvres  des  troubadours,  Leben  und  werke  der  troubadours.  (Leipzick, 
1  vol.  in-8°)t  et,  en  i837-i838,lcs  deux  premiers  volumes  d'une  grammaire  com- 
parée des  langues  romanes.  Les  e'crits  de  ce  savant,  que  nous  n'entendons  pas 
apprécier  ici,  sont  d'une  véritable  importance  pour  l'étude  de  notre  littérature  au 
moyen  âge,  et  l'on  ne  peut  qu'applaudir  M.  de  Roisin  d'avoir  entrepris  de  les  faire 
passer  dans  notre  langue.  L'avant-propos  et  les  notes  dont  il  accompagne  sa  traduc- 
tion de  l'essai  sur  les  cours  d'amour  ajoutent  encore  à  l'utilité  de  ce  travail.  Le 
traducteur  annonce  qu'il  fera  paraître  prochainement,  en  français,  le  livre  de 
M.  Diez  sur  la  poésie  des  troubadours ,  avec  un  abrégé  de  la  vie  de  ces  poètes. 

Notice  sur  une  petite  statue  de  bronze  trouvée  à  Esbarras,  au  milieu  de  débris 
d'objets  d'art,  le  18  juillet  i84o,  par  P-J.  Gauthier-Stirum ,  maire  de  la  ville  de 
Seurre,  etc.  ornée  de  lithographies  exécutées  d'après  les  dessins  de  l'auteur.  Paris, 
imprimerie  de  F.  Didot,  librairies  de  F.  Didot  et  d'Arthus  Bertrand,  i842,  in-4* 
de  1 5  pages  et  3  planches.  —  Cette  statue  représente  un  gladiateur  ou  bestiaire , 
armé  d'un  trident.  L'auteur  de  la  notice  croit  y  voir  l'empereur  Commode,  opinion 
qu'il  nous  paraît  difficile  de  concilier  avec  le  caractère  de  tète  et  le  costume  de  la 
stalue. 

Archives  de  Nevers,  ou  Inventaire  historique  des  titres  de  la  ville,  par  Parmen- 
tier,  précédé  d'une  préface,  par  A.  Duvivier.  Imprimerie  deDuclos  et  Fay,  à  Nevers; 
librairie  de  Techener,  à  Paris  «  i84a,  a  volume»  in-S"*  de  lxiii-4^8  et  338  pages. 


JANVIER  1843.  63 

— Charles-Antoine  Pannentîer,  procureur  général  de  la  chambre  des  comptes  du 
duché  de  Nivernais,  né  à  Paris  vers  1719,  mort  à  Nevers,  le  1"  janvier  1791,  a 
laissé  en  manuscrit  plusieurs  ouvrages  historiques  importants  ,•  entre  autres  une  His- 
toire abrégée  de  la  province  de  Nivernais,  une  Histoire  cbrRiologique  des  évéques 
de  Nevers,  et  Tlnventaire  que  publie  aujourd'hui  M.  Duvivier.  Ce  dernier  travail, 
où  Ton  trouve  tous  les  caractères  de  rérudition  et  de  l'exactitude,  ne  présente  pas, 
comme  son  litre  pourrait  le  faire  supposer,  une  nomenclature  détaillée  des  tilres 
déposés  aux  archives  de  Nevers,  mais  une  analyse  savante,  et  souvent  pleine  d'in- 
térêt ,  de  tout  ce  que  ces  documents  renferment  de  précieux  pour  Thistoire  de  cette 
ville,  de  ses  établissements  civils  et  religieux,  de  son  industrie,  de  ses  corporations, 
des  usages  et  des  mœurs  de  ses  habitants.  L'auteur  a  divisé  cette  analyse  en  Uk  cha- 
pitres, parmi  iesquds  on  remarquera  ceux  qui  sont  relatifs  à  l'établissement  de  la 
commune,  aux  maires  et  aux  échevins,  à  la  juridiction  de  la  ville,  à  ses  revenus, 
aux  hôpitaux,  aux  corps  des  arts  et  métiers.  Le  dernier  chapitre  est  consacré  à  un 
précis  des  événements  qui  se  sont  passés  à  Nevers  jusqu'en  1770.  Cet  ouvrage  sera 
certainement  consulté  avec  fruit  par  les  archivistes  et  par  toutes  les  personnes  li- 
vrées à  l'étude  des  monuments  originaux  de  notre  histoire ,  quoiqu'on  puisse  re- 
gretter de  n*y  pas  rencontrer  des  indications  plus  prédises  sur  les  titres  dont  l'auteur 
a  fait  usage.  L  absence  de  ces  renseignements  de  détail,  qui  permettent  de  trouver 
facileinent  ou  de  citer  avec  exactitude  une  pièce  historique ,  ne  saurait  être ,  à  notre 
avis,  tout  à  fait  compensée  par  le  mérite  des  extraits  les  plus  judicieux  ou  des  plus 
savantes  analyses.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'Inventaire  des  archives  de  Nevers  nous  pa- 
raît digne,  à  beaucoup  <i  égards,  de  servir  de  modèle  aux  travaux  du  même  genre, 
qui  s'exécutent,  parles  ordres  du  ministre  de  l'instruction  publique,  dans  les  ar- 
chives départementales;  et  l'on  saura  d'autant  plus  de  gré  a  M.  Duvivier  de  cette 
publication,  qu'il  a  fait  précéder  l'ouvrage  de  Parmentier  d'une  introduction  éten- 
due, où  il  donne  des  notions  instructives  sur  l'origine  et  l'état  actuel  des  dépôts  de 
titres  de  la  ville  de  Nevers. 

Mémoires  et  dissertations  sur  les  antiquités  nationales  et  étrangères,  publiés  par  la 
Société  royale  des  antiquaires  de  France.  Nouvelle  série,  tome  VIL  Paris,  imprimerie 
de  Duverger,  i8Aa,  in-8"  de  xl-534  pages,  avec  planches.  Se  trouve  au  secrétariat 
de  la  société,  rue  Taranne,  n'  la.  —  Ce  volume  contient  deux  notices  biogra- 
phiques, l'une  de  M.  AUon  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Alexandre  Lenoir, 
l'autre  de  M.  Depping  sur  M.  Legonidec.  Elles  sont  suivies  de  dix-sept  mémoires 
et  dissertations  sur  des  sujets  variés,  qu'il  nous  suffira  d'indiquer  sommairement. 

Four  faire  juger  de  l'intérêt  de  celte  publication  pour  l'étude  de  l'archéologie  et  de 
histoire  :  De  la  poterie  chez  les  Gallo-Romains ,  par  M.  Le  Maistre  ;  Dissertation  sur 
Bélisana ,  déesse  des  Gaulois ,  par  M.  le  baron  Chaudruc  de  Crazannes  ;  Description 
d'un  tombeau  découvert  à  Nîmes,  par  M.  A.  Pelet;  Mémoire  sur  la  montagne  du 
grand  Saint-Bernard,  par  M.  Rey  ;  Note  sur  quelques  monuments  gallo-romains, 
par  M.  Schweighaeuser ;  Des  sarcophages  en  plomb,  et  de  l'époque  a  laquelle  ils 
commencèrent  à  être  en  usage  dans  les  Gaules,  par  M.  Beaulieu  ;  Antiquités  de 
Vaison,  par  M.  £.  Breton  ;  Rapport  d'une  tournée  archéologique,  faite  dans  l'arron- 
dissement de  Lannion,  par  le  chevalier  de  Fréminville  ;  Explication  de  quelques 
bas*reliefs  de  la  cathédrale  de  Paris ,  par  M.  Duchalais  ;  Mémoire  sur  l'hôtel  de  la 
Trémouille,  par  M.  Troche-,  Ermitage  de  Notre-Dame-des-Anges ,  chronique  du 
XIII*  siècle,  par  M.  Ricard;  Titres  singuliers  tombés  en  désuétude,  par  le  baron  de 
Gaujal  ;  Éludes  historiques  sur  les  cartes  à  jouer,  par  M.  C.  Leber  ;  Mémoire  sur  les 
registres  du  pariement  de  Paris ,  pendant  le  règne  de  Henri  II ,  par  M.  A.  Taillandier  ; 


64  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

G)uluincs  ni  privilèges  de  la  Française,  ancienne  ville  du  Quercv,  aujourd'hui  chef- 
lieu  de  canton  du  déparlement  de  Tarn-et-Garonne ,  par  M.  Mary-Lafon  ;  Le  fief 
Colonger  d*Hochstett  (arrondissement  d'Altkirck ,  département  du  Haut-Rhin  ) ,  par 
M.  Richard  ;  Documei#l  inédits  sur  les  états  de  Tours  (iii8A)«  publiés  par  M.  F.  Bour- 
quelot. 

Annuaire  historique  pour  Vannée  i8à3,  publié  par  la  société  de  THisloire  de  France, 
7*  année.  Paris,  imprimerie  de  Crapelet,  librairie  de  Jules  Renouard,  i84a,  in-8^ 
de  a 08  pages.  —  On  trouvera  dans  ce  volume  un  tableau  des  naissances  et  alliances 
des  rois ,  reines ,  princes  et  princesses  des  différents  Etals  ou  souverainetés  de  TEu- 
rope;  un  glossaire  des  dates,  fort  utile  pour  l'interpréta  lion  des  documents  du 
moyen  âge,  et  qui  sert  de  complément  aux  tables  chronologiques  publiées  dans 
Tannuaire  de  i84a  ;  enfin  les  éphémérides  de  THistoire  de  France,  depuis  Vempire 
jusqu^au  il\  juillet  i84a- 

Notice  sur  les  manuscrits  autographes  de  ChampoHion  le  jeune ,  perdus  en  Tannée 
i83a  et  retrouvés  en  i84o,  par  M.  ChampoUion-Figeac.  Paris,  typographie  de  F. 
Didot frères,  i84a,  brochure  in-8*  de  à'j  pages  avec  fac-similé.  —  Notice  sur  deux 
grammaires  de  la  langue  copte,  récemment  publiées  en  Italie,  et  sur  la  grammaire 
copte  manuscrite  de  ChampolHon  le  jeune,  par  le  même.  Paris,  imprimerie  de  veuve 
Dondey-Dupré ,  i84a«  brochure  in-8''  de  i5  pages.  (EIxtrait  de  la  revue  de  biblio- 
graphie analytique.)  —  Notice  sur  les  ouvrages  intitulés  :  Interpretatio  obeliscorum 
urbis  ad  Gregorium  XVI,  ponlificem  maximum,  digesta  per  Aloisium  Mariam  Un- 
garellium,  sodalem  Bamabitam.  Romae,  i84a  *  in-folio,  par  le  même.  Paris,  im- 
primerie de  veuve  Dondey-Dupré,  1842  ,  in-8'  de  19  pages.  (Extrait  de  la  revue  de 
bibliographie  analytique.) 

L'ancienne  Auvergne  et  le  Vélay ;  histoire,  archéologie,  mœurs,  topographie; 
par  Ad.  Michel  et  une  société  d'artistes.  Moulins,  imprimerie  et  librairie  de  Desro- 
siers, éditeur  de  Tancien  Bourbonnais;  à  Paris,  librairie  de  Chamerot,  i84a.  Cet 
ouvrage,  dont  le  prospectus  vient  d'élre  publié,  paraîtra  en  36  ou  4o  livraisons ,  de 
mois  en  mois ,  et  formera  3  volumes  in-folio.  Chaque  livraison ,  de  7  à  8  feuilles  de 
texte  ou  de  4  planches ,  coûtera  5  francs. 


TABLE. 

Documents  inédits  sur  Domat  ( T'  article  de  M.  Cousin) Page     5 

La  reale  Galleria  di  Tonno,  illustrata  da  Rob.  d'Âzeglio  (3*  article  de  M.  Raoul- 

Rochette) 19 

Théâtre  chinou.  -*  Le  Pi-pa-ki.  —  Traduction  faite  sur  le  texte  original  par 

M.  Bazin  aîné  (  3*  article  de  M.  Magnin) 29 

Histoire  de  la  vie  et  des  poésies  d'Horace,  par  M.  Walckenaer. — Commentaires  et 
traductions  en  vers  de  TArt  poétique  d'Horace,  par  MM.  Gonod,  Chanlaire,  Pé- 
rennès  et  le  Camus  (5*  article  de  M.  Patin  ) 43 

f<îouvc11es  littéraires 58 

FIN   DE   LA  TABLE. 


^■ 


•..  ^ 


^ 

^ 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


FÉVRIER  1843. 


Histoire  de  la  chimie,  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu à 
notre  époque,  comprenant  une  analyse  détaillée  des  manuscrits  al- 
chimiques de  la  Bibliothèque  royale  de  Paris,  un  exposé  des  doc- 
trines cabalistiques  sur  la  pierre  philosophale ,  l'histoire  de  la  phar- 
macologie, de  la  métallurgie,  et,  en  général,  des  sciences  et  des 
arts  qui  se  rattachent  à  la  chimie,  etc.  par  le  D^  Ferd.  Hoefer. 
Tome  I**.  Paris,  au  bureau  de  la  Revue  scientifique,  rue  Jacob, 
n°  3o.   1842. 


PREMIER    ARTICLE. 


L'utilité  de  Thistoire  d'une  science  n'est  pas  restreinte  aux  savants 
qui  la  cultivent  particulièrement;  car,  sans  doute,  elle  s'étend  à  tous 
ceux  qui  veulent  étudier  l'esprit  humain  d'une  manière  positive.  En 
effet,  la  source  la  plus  abondante  où  l'on  peut  puiser,  pour  cette  étude, 
les  faits  les  plus  précis  comme  les  plus  variés,  ne  se  trouve-t-elle  pas 
dans  la  connaissance  même  des  procédés  spéciaux  à  l'aide  desquels  on 
a  établi  un  nombre  suffisant  de  principes  propres  à  constituer  les  divers 
corps  de  doctrine  auxquels  on  donne  le  nom  de  sciences?  N'est-il  pas 
évident  que  des  histoires  bien  faites  de  chaque  branche  des  connais- 
sances humaines  composeraient  le  recueil  le  plus  exact  de  ce  dont 
l'entendement  de  l'homme  est  capable,  lorsqu'il  s'agit  d'abord  de  dé- 
couvrir des  vérités,  et  ensuite  de  les  démontrer,  dans  i*intentioo,de 
pouvoir,  par  leur  intermédiaire ,  en  trouver  de  Bouvelles  ?    ^ 


*> 


% 


66  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

L'importance  que  peut  avoir  Thistoire  d'une  science  n'ayant  pas  été 
toujours  convenablement  appréciée,  nous  avpns  saisi  avec  empresse- 
ment l'occasion  d'examiner  ime  histoire  de  la  chimie  par  le  docteur 
Ferd.  Hoefer,  dont  le  premier  volume  a  paru  récemment.  Si  les  consi* 
dérations  auxquelles  nous  allons  nous  livrer,  avant  de  rendre  compte 
de  cet  ouvrage,  ne  font  pas  partager  au  lecteur  na^e  manière  de  voir, 
peut-être  provoqueront-elles  des  discussions,  ou  /cKA^oins,  feront-elles 
naître  des  réflexions  propres  à  fixer  l'opi^n  sur  l'utilité  dç^it  peuvent 
être  les  histoires  des  sciences,  lorsque  lestnal^iiiaux  qui  les  composent 
ont  été  subj)rdonnés  à  une  méthode  rationnelre,  d'après  laqueil^es  au- 
teurs, avant  detprétendre  captiver  pîir  la  forme  et  parJ'agrément  et  la 
variété  des  détails ,  se  sont  principalement  proposé  de  faire  connaître 
l'esprit  des  sciences  et  la  succession  des  îaées  qu'elles  ont  prop^ées , 
aux  différentes  époqiMlg  de  leur  développement. 
^  Sous  ce  Jioint  ^e  vue ,  la  chimie  se  présente ,  à  celui  qui  veut  en 
tracer  l'histoire ,  comme  une  science  tout  à  tait  à  part,  soit  qu'il  consi- 
dère la  vaste  étendue  du  champ  qu'elle  embrasse  et  les  diverses  classes 
de  connaissances  dont  l'ensemble  en  constitue  le  fond  principal ,  soit 
qu'il  cherche  à  y  rattacher  des  notions  qui  sembleraient,  à  une  observa- 
tion peu  attentive ,  en  être  absolument  indépendantes ,  parce  qu'elles 
émanent  de  sources  réputées  généralement  étrangères, à  son  essence. 

Développons  ces  propositions. 

^  1.  Etendue  de  la  chimie. 

On  admet  que  toute  matière  perceptible  à  nos  sens  résulte  de  l'agré- 
gation âe  pfi^ties  qu'on  appefle  molécules,  atomes,  d*une  si  grande  ténuité 
qu'elles  sont  individuellement  invisibles,  et  que  leur  diamètre  est  bien 
plus  pe;t^  que  la  distance  qj^i  les  sépare  les  unes  des  autres,  quoiqu'on 
reconnaisse  cependant  qae  cette  distance  échappe  par  sa  petitesse  h  nos 
moyens  les  plus  précis  de  mesurer  l'étendue.  Tout  changement  d'équi- 
libre dans  l'état  de  ces  molécules,  de  ces  atomes,  qui  se  mariifeste  par 
quelque  phénomène  sensible  aux  organes  de  nçs  sens,  est  du  ressort 
de  laixhimie,  *)it  que  ce  changement  se  borne  à  une  simple  modifica- 
tion de  l'état  d'agrégation  des  molécules  d'une  même  matière,  soit  qu'il 
amène  l'imion  de  molécules  de  matières  diverses ,  soit  enfin  qu'il  consiste 
dans  la  séparation  de  molécules  hétérogènes  qui  étaient  en  combinaison. 
^  ^  Le$  phénomènes  du  ressort  Je  la  chimie  sont  ou  passagers  ou  perma- 
n£ids.  Les.  premiers  se  mjiiifestent  avec  l'action  chimique  et  n'ont  guère 
plhs  de  dttrée  que  le  %lhps  nécessaire  pour  que  les  molécules  soumises 


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FÉVRIER  1843;  «7 

â  CQtte  action  parviennei|t  au  nouvel  état  d^équilibre  qui  s'établit;  les 
seconds,. au  contraire,  apî)araissent  après  cette  action,  et,  comme  ils 
consistent  dans  les  propriétés  mêmes  que  les  corps  ont  acquises  par 
suite  du  nouvel  état  d'équilibre  où  se  troui|snt  actuellement  leurs  mo- 
lécules, jgji^nt  la  persistance  de  cet  état  même. 

Les  ffSSbmènes  passagers  sont  un  changement  de  température,  une 
émission  de  lumière,  une  manifestation  d'électricité*,  unt  détonation ,  une 
solidification JNpiie  liquéfaction;  une  vaporisation,  etc.  Pour  être  moins 
variés  que  les  phénomènes  permanents,  ils  n'en  méritent  pas  moins  de 
fixer  l'attention ,  car,  en  se  bornant  à  les  envisager  sous  le  point  de  vue 
de  Tapplication ,  on  jroit  qu'en  eut  réside  la  source  du  feu,  sans  lequel 
il  n'y  a  pas  de  progrès  possible  dans  la  société  humaine;  celle  de  la  lu- 
mière, qui  nous  éclaire  lorsque  le  soleil  a  cessé  de  briller  siu:  l'horizon 
ou  que  nous  nous  trouvons  dans  d||  lieux  impénétrables  à  ses  rayons. 
Elnfin ,  c'est^ar  des  phénomènes  passagers  que  la  poudre  à  canon  est 
puissante  et  qu'elle  a  lant  agi  sur  la  ci^sation  en  changeant  Tart'de  la 

terre.  r- 

(6$  phénomènes  permanents ,  résultats  des  actions  chimiques ,  sont 
si  nombreux  et  si  variés,  que,  pour  en  dof^r  tme  idée  exacte *|lbr  des 
exemples,  on  a  Tembati^as  du^choix  àm  «itations;  car  il  n'est  aucune 
propriété  imaginable  (Je  la  matière  qui  m  s'y  rapporte.  Tantôt  deux 
corps  insipides,  comme  le  sont  l'oi^gène  et  le  soufre,  produisent,  en  s^ 
combinant  en  diverses  proportions,  jusqu'à  cinq  acides  absolument  di^ 
tin<jts ,  parmi  lesquels  nous  citerions  le  sulfurique  et  le  sulfureux;  le  pré* 
mier  est  solide,  camstique  et  volatil;  le  «edond  se  présente  sous  la  forme 
d'un  gaz  doué  d'une  odeur  suffocante  et  d'iyie  Avem*  aigrtf  sans  caus- 
ticité. Tantôt  deux  caustiques^viole4its,  comme  le  sont  l'aci^suUurique 
et  la  potasse ,  perdent ,  par  leer  imion  mutudie ,  la  causticité  et  les 
propriétés  qui  caractérisent  l'acidité  et  l'alcalinité.  Une  autre  fois  nous 
voyons  le  mercure,  chauffé  convenablement  avec  l'air,  perdre  sa  niobi^ 
lité  et  son  éclat  métallique  par  son  union  avec  le  gaz  oxygène  r  il  fe 
transforme  alors  en  une  poudre  rouge  cristalline  bien  différente  des  cfeux 
éléments  qui  la  constituent.  »^'  ' 

Pour  dernier  exemple,  citons  les ^rin&ipét  immédiats  des  plantes  et 
des  animaux,  en  qui  réÀle  la  prodigieuse  variété  d'odeurs  et  de  cou- 
leurs que  l'homme  le  moins  attentif  re^iarque  dans  la  matière  rivante , 
la  prodigieuse  variété  des  propriétés ,  en  vertu  desquelles  les  uns  ont  la  ^ 
saveur  douce  du  sucre,  l'insipidité'^e  )?8midoi)^la  saveur  aigre  de  l'a- 
cide acétique  ;  les  autres ,  Tamertume  de  l'aloèsTla"  pfllpriété  fébrifu^ 
de  1»  quinine,  l'action  délétère  de  Ih  stryèfanine  ou  da  l'acide  prus- 


«I  • 


4: 


68  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

sic[ue  (cyanhydrique),  etc.  etc.  Si  la  variété  de  ces  propriétés  étonne 
rimagination  la  plus  active ,  que  doit-on  penser  lorsque  T analyse  chi- 
mique nous  révèle  que  la  plupart  de  ces  principes  sont  formés  de  trois, 
ou  de  quatre  éléments  auijHius:  Toxygène,  Tazote,  le  carbone  et  l'hy- 
drogène! ^w 

Au  domaine  de  la  chimie  il  faut  réunir  cette  foule  d'arts'ddïit.le  but 
est  de  modifier,  d^ime  manière  utile  à  la  société ,  les  propriétés  les  plus 
intimes  des  corps  en  agissant  sur  leurs  molécules,  parce  gUc  la  science 
seule  est  capable  d'en  diriger  la  pratique  par  des  règles  certaines.  Ainsi , 
les  moyens  de  préparer,  non-seulement  les  corps  simples,  parmi  lesquels 
se  trouvent  les  métaux ,  objets  dç  la  métallurgie ,  mais  encore  les  acides, 
les  alcalis  et  les  sels;  les  procédés  du  potier  de  terre,  du  veirier ,  du 
fabricant  d*émaux;  l'extraction  du  sucre,  des  résines,  des  huiles  fixes  et 
des  huiles  volatiles,  de  l'indigo ,  été.;  les  arts  de  faire  le  pain,  les  vins, 
les  vinaigres,  les  fromages;  Textraction  de  l'alcool  des  ligueurs  spiri- 
tueuscs  par  la  distillation;  la  préparation  des  vernis,  des  encres,  des 
peintures;  les  moyens  de  conserver  les  aliments;  la  préparation  dçs 
médicaments;  l'art  du  tanneur  et  du  hongroyeur,  et  enfin  les  procédés 
si  norSbreux  et  si  variés  de  l'art  de  teindre ,  reçoivent  de  la  chimie  la 
forme  scientifique ,  hors  de  laquelle  il  n'y  a  qiîe  la  pratique  aveugle. 
Au  premier  aspect  on  pourrait  croire  certains, arts  étrangers  à  cette 
science,  parce  que  les  produits  qu'ils  confectionnent  sont  de  simples 
yélanges.  et  non  des  combinaisons  chimiques;  cependant  ils  peuvent 
s'y  rattacher,  si  ces  produits  tirent  leur  utilité  d'actions  moléculaires 
auxquelles  ils  donnent  lieu  :  tels  sont,  par  exemple,  les  arts  de  fabriquer 
la  poudre  à  canon  et  les  matières  propres  aux  feux  d'artifices*  car  ces 
préparations  ,  lorsqu'elles  brûlent  rapidement  dans  une  arme  ou  succes- 
sivement dans  une  fusée,  ne  remplissent  leur  destination  qu'au  moyen 
de  phénomènes  passagers  essentiellement  du  ressort  de  la  chimie. 

Enfin ,  comme  ta  matière  enlevée  au  monde  extérieur  par  les  coi*ps 
vivants  qui  s'en  nourrissent  éprouve,  dans  leurs  organes,  des  change- 
ments moléculaires  plus  ou  moins  gi^ands,  la  chimie  doit  être  nécessai-^ 
rement  consultée  lorsqu'il  s'agit  d'étudier  les  phénomènes  physiolo- 
giques sous  tous  les  aspects  qui  frappent  l'observateur. 

2.  Diverses  classes  de  connaissances  chimiques. 

L'exposé  précédent  suffit,  sans  doute,  pour  justifier  la  qualification 
de  vaste,  que  notis  avons  donnée  au  domaine  de  la  chimie;  si  mainte- 
nant nous  considérons  les  connaissances  qui  en  constituent  le  fond  prin- 


■  t 


^ 
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-V 


FÉVRIER  1843.  69 

cipal  relativement  h  leur  diversité,  nous  verrons  combien  elles  sont  dis- 
tinctes les  unes  des  autres,  et  comment  il  en  est  qui  se  lient  à  des  sciences 
très -différentes  de  la  chimie  par  la  manière  spéciale  dont  chacune 
d'elles  peut  envisager  le  monde  extérieur.  Ces  considérations  auront  le 
double  avantage  tfétablir  les  rapports  de  la  chimie  avec  ces  branches 
des  connaissances  humaines  et  les  différences  qui  Ten  distinguent  en 
en  faisant  une  science  absolument  spéciale.  .       .  * 

n  suffit ,  sans  doute ,  pour  se  convaincre  de  la  diversité  des  connais- 
sances fondamentales  de  la  chimie,  de  dire  qu'elle  s  occupe  : 

1*"  Du  développement  de  la  chaleur ,*de  la  lumière,  et  de  Télectri- 
cité  comme  phénomène^  passagers  de  Faction  c],^mique; 

2**  Des  ^îfcpnstances  \)ii  les  acUons  chimiques  s  accomplissent*,  soit 
qu'il  en  résulta /iii\e  cojmbinaison  ou  une  deAmposition ,  soit  qu'il  y  ait 
^  la  fois  combmaison. et  décomposition; 

3**  Des  proportions  suivant  lesquelles  les  combinaisons  s'effectuent; 
en  les  rapportant  au  poids  ou  au  volume,  elle  arrive  ainsi  à  distinguer 
*des  combinaisons  en  proportions  définies  et  des  combinsâsons  en  pro- 
portions indéfinies;  les  premièroi  sont  assujetties  à  dqs  lois  fort  simples; 

4**  Des  formes  cristallines  sous  lesquelles  la  plupstrt  des  corps  appa- 
raissent à  rétat  de  pureté;  *■' 

5"*  De  toutes  les  propriétés  qu'il  est  possible  de  reconnaître  à  chaque 
e^ce  dé  matière  qui  devient  par  là  une  sorte  d'individu  correspon- 
dant à  l'individu  organisé  qui  représente  l'espèce  végétale  ou  animale  à 
laquelle  il  appartient;  * 

6"*  Enfin  des  causes  des  actions  chimiques.  C'est  à  cette  étude  que 
se  rapporte-ce  qu'on  peut  appeler  la  mécaniqae  chimique,  si  différente  de< 
la  mécanique  proprement  dite.  •"** 

En  effet,  lorsque  cette  mécanique  résout  les  questions  de  son  ressort, 
c'est  que,  connaissant  toujours  d'une  manière  précise  quelques-tms  des 
termes  de  ses  problèmes,  elle  parvient,  à  leur  aid^Và  déteniil%er  ceux 
qui  sont  inconnus.  En  définitive,  ia  mécanique  connaît  ou  peut  con- 
naître les  masses  agissantes ,  les  trajectoires  qu'elles  décrivent ,  les  vi- 
tesses qui  les  animent,  et  l'intensité  des  forces ,  causes  des  mouvements. 
Ajoutons  qu'elle  peut  arriver  à  son  but,  quoique  l'essence  même  des 
forces  lui  soit  cachée;  car  il  lui  suffit  de  connaître  fintensité  de  chacune 
d'elles  par  la  vitesse  qu'elle  ioiprime  à  l'unité  de  masse  dans  l'unité  de 
temps,  soit  que  la  force  n'agisse  qu'un  instant,  soit  qu'elle  agisse  d'une 
manière  permanente ,  à  l'instar  de  la  pesanteur. 

Le  chimiste  est  dans  une  position  bien  différente  lorsqu'il  s'agit  de 
définir  les  causes  des  actioniS  chimiques  en  les  assimilant  èksim  forces  ; 


^ 


70  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

car,  ainsi  que  nous  Favons  dit  déjà,  les  actions  chimiques  se  passent 
entre  des  parties  matérielles  si  ténues  >  qu'elles  échappent  à  nos  sens. 
Dès  lors  il  nous  est  impossible  d'en  apprécier  la  masse  ou  le  volume , 
d*en  suivre  les  mouvements;  dès  lors  il  n*y  a  plus  de  trajectoires  et  de 
vitesses  appréciables.  La  mécanique  chimique  est  dknc  tout  à  fait  dis- 
tincte de  la  mécanique  proprement  dite.*'  *     - 

Si'  une  chose  semble%icoq|préhensi^le ,  ce  sont ,  sans  doote ,  les  chan- 
gements qui  surviennent  dans  les  propriétés  des  corps  pair  le  fait  des  acn 
tions  chimiques.  Par  exemple ,  comparez  le  ^ou&e  et  le  carbone  au 
composé  qu'ils  forment,  et  voyez  si  vous  pouvez  concevoir  comment  le  g 
soufre,  Risible  à  i  is^^volatil  à  Aïo^,  doué  d'une  faible  odeur,  et  ie 
carbone,  fixe  à  la  tempérfto*e  la  Mus  élevée  mie  nou^lumaissions^ 
absolument  inodore ,  donqlDt  naissance,  par  lA  unîbfiputi\elle ,  mé  % 

sulfure  de  carbone,  liquide  bouillmt  à  ^5"",  et  d^fi  de  Rdeur  la  plus^ 
fétide  !  Qui  conçoit  en  vertu  de  quelle  foi^e  a  volumes  id'bydrogène ,  • 

le  corps  le  plus  expansible  qu'on  connaisse,  en  s'unissant  à  i  volume 
de  gaz  oxygène^ produisent  de  l'eau,  liquide  dont  le  volume,  à  la  tem-' 
péràture  de  zéro,  ^  à  /^elui  des  gaz  qi^  le  constituent  conune  i  est  à 
a55o  enviroit?  Qfcu  conçoit  en  vertu  del^elle  force  2  volumes  d'hy- 
drogène, eil  s'unissant  à  1  voluq^e  ou  à y^rolume  de  carbone,  donnent, 
dans  les  deux  cas  41  volume  dliydrogène  bicarboné  et  \  volume  d'hy- 
drogène protocarnoné?     *  dMs^    ^  i^J.  .    *Jar'- 

De  cet  état  de*thos^  il  résulté  qu'en  chimie  l'élude  de  la  force  ne 
porte  pas  sur  les  ph4iiomijies  dynamiques  qu'on  lui  attribue,  mais  nicii  « 
sur  des  changements  survnhM  dans  la  manière  d'être ,  dans  1^ s  pro- 
^^priétés  des  cor]^  après  l'accomplissement  de  Kàction  chimique,  ou ,  eo* 
d^<mi«s  termes,  lorsque  ceic^i  sont  à  Tétat  statique.  Mais  une  force  .  \ 
attractivt?  unique  ^côiwne  la  pesanteur,  ne  peut  être  invoquée  pour 
expliqueélés  actions  moléculaires  ;  il  faut  admettre  une  attraction  spé- 
^  ciale ,  qtJki  nomm^id&i^  ou  cohésion ,  et ,  en  outre ,  que  cette  attrâc- 

.  tion  se  compose  aveb  d'amres  forces^j^eHes  que  la  chaleur,  certaines  rjL^ 
diations  flu  soleil ,  l'électricité.  Il*€t  donc  de  toute  évidence  queues 
considérations  relatives  à  4a  nature  des  forces  concourant  à  l'action^ 
chimique  ne  portent  que  sur  l'observation  de  phénomènes  ou  de  pro- 
priétés que  les  cofps  présembnt  après  que  leijM  molécules  sont  parve-  • 
Jiues  à  l'équilibre  plus  ou  moins  stable  jÉbOiÇattribue  à  l'action  de  ces 
forces.  '     0 

Il  est  aisé  de  voii*  njainfeenant  les  rapports  de  la  chimie  avec  diverses 
sciences  qui ,  comme  elle ,  sont  du  domaine  de  la  philosophie  naturelle. 

jEn  rffnr<iî  chyiie  a  les  {dus  graiAls  raoibrts  avec  la  physique ,  nvm^ 

W  M 


•f 


FÉVRIER  1843.  71 

seulement  par  l'étude  qu  elle  fait  de  rélectricité ,  de  la  chaleur,  et  de  la 
lumière  apparaissant  sous  la  forme  de  feu  dans  les  actions  moléculaires, 
mais  encore  par  la  nécessité  où  elle  est  de  connaître  de  la  manière  la  plus 
prédsejbes  propriétés  physiques ,  telles  que  la  densité,  le»  températures 
où  chjique  corps  change  d'état,  soit  pour  se  congeler,  soit  pour  se  11- 
^qtiéfiel'  ou  se  volatiliser  ;  les  propriétés  optiques ,  parmi  lesquelles  nous 
distinguons  la  faculté  d*agir  sur  le  plan  de  la  lumière  polarisée  ;  enfin 
lëy'propriétés  électriques  et  magnétiques  que  les  corps  peuvent  présen- 
ter d'une  manière  permanente  dans  des  circonstances  définies.  La  chimie 
et  la  physiquejtt'^ncontrent  donc  dans^fétude  de?  phénomènes  passa- 
gers ayssi  bien  qiie  dà^  celle  des  phénfMn^es  permanents. 

Les  lois  de  la  .^idstalusption ,  si  importantes  pour  la  chimie,  lorsqu'il 
"^  s'agit  de  rarntBgement.^es  molécules  et  desfinflyuctions  qu'on  tire  de 
Jla  formie>  comnre  car|^ctère  des  espèces,  ress^rent  encore  les  liens  de 
'la  physique  avec  la  chimie,  eamème  temps  qu'<^es  établissent  un  rap- 
port incontestable  entre  celUyi  et  la  géométrie.  ^     .   .  * 

L'étude  des  proportions  suivant  lesquelles  ^'opèrent  les  combinai- 
sons définies^a  besoin,  pour  êlre  généralisée,  de  recoiuir  à  la  meiyie 
des  nombres,  car  c'est  à  elle  qu'on  est  redevable  de  co&J^xpressivis  na- 
jgiériques  qi|i  constituent  la  doctrine  des  quantités  équivalentes.        ^   . 

Ënfm,  rétude  des  actions  moléculaires  qui  s'accymplissentMàns  les 
plantes  lorsqu'elles  s^assimilent  l'eau ,  le  carbone  jde  l'acide  carbonique , 
la  matière  organique  plus  ou  moins  profSHdément  altérée  des  engrais, 
établit  ontnè  la  chimie ,  la  physiologie  végétale^éH'agrioltfture ,  le  m Ahd^ 
i^pport  que  Tétude  des  actipns, moléculaires  qm  s'accomplisseilt  d^i^ 
les  animaux  pendant  la  digestion,  la  respiration,  les  sécrétions,^ ete« 
établit  entre  la  chimie ,  la  physiologie  animale  et  la  médecine  ^ 

Mais ,  après  avoir  fixé  les  rapportrcle  la  chimie  a^c  4r  physique ,  la 
géométrie ,  la  science  des  noâibres ,  la  physiologie ,  l'agripuljHi^  ef  la 
médecine,  tout  en  lui  accordant  la  qualification  ^e  science ^iff  refu- 
sera- t-on  un  caractère  propre ,  essentiel ,  absolument  spéctp|^  Noq  cer- 
tainement; car,  si  elle  recourt  à  la  physique  et  à  la  géométne  %>rsqifdH€ 
étudie  les  propretés  physiques  des  corps,  à  la  physiologj^  et  à  la  Ifi* 
rapeutique  lorsqu'elle  veut  connaître  celles  de  leurs  pro[mwés  que  iIdus^ 
appelons  drgai|oleptiques ,  elle,  seule  appreaÉ^à  connaître  le^s  pro-* 
priétés  chimiques,  elle  seule  ramène  chaqu^Bafière  simple  ou  "Com- 
plexe à  une  définition  précise,  reup^nt  sutiensemble  des  propriétés 

'  Voyez,  dans  le  cAier  de  novenibre  de  Tannée  i8^ ,  Farticle  mi  I  poar  nlre  s 
Quelques  coiuidération^  généraïm  et  iàiucHons  rAitmes  mheaitÊttière  des  iir&  vivants. 
Je  pourrai  revenir  sur  ce  sujet;  qui  fixÉmaintenant  Taffention  di:|f|usieur8  savaots* 


r' 


72  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

physiques,  chimiques  et  organoleptiques,  inhérentes  à  cette  matière, 
afin  d'en  faire  ce  que  nous  nommons  une  espèce  chimiqae;  et  c  est  même 
de  là  qu  elle  tire  le  caractère  essentiel  et  absolument  spécial  qui  la  dis- 
tingue de  la  physique.  Sous  ce  dernier  rapport,  clique  espèce  de  corps, 
simple  ou  composé ,  est  donc  envisagée  par  le  chimiste  comité  une 
unité  ou  comme  un  individu  doué  d'un  ensemble  de  propriétâl  insi^w 
parables  de  sa  nature,  ainsi  que  les  corps  vivants,  d'après  des  carac- 
tères tirés  de  l'organisation,  sont  définis  par  le  naturaliste  en  espèces 
végétales  ou  animales  distinctes  les  unes  des  autres. 

3.  Notions  qui  peuvent  paraître  indépendaii|p8  de" la  chimie. 

Il  nous  reste  une  oèmière  proposition  à  développer,, c'est  de  mon-  ^ 
trer  la  nécessité  où  se  trouve  l'auteur 'd'une  histoire  de  la  chimie  vrai-# 
ment  rationnelle  de  rattacher  à  cette  science  des  idées  qu'on  pourrait 
en  croire  indépendantes,  parce  qii'elles^.ont  été  exposées  d'abord  par 
des  écrivains  qui  n'étaient  pas  chimistes ,  ou  qu'elles  ont  commencé  à 
fixpr  Pittention  des  philosophes  à  une  époque  où  la  chimie  n'existait 
point  encore  conune  science. 

Parmi  ces  idées  nous  citerons  celles  qui  concernent  la  nature  des 
corps,  la  formatio%de  ceux  qu'on  considérait  alors  comme  complexes, 
la  force  prise  dans  les  molécules ,  la  destruction  apparente  de  la  ma- 
tière, ou  sa  transformation,  ou,  ce  qui  revient  encore  au  même,  la  cir- 
tllâtion  des  élétnents  dans  des  corps  affectant  les  formes  les  plus  variées, 
^s  anciens  philosophes ,  en  se  livrant  à  l'examen  de  ces  idées ,  ne  crai- 
gnirent pas  d'aborder  des  questions  qui  exigeaient  la  lumière  des  sciences 
physico-chimiques  pour  être  traitées  avec  quelque  chance  de  succès; 
aussi  durent-ils  échouer,  malgré  la.  force  de  leur  intelligence  et  leur  es- 
prit observatem',  lorsqu'ils  voulurent  distinguer  les  éléments  de  la  ma- 
tière, assigner  une  composition  essentielle  aux  corps  complexes,  parler  -^ 
de  la  fomjation  de  la  terre,  expliquer  la  combustion,  en  un  mot, 
traiter  de. phénomènes  passagers  ou  permanents  relatifs  aux  actions  chi- 
lù^ues.  Mais,  si  l'écueil  contre  lequel  leurs  efforts  se  brisèrent  ne  pouvait 
^êtrc  franchi  qu'avec  des  secours  qui  leur  manquaient  absolument,  ils 
montrèrent  jusqu'à  l'évidence  qu'ils  sentaient  le  besoin  de  comprendre 
dans  la  philosophie  l'étude  du  monde  extérieur,  et  c'est  sous  l'influence 
de  ce  sentiment  que  plusieurs  grandes  harmonies  de  la  nature  n'échap- 
pèiMt  poi|[it  à  leur  observation,  quoiqu'ils  les  représentassent  par  les 
images  de  la  poésie,  au  lieu  de  les  décrire  dans  le  langage  précis  de  la 
science.           ^            .                   ♦• 


FÉVRIER  1843.  73 

Enfin ,  pour  achever  le  développement  de  noti^  dernière  propoM- 
Uon ,  parlons  des  avaqtâges  que  la  connaissance  de  la  méthode  chimique 
peut  avoir  pour  celui  qui  se  livre  à  une  étude  approfondie  de  ce  qu'on 
appelle  en  philosophie  la  méthode  analytique  et  la  méthode  synthétique. 

Les  opérations  de  la  chimie  étant,  sans «xception ,  analytiques,. syn- 
thétiques, ou  à  la  fois  analytiques  et  synthétiques,  et  les  résultats 
quelles  donnent  tirant  de  leur  netteté  un  caractèi^  incontestable  de 
leur  origine ,  elles  présentent  des  exemples  d*une  précision  rigoureuse , 
pi*opre  à  faire  comprendre  la  marche  de  Fesprit ,  qui ,  pour  découvrir, 
et  démontrer  d  autres  vérités  que  les  vérités  chimiques ,  se  livre  aux 
opérations  d  une  analyse  ou  d*une  synthèse  purement  intellectuelle. 

En  effet  les  résultats  des  opérations  chimiques,  considérés  sous  lé  • 
point  de  vue  de  leur-  origine  analytique  ou  synthétique,  doivent  leur 
précision  à  Taccord  qiii  règne  entre  tous  les  chimistes  pour  distinguer 
les  corps  réputés  simples  d'avec  les.  corps  composés.  I>è8  lors  on  sait 
toujours  parfaitement,  sans-  amhigulté,  si  le  résultat  d'une  o^iration 
est  analyXique  ou  synthétique,  ou  s'il  est  à  la  fois  analytique  et  syntlié- 
tique.  On  voit  qu  il  n'y  a  pas  de  science  chimique  sans  synthèse  ou  san^ 
analyse ,  et,  en  outre,  que  les  produits  de  la  synthèse  n'ont  de  valeur 
scientifique  qu'autant  que  l'analyse  a  défini  d'une  manière  rigoureuse 
les  éléments  unis  par  la  synthèse;  toute  synthèse  suppose  donc  des  ana- 
lyses préalables  pour  que  les  conclusions  déduites  de  la  première  aient  ' 
la  clarté  et  la  précision  qui  leur  impriment  le  caractère  scientifique. 

C'est  en  prenant,  dans  chaque  science  douée  d'un  caractère  absolu- 
ment spécial  et  livrée  à  l'étude  du  monde  e}(^érieur,  la  méthode  la  plys 
générale  au  moyen  de  laquelle  l'esprit  recherche  les  vérités  du' ressort 
de  cette  science,  qu'on  peut  arriver,  suivant  nous,  à  recueillir,  pour 
riiistoire  de  l'entendement,  les  matériaux  les  plus  précis  comme  les  plus 
exacts,  parce  qu'en  définitive  ils  ont  été  découverts,  élaborés,  souiflis 
à  des  discussions  plus  ou  moins  nombreuses,  plus  ou  moins  approfon- 
dies, et,  enfin,  coordonnés  par  les  intelligences  variées  qui  ont  animé  - 
des  hommes  éminents  livrés  à  la  recherche  des  vérités  d'une  même 
classe. 

G)nclu9ion  relative  à  la  q^^nîère  de  composer  une  histoire  de,  la  chimie. 

Après  avoir  démontré  par  les  considérations  précédentes  combien 
une  histoire  de  ht  chifflie  est  difficile  à  écrire ,  à  cause  de  la  vaste  étendue 
du  champ  qu'elle  embrasse  et  de  la  diversité  même  des  matériaux  qui  ^ 
doivent  la  composer,  lors  même  qu!on  ne  voudrait  pas  descendre  aux 

lO 


74  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

détails ,  il  nous  reste  i  parler  d  une  difficulté  plue  mtide ,  soivani  nous , 
que  toutes  celles  qu'on  peut  s'imaginer  en  ne'  T.oyaiit  que  le  Dombne 
et  la  diversité  des  matériaux;  la  &ire  connaître  se»  justifier  complète* 
ment  la  proposition  que  nous  ayons  émiaé  en  avançant,  au  commencf^^ 
ment  de  cet  article,  que  la  ehimie  se  présente  comme  une  science  tout 
à  fait  à  part  à  celui  qui  veut  en  tracçr  i'histoire.  Parlons  d'abord  des 
sources  où  l'on  peut  trouver  les  nUatériaux  de  i'histoire  de  la  chinne 
dans  les  temps  les  plus  anciens.  * 

Si,,  en  cherchant  avec  attention  dans  le'passé  tout  ce  qui  se  rapporte 
à  la  connaissance  des  actions  moléculaires,  y  compris  les  arts  chi- 
miques et  les  idées  concernant  la  nature  des  corps,  on  arrive  à  con- 
clure que  l'origine  de  la  chimie ,  considérée  comme  science,  ne  remonte 
guère  au  delà  du  xviii*  siècle,  on  est  cependant  obligé  de  reconnaître 
qu'il  y  a  un  grand  nombre  de  notions  antérieures  à  cette  époque ,  qu'il 
&ut  rassemUer  et  examiner  soigneusement  sous  le  rapport  de  l'in- 
fluence- qu'elles  ont  pu  avoir  sur  les  premiers  dévleloppements  de  ia 
science.  Les  sources  où  l'on  peut  puiser  ces  notions  sont  le^arls  chi- 
miques, les  systèmes  philosophiques,  enfin  un  ensemble  de  choses 
occultes  parmi  lesquelles  nous  comprenons  Valchimie. 

i"  source.  Si  les  arts  donnent  des  faits  «positifs  à  celui  qui  peut  en 
étudier  les  produits,  en  s  éclairant  des  procédés  que  les  écrivains  de 
l'antiquité  nous  ont  transmis,  il  faut  avouer  cependant  que  l'histoire  de 
l'industrie  des  anciens  peuples  présente  bien  des  lacunes ,  et  qu'il  n'est 
pas  toujours  .facile  de  choisir  Tordre  le  plus  utile  à  suivre  pour  en 
CQordonher  les  notions  r^ativement  à  l'histoire  de  la  chimie. 
^  2*  source.  Les  notions  concernant  la  nature  des  corps  professées  par 
les  anciens  philosophes  sont  vagues  ou  manquent  d'exactitude ,  puis- 
qu'elles ne  furent  jamais  ex{)érimentales.  Il  importe  cependant  de  cher- 
ctferles  analogies  qu'elles  peuvent  avoir  avec  nos  théories  actuelles,  et 
surtout  de  reconnaître  les  rapports  qui  les  unissent  avec  les  premiers 
'essais  de  théories  chimiques.  Cette  recherche  est' fort  délicate;  car  elle 
ne  consiste  pas  à  faire  des  extraits  des  systèmes  généraux ,  mais  bien  à 
découvrir  ce  qu'il  y  a  dans  ces  systèmes  d'essentiellement  applicable 
à  l'histoire  de  la  chimie. 

3*  source.  La  source  qui  a  fourni  le  plus  dfi  faits ,  le  plus  de  notions 
utiles,  le  plus  d'idées  à  cette  science,  est,  sans  aucun  doute,  celle  qui 
se  composait  de  traditions  et  de  procédés  pratiques  transmis  à  un  petit 
nombre  de  personnes  choisies.  Nous  comprenons  dan^  cette  source  la 
cabale,  la  magie,  et  surtout  Palchimie  :  évidemment  une  doctrine  chi- 
mique* devait  sortir  tôt  ou  tard  delà  pratique  de  procédés  concernant 


FÉVRIER  1843.  75 

les  actions  moléculaires  de  la  matière;  mais  que  de  difficultés  pour  ap- 
précier  exactement  les  résultats  de  cette  pratique ,  en  Tétudiant  dans  le 
développement  de  ses  procédés  successifs ,  puisque  ceux  qui  s  y  livraient 
devaient  tenir  leurs  travaux  secrets,  et,  s  ils  écrivaient,  c*était  exclusi- 
vement  pour  des  initiés  1  Enfin  les  idées ,  les  doctrines  mystiques,  qui, 
dès  l'origine ,  furent  associées  de  la  manière  la  plus  intime  aux  procédés 
dont  nous  parlpis  n'ont  pas  peu  contribué  à  épaissir  les. ténèbres  qui 
régnent  sur  un  sujet  déjà  si  obscur  par  lui-même. 
»  En  définitive ,  nous  trouvons  dans  l'antiquité ,  avant  l'alchimie ,  des 
£ûts  pratiques  et  des  vues  hypothétiques  sur  la  nature  des  corps; 
mais,  s'ils  ont  exercé  de  l'influence  sur  le  développement  de  la  chimie, 
ce  n'est  point  par  l'institution  de  recherches  expérimentales.  11  eh  est 
autrement  de  lalchîmie  :  les  expériences  de  ceux  qui  la  pratiquaient 
devaient  aboutir  à  la  science  des  actions  moléculairos.  Enfin ,  si  les  no- 
tions puisées  dans  les  arts  chimiques  et  dans  les  systèmes  des  philo- 
sophes appartenaient  au  domaine  public,  la  partie  pratique,  tout  au^si 
bien  que  la  partie  théorique  ou  mystique  de  Talchimie,  n'étaient 
connues  que  d'un  petit  nombre  d'initiés. 

Après  avoir  parlé  des  sources  où  l'on  peut  puiser  les  matériaux  les 
plus  anciens  de  l'histoire  de  la  chimie ,  il  nous  reste  à  exposer  la  diffi- 
culté précédemn^nt  signalée,  qui  ne  tient  pas  à  la  disette  des  faits,  ni 
aux  lacunes,  ni  aux  obscurités  des  écrits,  mais  à  la  nature  même  des 
matériaux  que  l'historien  doit  mettre  en  œuvre.  ^ 

Cette  difficulté  porte  sur  ce  que  les  matériaux  tirés  des  soureesV- 
ciennes  ont  besoin,  pour  se  fondre  dans  l'histoire  à  laquelle  ils  se  rap- 
portent,  d'être  l'objet  d'ifti  examen  analytique;   car  .ce  n'est  point 
intégralement,  en  conservant  leur  forme  et  en  se  juxtaposant  les  uns 
aux  autres,  comme  les  pierres  d'un  édifice  qu'on  élève,  ce  n'est  point, 
comme  les  ruisseaux  qui  alimentent  un  fleuve ,  en  y  versant  leurs  eaux  ,* 
qu'ib  devien4ront  les  véritables  éléments  d'une  histoire  rationnelle  âe 
la  chimie:   ils  devront  subir  des  modificatiens,  de  manière  jque  des    . 
parties* seront  éliminées,  tandis  que  les  autres,  après  avoir  été  réduites 
en  éléments  précis  et  exactement  définis,   seront  coordonnées  entre 
el|es  par  une  synthèse  habile,  pour  devenir  les  principes  constituants  * 
de  cette  histoire.  En  définitive,  les  matériaux  puisés  immédiatement 
aux  sources'  les  plus  anciennes  éprouveront  les  modifications  d'uû  ali- 
ment complexe  qui  ne  s'assimile  que  partiellement  au  corps  vi\'^nt 
qu'il  doit  nourrir. 

E.  GHEVREUL. 


lO. 


• 


• 


\ 


• 


• 


76  JOCRNAL  DES  SAVANTS. 

•  .  ■ 

Documents  inédits  sur  Domat. 

* 

DEUXIEME    ARTICLI. 

Mais ,  saD8  contredit ,  la  partie  la  plus  curieuse  de  notre  mémoire  est 
celle  qui  noqs  peint  Domat  comme  l'adversaire  in(atîg||ile  des  jésuites. 
Quand  tout  pliait  sous  leur  autorité,  lui  seul,  après  ia  mort  de  Pascal, 
avec  quelques  amis  fidèles,  luttait,  dans  un  coin  du  royaume,  contue 
leur  astucieuse  tyrannie.  Vaincu  dans  une  première  rencontre ,  il  revient 
à  la  charge  et  leur  tient  tète  jusqu'à  sa  mort. 

Cette  première  rencontre,  où  Domat  se  montra  le  digne  ami  de  Pascal, 
est  l'affaire  du  collège  de  Ciermont  en  Auvergne,  dont  lés  jésuites  s'em- 
parèrent à  Taide  de  leurs  artifices  accoutumés.  Notre  inémoire  nous 
donne ,  à  cet  égard ,  des  détails  intéressants ,  et  qui  ne  sont  point  ailleurs. 
ht  Recueil  de  Marguerite  Perrier  les  confirme  et  les  développe  :  il  Con- 
tient plusieurs  pièces  où  paraissent  les  efforts  des  jésuites  pour  attirer 
à  eux  l'éducation  tle  la  jeunesse,  jusqu'alors  confiée,  dans  Ciermont,* 
à  la  S3vante  et  libérale  congrégation  de  l'Oratoire,  et,  en  même  temps, 
la  vive  résistance  et  de  TOratoire  et  de  la  ville  entière ,  et  la  part  de 
Domat  dans  ce  démêlé.  Voici  quelques  lignes  d'une  Plainte  des  pères  de 
rOratoire  de  la  ville  de  Ciermont  contre  les  jésuile^p.  34  a  de  notre  ma- 
nuscrit :  «  Aussitôt ,  dit  cette  Plainte,  qu'un  des  nôtres  prêche  avec  quel- 
q^Psupcès,  ils  l'accusent  d'hérésie.  Ils  ne  parlent  jamais  de  nous  à  leurs 
écoliers  sans  nous  traiter  de  suspects  en  la  foi.  Ils  ont  dit  à  quelques-uns 
de  nos  écoliers  qu'on  s'expose  à  la  damnatioti  éternelle  quand  on  étudie 
dans  notre  .collège.  »  A  cette  plainte  les  jésuites  répondent  (p.  agy  )  par 
une  Relation  deH'état  présent  du  jansénisme  dans  la  ville  de  Ciermont, 
t)ù  ils  représentent  la  ville  de  Ciermont  comme  un  foyer  de  jansé- 
nisme, et  Domat  comme  le  chef  du  parti.  «Le  jansénisme  n'a  pas  plus 
tôt  paru  en  France ,  qu'il  a  eu  des  sectateurs  dans  Ciermont;  et,  si  l'Au- 
vergne a  fomenté  cette  secte  dans  sa  naissance,  ayant  été  le  lie»  d'ori-  • 
ginc  de  MM.  Amauld,  Bourzées,  Brousse,  Rebours,  Laporte,  Mauguin 
.et  Pascal,  la  ville  de  Ciermont  contribua  beaucoup  à  son  progrès  ct^à 

sa  conservation *  La  secte  est  com*p6sée  de  plusieurs  laïques  des 

dcuX'Sexes  ;  les  plifs  considérables  sont  les  sieurs  Montorcict,  président 
en  la  cour  des  aides,  le  sieur  Penîer,  conseiller  en  ladite  cour,  la  de- 
moiselle Pascal ,  sa  femme ,  le  sieur  Guerrier,  avocat Mais  le  plus 

signalé  .est  le  sieiiç  Domat,  avocat  du  roL  audit  présidial,  lequel,  ayant 
quelque  vivacité  d'esprit  et-s  étant  employé  ui^iquementà  l'étude  de  ces* 


•  FÉVRIER  18^3.  77 

isiatières,  passe  pour  le  plus,  habile,  faiit  leçon  à  ses  confédérés,  et  cor-r 
rompt  une  partie  de  la  jeunesse Pour  fomenter  leur  liaison  fac- 
tieuse ,  ils  font  beaucoup  d*assemblées  secrètes. . .  .„  Le  lieu  des  coit- 
venticules  ordinaires  et  réglés  est  la  maison  de  Bienassis,  à  deux  fcents 
pas  des  murailles  de  la  ville ,  appartenant  audit  Perricr.  Cest  là  où  ils 
s^assemblent  hommes  et  femmes ,  les  dimanches  et  jours  de  fête.*. . .  Les 
précautions  qu'ils  prennent  pour  le  secret  font  coi^ecturer  quelque  mys- 
tère diniquité.  »  Après  avoir  habilement  semé  la  calomnie ,  les  jésuites 
s*occup^ent  d*en  recueillir  le  fruit ,  e  t ,  par  le  crédit  de  leur  P.  Ânnat ,  con> 
fesseur  du  roi,  ils  firent  rendre  un  ordre  du  cabinet,  qui  les  mettait  en 
possession  du  collège  de  Ciçrmont  »  en  dépit  des  anciennes  et  des  nou- 
velles ordonnances ,  qui  portaient  qu  aucune  communauté  religieuse  ne 
pourrait  s'établir  dans  aucune  viUesans  le  consentement  de  cette  ville. 
Dès  que  cet  ordre  du  cabinet  fut  connu  à  Clermont^  ce  fut  une  récla- 
mation universelle.  On  s'adressa  à  Domat  pour  quil  prit  en  main  cette 
affaire.  Domat  n'hésita  pointa  s'en  charger.  Il  écrivit  lui-même  (ms. 
p.  3o  i)  une. requête  au  roi  Louis  XIV,  au  nom  de  la  ville  de  Clemiont , 
et,,  à  la  tête  d'une  *  députation  de  vingt  de  ses  compatriotes,  il  alla  à 
Paris  la  pointer  au  roi.  Nous  donnons  ici  cette  pièce  (ms.  p.  290),  qui 
est  un  des  meilleurs  morceaux  sortis  de  la  pluoie  de  Domat 

#  ■ 

«  Requête  présentée  par  les  habitants  de  la  ville  de  Clermont  en  Auvergne  contre 

les  R.  P.  jésuites.  *  • 

«Ao  RoY. 

«  Sire,  vos  très-humbles,  très-obéissants  et  très-fidèles  sujets  les  éche* 
vins  et  habitants  de  cette  ville  de  Clermont  viennent  se  jeter  aux  pieds 
de  V.  M.  pour  lui  demander  justice  contre  les  jésuites,  qui,  pour  s'éta- 
blir daift  Clermont,  malgré  toute  la  ville,  sont  venus  supposer  à  votre 
conseil  qu'on  les  y  demande,  et,  ayant  obtenu  sur  ce  faux  exposé  un 
arrêt  et  des  lettres  de  cachet,  en  ont  gbusé  d'une  manière  injurieuse  à 
la  clémence  de  V.  M.  et  digne  de  cette  attention  avec  laquelle  ejle 
écoute  les  plaintes  de  tous  ses  sujets.  *  • 

uCes  pères.  Sire,  voyant  les  babitajits  plus  aliénés  qye  jamais  par 
cette  conduite  et  prêts  d'en  venir  informer  V.  M. ,  feignirent  d'avoir  du 
scrupule  et  du  repentir  de  ce  qu'ils  avoient  ainsi  obtenu  cet  arrêt  et 
ces  lettres  de  cachet,  et  promirent  par  écrit  aux  échevins  une  surséance 
qu'ils  demandoient  pour  recourir  à  V.  M.  ;  et,  comme  ensuite  les  habi- 
tants s'alloient  assembler  promptement  dans  l'hôtel  de  ville  pour  dé- 
puter,, ils  envoyèrent  de  nouveau  leur  recteur  de  Montferrand  pour»' 


78 


JOURNAL  DES  SAVÀHTS. 


protester  i  cette  assemblée  qu'ils  ne  vouloient  poîfaft  du<  tout  entrer  dans 
Glermont  sans' le  consentement  de  toute  la  ville,  etporter  parole  que, 
qlkand  même  on  les  y  voudroit  forcer  sous  préte^ite  de  cet  anét  et  de  ces 
lettrée  xle  cachet,  ils  n*y  consentiroient  jamaÎF.  Et  cependant,  Sire»  dès 
le  lendemain,  ils  vinrent  avec  ce  rec^fur  et  s'empai^èrent  du  collège  à 
la.  vue  de  ces  mêmes  habitants  à  qui  ils  avoient -donné  cette  parole  ie 
jour  précèdent  et  qui  accburoient  k  cette  surprise ,  mais  qui  n'opposèrent 
que  la  modération  k  toute  cette  cotiduite  des  jésuites  ;  car  ia  fidâité  si 
ancienne  et  perpétuelle  de  la  ville  de  Clermont  est  à  toute  épreuve  -, 
non*seulement  pour  le  service  de  ses  roys ,  dont  cette  ville  a  cet  honneur 
singulier  de  ne  s'être  Jamais  départie ,  mais  pour  les  moindres  choses  qui 
portent  leur  nom.  Ces  habitants,  Sire,  osent  espë»rerque  V.  M.  ne  per- 
mettra pas  que,  sous  un  règne  tel  que  le  sien,  les  jésuite»' jouissent  du 
succès  de  leurs  artifices,-  et  que,  pour  être  ainsi  entrés  dans  Clermont 
et  pour  empêcher  que  cette  ville  n'ait  eu  l'honneur  d'être  ouïe  de  V.  M. , 
elle  soit  condamnée  à  les  y  Souffrir  contre  ses  intérêts  et  contre  son 
gré. 

«Ces  intérêts,  Sir^,  sont  si  grands  et  appuyésde  raisons  si  fortes,  et 
de  la  part  des  habitants  de  Clermont  et  de  la  part  même  des  jésuites  et 
de  leur  propre  conscience ,  que  c^s  habitants  osent  s'assurer  que  V.  M. 
,en  seroit  touchée,  -si  elle  vouloit  souffrir  qu'oivreti  informât.  Mais  ces 
raisons.  Sire,  sont  en  si  grand  nombre  et  fondées  sur  tant  de -titres, 
.édits,  traités -arrêts,  privilèges,  et  sur  tant  d'autres  considérations,  qu'ils 
n'oseroicnt  1  en  importuner. 

«  Maïs ,  comme  les  roys  prédécesseurs  de  Votre  Majesté ,  dont  les 
jésuites  ont  autrefois  obtenu  de  pareils  ordres  pour  s'établir  dans  Cler- 
mont sur  de  semblables  faux  exposés  qu'on  les  y  demandoit,  ont  tou- 
jours révoqué  ces  ordres  aussitôt  qu'ils  ont  seulement  connu  la  répu- 
gnance des  habitants ,  il  y  a  présentement ,  Sire ,  bien  plus  (fie  cette 
raison  si  naturelle  du  gré  des  villes  :  par  une  déclaration  solemnelle 
de  l'année  1669,  qu'elle  a  voulu.faire  publier  dans^out  son  royaume, 
elle  a  très -effectivement  deffendu  tous  établissements  de  communau- 
tés  religieuses  sans  ie*  consentement  des  villes.  Ces  deffenses  de  Votre 
Majesté  ne  doivent  pas  être  nécessaires  pour  les  jésuites;  car  leurs  sta- 
•  tuts,  Sire,  leur  font  encore  d'autres  deffenses  bien  plus  étroites,  non- 
seulement  de  s'établir  malgré  les  villes,  mais  de  demander  même  d'y 
être  reçus. 

«Et  cependant,  Sire,  non -seulement  ils  demandent  et  ils  insistent 
d'entrer  dans  Clermont  contre  les  statuts  qu'ils  font  vœu  d'observer, 
-Pliais  ils  y  entrentpar  force  et  s'opiniâtrent  à  y  demeurer,  quoyqu'on  per- 


,  > 


*  FÉVIilER  1843.  79 

sévère  à  leur^^lire  qu*on  ne  les  veut  pas,  et  conti^ignent  les  habitants  à 
venir  importaner  V.  M.     . 

-  «lis  espèrent,  Sire,  quelle  leur  fera  cette  justice  de  ne  pas  souiFrir 
cette  déàobéiflsanoe  des  jésuites  à  vos  onlonnances  et  à  leurs  statuts ,  et 
qu'elle  n'obligera  pas  de  très-fidèles  sujets,  pleins  de  zèle  et  d'amour 
pour  son  service,  à  recevoir  contre  leur  gré  des  religieux  qui,  profes* 
sant  d*enseigner  la  piété  et  les  bonnes  mœurs ,  commencent  par  forcer 
ceux  qu'ils  veulent  instruire  à  ^enir  d'a|>prd  demander  justice  contre 
eux,  et  qui,  pour  le  premier  exemple  de  leur  piété,  violent  en  un  jour 
ordonnances,. édita,  traités,  vœux,  statuts,  parole,  et  qui  ont  violé  le 
respect  mêm^  qu'ils  dévoient  à  V.  M.  sacrée,  par  la  suppositipn  qu'ils 
ont  Êdte  à  votre  conseil  qu'on  les  demandoit ,  et  par  la*  manier^  dont 
ils  ont  usé  des  lettres  de  cachet  qu'ils  onUobteQues  par  cette  surprisf . 
«La  ville  de  Clermont,  Sire,  a  fait  l^lever  sa  jeunesse  jusqu'à  pré- 
sent par  d'autres  maîtres  que  par  ces  pères ,  et  elle  a  eu  la  gloire  de 
produire,  dans  tous  les  siècles,  des  personnes  de  mérite  poul*  la  reli- 
gion et  pgur  l'Etat;  mais  surtout,  Sire,  elle  a  eu  l'honneur  de  n'élever, 
dans  tous  les  temps,  que  de  véritables  serviteurs  des  rois,  et  quTmeme 
parleurs  services  en  ont  mérité  ce  que  demandent  aujourdTiui  à  Votre 

.Majesté  avec  tant  d'instance  les  habitants  de  cette  même  ville,  d'être 
dispensés  de  recevoir  les  jésuites. 

«  Le  ray  Henry  le  Grand ,  ayeul  de  -Votre  Maje^é,  a  été  l'un  des  roys 
qui  a  conservé,  la  liberté  de  la  ville  de  Clermont  contre  les  entreprises 
de  ces  pères.  Ce  grand  prince,  Sire,  aimoit  cette  ville,  et  avoit  la  bonté 
de  vouloir  bien  reconnoître  qu'elle  lui  avoit  rendu  un  service  bien  im- 
portant, et  d'autant  plus  considérable  qu'il  regardoit  aussi  l'État.  Car, 
pendant  la  ligue,  les  habitants  de  Clermont  ne  s'étoient  pas  seulement 

'  conservés  fidèle$  au  milieu  de  la  rébellion  de  presque  tout  le  royhume, 
mais,  par  ui^zèle  extraoqKnaire  et  tout  inouï,  étant  sortis  de  leurs 
murailles,  et.,  avec  le  peu  de  sujets  quio'estoient  au  roy ,  qui  s'y  étoient 
réfugiés,  avoient  exposé  Igurs  vies,  attaqué  Tarmée  des  ligueurs,  rej^ris 

^ur  eux  une  ville,  et  gagné  cette  bataille  d'issoire  dont  toutes  les  his- 
toires femarqnent  qu'ayant  rendu  au  roy  l'Auvergne  entière  et  toutes 
les  provinces  voisines ,  qt  qu'étant  arrivée ,  comme  par  une  espèce  de 
miracle,  le  même  jour  que  ce  prince  gagna  en  personne  celle  d'Ivry, 
ces  deux  batailles  avoient  été  la  fin  de  la  ligue ,  et  le  rétablissement  de 
ce  gi*and  roy  dans  son  patrimoine,  qui  est  aujourd'hui  l'héritage  de 
Votre  Majesté. 

«  Les  habitants  de  Clermont ,  Sire ,  ont  cette  confiance  que  Votre  Ma- 
jesté aura  toujours  pour  cette  ville  les  mêmes  bontés  qu'ont  eues  pour 


80  JOURNAL  DES  SAVANTS.  * 

cUc  tous  les  Foys  ses  Drédécesseurs ,  pour  tous  iesqaels  aile  t  contemé 
une  fidélité  plus  ferme  çt  plus. inviolable  qu*aucune  autre  ville  de  floo 
royaume ,  et  qu'elle  ne  leur  refusera  pas  la  même  grâce  qu'elle  tcoorde 
k  tant  de  villes  qui  résistent  aux  jésuites,  de  ne  pas  les  obliger,  non 
plus  que  les  autres ,  à  les  recevoir ,  et  qu'elle  ordonnera  k  ces  pères  de 
retourner  dans  leur  collège  de  Montferrand  ;  si  ce  n'est  que  cette  af- 
faire étant  trop  peu  digne  d'occuper  les  soins  de  Votre  Majesté,  elle 
veuille  la  renvoyer  à  son  parlement  de.Paris,  qu'elle  a  rendu  juge  na- 
turel, â  cause  des  déclarations  et  des  édits  qu'elle  a  fait  vérifier  en  ce 
parlement  et  qui  font  une  partie  des  moyens  décisifs  contre  cette  enr 
treprise  deA  jésuites  ;  et  toute  cette  ville  redoublera ,  Sire  ».  les  prières 
publiques  et  particidières'quelle faitincessanunent  pour  Votre  Majesté, 
et  s'animera  de  plus  en  plus.de  zèle  et  d'ardeur  pour  son  service  et  de 
tous  les  roys  que  Dieu  fera  naMre,  jusqu'aux  derniers  siècles,*  du  sang 
de  Votre  Majesté ,  le  plus  illustre  de  toute  la  terte ,  comme  elle  en  est 
le  phis  grand  roy.  n    • 

0  M^Domat ,  avocat  du  roy  «ajoute  notre  manuscrit,  fut  député  pour 
présenter  à*Sa  Majesté  la  requête  cy -dessus.  Etant  arrivé  à  iParis,  il  ras- 
senlbla  vingt  Auvergnats ,  avec  lesquels  il  alla  porter  sa  plainte  au  roj, . 
qui  ayant  fait  avertir  le  P.  Ânnat ,  son  confesseur,  pour  lui  dire  que 
o'étoit  contre  ses  confrères  qu'on  agissoit ,  ce  jésuite  répondit  que  Sa 
Majesté  ne  dévoit  point  s'inquiéter  de  cette  affaire ,  qu  elle  étoit  accom- 
modée ,  et  par  cette  fourberie  il  obligea  les  suppliants  de  se  retirer. 
Ceci  se  passoit  en  1 663.  Ainsi  les  jésuites  s'établirent  à  Clermont  malgré 
M.  l'évèque,  les  doyen,  chanoines  et  chapitre  de  la  cathédrale,  syndic 
du  Idioeèsc,  le  gardien  des  cordeliers,  le  sous-prieur  des  carmes  et  les 
échevins  de  la  ville  de  Clermont » 

Ce  n'est  pas  la  seule  affaire  où  Domat  ait  osé  combattre  ouverte- 
ment les  jésuites.  Dix  ans  après«  un  de  leurs  prédicateurs  »  le  père  Du- 
hamel, ayant  Êiit,  dans  la  cathédrale  de  Gerrnpnt,  un  sermon  ou  il  sou- 
tenait rinfaillibilité  absolue  du  pape,  ce  qui  étiût  contre  les  maximes  de^ 
rÉglise  gallicane  et  contre  l'ordonnance  du  roi ,  qui  interdisait  ée  trai-* 
ter  de  matières  étrangères  au  salut  des  âmes  et  préjudiciables  à  la  paix 
publique,  Domat,  comme  avocat  du  roi  et  chargé  de  l'exécution  des 
ordonnances  royales,  informa  contre  le  père  Duhamel ,  dressa  lui-même 
un  procès-verbal  détaillé,  et  écrivit  à  M.  le  procureur  général  une  lettre 
pour  accompagner  ce  procès-verbal.  Nous  donnons  icilces  deux  pièces 
pour  morilrer  et  l'esprit  généreux  de  l'ancienne  magistrature  et  Tintré- 
pidité  de  Domat  en  face  du  parti  puissant  qui  persécutait  le  cartésia- 


FÉVRIER  1843.  81 

nisme,  menaçait  l'Oratoire,  écrasait  Porl-Royal,  et,  dominant  sur  la 
conscience  du  roi,  entraînait  l'État  dans  ses  querelles  et  en  faisait  Tins- 
trument  de  ses  desseins. 

«  Procès-verbal. 

«  L'an  1 673  et  le  dernier  jour  de  février,  nous,  Jean  Domat,  avocat 
du  roy  en  la  sénéchaussée  et  siège  présidial  d'Auvergne,  à  Clermont, 
ayant  appris  par  le  bruit  commun  que  ce  jourd'hùy  mardy  d'après  le 
deuxième  dimanche  de  carême,  le  père  Duhamel,  jésuite,  qui  prêche 
pendant  ledit  carême  dans  l'élise  cathédrale  de  ladite  ville ,  ayant  pris 
pour  texte  Saper  caffeedram  Moysi  sederant,  etc.  auroit  pris  pour  son  su- 
jet l'infaillibilité  de  l'Église  et  celle  du  pape ,  et  auroit  traité  en  deux 
points  de  ces  deux  sortes  d'infaillibilités,  et  entrepris  de  prouver  sépa- 
rément celle  du  pape  seul,  nous  aurions  été  obligés  par  le  devoir  de 
notre  charge ,  en  l'absence  du  S'  procureur  du  roy  audit  siège ,  de  nous 
informer  plus  particulièrement  des  propositions  que  ledit  père  Duhamel 
avoit  avancées  touchant  ladite  infaillibilité,  pour  exécuter,  en  ce  qui 
dépend  de  nous,  l'arrêt  de  la  cour  du  parlement  du  3o  may  i663,  par 
lequel  la  cour  auroit  ordonné  la  publication  et  enregistrement  de  six 
articles  de  certaine  déclaration  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris,  du 
3  may touchant  l'autorité  du  pape  avec  deffenses  de  soutenir  au- 
cune doctrine  contraire,  et  aussi  la  décfaratioh  de  Sa  Majesté  avoir 
ordonné  que  ladite  déclaration  de  la  faculté  de  théologie  de  Paris  se> 
roit  publiée  et  enregistrée  dans  tous  les  pariements  et  autres  jurisdic- 
tions  de  son  royaume,  avec  deffenses  à  toutes  personnes  de  soutenir, 
deffendre  et  enseigner  aucune  proposition  contraire  à  ladite  -déclara- 
tion, à  peine  de  punition  exemplaire,  lequel  arrêt  et  déclaration  ont 
été  publiés  et  enregistrés  à  ladite  sénéchaussée ,  et  à  cette  fm ,  comme 
nous  n'aurions  pas  ouy  ledit  sermon, 'nous  étant  enquis  de  plusieurs 
personnes  qui  y  auroient  assisté ,  nous  aurions  appris  par  tous  les  ré- 
cits conformes  que  ledit  père  Duhamel  a  pris  pour  son  texte  dans  le- 
dit sermon  ce  passage  de  l'Évangile  du  jour,  Sm>er  cathedram  Moysi  se- 
derant, etc.  et  pour  son  sujet  TinfaillibUité  de  l'Église  et  celle  du  pape; 
qu'il  a  divisé  son  sennon  en  deux  points,  le  premier  pour  l'infaillibi- 
lité de  l'Église ,  et  le  deuxième  pour  l'infaillibilité  du  pape  ;  que ,  dans 
le  premier  point,  rapportant  quelques  preuves  de  l'infaillibilité  de 
rÉ^Uise,  il  a  dit  que,  comme  celle  du  pape  s'établissoit  aussi  sur  les 
mêmes  preuves,  il  prouveroit  Tune  et  l'autre  dans  les  deux  points,  et 
que»  dans  i*un  et  dansftutre,  fliapporté  diverses  preuves  de  rinfkiilitft- 

11 


»  JOURNAL  DES  SAVANTS.  ', , 

iké  du  pape  seul ,  et  a  avancé  entre  autres  preuves  de  cette  infaillibilité 
les  propositions  suivantes  : 

i**  ((  Que  les  théologiens  étant  souvent  contraires  dans  leurs  opinions 
«  sur  les  matières  de  la  foy,  comme  les  horloges  qui  ne  s  accordent  pas, 
«  il  falloit  une  règle,  et  que,  comme  le  cadran  solaire  est  la  règle  infail- 
«lible  des  horloges,  le  pape  est  le  cadran  solaire  de  l'Église,  qui  est  la 
«règle  infaillible  dans  les  matières  de  la  foy.  - 

%°  t<  Que  Notre-Seigneur  avait  dit .  à  saint  Pierre  :  Ego  auiem  rogca^i 
npro  te  ut  non  iejiciatfides  taa  et  taaliquando  conversas  confirma  fratres  tao$, 
«  pom*  marquer  Tinfaillibilité  qu'il  lui  a  communiquée  et  à  ses  succes- 
«  seurs ,  et  que  ce  passage  se  doit  entendre  de  TinfaiUibilité  de  saint 
«Pierre  et  de  ses  successeurs^  et  non  de  celle  de  VÉ^dse,  ce  qu'il  a 
«prouvé  par  deux  réflexions  sur  ce  passage,  Time  sur  ces  mots  prote, 
a  en  disant  que  cétoit  le  pronom  de  la  seconde  personne  qui  s'adres- 
«soit  à  la  personne  de  Pierre  et  non  à  l'Église,  qui  ne  s'appelle  pas 
«Pierre,  l'autre  sur  ce  mot  frntres,  en  disant  que  ce  mot  s'entendoit 
«  des  papes  successeurs  de  saint  Pierre ,  qui  sont  ses  frères ,  et  non  de 
«  l'ÉgÛse ,  et  que ,  si  Notre-Seigneur  avoit  prétendu  parler  de  l'Église ,  il 
«  auroit  dit  ses  enfants  et  non  ses  frères. 

3*  «Qu'il  est  impossible  que  le  pape  enseigne  une  doctrine  Êiusse, 
«  erronée  et  scandaleuse ,  et  qu'il  arriveroit  plutôt  de  ces  trois  choses 
«l'une,  ou  qu'il  changeroit  de  sentiment  comme  il  arriva  au  pape  Vi- 
«  gile ,  ou  que  le  Saint-Esprit  se  mcleroit  dans  ses  expressions  pour  lui 
ti  faire  dire  la  vérité  malgré  qu'il  en  eût  et  lors  même  qu'il  voudroit 
«dire  une  fausseté,  comme  il  est  aixivé  à  Balaam  et  à  Caiphe ,  ou  qu'il 
«  mourroit  d'une  mort  subite  avant  que  de  prononcer  tme  erreur  selon 
«  le  sentiment  de  B. 

li"*  «  Que  lé  pape  est  infaillible  dans  les  décisions  qui  concernent  h 
«  foi ,  la  doctrine  et  les  mœurs ,  et  que,  dans  le  reste,  il  esthomme  comme 
«les  autres  et  sujet  à  faillir;  sur'quoy  il  a  ajouté  et  Eodt  remarquer  qu'il 
«  se  rendoit  d'autant  plus  exact  en  cette  matière  qu'il  s'y  agissoit  du 
«  saluté 

5"  «  Que  certains  théologiens  de  robe  courte  semblent  jeter  des  scru- 
«pides  dans  les  esprits  foiUes,  lesquels  il  est  important  de  lever,  et 
«  qu'il  y  en  a  qui  vont  déterrer  de  vieux  grimoires  pour  prouver  qu'il 
«y  a  eu  des  papes  qui  ont  failli. 

6''  «  S'étadt  objecté  comment  il  se  pouvoit  &ire  que  le  pape  fût  in- 
«  faillible ,  il  a  répondu  que ,  dans  les  choses  de  la  foi ,  il  ne  Êilloit 
«  pas  demander  comment.  Je  sçay ,  a-t-il  dit ,  que  ,  dans  le  mystère  de 

Trinité»,  Dieu  est  ua  en  trois  personnes;  mais,  ai  on  me  demanda 


FÉVRIER  1843.  «3 

«  comment  cela  se  peut  faire ,  je  n'en  sçay  rien.  Je  sçty  que ,  dans  le 
«mystère  de  Teucharistie ,  le  corps  et  le  sang  de  Notre^eigneur  sont 
Cl  sous  les  espèces  du  saint  sacrement;  mais  comment,  j«  n*en  sçay  rien  ; 
«je  sçay  que  d'abord  qu  un  homme  est  élevé  à  la  chaipe  de  saint  Pierre , 
«il  ne  peut  plus  enseigner  une  doctrine  &usse,  ent)née,  scandaleuse; 
a  mais  s^  on  demande  comment,  je  n  en  sçay  rien.  » 

«  Et,  comme  toutes  lesdites  propositions  de  ce  sermon  tendent  &  per- 
suader riniaillibilité  absolue  du  pape,  et  que  cette  doctrine  que  ledit  P.  Du- 
hamel  a  prétendu  établir  par  ledit  sermon  est  directement  contraire 
auxdits  articles  de  la  déclaration  de  ladite  &culté ,  et  notamm^fit  au 
sixième,  concernant  Im&illibilité  du  pape,  nous  avons  cru  qu'il  ëtoit 
d'une  nécessité  indispensable  de  £ûre ,  en  cette  rencontre,  ce  qui  peut 
dépendre  de  nous  dans  notre  fonction  pour  contribuer  à  réprimer  une 
telle  entreprise  contre  lesdits  arrêts  et  ladite  déclaration  de  Sa  Ma- 
jesté et  contre  les  lois  de  son  État;  et,  ne  pouv^t  y  pourvoir  avec' 
prudence  par  d'autres  vgies,  nous  avons  jugé  qu'en  une  affaire  de  telle 
conséquence,  où  nous  voyons  cette  doctrine  de  l'infaillibilité  du  pape 
aussi  publiquement  enseignée  avec  l'approbation  et  l'applaudissement 
de  la  plus  part  des  ecclésiastiques  et  principalement  des  religieux, 
et  consentement  tacite  du  peuple,  qui,  n'étant  pas  informé  de  la  faus- 
seté et  des  pernicieuses  conséquences  de  cette  doctrine ,  la  reçoit  comme 
véritable,  nous  devons  au  moins  en  donner  avis  à  M.  le  procureur  géné- 
rai ,  affin  qu  il  lui  plaise  d'informer  la  cour  de  cette  entreprise  contre  son 
arrêt,  et  Sa  Majesté,  s'il  le  juge  à  propos,  de  cet  attentat  contre  sa 
déclaration V  et  nous  nous  voyons  aussi  obligés,  en  même  temps,  de  sup- 
plier très-bumbiement  mondit  seigneur  le  procureur  général  d'agréer 
que  nous  lui  remontrions  Fimportance  singulière  que  nous  y  remar- 
quons d'employer  son  zèle ,  sa  prudence  et  son  abtorité ,  comme  il  a  fait 
cy-devant  si  utilement  en  toutes  sortes  de  pareilles  occasions^  pour  ache- 
ver en  celk-cy  d'arrêter  toutes  les  entreprises  semblables  de  ceux  qui 
publient  ou  débitent  en  particulier  cette  doctrine  au  préjudice  dudit 
arrêt  et  de  ladite  déclaration;  et,  ce  qui  nous  oblige  à  ces  remontrances, 
c*est  que  nous  voyons  en  cette  ville  un  exemple  de  la  nécessité  d'y  exé- 
cuter avec  éclat  ladite  dédaration  et  ledit  arrêt,  parce  que  cette  ville 
étant  le  siège  d'un  des  plus  grands  évêchés  du  royaume,  et  une  ville  ca- 
pitale des  plus  fidèles  au  service  des  roys,  comme  elle  en  donna  d'in- 
signes preuves  pendant  les  ligues,  nous  y  voyons  néanmoins  que  le  sen- 
timent de  l'infaillibilité  du  pape  y  est  insinué  et  s'y  répand  comme  une 
doctrine  dé  foi ,  ^  que  la  plus  part  croyent  que  la  doctrine  contraire 
est  une  doctrine  hardie ,  ce  qui  est  arrivé  non  par  des  prédications 

11 . 


84  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ou  leçons  publiques  que  nous  n  aurions  pas  dissimulées ,  mais  par  ie 
cours  universel  que  donne  à  cette  doctrine  le  grand  nombre  de  ses 
partisans ,  et  particulièrement  des  réguliers  et  autres  ecclésiastiques. 

a  Et  il  est  facile^ de  juger  que ,  si  ce  sermon  du  P.  Duhamel  demeure 
impuni,  cette  doctrine  de  Tinfaillibilité  du  pape ,  publiquement  établie 
par  cette  voie  et  sans  contredit,  passera  pour  une  vérité  de  foy  et  un 
dogme  qui  ne  peut  être  contesté;  et,  comme  nous  apprenons  de  ladite 
déclaration  de  Sa  Majesté  que  c  est  son  intention  que  les  sentiments  de 
ses  sujets  soient  uniformes  sur  lesdits  articles,  et  que  nous  voyons  que, 
tout  au  conti*airc ,  ils  se  rendent  uniformes  dans  la  créance  de  Tinfail- 
libilité  du  pape ,  et  que  cette  créance  s*établissant  pourroit  mettre  les 
sujets  du  roy ,  dans  cette  ville  si  fidèle  à  son  service,  en  péril  de  tom- 
ber dans  les  suites  pernicieuses  qu*elle  pourroit  produire  contre  leur 
devoir ,  s*il  arrivoit  des  occasions  où  Tautorité  des  papes  pût  les.  porter 
à  s  en  départir,  nou^  croyons  que  ces  considérations  nous  obligent  à 
supplier  mondit  seigneur  le  procureur  général  d  y  faire  les  réflexions 
qui  lui  sont  plus  propres  qu'à  nous  et  qu  il  saura  beaucoup  mieux  faire, 
et  de  souflrir  que  nous  lui  exposions  les  faits  et  les  considérations  par- 
ticulières qu'il  ne  peut  apprendre  que  de  nous,  et  dont  le  devoir  de 
notre  chaîne  nous  oblige  de  lavertir  par  ce  présent  procès-verbal  que 
nous  avons  dressé  de  tout  ce  que  dessus ,  afiin  qu'il  plaise  à  mondit 
seigneur  le  procureur  général  d  y  pourvoir  ainsi  qu'il  avisera  par  sa  pru- 
dence ,  et  nous  sommes  souscrits  avec  notre  «greffier  en  toutes  pages , 
et  avec  M.  Claude  Labourieux ,  ancien  chanoine  de  l'église  cathédrale 
et  ancien  officiai  de  Clermont;  M.  Etienne  de  la  Mare,  docteur  en  théo- 
logie, chanoine  et  théologal  de  ladite  église;  M.  Antoine  Dufour,  cha- 
noine de  la  même  église;  M.  Éticane  Perrier,  conseiller  en  la  cour  des 
aydes  de  ladite  ville  ;  M.  François  Pascal ,  prieur  et  seigneur  de  Termes 
et  de  la  Faghe;  M.  Robert  Mauguin,  avocat  au  parlement;  M.  Antoine 
Bourlin ,  avocat  en  ladite  cour  ;  M.  Georges  du  Gourd  ,  docteur  en  mé- 
decine; M.  Jacques -Antoine  Sarret,  avocat  au  parlement,  aussi  sous- 
crits avec  nous  en  toutes  pages,  pour  attester,  par  leur  signature,  la 
vérité  du  contenu  en  notredit  présent  procès-verbal  touchant  ledit  ser- 
mon ,  après  qu'ils  ont  fait  lecture  d'iceluy  et  des  propositions  avancées 
par  ledit  P.  Duhamel  dans  ledit  sermon,  auquel  ils  ont  assisté.  Fait 
ledit  jour  et  an.  Signé  Douât,  premier  avocat  du  roy;  Laboubisox,  etc... 
Baptiste  ,  greffier.  » 


FÉVRIER  1843.  85 

t  Lettre  de  M.  Domat  k  M.  le  procureur  général  pour  accompagner  le  procès-verbal. 

t  Ce  1"  mars  1773. 

c(  Monseigneur,  m*étant  rencontré  dans  la  nécessité,  par  le  devoir  de 
ma  charge,  en  Tabsence  de  M.  le  procureur  du  roy,  d*entreprendre  la 
deflense  de  l'intérêt  du  roy  et  du  public  en  une  affaire  importante  et 
qui  regarde  aussi  TEglise,  je  me  trouve  obligé,  Monseigneur,  de  vous 
en  rendre  raison ,  et  de  la  mettre  entre  vos  mains.  Le  père  Duhamel , 
jésuite,  qui  prêche  présentement  le  carême  en  cette  ville,  fit,  hier 
mai*dy,  un  sermon  exprès  pour  prouver  T  infaillibilité  du  pape  ;  vous 
verrez ,  Monseigneur,  par  le  procès- verbal  que  je  prends  la  liberté  de 
vous  envoyer,  le  récit  du  dessein  et  de  quelques  propositions  de  ce 
sermon.  Je  n  ay  rien  à  y  ajouter  de  particulier  pour  ce  qui  est  du  fait, 
si  ce  n*est  que  je  me  suis  rendu  très-certain  de  la  vérité  telle  qife  j^  l'ex- 
pose^ et  qu'elle  est  prouvée  par  ce  procès-verbal;  mais  je  crois,  Monsei- 
gneur, devoir  adjouter  qu'il  est  d'une  conséquence  extrême  de  réprimei* 
cette  entreprise,  car  je  puis  rendre  ce  témoignage  que  les  réguliers  et 
quelques  ecclésiastiques  de  leur  cabale  ont  tellement  répandu  cette 
doctrine  de  l'infaillibilité  du  pape,  ou  dans  les  confessions,  ou  dans  les 
entretiens,  ou  par  d'autres  voies  qui  ne  viennent  pas  à  notre  connois- 
sancc  et  qi/il  ne  nous  est  pas  possible  de  réprimer,  qu'encore  que  les 
personnes  intelligentes ,  et  particulièrement  ceux  qui  sont  instruits  dé 
l'arrêt  et  de  la  déclaration  du  roy  sur  cette  matière ,  qui  sont  en  très- 
petit  nombre,  ayent  été  extrêmement  scandalisés  de  ce  sermon,  le 
peuple  et  la  pluralité  des  personnes  même  de  condition ,  qui  ne  sont  pas 
instruits  de  ces  matières  ny  des  conséquences  de  cette  doctrine  contre 
l'autorité  légitime  de  l'Église  et  contre  l'intérêt  du  roy  et  de  l'État,  se 
laissent  persuader  de  cette  infaillibilité;  et  je  crois.  Monseigneur ,  en  cette 
occasion,  que  cette  doctrine  est  devenue  si  commune,  que  non-seule- 
ment elle  passe  pour  catholique,  mais  que  même  la  doctrine  contraire 
passe,  dans  les  esprits  de  ces  personnes,  pour  une  hérésie;  mais  cette 
opinion  si  pernicieuse  demeureroit  bien  plus  fortement  établie ,  si  un 
tel  sermon  restoit  impuni.  Car  vous  sentez.  Monseigneur,  quelles  sont 
les  impressions  que  fait  dans  l'esprit  de  la  multitude  une  doctrine  ensei- 
gnée comme  la  parole  de  Dieu  et  dans  la  chaire  de  vérité,  et  quelles  en 
sont  les  conséquences  surtout  quand  il  s'agit  des  premières  règles  de  la 
religion  et  du  discernement  de  l'autorité  légitime  qui  peut  régler  les 
points  de  la  foi.  Mais  l'entreprise  de  ce  jésuite  êst  d'une  conséquence 
d'autant  phis  importante ,  qu'il  a  prêché  cette  dçctrine  si  contraire  A 


86  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

rÉcriture  et  à  la  tradition,  aux  conciles,  aux  canons,  aux  libertés  de 
l'Église  gallicane ,  à  cet  arrêt ,  à  cette  déclaration ,  et  si  pernicieuse  dans 
rÉglise  et  dans  FÉtat,  comme  une  doctrine  et  une  règle  de  la  foi ,  et  par 
un  sermon  exprès,  en  séparant  exprès  et  distinguant  Tinfaillibilité  du 
pape,  qui  fut  son  principal  sujet,  d  avec  celle  de  TÉglise,  qu'il  ne  toucha 
quasi  qu^en  passant ,  et  en  traitant  de  ridicules ,  de  théologiens  de  robe 
courte ,  ceux  qui  defiendent  la  véritable  doctrine  de  TEglise  ;  ee  qui 
tourne ,  par  une  conséquence  nécessaire ,  contre  les  premiers  magifltrîrts 
du  royaume  et  les  officiers  de  la  cour,  qui  se  sont  rendus  les  pnitec* 
teurs  de  cette  doctrine  par  l'arrêt  du  3o  may  1 663 ,  et  enfin  p^  un^ 
sermon  prêché  dans  le  cours  d'un  carême,  dans  une  église  cathédrale, 
à  la  face  d'un  des  plus  amples  auditoires  du  royaume  et  des  mieux  rem-^ 
plis  d'officiers  de  trois  compagnies,  d'ecclésiastiques  d'une  cathédnde, 
de  trois  collégiales ,  un  grand  séminaire  et  onze  communautés  de  ré* 
guliers  de  divers  ordres,  de  tous  lesquels  corps  il  y  a  toujours  bon 
nombre  au  sermon  ;  et  je  dois  encore  ajouter.  Monseigneur,  i  toutes 
ces  circonstances ,  que  je  ne  vois  pas  d^autre  partie  ny  d'autre  juge  dont 
il  faille  attendre  de  justice  contre  ce  sermon  que  vous,  Monseigneur, 
et  le  parlem^t.  Toutes  ces  considérations  me  font  espérer,  Moasei* 
gneur,  que  vous  aurez  la  bonté ,  non-seulement  d'approuver  ma  con- 
duite ,  mais  de  la  protéger  et  d'en  faire  votre  affaire ,  comme  elle  l'est 
plus  que  de  personne.  J'aur ois  bien  souhaité,  Monseignelir,  de  vous 
envoyer  une  information,  au  lieu  d'un  simple  procès- verbal ,  mais  il 
m'a  été  nécessaire  de  me  réduire  à  cette  voye  en  attendant  que  je  puisse 
faire  faire  une  information.  Je  vous  prie  de  considérer  qu'un  procès^ 
verbal  de  la  qualité  de  celui  que  je  vous  envoyé,  en  une  affaire  dé 
cette  nature ,  peut  tenir  liev  d'information ,  sinon  pour  établir  toutes 
les  peines  que  ce  jésuite  peut  mériter,  et  que  la  cour  pourra  ordoaner 
après  une  plus  ample  procédure,  si  elle  le  juge  à  propos,  du  moins 
pour  effacer  et  réparer  promptement  les  mauvaises  impressions  de  ce 
sermon  qui  subsistent  dans  le  public,  par  les  voies  que  vous  jugêres, 

Monseigneur,  le  plus  à  propos  par  votre  prudence » 

Le  procureur  général  auquel  cette  lettre  et  ce  procès-verbal  étaient 
adressés  était  M.  de  Harlay,  probablement  Achille  de  Harlay,  troisième 
de  ce  nom ,  celui  dont  Saint-Simon  nous  a  laissé  un  portrait  peu  flatté , 
et  qui,  avant  d'être  président  du  parlement  de  Paris,  en  i68g,  aurait 
été  d'abord  et  se  trouvait,  en  1673,  procureur  général.  M.  de  Harlay 
rendit  compte  de  la  lettre  de  M.  Domat  à  M.  le  premier  président  La- 
moignon,  et  il  fut  convenu  ei\tre  eux  que,  d'une  part,  on  approuve- 
rait la  conduite  de  Domat,  que,  de  l'autre,  on  ne  donnerait  point  tin  éclat 


FÉVRIER  1843.  87 

Irop  grand  à  cette  affaire  ;  que  pourtant  on  exigerait  une  double  répara- 
tion du  père  Duhamel  :  d  abord  un  désaveu  de  ce  qu'il  y  avait  de  blâ- 
mable dans  son  sermon  par-devant  M.  révêquè  de  Clermont,  en  son 
palais  épiscopal  et  en  présence  de  Tavocat  du  roi  (Domat)  et  du 
lieutenant  criminel;  et,  de  plus,  des  paroles  de  paix  et  de  soumissiofi 
en  chaire  devant  l'assemblée  des  fidèles.  Notre  manuscrit  contient  la 
lettre  où  M.  de  Harlay  écrit  à  Domat  pour  l'informer  de  ces  résolu- 
tions ,  et  le  procès-verbal  de  l'acte  de  soumission  du  père  Duhamel  de- 
vant l'évéque  de  Clermont ,  le  lieutenant  criminel  et  Domat.  Mais  les 
jésuites  ne  se  tinrent  pas  pour  battus.  Selon  leur  méthode  accoutumée , 
ils  agirent  auprès  du  roi ,  et  lui  persuadèrent  d'enlever  cette  affaire  au 
parlement  de  Paris ,  et  de  l'évoquer  à  sa  propre  personne ,  en  son  cour 
seil;  et  là  ils  obtinrent  un  ordre  enjoignant  aux  gens  du  roi,  t\  Cler- 
mont ,  d'assoupir  toute  cette  affaire ,  de  se  dessaisir  des  minutes  mêmes 
des  divers  procès-viBrbaux  et  de  toutes  pièces  écrites  en  cette  circons- 
tance, et  de  les  envoyer  à  Paris,  au  conseil  d'État,  et  encore  faisant 
défense  au  parlement  de  Paris  et  à  tous  officiers  du  présidial  de  Cler- 
mont de  plus  faire  aucune  poursuite  contre  le  père  Duhamel ,  comme 
aussi  au  père  Duhamel  et  à  tous  autres  prédicateurs  de  parier  ni'trai- 
ter,  dans  leurs  prédications,  de  semblables  matières.  M*  de  Marie,  con- 
seiller d'Etat  et  commissaire  en  la  généralité  de  Riom ,  fut  chaîné  de 
l'exécution  de  cet  ordre ,  et  il  l'exécuta  fidèlement.  Le  procureur  du 
roi  et  le  greffier  criminel  durent  remettre  toutes  les  minutes  qui  étaient 
entre  leurs  mains.  Mais  voici  qui  témoigne  de  la  manière  la  plus  vive 
du  sentiment  d'honneur  qui  animait  toute  l'ancienne  'monarchie  :  le 
greffier  criminel  pria  que  les  minutes  à  lui  demandées  fiisseiU  laissées 
au  greffe  pour  sa  propre  décharge,  et  il  ne  les  remit  que  sur  i'injoncr 
'tion  réitérée  et  impérative  du  commissaire  du  roi  ;  quant  au  procu- 
reur du  roi,  au  nom  duquel  avait  agi  Domat,  U  alla  plus  loin  que  le 
greffier  criminel;  U  fit  une  respectueuse  mais  ferme  remontrance,  et  re- 
quit un  «ursis  à  l'exécution  de  l'arrêt  du  coBseil.  Ce  procureur  du  roi 
s'appelait  Pierre  Pascal.  On  ne  pouvait  mieux  porter  un  tel  nom. 
Nous  ne  pouvons  résister  au  plaisir  de  citer  ici  une  partie  du  procès- 
verbal  de  cette  dernière  pièce. 

uL'an  1 673  et  le  vingt-deuxième  jour  d'avril,  p^r*devant  nous  Ber- 
nard de  Marie,  chevalier,  se%neur  de  Vercigny,  conseiller  du  roi  en, 
ses  conseils ,  maître  des  requêtes  ordinaires  de  son  hotd ,  et  commis- 
saire départi  pour  l'exécution  des  ordres  de  Sa  Majesté ,  en  la  province 
d^Ânvergne  et  généralité  de  Riom,  est  comparu  M*  Pierre  Pascal, 
ëouycTi  seigneur  du  Monté! ,  procureur  de  Sadite  Majetté  en  la  séiié- 


88  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

chaussée  et  siège  présî(j[ial  de  Ciermont ,  lequel  nous  auroit  dit  qu'ayant 
eu  avis  de  la  signifioation  que  nous  aurions  fait  faire  à  M.  le  greffier 
criminel  de  l'arrêt  du  conseil  d'Etat,  portant  évocation  de  la  procédure 
faite  contre  le  père  Duhamel ,  jésuite il  est  obligé  de  nous  remon- 
trer par  le  devoir  de  sa  chaîne  que,  par  Texpositif  dudit  arrêt,  il  paroit 
que  Sa  Majesté  n'a  pas  été  informée  de  la  vérité  de  ce  que  ledit  père 
Duhamel  a  avancé  dans  ladite  prédication ,  et  laquelle  ne  peut  être  con- 
nue que  par  la  procédure  qui  en  a  été  faite  à  la  requête  dudit  pro- 
cureur du  roi,  de  laquelle  ayant  été  envoyées  des  expéditions  h  M.  le 
procureur  général,  cette  affaire  auroit  été  consommée  suivant  des 
ordres  envoyés  audit  procureur  du  roi  et  ceux  de  M.  le  premier  pré- 
sident, d'eux  envoyés  à  M.  l'évêque  de  Ciermont,  par  le  moyen  de  la 
rétractation  que  le  père  Duhamel  avoit  faite  de  ce  qu'il  auroit  avancé 
dans  sa  prédication,  par  acte  fait,  le  27  du  mois  dernier,  par-devant  le- 
dit lieutenant  criminel,  en  présence  du  procui^eur  du  roi,  et  sa  sou- 
mission k  l'arrêt  du  parlement  de  Paris,  du  3o  mai  1 663 ,  et  déclaration 
de  Sa  Majesté  du  à*  août  audit  an,  et  les  défenses  faites  audit  père  Du- 
hamel de  contrevenir  directement  ou  indirectement  à  ladite  déclara- 
tion et  arrêt,  duquel  acte  ledit  procureur  du  roi  auroit  envoyé  une 
expédition  audit  sieur  procureur  général ,  et  partant ,  ladite  procédure 
se  trouvant  transmise  suivant  lesdits  ordres,  il  est  important  audit  pro- 
cureur du  roy  que  ledit  acte  du  a  7  mars  demeure  au  greffe  dudit 
siège,  pour  justifier  de  ses  diligences  et  de  l'exécution  des  ordres  qu'il 
a  reçus  dudit  sieur  procureur  général ,  ce  qu'il  nous  a  requis  de  vou- 
loir ordonner, 'et  qu'il  soit  sursis  à  l'exécution  dudit  arrêt  sous  le  bon 
plaisir  de  Sa  Majesté,  en  ce  qu'il  est  ordonné  par  iceluy  que  lesdites 
minutes  seront  mises  en  nos  mains ,  jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  ait  été 
pleinement  informée  de  la  conduite  dudit  père  Duhamel  par  là  grosse* 
de  ladite  procédure ,  que  ledit  procureur  du  roy  offre  de  faire  délivrer 
incessamment  par  ledit  greffier,  ou  qu'il  en  ait  été  par  elle  autrement 
ordonné  sur  les  remontrances  par  lui  présentement  faites ,  et  a  signé 
Pascal.  » 

Enfin ,  nous  citerons  une  lettre  du  procureur  général  de  Harlay  à 
Domat,  dans  laquelle  il  s'excuse  auprès  de  l'austère  magistrat  de  l'arrêt 
du  conseil,  et  l'invite  à  ne  pas  se  décourager. 

«Monsieur  l'avocat,  nous  avons  été  aussi  surpris  que  vous  de  l'ar- 
rêt du  conseil  que  vous  m'avez  envoyé.  Si  le  roi  eût  été  ici ,  je  ne 
doute  pas  que  Sa  Majesté  n'y  eût  apporté  les  remèdes  nécessaires ,  sur 
les  très-humbles  remontrances  que  nous  lui  en  eussions  faites.  Mais, 
en  son  absence,  nous  verrons,  dans  la  première  occasion,  ce  que  l'on 


FEVRIEU  l.<ïfi3 
pourra  laue  pour  y  remédier.  On  ne  peut  ttriie  lout  ce  i^ue  l'on  penie 
et  tout  ce  que  Ton  sait  sur  ce  sujet ,  cl  je  finirai  en  vous  assurant  que 
des  choses  de  cette  nature  ne  doivent  pas  vous  crapèther  de  témoi- 
votie  zèle  avec  piudeuce  dans  toutes  les  occasions  qui  se  présen- 
teront. Je  suis,  Monsieur  l'avocat,  votre  fiére  et  bon  ami.  De  H'arlayî  » 

i.ef,  pensilcs  de  Domat  que  nous  Irouvoiis  dans  le  Recueil  de  M"'Perrier 
(p.  2-;'i)  \  occupent  plusieurs  feuilles  et  Font  connaître  des  côtés  nou- 
v<::liiix  cl  inattendus  tic  l'esprit  et  de  rame  de  notre  grand  jurisconsulte, 
Commençons  par  celles  qui  peignent  le  magistrat. H'impartial  exécuteur  - 
ou  l'intell^cnt  réformateur  dos  lois,  l'homme  qui  avait  un  senlimealft- 
si  profond  et  un  amour  si  ferme  do  la  vérité  et  du  droit.  ^^  " 

Nous  ne  connaissons  point,  dans  d'.Aguesseaii,dc  plus  belles  et  de  plus 
hautes  pensées  que  celles-ci  : 

"Los  avocats  ont  pour  objet  la  vérité  même. 

V  L'éJoquence  de  l'avocat  consiste  à  faire  connaître  la  justice  pour  le 
vérité. 

<i  Fins  difl'érentes  de  f  éloquence  :  plaire,  instruire,  persuader,  exhorter, 
.'louer  :  toutes  doivent  avoir  pour  règle  la  vérité. 
-.  *  Le  geste  est  un  effort  de  l'àmc  popr  se  communiquer  it  travers  le 
nwr^s,  et  faire  passer  dans  l'âme  de  celui  qui  entend  ce  qu'elle  sent  et 
"ce  qu'elle  voit. 

'  Il  Les  gens  d'épée  appellent  les  ofltcicrs  '  gens  dlÉBÔIoise*:  il  ^^ 
appeler  les  officiers  gens  de  tête .  et  eux  gens  de  maia^V  W 

"Il  y  a  une  îhfmité  de  lois  qui  ne  subsistent  que  parce  «j^o»' n'a -pas 
le  temps  de  Ifis  réformer.  ,'      4Hft 

"Les  passions  sont  des  lois  que  les  juge^  suivent?'  ^   ' 

«Nous  faisons  dans  le  palais,  qui  est  le  temple  de  ia  justice,  ce  qa^ 
faisaient  les  marchands  dans  le  temple.  / 

ii^'y  a-t-il  pas  quelque  comp^nie  où  ion  examine  sur  Te  bon  eens 
comme  sur  la  loi-'» 

Ecoutons  maintenant  fami  du  peuple,  l'ami  des  pauvres  et  de  la 
pauvreté,  un  digne  élève  de  cette  grande  écfjde*  de  stoïcisme  clirétien 
qui  s'appelle  Port-Royal. 

(I  Le  superflu  des  riches  devrait  serviu  pour  le  nécessaire  des  pauvres; 
mais ,  tout  au  contraire ,  le  nécessaire  des  pSuvres  sert  pour  le  superflu 
des  riches. 


'  OJficiers ,  gens  pourvu»  d'offices,  le»  magisl 


i"    T 


uCin^ou  six  péndat'ds  partagent  la  meiUeuro  pertic  du  mont 


i  ricne.  d 


n  est  assez  pour 


I10U9  faiïrfî 


Oîéû  que  les  ricbesses. 


jugfr  quel  bïpn  r'eai 


oOn  doit  plus  crtîndrc  d'avoir  trop  à  l'heure  de  ! 


pto  peiit 


idant  1 


t  que  trop 


oOn  se  sert  du  prétexte  de  ce  que  l'on  mendie  pour  ne  "pas  donnerait        -•  ^ 
à  l'hôpilal,  et  de^iliôpital  pour  ne  pas  donner  aux  mendiants,^  **■  ^^ 

Les  pensives  morajes  qui  suivent,  sans  avoir  une  grande  originalité, 
valent  assurément  la  peine  d'être'  (irées  de  l'oublî. 

■c  Comme  le  corpS  s'anéantit  et  s'appesantit  par  l'Age  et  la  dun'-e  de  la 
vie,  le  ccpur  s'appesantît  et  s'aHaiblit  par  la  durée  des  mftuvaiseg  ha- 
bitudes. 

«  Les  événements  sont  liors  de  tious  ;  notre  volonté  seide  est  à  nous; 

ne  pouvant  régler  aucun  événeftient,  nous  devons  nous  mettre  en  étal 

gue  nul  événement  ne  nous  trouble  et  ne  nous  empêche  d'être  heureux. 

,i<  II.  n'y  a  que  deux  voies  pour  se  rendre  heureux  et  content,  Twnp 

de  remplir  tous  nos  désir» ,  l'autre  de  les  borner  h  ce  que  nous  [louvouj 

.     posséder.  La  première  est  impossible  en  cette  vie;  ainsi  c'est  une  folifl 

*  que  d'entreprendre  de  se  contenter  en  ce  monde  par  cette  voie. 

a  Les  maximes  de  morale  des  païens  sont  des  régies  particulières  pour 
de  certaines  actions ,  et  en  de  certaines  rencontre»,  pour  certaines  con^ 
ditions;  celles  del'Ëvangilc  soatuuivQj^elles,  car  dles  cliangeut  le  fond 
.du  cœur  et  s'étoident  ù  toute  la  conduite,  en  tous  lieux  et  en  toutes 
rencontres.      ■ 

u  II  y  a  une  dilTérence  extrême  entre  la  manière  dont  nous  sentons 
les  injustices  qui  nou.s  regardent,  et  celle  dont  nous  jugeons  de  celles  • 
qiii  ne  regardent  que  le  prochain. 

.  <i  Pourquoi  souflroris-tious  les  douleurs  sans  nous  mettre  en  colère, 
ef  nue  nom  ne  souffrons  pas  les  injustices  et  les  maux  que  nous  causent 
les  nommes  sans  mouvement  de  colère? 

<  "Nous  voulonstellement  plaire  que  nous  ne  voulons  pas  déplaire 
ans  autres,  lorsque  nous  nous  déplaisons  à  nous-mêmes,  et  que  nous 
voulons  plaire  à  ceux  qui  nous  déplaisent. 

"  Quand  on  est  dans  la  vérité ,  jX  ne  faut  pas  craindre  de  cruuser  ;  on 

trouve  toujours  un  bon  fond,  on  ne  saurait  mampjor  d'être  soutenu; 

mais,  dans  les  choses  vaines  et  incertaines  ,  il  est  périlleux  de  creuser. 

«Les  hommes  ne  jugent  de  la  malice  lies  actions  et  du  cœur  de 

i'honnne  que  par  rapport  à  ce  qui  les  touche.  Une  incivilité  à  letir 


FÉVRIER   1843. 


91 


égard  leur  paraît  plus  criminelle  que  de  grands  péchés  devant  Dieu 
qui  ne  choquent  pas  les  hommes.  - 

«Tout  homme  qui  a  la  moindre  expérience  dans  le  monde  juge" 
facilement  que  tous  les  autres,  sans  exception  des  plus  raisonnables, 
raisonnent  mal  quelquefois,  et  raisonnent  mai,  pour  rordinairc.  dans 
leurs  intérêls.  Ainsi  il  faut  être  fou  de  présomption  pour  s'imaginer 
qu'on  soit  l'unique  au  monde  rabonnible  dans  son  intérêt,  et  ne  pas 
se  défier  toujours  dç,  son  jugement  quand  îi  s'en  agit.  D'où  j'admire 
l'extravagance  de  la  plupart  des  gens,  surfout  des  plaideurs,  qui  s'ima- 
ginent toujours  tous  avoir  le  meilleur  droit  du  monde. 

a  On  juge  aussi  témérairement  en  bien  qu'en  mal.  Il  y  a  du  péril  en 
l'un  et  eu  l'autre.  Si  on  juge  mal  en  mal ,  on  blesse  la  charité  ;  sj  on 
juge  mal  eu  bien,  on  blesse  la  vérité;  c'est-à-dire  que,  jugeant  mai 
d'une  bonne  action,  on  fait  tort  à  son  prochain,  et  que,  jugeant  biep*,  "-"* 
d'une  mauvaise  action,  on  fait  tort  i "la  vérité,  ""^ 

«  Les  louanges,  quoique  fausses,  quoique  ridicules,  quoique  non  crues, 
ni  par  celui  tpii  loue  ni  paç  celui  qui  est  loué,  ne  laissent  pas  de  plaire  ; 
et,  si  elle»  ne  plaisent  par  un  autre  motif,  elles  plaisent  au  moins  par  la 
dépendance  et  par  f  assujettissement  àe  celui  qui  loue.  » 

Si  les  deux  pensées  suivantes  étaient  plus  travaillées  pour  le  tour  al 
l'expression,  on  les  attribuerait  aisément  k  celui  qui  a  pris  la  défense* 
des  répétitions  et  qui  réduisait  toute  la  poésie  à  des  figures, /ata(  taa- 
_ner,  bel  astre. 

"  On  hait  si  fort  les  redites,  que ,  quand  elles  sont  nécessaires ,  on  veut 
au  moins ,  à  chaque  fois ,  être  averti  que  c'est  une  i-edite  :  dans  ie  pa- 
lais. W((,  ladite:   c'est  l'excuse  de  celui  qui  redit Mais  d'où  vient 

cette  haine  des  redites?  La  nouveauté   et  l'ennui  des  même»  choses. 
L'oi^eii  y  a  sa  part;  car  U  y  a  apparence  qu'Ain  veut,  inculquer  par  re-  * 
dites,  et  qu'on  n'aime  pas  paraître  dur  à  comprendre. 

"  La  poésie  a  d'ordinaire  plus  d'éclat  et  plus  d'agrément  que.Ja' 
prose;  mais  ce  n'est  que'comtift  les  grotesques  dans  la  peinture  :  ce  qui 
V  plaît  est  plus  surprenant .  mais  assurément  moins- Solide  et  utoias 
b|au  que  ie  naturel,  n 

Ma.iimes  tout  empreintes  de  l'esprit  de  Port-Royat.  et  qui  auraient 
pu  échapper  à  la  plume  de  Pascal  dans  un  moment  de  négl^ence  : 

Il  Aujourd'hui  la  dévotion  et  la  vertu  sont  rhoses  fort  dill'érentes. 

"Il  est  bien  à  crjundre  que  les  dévotions,  extérieures  de  ce  temps, 
scapulaires,  etc.  ne  soient^dans  la  nouvelle  loi,  ce  qu'étaient,  dans 
l'aijpienDe,  les  traditions  superstitieuses  des  pharisiens,  par  lesquelles  (A 


¥■ 


92  JOURNAL  DES  SAV4î*TS. 

sous  prétexte  desquelles  ils  quittaient  l'esaâïtiel  de  la  loi.  s'imagiiiant 

qu'ils  étaient  purifiés  par  ces  ct^nl-monips.  » 

Voici  les  fondements  mêmes  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  logique 
et  la  pliilosopliie  de  Pascal  : 

Il  Nous  n'agissons  pas  par  raieon ,  mais  par  amour,  parce  que  ce  n'est 
pas  l'esprit  qui  agit.  luiiis  le  rœur  qui  gouverne,  et  toute  la  déférence 
qu'a  le  cœur  poiir  l'esprit  est  qilc ,  s'il  n'agit  pas  par  raison ,  ï)  fait  ati 
moins  croire  qu'il  agil  par  raison.  .  * 

H  II  y  a  deul  manières  de  ^eioir  h  la  connaissance  de  la  vérité,  fum 
par  démonstration ,  et  l'autre  par  des  vraisemblajices  qui  peuvent 
nir  à  un  tel  point,  que  la  preuve  en  soit  aussi  forte  que  la  dénionsi 
lion  et  même  plus  touchante,  plus  persuasive  et  plus  convaioCantefa 
par  exemple,  on  est  plus  persuadé  qu'on  mourra,  quoiqu'il  n'y  en  ait 
pas  de  démonstration,  que  de  toutes  les  vérités  d'Euclide. 

"H  est  impossible  d'avoir  des,  (Umonstrations  des  vérités  de  notre 
religion,  car  il  arriverait  deux  choses:  l'une  que  tout  le  monde  l'em- 
brasserait, l'autre  qn'il  n'y  aurait  pas  de  foi,  gui  est  la  voie  par  laquelle 
Dieu  a  voulu  noOs  unir  àiui,  h  ^ 

Est-ce  l'auteur  des  Lois  civile*  ou  celui  des  Pensées  qui  a  tçacé  ces 
lignes  où  ïesprit.  i^humeur  et  la  mélancolie,  se  confondent  dans  une 
originalité  si  touchante?  Ce  peu  de  lignes  nous  font  pénétrer  dans  l'âme 
de  Domat ,  et  notis  découvrent  sa  grandeur  et  ses  misères ,  son  austérité 
et  ses  caprices ,  1  iine_  et  l'autre  face  de  la  médaille ,  f'horaroe  tout  entier. , 
-  '  M  L'esprit  sans  piété  ne  sert  qu'A  rendre  misérables  ceux  qui  en  ont, 
isequi  arrive  en  bien  des  manières,  et  entre  autres  par  la  prane  qu'il  y  a 
à  souffrir  les  sots. 

a  Ce  n'est  pas  une  petite  consolation  pour  quitter  ce  monde  que  de 

*sortir  de  la  toulc  d.u  grand  nombre  des  sots  et  des  méchants  dont  on  est 

environné.  .  , 

•    «Toutes  les  sottises  et  les  injustices  que  je  ne  fais  pas  m'émouvÀt 

la  bile.      ^  •  .       • 

«Je  ne  serais*ni  de  l'humeur  de  Démocrite  ni  de  celle  d'Héracliti 
p  prendrais  un  tiers  parti  pour  mon  naturel,  d'être  tous  les  jours 
colère  contre  tout  le  monde. 

«Quelle  salisiàction  peut-on  avoir  de  ne  voir  que  des  misères  sans 
ressources?  Quel  sujet  de  vanité  de  se  trouver  dans*  des  obscurités  im- 
pénétrables? 

■(  Un  peu  de  beau  temps,  un  bon  mol,  une  louange,  une  caresse,  me 
tirent  d'une  profonde  tristesse  dont  je  n'ai  pu  me  tirer  par  aucun  eQjprt 


'» 


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,      m      FÉVRIER  184^.     ;  93 

«pie  machine  que  mo^  âme ,  quel  abîme  de  misère  et 

J'ai  une  expérience  réglée  d'un  certain  toui'  que  fait  mon  esprit  du 
^ubie  à#tf  çpos ,  âa  repos  au  trouble ,  sans  que  jamais  la  cause  ni  de 
ni. de  lauti'e tîesse ,  mais  seulement  parce  que  ,  la  roue  toiurnant, 
à  aeypouve  tantôt  dessus.^  tantôt  dessous. 

-  «  Mon  sort^^st  différent^  àtx  vôtre  ;  vous  changez  souvent  d'état ,  et 
moi  je  *suis  toujours  à  la  même  place;  nous  sommes  pourtant  tous  deux 
égaiementMfarmentés  :  vous  roulez  dans  jles  flots,  et  je  les  sens  rouler 
sur  moi^7 

t    '  ..  .    /      '^  V.CODSIN. 


^   Saggi  %i  natubali  esperienze EssaU^' expériences  faites  à, 

FAciidémie  del  Cimento.  Troisième  édition  de  Florence,  précé- 


I     dée  d'une  notice , historique  de  cetto^cadémie,  et  suivie  de" 
quelques  additidîfis* ^  Florence^  iS^rfro-A^ 

l^ns  un  avertissement  placé  en  tète  de  ce  w)lume  il  est  dit  que 
cette  édition,  entreprise  sous  les  auspices  du  gouvernement  toscan,  a 
été  donnée  ena présent  aux  savants  italiens  qui,  en  iS^i,  se  réunis- 
saient  au  congrès  scientifique  de  Florence.  C'était  certes  une  excellente 
idée  que  d'offirir  aux  physii^iens  et  aux  naturalistes  assemblés  dans  cette 
mémorable  circonstance  un  livre  qui  peu  t.  encore  servir  de  modèle  et- 
de  guide  dans  l'art  difficile  d'pbserver  et  de  faire  des  expériences  ;  et 
npus  sommes  assuré  que  le  zèle  des  savants  italiens  a  dû  être  puissam- 
ment stimulé  par  le  souvenir  d'une  société  si  célèbre ,  dont  pn  mettait 
ainsi  de  nouveau  le^lravaux  sous  leurs  yeux.  Ce  souvenir,  ranimé  par 
l'aspect  des  anciens  instruments  de  physique  qu'on  conserve  encore  à 
Florence ,  de  ces  instruments  que  construisirent  Galilée  et  Toricèlli ,  * 
aevait  eiji^ammer  d'une  noble  émulation  les  hommes  d'élite  qui  se  près- 
lAdent,  il  y  a  deux  ans,  autour  de  ces  précieuses  reliques  scientifiques. 
Réunis  dans  une  salle  destinée  à  l'apothéose  de  *Galilée ,.  ces  instruments 

^  Dans  le  cahier  de  juillet  1 84  i«p-  435,1.  33,  auIieudeiËrunellesco,  HseziAlbertî. 
Dans  le  cahier  'de  janvier  i843  t  p^3  f  1.  a4  »  au  lieu  de  :  point ,  Uses  :  guère. 


m 


94  JO.URNAL  DES  SAVANTS, 

si  délicats,  qui.  malgré  mille  chances  de  destruction,  çnt  traversé  deux 
siècles,  semblent  annoncer  que,  lorsqu'il  a  été  touché  par  an  h(Hnine 
de  génie,  que.  lorsqu'il  a  servi  à  une  découverte  impoitante,  le  verre 
le  pins  fragile  devient  |)arfoiB  plus  impérissable  que  l'airain. 

L'édition  que  nous  annonçons  aujourd'hui  a  été  dirigée  par  MM.  An- 
linori  et  Gazzeri.  bien  connus  tous  les  deux  en  ItaUe  comme  physiciens 
et  comme  écrivains.  Sans  être  effrayés  par  la  nécessité  dans  laquelle 
ils  se  trouvaient  de  paraître  à  jour  lixe  et  dans  un  tris-court  délai ,  ils 
ont  mis  au  jour  un  ouvrage  .qui  occupe  déjà  un  rang  tiis-distingué 
dans  la  littéralure  italienne.  Le  succès  qu'ils  ont  obteiu^  iiiit  vive- 
ment regretter  qu'A  ne  se  présente  pas  plus  souvent ,  en  Italie ,  de  sem- 
blablos  occasions  où  l'esprit  soit  forcé  impérieusement"  de  quitter  un 
état  de  vague  <;ontemplation  pour  passer  à  l'action.  Si,  chez  d'aulres 
|ieuples,  la  production  intellecluelle.  sbumise  à  une  cyièce  d'exploitation 
régulière,  semble  parfois  perdre  de  sa  spontanéité  pour  devenir  une* 
sorte  de  denrée  ou  de  maichandise,  elle  n'est,  du  moins,  jamais  inter- 
rompue ,  et  le  talent,  continuellement  stimulé,  n'est  guère  exposé  it  s'en- 
dormir. A  Dieu  ne  plaise  que  nous  fassions  ici  un  ap[)el  à  UQC  littérature 
vénale  qui  deviendrait  le  fléau  de  la  société;  mais,  dans  un  pays  comme 
l'Italie,  oiw actuellement  les  habitudes  et  les  mœurs  paraissent  quelque- 
fois repousser  les  ed'orts  persévérants,  où  aucune  carrière  n'est  ouverte 
i  l'ambition ,  où ,  avec  une  publicité  très-restreinte ,  l' émulation  ne  peut 
agir  que  bien  faiblement,  c'est  mettre  les  écrivains  à  une  trop  rude 
épreuve  que  de  tes  forcer,  comme  cela  arrive  à  présent,  à  payer  le 
plus  souvent  les  frais  d'impression  d'un  livre  qui  leur  a  coûté  plusieurs 
années  de  travail.  Nous  croyons  donc  que,  à  défaut  d'autres  stimulants, 
-ce  qu'on  pourra  faire  pour  améliorer  Ja  condition  matérielle  des  écri- 
vains et  des  savants  italiens  sera  utile,  et  mérite  la  sollicitude  de  tous 
ceux  qui  aiment  ce  pays. 

Plus  heureux  que  beaucoup  d'aulres,  MM.  Antinori  et  Gazzeri ,  qui 
n'auraient  pas  été  arrêtés  par  de  semblables  dilTicultés,  ont  été  forcés, 
par  lés  solhcitations  du  gouvernement  toscan,  de  produire  à  point 
nomipé  l'ouvrage  dont  nous  devons  rendre  compte  aujourd'hui.  Us  se 
sont  partagé  la  besogne.  M.  Antinori  s'est  chargé  d'une  introduction 
historique,  "qui  est  un  ouvrage  fort  considérable  ^  el  M.  Gazzeri  s'est 
occupé  de  corriger  le  teste  el  de  préparer  les  additions  qui  devaient 
figurer  dans  cette  nouvelle  édition.  Un  travail  de  cette  nature,  fait  par 

'  Cetie  fntroduction  se  compose  de  centtreale-Irois  pages,  grand  iu-4°. 


•> 


r* 


iT 


PÉVBJER  1843.  -95 

deui  salw^fltii^ont  dû^'aider  d^  toutes  les  ressources  que  leur  of- 
fraient les  mbliothèques  de  FloatÈtice,  et  qui  ont  pu  recueillir  les  tradi- 
Jjons'et  les  souvenirs  conservés  dans  le  pays,  mérite  un  exâtnen  ap- 
profondi. Nous  en  rendrons  ùil  compte  détaillé ,  en  commençant  par 
l'introduction  hiftorique  placée  en  tête  du  volume. 

Dans  éette  introduction  ,jil.  Ântinori  trace  d'abord  rapidement  la 
vie  de  Galilée,  et  montre Neomment  TÂcadémie  del  Cimento  a  été  for-' 
^^i^  ftiée  par  les  disciples  et  les  descendants  de  ce  grand  philosophe.  La 
^    métibiflc  jBxp^imei)tale ,  qu'il  avaitintroduite  dans  Tétude  de  la  nature, 
ouvrait  un  champ iibmense  aux  explorations  des  savants,  qui  purent  alors 
se  réunir  et  travailler  utilement  en  commua.  C'est  là  eflectivemantice  qui 
*;^rriva;  fnais  peut-être 'doit -ton  regretter  que  M.  Antinori  n'ait  pas 
•^flonné  quelques  détails  sur  les  sociétés  scientifiques  qui  avaient  été  fon- 
jîRe^  précédemmMt  en  Italie.  Quoique  le  savant  autem:  de  cette  intro- 
duction^ût  être  naturellement  portéà  placer  horsde  ligne  l'Académie  del 
tlimento,  i^ll^i  aurait  été  facile  d'esguisser  en  quelques  pages  l'histoire 
des  plus  ai^Éennes  sociétés  savantes  de  l'Italie;  ce  devait  être  là,  à  notre 
.  «  avis ,  la  base  et  le^point  de  départ  de  cet  ^itéressant  ti%vail.  Car,  si  ces  so- 
^^  ciétésv9*6nt  pas  fait  alors  d)»  travaux  comparables  aux  célèbres  Essais  de 
*^.J'Académie  del  Cimento,  elles  ont  été  utiles  aux  sciences,  et,  si  elles 
*'    n'ont  |fiis  produites  résultats  .plus  décisif,  il  faut  surtout  en  chercher 
la  caufié'dans  l'état  politique  de  l'Itîàlie ,  au  xv*  et  au  xvi*  siècle ,  et  surtout 
dans  les  vexâtes  et  les  persécutions  dont  les  académies  furent  d'abord 
l'objet.  H  suffira  d'un  seul  exemple  pour  montrer  quel  fut,  à  une  certaine 
époque ,  le  sort  de 'ces  sociétés  en  Italie.  Cneiies  plus  anciennes  acadé- 
mies philosophiques  ,  foadée  à  Rome  par  Pomponius  Lœtus,  au  xv*  siècle,  * 
fut  dispersée,'  en  a  468',  par  ordve  de  Paul  II.  Ce  pape,  s'imaginant  que  des 
^académiciens,  qui,  dans  les  lettres  jatines  qu'ils  s'adressaient  mutuelle- 
ment, s'appelaient  quelquefois  patr6m5a72ctîs5Îmam,  conspiraient  contre 
lui  et  voulaient  s'approprier  son  titre,  les  fit  jeter  tous  dans  des  cachots. 
Il  fiiutJire  dans  Platina  le  récit  de  cette  persécution,  que  l'on. a  de  la 
peine  à  comprendre  actuellement.  Non-seulement,  en  deux  jours,  plus 
de  vingt  personnes  furent,  à  cette  occasion ,  tourtnentées  de  la  manière 
la  plus  barbare,  mais,  par  un  rafiinement  de  cruauté,  l'ecclésiastique  qui 
présidait  à  ces  tortures  *mêlait  l'ironie  aux  supplices ,  et  pariait  d'amour  et 
de  femmes  devant  ceux  dont  on  bridait  les  os  ^  !  Cet  accouplement  mons- 

'  Voici  le  passage  origioal  de  Platina  :  •  * 

;  «Uberatus  hoc  metu  Paulus  ad  nos  stâtim  animum  adjidt.  Mittit  in  areem  Ma- 


•   • 


• 


9^ 


96-  JOURNAL  .DELAVANTS.       ^         -       *•  *• 

ti*ueux  de  féroci^p  et  de  luxure  étaiu^  xv*  ^cLOt  tin  dé^Rmtèm  de 
cette  cour  de  Rome;  qui,  même  avniliL^i^exandre  VI,  avait  rendu  né-  ,  * 

cessafre  la  réforme.  Ces  malheureux  Ismguirent^  longtemps  en  pnson^^ 
et,  lorsque  enfin  le  pape  parut  se  relâcher  de  sa  rigueur,  il  déclara  héré- 
tiques tous  Ceux  qui ,  à  Tavenir,  sérieusement  ou  métm  pour  rire ,  pro-  .  r^ 
nonceraient  le  nom  d'académie  «  Paulus  tfgMn  hffreticos  eos  pronan^tiavit 
qui-  nomen  Acadejytiœ  vel  serio  veljoco  deinctps  comm^morarentor  ^;  »  telles 
sont  l^s  paroles'inçroyables,  mais  vraies,  de  lliistorieQ  contemppmn/  -^ 

On  conçoit  que  de  semblables^ menaces  ne  devaient.  gu^^e^iSS^ou-    ^     * 
ragèr  les  savants  h  se  réunir  pour'travailler  en  commttti  :  aussi ,  pendant 
longtemps ,  il  ne  se  forma  en  Italie  aucune  société  scientifique  régulière. 
A  la  vérité  Léonard  de  Vinci,  ce  grand 'f>eintre  qui  cultiva  avec  un ^gailf^ 
succès  toutes  les  branches  des  connaissances  humaines,  avait  foijcî^^WF   . 
à  la  coui*  du  duc^  de  Milan ,  une  académie  ^  qui  pai'ait  avoir  eu  pdn^ 
^  objet  rétude  dès  science  mathématiques  et  physiques;  mais  ikne  nous 
reste  que  des  indications  bien  fugitives  sur  cette  société ,  dont  les     .    • 
piembres  furent  promptement  dispersés  par  suite  des  guerres  et  des         ^ 

driani  Vianesiuln  cum  Johanne  Francesco  clugiensi  3anga  et  satellite  qui  nos  quovis    * 

génère  tonneniormin  adigal  ea  etiam  fateri  quœ  nusquam  sciebamus.  Tor^entur  ^  $ 

.prima  et  seqpcnti  die  mulli  ;  quorum  pars  magna  prsB  dolore.  in  ipsis  cruciatibus  \ 

concidit.  Bovem  Phalaridis  sepulchrum  Hadriam  lum  putasses  ;«deo  resonabtt  fornix     '*   ^ 

ille  concavus  vocibus  miserorum  adolescëntum.  Torquebalur  Lucidus  bomo  om-  ^ 

'    nium  innoceniissimus.  Torquebatur  Marsus  Demetrius  ;  AugusUaus  Gampanus  op- 

timus  adolescens  et  unicum  secuii  nostri  decul  :  si  ingenium jpft  littêraturam  inspicis  ^j^J^^^^ 
•quibus  cruciatibus  et  dolore  animi  mortuum  postea  credideom.  Fessi  tqrtores,  >^on^HHSM^ 
tamen  satiati.  Nam  ad  viginti  fere  eo  biduo  questioni  subiecerant.  Me  quoque  ad     J^^^^T' 

*  pœnam  vocant.  Accingunl  se  operi  camifices  :  parantu*  tormenta  :  spolior  :  laceror  :    ^^^^k 
trudor,  tanquam  crassator  et  lalro.  Sedel  Vianoaius  tanquam  alter  Minos  «^catis  ta-        ^r 
petibus  :  ac  siin«nuptiis  esset,  vel  potius  în  cœna  Atrei  et  Tantali.  Homo  inquam^ 
sacris  initiatus  :  ei  quem  sacri  canones  fêtant  de  laicis  questionem  habere  :  ne  tl\  if 

mors  subséquatur:  quod  in  ibnnenlis  interdum  accidere  sôlet:  irregularis  (ut  eo- 
r^m  verbo  utar)*et  impius  habcatur.  P^eque  hoc  quidem  contentas  :  dum  pendcrein  ^ 

miser  in  ipsis  cruciatibus ,  manilia  sangœ  clugiensis  attrectans  hominein  fogabat  : 
a  qua  puellà  donum  amoris  babuisset.  De  amoribus  locutus.ad  me  conversas  in- 
,  stabat,  etc.  >  Il  n^est  peut-être  pas  inutile  de  rappeler  ici  que  cet  ouvrage  a  été  dédié 

far  fauteur  au  pape  Sixte  IV,  et  que  ce  récit  a  été  publié  très-peu  de  temps  après 
époque  dont  il  s'agit,  et  lorsque  la  plupart  des  témoms  et  des  victùnes  de  ces  sup- 
plices étaient  encore  vivants..  Nous  avons  suivi  ici  fédition  de  1^79  des  Vies  des 
pontifes,  par  Platina.  —  '  Platina  ajoute  plus  loin  :  «  Humanitatis  autem  studia  ita 
Paulus  odérat  ei  conteinnebat,  ul  eius  studiosos  uno  nomine  hsreticos  appellaret. 
l^anc  ob  aem  Romanos  adhortabatur  ne  filios  diutias  in  stadii44itteraram  versari 
.  paterentur.  Satis  esse  si  légère  et  sciU>ere  didicissent.i — *  Voyez,  ace  sujet,  jnotre  • 
«fiistoire  des  sciences  mathéjnatiques  en  Italie ,  t.  III ,  p.  a  1 .      •  * 


■ 


FÉVRIER  ISlkS.'^  97 

invasions  auxquelles  la  Lombardie  fut  livrée  à  cette  époque.  Pendant 
le  XVI*  siècle  il  ny  eut  guère  d'associations  scientifiques,  et  une  seule/ 
TAcadémie  des  Segreti ,  instituée  par  Porta ,  à  Naplrt ,  a  pu  échapper 
k  Toubli  sans  pour  cela  que  Ton  en  connaisse  Toi^anisation.  Au 
mencementdu  xvii*  siècle,  il  se  forma,  à  Rome,  une  société,  puissa^i^' 
les  chefs  qu  elle  avaif;  et  que  les  travaux  de  plusieurs  de  ses  menfjcres 
rendirent  célèbre.  Cette  académie,  qui  mérite  une  attention  particu- 
»re^  fut  fondée  par  Frédéric  Gesi,  fus  du  duc  d'j^ùÉtaïaspara ,  et  plus 
»nh\i  sou«  le  nom  de  prince  Gesi,  Elle  s* appela  /itadémie  des  Lmeei; 
d*après  le  lynx,  animal  que  Cesi  choisit  pour  devise  et  auquel  les  an- 
ciens attribuaient  une  vue  extrèmejnent  perçante.  •  ' 
^.;.  Le  prince  Cesi  avait  à  peine  dix-huit  ans ,  lorsqu'il  conçut  et  exécuta 
le  projet  de  fonder  cette  académie,  dont  la  première  séance^  eut  lieu 
le  17  août  i6o3^.  Rempli  d'admiration  pour  Porta,  dont  la  Bupiommée 
remplissait  alors  l'Europe ,  et  dont  les  ouvrages  étaiea||  t|pdïiits  dans 


*  Dans  son  ouvrage  M.  Ântinori  dit  (p.  160)  qtie  f  Académie  des  Lînèë!,  chê'ebbe 
per  iscopo  spéciale  lo  studio  délia  storia  naturale,  ne  doit  pas  être  comnaréeii  f  Académie 
del  Gmento.  Sans  doute  celle-cî  a  produit  des  résultais  bien  plus  remarquables; 
m'|is  il  lie  serait  peut-être  pas  exact  de  dire  que  TAcadémie'des  Lincei  atait  pour  ob- 
jet spécial  fétude  de  l'histoiretiatureile.  En  effet,  dans  les  constitutions  de  cette  aca- 
démie, il  est  dit,  en  parisnt  des  études  politicms  :  «H«c  extra  physica,  etmatbe- 
matiib  studia ,  proiademïpraeler  academicitin  mstitutum ,  Lynceo  absque  agnomine 
tfansfiguntur.  »  (Odeseallcbi ,  MemormÊU^Mcei,  Roma,  1806,  in-A**, p. 3 1  a .)&étaient 
donc,  en  général,  les  sciences  pbysîi^JPRt mathématiques  que  cultivaient ivLincei. 
Si ,  au  commencement  de  ces  constitutions ,  on  parle  de  disciplinis  naturalHus,  cela  doî^-  ' 
s'entendre  de  fétude  delà  nature  en  général  (car  on  ajdtite  immé4iatement  prœsertim 
'^^Ikithematicis)  ,ei  non  pas  seulement  de  f  histoire  naturelle.  Cest  ce  qui  résulte  de  Ten- 
*^semble  du  passage  suivant  :  «  Philosopbos  suos  (LMOceÉAcademia)  academicos  desi- 
derat,  qui  ad  rerum  ipsispimarum  cognitionem  (endenles,  disciplinis  naturallbus, 
praesertim  mAthematicis  >||ft  dedant ,  iisque  sedulam  commodeiit  operam ,  non  ne- 
glectis  iillerim  amœniorum  musarum  et  nhîiologit^  omamen^s ,  ut  qus ,  ad  instar 
elegantissimae  vestis,  reliquum  totum  scieSarum  corpus^ondecÔirent;  idque  eo  in- 
dustrie magis  quo  derelinquis-,  qui  plures  haTconsueverunt ,  quia  minus  studiosislu- 
crinare  existimarentur.  Hinc  L^hceonim  fmis  et  institutum  ;  hinc  contemplatio  magis . 
^ pivposita.  Nec  aliunde  Lyncis  insigne,etc.  »  (Odescakhi,  Memorie  dei  Lincei,  p.  3o8.) 
Les^uvrages^que  Galilée  adressa  èN*Académie  des  Lincei,  et  qui  furent  publiés 
auiTirais  de  la  société;  nous  aotoblent  prouver  d*une  manière  irréfragable  que  cette 
académie  n*avait  pas  pour  but  spécial  V histoire  naturelle.  On  voit,  par  les  actes  de 
Tacadémie,  que,  le  i5  olHobre  i6o3,  on  commença  les  travaux  académiques  par 
des  leçons  de  philosophie,  de  mathématiques , 'd'histoire  naturelle  et  de  physique. 
Pour  les  Lincei  Thistoire  naturelle  comprenait  lout  Tunivers  :  «  Naturaliumque  ob- 
servationibus  (disai^t-ils  dans  leurs  Constitutions)  et  magni  naturae  libri  (cœli  in- 
quam  et  terrx).  etcT»  (Odescnlchi,  Memoilê^dei  Lincei,  p.  3o9^  -^  *  Odescalchî, 
Memorie  dei  Lincei,  p.  i3.  '  ' 

i3 


m- 


98  JOiteNAL  DKS  SAVANTS. 

tOAife^  les  Isftigues  de  TÈurope  et  même  en  arabe ,  Cesi  forma  le  pro- 
jet d'étudier ia  nature  et  de  lui  arracher  quelques-uns  de  ces  secrets, 
Savaient  rendô  si  célèbre  le  physicien  napolitain.  H  s  associa ,  à  cet 
^t,  deux  jeunes  savants,  Stelluti  et  de  Filiis,  auxquels  vint  se  joindre 
tl^ecin  hollandais,  appelé  Eckius.  ' 

Us  étaient  tous  très-jéunes  :  mais  Us  surent  sup^éer  par  le  zélé  et  par 
la  persévérance  au  mantjue  d'expérience,  et  ils  jetèrent  les  bases  d'une 
institution  qui  a^ft^les  plus  heureux  effets  sur  le  renouvellement  dé 
philosophie  naturêfie.  Des  travaux  remarquables  leur  ont  assuré 
place  dans  l'histoire ,  et  pourtant  leur  nom  n'est  presque  jamais  ppo»- 
nonce  et  jie  se  trouve  guère  dans  les  biographies.  C'est  pourquoi  nous 
crcîyons  devoir  nous  y  aroêter  un  instant.  .  ** 

*De  Filiis,  natif  de  Ternit  était  un  parent  éloigné  de  Gesi.  U  s'applK 
quait  spécialement  à  l'astronomie  et  à  rhistoirefU  construisit  uiti  planis- 
phère pau^fi^  confrères ,  et  fut  le  premier  secrétaire  de  l'académie. 
On  ne  eojgmîi  ni  sa  vie  ni  ses  travaux  :  on  sait  ^eulemept  qu'il  étu- 
diaièles^ilfops  antédiluviens,  et  qu'il  s'appliqua  à  la  construction  de 
certaines  lampçs  d'une  forme  particulière.  Lors  de  la  dispersion  de  l'a- 
cadémie, de  Filiis  se  yetira  à  Terni,  et  ensuite  à  Naples,  où  il  mourut 
en  1608,  à  l'âge  de  trente-deux  ans^  ""      * 

Stelluti  était  de  Fabriano  :  il^occupait  de  mathématiques  et  d'histoire 
naturelle.  On  a  imprimé  de  liii-UP  ouvrage  suç.réi|. bois  fossile,  i|uel- 
ques  Doésies,  et  une  traduction  de  r^Mjjjcn  langue  ilalicnne.  Cette  tra- 
duction est  accompagnée  de  notes  forWrvantes.  Il  suffira  de  citer,  à  ce 
sujet,  les  observations  microscopiques  sur  divers  insectes,  avec  les  fi- 
gures, insérées  dans  ces  notes  ^.  gN> 

Le  médecin  Eckius  était  allé  fort  jeune  dans  les  États  Romains,  * 
où  il  exerçait  la  médecine.  Cétait  un  homme  surent  et  enthousiaste  : 
il  cultivait  la  philosophie ,  la  mécanique  et  les  s^bnces  nature^j^s  ;  il  a 
écrit  des  comédjesr,  #  il  ^  laisséMti  grand  nombre  d'ouvrages  inédits 

• 

'  Odescaichi,  Memorie  dei  Lincei,  p.  36-87.  —  '  Persio,  tradotte  in  verso  sciolto 
da  Francesco  Stelluti,  academico  hinceo ,  Ro|xia,  i63o,  in-4*,  p.  47,  52-53,  127,^ 
etc.  Dans  Le  Api  de  Rucellai,  poète  italien ,  «(tii  écrivait  en|i524,  ^  trouveg^es 
observations  anatomiques  faites  sur  les  abeilles  à  faide  de  miroirs  grossissants,  voici 
le  passage  si  remarquable  de  cet  auteur  :  ^ 

«  lo  già  mi  posi  a  far  di  questi  insetti 
Incision ,  per  molti  raerabri  loro. 
(Che  chiama  anatomia  la  lingua  greca) 
Taate  cure  ebbi  délie  picciole  Api.        .^ 
E  parrebbe  incredibil,  s*io  narrassi 


FÉVRIER  1843.  00 

que  Ton  croyait  perdus  ^  et  dont  la  plupart  existent  en  France^  actuel- 
lement. 

Quant  à  Cesi,:qui  était  lame  de  la'société,  il  a  laissé  plusîe|||^ ou- 
vrages sur  toutes  les  branches  des  sciences;  mais,  presque  tous ^ ces 
écrits  ont  péri  ^.  Cette  perte  est  d* autant  plus  regrettable,  que  les,Tables 
pbilosopHiques ,  qui  ont  été  publiées  et  qui  Oontiennent  des  découvertl^s 
importantes  sur  la  physiologie  et  le  genre  de  la  philosophie  botanique , 
en  général ,  donnent  une  plus  vaste  idée  de  son  génie  *. 

Âlcuni  lor  membretti ,  corne  stanno. 

Che  son  quasi  invisibili  ai  noslr'  occhi  ;   .  *  ■ 

Ma  s*  io  ti  dico  Y  instrumento,  e'  1  modo, 

Ch*  io  tennî,  non  para  impossibil  cosa.  i^ 

Dvnque  se  vuoi  saper  quesfo  tal  modo , 
^  Prendi  un  bel  specchio  lucido  e  scavato,  ^ 

In  cui  la  picciol  forma  d'  un  fanciuHo,  * 

Ch*  uscito  sia  pur  or  del  matern*  alvo , 
Tî  fcnnbri  ne  la  vis  ta  un  gran  colos9p  ;    . 
Siimle  a  quel  del  sol,  che  stava  in  Hodi. 
'  £  comequel,  che  fabbricar  già  volse» 
Dimocrate  architetto,  per  scolpirne  -  .    .  • 

La  fortunata  imagin  d*Alessandro  ^ 

Nel  dorso  del  superbo  monte  d'Ato.  ^  , 

Cosi  andrai  multiplicar  la  imago 
Dcd  concavo  reflesso  del  métallo ,      * 
Iii'  guîsm  tal  che  TApe  sembra  un  drago 

Od  àltra  bestia  elle  la  Libia  mes  a.  ^ 

Indi  potrai  veder  come  vîd'  io   ?, 
L*  orgaQO  dentro  articulato ,  e  fuori ,  etc.  »  *  ^ 

*'''  (Alamanni,  la  poltivazione ,  eR\}|^ai,  le  Api^ 

Firenze,  1690,  in-8*,  p.  jl48-a^Q.) 

^  Odescalcbi,  Memorie  dei  Lincei,  p.  78  et  269.  —  *  Nous  avons  d^à  cité  dain 
ce  journal  (sep^mbre  18A1,  p.  553),  quekj^es  écrits  autogràpl|Bs  a£ckiu^ 
rhistoire  naturelle ,  qui  se  conservent  à  la  mbliothèque  de  Téc^  de  méde 
de  MoiApellier.  Il  y  a  quelques  années  que,  dpns  une  vifa^iuU)lique ,  nous ^ a; 
acheté  deux  volumes  autographes  d*£ckiusf%)nt  run^HfpIktient  un  tra 
cosmografilGfië  et  deux  comédies ,  est  cité  par  Odescalcbi.  (Mmorie,  p.  276.)  L* 
qui  e0t.JDn  énorme  in-folio,  renferme  un  grand  m^iy^re  de  dessins  de  machines 
avec  l'explication.  La  première  des  deux  comédies  est  en  italien  ;  elle  a  pour  titrç*: 
Jla  donna  padica.  L'autre,  qui  a  pour  titre  :  «  Hecastus,  comœdia  sacra,  a  Joanne 
Heccio  (51c},  Belga  Daventrensi,  anno  Domini  16941  et  aetatis  suae  i4;  3  Martii,^ 
est  en  vers  latins.  Le  recueil  de  machines  est  précédé  d'une  lettre  Tort  intéressante, 
adroisée  par  Eckius,  en  i6o5,  au  prince  Cesi.  Avant  cette  lettre  il  y  a,  dans  le 
manuscrit,  celte  espèce  d'adresie  aux  Lincei  f  «  Ostendite  Lynceorum  illustrissimo 
prîncipi ,  sapienten^  nullam  servitutem,  scdsacram  saltem  obedientiam,  admittere.  » 
— '  On  peut  en  voir  la  liste  dans  O^scalcbi.  (Memorie,  p.  a  65.)  —  'On  trouvera 

i3. 


-  » 


100         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

P^r «'assurer  la  propriété  deieurs  découvertes,  les  nouveaux  aca- 
démiciens travaillèrent  en  secret ,  et  ils  attirèrent  par  ce  mystère  Tat- 
ten^ob  Au  gouvernement.  Le  père  de  Gesi  devint  lé^plus  ardent  fer- 
sécitteàr  des  amis  de  sonfili^^  et  alors  commença  une  véritable  action 
dramatique  avec  açcompagnemep^t  de  violences  et  de  sicairesi  Lorsque , 
pdbr  se^ustraîreaux  dangei^qui  lés  menaçaient,  les  académiciens  étaient 
forcés  de  se  cacher,  on  les  faisait  enlever  par  des  compagnies  de  sol- 
dats; ils" se  sauvaient  et  recommençaient  à  travailler.  L'inquisition  s'en 
ihèla.  Eckiùs  fut  dénoncé  comme  un  assassin  fugitif,'  et ,  ce  qui  était 
biennius  grave  à  Rome,  on  le  taxa  d'hérésie.  Le  cardinal  Borghesi, 
qui  plus  tard  devint  pape  sous  le  nom  de  Paul  V,  s'acharna  contre  les 
piembres  de  la  nouvelle  académie,  qui  furent  dispersés  sans  cesser  de 
correspondre  et  de  travailler  avec'une  constance  inébr^lable. 

Eckius  visita  successivement  toutes  les  contrées  de  l'Europe  et  ren- 
dit compte V  ses  collègues  de  ses  observations.  Il  fallait  pdtirtant  sous-- 
traire  cette  correspondance  à  tous  les  yeux\  pour  dérouter  les  qjirieux 
on  inventa  des  alphabet^  bizarres.  Parmi  les  manuscrits  de  la  biblio- 
thèque de  l'école  de  médecine  de  Mpntpellier,  querfibus  avons  cités  plus 
haut,  il  y  a  des  volumes  écrits  par  Eckius  en  latin,  en  caractères 
arabesUft  quelquefois  même  en  signes  alchimiques  \  c'est-à-dire  en  ces 
caractères  que  les  alchim^tes  employaient,  au  moyen  âge,  pour  s'as- 
surer le  secret  de  leurs  préparations.  '  .  '   ¥       * 

Cette  persévérance  fut  récompensée.  Peu  à  peu  I4  persécution  s'a- 
paisa ,  Cesi ,  qui  possédait  de  très-grandes  richesses  et  qui  tenait  aiut 
plus  grandes  Èamilles,  devint  avec  l'âge  un  des  hqmmey  l^^jlus  con- 
^jsidérable^de  Rome,,  et  l'on  sentit  qu'il  fallait  le  ménager.^||kntôt  les 
savants  les  plu»  célèbres  demandèrent  à  faire  partie  de  cette  société. 
La  chose  Vêtait  point  facile;  Galilée,  Fabilis  Colonna,  qur&t  un  des 
plus  grands  botanistes  de  son  temps.  Porta  et  quelques  autres,  furent 

lis».  Le  scrutin ,  car  on  votait,  ne  fut  pas  également  favorable  INbus 

candidats,  et  il^t  fort  cudgux  d^  voir  que  Bacon,  le  céHJKpé  au- 
du  iVovam  àf^rainm,  fut/^lroposé  et  refusé**.  Appuy^H|h'*46  tels 
Iï8ft&ies,  Cesi  se  seiitît  beaucoup  pluf  fort  et  conçut  un  pr^e^nfiqjiT 
ment  plus  vaste.  Il  se  pr^osa  de  faire  de  "«on  académie  ime^pedi^ 
d'ordre  philosophique ,  une  association  dans  le  genre  de  celle^u*avaielp 

une  analyse  détafllée  de  cet  ouvrage  dans  Odescalchi.  (  Memorie,  p.  a  49  ot  fuiv.)'-<* 
^  Voyez  les  n"  5oS«5o8  de  la  bibliothèque  de  fécole  de  médecine  oe  MoDtpiill|^. 
—  *  Lisez,  à  ce  sujet,  le  Prospetto' délie  Memorif  aneddote  dei  Lincei,  raccolte^ 
Francesco  Cancellieri ,  Roma,  i8a3,  in-S*",  p.  ^.  (Opuscule  extrait  du  Giornale  Arca- 


FÉVRIER  1843.  101 

formée  les  pythagoriciens,  et  de  rétablir  dans  tout  r\jnivers.  Toutes 
les  grandes  villes  de  l'Europe  et  de  rAmériq[ue  devaient  posséder  un 
lycée  ;  ces  lycées  étaient  obUgés  de  correspondre  entre  eux  et  de» 
valent  dépendre  du  lycée  central.  Une  de  ces  maisons  secon^ires  fut 
organisée  à  Naples,  d'autres  devaient  bientôt  s'ouvrira  Padoue,  à  Co- 
logne, à  Vienne,  à  Paris,  à  Séville,  et  même  aux  Indes ^.  En  162^ 
parurent  les  constitutions  de  cet  ordre  philosophique.  En  voici  la  subs- 
tance : 

Les  académiciens  se  partageaient  en  trois  classes  :  les  élèves,  les  maitres 
et  les  émérites.  Les  élèves  et  le*imaîtres  travaillaient;  les  émérites  con- 
tribuaient aux  dépenses.  Les  savants  qui  se  consacraient  à  cet  institut 
étaient  logés,  habillés  et  nourris  aux  frais  de  la  société,  qui  fournissait, 
en  outre ,  des  maîtres  et  des  livres.  On  mettait  à  leur  disposition  tout  ce 
qui  pouvait  êti'e  utile  aux  travaux  qu'ils  voulaient  entreprttodre,  et  chaque 
lycée  devait  posséder  un  observatoire,  une  bibliothèque  et  une  impri- 
merie. Pour  être  admis  dans  la  société,  îl  ftilait  avoir  achevé  ses  études 
et  êtie  âgé  de  vingt-deux  à  trente  ans.  Les  moines  étaient  exclus.  Le  no- 
viciat durait  cinq  ans.  Tout  élève,  pendant  ce  temps,  devait  composer 
lui  ouvrage ,  pour  le  présenter  au  prince  à  la  fin  d||  noviciat.  Il  était 
défendu  de  s'occuper  de  politique,  de  théologie  et  d'alchimie.  Le!^ 
sdences  physiques  et  mathématiques  devaient  former  l'objet  principal 
Aé9  travaux  de  chaque  membre.  Mais  la  société  ne  repoussait  ni  les  re- 
cherches historiques,  ni  les  travaux  littéraires. 

Si  cette  entreprise  gigantesque  ne  reçut  pas  toute  l'extension  qu^Jc 
fondateur  avait  imaginée,  elle  j^rit  un  développement  qui  doit  sembler 
prodigieux ,  si  Ton  considère  que  c'était  ià  une  institution  privée ,  et 
que  des  particuliers  en  faisaient  les  frais.  Une  correspondance  immense , 
des  travaux  Irès-remarquables  (panaàîïesquels  il  faut  citer  surtout  plu- 
sieurs écrits  de^fialilée  et  de  Çolonna,  qui  furent  imprimés  aux  frais  de 
la  société,  aiiiîsi  que -^K!i^iti6fV  de  f ouvrage  d'Hernandez,  auquel  on 
travailla  en  commun J,  une  rare  activité  dirigée  vers  l'étude  des  sciences, 
une  protection  constante  accordée  à  tous  les  savan^  et  particu-^ 
li^ement  k  Galilée,  qui  ttouva  toujours  un  appui  clS  les  Lincei; 
tels  sont  les  prïDcinaux  résultats  que  produisit  cette  association.  Après 
vingt-sepifems  de  travaux  glorieux,  elle  fut  dissoute,  en  i63o,  par  la 
mort  de^SUskSf^  par  les  persécutions  dirigées  contre  quelques-uns 
^%  làgs  priiSibipaux  académiciens.  Mais  les  services  qu'elle  avait  rendus 
'*       MX  science^  ne  auraient  être  passés  sous  silence;  et  l'on  doit  regret- 

-'.     *  Odescalehi TM^mone  dei  Lincei,  p.  aai  et  a43.  "^ 


I«2 


JOCBNAL  DES  SAVANTS. 


ter.  BOB»  le  K|iéfanf.  que,  pressé  par  ie  temps ,  M.  AiitiiK»i  o'ait  pu 
pa  «MHOirnr  qudqoes  pages  à  cette  société.  Le  talent  doot  U  a  iâit 
ynsre  dams  son  hi^oire  de  l'Académie  del  CimeDto  ne  peut  ([D'augmeD- 
ter  o»  nçrets.  Les  ressources  qu'il  pouvait  trouver  dans  le  pays,  les 
Jocmnents  qu'il  avait  à  sa  disposition,  auraient,  saos  doute ,  cootnbué  à 
dOBoer  de  fintérét  à  ce  chapitre  de  son  bel  ouvrage;  au  reste  nous  e»- 
|iéroas  que  le  savant  auteur  pourra  reprendre  plus  tard  ce  sujet,  et  le 
taiser  de  manière  à  ne  rien  laisser  à  désirer.  C'est  dans  cet  espoir  que 
BOUS  ne  nous  arrêtons  pas  davantage  ici  sur  l'Académie  des  Lincei,  et 
qae  nous  ne  parions  pas  'de  quelques  autres  associations  scientifiques 
qui  ont  précédé,  en  Italie,  l'Académie  del  Cimento.  Dans  un  prochain 
arlide  nous  rendrons  copipte  de  la  partie  du  travail  de  H.  Antinori 
qui  précède  immédiatement  l'bistoire  de  cette  académie. 

G.  UBïa. 


VAttT  DE  LA  RniTOitiQUE  PAR  Abistote.  Texte  coUatioimè  sur  les 

■     mantucHU  de  la  Bibliothèque  da  Roi,  et  tradait  en  français  par 

C.  Minoïde -Mynas ,  ex-professeur  de  philosophie  et  de  rkétoriqae 

en  Macédoine.  Paris,  chez  réditeur,  rue  Saint-Hyacinth^-Saint- 

Michel,  n"  a5. 

ZiNATOTH  TEXNQN ,  sive  artium  tfriptores ,  ab  initiis  astjae  ad 
editos  Aristotelis  Ubros.  Composait  Leonhardus  Spengel ,  Mona- 
censis.  Stuttgard,   1828. 


TBOISliME    ARTICLE. 

Liv.  I,  c.  VII,  Sti.  —  Aristote,  énumérant  les  signes  auxquels  on  doit 
reconnaître  qu'une  chose  est  meilleure  qu'une  autre,  dit  ^Kal  ^  to  pi^- 
yiertop  tov  fuySrrou  iixÊpé)(;ji,  xol  mtràL  aùrâti'  xal  &ra  aùri  du^rôw,  »ai  ii 
fiiyttnov  tow  fisyùmv  oJov,  et  à  néyi<rros  db/^p  ywaa^  titt  ftxyiams  fiti- 
Zuv,  xai  S^e^f  ol  éiiSpes  tÛv  ywtuxêv  fieilovs'  xai  el  ol  AnSfxs^tSôv  ywat- 
xà»  8>&)$  faltflvff  xaii  dviip  è  fiéyiaros  tvs  fisyitmis  yvva^^  |||(w  èati- 
X0701'  ;ip  t-^j^rsiv  si  iJTTEpoxal  TWi'  jErwi'  xaJ  Tti'v  \uyi<rs'j.'v  iv  aSroJs.  Le 
premier  membre  de  c^UMfarasc  est  d'une  concision  tjui.au  pi'cmier 
abord,  présente  qiielq^^^^H^té ;  mais  l'exemple  que  le  philosophe 
apporte  vient  bientôl^^^^^BHr.  Les  deux  parties  de  la  phrase. 


FÉVRIER  1843^.  103 

effet ,  sont  calciuées  Tune  sur  lautre ,  et  ne  diffèrent  qu'en  ce  que  la  se- 
conde offre  une  application  du  principe  que  pose  la  première.  Cette 
conformité  même  ne  contribue  pas  seulement  à  éclaircir  le  sens ,  elle 
peut  nous  aider  à  rectifier  le  texte.  Remarquons  d'abord  que  les  éditions 
d'Âlde  et  de  Basic  suppriment  les  deux  conjonctions  el,  et  que  quelques 
autres  éditions,  telleis  que  celles  de  Camotius,  en  placent  une  entre 
Sfojs  et  ol  AvSpes.  Vettori  est  le  premier  qui  leur  ait  assigné  la  place; 
qu'elles  occupent  aujoiu'd'hui,  en  se  fondant,  nous  dit-il,  sur  ses  ma- 
nuscrits. Mais,  pour  qu?  la  correspondance  entre  les  deux  membres 
soit  parfaitement  régulière ,  il  est  encore  nécessaire ,  ce  me  semble , 
de  lire  dans  le  premier  èàv,  au  lieu  de  6(tol^  correction  qui  se  trouve 
indiquée  à  la  marge  de  l'édition  de  Venise,  comme  l'obseiTe  Buhle. 
Je  vois  aussi  que  les  anciennes  versions,  notamment  celle  de  George 
de  Trébisonde,  supposent  cette  conjonction  :  «Item,  si  maximum  à 
maximo  exj^ditur,  ipsa  quoque  ab  ipsis;  et  si  ipsa  ab  ipsis,  maximum 
quoque  à  maximo,  etc.»  Dans  tous  les  cas,  ji  la  faut  sous-entendre ; 
car  la  phrase  entière  ne  peut  signifier  que  ceci  :  «  Et ,  si  le  plus  grand 
dans  un  genre  l'emporte  ?br  le  pKis  grand  dans  un  autre  genrç^  ce  sont 
les  qualités  intrinsèques  du  genre  qui  donnent  cette  supériorité  ;  et ,  JI 
^  quaUtal  intrinsèques  du  genre  donnent  cette  supériorité,  il  en  ré- 
cite ^eié  plus  grand  l'emporte  sur  le  plus  grand  :  par  exemple ,  si  le  plus 
grand  homme  est  plus  grand  que  la  plus  grande  femme ,  cela  tient  à  éè 
qi^jjgénéralement,  les  hommes  sont  plus  grands  que  les  femmes;  e^, 
sî'mi  nommes  sont  généralement  plus.grands  que  les  femmes,  il  en  ré- 
sulte que  le  plus  grand  homme  est  plus  grand  que  la  plus  grande  femme  ; 
car  il  y  a  analogie  entre  la  supériorité  du  gente  et  celle  des  plus  grandes 
choses  dans  chaque  genre.  »  Pour  l'intelligence  complète  de  la  pensée 
d'Aristote,  il  n^t  pas  inutile  ^'ajouter  que,  par  grande  il  entend ,  ainsi 
qu'il  le  remarque  quelques  lignes  plus  haut,  ce  qui  surpasse,  et  par 
petit  ce  qui  est  surpassé  :  Kaï  ÙTrepéxpv  pih,  tb  (xéya  •  rb  Se  iKXeînovy 
(Âtxpév, 

J'ai  voulu  expliquer  et  traduire  tout  d'abord  ce  passage,  afin  que  le 
lecteur  pût  juger  tout  de  suite  copibien  M.  Mynas  et  ses  devanciers  se 
sont  éloignés  du  vrai  sens.  M.  Mynâs  traduit  :  «  Si ,  entre  deux  biens 
majeurs,  l'un  surpasse  l'autre,  les  parties  du  premier  surpasseront  aussi 
celles  du  second  ;  et  si  c'est,  les  parties ,  le  tout  aussi  surpassera  l'autre  ; 
par  exemple,  l'homme  le  plus  grand  surpasse  la  femme  la  plus  grande, 
les  hommes  grands ,  en  général ,  surpasseront  les  femmes  grandes  ;  et,  si 
les  hommes  en  général  [sic) ,  et  le  plus  grand  surpassera  la  plus  grande  ; 
car  f  excédant  dans  les  genres  se  trouve  et  dans  le  tout  et  dans  ses  parties*  » 


104  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Ca^sandre  et  M.  Gros  qui  Ta  suivi,-  sans  traduire  d'une  façon  si  obs- 
cure et  si  embrouillée,  n'ont  guère  mieu^  compris  le  texte.  M.  Gros 
paraphrase  ainsi  ce  morceau  :  «  Si  une  chose ,  qui  est  la  meilleure  dan^ 
son  genre,  l'emporte  sur  une  autre  qui  est  la  nieiileure  dans  le  sien,  le 
premier  de  ces  deux  genres  doit  êti^  préféré  au  second^- Réciproque- 
ment, si  un  geni^  remporte  sur  un  autre  genre,  ce  qu'il  y  a  de  préfé- 
^rable  dans  le  meilleur  remportera  sur  ce  qu'il  y  a  de  préférable  dafis 
l'autre  ;  par  exemple.,  si  le  meilleur  des  hommes  l'emporte  sur  la  meil- 
leure ^^#  femmes ,  il  est  certain  que  leshomnnfts,  en  général,  sont  d'une 
nature  supérieiu'e  à  celle  *des  femmes.^ De  même,  si  les  hommes,  en 
génftral,  l'emportent  sur  ks  femmes,  le  plus  parfait  des  hommes  l'em- 
portera sur  la  plus  estimanle  des  femmes,  etc.  » 

Je  pourrais  êiler,  dans  les  chapitres  précédents  et  dans  ceux  qui 
suivent,  bon  nombre  de  phrases  de  ce  genre,  où  M.  Mynas  et  ses  prédé- 
cesseurs n'ont  pas  été  plus  heureux;  j'aime^ mieux  terminer  les  remar- 
*^  aues'que  j'avais  à  faire  ailr  le  premier  livre  par  la  discussion  dun  pâs- 
llijjQ^I^  intérei^îl'hirtoire  littéraire  et  la  mémoire  d'un  des  plus  grands 
orateurs  de  jl'anâquité.  ^ 

•  Ibid.  c.  IX,  $  38.  —  Aristote  suppose  la  circonstance  où  l'orateur,  ayant 
à  louer  un  homme,  ne  trouve  pas,  dans  cethcHifme,  une  tuËez  ampt|^ 
matière  d'éloges.  «S'il  en  est  ainsi,  ajoute-t-il,  il  le  faut  romjifrerï 
d!autres;  ce  que  faisait  Isocrate,  par  suite  de  l'habitude  qu'il  avait  du 
harreliu  :  Kâv  (iri  xa9'  avrbv  eùnop^Sy  Trpbs  êtkitovs  àv^ntaoaëctKhàtv  ^&Êfo 
to'oxpchris  ènoUi  Sioi  tïjv  crvvrfOeiav  toS  SixoXoyelv.  •     -V^w 

Comme  presque  tous  les  discours  que  nousj30ssédons  encore  d^o- 
crate  rentrent  dans  ^egenredélibératif  ou  le  genre  démonstratif,  et  qu'eit* 
outre  nous  savons  que  la  faiblesse  delà  voix  et  la  liniidité  de  cet  orateur 
ne  lui  permirent  jamais  de  plaider  ni  de  se  produire  Wla  tribune,  on 
a  été  fort  embarrassé  pour  expliquei^le  mot  (ryvriOeiav,  Quelques-uns  ont 
proposé  de  lire  àcrvvrlOeiav,  donné  par  le  vieux  manuscrit  de  Vettori;  et 
des  éditeurs  tels  que  M.  B^kker  et  M.  Mynasn'ont  pas  hésité  ^introduire 
^cette  leçon  dans  le  texte.  Vettori  a  examiné  le  pour  et  le  contre,  et  ne 
s'est  point  décidé,  tout  en  laissant  voir  une  préférence  assez  marquée  pour 
avvtfOeiav,  Buhle ,  au  contraire ,  a  admis  davvrfOeiav,  sans  oser  l'intrgduire 
dans  le  texte.  M^  la  première  difficulté  que  présenterait  cette  leçon 
serait  doter  à  la  phrase  tout  air  de  vraisemblance  et  toute  "physiono- 
mie grecque.  Comment  croire  qu  Aristote ,  s'il  eût  voulu  faire  entendre 
que  cette  coutume  disocrate  venait  de  la  grande  habitude  qu'il  avait 
des  discours  dans  le  genre  délibératif ,  n'aurait  pas  dit  simplement,  Stà 
Tijv  ^vfiôeiav  tSv  aviÀ€ovXetmKSv  "kàyonf,  ou  quelque  chose  de  sembla1l>le? 


•  «*" 


FEVRIER  1843.  105 

11  auraif  bien  certainement  évité  de  donner  cette  forme  négative  à  une 
raison  dont  il  s'appuyait  pour  démoùtrer  un  fait  positif.  En  second 
lieui  le  genre  délibératif  a  beaucoup  moins  besoin  de  recourir  au  paral- 
lèle que  le  genre  judiciaire,  surtout  lorsque  ce  dernier  se  confond,  ainsi 
qu'il  arrive  souvent,  avec  le  genre  démonstratif.  D'un  autre  côté,  il  est 
vrai,  si  nous  conservons  (TvvrfSeiOP^  la  difficulté  cpxe  nous  aVons  signalée 
reparait ,  et  l'on  nous  demandera  comment  il  est  possible  de  concilier 
l'assertion  d'Aristote  avec  l'aveu  que  fait  Isocrate  lui-même ,  au  commeà;- 
cément  du  Panathénaïque  et  dans  sa  lettre  aux  magistrats  de  Mitylène  : 
Eycû  Tov  (Jièv  itokitcôtoBai,  xcù  ^VTéjpsôeiv  ènré<m\v'  oSre  yàp  (powriv  $Ij(Ov 
ixavijv  y  oSre  rôT^iav. — Je  me  suis  abstenu  de  prendre  part  aux  affaires  iitb 
l'État  et  de  porter  la  parole  en  public^  parce  que  je  ne  me  sentais  ni  la 
force  de  voix,  ni  la  confiance  nécessaire  pour  ceta^.  On  nous  demandera 
comment  il  est  possible  de  concilier  cette  assertion  avec  le^%noignage 
de  Denys  d'Halicamasse^  qui  affirme  positivement  qu'Isocrafb  ne  soutint 
aucune  lutte,  ni  au  barreau  ni  à  la  tribune  ;  ky&va  fièv  oOre  îSiovy  dhe 
SrtfÂéaiov  oiiSéva  âycaviaafiévov^. 

Rien  n'est  plus  aisé  que  de  mettre  d'accord  l'assertion  d'Aristote  avec 
l'aveu  d'isocrate  et  le  témoignage  de  Denys  d'Haï icamasse,  si  l'on  prend 
SixoXoyécû  dans  le  sens  de  composer  des  discours  judiciaires  ^  sens  qu'il  reçoit 
aussi  naturellement  que  celui  de  plaider.  Par  ih  cependant  ne  dispa#> 
raît  pas  encore  toute  la  difficulté;  car  on  peut  encore  nous  objecter 
qp'lsocrate,  au  commencement  du  discours  sur  V  Échange  des  fortunes, 
se  défend  d'avoir  composé  des  plaidoyers  :  Je  n'ignore  pas,  dit-il,  que 
quelques  sophistes  calomnient  mon  genre  de  vie,  et  qu'ils  prétendent 
que  je  passe  moojemps  à  écrire  des  plaidoyers,  ikriitant  à  peu  près  en 
cela  c^i  qui  çsei^t  appeler  Phidias',  l'auteur  de  la  statue  de  Minerve, 
un  faiseur  de  poupées ,  ou  qui  comparerait  l'art  de  Zeuxis  et  de  Parrha- 
sius  à  celui  des  faiseurs  de  petite  tableaux.  —  Èyù  yàp  elSès  êvlovs  tSp 
ao<pi(rt6iv  ^euT^iJLOvvraç  irepï  tijç  èpSjç  SiarpiëïfÇy  xaï  TJyovras  dç  &m  Vepi 
S^Hoypa^lapy  x.  t.  >  *•  Dans  le  Panathénaïque* il  revient  encore  sur 
la  même  accusation  pour  la  repousser  de  nouveau^.  De  plus,  nous  sa- 

*  P.  4a 6,  éd.  H.  Steph.  —  '  P.  96a,  éd.  Reisk.  —  *  On  trouvera,  sans  doute, 
de  lorgueil  dans  le  rapprochement  qu  établît  Isocrate  entre  lui  et  Phidîa#;  il  parait 
cependant  que  l'illustre  rhéteur  ne  faisait  que  se  rendre  justice.  Ûenys  d*Haiicar- 
nasse ,  cherchant  à  donner  une  idée  de  la  manière  oratoire  d'isocrate ,  dit  qu*efle 
tient  beaucoup  de  fart  de  Polyclète  et  de  Phidias  par  la  dignité ,  l'élévation  et  la 
gravité  majestueuse  <  àoxeî  iij  fioi  fii)  éuà  axovoî{  tis  àv  elKÔurcu  t))p  fiàv  " 
rartç  Âtiroptxi^  ri)  IloXvxXcfrov  xai  ^sAlcv  féyvif  xord  xà  aeyivàp  nai  fieyaV  ^^^ 
xai  é&coiiaxtxév.  (P.  54a ^ éd.  Reisk.)  —  '  P.  3io,  éd.  H.  Steph.  —  '  IKi.  p.  aSÇ 


m  * 

• 


<Ç^ 


106  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

vons  qu'Apharée ,  fils  adoptif  d'Isocrate ,  soutint  que  son  pèrfe  n'avait 
jamais  écrit  de  discours  pour  les  tribunaux  ^  Mais  les  témoigoages  du 
père  et  du  fils  sont  ici  trop  intéressés  pour  que  nous  les  écoutions  ^eids; 
interrogeons  Thistoire.  Nous  recueillons  d'abord  un  mot  sanglant  d'A- 
ristote,  qui  disait  «que  les  libraii^es' colportaient  d'énormes  liasses  de 
discours  judiciaires  de  la  façon  d'Isocrate*.  »  Théopompe  nous  apprend 
qu'Isocrate  et  Théodecte,  à  leur  début,  cherchèrent  un  moyen  d'exis- 
t€fnce  dans  la  composition  de  discours  pour  le  barreau*.  Cicéron  con- 
firme ,  en  ces  termes ,  le  récit  de  l'historien  grec  :  Isocrateni  primo  artem 
dicendi  esse  negavisse,  scribere  autem  aliis  solitum  orationes,  quibus 
in  judiciis  uterentur^.  Enfin,  parmi  Içs  discours  qui  nous  restent  d'Iso- 
cratc,  il  y  a  de  véritables  plaidoyers,  et  qui  sont  incontestablement 
de  lui,  nâtamment  le  Trapézitique.  Il  est  donc  bien  avéré  qu'Isocrate 
composarpour  les  autres  des  discours  judiciaires.  Que  ses  ennemis 
aient  exdtgêré  le  nombre  de  ces  sortes  d'écrits ,  nous  le  voulons  bien 
croire;  mais  on  nous  accordera',  du  moins ,  ce  que  fiit  obligé  de  recon- 
naître Céphisodore  lui-même,. le  disciple  et  l'ami  dlsocrate.  Ecoutons 
Denysjï  oalicarnasse  :  «Je  sais,  dît  le  judicieux  rhéteur,  que  toutes  ces 
choses  ont  été  avancées  par  ces  hommes-là,  et  je  n'ajoute  point  foi  au 
•  propos  d'Aristote,  qui  voulait  avilir  Isocrate  ;  je  ne  me  range  pas  non 
plus  à  l'opinion  d'Apharée ,  qui  composa  un  discours  spécieux  pour  la 
défense  de  son  père;  mais,  regardant  plutôt  con^me  sûr  garant  de  la  vé- 
rité l'Athénien  Céphisodore ,  qui  vécut  dans  l'intimité  d'Isocrate ,  qui  fcit 
son  disciple  le  plus  assidu ,  et  qui  fit  de  son  maître  une  admirable  apo- 
logie* en  réfutant  Arîstote,  je  crois  avec  lui  qu'Isocrate  composa  pour 
les  tribunaux  quelques  discoui's,  en  petit  nombre  tO!||tèfois^.  » 

n  faut  donc  retenir  Sià  ti)v  (ivvtfOeiav  rov  StxoXoyeîv,  ettradu^ire,  non 
comme  M.  Mynas  :  «  habitué  qu'il  était  dans  le  genre  démonstratif;  » 
car  ce  serait  du  même  coup  altérer  Te  texte,  dénaturer  la  pensée  d'A- 
ristote et  blesser  la  langue  française;  mais  bien  :  «  à  cause  de  l'habitude 
qu'il  avait  de  composer  d,es  plaidoyers.  » 

Le  mot  SiKoKoyeiv,  ainsi  entendu ,  non-seulement  aplanit  toutes  les 
difficultés  de  ce  passage  embarrassant ,  mais  il  établit  encore  avec  certi- 
tude im  fait  que  plusieurs  habiles  critiques  ont  révoqué  en  doute,  la 
jalousie** d'Aristote  contre  Isocrate.  Jonsius^,  Ménage''  et  Coray^  ont 
avancé,  en  effet,  que  les  auteurs  de  Tantiquité,  tels  que  Cicéron,  De- 
nys  d'Halicarnasse ,  Athénée  et  Eusèbe,  qui   attestent  cette  rivalité, 

'";;*;Jflfeny8.  Hal.  p.  676,  éd.  Reisk.  —  "  Id.  ihid.  —  *  Ap.  Phot.  Biblioth.  p.  120, 
jMff  Bekk.  —  *  Brat.  12.  —  *  P.  577,  éd.  Reisk.  —  •  Dissert,  de  philos,  peripat.  — 
\Àd  Diog,  LaerL  V,  1 ,  35.  ^^*  In  Isoer.  Proîeg.  t.  f,  p.  68.  ^ 


^^. 


:^- 


FÉVRIER  1843.  167 

avaient  confondu  le  chef  de  Técole  péripatéticienne  avec  un  certain  rhé- 
teur de  Sicile  appelé  aussi  Âristote,  et  mentionné  par  Diogène  de 
Laërte^,  comme  ayant  composé  un  écrit  en  réponse  au  panégyrique 
dlsocrate.  C*est  là ,  sans  doute ,  une  grande  témérité.  Sur  quoi  cependant 
ces  habiles  critiques  se  sont-ils  fondés  pour  rejeter  de  si  graves  té- 
maignages?  Ils  se  sont  fondés  sur  ce  qu^Âristote,  selon  eux,  avait  tou- 
jours,«dans  ses  ouvrages  ,  parlé  honorablement  dlsocrate.  Mais  Texpli- 
cation  de  Sixokoyéoj  ne  permet  plus  maintenant  d'alléguer  cette  raison; 
car  il^devient  évident  que  le  reproche  renfermé  dans  Stxo'koyécû  n'est 
autre  que  celui  qu'Isocrate  repoussait  sous  le  mot  Sixoypa^ia^  et  qu'A- 
ristote  n'a  fait  que  reproduire  ici,  quant  au  sens,  le  propos  que  lui  at- 
tribue Denys  d'Halicamasse.  La  même  explication  détruit  aussi  .entiè- 
rement une  preuve  dont  M.  Max.  Schmidt  g'est  servi  pour  fixer  la  date 
de  la  Rhétorique  d' Aristote.  Admçttant  la  rivalité  entre  les  deux  onateurs 
comme  chose  incontestable,  Ma^Schmidt  soutient,  d'im  autre  côté,  qu'il 
ne  subsiste  de  cette  rivalité  aucune  trace  dans  la  Rhétorique ,  d'où  il 
conclut  qu'à  l'époque  de  la  publication  de  ce  livre,  la  jalousie  d' Aris- 
tote ne  devait  plus  avoir  d* objet,  c'est-à-dire  qu'Isocratc  devait  être 
mort^.  On  voit  que  M.  Schmidt  n'a  soupçonné  ni  le  véritable  sens  de 
SiKoT^oyécâ ,  ni  le  trait  épigrammatique  qui  s'y  trouve  caché.         *  ù 

Nous  concevons  difficilement  aujourd'hui ,  je  l'avouQ^ toute  la  gra- 
vité du  reproche  adressé  à  Isocrate  ;  ni^,  si  nous  nous  reportons  vers 
ces  temps  reculés  de  la  Grèce,  nous  verrons  que  c'était  accuser  le  rhé- 
teur, non-seulement  d'avoir  fait  un  trafic  immoral  de  son  talent^  en  le 
mettant  tour  à  tour  au  service  de  l'erreur  et  de  la  vérité,  mais  encore 
d'avoir  avi|i,  prostitué  son  art  en  lui  faisant  défendre  de  misérables 
causes.  Dans  ces TépuUkpies  antiques,  l'éloquence  devait,  sous  peine 
de  déchoir,  n'engager  autres  luttes  que  ceUes  de  la  tribune,  et  se  ré- 
server tout  entier^  pour  les  grands  intérêts  de  la  politique.  Cicéron 
nous  le^montre  bien ,  lorsqu'il  nous  re^éaente  u  Démosthèhes  ah|nd(m- 
nant  fes  chicanes  .du  barreaj^DOur  jouer  le  rôle  d'un  personns»  pluÈ 
important  et  j^s  utile  à  l'Ë|Hp—  Fuit  enim  mihi  commodum,ïlcrit-il 
à  Atticus ,  qilfwn  eis  orationibtis ,  quae  Philippicœ  nominantur,  enitu%-^ 
rat  civis  ille  tuus  Demoslhenes,  eU,  qtiod  se  ab  hoc  refractariolo  judi- 
ciali  dicendi  génère  abjunxerat,  ut  cre(iv6Tep6s  ns  xûà  noXuriKohepas  vi- 
deretur,  curare  ut  meœ  quoquç  essent  orationes,  quae  consulares  no- 
minarentur *.  »  Aussi,  dans  la  phrase  que  nous. avons  déjà  citée  du 
Panathénaîque ,  Isocrate  sou|^ent-il  ne  s'être  jamajs  mêlé  d'aucune  «f- 

*  lu  c.  —  •■  Commentât,  de  temp.  qao  ab  Àristot.  Rhet.  edit,  sint.  f»  17.  —  *  Ad 
Attic.  n,  i,init.  r 

là. 


106  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

faire  entre  particuliers,  mais  avoir  toujours  traité  des  questions  qui 
touchaient  aux  intérêts  des  peuples,  des  rois  et  de  la  politique  ^  Du 
r.este*  les  rhéteurs  eux-mêmes  paraissaient  lellement  persuadés  que 
telle  devait  être  la  véritable  destination  de  leur  art,  «qu'ils  affichaient 
tous,  nous  dit  Aristote,  des  prétentions  à  la  politique,  ceux-ci  par  igno- 
ranée ,  ceux-là  par  vanité ,  les  autres  se  laissant  aller  à  d'autres  faiblesses 
humaines  ^.  »  .  • 

Liv.  II,  c.  VI,  S  20. —  Aristote,  énumérant  les  diverses  personnes 
devant  lesquelles  on  est  honteux  de  faire  quelque  action  blââlable, 
dit  :  «  Kai  [roùs  ala)(yvovTai)  iv  oU  (inSèv  dn(yteTV)(r{xaaw  •  wmep  yàp  Quu- 
(joiiôfuvoi  Stdxetvrai'   Sib  xa\  tovs  npSroff  SttiOiviaLS  rt  aday^vovrat ,  es 
oôSév  voû  fjSo^rtxÔTSç^iiirxzùroîs'  rotoOrot  S'oire  Apn  ^ouXSiAevoi  (ptkoi  $Ivau' 
rà  yàp  fiiXricrra  TeOiavrat  \xal  tSv  itdtkan  yvœpiiuav  j)l  lAtjSèv  aw^tSires. 
Celle  phrase,  qui  n  est  pas  sans  dijQQctdté,  \  cause  de  sa  grande  con- 
cision, se  laissé  néanmoins  entendre  ,'sîr  Ton  a  soin  de  nen  isoler  au- 
cune partie,  et,  surtout,  si  Ton  ne  perd  pas  de  vue  les  rapports  qui  la 
lient  aux  phrases  précédentes.  J'ignore  si  c'est  pour  n'avoir  pas  eu  cette 
double  attention  que  les  traducteurs ,  en^général ,  ne  l'ont  pas  comprise; 
mais  M.  Mynas  notamment  a  fait  un  contre-sens  à  chaque  incise  :  <(  On 
est  Ipnteux,  dit-il,  devant  ceux  qui  n'ont  rien  refusé  comme  étant  sur 
le  terrain  de  Iqpidmiration  ;  c'est  ce  qui  fait  qu'on  est  honteux  de  ceux 
qui  font  une  première  demande,  comme  jusqu'alors  ne  s'étant  pas 
abaissés  devant  soi;  tels  sont  cetix  qui  cherchent  votre  amitié  en  voyant 
vos  belles  qualités;  (on  est  encore  honteux)  devant  les  anciennes  con- 
naissances qui  ne  s'en  doutaient  jamais.  »  Que  signifient  être  sur  le  ter- 
rain de  Vadmiratiorij  ne  ^'étre  pas  abaissés  devant  soi,  et  des  anciennes  cow- 
naissances  qui  ne  s'en  doutaient  jamais?  Cassandre,  et  après  lui  M.  Gros, 
ont  paraphrasé  le  texte;  mais  ils  l'ont  beauc^p  mieux  compris  que 
M.  Mynas ,  car  nous  n'avons  à  leur  reprocher  que  de  s'être  écartés  en 
un  poûtt  de  la  pensée  d'Aristotefr  «De  là  vient^  traduit  M.  Grçs,  que 
nous  pp)sons  rejeter  les  prières  de  ceuxmii  nous  dçmandent  uh  ser- 
vice f^r  la  première  fois;  car  nous  noHp^  jamais  rien  fait  pour  leur 
<ldnner  mauvaise  opinion  de  nous.  »  G^^tist  pas  là  i^jÊ(k\  iî  ne  s'agit 
dé  prières  ni  exaucées  ni  rejetées;  Ajistote  a  posé  plus  naut  en  principe 
quei'homme  éprouve  de  la  honte  devant  ceux  dont  il  fait.cas;  «et  il 
fait  cas,  a-t-il  ajouté,  de  ceux  qui  le  considèrent  et  de  ceux  qu'il  consi- 
dère ,  et  de  ceux  dont  il  veut  être  considéré ,  et  de  ceux  avec  qui  il  est 
en  rivalité ,  et  de  ceux  dont  il  ne  dédaign^  point  l'opinion.  —  Aéyop  $è 

m 

'  P.  a35,  éd.  H.  Steph.— '  Bfce/or.  I,  a,  7. 


FÉVRIER  1843.  109 

trOoUy  xaï  'JTpbç  oôs  ^iT^OTiiieiTOLt  y  xa)  &v  (irl  xûtTa(PfX)ve7  rfiç  S6^tis  [Ibid.  S  1 5).  n 
Or,  en  disant  plus  bas  :  Sih  xaï  roùç  itpôkov  SevOévraç  t<  cda^vvovrai y 
ds  oùSév  noû  ifSo^rixéres  èv  avroîs ,  i)  applique  son  principe.  Pourquoi 
éprouvons-nous,  en  eOet-,  de  Tembarras  devant  ceux  qui  nous  adressent 
une  prière  pour  la  première  fois?  C'est  parce  que  nous  sentons  qu'ils 
considèrent  quelque  chose  en  nous;  car,  sans  cela ,  ils  ne  nous  adresse- 
raient point  de  prière.  Le  philosophe  achève  de  développer  ce  sens  et 
le  porte  jusqu'à  l'évidence  dans  les  paroles  qu'il  ajoute.  Sa  phrase  en- 
tière signifie  donc  :  a  Les  hommes  rougissent  devant  ceux  dont  ils  n'ont 
essuyé  aucun  refus  ;  car  ils  s'en  regardent  comme  honorés.  Voilà  pour- 
quoi ils  rougisseîit  également  devant  les  personnes  qui  leur  demandent 
une-  chose  pour  la  première  fois ,  parce  que  cela  prouve  qu'ils  n'ont 
encore  rien  fait  pour  démériter  auprès  d'elles.  Au  iiombre.de  ces  per- 
sonnes, nous  mettrons,  par  exemple,  ceux  qui  ont  voulu  être  depuis 
peu  nos  amis,  car  ils  ne  l'ont  voulu  que  par  considération  pour  ce  que 
nous  avons  de  plus  distingué,  et  ceux  qui,  liés  depuis  longtemps  avec 
nous,  ne  nous  peuvent  reprocher  aucune  action  blâmable.  ». 

N'oublions  pas  de  remarquer  que  les  anciennes  éditions  offrent 
ifÇtoxôres  au  lieu  de  tfSo^rjxéres.  Vettori  a  le  premier,  sur  la  foi  de  son 
ancien  manuscrit ,  rétabli  celte  leçon  justement  adoptée  par  tous  les 
éditeurs. 

Ibid.  c.  xxiii,  8  7.  —  Parmi  les  4ieux  où  Torateur  peut  puiser  (fes 
enthy mêmes,  iten  eSt  un  qiii  consiste  à  retourner  contre  Tadversaire 
ce  qu'il  a  dit  contre  nous.  Aristote  en  allègue  deux  exemples;  mais  il 
se  contente  d'indiquer  le  premier,  et  cite  seulement  le  second  :  «  ATÎXos 
[rénos)  èx  tâv  elptjpLévcjv  xa6'  avrovs  itphs  rhv  elnôtna'  Sta(pépet  Se  à 
Tpéitosy  6Ï0V  iv  *Tfp  Tevxp^'  çS  êxjprfcraTO  i(pixpà[Trjs  irphs  Aptaro^Svra, 
iTtepàyLBvoç ,  el  npoSolrj  &v  ràs  vaSs  ènl  yjptl^tJOUTiv  *  où  (pduxovroç  Se ,  ehot^ 
eïire'  2t;  (lèv  Aptaro^âv  ûv  ^  où  itpoSolriSy  èyà  S'  ôv  l^ixprfrv^  ,•  »  Les  an- 
ciennes éditions  omettent^  devant  /j^pi/uaTO,  ce  qui  répandait  quelque 
obscurité  sur  la  phrase  olov  iv  tÇ  Tetîxp^,  déjà  très-concise.  Vettori  a, 
le  premier,  d'après^^on  ancien  manuscrit ,  rétabli  l'adjectif  conjonctif, 
et  par  là  ôté  toute  équivoque ,  comme  le  remarque  lui-même  le  savant 
commentateur  :  uNunc  vero  omnia  cerliora.»  Tout  ce  passage,  en  ef- 
fet, doit  certainement  signifier  :  «Un  autre  lieu  consiste  à  retourrter 
contre  l'adversaire  ce  qu'il  a  dit  contre  nous.  C'est  un  argument  des 
plus  forts,  comme  on  le  voit  par  la  pièce  intitulée  Teacer;  Ipliicrate 
s'en  serviLxontre  Âristophon*:  lui  ayant  demandé  s'il  aurait  livré  les 
yaiss6aux|ll!hir  de  Targent ,  et  celui-ci  lui  ayant  répondu  que  non ,  eh 


110  JOURNAL  t)ES  .SAVANTS. 

quoi  !  reprit  Iphicrale ,  loi ,  qui  es  Aristophon ,  tu  ne  les  aurais  pas  livrés , 
et  moi»  qui  suis  Iphicrate,  je  TBurais  fait!»  Cependant  M.  Mynas  a 
(M3minis  ici  les  plus  étranges  erreurs;  il  traduit  :  «Le  sixième  Ûeu  est 
celui  qui  consiste  à  rétorquer  la  négation  contre  l'adversaire  lui-même , 
qui  est  un  excellent  argument,  comme  le  poète  Teucer  fait  demander 
par  Iphicrate  à  Aristophon,  si  pour  de  rargent  il  trahirait  la  flotte 
d'Athènes,  etc.  « 

11  prend,  comme  on  voit,  le  titre  d'xme  pièce  pour  le  nom  d'un 
poète ,  et  il  confond  les  deux  citations  en  une  aeule.  Mais  comment  le 
traducteur  n'a-t-il  pas  fait  quelques  recherches  sur  ce  poète  Teufsç^U 
se  serait  convaincu  que  ô!est  un  être  chimérique.  Comment  n*a-t-il  pas 
refnarqué  ensuite  que  la  phrase  ne  serait  véritablement  pas  grecque, 
si  elle  avait  le  sens  quil  lui  a  donné?  Ce  qui  rend  cette  double*mé- 
prise  plus  ,inexpU«able  encore ,  c'est  que  le  discours  d' Aristophon  ac- 
cusant Iphicrate  dé  haute  trahison  est  un*fait  très-conr)u  dans  l'histoire 
littéraire ,  et  qu'un  peu  plus  loin  Aristote  cite  de  nouveau  la  pièce  in- 
titulée Teucer,  sans  laisser  subsister  cette  fois  la  moindre  équivoque. 
Ce  discours,  en  effet,  qui  avait  pour  titre  Ilepi  'jtpoSoa-las j  a  été  men- 
tionné par  Quintilien  ^  et  Aristide  ^,  qui  ont  rapporté  l'exemple  cité 
par  Aristote.  C'est  sans  doute  aussi  dans  le  même  débat  judiciaira^que 
ftit  prononcé  par  Iphicrate  le  mot  que  lui  attribue  Plutarque.  «  H  ne 
ffi^t  pas ,  dit  le  philosophe,  ^e  celui  qui  prend  part  au  gouvernement 
de  l'Etat  ait  besohi ,  pour  ^rler,  de  recourir  à  la  voix  d'nin  autre,  ni 
qu'il  dise  comme  Iphicrate  rfe  trouvant  vivemcyjt  preSsé  par  l'orateur 
Aristophon  :  la  partie  adverse  a  un  plus  habile  comédien;  qfiais  ma 
pièce  est  meilleure  '.  »  Aristote ,  énumérant  les  lieux  où  Ton  peut  puiser 
des  enthy  mêmes  pour  réfuter  une  inculpation ,  dit  :  Kotvbs  5*  àiiCpoiv  6 
rénosy  tô  <JV[ièoka  "kéyeiv  olov  êvr^  Tevxpcûy  à  ÙSvcratèsy  Sri  oixeioç  tçJ 
ITpirf/ut^'  >)  yip  ncFiàvri  àSek(pil*  b  Sk,  8ti  b  narrip  èyOphs  tÇ  Ilpia/utû)  b 
TeT^afiGJVy  xalirt  ov  xateîns  t3v  xarao'xiiroûv^. — Ua  moyen  ^dont  se 
peuvent  servir  également  l'accusation  et  la  défense  consiste  à  faire 
valoir  certains  indices.  Ainsi,  dans  le  drame  intitulé, Teucer,  Ulysse  re- 
proche au  héros  de  la  pièce  d'être  l'allié  de  Priânl,. puisque  Hésione 
est*  la  sœur  de  ce  roi.  Mais  Teucer  se  défend  en  disant  que  Télamon , 
son  père ,  est  Tennemi  de  Priam ,  et  que  lui  Teucer  n'a  point  dénoncé 
les  espions  [que  les  Grecs  envoyèrent  à  Troie]. 

^  V/ia  ,  lo.  Pour  être  équitable,  je  dois  remarquer  que  de  savants  commenta- 
teurs de  Quintilien,  notamment  Spalding^  ayant  eu  occasion  de  rappeler  ici  le 
passage  d'Ârislote,  ont  commis  la  double  erreur  que  je  reproche  à  |&p|lynas.  — 
T.  II,  p.  667,  éd.  Jebb.  —  *  T.  IX,  p.  1.99,  éd.  Reisk.  —  *  III,  i5,  9. 


•     FÉVRIER  1843.  m 

L'existence  d*un  drame  intitulé  Teucer  est  donc  un  fait  avéré.  l\  y 
a  plus ,  ce  sujet  paraît  avoir  été  très-fréquemment  traité.  On  sait' quelle 
fui,  sur  le  théâtre  grec,  la  fortune  d*Ajax;  et,  à  vrai  dire,  le  caractère 
ardent  et  généreux  de  ce  héros,  sa  valeur  impétueuse,  sa  contestation 
avec  Ulysse  au  sujet  des  armes  d'Achille,  et  surtout  sa  fin  tragique  en 
faisaient  un  personnage  à  souhait  pour  le  drame.  Mais  la  vie  de  Teucer 
était  aussi  remplie  d'événements  non  moins  intéressants  :  son  désespoir 
à  la  nouvelle  de  la  mort  d'Ajax,  la  douleur  quil  fit  éclater  en  présence 
des  restes  de  son  frère;  son  accusation  contre  Ulysse,  quil  regardait 
comme  fauteur  de  ce  meurtre;  les  imprécations  paternelles  qui  lac- 
cueillirent  à  ^on  retour  dans  sa  patrie,  parce  qu'il  y  reparaissait  sans  être 
accompagné  d'Ajax,  son  exil  et  le  courage  résigné  avec  lequel  il  partit 
pour  affronter  de  nouveaux  dangers,  et  chercher  sur  les  flots  une 
autre  Salamine,  c'étaient  là  autant  de  circonstances  que  la  muse  tragique 
pouvait  exploiter  avec  succès.  Aussi  Quintilien  nous  dit-îl  :  «  Neque 
«  enim' accusator  hoc  tantuni  dicit,  occidisti,  sedquibus  idprobel  narrât. 
((  Ut  enim  in  tragœdiis ,  cum  Tçucer  Ulyssem  reum  facit  Ajacis  occisi , 
«dicens  :  Inventum  enmin  soUtudine,  jaxta^exanime  corpus  inimici,  cum 
iigladio  cruento;  non  id  modo  Ulysses  respondet  :  Non  esse  a  se  id  facinus 
aadmissum,  sed  sibi  nullas  cum  Ajace  inimicitias  fuisse  ;  de  laude  inier  ipsos 
(icertatum.  Deinde  subjungit  quomodo  in  eam  solitudinem  venerit,  jacen- 
«  tem  exanimem  sit  conspicatus,  gladium  e  vulncre  extraxcrit  ^  »  Les  mots 
in  tragœdiis  prouvent  bien  que  les  poètes  iragiljues  avaient  dû  traiter 
à  fenvi  ce  sujet.  Il  paraît  aussi  que  faccusation  portée  contre  Ulysse 
par  Teucer  était  un  événement  qui  figurait  constamment  dans  ce 
drame.  Ce  n  est  pas  le  passage  de  Quintilien  seulement  qui  le  prouve, 
nous  le  pouvons  encore  inférer  des  citations  de  Cicéron^  et  de  fautem^ 
de  la  Rhétorique  à  Hérennius.  Ce  dernier  expose  ainsi  en  peu  de  mots 
lé  sujet  du  débat  judiciaire  :  «Ajax  in  sylva,  postquam  rescivit  quaî 
«  fecisset  pcr  insaniam,  gladio  incubuit.  Ulysses  intervenit;  occisuui 
u  conspicatur;  e  corpore  telum  cruentum  educit.  Teucer  intervenit;  fra- 
«trem  occisum  et  inimicum  fratris /;um  gladio  cruento  videt;  capitis 
«  arcessit'.  »  Un  peu  plus  loin,  il  développe  longuement  1  argumentation 
sur.  laquelle  devait  reposer  faccusation*.  Cette  lutte  d'enthymèmes 
ingénieux  et  subtils  que  soutenaient,  en  cette  occasion,  les  deux  parties, 
resta  célèbre  dans  les  annales  du  théâtre,  d'où  elle  passa  dans  les 
écoles  des  rhéteurs  :  et  voilà,  sans  doute,  pourquoi  Aristote  se  con- 
tente d'indiquer  la  tragédie  et  de  renvoyer  d'un  mot  à  une  argumen- 
tation'si  connue  de  ses  lecteurs. 

*  IV,  a,  i3.  —  *  De  inv,  I,  8  et  49*  —  *  I,  1 1  ;  cf.  17.  —  *  II,  19. 


112  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Ibid.  c.  XXIV,  S  a.  —  Parmi  les  lieux  où  Ton  peut  puiser  des  enthy- 
mêmes*  apparents,  il  en  est  un  qui  r^ose  sur  l'équivoque  des  mots, 
Aristole  en  cite  plusieurs  exemples,  qui  ne  me  paraissent  avoir  été  bien 
compris  ni  par  les  commentateurs  ni  par  les  traducteurs  :*Èr  Se  ri 
itapâ  T))v  b(iûJW(iiaPj  c&Çy  eîris  kÔvcl  êyKCOfiiàZojv ,  rbv  iv  rÇ  oipav^  avfÀTrapar 
'kafx&iveiy  H  rbv  Uavay  &Ti  I\(vSûLpof  *p».' 

Ô  (lâxap,  6v  te  yieyàXas  Q^ov  xivci  irayro- 
iavàv  xeCLéofjmv  ÔXiinttoi  * 

1$^  6ti  rb  (lïfSéva  $lpat  xvva  àttyLcircLtàv  ê&riv ,  S&te  rb  xuva  SrCkov&ti 
rifiiov.  Ka)  Tb  xoivojvijcbv  (pdvcu  tbv  Epfiijv  elvai  yLéiXtata  rSp 
SeSv  (lôvos  yàp  xcùshai  ILoivbç  ttpixriç.  .  • 

Le  premier  exemple  ne  présente  aucune  difficulté  ;  mais,  dans  le  se- 
cond, que  veut  dire  Pindare,  lorsqu'il  appelle  Pan  le  chien  de  la 
grande  déesse?  Une  pareille  qualification  donnée  à  une  divinité  sur- 
prend d'abord,  même  dans  la  bouche  d'un  lyrique  aussi  audacieux  que 
Pindare;  cependant,  si  l'on  se  place  au  point  d%jrue  des  idées  reli- 
gieuses des  anciens,  elle  s'explique  aisétnent  et  na  rien  d'irrévérent. 
Nous  voyons  dans  Callimaque  que  Pan  fournit  tles  chiens  à  Diane  *;  et 
Servius  nous  apprend  que  Pan  lui-même  servait  de  chien  à  la  déesse, 
et  que  c'était  pour  mieux  pénétrer  dans  les  fourrés  des  bois  qu'il  avait 
reçu  des  pi^ds  de  chèvre  :  Comiitem  Dianœ,  feras  solitum  e  cubi- 
libus  excitare ,  et  ideo  capripedem  figuratum ,  quo  facilius  densitatem 
cursu  posset  evadere  ^.  On  sait  encore  que  Pan  était  lé  dieu  particu- 
lièrement invoqué  par  les  chasseurs ,  et  une  épigraipme  de  l'Anthologie 
nous  dit  que  c'est  lui  qui  montre  aux  chiens  les  traces  de  la  bête  : 

Pindare  lui  donne  ici  l'épithète  'naLmoScntbv  ^  parce  que  les  anciens 
regardaient  Pan  comme  l'emblème  de  la  nature  entière,  K^cr/utoio  rb 
rri^itav,  dit  le  pseudonyme  Orphée*.  Maintenant,  quelle  est  cette 
grande  déesse  dont  nous  parle  le  poète?  A  mon  avis,  ce  ne  peut  être 
que  Cybèle.  D'abord,  on  l'appelait^la  grande  déesse  par  excellence;  en 
second  lieu,  Cybèle  et  Pan  étaient  deux  divinités  parèdres  :  Pindare 
fait  mention  d'une  chapelle  située  en  face  de  sa  demeure,  où  déjeunes 
vierges  chantaient,  toute  la  nuit,  la  vénérable  déesse  ainsi  que  l'e  dieu 
Pan  ^.  Enfin  le  même  poète  donne  ailleufs  à  Cybèle  le  dieu  Pan  pour 
compagnon;  il  dit  dans  un  fragment  de  ses  Parthénies  :  .         "  ^ 

'  Hymn.  in  Dian.  87.  —  *  Ad  Georg,  I,  16.  —  *  Ànalect.  t.  III ,  p.  i84;  cf.  Qa- 
vier.  ad  ApoUod.  t.  II,  p.  43.  —  *  Hymn,  X,  1.  —  *  Pyth.  DI,  187  ;  cf.  ScW.  ad 
h.  1.  et  Wesse).  ad  Dioaor,  1. 1,  p.  227. 


FÉVRIER  1843.  113 

^aerpàç  luyàXae  àvaZé, 

Ssfitm»  Xaptnùp  lÂéXtfiia  vepm&p, 

m 

((  0  Pan ,  protecteur  de  FÂrcadie ,  compagnon  de  la  grande  mère , 
objet' chéri  des  Grâces  pudiques;»  où  Ton  voit,  en  outre,  que  bnaié 
n'est  que  f  équivalent  de  xuva. 

Le  troisième  exemple  joue  sur  un  des  sens  de  xuùfp.  Ce  mot  était 
un  de  ceux  que  les  Grecs  appelaient  ?ro>t}or)7|iot',  à  flusiewrs  siqmficaiions , 
et  il  désignait  aussi,  comme  nous  l'apprend  Hésychius,  les  parties 
sexuelles  de  Thomme  :  Sifkoî  Si  xai  rb  àvSpeîov  (i6piov^.  Cette  remarque 
suffit  pour  tout  éclaircir;  s'il  est  honteux  d'être  privé  de  wjcjp  dans  la 
dernière  acception,  on  en  conclut  que  xÔcjv,  dans  l'acception  vulgaire, 
est  un  animad  dont  on  doit  faire  cas.  La  pointe  d'une  épigramme  de 
l'Anthologie  est  tirée  June  équivoque  semKIable ,  .comme  l'a  très-bien 
observé  Huet*. 

Un  jeu  de  mots  absolument  dans  le  même  goût,  c'est  celui  qu'Âris-' 
tophane  prête  à  l'esclave  de  la  comédie  de  la  Paix,  quand  il  lui  fait 
dire  :  Oôx  i</liv  oôSeU  i</ltç  où  xpiOijv  fyst  (965).  —  «Il  n'est  personne 
ici  qui  ne  soit  muni  de  xpiOr(.)y  KpiOrf  signifiait  proprement  de  l'orge; 
mais  il  avait  aussi  l'autre  sens  de  xucjv,  comme  nous  l'apprend  Hésy- 
chius :  KptOrf'  mphvy  H  rb  tov  àvSpbs  (lôpiov  (V.  KpiOrf). 

Le  dernier  exemple  est  fondé  sur  une  allusion  au  proverbe  si  connu 
des  Grecs,  xoivbs  Èpfins.  Lorsque,  deux  personnes  cheminant  ensemble, 
Tune  d'elles  venait  à  découvrir  un  dbjet,  l'autre  s'écriait  :  xotvbçÈpfiiis, 
Mercure  est  commun,  je  retiens  ma  part  de  la  trouvaille  :  xoivbç  ÈpfAijç' 
napotixia  ên\  tSv  xoivif  71  çùpKTxàvrcûv^.  Lucien  a  fait  de  ce  proverbe 
une  application  fort  piquante  dans  le  dialogue  qui  a  pour  titre  les 
Vœux  ^.  Les  Latins  disaient,  m  commune  :  «Quoties  aliquid  inveni,  non 
((  exspecto  donec  dicas  :  in  commune  ^.  »  On  sait  que  Mercure  présidaif 
aux  chemins  et  aux  inventions  de  toute  espèce;  or,  de  l'épithète  K0iv6§, 
qui  lui  était  donnée  en  cette  circonstance,  on  concluait,  par  abus, 
qu'il  était  le  plus  libéral  des  dieux  ou  le  plM  communicatif,  si  l'on  veut 
conserver  en  français  le  jeu  de  mots. 

Tout  le  morceau  signifiera  donc  :  u  Une  partie  de  ce  lieu  se  tire  de 

•  * 

*  V.  K^6w;  cf.  Clem.  Alex.  p.  gai,  éd.  Potl.  —  *Àd  cote,  poem,  p.  £g.  —  *  He- 
sych.  T.  Koiv.  Ëppi.;  cf.  Diogenian.  Prev,  V,  38;  Boissonad.  Anecd.  Gr.  II,  p.  &48. 
—  VT.  lU,  p.  a 58.  —  *  Senec.  Epwlf.  CXIX,  inil.;  cf  Phaedr.  V,  7 ,  3,  el  iW.  in- 
terpret 

i5 


3i^ 


114  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

rhomonymie,  comme,  par  exemplç^  Si^i^pour  faire  l'éloge  d'un  chien, 
on  le  rapprochait  de  celui  qui  est  au  ciel ,  ou  du  dieu  Pan ,  parce  que 
Pindare  a  dit  :  0  divinité  bienheureuse,  et  que  les  habitants  de  l'O- 
lympe nomment  le  chien  aux  mille  formes  de  la  grande  déesse;  ou  si 
encore  on  s'autorise  de  l'opinion  qui  regarde  comme  très-déshonorant 
de  n'avoir- point  le' signe  de  la  virilité  [xuva),  afm  qu'il  suive  de  là 
évidemment  que  le  chien  [xvva)  doit  être  en  honneur.  Cest  en  vertu 
de  cette  homonymie  que  l'on  dit  de  Mercure  qu'il  est  le  plus  commani- 
catif  des.  dieux ,  parce  que  seul  il  est  appelé  Mercure  commun.  » 

Bien  que  ia  lettre  de  ce  passage  ne  présentât  pas  beai^coup  de  diiB: 
culte  au  traducteur,  M.  Mynas  n'en  a  pas  moins  fait  un  contre-sens  à 
ohaq^  phrase,  et  quelques-uns  de  ces  contre-sens  sont,  en  outre,  inin- 
telligibles; il  traduit  :  «Ou  lorsqu'on  se  fonde  sur  le  sens  différent  de 
xuofp,  chien,  honoré,  canicale,  le  dieu  Pan,  conune  Pindare  l'appelle  :  0 
toi,  que  les  dieux  de  V Olympe  nomment  chien  omniforme  de  la  grande  déesse , 
pour  en  faire  Téloge  du  chien  ;  ou  lorsqu'on  dit  :  C'est  une  infamie  que 
d'être  déshonoré,  donc  le  chien  est  un  animal  honorable.  De  même,  lors- 
qu'on se  fonde  siir  xôiv6ç ,  commun ,  attribut  de  Mercure ,  pour  en  faire 
le  plus  grand  des  dieux ,  parce  que  lui  seul  parmi  eux  entretient  un 
commerce  avec  nous.  » 

Les  prédécesseurs  de  M.  Mynas  n'avaient  guère  été  plus  heureux 
que  lui.  Cassandre  nous  dît,  dans  sa  note,  que,  comme  on  ne  voit  goutte 
en  cet  endroit,  il  a  mieux  aimé  biaiser  un  peu  que  die  dâ)iter  du  ga- 
Hmiatias.  M[ais  il  a  fait  plus  que  biaiser,  il  s'est  mis  entièrement  à  côté. 
Voicf ,  çn  eflfet,  de  quelle  manière  il  paraphrase  le  troisième  exemple  : 
«Ou  bien  encore,  si,*  à  cause  que  le  proverbe  dit  qu'il  est  honteux  de 
n'avoir  chez  soi  ni  chien,  ni  chat,  on  allait  conclure  qu'il  faut  qUe  le 
chien  soit  quelque  chose  de  bien  honorable.  >)  M.  Gros,  qui  Ta  suivi 
dans  la  .première  moitié  de  l'exemple,  en  suppriqiant  toutefois  le  mot 
^hat ,  n'aurait  pas  dû  s'en  écarter  dans  la.  seconde ,  pour  dire  :  u  II  est 
honteux  de  ne  poânt  avou;  de  chien ,  de  sorte  qu'en  avoir  un  est  une 
chose  bonoi[able;  »  car  c'est  là  une  pure  tautologie.  Quant  à  l'exemple 
pris  4^  Mercure,  Cassancbe  l'a  omis  «pour. être  fondé,  reni^arque-t-il , 
iSur  des  équivoques  qui  ffint  rien  de  commuq  avec  notre  langue.  » 
M.  Qros  fa  pmis  aussi.  prebablen\ent  pour  les  mêmes  raisons. 

Liv.m,  G.  tiv,  S  /i.  — Âristote,  examinant  lés  différents  exordes  que* 
Ton  emploie^dans  le  genre  démonstratif^  dit  qu'il  en  est  un  qui  rentre 
4ws  le^  exorde^  du  g^n;re  judiciaire, «celui,  par  exemple,  oùj'orateur 
tire  de  k  oature  de^son  sujet  quelque ^otif  d'obtenir  l'indulgence  de 
Tauditéur  :  «ToSto  S*  iarh  [npooifitov),  $1  vep)  iroipaSéÇov  yAyos^  4  mpi 


% 


FÉVRIER  1843-  115 


fivv  y  6r9  Tiévra  iéiaaran. 


«Cet  exorde  a  lieu,  quand  on  doit  s'occuper  d'un  sujet  extraordi- 
naire, ou  difficile,  ou  déjà  souvent  traité ^ afin  d'obtenir  Tindûigence. 
C  est  i  exorde  de  Chœrile  : 

Mais  aujourd'hui  qu'on  s'est  tout  partagé > 

On  a  cm  que  cet  hémistiche  renfermait  l'exemple  auquel  Aristote 
fait  allusion.  C'est  une  erreur;  le  philosophe  n*a  voulu<ionner  ici  qu'un 
simple  renvoi  au  début  du  poème  de  Chœrile,  début  qu'il  suppose 
connu  de  ses  lecteurs.  La  phrase  n'est,  en  effet,  que  commencée,  et  le 
sens  reste  suspendu.  Il  était,  d'ailleurs,  aisé  de  s'en  convaincre  i  en  exa- 
minant ce  début  que  Vettori  nous  a  conservé  : 

À  ^.éxap,  Ôartç  érjv  xeTvov  fipàvov  (^pis  dotiSnf 
Uawrioiv  3>epdhre)t^,  6r'  ixifpaTOs  9p  ^ti  Xetfiép, 
fivv  S*  6t9  trdbrra  ^haarai ,  ijfowxi,  iè  vetpara  réx^cu, 
'tararoi  d^s  Ipôfiav  wncCkensàpMff  *  oiAé  roi  iâitu 
UàifTïj  irœirralvovTa  veoivyèc  àpiia  Trekàatrat. 

«  Heureux  le  chantre  habile ,  serviteur  des  Muses ,  qui  à  vécu  dans 
ce  temps  où  la  prairie  n'aVait  pas  encore  senti  la  faux!  Mais  aujourd'hui 
qu'on  s  est  tout  partagé,  et  que  les  arts  de  l'esprit  ont  touché  la  borne, 
nous  sommes  laissés  en  arrière,  nous,  comme  h  la  course;  et,  en  quelque 
ondroil  que  se  portent  mes  regards,  je  ne  vois  pas  où  conduire  le  char 
que  je  viens  d'atteler.  »  M.  Gros  a  donc  eu  tort  de  traduire  :  «Mainte- 
nant tout  est  dit;))  et  M.  Mynas  a  beaucoup  plus  mal  fait  encore,  en 
rendant  l'hémistiche  de  cette  sorte  :  «Pardonnez,  si  je  vous  jparie  d'un 
sujet  si  connu,  d  M.  Mynas  parait  avoir  suivi  le  scholîaste ,  qui  dit  aussi  : 
(i^vyyvôJixovtnéov  y  S  AvSpeçy  el  vSv  ircLpiardiMa  TJ^àrt^  raur\y  x.  t.  'k.n 
Mais ,  en  cet  endroit  comme  en  mille  autres ,  le  schoiiaste  Yi'a  point 
compris  Aristote.  On  voit,  en  effet,  que,  si  Chœrile,  en  indiquant  la 
difficulté  de  traiter  un  sujet  neuf,  réclamait  implicitement  l'indulgence 
pour  le  peu  de  nouveauté  de  cdui  qu'il  était  forcé  de  prendre ,  il  ne 
l'exprimait  pas  en  termes  formels ,  et  que  le  développement  de  cette 
idée ,  à  laquelle  Aristote  me  semble  faire  allusion  par  lél^  mots  4  ^epl 
TtOpvT^vipLévov  TtoiXXotSt  ne  devait  venir  qu'après  les  vers  que  nous  avons 
cités.  Je  ne  puis  donc,  devait  alors  continuer  le  poëte,  je  ne  puis  que 
chanter  cette  guerre  d^à  si. souvent  célébrée.  Tout  récemment,  en 
effet ,  l'invasion  de  Xerxès  n'avait-elle  pas  inspiré  la  muse  de  la  tragédie 

iS. 


116  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  celle  de  Ffaistoire?  Ghœrile  forme  la  même  plainte  que  Virgile,  au 
commencement  du  troisième  livre  des  Géorgiques  :  Omnia  jam  vulgata. 
Mais ,  comme  le  poète  mantouan ,  Ghœrile  ne  pouvait  pas  ajouter  ; 

Primus  Idumœas  referam  tibi,  Mantua,  palmas  '  ; 

et  c'était  là  surtout  ce  qui  le  désolait. 

Je  ne  quitterai  point  ce  curieux  firagment  sans  justifier  la  manière 
dont  j'ai  rendu  le  troisième  vers.  M.  Naeke  explique  ainsi  les  mots 
lyovcn  Si  irelparot  rfyvou  :  «  Verbis  his  sensus  inest,  ut  Gbœrilus  non  so- 
lum  conqueratur  de  exhausta  ab  antiquioribus  epicis  epici  carmînis  ma- 
teria ,  sed  etiami  de  eo,  quod  poeseos  gênera,  inter  se  separata  et  discreta , 
suos  quodque  sibi  fines,  suum  dominium  vindicaverint,  cum  antiquis 
poetis  epicis  quolibet  evagari  et  nuUam  materiam  non  licuisset  aggredi^.  » 
A  mon^avis,  M.  Naeke  se  trompe.  Ghœrile  ne  se  plaint  pas  que  les  divers 
genres  de  poésie  aient  chacun  leur  domaine  à  part,  circonscrit  et  bien 
déterminé  ;  une  pareille  idée  n'aurait  aucune  liaison  avec  ce  qui  pré- 
cède et  ce  qui  suit.  Le  firagment  nous  offre  une  double  métaphore  dé- 
veloppée sans  confiision  :  tous  les  sujets  ont  été  envahis,  et  le  poète  ne 
sait  en  quel  endroit  diriger  son  char;  tous  les  sujets  ont  touché  la  borne, 
et  le  poète  est  laissé  en  arrière  comme  un  coureur  impuissant.  Remar- 
quons ,  d'ailleurs ,  que  i/ovai  Tre/pora  ne  se  traduirait  pas  régulièrement 
par  ont  leur  circonscription,  leurs  bornes.  Ë^eiy  irépaç  signifie  atteindre  au 
bat,  toucher  au  terme,  et,  par  extension ,.^voiryinï|  terminé^. 

Je  ne  multiplierai  pas  davantage  ces  remarques  de  détail;  il  est  temps 
de  donner  une  idée  générale  de  l'ouvrage  de  M.  Mynas.  Tout  dernier 
venu ,  surtout  parmi  les  traducteurs,  s'engage  à  mieux  faire  que  ses  de- 
vanciers. M.  Mynas  a-t-il  rempli  cet  engagement?  Malheureusement, 
non  ;  il  a  même  un  peu  &it  le  contraire  de  ce  qu'on  attendait  de  lui. 
Gependant  tous  ceux  qui  connaissent  M.  Mynas  savent  combien  il  réu- 
nit de  qualités  pour  s'acquitter  convenablement  de  la  tache  qu'il  s'était 
imposée.*  Non  -  seulement  il  est  fort  versé  dans  le  grec  moderne,  sa 
langue  maternelle ,  mais  il  écrit  encore  le  grec  ancien  d'une  manière 
remarquable;  et  it  avait,  en  outre,  l'avantage  Savoir  enseigné  l'art  d' A- 
ristote  sur  les  lieux  mêmes  où  le  philosophe  l'enseigna  jadis  à  Alexandre. 
Gonunent  donc  est-il  arrivé  que ,  disposant  de  toutes  ces  ressources ,  il 
ait  si  peu  réussi?  Je  dirai  ma  pensée  tout  entière  :  je  tiens  M.  Mynas 
pour  un  habile  grec  ;  mais  il  a ,  sur  plusieurs  points  de  la  rhétorique 

*  GêorgAU,  12.  —  *  ChœriL  Fragm.  p.  107.  —  *  Vid.  Demosth.  p.  làài  »qq- 
6d«  Reiik. 


FÉVRIER  1843.  117 

ancienne,  des  idées  qui  ne  me  paraissent  nullement  en  rapport  avec 
celles  d'Aristote,  et,  soit  méprise  de  sa  part,  soit  défaut  de  cette  abné- 
gation qui  devrait  être  la  première  vertu  d  un  traducteur,  il  a  souvent 
prêté  ses  propres  idées  au  philosophe  qaii  avait  à  traduire  ;  en  second 
lieu,  M.  Mynas  partage  les  funestes  préventions  de  ses  compatriotes 
contre  Térudition.  Les  Grecs  modernes  sont  persuadés,  pour  la  plupart, 
que  leur  descendance  ^suffit  poiu*  leur  expliquer  tout  ce  qui  touche  à 
leui*s  glorieux  ancêtres.  Je  comprends ,  sans  doute ,  qu'une  tradition  qui 
n*a  jamais  été  tout  à  fait  interrompue  ait  dû  conserver  beaucoup  de 
choses  ;  je  comprends  tout  ce  qu  il  y  a  de  vivace  dans  les  coutumes  po- 
pulaires ,  tout  ce  qu*il  doit  y  avoir  de  fécond  dans  la  transmission  de 
ce  sang  qui  n'a  jamais  cessé  de  communiquer  avec  sa  source;  mais  je 
sais  aussi  combien  a  duré  l'asservissement  de  la  Grèce,  et  le  contact  de 
ce  peuple  avec  la  barbarie;  je  sais  toute  la  distance  qui  sépare  la  langue 
d'aujourd'hui  de  celle  d'autrefois,  et  je  persiste  à  dire  que  les  Grecs 
modernes  ne  parviendront  à  retrouver  et  à  connaître  leur  passé  qu'avec 
le  secours  seul  de  l'érudition.  M.  Mynas  pourrait  fournir  plus  d'une 
preuve  à  l'appui  de  ce  que  j'avance;  car  il  a  commis  plus  d'une  erreur 
qu*avec  un  peu  d'érudition  il  eût  aisément  évitée. 

Mais  je  n'ai  pas  encore  signalé  la  cause  qui  a  influé  sur  son  travail 
de  la  manière  la  plus  funeste.  Tout  traducteur  est  obligé  de  savoir  au 
moins  deux  langues  ;  or,  si  j'ai  accordé  à  M.  Mynas  qu'il  est  un  habile 
grec ,  je  lui  dois  dire  en  toute  franchise  qu'U  ne  sait  pas  assez  le  fran- 
çais pour  traduire  Âristote  en  cette  langue.  1\  n'est  pas  de  page  de  son 
livre  où  l'on  ne  pût  relever  bon  nombre  de  ces  fautes  qui  sont  de  na- 
ture à  choquer  le  lecteur  le  plus  inexpérimenté. 

Le  texte  grec  que  M.  Mynas  a  mis  en  regard  de  sa  traduction  est  la 
partie  de  son  travail  que  nous  aurons  à  traiter  le  plus  favorablement  ;  ce 
n'est  pas  cependant  qu'il  n'y  ait  encore  ici  des  restrictions  à  faire.  Ainsi 
M.  Mynas  nous  a  semblé  parfois  ajouter  des  mots  un  peu  légèrement; 
je  citerai  quelques  exemples  : 

Page  46,  M.  Myqas  ajoute  xai  devant  réxpti ,  dans  la  phrase  suivante  : 
iityutas  [Aèv  yàp  té^vri  ahia'  MoKXot/s  Si  xa\  lusyéBouSy  (piais.n  (I,  5, 
S  ly.  )  Le  mot  ajouté  me  parait  superflu,  à  cause  que  les  id^es  qui 
précèdent  et  qui  suivent  expliquent  suffisamment  qu'Âristote  n'a  pu 
vouloir  dire  que  la  santé  fôt  toujours  dépendante  de  l'art. 

Ce  xal  m'en  rappelle  un  autre  que  M.  Myrias  a  aussi  introduit  dans 
le  texte,  et  qui  pourrait  avoir  de  graves  conséquences.  Page  àS ,  Aris- 
tote dit  qu'on  délibère  non  sur  le  but ,  mais  sur  les  moyens  qui  le 
peuvent  faire  atteindre  :  «  BouXeiSoirrou  Si  où  mpl  jw'rikaufy  àXkà  %tpi 


118         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Tftw  irp6$  rb  riXof.  ». (I,  6,  S  i .  )  M.  Myna^^ajoute  xo/  après  £Kki\  or,  par 
riosertion  de  ce  .mot,  la  phrase  pourrait  très  -  régulièrement  signifier 
tju'on  délihèje  non^seulement  ^ur  iec  but,  maiis  eocore  sur  les  moyens 
de  [atteindre,: ce  qui  n*a  pas.de  sens,  le  but  d*une  délibération  étant 
toujours  oonnO::  aussi. tous  les  éditeurs^  ont-iis  donné  la  phrase  sans  ce 
nai\  quand  je  dis  touales  éditeurs,  je  metrompeicependant,>oar  M.  Gros 
a  écrit  con^me  M.  Mynas^ .  r     .v.  • 

Page  loo.rr-r  Aristote,  énumérapt  les  choses  qui  nou&icausent  du 
plaisir,  dit  quïl  est  |^us  agréable  d^êtne  loué  par  les  gens  sensés  que 
par  ceux  qui  ne  le  sont  point,  par  im  grand.nombre  que  par  un  petit 
nombre  ; .  pai:  il  est  plus  probable  que  la  vérité  se  trouve  dans  la  bouche 
des  premiers  que  dans. celle  des  seconds^  «Aussi,  continne-t^il ,  -n'atta- 
die-t-on  aucun  prix  h  Testime  et  à  l'opinion  de  ceux  que  chacun  mé- 
prise profoodén^eat,  comme  si  c'étaient  des  en&nts<ou  de^  animaux; 
je  dis  à  l'opinion 3  pour  elle-mèmo;  mais  il  est  possible  qu'on  y  tienne, 
en  vue  de  quelque  autre  avantage.  — Èmi  >  &p  rts  no7^  KaraJ^pop&i y  éiaiisp 
neuS^  i'Q^piûJiv  fOùShf  fUKsi.rrh  xoùrtav  ri^s  4  tiis  Sentis,  nùrnç  ^e  rnç 
S6^nf  x^^^^  ^^%  ^^^p9  ^''  dEXXoTi.  »  (I,  1 1 ,  S  i6.  )  M.  Mynas  a  cru  de- 
voir insérer  oùSé  entre  Sà^ns  et  <x6%ns^  et  il  se  contente  de  nous  dire,  en 
note,  que  cette. addition  lui. apparu  nécessaire.  Mais  la  phrase  d'Aris- 
tote  n'a,  comme  on  voih  mul  besoin  de  o^,  et  .M.  Mynas  ne  l'a  sur- 
cbai^ée  de  cç  mot,,  qae  pour  ne.  l'avoir,  pas  comprise  ;  il  traduit,  en 
effet  :  «  Quant  à  Tesstime  et  A  l'honneur  de  la  part  de  «eux  que  l'on  mé- 
jvise,  coo^me  enfants :OUi bêtes , on  ne.Ven  soucie  point;  on  fait,  d'ail- 
leurs^ peu  de  cas  de  l'estime  elle-même ,.  quand  elle  ne  s'adresse  pas  à 
la  personne,  n  M.  Gros  ne  l'a  guère  mieux  entendue,  et,  en  outre,  il 
prête  au  phUosophe  un  >  langage  d'oii  l'on  serait  en  droit  de  conciure 
que  les  bêtes  peuvent  avoir  de  l'estime  pour  nou^  ^  De  plus,  dit-il,  il 
est  des  êtres  dont  l'estime  ne  < nous  paraît. d'atucune  importance.  Tels 
sont  ceux  pour^qtli  L'on  n'a  que  du  mépris,  les  enfants  et  les  bêtes,  par 
exemple.  Nous  ne  faisons  aucun  cas  des  honneurs  qu'ils  nous  rendent, 
ni  de  leur  estime.,  eX^yi     ,  ■  .  . 

Une  addition  plus^ considérable,  mais  qui  était  autoasée  par  des  ma- 
nuscrit^ et.par  quelques  anciennes,  éditions ,  c  est  celle  que  présente  le 
texte  de  &A.  Mynas,  à  la  page.  1 3 a^.  Le  sie lisent  cinq  lignes  de  grec,  de- 
puis Sel  Se  yjystp  jusqu'à  Tiarày  èp  ^wjdvoiM  (  1 ,  1 5 ,  $  26  ) ,  qui  on)  dis- 
paru de  toutes  les  :^(j[itions. modernes.  V!ettoi?i  le  premier  les  retrancha, 
les  regardant  comme  uoe  aïole  explicative. qui, :de  la  marge  de  quelque 
manuscrit  avait,  pa^sé  dans  ie  itexte.<  Il  se  fondait  i^>  sur  Je  caractèreide 
la  diction,  qui  nerparait  poiat  àtrevdans  ces  lignes,  le  même  que.dans 


FÉVRIER  1843-  110 

le  reste  de  ïouvrage  ;  2""  sur  le  siience  de  l'ancien  interprète  latin ,  qui 
ne  les  a  point  traduites  ;  3°  sur  ce  qu'Aristote  avait  déjà  exprimé  plus 
haut  les  pensées  qui  se  reproduisent  ici.  M.  Mynas  n  en  a  pas  moins 
cru  devoir  réintégrer ie  passagle  suspect,  et  je  suis  loin  de  l'en  blâmer  ; 
seulement  j'aurais  désiré  qu'il  eût  enfermé  l'addition  entre  crochets. 

La  division  du  texte  en  chapitres  et  en  paragraphes  n'est  jamais 
chose  indifférente  ;  mais  elle  prend  un  nouveau  d^ré  d'importance , 
quand  il  s'agit  du  texte  d'un  auteiu*  comme  Aristote  ;  sous  ce  rapport, 
le  livre  de  M.  Mynas  m'a  paru  généralement  digne  d'éloges.  J'en 
ai  trouvé  aussi  la  correction  typographique  bien  soignée,  et  la  ponc- 
tuation  distribuée  avec  intelligence,  malgré  quelques  fautes.  J'en  signa- 
lerai une  qui  n'est  pas  sans  gravité  :  page  1 6 ,  Aristote ,  rappelant  ce 
qu'il  a  dit  dans  ses  Topiques  au  sujet  du  syllogisme  et  de  l'induction , 
s'exprime  ainsi  :  aEaeei  yàp  mpï  ax^^koyiaysoS  xai  éirayctyyris  eïpvTou  irpà- 
Ttpovy  ^1,  X.  T.  >.  (I,  2 ,  S  9.)  Car  là  il  a  été  déjà  dit  touchant  le  syllo- 
gisme et  l'induction,  que,  etc.»  M.. Mynas  a  mis  entre  irpStepav  et  Sn 
un  point  en  haut  ;  il  ne  fallait  qu'une  virgule.  Toutefois ,  cette  faute  ne 
saurait  jamais  avoir  des  suites  si  désastreuses  que  celle  qui  a  étécommise 
en  ce  même  endroit  par  M.  Gros.  P^on  content  de  placer  'un  point  après 
'TrpSrepov,  M.  Gros  a  commencé  par  irt  un  nouvel  alinéa,  et  de  là, 
comme  on  le  pense  bien,  il  est  résulté  un  lourd  contre-sens  dans  le 
français  et  un  affreux  désordre  dans  le  grec. 

M.  Mynas  nous  annonce,  en  terminant  sa  préface,  qu'U  fera  bientôt 
paraître  une  traduction  de  la  Rhétorique  à  Alexandre.  Je  serais  fâché 
que  mes  observations  le  pussent  décourager  dans  sa  nouvelle  entreprise; 
j'aime  mieux  espérer  qu'en  appelant  son  attention  sur  içs  parties  faibles 
de  son  premier  travail ,  et  en  lui  indiquant  tes  causés  de  cette  faiblesse , 
j'aurai  contribué  en  quelque  chose  à  rendre  l'ouvrage  dont  U  s'occupe 
meilleur  et  plus  digne  d'un  helléniste  aussi  distingué  que  l'est  M.  Mynas. 

.  J.  P.  ROSSIGNOL. 


120         JOURNAL  DES  SAVANTS. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


mSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE. 

ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES. 

M.  le  chevalier  Félix  Faulcon ,  à  Poitiers  (Vienne),  éla  corretpondant  le  3  juin 
i8oa,  est  mort  le  3i  janvier  i8A3. 

ACADÉMIE  DES  SCIENCES. 

M.  Andral  a  été  élu,  le  6  février  i843,  dans  la  section  de  médecine  et  chirurgie, 
à  la  place  de  M.  Double,  décédé. 

M.  Rayer  a  été  élu,  le  i3  février  i843,  dans  la  section  d*économie  rurale,  à  la 
place  de  M.  le  vicomte  de  Morel-Vindé,  'décédé. 

M.  Hansen,  à  Gotha,  a  été  élu  correspondant,  dans  la  section  d*aslronomie,  en 
remplacement  de  M.  Littrow,  le  ao  février  i843. 


LIVRES  NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Essai  sar  les  écoles  philosophiques  chez  les  Arabes,  et,  notamment,  sur  la  doctrine 
à^Alaazzali,  par  Auguste  Schmôlders,  docteur  en  phflosophie.  Paris,  Firmin-Didol, 
1  vol.  in-8*.  -^  On  sait  combien  peu  de  renseignements  nous  avons  sur  la  philo- 
sophie des  Arabes.  M.  Schmôlders,  qui  est  né  dans  les  provinces  rhénanes  de 
Prusse,  publia  à  Bonn,  en  i836,  sous  le  titre  de  Documenta  philosophiœ  Arabum, 
deux  traités  arabes  accompagnés  d'une  version  latine  et  d'un  conmientaire.  Plus 
tard ,  M.  Schmôlders  vint  a  Paris,  où  il  se  perfectionna  dans  la  connaissance  de  la 
langue  arabe  sous  M.  Reinaud,  et  il  prit  pour  objet  de  son  travail  un  traité  fort  cu- 
rieux d'Algazxali,  intitulé  :  Ce  qui  stmve  des  égarements  et  ce  qui  éclaircit  les  ravisse- 
ments. Le  volume  que  nous  annonçons  renferme  le  texta  de  ce  traité ,  une  version 
française  et  des  observations  générales  sur  lé  caractère  et  les  vicissitudes  de  la  phi- 
losophie chez  les  Arabes.  Feu  Pallia  a  fait  une  analyse  du  traité  d*Algazzali ,  et  cette 
analyse  a  paru  dans  le  recueil  de  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques,  pre- 
mier volume  des  Savants  étrangers.  Mais  ici  on  trouve  le  traité  complet  ;  il  n*est 
pas,  d'ailleurs,  inutile  de  pouvoir  comparer  la  manière  de  voir  de  deux  honmies  com- 
pétents ,  qui  travaillaient  à  peu  près  en  même  temps  ,•  et  qui  ne  se  sont  pas  com- 
muniqué leurs  idées. Tout  porte  à  espérer  que,  d'ici  à  peu  de  temps,  les  personnes 


FÉVRIER  1843.  121 

qui  s'occupent  de  rhistoire  de  la  philosophie  auront  les  moyens  d* aborder  les  doc- 
trines des  Arabes.  M.  WiUiam-Cureton ,  garde  du  musée  britannique ,  a  publié ,  il 
y  a  qudques  mois ,  k  Londres ,  sous  les  auspices  du  comité  de  publication  des  textes 
orientaux ,  la  première  partie  du  traité  de  Schabristani ,  intitulé  :  7Vai7^  des  sectes 
reliaieases  et  philosophiques.  Cette  première  partie  renferme  les  doctrines  religieuses; 
la  deuxième  partie,  qui  est  consacrée  aux  doctrines  phildfephiques ,  ne  tardera  pas 
à  paraître.  Le  tout  formera  un  volume  grand  in-S**.  Il  est  vrai  que  M.  Cureton  s  est 
seulement  chargé  de  publier  le  texte,  et,  comme  ce  texte  est  difficile  à  lire,  peu  de 
personnes  pourraient  en  profiter;  mais  M.  Schmôlders  qui,  pendant  son  séjour  à 
Paris ,  s*était  déjà  occupé  de  Touvrage ,  et  qui  en  a  inséré  ides  fragments  dans  le 
volume  publié  par  M.  Didot,  en  prépare  une  traduction  complète. 

La  cnèvalerie  Ogier  de  Danemarche,  par  Raimbertde  Paris,  poème  du  xii* siècle, 
publié  pour  la  première  fois  d'après  le  manuscrit  de  Marmoutier  et  le  manuscrit 
2739  de  la  Bimiothèque  royale.  Paris,  imprimerie  de  Pecquereau,  librairie  «le 
Techener,  18&3 ,  3  volumes  in-i3 ,  ensemble  de  cm  et  667  pages.  — *  La  chevale- 
rie Ogier,  chanson  de  geste  de  i3o58  vers,  est  le  plus  ancien  texte  qu^  nous  soit 
resté  des  poèmes  nombreux  dont  le  célèbre  Ogier  le  Danois  a  été  le  héros.  Le  ma- 
nuscrit que  puUie  M.  Barrois,  et  qui  fait  partie  de  sa  riche  bibliothèque,  provient 
deTabbaye  de  Marmoutier.  Ce  n*est,  à  la  vérité,  qu*une  copie  du  xiv*  siècle,  mais 
cette  copie  est  la  seule  complète  qui  soit  connue ,  et  Ton  y  retrouve  toutes  les  formes, 
des  premiers  temps  de  notre  langue.  La  rédaction  du  poème  serait  du  xi*  siècle, 
selon  les  Bénédictins  [Hist.  Litt.  de  la  Fr.  t.  VIII,  p,  595)  ;  cependant  Téditeur  ne 
croit  pas  pouvoir  lui  assigner  une  date  antérieure  au  commencement  du  xii*.  Les 
soins  que  M.  Barrois  a  donnés  à  cette  publication  sont  tout  à  fait  dignes  d*un  mo- 
nument littéraire  si  important  par  son  ancienneté.  Il  a  collationné  le  texte  «de*  Mar- 
moutier sur  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale,  fonds  La  Vallière,  n*  78, 
olim  3739,  dont  il  note  les  principales  variantes,  et  Ta  fait  suivre  d*une  très-utile 
analyse.  On  lira -surtout  avec  intérêt  une  préface  étendue  où  le  savant  éditeur  ex- 
plique conunent  s*est  introduite  et  propagée  Terreur  qui  a  fait  attribuer  au  preux 
Ogier  une  origine  danoise,  par  une  fausse  interprétation  du  surnom  d'Ardenois  ou 
Danois,  que  les  anciens  monuments  donnent  à  ce  personnage,  arrière  petit-fils  de 
Turpin  d  Ardennes.  Ces  deux  volumes  forment  les  tomes  Vlfi  et  IX  de.  la  collection 
des  douze  pairs  de  France,  publiée  par  le  libraire  Techener,  et  dont  les  septpre* 
miers  tomes  comprennent  les  ouvrages  suivants  :  Roman  de  Berthe  aux  gYands  pieds, 
précédé  d*une  dissertation  sur  les  romans  des  douze  pairs,  par  M.  P.  Paris  (1  vol.). 
—  Roman  de  Garin  le  Loherain,  précédé  d*un  examen  des  romans  carlovingiena 
(3  vol.  ).  —  Parise  la  duchesse  (  1  vel.  ).  —  Chanson  des  Saxons,  par  Jean  Bodêl ,  pu^ 
bliée  pour  la  première  fois  par  M.  Francisque  Michel  (3  vol.).  —  Raoul  de  Cambray, 
publié  par  M.  Ed.  Le  Glay  (1  vol.). 

Bibliothèque  dejd,  le  baron  Silvestre  de  Sacy,  pair  de  France,  etc.  tome  premier. 
Imprimés.  Philosophie,  théologie,  sciences  naturelles.  Paris,  imprimé  par  autori- 
sation de  M.  le  garde  des  sceaux  à  Tlmprimerie  royale ,  librairie  de  R.  Meiiin.  Se 
trouve  aussi  chez  B.  Duprat,  JuUien  et  veuve  Dondey-Dupré,  18&3  ,  in-8*  de  la- 
Lxiv&SG  pages,  tome  III.  Manuscrits,  63  pages  in-8*. —  Cette  première  livraison  du 
catalogue  de  l'importante  bibliothèque  de  M.  de  Sacy  est  précédée  de  la  notice 
historique  de  M.  Daunou  sur  la  vie  et  les  écrits  de  cet  illustre  académicien,  d*un 
avertissement  de  A|.  Merlin ,  chargé  par  les  dernières  volontés  de  M.  de  Sacy  de  la 
rédaction  du  catalogue  de*ses  livres,  sur  les  soins  quil  a  pris  pour  remplir  digne- 
ment cette  tâche  honorable  et  di£Scile,  enfin  d'observations  sur  Tordre  suivi  dans 

16 


122    *        ^       JOURNAL  DES  SAVANTS. 

• 

le  dassement  de  la  lliéologie  contenue  dans  le  premier  volume,  et  sur  les  ouvrages 
les  plus  rares  de  celte  partie  du  catalogue.  Le  nombre  des  artides  compris  dans 
le  tome  I*'  est  de  «lyQS,  dont  Sg  pour  la  philosophie,  iBya  pour  la  théologie,  qui 
embrasse  les  croyances  et  lliistôire  religieuse  des  différenls  peuples,  et  i8&  pour 
les  sciences  naturdles.  Les  manuscrits,  dont  la  description  a  été  confiée  par  M.  de 
Sacy  à  M.  de  Lagrange,  sont  au  nombre  de  364f  savoir  :  aai  arabes ,  108  persans, 
29  turcs  et  6  syriaques.  La  vente  de  ces  livres  et  manuscrits  commencera  le  18 
avril  prochain  et  finira  le  9  mai  suivant. 

Lesiége  de  Lille  en  1792,  par  Victor  Derode,  chef  d*institutioii.  Lille,  imprime- 
rie de  Danel ,  librairie  de  Durieux,  i84a ,  in- 8**  de  79  pages,  avec  jdanches  et  fac- 
similé.  —  Le  siège  de  Lille ,  Tun  des  plus  mémorables  épisodes  des  guerres  de  la 
révolution ,  est  raconté  avec  talent  par  M.  Derode  dans  cet  opuscule  écrit  d*un  style 
sans  emphase ,  mais  plein  de  mouvement  et  de  chaleur.  L*auteur  a  su  répandre 
beaucoup  d'intérêt  sur  les  détails  d*un  événement  si  glorieux  pour  les  annales  de 
aa  ville  natale ,  et  son  récit  a  d'autant  plus  de  mérite,  qu'il  s*appuie  constanmient 
sur  Tautocité  de  documents  puisés  aux  meilleures  sources.  La  correspondance  sin« 
gulière  des  officiers  municipaux  de  Lille  avec  Roland ,  ministre  de  l'intérieur,  avant 
et  après  le  siège,  nous  parait  surtout  digne  de  fixer  l'attention,  comme  étant  de 
nature  à  faire  appréder  et  le  patriotisme  des  assiégés  et  le  caractère  de  ce  ministre. 
La  publication  de  cette  notice  fait  bien  augurer  du  succès  de  ï Histoire  deLille  dont 
elle  est  extraite ,  et  que  M.  Derode  doit  £aire  paraître  prochainement 

Relation  djui  voyage  d'exploration  au  nord-est  de  la  colonie  du  cap  de  Bonne -Espé- 
rance, entrepris  dans  les  mois  de  mars,  avril  et  mai  i836,  par  MM.  T.  Arbousset 
et  F.  Daumas ,  missionnaires  de  la  Société  des  missions  évangéliques  de  Paris ,  écrite 

Sar  T:  Arbousset ,  avec  1 1  dessins  et  une  carie  ;  publiée  par  le  comité  des  missions 
vangéliques  de  Paris  chez  les  peuples  non  chrétiens.  Paris ,  imprimerie  de  A.  René , 
librairies  d'Arthus-Bertrand  et  de  Delay.  Se  trouve  aussi  à  la  maison  des  missions 
évangéliques ,  rue  de  Beriin ,  n*  7,  i84a  ,  in-8*  de  x-6ao  pages.  -^  MM.  Arbousset 
et  Daumas,  ministres  prolestants,  sont  établis,  le  premier,  depuis  i833,  à  Morija, 
dans  le  pays  des  Bassoutos,  et  le  second,  depuis  i>837,  à  Mekuatling,  chez  les  Lig- 
hoyas.  L  excursion  qu'ils  ont  faite  de  concert  entre  le  fleuve  Orange  et  le  Namagari, 
dans  le  but  spécial  d'étendre  l'influence  du  christianisme  et  de  la  dvilisation ,  leur 
a  fourni  l'occasion  de  recueillir  des  observations  d'un  grand  intérêt  pour  la  géogra- 
f^e ,  la  statistique  et  l'histoire  naturelle  de  celte  partie  du  sud  de  l'Afrique.  Rs  ont 
révélé  un  fait  ignoré  jusqu'à  présent,  cdui  de  l'existence  de  hordes  cannibales  dans 
le  voisinage  des  Maloutis,  et  Us  ont  trouvé  la  source  des  prindpaux  fleuves  du  sud 
de  l'Afiique  dans  un  mont  qui  couronne ,  au  nord,  la  chaîne  des  montagnes  Bleues , 
et  auquel  ils  ont  donné  le  nom  de  Mont  des  Sources.  Le  voyage  des  deux  courageux 
missionnaires  ne  se  recommande  pas  seulement  par  ces  deux  découvertes  impor- 
tantes ;  on  y  trouvera  des  renseignements  précieux  qui  sont  le  résultat  d'une  étude 
approfondie  du  caractère  et  des  mœurs  d'un  grand  nombre  de  triCus  indigènes  mal 
connues  avant  eux.  Ces  notions  compléteront  très-utilement  pour  la  science  celles 
que  M.  Casalis  a  déjà  rassemblées  sur  les  Béchuanas ,  dans  l'introduction  de  ses 
Etudes  sur  la  langue  sêchuana,  autre  ouvrage  très-estimable  dont  on  doit  aussi  la  pu- 
blication à  la  Société  des  missions  évangéliques ,  et  que  nous  avons  annoncé  dans  ce 
journal  en  18&1  (octobre,  p.  634)- 

Histoire  et  pkénomèfies  du  volcan  et  des  îles  volcaniques  de  Sjpitorin ,  suivis  d*un 
coup  d'œil  sur  l'état  moral  et  rdigieux  de  la  Grèce  moderne;  composés  en  1837  par 
M.  l'abbé  Pègues,  ancien  missionnaire  apostolique  dans  lé  Levant,  et  supérieur 


FÉVRIER  1843.  123 

de  la  mission  de  Santonn.  Paris ,  imprimé  par  autorisation  du  roi  à  i^Imprimierie 
royale,  i843 ,  in-S"*  de  vii-667  pages,  avec  une  carie.  — •  Pendant  un  séjour  de  douie 
années  k  Santorio,  Tantique  Théra,  Tauteur  de  ce  livre  a  étudié  avec  soin  les  phé- 
nomènes si  ciOMSux  de  cette  île  volcanique,  soi^  histoire  ancienne,  son  état  actuel  et 
les  mœurs  de  ^s  habitants.  Les  connaissances  de  M.  l*abbé  Pègues  et  le  caractère 
dont  il  est  revêtu  donnent  k  son  ouvrage  une  incontestable  autorité,  et  nous  croyons 
que  cette  relation  sera  lue  avec  autant  de  fruit  que  de  plaisir.  Elle  est  divisée  en  quatre 
parties.  La  première  est  consacrée  à  Thistoire  de  Tancienne  Théra  et  à  la  description 
de  ses  antiquités  ;  dans  la  seconde ,  Tauteur  fait  Thistoire  des  révolutions  volcaniques 
de  Tile  et  des  éruptions  du  volcan  ;  dans  la  troisième ,  il  expose  l*état  physique  de 
Santonn  ;  enfin ,  la  quatrième  partie  contient  le  tableau  de  rétat  moral  et  religieux 
de  cette  île  et  de  la  Grèce  en  général ,  dans  les  temps  modernes ,  depuis  Toccupation 
du  pays  par  les  Turcs  jusqu*à  ce  jour.  Les  observations  importantes  et  les  particu- 
larités curieuses  abondent  surtout  dans  cette  dernière  partie ,  qui  se  recommande 
spécialement  à  Tattention  du  lecteur.  Parmi  les  pièces  justificatives  nous  avons  re- 
marqué les  capitulations  données  en  faveur  des  îles  grecques,  en  i58o,  par  Amu- 
rat  lU,  et,  par  Ibrahim,  de  i6io  à  i645. 

Vofoge  pittoresque  dansTempire  ottoman  «  en  prèce,  dans  la  Troade,  les  îles  de 
i*Arcmpd  et  sur  les  côtes  de  FAsie  Mineure,  par  le  comte  de  Choiseul-Gouffier, 
ambassadeur  de  France  à  Constantinople.  Nouvelle  édition,  augmentée  de  notices 
historiques  d*après  les  voyageurs  modernes  les  plus  célèbres ,  rédigées  avec  le  con* 
cours  et  sur  les  observations  inédites  de  M.  Hase  de  Tlnstitut ,  et  de  M.  Miller. 
Epemay,  imprimerie  de  Warrin-Thierry ;  Paris,  librairie  de  Aillaud,  i843  ^  livrai- 
sons g4  à  100  et  dernière,  un  seul  cahier  de  1  la  pages ^  in^*  ;  plus  de  ai  planches 
in-folio. 

Relations  de  Vùyages  en  Orient  de  1830  à  1838,  par  Aucher  Éloy,  revves  et  an- 
notées par  M.  le  comte  Jaubert,  membre  de  la  chambre  des  députés,  i**  et  a'  par- 
ties. Paris,  imprimerie  de  Fain,  librairie  de  Roret,  i84a\  a  vol.  in-ô",  ensemble  de 
83a  pages,  avec  une  carte.. 

BibUotkèqae  asiatique  et  africaine,  on  catalogue  des  ouvrages  relatifs  à  TAsie  et  k 
rAfnque  qui  ont  paru  depuis  la  découverte  de  l'imprimerie  jusqu'en  1 700 ,  par 
H.  Temaux-Compans.  Paris,  imprinierie  de  Didot,  librairie  d'Arthus  Bertrand, , 
i84a,  in-8*  de  3^7  pages  — ^  L'ouvrage  est  terminé  par  une  table  «dpbabétique 
des  auteurs. 

Histoire  naturelle  des  mammifères ,  avec  des  figures  originales,  coloriées,  dessinées 
d'après  des  animaux  vivants  ;  publiée  sous  l'autorité  de  l'administration  du  Muséum 
d'histoire  naturelle ,  par  M.  Geofiroy  Saint-Hilaire  et  par  M.  Frédéric  Guvier.lParis, 
imprimerie  d'Henry,  librairie  de  Biaise,  in-folio ,  7a*  et  dernière  livraison  de  34  pages 
de  texte  et  6  planches.  Cet  important  ouvrage ,  aujourd'hui  terminé ,  forme  7  vo- 
lumes in-folio. 

Recherches  sur  l'organisation,  la  fructification  et  la  classification  de  plusieurs  genres 
d'algues,  avec  la  description  de  quelques  espèces  inédites  ou  peu  connues.  Essai 
d'une  répartition  des  polypiers  calcifères  de  Lamonroux  dans  la  classe  des  algues  ; 
par  J.  F.  Chauvin.  Caen,  imprimerie  de  Hardd,  i84a ,  iiW  de  i3i  pages. 

Mémoires  sur  la  mesure  théorique  et  expérimentale  de  la  réfitiction  terrestre, 
avec  son  application  à  la  détermination  exacte  des  différences  de  niveau ,  d'après 
les  observations  des  distances  zénithales  simples  ou  réciproques;  par  M.  Biot.  Paris, 
librairie  de  Bachelier,  i84af  in-8*  de  84  pages,  avec  une  planche.  (Extrait  de  la 
CowuàMsanoe  des  temps,) 

16. 


124         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Notice  historique  sar  la  Guyane  française ,  par  H.  Ternaus-Compans.  Paris,  im- 
primerie et  librairie  de  F.  Didot  frères ,  i8&3,  in-8*  de  vi-iga  pages. —  M.  Ternauz 
raconte  tous  les  essais  d'établissement  qui  ont  été  faits  li  la  Guyane  par  les  Fran- 
çais-depuis  Tan  i6oâ  jusqu'à  ce  jour,  et  fait  suivre  ce  récit  intéressai  de  réflexions 
sur  les  causes  qui  se  sont  opposées ,  jusqu'à  présent,  au  succès  de  ces  tentatives  et 
à  la  prospérité  de  la  colonie.  Il  attribue  surtout  ce  mauvais  résultat  au  défaut  de 
persévérance  des  colons  et  à  la  direction  inhabile  donnée  à  leurs  travaux.  Il  insiste 
principalement  sur  la  salubrité  du  climat , malgré  le  préjugé  contraire,  et  termine 
en  faisant  des  vœux  pour  que  le  gouvernement  songe  à  féconder  ce  beau  pays ,  la 
seule  de  nos  colonies  qui,  par  l'étendue  de  son  territoire,  puisse  recevoir  un  grand 
développement.  On  trouve  en  appendice  à  la  fm  du  volume  des  extraits  de  diverses 
relations ,  imprimées  ou  manuscrites ,  et  une  bibliographie  de  la  Guyane ,  conte- 
nant les  titres  de  1 66  ouvrages  publiés  sur  ce  pays. 

Essai  sar  F  éducation  du  peuple,  ou  sur  les  moyens  d'améliorer  les  écoles  primaires 
populaires  et  le  sort  des  instituteurs,  par  J.  willm,  inspecteur  de  l'Académie  de 
Strasbourg.  Strasbourg,  imprimerie  de  veuve  Berger-Levrault,  librairie  de  veuve 
Levrault;  Paris ,  librairie  de  P.  Bertrand,  i843,  in-8*  de  xii-45g  pages.  —  Après 
avoir  exposé,  dans  la  première  paftie  de  son  ouvrage,  les  principes  généraux  de 
toute  éducation,  l'auteur  montre,  dans  la  seconde,  comment  ces  principes  doivent 
être  appliqués  dans  les  écoles  populaires,  et  quel  doit  être  l'enseignemenf  dans  ces 
écoles.  Il  insiste  sur  la  nécessité  de  compléter  le  système  de  Tinstruclion  et  de  l'édu- 
cation élémentaires  en  ouvrant  partout  des  salles  d'asile,  et  en  retenant  à  l'école  les 
élèves  au  delà  de  la  première  communion.  Quant  aux  procédés  d'enseignement,  il 
se  prononce  pour  le  mode  simultané  comme  devant  être  partout  préféré,  tout  en 
empruntant  au  mode  d'enseignement  mutuel  ce  qu'il  a  de  plus  utile.  Il  d^nande 
que  tous  les  enfants  parvenus  à  l'âge  de  six  ans  soient  annuellement  soumis  à  une 
sorte  de  conscription  scolaire  et  leurs  parents  tenus  de  payer  la  rétribution  men- 
suelle, s'ils  le  peuvent,  ou  âe  les  anîlener  à  l'école,  à  titre  gratuit,  s'ils  sont  indigents. 
Dans  la  troisième  et  dernière  partie  de  son  travail,  où  il  s'occupe  des  garanties  de 
capacité  à  demander  aux  maîtres  et  des  moyens  d'améliorer  leur  sort,  M.  Willm  est 
d'avis  d'obliger  tous  les  professeurs  à  passer  par  les  écoles  normales  tenues  au  nom 
de  l'Etat,  ou  de  ne  leur  donner  l'institution  définitive  qu'après  trois  années  au  moins 
d'exercice.  En  même  temps ,  il  voudrait  que  le  traitement  fixe  des  instituteurs  fût 
porté  à  3oo  francs ,  qu'on  transformât  en  une  caisse  de  retraite  la  caisse  d'épargne 
établie  dans  chaque  département  aux  termes  de  la  loi  organique  de  i853;  enfin 
qu'il  fîit  créé,  au  sein  de  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques,  une  sec- 
tion de  pédagogie ,  et  que  des  chaires  fussent  consacrées,  à  Paris  et  dans  les  dépar* 
tements ,  à  l'enseignement  de  cet  art. 

Voyage  au  pâle  sud  et  dans  l'Océanie,  sur  les  corvettes  Y  Astrolabe  et  la  Zélée,  exé- 
cuté par  ordre  du  roi,  pendant  les  années  1837,  i838,  i83g,  i840i  sous  le  com- 
mandement de  M.  J.  Dumont-d'Urville ,  capitaine  de  vaisseau.  Histoire  du  Voyage, 
par  M.  Dumont-d'Urville,  tome  FV.  Paris,  imprimerie  de  A.  Pihan  Delaforest,  li- 
brairie de  Gide,  i84^,  ia-8*  de  4a8  pages. 

Souvenirs  d'an  VoyagOans  l'Inde,  exécuté  de  i83Â  à  i83g;  par  M.  Adolphe  De- 
lessert.  Paris,  imprimerie  de  Béthune,  librairi'es  de  Fortin  et  Masson,  Lang^ois  et 
Leclercq,  i843,  in-8'*  de  a48  pages,  avec  35  planches. 

Le  Léman,  ou  Voyage  pittoresque,  historique  et  littéraire,  à  Genève  et  dans  le 
canton  de  Vaud  (Suisse),  par  M.  Bailly  de  Lalonde.  Paris,  imprimerie  et  librairie 
de  Dentu,  i84a,  2  vol.  in-S"",  ensemble  de  xvi-xlvi  et  1  i3a  pages.  —  L'auteur  de 


FÉVRIER  1-843.  125 

xe  voyage  a  certainement  atteint  le  but  qu*ii  s*est  proposé,  de  recueillir,  sur  Genève 
et  le  canton  de  Vaud,  plus  d*pbservations ,  de  faits  et  d  anecdotes,  qu'aucun  de  ses 
devanciers.  Catholique  zélé,  il  examine,  surtout  au  point  de  vue  religieux ,  les  insti- 
tutions que  la  réforme  a  fondées  dans  celte  partie  de  la  Suisse; -mais,  s'il  juge  peu 
favorablement  de  Tinfluence  du  protestantisme ,  il  exprime  toujours  son  opinion 
avec  une  grande  modération  dans  les  termes.  Voyageur  instruit,  il  sait  donner 
souvent  un  intérêt  nouveau  k  des  descriptions  tant  de  fois  répétées,  et  les  détails 
historiques  et  biographiques,  qu  il  mêle  avec  trop  de  complaisance  peut-être  à  son 
récit,  sont  le  fruit  d  une  étude  patiente  et  de  laborieuses  recherches. 

BihUothèqae  de  l'école  des  chartes,  tome  quatrième  (livraisons  i  et  3).  Paris,  im- 
primerie de  F.  Didot,  i8&3-i8â3,  188  pages*  in-8'*.  La  première  de  ces  deux  livrai- 
sons contient  les  morceaux  suivants  :  I.  Notice  sar  les  mcuiuscriis  de  formules  rela- 
tives au  droit  observé  dans  T empire  des  Francs,  par  M.  Pardessus.  Cette  notice,  où  le 
savant  auteur  fait  ressortir  l'intérêt  des  formules  pour  Thistoire  du  droit  chez  les 
Francs,  et  énumère  les  manuscrits  qui  les  ont  fournies  à  Bignon,  à  Sirmpnd,  à 
Baluze,  à  Mabillon,  etc.  est  suivie  du  texte  de  i4  formules  inédiles,  dont  g  sont 
tirées  d'un  manuscrit  ayant  appartenu  à  P.  Pithou,  et  qui  est  aujourd'hui  en  la 
possession  de  M.  Michel,  curé  de  la  cathédrale  de  Nancy.  Les  5  autres  formulés 
sont  publiées  par  M.  Pardessus,  d'après  les  manuscrits  n"*  4oo5  et  4627  de  la  Bi- 
bliothèque royale.  II.  De  la  poésie  provençale  en  Italie,  par  M.  Fauriel.  Dans  ce  tra- 
vail remarquable,  M.  Fauriel  traite  de  l'hisloire  el  des  influences  de  la  poésie  pro- 
vençale en  Italie  depuis  1^  commencement  du  xii*  siècle  jusqu'en  1 3oo ,  el  apprécie 
les  travaux  des  troubadours  provençaux  qui  ont  séjourné  en  Italie,  et  ceux  des 
poètes  italiens  formés  à  l'école  des  troubadours ,  et  qui  ont  écrit  en  provençal. 
III.  La  charte  aux  Normands,  par  M.  A.  Floquel.  Cet  article  résume  l'histoire  des 
privUéges  concéd'és  aux  Normands  par  la  célèbre  charte  de  Louis  X,  donnée  an 
mois  de  juillet  i3i5.  IV.  Fragments  inédits  de  Georges  Chastellain,  publiés  par 
M.  Jules  QuicheraU  On  sait  coinbien  de  lacunes  sont  à  regretter  dans  la  chronique 
de  Georges  Qiastellain.  C'est  dans' un  manuscrit  d'Arras  que  M.  Quichcrat  a  trouvé 
cesjcurieux  fragments,  qui  se  rapportent  aux  événements  de  i430f  année  encore 
inédite  de  ce  grand  ouvrage.  On  y  remarque  surtout  le  récit  du  combat  où  fut 
prise  la  pucelle  d'Orléans,  et  les  portraits  du  comte xle  Foix,  des  seigneurs  de  la 
maison  d'Albret,  du  comte  de  Saint-Pol,  du  comte  de  Vaudemont  el  du  roi 
Gharies  VII.  Toute  celte  partie  de  l'histoire  de  Chastellain  se  retrouve  dans  un  ma- 
nuscrit plus  complet  de  la  bibliothèque  Laurentienne  de  Florence ,  qui  comprend 
les  trois  années  i^aOi  i43o  et  i43i.  Ce  manuscrit,  signalé  par  M.  Paul  Lacroix 
dans  ses  notices  sur  les  manuscrits  d'Italie ,  sera  prochainement  publié  par  M.  Bu- 
chon.  Les  quatre  articles  suivants  composent  la  seconde  livraison.  I.  Sordello,  par 
M.  Fauriel.  Dans  un  premier  travail,  que  nous  venons  de  citer,  M.  Fauriel  avait 
parlé  des  italiens  qui  se  sont  fait  connaître,  au  moyen  âge,  comme  poètes  proven- 
çaux. Celui  d'entre  eux  qui  mérite  le  plus  d'être  étudié  est  Sordello  ou  Sordel  de 
Âfantoue,  dont  parle  Dante  dan^  un  des  plus  beaux  passages  de  la  Divine  comédie. 
C'est  à  ce  poète,  digne  d'attention  par  son  talent  et  par  la  singularité  de  ses  aven- 
tures, que  M.  Fauriel  a  consacré  ce  second  article,  qui  sera.lu  avec  un  vif  intérêt. 
II.  Affaire  du  P,  Saint-Ange,  capucin,  ou  un  épisode  de  la  jeunesse  de  Pascal,  par 
M.  Victor  Cousin.  En  1647,  I^^^cali  ^g^  ^^  ^^  ^^^^  ^^  ^^"^  ^^  ferveur  de  sa  pre- 
mière conversion ,  prit  une  part  très-active  à  une  infoimation  faite  à  Rouen  contre 
un'celieieux  de  l'ordre  des  capucins,  Jacques  Forlon,  dit  le  P.  Saint-Ange  «  accusé 
de  professer  des  opinions  contraires  à  l'orthodoxie.  Deux  manuscrits  de  la  Biblio- 


*.* 


126  JOURNAC  DES  SAVANTS. 

thèqae  royale  (supplément  français,  n*  176,  et  fonds  de  l'Oratoire,  n°  160),  ont 
fourni  à  M.  Cousin  des  documents  intéressants,  qui  mettent  tout  à  fait  en  lumière 
cette  circonstance  peu  connue  de  la  vie  de  Pascal.  III.  Ètades  sur  l'ancienne  admi- 
nistration des  villes  de  France ,  par  M.  Martial  Delpit.  Après  des  considérations  fort 
justes  sur  la  nécessité  d'étudier  Thistoire  du  droit  municipal  dans  chacune  de  nos 
grandes  villes  pour  connaître  Tontine  et  apprécier  les  perfectionnements  de  nos 
institutions  administratives  modernes,  M.  Delpit  annonce  qu'il  a  entrepris  de  pu- 
blier une  suite  de  recherches  sur  l'organisation  financière  des  villes  de  France,  et 
commence  cette  publication  par  un  article  instructif  sur  le  système  financier  de  la 
ville  d'Amiens.  Ce  travail  est  extrait  d'un  mémoire  couronné  en  i84i  par  l'Aca- 
démie des  inscriptions  et  belles-lettres. 

Annuaire  de  la  pairie  et  de  la  noblesse  de  France  et  des  maisons  souveraines  de  l'Eu- 
rope, publié  sous  la  direction  de  M.  Borel  d'Hauterive,  archiviste  r  -^léographe.  Au 
bureau  de  la  Revue  historique  de  la  noblesse,  rue  Bleue,  n*  aS.  Paris,  i843 ,  in-ia 
de  viii-388  pages ,  avec  planches.  Cet  annuaire  se  distingue,  au  milieu  des  ouvrages 
«du  même  genre  qui  paraissent  chaque  année ,  par  l'intérêt  des  documents  histo- 
riques qu'il  renferme.  Dans  sa  préface ,  l'auteur  donne  de  curieux  détails  sur  les 
Lettres  de  Henri  IV,  dont  la  publication  est  confiée  à  M.  Berger  de  Xivrey  par 
M.  le  ministre  de  l'instruction  publique.  On  trouve  aussi  dans  la  préface  un  exa- 
men historique  de  la  salle  des  Croisades  du  musée  de  Versailles,  examen  qui  sug- 
gère cette  réflexion  pénible  que  de  toutes  les  familles  françaises  dont  les  ancêtres 
ont  figuré  dans  les  événements  de  la  première  croisade  jeux  seulement  subsistent 
encore,  celle  de  Montmorency  et  celle  d'Aubusson.  L'annuaire  contient  ensuite 
Tétat  actuel  des  races  régnantes  de  l'Europe ,  la  liste  <les  ducs  de  l'ancienne  pairie , 
des  ducs  de  Fempire  et  des  ducs  de  la  restauration.  On  voit ,  dans  cette  partie  de 
l'ouvrage,  que  la  famille  de  l'empereur  Napoléon  compte  encore  a  3  membres.  Après 
ce  travail ,  M.  Borel  donne  l'histoire  sommaire  de  la  pairie ,  les  lois  et  ordonnances 
relatives  à  celte  dignité,  la  liste  des  pairs  de  France  de  181 A  à  i83o,  des  notices 
historiques  sur  60  familles,  enfin  la  première  partie  d'un  traité  élémentaire  de 
blason  dont  le  complément  paraîtra  dans  l'annuaire  de  i8&4i  avec  la  liste  des  pairs 
de  France  depuis  i83o,  et  de  nouvelles  notices  généalogiques. 

Manuel  du  libraire  et  de  V amateur  de  livres,  contenant  :  1"  un  nouveau  diction- 
naire bibliographique,  dans  lequel  sont  décrits  les  livres  rares,  précieux,  singu- 
liers ,  et  aussi  les  ouvrages  les  plus  estimés  en  tout  genre ,  qui  ont  paru  tant  dans 
lés  langues  anciennes  que  dans  les  principales  langues  modernes,  depuis  l'origine 
de  l'imprimerie  jusqu'à  nos  jours;  avec  l'histoire  de^  différentes  éditions  qui  en  ont 
été  faites  ;  des  renseignements  nécessaires  pour  reconnaître  les  contrefaçons  et  col- 
Rationner  les  anciens  livres.  On  y  a  joint  une  concordance  des  prix  auxquels  une 
partie  de  ces  objets  ont  été  portés  dans  les  ventes  publiques  faites  en  France,  en 
Angleterre  et  ailleurs ,  depuis  plus  de  soixante  ans ,  ainsi  que  l'appréciation  approxi- 
mative des  livres  anciens  qui  se  rencontrent  fréquemment  dans  le  commerce; 
3*  une  table  en  forme  de  catalogue  raisonné,  où  sont  classés  méthodiquement 
tous  les  ouvrages  portés  dans  le  dictionnaire,  et  un  grand  nombre  d'autres  ou- 
vrages utiles,  mais  d'on  prix  ordinaire,  qui  n'ont  pas  dû  être  placés  au  rang  des 
livres  ou  rares  ou  précieux;  par  Jacques- Charles  Brunet,  quatrième  édition  origi- 
nale. Paris ,  imprimerie  de  Maulde  et  Renou ,  librairie  de  Sylvestre,  i84a* '—  Cette 
nouvelle  édition  d'un  livre  si  universellement  eslimé  ne  peut  manquer  d*étre  ac- 
cueillie avec  empressement  par  les  bibliographes.  Elle  formera  cinq  volumes  grand 
in-8'',  à  deux  colonnes ,  dont  le  dernier  contiendra  la  table  méthodique.  Chaque  vo- 


FÉVRIER  1843.   . 


127 


lume  sera  publié  en  deux  livraisons.  Chaque  livraison  coûtera  8  francs ,  à  Texcep- 
lion  de  celles  du  cinquième  volume  qui  seront  payées  g  francs  chacune  ;  ce  qui 
portera  à  8a  francs,  pour  ]es  souscripteurs ,  le  prix  des  dix  livraisons.  Les  trois  pre* 
mières  livraisons,  composées  du  premier  volume  du  dictionnaire  et  de  la  première 
partie  du  second,  sont  actuellement  en  vente.  Les  livraisons  suivantes  paraîtront 
de  quatre  mois  en  quatre  mois. 

Essai  sar  T ancienne  monnaie  de  Strasbourg  et  sur  ses  rapports  avec  l'histoire  de  la 
ville  et  de  Vévêché,  par  Louis  Lcvrault.  Strasbourg»  imprimerie  de  V*  Berger-Le- 
vrault,  librairie  de  V*  Levrault,  i84a,  in-8*  de  xii*46a  pages.  —  Cet  ouvrage,  fait 
avec  soin,  sera,  pour  l'histoire  numismatique  de  TAlsace,  le  complément  néces- 
saire du  livre  récemment  publié  en  allemand  par  le  baron  de  Berstett,  sous  le  titre 
de  Versuch  einer  Mànzgeschichte  des  Elsasse.  L'auteur  y  a  joint  des  pièces  justifica- 
tives nombreuses  et  importantes. 

Le  Livre  du  cœur,  ou  Entretiens  àês  sages  de  tous  les  temps  sur  Tamitié,  ouvrage 
dédié  à  la  jeunesse,  par  Louis-Auguste  Martin.  Paris,  imprimerie  de  Mdteste,  li- 
brairie de  Têtu,  i8A3,  in-i8  de  283  pages. 

Notice  sur  V établissement  de  Vimprimerie  dans  la  ville  d'Aire,  aux  XYlf  et 
XVI II'  siècles,  par  Fr.  Morand,  archiviste  de  Boulogne.  De  l'imprimerie  de  Tho- 
mas, à  Saint-Pol,  i84a  «  brochure  in-S**  de  i5  pages.  —  Quoique  la  ville  d'Aire  ûi 
eu  des  associations  dramatiques  dès  le  xv*  siècle  et  des  poètes  dès  lexvi*,  le  goût 
des  lettres  parait  n'y  avoir  fait  que  des  progrès  très-lents.  Une  imprimerie  y  (ut 
fondée,  pour  la  première  fois ,  en  i683,  et  ne  put  s'y  soutenir.  C'est  depuis  quel- 
ques années  seulement  que ^ cette  ville  possède  un  établissement  typographique, 
qui  publie ,  sous  le  titre  d'Écho  de  la  Lys ,  un  recueil  principalement  consacré  à 
1  histoire  locale.  — Notice  historique  sur  le  beffroi  de  la  ville  de  Boulogne,  par  le  même. 
Boulogne,  imprimerie  de  Birlé,  i8iia,  in-S"*  de  i6  pages.  —  La  description  du 
.beffiroi  de  Boulogne,  dont  la  construction  remonte  au  xiii*  siècle,  donne  à  l'auteur 
l'occasion  de  rassembler  quelques  faits  intéressants  relatifs  à  l'origine  de  la  com- 
mune de  cette  ville,  à  sa  suppression  en  ia63  et  à  son  rétablissement  en  1269. 

Recherches  archéologiques  sur  les  monuments  de  Besançon,  par  A.  Delacroix.  Impri- 
merie d'Outhenin-Chalandre ,  à  Besançon,  broch.  in- 8"  de  32  pages. 

Chronologie  des  barons  de  Mello  depuis  le  xi*  siècle  jusqu'en  18A2.  Paris,  iippri- 
primene  de  Dupont,  1842,  in-4*  de  88  pages. 

Bibliographie  doaaisienne,  ou  catalogue  historique  et  rabonné  des  livres  imprimés 
à  Douai  depuis  Tannée  i563  jusqu'à  nos  jours,  avec  des  notes  bibliographiques  et 
littéraires,  par  H.  R.  Duthillœul.  Nouvelle  édition,  in-8'  de  520  pages.   . 

Archives  municipales  de  Rouen.  Rapport  adressé  à  M.  Henri  Barbet,  maire  de 
Rouen.  Imprimerie  de  N.  Périaux,  k  Rouen,  1842,  broch.  in-8*  de  3a  pages.  jCe 
rapport  est  signé  de  M.  Cb.  Richard,  conservateur  des  archives  municipales  de 
Rouen. 

Chronique  rimée  des  troubles  de  Flandre  à  la  fin  du  xiv*  siècle ,  suivie  de  documents 
inédits  relatifs  à  ces  troubles;  publiés  d'après  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de 
M.  Ducas ,  à  Lille ,  par  Ëdw.  le  Glay.  Imprimerie  de  Ducroc ,  à  Lille ,  1 8421 ,  in-8* 
de  1 60  pages ,  avec  une  planche. 

Histoire  des  lettres  au  moyen,  âge,  cours  de  littérature,  par  Amédée  DuquesncL 
Paris ,  imprimerie  de  Cosson ,  librairie  de  W.  Coquebert,  i84a ,  tome  IV,  in-8*  de 
456  pages. 

Histoire  de  Cambrai  et  du  Cambrésis,  par  Eug.  Bouly ,  i**  partie.  Cambrai,  impri- 
merie de  Lévèque ,  librairie  de  Hattu,  i84a,  in-8'*  de  a 08  pages. 


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•    ■> 


*    ■ 


128  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

De  Vanin  et  de  t abattis  de  maison  dans  le  nord  de  la  France  s  par  M.  Le  Giay,  86« 
conde  édition.  Lille,  imprimerie  de  Danel,  iSâSi  broch.  in-8*  de  &o  pages. 

Mémoire  historique  sar  la  ville  de  Moustier,  par  Jean  Solomé ,  prêtre  bénéficier, 
1756.  Digne,  imprimerie  de  Guichard,  i84at  in-ia  de  64  pages. 

Thésaurus  Grœcœ  Hnguœ  ab  Henrico  Stephano  conslructus.  Post  editionem  an^ 
glicam  novis  additamenlis  auctum ,  ordineque  alphabetico  digestum  tertio  edide* 
runt  Carolus  B^nedictus  Hase ,  Guillebnus  Dindorfius  et  Ludovicus  Dindorfius.  Vo- 
lumen  quintum,  fasciculus  seciindus. — ^Volumen  sextum  fasciculus  secundus.  Paris, 
imprimerie  et  librairie  de  Fr.  Didot,  i84a,  in-folio,  39'  et  5o*  livraisons  de  cbacune 
330  pages. 

Rei  agrariœ  scriptorum  nohiliores  reliquiœ.  Accessit  legum  romanarum  agrariaruai 
delectus ,  ad  usum  scholarum  ex  optimorum  libromm  ûde  et  manuscriptis  codici- 
bus  ope  recensuit,  edidit,  notulis  instruidt  Carolus  Girard,  juris  antecessor  Aq.  Sext. 
Paris,  imprimerie  de  Rignoux,  librairie  de  Videcoq,  i843 ,  in-8*.  Cet  ouvrage  forme 
la  5*  et  dernière  livraison  de  la  Chrestomathie ,  dont  la  publication  a  été  commencée 
en  i833. 

Nouvelles  lettres  de  la  reine  de  Navarre  adressées  au  roi  François  /•^  son  frère,  pu- 
bliées d'après  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale,  par  F.  Genin.  Paris,  impri- 
merie de  Crapelet,  librairie  de  Jules  Renouard,  i84a,  in-8*  de  3ao  pages.  (Pu- 
blication de  la  société  de  Thistoire  de  France.  )  Un  premier  recueil  de  lettres  de 
Marguerite  d*Angouléme,  reine  de  Navarre,  a  été  pnblîé  par  le  même  éditeur  en 
i84i.  (Voy.  notre  cahier  d'octobre  i84i,  page  63a.) 

Mémoire  sur  quelques  antiquités  remarquables  du  département  des  Vosges,  par  J.  B. 
Jollois.  Paris,  imprimerie  de  Blondeau,  librairie  de  Derache,  i843,  in -4*  de 
aa4  pages. 

Recherches  sur  la  géographie  ancienne  et  les  antiquités  du  département  des  Basses- 
Alpes,  par  D.  J.  M.  Henry,  2*  édition,  imprimerie  de  M"  V*  Guicbard.  Paris,  li- 
brairie de  Colomb  de  Batines,  i84a ,  in-8*  de  loo  pages. 

Table  chronologique  et  analytique  des  archives  de  la  mairie  de  Douai,  depuis  le  on- 
zième siècle  jusqu'au  dix-huitième,  d'après  les  travaux  de  feu  M.  Guilmot,  par 
Pilate-Prévost.  Douai,  imprimerie  d^Aubers,  librairie  d'Obez,  i843,  vol.  in-8*'  de 
53a  pages. 


TABLE. 

Histoire  de  la  chimie,  depais  les  temps  les  plus  reculés  jusqu*à  notre  époque, 
par  Ferd.  Hoefer  ( i*'  article  de  M.  Chevreul) Page     65 

Documents  inédits  sur  Domat  (2*  article  de  M.  Cousin] 76 

Essais  d'expériences  faites  dans  l'Académie  del  Cimento  (article  de  M.  Libri) .  •  93 

L'Art  de  la  rhétorique  par  Aristote,  texte  coHationné  et  traduit  en  français  par 
C.  Minoîde  Mynas.  * —  Artium  scriptores,  ab  initiis  usque  ad  editos  Aristotelis 
libros.  Composuit  Leonhardus  Spengel  (  3*  article  de  M.  Rossignol  ) 1 02 

Nouvelles  littéraires • 1^0 

FIN    DE   LA  TABLE. 


i*  ' 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


MARS  1843. 


Recherches  sur  les  monuments  cyclopéens,  et  description  de  là 
collection  des  modèles  en  relief  composant  la  galerie  pélasgiqae  de 
la  bibliothèque  Mazarine,  par  L.  C.  F.  Petit-Radel ,  publiées  dia- 
prés les  manuscrits  de  Fauteur.  Paris,  i84i,  in-8*^. 

Le  premier  titre  de  cet  ouvrage  donne  Tidée  d  un  travail  qui  a  ex- 
cité, pendant  près  dun  demi-siècle,  l'attente  de  l'Europe  savante,  et 
que  son  auteur  eût  été  certainement  plus  capable  que  personne  d  ache- 
ver, comme  il  avait  eu,  avant  tout  autre,  la  pensée  de  Tentreprcndre.  r  ^'^•'*' 
Mais  ce  travail,  dont  il  avait  passé  presque  toute  sa  vie  à  recueillir  les 
matériaux,  et  dont  il  avait,  dans  un  de  ses  derniers  écrits ^  tracé  le  plan                          "     :*^ 
et  indiqué  les  principaux  éléments  ^  de  manière  à  donner  lieu  de  croire 
que  la  rédaction  en  était  au  moins  commencée ,  s  est  trouvé  réduit  à  des 
notes  trop  insuffisantes  pour  atteindre  ]e  but  que  le  savant  auteur  avait 
dû  se  proposer;  et  l'ouvrage  dans  lequel  elles  auraient  pu  trouver  leur 
place  a  été  perdu  pour  la  science  en  même  temps  que  M.  Petit-Radel               '''. 
lui-même  lui  a  été  enlevé,  dans  un  âge  assez  avancé.  C'est  donc  le  se- 
cond titre  de  ce  livre  qui  seul  en  indique  véritablement  l'objet,  et  il  est 
certain  que  cet  objet  est  beaucoup  au-dessous  de  ce  qu'on  était  en  droit 

*  Dans  une  LeUre  adressée  à  M.  Panofka ,  et  insérée  dans  les  Annal  dell  Instit 
ArcheoL  1. 1 ,  p.  345-35a.  L*ouvrage  devait  avoir  pour  titre  :  Histoire  des  recherchés 
faites,  entre  les  années  1792  et  1830,  sur  les  monuments  cyclopéens  ou  pélasgiques,  9i 
sur  les  caractères  historiques  et  techniques  qui  les  rattachent  aux  premières  colonies 
grecques  et  à  la  civilisation  de  TEurope  et  de  l'Asie  Mineure, 

»7 


-* 


^^^   .  130  joiJKNAL  mA  s 

^^^  d'attendre  de  recheichps  continuées,  dur 


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t 


i 


i  SAVANTS, 
d'attendre  de  recheichos  continuées,  durant  tanl  d'années,  avec  tant  de 
îèlc  et  de  persiSvérance ,  sur  un  point  si  impoilant.de  la  science  de  i'an- 
tiquité.  Néanmoins,  l'intérêt  qui  s'attache  à  ce  dernier  ûuil  des  veilles  ' 
de  M.  Petit-Radel,  et  celui  qu'excite  la  question  arclicoiogi(]uc  elle- 
même,  nous  font  un  devoir  d' examiner,  avec  tout  le  soin  dont  nous 
sommes  capable,  l'ouviill^e  posthume  où  sont  déposées  les  dernières 
pensées  de  M.  Pctit-Radel  sur  un  sujet  qui  l'a  occupé  la  plus  grande 
partie  de  sa  vie ,  et  qui  partage  encore  les  antiquaires. 

Pou  de  mots  nous  suffiront  pour  donner  une  idée  de  la  composition 
de  ce  livre,  qui  renferme  trois  parties:  la  première,  où  l'auteur  rend 
compte  de  la  découverte  des  monuments  cyclopéens,  arrivée  accidentel- 
lement à  l'occasion  d'un  voyage  entrepris  en  juin  i  ■yga  ,  pffur  chercher,  ^^^^  ^^^ 
au  Monte  Circeo,  ie  palmier  éventail  (chamœrops  humilis).  qui  manquait  ^^V  ^J 
au  Jardin  botanique  de  Rome,  et  où  il  présente  l'analyse  ou  le  texte 
des  rapports  et  des  opinions  contradictoires  dont  celte  découverte  fut 
liobjet  de  la  part  de  savants  français,  italiens  et  allemands;  ta  seconde, 
où  il  fait  un  exposé  chronologique  des  travaux  et  investigations  de  ' 

toute  sorte,  dont  l'espèce  de  monuments  auxquels  il  appliqua  d' abord  la  ^  ' 

dénomination  de  cyclopc'ens  a  fourni  le  sujet  ou  l'occasion,  soit  h  des  ^ 

savants  ou  voyageurs,  soit  i\  des  académies,  à  partir  de  i  792 ,  époque 
de  celte  découverte,  jusqu'en  i835,  date  de  la  mort  de  l'auteur;  la 
troisième ,  enfm ,  où  se  trouve  l'expiicationit^taillée  des  modèles  en  re- 
lief composant  la  galerie  pélasgiijae ,  au  noiûbre  de  lxxx  ,  avec  les  témoi- 
gnages classiques  qui  viennent  à  l'appui,  et  avec  les  observations  four- 
nies à  l'auteur  par  divers  savants  et  voyageurs. 

Les  deux  premières  parties  de  cet  ouvrage  ne  sauraient  être  sus- 
ceptibles d'analyse,  puisqu'elles  ne  consistent  elles-mêmes  qu'en  ana- 
lyses de  témoignages,  d'opinions  ou  de  rapports  ,  qui  forment  comme 
l'exposé  histoiique  de  la  théorie  des  monuments  cyclopéens,   telle  que  « 

lavait  conçue  M.  Petit-Radel.  lïe  troisième  partie,  contenant  l'explica- 
tion d'un  certain  nombre  de  monuments  cyclopéens ,  choisis  comme 
les  plus  importants  parmi  ceux  de  l'Italie,  de  la  Grèce  et  de  l'Asie 
Mineure,  peut  seule  fournir  la  matière  de  quelques  observations,  que 
nous  présenterons  en  suivant  l'ordre  même  des  monuments  qui  nous 
serviront  à  exposer  l'état  actuel  des  opinions  sur  la  question  des  monu- 
ments cyclopéens. 

Aucun  de  nos  lecteurs  n'ignore  certainement  quel  est  le  mode  d'ar- 
chitecture auquel  s'applique  celte  dénomination  de  cyclopéenne,   qui  3 
acquis,  de  nos  jours,  une  si  grande  célébrité  dans  la  science.  On  sait         -'* 
qu'il  consiste  en  nn  appareil  de  construction  composé  de  blocs  de  pierre 


'••s* 


V* 


il 


Mars  1843. 


131 


de  forme  polygone  irrcgulière,  gi^néralement  de  très-grande  dimension, 
et  toujours  assemblés  sanffciment.  C'est  cette  espèce  de  constriiclîon  qui 
frappa  pour  iâ  première  fois  M.  Pelil-Radel  pai'mi  les  ruines  du  pro- 
montoire de  Circé,  et  qu'il  appela  dès  lois  cyclopécrine ,  parce  qu'il  la 
trouva  identique  avec  celle  qui  s'observe  encore  dans  les  murs  de 
Tirynthe  et  de  Mycènes,  en  Argolide,  el  qui  éïfcîfrcgardt^c,  par  les  an- 
ciens eux-mêmes ,  comme  l'œuvre  des  Cyclope».  Depuis,  en  retrouvant 
la  même  constiuction  dans  un  assez  grand  nombre  d'enceintes  de  villes 
âuLatlum.  particulièrement  de  eellâ  du  pays  des  Hiriiiijim,  des  Èqaes 
et  des  Aborigènes ,  auxquels  certaines  traditions  antiques  ^ribuaient 
une  origine  p»^lasgiqup,  M,  Petit -Radel  se  fixa  dans  l'idée  que  cette 
construction  en  pierres  polygones  irrégidières,  appareillées  sans  ciment, 
était  propre  au  peuple  pélasge,  c'est-à-dire  à  la  pace  grecque  primitive, 
dont  on  sait,  par  de  nombreux  témoignages  historiques,  que  les  colo- 
nies venues  en  Italie  par  les  côtes  de  l'Épire  et  de  l'Illyrie.  avaient 
fondé  beaucoup  de  villes  dans  cette  partie  centrale  de  l'Italie,  où  ces 
ruines,  dites  cyclopéel^n&j  devenaient  ainsi,  à  ses  yeux,  autant  de  mo- 
numents certains  de  lear  origine  pélasgiqiie;  et  il  ne  put  que  s'affermir 
dans  cette  opinion,  à  mesure  que  les  voyageurs,  dont  l'attention  avait 
été  dirigée  par  lui-même  sur  cette  espèce  de  constniclions,  découvraient 
de  ces  murs  cydopécns  dans  des  pays,  tels  que  le  Péloponnèse ,  VAttiqae, 
la  Béotte,  la  Phnctdc,  la  Thessahe,  YEpire.  la  Thracc  et  Y  Asie  Mine  are, 
avec  les  iles  qui  en  dépendent,  où  le  séjour  des  Péiasges,  attesté  par 
l'histoire,  se  trouvait,  de  cette  manière,  justifié  par  les  monuments. 
Quelquefois,  les  murs  dont  il  s'agit ,  surmontés  de  constructions  de  style 
hellénique,  et  conséquemment  d'une  époque  plus  récente,  ofiitiicnt 
ainsi  la  preuve  matérielle  de  leur  antériorité.  Le  plus  souvent,  ces  murs, 
appartenant  h  des  villes  depuis  longtemps  détruites  et  laissées  à  l'aban- 
don, se  montraient,  dans  cet  isolement  même  de  toute  autre  construc- 
tion, empreints  d'une  caractère  d'antiquité  qu'il  était  impossible  de 
méconnaître;  et  toutes  ces  conÂdéra lions  réunies  tendaient  de  plus  en 
plus  i\  confirmer  l'idée  que  dea  murs ,  ainsi  marques  du  sceau  d'une  vé- 
tusté ineffaçable  et  comme  donés  d'une  force  indestructible,  ne  pou- 
vaient être  (p^ie  l'œuvre  d'une  race  primitive ,  telle  que  celle  des  Péiasges 
de  la  Grèce  et  de  l'Italie. 

Cette  doctrine,  qui,  sous  le  double  rapport  de  l'art  et  de  l'histoire, 
renfermait  de  grandes  conséquences,  et  qui  fut  d'abord  accueillie  avec 
fiiveur  en  Italie,  où  elle  était  née,  et  en  France,  où  son  auteur  l'ap- 
porta vers  1 800  ,  éprouva  néanmoins  d'assez  graves  contradictions.  On 
essaya  de  contester  la  justesse  de  cette  dénomination  de  cyclopéenne 


>*^ 


132  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

appliquée  à  un  mode  de  construction  qu'on  croyait  trouver  dé.sigué, 
tantôt  dans  ïincertum ,  tantôt  dans  i'emp/ccion  de  Vitruve ,  et  ce  fut 
surtout  un  critique  allemand,  feu  M.  Sicklcr,  qui  se  fondit,  dans  le 
Magasin  encyclopiidique  de  Millin',  l'organe  de  celte  opposition,  trop 
légèrement  admise  par  le  docte  commentateur  de  Vitruve,  Gottl.  Schnei- 
der^. Un  savant  rapport'de  l'Académie  des  beaux-arts,  rédigé  par  Vis- 
conti*,  fit  aisément  justice  de  ces  objections  réellement  dénuées  de 
fondement.  On  crut  trouver  un  argument  plus  décisif  contre  la  théorie 
de  M.  Petit-Radel  dans  le  fait  d'n^  inscription  latine,  constatant  la 
construction  d'une  partie  de  murs  d'enceinle  de  la  citadeHe  de  Feren- 
tinum,  laquelle  inscription  aurait  été  gravée  directement  aa-dessus  d'an 
mar  cyclopéen;  d'où  il  suivrait  que  l'on  aurait  continué  de  construire 
dans  ce  système,  k  une  époque  très-avancée  de  la  république,  dans 
les  vil'  et  viii°  siècles  de  Rome,  conséquemment ,  que  l'attribution  de 
ces  sortes  de  murs  à  une  population  et  à  une  époque  exclusivement 
pélasgiques  se  trouvait  riûnée  dans  sa  base.  Celait  encore  M.  Sickler 
qui  avait  imaginé  ce  moyen  de  combattre  la  doctrine  du  savant  fran- 
çais*; je  dis  imagine,  parce  qu'il  avait  fondé  tout  son  raisonnement 
sur  un  dessin  du  mur  en  question,  dessin  dont  l'exactitude  devait  lui 
paraître  passablement  suspecte  à  lui-même,  et  dont  la  fausseté  fut  pu- 
bliquement démontrée,  d'abord  par  l'aveu  do  l'aulcur  même  de  ce 
dessin,  Mariana  Dionigi.  puis  par  une  déclaration  du  célèbre  archi- 
tecte et  voyagem'  anglais  Dodwell,  appuyée  d'un  nouveau  dessin  exé- 
cuté avec  lout  le  soin  possible  à  la  chambre  claire.  11  resta  dh  lors  par- 
faitement établi  que  la  partie  du  mur'antique  de  i'évêché  actuel  de 
Feretitino,  qui  porte  l'inscription  latine  de  M.  Lotlius  et  d'A.  Ilirtius, 
est  une  construction  romaine  appareillée  par  assises  horizontales,  sans 
aucun  rapport  avec  la  vraie  construction  cyclopéenne;  le  nouvel  argu- 
ment dfc  M.  Sickler  se  trouvait  donc  détniit  comme  le  premier;  et ,  si 
quelque  cItOsc  peut  surprendre  dans  ces  luttes  de  la  scifiDce ,  où  la  pas- 
sion et  l'esprit  de  parti  prennent  trop  souvent  la  place  de  la  critique  et 
pervertissent  faction  du  jugement,  c'est  qu'après  vingt-quatre  ans 
écoulés  sur  cette  malheureuse  tenlalive  du  docteur  Sickler,  un  écrivain , 

'  Magasin  encyclopédique,  ann.  1811,  1. 1,  p.  ail  el  suiï.  et  l.  11,  p.  3oi  et  suiv. 
— '  Aitimadv.  ofl  Vifruv.  u,  8,  1,  t.  II,  p.  i  i5-ii6.  —  *  Ce  rapport,  imprimé  dans 
le  Momicur,  année  i8ia,  n°  110,  a  été  reproduit  dans  le  volume  dont  nous  ren- 
dons compte,  p.  ^1-/17;  mais  c'est  pnr  uoe  erreur,  due  sans  doute  aux  éditeurs, 
qu'il  est  donné  comme  émanant  de  l'Académie  des  inscriptions  el  bel  les- le  tires. — 
'  Magasin  encychpédiqae  de  Millin,  année  1810,  cahier  de  février,  l.  I,  p.  ail  et_ 


¥ 


■.it  > 


MARS  1843.  133 


aussi  honorable  par  son  caractère  que  par  son  savoir,  M.  Bunson  * ,  ait 
cru  pouvoir  reprendre  Tarme  brisée  entre  les  mains  du  critique  aller,' 
mand,  et  s'en  servir  de  nouveau  pour  diriger  contre  la  doctrine  àkSf 
M.  Petit -Radel  une  attaque  tout  aussi  vaine' qûé^iii  première,  mais'- 
peut-être  encore  moins  excusable  ^.  "  ? 

Je  ne  comprends  pas,  dans  le  nombre  des  contradictions  qua.pu 
éprouver,  dès  Torigine  jusquà  nos  jours,  cette  théorie  des  monameAts 
cyclopéens,  des  doutes  exprimés  avec  trop  ped  de  raisons  à  i*appui  par 
M.  Micali  ',  et  réfutés  suffisamment  par  M.  Petit- Radel  *  ;  ni  même  les 
observations  plus  sérieuses  consignées  par  M.  Quatremèrc  de  Quincy 
dans  son  Dictionnaire  d'Architecture,  au  mot  Poljrgone^,  L'illustre  anti- 
quau'e  ayant  supprimé  tout  cet  article  dans  la  seconde  édition  de  son 
Dictionnaire,  publiée  en  1 832 ,  à  la  vérité ,  sans  y  admettre  le  mot  cy- 
clopéen\  qui  fait  pourtant  partie  du  vocabulaire  de  l'architecture  an- 
tique ,  semble  avoir  indiqué  par  là  qu'il  voulait  rester  neutre  dans  cette 
question,  ou,  du  moins, qu'il  attendait,  pour  se  prononcer  avec  l'auto- 
rité qui  lui  appartiefl^dans  ces  matières,  des  éclaircisscmertîs  plus 


K^ 


^  Voy.  YEsame  cCf9gnjfflBf:!0'  Storico  del  sito  dei  pÎ8  aniichi  stahilimenti  itaJici  nel 
territorio  reatino  e  le  tm9,:èSfKéênze ,  inséré  aux  Annal,  delV  Instit,  ArcheoL  t.  VI, 
p.  i44:  t  Finalmente  porta  Ferentino  teslimonio  cliiaro  avervi  fabricato  i  Romani 
nel  tempo  délia  republica  un  muro  poligono  che  finisce  in  qiiadrato,  d«i  ibnda- 
menti,  e  non  divers©  dagU  allri  saggi  di  mura  che  ivi  si  scorgono,  »  avec  la  noifc 
où  se  trouve  rapportée  à  IHippui  l'inscription  célèbre  pnbllée  d'abord  par  Gruler, 
1. 1,  p.  CLXV,  3.  —  *  M.  Petil-Radel  a  repoussé,  dans  le  même  volume  des  Annal. 
deW  Instit.  Archeol.  p.  35o-353 ,  l'attaque  de  M.  Bunsen  ;  et  celle  réponse  n'ayant 
\à^^  été  suivie  d'aucune  réplique,  nous  devons  croire  que  le  critique  allemand  s*esl 
'-  rendu  aux  raisons  du  savant  français.  —  '  Dans  l'explication  de  la  pi.  x  de  l'Atlas 

•        qui  accompagne  son  Italia  avanti  il  dominio  dei  Eomani ,  Firenze,  iSîo  ;  cf.  t.  Il,  ^ 

p.  1 52,  a)  :  tBenchè  sia  piaciuto  al  sig.  Petil-Radel  chiamar  tali  mura  ciclopee ,  e  *•  /* 

farne  un  capo  di  conclusioni  islcfriche,  vi  sono  forli  ragioni  per  credere  che  simîl 
struttura  di  murage  convenga  a  tempi  meno  antichi.  »  Il  est  fâcheux  que  l'auteur 
n'ait  pas  jugé  à  propos  d'indiquer,  au  moins  par  quâlques  mots,  quels  étaient  les  .. 
raisons  si  fortes  qui  le  portaient  à  attribuer  les  murs  dont  il  s'agit  à  des  temps  moint^^i.-. 
anciens.  En  tout  cas,  une  opinion  qui  se  produit  sans  aucune  preuve  ne  saurait  pré-"*" 
tendre  k  une  bien  grande  autorité.  Dans  son  dernier  onrrage,  Storia  degli  antichi 
Popoli  Italiani,  t.  I,  p.  1 44.  M.  Micali  cite  les  murs  de  Satarnia  et  de  Cossa  comme  * 

exemples  de  celle  construction ,  che  vaol  chiamarsi  ciclopicu  e  che  potrehh'  essere  la 
meno  vetasta.  Mais  là  non  plus  il  ne  donne  aucune  raison  de  cette  manière  de  voir, 
qui  me  paraît  contraire  à  tous  les  faits  acquis  jusqu'ici  à  la  science.  —  *  Voy.  le 
Monitenrde  1812,  n.  110.  —  "T.  III,  p.  i56-i57,  Paris,  in-ii%  i8a5.  Je  dois  dire  .•    . 

.  pourtant  que,  dans  plusieurs  endroits  de  ce  dictionnaire,  où  il  est  fait  mention  4^ 

^  des  constructions  cyclopéennes ,  Tauteur  s^exprime  de  manière  à  montrer  qu'il  n*ad- 

mettaii  pas  la  doctnne  de  M.  Pelit-Radel.  Je  citerai  particulièrement  Tarticle  Voâte, 


f- 


.* 


t.  n  •  p.  696. 


* 


■^■ 


t 


t-. 


13t  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

complél»  iburnîs  par  des  témoignages  plus  authentSjàes  ^  Mais  cette    * 
»^question  des  monuments  cychpéens,  qui  ne  s  était  agitée ,  durant  plusieurs 
%.  "-      *  *Mjpitmées ,  que  dans  uii,*^to5le  assez  étroit  d'objections  et  de  réponses,  a 

^Tpris,  à  une  époque'yirfi^roisine  de  la  nôtre,  une  importance  plus  grande, 
■^  en  raison  des  déœ'uV(?rtes  phis  nombreuses  de  monuments  qui  eurent 

lieu  à  cette  époque,  et  surtout  par  suite  d'une  observation  pjus  atten- 
tive dont  ils  devinrent  Tobjet.  C'est  aussi  alors  que  des  difficultés  plus 
graves  furent  élevées  contre  la  doctrine  de  M.  Petit- Radel;  et  ces  diffi- 
cultés, dont  quelques-unes  ne  se  sont  produites  que  depuis  sa  mort,  et 
sans  qu'il  y  ait  été  encore  répondu  d'une  manière  satisfaisante,  mé- 
ritent que  nous  en  rendions  un  compte  sommaire  à  nos  lecteurs;  ce 
qui ,  du  reste ,  nous  fournira  l'occasion  de  parler  des  monuments  mêines. 
UInstitut  Archéolocjique i  dont  la  fondation  fut  surtout  occasionnée 
par  les  découvertes  de  monuments  opérées  sur  le  territoire  étrusque 
voisin  de  Rome,  à  partir  de  1827,  et  qui  tîontribua  si  puissamment  à 
'faire  coîéiaître  ces  monuments  et  à  enrichir  fe  science  de  l'antiquité 
^  de  toJs*les  faits  qui   résultaient  de  leur  pu^^aiion,    n'apporta  pas 

moins  d'intérêt  à  la  recherche  des  ruines  cyctti^iilijfim  et  à  la  solution  de3 
questions,  à  la  fois  historiques  et  archéol(|Pp|i(K?qiii  se  rattachaient  à 
ces  ruines.  Les  trois  premières  planches  du  réiSS^  de  monuments  iné-    ' 
dits  que  publia  cette  société  offraient,  avec  \m  plan  de  Nt)rba,  le  pre- 
flIRer  ifKr^n  eût  encore  été  dressé^,  les  dessyU^e  trois  des  portes  de 
cette  ahtîique  cité  detSVolsques  et  celui  de  la^éli^bre  porte  dite  sara- 
cenica,  de  la  ville  de  Slrjnia,  aujourd'hui  Segni;  et  le  volume  de  texte 
**        qui  accompagnait  cette  publication ,  et  qui  parut  dès  1 829 ,  renfermait      ^.  j^  ' 
un  long  et  savant  mémoire  de  M.  Éd.  Gerhard  sur  la  question  des  mars       ^^ 
cychpéens f  en  général,  et  sur  celle  des  murs  de  Noria  et  de  Signia,  en       **> 
particulier'.  En  môme  temps,  se  préparaient,  de  la  part  du  célèbre 
voyageur  anglais,  feu  M.  Dodwell,  et  de  celle  de  son  compatriote, 
sir  W.  Gell,  des  excursions  sur  le  territoire  de  Tancien  Latium,  sur  ce- 
,  ;lui  des  Sabins,  des  Marses  et  des  Samniies,  au  sud  de  cette  partie  de 
'   l'Apennin,  et  sur  cSfaî'  des  Ombriens  et  des  Étrusques,  au  nord^  excur- 
sions qui  devaient  avoir  pour  objet  de  reconns^ttre,  sur  toute  la  face  de 


ri 


*  C'est  à  peu  près  dans  le  même  sens  que  je  m'expliquais  moi-même,  mais  eii. 
des  termes  que  je  n^aurais  pas  dû  me  permettre,  danj  une  note  de  la  traduction 
française  de  l'ouvrage  de  M.  Micali,  t.  II,  p,^  335-337  ,  n.  xvni.  J'ai  rétracté;  depuis 


f  '    ^   V  irançaise  ac  1  ouvrage  ue  iyi.  lYiicaii,  i.  xi,  ^^ooo-dd'j  ,  n.  xyiii.  o  ai  reiracio; uepu» 

'A^'"  cette  note,  dont  la  forme  était  peu  convetiable  pour  un  savant  dont  j'ai  toujours  i 

.   y  '  ^-  honoré  le  mérite  et  dont  je  respecterai  toujours  la  mémirire  ;•  voy.  les  Annal.  delV  ^ 

fi*-  InstiL  ArcheoL  1. 1,  p.  433.  —  *  Monum.  pubhlic.  dalV  trisiit.  Archeol.  U  I,  tav.  11  ; 

^.  Annal.  1. 1,  p,  67-78.  —  *  Annal,  delV  Instit,  ArcheoL  1. 1  ,'p.  36-90.     -,  >• 


# 


MARS  1843. 1Ç  135 

ce  pays ,  qui  avait  été ,  dans  les  temps  a^férieurs  à.  la  formation  de  la 
ligue  latine  et  à  la  naissance  de  Rome ,  ^occupé ,  potf  la  grande  partie, 
par  les  Aborigènes  et  les  Pélasges,  les  sites  des  villes  mentionnées  par 
Denys  d'Halicamasse ,  sur  la  foi  de  Varron,  compie  ayant  été  fondée^ 
par  ces  peuples,  et  de  constater,  par  des  dessins  plus  exacts,  le  style 
d'architecture  des  monuments  qui  pouvaient  en  subsister  enoore.  Ces 
voyages,  qui  s  accomplirent,  en  effet,  dans  le  cours  des  trois  années  sui- 
vantes, eurent  tous  les  résultats  qu'on  pouvait  s'en  promettre,  et  sur- 
passèrent même  l'attente  qu'ils  savaient  excitée,  en  produisant  la  dé- 
couverte de  beaucoup  de  villes ;nouvelles  dans  des  localités  antiques, 
particulièrement  aux  environs  de  Tivoli  et  du  lac  Fucin,  aii3tt4}uç  dans 
l'étroite  vallée  qui  s'étend  de  Rieti  à  ce  lac,  et^i,  sous^ift^m  nft- 
derne  de  Cicolano,  régond  à  l'ancien  pays  des  Mqaicolœ.^^aÈ^lculani, 
et  en  circonscrivant  avec  plus  d'exactitude  et  de  préoMUMtfen  n'a-, 
vait  pu  le  faire  jusque-là  le  territoire ,  jadis  couvert'5«içj!lBBES  pélas- 
giques,  où  se  retrouvent  de  nos  jours  I%iitar5  cyclopéens,  terrilbire  com- 
pris entre  le  Tibre ,  l'Apennin  et  1^,  Lms ,  dans  un  espace  d'enviroi;^ 
soixante  lieues.  Les  résultats  de  ces  voyages  de  IVf!  Dodwell  et  de  ceux' 
de  sir*W.  Gell,  sans  compter  de  nombreux  dessins  de  raines  cych- 
péennes  ohsefvées  sur  tout  ce  tefiMÊrc  par  divers  voyageurs  anglais, 
allemands  et  fran^îs,  qui  tous  Mjicouraient  à  resserrer  la  question 
cyclopéenne  dans  ses  vraies  limites  d'espace,  et  conséquemment  îiussi 
de  temps ,  ont  été  ,  à  diverses  reprises  et  sous  plusieuES  fonnes ,  signalés 
à  l'intérêt  du  monde  savant,  dans  les  [iiililii  itiriii  iilOiyfjfiiliiif  liifii'iifii 
^ue^.  M.  Petit-Radel,  qui  nuait  cessé  de  provGMitfié^ 
tions  nouvelles,  comme  il  avnt/ dirigé  les  preirpM|l||n^  exé- 

cutées dès  i8io  en  Sabine  par  l'architecte  Simelli,  ëônSKiade  prendre 
à  ces  travaux  de  YInstitat  une  part  active  par  plusieurs  mémoires  qu'il 
fit  insérer  dans  ce  recueil^;  eXÎmxt  ce  qui  semblait  avoir  été  acquis  à 
la  science,  sur  ce  point  important  d'antiquité,. en  fait  de  monuments 

*  Un  extrait  du  premier  Voyage  de  M.  Dodwell  en  Sabine,  donné  par  son  compa- 
triote sir  W.  Gell,  se  trouve  dans  le  Ballet  Archeol.  de  i83i,* p^é^-âB.  La  Lettreîde 
M.  Dodwell  lui-même  sur  ses  découvertes  dans  le  territoire  de  Tivoli  se  trouve  dans 
les  Memorie  delVdnstit,  Archeol,  1. 1,  p« 84-86;  t;f.  p.  82  ,  3i),  Sa).  Il  faut  joindre  à 
ces  notices  celles  qui  so^^dminées  dàia  les  mêmes  Memorie,  p.  55-56  et  67-ga ,  et 
dans  les  AnnaLLW.1  p.i|||^4i5 ,  en  y  ajoutant  les  deux  Mémoires  de  M.  Petit-Radel 
sur  les  monuments  cyclé^tens  des  villes  pélasgiques  de  la  Sabine,  insérés  dans  ces 
mêmes* ilnna/.  t.  IV,  p.  1^19  et  a38-a5Â.  —  '  Indépendamment  des  deux  Mémoires 
cités  à  la  note  p^cédeoi^,  je  rappellerai  encore  les  deux  Lettres  à  M.  Panpfka', 


publiées  dans  tes  ilnrufifiTC!},  pt'SÎib*36o  •  et  deux  autres  Lettres  adressées  à  H.  le 
duc  de  Luynes  et  insétAs  dans  kf  Annal,  t.  VI,  p.  350-367.  ^ 


Luynes  et  insérees  dans^kt  ^ima/.  t.  VI,  p.  35o-367. 


..  / 


^ 


» 


h.  m 


-#■ 


136  JOUifNAL  DES  SAVANTS. 

nouveaux  et  d'observations  liées  à  l'étude  de  ces  monuments ,  se  trouva 
résumé  dans  un  nJpport  géfip||iral  de  M.  Bunsen,  qui  fut  rédigé  à  la  fin 
de  1 833 ,  et  qui  parut  dans  le  tome  VI  des  Annales  de  Tlnstitut  Archéo- 
logique ^ 

Tels  sont  les  travaux  exécutés  du  vivant  de  M.  Petit-Radel ,  dont  il 
put  encore  avoir  connaissance ,  pour  compléter,  rectifier  ou  défendre 
sa.  théorie  des  monuments  cyclopéens,  sur  les  points  où  cette  théorie  avait 
dû  paraître  plus  ou  moins  justifiée  par  les  faits;  et,  depuis  sa  mort,  ar- 
rivée ^n  1 836,  il  n'a  paru  qu'un  ouvrage,  publié  dans  cette  même  année, 
sur  les  antiquités  d*Alba  Facensis  ^,  qui  tende  à  infirmer,  à  l'égard  des  mo- 
numents de  cette  ville,  les  idées  que  s'en  était  faites  M.  Petit-Radel.  Je 
d^s  pour^nt  ajouter^pncore  à  cet  ouvrage  ceux  de  l'architecte  romain 
L.  CanSdi|ËL^pu^  en  plusieurs  endroits  de  son  Architecture  romaine,  par- 
ticulièrepîwfitu  sujet  des  antiquités  de  Norba  et  de  SegnP,  s  est  éloigné 
delà  doiS^jllHjlp'^  Fauteur  des  Recherches  sur  les  monuments  cyclopéens, 
en  adoptait,  à  cet  égard*,  les  iàééi  des  deux  savants  antiquaires  de  ïlnsti- 
^  tjit  Archéolo(jique ,  MM.  Ed.  Gerhard  iît  Bunsen;  et  je  suis  d'autant  plus 
.obligé  d'en  faire  ici  l'observation,  que  les  éditeurs  de  l'ouvrage  pos- 
thume de  M.  Petit-Radel  s'autorisent  de  l'assentiment  donné  aux  opi- 
nions du  savant  français  par  les  §âix  architectes  Promis  et  Canina , 
comme  d'un  dernier  hommage  renOB  à  sa  doclrine^  :  ce  qui  manque 
tout  à  fait  d'exactitude. 

.  Après  cet  exposé  succénct  des  travaux  produits  jusqu'à  nos  jours  sur 
la  quesiioïi^ des  ràtnuments  cyclopéens,  il  nous  reste  à  faire  connaître  les    j^ 
difficultés' q^étf-ir^ultent  pour  l'opiiûon  de  la  haute  antiquité  de  c6d[H|L 
monuments  et  pour  colle  de  leur  origîtie  exclusivement  pélasgique.  Ces  ^^fSr 
objections  ont  été  surtout  exposées,  d'abord  par  M.  Éd.  Gerhard,  puis 
par  M.  Bunsen,  qui  n'a  fait,  il  est  vrai,  que  reproduire  l'opinion  de  son 
confrère ,  sans  y  ajouter  de  nouveaux  arguments;  plus  récemment,  par 
M.  Canina,  qui  semble  avoir  regardé  comme  tout  à  fait  démontrée  l'o- 
pinion de  M.  Éd.  Gerfcard  sur  l'époque  romaine  des  mars  cyclopéens  de 

*i  p.  99-1 45.  —  *  Le  Antichità  di  Alla  Fucense,  Roma,  i836 ,  in-8'.  —  '  Architett. 
Roman,  p.  I ,  c.  i,  p.  32 ,  et  ailleurs.  —  *  Il  suffît  de  comparer  ce  que  disent  léi^ré- 
dactcurs  des  Recherches  posthumes  de  M.  Petit-Radel,  au  sujet  àe$  opinions  de 
MM.  Promis  et  Canina  sur  la  question  cyclopéenne,  p.  L.a^-ia6,  avec  les  opinions 
réelles  de  ces  deux  architectes ,  telles  qu* elles  sont  expiiiâées  dans  leurs  ouvrages 
mêmes ,  pour  se  convaincre  qu*elles  sont  dans  un  désaccord  complet  avec  la  doc- 
trine du  savant  français  *,  et  c  est  c€  que  prouvera  la  suite  de  cet  article ,  ou  nous 
.combattrons  Topinion  de  ces  artistes,  dont  nous  estimons  beaucoup,  du  reste,  le 
talent  et  le  savoir,  et  où  nous  la  combattrons  précisémenr<9lil8  ce  qu'elle  a  de  con- 
traire à  la  thâèie  de  M.  Petit-Radel.  ^  ' 


> 


MARS  1843.  137 

Norba  et  de  Seqniy  sans  tenir  compte  des  réponses  quy  avait  opposées 
M.  Petit-Radel;  et,  enfin,  par  M.  Promis,  qui,  en  s  occupant  de  l'étude 
des  antiquités  diAlba  Facensisy  qu'il  croit  d'époque  romaine,  contraire- 
ment à  l'idée  de  M.  Petit-Radel,  a  cherché  à  justifier  cette  manière-de 
voir  par  des  considérations  purement  architcctoniques.  Dans  cette  dis- 
cussion, c'est  donc  l'opinion  de  M.  Ed.  Gerhard  qui  forme  le  prin- 
cipal et  à  peu  près  le  seul  appui  des  dissentiments  qui  se  sont  élevés,  de 
nos  jours,  sur  la  théorie  des  monuments  cyclopéens,  telle  que  l'avait  con- 
çue son  auteur  ;  et  nous  aurons  réduit  la  question  au  point  où  elle  se 
trouve  aujourd'hui,  en  faisant  connaître  les  motifs  de  cette  opinion 
de  M.  Éd.  Gerhard,  et  en  tâchant  de  les  apprécier  à  leur  juste  valeur. 
On  rejette  d'abord  la  dénomination  de  cyclopéens  donnée  aux  monu- 
ments dont  il  s'agit,  comme  ayant  été  introduite,  pour  la  première  fois ,  en 
Italie  par  Dodwell,  ce  qui  n'est  certainement  pas  exacte  et,  deplus.comme 
ne  reposant  sur  aucune  autorité  antique  ;  c'est  M.  Bunsen  qui  déclare  cela 
eh  termes  exprès,  et  qui  s'autorise  delà  démonstration  qu'en  a  donnée 
M .  EiL  Gerhard  ^.  Or  le  savant  dont  on  allègue  ici  le  témoignage  s'est  borné 
à  dire^  :  Quelle  costruzioni  che  pià  non  si  ritengono  corne  operate  da'  Telchini 
e  Ciclopi,  vengono  d'ordinario  a'  nostri  tempi  attribuite  ai  Pelasgi;  et  ce  n'est 
certainement  là  qu'une  opinion  tout  à  fait  dénuée  de  preuves,  dont  il  est 
permis  de  ne  pas  tenir  beaucoup  de  compte,  surtout  lorsque  l'on  voit 
l'auteur  employer,  à  chaque  instant,  dans  cette  même  dissertation,  le  mot 
de  cyclopéens  pour  désigner  les  murs  en  question.  Ensuite,  n'y  a-t-il  pas 
quelque  légèreté  à  prononcer  ainsi  que  ce  nom  de  cychpéen  manque  d'au- 
torité  antique,  quand  il  est  si  certain  et  si  notoire  qu'Euripide,  dans  plu- 
sieurs de  ses  tragédies*,  a  nommé  cyclopéens  les  murs  de  Tirynthe  et  de 
Mycènes;  quePindare  a  dit,  en  parlant  de  ces  mêmes  murs  de  Mycènesi- 
Kvxkùhrta  vpôOvpa  EvpvcrOecjs^;  que  Strabon,  auteur  grave  ® ,  et  Pausa- 
nias,  voyageur  instruit"',  se  sont  rendus  les  interprètes  de  la  tradition 

^  On  fait,  sans  doute,  allusion  à  un  Mémoire  de  M.  Dodwell  sur  les  monuments  cy-. 
clopéens,  lu  à  f  Académie  romaine  d^Ârchéologie ,  et  cité  par  M.  Fortia  d'Urban  dans 
son  Discours  sur  les  murs  cyclopéens,  Roma,  i8i3,  p.  At  i)*  Mais  il  est  notoire  qu'en 
1702,  vingt  ans  auparavant,  M.  Petit-Radel  avait  employé  cette  expression.  — 
*  Annal.  delV  Instit.  Archeol.  t.  VI,  p.  iâ5  :  «  Neppure  vorrei  che  si  ritenesse  il  nome 

délie  mura  cyclopee perché  di  niun  autorita  antica ,  come  Tha  ffià  perfettamente 

stabilito  il  nostro  chiarissimo  collega,  Sig.  Prof.  Gerhard.  —  '  Annal.  1. 1,  p*  47* 

—  *  Euripid.  Troad,  v.  1094  :  kpyoç,  tva  reiyea  \àiva,  KTKAÙUEr,  oOpdria  ytfftov- 
Toi  ;  Electr.  v.  1 166  :  KTKAÛDEIÀ  T  oùpépia  rei/ea;  Iphig.  Aal  y.  a65  :  Éx  Mwat- 

vas  le  ràç  KTKAÛIltA^;  Hercul  Far.  y.  gàbS  :  Upds  ràs  Uwcivas  sïfit es  rà 

KTKAÙnûN  ^àâpa ;  Orest,  v.  gSS  :  Ta  KTKAaiIElA.  —  *  Pindar.  Fragm.  incerL  1 5i . 

—  *  Strabon.  vm,  369  et  SyS.  —  'Pausaii.  11,  16,  4t  et  a5,  7;  vu,  a5,  7. 

*  '  18 


138  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

antique  qui  attribuait  la  construction  des  anciennes  murailles  de  Ti- 
jjnihe,  de  My cènes  et  de  Naaplia,  aux  Cyclopes  de  Lycie  amenés  par 
Proetus;  et  que,  pour  ne  pas  prolonger  cette  énumération  de  témoi- 
gnages qui  nous  mènerait  trop  loin ,  la  même  tradition  avait  trouvé  un 
organe  plus  ancien  encore  et  plus  accrédité  dans  Phérécyde  ^?  Ce  n  est 
pas  ici  la  place  de  m' expliquer  sur  Topinion  que  je  puis  avoir  au  sujet 
de  ces  Cyclopes,  ouvriers  de  Tâge  mythologique,  qu'il  ne  faut  pas  con- 
fondre avec  ceux  d'Homère  ^  et  d'Hésiode  *,  ainsi  que  les  commenta- 
teurs français  de  Strabon  en  ont  déjà  fait  la  remarque*;  je  me  contente 
de  dire  que  je  partage  à  peu  près,  sur  ce  point,  les  idées  de  ti'ois  des 
antiquaires  de  notre  âge ,  qui  ont  traité  avec  le  plus  de  savoir  et  de  sa- 
gacité les  questions  de  Thistoire  de  l'art,  et  spécialement  celle  des  mo- 
naments  cjclopéens ,  Boettiger^,  Hirt®,  et  M.  de  Klenze'';  et  cela  me  dis- 
pensera de  réfuter  plus  en  détail  une  allégation  aussi  dépourvue ,  d*ail- 
îem's ,  d'autorité  que  celle  de  M.  Bunsen  *. 

J'ai  déjà  dit  ce  qu'il  fallait  penser  de  l'allégation  du  même  critique", 
au  sujet  de  l'inscription  latine  gravée  au-dessus  d'un  prétendu  nuu*  cy- 
clopéen  de  l'enceinte  antique  de  Ferentinam  ;  et  c'est  là  le  second  ar- 
gument que  l'on  faisait  valoir  contre  la  doctrine  de  M.  Petit-Radel  ;  d'où 
il  suit  que  cette  seconde  raison  ne  subsiste  pas  plus  que  la  première. 
Reste  une  troisième  considération,  développée  d'abord  par  M.  Ed. 
Gerhard,  reproduite  par  M.  Bunsen,  suivie  par  M.  Canin  a,  à  laquelle 
on  est  convenu  d'attacher  beaucoup  d'imporlance,  et  la  seule  qui  ait, 
en  effet,  quelque  valeur;  c'est  que,  parmi  les  villes  de  l'ancien  Latium, 
dont  l'enceinte ,  en  construction  cyclopéenne ,  offre ,  au  plus  haut  degré, 
les  caractères  d'antiquité  qui  semblent  lui  assigner  une  époque  pelas- 
^ique,  il  en  est  deux  au  moins ,  Signia  et  Norba,  dont  la  fondation  his- 
torique appartient  à  une  époque  romaine.  Examinons  donc  brièvement 
les  motifs  sur  lesquels  s'appuie  cette  opinion. 

Tite-Live  rapporte  qu'en  l'an  de  Rome  2 1x6  Tarquin  le  Superbe 
envoya  deux  colonies  à  Signia  et  à  Circei ,  pour  servir  à  la  sûreté  de 
Rome,  du  côté  de  la  terre  et  de  celui  de  la  mer^.  Le  même  fait,  de 


^  Pherecyd.  apad  Schol.  Odyss,  xxi,  a  3;  et  apud  Schol,  Apollon.  Rhod.  iv,  1091; 
c£  S(urz.  Pherecyd.  Fragm.  p.  'j2-'j'j.  —  '  Homer.  Odyss.  ix,  io6-54o.  —  '  Hesiod. 
Theogon.  v.  1U2  sq.  —  T.  III,  p.  a 34-5,  3).  —  *  Kunstmythologie ,  1 1,  p.  34a,  10); 
voy.  Creuzer,  Histor.  vet,  grœc.  fragm.  p.  73,  55).  —  *  Hirl,  dans  Wolf.  Analect 
1. 1« p.  1 53 sqq.  —  ^  Dans  ÏAmalthea de  Boettiger,  t. III ,  p. 81  et  suiv.  —  'M.  Bun- 
seo  uvait  déjà  exprimé  cette  opinion,  certainement  très^inexacte ,  dans  sa  Beschrei- 
hwig  der  Stadt  Rom,  t.  I,  p.  618,  *),  en  y  joignant  une  erreur  de  fait,  la  mention 
des  murs  cyclopéens  de  Trœzène,  lisez  Aïyeèties.  —  *  Tit.  Liv.  i ,  56  :  «  Signiam  Gir- 
ceiosque  colonos  misit,  praeaidia  urbi  terra  marique.  » 


MARS  1843.  139 

la  colonie  de  Signia,  est  articulé  par  Frontin  \  de  la  manière  qui  lui  est 
ordinaire:  Signia  muro  dada  colonia,  sans  qu'il  résulte,  le  moins  du 
monde,  de  ces  expressions,  que  la  première  fondation  de  Signia  fôt 
l'œuvre  de  cette  colonie.  Il  semblerait  qu  on  pût  mieux  Tinférer  de 
la  manière  dont  Denys  d'Halicarnasse  expose  rétablissement  des  co- 
lons romains,  qui  étaient  des  soldats  campés  dans  la  plaine  de  Signia  ^, 
où  ils  passèrent  Thiver  :  XetfioLcrdvrcàv  èv  r^  ireSlcp  t&v  crtpaTiùnôp 
Ka\  KaTotTxsvaaafiévoâv  rà  arparôneSov^  et  qui  fournirent  ainsi  à  Tarquin 
l'occasion  de  fortifier  ce  camp  comme  une  ville  :  ùs  (ivSèv  Sia<pépeiv 
iréyeœs.  Mais,  malgré  le  silence  que  l'historien  garde  sur  le  fait  d'im  éta- 
blissement antérieur,  rien  ne  prpuve  que  cette- occupation  militaire  de 
Signia,  due  à  une  cause  fortuite,  n'eût  été  précédée  de  l'existence  au 
même  lieu  d'une  population  pélasgique.  Le  mot  âvotxlo'ag,  dont  se  sert  ici 
Denys  d'Halicarnasse ,  n'a  certainement  pas,  chez  cet  auteur,  la  valeur 
absolue  qu'on  lui  attribue,  d'une  première  fondation  de  ville;  il  signifie 
simplement  TétabUssement  d'une  colonie  dans  un  lieu  déjà  habité;  et 
je  n'en  voudrais  d'autre  preuve  que  ce  pasfege  de  Denys  d'Halicarnasse 
lui-même,  où,  parlant  de  la  destruction  d'Aile  la  Longue,  il  rappelle 
qu'elle  fut  la  métropole  des  trente  villes  latines,  et  où  il  emploie,  pour 
exprimer  ce  fait ,  le  même  mot  àTrotxiaaa-a  '  :  H  [xèv  Srj  tôv  AkScafSv  it&kiç , 
...  )}  Tàtf  rpidxoma  Aarlveav  ÀHOIKlSASA  irôysis.  Or,  s'il  est  une  chose 
historiquement  avérée,  c'est  que  la  plupart  des  trente  villes  latines, 
telles  que  Tibur,  Prœneste,  Cœnina,  Crastuminum,  Tellene,  Gabies,  Tas- 
cahm,  Cora,  Lonavîam,  Aricia,  avaient  une  existence  antérieure  à  l'éta- 
blissement de  la  colonie  d'Albe^;  le  même  Denys  d'Halicarnasse  nous 
l'apprend ,  en  termes  formels,  en  parlant  d'une  de  ces  villes,  Cameria, 
qui,  avant  d'avoir  été  une  colonie  d'Albains,  kkëavSv  âmàKttms,  était 
une  des  principales  villes  des  Aborigènes^,  Aêopiytvœv  oÏKYiais  iv  raiç  Ttduv 
èni^avrls\  et  la  même  notion  peut  tout  aussi  bien  s'appliquer  à  Signia, 
dont  la  position,  à  peu  près  à  mi-chemin,  entre  Préeneste  et  Cora,  se 
trouvait  dans  un  pays 'tout  rempli  de  villes  aborigènes,  et  n'avait  pu, 
à  raison  même  de  la  situation  du  lieu ,  être  négl^ée  par  une  popula- 
tion pélasgique. 

Le  fait  de  la  colonie  romaine  à  Signia,  en  l'an  de  Rome  ^46,  n'ex- 
clut donc ,  en  aucune  fs^çon ,  celui  d'une  habitation  antérieure  des  Pë- 

'^  Frontin.  De  Colon,  v,  5.  —  '  Dion.  Hal.  iv,  63  :  TapnitPioç  iùo  vôXsts  (broi- 
xkras,  Hfv  (Aèv  Kakwftspiip  Xtwiav,  —  '  Dion.  HaL  ni ,  3i.  — -  ^  Cest  ce  qui  a  été 
établi  tout  récemment  par  M.  Canina,  dans  une  savante  et  judicieuse  dissertation 
suite  trmita  colotdeAlhane^  Roma,  i8Ao,  in-Â*;  voy.  surtout  p.  iS,  ig,  9o,  ai,  aa-3, 
a5.  —  *  Dion.  Hal.  n ,  5o. 

i8. 


140  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

lasges  mêlés  aux  Aborigènes  ;  et  Texpression  de  Denys  d*Halicarnasse,  loin 
d*être  contraire  à  cette  supposition,  lui  est  plutôt  favorable.  Il  existe, 
d'ailleurs,  une  indication  de  l'origine  grecque  de  Signia,  dont  on  n'a  pas 
tenu  assez  de  compte;  c'est  que  Plante  se  sert  de  la  langue  grecque  pour 
désigner  cette  ville,  aussi  bien  que  celles  d'Aîafrî,  de  Cora  et  de  Prœneste , 
qu'il  appelle  toutes  quatre  barbaricas  urbes^.  Or  la  tradition  de  l'origine 
grecque  de  ces  trois  villes,  généralement  admise  cbez  les  Romains, 
tend  à  établir  une  présomption  semblable  pour  Signia,  la  quatrième; 
et,  à  l'appui  de  cette  induction,  nous  possédons  des  monuments  dont 
M  Éd.  Gerhard  et  M.  Bunsen  peuvent  fort  bien  ne  pas  avoir  eu  con- 
naissance ,  attendu  qu'ils  ont  été  assez  récemment  acquis  à  la  science  ; 
ce  sont  des  monnaies  de  Signia,  en  argent,  de  petit  module,  dont  la  lé- 
gende, mêlée  de  lettres  grecques^,  répond  bien  à  ce  caractère  de  villes 
d'une  population  originairement  étrangère  au  Latium,  que  Plante  en- 
tendait, sans  doute,  désigner  par  l'épithète  de  barbaricas  ur6e5,  jointe  à 
l'emploi  de  noms  grecs. 

Mais ,  ce  qui  est  bien  plusJécisif  encore  que  les  présomptions  histo- 
riques qu'on  pourrait  faille  valoir  à  l'appui  de  l'origine  pélasgique  de 
Signia,  antérieure  à  la  colonie  romaine  de  Tarquîn,  ce  senties  murs 
mêmes  de  Signia,  bâtis  dans  le  système  cyclopéen,  en  pierres  polygones 
irrégulières  appareillées  sans  ciment,  qui  ne  peuvent  appartenir  au  style 
d'architecture  propre  à  l'âge  de  Tarquin ,  lequel  nous  est  bien  connu  par 
la  cloacaMaxima,  par  le  qaai  du  Tibre,  par  le  carcer  Tullianus  et  par  les 
substructions  du  Capitale,  On  insiste  cependant ,  et  l'on  croit  trouver,  dans 
les  murs  cyclopéens  de  Signia,  la  preuve  que  les  Romains,  du  temps  de 
Tarquin  ,  avaient  pratiqué,  pour  leur  propre  usage,  ce  genre  de  construc- 
tion ,  bien  que ,  de  Taveu  des  auteurs  de  ce  raisonnement ,  on  n'en  con- 
naisse pa^  jusqu'ici  d'antre  exemple  dans  aucun  débris  de  murailles  romaines, 
sans  excepter  même  celles  de  Servius  et  des  temps  de  la  république  '.  Mais , 

*  Plaut.  Captiv.  act.  iv,  se.  ii,  v.  ioo-io4  :  N»)  ràv  KàocLv*  vrf  ràv  Upaivéanpf  vif 
tàv  ^tyviav  *  vt)  rà  kXàrptov,  Cet  emploi  de  noms  grecs  me  paraît  infirmer  ici  Tob- 
servation  d'Olt.  Mûller  sur  le  sens. du  mot  harharica  dans  Plante,  AnnaL  delVInstit. 
Archeol,  t.  IV,  p.  379.  —  '  Sur  ces  monnaies  de  Signia,  avec  des  types  grecs  et  des 
lettres  grecques  dans  la  légende  SEIG,  voy.  Sestîni ,  Letter.  namism.  t.  V,  p.  aâ-a^i 
tav.  II,  n.  12;  Mas,  Hedervar.  p.  I,  p.  19,  n.  4o5;  Avellino,  Ital.  vet,  numism. 
Add,  p.  95,  n.  3;  Ramus,  Cataîog.  Num,  vet.  Mus,  rcg,  Danic,  p.  I,  p.  a8,  n.  1. 
Ces  médailles,  encore  excessivement  rares,  ont  été  récemment  Tobjel  d'un  travail 
particulier ,  de  la  part  de  Thabile  numismatiste  romain,  M.  Capranesi,  dans  ks 
Annal,  delV  Instit,  Archeol.  t.  XII,  p.  207-210,  tav.  agg.  P,  n.  a.  —  '  Les  restes  de 
l'enceinte  de  Rome  attribuée  au  temps  de  Tarquin  le  Superbe,  qui  se  voient  dans 
la  vigne  Barberini,  à  Porta  Pia,  sont  effectivement  en  construction  parallélipipède , 
comme  tout  ce  qui  subsiste ,  à  Rome ,  de  Tépoque  des  rois. 


MARS  1843.  141 

avant  d'admettre  cette  conclusion,  qu'on  reconnaît  soi-même  contraire 
à  tous  les  faits  de  Thistoire  de  Tart ,  s'était-on,  du  moins,  assuré  qu'il  n'exis- 
tait à  Signia  aucun  reste  de  constructions  qui  pussent  appartenir  à  la  co- 
lonie romaine  de  Tarquin,  et  qui,  exécutées  dans  le  système  d'architec- 
ture proprement  romain,  c'est-à-dirç  en  pierres  taillées  carrément  et 
assemblées  par  assises  horizontales ,  se  distinguassent  essentiellement 
des  mars  cyclopéens  attribués  à  une  population  pélasgique  ?  Or  j'ai  re- 
gret d'avoir  à  dire  que  cette  recherche  préliminaire  n'avait  point  été 
faite,  ou  que,  si  elle  l'avait  été ,  le  résultat  en  avait  été  présenté  d'une 
manière  qui  accuse  la  critique  "ou  la  bonne  foi  des  auteurs  du  rapport^ 
topographique.  Il  eiHSte,  en  effet,  à  Si(jnia,  deux  ordres  de  constiniction 
bien  distincts ,  qui  répondent  indubitablement ,  par  la  diversité  de  l'ap- 
pareil *et  par  celle  des  matériaux  mêmes ,  à  deux  époques  historiques 
dillerentes  :  d'une  part,  l'enceinte  de  la  ville  haute,  toute  construite  sui- 
vant le  système  cyclopéen,  avec  ses  hait  portes,  dont  (fuatre  fermées  par 
en  haut  avec  un  grand  linteau  horizontal,  et  deux  terminées  en  ogive  tron- 
quée, comme  on  en  a  des  exemples  dans  des  villes  pélasgiques  de  la 
Grèce ,  et  avec  les  trois  degrés  en  retraite  d'un  grand  autel  pélasgique , 
comme  on  en  connaît  aussi  dans  plusieurs  villes  pélasgiques  de  la  Sabine 
et  du  Latium ,  notamment  à  Circei  et  à  Alatri;  d'autre  part,  une  portion 
considérable  du  mur  d'enceinte  de  la  ville  basse,  attenant  à  une  porte 
jumelle,  voûtée  à  plein  ccintrc,  et  flanquée  de  tours  carrées  au  nombre 
de  six  encore  dans  l'état  actuel  des  lieux.  Ces  murs ,  construits  à  l'é- 
querre ,  avec  la  voûte  à  claveaux  de  la  porte  jumelle,  sont  bâtis  en  tuf  vol- 
canique, comme  les  constructions  du  temps  de  Tarquin,  à  Rome,  dont 
elles  ofifreht  absolument  le  caractère;  et  on  trouve,  de  plus,  à  Segni,  une 
piscine  circulaire,  construite  dans  le  même  appareil  et  avec  le  même  tuf 
volcanique,  aiq^i  qu'une  partie  de  la  cella  d'un  temple  romain,  proba- 
blement dédié  à  Hercule,  et  bâti  ^ur  l'emplacement  même  du  grand 
autel  pélasgique,  qui  lui  sert  de  soubassement.  En  présence  de  ces  cons- 
tructions ,  si  manifestement  romaines  ^ ,  par  le  mode  d'appareil ,  par  le 
système  de  voûte  à  claveaux ,  et  par  la  nature  de  la  pierre ,  qui  est  le  tuf 
volcanique  constamment  mis  en  œuvre  dans  tous  les  ouvrages  publics 
du  temps  des  rois  et  de  celui  de  la  république ,  comment  se  refuser  à  y 
voir  les  monuments  de  la  colonie  romaine  de  Tarquin?  et,  par  une  con- 
séquence irrécusable ,  comment  ne  pas  reconnaître  que  les  murs  cycUh 

^  Le  temple  romain  d'Hercule ,  converti  depuis  en  église  chrétienne  de  Saint- 
Pierre,  et  bâti  sur  \ autel  pélasgique  h  trois  degrés,  est  représenté  dans  nne  des 
Slanches  du  Recueil  de  H.  Dodwell,  n.  86  «  et  dans  Touvrage  de  M.  Canina ,  Architeit. 
[aman.  tav.  xiii. 


142  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

* 

péens  de  Tenceinte  supérieure ,  avec  leurs  portes  &  linteau  horizontal  ou  en 
ogive  tronquée,  et  avec  leiu*s  blocs  polygones  de  pierre  calcaire  dure,  ap- 
partiennent à  un  tout  autre  système  d'architecture,  qui  ne  peut  avoir  été 
employé  simultanément  par  le  même  peuple,  sur  le  même  lieu?  Cette 
conséquence,  qui  justifie  la  doctrine  de  M.  Petît-Radel ,  ressort  si  posi- 
tivement de Tensemble  des  faiis,  que,  pour  récuser  cette  conséquence , 
il  faudrait  nier  les  faits  eux-mêmes. 'Cétait  là  la  dernière  ressource  de 
M.  Ed.  Gerhard,  et  je  suis  fâché  qu'il  y  ait  eu  recours  en  des  termes 
qu'il  suffira  de  placer  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs ,  pour  les  mettre  à 
^mêrne  d'apprécier  l'exactitude  ou  la  sincérité  du  critique  *.  Mais,  à  cette 
dénégation  précipitée,  nous  pouvons  opposer  aujourd'hui  le  plan  des 
murs  de  Segni^  levé,  en  1882,  par  trois  architectes  pensionnaires  de 
l'Académie  de  France  à  Rome ,  MM.  Labrouste  frères  et  L.  Vaudoyer, 
qui  ont  constaté  d'une  manière  désormais  inattaquable  l'existence,  à  Segni, 
des  murs  de  la  colonie  romaine  de  Tarquin  et  de  ceux  de  l'ancienne 
ville  pélasgique  ^  ;  en  sorte  qu'il  ne  subsiste  plus  rien  des  arguments  tirés 
de  l'examen  des  témoignages  relatifs  à  Segni  et  de  celui  de  ses  murai&es, 
contre  la  théorie  des  monuments  cyclopéens ,  et  que  tout ,  au  contraire, 
s'y  montre  d'accord  avec  cette  théorie. 

Les  objections  élevées  contre  l'antiquité  pélasgique  des  murs  cyclo- 
péens de  SIgnia  s'appliquant  aussi  aux  murs  de  Noria,  la  réfutation, 
en  ce  qui  concerne  ceux-ci ,  n'en  sera  ni  moins  facile  ni  moins  péremp- 
toire.  On  n'a  pu  se  fonder,  pourvoir  dans  les  murs  cyclopéens  de  Norha 
un  monument  d'architecture  romaine  du  ni*  siècle  de  notre  ère,  que 
sur  le  fait  de  la  colonie  romaine  établie,  en  l'an  de  Rome  262,  à  Norha, 
en  même  temps  qu'à  Velitrœ,  fait  attesté  à  la  fois  par  Tite-Live'  et  par 
Denys  d'Halicamasse  *.  Mais  il  résulte  de  ce  passage  même  de  Denys 
que  iVorta  existait  bien  antérieurement,  puisqu'elle  était  une  des  villes 
principales  de  la  ligue  latine,  et,  suivant  toute  apparence ,  une  des  trente 
coionies  d'Albe.  M.  Ed.  Gerhard,  qui  exprime  cette  opinion  sous  ia 
forme  d'une  conjecture'^,  pouvait  s'autoriser  d'un 'témoignage  direct, 
celui  de  l'auteur  des  Antiquités  romaines ,  qui  comprend  les  habitants 

*  Memorie,  1. 1,  p.  92  :  t  Non  trovando  poi  (  neUa  città  di  Signia)  nessun  «vanio 
d*antico  recinto  che  rcpatar  si  potesse  corne  fortificazione  allora  aggiunta  ad  uua 

Eiù  antîca  citlà Ripeto  che  di  avanzi  tnfacei,  quali  desîderava  u  signer  Petil- 
iadel,  non  allro  vi  si  trova  che  una  piscîna.  t  —  ^  Annal  t.  VI,  tav.  agg.  H,  I. 
—  *  Tit.  Liv.  H,  34.  J'ai  peine  à  comprendre  comment  M.  Petit- Radel,  qui  cite, 
0      p.  189,  ce  texte  de  Tîte-Live,  attribue  aux  Volsques  cette  colonie  des  Romains.  — 
^  Dion.  Hal.  vu ,  i3  :  Eh  fiAfkap  vSkiv,  ^  iavi  toO  Aarha^  êdvovç  oùk  â^mfit^.  — 
*  Annal.  1. 1,  p.  55  :  •  Norba una  ragguardevole  colonia  latina  parlita  probalHl- 


MARS  18.43.  143 

de  Norba  dans  le  nombre  des  trente  peuples  latins  qui  se  liguèrent  en  fa- 
veur de  Tarquin  le  Superbe  ^  et  qui  tenaient  leurs  assemblées  à  Feren- 
tinum.  C*est,  pour  en  faire  en  passant  la  remarque,  une  notion  impor- 
tante qui  a  échappé  à  M.  Canina^,  auteur  de  la  dissertation  citée  plus 
haut  sur  les  trente  colonies  à'Alhe,  ott  Norba  n'est  point  nommée,  quoi- 
qu'il soit  certain  qu'eUe  dût  figurer  sur  cette  liste  ;  et  c'est  aussi  uAe 
raison  sans  réplique  contre  la  supposition  de  M.  Bunsen  ',  que  Norba 
n'avait  dâ  sa  fondation  aux  Latins  que  dans  des  temps  peu  antérieurs  au  règne 
du  dernier  Tarquin.  Dans  la  disposition  d'esprit  systématique  qui  lui  fait 
rapporter  les  constructions  cy  clopéervnes  de  Norba  à  une  époque  romaine, 
M.  Bunsen  ne  s'est  pas  aperçu  qu'il  se  mettait  ainsi  en  une  contradiction 
palpable  avec  son  collègue  M.  Ed.  Gerhard,  qui  regarde  avec  raison  JVorfca 
comme  une  colonie  d'AWe;  or,  Albe  ayant  été  détruite  l'an  de  Rome  88, 
sous  le  règne  de  TuUus  Hostilius,  la  colonie  albaine  de  Norba  était  né-l 
cessairement  antérieure  à  cette,  époque ,  et  conséquemment  eUe  ne 
pouvait  être,  comme  le  présume  M.  Bunsen,  d'un  âge  voisin  du  ri^kê 
de  Tarquin,  ou  de  l'an  de  Rome  2  46,  époque  des  colonies  romainesde 
Circei  et  de  Signia.  Du  reste ,  je  ne  m'arrête  pas  à  l'établissement  de  la 
colonie  albaine  de  Norba  comme  à  une  première  fondation  de  cette 
ville;  je  crois  que  Norba,  ainsi  que  la  plupart  des  trente  villes  latines  qui 
reconnaissaient  Albe  pour  leur  métropole ,  avait  eu  une  existence  anté- 
rieure, probablement  pélasgique,  et  je  me  fonde  précisément,  pour 
cela,  sur  les  murs  cyclopéens  de  Norba,  qu'on  a  voulu,  non-seulement 
sans  motif  suffisant,  mais  contre  tout  im  ensemble  de  faits  et  de  témoi- 

mente  d'Alba  Longa.  —  '  Dion.  Hal.  v,  6i.  On  a  remarqué  que  vingt-trois  seule- 
ment des  villes  latines  issues  à' Albe  se  trouvent  nommées  dans  ce  passage  de  Deoys 
d'Halicamasse  ;  ce  qui  ne  peut  guère  s'expliquer  que  par  la  faute  des  copistes;  car 
ce  nombre  des  trente  peuples  latins  ligués  en  faveur  de  Tarquin  est  articulé  en  plu- 
sieurs autres  éhdroits  du  livre  de  Denys  d'Halicamasse ,  vi,  63,  7^  et  76;  et,  quant 
à  Torigine  latine  de  ces  trente  villes  dérivées  d'Albe  la  Longue,  c'est  encore  Dtnys 
d*Halicarnasse  qui  Taffirme  d*une  manière  formelle ,  ni,  3i.  Je  m'étonne  donc  que 
M.  Canina  n'ait  point  fait  usage  de  ce  texte,  v,  61 ,  pour  la  construction  de  sa 
liste  des  trente  colonies  d'Âlbe.  —  'Je  dois  pourtant  remarquer  que  M.  Canina  fait 
mention ,  en  deux  endroits  de  son  Architett.  Roman,  p.  II ,  c.  i,  p.  1 1,  26),  et  p.  III , 
c.  I,  p.  58,  6),  de  forigine  de  Norba  due  à  une^ colonie  latine,  partita  evidentemente 
da  Alba  Longa  anche  prima  che  Romolo  fondasse  la  sua  città.  Mais  il  n'en  est  que  [^us 
étrange  que,  après  une  pareille  déclaration,  le  même  auteur,  traitant  spécialement  des 
trente  colonies  diAlbe,  ait  omis  sur  cette  liste  le  nom  de  Norba;  sans  compter  l'autre 
contradiction  qu'il  y  a,  de  sa  plrt,  à  ne  voir,  dans  les  construclions  de  Norba,  que 
des  monuments  de  la  colonie  romaine,  quand  il  lui  assigne  une  origine  latine. 
—  '  Annal  t.  VI,  p.  iM  :  «  Pare  che  non  possa  (Norba  )  essere  fondata  dai  Latîni 
in  tempi  moite  anteriori  dl*  oltimo  Xarquimo.  >  - 


X 


144  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

gnages,  rabaisser  à  une  époque  romaine.  Il  existe,  en  efiFet,  parmi  les 
ruines  de  Norba ,  deux  constructions  qui  ont  conservé  leur  couverture 
en  encorbellement,  signalées  par  M.  Ld.  Gerhard  lui-même ,  sur  la  foi  de 
larchitecte  Knapp,  ailtcur  du  plan  de  Norba^y  laquelle  couvertiu'e, 
d'une  époque  certainement  antérieure  à  celle  où  Tart  des  voûtes  en  voas- 
soirs  ^tait  déjà  connu  et  pratiqué  par  les  Romains,  prouve  que  les  cons- 
tructions dont  elle  fait  partie  sont  au  moins  d  une  époque  latine ,  sinon 
péiasgique.  Or  lusage  des  voûtes  à  plein  cintre  existait,  à  Rome,  du 
temps  de  Tarquin  TAncien ,  qui  commença  la  construction  de  la  cloaca 
Maximal,  et  même  plus  tôt,  puisqueje  carcer  Mamertinas,  ouvrage  d*Ancus 
Martius^,  offre  une  voûte  cintrée.  Il  nest  donc  pas  possible  d  abaisser 
ces  constructions  de  Norba  à  Fépoque  de  la  colonie  romaine  ;  et  il  est 
certain,  d'ailleurs,  qu'on  y  reconnaît,  en  plus  d'un  endroit,  notamment 

0dans  les  ruines  d'un  grand  édifice  marqué  du  n*"  44  sur  le  plan ,  des 
restes  de  bâtisse  romaine  exécutée  avec  la  chaux  adossés  à  une  mu- 
ïÉJà^e  en  polygones  sans  ciment  ;  d'où  il  résulte  la  preuve  de  deux  âges 
bien  distincts,  correspondant  aux  deux  populations  différentes  qui  se 
sont  succédé  à  Norba,  et  d'où  il  suit  que  l'opinion  qui  ne  voit  à  Norba 
que  des  monuments  de  la  colonie  fbmaine  a  contre  eljie  le  témoignage 
des  faits,  aussi  bien  que  celui  de  l'histoire. 

La  seconde  objection  élevée  par  M.  Éd.  Gerhard  contre  là  haute 
antiquité  des  murs  de  Norba ,, c'est  qu'il  existe  sur  le  plan  de  cette  ville, 
dressé  par  un  architecte  allemand,  M.  Knapp^,  ua  trop  grand  nombre  de 
substramons ,  déformes  diverses,  pour  n'avoir  pas  appartenu  à  des  édifices 
privés^ \  d'où  il  suit  que  ce  système  de  constructions  cyclopéennes,  qu'on 
croyait  propre  exclusivement  à  Vasage  des  enceintes  de  villes  et  de  temples 
de  V  âge  péiasgique,  avait  servi,  en  effet,  pour  des  habitations  particulières ,  à 
tme  époque  romaine.  Mais  c'est  là,  si  je  l'ose  dire,  une  des  idées  les  moins 

;  heureuses  que  l'esprit  de  contradiction  ait  pu  suggérer  contre  la  théo- 
rie des  monuments  cyclopéens.  Prétendre  que,  sur  Un  site  comme  celui 
derforba,  où  le  sol  très-escarpé  est  tout  entier  de  roche  pure,  on  ait 
ifiu  ériger  toutes  les  substructions  en  blocs  polygones  d  une  grande  di- 

^  Ce  sont  les  constructions  indiquées  sous  les  n""  4a  et  56.  Voy.  à  ce  sujet  les  ob- 
servations de  M.  Éd.  Gerhard ,  Annal,  t.  I,  p.  72  et  73.  —  '  PHn  Hist.  fsat.  xxxvi, 
i4.  Voy.  Beschreihang  der  Stadt  Rom.  1. 1,  p.  i5i  et  suiv.  —  *Tit.  Liv.  i,  33.  — 
*  Voy.  dans  le  recueil  des  Monum.  puhhUc.  dall*  Instit.  Archeoî.  t.  I,  la  pi.  11,  qui 
offre  la  vue  et  le  plan  de  Norba,  avec  la  description  ,*qui  se  lit,  Annal,  1 1,  p.  67-78. 
Un  autre  plan  de  Norba,  rectifié  d'après  des  observations  postérieures,  a  été  publié 
vépenunent  par  M.  Canina,.  Architett.  Roman.  1. 1,  tav.  iv,  p.  II,  c.  i,  p.  33,  et  p.  III, 
'**©.  i,p.  58,  7).  — •  Annal,  tl,  p.  58,  69,  60,  ei  Memoriê,  1. 1,  p.  8o,  i3). 


MARS  1843. 

niension ,  uniquement  pour  soutenir  des  maisons  et  des  cabanes  de  bois. 
comme  dit  en  propres  terme's  M.  Éd.  Gerhard  :  soslrazioni  ejià  destinate  . 

.  a  sostener.casc  e  capanne  di  legno,  c'est  réellement  trop  présumer  de  la 
eréduUté  de  ses  ïectcurs.  M.  Pelit-Radel  a  déjà  réduit  cette  supposition 
k  sa  juste  valeur'.  Il  a  rappelé,  sur  la  foi  de  Varron*,  que  les  maisons, 
même  à  Rome,  ne  furent  longtemps  bàlîes  que  de  hriqaes  crues  et  cou- 
vertes que  de  bardeaux,  comme  elles  le  sont  encore  aujourd'hui  aux  en-  . 
virons  de  Sablaco,  et  dans  une  grande  partie  de  la  Sabine  moderne,  et 
il  a  soutenu,  avec  toute  espèce  de  raison,,  qu'il  n'était  pas  possible  d'ad- 
mettre que  des  substructions  si  laborieuses  en  blocs  de  pierre  d'une  si 
grande  dimension  et  d'un  appareil  si  difficile,  fussent  destinées  à  siip- 
poiler  des  habitations  si  fragiles  et  si  viagères.  Quant  au  nombri*  d'édi- 

■ïires  sacrés  de  toutes  formes  qui  paraîtrait  résulter  du  plan  des  subs- 
tructions cyclopéennes  de  Norba,  et  qui  formait  une  difficulté  auxyeux 
de  M.  Éd.  Gerhard,  il  a  montré  que  la  même  chose e-\islait  à  <4nnjni, 
où  elle  avait  frappé  Marc-Aurèle  ^.  Il  aurait  pu  s'autoriser  aussi  de 
l'observation  des  monuments  cyclopéens  iAlba  Fucen^is.  dont  les  trois 
itcropoles  offrent  pareillement  des  édifices  sacres  de  plusieurs  formes  et 
de  diverses  grandeurs;  un ,  entre  autres,  ûù  l'exiguïtif  du  pirtn  contraste 
avecl'énormît^  des  matériaux,  consistant  en  blocs  polygones,  comme 
ii  Norba'';  et  il  aurait  pu  rappeler  aussi  le  grand  nombre  dédivules  cri-** 
gées  sur  la  seule  partie  delà  colline  du  Capitolc  tpii  deviùt  recevoir  li- 
temple  de  Jupiter,  et  mentionnées  par  Varron  "'.  Je  ne  crois  donc  pas 
qu'il  puisse  subsister  ta  moindre  objection  sérieuse  contre  l'antiquité  ^ 
des  miirs  cjclopéens  de  Nprha  et  contre  leur  ongîne  pélasgiquc,  cl  je 
suis,  au  contraire 
masses 


•»■ 


persuadé  que  cesmurs.  qui,  parla  grandeurdcl 
passent  même  ceux  de  Tirynthe ,  el  qui,  par  la  succession    ».t'' 
des  tentasses,  où  la  roche  naturelle  est  soutenue  par  des  constructions     ^^  ' 
cyclopéennes,  olTrent  la  disposition  primitive  d'une  villç  pélasgiquecon-*    _  ''j 
servée  dans  la  colonie  latine,  doivent  être  maintenus  au  premier  ransf  ^|JL'' 
des  monmnents  les  plus  préciei^^  de  la  haute  antiquité  italique.  jW^ 


4»?'  il 


M.  Canina  n'ayant  guèr 
w/.  t  IV,  p.  a38-9. 


:  fait  que  reproduire,  en  les  abrégeant,  les 


•-• 


ViUTO  apad  Non.  v.  Suffundalum.  —  '  Voy.  la  Lettre 
de  Marc-Aurèle  ù  Fronton,  lib.  iv,  ep.  4,  éd.  iMa!,  Rom.  iSaS,  dont  un  fragincut 
a  été  rapporté  par  M.  Petil-Radel  dans  les  Mcmorie  rfeH'  Institut.  Archeol.  I.  fJa-OS  ; 
•  Deiiide  id  oppidum  [AnafmïaRi]anIiquuiJ)  vidimos;  mïniUuluniquidom,  «d  mut- 
las  rti  in  se  antlqua:  habet ,  sdts 
JKGCLCs  fuit,  ubi  dctubnim,  a 
de  Marc-Aurde  répond  sulSsamment  u 
bard,  Jlfemone^tn  p.'So,  i3].  —  '        * 


■#£?:' 


146 


JO(]RN'A-L  DES.  SAVANTS. 


■v 


objecUons  de  M.  Éd.  Gerhai'd ,  sans  y  ajoutei-  aucun  argumeiil  nouveau', 
je  me  crois  dispensé  de  m'y  arrêter;  et,*  pour  achever  de  faire  con- 
naître les  difficultés  qu'a  pu  rencontrer  la  doctrine  desnionuraents  cy-. 
riopéens  depuis  la  mort  de  l'auteur,  je  passe  à  l'exomen  des  antiquités 
d'Alba  Facensis,  que  M.Pclit-Radelaveit  cru  pouvoir,  d'après  ses  piopjes 
obsei"vatioiis ,  regarder  comme  d'époque  et  d'origine  pélasgiques,  qup 
.  M.  Preniis,  savant  et  liahiie  architecte,  qui  en  a  fait  l'objet  d'un  trà-  • 
vaii  particulier^,  soutient,  au  contraire,  être  d'une  époque  romaine; 
ce  qui  rentre  dans  le  système  de  MM.  Ed.  tîerhard  et  Bunsen  .  et  ce 
qtfl  nous  met  dans  l'obligation  d'examiner  les  raisons  sur  lesquelles  se 

,  fonde  l'opinion  de  M.  Promis.  .     , 

L'auteur  des  Antiquités  à'Alba  Fuceasis ,  cherchant  en  premier  lieu  A  se  *J 
rendre  compte  de  la  dénominatiorfqu'il  convient  d'appliqueraux  plus  an-^ 

tiennes  consti-aeiions  en  blocs  polygones  irréguliers  dont  il  existe  de  nom- 
kreujt  vestiges  sur  le  site  de  celte  ville  des  Eques  (et  non  des  Marses), 
r^ette'également  cellesde  çfcfo/imine  et  de  pélan^iijae.  H  observe*,  * 
qm^ouelic  la  première,  que  l'expression  dont  se  sert  Pausanias  pour  dési-T 

:gaer  les  murs"  de  Tirynthc ,  constfails  en  grandes  masses  île  pierrei ,  avec  les   »  • 
inttrstices  remplie  par  des  pierres  plas  petiies".  no  peut  convenir  qu'à  cette  ■ 
sorte  de  murs,  bien  que,  d'un  autre  côté,  Pausanias  nomme  aussi,      "" 
comme  oHuraje  des  Cyilopa,  la  p.irtîe  de  l'enceinte  de  Mycènes  attenant 
i  h'Porte  desLians^.  laquelle  est,  comiiieoii  sait,  construite  en  pierres 
taillées  carrément,  bien  que  d'iiu'gale  dimension  :  d'où  il  résulte .  selon 
lui,  qnc  ce  n'est  pas  à  la  ibrme  de  [lolvgoncs  plus  ou  moin.s  irréguliera 


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employés  dans  la  construction ,  mais  a  la  ffrandear  fies  i 


s  el  à  la  hatt- 
teur  des  murailles,  que  s'appliqtie  réellement  cetle  expression  de  cyclo- 
péenue,  qui  ne  saurait,  en  tout  ras.  convenir  qu'aux  monuments  de 
l'Argolidc.  Cette  opinion  ,  qui  revient  i  celle  de  Stieglit?.*,  et  qui  ne  s'é- 

'  Voy.  suTlom  son  Archilett.Iioman.  p.  \,  c.  i,  p,  3a,  io8),  109),  où  il  regarde  le^ 
viiiei  do  Siffitia,  de  Cîrcci  cl  de  Norim,  comm^ayaiit  dû  leur  première  fondation  aux 
colonies  romaines,  el  où  il  admet,  comme  unccliosc  prouvée,  que  la  dilTérence  des 
ileiUL  systèmes  de  construction ,  en  blocs  jjoKgoncs  irrégulicrs  el  par  assises  hori- 
zontales, tien)  uniquetncnt  à  la  difiiérence  des  mattrinux  fournis  por  chaque  loca- 
l-lé, C'cbL  le  inC-nie  argunienl  qu'il  reproduit  en  plusieurs  aurres  endroits  de  son 
ouvrage,  p.  II,  cl,  p.  11,  et  p.  3a,  la  r},  33.  laa);  p.  ill,  p.  58.  6)  ;  el  ces!  celui 
qui  avait  été  d'abord  mis  en  uvanl  par  M.  Qualremère  de  Quîiicy,  el  dont  on  ne 
peul,  en  effet,  se  refuser  k  tenir  compte  ,  dans  un  assez  grand  aotubre  de  eas  par- 
ticuliers. —  '  Le  Antichilà  di  Mba  Facmse.  Borna,  i83ti,  in-8°.  —  '  Le  AnlKhità 
di  Alba  Facense,  p.  io3  —  '  Pousnn.  n,  a5,  7.;— '  Idem,  u,  16, 4.  —  "  Stiegliti, 
Getchichte  der  Baakanit,  p.  i85  el  suiv,  et  Deyiriige  ziv  Gesckichte  (ier  Bauk.  t.  I . 
p.  i4. 


MAHS  1843.  147 

loigncpasde  celles  de  sir  W.Gcll  cl  de  M.  de  Klellze^  n'a  rien,  au  fond, 
qui  contrarie  le  système  de  M.  Petit-lladel  ;  car,  comme  les  enceintes 
des  plus  anciennes  villes,  tant  de  la  (irèce  que  de  ritalie,qui  offrent 
cet  emploi  de  masses  énormes  assemblées  sans  ciment  et  portées  à  une 
plus  ou  moins  grande  hauteur,  présentent  toujours  aussi  des  blocs  polygones 
d'une  forme  plus  ou  moins  irrégulière ,  il  est  sensible  que  cette  der- 
nière condition  a  dû  paraître,  çinon  essentielle,  au-  moins  habituelle 
dans  les  ouvrages  attribués  par  les  anciens  aux  Gyclopes  ;  cela  suilit  pour 
expliquer  le  témoignage  de  Pausanias,  qui  ne  songeait  certainement 
pas  aux  distinctions  subtiles  quon  a  voulu  tirer  de  ses  paroles;  et,  cela 
posé,  rien  n  empêche  que  Ton  n'appelle  aussi  cychpéens,  ailleurs  même 
fque  dans  TÂrgoilde,  des  monuments  qui  offrent  le  même  caractère 

^.  général  et  qui  appartiennent  à  la  même  antiauité.  En  contestant ,  en 
second  lieu,  la  dénomination  de  pélasgigue,  appliquée  par  M.  Petit-Ra- 

•  del  aux  monuments  cydppéens  de  la  partie  centrale  de  Tltalie ,  M.  Pro- 
mis porte  une  atteinte  plus  grave  au  système  du  savant  français;  mais 
les  motifs  qu'il  allègue  pour  se  refuser  à  cette  attribution  sont  loin  do 
nous  parsdtre  décisifs  :  c'est,  d'une  part,  que  les  Pélasges,  qui  occu-.' 
pèrent,  à  une  certaine  époque  de  l'histoire,  la  partie  inférieure  de 
TEtrurie  maritime  entre  le  Tibre  et  la  Fiora ,  n'y  ont  laissé  que  des  ruines    -  ^ 

de  constructions  en  pierres  carrées  appareillées  horizontalement;  d'où 
il  suit  que  la  construction  en  blocs  polygones  irréguliers  n'était  pas  ab-         *^^^     ^ 
solument  propre  à  ce  peuple;  d'autre  part,  que  ce  dernier  mode  de  ^  * 

construction  se  rencontre  .dans  les  murs  des  villes  latines  et  des  colo- 
nies romaines,  telles  que  Signia,  Norba  et  Circei,  d où  il  résulte  encore 
qu'tm  système  d'architecture  employé  par  les  Latins  et  même  par  les        '    >  "  *     '    ^ 
Romains  ne  peut  être  attribué  exclusivement  aux  Pélasges  K  *       ^  ^     ' 

J'ai  déjà  réfuté  ce  dernier  argument,  en  montrant  qu'on  avait  eu  tort  ^  '  «r  ''     ^    ^ 

de  regarder  les  murs  cyclopéens  de  Signia  et  de  JVor6a  comme  l'œuvre,  j    ^      '' 
de  la  garnison  romaine  et  même  de  la  colonie  latine,  quand  on  devait  y  ^ 
voir  bien  plutôt  un  monument  de  la  fondation  pélasgique.  Relativement - 
aux  murs  en  construction  par  assises  horizontales  des  villes  de  l'Étmrie 
maiûtime ,  je  me  contenterai  de  dire  qu'il  subsiste  aussi ,  dans  cette  r^ion 
même  de  fltalie,  notamment  à  Satarnia,  à  dossa,  à  Ruselbe,  à  Cortone, 
et  même  à  Popuhnia^,  des  exemples  de  murs  en  blocs  polygones  irré-- 
guliers ,  surmontés  de  murs  de  cette  construction  parallélogramme ,  qui 
attestent  la  succession  des  deux  peuples  dont  ils  sont  l'ouvrage ^  lesquels 

*  Dans  VAmaltheaf  t.  III,  p.  loo.  —  *  Le  Antichità  di  Alba  Fucmise,  p.  io5-io6.  '  » 
—  '  Petit-Radel,  Recherches,  etc.  p.  217-8,  aai;  Annal,  t.  III,  p.  &10,  et  t.  IV.- 
p.  a4- 


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148  -JOURNAL  DES  SAVANTS, 

peuples  ne  peuvent  être  que  les  Pélasgcs  et  les  Tjrrliéoiens-Etrusques; 
ci  que,  si  ces  ruines  ne  sont  pas  plus  abondantes' dans  celte  partie  de 
l'Italie, 'c'est  que  les  Pélasges,  qur  en  furent  promptement  qhassés  par 
les  Euiisques,  n'eurent  pas  le  temps  d'y  àlever  ces  reinparts  d'une 
construclion  si  solide,,  qu'ils  ont  laissés  dans  le  Latium  et  dans  la  Sa- 
bine, où  ils  firent  un  plus  loiig  séjour.  Mi  Promis  conclut  cette  dis- 
cussion en- proposant  de  n'employer^  pour  désigner  l'espèce  de  cons- 
truction antique  dont  il  s'agit,  que  la  dénomination  de  pohgoiie  irrégaliire, 
et  il  est  d'avis  que  les  murs  polygones,  au  lieu  de  s'attribuer  à  certains 
peuples^  et  à  certaines  cpoqucs,  doivent  se  rapporter  plutôt  aux  loca 
ïités  et  aux  matériaux  des  divers  pays  '.  Si  cette  conclusion,  qui  rentre 
tout  i  l'ait  (Jans  l'opinion  exposée  en  dernier  lieu  par  M.  Canina  ■'.  fiait-, 
adoptée,  ce  serait  la  ruiné  du  système  si  iaborreu sèment  construit  par 
M.Pctit-Radel  ;  mais  nofis  n'hésitons  pas  à  repousser,  pour  notre  propre 
.*^  i  compte ,  une  doctrine  qui  fait  peidre  aux  monuments  toute  leur  im- 

if        ,.     !«  •  poilance  liistorii|nc .  et  qui  réduit  une  grande  question  d'art  et  d'his- 

_*  '^  _  ,  toire  à^uo  simple  accidentée  localité;  et  nous  sommes  plus  que  ja- 
,-.  ,k  7  •' .  "^niais  convaincus,  par  l'examen  impartial  de  tous  les  faits  produits  dans 
,  A'  m  •-,'  ■  '  ^etf(€  controverse  d'un  dejni-siècle ,  que  les  ruines  cyclopécnnes,  obser- 
*■■'      •tf  ■        vées  tant  en  Italie  qu'en  Grèce  et  dans  l'Asie  -  Mineure  ,  sont  i'œuvi-e 

'  '         d'une  même  population  pélasgique,  dont  les  émigrations,  altestées  par 

^B»,         rbistoirc,  se  trouvent  ainsi  confirmées  par  les  monuments. 

L'examen  .particulier  des  antiquités  ù'Alha  FucevsU  n'est  pas  plus  fa- 
vorable à  l'opÎDion  de  M.  Promis,  malgré  le  soin  qu'il  a  mis  h  les  étu- 
dier et  à  les  décrire ,  que  les  considérations  d'ordre  général  dont  il  avait 
cherché  d'avance  à  l'appuyer.  Après  avoir  remarqué  que  le  mur  d'en- 
<;eintc  li'Alba,  construit  en  blocs  polygones  irréguliers,  offre  une  iden- 
■jPt—    ^_  »""  lité  parfaite  avec  les  murailles  do  tant  de  villes  du  CîcolanQ  (  la  Sabine) , 

''-^^  ^Î^'ÏOl*  ^"'"  '"riginc  desquelles,  due  aux  Pélasges  mêlés  avec  les  Aborigènes,  il 

gf  ^^  i^     '  ne  peut  riMistcr  ic  moindre  doute,  il  observe,  en  second  lieu,  que  l'em- 

«      r.    "tt   ^  ^  P'"'  ^^  Ycmpleclon  dans  le  revêtement  Intérieur  d'une  partie  de  ce  mur 

,,  "^    .  '  d'enceinte  le  caractérise  |>ositivement  comme  une  œuvre  d'architecture 

_  P*.  romaine;  et  de  cette  observation  particulière  il  déduit  une  règle  géné- 

_  •_  ^  raie ,  que  toatc  construction  polygone  reiètae  d emplecton  doit  être  reconnue 

'  comme  un  oax^aijc  romain'.  Mais  à  cette  déduction  très-hasardée  je  me 


.y 


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.  '  Le  Antickità  di  Âtba  Faeease.  p.  ii.)S  .  Bencbc  la  sloria  e  rosservazioiie  dinios- 

f  V'  ""'"o  ('')  "^liÊ  l'opéra  poligonîa  anilcliè  a  ccrle  epochc  eil  a  cerli  popoli  débitas!  at- 

^     ^'  ti'ibuire  aile  località  ed  ai  materiaH  de'  varï  paesi.  —  '  Canioa  Arvhiiell.  Roman. 

.        _    .  part.  I,  c  I,  p.  3».  109);  part,  II.  c.  I,  p.  3a-33,  I  igj-iaS) ,  et  part,  lll,  c.  II, 

,       j      •      ^^^^  .-J- 57-58,  Aty).  —  ^  Le  Aniiehilii  i/i  Alha  Facfpe^.  1  ia  iJJk  qu^to  dalo  si  deve 

»-           *y*|'  -^if.                                                 V  *              ^ 

^-  «Vf  ''..•.-  •        ■   f 


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MARS  1843.  149 

contenterai  de  répondre  que  Tusage  de  Yemplecton  ne  fut  pas  propre 
aux  Romains,  puisque  Vitruve  lui-même  établit  une  distinction  entre 
ie  mode  romain  d'cmpfecfon  et  celui  des  Grecs,  qu'il  préfère  de  beau- 
coup pour  la  solidité  ^  Il  y  a  plus  :  Tcspècc  d'emplecton  que  Vitruve 
décrit  comme  différent  de  cqlui  qui  se  pratiquait  chez  les  Grecs,  et 
qu  il  croyait  employé  uniquement  par  les  Romains ,  ce  qui  -a  induit 
M.  Promis  à  y  voir  un  caractère  exclusif  de  bâtisse  romaine ,  cette  es- 
pèce, dis-je,  d'emplecton,  a  été  signalée  par  M.  Dodwcll,  précisément 
dans  des  murailles  cyclopéennes  d'anciennes  villes  gi^eçques,  notam- 
ment à  Delphes,  à  Lébadée,  à  Pharsale  et  en  Étolie  ^  ;  le  savant  antiquaire 
Stieglîtz  en  a.  déjà  fait  Tobservation  *,  qui  détruit  Tobjection  de  M.  Pro- 
mis, et  qui  ne  me  laisse  rien  à  y  ajouter.  J'avoue,  du  reste,  qu'après 
"  avoir  admis  l'existence  d'Albc  comme'ville  pélasgiqne,  antérieure  à  la  co- 
,  lonié  romaine  tle  Tan  de  Rome  45o^;  après  avoir  reconnu  l'identité 
parfaite  de  construction  du  mur  d'enceinte  avec  celle  des  villes  pelas- 
giques  du  Cicolano^;  après  avoir  signalé  lui-même  h  Alhe  des  monuments 
qui  ne  peuvent* se  rapporter  quà  cette  origine  pélasgiqne,  notamment 

^  l'autel  consistant  en  trois  assises  de  masses  polygones,  sans  ciment  ni  revê- 
tement, qu'il  compare  aux  grands  autels  pélasgiques  du  pays  des  Éques'', 

^  je  suis  surpris  que  M.  Promis  se  refuse  à  voir  une  construction  pélas- 
gique  dans  le  soubassement  du  temple  toscan  converti  en  église  chré- 
tienne de  Saint-Pierre,  lequel  soubassement,  construit  pareillement  en 
blocs  pofygones  sans  ciment,  offre  un  fait  absolument  analogue  à  ceux  que 
M.  Petit-Radel  avait  observés  à  Segni  et  à  Alatri'^.  Mais  je  m'arrête  ici, 
pour  ne  pas  prolonger  une  discussion  qui  a  déjà  piîs  trop  d'étendue. 

Je  viens  d'exposer  les  principales  difficultés  qu'a  rencontrées  la  théorie 
des  monuments  cyclopéens  conçue  par  M.  Petit-Radel,  et  je  crois  avoir 
démontré  que,  en  ce  qui  concerne  les  murs  de  Signia  et  de  iVor&a 'sur- 
tout, ces  objections,  auxquelles  on  a  paru^  de  nos  jours,  attacher  tant 
d'importance ,  n'avaient  réellement  aucune  valeur.  L'espace  me  manque 
pour  rendre  compte  du  livre  même  où  sont  consignées  les  dernières  vues 
de  M.  Petit-Radel  sur  l'espèce  de  monuments  qui  avait  fait  l'objet  des 
études  de  toute  sa  vie.  Mais  j'ai  peu  à  regretter  d'être  obligé  de  suppri- 

per  analogia  stabilîre  chc  ogni  opéra  pollgonia  coii  fodera  di  enipleclon  sia  slala 
eieguita  dai  Romani.  —  ^  Vilruv.  de  Arcidiect.  ii,  8,  7.  —  '  Dodwdi,  A  Tour,  elc. 
'  I- 1»  97  >  i63,  ail5,  et  t.  U^  lao.  —  '  Slieglitz,  GesAichte  der  Baukanstj  p.  iSj. 
—  *  Ltf  Antichità  di  Atba  Facense,  p.  72-73.  —  *  Ibid.  p.  108.  —  *  16m/.  p.  aao, 
tav.  m ,  C.  —  ^  Cest  ce  qu*a  reconnu  encore  tout  récemment  un  des  anllquaires 
de  Ylnsiitat  Archéologique,  M.  Abeken,  dans  un  article  inséré  au  t  XI  des  Annales 
de  cette  société,  p.  :|0o-aoi. 

*       ï 


150  JOURNAL  DES  SAVANTS, 

mer  cette  partie  de  mon  analyse ,  attendu  que  ces  Recherches  posthumes 
sur  les  inonuni,ents'cycloiy:ens  ne  présentent  aucun  fait  nouveau ,  et  que . 
par  la  discussion  qui  a  r&mpli  cet  article  ,  j'ai  mis  suffisamment  nos  lec- 
teurs au  courant  de  toutes  ies  questions  qui  se  rattachent  à  ces  monu- 
ments. Je  termine  donc,  en  disant  que'  l'ouvrage  sur  ies  monuments 
cyciopéens  dont  M.  Petit-Kadel  avait  travaillé,  pendant  près  d'un  demi' 
sit-cie.  à  recueillir  les  matériaux,  est  encore  à  faire';  et  que,  si  cet  ou- 
viag?  de  patience,  d'érudition  et  de  critiqfie,  s'accomplit  quelque  jour, 
comme  on  doit  le  désirer,  c'est  d'après  les  idées  de  l'auleur  qu'il  devra 
s'exécuter,  lesquelles  me  paraissent  presque  eu  tout  point  conformes  a 
la  vérité  ^Gtorique. 

"•   •..V?*»'V  •  r.AOUL-ROCHETTE. 


Nouveaux  documents  inédits  sur  le  P.  André  et  sur  la  persécution 
da  Cartésianisme  dans  h  compagnie  de  Jésus. 

•-    ■»  ,  '  rPFMIER    ABTILLE. 

Nos  artiéfes  tfu'Joumal  des  Savants  de  janvier  et  fémer  iS/u  ,  sur 
un  certain  nombre  de  lettres  inédites  du  P.  André,  en  révélant  l'existence 
d'une  vaste  correspondance,  jusqu'alors  inconnue,  de  Malebranche, 
et  en  excitant  le  lèle  des  amis  de  la  philosophie  nationale  à  en  recher- 
cher les  débris  épars,  n'ont  pas  été  étiangers  peut-être  à  la  découverte 
et  à  la  publication  de  ia  co'rrespondance  de  Malebrancbe  et  de  Mairan^; 
en  môme  temps  l'attention  qu'ils  ont  appelée  sur  le  P.  Audré,  l'intérêt 
qu'ils  ont  inspii'é  pour  ce  disciple  ingénieux  et  fidèle  de  Descaites  et  de 
Malejii^nchc,  égaré  parmi  les  jésuites,  viennent  de  procurer  une  autre 
jï  découverte  d'une  assez  grande  importance.  Telle  est  la  récompense  de 
tout  travail  sur  des  documents  inédits  :  il  provoqiie  la  recherclie  et 
met  sur  la  trace  d'autres  documents  plus  précieux  encore.  L'auteur  de 

'  IrparaHque  M.  le  docteur  Nott  en  avait  formé  le  projet,  du  moins  exprimail-ii. 
à"U%n  tle  son  artide  Jar  les  ruines  cyclopéermes  île  Cefala.  Annal,  dell'  Instil.  Ar- 
cheot.  l.  m,  p.  387,  l'inlention  ot'i  il  élail  alors  de  traiter  la  question  génimle  des 
édifices  cyclopéens ;  mms  j'ignore  s'il  a  persisté  dans  cette  inlention.  et  si  elle  a  re^u 
de  sa  part  im  commencement  d'exécution.  —  '  Joumul  des  Savants  de  i8ia  .  juillet 
et  décembre,  »    «     »  ^ 


MARS  1843.  151 

la  découverte  que  nous  annonçons  1-expose  lui-même  dans  la  lettre  sui- 
vante ,  qui  nous  est  adressée  : 


* 


4    « 


'  '  "  '    '  «Caen,  3 1  décembre  i8&i.        • 

«Monsieur,  •'  •     ' 

• 

a  Les  deux  intéressants  articles  que  vous  avez  publiés  sur  le  P.  André , 
dans  le  Journal  des  Savants  des  mois  de  janvier  et  de  février  derniers, 
.   m*engagent  à  vous  faire  part ,  avant  tout  autre ,  de  la  décQuverte  que 
je  viens  de  faire,  concurremment  avec  MM.  Trébutien  et  Leflaguais,* 
mes  coUègues  à  la  bibliothèque  de  Caen. 
^•^.  ^  tt  H  y  a  quelques  jours ,  ayant  rencontré ,  en  visitant  deux  immenses 

^  baUots  de  papiers  manuscrits  et  autres  qu'on  se  disposait  à  vendre  à  la 
^^  Jivre,  quelques  imprimés  relatifs  à  l'histoire  du  Calvados  pendant  la  ré- 
volution, je  fis  porter  ces  jballots  à  la  bibliothèque  de  la  ville,  afin  de 
'  les  examiner.  Vous  jugerez  de  notre  satisfaction  lorsque,  après  avoir  jeté 
les  yeux  sur  les  premiers  cahiers  écrits  à  la  main ,  nous  reconnûmes,'  au 
milieu  de  notes  assez  curieuses  sur  notre  histoire  locale,  la  majeure 
partie  des  manuscrits  autographes  et.inédits  de  Tauteur  de  TEssai  sur 
le  beau,  savoir: 

1*  La  Géométrie  pratique,  i  fort  vol.  în-A°. 

a*  Traité  de  rarchitecture  civile  et  militaire ,  in-A*". 

5"  Traité  de  Tarchitecture,  etc.  (mise  au  net  du  précédent) ,  in-fol. 

4*  LWrl  de  bien  vivre ,  poème  en  quatre  chants ,  in-4^. 

5**  Une  vingtaine  de  sermons  sur  différents  sincts^  in-4*'- 

6*  Un  fort  volume  de  notes  sur  Dcscarles  et  Malebranche,  in-4'*- 

7*  Metapkysica  sive  Tiieologia  naturdis,  in-fol. 

8"*  Instruction  chrétienne  pour  un  enfant  qui  est  dans  les  études,  in-fol. 

9"  Deux  carions  considérables  de  cahiers  et  de  feuilles  volantes,  contenant  des 

opuscules  en  vers  on  en  prose,  des  maximes,  des  pensées,  des  notes^  etc. 
lo*  Ènnn,  un  fragment  considérable  de  la  seconde  partie  de  TEssai  sur  le  beau* 

in.4'. 

«  Mais  ce  qui  nous  frappa  le  plus  furent  trois  cahiers  contenant  :  « 

Le  premier,  de  46  feuillets ,  la  correspondance  du  P.  André  avec  les  jésuîtes 
(xuimond,  Hardouin,  Porée  et  Dutertre,  lors  de  sa  persécution  comme  Ma- 
lebranchisle; 

Le  second,  de  6i  feuillets,  la  correspondance  du  P.  André  avec  FonteneUe, 
dont  seize  lettres  autographes  de  ce  dernier  et  une  dix-septième  écrite  en  son 
nom  par  M.  de  Croismare  :  elles  sont  datées  des  dernières  années  de  la  vie 
de  FonteneUe  ; 

Le  troisième,  enfin ^  de  5g  feuillets,  composé  de  brouillons  des  dix-sept  letfjres 
du  P.  André  à  Hfalebranche,  et  deâ  réponse»  autographes  de  Tillustre  phSo- 
sofiie,  Flusieors  de  ces  lettres  ;  entre  autres,  une  sur  ie  mensonge  ,',ron}ent 


152  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

sur  des  sujets  philosophiques;  les, autres  ont  Irait  à  /les  iQcidenU  de  la  vie 
iâlime  des  deux  correspondants  :  elles  n'en  ont  pas  moins  une  grande  valeur, 
puisque  vous  nous  avez  appris  que  les  leltres  de  Malebranche  élaient  si  rares, 
que  vous  n'en  connaîesiei  que-  deux.  Deux  ou  trois  lettres  du  P.  Lamy  feni 
aussi  parliu  de,ce«cahier.        ■■    ■ 

.  .  '♦  -         ■  .      .  ' 

"  Tqjis  ces  manuscrits .  que  nous  nous  sommes  empressés  d'achetçr, 
apparteneientà  une  demoiselle  Peschel,  li^galaire  d'uiie  demcùscile  de  IsT 
^Itiéi'P.iiéritière  elle-mûme  d'un  avocat  littérateur  de  Caen,  nommé 
Gliarles'de  Qucns. Élève  du  P.  André,  M.  de  Quens  parait,  dans  ses  ma- 
nuscrite, qup  nous  avons. achetés  aussi,  lui  avoû'  voué  une  vénération 
toute  particulière.  Nous  avons  trouvé  deux  volumes  entiers  de  notes  de  '  •      *^ 

sa  main,  qui  semblent  avoir  été  prisés  jour  par  jour  et  être  le  résultat     ■    ^    X^P^ 
de  son  entretien  avec  son  professeur  sur  la  religion,  la  philosophie,     '"' 
riiistoire,  les  auteurs,  les  liOnmies  et  les  choses.  Malebranche,  vous   ■ 
pouvez  le  croire,  n'y  est  pas  oublié.  Il  s'y  trouve,  en  outre,  une  foiJe  d'a- 
necdotes qui  prouvent  que,  si  le  P.  André  était  un  savant  distingué,  il 
étai^  encore  un  homme  d'esprit  et  de  saillies.  Ce  même  M.  de  Quens 
s'assom  avec  l'abhéGuyot  pour  faire  graver  une  épitaphe  sur  la  tombe 
du  P.  André  dans  l'église  des  chanoines  de-l'Hôtel-Uieu  de  Caen,  C'est, 
du  moins,  ce  que  nous  a  appris  un  manuscrit  inédit  do  l'abbé  Guyot, 
depuis  longtemps  dans  la  bibliothèque  de  Caen ,  et  intitulé  le  Moréri  des 
Ptormands. 

«Voilà,  Monsieur,  tout  ce  que  nous  avons  pu  remarquer  jusqu'ici. 
après  Uii  rapide  examen  des  manuscrits  que  nous  avons  eu  le  bonheur    ' 
"de  sauver  d'une   destr\iction  certaine.   Nous  allons  maintenant   nous 
mettre  à  les  classer  et  à  les  étudier.  Nous  ne  doutons  pas  que  ce  travail 
n  aboutisse  ù  quehpie  heureux  résultat. 

«  Je  me  suis  lu  sur  ce  qui  peut  avoir  rafiport  à  la  Vie  de  Malebranche , 
que  vous  réclamez,  à  si  juste  titre,  de  son  possesseur  inconnu.  C'est 
qu'en  effet  nous  l'avons  cherchée  en  vain.  Un  des  exemplaires  que 
vgus  signalez  avait  été.  k  la  vérité,  dans  les  mains  de  M.  de  Quens,  ' 
mais  il  s'en  était  dessaisi,  quelque  temps  avant  de  mourir,  en  faveur 
d'u^  M.  Ileraey-d'Auberive  (sans  doute  l'ahlïé  Hemey-d'Auberive,  édi- 
teur d#s  Œuvres  de  Bossuet,  i8i5-i8i9,  dont  parle  Quérard,  t.  IV,  * 
p.  63 ,  et  qui  moumt,  à  Paris,  à  la  fm  de  i8i5],  à  la  condition  qu'il 
la  piiblierait ,  et  le  signalerait,  lui ,  M.  de  Quens,  dans  sa  préface.  Je 
voi|s, envoie  les  pièces  à  l'appui  de  ce  fait;  ce  sont  un  reçu  daté  de 
}t>o-]  et  une  lettre  de  M.  d'Auberive  lui-même,  qui,  comme  vous  le 
venez,  demeurait  alors  à  l'Abbaye-au-Bois.  Si  vouS'pouviez  maintenant 
relrouyer  les  héritiers  de  cet  écrivain .  ils  devraient  en  conscience  rendre 


le  livre  du  P.  Adâvé ,  puisque  les  conditions  pour  Wqu^les  il  avait  étd,  J 
^onné'n'om  o^  été  re'ni[^ies;fpt.  s'ils  s  v  tîfufi^ieot ,  1^  mandataire  de 
la  demoiselle^eschet  esr  dîjjps^à  faire'toiitei les  déiuarches'.pour  le 
recouvrer.  Vous  devei^ien  o^nser  qij'une  foi^  e&t^etlos  magnat  ^pe 
■  tarderait  pas  à  être  liviîii  la  pjjblicité.^  ^       A^ 


:^ 


tarderait  pas  à  être  livre  A  la  jpjjblicité.^  *       A^  ^        '  • 

*<<>  J'ai  llkonneur'^'être.^MEjeapect.  monsia^,  votre  ^UiumUe  et  *  « 

très-obéissant  serviteMT.    ^^r     •  jfc  Mb  ,    *    * 

^     ^       '      m,  «G.  ^Ianc»,  *||    ^  ^m         ^ 

'  ^^.  .Conservateur  (le  !n  bilitiriihéque  Lie  Caeii.  .r.       -  ,■   '    , 


Voici  maintenant qudq&es lignes  de  M.  l'abbé  Marc,  qui  prouvent 
qu'en  1807  la  Vie  de  Malebranche,  par  ii?  P.  André,  <!'tait  ontre  sis 
mains.  pI  formait  un  volume  in-folio  de  999  pages. 

"J'ai  reçu  de  M.  defiuince  (sic  pOurQucns]  un  volume  in-folîo  com- 
mençant par  ces  mois  1  La  vie  da  A.  P.  Malcbranche ,  prèttè'âe  f  Oratoire . 
ledit  manu.scrit  contenant  999  p^ges.  et  je  m'engage  do  le  renietlrt! 
aussîHIt  que  j'en  serai  requis.  Caen,  le  1  o  mar.s  1807. 

i  ,        «  Signé  L.  Mauc.  h 

Nous  suivons  le  précieux  Volume  jusqu'en  1810,  dans  une  iettie^d'' 
M.  l'abbé  Hemey-d' Aubcrîve ,  où  il  s'engage  à  remettre  aux  bériticrs  de 
M.  de  Quens  la  Vie  de  Malcbianclie,  qu'U  croyait  lui  avoir  été  non  pas 
prêtée,  mais  donnée.  M-  d'Aubcrive,  qui  était  fort  en  état  d'en  bien 
juger,  déclare  «  qu'il  y  avait  de  Irès-bonnes  choses  fet  très-intéressantes 
dans  cette  VîedeMalebranche,  mais  que  ce  n'était  point  un  livre  achevé, 
qu'il  y  avait  quantité  de  lacunes,  beaucoup  d'articles  imparfaits,  et  qu'A 
faudrait  un  temps  et  un  travail  assez  considérables  pour  le  mettre  en 
état  d'être  imprimé.  »  M.  d'Auberivc  avait  entrepris  celle  tâche,  et  s'en 
occupait  quand  le  manuscrit  lui  fut  redemandé.  Les  héritiers  de  M.  de' 
Quens  repnrent-iis  fouvrage  du  P.  André  ou  le  laissèrcnt-iLs  entre  les 
mains  de  M.  d'Auberive  ]■'  Nous  l'ignorons.  La  Vie  de  Malebranche 
ne  fait  point  partie  des  papiers  3u  P.  André  provenant  de  la  succession 
de  M.  de  Queus,  et  en  a  bien  de  la  peine  à  parvenir  jusqu'à  la  famille 
de  M.  fabbé  d'Auherive  pour  en  obtenir  ce  simple  renseignement,  si 
parmi  les  papiers  qu'il  a  dû  laisser  se  trouve  la  Vie  de  Malebrancbe. 
Cette  recherche  se  poursuit  avec  de  grandes  lenteurs;  nous  aurons  soin 
d'informer  les  lecteurs  du  Journal  des  Savants  du  résultat  définitif  qui  " 
sera  obtenu,  '  j 

Du  moins,  nous  voilà  en  possession  d'un  bon  nombre  de  fflgnus^s 
"*  ,^     aft        ' 


.  ^ 


154"  JOURNAL  I^  SAVANTS, 

du  P.  André^  ilâîéont  inainlenam  déposés  dans  uùe  grande  bibliç- 
Itièqùe  piibliqile,  celle^d^ja  ville  dc*^aeq,  et  le  diguje  ^sèrvàteuj^ 
deuc«Ue  bîbliQthèquei,M.  Iwancel .  jrvecjcs  deux  excellents  collabom- 
t^:^,  MlCr  Ti^butfen  et  Xellaguais,  les  étudie,  et  s'occupe  de  lecon- 
naîlrf  ïPqui  mérite  den  ètr^mblié.  wi  pi'emiey  rang,  Û  faut  placer 
;issuivmciit la  coircspoudanceTla  P.  ÂufeeçVec Fohienell^Jt^vec  Mfe- 
Icbrauche.  r'osi  presque  un  point  (jjjioi^^wpoiu- M.  Mancâde donner 
i  lui-nicmi?  ies  Icltres  de  son  illustre  compa^ote  Fontei^e,  Déjà  l'abbé 
Guyot.danbsanoliccsiuicP.  André,  a  cité  quelques  traits  de  c^ettres' 
où  1  on  voit  quel  cas  faisaîl  de  l'aiiTiablc  ôt  soirituel  jcsilile  le  dernier 
canésïen,  le  plus  bel  esprit  du  win"  siècle  tîvant  ^lontesquitu  et  Vol- 
\a.frot  Nous  nous  sciions  olfort  bien  volontiers  poni'  mettre  au  jour  la 
copiespondanre  du  P.  André  et  de  Malebrancbc.  où  peut-élre  aurait 
clé  de  ruise  quelque  connaissance  des  matières  agitées  entre  les  deux 
ttiétapbjsiciens  et  surtout  de  I)i  tîtlératui'e  pliilosopliique  de  celte  époque; 
mais  nous  concevons  l'i  merveille  qu'on  ne  remette  pas  facilement  à  un 

/    •autt'e  Ij  soin  de  faire  connaître  de  nouvelles  pages  sorties  de  la  plume 
j  ^^Caul(?&  de  la  Rcclierche  de  la  vérit*-.  quand  on  est  soi-rnème^papfai- 
tement  cctpnblc  de  les  bien  comprendre  et  par  conséquent  de  les  pu- 
blier avec  exaclitude.  Nous  sommes  trop  heureux  que  M.  Mancel  et  ses 
collaborateurs  aient  bien  voulu  nous  communiquer,  et  nous  autorisent 

4      à  éiiqdoyer  h  noire  gré.  ia  correspondance  du  P.  André  avec  plusieurs 
de  ses  confrères  et  de  ses  supérieurs  de  la  compagrde  de  Jésus,  pendant 

•  le  t^ps  qu'il  fiit  persécuté  comme  partisan  de  la  nouvelle  philosophie 
de  Descartes  el  de  Alalebrancbe.  Cette  correspondance  est  la  suite  Ct 
{é  complément  nécessaire  de  celle  dont  nous  avons  donné  des  extraits 
étendus  dans  ce  journal  (janvier  el  février  i8Ai)*,  nous  allons  la  faire 
conuailre  en  détail  et  en  tirer  toutes  leslumières  qui  peuvent  éclairer 
ce  triste  et  intéressant  épisode  de  l'bistoire  dn  cartésianisme. 
-j.  Marquons  d'abord  la  dilîérenee  qui  dislingue  celle  nouvelle  corres- 

pondance de  la  première.  Dans  celle-ci  le  P.  André  écrit  !\  des  amis  qui 
jjcnsent  comme  lut,  à  Malebranche,  à  foratorien  de  Marbeuf,  disciple 
de  Malebranche,  ou  ii  M.  Larchevèque,  qui  paraît  avoir  parlagé  ses 
sentiments:  il  leur  ouvre  son  cœur  ;  il  se  complaît  à  leur  montrer  son 
goût  vif  et  constant  pour  la  nouvelle  philosophie ,  ses  études  secrètes  et 
obstinées,  son  pieux  et  fidèle  altacbement  à  leur  commun  maître  et 
JBon  dédiiin  courageux  pour  leurs  communs  ennemis.  Ici  la  scène  est 
^OBte  différente.  Ce  n'est  plus  le  P.  André- parlant  i!i  son  aise  à  des  amis 


t' 


«        M 


--^Qe«vr 


'  dafea  P.  André,  1. 1,  Eloge  historiqat 


eLâ^des^^P^^I^^^Bffi^a  cooipagnie;  c'est  If  P.  André  dans  le 
sein. même  aeceuëcomi^niè,  aux  [Crises  avec  ses  supérieurs,  entoura 

•  d'oiiïljfages ,  de  menaces  et  de  tracasseries,  obligé  de  c^ier  ses  études, 
de  dissimuler  ses  amitiés  et  ses  opinions  sans  les  Irahii*.  perpétueliem^t 
placé  entre  mio  rirronspeclion  qui  poun-ail  ressembler  à  l'artifice'jflt " 
uni;  franchise  bien  voisine  de  la  révolte ,  réclamant  sans  .qesse  la'ÎBstice , 
|»rodi{»iiaiil  les  explications  et  les  apologies,  abandonuiS  peu  à  peu  par 
i-cut  lii-  -.es  confrères  qui  pai'aissaicnt  d'abord  tout  aussi  ardents  (juc  lui 
(laii>  i  I  uiùine  querelle,  se  tWhatlaut  en  vain  contre  de'çOurdes  iiiù-igues 
on  cuiiiie  une  perséculion_déclacée ,  gêpé  et  tourmenté  dans  les  plus 
l»ctiLs  (It'taiU.'dc  sa  vie ,  renvôyi^  de  ville  en  ville  et  de  collège  en  col- 
lige  ,  rour  h  tour  accusé  dâcartésjflnismc  et  de  jansénisme,  en  hutte  ii 
•inie  juquisJlion  qui  t^r  se  relâche  jSinais,  une  fois  nicme  livré  au  bras 
séculier-  einpri-oiiné  li  la  Uastillc,  et  traînant  ainsi  une  vie  iu(|U!èlc O 
agitée  pendaut  touli'  hi  premi^ïc  moitié  du  xvni*  siècle.  On  voit  i(d  l'iu- 
téricur  de  ia  coni[ia;^iiie  de  Jésus,  sa  forte  hiérarchie,  le  mystère  dont 
s'y  envfilopfe  l'autorité, *ses  ménagements  astucieux  ou  ses  coups  d'é- 
dal,  des  esjirils  d'une  souplesse  intinie  et  des  cœurs  de  fer.  une  [lon- 
tique  toujours  là  même  sous  les  formes  les  plus  diverses,  et,  au  milieu 
de  tout  cela^^dans  cette  nombreuse  sociél^ ,  touics  les  variétés  de  la  na- 
ture humaincTmen  des  mécontents,  quelques  hommes  esceilents,  beau 
coup  de  f;ons Taibles,  plus  d'un  lâche,  l'empire  de  l'habiiude  eUdc  la 
routine,  le  monde  enfin  tel  qu'il  est  et  sera  toujours,  ^ûutçz  que  nous 
avons  ici  tous  les  nomsjpropres,  que  les  masques  sont  ôt&',  el  qu'on 
voit  comparaitre  dans  cette  alTaire  les  principaux  personnages  du  jésui- 
tisme à  cette  époque.  On  peut  donc  se  promettre  plus  d'une  révélation 
inattendue  et  piquante;  c'est,  en  quelque  sorte.  la  chronique  philoso- 
phique de  la  fameuse  compagnie,  et  comme  un  chapitre  inédit  de  son 
histoire  intérieure .  dans  la  del■m^re  ppriode  de  sa  domination  ol  de  son 
existence  légale  en  France. 

La  première  correspondance  que  nous  avons  fait  connaître  commence 
en    '707.  et  nous  montre  le  P.  André  déjà  relégué  au  colléee  de  La 

^.Flèche.  Nos  nouveaux  papiers  remontent  un  peu  plus  haut  .à  la  moitié 
de  l'année  1 70G ,  et  le  peignent  faisant  sa  théologie  à  Paris ,  au  célèbre 
collège  de  Ciermont,  et,  pendant  ce  temps,  s'écHappanl  de  son  collège 
pour  aller  assister  aux  conférences  de  M.  l'abbé  de  Cordcmoy',  entrant 

'  Elles  avaient  pour  objet  In  rèfulalion  el  la  conversion  dei  liOrétiqitfs.  L'abbc 
cle  Cordemoy  était  tils  du  Cartésien  de Cordemoy,  conseiller  d'Etal,  lecteuTOrdiiiaire 
du  Dauphin,  membre  de  l'Académie  française,  et  dont  lea  œuvres  plùlosopliique* 
forment  un  in-^°  en  deux  parIJvs:  il  v  en  a  une  quatrième  édition,  Parib.  170^ 


>v 


'^' 


JOL'RtAl  DES  savants: 
en  relation  avec  MaUbranche ,  et  dcjà  susflfi^  pai'r6on  ef^t  mal  oissi' 
ttr^é  pour  le  cartésianisme.  Il  partît  qufe  Je^re  recleor  Jll  collège  îe    ••  * 
Clênnont  instruisit  le  pèie  provincial  de  la  cunduile  d'Aiidr<^.  On  léSblut 
ipc,  dans  les  conseils  de  la  compagnie,  de  l'éloigner  dç  Paris,  et  de  ' 
tvoyei-  dans  quelque  collège  ^oigni'.  Dès  (Ju'Andri^  cul  coiinaîssancc  ^ 
decÉlfe  rosolutîàfl,  il  fit  tout  au  monde  pour  la  conjurei  el  obtenir  de 
ses  sïip'^rieurs  dé  l'ester  à  Paris,  en  apparence  pour  aciievcrsa  dernière    ^P,^ 
aânée  de   théologie,  en   réalité  pour  poursuivre   ses   études   pliiloso- 
jihiqtiies  el  les  relations  qu'il  avait  commencées  avec  l'école  carlésiennCi      • 
Le  6  juillet  1 706  ,  il  éciil  au  père  provincial  une  lettre  oii,  sans  avouer 
ni  desavouer  les  opinions  qu'on  lui  imptite,  il  s'appliqncÀ  dissiper  les 
mauvaises  impressions  qui  déjà  se  répandaient  contre  lui. 

"Mon  Irès-révérend  père, 

"J'apprends  depuis  quelques  jouj"S  qu'on  m'a  élransemeLU  dicjir 
dans  votre  esprit;  mais,  étant  persuadé  que  vous  avez  gardé  luic  ureiJlc 
pour  inrrusé,  je  ne  veii\  point  m  abandonner  moi-mêmi^ni  meiiler, 
si  je  puis,  d'être  condamné  et  pout-otre  punî  sans  être  entendu.  Ce 
n'est  pas  d'aujourd'hui ,  mon  révérend  père ,  que  je  commence  à  épron- 
vjer  les  Mms  a$  la  calomniciôl  y  a  longtemps  que  j  y  suis  en  butte.  En 
voici^yTlgues  preuves  choisies  entre  mille.  On  m'a  accusé  de  rejeter 
tes  hAitudes  spiritticHca,  et  je  les  ai  toujours  crues  de  foi  et  soutenues 
lomme  telles,  contre  le  sentiment  de  la  plupart  des  théologiens.  On 
m'a  imputé  de  nîrr  la  tradition  des  Pères,  êÇ  j'ai  toujours  maintenu 
que  la  religion  ne  peut  exister  sans  elle,  quoique  absolument  elle  puisse 
Subsister  sans  récriture.  Enfin,  mon  révérend  père,  mes  calomnia- 
leurs  me  faîsoicnt,  an  commencement  de  celte  année,  donner  dans  le 
système  du  père  flardouîn',  et  ils  m'accusent  aujourd'hui  d'en  vouloir 
un  tout  S  l'ait  contraire,  félois  flarduiniste  lorsque  cela  pouvoit  me 
pflrdre,  et,  [)^ec  que  la  protection  de  Dieu  m'a  sauvé  de  leurs  mains, 
malheur  à  moi!  Me  voilà  tout  à  coup  devenu  Malebrancbiste.  Ouït-on 
jaiuàî^  parler  d'une  si  étrange  métamorphose I  Vous  voyez,  mon  révé- 
rend père  ,  que  l'un  ou  l'autre  est  certainement  une  calomnie.  Mais  je,^ 
piiis:.VOus  assurer  que  Tun  et  l'autre  l'est  dans  le  sens  qu'ils  l'entendent, 
''t  apparemment  Je  sais  miau\  qu'eux  ce  que  je  pense.  Quel  est  donc 
mon  crime?  Car  enfin  ces  gens  de  bien,  des  prêtres  qui  disent  tous  les 
jours  la  messe ,  n'auront  point  accusé  un  prètie  sans  quelque  espèce  de 
raison.  Il  faut  donc  vous  le  confesser,  mon  réyérend   père,   ce  crime 


'  Ve  fameux  P.  Hardouî 


sndra  bientôt  dar 


^  MARS  1843.  157 

abomiuable,  indigne  de  tout  pardon:  cest  que  jamais  je  n*ai  su  lart  de 
jurer  sur  la. foi  d'un  maître;  cest  que  je  ne  reçois  sans  examen- que  ce- 
qui  part  d'une  autorité  infaillible;  c'est  que  je  preods  la  liberté  d exa- 
miner tout  le  reste  à  la  lumière  de  la  raison  et  de  là  foi;  c'est  que  je 
tâche  de  distinguer  ce  qui  est  du  ressort  de  Tune  de  ce  qui  est  du  res- 
sort de  Tautre;  c'est  que  je  mets  de  la  dififérence  entre  les  dogmes  de  la 

^W  religiœQ  et  les  explications  des  Pères  et  des'théoIogie;is,  et  qu'à  leur 
exemple  j'en  cherche  de  meilleures  quand  les  leurs  ne  me  satisfont  pas; 

^  c'est  que  j'ose  distihguer,  dans  les  Pères,  cç  qu'ils  disent  en  qualité  de 
témoins  de  la  foi  de  leur  temps ,  et  ce  qu'ils  avancent  en  qualité  d'au- 
teurs particuliers;  eiest qu'après  avoir  tout  lu  sur  une  matière,  je  tâche 
eiftuite,  pour  la  possëderv  de  faire  plus  d'usage  de  mon  esprit  que  de  ma 
mémoire  ou  de  l'esprit ^d'autruî ;  c'est  enûn,  mon  révérend  père,  que 
je  parle  quelquefois  d'idées  clair^,  et  que,  pour  bien  apprendre  la  tliéo- 
%  îogie ,  j'égale  presque  la  méditajdpa  des^^Kj^tés  chrétiennes  à  la  lecture 
des  mêmes  vérités.  Voilà  tous  mes  crimes,  mon  révérend  père;  voilà 
Iles  dangereuses  nouveautés  quon  peij|  m'imputer  justement,  mais' 
^nouveautés  sans  lesquelles  je  crois  que  l^^recherche  des  antiquités  ne 
peut  que  charger  la  mémoire ,  sans  éclairer,  sans  étendre ,  sans  per- 
fectionner l'esprit.  Et  il  est  si  vrai  que,mes  accusateurs  n'ont  rien  de 
plus  fort  à;.m'imputer,  qu'ils  n'osent  entrer  dans  aucun  détail  ;  ou,  si 
quelquefois  ils  s'y  hasardent,  ils  y  réussissent  de  la  manière  que  j'ai  déjà 
eu  l'honneur  de  vous  exposer,  c'est-%-dii'e  si  heureusement,  que  de  leurs 
^accusations  vagues  et  générales  ils  concluent  toujours  la  contradiction 
de  mes  sentiments  :  et,  preuve  enœre -qu'ils  se  défient  de  la  bonté  de 
leur  logique ,  c'est  que,  lorsqu'on  les  p^sse ,  ils  laissent  là  leurs  accusa- 
tions et  se  jettent  sur  mes  manières,  qu'ils  disent  être  jHéprisantes ,  ce 
qui  feroit  croire  que  c'est  le  feu  de  ^  vengeance  qui  an^ie  leur  zèle. 
Cependant,  mon  révérend  père,  j'avoue  en  rela  quej'a^lAj^s'ils  ont  la 
moindre  raison  de  se  plaindre.  Mais  ,|.gf âce  au  Seifi^neivfjai  toujours 
su  distinguer,  dans  la  conversatjjjCm  ailleurs ,  les*^ersoniigLde  lem^ 
opinions,  et  les  auteurs  de  leurs  feùy^jhjel';  et ,  en  tous  cas,^^otEe  rCTe- 
rence  sait  assez  qu'il  ne  fijnt  P^^^éS/Br  ^^  ^^^^^  P^^  1^  manière,  et 
que  ce  ne  fut  jamais  une  hérésie  ^4raSknoili|au&  dangereuse  que  de 
n'avgînpiiit  bonne  grâteA  parler.^nMWp 

a  Excusez,  mon  rév^rena^Â*e,  si  je  parle  avec  cettg,  liberté ,  c'est 
voire  tionté  et  mon  u|^oç^|pe  qui  mç  l'inspirent. .  Je  ne  crains  rien,* 
parce  qu«i|pia  coiMciencenAne  reproche  rien;  si  je  jk>us  écris  cette  es- 
pèce degustificatioh ,  c'est  pUlIt  [f#ur  ne  pas  paroi tre  insensible  à  la 
perte  de  fotre  estitxig^qi||Kttr^iter  l'effet  des  sourdes  pratiques  de 


■ 

V 


9' 


!5«  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

mes  bons  amis.   Votre  révérence  est  trop  éctaîrt-e  et   trop  équitable 

pour  s'y  laisser  prendre.  Je  suis ,  elc,  » 

Le  père  provincial  auquel  s'adressait  André  s'appelait  Delaistie'.  Il 
ne  lui  répondit  point,  et,  après  deux  mois  de  silence,  il  se  contenta 
de  lui  signifier  que  la  résolution  de  lui  faire  quitter  Paris  est  arrêtée  el 
qu'il  doit  s'y  soumettre. 'lui  marquant  que  la  raison  de  sa  disgrâce  1^ 
est,  en  effet,  son allacliement  aux  nouvelles  opinions,  el  lui  conseillant 
d'y  renoncer,  V 

X    MON    BivÉKEND    VÈRE    LE    1'.    ANDRÉ    DE     LA    COUPAUNEE    DE    JESUh. 

"Mon. révérend  père.  .         • 

^  »  Pax  Cliristi. 

"Je  n'ai  point  fait  réponse  ii  la  lettre  que  vous  me  fites  l'honnemf^^^ 
de  m'écrire  il  y  a  environ  d«u\  mois,  parce  que  dès  iors  la  résolution 
■étoit  prise  de  vous  oster  de  Paris.  Il  n';pa  point  d'autre  raison  que  celiey 
que  votre  révérence  toucha  daiîs  sa  lettre,  trop  d'attachement  à  de  cei^ 
laines  nouvelles  opinions.  Jfl  ne  sçaurois  vous  donner  an  conseil  qui 
vous  soit  plus  avantageux  que  de  renoncer  à  tout  cela.  Et  à  Paris  et  à 
Rome  on  est  résolu  de  ne  poinf  souffrir  de  pareilles  nouveautés.  Votre 
révérence  a  de  l'esprit,  et  elle  aimeTestudc,  Si  elle  veut  tirer  de  ces 
deux  choses  favantage  qu'elle  doîW%ouhaîlter.  il  faut  nécessairement 
qu'elle  travaille  à  elfacer  de  fesprii  des  (supérieurs)  les  impressions 
qu'on  a  conçues  d'elle.  C'est  ce  qiîe^e  lui  souhaite  et  ;\  quoi  je  la  prie 
de  tout  mon  cœur  de  travailler ,'Croiic/-moi,  mon  révérend  père,  c'est 
le  seul  moyen qpe  votre  esprit ,  cultivé  par  beaucoup  d'études,  produise, 
dans  la  soitte'^es  fruils  qui  vous  soient  agréables  et  qui  fassent  honneur 
à  la  compa^iç.  Je  -me  recommande  à  ses  saints  sacrifices,  et  suis  plus 

'  La  Bibliolheca  icq/iloram  socielaùt-Jesa ,  lie  l'i^Jilion  de  Solvel,  étant  de  1676, 
et  |ës  dmiu^pplémenU  de  Caballerô  [BiUiothecœ  scriptomm  societatis  Jesa  supple- 
mema ,  ilotDBs  181 4  et  1816)  ne  con)prena{|l  que  les  auteurs  qui  odI  écrit  après  fa  ' 
condamnalioo  et  la  dispcnsion  de  ili; société,  tout  secours  nous  a  manqua  pour 
l'époque  intermédiaire .  tqui  ^t  prestement  celle  d'André.  Nous  avons  pu  nom 
aider  quelquefois  de  noies  siIT  les  cppfr^ites  du  P.  André  empruntées  aux  manus- 
crits de  M.^dc  Quens ,  et  que  M.  Mancêl  â  bien  voulu  nous  communiquer-  Gès  noies 
ne  contiennent  rien  sur  le  P.  Delaislrc,  et  il  n'est  fait  aucune  mention  de  ce  père 
jésuite  ni  dans  Mdréri  ni  dans  les  Mémoire»  de  Trévoux  ni  ailleurs.  Seulement  nous 
rencontrons  son  nom,  Ckarlei  Delahtre,  comme  provincial  de  la  compagnie  de 
Jésus  dans  la  province  de  France,  au  bas  de  la  permission  aocordée  au  P.  Breton- 
neau  d'imprimer  les  sermons  de  Bourdaloiie  pour  l'avenl  et  le  rarème ,  Paris ,  le 
3  janvier  1707.  Vovei  le  Bouçdaloue  de  RioTtud  ,  17O7  •<;' 


i 


MARS  1843. 


159 


que  personne,  avec  beaucoup  de  respect,  de  voU-e  révérence,  lelrès- 
huinblft  et  très-obeïssant  serviteur, 
n^uen,  r»  septembre  1706- 

"Delaistre.  h 
!^o\t);efl6  lettre  dup.  André,  plus  vive  que  la  jLiremière,  où,  insistant 
sui-  U  forme  plus  que  .siu'  le  fond«de  raffairc,  il  se  plaint  avec  énergie 

,  d'être  puni  comme  s'il  était  coupable,  sans  avoir  été  a^mis  à  se  justifier. 
André  avait  alors  ^jn^^trentaine  d'années,  et  il  en  comptait  déjà  dix 
o»  f]f)uzekàc  service  parmi  les  jésuites.  . 

^-  -10  septembre  \jïo. 

ii^on  i'évérend_pwe . 
«  Je  sça!  trop  bien  le  prix  descroix  pour  murmurer  de  celle  que  Dieu 
m^nroîe  par  vos  m.iins;  je  m  en  tiens  bonoré,  «t  le  remercie  de  tout 
m|Tn.cii;iir  de  la  part  qu'il  me  donne  au  calice  de  son  fils.  Mais  je  ne  suis 
■point  pfcis  palient  que  nfijn  maître-,  vous  sçavez  combien  de  fois  il  de- 
maudu  (  grâce  )  à  son  .père  ►  et  qu'un  f  oup  reçu  dijn  valet  insolent  lui 
sçut  arracbcr.une  plainte;  c'est;^on  révérend  père,  la  même  que  je 
prei^ln  liberté  4^yous.^re  auiourd'b'ui.  Si  j'ai  mal  parlé,  si  j'ai, de 

^njanyais.sentiffli^nts,  que  mes  acc*ilieurs  montrent  ^nquoi;  mais,  si  je 
n'eô  alipoim  d'autres  que  ceux  de  U  raison  et  de  la  foi  la  plus  pure , 
oserois'je.  le  demandera  votre  révérence,  pourquoi  prêter  vos  mains 
pateinclles  à  l'Injustice  des  coups  qu'ils  me  portent?  Encore  si  Ton  avoit 
observé  ipiplque  l'orme  de  justice  à  mon  égard;  mais  à  peine  ai-je  été 
■accuséJLYOlre  Iribimal,  dès  ce  moment  j'ai  été  coupable  et  condamné.  « 
Voti^^Êïcrcnce  clle-n»ême  m'en  est  un  sûr  garant;  car,  si  vous  n'avez 
pmntgtot  jépQp s e  à  la  lettre  justificatif  que  j'eus  f  honneur  de  vous 
écrire  ii^yt^s  de  Jélix  mois,  c'est,  mtes-vous,  pai«e  que.  dès  lors, 

^  rj^luHofT  étoit  prise  de  m'ôter  d'ici?  Quoi,  cUs  lors,  mon  révérend 
p^?  J'ai  dwio  été  condamné  avant  que  vous  eussiez  pu  lire  ma  justi- 
fication ^0nt  que  vous  m'eussiez  communiqué  les  accusations  de  mes 
ennemisT^'ant  que  je  sçiisse  que  j'^tois  accusé?  Est-ce  là  le  procédé 
d'un  père,  d'un  supérieur,  d'un  juge?  Quel  est  donc  mon  crime,  ce 
crime  si  énorme,  qu'il  mérite  qu'on  viole .  à  mon  égaçd ,  les  droits  les  plus 
naturels?  Je  veux Ijien m'en rapportCL'  à  votre  r*'véience,  c'est  trop  d'at- 
tachement à  do  certaines  nouvelles  opÎDioiis.  \r>ilà,  dites-vous,  la  seule 
raison  de  ma  disgrâce.  Mais ,  prcmiècenicnt ,  quelles  sont  ces  certaines 
nouvelles  opinions?  qu'on  m'en  msrque  une  seule  parmi  les  miennes 
en  matière  de  foi .  ou  qui  y  ait  le  moindre  rapport  aux  yeux  du  bon 
sens;  qu'on  m'en  montre  en  pbilosopliie  même  une  seule  que  j'aie  lel- 
iemCDt  embrassée,  que  je  ne  sois  pas  presl  de  l'abandonner  à  la  pre- 


jf- 


r 


160  JOURNAL  DES  SAVANTS, 

mière  iuciir  de  la  véril<5.  Mais,  en  second  lieu,  mon  révi^rend  père. 
quand  j'aurois  ces  prétendues  nouvelles  opinions,  puis-jc  demander  à 
votre  révérence  d'où  elle  peut  savoir  que  j'y  ai  trop  d'attachepient? 
M'en  avei-vous  jamais  parlé  ou  fait  parler  par  vos  subalternesrVous 
avez  passé  par  ici  à  votre  retour  de  Rome;  m'aA^ez-vous  mandé  pour 
rp'en  avertir  charitablement:'  Et  cependant  c'est  dès  lors  que  ma  perte 
a  été  résolue.  Que  le  Seigneur  en  soit  loué  !  Mais  je  le  prie  de  nous 
juger  tous  deux,  et  de  vous  pardonner  cette  yioleïite  résolution  aussi 
bien  qu'il  ceux  dont  les  calomnies  vous  l'ont  arrachée.         ' 

Il  Cependant,  mon  révérend  père,  nwlgré  leyr  crédit  et  leurs  ins- 
tances, j'ai  bien  de  la  peine  à  croire  que  vous  l'eussiei  prise  s'ils  ue  vous 
avoîent  empêché  d'examiner,  i  Tê  tort  que  vous  faites  ^  ma  réputation . 
qui  est  une  chose  si  difficile  à  réparer,  et  si  nécessaire  dans  l'emploi 
auquel  j'espère  me  destiner  avec  l'agrément  de  mes  supérieurs;  a*'lés 
circonstances  dans  lesquelles  vous  m'otez  d'ici,  je  veux  dire-pendant 
que  vous  en  ôlez  d'autres  pour 'certaines  choses  qui  ont  fait  bruit,  et 
dont  le  soupçon  pourra  bien  retomber  sur  moi  par  concomitance  ;  3°  le 
tort  que  vous  faites  à  mes  études  en  me  privant. d'un  des  meilleurs 
moyens  d'avancer  dans  les  sciences  .'qui  est  la  conversation  des  habiles 
gens  que  j'avois  Flionneur  de  voir  à  Paris  ;  4"  l'injustice  ,  et  peut^tre 
l'ingratitude  de  ce  procédé,  après  dix  oîf'"douze  années  du  service  le 
plus  rude ,  sept  années  de  régence .  et  quatre  années  de  chambre  com- 
mune  

k  «Voilà,  mon  révérend  père  ,  i\  peu  près  touîès  mes  raisons,  et  je  mi- 
flatte  qu'il  n'y  a  que  des  esprits  vendus  à  la  prévention  qui  puissent  ne 
s'y  pas  rendre";  mais  par  malheur  pour  moy,  et  plaise  ît  Dieu  que  ce  n'en 
soit  pas  un  pour  votre  révérence,  vous  m'avez  condamïié  sans  m'avoii' 
entendu;  de  sorte  que,  quand  m^ne  je  serois  coupable,  j'aurois  tou- 
jours droit  de  me  plaindre.  Mais,  bien  loin  de  l'être,  mon  révérend  père, 
j'en  atteste  mon  Dieu  et  mon  juge,  et  je  maintiens  que  je  rfpi  point  de 
sentiments  en  matière  de  loi  qui  ne  soient  entièrement  confofmesà  i'K- 
criture,  à  la  tradition,  aux  défmîtïons  des  conciles  généraux  et  aux  dé- 
risions des  papes  généralement  reçues,  et  qu'en  matière  même  de  phi- 
losophie j'embrasse  toujours  les  opinions  qui  me  paroissent  les  plus 
favorables  k  la  religion  catholique, 

«C'est  à  votre  révérence  àjugeV  maintenant  si,  en  ce  qui  regarde  mes 
pensées,  je  suis  plus  croyable  que  ces  délateurs  téméraires  que  je  sais 
fle  m' avoir  accusé  que  sur  des  ouï-dire  ou  sur  des  malentendus;  en 
tout  cas,  la  chose  est  bien  aisée  à  vérifier.  Falloit-il  donc,  mon  révé- 
rend père,  flétrj|:.  ^;i  matlèrCde  doctrine,  un  ftÇ^^.  destiné  ^ppa- 


H\. 


MARS  1«43.  161 

reaiment  à  enseigner  ou  à  prêcher,  sur  le  seul  témoignage  de  ses  en- 
nemis? Falloit-il  au  moins,  je  le  répète  encore,  me  condamner  sans  me 
convaincre,  et  résoudre  ma  perte  sans  m'avoir  entendu?  En  vérité,  mflb 
révérend  père,  ce  procédé  me  paroît  si  irrégulier,  que  j'ai  peine  à  le 
croire,  malgré  même  le  témoignage  de  votre  lettre.  En  effet,  on  ne  m'a 
point  encore  intimé  les  ordres  de  votre  révérence.  Ainsi,  je  vous  prie 
de  trouver  bon  que  j'attende  encore  une  réponse  de  votre  part  avant 
que  je  me  résolve  à  vous  croire  capable  d  une  pareille  injustice. 

Je  suis,  en  attendant,  avec  tout  le  respect  possible,  aux  ordres  du 
Seigneur,  etc.» 

La  réponse  ne  se  fit  pas  attendre.  Quoique  toujours  emmiellée  dans. 
les  termes,  elle  est,  au  fond,  péremptoire  et  décisive  :  le  P.  André  doit 
quitter  Paris. 

((X'mOJT    RiéfÉREND    pArE,    LE    R.    P.    ANDRié  ,  DE    LA    COMPAGNIE    DE    J^SUS. 

«  Mon  révérend  père , 

u  Pax  Chris ti. 

«Je  souhaiterois  que  votre  révérence  n'eust  point  pris  les  engage- 
ments qu'elle  m'a  mandé  qu'elle  a  pris  avec  certaines  personnes  ;  j'es- 
père ,  néanmoins,  que  cela  ne  Fempeschera  pas  de  se  rendre  à  la  Flèche 
au  temps  ordinaire.  Puisque  Dieu  lui  envoyé  une  croik,  il  ne  manquera 
pas  de  lui  donner  les  forces  nécessairespoiy:  la  porter.  Je  prie  Nostre 
Seigneur  qu'il  la  comble  de  l3énédictioj(HPdans  tous  les  lieux  où  elle  sera. 
Je  me  j^ec^mande  à  ses  SS.  SS.  et  je  suis,  plus  que  personne,  avec 
beaue6up  d'estime  et  de  respect ,  de  votre  révérence ,  le  très-humble ,  etc. 
«A  Brest*,  le  17  de  septembre  1706.  • 

*  •  «  Delaistre.  ». 


*  On  voit»  par  les  lieux  mêmes  d 


d  ou  le 


en  tournée  dans  sa  ^kvince ,  d* abord  à  Rouen ,  puis  à  Brest ,  d'où  celte  derniâ 
lettre  est  écrite.  La  province  de  Finance  proprement  dite  n'ét^t  qu  une  des  pro-^ 
vinces  dans  lesqueUes  la  compagnie  de  J4bis  avait  divisé  pour  elle^le  royaume  de 
France,  à  savoir,  la  province  de  France  proprement  dite,  Franciœ  provincia,  qoi 
possédait  les  collèges  de  Paris ,  Ponl-i  Mousson  «  la  Flèche ,  Bourges ,  Verdun ,  Nevep  » 
EifO^ouen,  Rennes,. Moulins,  Amiens,  Reims,  Nancy,  Caen;  la  province  d'Aqni- 


liinogei 


ai 


^63  JOURNAL  DES  SAVANTS.     ' 

André  tente  un  dernier  effort;  il  demande  une  dernière  fois  justice 
au  père  provincial ,  et  toujours  inutilement. 

m 

^  a  Mon  trè»-révérend  père , 

a  Je  vois  bien  que  votre  révérence  a  des  affaires  plus  pressées  que 
celle  de  me  faire  justice,  ou  plutôt  de  se  la  faire  à  elle-même  en  justi- 
fiant le  procédé  qu'elle  suit  à  mon  égard.  Je  vous  en  conjure  encore 
une  foi»  au  nom  de  Jésus-Gbrist ,  et  pour  votre  honneur  autant  que  pour 
>  le  mien  :  vous  m'avez  condamné  sans  m* avoir  convaincu ,  sans  m'avoir 
averti,  sans  m'avoir  entendu,  etpoui'  avoir,  dit-on,  violé  une  loi  qui 
n'étoit  pas  encore  portée.  N'ai-je  pas  droit  de  vous  demander  de  deux 
choses  TunC;  ou  de  me  justifier,  ou  de  me  convaincre?  Entrez .  je  vous 
prie,  dans  le  détail  des  accusations  formées  contre  moi,  marquez-le 
moi,  au  nom  de  notre  commun  juge;  et,  pouj^vous  faciliter  ma  convic- 
tion ,  je  ne  demande  qu  à  être  convaincu  de  faux  ou  dp  nouveauté 
dangereuse  dans  une  seule  de  mes  Qpinions  théologiques  ou  philoso- 
phiques pour  passer  condamnation  sur  toutes  les  autres.  Encore  une 
fois,  mon  révérend  père,  je  ne  demande  point  grâce;  il  vous  seroit 
libre  de  me  refuser  ;  je  vous  demande  justice,  justice  pure,  telle  qu'on 
raccorde  aux  plus  scélérats  dans  la  plus  inhumaine  barbarie  ;  mais  que 
je  sois  justifié  si  je  ne  suis  point  criminel.  Cestce  que  j'attens  de  votte 
révérence  avant  que  de  partir,  etc.  » 

k  MON  RJÊVÉREND  PÈRB  ,  IJK  IW^  ANDR^  DE^A  COMPAGNIE  DE  JESiS. 

«  Mon  révérend  père  ,  ^ 

uPax  Christi. 

«  Je  n  ay  rien  fait  sur  ce  qui  regarde  votre  révérence  qu  après  uift 
meure  délibération  et  avec  conseil  de  gens  fort  sages  ;  c'est  tout  ce  que 
je  puis  vous  dire  quant  à  présent.  Je  croyois  que  le  révérend  père  rec- 
teur^avoit  dit  à  votre  révérence  que  c'esloit  à  la  Flèche  où  elle  devoit 
achever  sa  théologie.  C'est  avec  ill^ret'que  je  la  voy  dans  une  disposi- 
tion si  contraire  à  la  parfaite  obéissance.  Je  la  prie  d'yi^piire  une  sérieuse 

Lyon,  Avignon,  Tournon,  Chambéry,  E^jon,  Dol,  Besançon,  Vienne,  Embrun, 
Carpentras.,  Sisteron;  la  province  de  Toiuouse,  provincia  Tolosoiut,  Toulouse,  Bii- 
lom,  Mauriac,  Rodez,  Auch,  le  Puy,  Béziers,  Cahors,  AlbL  Tel  est,  du  moin^  le 
déacmbrement  que  donne  le  Catalogus  de  Ribadéneira ,  a*  édition ,  AntwerpUB , 
161 3.  Depuis,  jusqu  en  ¥706 ,  la  compagnie  avait  fort  augmenté  le  nonibre  de  ses 
collèges ,  et  la  France  jésuitique  8*était  accrue  de  plnsleurs  province». 


MARS  1843.  163 

réflexion.  Je  me  recommande  à  ses  SS.  SS.  et  je  suis  plus  que  personne , 
avec  beaucoup  d'estime,  de  votre  révérence  le  très-humble ,  etc. 

«  Delaistre.  » 

Dans  cette  extrémité ,  André  prend  le  parti  de  porter  plus  .haut 
sa  plainte  et  de  s  adresser  à  Rome,  au  général  même  des  jésuites.  Il  lui 
écrit  en  latin  une  lettre  où  il  demande  hardiment  justice  de  la  condvSte 
du  P.  provincial  à  son  égard ,  et ,  en  Taccusant  de  partialité ,  déclare  au 
père  général  et  nous  apprend  à  nous-mêmes  qu'il  y  avait,  dans  la  so- 
ciété de  Jésus,  plus  d'un  membre  qui,  comme  André,  inclinait  aux 
nouvelles  opinions  et  les  professait  même.  Il  indique  un  de  ses  con- 
frères qui  avait  encouru  la  même  accusation  et  une  plus  forte  encore, 
mais  qui  s'en  était  tiré  à  l'aide  de  puissants  protecteurs.  Quel  était 
ce  jésuite  encore  plus  cartésien  qu'André?  Quels  étaient  ces  profes- 
seurs 9e  philosophie  et  de  physique  qui  enseignaient  la  doctrine  de 
Descartes  et  de  Malebranche?  La  charité  du  P.  André  ne  lui  permet 
pas  de  les  nommer.  Mais  cette  relation,  quoique  imparfaite,  n'est  pas  sans 
intérêt.  Voici  la  lettre  au  père  général  ;  la  latinité  en  est  peu  sévère 
mais  faciift ,  et  le  ton  en  est  remarquablement  énergique  : 

«  39  septembris  1706. 
«  Révérende  in  Christo  pater, 

«  Accusâtoi'um  meorum  calunuùis  appetitus,  superiorum  injuriis 
pêne  oppressus ,  confugio  a  J  patemitatem  tuam.  Quia  Cartesii  et  Ma- 
lebrancii  ^genium  ctmi  philosophis  omnibus  aliquando  laudavi,  no- 
varum  accessor(?)  opinionum  reus;  atque  hujus  flagitii  vix  bene  apud 
R.  P.  provincia^^  accusatus,  ab  eo  fui  statim  non  modo  convictus, 
sed ,  ne  auditus  quidem  ^.  nec  ante  monitus ,  inscius  et  absens ,  accusa- 
torum  meorum  ar]|j|rio  mi  damnatus  ;  nec  damnatus  quidem ,  sed  ecce 
etiam,  qu»  ma^ima  apud  nos  infapiia  est,  Parisiis  FÏexiam  mittor  in 
exsilium.  Denique,  révérende  admodum  pater,  tribus  momentis  accu- 
satus ,  danmatus ,  punhus  fui.  • 

«Postulavi  frustra  a  superioribtt  ut  unam  aliquam  mihi,  quam  pro- 
fcssus  fuerim ,  propositionem  iidicarent  quse  reMevissima  censura  di- 
gna  esseL  Provocavi  frustra  accusatores  meos ,  ut  vel  unicam  mihi  ex 
eis  opinionibus  qoas  uuquam  defenderim ,  afferrent  in  médium ,  qoie 
aut  rationêm  aut  fidem  aliquatemis  Isederet.  Eadem  de  re  interpellavi 
4  fhistqlR.  P.  proiAnckleii^  ut  vel  eos  j|d  id  cogeret  f  vel  quid  ipaé  ab 
illis  audierit  mihi  deciaiaret:  vu  tandem  hane  ab  eo*  reappoaioiiem 

*  ai. 


Ifi: 


164  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

obtinui  :  nuUam  quidem  aliam  meî  exsilii  rationem  esse  prseter  nimiam 
ad  certas  quasdam  novas  opiniones  adhaesionem;  sed  Deum,  quoniam 
ipse  hanc  mihi  crucem  mîtteret ,  necessarias  ad  illam  ferendam  gratias 
concessurum. 

«Huic  responsioni  tam  paternaî,  tam  consola toriae ,  tam  christiana*, 
duas  ego  tamen  postula  liones  subjeci;  ab  eo  quaesivi  :  i**  Quaenam  es- 
senf  illae  certae  opiniones,  ut  scirem  an  jure  an  injuria  tribuerentur 
mihi  et  crimini  verterentur;  2"*  Quomodo  sciret  me  istis  nescîo  qui- 
bus  novis  opinionibus  nimium  adhaerere,  quoniam  ante  latam  in  me 
sententiam  ea  de  re  nunquam  me  aut  per  se  aut  pcr  alios  monuisset , 
atque  adco  nunquam  docililatis  mea?  periculum  fecisset.  His ,  révérende 
admodum  pater,  tamaequis  postulationibus*nihil  respondit  aliud,  nisi 
ut  intérim  Flexiam  me  dcferrem,  seque  orare  Doiiiinum  ut  me  ubique 
omni  benedictione  cumularet,  Patrisne  haec  oratio  esi,  an  superioris, 
an  judicis?  Nihii  dico  tamên  quod  meiis  ipsiusque  litteris  demolislrare 
non  possim. 

((QuiJ'ergo  jam,  révérende  in  Christo  pater,  ex  isto  R.  P.  provin- 
cialis  sîlentio  ac  tergîversationibus  scquitur,  nisi,  1®  ipsum  nihil  habere 
quod  mihi  in  specic  et  in  particulari  objicere  possit;  2°  aoi^isatîones 
adversum  me  factas  générales  tantum  ac  proinde  nuUius  de  jure  mo-* 
menti  fuisse;  3°  non  cmendationem  ab  eo  mcam  ia  me  puniendo,  sed 
accusatorum  meorum  gratiam  quaesitam  esse;  4°  ipsum  habuisse,  ut 
soiet,  aliquem  Parisiis  collocandum,  meque  adeo  hbminem  l^actenus 
patientissimum,  patronis  apud  nos  hodie  tam  necessariis  destitutum, 
de  mea  sede  deturbandum  fuisse.  Hoccine  vero  credibilc  ^st?  non  est 
credibile,  révérende  admodum  pater,  sed  utrum  verum  sit,  j,ecum  erit 
judicium. 

((Non  ego  unus  scilicet,  multi  in  eadem  causa  versamur  :  quorum 
aliquis  etiam  atrocius  quam  ego,  novîtatis  hujus  j^hilosophicœ  nempe 
(ne  quid  pejus  suspiceris)  accusatus  fuit.  Seï  patèodos  habet;  si  quis 
eum  tangit,  plurimos  tangit;  non  potest  ergo  fieri  ut  ait  unquam  reus. 
Quin  etiam  hoc  ipso  anno  uterque  philosophiae  professer,  ac  prsecipue 
*physices,  multas  Cartesii  et  Malebranoii  opiniones,  etîani  eas  quse 
in  uitima  congregatione  generaii  ^  djtuntur  esse  prohibitaî ,  docuerunt 
publice  et  defenderunt;  sed  patronos  hakent,  rei  nunquam  erunt.  Plura 
possim  addere ,  sed  parco  iibens  persecutoribus  meis  ;  et  spero  fore  ut 
ex  bis  duobus  factis  patemitas  restra  satis  perspiciat  quam  œquos  hic 
judices  habéamus.  Quid  igitur  mihi  restabat,  carissime  in  Christo  pa- 


^  Ce  senit  cd)e>de  1706.  Voyes  la  note  suivante.  % 


»  *  I      • 


•  * 


MARS  1843.  165 

1er,  quid  restabat  homini  librorum  semper  magis  quam  patronoruin 
studioso ,  nisi  ut  implorarct  clemcntiam  et  tequitatem  tuam?  Nullius  rei 
coovictus,  non  auditus,  non  ante  latam  in  me  sententiam  monitus,  et 
qui  dicor  Icgem  nondum  statuiam  violasse,  non  modo  condemnor,  sed 
exsilii  pœna  afficior;  et,'quod  mihî  durius  est,  meae  famae  hactenus  in- 
tacts periculosa  in  futurum  nota  iniiritur. 

«His  de  causis,  révérende  admodum  pater,  ad  tuum  tribunal 
R.  P.  provincialem  voco.  Reddat  paterniiati  tute  rationem  : 

«1**  Cur  me  non  convictum ,  non  audilum ,  non  ante  meam  condem- 
nationem  monitum,  ac  ne  postea  qiiidcm,  ut  oportebat,  pœna  affecerit  ; 

«2**  Cur  me  potissimum  ex  inullîs,  quoniam  ipsi  placet,  reis  sele- 
gerit,  in  quo  prietensam  iegis  nondum  latœ  infractionem  vindicarct; 

«  3®  Cur  me,  quum  hcrc  ipso  anno  sacerdotii  dignitate  non  indignuofi 
censuit,  eumdem  repente  domicilio  Parisiensi,  quod  studiorum  meO' 
rum  cursus  et  ratio  et  mos  poslulabat,  indignum  judicet; 

«  à"*  Cur  mihi  ab  eo  flagitanti  ut  declararet  qiRenam  essent  illae 
certœ  opiniones,  quarum  rcûs  fierem,  semper  aut  silendo  aut  tergi- 
versando  aut  insultando  responderît; 

«  5*  Cur  me,  quum  ffffma  in  hanc  urbem  revertisset,  quum  in  hoc 
ipso  collegio  esset,  nec  agitavcrit  accusatum,  nec  monuerit; 

u  6**  Aut,  si  fUnc  non  vacabat ,  cur  meam  pœnam  uno  duntaxat  mense 
non  distulerit,  dum  ipso  hue  ex  provinclœ  iustratione  redux,  mecum 
pi*aesens  adversariorum  meorum  accusationes  singillatim  examinaret; 
cur  accusatorcs  meos  tam  iihenter  audierit,  me  vero  audire  tantopere 
refugerit,  ut  ne  me  quidem  accusari  monuerit.  Cavcbat  sane  amicis 
suis,  calumniatoribus  meis;  verebatur  judex  sequissimus  ne  reus  non 
essem 

((Quid  restât,  révérende  admodum  pater,  nisi  ut  mea  jam  omnia 
tuœ  committam  paternitati?  Duo  abs  te  per  communem  omnium  nos- 
trum  judicem  peto  :  i**"^!  jus  mihi  denegatum  reddas;  a**  ne  mihi  lu 
futurum  obsit  aut  Roma;  R.  P.  provincialis  iniquitas,  aut  in  Gallia  mea 
ad  te  coacta^ppellatîo.  Scio  cnim  qwm  non  œquis  oculis  aspiciantur 
41   •  qui  Romam  licet  inviti  confugiunt.  » 

*  Une  plainte  aussi  vive  ne  dut  ^ as  plaire  beaucoup  à  Roi^e.  Le  gé- 

néral des  jésuites^  se  contenta  de  faire  avertir  le  P.  André  de  se  tenir 
tranquille  et  d'obéir  à  ses  supérieurs,  qui,  d'ailleurs,  pouvaient*^ avoir 

^  Ce  devait  être  le  P.  Michel-Ange  Tamburini ,  élu  dans  la  quinzième  assemUée 
génér^^t  le  3i  janvier  1706,  et  mort  en  ijSo.  Nous  retrouverons  plusieurs  Cdîs 
ce  povonnage  dans  la  suite  de  rfiistoire  d^ndré. 


♦  * 


166  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

encore  d'autres  motifs  que  son  attachement  à  des  nouveautés  dange- 
reuses pour  renvoyer  de  Paris  à  la  Flèche.  Cette  lettre,  que  nous  n'a- 
vons pas,  parut  au  P.  André  une  injustice  nouvelle,  contre  laquelle  il 
réclama  de  nouveau  auprès  du  père  général  lui-même.  Cette  réclama- 
tion est' plus  vive  encore  que  la  première.  Elfe  abonde  en  détails  cu- 
rieux; eue  renferftie  une  défense  de  l'orthodoxie  de  Descartes  et  de 
Malebranche,  et,  quoique  toujours  d'une  latinité  peu  sévère,  elle  s'é- 
lève quelquefois  juisqu'à  l'éloquence.  Nous  en  transcrirons  les  passages 
les  plus  frappants. 

«  Reverendissime  in  Christo  pater, 

«  Video  non  lectam  fuisse  a  paternitate  vestra  epistolam  meam.  Talis 
enim  Koma  venit  ad  me  responsio  quae  (ita)  fei*e  ad  nullum  querelae  meae 
caput  respondeat,  ut  non  meis  sed  alterius  litteri^  respondere  videatur. 
Cujus  rei  œquitatem  te,  reverendissime  in  Christo  pater,  judicare  volo. 

«Scripsiad  patetnitatem  vestram  reverendum  patrem  provincialem  , 
cum  me  hue  mitteret,  mihi  per  litteras  déclarasse  nullam  aliam  exsilii 
rationem  esse  prœter  nimiam  ad  novas  quasdam  opiniones  adhœsionem,  Vestro 
autem  nomine  mihi  respondetur  potaisse  pafrerfi^rovincialem  auas  habuisse 
causas  tradacendi  mei  Parisiis  Flexiam/  prœter  nimiam  ad  novitates  pro- 
pensionem.  Qùum  declaret  ipse  illius  rei  nullam  haberesS  aliàm  causam , 
dieere  alias  eum  rationes  habere  potuisSe,  quîd  est  aliud  quam  dicere 
patrem  provincialem  contrq^mentem  suam  loqui  potuisse,  autpotiûs,  re- 
verendissime in  Christo  pater,  quid  hoc  est  aliud  quam  divînare,  quam 
patienti  novam  injuriam  addere,  et  fij^o  conquerenti  pro  paterna  con- 
solatione  ne  Rumanam  quidem  responsionem  dare? 

<( Sed  ea  pœna,  inquit,  non  videtur  tanta  quantam  ego  esse 

contendo.  Utinam ,  reverendissime  admodum  pater,  judicium  Romœ 
facere  posset  ne  tanta  a  nostris  sentiretur  in  GaUia  !  Non  immolafentur, 
ut  fit,  pietas,  doctrina,  et  saepe  ipsa  probital  patrociniis  seniorum  et 
nonnunquam  secularium  intercessionibus ,  vel  n^huc  venîatur,  vel 
hinc  vel  quam  primum  abeâturv^ed  eam  pœnam  quanmlamcumque 
tantam  omnino  quantam  dixi  superiores  noairi  judicari  volunt,  siquidem 
delictis  paulo  gravioribus  semper  et  ubiqu^  nil^  nîsi  Flexiam  clknmi-* 
nantur;  lintam  judicat  tota  provincie,  siquidem  eos  qm  hue  raittuntur 
ad  studia  ( et  quanto  magis  eos  qui  Parisiis  hue  remittuntur?)etminoris 
.  a^per  aestimat,  al  delicti  alicujus  labe  centaminatos  suspicatur.         0 

oin  mea  igitur  pœna,  révérende  admodum  pater,  duo  distinguenda 
6unt,  mutatio  loci,  exsilium,-  et  causa  exsilii.  De  mutatione  loj^i  non 
queror  :  cubiculum  potius  mutan  quamwbem;  et  promitto  reveren- 


# 


>  i 


MARS  1843.  167 

dîssimae  patemitati  vestne  ubicumque  Deo  et  Ecciesiae  servire  licebit, 
ibi  me  semper  béate  victurum.  Immo  et  exsilium  foret  tolerabile,  si 
decretum  fl^set  ob  certa  quaedam  deiicta ,  quœ  transire  censentur. . . 

(( Sed  novitatîs  in  génère  doctrinœ  suspicio ,  si  cui  semel 

injecta  est,  praesertim  si  per  sententiam  judicis,  impressa  adhaeret  in 
perpetuum,  et  nisi  superioris  alicujus  tribunalis  judicium  sententiam 
inferioris  infringat,  talis  macula  nunquam  elui  potest  ;  semper  hominem 
ejus  modi  suspectum  habent  supériores,  atque  adeo  jus  sibi  putant 
esse  multa  illi  dura  quotidie  imperandi  vel  ad  caatelam  vei  ad  pœnam. 
i£quales  eumdem  aut  observant  ut  quibus  oportet  gratificentur ,  aut 
fugiunt  ne  maia  aliqu'a  contagione  laedantur. 

« Scio ,  reverendissime  in  Christo  pater,  hoc  praesertim 

initio  administrationis  tuae^  non  esse  contristandos  supériores  ;  sed  nec 
uiferiores  omnino  deserendi  sunt.  Vices  illius  geris  qui  personasnon  ac- 
cipit,  aut,  si  quando  accipit,  non  eos  qui  per  se  tuti  sunt,  sed  quibus 
defensore  opusest,  afHictos,  iaborantes,  ut  ait,  atque  oneratos  accipit. 

«  . .  .  .  .At  pauci- supersunt  mihi'  cursus  theologici  menses;  at  midti, 
ut  vi4(po,  mihi  supersunt  persecutionis  anni,  quoniam  illius  initium 
impune  esse  voluisti.  Novi  quod  loquor  norunt  omnes  ;  sed  nondum 
convenit  mysteria  quaedam  attingere;  non  attingam,  reverendissime  in 
Christo  pater,  donec  illud  a  me  tam  clara  voce  justitia  postulabit,  ut 
in  ea  re  certus  sim  me  non  iœdere  officia  caritatis. 

«  Vestrum  illud  intérim  consilium  sequar,  quo  mihi  suadetur  p*acifice 
et  religiose  vivere.  Quo  tamen  cjonsilio,  ut  ver^  dicam,iTiagis  egere  vide- 
bantur  persecutores  mei;  namquaeso,  reverendissime  pater,  quis  pacem 
turbavit,  ego,  an  iili?  Et,  si  licet  insipientem  fieri,  ut  sanctus  Paulus  os- 
tendit  aiiquando  oportere,  quis  mihi  vitam  minus  rel^osam'cmjicere 
potest  ?  semper  aut  oro  aut  studeo  ;  meditationi  aut  lectioni  semper  in- 
tentus  Ghristum  discere  modis  omifibus  laboro.  Vix  necessariam  natjinp 
rdaxationem  permitto,  vix  domo  pedem,  aut  potitis  vix  e  cubicuio  eflerre 
consuevi.  Pacem  foveo  cum  omnibus;  in  nuUa  unquam  fectione,  in  ^ 
nulio  cujusquaift  gemitu  nomen  auditum  fuit;  cum  meis  duntaxat  erro- 
ribus  ac  vîtiis  bellum  gero. 

«  Hinc,  reverendissime  admodum  pater,  ubi  mandatum  de  me  Lute- 
tiam  a  reverendissimo  pâtre  prôvinciaii  venit,  praeter  meos  duos  tresve 
ad  summum  accusatores  meos,  mirati  sunt  omnes.  Dolebant,  ut  mihi 
«ndique  summa  cum  mea  laetitîa  renuntiabatur,  hominem,  ut  voiebant, 
non  parum  religiosum,  domusque,  ut  dicebant,  maxime  pacificum,  et 

Allusion  à  |*élection  récente  de  Tamburini. 


f     4 


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f 


168  JOURNAL  DES  SAVANTS, 

certe  laboriosissimum ,  tanta  cum  duritie  tractari.  Itaque,  reverendis- 
sime  in  Christo  pater,  non  erit  mihi  difficile  hic,  ut  semper  alias,  paci- 
fiée et  religiose  vivere ,  sed  fateor  me  pro  judicio  nudum  a  paternitate 
vestra  non  sperasse  consilium.  Quum  enim  doctrinae  novilas  ageretur, 
qua  de  re  non  îta  pridem  gravissime  statuisset,  cum  nomine  illius  accu- 
satores  mei  actionis  suae,  judex  sententiœ  invidiam  tegeret,  quiun  déni- 
que  ad  ipsumlegislatorem  delcgis  sua3 interpretatione  rei  intercessisset 
appellatio;  nihil  videbatur  œquitati,  niliil  tempori  convenientius,  quam 
accusatores  cogère  ut  actionem  probarent  suam;  judieem,  ut  senten- 
tiam,  reum  ut  innocentiam.  Erat  etiam  fortasse  aliquod  operae  pretium 
de  novitatibus  diligcntcr  te  judice  disccptare,  ne  forte  ex  zelaoptimo 
pessîmum  illud  oriatur  scandaluni,  ut  dum  novitati  bellum  indicitur, 
veritati  inferatur. 

«Ita  sanctum  Hieronymum  malevoli  quidam  novitatis  insimulabant' 
quod  pro  antiqua  editione  vulgata  novam  ad  sensum  hebraîci  textus  in- 
ducere  vellet,  quum  tamen,  ut  ipse  loquitur,  pro  grœca  fide  veritatem 
hebraicam  Ecclesiae  daret.  Ita  sanctum  Augustinum  aliqui  etiam  e  ca- 
tholicis  palam  culpabantur  quasi  nova  quaedam  de  gratia;  de  liberq  aibi- 
trio,  de  praedestinatione  commentus  essel,  quamvis,  ut  Ecclesiae  de- 
monstrat  approbatio,  nihil  nisi  (secundum)  fidem  catholicam.  Sed  cum 
e  longinquo  exempla  petimus,  nonne  et  istis  temporibus  a  quibusdam 
etiam  oithodoxis  Molinœ  nostro  novitas  objicitur,  quia  faciliorem  exco- 
gitavit  gratiae  cum  libeftate  conciliandaî  rationem  ? 

« At  certe,  inquiunl,  magnam  de  Cartesio ,  ma^am  de  Ma- 

lebrancio  opinionem  habes.  Esto,  si  Tobis  placet.  At,  reverendissime 
admodum  pater,  quo  in  Europae  angulo  nova  aestimari  haec  opinio 
potest  P^uis  eam  nescit  tam  antiquani  esse  quam  libros  auctorum  illo- 
rum,  tam  communem,  quam  viros  cruditos  ?  Sed  quoniam  hue  recidit 
tola  accusatorum  meorum  incriminafîo,  proinde  totum  meum  crimen, 
videamus,  obsecro,  quinam  illi  homines  sint  quos  aliquanti  facere  taiT- 
*tum  est  scelus. 

«  i"*  Auctores  sunt  ita  catholici,  ut  Cartesiusquidemifl  Batavia  degens 
a  ministrîs  c^lvinianis  pro  dissimillato  jesuita  haberetur;  Malebrancius 
autem  contra  Arnaldum  aliosque  jansenistas  multa  scientiae  mediac  evi- 
denter  faventia  de  gi'atia  et  lib.ertate  conscripserit.  Ergo  illos  laudare 
nec  suspectum  apud  nos  videri  débet,  nec  invidiosum. 

«  a"*  Ita  docti  sunt,  tantumque  luminis  in  omnes  disciplinas  intulerunt, 
ut  constet  apud  Europae  totius  eruditos  per  methodum  Cartesii  intra 
annos  sexaginta  plures  inventas  esse  veritatcs,  saltemin  physicis  ac  ma- 
thematicis,  quam  per  antiquain  methodum  intra  mo  annorum  millia. 


• 


% 


MARS  1843.  169 

Nihil  ergo  videtui^  perîculosi  si  de  illis  nene  sentiendo  totî  Europae  non 
dissentias? 

(c  3^  Quis  dicat  tantam  eos  fanlam  apud  philosophos ,  non  dico  istos 
vulgares ,  sed  mathematicos  gratis  et  sine  ulio  verîtatis  auxiiio  compa- 
rasse? Imo  quis  tam  hospes  in  phiiosophia  est,  qui  multa  ab  ipsis  in- 
geniose  et  vere  inventa  esse  nescit? 

«  Ita,  révérende  admodum  pater,  si  qua  apud  iiios  faisa  et  nov^  repe- 
riuntur,  muita  apud  eosdem  vera  atque  adeo  muita  antiqua  sunt.  Ergo 
sceius  non  videtur  homines  eruditis  omnibus  approbatos,  ab  Ecclesia 
adhucindemnatos,  aiicujus  pretii  sestimare;  et,  si  quid  in  eorum  iibris 
veri  alTulgeat,  noA  auctoribus  sed  veritati  injuriam  facit,  qui  verum 
iilud,  quia  fortasse  cum  faisis  admi}itum  est,  récusai  agnoscere?  Nemo 
igitur  eo  dimtaxat  nomine  reus  fieri  potest,  quia  cum  domino  Des- 
cartes tantum  et  pâtre  Maiebranche  aliquas  habet  communes  senten- 
tias ,  sed  tantum  si  forte  communes  defendat  errores ,  si  forte  tum  pe- 
ricuiosas  quasdam  opiniones  amplectatur. 

«  Hoe  erat,  révérende  in  Christo  pater,  quod  de  me  accusa  tores  meos 
ostendere  oportebat.  Hoc  erat  quod  toties  a  superioribus  rogavi,  toties- 
que  denegatum  fuit.  Et  vere  multo  erat  tutius  me  novitatis  in  génère 
quam  in  specie  accusare;  faciiius  erat  horrendae-illius  vocis  terrore  pa- 
tris  provinciaiis  animumperceilere,  quam  me  ex  factis  aut  dictis  reum 
probare;  cautius  fuit  certas  quasdam,  ut  ioquuntur,  no  vas  opiniones 
mihi  objicere,  quam  vel  unam  designare.  Itaque  absens,  inauditus, 
istarum  ignarus  rerum,  damnandus  fui;  mihique  postulanti  accusa- 
tionis  in  me  instituts  capita,  quod  vei  nocentissimis  in  ipsa  barbariœ 
immanitate  conceflitur,  fuit  omnino  denegandum.  Âtqui  incredibilia 
sunt  ista.  .Quid  dicam,  révérende  admodum  pater?  Taiis  est  mea  con- 
ditio,  ut  facta  mibi  injuria  judici  meo  persuadori  non  possit;  sed  non 
aequum  est  ut  gravitas  injuriae  securos  faciat  inferentes.  » 

V.  COUSIN. 

(La  suite  au  prochain  cahier.) 


sa 


-r 


170  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Mjbchondj  BiSTORiA  Seldschukidarum  ,  persice  e  codicibtu  manu-- 
scriptis  Parisino  et'  Berolinensi  nànc  primum  edidit,  lectionis  va- 
rietate  instraxit ,  annotationibas  criticis  et  philologicis  illastravit 
Jo.  Aug.  VuUers.  Gissae,  1887,  in-8^ 

Mibchond's  geschichte  der  Seldscuuken  ,  ans  dem  pérsischen  zum 
ersten  mal  ûbersetzty  und  mit  historischen ,  geographischen  und  tir 
terarischen  anmerkangen  erlàutert,  von  Jo.  Aug.  Vulters.  Giessen, 

1837,  in-S^ 

PREMIER    ARTICLE. 

Le  nom  de  Mirkhond  est  bîen  connu  de  toutes  les  personnes  qui 
sont  tant  soit  peu  versées  dans  Tétude  de  la  littérature  et  des  antiquités 
de  rOrient.  On  sait  que  ce  fécond  écrivain  est  auteur  d'une  grande  com- 
position historique ,  intitulée  Raonzat-assafâ  UuaJI  om^j^  ,  c'est-à-dire  le 
Jardin  de  la  pareté,  qui  forme  sept  gros  volumes ,  et  contient  le  récit  de 
tous  les  événements  dont  TOrient  a  été  le  théâtre,  depuis  les  premiers 
temps  du  monde ,  jusqu'à  l'époque  où  fleurissait  ce  chroniqueur  infati- 
gable. Nous  avons  peu  de  détails  sur  la  vie  et  les  actioàs  de  notre  his- 
torien. Et  ce  fait  n'a  rien  qui  doive  surprendre  :  un  homme  constam- 
ment livré  à  la  recherche  et  à  l'étude  des  monuments  historiques,  à  la 
rédaction  de  volumineux  ouvrages,  à  dû  avoir  bien  peu  de  temps  à 
donner  aux  intrigues  de  la  politique,  aux  soins  de  l'administration;  et 
sa  carrière  paisible  et  uniforme  a ,  comme  on  peut  le  croire ,  présenté 
une  série  non  interrompue  de  travaux  peu  variés ,  bien  utiles  sans  doute, 
mais  bien  peu  propres  à  piquer  la  curiosité  des  lecteurs.  Feu'M.  Jour- 
dain, dans  une  notice  particulière,  et  M.  AudifFret,  dans  la  Biographie 
universelle ,  ont  recufeÛli  jadis  des  renseignements  sur  la  personne  et 
les  actions  de  l'historien.  On  peut  y  ajouter  un  petit  nombre  de  faits. 
Au  rapport  d'Ali-Schir^  et  de  Khondémir,  fils  de  Mirkhond  ^,  celui-ci 
eut  poiu:  père  le  seïd,  l'émir,  Borhan-eddin-Khavend-schah.  Ce" der- 
nier, ainsi  que  ces  titres  l'indiquent,  réunissait  en  sa  personne  la  con- 
sidération qui  s'attache  à  une  illustre  origine ,  puisqu'il  descendait 
d'Ali,  le  gendre  de  Mahomet,  et  celle  que  procure  dans  le  monde  une 
position  élevée  et  brillante.  Voici  les  détails  que  nous  donne,  sur  lui, 
son  petit-fils  Khondémir  *  ;  «  Le  'seïd  Borhan-eddin-Rhavend-schah  étaiit 

'  Koulliati-NevaU/i.  H,  fol.  780  r'.  —  »  Habib essiiar,  t.  HI,  fol.  220.  —  '  Ibid. 
fol  à3a  V. 


^ 


MARS  1843.  171 

le  quatrième  descendant  de  Khavend-seïd-Âdjall-Bokhari,  qui  tenait 
un  rang  distmgué  parmi  les  principaux  seïds  du  Ma-wara-annahar,  et 
dont  la  généalogie  remontait  jusqu'à  Ali-Zeïn-alabedîn ,  fils  de  Hosaïn 
et  petit-fils  d*Âli.  Le  père  de  Témir  Khavend-schah  se  nommait  Kemâl- 
eddin-Mahmoud.  Au  moment  où  ce  dernier  mourut,  Khayend-schah 
était  enoofe  en  bas  âge.  Forcé  par  des  circonstances  impérieuses  d  aban- 
donner sa  patrie,  il  vint  se  fixer  dans  la  ville  de  Balkh,  où  il  se  livra  à 
rétude  des  sdéOces  et  à  l'acquisition  des  connaissances  théoriques  et 
pratiques.  En  peu  de  temps  il  prit  place  parmi  les  plus  savants  hommes 
de  son  siède»  et  ne  s'occupa  plus  désormais  qu'à  se  préparer  au  voyage 
de  la  vie  future.  Ayant  quitté  Balkh,  il  se  rendit  dans  la  ville  de  Hérat, 
et  se  lia  avec  les  scheikhs  de  cette  capitale.  Le  schelkh  Beha-eddin-Omar 
conçut  pour  lui  l'amitié  la  plus  vive;  au  point  que,  dans  la  maladie  dont 
il- mourut,  il  ordonna,  par  son  testament,  que  la  prière  sur  son  corps 
fôt  faite  par  fémir  Khavend-schah.  Un  jour,  à  cette  même  époque,  le 
schdkh,  ^'adressant  à  Khavend-schah,  lui  dit  :  «  Seïd,  nous  désirions 
u rester  ensemble;  mais  le  sultan  Ahmed-Khazrouieh ,  vous  prenant  au 
(( collet,  vous  a  entraîné  de  son  côté.»  Nous  verrons  plus  bas  que  cet 
émir  fut ,  en  plusieurs  circonstances ,  chargé  de  missions  importantes. 
Après  la  mort  du  scheîkh  Beha-eddin-Omai*,  il  quitta  Hérat ,  et  retourna 

à  Balkh.  Il  y  mourut  l'an ,  et  fut  entenré  devant  la  sépulture  du 

sultan  Ahmed-Khazrouieh  ;  et  ce  fait  offrit  l'explication  du  mot  que  le 
schelkh- Beha-eddin-Omar  lui  avait ,  comme  nous  l'avons  dit ,  adressé  dans 
sa  dernière  maladie.  Khavend-schah  laissa  trois  fils ,  savoir  :  j  "*  Emir- 
Khond  (oaMirkhond)  Mohammed,  père  de  l'historien  Khondémir;  a"*  le 
seïd  Nizam-eddin-sultan- Ahmed ,  qui,  dui*ant  plusieurs  années ,  occupa 
le  rang  de  sadr  auprès  du  sultan  Bedi-ezzeman-Mirza  ;  3**  le  seïd  Nimet- 
allah,  qui,  dès  sa  naissance,  était  livré  à  des  états  d'extase,  et  dont  on 
lieut  citer  quantité  d'actes  extraordinaires  et  surnaturels.  » 

L'an  85o  de  l'hégire,  une  division  funeste  éclata  entre  Mirza-CHug- 
beig ,  fils  de  Schah-rokh ,  et  Mirza-  eddaulah ,  petit-fils  de  ce  dernier 
ptince.  Au  moment  où  l'oncle  et  le  neveu  se  préparaient  à  ep  venir 
aux  mains  ^  Ala-eddaidah ,  voulant  prévenir  les  maux  qu'une  pareille 
lutte  allait  faire  tomber  sur  l'empire  des  descendants  de  Timour,  songea 
sérieusement  à  faire  la  paix;  et,  pour  réussir  plus  sûrement  dans  cette 
entrepris^  honorable,  il  eut  recours  à  la  médiation  du  scheîkh  Beha- 
eddin-Omar,  dont  il  a  été  fait  mention* plus  haut,  et  que  la  haute  consi- 
dération dont  il  était  environné  rendait  plus  capable  que  personne  de 

«  «  . 

'  Mirkhond,  VI*  partie,  man.  de  T Arsenal,  foi.  207  v**. 

22 . 


172  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

conduii*e  une  pareille  n^ociaiion.  Le  scheîkh  ne  pouvait  refuser  cette 
noble  marque  de  la  confiance  de  son  souverain.  Il  se  mit  en  marche, 
accompagné  d*un  nombreux  cortège ,  qui  se  composait  de  ses  disciples 
et  de  ses  adhérents.  De  ce  nombre  était  Témir  Khavend-schah ,  père  de 
notre  historien,  et  Mirkhond  lui-même,  qui  devait  être  âgé  d'environ  treize 
ans.  Ce  dernier,  malgré  son  extrême  jeunesse,  prit  la  liberté  de  repré- 
senter que  la  lune ,  étant  dans  son  plein ,  permettait  d'avancer  avec  une 
plus  grande  rapidité.  Cette  observation  fiit  mal  accueillie  du  sèheikh , 
qui  traita  durement  le  jeune  homme,  et  demanda  avecT  aigreur  quel 
rapport  il  pouvait  y  avoir  entre  la  marche  de  la  lune  et  celle  des  négo- 
ciateurs. Et  cependant  l'événement  vint  donner  un  démenti  aux  asser- 
tions du  scheîkh ,  et  prouver  la  bonté  du  conseil  qu'avait  donné  Mir- 
khond. Car,  avant  l'arrivée  du  scheîkh  et  de  sa  suite,  la  bataille  s'était 
engagée,  et  avait  amené,  avec  une  grande  effusion  de  sang,  la  défaite 
complète  d'Ala-eddaidah.  Non-seulement  ce  voyage  ne  produisit  aucun 
résultat ,  mais  les  négociateurs  furent  pillés  par  Jes  Turcs  et  dépouillés 
de  tout  ce  qu'ils  portaient  avec  eux  ^  L'an  8611  ^,  Sultan-Ibrahim,  fils 
d'Ala-eddaulah ,  voulant  conclure  la  paix  avec  le  sultan  Abou-Saîd ,  fit 
partir  pour  la  ville  de  Balkh  le  scheîkh  Beha-eddin-Omar,  auquel  .il  ad- 
joignit rémir  Khavend-schah ,  père  de  notre  auteur. 

Il  existe  sur  la  vie  de  Mirkhond  une  anecdote  rapportée  par  lui-même , 
et  qui ,  bien  que  publiée  par  M .  Langues ,  n'a ,  ce  me  semble ,  attiré  l'atten- 
tion ni  du  savant  éditeur,  ni  d'aucun  autre  bic^aphe.  Voici  de  quelle  ma- 
nière l'auteur  raconte  le  fait  ^  :  «  A  l'époque  où  Yordou  (la  cour)  auguste  du 
roi  de  la  terre  et  du  temps,  Abou'Igâzi-sultan-Hosaîn-Behadur,  avait  éta- 
bli son  campement  d'été  dans  le  canton  de  Badghis ,  l'humble  auteur  de 
cet  ouvrage,  appelé  par  une  affaire  importante ,  se  dirigea  vers  ce  point, 
et  les  circonstances  l'obligèrent  de  s'y  arrêter  durant  quelques  jours. 
Sur  ces  entrefaites,  le  roi  de  l'islamisme  prépara  une  grande  chasse. 
La  nuit  qui  précéda  le  matin  où  les  troupes  devaient  se  former  en  rangs 
pour  cette  expédition,  quelques-uns  des  principaux  personnages  de  l'État, 
dans  la  société  desquels  l'auteur  passait  son  temps,  lui  représentèrent, 
avec  de  vives  instances,  qu'il  fallait,  le  lendemain,  assister  à  la  chasse. 
Je  leur  répondis  qu'il  m'était  impossible  de  consentir  à  ce  qu'ils  me 
demandaient.  Conmie  ils  voulurent  connaître  les  motifs,  de  mon  hési- 
tation, je  leur  dis  :  Il  est  possible 'que  demain  je  me  r.enAe  coupable  de 
quelque  négligence  qui  attire  suc  moi  la  colère  du  prince  et  des  châ- 

*  Fol.  258  r".  —  ^  Fol.  283  v*.  —  ^  Notices  et  extraits  des  manuscmts,  l.  V,  p.  227- 

229. 


MARS  1843.  173 

timents  rigoureux ,  dont  le  moindre  consistera  à  me  percer  les  oreilles 
ou  le  nez.  Malgré  mes  représentations,  au  moment  du  lever  du  soleil, 
ces  personnages  importants  m*enunenèrent  avec  eux  et  me  conduisirent 
sur  le  terrain  de  la  chasse.  Durant  If^te  la  matinée  je  courais  de  côté 
et  d*autre,  comme  un  oiseau  à  moitié  tué.  A  Tépoque  de  la  prière  de 
midi ,  le  khodjah  Ali-Akbar-Djeschti-Soufi ,  le  scheïkh  Sadr-eddin-Ra- 
wasi,  ^cheïkh'alislam ,  Thui^ble  auteur  de  cette  histoire,  et  un  autre 
membre  de  notre  société ,  sortirent  des  rangs,  se  retirèrent  dans  un 
endroit  écarté ,  pour  accomplir  ce  devoir  religieux.  Tandis  que  nous 
étions  en  marche,  quelques  tawadji  vinrent  à  nous  et  nous  dirent,  du 
ton  le  plus  sévère  :  Retournez  sur  vos  pas ,  car  Témir  vous  demandé, 
n  nous  fallut  de  toute  nécessité  tourner  bride  et  nous  diriger  du  côté 
que  ces  hommes  nous  indiquaient.  Eux  aussi  nous  accompagnèrent,  se 
proposant  d'exposer  à  Témir  la  faute  que  nous  avions  commise.  Pendant 
la  route  ils  tirèrent  de  leur  carquois  des  flèches ,  dont  ils  posaient  la 
pointe  sur  nous ,  en  nous  disant  :  nous  allons ,  dans  un  moment ,  *vous 
percer  le  nez  avec  ces  flèches.  Nous  nou%  résignâmes  à  notre  sort.  A 
peine  avions-nous  fait  quelques  pas  que  nous  aperçûmes  le  seîd  Ahmed, 
émir-akhor  (grand  écuyer),  et  chef  des  tawadji,  qui  faisait  son  ablution. 
Comme  il  avait  avec  nous  d'anciennes  relations  d*amitié ,  il  nous  dit  seu- 
lement ces  mots  :  Quelle  affaire  vous  fait  donc  quitter  les  rangs  des  chas- 
seurs? Nous  lui  répondîmes  :  Nous  aliîoDs  satisfaire  au  devoir  qui  vous 
occupe  en  ce  moment.  Ce  discours  le  fit  sourire ,  et  il  nous  accorda  de 
la  meilleure  grâce  la  permission  de  partir.  Ses  serviteurs,  qui  s'atten- 
daient fermement  à  nous  voir  accabler  de  reproches  sévères  et  à  extor- 
quer de  chacun  de  nous  ime  sonune  considérable ,  restèrent  honteux  et 
confondus.  Nous  retournâmes  tranquillement  dans  nos  demeures  ;  mais 
l'humble  auteur  de  cet  ouvrage ,  par  suite  de  la  terreur  que  lui  avait  eau- . 
sée  cet  événement,  éprouva  une  maladie  de  quelques  jours.  Durant  la 
nuit,  des  songes  effirayants  s'oflraient  à  lui;  et,  avant  son  départ,  il  jura , 
en  prenant  le  nom  de  Dieu  à  témoin,  que  désormais,  quelque  instance 
qu'on  lui  fît,  il  n'assisterait  jamais  à  aucune  partie  de  chasse.  ». 

Suiyant  le  témoignage  formel  de  Khondémir,'  dont  le  passage  avait 
été  communiqué  par  moi  à  feu  M.  Jourdain ,  Mirkhond  mourut  fan  90 3 
de  l'hégire. 

Mirkhond  et  son  fib  attestent  que  le  grand  ouvrage  historique  inti- 
tulé Raouzat-assafâ  Ua^JI  «^^j^;  ,  c  est-à-dire  le  Jardin  de  la.  pureté ,  qui 
forme  le  titre  imposant  par  lequel  l'auteur  se  recommande  à  l'estime  de 
la  postérité,  fut  entrepris  et  poursuivi  h  l'instigation  de  l'émir  Ali-Schir. 
Et  ce  dernier,  dans  l'article  biographique  qu'A  a  consacré  h  Mirkhond, 


174        .  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  dans  lequel  il  vante  en  termes  pompeux  les  talents  distingués  de  cet 
écrivain )  s'applaudit  vivement  d'avoir,  par  ses  conseils,  par  ses  instances 
répétées,  vaincu  la  modestie  de  cet  honmie  honorable,  et  d avoir  ainsi 
contribué  à  doter  la  littérature  jbersane  d'une  production  si  éminem- 
ment remarquable. 

On  sent  bien  que  la  rédaction  d'un  ouvrage  de  ce  genre,  qui  se  com- 
pose de  sept  grands  volumes,  a  dû  exiger  up  temps  considérable.  Dans 
plusieurs  endroits  l'auteur  prend  soin  de  rappeler  quelle  était  l'époque 
où  il  écrivait  chaque  portion  de  son  réeit.  Ainsi,  dans  la  sixième  par- 
tie, il  indique  successivement  l'an  897  ^  et  l'an  899  de  l'hégire 2,  ou, 
plutôt,  je  suis  persuadé  que  la  première  date  est  le  produit  d'une  er- 
reur de  copiste ,  et  que ,  dans  les  deux  endroits ,  on  doit  lire  ç**o  neuf 
au  lieu  de  ^^  sept.  Mais,  d'après  un  témoignage  formel,  on  peut  croire 
que  Mirkhond  avait  publié  longtemps  auparavant,  et  dans  un  volume 
séparé ,  la  portion  de  cette  histoire  qui  contient  la  vie  de  Schah-rokh  , 
fils  de  Timour.  En  effet,  ainsi  que  je  l'ai  rapporté  ailleurs,  l'écrivain 
Abd-errazzak,  qui  mourut  l'an  887  de  l'hégire,  rapportant  les  faits  qui 
signalèrent  les  premières  années  du  règne  de  Schah-rokh ,  cite  expres- 
sément le  Raouzat-assafâ  de  Mirkhond.  L'auteur,  après  avoir  terminé 
•la  sixième  partie  de  son  histoire,  se  proposait  de  rédiger  un  septième 
volume,  dont  il  parle  en  plusieurs  endroits,. et  qu'il  annonce  comme 
devant  infailliblement  voir  le  jour.  Suivant  le  plan  que  l'auteur  parait 
avoir  adopté,  il  semble  que  ce  dernier  volume  ne  devait  pas  contenir 
une  histoire  suivie  d'un  règne  particulier,  mais  un  recueil  de  faits  iso- 
lés, réunis  ensemble ,  et  traités  avec  tous  les  détails  que  chaque  sujet 
pouvait  comporter.  Il  annonce  ^  que,  dans  cette  partie  de  son  ouvrage, 
il  se  proposait  de  raconter  l'expédition  que  le  sultan  Abou-Saîd  avait 
entreprise  contre  la  province  de  Mazenderan,  l'an  864  de  l'hégire.  Or 
la  sixième  partie  de  fliistoire  de  Mirkhond  nous  offre  un  récit  complet 
de  la  vie  et  de  la  mort  de  ce  prince;  mais  l'écrivain,  craignant,  sans 
doute,  de  donner  à  sa  narration  une  étendue  démesurée,  avait  cru  de- 
voir exposer  quelques  faits  d'une  manière  succincte,  se  réservant,  lors- 
qu'il publierait  son  appendice,  d'y  consigner  les  mêmes  événements  avec 
des  détails  dont  rien  ne  gênerait  le  développement.  Mirkhond,  ainsi 
qu'il  nous  l'apprend^,  devait,  dans  le  même  volume,  raconter  tout  au 
long  le  récit  de  l'expédition  entreprise  par  le  sultan  Hosaïn-Behadur, 
pour  soumettre  la  province  de  Khorasan.  Enfin  ^,  l'histoire  de  Mirza- 

*  Man.  de  TArsenal,  fol.  3oi  r*.  —  *  Ibid.  —  ^  VI*  partie,  raan.  de  LÂrscnai, 
fol    287  v'.  — '*  Fol.  290  1^  —  '  Fol.  3oi  v^ 


*% 


MARS  1843.  175 

1 

:\bou-Bekr,  fds  d'Abou-Saïd ,  devait  également  trouver  place  dan?  ce 
volume.  Mirkhond  a-t-ii  réellement  écrit  cette  dernière  partie  de  son 
ouvrage,  ou  bien  son  projet  est-il  resté  sans  exécution?  Si  Ton  réfléchit 
que  l'auteur  termina,  dans  Tannée  899,  la  sixième  paitie  de  son  his- 
toire, si  Von  se  rappelle  qu'il  survécut  seulement  de  quatre  années  à 
cette  dernière  époque,  puisquil  mourut  Tan  903  ;  si  Ton  pense  que, 
dans  un  espace  si  court,  des  occupations  de  tout  genre,  des  soins 
qu'exigeait  une  santé  chancelante,  ont  pu  ogposeraux  intentions  de 
rhistorien  des  obstacles  insurmontables ,  on  sera  tenté  de  croire  que 
Mirkhond,  surpris  par  la  mort,  n'a  pu  réaliser  le  projet  auquel  il  de- 
vait consadter  le  reste  de  sa  laborieuse  vieillesse,  et  que  cette  partie  de 
Touvrage  n'existe  réellement  pas. 

Nous  lisons,  dans  l'ouvrage  historique  intitulé  Alem-araî-Abbâsi^,  que 
le  prince ,  fils  aîné  du  sckah  Mohammed-Mirza ,  se  disposant  à  marcher 
contre  Içs  Tiuxîomans  rebelles,  avait  devant  lui  le  Raouzat-assafâ. 
Il  IWvrit ,  afin  de  voir  quel  passage  se  présenterait  à  lui ,  et  lui  indi- 
querait la  conduite  qu'il  deyait  tenir.  Il  tomba  sur  le  récit  de  la  révolte 
de  l'émir  Tchouban  contre  le  sultan  Abou-Saïd. 

En  voyant  la  masse  énorme  que  présente  la  composition  historique 
de  Mirkhond ,  on  reste  étonné  et  eflrayé  des  recherches  immenses  qu'un 
pareil  travail  semble  avoir  exigées.  Toutefois,  il  ne  faut  pas  pousser 
trop  loin  l'estime  qu'on  serait  tenté  d  accorder  à  l'érudition  ^t  à  la  sa- 
gacité critique  de  l'auteur.  Cet  ouvrage  n'offre,  en  grande  partie,  qu'une 
compilation ,  extraite  d'un  petit  nombre  d'historiens ,  dont  on  pourrait 
facilement  donner  la  liste.  Il  est  même  surprenant  que  Mirkhond.  qui 
vivait  dans  la  ville  de  Héral,  capitale  des  descendants  de  Timôùr,  et 
qui  devait  avoir  à  sa  disposition  la  bibliothèque  rassemblée  par  les  soins 
de'  ces  princes,  n'ait  pas  consulté  plus  fréquemment  cette  foule  d'histo- 
riens célèbres ,  mais  dont*  nous  ne  connaissons  que  les  noms ,  et  qui,  se 
trouvant  certainement  réunis  dans  cette  vaste  collection ,  ne  pouvaient 
manquer  d'offrir  à  leui  abréviateur  une  source  abondante  de  ren- 
seignements précieux  et  authentiques.  Mirkhond,  il  faut  le  dire,  s'est 
trop  souvent  borné  à  présenter  à  ses  lecteurs  de  longues  et  firoides  nar- 
rations de  batailles,  un  i*écit  abrégé  et  sec  des  faits  les  plus  importants. 
Quelquefois  dix  années  fécondes  en  événements  de  toute  espèce  se 
trouvent  resserrées  dans  une  page  ou  deux ,  tandis  qu'une  anecdote  ab- 
surde ou  insignifiante  occupe  cinq  ou  six  pages.  L'auteur  a  négligé  com- 
plètement ce  qui  concerne  rhistoire  littéraire  ;  il  n'a  nullement  songé 

*  Man.  pers.  de  Bruii,  II,  fol  a5a  r*  et  v*. 


^ 


176 


JOURNAL  DES  SAVANTS. 


i 


i  consignei"  dans  son  ouvrage  des  faits  intéressants  qui  peignent  tes 
moeurs  d'une  nation,  l'esprit  d'une  époque.  Conçoil-on,  par  cxompie, 
que,  dans  i'histoire  qui  va  faire  fobjet  de  cet  examen ,  en  traçant  le  ré- 
cit du  règne  de  Meiik-scliah ,  il  ait  presque  oublié  de  faire  mention  du 
chaDgemeQt  que  ce  prince  introduisit  dans  la  chronologie  de  la  Perse, 
et  d'indiquer  cette  ère  appelée,  de  son  surnom,  Djelaléenne,  et  qu'il 
substitua  à  l'ère  de  lezdegherd ,  le  dernier  monarque  de  la  dynastie  des 
Sassanides.  On  peut  dirç,  en  effet,  qu'il  l'a  presque  oublié,  car,  au  lieu 
de  traiter  ce  sujet  avec  les  détaib  intéressants  qu'il  réclamait,  il  se  con- 
tente de  placer,  à  la  suite  de  l'histoire  du  règne  de  ce  prince,  cette 
pbrase  sèche  et  peu  instrurlive  :  «C'est  de  lui  que  l'ère  Djelaléenne  a 
pçîs  son  nom." 

L'histoire  de  Mirkhond  ofirant,  comme  je  l'ai  dit,  un  exposé  de  tous 
lesfaits  qui  concernent  l'Orient,  de  toutes  les  révolutions  dont  cette 
contrée  a  été  le  théâtre,  les  savants  qui  ont  pris  l'Orient  pour  objet  de 
leurs  investigations  ont  consulté  avec  eitipressement  cette  source  qui 
devait  leur  offrir  des  matériaux  si  abondants.  De  nombreux  morceaux , 
extraits  do  cette  histoire,  ont  été  ou  sont  encore  journellement  pu- 
bliés, soit  dans  la  langue  originale,  soit  dans  une  traduction  phis  ou 
moins  littérale.  Je  ne  m'arrêterai  point  ici  à  présenter  la  note  des  frag- 
ments de  ce  genre  qui  op^t  vu  le  jour  depuis  quatre-vingts  ans,  et  je 
me  hâte  da  venir  à  celui^qui  doit  faire  l'objet  de  cette  notice.  M.  Vullers 
:i  choisi  ri;iistoire  des  Selqjoucides.  Et,  en  elfet,  si  l'on  considère  la  gran- 
deur et  l'importance  des  événements  qui  ont  signalé  le  passage  de  cette 
dynaBlie,sur  la  scène  politique,  le  nombre  d'hommes  éminents  qu'elle 
a  produits,  on  se  convaincra  que  peu  d'époques  historiques  pouvaient 
présenter  à  fattention  (fu  lecteur  un  spectacle  plus  imposant.  Maiheu-  ' 
reusemenl,  il  faut  le  dire,  le  chroniqueur  persan  ne  parait  pas  avoir 
bien  compris  la  noble  lâche  dont  il  s'était  chargé-,  et,  à  la  place  d'une 
•narration  vive,  animée,  riche  en  détails  curieux  et  piquants,  il  nous 
offre  trop  souvent  un  froid  récit  d'interminables  opérations  mihtaires, 
ou  des  renseignements  dépourvus  d'intérêt  et  quelquefois  peu  vraisem- 
blables. 

L'éditeur  a  publié  cette  histoire  dans  son  entier  :  le  texte  persan. 
qui  forme  im  volume  in-S"  de  ^80  pages,  a  été  établi,  d'après  la  com- 
paraison de  deux  manuscrits,  dont  l'un  appartient  à  la  bibliothèque  de 
Berlin,  et  l'autre  se  trouve  à  Paris,  dans  la  riche  collection  de  fArse- 
nal.  Les  variantes  des  deux  exemplaires  ont  été  scrupuleusement  indi- 
quées au  bas  des  pages.  La  traduction  allemande,  publiée  la  même 
année   que  le   texte   original,    et   de  même   format,   se   compose   de 


A  * 


MARS  1843.       i?^V 


477 


» 

f 


ih6  pages.  L'Babile  SStJ^ur  se^t  attaché  à  ««produire  exactement,  jbn  ,,  4 
texte,  sans  toutefois  s'apiitèiii^ê  à  ofTijf 4uie  veraon  purt^ment'  littà^ale. ijl'^ 
Et,  il  faut  le  dire,  il  aurait  pu,  dans  plusieurs  passages,  suiyrede  ply^'# 
flfès  le  texte,  et  représenter  avec  une  exactitude  encotejp^uSr 
leuse  l'es  expressions  dè^* original ,  dont  il  était  appelé  à  offrir^^l^ 
fidèle;  car,  plus  dune-fois,  il  5*est  content4de  reproduire  le  sommj 
des  idées  de  Tauteur,  sans  s  appèsanti£^|j>n^va^)ar  de  ckpq[ue  nSP 
pourtant ,  cette  djernière  tâch épurait  eu^  je  crois  Men ,  unf  utîli|^^ll»] 
surtout -lorsqtie  Ton  songe  ql|^et  opi^j^ge -est  destiné  S  être^^eotî^ 
les  mains  des  personnetj^îY^eulent  ^éttR^^-^  fond  likMngue  •persfjie , 
et  qui ,  n  ayant  point  à  leurllîsposition  le  secours  précieux  d'usé  fo^ 
truction  orale ,  sont  trop  heureux  de  trouve^  dans,  rédâàâi^  du  iMlW' 
quilPont  sous  les  yeux,  un  gui(^ complaisant,  kui  prenne^om  4s^^|r 

[ire  bien  comprendre  ceViaiotisav 


apISTnir  les  difficultés  et  de 

insolites  que  présentent,  à  dBfque  pas7  im  écrivains  de  i!Cb:ienUJ|}ès 
notes  jpatjructives,  placées^u-dessous  ide^  verdon,  oflreiiti^.i^ppTo- 
chemeqtjde  ce  que  les  historiens^-et  les  ^(^OfiTapS^  orientas '«.publiés 
jusqu'ici,  et  les  écriv&îns  mo^mes,  siirt(mt  Dherbelpl ^JDwp^es , 
M.  de  Hammer,  M.  Siivâstre  de  Sacy  et  autres,  nous  offretil  de  ren- 
seignements pfiopres  à  jeln^  jour  sur  les  faits  qui  concernejit  la  dy- 
nastie ^s  ^eldjoi&cid^.  '  *^^ 


i 


-*■■■ 


Cd!niï>e"ïouvn^6^ilblié  pat  M:  Vul^e»d52PB,^|Mfi^ siiite  de-58n  im- 
portance, t^uver  un  gçaria' nombre  de  lecteurs,  être  expliqué  pm* 
sieurs  foisddos  les  leçons  pubfig|i|^s^  professeurs,  et  que,  pj^gj^a^l 
ment,  il  obtiendra  les  Tionnemfvdl^e  secon^e^ édition.  Je  ci 
une  chose  utile  en  communiquari|  sniP^'yblic  instriiit  et  en  souml 
à  rhabile  éditeur  un  certain  nombre  de  conjectures  que^nsla  sugg^rees 
une  lecture  attentive  des  deux  volumes,  et  qui  pourront'rjé'croisi  con- 
tribuer en  quelque  chose  à  Tamélioration  d«  textç^^et  de  latl^uQtJon. 
Mirkhond.^ ,  ^parlant  de  Daiçak,  l'un  des  ancêtres  d<Kla  dyoastîeaes  Sel- * 
djqpcijes ,  dit  que  les  Turcs  Khozars  le  désignaicint  par  le  nom  de  Temar- 
b^u^^^-^j  ce  qui  signifie  ^tTo^i^,  c'M-à-cUre  celui  qai  possède  unA 
arc  pvàssant  M.  Vuilei^  fait  remarquer  crap  Dherbelot  eljpiçguignes  ont 
ts^psi^-iç  nom  turc  par  le  mot  tazim^-j^  il  n'ose^écider  quelle  est 

leçon.  Pour  moi    je  croîs  ^{vili^Tune  et  l'autre  transcription 
^nt  fautives,  et  qu'il  faut  lira-:  temar-icâ-lig  ^  ^^,j^^ 

turc  orientidj^/aî  qai  possède  an  arc  de  fer.  .  ' 

ipli  JJU  v^A^fyjjyt  ne  signi|ient  pas,  je  crok^ l'e/afoir 

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178  JOL'HNAL  DES  SAVANTS. 

du  livre  intitulé  Melik-ndmeh,  mais  le  tradacteur.  Et,  en  effet,  le  titre 
seul  de  a^l*  JX»  démontre  que  ce  livre  avait  été  t'crit  en  persan.  Or 
le  passage  cité  par  Mirkhond  est  en  langue  arabe.  Il  est  donc  clair  que 
l'kistorien  persan  avait  sotis  les  yeux,  non  pas  le  texte  original,  mais  la 
version  arabe  de  l'ouvrage  dont  il  invoque  le  témoignage. 

Ala  page  suivante ,  au  lieu  de  «A^  ^s^h  '•^**-^'^-»i  H  li*"!  lire:  cxiLii. 
Plus  loin',  les  mots  ajj  yU»  JjoI^  Jj,».  jt  n'offrent  pas  un  sens  bien 
clair:  et  M.  VuUers,  on  traduisant,  a  éludé  complètement  la  difficulté. 
Je  crois  .qu'il  feut  lire  :  alJw  yW-  J^li>*  'î'-*^ j^  -  ^t  traduire  :  "  il  re- 
mit son  lime  entre  tes  mains  d'Azruil  ( c'ést-à-enre ,  de  l'ange  de  la  mort). 
Plus  bas'',  au  lieu  de  (_f-l;,jl  faut  lire  u-W,  et  traduii-c  :  par  saiie  de  lear 
extrême  coararje.  n  , 

Je  prendrai  la  liberté  de  faire  obséP(er  :'i  M.  Vuliers  que,  dans  les 
mots  ^'w  i|ij-^  *-^y',  qui  se  trouvent  r<^pétës  plusieurs  fols,  le  s  fmal  du 
mot  *r*-y  ne  Hoil  pas  recevoir  le  hamza^.  Les  mots*  (j*)jj  14)**  j^^ 
j>j)\  >Xj|y;i  jjyJôj  Aife  jjjfti.  jt  jisU.  sont  ti'aduils  par  M.  VuUers, 
damit  er  iiicht  etwu  eine  Entschatdi^Hng  vorbringe,  c'est-à-dire,  «afin  qu'il 
ne  puisse  produiie  aucune  excuse.  j>  Mais ,  ilne  s'est  pas  aperçu  qu'il  fal- 
lait lire  (^ap  au  lieu  de  tsj^-  Il  faut  donc  rendre  ainsi  ce  passage  : 
«  afin  que ,  si  une  idée  de  perfidie  entrait  dans  sa  pensée ,  il  ne  pût  la 
réaliser.  »  Je  ferai  observer  que,  dans  plusieurs  endroits ,  le  mot  JUxil  * 
a  été ,  jiai'  erreur,  substitué  à  celui  de  JUiiiû!  ;  dans  le  passage  ^  yLi.  j^jlJ 
•^jTx'l>y-'W  i£A}  tsV^fJ  ^^'  y  fallait  rendre  les  mots  ^rt-^-j  ^^, 
qui  signifient  «  de  la  manière  la  plus  bonteuse.  »  A  la  page  suivante'',  on 
lit  :  i-iwili  jlyiil  y  U.  liUjl  \t  ;  mais  il  faut  écrire  :  yVi.  liU^Li  ou  JJsîl  JW 
ytÀ..  En  effet,  la  préposition  \i  n'est  nullement  synonyme  de  v  ou  *;. 
Elle  répond  constamment  à  la  préposition  arabe*-»,  et  doit  se  traduire 
par  avec  ou  malfjré.  Ces  mots''  ijsj^  (j*!:>  jl  t::***»  i^^  yU*ii  «^  J-pj? 
•>-i.ij  bI;^U  ne  sont  pas  assez  fidèlement  rendus  de  cette  manière  : 
"  peut-être  que  leurs  ennemis  cesseront  de  les  poursuivre;  "  il  faut  tra- 
duire :  "  peut-être  que  nos  puissants  ennemis  seront  hors  d'état  de  porter 
la  main  sur  le  pan  de  la  robe  de  notre  honneur,  »  c'est-à-dire ,  "  ne 
pourront  attaquer  notre  réputation,  a  f  ' 

A  la  page  suivante  ',  au  lieu  de  ^-S  i})!*!^  y i  ju  (,*iJ<-*  U**ï*a*3:  yjl, 
t 

'  P.  6el7.  —  'P.  7.  — 'P.  9,  xk.  ai,  89.  etc.  —  *  P.  9.  — 'P.  lo.—'Pj^i. 


MARS  1843.  179 

il  fauMpB  is*^^  '  et  traduire  :  a  votre  réunion  aboutira  'k  cela.  »  Cest         •' 


ainsi  ^[!^,  "plus  bm^^ans iS^tte  phrase:  ^^àx^  ^lâ^t  JUa  ^b^ 

.^Uf^  cj|5^ufj^^  au  mot  ^y»àjî<y ,  substituer  ^^làdU,  pt  traduire  : 
tm^tié  et  l'affection  qui  régnent  entfe  vous  aboutiront  bjentot  à 
ié^et  à  la  r^ke;  »  En/^t,  le  verbe  arabe  Jj^nk,  à  la  qtiatrièm% 

cdnjfiflH|bOD|^igniQeajTÎv#r,  aboutir.  Au  lieu  de^  »:^^)  2lk^ijjy^'J\, 
que  M.  ^IhliHers  ^vlÇ^^  '  ^^  engageant  dans  une  gijierre  la  fanodUe  ^e 
oeldjpuk^.  û'  faut  T^tj^i  2Lk^,  e£^pAHuire  :  «ayanti^plpe^ye^^  mains  les 

membces  de  la  bmille  de  Seldjouk.  »  Plus  ^^  7?!' J^  àe  JouâJb 

Jl^^l-  6^1,  il 'fHI/^  UKte,  'aifje  ne  lïfé  trompe  :  ^\:^\  (jjrfflff^"'- ,  ce  qui 

est  la  formule^àsiié^ife  ^tôreille  circonst£g:ice£'  AiUéurs'^^u  lieu  de 

»JU>  ^Umi  (des li3ns ilbisibles)^î^iifaut  lire  aJjU» >^f',  c*est-à-dire;  («des 

lions  exercés  à  la  guerre,  au  carnd^e.  »  Car  cest  là  une  locution  consa- 
crée, qu'emploient  constamment  les  écrivains  arabes,  et,  à  leur  exemple,  ' 

les  auteurs  persandUl^lus  bas^,  au  lieu  de  ces  mots.  ^  S^^  jt  «^ 

jêSjsJ  ^^  ^  aaJB^^  j£|^  ^3  ,  qui  signifieraient  :  o  après  mie  les  deux 

troupes  et  que   le^ste  des  4eux  armées  furent  FÉHI^s  Fuiï 

lautre , »  il |aut  lire  :  a3«|.  et  traduii^e  : ,a après  que  les aéux  troupe 
furent  approchées  l'une  «  l'autre ,  et  que  les  deux  armées  furent  rangées 

ei)u bataille.  ))  Plus  bas^,  on  lit,  dans  le^^èxte  imprimé  :  ^j^  ^xxaS 
^y\nïmé\ ^^  jiamif^^^e  qui  n'offre  pas  un  sens  çphvenab^e.  Il  faut 

écrire  bjA^o^^  et  traduire  :  a  eux  (les  Seldjoucfdes) ,  ^ièvinrent  une 
mille  de^^esse,  une  mer  de  triomphe.»  Dans  la  même  nage,  aux 
motS'Lâi  /5>âAj  if  &ut  substituer  UUâi  (^^àM^  aquelques-im^'cKto^vé- 

nements. )&Plus  bas"^,  au  lieu  du  mot  ^«x^,  je  lis:  ^J^,  et  je  tra- 
duis :  «  s'mquiétant  fièu  du  nombre  des  soldats. de  son  adversaire  et 
dé  la  quantité  de  ses  provisions  de  guerre.  »  Les  mots  ^j]jfX.jLf  ^\.»A^.t 

0>^^\ôJJÉ  offrent'u^e  faute  érfdente«  Il  faut  %e::»jlJs^/ c'est-à-dire  , 
.  jril  n'est  point  nécessaire  de  répéter  ces  faits '»  Au  Jieu Me  ces  mots  : 
^JOUi  àj^  c^Jip  vb^  >  iî  faut  lire  :  <>sjucj^  j^ ,  et  traduire  :  «  ils  tom- 
bèrent dans  le  sommeil  de  l'apathie.  »  Plus  bas*,  on  lit,  en  parlant  des 
^^ chrétiens  :  «xJ^U  <^  ajJU*  %s*yJà  (jX»oyS  jS ^y^j^  *A^j^.  M^.  Vullgjfs< 
après  avoir  rAidu  le  ^pxte  d'uvft  'mi^qière  t^rojppeu  littérale  ^  dit,  dans 

*  P.  i8  et  19.  J»-:  •  P.  1 7.  -/P^i .—  •  JflK.-  •  IWQvC-  *  P*  37, .^^^  P.4a; 
—  •?.  44.  —  •P.fci.  ^-       j'"--^.* 

•  a3. 


<^>. 


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180  ,,  JOURNAL  R^jS  SAVANTS. 

sa  note,  que  Son'  doit  probablem«>f  linduirc  de  cetle-feani 


kent^ich,  Mar^i  mit  menschlichen  Prœdikaten  atijzascftmof i^ïffKes^à - 
dire',  dibs'enbrcentd'urnerllBîii'ie  de  toutes  lej|q^uqâjï|ui  conviennent 
à  l'huiQanité.u  \t8i£.Ia  phràje^c  saorait  comp6|tb»'ce^eçs.  Au  lii*n  dr 
Mi?>3,  qui  ne  signifie  rcciicment  rien,  jl  faut  iire  j«ri>**.  et  Iradtiire  : 
niis  mellont  le  plus  grand  soin  à  isoler  de  iVfarîe  tous  les  attributs 
(]Ui  apparCienuent  h  l'humanité.»  Dans  la  même  page  on  lit  :  £^ 
*^**V**3!>*-'1>*  ****"  •  ^'^  *ï"'  n'oflilftjCBenenieiit  auuun  sens  ;  car  on  m; 
peut  pas  din0  :  "tesoldal  de  l'arpiéeVélève  au  nombre  diin  million^  » 
il  faut  lire  :^\^m  jW«.  ce  qui  signifie  mot  à  mol,  «la uoiiccnF.i3ç î'ar- 
aiée,  »  c>st*^à^dire.  «la  niasse  de  l'armée.  »  Telle  est,  ea effet,  f»  signi- 
ficatioB»d(Mermc  persan  jjt*-!.  On  lit  dans  l'Ilistçhe  (l'es  Mongols,  de 
Raschid-eddin  '  :  JL^^  «J^l^Uà  Jjjf'^Ç^—  "la  niasse  des  ferres  de 
.l'ennemi  s'est  montrée.  »  Plus  !oin^:J*i  1*-*^  jitjiAi  ^^  "la  masse 
de  l'armée  se  fit  voir.»  Dans  le  Zfl/cr-ndmefc  '  v'-Nî**-»  Î;j4U*  â^ 
"il  ne  vit -pas  la  masse  de  l'armée."  Dans  rHiftoir*._4c  Mirkhond  *  : 
Jw^^s*j!>*  j1>*-j  »^-•  ($W"  "  la  masse  de  j'armée* s'élève  k  un  mil- 
,  Hoti  d'hojnnJes.  "  Ailleurs^;  b-Xj»  Ijjl  al--"  iÉ^(y«'nayanl  vu  la  niasse 
de  sOD''année;n  et*:  »Aji jjs^IfU™  jUwvinyant  de  loin  la  masse 
de  l'armée,  n  Dans  l'Histoire' d'Abd-crrazfek  ~  ;  jl*  aLw.  ^L*-.  yïjl^ 
Jtj^A  nies  tiorabal  (coureurs),  aperçurent  la  masse  de  l'armée  en- 
nemie.» Plus  bas*r  fcjLjÇp  U  »L-y  jUm.jI  "fuyant  devant  la  masse 
de  notre  armée.  «  Dans  l'Histoire  de  l'Inde  de  Firischtah  "  :  gijil  jl,w 
■-*a3>-^j^  rfM*  «la  masse  des  troupes  de  l'enneinî  se  Bl  -voir.» 
Dans  VAnvari-SokaiU^"  :  Ji^Aj  étj  ^U*»  jj*  jt  y^jj,  n  lorsqu'il  vil  rfi- . 
loin  la  masse  des  "corneilles.  »  Dans  la  Vie  de  Schaii-Abbas  "  -.jXriiiX.* 
■>^>yi  oOIJi  bUm  jgU*»j^^  «ils  attendaient  que  la  masse^de  l'armée 
ennemie  commençât  à  sèmontrer.  1)  Plus  Bas'"^  :  *-*tl>_pàlji  ylÂ^I  S'^i^^ 
^ji  ««Nî*.;^  ^leur  ïïimée  n'avait  pas  encore  disparu;»  et  enfin  "-^ 
StX-ï  ijA^  ji^KtA  jUm  «  la  masse  de  l'armée  se  montra.  »  Le  mot  arabe 
il^*».  (Juî  répond  au  terme  persan  jgU*», -présente  la  même  significa-     . 

-        .-■  .  /^ 

'  Man.  peM.  86  A.  fW.  34a  »'.  —  *  Fol.  344  i*.  —  ^  De  mon  man.  fol.  iH  r'. 
—■  '  IV  partie,  fol.  85  r°.^ — '  VI' partie,  fol  i-]ir\~'?ol-3,^by'.  —  '  P'parlie; 
de  mon  man.  foi.  i44  r'.  —  '  Fol.  147  y'.  —  *  T.Il,  p.  35.  —  "  Fol,  95  r 
"  Man.  de  feu  M.  Silyestre  de  Sacy,  fol.  1 15.  —  "  "  ■■  -  ■ 


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J 

MARS  184'3.  '    181* 

tion.  On  lil ,  cl  a  iis~  l'Histoire  des  Gaznévi^s  de  Mirkbond  '  :  sl^  »\ym 
UM»J  J^<>i^  li  •XÂA  i^U^^M  fjif-A jù _y,'%m\  «la  masse  de  l'armée  de 
l'islamisme  disparut  au  milieu  des  bataillons  indiens,  n  Je  pourrais  en 
citei»- un^  grand  nombre  d'exemples,  mais  ils  ti^uveront  içur  place 
ailleurs;  elje  m'arrête  ici,  ne  voulant  pas  prolonger  trop  cette  discus- 
sion philologique. 

j'T'hr'Mge  suivante '^  on  Ht  :  *j^  •>^lf  a>w^^IA-«  (j^Jy.  L'éditeur  a 
cruTievoir  sidistiluer  la  leçon^l*-»  à  celle  de^Ajliiw*^  que  présentent 
i.  manuscrits.  Il  traduit,  .en  conséquence,  den  Feint!  anziigreifen 


(att0Q[uer  l'ennemi).  Mais,  dans  c 


;,il  faudrait,  au  lieu  dci^^Aj,  lire  : 


"^î^.  Je  ci'ois  qufc  la  leçon  des  manuscrits  se  rapproche  plus  de  la  véri- 
table, cl  qtfîl  faut  écrire  :j*îl«>»j  (jj.->^  .  et  traduire:  «avec  ces  mesures.  " 
Plus  bas',-  on  lit  dans  le  texte  :  »:>j.fe  A»  uijj.i-  J3U1  6^.  l-'éditour 
a  cru  devoir  adopter  la  leçon  JiLïl  au  lieu  do  la  leçon  Jbl,  que  prt* 
sente  un  des  manuscrits,  et  qui  u'ollre  aucun  si.-iis.  Mais  je  crois  qu'il 
faut  écrire  i  J W .  et  traduire  ;  <•  ayant  arraclic  l'aibre  de  sa  fortune.  " 
Phis  bas*,  onwncontre  cctttf  plirase  :  <Siu  caa.|^jui.I  j^^jj^j)  -yja  u*».lj 
>y3  .>vAl^>.j5^  \a*j  ^yi  fjijj  tyaij],  ïl  s'est  glissé  ici  ujoe  faute 
qui  rend  l'explication  tout  à  fait  ii\cerlaine.  11  iairt  Jlre  : j5at i»*? ,  et  ti-a- 
duîre  :  «le  repos  viendra  après  la  victoire;  la  tranquillité  renaiti'^ 
pour  nous  :  après  que  nous  aurons  triomphé  de  ces  liommcs  injustes.  " 
Au  lieuiîc^  ijUiXm  àUïjîj  i^ri^Ual  -.yjtAj^  ^L  a>x*j ,  il  faut  lire  :  |*Ijm. 
■■t  traduire  :  «je  serai  un  esclave  constamment  soumis  et  obéissaitt  au 
sultan,  n  A  la  page  suivante,  au  lieii  de  ç^th^^)^  u^V^'  ^  '^"'  ''^*' 
cLLï-*  ^l*  u^J*  ",I'o'"di"C  auquel  le  monde  entier  obéit»  :  car  telle 
est  îuvarîablemenLli  manière  doDt  cette  expression  est  employée  chei 
les  écrivains  persans.  Plus  bas,  on  doit  substituer  à  yW«j»j  ^l?^iiJ 
les  mots  uW»i)  t'S'jSUJ.  Plus  bas",  au  lieu  de  jljiïJl  •>**—  L  yUai— ,  il 
fuu.t  lire  :  '^^>>J.I  -^jum  \t  ^UaLb  xte  sultan  ou  Saad-eddaulah.  »  A  la  4 
pâte  suivante  ".  on  trouve  ces  mots  :  _y«-oï1  (^  y^lii .  que  iâ.  Vullers 
ti'aduit  ;  von  den  Satâtzen  der  jûngern  kaiseriichea  Pnnzen  (des  trésors 
des  jeunes  princes -impériaux).  Mais  le  texte  est  ici  fautif;  il  faut 
lire  :  ji-oVl  {^j  .  et  traduire  :  «les  trésors  des  Romains.  »  J'ai  donné 
ai)feurs  des  détails  étendus  sur  l'expression^jJwVl  yii.  Immédiatement 
K0ÈS.  le  texte  préseiite  ces  mots  :  A--sb  uXolj  A-i-ilj^jjsly»  jl.  M.  Vul- 


'  P.  6a.  —  '  P.  7a,  —  '  P-  73,  —  •  P.  77.  —  '  P.  79  . 


'  p.  8a 


i 


^ 


JOURNAL   DES  SAVANTS, 


*182 

■  lers,  embarrassé,  sans  doute,  de  rendre  le  mot  *.&»lj,  qui  n'ofi're  au- 
ruiîSens,  l'a  omis  complètement,  et  s'est  conlenlë'de  traduire  an  kost- 
baren  Perleii  ttndandern  Kieinodien.  Mais  il  est  facile  de  corriger  ce  pas- 
sage, enlisant,  au  lieu  de  KS,i\j  .  a^Ij;  et  d  faut  ti'aduire  :  nconsiflant 
en  pierreries,  étoiles  et  effets  ^écieux.  o 

A  la  page  suivante,  les  mots  (jljiijl*^  o^Xc  n'ofirent  point  une 
leçon  exacte,, puisque,  dans  la  langue  arabe,  ce  n'est  pas  \ë  terme 
kj".*Xc  ,  mais  o^U  qui  désigne  pâture  .-  mais  on  doit  écrire  |>*^; 
car  ce  dernier  mot  indique  a  le' sac  d  orge  qui  sert  à  la  nourriture 
journalière  ^dun  cheval  et  qu'on  lui  suspend  au  cou,  ii  Les  mots 
ijivXrj  v**'j'  ^^  doivent  pas  se  traduire  par  der  aUgiitùje  Geber;  maïl 
il  faut  dire  :  «  le  donateur  qui  ne  reproche  k  personne  ses  bienfaits.  » 
A  la  page  suivante  '^,  les  manuscrits  offrent  ces  mots  ;  y-^l  yljA 
«jwil  j.<£>l*t  ^Joi  jyai  j\  j^^o~y  u'-*^  j'  u'j-^'  L'éditeur  a  cm  devoir 
changer  le  mot  yt*»  en  celui  de  ^Jy■=^ ,  et  traduit,  si  je  ne  me 
trompe,  d'une  manière  peu  natiu'elle,  en  attribuant  à  la  princesse, 
épouse  du  sultan  AJelîk-scbali,  les  expressions  y'j*i;  et  j^y»-.  Pour 
moi,  je  CiTois  devoir  conserver  la  leçon  yU»- ,  Je  traduis  :  i^le  pa- 
radis, quittant  SOS  jardins  ,  les  hourjs,  quittant  leurs  palais,  étaient  ve- 
nus, dans  cette  réunion,  contempler  le  spectacle,"  Plus  bas*,  il  faut 
effacer  la  préposition  jj  devant  le  mot  J^.  A  là  page  suivante*,  on 
Ht  ces  mots  :  ^fi  jj-rf^.w'rf  yL»'  yUaXw  c:)fk*y  jl  j5f.  M.  VuUers, 
dan»  la  note  qui  accompagne  ce  passage,  s'exprime  en  ces  termes  : 
iS'ic  scripsi  jj-^  fo  niendoso  sj*^  ulriust^ae  codicis,  optime  enim  in  sen- 
siim  quadrat  notioformœ  IV.  i.  q,  oral.  .^  expedUîa.  Mais  je  crois  qu'ici 
le  savant  éditeur  se  trompe;  au  lieu  de  ti./^  il  faut  lire  s^^.  Ce 
mot,  qui,  de  la  langue  des  Turcs,  a  passé  dans  celle  des  Persans,  dé- 
signe un  guide.  On  lit  dans  l'histoire  de  Mirkhond  ^  r  »Jv*lja  J-ilf 
.  Jwt>ta^  5j.i  «étant  soumis,  ils  prirent  le  rôle  de  guides.»  Plus  loin'^, 
<xj>>m;ï  Sjj^  yW-  (**  jl  «craignant  de  perdre  la  vie,  ils  consentirent 
k  être  guides,  n  Dans  le  ZaJ'er-nûmeh '' ,  ■*)».£  sj^  !;aX=-jXaJ  f^V^^j^ 
u  d  fut  le  guide  de  l' avant-garde  des  troupes  de  Djeteh.  »  Une  glose  mar- 
ginale, qui  se  trouve  dans  mon  exemplaire,  explique  3j-£  parles  deux 
mots  jjiW  et  U^,  qui,   l'un  en  langue  turque,   et  l'autre  en  langue 


'P.  8 
fol.  i3. - 


'  p.  88.  —'  P.  91.%.  1 


-  *  P  9^ 


MARS  1843.  183 

persane,  désignent  un  ijaide.  Le  même  terme  est  encore  employé  plus 
bas'.  Ailleurs^:  aJLwU.  sj-4-  Îju^'^j'  (jW^jj  «Toktamisch  prit  Oglaii 
pour  ^ide.  »  Ailleurs^  :  aXI*  sj^  IjjX&J  »  il  sera  le  guide  de  l'ar- 
mée.» Plus  bas*  :  flijS'laJ*  s!;  sj^  " 'c  guide  s'était  trompé  de 
route.  H  Plus  loin  ^  :  ti^i-U.  yLi^l  sj^  J5**s- j.»^!  n  il  leur  donna  poiii 
guide  l'ému"  Djelal.»  Kt  *•  yljjîWij  yU=-^  dans  le  Matla  -  assaadeïn 
d'Abd-eirazzak '',  iXjtXÂ  sj^  u^V^  O^  '•  '"^^^  mêmes  Turcomans  lu- 
rent ses  guides.  »  Je  croîs  donc  qu'il  faut  traduire  le  passage  de  celte  ma- 
nièr&i  n  si  je  pois  être  à  l'abri  du  ressentiment  du  sultan .  je  m'engage  .^ 
servir  de  guide  à  ses  tro8^es.  »  Plus  bas  *,  au  lieu  de  tjjjJa'j  Ij^'  -  il  feiit 
lire  o'^Sj  *L^I  "les  côtés  et  l^s.  1:001005.  ><  Dans  la  même  page,  au 
lieu  de  >)yuLÉ>  h.otXâ. ,  il  iàut  lire,  avec  un  des  manuscrits:  «lu.  t-MtU. 
H  une  robe  magnifique."  Plus  bas,  l'éditeur  a  admis  dans  le  texte''  ces 
mots  :  .>^L^  i;:(âl^  «^^>V  Ijc^^à^Um  jjtaAjy^  yl  •  Mais,  au  lieu  de 
j**a.«  il  faut  lire  : yt^^.  et  traduire  :  «  il  donna  la  couronne  du  mar- 
tyre à  ce  principal  personnage  de  TEgypte  de  la  souveraineté.  «  On 
voit  que  l'auteur  fait  allusion  ài'liistoîrc  de  Joseph,  telle  qa'dje  est  rap- 
portée dans  l'Alcoran. 

Dans  la  même  page,  le  texte  imprimé  présente  ces  mots  :  ^^ 
AjIjiCi  »>^*^,  que  l'éditeur  traduit  de  cette  manière  :  HDaaerte  es  demi 
aach  nock  eine  Zeitianj,»  c'est-à-dire,  «il  se  passa  encore  quelque 
temps,  a  Mais  le  mot  S^  oQ^'S  ""^  leçon  fautive  '",  à  laquelle  Ufautsubs- 
tituer  rfS",  et  traduire  :  «il  avança  quelques  pas.»  Plus  bas,  au  lieu  de 
ces  mots  :  -y-Si  Jyta-*  jl  «N*.,  qui  n'offrent  pas  un  sens  bien  clair,  je  lis  : 
tjliïs^  u  il  s'occupa  de  remédier  au  mal.  n  A  la  page  suivante  ",  011  l'au- 
teur fait  mention  d'une  bande  de  chameaux,  le  texte  imprimé  offre  ces 
mots  ;  Ajj  ^jj  i^W^  *â  isW^  J"^-  M-  VuJIers  traduit  ;  «  que  tous 
étaient  chargés  de  soie  de  Grèce,  »  Mais,  au  mofc  tsUJ^  U  faut  substi- 
tuer (i^fl^  .  et  traduire  :  «  tous  ces  animaux  étaient  couverts  de  iiousses 
de  soie  grecque,  n  Plus  loin  "on  lit  :  a^  A^ila;^  dj^^  u^*^  h^ij^ 
.y^AykjJijjb  isj\-y^.  L'éditeur  traduit  :  «il  causa  parnù  eux  une  dis- 
p^ïon  telle ,  que  personne  n'en  aurait  jamais  prévu  une  pareille.  >>  Mais 


H  '  Fol.  ao  t\  —  •  Fol.  78  r"  —  '  Foi.  «4 
—  '  Foi.  laS  r°. —  '  Man,  de  l'Arsenal  ai,  I 
'"P  107.—  "  P.  108.  —  "  P.  lia. 


r'.  _  '  Fol-  ia6  »'.  —  '  Foi.  la^f, 
J.  agir-  -'P.  96.  — 'T,  99.- 


WTW' 


ISli  JOURNAL  DES.  SAVANTS, 

je  q£  crois  pas^mjç  Ip  texte  puisse  ricUement  se  prêter  k  cette  inter- 
prétation. En  substituant  au  OBOt  (^jl**;  ceiui  de_)l*>***-,  je  traduis  :  h  il 
mit  ce  corps  de  troupes  teileaienl  en  déSferdre,  que  les  soldats  ^oiit  il 
se  romposait  ne  se  réveillèrent  jamais,  »  c'est-à-dire,  «ne  songèrent 
k  *^  jamais  à  se  rallier."  Plus  bas',  au  lieu  de  yj->JI  i^>**,  il  faut  lire 
»  *  (jji!'>Jl>«^  H  celui  qui  rend  la  roliàoii  glorieuse.»  A  la  ligne  suivante. 

ietexteoiïrecestnots:8J^A^I:>^(;MM:^  jj^^i-  xt5'yrfW  (j^^js  i5>**j. 
^^    que  le  traducteur  rend  ainsi  i  Beinamen  Moa-zzi  hatte  er  skh  Ici  sfiner 
^"    Befreiang  seibst  gegebcn ,  n  il  avait  lui-même  adopté  le  surDom  de  IVlpaezi    ", 
au  moment  de  sa  délivrance.  »  Mais  il  ni^est^ possible  de  souscrire  à 
cette  inferprétatien .  et  je  crois.dey<âr  traduire  ainsi  :  «Fécrivain  appelé 
^  Moazzi  a  emprunté  i\  ce  mot  (  celui  Je"(jjjJI  >im  )    ce    flïrnom  .   qu'il 

sest  donné  à  lui-même.  »  M,  Vullérs  ne  pai'ait  pas  avoir  connu  un  fait  , 
important ,  je,veux  dire  la  sîgi^fication  du  mot  ^ya~i^  .  qui  signifie  un 
surnom.  Je  sais  bien  que  les  dictionnaires  n'offrent  pas  cette  significa- 
tion ;  mais  il  esr^cile  don  démontrêr'îa  vérité  d'une  nianîèrç  evimnte. 
On  lit  dft^la  Vie  des  poètes  de  Devlelschah^  ti-oi.jT  u>.jajj  ^airf'  *»-j 
"  voilà  ce" qui  a.  donné  naissance  au  surnom  de  Firdousi.  n  Plus  loin  '  : 
•.;uhI  «^m^:?-  "ciïiïy  is-^^*^  yfl^  "  telle  est  l'origine  du  surnom  de 
.^i.  I)  Ailleurs*;  ^^^^âi  (j~l^l  fë^L  ^  JûL  ^^amU.*  «XiU».  ^^m^ig 

J_-*_4_»y  y-   Ufca   <   ^-*'    J"*'-W    i-jV"     «JJ-*-*    iS*°^^^    {lis.  t^)  'j  jS-^   «s" 

^j^s  ^*jj;  "  jf  ne  trouvais  pas  un  surnom  qui  fi'it  convenable.  Je  priai 

le  sclicïkh  de  vouloir  bien  m'honorcr  d'un  surnom.  Cet  bomme  respëc- 

•  table. p-aça  pour  moi   le  nom  de  Sobaili.  »  Dans  tê^Saiih-essiiarj-jàe 

•  Kbâiul^mir^  ;  ij^  s  o*^  S'^  "  '^  prenait  le  surnom  de  Schahi.  i 

Tlnsbas**:   Jj^j^  jUil   yj  j<ylJoLç   !jj»J^  (^^   *;&*-.--)  1  c—U* 

t^'L»  J^Js^'jSja  ^jaX^  juii  convient  quf  lu  m'abandonnes  re  siirnooK, 

et  que  tu  ajoutes  à    tes  poésies  un   surnom  différent.»    Pms   loin'':. 

P        ^i^^  ijoi*'  s:aLl  cx*i>o  c»LAJ;fi  ylj3   «  daos   ces  gazel  si  éloquentes 

'         il    adopta    un    fiurnom.  n  Dans    les   Mémoires    du    sultan    Baber  1 


Ayi  tftftwfc.  jl  lyalse  ^^son  surnom  était  Ilosaîni.»  Dans  l'histoire  , ne 

'  P,  1 1™;.  —  '  Man.  ners,  ai((.  fol-  aa  r".  —  '  Fol.  77  v°,  —  '  Bol.  180  V.  - 
T  ni,  fol.-aioï'':  — ^;6i((.  — 'Fol.  3oo  ï°.  — 'Fol.  1UO  Y'.  ^   'j*^  .    - 


^i^r 


'*  Vèé^     -J^' 


%; 


I 


MARS  1843.    -  185 

l'Inde  de  Firisobtah';  J^U*_i ji ^.AJii^JâÂj  oUs»  ^ijà^^Ui  ^^Xie  nie 
surnom  que  le  poète  prenait  dans  cet  ouvrage  n'est  pas  venu  sous  les 
yeux  de  l'humble  auteur,  "Dans  le  traité  de  géographie  intitulé  Heftlklim 
(ies.-Sept  Ctimals),  on  Ht  ^  :  ouCç*  joXitf  is^^s  ■Svj^-**  t^H**"  J*^  ■ 
«quelquefois  il  fait  des  vers,  et  prend  le  nom  de  Oalfati.n  Ce  mot 
s'est  introduil  dans  le  langage  arabe  d'un  âge  récent.  On  lit  dans  la 
Biographie  des  hommes  illustres  du  xi' siècle  de  l'hégire':  yaMim  jA*;jI 
jjf*i  Aut— j  «Ibrahim,  surnommé  Seïd-Scherifi.  >>  Plus  bas*:  [£<:oUi 
^^U>  -jjJt  clyfciJl  v'*  ii«  yflJ.=ïm^UJl  ideMonnsc/ii,  le  poète,  qui, 
suivant  l'usage  des  poètes  de  Roum  (la  Turquie) ,  avait  adopté  le  surnom 
de  Fàizi.  •>  Dans  le  Lexique  hiblîbgraphique  de  Hadji-Khalfa  ^'  on  bt  :. 
jlA»  yflXsÀil  A^i  J^i  u  le  Maula  Ahmed,  surnommé  Schani.  n 

Buis  H  même  page .  nu  heu  des  mots  uH^  ^,  je  crois  devoir  adop- 
ter la  îe^on  ti*-0^  j  sans  frais,  que  présente  un  des  manuscrits. 

QLIATREMÈRE. 
{La  saite  à  un  prochain  cahifr.) 


1 


.^» 


SàGGI  di  NATunALi  ESPEUIENZE Essais  d'expériences  faites  à 

l'Académie  del  Cimento.  Troisième  édition  de  Florence,  pré- 
cédée d'une  notice  historique  de  cette  Académie,  et  suivie  de 
quelques  additions.  Florence,  iè^i,  in-i". 

>,  DKtfXliîa    ARTICLE. 

Le  premier  des  élèves  de  Galilée  auquel  s'arrêlc  M.  Anlinori  dans 
son  ouvrage*,  c'est  Benoît  Castelli  de  Brescia ,  moine  hénédicliii ,  qui  ne 
cessa  jamais  de  prendre  la  défense  de  son  maître  et  de  propager  ses 
doctrines.  De  (reize  ans  seulement  moins  âgé  gue  Galilée  ^  Castelli  se  lia  .* 
de  bonne  heure  avec  ce  grand  philosophe,  qui  lui  communiquait  toutes 
ses  recherches,  toutes  ses  découvertes.  Aussi  c'est  seulement  dans  les 
lettres  de  Casteih  que  l'on  trouve  la  description  de  certaines  expériences 

*T.l,p.53i. —  'Fol'.  i83  r*.  —  '  Manusc.  de  la  Biblioth.  royale,  p.  1.0. — 
*  p.  71a.  —  '  T.  I,  p.  a83.  —  *  Sungi  ai  nalunli  esperienze,  p.  5.  —  '  Galilée  était  ' 
564  ;  CeutelU  vînt  BU  nond»  en  1 577 .  ' 


'>       w 


.-* 


18fi  JOURNAL  DES  SAVANTS, 

de  Galilée;  c'est  lui  qui  nous  a  appris  que  ie  thermomètre'  avait  été 
découvert  par  son  illustre  ami.  Castelli  est  surtout  connu  par  son  Traité 
de  la  mesure  des  eaux  courantes ,  qui  est  le  premier  ouvrage  didactique 
où  l'Iiydrauiique  soit  exposée  d'une  manière  scientifique.  A  la  véiité  , 
Léonard  de  Vinci  avait  composé  sur  l'hydraulique  un  ouvrage  rempli 
d'observations  ingénieuses-,  mais  ce  traité ,  que  nous  ne  possédons  pas  en 
entier,  n'a  été  mis  au  jour  que  depuis  peud'annéeSv  et  il  était  inconnu 
lorsque  Castelli  publia  son  livre. 

Dans  cet  écrit ,  qui  panit  pour  la  première  fais  *  en  1 6  'j  8  ,  et  qui 
est  devenu  classique  ,  ce  savant  moine  considère  pour  la  première  fois 
la  vitesse  de  l'écoulement  comme  l'élément  le  plus  essentiel  do  la 
science  des  eaux.  Pour  l'avoir  négligé,  les  anciens  ingénieurs  étaient 

.  tombés  dans  les  erreurs  les  plu6  étranges  et  les  plus  dangereuses.  Ils 
supposaient  que  la  mesure  de  la  section  d'un  canal  sufBsait  pour  con- 
naître la  quantité  d'eau  qui  le  traversait  dans  on  temps  donné,  et  que 
l'inclinaison  plus  ou  moîo9  grande  du  fond,  n'avait  aucune  influence 
sur  le  résultat  final.  Phisîeurs  fois  l'application  de  ces  principes  er- 
ronés avait  amené  de  grands  désastres,  et  l'on  vit  souvent  l'eau,  sor- 
tant des  canaux  qui  devaient  la  contenir,  et  où  elle  n'avait  ni  l'incli- 
naison ni  la  vitesse  nécessaires,  inonder  de  vastes  étendues  de  pays. 
Pendant  que  Galilée  créait  la  dynamique,  Castelli  posait  àïnsi  les  bases 

.  àg  l'hydraulique.  Galilée  lui  a  rendu  un  hommage  éclatant,  en  appe- 
lant cet  ouvrage  nn  Uhretto  aareo,  un  petit  lifre  d'or  ^. 

Outre  ce  traité  si  connu,  Castelli  a  laissé  des  Opuscules  philoso- 
phiques, recueil  qu'on  ne  cite  presque  jamais,  et  qui  cependant  n'est  ni 
moins  original  ni  moÎDs  remarquable  que  la  Misara  deW  acque  correnti. 
Dans  ces  Opuscules ,  qui  ne  parurent  qu'en  i  (>f>Q.  vingt-cinq  ans  après 
fa  mort  de  l'auteur,  par  les  soins  du  cardinal  Léppold  de  IVlédiçis  \  Cas- 
telli traite  les  questions  les  plus  diverses.  If  y  éherche  les  causes  de 

'  Nelli ,  Vita  di  Galileo.  Lo^^anDu,  1793,  a  *ol.  in-i',  I.  I,  p-  73-  -r»*  La  pre- 
mière édition .  de  Borne,  fut  dédiée  au  pnpe  Urbain  VUI.  Gel  ouvrage  Tut  réimprimé 
•on  1660,  à  Bolûpic,  avec  beaucoup  d'ad*) lirons.  Plusieurs  lettres  du  Castelli  sur  le 
'.  même  st^st  ont  été  insérées  dans  l'édilion  de  Panne  du  Itccueil  des  auteurs  qui 

-ont  écrit  sur  le  mouvemcut  des  eaux.  —  '  >Dtoo. l'opinione  mîa  inlomo  n 

quesla  maloria  ,  scmpre  da  me  slala  tenula  pcr  difEcilissima  e  piena  d'oscurilà .  e 
nella  quale  sodo  slali  conuncsû  moltî  equivoci  ed  erroH,  e  massime  avanli  che  i 
professori  fossero  stati  rendutrcerli  (Uli  uvverlinieiili  Je!  M.  R.  P.  abale  D.  Bene- 
dette  Casletli  in  quel  suo  libretto  vcramenle  aureo  che  sua  pateinità  scrisse,  e  pub- 
Uicft  tre  arnii  sono,  întorno  alla  miiura  JeH'  acque  correnti.  (Galiiei,  Opère,  Fî- 
renm,  1716,  .S  vol.  in-4'.  l.  ID ,  p.  7.)  —  '  Castelli .  Atcani  apuseolt  fitosofiei .  \^o 
.  logaa  .  1 66g .  în-â'.  Vojez  la  Dédicace.  ^^  -  ^^        -  ^      -w- 

»     • 


•      MARS  18^43.  187 

4  1 

rauggfDcntation  apparente  du  diamètre  ^  des  astres ,  lorsqu'on  les  regairU 
à  Pcâl  nu,  eh  quaq^  ils  sojit  près  de  Thori^on.  Il  y  expose. un  procédé 
pour  teonservër  le  btë ,  en  le  présen^nt  de  Thumidité  et  des  variations 
de  U  températurç.^  dans  lesquelles 'H  avait  reconnu  les  causes  princi- 
pales qjk  altérations  que  le  grain  pouvait  éprouver  ^.  La  diverse  faeidté 
conductrice  des  corps  po^jp  la  chaleur  est  établie  dans  cet  ouvrage^  où 
diverSs  substances  sont  raijgées  dans  Tordre  de  leur  pouvoir  conduc- 
teur'. Enfin,  dJhs  deuK  lettres  à Xfsdilée^>  qui  términeAt  ce  volnme, 
Tauteûr  traite  longuement  de  Tinfluehce  (fe  la  couleur  sur  le  pouvoir 
qu*ont ies  corps  d'absor)>er,  d*éélettre  oikne  réflécWr  la  chaleur.  Cas- 
telli  faÎMit  %e^  expérience»  avec  ^s  briques  dont  une  des  faces  était  en  • 
partie  biandie  et  en  ^arti^  noire ,  et  il  il  posé ,  dans  cet  écrit ,  les  prin- 
cipes fondamentaux  de  la  théorie  de  la  chaleur  rayonnante. 

Si  Ton  remarque^que  ces  lettres  l^nt  datées  dos  années  lâSy  et 
i638,  et  i^'if  a  fallu  près  de  deux  siècles  pour  que  «es  principes,  re-  . 
produit)  par  d'autres  physiciens,  aient  été  adoptés  généralement,  on 
compi*en4ra  toute  fimportance  d^jlfics  recherches.  Castelli,  dont  le 
"nom  i/ftt  pres!i|ué  jamais  prononcé phr  1^  physiciens,  est  le  véritable 
fondateur  de  la  théc^ie  de  la  chakur  rayoanahte.  Ses  Opusdfies  méritent 
d'ettfL  cités  dans  tous  les  traités  ae  pl^Ékuie.  Â  la  vérité ,  quelques-uns 
des^PlRiomènes  principaux,  de  la  chak^prayonnante-s/Vaieiit  é.té  remar- 
qués avant  la  publication  de  Touvrage  dé  (âsteUi»  .et  GavaHeri,  dans  son 
^ecchio  u^torui,  publié  à  Bologne  en  1 632  ,aviit  parlé  du  froid  intense 
produit,  à  faide  d'un  miroir,  ]gar  la  réflexion  des  rayqsis  qui  émanent 
de  la  neige'.  Mais,  qupiqii^  &rt  intéressantes,  ces  observations  res- 
taient isolées;'4i  on  les  rappelle  ici,  cest  suriout  p(ftir  nffttrer  que  ce* 
qu'on  nomme  impropi*ement  la  réflexion  du  froid  n  est  pas,  coiAme  on 
Ta  prétendu  souvent,  une  découvette  moderne".  Kffts  Castelli  tie  s*est 

^  Castelli,  %|kuSoS,  p.  4  et  a8.  —  ^bid.  p.  4a-  —  '  «  £d  arenrao  di  piè  osser- 
vato,  che  diversî  corpi  di  diverse  materie  rîceYOfio  molto  diYcrsamente  le  imgressMN^i 
esleme  delf  ambiente,  cioè  chi  piu^e.iaeao  :  imperocchè  esponendo  id  sole  diverti 
corpi,  oome  sarekbero^anni,  legnn  t^roiliâ,  terra,  etc.  e  lasciandovegli  stare  c^piaie 
spaûo  di  tempo,  il  metaflo  si  riscalda  assai  più  che  la  pietn,  e  )a  pietra  piu'^Ma 
terra,  e  questa  più  del  legpo.»  (Ibid.  p.  4a.)  —  ^  Ibid.  p^8-79.  —  *  Coa  op- 
porre  alcun  di  quesd  Speccki  ad  uoa^assa  di  aeve,  o  di^miacdo,  sentiremo  niai 
loro  foco  esaere  U  fireddo  faite  molto  gigiiar^o ,  ma  per  quMo  effetto  sai^  più  alto 
riperbolico'di  tutti,  coae  quelle  che  raccoglierà  maggior  quantità  di  linee  fiiydde; 
e  qoesto  baiti  ancora  tirca  il  fireddo,  polendesi  forsein  un  dtr^  modo  creder  cbe 
iile  effetto  accadesse  âDco  inlorno  aglî  odori ,  provando  Boi  dOatarsi  pqir  qneiii  éMi 
<!torpi  odoriferi  wso  ognî  bafMHL'^Cavaiîeri,  lo  Sfecthio  uttorio,  Bélogaa,  iCSa , 

a4f» 


*: 


»        • 


** 


188  JOURNAL, DES  SAVANTS. 

pas  arrêté  la  :  par  une  étude  attentive  et  par  une  longue  suite  d'obseï 
vations,  il  est  parvenu  à  établir  tes  bases  expérinijntaies  de  la  théo-, 
rie  de  la  cbaleui.  H  s'est  "aperçu  que  la  diiîérencé  de  couleur  servait 
i^  changer  la  quantité  du  rayonncrtieiit ,  et  que  l'élat  de  la  surface  ne 
modifiait  pas  le  flux  iiïtérieur  de  la  cbaleur',  Il  a  remarqué,  de  plus, 
qu'il  y  avait  une  grande  diversité,  à  cet  égal■d^  entre  la  chaleur  obscure 
et  la  chaleur  lumineuse,  et  (ce  qui  était  plus  délicat  et  plus  difficile  à 
découvrir)  entre  les  rayons  du  soleil  e^les  rayons  éiïTanés  du  feu  ter- 
restre^. Ces  faits-là,  que  la  science  moBerne  a  établis  d'une  manière 
incontestable,  à  faide  d'iiisthimen Is  très-délicats,  Casteili  les  avait  dé- 
couverts sans  même  se  servir  de  thermomètre.  Ce  n'est  pas  qi^j:et  ins- 
trument ne  fût  connu  à  f  époque  où  CasteUi  faisait  ces  cxpéiiences , 
mais,  comme  il  s'agissait  de  comparer  des  températures  différentes,  et 
que  te  thermomèti;e  alors  n'étaif'pas  encore  comparable,  le  savant  bé- 
nédictin ne  s'en  iervait  pas ,  et  c'est  avec  la  main  seulement ,  et  k  l'aide 
d'une  sensibilité  exquise  du  sens  du  toucher,  que  Castelli  a  fait  les  dé- 
rouverles  que  nous  venons  de  rappeler^.  Au  reste,  on  conçoit  quavec 
un  moyen  si  imparfait  de  comparer  les  températures  entre  elles,  il  ait 
pu  se  tromper  dans  l'apprécialion  des  petites  différences  de  tempéra- 

'  'Esposi  al  sole  il  rovescio  della  iacâa  Ljiilii  del  mallone,  e  dopo  un  par  d'oie 
iii  circa  avcado'Il  caldo  peiiGirata  la  grosnc/JUi  i!cl  niAUone,  ritrovai  assolutaïuenle 
essersi  riscaldato  lanto  il  liero  quanlo  il  biaiico.  •  (CaMelli,  Opascoli,  p.  55.)  — 
'  Ces  expériences  sont  si  peu  connues,  que  nous  croyons  devoir  rapporter  ici  quel- 
ques-uns des  pasiegcs  les  plus  remarquablet  auxquels  nous  faisons  allusion  danx 
le  lexle  :  ■  E  ^ro  fînta  clic  snra  la  melà  d'una^aoota  d'un  mauone  di  nero.  e  l'altra 
mclà  di  bianco ,  e  esposto  al  sole  per  un  ora  i[)  circa  si  lîenlirà  pîù  calda  la  parle 

nera  chc  la  bîanca Dissî  adunque ,  che  avendo  io  esposlo  la  faccia  tinta  del 

mallone  al  Ai^co  noalro  or^ario  di  legmi  :  dopo  avërio  la.sciato  slart>  poco  più  d'un 
quarto  d'ora,  rilroiyji  elle  il  caldo  si  era  impresso  quasi  egiialmentp  nella  parle 
liera ,  corne  n^a  bl^ca,  cioè  con  pochishîpio  vanlaggio  di  chlore  ndla  parte  nera, 
talmente  che  la  dîlTerenza  era  (fuasi  insensibile.  E  di  più  dissi  dî  avère  osservalo , 
r}ie  esponendo  al  lume  del  sole  il  rovescio  ddla  Faccia  linla  del  matlone,  dopo  avère 
il  caldo  penetrata  la  cras.iizie  del  mattone ,  si  era  riscaldala  lanto  la  parle  nera  det 
mallone  quanto  la  biauca.  E  Ënalmenle  ho  osîervato  che  ritcaldando  al  caiore  del 
fuoco  aenia  il  tume  la  medesima  faccia  linla.  si  vienc  a  rï.scaldare  egualmente  la 
parle  nera  chc  la  bis|ica.  I  quali  elletli  mi  pajono  degnî  d'essere  consideralî  mollo 
benc  ;  vedendosi  una  *egnalatissima  diOerenza  Ira  il  caiore dol  fuoco  senza  il  Itime, 
cd  il  caiore  del  lume  Mnia  ïl  fuoco ,  ed  il  caiore  chc  procède  parle  dal  fuoco  e  parle 
dal  l,umc.  Imperocchè  noi  vediamo  che  il  caiore  che  procède  dal  lumesolu  riscalda 
notabilmente  più  il  ilero  che  il  bianco,  cietens  parilins,  e  pËr  lo  contrario,  il  caiore 
del  fuoco  solo  sema  il  lume  Hscalda  egualmente  il  bianco  ed  il  nero.  Ma  il  caiore 
del  fuoco  congiuiilo  col  lume  del  fuoco  riscalda  con  qiialche  poco  di  vanlugpo  pîù 
il  nero  che  il  bianco. ».( /èiii.  p,  64  el  68,)  —  '  Ibid.  p.  5o.  55.  69,  elc. 


^ 


tn.  _ 


M^RS  18^3. 


189 


fur'!'  \  mais  nu  rloit ,  à  juïfc  tiU'e ,  admirer  la  précision  qu'il  a  su  porter 
dans  ces  oljsmaûoiis,  et  cet  ïnslintl  scientiliqiie  qui  lui  a  iail.dcvincr. 
pour  MiiLsi  (lirr,  des  fails  sî  importaols.  Caslciii  suivait  ea-tOtil'la  plu- 
losopiiic  tic  GaliJée  t  il  savait  icpaodre  dans  ses  écrits  oe  set  et  cet  csprif  ' 
iiui  ont  tant  contribué  au  succès  des  ouvrages  de  son  maître.  Le  récit 
de  l'explitalion  donnée  par  un  péripaléticicR  ^es  fausses  oxpéricuces 
que  Caslciii  lui  communiquait'  est  un  oiorcpau  di^e  de  figurer <Tans 
le  SagçjiiUore  de  Galilée. 

Il  n'est  pas  inutile  d'ajouter  que,  quoique  irès-résfirvé  dans  la  pailie 
théorique,  Casleilî  avait  parfaitement  compris  que  les  diveis  degrés 
d'échauBemeiil  des  briques  différemment  teintes  tenaient  à  la  divei'se 
(]uantilé  de  chaleur  absorbée  ou  réfléchie  :  il  considère  expresséinenl  la 
chalem'  rcllécliie  comme  étant  le  complément  de  la  chaleur  ahsorhéf , 
et  réciproquement;  et  il  explique,  par  des  considérations  très-îngi'- 
nieuses,  les  modincalions  que  l'élal  de  la  surface  introduil  dans  le 
rayonnement'. 

Le  recueil  que  nous  venoa»  de  citer  oc  contient  pas  tous  les  opus- 
cules que  Castelli  avait  laissés,  M.  Aniiuori  elle  un  écrit  inédit' sur  le 
magnétisme,  qui  se  trouve  actuellement  à  Florence,  dans  la  bibliothèque 
Palatine.  D'nprès  ce  qu'en  dit  le  savant  historien  do  l'Académie  del  Ci- 
mento,  cet  écrit  serait  digue  de  voir  le  jour.  Outre  deâ  renseignemi  nls 
précieux  sur  les  travaux  de  Galilée  au  sujet  du  magnétisme,  on  y  ren- 
contre, suivant  M,  Antinori.  la  première  mention  de  celte  espèce  de 
rayonnement  magnétique  qui  fait  prendre  une  disposition  parliculiérc, 
et  connue  des  physiciens,  à  la  limaille  du  fer  placée  dans  un  papier  ;ui 
dessus  des  pôles  d'un  aimant^.  Uni;  nouvelle  édition  de  ces  OpOsculeb, 
qui  sont  devenus  très-rares,  et  qu'il  iàodrait  compléter  par  l'écrit  qui 
venons  de  citer,  ainsi  que  par  différentes  lettres  de  Castelli  épai- 
pillées  dans  divers  recueils,  seiait  certainement  bien  accueillie  du  pu 
biic,  et  M.  Artinori.  qui  a  signalé  l'existence  de  l'opuscule  relatif  au 
magnétisme,  rendrait  un  grand  service  aux  physiciens,  s'il  voulait  entre- 
prendre une  telle  publication ,  qu'il  saurait  mieux  que  personne  diriger. 

Castelli,  que  l'inquisition  avait  essayé  par  tous  les  moyens  d'éloîgnei- 
de  Galilée,  resta  toujours  l'ami  le  plus  ferme  et  le  plus  dévoué  de  ce 
grand  philosophe,  dont  il  ne  cessa  jamais  de  prendre  la  défense,  et  qu'il 
suivit  de  près  au  tombeau.  Cet  attachement  si  vif  et  si  durable  les  lio 
nore  tous  les  deux.  On  aime  à  voir  un  moine  bénédictin  prodiguant 


T'Y 

9^ 


'  Castelli,  OpaieoH,  p-  48  et  euiv.  — ■  '.Lise»,  à  ce  sujet,  toute  la  seeoiute' leUic 
de  Castelli  à  Galilée.  {OpuscoH,  p.  fia-yS.i  —  '  Sag^i  Ji  naturali  eiperignie,  p  6. 


î 


<4 


J90  JOLU\NAL  DKS  SAVANTS, 

les  cAnsolations  et  les  marques  de  respect  à  ihomme  célèbre  que  les 
jésuites  et  les  dominicaiDS  poursuivaient  avec  tant  d'achartioiiieiit  ;  ri 
l'on  est  surtout  satisfait  en  voyant  i'ambassadeur  de  Franci'  :■  Ruine , 
m,  de  Noailles,  travailler  eiUcacement .  de  concert  avec  Casteili,  potii 
faire  cesser  cette  injuste  persécution  '. 

G.  LiBRI. 

'  M.  de  Noailles  ne  cessa  jamais  de  prendre  auprès  tlu  pape  la  défen»  de  GaKléf , 
«ju'i!  voulut  voir  k  son  passade  en  Toacsue ,  et  dont  il  Til  publier  en  HdHande  un 
des  principaux  ouvrages.  Dans  la  correspondance  inédite  de  Galilée  i^ui  est  entre 
nos  toains  «e  trouvent  plusieurs  lettres  de  Castellî  et  de  Noailles,  qni  prouvent  que 
ces  deux  ami$  de  Galdéc  se  concertaient  toujours  dans  loun  démarches.  Une  de 
ces  pièces  est^Urloul  curieuse,  parcequ'o'n  y  voit  que  les  jésuites,  s'élanl  cmparé.s 
de  I  édition  du  traiié  de  Galilée  sur  les  tacheft  du  soleil,  commencèrent  par  en  éé- 
Irutreuttgiand  nombre  d'exemplaire»,  et  consenlireul  ensuileà  traiter  avec  l'auteur 
pour  lui  vendre  fort  cher  tout  ce  qni  restait  entre  leurs  mains  de  celle  édition 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


LIVRES  NOUVEAUX, 
j      *,  FRANCE. 

Mélanges  postkame}  irkàloire  el  de  lilléralure  orientales,  par  M.  Abe)  BéntUS^ 
publiés  sous  tes  auspices  dtt  ministère  de  l'instmctiDn  publique.  Paris,  Imprimerie 
roytde,  i8i3,  in-8°  deiv-471  pn[;es. —  Lu  commission  cbai^éedu  soin  de  publier, 
sous  les  auspices  du  ministère  de  l'inslraction  publique,  tes  œuvres  posthumes  de 
MM.  Abel  Rémnsat  et  Saint-Martin,  commission  composée  de  MM.  Hase,  Félix 
Lajard  et  Eugène  Burnouf,  vient  de  publier  sous  ce  titre  un  volume  où  elle  a  ras- 
semblé divers  écrits  publiés,  pour  ta  plupart ,  du  vivant  de  M.  Abel  Rémusal.  mai» 
qui  étaient  disséminés  dans  plusieurs  recueils  litlèraires.  difficiles  à  trouver.  Ces 
écrits  forment  la  suite  et  le  complément  des  qnatre  voilâmes  de  Mélanges  aiiatiqaei 
que  M.  Hémusat  avait  fait  imprimer  en  183&  ,  1836  et  183g.  Le»  Mélanges  poslhamet 
sont  disposés  dans  un  ordre  qui  permettra  de  mieux  saisir  la  pensée  de  M.  Rémusat 
dans  les  divers  morceaux  détachés  dont  ils  se  composent,  et  de  mieux  comprendre 
par  quels  pointa  ils  se  rattachent  aux  grands  travaux  de  l'auteur  sur  l'Asie  orientale 
Ces  morceaux  sont  au  nombre  de  dix,  dont  voici  les  litres  :  1,  Observations  sur  la 
rdigion  samaoéenne;  11.  Essai  surla  cosmographie  et  la  cosmogonie  de.i  bouddhistes, 
d'après  les  auteurs  chinois;  III.  Observations  sur  les  sectes  religieuses  des  Hindous; 
IV.  De  la  philosophie  chinoise;  V.  Discoure  sur  l'état  des  sciences  neiurclles  chez 
les  peuples  de  l'Asie  orientale  ;  VI.  Discours  sur  le  génie  et  les  mœurs  des  peuples 
orientaux;  VII.  Trois  discours  sur  la  littérature  orientale:  VIII.  Quatre  lettres  sur 
le  régime  des  lettrés  de  la  Chine,  el  suri  influence  qu'ils  ont  dans  le  gouvernement 


MARS  1843.  191 

de  TElat  ;  IX.  Analyse  de  l^histoîre  des  Mongols  de  Sanang-Setsen  ;  X.  Mémoire  sur 
Jes  avantages  d'un  établissement  conèulaire  à  Canton.  ^ 

Tahkau  sarla  situation  des  étaUmements  français  dans  l Algérie,  en  tSùi,  Pans, 
Imprimerie  royale,  décembre  iS^a,  in-4*  de  A&5  pages,  avec  une  carte  de  l' Al- 
gérie, dressée  au  dépôt  général  delà  guerre.  — Cet  important  ouvrage  rpuUiéfar 
le  ministère  de  la  guerre ,  commeooe  par  un  précb  historique  des  événements  qui 
se  sonl  passés  en  Algérie  depuis  le  i  "^  janvier  jusqu'au  3i  décentre  i84i.  Le  ta- 
bleau général  qu  on  y  trouve  ensuite  présente,  sons  ces  quatre  divisions  :  armée,  in- 
térieur, justice ,  finances ,  des  renseignements  très-développés  sur  la  ritualion  des 
établissements  français  en  Algérie,  pendant  la  mAme  pénode.  Le  volume  est  ter- 
miné par  un  appendice ,  comprenant  :  i*  un  précis  analytique  de  Tbistoire  moderne 
de  TAfrique  septentrionale  sous  les  Arabes  et  sous  les  Turcs,  faisant  suite  au  piécis 
publié  dans  le  Tableau  de  la  situation  de  TAlgérie,  en  i84o;  a*  et  un  précis  ana- 
lytique de  rhistoire  d'Alger  pendant  la  domination  turque.  Ce  dernier  travail  s'ar- 
rôte  à  Tannée  1710.  ^ 

Les  manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  leur  histoire  et  celle  des  textà|^. 
allemands ,  anglais ,  hollandais ,  italiens ,  espagnols ,  de  la  même  collection ,  par^ 
A.  Paulin  Paris,  de  T Académie  royale  des  inscriptions  et  belles-lettres,  conaefMÉur 
adjoint  de  la  BibUothèque  du  Roi  (section  des  manuscrits),  tome  V.  Paris,  în^- 
merie  de  Béthune  et  Pion ,  librairie  de  Techencr,  18&2 ,  in-8°  de  5i  1  pages.  —  Ce 
volume  contient  la  description  de  17&  manuscrits  (  n"  7068'  -  716g  ,  anciens 
fonds)  de  formats  divers.  Les  notices  que  M.  Paris  a  consacrées  à  ces  ouvrages  sont 
nécessairement  inégales  sous  le  rapport  de  l'intérêt  et  de  Tétendue.  Nous  y  avons 
surtout  remarqué  des  notions  neuves  et  intéressantes  sur  plusieurs  écrits  de  Chris- 
tine de  Pisan  et  de  Claude  de  Seyssel ,  sur  la  vie  du  célèbre  chirurgien  Lanfranc,  et 
sur  une  chronique  de  France  de  1 27 1  à  i348 ,  où  M.  Paris  croit  avoir  retrouvé  oette 
oeuvre  originale  de  Jean  Lebel,  dont  s*est  servi  Froissard ,  et  qu'on  cherche  en  vain 
depuis  si  longtemps.  Cette  chronique  est  conservée  à  la  Bibliothèque  royale,  sous 
le  n*  7 1 56  des  manuscrits  français.  Le  volume  est  terminé  par  une  taUe  des  noms 
de  lieux  et  de  personnes ,  et  par  une  table  méthodique  de  tous  les  ouvrages  contenus 
dans  les  cinq  tomes  publiés  jusqu'ici.  L^auteur  l'a  dédié  aux  conservateurs  de  la  Bi- 
bliothèque royale,  qui,  pour  assurer  la  continuation  de  l'ouvrage,  ont  réceomient 
proposé  au  ministre  de  l'instruction  publique  de  couvrir  la  moitié  des  fraia  d'im- 
pression de  chaque  volume. 

Notice  sur  un  manuscrit  intitulé  Annales  mundi  ad  annum  126â ,  par  le  oomle.Ch. 
de  L'Escalopier,  conservateur  honoraire,  chargé  du  catalogue  raisonné  des  madus* 
crits  à  la  bibliothèque  de  TArsenal.  Paris,  imprimerie  de  F.  Didot ,  librairie  de 
Teclirner,  in-8*  de  5o  pçges.  -^  Le  manuscrit  qui  fait  l'objet  de  ce  travail  inlé- 
i^essant  est  conservé  à  la  bibliothèque  de  F  Arsenal,  parmi  les  manuscrits  Ullns 
(H.  8*  n°  11).  C'est  une  chronique  abrégée  qui  a  beaucoup  d'analogie  avec  celle  de 
S.  Marien  d'Auxerre,  publiée  par  Camusat.  Les  bénédictins  en  donnent  un  eztraiC'fort 
court,  pour  ce  qui  a  rapport  aux  années  987^-1031 ,  dans  le  tome  X  du  Recueil 
des  historiens  de  France,  p.  29a,  d'après  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale. 
M.  de  L*Esccdopier  donne,  dans  sa  notice,  les  sommaires  de  toute  la  partie  de  cette 
chronique  qui  se  rapporte  à  l'ère  chrétienne  et  des  extraits  de  ce  qu'il  y  a  trouvé  de 
plus  remarquable  sur  les  fondations  reUgieuses,  les  origines  liturgiques  et  les  lé- 
gendes. 11  serait  à  désirer  que  la  publication  du  catalogue  général  dçs  manuscrits  de 
la  bibUothèque  de  l'Arsenal  permît  bientôt  au  public  d'apprécier  les  richesses  de 
re  précieux  dépôt  trop  peu  connu. 


.t 


JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Calalogae  d'une  belle  collection  Je  letlrei  aaloifraphes  donl  là  venle  aura  lieuse 
i6  igoai  iâ43  el  jours  snîvants,  à  6  licuies  du  soir,  rue  des  Bons  Enfaol»,  n.  3o. 
maison  Sifveslrc.  Ce  catalogue  bc  distribue  h  Paris,  chez  M.  Charoa,  me  Louis-le- 
Grand.  n.  33.  Imprimerie  de  Crapdet ,  à  Paris,  76  pages  in-8°. — Ce  catalogue  con- 
lieot  des  indîcklions  sur  536  pièces,  parmi  lesquelles  on  eu  remarque  un  grand 
nombre  qui  paraissenl  offrir  ud  véritable  întérël. 

Mémoires  sur  \ei  i'oyages  de  l'empereur  llaiîrica  eilarles  médailles  qui  s  y  rapportent 
par  J,  G.  H.  Greppo.  BeUej,  imprimerie  de  Verpfllon;  Paris,  librairie  de  Debécourt, 
1843,  in-8'de  a5i  pages. 

Economie  politiqae  du  moyen  Age,  parCh.  Cibrario;  Iraduilc  de  l'ilnlien  el  aug 
mentée  de  notes  et  Édairci.ssi'inents  considérables,  par  Humbcrl  Ferrand.  BeUej 
imprimerie  de  Verpillon;  P;iris,  librairie  doDcbCcourl.  i843,  in-8°  de  588  pages. 

Sir  Richard  Arkivrigkl ,  ou  naissance  de  l'industrie  coloniiiere  dans  la  Grande- 
Bretagne  [1760  à  ly^a).  par  M.  Saint-Germain  Leduc.  Imprimerie  de  M"'  Fes 
urt,  à  Seulis;  librairie  de  Guillauniin,  à  Paris,  i.Siki  338  pages  in-18. 

Catalogue  des  livra  composant  la  bibiiotlièque  de  la  ville  de  Bordeaux.  Théologie. 
'aris,  Imprimerie  rojale,  18^3.  —  Dans  ce  catalogue,  imprimé  par  autorisation  du 
Roi  du  6octol)re  iSs^.  la  théologie  est  divisée  en  six  classes  :  liturgie,  conciles, 
saints  PèKs,  théologiens  de  l'Eglise  romaine,  llioologiciis  séparés  de  l'Église  ro- 
maine. Le  nombre  des  artides  cnntentis  dans  le  volume  est  de  8àUo. 

Chronic/ae  de  Richer,  moine  de  Senones,  traduction  française  du  svi'  siècle,  sur  un 
texte  beaucoup  plus  complet  que  tous  ceux  connus  jusqu'ici ,  publiée  pour  la  pre- 
mière fois,  avec  des  éclaircissements  hisloriques  ,  sur  les  manuscrils  des  Tierceiin 
Nancy  el  de  la  bibliothèque  jpnblique  de  la  même  ville .  par  Jean  Cayon.  Impri- 
Tresnel,  a  Sainl-Nicoias-de-Porl  ;  librairie  de  Cayon-Liébault,  ii  Nancy, 


t  des  re- 


'843. 

Histoire  des  antiquités  de  la  ville  de  l'Aigle  et  de  u 
cherches  hisloriques  sur  les  invasions  des  Romains ,  des  Francs  et  des  Normands 
dans  les  Gaules,  sur  l'origine  de  Verneud,  etc.  Ouvrage  posthume  de  J.  P.Gabriel 
Vaugeois,  édité  el  publié  par  sa  famille.  Laigle,  imprimerie  et  librairie  de  Bredif, 
1843,  in-8°de6oi  pages. 


TABLE. 

Recherches  sur  les  momimpnls  cyciopéens,  par  feu  L.  C.  F.  Pptit-Radcl ,  putliées 

d'après  les  manuscrits  de  l'auteur  (  article  do  M.  Raoul -Rochcttc) Page  120 

Nouveaux  documenls  inédilx  sur  le  P.  André  et  sur  la  persécution  du  Cartésia- 
nisme dans  la  compagnie  île  Jfsua  (  1"  article  de  M.  Cousin] 150 

Histoire  des  Seidjnucidcs  de  MJrLhond,  publiée  en  persan  d'après  Ips  manuscrits 
de  Parts  et  de  Berlin,  avec  des  annotations  critiques  cl  pbitologiqaes .  par  Jo. 
Aug.  Vullers  (  1"  article  de  M.  Quatramère  ) 170 

Essais  d'expériences  faites  dans  fAcadémic  del  Cimcnlo  (  2*  article  de  M.  LibK),  185 

Nonvdles  littéraires 190 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


AVRIL  1843. 


La  Célestine  ,  tragi-comédie  de  Calixte  et  Mélibée^,  traduite  de 
V espagnol ,  annotée  et  précédée  d'an  essai  historique,  par  M.  Ger- 
mond  de  Lavigne;  Paris,  Charles  Gosselin,  i84i,  i  vol.  in-i  2. 

On  trouvera  que  nous  venons  bien  tard  pour  apprécier  cette  tra- 
duction, dont  le  succès  na  pas  attendu  nos  éloges;  mais  il  est  toujours 
temps  (le  parler  de  la  Célestine ,  livre  classique ,  et  qui  peut-elre  a  con- 
tribué plus  qu  aucun  autre  à  fixer  la  prose  espagnole.  Nous  connaissons 
peu  d'ouvrages  qui  aient  joui,  auprès  des  contemporains,  d*une  vogue 
plus  générale  et  plus  populaire ,  peu  qui  aient  ensuite  excité  entre  les 
érudits  et  les  critiques  autant  de  controverses  et  de  débats.  On  n'est 
d'accord ,  en  effet,  ni  sur  l'auteur  ou  les  auteurs,  ni  sur  l'époque  de  la 
rédaction  et  de  l'impression,  ni  sur  la  moralité  ou  l'immoralité  du 
livre,  ni  même,  ce  qui  peut  paraître  encore  plus  singulier,  sur  le  genre 
de  composition  auquel  il  appartient. 

'  Le  vrai  litre  de  la  pièce,  que  le  traducteur  donne  (page  1),  d'après  les  édi- 
tions de  Séville  (1602}  et  de  Madrid  (i8aa),  esl  ainsi  conçu  :  «La Célestine,  tragi- 
comédie  de  Calixte  et  Mélibée,  contenant,  outre  un  style  agréable  et  facile,  une 
grande  quantité  de  sentences  philosophiques  et  de  conseils  fort  nécessaires  aux 
jeunes  gens;  ayant  pour  but  de  leur  faire  connaître  tout  ce  qu'il  y  a  de  ruses  et 
de  fausseté  chez  les  serviteurs  et  les  entremetteuses.»  On  lit  encore  le  titre  sui- 
vant en  tète  de  plusieurs  éditions,  notamment  de  celles  d'Anvers  (1696,  1^99  et 
1601)  :  « Tragi-comédie  composée  pour  servir  de  le<^on  aux  amoureux  extra- 
vagants ,  qui ,  vaincus  par  une  folle  passion ,  donnent  à  leurs  maîtresses  le  nom  de 
la  divinité,  et  aussi  pour  les  avertir  de  se  défier  des  entremetteuses  et  des  servi- 
teurs faux  et  méchants.  » 

2b 


194  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

La  plupart  des  critiques ,  tant  nationaux  qu'étrangers ,  tout  en  recon- 
naissant que  cette  œuvre  na  pas  été  composée  pour  la  scène,  la  pro- 
clament cependant  la  source  du  théâtre  espagnol,  la  mère  du  drame 
castillan.  Un  d'eux,  celui,  assurément,  dont  l'autorité  est  la  plus  con- 
sidérable en  pareille  matière,  Moratin,  s'exprime,  à  ce  sujet,  de  la 
manière  suivante  :  a  Gomme  la  tragédie  grecque  se  compose  des  reliefs 
d'Homère ,  de  même  la  comédie  espagnole  reçut  sa  première  forme 
de  la  Célestine.  Cette  Nouvelle  dramatique,  écrite  en  excellente  prose 
castillane,  avec  une  fable  régulière,  variée  à  l'aide  de  situations  vrai- 
semblables et  intéressantes,  animée  par  l'expression  des  caractères  et 
des  passions,  par  une  fidèle  peinture  des  mœurs  nationales  et  par  un 
dialogue  qui  abonde  en  traits  comiques,  a  été  un  objet  d'étude  pour 
tous  ceux  qui,  au  xvi*  siècle,  sont  entrés  dans  la  carrière  du  théâtre ^  » 

Le  nouveau  traducteur,  M.  Germond  de  Lavigne,  a  poussé  cette 
idée  encore  plus  loin.  A  son  avis,  si  la  Célestine  n'est  pas  précisément 
un  drame  ,  dans  le  sens  que  nous  attachons  aujourd'hui  à  ce  mot,  ce 
n*en  est  pas  moins  u  positivement  une  œuvre  théâtrale  au  point  de  vue 
de  Fépoque  :  c'est  une  pièce  faite  pour  la  scène ,  comme  son  titre  l'in- 
dique suffisamment,  et  cela  peut  se  dire  de  cet  ouvrage  avec  plus  de 
raison  que  des  premiers  essais  de  Juan  Ruiz*,  de  don  Pedix)  Gonçalès 

de  Mendoza^  ou  de  la  comedieta  de  Ponza  du  marquis  de  Santillane » 

Avant  d'aller  plus  loin,  je  dois  faire  remarquer  à  M.  Germond  de 
Lavigne  que  l'argument  qu'il  croit  trouver  dans  le  titre  de  tragi-comédie 
donné  à  la  Célestine  n'a  qu'une  bien  faible  valeur,  car,  du  vi*  au  xvi* 
siècle,  les  mots  comœdia  et  traqcedia  ont  été  appliqués  constamment  à 
des  compositions  épiques  et  purement  narratives.  Quoi  qu'il  en  soit , 
M.  Germond  de  Lavigne  pense  que ,  si  la  Célestine  n'a  pas  été  repré- 
sentée, elle  est  pour  le  moins  aussi  représentable  que  les  églogues  de 
Juan  de  la  Encina  et  les  premières  comédies  de  Torres  Naharro.  M.  do 
Lavigne  rapporte,  à  l'appui  de  cette  opinion,  le  passage  de  Moratin  cité 
plus  haut  et  extrait  d'une  note  de  l'histoire  des  origines  du  théâtre 
espagnol  ;  mais  il  oublie  que,  dans  le  corps  même  de  l'ouvrage,  Moratin 
a  reconnu  expressément  que  l'auteur  de  la  Célestine  n'a  point  travaSlé 
en  vue  de  la  scène  :  aanque  no  hizo  su  obra  para  el  teairo.  Le  critique 

^  Olras  de  Leonardo  FernandeE  de  Moratin;  Madrid,  i83o,  1. 1,  p.  88.  — 'Juan 
Ruiz,  ardiiprétre  de  Hîta,  mort  avant  i35i,  a  composé  un  dialogue  buriesque  en 
cinq  aatos  et  en  vers,  intitulé  :  Las  hodas  de  don  Melon  de  la  Huerta,  con  la  hija  de 
ion  Endrino  y  de  dona  Rama,  «  Les  noces  de  don  Mekm  du  Verger  avec  la  fille  de 
don  Prunier  de  Damas  et  de  dofia  Branche.  »  Voyez  la  collection  de  T.  Sanchez, 
t.  IV.  —  ^  Aïeul  de  don  Ifiigo  Lopez  de  Mendoza ,  marquis  de  Santillane. 


AVRIL  1843.  195 

espagnol  n*a  fait ,  comme  presque  tous  les  écrivains  de  son  pays ,  que 
proclamer  Tinfluence  que,  suivant  lui,  ce  roman  dialogué  a  exercée  sur 
le  développement  du  théâtre  en  Espagne ,  et  cette  assertion ,  réduite 
même  à  ces  termes,  est  encore  tirès-contestable. 

Pour  ma  part,  quelque  périlleux  qu'il  soit  de  contredire  une  opinion 
établie  et  soutenue  par  des  critiques  nationaux ,  je  ne  puis  m'empêcher 
de  regarder  la  prétendue  influence  de  la  Célestine  sur  la  scène  espa- 
gnole comme  extrêmement  exagérée ,  pour  ne  pas  dire  tout  à  fait  nuUe. 
A  mon  avis ,  cet  ouvrage ,  dans  le  goût  des  Dialogues  de  Lucien ,  par- 
ticulièrement de  ceux  où  figurent  des  courtisanes,  n'a  rien  à  voir  avec 
le  théâtre.  L'action  incontestable  que  ce  livre  a  exercée  sur  les  esprits 
en  Espagne  a  porté  sur  une  tout  autre  branche  de  littérature. 

Les  origines  du  théâtre  espagnol,  de  ce  théâtre  élevé  si  haut  pai* 
Lope  de  Vega  et  Galderon,  découlent,  comme  celles  de  tous  les  théâtres 
de  l'Europe,  de  trois  sources  bien  distinctes  :  i"^  de  certaines  céré- 
monies et  représentaticms  litui^ques,  devenues  peu  à  peu  laïques  et 
transformées  avec  le  temps  en  aatos;  2^  des  églogues  et  poésies  dialo- 
guées,  récitées  ou  chantées  dans  les  galas  royaux  ou  princi«*s;  y  des 
parades  ou  jongleries  populaires  exécutées,  les  jours  de  foire,  dans 
les  carrefours  et  les  marchés.  La  Célestine  n'appartient  à  aucune  de  ces 
trois  sources  de  toute  poésie  dramatique.  Cet  ouvrage  est,  à  la  vérité, 
divisé  en  actes,  et  n'en  ofire  pas  moins  de  vingt  et  un ,  fort  in^aux.  Mais 
cette  coupe  n'a  pas  prévalu  et  n'a  été  que  fort  rarement  adnodse  par  les 
vrais  dramatistes  de  la  péninsule.  Les  pièces  espagnoles  se  divisent  gé- 
néralement, comme  on  sait,  non  en  actes  [autos),  mais  en  journées 
[jomadas),  et  rarement  en  comptent-elles  plus  de  trois.  Ainsi,  comme 
on  voit ,  la  Célestine  n'a  exercé,  en  Espagne,  aucune  influence  appréciable 
sur  la  forme  et  la  contexture  du  drame.  Quant  à  la  diction,  on  sait 
que  les  aatos  sacrameniales ,  les  comédies  de  cap  et  d'épée ,  les  prologues 
même  appelés  1ms  ont  constamment  et  invariablement  retenu  le  vers. 
La  prose  claire,  sententieuse  et  logique  de  la  Câestine^,  qui  semble 
proche  parente,  non  de  l'esprit,  mais  de  la  langue  nerveuse  et  saine 
du  jDofi  Qaixote,  est  le  contre-pied  le  plus  complet  de  la  poésie  fauui- 
riante  et  presque  orientale  qui  est  la  gloire  et  le  défaut  des  meilleurs 
écrivains  dramatiques  de  l'Espagne.  Quant  à  l'esprit  même  de  la  com- 
position et  à  l'inspiration  générale ,  la  Célestine  est  une  moquerie  de 
tout  ce  que  l'Espagne  avait  tenu  jusque-là  pour  sacré  :  le  clergé,  )a 

'  Gt  sont  à  peu  près  les  leiwes  de  féloge  que  {'Milear  du  Diakgo  de  Im  fanf Mf 
a  fait  de  cette  tragi-comédit . 

a5. 


196  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

noblesse  et  les  femmes.  C'est  une  réaction  et  comme  une  sorte  de  re* 
vanche  ouverte  prise  par  le  sensualisme  renaissant  contre  la  domina- 
tion expirante  de  Tascétisme  religieux  et  sentimental  ;  c  est  une  réhabi- 
litation de  la  matière,  comme  on  disait  chez  nous  il  y  a  peu  d'années. 
Le  théâtre  espagnol ,  au  contraire ,  sous  la  plume  enthousiaste  et  reli- 
gieuse des  Lope  de  Vega,  des  Cervantes  et  des  Calderon,  a  été,  aux 
XVI*  et  XVII*  siècles ,  la  continuation  et  comme  le  refuge  des  plus  pures 
traditions  de  chevalerie,  de  religion  et  d'amour  désintéressé. 

On  voit  donc  qu'il  n'y  a  absolument  rien  de  commun  entre  la  très- 
positive  et  très -sensuelle  Célestine,  recueil  de  conversations  épicu- 
riennes ,  et  le  drame  espagnol ,  passionné ,  enthousiaste  et  tout  rempli 
de  péripéties,  de  mouvement  et  d'héroïsme. 

Le  peu  que  nous  venons  de  dire  de  l'esprit  qui  nous  semble  avoir 
présidé  à  la  conception  de  cet  ouvrage  a  dû  faire  déjà  pressentir  notre 
sentiment  sur  un  autre  point ,  qui ,  avec  moins  de  raison ,  a  partagé , 
jusqu'à  présent,  la  critique.  Presque  tous  les  éditeurs  et  traducteurs  de 
la  Célestine  (y  compris  M.  Germond  de  Lavigne,  malgré  quelques  judi- 
cieuses restrictions)  ont  cru  voir,  dans  ce  spirituel  et  peu  scrupuleux  ba- 
dinage,  une  œuvre  d'une  morale  profonde,  conçue  dans  la  louable  in- 
tention de  préserver  la  jeunesse  des  égarements  du  vice  et  des  liaisons 
perverses.  C'est  vraiment  pousser  un  peu  loin  l'optimisme  que  d'accepter 
pour  sérieuses,  comme  le  fait  le  dernier  traducteur,  les  protestations 
d'innocence  que  l'auteur  a  insérées  dans  les  pièces  en  vers  et  en  prose 
qui  servent  de  prologue  et  d'épilogue  à  l'ouvrage.  Un  docte  Allemand., 
Gaspard  Barth,  qui  a  traduit  en  latin  la  Célestine  pour  l'édification  de 
ses  compatriotes ,  n'a  pas  craint  de  qualifier  cet  ouvrage ,  sur  le  titre 
même,  de  Liber  plane  divinus^,  Cervantes,  dans  un  des  sonnets  plai- 
sants^ qui  précèdent  le  don  Quixote,  avait  dit  aussi  de  la  Célestine  que 
ce  serait  un  livre  divin,  si  les  nudités  de  la  nature  humaine  (a-t-il  judi- 
cieusement ajouté)  y  avaient  été  un  peu  plus  voilées.  Quant  à  nous, 
tout  en  ne  partageant  point  l'humeur  mélancolique  d'Alejo  Vanega,  qui, 
se  plaignant  des  maux  causés  par  une  si  dangereuse  lecture,  voulait 
qu'on  écrivît  Scelestina  au  lieu  de  Celestina^,  nous  croyons  impossible 
d'admettre  avec  le   vieux   traducteur ,  Jacques  de  Lavardin ,  que  la 

^  La  traduction  de  Gaspard  Barth  parut  à  Francfort  en  162a,  sous  le  titre  suivant  : 
«  Pornoboscodidascalus  Latinus.  De  lenonum ,  lenarum ,  conciliatricum ,  servitiorum 
dolis,  vcneficiis,  machinis  plusquam  diabolicis;  de  miseriis  juvcnum  incautorum 
qui  florem  setatis  amoribus  inconcessis  addicunl;  de  miserabili  singulorum  pericuio 
et  omnium  interitu,  etc.  etc.  >  **  *  Décima  del  Donoto,  au  commencement  du  Don 
Quixote,  —  '  Voy.  Tratado  de  ortografia,  part.  II,  cap.  m. 


AVRIL  1843.  197 

Célestine  soit  «  un  clair  mirouër  de  vertueuse  doctrine  à  se  bien  gou- 
verner, ))  ni  avec  M.  de  Lavigne,  que  Ferdinand  Rojas,  un  des  auteurs 
présumés  de  cet  ouvrage ,  ait  positivement  voulu  faire  une  œuvre  de 
morale.  Nous  pensons,  au  contraire,  que  la  Célestine,  sans  être,  comme 
rappelle  un  romancier  moderne  dans  un  accès  de  rigorisme  assez  étrange, 
u  une  chose  infâme  et  digne  de  i'Arétin  \  w  est  cependant  un  ouvrage 
plutôt  licencieux  qu  édifiant.  Malgré  l'utilité  pratique  des  enseignements 
et  rimpression  salutaire  qui  peut  résulter  du  dénouement,  fabjection 
du  principal  personnage,  le  lieu  le  plus  habituel  où  la  scène  se  passe, 
la  liberté  de  plusieurs  peintures  classent  cette  production,  littéraire- 
ment exquise,  parmi  les  livres  qu'il  y  aurait  duperie  ou  dérision  à 
regarder  comme  utiles  aux  moeurs^. 

Il  y  a  mieux  ;  c'est  à  sa  licence ,  autant  et  plus  qu'à  son  mérite ,  que 
la  Célestine  a  dû  sa  popularité.  Composée  dans  les  dernières  années 
du  XV*  siècle ,  elle  parut  au  milieu  du  relâchement  et  du  sybaritisme 
universel  qui ,  grâce  à  la  renaissance  de  la  philosophie  et  des  beaux- 
arts,  sétaiçnt  répandus  dans  toute  l'Eiu'ope,  et  plus  particulièrement 
en  Italie ,  en  France  et  en  Elspagne.  Dans  ces  trois  contrées,  à  la  place 
de  l'esprit  de  mortification  évangélique  s'était  substitué  une  sorte  d'é- 
picuréisme  chrétien ,  qui  avait  gagné  jusqu'aux  grands  dignitaires  de 
rtglise  et  allait  bientôt  s'asseoir,  avec  Léon  X,  sur  le  siège  de  saint 
Pierre,  et  provoquer  cette  réaction  terrible  que  Ton  appela  la  réforme, 
A  cette  époque  d'ivresse  voluptueuse  et  érudite ,  où  les  cardinaux  lisaient 
plus  Homère  que  la  Bible ,  plus  Cicéron  que  saint  Thomas,  plus  Catulle 
et  Pétrone  que  saint  Augustin ,  la  Célestine,  classique  dans  la  forme, 
païenne  dans  les  idées ^,  dissolue  dans  la  fable,  la  Célestine,  qui  enché'- 
lissait  sur  Boccace,  qui  précédait  la  CalandrUy  qui  frayait  la  route  à 
Rabelais,  dut  être  le  livre  favori,  le  vade  mecam  de  toute  cette  société 
sensuelle  et  sceptique,  dont,  sous  forme  d'admonition  charitable,  elle 
reflétait  si  agréablement  l'atticisme  libertin  et  flattait  l'élégante  corrup«- 
tion.  Aussi  la  vogue  que  cet  écrit  obtint  dès  son  apparition  fut-elle  im- 
mense. Dans  une  de  ses  Nouvelles,  Bonaventure  des  Périers,  le  valet  de 
chambre  de  la  reine  de  Navarre  ,  introduisant  un  jeune  Parisien,  bien 

^  M.  Lottin  de  Laval,  dans  une  note  du  roman  intitulé:  Galanteries  du  Maréchal 
de  Bassompierre.  —  *  On  ne  peut  rien  dire  de  mieux  pour  et  contre  la  Célestine  que 
la  défiuilion  suivante ,  insérée  dans  le  Dialogo  de  las  lenquas  :  «  Ce  petit  livre  est 
rempli  des  plus  belles  sentenœs  ;  c'est  une  fleur  de  laqudle  le  sage  tire  du  mid  et 
le midicieux  du  poison.  »  —  ^  Calixte,  le  héros  du  livre,  renie  hautement  lui-même 
les  croyances  chrétiennes  :  «  Moi ,  chrétien  !  dit-il  ;  je  suis  mélibéen  -«j'adore  Mélibée* 
je  crois  en  Mélibée ,  j*aime  Méiibée  i  » 


108  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dressé  au  manège  de  la  galanterie,  ajoute  pour  dernier  éloge  :  «  Il  a  lu 
Boccace  et  Céiestine.  »  A  peine  imprimé  à  Burgos,  en  1 699  ^  ce  livre 
fat  aussitôt  réimprimé  sur  tous  les  points  de  TEspagne.  On  en  publia 
plusieurs  éditions  espagnoles  et  plusieurs  traductions  en  Italie,  une  tra* 
duction  en  Allemagne  ^,  une  en  Angleterre  *  et  deux  ou  trois  en  France. 
Les  gens  d*É^ise  eux-mêmes  paraissent  ne  s*étre  que  faiblement  scan- 
dalisés des  libertés  de  cet  ouvrage ,  qui ,  à  la  vérité ,  ne  contient  pas  le 
moindre  levain  d'hérésie.  Clément  Marot ,  qui ,  comme  on  le  pense  bien , 
faisait  grand  cas  de  la  Célestine ,  a  très-finement  relevé  cette  partialité 
ecclésiastique  pour  une  production  remplie  d'obscénités  et  de  blas- 
phèmes : 

Formosum  pastor,  Célestine, 
Tout  cela  est  bonne  doctrine 
Et  n  y  a  rien  de  défendu  ^. 

Cependant,  le  savant  littérateur  espagnol  Pellîcer  prétend  que  la  Cé- 
lestine fut ,  sinon  supprimée ,  au  moins  condamnée  par  Tlnquisition  ^. 
M.  Simonde  de  Sismondi,  dans  le  petit«  nombre  de  pages  trop  peu 
exactes  qu'il  a  consacrées  à  cet  ouvrage,  avance,  je  ne  sais  sur  quelle 
autorité,  que  la  lecture  en  fut  interdite  en  Espagne  et  permise  en  Italie^. 
Quant  au  second  point,  la  libre  lecture  de  ia  Célestine  en  Italie,  il 
est  établi  péremptoirement  par  un  fait  digne  de  remarque.  En  1 5 1 5 ,. 
il  parut  à  Venise  une  traduction  italienne  de  la  Célestine ,  par  Alfonso 
Hordognez  (Ordonez),  qui  prend,  dans  la  souscription,  la  qualité  de 
famîUare  deÙa  Santità  di  nostro  signore  Jalio  papa  segundo.  Quant  à  Tin- 
terdiction  en  Elspagne ,  si  le  fait  est  exact ,  ce  dont  il  est  permis  de 
douter,  il  faut  convenir,  au  moins ,  que  le  saint  office ,  alors  tout-puis- 

'  L'ouvrage,  dans  cette  édition,  n a  encore  que  seize  actes;  mais  Targument  du' 
seûdème  est  le  même  que  celui  du  vingt  et  unième  des  éditions  subséquentes. 
Quelques  critiques  ont  avancé  qu*il  existe  des  éditions  antérieures  à  celle  de  Burgos, 
I&99,  lesquelle»,  peut-être,  ne  contiennent  que  le  premier  acte;  mais  ce  n'est  la 

£une  conjecture  que  rien  «  jusqu'ici,. n'est  venu  confirmer.  Voy.  M.  Brunet,  Manuil 
libraire,  nouvelle  édition,  1. 1.  —  '  Augsbourg,  i5ao,  in-4'.  —  '  Cette  traduc- 
tion est  de  James  Mabbe,  et  porte  le  titre  suivant  :  The  Sptmish  bawd  représentée 
in  Celesiina,  or  the  tragike  comédie  of  Calixio  and  Melihea;  London,  i63i,  in-foP. 
-«  *  Qément  Marot,  seconde  Epitre  da  coq  à  Vasne,  adressée,  en  i535,  à  son  ami 
Lyon  Jamet;  t.  II,  p.  1 65  des  Œuvres  complètes,  édit.  de  M.  Auguis.  —  '  Voy.  D. 
Gasiano  Pellicer,  Tralado  Jdstorico  sobre  el  origeny  progresiu  de  la  comedia  ydelhis- 
trionismo  em  Hespama;  Madrid,  i8o4i  p.  16.  —»  Voy.  De  la  littérature  da  midi  de 
VEarapc,  t.  III,  p.  360,  a*  édition.  M.  de  Sîsmondi  a  supprimé,  dans  sa  troisième 
édition ,  ce  renseignement ,  qu'il  aura  trouvé  hasardé.  U  a  maibeoreusement  laissé 
subsister  des  aiseriîons  plus  tautives.  U  avance*  par  exemple,  que  Ferdinand  Rojas 
/compléta  et  publia  la  Célestine  vers  l'année  i5io. 


AVRIL  1843.  199 

tant  au  delà  des  Pyrénées ,  n  a  pas  exercé  contre  ce  livre  des  poursuites 
bien  rigoureuses,  puisque,  en  moins  d'un  siècle  et  demi,  les  presses 
espagnoles  n  en  ont  pas  répandu  moins  de  trente  et  une  éditions  ^  Enfin , 
tout  ce  qui  constate  et  accompagne  un  grand  succès,  les  imitations  et 
les  suites,  ne  se  firent  pas  attendre.  Il  y  eut  la  seconde  Célestine  ou  Çé^ 
lestine  ressuseitée  ^,  puis  une  troisième  Célestine  '.  On  publia  à  Tolède,  en 
i547i  une  tragédie  de  PoUciana^  où  figurait  la  diabolica  vieja  Claudina, 
mère  de  Parménon  et  institutrice  de  Célestine.  Un  peu  plus  tard,  Juan 
de  Herrera  donna  l'Ingénieuse  Hélène ^  fille  de  Célestine,  et  Andres  Parra, 

^  Dans  le  même  espace  de  temps,  le  uombre  des  éditions  de  la  Célestine  publiées 
en  Espagne,  en  Italie,  en  France  et  dans  les  Pays-Bas,  s*é!eva  à  quarante-six.  Mo- 
ratin  (ouvrage  cité,  p.  89)  n*en  mentionne  que  vingt-huit,  auxquelles  M.  Germoncl 
de  Lavigne  (p.  vin  et  ix)  en  a  ajouté  deux.  Voici  la  liste  de  ces  quarante-six  réim- 
pressions connues  jusqu^ici  :  1 499  «  Burgos ,  io-4"*  —  1 5oo ,  Salamanque.  —  1 5o  1 , 
Séville,  par  Stanislas  rolono,  in-4*.  —  i5o2  ,  Séviile,  in-d".  —  i5oa,  Salamanque, 
in-4".  —  i5i4i  Valence,  in-4*  allongé.  —  i5i4»  Milan.  —  1 5x5,  Venise. —  162 3, 
Séville. —  iSaS,  Séville.  —  iBaS,  Venise.  —  iSîG,  Tolède,  in-4*.  —  i^ag,  Va- 
lence. —  1 53 1,  Venise,  in-g*,  gothique.  —  i534f  Venise,  in-8*,  gothique.  —  i534, 
Séville.  —  1 535 ,  Venise.  —  1 536 ,  Séville ,  in-8",  gothique.  1 —  1 538 ,  Tolède ,  in-A% 
gothique.  —  i538.  Gènes.  —  i539,  Séville.  —  i539,  Anvers,  petit  in-8*.  —  i54o 
(sans  date),  Médina  del  Campo,  petit  in-8%  gothique;  le  titre  porte  Carolus  V  im- 
perator.  —  i545,  Saragosse,  in-8'.  — *•  i545 ,  Anvers,  petit  in- 12.  —  i553,  Venise, 
Gabriel  Giolito,  corrigée  par  ^onso  de  Ulloa.  — - 1 556,  Venise,  reproduction  de  la 
précédente.  —  1 558 ,  Salamanque.  —  1 563 ,  Alcala ,  in- 1 2.  —  1 566 ,  Barcelone.  -^ 
1569,  Alcala,  in- 12.  • —  1569,  Salamanque.  —  1570,  Salamanque.  —  1571, 
Guença.  —  i573,  Tolède,  in- 12  allongé.  —  1575,  Valence.  -^-^  i^gi,  Alcala.  — 
1595,  Anvers,  petit  in-8".  —  1599,  Anvers,  in-16.  —  1601,  Anvers.  — r  1601, 
Madrid.  —  1607,  Saragosse,  in-12.  —  1619,  Madrid,  petit  in-12.  —  i632,  Ma- 
drid, in- 12.  —  i633,  Pampelune,  texte  et  traduction  française.  f~  i633  et  i63ii, 
Rouen,  texte  et  traduction  française  en  regard,  sur  deux  colonnes.  —  Des  diverses 
éditions  qui  ont  paru  depuis  nous  ne  citerons  que  la  dernière  et  la  plus  estimable  ; 
elle  a  été  donnée  à  Madrid ,  en  1822 ,  par  D.  Léon  Amarita,  1  vol.  in-12  ;  elle  est 
accompagnée  d'une  bonne  préface,  de  notes  et  de  variantes.  -^  *  Cette  pièce  est  in- 
titulée :  SeguHtla  eomediu  de  lafamosa  Celettina,  en  la  qtudse  traia  de  la  Fesarreccion 

de  la  dichu  Celestina corregida  y  emendada  por  Domingo  de  Gaxtdu ,  Venecia , 

1 536 ,  in-8*.  L'auteur  de  cette  seconde  Célestine  n'est  point  Domingo  Gaztelu ,  mais 
Feliciano  de  Siiva;  ce  que  nous  apprennent  quelques  copias  de  Pedro  Mercado, 
correcteur  de  l'ouvrage.  Cette  continuation  se  trouve  souvent  à  la  suite  de  l'édition 
de  la  Célestine  de  Venise,  i534-  U  y  en  a  eu  une  autre  édition  imprimée  à  Anvers, 
sans  date  et  sans  nom  d'auteur,  mais  toujours  précédée  des  copias  de  Pedro  Mer- 
cado. M.  de  Lavigne  s'est  trompé  en  £usanl  de  ces  deux  éditions  deux  ouvrages  dis- 
tincts, la  secomde  Célestine  et  la  Résurrection  de  Célestine,  qu'il  attribue  l'une  et 
Gaztdu,  l'autre  à  Feliciano  de  Silva.  Voy.  Essai  historique,  p.  ix.  -p~  '  Tra- 


gicomedia  de  Lyuutdn  y  Rosdia  llamada  Elida  y  por  otro  nombre  quarta  obra ,  y  ter^ 
eera  Ceiestina;  Madrid ,  i542 ,  in-4*-  Don  Antoaio  Mayans  die  encore  une  troisièm* 
partie  de  la  Célestine  par  Gaspar  GomeL 


200  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

l'École  de  la  Célestine.  Parmi  les  imitations,  lEafrosina^y  la  Selvagia  ^,  la 
Fbrinea^j  la  Doleria^,  la  Lena^,  sont  les  plus  connues.  Les  traductions 
aussi  abondèrent.  Pour  ne  parler  que  de  la  France,  dès  1627,  il  parut ,^ 
à  Paris,  une  Célestine  translatée  de  i  italien  en  français,  chez  Galliot  Du- 
pré,  in-8"  gothique,  avec  privilège,  ce  qui  est  à  noter.  En  1 5^9 ,  Claude 
Nourry  publia  à  Lyon  une  autre  traduction  ^,  qui  fut  reproduite  à  Paris  ^ 
chez  Oudin  Petit,  en  iS/ia''.  Jacques  de  Lavardin,  gentilhomme  tou- 
rangeau et  seigneur  du  Plessis  Bourrot,  «  translata,  en  1678,  pour  la 
décharge  de  sa  conscience ,  la  Célestine  en  domestic  et  familier  fran- 
çois,  afin  de  présenter  ses  chastes  et  honestes  admonitions  à  la  gaillarde 
et  folastre  jeunesse  du  royaume  qui  fait  merveilles  de  se  jeter  sur  l'a- 
mour et  le  professe  à  l'ouvert  ^.»  En  i633,  Labayen ,  à  Pampelune,^ 
et,  en  i633  et  i634 ,  Charles  Osmond®,  libraire  à  Rouen,  publièrent 
chacun  une  Célestine  en  français  avec  le  texte  espagnol  en  regard. 

Chose  surprenante  !  les  femmes  mêmes  contribuèrent,  par  leurs  suf- 
frages, au  succès  d*un  livre  où  leur  sexe  est  représenté  sous  les  couleurs 
les  moins  flatteuses ,  et  où  leurs  plus  belles  qualités  ne  reçoivent  que 
les  plus  grossiers  hommages.  Malgré  les  avertissements  de  Corneille 

'  V Eufrosina ,  qui ,  d'ailleurs,  ne  rappelle  la  Célestiue  que  par  la  forme,  fut  coin 
posée  originairement  en  portugais,  par  un  écrivain  qui  s'est  caché  sous  le  pseudo- 
nyme de  Juan  Ëspera  en  Dios.  11  ne  faut  pas  confondre  ceUe  pièce  avec  une  autre 
deLope  de  Kueda  qui  porle  le  même  titre.  —  *  Par  Alonso  de  Villegas  Selvago» 
Tolède,  i554,  in-4".  On  a  quelquefois  confondu  avec  cette  comédie  un  drame  in- 
titulé Comedia  Selvage,  en  cualro  jornadas,  por  Joaquin  Romero  de  Zapeda  ;  Sé- 
ville,  1682.  Les  deux  premières  journées  de  cette  dernière  pièce  sont  une  imitation 
en  vers  des  quatre  premiers  actes  de  la  Célestine.  —  ^  Par  Juan  Rodriguez  Flo- 
rian;  Médina  del  Campo,  i55/l»  in-4".  — *  Ou  El  sueno  del  mundo,  por  Pedro  Hur- 
tado  de  la  Vega.  —  *  Par  don  Alonso  Velasque  de  Velasco  Pinciano;  Milan,  1602  , 
in-16.  —  "  M.  de  Lavigne  dit  à  tort  que  Claude  Nourry  traduisit  la  Célestine; 
Claude  Nourry  n'est  que  l'imprimeur.  —  '  Un  vol.  petit  in -8*.  11  est  possible  que  ce 
soit  une  traduction  nouvelle  ;  je  n'ai  pas  eu  les  moyens  de  véiiiicalion.  —  *  Voici 
le  titre  :  La  Célestine  fidèlement  répurgée. . .  par  Jacques  de  Lavardin ,  sieur  du  Piessis 
Bourrot,  tragicomédie  jadis  espagnole,  composée  en  répréhension  des  fols  amou 
reux  et  aussi  pour  découvrir  les  tromperies  des  macquerelles  et  l'infidélité  des  mé- 
chants serviteurs;  Paris,  Gilles  Robinot,  1578.  Il  y  a  une  édition  de  Paris,  Nie. 
Bonfons,  sans  date,  in-16,  augmentée  de  la  Courlizane  de  Joachim  du  Bellay,  et 
enfin  une  troisième  de  Rouen,  1698,  chez  Claude  Le  Vilain,  ayant  pour  titre  :  «  La 
Célestine,  tragicomédie  traduit  (sic)  d'espagnol  en  françois  :  où  se  voyent  les  ruses 
et  tromperies  dont  les  macquerelles  usent  envers  les  fols  amoureux.  »  On  voit,  par 
ce  titre  même,  que  la  traduction  du  sieur  de  Lavardin  n'est  pas  trop  sévèrement 
répttrgée.  La  dédicace  est  ainsi  conçue  :  «A  très-nobles  et  vertueux  gentils-hommes , 
Jean  de  Lavardin ,  R.  abbé  de  l'Elstoille ,  et  Anthoine  de  Lavardin ,  seigneur  de  Ren- 
nay,  et  Boessoy,  ses  frère  et  nepveu,  salut  et  prospérité.  »  -^  *  Le  litre  espagnol 
porte  la  date  de  i633,  et  le  titre  français  celle  ae  loSii. 


AVRIL  1843.  201 

Agrippa^  et  ceux  de  l'illustre  Louis  Vives,  qui,  dans  le  livre  intitulé 
De  institutione  christianœ  fœminœ ,  au  chapitre  Qui  non  Ugendi  scriptores, 
qui  Ugendi,  classe  la  Célestine  parmi  les  ouvrages  les  plus  dangereux 
pour  les  femmes^,  celles-ci  paraissent  avoir  été  peu  effrayées  des  péiîls 
que  leur  signalaient  ces  moralistes  chagrins.  Ce  fut  à  la  requête  d  une 
belle  et  illustre  dame ,  nommée  Feltria  di  Campo  Fregoso ,  que  le  fa- 
milier du  pape  Jules  H,  dont  nous^ avons  déjà  parlé,  Alfonso  Ordoiîez, 
traduisit  en  italien  la  Célestine.  Il  y  a  plus  :  Tauteur  d'une  imitation  du 
premier  acte  de  cette  pièce  en  vers  castillans,  D.  Pedro  Manuel  de 
Urrea,  trouva  convenable  de  dédier  cette  œuvre  à  sa  mère,  la  comtesse 
de  Aranda^.  De  tels  faits  sont-ils  un  argument  en  faveur  de  la  moralité 
de  la  Célestine,  ou  n  offrent-ils  qu  un  nouvel  indice  de  l'excessive  liberté 
que  nos  aïeules  du  xvi*  siècle  apportaient  dans  le  choix  de  leurs  lec> 
tures?  Je  pencherais,  je  l'avoue,  pour  cette  dernière  explication. 

Quoi  qu'il  en  soit,  tandis  que  les  traducteurs  français  et  italiens  ne 
disaient  aucune  difficulté  d'avouer  hautement  leur  participation  à  cet 
ouvrage,  fauteur  ou  les  auteurs  de  l'original,  les  artisans  de  ce  mi- 
rouer  de  vertueuse  doctrine,  comme  dit  Lavardin,  estimèrent  plus  prudent 
de  cacher  leur  nom,  et,  malgré  le  prodigieux  succès  que  ce  livre  ob- 
tint, ils  persistèrent,  «de  crainte  des  détracteurs  et  des  médisants,» 
à  garder  le  voile  de  l'anonyme.  Cependant ,  à  la  fin  de  l'édition  de 
1 5o2  ,  Alonzo  de  Proaza,  le  correcteur  du  livre,  révéla,  dans  quelques 
copias,  que  onze  octaves,  placées  en  tête  de  la  Célestine,  formaient  un 
acrostiche  et  offraient,  par  la  réunion  des  premières  lettres  de  chaque 
vers  ,  le  nom  du  bachelier  Fernando  de  Rojas  de  Montai  van,  auteur  des 
vingt  derniers  actes ,  si  toutefois  cette  révélation  énigmatique  n*est  pas 
elle-même,  comme  j'en  ai  peur,  une  mystification  et  un  piège  tendu  aux 
fureteurs  de  secrets  bibliogi^phiques.  On  ne  sait,  d'ailleurs,  absolument 
rien  de  Fernando  de  Rojas,  si  ce  n'est  le  peu  qu'il  nous  apprend  de  sa 
personne  dans  une  préface  en  forme  d'épitre  adressée  à  un  sien  ami  et 
où  se  trouvent  quelques  mots  sur  la  gravité  de  sa  profession  et  sa  qua*- 
lité  de  légiste.  Aucun  biographe,  pas  même  le  savant  Nicolas  Antonio 

^  Voy.  le  paradoxe  de  Corneille  Agrippa  De  vanitate  scienliarum ,  déclamation 
dans  le  genre  du  discours  de  Jean-Jacques  Rousseau  contre  les  lettres  «  chap.  lxiv. 
—  '  Louis  Vives,  avant  Corneille  Agrippa,  avait  mis  la  Célestine  au  rang  des  pes- 
tiferi  libri ,  tels  que  Tristan ,  Lancelol  du  Lac ,  Euryale  et  Lucrèce  d'/£neas  Sylvius 
Picolomtni  (le  pape  Pie  II),  le  Décaméron  de  Boccace,  etc.  "^^  Egloga  de  la  trm^- 
ccmedia  de  Calixto  y  Melibea ,  de  prosa  Irovada  en  métro.  Cette  ^ièce  est  insérée  dans 
ie  leoueil  de' poésies  ou  cancioMro de  fauteur,  imprimé,  en  iSkiS^  i^  Logrono,  in^ibl^. 
£n.i5Ào,  il  parut  k  Salamanqœ  «ne  autre  imitation  de  la  Céle»tine  en  vers  eafM- 
gnok,  par  Juan  de  Sedeno. 

a6 


202  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dans  sa  volumineuse  Bibliothèque  espagnole ,  ne  nous  a  donné  le 
moindre  renseignement  sur  la  vie  et  les  ouvrages  d*un  écrivain  qui,  sui- 
vant toutes  les  probabilités,  n'a  pas  dû  se  borner  à  composer  cet  unique 
chef-d'œuvre.  Mais,  si  Texistence  du  continuateur,  Fernando  de  Rojas, 
me  semble  un  peu  problématique,  les  ténèbres  qui  enveloppent  Tauteur 
de  la  première  partie  sont  bien  autrement  épaisses.  Rojas,  ou  réeri- 
vain  qui  s  est  caché  sous  ce  nom ,  déclare ,  dans  Tépitredont  nous  avons 
parlé ,.ne  rien  savoir  de  certain  sur  Tauteur  primitif:  «Les  uns,  dit-il, 
désignent  Juan  de  Mena  ;  suivant  les  autres ,  ce  serait  Rodrigo  de  Cota.  » 
De  ces  deux  poètes  (car  lun  et  l'autre  ne  nous  sont  connus  que  par  des 
productions  en  vers),  le  premier  florissait  sous  don  Juan  II  de  Castille, 
dans  la  première  moitié  du  xv'  siècle  ^ ,  le  second  un  peu  plus  tard , 
sous 'don  Juan  II  et  sous  don  Heniîque  IV.  Dun  autre  côté,  il  est 
prouvé  que  les  vingt  derniers  actes  de  ia  Célesline  ont  été  écrits  sous 
Ferdinand  et  Isabelle,  après  1 492 ,  époque  de  la  prise  de  Grenade,  car 
ie  siège  de  cette  ville  est  mentionné  au  troisième  acte,  et  il  est  fait  allu- 
sion, dans  le  quatrième  et  le  septième  actes,  au  lugubre  cérémonial  des 
auta-da-fé,  lequel  ne  s'établit  en  Espagne,  avec  toute  son  odieuse  ma- 
gnificence, qu'à  la  fm  du  xv*  siècle.  Aussi  les  meilleurs  critiques  espa- 
gnols ,  Nicolas  Antonio ,  don  Antonio  de  Guevara  ,  évêque  de  Monde- 
nedo,  don  Tomas  Tamago  de  Vargas,  et  plus  récemment  don  Gasiano 
Pellicer,  pensent-ils  que  la  langue  du  temps  de  don  Juan  II  est  trop 
dissemblable  de  celle  de  la  fm  du  xv*  siècle ,  pour  qu'il  soit  possible  d'at- 
tribuer à  l'Ennius  de  Coixioue,  Juan  de  Mena,  le  premier  acte  de  la 
Gélestine,  lequel  ne  diffère  que  fort  peu.  pour  le  style,  si  même  il  dif- 
fère ,  des  actes  suivants.  Les  auteurs  que  nous  venons  de  nommer  ont 
donc  attribué  ce  premier  acte  à  Rodrigo  de  Cota ,  né  à  l'olède ,  auteur 
de  quelques  essais  plus  véritablement  dramatiques  que  la  Gélestine ,  à 
savoir,  le  Dialogue  entre  l'Amour  et  an  vieillard^,  et  surtout  une  espèce 
d*églogue  intitulée  Mingo  Revalgo  et  GU  Arribato,  peinture  satirique  et 
piquante  des  mœurs  de  don  Henrique  IV  et  de  sa  cour.  Cependant  cette 
opinion,  ia  plus  généralement  admise,  a  trouvé  des  incrédules.  Plu- 
sieurs écrivains,  entre  autres,  Lorenzo  Palmireno,  auteur  du  livre  in- 
titulé Hypoihiposes  claroram  viroram^,  ont  soupçonné  que  Fernando  de 

'  Juan  de  Mena,  né  en  i^ia ,  mourut  en  liiSâ.  U  est  surlouk  connu  des  iilté- 
rftèeun  par  son  poème  intitulé  :  El  labirinio  ou  Las  trecientas  copias,  imitation  de  la 
Divine  comédie  de  Dante.  —  'Ce  dialogue  a  été  réimprimé  par  flioralin  dans  ses 
Origines  da  théâtre  espagnol ,  1. 1 ,  2*  partie ,  p.  3o3  et  suiv.  et  à  la  fia  de  la  dernière 
édi^n  espagnole  de  la  Gélestine;  Madrid,  D.  Léon  Amarita,  tSaa ,  ini2.  —  ^  Voy. 
Nie.  Antonio ,  Bihlioth.  Hisp.  art.  Rodrigo  de  Cota. 


AVRIL  1843.  203 

Bojas  pourrait  bien  être  Tauteur  de  Touvrage  entier.  M.  Germond  de 
Lavigne,  dans  son  essai  historique  sur  la  Gélestine,  a  exposé  et  déve 
loppé  cette  thèse  avec  beaucoup  d'habileté,  et  Ta  entourée  de  toutes  les 
probabilités  qu'elle  comporte;  car,  comme  il  le  reconnaît  très-judicieu- 
sement, cette  question  est  de  celles  dont,  faute  de  données  suffisantes , 
la  démonstration  n'est  pas  possible. 

Eln  se  chargeant  de  traduire  la  Gélestine,  M.  Germond  de  Lavigne 
ne  s  est  dissimulé  aucune  des  difficultés  de  sa  tâche.  Get  ouvrage  n'a  au- 
jourd'hui de  valeur  réelle  que  par  la  perfection  du  style.  Entreprendre 
d'introduire  dans  notre  langue  un  monument  littéraire  aussi  achevé , 
c'est  accepter  une  lutte  où  l'intelligence  et  le  travail  ne  suffisent  pas 
toujours,  et  où  il  faut  encore  le  talent.  M.  de  Lavigne  n'a  rien  négligé 
pour  reproduire  la  naïveté  du  langage,  la  vivacité  des  sentences,  le  sens 
souvent  si  difficile  à  saisir  des  proverbes ,  dont  il  a  bien  senti  qu'il  fallait 
encore  conserver  le  rhythme  et  le  laconisme.  Dans  les  efforts  qu'il  a  tentés 
pour  remplir  toutes  ces  conditions ,  il  a  presque  toujours  été  heureux. 
Nous  n'avonns  à  lui  reprocher  qu'un  très-petit  nombre  d'incorrections 
qui  lui  sont  échappées  çà  et  là.  Quoique  ces  négligences  soient,  par  le 
temps  qui  court ,  des  vétiHes  imperceptibles  pour  la  plupart  des  lecteurs , 
nousne  pensons  pas  moins  qu'elles  ne  devaient  point  trouver  place  dans 
la  traduction  d'un  monument  recommandable  surtout  par  la  propriété 
et  la  pureté  du  langage.  11  aurait  été  désirable  que  M.  Germond  de  La- 
vigne eût  évité  d'admettre  les  locutions  suivantes  :  De  suite  (p.  io6, 
169,  îSa  et  a53),  la  côte  d*an  Jleave  (p.  34  et  44),  en  outre  d'avoir 
(p.  54),  en  outre  de  plusieurs  autres  choses  (p.  1  et  ^33),  se  disputer 
dans  le  sens  de  se  quereller  (p.  xx,  199,  200  et  a35),  de  manière  à  ce  que 
(p.  a 76),  prendre  de  la  proie  (p.  46 ,  note) ,  toutes  manières  de  parler 
vicieuses ,  mais  qui ,  heureusement ,  nous  le  répétons ,  ne  déparent  que 
de  loin  en  loin  la  diction  habituelfement  correcte  et  même  élégante  du 
traducteur.  Nous  lui  reprocherons  encore  l'emploi  de  quelques  mots 
récents  qui  jurent  avec  un  plus  grand  nombre  d'autres  qu'il  a  emprun- 
tés à  nos  écrivains  du  xvi*  siècle.  Nous  n'aimons  pas,  par  exemple,  le 
mot  horticulteur  au  lieu  de  jardinier. 

Une  des  grandes  difficultés  qu'of&ait  la  traduction  de  la  tragi-comé- 
die de  GaUxte  et  Mélibée,  c'est  la  liberté  vraiment  latine  que  se  permet 
l'antenr  original.  M.  Germond  de  Lavigne  en  a  pris  très -cavalièrement 
9tiù  parti.  «Je  n'ai  pas  cm,  dit-îl,  devoir  à  la  pudeur  auriculaire  de 
notre  siècle  de  voiler  une  seule  des  expressions  franches  et  nettes  qui  se 
renoontrent^ans  le  texte.  S'il  est  certains  BdQts  exclus  de  notre  langage 
depuis  Molière,  on  ne  les  a  pas  effacés  de  ses  écrits,  on  les  prononce 

36. 


204  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

avec  lui,  et  ce  serait  œuvre  sacrilège  que  de  se  torturer  i esprit  pour 
trouver  de  plats  équivalents.  J*ai  donc  religieasement  conservé  dans  la 
Célestinc  toutes  les  expressions  qui  aujourd'hui  sont  reléguées  dans  le 
vocabulaire  du  peuple  ;  elles  appartiennent  au  caractère  de  Touvrage , 
et  je  n  ai  pas  voulu  détruire  une  des  plus  piquantes  originalités  de  mon 
modèle.  Je  me  serais  trouvé  grandement  coupable,  si,  (>6dantanx  motifs 
scrupuleux  qui  guidèrent  le  sire  de  Lavardin,  j'avais  osé  répurger  les 
endroits  scandaleux  qui  peuvent  offenser  les  religieuses  oreilles....!  en- 
core moins  y  mettre  du  mien Le  traducteur  n'est  ni  coiTecteur  ni 

interprète;  il  est  copiste  et  reproducteur;  il  doit  respecter  même  les 
fautes,  et  s'estimer  heureux  quand  il  parvient  à  conserver  les  beautés.  » 

J'admets  pleinement  cette  théorie  de  M.  Germond  de  Lavigne;  mais 
je  regrette  de  ne  pouvoir  approuver  également  la  manière  dont  il  l'ap- 
plique dans  certains  cas. Il  y  a  tel  mot,  qui,  dans  notre  langue,  est  d'une 
grossière  et  choquante  obscénité ,  dont  l'analogue  castillan  résonne  à 
toute  heure  d'un  bouta  l'autre  des  Espagnes,  et  qu'on  entend  les  femmes 
et  même  les  jeunes  fdles  prononcer  sans  hésitation  ni  rougeur.  Tra- 
duire un  tel  mot  par  une  simple  transcription ,  c'est-à-dire  par  une  ex- 
pression que  personne  ne  prononce  en  France ,  c'est  commettre  une 
infidélité  contraire  à  celle  du  bon  sire  de  Lavardin;  mais  ce  n'en  est 
pas  moins  commettre  une  infidélité  véritable  ^. 

D'ailleurs,  M.  Germond  de  Lavigne  a  signalé  de  bien  singulières  va- 
riantes introduites  dans  sa  traduction  par  cet  excellent  seigneur  tou- 
rangeau. Seulement,  M.  de  Lavigne  a  tort,  suivant  moi,  de  qualifier 
de  traduction  pudique  l'œuvre  du  sieur  de  Lavardin.  Les  passages  les  plus 
scabreux,  soit  dans  les  situations,  soit  dans  les  paroles,  ne  sont  pas 
ceux  que  voile  ce  bon  seigneur;  je  puis  certifier  que,  dans  presque 
tous  ces  passages,  il  est  très-suffisamment  fidèle.  U  n'a  guère  cherché, 
comme  il  le  dit  ingénuement,  qu'à  répurger  les  endroits  qui  pourment 
choquer  les  oreilles  religieuses  et  dévotes.  Ainsi ,  toutes  les  fois  qu'un 
moine  se  trouve  compromis  avec  quelques-unes  des  jeunes  prot^ées 
delà  vieille  Gélestine,  le  sire  de  Lavardin  ne  manque  jamais   d'écrire 

^  M.  de  Lavigne  admet,  par  exemple  (p.  33,  note  a  ) ,  que  l'expression  putd  vieja 
et  quelques  autres  qui  en  aérivent  étaient  alors  si  fréquemment  employées  en  Es- 
pagne, que  i'habilude  en  avait  fait  de  simples  exclamations*  Il  devait  donc,  pour 
être  conséquent,  les  traduire  par  des  équivalents  et  non  nar  les  mots  mêmes,  que 
pi0rsonne  ne  prononce  plus  en  France.  D  a  montré  assez  a  habileté  en  ce  genre  de 
substituti<m ,  notamment  à  la  fin  de  l'acte  septième,  p.  i4o  de  sa  traduction,  si 
toutefois  il'  n'a  pas,  en  cet  endroit,  prêté  à  l'auteur  une  équivoque  à  laquelle  celui-ci 
n*avait  pas  songé.  .1 


AVRIL  1843.  W5 

dans  sa  version,  au  lieu  d*un  moine,  un  officier  ^  ^,  quand  il  s  agit 
d*un  chanoine  ,^  il  substitue  invariablement  à  la  place  un  gros  comman*- 
deur^.  Quelquefois ,  quand  le  passage  est  par  trop  blasphématoire ,  il  le 
supprime  entièreihent.  Savez-vous  ce  que  prouvent  ces  précautions,  qui 
nous  semblent  aujourd'hui  ridicules  et  puériles?  Cest  qu'eq  France, 
pendant  nos  guerres  de  religion,  en  1678,  le  clei^é  et  ses  adhérents 
<lu  parti  catholique  n  entendaient  pas  raÛlerie  sur  des  accusations  dàêi 
on  avait  fait  contre  lui  une  arme  de  guerre;  tandis  quen  Ëspagiké^ 
surtout  vers  Tan  i5oo  ,  les  membres  du  clergé  se  montraient  par&iitç- 
ment  indifférents  k  des  plaisanteries  qui  n  avaient  rien  d*hostile,  et  dont 
ils  n'étaient  probablement  pas  les  derniers  à  se  divertir. 

En  somme,  la  nouvelle  traduction  de  la  Gélestine  et  fessai  historique 
qui  la  précède  attestent,  dans  M.  Germond  de  Lavigne,  de  sérieuses 
études  et  une  connaissance  approfondie  des  mœurs,  de  la  langue  et  de 
la  littérature  espagnoles. 

MAGNIN. 


Géographie  dÈdrisi,  traduite  de  V arabe  en  français ,  d'après  deux 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  et  accompagnée  de  notes, 
par  M.  P.  Amédée  Jaubert,  etc.  Paris,  Imprimerie  royale, 
,   in-4®,  tome  I,  i836;toraelI,  i84o. 

PRBHIER    ARTICLE. 

Le  géographe  arabe  dont  fouvrage  fait  Tobjet  de  cette  notice. fujt 
longtemps  coonu  sous  le  nom  impropre  de  géographe  lie  NjMe^  Qa  sait 
que  cette  dénomination  avait  été  imaginée,  et  propagée  par  Je§  dgiil^ 
Maronites  Sionita  et  Hesronita  ^  auxquels  le  public ,  est,  Befievable  i^Nu|e 
version  latine  de  fabrégé  de  ce  traité  géographique.  L*^i|^ur  décrj^^^ 
le  cours  du  Nil  et  son  entrée  dans  la  Nubie ,  le  texte  arabe  impirui^é 

offre  ces  mots  Ui^l  j  '^.:  secaA  terram  nostram.  Les  traducteurs  cràreql 
pouvoir  conclure,  de  ce  passage,  que  la  Nubie  avait  été  la  patrie  de  llé^ 
mvain  arabe  :  la  eritique  a  fait  jfusticé  de  cette  îbypothèse  haisardéb;  J| 
est  bien  reconnu  aujowd'hui  q«e ,  dans^ie  textes  aûiiiwi  des  molf.vU^ 
êemm  noHramy  il  &ut  lire  VtM^jl    illias  terram;  Et,  <diailleurB;c^painA 


'  Voy.  p.  i5  verso,  édit  de  tS^t.  •«-?'  Vc^-f .  ni  vcirso,  i<|iim édilywk 


.\ 


806  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

la. première  ieçoa  serait  la  véritable,  elle  ne  prouverait  rien  du  tout  en 
faveur  de  Topinion  émise  par  les  deux  Maronites  ;  car  l'expression  terra 
iiosfra  aurait  pu,  sans  inconvénient,  être  employée  par  notre  géographe 
pour  désigner ,  non  pas  la  contrée  où  il  avait  pris  naissance ,  mais . 
ea  général,  les  pays  soumis  à  Tislamisme.  Nous  savons  aujourd'hui, 
d*une  manière  inoubitaUe,  que  Tauteur  se  nommait  le  schérif£drisi, 
Abou  -  Abd-allah- Mohammed-  ben-  Mohammed -^ben-Abd  -  allah-ben- 
Edris-Hamoudi  ^Ml  4X..s^  ^-^  «X-^  (^  ^^  M\  Jwi^^l  (^i^j^^\  vJm^I 
iS^y^  cr^^i  {^-  Ainsi  que  des  titres  l'indiquent,  notre  géographe  était 
schérif,  cest-à-dire  qu'il  descendait  d'Ali,  gendre  de  Mahomet;  il  appar- 
tenait à  la  famille  de  cet  Edris  qui,  dans  le  second  siècle  de  Th^^e, 
ayant  quitté  l'Orient  pour  se  dérober  à  la  vengeance  des  khalifes  Ab- 
bassides,  vint  se  réfugier  à  l'extrémité  de  l'Afrique  septentrionale,  où 
ii  créa  une  monarchie  puissante ,  et  dont  le  fils ,  qm*. portait  également 
le  nom  d'Edris ,  fut  le  fondateur  de  la  ville  de  Fez.  Les  Edrisites  ayant 
été  précipités  du  trône  par  les  armes  victorieuses  d'une  dynastie  rivale, 
ceux  des  membres  de  la  famille  d'Edris  qui  échappèrent  au  carnage  se  ré- 
fugièrent en  Espagne ,  où  ils  occupèrent  des  emplois  impoitants.  Parmi 
les  branches  de  cette  noble  famille  on  distinguait  celle  de  Hamoud , 
qui  s'était  établie  dans  plusieurs  villes  d'Espagne ,  et ,  entre  autres,  dans 
celle  de  Malaga,  où  dés  membres  de  cette  famille  occupèrent  succès 
siyement  le  rang  honorable  d'émirs.  Bientôt  une  révolution  leur  enleva 
cette  position  importante  et  les  força  à  se  réfugier  dans  des  cantons 
plus  ou  moins  éloignés  de  lem*  terre  natale.  Nous  apprenons  de  Mak- 
kari  ^  qu'une  branche  des  schérifs  de  la  famille  d'Edris  était  établie 
dans  la  ville  d'Alexandrie  ;  et  nous  voyons  paraître ,  sous  le  règne  de 
Saladin,  un  schérif  Edrisi ,  que  l'on  a  voulu  mal  à  pcopos  confondre 
È!te6  Mttfi  géographe.  ) 

'"'Suivant  ie  témoignage  de  Casiri,  notre  géographe  vint  au  Inonde 
daufepla'Ville  de  Sebtah  (Geuta),  l'an  li^i  dél'hégire  (deJ.Gi  1099), 
ët'^fikt  élèyé'-b'€ordouê.  Il  est  fftcbeux  que  le  docte  Maronite  ne  nous 
ait-  i^s' fait  ébhiiaître  les  auteurs  arabes  auxquels  il  a  emprunté  ce  do- 
cttthie^t.  Toutefois ,  comme  on  ne  peut  soupçonner  qu'un  homme  tel 
^eCaskii  ait  avancé  à  la  légère  un  fait  dont  il  n'aurait  pas  eu  par  de- 
vjei^  lui  hi preuve  matérielle^  oh  doit  ciroire  que  l'indication  donnée 
liairliii  o^  par£Buièmentexiacte,«t appuyée  sur  i'assertion  d'auteurs èien 
ilg^riitUitOn'  pouvait  x)bîiecter<pieno^^  pariant  de  la  ville 

Aê'Sebtah.,!  énrxLonufi  une  dàscription  bien  abr^ée,  bien  sèche,  sang 


'  HisimPê-itEiimfm,  th,  nan.  'fptbe  70&,  bi^'^b  t*. 


1-/ 


AVRIL  1843.     .  201 

que  rien  n  indique  cette  prédilection  que  tout  homme  conserve  si  ha<- 
turellement  pour  le  lieu  où  il  a  vu  le  jour;  maison  peut  répondre  que, 
probablement  «  notre  auteur  avait  quitté  sa  patrie  dans  un  âge  encore 
tendre ,  et  n'avait  pu  conserver  de  cette  ville  qu  un  souvenir  vague  et  in- 
complet. Quant  à  la  ville  de  Gordoue,  si  Ton  considère  le  soin  que  notre 
géographe  a  pris  d'en  donner  une  description  complète,  de  relever,  en 
termes  pompeux,  les  avantages  de  sa  situation,  la  magnificence  de  ses 
monumetits,  labondance  et  la  richesse  de  sa  population,  on  restera 
convaincu  que  Tauteur  avait  vu  cetta  capitale  dons  les  plus  grands  dé* 
tails,  qu'il  y  avait  longtemps  séjourné,  et  qu'il  y  avait,  en  effet,  passé 
les  plus  belles  années  de  sa  jeunesse.  11  paraît  certain  qu'il  avait  visité 
plusieurs  parties  de  l'Espagne  et  de  l'Afrique.  Parlant  du  flux  et  du  re- 
flux de  la  mer,  il  atteste  ^  qu'il  avait  été  témoin  de  ce  phénomène  sur 
les  bords  de  l'Océan  qui  baigne  les  côtes  occidentales  de  l'Andalousie. 
Il  nous  apprend^qu'il  avait  vu  le  détroit  de  Gibraltar;  qu'ilavait  visité  les 
fameuses  mines  de  mercure  situées  dans  l'Andalousie  '.  Il  rapporte  ^ 
que,  dans  la  ville  africaine  d'Agamat ,  l'eau  gèle  souvent,  que  la  ^ace  ac- 
quiert une  assez  grande  épaisseur^  et  que  les  enfants  glissent  dessus  sans 
qu'elle  se  rompe  :  il  assure  avoir  vu  lui-même  le  fait.  Parlant  du  pont 
bâti  sur  la  rivière  qui  coule  à  Constantine  ^,  il  ajoute  :  u  G'est  l'une  des 
constructions  les  plus  curieuses  que  nous  ayons  jamais  vues.  »  Parlant 
de  l'animal  qui  produit  le  parfum  de  la  civette  ^,  il  ajoute  :  «  On  trouve 
des  civettes  en  quantité  dans  l'Afrique  occidentale,  et  particulièrement 
aux  environs  du  pays  des  MouUUthemis  :  c'est  un  animal  très-oonnu; 
nous  l'avons  vu  de  nos  propres  yeux.»  La  manière  dont  l'auteur  s'ex- 
prime indique,  si  je  ne  me  trompe,  que  c'était  sur  les  lieux  mêmes 
qu'il  avait  été  à  portée  d'observer  l'animal  dont  il  nous  offiré  la  descrip 
tion.  Des  circonstances,  sur  lesquelles  nous  ne  connaissons  aucun  ék- 
tail ,  le  conduisirent  momentanément  dans  l'Asie  Mineure  ;  car  il  noue 
apfrend  que,  l'an  5io  de  l'hégire  (de  J.  G.  1 1 16},  il  se  troavflk 
auprès  des  ruiaes  de  l'antique  hphèse,  et  qu'il  visita  la  grotte  célèbre 
des  Sept'Dormants  ^.  Mais  rien  ne  donne  à  penser  que,  soit  dans  cettM! 
occasion,  soit  plus  tard,  il  ait  poussé  au  delà  de  cette  limite  ses  excur- 
sions vers  l'Orient,  ni  qu*il  ait  visité  l'Egypte,  la  Syrie  et  les  autres 
contrées  soumises  à  la  domination  musulmane  ou  à  celle  des  cfatfé^ 
tiens.  Ainsi,  par  exemple,  décrivant^  la  grande  mosquée  qui  a  ptia 
la  pdace  du  temple  de  Jérusalem^  et  qui  est  connue  sous  le  nom  4e 

*  Géographie,  1 1,  p.  96.  —  •  P.  aiû.  —  *  P.  a43.  —  •  T.  Il,  p.  3*  —  •  P.  66 
—  •  P.  190.  — 'T.  n,  p.  Soo.  —  •!.  I,  p.  345. 


208  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Mesdjid-alaksà  (y^Ai^l  «^h^*^*  ii  s'exprime  en  ces  termes  :  «  H  n  en  existe 
pas  au  monde  qui  Végale  en  grandeur,  si  Ton  en  excepte  toutefois  la 
grande  mosquée  de  Gordoue  en  Andalousie;  car,  d'après  ce  que  Ton 
rapporte,  ie  toit  de  cette  mosquée  est  plus  grand  que  celui  de  la  Mes- 
^id-alaksâ.  »  Or  Tauteur,  qui  bien  certainement  avait  vu  à  loisir  la 
grande  mosquée  de  Cordoue ,  ne  se  serait  pas  exprimé  de  cette  manière 
dubitative,  et  n'aurait  pas  invoqué  des  témoignages  étrangers,  s  il  eût 
été  à  même  de  voir  par  lui-même  la  mosquée  de  Jérusalem,  et  de  la 
comparer  avec  le  monument  doat  sa  mémoire  avait  dû  conserver  une 
image  fidèle. 

Nous  ignorons  quelles  circonstances  amenèrent  notre  géographe  en 
Sicile,  et  à  quelle  époque  précise  il  vint  fixer  sa  résidence  dans  cette 
île.  Mais  on  peut,  sur  cet  objet,  former  des  conjectui'es  assez  vraisem- 
blables. Dans  le  vi*  siècle  de  f  hégire ,  TAfrique  septentrionale  se  trou- 
vait^ tout  entière  sous  la  domination  des  princes  qui  avaient  renversé 
du  ti*ône  la  famille  de  notre  auteur.  Il  est  donc  probable  que  cette 
contrée  loi  ofirait  peu  de  sécurité.  Et,  d'ailleurs,  son  habitation  pré- 
caire dans  un  pa^ys  où  ses  ancêtres  avaient  régné  avec  quelque  gloire 
ne  pouvait  manquer  de  présenter  à  son  esprit  un  contraste  pénible, 
un  spectacle  fatigant.  D'un  autre  côté  l'Espagne ,  où  le  nom  des  Arabes 
avait  jeté  un  si  vif  éclat  ^  était  envaliie  par  les  armes  des  chrétiens, 
qui,  chaqtie  jour,  par  des  conquêtes  rapides,  enlevaient  aux  musulmans 
quelques-unes  des  villes  où  ils  avaient  établi  leur  domination.  Et  Ton 
pouvait  presque  prévoir  Tépoque  où  ces  redoutables  vainqueurs  achè- 
veraient d'écraser,  dans  cette  contrée,  les  restes  de  la  puissance  de  l'isla- 
misme, et  arboreraient  partout  la  croix  à  la  place  du  croissant.  Au  milieu 
de  ces  circonstances  pénibles ,  il  est  probable  que  l'Edrisi  sentit  se  re- 
lâcher les  liens  qui  l'attachaient  à  son  pays  natal ,  et  qu'il  se  décida  ,  si- 
non sans  peine ,  du  moins  sans  ti^p  de  répugnance ,  à  aller  chercher 
sur  une  terre  étrangère  la  sécurité  que  ne  lui  offraient  plus  les  contpées 
où  il  avait  passé  son  enfance  et  sa  jeunesse.  A  cette  époque,  la  Sicile 
avait  pour  roi  le  prince  normand. Roger  II,  homme  d'un  mérite  émi- 
neot,  qui  réunissait  à  toutes  les  grandes  qualités  qui  conviennent  à  un 
monarque  un  goût  vif  et  éclairé  pour  tous  les  genres  de  science  et  de 
littérature.  Guidé  par  tme  sage  tolérance,  il  accueillait  avec  bonté  les 
miisulmans  quji  se  distinguaient  par  leur  savoir ,  les  admettait  à  sa  cour, 
encourageait  leurs  efforts ,  et  récompensait  leur  savoiravec  une  rare 
munificence.  L'Edrisi,  attiré,  sans  doute,  par  la  noble  réputation  de  ce 
gr^nd  prince,.,  vint  chercher  un  refuge  dans  ses  Etats,  où  il  trouva  la 
protection  et  les  égards  que  réclamaient  également  sa  naissance  et  son 


AVRIL  1843.  209 

mérite.  Un  témoignage  irrécusable  nous  atteste  quel  accueil  notre  au- 
teur éprouva  à  la  cour  du  roi  de  Sicile ,  et  exprime  la  reconnaissance 
dont  il  était  pénétré  pour  les  bienfaits  dont  Favait  comblé  son  nouveau 
maître.  Car,  en  deux  endroits  de  son  ouvrage ,  il  peint  en  traits  pom- 
peux le  portrait  de  Roger,  qu'il  représente  comme  le  modèle  des  sou- 
verains, comme  un  homme  accompli.  Parmi  les  sciences  dont  Tétude 
occupait  les  loisirs  de  ce  prince,  la  géographie  tenait  le  premier  rang; 
et  il  paraît  que  Roger  montrait ,  pour  ce  genre  de  recherches ,  un  goût 
qui  était  porté  jusqu'à  la  passion.  Après  avoir  recueilli  par  lui-même , 
ou  fait  recueillir,  tout  ce  que,  de  son  temps,  on  savait  sur  les  contrées 
de  l'Europe  et  les  parties  dé  TAsie  Mineure  qui  étaient  soumises  à 
Tempire  de  Constantinople ,  il  voulut  réunir  des  renseignements  non 
moins  abondants ,  non  moins  authentiques ,  sur  les  vastes  pays  deTAsie 
et  de  TAfirique.  Or,  à  cette  époque ,  et  le  prince  ne  l'ignorait  pas  ,  les 
ouvrages  des  chrétiens  ne  pouvaient  oflfrîr,  siu*  une  pareille  matière , 
que  des  documents  fort  incomplets.  Quelques  relations  commerciales 
existaient,  il  est  vrai,  entre  plusieurs  villes  de  la  chrétienté  et  les  ré- 
gions de  l'Orient;  mais  les  négociants  ne  fréquentaient  qu'un  petit 
nombre  de  villes  situées  sur  le  bord  de  la  mer ,  et  ne  s'aventuraient 
guère  à  pénétrer  dans  l'intérieur  des  terres.  Roger  s'était,  à  la  vérité, 
rendu  maître  de  quelques  points  de  l'Afrique.  Les  croisés  avaient  établi 
leur  domination  sur  la  Palestine  et  une  partie  de  la  Syrie;  mais  ces  con- 
quêtes n'offraient  à  la  géographie  que  de  faibles  lumières.  On  pouvait 
décrire  les  pays  soumis  par  les  armes  des  chrétiens;  mais,  quand  il  s'a- 
gissait de  pénétrer  plus  loin,  l'esprit  religieux,  la  haine  naturelle,  en- 
core fomentée  par  des  hostilités  journalières,  opposaient  aux  efforts  des 
explorateurs  de  la  science  des  obstacles  insurmontables.  On  savait  ([ue 
des  écrivains  arabes- d'un  mérite  réel  avaient,  à  plusieurs  époques,  par- 
couru en  divers  sens  les  vastes  régions  de  l'Asie  et  de  l'Afrique,  et  en 
avaient  rédigé  des  descriptions  plus  ou  moins  étendues,  plus  ou  moins 
autlientiques.  C'était  donc  là  qu'il  fallait  chercher  les  matériaux  d'une 
géographie  de  ces  pays  lointains.  L'exécution  d'un  pareil  projet  récla- 
mait une  connaissance  approfondie  de  la  langue  arabe.  Or,  comme , 
à  cette  époque ,  on  ne  trouvait  qu'un  petit  nombre  de  chrétiens  qui 
possédassent  cet  avantage,  et  que  ceux  même  qui  se  livraient  à  cette 
étude  n'avaient  pour  but  que  les  besoins  du  commerce,  et  se  bornaient 
à  une  connaissance  pratique  de  lidiome  vulgaire ,  sans  se  mettre  en 
peine  d'approfondir  la  littérature  des  peuples  musulmans,  Roger,  qui 
sentait  ce  grave  inconvénient ,  comprit  qu'il  ne  pouvait  mieux  faire  que 
de  confier  ce  travail  important  à  un  Arabe  instruit  et  judicieux.  Son 


K 


210  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

choix  tomba  sur  le  sehérif  Ëdrisi,  qui,  comme  nous  Tavons  dit,  se  trou- 
vait alors  en  Sicile. 

Le  monarque  sicilien  s'occupait  lui-même  de  ces  recherches  géo- 
graphiques avec  un  zèle,  une  ardeur  infatigables,  comme  aurait  pu 
faire  un  simple  particulier  qui  aurait  fondé  sur  le  travail  sa  fortune  lit- 
téraire. Après  avoir  fait  compulser  et  dépouiller  tous  les  auteurs  arabes 
qui  se  trouvaient  à  sa  disposition,  et  qu'avait  rassemblés  pour  lui 
le  schérif  Edrisi,  s'aperce vant  que  leurs  récits,  confrontés  l'un  avec 
Tautre,  bien  loin  d*offrir  un  corps  complet;  un  ensemble  de  ren- 
seignements imiformes,  bien  liés  dans  toutes  leurs  parties,  ne  pré- 
sentaient que  trop  souvent  des  contradictions  visibles,  dès  invraisem- 
blances palpables  ^  il  s'attacha  à  consulter,  soit  par  lui-même ,  soit  par 
Tiatermédiaire  d'interprètes  habiles ,  les  voyageurs  qui  avaient  parcouru 
les  régions  les  plus  lointaines  du  globe.  «  Toutes  les  fois  qu'ils  tombaient 
d*accord  et  que  leur  rapport  était  unanime  sur  un  point ,  ce  point  était 
admis  et  considéré  comme  certain.  Quand  il  en  était  autrement,  leur 
avis  était  rejeté  et  mis  de  côté^.  Voulant  inettre  à  profit  et  commu- 
niquei*  au  public  le  résultat  de  si  longues  et  de  si  patientes  investiga- 
tions ,  le  roi  fit  préparer  une  vaste  planche  à  dessiner,  sur  laquelle  on 
grava,  un  à  un,  au  moyen  de  compas  en  fer,  les  points  indiqués  dans 
le^  ouvrages  consultés,  et  ceux  sur  lesquels  on  s'était  fixé,  d'après  les 
assertions  diverses  de  leurs  auteurs,  et  dont  la  confrontation  générale 
avait  prouvé  la  parfaite  exactitude.  Il  ordonna ,  de  plus ,  que  l'on  coulât 
en  argent  pur  et  sans  alliage  un  cercle  (planisphère)  d'une  grandeur 
énorme,  du  poids  de  quatre  cent  cinquante  livres  romaines,  chaque 
livre  pesant  cent  douze  drachmes.  Il  y  fit  graver,  par  des  ouvriers  ha- 
biles, la  configuration  des  sept  climats,  avec  celle  des  régions,  des 
pays,  des  rivages  voisins  et  éloignés  de  la  mer,  des  bras  de  mer,  des 
aiers  et  des  cours  d'eau ,  l'indication  des  pays  déserts  et  des  pays  cul- 
tivés ,  de  leurs  distances  respectives  par  les  routes  fréquentées  ,  soii<'^n 
milles  déterminés,  soit  en  (autres)  mesures  connues,  et  la  désignation 
des  ports ,  en  prescrivant  à  ces  ouvriers  de  se  conformer  scrupuleuse- 
ment au  modèle  tracé  sur  la  planche  à  dessiner,  sans  s'écarter,  en  au- 
cune manière ,  des  configurations  qui  s'y  trouvaient  indiquées.  Enfin , 
le  monarque  voulut  que,  pour  l'intelligence  de  ce  planisphère,  on  ré- 
digeât un  livre  qui  offiritxine  description  complète  du  monde  habitable, 
l'indication  des  villes,  des  mers,  des  montagnes,  des  fleuves,  des  dé- 
tails circonstanciés  sur  les  espèces  de  grains ,  de  firuits,  de  plantes  que 

> 

'  Préface,  p.  xix,  xx.* 


AVRIL  1843.  211 

produit  chaque  pays ,  les  propriétés  de  ces  plantes ,  les  arts  et  métiers 
dans  lesquels  excellent  les  habitants,  les  objets  de  commerce  et  les  objets 
curieux  qu  offre  chaque  région ,  l'état  des  populations ,  leurs  mœurs ,  leurs 
religions,  leurs  habillements,  leurs  idiomes.» 

Ce -travail,  exécuté,  d  après  les  ordres  du  roi;  parle  schérif  Edrisi*. 
porte  le  tiire  de  ^U^l  ^ij^t  i  (i\:iJSéU  i^,  c  est-à-dire  Délassements 
de  l'homme  désù^eux  de  parcourir  les  diverses  contrées  da  monde.  Il  est  éga- 
lement cité  sous  le  titre  de^U?^  4-*Uê>,  le  Livre  de  Roger,  comme  ayant 
été  écrit  par  ordre  de  ce  prince. 

Ce  traité  de  géographie ,  suivant  Fassertion  formelle  de  Tauteur,  était 
donc  destiné  à  servir  de  développement  et  d'explication  à  cette  grande 
carte  et  à  ce  planisphère  d*argent  dont  le  monarque  sicilien  avait  ordonné 
la  fabrication.  C*est  ainsi  que ,  plusieurs  siècles  après,  Tan  987  de  Tfaé- 
gire,  suivant  le  témoignage  de  Firischtah^  Tempereur  mogol  Humaioun 
fit  exécuter  un  vaste  globe  solide,  qui  ofirait,  avec  des  couleurs  diffé- 
rentes, Imdication  des  diverses  r^ons  de  la  terre,  la  figure  des  astres , 
les  noms  des  étoiles,  etc. 

Notre  auteur  nous  donne  la  liste  des  géographes  orientaux  dans  les 
écrits  desquels  il  avait  puisé  les  éléments  de  son  ouvrage,  et  je  fiend 
observer  que,  dans  cette  nomenclature,  il  s'est  glissé  une  erreur,  qui, 
sans  doute,  doit  être  exclusivement  attribuée  aux  copistes.  Il  est  fait 
mention  du  Livre  des  merveilles  os!^^)  c^U^»^ ,  composé  par  Masoudi; 
mais  cette  assertion  est  inexacte.  Parmi  les  livres  qu'avait  produits  la 
plume  féconde  du  judicieux  Masoudi,  il  n'en  est  aucun  qui  porte  le 
titre  de  Livre  des  merveilles.  En  second  lieu ,  notre  auteur,  qui  cite  Sou- 
vent ce  dernier  ouvrage  *,  l'attribue  expressément*  à  un  écrivain  nommé 
Hasan-ben-Âlmondar.  Suivant  toute  apparence ,  un  copiste ,  ayant  sons 
les  yeux  un  exemplaire  dans  lequel  se  tix)uvaient  indiqués  le  Morondj- 
Addhahah  4^  jJl  ^ji^de  Masoudi  et  le  Livre  des  merveilles  de  Hasan-brâ- 
Almondar,  aura ,  par  mégarde ,  passé  une  ligne  et  attribué  à  Masoudi  un 
livre  auquel  il  n'avait  eu  aucune  part. 

Le  traité  géographique  rédigé  par  l'Edrisi  contient,  comme  ii  est 
facile  de  le  voir,  peu  d'observations  qui  fussent  le  résultat  des  re- 
cherches personnelles  de  l'auteur,  puisque  ses  voyages  ne  s'étaient  éten- 
dus que  sur  un  petit  nombre  de  pays.  On  ne  doit  y  chercher  qu'une 
compilation  savante,  qui  présentait  un  résumé  exact  de  ce  que  Ton' sa- 
vait, à  cette  époque,  sur  la  description  du  globe.  On  y  trouve  même 

^  Histoire  de  Vlnàe,  i.  I,  p.  397.  —  *  Préface,  p.  zix.  —  '  Géographie,  1 1,  p.  29 
et  passim.  —  ^  Ihid.  p.  38. 


2J2  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

un  avantage  que  n*offirirait,  au  même  degré,  aucun  autre  ouvrage  des 
écrivains  orientaux;  je  veux  dire  des  renseignements,  en  général  exacts 
et  circonstanciés,  quoique  mêlés  de  quelques  fables,  sm*  les  contrées  de 
TEurope  occupées  par  les  chrétiens.  On  conçoit  que  Tau  leur  s  était 
trouvé,  à  cet  égard,  dans  une  position  toute  particulière ,  puisqu'il  avait 
pu  faire  usage  de  tous  les  renseignements  recueillis  à  grands  firais ,  par 
ïej  ordres  et  les  soins  du  roi  Roger.  Quant  à  ce  qui  concerne  TAsie  et 
l'Afrique,  on  pourrait,  avec  ime  sorte  de  certitude,  déterminer  ce  que 
notre  géographe  a  emprunté  à  chacun  de  ses  prédécesseurs.  Il  nous 
apprend  lui-même  que,  dans  la  description  qu*il  fait  des  pays  habités  par 
les  Turcs  \  il  avait  pris  pour  guide  Aboalkâsem-Abd-allah-ben-Khor- 
dadbeh.Les  détailsquildonnesurla  Perse  et  les  contrées  voisines,  sur 
les  itinéraires  qui  traversent  TOrient,  sur  l'Egypte,  sont,  en  général,  pui- 
sés dans  Touvrage  d*Ebn-Haukal.  Le  traité  intitulé  <-^jJJ  g.^,  rédigé 
parMasoudi,  a  été  continuellement  mis  .à  contribution  par  notre  auteur, 
qui  en  transcrit,  à  tout  moment,  de  très-longs  passages ,  sans  y  changer 
un  seul  mot.  On  peut  être  surpris  que  Tauteur  ne  cite  pas  une  seule  fois 
un  écrivain  qui  avait  dû  lui  fournir,  sur  l'Afrique  septentrionale,  TEs- 
pagne,  etc.  les  détails  les  plus  circonstanciés,  les  plus  authentiques; 
je  veux  dire  Abou-Obaîd-Bekri.  Ce  géographe  habile,  sur  lequel  j'ai 
donné  quelques  renseignements,  et  dont  j'ai  traduit,  en  grande  partie, 
l'ouvrage ,  avait  écrit  près  d'un  siècle  avant  notre  auteur,  et  il  avait  des 
droits  particuliers  à  la  reconnaissance  de  celui-ci,  puisqu'il  s'était  plu  à 
retracer  avec  quelque  étendue  l'histoire  de  la  famille  d'Edris. 

Notre  géographe,  ainsi  qu'il  nous  l'apprend  lui-même^,  acheva  son 
ouvrage  dans  les  derniers  jours  du  mois  de  schewal,  l'an  51x8  de 
l'hégire  (de  J.-C.  ii54),  et  son  récit  se  concilie  parfaitement 
avec  ce  qu'il  dit  de  la  conquête  faite  par  Roger  des  villes  de  Sfaks  et 
de  Mahdiah^,  de  la  prise  de  Tripoli,  l'an  54 o,  par  les  armes  du 
roi  * ,  de  l'occupation  de  Gaza  par  les  croisés  ^.  Toutefois ,  cette 
assertion  ne  doit  pas  être  prise  à  la  rigueur  ;  et  il  est  facile  de  se  con- 
vaincre que,  si  la  première  rédaction  fut,  en  effet,  terminée  à  l'époque 
susdite ,  l'auteiu*  retoucha  à  plusieurs  reprises  son  traité ,  et  y  fit  de 
Jipmbreuses  additions.  Il  nous  apprend  que,  l'an  548^,  la  ville  de  Bone 
•fut  conquise  par  un  des  lieutenants  de  Roger.  Puis,  il  ajoute  :  u  Elle  est 
actuellement  pauvre ,  médiocrement  peuplée ,  et  administrée  par  un 
agent  du  grand  Roger,  issu  de  la  famille  de  Hamad.  »  On  conçoit  faci- 

*  Géographie,  t.  I,  p.  Agg.  —  *  Préface,  p.  xxii.  —  ^  Géographie,  t.  I,  p.  267, 
a58.  —  *  P.  373.  —  '  P.  34o.  —  •  T.  I,  p.  a68. 


AVRIL  1843.  213 

lemeat  que  ces  lignes  n'ont  pu  être  écrites  en  548.  L'auteur,  après  avoir 
dit  que  Tîle  de  Djerbeh^  était  tombée,  Tan  629  de  l'hégire,  au  pou- 
voir de  Uoger,  ajoute  :  «  Les  habitants  se  soumirent  d'abord  et  restèrent 
tranquilles  jusqu'à  l'an  548,  époque  à  laquelle  ils  secouèrent  le  joug. 
Roger,  pour  les  punir,  y  envoya  une  nouvelle  flotte.  L'île  lut  de  nou- 
veau conquise;  les  habitants  furent  réduits  en  esclavage  et  transportés 
à  la  ville.»  Ceci  n'a  dû  être  écrit  que  postérieurement  à  Tannée  548. 
Parlant  de  la  ville  d'Âscalon  ^,  il  s'exprime  ainsi  :  «  Le  roi  de  Jérusalem, 
â  la  tête  d'une  armée  de  chrétiens,  s'en  empara,  fan  548  de  Thégire, 
et  les  chrétiens  la  possèdent  encore  à  présent,  w  II  atteste  qu'à  l'époque 
où  il  écrivait  ^  a  le  sultan  des  chrétiens  des  deux  Castilles  et  de  l'Anda- 
lousie faisait  sa  résidence  à  Tolède.  »  Il  fait  observer^  que  la  ville  de 
Coria  était  au  pouvoir  des  chrétiens.  Il  nous  apprend  ^  que  la  ville  de 
Makhrit  (Madrid)  était,  ainsi  que  Tolède,  au  pouvoir  des  chrétiens, 
dont  le  roi,  d'origine  castillane,  est  connu  sous  le  nooi  d'Alphonse;  il 
rapporte^  que  la  ville  d'Alméria,  qui,  sous  le  règne  des  princes  Mou- 
lattfaemi,  était  une  ville  musulmane,  tomba  sous  la  domination  des  chré- 
tiens. Il  atteste  que  la  ville  de  Cordoue ,  qui  était  encore  le  siège  du 
khali&t^,  était  bien  déchue  de  sa  grandeur^.  Enfin,  il  assure  que  la 
ville  d'Alzahirah  était  en  décadence  et  en  ruines. 

En  rendant  justice  aux  ti'avaux  de  l'Edrisi,  on  peut,  toutefois,  lui 
adresser  plusieurs  reproches  très-réels  :  d'abord ,  la  division  de  l'ouvrage 
par  climats  présente  une  distribution  fort  peu  claire,  fort  peu  mé- 
thodique. Le  lecteur  se  trouve  conduit,  en  un  moment,  des  côtes  de 
rOcéan  Atlantique  aux  rivages  de  la  Chine.  Il  voit  passer  devant  lui  la 
description  de  contrées  importantes,  sans  pouvoir  s'y  arrêter  et  les  en>- 
brasser  d'un  coup  d'œil.  De  là  résulte  un  vague ,  ime  int:ohérence  ex- 
trême dans  les  renseignements  que  renferme  le  livre.  Il  faut,  à  chaque 
instant ,  pour  suivre  le  fil  d'une  narration  intéressante ,  sauter  d^un 
endroit  à  un  autre ,  chercher  à  de  grandes  distances  la  suite  d'un  récit , 
qui  perd,  ainsi  morcelé ,  une  grande  partie  de  son  importance.  Certes 
il  n'est  aucun  lecteur  qui  ne  préférât  avoir  sous  les  yeux  la  description 
complète  d'un  pays ,  la  saisir  dans  tous  ses  détails  ,  et  ne  s'en  éloigner 
qu'après  avoir  épuisé  tout  ce  qu'elle  pouvait  offrir  à  sa  curiosité.  ^ 
l'auteur  avait  voulu  absolument  s'en  tenir  à  une  exactitude  méthodique 
et  minutieuse,  il  aurait  pu  facilement  atteindre  son  but,  en  réunissant 
dans  une  ou  plusieurs  tables  les  noms  des  lieux  qui  appartiennent  à 

'  P.  281.  —  •  P.  34o.  —  *T.  I,  p.  i3.  ^  *  P.  i5.  —  =*  P.  3a  et  33.  — ^  P.  43.- 
45.  — .  '  P.  57.  —  •  P.  63. 


214  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

chacun  des  climats  du  globe.  En  second  lieu ,  notre  géographe  n'a  pas 
eu  soin  de  fixer  Torthographe  des  noms  de  lieux  qu'il  a  réunis  et  trans- 
crits en  si  grand  nombre.  Or,  quand  on  se  représente  le  vague  de  i  al- 
phabet arabe,  où  les  figures  des  lettres  se  confondent  avec  tant  de  faci- 
lité ,  on  sent  que  cette  précaution ,  qui  consiste  à  fixer  la  valeur  des 
caractères  dont  chaque  mot  se  compose ,  est  non-seulement  de  la  plus 
grande  utilité,  mais  que  réellement  elle  est  indispensable.  Si  récrivaiïi 
n'a  pas  pris  un  pareil  soin ,  le  lecteur  reste  perpétuellement  dans  fin- 
certitude  ,  ne  sachant  comment  il  doit  lire  un  nom ,  et  exposé  à  trans- 
crire plusieurs  fois  le  même  mot,  sous  des  formes  tout  à  fait  différentes. 
Or,  il  faut  le  dire,  notre  auteur  n'a  jamais  songé  à  déterminer,  d'une 
manière  claire  et  précise,  la  véritable  orthographe  des  noms  qu'il 
offrait  à  ses  lecteurs.  Enfin ,  il  ne  faut  pas  se  faire  illusion  sur  les  pro- 
messes, peut-être  un  peu  trop  pompeuses,  que  renferme  la  préface  de 
fauteur.  Si  on  l'en  croit,  son  livre  devait  présenter  une  réunion  de  tout 
ce  que  l'on  peut  savoir  de  plus  intéressant  sur  les  mœurs,  les  institu- 
tions, les  religions,  le  commerce  et  les  idiomes  des  différents  peuples. 
Mais,  il  faut  favouer,  un  plan  si  beau  n'a  été  réalisé  que  d'une  manière 
imparfaite.  Sans  doute  la  Géographie  d'Edrisi  nous  a  conservé  un  cer- 
tain nombre  de  faits  curieux,  instructifs,  puisés  chez  des  écrivains  dont 
les  ouvrages  ne  sont  pas  sous  nos  yeux;  mais,  trop  souvent  aussi,  k  la 
place  de  ces  notions  caractéristiques  qui  peignent  l'esprit  d'une  société, 
qui  nous  initient  dans  le  secret  de  ses  institutions,  de  ses  ressources, 
de  ses  arts,  nous  ne  trouvons  que  des  descriptions  vagues ,  incohérentes, 
incomplètes ,  qui  sont  bien  loin  de  satisfaire  à  tout  ce  que  peut  récla- 
mer à  bon  droit  la  curiosité  de  lecteurs  instruits  et  judicieux. 

L'ouvrage  de  l'Edrisi  forme,  sur  la  géographie ,  une  compilation  aussi 
complète  qu'il  lui  était  possible  de  foffrir,  et  qui  présentait  tout  ce 
qu'on  avait  recueilli  de  plus  certain  sut  la  configuration  du  globe, 
sur  fétat  des  différentes  contrées  du  monde;  ce  livre  n'a  pu  man- 
quer d'être  consulté  avec  fruit  par  les  géographes  postérieurs.  Ebn- 
Khaldoun  l'a  mis  constamment  à  contribution,  et  c'est,  en  grande  par- 
tie ,  et  on  pourrait  même  dire  uniquement ,  dans  cette  source  qu'il  a 
puisé  son  érudition  géographique.  Abou'lfeda  et  d'autres  écrivains  font 
Bréquemment  cité  comme  une  autorité  imposante.  On  se  demande 
comment  les  écrivains  arabes,  tout  en  rendant  justice  aux  travaux  de 
notre  auteur,  ne  nous  ont  rien  appris  sur  sa  personne,  sur  les  circons- 
tances de  sa  vie?  Il  est  facile  de  répondre  à  une  pareille  question.  L'E- 
drisi, ayant  quitté  le  pays  de  sa  naissance,  étant  allé  chercher  un  asile 
à  la  cour  d'un  roi  chrétien ,  ayant  voué  au  service  de  ce  piince  sa  per- 


AVRIL  1843.  215 

sonne  et  ses  talents ,  était  regardé  comme  perdu  pour  les  musulmans. 
A  une  époque  où  la  haine  que  les  sentiments  religieux  entretenaient 
entre  les  chrétiens  et  les  musulmans  était  parvenue  au  plus  haut  de- 
gré d'intensité,  où  les  conquêtes  des  croisés  dans  la  Palestine,  celles 
des  Castillans  dans  TEspagne ,  en  menaçant  Texistence  de  l'islamisme , 
portaient  dans  le  cœur  des  sectateurs  de  ce  culte  un  sentiment  amer, 
dont  rien  ne  pouvait  modérer  l'expression,  un  écrivain,  l'Edrisi,  avait 
osé  faire  un  éloge  pompeux  d'un  roi  normand,  et  tracer  de  ce  prince 
un  portrait  empreint  de  tout  ce  que  la  reconnaissance  et  l'admiration 
peuvent  inspirer  à  un  sujet  dévoué,  au  serviteur  le  plus  humble  et  le 
plus  respectueux.  De  plus  ,  dans  tout  le  cours  de  son  ouvrage,  l'auteur 
montre,  à  l'égard  du  christianisme  et  des  chrétiens,  la  plus  rare  im- 
partialité. Nulle  part  on  n'y  trouve  ces  expressions  d'aigreur  et  de 
mépris  qu'on  rencontre  si  fréquemment  sous  la  plume  des  écrivains 
musulmans.  Ce  trait  a  paru  si  frappant,  que  Ton  a  été  jusqu'à  penser 
que  notre  géographe  s'était  converti  au  christianisme.  Soit  que  cette  mo- 
dération religieuse  eût  sa  source  dans  les  sentiments  nobles  et  élevés  de 
l'auteur,  soit  qu'elle  fût  le  produit  de  l'indifférence  d'un  esprit  fort,  soit 
qu'enfin  elle  tînt  simplement  à  la  position  de  l'écrivain,  les  musid- 
mans  rigides,  dont  le  zèle  était  alors  exalté  et  poussé  jusqu'au  fana- 
tisme, ne  purent  voir  de  sang-froid  ce  qu'ils  regardaient  comme  une 
sorte  de  trahison  contre  l'islamisme.  Quand  on  se  représente  que  cet 
ami  des  chrétiens,  ce  panégyriste  de  Roger,  était  unschérif,  un  descen- 
dant du  prophète,  on  conçoit  que  sa  conduite  dut  exciter  un  profond 
scandale,  et  que  les  dévots  musulmans  crurent  faire  encore  grâce  à 
fauteur  en  taisant  son  nom,  en  enveloppant  dans  un  oubli  insultant 
tout  ce  qui  concernait  sa  personne  et  ses  actions. 

Le  grand  traité  de  géographie  de  l'Edrisi  était  resté  presque  com- 
plètement inconnu  aux  savants  de  l'Europe.  Un  abrégé,  dont  nous 
ignorons  l'auteur,  fut  publié,  l'an  1 892,  è  Rome ,  par  l'imprimerie  des 
Médicis;  et ,  l'an  1619,  deux  Maronites ,  Sionita  et  Hezronita ,  firent  im- 
primer à  Paris  une  édition  latine.  Mais,  dix-neuf  ans  avant  cette  époque, 
l'an  1600,  un  des  hommes  les  plus  célèbres  dont  l'Italie  s'honore, 
Bernardino  Baldi,  abbé  de  GuastaUa,  rédigea  en  italien,  d'après  le  texte 
arabe,  une  version  du  même  livre.  Cette  traduction,  qui  n'a  jamais  vu 
le  jour,  et  qui  parait  avoir  été  ignorée  des  biographes  auxquels  on  doit 
la  vie  de  ce  savant  illustre,  était  conservée  dans  la  bibliothèque  du 
cardinal  Albani.  A  l'époque  où  Rome  fut  soumise  à  la  domination 
firançaise,  le  manuscrit,  ayant  été  apporté  en  France,  fut  acquis,  vers  le 
commencement  de  ce  siècle ,  par  M.  le  !>  Prunel,  pour  la  bibliothèque 


216  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

de  la  faculté  de  médecine  de  Montpellier.  Ce  savant  ayant  bien  voulu 
noie  communiquer  ce  livre  intéressant,  je  rédigeai,  sur  ce  qui  le  concerne, 
une  note  qui  doit  se  trouver  encore  aujourd'hui  en  tête  du  volume. 
N ayant  point  sous  les  yeux  ce  manuscrit,  je  ne  puis  encore  réaliser  ce 
que  je  m'étais  promis,. c est-à-dire  présenter  au  public  quelques  mor- 
ceaux de  cette  traduction  et  les  mettre  en  parallèle  avec  la  veçsion  la- 
tine ainsi  qu'avec  celle  de  M.  Jaubert.  Peut-être  serai-je  plus  heureux 
lorsque  je  publierai  mon  second  article;  car  j'apprends  que  l'envoi  du 
manuscrit  a  été  demandé  au  nom  de  monsieur  le  ministre  de  l'instruc- 
tion publique.  Feu  M.  Melchior  Hartmann  publia ,  sur  l'Afrique  d'Edrisi, 
un  commentaire  rempli  d'une  vaste  érudition.  La  partie  qui  concerne 
l'Espagne  fut  donnée  par  Gonde,  avec  une  traduction  espagnole  et  des 
notes  instructives.  Enfin,  la  description  de  la  Sicile,  après  avoir  été 
publiée  en  latin  dans  les  Opuscoli  degli  scriitori  siculi,  fut  insérée,  avec 
le  texte  arabe,  par  le  chanoine  Rosario  Gregorio,  dans  la  collection 
qui  a  pour  titre  :  Rerum  Arabicaram  ad  &ciUam  spectantium  ampla  collectio, 
et  qui  se  compose  d'un  volume  grand  in-folio. 

L'ouvrage  entier,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  était  resté  à  peu  près  inconnu  ; 
on  savait  seulement  qu'il  en  existait  deux  manuscrits  dans  la  biblio- 
thèque d'Oxford ,  et  le  célèbre  Ed.  Pococke  en  avait  extrait  et  publié 
un  fragment,  qui  contenait  la  description  de  la  Mecque.  M.  Amédée 
Jaubert,  ainsi  qu'il  nous  Tapprend  lui-même,  se  livrant  à  des  recherches 
littéraires  dans  la  Bibliothèque  royale,  découvrit,  parmi  les  nombreux 
volumes  que  renferme  ce  riche  dépôt,  un  manuscrit  non  catalogué  ,  qui 
paraissait  axoir  échappé  à  toutes  les  investigations  des  savants ,  et  dans 
lequel  un  examen  attentif  ne  tarda  pas  à  lui  faire  reconnaître  le  traité 
cosmographique  d'Edrisi.  La  société  de  géographie ,  toujours  empressée 
de  concoiurir  efficacement  aux  progrès  de  la  noble  science  qu'elle  a  prise 
S0U5  son  patronage,  sentit  qu'une  traduction  complète  de  cet  ouvrage 
offrirait  aux  savants  un  secours  d'un  prix  inestimable.  M.  Jaubert  fut 
prié  d'entreprendre  cet  ouvrage  et  ne  recula  point  devant  celte  tâche 
longue,  pénible,  mais  importante.  Sur  ces  entrefaites,  la  Bibliothèque 
royale  s'enrichit  d'un  nouveau  manuscrit  qui  fait-partie  de  la  collection 
rassemblée  par  feu  M.  Asselin  de  Ghervilliez.  Grâce  à  ce  nouveau  se- 
cours ,  M.  Jaubert  put  conférer  ensemble  les  deux  manuscrits,  corriger 
les  fautes  de  l'un  des  textes  par  la  comparaison  de  l'autre,  rectifier  l'or- 
thographe des  noms  de  lieux.  Malgré  une  absence  de  deux  années,  du- 
rant lesquelles  le  traducteur,  chargé,  par  le  gouvernement  fit'ançais, 
de  la  mission  la  plus  honorable ,  résida  à  Gonstantinople  pour  défendre 
et  assurer  les  intérêts  du  royaume  de  la  Grèce,  la  version  fi^ançaise 


AVRIL  1843.  217 

d*Edrisi ,  loin  d'être  abandonnée,  fut  poussée,  au  contraire,  avec  une  ac- 
tivité vraiment  méritoire.  L'ouvrage,  confié  aux  presses  de  Tlmprimerie 
royale,  ne  tarda  pas  à  voir  le  jour;  il  se  compose  de  deux  volumes 
in-4°,  dont  le  premier  lut  publié  en  i836  et  le  second  en  i8/io. 

M.  Jaubert  s  est  partout  attaché  à  ofïrir  à  ses  lecteurs  une  version  fi- 
dèle, claire  et  élégante,  du  traité  d'Edrisi.  Ne  pouvant  pas  publier  le 
texte  arabe ,  il  a  eu  soin  de  transcrire,  en  caractères  originaux  ,  tous  les 
noms  de  lieux,  ainsi  que  les  passages  qui  pouvaient  présenter  quelque 
difficulté ,  laisser  quelque  doute  ;  des  guillemets  désignent  les  morceaux 
qui  ont  été  omis  dans  Tédition  de  Tabrégé  arabe.  Le  traducteur  a  eu 
soin  de  donner,  entre  parenthèses,  le  véritable  nom  des  lieux,  que  l'au- 
teur arabe  avait  quelquefois  représentés  d'une  manière  peu  fidèle.  De 
courtes  notes,  placées  au  bas  des  pages,  indiquent  les  vaiûantes  des 
deux  exemplaires  manuscrits,  celles  que  présentent  Tabrégé  arabe,  et 
offrent  des  observations  utiles  pour  l'intelligence  du  texte,  des  rappro> 
chemeiits  empruntés  à  d'autres  auteurs,  à  des  voyageurs  européens. 
Le  traducteur  aurait  pu  facilement,  s'il  l'avait  voulu ,  multiplier  ce  genre 
de  remarques.  Personne  n'était  plus  propre  à  ce  travail  que  M.  Jaubert, 
qui  réunit  à  l'érudition  puisée  dans  les  livres  un  avantage  inappré- 
ciable, celui  d'avoir  par  lui-même,  dans  le  cours  de  ses  importantes 
missions,  exploré  une  bonne  partie  de  l'Orient,  étudié  à  fond  la  topo- 
graphie, les  moeurs,  les  institutions  des  peuples  de  cette  contrée,  et 
dont  on  peut  dire  avec  vérité  : 

Qui  mores  hominum  multorum  vidit  et  urbes. 

Mais  on  conçoit  que,  «omme  la  traduction  se  composait  déjà  de 
deux  volumes  in-^"*,  un  commentaire  perpétuel  qui  aurait  embrassé 
toutes  les  parties  de  cette  vaste  composition ,  devant  prendre  une  ex- 
tension immense,  aurait  probablement  opposé  à  la  publication  de  l'ou- 
vrage des  obstacles  insurmontables.  M.  Jaubert,  forcé  par  ime  nécessité 
absolue ,  a  donc  dû  s'abstenir  des  développements  dans  lesquels  il  se 
serait  engagé  avec  tant  de  plaisir,  et  se  renfermer  dans  ce  qui  était  ab- 
solument essentiel  pour  faciliter  l'intelligence  du  livje  qu  il  était  ap* 
pelé  à  reproduire. 

QUATREMÈRE. 

(  La  suite  à  un  prochain  cahier.  ] 


a8 


218  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Nouveaux  documents  inédits  sur  le  P.  André  et  sur  la  persécution 

du  Cartésianisme  dans  la  compagnie  de  Jésus, 

OEUXIÉMB    ARTICLE. 

La  i>éclamation  d*Ândré  fut  donc  inutile,  et  pourtant  il  croyait  bien 
avoir  pri^  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  la  faire  réussir.  En  même 
temps  quil  Tadressàit  au  P.  général,  il  avait  eu  soin  d^écrire  à  un  de 
se»  confrères  et  amis  le  P.  Deschamps \  qui  était  alors  en  Italie,  et  de 
lui  demander  son  appui  auprès  du  révérend  père  assistant  pour  le 
roJFaume  de  France,  le  P.  Daubenton^,  qui  ne  pouvait  manquer  d*avoii' 
ilu  crédit  sur  Tesprit  du  général  de  la  compagnie.  Par  les  mains  du 
P^Deschamps  il  adressa  au  P.  DaubentQn  uoe  relation  de  toute  Taffaire, 
latitude  Relation  jidèle ,  où  il  fait  connaître  toute  sa  coirespondance  avec 
le  1  révérend  père  provincial  Delaistre,  et  reproduit  ^  peu  près  tout  ce 
que  bous  avons  vu  dans  les  lettres  précédentes. 

:llstt£Bra  4e  donner  les  deux  passages  de  cette  relation  où  le  P.  André 
iftîl  «allusion  aux  deux  cartésiens  de  la  compagnie  quon  épargnait  tandis 
quoo  lé  fi^appàit,  îet  où  il  nous  apprend  que  le  recteur  du  collège  de 
Glerm<HQt,  qui  lavait  dénoncé  sans. l'avertir,  était  le  célèbre  Letellier'. 

*  Ce  ne  peut  être  le  P.  Etienne  Deschamps ,  auteur  du  livre  De  hœresi  Janse- 
niana  ab  apostolica  sede  mêritd  prosûripta  (la  dernière  édition  par  le  P.  Souciet  est  de 
Paris,  in-fol.  1728),  et  de  plusieurs  autres  ouvrages,  célèbres  dans  leur  temps,  né 
à 'Bourges  en  i6i3,  mort  à  la  Flèche  au  mois  d'août  1701.  Voy.  les  Mémoires  de 
Trévoux,  janvier  170^ ,  et  le  Dictionnaire  de  Moreri,  art.  Champs  (  de  ).  —  *  Le  P. 
Guillaume  Daubenlon  était  né  à  Auxerre  en  i648„  entré  dans  la  compagnie  en 
i665,  recleur  du  collège  de  Strasbourg  quand  la  France  acquit  T Alsace,  puis  con- 
fesseur d'Anne  Victoire,  mère  de  Philippe  V,  ce  qui  le  conduisit  à  devenir  celui  de 
ëé  prince  quand  ilhidûta  sur  le  trône  d'Espagne.  Il' partit,  en  1700,  pouP  aller 
namplircet  emploi;  mais  il  se  forma  bientôt  contre  lui  un  parti  pubsant,  et  il  revint 
en  France.  En  1706,  il  fut  député  à  Rome  pour  la  quinzième  congrégation  générale 
d^  sa  .compagnie ,  et  U  y  fut  élu  assistant  général  pour  la  nation  française  ;  peu  s'en 
fiftilutmême,  dît  MoVeri,  qu'il  ne  fui  élu  général  au  lieu  du  P.  TamKurini.  C'est  en 
ce  poste  que  nous  le  rencontrons  dans  cette  partie  de  l'histoire  dit  P.  André.  En 
1716  «  Philippe  V  le  rappela  en  Espagne,  et  il  fut  de  nouveau  le  confesseur  de  ce 
roi.  n  mourut  à  Madrid  le  7  août  1723.  Voy.  dans  Moreri  la  liste  de  ses  ouvrages, 
qui  ne  sont  pa  >  fort  importants.  —  ^  Michel  Tellier  ou  Letellier,  l'un  des  plus 
grands  ennemis  du  jansénisme  (  voyez  dans  Moreri  l'énumération  de  ses  ouvrages 
contre  Arnauld  et  contre  Que^ftêl^^t'anssichr  cartésianisme,  car  on  lui  a  attribué 
des  Réflexions  sur  la  vie  de  Descartes,  qui  pourtant,  d'après  Moreri,  sont  réellement 
de  son  conirère  le  P.  Boschet.  Letellier  était  né  à  Vire  en  Normandie,  en  i643  ; 


>■! 


AVRIL  1643.  iTÔ 

«  Le  père  provincial  retient  à  Paris  plusieurs  personnes  dont  deux  no- 
tamment ont,  Tannée  dernière  ;  enseigné  pubKquement  plusieurs  points 
de  la  doctrine  de  M.  .Descartes  et  du  P.  Malebranche;  leurs  cahiers^ 
leurs  thèses  en  font- foi,  et  surtout  les  cahiers  et  les  thèses  de  celui  qui 
finissoit  son  cours,  et  qui  par  coriséquent  pouvoit  être  envoyé  en  pro- 
vince plus  honnêtement  et  plus  justemenjt  que  moi.  Or,  mon  révéreijld 
père,  si  ces  deux  personnes  ne  sont  point  coupables  pour  soutenir  là 
doctrine  de  M.  Descartes  et  du  P.  Malebranche,  je  pe  suis  point  cou* 
pable  d'estimer  les  personnes  de  ces  detix  auteurs.  <  *  '  r 

« Que  veut  dire  ce  silence  affecté  des  supérieurs  à  nK»i  égard  ; 

et  ce  soin  extrême  d'éviter  Téolairciss^ment  des  faits  avancés  contre  filîi' 
doctrine?  Mais  surtout  que  veut  dire  le  silence  du  père  Le  TellierPiTai 
vécu  une  année  entière  avec  lui  ;  il  a  été  mcm  recteur  pendant  six  on 
sept  mois;  il  ma  vu  en  particulier,  et  je  Tai  vu  de  même  assez  souvent; 
et  cependant,  mon  révérend  père,  ce  grand  ennemi  de  tout  ce'qii/ 
s'appelle  nouvdles  opinions  pourra  dire  à  votre  paternité  <^'il  ne  m'^en 
a  jamais  ouvert  la  bouche;  silence  d autant  plus  remarquable  que  c'est 
au  temps  seul  de  son  rectorat  qu'on  rapporte  tous  mes  crimes.,  qiJ^H 
était  informé  de  tout,  et  qu'il  n'épargnoit  personne.  Tout  cela,  môft 
révérend  père,  est  bien  convaincant  en  ma  faveur;  Mais,  nonobstant 
la  justice  de  ma  cause,  je  ne  sais  encore  ce  que  je  dois  espérer.  Je  voil^ 
beaucoup  d'innocens  accusez,  mais  je  h^en  vois  point  de  justifiez;  ou ,  si 
quelquefois  on  en  justifie ,  ce  n'est  que  de  bouche  et  non  d'effet.  Je  porté 
mes  plaintes  à  trois  cents  lieues  de  moi,  et  1  on  sçait  assez  que,  de  lotnv 
ia  peine  dont  on  se  plaint  diminue  toujours  aux  yeux  du  juge,  et  -iej. 
crime  qu'on  impute  augmente  encore  davantage.... i.  Dieu  m'est  témoin 
que  je  les  aime  et  respecte  (ses  accusateurs)  eii  Jésus-Christ.  Je  prie 
Dieu  pour  eux  chaque  jour  à  l'autel, -et,  si  je  suis  exaucé  j  ils  seront  pluÉ 
heureux  que  moi. ' J'aurois pu ,  mon  révérend  père,  user  de  récrimina- 
tions à  leur  égard;  mais  h  Dieu  ne  plaise  que  je  me  justifie  en  les  accù* 
sant  1  A  peine  ai-je  pu  me  résoudre  à  nommer  dans  ma  lettre  ceux  que  je 
ne  pouvois  me  dispenser  de  nommer  sans  trahir  la  justice  ou  xnoilitll|o>^ 
cence.  J'ai  toujours  appréhendé  de  leur  faire  le  mal  qu'ils  m'ont  fait, 
et  pour  lequel  je  voudrois  qu'une  entière  justification  me  pût  mettre  en 

• 
fit  ses  études  à  Caen,  au  collège  des  jésuites ,  entra  dans  la  compagnie  en  i66i,  et 
passa  successivement  par  les  emplois  de  régent,  de  recteur  et  ae  provincial.  Cest 
comme  recteur  du  collège  de  Qermont  [depuis  collège  de  Louis-le-Grand)  qu'André 
paraît  favoir  connu.  Â  la  mort  du  P.  ae  la  Chaise,  en  1709,  Lelellier  fut  nommé 
confesseur  de  Louis  XIV,  et,  après  la  mort  de  ce  monarque,  il  fut  envoyé  à  Amiens 
et  ensuite  à  ia  Flèche,  oà  d  est  moH  en  sqitemlirQ  >7^9* 

a8. 


220  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

état  de  leur  rendre  mille  biens.  Ni  la  collusion  des  supérieurs ,  ni  Tac- 
ception  de  personnes  dont  ils  ont  usé  en  me  maltraitant,  ni  le  refus 
qu'ils  m'ont  fait  des  chefs  d'accusation  formés  contre  moi,  ni  leur  du- 
reté, ni  leui^  artifices,  ne  m'obligeront  jamais  k  rompre  la  charité.)) 

La  Relation  fidèle  est  accompagnée  d'une  lettre,  datée  du  a  o  septembre 
1706,  où  Ton  remarque  le  passage  suivant  sur  ses  accusateurs  :  «Il 
(le  P.  provincial)  m'a  puni  sur  la  seule  foi  de  mes  accusateurs,  dont  je 
sçai,  en  général,  que  la  plus  part  ont  bien  de  la  peine  à  voir  autre  chose 
que  du  blanc  et  du  noir  dans  les  livres,  dont  quelques-uns  avoient  l'es- 
prit envenimé  contre  moi  par  certains  rapports  que  des  personnes  cha- 
ritables ont  faits  du  peu  d'estime  qu'il  m'est  échappé  de  témoigner  pour 
leurs  écrits,  dont  enfin  le  principal  notoirement  ne  connoit  ni  antiqui- 
tés ni  nouveautés ,  n'ayant  pas  mis  le  nez  dans  un  livre  depuis  plus  de 
trente  ans,  excepté  peut-être  dans  des  registres  et  dans  son  bréviaire. 
Voilà  cependant,  mon  révérend  père,  l'habile  homme  dont  une  seule 
parole  justifie  et  condamne  ^  fait  venir  à  Paris  et  chasse  qui  bon  lui 
semble,  ce  qui  fait  dire  dans  la  province  que,  depuis  1 5  ou  20  ans,  il 
n'y  a  point  eu  de  provincial  en  France,  et  ce  qui  fait  dire  au  R.  P.  De- 
lautre  même ,  pour  consoler  ceux  qu'il  laisse  à  la  Flèche  ou  qu'il  y  en- 
voie, qu'il  a  les  bras  liés  et  qu'il  est  bien  fâché  de  n'être  pas  maître  de 
rendre  justice  à  leur  mérite Grâce  à  cette  injustice  et  à  la  précipita- 
tion de  mon  juge,  je  vais  passer  dans  la  province  pour  un  esprit  dange- 
reux ,  indocile ,  entêté ,  et  pour  tout  ce  qui  plaira  à  la  médisance  et  à  la 
passion  de  mes  ennemis.  C'est  de  quoi,  mon  révérend  père,  je  demande 
justice  au  révérend  père  général ,  et  je  vous  conjure ,  au  nom  de  Jésus- 
Christ,  de  solliciter  auprès  de  lui  le  rétablissement  de  ma  réputation.  Le 
P.  Deschamps,  avec  qui  j'ai  eu  l'honneur  de  vivre,  pourra  bien  vous 
dire  si  je  suis  tel  qu'on  veut  le  faire  accroire w 

Nous  rencontrons  ici  un  homiête  homme,  modéré,  bienveillant, 
plein  d'affection  pour  André,  qui  s'offre  de  lui  être  utile  et  lui  donne 
au  moins  d'excellents  conseils;  nous  voulons  parler  du  P.  Deschamps. 
A.peine  a-t-il  reçu  la  lettre  d'André  qu'il  se  met  en  campagne  pour  le 
servir  et  s'empresse  de  l'informer  du  résultat  de  ses  démarches» 

Loretta,  le  a  décembre  1706. 
«  Mon  révérend  père , 

a Vous  me  faites  plaisir  de  me  croire  parfaitement  de  vos  amis  et 

'  Nous  ne  soupçonnons  pas  quel  peut  être  ce  personnage. 


AVRIL  1843.  221 

dans  vos  interests;  je  le  suis  en  effet,  et  je  ferai  toujours  mon  possible 
dans  la  suitte  pour  vous  en  convaincre.  J*ay  pris  toute  la  part  possible 
h  la  peine  qu*on  a  faite  à  votre  révérence  ;  il  est  certain  qu'elle  méri- 
toit  un  autre  traitement  et  qu'on  devoît  plus  d'égard  à  l'application  que 
je  sçay  qu'elle  a  toujours  eue  à  ses  devoirs.  Aussitost  sa  lettre  receue, 
comme  j'étois  à  Lorette  alors,  et  que  je  ne  pouvois  pas  bien  agir  par 
moy  même,  j'écrivis  aussitost  auR.  P.  Malescat*  en  luy  envoyant  aussi 
votre  lettre,  et  le  priois  de  la  lire,  après  quoi  je  le  conjurois  de  voir 
avec  le  révérend  père  assistant  ce  qu'on  pouvoit  faire  pour  vous  rendre 
service;  que  vous  estiez  de  mes  amis,  et  qu'ainsi  j'avois  à  cœur  ce  qui 
vous  regardoit  comme  si  c'estoit  moi  mesme.  J'écrivis  en  mesme  temps 
au  révérend  père  assistant  que  celuy  dont  le  P.  Malescat  lui  parieroit 
étoit  de  mes  amis,  et  que  je  le  priois  de  lui  donner  sa  protection  comme 
k  moy  mesme.  Le  mercredi  dernier,  premier  décembre,  je  reçus  sur 
tout  cela  une  lettre  de  l'un  et  de  l'autre.  Le  premier,  étant  en  retraite, 
n'avoit  pu  encore  parier  au  P.  Daubenton ,  estant  fort  éloigné  de  la 
pénitencerie  de  Saint-Pierre,  mais  il  m'assure  qu'il  le  fera  de  tout  son 
cœur  pour  me  faire  plaisir.  Voici  la  lettre  du  second,  qui  apparemment 
avoit  desja  entendu  parler  de  votre  affaire  : 

(t  Je  voudroisbien  pouvoir  rendre  service  à  vostre  amy,  mfais  la  chose 
«  n'est  pas  possible ,  les  études  estant  déjà  commencées.  Notre  père  veut 
((absolument  exterminer  les  nouvelles  opinions,  et  un  père  qui  est  icy, 
«  qui  connoit  votre  ami,  a  confirmé  qu'il  a  du  penchant  pour  les  nou- 
((  reautés  (je  ne  sçay  pas  quel  est  cet  homme  qui  a  parlé  ainsi).  D'ailleurs 
«  le  père  achève  sa  théologie  ;  il  ne  convient  pas,  pour  quelques  mois  de 
«séjour  à  la  Flesche,  de  chagriner  votre  provincial  qui  l'y  a  envoyé. 
«  Si ,  dans  )a  suitte ,  je  puys  luy  estre  bon  à  quelque  chose ,  je  tascheray 
«  de  le  servir  avec  ardeur;  c'est  de  quoy  vous  pouvez  l'assurer.  » 

«Par cette  lettre  vous  voyés,  mon  révérend  père,  quelles  sont  mes 
diligences  pour  vostre  service,  et  combien  je  suis  porté  à  vous  faire 
plaisir.  Le  R.  P.  Daubenton  fera  ce  qu'il  promet ,  n'en  doutez  pas.  C'est 
un  homme  fort  judicieux ,  qui  ne  peut  souffrir  qu'on  pousse  un  homme 
pour  quelques  fautes  qui  peuvent  luy  estre  échappées.  Je  croy  que,  sur 
la  lettre  que  j'ay  l'honneur  de  vous  écrire,  votre  révérence  fera  bien 
de  luy  en  écrire  une  pour  le  remercier  de  sa  bonne  volonté  et  luy  de- 
mander sa  protection.  Car,  entre  nous,  de  la  manière  dont  je  vois  que 
les  choses  vont  à  Rome ,  cela  va  quelquefois  plus  loin  qu'on  ne  vou- 
droit.  Les  objets  les  plus  petits,  quoyque  éloignés,  s'y  gfossissent  fort 

'  Sic.  Ce  père  jésuite  nous  est  entièrement  inconnu. 


222  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

souvent;  j'espère  cependant  qu'il  n'en  arrivera  rien  de  plus  iascheui 
à  votre  révérence.  Je  la  prie  de  m' écrire  ce  qui  se  passera  sur  cela, 
et  de  croire  que  j*auray  un  soin  particulier  de  ce  qui  la  regardera.  Si 
vous  écrives  au  P.  Daubcnton,  taschez  de  faire  une  lettre  honneste  qui 
n  ait  aucune  aigreur  contre  le  P.  provincial.  Contentez-vous  seulement 
de  justifier  doucement  vostre  conduite,  et  de  parler  toujours  avec 
beaucoup  de  soumission;  car  le  P.  Daubenton  ne  manquera  .de  lire 
vostre  lettre  à  nostre  père,  qui  se  faira  un  plaisir  de  voir  de  vostre  part 
une  justification  douce  et  honneste.  » 

Le  P.  Deschamps  ajoute  quelques  détails  sur  la  manière  dont  il  passe 
sa  vie  en  Italie,  et  il  montre  des  sentiments  tout  û-ançais,  ce  qui  fait 
voii'  que  dans  la  société  même  de  Jésus  il  y  avait  des  membres  en  qui 
l'esprit  de  corps  et  l'absolue  obéissance  à  un  chef  étranger  n'avaient 
point  étouffé  la  conscience  de  la  patrie.  ((Je  suis  icy  dans  un  lieu  où 
Ton  respire  la  sainteté,  par  rapport  à  la  sainte  maison  de  la  vierge 
qu'on  y  possède,  mais  où  il  est  aisé  de  s'ennuyer  et  de  se  dégoûter,  si 
on  ne  sçait  charmer  et  son  ennuy  et  son  dégoust.  On  y  est  parmy  les 
Italiens  presque  tous  ordinairement  ennemis  des  Français,  et  qui  n'ont 
point  plus  de  joyc  que  quand  ils  en  apprennent  les  mauvais  succès;  je 
n'en  excepte  pas  nos  jésuites,  qui,  dans  leur  cœur,  en  seçitentune  vraye 
joye,  quoyqu'à  l'extérieur  ils  la  dissimulent  à  cause  de  moy.  Outre  qu'il 
n'est  pas  jjermis  de  parler  de  nouvelles  à  cause  des  différentes  nations, 
ils  sont  bien  convaincus  que  je  ne  serais  pas  homme  à  soufirir  qu'ils 
parlassent  désavantageusement  de  la  nation.  Nos  tristes  expéditions 
d'Italie  les  rendent  tout  fiers,  et,  si  les  succès  de  Philippe  V  en  Espagne 
ne  diminuoient  leur  joye,  ils  seroient  insupportables.  On  se  figure  en 
France  une  tout  autre  idée  de  l'Italie  que  ce  n*est  en  effet.  C'est  un 
pays  plus  vilain  qu'il  n'est  beau 

a  Adieu ,  mon  cher  père ,  une  autre  fois  dava^itage.  Croyez-moi  avec 
toute  la  sincérité  possible  votre ,  etc. 

((  Deschamps  S.  J.  )> 

n  parait  que  le  P.  Daubenton  intervint  en  effet  en  &veur  d'André , 
et,  sans  changer  la  résolution  arrêtée  de  l'envoyer  à  la  Flèche,  obtint  du 
moins  qu'on  l'y  laisserait  un  peu  tranquille.  D'après  le  conseil  du  P.  Des- 
champs, André  s'empressa  de  remercier  le  P.  Daubenton.  Cet  honmie, 
qui  se  révoltait  si  fièrement  contre  l'injustice,  s'adoucit  tout  à  coup  dès 
qu'il  entend  des  paroles  d'affection  :  il  se  résigne  au  mal  que  lui  font  ses 
ennemis  et  remercie  avec  tendresse  du  bien  qu'on  a  voulu  lui  faire. 
((Je  prie  Dieu,  écrit-il  au  P.  Daubenton,  je  prie  Dieu,  qui  sonde  les 


AVRIL  1843.  223 

cœurs,  de  vous  découvrir  tout  le  mien  et  de  vous  faire  sentir  toute  la 
douceur  qu  il  y  a  à  obliger  un  homme  reconnoissant.  Cest  un  plaisir 
dont  il  se  contente  lui-même ,  et  le  seul  fruit  qu'il  attend  de  ses  bien- 
faits. Je  le  conjure  par  Jésus-Christ  d'ajouter  par  ma  reconnoissance 
autant  de  biens  que  vous  m*en  avez  voulu  faire  et  autant  de  plaisirs  que 
vous  avez  pris  de  peine  pouîp  me  tirer  de  l'oppression.  Il  est  vrai  que 
j'aurois  bien  plus  de  satisfaction  à  m  acquitter  moi-même  de  ce  que  je 
dois  à  votre  révérence,  mais  Tétat  où  elle  est  et  Tétat  où  je  suis  me 
rendent  insolvable;  j  ai  recours  à  celui  qui  s'est  chargé  de  payer  les 
dettes  des  pauvres;  je  le  prie  de  répondre  pour  moi  parce  que  je  souffre 
violence.  » 

Le  P.  Daubenton  envoya  de  Rome  au  P.  André  le  billet  suivant, 
plein  de  bonté  et  de  sagesse. 

«  A  Rome ,  ce  ag  mars  1 707. 
«  Mon  révérend  père , 

c(  Pax  Christi. 

«  Je  n  ai  pas  mérité  le  remerciement  que  votre  révérence  a  la  bonté 
de  me  faire ,  si  ce  n'est  qu'elle  compte  pour  quelque  chose  la  volonté 
que  j'ai  eue  de  lui  rendre  service.  Je  vous  conseille,  mon  révérend 
père,  de  vous  en  tenir  à  votre  dernière  lettre,  et  de  passer  tranquil- 
lement quelques  mois  qui  vous  restent  de  votre  théologie.  La  meilleure 
apologie  est  la  bonne  conduite  que  je  suis  assuré  que  vous  tiendrez. 
Je  doute  que  notre  père  réponde  à  votre  lettre,  qui  a  paru  ici  aussi  vive 
qu'elle  est  spirituelle.  Ne  pouvant  vous  servir  dans  la  conjoncture  pré- 
sente, je  souhaite  de  trouver  d'autres  occasions  où  je  puisse  vous  mieux 
marquer  l'estime  particulière  avec  laquelle  je  suis,  dans  l'union  de  vos 
SS.  SS.,  mon  révérend  père,  votre,  etc. 

«G.  Daubenton,  S.  J. » 

André  répond  inunédiatement  au  P.  Daubenton  :  il  suivra  les  con- 
seils qu'on  lui  donne ,  il  renonce  à  l'appel  qu'il  avait  adressé  à  Rome , 
il  renonce  à  la  philosophie  et  h  la  théologie ,  il  renonce  même  aux  ma- 
thématiques et  aux  sciences;  il  se  propose  d'entrer  dans  la  carrière  de 
la  prédication.  En  même  temps  il  écrit  à  son  ami  le  P.  Deschamps  pour 
lui  annoncer  les  mêmes  résolutions;  mais  le  ton  de  cette  dernière 
lettre  n'est  pas  tout  à  fait  celui  d'une  résignation  absolue  :  il  pardonne  & 
ses  ennemis ,  mais  il  s'en  moque  un  peu ,  et ,  dans  son  exil  de  la  Flèche, 
il  conserve  les  sentiments  qui  l'animaient  au  collège  de  Clermont  à 
Paris. 


224  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

LETTRE    AU    P.    DAUBENTON. 

«  Mon  très-révérend  père , 

«  Je  suivrai  le  conseil  que  votre  révérence  me  fait  l*honneur  de  me 
donner  ;  et ,  quoique  le  silence  du  révérend  père  générai  me  paroisse  en^ 
core  plus  choquant  que  sa  précédente  réponse ,  je  ne  m'en  plaindrai  qu'au 
Seigneur;  il  sait  si  j*ai  tort,  mais,  bien  loin  de  lui  demander  justice,  je 
lui  demanderai  toujours  grâce  pour  mes  accusateurs  et  pour  mes  juges. 
Je  ne  veux  plus  défendre  mon  innocence  aux  dépens  de  la  leur.  J'a- 
bandonne mon  appel  que  je  croyois  être  dans  les  formes,  conunemon 
bon  droit  que  je  croyois  être  incontestable  ;  je  sacrifie  tout  au  bien  de 
la  paix  et  à  la  déférence  que  je  dois  à  vos  conseils.  Si  mes  ennemis  en 
veulent  davantage,  ils  n'ont  quà  parler  :  je  suis  prêt,  mon  révérend 
père ,  à  tout  ce  que  la  raison  et  l'Évangile  me  permettront  de  faire 
pour  leur  satisfaction.  Désormais  je  veux  bien  renoncer  à  la  philoso- 
phie et  à  la  théologie,  de  peur  que  rardeiu*  que  je  pourrois  avoir  pour 
approfondir  la  nature  et  la  religion  ne  me  suscite  encore  quelque  mé- 
chant procez.  Je  laisse  à  d'autres  l'emploi  d'écrivain,  où,  dans  la  mau- 
vaise réputation  que  l'on  m'a  faite ,  on  ne  manqueroit  pas  de  chicaner 
toutes  mes  syllabes.  Je  renonce  aux  mathématiques  à  cause  du  rapport 
naturel  qu'elles  ont  avec  ce  qu'on  appelle  la  nouvelle  philosophie ,  et 
plus  encore  à  cause  du  mauvais  penchant  qu'elles  donnent  pour  une 
autre  méthode  que  la  scholastique.  Enfin,  mon  révérend  père,  je  suis 
résolu  d'entrer  dans  la  prédication  avec  l'agrément  des  supérieurs,  et 
de  sacrifier  toutes  les  sciences  à  la  simplicité  de  la  foi.  Je  ne  veux  plus 
savoir  que  Jésus-Christ  ni  enseigner  autre  chose  que  son  amour.  C'est, 
si  je  ne  me  trompe ,  le  seul  parti  qui  me  reste  à  prendre  dans  la  com- 
pagnie. Si  votre  révérence  juge  que  mon  dessein  puisse  tourner  à  la 
gloire  de  Dieu,  je  la  prie  de  m'y  aider.  Depuis  ma  disgrâce,  je  n'ai 
trouvé  de  bonté  qu'en  vous;  la  douceur  de  vos  lettres  m'a  consolé 
des  rigueurs  de  la  persécution.  Parmi  les  coups  qu'on  m'a  portés  à 
Rome  et  de  Rome, .j'ai  trouvé  dans  votre  révérence  un  asile  à  mon 
malheur.  Grâces  à  Dieu  par  Jésus-Christ ,  je  n'ai  pas  tout  à  fait  été  aban- 
donné à  ma  foiblesse.  Le  Seigneur,  en  m'affligeant ,  m*a  préparé  un 
consolateur  et  le  plus  capable  d'adoucir  mes  peines.  Je  le  remercie, 
mon  révérend  père ,  de  me  l'avoir  donné ,  et  votre  révérence  de  f avoir 
été. 

a  Je  suis,  etc.  m 


AVRIL   1843.  225 

LETTRE    AU    P.    DESCHAMPS. 

«  Mon  révérend  père , 

«  Je  suis  très-sensible  aux  bontés  que  votre  révérence  me  témoigne 
dans  sa  lettre ,  et  très-reconnoissant  des  peines  qu'elle  a  bien  voulu 
prendre  pour  mes  intérêts.  Le  révérend  père  assistant  m*en  a  rendu 
témoignage  dans  celle  qu*il  m*a  fait  Thonneur  de  m*écrire.  Je  fais  au- 
jourd'hui réponse  à  ce  révérend  père  pour  le  remercier  du  bien  qu'il 
m'a  voulu  faire  en  votre  consid^tion,  et  principdement  de  la  pro- 
messe qu'il  m'a  faite  d'écrire  en  ma  faveur  à  -notre  révérend  P.  provincial. 
Je  n*ai  pas  jugé  à  propos  de  joindre  une  apologie  à  mon  remerciment  : 
je  suis  las  d'être  toujours  en  posture  de  criminel.  Ajoutez,  mon  révé- 
rend père,  que,  tandis  qu'on  ne  m'accuse  qu'en  général,  je  ne  puis  me 
justifier  que  d'une  manière  vague ,  et  par  conséquent  d'une  manière 
inefficace.  Cependant  j'ai  cru  devoir  répondre  à  une  lettre  fort  cava- 
lière, que  l'on  m'a  écrite  au  nom  du  révérend  père  général.  J'ai  inséré 
un  mot  dans  ma  réponse  pour  cet  homme  officieux  qui  m'a  montré 

tant  de  charité  à  Rome Je  finis  par  quelques  nouvelles.  Nous 

avons  ici  le  P.  Duclos  ^ ,  qui  y  est  venu  se  rétablir  d'un  mal  de  poi- 
trine et  d'une  extinction  de  voix,  qu'il  a  gagnés,  dit-on,  en  travaillant 
avec  ti'op  d'application  à  ses  cas  de  conscience.  Nous  avons  déjà  reçu 
trois  lettres  de  notre  révérend  père  général^  :  la  première  contre  le  car- 
tésianisme ,  la  seconde  contre  les  cheveux  longs  ;  la  troisième,  qui  com- 
mence par  Non  sine  stapore  et  indignatione  audivimus,  est  contre  un  de  nos 
pères  qui  avoit  avancé  en  récréation  qu'il  n'était  point  de  foi  que  l'É- 
glise fût  infaillible  dans  les  faits  non  dogmatiques.  » 

Voilà  donc  le  P.  André  établi,  au  commencement  de  l'année  1 707, 
dans  ce  même  collège  de  la  Flèche  qui  avait  servi  de  berceau  à  Des- 
cartes et  qui  servait  maintenant  de  lieu  d'exil  à  un  de  ses  derniers  dis- 
ciples. C'est  dans  cette  situation  que  nous  le  montre  la  première  cor- 
respondance. Il  y  cultive  en  paix  ses  études  et  ses  amitiés  de  Paris. 
Dans  trois  lettres  à  Malebranche,  du  1 1  février,  du  9  mars  et  du  3o  avril 
1 707  ^  il  lui  rend  compte  des  lettres  qu'il  a  reçues  d'Italie ,  et  de  celles 
qu'il  a  écrites,  de  l'éloge  qu'il  y  a  fait  de  Descartes  et  de  Malebranche, 
des  petites  conquêtes  qu'il  ménage  autoiu*  de  lui  à  la  philosophie ,  ici 
dans  un  jeune  jésuite  de  la  Flèche,  appelé  de  la  Pilonnière,  là  dans  une 

*  Nul  renseignement  sur  ce  père  ni  dans  Moreri  ni  dans  les  mémoires  de  Tré- 
voux ni  ailleurs.  -^  *  Tamburini.  —  *  Voyez  notre  article  de  janvier,  i84i, 

p.  7-ia. 


226  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

demoiselle  delà  Pidoussière,  «jeune  personne,  dit  le  P.  André,  fort 
sage  et  fort  spirituelle,  qui,  depuis  cinq  ou  six  ans,  n  a  de  goût  que  pour 
TEvangile  et  la  Recherche  de  la  vérité,»  enfin  de  la  résolution  qu'il 
avait  prise  de  se  livrer  à  la  prédication,  comme  il  l'avait  annoncé 
au  pèreDaubenton;  et  il  paraît  qu'il  avait  commencé  à  exécuter  cette 
résolution,  si  on  en  juge  par  le  voliume  de  sermons  inédits  trouvés 
parmi  ses  papiers  ^.  La  première  correspondance  que  nous  avons  fait 
connaître  ne  nous  a  fourni  que  ces  trois  lettres  de  Tannée  1707; 
puis  elle  s'interrompt,  et  ne  recommence  qu'en  1713  par  une  lettre 
datée  de  Rouen,  où  André  était  chargé  de  l'enseignement  delà  phi- 
losophie. Que  s'était -il  passé  dans  cet  intervalle?  Les  sentiments 
d'André  n'avaient  point  changé  :  on  le  voit  par  cette  lettre  même, 
adressée  à  Malebranche;  mais  avait-il  su  les  contenir?  la  persécution 
s' était-elle  ralentie,  ou  s' était-elle  appesantie  sur  lui?  était-il  resté  long- 
temps à  la  Flèche  avant  d'être  envoyé  à  Rouen?  La  notice  de  l'ahbé 
Guyot  ne  nous  donne  aucunes  lumières  à  cet  égard.  Mais  nos  nouveaux 
papiers  nous  en  fournissent  d'abondantes  à  la  fois  et  de  bien  tristes  : 
ils  nous  montrent  le  P.  André  fidèle  à  Descartes  et  à  Malebranche , 
et  la  société  fidèle  aussi  à  l'inimitié  qu'elle  leur  a  vouée.  Après  l'avoir 
envoyé  de  Paris  à  la  Flèche,  on  le  relègue  de  ce  collège  important  dans 
l'obscur  collège  d'Hesdin  en  Artois;  de  là  il  passe  à  Amiens,  et  d'Amiens 
à  Rouen.  Pour  être  juste,  il  faut  dire  que  sa  circonspection  n'était  pas 
toujours  très-grande,  et  qu'il  dissimulait  assez  mal  le  sentiment  des  injus- 
tices dont  on  l'accablait.  Ainsi,  d'après  les  trois  lettres  écrites  à  Male- 
branche que  nous  avons  autrefois  publiées,  il  semble  que,  dans  les  pre- 
miers mois  de  l'année  1707,  il  était  assez  tranquille  à  la  Flèche.  Tout 
à  coup  il  apprend  que,  parmi  les  membres  du  conseil  du  P.  provincial, 
qui,  en  1706,  avaient  été  d'avis^  de  l'envoyer  de  Paris  à  la  Flèche,  se 
trouvait  un  homme  qui  lui  avait  autrefois  témoigné  beaucoup  d'amitié, 
et  qui,  dans  cette  occasion,  se  serait  tourné  contre  lui.  André  s'anime  à 
cette  idée  et  lui  écrit  pour  lui  demander  une  explication.  Ce  père  jé- 
suite, si  sévère  envers  André ,  s'appelait  Hervé  Guymond ,  homme  alors 


*  Voy.  le  cahier  précédent,  p.  i5i.  —  *  D'après  la  constitution  de  la  société, 
comme  il  y  avait  à  nome,  auprès  du  général,  des  représentants  des  diverses  nations 
sous  le  nom  à'assislants,  de  même,  au  centre  de  chaque  province,  il  y  avait  auprès 
du  père  provincial  des  conseillers,  consultores ,  dont  il  devait  prendre  favis  dans 
toute  question  importante.  Regulœ  societatis  Jesa ,  Romœ ,  in  coUegio  ejusdem  socie- 
tatis,  i58a,  p.  a 7.  ^Regulje  provincialis.  Consultores  quatuor  hahehit  a  generali 
designatos  in  ils  locis  ubi  frequentius  residet,  quoadjieri  poterit,  cum  quibas  res  gra- 
viores  commanicabit quorum  unus  ab  eodem  generali  constitatus  erit  ejus  admonilor 


et  socius.  9 


AVRIL  1843.  227 

considérable  dans  sa  compagnie ,  et  qui  joignait  à  des  vertus  réelles  très» 
peu  de  lumières  et  un  zèle  outré  ^  «J'ai  su  depuis  peu,  lui  écrit  André, 
que  le  procès  qu  on  me'  fit  Tannée  dernière  avoit  passé  à  la  consulte 
de  la  province ,  et  que  votre  révérence  a  été  un  des  juges  qui  m* ont 
condamné.  Tandis  que  je  nen  ai  eu  que  des  soupçons,  je  me  suis  tu, 
quelque  bien  fondés  qu'ils  me  parussent;  maintenant  que  j'en  ai  des 
preuves  certaines ,  je  vous  prie ,  mon  révérend  père ,  de  me  tirer  de 
peine  sur  une  chose  que  Ton  ne  m'a  jamais  voulu  bien  éclaircir.  De 
quoi  est-ce  que  j'ai  été  accusé,  et  sur  quoi  m*avez-vous  condamné?  H 
est  assez  étrange  que  j'aie  été  si  rigoureusement  puni,  et  que  je  ne  sache 
pas  encore  pourquoi  ;  cependant  il  n'est  rien  de  plus  vrai.  Je  ne  sçai 
pas  encore  les  accusations  qui  ont  été  formées  contre  ma  doctrine  ;  je 
sçai  seulement,  en  général,  que  l'on  m'a  fait  un  grand  crime  d'un  peu 
de  bonne  opinion  que  j'ai  toujours  eue  de  M.  Descartes  et  du  P.  Maie- 
branche  ;  mais,  comme  je  ne  crois  pas  que  ce  soit  là  une  hérésie  ni  une 
nouveauté  dangereuse,  je  ne  crois  pas  non  plus  que  ce  soit  la  seule 
cause  de  mon  exil.  On  peut  estimer  ces  auteurs  sans  suivre  leurs  opi- 
nions. Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  en  Finance  un  homme  assez  stupide 
pour  ne  point  convenir  qu'il  s'y  en  trouve  de  fort  raisonnables.  D'ail- 
leurs, mon  révérend  père,  mes  accusateurs  sont  trop  habiles  pour  m'a- 
voir  accusé  seulement  en  général,  et  mes  juges  trop  équitables  pour 
m  avoir  condamné  sur  une  accusation  si  peu  sensée.  Sans  doute  on 
aura  marqué  en  détail  mes  erreurs,  cité  mes  propositions  et  cité  contre 
moi  les  faits  les  plus  circonstanciés  ;  c'est  ce  que  la  charité  m'oblige  de 
croire  :  mais ,  mon  révérend  père ,  au  nom  de  la  même  charité ,  faites- 
moi  la  grâce  de  me  dire  quelles  sont  ces  erreurs ,  ces  propositions  et 
ces  faits.  J'ai  eu  beau,  jusqu'ici,  prier  mes  juges  et  défier  mes  accusa- 
teurs de  me  convaincre  de  la  moindre  faute  en  matière  d'opinion,  les 

^  Extrait  des  manuscrits  de  M.  de  Queos.  i Le  P.  Guimon  (sic),  d'Orléans,  avoit 

été  le  maître  des  novices  du  P.  André ,  qui  en  parloit  avec  grande  estime d'une 

singulière  piété  ;  très-austère  dans  sa  vie  ;  il  en  perdit  le  bout  du  nez ,  n'ayant  pas 
voulu  se  cnaufTer  dans  un  hiver  très-rude avoit  professé  la  théologie  à  Paris; 

f>enchoit  vers  le  thomisme,  persuadé  que,  dans  l'autre  système,  on  donnoit  trop  à 
a  prévision  et  trop  peu  à  la  prémotion ,  ce  qui  ne  plut  pas  trop  à  la  compagnie  : 
on  lui  6tA  la  régence  de  théologie.  Envoyé  à  Nantes,  il  y  fut  de  grande  édiQcation 

dans  les  retraites appelé  à  Caen  par  M.  de  Nesmond,  évoque,  il  rétablit  le 

calme  dans  une  communauté  de  religieuses  qui  avoit  éprouvé  quelques  troubles 

par  rapport  à  leurs  directeurs étant  vieux,  à  la  Flèche,  à  l'hôtel  des  invalides, 

fait  un  voyage  à  pied  «  et  s'asseoit  dans  le  chemin  sans  pouvoir  marcher.  Un  homme 
charitable  le  rapporte  sur  ses  épaules  avec  grande  peine  :  Eh  I  mon  père ,  lui  dit-il , 
ne  vaudroit-il  pas  bien  mieux  vous  faire  porter  par  une  béte  que  par  un  homme  ?  b 

39- 


228  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

uns  et  les  autres  ne  m*ont  répondu  que  par  un  grand  silence  ou  par 
des  discours  vagues  ou  généraux.  Je  vois  bien  ce  que  c'est  :  mes  ac* 
cusateurs  ne  se  soucient  pas  que  je  me  corrige,  et  mes  juges  ne  veulent 
point  que  je  me  justifie.  En  cela,  mon  révérend  père,  j  ai  toujours  ex- 
cepté votre  révérence;  je  crois  seulement  que  l'autorité  de  mes  accu- 
sateurs, dont  je  sais  que  deux  ont  aussi  été  de  mes  juges,  vous  auront 
arraché  ma  condanmation ,  et  que  le  mot  de  noaveaatés ,  prononcé  avec 
force  par  d'aussi  bons  connoisseurs  que  le  P.  F.  et  le  P.  M.  (sic) y  vous 
aura  tellement  effrayé ,  que  le  péril  de  la  compagnie  vous  aura  paru  trop 
pressant  pour  examiner  s'il  étoit  réel.  Je  suis  même  persuadé  que  vous 
avez  cru  rendre  service  à  Dieu  en  me  condamnant,  et  je  le  prie  de  tout 
mon  cœur  de  vous  en  tenir  compte,  aussi  bien  que  des  anathêmes  qu'on 
m'a  rapporté  que  le  zèle  vous  a  Édt  prononcer  contre  moi,  un  peu  après 
ma  condamnation.  Vos  intentions  étaient  saintes,  cela  me  suffit.  Et, 
d'ailleurs  ,  mon  révérend  père,  je  suis  plus  sensible  au  bien  qu'au  mal 
qu'on  me  fait.  Je  n^c  souviendrai  toujours  avec  reconnoissance  de  toutes 
les  bontés  que  vous  m'avez  autrefois  témoignées.  Je  crois  même  que  les 
calomnies  de  mes  accusateurs,  en  m'ôtant  votre  estime,  ne  m'ont  point 
tout  à  fait  ôté  votre  amitié.  C'est  dans  cette  persuasion  que  je  m'adresse 
à  vous,  mon  révérend  père,  pour  vous  demander  le  détail  des  crimes 
dont  on  m'a  chargé  à  votre  consulte  provinciale ,  et  sur  lesquels  vous 
avez  conclu  mon  exil.  Si  le  révérend  père  provincial  a  mieux  aimé  me 
faire  excuse  de  m' avoir  maltraité  que  de  me  donner  là-dessus  l'éclaircis- 
sement que  je  me  suis  cru  obligé  de  lui  demander,  je  serois  bien  fâché 
que  mes  autres  juges  fissent  de  même  :  ce  seroit  m'ôter  le  moyen  de  me 
corriger,  si  j'ai  tort,  et  de  me  justifier,  si  j'ai  raison.  Je  prie  votre  révé- 
rence d'en  user  à  mon  égard  avec  plus  de  droiture,  et  de  me  déclarer, 
en  détail,  de  quoi  il  faut  que  je  me  corrige  ou  que  je  me  justifie.  Ce 
sera  mettre  le  comble  aux  obligations  que  je  vous  ai.  Je  suis  avec  res- 
pect ,  etc.  )) 

A  cette  récrimination  assez  inutile  et  médiocrement  prudente,  le 
R.  P.  Guymond  ne  répond  ni  oui  ni  non  sur  la  part  qu'il  aurait  prise 
à  la  disgrâce  d'André,  mais  il  lui  rappelle  le  précepte  de  l'humilité 
et  surtout  celui  de  l'absolue  obéissance.  Il  ne  lui  cache  pas  le  tort 
quon  lui  impute,  à  savoir,  son  inclination  pour  la  nouvelle  doc- 
trine; il  lui  déclare  que  la  société  a  résolu  de  ne  point  souffrir  cette 
doctrine  :  elle  veut  non-seulement  qu'on  ne  la  loue  pas ,  mais  qu'on  la 
combatte.  Le  cartésianisme  est  aujourd'hui  aux  yeux  de  la  société  ce 
qu'était  le  calvinisme  avant  le  concile  de  Trente;  de  sorte  que  dire 
qu'on  estime  Descaries  et  qu'il  a  des  opinions  raisonnables ,  c'est  dire 


AVRIL  1843.  229 

quon  a  de  reslimc  pour  Calvin,  que  Calvin  a  des  opinions  raison- 
nables. Cette  lettre  peint  si  bien ,  avec  la  bonhomie  du  P.  Guymond , 
l'entreprise  de  la  compagnie ,  que  nous  la  rapporterons  tout  entière. 

A  Paris,  ce  g  juillet  1707. 

<i  Mon  révérend  père , 

«  Pax  Christi. 

«  Je  suis  bien  aise  que  votre  révérence  ait  voidu  s'adresser  à  moy  en 
ce  qui  la  regarde;  elle  sçait  que  j'ai  eu  de  lamitié  pour  elle,  et  je  Tas- 
sure  que  j'en  ay  encore  plus  que  jamais.  C'est  dans  un  sentiment  de 
l'amitié  la  plus  sincère  que  je  luy  diray  tout  ce  que  je  pense,  et  je  la 
prie  de  le  recevoir  du  même  cœur  que  je  le  dis. 

«Il  me  paroist,  mon  cher  père,  que  vous  avez  l'esprit  un  peu  aigri. 
Vous  pariez  d'accusateurs,  déjuges,  de  condamnations,  d'exil.  Entre 
ces  accusateurs  que  vous  trouvez  si  injustes  vous  mettez  deux  personnes 
assurément  des  plus  sages  et  des  plus  vertueuses.  Vous  dites  aussi  que 
le  R.  P.  provincial  vous  a  fait  des  excuses  de  vous  avoir  maltraité  ;  tout 
cela  est-il  de  ce  divin  maistre  qui  nous  dit  :  «  Prenez  de  moy  (jue  je  sais 
dovLx  et  humble  de  cœur?  De  plus,  à  prendre  au  fond  le  sujet  de  votre  cha- 
grin, il  ne  s'agit  que  d'un  changement  de  collège.  Hé  quoi!  faut-il  tant 
de  mystère  pour  vous  envoyer  d'un  lieu  dans  un  autre?  où  est  cette 
volonté  toujours  preste  à  obéir  en  tout  ce  qui  n'est  point  péché?  où  est, 
comme  parle  saint  Ignace,  lebaston  du  vieillard?  où  en  sont  les  (supé- 
rieurs), si,  à  chaque  disposition,  il  faut  rendre  tant  de  raisons  et  entendre 
tant  de  justifications?  Il  suffît  que  les  pensionnaii*es  ne  soient  pas  con- 
tents de  vos  soins  envers  les  enfants  ni  de  la  manière  de  les  conduire. 

«  Vous  direz  que  c'est  encore  une  autre  cause  qui  vous  fait  de  la 
peine ,  savoir  l'attachement  qu'on  croit  que  vous  avez  à  ces  deux  au- 
teurs, Descartes  et  Malebranche.  Ce  point  est  de  conséquence ,  et  c'est 
sur  quoy  il  faut  tacher,  avec  la  grâce  de  Dieu,  de  vous  persuader  que 
vous  avez  tort  plus  que  vous  ne  pensez,  et  que  vous  n'avez  point  sujet 
de  vous  plaindre. 

«Premièrement,  il  est  certain  que  très-souvent,  en  pleine  récréation, 
devant  tous  les  préfets,  vous  avez  fait  leur  éloge,  que  vous  avez  soutenu 
avec  chaleur  plusieurs  de  leurs  sentiments;  que  vous  avez  parlé  avec 
mépris  d'Aristote  et  des  théologiens  qui  le  suivent  avec  saint  Thomas  ; 
que  tous  ceux  qui  n'admirent  pas  ces  gens-là  vous  font  pitié ,  et  qu'ils 
n'ont,  à  vous  entendre,  point  d'esprit  en  comparaison  des  autres;  que 
vous  avez  donné  à  plusieurs  escholiers  tant  de  dégoust  de  leurs  écrits 


230  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qu*ils  ne  daignoient  les  lire  et  les  étudier.  Ces  faits-là  sont  notoires ,  et 
tous  les  préfets  avec  d'autres  pères  âgez  en  donnent  témoignage.  Ce 
bi*uit  et  cette  réputation  ne  suffist-elle  pas  à  un  supérieur  pour  éloigner 
un  homme,  et  pour  montrer  qu'on  ne  veut  pas  souffrir  chez  nous  cette 
nouvelle  doctrine? 

<(  En  second  lieu ,  si  vous  prenez  garde  à  la  lettre  que  vous  m'écrivez 
pour  vous  justifier,  vous  verrez  vous-même  qu'elle  vous  condamne. 
Vous  avouez  que,  de  tout  temps,  vous  avez  eu  de  Vestime  pour  ces  deux  au- 
teurs, que  leur  doctrine  n'est  point  une  hérésie  et  une  nouveauté  dangereuse, 
qu'il  n'y  a  point  d'homme  en  France  assez  stupide  pour  ne  pas  convenir  que 
parmi  leurs  opinions  il  y  en  ait  de  fort  raisonnables.  Ce  langage  m'étonne 
extrêmement ,  car  la  vérité  est  que  cette  doctrine  est  en  toute  sa  subs- 
tance opposée  à  la  bonne  théologie ,  et  même,  en  plusieurs  articles,  &  la 
foy.  Vous  savez  qu'elle  a  été  réprouvée  à  Rome,  par  M.  de  Paris  et  par 
quelques  universitez.  Vous  ne  pouvea  ignorer  que  le  père  général  et  les 
supérieurs  la  défendent ,  que  la  compagnie  prétend  non-seulement  qu'on 
ne  l'approuve  point,  mais  encore  qu'on  la  combatte,  ainsi  qu'on  com- 
battoit  celle  de  Calvin  avant  le  concile.  Après  cela,  mon  cher  père, 
comment  vous  séparez-vous  du  sentiment  de  Rome,  de  tous  les  théo- 
logiens bons  catholiques,  et  de  notre  compagnie?  Comprenez,  je  vous 
prie,  que  dire  que  vous  les  estimez  et  qu'ils  ont  des  opinions  bien  rai- 
sonnables ,  c'est  comme  qui  diroit  :  j'ay  de  l'estime  pour  Calvin,  et  il  a 
des  opinions  très-raisonnables. 

<(  Au  reste  l'affaire  est  sérieuse ,  car  on  est  résolu  de  ne  point  souffrir 
dans  la  compagnie  non-seulement  ceux  qui  suivent  ces  auteurs  ou  qui 
les  louent,  mais  ceux  qui  ne  les  blâment  pas  et  qui  n'ont  pas  de  zèle 
contre  leur  doctrine.  C'est  pourquoy,  je  vous  prie,  mon  cher  père, 
dcsabusez-vous,  et  reconnoissez  que  vous  avez  eu  grand  tort  de  louer 
ces  gens-là ,  et  de  passer  pour  un  de  leurs  disciples.  Si  j'étois  à  votre 
|)lace,  je  dirois  au  révérend  père  recteur  et  j'écrirois  au  révérend 
])ère  provincial  :  il  est  vray  que  j'ay  eu  de  l'estime  pour  Descartes  et 
pour  Malebranche,  et  que  je  n'ay  point  cru  leur  doctrine  dangereuse; 
mais,  puisque  la  compagnie  les  condamne,  je  vois  maintenant  que  je 
me  suis  trompé;  j'ai  eu  tort  de  les  louer  et  j'en  demande  pardon  à  votre 
révérence  et  à  tous  nos  pères.  Je  proteste  que ,  loin  de  les  approuver 
maintenant,  je  les  regarde  comme  des  auteurs  très-dangereux  dans  la 
religion  et  très-contraires  à  la  bonne  théologie. 

«Faites,  je  vous  prie,  réflexion  que  je  vous  parle  avec  une  vraye 
amitié,  et  que  ce  que  j'ay  l'honneur  de  vous  dire  ne  peut  avoir  qu'un 
très-bon  effet  et  devant  Dieu  et  devant  les  hommes.  Certainement  le 


AVRIL  1843.  231 

sujet  que  vous  avez  douné  de  croire  que  vous  étiez  sectateur  de  ces 
nouveaux  philosophes  demande  une  rétractation.  Je  prie  le  Seigneur  et 
sa  sainte  mère  de  vous  inspirer  ces  sentiments  ;  je  le  souhaite  du  même 
cœur  dont  je  suis,  dans  Timion  de  vos  SS.  SS.,  votre,  etc. 

«Hervé  Guymond,  S.  J.  *) 

En  recevant  cette  lettre  si  naïvement  intolérante ,  et  où  la  bonhomie 
le  dispute  au  fanatisme,  le  P.  André  dut  comprendre  toute  la  gravité, 
tout  le  danger  même  de  sa  situation.  Il  reconnut  qu'il  y  avait  un  parti 
pris,  contre  lequel  se  briseraient  tous  lès  raisonnements.  Comment 
éclairer  un  pareil  aveuglement,  et  donner  un  peu  de  raison  à  Tes- 
prit  de  parti,  surtout  à  l'esprit  de  corps,  si  opiniâtre  et  si  ardent, 
parce  qu'il  se  compose  et  se  nourrit  de  toute  la  vivacité  de  l'intérêt 
personnel  fortifié  delà  noble  apparence  de  l'intérêt  général?  Devant 
de  tels  adversaires,  quand  ils  ont  en  main  la  puissance,  ce  qu'il  y 
a  de  mieux  à  faire  est  de  mépriser  intérieurement  et  de  se  taire. 
C'est  ce  que  fit  pendant  un  an  le  P.  André  ;  mais ,  quand  on  a  de  la 
grandeur  et  de  la  force  dans  l'âme ,  on  ne  se  résigne  pas  longtemps  à 
une  sagesse  qui  ressemble  à  la  pusillanimité  ;  quand  on  croit  à  la  vérité 
et  quand  on  Taime,  on  la  préfère  à  soi  et  on  se  risque  un  peu  pour 
elle.  Bientôt  donc  le  sentiment  de  la  justice  surmonta  la  prudence 
dans  le  généreux  et  intrépide  jésuite,  et,  le  1 5  juillet  1 708 ,  après  un  an 
d'efforts  sur  lui-même  pour  retenir  son  indignation ,  il  la  laisse  éclater, 
et,  au  lieu  de  la  rétractation  qu'on  lui  demande,  il  adresse  au  P.  Guy- 
mond  une  apologie  régulière  et  complète  du  cartésianisme,  au  point  de 
vue  religieux  et  chrétien.  Cette  apologie,  écrite  il  y  a  un  siècle  et  demi 
par  un  jésuite,  a  prévenu  celle  qu'ont  entreprise  le  cardinal  Gerdil 
{Opère  édite  ed  inédite  del  cardinale  Gerdil,  in  Roma,  1806,  passim)  et 
M.  Tabbé  Eymery,  supérieur  de  Saint-Sidpice ,  au  commencement  du 
XIX*  siècle  [Pensées  de  Descartes  sur  la  religion  et  la  morale,  Discours  préli- 
minaire, Paris,  1811).  Aujourd'hui  encore  elle  est  malheureusement  de 
mise  et  pourrait  être  adressée  aux  mêmes  personnes  :  il  n'y  a  guère  à 
changer  que  les  noms  propres. 

«  1 5  juillet  1708. 
w  Mon  très-révérend  père , 

<(  Vous  serez  sans  doute  surpris  que  je  m'avise  aussi  tard  de  répondre 
à  la  lettre  que  vous  me  fites  l'honneiu*  de  m'écrire  Tannée  dernière. 
Plusieui*s  raisons  très-fortes  m'en  ont  empêché  jusqu'ici;  mais,  après 
avoir  tout  exaoïiné ,  j'ai  cru  que  la  justice  et  la  charité  ne  me  permet- 


232  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

toient  plus  de  me  taire.  Je  ne  veux  point  que  ma  conscience  ait  davan-^ 
tage  à  me  reprocher  que  je  souffre  sans  réponse  Toutrage  que  vous 
faites,  en  m*écrivant,  à  deux  auteurs  très-catholiques,  de  les  placer  au 
rang  des  plus  infâmes  hérésiarques,  et  que  je  laisse  une  personne  qui 
me  doit  être  aussi  chère  que  votre  révérence  dans  une  erreur  si  contraire 
à  la  vérité  et  par  conséquent  si  préjudiciable  à  son  salut.  Souffrez  donc, 
mon  révérend  père,  que  Tespérance  de  vous  être  utile  l'emporte  sur  la 
crainte  de  vous  déplaire ,  et  que  je  tâche  de  vous  désabuser  au  sujet  de 
ces  deux  illustres  calomniés;  cest  ce  qui  ne  sera  pas  fort  difficile,  pour 
peu  que  vous  soyez  capable  d*en  juger  sans  prévention. 

((  En  effet ,  le  préjugé  à  part,  la  comparaison  que  vous  faites  de  leur 
doctrine  avec  celle  de  Calvin  est-elle  soutenable?  Est-il  une  page  dam 
cet  hérésiarque  qui  ne  montre  à  découvert  Tesprit  hérétique  dont  il  étoit 
animé  ?  Et  en  est-ii  une  dans  les  auteurs  en  question  qui  ne  respire  un 
air  de  catholicité  qui  ôte  aux  lecteurs  équitables  tout  sujet  de  douter  de 
leur  religion?  Ont-ils  jamais  fait  une  démarche  ou  produit  un  ouvrage 
qui  nen  soit  la  preuve? 

«  Commençons  par  M.  Descartes.  Que  ce  nom,  je  vous  prie,  ne  vous 
prévienne  point  contre  mes  raisons.  Quel  attachement  ne  montre-t-il 
pas ,  dans  sa  Méthode,  pour  la  religion  de  ses  pères?  A  qui  adresse-t-il  ses 
Méditations  métaphysiques ,  où  Ton  prétend  trouver  tout  le  venin  de  sa 
doctrine?  N'est-ce  point  à  l'université  la  phis  catholique  de  l'Europe ,  et 
qui  le  fit  bien  voir  en  cette  occasion  même ,  n'ayant  accepté  la  dédicace 
de  ce  livre  qu'après  l'avoir  fait  examiner  par  ses  plus  habiles  et  plus 
zélés  docteurs?  Pouvez-vous  ignorer  qu'il  a  soumis  ses  Principes  à  la 
censure  de  l'Eglise?  A-t-il  fait  un  livre,  a-t-il  presque  écrit  une  lettre 
qui  ne  porte  des  marques  évidentes  de  sa  religion?  Le  pèlerinage  qu'il 
fit  à  Notre-Dame-de-Lorette  est-il  d'un  hérétique?  Vous  savez  qu'il  aima 
toujom's  notre  compagnie,  et  que,  jusqu'à  la  mort,  il  entretint  un  com- 
merce de  lettres  avec  les  plus  saints  et  les  plus  savants  jésuites  de  son 
siècle,  et  qui  apparemment  l'eussent  bientôt  abandonné,  si,  comme 
votre  révérence,  ils  l'eussent  tenu  pour  un  Calvin.  Mais  ils  avoient  trop 
d'esprit  et  trop  d'équité  pour  en  porter  ce  jugement.  Ils  n'avoient  garde 
de  réprouver  sa  doctrine  comme  opposée  à  notre  sainte  foi,  tandis  que 
le  ministre  Voet,  à  la  tête  de  l'université  d'Utrecht,  la  poursuivoit 
comme  tendant  à  la  ruine  entière  du  calvinisme;  tandis  que  ses  senti- 
ments et  sa  conduite  le  faisoient  regarder  en  Hollande  comme  un  émis- 
saire du  pape,  et  comme  un  jésuite  déguisé;  tandis  qu'il  y  étoit  persé- 
cuté comme  un  papiste  trop  hardi  à  professer  sa  religion  ;  tandis  qu  il 
écrivoit  avec  tant  de  zèle  à  ime  princesse  calviniste  pour  justifier  la 


AVRIL  1645.        •  233 

conversion  d*un  prince  de  sa  maison.  Voici  un  irait  de  sa  lettre  qui  sera 
*  un  témoignage  étemel  de  son  catholicisme  et  de  la  malice  de  ses  calom- 
niateurs :.  Tools  c^iuD,  dit-il»  qui  sont  de  la  religion  dont  je  suis  approuve At 
son  chan^ejhent;  pour  ceux  qui  sont  £une  autre  créance,  j  ils  considèrent 
quils  ne  seroient  pas  dé  là  religion  dont  ib  sont,  si  eux  ou  leurs  pères  ou 
leurs  aïeux  navoient point  quitté  la  romaine,  ils  n  auraient  pas  sjgetdese  mo- , 
quer  ni  de  nommer  inconstanïs  veux  qui  quittent  la  leur  ^  Après  cela,  mon 
révérend  père ,  permettez-moi  de  le  dire ,  quelle  est  votre  charité  de 
mettre  M.  JDescàrtes  en  parallèfe  avec  Calvin  ?  Par  quel  endroit  a-t-il 
mérité  un  si  indigne  traitement?  H  a^ toujours  (respecté)  TÉglise;  il  y  a 
vécu-;  il  y  est  mort  en  paix.  Peu  de  jours  avant  sa  dernière  maladie  il 
communia  de  la  main  du  P.  Viogué^  M.  Chanot,  un  des  hommes  les 
plus  sincères  et  lès  plus  i%l%ieux  de  son  temps,  a  rendu  plusieurs 
témoignages  authentiques  à  la  pureté  de  ^a  foi  et  à  Tinnocence  de  ses 
mœurs'.  La  reine  Christine  à  dédaré  par  écrit  de  sa  main  que  M.  Des-' 
cartes  avait  plus  que  penonne  contribué  à  sa  glorieuse  conversion  ^ 
Voilà  certainement  un  Calvin  bien  difi&rent  du  premier;  un  Calvin 
qui  s'applique  à  étendre  la  Toi  de  TÉg^iae  romaine  ! 

«A  regard  du  P.  Malebranche,  il  esfeneorç  plus  étonùant  que  vous 
compariez  sa  doctrine  avec  Thérésie  calvinienne.  Si^vous  vous  ètejs 
donné  la  peine  de  lire  ses  ouvrages,  n'y  avez-vous  point  remarqué  un 
extrême  éloignement  pour  Tesprit  de  cabale?  Quelle  piété  répandue 
dans  ses  livres!  Quelle  bonne  foi!  QueUe  humilité  &  confesser  son  igdo- 
rance  et  à  convenir  de  ses  erreurs  aussitôt  qu'on  les  lui  découvre?  Quel 
amotir  pour  Jésus-Christ  !  Quel  attachement  à  l'Églîse  !  Qiiet  fléau  du 
jansénisme!  Peut-on  coinbattre  plus  solidement  le  système'  de  M.  Ar- 
naud sur  la  grâce,  la  prédestination  et  la  liberté?  Mais  surtout  avec 
qttelle  (jiarité  faites-y  attention ,  mon  révérend  père ,  c'est4a  marque' 
à  laquelle  nôtre  aimable  maître  veut  qu'on  reconnoisse  ses  disciples), 
avec  quelle  charité  il  répondit  à  ses  adversaires  et  k  celui  même  qui 
Tavoit  attaqué  avec  nK>ins  de  raison  et  plus  d*insolence  ^  !  Tout  cela  est- 

m 

*  Voy.  noire  édition,  t.  K,  p.  371.  r^*  Vie  de  Descartes,  par  Bailiet,  II*  part, 
chap.  XXI,  D.  4i4.  —  '  Ihid.  BaiUet  citçdes  lettres  manascrltes  dé  H.  Ghanut  à  la 
princesie  Élisabelli  et  à  Tabbé  Picot.  Nous  oossédons  les  preçiières,  au^.  nous  pu- 
blierons un  jour.  —  *  Ibid,  chw).  xxiif,  p.  4^3.  —  *  Le  P.  André  fiât  ici  probabte- 
ment  allusion  à  Técrit  du  père  jésuite  Le  Valois,  caché  sous  le  pseudonyme  de  Louis  . 
de  la  Ville  :  Sentiments  de^ M.  iJjficartes  touchtait  tSmence  et  les  propriétés  des  corps, 
ovposis  à.la  doctrine  de  l'Église  et  conformes  aux  arrifsn  de  Calvin  sur  h  sujet  de  Vea- 
charutie,  par  Louis  de  k  Ville,  Paris,  in-12  .  i68o*  Dans  cet. outrage,  ce  n'est  pas 
seulement  Descartes  qui  est  pris  Vp^  ^^^  1®'  cariésieiis  et  surtoitit  ^a!e- 
lurandie.  .  •  •        '     »  *  ^ 

36 


234  JOURNAL *DES  SAVANTS. 

ri  cl*ùn  Calvin  ?  Je  puis  vous  assurer  que  sa  personne  est  encore  moins 
hérétique  que  ses  ouvi^igès.  Si  vousvouUes  en  (aire  f  épreuve,  que  vov^ 
verriez  de  dififérence  entre  le  véritable  P.  Matebr^chè  et  le  fahtôaae 
ridicule  que  vous  combattez!  Vous  verriez  un  homme  doux,  simple, 
pacifique,  droit,  puvert,  toujours  prêt  à  rendre  raison  de  sa  foi.  Vous  y 
trouveriez  un  modèle  de  piété,  d*aâ>n^ti<») ,  de  prudence  et  de  a^; 
je  ne  dis  pas  de  zèle  aveugle,  amer  et  turlHlIent,  mais  d'un  z^e  véri- 
tablement chrétien,  éclairé  par  la  science  et  adouci  par  la  diarilé. 
C'est  la  justice  que  lui  rendent  toutes  les  persoimes  qui  ont  lé  bonjicittr 
de  le  connaître ,  et  que  vous  lui  rendriez  sans  doute  vous-même,  si  voès 
aviez  pris  la  peine  d'étudier 'sa  doctrine  et  sa  personne.  •    " 

«Voilà,  mon  révérend  père,  quels  sont  en  effet  M.  Descartès'^t  le 
P.  Malebrandbe ,  bien  différents  de  ce  quHsTsont  dans  votre  imaginatiAD. 
Voilà  ces  Calvin  de  nos  jours  qu'on  ne  peut  estimer  sans  crime,  qu^ôn 
ne  peut  louer  sans  àM^omir  l'indignation  des  gens  de  bien ,  et  donties 
sentiments  sont  si  abominables,  que  c'est  im'e  hérésie  de  dire  que  par'- 
mi  {ear5  opinions  il  s'y  en  trouve  quetqnes-unes  de  raisonnahles.  Maia  es- 
core ,  puisqu'il  vous  plmt  de  les  comparer  à  Calvin ,  où  sont  les  nçni- 
veaux  dogmes  qu'ils  ont  avancts ,  ou  les  anciens  qu'ils  ont  combattus  ?  * 
En  un  mot,  où  socit  leurs  hérésies?  Montrez  m'en  une  seule  dans  leurs 
ouvrages,  et  je  les  déclare  anathêmet»     ' 

<(  Bs  ont  des  erreurs,  j'en  conviens  ;  où  est  Tautein*  qui  n'en  a  pas  ?  Peut- 
être  même' que  de  ces  auteurs  on  petft  tirer'  des  conséquences  fâcheuses 
pour  la  foi;  usais  ils  nient  ces  conséquences ,  et  prétendent  qu'elles  ne 
suivent  pas  de  leurs  principes.  Disons  plutf  t  je  vrux  qu'ils  raisonnent 
mil ,  et  que  leur  prétention  soit  tout  à  fait  insensée  :  mais  l'Église  n'a 
encore  rien  décidé  contre  leur 'doctrine.  Comment  donc  votre  révé- 
rence oaeA-elle  assurer  qu'on  la  doit  combattre  conime'celle  de  Camb, 
avant  le  concile?  £tes-vous  assez  peu  instruit  dans  l'histoire  pour  igno- 
rer que  cet  hérésiarque  ne  fit  que  donner  une  nouvelle  forme  à  de 
vieilles  erreurs  déjà  mille  foils  conddnméès,  qu'il  n'attendît  point  lés 
foudres  de  TEgiise  pour  ronipre  ouvertement  avec  elle ,  que ,  longtemps 
avant  le  concile ^  il  s'ëtoît  retiré  à Xîenève  pour  y  établir  le  siégé  de- 
rantîpapisme?  Donè,  avant  le  concile,  on  pouvoit  sans  témérité  lé  trai- 
ter comme  up  hérétique.  Mais  un  peu  d'équité ,  moii  révérend  père  ; 
pouvez-vous  traiter  de  la  même  sorte  deux  auteurs  que  la  plus  grande 
et  la  plus  saine  partie  dewftholigues.  tiennent  pour  orthodoxes  ;  qui 
n'ont  jamais  attaqué  ni  di!fêctement  ni  indirectement  aucun  artide  de 
notre  foi-^  qui  ont  même  tâché,  à  Fexemplé  dé  saint  Augustin ,  de^saint 
Tj^omas,  etc.  de  trouver  de  noutKÙes  raisons -pour  en  appuyer  lef 


AVRIL  1843.  .  235 

fondements  et  pour  en  éclairciries  mystères;  deux  auteurs  doutTun^ 
est  mort  dans  le  sein  de  TÉglise  romaine ,  et  dont  l'autre  y  vit  encore 
avec  édification  ?  t.  ♦  •    ^ 

((  Mais .  enfin  «  dites-vous ,  leur  doctrine  a  été  répromée  à  Rome.  Qu'un 
^eu  de  bonne  foi  siéroit  bien  avec  un  grand  tèle  !  Il  semble  mie  vous 
vouliez  parler  d'ui^e  censiœé  authentique,,  fulminée  contre  euirpar  le 
pape ,  et  il  ne  s'agit  que.  de  ïindice.  Je  sais  que  quelquçs-uns  de  let:^ 
ouvrages  y  ont  été  mis,  et  pourquoi,  et  comment.  Mais,  mon  revend 
père ,  pensez-vous  qu^il  faille  combattre  la  doctrine  de  tous  l^,  auteii^ 
qui  sont  daos^ cette  listjp  comme  celle  de  Calvin?  H  faut  donc  dire  ana- 
thême  au  P,.  Langlois^  au  P.  Letelljer^,  à  combien  d'autres  bons  catho-, 
liques'l  Et,  si  quelqu'un  est  assez  hardi  pour  ayancer  qu'il  les  estime  tk 
que  parmijiears  opiniom  il  y  en  a  de  fort  raîsonnableii ,  îl  feudra  s^étpnner 
de  ce  terrible,  langage ,  et  lui  faioe^  entendre  sérr^useihent  que  ç*est 
ccmime  qui  fliroit  :  J'ai  ieVestimépour  Gahm^et  U^a  des  opinions  hien 
nusomiablesl  Dites-moi ,  mon  révérend  père,  quel  sêroit  dans  te  monde 
l'efiet  d'un  pareil^sèle?  N'exciterbit-il  point  d'abord  la  risée  publiqueTSla 
pitié  ensuite,  et  enfin  l'indignation  de  tous  les  honnêtes  gens  ?  Et,  dans 
la  vérité,  qui  sera  jamais  à  couvert /lu  reproche  d'h^sie,  s'3  est  jper- 
mis  i  chaque  particulier,  ^ur  des  c^séquencesJ>ien  ou  mal  tirées ,  d!ac^ 
cuser  de  ces  crimes  le  premier  qiu  s'avisera  de  ctfnârêdire  ses  opinipuS;? 
thomistes,  scotistes,\noli|iistes,nous  serons  tous  l^rétiques,  et  pis  en- 
core, s'il  plaît  au  caprice  de  nos  adversaires. 

«  Au  reste ,  mon  révérend  père ,  je  ne  suis  point  «sectateur  aveugle  *de^ 
M.  Descartes  et  du*P.  Malebranc^e.  Si  j'embrasse  les  vérités  qu'ils  dé- 
montrent, je  tâche  de  suspendre  mon  jugepient  sur  cdles  de  leurs  opi^ 
nions  qui  ne  sont  que- vraisemblables ,  et  je  suis  prêt  de  combattre  les  * 
ecreurs  qu'ils  avancent,  non  pas,  je  Taniioue,  copime  des  hér^ieli,  mais 

■■■  "•*  ' 

^  S*agit-Sici'da  P.  Jean-Baptiste  Langlois  ,*tié  à  Neversen  i663,  entré  dans  la 
société  en  1679 ,  et  moit  en  170&,  auteur  de  quelques  écridlassez  insignifiants ,  Èa 
joamée  ipijjtwUB  à  Vusage  des  v^tgê$,  Da  respect  hamaint  HistairmMJfÊ  i^ti^sades 
contre  les  Albigeois^  ijoifin-i^ ,  et  élfis  divers  ourrages  composés  parlés  jésuites 
contre  Tédition  de  saint  Augustin  des  bénédictins  ?  Moreri  ne  oit  pomt  qu'aucun  dt. 
ces  écrfls  ait  été  mis  à  Yinaex,  —  ^  CertaineBent 'celui  dont  il  a  été  question  plus 


pidsieurs  fi)is  blâmée.  .VbyeK  Moreri ,  art.  Tel- 
lier,  —  ^  Cest  à  peu  pi^s  la  même  réponse  que  fait  au  P.  Veo^pra  (D0  method&j^ 
losophandir  Rom8&,  i8a8,  Dissert.  préKm.  S  ^5,  p.  i,$  6ii)  M.  Tabbé  Gossdin, 
danupon  eiceHente* dissertation  :  Fénélon  considéré  commje  métaphysicien^  p.  Qa ,  der- 
nier vtftiufte  iMi  Oi^ivras^e  Pé»é)oii 

3o. 


# 


•  • 


» 
\ 


236  JOOI^AL  DES  SAVANTS. 

comme  de^.'mépiises  qui  échappent  à  la  foibiesse  de  Tesprit  humaiHr 
Cest  le  nom  que  la  justice  m^oblige  de  leur  donner,  et  que  la^  charité, 
qui  adoucit  tout,  devroit,  ce  n^  seinhle,  vous  faire  approuver.  Vous^ 
sçaves  que,  sans  cette  vertu,  ni  la  foi  qui  transporte  les  montagnes,  m 
Taumône  qui  rachette  les  péchés ,  ni  le  martyre  qui  les  efface,  ne  servenf 
de  rieinl^ur  le  salut.  Vous  ^vez  que  f  esprit  déJfésus*Ghrist  est  un  es^ 
prit  de  douceur.  Est-ce  cet  esprit,  mon  révérend  père.,  qui  vous*a  dâcté 
les  atroces  injures  dont  veus  accablez  deui^  pauvres  auteurs,  qui  vous  son^ 
asl^i^rï^ent  inconnus?  Croyez-vous  qu»oe  zèle  soit  fort  agrâJ>le  à  notire 
charitable  maître?  Plût  à  Dieu  que  vous  ne  lés  pussiez  pas  encore  con* 
damnés  I  Je  vous  dirois  de' sa  part  :  NoUte  condemnare,  et  non  condemna- 
binùni;  mais,  puisque  vous  avez  déjà  porté  leur  arrêt,  souffrez  que  je 
vous  dise  avec  lui-même  :  Si  sciretis  qnoi  misericordiam  voloM  non  sa- 
crificinm,  nanquam  toniemnçissetU  im^entes.  Pardonnez-moi,  mon  ré- 
vérend père ,  ceis  refluions  en  faveWu  une  infinité  d'autre!  que  je^q|i{ls 
épargne;  car  je  pourvois  encot^  vous  montrer  que,  dans  votre  lettre, 
vdCls  prêtez  à  la  compagnie  des  vues  quelle  n*a  pas;  que  les  termes  que  * 
vous  reprenez  dans  la  mifsme  sont  les  plus  soumis  et  les  plus  modérés 
qui  soient  en  usage  pour  exprimer,  les  choses,  dont  javoisèpari^,  que 
4ès  accusations,  que  vou^  citez  contilt.  moi  sont  toutes  fausses^  ou  ridi* 
cules ,  que  la  formille  di  rétractation  que  vous  m'envoyez  est  tout  à  fait 
contraire  à  la  charité,  etcMais,  parce  que  je.ci^dns. de  blesser  cette 
vertu  en  plaidant  pour  elle ,  je  m'abandonne  volontiers  pour  ne  songer 
qu'à  votre  salut.  Peut-être  ce  zèle  ne  me  co]}vient  pas  :  mais,  quand  il 
Vagit  de  1  mtérêt  éternel  d'un  père ,  dbit-on  s'arrêtei^à  des  bienséance^s 
dont  l'observation  y  mettroit  obstacle?  Je  prie  donc  votre  révérence ,  au* 
nom  de  votre  Sauveur  et  de  votre  sadut,  d'examiner  si  le  jugement  in- 
jurieux qu'elle  a  porté  jusqu'ici^vde  M.  D.  et  du  P.  M.  n'y  pourra  point 
préiudiciar»  et  si  ce  défaut  de  charité  n'y  rend  point  inutile  ce  martyre 
cominuel  dans  lequel  vous  vivez.  Je  suis  avec  respect,. etc.  » 

On  :%r]Gâ|^ peut- être  que,  pour  répon4i'«  à  une  pareille  lettre,  où* 
toutes  ies  âcèiisations  faites  au  cartésianisme  soAt  réfutées  avec  tant- 
de  force,  le  P.  Guymond  va  faire  quelques  frais  d'esprit,  et  i:assem- 
bler  au  moins  quelques  arguments  pluS  ou  moins  plausibles.  Nul- 
lement; il  se  borne,  dans  un  très  -  court  biUet  du  di  juillet  1708,  à 
répéter  ce  qu'il  a  déjà  dit  :  a  La  doctrine  de  Descartes  et  de  Mafe-  ^ 
branche  est 'condamnée  dans  la  compagnie,  et  on  la  trouve  mauvaise 
dans  se^  principes  et  dans  ses^  conclusions.  Si  vous  me  croyez,  vous 
abandonnerez  ces  deux  auteurs  »  et  ne  vous  attacherez  qu'à  ceux  de  notre 


AVRIL  1843.  237 

compagnie.  Le  parti  que  je  vous  conseille  ne  vous  peut  nuire  ni  devant 
Dieu  xff.  devant  les  hommes;  Tautre  vous  nuira  toujours.  » 

Ces  derniers  mots  étaient  prophétiques;  car,  quelques  mois  après' 
cette  lettre,  André  est  envoyé  du  collège  de  la  Flèche  au  petit  collège 
d'Hesdin  en  Artois,  comme  régent  d'une  classe  inférieure.  Et  encore  il 
y  est  mal  vu  et  tracassé  jusque  dans  les  moindres  détails  de  la  vie  :  par 
exemple,  nous  rencontrons  parmi  nos  papiers,  daté  du  commencement 
de  1709,  un  hillet  adressé  à  André  par  le  P.  Letellier,  de  reeteur  de^ 
venu  provincial  avant  ^'être  nonimé  confesseur  du  roi,  bSlet  où  se 
trouve  cette  phrase  :  «Je  Êôs  écrire  au  i^évèrend  père  recteur  pour  qu'il 
trouve  bon  que  vous -ayez  des  rideaux  à  vos  fenêtre».  Pour  ce  qui  est 
de  la  porte,  je  ne  sache  pas  que  cela  soit  d'usage^.  D  y  a  d'autre» 
moyens  d'empêcher  les  vents  coulis.  »  Mais  un  chagrin  tout  autrement 
sérieux  attendait  à  Hes<tin  le  P.  André. 

n  était  arrivé  à  Tépoque  où,  ayant  parcouru  les  grades  inférieur» 
de  la  compagnie,  il  devait  faire  les  derniers  vceux  et  devenir  profès,  ce' 
qui  donnait  accès  aux  emplois  un  peu  élevés.  Mais  la  doctrine  d* André 
ne  parut  point  assez  sûre  au  général  des  jésuites  pour  ladmettre  k 
faire  profession.  André  s* émut  de  ce  refus;  il  s'imagina  qu'on  voulait  le 
chasser  de  la  société;  et,  pour  prévenir  cette  extrême  disgrâce,  il  se 
décida  à  écrire  au  père  général  une  lettre  longue  et  développée ,  où , 
recherchant  les  motifs  du  refus  qui  lui  est  opposé,  il  n'en  trouve  qit'un 
seul,  à  savoir,  son  attachement  à  la  doctrine  de  Descartes  et  de  Maie- 
branche;  siu*  quoi  il  déclare  que,  si  ce  motif  est  le  vrai,  il  est  insur- 
montable et  lempêchera  à  jamais  de  devenir  profès ,  parce  qu'il  est  bien 
résolu  à  ne  point  trahir  sa  conscience  et  à  ne  point  abjurer  la  doctrine 
cartésienne.  Il  pose  donc  au  père  général  cette  alternative,  ou  de  l'ad- 
mettre à  faire  ses  derniers  vœux  à  présent  malgré  ses  opinions,  ou  de 
lui  permettre;dde  se  retijrer  librement  de  la  compagnie.  D  désire  ar- 
demment y  rester;  mais,  s'il  doit  y  vivre  toujours  soupçonné,  mal  vu^ 
maltraité,  il  aune  mieux  en  sortir,  quoiqu'il  soit  sans  aucmie  ressource^ 
sans  patrimoine ,  s^s  asile ,  incapable  de  tout  excepté  de  la  prière  et 
de  l'étude.  Cette  lettre ,  écrite  en  latin ,  est  un  modèle  à  la  fois  d'hu^ 
milité  et  àe  courage. 

Comme  une  affaire*  aussi  importante  que  celle  de  la  démission  d'un^ 
membre  de  la  compagnie  devait  passer  par  le  conseil  provincial,  André  - 
écrivit  à  un  des  membres  de  ce  conseil,  qui  avait  la  réputation  d'être  plu» 


•  < 


•  m 


^  Probablement  d'après  la  règle  ^  NuUus  ita  cubioalam  sunm  clauêàt  quin  aperiri 
ejstrvuwmpwsit,  p.  1^.  Reçvuê  cqmmvkws,  Regul.  Soc.  #.      .  '^**' 


23»  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


•r        ^ 


m   » 


éclairé  et  plus  modéré  que  ses  confrères,  une  lettre  plus  détaillée  encore 
que  la  précédente ,  pour  qu'elle  fût  mise  sous  les  yeux  du  conseil.^iidré 
s  y  explique  catégoriquement  sur  les  points  de  la  doctrine  d#  Male^ 
branche  qu^il  est  résolu  de  ne  pas  abandonner.  Celui  qi4  était '^rs 
le  plus  agité  était  Torigine  des  idées.  Fidèles  à  Aristote,  les  jésuites 
mettaient  dans  les  sens  Torigine  de  toutes  Jes  idées.  André ,  aveC^Des- 
cârtes  et  Malebranche ,  soutenait  la  théorie  platonicienne  qui  rapporte 
à  la  force  de  Tentendement  toutes  les  idées  générales,  seules  appelées 
du  nom  d'idées  ;  et  ces  idées  ou  vérités ,  que  d'entendement  hunàain 
conçoit  mais  qu'il  ne  fait  pas ,  André ,  conune  Haton  et  comme  Maie* 
brahche ,  comme  aussi  Fénélon  et  Bossuet ,  les  faisait  remonter  jusqu'à 
Dieu  lui-même:  Ainsi  les  jésuites»  ces  défenseurs  si  vigilant  du  cauiCK* 
Ucisme ,  étaient  pour  l'école  empirique ,  et  ils  persécutaient  André  comme 
trop  peu  orthodoxe  et  trop  peu  catholique ,  parce  que  celui  -  ci  tenait 
pour  l'école  idéaliste  de  Descartes  et  de  Malebranche ,  c'est-à-dire  pour 
l'école  de  Fénélon  et  de  Bossuet ,  celle  que  plus  tsfà  défendirent  contre 
les  pérq)atéticiens  modernes  Gassendi,  Hobbes ^ Xiocke  et  GondiQac, 
]e  cafdinal  Gerdil,  avec  les  plus  fidèles  interprètes  de  la  religion  chré^ 
tienne.  Jamais  accusation  d'hérésie  ai\.ticatholique  ne  fut  donc  plus  niai 
fondée  que  celle  qu'on  faisait  alors  au  P.  André  ;  jamais  persécution  en 
matière  de  doctrine  n'alla  plus  directement  contre  le  but  même  qu'elle 
se  proposait. 

«  Hesdin ,  le  a  1  juin  j  709. 
«  Mon  très-révérend  père ,  •  -* 


<(  Ayant  une  affaire  qui  doit  bientôt  passer  à  la  consulte  de  pro- 
vince ,  j'ai  cru  qu'il  étoit  à  propos  d'en  écrire  à  quelqu'im  de  ceux  qui 
la  composent ,  afm  de  parler  par  son  entremise  à  tous  les  autres.  Comme 
je  sçais  que  votre  révérence  a  de  grandes  lumières,  et  qne  j'ai  toujours 
ouï  dire  qu'elle  y  joint  une  équité  à  l'épreuve  4e  la  prévention,  c'est 
à. elle  que  je  m'adresse.  Vous  pardonnerez  celte  liberté  à  la  fâcheuse 
nécessité  où  je  me  trouve.  Yoici  le  fait.  Il  y  a  trois  ans  qu'on  me  ren-^ 
voya  de  Paris,  sur  l'accusation  vague  et  générée  que  je  donnois-  dans 
des  nouveautés  dangereuses,  et  qu'en  plusiemrs  occasionys  j'avois  témo^é 
beaucoup  d'estime  pom*  M.  Descartes  et  pour»  le  P.  Malebrianché. 
Comme  je  ne  croyois  pas  qu*il  y  eût  au  monde  une  personne  assez  dé- 
raisonnable pour  condamner  ces  deux  auteurs  en  toutes  choses,  je 
priai  le  révérend  père  provincial  de  me  marquer  en  détail  les  opinions 
dangereuses  que  l'on  m'accusoit  d'avoir  prise$i.d*eux,  afin  que  je  pusse  me 
ju8l||ler  si  j'avois  raison ,  ou  me  corriger  si  j'ayoistoit.  Me  voyant  refiisé 


AVRIL  1843.  239 

et  préTOyant  bien  toutes  les  suites  de  cette  affaire,  et,  d'ailleurs,  per- 
suadé qu'un  prêtre,  accusé  en  matière  de  doctrine,  ne  pou  voit  se  taire 
sansL  prévarication ,  j'en  écrivis  ^  notre  révérend  père  général  pour  le 
conjurer,  de  me  faire  signifier  par  mes  supérieurs  immédiats  queHes 
étoient  ces  nouveautés  dont  on  me  faisoitam  si  grand  crime.  Mais  j*eus 
beau  prier,  on  me  refusa  toujours  cette  grâce,  et  par  là  tout  moyen 
de  me  défendre.  Depuis  ce  temps-là  je  me  suis  tenu  en  paix,  attendant 
en  patience  le  dernier  coup  de  la  persécution ,  c'est-à-Jire ,  mon  révé- 
rend père ,  le  retardement  de  mes  derniers  vœux.  Je  ne  ferai  point  ici 
le  philosophe  :  quoique  j*y  fusse  préparé,  je  n  ai  point  laissé  de  le  sentir, 
et  j'avoue  même  que  je  n'ai  point  été  fâché  d'y  être  sensible,  parce  que 
de  cette  sorte  j*y  ai  trouvé  la  matière  d'un  sacrifice  qu6  j'ai  offert  au 
Sei^èur  avec  joie  et  que  je  lui  joffre  encore  tous  les  jours  par  notre 
adordble  pontife.  •  • 

«Cependant,  mon  révérend  père,  quoique  Dieu  m'ait  donné  cette 
patience,  et  que  ses  consolations  foient  beaucoup  plus  douces  que  ses 
coups  ne  sont  rudes,  il  nfest  toujours  resté  une  peii>e  :  j'^i  comparé  la 
sincérité  de  ma  conduite  (pardonnez-moi >  mon  révéïend  père,  cette 
comparaison;  un  homme  réduit  à  ^e  défendre  est  obligé  de  dire  hien 
des  choses  odieuses  et  qu'il  voudroit  bien  pouvoir  taire),  j'ai  donc  com- 
paré la  sincérité  de  ma  conduite  avec  le  procédé  plein  de  dissimulation» 
que  les  supérieurs  ont  suivi  à^mon  égard  depuis  la  première  accusation 
qu'on  leur  fit  de  ma  doctrine  jusqu'à  la  dernière  punition  qu'ils  en  font. 
Je  vous  en  épargne  le  détail,  que  je  puis  démontrer  par  leurs  lettres  et 
plus  encore  par  leur  silence.  Je  m'arrête  à  la  seule  manière  dont  on  m'a 
signifié  le  retardement.de  ma  profession.  On  ne  lïi'en  écrit  rien  à  moi- 
même  ,  quoiqufl  semble  que  la  charité  le  demandât  ainsi,  et  que  la  jus- 
tice le  permit.  On  prie  seidement  notre  P.  recteur  de  medéelarer 
que  le  révérend  père  général  a  jugé  à  propos  de  me  différer  mes  der- 
niers vœux  à  cojase  de  mon  attachement  aux  opimon$  de  M.  Descartes;  et 
que  si ,  dans  la  suite ,  il  y  aVoit  quelque  autre  chose  à  me  dire,  on  m'en  feroit 
avertir.  De  tout  ce  procédé,  et  principalement  de  ces  dernières  paroles, 
je  conclus,  mon  révérend  père,  -qu'outre  le  délai  de  ma  profession  il 
poun^oit  bien  y  avoir  quelque  autre  chose  que  l'on  me  cachoit  et  qu'on 
étoit  pourtant  bien  aise  que  j'entrevisse ,  que  leur  chanté  me  retenoit 
encore  dans  la  compagnie,  mais  qu'enfin  cette  charité  pourroit  bien- 
tôt* céder  à  la  justice.  Je  crus  même  qu'ils  ne  seroient  point  f&chés 
que  je  les  prévinsse  et  que  je  leur  épargnasse  la  peine  qu'ont  natu- 
rellenient  de  si  bons^res  à  chasser  de  la  maison  patemdle  des  enfaitt^ 
qui  n  y  ont  pas  été  tout  à  fait  iiiutiles.  CVst ,  mon  révérend  père ,  ce 


240         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qui  m'a  déterminé  à  écrire  à  notre  révérend  père  générai,  non  pas  pqnr 
iui  demander  ma  démission,  je  nai  pas  jugé  que  cda  fut  nécessaire, 
mais  pour  le  supplier  très-humbiement  d*examiner  les  raisons  qu'il  a 
de  me  la  donner,  et  de  s'y  rendre  s'O  les  trouve  bonnes,  §ans  aucun 
égard  à  mes  intérêts  particuliers,  que  je  sacrifie  de  bon  cœur  à  Tinté- 
rèt  général  de  la  compagnie.  Je  Tai  prié  en  même  temps  d'envoyer  uxQf, 
pères  consultçurs  de  la  province  une  copie  plutôt  qu'un  extrait  de -ma 
lettre;  afin  qu'ils  y  puissent  voir  mes  sentiments  tels  qu'ils  sont,  et  non  * 
pas  tels  qu'il  plairoit  à  un  abréviateur  de  les  montrer.  Vous  y  verrei, 
mon  révérend  père ,  que  je  regarde  conune  un  grand  malbeur  la  séptr 
ration  que  je  lui  annonce,  et  que  je  la  crains  autant  que  mes  anus  ki 
désirent.  Vous  y  verrez  combien  j'honore  et  combien  j  aime  en  Jé$u|h 
Christ  ceux  qui  m'ont  accusé  ou  conc^^né;  et  que,  si  j'ai  eu  le  malheur 
d'en  offenser  quelqu'un,*  je  suis  prêt  de  lui  faire  toute  la  satisfaction 
qu'il  pourra  souhaiter.  Je  les  conjure  même  ici  de  me  pai)donner  si  je 
leur  ai  souvent  demandé  un  détaille  ces  nouveautés  dangereuses 
m'ont  imputées  ;  j'ai  cru  ie  devoir  faire  parce  qu'il  m'a  paru  qu'fl 
connoître  les  erreurs  dont  on  m'accusoit  avant  que  de  m'en  défendre. 
Je  sayois  de  plusieurs  endroits  qu'on  m'en  avoit  attribué  de  fort  impies  et 
de  fort  extravagantes;  j'avois  lieu  d'en  conclure  que  tout  le  reste étoît  de 
«même.  Le  déchaînement  public  de  certaines  personnes  et  la  cond&ite 
violente  de  quelques  autres  fortifioient  mes  conjectures.  Je  devois 
donc,  si  je  ne  me  trompe,  demander  une  liste  dq  mes  prétendues 
hérésies,  afin  de  m'en  justifier  avant  toutes  choses,  me  réservant  à  dé- 
clarer mes  véritables  sentiments,  quand  les  supérieurs  jugeroient  à 
propos  de  me  l'ordonner.  Mais,  si  néanmoins  j'ai  fait  en  cela  quelque 
peine  ou  donné  quelque  embarras  à  mes  accusateurs  ou  à  mes  juges, 
je  vais  réparer  ici  ma  faute  par  une  déclaration ,  qu'ils  prendront  sans  " 
doute  pour  une  apologie  de  toutes  leurs  démarches.  Je  veux  bien  teur 
faire  ce  plaisir,  et  les  assurer  en  même  temps  que,  quand  j'aurqis-  tcNit 
le  pouvoir  du  monde,  je  ne  pourrois  jamais  leur  en  faire  autant  que  je 
leur  en  souhaite.  Cette  déclaration  me  paroit  d'ailleurs  nécessaire, 
afin  que  nos  pères  considteurs  sachent  précisément  sur  quoi  ils  me 
renverront,  ou,  ce  qui  me  plairoit  davantage,  avec  quoi  ils  m'-ad- 
mettront. 

«le  vous  déclare  donc ,  mon  révérend  père,  et  à  toute  la  compagnie, 
que  j^  tiens  pour  indubitable  que  Jésus-Christ,  en  tant  que  Verbe  éfer- 
nel  et  sagesse  personnelle,  est,  coïDme  parle  saint  Jean,  la  lumière 
véritable 'qui  éclaire  tous  les  hommes,  et,  comme  fmrki  saint  Augustin, 
la  vérité  essentielle  qui  renferme  dans  sa  divine  substance  toutes  les 


AVRIL  1843.    •  241 

vérités  immuabks,  et ,  comme  parle  ]e  P.  Malebranche;  la  raison -uni- 
verselle des  esprits,  dans  laquelle  nous  voyons,  les  idées  de  toutes  les 
choses  que  nous  conqoissonç ,  les  mêmes  que  Dieu  voit  î  sur  lesquelles 
il  a  formé  cet  univers-,  et  sur  lesquelles  il  le  gouverne.  J*adniets  ce 
grand  et  vaste  principe  avec  toutes  ses  véritable^  conséquences;  et,  par 
unesuite  nécessaire,  je  tiens  que^ce  que  nous*  af^elona  nos  idées  ou 
Tobjiet  immédiat  de  nos  esprits  est  réellement  distingué  des  perceptiotis 
que  nous, en  avons,  et  qui  seules  nous  appertiennenft  eflectivement.  Je 
tiens  cette  opinion  plus  évidemment  démontrée  qu  aucun^  proposition 
de  géométrie  ou  d^arithmétique ,  puisqu'il  n'y  a  point  de  démonstrâtitm 
qui  ne  suppose  des  idées  étemelles,  immuables,  nécessaires,  univer* 
selles,  et  par  conséquent  bien  différentes  de  nos  pensées,  qui  toutes 
ont  commencé  d'être,  sont  passagères,  contingentes,  particulières.  Je 
tiens  enfin  que  la  doctrine  de  la  distinction  des  idées  et  de  nos  percep- 
tions est  le  fondement  de  toute  la  certitude  humaine  dans  la  religion , 
dans  la  morale,  dans  toutes  les  sciences;  et,  si.  quelqu'un  pou  voit  se 
vanter  d'avoir  là-dessus  solidement  réfuté  les  raisonnements  de  saint 
Augustin  et  du  P.  Malebranche,  je  ne  crains  point  de  le  dire,  pour 
peu  qu'il  eût  d'esprit  et  qu'il  suivît  ses  propres  principes,  il  pourroit 
se  vanter  en  même  temps  d'avoir  solidement  établi  le  pyrrhonisme.  ■ 

«Je  voi  bien,  mon  révérend  père ,  que  cet  endroit  de  ma  lettre  ne 
sera  pas  trop  favorablement  écouté  de  la  plupart  de  nos  pères  consul- 
tants. Mais  je  les  conjure,  par  la  douceur  de  Jésus-Christ,  de  suspendre 
un  peu  les  mouvements  de  leur  indignation ,  et  surtout  de  m'épargner 
le  nom  d'opiniâtre  qui  retomberoit  sur  le  plus  célèbre  des  saints  Pères. 
Car  vous  sçaves  mieux  que  moi ,  mon  révérend  père,  que  ce  grand  doc- 
teur de  la  vérité  et  de  la  grâce,  si  pénéti^ant,  si  habile,  si  judicieux  et 
si  éloigné  du  soupçon  d'entêtement,  est  si  plein  de  cette  opinion,  qu'il 
n'a  presque  point  un  ouvrage ,  presque  point  une  lettre ,  qui  soit  dé 
quelque  étendue,  où  il.  ne  la  prouve  et  ne  la  suppose.  C'est  une  des 
clefs  de  sa  doctrine;  c  estlà-dessiTs  que  roule  presque  toute  sa  théologie, 
que  persomie  n'entendra  jamais  parfaitement  s'il  n  entend  cette  ma- 
tière. Vous  sçavez  les  conséquences  si  saintes  et  si  chrétiennes  qu'il  en 
tire ,  et ,  quoiqu'il  fût  si  rempli  de  charité ,  qu'il  épai^oit  les  injures 
aux  hérétiques  mêmes,  si  raisonnable^  qu'il  n'accusa  jamais  d'obstination 
ceux  qui  avoient  des  sentiments  contraires  aux  siens  ^ans  les  matières 
qui  n'étoient  point  tout  à  fait  incontestables,  vous  savez  comme  il  traité 
ceux  qui  ne  reconnoissent  point  avec  lui  la  doctrine  des  ^dées  dbtinguées 
de  nos  connoissances  :  «  His  et  talibus.  documentis  4pogunti^  faterit<{uî^ 
((  bus  disputantibus  Deus  d9na;vit  ingenium,  et  peirtinacia  caligineiti  noh 

3.  -N 


242  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

il  obducit,  rationem  verîtatemque  numerorum  et  ad  sensus  corporis  non 
li  pertinere  et  invertîbilem  sinceramque  consistere ,  et  omnibus  ratîoci- 
«  àantibus  ad  videndum  esse  conimBnem  ^  »  Et  dans  ses  SoUloqùes,  1.  Il , 
c.  1 8  ^  :  «  Quis  mente  tam  csecus  est  qui  non  videat  istas  figuras ,  quœ  in 
Hgeometria  docentur,  habitare  in  ipsa  veritate?» 
!  u  Cen  est  assez ,  mon  révérend  père ,  pour  faire  connohre  à  tout  ie 
monde  que  je  suis  inébranlable  dans  une  opinion  qui  me  paroit  dé- 
montrée en  toutes  les  manières  par  les  livres  de  TAncien  et  du  Nouveau 
Testament ,  par  les  écrits  des  plus  sçavants  Pères  de  TÉglise  »  grecs  et 
latins ,  par  une  infinité  de  raisons  évidentes  à  quiconque  y  réfléchit 
de  bonne  foi,  sans  passion  et  sans  préjugés.  Cest  poiu'quoi,  suivant 
toujours  les  règles  inviolables  de  la  sincérité  chrétienne,  je  vous  dé- 
diare  que,  si  c*est  un  obstacle  à  ma  profession,  c*est  un  obstacle  insur- 
montable, un  obstacle  aussi  éternel  que  la  vérité  que  je  défends.  Je  vous 
l'avoue  néantmoins ,  mon  révérend  père ,  quelque  nécessaire  que  m'ait 
paru  cette  déclaration,  j'ai  eu  bien  de  la  peine  à  m'y  résoudre.  Le  Sei- 
gneur m'a  fait  la  grâce  de  me  donner  sa  crainte,  et  je  n'appréhende  rien 
tttit  que  d'être  un  sujet  de  scandale  à  mes  frères  pour  qui  Jésus-Christ 
est  mort.  Mais  j'en  fais  juge  tout  esprit  non  préoccupé  et  qui  voudra 
bien  prendre  la  peine  d'examiner  le  fonds  de  cette  affaire ,  de  quel  côté 
vient  le  scandale?  De  celui  qui  ne  soutient  que  des  opinions  aussi  rè- 
gnes dans  l'Église  que  celles  de  ses  adversaires,  et,  ce  qu'il  n  est  pas  dif- 
âciie  de  prouver ,  infiniment  plus  favorables  à  notre  sainte  religion , 
ou  de  ceux  qui  le  persécutent  parce  qu'en  des  matières  qu'eux-mêmes 
avouQiit  n'être  point  de  foi  il  préfère  la  raison  qui  vient  de  Dieu  à  l'au- 
torité qui  vient  des  hommes,  et  une  philosophie  toute  chrétienne  et 
toute  sainte  dans  ses  principes  à  une  philosophie  toute  payenne  et 
toute  charnelle,  compatible  avec  l'idolâtrie  et  avec  le  mahométisme, 
comme  il  a  paru  dans  ses  principaux  auteurs ,  réprouvée  par  les  premiers 
Pères  de  TËglise  conune  donnant  trop  aux  sens,  condamnée  univer- 
sellement dans  un  concile  de  Paris  où  présidoit,  si  je  ne  me  trompe, 
un  légat  du  saint-siége ,  et  où  lés  livres  d'Aristote  furent  jugés  dignes  du 
flpu  comme  des  sources  d'hérésies;  et  la  lecture  en  fut  défendue  sous 
p^iae  d'excommunication  ;  condamnée  en  partictdier  dans  sa  métaphy- 
Hqfj^  par  une  assemblée  d'évêques  sous  Philippe-Auguste ,  et  dans  sa 
physique  parle  souverain  pontife  Grégoii*e  neuvième',  à  une  philoso- 
phe enfin  dont  le  grand  principe,  qu'il  n'y  a  rien  dans  l'esprit  qui  n'ait 

^  Be  lib,  arhitr.  i.  îf,  c.  vin,  edil.  Benedict.  1. 1,  p.  ôgS.  —  *  Edil.  fiçnedicLt.  1 , 
p-49'*  ^^  *  Voy.  Vécrît  de  Laonoy,  De  varia  Aristotelis  in  Academia  Parisiensi  for- 


AVRIL  1843.  243 

passé  par  les  sens,  renverse  évidemment  toutes  les  âciences  et  Mkrlont 
kr  morale ,  et  dont  les  autres  maximes>  qui  la  plupart  ne ,  sont  pas  meil-* 
leures,  ont  {orme  tant  d'hérétiques,  tant  de  libertins,  et  répanjdvMtaïkt 
de  ténèbres  dans  Tatucienne  scbolastique;  en  un. mot,  parce  qu^'il. pré- 
fère la  philosophie  de  saint  Augustin  à  celle  d'Aiistote.*  i  i 

«  Au  reste,  mon  révérend  père,  je  né{)réten8..poinA  rejeter  ici  sur  lesr 
disciples^de  ce  prince  de  Técole  les  conséqueneès  de  leùris  opinions  ^ 
des  siennes,  dès  lors  qu'ils  nient  ces  conséquences^  Dieu  me.préscfye 
d'une  conduite  si  contraire  à  Tesprit  de  la  charité,  et  d'imiter .en"€Sèlft 
nos  adversaires!  Je  nem  veux  qu'à  l'erreur,  et  je'  respecté,  je  wéyàce 
les  personnes  qui  de  bonne  foi  la  soutiennent  pour  la  vérité.  Mairiv^ait» 
malgré  un  procédé  si  juste  et  si  équitable,  je  ne  pkits  éviter  de  leur.ètiPe 
une  occasion  de  seandale,  eu  en  suis-je  réduit  «  et^qael  ^parti  veuiçnt^ 
ils  que  je  prenne?  Qu'ils  en  jugent  eux-mênôes  par  ce  mot  de  saioÉiAiiiH 
gustin,  qae  je  les  supplie  de  me  permettre  d'estimer  doifanie  unjgnttui 
philosophe  et  comme  un  gi*and  théolo^en^'^'ils me. Tèfuaent  cette '||iàoc| 
à  r^rd  de  M.  Descartes  et  du  P.  Malebranche:  a  Nonne 'in  muitiurd 
ûOD  secmidum  carnem  horoo  sapiat,  quam  mortem  dicit  esse  apostoMj 
magno  aeandalo  erit  ei  qui  a<jlhuc  9ecundum<€amem^sa|>it«  ukî>éV 
dicere  qoid  sentias  periculosissimum ,  et  non  dicere  laboriosissimvM; 
et  aliud  quam  sentis  dicere  perniciosissimum?))  Voilà  précisémentilléisl 
où  je  me  trouve.  Je  prie  notre  maître  commun  qu'il  vous  dicte  là-deasus 
la  résolution  que  vous  avez  à  prendre;  et,  s'il  en  faut  venir  k  la  sépara- 
tion,  que  ce  soit  sans  rompre  la  charité  Repart  ni  d'autrcu>Je  voua  pto- 
mets  que,  de  quelique  manière  quonr  me  traite,  j«  vivrai  toujours  àbeo 
la  compagnie  dans  Fux^té  d'un  même^^ esprit  e^  d'ub  mèihC'  oteuv^eb 
Jésus^hrist,  et  que  toute  ma  vie  je  Mtaiparticplièremeiit,  etc.i>  i   il 

>  Le  personnage  auquel  s'adressmt  <Andr^  était  un  [PvDlàiiiot^  eacén^'f 
de  tout  fanatisme,  qui  lui  répondiune  lettre  fort maAérée  dabs  le  gtUre 
de  ceUe>dU'Pv Dauj^enton.  .;..  .  ;  i:»^  i  ../i  .  :|.  «.u  »  <  i)  .iin 
«  Je-  n'ay  re^u/écrîA-ii  de  Paris  «'le  a j^. juin  1709U  flUCUA!:ordr«»if as- 
sembler iai  consulte)  touchant,  ce  qui^regahle^vatre  i^évéreoieeviiiMb^ 
vous  prie  d'être  persuadé  que  je  auiBeadtsposilipn^deirottsirenéretoas 
lesi services rque (VOUS  désire'zidd.ihoy.  Trouvez  ibéd  cependant  ^pm je 
vfnis  <lise  qtiê  droits  prenez  uti!pe«(.trop  prompteiçentffnilareijiartiî^darii 
une  fiffaire  jqùi  eat  de.  si  grande  conséquence,  p<Kir  (VoM^  scit  pikr  fip^ 
part  à.DièUv •  aoit  pat^ifappôrt.aux  autres  st]ite9)f[U)'elle'ppiitfdiiwib.  £m* 

.'.♦<  ■!  ./         .i;»}      /  ..   :.   .■;    ;     il-    i-îi'.  -lit'   ■/'.',.  li'io'iji'  'ji'\n]>  r>tioK 

3i. 


244  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dmeifert  le  P.  Malebranche,  et  il  est  mesme  fort  de  mes  ainis,  mais  je 
vous  crois  trop  sage  pour  vous  faire  le  martyr  de  sa  doctrine.  Si  vous 
n*ave£  pas  d  autre  fondement  que  ce  que  Yoàs  me  dites  pour  croire 
i[uon  songe  à  vous  renvoyer  de  la  compagnie,  votre  soupçon  me  pa- 
roist  très-mal  fondé.  Quoy  qu'il  en-  soit,  il  n'est  pas  question  de  dispu- 
ter avec  vous  des  principes  du  P;  Malebranche  ;  je  vous  diray  seulement 
que  j'ai 'examiné  lEiutrefois  sa  doctrine  là-dessns,  et  que  je  nlay  pa3  ea 
asseï  de  pénétration  pour  la  comprendre ,  et  que  d'autres  que  des  jé- 
silites  n'en  ont  pas  eu  plus  quemoy  ;  mais  que  nous  voyions  ou  que 
nous  ne  voyions  jpas  les  choses  en  Dieu,  c'est  une  question  qu'un  régent 
de  philosophie  nest  pas.  obligé  de  traiter  dans  un  cours  de  philosophie 
qu'on  dicte  à  des  écoliers.  Il  est  de  lavprudence,  quand  on  est  dans  un 
cOrps^  de  ne  pas  s'joocuper  d'opiéions  qui  ne  regardent  pas  la  foy.  Elu 
unrmot,  mon  révérend  père,  je  vous  conseille  de  faire  de  sérieuses 
réfleoûons  scnfiVafFaire  dont  il  s'agit.  Consultez  Dieu  et  les  règles  de  la 
ppudende,  je  ne  d)emande  que  cela  de  vous;  mais  consultez-les  de  sang-^ 
froid ,  et  comme  si  vous  étiez<bûr  le  point  de  rendre  bientôt  compte  à 
Dieiiide  jb  déterniinadon  que  vous  prendrez.  Quoy  que  je  n'aye  point 
Vhonoeur  de  vouaioonnoître,  j'ay  ouy  parler  de  vous  avec  quelque  es- 
time, et  serois  Inès-fâché  que  vous  fissiez  une  démarche  dont  tost  où 
lardivbus  devez* vous  repentir.  Je  suis  avec  respect,  etc. 

«Daniôt.  » 

Srekni  sa  coutume ,  aussitôt  qu'il  entend  des  paroles  modérées  et  bien- 
veillantes,'André  s'apaise.  Après  avoir  offert  sa  démission,  il  la  retire, 
et  ne  témoigne  plus  que  le  désir  de  vivre  eni  paix  avec  ses  confrères. 
((Je  n'ai  pu  vous  mîarquer  plutôt,  répoud-il  au  P.  Daniot,  combien 
j'^  été  satis£ut  dé. la  lettre  que  votre  révérence* ma  fait  l'honneur  de 
m'iécrire.  Je  suis  bien  aise  que  vous  me  rassuriez  sur  ce.  que  je  m'étois 
mis  dans  l'esprit  que  l'on  ne  seroit  pas  fâché  que  je  d^se!  quelque  ou- 
verture pouc  délivrer  la  compagnie!  d'un -si  mauvais  sujet  Je  l'avois  cru 
die  -bonne  foi,  6t  sur  la  conduite  que  je  voyois  garder  aux  supérieurs  à 
mon  é^rd  et  sur  ice  que  mi'atoient  dit  deux  ou  trois  personnes.  Je  me 
s^is^^ompé  :^  j'en  bénis  le  Seigneur.!.  Jd  n'ai  jamai»  souhaité  de  sortîj^ 
d'une  compagnie  où  je  suis  entré  aVec  tant  de  joie,,  et  où  j*ai  vécu  avec 
tant  de.  consolation,  et,  je  puis  vous  en  assur»%  mon  révérend  père; 
avec  d^antant  plu^'de  consolation  que  j'y  ai  "eu  plus  à  sou£Brir.  Je  nW 
donc  garde  désormais  d'insister  sur  l'alternative  que  j'avois  proposée  ; 
j*atfçndrai  av^.  patience  qu'il  plaise  au  pévérend  père  général  de  m'y 
unir  encore  plus  étroitement  par  les  dernier» liens.  Je  nyveuxd autre 


AVRIL  1843.  245 

degré  que  d'y  être  au-dessous  de  tous,  ni  d'autre  privilège  que  d'y 
servir  tout  le  monde.  Je  ne  vous  dis  point ,  mon  révérend  père ,  de  ne 
point  nionti^er  noa  première  lettre;  elle  ne  feroit  qu exciter  les  passions 
de  certaines  personnes  q^ui  ne  sont  pas  aussi  raisonnables  que  votre  ré- 
vérence sur  le  chapitre  du  P.  Malebranche.  » 

Le  P.  André  avait  bien  raison  de  penser  que  tout  le  monde  ne  se- 
rait pas  aussi  modéré  que  le  P.  Daniot.  En  effet  la  réponse  qu'il  atten- 
dait du  général  des  jésuites  arriva  dans  Tannée  i  7  i  o,  et  il  faut  qu'elle 
ait  été  bien  sévère  et  même  bien  dure,  puisque  le  P.  André,  épou- 
vanté ,  ne  fait  plus  entendre  qu'une  voix  suppliante.  Cependant  plus 
d'un  retour  amer  sur  te  passé,  plus  d'une  allusion  courageuse  à  la  con- 
duite de  ses  adversaires,  comparée  à  la  sienne,  est  mêlée  h  la  plainte 
du  pauvre  jésuite.  Il  rappelle  ses  services,  son  attachement  à  la  société, 
ses  disgrâces  passées,  eft  il  attend  en  paix  le  dernier  coup. 

Cette  lettre ,  que  nous  supprimons  parce  qu'elle  est  en  latin  et  fort 
longue,  paraît  avoir  touché  l'austère  Tamburini;  car  on  voit,  dans  une 
autre  lettre  latine  du  P.  André,  qu'il  remercie  le  révérend  père  général 
de  s'être  adouci  à  son  égard,  et  lui-même  s'excuse  de  la  vivacité  de  ses 
plaintes.  Grâce  à  cette  soumission ,  André  vécut  plus  tranquille  h  Hesdin 
pendant  la  fin  de  Tannée  1710.  Il  paraît  même  que  son  excellent  ca- 
ractère, sa  douceiu*,  son  talent,  tempéré  par  une  plus  gi'ande  pru- 
dence, lui  firent  trouver  grâce  auprès  de  ses  supérieurs;  car,  en  1  y  1  1 , 
il  fut  envoyé  du  très-petit  coUége  d'Hesdin  dans  un  collège  plus  im- 
portant, celui  d'Amiens  ^,  où  il  resta  très-peu  de  temps,  et  ensuite  dans 
ûelui  de  Rouen,  chargé  de  renseignement  périlleux  de  la  philosophie. 
Y  sut-il  éviter  les  écueils  au-devant  desquels  il  allait  lui-même?  Aurons- 
nous  maintenant  à  admirer  en  lui  la  prudence  qui  conjure  la  tempête, 
ou,  comme  auparavant,  le  courage  qui  sait  la  braver?  C'est  ce  que 
nous  verrons  dans  un  prochain  article. 

V.  COUSIN. 

*  C'est  ce  que  prouvent  les  deux  billels  suivants  :  «  Je  prie  voire  révérence  de  me 
permertre  d^empoiter  où  elle  m^envoye  une  Bibje  de  Vîli^  et  trois  livres  de  mathé- 
matiques ,  les  Eléments  de  mathématiques ,  les  Eléments  de  géométrie  et  TAnalyse 
d^ontrée.  André.  —  Permis  d'emporter  les  livres  ci-dessus  à  Amiens ,  le  6  août 
1711.  Larteb.  » 


.  I 


246  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Sàggi  dj  nàturali  esperiènzb Essais  d! expériences  faites  A 

r Académie  del  Cimento.  Troisième  édition  de  Florence,  pré- 
cédée d'une  notice  historique  de  cette  Académie ,  et  suivie  de 
quelques  additions.  Florence,  i84i,  in-4**. 

TROISliME   ARTICLE. 

Après  avoir  exposé  sommairement  les  travaux  de  Gastelli,  M.  Anti- 
nori  fait  remarquer  \  dans  son  introduction,  que  ce  savant  moine  rendit 
un  grand  service  aux  sciences ,  en  encourageant  les  premiers  travaux  de 
Gavalieri  et  de  Torricelli,  quil  introduisit  tous  les  deux  auprès  de  Ga^ 
lilée.  Cet  illustre  philosophe ,  qui  devint  le  maîixe  et  le  guide  des  deun 
biturs  géomètres,  ne  cessa  jamais  de  leur  témoigner  cette  vive  affection 
qu'il  eut  toujours  pour  ses  élèves,  et  d'applaudir  à  leurs  progrès;  maïs  U 
ne  reçut  pas  de  tous  les  deux  également  les  mêmes  marques  d  affection  et 
de  reconnaissance.  Car,  tandis  que  Torricelli  sut  adoucir,  par  des  soins 
constants  et  éclairés,  les  derniers  moments  du  grand  géomètre,  doiit  il 
nous  a  conservé  certains  ouvrages,  que  celui-ci,  devenu  aveugle;  lui 
avait  dictés ,  Gavalieri  donna  plusieurs  fois  à  son  maître  le  droit  de  se 
plaindre ,  et  parut  même  vouloir  essayer  de  s'approprier  une  des  prii^ 
cipales  découvertes  de  cet  homme  célèbre.  Gomme  ce  fait  est  peu 
connu,  et  que  nous  possédons  des  documents  inédits  qui  servent  à 
éolaircir  toute  cette  affaire,  nous  demandons  la  permission  d'entrer,  à 
ce  sujet,  dans  quelques  détails. 

Né  à  Milan,  en  iSgS,  Gavalieri  entra  chez  les  jésuites  à  l'âge  de 
quinze  ans ,  et ,  s'étant  rendu  bientôt  à  Pi&e ,  il  fut  présenté  par  Gastelli 
à  Galilée ,  sous  la  direction  duquel  il  s'appliqjua  aux  mathématiques.  Les 
rapides  progrès  qu'il  Gt  dans  les  sciences  lui  valurent,  en  1629,  l'hon- 
neur de  succéder  à  IVf  agini  dans  la  chaire  d'astronomie  k  l'université  de 
Bologne.  Galilée,  qui  lui  avait  coipmuniqué  ses  principales  découvertes , 
l'aida  beaucoup  pai*  ses  recommandations  ^  à  obtenir  cette  chaire,  où 

*  Sàggi  ai  naturati  espârienze,  p.  7  et  8.  —  ''Voici  une  lettre  que  Gavalieri  lui 
écrivit  à  ce  sujet  ;  nous  ne  croyons  pas  qu*elle  ait  jamais  été  publiée  : 

I  Molto  illustre  signore , 

«  Uaffetto  singolare ,  con  il  quale  ho  conosciuto  che  ella  mi  ha  sempre  amato ,  fa 
die  hora  che  Tautorilà  sua  puo  unicamente  giovarmi  in  un  negozio ,  venga  a  pre- 
garla  dd  présente  favore.  Essendo  venuto  qui  il  signer  cardinale  Aldobrandino,  ed 


AVRIL  1843.  247 

il  ne  tarda  pas  à  s  illustrer.  H  publia  à  Bologne  différents  ouvrages ,  dont 
le  plus  connu ,  la  Géométrie  des  indivisibles,  a  fait  dire  à  Fontenelle  que 
Cavalieri  avait  été  le  précurseur  du  calcul  différentiel  et  intégral.  Nous 
ne  devons  pas  nous  arrêter  ici  à  Texamen  de  ces  divers  écrits ,  qui  sont 
asses  connus  des  savants,  et  nous  entrerons  dans  quelques  détails  au 
sujet  du  Traité  des  sections  coniques ,  dans  lequel  se  trouve  une  digres- 
sion qui  motiva  les  réclamations  de  Gadilée. 

Ce  grand  géomètre  venait  à  peine  de  publier  le  célèbre  Dialogue 
qui  donna  lieu  à  sa  condamnation ,.  que  Cavalieri  inséra  dans  le  Traité 
des  sections  coniques^  trois  chapitres  sur  le  mouvement,  qui  ne  se  rat- 
tachaient pas  directement  aux  chapitres  précédents ,  et  qui  avaient  pour 
objet  unique  de  démontrer  que  le  mouvement  des  projectiles  dans  le 
vide  s'effectue  suivant  une  parabole.  Or  cette  proposition ,  que  Galilée 
avait  communiquée  à  son  élève,  est  un  des  plus  beaux  théorèmes  de  la 
dynamique,  que  le  philosophe  toscan  venait  de  fonder.  Lagrange  a  par- 
fiaiitement  caractérisé  Timportance  de  ces  découvertes,  en  disant  que, 

essendo  ancora  per  venirvi  il  signor  cardinal  Ludovisi ,  che  tanto  puô  a  Bologna , 
ed  avendo  dall*  altra  parte  considerato  di  quamio  giovamento  e  comodo  ai  mei  studj 
ed  a  stampare  le  mie  opère  sarebbe  s*  io  potessi  ottenere  la  lettHra  d^k  matema- 
licbe  in  taie  università,  sapendo  insieme  quanlo  elle  fosse  inchinato  a  favorirmi  per 
quella  di  Pisa ,  sebben  fosse  plu  conveniente  darla  al  sîgnor  Nicole  Âggiiinti ,  come 
lo  fu  ;  ed  in  somma  perché  so  che  avià  caro ,  che  io ,  come  suo  scolare ,  abbia  qtiell* 
occasione ,  che  puô  singolarmente  svegliarmi  a  farcosa  degna  di  simil  maestro,  perciô 
renga  a  pregaria  (se  le  pare  di  poter  con  sicurtà  dir  fiuakhe  bugia  appresso  â  sud- 
detto  signor  cardinale  Aldobrandini)  che  voglia  con  le  sua  autorità  per  sua  lettera 
al  detto  signore  cardinale  fare  quella  fede  di  me  che  le  parrà ,  accio  io  possa  oUenere 
tel  lettura,  ed  anco  appresso  qualcheduno  di  quei  signori  Bolognensi  suoi  amid , 
come  appresso  il  signor  Cesare  Marsili,  ed  altri.  Aggiungerei  che  venendo  à  Ptama 
la  signora  Duchessa  nuova  sposa ,  sarebbe  unica  per  raccomandarmi  al  detto  signore 
cardinale.  Ma  perché  so  che  soprà  meglio  di  me  se  sia  espediente  il  ferio ,  o  nA , 
lascero  che  se  lo  giudica  bene  voglia  in  una  parola  raccomandarie  tal  negono ,  che 
del  tutto  le  restera  obbligatissimo ,  e  farô  con  le  mie  fatiche  in  maniera  che  eUa  non 
impieghi  malamente  le  sue  raccomandazioni ,  e  viva  sempre  ancora  per  mia  bocca 
la  fama  délia  sua  virtù ,  e  il  lume  délia  sua  rara  dottrina  ;  alla  quale  frattanto  faccio 
devotamente  viverenza,  raccomandandomi  di  tutto  cuore 

•  Di  V.  S.  Molto  Illustre  ed  EcceUentissima. 

«  Di  Parma,  a4  novembre  16 a8: 

«  Obi)Ugati3simo  servitore , 

«  Fra  Bonavbntuba  Qavalibri.  » 

*  Cavalieri,  lo  Specchio  uêtom,  owtero  truttato  delU  ê^ttioni.comche^  Bologna ,  i63a, 
isï'à*t  p.  i&i  et  suiv. 


248  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pour  y  parvenii%  il  Êdlait  un  génie  extraordinaire^.  On  conçoit  donc  que 
Galilée,  qui  avait  Tintention  d*însérer  cette  proposition  dans  ses  Discours 
sur  deux  nouvelles  sciences,  quil  avait  composés,  et  dont  Tin) pression 
fut  retardée  encore  pendant  six  années ,  ait  vu  avec  regret  cette  publi- 
cation anticipée,  d*autant  plus  que  cela  se  passait  justement  au  momieat 
où  commençaient  les  poursuites  qui  devaient  le  conduire  aux  pieds  des 
inquisiteurs. 

A  la  vérité ,  dans  le  premier  des  trois  chapitres  consacrés  au  mouve- 
ment, Cavalieri  déclarait  généralement  qu*il  avait  reçu  quelqaes  lumières 
de  Galilée  et  de  Castelli^  à  ce  sujet;  mais  sa  déclaration  était  telle,  qu'on 
n  y  pouvait  voir  que  la  communication  des  principes  généraux  de  la 
chute  des  graves  ,  principes  que  Galilée  venait  de  publier  récemment , 
et  Ton  devait  naturellement  penser  que  les  applications,  et  principa- 
lement ce  qui  était  relatif  au  mouvement  des  projectiles  dans  le  vide, 
appartenaient  à  Cavalieri.  Dans  la  correspondance  inédite  de  Galilée  que 
nous  possédons ,  cette  afiiadre  est  traitée  avec  beaucoup  de  détail.  D'a- 
bord, dans  une  lettre'  du  3i  août  i632,  Cavalieri  annonce  la  publi- 

^  Lagrange ,  Afécanique  analytique,  a*  édition  ,tl,p.  aai-aïa.  Dans  l'Histoire  des 
sciences  mathématiques  en  Italie,  nous  avons  rappelé  que  Tartaglia  avait  trouvé 
que  le  maximum  du  tir  8*obtenait  en  donnant  au  canon  une  inclinaison  de  àb  de- 
grés ;  et  nous  avons  publié  un  fragment  inédit  de  Guidubaldo  dv\  Monte  ,  qui 
prouve  que  ce  géomètre  avait  entrevu ,  par  l'observation ,  que  la  trajectoire  déter- 
minée théoriquement  par  Galilée  ressemblait  à  une  hyperbole  ou  à  une  parabde. 
Ces  premiers  aperçus,  si  imparfaits,  ne  diminuent  en  rien  le  mérite  de  l*auteur 
des  Dialogues.  — -  '  t  Spero  che  sarà  manifeste ,  per  la  nuova  dottrina  de!  motojpro- 
messaci  dall'  esquisitissimo  Saggiatore  délia  Natura ,  dico  dai  signer  Galileo  Gali- 
lei ,  ne*  suoi  Diaiogi ,  protestando  io  baver  havuto  e  motivo  e  lume  anche  in  parte 
intorno  a  quel  poco  cb  io  dico  del  moto  in  questo  mio  Trattato,  per  quanto  aile 
Settioni  coniche  si  aspetla  dai  sottilissimi  discorsi  di  quello ,  e  del  reverendissimo  P. 
Ahbate  D.  Benedetto  Castelli  monaco  cassinense  matematico  di  N.  S.  e  molto  in- 
tendenle  di  queste  malerie,  ambidue  miei  maestri.  »  (Cavalieri,  Settioni  coniche, 
p.  i5a-i53.  )  —  ^- Voici  cette  lettre,  adressée  par  Cavalieri  à  Galilée,  et  que  nous 
n^avons  jamais  vue  nulle  part  : 

t  Molto  Illustre  ed  Eccellentissimo  Signore, 

t  L^essere  io  stato  spesso  travagliato  dalla  gotta  ed  anco  ne  tempi  di  sanità  occu- 
pato  nella  stampa  d'un  operetta  degii  specchi  adesso  finita  e  stato  cagione  che  io  da 
un  pezzo  in  quà  non  le  abbia  scritlo.  Ora  dunque  rîspondendo  ail*  ultima  sua  gra- 
tissima,  le  dico  che  avendo  fatlo  diligenza  di  quel  signore  Gio  Balta  Arisio,  ho  ri- 
trovato  che  da  due  mesi  in  quà  egli  non  e  più  in  Bologna,  ma  se  n*è  ito  a  Brescia, 
dove  dicono  che  aV  présente  si  ritrorL  Se  ci  fosse  stato  non  avrei  mancato  di  dili- 
genza perché  fosse  restato  servito. 

«  Mi  dispiace  che  î^-nuovi  oppositorî  ai  «uoi  Dialoghi  la  vadano  molestando,  dove 
piudosto  aovriano  ringraziarla  tutti  gli  studiosi.  Ad  ogni  modo  questo  farà  che  la 


AVRIL  1843.  2^i9 

cation  de  son  ouvrage  sur  les  sections  coniques ,  et  dît  qu'il  a  prouvé , 
d après  les  principes  de  Galilée,  que,  dans  le  vide,  le  mouvement  des 
projectiles  doit  s'effectuer  suivant  une  parabole.  A  celte  nouvelle ,  Ga- 
lilée s'émeut,  et  il  écrit  à  Marsili,  ami  de  Cavaiieri,  une  lettre  où  il 
exprime  ses  regrets  au  sujet  de  la  publication  qui  lui  enlevait  une  dé- 
couverte dont  mieux  que  personne  il  sentait  le  prix,  et  qu'il  devait  à 
quarante  années  de  travaux  persévérants.  Cette  lettre  ne  se  trouve  pas 
dans  la  correspondance  imprimée  de  Galilée,  et  nous  croyons  qu'on  la 
lira  ici  avec  quelque  intérêt. 

tt  Monsieur, 

a  J'ai  reçu  une  letti'e  du  père  Bohavcnture  (Cavaiieri)  avec  l'avis 
qu'il  a  récemment  publié  un  traité  des  sections  coniques,  dans  lequel 
il  dit  avoir  saisi  l'occasion  d'insérer  une  proposition  relative  à  la  tra- 

fama  più  altamcnlc  volando  porti  il  suo  nome  air  orecchi  di  queUi ,  che  per  ailro 
non  vi  farchbono  alcuna  appHcazione. 

«lo  mandai  cinquanta  copie  de  niiei  Libri  al  Landini  per  qnaranta  de*  suoi  Dîa- 
loghi,  ma  non  ho  mai  visto  cosa  alcuna.  Non  manchero  di  farle  avère  uno  de'  miei 
HbreUi  ora  stampati ,  e  che  ho  inlilolali  Specchio  ustorio.  In  esso  vcdrà  un  mio  pen- 
siero  intorno  allô  specchio  d'Archimede;  tratto  pero  universalmente  délie  sezioni 
coniche,  considerando  alcuni  efletli  di  natura  ne*  quali  hanno  che  fare.  Ho  toccato 
qualche  cosella  de!  moto  de'  projetti,  mostrando  che  dovrà  essere  per  una  para- 
bola,  escluso  Timpedimento  dell'  ambienie,  supposto  il  principio  del  movimento  de 
gravi ,  che  si  velocili  secondo  Tincremenlo  de  numeri  dispari  continuali  dali'  unità 
attestando  di  aver  in  gran  parte  imparato  da  lei  cio  cir  io  tocco  in  quesla  materia , 
adducendo  ancora  anch'  io  una  rugione  per  quel  principio.  Rimetio  pero  il  ieUore 
al  libre  che  da  lei  si  aspetia  sopra  la  materia  del  moto ,  che  tutti  desiderano  veder 
presto  fatto  pubblico  per  potergodere  di  si  preziosi,  e  maravigliosi  trovali,  e  di  cosi 
rara,  e  ncccssaria  dottrina.  E  quanto  a  me  crederei  che  questi  elemenli,  voglio 
dire -del  moto,  fossero  per  piacere  in  altra  maniera,  che  gli  elementi  geometrici,  c 
che  i  filosoû  fossero  per  aderire  più  facilmente.  Perciô  la  prego  a  soUecitare,  poiche 
ogni  di  passa  un  giorno,  che  pure  c  troppo  prezioso,  ed  è  di  troppo  danno  al  mondo 
che  vada  vuolo  montre  che  aspetta  d  arricchirsi  délie  sue  peregrine ,  ed  ingegnose 
speculazioni.  11  signore  Cesare  Marsili  compatisce  molto  a  suoi  travagli  e  se  le  ri- 
corda  aflezionalissimo  servitore,  corne  iu  pure  le  vivo  continuamente  desideroso  di 
mostrarmi  con  gli  efletti  ;  ed  in  fine  desiderandole  sanità ,  le  faccio  reverenza  pre- 
gandola  a  conservarmi  nclla  sua  graia  memoria 

«  Di  V.  S.  Molto  Illustre  ed  Ëccellentissima. 

«Dî  Bologna,  li  3i  agoslo  i63a. 

«  Ella  mi  maudo  una  Jettera  diretia  al  signore  Agostîno  Saniinî ,  la  quale  va  k 
Lucca ,  senza  dirmi  oltro  ;  io  perciô  Tho  inviata  à  Lucca. 

t  Obbligatissimo  servitore, 

«  F.  BoiiAVENTuaA  Cavalibiu.  » 

3a 


250  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

jectoire  décrite  par  les  projectiles,  en  prouvant  que  cest  une  parabole. 
Je  ne  saurais  .vous  cacher,  monsieur,  que  j'ai  éprouvé  de  rafUiction 
en  voyant  qu'on  m'enlevait  ainsi  la  priorité  d'une  recherche  que 
j'avais  suivie  pendant  quarante  ans;  et  cela  parce  que  j'ai  communiqué 
avec  une  grande  confiance  mes  résultats  au  père  Cavalieri.  J'ai  perdu 
ainsi  la  fleui*  d'une  gloire  que  je  désirais  ardemment,  et  que  je  m'étais 
promise  après  tant  de  travaux;  car  le  premier  motif  qui  me  porta  ù 
étudier  le  mouvement  des  corps,  ce  fut  précisément  celui  de  trouver 
cette  trajectoire,  qu'on  démontre  assez  facilement  une  fois  qu'on  l'a 
découverte,  mais  dont  je  sais,  par  expérience,  combien  la  détermina- 
tion est  difficile;  et,  si  le  père  Bonaventure,  avant  la  publication  de  ce 
livre,  m'avait  averti  de  son  projet,  comme  peut-être  la  politesse  l'eût 
eidgé,  je  l'aurais  tant  prié  d'attendre,  qu'il  m'aurait  permis  de  publier 
d'abord  mon  livre,  après  quoi  il  aurait  pu  faire  paraître  autant  de  re- 
cherches qu'il  eût  voulu.  J'attendrai  ce  qu'il  pourra  dire  à  cet  égard  ; 
mais  certes  il  faudrait  de  grandes  choses  pour  adoucir  mon  chagrin. 
Pour  ma  plus  grande  mortification,  tous  mes  amis,  qui  ont  appris  cette 
affaire,  m'ont  reproché  une  trop  grande  confiance.  Ma  mauvaise  étoile 
veut  que  j'aie  toujours  à  batailler,  et  parfois  avec  perte,  pour  con- 
server mon  bien.  Je  sais  que  cette  lettre  vous  aura  ennuyé  :  pardonnez- 
moi,  monsieur,  c'est  la  douleur  qui  m'a  forcé  à  vous  écrii'e  ainsi.  Pour 
me  consoler  un  peu,  dites-moi  que  vous  m'aimez  toujours  ,  car  c'est  là 
ce  que  je  désire  le  plus. 

«Florence,  1 1  septembre  i632. 

((  Votre  très-dévoué  serviteur, 

((  Galileo  Galilei.  » 

Cette  lettre,  dont  nous  devons  admirer  la  modération,  fut  commu- 
niquée à  Cavalieri,  qui,  le  21  septembre  ^  s'empressa  d'écrire  à  Ga- 
lilée pour  s'excuser. 

«Le  chagrin  que  vous  avez  éprouvé  (disait  Cavalieri  à  son  maitie)  à 
cause  de  ce  que  j'ai  inséré,  dans  mon  Traité  des  sections  coniques,  sur 
la  parabole  tracée  par  les  projectiles  dans  le  vide,  n'est  rien  en  com- 
paraison de  la  douleur  que  j'ai  ressentie  en  apprenant  que  j'avais  pu 
vous  blesser,  lorsque  je  croyais  vous  honorer.  Ce  que  j'ai  dit  du  mou- 
vement, je  l'ai  dit  comme  votre  élève  et  comme  élève  du  P.  Castelli; 
car  c'est  de  vous  deux  que  j'ai  appris  le  peu  que  j'en  sais.  Vous  direz 
peut-être  que  j'aurais  dû  déclarer  plus  explicitement  que  la  découverte 

'  Voy.  Vmlinri,  Hemçm.di  Galileo,  Modena,  1816,  2  vol.  in-4*,  t.  II,  p.  264. 

«  • 


AVRIL  1843.  251 

de  cette  trajectoire  vous  appartenait. . .  Voyez,  Monsieur,  ce  que  je  dois 
faire  y  car  je  suis  prêt  à  vous  satisfaire  de  toute  manière.  Si  vous  le  voulez , 
je  ne  ferai  plus  livrer  au  public  aucun  exemplaii^e  de  mon  ouvrage  jus- 
qu'à ce  que  vous  ayez  publié  votre  Traité  sur  le  mouvement,  que  vous 
pouvez  antidater.  Je  ferai  réimprimer  aussi  deux  feuilles ,  en  changeant 
tout  ce  qui  a  pu  vous  déplaire ,  et  en  mettant  à  la  marge  :  Conclasion  de 
M.  Galilée.  Enfin,  si  vous  le  désirez,  je  brûlerai  tous  les  exemplaires  de 
mon  ouvrage ,  afin  de  détruire  en  même  temps  ce  qui  a  pu  vous  donner 
du  chagiîn  ;  car  je  ne  veux  pas  que  Galilée  puisse  me  dire  comme  Cé- 
sar :  Tu  quoqae  Brute  jili  ! » 

Ces  offres  étaient  magnifiques ,  mais  elles  n'eurent  aucun  effet.  Ga- 
lilée adressa  une  autre  lettre  à  Marsili  pour  lui  dire  qu  il  ne  doutait 
nullement  de  la  bonne  foi  de  Cavalieri,  et  qu* il  ne  demandait  pas  qu'on 
touchât  au  livre  imprimé.  Nous  pensons  qu'on  lira  avec  plaîsii'  cette 
seconde  lettre  de  Galilée  à  Marsili  ;  car  non-seulement  elle  manque  dans 
ses  œuvres  imprimées ,  mais  on  y  trouve  des  renseignements  précieux 
sur  le  commencement  de  la  persécution  dirigée  contre  ce  grand  phi- 
losophe : 

«Monsieur, 

«  n  y  a  un  peu  moins  de  deux  mois  que  le  père  inquisiteur  de  cette 
ville  nous  enjoignit,  à  mon  libraire  et  à  moi,  par  ordre  du  très-révé- 
rend père  et  maître  du  sacré  palais  de  Rome,  de  ne  plus  faire  paraître 
aucun  exemplaire  de  mon  Dialogue  jusqu'à  nouvel  avis.  Ce  fut  là  le 
premier  acte  d'une  vive  persécution,  dont  j'avais  entendu  parler  quelque 
temps  auparavant,  et  qui  se  préparait  contre  moi  aussi  bien  que  contre 
mon  livre.  Cette  persécution  a  pris  peu  à  peu  un  tel  caractère  de  vio- 
lence, qu'enfin,  il  y  a  quinze  jours,  il  m'arriva  un  ordre  de  la  sacrée 
congrégation  du  saint  office  de  me  présenter  dans  ce  mois-ci  au  tribunal. 
Cet  ordre  m'afiligea  profondément ,  non  pas  que  je  craignisse  de  ne 
pouvoir  me  justifier  et  prouver  mon  innocence  et  mon  zèle  pour  la 
sainte  Église,  mais  mon  âge  avancé,  beaucoup  d'infirmités  corporelles, 
ce  surcroît  de  préoccupation  d'esprit ,  un  long  voyagé  rendu  plus  pé- 
nible encore  par  les  soupçons  qui  en  sont  la  cause,  tout  cela  me  donne 
presque  la  certitude  que  je  succomberai  avant  la  fin  du  procès.  J'ai  fait 
tout  ce  qu'il  était  possible  d'imaginer  pour  obtenir  de  me  disculper  par 
écrit,  ou ,  du  moins ,  pour  faire  juger  ma  cause  ici ,  où  nous  avons  des 
ministres  de  l'inquisition ,  et  j^attends  une  réponse.  Cependant  j'ai  voulu 
vous  faire  savoir  ceci,  monsieur,  comme  à  un  ami  très-affectionné»  qui, 
certtiûeinent,  prend  part  à  mon  infortune.    .>:      i*.-... 

39. 


252  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

«c  J'ai  reçu  une  très-longue  lettre  du  très-révérend  P.  Bonaventure. 
Il  me  fait  des  excuses  qui  n'étaient  vraiment  pas  nécessaires,  car  je 
naî  jamais  douté  de  sa  très -bonne  intention,  mais  je  m'affligeais  de 
ma  disgrâce,  quoique  celui  qui  la  causait  ne  le  fit  pas  voloiitairement 
ni  par  conviction.  Me  trouvant  fort  occupé,  je  ne  peux  pas  lui  écrire 
maintenant;  je  vous  prie  seulement  de  lui  dire  que  je  ne  désire  aucun 
changement  à  son  livre  déjà  imprimé,  et  que  je  le  remercie  même  de 
rhonorable  mention  qu  il  y  fait  de  moi.  Je  vous  salue  respectueusement. 
Je  vous  baise  les  mains ,  et  je  prie  pour  votre  bonheur. 

«Florence,  18  octobre  i632. 

«  Votre  très-dévoué  serviteur, 

(i  GaLILEO  GalîLEI;  » 

On  retrouve  ici  la  bonté  du  caractère  de  Galilée  :  cependant ,  sans 
accepter  les  propositions  de  Cavalieri,  et  tout  en  déclarant  qu'il  ne 
demandait  pas  qu'on  fît  aucun  changement  au  livre  déjà  imprimé,  cet 
illustre  géomètre  ne  repoussait  nullement  les  autres  moyens  qu'avait 
CavaHerî  de  constater  ses  droits.  Mais  ceïui-ci  ne  songea  plus  à  cette 
affaire,  et  ne  fit  aucune  déclaration  publique  pour  restituer  à  son 
maître,  au  véritable  inventeur,  cette  mémorable  découverte. 

C'est  ici  un  nouvel  exemple  du  danger  qu'il  y  aurait  à  adopter  l'o- 
pinion fort  étrange  de  certains  savants ,  qui  ne  pas  craignent  d'avancer 
que  les  découvertes  scientifiques  appartiennent  toujours  à  celui  qui  les 
a  publiées  le  premier,. sans  qu'on  puisse  jamais  combattre  cette  pre- 
mière publication  par  d'autres  preuves.  A  notre  avis ,  ce  principe ,  s'il 
était  admis,  ne  pourrait  qu'être  nuisible  aux  sciences,  en  provoquant 
des  publications  précipitées  et  incomplètes,  ou  en  encourageant  la 
fraude  et  les  soustractions. 

Au  reste,  dans  le  cas  actuel,  on  ne  saurait  s'empêcher  de  remarquer 
que  Cavalieri  appartenait  à  cette  compagnie  de  Jésus  qui  avait  voué  une 
haine  si  implacable  à  Galilée,  et  que,  seul  parmi  tous  les  élèves  du 
gi^nd  philosophe  toscan ,  le  professeur  de  Bologne  parut  presqiie  in- 
sensible à  la  persécution  dirigée  contre  son  maître.  Nous  voyons,  en 
effet,  par  la  correspondance  inédite  déjà  citée,  qu'après  la  sentence  de 
rinquisitipn  Cavalieri  cessa  d*abord  tout  à  coup  d^écrire^  à  Galilée,  et 

^  Depiiis  le^  décembre  i63a  jusqu'au  17  décembre  i633,  nous  ne  trouvons  au- 
cune lettre  de  Cavalieri  à  Galilée.  Voici  comment  Cavalieri  tâche  d'excuser  son  long 
silei^pe  dans  la  première  lettre  quil  écrivit  à  son  maître  après  Tavoir  délaissé  pen- 
dant toute  Tannée  de  sa  condamnation  :  «  Moltb  Illustre  ed  EccellentissimO  Si'gnore, 
Sébbene  îo  non  fao  da  molto  tempo  în  quà  scntto  a  V.  S.  Eécellenlissima  (cioè  per 
il  tempo  dei  suoi  travagli)  nonô  perà  eh*  io  non  igU  nbbiii 'tentiti  con  quella  pas- 


?' 


',  AVRIL;  1843.        (^  2&3 

qu  ensuite  celui-ci  eut  4  se  ;p}aii^€Lre  de  landilTërençe,  avec  laquelle 
Cavalier!  le  voyait  attaqué  c)jaas<] est  libelles  que  llocco\  péripatéticien 
enragé,  publiait.  Il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître ,  dans  tqute  cette 
conduite,  les  effets  de  Tinfluence  que  les  autres  jésuites  devaient  exercer 
sur  Cavalieri. 

^ .  Au  re^te.i  aans  se  comprooaeMre;,  ce  savant  mathématicien  accablait 
de  louanges  Galilée ,  loi^squjl  espérait  en  cetirer  quelque^  profit.  Dè^  qu  il 
apprit  qu0  Galilée  avait  aebeyésou  ouvrage  sur  le  mouvement,  il  lui 
adressa  une  longue  leitre  pour,  tâcher  d  avoir  quelque  communication 
anticipée  des  découvertes  qu'il  devait  y  exposer.  Dans  cette  lettre,  il  ex* 
prime  de  nouveau  s^s  ft^rct^  pour  ce  qui  était  arrivé  au  sujet.de  la  U^- 
jectoiie  dépritç  ^ar  109  projectiles;  dans  le  vide ,  et  il  promet  de  ne  plus 
commettre  la  njijême; &ute«  ûçLte  lettre  est  fort  remarquftblecii^tnousifa 


'•'.:..■  ■       ■.  .:.  .  }. 


sioiie  che  si  puo,  iipaginare ,  inlorpo  de*  quali  non.ipi  diifondo  in  coi)solaj;]a  per 
non  ofFendere  la  sua  molta  prudenza  e  vafore  d'animo,  con  cuî  sàxliê  avrà  supe- 
rato  i  passati  Iravagli.  •  On  ne  trouve  pas ,  dans  toute  cette  correspondance ,  un  §éûl 
mol  de  Cavalieri  pourlHâiii&r  la  sentence  de  Tinquisition.  —  ^  Voféi  une  dtilre  leUre 
de  Cavidieri,  dan» laquelle  il  s^excose,  à  ce  »ujet^  auprès  de  Gidilée^.  Le  dernier  pa- 
ragraphe surtout :est  signiOcatif , car  il. prouve  que  Ca(valîeri  lie  >Koulait  rien  i^ccire 

qui  pût  le  compromettre  : 

.1.1.  ■  •  .       '  .  .       ■      •      • 

«  Molto  Illustre  ed  ElcceUentissimo  Signore , 

«  V.  S.  Eccellenlissîma  si  quereia  mëco,  ch*  ionon  abbm-con  quelk  enei^a  pro- 
ekmato  rimpertio^nvbe  stoltizia  dell*  autore  del  iibro  ioviatole ,  che  la  condÎBon^ 
di  queUo  richiede^a,,^  çhe  ip  abbia  mostraio  di<Ce|rBe  qualphe  couto.  Nel  çfae  cOo- 
fesso  d'essere  andalo  veramente  rimesso  alquanto,  per  non  dir  troppo,  trapassando 
la  sua  insôlénza  ogni  termine  e  scoprendosi  pîù  cbe  chîara  la  sua  incapacité  e  stu- 
pldczza.  La  frclta  con  la  quale  io  scrissi  non  mi  diede  campo  di  potere  al  vivo  rap- 
presentafgli  come  l*autorc  non  m*era  sembriito  altro  che  qiiellQ  che  à  )ei  è  parso  : 
rai  spedii  con'  dire ,  sepptir  maie  non  mi  ricordo  che  m*éra  parif^d  pieno  di  scioc*^ 
chérie  e  di  spropositi  etcosl  di  miDvo  le  confefmo,  né  ho  intuicalo  ragSpna.ndo  con 
akri  di  rappëèsentarlo  per  taie;  Né  credo  che  appfesso  di  me  abbia*  acqti^tato  un 
minimo  chedi  stima.  Ma  si  bene  alT  opposito,'ne  ho  fbtmato  un  cbilcétto  d^inso- 
ientissîmo  e  îgiforantt^éîmo  pedàn(è.  Ndh  mi  ^ëvtiehê'gîà  che  cosa  abbia  detto  daf 
che  possa  raccoglierc  ch*  io  Tabbia  in  qualche  credilo,  se  non  forsQ  chT  io  àvés^î  detto 
che  egli  si  mostri  pratico  d*Aristolëte,  il  çhe  pèrô  non  tn'aggiugneria  éredito  poi- 
ché  se  benej'come  Ethi  dice  che  questr  si  slimano  d'essere  ^nfvati  al  sommo  del 
sapere  quamlo  hanno  fatio  gràn  pnitièa  sopra  li  suoi  tësti ,  dtST  accozuunenlo  de* 
qdali  profeè^àno  ^tersi  reèpofidéf^  a-  ogcf?  cosà.  spi*é2â^ndo  ogni  altro' ^od'o  di  sa- 
pere ed  ogni  allra  strada,  per  singolar  chè'sifi,  dï  (Hoisofaire.  Si'sgahni  'pure  V.  S. 
Ecccllentissinf^^  i^questo,  né  si  pQ|[)tprU»;|)oiphè  itpurissimo  oro  délie  sue  sal- 
dissirae  ragioni  è  da  me,  per  quanto  la  debolezza  del  mio  iogegno  mi  permette, 
benissimo  distinto  dal  rame ,  dd  quale  sembrano  eSscre  i  distofsl  dél  sûadefto  au- 
tore.  Mb  pdi  quando  io  pure  non  coiioaieeàki  a  nieno  tal  disfinxione,  non  per  questo 
-creda  che  siano  per  maacare  îngeghi  dii  gran  lunga  super  ion  al  mio  (del  quale  la 


254  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

donnons  ici,  surtout  parce  qu* elle  montré  que  Gavalieri  nétait  pas  to- 
talement étranger  aux  habitudes  de  la  eëlèbre  compagnie  à  laquelle  il 
appartenait  : 

a  Monsieur, 

«  J'ai  appris  avec  une  satisfaction  extraordinaire  que  vous  aviez  achevé 
vos  glorieux  travaux  sur  cette  doctrine  si  impatiemment  attendue  des 
savants,  et  qui;  malgré  les  efforts  qu'on  a  pu  faire  potrr  supprimer  vos 
ouvrages,  vous  fera  vivi^e  éternellement.  Je  regrette  vivement  de  ne  pa^ 
pouvoir  en  avoir  communication,  car  je  le  désirerais  au  delà  de  toute 
expression.  Ne  croyez  pas  cependant,  monsieur,  que,  connaissant  vos 
intentions,  je  pusse  commettre  la  faute  de  traiter  actuellement  ces 
théories  que  vous  avez  inventées  avec  tant  de  peine,  ni  même  que,  si 
cela  était  permis  à  la  faible  intelligence  d'un  homme  qui ,  à  votre  égard , 
n'est  qu'un  pygmée,  je  voulusse  faire  le  moindre  tort  à  vos  rares  inven- 
tions. Je  suis  désolé  du  chagrin  que  je  vous  donnai  dans  mon  Traité 
des  sections  coniques,  où  je  fis  connaître  la  ti:ajectoire  décrite  par  lea 
projectiles.  Car  je  ne  pensais  pas  que  vous  pussiez  y  tenir  beaucoup,  et 
j'espérais  que  la  déclaration  que  j'avais  faite,  que  c'était  là  une  chose 
que  vous  m'aviez  apprise ,  devait  vous  faire  plaisir,  au  lieu  de  vous  cha- 
griner, comme  cela  arriva  à  mon  très-grand  regret.  Soyez  certain  que 
je  ne. fendis  plus  la  même  faute,  si  vous  me  communiquiez  vos  idées. 
Quanti  ma  Géométrie ,  je  désirerais  avoir  l'opinion  de» «avants  de  votre 
ville,  je  crains  qu'ils  iVè  se  fatiguent  au  premier  et  Su  Sfecond  livre ,  où 
il  y  a  les  choses  les  plus  simples*,,  car,  s'ils  ne  lisaient  pas  là  suite,  ils 

ringrazio  cqolto  de%  stin^a  che  zoostra  dî  (are)  che  benissimo  conosceranno  quanto 
ella  sopravanzi  tutti  gli  altri  nella  saldezza  dql  suo  discorrere ,  e  quanto  sciocco , 
arrogante  e  preoQ  di  yanità  si  ritrovi  il  detto  aiUore»  nei  suo  trattato.  lo  non  Tho  aile 
mani.,  sicchè  io  lo  possa  di  nuovp  vedere,  ma  poco  mi  si  puè  aggiugnere,  credg 
al  çQi^ceUo  che  ne  ho  fonn^tp,  sebbene  lo  Tidi  di  scorsa,  poic)iè  aÔa, prima  mi 
son  parae  cosi  bea  chiare  le  sue  scioccherie,. che  poco  più  potrei  avvantagiarmi  in 
conoseerle  per  ta^. 

«  G)ndonî  qualchè  jcosa  allô  scnvere ,  che  non  permette  talora  allargarsi ,  e  mi 
ienga  per  suo  parziallsjsuno  servîtore  e  che  a  ^iuno  cedp  nel  fare  singolarissim» 
stima  del  suo  ^ublimissimo  ingegno ,  çhe  con  sâggi  cosi  esquisiti  Ella  ha  a  luUo  il 
moodo  co*  saia  soltîlissimi  ^iscorsi  palesato  :  e  con  tal  fine  alla  sua  affeltuoKA  me* 
moria  mi  raccû^;ni|;|iao  haçiandole  le  ^ant. 

t  Di  V.  fit.  Mdlo  IHmire  ed  EcceHenttssîma.' 
«  polognà ,  1 4  f<^brajp  i  $,34- 


r»rf  ••.       '  %    '»i;". 


t 


Obbligatiasimo  ç  4^voUssimo.;»ervt^re,; 


/ 


'\'  r-  ."-i>'  -:-'    -  -^  «FlU  BoNAVBirrvaA'CiKVA^in».-» 


AVRIL  1843.  255 

se  formeraient  probablement  une  opinion  défavorable  de  l'ouvrage. 
Cependant  j'espère  qu'ils  ne  voudront  pas  me  condamner  sans  avoir 
tout  lu.  Je  regi*ette  que  votre  âge,  monsieur,  ne  vous  pennette  plus 
de  grandes  fatigues;  mais  celui  qui  a  tant  fait  a  droit  à  une  glorieuse 
tranquillité.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  donne  une  longue  vie  corporelle, 
car,  quant  à  la  gloire,  vous  ave»  acquis  l'immortalité.  Je  me  recom- 
mande à  votre  afifection,  et  je  vous  baise  affectueusement  les  mains. 
(I Bologne,  2 &  juin  i635. 

a  Votre  très-obligé  serviteur, 

«  F.  BoîiAVENTORE  CaVALIERI.  )) 

Galilée  sut  éviter  le  danger,  et  il  ne  parait  pas  qu'il  ait  jugé  à  p^ppos 
de  se  fier  de  nouveau  à  la  discrétion  du  savant  jésuite.  Dans  d'autres 
lettres,  Cavalier!,  qui  ne  dédaignait  pas  les  éloges  d'un  homme  que 
l'inquisition  avait  condamné ,  demandait  avec  instance  ^  à  Galilée  qu'il 
voulût  bien  parier  de  lui  dans  ses  Discours  sur  deux  nouvelles  sciences. 
Oubliant  la  conduite  du  jésuite,  Galilée  ne  vit  toujours  dans  Gavalieri 
qu'un  élève  distingué,  et  il  fit  mention  de  ses  travaux  de  la  manière 
la  plus  honorable  dans  ces  Discours ,  qu'il  publia  bientôt  après  ^. 

Ces  faits,  fort  peu  ccHinus,  nous  ont  semblé  pouvoir  intéresser  les 
savants,  et  c'est  pour  cela  que  nous  avons  cru  devoir  nous  y  arrêter. 
Si  M.  Ântinori  ne  les  a  pas  signalés  dans  son  important  ouvrage ,  c'est 
qu*il  réservait  les  développements  pour  les  travaux  des  membres  de 
l'Académie  dei  Cimento. 

G.  LffiW. 

^  Voyez  surtout  la  lettre  inédite  de  Gavalieri  à  Galilée  du  i4  juin  i634.  — ** 
*  Galilei,  Discorsi.,,  intomo  a  due  nuove  scienze,  Leida,  i638,  in-4*,  p.  42. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


LIVRES   NOUVEAUX. 

FRANCE. 

CEdipe  roi,  tragédie  de  Sophocle,  traduite  en  français  par  M.  A.  L.  Boycr,  pro- 
fesseur de  rhétorique  au  collège  Stanislas.  Paris ,  imprimerie  et  librairie  de  Firmin 
Didot  frères,  i843.  in*  12  de  107  pages.  —  Cette  traduction  se  recommande, 


250  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

comme  celle  que  M.  Boyer  a  donnée,  Tannée  dernière,  de  VAntigone  (voy.  Journal 
des  Savants,  juin  i84a,  p.  38i),  par  un  grand  respect  du  texte  original,  un  soin 
curieux  n  en  rendre  les  beautés  avec  fidélité  et  élégance.  M.  Boyer,  qui  continue  à 
chercher  dans  Tétude  de  Racine  le  secret,  si  difficile  à  retrouver,  de  rendre,  sans 
Taltérer ,  et  dans  un  langage  qui  ne  cesse  point  par  exactitude  d*étre  français ,  la 
simplicité  antique ,  a  indiqué  en  note  tous  les  passages  de  notre  grand  tragique  où 
il  paraît  s^être  inspiré  du  souvenir  de  YŒdipe  roi.  Peut-être  ne  sont-ikpas  tout  à 
t'ait  aussi  nombreux  que  le  pense  M.  Boyer.  Mais ,  si  ses  rapprochements  pèchent 
par  quelque  excès,  ils  n*^en  sont  pas  moins  intéressants  et  instructifs,  et  ils  ajoutent 
beaucoup  de  prix  à  son  consciencieux  et  estimable  travail. 

La  Science  de  la  vie,  ou  Principes  de  conduite  religieuse,  morale  et  politique,  ex- 
traits et  traduits  d*auteurs  italiens,  par  M.  Valéry,  auteur  des  Voyages  historiques, 
littéraires  et  artistiques  en  Italie ,  des  Voyages  en  Corse ,  à  Tile  d'£lbe  et  en  Sar- 
daigqe ,  et  de  Tltalie  confortable  ;  bibliothécaire  du  roi  aux  palais  de  Versailles  et 
de  Trianon  ;  de  TAcadémie  royale  de  Turin ,  de  TÂcadémie  des  sciences  de  Naples ,. 
et  de  plusieurs  autres  Académies  dllalie.  Imprimerie  de  Montalant-Bougleux  à  Ver- 
sailles, librairie  d'Amyot  à  Paris,  i84a,  t  vol.  in-S*  de  viii-33o  pages.  —  Dans 
cette  nouvelle  production  d*un  auteur  qui  s'est  apphqué  avec  tant  de  zèle  et  de 
succès  à  reproduire ,  sous  ses  faces  diverses ,  l'image  de  lllalie  (  voy.  Journal  des 
Savants,  septembre  i858,  p.  585;  mai  i84i,  p.  3i8;  février  1842,  p.  i23],  sept 
chapitres  empruntés  à  des  moralistes,  à  des  traités  de  morale  italiens,  les  uns  peu 
connus ,  d'autres  aujourd'hui  négligés ,  au  Miroir  de  la  vraie  pénitence  par  le  do- 
minicain Jacques  Passavant!,  aux  Discours  sur  la  vie  sobre  de  Louis  Cornaro,  à  la 
Vie  civile  de  Matthieu  Palraieri ,  au  Traité  du  aouvernement  de  la  fam'dle  d'Ange 
Pandolûni ,  au  Livre  du  courtisan  du  comte  Ballnazar  Castiglione ,,  au  Galateo ,  au 
Traité  des  devoirs,  aux  Poésies,  aux  Lettres  de  monsignor  Jean  délia  Casa,  enfin  au 
Dialogue  dn  père  de  famille  du  Tasse,  embrassent,  dans  toute  son  étendue,  le  sujet 
promis  par  le  titre.  A  un  choix  d'excellents  préceptes  se  joint ,  pour  recommander 
ce  livre,  le  double  mérite,  ordinaire  à  l'auteur,  d'une  érudition  ingénieuse  et  dis- 
crète et  d'un  style  élégant. 


TABLE. 

La  Célestinr ,  tragi-comédie  de  Calixtc  et  Mélibée ,  traduite  de  Tespagnoi ,  annotée 
et  précédée  don  estai  historiqae,  par  M.  Gcrmond  de  Lavigne  (article  de 
M.  Magnîn) • Page   1 93 

Géographie  d'Édrisi,  traduite  de  Tarabe  en  français  par  M.  P.  Amédéc  Jaubert 

(  1"  article  de  M.  Quatremère] 265 

Nouveaux  documents  inédits  sur  le  P.  André  et  sur  la  persécution  du  Cartésia- 
nisme dans  la  compagnie  de  Jésus  (2*  article  de  M.  Cousin) 218 

Essais  d'expériences  faites  dans  TAcadémie  del  Cimento  (3*  article  de  M.  Libri).  246 

IlouveUet  littéraires 255 


PIN    DE   LA   TABLI. 

I  ■ 


JOURNAL 


DES  SAVANTS. 


MAI  1843. 


"i 


t 


'  Il  avait  formé  ce  projet  avec  M.  Geoffroy-Saint-Hiiaire,  lequel  a  publié,  dans 
ces  derniers  lemps,  sur  ouffon,  des  Études  très-remarquables,  et  que  j'aurai  plus 
d'une  fois  occasion  de  citer  par  la  suite.  —  '  t  M.  de  BufTon  rend  raison  des  mo- 
tifs de  préférence  qu'il  a  eus  pour  tous  les  mots  de  ses  discours,  sans  exclure  même 

33 


»' 


« 


Revue  des  éditions  de  Baffon. 

Art.  I".  Idées  de  Buffon  sur  la  méthode. 

M.  Cuvier  avait  eu,  dès  le  début  de  sa  carrière ,  le  projet  de  donner 
une  édition  de  BuiTon  ;  et  il  a  toujours  regretté  de  ne  Tavoir  pas  donnée. 
((Il  est  fâcheux,  dit-il  dans  les  Mémoires  qu*il  a  laissés  sur  sa  vie,  que 
mon  projet  n  ait  pu  se  réaliser;  il  aurait  empêché  les  éditions  absurdes 
de  Castel  et  de  Sonnini,  qui  ont  fait  tant  de  tort  à  la  science  K  » 

Les  éditions  de  Castel  et  de  Sonnini  sont  absurdes  ;  nous  n'avons  pas 
celle  qu'avait  projetée  M.  Cuvier;  nous  en  avons  vingt  autres,  mais  qui 
n'en  sauraient  tenir  lieu,  et  le  problème  dune  bonne  édition  de  Buf- 
fon est  encore  à  résoudre. 

Je  m'occuperai,  dans  un  autre  article,  de  ce  problème.  Ce  qui  va 
d'abord  m'occuper  ici,  c  est  l'étude  même  des  pensées  de  Buffon. 

Il  y  a ,  dans  tout  ce  qu'a  écrit  Buffon ,  im  ordre ,  une  suite ,  une  géné- 
ration visible  des  idées.  On  peut  démêler  partout,  dans  ces  idées,  ce 
qui  est  de  lui  et  ce  quil  emprunte  à  (^'autres,  et  particulièrement 
aux    trois  hommes  quil  avait  le  plus  étudiés,  Aristote,  Descartes,  "^    ♦j 

Leibnitz;  on  le  suit  pas  à  pas  dans  ces  combinaisons  profondes  d'où  il  j^* 

a  fait  sortir  tant  de  vues  nouvelles;  il  rend  raison  de  tout  ce  qu'il  dit  ^; 


\ 


# 


It- 

1 


258  JOURNAL  DÈS  SAVANTS. 

et  lui-même  nous  a  laissé  l'histoire  la  plus  sûre  et  la  plus  savante  de  ses 
méditations  et  de  ses  pensées. 

C'est  cette  histoire  des  pensées  de  BuCFon,  écrite  par  lui-même ,  que  je 
me  propose  d'étudier  ici ,  et  d'étudier  successivement  dans  chacune  des 
deux  parties  de  son  grand  ouvrage  :  YHistoire  des  animaux  et  XHistoire 
de  la  terre, 

V  Histoire  des  animaux,  ou,  comme  on  dit  aujourd'hui,  la  zoologie,  se 
compose  de  Vhistoire  même  de  chaque  espèce  prise  à  part ,  et  de  la  'dis- 
tribution méthodique  de  toutes  les  espèces  comparées  entre  elles. 

Or,  de  ces  deux  choses,  Buffon  a  merveilleusement  compris  la  pre- 
mière, Yhistoire  proprement  dite,  et  il  n'a  jamai^^bien  compris  la  seconde 
ou  la  distribution  méthodique, 

BufTon  n'a  jamais  vu,  d'une  vue  nette,  ce  (]^ecest  que  la  méthode  en 
histoire  naturelle.  Tantôt  il  la  confond  avec  la  description  ou  Yhistoire  : 
M  La  vraie  méthode ,  dit*il,  est  la  description  complète  et  l'histoire  exacte 
de  chaque  chose  en  particulier  ^  »  Tantôt  il  l'en  sépare  pour  n'y  voir 
«qu'une  convention,  une  langue  arbitraire,  un  moyen  de  s'entendre 
dont  il  ne  peut  résulter  aucune  connaissance  réelle^.»  Ailleurs  il  feint 
de  se  méprendre  sm^  le  vrai  sens  du  rapprochement  des  espèces  dans 
la  méthode,  et  croit  se  moquer  de  Linné  :  «Ne  serait-il  pas  plus  simple, 
dit'il ,  plufl  naturel  et  plus  vrai ,  de  dire  qu'un  âne  est  un  âne ,  et  un  chat 
un  chat,  que  de  vouloir,  sans  savoir  pourquoi,  qu'un  âne  soit  un  che- 
val, et  un  chat  un  loup-cervier^?  » 

Enfin,  il  va  jusqu'à  écrire  cette  phrase  singulière  :  «Ne  vaut-il  pas 
mieux  ranger,  non-seulement  dans  un  traité  d'histoire  naturelle,  mais 
même  dans  un  tableau  ou  partout  ailleurs,  les  objets  dans  l'ordre  et 
dans  la  position  où  ils  se  trouvent  ordinairement,  que  de  les  forcer  à  se 
trouver  ensemble  en  vertu  d'une  supposition?  Ne  vaut-il  pas  mieux  faire 
suivre  le  cheval ,  qui  est  solipède ,  par  le  chien ,  qui  est  fissipède ,  et  qui 
coutume  de  le  suivre  en  effet,  que  par  un  zèbre ,  qui  nous  est  peu 
connu ,  et  qui  n'a  peut-être  d'autre  rapport  avec  le  cheval  que  d'être 
solipède*?»  ^ 

Il  fallait  en  vouloir  beaucoup  à  Linné  pour  trouver  mauvais  qu'il 
eût  placé  le  cheval  près  du  zèbre.  Assurément  tout  n'est  pas  parfait 

de  cette  discussion  ^s  moindres  particules ,  les  conjonctions  les  plus  ignorées.  « 
(Noav.  Mél.  extr.  des  manusc,  de  A/"'  Necker,)  Cette  raison  qu*il  rendait,  dans  ia 
conversation,  de  tous  ses  mots,  il  Ta  rendue,  dans  son  livre,  de  toutes  ses  pensées. 
' —  '  T.  I,  p.  34.  édit.  in-ia  de  Tlmpr.  roy.  —  '  Ibid,  p.  a  a.  —  '  Ihid,  p.  57.  Loup- 
çervier,  espèce  de  lynx,  et  par  conséquent  espèce  aefelis,  de  chat.  —  *  Ihid, 
p.  5i. 


«•*> 


MAI  1843.  259 

dans  Linné  :  il  n*a  pas  connu  la  grande  loi  de  Yimportance  relative  des  ca- 
ractères ^ ;  mais  il  a  vu ,  et  îl  est  le  premier  qui  lait  nettement  vu ,  que 
tous  les  caractères  devaient  être  pris  dans  les  objets  mêmes ,  et  c'é- 
tait là  un  pas  immense.  Pour  Buffon ,  il  consent  bien  que  Ton  sépare , 
en  se  réglant  d'après  leur  nature ,  les  anùnaax  des  végétaux,  les  végétaux 
des  minéraax;  il  consent  que  l'on  sépare  les  quadrupèdes  des  oiseaux,  les 
oiseaux  des  poissons;  mais,  cela  fait,  il  repousse  toutes  les  autres  divi- 
sions fondées  sur  la  nature  des  choses.  Il  ne  veut  plus  juger  les  objets  **i 
que  par  les  rapports  d'utilité  ou  de  familiarité  qu'ils  ont  avec  nous;  et  ^ 
sa  grande  raison  pour  cela,  c'est  «qu'il  nous  est  plus  facile,  plus 
agréable  et  plus  utile,  de  considérer  les  choses  par  rapport  à  nous,  que 
sous  aucun  autre  point  de  vue  ^.  » 

Il  est  curieux  de  l'entehdre  exposer  lui-même  ce  qu'il  appelle  sa  mé- 
thode. Il  imagine  un  homme,  qui,  ayant  tout  oublié,  «s'éveille  tout 
neuf  pour  les  objets  qui  l'environnent;  »  il  place  cet  homme  dans  une 
campagne,  «où  les  animaux,  les  oiseaux,  les  poissons,  les  plantes,  les 
pierres  se  présentent  successivement  à  ses  yeux.  —  Bientôt,  dit-il,  cet 
homme  se  formera  une  idée  générale  de  la  matière  animée ,  il  la  distin- 
guera aisément  de  la  matière  inanimée,  et,  peu  de  temps  après,  il  dis- 
tinguera très-bien  la  matière  animée  de  la  matière  végétative,  et  natu-  TiSi 
rellement  il  arrivera  à  cette  première  grande  division  :  animxil,  végétal 
et  minéral;  et ,  comme  il  aura  pris  en  même  temps  une  idée  nette  de 
ces  grands  objets  si  différents,  la  terre ,  Yair  et  l'eau,  il  viendra  en  peu 
de  temps  à  se  former  une  idée  particulière  des  animaux  qui  habitent  la 
terre,  de  ceux  qui  demeurent  dans  l'eau  et  de  ceux  qui  s'élèvent  dans 
l'air,  et,  par  conséquent ,  il  se  fera  aisément  à  lui-même  cette  seconde  di- 
vision :  animaux  quadrupèdes,  oiseaux  et  poissons;  il  en  est  de  même, 
dans  le  règne  végétal ,  des  arbres* et  des  plantes;  il  les  distinguera  très-                      ^ 
bien,  soit  par  leur  grandeur,  soit  par  leur  substance,  soit  par  leur                   '^ 
figure.  Voilà  ce  que  la  simple  inspection  doit  nécessairement  lui  don-  ^ 
ner,  et  ce  qu'avec  une  très-légère  attention  il  ne  peut  manquer  de  re- 
connaître ;  c*estlà  aussi  ce  que  nous  devons  regarder  comme  réel ,  et  que 
nous  devons  respecter  comme  une  division  donnée  par  la  nature  même.  * 
Ensuite  mettons-nous  à  la  place  de  cet  homme,  ou  supposons  qu'il  ait                              * 
acquis  autant  de  connaissances  et  qu'il  ait  autant  d'expérience  que  nous  "^ 
*  en  avons,  il  viendra  à  juger  les  objets  de  l'histoire  naturelle  par  les 
rapports  qu'ils  auront  avec  lui  :  ceux  qui  lui  seront  les  plus  nécessaires , 

'  Voyez,  sur  la  grande  loi  de  Timportance  relatnre  des  caractères  et  sur  tout  oe 
qui  tient  à  la  méthode,  mon  Analyse  raisonnée  des  travaux  de  G.  Gurier,  18&1. 
—  *T.I,p.  48. 

33. 


260  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

les  plus  utiles,  tiendront  le  premier  rang;  par  exemple,  il  donnera  la 
préférence,  dans  Tordre  des  animaux,  au  chien,  au  bœuf,  etc.  et  il 
connaîtra  toujours  mieux  ceux  qui  lui  seront  les  plus  familiers;  ensuite 
il  s'occupera  de  ceux  qui ,  sans  être  familiers ,  ne  laissent  pas  que  d'ha- 
biter les  mêmes  lieux ,  les  mêmes  climats ,  comme  les  cerfs ,  comme  les 
lièvres  et  tous  les  animaux  sauvages;  et  ce  ne  sera  qu'après  toutes  ces 
connaissances  acquises  que  sa  curiosité  le  portera  à  rechercher  ce  que 
peuvent  être  les  animaux  des  climats  étrangers,  comme  les  éléphants, 
les  dromadaires,  etc.  Il  en  sera  de  même  pour  les  poissons*  pour  les 
oiseaux ,  pour  les  insectes ,  pour  les  coquillages ,  pour  les  minéraux ,  et 
pour  toutes  les  autres  productions  de  la  nature  :  il  les  étudiera  à  propor- 
tion de  l'utilité  qu'il  en  pourra  tirer;  il  les  considérerai  mesure  qu'elles 
se  présenteront  plus  familièrement,  et  il  les  rangera  dans  sa  tête  rela- 
tivement à  cet  ordre  de  ses  connaissances,  parce  que  c'est,  en  effet, 
l'ordre  selon  lequel  il  les  a  acquises ,  et  selon  lequel  il  lui  importe  de 
les  conserver.  Cet  ordre,  le  plus  naturel  de  tous,  est  celui  que  nous 
avons  cru  devoir  suivre.  Notre  méthode  de  distribution  n'est  pas  plus 
mystérieuse  que  ce  qu'on  vient  de  voir  ' » 

Voilà  pourtant  jusqu'où  peut  conduire  la  prévention;  et,  quand  on 
songe  à  l'époque  où  Buffon  s'exprimait  ainsi ,  l'étonnement  redouble. 
Lorsque  Buffon  écrivait  ce  qu'on  vient  de  lire,  il  y  avait  plus  d'un 
demi -siècle  que  Ray^  et  Toumefort'  avaient  publié  leurs  grands  tra- 
vaux sur  la  méthode;  Linné  avait  publié  ses  Fandamenta  botanica^,  pre- 
mier germe  d'une  philosophie  nouvelle  de  la  science  ;  les  idées  de  Ber- 
nard de  Jussieu  commençaient  à  se  répandre,  et  je  trouve  la  preuve 
de  ce  dernier  fait  dans  un  monument  bien  précieux. 

Nous  avons ,  de  Malesherbes ,  des  Observations  ^  pleines  de  savoir,  et 
surtout  de  bon  sens ,  «ur  les  trois  premiers  volumes  ^  de  l'Histoire  na- 
turelle de  Buffon.  Là  cet  esprit  souverainement  droit  démêle  bien  vite 
la  cause  réelle  de  toutes  les  erreiurs  de  Buffon ,  en  fait  de  méthode.  «  Je 
crois,  dit  Malesherbes,  que  le  peu  de  connaissance  que  M.  de  BuQbn 
a  des  auteurs  systématiques  est  ce  qui  l'a  empêché  de  faire  attention 
à  la  première  et  principale  utilité  de  leurs  méthodes^ C'est  un  re- 

'  T.  I,  p.  45.  —  *  Methodus  plantamm  nova,  1682.  -^  ^  Éléments  de  botanique, 
on  Méthode  pour  connaittv  les  plantes,  i6g4*  —  ^  Fandamenta  hotanica,  etc,  1736. 
—  *  Observations  de  Lamoignon-Malesherbes  sar  thistoire  naturelle  générale  et  parti- 
culière de  Buffon  et  de  Dauhenton.  L'ouvrage ,  qui  n*a  paru  qu^après  la  mort  de  fau- 
teur, avait  été  composé  en  1749*  à  l'époque  même  où  Buffon  publiait  ses  premiers 
volumes.  *-  *  Pubuét  en  1749*  -**  ^  Observations  sar  l'histoire  naturelle,  etc.  t.  I, 
p.  8. 


MAI  1843.  261 

proche,  dil-il  encore,  que  je  ne  puis  m'empêcher  de  faire  à  M.  de  Buf- 
fon ,  surtout  à  l'égard  de  M.  Linnaeus ,  dont  je  crois  qu'il  a  trop  peu  lu 
les  ouvrages,  et  dont  il  n a  pas  saisi  l'esprit  ^  » 

Et,  en  effet,  si  Buffon  a  mal  jugé  les  méthodes,  c'est,  tout  simple- 
ment, parce  qu'il  ne  connaissait  pas  les  méthodes,  u  Lorsque  l'ouvrage 
de  M.  de  Buffon  fut  annoncé  au  public,  dit  Malesherbes,  il  me  parut 
que,  par  ce  titre  d'Histoire  naturelle  gériérale  et  particulière ,  l'auteur  pro- 
mettait un  traité  complet  sur  chaque  partie  de  cette  science;  et  ce  pro- 
jet me  sembla  d'autant  plus  hardi ,  que  M.  de  Buffon  n'avait  pas  encore 
paru  dans  le  monde  savant  comme  naturaliste  ;  il  était  déjà  célèbre  par 
plusieurs  mémoires  lus  à  l'Académie  sur  différents  sujets  d'agriculture, 
de  physique  et  de  géométrie,  et  par  une  traduction  très-estimable^. 
Mais  ces  différentes  connaissances  me  paraissaient  autant  de  diversions 
à  l'étude  de  la  nature  ' » 

Lorsque  Buffon,  nommé  en  i  ySg  intendant  du  jardin  du  Roi,  conçut 
le  projet  de  son  grand  ouvrage ,  il  n'était  pas  naturaliste.  D'un  autre 
côté ,  rien  ne  convenait  moins  à  son  génie  que  l'étude  rigoureuse  et 
abstraite  de  la  nomenclature  et  des  caractères.  Il  se  mit  donc  à  décrire 
les  animaux  un  à  un,  conmie  il  les  étudiait,  n'ayant  pas  eu  le  temps 
de  les  étudier  tous  ensemble  et  de  les  comparer  entre  eux  ;  et ,  ce 
parti  pris,  il  ne  chercha  plus  qu'à  multiplier,  autant  qu'il  put,  les  ob- 
jections contre  les  méthodes. 

«  Il  est  aisé  de  voir,  dit-il ,  que  le  grand  défaut  de  tout  ceci  est  une 

erreur  de  métaphysique  dans  le  principe  même  des  méthodes, 

erreur  qui  consiste  à  vouloir  juger  d'un  tout  par  une  seule  de  ses  par- 
ties *.  »  Buffon  se  trompe  ;  il  n'y  a  point  là  d'erreur  de  métaphysique  : 
toutes  les  parties  d'un  animal  étant  faites  les  unes  pour  les  autres ,  cha- 
cune donne  les  autres;  on  peut  juger  du  tout  par  une  seule  de  ses  par- 
ties; il  s'agit  seulement  de  bien  choisir  cette  partie^.  «H  su£Eit,  disait 
déjà  Malesherbes,  de  choisir  des  caractères  fixes,  constants  et  inva- 
riables; et  il  y  en  a  dans  la  nature^.  » 

Buffon  prétend  o  qu'il  est  impossible  de  donner  un  système  général, 

^  Ibid.  p.  4. -^  '  La  traduction  de  la  Statistique  des  végétaux,  de  Haies.  La  pré- 
face de  cette  traduction  est  remarquable  à  plus  d'un  titre  ;  j'y  reviendrai  plus  tard. 
Malesherbes  oublie  la  traduction  du  Traité  des  fluxions,  de  Newton.  Cette  traduc- 
tion a  aussi  une  très-belle  préface,  mais  qui  ne  se  rapporte  point  à  notre  objet.  — 
'  Observ.  sur  l'histoire  nat.  etc.  t.  I,  p.  3.  —  *  T.  I,  p.  a8.  —  '  Voyez,  sur  les  deux 
grandes  lois  de  la  subordination  des  caractères  et  de  la  corrélation  des  parties  (deux 
lois  qui  donnent  toute  la  méthode) ,  mon  Analyse  raisonnée  des  travaux  de  G.  Cu- 
vier.  —  •  Observ,  sar  Vhist.  nat.  etc.  1. 1,  p.  i3. 


262  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

une  méthode  parfaite ,  non-seulement  pour  l'histoire  naturelle  entière , 
mais  même  pour  mie  seule  de  ses  branches^.  »  Substituez  aux  mots 
vagues  de  méthode  parfaite  les  mots  précis  de  méthode  naturelle,  et  l'as- 
sertion de  Bufibn  sera  jugée. 

n  dit  «  qu'il  n'existe  réellement ,  dans  la  nature ,  que  des  individus ,  et 
que  les  genres ,  les  ordres  et  les  classes  n'existent  que  dans  notre  ima- 
gination^:» idée  mal  démêlée»  et,  depuis  Bufibn,  bien  souvent  repro- 
duite^. 

Voici,  sur  cette  idée  même,  quelques-unes  des  remarques  de  Ma- 
lesherbes.  «Outre  les  systèmes  artificiels-,  dit-il,  les  natiu^alistes  con- 
naissent une  autre  méthode  qu'ils  appellent  méthode  naturelle.  Pour 
sentir  le  principe  de  cette  méthode ,  il  faut  remarquer  qu'il  y  a ,  dans 
la  nature,  des  collections  de  genres,  ou,  si  l'on  veut,  des  classes, 
qui  semblent  séparées  naturellement  de  toutes  les  autres.  C'est  ce  qu  on 
appelle  familles  naturelles.  Telles  sont,  parmi  les  animaux,  la  famille 
des  oiseaux ,  la  famille  des  poissons ,  etc.  La  division  de  ces  deux  fa- 
milles ne  part  pas  de  la*  fantaisie  d'un  nomenclateur  qui  a  dit  je  don- 
nerai le  nom  d'oiseaux  aux  animaux  qui  ont  des  ailes  et  le  nom  de  pois- 
sons à  ceux  qui  ont  des  nageoires.  C'est  la  nature  elle  -  même  qui  a 
rapproché ,  par  une  fouie  de  ressemblances ,  les  animaux  de  ces  deux 
familles  ;  et  la  somme  de  tous  ces  rapports  est  ce  qu'on  appelle  le  ca- 
ractère naturel'^ Parmi  les  espèces  dont  ces  familles  naturelles  sont 

composées ,  il  s'en  trouve  encore  qui  se  tiennent  plus  particulièrement 
que  les  autres.  Ainsi  les  mouches  et  les  papillons  sont  des  familles  par- 
ticulières dans  la  famille  des  insectes Cette  marche  de  la  nature, 

une  fois  bien  connue,  donnerait  ce  qu'on  appelle  la  méthode  natu- 
relle,  etc.  etc.  ^.  » 

On  voit,  par  tous  ces  passages,  combien  Malesherbes,  aidé,  sans 
doute,  ainsi  que  je  le  disais  tout  à  l'heure,  des  idées  de  Bernard  de 
Jussieu,  avait  profondément  étudié  les  méthodes.  Il  voyait  déjà  dans  la 
méthode  natvu-elle  ce  qu'elle  est  en  efiet  par-dessus  tout ,  un  instrument 
de  généralisation.  «Rien,  dit-il,  n'est  plus  propre  à  étendre  la  science 
et  à  généraliser  les  découvertes  ^.  w  II  est  peut-être  le  premier  qui  ait 
bien  compris  la  fondamentale  distinction  établie  par  Linné  entre  les 
méthodes  artificielles  et  la  méthode  naturelle;  et  je  citerai  encore  de  lui  ce 
passage,  car  j'avoue  que  je  trouve  un  grand  bonheur  à  le  citer.  BufFon 

*  T.  I,  p.  17.  —  •  T.  I,  p.  54.  —  '  Les  groupes  mal  faits  n'existent  que  dans  notre 
imaaination; mais  les  groupes  natureU,  les  groupes  bien  faits,  existent  dans  la  nature. 
''^    Observ,  sur  Vhist.  nat.  etc.  1 1,  p.  9.  —  '  Ibid.  p.  1 1.  —  *  Ibid.  p.  i3. 


Mai  1843.  263 

reproche  souvent  à  Linné  ce  qu  ii  y  a  d'artificiel  dans  le  système  sexuel 
des  plantes  :  «  Pour  répondre  à  ce  reproche ,  dit  Malesherbes ,  il  suffit 
de  remarquer  que  le  système  de  M.  Linnœus  est  un  système  artificiel, 
qu'il  le  donne  pour  tel ,  et  qu*il  est  même  celui  de  tous  les  botanistes 
qui  a  le  mieux  marqué  la  différence  entre  la  méthode  naturelle  et  les 
méthodes  artificielles.  Lorsque  ses  principes  le  conduisent  à  quelque 
classe  quil  regarde  comme  naturelle,  il  a  soin  d'en  avertir...  Il  a  même 
donné  le  petit  nombre  de  familles  qui  lui  paraissent  naturelles,  et  cela 
pour  faciliter  le  travail  de  ceux  qui  cherchent  la  méthode  naturelle  gé- 
nérale  ^  *> 

M.  Cuvier  dit  :  « Par  tous  ces  travaux,  Linné  fut  conduit  à  dis- 
tinguer nettement  les  systèmes  artificiels  de  la  méthode  naturelle. 
Jusqu'à  lui  cette  distinction  n'avait  pas  été  faite  clairement;  on  ne  se 
rendait  pas  bien  compte  de  la  différence  des  méthodes  de  classification. 
Chacun  cherchait,  sans  doute,  à  rapprocher,  autant  qu'il  le  pouvait,  les 
plantes,  les  animaux  et  les  minéraux  qui  se  ressemblaient  par  certains 
rapports ,  mais  on  ne  s'attachait  pas  à  rendre  ces  rapports  simples  et 
précis.  Linné  adopta  le  système  artificiel ,  mais  il  déclara  qu'il  ne  con- 
venait que  pour  arriver  à  la  détermination  positive  des  espèces,  et  qu'il 
ne  fallait  pas  négliger  de  travailler  à  la  découverte  d'une  méthode  na- 
turelle fondée  sur  les  véritables  rapports  des  objets  2.»  M.  Cuvier  juge 
donc  Linné  comme  Malesherbes;  mais  M.  Cuvier  est  M.  Cuvier,  et  il 
écrivait  de  nos  jours  :  Malesherbes  écrivait  il  y  a  près  d'un  siècle. 

Je  reviens  à  Buffon.  Ses  préventions  contre  la  méthode  ne  pouvaient 
durer  bien  longtemps.  A  mesure  qu'il  avançait  dans  son  gi^and  travail , 
il  se  faisait  de  plus  en  plus  aux  idées,  et,  par  les  idées,  au  langage 
des  naturalistes;  il  sentait,  de  plus  en  plus ,  le  besoin  de  ranger  les  ob- 
jets d'après  leurs  rapports;  et,  comme  le  dit  si  bien  M.  Cuvier,  «par- 
venu à  son  Histoire  des  oiseaux ,  il  se  soumit  tacitement  à  la  nécessité 
où  nous  sonunes  tous  de  classer  nos  idées,  pour  nous  en  représenter 
clairement  l'ensemble  *.  » 

J'ajoute  qu'il  n'avait  pas  attendu  jusque-là.  Lorsqu'après  avoir  décrit 
l'un  après  l'autre ,  et  sans  aucune  vue  méthodique ,  le  cheval ,  l'âne , 
le  bœuf,  la  brebis,  la  chèvre,  le  cochon,  le  chien,  le  chat,  tous  les 
animaux  domestiques ,  il  passe  aux  animaux  sauvages ,  il  rapproche  plus 
d'une  fois ,  et  avec  un  dessein  marqué ,  les  espèces  semblables  :  il  met 
le  daim  près  du  chevreuil,  la  fouine  près  de  la  marte,  etc.  etc.  Arrivé 

*  Ohterv,  sur  Vhist.  nat.  etc.  p.  60.  —  '  Coun  de  Thistovre  des  sciences  naturelles, 
3*  partie,  i83a.  —  '  Biographie  universeUe,  art.  Buffon, 


264  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

aux  singes ,  il  les  met  tous  ensemble ,  et  même  il  les  distribue  déjà  par 
groupes  distincts ,  d'après  de  très-bons  caractères  ^ 

Mais  c  est  surtout  dans  THistoire  des  oiseaux  que ,  conune  le  re- 
marque M.  Guvier,  sa  marche  devient  réellement  méthodique,  a  Au  lieu , 
dit  Buffon  lui  -  même ,  de  traiter  les  oiseaux  un  à  un ,  c'est-àniire  par 
espèces  distinctes  et  séparées ,  je  les  réunirai  plusieurs  ensemble  sous 

un  même  genre  ^ »  En  effet,  à  chaque  espèce  principale,  ou  qu'il 

prend  pour  type  ^,  il  joint  toutes  les  espèces ,  soit  de  notre  climat,  soit 
étrangères,  qui  s'y  rapportent^;  il  forme  ainsi  des  groupes  réguliers, 
des  familles,  des  genres ,  et,  presque  partout,  il  respecte  les  grands,  les 
vrais  caractères. 

f(Rien  de  plus  facUe,  dit-il,  que  la  distinction  des  espèces,  fondée 
sur  des  caractères  aussi  accidentels  qu'inconstants  ^. 

((  Nos  nomenclateurs  modernes,  dit-il  encore,  paraissent  s'être  beau- 
coup moins  souciés  de  restreindre  et  réduire  au  juste  le  nombre  des 
espèces ,  ce  qui  néanmoins  est  le  vrai  but  du  travail  d'un  natundiste , 
que  de  les  multiplier,  chose  bien  moins  difficile  et  par  laquelle  on 
brille  aux  yeux  des  ignorants,  car  la  réduction  des  espèces  suppose 
beaucoup  de  connaissances ,  de  réflexions  et  de  comparaisons;  au  lieu 

^  «Dès  que  Buffon  arriva  aux  quadrumanes,  aux  singes,  il  fut  obligé,  par  leurs 
nombreux  points  de  ressemblance,  d'établir  des  divisions  entre  ces  animaux  «  de 
former  des  genres  et  d'indiquer  les  caractères  des  espèces.  La  même  nécessité  se 
fit  sentir  dans  Thistoire  des  oiseaux.  Aussi  cette  histoire  est-elle  presque  entière- 
ment distribuée  d*une  manière  méthodique  ;  il  y  a  des  familles ,  des  genres ,  qui 
sont  aussi  bien  fails  que  ceux  des  autres  méthodistes.  On  peut  donc  dire  que  Buf- 
fon ,  sans  Tavouer,  a  réfuté  lui-même  les  déclamations  qu  u  a  répandues  contre  les 
méthodes  dans  ses  divers  écrits.  »  Coars  de  Vhist.  des  sciences  nat,  i83a.  L*opinion 
de  M.  Geoffroy-Saint-Hilaire  est  ici  très-importante  :  «  Buffon  ,  privé  d'abord,  dit-il, 
du  principe  de  la  ressemblance  des  êtres,  crut  trouver  un  ordre  plus  rationnel  en 
procédant  du  connu  à  Tinconnu  ;  mais ,  il  ne  faut  pas  se  le  dissimuler,  c'était  uni- 
quement un  ordre  relatif  à  ses  propres  besoins.  • .  Sia  distribution  des  quadrupèdes , 
n'ayant  pas  pour  base  l'appréciation  de  leurs  rapports  de  £Eunille  et  de  leurs  uegrés 
divers  d  a£Bnité ,  n'était  et  ne  pouvait  être ,  pour  buffon ,  qu'une  combinaison  propre 
à  déguiser  son  peu  d'habitude  dans  Fart  d  apprécier  ces  rapports  et  ces  a£finités. . 
C'est  dans  cette  portion  de  son  ouvrage  (Yhistoire  des  singes)  que  Buffon  renonce 
au  classement  tout  personnel  à  lui,  et  vraiment  étranger  à  la  nature  des  choses, 
qu'il  avait  suivi  jusqu'alors.  Ce  qu'il  avait  condamné  dans  Linné ,  il  l'adopte  alors. . .  > 
Etudes  sur  la  vie,  les  ouvrages  et  les  doctrines  de  Buffon,  p.  &o,  i838.  —  *  Oiseaux, 
1. 1,  p.  xxix.  —  ''«Je  prends  pour  base  de  ce  que  j'ai  a  dire  des  perdrix,  et  pour 

première  espèce  de  ce  genre •  [Oiseaux,  1 1 ,  p.  gg.)  —  *  «  Nous  présenterons 

les  oiseaux  dans  l'ordre  qui  nous  paraîtra  le  plus  naturel Nous  joindrons  à 

chacun  les  mseaux  étrangers  qui  ont  rapport  à  ceux  de  notre  climat.  »  (  Oueaux, 
t.I,p.88.)  —  *  Oiieanx,  1. 1,  p.  gg. 


MAI  1843.  265 

qu'il  ny  a  rien  de  si  aisé  que  d'en  augmenter  la  quantité;  il  suffit  pour 
cela  de  parcourir  les  livres  et  les  cabinets  d'histoire  naturelle,  et  d'ad- 
mettre, comme  caractères  spécifiques,  toutes  les  différences,  soit  dans 
la  grandeur,  dans  la  forme  ou  la  couleur,  et  de  chacune  de  ces  diffé- 
rences ,  quelque  légère  qu'elle  soit,  faire  une  espèce  nouvelle  et  séparée 
de  toutes  les  autres;  mais  malheureusement,  en  augmentant  ainsi  très- 
gratuitement  le  nombre  nominal  des  espèces ,  on  n'a  fait  qu'augmenter 
en  même  temps  les  difficultés  de  l'histoire  naturelle,  dont  l'obscu- 
rité ne  vient  que  de  ces  nuages  répandus  par  une  nomenclature  arbi- 
traire, souvent  fausse,  toujours  particulière,  et  qui  ne  saisit  jamais 
l'ensemble  des  caractères  ;  tandis  que  c'est  de  la  réunion  de  tous  ces 
caractères,  et  surtout  de  la  différence  ou  de  la  ressemblance  de  la 
forme ,  de  la  grandeur,  de  la  couleur,  et  aussi  de  celles  du  naturel  et 
des  mœurs,  qu'on  doit  conclure  la  diversité  ou  l'unité  des  espèces ^  » 

Enfin,  n'y  a-t-il  pas,  dans  le  passage  qui  suit,  quelque  chose  de  plus 
remarquable  encore ,  et  comme  un  sentiment  confus  de  la  belle  théorie 
de  la  subordination  des  parties? 

<tLes  différences  extérieures  ne  sont  rien  en  comparaison  des  diffé- 
rences intérieures;  celles-ci  sont,  pour  ainsi  dire,  les  causes  des  autres, 
qui  n'en  sont  que  les  effets.  L'intérieur,  dans  les  êtres  vivants,  est  le 
fond  du  dessein  de  la  nature,  c'est  la  forme  constituante,  c'est  la  vraie 
figure;  l'extérieur  n'en  est  que  la  surface  ou  même  la  draperie;  car 
combien  n'avons-nous  pas  vu,  dans  l'examen  comparé  que  nous  avons 
fait  des  animaux,  que  cet  extérieur,  souvent  très-différent,  recouvre 
un  intérieur  parfaitement  semblable,  et  qu'au  contraire  la  moindre  dif- 
férence intérieure  en  produit  de  très-grandes  à  l'extérieur,  et  change 
même  les  habitudes  naturelles,  les  facultés,  les  attributs  de  l'animaP.  » 

Lorsqu'on  parie  des  idées  de  Buffon  sur  la  méthode,  il  faut  donc 
tenir  compte,  et  grand  compte,  de  l'époque  où  il  les  a  eues,  et,  si  je 
puis  dire  ainsi,  de  leur  date^.  Et  il  en  est  de  presque  toutes  les  autres 
opinions  de  Buffon  comme  de  ses  opinions  sur  la  méthode.  Nul 
homme, peut-être, n'a  plus  constamment  modifié  ses  pensées,  parce  que 

*  Oiseaux,  1. 1,  p.  loo.  —  *  Quadrapèdes,  t.  XXVI,  p.  5i.  H  ny  avait  plus  qu*à 
appliquer  ces  belles  idées  de  physiologie  générale  à  la  méthode.  —  '  Comme  il 
n  étudiait  les  objets  que  successivement  et  Tun  après  fautre,  les  points  de  vue  ne 
se  découvraient  aussi  que  successivement  à  ses  yeux.  De  là  bien  des  variations,  et, 
souvent  même,  bien  des  contradictions.  Par  exemple,  il  dit,  à  un  endroit,  tquil 
n'existe,  dans  la  nature,  que  des  individus  t  (  1. 1 ,  p.  54)  ;  et  puis  il  écrit,  à  un  autre 
endroit,  cette  belle  phrase  :  «Tous  les  êtres  semblent  se  réunir  à  leurs  Tmsins,  et 
former  des  groupes  de  simâitudes  dégradées,  des  genres.  •  (T.  XXVID,  p^4o*} 

.    •  .  H 

•  *    ',       '  -.1  ^ 


266  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

nui  homme  ne  les  a  plus  constamment  travaillées.  On  vient  d'en  voir 
un  exemple  :  BufTon  avait  commencé  par  se  moquer  des  méthodes ,  et 
il  a  fini  par  suivre,  ou  plutôt  par  se  faire  une  excellente  méthode.' 

Cependant,  Buffon  n*a  jamais  bien  compris  ce  qui,  à  considérerle 
côté  philosophique,  c est-à-dire  le  vrai  côté  du  problème,  constitue 
réellement  la  méthode. 

La  méthode  est  Texpression  des  rapports  des  choses. 

La  méthode  subordonne  les  rapports  particuliers  aux  rapports  géné- 
raux, et  les  rapports  généraux  à  de  plus  généraux  encore,  lesquels  sont 
les  lois.  .  • 

Montesquieu  définit  admirablement  les  lois  :  des  rapports^. 

C'est  là  tout  im  ordre  d*idées  que  Buffon  na  pas  soupçonnées.  Jus- 
qu'à lui  la  méthode  semblait  faite  plutôt  pour  conduire  aux  nonu 
qu'aux  rapports  des  choses.  Après  lui,  le  véritable  objet  a  paru,  mais  il 
a  fallu  pour  cela  tout  ce  long  travail  sur  Tanatomie  comparée  que 
Buffon  n'a  pas  vu,  et  auquel  peut-être,  lors  même  qu'il  eût  pu  le  voir, 
il  n'aurait  pas  donné  toute  l'attention  requise,  car  il  avait  la  patience 
du  génie  et  non  pas  celle  des  sens. 

Buffon  n  a  donc  pas  compris  cette  méthode  qui  donne  les  rapports, 
ces  rapports  qui  donnent  les  lois,  ces  lois  qui,  sous  le  point  de  vue 
abstrait,  sont  toute  la  science^. 

Son  véritable  titre  est  d'avoir  fondé  la  partie  historique  et  descriptive* 
de  la  science.  Et  ici  il  a  deux  mérites  pour  lesquels  il  n'a  été  égalé  par 
personne.  H  a  eu  le  mérite  de  porter  le  premier  la  critique  dans  l'his- 
toire naturelle^,  et  le  talent  de  transformer  les  descriptions  en  peintures. 
Il  ne  se  borne  plus  à  compiler,  comme  on  faisait  avant  lui,  il  juge;  il 
ne  décrit  pas ,  il  peint. 

Il  a  connu  deux  cents  espèces  de  quadrupèdes,  et  de  sept  à  huit  cents 

*  iLes  lois,  dans  la  signification  la  plus  étendue,  sont  les  rapports  nécessaires 
qui  dérivent  de  la  nature  des  choses.  •  Esprit  des  lois,  liv.  I,  cnap.  i.  —  *  Vqyei, 
sur  ces  rapports  et  ces  lois,  mon  Analyse  raisonnée  des  travaux  de  G.  Cuvier,  i84i« 
—  'Ha  toujours  réuni  ces  deux  parties,  qui,  en  effet,  nen  font  qu'une  :  Vkistoire 

et  la  description,  t  L'histoire  doit  suivre  la  description »  T.  I ,  p.  42.  «  Ces  deux 

parties  (Thistoire  et  la  description),  que  Ton  ne  doit  jamais  séparer  en  histoire 
naturelle »  Oiseaux»  1. 1,  p.  vij.  — •  *  Sa  critique  s'étend  à  tout  :  à  la  comparai- 
son des  espèces  entre  elles,  à  celle  de  leurs  caractères,  de  leur  structure,  de  leurs 
habitudes ,  de  leurs  noms ,  etc.  t  La  première  chose  que  Ton  doit  se  proposer,  lors- 
quon  entreprend  d*éclaircir  Thistoire  d'un  animal ,  c'est  de  faire  une  critique  se- 
rère  de  sa  nomenclature ,  de  démêler  exactement  les  différents  nom#  qui  lui  ont 
été  donnés et  de  distinguer,  autant  que  possible,  les  différentes  espèces  aux- 
quelles les  mimes  noms  ont  été  appliqués,  t  Oiseaux,  t,  III ,  p.  i . 


MAI  1843.  267 

espèces  d'oiseaux;  et,  pour  chacune  de  ces  espèces,  il  a  donné  une  des- 
cription complète ,  posant  ainsi ,  pour  la  zoologie ,  des  basçs  qui  seront 
étemelles ,  en  même  temps  que ,  par  les  descriptions  anatomiques  de  Dau- 
benton,  il  préparait  des  matériaux  à  jamais  précieux  pour  ïanatomie 
comparée. 

Mais,  il  faut  bien  le  dire,  ce  qui  a  fait  de  Buffon,  dans  la  science, 
un  homme  à  part,  et  dont  la  grandeur  semble,  chaque  jour  encore, 
devenir  plus  imposante,  c'est  le  génie  avec  lequel  il  a  écrit  ses  ouvrages. 
Son  style  lui  assure,  dans  les  sciences,  une  immortalité  propre;  et  lui- 
même  le  pressentait  bien  :  «  Les  ouvrages  bien  écrits ,  dit-il  avec  com- 
plaisance, seront  les  seuls  qui  passeront  à  la  postérité.  La  multitude 
des  connaissances ,  la  singularité  des  faits ,  la  nouveauté  même  des  dé- 
couvertes ne  sont  pas  de  sûrs  garants  de  Vimmortalité;  si  les  ouvrages 
qui  les  contiennent  ne  roulent  que  sur  de  petits  objets,  s'ils  sont 
écrits  sans  goût,  sans  noblesse  et  sans  génie,  ils  périront,  parce  que  les 
connaissances,  les  faits  et  les  découvertes  s'enlèvent  aisément,  se 
transportent  et  gagnent  même  à  être  mises  en  œuvre  par  des  mains 
plus  habiles.  Ces  choses  sont  hors  de  l'homme,  le  style  est  l'homme 
même....^» 

C'est  par  ce  style,  qui  est  Yhomme  même ,  que  Buffon  s'est  fait  une 
place  qui  n'est  qu'à  lui;  et,  chose  qu'on  n'a  pas  assez  remarquée,  c'est 
que  le  style ,  je  ne  parle  pas  ici  de  la  langae  scientifique  "^^  je  ne  parie  pas 
de  la  nomenclature^ ,  je  dis  le  style,  a  été  pour  beaucoup  aussi  dans  les 
grands  succès  de  Linné. 

Linné  parie  une  langue  morte;  il  altère  même,  sous  plus  d'un  rap- 
port, les  formes  de  cette  langue  :  qu'importe  ?  Son  génie ,  original  et 
vif,  trouve  dans  cette  langue  singulière  des  ressources  pour  tout  ani- 
mer et  tout  peindre;  car  il  est  aussi  grand  peintre,  mais  à  sa  manière. 
Tout,  entre  Buffon  et  lui,  dififère.  Buffon  a  la  puissance  de  la  médita^ 
tion,  Linné  a  la  puissance  ae  l'enthousiasme;  Buffon  ramène  tout  à  lui,  '4^ 
et  par  lui  à  l'homme  ;  Tâme  de  Linné  semble  se  répandre  dans  la  na- 
ture et  de  la  nature  s'élever  à  Dieu  ;  on  sent  partout  dans  Buffon  la 
force  raisonnée  de  l'esprit  ;  on  sent  plus  d'une  fois  dans  Linné  l'émotion 
du  cœur. 

Sa  description  de  l'hirondelle  a  quelque  chose  d'inspiré  et  qui  tient 
de  l'hymne:  Venit,  venit  hirundo,  palchra  addacens  tempora  et  pnlchros 


annos. 


/  Discours  de  réception  à  VAcad,  franc.  —  *  linaé  a  créé  une  langue  descriptive. 
*  Linné  a  créé  la  nomenclature  hmaire, 

34. 


268         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

D  peint  ainsi  les  tristes  amours  du  chat  :  Clamando  rixandoque  misère 
amat 

Sa  description  du  cheval  est  très-helie  :  animal  generosum,  saperbam, 
fortissimum,  cursufurens ,  etc. 

Et  quelle  pensée  que  celle-ci  :  0  qaam  eontempta  res  est  homo,  nisi  su- 
pra hamana  se  erexerit  I 

Je  commencerai,  dans  un  autre  article,  Texamen  particulier  des  idées 
de  Bufibn  sur  l'économie  animale. 

FLOURENS. 


1 .  Antichi  MONUMENT!  SEPOLCRALi  scoperti  fiel  ducato  di  Ceri , 
dicliiarati  dal  cav.  P.  S.  Visconti.  Roma,  i836,  in-fol. 

2.  Descrizjone  di  Cere  antica,  ed  in  particolare  del  monumento 
sepolcrale  scoperto  nelV  anno  1836,  etc.  delV  architetto  cav.  L. 
Canina.  Roma,  i838,  in-fol. 

3.  MoNUMENTi  DI  Cere  ANTICA,  spiegutt  collc  osservanze  del  culio 
di  Mitra,  dal  cav.  L.  Grifi.  Roma,  i84i,  in-fol. 


PREMIER    ARTICLE. 


Après  les  découvertes  de  vases  peints ,  de  style  grec ,  opérées  dans 
le  cours  des  douze  dernières  années,  au  sein  des  nécropoles  de  plu- 
sieurs villes  étrusques ,  voisines  de  Rome ,  notamment  dans  celles  de 
Vulci ,  de  Tarquinies  et  de  Tuscai^ ,  découvertes  qui  constituent  le  fait 
archéologique  le  plus  grave  en  soi  et  le  plus  fécond  en  conséquences 
de  répoque  où  nous  sommes ,  je  ne  crois  pas  qu*on  ait  eu  à  signaler  un 
événement  scientifique  plus  important  que  celui  de  la  découverte  due 
aux  soins  du  général  Galassi  et  de  Tarchi^être  Regolini,  du  grand 
tombeau  de  Tantique  Cœre ,  qui  fait  Tobjet  de  deux  des  ouvrages  dont 
le  titre  est  transcrit  en  tête  de  cet  article.  Cette  découverte  avait  été 
précédée ,  une  année  auparavant ,  de  celles  d'autres  tombeaux  apparte- 
nant à  la  même  cité  étrusque  de  Cœre,  mais  situés  dans  un  autre  en- 
droit, au  lieu  nommé  Abatone,  et  dune  époque  qui  pai^aît  comparati- 
vement moins  ancienne,  bien  qu'elle  soit  comprise  aussi  dans  les  limites 
de  la  haute  antiquité.  Ces  tombeaux  de  V Abatone,  décrits  avec  un  soin 
particulier  par  le  célèbre  antiquaire  romain,  P.  E.  Visconti,  dans  un 
ouvrage  publié  aux  frais  du  prince  Aless.  Torlonia ,  duc  de  Ceri  et  pro- 
priétaire du  sol ,  ont  pareillement  offert,  en  fait  de  vases  et  d  autres  ob- 


MAI  1843.  269 

jels  d'antiquité,  des  éléments  d'archéologie  aussi  neufs  que  curieux;  et 
il  ne  sera  cerlainement  pas  sans  intérêt  pour  nos  lecteurs  de  trouver  ici 
réunis  sous  un  même  point  de  vue  les  principaux  résultats  de  ces  fouilles 
récentes,  exécutées  dans  une  même  localité  étrusque ,  dans  la  nécropole 
de  lantique  Cœre.  Afin  d'avoir  une  idée  aussi  complète  que  possible 
de  ces  résultats  si  importants  pour  l'archéologie  comparée ,  asiatique  et 
étrusque,  il  est  nécessaire  de  joindre  à  l'examen  approfondi  des  trois 
ouvrages  que  je  me  suis  proposé  de  faire  connaître  en  détail  à  nos  lec- 
teurs les  notions  acquises  à  la  science  par  suite  des  investigations  de 
plusieurs  antiquaires  et  architectes  romains  et  étrangers,  qui  concernent 
les  diverses  espèces  de  sépultures  étrusques  découvertes  à  Ceri  et  à  Cer- 
vetri,  et  celles  qui  ont  eu  également  pour  objet  la  nécropole  de  Pyrgi, 
ancien  port  de  Cœre,  les  ruines  pélasgiques  d'AgyUa,  premier  siège  de 
la  ville  nommée  Cœre  du  temps  de  l'occupation  étrusque,  et  enfin  les 
tonQd)eaux  à'Alsium,  autre  ville  d'origine  tyrrhénienne ,  qui  paraît  avoir 
été  comprise  dans  le  territoire  étrusque  de  Cœre.  Toutes  ces  notions, 
qui  jettent  une  lumière  si  neuve  et  si  curieuse  sur  l'histoire  ancienne 
de  Cœre,  et  sur  les  antiques  rapports  qui  unissaient  cette  importante 
localité  étrusque  à  la  civilisation  asiatique ,  se  trouvent  réunies  dans  le 
Bulletin  et  dans  les  Annales  de  l'Institut  Archéologique  publiés  de  1 83/i 
à  1861  S  et  j*en  extrairai  les  particularités  qui  me  paraîtront  néces- 
saires pour  compléter  l'intelligence  des  trois  ouvrages  qui  forment  le 
principal  objet  de  notre  analyse. 

La  position  de  Cœre ,  telle  qu  ejle  a  été  déterminée ,  avec  toute  la 
certitude  possible,  d'après  les  résultats  des  dernières  fouilles,  et  ex- 
posée, avec  toutes  les  preuves  à  l'appui,  dans  le  livre  de  M.  Canina,  sa- 
vant architecte  romain^,  cette  position,  disons-nous,,  se  trouve  à  peu 

'  Je  place  au  premier  rang  de  ces  utiles  publications  la  description  donnée  par 
MM.  Kramer  et  Poletti  des  tombeaux  de  la  nécropole  de  Cœre,  dans  le  Bulletin  de 
1834,  p.  97-101,  et  dans  les  Annales,  t.  VII,  p.  177-186,  d'après  les  dessins  de 
rarchitecle  romain  Vespignani,  qui  sont  au  nombre  des  Monumenti  puhblicaii  dalV 
Instit,  Archeol  t.  II,  tav.  xix.  Il  faut  y  joindre  le  Rapport  de  M.  le  D'  Braun  sur  les 
tombeaux  récemment  découverts  à  Ceri,  inséré  au  Bulletin  de  i836,  p.  56-6a  ;  des 
Observations  de  M.  Lepsius,  dans  les  Annales ,  t.  VIII,  p.  aoi-aoS^  et  de  M.  Ulrichs, 
dans  le  Bulletin  de  i83g,  p.  72-73;  enfin,  le  détail  des  fouilles  opérées  tant  sur  le 
site  de  S.  Severa ,  correspondant  à  celui  de  Tan  tique  Pyrgi,  dans  le  Bulletin  de  1 84o , 
p.  1  ]3-i  i5,  que  dans  le  voisinage  de  S.  Marinella,  qui  répond  à  la  situation  de 
Tantique  AUium,  dans  le  Bulletin  de  18A1,  P.  3g-43;  en  y  ajoutant  encore  la  des- 
cription de  tombeaux  fouillés,  en  i83g ,  au  lieu  dit  les  Monteroni,  voisin  de  la  né- 
cropole de  Cœre,  description  qui  se  trouve  dans  le  Bulletin  de  1839,  p.  81 -85,  et 
dans  celui  de  i84o,  p.  i33.  —  ^  Descrizione  di  Cere  antica,  part,  ii',  p.  43-58,  avec 
les  deux  plans  du  territoire  de  Cœre  et  de  la  ville  d'AgyHa  ou  Cœre. 


27»  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

àe  distance  de  la  mer  qui  porta ,  dans  l'antiquité ,  le  nom  de  Tyrrhénienne , 
i  çeu  près  à  moitié  chemin  entre  Rome  et  Civita-Vecchia.  La  ville  an- 
tique s  étendait  sur  le  dos  de  petites  collines  ou  éminences,  semblables, 
pour  la  forme,  à  celles  qui  se  nomment  vulgairement  monterozzi  à  Tar- 
qainies,  et  renfermant  aussi,  dans  leurs  flancs,  comme  ces  dernières, 
les  sépulcres  souterrains  ou  hypogées  qu'on  y  a  découverts  en  dernier 
lieu.  Une  de  ces  éminences  plus  ou  moins  escarpées,  qui  se  rencontrent 
si  fréquemment  dans  la  campagne  romaine,  s'élargit,  en  se  prolongeant 
dans  la  direction  du  nord ,  et  sa  face  occidentale,  taillée  à  pic  en  plu- 
sieurs endroits ,  est  percée  d'anciens  sépulcres,  ouverts  et  fouillés  depuis 
longtemps,  qui  servent,  dès  une  époque  inconnue  ,  de  lieux  de  refuge 
aux  bergers  du  pays.  Ce  sont  ces  tombeaux  qui  attirèrent  pour  la  pre- 
mière fois ,  en  1 83  4,  lattention  de  l'Institut  Archéologique  sur  l'emplace- 
ment antique  de  Cœre ,  et  qui  devinrent  ainsi  l'occasion  des  découvertes 
beaucoup  plus  importantes  opérées  dans  le  coui*s  des  années  sui- 
vantes. D'après  l'état  où  ils  se  trouvaient,  laissés  depuis  des  siècles  à 
l'abandon ,  on  ne  devait  pas  s'attendre  à  y  recueillir  le  moindre  objet 
d'-antiquité.  L'architecture  seule  semblait  devoir  y  fournir  quelque  élé- 
ment propre  à  faire  connaître  l'âge  présumé  de  ces  sépulcres ,  et  peut- 
être  aussi  à  indiquer  la  nation  dont  ils  étaient  Fouvrage.  C'est  donc  sous 
ce  rapport  qu'ils  furent  examinés,  avec  tout  le  soin  possible,  par  un  an- 
tiquaire allemand,  M.  Kramer,  en  société  avec  un  jeune  architecte  ro- 
main, M.  Vespignani ,  qui  en  leva  les  plans  et  en  dessina  les  élévations 
et  les  détails ,  dont  une  explication  fut  donnée ,  l'année  d'après ,  par  le 
maître  même  de  cet  artiste,  l'architecte  romain  Poletti^;  et,  sous  ce 
rapport  aussi ,  le  vœu  de  la  science  est  loin  d'avoir  été  déçu ,  malgré 
tant  de  dégradations  qui  résultaient  ici  de  l'action  du  temps  et  de  celle 
des  hommes.  La  face  entière  du  roc  où  sont  taillés  les  tombeaux  en 
question ,  telle  qu'elle  est  représentée  sous  la  lettre  A  de  la  planche  xix 
des  monuments  publiés  par  l'Institut  Archéologique ,  tome  II  »  offre ,  au 
premier  aspect,  une  analogie  sensible  avec  les  sépulcres,  taillés  aussi 
dans  le  roc ,  qui  sont  si  conununs  en  plusieurs  contrées  de  l'Asie  mi- 
neure ^.  L'intérieur  même  de  ces  tombeaux  ne  se  rapporte  pas  d'une 
mAXiière  moins  frappante  au  même  système  d'architecture,  et,  con> 


^  Osservazioni  iniomo  aile  tombe  etrasche  ii  Cere,  dans  les  Amtal  delï  Instit,  Ar- 
émoi.  t.  VII ,  p.  177-186.  —  'M.  Poletti  ne  parle  que  à^VEgypte,  p.  181,  par  suite 
chi  Pjc^jugé,  si  généralement  établi,  qui  rapporte  toute  antiquité  grecque  ou  étrusque 
à  VÈgypte,  en  faisant  abstraction  de  XAsie,  qui  eut  pourtant  une  part  beaucoup 

Im  considérable,  et  surtout  plus  directe,  sur  la  naissance  et  sur  le  développement 

e  la  civilisation ,  tant  de  la  Grèce  que  de  l'Étrurie. 


t 


MAI  1843.  271 

séquemment,  de  civilisation.  Le  plafond,  dans  un  de  ces  tombeaux, 
donné  comme  exemple ,  et  dessiné  sous  la  lettre  B ,  est  taillé  en  forme 
de  comble  aplati ,  c'est-à-dire  avec  une  large  bande  horizontale  au  mi- 
lieu, figurant  une  poatre,ei  avec  deux  versants  inclinés  de  chaque  côté, 
lesquels  sont  sculptés  en  carrés,  imitant  ce  qu*on  appela  depuis  lacu- 
naria  ou  caissons.  Cest  donclapparence  d  une  construction  en  bois  qu'offre, 
sculptée  en  pierre,  le  plafond  de  ces  tombeaux  étrusques v  et  cette 
apparence,  qui  ne  pouvait  avoir  aucun  modèle  non  plus  qu  aucun  motif 
en  Egypte ,  où  rien,  dans  rarchitecture,  ne  donne  Tidée  de  1^  charpente, 
et  qui  trouve,  au  contraire,  tant  d'exemples  en  Asie,  accuse  manifeste- 
ment une  influence  asiatique,  comme,  par  la  simplicité  même  de  cette 
ordonnance,  privée  de  toute  espèce  d'ornement,  elle  indique  la  haute 
antiquité  des  monuments  qui  la  présentent. 

J'ai  dit  que  la  façade  de  ces  tombeaux  était  taillée  dans  une  paroi  ver- 
ticale du  roc,  comme  on  en  avait  déjà  tant  d'exemples  dans  la  vallée  de 
Castel-d'Asso,  dans  celle  de  Norchia,  et  en  d'autres  localités  voisine^, 
tandis  que  l'intérieur  s'enfonçait  dans  ce  rocher,  qui  forme,  à  sa  super- 
ficie, une  espèce  de  plateau  parsemé  de  petites  éminenoes.  Ce  furent 
ces  monticules  qui  donnèrent  d'abord  l'idée  de  tamulus  artificiels ,  et 
qui  furent ,  en  effet ,  reconnus  plus  tard  pour  des  restes  d'une  cons- 
truction pyramidale,  composée  d'assises  en  retraite,  posant  sur  une 
base  circulaire  pourvue  d*une  corniche  ,  absolument  dans  le  style 
des  tombeaux  de  Tarquinies  et  de  Valci.  Cette  circonstance,  qui  résul- 
tait de  la  simple  observation  de  l'analogie  de  ces  monticules  avec  les 
monterozzi  de  Corneto,  donna  lieu  de  croire  qu'en  y  fouillant  on  trou-, 
verait  aussi  des  sépulcres,  et  les  excavations  qui  furent  pratiquées,  en 
raison  de  cette  observation,  produisii^ent,  en  1 83 4,  la  découverte  de 
cinquante-trois  hypogées ,  composés  d'une  ou  de  plusieurs  chambres , 
qui  se  trouvèrent  malheureusement  dépouillées ,  à  une  époque  anté- 
rieure, de  tout  ce  que  la  piété  des  anciens  âges  avait  pu  y  déposer  d'ob- 
jets d'art  ou  de  culte,  et  que  l'on  recouvrit  presque  aussitôt  de  la  terre 
qu'on  en  avait  retirée ,  pour  rendre  à  l'agriculture  le  sol  qu'ils  occupent. 
De  ces  cinquante-trois  sépulcres,  deux  seulement  avaient  été  laissés  ou- 
verts ,  et  ils  peuvent  servir  d'exemples  de  la  manière  dont  les  tombeaux 
de  l'antique  Cœre ,  ville  d'une  population  mixte,  pélasgique  et  étrusque, 
étaient  disposés  et  décorés.  L'un  de  ces  tombeaiu,  qu'on  désigne  par 
le  nom  de  tombe  a  voila  piana,  avait  sa  façade  taillée  dans  le  roc  et 
tournée  au  couchant,  à  l'extrémité  d'un   escalier   pratiqué  dans  le 
même 'tuf,  par  lequel  on  y  descend.  U  était  précédé  d'ujie  espèce  de 
vestibule,  d'une  (onw  ovale  approcbaDt  beaucoup  de  la  circulaire, 


272  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dont  le  plafond,  parfaitement  horizontal,  était  orné  de  caissons.  De  là 
on  entrait  dans  une  vaste  salle  rectangulaire ,  divisée  en  trois  espaces 
inégaux  par  quatre  piliers  carrés,    et  dont  le  plafond,  en  forme  de 
comble,  rappelait,  par  la  grande  poutre  longitudinale  du  milieu,  par 
les  deux  versants  inclinés,  et  par  le  travail  en  caissons,  le  tout  sculpté 
dans  le  tuf,  le  système  de  toiture  en  charpente  commun  à  tant  de 
tombeaux  étrusques  de  Vulci,  de  Tarqainies  et  d'autres  localités  voisines , 
et  certainement  dérivé  de  TAsie.  Dans  la  pièce  principale,  celle  du 
milieu,  se  trouvait,  à  gauche,  un  lit,  taillé  pareillement  dans  le  roc,  et 
en  face,  du  côté  droit,  un  sarcophage,  pris  dans  le  même  tuf,  qui 
devait  avoir  eu  un  couvercle,  et  qui  conservait  encore,  à  ses  deux  extré- 
mités, deux  espèces  de  frontons.  L'un  et  l'autre  de  ces  objets,  par  leur 
forme,  par  leur  proportion,  et  par  une  sorte  d'élégance,  qui  se  remar- 
quait dans  leur  exécution,  indiquaient  une  belle  époque  de  Tart,  et  don- 
naient lieu  de  croire  que  la  tombe,  dont  ils  constituaient  en  quelque 
sorte  le  mobilier  massif,  avait  appaiienu  à  quelque  personnage  considé- 
rable de  la  haute  antiquité  étrusque. 

Mais  ce  que  ce  tombeau  offrait  surtout  de  curieux,  c'étaient  les  pein- 
tures dont  les  parois  du  vestibule  ovale  avaient   été  ornées,  et  qui, 
malgré  les  effets  de  l'humidité  et  malgré  tant  de  causes  de  destruction 
qui  se  sont  exercées  dans  ces  sépultures  étrusques,  permettaient  encore 
qu'on  pût  en  recorinaître  le  sujet  et  en  apprécier  le  style  et  le  caractère. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  rappeler  ici  à  nos  lecteurs  que  Cœre,  qui,  à  l'é- 
poque hellénique ,  eut  un  trésor  à  Delphes,  sous  le  nom  des  AgyllîBens, 
ses  anciens  habitants  grecs,  était  renommée  par  des  peintures,  dont 
Pline  vante  V excellence  da  dessin  et  la  haute  antiquité  ^^  sans  que  son  té- 
moignage puisse  avoir,  il  est  vrai,  beaucoup  de  valeur,  du  moins  en  ce 
qui  concerne  l'époque  antérieure  à  la  fondation  de  Rome  qu'il  assigne 
à  ces  peintures  ^.  De  quelque  nature  qu'aient  été  les  peintures  dont  il 
est  fait  mention  dans  Pline ,  ce  qui  restera  toujours  pour  nous  un  pro- 
blème, il  est  bien  évident  que  l'on  ne  doit  pas  s'attendre  à  trouver  dans 
des  tombeaux  de  l'antique  Cœre,  tels  que  celui  qui  nous  occupe,  rien 
qui  ressemble  à  de  la  peinture ,  telle  que  nous  l'entendons.  Effective- 
ment, la  peinture  dont  ce  tombeau  conservait  encore  des  ti*aces  con- 
sistait en  tme  simple  délinéation  au  trait,  exécutée  en  couleur  noire, 
avec  des  teintes  plates  en  blanc  et  en  rouge ,  distribuées  dans  l'inté- 
rieur des  figures  ;  c'étaient  donc  des  dessins  linéaires  enluminés ,  dans 

^  Plin.  x^xY,  3 ,  6,  et  lo,  37.  —  *  Voy.  ce  qui  a  été  dit  sur  ces  peintures  de 
Cœre,  et  sur  celles  SArdée  et  de  Lonaviam ,  qui  paraissent  avoir  été  dans  le  même 
cas,  dans  mes  Peintures  antiques  inédites,  p.  87'^8  et  a6p-a73. 


MAI  1843.  273 

le  genre  de  ceux  des  vases  peints ,  et  rien  autre  chose.  Les  traits  étaient 
formés  au  pinceau,  dune  manière  très-grossière;  et  les  deux  couleurs 
rouge  et  blanche  étaient  employées  avec  tout  aussi  peu  d*art,  le  blanc 
pour  les  têtes ,  et  le  rouge  pour  les  corps ,  quelquefois  avec  une  jambe 
blanche  et  Fautre  rouge;  du  reste,  sans  aucune  espèce  d apprêt  sur  le 
roc ,  qui  est  un  tuf  poreux  de  couleur  brune.  Mais ,  si  le  procédé  au 
moyen  duquel  ces  espèces  de  monochrônaes  avaient  été  produits  y  ac- 
cusait tout  à  la  fois  Tenfance  de  lart  et  la  négligence  de  fartiste,  il 
s  en  faut  bien  cependant  que  le  dessin  fût  tout  à  fait  sans  mérite ,  et 
les  sujets  eux-mêmes  sans  intérêt.  Le  principal  objet  de  la  représenta- 
tion, distribuée  sur  les  deux  côtés  hémisphériques  de  l'enceinte  ovale, 
en  deux  bandes  ou  zones,  lune  supérieure  et  Tautre  inférieure,  tétait 
une  figure  d'homme  en  marche,  dans  VattUude  de  décocha  an  trait  contre 
une  biche;  cet  homme,  à  la  figiu^  blanche,  aux  cheveux  noirs,  longs 
et  grossièrement  imités,  était  vêtu  d'une  espèce  de  tanigue  courte  et 
serrée,  peinte  en  rouge  avec  des  raies  noires;  laiidb  avait  les  formes 
allongées  qu offre  généralement  cet  animal,  sur  les  vases  peints,  de  ma- 
nière dite  phénicienne^,  et  qui  sont  d*accordavec  le  vêtement  de  Thomme, 
emprunté  aux  modèles  asiatiques^.  Venait  ensuite  un  groupe  d*un  cerf 
assailli  par  deux  lions ,  image  qui  rappelle  aussi  les  peintures  des  vases 
phéniciens .  et  dont  le  type  primitif  n'était  pas  moias  certainement  puisé 
dans  les  traditions  de  Fart  asiatique  ^.  Ce  groupe  se  terminait  à  la  porte, 
dont  le  chambranle  était  décoré  de  fdets  blancs ,  rouges  et  noirs;  et  sur 
l'architrave  était  représenté  un  bélier,  cherchant  à  se  dérober  par  la 
fuite  à  l'attaque  d'un  {ion  qui  le  poursuivait,  et  dont  il  ne  restait  que  la 
tête  et  les  pattes  de  devant.  L'autre  côté  du  vestibule  avait  ses  peintures 

^  M.  Kramer,  auteur  de  la  description  qui  nous  sert  de  guide,  compare  ces  fi- 
gures à  celles  des  vases  dits  égyptiens,  dans  le  Rapport  de  M.  Éd.  Gerhard,  p.  i4- 
Mais  j*ai  déjà  eu ,  dans  ce  journal  même ,  foccasion  de  montrer  que  kr  aénomina- 
tion  d'égyptiens  appliquée  aux  vases  en  question  était  tout  à  fait  dépourvue  de  fon- 
dement, et  que  c'élait  à  une  fabrication  prîmititement  phénicienne  qu'il  fallait  rap» 
porter  toute  la  classe  de  vases  dont  il  s'agit,  et  dont  les  produits,  communs  à 
Corinthe,  à  Athènes,  à  Égii^  et  dans  les  Cyclades,  ont  été  recueillis,  de  nos  jours, 
en  si  grande  quantité,  en  Sicile,  en  Campanie  et  en  Elrurie.  Voy.  Joamal  des  Sa- 
vâRf4«  avril  i835,  p.  aiA-2l6;  juin  i836,  p.  3^6,  et  juin  i84i*  p.  358-û,  a). 
—  '  C*est  ce  que  je  me  suis  attaché  à  montrer  dans  un  Mémoire  encore  inédit  sur 
l'Hercule  assyrien  et  phénicien,  considéré  dans  ses  rapports  a^xec  l'Hercule  grec,  prin- 
cipalement à  Iroide  de  V  antiquité  figurée.  —  '  C'est  encore  une  notion  que  j'ai  cher- 
ché à  établir  dans  le  mévioire  cité  à  la  note  précédente.  Sàr  ce  groupe  du  cerf  et 
du  taureau  assaillrpar  un'Uon,  sur  son  intention  primitive  et  sur  ses  diverses  appli- 
cations ,  on  ne  consultera  pas  sans  fruit  un  Mémoire  de  M.  Lajard ,  qui  paraîtra 
dans  le  prochain  volume  du  recueil  de  l]Académie  des  belles-lettres. 

35 


A 


274  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

beaucoup  plus  endommagées  par  le  temps  et  par  Thuaiidité  que  celles 
du  côté  droit;  cependant  on  y  reconnaissait  encore  le  même  personnage 
chasseur  décochant  un  irait;  et,  dans  le  nombre  des  animaux,  dont  Tes- 
pèce  était  devenue  dilFicile  à  déterminer,  on  distinguait  un  taureau.  Le 
rang  inférieur  se  composait  uniquement,  sur  les  deux  côtés  de  la  pièce, 
de  figures  d'animaux  presque  entièrement  effacées,  si  ce  n'est  celle  d'un 
lion  assis  ;  et  généralement,  ces  figures  d'animaux  offraient  les  formes  et 
le  style  de  dessin  qui  caractérisent  celles  de  tant  de  vases  de  ia  fabrique 
Imputée  originairement  phénicienne.  Le  grand  sarcophage  dont  ù  a  été 
parlé  plus  haut  avait  été  aussi  orné  de  peintures  sur  ses  deux  petits 
côtés,  c'est  à  savoir,  d'une  palmette,  dans  le  champ  du  fronton,  et, 
dans  ia  partie  inférieure,  d'un  lion,  qui  avait  pour  correspondant,  du 
côté  opposé ,  un  cerf.  Malgré  ia  grossièreté  du  dessin ,  ces  figures  d'a- 
nimaux ne  manquaient  ni  d'expression  ni  de  vérité,  particulièrement 
dans  le  groupe  principal;  et  l'on  s'apercevait  que  l'artiste  qui  les  avait 
exécutées  avait  eu  sous  les  yeux  des  modèles  tracés  par  une  main  plus 
habile  ^  Tels  sont  les  traits  principaux  que  l'examen  de  ce  tombeau  four- 
nit à  l'observation  des  antiquaires,  et  d'où  résulte  la  notion  positive 
d'un  certain  nombre  d'éléments  puisés  dans  l'archéologie  asiatique ,  qui 
ne  peut  manquer  d'avoir  un  haut  intérêt  pour  la  recherche  des  an- 
tiques relations  de  l'Etrurie  avec  l'Asie ,  par  le  fait  de  l'émigration  tyr- 
rhénienne,  dont  il  est  historiquement  avéré  que  Cœre  devint  un  des 
principaux  sièges  et  des  premiers  établissements. 

L'autre  tombe  ne  *se  recommande  pas  moins  à  l'intérêt  des  anti- 
quaires par  sa  disposition  générale  et  par  les  principaux  détails  de  son 
architecture.  C'est  celle  qui  a  reçu  le  nom  de  Tomba  délie  sedie,  à  cause 
des  deux  sièges  sculptés  dans  le  tuf  avec  leurs  dossiers  et  leurs  marche-pieds , 
de  chaque  côté  de  l'entrée  de  la  porte  du  fond.  Ce  tombeau  se  compose 
d'un  vestibule  auquel  on  descend  par  un  escalier  taillé  dans  le  roc, 
et  qui  .est  flanqué,  à  droite  et  à  gauche,  de  deux  pièces  latérales,  d'une 
grande  salle  qui  occupe,  dans  le  sens  de  sa  longueur,  toute  la  largeur 
du  monument,  et  de  trois  chambres  disposées  comme  l'étaient  les  trois 
édicules  du  grand  temple  capitolin ,  avec  cet  autre  trait  d'analogie  que 
la  chambre  du  milieu  est  plus  large  que  les  deux  autres^.  Les  plafonds 
sont  tantôt  plats ,  tantôt  à  pans  inclinés»  et  les  portes,  outre  la  tendance 
à  la  forme  de  pyramide  tronquée ,  qui  tient  au  goût  général  de  la  haute 

'  Ces  détails  sont  fidèlement  extraits  de  la  Notice  de  M.  Kramer.  insérée,  soub 
lé  litre  de  Scavidi  Cerveteri,  dans  le  Bullet,  ielV  Instit,  Archêol.  de  iSià,  p.  97-101, 
—  *  Voy.  le  pian,  avec  les  coupes  et  les  détails,  donné  dans  les  Monum,  deu'  Instit 
Archeol  l.  II,  tav.  xix,  lett.  G,  H,  I,  L,  M.  N. 


MAI  1843.  275 

antiquité  asiatique  et  égyptienne,  offrent,  dans  le  simple  listel  qui  en 
encadre  les  chambranles  et  rarchitrave,  le  principal  caractère  des  portes 
doriques  décrites  par  Vitruve  \  telles  qu'elles  pouvaient  être  dans  leur 
ordonnance  primitive,  adoptée  par  les  Etrusques^.  Il  règne,  au  pourtour 
des  chambres  de  cet  hypogée ,  une  banquette  de  la  largeur  d'un  mètre 
et  de  la  hauteur  de  68  centimètres,  qui  servait  originairement  pour 
placer  les  restes  des  morts,  et  qui,  dans  la  salle  du  milieu  et  dans  une 
des  pièces  contiguës  au  vestibule,  s'était  changée  en  une  rangée  de  sar- 
cophage» décorés  en  forme  de  lits  funèbres,  d'un  travail  élégant  et  soi- 
gné. Mais  ce  qui  formait  le  principal  ornement  de  ce  tombeau,  apparte- 
nant, sans  doute,  à  quelque  ktcamon  de  Tantique  Cœre,  et  ce  qui  le  dis> 
tinguait  entre  tous  les  monuments  du  même  genre  découverts  de  nos 
jours,  c'étaient  les  deux  sièges  taillés  à  la  place  que  nous  avons  indiquée* 
avec  des  boucliers  parei&ement  sculptés  au-dessus  et  distribués  eh 
d  autres  endroits  ;  d'où  résidtait  la  preuve  palpable  de  la  haute  dignité 
et  de  la  profession  des  anciens  hôtes  de  cette  sépulture  étrusque;  et  ce 
n'est  peut-être  pas  une  conjecture  trop  hasardée  que  de  voir  dans  ce 
liége  étrusque,  le  plus  ancien  certainement  qui  se  soit  eonyrvé  sur  la 
terre,  le  modèle  delà  chaise  curale,  empnmtée,  comme  on  le  sait,  aux 
Étrusques  par  les  Romains ,  ainsi  que  les  haches  et  iesfaisceaiix^  comme 
autant  d'emblèmes  delà  puissance  suprême.  Malheureusement,  il  ne  res- 
tait plus  dans  ce  tombeau,  lorsqu'on  en  fit  la  découverte  en  1 836  ,  au- 
cun des  objets  du  riche  mobilier  funéraire  qui  y  avait  été  déposé  avec 
les  dépouilles  des  morts  ;  et  c'est  peut-être ,  en  raison  de  l'impoitance 
arcbitectonique  de  ce  monument,  une  des  pertes  les  plus  graves  que  la 
science  ait  eues  déplorer.  - 

J'arrive  maintenant  à  la  description  des  dett  tombeaux  découverts 
en  i835  sur  4e  site  appelé  aujourd'hui  Ceri,  qui  forme  la  propriété  du 
duc  Torionift,  aux  frais  duquel  la  publication  en  aété  fidte  parjes  tiji/fB 
de  l'antiquaire  romain  P.  E.  Visconti.  L'emplacement  même  où  se  fit 

'  VitruY.  IV,  5.  —  'M.  Poktti  poridt  croire  que  celte  siodplîdtè  d'ordonnance  T 
qui  tient  au  système  étruMine,  prouve  rantériorîté  de  ce  systèaie  par  rapport  à 
1  architecture  grecque;  d'où  il  suivrait,  en  généralisant  cette  idée,  que  Tart  des 
Étrusques  aurait  précédé  celui  des  Grecs  ;  voy.  Annal  ielV  Instit  Archeol,  t.  VU ," 
p.  1 83.  Mais ,  sans  entrer  id  dans  la  controverse ,  si  vainement  agitée  entre  les  an- 
tiquaires du  dernier  »iède  et  même  du  nôtre ,  sur  la  priorité  des  arts  de  l*Étrurie 
relativement  à  ceux  de  la  Grèce,  je  ift  borne  à  dire  que  nous  ne  possédons  plus  les 
andens  monuments  de  rarchitectui%  grecque  où  le  dorique  put  être  appliqué  dans 
sa  simpUdté  primitive,  et  que  rien  ne  nous  autorise  à  condure,  de  la  sunplidté 
d*oidMinance  d*un  monument  étrusque,  ou^il  est  antérieur  à  ce  qui  put  exister  de 
nonvaKnis  analogues  de  Yvtt  grec.  ^^  *  89.  Italie  viii  ;  ASS*  sqq. 

35. 


276  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

celte  découverte,  situ)^  au  centre  des  collines  volcaniques  qui  cnlou- 
raient  la  cité  antique,  porte,  dès  une  époque  immémoriale,  à  ce  qu'i^  '^ 
paraît,  Je  nom  de  Monte  Ahatone,  nom  dont  la  forme  a  semblé  olTru* 
quelque  cliose  d'anlique;  et  le  savant  auteur  de  la  description  que  j'ai 
sous  les  yeiiit  s'est  cru  autorisé  par  cette  circonstance  à  voir  le  nom 
grec  aiaton.  donné  par  quelques  auteurs  latins'  à  des  lieux  sacrés,  inac- 
cessibles aux  profanes,  dans  cette  tlénoniination  locale  à'Abatone,  et  à  y 
trouver  la  preuve  de  l'existence,  en  cet  endroit,  de  la  nécropole  de 
Cœre.  Mais  j'avoue  que  cette  conjecture,  tout  ingénieuse  qu'elle  peut 
paraître  au  premier  coup  d'ceil,  ne  repose  .sur  aucun  fondement  solide. 
L'idée  exprimée  parie  mot  grec  Sëanov  n'a  jamais  pu  convenir  ^  une  né- 
crof o/c,  qui ,  loin  d'être  un  Heu  inaccessible,  était,  au  contraire,  un  lieu  où 
l'accomplissement  des  devoirs  funi'bres  et  des  cérémonies  anniversaires 
mettait  sans  cesse  les  vivants  en  présence  des  morts.  Il  a ,  d'ailleurs,  été 
sui&samment  démontré^  que  la  vraie  nécropole  de  Cœre  existe  à  Cerve- 
teri  et  non  au  Mante  Abatone,  ce  qui  enlève  toute  espèce  d'appui  à  la 
supposition  de  M.  Visconli  ;  et,  s'il  fallait  absolument  trouver  une  ori- 
gine antique  à  cette  dénomination  actuelle  à'Àhatonc,]e  serais  disposée 
adopter  de  préférence  l'étymologie  proposée  par  M.  Canina  ' ,  qui  dérive 
ce  nom  du  mot  latin  ahies,  sapin,  d'après  ia  forêt  de  noirs  sapins  que  Vir- 
gile ,  si  fidèle  observateur  des  circonstances  locales ,  place  précisément 
en  cet  endroit''.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  sont  les  deux  tombeaux  décou- 
verts dans  cette  localité  antique  qui  méritent  surtout  d'être  signalés  À 
l'intérêt  de  nos  lecteurs. 

Le  premier  de  ces  tombeaux  ^,  taillés  comme  à  l'ordinaire  dans  l'es- 

'  M.  Visconli  s'autorise  du  nom  tïAbiiton  ,  donné,  suivnnt  Vitruvc,  n,  6,  5,  à  un 
édifice  de  Ehodes.  Il  aurait  pu  ciler  d'autres  exemples  du  niËine  nom ,  qui  se  rap- 
portent à  des  causes  bien  dîflërcnles,  lela  que  ïabalon  d'un  temple  de  Jupiter,  Polyt. 
xsi,  13,  7;  cf.  Piularch.  Qaasi.  Greec.  I.  I,  p.  3oo.  B;  Vahalon  de  l'ancien  temple 
de  Laïinium,  Dionys.  Hal.  1,  67;  la  petite  île,  voisine  de  Phila;,  nommée  Abaton. 
n  enuse  de  son  lemple  d'Ists,  accessible  aux  seuls  prf^lres ,  Senec.  Quœst.  Nul.  iv, 
2,  -j:  voy.  helronne ,■  Recherches  utr  l'Egyple,  p.  3oa  et  suiv.;  et  un  autre  endroit 
de  l'Egypte,  situé  dans  le  marais  de  Memphis,  où  l'on  supposait  qu'était  placé  le 
tombeau  d'09irts,et  qui  se  nommait  aussi  .^iuron,  par  une  raison  semblable,  Lucan. 
Phartal.  X ,  3a  3.  Maïs  aucun  de  ces  exemples  ne  justifie ,  à  mon  avin ,  l'étymologie 
du  nom  à'Âhatone  proposée  par  M.  Visconti.  —  '  Dana  le  Butlel.  dcll'  Inilit.  Arclwol. 
de  i836,  p.  i^Q-ièo.  —  '  Desçrizione  di  Cere  antka,  p.  53.  g}  el  10},  où  fauteur 
réiiite.  avec  raison,  suivant  moi,  l'opinion  de  M.  Visconti.  —  '  Vii^l,  /En.  vni, 
597  sqq.  :  • 

Est  ingens  gelidum  lucus  prope^Cfritis  amnem  m^ 

I\elligioue  patrum  laie  sscer;  uniUque  colles 

Inctusere  cavi  et  aigra  nemos  ibiets  cingunt. 
—  '  Voyei-en  le  plan,  accompagné  de  coupes  et  de  détails,  ainsi  que  de  vues  per- 


¥ 


\ 


MAI  1843.  277 

pèce  de  tuf  volcanique  nommé  ici  nenfroy  à  une  assez  grande  profon* 
deur,  se  distingue,  par  plusieurs  particularités  neuves  et  curieust^s,  des 
autres , hypogées  qui  existent  dans  cette  même  localité.  L*excavation ,  y 
jDompris  le  long  <;orridor  qui  y  aboutit,  ne  comprend  pas  moins  de 
3oo  palmes  romains.  Cette  espèce  d'avenue  aboutit  à  une  porte  cintrée, 
flanquée,  à  droite^t  à  gauche,  d'escaliers,  par  lesquels  on  s'élevait  à  la 
partie  supérieure  du  monument,  consistant  en  im  vaste  taintalus  de 
forme  circulaire,  construit  de  blocs  parallélipipèdes  de  nenfro  assemblés 
sans  ciment  et  disposés  peut-être  par  assises  en  retraite,  ce  qui  reste 
incertain,  dans  Téta^  actuel  du  monument,  qui  n*a  conservé  que  la 
partie  inférieure  ou  la  première  assise  de  cette  construction,  mais  ce  qui 
peut  être  a*dmis  par  induction,  d* après  Texemple  du  second  tombeau* 
voisin  de  celui-là,  dont  il  sera  parié  ci-après,  et  qui  conserve  encore 
plusieurs  des  assises  en  retraite  qui  composaient  son  couronnement  ex- 
térieur ^  Au  delà  de  cette  porte  d'entrée  se  présente  une  pièce  qu'on  a 
désignée  par^  le  nom  de  tabUnum ,  j'ignore  d'après  quel  motif,  mais  qui 
doit  avoir  servi  de  vestibule,  et  d'où  part  un  escalier  qui  descend  di- 
rectement au  sépulcre.  De'  chaque  côté  de  ce  vestibule  règne  une  ban- 
quette ,  taillée  dans  le  tuf,  et  dans  le  fond  est  sculptée  une  porte  feinte, 
destinée  certainement  à  masquer  la  véritable  entrée  du  tombeau.  li 
suit  de  là  que  l'escalier  qui  conduit  de  cette  pièce  au  tombeau  même 
devait  être  aussi  caché  aux  regards ,  soit  au  moyen  d'ais  de  bois  revê- 
tus de  bronze,  soit  à  l'aide  de  dalles  de  pierre  amovibles.  Ce  vestibule 
est  couvert  d'une  voûte  soutenue  par  des  pilastres,  dont  la  base  et  le 
chapiteau  offrent  des  moulures  enduites  de  stuc,  qui  ne  tiennent  d'au- 
cun ordre  précisément  grec  o^  toscan,  mais  qui  sont  pourtant  exécutées 
avec  un  soin  particulier.  C*était ,  sans  doute ,  dans  cette  pièce  que  les 
parents  et  les  amis  se  réunissaient  à  couvert  pour  célébrer,  à  certains 
jours  anniversaires,  la  mémoire  des  hôtes  de  cette  sépulture;  c'était 
aussi  là  qu'avait  lieu,  suivant  toute  apparence,  le  banquet  funèbre,  dont 
il  existe  tant  de  réminiscences  sur  les  bas-reliefs  et  dans  les  peintures 
des  tombes^x  antiques ,  et  nulle  part  peut-être  cette  disposition  du  ves- 
tibule, pratiqué  à  cette  intention  en  avant  de  fhypogée,  n'avait  été 
rendue  plus  sensible  que  dans  le  monument  qui  nous  occupe, 
vi  Rien  de  plus  grandiose  et  en  même  temps  de  plus  régulier  que  le 
plan  de  ce  tombeau ,  consistant  en  une  première  pièce  renfermant ,  à 
droite  et  à  gauche,  deux  banquettes  taillées  en  forme  de  lits  funèbres^ 
puis  en  une  grande  cella,  flanquée,  de  chaque  côté,  de  trois  édicules, 

tpeclives ,  rendues  avec  beaucoup  de  soie ,  dans  le  bel  ouvrage  de  M.  P.  E.  Visconti, 
tav.  I,  II,  III,  IV,  V,  VI ,  VII  et  vin.  —  '  Voy.  planches  xi  et  xii. 


278  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

au  pourtour  desquelles  régnent  pareillement  des  lits  funèbres,  et  en  une 
pièce  du  fond ,  qui  correspond ,  pour  la  place  et  pour  la  dimension ,  à 
celle  d'entrée ,  et  qui  renferme  un  grand  sarcophage^  à  deux  corps  placé 
directement  en  face,  dans  Taxe  du  monument.  La  grandeur  et  la  ré-«. 
gularité  de  ce  plan,  jointes  à  la  forme  des  divers  plafonds,  qui  offrent 
Timitation  fidèle  en  pierre  des  divers  modes  de  opuverture  en  bois 
usités,  à  Texemple  des  peuples  asiatiques  et  des  anciens  Grecs,  chez  les 
Tyrrhéniens  de  Cœre,  et  aux  détails  des  pilastres  et  des  portes ,  qui  ac- 
cusent un  système  d'architecture  primitif,  dont  une  partie  des  élétnents 
est  grecque  et  dorique ,  l'autre  peut  être  rapportée  à  une  origine  asia- 
tique ,  et  le  tout  caractérise  une  ordonnance  étrusque ,  certainement  de 
*la  plus  haute  époque  qui  nous  soit  connue,  toutes  ces  circonstances  réu- 
nies font  du  tombeau  qui  les  présente  un  des  monuments  les  plus  im- 
portants pour  Thisloire  de  fart,  et  en  particulier  pour  celle  de  l'archi- 
tecture, qui  aient  été  reîîemment  acquis  à  la  science.  Sous  ce  rapport, 
le  gi^and  lit  funèbre,  creusé ,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  pour  recevoir 
deux  corps,  mérite  aussi  une  mention  particulière ^  Il  est  décoré,  à  Tune 
de  ses  extrémités,  d'un  pilastre  à  chapiteau  formé  de  deux  volutes  en 
sens  contraire  et  à  base  toscane ,  dont  il  n'existait  pas  encore  d'exemple 
parmi  les  monuments  connus  de  l'architecture  éttusque,  et  où  il  me 
parait  difficile  de  méconnaître  à  la  fois  un  motif  funèbre  et  un  type  asia- 
tique^. Tout  concourt  donc  à  rendre  ce  tombeau  de  Cœre  digne  du  plus 
haut  intérêt.  Malheureusement,  il  fut  trouvé,  comme  tant  d'autres  \  absolu- 
ment dépouillé  de" toute  espèce  d'objet  d'antiquité,  à  l'exception  des  dé- 
bris de  squelettes  couchés  sur  les  lits  funèbres ,  qui  se  réduisirent  en 
poussière  k  la  première  impression  de  l'ail*  extérieur.  La  violation  de  ce 
tombeau  avait  été  exécutée  avec  tant  de  soin,  qu'on  n'y  recueillit  même 
pas  le  moindre  débris  de  ces  vases  qu'on  rencontre  le  plus  souvent, 
brisés  et  laissés  par  indiffërence  sur  le  sol  de  tant  de  tombeaux  antiques-, 
et  c'est  encore  ici  un  bien  juste  motif  de  regret;  car,  à  en  juger  d'après 
l'étendue  et  l'importance  de  ce  monument ,  le  mobilier  £ânéraire  qu'il 
reçut  de  la  piété  contemporaine  dut  être  d'une  grande  richesse,  et  il 
eût  formé  pour  nous  tout  un  trésor  archéologique. 

■-./ 

*  On  en  voit  un  dessin ,  de  face  et  de  profil ,  sur  la  planche  vi ,  n*"  4  et  5 ,  fe 
l'ouvrage  cité  à  la  note  précédente.  —  *  Je  puis  dire  que  j'ai  été  l'un  des  premim 
à  établir,  dans  plusieurs  de  mes  écrits ,  l'intention  funéraire  de  la  volute  ionique  et 
le  type  asiatique  d*apr.ès  lequel  avait  été  constitué  cet  ordre  grec,  d'une  date  si  ré- 
cente, par  rapport  au  dorique,  et  dont  l'emploi  resta  presque  exclusivement  usité 
chez  les  Grecs  asiatiques;  voy.  mes  Monuments  inédit»,  p.  97,  i)t  p.  110,  3),  •! 
p.  3o4-3o5,  3).  » 


MAI  1843.  279 

Le  second  tombeau  de  Cœre,  découvert  au  voisinage  de  celui-là,  et 
publié  à  la  suite  du  premier  dans  Touvrage  de  M.  Viiconti  ^  offrit  du 
moins  quelque  compensation  à  une  perte  si  déplorable ,  bien  que ,  d  ail- 
leurs ,  il  ne  se  recommande  point  par  une  égale  importance  architecto- 
nique.  Il  se  compose  d'une  espèce  d'avefaue  taillée  dans  le  tuf,  dont  la 
porte,  plus  large  en  bas  qu'en  haut,  se  termine  par  un  arc  cintré,  avec 
cette  particularité  neuve  que  la  partie  cintrée  est  entièrement  fermée. 
Cette  porte  introduit  dans  un  corridor  très-élevé  et  long  de  2  5  palmes, 
cpii  fut  autrefois  couvert  de  ddles  de  pierre ,  placées  en  saillie  l'une 
au-dessus  de  l'autre ,  suivant  le  système  des  voûtes  en  encorbellement , 
dont  l'usage ,  certainement  antérieur  à  celui  des  voûtes  en  claveaux ,  et 
probablement  dérivé  des  modèles  de  l'architecture  égyptienne  et  asia- 
^ueî  atteste  ici  une  haute  antiquité,  et  devient  un  élément  précieux 
pour  la  détermination  chronologique  du  monument  qui  nous  occupe  et 
des  objets  qu'il  renfermait.  Aux  deux  extrémités  de  ce  corridor,  servant 
de  vestibule,  s'ouvrent,  à  droite  et  à  gauche,  deux  chambre» latérales,  de 
forme  carrée,  qui  se  trouvèrent  encore  remplies  de  très-grands  vases 
d'argile  noire ,  en  forme  cTmnpbore  à  deux  anses ,  la  plupart  ornées , 
entre  ces  anses,  d'qne  espèce  de  frise  imprimée  en  relief,  dont  les  su- 
jets, qui  se  répétaient  un  certain  nombre  de  fois,  réprésentaient  un 
homme  à  cheval ,  ou  bien  simplement  un  cheval,  un  sphinx  ailé,  et  une 
chimère^.  On  connaît,  par  les  nombreux  exemples  qu'on  en  a  recueiliis 
dans  plusieurs  des  nécropoles  étrusques,  ces  vases  d'argile  noire  avec 
des  ornements  ou  des  sujets  estampés  de  la  même  manière  ',  dont  Tu- . 
sage  doit  avoir  précédé  celui  des  vases  d'argile  peints ,  de  fabrique  grec- 
que, et  dont  le  style,  d'accord  avec  le  choix  des  représentations  qui  s'y 
voient,  dénote  évidemment ^ue  influence  orientale.  La  circonstance 
que  des  vases  de  cette  sorte,  ae  grande  dimension,  formaient  le  mobilier 
funéraire  de  ce  tombeau  de  Cœre,  à  l'exclusion  des  vases  peints,  dont 
on  n'y  retrouva  pas  le  moindre  fragment,  vient  à  l'appui  de  ce  qui  a  été 
-observé plus  haut  au  sujet  de  la  voûte  en  encorbellement;  et  ces  deux 
jjl^rtiqularités,  aiçsi  d'accord  l'une  avec  l'autre,  deviennent  autant  de 
preuves  péremptoires.  de  la  haute  antiquité  du  monument  qui  les  pré- 
sente. Du  reste ,  ce  tombeau ,  quoique  fouillé  à  une  époque  inconnue , 
n'avait  pas  été  l'objet  de  recherches  malheureusement  aussi  exactes  que 

-« 

'  P.  ag-33,  tar.  x,  xi,  xii  et  xui.  —  *  Un  de  ces  vases  est  dessiné  sur  la  pi.  x. 

^  —  ^11  m'est  permis  àm  dire  que  j'ai  été  Tun  des  premiers  à  appeler  Tattenlion 

des  antiquaires  sur  ces  sortes  de  vases ,  d'après  les  résultats  des  fouilles  opérées , 

en*  1827,  dans  les  tombeaux  de  Cbm^to  et  de  Chian;  voy.  è  cet  égard  mon  Cou» 

d*arch4mogie  (Paris,  1818,  iih8*),  p.  i4^iA6. 


4 


« 


::> 


^ 


280  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

celles  dont  avait  eu  à  souffrir  le  tombeau  précédemment  décrit;  car, 
outre  ces  vases  tfargile  noire  qui  y  avaient  été  laissés,  la  plupart  brisés, 
il  est  vrai,  et  quelques-uns  encore  intacts,  on  y  recueillit  quelques  ob- 
jets d'or,  tels  que  cinq  petites  fibules,  un  morceau  de  fermoir  et  Tune 
de  ces  feuilles  si  minces  destinles  à  être  cousues  sur  les  vêtements  des 
morts,  qui  prouvaient  que  les  déprédateurs  de  ce  tombeau  avaient  pro- 
cédé ,  dans  leur  opération ,  avec  plus  de  négligence  et  de  précipitation 
qu  on  ne  le  fait  aujourd'hui  en  y  recherchant,  dans  llntérêt  de  la  scieiiecv 
le  peu  que  la  cupidité  des  siècles  de  barbarie  y  a  épargné  des  trésors  .de 
l'antiquité. 

Une  porte ,  pratiquée  au  fond  du  vestibule ,  donne  entrée  sur  la  cham- 
bre principale,  dont  la  longueur  s'étend  dans  le  sens  de  la  largeur  du 
monuTient.  dette  cella  renfermait  trois  lits  funèbres  sur  lesquels  awmt 
été  placée  une  civière  en  bois,  peinte  de  couleur  bleue,  dont  il  restait 
encore  des  fragments  ;  et  c'était  sur  cette  civière  qu'avaient  été  couchés, 
k  découvert,  au  lieu  d'être  déposés  dans  un  sarcophage,  les  cadavres 
dont  on  recueillit  les  ossements.  C'est  là  une  particularité  déjà  connue 
par  l'exemple  des  tombeaux  de  Bomarzo,  qui  offre  quelque  analogie  avec 
l'usage  suivi  dans  les  sépultures  de  Panficàpee  ^  et  qui  doit  tenir  aussi  à 
une  tradition  asiatique.  Une  autre  circonstance,  qui  rentre  dans  celles 
que  nous  ont  fait  connaître  ces  tomneaux  gréco-scythiques  du  Bosphore 
Oîmmérien,  c'est  qu'on  trouva,  dans  cette  même  chambre,  près  d'un 
des  lits  funèbres,  le  squelette ,  parfaitement.i^connaissable  dans  tous  seà 
éléments,  d'un  cheval,  sans  doute  l'animal  favori  du  défunt  et  le  com- 
pagnon de  sa  vie  guerrière.  Les  corps  ensevelis  dans  cette  chaii^bre 
avaient  été  vêtus  d'un  Jilet  à  mailles  formé  de  grains  d'émail,  d'un  vert 
bleuâtre,  absolument  semblables,  pour  la  pâte  et  pour  la  couleur,  à  ceux 
qu'on  a  recueillis  dans  les  tombeaux  égyptiens,  et  alternant  avec  des 
grains  plus  gros  de  corail  propres  à  faire  ressortir  l'ensemble  du  travail; 
et  c'est  îci  un  trait  infiniment  curieux  pour  la  connaissance  des  antiques  ^ 

rapports  delà  civilisation  étrusque  avec  l'Egypte,  qui  ne  peuvent  s'ex--* 
pliquer  que  par  le  commerce  des  Tyrrbéniens  et  par  le  souveiyr  dêj 
traditions  qu'ils  avaient  apportées  a^ec  eux  dans  leur  émigi'ation  de* 
l'Asie.  Outre  ces  émaux ,  qui  n'avaient  pas  offert  un  appât  suffisant  à  la 
cupidité  des  violateurs  de  cette  tombe ,  et  qui  furent  recueillis  en  assez 
grand  nombre  pour  pouvoir  en  composer  tout  un  filet,  on  trouva  en- 
core, parmi  les  objets  qui  avaient  composé  le  mobilier  de  cette  tombe,  ^^ 

'  Voy/la  description  que  j*ai  donnée,  dans  ce  journal  même,  juin  i835,  p.  333 
et  suiv.  du  grand  tombeau  découreri  à  Panticapée,  et  renfermant,  entre  autres 
objets  curieux ,  un  catafalque  en  hoù  peint,  pli^cé  sur  le  squelette  d*une  femme. 


% 


^ 


MAI   1843.  281 

et  qu'on  avait  négligé  d'en  emporter,  deux  figurines  de  bronze,  du  tra- 
vail le  plus  archaïque,  représentant  des  monstres  à  double  nature , 
l'un,  une  espèce  de  chimère,  Tautre,  un  sphinx  ailé  ^ ,  qui  appartiennent 
indubitablement,  par  leur  composition  même,  autant  que  par  leur 
forme  et  leur  style  de  dessin ,  aux  modèles  de  Tart  asiatique  ,  et  qui  de- 
viennent, à  ce  titre,  un  des  éléments  les  plus  précieux  de  ces  antiques 
relations  de  TÉtrurie  avec  TAssyrie,  qui  trouvent  leur  explication  facile 
et  leur  preuve  historique  dans  la  tradition  de  lorigine  lydienne  des 
Tyrrhéniens.  Cette  induction  est  encore  justifiée  par  la  présence  de  plu- 
sieurs vases,  que  leur  peu  de  valeur  intrinsèque  aux  yeux  des  barbares 
qui  dépouillèrent  cette  tombe  a  sauvés  de  la  destruction,  mais  qui  sont 
d'un  grand  prix  pour  la  science.  Ce  sont  deux  de  ces  vases  d'argile 
noire ,  avec  des  figures  de  femmes  ailées  et  danimaux  symboliques  ^,  es- 
tampées de  bas-relief,  dont  les  types  appartiennent  à  un  art  asiatique, 
et  un  autre  vase,  à  fond  d'un  blanc  verdâtre,  avec  des  figures  d'ani- 
maux, lioTis,  taureaux,  cerfs,  sphinx  ailés,  distribués  en  cinq  zones,  et 
coloriés  en  rouge  et  en  noir,  qui  ne  tiennent  point  du  style  égyptien, 
comme  le  pense  M.  Viscontî,  mais  bien  de  cette  manière  phénicienne, 
originairement  importée  dans  la  plupart  des  îles  de  farchipel  grec ,  et 
de  là  sur  le  continent  de  la  Grèce  même,  principalement  à  Corinthe 
et  à  Athènes,  dont  les  Tyrrhéniens  durent  puiser  le  goût  à  cette  source, 
je  veux  dire  dans  les  îles  voisines  du  continent  asiatique,  et  dont  ils 
portèrent  avec  eux  l'usage  dans  leur  établissement  en  Étrurie.  On  voit 
donc  combien  toutes  les  notions  acquises  par  l'observation  de  ce  tom- 
beau de  Cœre  et  par  l'examen  de  tous  les  objets  qu'il  renfermait  s'accor- 
dent entre  elles  pour  nous  y  faire  reconnaître  un  monument  produit 
sous  l'influence  directe  d'idées  asiatiques,  à  une  époque  où  la  tradition 
s'en  conservait  encore  chez  les  Tyrrhéniens  de  l'Italie  dans  toute  sa 
force  primitive,  et  presque  sans  aucun  mélange  d'une  influence  pro- 
prement hellénique. 

Avant  de  sortir  de  cette  chambre,  qui  renfermait  encore ,  malgré  les 
déprédations  qu'elle  avait  subies ,  tant  d'objets  d'art  importants  par  les 
conséquences  historiques  qui  en  dérivent,  je  dois  signaler  k  l'attention 
de  nos  lecteurs  un  dernier  élément  de  la  décoration  de  cette  tombe , 
lequel  nous  est  déjà  connu  par  l'un  des  tomb*eaux  précédemment  dé- 

^  Voyez-en  le  dessin  sur  la  planche  ix,  leltre  A.  Ces  figures  doivent  avoir  fait 
partie  de  la  décoration  d'un  des  lits  funèbres.  —  *  Les  deux  vases  d'argile  noire 
sont  dessinés,  pi.  ix,  fig.  a  et  6.  Ils  ressemblent,  pour  la  forme  et  pour  le  travail , 
à  ceux  qu'on  trouve  dans  le  recueil  de  M.  Micali ,  Monum.  per  servire  alla  storia  de 
antichi  Popoli  iialiani,  tav.  xxi,  i,  et  xxiii,  3. 

36 


282  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

couverts  à  Cœre  :  c'est  un  siège  taillé  dans  le  tuf,  à  côté  de  la  porte  qui 
conduisait  à  la  chambre  du  fond  de  l'hypogée.  Ce  siège ,  destiné ,  sans 
doute,  à  l'usage  des  morts,  dans  ce  système  d'illusions  naïves  et  tou- 
chantes, où  se  manifestait,  sous  une  forme  matérielle  et  palpable,  une 
idée  morale ,  profondément  imprimée  dans  toute  l'antiquité  asiatique , 
la  notion  de  l'immortalité  de  Fâme,  ce  siège,  disons-nous,  avec  son 
dossier  et  son  marchepied ,  offre  absolument  la  même  forme  et  le  même 
travail  que  les  deux  de  la  tomba  délie  sedie  de  Cervetri;  et  il  en  résulte 
que  tous  ces  monuments  tiennent  au  même  système  de  croyances ,  de 
cuite  et  de  traditions  d'art  qui  caractérisaient  la  haute  civilisation 
étrusque.  La  dernière  chambre  de  notre  hypogée,  taillée  en  face  de 
rentrée,  dans  l'axe  du  monument,  et  de  forme  carrée,  ne  contenait 
qu'un  seul  lit  funèbre;  mais  il  s'y  trouvait,  de  plus  que  dans  les  autres 
chambres,  des  niches  pratiquées  dans  le  fond,  en  guise  d'armoires,  sans 
doute  pour  y  placer,  soit  les  objets  précieux  à  l'usage  du  mort,  soit  les 
Vases  et  ustensiles  sacrés  qui  servaient  à  l'accomplissement  des  rites 
funéraires.  Ces  objets,  de  quelque  nature  et  de  quelque  matière  qu'ils 
fussent,  avaient  tous  disparu;  les  niches  étaient  absolument  vides.  On 
recueillit  pourtant  dans  cette  chambre  quelques  objets  d'une  grande 
valeur  archéologique:  un  fragment  de  pâte  émaillée  de  couleur  bleue ^ 
de  travail  égyptien,  avec  des  hiéroglyphes  égyptiens  imprimés  en  re- 
lief; cinq  balsamaires,  en  forme  de  figures  de  femmes,  aussi  de  style 
égyptien  ^  ;  tous  objets,  dont  la  présence  attestait  ici  les  anciens  rapports 
de  commerce  que  les  Tyrrhéniens  entretenaient  avec  l'Egypte,  soit  di- 
rectement  par  eux-mêmes,  soit  indirectement,  par  l'entremise  des  Phé- 
niciens. D'autres  objets,  trouvés  dans  cette  niême  chambre,  tristes 
restes  du  précieux  mobilier  qu'elle  avait  reçu  à  une  ancienne  époque , 
doivent  se  considérer  comme  appartenant  à  une  industrie  locale  : 
c'étaient  des  vases  en  forme  d'écuelle ,  qui  avaient  dû  servir  à  contenir 
les  mets  préparés  pour  le  repas  funèbre,  et  auxquels  j'aJQute,  comme 
une  particularité  curieuse,  la  mention  de  grains  d'ambre  et  de  pâtes 
odorantes  de  résines  orientales ,  qui  avaient  été  disposées  tout  autour 
du  mort,  et  dont  la  substance  était  encore  si  bien  conservée  après  tant 

'  Un  de  ces  vases ,  en  émail  bleu ,  aviec  figures  d^animaux  en  relief,  est  décrit , 
comme  faisant  partie  du  cabinet  de  M.  le  chev.  Kestner,  dans  le  Ballet  delV  Instit 
Archeal,  i835,  p.  181 .  Voy.  les  observations  que  ces  découvertes  d  objets  de  travail 
égyptien  dans  des  tombeaux  étrusques  de  Cœre,  aussi  bien  que  de  Valci  et  d^ailleurs 
encore,  ont  suggérées  au  1>  Ulrichs,  dans  le  Ballet,  deli  InsHt.  Arckeol.  iSSg, 
p.  73-73 ,  et  à  M.  Cavedoni ,  dans  son  curieux  et  sâvanfc  écrit  sopra  un  sepolereto 
etrasco  scoperto  nella  collina  Modenese  (Modena,  i84a,  in-8'),  p.  89»  34). 


MAI  1843.  283 

de  siècles,  quun  petit  fragment  de  ces  pâles,  approché  du  feu,  jsuffit 
pour  remplir  le  vaste  salon  du  palais  ducal  des  princes. Torlonia  à  Ceri 
d  une  vapeur  parfumée  qu'il  fut  impossible  de  supporter,  au  témoignage 
de  M.  Visconti,  auteur  de  l'expérience  et  historien  de  la  découverte. 

Pour  compléter  la  connaissance  de  ces  antiques  tombeaux  de  Cœre 
que  nous  devons  à  M.  Visconti,  je  nai  plus  qu'à  faire  mention  de  quel- 
ques vases  trouvés  dans  des  sépulcres  voisins  de  ces  deux -là,  au  lieu 
nommé  Monte  dell'orOf  qui  est  une  nécropole  d'une  moins  haute  anti- 
quité, placée  au  centre  d'une  colline  artificielle.  Ces  vases,  fidèlement 
représentés  par  l'antiquaire  ronlain  sur  Tune  des  planches  de  son 
livre  \  appartiennent  à  une  fabrique  grecque  archaïque  ;  ce  sont ,  •-par 
conséquent,  des  monuments  d'une  époque  de  civilisation  plus  récente, 
où  s'exerçait  déjà  l'influence  des  artistes  grecs  quf  avaient  suivi  le  co- 
rinthien Démarate  dans  son  établiissement  à  Tarquinies.  Deux  de  ces 
vases /d'ancienne  fabrique,  portent  le  nom  du  fabricd^i  Nicosthénès , 
qui  nous  était  déjà  connu  par  des  vases  de  CaYiino^,  NIKO^OEf^ES 
EROIESEN,  et  dont  notre  autem*  croit,  à  la  vérité  sans  mo|ff  suffisaot, 
que  l'atelier  était  établi  à  Cœre  même.  Les  sujete  qui  décorent  ces  vases, 
et  qui  ont  rapport  aux  jeux  gymniques^,  dont  la  célébration  se  liah, 
dans  les  usages  de  la  société  grecque,  comme  dans  ceux  de  la  civilisa- 
tion étrusque,  à  la  célébration  des  funérailles*,  offrent  plys  d'une  par- 

*  Planche  ix,  n"  i  et  5 ,  lettres  B ,  D ,  E. —  *  Je  renvoie ,  pour  rarticle  de  ce  fabri- 
cant ,  Nicosihénès,  dont  les  produits,  portés  dans  fantiquité  ju8qu*en  Sicile,  se  re- 
trouvent encore  aujourd'hui  dans  la  plupart  de  nos  grandes  collections,  je  renvoie, 
dis-je,  à  la  seconde  édition  de  ma  Lettre  à  M.  Schorn,  où  cet  article  sera  traité  avec 
tous  les  accroissements  que  comporte  Tétat  actuel  de  nos  connaissances.  —  '  L*un  ide 
ces  sujets  représente  (2eiu;  Aomm^s /titf ,  iaus  une  course  rapide,  ayant  entre  eux  uJie 
femme  vêtue  et  ailée,  qui  ne  peut  être  que  la  Victoire.  Un  second  sujet  oSre  deux 
lutteurs  en  attitude  de  combattre,  avec  un  trépied  au  milieu;  c'est  le  prix,  S^Xoy, 
de  la  victoire  qu'ils  se  disputent.  La  principale  représentation,  céHe  qui  occupe  la 
bande  intermédiaire  du  vase,  se  compose  de  figures  à^athlètes  et  de  gymnastei, 
entre  lesquels  intervient  la  même  figure  de  femme  vêtue  et  ailée ,  dans  laqodle  j'^ 
reconnu  la  Victoire.  —  *  J*ai  donné ,  dans  mes  Monuments  inédits ,  AchUléide,  pi.  xxi , 
2 ,  p.  95,  3),  et  97 ,  1  ) ,  et  Orestéide,  pL  xxxv,  p.  96,  1) ,  les  preuves  de  cette  as- 
sertion ,  et  j'ai  cité  les  principaux  monuments  qui  s  y  rapportent.  Je  puis  y  ajouter 
maintenant  deux  vases  peints,  de  fabrique  étrusque,  servant  de  pendants  l'un  à 
faulre,  sur  l'un  desquels  est  représentée  la  pompe  funèbre ,  sur  l'autre*  une  suite 
de  figures  q«i  ont  rapport  aux  divers  exercices  du  stade,  à  la  course ,  au  pugilat. ei 
au  disque.  Ces  deux  vases ,  qui  ûûsaieot  partie  de  la  collection  du  prince  de  CimiAp, 
et  qui  sont  décrits  dans  la  Notice  d'iïne  colleclton  de  r^ses  antiques  provenimt  des 
fouilles  faites  en  Étrurie  (Paris,  i843,  in-8*)^  «eus  les  n**  187,  p.  38,  et  161, 
p.  d344t  ont  été  récemment  apqub  pouE  notre  cabinet  ides  Antiques  ,«i  je  me  pro- 
pose de  les  publier. 

36. 


/ 


284  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ticularité  neuve  et  curieuse,  entre  autres,  la  présence  de  la  Victoire , 
placée  entre  lès -combattants ,  sous  les  traits  d'une  femme  veine  et  ailée ^ 
pour  indiquer  Tobjet  de  cette  représentation.  Deux  autres  vases,  en 
forme  de  coupe  pourvue  de  deux  anses  et  montée  sur  un  pied  élevé, 
présentent  encore  plus  d'intérêt,  à  la  fois  par  le  sujet,  par  le  style  et 
par  le  notn  du  fabricant,  qui  enrichit  d'un  nom  nouveau,  et  peut-être 
aussi  d'une  forme  nouvelle  d'inscription,  notre  liste  des  anciens  artistes. 
L*une  de  ces  coupes  est  ornée,  à  l'intérieur,  d'un  sujet  encadré,  qui  re- 
présente le  groupe  à  Hercule  terrassant  le  liorif  du  style  le  plus  archaïque, 
^  en  figures  noires  sur  fond  jaune  ;  l'insdription  tracée  sur  la  circonférence 
extérieure  du  vase  est  ainsi  conçue  :  XAPITAIOS  EROIESEN  ME,  en 
lettres  de  la  plus  ancienne  forme.  La  même  inscription  se  lit  à  la  même 
place,  mais  avec  un? variante  :  XAPITAIOS  EITOIESEN  EME  EV,  sur  la 
seconde  coupe ,  où  elle  est  accompagnée  d'une  seconde  inscription  que 
M.  Visconti  a  lue,  ou,  du  moins,  qu'il  a  représentée  de  la  manière  que 
voici  :  AnAKI0N3;PrfÊXPE0PCJEPE3AI0.  Il  est  permis  de  croire  que 
cette  inscri[|tion ,  sans  doute  un  peu  maltraitée  par  le  temps,  n'a  pas  été 
très-fidèlement  rendue  *,4|t  ce  serait  peut-être  une  imprudence  d'essayer 
de  la  corriger  sans  avoir  le  monument  sous  les  yeux  ;  j'oserai  pourtant, 
à  mes  risques  et  périls,  proposer  de  lire  :  APAXION  HEPMOKAEOZ  EIP- 
FAIETO;  e^  s'il  était  possible  que  cette  leçon  se  trouvât  conforme  à 
la  vérité,  nous  aurions,  avec  un  nouveau  nom  d'artiste,  Arrachion ,  fils 
d'Hermoclès^,  un  exemple  jusqu'ici  encore  inconriu  du  verbe  EIPfAZETO, 
pour  désigner  le  travail  du  peintre,  qui  n'est  jamais,  il  est  vrai,  ex- 
primé que  par  le  verbe  EPPAS^E  ou  ErPA<t)E»  sur  les  vases  peints  que 
nous  possédons.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  correction,  que  je  ne  pro- 
pose qu'avec  toute  la  réserve  possible,  et  parce  que  M.  Visconti  parait 
croire  que  l'inscription  se  refuse  à  toute  interprétation  fournie  par  la 
connaissance  du  grec  :  la  iscrizione  di  ana  dettdtara  non  penetrabile  co 
sussidii  del  Greco;  ce  qui  tend  à  faire  considérer  cette  inscription,  et  tant 
d'autres  qui  sont  dans  le  même  cas ,  comme  autant  d'énigmes  indéchif- 
frables, et  comme  des  débris  d'une  langue  primitive  mêlée  de  toute 
sorte  d'éléments  asiatiques,  lydiens,  phrygiens ,  doctrine  de  feu  M.  Amati, 

*  Le  nom  à'Arrachion,  écrit  ici  APAXION,  pour  k^payitùv ^  par  archaïsme,  est 

connu. comme  celui  d*un  athlète  arcadien ,  dont  la  statue  est  citée  par  Pausanias, 

vin ,  l\o ,  1 ,  comme  un  des  plus  anciens  monuments  de  fart  grec.  Quant  à  cette 

particularité  du  nom  du  père ,  ajouté  ici  à  celui  de  fartiste ,  nous  en  avons  un 

.^exemple  dans  Tinscription  TLESÔNHONEAPXOY,  si  souvent  reproduite  sur  des 

'coupes  de  Canino.  L  emploi  des  mots  EIPFAZETO  ou  EIPfAZATO  na  pas  be- 

'  soin  d^aulorités. 


MAI  1843.  285 

qui  me  parait  complètement  erronée,  et  quil  serait  bien  temps  d'aban- 
donner avec  les  rêves  antédiluviens  du  prince  de  Canino;  c'est  prin- 
cipalement sur  le  sujet  de  cette  coupe  que  j'appellerai  l'attention  de 
nos  lecteurs.  II.  consiste  en  une  figure  de  cavalier,  sur  la  tête  duquel 
est  posé  un  oiseau,  sans  doute  avec  une  intention  augurale,  dont  le 
caractère  favorable  me  semble  indiqué  par  la  couleur  blanche  du  chevaL 
Cette  représentation ,  où  la  discipline  étrusque  se  trouve  ainsi  associée 
à  l'art  grec,  me  paraît,  sous  ce  rapport,  un  fait  neuf  et  curieux,  et  le 
vase  qui  nous  la  procure,  par  son  style  de  dessin,  qui  est  des  plus 
archaïques,  et  par  le  nom  de  son  fabricant,  Charitœos,  est  certainement 
un  des  monuments  les  plus  précieux  de  la  céramographie  grecque 
qui  soient  sortis  des  fouilles  de  Cœre,  Il  existe  encore ,  à  ma  connais- 
sance, un  vase  de  la  même  main  et  d'une  autre  forme,  dont  je  ne  crois 
pas  que  l'indication  ait  été  donnée  nulle  part  :  c'est  un  vase  de  la  forme 
d'amphore  à  trois  anses,  orné,  sur  le  col  et  sur  le  ventre,  de  deux  re- 
présentations encadrées,  qui  ont  pour  sujets  des  motifs  empruntés  «^ 
l'histoire  des  Amazones.  Le  style  de  ce  vase,  qui  se  trouvait,  en  i838, 
dans  la  collection  de  M.  Depoletti  à  Rome,  appartient  aussi  à  l'ancienne 
école,  et  l'inscription ,  qui  s'y  lit  gravée,  et  non  tracée,  sous  le  pied  du 
vase,  en  caractères  très-fins  et  de  très-belle  forme,  nous  apprend  que 
son  fabricant  est  le  même  Charitœos  ;  KAPITAIOZ  ElTOIEZEN,  dont  le 
nom  est  écrit  ici  par  un  K,  et  non  par  un  X,  variante  qui  peut  être  con- 
sidérée comme  une  forme  dorique,  si  ce  n'est  une  faute  de  l'artiste. 

Il  ne  me  reste  plus,  avant  d'arriver  au  grand  tombeau  de  Cœre,  dont 
la  découverte  a  été  l'un  des  événements  archéologiques  de  ce  siècle,  et 
dont  la  description  formera  le  principal  objet  de  notre  examen,  qu'à 
dire  quelques  mots  des  autres  tombeaux  de  la  même  localité  ou  du 
voisinage ,  dont  la  connaissance  peut  servir  à  compléter  les  notions  que 
nous  avons  voulu  donner  k  nos  lecteurs  sur  toute  cette  classe  de  mo- 
numents appartenant  à  l'antique  Cœre  ou  à  ses  dépendances.  De  ce 
nombre,  je  citerai  particulièrement  les  tombeaux  qui  paraissent  avoir 
appartenu  à  la  nécropole  de  l'ancienne  Alsium,  ville  pélasgique  comme 
Cœre^,  et  située  dans  son  voisinage.  Ces  tombeaux,  découverts  en  i  Sâg, 
consistaient  en  un  grand  tumulus,  semblable  à  celui  de  la  Cucumella  de* 
Vulci ,  qui  n  a  pu  être  fouillé  dans  toute  sa  profondeur,  mais  qui  a  li- 
vré à  la  science,  dans  un  des  hypogées  qu'il  renfermait,  un  monnaient 
d'une  architecture  et  dune  disposition  tout  à  fait  analogues  au  grand* 
tombeau  de  Cœre ,  que  nous  nous  proposons  de  faire  connaître  en  dé- 

'  Dionys.  Hal.  i,  20,  1. 1,  p.  5à,  ed,  Reisk. 


286  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

tail  dans  un  prochain  article.  Ce  que  ceiui-oi^îi* ofiert' de  plus  curieux, 
en  fait  de  construction ,  c  est  la  voûte  du  long  corridor  qui  conduit  aux 
chambres  sépulcrales ,  et  qui  se  compose  de  dalles  de  pierre  posées  ho- 
rizontalement en  saillie  Tune  au-dessus  de  Tautre,  lesquelles,  au  lieu  de 
décrire  un  arc  aigu ,  se  redressent  tout  à  coup  à  peu  de  distance  de  leur 
point  de  jonction,  et  forment  une  espèce  de  canal  dont  le  parement  est 
vertical  et  la  couvertupe  plate.  Cette  conftruction,  d'un  genre  tout  à 
fait  nouveau  et  d*un  caractère  qui  paraît  conventionnel,  s'accorde,  avec 
labsence  totale  de  vases  peints  ou  d'objets  empreints  dune  influence 
grecque ,  pour  faire  attribuer  à  ce  monument  une  antiquité  antérieure 
à  répoque  de  l'introduction  en  Étrurie  des  arts  de  la  Grèce.  Un  autre 
tombeau,  creusé  dans  le  tuf  au  pied  du  même  tumulas,  n'offrit  pareille- 
ment, dans  le  petit  nombre  d'objets  qu'on  y  recueillit,  et  qui  consis- 
taient en  vases  d'argile  avec  des  dessins  d'animaux  gravés  au  trait,  et 
en  petites  idoles  d'argile  noire,  d'un  style  primitif  ^  n'offrit,  disons- 
nous,  aucun  indice  d'une  influence  hellénique;  et  la  disposition  de  ce 
tombeau,  avec  le  Ut  funèbre  creusé  en  forme  de  sarcophage,  avec  la 
banquette  régnant  autour  des  chambres  sépulcrales,  et  avec  les  débris  de 
la  construction  par  assises  en  retraite  qui  en  couronnait  le  faîte  ^,  rentre 
toiit  à  fait  dans  le  type  asiatique  des  tombeaux  que  nous  avons  décrits 
à  Ceri. 

Dans  une  fouille  exécutée,  l'année  suivante,  sur  un  terrain  dépendant  de 
la  même  nécropole,  on  découvrit  un  autre  tombeau'  taillé  pareillement 
dans  le  tuf,  avec  un  long  corridor  aboutissant  aux  chambres  sépulcrales,  avec 
des  banquettes  taillées  en  forme  de  lit  funèbre,  et  pourvues,  sur  leurs  cô- 
tés ,  de  cohnnettes ,  ainsi  que  d'un  coussin  de  pierre  pour  soutenir  ta  tête 
du  défunt;  et,  dans  ce  tombeau,  il  ne  fut  trouvé  non  plus  que  des  vases 
d'argile  noire  avec  figures  estampées  de  bas-relief,  sauf  un  seul  vase 

*  Une  de  ces  idoles,  qui  m'avait  été  envoyée  par  M.  Viscontî  pour  être  déposée 
dans  notre  cabinet  des  Antiques ,  m*a  ofiert  an  rapprochement  curieux.  Elle  res- 
semble tout  à  fait ,  pour  la  composition  de  la  figure,  pour  la  couleur  de  la  terre, 
i>our  le  style  et  pour  la  dimension,  à  une  idole  qui  se  trouvait  déjà  dans  notre  col- 
ection ,  et  qui  provenait  du  cabinet  du  comte  de  Caylus ,  à  qui  elle  avait  été  pro- 
bablement envoyée  par  le  P.  Pacciaudi ,  sans  que  la  provenance  nous  en  fût  connue  ; 
et,  maintenant,  il  devient  évident  pour  nous  que  cette  idole  du  cabinet  de  Caylus 
doit  être  sortie  de  quelques  fouilles  opérées  alors  aux  Montenni  ;  c*est  le  nom  ou  on 
donne  actueUement  aux  petites  collines  artifidelles  qui  forment  la  nécropole  de 
Tantique  Alsium.  —  *  Ces  détails  sont  extraits  de  la  Notice  des  fouilles  des  Monte- 
roni,  rédigée  par  M.  Âbeken,  et  insérée  au  BuUet,  delV Instit.  Archeol.  i83g,  p.  8i- 
84.  —  '  Voyez-en  la  description  dans  un  autre  Rapport  de  M.  Abeken,  publié  dans 
le  Ballet.  ielV  Instit.  Archeol,  i84o,  p.  1^3- 1 34* 


MAI  1843.  ^  287 

peint,  de  cette  manière  que  j'ai  été  Tun  des  premiers  à  .appeler  phéni- 
cienne, et  de  la  forme  de  balsamaire;  en  sorte  que  tout  s!accorde  tou- 
jours pour  nous  montrer,  dans  le  plan  et  dans  la  disposition  de  ces 
tombeaux,  et  dans  la  nature  des  vases  qui  s  y  trouvent,  des  monuments 
étrangers  à  la  civilisation  grecque  et  empreints  de  la  civilisation  asia- 
tique. La  même  notion  résulte  de  la  découverte  de  deux  autres  tom- 
beaux fouillés,  en  18 do,  à  Cervetri,  au  lieu  nommé  Zambra,  dont  Vun 
renfermait  un  assez  grand  nombre  de  vases  de  terre  cuite  noire ,  avec 
un  fragment  d un  seul  vase  peint,  de  style  phénicien,  et  avec  un  débris 
dun  autre  vase  orné  de  figures  d'animaux,  que  le  style  des  figm^es,  joint 
à  rinscriptlon  en  caractères  étrusques:  g^A/M ,  indiquait  sufiisam- 
ment  pour  un  produit  d'une  industrie  locale.  Je  citerai  enfin  les  toni- 
beaux  découverts,  en  i84o,  siur  un  emplacement  qui  doit  avoir  fait 
partie  du  territoire  de  l'antique  Pyrgi,  port  de  Cœre,  lesquels  tombeaux, 
pareillement  taillés  dans  ]e  tuf,  mais  revêtus  intérieurement  de  dalles 
de  pierre,  et  terminés,  à  l'extérieur,  en  forme  dé  tumalds,  offrirent,  entre 
autres  particularités  qui  dénotent  une  haute  antiquité,  des  chambres 
sépulcrales  voûtées  au  moyen  de  deux  dalles  de  pierre  appuyées  l'une 
contre- l'autre  à  arc  aigu  S  comme  on  l'observe  à  la  galerie  de  Tirynthe 
et  à  une  porte  de  Délos.  Malheureusement ,  ces  tombeaux  avaient  été 
fouillés  à  une  époque  inconnue ,  et  l'on  n'y  recueillit  aucun  objet ,  pas 
môme  le  plus  mince  débris  de  vase  propre  à  nous  éclairer  siu*  la  nature 
du  mobilier  funéraire  qui  put  y  être  déposé  et  sur  le  caractère  de  la 
civilisation  dont  ils  étaient  l'ouvrage. 

RAOUL-ROCHETTE. 

f  La  suite  au  prochain  cahier.  ) 


Nouveaux  documents  inédits  sur  le  P.  André  et  s^r  la  persécution 

du  Cartésianisme  dans  la  compagnie  de  Jésus. 


TROISIÈME    ARTICLE. 


Notre  première  correspondance  nous  avait  fourni  tme  seule  lettre 
d'André,  pendant  qu'il  était  à  Rouen,  chargé  de  l'enseignement  d» 
la  philosophie  :  c'est  une  lettre  du  2  5  avril  1 7 1 3 ,  adressée  à  Maie- 

^  Voy.  la  Relation  insérée  au  Ballet.  delV  Inslit.  Archeol.  i84o,  p.  1  i3!-i  i5. 


288  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

branche,  où  il  lui  apprend  que  son  enseignement  a  soulevé  contre  lui 
ses  supérieurs,  parce  quil  y  rendait  justice  à  Descartes  et  à  lui  Male- 
branche;  qu  on  lui  a  envoyé  une  espèce  de  formulaire  à  signer  et  à  dicter  à 
ses  écoliers;  qu'on  lui  a  demandé  une  profession  de  foi  sur  chaque 
article  de  ce  formulaire;  qu*on  a  fait  examiner  cette  profession  dé  foi 
par  trois  PP.  jésuites  de  Paris,  dont  un  y  a  répondu  article  par  article; 
que  celte  réponse  est  un  écrit  considérable  ;  qu  il  a  été  contraint  de  dic- 
ter à  ses  élèves  une  rétractation ,  dont  il  lui  erftfoie  un  extrait  ;  et  il  de- 
mande pardorr  à  Malebranche  ainsi  qu  à  Dieu  d'avoir  chancelé  dans  la 
défense  de  la  vérité.  Tout  cela  n'était  pas  parfaitement  clair,  faute  de 
documents  suffisants  :  nous  n'avions  ni  le  formulaire  envoyé  à  André, 
ni  sa  profession  de  foi ,  ni  l'examen  de  cette  profession  de  foi  par  les 
méttiphysiciens  de  la  compagnie  ;  nous  ne  savions  pas  non  plus  com- 
bien de  temps  André  était  resté  à  Rouen.  Aujourd'hui,  grâce  à  nos  nou- 
veaux papiers,  tous  les  voiles  sont  levés,  et  nous  connaissons  pleine- 
ment toute  cette  affaire  de  Rouen,  sans  contredit  la  plus  intéressante 
de  toutes  celles  qui  furent  suscitées  à  André.  Les  détails  abondent,  et 
il  ne  faut  pas  craindre  de  les  reproduire,  sinon  en  totalité,  du  moins 
avec  une  juste  étendue;  car  il  ne  s'agit  plus  seulement  ici  des  disgrâces 
d'un  homme  de  mérite,  mais  de  la  persécution  exercée  contre  un  grand 
système  de  philosophie  par  la  plus  puissante  congrégation  enseignante 
de  la  France  et  de  l'Europe ,  enfin  de  la  philosophie  officielle  de  cette 
congrégation. 

André  arriva  à  Rouen  vers  la  fin  de  l'année  i  7 1  i  ;  il  y  demeura  le 
reste  de  cette  année ,  toute  l'année  1 7 1  2  et  une  partie  de  l'année  1  7 1 3  ; 
après  quoi  il  est  enlevé  à  l'enseignement  de  la  philosophie  et  relégué 
à  Alençon  dans  un  petit  emploi  purement  administr|itif.  C'est  pendant 
ces  deux  années  d'enseignement  qu'il  composa  ce  cours  .complet  de  phi- 
losophie chrétienne  dont  l'abbé  Guyot  parle  avec  tant  d'éloge  dans  sa 
Notice  historique  sur  le  P.  André  ^  et  dont  on  vient  de  retrouver  à 
Caen  xxùe  partie  considérable  sous  le  titre  de  Metaphysica  *9ive  Theo- 
logia  naiaralis.  André  se  proposait  de  former,  de  toutes  les  opinions 
cartésiennes ,  un  corps  complet  de  philosophie  à  la  fois  raisonnable 
et  chrétienne,  où  tout  fût  enchaîné  dans  un  ordre  géométrique,  expli- 
qué avec  une  clarté  frappante,  et  dirigé  vers  la  pratique  et  vers  l'édifi- 
eation.  Mais  l'Évangile  lui-même ,  présenté  avec  un  air  de  cartésianisme, 
a(H*ait  révolté  les  jésuites.  Aussi  à  peine  André  a-t-il  commencé  à  ensei- 
go/er  sa  phik)«ophie  chrétienne ,  que  ses  supérieurs  reconnurent  qu'aa 


'  P.  4 


^ 


MAI  1843.  289 

lieu  de  s  être  corrigé  il  s'était  confirmé  dans  la  doctrine  qui  lui  avait  été 
reprochée  ;  il  est  dénoncé  à  Paris  ;  il  reçoit  des  côtés  les  plus  différents 
des  avertissements  qui  partent  d'un  véritable  intérêt  pour  sa  personne. 
Les  hommes  les  plus  sages  l'engagent  à  se  soumettre.  Nous  voyons 
reparaître  ici  ce  bon  P.  Guymond,  qui,  depuis  1708,  na  pas  fait  lac- 
quisition  d*un  seul  argument  nouveau  contre  Descartes  et  Malebranche, 
et  répète  toujours  la  même  chose  :  «  Ne  croyez  pas,  écrit-il  h  André  de 
la  Flèche ,  le  1  4  décembre  1711,  que  ce  qui  s'est  passé  entre  nous  ait 
rien  diminué  de  ma  tendresse  et  de  mon  amitié  envers  vous.  Il  est  im- 
portant de  vous  dire  une  chose  ;  mais  elle  demande  le  secret,  et  j'ai  en 
vous  la  confiance  que  vous  ne  me  citerez  point  :  c'est  qu'on  me  dit  hier 
que  l'on  portoit  à  Rome  des  informations  sur  quelques  propositions  de 
quelques-uns  de  nos  professeurs  et  en  particulier  de  votre  révérence. 
Je  crains  que  notre  père  ne  lui  en  sache  mauvais  gré  ;  ce  qui  me  donne 
la  pensée  qu'il  seroit  bon  de  le  prévenir  vous-même  au  plus  tôt,  et  de 
l'assurer  que,  loin  d'être  dans  ces  sentiments,  vous  en  voyez  la  fausseté 
et  que  vous  les  réfutez  en  toute  occasion.  Voilà  donc  ce  que  je  ferois, 
si  j'étois  à  votre  place  :  je  me  défierois  de  mon  esprit  et  de  l'esprit  des 
nouveaux  philosophes;  je  croirois  que,  dans  les  points  contestés,  ils 
n'ont  ni  eux  ni  moi  plus  de  lumières  que  nos  auteurs;  j'aurois  devant 
moi  toutes  les  propositions  défendues;  je  demanderois  grâce  à  Dieu 
pour  bien  comprendre  les  raisons  qu'on  a  de  les  défendre,  et  je  cheN 
cherois  de  quoi  les  réfiiter  chacune  en  particulier  et  prouver  la  con- 
tradictoire; enfin,  puisque  la  compagnie  le  veut,  je  ferois  abjuration, 
persuadé  qu'il  ne  convient  point  à  un  particulier  d'être  contraire  à  la 
doctrine  de  son  corps.  Je  prie  très-humblement  votre  révérence  de 
prendre  en  bonne  part  tout  ce  que  je  lui  écris,  etc.» 

André  ayant  répondu  à  cette  lettre,  sans  désavouer  son  goût  pour 
la  doctrine  de  Descartes  et  de  Malebranche,  qu'il  ne  faut  pourtant 
pas  le  croire  aveuglément  attaché  à  toutes  les  maximes  de  ces  deux 
auteurs,  et  qu'il  s'y  trouve  des  propositions  qu'il  tient  pour  fausses, 
le  P.  Guymond,  voyant  là  un  commencement  d*abandon  du  cartésia- 
nisme, s'en  réjouit  fort  et  récrit,  le  12  mars  1712  ,  à  André  :  «Je  ne 
sais  comment  j'ai  différé  si  longtemps  à  vous  marquer  la  joie  que  j'ai 
reçue  de  votre  dernière  lettre;  elle  est  plus  grande  que  je  ne  puis  l'ex- 
primer par  l'importance  du  sujet  dont  il  s'agissoit.  Pour  y  mettre  le 
comble-,  je  demande  une  grâce  à  votre  révérence  :  c'est  de  vouloir  bien 
me  mander  les  propositions  de  ces  deux  auteurs  qu'elle  trouve  mau- 
vaises; cela  pourroit  me  servir  dans  l'occasion,» 

Hardouin  ,  qui  était  à  la  fois  le  meilleur  des  hommes  dans  la  vie  or- 

37 


w 


290  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dinaii^e  et  lauteur  le  plus  violent  dans  la  polémique,  rappelle  à  André 
qu'il  lui  a  toujours  dit  que  le  malebrancliisme  était  l'athéisme  ,  et  qu'il 
devait  y  renoncer  absolument. 

«Ce  2  5  novembre. 

((  Mon  révérend  père , 

«  J'aurois  bien  de  la  dureté,  et  le  Seigneur  Dieu  me  la  reprocheroit 
un  jour,  si  je  manquois  à  vous  avertir  que  vous  allez  vous  attirer  de  très- 
fâcheuses  affaires,  si  vous  ny  remédiez  promptement;  et,  qui  plus  est, 
c'eit  qu'on  auroit  raison  de  dire,  et  qu'on  le  dira,  que  vous  le  méritez 
bien  pour  défendre,  comme  vous  le  faites,  le  malebranchisme.  Vous 
pouvez  vous  souvenir  qu'il  y  a  quelques  années  que  je  m'efforçois  un 
jour,  en  revenant  de  Gentilly  avec  vous,  de  vous  persuader  que  c'étoit 
l'athéisme.  Cela  n'est  que  trop  vrai.  On  ne  me  consulte  sur  votre  affaire 
pas  plus  que  l'enfant  qui  est  à  naître;  mais  j'ai  entendu  quelques  mots 
assez  forts  pour  me  donner  occasion  de  vous  en  donner  avis.  Par- 
donnez-moi ma  liberté  et  ma  franchise  :  je  n'ai  pas  cru  en  chrétien  et  en 
ami  devoir  manquer  à  vous  en  écrire.  Ecrivez  vous-même  incessam- 
ment au  révérend  père  provincial  que  vous  renoncez  absolument  au  ma- 
lebranchisme, et  faites  le  voir  par  des  effets,  en  dictant,  selon  l'occasion, 
des  opinions  contraires.  Et  prenez  bien  garde  à  une  seconde  récidive. 

u  Je  SUIS ,  mon  révérend  père , 

«  Votre  serviteui'  et  votre  ami , 
«  Hardouin  ,  J.  » 

«  P.  S.  Le  révérend  père  provincial  nous  a  dit ,  en  pleine  récréation , 
que  le  P.  Dutertre  étoit  revenu  de  semblables  idées;  mais  il  ne  m'a 
pas  dit  un  seul  mot  de  vous ,  et  ce  n'est  pas  de  lui  que  je  sais  ce  que 
je  vous  écris.  » 

Porée,  le  plus  bel  esprit  de  la  société,  et  dont  le  cœur  et  le  carac- 
tère valaient  bien  mieiuc.que  le  talent  brillant  et  maniéré,  Porée, 
qui  avait  pu  connaître  et  apprécier  André  au  collège  Louis-le-Grand  à 
Paris,  le  presse  d'échapper  au  péril  qui  le  menace  par  une  prompte 
soumission. 

((  Mon  révérend  p^re , 

«  Votre  lettre  m'a  extrêmement  touché.  La  situation  douloureuse  où 
vous  vous  trotivez  m'afflige ,  et  je  ne  me  console  que  par  l'espérance 
que  vous  en  sortirez  bientôt.  Quand  on  a  autant  de  droiture  que  vous 
en  avez,  on  a  une  grande  disposition  à  suivre  les  lumières  du  ciel. 


MAI  1843.  291 

Vous  croyez  les  suivre  maintenant  ;  le  P.  Dutertre  avoit  cru  la  même 
chose  de  lui-même;  il  se  trouve  à  présent  détrompé,  et  l'unique  chose 
qui  rétonne,  c'est  qu'il  ne  l'ait  pas  été  plus  tôt.  Il  avoit  suivi  vos 
exemples,  suivez  maintenant  le  sien;  ne  l'imitez  pas  cependant  en  tout, 
et  n'attendez  pas,  je  vous  conjure,  que  les  supérieurs  vous  aient  ôté 
d'un  emploi  que  vous  pouvez  faire  avec  distinction  et  avec  mérite  de- 
vant Dieu  et  devant  les  hommes.  Que  vous  enfouissiez  le  talent  ou  que 
vous  mettiez  les  autres  dans  la  nécessité  de  vous  en  ôter  l'usage,  n'est- 
ce  pas  à  peu  près  la  même  chose?  Pardonnez-moi  si  je  vous  parle  avec 
tant  de  liberté;  je  vous  ai  déji\  dit  que  je  n'entrois  point  dans  la  discus- 
sion de  cette  affaire,  qui  passe  ma  capacité  et  mes  lumières;  mais  je 
crois  parler  à  un  ami  et  je  ne  me  trompe  pas,  vous  m'en  avez  assuré 
vous-même.  Que  l'amitié  m'excuse  donc  auprès  de  vous,  si  elle  ne  peut 
avoir  d'autre  effet.  Je  suis  dans  l'union  de  vos  S.  S.  et  dans  les  senti- 
ments d'une  parfaite  estime  jointe  à  un  profond  respect,  mon  révé- 
rend père,  votre,  etc. 

«C.  POR^E.  » 

La  lettre  de  Porée  et  le  post-scriptum  d'Hardotiin  font  mention  du 
P.  Dutertre  comme  abandonnant  la  doctrine  de  Descartes  et  de  Ma- 
lebranche,  et  donnant  par  là,  selon  Porée ,  un  bon  exemple  à  André. 
Ceci  nous  conduit  à  un  des  épisodes  les  plus  curieux  de  l'histoire  phi- 
losophique de  ce  temps,  et  à  un  nouvel  enseignement  de  cette  triste 
vérité,  que,  aussitôt  que  le  péril  devient  sérieux,  les  plus  emportés  d'a- 
bord ne  sont  pas  ceux  qui  persévèrent  le  plus  courageusement.  Comme 
nous  l'avons  vu ,  André  n'était  pas  le  seid  dans  la  société*  qui  s'était 
laissé  séduire  par  la  philosophie  nouvelle;  plusieurs  de  ses  confrères 
l'avaient  même  enseignée.  Parmi  ses  partisans  les  plus  ardents  était  au 
premier  rang  le  P.  Dutertre,  homme  d'esprit  et  de  talent,  auquel  il  n'a 
manqué,  pour  avoir  le  sort  du  P.  André ,  qu'un  peu  plus  de  caractère. 
Il  avait  d'abord  paru  plus  dévoué  qu'André  lui-même  au  cartésianbme. 
Le  P.  Guymond  lui  avait  aussi  proposé  de  renoncer  à  Descartes  et  k 
Malebranche  et  même  de  les  réfuter;  il  avait  répondu  comme  André, 
et  avec  plus  do  hauteur,  que,  loin  de  les  réfuter,  il  était  prêt  à  les  dé- 
fendre. Il  traite  même  assez  sévèrement  cette  concession  qu'André  avait 
faite  à  Guymond,  qu'il  y  avait  dans  Descartes  et  dans  Malebranche  plu- 
sieurs propositions  fausses.  La  lettre  qu'il  lui  écrit  à  ce  sujet  mérite  bien 
d'être  donnée  tout  entière  : 

tPe  la  Flèche,  ce  à  mai  171a. 

«  Votre  lettre,  mon'oher  ooUègue^  kn'B  éelaîré  d'un  point  que  j'étoii 

37. 


292  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

curieux  de  savoir,  c  est  que  le  P.  Guymond  me  vint  trouver  cet  hiver 
jpour  me  dire  qui!  avoit  reçu  d'une  personne  de  mérite  de  la  pro- 
vince, qui  passoit  pour  donner  dans  les  idées  du  P.  M.,  une  lettre 
où  elle  faisoit  abjuration  de  celte  doctrine,  avouant  quelle  y  recon- 
noissoit  bien  des  erreurs  dangereuses.  Je  lui  répondis  alors  que,  si  cela 
étoit,  certainement  celui  qui  abandonnoit  ainsi  le  P.  M.  ne  l'avoit 
jamais  entendu.  Il  m'a  plusieurs  fois  averti  avec  beaucoup  d'affecta- 
tion et  d'empressement  des  desseins  que  les  supérieurs  ont,  dit-il, 
de  pousser  à  toute  outrance  ceux  qui  [plusieurs  mots  illisibles).  Il  m'a 
même  proposé  sérieusement  de  faire  et  d'envoyer  au  père  général 
une  protestation  de  péripatétisme  où  je  désavouerois  Descaries,  et  je 
ne  me  suis  délivré  de  toutes  ces  propositions,  dont  une  étoit  encore 
de  travailler  à  réfuter  Mal. ,  qu'en  lui  déclarant  nettement  que  je  ne 
trouvois  rien  dans  cet  auteur  que  de  très-vrai  et  de  très-édifiant,  et 
que  je  m'offrois  volontiers  à  le  justifier  contre  ceux  qui  l'attaqueroient , 
bien  loin  de  le  réfuter.  Cette  réponse  l'a  enfin  fait  désespérer  de  mon 
changement,  et  il  me  laisse  maintenant  en  repos.  Pour  sûr,  je  ne  vous 
conseille  pas  de  lui  rien  mander  dont  il  puisse  tirer  avantage;  son  zèle 
est  trop  bouillant  pour  compter  sur  un  parfait  secret.  Je  suis  même 
fâché  que  vous  lui  ayez  donné  lieu  de  croire  ou  de  dire  au  moins  que 
vous  trouviez  des  erreurs  dans  le  P.  M.;  mais  vous  pouvez  vous  re- 
trancher, dans  votre  réponse,  à  lui  alléguer,  en  général,  quelques  er- 
reurs des  cartésiens ,  comme  les  idées  innées  au  sens  que  le  commun 
l'entend,  que  Dieu  ait  fait  les  essences  des  choses  par  une  volonté  aussi 
arbitraire  que  celle  dont  il  a  créé  les  choses  mêmes,  etc.  Je  suis  avec 
respect,  mon  cher  collègue,  votre,  etc. 

aDoTERTRE,  s.  J.  n 

Ce  zèle  de  Du  tertre  pour  le  cartésianisme  ne  demeura  pas  impuni. 
Il  était  à  la  Flèche ,  il  fut  envoyé  dans  le  petit  collège  de  Compiègne , 
et  encore  régent  de  troisième.  Cette  disgrâce  ne  l'ébranlé  pas ,  et  il  prie 
André  d'en  bien  assurer  le  meilleur  et  le  plus  estimable  de  leurs  amis  , 
c'est-à-dire  Malebranche. 

AU  MÊME,  A  ROUEN. 

i  A  la  Flèche,  ce  ai  juillet  171a. 

M  Je  crois,  mon  cher  collègue,  que  vous  avez  reçu  un  petit  paquet  que 
je  vous  ai  envoyé  par  le  neveu  de  M.  Briant;  et  je  ne  doute  pas  qu  en- 
suite vous  n'ayez  été  fort  surpris  de  ma  disposition  pour  la  troisième  de 
Compiègne,  à  laquelle  certes  je  o'avois  pas  lieu  de  m*attendre,  non  plus 


MAI  1843.  293 

qua  raflectation  qu'on  a  eue  de  la  rendre  si  publique,  après  toutes  les 
honnêtetés  et  même  les  caresses  que  j'avois  reçues  du  R.  P.  provincial. 
On  a  voulu  faire,  dans  ma  personne ,  un  exemple  capable  d'intimider 
les  autres.  Dieu  en  soit  loué  !  Mais  il  faut  avouer  qu'on  a  fait  cet 
exemple  de  la  manière  qu'on  a  crue  la  plus  capable  de  me  mortifier,  et 
sans  m'avoir  aucunement  prévenu  que  par  des  témoignages  d'estime , 
qui  n'alloient,  comme  je  le  vois,  qu'à  me  tromper  :  conduite  que  je 
ne  crois  pas  devoir  être  tout  à  fait  approuvée.  Quoi  qu'il  en  soit,  vous 
pouvez  vous  assurer,  et  en  assurer  aussi  le  meilleur  et  le  plus  estimable 
de  nos  amis,  que  je  suis  tout  consolé  de  ce  petit  chagrin  qu'on  m'a 
fait,  et  par  la  bonté  de  ma  cause,  et  parce  que  j'ai  tâché  de  contri- 
buer, cette  année,  à  faire  connoître  la  vérité,  en  quoi  je  n'ai  pas  tout  k 
fait  perdu  mon  temps.  Votre  très-humble  serviteur,  etc. 

«DuTERTRE  ,  J.» 

Avant  de  se  rendre  à  Compiègne  et  de  quitter  la  Flèche ,  Dutertre , 
qui  ne  connaît  pas  bien  l'étendue  du  danger  auquel  il  s'expose,  fait 
soutenir  à  ses  écoliers ,  dans  les  exercices  de  la  fin  de  l'année ,  la  théorie 
des  idées  de  Malebranche.  Il  se  vante  d'avoir  répandu  le  cartésianisme 
parmi  plusieurs  de  ses  collègues.  C'est  en  vain  que  les  supérieurs  l'en- 
gagent à  changer  de  système ,  il  n'en  sera  rien ,  écrit-il  fièrement  à 
André, 


AU    MÊME. 


«A  la  Flèche,  ce  ai  août  1713. 

u  J'ai  reçu  voire  paquet;  je  m'attendois  à  peu  près  à  y  voir  ce  que  j'y 
ai  vu ,  et  à  y  remarquer  bien  des  préjugés  dans  vos  censeurs.  Il  y  a 
pourtant  deux  choses  que  je  n'approuvois  pas  tout  à  fait  dans  votre 
thèse  ,  supposé  que  ce  fût  votre  pensée ,  comme  on  le  juge  dans  la 
censure;  1**  que  Dieu  ne  peut  anéantir  notre  âme;  car  il  me  semble 
évident  qu'il  la  conserve  librement,  autant  qu'il  peut  l'avoir  créée,  pour 
un  certain  temps  déterminé,  au  bout  duquel  la  cause  productive  cesse; 
elle  cesseroit  aussi ,  sans  qu'il  fût  besoin  pour  cela  d'un  acte  de  la  vo- 
lonté de  Dieu  terminé  à  son  anéantissement ,  car  un  tel  acte  répugne  ; 
a°  je  crois  que  Dieu  peut  faire  du  vide  en  partageant  l'étendue ,  en  éloi- 
gnant les  deux  parts ,  sans  conserver  aucune  étendue  physique  dans  cet 
intervalle;  et  je  crois  que  ce  qui  a  trompé  sur  ce  point  M.  Descartes , 
c'est  qu'il  confondoit  l'étendue  intelligible  avec  l'étendue  physique.  Ven- 
dredi dernier,  qui  fut  ma  deri\jère  séance ,  le  meilleur  de  nos  écoliers , 
un  jeune  homme  accompli,  nommé  {le  nom  est  biffé)  ^  expliqua,  à  pro- 


294  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pos  de  la  démonstration  de  Dieu,  tout  le  système  des  idées  pendant 
trois  gros  quarts  dTieure ,  et  prouva  que  nos  idées  ne  pouvoient  être 
que  la  substance  intelligible  de  Dieu.  Jamais  vous  ne  vîtes  gens  plus 
étonnés  que  la  plupart  de  ceux  qui  Técoutoient.  Je  puis  vous  assurer 
que  la  plupart  de  nos  écoliers  sont  bien  au  fait  et  bien  établis  dans  les  bons 
principes.  H  y  a  aussi  quatre  ou  cinq  préfets  qui  sont  en  bon  chemin , 
mais  occultipropter  metamjadœoram.  Mais  ils  appréhendent  d'être  connus, 
et  je  ne  leur  ferois  pas  plaisir  de  les  nommer,  car  vous  ne  sauriez  croire 
combien  la  terreur  est  répandue  ;  il  y  a  tel  qui  craint  même  de  passer 
pour  être  de  mes  amis.  Madame  de  Cabaret  m'a  fait  l'honneur  de  me 
venir  voir,  je  lui  ferai  vos  compliments,  et  aux  autres  que  j'aurai  doré- 
navant plus  de  loisir  d'entretenir.  J'écrirai  bientôt  à  notre  bon  père;  je 
l'auroisfait  dans  le  temps  de  sa  guérison,  si  j'eusse  su  sa  maladie  ^  Per- 
mettez-moi de  saluer  M.  Larchevêque  ;  c'est  un  homme  que  j'estime  de 
tout  mon  cœur  et  honore  parfaitement.  Il  voudra  bien  prendre  cette 
lettre  pour  une  réponse  commune  à  la  sienne ,  jusqu'à  ce  que  je  trouve 
une  occasion  ,  qui  se  présentera  apparemment  bientôt  sur  cette  fin 
d'année,  pour  lui  écrire  en  particulier.  Au  reste  ,  je  vous  dirai  que  tous 
mes  actes  ont  si  bien  réussi,  que  la  plupart  de  nos  pères  disent  haute- 
ment que,  depuis  vingt  ou  ti^ente  ans,  on  n'avoit  entendu  d'aussi  bons 
écoliers;  mais  le  P.  Roi  [sic)  et  le  P.  Guymond  ne  font  pas  semblant 
d'entendre  cela.  On  me  donne  aussi  force  atteintes  du  côté  de  Paris  et 
ici  pour  changer  de  système;  mais  il  n'en  sera  rien.  Je  suis  avec  res- 
pect, etc. 

«  Ddtertre.  ») 

Nous  allons  voir  maintenant  ce  que  devint  cet  altier  courage  quand 
la  tempête  éclata.  Dans  la  dernière  moitié  de  l'année  1712,  l'afiFaire 
d'André  à  Rouen  prit  un  très-mauvais  tour,  comme  nous  le  montre- 
rons tout  à  l'heure.  On  parla  sérieusement  à  Dutertre.  La  peur  le  prit, 
et,  dans  les  premiers  jours  de  janvier  17 13,  il  écrit  à  André  pour  lui 
annoncer  que,  tout  considéré,  il  ne  se  soucie  pas  de  subir  le  martyre 
pour  le  cartésianisme,  qu'il  abandonne  les  opinions  de  Malebranche  et 
qu'il  l'engage  à  en  faire  autant. 

AU    MÊME. 

«Ce  1 3  janvier  171 3. 

uj  appris  hier,  mon  très-cher  père  et  ami,  une  nouvelle  qui  me  met 
'  Il  s  agit  ici  évidemment  de  Malebranche. 


MAI  1843.  295 

dans  une  très-grande  inquiétude  par  rapport  à  vous.  Au  nom  de  Dieu , 
prenez  bien  garde,  dans  les  conjonctures  présentes,  à  ne  pas  faire  de  dé- 
marches qui  vous  engagent  dans  des  suites  encore  plus  fâcheuses  peut-  , 
être  quon  ne  peut  à  présent  prévoir.  Je  vous  dirai  franchement  que  je 
n'ai  jamais  cru  que  la  conscience  engageât  à  tenir  aucune  des  opinions 
du  P.  Mal.  et  qu ainsi  elle  demande,  les  choses  étant  comme  elles 
sont,  qu'on  les  abandonne ,  pour  ne  pas  résister  ouvertement  aux  ordres 
exprès  des  supérieurs  et  sexposer  à  vivre  éternellement  mal  content 
de  soi-même,  odieux  ou  à  charge  à  ceux  qui  nous  gouvernent,  ou  même 
à  quitter  Un  état  que  nous  devons  chérir  plus  que  toute  chose  au 
monde.  Permettez-moi,  s'il  vous  plaît,  cette  ouverture  de  cœur.  C'est 
ma  très-sincère  amitié  qui  me  fait  vous  parler  ainsi  et  je  vous  prie  de 
me  tirer  le  plus  tôt  que  vous  pourrez  de  l'inquiétude  où  je  suis  sur  le 
parti  que  vous  aurez  pris  par  rapport  aux  propositions  qu'on  a  du  vous 
faire  dimanche  ou  lundi.  Je  suis  avec  respect...  etc. 

«Ddtertre,  J.  » 

Au  bas  de  cette  lettre  est  écrit  de  la  main  du  P.  André  : 
«  J'ai  pris  le  parti  de  demeurer  ferme  dans  la  vérité  aux  dépens  de 
mon  repos  et  de  mon  bonheur  temporel.  »  Et,  à  côté  du  passage  de  la 
lettre  de  Du  tertre  oix  celui-ci  prétend  qu'il  n'a  jamais  cru  que  la  cons- 
cience engageât  à  tenir  aucune  des  opinioiïs  du  P.  Malebranche^  André 
a  mis  cette  apostille  :  «  Pourquoi  donc  le  dire  au  père  provincial  et  à 
tout  l'univers?»  D'ailleurs  nous  avons  vu  les  lettres  antérieures  de  Du- 
tertre  à  André.  Jusqu'ici,  du  moins,  ce  n'était  que  de  la  prudence,  une 
prudence,  il  est  vrai,  bien  vite  venue  et  ^ussée  bien  loin;  mais  Du- 
tertre  ne  s'arrêta  pas  dans  une  si  bonne  route.  Après  avoir  désavoué  par 
politique  le  système  de  Malebranche,  il  va  plus  loin,  et  de  nouvelles 
réflexions  très-promptement  faites  le  conduisent  à  penser  qu'en  eflet  ce 
système  est  faux,  même  dangereux,  et  que  les  raisons  des  supérieurs 
pour  le  combattre  sont  excellentes.  Il  ne  parie  plus  seulement  à  André 
comme  le  P.  Daniot  et  comme  Porée ,  mais  comme  Guymond  et  comme 
Ilardouin. 


AU    MÊME. 


«  A  Paris,  ce  a3  septembre  1713. 

«  J'ai  reçu,  mon  révérend  père  et  très-cher  ami,  votre  lettre  avec  un 
extrême  plaisir,  parce  que  j'étois  fort  en  peine  de  vous  depuis  sept  ou 
huit  mois.  Celui  qui  me  l'a  rendue  m'a  dit  qu  on  vous  destinoit  à  la 
procure  d' Amieas ,  mais  que  vous  paroissiez  peu  disposé  à  recevoir  cet 


296  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

emploi.  Pour  moi,  si  vous  vouliez  m'en  croire,  je  vous  conseiHero» 
|)remièrement  et  avant  toutes  choses  de  renoncer  sincèrement  et  de 
bon  cœur  aux  sentiments  que  les  supérieurs  désapprouvent,  afin  d*être 
en  état  d'aller  votre  chemin  et  de  répondre  aux  vues  qu  en  ce  cas 
ils  auroient  sur  vous.  J'eus  l'honneur  de  vous  écrire  ,  dès  le  com- 
mencement de  celte  année,  que  je  vous  croyais  obligé  devant  Dieu  à 
prendre  ce  parti  dans  des  conjonctures  où  les  supérieurs  se  déclarent  si 
nettement  et  si  fortement;  mais  je  vous  avouerai  franchement  que,  de- 
puis ce  temps-là,  j'ai  examiné  plus  sérieusement  que  jamais  les  matières 
dont  il  s'agit  et  les  raisons  des  supérieurs,  et  que  je  suis  très-convaincu 
tant  de  la  bonté  de  ces  raisons  que  de  la  fausseté  et  du  danger  de  la 
plupart  des  opinions  auxquelles  nous  avons  été  un  peu  trop  attachés. 
C'est  ce  qui  m'a  porté  moi  à  y  renoncer  hautement  et  de  bon  cœur, 
persuadé  qu'il  étoit  d'un  honnête  homme  d'en  user  ainsi,  et  de  mépri- 
ser, dans  cette  occasion,  certaines  petites  considérations  qui  pourroient 
iirrêter.  Néanmoins ,  comme  je  serois  déraisonnable  de  prétendre  que 
mon  exemple,  et  bien  moins  encore  mon  autorité,  fût  d'aucun  poids  sur 
vous  pour  vous  faire  changer  d'opinion  sur  des  matières  que  vous  êtes 
plus  capable  que  moi  d'examiner  et  d'approfondir,  l'autre  conseil  que 
j'aurois  à  vous  donner,  supposé  que  vous  ne  puissiez  gagner  sur  vous 
la  première  chose,  ce  seroit  d'accepter  l'emploi  qu'on  vous  propose; 
car  je  crains  que  les  remontrances  que  vous  feriez  ne  vous  attirent 
que  de  nouveaux  chagrins;  ce  qui  m'en  causeroit,  je  vous  proteste, 
beaucoup  à  moi-même;  car  je  vous  prie  d'être  très-persuadé  qu'on  ne 
peut  avoir  pour  personne  ni  plus  d'estime  ni  plus  de  sincère  attachement 
que  je  n'en  ai  pour  vous;  qJ  jamais  rien  ne  sera  capable  de  diminuer 
en  moi  ces  sentiments,  dans  lesquels  je  suis  de  tout  mon  cœur  et  avec 
respect,  mon  révérend  père  et  ami,  votre,  etc. 

«DOTERTRE,   J.  )) 

De  là  à  écrire  contre  Malebranche,  et  à  suivre  jusqu'au  bout  les  pro- 
positions du  P.  Guymond,  il  n'y  avait  plus  qu'un  pas  :  Dutertre  le  fran- 
chit rapidement.  Il  se  mit  à  l'œuvre  et  il  fit  paraître,  en  i  y  1 5,  un  livre 
intitulé  :  Réfutation  dan  nouveau  système  de  métaphysique  proposé  par  le 
P.  M. . . .  auteur  de  la  Recherche  de  la  vérité  y  Paris ,  chez  Mazières ,  in- 1  2  , 
3  vol.  Nous  n'avons  à  juger  ni  le  système  de  Malebranche ,  ni  la  réfu- 
tation du  P.  Dutertre.  Le  système  de  Malebranche  était  loin  d'être  ir- 
réprochable, et  nous  en  avons  nous-même  plus  d'une  fois  signalé  les 
défauts  \  Le  plus  grand,  qui  est  commun  à  Malebranche  et  à  tout  son 

r 

'  Voyez  l'Hisloire  de  la  philosophie  au  xvnT  siècle,  t.  I,  onzième  leçon  ,  p.  ^ay 


MAI  1843.  297 

siècle ,  est  de  sacrifier  un  peu  trop  la  liberté  de  Thomme  à  la  toute- 
puissance  de  Dieu ,  et  dans  Faction  et  dans  la  connaissance  ;  mais  entre 
ce  défaut  et  Tathéisrae  il  y  a  un  abime.  La  théorie  des  idées ,  qui  a  des 
côtés  admirables,  en  a  aussi  de  défectueux,  quWrnauld  avait  signalés 
bien  ^vant  les  jésuites.  Mais  encore  une  fois  ,  il  ne  s'agit  point  ici 
d  apprécier  le  mérite  intrinsèque  du  livre  du  P.  Dutertre;  nous  voulons 
montrer  seulement  quel  brusque  effet  la  persécution  produisit  sur  cet 
esprit  présomptueux ,  qui,  dans  l'intervalle  de  quelques  mois,  passant 
d'une  extrémité  à  l'autre,  après  avoir  repoussé  avec  éclat  les  proposi- 
tions du  P.  Guymond,  finit  par  aller  presque  au  delà,  et  par  accabler 
publiquement  de  sarcasmes  d'assez  mauvais  goût  celui  quil  appelait 
le  meilleur  et  le  plus  estimable  de  ses  amis.  En  effet,  l'ouvrage  du 
P.  Dutertre  contre  Malebranche  est  fort  souvent  imité  de  celui  du 
P.  Daniel  contre  Descartes.  Dès  les  premiers  mots  de  la  préface, 
voici  comment  il  s'exprime  sur  le  compte  de  Malebranche  :  a  Après 
avoir  employé  quelque  temps  à  l'étude  des  toiu*billons  de  M.  Des- 
cartes, cet  auteur  commençait  à  s'ennuyer  de  voyager  toujours  dans 
im  monde  matériel  (ceci  ne  rappelle-t-il  pas  le  Voyage  du  monde  de 
Descartes  par  le  P.  Daniel  ^  ?  ) ,  lorsque  tout  à  coup  il  lui  sembla  voir 
s'ouvrir  devant  lui  une  autre  espèce  de  monde  purement  intelligible, 
où  un  soleil  intelligible  découvrait  aux  pures  intelligences  mille  et  mille 
beautés  intelligibles.  Il  n'hésita  pas  un  moment  à  y  passer,  et,  dès  que 
l'œil  de  son  esprit  fut  un  peu  remis  de  l'éblouissement  que  lui  avait 
causé  la  clarté  inusitée  de  cette  idéale  région ,  il  eut  la  satisfaction  dq 
connaître  avec  une  entière  évidence  que  ce  monde  intelligible  était 
le  Verbe  de  Dieu.  »  Et  ailleurs  :  a  II  s'applique  à  examiner  de  quel  côté 
il  devait  tourner  pour  trouver  dans  le  monde  philosophique  un  nou- 
veau pays  où  personne  ne  Teût  précédé.  Cela  ne  lui  lut  pas  aisé  ;  la 
logique  était  depuis  longtemps  défrichée,  outre  qu'elle  paraissait  à 
notre  voyageur  une  terre  bien  maigre.  M.  Descartes  avait  peuplé  toutes 
les  contrées  de  la  physique,  et  les  habitants  s'étaient  si  fort  multipliés, 
qu'on  avait  été  obligé  d'envoyer  de  grosses  colonies  dans  le  royaume  de 
la  lune  et  dans  toutes  les  planètes....  »  Il  y  a  cent  passages  de  ce  genre^. 

de  la  nouvelle  édition  de  i84ii  et  le  second  arlicle  sur  la  Correspondance  inédite 
de  Mairan  et  de  Malebranche,  Journal  des  Savants ,  décembre  1SI12,  —  ^  Paris, 
1690;  nouv.  édit.  1703.  —  *  U  y  a  un  autre  ouvrage  de  Dutertre,  fort  peu  connu, 
intitulé  :  Le  philosophe  extravagant  dans  le  Traité  de  l'action  de  Diea  sur  les  créatures, 
Bruxelles ,  1 7 1 6 ,  où  butertre  affecte  le  même  ton ,  qui  est  un  peu  plus  de  mise 
contre  Boursier  que  contre  Malebranche.  Il  faut  dire  que,  dans  ce  second  ouvrage, 
Maldnrancke  est  plus  ménagé,  notamment  p.  118. 

38 


298  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Voilà  le  livre  que  Dutertre  adresse  à  André  par  une  lettre  du  i  o  oc- 
tobre 1  7 1  5 ,  en  lui  demandant  son  avis  avec  un  air  de  triomphe.  André 
parait  selre  borné  à  lui  répondre  quil  ne  pouvait  lui  dire  son  senti- 
ment, parce  qu'il  craignait  de  trahir  ou  la  vérité  ou  la  charité.  Dutertre 
(lettre  du  g  janvier  1716)  trouve  ce  parti  très-sage  et  très-édifiant,  D  se 
plaint  avec  amertiune  que  les  cartésiens  et  les  malebranchistes  ne  l'é- 
pargnent point  ;  il  énumère  avec  faste  tous  les  sulïrages  que  son  livre 
obtient;  «en  un  mot,  dit-il,  vos  bons  amis  sont  encore  à  mé répondre 
une  syllabe;  et  des  gens  de  lettres,  je  dis  des  séculiers,  m'ont  assuré 
qu  ils  ne  sauroient  par  où  s'y  prendre ,  ce  qui  ne  fait  pas  grand  honneur 
à  la  secte.  Au  reste,  mon  révérend  père ,  ne  croyez  pas  que  je  vous  dise 
cela  par  une  sotte  vanité;  vous  me  connoîtriez  mal;  je  vous  le  dis  par 
pure  charité,  parce  que  je  suis  fâché  de  vous  voir  tenir  une  conduite 
qu'on  ne  peut  attribuer  qu'à  l'entêtement,  et  j'ai  cru  que  ce  détail 
pourroit  peut-être  avoir  quelque  bon  effet.  » 

Ici  s'arrête  la  correspondance  des  deux  anciens  amis.  Tandis  que  l'un 
désavouait  en  au$si  peu  de  temps  et  avec  si  peu  de  ménagement  ses 
premières  opinions,  celui  qu'il  avait  d'abord  accusé  d'un  peu  de  fai- 
blesse y  demeura  fidèle;  nulles  menaces  ne  purent  l'ébranler.  Il  main- 
tint avec  modération,  mais  avec  fermeté,  ses  convictions  cartésiennes. 
Ne  pouvant  résister  à  la  force,  il  se  soumet,  mais  en  se  soumettant  il 
proteste  encore. 

Au  miheude  l'année  1712,  le  père  provincial  envoya  à  André  un 
formulaire  à  signer  et  à  dicter  à  ses  écoliers.  Sans  s'y  refuser  absolument, 
André  adressa  au  père  provincial  une  lettre  où  il  le  prie  de  ne  point 
exiger  de  lui  cette  rétractation  publique.  La  première  correspondance 
faisait  allusion  à  cette  lettre  que  nous  possédons  aujourd'hui. 

«  Mon  très-révérend  père , 

«J'ai lu  l'écrit  que  notre  révérend  père  recteur  m'a  communiqué  de 
la  part  de  votre  révérence.  Je  n'ai  point  de  peine  à  enseigner  les  opi- 
nions que  l'on  m'y  a  marquées,  même  les  plus  contraires  à  mes  senti- 
mens  particuliers.  Je  crois  le  pouvoir  faire  sans  manquer  à  la  sincérité 
chrétienne,  parce  que,  dans  les  chosps  que  l'on  enseigne  dans  les  col- 
lèges ,  et  qui  n'appartiennent  point  aux  dogmes  de  la  foi,  on  doit  ou  du 
moins  on  peut  présumer  que  c'est  la  robe  qui  parle  et  non  pas  la  per- 
sonne; et,  de  plus,  parce  qu'il  semble  à  propos  qu'il  y  ait  là-desstis, 
dans  un  corps ,  quelque  règlement  uniforme ,  de  peur  que  chacun ,  sous 
prétexte  de  vérité,  ne  s'avisât  de  débiter  toutes  ses  visions.  Bien  ou 
mal,  ce  sont  les  raisons  qui  m'ont  déterminé,  contre  mon  inclination. 


MAI  1843.  299 

à  entier,  par  pure  obéissance,  dans  le  métier  que  je  fais.  Mais,  mon  ré- 
vérend père,  en  môme  temps  que  je  vous  déclare  que  je  suis  prêt  à 
vous  obéir  sans  réserve,  en  enseignant  les  opinions  de  la  compagnie, 
permettez-moi  de  vous  représenter,  avec  tout  le  respect  que  je  dois  à 
votre  dignité  et  à  votre  personne,  qu'il  ne  rrte  paroit  aucunement  à  pro- 
pos que  je  fasse  une  rétractation  aussi  publique  et  aussi  solemnelle  que 
votre  révérence  me  la  demande. 

«  1**  C'est  un  éclat  qui  ne  peut  avoir  dans  le  monde  que  de  fort 
mauvais  effets.  Tout  ce  que  j'ai  enseigné  jusqu'ici  n'y  a  presque  fait  au- 
cune sensation ,  et  il  semble  qu'il  n'est  pas  juste  d'exiger  un  réparation 
publique  pour  un  scandale  qui  n'a  point  été  public. 

«  2®  C'est  une  espèce  de  formulaire  que  vous  me  donnez  à  publier,  et 
qui  réveillera  dans  les  esprits,  déjà  prévenus  conti'e  nous,  des  idées  qui 
ne  peuvent  nous  être  que  fort  désavantageuses,  surtout  dans  les  matières 
en  question.  Il  ne  s'agit  plus  de  la  foi,  dira-t-on,  et  cependant  vous 
voyez  l'âpreté  de  leur  zèle  pour  les  opinions  qu'ils  ont  une  fois  embras- 
sées. Je  vous  prie  donc,  mon  révérend  père,  d'épargner  mon  honneur 
pour  celui  de  la  compagnie,  qui  en  est  inséparable  dans  cette  conjonc- 
ture. Cependant,  si  c'est  une  chose  absolument  arrêtée  que  je  dicte 
une  rétractation  publique  des  opinions  que  je  n'ai  jamais  enseignées 
ni  eu  dessein  d'enseigner,  je  veux  bien,  mon  révérend  père,  abandon- 
ner mon  honneiu*  et  en  faire  un  sacrifice  à  l'obéissance,  mais  je  ne  puis 
abandonner  ni  sacrifier  la  sincérité  chrétienne.  Vous  m'ordonnez  de 
faire  une  .protestation  publique,  que  je  tiens  pour  très-vraies  des  opi- 
nions que  je  tiens  pour  évidemment*  fausses,  et  pour  suspects  dans  la 
foi  des  auteurs  que  je  tiens  pour  très-orthodoxes.  Je  ne  trouye  dans  leurs 
écrits  que  des  erreurs  philosophiques,  et  vous  voulez  que  je  déclare  que 
j'y  trouve  des  hérésies.  Pardonnez-moi,  mon  révérend  père,  si  j'ose  vous 
le  dire^  :  que  Ton  me  flétrisse,  que  l'on  m*accable,  j'y  suis  prêt;^ais  je 
ne  ferai  point  un  pareil  mensonge  à  la  face  du  public ,  et  je  n'irai  point 
censurer  sans  aucun  droit  des  philosophes  très-catholiques ,  contre,  la 
persuasion  intime  où  j^  suis  de  la  pureté  de  leur  foi.  Je  les  combattrai 
s'ils  ont  des  erreurs,  mais  je  ne  flétrirai  jamais  des  auteurs  dont  \fi  vertu 
et  la  religion  paraissent  à  chaque  page  de  leurs  écrits,  du  moins  à  mes 
yeux.  Je  mériterois  par  un  mensonge  si  abominable  les  mauvais  traite- 
ments que  j'ai  soufferts,  et  je  n'auroîs  plus  de  quoi  me  consoler  dans 
^utes  les  disgrâces  que  je  vois  prêtes  ^  fondre  sur  moi,  si  je  les  avois 
méritées  par  un  mensonge  et  par  une  calomnie. 

'  Voy.  ioàniatiÉs  Savants,  janvier  i84i«  p-  i4- 

58. 


êr> 


300  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

u  Ainsi,  mon  révérend  père,  s  il  est  résolu  que  je  fesse  quelque  chose, 
non  pas  pour  apaiser  les  cris  du  public  qui  ne  dit  mot ,  mais  les  mur- 
mures de  quelques  particuliers,  dont  je  ne  veux  rien  dire  par  réserve , 
je  vous  supplie  de  foire  changer  tellement  les  termes  du  formulaire ,  que 
je  le  puisse  dicter  en  mon*^ propre  nom,  sans  blesser  en  aucune  sorte 
ni  la  sincérité,  ni  la  justice,  ni  la  charité.  Certainement,  mon  révérend 
père,  je  ne  devrois  pas  être  réduit  à  vous  demander  cela  comme  une 
grâce.  C'est  pourtant  la  seule  que  je  vous  demande,  ^ous  promettant, 
du  reste,  que  tout  ce  que  je  puis  foire  sans  crime  pour  vous  contenter, 
je  le  ferai  sans  peine.  Mais  que  j'aille  faire  profession  ouverte  de  tenir 
pour  très-vrai  ce  que  je  tiens  pour  très-faux ,  telles  que  sont  les  opinions 
que  Ton  me  spécifie  sur  la  nature  des  idées;  que  j'aille  donnera  croire 
que  j'ai  jamais  eu  le  moindre  sentiment  contraire  aux  décisions  des 
conciles  de  Trente  ou  de  Constance  ou  de  Vienne,  soit  sur  la  nature 
de  nos  âmes  ou  sur  le^ mystère  adorable  de  mon  maître;  que  j'aille  ma- 
lignement décrier  en  n:|atière  de  religion  des  auteurs  illustres  qui  n'ont 
erré  qu'en  matière  de  philosophie  ;  que  j'aille  enfin ,  contre  toute  vé- 
rité, me  faire  passer  moi-même  pour  un  aveugle  sectateur  de  leurs 
opinions  singulières,  malgré  l'horreur  naturelle  que  j'ai  toujours  eue 
pour  l'esprit  de  secte  et  de  cabale,  quoique  jamais  (xlans  les)  matières 
philosophiqilfe  je  ne  rendis  hommage  qu'à  la  raison,  et  quoique  je 
combatte  sincèrement  ces  auteurs  en  plusieurs  endroits  de  mes  écrits , 
et  peut-être  avec  plus  de  force  que  ceux  qui  m'accusent  de  les  suivre , 
par  exemple  TVI.  Descartes  dans  presque  toute  sa  métaphysique,  et  le 
P.  Malebranche  dans  tout  ce  qui  regarde  la  manière  d'expliquer  l'acte 
libre  de  notre  volonté  ;  pardonnez-moi ,  mon  révérend  père,  je  vous  dé- 
clare que  je  ne  rendrai  jamais  faux  témoignage,  ni  contre  moi-même, 
ni  contre  personne;  c'est  bien  assez  que  les  autres  me  calomnient;  il  y 
a  longtemps  que  je  le  souffre ,  et.  Dieu  merci ,  en  patience. 

«  Vçtre  révérence  sait  elle-même  qu'il  y  avoit  une  calomnie  atroce 
dans  le  petit  extrait  qu'elle  me  lut  à  la  visite ,  et  qu'apparemment  ce 
fut  poyr  cette  raison  qu'elle  ne  voulut  jamais  me  le  mettre  dans  les 
mams,  malgré  mes  instances  et  peut-être  malgré  la  justice.  Il  y  en  a 
deux  pîresque  aussi  énormes  dans  l'écrit  que  vous  m'envoyez.  i°  Que 
lan  passé,  pour  peu  qu'on  me  poussât  dans  les  disputes,  il  y  avoit  tou- 
jours du  malebranchisme  dans  mes  dernières  réponses;  2°  Qu'à  certaine 
dispute,  que  l'on  n'a  garde  de  marquer,  je  parlai  d'une  manière  peu  or- 
thodoxe du  libre  arbitre.  Ce  sont  des  faits  absolument  faux  et  calom- 
nieux. Le  premier  ne  peut  être  avancé  que  par  des  gens  peu  instruits, 
qui  prennent  pour  malebranchisme  tout  ce  qu'ils  n'entendent  pas  ou 


MAI  1843.  301 

peut-être  aussi,  pour  ne  rien  dire  de  plus,  tout  ce  qui  est  assez  clair  pour 
être  entendu  sans  peine.  Mais,  pour  le  second  fait,  ce  nVst  plus  igno- 
rance ;  la  vérité  m'oblige  à  vous  déclarer  que  c  est  une  imposture  abo- 
minable^ et  dont  je  ne  manquerois  point  de  vous  demander  justice,  si 
j'étois  en  état  de  pouvoir  Tobtenir,  et  que  Ton  pût  être  dans  là  dispo- 
sition de  me  la  rendre.  Mais  je  me  tiendrai  encore  trop  heureux  si  Ton 
veut  bien  ne  me  faire  aucune  violence.  Je  prie  Dieu,  par  N.  S.  J.-C. ,  de 
calmer  votre  esprit  irrité  par  de  faux  rapports,  par  de  mauvais  con- 
seillers, peut-être  plus  encore  par  de  mauvais  soupçons,  et  de  tempé- 
rer par  sa  douceur  la  vivacité  de  votre  conduite ,  qui  ne  peut  avoir 
que  des  suites  fâcheuses  dans  la  compagnie  et  dans  le  monde.  Principes 
(jentium  dominantur  eoram  ;  vos  autem  non  sic.  Je  vous  demande  pardon , 
mon  révérend  père,  de  la  liberté  que  je  prends,  dans  les  circonstances 
où  vous  me  réduisez,  il  semble  quil  me  doit  être  permis  de  dire  quel- 
que vérité  pour  me  défendre  de  tant  de  faussetés  que  l'on  m'attribue. 
En  tout  pas,*nîon  révérend  père,  je  suis  prêt  à  tout  événement:  Si  dixe- 
ris  mihi:  non  places,  prœsto  sum;  si  vous  me  dites  même  :  Satrapis  non  pla- 
ces, je  suis  prêt  à  obéir  dans  tout  ce  que  je  pourrai  faire  sans  désobéir  à 
Dieu.  C'est  en  lui ,  et  dans  l'union  de  son  esprit  saint,  que  je  suis ,  avec 
un  profond  respect...  etc.» 

Cette  lettre,  lofti  de  calmer  le  père  provincial ,  l'aigrit  au  contraire, 
et  il  exigea  du  P.  André  une  profession  de  foi  sur  chacun  des  articles 
du  formulaire.  Nous  n'avons  pas  ce  formulaire ,  mais  la  réponse  d'An- 
dré nous  le  fait  connaître  suffisamment.  Elle  roule  précisément  sur  les 
points^  consignés  dans  la  jrièce  célèbre  appelée  par  Bayie  Concordat 
entre  les  jésuites  et  les  pères  de  V  Oratoire  \ -à  savoir  les  accidents  absolus, 
l'essence  de  l'âme,  l'esisence  du  corps,  les  formes  substantielles,  l'union 
de  l'âme  et  du  corps,  la  nature  des  idées,  les  idées  claires,  l'action  des 
esprits ,  etc.  Sur  toutes  ces  questions  André  s'explique  de  la  manière  la 
plus  catégorique.  Nous  sommes  heureux  de  posséder  et  de  pouvoir  pu-. 
bUer  ce  morceau  important. 

^      «  i"  décembre  1712. 
«  Mon  très-révérend  pèr^pr , 

((  Quelque  sensible  que  je  sois  à  l'outrage  que  l'on  me  fait ,  en  jetant  des 
soupçons  si  cruels  sur  ma  religiojjj^et  sur  ma  bonne  foi,  je  ne  m'en  plain- 
drai ppint  à  votre  révérenpe;  je  me  contenterai  de  la  prier  très-lmmble- 

*  Recueil  de  quelques  pièces  curieuses  concernant  la  philosophie  de  M.  Dpscartes,  hmr 
sterdaiii,  i684. 


# 


302  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ment  de  lire  avec  un  peu  d  attention  et  d'équité  l'exposition  que  je  lui  en- 
voie de  mes  sentiments  sur  tous  les  articles  en  question.  S'il  y  en  a  un 
seul  qu'il  ne  soit  pas  permis  d'avoir  dans  l'Eglise,  et  qui  n'ait  pour  garant 
des  auteui's  dont  la  foi  ne  peut  être  suspecte ,  je  m'offre  à  le  quitter 
sans  réplique  et  à  l'instant  môme  qu'on  me  le  fera  connoître.  Mais  je 
demande  une  grâce  à  ceux  qui  en  feront  l'examen  ,  et  qu'il  semble  que 
l'on  devroitme  nommer  selon  les  règles  de  la  justice,  c'est  de  n'être 
point  déterminés  à  regarder  comme  hérétiques  tous  ceux  qui  n'ont  pas 
le  bonheur  d'être  de  leur  opinion.  A  cela  près  je  ne  crains  rien,  et  les 
juges  les  plus  éclairés  me  seront  toujours  les  plus  agréables.  Voici  donc 
la  profession  de  foi  que  l'on  me  demande. 

«  I.  Sur  les  accidents  absolus. 

«  Sur  le  mystère  de  la  sainte  eucharistie,  je  dis  anathème  avec  toute 
l'Église,  à  Zuingle,  à  Calvin,  à  Wiclef  et  à  Luther,  etc.  Je  crois  que 
N.  S.  Jésus-Christ,  Dieu  et  homme,  corps,  âme  et  divinité ,  se  trouve 
réellement  et  identiquement,  substantiellement  et  proprement  dans 
toutes  les  hosties  consacrées,  et  dan$  chaciuie  de  leurs  parties,  du 
moins  après  leur  séparation;  que  toute  la  matière  du  pain  et  du  vin  se 
change  véritablement  au  corps  et  au  sang  de  Jésus-Christ,  notre  bon 
pasteur  et  notre  vraie  nourriture,  non-seulement  spirituelle  mais  cor- 
porelle; que  cette  conversion  admirable  est  justement  appelée  tran- 
substantiation  ^  dans  un  sens  propre  et  très-convenable  à  la  chose 
signifiée;  qu'après  ce  changement  miraculeux  et  singulier  il  ne  reste 
rien  du  pain  et  du  vin  que  les  seules  espèces.  Enfin,  je  ti'anscrirai,  si 
l'on  veut ,  tout  ce  que  les  conciles  de  Trente ,  de  Latran  et  de  Constance , 
nous  obligent  à  croire  là-dessus;  car  je  le  crois  expressément  et  dis- 
tinctement comme  un  dogme  de  foi  révélé  de  Dieu,  et  proposé  par 
son  Église  â  la  croyance  de  tous  les  fidèles  :  je  suis  prêt  de  le  démon- 
trer contre  tous  les  hérétiques,  et  de  le  signer  de  tout  mon  sang.  Mais 
je  ne  crois  pas  que  Dieu  ait  révélé  ,  ni  dans  l'Ecriture,  ni  dans  la  tradi- 
tion, ni  par  la  voix  de  son  Église,  ni  en  termes  exprès,  ni  par  consé- 
quence ,  qu'il  y  ait  des  accidents  absolus  ^ans  le  saint  sacrement  de  l'au- 
tel ,  ni  que  ces  accidentg  qui  y  restent  sans  sujet  soient  l'extension  de  la 
quantité  du  pain  et  du  vin,  et  moins  4Micore  que  Tessence  du  corps  ne 

■  •  * 

*  La  prétention  d'expliquer  le  mystère  de  la  transsubstantiation  est  une  des  fautes 
qui  firent  le  plus  de  tort  au  cartésianisme.  Sur  ce  point  obscur  de  Thistoire  dç  |||- 
pbilosophie  cartésienne  nous*  possédons  des  tiocuments  importants  et  la  plupart 
inédits,  que  nous  ferons  connaître  un  jour. 


.^ 


MAI  1843.  303 

consistB  point  dans  retendue,  je  ne  dis  point  déterminée,  je  reconnois 
que  c'est  une  erreur  de  M.  Descartes,  mais  dans  quelque  étendue  in- 
déterminément. 

u  Voici  les  raisons  que  j'ai  de  douter  que  ce  soient  là  des  articles  de 
foi,  et  que  je  prie  d'examiner  sans  prévention  et  devant  le  Seigneur, 
•qui  ne  veut  point,  il  est  vrai,  que  Ton  retranche  rien  de  sa  parole,  mais 
qui  ne  veut  pas  aussi  que  ïon  y  ajoute. 

u  1°  Le  saint  concile  de  Trente,  qui,  dans  cette  matière,  est  la  règle 
la  plus  juste  que  nous  puissions  avoir  de  notre  foi,  et  qui  me  semble 
avoir  décidé  clairement  tout  ce  que  nous  devons  croire ,  ne  fait  aucune 
mention  de  ces  accidents  absolus;  il  ne  parle  que  d'espèces  qui  restent, 
seules,  dit-il,  après  la  consécration  :  manentibas  duntaxat  speciebus. 
Pourquoi  s  est-il  servi  si  constamment,  et  dans  les  canons  et  dans  les 
chapitres,  de  ce  mot  d'espèces;  et  pourquoi  ne  s  est-il  jamais  seiTi  du 
mot  d'accidents ,  s'il  a  voulu  faille  un  article  de  foi  des  accidents  absolus? 
ou  plutôt  n'est-il  pas  manifeste,  et  par  son  silence  et  pai'  le  terme  dont  il 
a  pour  ainsi  dire  affecté  de  se  servir,  qu'il  a  regardé  ce  point  comme 
étranger  à  la  foi,  dont  il  avoit  dessein  d'établir  le  dogme  sans  en- 
trer dans  les  questions  sur  lesquelles  les  docteurs  catholiques  étoient 
partagés,  comme  l'histoire  de  Palavicin  le  remarque  en  plusieurs 
endroits  ? 

«  2°  Depuis  le  concile  de  Trente  on  a  toujours  vu  dans  l'Eglise  des 
docteurs  très-orthodoxes  qui  ont  soutenu  qu'il  ne  restoit  dans  l'eucha- 
ristie, après  la  consécration,  que  les  pures  apparences  du  pain  et  du 
vin ,  sans  rien  d'absolu.  Pour  en  être  persuadé  il  n'y  a  qu'à  lire  le  cé- 
lèbre P.  Maignan,  Appendice  qainta  ad  philosophiam  sacramy  etc.  '. 

«  3*  Il  paroît  évident ,  par  la  lecture  des  anciens  auteurs ,  que  ce  que 
l'on  a  d'abord  appelé  accident  n'étoit  autre  chose  que  les  qualités  sen- 
sibles de  couleur,  d'odeur,  de  saveur,  etc.;  qu'ensuite  on  y  ajouta  la 
quantité  ou  l'extension  de  la  matière  dii  sacrement,  et  que  de  là  on  a 
conclu  enfin  l'existence  de  cette  espèce  d'être  qu'on  a  depuis  appelé 
dans  l'école  accident  absolu ,  à  ce  qu'il  me  paroit  sans  aucun  fonde- 
ment dans  la  tradition  des  saints  Pères. 

«  4*  On  soutient ,  tous  les  jours ,  dans  les  écoles  les  plus  catholiques, 
que  l'essence  du  corps  consiste  dans  quelque  étendue  indétenninément , 
et  il  est  impossible ,  dans  quelque  opinion  cpie  l'on  soit,  de  concevoir 
autrement  la  substance  corporelle.  Toute  la  géométrie  est  fondée  sur 

^  Père  minime ,  ué  à  Toulouse  en  1 6o  i ,  professeur  à  Rome ,  à  la  Trinité-du-Mont , 
en  i636,  mort  en  i6g6,  auteur  d*un  cours  de  philosophie  estimé  et  de  la  Philo- 
sophia  sacra,  1663  et  167a. 


V  * 


304  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

celte  notion  claire  du  corps.  L'Écriture  sainte  elle-même  ne  nous  en 
donne  point  d'autre.  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  la  suppose  évidem- 
ment. Saint  Augustin  y  est  formel  dans  presque  tous  ses  ouvrages,  prin- 
cipalement dans  le  livre  qui  a  pour  litre  De  la  (juantité  de  Vâme,  dont  le 
dessein  est  de  faire  voir  que  Tâme  est  quelque  chose  de  très-réel,  quoi- 
qu'elle ne  soit  point  corporelle ,  c  est-à-dire  étendue  en  longueur,  largeur 
et  profondeur,  comme  lui-même  s'en  explique.  Videtar  enim  mihi  qaasi 
nihil  esse  anima  si  nihilesthorum,  lui  dit  son  interlocuteur;  et  je  dis  après 
lui  avec  bien  plus  de  raison  :  Videtar  mihi  nihil  esse  corpas,  si  nihil  est 
horam,  c.  m,  E.  edit.  Lovant 

«Cependant,  mon  révérend  père,  je  suis  prêt  de  soutenir  ce  pre- 
mier article,  tel  qu'on  me  le  prescrit,  pourvu  qu'on  ne  m'oblige  point, 
contre  ma  conscience ,  à  m'en  faire  un  article  de  foi ,  avant  la  décision 
de  l'Église. 

«  II.  Sur  Tessence  de  rame. 

((Dans  le  second  article,  je  crois  qu'il  y  a  des  expériences  qui  prou- 
vent assez  bien  que  l'âme  pense  dès  le  ventre  de  la  mère  ;  mais  je  n'ai 
point  de  peine  à  croire  qu'elle  puisse  absolument  être  sans  penser  ;  car 
Dieu  est  bien  puissant,  et  je  ne  connois  pas  assez  clairement  l'essence 
de  l'âme  pour  en  parler  aussi  décisivement  que  les  cartésiens. 

«  ni.  Sur  ressence  du  corps. 

,  uPour  ce  qui  est  de  l'essence  du  corps,  je  suis  persuadé  avec  saint 
Augustin ,  par  l'idée  claire  que  nous  en  avons  et  que  la  foi  suppose  sans 
la  détruire,  quelle  consiste,  non  pas,  comme  le  prétend  M.  Descartes, 
dans  une  étendue  déterminée ,  mais  dans  quelque  étendue  indéterminé- 
ment,  comme  je  l'ai  déclaré  ci-dessus.  A  l'égard  delà  pénétration,  je 
ne  crois  pas  que  les  saints  Pères  en  aient  jamais  parlé  dogmatiquement, 
du  moins  quand  on  y  ajoute  le  terme  proprement  dite.  Les  Pères  de 
Trente  n'en  disent  pas  un  mot  dans  un  si  grand  nombre  de  décisions 
et  d'explications  sur  le  mystère  de  la  sainte  eucharistie,  et  l'on  sait  assez 
que  l'on  peut  expliquer  tous  les  miracles  dont  on  me  parle  sans  avoir 
recours  à  aucune  pénétration  proprement  dite  ;  et  cela  en  plusieurs  ma- 
nières que  mes  examinateurs  sauront  mieux  que  moi.  Il  est  clair  qu'il 
suffit,  pour  le  dessein  de  l'Évangile  et  des  saints  Pères  qui  l'interprètent , 
que  ces  passages  du  corps  de  Notre  Seigneur  soient  nairaculeux  et  surna- 

'  Edit.  des  bénédictiDs ,  1. 1,  p.  4o3. 


MAI  1843.  305 

reis ,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'y  rien  admetU'e  qui  clioque  manifeste- 
ment la  raison.  En  un  mot,  je  ne  crois  pas  que  Ton  en  puisse  faire  un 
dogme  de  bonne  foi,  ce  qui  ne  m'empêchera  point  de  l'enseigner  de  la 
manière  la  plus  commune. 

«  IV.  Sur  les  formes  substantielles. 

(1  Je  tiens ,  contre  certains  philosophes ,  que  Dieu  peut  faire  un  nombre 
infini  de  substances  qui  ne  soient  ni  esprit  ni  corps;  mais  je  suis  en 
même  temps  convaincu  qu'il  y  a  une  manifeste  contradiction  qu'il 
tire  ou  qu'il  éduise  de  la  matière  quelque  substance  qui  ne  soit  pas  ma- 
tière, qui  soit  plus  noble  que  la  matière,  qui  soit  capable  de  connoître, 
de  sentir,  d'avoir  des  appétits,  proprement  ainsi  appqjiés,  etc.  Ce  senti- 
ment, pris  k  la  rigueur  et  joint  à  celui  qui  veut  que  les  corps  n'aient 
essentiellement  aucune  étendue  actuelle,  me  paroît  détruire  absolument 
la  preuve  la  plus  belle  et  la  plus  convaincante  de  l'immortalité  de  l'âme. 
De  plus ,  une  âme  est  assez  inutile  à  une  bête ,  puisque  cette  âme  même 
a  besoin  d'une  détermination  étrangère  pour  être  déterminée  à  une 
chose  plutôt  qu'à  une  autre.  Il  est  vrai  que  la  pure  machine  est,  d'un 
autre  côté,  bien  difficile  à  soutenir,  cela  révolte;  mais  il  me  semble  que 
l'ignorance  où'  nous  sommes  des  ressorts  et  des  organes  qui  la  compo- 
sent en  fait  toute  la  difficulté.  Cependant  je  ferai  là-dessus  tout  ce  qiîe 
l'on  voudra. 

«V.  Sur  funion  de  famé  et  du  corps. 

«  Pour  le  cinquième  article  je  le  crois  intérieurement  et  dans  toute 
son  étendue ,  par  raison  autant  que  par  soumission  au  saint  concile  de 
(Vienne?). 

«  VI.  Sur  la  nature  des  idées. 

«Sur  la  nature  des  idées  je  ne  tiens  que  le  pur  sentiment  de  saint 
Augustin,  qui  a  soutenu  évidemment  :  i°  que  nos  idées  étoient  distin- 
guées de  nos  perceptions;  q**  que  nos  idées  étoient  en  Dieu.  Pour  s'en 
convaincre,  à  n'en  pouvoir  douter,  il  n'y  a  qu'à  lire  attentivement  son 
livre  De  magistro,  le  second  Da  libre  arbitre,  le  livre  des  83  questions, 
q.  A6,  le  livre  Xn*  De  la  Trinité,  le  X*  de  ses  Confessions,  etc.;  mais, 
pour  en  épargner  la  peine  à  mes  censeurs,  permettez-moi,  mon  révé- 
rend père,  d'en  rapporter  ici  un  passage  décisif,  et  sur  lequel  seul  je 

39 


306         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

confieas  quils  me  jugent.  Il  est  tiré  da  livre  des  83  questions ,  q.  1x6^.. 


'4>* 


«B  esit  donc  ckir,  mon  révérend  père,  que,  selon  saint  Augustin, 
i"*  il  y  a  des  idées  en  Dieu;  2°  Fâme  raisonnable  voit  ces  idées  quand 
elle  se  détache  Tesprit  et  le  cœur  des  choses  terrestres  qui  pourroient 
obscurcir  son  œil  intérieur;  3**  que  chaque  chose  a  son  idée  en  Dieu, 
formellement  distinguée  de  toute  autre  idée,  et,  par  conséquent ,  que 
To^  peut  voir  Tune  sans  voir  Tautre ,  Tidée  de  Thomme  sans  voir  l'idée 
du  cheval,  et,  par  conséquent,  voir  l'idée  des  corps  sans  voir  l'idée  des 
esprits,  et,  par  conséquent  encore,  voir  les  idées  des  créatures  sans 
vou*  forqaellement  Tessence  divine,  si  ce  n*est  de  la  manière  qu'il  est 
écrit:  omnes  vident  eam,  unasquisque  intuetar  procul  :  c'est-à-dire,  en  un 
mot,  que  l'on  peut  voir  Dieu  en  tant  que  participable  par  les  créatures, 
sans  le  voir  proprement  et  formellement  en  tant  qu'il  est  incommuni- 
cable, et,  si  j'ose  ainsi  dire,  imparticipable.  Tout  cela,  mon  révérend 
père,  est  évidemment  de  saint  Augustin,  qui  n'étoit  pourtant  pas  un 
fanatique,  ni  un  hétérodoxe,  comjxte  vous  permettrez  que  Ton  m'appelle 
sans  que  j'y  aie  donné  la  moindre  occasion^  Ce  grand  docteur  de  l'Eglise 
ne  crut  pas  être  un  visioimaire  pour  être  dans  ces  sentim.ents;  et,  quoi- 
qu'il assurât  que  l'âme  raisonnable  voit  en  Dieu  les  idées  éternelles, 
nulla  interposita  natara,  c'est-à-dire,  si  je  ne  me  trompe,  immédiatement, 
i^ûe  crut  pas  pour  cela  que  l'on  en  pût  conclure  que  nous  voyons  clai- 
rement l'essence  de  Dieu  dès  ce  monde ,  ni  que  son  opinion  pût  jamais 
être  confondue  ridiculement  avec  des  hérésies  qu'il  a  lui-même  com- 
battues (les  Anoméens).  M.  de  Cambrai,  depuis  ta  page  1 7 1  jusqu'à  226. 

«  VIL  Sur  les  idées  diiiresv 

«Je  conviens  que  nous  avons  bien  des  idées  obscures,  les  unes  parce 
qu'elles  sont  vagues,  indéterminées,  et  comme  dans  un  éloignement 
infini,  et  les  autres  parce  que  les  ténèbres  de  nos  sentiments  les  obscur- 
cissent, les  troublent  et  les  confondent.  Ainsi  je  n'ai  point  de  peine  sur 
cet  article. 

«VIII.  Sur  l'action  des  esprits,  etc. 

«  Jen  ai  encore  moins  sur  l'action  de  fâme.  Mais  est-ii  possible  qu'a- 
près avcnr  soutenu  si  publiquement,  contre  le  père  Malebranche,  que 
Tâme  agit  réellement  et  physiquement  en  elle-même,  qu'elle  se  modifie, 

^  fidit.  de^ .bénédictins ,  t  VIv  p.  1 7. 


MAI  1843.  i  309 

qu'elle  se  détermine  par  une  action  positive  dont  «lie  est  TédtaUement 
cause  efficiente  t  on  me  vienne  opposer  aujourd'hui  lÉion  propre  senti- 
ment  comme  un  remède  à  mes  erreurs?  Faites  lire,  mon  révétiend 
père,  le  traité  de  lame  que  j*ai  dicté  à  Amiens^;  vous  y  trouterex  des 
preuves  convaincantes  que  je  ne  r^rde  point  cet  auteur  comme  mon 
maître,  et  que  je  labandonne  quand  il  abandonne  lui-même  la  vérité,  qui 
seule  a  droit  de  régner  sur  les  esprits.  Pour  ce  qui  r^rde  l'action  dei 
esprits  sur  les  corps ,  et  particulièrement  l'action  de  Tâme  sur  le  corps 
qu'elle  anime,  je  trouve  quelque  difficulté;  mais,  n'ayant  14-dessus  au- 
cune démonstration,  el,  d'ailleurs,  ayant  toujours  cru  que  le  système  des 
causes  occasionnelles  n'examine^  pas  assez  fortement  la  puissance  des 
esprits,  je  ne  vois  aucune  raison  qui  m'empêche  de  conformer  mon  ju- 
gement à  tout  ce  que  l'on  exige  de  moi. 

<i  Sur  tout  le  reste  on  me  propose  ce  que  je  pense ,  e&oepté  néan- 
moins sur  la  béatitude  objective  de  l'état  de  pure  nature,  que  je  crois 
impossible.  Quant  au  terme,  ai  l'on  y  admet  une  espèce  de  visiooi  in- 
tuitive de  la  divine  essence,  l'Église  permet,  sur  cela,  de  penser  ce  que 
je  veux,  et  je  suis  prêt  à  faire  tout  ce  qu'on  voudra,  et  même  à  dicter 
une  rétractation  de  ce  que  j'en  ai  avancé. 

«  Voilà ,  mon  révérend  père ,  un  exposé  fidèle  de  mes  sentiments  le» 
plus  intimes,  par  oii  l'on  voit  assez  que  je  ne  puis  pas  dire  le  profiteor 
me  vera  credere  ■:  i'*  des  accidents  absolus;  2**  de  l'essçnce  du  corps  in- 
dépendante de  toute  étendue  actuelle  ;  3°  des  formes  substantielles;  4°  du 
sentiment  contraire  à  saint  Augustin  sur  la  nature  de  nos  idées ,  du 
moins  jusqu'à  ce  que  j'aie  reçu  l'instruction  que  je  prie  votre  Révérence 
de  me  faire  donner  par  des  gens  habiles ,  sensés ,  non  prévenus ,  et  qui 
ne  veuillent  point  demeurer  cachés  pour  être  en  droit  de  dire  tout  ce 
qu'il  leur  plaît.  Enfm  j'enseignerai  tout  ce  qu'on  voudra,  je  ferai  telle 
rétractation  que  l'on  voudra,  la  plus  humiliante  pour  moi,  la  plus 
glorieuse  pour  la  compagnie,  dont  je  seroîs  ravi  de  procurer  la  gloire 
au  prix  de  tout  l'honneur  du  monde.  Maïs,  pour  me  convaincre  intérieu- 
rement, je  demande  des  raisons,  et  il  me  paroît  qu'il  ne  doit  pas  suffire 
que  l'on  me  dise  en  général  :  cette  doctrine  ne  vaut  rien.  Il  n'est  pas  à 
propos  pour  nous  que  cette  manière  de  censurer  les  opinions  contraires 
aux  nôtres  soit  autorisée  par  les  gens  sages;  il  n'y  auroit  plus  que  des 
hérétiques  dans  le  monde.  Je  vous  prie  donc,  mon  révérend  père,  de 
me  donner  des  censeurs  plus  équitables  et  moins  emportés ,  qui  ne  me 
traitent  point  d'entêté  sans  avoir  tâché  de  me  convaincre ,  ni  de  fanatique 

^  André  y  était  donc  resté  au  moias  qudqoe  temps.  — -  '  Peut-être  nexpriiM, 

39. 


308  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

sans  avoir  démoatré  mes  visions,  ni  d'hétérodoxe  sans  avoir  découvert 
mes  hérésies,  ni  d'homme  de  mauvaise  foi  sans  en  apporter  aucune 
preuve  ;  c'est  la  dernière  chose  que  Ton  doive  reprocher  à  tout  homme 
avec  qui  l'on  veut  encore  avoir  quelque  société.  Je  parierai  une  autre 
fois  à  votre  Révérence  de  la  calomnie  évidente  qui  étoit  contenue  dans 
le  papier  qu'elle  me  lut  à  la  visite ,  que  je  lui  demandai ,  qu'elle  me 
refusa,  et  qu'il  semble  que  vous  ayez  oublié.  Je  suis  avec  respect,  etc.  » 

.  V.  COUSIN. 

(  La  suite  à  un  prochain  cahier.  ) 


Saggj  dj  naturali  esperienze Essais  d expériences  faites  à 

V Académie  del  Cimento.  Troisième  édition  de  Florence,  pré- 
cédée d'une  notice  historique  de  cette  Académie ,  et  suivie  de 
quelques  additions.  Florence,  i84i,  in-4^. 

QUATRIÈME    ARTICLE. 

Dans  son  excellent  ouvrage  M.  Antinoiî  fait  mçntion  des  Dialogues 
de  Rucellai ,  élève  de  Galilée ,  qui  se  distingua  par  l'étendue  et  la  variété 
de  ses  connaissances.  Comme  ces  Dialogues  n'ont  jamais  été  publiés,  et 
qu'ils  contiennent  Fexposition  complète  des  idées  philosophiques  d  une 
école  dont  on  n'a  connu  jusqu'ici  que  les  travaux  sur  la  physique  et  sur 
les  mathématiques ,  nous  demandons  la  permission  de  nous  aiTeter  sur 
un  ouvrage  qui  parait  destiné  à  nous  révéler  enfin  le  système  philoso- 
phique des  disciples  de  Galilée. 

Horace  Ruceltai  naquit  à  Florence  ^  en  1 60 4  :  son  nom  était  Ricasoli  ; 
mais,  ayant  hérité,  par  sa  mère,  des  biens  des  Rucellai,  il  prit  le  nom  de 
cette  famille,  souvent  mentionnée  dans  les  fastes  de  la  république  de 
Florence.  Né  à  une  époque  où  le  génie  de  Galflée  avait  imprime  en 
Toscane  une  nouvelle  activité  aux  esprits,  il  imita  le  chef  de  cette 
gi*ande  école  et  cidtiva  avec  une  ardeur  égale  les  sciences  et  les  lettres. 
On  connaît  de  lui  des  poésies  de  divers  genres  et  des  discours  acadé- 
miques. Il  fut  un  des  principaux  membres  de  l'Académie  de  la  Crusca, 
qui  est,  comme  l'on  sait,  ¥  Académie  française  de  l'Italie.  Écrivain  pur  et 
élégant,  humaniste  consommé ,  connaissant  également  bien  les  ouvrages 
des  anciens  philosophes  et  les  travaux  des  philosophes  modernes,  bon 

*  Voyer  Saggio  di  dialoghi Jilosofici  d'Orazio  Racellai,  Firenzc ,  i8a3,  in-4*,  p.  xvii 
et  suiv. 


MAI  1843.  300 

géomètre  et  excellent  esprit,  il  sut  embrasser  l'ensemble  des  connais- 
sances humaines,  et  fut,  comme  nous  lavons  dit,  le  métaphysicien  de 
Técole  de  Galilée.  Rien  ne  lui  manqua  ;  dans  un  pays  où  la  pratique  des 
affaires  était  si  rare,  il  fut  employé  dans  des  missions  importantes. 
Envoyé  conune  ambassadeur  auprès  de  Tempereur  Ferdinand  et  du  roi 
de  Pologne,  il  observa,  en  moraliste,  les  mœurs  de  peuples  alors  peu 
connus  dans  le  midi  deTEurope.  A  son  retour  en  Toscane,  il  lut  nommé 
gouverneur  d'un  des  jeunes  princes  et  directeur  de  la  bibliothèque  des 
Médicis;  rarement  l'Italie  a  vu  un  homme  plus  encyclopédique.  Maga- 
lotti,  secrétaire  deJ' Académie  del  Cimento,  esprit  universel  aussi ,  .disait 
que  Rucellai  était  le  seul  homme  de  Florence  qui  en  pût  montrer  à 
tous  les  étrangers  ^  Il  mourut  septuagénaire,  laissant  un  grand  nombre 
d'écrits  aussi  remarquables  par  le  fond  que  par  la  forme ,  et  qui  sont 
restés  presque  tous  inédits.  Ses  Dialogues  philosophiques  sont  le  plus 
important  de  ses  travaux. 

Le  manuscrit  original  de  cet  immense  ouvrage  existe  en  douze  vo- 
lumes in-folio  à  Florence ,  chez  le  baron  Ricasoli^.  U  n'a  jamais  été  publié , 
et  l'on  n'en  connaît  que  quelques  extraits  imprimés,  en  i8t2  3,par  les 
soins  du  chanoine  Moreni,  dans  un  mince  volume,  qui  .ne  contient 
que  quatre  dialogues  sur  la  Providence,  et  qui  ne  donne  qu'une  idée 
extrêmement  imparfaite  de  cette  vaste  encyclopédie  philosophique^.  Elle 
est  presque  inconnue,  même  en  Italie,  et  les  copies  manuscrites  en 
sont  très-rares.  Par  un  heureux  hasard ,  nous  avons  pu  nous  en  pro- 
curer deux  manuscrits  différents.  Le  premier  appartenait  au  comte  To- 
mitano  d'Oderzo ,  et  nous  Tavons  reçu  d'Angleterre ,  avec  tous  les  ma- 
nuscrits de  cet  amateur,  qu'on  y  avait  transportés  ;  l'autre  se  trouvait  dans 
la  collection  des  manuscrits  du  marquis  Pucci  de  Florence,  qui,  depuis 
trois  ans,  sont  en  notre  possession.  L'exemplaire  qui  a  appartenu  à  la 
famille  Tomitano  n'est  pas  complet,  mais  il  fournit  d'utiles  variantes. 

Ces  entretiens ,  que  l'auteur  suppose  avoir  eu  lieu  à  la  campagne , 
pendant  une  épidémie,  se  divisent  en  trois  parties  distinctes,  suivant 
les  divers  endroits  où  sont  censés  se  transpoi^er  successivement  les  in- 
teriocuteurs,  savoir:  Tusculum,  Albano  et  Tivoli,  toujours  dans  les 
environs  de  Rome.  Laissons  maintenant  parler  l'auteur  lui-même, 
qui,  sous  le  pseudonyme  de  ï Imparfait,  nom  académique  qu'il  s'était 

^  Magalotti,  LeiterefamUiari,  Firenze ,  1769 ,  a  vol.  in-8*,  t.  U,  p.  28.  —  *  Sagaio 
di  dialo^hi,  p.  xliu.  —  'Le  volume  publié  par  M.  Moreni  est  précisément  celui 
que  nous  venons  do  citer  sous  le  titre  de  Saggio  di  dialoghi.  D  faut  ajouter  qu'en 
i8iil  on  avait  inséré,  dans  le  dix-neavième  volume  des  Opuscoli  sciêntipci.e  letterarj 
qui  se  publiaient  à  Florence ,  le  Proemio  alla  villeggiatara  Tiburtma, 


5W  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

donné  k  la  Crasca ,  expose  le  pian  de  son  ouvrage  dans  1  avertissement. 

((  Les  dialogues,  sous  le  nom  de  V Imparfait,  académicien  de  la  Crusca 
(dit  Rucellai ,  en  commençant  ) ,  ont  pour  Init  de  diriger  les  enfants 
de  lauteur  dans  le  chemin  de'  la  vertu.  Louis,  Tainé  de  ces  jeunes 
gens,  intervient  dans  ces  dialogues,  qui  sont  disposés  suivant  trois 
stations  :  à  Tusculum ,  à  Albano  et  à  Tivoli.  Elles  sont  partagées  en 
différentes  promenades  de  studieuse  récréation,  et  subdivisées  en  dia- 
logues. » 

«  On  dit  que  ces  trois  retraites  ont  eu  lieu  à  cause  de  l'épidémie , 
pendant  laquelle  l'auteur  suppose  que  plusieurs  sodétés  d'énidits  s  é- 
tabliss^it  dans  des  endroits  salubres ,  et  se  réunissent  pour  disserter  sur 
di£Eirentes  matières.  Raphaël  Magiotti ,  homme  d'un  savoii*  universel , 
est  censé  assister  à  toutes  ces  conférences  avec  ïimparfait  et  son  fils 
Louis  :  d'autres  personnes  ysont  successivement  appelées, suivant  leurs 
talents  et  leurs  dispositions.  Deux  propositions  forment  l'objet  univer- 
sel de  ces  dialogues  :  la  première,  c'est  le  hoc  unamscio  qvuxl  nïhil  scio, 
de  Socrate;  la  seconde,  c'est  le  nosce  te  ipsum,  attribué  par  les  anciens 
à  Apollon ,  et  gravé  sur  le  fronton  du  temple  de  Delphes. 

«  La  sentence  de  Socrate  ,  discutée  dans  la  retraite  de  Tusculum  , 
est  établie  dans  plusieurs  dialogues  par  la  comparaison  des  opinions , 
^'différentes  entre  elles,  des  plus  célèbres  philosophes  sur  les  prin- 
cipes universels  de  la  philosophie  naturelle.  Car,  par  la  vanité  et  par 
l'incertitude  de  ces  principes,  on  parvient  à  la  démonstration  du  nihil 
scio.  Dans  la  retraite  d' Albano,  on  traite  de  l'âme  et  de  ses  facultés 
ainsi  que  des  organes  et  des  instruments  qui  servent  k  leur  action.  A 
l'aide  de  l'anatomie ,  on  distingue  les  instruments  destinés  aux  appétits 
et  aux  sens  de  ceux  qui  servent  à  l'entendement  et  à  la  raison.  Cela 
établi,  on  passe,  dans  la  retraite  de  Tivoli,  à  montrer  comment  ces  di- 
verses opérations  ont  pour  objet  d'acquérir  la  vertu  et  de  fiiir  le  vice. 
Eln  cherchant  à  se  connaître  soi-même ,  on  apprend  à  distinguer  le  but 
auquel  sont  destinées  les  parties  sensibles  de  celui  qu'a  la  pensée ,  et 
l'on  voit  que  les  premières  sont  subordonnées  aux  secondes.  En  résumé , 
dans  tous  ces  dialogues ,  il  est  question  de  la  philosophie  naturelle  et 
de  la  philosophie  rationnelle  et  morale ,  et,  chaque  fois  que  cela  est  pos- 
sible, on  expose  les  opinions  des  modernes  sur  la  physique  et  sur  l'a- 
natomie. La  philosophie  n'est  pas  traitée  ici  avec  les  formes  et  les 
tenues  des  écoles;  elle  est,  au  contraire ,  exposée  dans  des  discours  fa- 
ciles et  familiers  *.  » 

^  Ceci  forme  YArgommto;  dans  le  Preambolo,  qui  suit,  Tauteur  expose  ses  idées 
avec  plus  de  défekppemani. 


MAI  1843.  311 

Quoique  très-court,  cet  avertissement  suffit  pour  faire  connaître  le 
dessein  de  i  auteur.  On  voit  que  Rucellai ,  après  avoir  montré,  par  Tétude 
et  par  la  comparaison  des  divers  systèmes  philosophiques,  Timpossibi- 
iité  de  parvenir  directement  à  la  connaissance  des  principes  généraux  à 
laide  de  l'étude  du  monde  ext^ieur,  se  replie  sur  lui-même,  et,  faisant 
du  noscete  ipsum  la  base  de  tout  ce  que  nous  savons,  s  élève  de  l'étude  de 
Tâme  et  de  ses  facultés  aux  principes  généraux  de  la  morale.  Pour  cons- 
truix*e  son  édifice,  Rucellai  s'appuie  sui'  les  découvertes  de  Galilée  et 
de  ses  disciples  :  les  progrès  des  sciences  physiques  contribuent  ainsi 
à  l'avancement  de  la  philosophie. 

Ce  grand  ouvrage  mérite  surtout  une  attention  particulière,  parce 
qu'il  nous  dévoile  le  système  philosophique  de  l'école  de  Galilée. 
La  première  partie  de  la  vie  de  cet  homme  célèbre  se  passa  dans  l'ob- 
servation de  la  nature.  La  seconde  moitié  fut  employée  à  combattre 
contre  les  jésuites  et  k  résister  à  l'inquisition.  Son  génie  triompha  de 
tous  les  obstacles,  mais  la  plupart  de  ses  ouvrages  périrent  dans  la 
lutte,  et,  pour  échapper  à  ses  persécuteurs,  il  dut  s'astreindre  à  ca- 
cher ses  plus  sublimes  conceptions.  Nous  ne  voyons  dans  ses  écrits 
que  ses  découTertes  et  les  traces  de  cette  méthode  scientifique  qu'il  ne 
cessa  d'inculquer  aux  savants.  Mais,  si  nous  savons  qu'il  considéra  tou- 
jo\u*s  l'observation,  l'expérience  et  l'induction,  comme  les  instruments 
de  toutes  les  découvertes,  nous  ne  trouvons  nulle  part  l'ensemble  de 
ses  idées  philosophiques.  Cependant  il  est  impossible  qu'un  tel  génie 
ne  se  fut  pas  arrêté  à  ces  grandes  questions  qui,  depuis  tant  de  siècles, 
occupent  l'humanité.  D'ailleurs,  il  a  dit  lui-même,  dans  une  de  ses 
lettres ,  qu'il  avait  étudié  plus  d'années  la  philosophie  que  de  mois  les 
mathématiques.  Seulement  sa  philosophie  ne  pouvait  pas  être  celle  des 
écoles  :  il  dut  attaquer  Aristote,  et  surtout  il  eut  à  combattre  les  péri- 
patéticiens  de  son  temps.  Comment  échappa-t-il  à  ce  joug?  Est-ce  seu- 
lement en  se  réfugiant  dans  le  scepticisme  qu'il  put  se  soustraire  au  pé- 
ripatétisme?  Sans  le  savoir  positivement,  on  l'avait  cru  par  une  espèce 
de  tradition ,  et  il  est  probable  que  ses  ennemis  ont  coopéré  à  cette 
réputation  de  scepticisme  ^.  Un  voyageur  français ,  Monconys ,  cpii  visita 

^  La  lettre  ci-jointe,  adressée  par  Galilée  à  Peiresc,  en  réponse  à  une  lettre  que 
nous  avons  déjà  fait  connaître  ailleurs,  prouve  que  Galilée  n  avait  nullement  voulu 
attaquer  la  religion  dans  son  célèbre  Dudogue,  et  qu*il  n*avait  fait  que  chercher  la 
vérité. 

«  lUustrissimo  Signor  e  padron  mip  colendissimo, 

«lo  Bon  poirei  gÎMiiBMÎ  <ob  la  penaa  espiimere  a  Vostra  Signoria  lUusiriMiiiMi 


À- 


312  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ritaiie ,  peu  de  temps  après  la  mort  de  Galilée,  paraît  avoir  puisé  dans 
ses  conversations  avec  Viviani  des  renseignements  qui  confirmeraient 
la  hardiesse  des  opinions  philosophiques  du  grand  géomètre  toscan. 
On  lit,  en  effet,  dans  Monconys,  ce  passage:  «Le  6  novembre  i6/i6,  je 
fus  me  promener  avec  \e  S.  Viviani,  qui  a  été  trois  ans  avec  M.  Ga- 
lilée. Il  me  dit  son  opinion  du  soleil  qu'il  croyait  une  estoille  fixe,  la 

il  contento  che  mi  ha  arrecato  la  lettura  dciroffiziosissima  e  prudentissima  lettera 
da  lei  scriUa  in  mia  raccomandazione,  délia  quale  il  signof  Raberto,  mio  parente 
e  padrone  me  nha  mandato  copia,  che  pur  ieri  mi  fu  resa.  D  piacere  mio  è  stato, 
ed  è  infmito  ;  e  non  perché  io  ne  speri  sollevamento  alcuno ,  ma  per  scorgere  in  un 
mio  signore  e  padrone  di  si  eccellenti  qualité  ,  con  quanto  tenero  affetto  compatisce 
lo  slalo  mio,  e  con  quali  ardenti  spiriti  si  muove  a  tentare  con  generoso,  e  insieme 
moderato  ardire ,  un'  impresa  che  ha  resi  muti  tanti  altri  bene  afietti  verso  la  mia 
innocenza.  E  se  i  miei  inforiuni  m' hanno  a  fruttare  di  queste  dolcezze,  trovino  pure 
nuove  raacchine  i  miei  nimici,  che  io  sempre  gliene  renderô  grazie.  Ho  detto,  li- 
lustrissimo  mio  Signore,  che  non  spero  sollevamento  alcuno;  e  questo  perché  non 
ho  commesso  delitlo  nissuno  :  polrei  sperare ,  e  oUener  grazia  e  perdono,  s' io  avessi 
errato ,  che  i  falli  son  la  materia  sopra  la  quale  puo  il  principe  escrcitar  le  grazie  e 
gV  indulti  ;  dove  che  sopra  uno  innocentemente  condennato  convien ,  per  coperta 
d'  aver  iuridicamente  operalo,  mantenere  il  rigore;  il  quale  (credami  pure  Vostra 
Signoria  Illustrissima ,  anco  per  sua  consolazione)  m*  affligge  meno  di  qud  che  altri 
puo  credere;  perché  due  conforti  m'  assistono  perpetuamenle  :  V  uno  é  che  nella 
lettura  di  tutle  Y  opère  mie ,  non  sarà  chi  trovar  possa  pur  minima  ombra  di  cosa 
che  declini  dalla  pietà  e  dalla  riverenza  di  santa  Chiesa;  1  altro  è  la  propria  coscienza, 
da  me  solo  pienamente  conosciuta  intera,  e  in  cielo  da  Dio;  che  ben  comprende 
che  nella  causa  perla  quale  io  patisco,  molti  ben  più  dottamente,  ma  niuno,  anco 
dei  sanli  Padri,  più  pîamenle,  ne  con  maggior  zelo  verso  santa  Chiesa,  ne  in  somma 
con  più  santa  intenzione  di  me  avrebbe  potuto  procedere  e  parlare  :  la  quai  mia  re- 
ligiosissima  e  santissima  mente,  quanto  più  limpida  apparirebbe,  quando  fussen) 
e«poste  in  palese  le  calunnie,  le  fraudi,  gli  strattagemmi  e  gl'  inganni  che  diciotto 
anni  fa  furono  usali  in  Roma  per  abbarbagliar  la  vista  ai  superiori?  Ma  ci  è,  al 
présente,  appresso  di  lei  altre   maggiori  giustificazioni  délia   mia  sincérité,  che 
per  sua  grazia  ha  letii  i  miei  scritti,  e  puo  in  es«i  ben  aver  compreso  quai  sia  slato 
il- vero  e  real  molor  primo,  che  solto  simulata  maschera  di  religione  mi  ha  mosso 
guerra,  e  che  continuamente  mi  va  assediando  e  trincerando  in  maniera  tutti  i  passi, 
che  né  di  fuora  mi  possano  venir  soccorsi ,  né  io  posso  più  soiiire  a  mie  difese  ;  es- 
sendo  espresso  ordine  a  tutti  gl'  inquisitori  di  non  permettere  che  si  ristampi  nis- 
suna  délie  opère  mie,  già  molti  anni  sono  stampate,  ne  che  silicenzi  nissuna  ch'io 
volessi  di  nuovo  stampare,  tal  che  a  me  convîene  non  solamente  soccombere,  e  ta- 
cere  aile  opposizioni  in  si  gran  numéro  fattemi  in  materie  pure  naturali  per  suppri- 
mer la  dottrina,  e  propalar  la  mia  ignoranza,  ma  conviene  inghiotlire  gli  scherni, 
le  mordacità  e  T  ingiurie  da  genti  più  di  me  ignoranti  temerariamente  usatimi.  Ma 
voglio  por  fine  aile  querele,  benchè  appena  ne  abbia  prodotto  il  principio  ne  voglio  più 
occupar  Vostra  Signoria  Illustrissima ,  operturbarla  in  cosa  di  poco  gusto;  anzi  devo 
pregarla  a  scusarmi ,  se  tratto  da  quel  naturale  sollevamento  che  gli  afflitti  hanno 
nel  discredersi  talora  con  i  suoi  piu  confidenli ,  son  trascoreo  con  troppa  liberté  a  in- 


MAI  1843.  313 

conservation  de  toutes  choses,  la  nullité  du  mal,  la  participation  à 
l'âme  universelle  '.  » 

Ces  idées,  comme  on  le  voit,  sont  très-hardies,  et  elles  en  font  soup- 
çonner d'autres  encore  plus  audacieuses  :  mais  appartiennent-elles  bien 
positivement  à  Gahlée?  Le  texte  de  Monconys  nest  pas  clair;  il  peut 
s  appliquer  également  à  Viviani  et  à  Galilée.  D'ailleurs,  un  homme  qui, 
à  peine  rentré  dans  son  pays,  s  empressait  de  publier  ce  passage,  qui 
pouvait  si  gravement  compromettre  Viviani  déjà  soupçonné  par  les 
jésuites,  montrait  une  grande  légèreté,  et  ne  mérite  pas  une  confiance 
illimitée. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  l'assertion  de  Monconys ,  les  Dialogues  philoso- 
phiques de  Rucellai  paraissent  souvent  donner  la  substance  des  doctrines 
de  Galilée.  Remarquons  d'abord  que  Rucellai,  qui  cite  très-fréquena- 
ment  ce  grand  philosophe ,  et  qui ,  en  rapportant  les  conversations  de 
son  maître,  témoigne  toujours  la  crainte  d'altérer  sa  pensée,  vécut  long- 
temps avec  lui^.  Il  avait  quarante  ans  quand  Galilée  mourut,  tandis  que 

fastidiiia.  Restami  a  render^i  con  ï  afletto  de!  cuore  quelle  grazie  che  con  parole 
non  potrei  mai  render^i ,  dell'  umano  e  pietoso  uffizio  da  lei  intrapreso  a  mio  bene- 
fizio ,  il  quale  ella  ha  cosi  efBcacemente  saputo  porgere ,  clie  se  a  me  non  avrà  pro- 
fittato,  ben  possiam.o  esser  sicuri,  che  non  senzaqualche  puntura  e  rimorso,  avrà 
tocco  le  menti  che  sendo  di  uomini  non  possono  esser  prive  d*  umanità.  lo  me  glî 
confermo  ohligatissimo  e  devotissimo  servitore.  11  Signore  Dio  ricompensi  il  merito 
deir  opéra  caritatevole  da  lei  usala  :  e  con  reverenle  affetto  me  gl'  inchino. 
«D'Arcetri,  li  ai  febbraro  i635. 

«  Di  Vostra  Signoria  Illustrissima, 

€  Devotissimo  e  obbligalissimo  servitore, 

«  Galileo  Galilei.  b 

'  Monconys,  Voyages,  Lyon,  i665,  3  vol.  inli\  t.  I,  p.  i3o.  —  *  Dans  le  Dia- 
logo  nom  de  la  Villeggiatara  Tihurtina ,  qui  a  pour  objet  l'étude  des  propriétés  de 
la  lumière ,  on  lit  ce  qui  suit  :  t  Ma  ascollale  ciocchè  mi  pare  d'  aver  uedito  una 
voila  dal  signor  Galileo  intorno  a  si  faite  proposizioni ,  che  il  sole  uell'  oceano  ap- 
paia  maggiore,  non  so  se  io  mi  ricordo  bcne,  sembrami  ch*  ei  dicesso  :  puô  anch* 
essere  che  T  immagiuativa  faccîa  caso ,  e  che  l'  occhio  usalo  a  vedere  le  cose  da  dis- 
costo  sempre  minori,  veggendo  il  sole  da  lontano  eguale  a  quando  lo  vedea  da  vi- 
cino  si  traporti  ad  un  tratto  col  senso  dell  immaginazione  a  giudicarlo  maggiore , 
ma  e  si  cotale  paiagli  di  vederlo  nel  modo  che  avviene  di  tulte  le  cose ,  le  quali 
veggendo  uguali  in  disugual  distanza,  le  più  lonlane  sogliono  essere  maggiorî. 
Vedete,  Signori  mei,  quand'  io  cito  il  signor  Galileo,  io  tremo  di  paura,  o  di  non 
guastare  cio  ch'  e  gli  ha  proposto  con  tant  le  riserve  e  pronunziato  con  tanla  chiarezza, 
siccomo  usato  e  gli  era ,  o  ch*  io  metta  in  bocca  sua,  per  difetto  di  ricordanze ,  quelche 
abbia  detto  un  altro  forse  meno  avveduto  di  lui ,  e  che  perciô  patisca  di  grandi 
opposizioni  ;  laonde  mi  dichiaro  ora  per  sempre  favellare  ail'  improvviso ,  che  vuol 
dire  agevolmenie  fallire,  in  modo  che  tulto  quello  che  venisse  detto  di  buono,  ab- 

4o 


V 


hi 


* 


314  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Viviani,  Torricelii,  et  les  autres  membres  de  cette  grande  école,  ou 
étaient  fort  jeunes,  ou  n  avaient  passé  que  très-peu  de  temps  auprès  du 
maître  lorsqu'ils  le  perdirent,  ou  ne  lui  survécurent  que  de  peu  d'an- 
nées. D*ailleurs,  ils  étaiftit  tous  tellement  préoccupés  des  grandes  dé- 
couvertes de  Galilée  dans  la  philosophie  naturelle,  qu'ils  négligèrent  la 
métaphysique;  peut-être  môme  craignirent-ils  de  s'attirer  de  tembles 
persécutions  en  s'écartant  en  quelque  point  de  la  philosophie  des  Pères 
de  l'Eglise.  Ce  qui  pourrait  faire  croire  que  ce  fut  là  un  des  motifs  qui 
les  éloignèrent  de  la  philosophie  rationnelle,  c'est  que  Rucellai,  qui 
passa  tant  d'années  à  préparer  à  la  philosophie  un  monument  si  remar- 
quable, n'a  jamais :^ongé  à  le  publier,  quoique  sa  fortune,  très-considé- 
rable ,  eût  pu  lui  rendre  facile  l'impression  de  ces  douze  volumes.  On  doit 
vivement  regretter  que  ces  dialogues  n'aient  pas  paru,  non-seulement 
à  cause  des  matières  qu'on  y  traite,  mais  aussi  parce  que  les  Italiens, 
qui  se  plaignent  de  ne  pas  avoir  de  grands  modèles  dans  le  style  philo- 
sophique ,  y  auraient  trouvé  un  exemple  digne  d'imitation.  Rucellai , 
comme  Galilée,  comme  Redi,  comme  tous  les  membres  de  cette  illustre 
école ,  était  aussi  excellent  écrivain  que  profond  penseur  :  ses  écrits  sont 
placés  parmi  les  ouvrages  classiques  par  l'Académie  de  la  Crusca. 

Après  avoir  dit  que  le  manuscrit  original  de  ces  dialogues  se  compose 
de  douze  volumes  in-folio,  il  est  presque  superflu  d'ajouter  qu'on  ne 
saurait  en  donner  un  extrait  détaillé.  Les  titres  seuls  des  dialogues,  qu'on 
suppose  avoir  eu  lieu  à  Tusculum  et  qui  forment  la  première  partie ,  se- 
raient beaucoup  trop  longs  à  transcrire.  Il  suffira  de  dire  que  Rucellai 
examine  d'abord,  en  huit  dialogues,  les  doctrines  des  Sophistes  et  celles 
de  Thaïes ,  d*  Anaximènc ,  d'Heraclite ,  d'Empédocle ,  de  Parménide  et  d' A- 
naximandre.  Cet  examen  remplit  le  premier  volume.  Le  tome  second 
contient  huit  autres  dialogues ,  où  l'on  traite  de  la  lumière  et  des  ombres. 
Le  troisième  et  le  quatrième  volumes  donnent,  en  seize  dialogues, 
un  grand  commentaire  sur  le  Timée  de  Platon.  Enfin,  le  dernier  des 
volumes  qui  portent  le  titre  de  Tusculum  renferme  vingt-quatre  dia- 
logues, qui  ont  pour  objet  la  providence  et  le  libre  arbitre;  ils  con- 
tiennent, en  outre,  une  réfutation  d'Epicure  et  une  théorie  des  propor- 
tions musicales  suivant  le  Timée.  Cette  liste,  fort  incomplète,  que  nous 
donnons  en  note  avec  plus  de  détail,  doit  faire  comprendre  toute  l'im- 
portance d'un  pareil  ouvrage^ 

biatelo  da  quel  fonte ,  come  che  io  non  lo  nomini ,  e  ciocchè  mi  scappasse  raale  a 
propo9ito,  avvegna  chè  per  suo  v'  el  vendessi.  »  —  *  Dialogo  i',  contro  i  sofisti.  — 
a*,  Talete  Milesio,  acqua.  —  3%  Anassimene,  aria.  —  4',  Eraclito,  fuoco.  —  5%  Em- 
pedocle,  qualtro  elementi.  —  6%  Parménide,  une  etemo.  —  7*  et  8*,  Anassimandro, 


^- 


MAI  1843.  315 

Nous  lavons  déjà  dit  :  le  caractère  spécial  de  ces  dialogues,  c'est  l'ex- 
position des  découvertes  modernes  à  propos  des  travaux  des  anciens 
philosophes.  Cette  exposition  est  amenée  par  l'auteur  avec  beaucoup 
d'art ,  et  la  forme  de  dialogue  se  prête  volontiers  à  ces  digressions.  On 
y  trouve  une  foule  de  faits  et  d'observations  qu'on  chercherait  vaine- 
ment ailleurs.  Les  souvenirs  et  les  conversations  de  Galilée,  souvent 
rapportés  par  Rucellai,  répandent  un  charme  spécial  sur  tout  l'ouvrage ^ 
liC  fond  de  cette  philosophie,  c'est  un  platonisme  modifié  par  les  dé- 
couvertes de  Galilée,  qui  est  une  fois  même  qualifié  de  Platon  moderne. 
Est-ce  là  une  allusion  au  système  embrassé  par  Galilée?  Il  est  difficile 
de  l'affirmer.  Ce  qu'il  faut  remarquer,  c'est  qu'au  xv*  siècle  comme  au 
xvn',  la  Toscane  voulut  s'affranchir  du  joug  du  pcripalétisme,  ctqu9,du 
temps  de  Marrile  Ficin  comme  à  l'époque  de  Rucellai,  bien  des  personnes 
n'échappèrent  à  Aristote  qu'en  s'enrôlant  sous  le  drapeau  de  Platon. 

Si ,  en  rendant  compte  du  remarquable  travail  de  M.  Antinori,  nous 
nous  sommes  arrêté  particulièrement  à  un  auteur  qui  n'entrait  pas  spé- 
cialement dans  son  cadre ,  et  qu'il  a  dû  se  borner  à  citer  avec  honneur, 
c'est  que  nous  avons  pensé  que  l'annonce  d'un  grand  monument  inédit 
de  la  philosophie  italienne  serait  reçue  avec  quelque  intér?t,  et  qu'il 
n'était  pas  inutile  de  montrer  que  les  plus  illustres  novateurs  dans  les 
sciences,  que  les  fondateurs  de  la  philosophie  naturelle  avaient  longue- 
ment médité  sur  les  questions  sublimes  que  l'homme  et  l'univers  offrent 
aux  esprits  élevés.  G.  LIBRI.  # 

infinito.  —  9",  lo*,  ii%  iî%  Luce.  —  i3%  i4*»  Colori.  —  i5%  Zenone  e  allri.  — 
16',  ^nofonte.  —  Timeo,  Dialogo  i*,  de*  principj  délia  natura.  —  a".  Délie  idée. 

—  3",  Seguono  le  idée.  —  A",  Anima  del  mondo.  ^  5**,  Se  ranima  del  monde  Âa 
Iddio.  —  6",  Segue  fanîma  deli'  universo  secondo  Platone.  —  7",  Segue  sopra  la 
raedesiuia  maleria.  —  8*,  Se  l'amor  sia  Tanima  del  mondo.  -^  g',  Dell*  anima  ra- 
zionale.  —  10'',  Segue  dell'  anima  razionale.  —  1 1"",  Segue  V  immorlaiità  dell*  anima. 

—  12",  Segue  V  immortalité  deil*  anima. —  i3*,  Segue  1*  immortalità  dell*  anima. 

—  lA**  Segue  il  Timeo  sopra  Tanima  universale.  —  i5°,  Segue  il  Timeo  dell*  uni- 
verso.  —  16",  —  i'.  Délia  Providenza  contro  Epicuro.  —  a',  Segue  la  Provideoia. 

—  3%  Délia  Providenza,  del  caso.  —  4%  5',  6',  7°,  S\  9%  10",  Segue  la  Providenia. 
1 1",  12',  i3*,  Segue  la  Providenza  conlro  Epicuro  di  mali. —  r4*,  Segue  la  Provi- 
denza del  donc  délia  ragione.  —  5',  Segue  la  Providenza  dellà  liberlà ,  del  foto.  — 
16**,  Délia  Providenza  che  Dio  ci  sia.  —  17",  18*,  19**,  Délie  musiche  proporzioni 
«econdo  il'Timeo.  —  ai',  aa',  a3',  ai*,  Applicazione  délie  musiche  proporzioni. — 
*  En  voici  un  exemple  curieux,  tiré  du  dialogue  intitulé  Xenofonte :  t  Anzi  il  Gali- 
leo  diccva  in  si  fatlo  proposito,  sarebbe  bella  che  u  grappol  d*  uva  veggendo  il  sole 
iutlo  irapiegalo  a  formarlo  nelle  sue  parti ,  si  deva  a  credere  ch*  c  non  potesse  ap- 
plicare  alla  formazione  di  altre  cose ,  cosi  di  noi  pensando  che  1*  au  tore  délia  na- 
tura solo  a  noi  attenda  al  nostro  mondo ,  e  non  aobia  potuto  creare ,  e  si  non  poata 
badare  al  reggtmento  d'altrt  mondi  che  queato.  » 


316  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


INSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE.  ^ 

ACADÉMIE   DES  SCIENCES. 

M.  Lacroix,  membre  de  F  Académie  des  sciences,  et  Tun  des  assistants  du  Journal 
des  Savants,  est  mort  à  Paris  le  a 5  mai. 

Ses  funérailles  ont  eu  lieu  le  27  mai.  Des  discours  ont  été  prononcés  par  M.  Libri, 
au  nom  de  T Académie  des  sciences;  par  M.  Despretz,  au  nom  de  la  faculté  des 
sciences,  et  par  M.  Binet,  au  nom  du  collège  de  France.  Nous  donnerons  dans 
notre  prochain  cahier  quelques  extraits  de  ces  discours. 

ACADÉMIE  DES  SCIENCES  MORALES  ET  POLITIQUES. 

L* Académie  des  sciences  morales  et  politiques  a  tenu,  ie  samedi  27  mai,  sa 
séance  pubMque  annuelle ,  sous  la  présidence  de  M.  le  comte  Portalis.  Après  le  dis- 
cours d  ouverture ,  prononcé  par  le  président ,  la  proclamation  de  la  décision  de 
l'Académie  sur  les  prix  proposés ,  et  Tannonce  des  nouveaux  sujets  de  prix  mis  au 
concours,  on  a  entendu  la  lecture  d'une  notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Dau- 
nou,  par  M.  Mignet,  secrétaire  perpétuel. 

PRIX    PROPOSES. 

Concours  de  iSâû.  L'Académie  rappelle  que,  sur  la  proposition  de  la  section  de 
philosophie,  elle  a  remis  au  concours  pour  l'année  i8Â4  le  sujet  de  prix  sgjvant  : 
Examen  critique  de  la  philosophie  allemande,  (Voir,  pour  le  programme,  notre  cahier 
de  mai  i84o.)  Le  prix  est  de  i,5oo  francs.  Les  mémoires  devront  être  parvenus 
avant  le  i"  septembre  i843. 

L'Académie  rappelle  également  que,  sur  la  proposition  de  la  section  d'économie 
politique  et  de  statistique,  elle  a  mis  au  concours  de  iS^il  un  prix  de  i,5oo  francs 
sur  la  question  suivante  :  «  Rechercher  :  1*  quels  sont  lestnodes  de  loyer  ou  d'amo- 
diation de  la  terre  actuellement  en  usage  en  France;  a*  à  quelles  causes  tiennent 
les  différences  qui  subsistent  entre  ces  modes  de  loyer  et  les  changements  qu'ils 
ont  éprouvés  ;  3"  quelle  est  l'influence  de  chacun  de  ces  modes  de  loyer  sur  la  pros- 
périté agricole.  » 

Les  mémoires  devront  être  déposés  à  l'Institut,  le  1"  septembre  i843. 

L'Académie  rappelle  encore  que ,  sur  la  proposition  de  la  section  d'histoire  géné- 
rale et  philosophique,  elle  a  remis  au  concours  de  i84^  un  prix  de  i,5oo  francs 
sur  ce  sujet  :  «Retracer  l'histoire  des  états  généraux  en  France,  depuis  i3oa  jus- 
qu'en i6i4-  Indiquer  le  motif  de  leur  convocation,  la  nature  de  leur  composi- 
tion, le  mode  de  leurs  délibérations,  l'étendue  de  leur  pouvoir.  Déterminer  les 
différences  qui  ont  existé,  à  cet  égard,  entre  ces  assemblées  et  les  pariements 
d'Angleterre ,  et  faire  connaître  les  causes  qui  les  ont  empêchées  de  dievenir,  comme 


-A 


» 


>  jMAI  1843.  317 

ces  derniers ,  une  institution  régulière  de  l'ancienne  monarchie.  »  Le  terme  de  ce 
concours  est  fixé  au  3o  septembre  i843. 

Concours  de  i8à5.  Sur  la  proposition  de  la  section  de  morale,  TAcadémie  remet 
au  concours  de  Tannée  i845  im  prix  de  i,5oo  francs  sur  la  question  suivante  : 
«  Rechercher  quelle  influence  les  progrès  et  le  goût  du  bien-être  matériel  exercent 
sur  im  moralité  d'un  peuple.  Programme  :  Que  tous  les  hommes  et  tous  les 
peuples  aspirent  au  bien-être  matériel  et  travaillent  à  se  le  procurer,  c'est  là  une 
loi  générale  de  l'humanité ,  commune  à  tous  les  pays ,  à  tous  les  temps ,  à  tous  les 
états  sociaux,  et  dont  il  est  inutile  de  rechercher  soit  la  cause,  soit  les  effets  ;  mais 
la  diffusion  universelle  du  bien-être,  Famour  singulier  qu'en  éprouve  le  plus 
grand  nombre,  la  tendance  des  âmes  et  des  intelligences  à  s'en  préoccuper  exclu- 
sivement, l'accord  des  particuliers  et  de  l'Klat  pour  en  faire  le  mobile  et  le  but 
de  tous  leurs  projets,  de  tous  leurs  efforts,  de  tous  leurs  sacrifices,  voilà  ce  qui 
n'a  pas  toujours  existé  et  ce  que  l'on  peut  considérer  comme  l'un  des  traits  prin- 
cipaux des  sociétés  modernes  ;  c'est  un  phénomène  moral  que  l'Académie  a  jugé 
digne  d*èlre  étudié.  Il  n'est  nécessaire  ni  de  blâmer  ni  de  louer  le  goût  du  bien- 
être  matériel  ;  il  s'agit  d'apprécier  les  conséquences  de  son  développement  et  des 
passions  qu'il  fait  naître.  Ce  développement  ne  saurait  s* accomplir  sans  influer  sur 
les  mœurs  de  tous,  et  il  engendre  des «jentiments  généraux  ou  individuels  qui, 
bienfaisants  ou  nuisibles,  deviennent  des  principes  d'action  plus  puissants  peut-être 

3u'aucun  des  sentiments  qui,  en  d'autres  temps,  ont  dominé  les  hommes.  L'Aca- 
émie  désire  que  Ton  recherche  les  conséquences  de  cette  tendance  pour  la  mora- 
lité des  individus  et  de  la  société  elle-même.  >  Le  terme  de  ce  concours  est  fixé  au 
3o  septembre  i844- 

L'Académie  met  au  concours  de  la  même  année  i845,  sur  la  proposition  de  la 
section  de  philosophie ,  le  sujet  de  prix  suivant  :  Théorie  de  la  certitude.  Programme. 
«  1**  Déterminer  le  caractère  de  la  certitude  et  ce  qui  la  distingue  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  elle.  Par  exemple  ,  la  certitude  et  la  plus  haute  probabilité  se  confondent- 
elles?  2"*  Quelle  est  la  faculté  ou  quelles  sont  les  facultés  qui  nous  donnent  la  cer- 
titude? Si  on  admet  qu'il  y  a  plusieurs  facultés  de  connaître,  en  exposer  avec  pré- 
cision les  différences.  S"*  De  la  vérité  et  de  ses  fondements.  La  vérit^lést-elle  la 
réalité  elle-même ,  la  nature  des  choses  tombant  sous  la  connaissance  de  l'homme, 
ou  n'est-elle  qu'une  apparence,  une  conception  arbitraire  ou  nécessaire  de  notre 
esprit  ?  4"*  Exposer  et  discuter  les  plus  célèbres  opinions  anciennes  et  modernes  sur 
le  problème  de  la  certitude ,  et  les  suivre  dans  leurs  conséquences  théoriques  et 
pratiques;  soumettre  à  un  examen  critique  approfondi  les  grands  monuments  du 
scepticisme ,  les  ouvrages  de  Sextus ,  de  Huet ,  de  Hume  et  de  Kant.  5°  Rechercher 
quelles  sont,  mal^é  les  attaques  du  scepticisme,  les  vérités  certaines  qui  doivent 
subsister  dans  la  philosophie  de  notre  temps.  »  Ce  prix  est  de  la  somme  de  i.5oo  fr. 
Les  mémoires  devront  être  déposés  au  secrétariat  de  l'Institut,  le  3o  août  i845. 

La  section  de  législation,  de  droit  pubUc  et  de  jurisprudence  avait  proposé,  pour 
être  décerné  dans  cette  séance,  un  prix  de  i,5oo  francs  sur  le  sujet  suivant  :  a  Ex- 
poser la  théorie  et  les  principes  du  contrat  d'assurance;  en  faire  l'histoire,  et  dé- 
duire de  la  doctrine  et  des  faits  les  développements  que  ce  contrat  peut  recevoir,  et 
les  diverses  applications  utiles  qui  pourraient  en  en  être  faites ,  dans  l'état  de  pro- 
grès où  se  trouvent  actuellement  notre  commerce  et  notre  industrie.  »  Aucun  des 
quatre  mémoires  envoyés  n'ayant  mérité  le  prix,  l'Académie  a  prorogé  ce  concour.s 
au  i''  novembre  i844t  époque  à  laquelle  les  mémoires  présentés  devront  être  dé- 
posés au  secrétariat  de  l'Institut. 


4 


:il8  JOURNAL  DES  SAVANTS.  J*. 

L'Académie  rappelle  qu'elle  a  mis  au  concours  pour  i8&5,  sur  la  proposition  de 
la  section  d'économie  politique  et  de  statistique,  le  sujet  de  prit  suivant  :  iDéler' 
miner  les  faits  généraux  qui  règlent  les  rapports  des  prolita  a*ec  les  salaires ,  et  en 
expliquer  les  oscillaliong  respectives.  •  Ce  prix  est  de  in  somme  de  i  ,5oo  francs.  Le 
terme  du  concours  est  fixé  an  3o  septembre  i&^à. 

L'Académie  rappelle  égalemcut  que,  sur  la  proposition  de  la  section  d'histoire 
générale  et  philosophique,  elle  décernera .  dans  sa  séance  de  i&àb,  un  prÎK  de 
1 ,5oo  fi'ancs  au  meilleur  mémoire  sur  la  question  suivante,  proposée  par  la  section 
d'hisloire  générale  et  philosophique  :  'Faire  connaître  la  formation  de  l'adminis- 
Iralion  monarchique,  depuis  Philippe-Auguste  jusqu'à  Louis  XIV  inclusivement; 
marquer  ses  progrès;  montrer  ce  qu'elle  a  emprunté  au  régime  féodal,  en  quoi  elle 
s'en  est  séparée,  comme  elle  l'a  remplace.  •  Le  terme  de  ce  concours  est  Uxé  au 
■to  septembre  i84i. 

Le  prix  quinquennal  de  5,t>oo  francs,  fondé  par  M.  le  baron  Féhx  de  Beaujou, 
devait  êlre  décerné,  dans  celle  séance,  au  meilleur  mémoire  sur  la  question  sui- 
vante :  ■  Ilecliercher  quelles  sont  les  applications  les  plus  utiles  qu'on  puisse  faire 
du  principe  de  l'association  volontaire  et  privée  au  soulagement  de  la  misère.  >  Au- 
cun des  mémoires  envoyés  n'ayant  été  Jugés  dignes  du  pi-ix, l'Académie  met  de  nou- 
veau la  même  question  ou  concours  pour  l'année  1 84^.  Les  mémoires  devront  être 
déposés  BU  secrétariat  de  l'Institut  avant  le  3o  septembre  i84â. 

Concours  de  i8U6.  L'Académie  met  au  concours ,  pour  être  décerné ,  s'il  y  a  heu , 
dans  sa  séance  de  1866.  le  sujet  de  prix  suivant,  proposé  par  la  section  de  morale  : 
•  Rechercher  et  exposer  comp.irativemeiit  les  conditions  de  moralité  des  classes 
ouvrières  agricoles  et  des  populations  vouées  à  l'industrie  manufacturière.  ■  Ce  prix 
est  de  la  somme  de  i.5oo  francs.  Les  mémoires  devront  être  déposés  au  secrétariat 
de  rinslilul,  le  '60  septembre  i8i5,  terme  de  rigueur. 

LIVRES  NOUVEAUX. 
,  FRANCE. 

Loi  saliqae,  ou  recueil  contenant  les  anciennes  rédactions  de  cette  loi  et  le  texte 
connu  sous  ie  nom  de  Les  emendnla^  avec  des  noies  et  des  dissertations  par 
J.  M.  Pardessus,  membre  de  l'Institut.  Paris,  imprimé,  par  autorisation  du  Roi,  à 
l'Imprimerie  royale,  i8i3  (se  trouve  à  Paris  chei  Aug.  Durand,  Lbraire.  rue  des 
Grè.s,  n"  3).  —  In-i'  de  LXïx-ySg  pages.  —  Les  anciennes  coutumes  des  Francs 
connues  sous  le  nom  de  Loi  salique  ont  été  l'objet  de  nombreux  et  savants  travaux . 
depuis  la  première  publication  qu'en  a  faite  du  Tith'l,  vers  le  milieu  du  xvi'  siècle. 
jusqu'à  la  dernière  édition  publiée  en  Allemagne  par  M.  Feuerbach,  en  i83i.  Mais  , 
pour  réunir  les  différents  textes  imprimés,  il  fallait  rassembler  un  ^rand  nombre 
d'ouvrages  volumineux  et  pour  la  plupart  très-rare».  D'ailleurs  ces  publications 
multipliées,  dont  quelques-unes  sont  de  simplos  réimpressions,  ne  constituaient 
pas  une  édition  vraiment  com[Jéte  de  la  Loi  salique.  L'utilité  de  l'important  travail 
entrepris  par  M.  Pardessus  ne  saurait  donc  être  contestée,  et  l'érudilion  avec  la- 
quée il  vient  d'accomplir  celte  tàcbe  si  laborieuse  et  si  difficile  sera  certainement 
appréciée  par  les  juges  compétents.  Dans  une  préface  étendue,  le  savant  acadé-. 
micien,  après  avoir  exposé  le  plan  de  son  recueil  el  énuméré  les  diverses  éditions 
de  la  Loi  salique,  donne  une  description  délaitléc  de  soixante-cinq  manuscrits  de 
celle  loi  dont  il  a  eu  connei.'^sance,  el  p,irmi  lesquels  il  a  reconnu  sept  familles  de 


MAI  1843. 


319 


lexles  OH  réclaclions  dilTérenlcs  cjuil  a  jugé  indispensable  tic  publier  séparément. 
Les  quatre  premierB  de  ces  textes,  accompagnés  des  gloses  tnalbergiques ,  coin- 
prennenl  les  plus  anciennes  rédactions  de  la  Loi  salique.  M.  Panit^sus  les  puDio 
d'après  sept  tnannscrit s  de  ta  Bibliothèque  du  lioi  et  un  manuscriLdela  bibliolbèque 
de  la  faculté  de  médecine  de  Montpellier.  Comm»  appendice  a  ces  quatre  telles  il 
donne  ensuite  celui  d'un  manuscrit  de  Woifenbutlel  qu'Eccard  avait  publié  d'une 
manière  défectueuse,  et  celui  d'un  manuscrit  de  Munich  qui  a  servi  k  M.  Feiier-  gr 
bacb  pour  sa  récente  publication.  Ces  six  rédactions .  auxquelles  l'édileur  a  joint  la.J 
leçon  imprimée  par  Herold  eo  i  55^,  d'après  un  document  qui  n'est  pas  connu . 
sont  antérieures  nu  règne  de  Cbarlemagne.  L'éditeur  les  a  fait  suivre  du  texte  connu 
des  savants  sous  le  titre  de  Lcx  reformata,  lex  à  Caivto  marjno  emendata.  11  existe 
de  3k(le  rédaction  un  grand  nombre  de  copies.  M,  Pardessus  a  choisi  celle  qui  lui 
a  paru  mériter  le  plus  de  confiance,  en  y  ritl tachant  les  principales  variantes  des 
autres  manuscrits.  On  trouve  ensuite,  sous  le  litre  de  Capila  cxlravaguntla ,  des 
additions,  sans  caractère  authentique,  quoique  présentées,  dans  quelques  manus- 
crits ,  comme  faisant  partie  de  la  }.ex  lulica.  Les  derniers  textes  de  la  collection  sont 
les  prologues  et  l'épilogue  de  la  Lui  salique  et  deux  résumés  des  compositions  pour 
crimes  et  délits,  connus  sous  les  noms  de  SE[ilem  septennas  et  de  Reeapitalalio 
lolidoram.  Mais  M.  Pardessus  ne  s'est  point  borné  à  donner  une  édition  coiTecle  el 
complète  de  la  Loi  salique.  Il  l'a  expliquée  el  commentée  dans  des  noies  nom- 
breuses, à  ia  suite  desquelles  il  a  placé  quatorze  dissertations  sur  les  points  les 
plus  remarquables  du  droit  privé  des  Francs  sous  la  première  race.  Ces  disserta- 
lions  ,  qui  ajoutent  beaucoup  au  prix  de  ce  grand  travail ,  formeraient  à  elles  seules 
un  ouvrage  considérable.  M.  Pardessus  y  iraite  successivement  de  la  rédaction  du 
la  Loi  salique  et  de  sesdifTércnles  révisions,  du  droit  que  chacun  avait,  dans  l'em- 
l^e  des  Froncs,  d'être  jugé  par  sa  loi  d'origine;  des  personnes  libres  considéré» 
danslèlal  de  famille;  de»  hommes  libres  d'origine  barbare  considérés  dons  leur  état 
politique;  de  lo  vassalité:  de  l'étal  des  Homains  el  de  l'esclavage  d'après  la  Loi  s.i- 
lique;  de  la  propriété  foncière  d'après  la  légûlation  des  Francs;  de  l'organisalion 
judiciaire,  de  ia  procédure  devant  les  tribunaux,  des  différents  modes  de  preuves, 
des  compositions  pour  les  crimes  cl  les  délits ,  de  la  législation  du  mariage  cl  de  la 
li^gislalion  de»  successions  chez  les  Francs, 

Caasenes  et  Méditations  hisloriqaet  et  Vtlérairts,,  par  M,  Charles  Magiiin,  Paris, 
imprimerie  de  P.  Renouard,  librairie  de  B.  Duprat,  i843,  a  vol.  in-8*  de  xii-5o6 
el53S  pages.  —  Les  iravaux  de  la  critique  moderne,  deux,  du  moins .  qui  ont  exercé 
une  inlluence  incontestée  sur  les  idées  contemporaines,  paraîtraient  dignes  d'étrtr 
recueillis  comme  des  documcnis  indispensobles  pour  l'élude  de  l'hisloire  littéraire 
du  XIX'  siècle,  lors  même  qu'on  n'adopterait  pas  toutes  les  opinions  qu'ils  ont  coii- 
Iribné  ii  répandre.  A  ne  considérer  que  soua  ce  jioinl  de  vue  les  remarquableii 
articles  publiés  par  M.  Magnin  depuis  vingt  ans,  d'abord  dans  le  Globe  et  dans 


le  National,  cl  plus  tard  dan^  ]a  Revue  des  Deux-Mondi 
prouver  l'aulcur  de  les  avoir  réunis  dans  ces  deux  volumes.  N< 
leurs,  que  M.  Magnin  n'aura  point  à  se  repentir  d'avoir  soun 
premiers  travaux  au  jugement  du  public ,  el  que  sa  réputation , 
comme  critique,  ne  pourra  qu'y  gagner.  L'auteur  explique  ainsi 
qu'il  a  donné  à  ces  roéJangei  :  •  Les  articles  extraits  du  Globe 
sont  pour  la  plupart  que  de  pures  improvisations,  derapid 
c  des  lecleurs  presque  quotidiens,  de  véritables 


pourrait  qu'up' 
I  croyons,  d'ail- 
de  nouveau  ses 
mme  écrivain  el 
li-méme  le  litre 
du  National  ne 
conversations  engagées 


'A 


u  contraire,  plus  étendus,  plusmrfrfif^i,  composés  dans  des  conditions  de  puUicilii 


|L,320  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

"  motni  hâlite.  onl  paru  appeler  une  dénoininalion  plu»  grave.  ■  Tous  ces  articles 
iODt  reproduiU  satu  aucun  changement  pour  le  fond  des  opinions ,  mais  M.  Magnin 
s'est  alluché  à  en  perfeclionner  la  forme.  Les  matières  qui  compoaenl  ce  recueil  se 
divisent  en  deux  séries.  Le  premier  volume  contient  ce  qui  est  relatif  à  l'histoire 
et  à  la  littérature  de  notre  pays.  On  y  trouve  vingt-trois  morceaux,  parmi  lesquels 
on  remarque  d'inléressantes  appréciations  des  œuvres  de  Luce  de  Lancival.  de 
Parseval-Grandmaison .  de  Paul-Louis  Courier,  de  MM.  de  Chateaubriand,  Victor 
Hugo,  Vitet,  Mérimée.  Alfred  de  Vi^ny,  Edgar  Quinet.  Dusillet,  Valéry,  de  Sis- 
mondi  et  Augustin  Tliierry,  et  une  dissertation  sur  les  révolutions  de  l'art  au  moyen 
Age,  à  l'occasion  de  la  statue  de  la  reine  Nanléchildc.  L'auteur  a  réuni  dans  le  se- 
cond volume  ce  qui  se  rapporte  plus  particulièrement  à  l'élude  des  lillérature» 
étrangères.  Les  morceaux  appartenant  à  celte  dasse  sont  au  nombre  de  quarutte 
et  un.  On  rehra  surtout  avec  un  vif  iniérél  une  série  d'études  sur  le  ihéùtre  anglais ,  à 
(' occasion  des  représentations  données  à  Paris  par  les  comédiens  anglais  en  1837  et 
i8a8;  une  ¥ie  de  Camoens,  reproduite  avec  de  nouveaux  développements,  et  des 
recherches  sur  le  théâtre  et  la  Hltérature  en  Portugal  et  au  Brésil.  Le  volume  est 
lermiué  par  trois  articles  que  M.  Magnin  a  publiés  dans  le  Journal  des  Savants 
(Juillet  et  décembre  iS^i  et  mai  18^3  J  :  les  deu\  premiers  sur  la  Chi'onique  de 
Guinée  et  le  troisième  sur  les  romans  et  le  théâtre  à  la  Clûne.  Ces  mélanges  ne 
comprennent  point  les  nombreux  articles  que  M.  Magnin  a  consacrés,  pendant 
plusieurs  années ,  dans  le  Globe  et  ailleurs ,  à  l'examen  des  nouveaulés  de  la  sccnA 
française;  l'auteur  se  propose  d'en  faire  robjel  d'une  publication  à  part. 

Paléographie  anivertûtle,  collection  de  fac-similé  d'écritures  de  tous  les  peuples 
et  de  tous  les  temps,  tirés  des  plus  authentiques  documents  de  l'art  graphique, 
chartes  et  manuscrits,  existant  dans  les  archives  et  les  bibliothèques  de  France, 
dlltalie.  d'Allemagne  et  d'Anglelerre ,  publiés  d'après  les  modèles  écrits,  dessinés 
et  peints  sur  les  lieux  mêmes  par  M.  Silvestre,  et  accompagnés  d'explications  his- 
toriques et  descriptives  par  MM.  Champollion-Figeac  et  Aimé  Cbampoltion  hls. 
Deuxième  édition.  Paris,  imprimerie  de  F.  Didot  frères,  i843,  à  vol.  in-fol.  — 
Cette  seconde  édition  est  publiée  en  5o  livraisons ,  composées  de  6  planches  et  du 
texte  explicelif.  Le  prix  de  chaque  livraison  coloriée  est  de  3o  francs,  et  en  noir  de 
10  francs.  Les  éditeurs  vendent  séparément  chacune  des  huit  parties  de  la  Paléo- 
graphie universelle ,  savoir  :  les  pidéographies  orientale ,  grecque ,  latine ,  italienne 
et  espagnole,  française,  anglo-saxonne,  slavonne  et  allemande. 


TABLE. 

Boïue  des  éditious  de  Buffon  (  1"  arlieie  de  M.  Floureni] Page   ii57 

AnLichi  monumenti  sepolcrali  scoperti  np\  ducalu  dl  Ccri ,  didiiarmï  dal  cav-  P.  S. 
Viscoiili.  —  Descriiione  di  Cerc  anlica.  ed  in  parlicoUre  de!  moDuinenlo  se- 
[)olcrale  »cap«rlo  nell'  anno  1836,  dell'  architcllo  cai.  L.  Canïna.  ~-  Modu- 
moiili  di  Ccrc  anticn,  dal  ««.  L.  Grifi  (1"  article  de  M.  Raoul-Kochctte].. . .  268 
Nouveaux  documODls  inédits  sur  le  P.  André  et  sur  lu  persécution  du  Cartésia- 
nisme dans  la  compagnie  de  Jésus  (3'  article  de  M.  Cousin) 287 

Essais  d'expériences  faites  è  l'Acadéniie  de.l  Cimcnto  [4'  article  de  M.  Libri  ). . .  ,  308 

Nonvellei  lilt^rairw 3IC 


oji-m 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


JUIN  1843. 


Explication  de  trois  inscriptions  trouvées  à  Philes,  en  Egypte. 

PREMIER    ARTICLE. 

Dans  les  cahiers  de  novembre  et  décembre  derniers ,  j*ai  fait  connaître 
et  expliqué  plusieurs  inscriptions  découvertes  dans  cette  île  célèbre.  Peu 
importantes  par  leur  objet ,  puisqu'elles  ne  contiennent  qu*un  acte  d'a- 
doration (7rpoa-xvi;i;/xa)  en  l'honneur  dlsis ,  elles  offrent,  dans  un  mot  ou 
deux,  des  indications  d'un  grand  intérêt  pour  l'histoire  et  la  chronologie. 
C'est  le  caractère  qui  distingue  la  plupart  des  inscriptions  grecques  trou- 
vées en  Egypte,  et  qui  leur  donne  une  importance  que,  de  prime 
abord,  on  serait  loin  de  leur  soupçonner. 

Je  pense  qu'on  trouvera  ce  genre  d'intérêt  dans  les  trois  inscrip- 
tions que  je  vais  faire  connaître,  relatives  à  l'époque  romaine,  et  re- 
marquables chacune  par  un  fait  curieux ,  de  nature  différente. 

I. 

Inscription  du  temps  d'Auguste,  qui  fait  connaître  un  mode  particulier  de  compter 

les  années  du  règne  de  ce  prince. 

Cette  inscription  a  été  publiée  d'abord  par  M.  Hamilton  \  qui  en 
avait  séparé  les  sept  premières  lignes  des  six  dernières,  de  manière 

'  Mgyptiaca,  etc.  p.  5a. 

ài 


322  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qu'on  ne  pouvait  soupçonner  quelles  formassent  toutes  une  même  ins- 
cription. Cest  à  M.  Lenormant  et  à  sir  Gardner  Wilkinson  que  j*en  dois 
la  connaissance  complète  (elle  avait  totalement  échappé  à  la  diligence 
de  M.  Gau).  La  voici  d'après  les  trois  copies  combinées. 

rAioclOYAiocnAneiocenAPXoc vatos  io<iXios  némstoç  évap^cos 

HK(i)IKAinP0CK6KYNHKATHNKYPI  ^xeo,  xai  Trpotrxsxivrjyia  rifv  xvpi^ 

ANICINCYNIOYAIGJITGJIYIGJIKAIY  av  ïaiv,<TÎtv  lo^Xito  tû5  viéô,  xai  d- 

nePrAIGJNOCTOYNeOJTePOYYlOYe  irèp  ValeovosTov  veûô^épov  viov  [é- 

5.  TIACKAICYNTOICOIAOICKAICYN  rt  U  xai  erOvrofe  (^{kois  xai<Tvv- 

AnOAHMOICCYMMAXGJieYMeNei  airohriiiots  ^rjfifiàxo),  Evfiévet, 

AnOAAGJNIGJXAPHTOCKAlYIGJIAneAAAI  ÀttoXXwv/w  Xàprrri>s,  xai  mâ>  ÀTreXXdt 

KAlAniGJNI KAI AICM KAI  xai  kirlcovi xai  ^y<T[i]iJ^[ix^]  xd  [toiV] 

K6NTOPI(i)CAPOY<Da3AHMHTPINirP(i)l  xemopitant  Po{i(p«,  ^rjiirfrplcf) ,  mypœ , 

10.  OYAAePIGJIAABYGJNITePeNTIGJI  OvaXeplco,  \a€<iâvt,  Tepevriù), 

NIKANOPIBAP(i)NATIKAIT(i)NnAIAA  ^txàvopi,  Bapcovàrt)  xai  rewv  iratZa- 

PI(i)NMOYnANT(i)N  p/«f  fJ^o^  -KàvTwv 

L  K  TKAieOAM  Â  L.  K  rôti  xai~e  <pa[i[svée]  Â 

«Moi,  Caîus  Julius  Papius,  commandant  (de  légion),  je  suis  venu  et  j'ai  adoré 
la  maîtresse  Lsis ,  avec  Julius  mon  fds ,  et  pour  le  salut  de  mon  fils  plus  jeune  Caïon 
(de  plus,  avec  mes  amis  el  compagnons  de  voyage,  Symmaque,  Eumène,  Apollo- 
nius fils  de  Charès  et  son  iils  Apellas ,  avec  Apion  iils  de. ...  et  Lysimaque ,  et  avec 
les  centurions  Rufus,  Démétrius,  Niger,  Vaiérius,  Labéon,  Térenlius,  Nicanor, 
Baronasj,  et  pour  celui  de  tous  mes  enfants. 

«L*an  XX,  qui  est  aussi  Tan  v,  de  phaménoth  le  3o.  » 

Ce  n'est  là,  comme  on  voit,  qu'un  simple  proscynème  fort  ordinaire; 
mais  ie  trait  de  la  fin  contient  un  fiiit  chronologique  des  plus  curieux. 
Avant  d'y  arriver,  je  vais  présenter  quelques  observations  de  détail. 

Ligne  l'\  Des  leçons  HAneiC  (Ham.  Len.)  et  HANCIOC  (Wilk.),  je 
lire  riAneiOC,  PAPIUS,  nom  romain  bien  connu.  On  sait  que,  dans  les 
inscriptions  de  l'époque  romaine,  la  syllabe  El  remplace  non-seulement 
ri  long,  mais  aussi  quelquefois  l'I  bref,  quoique  plus  rarement  ;  ainsi 
TEITOZ  pour  TITVS^  HEIOZ  pour  PIVS^,  AIONYZIAAEI  poiu*  AIONY- 
ZIAAI  3,   EniOANEIOZ  pour  Eni<t)ANIOZ\  Ce  Caïus  Julius  Papius  est 

'  Corp.  inscript,  n"  353.  —  *  Ibid.  n"  1242.  —  *  Osann,  Sylloge  inscript,  grœc. 
p.  435.  —  *  Inscription  de  Philes,  dans  mon  Recueil,  t.  II,  p.  18a  (sous  presse). 


JUIN  1843.  323 

très-probablement  le  fils  de  Calus  Papius,  tribun  du  peuple,  auteur  de 
la  loi  Papia ,  qui  ordonnait  aux  étrangers  de  sortir  de  Rome  et  aux  al- 
liés du  nom  latin  de  retourner  dans  leurs  villes  ^  Cette  loi  fut  rendue 
en  689  de  Rome,  ou  65  avant  notre  ère;  la  date  du  proscynème  de 
Caïus  Julius  Papius  étant,  comme  on  le  verra  tout  à  Theure,  de  l'an 
728  de  Rome,  ou  2  5  avant  notre  ère,  nest  séparée  de  celle  de  la  loi 
que  par  un  intervalle  d'environ  quarante  ans.  L'auteur  de  ce  proscy- 
nème peut  donc  avoir  été  le  fils  du  tribun  Caïus  Papins. 

Maintenant  que  faut-il  entendre  par  le  mot  ënap^os  [prœfectas],  em- 
ployé d'une  manière  absolue?  Ce  doit  être  ou  le  préfet  d'Egypte,  ou  un 
chef  militaire  commandant  la  haute  Egypte;  on  peut  facilement  se  dé- 
cider par  cette  considération,  qu'en  Tannée  2  5  avant  Jésus -Christ  le 
préfet  d'Egypte  se  nommait  C.  Pétronius.  Cette  raison  est  péremptoire. 
Le  mot  Snapxos  ne  peut  donc  ici  désigner  qu'un  chef  de  légion  ou  de 
cohorte,  soit  qu'il  ait  été  suivi  d'une  désignation  qui  aura  disparu,  et, 
en  effet,  sur  la  copie  de  M.  Hamillon,  on  voit  des  points  qui  indiquent 
une  lacune;  soit  que  le  mot  ait  été  employé  d'une  manière  absolue, 
le  sens  devant  résulter  naturellement  de  la  mention  des  centurions  qui 
accompagnaient  le  chef.  Nous  verrons  plus  bas  que  ce  ne  peut  pas  être 
un  chef  de  cohorte  (;ti>/apx,o^). 

Lignes  3  et  4.  Caïus  Julius  Papius  avait  avec  lui  son  fils  Julius  (Pa- 
pius). Un  autre  de  ses  fils,  plus  jeune,  appelé  Caïon  ou  Gaïon  (Fa/ow), 
absent,  est  compris  dans  l'acte  religieux  du  père,  qui  le  fait  à  son  in- 
tention. Le  nom  de  FaiW  est  remarquable  :  c'est  un  dérivé  de  Faiof 
(Gaïus),  comme  ^apanioûv  l'est  de  ^dipairtç,  Airiœv  de  ÀTrif ,  et  autres 
noms  en  œv,  dérivés  de  celui  d'une  divinité.  Ainsi  Caîas,  prénom  de 
César,  est  ici  traité  comme  le  nom  même  de  Cœsar,  dont  on  avait 
fait  Kaiaapioûv ,  le  fils  de  Cléopâtre  et  de  César.  Je  crois  cet  exemple 
du  nom  de  Faioûv  jusqu'à  présent  unique  ;  il  a  dû  cependant  être 
plusieurs  fois  employé ,  puisqu'on  connaît ,  dans  une  inscription  de 
Khardassy  (  n"*  28),  l'exemple  de  Faioûvas,  qui  n'en  doit  être  qu'un 
dérivé  sous  la  forme  alexandrine ,  comme  Qecûvàs  (dérivé  de  Séoûv), 
S.eci)vas  (de  Xécûv),  etc.  Papius  était  accompagné,  en  outre  [hiSèxal), 
de  SIX  personnes  ,  qu'il  qualifie  à!amis  et  de  compagnons  de  voyage 
[<ptkoi  xai  (TvvanôSrjfxôt),  Ce  dernier  mot  annonce  qu'ils  étaient  venus 
"vec  lui  en  Egypte,  profitant  de  l'occasion  qui  donnait  à  leur  ami  un 
ommandcmcnt  en  Egypte.  Ds  le  suivirent  au  lieu  de  sa  destination 

^  Dio  Cassius,  xxivii,  /|6;  ibiq.  Reimar. 

i . 


324  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dans  la  Thébaîde.  Deux  seub  de  leurs  noms  sontaccompagnés  de  celui 
du  père,  Apollonius  fils  de  Charès,  et  Apionfils  de...  car  cette  lacune  doit 
être  remplie  par  un  patronymique.  On  peut  donner  deux  raisons  de 
ce  que  Caïus  Julius  Papius  na  indiqué  que  le  nom  du  père  d'Apol- 
lonius et  d*Apion  :  ou  bien  il  ignorait  comment  s  appelait  le  père  des 
trois  autres,  ou  bien,  ayant  pour  amis  plusieurs  Apollonius  ou  plusieurs 
Apion,  il  a  voulu  distinguer  ceux  qui  raccompagnaient  par  le  nom 
du  père  de  chacun  d'eux.  Le  fils  d'Apollonius  se  nommait  Apellas, 
À7re>Xa^ ,  au  datif  A7re»jt  (  AflGAAM  )  ;  il  ne  serait  pas  impossible 
qu'une  lettre  eût  disparu  à  la  fin,  et  que  Papius  eût  écrit  MIGAAATI 
[k.TreXXaTi)y  leçon  peut-être  plus  conforme  à  l'usage  égyptien,  dont 
j'ai  cilé  beaucoup  d'exemples  ^;  mais  je  m'en  tiens  à  la  leçon  des  trois 
copies.  Dans  les  monuments  de  l'époque  romaine ,  le  nom  d'Apella , 
en  grec  k.7reXXa$ ,  est  fi:équent ,  surtout  pour  désigner  des  affranchis  ; 
et,  selon  la  remarque  de  Scaliger  et  de  Bentley,  dans  le  Credai  ja- 
dœus  Apella  d'Horace^,  il  faut  voir,  non  un  circoncis,  comme  le  dit 
le  scholiaste  (  nomen  fictum  a  defecta  prœputii) ,  mais  un  juif  du  nom 
grec  d'Apellas  [kireT^^as),  auquel  Horace  a  donné  la  désinence  latine, 
Apella. 

Ligne  9.  Le  mot  K€NTOPI(i)CA  (Len.)  ou  K€NTOPI(i)C  (Wilk.)  ne 
peut  être  que  xevroplaxn  ou  xevToplctxrtv,  il  indique  que  les  noms  qui 
suivent  désignent  des  centurions.  L'absence  de  l'article  devant  xevToplœai 
annonce  qu'il  s'agit  de  quelques  centurions,  et  non  de  tous  les  centurions 
qui  étaient  sous  les  ordres  de  Papius.  Ces  officiers  sont  au  nombre  de 
huit;  et,  comme  il  n'y  avait  que  six  centurions  dans  chaque  cohorte, 
c'est  une  raison  de  croire  que  Papius  était  un  chef  de  légion.  On  connaît 
plusieurs  exemples  de  ce  mot  latin  grécisé,  à  la  place  de  éKaTovrdpxnf  ^. 
Il  me  semble  qu'il  n'y  avait  que  le  chef  lui-même  qui  pût  ainsi  désigner 
les  officiers  qui  relevaient  de  lui ,  sans  autre  explication  du  corps  auquel 
ils  appartenaient;  il  pensait  qu'on  l'entendrait  facilement.  Papius  était 
donc  venu  rendre  hommage  h  la  déesse,  accompagné  par  plusieurs  de 
ses  officiers.  Quant  au  nom  de  ceux-ci,  il  en  est  cinq  de  romains, 
Rufus,  Valérius,  Labéon,  Térentius  et  Niger,  et  trois  de  grecs,  Démétrius, 
Nicanor  et  Baronas,  ce  dernier,  grec  au  moins  par  la  désinence.  Le  nom 
de  Labéon  est  écrit  AaSvcjv,  ce  qui  en  rappelle  l'étymologie,  à  labiis.  En 

*  Recaeil  des  inscriptions  grecques  de  VÉgvpte,  t.  II,  p.  55  (  sous  presse).  —  *  Ben- 
dey,  Epistola  ad  Millium,  p.  77-81,  ad  calcem  Malais.  —  '  Recueil  des  inscriptions 
grecques  de  VÉgypte,  1. 1,  p.  4i8,  n.  1. 


JUIN  1843.  325 

effet,  Verrius  Flaccus,  cité  par  Charisius,  donne  Labio  comme  ayant 
élé  autrefois  employé  dans  le  sens  de  Lahiosus.  Ce  nom  propre  doit 
avoir  eu  aussi  la  forme  Labio;  cest  cette  forme  que  nous  rend  le 
AaSicûv  (ou  A.a€vck)v  en  vertu  de  l'iotacisme)  de  Vinscription.  Labio  ou 
Labeo  (fhomme  aux  grosses  lèvres)  des  Romains  répond  au  XetXojv  des 
Grecs. 

•Fai  dit  que  le  nom  de  Bap«v&  nest  grec  que  par  sa  terminaison; 
en  effet,  il  ne  peut  être  quun  dérivé  du  mot  latin  Baro  [onis),  qui  si- 
gnifie homme  stupide  ou  imbécile,  Cest  un  de  ces  singuliers  surnoms  que 
les  Romains  adoptèrent  sans  difficulté,  quoiqu'ils  exprimassent  des  vices 
ou  des  difformités  physiques,  tels  que  Naso,  FrontOy  Simus,  Latro, 
Asinay  Bibulas,  Bestia,  Scato,  etc.  Baro  est  de  ce  genre,  et  les  Grecs  en 
ont  fait  hapcjvis  [Stos),  comme  de  FaiW,  Touo)vas.  Nous  avons  aussi 
Le  bègue,  Le  borgne,  Le  bossu,  et  autres  de  ce  genre.  On  remarquera 
qu'aucun  des  noms  romains  n  a  de  prénom;  Papius  aura  voulu  ,  sans 
doute,  économiser  le  temps  et  la  place. 

Il  est  étrange  qu'après  tous  ces  noms  au  datif,  dépendants  de  otJv,  se 
présente  le  génitif  xa)  râv  itcuSaplcûv  (lov  irdvTCJv.  Je  pense  que  Papius , 
après  avoii'  énuméré  tous  ses  compagnons,  se  sera  ravisé;  il  n'avait,  au 
commencement,  fait  de  vœu  que  pour  ses  deux  fils,  dont  l'un  l'accom- 
pagnait; en  finissant,  il  désire  étendre  son  vœu  à  d'autres,  qu'il  ap- 
pelle ses  7ratS(ipia\  il  met  ce  mot  au  génitif,  dépendant  de  ùnépy  sous- 
entendu,  comme  disent  les  gi'ammairiens ,  ânh  xoivov,  étant  séparé  du 

premier  vvép  par  une  grande  parenthèse  :  virèp  Talcavos [hi  Se 

xai  avv ^apoûvan  )  xai  t(Sv  natSotp,  Qu'entend-il  par  ses  itaiSapta  ? 

Ce  sont  ses  autres  enfants,  encore  en  bas  âge,  qui  ne  l'avaient  pas  suivi 
dans  son  voyage.  Je  ne  puis  croire  qu'il  désigne  ici  les  esclaves  de  sa 
maison ,  et ,  à  dessein ,  par  un  diminutif  caressant. 

Je  viens  maintenant  à  la  date  de  l'inscription ,  exprimée  dans  la  der* 
nière  ligne.  J'ai  dit  que  cette  date  était  celle  de  fan  26  avant  notre  ère. 
En  voici  la  preuve  : 

Des  diverses  variantes  IKTKA 164)  AMÂ  (Ham.);  LRTKAI€<t)AAÂ  (Len.); 
LKTKAfe^AM^'Â  (W),  je  tire  la  leçon  LKtKAÎë<t)AMÂ,  c'est-à-dire 
Lvxd&xvroç  etKoaroij  toS  xa)  néiÂirrov,  (^afievèO^  Tpiaxo<nfi.  «L'an  xx,  qui 
qui  est  aussi  l'an  v,  de  phaménoth  le  xxx.  »  C'est  là  cette  double  ex- 
pression d'une  année  de  règne  que  l'on  trouve  sous  les  règnes  simultanés 
de  Philométor  et  d'Évergète ,  de  Cléopâtre  et  de  Ptolémée  Alexandre , 

'  On  connaît  beaucoup  d'autres  exemples  de  noms  de  mois  mis  en  abrégé. 


326  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

de  CJéopâtre  et  d'Antoine.  La  lecture  étant  certaine,  il  reste  à  savoir 
ce  que  ce  passage  signifie. 

Il  est  évident  que  le  prince  dont  l'année  est  exprimée  ici  ne  peut 
être  qu'un  empereur  romain.  La  présence  des  noms  ou  prénoms, 
Caîas,  Jalias  et  Caion,  annonce  une*  époque  voisine  de  César  ou  d'Au- 
guste. 

La  double  expression  Van  xx  qui  est  aussi  Van  v  indique  un  règne 
dont  les  années  ont  pu  être  comptées  de  deux  points  de  dépari  diffé- 
rents, éloignés  l'un  de  l'autre  de  quinze  ans;  or  le  règne  d'Auguste  est 
le  seul  qui  puisse  offrir  cette  condition. 

C'est  un  fait  reconnu,  que  les  années  de  ce  prince,  en  Lgypte,  se 
sont  comptées  à  partir  du  29  ou  3o  août  de  l'an  3o  avant  Jésus-Christ, 
et  non  du  i*^  août,  qui  est  le  jour  de  la  prise  d'Alexandrie  ^  Mais, 
comme  les  Égyptiens  avaient  l'usage  de  compter  les  années  d'un  sou- 
verain à  partir  de  la  mort  de  son  prédécesseur,  en  lui  attribuant  l'an- 
née entière  dans  laquelle  celui-ci  était  mort,  on  conçoit  que,  quoique 
l'usage  fût,  en  Egypte,  de  ne  compter  les  années  d'Auguste  que  de  la 
conquête  du  pays,  on  ait  eu  l'idée  de  reporter  le  commencement  de 
son  règne  jusqu'à  la  mort  de  Jules  César,  événement  qui  pouvait  être 
réellement  compté  comme  le  point  de  départ  de  ce  règne.  Toutefois 
ce  ne  peut  guère  être  là  qu'une  idée  romaine.  En  effet,  les  Egyptiens 
ne  pouvaient  commencer  le  règne  d'Auguste  qu'à  partir  de  la  mort 
de  leur  reine  Cléopâtre.  Pour  eux,  les  quinze  années  précédentes,  de 
44  à  3o,  appartiennent  nécessairement  à  cette  princesse;  mais  un  Ro- 
main ,  en  y  appliquant  le  principe  égyptien  de  la  succession  hérédi- 
taire, pouvait  dater  l'avènement  d'Auguste  de  la  mort  de  son  père, 
Jules  César,  qui  l'avait  précédé.  Aussi  n'est-ce  pas  un  Égyptien  que 
nous  voyons  adopter  cette  double  date,  c'est  un  Romain,  chef  de  lé- 
gion ;  et ,  ce  qui  prouve  qu'il  y  entre  bien  réellement  la  combinaison 
de  la  méthode  égyptienne,  c'est,  en  premier  lieu ,  l'emploi  du  calen- 
drier égyptien  ;  c'est ,  en  second  lieu ,  que,  si  Ton  part  des  ides  de  mars 
de  l'an  kk  avant  Jésus -Christ,  jour  de  la  mort  de  Jules  César,  et  si 
Ton  compte  la  première  année  d'Auguste  à  dater  du  1"  thoth  de  Tan- 
née précédente,  ou  du  29  août  de  Fan  45,  comme  l'aurait  fait  un 
Égyptien,  on  trouve  que  la  xvi*  année  d'Auguste  a  justement  com- 
mencé au  29  août  de  l'an  3o,  l'année  de  la  prise  d'Alexandrie,  en 
sorte  que  la  xx®  année  d'Auguste ,  depuis  la  mort  de  César,  commence , 

*  Cf.  Sync.  Chronic.  p.  3ia-3i3,  Paris;  p.  Sgi,  Bonn.  — *  Voyez  mon  Recueil 
des  inscriptions  de  l'Egypte,  1. 1,  p.  85  et  86. 


JUIN  1843.  327 

jour  pour  jour,  avec  la  v*  depuis  la  soumission  de  l'Egypte.  Il  y  a  donc 
ici  pleine  évidence,  el  le  mot  de  cette  petite  énigme  chronologique 
ne  peut  rester  douteux. 

De  cette  manière  de  compter  les  années  d'Auguste,  il  n existe 
d'exemple  dans  aucun  monument  contemporain  ,  quoique  nous  possé- 
dions onze  inscriptions ,  trouvées  en  Egypte ,  à  la  date  d'Auguste ,  et 
jusqu'à  huit  dans  la  seule  île  de  Philos  ;  la  date  partout  y  est  simple , 
comptée  exclusivement  à  Tégyplienne.  Cependant  il  est  assez  diflicile 
de  voir  ici  une  pure  fantaisie  individuelle;  on  peut  même  dire  qu'une 
pareille  expression  ,  sans  tindication  du  nom  du  prince,  suppose  un  usage 
alors  assez  connu  pour  ne  laisser  d'incertitude  dans  l'esprit  de  personne  ; 
et,  si  l'on  est  forcé  de  convenir  que  ce  mode  de  dater  est  resté  en 
dehors  des  actes  puhlics,  il  faut  bien  admettre  qu'il  fut  suivi  par 
quelques  Romains  en  Egypte,  au  moins  du  vivant  d'Auguste,  comme 
étant  conforme  aux  habitudes  du  pays. 

On  pourrait  objecter  que,  dans  les  inscriptions  du  règne  d'Auguste, 
qui  ne  portent  qu'une  seule  date ,  celte  date  unique  est  peut-être  ex- 
primée à  partir  de  la  mort  de  César,  ce  qui  jetterait  une  incertitude 
de  quinze  ans  sur  leur  époque;  mais,  entre  autres  raisons  qui  montrent 
qu'il  n'en  est  point  ainsi ,  on  peut  en  donner  une  décisive  :  c'est  la 
date  de  l'an  xiv,  que  portent  deux  autres  inscriptions;  il  faut  bien 
qu'elles  partent  de  l'an  3o,  année  de  la  réduction  de  l'Egypte  en  pro- 
vince romaine,  puisqu'en  l'an  xiv,  à  partir  de  la  mort  de  César,  l'E- 
gypte n'était  pas  encore  conquise.  Toute  date  simple  est  donc  rap- 
portée à  l'an  3o;  mais  pourquoi  n'y  a-t-il,  jusqu'à  présent,  qu'un  seul 
exemple  d'une  date  double  ? 

L'explication  de  la  difficulté  ressort  naturellement  de  l'époque  de 
la  seule  inscription  où  cette  date  se  rencontre.  On  conçoit,  en  eflfet, 
que  la  double  expression  n'a  pu  être  employée  que  dans  les  premières 
années  du  règne  d'Auguste.  Lorsque  l'usage  se  fut  bien  établi  de  comp- 
ter en  Egypte  d'après  la  méthode  égyptienne ,  lorsque  surtout  l'intro- 
duction de  l'année  fixe,  de  même  durée  que  l'année  julienne,  eut  donné 
une  concordance  constante  et  commode  pour  les  deux  calendriers ,  la 
double  date  devint  parfaitement  inutile,  et  l'on  se  contenta  d'une  seule. 

Or  notre  inscription  est  de  l'an  v  d'Auguste,  c'est-à-dire  de  la  même 
année  que  l'établissement  du  calendrier  fixe ,  qui  eut  lieu  l'an  2  5  avant 
notre  ère.  Toutes  les  autres  inscriptions  sont  postérieures  à  cette  époque, 
la  plus  voisine  étant  de  l'an  xiv ,  de  neuf  années  plus  récente.  L'usage 
était  dès  lors  tombé  en  désuétude  ;  voilà  pourquoi  l'on  n'en  rencontre 
plus  de  trace.  Il  est  vraisemblable  qu'on  en  retrouverait  l'emploi ,  si 


328  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

l'on  découvrait  quelque  inscription  antérieure  à  Tan  v  d'Auguste ,  tracée 
entre  Tan  3o  et  Tan  2  5  avant  Jésus-Christ. 

La  preuve  que  Tusage  de  cette  double  date  na  tenu  aucune  place 
dans  le  calcul  effectif  des  années  du  règne  d'Auguste ,  c'est  que  Censo- 
rin  n'en  parle  pas.  Cet  auteur,  si  versé  dans  les  calendriers  anciens,  fait, 
il  est  vrai,  mention  de  deux  manières  de  compter  les  années  de  cet  em- 
pereur; mais  le  point  initial  de  Tune  et  de  l'autre  ne  différait  que  de 
deux  ans.  Selon  la  première  (et  c'était  la  méthode  égyptienne),  on 
commençait  à  la  réduction  de  l'Egypte  en  province  romaine,  ce  qui 
avait  eu  lieu  deux  cent  soixante-sept  ans  avant  le  consulat  d'Ulpius  et 
de  Pontianus ,  époque  où  Censorin  rédigea  son  livre;  selon  la  seconde, 
on  commençait  deux  ans  plus  tard ,  à  l'année  où  Octave  avait  pris  le 
titre  d'Auguste^.  Cette  seconde  méthode  était  donc  essentiellement  dif- 
férente de  celle  dont  il  s'agit  dans  l'inscription. 

Pour  retrouver  cette  manière  de  compter  les  années  d'Auguste  à 
partir  de  la  mort  de  César,  il  faut  descendre  jusqu'aux  systèmes  des 
chronologistes  anciens,  au  moins  depuis  Eusèbe,  qui  l'avait  sans  doute 
tirée  de  Julius  Africanus.  Ces  chronologistes  ont  commencé  ï empire 
romain ,  non  pas  seulement  à  la  mort  de  César,  mais  encore  à  sa  pre- 
mière dictature  ,  système  suivi  par  George  le  Syncelle ,  et  par  l'auteur 
du  Ckronicum  Paschale,  compilation  des  chroniques  antérieures.  Dès  ce 
moment,  César  devient,  pour  eux,  un  véritable  roi,  et  l'hérédité  royale 
commence  à  sa  mort.  Ces  chronologistes  donnent  à  Jides  César  un 
règne  de  quatre  ans  et  sept  mois,  jusqu'à  sa  mort^,  et  ensuite  ils 
commencent  aux  ides  de  mars  celui  d'Auguste.  La  durée  qu'ils  as- 
signent au  règne  de  César  est  remarquable  en  ce  qu'elle  confirme  l'ex- 
plication qu'Eckhel  a  donnée,  par  conjecture,  de  la  difficulté  résultant 
des  nombres  qui  expriment ,  sur  les  médailles ,  les  consulats  et  les  dic- 
tatures de  César  ;  car  on  trouve  souvent  deux  dictatures  consécutives 
pour  un  même  consulat:  par  exemple,  DICTAT.  I  et  II  avec  CON- 
SVL  n,  ou  bien  DICTAT.  II  et  IH  avec  CONSVL  II,  ou  DICTAT.  HI 
et  IV  avec  CONSVL  IV,  et  enfin  DICTAT.  IV  avec  CONSVL  V,  parce 
que ,  la  quatrième  dictature  ayant  été  perpétuelle ,  le  chiffre  ne  s'élève 
pas  au-dessus  de  IV.  Eckhel  a  parfaitement  montré^  que  la  difficulté 
cesse,  si  l'on  commence  les  années  consulaires  avant  les  autres,  par 
exemple,  en  janvier,  et  les  dictatoriales,  en  juillet  de  la  même  année; 

*  Censorin.  De  die  Natali,  c.  xxi ,  p.  i  lâ t  Lugd.  Batav.  1 767.  —  *  Euseb.  Chrome. 
t.  I,  p.  lûA,  éd.  Venel.;  Chronic.  Paschale,  p.  354,  éd.  Bonn.  —  '  Doctrina  numo- 
ram,  i.  Vl,  p.  i4-i6. 


JUIN  1843. 


320 


or  les  quatre  ans  et  sept  mois,  à  partir  des  ides  de  mai^s  de  Tan  kUt 
se  retrouvent  exactement  en  commençant  la  première  dictature  en  juil- 
let de  Tan  A  9.  Cest  donc  de  ce  mois  que  datent  les  dictatures  de  César, 
comme  Eckhel  Tavait  conjecturé ,  sans  se  douter  que  sa  conjecture  avait 
une  autorité  historique.  Le  tableau  qui  suit  explique  cet  arrangement; 
on  y  voit  que  les  années  consulaires  chevauchent,  pour  ainsi  dire,  avec 
les  années  dictatoriales,  et  qu'une  de  ces  années  correspond,  dans  le 
premier  semestre ,  à  un  consulat ,  et ,  dans  le  second  semestre ,  au  con- 
sulat suivant. 

DUR^B  DU  RÈGNE  DE  CléSAR ,  AVEC  L*1NDICATI0N  DE  SES  CONSULATS 

ET  DE  SES  DICTATURES. 


AFINéF.5 

de  Rome. 

ANNi£S 

avant  J.  G. 

CONSULATS. 

DICTATUBES. 

ahhÎes 
dedictatm^ 
réyolaes.  . 

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44 

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V.  Consulat  prolongé. 

De  juillet  à  la  mort  de 
César. 

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43 


330  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Quant  au  règne  d'Auguste ,  le  Canon  des  Rois  en  marque  la  duréeà 
quarante-trois  ans.  En  efTet,  h  partir  du  29  août  de  Tan  3o  avant  Jésus- 
Qirkt,  la  quarante -troisième  année  de  ce  prince  derait  commencer 
le  a 9  août  de  Tan  i3  de  notre  ère;  Auguste  mourut  le  19  août  de 
Tan  1^,  dix  jours  seulement  avant  que  la  quarante-quatrième  année  eût 
été  commencée.  Mais  Eusèlie,  le  SynccUe  et  la  Chronique  pascale,  qui 
partent  des  ides  de  mars  de  Tan  klx ,  donnent  au  règne  d'Auguste  une 
durée  de  cinquante-six  ans  et  six  mois  ^  Le  surcroît  de  six  mois  est 
parfaitement  exact,  puisque  c*est  le  temps  écoulé  entre  les  ides  de 
mars,  point  de  départ  de  ces  années  de  règne,  comptées  à  la  romaine, 
et  le  19  août,  jour  de  la  mort  d'Auguste.  Mais  ces  chronologistes  ae  sont 
trompés  sur  le  chiffre  cinquante-six  ;  c'est  cinquante-sept  qu'ils  devaient 
.dire»^çomme  le  prouve  la  concordance  de  ces  diverses  années  pour 
tout  le  règiie  d'Auguste.  On  voit,  dans  le  tableau  suivant,  que  la  cin- 
iquante-septième  année  fut  révolue  aux  ides  de  mars  de  Tan  1 4  ;  or 
Ajùgii^te  vécut  àîi  mois  en  su5  :  c'est  donc  cinquante-sept  ans  et  sit 
môlif'ijfu^ils  auraient  dû  compter. 

Quoiqu'il  en  soit,  cette  manière  de  commencer  les  aimées  d'Au- 
guste, sans  avoir  été  usitée,  à  ce  qu'il  semble,  dans  les  actes  publics, 
lie  fut  pas  moins  employée  par  les  chroûologistes  qui  voulaient  em- 
ibrasser  le  règne  entiéi-  de  ce  prince,  et  non  pas  seulement  à  partir  de 
^a  mort  de  Cléopâtre,  Ils  considéraient  Auguste  comme  te  successeur 
jimmédiat  de  César,  et  notre  inscription  montre  que  la  double  méthode 
fut  en  usagje ,  au  moins  de  la  part  des  Romains ,  dans  les  pi^emières  an* 
nées  qui  suivirent  la  conquête  de  l'Egypte. 

Je  ne  sais  si  le  poète  sibyllin  n'a  pas  fait  allusion  à  cette  longue 
durée  du  règne  d'Auguste,  prise  de  la  mort  de  Jules  César,  lorsqu'il 
prédit  ti qu'après  an  long  temps,  Auguste  t;i'ansmettra  le  pouvoir  à  un 
jautre,  »  év  fxaxp^  ^pSiHf)^  érépc^  irctpaSéasTai  àp')(rlv  ^.  Ailleurs,  il  dit,  du 
imême  prince,  que  «jamais  aucun  roi  des  Ûomains  ne  régnera  plus  que 
jK lui,, pas  mèm&  une  seule  heure  de  plus.»  Oc3  yàp  jkrepôvo-et  b'Xiyow 
^jp6vov  ovSénor'  aXkos  ^xvmov^os  iSa^iXeùs  tovtov  itkéovy  oi  {ilav  oipapy 

j  Saps  doute  la  prédiction  serait  conforme  à  la  vérité  quand  on  s'en 
jtiendirait  à^la  durée  de  quarante-trois  ans,  puisqu'en  effet  apcun  empe^ 
peur  n'a  régné  aussi  longtemps.  Mais  je  crois  que  la  Sibylle,  qui  veut 

r 

*  IMt  âraibmaticus  ne  compte  que  cinquante-six  ans^  en  nombre  rond.  (  Chrono- 
hraphia,  p.  5ll,  1.  ao,  éd.  Bonn).  —  '  Sibyllina  QracuUi,  V,  ao.  —  *  Ead.  XII ^ 
15  ifl.     '-■''-  -  — — 


* . 


.    JUIN  1843.  331 

toujours  prédire  à  coup  sûr,  et  qui  prend  ses  précautions  pour  n'être 
jamais  démenlie  par  Tévénement,  avait  sous  les  yeux,  quand  elle  prédi- 
sait ainsi,  les  cinquante-six  ou  cinquante-sept  ans  du  règne  d'Auguste, 
depuis  Ja  mort  de  César,  nombre  d'années  qui  surpassait  de  beaucoup 
la  durée  du  règne  de  tous  les  princes  passés ,  Romains  ou  autres ,  qui 
avaient  occupé  le  trône  le  plus  longtemps. 

Pour  revenir  à  la  date  du  3o  pbaménoth  de  l'an  v  d'Auguste,  elle 
répond  au  26  mars  de  Tan  2  5  avant  Jésus-Christ.  La  question  de  savbii* 
si  elle  est  marquée  selon  le  calendrier  fixe  ou  d'après  l'année  vague  est 
indilTérente  ,  puisque ,  à  cette  époque ,  le  commencement  des  deux 
années  était  le  même.  C'est,  en  effet,  de  cette  même  année  que  part 
le  calendrier  fixe,  qui  ne  diffère  de  l'autre  qu'en  ce  que  le  1"  thoth, 
arrivé,  par  le  roulement  de  l'année  vague  de  trois  cent  soixante-cinq  ! 
jours,  à  correspondre  au  29  août,  fiit  désormais  arrêté  à  ce  jour  par 
l'intercalalion  quadriennale.  Il  n'existe  aucun  monument  qui  puisse 
nous  assurer  que  Tannée  fixe  fiit  dès  lors  en  usage.  Le  premier  indice 
qu'on  en  peut  trouver  est  de  l'an  xxxi  d'Auguste ,  dans  l'inscription  du 
propylon  de  Dendéra^;  mais  je  n'aperçois  aucune  raison  pour  ne  pas 
croire  que  l'usage  de  ce  calendrier  fut  admis  dans  les  actes,  dès  l'an  aS  : 
avant  notre  ère.  Au  reste,  l'application  en  a  très-peu  d'importance  pour 
tout  le  règne  d'Auguste,  puisque,  à  partir  de  l'an  26  jusqu'à  la  fin  de 
ce  règne,  il  n'y  a  qu'environ  quntre  jours  de  différence  pour  la  plade 
du  1"  ihoth. 

On  verra,  dans  le  tableau  suivant,  la  concordance  des  diverses  ma- 
nières de  compter  les  années  d'Auguste,  depuis  la  mort  de  Jules  César 
jusqu'à  celle  de  cet  empereur.  J'y  ai  marqué  la  date  des  inscriptions 
qui  me  sont  connues ,  relatives  à  ce  règne,  et  mis  à  leur  place  les  pré- 
fets dont  les  noms  sont  révélés  par  les  historiens  ou  par  les  monu- 
ments. Ce  tableau  fait  suite  à  celui  qui  a  été  inséré  dans  ce  journal*,  et 
qui  s'étend  de  la  mort  d'Alexandre  II  à  celle  de  Cléopàtre.  Ces  deux 
tableaux,  qui  se  succèdent  l'un  l'autre,  donnent  la  chronologie  de  l'E- 
gypte, parles  monuments,  pendant  près  d'un  siècle,  entre  l'avènement 
d'Aulète  et  la  mort  d'Auguste. 

*  Voy.  mon  Recueil  des  inscriptions  de  TEgypte ,  l.  I ,  p.  85.  —  *  Décembre 
iSAa,  p.  719-721. 


i 


43. 


332  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

TAILIAQ  DBS  ANNÉES  DO  RÉGNE  D'AOGCSTE,  X  PABTIR ,  TANT  DE  LA  MORT  DE  CÉ3AB 
QDE  DE  LA  SOUMISSION   DE  L'EGYPTE. 


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Comnitnt'durign.dBTiUfr. 

JUIN  1843.  333 

Des  deux  inscriptions  qui!  me  reste  à  faire  connaître,  Tune  a  été 
tracée  par  un  ami  d'Horace;  i  autre  ne  se  compose  que  d*un  seul  mot  y 
qui  n*a  été  suivi  ni  précédé  d'aucun  autre.  C'est  donc  luie  des  plus 
courtes  qui  existent;  mais  elle  n'est  pas  la  moins  curieuse  pour  l'his- 
toire ,  d'après  les  circonstances  qui  accompagnent  ce  mot  unique. 

LETRONNE- 


Revue  des  éditions  de  Bnffon. 

DEUXIÈME    ARTICLE. 

Idées  de  BufTon  sur  réconomre  animale. 

Lorsque  Bufîon  commença  son  grand  ouvrage,  il  n'était  pas  plu9 
nnatomiste  que  zoologiste,  H  devint  plus  tard  zoologiste,  comme  nous 
avons  vu.  Il  ne  devint  jamais  anatomiste ,  k  proprement  parler;  et  cepeih^ 
dant,  d'une  part,  il  a  fait  beaucoup  pour  ranatomie,  et,  de  l'autre,  il 
lai  a  beaucoup  dû. 

Il  est  d'abord  le  premier^  qui  ait  joint  la  description  anatomiqae ,  c'est- 
à-dire  intérieure  y  k  la  description  extérieure  des  espèces.  Il  appela,  il  ins- 
pira Daubcnton;  il  jeta,  par  les  mains  de  Daubenton,  les  premières 
bases  de  Vanatomie  comparée;  et  peut-être  comprit-il  mieux  que  Dau- 
benton lui-même  toute  la  portée  de  cette  nouvelle  science. 

«Depuis  trois  mille  ans,  dit-il,  que  l'on  dissèque  des  cadavres  hu- 
mains, l'anatomie  n'est  encore  qu'une  nomenclature,  et  à  peine  a-t-on 
fait  quelques  pas  vers  son  objet  réel,  qui  est  la  science  de  Téconomie 

animale^ Nous  avons  des  milliers  de  volumes  sur  la  description  du 

corps  humain ,  et  à  peine  a-t-on  quelques  mémoires  commencés  sur 
celle  des  animaux  :  dans  l'homme  on  a  reconnu,  nommé,  décrit,  les 
plus  petites  parties,  tandis  que  l'on  ignore  si,  dans  les  animaux,  l'on 
retrouve  non-seulement  ces  petites  parties,  mais  même  les  plus  grandes; 
on  attribue  certaines  fonctions  à  de  certains  organes,  sans  être  informé 

^  J'excepte  toujours  Arislote,  qui  embrassa  tout  et  réunit  tout:  Vanatomie,  la 
zoologie  ou  la  méthode ,  et  ïhistoire  naturelle  proprement  dite.  —  *  T.  XIV,  p.  a8. 
« . . . .  Cette  méthode  nVst  pas  la  science;  ce  n'est  que  le  chemin  qui  devrait  y  oon- 
duire,  et  qui  peut-être  y  aurait  conduit  en  effet,  si,  au  lieu  de  toujours  marcher 
3ur  la  même  ligne  dans  un  sentier  étroit,  on  eût  étendu  la  voie  et  mené  de  front 
fanatomie  de  Thorame  et  celle  des  animaux ■  (Ihid.  p.  27.) 


334  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

si,  dans  d*autres  êtres,  quoique  privés  de  ces  oi^anes,  les  mêmes  fonc- 
tions ne  s'exercent  pas;  en  sorte  que ,  dans  toutes  ces  explications  qu*on 
a  voulu  donner  des  différentes  parties  de  Téconomie  animale,  on  a  eu 
le  double  désavantage  d'avoir  dabord  attaqué  le  sujet  le  plus  compli- 
qué ,  et  ensuite  d'avoir  raisonné  sur  ce  même  sujet  sans  le  fondement 
de  la  relation  et  sans  le  secours  de  l'analogie.  Nous  avons  suivi  partout , 
dans  le  cours  de  cet  ouvrage,  une  méthode  très-différente  :  comparant 
toujours  la  nature  avec  elle-même,  nous  Tavons  considérée  dans  ses 
rapports,  dans  ses  opposés,  dans  ses  extrêmes;  et,  pour  ne  citer  ici  que 
les  parties  relatives  à  l'économie  animale  que  nous  avons  eu  occasion 
de  traiter,  comme  la  génération ,  les  sens,  le  mouvement,  le  sentiment, 
la  nature  des  animaux,  il  sera  aisé  de  reconnaître  qu'après  le  travail , 
quelquefois  long,  mais  toujours  nécessaii'e  pour  écarter  les  fausses  idées, 
détruire  les  préjugés,  séparer  l'arbitraire  du  réel  de  la  chose,  le  seul 
art  que  nous  ayons  employé  est  la  comparaison.  Si  nous  avons  réussi  à 
répandre  quelque  lumière  sur  ces  sujets,  il  faut  moins  l'attribuer  au 
génie  qu'à  cette  méthode  que  nous  avons  suivie  constamment ,  et  que 
nous  avons  rendue  aussi  générale ,  aussi  étendue  que  nos  connaissances 
nous  l'ont  permis'.  » 

Les  vues  que  Buffon  a  dues  à  fanatomie  sont  au  nombre  de  trois^: 
je  veux  parler  ici  de  ses  vues  sur  le  plan  général  de  la  nature,  sur  les 
nuances  graduées  des  êtres,  et  sur  la  prééminence  relative  des  différents 
organes  dans  les  différentes  espèces. 

I.  Unifonnité  da  plan  général  de  la  nature. 

«Si,  dit  Buffon,  nous  choisissons  un  animal,  ou  même  le  corps  de 
l'homme,  pour  servir  de  base  à  nos  connaissances,  et  y  rapporter,  par 
ja  voie  de  la  comparaison,  les  autres  êtres  organisés,  nous  trouverons 
que,  quoique  tous  ces  êtres  existent  solitairement,  et  que  tous  varient 
par  des  différences  graduées  à  l'infini,  il  existe  en  même  temps  un  des- 
sein primitif  et  général,  qu'on  peut  suivre  très-loin ,  et  dont  les  dégrada- 

'  T.  XIV  p.  3i.  «Quelle  connaissance  réelle  peut-on  tirer  d'un  objet  isolé?  Le 
fondement  de  toule  science  n'est- il  pas  dans  la  comparaison  que  fesprit  humain 
peut  faire  des  objets  semblables  et  dilî'érenls,  de  leurs  propriétés  analogues  ou  con- 

ti'aires,  et  de  toutes  leurs  qualités  relatives? Ainsi,  toutes  les  fois  que,  dans 

une  méthode,  on  ne  s'occupe  que  du  sujet,  qu'on  le  considère  seul  et  indépen- 
damment de  ce  qui  lui  ressemble  et  de  ce  qui  en  diffère,  on  ne  peut  arriver  à 
aucune  connaissance  réelle ,  encore  moins  s'élever  à  aucun  principe  général  ;  on 
ne  pourra  donner  que  des  noms  et  faire  des  descriptions  de  la  chose  et  de  toutes 
ses  parties ■  (Ibid.  p.  37.)  —  *  J'eitends  les  grandes,  les  principales  vues. 


JUIN  1843.  336 

lions  sont  bien  plus  lentes  que  celles  des  figures  et  des  autres  rapports 
apparents;  car,  sans  parler  des  organes  de  la  digestion,  de  la  circula^ 
tion  et  de  la  génération,  qui  appartiennent  à  tous  les  animaux,  et  sans 
lesquels  Tanimal  cesserait  d'être  animal  et  ne  pourrait  ni  subsister  ni 
se  reproduire,  il  y  a,  dans  les  parties  mêmes  qui  contribuent  le  plus  à 
la  variété  de  la  Ibrme  extérieure,  une  prodigieuse  ressemblance,  qui 
nous  rappelle  nécessairement  Tidée  d'un  premier  dessein  sur  lequel 
tout  semble  avoir  été  conçu:  le  corps  du  chevaH,  par  exemple,  qui, 
du  premier  coup  d'oeil,  parait  si  différent  de  celui  de  Thomme,  lors- 
qu'on vient  à  le  comparer  en  détail  et  partie  par  partie,  au  lieu  de  sur- 
prendre par  la  différence,  n'étonne  plus  que  par  la  ressemblance  sin- 
gulière et  presque  complète  qu'on  y  trouve On  vient  de  voir,  dans 

la  description  du  cheval  ^,  ces  faits  trop  bien  établis  pour  pouvoir  eu 
douter;  mais,  pour  suivre  ces  rapports  encore  plus  loin,  que  l'on  con- 
sidère séparément  quelques  parties  essentielles  à  la  forme,  les  côtes,  par 
exemple ,  on  les  trouvera  dans  tous  les  quadrupèdes ,  dans  les  oiseaux , 
dans  les  poissons,  çtc...;  que  Ton  considère,  comme  M.  Daubenton', 
que  le  pied  d*un  cheval ,  en  apparence  si'  différent  de  la  main  de 
l'homme,  est  cependant  composé  des  mêmes  os,  et  que  nous  avons, 
à  fextrémité  de  chacun  de  nos  doigts ,  le  même  osselet  en  fer  de  cheval 
qui  termine  le  pied  de  cet  animal^,  et  Ton  jugera  si  cette  ressemblance 
cachée  n'est  pas  plus  merveilleuse  que  les  différences  apparentes;  si 
cette  tiniformité  constante  et  ce  dessein  suivi  de  l'homme  aux  quadnn 
pèdes,  des  quadrupèdes  aux  cétacés,  des  cétacés  aux  oiseaux,  des  oi- 
seaux aux  reptiles,  des  reptiles  aux  poissons,  etc.  dans  lesquels  les 
parties  essentielles ,  comme  le  oœur ,  les  intestins ,  l'épine  du  dos  et  les 
sens,  etc.  se  trouvent  toujours,  ne  semblent  pas  indiquer  qu'en  créant 

*  Au  moment  où  Buffon  écriviiît  ceci ,  Daubenton ,  par  le  soin  au'il  avait  eu  de 
nommer  du  même  nom  les  mêmes  parties  dans  l'homme  et  dans  le  cheval,  tenait 
de  faire  ressortif  Textréme  similitude  de  leur  structure.  «  Cette  méthode  (  celle  qm 
donne  des  noms  tout  spéciaux  aux  parties  du  cheval  )  peut  être  convenable  à  ceux 
qui  traitent  uniquement  idu  cheval;  mais  elle  entrainerait  des  inconvénieiits  en 
histoire  naturelle ,  lorsqu'on  voudrait  comparer  tons  les  animaux  les  uns  aux  autres 
et  ks  rapporter  à  l'homme  :  pour  faciliter  cette  comparaison,  nous  appliquerons  les 
dénominations  des  os  du  squelette  humain  à  ceux  du  cheval  et  des  autres  animaux, 
et  nous  suivrons  Tordre  usité  dans  fanalomie  de  Thomme...  >  Daubenton ,  Desciipikk 
da  chmuJi  I.  Vli ,  p.  47&-  ^^  *  Par  Daubenton.  — *  *  On  voit ,  par  cet  exemple  et  par  cent 
antres,  comment,  à  mesure  que  Daubenton  avançait  dans  la  partie  matérielle  de  la 

Kience ,  Buâbn  saisissait  fesprit  de  ces  progrès  successifs.  —  *  i Ce  qu  il  y  a  de 

singulier,  G*est  que  oetle  forme  de  fer  à  cheval  se  trouve  aussi  sur  la  troisièliie  pha* 
lange  des  doigts  de»  pieds  et  des  maim  de  l'homme,  t  Danbenlon ,  DenfripHon  Si 
^heial,  t  VII,  p.  5ii. 


336  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ies  aniipaux  TÊtre  suprême  na  voulu  employer  qu'une  idée,  et  la  va- 
rier en  même  temps  de  toutes  les  manières  possibles,  afin  que  l'homme 
pût  admirer  également  et  la  magnificence  de  l'exécution  et  la  simpli- 
cité du  dessein  ^  » 

Assurément,  ce  passage  est  fort  beau,  et  il  a  été  souvent  cité;  mais 
ce  dont  il  s'agit  ici,  c'est  de  voir  avec  précision  jusqu'à  quel  point  la 
grande  idée  d'un  plan  général,  d'un  seul  plan ,  dans  l'organisation  des 
animaux  est  solide  et  vraie. 

Newton  avait  remarqué  avant  Buffon  :  «  L'uniformité  qui ,  disait- 
il»  paraît  dans  le  corps  des  animaux  :  car,  en  général,  les  animaux 
ont  deux  côtés,  l'un  droit  et  l'autre  gauche,  formés  delà  même  ma- 
nière; et,  sur  ces  deux  côtés,  deux  jambes  par  derrière,  et  deux  bras, 
ou  deux  jambes,  ou  deux  ailes  par-devant  sous  leurs  épaules;  et,  entre 
les  épaules ,  un  cou  qui  tient  par  en  bas  à  Tépine  du  dos ,  avec  une  tête 
par-dessus,  où  il  y  a  deux  oreilles,  deux  yeux,  un  nez,  une  bouche  et 
une  langue,  dans  une  même  situation^.» 

A  l'époque  même  où  Buffon  publiait  l'idée  que  j'examine ,  un  autre 
grand  naturaliste ,  Réaumur ,  la  jugeait  ainsi  :  «  Quoiqtie  cette  vue  ne 

'  T.  Vin,  p.  4.  Il  revient  souvent  sur  celle  grande  idée;  il  y  revient  en  par- 
ticulier dans  le  passage  qui  suit ,  et  qui  n*est  pas  moins  beau  que  celui  que  je 
viens  de  citer,  quoiqu*ii  ait  été  moins  remarqué  :  «Prenant  son  corps  pour  le  mo- 
dèle physique  de  tous  les  élres  vivants,  et  les  ayanl  mesurés,  sondés,  v:omparés 
dans  toutes  leurs  parties,  Fhomme  a  vu  que  la  forme  de  tout  ce  qui  respire  est 
à  peu  près  la  même;  qu*en  disséquant  le  singe  on  pouvait  donner  l'anâtomic  de 
rkomme  ;  qu*en  prenant  un  animal  on  trouvait  toujours  le  même  fond  d'organi- 
sation, les  mêmes  sens ,  les  mêmes  viscères ,  les  mêmes  os,  la  même  chair,  le  même 
mouvement  dans  les  fluides,  le  même  jeu,  la  même  aciion  dans  ies  solides:  il  a 
trouvé  dans  tous  un  cœur,  des  veines  et  des  artères;  dans  tous,  les  ijiêmes  organes 
de  circulation ,  de  respiration ,  de  digestion ,  de  nutrition ,  d'excrétion  ;  dans,  tous,  une 
charpente  solide ,  composée  des  mêmes  pièces ,  à  peu  près  assemblées  de  la  même 
iQànière  ;  et  ce  plan  toujours  le  même ,  toujours  suivi  de  l'homme  au  singe ,  du 
singe  aux  quadrupèdes,  des  quadrupèdes  aux  cétacés,  aux  oiseaux,  aux  poissoas, 
aux  reptiles ,  ce  plan ,  dis-je ,  bien  saisi  par  l'esprit  humain ,  esl  un  exemplaire  fidèle 
de  la  nature  vivante,  et  la  vue  la  plus  simple  et  la  plus  générale  sous  laquelle  on 
puisse  la  considérer  :  et,  lorsqu'on  veut  l'étendre  et  passer  de  ce  qui  vil  à  ce  qui 
végète,  on  voit  ce  plan,  qui  d*abord  n'avait  varié  que  par  nuances,  se  déformer 
par  degrés  des  reptiles  aux  insectes,  des, insectes  aux  vers,  des  vers  aux  zoophytes^ 
des  zçophytes  aux  plantes;  et,  quoique  altéré  dans  toutes  les  parties  extérieures, 
conserver  néanmoins  le  même  fond,  le  même  caractère,  dont  les  traits  principaux 
sont  la  nutrition,  le  développement  et  la  reproduction  ;  traits  généraux  et  communs  à 
toute  substance  organisée ,  traits  éternels  et  divins,  que  le  temps, loin  d'effacer  ou 
de  détruire,  pe  fait  qve  reno.uveler  et  rendre  de  plus  en  plus  évidents.  1  T.  XXVUl . 
p.  38.  —  *  Traité  d'optique ,  etc.  (trad.  deCoste],  t.  II,  p.  677. 


JUIN  1843.  337 

soit  pas  exacte,  disait  Réaumur,  elle  prouve  que  M.  de  Bufibii  conçoit 
très-bien  qu  il  y  a  un  pîan  général  qui  rappelle  tous  les  animaux  h  une 
idée  d*unité ,  à  un  point  de  conformité  par  lequel  tout  animal ,  quel  qu'il 
soit ,  est  distingué  des  végétaux.  L'inexactitude  de  la  réflexion^  consiste 
en  ce  qu'il  met  ce  point  dans  certaines  parties  qui  manquent  à  beau- 
coup d'aniniaux ,  comme  la  charpente  des  os,  que  n'ont  pas  les  insectes, 
le  cœur,  qu'on  distingue  dans  quelques  animaux  et  qu'on  ne  voit  pas, 
dans  d'autres,  etc. ^)) 

On  voit,  parles  paroles  de  Newton,  que  l'idée  d'une  certaine 
uniformité  dans  les  animaux  a  été  saisie  de  bonne  heure;  et  l'on  voit, 
par  les  remarques  de  Réaumur,  que  cette  belle  idée,  source ,  jusque 
dans  ces  derniers  temps,  de  débats  si  vifs,  a  grand  besoin  d'être  démêlée. 

Lorsque ,  avec  Buffon ,  on  passe  de  l'homme  au  cheval ,  aux  quadru- 
pèdes, on  trouve  un  dessein  suivi;  lorsqu'on  passe  des  quadrupèdes  ^ux 
oiseaux,  des  oiseaux  aux  reptiles,  des  reptiles  aux  poissons,  ce  même 
dessein,  quoique  toujours  de  plus  en  plus  modifié,  subsiste  :  on  a  to»- 
jours  le  dessein,  le  plan  de  l'animal  vertébré. 

Mais,  si  des  animaux  vertébrés  on  passe  aux  mollusques,  le  dessein 
change;  si  des  mollusques  on  passe  aux  insectes,  il  change  encore;  il 
change  encore ,  si  des  insectes  on  passe  aux  zoophytes. 

Tl  n'y  a  donc  pas  un  seul  dessein,  un  seul  plan;  il  y  en  a  quatre  :  il  y 
a  le  plan  des  vertébrés ,  le  plan  des  mollusques,  le  plan  des  insectes ^  et 
le  plan  des  zoophytes. 

C'est  ce  que  nous  savons  tous  aujourd'hui*,  et  ce  que  Bufibn  ne 
pouvait  savoir.  BufTon  n'a  connu  l'anatomie  que  par  Daubenton ,  et 
Daubenton  n'avait  étudié  que  les  animaux  vertébrés.  Les  mollusques , 
les  insectes,  les  zoophytes  ,  tout  ce  qu'on  appelait  alors  les  animaux  à 
sang  blanc,  tout  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  les  animaux  sans  ver- 

'  L'inexactitude  de  la  réflexion  n*est  pas  précisément  dans  ce  que  remarque  RéMi«- 
mur.  Ce  a'est  pas  parce  que  certaines  parties  manquent  que  les  animaux  diffèrept 
de  plan,  c*est  parce  que  les  parties  qui  restent  ne  gardent  pas  la  même  position 
relative.  En  un  mot ,  il  y  a  un  fond  commun  d'organisation  dans  les  animaux,  et 
c'est  par  là  que  Tanimal  se  distingue  du  végétal;  mais  le  plan,  c'est-à-dire  Yordre 
relatif  des  parties  qui  constituent  ce  fond  commun,  change.  Il  y  a  un  fond  commun, 
et  plusieurs  plans  distincts.  Voyez  ce  que  je  dis  plus  loin.  Voyez  aussi  mon  Anah^ 
raisonnée  des  travaux  de  G.  Cuvier,  i84i.  —  *  Lettres  à  un  Américain,  etc.  t.  IV, 
p.  1 8g  ;  ouvrage  de  Tabbé  de  Lignac ,  mais  où  l'on  reconnaît  aisément ,  et  dans 
plus  d'un  lieu ,  la  main  de  Réaumur.  Je  reviendrai ,  plus  tard ,  sur  ce  point.  — 
Ou ,  plus  généralement,  des  articulés,  plan  qui  comprend  les  crustacés,  les  ttracfc- 
nides  et  les  insectes.  —  *  Voyez  mon  Analyse  raisonnée  des  travaux  de  G.  Cuvier , 

43 


338  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

tèbres ,  tous  ces  animaux  n*ont  été,  si  je  puis  ainsi  dire ,  soumis  à  i  ana- 
totnie  comparée  que  par  M.  Cuvier. 

Au  temps  de  BufTon ,  si  vous  exceptez  quelques  études  particulières 
de  Méry  sur  la  moaU des  étangs ,  deMalpighi  sur  le  ver  à  soie,  de  Swam- 
merdam  sur  un  certain  nombre  dUnsectes,  etc.  la  structure  de  toute  cette 
grande  partie  du  règne  animal  était  à  peu  près  inconnue.  Les  belles  études 
deFiyonnet  sur  la  chenille  du  saule  ^  de  Pallas  sur  les  aphrodites  et  les  né^ 
réides ,  etc,  ne  sont  venues  qu'après.  Et  encore ,  avec  tout  cela ,  qu'a- 
vait-on? des  vues  détachées ,  des  faits  isolés,  épars;  mais  nulle  vue  gé- 
nérale et  comparative ,  nul  travail  d'ensemble. 

Ce  travail  d'ensemble  n'appartient  qu'à  M.  Cuvier.  Et,  ce  travail  fait, 
toutes  ces  structures  nouvelles  des  mollusques ,  des  insectes ,  des  zoo- 
phytes,  ont  donné  leurs  lois  distinctes;  on  a  eu  de  nouvelles  formes 
générales I  de  nouveaux  dessoins,  de  nouveaux  plans,  de  nouveaux 
types.  La  belle  loi  de  Buffon ,  bornée  aux  seuls  animaux  qu'il  eût  con- 
nus, c'est-à-dire  aux  seuls  animaux  vertébrés,  a  paru  aussi  juste  C[ue 
belle.  En  un  mot,  Buffon  a  donné  la  loi  générale  d'une  partie  du  règne 
animal,  et  M.  Cuvier  a  donné  les  lois  distinctes  du  règne  animal  entier; 
Buffon  avait  donné  la  loi  générale  des  animaux  vertébrés ,  et  M.  Cuvier 
a  donné  les  lois  distinctes  des  animaux  vertébrés,  des  mollusques,  des 
insectes  et  des  zoophytes. 

II.  Nuances  graduées  des  êtres. 

L'idée  d^une  gradation  continue  des  êtres  date  d'Aristote. 

«Le  passage  des  êtres  inanimés  aux  animaux  se  fait,  dit  Aristote, 
peu  à  peu  :  la  continuité  des  gradations  couvre  les  limites  qui  séparent 
deux  classes  d'êtres  et  soustrait  à  l'œil  le  point  qui  les  divise.  Après 

les  êtres  inanimés  viennent  d'abord  Jes  plantes Le  genre  entier  des 

plantes  semble  presque  animé,  lorsqu'on  le  compare  aux  autres  corps  ; 
elles  paraissent  inanimées ,  si  on  leâ  compare  aux  animaux.  Des  plantes 
aux  animaux  le  passage  n'est  point  subit  et  brusque  :  on  trouve  dans  la 

mer  des  corps  dont  on  douterait  si  ce  sont  des  animaux  ou  des  plantes 

La  même  gradation  insensible ,  qui  donne  à  certains  animaux  plus  de 
vie  et  de  mouvement  qu'à  d'autres ,  a  lieu  pour  les  fonctions  vitales^ » 

Vingt  siècles  après  Aristote,  Leibnitz  reproduit  l'idée  de  la  continaité 
des  êtres.  «Les  hommes,  dit-il,  tiennent  aux  animaux,  ceux-ci  aux 
plantes,  et  celles-ci  aux  fossiles La  loi  de  continuité ,  dit-il  encore, 

*  Hist,  des  animaux,  liv.  XVIII,  chap.  i  (trad.  de  Camus). 


JUIN  1843.  339 

ouge  que  tous  les  êtres  naturels  ne  forment  qu*une  seule  chaîne,  dans 
laquelle  les  différentes  classes,  comme  autant  d^anneaux,  tiennent  si 
étroitement  les  unes  aux  autres,  qu  il  soit  impossible  de  fixer  précisé- 
ment le  point  où  quelqu'une  commence  ou  finit ,  toutes  les  espèces  qui 
occupent  les  régions  d'inflexion  et  de  rebroussement  devant  être  équi- 
voques et  douées  de  caractères  qui  se  rapportent  également  aux  espèces 


voisines  ^  » 


Après  Aristote ,  après  Leibnitz ,  BuiTon  adopte  Tidée  d  une  échelle  con- 
tinae  des  êtres;  Bonnet^  Tadopte  après  Buffon,  et  presque  tous  les  na- 
turalistes de  la  fin  du  dernier  siècle  l'adoptent  avec  Bonnet. 

«  La  marche  de  la  nature  ,  dit  BuQbn,  se  fait  par  des  degrés  nuancés 

et  souvent  imperceptibles^ La  nature  marche,  dit-il  encore ,  par  des 

gradations  inconnues Elle  passe  d'une  espèce  à  une  autre  espèce ,  et 

souvent  d'un  genre  à  un  autre  genre,  par  des  nuances  imperceptibles; 
de  sorte  qu'il  se  trouve  un  grand  nombre  d'espèces  moyennes  et  d'ob- 
jets mi-partis  qu'on  ne  sait  où  placer*.  » 

Buifon  parle  donc  comme  A^stote  et  Leibnitz  ;  Bonnet  parle  comme 
tous  les  trois  ^  ;  et  cependant  cette  idée  d'une  échelle  continue  n'a  pas  moins 
besoin  que  celle  d'une  unité  de  plan  d'être  sérieusement  discutée. 

«Que  veut-on  dire,  s'écriait  déjà  Réaumur,  que  veut-on  dire  lorsqu'on 

nous  annonce  que  la  nature  marche  par  des  gradations  inconnues 

quelle  passe  d'une  espèce  à  une  autre  espèce,  et  souvent  d'un  genre  à  un 
autre  genre,  par  des  nuances  imperceptibles?. .  .  Veut-on  dire  que,  dans  le 
spectacle  que  la  nature  nous  offre,  elle  nous  présente  une  suite  d'ani- 
maux qui  diminuent  de  perfection  dans  leur  organisation ,  de  manière 
que  nous  confondons  aisément  les  espèces  moins  parfaites  de  ces  ani- 
maux avec  les  simples  végétaux?.  .  .  J'entends  cela  ;  mais  je  n'y  vois 
point  d'autre  mystère,  sinon  que  nos  yeux  ne  peuvent  suivre  le  travail 
de  la  natiu'e  dans  la  dernière  perfection.  Car  de  penser  que  le  polype  à 
bras  qui  a  l'air  d'une  plante,  que  le  polype  à  bouquets  qui  ressemble  à 
une  fleur, ....  que  tous  ces  polypes,  dis-je,  aient  une  construction  qui 

*  Lettres  de  Leibnitz,  dans  Y  Appel  au  public  de  Kœnig,  Appendice,  p.  45.  — 
*  Bonnet,  Considérations  sur  les  corps  organisés;  Principes  philosophiques  sur  la  coûte 
première  et  sur  son  effet;  Contemplation  de  la  nature,  etc.  —  *  T.  I,  p.  ly.  —  *  T.  I, 
p.  i8.  «La  nature  ne  va  jamais  par  sauts,  dit-il  encore.  •  T.  XXVIII,  p.  i6.  Na- 
tara  non  Jacit  saltus ,  avait  dit  Linné.  —  ^  «  Tout  est  gradué  et  nuancé  dans  la 
nature  :  il  n'est  point  d'être  qui  n'en  ait  au-dessus  ou  au-dessous  de  lui  qui  lui 
ressemblent  par  quelques  caractères  et  qui  en  diffèrent  par  d'autres. ...  Il  est ,  entre 
deux  classes,  deux  genres,  des  productions  pour  ainsi  dire  mitoyennes,  qui  sont 

comme  autant  de  liaisons  ou  de  points  de  passage »  (Boonet,  Principes  phiio- 

tophiqaes,  etc.  p.  aa6,  Neufchâtel,  1783.) 

43. 


340  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ne  diffère  que  très-peu  de  celle  d'une  plante,  d'une  fleur,  c'est  assuré- 
raent  ce  qu'on  ne  me  fera  pas  croire.  Tant  que  je  verrai  à  un  corps 
des  mouvements  spontanés,  une  sorte  d'industrie,  une  adresse  à  se 
dérober  à  tout  ce  qui  tend  à  le  détruire,  un  art  pour  se  procui^er  de  la 
subsistance,  la  faculté  de  changer  de  place,  je  ne  verrai  qu  im  animal  ; 
et,  entre  cet  animal  et  une  plante  quelconque ,  j'apercevrai  une  ligne 
très-forte  et  très-sensible  ^  » 

Ces  idées  sont  justes.  Buffon  s'attache,  comme  tous  ceux  qui  sont 
venus  après  lui,  à  l'exemple  du  polype,  wll  y  a,  dit-il,  des  êtres  qui  ne 
sont  ni  animaux,  ni  végétaux,  ni  minéraux,  et  qu'on  tenterait  vainement 
de  rapporter  aux  uns  ou  aux  autres  ;  par  exemple,  lorsque  M.  Trembley, 
cet  auteur  célèbre  de  la  découverte  des  animaux  qui  se  multiplient  par 
chacune  de  leurs  parties  détachées,  coupées  ou  séparées,  observa  pour 
la  première  fois  le  polype  de  la  lentille  d'eau,  combien  employa-t  il  de 
temps  pour  reconnaître  si  ce  polype  était  un  animal  ou  une  plante  !  et 
combien  n'eut-il  pas  sur  cela  de  doutes  et  d'incertitudes  !  C'est  qu'en 
effet  le  polype  delà  lentille  n'est  peut  êtje  ni  l'un  ni  l'autre,  et  que  tout 
ce  qu'on  peut  dire ,  c'est  qu'il  approche  un  peu  plus  de  l'animal  que  du 
végétal.  .  .^.  » 

Mais,  point  du  tout  :  on  peut  très-bien  dire  que  le  polype  est  un  ani- 
mal, etqu'il  n'est  qu'un  animal.  Il  a  la  sensibilité,  l'instinct ,  le  mouvement 
des  animaux;  il  se  nourrit  comme  eux,  il  mange,  il  digère  ;  à  la  vérité, 
il  se  reproduit  par  bouture ,  comme  les  plantes  ;  mais  il  n'est  pas  le  seul 
animal  qui  se  reproduise  ainsi  :  des  animaux  parfaitement  animaux,  des 
animaux  qui  ont  un  cœur,  un  estomac ,  un  cerveau ,  une  circulation , 
des  intestins,  des  nerfs,  etc.  etc.  le  ver  de  terre,  les  vers  d'eau  douce  ^^  etc. 
se  reproduisent  aussi  par  bouture  ;  le  polype  n'est  donc  qu'un  animal. 

Après  ce  que  j'ai  dit  sur  l'unité  de  plan,  la  question  de  l'échelle  continue 
des  êtres  sera  facilement  éclaircie. 

Il  n'y  a  pas  un  seul  plan,  il  y  en  a  plusieurs  :  il  y  en  a  quatre.  S'il  n'y 
avait  qu'un  seul  plan,  il  pourrait  y  avoir  une  échelle  continue^  pour  le 
règne  animal  entier.  Mais  il  y  a  quatre  plans  :  l'échelle  continue  sera 
donc  interi'ompue,  chaque  fois  qu'on  passera  d'un  plan  à  un  autre, 
chaque  fois  que  le  plan  sera  changé  ^. 

Tant  que  l'on  restera,  au  contraire,  dans  le  même  plan,  il  y  aura  des 
gradations  continues.  BuSoxit  s'en  tenant,  comme  je  le  disais  tout  à  l'heure, 

'  Lettres  à  un  Américain,  etc.  T.  I,  lettre  ix ,  p.  aa.  —  *  T.  III ,  p.  388.  —  '  Voy. 
les  expériences  de  Spallanzani,  de  Bonnet,  etc.  —  *  Expression  de  Bonnet.  — 
*  Voy.  mon  Analyse  raisonnée  des  travaux  de  G.  Cuvier,  i84i  • 


JUIN  1843.  341 

aux  seuls  animaux  vertébrés,  a  vu  des  nuances  gradaées,  et  il  a  bien  vu. 
Il  y  a  des  nuances  graduées  d'un  animal  vertébré  à  un  autre  ;  mais  d'un 
vertébré  à  un  mollusque,  dun  mollusque  à  un  insecte,  d'un  insecte  â 
un  zoophyle,  ce  ne  sont  plus  des  nuances  graduées,  ce  sont  des  change^ 
ments  brusques,  La  loi  des  degrés  nuancés,  comme  la  loi  d'un  dessein  suivi, 
a  donc  son  côté  vrai,  car  il  y  a  des  nuances  graduées  et  des  desseins 
suivis;  et  elle  a  son  côté  faux,  car  ce  qui  est,  ce  n'est  pas  une  seule 
échelle  continue  de  nuances  graduées,  ce  n'est  pas  un  seul  dessein  suivi, 

«  Quoiqu'il  y  ait  des  cas,  dit  M.  Cuvier,  où  l'on  observe  une  sorte  de 
dégradation  et  de  passage  d'ime  espèce  à  l'autre,  qui  ne  peut  être  niée,  il 
s'en  faut  de  beaucoup  que  cette  disposition  soit  générale.  L'échelle  préi 
tendue  des  êtres  n'est  qu'une  application  erronée  à  la  totalité  de  la  créa- 
tion ,  de  ces  observations  partielles  qui  n'ont  de  justesse  qu'autant  qu'on 
les  restreint  dans  les  limites  où  elles  ont  été  faites  ^ 


m.  Influence  du  développement  de  chaque  organe  sur  la  nature  des  différentes  espèces. 

J'arrive  à  la  troisième  des  lois  générales  puisées  par  Bufibn  dans 
l'anatomie. 

Ici  la  marche  de  Buifon  est  tout  expérimentale  ;  et  cette  marche  le 
conduit  aux  principes  les  plus  élevés  de  la  physiologie  comparée  ^. 

Il  commence  par  établir  «que  ce  n'est  qu'en  comparant  que  nous' 
pouvons  juger,  et  que  nos  connaissances  roulent  même  entièrement  sur 
les  rapports  que  les  choses  ont  avec  celles  qui  leur  ressemblent  ou 
qui  en  diffèrent^.»  Suivant  donc  cette  marche  de  la  comparaison  des 
choses,  a  et  sans  vouloir  d'abord  raisonner  sur  les  causes ,  se  bornant  à 
constater  les  effets  ^,  »  il  voit  les  animaux  différer  entre  eux  par  leur 
enveloppe,  surtout  par  les  extrémités  de  cette  enveloppe,  et  les  parties 
intérieures  qui  font  le  fondement  de  l'économie  animale  rester,  au 
contraire,  à  peu  près  les  mêmes  dans  l'homme  et  dxms  les  animaux  qui 
ont  de  la  chair  et  du  sang'^:  ces  parties  sont  donc  les  plus  essentielles, 

^  Le  Règne  animal,  etc.  t.  1 ,  p.  xxj.  -^  *  «Ses  idées  (les  idées  de  BufEon)  cou- 
cernant  Tinfluence  qu*exercent  la  délicatesse  et  le  degré  de  développemeat  de 
chaque  organe  sur  la  nature  des  diverses  espèces  sont  des  idées  de  génie ,  qui  fe- 
ront désormais  la  base  de  toute  histoire  naturelle  philosophique,  et  qui  ont  rendu 
tant  de  services  à  Tart  des  méthodes,  qu  elles  doivent  faire  pardonner  à  leur  auteur 
le  mal  qu'il  a  dit  de  cet  art.  »  (Cuvier,  Biogr,  univ,  art.  Buffon.)  —  'T.  .VII,  p.  3.  — 
^  Ihid.  p.  6.  —  ^  Expressions  de  Buffon.  Ihid.  p.  12.  Les  vues  de  Buffon  ne  s'é- 
tendent, je  l'ai  déjà  dit,  qu'aux  animaux  vertébrés;  ce  sont  là  les  animaux  qu'il 
désigne  par  ces  mots  :  lesanimaax  qui  ont  de  la. chair  et  damug^ 


342  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

puisqu elles  sont  les  plus  constantes,  les  moins  sujettes  à.  varier  ^ 
«En  prenant,  dit-il,  le  cœur  pour  centre  dans  la  machine  animale, 
je  vois  que  rhoriime  ressemble  parfaitement  aux  animaux  ^  par  l'éco- 
nomie de  cette  partie  et  des  autres  qui  en  sont  voisines  :  mais,  plus  on 
s'éloigne  de  ce  centre,  plus  les  différences  deviennent  considérables,  et 
c'est  aux  extrémités  qu'elles  sont  les  plus  grandes;  et,  lorsque,  dans 
ce  centre  même,  il  se  trouve  quelque  différence,  Tanimal  est  alors 
plus  différent  de  l'homme;  il  est,  pour  ainsi  dire,  d'une  autre  nature, 
et  n'a  rien  de  commun  avec  les  espèces  d'animaux  que  nous  consi- 
dérons ^ Une  légère  différence  dans  ce  centre  de  l'économie  ani- 
male est  toujours  accompagnée  d'une  différence  infiniment  plus  grande 
dans  les  parties  extérieures  ^.  » 

Voilà  donc  la  subordinaiion  physiologiqae  des  parties  extérieures  aux 
parties  centrales  clairement  établie.  Mais  Buffon  ne  s'arrête  pas  là  : 
dans  l'enveloppe  même  il  y  a  aussi  des  parties  plus  constantes  les  unes 
que  les  autres  ;  les  sens,  surtout  certains  sens,  ne  manquent  jamais  ^;  le 
cerveau  ne  manque  pas  plus  que  les  sens ,  car  il  est  l'origine  des  sens  ^  : 
«  Les  insectes  mêmes,  dit  Buffon,  qui  diffèrent  si  fort  par  le  centre  de 
l'économie  animale,  ont  une  partie,  dans  la  tête,  analogue  au  cerv^eau, 
et  des  sens  dont  les  fonctions  sont  semblables  à  celles  des  autres  ani- 
maux'^.n  Et  de  cela  seul  il  pouvait  conclure,  conformément  à  son  ex- 
cellent principe  que  les  parties  les  plus  constantes  sont  les  plus  essentielles^, 
que  le  cerveau  était  plus  essentiel  que  le  cœur  puisqu'il  avait  plus  de 
constance  ^.  Mais  cette  belle  remarque  ne  devait  être  faite  que  long- 
temps après  lui;  elle  ne  l'a  été  que  par  M.  Cuvier,  et  même^que  par 
M.  Cuvier  parvenu  à  la  seconde  moitié  de  sa  vie  ^®. 

Au  reste,  tout  est  ici  de  génie.  «Le  cerveau  et  les  sens,  dit  Buffon , 

*  T.  Vn,  p.  17.  -«  *  Entendez  toujours  les  animaux  vertébrés ,  el  parliculîèremenl 
ici  les  quadrupèdes  et  les  oiseaux.  —  '  Ibid.  p.  i5>  N*a  rien  de  commun;  s'il  n'y  a 
rieD  de  commun,  il  n'y  a  donc  pas  de  dessein  suivi,  ou  plutôt,  et  à  parler  plus 
exactement,  il  n'y  a  pas  un  seul  dessein  suivi.  —  *  Ibid.  p.  16.  —  *  T.  VII,  p.  17.  — 
*  Ibid.  p.  18.  —  '  Ibid.  —  *  Voyez  ci-dessus,  page  précédente.  —  'Il  venait  de  dire  : 
«  Dans  la  plupart  des  insectes ,  l'organisation  de  cette  principale  partie  de  Técono- 
mie  animale  (du  cœur]  est  singulière  :  au  lieu  de  cœur  et  de  poumons,  on  y  trouve 
des  parties  qui  servent  de  même  aux  fonctions  vitales ,  et  que ,  par  celte  raison  , 
l'on  a  regardées  comme  analogues  à  ces  viscères,  mais  qui  réellement  en  sont  très- 
différentes,  tant  par  la  structure  que  par  le  résultat  de  leur  action  :  aussi  les  in- 
sectes diffèrent-ils,  autant  qu'il  est  possible,  de  l'homme  et  des  autres  animaux.  ■ 
Ibid.  p.  ib.  Et  des  autres  tmimaux  :  quand  Buûbn  dit  seulement  les  animaux,  il  en- 
tend les  animaux  vertébrés ,  et  particulièrement  les  quadrupèdes  et  les  oiseaux.  J'ai 
fiiit  assez  souvent  cette  remarque  pour  n'y  plus  revenir.  —  "  Voyez  mon  Analyse 
raisonnée  des  travaux  de  G.  Cuvier,  i8ài. 


JUIN  1843.  343 

forment  une  seconde  partie  essentielle  à  Téconomie  animale  :  le  cerveau 
est  le  centre  de  l'enveloppe,  comme  le  cœur  est  le  centre  de  la  partie 
intérieure  de  lanimal  ^  »  Il  venait  d'établir  la  subordination  physiologique 
des  organes  ;  il  maïque  ici ,  et  tout  aussi  sûrement  qu'on  Ta  fait  par  la 
suite  ,  la  division  des  deux  vies ,  et  le  centre  particulier  de  chacune.  On 
dirait  des  pages  dérobées  à  la  science  future  des  Bichat  et  des  Cuvier. 

Enfin ,  il  arrive  k  la  prééminence  relative  de  chaque  sens  dans  les 
différentes  espèces;  et  ce  qu'il  écrit  là-dessus  peut  être  donné,  pres- 
que partout,  comme  le  modèle  d'une  analyse  expérimentale  aussi  déli- 
cate que  neuve  ^. 

n  remarque  que  les  animaux  ont  les  sens  excellents,  et  que  cependant 
ils  ne  les  ont  pas  tous  aussi  bons  que  Thomme;  il  observe  même  que  les 
degrés  d'excellence  des  sens  suivent,  dans  l'animal,  un  autre  ordre  que 
dans  lliomme  ;  et  de  là  cette  distinction  lumineuse  des  sens  relatifs  à 
Tappétit ,  à  l'instinct ,  et  des  sens  relatifs  à  la  pensée  '.  a  Le  sens  le  plus 
relatif  à  la  pensée  et  à  la  connaissance  est,  dit-il,  le  toucher;  l'homme  a 
ce  sens  plus  parfait  que  les  animaux.  L'odorat  est  le  sens  le  plus  relatif  à 
l'instinct ,  à  l'appétit;  l'animal  a  ce  sens  infniiment  meilleur  que  Tbomme: 
aussi  l'homme  doit  plus  connaître  qu'appéter,  et  l'animial  doit  plus  ap- 
péter  que  connaître.  Dans  l'homme ,  le  premier  des  sens  poiu*  l'excel- 
lence est  le  toucher ,  et  l'odorat  est  le  dernier  ;  dans  l'animal ,  l'odorat 
est  le  premier  des  sens,  et  le  toucher  est  le  dernier:  cette  différence  est 
relative  à  la  nature  de  l'un  et  de  l'autre  ^.  »  Après  avoir  comparé  l'honmie 
aux  quadrupèdes,  il  compare  l'homme  et  les  quadrupèdes  aux  oiseaux. 
Dans  l'homme  ,  le  sens  du  toucher  est  le  premier;  dans  le  quadrupède, 
c'est  l'odorat;  dans  Toiseau ,  c'est  la  vue  ^  et,  dans  cfaactm  de  ces  êtres, 
les  sensations  dominantes  suivent  le  même  ordre.  «  L'homme,  dit  Buf- 
fon ,  sera  plus  ému  par  les  impressions  du  toucher ,  le  quadrupède  par 
celles  de  l'odorat ,  et  l'oiseau  par  celles  de  la  vue;  la  plus  grande  partie 
de  leurs  jugements ,  de  leurs  déterminations ,  dépendront  de  ces  sensa- 
tions dominantes;  celles  des  autres  sens,  étant  moins  fortes  et  moins 
nombreuses,  seront  subordonnées  aux  premières,  et  n'influeront  qu'en 
second  sur  la  nature  de  l'être  ^.  » 

Et,  comme  si,  dans  ces  vues  de  génie,  Buffon  ne  devait  rien  oublier 

^  T.  VII,  p.  18.  Il  avait  déjà  dit  :  t  Revêtons  la  partie  intérieure  d*une  enveloppe 
convenable,  cest-à-dire  donnons-lui  des  sens  et  des  membres,  bientôt  la  vie  ani- 
male se  manifestera  ;  et,  plus  Tenveloppe  contiendra  de  sens,  de  membres  et  d* autres 
parties  extérieures,  plus  la  vie  animale  nous  paraîtra  complète,  et  plus  Vanimal 
sera  parfait.  »  Ibid.  p.  11.  —  *  Je  reviendrai  plus  tard  sur  ce  point.  —  *  T.  VII , 
p.  42-  —  *  Ihid,  —  *  Oiseaux,  1. 1,  p.  67.  —  *  Ibid. 


344  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

de  ce  qui  tient  à  la gi^ande  loi  de  la  prééminence  relative  des  organes,  il 
remarc[ue  «  que  le  cerveau ,  siège  du  sens  intérieur  matériel ,  est  dans 
rhomme  comme  dans  i* animal,  et  que  même,  relativement  au  volume 
du  corps,  il  y  est  d'une  plus  grande  étendue  ^  » 

On  voit  maintenant  quelles  sont  les  lois  générales  que  Buffon  a  dues 
à  Fanatomie  ;  et  non-seulement  quelles  sont  ces  lois ,  mais  comment  il 
les  a  conçues,  mais  jusqu'à  quel  point  il  les  a  conduites.  La  première 
règle  de  la  critique  est  déjuger  les  opinions  d'un  auteur  par  les  connais- 
sances de  son  époque.  On  reconnaît  bien  vite  alors  que  ses  générali- 
sations ne  sont  jamais  que  des  généralisations  relatives.  Buflbn  pose 
Y  uniformité  de  plan  et  les  nuances  graduées  comme  deux  lois  générales; 
mais  il  n'a  connu  qu'une  partie  du  règne  animal,  et  ce  n*est  aussi  que 
relativement  à  cette  partie  du  règne  animal  qu'il  a  connue,  que  ces 
deux  lois  sont  générales  et  vraies.  L'erreur  n'est  donc  pas  à  BuQbn 
qui  a  posé  de  grandes  lois,  dans  les  limites  où  il  les  a  posées  aussi 
vraies  que  grandes.  L'erreur  est  à  ceux  qui,  venant  aujourd'hui,  oublient 
ces  limites,  et  veulent  appliquer  au  règne  animal  entier  les  lois  que 
Buffon  n'avait  données  que  pour  une  partie  de  ce  règne. 

Je  viens  d'examiner  les  idées  positives  de  Buffon  sur  l'économie  ani- 
male. Un  autre  article  aura  pour  objet  ses  systèmes. 

FLOURENS. 


1 .  Antjchi  monumenti  sepolcrali  scoperti  nel  dacato  di  Ceri , 
dichiarati  dal  cav.  P.  S.  Visconti.  Roma,  i836,  in-fol. 

2.  Descrizione  di  Cere  antica,  ed  in  particolare  del  monamento 
sépulcrale  scoperto  nelV  anno  1836,  etc.  delV  architetto  cav, 'h. 
Canina.  Roma,  i838,  in-foi. 

3.  Monument!  di  Cere  antica,  spiegati  colle  osservanze  del  calto 
di  Mitra,  dal  cav.  L.  Grifi.  Roma,  i84i,  in-fol. 

DEUXIÈME    ARTICLE. 

Nous  arrivons  maintenant  au  grand  monument  dont  la  découverte  a 
fourni  l'occasion  et  le  sujet  du  second  des  trois  ouvrages  que  nous  nous 

'  T.  vn,  p.  46. 


JUIN  1843.  345 

sommes  proposé  de  faire  connaître  à  nos  lecteurs.  Cet  ouvrage  est  di- 
visé en  trois  parties,  dont  la  première  comprend  le  résumé  histo- 
rique des  principales  circonstances  relatives  à  Fantlque  cité  A'Agylla  et 
de  Cœre,  à  partir  de  sa  fondation,  due  auK  Pélasgos,  sous  la  domination 
étrusque,  et  durant  tout  le  cours  de  la  république  romaine;  la  seconde 
présente  les  résultats  des  dernières  recherches  topographiques  sur  la 
situation  de  6We,  sur  son  territoire  et  sur  l'emplacement  de  Pyrgi^  qui 
lui  servait  de  port;  la  troisième,  enfin,  contient  la  description  des  mo- 
numents sépulcraux  de  £épre,  et,  en  particulier,  celle  du  plus  important 
de  ces  tombeaux ,  découvert,  en  1 836,  par  les  soins  du  général  Galassi  et 
de  farchiprùtrc  Regolini.  De  ces  trois  parties ,  qui  se  recommandent  éga- 
lement par  le  soin  et  Texactitude  des  recherches,  et  au  mérite  des- 
quelles Tauteur  a  encore  ajouté  par  la  publication  du  travail  qu  il  a  in- 
séré dans  les  Annales  de  l'Institut  Archéologique  de  1 8Zi  i  ^  sur  les  ruines 
cyclopéennes  -récemment  observées  à  Pyrgi,  qui  confiinnent  à  la  fois 
Torigine  pélasgique  dtAgylla  et  la  haute  antiquité  du  système  d'archi- 
tecture,  dite  cyclopéenne^,  employé  dans  la  construction  de  ses  mu- 
railles ;  de  ces  trois  parties ,  disons-nous ,  nous  ne  nous  occuperons  que 
de  la  troisième,  qui  se  rapporte  directement  aux  tombeaux  de  Cœre,  et 
nous  nous  contenterons  de  recommander  à  l'intérêt  de  nos  lecteurs  les 
deux  autres  parties,  où  ils  trouveront  réunies  toutes  les  notions,  les 
plus  sûres  à  la  fois  et  les  plus  récentes,  sur  l'histoire  et  sur  la  situation 
de  Cœre,  Je  ne  saurais  cependant,  et  je  suis  obligé  d'en  faire  ici  l'ob- 
servation, adopter  pour  mon  propre  compte  toutes  les  déductions  que 
le  savant  auteur  a  cini  pouvoir  tirer  des  témoignages  historiques  qu'il 
allègue,  relativement  aux  premières  époques  de  l'existence  de  Cœre, 
Ainsi  je  ne  puis  être  de  son  avis  sur  ce  qu'il  fait  de  Cœre  une  ville 
distincte  des  douze  cités  étrusques,  en  se  fondant  sur  l'origine  pélas- 
gique à'Agylla  ^.  Les  deux  faits  n'impliquent  entre  eux  aucune  contra- 
diction; Agylla,  habitée  d'abord  par  une  population  indigène,  puis 
occupée  en  commun  par  les  Aborigènes  el  les  Pélasges,  comme  nous  la 
représente  Denys  d'Halicarnasse*,  a  bien  pu  devenir  ensuite  une  des 
douze  cités  étrusques,  lorsque  la  colonie  lydienne  s'y  lut  établie,  con- 
jointement avec  les  Pélasges,  sans  qu'il  y  ait  la  moindre  difficulté  à  ad- 


*  T.  Xli,  p.  3&-4Â.  tav.  agg.  E.  —  *  Voy.  ce  qui  a  été  dit  dans  ot  iouroal  même, 
mar9  i843,  p.  129-150,  sur  ce  système  d'architecture,  que  tout  tend  a  faire  attribuer 
aux  populations  pélasgiques  de  la  Grèce,  de  TAsie  Mineure  et  de  fltalie,  mais  non 
)as  peut-éti'e  dans  des  limites  aussi  exclusives  de  temps  et  d'espace  que  le  pensait 
:eu  M.  Petit-Radel. — '  Desciit.  di  Cereantica,  l' part.  p.  i5  :  «Imperocchàalla<àtlfi 
di  Âgilla  si  Irova  indîcata  una  dîslinU  provenienia.  a  —  ^  Dionys.  Hal.  m,  58< 


i 


S46  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

mettre  ces  diverses  successions  de  peuples,  toutes  attestées  par  des  Btw 
teav»  dignes  de  foi.  L'élément  indigène,  l'élément  pélasgique  ou  gi^, 
et  félément  asiatique  Oii  tyrrbénien,  peuvent  très-bien  s  être  combinés, 
A ^Terses^ reprises,  dans  la  population  de  Cœre,  de  manière  que  Strabon 
nifpo  parler  du  trésor  que  les  Agylléens  avaient  à  Delphes,  en  qualité  de 
peuple  grec  d' origine^  ;  que  le  même  auteur  ait  pu  attribuer  à  Yhiéran 
d!IUtk)rie  ou  de  Leucothée,  qui  existait  à  Pyrgi,  une  fondation  pélasgique  ^; 
que  Virgile  et  la  plupart  des  poètes  grecs  et  latins  aient  pu  rappeler 
rétablissement  des  colons  asiatiques  venus  de  Lydie  sur  remplacement 
de  €mre  ',  sans  qu'il  y  ait  lieu  de  contester  à  ces  divers  témoignages  la 
moindre  part  de  leur  autorité  historique  ;  car  toutes  ces  notions  peuvent 
trèa-bien  se  concilier  entre  elles,  et  je  ne  vois  pas  sur  quel  fondement 
M%  Canina  a  pu  douter  que  Cœre,  ville  primitivement  sicule,  puis  pé- 
lasgique, soit  devenue  plus  tard  une  des  doure  cités  étrusques,  comme 
o'«8t  le  cas  pour  Cortone.  La  manière  dont  en  parle  Denys  d'Halici^r- 
iitsse,  à  l'époque  de  la  guerre  qu'elle  eut  à  soutenir,  aussi  bien  que 
Véie9,  contre  Tarquia  le  Superbe^,  semble  ne  pouvoir  convenir  qi^à 
)Vipe  ée  ces  douze  cités  principales ,  dont  Véies  faisait  également  partie; 
et  jusqu'ici,  du  moins,  tous  les  critiques  se  sont  accordés  à  ranger 
Gmre  parmi  ces  villes,  dont  la  doueième,  la  seule  qui  fût  encore  incer- 
taine, parait  avoir  été  Vakiy  d'après  un  monument  découvert  sui*l'emr 
plaoenient  de  C€Bre  même,  et  récemment  acquis  à  la  science^. 

Un  autre  point  sur  lequel  je  me  permettrais  de  m'éloigner  encore  de 
fiipififion  de  M.  Canina ,  c'est  l'époque  qu'il  assigne  à  fémigratîon 
^fndiénienne.  Sans  entrer  ici ,  sur  cette  question  qui  a  exercé  le  savoir 
<fo  tant  d'historiens  et  de  critiques,  dans  une  discussion  qui  serait  tQui 
â'fiiit  déplacée,  je  me  borne  à  dire  qu'en  adoptant,  sur  la  foi  de  V^- 
lei«» Paterculus  ^,  la  date  de  la  mort  de  Pyrrhus,  à  Delphes,  pour  celle 
de  l'établissement  de  la  colome  lydienne  en  Etrurie,  M.  Canina  me 

'  Sirabon.  v,  aao. — *  Idem,  v,  aa6.-^*  Vii*gil.  i£â.  vin,  ^ySsqq.  cf.  Lyçophr. 
ÛMfonrfr.  ir.  lâôi  sqq.  Tous  les  passage»  relatîls  k  lorigine  l^dieone  des  Tyrrbé* 
nilByi^  ont  été  recueillis  avec  tout  le  soin ,  mais  je  D*oserais  ajouter  avec  toute  la 
critique  désirable,  par  Tantiquaire  romain  feu  G.  Fea,  dans  son  écrit  intitulé  : 
Siona  dei  vasi  dipinti  che  da  quatlro  anni  si  trovano  netto  Stato  ecclesittstico ,  Roma, 
i83a ,  in-8*.  —    Dionys.  Hal.  m ,  58  :  Û  irpàrepou  fièv  kyvkXa  èxakeilo inrd 

èi^t^^^fif»i^v6kMnf,  Koi  wêÏMémO^êsmc,  —  *  Cest  un  bas-relief  représentant  trois 
été  -momze  peuples  étrusmes,  noamiés  VeimloneMei,  VukenUmi,.  Twrqvâfiienin,  et 
dtitiné  1  Mve  eocai^tré  daof  une  des  iaces  d*un  antel  oairré;  ca  «looumi^ot  a  élé 
4étNril  par  lii  Cmûna,  dui»^e  fin/Zetf.  Amhtoi  dt  iâ4o,  |K  9:^-94.  -^  *  Ve)i  Paton). 
I,  1.-' 


JUIN  1843.  5&7 

semble  avoir  anivi  la  tradition  la  plus  difficile  à  concilier  avec  Tensemble 
des  Ëdts  historiques.  Je  n'ignore  pas  qu'Ott.  MûUer,  dont  Tc^inion  sur 
l'extraction  asiatique-et  lydienne  des  Tyrrhéniens  ^  ne  s'éloigne  pas  beau- 
coup de  eeUe  que  j'avais  exposée  moi-même  dans  mon  Histoire  des  Co- 
loniefi grecques  %a  cru  pouvoir  fixer  l'arrivée  de  ces  Tyrrhéniens  de  Lydie 
vers  le  temps  de  la  grande  émigration  ionienne;  ce  qui  rentre  dans  le 
flgfstèœe  adopté  par  M.  Canina.  Mais  je  suis  plus  que  jamais  convaincu, 
par  l'examen  de  tous  .les  éléments  delà  question  chronologique,  que  la 
date  assignée  par  Ryddus'  à  l'arrivée  des  Tyrrhéniens ,  un  siècle  avant 
la  guerre  de  Troie,  est  celle  qui  repose  sur  les  meilleurs  fondements 
hi^riques  ;  et  la  principale  difficulté  qui  s'élevait  contre  cette  manière 
devoir,  celle  de  lagénésdogiede  Tyrrhénus,  rapportée  à  l'Hercule  grec, 
devra  disparaître,  du  moment  que  ia  dynastie  des  Héraclides  de  Cydie 
sera  reconnue  pour  un  rameau  d'une  dynastie  assyrienne,  ayant  pour 
chef  l'Hercule  assyrien  Sandon ,  bien  antérieur  à  l'Hercule  helléniq[ue , 
ainsi  quej^e  me  suis  attaché  à  l'établir  dans  un  mémoire  particulier  fur 
cet  Hercule^.  Je  n'en  dirai  pas  davantage  sur  ce  sujet,  me  contentant 
de  la  réserve  que  je  viens  de  &ire  contre  l'époque ,  beaucoup  trop  ré- 
cente, suivant  moi,  assignée  par  M.  Canina  à  l'arrivée  des  Tyrrhénieiw 
en  Italie. 

C'est  dans  la  troisième  partie  du  livre  de  cet  architecte  que  se  trouva , 
ainsi  que  je  l'ai  observé  plus  haut,  la  description  complète  et  détaillée 
du  grand  tombeau,  découvert  en  i836,  principal  objet  de  notre  exa- 
men ;  et  tant  de  motifs  d'intérêt  qui  se  rattachent  à  ce  monument  noos 
font  une  obligation  d'apporter  à  cet  examen  tout  le  soin  dont  nous 
sommes  capables.  Le  tombeau  dont  il  s'agit  occupe  une  position,  la 
plus  voisine  de  l'acropole  de  l'antique  Cœre,  avec  une  direction  veraia 
mer  et  au  voisinage  de  la  voie  qui  conduisait  k  Ppyi:  toutes  oiroODi- 

'  K.  Ou.  Mûller,  die  Etnuker,  Einleitung,  p.  loi,  68).  —  »  T.  I,  p.  35a-368. 
—  *  Rjck.  Disaert.  de  prim.  Ital  cohM.  c.  vi ,  p.  à^a-à^h-  Ce  D*est  pas  ici  le  liair  de 
discuter  les  opinions,  contradictoires  sur  presque  tous  les  points ,  et  généraleoMil 
fondées  sur  des  motifs  tout  à  fait  arbitraires,  que  des  critiques  de  récoie  de  Niabohr, 
tels  que  M.  Lepsius,  ûbertUe  Tjrrhenischen  Pelasger  in  Etrurien,  Leipzig,  i842,  8% 
ont  avancées  sur  Torigine  des  Tyrrhéniens  et  sur  leur  établissement  en  Êtrurie. 
J*aarai ,  ailleurs ,  plus  d*une  occasion  de  dire  ce  que  je  pense  de  cette  manière  de 
traiter  Thistoire  ancienne,  où  Ton  tient  plus  de  compte  de  ses  idées  propres iqae 
des  témoignages  antiques,  et  où  Ton  accorde  plus  de  confiance. à. des  rcasanàblanats 
de  mois,  qui  ne  sont  souvent  qu*apparentes  et  presque  toujours  fortuites,  qu'à  tout 
un  ensemble  de  fieiits  et>de  traditions  admis  par  raniiquité  idle-mème.  p-^^siotîtalé  : 
UdmiM^  imr  L'Hercule  Mi^yiûn  M  mhénkiÊn,  comUérà  JmiÊ  jeu  nifforU>wom  tthr- 
cu!e  grec  »  principalement  à  l'aide  de  V  antiquité  figurée. 

44. 


348  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

tances  qui  prouvent  que  ce  dut  être  un  des  plus  anciens  monuments 
de  la  cité  pélasgique;  et  toutes  les  particularités  relatives  à  son  architec- 
ture viennent  à  l'appui  de  cette  première  induction.  H  consistait  prinii* 
tivement  en  une  excavation  pratiquée  au  sein  du  tuf,  revêtue  intérieure- 
ment de  pierres,  suivant  un  mode  d'assemblage  que  nous  indiquerons 
tout  à  rheiu'e  d'une  manière  plus  particulière,  et  terminée  extérieure- 
ment par  une  construction  circulaire  en  forme  de  tamalas.  Ce  sont  là 
les  conditions  communes  aux  plus  anciens  tombeaux,  tant  de  cette  lo- 
calité même,  que  de  celles  de  Valci  et  de  Tarquinies,  qui  ne  peuvent 
encore  se  rapporter  qu'à  une  haute  époque  de  l'antiquité.  Mais,  ce  qui 
devient  ici  la  preuve  péremptoire  de  cette  antiquité,  et  ce  qui  constitue 
une  particularité  unique  et  de  la  plus  grande  importance,  c'est  que  ce 
tombeau  reçut,  avec  le  temps,  des  additions  qui  signalent  autant  d*é- 
poques  successives,  et  qui  tendent  conséquemment  à  reporter  à  une  dfite 
de  plus  en  plus  reculée  la  construction  du  monument  primitif.  Ainsi 
il  a  été  reconnu  que  d'autres  sépultures,  au  nombre  de  ciVi^,  avaient 
été  pratiquées  dans  la  base  agrandie  du  tamalas ,  et  que ,  sur  cette  base , 
considérablement  accrue  «  il  avait  été  construit  un  nouveau  tamalas  de 
la  plu»  vaste  circonférence  qui  ait  encore  été  observée  dans  cette  partie 
de  l'Italie;  et  c'est  par  le  fait  de  cette  adjonction  de  nouvelles  sépul- 
tures autour  du  monument  primitif  et  à  sa  base^  que  ce  monument  s'est 
vu  conservé  jusqu'à  nos  jours  dans  son  état  originaire,  avec  tout  le  mo- 
bilier qu'il  renfermait.  Effectivement ,  il  se  trouvait  enveloppé  au  sein  de 
ces  constructions  d'une  époque  postérieure,  de  manière  à  avoir  pu 
échapper  aux  recherches  des  violateurs  d'anciens  sépulcres ,  tandis  que 
les  tombes  ajoutées  dans  l'enceinte  extérieure  étaient  restées  accessibles 
pour  eux.  Ces  tombes  furent  donc  facilement  visitées  et  dépouillées 
de  tout  ce  qu'elles  contenaient,  sans  que  les  auteurs  de  ces  dépréda- 
tions se  doutassent  qu'il  existait  un  autre  monument  dans  la  profon- 
^tHU*  du  tamalas.  C'est  donc  à  cette  circonstance,  qui  prouve  l'antériorité 
de  ce  monument,  qu  est  due  aussi  sa  conservation,  et  par  là  lacquisi- 
tion  d'un  des  trésors  archéologiques  les  plus  précieux  qui  aient  enrichi , 
de  nos  jours,  le  domaine  de  la  science. 

Dé  toutes  les  circonstances  qui  se  rapportent  au  monument  en  ques- 
tion il  résulte  déjà,  avec  toute  probabilité,  qu'il  appartient  à  la  plus 
haute  époque  de  l'antiquité  pélasgique  ou  étrusque,  seule  alternative 
qtli 'puisse  se  présenter  ici,  et  dont  la  solution  doive  nous  intéresser. 

v!i  Vbjfei  dans  le  li^re  de  M.  Canina ,  la  planche  v  ^  qui  offre  le  plan  et  réléyation 
reilÉùrée  du  grand  tumului,  et  qui  permet  d'y  reconnaître  les  adjonctions  faîiet 
au  plan  primitif. 


I  • 


JUIN  184&;  '.;  ;<'!.  3â9 

lic  système  (f architecture  qm  s'observe  danb  sa«feon6tructicm.vi6at  ajou- 
ter encore  <^  cette  présomption  un  élément  nouveau  et  des  plus  euvieHak 
de  tombeau  se  compose  d'un  long  corridor^. dont  le  ipian  est  rectah^ 
iaire,  flanqué,  à  droite  et  à  gauche,  de  deux  chambres  «dont  le  '^laiÉ 
est;«Uiptique,  et  aboutissant,  au  moyen  d'wiei  légère  déviatioikiide  là 
ligne  droite,  a  une  longue  cella,  par»llement  de; forme. iieiotangulaÎEei, 
dont  la  couverture  est  formée  de  blocs  parallélipipèdesi/aasemblés  paôf 
assises  horizontales  et  tendant  à  se  rapprocher  vei^&iei^^atne^.sdsvaiit 
une  courbe  détei*minée  par  deux  segments  de  cercle  opposés  Tm^^A 
lautre,  mais  interrompue,  à  peu  de  .distance  du  point  de jondicttî^dc 
manière  à  laisser  entre  ces  deux  segnpents:un  ehfondeméâ^  en  foclk'é 
de>canal  étroit  ^  Ce  système. de  voûte  en.arc  4iigttpArh*'pToh^\Aemmti 
dériiré  de  la  voûte  dite  en  encorbellemeni,  dànX  léé  arêtes  aui^enfcélii 
abattues,  est  celui  qui  sobsei*ve  dans  les  piu&  anoiesuMS  construcAiooi 
grecques  conservées  jusqu'à  nous»  telles  que  \e4résor  outombeaad'AMë,, 
i  Mycènes,  et  celui  de  Minyas,  k  Orchomène;  et,  d après  deipamiis 
exemples,  on  ne  risque  rien  d  attribuer  au  tombeau  dc.Céerft,*cité  d*orii- 
gine  pélasgique,  une  antiquité  qoi  s  accorde  avec  celle-tà,  et  quijnésiÉitel 
d'ailleurs,  des  circonstances  que  nous  avons  indiquées  en  premieD  iieui 
Je  dois  ajouter  qu  un  des  cinq  ioii|d)eàux.  pratiqués' à  la  base-du-mème 
4amo2iu  était  voûté  suivant  le  mênie>  système^;,  ce  qui  proave^ue^ies 
additions  faites  au  monument  primitif  appartiennent  elles-inèmesV'au 
moins  en  ce  qui  concerne  ce  tombeau ,  è  une  égale  aoticpiiléll  J'dbservr; 
de  plus,  que  les  portes  qui  conamuniquent  du  Ipngcoirîobi^ttUK'deiui 
cella  latérales  de  forme  elliptique  sont  construites  d'aprèsj  uh  .syalèDM 
analogue,  cest-à-dii>ev  en  fonne  de  pyramide  ^non^^e,  fbcoislfpiipecféi 
trouve  dans  les  portes  d  anciennes  cités  pélasgîquesî  telleff.que  jS^ma 
et  Circei.  Tout  concourt  donc  à  assigner  au  ixîonunleot  qui  nous  occupé 
uiie  antiquité  dont  la  détermination  fnnéoiseéchatppe' seule  àî  notre  api 
préciation,  mais  qui  doit,  en  tout  cas,  étpe  antérieure  à  la  £x\datkilrde 
Rome.  Comme  cette  question,  en  elle^mèmeiet  par  rapport atOLobjéb 
tnmvés  dansie  tombeau,  est  d'une  grande  importance,:! M.. GanèHLJa 
cru  devoir  en  faire  Tobjet  d'une  discussion  .approfondie  ;  et,  par  lai  mémb 
raison,  nous  examinerons  les  motifs  q^uJl  allègue  et  les  résultats  qu'il  en 
^^duit-    •  "„■"  ].\     .  \-^    > 

:     !  .1 ;.'.,    .    »       .jlJ*    l'J 

^  On  avait  pu  déjà  remarquer  un  exenvple  de  oeMe  elipèoecde  «MMljprftlif||ié  «ta 
idle*d*une  voûte  aigué  dans  d^aatre»  ti>iiibei|ttx  de  CWa^et  j*eii'at  fiwtfbbiepiilbp 
daosmon  premier  article  sur  ces  toinbeanb;  y^^y.'J&ar^.id€$iBmUwni»l'è^3li,'p^o6ê* 
— »  *  C est  ce  qui  résulte  do  témoigMg«:  dv  D' BÎnni»;  dn»  UBtdkt.  Mf  lAsdl 
Arckêol  i836,  p.  67  et  62.  t-ir    .    ï  •  -v>a.*  * 


360  JOURNAiL  DES  SAVANTS. 

}l  êfltiniiftiit  de  recfaerdbmr  aujourd'hui -si  rinv«ntion  du  tystème  de 
.yoùte  è  ¥OU590»&  ou  en  daveaui  appavtieot  Fédttement  à  Dëmocrîte 
d/Abdèro,  comme  le  prétendait  Posidonius,  cité  par  Sénèque  ^  Cette 
Inldition,  réfutée  par  Sénëque  lui-même,  ne  me  parait  pas  digne  de 
là  oènfiance  que  hn  ont  accordée  des  oiitiques  modernes  généralement 
aisex  wcrédnlcs  en  fait  de 'prétentions  «semblables  ^.  Tout  ce  que  Ton 
pourràitadmettre^  ee  aenâ:  qixf  le  procédé  de  la  construction  des  voûtes 
en  élaveails  «n'ait  été  réduit  par  Démocrife  en  une  théorie  scienti* 
fiqoev  an  tien  d'être  livré  >  comme  auparavant,  à  une  pratique  purement 
^dîliônneBeJOtt.  MuUer  suppoisait  que  Démocrite  avait  pu  apporterde 
Vbalié  en  Grèce  l^rt  des  voûtes ,  pratiqué  dès  ime  époque  plus  ancienne 
dms'ia  première  de  ces  contrées;  mais  ce  n'est  là  qu'une  conjecture 
dënliée'deipreuves.  Ce  qui  est  certain,  et  ce  qui  résulte  de  Tobservatioû 
même  de^  monuments  enccAre  subsistants  de  nos  jours,  c'est  que  les  Ro- 
mnds  ^construisirent  des  voûtes  à  plein  cintre ,  au  moins  à  partir  tle 
ilipoipie du  premier  Tarquin,  puisque  ia  ehaca  mazcôità,  commencée 
pur  lee grince,  est  voûtée  suivant  ce  sji^me,  et  qu'il  ne  saurait,  après 
le  i  lémoigoage ,  si  formel  de  Pline  et  l'assentiment  de  l'antiquité  tout 
entièrei^mbsister  dedouteraisonnable^url-épooptede  cette  cQnstruction^ 
doëjuucideux'iroiside  la^fiunflleTaoqoînia.M.  Canina  me  semble  donc 
aybir^nte  raison >  d'opposer  là  cloacamaximaf  dont  une  partie  ooasidé^ 
sable )SMiisisteienôore  aujourd'hui,  A  la  prétendue  invention  de  Démo- 
crite. H»  hllè^pii^  ^ensuite  un  autre  monument  romain,  où  la  présenoe 
dîmie  THétB  myuë,  rapprodhée  d'une  woâte  cimtrée ,  semble  propre  à  dé^ 
lacBËinerde  passage  d'uui  système  de  coifstruction  à  l'autre  et  A  en  fixer 
J^oquejehrîmblogique  :\t*«stle  fivneux;  eareer  TuUùmiis  M  Mamertinas^ 
qui  i^'compdke,  comiÔDron  sait,  de  deux  caveaux  superposés,  dont 
V<fu,  lïaférieur,  ou  le  ToUionom ,  avait  une  voûte  construite  par  assises 
horizontales  déorivairt  une  couribiev  et'rautre,  Je  supérieur,  ou  le  Ma- 
fii4r/!tÊRttiii,  !cat,>au  contraire.,  voûté  ^n  plein  ciati^ ,  au^moyen  deperres 
àkftaées^en  claveaux.  M.  Canin»  a  donné,  sur  l'une  des  .planches  (x) 
ajoMléeé^ii  AoQ,  liyre,2les  plans  et  des  coupes  de  cemonument,  si  célébra 
danad'biâRtoiréet  si  knportanti dans  l'architecture  des  Romains. 

'Seàec.  Ëpist,  xc.  —  *  K.'Ou.  MûHer,  Handb.  der  Archàolog,  S  107,  a  ;  cf, 
$168,  à-  Démocrite  mourut  âgé  de  quatre-vingt-dix  ans,  la  i"*  année  de  la  xcit* 
olympiade.  On  pourrait  donc  rapporter  Tinveotion  dont  il  s^agit  vers  la  lxxxvi* 
tàna^ftiàê^n  iam  JalpitBiiAre'amtié  du  v*'êîèclie. avant  notre  ère,  qui  jeat  Tépoque 
ùi  flrafîL'néÉM>cffile,  isalon  la  clih>oiqiie  <l*£u8èbe.  —  '  «Les  doutes  de  Hirt,  dans 
sÉlà  Hfslhiitii  dèf  TArohitacture^xt.  J,/p.  aAft,*iMift  été  rérulés  avac  toute  raîsan  par 
IUBbilsën,>AMdu^*iMy)40rr«Éiib  'A>iii,  ï«  j5a;  laagr.  amsi  jivNrf.  MCJnÊkial.  Ap- 
4|iot.  1. 1,  p.  44 


'     4MHÎ*i;l«43./  M  KM.  SSt 

Mm  il  i)e»te  6ncoir6^}inênie^aipràsi  toi|Si  ksi  éplaieoiaaeiteBifes  >^vil  «et 
t^Btré'à  ce  sujeti«  quelques  <lilSieuUés( 4(ue  je  oojmiift.tneifdîlpQipëniée 
lui  soumettre.  D'cd>0rd«:il  est  ceitaiH  que  te.MrMttiiODiqutiappliipieile 
nom  de  TManmù9i^  ct<ve9U!Î&férieur«  et  qui  en»  «tinbwe  ia^ttotiatmiif 
lion  au  rcâ  Seifvim  Ta]/îffi,.  tradition )qùîisft.rotide' jSur'kli  témo%néffét 
de  Vanron  ^  de  SaUuâte^  et  die  Festus  ^..acoutrei  elle 'une! ànjKMaâiiJité 
matérielle  et  uue  conti^dîclipA  bistcH'iqueH.en  oe  que  le  cavisaursupén 
tiwr,  ou  l^.ifamteriinwit  qm  repose. ^ôvidiémmeniia:^  les: mu» laio 
TMUianam,  serait  pourtant  =  d'ui)è.époqsiê:;abiériûure'^  comme  l-céiiftré 
d'AwuB  Martias^  L'ordre  aàtilre):)#tiiéQec»aifé.%^cettj  deux  cods 
tÎQvs  superposées  :  ^  que  Viofétiettre  rait  .pt4oéd|é')ia  ^siipérieurej;  'àfadi 
il  suit  que,  si;  la  pnsm  i^fie^paf!i4[nAa9  Jlîfiit^ 
LiveS  es!  le  caveau^  auquel  se  donné  j  de  M^mAt  Mamertikum ,  c'est* 
à -dire  le  caveau  si»périeHi>^  il  'n*esl  pas  po^sUtte  que  ria£ëneur  aoit 
Touvrage  de  S^rvias  TulUaSiMeR  qaA  ait  pôlrté  dans  Tantiquilë  le.\nâfB 
de  TfilUanum*  On.  a  essayé  de: lïésoudre  cette  difiBcillté  fai^riqiie./  ei^ 
supposant  que  ee  n'e^t  pn^S^w  TitUws^m%\$i-^uUas  HosiUins:  qniiiai^ 
naît  constmit  le  TalUma,m:'mik  cette  version ,  suWitt.  par  Aun/VioèoBl 
ue  peut  se  soutenir,  noa^seulement  eottire  le  tétooigaage.  de  'Eleslnm 
mais  conti*e  Tusage  mènie  de  la  laague,  qui.  n-a^orait  pas  donné  le  ndm 
de  TulUanam  à  \m  monument  d&'  i  TwUms  HcûiUiuSf  attendu  ^eicest 
au  namr  de  famille  »  et  non  au  prénom,  que  se  rapportaîeiftt  ces  sontm 
de  dérivés.  Et,  de  même  que  b  ciim  bâtie  par  Talks  HùsiiUas  a'ap 
pelait  caria  Hostilia,  et  non  Tullia,  le  carcer  du  Forum  romain,  se 
serait  appelé  carçer  ffastilius ,  et  non  TalUanuSt  s'il  eût  élé.rœiivré  de 
ce  prince*  Le  moyen  adopté  par  sir  W.  GeU^  et  d*autreà>antiquaii«Sy 
pour  mettre  ici  d'accord  Tbi^oire  et  rarchitecture  •  en  attribuant  In 
caveau  inférieur  au  trojfiième  roi  de  Rome,  et  le  supérieur  an  quatiîàmol 
n*est  donc  qu  une  diffîcidté^  de  pi^^  Une  ^(re  objeotioii  »  dont  on  n'a 
pa£^  tenu  compte,  et  <fuil  semble  memet  que  M.  Ganinn  n'ait  point 
aperçue,  se  tire  des  pacoles  mêmes  de  1$  description  siconikie  cpié>£rit 
SaUuste  da  TuUimivn^.  L^bistorien  repNseote  ce  caveau  comme  njant 

*  Varro,  De  L,  L.  (iv,  v,  i5i) ,  $  i48,  p.  58,  éd.  K.  Oll.  MûHér.  Lips.  t833,  în-Ô^i 
—  *  SsUust  Bell,  CatUin,  c.  lv.u^  *  F«tt  t.TuttSanum,  p.  ^jit^  éà:  lindemâttiT: 
— '  TèL  Liv.  1 ,  33.  -T-  '  &  W^S^'^fha^ff^l^h  ^^^  W  Ufivkinitff  Uifi^dai^ 
i83Â,  ia-8*),  t.  II,  i<i(Ma .p;,âo74  --  * SaUint.  fif«.  Çatmn.j^.i.yhi^li^)^ 
in  carcere,  quod  TuUianam  appellatar,  ubî  paululum  descenderis  àd  Icvam ,  circiler 
4ufKledin  p^es  bomi  deprcnav^Bf  E^t^m  mNiniiHit  undique  pamlsa*  nique*  înaimr 

ejus  (acies  est. ■  •.:  .    •o'  vA'     .  •...       •..:i;.   ■    .:   *- 


3B£  J0URNA£5Ëâr  BAVANTS. 

lRKivai^<iAi(«bwttàx»;  ctil^t^ipoufta  qtie  le  cav^ïau  inférieur^ 

odui'qimitdtit^franlMtililé  romione  a  coimn  so¥id'4e  nom  de  T^tUfansm^ 
est^qâl^quÎTapt  ai^t^stèfaié  tout  différent.  Saliuste  ti'avait-il  donc  pas  vu 
d06dB7e«?f;ëetl^pH8oii>,  Aont^  donneWupianl  une  idée  êi  effrayante  et 
ii>gèn^niè;  dtii reste v&'ia  vérité p  ou  bien ,  paf  ^hé  diétrcfction  qui  n  au- 
iâîtioKivi^^ÊiMiitnvraiseniblable/a^T^ft-i)  appK^  caveau  infér/enir 

kbfwcQiBstiace  de  tf)âf^ è'^latfetinx;  eixmêrm hpiiéhfornmbds  vtncto,  <<{ui 
oàniic&ait  m  supérieur?  Ce  sont^Ià^  autant;  de  attestions  dont  il  est  bied 
difficile  deidcmnerfunê'Sdkitit^^Mitîsfeisahte,  et  qui  intéressent  potfn- 
tmtài»ii>tDètt4btrtde|g^éiiicctt»aaiftsà9i(^de>l'bi^  romaine  et  eeHe^db 
FfiirbhitTOteire^qbeziiie  '^o^Iq.  Cia 'MMitisk)h  à  laquelle  s  arrêta  M.  €a> 
nibà\  en  i*eil  tenant  ximfpôtedbient^àJtobservatiDn  du  monument  même, 
deat  à  savoir,  qub  le  ca^isan  iiiférîeuK  i>onstrait  en  vaàte  aignê,  appe^r^ 
tient  au  règne  d'Ancus'  MairtiM^*  et  ijue  le  ca^au  supérieur,  avec  sa  véd/r 
àfieiaV^ùiir^^^si  rœu^reîtfupè'réfitapuratldn,' exécutée'  en  l'an  de  Rome 
'j'j5;BOjmsi&hàm\»kà!i&é  G-^VibiaslRtifiîrtUs^fet  de  M:  Coccéius  Nervaf/siii- 
vaotinaie^^pl^tib&^m  seik>etibôVe'm'>gfBAd4  erbeam  ca|rabtère$  $tir 
la  Ifefii61atd^e  ce  ittbvmramiiî  Ce  s'^ccbrde  trtâr-^bben 

aret>. fdsfdoifQées'aifefaitecftonHfiesjfS'ij)^  défaire  diispa- 

raître?!é;:nom  de;  l?oi/«irta7n:;' en  s0i»te*'iq\ïé,''poxir  radmeltre,  H  faut 
rexionnaprtreicpiié^  T^iquiU  wik%  ^entière  ^  $^efifl  trompée ,  en  donnait  fk 
BCdn  de.  Thttnmatxf  au  caveau  inférieur  d^une  prison  qui  joue  un  sr]granfd 
vqle  et«d<dcit^le'nbiiÀ  revient  si  fréquemment  dans  tout  le  coursée  t*hî^ 
toice de Aonaei -•'''•         •'^'  ■    '-■  .  ^)''^^  ■""  .>"\-  '.      -.  •>     J'y 

•hJenexrèui  pas,  en  essa^yant'dè  réjpohdre  à  Vies  objections,  m>xposef 
ùpajoutpri'moi-aièmé  de'nouVelfés  diffictiltèi  à  ee  problème  arcbéofe- 
giquBjJb  the  bornemi  4  fifer  des  éléments  db  la  construction  uiôroe» 
tob  tpi'ils  lOWt  été  constatés  en  derriief'  feu  {'^t<fft*ils  sont  ekpdséfep  datt's 
les  dess(nslde»M.'Camnr<»etdanS»cteUx  IfcS?  WK^eU  *,  les  irtductions  t][ui 
sairappbrtent  i  Tobjet  de^d^tre^eiam^tiiiil^ilblsiine  encotie,  du  plus  pi^- 
foikdd^s  écux  caveaux  4o  la  ^lêo'fivcfmikitië ,  trois  des  assises  7nférieiif<è^ 
de  sa  constroction  primitive  {ieic'pîerresert'^ioht  di^ôl*<^  par  lit^ 'borf- 
zontaux,  de  manière  à  se  rapprocher  du  centre,  suivant  le  système  do 
lîir^ttte^jji^u^y  prajjqjiié  pariq;^G|?ecs  aux  Trésors  d'Atrép  et  de  My^ias^ 
syi|{4rao(loiii  p«>  a  aussi  detiHâfitemfiIes  dans  iplusaduneaiieienkie' ville 
pAlàsgibueid-ItaKé  ;  notafihment  à  iSuna^dans  l'éiMissaire  deTascidstm^,  et 
Aei^tefécHisàdti/âTiifaûm^^  atoclens  tombeaux, 

rlii":     . '■nri'»-'  b^  -t  '  :'  .'      li-'^'w::»  iij.  H;i     .••.un    'i-wi.    *:••    .      •.».'  •»     i.ij 

pi.  Il;  Canina,  l'Andco  Tuscoh,  tav.  xiv.  '    ''-  **'i 


JUIN  1843.  353 

dessiné  à  celte  intention  par  S.  W.  Gell  ^  et  par  M.  Canina^,  est  voûté  de 
ia  même  manière.  Ce  caveau,,  ainsi  construit,  est  certainement  le  plus 
ancien  des  deux,  car  il  supporte  directement  les  murs  du  caveau  supé* 
rieur;  et,  soit  qu'on  Fattribue  à  Âncus  Marti  us ,  en  y  appliquant  le  témoi- 
gnage de  Tite-Live,  soit  qu'on  persiste  à  y  voir  l'œuvre  d'un  autre  roi 
de  Rome ,  pris  plus  tard  pour  Servius  Tullius ,  il  appartient  indubitable- 
ment à  une  époque  antérieure  au  règne  du  premier  Tarquin ,  auteur  de 
ia  cloaca  maxima.  Voilà  des  faits  qui  peuvent  être  regardés  comme  ac* 
quis  défmitivement  à  la  science  ,  et  d'où  il  résulte  qu'à  Rome  ,  comme 
à  Tarqainies ,  le  système  de  voûte  aigné  était  pratiqué  du  temps  des  pre- 
miers rois,  à  plus  forte  raison  dans  les  époques  antérieures;  et,  comme, 
d'un  autre  côté ,  on  trouve  à  Rome  l'usage  de  la  voûte  cintrée ,  à  partir 
du.  premier  Tarquin ,  qui  peut  avoir  apporté  ce  nouveau  mode  de  cons- 
truction de  Tarquinies ,  dont  une  des  portes  anciennes ,  découverte  eh 
1829,  a  offert  une  voûte  construite  en  claveaux  ,  rien  ne  s'oppose  à  ce 
qu'on  admette,  avec  M.  Ganina,.que  cette  révolution  dans  le  système 
de  iarchitecture ,  d'abord  réalisée  chez  les  Étrusques  de  Tarqainies ,  et 
introduite  à  Rome  par  la  famille  des  Tarquins,  s'est  opérée  dans  l'inter- 
valle de  la  fondation  de  Rome  à  l'avènement  de  Tarquin  l'Ancien.  Telle 
est,  sur  ce  point  important  de  l'histoire  de  l'architecture  ancienne,  la 
conclusion  à  laquelle  je  m'aiTete  pour  mon  propre  compte;  et  ce 
qui  en  résuite ,  par  rapport  au  grand  tombeau  de  Cœre  qui  nous  occupe, 
c'est  que  ce  tombeau,  qui  oflre  une  voûte  aiguë,  avec  toute  l'irrégula-^ 
rite  qui  caractérise  une  construction  primitive ,  remonte  certainement 
au  delà  des  premiers  siècles  de  Rome.  C'est  là  une  conséquence  que  je 
crois  irrécusable',  et  qui  me  parait  inBniment  grave,  non-seulement  à 
cause  du  fait  même  qu'elle  constitue ,  mais  encore  par  rapport  aux  ob^ 
jets  d'antiquité  déposés  dans  ce  tombeau ,  et  qui  doivent  devenir  de  notre 
part  l'objet  d'un  examen  particulier. 

Quant  à  la  question  de  savoir  à  quelle  époque  et  à  quel  peuple  appar* 
tient  l'invention  de  la  voûte  en  claveaux,  cette  question,  très-importante 
sans  doute  pour  l'histoire  de  l'architecture  ancienne ,  est  étrangère  à 
l'objet  de  notre  discussion  actuelle ,  et  je  ne  m'y  arrête  pas  plus  que  ne 
l'a  fait  M.  Canina ,  qui,  après  avoir  rappelé,  sur  la  foi  de  M.  Wilkinson*, 

*  S.  VV.  Gell,  The  topography  ofRome,  t.  II,  Addenda,  p.  4o8.  —  '  Canina,  ùei^ 
criz.  di  Cere,  etc.  ibid.  tav.  vii,  p.  gS.  —  '  Cette  conclusion  a  été  admise  par  M.  Lep- 
siiis,  de  Tassenliment  duquel  u  m*est  d*autant  plus  permis  de  me  prévaloir  sur  ca 
point,  que  je  diffère  davantage  de  ses  idées  sur  beaucoup  d  autres.  Voy.  sa  diaier* 
talion  ûernie  Tyrrheniscken  Pelasgerm  Etmnen,  p.  45-46.  —  *  Wilkinson ,  Tofoyr. 
of  Thebes,  p.  81  ;  voy.  Lepsius,  Ballet.  delV  Instit,  Arckeol.  18^7,  p.  lai-iaa, 

45 


354  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

cfii'U  existe,  dans  d'anciens  monuments  de  Thèli^s,  en  Egypte,  des 
exemples  de  voâte  cintrée,  datant  dtt  règne  d'Aménophis  i*,  observe 
avQG  beaucoup  de  raison  que  ce  système  de  voûte  ne  semble  pas  tenir 
essentiellement  au  principe  de  Taichilectui^e  égyptienne.  Le  fait  est  que 
les  Grecs  purent  être  très-anciennement  conduits  à  Finvention  de  la 
voâte  en  clavemtx ,  dont  le  germe  s  observe  déjà  dans  plus  d*une  cons- 
truction cyclopéenne  de  Tàge  pélasgique  S  et  dont  Tidée  dérivait  si 
naturellement  du  système  de  construction  en  charpente  propre  à  Tar^ 
chitecture  grecque ,  ainsi  que  Ta  démontré  M.  Qoatremère  de  Quincy  \ 
qu'il  est  presque  impossible  d'admettre  que  les  Grecs  n'aient  pas  trouvé  la- 
voâU  en  claveaux  dans  la  pratique  même  de  leur  construction  en  bois, 
sansle  secours  d'aucun  peuple  étranger.  Mais  c'est,  encore  une  fois,  une 
question  qui  ne  saurait  être  débattue  ici  ;  et  le  seul  point  sur  lequel 
nous  ayons  dû  insister,  c'est  que  la  voûte  aigaë,  telle  qu'elle  se  remarque 
dans  notre  grand  tombeau  de  Cœre ,  ayant  nécessairement  précédé  la 
voâte  cintrée,  dont  l'introduction ,  historiquement  avérée ,  à  Rome,  date 
des  temps  de  Tarquin  l'Ancien ,  il  en  résulte ,  pour  ce  monument  de 
Cœre,  la  preuve  d'une  antiquité  supérieure  aux  premiers  siècles  de 
Rome.  -Mais  là  s'arrête  l'assentiment  que  je  puis  donner  aux  idées  de 
M.  Ganina  ;  car,  lorsque  ce  savant  architecte  croit  pouvoir  attribuer  la 
construction  primitive  du  monument  qui  nous  occupe  à  l'époque  pélas- 
gique, en  le  regardant  comme  l'œuvre  des  Pélasges  thessaliens  établis 
à  AgyUa ,  et  lorsqu'il  rapporte  les  additions  faites  à  ce  tombeau  à  l'é- 
poque de  l'arrivée  des  Tyrrhéniens  de  Lydie,  à  raison  de  la  forme  de 
tanmlas,  qui  lui  parait  imitée  de  celle  du  grand  tamalas  d'Aly  atte  à  Sard^ 
décrit  par  Hérodote,  j'avoue  que  je  ne  puis  adhérer  à  une  pareille  ma- 
nière de  voir.  Le  style  des  divers  objets  d'art  trouvés  dans  ce  tombeau, 
bien  que  fortement  empreint  d'une  influence  égyptienne  et  asiatique, 
ne  saurait  appai^enir  à  une  époque  aussi  ancienne  que  celle  de  la  guerre 
de  Troie ,  comme  cela  résulterait  de  l'opinion  de  M.  Ganina  ^  ;  et  l'em- 
ploi des  caractères  étrusques,  gravés  sur  plusieurs  des  vases  qui  compo- 
saient le  mobilier  funéraire  de  cette  tombe ,  s'oppose  invinciblement  à 
ce  qu'on  les  rapporte  à  une  époque  pélasgique.  Mon  opinion ,  fondée  sur 

*  Une  forme  arquée  ou  curviligne ,  dans  fassemblage  des  blocs  de  pierre ,  a  été 
remarquée  dans  les  murailles  de  plusieurs  villes  cyclopéennes,  notamment  à  Norba, 
AnneL  deW  Instit  Arekool.  t.  I,  p.  66,  et  67,  *) ,  et  à  Albe  des  Èques,  où  cette  dis* 
position ,  regardée  par  quelques  antiquaires  comme  une  tendance  à  l*arc ,  a  été , 
il  est  vrai,  rqetée,  et  avec  raison,  suivant  nous ,  par  M.  Promis,  Aniichità  di  Alha 
Fuceme,  p.  iia-ilb4*  —  *  Dictionnaire  d'Architecture,  au  mot  Voûte,  t.  II,  p.  697- 
698,  s'.édil.  Pariai  i83a,  in-4*.  — ^  '  Desctizione  di  Cere  aniica,  p.  71-73  et  80. 


JUIN  18W.  3W 

l'examen  consciencieux  de  tous  leséiétiiei^ts  de  k  question ,  et  fortifiée, 
s*il  m'est  permis  de  le  dire ,  par  la  connaissance  personnelle  que  j'ai  ac- 
quise des  monuments  dont  il  s  agit ,  en  les  examinant  à  plusieurs  reprises 
au  Museo  Gregoriano  du  Vatican ,  mon  opinion  est  que  le  monument  qui 
renfermait  ces  riches  débris  de  la  civilisation  antique ,  où  rien  d'hellé- 
nique ne  se  remarque,  tandis  que  tout  y  porte  Tempreinte  d'idées  asi^ 
tiques,  avec  un  goût  de  travail  qui  tient  beaucoup  de  celui  de  l'Egypte, 
appartient  à  tme  époque  où  ilorissait  la  civilisation  étrusque  dans  toute 
l'originalité  des  éléments  qui  la  constituaient ,  et  avant  que  l'influence  des 
Grecs,  que  je  rapporte  à  rétablissement  k  Tarqainies  du  Corinthien  Dé- 
marate ,  eût  pu  s'exercer  d'une  manière  tant  soit  peu  sensible  en  Etrufie. 
Ce  serait  donc  vers  le  vu*  ou  le  vni*  siècle  avant  notre  ère  que  je  rap- 
porterais (a  construction  du  tombeau  de  C^ere  en  question ,  et  j'avoue  qtiè 
je  ne  crois  pas  qu'il  soit  possible  de  la  feire  remonter  au  delà ,  et  encore 
moins  de  la  faire  descendre  au-dessous  de  cette  époque,  tant  que  nous 
manquerons  d'éléments  positifs  qui  permettent  d'adopter  une  détermi- 
nation plus  précise. 

Il  s'agit  maintenait  d'examiner  l'intérieur  de  ce  monument,  tel^uHl 
s  offrit  aux  regards  de  ceux  qui  le  découvrirent  pour  la  première  JFois,  le 
la  aviîl  1 836  *,  avec  tous  les  objets  qu'il  renfermait,  et  qui  occupaient 
encore  leur  place  antique,  sauf  les  dégradations  et  les  désordres  qu'atait 
pu  causer,  dans  la  situation  de  ces  objets,  l'éboulement  des  pierres  et  des 
terres  produit  par  le  cours  des  siècles.  Effectivement,  une  partie  delà 
voûte  s'était  écroulée;  la  chute  des  pierres  avait  écrasé  la  plupaii  des 
objets  placés  dans  la  tombe,  qui  se  trouvait  aussi,  par  suite  de  cet  acci*' 
dent,  presque  entièrement  remplie  de  terre,  et  qu'on  ne  pût  parvenir 
à  déblayer  sans  déranger  encore  les  nombreux  débris  de  ce  mobilier 
funéraire,  malgré  le  soin  qu'on  apporta  à  reconnaître  la  place  de  cha- 
cun d'eux;  et  voici,  d'après  la  réunion  des  observations  les  plus  atten- 
tives faites  sur  les  lieux  au  moment. même  de  la  découverte,  ce  ij^t'on 
put  recueillir  de  plus  exact  sur  le  nombre ,  la  nature  et  la  dispositioii 
respective  des  objets  qui  avaient  été  déposés  dans  ce  tombeau. 

Cet  hypogée  se  composait,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  de  deux 
longues  cella,  dont  la  première  paraît  avoir  été  destinée,  dans  la  cons- 
truction primitive,  à  servir  de  vestibule,  et  la  seconde  doit  avoir  été,  daps 
cette  hypothèse,  la  chambre  sépulcrale  consacrée  uniquement  à  la  pert 
sonne  dont  on  y  retrouva  les  restes.  Cependant ,  i)  «est  certain  que  r^ 

'  Les  premiers  détails  sur  cette  importante  découverte  se  Ux>uvent  dans  le  rap^^ 
port  de  M.  le  D*  Braun,  inséré  au  ButtetdeV  Imkt,  Arekèol't%i6,  p,  56-6ft. 

45. 


356  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

vestibule  servît  aussi  à  recueillir  plus  tard  ia  dépouille  mortelle  d*un  in- 
dividu que  des  liens  étroits  de  famille  et  de  parenté  rattachaient,  sans 
doute ,  àia|)ersonne  ensevelie  dans  la  chambre  du  fond;  et  ce  fut  proba- 
blement à  répoque  de  cette  seconde  inhumation  que  furent  pratiquées, 
à  droite  et  à  gauche  du  long  vestibule,  les  deux  chambres  de  plan  ellip- 
tique qui  ne  renfermaient  que  des  vases  de  métal  et  d'argile,  avec  des 
figuiines  de  cette  dernière  matière.  La  porte  qui  introduisait  du  vestibule 
dans  la  chambre  sépulcrale  avait  été  murée  presque  aux  deux  tiers  de  sa 
hauteur  par  deux  assises  de  pierre,  de  manière  à  empêcher  toute  comr 
munication  entre  les  deux  cella;  ce  qui  démontre  bien  que  celle  du  fond 
était  une  tombe  distincte  et  séparée  du  reste  du  monument.  Sur  Tespèc^ 
d'appui  que  formait  le  second  des  blocs  de  pierre  étaient  placés  deux 
vases  de  bronze  de  forme  pareille ,  et  sur  les  deux  montants  de  la  porte 
étaient  suspendus  deux  vases  d'argent  sans  ornement  :  c'est  le  premier 
exemple  d'une  disposition  semblable  qui  ait  encore  été  observé  dans  les 
sépultures  antiques.  La  nature  et  la  matière  des  ornements  qui  accom- 
pagnaient le  corps  déposé  dans  la  cella  du  fond  autorisent  à  croire  que  ce 
corps  avait  été  celui  d'une  femme;  et  le  prénom  P1I0OP1J  [Larthia),  qui 
se  lisait  gravé  en  lettres  étrusques  sur  plusieurs  coupes  trouvées  en  cet 
endroit,  et  qui  est  le  prénom  féminin  usité  chez  les  Étrusques,  rend  cette 
induction  à  peu  près  indubitable.  Une  présomption  du  même  genre^  et 
tout  aussi  plausible,  résulte  de  l'ensemble  et  de  la  nature  des  objets  qui 
avaient  été  disposés  autour  du  corps  enseveli  dans  la  cella  antérîeure 
ou  le  vestihule;  ce  devait  être  un  guerrier  ou  un  pontife  de  dbtinction, 
probablement  le  fils  ou  l'époux  de  la  femme  dont  l'inhumation  avait  pré- 
cédé la  sienne.  Voyons  maintenant  en  quoi  consistait  le  mobilier  funé- 
raire de  chacune  de  ces  deux  parties  du  monument ,  consacrées  à  deux 
individus  de  sexe  différent,  en  commençant  par  le  vestibule. 

Le  premier  objet  qui  se  rencontra  près  de  l'entrée  même  était  un 
réchaud  de  bronze  placé  sur  un  trépied  de  fer.  Venait  ensuite  un  grand 
meuble  d'une  forme  extraordinaire  et  d'un  travail  tout  particulier,  qui 
sembla;  n'avoir  pu  sei*vir  qu'à  l'usage  de  parfumer  la  tombe.  La  des- 
cription en  ferait  difficilement  comprendre  la  composition  et  le  style; 
mais  le  dessin  qu'en  a  publié  M.  Grifi  ne  laisse  rien  à  désirer  sous  ce 
double  rapport^:  la  forme  générale  est  celle  d'un  candélabre,  et  les 
parties  dont  il  se  compose  sont  au  nombre  de  quatre,  c'est  à  savoir  une 
base  conùjue,  sur  laquelle  posent  deux  globes  ajustés  Tun  au-dessus  de 
l'autre,  et  surmontés  d'un  récipient  en  forme  de  cratère;  le  tout  est 

*  Monwnenti  mUiçhi  di'Cere,  «te.  tat.  xi,  a. 


JUIN  1843.  357 

couvert  de  figures  d'animaux  symboliques,  lions  et  taureaux,  tantôt  air 
temant,  tantôt  opposés  Tun  à  l'autre ,  lions  ailés  à  tête  humaineet  griffons 
ailés,  lions  ailés  et  taureaux  ailés ,  toutes  figures  dont  le  type  est  certaine- 
merit  puisé  dans  Tarchéologie  orientale ,  et  dont  le  style  accuse  mani- 
festement un  modèle  asiatique.  Le  meuble  dont  il  s'agit,  par  sa  forme, 
par  sa  destination  et  par  son  style,  est  donc  un  des  objets  d'antiquité 
tes  plus  rares  et  les  plus  curieux  qui  aient  encore  été  recueillis,  et  il  est 
certainement,  sous  tous  ces  rapports,  un  objet  unique  dans  son  genre. 
Près  de  ce  grand  vase  à  parfums  était  placé  un  second  réchaud  d'une 
dimension  inférieure  à  celle  du  premier.  Presque  en  face  de  ces  objets, 
sur  le  côté  opposé  du  vestibule,  se  trouvèrent  les  débris  d'un  char  à 
quatre  roues ,  qui  avait  dû  servir  à  transporter  à  son  dernier  asile  le 
corps  du  défunt.  Ces  débris  consistaient  en  fragments  du  bois  dont 
avait  été  fabriqué  ce  char,  avec  une  partie  des  ornements  en  bronze  qui 
y  avaient  été  appliqués,  et  avec  des  morceaux  des  lames  de  bronze  dont 
il  avait  été  revêtu  ;  une  de  ces  lames  était  ornée  de  figures  de  lions  du 
même  caractère  symbolique  et  du  même  style  asiatique  qui  a  été  re- 
marqué plus  haut. 

A  quelque  distance  de  là,  et  du  côté  droit  de  la  tombe  «  était  le  Ut 
funèbre  sur  lequel  était  resté  déposé  le  défunt ,  après  avoir  été  trans^ 
porté  sur  le  char  sépulcral:  ce  sont  là  deux  objets  des  plus  rares  qui 
existent  au  monde,  le  dernier  surtout,  dont  on  ne  connaissait  pas  en* 
core  d'exemple ,  et  qui  nous  a  conservé  un  modèle  de  ce  meuble  des 
anciens  Étrusques,  le  même,  à  n'en  pouvoir  douter,  qui  avait  ^rvi 
dans  la  cérémonie  des  funérailles ,  mais  qui ,  à  en  juger  d'après  ia 
forme,  avait  dû  être  employé  d'abord  à  un  usage  domestique.  Ce  lit 
est  fait  de  bronze ,  et  formé  de  petites  lames  qui  se  croisent  en  losange 
et  qui  s'attachent  à  quatre  traverses  principales  supportées  par  six  pieds. 
Il  s'y  trouve,  à  l'endroit  de  la  tête,  un  support  posé  sur  quatre  pi^s, 
et  décoré  d'ornements  exécutés  au  trait.  Les  dimensions  de  ce  meuble, 
qui  sont  celles  d'un  coi'ps  humain  ^  d'accord  avec  sa  forme*  et  avec 
les  ossements  qu'on  y  recueillit,  ne  permettaient  pas  le  moindre  doute 
sur  sa  destination,  qui  nous  offre  un  mode  de  sépulture  différent  de 
tout  ce  que  nous  connaissions  jusqu'ici  de  l'archéologie  étrusque  ;  car 
c'est  toujours  sur  un  lit  taillé  dans  le  tuf,  ou  bien  dans  un  sarco- 
phage, soit  creusé  dans  le  même  tuf,  soit  rapporté  en  une  autre  ma- 
tière,  que  reposaient  les  morts  dans  tous  les  tombeaux  des  divers 

^  La  longueur  est  de  cinq  pieds  sept  pouces  ;  la  largeur,  deux  pieds  sept  lignes  ; 
la  hauteur,  neuf  pouces  neuf  lignes.  —  \oyexren  un  dessin  exact,  puUié  à  la  suite 
de  Touvrage  de  M.  Grifi,  MantuMnti  iinliW  A'  Cer9,  etc.  tav.  iv,  n*  6. 


358  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

peuples  de  rÉtrurie  qu'il  nous  a  été  donné  d observer;  et  ce  lit  At 
bronze,  fabriqué  à  l'usage  des  vivants,  puis  consacré  à  celui  des  morts, 
est  jusqu'ici  une  particularité  unique ,  comme  le  meuble  même.  Entre 
ce  lit  et  le  mur  du  caveau  était  placé  un  meuble  non  moins  rare  et^non 
moins  remarquable  par  sa  forme  et  par  son  usage  :  c'était  une  espèce 
de  Auribulunit  ou  de  meuble  servant  à  brûler  des  parfums.  U  con- 
siste en  une  tablette  en  forme  de  quadrilatère  allongé  portée  sut 
quatre  roues  ;  au  centre  de  cette  tablette  est  une  ouveiture  circulaire , 
au-dessous  de  laquelle  est  ajusté  un  petit  bassin,  de  même  forme  et  de 
dimension  égale,  servant  à  recevoir  les  charbons  ardents.  Les  deitt 
côtés  de  la  tablette,  séjparés  par  la  cavité  circulaire,  soat  ornés  d'un 
groupe  de  deux  lions  qm  se  dressent  en  face  Tun  de  lautre  sur  leurs 
pieds  de  derrière  ;  et  le  style  de  ces  animaux ,  comme  celui  des  orne- 
ments qui  décorent  une  espèce  danse  rapportée  vers  le  milieu  de  la  ta- 
blette ,  et  comme  tout  le  travail  du  meuble ,  long  de  trois  pieds  trois 
pouces,  accuse  une  industrie  dérivée  de  TAsie;  on  en  jugera  avec  toute 
connaissance  de  cause  d'après  le  dessin  qu'en  a  publié  M.  Grifi  ^  Aux 
deux  extrémités  du  Ut  étaient  placés  deux  petits  autels  de  fer,  tels  que 
ceux  qui  servaient  sans  doute  aux  sacrifices  domestiques  ;  et,  en  face  de 
ce  litf  sur  le  côté  opposé  du  vestibule,  k  droite  et  à  gauche  de  la  porte 
qui  donnait  accès  à  l'une  des  chambres  latérales,  étaient  suspendus  à  la 
muraille  des  boucliers  de  bronze,  au  nombre  de  huit,  qui  ne  consistaient 
qu  en  plaques  très-minces  de  revêtement ,  et  parmi  lesquels  se  trouvaient 
mêlées  desféches  de  bronze  avec  d'autres  instruments  de  fer,  sur  la  nature 
et  l'usage  desquels  l'opinion  des  antiquaires  ne  parait  pas  encore  bien 
fixée.  Les  uns^  y  ont  vu  des  armes  de  guerre,  d'où  ils  ont  inféré  la  profea- 
sîon  militaire  du  défunt;  d'autres^,  des  instruments  de  sacrifice,  d'où  ils 
ont  oonduque  ce  personnage  avait  été  un  aruspice;  et  j  avoue ,  d'après 
la  forme  des  objets,  dessinés  dans  une  des  planches  jointes  au  livre  de 
M.  Grifi  ^,  que  cette  opinion  me  parait  plus  probable.  Les  boucliers,  qoi 
peuvent  très-bien  s'expliquer  aussi  dans  cette  hypothèse,  offrirent,  de 
plus,  cette  particularité  que,  d'après  l'extrênie  ténuité  de  la  lame  de 
bronze,  ils  n'avaient  pu  être  d'un  usage  réel  ;  conséquemment,  que  leur 
destination  avait  été  uniquement  de  contrefaire  cette  réalité  dans  la  cé- 
rémonie des  funérailles  et  dans  la  demeure  des  iports,  ainsi  qu'on  en 
a,  du  reste,  tant  d'auti^ea exemples  dans  l'antiqoité  grecque  et  étrusque^. 

^  Monamenti  antichi  di  Cere,  etc.  tav.  vi,  n.  s  et  3.  — ^  Canîna,  Descrizione  di 
Cirs,'€Ïa,  p.  yS.^*»  '  Grifi,  thimwÊeHti  umtklà  di  Cer0,  p.  i54-i55.  —  */6û£.  tav.  v, 
n*  3.  -^  ^  G*est  un  point  d*archéologî«  dont  je  me  suis  attaché  a  recueillir  les  preuves 
et  à  établir  le  motif  dans  mon  Trasîè«ie  Mémoire  d*Antiq.  chrétienne,  p.  i&S-i6a. 


JUIN  1843.  358 

Mais  Tobjet  le  plus  curieux  peut-être,  parmi  tons  ceux  qui  avaioat  ac- 
compagne ici  la  dépouille  du  mort,  c  était  une  suite  de  petites  idoles  d'ar- 
gile noire,  qui  se  trouvèrent,  partie  en  avant  du  lit  funèbre ,  partiedaas 
une  des  chambres  latérales.  Ces  figurines  représentent  un  homme  vieux 
et  barbu ,  vêtu  et  terminé  en  gaine  carrée.  La  position  des  bras  ployés 
siu*  la  poitrine,  les  deux  mains  placées  sous  le  menton,  ou  bien  Tun  de 
ces  bras  seulement  dans  l'attitude  qui  vient  d'être  indiquée,  et  Vautre 
étendu  en  avant  du  corps  \  constituent  pour  ces  statuettes  deux  classes 
distinctes  ^  qui  étaient  en  nombre  égal  ;  et  ce  qui ,  d  accord  avec  ces 
deux  gestes  de  nature  toute  hiératique,  et  avec  la  couleur  noire  de 
Targile ,  achève  de  démontrer  le  caractère  symbolique  et  fimèbrc  de 
ces  figurines,  dont  le  style  et  le  travail  annoncent,  d'ailleurs,  la  plus 
haute  antiquité  de  Tart  étrusque ,  c'est  que  leur  nombre  total  était  de 
trent&six^.  Os,  cette  circonstance  ne  pouvant  être  fortuite ,  il  est  diffi- 
cile de  n'être  pas  frappé  de  fidentité  de  ce  nombre  de  trente-six  avec 
celui  des  dieax  conseillers  de  l'astrologie  chaldéenne^;  ce  qui  devient  un 
trait  d'analogie  de  plus  qu  oflre  notre  monument  de  Cœre  avec  l'ar- 
chéologie asiatique.  Quant  à  la  signification  de  ces  petites  idoles,  où  les 
uns  ont  vu  des  lares  ou  génies  funèbres ,  suivant  la  doctrine  étrusque, 
d'autres,  des  espèces  de  Theraphim  servant  à  prédire  l'avenir,  cuaa- 
pruntés  à  la  superstition  orientale  ^,  c'est  une  question  qui  ma  paraît 
difficile  à  décider,  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances.  Mais, 
quelque  opinion  qu'on  adopte  à  ce  sujet,  le  fait  n>ême  de  ces  trente- 

*  Deux  de  ces  figunnes,  dand  chacune  des  deux  attitudes  qui  viennent  d*ètre 
décrites,  sont  publiées  par  M.  Grifi,  tav.  iv,  n.  3  et  4*  dont  le  dessin  achèvera  de 
rendre  sensible  aux  yeux  ce  qui  aurait  pu  rester  obscur  dans  notre  description.  — 
'  M.  Canlna  ne  désigne  ces  figurines  que  d'une  Diaiûèr&  générale ^  0/0010 ^juvMf 
di  creta  cotta,  sans  en  indiquer  le  nombre,  p.  76.  M.  Braun  parle  d'une  qmirantaiMe 
de  ces  statuettes,  p.  Sg  :  Verso  una  qaarantina  di  piccole  Jigure  di  terra  cotta.  Mm 
M.  Grifi,  écrivant  d*après  le  résultat  des  recherches  les  plus  exactes,  et  avec  les  jqo* 
nuroents  mêmes  sous  les  yeux,  assure,  en  termes  exprès,  que  les  figurine»  en 

question  étaient  au  nombre  âe  trente-six ,  p.  ijh-  Idoletti  di  argilla  nera joro- 

If»  numéro  di  trenta  sei,  e  tatti  délie  daefogge  qui  poste  nei  numeri  3,  â,  Voy.  encote 
p.  1 54-1 55.  —  'On  sait,  en  effet,  que  les  Chaldéens  avaient  dans  leur  «phère 
trente-six  astres,  qu*i]s  appelaient  dieux  conseillers ,  Oeoi  ^ovXaUot ,  et  qui ,  comme 
les  trente-six  décans  de  fastrologîe  égyptienne,  présidaient,  saus  doute ,  chacun  'à  un 
tiers  d*un  des  douxe  signes  de  leur  lodiaque.  A  ta  vérité ,  Diodore  de  Sicile ,  à  qm- 
nous  devons  cette  notion  curieuse ,  ii ,  3o ,  ne  parle  que  de  trente  ;  mais  c  est  évi- 
demment une  erreur  de  chiffre,  qui  a  été  corrigée  par  M.  Geseniot,  Commentar  àher 
den  Jesaia ,  Th.  III ,  S.  333-334 1  )  ;  et  cette  correction ,  admise  et  scatenne  en  der- 
nier lieu  par  M.  Letronne ,  Sar  Veriginê  da  zodiaque  grec ,  p.  34 1  1  )  *  reçoit  une 
confirmation  inattendue  par  le  fient  des  trente-six  petites  idoles  de  notre  loiBbeM»  de 
Cmre,  —  *  Esecbîel.  xzi ,  »i  ;  c£  Hicronmn.  mih,L 


360  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

six  petites  idoles  dans  une  attitude  hiératique  n'en  constitue  pas  moins 
un  rapport  des  plus  ciuîeux  entre  Tantiquîté  étrusque  et  Tantiquité 
asiatique  ^. 

RAOULROCHETTE. 
{La  suite  au  prochain  cahier.  ) 


Nouveaux  documents  inédits  sur  le  P.  André  et  sur  la  persécution 

du  Cartésianisme  dans  la  compagnie  de  Jésus. 

QUATRIÈME    ET    DERNIEB    ARTICLE. 

Cette  fois  la  compagnie  se  piqua  d*honneur  et  consentit  à  discuter 
avec  André.  Elle  chargea  Irois  de  ses  plus  fortes  têtes  d'examiner  sa 
profession  de  foi,  et  Tun  d'eux  eut  ordre  d'y  répondre  article  par  ar- 
ticle. Cette  réponse ,  à  ce  qu'André  nous  apprend ,  était  un  petit  in- 
foiio.  n  en  fit  un  extrait  qu'il  envoya  à  Malebranche ,  et  cet  extrait  se 
trouve  dans  nos  papiers.  Il  est  lui-même  fort  étendu  et  n'a  pas  moins 
d'une  trentaine  de  pages.  André  a  mis  de  loin  en  loin  à  la  marge  quelques 
notes  très-succinctes.  «L'auteur  de  cet  écrit  est  inconnu,  dit  André 
dans  une  de  ces  notes ,  et  se  cache ,  à  ce  qu'il  dit ,  par  ordre  de  ses 
supérieurs.  Cependant  il  parle  comme  un  pape.  »  Eji  effet,  même  dans 
l'extrait,  1^  ton  est  toujours  celui  d'un  supérieur.  Malebranche  y  est 

'  Je  profiterai  du  peu  d'espace  qui  me  reste  encore  pour  rectifier  ou  compléter 

Îuelques-unes  des  notions  exposées  dans  mon  précédent  article  sur  les  tombeaux 
e  tiere.  C'est  par  inadvertance  qu'il  a  été  dit,  page  271 ,  qu'un  de  ces  lombeaux 
était  représenté  sous  la  lettre  B;  le  plan  donné  sous  cette  lettre  est  celui  de  Thy- 
pogée  entier.  En  parlant,  p.  a8i,  du  vase  à  fond  d'un  blanc  verdâlre ,  orné  de 
ngures  d'animaux ,  j'aurais  dii  avertir  que  ce  vase  était  publié  à  la  suite  de  l'ou- 
vrage de  M.  Visconti,  pi.  ix,  u.  3;  et  je  me  suis  trompé,  même  page,  en  désignant 
comme  une  chimère  la  figurine  de  bronze ,  qui  est  un  griffon.  Une  observation  plus 
importante,  qui  m'avait  échappé,  et  que  je  saisis  l'occasion  de  rétablir  ici,  a  rapport 
au  vase  à  sujets  gymniqaes,  trouvé  dans  le  tombeau  de  Cœre,  que  j'ai  décrit,  p.  383, 
3),  d'après  le  dessin  de  M.  Visconti,  pi.  ix,  n.  1,  lettre  B.  Ce  choix  de  sujets  gym- 
niques se  trouve  tout  à  fait  d'accord  avec  le  témoignage  d'Hérodote  concernant  ïms- 
titution  Ae  jeux  gymniques  k^Agyïia  (Cœre),  qui  eut  lieu  en  vertu  d'un  oracle  de 
Ddphes,  et  qui  continuait  encore  d'être  en  vigueur  du  temps  de  l'historiei^  ;  Hero- 
dot.  I,  167  :  A  a^  TLvBlrf  a^éaus  èxéXevtre  Trotéetv  rà  xai  NtN  oi  ÀrTAAATOI  ÉTI 

èwneXéowri  -  xai  yàp ÀrÛNA  rTMMIKÔN  xai  iniUKÔN  èvialatTi.  C'est  ici . 

comme  on  le  voit,  un  de  ces  cas,  toujours  importants  a  constater,  où  les  témoi- 
gnages de  la  tradition  écrite  sont  justifiés  par  les  monuments -de  l'antiquité  figurée. 


*UIN  1843.  36i 

traité,  comme  philosophe  et  comme  théologien,  avec  beaucoup  de  hau- 
teur. C'est  le  thème  développé  dans  le  livre  du  P.  Dutertre.  D  est  à 
peu  près  certain  que  cette  pièce  lui  avait  été  communiquée  aussi  bien 
qu  à  André  ,  et  il  est  vraisemblable  qu  elle  lui  aura  été  donnée  comme 
la  fond  de  la  réfutation  de  Malebi'anche  qu  on  lui  demandait.  C'est  le 
même  esprit,  ce  sont  les  mêmes  arguments  présentés  k  peu  près  dans 
le  même  ordre;  on  y  accuse  Malebranchc  de  n'avoir  aucune  origina- 
lité en  philosophie,  et  d'être  seidement  un  écolier  de  Descartes,  qui  n  a 
ajouté  à  la  doctrine  du  maître  que  des  contradictions  et  des  extrava- 
gances. On  s'attache  particulièrement  à  réfuter  la  théorie  des  idé^s,  et, 
comme  Andié  avait  prétendu  retrouver  cette  théorie  dans  saint  Augus- 
tin, le  père  jésuile  qui  lui  répond  expose  à  son  tour  ce  qu'il  appelle 
la  vraie  doctrine  du  grand  docteur  :  tout  ce  morceau  a  presque  passé 
dans  l'ouvrage  du  P.  Dutertre.  Les  citations  de  saint  Augustin  sont  les 
mêmes,  le  style  seul  est  un  peu  changé,  il  est  plus  ironique  et  moins 
violent  dans  le  livre  imprimé  que  dans  la  pièce  manuscrite.  Ici  Maie* 
branche  est  partout  représenté  comme  un  fanatique  et  comme  un  fou. 
L'espiit  général  qui  y  règne  est  celui  du  péripatétisme ,  comme  Tesprit 
du  platonisme  domine  dans  Malebranchc  et  dans  André.  De  là  les  dé- 
fauts et  les  mérites  de  ce  faclam  philosophique.  L'empirisme  d'Aristote 
n*a  pas  toujours  tort  contre  l'idéalisme  de  Platon;  il  en  faut  dire  autant 
des  jésuites  à  l'égard  de  Descartes  et  surtout  de  Malebranchc.  Comme 
ils  eurent  souvent  raison  contre  Port:lloyal  en  théologie,  dans  la  grande 
affaire  de  la  grâce,  où  ils  se  portèrent  les  défenseurs  de  la  liberté  et  de 
la  puissance  de  la  volonté  humaine,  de  même  Jeur  empirisme  péripa- 
téticien  en  philosophie  a  quelquefois  l'avantage  du  sens  commun  contre 
la  théorie  des  idées  et  la  fameuse  vision  en  Dieu.  Ils  en  parlent  déjà 
comjne  le  fit  plus  tard  leur  célèbre  écolier  Voltaire,  qui  avait  pris  à 
Louis-ie-Grand,  chez  les  jésuites,  le  fond  de  sa  philosophie,  et  la  déve- 
loppa pendant  son  séjour  en  Angleterre  dans  Vétude  de  Locke  et  par 
le  commerce  de  ses  disciples.  Reste  à  savoir  quel  peut  être  fauteur  de 
la  pièce  qui  est  entre  nos  mains.  Kapin  était  mort  en  1687,  Le  Valois 
en  1700;  Letellier  était  occupé  à  diriger  la  conscience  de  Louis  XIV; 
Hardouin  n'était  pas  consulté,  comme  il -le  dit  lui-même;  Baltus, 
cité  dans  cet  écrit,  n'en  peut  être  l'auteur.  Je  ne  vois  plus  guèrç,  paroai 
les  jésuites  de  France  de  cette  époque,  d  autres  personnages  versés  dans 
les  matières  philosophiques  que  le  P.  Daniel  et  le  P.Tournemim, 
tous  deux  en  possession  d une  grande  autorité  dans  leur  compagnie,  et 
fort  engagés  contre  le  cartésianisme.  Le  P.  Buffier  n'avait  pas  encore 
la  célébrité  qu'il  acquit,  en  1^79 &,  par  la.publimtioac4iif90BTsailé  des 

46 


361»  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ventés^  premières ,  et  il  était  trop  judicieux  et  trop  modéré  pour  prêter 
sa  plume  à  des  accusations  aussi  injustes  et  aussi  durement  exprimées. 
An^reste,  la:  longueur  de  cet  écrit  nous  empêche  de  le  publier.  Nous 
nous  bornerons  k  en  donner  les  dernières  lignes  pour  faire  connaître 
laicruelle  nécessité  où  se  trouvait  André  d'avoir  à  signer  et  à  dicter  un 
foroiiilaire  si  opposé  à  ses  sentiments. 

M  En  finissant  ce  long  article  on  est  obligé  d'avertir  le  P.  André  qu'on 
le. croit  obligé  en  conscience  à  réparer  le  scandale  qu'il  a  donné  et  de- 
dans et  dehors  par  son  entêtement  pour  le  dangereux  fanatisme  qu*on 
vient  de  réfuter,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  pour  réparer  ce 
soandalc^  que  de  dicter  ce  qu'on  lui  a  marqué  là-dessus  dans  l'écrit 
latin. -9    i 

B- faUut  bien  obéir  k  cette  injonction,  et  André  fîit  contraint  de 
s^er  et  de  dicter  dans  sa  classe  le  formulaire  latin  qu'on  lui  avait 
adressé^et  dont  la  première  correspondance  nous  a  conservé  un  extrait  ^ 
RlB^>excttse  de  cette  faiblesse,  le  1 5  avril  1 7 1 3 ,  dans  une  lettre  à  Maie- 
braiiche ,  que  nous  avons  publiée  il  y  a  deux  ans  ^.  Mais  ce  qu'il  plait  à 
tfon  humilité  d'appeler  de  la  faiblesse  parut  à  ses  supérieurs  une  résistance 
coupable.  On  lui  ôta  sa  chaire  de  philosophie,  et,  sur  la  fin  de  l'année 
i^Aèy.û  fut  envoyé  de  Rouen  à  Alençon  et  confiné  dans  un  emploi 
entîèDement  étranger  à  la  philosophie  et  même  à  l'enseignement.  Il  y 
demeura  jusqu'à  Tannée  iyi8.  Pendant  ce  temps  notre  première  cor- 
respondance nous  le  peint  toujours  dévoué  au  cartésianisme  et  à  la 
doctrine  de  Malebranche,  la  cultivant  en  secret,  la  propageant  même, 
raspemblant  des  matériaux  pour  écrire  la  vie  de  son  illustre  maître,  et 
rendant  compte  de  la  suite  et  du  progrès  de  son  travail  à  ses  deux 
amis,  M.  Larcfaevêque  et  M.  l'abbé  de  Marbeuf.  Mais  la  paix  dont  il 
jouit  d'aboi'd  à  Alençon  ne  fut  pas  de  longue  durée.  D'un  autre  point 
de  l'borixon  un  autre  orage  vint  éclater  sur  sa  tête  et  changer  les  dis- 
grâces qu'il  avait  jusqu'ici  essuyées  en  une  véritable  persécution. 
•îXe  fut,  cette  fois,  la  huWe  Vnigenitas  et  les  querelles  qu'elle  souleva 
dans  l'Église  et  dans  l'État  qui  vinrent  troubler  le  repos  d'André.  Per- 
sonne au  fond  n'était  moins  janséniste.  Déjà  Malebranche,  dans  le 
Traité  de  la  nature  et  de  la  gi*âce,  avait  combattu  la  doctrine  d'une  gràcr 
efficace  par  elle-même  qui  ne  laisse  point  à  l'âme  humaine  le  mérite 
dfyicoopérer,  ni,  par  une  conséquence  forcée,  le  pouvoir  d'y  résister;  et 
AiHkré' était  encore  bien  plus  exact  que  Malebranche  sur  la  théorie  de 
la  liberté, humaine,  comme  on  l'a  vu  dans  sa  profession  de  foi  sur  le 


JUIN  1843.  563 

formulaire  ^  et  comme  le  reconnaissent  eux-mêmes  les  phifôsophes 
de  la  compagnie.  L  accusation  de  jansénisme  ne  pouvait  s'appliquer 
avec  le  moindre  fondement  à  André  ;  mais  la  vérité  est  qu'il  connais- 
sait et  honorait  plusieurs  personnes  de  cette  opinion,  et  qu'il  était 
d'avis  de  les  combattre  par  des  réfutations  solides  et  modérées,  au  lieu 
d'en  appeler  à  l'autorité  temporelle.  Il  ne  prit  donc  parti  ni  pour  les 
jansénistes  ni  pour  les  jésuites,  mais  pour  les  persécutés  contre  les  per- 
sécuteurs. La  première  correspondance  contient  plusieurs  lettres  à  l'o- 
ratorien  de  Marbœuf,  où  il  exprime  une  opinion  pleine  de  sagesse,  qui 
ne  devait  plaire  à  personne ,  ni  surtout  à  ses  supérieurs.  iLûilk  donc 
André  devenu  suspect,  non  plus  seulement  de  cartésianisme,  mais,  qui 
pis  est.  de  jansénisme,  ou,  pour  mieux  dire,  de  modération  à  l'endroit 
du  jansénisme.  C'est  ce  que  lui  insinue  le  nouveau  provincial  de  France, 
le  P.  Martineau. 

«  Paris ,  aa  décembre  1716. 

«  On  ne  peut  que  louer  le  soin  qu'on  prend  de  se  renfermer  dans  les 
bornes  d'une  juste  modération  en  quelque  matière  que  ce  sort.  Mais  il 
ne  faut  pas  que  cela  aille  toujours  jusqu'à  garder  une  espèce  de  neu- 
tralité. Car  il  y  a  des  occasions  où,  sans  se  déclarer  avec  chaleur,  on  peut 
et  on  doit  faire  connoître  qu'on  s'attache  au  parti  que  l'Eglise  a  pris.  Je 
ne  puis  vous  en  dii'e  davantage  sur  ce  sujet,  une  lettre  ne  comportant 
pas  un  plus  ample  éclaircissement.  Mais  je  prie  votre  révérence  de  faire 
réflexion  au  peu  que  je  luy  dis  et  de  ne  pas  s'en  éloigner  dans  sa  con- 
duite. Je  suis  avec  respect,  dans  l'union  de  ses  SS.  SS.  etc. 

((  Martineau.  » 


aintes 


André  ayant  continué"^à  user  de  la  même  modération ,  les  plai 
qu'il  excita  dans  la  compagnie  allèrent  jusqu'à  Rome.  Le  P.  général, 
l'ardent  et  inflexible  Tamburini  ^,  si  connu  par  son  zèle  contre  le  jan- 

*  Voy.  l'article  précédent,  p.  3o6.  —  *  On  ne  trouve  rien  sur  Tamburini  dans 
Moreri.  Nous  tirons  le  peu  de  renseignements  que  nous  allons  donner  sur  ce  père 
jésuite  d*un  ouvrage  peu  connu,  mais  curieux,  imprimé  à  Rome  en  1761 ,  en  latin  : 
Imagines  pra^positoram  genendium  societatis  Jesa,  delineatm  et  mreis  formis  eœpreism  mk 
Armoldo  Van-  Weitherhout ,  addita  perhiyfvi  uniascajusque  vitœ  descripiwne;  et  toîtalm  : 
RiiratU ,  etc,  par  le  P.  Galeotti ,  de  la  même  compagnie ,  a*  édit.  in-foL  Michel-Ange 
Tamburini  était  de  Modcne;  il  naquit  le  27  septembre  16^8,  embrassa  Tétai religiem 
dans  la  compagnie  de  Jésus,  le  16  janvier  i665. 11  enseigna  la  rbilosophie  dansie 
coQége  de  Sainle-Lncie  à  Bologne  pendant  six  ans,  lalbéologie  a  Mantoue  pendant 
six  autres  années.  B  fut  recteur  do  collège  de  Uodènm  eixin.cahii  de  ManloiNi,  puis 

46. 


364  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

sénisme,  écrivit  à  André  pour  se  plaindre  de  sa  conduite  et  lui  dëcla^ 
rer  que ,  s'il  n'en  change ,  il  Tôtera  d'Alcnçon.  Il  reproche  même  au 
père  provincial  Martineau  une  trop  grande  indulgence ,  comme  on  le 
voit  dans  la  réponse  latine  d'André,  que  nous  supprimons.  Celui-ci 
désirait  vivement  de  rester  à  Alençon ,  car  il  était  fort  aimé  pour  son 
esprit ,  sa  douceur  et  sa  tolérance.  Dès  qu'on  y  sut  qu'on  éiait  me- 
nacé de  le  perdre,  les  habitants  les  plus  notables  écrivirent  en  su 
faveur  au  père  général.  Cependant  l'aifaire  s'envenimait;  toutes  les 
démarches  d'André  étaient  surveillées  ,  toutes  ses  paroles  maligne- 
ment contentées.  Excité  par  les  reproches  du  père  général ,  le  père 
provincia^Vfartineau  donne  ordre  au  P.  Chomel,  recteur,  de  feipe 
subir  à  André  un  intcrrogatoii'e  sur  un  certain  nombre  de  questions 
envoyées  de  Rome.  Nous  avons  ces  questions  et  les  répoïises  d'André, 
le  tout  en  latin.  Voici  quelques-unes  de  ces  questions,  qui  nous  pa- 
raissent aujourd'hui  bien  puériles  et  qui  étaient  alors  fort  redoutables  : 
1°  s'il  pense  et  s'il  a  jamais  dit  qu'il  n'y  a  pas  de  jansénistes;  2°  s'il  a 
dit  qu  on  faisait  bien  de  s'opposer  à  la  bulle  Unigeniias;  3**  s'il  a  dit  qu'on 
aurait  mieux  fait  de  réfuter  que  de  condamner  le  livre  de  Quesnei; 
Ix^  s'il  n'a  pas  dit  à  une  dame  dont  il  est  le  confesseur  que  son  opi- 
nion ne  diffère  pas  de  celle  des  jansénistes  et  qu'il  désire  leur. triomphe. 
Toutes  les  autres  accusations  .étaient  également  fondées  sur  des  ba- 
vardages de  pelite  ville ,  de  collège  et  de  couvent.  Un  père  Urquart,  sur 
lequel  nous  ne  trouvons  nulle  part  aucun  renseignement,  s'était  insinué 
dans  la  confiance  d'André  par  l'apparence  d'une  franchise  semblable  à 
la  sienne.  André  lui  avait  écrit  une  lettre  où  il  lui  raconte  son  interro- 
gatoirc  et  où,  tout  en  se  prononçant  avec  force  contre  le  jansénisme, 
il  déclare  aussi  qu'il  ne  veut  pas  s'écarter  de  la  charité  qu'il  doit  aux  per- 
sonnes, quelles  que  puissent  être  leurs  erreurs....  «Détestant,  comme 
j'ai  toujours  fait,  la  grâce  invincible  des  jansénistes  et  môme  la  grâce 
prédéterminante  des  thomistes  les  plus  catholiques,  je  suis  certain  que 
je  n'ai  pu  dire  que  ma  pensée  n'était  pas  éloignée  de  celle  de  ces 
messieurs,  c'est-à-dire  des  jansénistes.  Mais  veut-on  que  j'aille  brusquer 

provincial  de  la  province  de'Venise.  Le  père  général  Gonzuiès  le  fit  venir  à  Borne 
pourlni  servir  de  secrétaire,  et  le  nomma,  le  lâ  novembre  1708,  son  vicaire  gé- 
nérdL  Dans  l'assemblée  qui  suivit  la  mort  de  Gonzalès,  il  fut  élu,  le  3i  janvier 
1706,  général  de  la  compagnie.  li  la  gouverna  vingt-quatre  ans  et  un  mois,  étanl 
mort,  à  fâge  de  quatre-vingt-deux  ans,  le  dernier  jour  de  février  1730,  à  Rome, 
dans  la  maison  professe.  Il  a  signalé  son  généralat  par  la  béatification  de  François 
Régis  et  la  canonisation  de  Louis  de  Gonzague  et  de  Stanislas  Kotska ,  par  son  zèle 
powr  ki  mistàons  étrangères  et  oonlre  le  jansénisme. 


JUIN  1843.  365 

ItHH  Tunivers  pour  acquérir  chez  nous  la  sotte  réputation  de  bien  in- 
tentionné, et  dans  le  monde  raisonnable  celle  d'étourdi  et  de  brouilionû^ 
^^on,  çesJt  à  quoi  je  ne  puis  me  résoudre.  Je  condamne  et  j'espère  que 
Dieu  me  fera  toujours  la  grâce  de  condamner  toutes  les  erreurs  que 
TEglise  condanme;  mais,  pour  ce  qui  est  des  personnes  qui  ]es  sou- 
tiennent, je  leur  ferai  toujours  des  honnêtetés  pour  les  gagner  par  là, 
si  je.  puis,  à  la  vérité  catholique.  Si  nos  zélés  désapprouvent  ma  con^ 
duite,  peut*être  que  le  Seigneur ,  qui  nous  commande  la  charité  sur 
toutes  choses ,  lui  donnera  son  approbation.  »  Sur  ces  entrefaites ,  un 
P.  de  Couvrîgny,  qui  nous  est  d'ailleurs  aussi  inconnu  que  le  P.  Ur- 
quart,  écrit  à  André  pour  l'avertir  que  ce  P.  Urquart  est  un  fourbe; 
qu'il  lui  a  écrit  parle  conseil  de  son  ennemi ,  le  P.  Ma^telet^  pour  le  faille 
parler...  wOn  croyait  d'abord  en  ville,  lui  dit-il,  que  votre  lettre  au 
P.  Urquart,  dont  les  copies  couraient  partout,  ne  se  divulguait  que 
par  le  conseil  des  PP.  D'Avrigny  et  Boismond^,  vos  amis,  et  on  les  en 
blâmait  fort;  mais,  ensuite,  tout  est  retombé  sur  le  P.  Urquart  et 
sur  le  P.  Martelet,  son  mobile,  les  autres  ayant  déclaré  quils  n'a- 
vaient seulement  pas  vu  la  lettre.  On  nous  a  dit  qu'elle  avait  été 
envoyée  au  P.  général  et  au  P.  ^)rovincial,  et  je  crains  quelle  n'ait 
pas  un  trop  bon  effet  auprès  d'eux.  »  Le  P.  de  Couvrîgny  apprend 
encore  à  André  une  foule  de  détails,  aujourd'hui  sans  intérêt,  sur  les 
manœuvres  de  plusieurs  de  ses  ennemis  ;  que  le  P.  Martelet  a  arraché, 
au  confessional,  d'une  ancienne  pénitente  du  P.  André,  sous  peine  de 
damnation  éternelle ,  l'aveu  des  sentiments  que  lui  aurait  exprimés  An- 
dré, avec  la  permission  d'en  informer  les  supérieurs.  Le  P.  Urquart 
prétendait,  au  contraire,  que  c'est  ce  P.  de  Couvrigny  qui  trahissait 
André.  Le  fait  est  que  nous  trouvons  dans  nos  papiers  une  lettre  de 
Rome  du  général  des  jésuites,  blâmant  André,  félicitant  le  P.  Martelet  et 
le  P,  de  Couvrigny. 

Ainsi  ce  P.  de  Couvrigny,  qui  ticcusait  le  P.  Urquart  de  trahir 
André,  le  trahissait  réellement  :.  il  s'entendait  avec  le  P.  Martelet  et  il 
écrivait  à  Rome  contre  celui  qu'il  appelait  son  ami.  Dans  la  persécu- 
tion contre  le  cartésianisme,  nous  avons  trouvé  un. lâche  dans  la  per- 
sonne du  P.  Duterlre;  voici  maintenant  dans  l'affaire  du  jansénisme 
un  espion  et  un  traître.  On  est  au  moins  un  peu  consolé  en  .trouvftOt 
un  honnête  homme  et  un  honnête  homme  courageux  dans  le  P.  Ur- 
quart Un  ami  anonyme  d* André,  en  lui  envoyant  une  copie  de  h 
lettre  du  père  général  au  P.  Martelet ,  ajoute  ceci  :  «  C'^esl  le  P.  [ji^uart 


'  Egdement  inconnu.  —  'JooHHiut. 


c!      .  •        .  *^i    '•- 


366  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qui  Ta  rendue  publique  à  Alençon  pour  conyaincre  le  P.  de  G>uvrigny, 
qui  voulait  y  passer  pour  votre  ami.  Le  pauvre  P.  Urquart  a  été  mis  en 
pénitence ,  et  pour  première  punition  on  lui  a  ôté  sa  peiTuque.  Le  père 
recteur  a  même  voulu  l'envoyer  ailleurs;  il  a  répondu  qu'il  ne  sortirait 
que  par  ordre  du  P.  général;  qu'il  lui  avait  écrit  pour  la  justification  de 
votre  doctrine  et  de  votre  personne,  et  que  rien  ne  serait  capable  de 
l'empêcber  de  rendre  témoignage  à  la  justice  et  à  la  vérité,  n  Enfin ,  le 
4  février  1718,  arriva  de  Paris  à  André,  de  la  part  du  nonveau  provin> 
ckl  de  la  Granville^ ,  la  lettre  suivante. 

UMON    RlivÉBEKD    PÂRE    LE    R.    PÈRB    ANDR1&    DE    LA    COMPAGNIE    DE    J^SUS, 

X    ALENÇON. 

«Paris,  ce  i  février  1718. 
«  Mon  révérend  père , 

«J'ay  ordre  du  R.  P.  général  de  retirer  V.  R.  d' Alençon.  Comme 
je  n'ai  point  à  présent  d'autres  employs  à  vous  offrir  que  le  ministériat 
des  pensionnaires  d'Arras,  je  vous  prie  de  vouloir  Faccepter;  peut-être, 
dans  la  suite,  pourrai-je  vous  offrir  ^uelqu'autre  employ  qui  soit  plus 
de  votre  goût.  Je  ne  vous  dis  point  les  raisons  de  l'ordre  de  notre  père , 
parce  que  je  sçay  que  vous  en  êtes  instruit. 
«Je  suis  avec  respect,  etc., 

((  De  LA  Granville.  » 

C'est  ainsi  qu'André  fut  envoyé  h  Arras.  Nous  avons  vu,  par  la  pre- 
mière correspondance ,  le  sort  qui  l'y  attendait.  Il  y  fut  plus  que  jamais 
soupçonné  de  jansénisme.  Ses  lettres  à  Toratorien  de  Marbœuf  furent 
surprises,  tous  ses  papiers  saisis,  entre  autres  sa  vie  de  Malebranche, 
et,  pour  une  brochure  que  les  jésuites  avaient  laite  et  qu'ils  lui  attri- 
buèrent, il  fut  mis  à  la  Bastille.  Il  en  sortit,  et  il  fut  envoyé  à  Amiens 
dans  l'année  17  ta  2.  Nos  nouveaux  papiers  ne  nous  fournissent  nul 
éclaircissement  sur  ce  point  obscur  et  malheureusement  certain  de  la 
vie  d'André.  Pendant  tout  son  séjour  à  Arras,  nous  ne  trouvons  qu'une 
seule  lettre  adressée  à  André  par  notre  ancienne  connaissance  le  P. 
Guymond,  toujours  le  même,  bonhomme  et  fanatique,  exhortant 
toujours  André  à  abandonner  la  doctrine  de  Malebranche  «t  même  à 
k  réfuter.  Sur  un  mot  d'espérance  qu'André  lui  avait  donné ,  il  prend 
feu  et  lui  écrit  la  lettre  suivante  : 

'  Rien  dans  Moreri  ni  ailleurs  sur  ce  père^pPOviiiciaL       -*^< 


JUIN  1843.  367 

MkV    Pèai^    ANDRé,    X    ÂRRAâ. 

«De  la  Flèche,  ce  17  février  1719. 

tt Un  dé  ceux  de  qui  j'attendoîs  le  plus  pour  le  bon  ser- 
vice de  la  compagnie,  c'étoit  V.  R.  Voyant  donc  tout  le  contraire,  j'ay 
ressenti  tout  ce  que  dît  le  sage  d'une  espérance  trompée  en  chose  de 
phis  grande  conséquence  et  qu'on  désire  le  plus.  Le  petit  mot  qui  se 
trouve  pour  moy  dans  la  lettre  de  V.  R.  à  notre  cher  père  m'a  rendu  tout 
d'iin  coup  la  vie,  réveillé  toute  mon  espérance,  guéri  ma  douleur  de 
vous  voir  hors  des  emplois  que  vous  pouvez  si  bien  faire  sans  ce  mau- 
vais levain  de  cette  nouvelle  doctrine  la  plus  bizarre,  la  plus  contraire 
au  bon  sens,  la  plus  dangereuse  pour  la  religion  qui  fut  jamais.  Je  suis 
donc  très-disposé  à  vous  servir  autant  que  je  le  pourray,  soit  ici  ou  à 
Rome.  Mais,  pour  le  faire  prudemment  et  pour  y  réussir,  je  désire  t 
i^que  vous  me  mandiez  si,  en  effet,  vous  en  vbyez  maintenant  la  faus- 
seté, et  par  quels  principes  vous  la  voyez;  a**  que  vous  en  fassies  une 
réfutation  courte  et  solide,  pour  l'envoyer  à  ceux  que  vous  savez  y  être 
le  plus  attachez,  surtout  à  un  père  que  je  crois  préfet  à  Orléans;  3*  que 
vous  m'envoyiez  une  rétractation  en  bonne  forme ,  et  la  susdite  réfuta- 
tion, afin  que  je  la  montre  aux  supérieurs;  par  là  j'espère  tout.  Que 
si  peut-être  vous  n'êtes  pas  encore  détrompé ,  mettez  à  part  vos  diffi- 
cultés, je  les  verray,  et  les  présenterai,  sans  vous  nommer,  à  d'habiles 
gens,  et  sûrement  on  y  répondra.  Au  reste,  ayez  confiance  en  moy,  et 
sçachez  que,  quand  vous  m'avoueriez  que  vous  êtes  toujours  dans  les 
mêmes  sentiments  et  qua  tout  ce  que  vous  pouvez  gagner  sur  vous- 
inême  c'est  de  n'en  parler  jamais  au  dedans  ni  au  dehors,  à  vos  amis 
particuliers  ni  aux  autres,  cela  seroit  pour  moy  un  secret  inviolable. 
Si  j'aime  quelqu'un  au  monde,  c'est' le  cher  P.  André,  dont  je  suis,  dans 
l'union  de  ses  SS.  SS.  le  très-humble,  etc. 

((HERVli    GOYMOND.  n 

L'espérance  du  P.  Guymond  fut  encore  une  fois  trompée.  Même 
après  de  si  cruelles  expériences,  André  demeura  fidèle  à  ses  opinions, 
et  suspect  à  la  fois  de  itialebranchisme  et  de  jansénisme.  Il  n'était,  pas 
le  seul  jésuite  qui  fât  dans  ce  cas.  Nous  trouvons  dans  nos  papiers 
une  lettre  non  datée,  d'un  P.  Lebrun,  qui,  sous  le  feu  de  la  4ouble 
persécution  philosophique  et  religieuse ,  enseignait  une  doctrine  presque 
entièrement  cartésienne.  Il  était  profeaseiir  die  philoaopbie  à  Amiens , 
et  cette  lettre  doit  avoir  été  écrite  è  André^Avadtcpie  beltti-ei.eûl.quitté 


36g  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Alençon.  Il  avait  laissé  dans  cette  ville  des  amis  et  des  partisans ,  comme 
on  le  voit  par  deux  lettres  d'un  P.  Prévost  et  d'an  P.  Harcouet ,  d*ail- 
leurs  tout  aussi  obscurs  et  tout  aussi  inconnus  que  le  P.  Lebrun. 

L'abbé  Guyot,  dans  Féloge  historique  du  P.  André,  nous  apprend 
qui]  fut  envoyé,  eu  1726,  au  collège  de  Caen  pour  y  régenter  les  mathé- 
matiques, et  qu'il  remplit  celte  place  jusqu'à  Tannée  1  ySg,  où,  parveny. 
à  1  âge  de  quatre-vingt  quatre  ans,  il  prit  sa  retraite  et  survécut  même  à  sa 
compagnie.  Depuis  son  arrivée  à  Caen,  éclairé  par  une  triste  expérience, 
André ,  sans  renoncer  à  ses  deux  études  de  prédilection ,  la  philosophie  et 
la  théologie ,  s'y  livra  avec  plus  de  rései've  et  partagea  son  temps  entre  les 
mathématiques  et  la  belle  littérature.  Nous  avons  vu  que,  parmi  ces  ma- 
nuscrits retrouvés,  il  y  en  a  plusieurs  qui  se  rapportent  aux  mathéqaa- 
tiques,  et  l'abbé  Guyot  nous  apprend  qu'il  avait  traduit  Ëuclide  en  fran- 
çais sur  le  texte  grec,  en  y  ajoutant  de  nouvelles  vues  pour  l'éclaircir 
et  de  nouvelles  propositions  pour  le  compléter.  Celui  de  tous  ses  ou^ 
vidages  scientifiques  qu'André  préférait  était  sop  traité  d'arithmétique, 
composé  sur  un  plan  nouveau  et  d'après  la  méthode  de  saint  Augus- 
tin K  L'abbé  Guyot  avait  promis  de  publier  ces  écrits,  maïs  il  n'a  pas 
donné  suile  à  ce  dessein.  Autrefois  André  avait  songé  à  la  carrière  de 
la  prédication  ;  étant  à  Caen,  il  prononça  avec  succès  plusieurs  panégy- 
riques, des  exhortations  en  présence  de  ses  confrères,  des  sermons 
d'avent  et  de  carême;  il  acquit  même,  danç  cette  carrière,  dit  l'abbé 
Guyot,  une  célébrité  qui  le  fit  connaître  jusque  djjns  la  capitale.  Cepen- 
dant, si  on  en  croit  son  biographe ,  ses  moyens  extérieurs  ne  répondaient 
pointa  son  talent,  a  Si  une  physionomie  heureuse  annonçait  dans  ses 
yeux  et  dans  son  air  la  beauté  et  le  gracieux  de  son  esprit,  son  geste  et 
son  maintien  étaient  forcés;  il  était,  d'aijleurs,  d'une  très-petite  taille.  » 
Enfin  admis  dans  une  société  aimable  et  distinguée, celle  de  M"*  la  mar- 
quise de  Saint-Luc,  au  château  de  Caen.  il  montra  plus  d'une  fois  l'en- 
jouement naturel  de  son  esprit  en  des  pièces  de  v^rs  pleines  de  goût  et 
d'agrément.  Nommé  membre  de  l'Académie  des  belles-lettres  de  Caen, 
dont  le  protecteur  était  l'évêque  de  Bayeux,  il  y  lut  des  pièces  de  vers 
et  des  discours  qui  le  iirent  remarquer  de  Fonlenelle,  avec  lequel  il 
entretint  une  correspondance ,  dont  l'abbé  Guyot  a  donné  des  extraits , 
et  que  M.  Mancel  et  ses  collaborateurs  .ont  retrouvée  et  vont  publier 
tout  enlièi?r.  ' 

Cependant  André  ne  trouva  pas  le  repos  à  Caen.  Les  ombrages  de  la 
■  '  • 

*  Voy.  rÉIôge  lîslo^lqiie  du  P.  André ,  p.  xn ,  et  «  dans  let  OEuvret  poslhoroet , 
t.  lV,;l«iDîiCDilfft)llir  l'ârithiiiéliqii«.     t  ,     v< 


JUIN  1843.  369 

.  redoutable  société  Ty  suivirent,  et,  ce  qu'on  ignorait  entièrement  jus- 
qu  ici,  ce  qu'il  était  impossible  même  de  soupçonner,  d'après  le  récit  de 
labbé  Guyot,  Fabsurde  accusation  de  jansénisme  le  tourmenta  long- 
temps et  jusque  dans  sa  vieillesse.  Sous  le  généralat  de  Retz ,  qui  suc- 
céda en  lySo  à  Michel-Ange  Tamburini ,  André  essuya  une  nouvelle 
persécution,  et  manqua  d'être  chassé  du  collège  de  Caen,  comme  il 
1  avait  été  déjà  de  tant  d'autres  collèges.  Agé  de  près  de  soixante  et  dix 
ans,  il  s'adresse  à  François  de  Retz,  comme  il  s'était  adressé  à  Michel- 
Ange  Tamburini;  il  répond,  le  i  5  mars  i  ySa  ,  à  toutes  les  accusations 
portées  contre  lui,  çt  réclame  justice  avec  une  vivacité  et  un  courage 
que  l'âge  n'a  point  affaiblis. 

Le  père  provincial ,  Pierre  Frogerais ,  intercéda  pour  André  auprès 
du  père  général.  Nous  avons  du  moins  un  billet  de  celui-ci,  du  lo  juin 
1733,  au  père  provincial,  où  il  lui  abandonne  la  décision  de  cette  af- 
faire ,  mais  en  exigeant  qu'André  se  soumette  et  signe  le  fameux  for- 
mulaire d'Alexandre  VII. 

Neuf  ou  dix  ans  après ,  en  17/11,  André  recueillit  un  certain  nombre 
de  lectures  qu'il  avait  faites  à  l'Académie  de  Caen ,  et  les  publia  sous  le 
titre  d'Essai  sur  le  beau.  Cet  ouvrage,  sur  lequel  nous  reviendrons  tout 
à  l'heure,  obtint  un  grand  succès,  fit  beaucoup  d'honneur  k  André, 
quoiqu'il  n'eût  pas  voulu  y  mettre  son  nom ,  et  le  plaça  au  premier 
rang  des  écrivains  de  la  compagnie ,  au  milieu  des  pertes  irréparables 
qu'elle  avait  faites  et  qu'elle  faisait  chaque  jour  ^  En  1  jlxlx,  sur  la  nou- 
velle que  l'Essai  sur  le  beau  aurait  bientôt  une  suite ,  Fonlenelle  écri- 
vait à  André  :  «Je  serais  curieux,  mon  révérend  père,  de  voir  cette  ma- 
tière, agréable  par  elle-même,  quoique  très-philosophique,  traitée  par 
une  main  comme  la  vôtre.  Si  vous  voulez  que  j'aie  ma  part  du  plaisir 
que  vous  ferez  au  public,  je  vous  avertis  qu'il  faut  un  peu  vous  presser, 
si  vous  le  pouvez  ;  je  n'ai  pas  le  loisir  d'attendre  beaucoup.  » 

Qui  ne  croirait  que  la  compagnie  de  Jésus  ne  se  soit  empressée  d'en- 
tourer de  respect  et  d'égards  les  derniers  jours  du  vieillard  qui,  presque 
seul  en  France ,  soutenait  honorablement  la  réputation  littéraire  de  la 
compagnie  ?  Et  pourtant  il  n'en  est  rien  ;  si  la  persécution  s'était  arrê* 
lée ,  les  défiances  et  les  paroles  sévères  jusqu'à  la  dureté  ne  cessèrent 
de  contrister  le  cœur  d'André.  En  17^9,  dans  une  circonstance  que 
nos  papiers  n'éclaircissent  point,  André,  ayant  refusé,  à  ce  qu'il  semble, 

'  Daniel  étaîl  mort  en  1728,  Hardouin  en  1729,  Buffier  en  1737,  Tournemine 
en  1739,  Baltus  en  1743,  etc.  Quand  la  société  fut  supprimée,  en  176a,  elle  ne 
comptait  plus  en  France  un  seul  écrivain  célèbre,  ni  même  un  peu  connu,  excepté 
André. 

47 


370  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

quelque  place  administrative ,  et  ayant  exprimé  franchement ,  à  cette 
occasion ,  son  opposition  au  système  suivi  par  la  société ,  fut  vivement 
réprimandé  par  le  père  provincial ,  et  ne  rentra  en  grâce  qu  à  forcé  de 
soumissions  et  d'excuses  ;  c^est  du  moins  ce  que  donnent  à  entendre 
les  deux  lettres  siûvantes  du  père  provincial  de  la  Granvilie. 


I  ' 


âX    MON    RliviiREND    PÉRV   LE    R]£vi£rEND    PÀBE    ANDRÉ    DE    LA    COHOPAGNIE 

DE    JÉSUS,    AD    COLLEGE    X    CABN. 

«A  Paris,  ce  a6 juillet  1749. 
«  Mon  révérend  père , 

•  «  Jay  lu ,  selon  mon  devoir,  la  lettre  de  votre  révérence  en  présence 
de  ceux  qui  avaient  droit  de  décider  avec  moi  de  la  validité  de  votre 
excuse.  Quelque  nombreuse  quait  esté  cette  assemblée,  il  ne  s  y  est 
trouvé  personne  dont  le  si^age  vous  ait  étéAvorable.  Tous  y  ont  été 
indignés  qu'un  ancien  profès  de  la  compagnie  se  soit  exprimé  d  une 
manière  si  peu  respectueuse  sur  ce  qu'elle  a  ri^ardé ,  dans  tous  les 
temps ,  comme  utile  ou  même  nécessaire.  Ce  nest  donc  point  parce  que 
vious  méritez  la  dispense  demandée  qu'on  veut  bien  vous  l'accorder, 
mais. uniquement  parce  que,  avant  d*être  propre  à  procurer  le  bien  de 
la  compagnie ,  il  est  nécessaire  d'avoir  du  respect  et  pour  elle  et  pour 
ses  lois  et  usages.  Je  suis  avec  respect,  mon  révérend  père,  de  votre 
révérence,  le  très-obéissant  serviteur, 

«De  LA  GranvilLe,  J.  » 

AU    même. 

«A  Paris,  ce  5  août  1749. 
«  Mon  révérend  père , 

«  Je  suis  trop  édifié  de  la  lettre  dont  m'honore  votre  révérence,  pour 
ne  pas  vous  témoigner  et  ma  satisfaction  et  ma  reconnaissance.  Je  me 
suiQ'fait  un  plaisir  de  parler  de  cette  lettre  à  ceux  qui  iavaient  entendu 
la  lecture  de  la  précédente,  et  ils  ont  tous  pris  très-volontiers  part  à  la 
joie  qu'eUe  m'occasionnait.  Nous  sommes  tous  charmés  des  assurances 
positives  que  vous  nous  donnez  de  vos  véritables  sentiments.  Ils  ne 
seront  jamais  douteux  à  celui  qui  a  l'honneur  d'être  avec  un  profond 
respect,  etc. 

«De  la  Granville,  J.  » 

loi  finissenl  nos  papiers,  et  on  ne  sait  plus  rien  des  dernières  années 
de  la  vie  d'André  que  par  l'éloge  historique  de  l'abbé  Guyot.  En  1 769, 


JUIN  1843.  371 

parvenu  à  Tâge  de  Quatre-vingt-quatre  ans,  André  renonça  à  Tenseir 
gnement.  Quand  la  conipagnie  de  Jésus  fut  supprimée ^  en  1762, .dans 
la  dissolution  du  collège  des  jésuites,  il  se  retira  chez  les  chanoines  ré- 
guliers de  THôtel-Dieu  de  Caen,  et  il  na  cessé  de  se  louer  des  égards 
et  des  attentions  de  ses  nouveaux  hôtes.  Le  parlement  de  Rouen  pour- 
vut à  sa  subsistance  beaucoup  au  delà  de  ses  désirs,  en  mandant  au 
lieutenant  général  de  Caen  de  lui  accorder  absolument,  et  sans  aucune 
condition,  ce  qu'il  demanderait. 

Libre  de  soins  et  de  toute  entrave,  André  ne  songea  plus  quà  don 
ner  une  édition  nouvelle  de  l'Essai  sur  le  beau.  Elle  parut  à  Paris,  en 
1763,  par  les  soins  et  avec  un  avertissement  de  Tabbé  Guyot.  Elle  se 
compose,  non  plus  de  quatre,  mais  de  dix  discours,  qui  forment  une 
sorte  de  traité  complet.  C'est  l'ouvrage  auquel  est  attaché  le  nom 
d'André.  H  a  été  l'objet  de  quelques  critiques  et  de  b^ucoup  d'éloges. 
Ces  discours,  destinés  à  une  académie  de  province,  tout  en  se  sentant 
un  peu  trop  de  l'occasion  à  laquelle  ils  doivent  naissance ,  portent  la 
vive  empreinte  de  la  pensée  et  de  la  langue  du  xvif  siècle.  On  y  re- 
connaît partout  le  philosophe  cartésien ,  le  disciple  de  saint  Augustin 
et  de  Malebranche.  Il  faut  en  dire  autant  des  discours ,  toujom^s  acadé- 
miques ,  contenus  dans  les  quatre  volumes  des  Œuvres  du  feu  P.  André, 
que  M.  l'abbé  Guyot  publia,  après  la  mort  de  leur  auteur,  à  Paris,  en 
1766  et  1767.  11  serait  aisé  d'en  choisir  un  certain  nombre  qui,  dis- 
posés dans  un  ordre  convenable  ,  formeraient  un  véritable  cours  de 
philosophie  cartésienne ,  digne  d'être  mis  entre  les  mains  de  la  jeu- 
nesse de  nos  écoles  et  des  gens  du  monde.  Mais,  il  faut  le  dire,  dans 
l'Essai  sur  le  beau  et  dans  les  Discours,  on  est  bien  loin  de  soupçon- 
ner la  netteté ,  la  force  et  la  verve  qui  paraissent  à  chaque  ligne  de^ 
lettres  que  nous  avons  publiées.  EUles  placent  André  parmi  les  écrivains 
de  l'ordre  le  plus  élevé ,  et ,  dans  la  compagnie  de  Jésus ,  immédiate- 
ment après  Bourdalôue. 

André  mourut  à  Caen,  le  26  février  176^^,  dans  la  quatre-vingt- 
neuvième  année  de  son  âge.  Le  7  juin  de  la  même  années  M*  Rouxe*» 
lin ,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  de  Caen ,  lut  son  éloge  en  séance 
publique,  et,  en  1766,  quand  panu'ent  les  deux  premiers  volumes  des 
Œuvres  posthumes  publiées  par  l'abbé  Guyot,  Frérpn,  qui  était  du 
même  pays  qu'André ,  et  qui  avait  appartenu  quelque  temps  à  la  société 
àé  Jésus,  tout  en  critiquant,  d'après  les  maximes  de  la  société,  le  male-i 
branchisme  d'André ,  se  complaît  à  faire  de  notre  philosophe  un  potlrait 
qui  a  l'air  d'une  vérité  frappante,  et  qui  résume  les  traits  épars  dans  les 
correspondances  récemment  retrouvées.  (Année  littéraire,  1766,  t.  IV, 

47. 


372  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

p.  77  et  78.)  « . . . .  J'ai  connu  particuL'èrement  le  P.  André ,  et  j'ai  vécu 
pendant  une  année  entière  avec  lui.  Gomme  j'étais  de  la  même  pro- 
vince, et  pour  ainsi  dire  de  la  même  ville  où  il  reçut  le  jour,  il  m'a- 
vait pris  en  amitié.  M.  l'abbé  Guyot  (en  tête  des  Œuvres  posthumes) 
le  peint  tel  qu'il  était  :  un  très-bel  esprit ,  un  galant  homme ,  un  philo- 
sophe honnête,  un  chrétien  régulier,  un  prêtre  exemplaire,  un  bon 
religieux,  aimant  les  lettres  et  les  sciences,  encourageant  par  ses  éloges 
les  jeunes  gens  de  son  ordre  qui  les  cultivaient  avec  succès,  les  échauf- 
fant par  les  peintures  vives  du  bonheur  et  de  la  considération  qu'elles 
procurent,  les  éclairant  par  ses  conseils,  leur  indiquant  les  meilleures 
sources,  les  exhortant  surtout  à  étudier  la  langue  grecque,  qu'il  possé- 
dait parfaitement.  Il  me  semble  que  je  le  vois  encore,  plein  de  feu, 
de  sagacité,  de  raison,  de  sagesse,  de  christianisme,  d'un  caractère 
égal,  d'une  humeur  enjouée,  d'une  conversation  agréable,  l'honneur, 

l'exemple ,  Tami  de  tous  ses  confrères » 

Voilà  l'homme  que  les  jésuites,  dans  les  cinquante  dernières  années 
de  leur  puissance ,  ne  cessèrent  de  persécuter,  d'abord  comme  carté- 
sien, ensuite  comme  janséniste.  Il  est  démontré  que  l'accusation  de 
jansénisme  ne  pouvait  s'appliquer  à  André.  Lui-même  déclare  catégo- 
riquement qu'il  rejette  la  doctrine  de  l'efficacité  absolue  de  la  grâce, 
agissant  dans  l'homme  par  une  action  souveraine,  morale  ou  physique, 
qui  ôte  aux  actions  vertueuses  leur  mérite  et  le  renvoie  tout  entier  à 
Dieu;  doctrine  fausse  en  elle-même,  et  qui,  dans  la  pratique,  eût  pu 
avoir  de  funestes  conséquences,  si,  dans  ces  grandes  âmes  de  Port- 
Royal,  elle  n'eût  été  contenue  par  l'auslérité  du  stoïcisme  chrétien.  Non, 
ce  n'était  pas  cette  doctrine  qu'on  poursuivait  dans  André,  car  il  la  re- 
poussait et  il  la  combattait  lui-même;  ce  qu'on  poursuivait  en  lui,  c'é- 
tait, nous  l'avons  vu,  sa  modération,  cette  modération  du  véritable 
sage,  qui,  sans  chanceler  sur  la  doctrine,  incline  à  l'indulgence  envers 
les  personnes,  et  quelles  personnes,  je  vous  prie?  un  Pascal,  un  Ar- 
nauld,  ses  admirables  sœurs,  les  Gornélies  du  christianisme,  Nicole, 
Duguet,  RoUin,  et  cet  homme  qui  a  perdu  dans  des  querelles  aujour- 
d'hui oubliées  une  force  d'esprit  et  de  caractère  presque  égale  à  celle 
d'Amauld ,  qui  a  été  seulement  un  sectaire  intrépide ,  et  qui  eût  pu  de- 
venir un  grand  penseur  et  un  écrivain  éminent ,  je  veux  dire  Antoine 
Quesnel  !  André  avait  dit  qu'il  valait  mieux  réfuter  Quesnel  que  de  le 
proscrire  :  voilà  quel  fut  un  de  ses  crimes  aux  yeux  de  l'impitoyable 
société.  Jusqu'en  1783  la  société  de  Jésus  tourmente  André  comme 
janséniste  :  trente  ans  après  les  rôles  changent,  et  les  persécuteurs  sont 
persécutés  à  leur  tour.  Qui  doute  aujourd'hui  qu'indépendamment  de 


JUIN  1843.  373 

leurs  doctrines  générales,  trouvées,  à  tort  ou  à  raison,  incompatibles 
avec  les  libertés  des  peuples  et  la  sûreté  des  gouvernements,  ce  qui  con- 
courut puissamment  à  perdre  les  jésuites  fut  le  souvenir  encore  tout 
vivant  de  la  longue  ^t  obstinée  persécution  qu  ils  avaient  exercée  sur 
les  hommes  les  plus  illustres  de  la  nation,  pendant  la  vieillesse  de 
Louis  XIV,  surtout  à  Taide  du  dernier  et  implacable  confesseur  du  grand 
roi  affaibli,  le  P.  Michel  Letellier? 

Encore  le  jansénisme  n'était  qu'un  parti  où  abondait  Terreur  à  coté 
de  la  vertu  et  du  génie  :  mais  le  cartésianisme  n'était  pas  un  pai'ti  ; 
c'était  tout  le  xvii*  siècle  dans  ce  qu'il  eut  de  plus  original  et  de  plus 
grand;  c'était  à  la  fois  les  sciences,  les  lettres,  la  philosophie,  le  chris- 
tianisme ,  dans  leur  plus  admirable  harmonie  ;  c'était  une  école  im- 
mense, essentiellement  française  et  devenue  promptement  européenne, 
où  les  esprits  les  plus  différents  venaient  puiser  des  inspirations  com- 
munes ,  où  se  rencontraient  l'Oratoire  avec  un  cardinal  de  BéruUe  et 
Malebranche,  Port- Royal  avec  Nicole  et  Ârnauld,  Saint-Sulpice  avec 
Fënélon ,  toute  l'église  de  France  avec  le  cardinal  de  Retz  et  Bossuet , 
l'univei^sité  de  Paris  avec  ce  qui  lui  restait  de  professeurs  distingués, 
la  France  entière,  en  un  mot,  excepté  les  jésuites.  Là  toutes  les 
pensées  se  vivifiaient  à  un  foyer  commun ,  et  en  même  temps  elles 
s'éclairaient  et  se  corrigeaient  Tune  l'autre.  Descartes  pose  les  fonde- 
ments, à  savoir:  i**  l'autorité  première  et  souveraine  de  la  conscience, 
qui  nous  révèle  l'existence  d'une  âme  spirituelle  avec  autant  de  certi- 
tude, ou,  pour  mieux  dire,  avec  plus  de  certitude  que  les  sens  ne  nous 
donnent  l'étendue  et  la  matière  ;  2®  sous  le  sentiment  de  notre  imper- 
fection et  de  nos  limites  en  tout  genre,  l'idée  irréfragable  d'un  être 
parfait  et  infini,  dont  la  conception  seule  démontre  l'existence;  3"* 
parmi  les  perfections  de  cet  être,  sa  véracité  attestée  par  celle  de  notre 
raison ,  la  confirmant  à  son  tour,  et  devenant  ainsi  le  point  d'appui 
inébranlable  de  la  certitude  imiverselle  ;  4**  la  spiritualité  et  la  sim- 
plicité de  l'âme,  solidement  établies,  servant  de  fondement  à  son  incor- 
ruptibilité et  à  l'espoir  d'une  autre  vie;  5°  partout  la  vertu  mise  dans 
l'empire  sur  soi-même,  le  bonheur  dans  la  modération  des  désirs  et. 
dans  le  développement  tempéré  et  harmonieux  de  toutes  les  facultés  ac- 
cordées à  l'homme,  sous  le  gouvernement  de  la  raison,  l'œil  toujours, 
dirigé  vers  les  lois  et  la  volonté  de  la  divine  providence.  Ces  grands 
principes  posés ,  les  plus  beaux  génies  s'en  emparent  et  les  appliquent 
à  toutes  choses.  Le  mouvement,  une  fois  commencé,  ne  s'arrête  plus, 
et,  en  moins  de  cinquante  années,  il  couvre  la  France  de  monuments 


374  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

immorteis  qui  sont  encore  aujourd'hui  debout,  objets  sacrés  d'une 
étude  religieuse  et  d'une  admiration  toujours  croissante. 

Sans  doute  plus  d'une  erreur  se  glissa  au  sein  de  cette  vaste  école  ; 
plus  d'un  principe  cartésien  était  contestable,  et,  m^al  entendu,  pouvait 
donner  lieu  à  de  fâcheuses  conséquences;  mais  la  méthode  générale 
était  saine  et  féconde ,  les  principes  généraux  aussi  solides  qu'élevés , 
et  l'esprit  de  tous  réparait  aisément  les  fautes  qui  échappaient  à  quelques- 
uns.  Le  vol  sublime  de  Malebranche  Temporte-t-il  un  peu  trop  loin 
du  monde  réel  ?  l'austère  logique  d'Arnaidd  le  ramène  sur  la  teiTC. 
Contre  la  théorie  des. idées  et  la  vision  en  Dieu,  il  n'y  avait  pas  besoin 
des  calomnies  et  des  persécutions  du  jésuitisme  :  le  livre  Des  vraies  et 
des  fausses  idées  suffisait.  Pour  établir  et  défendre  le  libre  arbitre  de 
rhomme,  des  arrêts  du  conseil  et  des  lettres  de  cachet  surprises  par 
un  P.  Annat  ou  un  P.  Leteilier  n'étaient  point  nécessaires  ;  n  avait-on 
pas  le  grand  Traité  de  Bossuet?  Un  peu  de  spinosisme  était-il  dans  la 
théorie  célèbre  de  l'étendue  intelligible^?  contre  ce  spinosisme,  réel 
peut-être,  mais  inaperçu  et  désavoué  par  son  auteur  même,  toute  la 
puissance  et  toutes  les  manœuvres  de  la  Société  ne  valaient  pas  une 
page  de  Leibnitz.  Tandis  que  tout  le  monde  s'emporte  contre  Spi- 
nosa ,  Leibnitz ,  qui  était  en  con^espondance  avec  lui ,  qui  l'honorait  et 
l'aimait,  aperçoit  le  premier  le  point  précis  par  où  le  spinosisme  est 
entré  dans  le  cartésianisme  ;  il  ôte  ce  point ,  indique  à  la  fois  le  mal 
el  le  remède,  et  la  force  libre  de  la  volonté  une  fois  bien  distinguée 
de  l'inclination  et  du  désir  dans  son  principe  et  dans  ses  conséquences, 
c'en  est  fait  du  spinosisme ,  sans  l'intervention  du  bras  séculier,  et  par 
la  seule  vertu  de  l'analyse  psychologique.  La  philosophie  cartésienne 
foiTne  ainsi  un  grand  ensemble ,  où  un  génie  commim ,  semblable  à  la 
puissance  médicatrice  de  la  nature,  suffit  à  prévenir  ou  à  dissiper  les 
légers  désordres  qui  naissent  de  la  surabondance  des  forces,  et  entre- 
tient la  santé  et  l'énergie  du  corps  entier.  Elle  offrait  à  la  morale  pu- 
blique, à  la  religion  et  à  l'État,  les  plus  sûres  garanties  qu'ait  jamais  pu 
donner  aucune  philosophie,  depuis  la  grande  école  de  Socrate  et  de 
Platon. 

Et  c'est  contre  une  telle  philosophie ,  dès  qu'elle  parut  dans  le  monde , 
que  la  compagnie  de  Jésus  se  leva,  et,  pendant  près  d'un  siècle,  em- 
ploya tour  à  tour  la  calomnie,  la  ruse,  la  violence!  En  1 662,  les  jésuites 

• 

'  Voy.  nos  deux  articles  du  Journal  des  Savants  de  iSà^,  sur  la  correspondance 
dé  Malebranche  et  de  Mairan. 


JUIN  1843.  375 

poussent  la  congrégation  de  l'Index  à  interdire  la  lecture  des  ouvrages 
de  Descartes,  donec  corrigantar.  La  même  année,  le  nonce  apostolique 
en  Belgique,  excité  par  la  Société,  dénonce  officiellement  à  l'université 
de  Louvain  la  philosophie  de  Descartes  «comme  pernicieuse  à  la  jeu 
nesse  chrétienne.»  En  1667,  quand  les  restes  mortels  de  Descartes, 
transportés  de  Suède  en  France,  sont  présentés  à  l'église  de  Sainte-Ge- 
neviève et  vont  recevoir  un  tardif  hommage ,  un  ordre  de  la  cour,  sol- 
licité par  le  P.  Ânnat,  arrive,  portant  défense  de  prononcer  publique- 
ment réloge  de  Descartes.  En  1670 ,  la  Sorbonne,  mise  en  mouvement 
par  les  jésuites,  est  bien  près  d'arracher  au  pariement  de  Paris  la  con- 
damnation du  cartésianisme.  Forcés  de  reculer  devant  l'arrêt  burlesque 
de  Boileau  et  l'admirable  mémoire  d'Amauld,  du  parlement  les  jésuites 
en  appellent  au  roi,  et  l'enseignement  de  la  philosophie  de  Descartes 
est  proscrit  par  un  arrêt  du  conseil  et  dans  l'université  de  Paris  et 
dans  l'Oratoire.  En  1 680,  le  P.  Le  Valois  défère  à  l'assemblée  du  clergé 
la  philosophie  cartésienne  :  «  Messeigneurs ,  je  cite  devant  vous  M.  Des- 
cartes et  ses  plus  fameux  sectateurs  ;  je  les  accuse  d'être  d'accord  avec 
Calvin.  »  Nous  avons  vu,  dans  la  correspondance  ici  publiée,  toutes  les 
machines  employées  par  les  jésuites  contre  la  doctrine  de  Descartes, 
et  en  particulier  contre  celle  de  Malebranche;  nous  avons  exhumé, 
pour  la  première  fois,  la  résolution  prise  à  Rome,  en  1706,  dans  une 
assemblée  générale  de  la  Société,  de  poursuivre  la  nouvelle  doctrine 
à  l'égal  du  jansénisme,  et  de  l'exterminer;  c'est  le  mot  d'ordre  officiel 
ici  retrouvé,  et  désormais  livré  à  l'histoire.  Nous  ne  voulons  pas  rap- 
peler les  douloureux  détails  de  la  longue  et  incessante  persécution 
exercée  contre  André  depuis  le  conunencement  du  xvni*  siècle  ;  mais  il 
importe  d'en  faire  toucher  au  doigt  la  vanité  et  l'impuissance*.  Le  factum 
jésuitique  contre  le  cartésianisme  envoyé  à  André  avec  un  formulaire 
est  de  1 7 1 3  ;  le  livre  de  Dutertre  est  de  1 7 1 5  :  c'est  à  peu  près  là  l'é- 
poque du  plus  fort  déchaînement  de  la  Société  contre  la  philosophie 
nouvelle.  Savez-vous  à  quoi  aboutit  tout  ce  grand  déchaînement  ?  Sans 
doute  il  produit  des  malheurs  particuliers^  de  lâches  défections ,  d'o- 
dieuses intrigues,  d'amers  chagrins  dans  plus  d'une  âme  loyale  et  cou- 
rageuse; mais  attendez  quelques  années,  attendez  que  Malebranche  ait 
fermé  les  yeux,  et  que  sa  gloire  vivante  n'importune  plus  la  jalouse 
compagnie  :  la  doctrine  nouvelle,  en  se  retirant  de  la  scène  du  temps 
présent ,  semble  avoir  perdu  tous  ses  dangers  ;  elle  est  peu  à  peu  am- 
nistiée par  ceux-là  même  qui  l'avaient  proscrite  ;  les  bonnes  raisons  qui 
avaient  été  données  contre  plusieurs  de  ses  maximes  subsistent ,  tem; 
pérées  à  la  fois  et  forlifiées  par  l'équité  .ioattendue  dont  oa  commence 


376  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

à  se  piquer.  Bientôt  de  1  amnistie  on  passe  au  panégyrique ,  et  il  arrive 
un  moment  où,  contre  de  nouveaux  adversaires  bien  autrement  re- 
doutables ,  la  Société  aux  abois  est  contrainte  d^invoquer  en  faveur  de 
la  religion  ces  mêmes  doctrines  qu  elle  avait  persécutées  pendant  un 
siècle. 

En  1724,  le  métaphysicien  le  plus  justement  renommé  de  la  so- 
ciété, le  P.  Buffier^  dans  son  excellent  Traité  des  vérités  premières, 
parle  de  Descartes  et  même  de  Malebranche  comme  il  appartenait  à  un 
esprit  aussi  judicieux  et  aussi  éclairé  [Suite  da  Traité  des  premières  vérités, 
p.  2  38)  :  c( Le  soin  que  Descartes  inspire  d^abord,  d*êlre  en  garde  géné- 
ralement contre  tous  les  préjugés,  est  un  des  meilleurs  moyens  de  nous 
faire  découvrir  la  vérité  :  aussi  est-il  vrai  que,  depuis,  on  a  commencé 
de  philosopher  avec  plus  de   circonspection ,  et  par  divers  endroits 

avec  plus  de  succès L'attention  qu'il  a  fait  faire  à  la  nature  de  Tâme 

ou  de  Tesprit  et  à  celle  du  corps  ou  de  la  matière  a  fait  connaître  avec 
plus  de  netteté  et  de  précision  les  différences  de  ces  deux  substances ,  qu  il 
est  si  important  de  bien  distinguer.  »  Je  néglige  les  critiques  de  détail ,  que 
je  n'admets  ni  ne  conteste ,  et  je  transcris  le  jugement  définitif  de  Buf- 
(ier  :  if  En  général ,  les  principes  et  la  méthode  de  Descartes  ont  été  d'une 
très-grande  utilité  par  l'analyse  qu'ils  nous  ont  accoutumé  de  faire 
plus  exactement  et  des  mots  et  des  idées;  car,  nous  ayant  mis  en  goût 
d'examiner  de  plus  près  les  opinions  qu'on  nous  propose,  ils  nous  ont 
mis  plus  sûrement  dans  la  route  de  la  vérité »  Tel  est  donc  le  sys- 
tème contre  lequel  le  P.  Annat  et  le  P.  Letellier  ont  lancé  tant  de 
foudres,  et  qu'en  1  706  on  avait  résolu  d'exterminer  !  Ici,  en  1724,  au 
milieu  de  beaucoup  de  critiques ,  on  déclare  que  le  cartésianisme  a  servi 
la  cause  de  la  bonne  philosophie.  Ce  n'était  donc  pas  la  peine,  quelques 
années  auparavant,  de  le  persécuter  par  les  plus  indignes  moyens. 

Buffier  traite  moins  bien  Malebranche,  et  avec  raison,  mais  il  en 
parle  avec  l'estime  et  le  respect  que  l'on  doit  au  génie ,  alors  même 
qu'il  s'égare.  Page  270  :  «La  réputation  de  cet  auteur  a  été  si  éclatante 
dans  le  monde  philosophiqpe ,  qu'il  pai^aît  inutile  de  marquer  en  quoi 
il  a  été  le  plus  distingué  entre  les  philosophes.  Il  n'a  été  d'abord  qu'un 
simple  cartésien ,  mais  il  a  donné  un  jour  si  brillant  à  la  doctrine  de 
Descartes,  que  le  disciple  l'a  répandue  par  la  vivacité  de  son  imagination 

*  Voyez  sur  Buffier  les  Mmoires  de  Trévoux,  1737,  août,  p.  i5o4.  D  était  né 
en  Pologne  d'une  famille  française;  élevé  au  collège  de  Rouen,  entré  aux  jésuites 
à  dix-neuf  ans;  alla  à  Rome  à  la  suite  d'un  démêlé  avec  Tarchevéque  de  Rouen; 
revint  bientôt  en  France,  k  Paris,  fut  chargé  de  l'enseignement,  et  en  même  temps 
de  la  rédaction  du  Journal  de  Ti^évouz.  Mort  à  soixante-dix-sept  ans,  le  7  mai  1767 


JUIN   1843.  377 

et  par  le  charme  de  ses  expressions,  plus  que  le  mailre  n avait  fait  par  la 

suite  de  ses  raisonnements  et  par  Tinvenlion  de  ses  divers  systèmes 

Le  plus  grand  talent  du  P.  Malebranche  est  donc  de  tirer  d'une  opinion 
tout  ce  qu'on  peut  en  imaginer  d'intéressant  et  même  d'imposant  pour 
les  conséquences,  et  d'en  montrer  tellement  les  principes  de  profil ,  que, 
du  côté  qu'il  les  laisse  voir ,  il  est  impossible  de  ne  s'y  pas  rendre ,  au 
moins  tant  qu'on  n'en  détourne  pas  les  yeux;  on  le  suit  avec  plaisir  dans 
la  route  immense  de  ses  idées,  qui  amusent  et  qui  flattent  Ja  curiosité, 
en  réveillant  et  en  attachant  de  plus  en  plus  l'esprit  de  quiconque  veut 
bien  voir  les  objcb  uniquement  par  la  face  qui  lui  est  présentée  par  le 
P.  Malebranche.  »> 

Voilà  déjà  un  ton  bien  différent  de  celui  de  Daniel,  de  Le  Valois, 
d'Hardouin,  de  Guymond,  de  Dutertre,  et  du  manifeste  philosophique 
de  la  Société  en  1 7 1 3.  Quel  rapport  y  a-t-il ,  je  vous  prie,  entre  la  phi- 
losophie contenue  dans  ce  maniléste  ainsi  que  dans  le  fameux  concordat 
et  celle  du  Traité  des  vérités  premières  ?  Et  pourtant  nous  ne  sommes 
qu'en  172a.  Quelques  années  ont  suffi  pour  faire  tomber  les  déclama- 
tions et  les  calomnies,  et  mettre  à  leur  place  une  discussion  légitime, 
l'équité ,  le  respect ,  et  jusqu'à  l'éloge.  Attendez  quelques  années  de  plus  ;; 
le  temps  fait  un  pas;  en  lySS  l'Académie  française  met  au  concours 
Vesprit  philosophique;  la  pièce  qui  remporte  le  prix  distingue  et  met  en 
lumière  deux  attributs  fondamentaux  dans  l'esprit  philosophique,  l'in- 
dépendance de  toute  autre  autorité  que  celle  de  la  raison  et  le  respect 
envers  la  foi  dans  l'ordre  des  vérités  surnaturelles,  et  le  cartésianisme 
est  proposé  comme  le  modèle  de  l'esprit  philosophique  ainsi  conçu. 
L'auteur  de  la  pièce  couronnée  célèbre  Descartes  pour  avoir  secoué  le 
joug  d'Aristote  et  dignement  porté  celui  du  christianisme.  Dans  ce  dis- 
cours est  un  morceau  d'une  haute  éloquence  sur  les  services  rendus  par 
Descartes  à  la  raison  humaine.  Ce  morceau  produisit,  dans  son  temps, 
le  plus  grand  effet,  et  il  mérite  encore  d'être  rappelé. 

«  Il  est  aisé  de  compter  les  hommes  qui  n'ont  pensé  d'après  per- 
sonne ,  et  qui  ont  fait  penser  d'après  eux  le  genre  humain.  Seids  et  la 
tête  levée,  on  les  voit  marcher  sur  les  hauteurs;  tout  le  reste  des  phi- 
losophes suit  comme  un  troupeau.  N'est-ce  pas  la  lâcheté  d'esprit  qu'il 
faut  accuser  d'avoir  prolongé  l'enfance  du  monde  et  des  sciences? 
Adorateur^  stupides  de  l'antiquité,  les  philosophes  ont  rampé  durant 
vingt  siècles  sur  les  traces  des  premiers  maîtres.  La  raison  condamnée 
au  silence  laissait  parler  ^  l'autorité.  Aussi  rien  ne  séclaircissait  dani 

^  La  leçon  ordinaire, yôtioiVparfer^  me  semble  défectueuse. 

48 


37»  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

runivers,  et  f esprit  humain,  après  s'être  traîné  mille  ans  sur  les 
vestiges  d*Aristote,  se  trouvait  encore  aussi  loin  de  la  vérité.  Enfin 
parut  en  France  un  génie  puissant  et  hardi ,  qui  entreprit  de  secouer 
le  JQug  du  prince  de  l'école.  Cet  homme  nouveau  vint  dire  aux 
autres  hommes  que ,  pour  être  philosophe,  il  ne  suffisait  pas  de  croire , 
mais  qu'il  faUait  penser.  A  cette  parole ,  toutes  les  écoles  se  trou- 
blèrent ;  une  vieille  maxime  régnait  encore  :  ipse  dixit ,  le  maître  l'a  dit. 
Cette  maxime  d'esclave  irrita  tous  les  philosophes  contre  le  père  de  la 
plôiosophie  pensante;  elle  le. persécuta  comme  novateur  et  impie,  le 
chassa  de  royaume  en  royaume,  et  l'on  vit  Descartes  s'enfuir,  empor- 
tant avec  lui  la  vérité ,  qui  par  malheur  ne  pouvait  êti'e  ancienne  en 
naissant.  Cependant ,  malgré  les  cris  et  la  fureur  de  l'ignorance ,  il  re- 
fusa toujours  de  jurer  que  les  anciens  fussent  la  raison  souveraine; 
ii  prouva  même  que  ses  persécuteurs  ne  savaient  rien ,  et  qu'ils  de- 
vaient désapprendre  ce  qu'ils  croyaient  savoir.  Disciple  de  la  lumière , 
ad  lieu  d'interroger  les  morts  el  les  dieux  de  l'école,  il  ne  consulta  que 
le»  idées  claires  et  distinctes ,  la  nature  et  l'évidence.  Par  des  médita* 
tioiis  profondes ,  il  tira  toutes  les  sciences  du  chaos ,  et,  par  un  coup  de 
géode  plus  grand  encore ,  il  montra  le  secours  mutuel  qu'elles  doivent 
se?  prêter  ;  il  lès  enchaîna  toutes  ensemble ,  les  éleva  les  unes  sur  les 
autres  ,  et,  se  plaçant  ensuite  sur  cette  hauteur,  ii  marcha,  avec  toutes 
Iw  forces  de  l'esprit  humain  ainsi  rassemblées ,  à  la  découverte  de  ces 
grtfsides  vérités  que  d'autres  plus  heureux  sont  venus  enlever  après 
kd',  mais  en  suivant  les  sentiers  de  lumière  que  Descartes  avait  tracés. 
Gci  ibt  donc  le  courage  et  la  fierté  dun  seul  esprit  qui  causèrent 
dàilÉ^ies  sciences  cette  heureuse  et  mémorable  révolution ,  dont  nous 
gûétons  irajdurd'hui  les  avantages  avec  une  superbe  ingratitude.  U  fallait 
auy  sciences  un  homme  qui  osât  conjurer  tout  seul  avec  son  génie 
contre  les  anciens  tyrans  de  la  raison;  qui  osât  fouler  aux  pieds  ces 
idoles  que  tant  de  siècles  avaient  adorées.  Descartes  se  trouvait  enfermé 
dans  le  labyrinthe  avec  tous  les  autres  philosophes;  mais  il  se  fit  lui- 
même  des  ailes ,  et  il  s'envola ,  frayant  ainsi  ime  route  nouvelle  à  la 
Twkon  captive,  n 

Qui  prononçait  en  1755  ces  grandes  paroles^?  Etait-ce  un  profes- 
seur de  l'université  de  P»ris,  devançant  et  surpassant  son  confrère 
Tbotnas  dans  son  éloge  célèbre  de  Descar^s?  ou  bien  quelque  ardent 
àiBiijfie  4e  l'Oratoire  ou  de  Port-Royal?  Non  :  c'est  rni  père  jésuite,  le 
?•  Antoine  Guénard  ^ 

*  U  avait  alors  vingt^neuf  ans.  U  éUk  né  à  Damblain  (e«i  Lorraine),  le  16  dé- 


JUIN  1843.  379 

Tirons  donc  de  lous  ces  faits  cette  leçon  salutaire ,  que  la  persécution 
en  matière  de  doctrine  n'est  pas  seulement  ce  qu'il  y  a  de  plus  odieux, 
mais  de  plus  inutile.  One  discussion  libre  et  sérieuse  est  la  seule  arme 
qui  soit  ici  de  mise  ;  le  temps  surtout,  qui  met  à  leur  place  les  choses  et 
les  hommes,  qui,  en  brisant  ou  en  effaçant  les  passions  du  moment, 
livre  bientôt  une  doctrine  à  sa  faiblesse  ou  à  sa  force  naturelle ,  letempft 
et  son  action  plus  ou  moins  prompte  mais  infaillible ,  voilà  le  remède 
certain  à  Terreur,  et  le  vengeur  assuré  de  la  vérité  qu  oublient  égale- 
ment l'autorité  qui  persécute,  et  d'héroïques  victimes,  qui  se  dévouent 
souvent  aux  plus  cruelles  souQrdnces  la  veille  du  jour  qui  doit  éclairer 
leur  triomphe. 

V.  COUSIN, 

cembre  1736,  et  il  était,  en  1765,  préfet  des  études  au  collège  de  Pont-à-Mousson. 
Le  P.  Guénard  n  a  pas  tenu  les  espérances  que  son  discours  avait  excitées.  Gibd- 
lero  dit  quil  est  mort  en  1806,  à  Fléville,  près  Nancy. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


INSTITUT  ROYAL  DE  FRANGE. 

La  séance  publique  des  cinq  Académies  de  Tlnstitut  a  eu  lieu  le  mardi  a  nud« 
sous  la  présidence  de  M.  le  comte  Beugnot,  président  de  T Académie  royale  des  ins- 
criptions et  belles-lettres.  Après  un  discours  du  président,  la  commission  du  prix 
de  linguistique  fondé  par  M.  le  comte  de  Volney  a  prodamé  le  résultat  du  concours 
de  1843  et  le  sujet  du  prix  à  décerner  en  i&hh, 

La  commission  avait  annoncé,  pour  le  concours  de  i843,  quelle  accorderait 
une  médaille  d*or  de  la  valeur  de  1,300  francs  à  Touvrage  de  philologie  comparée 
qui  lui  en  paraîtrait  le  plus  digne  parmi  ceux  qui  lui  seraient  adressés.  Ce  prix  a 
été  décerné  à  M.  Lafaye,  auteur  d*un  ouvrage  intitulé  Synor^mes  français, 

La  commission  annonce  qu  elle  accordera,  pour  le  concours  de  i84A«  une  mé- 
daille d  or  de  la  valeur  de  i,aoo  francs  à  l'ouvrage  de  philologie  comparée  qui  lui 
en  paraîtra  le  plus  digne  parmi  les  ouvrages,  tant  imprimés  que  manuscrits,  qui 
lui  seront  adressés. 

Il  faudra  que  les  travaux  dont  il  s*agit  aient  été  entrepris  à  peu  près  dans  les 
mêmes  vues  que  ceux  dont  les  langues  romane  et  germanique  ont  été  Toljel' de- 
puis quelques  années. 

L'analyse  comparée  de  deux  idiomes,  et  celle  d*une  iamiUe  entière  de  langues  1 
seront  également  admbes  au  concours. 

Mais  la  commission  ne  peut  trop  recommander  aux  concurrents  d*envisager  sous 

A8. 


380  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

le  point  de  vue  comparatif  et  historique  les  idiomes  qu'ils  auront  choisis,  et  de  ne 
pas  se  borner  à  Tanalysc  logique ,  ou  à  ce  qu'on  appelle  la  grammaire  générale. 

Les  mémoires  manuscrits  envoyés  avant  le  i"  mars  i84/|i  et  les  ouvrages  impri- 
més qui  seront  envoyés  avant  la  même  époque,  pourvu  qu'ils  aient  été  publiés 
depuis  le  i"  janvier  i842,  seront  également  admis  au  concours. 

La  séance  a  été  terminée  par  la  lecture  des  quatre  morceaux  suivants  :  G)nsidé- 
rations  sur  l'origine  du  bouddhisme,  par  M.  Eugène  Bumouf,  de  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres;  Discours  sur  Nicolas  Poussin,  par  M.  Raoul-Rochette , 
secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des  beaux-arts  ;  Fragment  sur  la  polygamie  en 
Orient, *par  M.  Blanqui;  Fragment  d'une  épopée  de  Jeanne  d'Arc,  chant  du  siège 
d'Orléans,  par  M.  Al.  Soumet,  de  l'Académie  française. 

ACADÉMIE   DES   SCIENCES. 

M.  Bouvard,  membre  de  l'Académie  des  sciences,  est  mort  a  Paris  le  7  juin. 
Dans  sa  séance  du  la  juin,  l'Académie  a  élu  M.  Laugier  a  la  place  vacante 
dans  la  section  d'astronomie  par  le  décès  de  M.  Savary. 

ACADÉMIE  DES  BEAUX-ARTS. 

Le  17  juin,  M.  le  comte  de  Rambuteau  a  été  clu  membre  libre  de  l'Académie 
des  beaux-arts,  en  remplacement  de  M.  le  comte  Chabrol  de  Volvic. 

LIVRES  NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Bibliothèque  de  Vécole  des  chartes.  Tome  IV,  troisième  livraison  (janvier- février 
1843);  quatrième  livraison  (mars-avril  i843).  Paris,  imprimerie  de  Didot,  i843, 
in-8*,  pages  189-400.  —  La  troisième  livraison  contient  les  quatre  morceaux  sui- 
vants :  i'  De  la  poésie  provençale-italienne,  par  M.  C.  Fauriel,  membre  de  l'Ins- 
titut, complément  des  articles  publiés  par  le  môme  académicien  dans  les  précé- 
dentes livraisons  ;  a°  la  Vie  et  la  Mort  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry ,  par  Garnier 
de  Pont-Sainte-Maxence ,  poème  analysé  par  M.  Le  Roux  de  Lincy  d'après  le  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  royale  n*  aASg,  suppl.  français,  in-4*;  3*  Recherches  sur 
les  opinions  et  la  législation  en  matière  de  mort  volontaire  pendant  le  moyen  âge, 
du  X*  au  xrv*  siècle,  par  M.  Félix  Bourquelot;  4'  Invocation  à  l'Éternel,  traduite  du 
grec  par  Tiberianus  et  publiée  par  M.  Jules  Quicherat.  —  On  trouve  dans  la  qua- 
trième livraison:  l'un  premier  article  sur  Tancrède ,  par  M.  de  Saulcy  ;  a*  six 
lettres  inédiles  ou  restituées  de  M"*  de  Grignan  et  de  l'abbé  de  Coulanges,  publiées 
par  M.  Vallet  de  Viriville;  3*  Trois  abbés  pour  une  abbaye,  par  M.  H.  G.  (épisode 
de  rhistoire  de  l'abbaye  de  Saint-Martial  de  Limoges,  au  xiii*  siècle)  ;  4*  Nolice  sur 
les  layettes  du  trésor  des  chartes,  suivie  d'un  premier  extrait  de  ces  layettes,  par 
M.  A.  Teulet,  travail  sur  lequel  nous  nous  proposons  de  revenir.  —  Les  éditeurs 
anuoncent,  parmi  leurs  prochaines  publications ,  des  lettres  inédites  de  la  duchesse 
de  Lôngàevâle,  sœor  du  grand  G)ndé,  par  M.  Victor  G)usîn. 


r 

u 


JUIN  1845.  381 

Génie  da  xix'  siècle»  ou  Esquisse  des  progrès  de  Tcsprit  humain  depuis  1800 
jusqu'à  nos  jours,  par  Edouard  AHetz.  Paris,  imprimerie  de  Gros,  librairie  de  Pau- 
lin, i84a-i843,  in-18  de  l-38i-Iv  pages.  —  Ce  nouvel  ouvrage  de  M.  Allelz  n'est 
as  moins  recommandable  par  Vélcvalion  des  senlimenls  et  des  pensées  que  par 
es  qualités  du  style,  et  présente,  avec  beaucoup  de  méthode,  quoique  dans  un 
vadre  un  peu  resserré,  des  notions  claires,  précises,  exactes,  sur  les  progrès  récenis 
et  Tétat  actuel  de  toutes  les  branches  des  connaissances  humaines.  On  lira  d*abord 
avec  intérêt  Tintroduclion,  où  Tauteur  traite  de  Tcsprit  général  du  xix'  siècle  et 
de  l'influence  que  doivent  exercer  sur  ses  mœurs  et  sur  les  tendancrs  de  son  génie 
les  trois  grands  événements  qui  ont  présidé  à  ses  destinées ,  savoir  :  une  guerre 
presque  universelle ,  la  décadence  des  aristocraties  européennes  et  la  découverte  de 
Ja  vapeur.  Après  celte  introduction,  et  avant  d'aborder  fexamen  scienlilique  et  lit- 
téraire de  noire  époque,  M.  Allelz  donne,  dans  un  premier  livre,  un  aperçu  rapide 
des  principaux  progrès  des  sciences  et  des  arts  depuis  l'antiquité  grecque  et  latine 
jusqu'à  nos  jours.  11  expose  ensuite  le  système  selon  lequel  il  traite ,  dans  les  trois 
lirres  suivants,  des  progrès  de  nos  connaissances  depuis  l'année  1800.  Le  livre 
second,  intitulé  Science  de  l'homme,  comprend  la  théologie,  la  philosophie,  la  lit- 
térature, les  beaux-arts,  la  philologie  et  l'archéologie.  Le  livre  troisième  est  con> 
sacré  à  la  Science  de  la  société,  qui  renferme  la  législation,  l'économie  politique , 
Tart  de  la  guerre ,  le  commerce  et  la  navigation ,  la  géographie  et  les  voyages.  Dans 
le  livre  quatrième,  qu'il  intitule  Science  de  la  natare,  l'auteur  comprend  l'agricul- 
tnre,  la  botanique,  la  médecine,  la  zoologie,  les  mathématiques,  lasironomie,  la 
physique,  l'hydrologie,  la  chimie,  la  minéralogie  et  la  géologie.  Un  des  résullals 
généraux  de  ce  tableau  des  progrès  de  l'esprit  humain  depuis  le  commencement 
du  XIX*  siècle,  c'est  que  la  France  a  eu  la  supériorité  sur  les  autres  nations  dans 
les  sciences  naturelles,  dans  les  mathématiques,  dans  l'histoire,  dans  Téloquenco 
et  dans  la  philosophie  politique.  Le  cinquième  livre,  sous  le  litre  de  Progrès  futurs 
des  sciences  et  des  arts,  présente  l'indication  de  toutes  les  questions  importantes  qui 
attendent  une  solution,  et  de  tous  les  essais  qui  réclament  un  perfectionnement. 
Enfin  le  livre  sixième  explique  les  Rapports  de  la  religion  chrétienne  avec  les  progrès 
de  l'esprit  humain.  Un  appendice  placé  à  la  fin  de  l'ouvrage  rappelle  les  travaux  des 
hommes  qui  ont  contribué,  d'une  manière  secondaire,  aux  progrès  des  arts  et  des 
sciences.  Le  volume  est  terminé  par  deux  tables  des  noms  cités  dans  l'ouvrage  et 
dans  l'appendice,  et  par  une  table  des  matières. 

Poésies  populaires  latines  antérieures  aa  Xïi*  siècle,  par  M.  Edélestand  du  Méiil. 
Paris,  imprimerie  de  Guiraud  et  iouaust,  librairies  de  Brockhaus  et  Avenarius  et 
de  Techener,  i843,  in-8'  de  43o  pages.  —  Dans  l'introduction  qui  précède  ce  re- 
cueil, M.  du  Méril  trace  l'histoire  abrégée  de  la  poésie  latine  populaire,  depuis  les 
premiers  temps  de  Rome  jusqu'à  la  fondation  des  langues  modernes.  tLe  principal 
mérite  de  la  poésie  latine  au  moyen  âge ,  ajoute-l-il ,  est  de  servir  de  lien  entre  In 
poésie  ancienne  et  la  littérature  moderne,  de  continuer  le  passé  et  de  le  rallacher 
à  l'avenir.  Les  idées  chrétiennes  y  apparaissent  dans  toute  leur  vivacité  native;  puis, 
insensiblement,  elles  se  mêlent  aux  traditions  qu'elles  avaient  d'abord  répudiées 
atec  dédain;  elles  les  transforment,  se  les  approprient,  et  la  poésie  vulgaire  trouve 
dans  les  chants  populaires  latins,  qu'elle  imite  et  reproduit  sans  cesse,  les  idées  et 
les  faits  nécessaires  au  développement  de  l'imagination.  Pour  l'histoire  de  la  versi- 
fication  une  connaissance  approfondie  des  poèmes  populaires  latins  est  plui» 

kidispensaMe  encore;  c'est  seulement  à  l'aide  de  leur  rhylhme  et  de  ses  modifica- 
tions que  l'on  peut  expliquer  les  principes  de  la  versification  des*  langiies  modernes 


382  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  les  changements  qu^elle  a  successivement  éprouvés.  >  Les  poésies  romaines 
tiennent  nécessairement  peu  de  place  dans  cet  ouvrage.  L^auteur  s*est  contenté  de 
reproduire  quelques-uns  des  rares  monuments  de  la  poésie  populaire  des  Romains 
depuis  les  chants  des  frères  Arvales  jusqu'au  Pervigilium  Veneris,  La  partie  la  plus 
importante  du  recueil  est  consacrée  aux  poésies  chrétiennes,  et  renferme  soixante- 
dix-sept  morceaux,  dont  les  plus  anciens  appartiennent  au  iv"  siècle,  et  les  plus 
récents  au  xii*.  La  plupart  de  ces  pièces  avaient  déjà  été  imprimées.  M.  du  Méril 
en  a  soigneusement  revu  le  texte,  autant  quil  a  été  possible,  sur  les  manuscrits. 
Quelques-unes,  restées  jusqu'à  ce  jour  inédites,  sont  publiées  diaprés  des  ma* 
nuscrits  de  la  Bibliothèque  royale  et  de  la  bibliothèque  de  Bruxelles,  ou  sur  des 
copies  communiquées  par  divers  savants.  Les  unes  et  les  autres  sont  accompagnées 
de  nombreuses  notes  philologiques  et  bibliographiques,  qui  sont  le  fruit  de  labo 
rieuses  recherches. 

Époques  de  l'histoire  de  France  en  rapport  anec  le  théâtre  français ,  dès  la  formation 
de  la  langue  jusqu'à  la  renaissance,  par  Onésime  Leroy.  Imprimerie  de  ilennuyer 
et  Turpin  aux  Batignolles,  librairie  de  Hachette  à  Paris,  i843,  in-S"*  de  467  pa^. 
— *  L'ingénieux  auteur  des  Études  sur  les  mystères  a  pensé  que  «  Tintérèt  offert  à 
l'histoire  par  l'exploration  de  nos  plus  vieux  monuments  dramatiques  s'accroîtrait 
encore  du  développement  successif  de  l'esprit  humain  et  de  l'esprit  français ,  dont 
ces  essais  informes  ont  été  le  point  de  départ ,  >  et  c'est  dans  le  but  d'en  tracer  le 
tableau  qu'il  a  entrepris  cette  esquisse  dos  principales  époques  du  théâtre  en  France, 
c'est-à-dire  des  révolutions  de  nos  mœurs,  de  notre  langue  et  de  notre  littérature. 
Cet  ouvrage  recommandable.  sur  lequel  nous  reviendrons,  est  précédé  d'une  intro- 
duction et  divisé  en  onze  chapitres ,  dont  voici  les  titres  :  Ecole  d'Âbélard.  *-*  Siècle 
de  saint  Louis.  -—  Société  de  l'immaculée  conception  ;  beauté  morale ,  ascendant 
de  la  femme.  —  Mystère  de  la  passion;  acheminement  à  l'unité  monarchique;  pre- 
mier théâtre  permanent  à  Paris;  développement  de  l'opinion  populaire.  ^  Salut  et 
gloire  de  la  France  au  xv*  siècle.  — •  Vœu  du  faisan  à  Lille,  vœu  du  paon,  etc.  — - 
Chambres  dramatiques  ou  littéraires,  dites  de  Rhétorique.  —  Drames  satiriques, 
précurseurs  ou  auxiliaires  de  la  réformation.  -—  Coup  d'œil  rétrospectif  sur  saint 
Martin  et  saint  Louis.  — «  Tombeau  de  Childéric  et  médaille  de  saint  Martin  décou- 
verts à  Tournay.  — -  Conclusion.  Jeux  de  scène  traduits  en  profanation  sur  le  tom- 
beau de  saint  Martin  à  Tours. 

Études  politiques.  De  l'aristocratie  an^aise,  de  la  démocratie  américaine  et  de  la 
libéralité  des  institutions  françaises,  par  Chaiies  Farcy,  a* édition.  Paris,  imprimerie 
de  Ducessois ,  au  comptoir  des  imprimeurs  unis,  quai  Malaquais,  n*  i5;  i843, 
in-8**  de  1 5a  pages.  —  «  Faire  aimer  davantage  les  institutions  du  pays ,  souvent  et 
injustement  aénigrées  au  profit  des  institutions  étrangères;  mettre  en  première 
ligne  la  moralité  dans  l'appréciation  des  lois ,  rappeler  le  principe  rdigieux  trop 
souvent  oublié,  enfin  tâcher  de  convaincre  que  les  bonnes  mœurs  peuvent  seules 
faire  de  bons  citoyens,  ■  tel  est  le  but  de  cet  ouvrage,  qui  ne  £&it  pas  moins  d'hon- 
neur au  talent  de  l'auteur  qu'à  ses  sentiments. 

Les  chroniques  de  Vévéché  de  Langres,  du  père  Jacaues  Vigner ,  traduites  du  latin , 
continuées  jusqu'en  179^  et  annotées,  par  Emile  Jolibois.  Chaumont,  imprimerie  et 
librairie  de  V*  Miot,  i843,  in-8*  de  1x1-207  pages.  —  Cette  histoire  abrégée  du  diocèse 
de  Langres,  publiée  à  Langres,  par  J.  Vignier  en  i665,  sous  le  titre  de  Chronicon 
Lingonense,  ex  probationibas  Decadis  historicœ  contextum,  n'est  que  le  résumé  d'un 
ouvrage  plus  important  du  même  auteur,  auquel  il  avait  donné  le  nom  de  Décade 
historique,  parce  qu'il  devait  être  publié  en  di|L  livres  divbés  en  trois  tomes  ou  par- 


/  JUIN  1843.  383 

lies.  Il  n*a  para  de  ce  grand  ouvrage  que  le  plan ,  publié  à  Dijon  du  vivant  de  Vi- 
gner,  et  Ton  croit  que  Tauteur,  mort  en  1670,  na  pu  Tachever;  du  moins,  il  n'en 
reste  aujourd'hui  que  le  commencement,  et  Ton  ne  connaît  aucune  copie  des  deux 
dernières  parties.  L'abrégé  est  un  récit  succinct ,  mais  plein  d'érudition  et  de  mé- 
thode ,  des  événements  qui  se  sont  passés  dans  le  diocèse  de  Langres  depuis  Tépoque 
romaine  jusqu'en  i65o.  Le  traducteur  a  continué  ce  travail  utile  jusqu'à  la  révolu- 
tion ,  rectifié  dans  des  notes  quelques  erreurs  de  date,  et  introduit  dans  le  texte  des 
divisions  avec  des  sommaires  qui  facilitent  les  recherches. 

Mémoires  authentiqués  de  Jacques  Nùmpar  de  Caumont,  duc  de  la  Force,  maréchal 
de  France ,  et  de  ses  deux  ûls  le  marquis  de  Montpouillan  et  de  Castelnaut;  suivis  de 
documents  historiques  et  de  correspondances  inédiles  de  Jeanne  d'Âlbret ,  Henri  IH , 
Henri  IV,  Catherine  de  Bourbon,  Louis  XIII,  Marie  de  Médicis,  Condé,  Sully,  ViJ- 
leroy,  Fresnes,  Ponlchartrain,  Bouillon,  Biron,  d'Ornano,  Montespan,  Matignon, 
du  Plessis-Mornay ,  Rohan,  Schomberg,  Châtillon,  d'Effîat,  Feuquières,  Richelieu, 
Servien,  des  Noyers,  Bouthillier,  et  autres  personnages  célèbres  depuis  la  Saint- 
Barth^emy  jusqu'à  la  Fronde,  pour  faire  suite  à  toutes  les  collections  de  mémoires 
sur  l'iiistoire  de  France,  publiés,  mis  en  ordre  et  précédés  d'une  introduction  par 
M.  le  marquis  de  la  Grange,  député  de  la  Gironde,  etc.  Paris,  imprimerie  de  veuve 
Dondey-Dupré ,  librairie  de  Charpentier,  i843,  A  vol.  in-S**. 

Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M,  le  comte  Bigot  de  Préameneu ,  ministre  des 
cultes  sous  l'empire,  l'un  des  trois  rédacteurs  du  projet  de  code  civil,  par  Âug. 
Nougarède  de  Fayet,  son  petit-fils.  Paris,  imprimerie  de  Grapelet,  id43,  in-S**  de 
trente-huit  pages. 

ANGLETERRE. 

A  Grammar  of  the  hindastani  langnaqe ,  by  John  Shakespear,  fourth  édition,  to 
which  is  added  a  short  grammar  of  the  dakhani.  London,  i843,  in-A""  de  207  pages, 
avec  planches  gravées.  —  Voici  la  quatrième  édition  de  la  meilleure  grammaire 
hindoustani  écrite  en  anglais.  C'est  un  beau  succès ,  qui  seul  fait  l'éloge  du  livre. 
Mais  cette  édition  offre  à  la  fois  un  changement  et  une  addition  précieuse ,  qu'il  est 
essentiel  de  signaler.  La  liste  des  principales  racines  de  la  langue  hindoustani, 
qu'on  trouvait  dans  les  précédentes  éditions ,  sous  forme  d'appendice ,  à  la  suite  de 
la  grammaire ,  est  aujourd'hui  remplacée  par  des  détails  intéressants  sur  le  dialecte 
hindoustani  particulier  au  Décan ,  nommé  dakhnt  (et  non  dakhant,  comme  l'a  im- 
primé M.  Shakespear).  Ces  détails  occupent  soixante  pages,  et  rendent  le  travail  du 
savant  orientaliste  propre  à  être  employé  dans  tout  l'empire  anglais  de  l'Inde,  l'hin- 
doustani  proprement  dit,  appelé  ourdou,  étant  usité  dans  les  présidences  de  Calcutta 
et  de  Bombay ,  et  le  dakhnt  dans  cetie  de  Madras.  Il  ne  s'agit  ici  que  de  l'idiome 
des  musulmans  :  il  n'est  pas  entré  dans  les  vues  de  M.  Shakespear  de  traiter  du 
dialecte  hindoui,  et  on  doit  le  regretter  d'autant  plus,  que  personne  n'était  plus  en 
état  que  lui  de  le  faire ,  et  qu'on  ne  possède  aucun  ouvrage  ex  professo  sur  ce  dia> 
lecte,  si  important  à  cause  des  ouvrages  philosophiques  et  historiques  qui  l'enri- 
chissent. 

The  Jews  in  China,  their  synagogue,  ikeir  scriptures ,  their  historj ,  etc.  by  James 
Finn.  London,  i843,  royal  in-13*,  viij  et  86  pages.  —  M.  Finn  est  auteur  d'un 
ouvrage  sur  les  juifs  d'Espagne  et  de  Portugal,  que  nous  avons  indiqué,  à  son  ap- 
parition, aux  lecteurs  du  Joumid  des  Savants  (novembre  18^2).  Aujourd'hui  les 


384  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

•ucces  de  l'Angleterre  en  Chine  Tonl  engagé  à  8*occuper  de  Tétai  des  juifs  de  ce 
pajft.  Ccftt  d'après  des  traraux  estimés,  qui  ont  été  écrits  sur  le  contineot,  que  le 
iahorioiix  auteur  a  rédigé  son  opuscule.  Il  en  offre,  en  cinq  chapitres,  une  sorte 
de  résumé  substantiel  et  d*un  intérêt  soutenu.  Le  preroier  roule  sur  la  manière 
dont  les  juifs  furent  découverts  en  Chine  par  les  missionnaires  jésuites  ;  le  second 
décrit  leur  synagogue;  le  troisième,  leurs  copies  de  la  Bible  et  leur  littérature; 
le  qiiairicme,  leurs  inscriptions  et  leur  histoire;  le  cinquième,  enfin,  contient  des 
réflexions  scientifiques  et  surtout  religieuses;  car  le  but  de  Fauteur  dans  cet  ou- 
vrage, comme  dans  celui  que  nous  avons  rappelé,  est  principalement  chrétien  : 
c'est,  en  effet,  la  conversion  du  peuple  juif  qu'il  a  surtout  en  vue.  Le  texte  est  ac- 
compagné de  notes  instructives,  avec  des  citations  en  caractères  hébreux. 

L'Empire  chinois,  ou  Histoire  descriptive  des  mœurs,  coutumes,  architecture, 
industrie  du  peuple  chinois,  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours, 
traduit  de  l'anglais  par  Clément  Pelle,  avec  gravures  anglaises  sur  acier  d'après  les 
dessins  originaux,  par  Th.  AUom,  e^.  Londres,  librairie  de  Fischer  et  compagnie, 
38,  Ncwgate  slreet;  à  Paris,  rue  Saint-Honoré ,  n*  108.  —  Au  retour  de  la  deuxième 
expédition  des  Anglais  en  Chine,  la  maison  Fischer  a  publié  une  description  du 
Céleste  Empire  qui  a  obtenu  beaucoup  de  succès  en  Angleterre,  et  dont  elle  donne 
aujourd'hui  une  traduction  française,  ii  laquelle  sont  jointes  toutes  les  planches  de 
l'édition  originale.  Ces  dessins,  exécutés  par  les  officiers  de  la  flotte  anglaise,  ou 
reproduits  d'après  les  travaux  des  voyageurs  qui  out  pénétré  dans  l'intérieur  du 
pays,  font  connaître  les  monuments  et  les  sites  les  plus  remarquables  de  l'empire 
chinois.  Les  planches  sont  exécutées  avec  cette  délicatesse  et  ce  fini  de  détails  que 
nos  graveurs  n'ont  pu  encore  parfaitement  imiter.  L'auteur  du  texte  annonce  s'être 
mis  en  rapport  avec  deux  Chinois  lettrés  attachés  au  service  de  la  compagnie  des 
Indes  orientales,  et  avoir  rectifié,  en  soumettant  son  livre  à  leur  contrôle,  beau- 
coup d'erreurs  qui  ont  cours  dans  la  plupart  des  histoires  ou  des  descriptions  de 
la  Chine  publiées  en  Europe.  Au  moment  où  les  événements  politiques  ramènent 
l'attention  publique  sur  ce  pays,  la  publication  de  MM.  Fischer  ne  peut  qu'élre 
bien  accueillie,  si  l'exécution  répond  toujours,  comme  dans  les  premières  livraisons, 
aux  promesses  de  l'auteur. 


TABLE. 


Ëiplication  de  trois  inscriptions  grecques  trouvées  h  Philes,  en  Egypte  (  1*'  article 

de  M.  Letronne  ) Page  321 

Hevuo  des  éditious  de  Duflbn  (2*  article  de  M.  Flourens) , 333 

Antichi  monumenti  scpolcrali  scoperti  nel  ducato  di  Ceri,  dichiarati  dal  cav.  P.  S. 
Visconti.  —  Descriiione  di  ('ère  antica ,  ed  in  particolare  de)  monnmento  se- 
polcrale  scoperto  neif  anno  183Ô,  delf  architetto  cav.  L.  Canina.  —  Monu- 
menti di  Cere  antica,  dal  cav.  L.  Grifi  (2*  article  de  M.  I\aoul-Rochette] ....  344 

Nouveaux  documents  inédits  sur  le  P.  André  et  sur  la  persécution  du  Cartésia- 
nisme dans  la  compagnie  de  Jésus  (4*  et  dernier  article  de  M.  Cousin) 360 

Nouvelles  littéraires 379 

rm  D£  ul  taule. 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


JUILLET  1843. 


MiRCHONDi  HiSTORiA  Seldschukidarum  ,  persice  e  codicibus  manu" 
scriptis  Parisino  et  Berolinensi  nunc  primum  edidit,  lectionis  va- 
rietate  instruxit ,  annotationibus  criticis  et  philologicis  illustravil 
Jo.  Aug.  Vullers.  Gissae,  1887,  in-8°. 

MiRCHOND^s  Geschichte  der  Seldschuken,  ans  dem  persischen  zuin 
ersten  mal  ùbersetzt ,  und  mit  historischen ,  geographischen  und  li- 
terarischen  Anmerkungen  erlàutert,  von  Jo.  Aug.  Vullers.  Giessen, 
1837,  in-8^ 

DEUXIÈME    ET    DERNIER    ARTICLE. 

Dans  mon  article  précédent,  en  rendant  compte  de  l'histoire  des 
Seldjoucides  écrite  par  Mirkhond  et  publiée  par  M.  Vullers,  je  me 
suis  attaché  à  recueillir  quelques  détails  sur  la  vie  et  les  ouvrages  du 
chroniqueur  persan.  Je  pourrais  ajouter  un  petit  nombre  de  mots, 
dans  lesquels  Tauteur  indique  les  époques  où  avaient  été  rédigées 
quelques  parties  de  son  ouvrage,  où  il  expose  les  motifs  qui  avaient 
retardé  la  publication  de  tel  ou  tel  volume.  Mais  ces  renseignements  of- 
friraient, à  coup  sûr,  un  bien  faible  intérêt.  Je  ne  m'arrêterai  point  i)on 
plus  à  parler  du  Scïd  Nizam-eddin-Sultan-Ahmed,  fils  de  l'émir  Borhan- 
eddin-Khavend-schah ,  et  frère  de  Mirkhond ,  qui  remplissait ,  à  la  cour 
des  descendants  de  Timour,  les  fonctions  augustes  de  Sadr,  c'est-à-dire 
de  chef  de  la  justice  ecclésiastique.  Mais,  pour  compléter,  autant  que 
possible ,  ce  qui  concerne  la  famille  de  Mirkhond ,  je  réunirai  ici  quel- 

49 


386  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ques  détails  sur  Khondémir,  fils  de  Mirkhond ,  émule  de  son  père  dans  la 
carrière  historique,  abréviateur  et  continuateur  de  ses  ouvrages.  Cette 
notice,  qui  sera  beaucoup  moins  complète,  beaucoup  moins  instruc- 
tive que  je  ne  Taurais  désiré,  pourra  au  moins  servir  à  compléter,  sur 
quelques  points,  les  renseignements  donnés  par  Dherbelot,  M.  Silvestre 
de  Sacy,  et,  en  dernier  lieu,  par  M.  Reinaud. 

Gaïath-eddin-Mohammed ,  surnommé  Khondémir,  vint  au  monde 
vers  la  fin  du  ix''  siècle  de  Thégire,  Tan  879  ou  880.  Cette  date  ne  nous 
est,  je  l'avoue,  indiquée  d'une  manière  expresse  par  aucun  biographe, 
par  aucun  historien;  mais  elle  ressort  évidemment  d'un  passage  où 
notre  auteur,  parlant  de  son  principal  ouvrage ,  le  Habib-assilar,  atteste 
qu'il  l'entreprit  l'an  927,  et  il  ajoute  qu'il  était,  à  cette  époque,  âgé  de 
quarante-sept  à  quarante-huit  ans.  Il  est  probable  qu'il  eut  pour  patrie 
la  ville  de  Hérat,  qui  était  la  capitale  de  l'empire  des  principaux  des- 
cendants de  Timour.  Dès  son  enfance,  il  montra  un  goût  vif,  une  vé- 
ritable passion  pom*  l'étude  de  l'histoire,  et  compulsait  avec  une  ar- 
deur infatigable  les  ouvrages  qui  traitaient  de  cette  science.  Guidé  pai' 
les  conseils  et  les  exemples  de  son  père,  qui,  par  ses  vastes  travaux 
historiques,  avait  acquis  une  si  juste  célébrité,  il  s'occupait  presque 
uniquement  à  lire  et  à  méditer  les  histoires  générales  et  particulières , 
afin  d'en  tirer  tout  ce  qui  pouvait  contribuer  à  augmenter  ses  connais- 
sances et  fournir  la  matière  des  compositions  importantes  dont  il  avait, 
dès  lors,  arrêté  le  plan.  Appelé  auprès  de  l'émir  Ali-Schir,  ce  noble  pro- 
tecteur et  ami  de  tous  les  gens  de  lettres,  il  trouva  chez  cet  homme 
extraordinaire  tout  ce  que  la  bienveillance  et  l'attachement  peuvent 
présenter  de  plus  gracieux,  tout  ce  que  peuvent  oflFrir  d'utile  les  conseils 
de  l'expérience,  les  trésors  d'une  solide  érudition;  lorsque,  dans  le 
cours  de  l'année  904,  Ali-Schir  eut  réuni  une  bibliothèque  nombreuse, 
composée  des  meilleurs  livres,  il  en  abandonna  sans  réserve  l'usage  à 
Khondémir,  et  le  plaça  à  la  tête  de  ce  riche  dépôt  des  connaissances 
huxDaines.  On  peut  se  figurer  quelle  dut  être  la  satisfaction  de  notçe 
auieur,  lorsqu'il  se  vit  dans  une  position  qui  était  si  bien  en  harmonie 
avec  ses  inclinations ,  et  avec  quelle  ardeur  il  songea  à  profiter  d'unç 
situation  si  favorable.  Ali-Schir,  dans  un  de  ses  ouvrages^  parle  en  peu 
de  mots  de  Khondémir,  et  vante  en  termes  pompeux  les  connaissances 
qu'il  avait  acquises  sur  l'histoire.  Du  reste,  dans  ce  passage,  Ali-Schir 
ne  cite  aucun  ouvrage  de  Khondémir.  Et,  en  effet,  à  l'époque  où  l'il- 
lustre écrivain  rédigeait  l'ouvrage  intitulé  Medjalis-alnefdis ,  Khondémir, 

^  Koulliati'Nevaîi ,  t.  II,  fol.  780  r*. 


JUILLET  1843.  387 

alors  fort  jeune,  n avait  encore  rien  produit,  et  ne  donnait  que  des 
espérances.  Au  rapport  de  Hadjî-Khaifali ,  ce  fut  vers  l'an  900  de 
rhégire  que  Rhondémir  publia  son  abrégé  historique  intitulé  Khelaset-^ 
alakhbar,  qui  contient  Thistoire  du  monde,  depuis  la  ci'éation  jusqu'à 
Tannée  876  de  l'hégire,  et  qui  est  un  extrait  du  Raouzat-assafa  de 
Mirkhond.  A  cette  même  époque ,  il  cultivait  également  la  poésie.  Car, 
ainsi  qu'il  nous  lapprend  lui-même ^,  le  kadi  Nizam-eddin-Mohammed 
étant  mort  au  mois  de  moharrem  de  raii  900  de  Thégire  ,  notre 
auteur  s'attacha  à  consigner  dans  deux  vers  la  date  de  cet  événement. 
Il  se  trouvait  auprès  d'Ali-Schir,  Tan  906,  au  moment  où  la  mort  vint 
frapper  cet  homme  illustre.  Voyant  que  la  maladie  se  présentait  avec 
une  violence  extrême,  il  déclara  qu'il  fallait,  sans  aucun  délai,  prati- 
quer une  saignée ,  et  que  le  moindre  retard  rendrait  le  mal  tout  à  fait 
incurable.  Le  khodjah  Schehab-eddin-Abd-allah ,  qui  avait  la  préten- 
tion de  posséder  des  connaissances  médicales ,  resta  incertain ,  et  n'osa 
pas  prendre  un  parti.  On  s'adressa  au  sultan  Hosain-Behadur,  qui  donna* 
ordre  d'ouvrir  immédiatement  la  veine  du  malade.  Mais,  comme  le 
voyage  et  le  retour  du  courrier  avaient  pris  plusieurs  heures ,  lorsque 
l'on  procéda  à  la  saignée ,  il  était  trop  tard ,  et  le  malheur  que  l'on 
craignait  se  réalisa  tientôt.  A  l'occasion  de  cet  événement  funeste, 
Khondémir  rédigea  les  vers  suivants. 


«Son  Altesse,  l'émir,  qui  était  l'asile  de  la  direction  divine,  en  qui  bril- 
laient toutes  les  marques  de  la  miséricorde,  a  quitté  le  buisson  d'épines 
du  monde ,  et  s'est  dirigé  vers  un  jardin  où  fleurit  le  parterre  de  roses 
de  la  miséricorde.  Puisque  les  lumières  de  la  miséricorde  sont  descen- 
dues sur  son  âme ,  cherchons  dans  les  mots  o»^  jty t  l'année  de  sa 
mort.  »  En  efiet,  les  lettres  dont  se  composent  les  deux  mots  ow^  jlyl, 
réunies  d'après  leur  valeur  numérique,  indiquent  Tannée  906,  qui  fut, 
en  effet,  l'époque  de  la  mort  d'Ali-Schir. 

L'an  909^,  lorsque  le  sultan  Mirza-Bedi-ezzeman  songeait  à  repousser 
les  Uzbeks,  qui,  sous  la  conduite  de  Mohammed-Scheîbani-khan,  se  pré- 
paraient à  faire  une  incursion  dans  la  province  de  Khorasan,  le  prince, 

*  Habib-assiiar,  t.  III,  fol.  298  r\  —  *  Fol.  a88  r'. 

49. 


388  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

d'accord  avec  les  grands  du  royaume,  résolut  de  députer  plusieiu^  des 
principaux  émirs  vers  Témir  Khosrev-schah ,  qui  était  maître  de  la  ville 
de  Kondoz,  afin  de  gagner  à  la  cause  commune  cet  homme  important, 
de  l'amener  à  la  cour,  et  de  l'engager  à  seconder  de  tout  son  pouvoir 
les  préparatifs  qui  avaient  pour  but  d'éloigner  un  ennemî  formidable. 
L'auteur,  suivant  l'ordre  de  son  souverain ,  fut  adjoint  aux  députés  et 
prit  avec  eux  la  route  de  Kondoz.  Bientôt,  à  la  suite  d'un  avantage 
remporté  par  le  frère  du  khan  des  Uzbeks,  l'émir  Khosrev-schah 
abandonna  lâchement  sa  capitale  et  se  retira  dans  les  montagnes. 
L'émir  Zou'lnoun-Argoun ,  chef  de  l'ambassade,  représenta  à  ses  com- 
pagnons combien  il  serait  honteux  d'abandonner  à  l'ennemi  une  place 
aussi  importante  que  Kondoz.  Il  leur  fit  sentir  la  nécessité  de  gagner 
promptement  cette  ville,  d'en  fortifier  les  remparts,  et  de  la  défendre 
énergiquement  contre  les  armes  des  Uzbeks.  Cet  avis  ayant  été ,  bon 
gré  msd  gré,  approuvé  de  tous  les  émirs,  Zou'lnoun,  avant  de  partir 
pour  continuer  sa  marche,  chargea  Khondémir  de  se  rendre  en  hâte  à 
la  cour  du  sultan,  d'informer  ce  prince  du  désastre  de  Khosrev-schah, 
et  de  l'inviter  de  venir  aussitôt ,  à  la  tête  de  son  cortège  auguste ,  pour 
relever  le  courage  des  troupes  et  assurer  le  succès  de  l'entreprise.  L'au- 
teur, ayant  été  admis  en  présence  de  Mii^za-Bedi-ezzeman ,  et  lui  ayant 
fait  part  de  l'objet  de  sa  mission,  le  sultan  répondît  que,  dès  qu'il  ap- 
prendrait l'arrivée  des  émirs  à  Kondoz ,  il  se  mettrait  immédiatement 
en  marche  pour  les  joindre. 

Khondémir,  sous  le  règne  du  sultan  Bedi-ezzeman,  obtint  de  son  sou- 
verain^ une  haute  marque  de  considération,  car  il  fut  promu  par  lui  au 
rang  de  Sadr,  c'est-à-dire  de  chef  de  la  justice  ecclésiastique.  L'an  912 
de  l'hégire^,  lorsque  Mohammed-khan-Scheïbani,  à  la  tête  de  ses  re- 
doutables Uzbeks,  se  disposait  à  passer  le  Djeïhoun  pour  envahir  le 
Khorasan  et  les  contrées  voisines,  le  sultan,  voidant,  s'il  était  possible, 
opposer  une  digue  à  ce  torrent  dévastateur,  députa  vers  les  princes  et 
les  grands  émû^s  des  négociateurs  habiles ,  pour  les  engager  à  réunir 
leurs  forces  afin  de  faire  tête  à  l'ennemi  commun.  Notre  auteur  fut  dé- 
signé pour  se  rendre  à  Kandahar,  auprès  de  l'émir  Schoudja-beg.  Il  se 
préparait  à  partir,  lorsque  la  mort  d'une  des  filles  du  sultan  vint  porter 
le  deuil  dans  la  cour  de  Hérat,  et  empêcha  l'auteur  d'accomplir  la  mis- 
sion dont  il  était  chargé.  Bientôt  le  Khorasan  fut  inondé  par  les  nom- 
breuses armées  des  Uzbeks.  L'année  suivante,  la  capitale  elle-même  se 
trouvant  pressée  par  les  armes  de  ces  redoutables  conquérants  ',  les 

'  Babilhassiiar,  fol.  3o5  r*.  —  '  Fol.  807  y\  —  '  Fol.  3o8  r\ 


JUILLET  1843. 


389 


habitants  épouvantés ,  et  ne  croyant  pas  pouvoir  opposer  une  résistacce 
sérieuse,  prirent  le  parti  de  se  soumettre.  Khondémir  fut  cliargé  par 
eux  de  rédiger  un  acte  qui  constatait  cette  résolution,  et  qui  fut  envoyé 
au  quartier  général  des  Unbeks.  La  négociation  fut  confiée  à  Maulaiia- 
Othman,  neveu  de  noire  auteur,  et  qui  remplissait  les  fonctions  de 
Mohtesib  de  la  ville.  Durant  ia  domination  des  Uzbeks  ',  Khondémir, 
quoique  des  ordi'es  formels  semblassent  lui  assurer  le  traitement  ie  plus 
honorable ,  se  vit  exposé  à  une  suite  de  vexations  et  de  tracasseries  d'un 
genre  ignoble  et  odieux.  Notre  auteur  n'entre,  à  cet  égard,  dans  aucun 
détail.  II  se  contente  de  rapporter  une  anecdote  qui  atteste  le  peu  de 
considération  que  ces  vainqueurs  témoignaient  pour  des  iiommes  d'un 
rang  éminent.  Scheibanî.  khan  des  Uzheks,  avait  placé  à  la  tête  de  l'ad- 
ministration de  la  justice  un  personnage  nommé  Abd-errahim,  qui  joi- 
gnait à  une  incapacité  réelle  la  présomption  la  plus  intolérable.  Lors- 
qu'il fiit  installé  dans  la  ville  de  Hérat,  un  jour  il  manda  auprès  de  lui 
l'émir  Sultan-Ibrabim,  KJiondérnir  et  Maulana-Gaiatli-eddin-Djemschid- 
Halali  et  leur  dit  :  Il  faut  que,  sur  les  moutons  qui  sont  échus  à  mes 
serviteurs  pour  leur  part  du  butin,  vous  en  preniez  soixante,  pour 
chacun  desquels  vous  payerez  vingt  tengtchch-khâni ,  qui  équivalent  à 
600  dinars  de  ia  monnaie  de  Tebriz.  Tous  trois  acceptèrent  forcément 
cette  proposition  exorbitante.  Comme  le  soir  était  arrivé  et  que  notre 
auteur  n'avait  avec  lui  aucun  esclave,  aucun  serviteur,  il  demanda  que 
les  moutons  restassent  cette  nuit  dans  les  étables  du  palais,  s'engagcani , 
ainsi  que  ses  compagnons,  à  faire  emmener  de  grand  matin  ce  trou- 
peau, à  le  conduire  vers  leurs  domiciles,  à  en  effectuer  le  partage,  et 
à  solder  immédiatement  le  prix  convenu.  Une  demande  si  simple  iiit 
rejetée  avec  mépris.  Ces  hommes  vénérables,  qui,  peu  de  temps  aupa- 
ravant, se  monlraienl  en  public  entourés  des  Insignes  de  leurs  dignités 
éminentes,  revêtus  d'habits  de  soie,  et  montés  sur  des  chevaux  su- 
perbes, 80  virent  contraints  de  prendre  en  main  des  houlettes,  et  de  re- 
gagner leurs  maisons  en  cliassant  devant  eux  ce  troupeau  de  moutons. 
Les  marchands  du  bazar  appelé  Bazari-kosch  1^^  jljlf ,  c'est-à-dire  "  le 
beau  bazar,  »  A  l'aspect  de  cet  étrange  spectacle,  restèrent  stupéfaits  et 
se  mirent  i  rire.  L'émir  Sultan-Ibrahim  et  notre  auteur  ne  purent  s'em- 
pêcher de  partager  Ibilaiilé  générale-  Gaïath-cddin-Djemschid  fondait  en 
larmes,  et,  comme  on  lui  demanda  quel  motif  causait  cette  profonde 
tristesse,  il  répondit  :  u  J'étais  bien  résigné  ii  remplir,  sous  le  gou- 
vernement des  Uibiîks,  les  fonctions  de  berger;  mais  je  ne  savais  pas 


ir.  fol.  3ia 


390  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

que  je  serais  condamné  à  exercer  ce  métier  dans  le  bazar  appelé 
Khosch.n  Bientôt  après,  les  sadr  et  les  administrateurs  des  fondations 
pieuses  s  a  Hachèrent  à  gagner,  par  des  présents  en  argent  et  en  nature, 
la  bienveillance  d'Abd-errahim.  Celui-ci,  après  avoir  gourmande  vive- 
ment Khondémir  et  Témir  Sultan-Ibrahim,  réclama  deux,  avec  les 
formes  les  plus  impérieuses,  le  payement  des  20,000  tengtcheh.  Il  £aiHut 
recourir  à  la  négociation.  Après  de  longs  pourpariers ,  après  des  sup- 
plications sans  nombre ,  il  lut  convenu  que  notre  auteur  et  son  com- 
pagnon payeraient,  sur  leurs  biens  particuliers  et  sur  les  fonds  que  leur 
fourniraient  les  sadr  et  les  administrateurs  des  fondations  pieuses,  une 
somme  de  i3,ooo  terigtchehy  et  qu'on  ne  leur  demanderait  pas  davan- 
tage. » 

Cependant  une  nouvelle  révolution  s'était  opérée  dans  TOrient. 
Schah-Ismaïl,  déjà  maître  dune  bonne  partie  des  provinces  qui  com- 
posent l'empire  de  la  Perse,  porta,  l'an  gi6  de  l'hégire,  ses  armes 
dans  le  Khorasan ,  afin  d'arracher  cette  contrée  importante  à  la  domi- 
nation des  Uzbeks.  Scheibani ,  leur  souverain ,  fut  vaincu  et  tué  dans 
une  bataille.  Les  Uzbeks,  écrasés  par  un  ennemi  redoutable,  fuirent 
en  désordre,  évacuèrent  le  pays,  l'abandonnèrent  au  vainqueur,  et  al- 
lèrent précipitamment  cbercher  un  asile  au  delà  du  Djeïhoun  (rOxus). 
Ismaïl  demeura  maître  du  Khorasan.  Toutefois,  quelques  princes  de  la 
&mille  de  Timour,  quelques  émirs,  se  maintinrent  dans  quelques-unes 
des  provinces  qui  avoisinent  cette  vaste  contrée.  Mirza-Mohammed- 
Zeman,  fils  de  Bedi-ezzeman ,  commandait  dans  la  province  de  Djor- 
djan,  l'ancienne  Hyrcanie,  située  au  sud-est  de  la  mer  Caspienne.  D'un 
autre  côté ,  l'émir  Ordou-schah,  l'un  des  émirs  qui  avaient  été  attachés 
au  service  du  sultan  Bedi-ezzeman,  ayant  pris  les  armes,  soumit  à  sa 
domination  le  district  montueux  du  Gardjestan. 

L'an  920  de  l'hégire,  à  l'époque  ou  Mirza-Mohammed-Zeman  porta 
la  guerre  dans  la  province  de  Gardjestan,  notre  auteur  habitait  dans  le 
bourg  appelé  Bascht  oJUj,  qui  fait  partie  de  ce  canton,  et  qui  touche 
à  la  montagne  de  Rag  K  Dès  qu'il  eut  appris  l'arrivée  du  Mirza,  se  rap- 
pelant les  bienfaits  sans  nombre,  les  marques  de  faveur  qu'il  avait  re- 
çues du  père  et  de  l'aïeul  de  ce  prince,  il  s'empressa  de  se  rendre 
auprès  de  lui.  Mohammed-Zeman  l'accueillit  de  la  manière  la  plus  ho- 
norable ,  le  pressa  de  rester  à  sa  cour  et  de  ne  jamais  s'éloigner  de  sa 
personne.  Notre  auteur  eut  beau  alléguer  toutes  sortes  d'excuses ,  elles 
ne  furent  point  agréées.  Le  prince  le  gratifia  de  riches  présents  qui  con- 

*Fol.  3i4r'. 


JUILLET  1843. 


391 


bistaierit  en  or  et  en  cbevaux.  Bientôt  après'.  Mohamnied-Zeman, 
s'ëtant  diacide  à  faire  la  paix  avec  l'émir  Ordou-schali ,  choisit  Khoodémir 
pour  négociateur  et  lui  ordonna  de  partir  pour  BaJkh.  afin  d'engager 
l'émir  à  céder  au  fils  de  son  souverain  l:i  contrée  dont  cette  place  im- 
portante était  la  capitale .  et  à  se  retirer  dans  la  province  de  Gardjestan. 
Lorsque  le  prince  fut  forcé  de  s'enfuir  vers  le  Kandahar,  Khondémir  de- 
manda la  permission  de  rester  dans  cette  même  province  de  Gardjestan, 
où,  comme  nous  l'avons  vu,  il  avait  précédemment  établi  sa  résidence^. 

Kliondémii',  ainsi  qu'il  prend  soin  de  le  rapporter  avec  une  sorte  de 
complaisance,  avait,  durant  toute  sa  vie,  montré  pour  l'étude  de 
l'histoire  une  passion  qui  ne  s'était  jamais  ralentie.  Dans  la  retraite  où 
les  circonstances  politiques  l'avaient  confiné,  il  ne  manqua  pas,  sans 
doute,  de  pousser  ces  travaux  avec  une  activité  nouvelle,  11  avait  com- 
posé, sur  cette  branche  des  connaissances  humaines,  plusieurs  ouvrages 
dont  il  a  pris  soin  de  nous  faire  connaître  les  titres^,  mais  qui,  à  l'ex- 
ception d'un  seul,  n'ont  point  passé  en  Europe,  et  que  je  n'ai  vus  cités 
par  aucun  des  écrivains  de  l'Orient.  Tels  sont  le  Khclaset-alakhbar,  le 
Maâthir-atmobuk  iljJii  jJ'L*  (les  actes  remarquables  des  rois),  le  Akkbar- 
atahhiar j\it^^\ j\ii^\  (les  histoires  des  hommes  vertueux),  le  Destour- 
alvttxara  f\jjfi\  jy/Jm^  [la  règle  des  vizirs).  Le  second  de  ces  ouvrages 
parait  avoir  été  un  livre  peu  étendu,  car  l'auteur  le  cite  "  sous  le  litre 
de  risaîek  *JUy,  c'est-à-dire  «opuscule.  » 

Sous  le  règne  de  Schah-lsmaïl ,  Khondémii-  eut  le  bonheur  de  trou- 
ver des  protecteurs  éclairés  et  puissants,  qui  connurent  son  mérite, 
goûtèrent  ses  écrits,  et  se  firent  un  devoir  de  contribuer  à  l'honiieiir  de 
leur  patrie,  en  favorisant  les  travaux  d'un  des  plus  doctes  écrivains  dont 
s'honore  la  Perse.  Ce  fut  l'an  927  qu'un  personnage  illustre,  l'émir 
Mobammed-alhosaini^,  engagea  khondémir  à  rédiger  un  traité  succinct, 
et  cependant  aussi  complet  que  possible,  qui  renfermerait  tous  les  faits 
de  l'histoire  universelle.  L'auteur  crut  devoir  déférer  à  csette  invitation , 
et  se  mit  immédiatement  à  l'ouvrage.  Mais  bientôt  l'homme  honorable 
dont  les  conseils  et  la  noble  bienveillance  avaient  guidé  notre  autem" 
descendit  au  tombeau*.  Dès  ce  moment,  les  hommes  injustes  et  per- 
vers, que  conteuait  la  sévérité  de  cet  administrateur,  levèrent  la  tôt»», 
se  livrèrent  aux  actes  les  plus  répréhensibles ,  et  le  pays  se  trouva  en 
proie  à  des  troubles  et  à  des  désordres  continuels.  Tous  ces  maux  poi'^ 
taient  le  découragement  dans  l'âme  de  l'auteur  el  lui  faisaient  tomber 


'  Foi.  3i5  r' 
I,  III.  foi.  390 


■  Fol  3i6  r'.  —'  Habily^assiiar.  L.  I,  fol.  a  ï".— * /fut.i-fl«;i< 
-  '  Préface  dn  Hahili-aistiar.  fol.  3  \'.  —  '  Fol,  5  r'.     'i-û 


392  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

la  plume  des  mains.  Plusieurs  mois  s  étaient  écoulés  dans  des  angoisses 
continuelles ,  lorsque  le  gouvernement  de  la  province  du  Khorasan  fut 
confié  aux  mains  habiles  d*un  personnage  distingué,  Aboulmansour- 
Dermesch-khan,  qui  sut,  par  sa  fermeté  et  sa  prudence ,  rétablir  l'ordre 
et  la  tranquillité  dans  cette  contrée  importante.  Il  fut  secondé,  dans 
ses  nobles  desseins,  par  un  homme  d'un  rang  élevé,  d'un  mérite  émi- 
nent,  Kerim-eddin-Habib-ullah.  Ce  personnage,  dont  notre  auteur  fait 
un  éloge  pompeux,  et  dont  il  parle,  en  plusieurs  endroits,  dans  les 
termes  les  plus  expressifs,  était  natif  de  la  ville  d'Ardebil  et  jouissait 
dune  haute  considération  ^  Habib-ullah  aimait,  cultivait  la  science. 
Tous  les  moments  qu'il  pouvait  dérober  aux  soins  de  l'administration 
étaient  consacrés  par  lui  à  l'étude  des  différentes  branches  de  connais- 
sances, et,  en  particulier,  à  celle  de  l'histoire.  Il  se  fit  rendre  compte 
de  l'état  où  se  trouvait  le  travail  de  Khondémir  et  l'engagea  à  pour- 
suivre sans  relâche  la  tâche  honorable  qu'il  avait  entreprise.  L'auteur, 
en  effet,  se  remit  à  l'œuvre  et  ne  tarda  pas  à  terminer  cette  grande 
composition  historique.  Voulant  rappeler  à  la  postérité  le  nom  de  son 
protecteur,  qui,  comme  nous  l'avons  vu,  portait  le  nom  de  Habib-ullah, 
il  donna  à  son  ouvrage  le  titre  de  Habib-assUar  j-a^I  u.ys>^ ,  c'est-à- 
dire  (d'ami  des  biographies.  »  Cet  ouvrage,  que  je  me  propose  de  faire 
connaître  par  des  extraits  étendus ,  est ,  à  coup  sûr,  un  des  meilleurs 
livres  que  les  Persans  aient  composés  sur  l'histoire  universelle.  Rédigé 
sur  le  plan  du  Raouzat-assafa  de  Mirkhond,  dont  il  offre  souvent  un 
abrégé  substantiel ,  il  réunit  toutefois  des  avantages  qui  ne  se  trouvent 
pas  au  même  degré  dans  le  livre  précédent.  La  narration  est  souvent 
moins  sèche,  moins  dépourvue  d'intérêt;  on  y  trouve  l'histoire  de  plu- 
sieurs dynasties  omises  par  Mirkhond.  Des  détails  nombreux ,  emprun- 
tés à  d autres  historiens,  nous  apprennent  bien  des  particularités  inté- 
ressantes, des  détails  piquants  et  instructifs.  Enfin,  l'auteur  a  eu  soin  de 
rapporter,  à  la  fin  de  chaque  règne,  la  vie  des  hommes  distingués,  des 
savants,  des  littérateurs,  qui  ont  fleuri  à  cette  époque. 

Ce  fut,  suivant  le  témoignage  formel  de  l'écrivain,  fan  9 2 7  de  l'hé- 
gire, qu'il  commença  la  rédaction  de  cet  important  travail.  Cette  date, 
que  l'on  ne  peut  révoquer  en  doute,  puisqu'elle  nous  est  fournie  par 
l'auteur  lui-même,  suffit  pour  démontrer  que  le  prétendu  Appendice 
de  l'histoire  de  Mirkhond  ne  saurait  appartenir  à  l'ouvrage  de  ce  chro- 
niqueur. En  effet,  on  y  trouve  cité  le  Habib-assiiar  de  Khondémir.  Or, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu,  celte  composition  historique  n'a  été  com- 

*  Habib'casiiar,  t.  III,  fol.  677  v%  Sgo  r',  Sgi  r*. 


JUILLET  1843.  393 

iiieiicée  que  l'an  927,  et,  par  conséquent,  vingt-quatre  années  après  la 
mort  de  Mirkhond.  On  peut  croire  que  cet  Appendice,  où  l'on  trouve 
partout  reproduites  lextueilcment  les  expressions  de  KhoiuUmir,  appar- 
tient à  un  des  ouvrages  de  noire  auteur,  plutôt  qu'à  celui  de  Mirkhond. 
On  sent  bien  que  Vaccoinplissenient  d'une  si  vaste  tâche  dut  réclamer 
plusieurs  années.  Aussi,  dans  plusieurs  passages^,  l'auteur  indique  l'an- 
née ^2^  comme  étant  celte  dans  laquelle  fut  écrite  une  partie  de  l'ou- 
vrage.  Plus  loin,  il  désigne  également  l'année  gSo*.  Et  c'est  à  cette 
année  que  se  termine  sa  narration  des  faits  qui  concernent  fempire 
persan.  Et,  comme  nous  l'apprend  l'auteur,  cette  date  se  trouve  indi- 
quée dans  les  mots  «LiviUj  ii)j_-HI  ^bt  *,  dont  les  lettres  réunies .  et  éva- 
luées d'après  leur  valeur  numérique,  présentent  le  nombre  gSo.  En 
finissant,  il  adresse  au  ciel  les  souhaits  les  plus  ardents,  et  sans  doute 
les  plus  sincères,  pour  la  prolongation  des  jours  et  de  la  prospérité  du 
monarque  sous  l'empire  duquel  il  semblait  devoir  terminer  sa  carrière. 
Il  ne  se  doutait  pas  que  ce  prince,  objet  de  tant  de  vœux,  allait, 
cette  année  même,  et  h  peine  âgé  de  trentc-huît  ans,  descendre  au 
tombeau  par  une  fin  prématurée.  Il  est  probable  que ,  après  la  mort  de 
Schah-Isma'd ,  des  désagréments  de  plus  d'un  genre  ,  sur  lesquels  l'his- 
toire ne  nous  donne  aucun  détail,  foi-cèrcnt  Khondémir  d'abandonner 
son  pays  pour  aller  se  fixer  sur  une  terre  étrangère;  car  nous  lisons, 
dans  les  Mémoires  de  Baber*,  que  l'historien  Kbondémir,  qui,  avec  plu- 
sieurs autres  littérateurs,  avait  quitté  Uérat  pour  se  rendre  auprès  du 
prince,  arriva  à  sa  cour  l'an  g35  de  i'bégire.  Baber  mourut  l'année  sui- 
vante. Ilumaïoun,  fils  de  ce  conquérant,  mit,  sans  doute,  tout  en  œuvre 
pour  retenir  auprès  de  sa  personne  un  homme  dont  ii  savait  apprécier 
le  mérite  ;  et  ce  fut  en  rhonnei)r  de  ce  prince  que  notre  auteur  rédigea 
un  ouvrage  intitulé  Kanouni-Utimaïoani,  j^^  U^^'  1*^'  ^^^  ^''^  P*" 
Abou'lfazl  dans  son  Atthar-nameh''.  L'an  gi  1  '',  le  sultan  ajatit  entrepris 
une  expédition  dans  les  provinces  qui  avoisinent  le  pays  de  Guzarate ,  . 
l'historien  Kbondémir,  qui  était  Ji  la  suite  de  ce  prince,  fut  atteint  d'une 
dyssenterie ,  dont  la  violence  le  conduisît  au  tombeau.  Il  était  âgé  de  ti  1 
ou  62  ans.  En  vertu  de  ses  dispositions  testamentaires,  son  cercueil 
fut  transporté  à  Dehli,  et  enterré  à  côté  de  la  sépulture  du  scheïkii 
iNizam-eddin-A%'lià  et  d'Emîr-Khosrev.  Kbondémir.  en  plusieurs  en- 
droits de  ses  ouvrages,  eue  des  vei-s qu'il  composa  en  diverses  circons- 
lances.  AliSchir  parle  également  d'une  énigme  dont  Kbondémir  était 


'  Hahib-a»,iar. 

t  m,  fol.  35  r-,  ,i6  V.  1:1.   r*,  3i3  r'.    — 

•  Fol.  5^b  r 

—  '  Fol.  4iA  r*-- 

-  '  Mail.  pcrs.  de  Leroy,  t.  iV,  fol.  aai  v*.  —  ■ 

'  Man.  de  VAr 

,en-i.  toi.  iôArV 

—  '  Firijchub.  Biitoirr  de  l'Inde,  t.  1 ,  p,  /|Oa. 

394  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Tauteur,  mais  ces  morceaux,  peu  étendus,  et,  en  général,  assez  insi- 
gnifiants ,  ne  permettent  pas  d'apprécier  s'il  avait  réellement  pour  la 
poésie  un  talent  tant  soit  peu  remarquable.  Il  nous  apprend  quil  avait 
composé  des  ouvrages  entiers  écrits  en  vers;  mais  aucun  n  est  parvenu 
jusqu'à  nous. 

Dans  mon  article  précédent,  en  examinant  l'histoire  des  Seldjoucides , 
écrite  par  Mirkhond,  et  publiée  par  M.  Vullers,  j'ai  présenté  ime  série 
de  conjectures  qui  ont  pour  but  de  rectAier,  sur  plusieurs  points,  le 
texte  imprimé  ainsi  que  la  traduction.  Je  vais  offrir  à  mes  lecteurs  la 
suite  de  ce  travail,  dont  l'utilité  sera  sentie,  je  l'espère,  par  les  amateurs 
de  la  littérature  orientale. 

Dans  la  phrase  ^  «JCj^liXil  ^^^  vly'^^r^  f^»  9"^  ^'  Vullers  a 
rendue  d'une  manière  trop  peu  littérale,  le  mot^  doit  être  lu^,  et  il 

faut  traduire  :  «  il  construisit  des  édifices  utiles  et  laissa  des  fondations 

pîeoses.  »  Plus  bas^,  au  lieu  de  vf);Os>  ^  ^^K  qui  n'oflre  pas  un  sens 
bien  dair,  il  faut  lire,  je  crois,  «^Ijol>  ^  d^x^UIl  «ce  qu'on  a  laissé 
échapper  n'est  plus  susceptible  de  remède.  »  A  la  page  suivante  ^,  l'au- 
teur nous  apprend  que  le  célèbre  vizir  Nizam-almulk  avait  fait  cons- 
truire un  collège,  appelé,  de  son  nom ,  Nizamiah,  en  dehors  de  la  ville 
de  Basrah,  ^y^\  i^j^j  *^j^'  M.  Vullers  traduit  :  in  der  Nahe  von  Bi- 
rmn-Alawwam,  c'est-à-dire  «  dans  le  voisinage  de  Biraïn-Alawwam.  »  Mais 
il  est  visible  qu'il  s'est  glissé  ici  une  erreur,  qui  consiste  simplement 
dans  l'addition  d'un  point,  et  qui  a  sufiB  pour  bouleverser  toute  la  phrase. 
Il  faut  lire  ^y^^  (^  y^j  v*4H^  »  ^t  traduire  :  «  dans  le  voisinage  de 
Zobaïr-ben-Alawwam.))  On  sait  que  Zobaïr  fut  un  des  plus  célèbres 
compagnons  de  Mahomet.  A  l'avènement  d'Ali  au  khalifat,  Zobair  se 
déclara  l'ennemi  juré  de  ce  prince,  contre  lequel  il  se  ligua  avecTalhah 
et  avec  Aïschah,  l'épouse  favorite  du  prophète.  Les  deux  partis  en  vinrent 
aux  mains  dans  les  environs  de  Koufah.  Cette  bataille,  qui  vit,  pour  la 
première  fois ,  les  musulmans  tourner  leurs  armes  les  uns  contre  les 
autres,  et  qui  porte,  chez  les  Arabes,  le  nom  de  combat  da  chameau,  se 
termina  par  la  défaite  entière  des  ennemis  du  légitime  khalife.  Aischah 
tomba  au  pouvoir  du  vainqueur,  Talhah  fut  tué  sur  la  place.  Zobaïr, 
blessé  à  mort,  expira  dans  la  ville  de  Basrah.  Son  tombeau  existe  en- 
eoM  aujourd'hui  dans  le  voisinage  de  cette  cité  célèbre ,  et  il  est  l'objet 
de  la  vénération  des  musulmans. 

A  la  page  suivante^,  au  lieu  de  a^Ud  ^W^?,  je  n'hésite  pas  à  lire 
'  P.  lai.  —  •  P.  ia3.  —  »  P.  laA.  —  *  P.  laS, 


JUILLET  ISW.  395 

Aï»Ltf ,  «un  songe  véridique.a  C'est  ainsi  que  nous  Usons  dans  le  Lutrin 
de  Boileau  ; 

La  voilà  donc,  Giraad,  cette  hjdre  épouvantable, 
Que  m*a  fait  voir  un  songe,  hélas  1  trop  vérilaMe. 

Les  mots'  lioAlj»-  JUajIjs  ne  sont  pas  bien  rendus,  je  crois,  pai' 
ceux-ci  :  im  Einfihren  ton  Neueran^en,  c'est-à-dire,  «dans  l'introduc- 
tion d'innovations,  n  car  ie  terme  u^j^lj,»-  n'est  pas  réellement  arabe, 
il  faudrait  y  substituer  t^ai,^»-;  mais  il  s'est  glissé  ici  une  faute  de  copiste, 
il  faut  lire  livj'j-*,  et  traduire  :  «lorsqu'il  s'agit  de  concéder  les  héri- 
tages.» Deux  lignes  plus  bas,  au  mot  •XJjitS.â  il  faut  substituer 
Jij|j>><.^,  i7  passe  son  temps.  À  ta  page  suivante  ^,  au  lieu  de  ces  mois 
ciwil  eUi^-lr,  qui  signifient  :  «suivant  l'accord  unanime  de  la  nation,  " 
je  crois  qu'il  faut  lire  «-et  cUva-L-  n  du  consentement  unanime  des 
imams.  "  Plus  loin  ^,  au  mot  oljj  je  substitue  v'j?  •  fi*  j*^  traduis  :  «je 
dis  au  portier.  ...»  Plus  bas  et  dans  une  même  page,  i"  j'adopte  la 
leçon  de  la  marge  cujil  jj ,  et  je  traduis  :  k  il  laissera  la  source  limpide 
de  ses  nobles  qualités  à  l'abri  de  l'inconvi^nient  que  causerait  la  foule 
des  hommes  altérés  qui  peuplent  le  désert  du  besoin;»  3°  je  lis  ^ytH 
au  lieu  de  Jj^ûwt-,  3°  au  lieu  de  u'"^  je  lis  ajIa^,  et  je  traduis  r  «Dieu, 

qui  connaît  ce  qui  est  visible  comme  ce  qui  est  caché,  sait  très-bien » 

Plus  bas*,  au  lieu  de  ces  mots  ax^I  «^Ul  uies  deux  imams  des  imams,  » 
ce  qui  ne  présente  pas  un  sens  bien  clair,  je  lis  t:ii-»3'l  4#Ul  «les  deux 
imams  de  la  nation,  u  Plus  bas ,  dans  la  même  page ,  au  mot  jM,\  •y*^\, 
qui,  je  crois,  n'est  pas  un  nom  propre,  et  qui,  d'aillenrs,  ne  présente- 
rait qu'une  forme  irrégulière ,  il  faut  substituer  .iW.1  «ï»-**.  Ce  titre ,  qui 
signifie  «  la  colonne  de  l'empire,  »  était  celui  que  portait,  à  cette  époque, 
un  des  premiers  fonctionnaires  du  royaume.  Plus  bas  ^,  au  Heu  de  (^^^m  yT 
je  lis  4;«.u.  ^tjl ,  u  pour  ce  motif.  »  Un  peu  plus  loin  ",  on  lit,  dans  le 
te&te imprimé  :  i-**.I  «ajjt  t-f^j**t  {^^  ts^'^^jj^  ■  ■  -klUll^^Uoj  aa-Ijâ.. 
Mais  cette  leçon  est,  je  crois,  fautive,  car  le  mot  u^^  n'offre  ici  aucun 
sens  raisonnable.  Si  je  ne  me  trompe,  il  faut  éciirsjfjjjj,  et  traduire  : 
'(Nizam-ctmulk,  dans  ses  dispositions  testamentaires,  a  consigné  ce 
qui  suit.  »  Plus  bas'',  on  ne  saurait  écrire  i^i^\i-  Jl  b,  mais  il  faut  dire 
usiU  yT  b  II  jusqu'à  ce  moment,  n  Dans  la  même  page  on  trouve  cette 

'  P.  ^i^.  —  '  P.  ia8.  —  '  P.  lag.  —  '  P.  i34.  —  '  P.  137.  —  '  P.  i4o.  — 
'  P,  lia. 


396  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

phrase  :  «ixj  »ii^  *^3  j^  jl>^  *>^^  u'  J'^'^  *<^  u^  ^^^  fis^\iXxA  (jvju^ 
«XJLjç&J  ^  ^l«X^  Jl>3.  m.  Vullers  traduit  :  Fest  àberzeugt  wardass  dièse 
wàrde  and  handert  tausend  andere  in  dem  Gesichte  eines  Gôtzen  and  in  einem 
Kopfàbel  nicht  sitzen  ;  »  c  esl-à-dire  :  «  fêtais  pleinement  convaincu  que 
ce  rang  et  cent  mille  autres  ne  pouvaient  tenir  à  la  vue  d'une  idole,  et 
au  milieu  d'un  mal  de  tête.»  Ce  qui  forme,  comme  on  voit,  un  sens 
assez  peu  clair.  Le  savant  éditeur  a  cru  pouvoir,  dans  sa  note ,  expliquer 
ce  passage  obscur,  quil  paraphrase  de  cette  manière  :  «J'étais  ferme- 
ment persuadé  qu'un  homme  beau  et  distingué  n'était  nullement  propre 
au  rang  de  vizir  ;  et  de  pareilles  places  causent  à  celui  qui  les  occupe 
plus  qu'un  mal  de  tête.  »  Mais  M.  Vullers  ne  s'est  pas  aperçu  qu'il 
s'était  glissé  ici  une  erreur,  causée  par  le  déplacement  d'une  lettre, 
et  qui  a  suflB  pour  changer  complètement  le  sens  de  la  phrase.  Au  lieu 
de  cxj,  idole,  il  faut  lire  t^Jièvre,  et  traduire  :  «Je  savais  parfaitement 
que  ce  rang  et  cent  mille  autres  semblables  ne  peuvent  tenir  contre  une 
fièvre,  conti'e  un  mal  de  tête.»  Quelques  lignes  plus  bas,  l'éditeur  a 

admis  dans  son  texte  le  mot  t^^^f^t  auquel  il  donne  le  sens  de  tromperie^ 

et  il  s'efforce  de  justifier  cette  interprétation;  mais  il  faut  lire  4jW>^ , 
qui  veut  dire  solitude, 

Kus  bas,  après  le  mot  (jvÂ^^A,  on  a  omis,  je  crois,  un  nu)t  qui 
me  paraît  essentiel ,  celui  de  \^*nfC^  des  individus,  et  on  doit  traduire  : 

a  des  individus arrivaient  à  la  suite  les  uns  des  autres.»  Ailleurs  \ 

dans  des  vers  que  cite  Mirkhond ,  l'éditeur  a  lu 


et  ii  traduit:  «O  roi!  maître  du  monde,  si,  durant  trente  ans,  j'ai, 
«  pour  ton  bonheur,  fourni  ma  carrière.  »  Mais  il  faut  lire  jA--i»»  ^^^,  et 
rendre  ainsi  le  vers  :  «  0  roi  !  maître  du  monde ,  par  suite  du  bonheur 
«qui  vous  accompagne,  j'ai  pu,  durant  trente  années,  essuyer,  de 
«dessus  le  visage  du  temps,  la  poussière  de  l'injustice.»  A  la  page 
suivante  ^,  au  heu  de  :>^^\  ^I^Xjij,  il  faut  lire  ^^^1  ^o^,  «  le  nombre  de 
M  ses  enfants.  »  Plus  bas ,  aux  mots  y^j^là  cuJl^  il  faut  substituer 
jjy^  b  <i;JU*,  «l'événement  inévitable,»  c'est-à-dire  la  mort.  Ce  qui 
rappelle  l'expression  de  Virgile  : 

Venit  summa  dies  et  ineluclabile  tempus 
Dardaniœ. 

*  P.  i48.  —  *P.  149. 


JUILLET  1843.  39/ 

Plus  bas ^  au  mot  ^y,  qui  nofTre   aucun  sens,  il  faut   substituei' 

celui  de  ^^j,  et  traduire  «il  voulut  jouer  le  jeu  de  dés »  Dans  ht 

mènie  page,  au  lieu  de  o^^4X^,  il  faut  lire  o^wlo^^  «il  laissa.» 
Plus  bas  ^,  M.  Vullers  ne  paraît  pas  avoir  bien  compris  fexprossion 
J^AàiJl^l,  qui  signifie  un  homme  orgueilleux,  arrogant.  »  Ailleurs  ',  je 
nhésite  pas  à  préférer  la  leçon  d'un  manuscrit,  fji^j  L  «  avec  sa  femme,  » 
à  celle  de  (J^y^  l*,  qui  n  ofire  pas  un  sens  bien  clair.  Deux  lignes  plus 


bas,  on  lit  ces  mots  :  Ij^I^-j^  ^3  A-JûiU^»^  Aju-bi^^l^  *>^j^lrf  \^\:>j^ 
ft^^â»  ^j\y:^  «on  trouva  des  souterrains  remplis  d'hommes  blessés, 

«égorgés ))  M.  Vullers,  embarrassé  de  rendre  les  derniers  mots 

de  la  phrase,  a  traduit  :  «et  ad  muros  Sodomia  exercita.  »  Il  cite,  à 
l'appui  de  son  interprétation,  l'autorité  d'un  lexicographe  persan.  Mais, 
en  supposant  que  cette  étrange  signification  existe  réellement  dans  la 
langue,  elle  ne  saurait  avoir  lieu  ici,  et  je  traduis  simplement  par 
ces  mots  «  ils  étaient  attachés  par  des  clous  à  la  muraille.  »  Ce  qui  rap- 
pelle l'expression  de  Virgile,  lorsqu'il  décrit  l'antre  de  Gacus: 

Foribusque  aflîxa  superbis , 
Ora  virûm  tristi  pendebant  pallida  tabo. 

Ou  bien  ces  mots  signifieraient  simplement  «  attachés  ù  lu  muraille.  >/ 
Car  on  lit,  dans  le  commentaire  sur  le  Secander-nameh  *,  que  «le  mot 
«  ^^\^  désigne  un  genre  de  lien  solide,  avec  lequel  on  attache  sépa- 
«  rément  les  mains  et  les  pieds  des  prisonniers.  » 

Deux  lignes  plus  bas,  au  lieu  de  ^^\M  ^Sym  jj  il  faut  hre  at**y 
^y%\Ji  «avec  les  plus  grands  affronts.»  Dans  la  même  page  (ligne  1), 
à  ^y^^/^^jjt  je  substituerais  :>j^^/^^jj^  «  des  hommes  sages.  »  Ailleurs'', 

le  texte  imprimé  offre  ces  mots  :  »Js»«>^  jd^j^^U?  AdBrtjjâljAJut^^^l 

iS^y^ ,  ce  qui  n'offre  aucun  sens.  Il  faut  lire,  aj??!)  et  ti*aduire  :  «  il 
«  n'avait  pas  vu  cet  événement  sur  la  table  de  son  horoscope.  »  Plus 
loin^  on  lit  :  (A^b  9ô\yà^  j^vX*^  joU^rf ^^^  jU>à  jl^  ùs^,  M.  Vullers 
suppose  que  le  mot  «il*^  doit  se  traduire  par  necessario,  prorsus  ; 
mais  il  s'est  glissé  ici  une  petite  faute.  Je  n'hésite  pas  à  lire  x»Ur^,  et 
je  traduis  :  «je  remettrai  au  trésor,  par  forme  d'amende,  100,000  au- 
tres pièces  d'or.  Dans  l'Histoire  de  l'Inde  de  Firischtah  "^  on  lit  ces  mots  : 
Ajlc;i>  *sjJLmyès  Bùr^\^^  «  douzc  moutous  pris  à  titre  d'amende.  »  Plus 
bas*,  iûLcy^s?-^  qxCàa^  «un  présent  et  une  contribution.»  Ce  mot 
est  dérivé  de  celui  de  ^j^^r ,  qui  signifie  «  amende.  »  C'est  ce  qu'on 


»P.  i54.  —  *P.  i56.  —  *  P.  166.  — *P    ibb,  —  '?.  168. —  •P.  171    — 
'TU,  p.  33.  —  •  P.  657. 


398  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

lit  dans  une  relation  manuscrite  de  la  Perse,  rédigée  par  le  P.  Raphaël 
du  Mans  (fol.  1 1  r.).  Dans  l'Histoire  de  la  dynastie  des  Kadjars  ^  on 
lit  :  cxi^  it^jS' i/uQjp^ y^^j^  jAm  l^iUsrl  «les  ayant  imposés  à  une 
a  somme  considérable,  il  la  leva.  » 

Plus  bas^,  au  mot  g:j^,  qui  n'offre  aucun  sens,  il  faut  substituer 
^V^>  et  traduire  «pour  rendre  la  religion  florissante.»  Plus  bas'«  aux 
mots  ttJsjSé  f^\j  on  doit  substituer  nà^Ji*^  ^^\j  «  n  étant  point  satisfaits.  » 


Plus  bas  *,  l'historien  persan  transcrit  un  vers  ainsi  conçu  : 


M.  Vullers  traduit  «  ceux  qui  te  payaient  tribut  ont  livré  seulement  le 
capital  de  leur  vie.  »  Mais  je  ferai  observer  au  savant  éditeur  que  les 
mots  du  texte  ne  peuvent,  je  crois,  présenter  ce  sens.  Et  je  pense  être 
autorisé  à  traduire  de  cette  manière  :  «les  hommes  qui  ont  apporté,  è 
ton  service,  des  projets  perfides,  ont  sacrifié  le  capital  de  leur  vie.» 
M.  Vullers  ne  s'est  pas  rappelé  la  signification  du  mot  ^jUd,  qui  ex- 
prime laxus,  remissus.  On  lit  dans  ÏAnvari'Sohaili  ^  yYf^  ^i  ^Wd  ^JiuSi\i9 
«  sa  force  était  relâchée.  »  Dans  le  poème  de  Joseph  et  Zuleicha  de 
Djami^  on  lit  ^5lb  ^^Lû^t  «éloigné  de  la  joie.  »  Par  conséquent,  l'ex- 

pression  y^j^'  \^^  doit  se  rendre  par  sacrifier,  dissiper,  »  Plus  bas,  on 

lit  ti^HÈ*^^  *^^  j',  dont  M.  Vullers  ne  me  parait  pas  avoir  bien  saisi  le 
sens,  car  il  ti*aduit  «  le  sultan  l'avait  élevé  du  rang  des  inférieui^  à  celui 
d*émir.  »  Il  fallait  dire  «  du  rang  de  bouffon...  »  Plus  bas'',  au  motjl^AjUi» 
il  faut  substituer  jl^Ail^ ,  ce  qui  est  la  leçon  d'un  des  manuscrits.  Ail- 
leurs, au  lieu  du  mot  yîj^  ^jy^  î'  f^i^^  l^re  (j]yà^  ^jyf.  «l'habitation 
des  Gozzes.  »  Dans  cette  même  page  (ligne  i),  au  lieu  de  XAJb  aj  ^jy>. 

>^  cAA>l^^^«^LiM^{  on  doit  lire  i^j  aj,  et  traduire  :  «lorsqu'il  fut 

de  retour  à  Balkh,  métropole  de  l'islamisme.»  Dans  la  même  page,  au 
lieu  de  «x^mJU  c- vA  •  on  doit  lire  ^{«KaJU  c:»4i*  «  une  poignée  d*homme8 
brouillons.  «  Plus  bas  ^,  au  lieu  du  mot  jt^l ,  qui  n^offre  aucun  sens,  je 
lirais jU«AA.tMt  «faire  des  prisonniers.»  Plus  bas^,  on  trouve  ces  mots  : 
>^  ^yi^kàjiy  ]ôy^  y\  hJkf  JJU  ^T/^^  ^\  ^^^^  1^  ^^ot  ^7  u'cst  pas  ie 
terme  consacré,  en  pareille  matière;  il  faut  lire  Jâii.3,  et  traduire  «les 
recettes  et  les  dépenses  de  l'empire  étaient  réglées  et  consignées  par  sa 
plume.»  Quelques  lignes  plus  bas,  il  faut  restituer  le  mot  2Lm,  ei  tra- 


'  Fol.  162  r*.  _  «  p.  173.  —  *  P.  178.  —  •  P.  181 .  —  *  Fol.  38  ▼•.  —  •  P.  166 
--'  P.  i85.  —  •  P.  190.  —  •  P.  194. 


JUILLET   18/13.  399 

duire  «  ioo  chiens  de  chasse,  n  A  la  ligne  suivante,  au  Heu  de^j  *UA»- 
0  faut  lirCjj  *^A»-  «  des  housses  d'or.  «  A  la  page  suivante  ,  on  trouve 
une  phrase ,  dont,  si  je  ne  me  trompe,  le  traducteur  n'a  pas  parfaite- 
ment saisi  le  sens-,  on  lit  :  cj^y-'^-"  ilj^^Ijmj  i^j^Ij-*;  tabjl  *.tj.»<  *£»!  If 
f^iiyi  j^i..  [f  iiL*j  jjii.i^  |jU«.jlj-.l3  u'^^  Jly*-ljl  jji-ili.  M.  Vullers  tra- 
duit :  "  quoique  le  sultan  restât,  la  plupart  du  temps,  dans  son  harem , 
ii  était  cependant  aussi  bien  instruit  des  affaires  de  l'administration  que 
des  secrets  des  ménages  et  de  ceux  des  belles  filles.  »  Mais  le  traducteur 
ne  s'est  point  aperçu  qu'il  a  introduit  daas  son  texie  une  leçon  vi- 
cieuse, qui  en  change  absolument  le  sens-,  au  motjJi:^^  il  faut  substi- 
tuer _ji^a,  et  traduire  :  «  quoique  le  sullan  consacrât  la  plus  grande  parlie 
de  son  temps  à  la  galanterie  et  aux  plaisirs,  iHtait  parfaitement  instruit 
des  affaires  de  l'administration,  des  secrets  de  l'arithmétique  et  de  la 
gestion  financière.»  A  la  page  suivante',  au  lieu  de  <^nîS^  ii  faut  lire 
*-jljy,  et  traduire  :  «les  gages  des  habitanls.»  Plus  bas^,  on  trouve  un 
vers  conçu  en  ces  termes  : 

L'éditem-  traduit  :  «si  la  faveur  et  la  puissance  dépassent  les  bornes, 
l'homme  de  cceur  porte  l'arc  avec  négligence,  n  Mab  celte  version  ne 
me  paraît  pas  fidèle.  D'abord  le  mot  i^U  ne  saurait  avoir  le  sens  de 
puissance.  En  second  Ueu,  ce  sens,  cxislàt-il,  ne  pourrait  convenir  à  la 
phrase  qui  est  sous  nos  yeux.  Je  crois  qu'il  faut  lire  i^jl^,  et,  dans  fhé- 
mistichc  suivant,  on  doit  substituer  àj? le  mot  jli.  et  traduire  ;  «si  la 
bienfaisance  et  l'amilié  vont  au  delà  des  bornes,  un  homme  de  cœur 
voit  dans  cette  conduite  de  la  lâcheté.»  Plus  bas',  il  faut  substituer 
ij^y^>  ^  i  t:^j^sji.  A  la  page  suivante  *,  je  crois  que  M.  Vullers 
a  eu  tort  de  subslituer  cajUïlj  à  la  leçon  <jij\ji^  ,  que  présente  un  des 
manuscrits ,  et  qu'il  faut  traduire  :  «  lorsque  l'avant-garde  de  l'armée  du 
printemps  eut  élevé  l'étendard  qui  annonce  que  Dieu  rappelle  la  lerre 
de  la  mort  à  la  vie.  n 

A  la  page  suivante*,  au  lieu,  de  ^tA,»ti  ^L>i  t>  il  faut  lire  iU-iL 
^IJuJU  «ù  f  instigation  des  hommes  pervers.»  Quelques  lignes  plus 
bas  je  n'hésite  pas  à  substituer  j^lx».*  au  mot  i^j^^-  Plus  bas^.  au  lieu 
de  tii/^j^  je  lis  vajjJ  ,  et  je  traduis  :  "je  t'ai  établi  pour  repousser  l'en- 
nemi.d  A  la  page  suivante,  ua^Ij»  doit  remplacer  «^^Ijj.  Quelques 
lignes  plus  bas,  je  lis  JMi>>^uil  ne  sait  pas,  »  au  lieu  de  JùtJt^  «  il  sait;  » 

'  P.  iq6.  —  •  P.  aoi.  —  '  P.  loU.  —  '  P.  ao5  —  '  P.  ao6.  —  '  P.  s  i3.  — 


400         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  <^y^  au  lieu  de  caa>^.  A  la  page  suivante,  je  substitue  JOuUamj  à 
*>oiXjlL**.j,  je  lis  o^J^lrf^i  au  lieu  de  (j^^l;!^;  et,  enfin,  c:*UC»»»  au  lieu 
de  cy\<-N.*j.  Plus  bas*,  on  lit  dans  le  texte  imprimé jU^>jà  k  ^yj* 
•xJUitr^Uj  (^X^  j\  AK^i>;  M.  VuUers  traduit  :  a  il  ordonna  qu  on  les  pendit 
publiquement  sur  le  bord  du  Tigre.  »  Mais  il  s*est  glissé  ici  une  petite 
faute;  au  lieu  de  ^J-Xii»  il  faut  lire  ^jA*.,  et  traduire  :  «il  ordonna  quon 
les  pendit  parle  cou.  »  Telle  est,  en  effet,  Texpression  qu  emploie  cons- 
tamment Mirkhond.  On  lit  dans  son  Histoire  des  Sassanides  (p.  196): 

Jwuûwl*xJl-?jb  jj  xxi^^J  d^  j'  ^JJ^^3J*^  ^  ^y^^  "P^  50"  ordre,  le 
fils  du  vizii'  fut  pendu  par  le  cou  et  laissé  sur  la  potence.  »  On  trouve 
ailleurs,  avec  le  même  sens,  ;^4>  \r  r"i  (^i^  ou  ^«>  <  •^Ci^  (^X^.  On 
lit  dans  le  Habib-assiiar  de  Khondémir  (t.  III,  fol.  298  v*)  :  îjto-ljj^. 
^jA>? . . .  «on  pendit  le  khodjah.  »  Ailleurs  (fol.  286  r*), 
^JJ>?  \j^\  \jjx^  U^'  £^*^  (jUal^  «  le  sidtan  Bedi-ezzeman- 
Mirza  le  fit  pendre.»  Dans  THistoire  de  l'Inde  de  Firischtah  (t.  I, 
p.  139):  *>ô*>sjUi5' ^jA^  «àj^l  »>Ijî;*^  lyl».  (jyft^l  «on  amena  Amin- 
Khan  auprès  de  la  porte  et  on  le  pendit.  »  Plus  loin  (p.  3 1 1  )  t;vi);U«  ^iLL» 

*xj«Xa-ûS' (^X^  •^'jD^  ^.^^  «  on  pendit  Melek- Moubarak  près  de 

la  porte.»  Plus  bas,  dans  cette  pbrase^,  j^  lyfjylj  Ir*'  ^yLm,*  ^IkJLw 
(  AiûlOs^)  amJs^  ^U  ^sMêS ,  M.  Vullers  a  cru  devoir,  par  conjecture, 
substituer  à  la  leçon  des  manuscrits  le  mot  turc  vdb;^! ,  qui  signifie  $0- 
cias,  mais  ce  changement  nest  pas,  je  crois,  bien  heureux.  La  leçon  du 
texte  doit  être  maintenue.  J  ai  expliqué  ailleurs  le  mot  ^jjy',  qui  signifie 
le  quartier,  les  tentes;))  et  je  traduis  :  «le  sultan  Masoud  ayant  laissé 
dans  la  ville  d'Asad-abad  ses  émirs  et  ses  tentes.  »  A  la  page  suivante, 

au  lieu  de  :>y4^^  g  î;u^^^»  ^^  fl"^  n'offre  réellement  aucun  sens,  il  faut 
lire  ^^i^^A^  ^1;,  et  traduire  «dans  la  balance  de  l'intelligence  il  l'empor- 
tait sur  tous  les  guerriers  du  monde.»  Un  peu  plus  bas,  je  lis  jjJ^Juu 
«sans  pareil»  au  lieu  de^^lâJUj.  Ailleurs^  le  texte  imprimé  porte  ces 

mots  :  AA^Iâ  »l50  :>\JJu  (^b^i^  :>yD  i^^^j^  ^^^P^;-^  ;'  |/>UiJ^  ^[y^\ 
M.  Vullers  traduit:  «jusqu'à  ce  que  Ton  eut  arraché  les  trésors  du  sul- 
tan des  griffes  de  la  colère ,  et  que  Ion  eut  heureusement  établi  des 
troupes  pour  veiller  à  la  défense  de  Bagdad.  »  Mais  cette  version  ne  me 
parait  pas  exacte  ;  il  faut  changer  deux  mots  de  la  phrase ,  substituer 
caaap  à  o%Aâtp,  ^yj  à  ^3-^,  et  traduire  «  on  préservera  les  trésors  du  sul- 
tan des  griffes  de  la  rapacité  des  hommes  sans  aveu  et  de  la  populace 

»p.  ai6.  —  '  P.  ai8.  —  ^  P.  327. 


JUILLET  1843.  401 

de  Bagdad.  »  Un  peu  plus  loin  ',  au  lieu  du  mot  i^j-**3,  qui  n'oflre  au- 
cun  sens ,  il  faut  lire  (Sj-^  «  animosité.  »  Plus  bas^,  je  lis ,  dans  une  même 
phrase,  v.jLlio  au  lieu  de  uiJ^,  et  je  traduis  :  «la  somptuosité  des  ali- 
ments et  des  boissons.»  A  la  ligne  suivante,  je  substitue >^  à  (jmS^\ 
plus  loin,  à  ^t  je  substitue  cr^,  et  enfin  *x.»*l  à  ^^*x.»*l.  Plus  loin',  au 
lieu  de  Al4^^^  il  faut  lire  x^S.  Quelques  lignes  plus  loin,  le  texte  porte 

»àL)  ^\jJti\^  US"I^;  M.  VuUers  traduit  :  «où  nous  étions,  cela  suffit.» 
Mais  je  crois  qu*il  faut  lire  ^UiJl,  et  traduire  :  wlà  où  nous  sommes,  la 
mortalité  augmente.  »  Plus  bas,  le  nom  de  la  forteresse  doit  être  lu,  au 

lieu  de  ^Lô^^j^Lk^jI  ,  ^Ia^^^Um;!  ,  c  est-à-4ire  u  la  conquête  d'Ârslan.  »> 
A  la  page  suivante ,  j*avais  cru  devoir  lire  <i)^^  «  un  homme  misérable  » 
homancioy  au  lieu  de  *2J;*Xj  ;  mais  ce  dernier  mot  se  trouve  dans  le  Schah- 
nâmeh  (t.  U,  p.  SaS),  où  on  lit  :  ^lji*>o  «i(;*>v  ^^l  «0  homme  pervers 
«  et  mal  né  !  »  Par  conséquent,  il  n'est  pas  nécessaire  de  changer  la  leçon 

du  texte.  Plus  bas*,  je  n'hésite  pas  à  lire  pbl  ^VkX^  «  le  sultan  des  hom- 
mes »  au  lieu  de  -U*  ^IkX*»»,  qui  n'offre  réellement  point  un  sens  clair. 

Plus  bas^,  nous  trouvons  ces  mots  :  «>wt\  o»S^^.jà  c^yW  j.  ^If  ylJU^; 
M.  Vullers  traduit  :  «  un  vent  si  extraordinaire  s  éleva,  »  mais  cette  ver- 
sion ne  me  parait  pas  suffisamment  exacte  :  le  mot  jUi,  en  persan,  si- 
gnifie «  besoin.  »  De  là  on  forme  l'épithète  jW  j  «  qui  est  sans  besoin,  » 
qui  s'emploie  comme  un  titre  ajouté  au  nom  de  Dieu,  attendu  que 
c'est,  par  excellence ,  l'être  qui  n'a  besoin  de  rien  ni  de  personne.  Si  je 
ne  me  trompe,  l'expression  ^^jU»  j.  ^l*  désigne  «un  vent  envoyé  de 
Dieu;  le  vent  de  la  colère  divine.  »  Et  il  faut  traduire  :  «  le  vent  de  la  co- 
lère divine  souflla  avec  tant  de  force....  »  C'est  ainsi  que,  dans  un  pas- 
sage du  Habib-assUar  de  Khondémir  ^ ,  on  lit  v^jtô  j^  j-^j^  «  le  tour- 
«  billon  de  la  colère  divine.  »  Dans  l'Histoire  de  l'Inde  de  Firischtah  "^ 
on  lit  ces  mots  :  (;•>».  c^i  c^^  k$^  Ji  v^^h^^  «  ^^  torrent  de  la  colère 
«divine  commença  à  couler.  »  Et  plus  loin  *  :  »*>^3  (S^  «^  >  j  ^^ — ? 
«  le  vent  de  la  colère  divine  souffla.  » 

Plus  bas^  au  lieu  de  oi^U^^  ^  j^  j^  lis  owU^^  (^  j^»  et  je 
traduis  :  «  il  ne  manquait  aucune  occasion  d'opprimer  et  de  dénoncer 
les  principaux  personnages  de  l'État.  »  Quelques  lignes  plus  bas ,  au 
lieu  de  jûL^I  ^j-^j,  je  lis,  comme  je  l'ai  fait  plus  haut,  t^lylj  ^y^j'^ 
c'est-à-dire  «les  hommes  sans  aveu  et  la  populace.  »  Ailleurs  ^^,  les  mots 

*P.  23o.  — *P.  a3a.— 'P.  236.  — *P.  aAo.  —  *  P.  a44.  —  *  T.  III,  fol.  3ii 
V.  —  '  T.  II,  p.  636.  —  •  P.  638.  —  •  P.  a46.  —  "  P.  aAg. 

5i 


402  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

aX*mI>^  yU*  jl  u'^*>^  b^'  '^^  signifient  pas  uTayant  pendu  à  la  corde 
d'un  arc,»  mais  «Tayant  fait  périr  en  l'étranglant  avec  la  corde  d'un 
are.»  Plus  loin^  fauteur,  parlant  des  ouvrages  composés  sur  fliistoire 
de  la  dynastie  des  Seldjoucides,  désigne  une  chronique,  dont  il  dit  : 

:>^  Jk^  AJuI^  JT  |A*.L  »*Xd*:iL*  J^ljljl  iS^,  Aâ>.  M.  Vullers  traduit  : 

«qu'un  Molhid  distingué  a  composée  pour  cette  dynastie.  »  Mais  je  ne 
saurais  admettre  ni  cette  leçon  ni  cette  version.  Si  Mirkhond  avait  voulu 
parler  des  MoOiid,  c'est-à-dire  des  Baténiens,  des  Ismaéliens,  il  est  bien 
douteux  qu'il  eût  employé,  relativement  à  eux,  f expression  J-«d>ljl  jl  t^ 
u  un  des  plus  excellents  d'entre  eux ,  »  attendu  que  ces  sectaires  ont  tou- 
jours été  en  exécration  des  musulmans,  qui  n'auraient  jamais  consenti  à 
les  désigner  par  un  titre  honorable.  Je  crois  donc  que  la  leçon  »«x.»*^ 
est  tout  à  fait  fautive.  Celle  que  présente  un  des  manuscrits,  c'est-à- 
dire  »«XjixA^,  se  rapproche  plus  de  la  véritable.  Si  je  ne  me  trompe,  il 
faut  lire  «Js^^svi^,  et  traduire  :  «une  chronique  qu'un  des  hommes  les 
plus  distingués  par  son  mérite  a  consacrée  spécialement  à  f  histoire  de 
cette  dynastie.))  A  la  page  suivante,  au  lieu  de  xJû-tûJcè» j.AAiJbj*x* 
Jsî'  ciA-fcwJjj^,  je  lis  aXamIj^  ,  et  je  traduis  :  «nous  lui  demandons  par- 
don de  notre  négligence  précédente.  » 

Ces  mots  2,  UU  ^ji  JlJ  jI  .Xju  JJAI  ,  sont  rendus  par  M.  Vullers  : 
«  le  roi  est  éloigné  ;  il  ne  voulait  pas  s'approcher  du  vainqueur.  » 
Mais    cette  version  me  parait  peu  exacte.  Du  reste,  je   n'hésite  pas 

à  lire  avec  lui  ÇJ^  au  lieu  de  Ui^ ,  que  présentent  les  deux  ma- 
nuscrits, et  je  traduis  :  aie  trône,  après  la  mort  d'Abou-Leïlâ ,  appar- 
tiendra à  celui  qui  sera  victorieux.))  Dans  la  même  page,  au  lieu  de 
^«Xp  «une  excuse,  ))  il  faut  lire  c^*>^  «une  perfidie.))  A  la  page  sui- 
vante^, à  ces  mots,  ^[^^  p«V  ^'  ^-^^j^t  que  M.  Vullers  traduit; 

((ich  hahe  erst  erkennt  am  auflosen  der  schalden,))  il  faut  substituer 
A^l^jJl  pirf  ,  et  traduira  :  «je  sais  que  Dieu  peut  rompre  et  faire  échouer 

les  projets.  ))  A  la  ligne  suivante,  on  trouve  le  terme j^Um^ju»!  ,  qui  a 

fort  embarrassé  M.  Vullers.  Il  n'a  pas  hésité  à  changer  cette  leçon  et  à 
y  substituerj^U»^^*^!,  et  il  le  rend  par  «un  général  d'un  rang  infé- 
rieur. ))  Mais  je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  admettre  une  pareille  alliance 
de  mots.  En  faisant  un  bien  léger  changement,  je  lis  j^L*o.^>.iwl ,  que 
je  traduis  par  «général.»  Plus  bas*,  après  le  mot  ^]y^,  un  des  ma- 
nuscrits ajoute  cK^bl.  Cette  leçon,  qui  n'offre  aucun  sens,  conduit  natu- 

*  P.  aSo.  —  *  P.  a5a.  —  '  P.  a53.  —  *  P.  aSy. 


JUILLET  1843.  403 

rellement  à  la  véritable.  Il  faut  lire  JUïl,  et  traduire  :  «après  avoir  ap- 
pris les  revers  de  fortune  et  le  renversement  de  la  puissance  des  Seld- 
joucides.  »  Plus  loin^  le  texte  porte  *>^— *î  ^^^j^j^^^^  ,  ce  qui  n  offre 
pas  un  sens  bien  clair;  je  crois  qu  il  faut  lire  «>^'jiH  »  ^^  traduire  :  «le 
cheval  entra  en  fureur,  s  emporta.  »  Immédiatement  après,  ces  mots  : 
.<--wUa-*  ^jyi  ^i|^^*l>u^,  doivent  se  rendre  de  cette  manière  :  «au  mo- 
ment de  mourir,  n ambitionne  pas  la  grandeur.»  A  la  page  suivante ^ 
dans  les  vers  qua  transcrits  Thistorien  persan,  on  trouve  ces  mots  : 
:>y^  âjjm  Jl?  dUju  \i  yi  j^  j\  ^^:>.  M.  VuUers  traduit  :  «hier,  il  y  avait 
encore  une  nuit  de  distance  entre  ta  tête  et  le  ciel.  »  Mais  je  crois  qu'il 
faut  s  en  tenir  à  la  leçon ^)-^,  que  présente  un  des  manuscrits,  et  tra- 
duire :  «hier,  depuis  ta  tête  jusqu'au  ciel  il  n'y  avait  que  l'espace  d'une 
coudée.  »  Plus  bas  ^,  au  lieu  de  AJUilJ^.^  \yXjl  I^UyL«,  que  M.  Vullers 
traduit  :  «ayant  enfin  abandonné  Soleïman,»  il  faut  lire  ^^,  et  tra- 
duire :  «ayant  laissé  Soleïman  tout  seul.» 

Telles  sont  les  observations  que  m'a  suggérées  une  lecture  attentive 
de  l'Histoire  des  Seldjoucides  de  Mirkhond.  J'ai  supprimé  un  assez 
grand  nombre  de  remarques  qui  auraient  pu  paraître  minutieuses.  Je 
crois  que  les  personnes  qui  attachent  quelque  prix  à  la  littérature  per- 
sane me  sauront  quelque  gré  du  soin  que  j'ai  pris  de  revoir,  d'un  bout 
à  l'autre,  le  texte  et  la  traduction,  et  de  jeter  sur  le  papier  les  notes 
nombreuses  qui  pouvaient  contribuer  à  améliorer  l'un  et  l'autre.  Je 
n'ai  eu  d'autre  but  que  la  vérité,  d'autre  désir  que  d'être  utile  à  ceux 
qui  suivent  la  carrière  de  l'érudition  orientale.  Je  soumets  volontiers 
mes  critiques  au  savant  éditeur  lui-même,  et  j'ose  me  flatter  qu'elles 
ne  lui  paraîtront  pas  dénuées  de  fondement ,  ni  tout  à  fait  superflues  ^. 

QUATREMÈRE. 

^  P.  260.  —  *  P.  261.  —  ^  P.  266.  —  *  Dans  l'article  précédent,  j'ai  dît  que  le 
niot  Qfy^  désignait  a  un  guide.  ■  Il  prend  également  la  forme  (^yJL  •  Dans  le 
Matlaassaadeîn  (t.  I,  fol.  1 18  v*")  on  lit  :  J^l^  ;^jJL  IftJOu  JsJ^^U^  oU'JX  %i^l 
«  si  on  donne  Tordre,  Tesclave  servira  de  guide.  »  Mus  bas  (fol.  i35  v*)  :  i^L  Sy^ 
Jwft^  w%a3'  •  ils  serviront  de  guide  sur  le  chemin  de  Tebriz.  »  Ailleurs  (f.  1 54  v*)  : 
irfûl*  jv  y  «je  servirai  de  guide.  »  Plus  bas  (fol.  161  v')  :  *^  v  ^  ^  yr  ^  f  !>-*' 
Js«M  (M^j^^A)^  «l'ayant  pris  pour  guide,  il  se  dirigea  vers  Mârdin.  •  Et  enfin 
(f.  16Â  r*)  :  aa^Um  (£5Vi->«  S)^  MJ^jj^ii^)  «ce  prince  ayant  désigné  des  guides.» 


5i. 


404  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Revue  des  éditions  de  Baffon. 

TROISIÈME    ARTICLE. 

Système  de  Buffon  sur  la  génération. 

Nous  avons  vu  les  idées  positives  de  Buffon  sur  l'économie  animale. 
Voici  son  système. 

Ce  que  je  remarque  d abord,  c'est  que  BuflPon,  à  côté  d*une  théorie 
positive,  met  presque  toujours  un  système  :  à  côté  de  sa  théorie  de  la 
terre  il  met  ses  hypothèses  sur  la  formation  des  planètes;  à  côté  de  ses 
idées  expérimentales  sur  l'économie  animale  il  met  son  système  sui*  la 
génération. 

Il  met  ces  choses  à  côté  les  unes  des  autres  et  ne  les  confond  pas  ; 
au  contraire,  il  a  grand  soin  de  les  séparer.  Il  commence  son  discours 
sur  la  formation  des  planètes  par  ces  paroles  :  «  Nous  nous  refusons 
d'autant  moins  à  publier  ce  que  nous  avons  pensé  sur  cette  matière , 
que  nous  espérons  par  là  mettre  le  lecteur  plus  en  état  de  prononcer 
sur  la  grande  différence  qu'il  y  a  entre  une  hypothèse ,  où  il  n'entre  que 
des  possibilités,  et  une  théorie  fondée  sur  des  faits;  entre  un  système, 
tel  que  nous  allons  en  donner  un  dans  cet  article  sur  la  formation  et 
le  premier  état  de  la  terre ,  et  une  histoire  physique  de  son  état  actuel , 
telle  que  nous  venons  de  la  donner  dans  le  discours  précédent  ^  » 

Il  commence  l'exposition  de  son  système  siu*  la  génération  par  dé- 
clarer nettement  qu*i7  cherche  une  hypothèse^, 

Bufifon  lie  Descartes  à  Newton.  Il  fait  encore  des  hypothèses  et  des 
systèmes  conune  Descartes;  mais  déjà  il  sépare  l'expérience  des  hypo- 
thèses ,  et  c'est  un  pas ,  im  grand  pas  vers  Newton ,  vers  ce  Newton  qu'il 
a  traduit,  et  qui,  le  premier  des  hommes,  a  eu  la  force  de  s'en  tenir 
à  l'expérience. 

BuflPon  a  traduit  Newton,  il  a  traduit  Haies,  et  il  a  écrit  les  phrases 
qui  suivent  :  «  En  fait  de  physique ,  on  doit  rechercher  autant  les  expé- 
riences que  l'on  doit  craindre  les  systèmes C'est  par  des 

expériences  fines,  raisonnées  et  suivies,  que  l'on  force  la  nature  à  dé- 
couvrir son  secret  ;  toutes  les  autres  méthodes  n'ont  jamais  réussi ,  et 
les  vrais  physiciens  ne  peuvent  s'empêcher  de  regarder  les  anciens  sys- 
tèmes comme  d'anciennes  rêveries  ,  et  sont  réduits  à  lii*e  la  plupart  des 

*  T.  I,  p.  188.  —  '  «Cherchons  donc  une  hypothèse  qui  n'ait  aucun  des  défauts 
dont  nous  venons  de  parier. . .  • .  •  T.  III,  p.  48. 


JUILLET  1843.  40& 

nouveaux  comme  on  lit  les  romans 11  ne  s  agit  pas ,  pour  être 

physicien ,  de  savoir  ce  qui  arriverait  dans  telle  ou  telle  hypothèse 

il  s'agit  de  bien  savoir  ce  qui  arrive,  et  de  bien  connaître  ce  qui  se  pré- 
sente à  nos  yeux  ;  la  connaissance  des  effets  nous  conduira  insensible- 
ment à  celle  des  causes,  et  Ton  ne  tombera  plus  dans  les  absiu'dités 
qui  semblent  caractériser  tous  les  systèmes.  En  effet ,  Texpérience  ne 
les  a-t-elle  pas  détruits  successivement?.  . . .  Amassons  donc  toujours 
des  expériences,  et  éloignons-nous  de  tout  esprit  de  système  ^ » 

Buffon  tient  à  deux  époques,  à  deux  esprits,  à  deux  philosophies 
opposées.  Il  a ,  de  la  philosophie  de  Descartes ,  le  goût  des  hypothèses*, 
il  a ,  de  la  philosophie  de  Newton ,  le  respect  de  Texpérience.  Et  voilà 
pourquoi  Ton  trouve  dans  Buffon,  touchant  ce  qu'il  y  a  de  plus  fonda- 
mental dans  la  science,  touchant  la  méthode,  les  idées  les  plus  sages, 
les  plus  saines ,  les  plus  sévères  même,  et,  tout  à  côté  de  ces  idées,  des 
systèmes. 

Je  vais  examiner  le  système  sur  la  génération:  et  ce  que  j'y  cherche, 
c'est  beaucoup  moins  l'opinion  particulière  de  Buffon  sur  le  mystère 
à  jamais  impénétrable,  sans  doute,  de  la  génération,  que  Buffon  lui* 
même,  c'est-à  dire  que  Buffon  étudié  sous  une  nouvelle  face,  que  Buffon 
étudié  quand  il  imagine  un  système. 

Quatre  idées  principales,  ou,  plus  exactement,  quatre  hypothèses 
réunies,  constituent  le  système  de  Buffon.  La  première  est  l'hypothèse 
des  germes  accamalés ;  la  seconde  est  celle  des  mx)ules  intérieurs;  la  troi- 
sième est  celle  des  molécules  organiques;  la  quatrième  est  l'hypothèse, 
fort  ancienne,  mais  renouvelée  par  lui,  des  générations  spontanées. 

I.  Hypothèse  des  germes  accumulés. 

((  Sans  nous  attacher,  dit  Buffon ,  à  la  génération  de  Thomme  ou-à  celle 
d'une  espèce  particulière  d'animal,  voyons,  en  général,  les  phéno- 
mènes de  la  reproduction;  rassemblons  des  faits  pour  nous  donner  des 
idées  ^,  et  faisons  l'énumération  des  différents  moyens  dont  la  nature 
fait  usage  pour  renouveler  les  êtres  organisés.  Le  premier  moyen ,  et 
le  plus  simple  de  tous ,  est  de  rassembler  dans  un  être  une  infinité 
d'êtres  organiques  semblables,  et  de  composer  tellement  sa  substance, 

'  Préface  de  la  traduction  de  la  Statique  des  végétaux,  de  Haies,  p.  8.  — 
*  •  Rassemblons  des  faits  pour  nous  donner  des  idées.  •  Je  prie  que  Ton  remarque 
ces  paroles ,  et  je  les  rappellerai  plus  d*une  fois ,  car  elles  sont  Texpression  du  pro- 
cédé le  plus  habituel  de  Buffon  :  il  rassemble ,  il  combine  des  faits  pour  sê  donner 
des  idées. 


406         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qu'il  n*y  ait  pas  une  seule  partie  qui  ne  contienne  un  germe  de  la  même 
espèce,  et  qui,  par  conséquent,  ne  puisse  elle-même  devenir  un  tout 
semblable  à  celui  dans  lequel  elle  est  contenue.  Cet  appareil,  continue- 
t-il ,  parait  d*abord  supposer  une  dépense  prodigieuse  et  entraîner  la 
profusion;  cependant  ce  nest  qu'une  magnificence  assez  ordinaire  à  la 
nature,  et  qui  se  manifeste  même  dans  des  espèces  communes  et  infé- 
rieures, telles  que  sont  les  vers,  les  polypes,  les  ormes,  les  saules»  les 
groseillers  et  plusieurs  plantes  et  insectes  dont  chaque  partie  contient 
un  tout,  qui,  par  le  seul  développement,  peut  devenir  une  plante  ou 
un  insecte  ^.  » 

On  voit  assez  quels  sont  ici  les  faits  sur  lesquels  BufTon  s*appuie.  Au 
moment  où  il  imaginait  son  système,  Trembley  venait  de  publier  ses 
expériences  sur  les  polypes  ;  Bonnet  publiait  ses  expériences  sur  les  vers 
d'eau  douce.  Des  polypes,  des  vers,  avaient  été  coupés  par  morceaux, 
et  chaque  morceau  avait  reproduit  un  ver,  un  polype  entier.  Tous 
les  esprits  étaient  occupés  de  ces  étonnantes  merveilles.  Buffon  vit  ces 
beaux  faits;  et,  presque  aussitôt,  il  y  vit  le  premier  anneau  de  toute 
une  nouvelle  chaîne  d'idées ,  de  tout  un  nouveau  système  ;  mais  il  n'y 
vit  ce  premier  anneau  de  toute  une  nouvelle  chaîne  d'idées,  que  parce 
qu'il  substitua  au  fait  l'interprétation  du  fait. 

Quand  Buffon  dit  qu'il  y  a  «une  infinité  d'êtres  organiques  sem- 
blables ,  n  quand  il  dit  que  «  chaque  partie  cpntient  un  germe  de  la 
même  espèce, »  il  croit  ne  dire  que  le  fait;  mais  ce  qu'il  dit,  c'est  la 
manière  dont  il  conçoit  le  fait  ;  et  cette  distinction  est  ici  capitale. 

Quand  je  dis  qu'un  polype  étant  coupé  par  morceaux,  chaque  mor- 
ceau reproduit  un  polype  entier,  je  dis  le  fait.  Mais,  quand  j'ajoute 
qu'il  y  a  une  infinité  d'êtres  organiques  semblables ,  qu'il  y  a  autant  de  germes 
que  de  parties  ^,  je  dis  la  manière  dont  je  conçois  le  fait.  A  l'idée  de  re- 
production, qui  m*est  donnée  par  le  fait,  j'ajoute  l'idée  d'êtres  organiques 
semblables ,  l'idée  de  germes,  qui  ne  m'est  donnée  que  par  mon  esprit  : 
car  d'où  sais-je  qu'il  y  a  une  infinité  d'êtres  organiques  semblables?  d'où 
sais-je  qu'il  y  a  des  germes? 

Je  coupe  la  tête  à  un  ver,  et  ce  ver  reproduit  sa  tête  ;  je  lui  coupe  la 
queue,  et  il  reproduit  sa  queue;  je  lui  coupe  la  tête  et  la  queue,  et  il 
reproduit  une  tête  et  une  queue.  Il  y  a  donc  non-seulement  des  germes, 
mais  des  parties  de  germes,  des  germes  qui  contiennent  précisément  ce 
qu'on  coupe ,  et  qui  ne  contiennent  que  ce  qu'on  coupe  '. 

^  T.  m,  p.  a5.  — -  *  Oa,  ce  qui  revient  au  même,  que  chaque  partie  contient  un 

germe  de  la  mime  espèce,  -—  '  Bonnet  dit  sérieusement  :  « N*es^ce  point  qa*il 

existe  dans  toute  l'étendue  de  la  jambe  des  germes  qu'on  pourrait  appeler  réparo' 


1843. 


Je  c 


JUILLET 

;alamandre 
;  je  iui  coupe  un  bras,  et 


407 


main ,  et  elle  reproduit  u 


e  coupe  a 
pied  et  une  main;  je  iui  coupe  un  bras,  et  elie  reproduit  un  bras  tout 
entier  ;  je  lui  coupe  une  jambe ,  et  elle  reproduit  une  jambe  tout  en- 
tière. 11  y  a  donc  des  germes  qui  ne  contiennent  que  des  pieds,  que 
des  tnains;  et  il  y  on  a  d'autres  qui  contiennent  non-seulement  des 
maiuK  et  des  pieds,  mais  un  bras,  un  avant-bras,  une  main,  ou  une 
cuisse,  une  jambe,  un  pied'. 

Bonfieta  coupé,  jusfju'à  six  et  sept  fois  de  suite,  à  une  salamandre  le 
même  membre,  et  cette  salamandre  a  reproduit,  jusqu'à  six  cl  sept  fois 
de  suite,  le  même  membre".  Il  y  a  donc,  pour  chaque  partie,  plusieurs 
germes,  et  toujours  les  germes  qu'il  faut,  des  germes  qui  ne  repro- 
duisent jamais  que  les  parlies  que  l'on  coupe  ^. 

Mais  que  sont  de  tels  gcmies?  Que  sont  des  germes  qu'on  suppose 
de  toutes  les  façons,  pour  répondre  à  toutes  les  circonstances  des  faitsi' 

"En  considérant,  dit  Bulfon,  sous  ce  point  de  vue,  les  êtres  orga- 
nistes et  leur  reproduction  ,  un  individu  n'est  qu'un  tout  unilbrmément 
oi^anisé  dans  toutes  ses  parties  intérieures,  un  composé  d'une  inQnité 
de  figures  semblables  et  de  parties  similaires ,  un  assemblage  de  germes 
ou  de  petits  individus  de  la  même  espèce,  lesquels  peuvent  tous  se 
développer  de  la  même  façon  suivant  les  circonstances,  et  former  de 
nouveaux  touts  composés  comme  le  premier*.  » 

Selon  Buflbn,  l'individu  n'est  donc  que  la  répétition  indéfinie  de 
lui-même^;  l'individu  n'est  que  l'assemblage  de  petits  Individus  sem- 
blables'^'; un  polype  n'est  qu'un  composé  d'autres  polypes'':  idée  sin- 


lears,  et  qui  ne  conlitionent  précisément  que  ce  qu'il  s'agit  de  remplacer?»  Bonnet. 
1.  Vn,  p.  a67.ëdit.  in-i°,  1781.  —  'Bonnet,  l.  V,  p.  335  —  "T  V.  p.  3ia.  SpaJ- 


» 


le  remplace! 

—  "l^V.p 
lanzani  l'avait  précédé  pour  la  plupart  de  cet  faits  sur  les  salamandres  :  Prodromo 
di  un  opéra  iopm  le  riprodazioni  animali.  Bonnet  a  vu  un  ver  repousser  successive- 
mentdouze  têtes. T.  III,  p.  1^9.  J'ai  répété  moi-même  toutes  ces  expériences,  par- 
ticulièrement celles  sur  les  salamandres.  Voy.  mes  Recherchei  expérimentale  sur 
les  propriétés  et  les  Jonctions  ia  système  nerveux,  a'  édit,  iS^a ,  p.  4ai.  —  '«.... 
Il  est  trcB-manireste ,  dit  encore  Bonnet,  et  toujours  très -sérieusement  (car  il  ne 
s'apen^oit  pas  qu'il  accommode  ses  prétendus  germes  à  tous  les  besoins  des  expé- 
riences), que  le  bout  qui  est  l'antérieur  dans  un  tronçon  quelconque  aurait  pu 
devenir  le  postérieur,  si  \n  seclion  avait  été  faite  dans  un  outre  point  ;  le  hasard  seul 
en  a  décidé.  H  j  a  donc,  à  cliaquebout,  un  germe  de  tète  et  un  germe  de  queue. ..  • 
T.  UI.  p,  3^5.  —  '  T.  III,  p.  a6.  —  '.Un  corps  organisé  dont  toutes  les  parties 
seraient  semblables  à  lui-même,  comme  ceux  que  nous  venons  de  ciler,  est  un 
corps  dont  l'organisation  est  la  plus  simple  de  toutes,  car  ce  n'est  que  la  répétition 
de  la  même  forme T.  Ul,  p.  69.  —  '  L'individu  total  esl  formé  par  l'as- 
semblage d'une  multitude  de  petits  individus  semblables T.  III,  p.  36. 

—  '  ■ Il  paraît  plus  aisé  de  concevoir  comment  un  cube  de  sel  marin  esl 

nécessairement  composé  d'autres  cubes  que  de  voir  qu'il  soit  pouible  qu'un  po- 


408  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

gulière,  et  que  les  mêmes  faits  donnent  pourtant,  presque  en  même 
temps ,  à  Buffon  et  à  Bonnet  ^ ,  après  l*avoir  donnée  à  Réaumur. 

Avant  Buffon,  avant  Bonnet,  Réaumur  avait,  en  effet,  proposé  la 
conjecture  des  germes  cachés  et  accumulés;  mais  il  ne  l'avait  proposée 
que  pour  ce  qu'elle  est,  que  pour  une  conjecture. 

«  Tout  ce  que  nous  pouvons  avancer  de  plus  commode  et  peut-être 
de  plus  raisonnable  ,  dit  Réaumur  dans  son  beau  Mémoire  sur  la  re- 
production des  jambes  de  Vécrevisse^,  ce  serait  de  supposer  que  ce»  petites 
jambes  que  nous  voyons  naître  étaient  chacune  renfermées  dans  de 
petits  œufs,  et  qu'ayant  coupé  une  partie  de  la  jambe,  les  mêmes  sucs 
qui  servaient  à  nourrir  et  faire  croître  cette  partie  sont  employés  à  faire 
développer  et  naître  l'espèce  de  petit  germe  de  jambe  renfermé  dans 
cet  oeuf.  Quelque  commode  après  tout  que  soit  cette  supposition,  peu 
de  gens  se  résoudront  à  l'admettre.  Elle  engagerait  à  supposer  encore 
qu'il  n'est  point  d'endroit  de  la  jambe  d'une  écrevisse  où  il  n'y  ait  un 
œuf  qui  renferme  une  autre  jambe,  ou,  ce  qui  est  plus  merveilleux, 
une  partie  de  jambe  semblable  à  celle  qui  est  depuis  Tendroit  où  cet 
œuf  est  placé  jusqu'au  bout  de  la  jambe,  de  sorte  que,  quelque  endroit 
de  la  jambe  que  l'on  assignât ,  il  s'y  trouverait  un  de  ces  œufs ,  qui  con- 
tiendrait une  autre  partie  de  jambe  que  celle  qui  est  contenue  dans 
l'œuf  qui  est  un  peu  au-dessus ,  ou  dans  celui  qui  est  un  peu  au-dessous. 
Les  œufs  qui  seraient  à  l'origine  de  chaque  pince,  par  exemple,  ne 
contiendraient  qu'une  pince;  près  du  bout  des  pinces,  il  en  faudrait 
placer  d'autres  qui  ne  continssent  que  des  bouts  de  pinces.  Peut-être 
aimerait-on  mieux  croire  que  chacun  de  ces  œufs  contient  une  jambe 

lype  soit  composé  d*autres  polypes;  mais  examinons »  T.  III,  p.  29.  — 

*  Bonnet  a  non-seulement  eu  ceUe  idée,  comme  nous  avons  vu,  mais,  en  admet- 
tant la  préexistence  des  germes,  il  Ta  poussée  jusqu'au  bout.  §11  faut  reconnaître, 
dit-il,  que  les  germes  sont  répandus  universellement  dans  tout  le  corps  de  farbre. 
Cette  conséquence  est  très -légitime,  puisqu'il  ne  s'y  trouve  aucun  point  d'où  il  ne 

puisse  sortir.  Ou  d'où  l'on  ne  puisse  laire  sortir  des  radicales  et  des  bourgeons • 

T.  m,  p.  aoQ.  «Les  germes  de  nos  vers,  dit-il  encore,  sont  répandus  dans  tout 
le  tronçon.  L  expérience  le  démontre ,  puisque ,  en  quelque  endroit  du  tronçon 
qu'on  fasse  la  section,  il  reproduit  de  nouveaux  organes.  »  T.  III,  p.  a4o.  — 

*  Mémoire  sur  les  diverses  reproductions  qui  se  font  dans  les  écrevisses,  les  homars,  les 
crabes,  etc.  et,  entre  autres,  sur  celles  de  leurs  jambes  et  de  leurs  écailles.  (Mémoires 
de  l'Académie  des  sciences,  année  l'jm.)  Ce  mémoire  est  de  171a;  les  premières 
expériences  de  Trembley  sur  le  polype  sont  de  1 7^0  ;  les  premières  expériences  de 
Bonnet  sur  les  vers  d'eau  douce  sont  de  17^1  ;  les  premiers  volumes  de  Buflbn 
sont  de  1749*  Les  idées  de  Bonnet  sur  les  germes  se  trouvent  surtout  dans  ses  Mé- 
moires sur  les  salamandres,  1777-78-80,  et  dans  ses  Considérations  sur  les  cor|>s 
organiséft,  176a. 


JUILLET  1843.  409 

entière;  mais  ne  serait-on  pas  encore  phis  embaumasse  lorsqu'il  faudrait 
rendre  raison  pourquoi  de  chacune  de  ces  petites  jambes  il  n'en  renaî- 
trait qu  une  partie  semblable  à  celle  que  l'on  a  retranchée  à  récrevisso. 
Ce  ne  serait  pas  même  assez  de  supposer  qu'il  y  a  un  œuf  à  chaque  en- 
droit de  la  jambe  de  l'ëcrevisse,  il  faudrait  y  en  imaginer  plusieurs,  et 
nous  ne  saurions  déterminer  combien.  Si  Ton  coupe  la  nouvelle  jambe, 
il  en  renaît  une  autre  dans  la  même  place.  Enfin ,  il  faudrait  encore 
admettre  que  chaque  nouvelle  jambe  est,  comme  l'ancienne,  remplie 
d'une  infinité  d'œufs  qui  chacun  peuvent  semr  à  renouveler  la  partie 
de  la  jambe  qui  pourrait  lui  être  enlevée  ^  » 

II.  Hypothèse  des  moules  intérieurs. 

«De  la  même  façon,  dit  BufFon,  que  nous  pouvons  faire  des  moules 
par  lesquels  nous  donnons  à  l'extérieur  des  corps  telle  figure  qu'il  nous 
plaît,  supposons  que  la  nature  puisse  faire  des  moules  par  lesquels  elle 
donne  non-seulement  la  figure  extérieure ,  mais  aussi  la  forme  inté- 
rieure :  ne  serait-ce  pas  un  moyen  par  lequel  la  reproduction  pourrait 
être  opérée^?» 

Je  ne  m'arrête  pas  plus  que  Bulfon  sur  l'espèce  de  contradiction  que 
présente,  au  moins  dans  les  termes,  l'idée  du  moule  intérieur.  «On 
peut  nous  dire,  remarque-t-il  lui-même,  que  cette  expression,  moule 
intérieur,  paraît  d'abord  renfermer  deux  idées  contradictoires;  que  celle 
du  moule  ne  peut  se  rapporter  qu'à  la  surface,  et  que  celle  de  l'inté- 
rieur doit  avoir  rapport  ici  à  la  masse  :  c'est  comme  si  on  voulait 
joindre  ensemble  l'idée  de  la  siu:face  et  l'idée  de  la  masse,  et  on  dirait 
tout  aussi  bien  une  surface  massive  qu'un  moule  intérieur.  J'avoue  que, 
quand  il  feut  représenter  des  idées  qui  n'ont  pas  encore  été  exprimées, 
on  est  obligé  de  se  servir  quelquefois  de  termes  qui  paraissent  contra- 
dictoires^  -» 

Je  passe  donc  avec  BufTon  sur  les  mots,  et  je  viens  à  l'idée.  Eh  bien, 
l'idée  n'est  encore  ici,  comme  pour  les  germes  accumuléSy  que  la  manière 
de  concevoir  le  fait  substituée  au  fait ,  transformée  en  fait. 

Le  moule  intérieur  de  Buffon  est  le  corps  même  de  l'animal  ;  et  ce 
corps  est  un  moule  parce  que  la  matière  qui  s*y  ajoute,  s*y  ajoute  dans 
un  ordre  constant  et  déterminé*. 

'  Mémoiret  de  V Académie  des  sciences,  1 7 1 a  ,  p.  aSa.  —  *  T.  lU ,  p.  /iS.  —  *  T.  III , 
p.  5].  —  *  «Que  peut -il  y  avoir  qui  prescrive  à  la  matière  accessoire  cette  règle, 
et  oui  la  contraigne  à  arriver  également  et  proportionnellement  à  tous  les  points 
de  rintérieur,  si  ce  n'est  le  moule  intérieur  r^  T.  m,  p.  61. 


&10         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

«  Le  corps  d*uii  animal,  dit  Buflbn,  est  une  espèce  de  moule  iQliérieiii<, 
dans  lequel  la  matière  qui  sert  à  son  aecroiasement  se  modèle  et  s'am- 

mile  au  totaP Il  nous  parait  certain,  dit-il  encore,  que  le  corps 

de  l'animal  ou  du  végétal  est  un  moule  intérieur  qui  a  une  forme  cons- 
tante, mais  dont  la  masse  et  le  Tolume  peuvent  augmenter  proporticMn- 
nellement,  et  que  Faccroissement,  ou,  si  Ton  veut,  le  développement 
de  ranimai  ou  du  végétal  ne  se  &it  que  par  Textension  de  ce  moule  dans 
toutes  ses  dimensions  extérieures  et  intérieures  ;  que  cette  extension  se 
fait  par  Tintussusception  d  une  matière  accessoire  et  étrangère  qui  pé- 
nètre dans  f  intérieur,  qui  devient  semblable  à  la  forme  et  idttitiqoe 
avec  la  matière  du  moule  ^.  » 

Le  moale  intérieur  nest  donc  que  le  corps  de  Tanimal.  Et,  si  le  corps 
entier  est  un  moule,  il  faut  en  dire  autant  de  chaque  partie  du  corps , 
il  faut  en  dire  autant  de  chaque  partie  de  partie. 

u Mais  ce  développement,  dit  Buffon,  comment  peut-il  se  £ûre, 

si  ce  n*est  en  considérant  le  corps  de  Tanimal,  et  même  chacune  de  %e$ 
parties  comme  autant  de  moules  intérieurs  qui  ne  reçoivent  la  matière 
accessoire  que  dans  Tordi^e  qui  résulte  de  la  position  de  leurs  parties'.  » 

Les  moules  intérieurs  ne  sont  donc  que  les  parties  mêmes  ou  que  les 
formes  données  des  parties.  «  Comme  nos  corps,  dit  Buffon,  ont  une  cer- 
taine forme  que  nous  avons  appelée  le  numle  intérieur,  les  parties  orga- 
niques, poussées  par  Faction  de  la  force  pénétrante,  ne  peuvent  y 
entrer  que  dans  un  certain  ordre  relatif  à  cette  forme ,  ce  qui ,  par 
conséquent»  ne  peut  la  changer,  mais  seidement  en  augmenter  toutes  les 
dimensions,  tant  eitérieures  qu intérieures ^  et  produire  ainsi  l'accrois^ 
soment  des  corps  organisés  et  leur  développement^,  n 

Il  y  a  un  fait,  cest  que  nos  organes  croissent  et  se  développait 
sans  changer  de  forme ^.  Ainsi,  dire  que  la  forme  de  nos  organes,  dire 
que  la  forme  des  corps  organisés,  est  constante,  cest  dire  le  &it; 
mais  dire  que  cette  forme  est  un  moule,  mais  Tappeler  moule  inUrieur 
parce  quelle  est  constante,  c'est  ajouter  au  fait  la  manière  dont  nous 
concevons  le  fait  ;  c'est ,  pour  expliquer  un  fait ,  nous  imaginer  un  mot. 

'  T.  m,  p.  60.  —  '  IUds  p.  6a.  —  *  Und.  p.  60.  Le  numle  est  Informe  de  dianue 

rtie.  « CeUe  matière  ne  peut  opérer  la  nutrition  et  le  déveioppoment  qa  en 

*-'-*''  à  cl  ••     '  ....  .    - 

5  jai 

a  les  ehan^ements  de  forme  déterminés  par  ïivolutùm  ^gubère  et  préfixe  des  or- 
ganes ,  mais  dont  il  ne  s*agit  pas  ici. 


JUILLET  1843.  411 

m.  IIypotbè$e  des  molécules  organiques. 

Buflbii,  qui  tient  si  fort,  comme  nous  avons  vu,  à  Tidée  des  germes 
ciccumulés,  ne  veut  pas  des  germes  préexistants. 

(Il  ny  a  point  de  germes  préexistants,  dit-il;  point  de  germes  con- 
tenus à  rinfini  les  uns  dans  les  autres^ » 

Il  repousse  donc  la  préexistence  des  germes ,  et  il  a  raison  :  la  préexis- 
tence des  germes  ne  fait  que  substituer  au  mystère  de  Information  le 
mystère  de  la  préexistence. 

Malheureusement,  Buflbn  ne  se  sauve  d'une  hypothèse  que  par  une 
autre,  u  II  n*y  a  point  de  germes  préexistants ,  dit-il ,  point  de  germes  con* 
tenus  à  Tinfini  les  uns  dans  les  autres,  mais  il  y  a  une  matière  organique, 
toujom^s  active ,  toujours  prête  à  se  mouler,  à  s  assimiler,  et  à  produire 
des  êtres  semblables  à  ceux  qui  la  reçoivent^.  Il  y  a  dans  la  nature,  dit* 
il  encore,  une  infinité  de  parties  organiques  actuellement  existantes, 
vivantes,  et  dont  la  substance  est  la  même  que  celle  des  êtres  organisés, 
comme  il  y  a  une  infinité  de  particules  brutes  semblables  aux  corps 
bruts  que  nous  connaissons  '.  » 

Pour  échapper  à  l'hypothèse  des  germes  préexistants ,  BufTon  imagine 
donc  une  matière  organique  toujours  active ,  une  infinité  de  particules 
vivantes,  et,  puisqu'il  faut  tout  dire,  une  infinité  de  petits  êtres  orga< 
nisés. 

((Il  me  parait  très-vraisemblable,  dit-il,  qu'il  existe  réellement  dans 
la  nature  une  infinité  de  petits  êtres  organisés  semblables  en  tout  aux 
grands  êtres  organisés  qui  figurent  dans  le  monde ,  que  ces  petits  êtres 
organisés  sont  composés  de  parties  organiques  et  vivantes^ )» 

Ainsi  les  grands  êtres  organisés  qui^jfar^n^  dans  le  monde  sont  com- 
posés de  petits  êtres  organisés  ;  ces  petits  êtres  organisés  sont  composés 
de  parties  organiques  vivantes,  «ei,  par  conséquent,  cest  Buffon  qui 
parle,  la  reproduction  ou  la  génération  n'est  qu'un  changement  de 
forme  qui  se  (ait  et  s'opère  par  la  seule  addition  de  ces  parties  senk* 
blables,  comme  la  destruction  de  l'être  (H^ganisé  se  fait  par  la  division 
de  ces  mêmes  parties^.  » 

Ajoutez  que,  selon  Buffon,  la  nutrition,  le  développement,  la  re- 
production ne  sont  que  le  même  fait  ou  la  continuation  du  même  fait. 
«Se  mouvoir,  se  développer  et  se  reproduire,  sont,  ditril,  les  effets 
d*une  seule  et  même  cause^.  »  H  suit  de  là  que  les  mofécules  organiques 

'  T.  IV,  p.  i5o. — •  ibid.  —  *  T.  m,  p.  28.  ~  *  rud.  p.  34.  —  •  T.  m,  p.  34. 

—  '  T.  HI,  p.  70.      . 

5a. 


412         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

suffisent  à  tout  :  avec  les  molécules  organixjues,  l'animal  se  nourrit;  avec 
les  molécules  organiques,  il  se  développe;  par  les  molécules  organiques,  il 
se  reproduit. 

Voici  comment  Buffon  lui-même  explique  toutes  ces  choses. 

«Il  suffit  de  concevoir,  dit-il,  que,  dans  la  nourriture  que  les  êtres 
organisés  tirent,  il  y  a  des  molécules  organiques  de  différentes  espèces  ; 
qiie,  par  une  force  semblable  à  celle  qui  produit  la  pesanteur  ^  ces 
molécules  organiques  pénètrent  toutes  les  parties  du  corps  organisé , 
ce  qui  produit  le  développement  et  fait  la  nutrition;  que  chaque  partie 
du  corps  organisé,  chaque  moule  intérieur,  n'admet  que  les  molécules 
organiques  qui  lui  sont  propres ,  et  enfin  que ,  quand  le  développe- 
ment et  Taccroissement  sont  presque  faits  en  entier,  le  surplus  des  mo- 
lécules organiques  qui  y  servait  auparavant  est  renvoyé  de  chacune 
des  parties  de  Tindividu  dans  un  ou  plusieurs  endroits,  où,  se  trou- 
vant toutes  rassemblées ,  elles  forment  par  leur  union  un  ou  plusieurs 
petits  corps  organisés  qui  doivent  être  tous  semblables  au  premier  in- 
dividu, puisque  chacune  des  parties  de  cet  individu  a  renvoyé  les  mo- 
lécules organiques  qui  lui  étaient  les  plus  analogues,  celles  qui  auraient 
servi  à  son  développement  s'il  n'eût  pas  été  fait,  celles  qui,  par  leur  si- 
militude ,  peuvent  servir  à  la  nutrition ,  celles  enfin  qui  ont  à  peu  près 
la  même  forme  organique  que  ces  parties  elles-mêmes^.  » 

Ainsi  les  molécules  organiques  pénètrent  toutes  les  parties  du  corps 
organisé,  ce  qui  fait  le  développement  et  la  nutrition  ;  le  développement 
terminé ,  chaque  partie  renvoie  les  molécules  dont  elle  n'a  plus  besoin 
dans  des  réservoirs  particuliers^,  et  là,  chaque  molécule  ayant  la  forme 
de  la  partie  qui  Ta  renvoyée,  la  réunion  de  toutes  ces  molécules  pro- 
duit un  individu  nouveau  qui  a  toutes  les  parties  du  premier,  ou  qui 
est  semblable  en  tout  au  premier. 

«  Mais  comment  appliquerons-nous  ce  raisonnement  (c'est  Buffon  qui 
parle)  à  la  génération  de  l'homme  et  des  animaux  qui  ont  des  sexes, 
et  pour  laquelle  il  est  nécessaire  que  deux  individus  concourent  ^?  »  Oh  ! 
mon  Dieu,  de  la  manière  la  plus  facile  du  monde.  Il  suffira  de  conce- 
voii'  que,  «dans  ce  cas  (c'est  toujours  Buffon  qui  parle),  les  molécules 

*  Buffon  compare  ses  moules  intérieurs  aux  forces  qui ,  comme  la  pesanteur , 
agissent  sur  les  parties  les  plus  intimes  des  corps ,  et  les  pénètrent  dans  tous  les 
points,  t  Je  connais,  dit-il ,  dans  la  nature  une  qualité  qu'on  appelle  pesanteur,  qui 
pénètre  les  corps  à  l'intérieur  ;  je  prends  l'idée  du  moule  intérieur  relativement  à 
cette  qualité.  »  T.  III,  p.  67.  —  *  T.  LU,  p.  7g.  —  *  Dans  les  réservoirs  de  la  li- 
queur séminale  ;  liqueur  séminale  qui ,  d'après  cela  ,  et  comme  le  dit  Bufîon  ,  «  est 
une  espèce  d'extrait  de  toutes  les  parties  du  corps.  »  T.  III,  p.  86.  — -  *  Ibid.  p.  81. 


JUILLET  1843.  413 

organiques  ne  peuvent  se  réunir  et  former  de  petits  corps  organisés 
semblables  au  grand  que  quand  les  liqueurs  séminales  des  deux  sexes 
se  mêlent  ^  » 

Avec  les  molécules  organiques  rien  n'embarrasse,  pas  même  la 
question  de  savoir  pourquoi  le  nouvel  être,  produit  par  la  réunion  de 
ces  molécules,  est  tantôt  une  femelle  et  tantôt  un  mâle.  ((Lorsque,  dit 
BufTon ,  dans  le  mélange  qui  se  fait  des  molécules  organiques ,  il  se 
trouve  plus  de  molécules  organiques  du  mâle  que  de  la  femelle ,  il  en 
résulte  un  mâle;  au  contraire,  s'il  y  a  plus  de  particules  organiques  de 
la  femelle  que  du  mâle,  il  se  forme  une  petite  femelle^.  » 

IV.  Hypothèse  des  générations  spontanées. 

Au  moment  où  BufTon  reproduisit  les  générations  spontanées,  elles 
étaient  oubliées,  et,  selon  toutes  les  apparences,  pour  toujours  oubliées. 

Les  méprises  des  anciens  étaient  trop  palpables. 

Aristote  dit  que  les  chenilles  viennent  des  feuilles  vertes*;  les  puces , 
d'une  légère  fermentation  qui  s  excite  dans  les  ordures*;  les  poax,  de 
la  chair  ^,  etc.  etc.;  plusieurs  poi55on5 ,  soit  du  limon,  soit  du  sable ^  etc. 
11  dit  enfin  que  (itout  corps  sec  qui  devient  humide,  et  tout  corps  hu- 
mide qui  se  sèche,  produit  des  animaux,  pourvu  qu'il  soit  susceptible 
de  les  nourrir',  n 

Les  travaux  de  Swammerdam ,  de  Redi ,  de  Vallisneri,  avaient  depuis 
lopgtemps  détruit  toutes  ces  erreurs.  Redi,  le  premier,  avait  montré 
que ,  jusque  dans  les  animaux  qui  vivent  dans  d'autres  animaux  ^,  on  trouve 
des  mâles,  des  femelles ,  des  œufs.  Redi,  le  premier  encore,  avait  mon- 
tré, et  montré  par  les  expériences  les  plus  exactes,  que  (des  vers  qui 
naissent  dans  les  chairs  y  sont  produits  par  des  mouches  et  non  par  ces 
chairs  mêmes  ^» 

«Il  y  a  deux  cents  ans,  dit  très -bien  Réaumur,  qu'on  n'avait  point 
surpris  dans  leur  opération  ces  mouches  qui  déposent  leurs  œufs  dans 
les  fruits ,  et ,  quand  on  voyait  un  ver  dans  une  pomme ,  c'était  la  cor- 
ruption qui  l'avait  engendré.  Maintenant  il  est  bien  prouvé,  au  con- 
traire ,  que  le  ver  est  la  cause  de  la  corruption  du  fruit  ^^.  » 

Chose  à  peine  croyable ,  tant  et  de  si  beaux  résultats  de  la  science 

*  T.  m,  p.  86.  —  *  Ibid.  —  *  Histoire  des  animaux,  trad.  de  Camus,  1 1,  p.  288. 
—  *  Ihid.  p.  309.  —  •  Ihid.  p.  3i  i.  —  •  Ibid.  p.  363.  —  '  Ibid.  p.  3i3.  —  •  Os' 
sêrvazioni  intomo  agli  animaii  viventi  che  si  trovano  negli  animali  viventi,  i684.  — 
*  Esperienze  intomo  alla  generazione  degV  insetti,  1668,  trad.  de  la  Collect.  acad. 
t.  IV,  p.  4ao.  —  '*  Lettres  à  un  Américain,  lettre  vi ,  p.  46. 


414  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

moderne  sont  entièrement  perdus  pour  BufTon.  Les  générations  sponta- 
né sont  une  conséquence  nécessaire  des  moUcnUs  organiques;  Tune  de 
ces  hypothèses  suit  forcément  de  l'autre ,  et  BufTon  admet  des  généra- 
tions spontanées. 

«Il  y  a  peut-être,  dit-il,  autant  dêtres,  soit  vivants,  soit  végétants, 
qui  se  reproduisent  par  Tassemblage  fortuit  des  molécules  organiques , 
qu  il  y  a  d  animaux  ou  de  végétaux  qui  peuvent  se  reproduire  par  une 
succession  constante  de  générations ^  Plus  on  observera  la  nature, 
dit-il  encore,  plus  on  reconnaîtra  quil  se  produit  en  petit  beaucoup 
plus  d'êtres  de  cette  façon  (par  la  génération  spontanée)  que  de  toute 
autre.  On  s'assurera  de  même  que  cette  manière  de  génération  est  non- 
seulement  la  plus  fréquente  et  la  plus  générale ,  mais  la  plus  ancienne , 
c  est-à-dire  la  première  et  la  plus  universelle  ^.  » 

Ici  BuQbn  semble  avoir  pris  à  tâche  de  reproduire  toutes  les  mé- 
prises des  anciens.  Selon  lui ,  les  vers  de  terre ,  les  champignons ,  etc. 
n'existent  que  par  une  génération  spontanée.  «  Dès  que  les  molécules 
organiques,  dit-il,  se  trouvent  en  liberté  dans  la  matière  des  corps 
morts  et  décomposés ,  dès  qu'elles  ne  sont  point  absorbées  par  le  moide 
intérieur  des  êtres  organisés  qui  composent  les  espèces  ordinaires  de 
k  nature  vivante  ou  végétante,  ces  molécules,  toujours  actives,  tra- 
iH  vaillent  à  remuer  la  matière  putréfiée ,  elles  s'en  approprient  quelques 
particules  brutes,  et  fonnent,  par  leur  réunion,  une  multitude  de  pe- 
titi  corps  organisés,  dont  les  uns,  comme  les  vers  de  terre,  les  cham- 
pignons ,  etc.  paraissent  être  des  animaux  ou  des  végétaux  asseï:  grands , 
mais  dont  les  autres ,  en  nombre  presque  infini ,  ne  se  voient  qu'au 
microscope  ;  tous  ces  corps  n'existent  que  par  une  génération  sponta- 
née*  » 

Si  le  ver  de  terre ,  si  les  champignons  sont  produits  par  génération 
spontanée ,  à  plus  forte  raison  les  animaux  qui  vivent  dans  les  autres  ani- 
maux, les  ténias,  les  lombrics ,  les  douves,  etc.  le  seront-ils  aussi.  «  La  géné- 
ration spontanée,  dit  BuQbn ,  s'exerce  constamment  et  universellemant 

après  ia  mort ,  el  quelquefois  aussi  pendant  la  vie Les  molécules 

surabondantes  qui  ne  peuvent  pénétrer  le  moule  intérieur  de  l'animal 
pour  sa  nutrition  cherchent  à  se  réunir  avec  quelques  parties  de  la  ma- 
tière brute  des  aliments,  et  forment,  comme  dans  la  putréfaction,  des 
corps  organisés  :  c'est  là  l'origine  des  ténias,  des  ascarides,  des  douves 
et  de  tous  les  autres  vers  qui  naissent  dans  le  foie,  dans  l'estomac,  les 
intestins,  et  jusque  dans  le  sinus  des  veines  de  plusieurs  animaux;  c'est 

*  Suppléments,  t.  VIII,  p.  i8.  —  *  Ihid.  p»  57.  —  *  IHd.  p.  a5. 


JUILLET  1843.  kït 

aussi  Torigine  de  tous  les  vers  qui  leur  percent  la  peau  ^ » 

Mais  ce  n  est  pas  tout  :  BufToo  s  anime  de  plus  en  plus ,  et  croit  bien- 
tôt découvrir  et  voir  les  molécules  organiques  y  les  particules  vivantes. 
((Mon  preniier  soupçon,  dit-il,  fut  que  les  animaux  spermatiques  que 
Ton  voyait  dans  la  liqueur  séminale  pouvaient  bien  n  être  que  ces  par- 
ties organiques  ^.  »  —  «  Ces  prétendus  animaux ,  dit-il  encore ,  ne  sont 
tout  au  plus  que  Tébauche  d'un  être  vivant,  ou,  pour  le  dire  plus 
clairement,  ces  prétendus  animaux  ne  sont  que  les  parties  organiques 
vivantes  dont  nous  avons  parlé*.»  —  «Les  anguilles  de  la  colle  de 
farine ,  dit  -  il  enfin ,  celles  du  vinaigre ,  tous  les  prétendus  animaux 
microscopiques ,  ne  sont  que  des  formes  différentes  que  prend  d'elle- 
même,  et  suivant  les  circonstances,  cette  matière  toujours  active  et  qui 
ne  tend  qu  à  Torganisation  *.  » 

On  voit  tout  ce  qu'il  en  coûte  pour  faire  un  système  :  d'abord,  de 
simples  manières  de  voir  les  faits  substituées  aux  faits ,  les  germes  accu- 
malés,  les  moules  intérieurs,  des  mots  pris  pour  des  choses  ;  puis,  l'oubli , 
le  dédain  même  des  faits  les  plus  certains,  la  génération  spontanée 
supposée  pour  des  animaux  tels  que  le  ver  de  terre  ;  enfin ,  les  asser- 
tions les  plus  singulières;  des  animaux  (les  animaux  spermatiques,  les 
animaux  infusoires)  donnés  pouf  de  prétendues  particules  vivantes, 
etc.  etc. 

Ah  !  ce  n*est  pas  ainsi  que  se  font  les  vraies  théories  :  l'esprit  les  voit 
et  ne  les  fait  pas.  Au  contraire,  tout,  dans  le  Système  de  Bufibn,  est 
de  fesprit  de  Buflbn.  La  vraie  théorie  n'est  qu'un  enchaînement  de  faite 
qui,  dès  qu'ils  sont  asset  nombreux,  se  touchent  et  se  lient  les  uns  aux 
autres  par  leur  seule  vertu  propre. 

((Le  temps  viendra  peut-être,  dit  Fonteneile,  que  Ton  joindra  en 
un  corps  régulier  ces  membres  épars;  et,  s'ils  sont  tels  qu'on  le  sou- 
haite ,  ils  s'assembleront  en  quelque  sorte  d'eux-mêmes.  Plusieurs  vé- 
rités séparées,  dès  qu'elles  sont  en  assez  grand  nombre,  offrent  si  vive- 
ment  à  l'esprit  leurs  rapports  et  leur  mutuelle  dépendance,  qu'il  sembié; 
qu'après  les  avoir  détachées  par  une  espèce  de  violence  les  unes  des 
autres,  elles  cherchent  naturellement  à  se  réunir*.» 

FLOURENS. 

'  Suppléments,  t.  VIII,  p.  26.  —  *  T.  lU,  p.  aSi.  —  *  IbH.  p.  3o.  —  *  àV 
plémetiU,  t.  VIII,  p.  88.  —  *  Préface  sur  l'utilité  des  sciences,  etc. 


&16  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

1.  Antichi  MONUMENT!  SEPOLCBAU  scoperti  nel  dacato  di  Ceri , 
dichiarati  dal  cav.  P.  S.  Visconti.  Roma,  i836,  in-fol. 

2.  Descrizione  di  Cere  antica,  ed  in  particolare  del  monamento 
sepolcrale  scoperio  nelV  anno  i836,  etc.  delV  architetto  cav.  L. 
Canina.  Roma,  i838,  in-fol. 

3.  MoNUMENTi  DI  Cere  ANTICA,  spieguti  colle  osservanze  del  calto 
di  Mitra,  dal  cav.  L.  Grifi.  Roma,  i84i,  în-fol. 

TROISIÈME    ARTICLE. 

Pour  terminer  la  description  de  cette  première  partie  de  Thypogée , 
je  n'ai  plus  qu  à  parler  des  vases  de  bronze,  de  formes  diverses  et  d  u- 
sage  domestique ,  qui  avaient  été  suspendus  par  des  clous  de  bronze 
au  haut  de  la  voûte,  dans  le  canal  étroit  qui  en  forme  la  sommité. 
Plusieurs  de  ces  clous,  encore  en  place,  étaient  bien  conservés,  et  les 
vases,  épars  sur  le  pavé,  étaient  tombés  par  suite  de  Técroulement 
d'une  partie  de  la  voûte.  Cette  circonstance  de  vases  domestiques 
ainsi  consacrés  dans  un  tombeau  n'avait  pas  encore  été  constatée 
d'une  manière  aussi  positive,  et  elle  est  certainement  très-curieuse; 
mais  on  s'est  trompé  dans  la  conséquence  qu'on  en  a  tirée.  On  a  cru 
pouvoir  expliquer,  par  la  présence  de  ces  clous  de  bronze  servant 
à  suspendre  des  vases  de  même  métal,  une  particularité,  semblable 
en  apparence ,  qui  avait  été  signalée  à  Tintérieur  du  fameux  tombeau 
d'Atrée  à  My cènes.  Là  aussi  des  clous  de  bronze,  distribués  à  toutes 
les  hauteurs  et  dans  toute  l'étendue  des  parois  circulaires,  avaient  été 
regardés  comme  ayant  servi  à  attacher  les  lames  de  bronze  qui  for- 
maient le  revêtement  de  cet  édifice,  et  qui  l'assimilaient,  sous  ce  rap- 
port, au  chalciœkos  de  Spaite  \  au  thalamos  de  bronze  de  Danaé  ^,  et  sans 
4oate  aussi  au  pithos  de  bronze  dans  lequel  se  cachait  Eurysthée ,  comme 
nous  le  voyons  représenté  sur  tant  de  vases  peints  d'ancienne  fabrique  ^, 

'  Pausan.  lu,  17,  3;  voy.  H.  Meyer,  Geschicht,  d,  hildend,  Kàntte,  t.  Il,  p.  1^, 
lA);  Kugler,  ûber  aie  Polychromie  der  Griech.  Architeciur,  etc,  p.  10,  1).  Voy.  aussi 
mes  Peintures  antiques  inédiles, p.  &a5.  ^—  '  Pausan.  11,  a3,  7.  — -  ^  Plusieurs  de 
ces  vases  sont  gravés  dans  divers  recueils ,  notamment  dans  le  Cabinet  Pourtalès , 
pi.  XII,  el  dans  TAUas  de  M.  Micali,  tav.  xcii  et  xciii;  voy.  Tindicalion  que  j'ai 
donnée  des  principaux  de  ces  vases,  dans  ce  journal  même,  avril  i835,  p.  a  18;  et 
joignez-y  les  autres  représentations  du  même  sujet  indiquées,  ihid,  p.  406A07. 


JUILLET  18/i3.  417 

lequel  pilhos  nétait  probablement  qu'un  édifice  souterrain  do  forme 
circulaire  et  plaqué  de  lames  de  bronze,  suivant  un  système  dérivé 
de  la  haute  antiquité  asiatique  ^  Cette  opinion  ,  si  vraisemblable  en  soi, 
et  si  conforme  k  ce  que  nous  connaissions  d'autres  monuments  an- 
tiques du  même  âge,  a  paru  néanmoins,  aux  antiquaires  romains  à 
qui  nous  devons  la  description  du  tombeau  de  Cœre,  détruite  par  l'ob- 
servation des  clous  de  bronze  de  ce  tombeau  ayant  servi  à  suspendre 
des  vases.  M.  Canina  est  d'avis  que,  d'après  l'exemple  de  ces  clous 
ainsi  employés,  il  n'est  plus  possible  de  soutenir  que  ceux  du  tombeau 
d'Atrée  aient  servi  à  attacher  des  lames  de  revêtement^.  M.  le  D'  Braun 
n'est  pas  moins  disposé  à  voir,  dans  les  clous  de  bronze  de  notre  tom- 
beau de  Cœre,  la  preuve  que  ceux  du  tombeau  d'Atrée  n'ont  pu  avoir, 
s'ils  ont  existé,  que  la  même  destination,  et  il  s'autorise  du  témoignage 
d'un  architecte  allemand,  M.  Ém.  Wolff,  qui  a  récemment  examiné  le 
tombeau  d'Atrée,  et  qui  n'y  a  retrouvé  aucun  de  ces  clous  en  place,  pour 
jeter  des  doutes  sur  leur  existence  même  et  sur  l'usage  auquel  on  les 
avait  pu  croire  employés  dans  l'antiquité'.  Il  devient  donc  nécessaire 
d'opposer  à  ces  inductions  plus  ou  moins  hasardées  une  explication  qui 
les  réduise  à  leur  juste  valeur,  et  qui  se  fonde  sur  la  connaissance 
exacte  des  faits.  Les  clous  de  bronze  du  tombeau  d'Atrée  étaient  des 
doas  à  tête  plate,  qui  n'avaient  pu  servir,  d'après  leur  forme  même, 
qu'à  fixer  des  lames  de  revêtement,  et  non  des  chus  à  crochet,  comme 
ceux  du  tombeau  de  Cœre,  tels  qu'il  les  fallait  pour  y  suspendre  des 

'  J^aurai  occasion  ailleurs  d-établir,  par  Je  nombreux  témoignages,  celte  parlicu- 
larité  importante  de  Hilsloire  de  fart  asiatique,  qui  ne  fut  pas  sans  influence  sur  la 
direction  de  Vart  grec.  En  attendant,  je  me  contente  de  remarquer  que  M.  Hirt 
a  vu  aussi,  dans  le  revêtement  en  lames  de  bronze  du  tombeau  d'Atrée,  la  tradi- 
tion d'une  pratique  phénicienne  ;  ce  qui  e»t  tout  à  fait  d*accord  avec  mes  idées  ; 
voy.  les  Analecta  de  Wolf,  1. 1,  p.  i58-i5g.  J'ajouterai  que^cette  pratique  même 
de  murs  revêtus  de  lames  de  bronze  était  connue  des  anciens  Etrusques,  a  en  juger 
parles  exemples  de  deux  tombeaux,  l'un  de  Chiusi,  l'autre  de  Corneto ,  qui  n'au- 
raient pas  dû  échapper  à  la  connaissance  de  M.  Canina  et  de  M.  Braun.  La  relation 
originale  de  la  découverte  de  ce  tombeau  de  Chiusi ,  intérieurement  plaqué  de  hunes 
de  bronze ,  se  conserve  à  ia  galerie  de  Florence ,  au  témoignage  de  Lanzi ,  Saggio , 
etc.  t.  II,  p.  311.  Le  second  fait  analogue  à  celui-là,  et  concernant  un  tombeau  de 
Cornetf,  est  rapporté,  sur  la  foi  de  M.  Orioli,  par  M.  Vermiglioli,  Opuscoli,  etc.  t.  IV, 
p.  7.  —  *  Descriz.  di  Cere  antica,  p.  76  :  «  In  seguito  di  questo  ritrovalo  si  venue  a 
stabilire  cbe  simili  cbiodi. . .  i .  dovettero  essore  stati  posti  al  medesimo  uso ,  e  non 
avère  potuto  servire  a  rafiermare  lastre  di  métallo,  corne  fu  supposto  da  coloro  cbe 
impresero  a  descrivere  i'ipogeo  di  Micene.  >  —  '  Braun ,  Ballet,  delf  Instit.  Archeol 
i836,  p.  58,  i)  :  «Pare  cnela  scoperta  di  cotai  monumento  servira  anche  perpor- 
gere  lumi  sopra  1'  uso  dei  famosi  cbiodi  di  cui  sono  (?)  coperte  le  pareti  del  tesoro 
d'Atreo,  etc.  • 

53 


418  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

vases  ou  d'autres  ustensiles  analogues.  Je  possède  moi-même  un  de 
ces  clous  du  tombeau  d'Atrée,  qui  m'a  été  donné,  à  Athènes ^  par  M.  le 
chevalier  de  Prokesch ,  et  qui  avait  été  détâché  du  monument  même 
par  ce  voyageur  et  antiquaire  célèbre.  J'ajoute,  sur  la  foi  de  M.  de 
Prokesch,  qu'il  ne  reslait  plus  aucun  de  ces  clous  dans  les  parties  infé- 
rieures du  monument,  ce  qui  confuroe  l'observation  de  M.  Em.  Wolff, 
et  ce  qui  a  causé  son  erreur.  J'ajoute  encore  que,  pour  vérifier  l'exis- 
tence de  ces  clous,  M.  de  Prokesch  fut  obligé  de  s'éiever  à  une  assez 
grande  hauteur,  au  moyen  d'une  échelle,  et  que  là  il  en  trouva  encore 
plusieurs  en  place  et  assez  rapprochés  l'un  de  l'autre ,  qu'il  détacha  lui- 
même  et  qu'il  n'a  pas  tous  conservés;  il  ne  lui  en  restait  plus  que 
deux,  lorsqu'il  voulut  bien  m'en  donner  un,  qui  sera  déposé  quelque 
jour  dans  notre  Cabinet  des  Antiques,  pour  conserver,  avec  le  témoi- 
gilage  que  je  viens  de  rapporter,  la  preuve  authentique  d'un  fait  si  im- 
portant pour  l'histoire  de  l'art,  et  resté,  jusqu'à  nos  jours,  si  probléma^ 
tique. 

La  réunion  des  objets  déposés  dans  la  cella  du  fond ,  ou  le  caveau 
principal,  était,  s'il  est  possible,  plus  importante  encore,  et  surtout 
plus  précieuse ,  à  la  fois  sous  le  rapport  de  l'art  et  sous  celui  de  la  ma- 
tière. Presque  tous  ces  objets  étaient  d'or  ou  d'argent,  et  cette  circons- 
tance ,  d'accord  avec  la  nature  même  et  la  forme  de  ces  objets,  et  avec 
le  nom  de  Larthià,  qui  parait  désigner  la  personne  à  laquelle  ils  appar- 
tenaient,  et  qui  est  le  prénomféminin  étrusque,  ne  permet  guère  de  douter, 
ainsi  qu'il  a  été  dit  précédemment  ^  que  cette  personne  ne  fût  une  femme, 
et  sans  doute  une  femme  de  la  plus  haute  distinction,  à  en  juger  par 
l'importance  du  monument  qui  reçut  sa  dépouille  mortelle  et  par  la  va- 
leur des  objets  qui  l'accompagnaient.  Des  vases  de  bronze  de  formes  di- 
verses se  trouvèrent  aussi,  dans  cette  partie  de  l'hypogée,  suspendus  à 
la  voûte  et  attachés  aux  parois  au  moyen  de  clous  de  bronze;  et  parmi 
ces  vases,  tombés  de  leur  place,  se  trouvèrent  les  manches  de  six  ombrelles  ; 
d'autres  vases  du  même  métal ,  en  forme  de  cratére -sans  anses,  étaient  pla- 
cés en  divers  endroits ,  sur  le  sol  même  de  la  tombe.  Deux  de  ces  vases 
sont  ornés,  sur  leur  bord  supérieur,  de  cinq  Utes  de  lion;  un  troisième 
offre  des  têtes  d'animaux  chimériques,  disposées  dé  la  même  manière  et 
à  la  même  place,  au  nombre  de  six,  et  sa  circonférence  extérieure  est 
ornée  de  deux  rangs  de  lions  et  de  taureaux  ailés  alternant  ensemble  ^  :  mo^ 
Hument  d'un  style  bien  certainement  asiatique,  à  la  fois  ^r  le  sujet  et 

*  Voy.  Joarn,  des  Savants,  juin  i843,  p.  356.  —  '  Ces  vases  ont  été  publiés  par 
M.  Grin,  tav.  v,  n.  a  et  4^  p.  176. 


JUILLET   1843.  410 

jiQr  te  travail,  et,  sous  ce  double  rapport,  de  la  plus  haute  importance. 
Il  y  avait  pareillement ,  du  côté  gauche  de  la  chambre  sépulcrale ,  un 
tliuribulam ,  ou  meuble  servant  à  brûler  des  parfums,  d'une  forme  par- 
ticulière et  placé  sur  un  trépied.  Des  coupes  d'argent  et  des  plats  du 
même  métal,  qui  avaient  dû  être  attachés  aux  murs  de  la  tombe,  ou 
placés  sur  le  pavé,  dans  une  disposition  probablement  hiératique,  qu'il 
ne  fut  malheureusement  pas  possible  de  constater,  à  cause  du  dé- 
sordre occasionné  dans  cette  partie  du  monument  par  l'éboulement  des 
teiTCS,  ofirireiU,  du  reste,  par  les  sujets  qui  y  sont  gravés,  et  dont 
nous  nous  occuperons  dans  un  prochain  article ,  un  intérêt  qui  surpasse 
tout  ce  que  nous  pourrions  dire ,  et  tout  ce  qui  avait  été  découvert  j  us- 
que-là  dans  les  tombeaux  étrusques;  et  cet  intérêt  le  cède  pourtant 
encore  à  celui  des  objets  qui  avaient  recouvert  presque  en  entier  le  corps 
delà  femme,  dépose  dans  cette  tombe,  sur  le  pavé  mêrae.  Ce  corps 
avait  presque  entièrement  disparu,  décomposé  par  la  vétusté;  mais 
la  place  qu'il  avait  occupée  se  trouvait  encore  marquée  par  les  objets 
qui  avaient  composé  sa  toilette  funèbre,  et  dont  la  disposition  respec- 
tive était  en  rapport  avec  la  situation  des  divers  membres  du  corps. 
Le  plus  important  de  ces  objets  était  une  espèce  de  pectoral,  placé  â 
l'endroit  de  la  poitrine,  d'or  travaillé  en  fdigrane,  avec  des  figures  sym- 
boliques d'hommes  et  d'animaux  imprimées  en  relief:  monument  unique 
et  le  plus  précieux  en  son  genre  qui  nous  soit  parvenu  de  toute  l'anti- 
quité. A  l'endroit  de  la  tète  élait  un  ornement,  d'or  aussi,  de  forme 
ainguUère,  qui  doit  avoir  été  une  coiffure  hiératiqae',  et  qui  offre  pa- 
reillement des  figures  symboliques  d'animaux,  imprimées  ou  rappor- 
tées en  relief.  Un  collier,  composé  de  rhombcs  et  de  sphères  alternant 
ensemble,  et  formé  de  lames  d'or  minces;  deux  bracelets  du  même  mé- 
tal, d'un  travail  riche  et  soigné,  et  d'une  composilion  très-curieuse, 
se  trouvèrent  aux  places  qui  leur  appartenaient;  et  des  chaînes,  des/- 
taies,  des  morceaux  d'ambre  montés  en  or  et  portés  en  guise  d'amu- 
lettes, complétaient,  avec  des/oseaiLT  d'or  et  un  à'arijent^.  la  parm-e  funé- 
raire de  la  femme  ensevelie  dans  ce  tombeau.  On  jugera  de  la  profusion 
avec  laquelle  l'or  avait  été  employé  à  cette  toilette,  destinée,  dans  i'in- 
lention  de  ses  auteurs,  i  servir  dégage  de  l'immortalité  ',  on  en  jugera, 

'  tin  objet  lout  semblable  pour  la  foriue ,  )a  dimension  cl  le  travail .  et  certaine- 
ment auisi  pour  Vit»age.  fut  trouvé  dans  un  des  tombeaux  deCanino;  il  a  été  publié 
dans  le  recueil  de  M.  Micali,  lav.  XLV,  o-  3,  q«i  l'avait  pris  à  tort  pour  une  grande 
fibule.  —  '  Tous  ces  objets  sont  soigneusement  dessinés  sur  le»  planches  jointes  i 
l'ouvrage  de  M.  Grifi ,  tav.  i ,  ii ,  m  et  iv.  —  ^  Nous  voyons .  dans  te  Zend-Auetta . 
t.  I,  a*  part,  p  4i8,  et  t.  II,  p.  75,  que  i'amscbaspand  Bnhman .  «ne  de*  formai 

53. 


420  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dis'je,  d'après  cette  circonstance,  quon  recueillit,  mêlées  avec  la  terre, 
des  feuilles  d'or  en  si  grande  quantité,  qu'on  put  en  remplir  tout  un 
panier,  et  si  minces,  quelles  n'avaient  pu  servir  qu'à  composer  un  vê- 
tement tissu  d'or  :  de  manière  que  le  corps ,  couvert  de  ce  vêtement 
dor,  avec  sa  coiffure  d'or,  son  pectoral  d'or,  et  les  bijoux  d'or  qu'il  por- 
tait, pût  oQnr  véritablement  l'apparence  d'une  jE^ore  toute  d'or,  de  la 
tète  aux  pieds  :  symbole  de  l'apothéose  que  l'on  cherchait  à  réaliser  ainsi 
d'une  manière  matérielle  et  à  rendre  sensible  par  tous  les  moyens  que 
l'opulence  fournissait  à  la  piété. 

Nous  avons  maintenant  à  rendre  compte  des  objets  qui  composaient 
le  riche  mobilier  funéraire  dont  nous  venons  de  donner  Tindrcation 
générale.  Dans  cette  partie  de  notre  travail ,  c'est  surtout  à  Touvrage  de 
M.  Grifi  que  nous  devrons  nous  attacher,  attendu  que  c  est  à  l'explica- 
tion approfondie  des  objets  dont  il  s'agit  qu'est  consacré  spécialement 
cet  ouvrage.  Mais  ici  nous  avouerons  sans  peine  que  notre  tâche  de- 
vient beaucoup  plus  difficile  à  remplir,  à  mesure  que  son  objet  acquiert 
plus  d'importance  et  d'intérêt.  Si  l'interprétation  des  monuments  anti- 
ques, de  ceux-là  même  qui  appartiennent  à  un  système  de  civilisation, 
d'art  et  de  croyance,  devenu  familier  pour  nous  par  une  foule  de  tradi- 
tions de  tout  âge  et  de  témoignages  de  toute  sorte,  tel  que  celui  des 
Grecs  et  des  Romains,  laisse  encore  trop  souvent  prise  à  Tincertitude 
et  à  l'erreur,  que  dirons-nous  de  celle  qui  a  pour  objet  des  monuments 
produits  sous  l'influence  d'idées  placées  presque  entièrement  en  de- 
hors de  nos  connaissances,  pour  un  peuple  dont  nous  ignorons  la 
langue ,  en  des  temps  et  en  des  lieux  dont  l'histoire  nous  manque  com- 
plètement? Dans  cette  recherche,  qui  se  fonde  presque  uniquement  sur 
des  rapprochements  plus  ou  moins  spécieux ,  et  qui  ne  peut  ainsi  avoir 
pour  éléments  que  des  conjectures  plus  ou  moins  plausibles,  au  lieu 
de  témoignages  directs  et  de  preuves  positives,  c'est  donc  une  enti^eprise 
à  peu  près  désespérée ,  que  d'amver  à  un  résultat  toujours  conforme  à 
la  critique  et  toujours  satisfaisant  pour  la  raison.  Mais  il  est  vrai  aussi 
que,  dans  une  tentative  de  ce  genre,  il  est  permis  de  hasarder  beaucoup, 
précisément  parce  que  tout  est  nouveau  ou  inconnu,  de  donner  plus 
de  caiTière  à  son  imagination,  là  où  la  science  ne  fournit  presque  au- 
cun élément,  et  de  suppléer  parles  ressources  du  savoir  et  de  l'esprit  à 

de  Mithra ,  réside  au  ciel ,  revêlu  dliahils  d'or,  et  que  c  est  ce  génie  qui  donne  des 
vêtements  d'or  aux  justes  admis  dans  le  s^our  céleste.  Mais  ces  idées  de  la  théolo- 
gie persique  étaient  certainement  puisées  dans  les  croyances  assyriennes ,  et  c*est 
de  là  quelles  étaient  arrivées  chez  les  Etrusques ,  toujours,  à  mon  avis,  par  Yémi- 
gration  tyrrhéoienne. 


JUILLET   1843,  421 

l'insiinisance  des  faits  el  à  l'obscm'ilé  des  uionuineiits.  J'yjmilc  que 
c'est  surtout  dans  un  pareil  travail ,  où  l'auteur  est  obligi"  de  presque 
tout  tirer  de  son  propre  fond  et  de  créer  en  quelque  sorte  la  matière 
même  sur  laquelle  il  s'exerce,  qu'on  doit  lui  savoir  gré  d'une  seule 
vue  heureuse ,  d'un  seul  aperçu  ingénieux ,  dût-on  ne  pouvoir  admettre 
loutes  les  déductions  qu'il  tire  du  principe  qu'il  a  p«é  ;  et,  l'ensemble 
de  ses  idées  dùt-il  restera  l'état  de  système,  ce  peut  être  encore,  de  sa 
part,  une  œuvre  très-méritoîre ,  que  d'avoir  éclaire  d'un  seul  rayon  de 
lumière  un  champ  tout  à  fait  neuf  encore  pour  la  science  et  hiexploré 
par  l'archéologie. 

Le  titre  du  livre  de  M.  Grifi  :  Monanienti  di  Cere  antica  spie^joti  colle 
osservanze del calto  àlMitra,  annonce,  sans  aucune  équivoque,  dans  quel 
système  d'interprétation  l'auteur  s'est  placé  pour  parvenii-  à  l'intelligence 
de  ces  rare^  et  curieux  monuments  :  c'est  au  calle  de  Mithra  qu'il  en  rap- 
porte tous  les  éléments;  ainsi  c'est  une  doctrine  purement  persiqué 
qu'il  croit  trouver  sur  des  monuments  appartenant  à  une  haute  anti- 
quilé  étrusque.  Sur  ce  seul  énoncé ,  A  s'élève  une  première  question  , 
dont  d  semble  que  la  solution  eût  dil  servir  de  préliminaire  au  travail 
de  l'auteur,  celle  de  savoir  par  quels  rapports  la  civilisation  de  l'an- 
tique Etrurie  pouvait  se  rattacher  à  celle  de  la  Perse,  qui  doit  n'avoir 
exercé,  dans  les  temps  antérieurs  à  Cyrus,  presque  aucune  influence, 
même  sur  les  régions  de  l'Asie  antérienre  les  plus  voisines  de  son  siège 
propre,  et  par  quelles  voies  des  idées,  puisées  dans  les  croyances  reli- 
gieuses des  Pei-ses ,  avaient  pu  se  propager  chez  les  Etrusques ,  au  poiiit 
d'y  ac(juérir  une  si  grande  importance.  A  cette  question  ,  qui  se  trouve 
k  peine  indiquée  dans  les  premières  pages  du  livre  de  M.  GriB  ,  et  qui 
eût  mérité  d'être  beaucoup  plus  approfondie,  il  s'en  joint  une  autre', 
qui  n'est  ni  moins  grave ,  ni  moins  ditlicile  à  résoudre  ,  celle  de  savoir 
jusqu'à  quel  point  les  textes  originaux  relatifs  au  culte  de  Mithra.  tels 
que  nous  les  possédons  dans  le  Zend-Avesta,  peuvent  servir  à  l'explica- 
tion des  monuments  trouvés  dans  le  tombeau  de  Ccere.  Il  y  avait  enlin 
un  ti'oisième  point  dont  la  détermination  semblait  devoir  être  aussi 
un  préliminaire  indispensable  à  toute  recherche  sur  le  sens  des  sym- 
boles et  sur  la  nature  même  des  objets  déposés  dans  ce  tombeau,  c'était 
(l'établir  bien  positivement  auquel  des  deux  individus,  l'un  mâle,  l'autre 
femelle,  qui  y  furent  ensevelis,  chacun  dans  une  pièce  différente,  appar- 
lenaient  ces  objets ,  dont  notre  auteur  se  proposait  de  montrer  qu'ils 
composaient  la  parure  funéraùc  et  hiératique  d'un  pontife  étrusque  ;  ce 
qui  exigeait  qu'il  fussent  placés  sur  le  corps  de  fhomme ,  et  non  pas 
sur  celui  de  la  femme.  Ce  sont  li  trois  questions ,  qu'il  est  permis  de 


422  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

regretter  que  notre  auteur  n*ait  pas  d'abord  discutées  avec  tout  le  soiu 
qu*il  pouvait  y  mettre ,  et  résolues  avec  ia  sagacité  dont  il  a  fait  preuve , 
el  sur  lesquelles  nous  prendrons  la  liberté  de  lui  soumettre  quelques 
doutes ,  uniquement  pour  obtenir  de  lui  des  éclaircissements  que  nous 
ne  nous  sentons  pas  capables  de  donner  nous-même. 

L*opinion  générale ,  que  le  culte  de  Mithra ,  ses  mystères  et  ses  mo- 
numents, ne  furent  connus  en  Occident  et  introduits  en  Italie,  quà  la 
suite  de  la  victoire  remportée ,  en  Tan  de  Rome  687 ,  par  Pompée  sur  les 
.pirates  de  TAsie  mineure ,  cette  opinion  semble  si  fort  contraire  à  Tidée 
de  trouver  des  symboles  mithriaques  sur  des  monuments  étrusques  d'une 
époque  réputée  antérieure  à  la  fondation  de  Rome ,  que  M.  Grifi  n*a  pu 
s*empêcber  d'être  frappé  lui-même  de  cette  contradiction.  Il  n'essaie 
que  faiblement  de  ia  détruire  ,  en  lui  opposant  un  certain  nombre  de 
•monuments  étrusques,  vases  peints  et  sculptures  d urnes. cinéraires,  oJ| 
Buonarotti  ^  et  Gori  ^  avaient  cru  trouver  des  représentations  de  rites 
mithriaques  ;  et  il  convient  lui-même ,  bien  qu'avec  un  reste  de  scru- 
pule et  avec  une  apparence  de  regret ,  que  l'âge  de  ces  monuments , 
étont jugé  postérieur  à  la  guerre  des  pirates,  il  en  résulte  bien  peu  de 
probabilité  pour  l'opinion  de  Gori  '.  Il  ajoute  enfm ,  mais  sans  en  pa- 
raître entièrement  convaincu ,  que  les  représentations  dont  il  s'agit  ont 
été  rapportées  à  d'autres  sujets  que  des  rites  mithriaques ,  ce  qui  ne  laisse 
aucune  espèce  d'appui  à  cette  opinion  des  antiquaires  florentins.  Mais , 
SUT  tous  ces  points,  j'avoue  que  je  ne  puis  partager  l'espèce  de  réserve 
dans  laquelle  se  renferme  M.  Grifl  S'il  est  une  chose  avérée  pour  toute 
personne  versée  dans  la  connaissance  des  antiquités  étrusques,  c'est  que 
les  vases  peints,  tels  que  celui  que  Gori  a  publié*,  et  où  il  croyait 
trouver  une  épreuve  mithriaqae  par  le  feu,  est  un  monument  d'un  art 
grec,  sans  aucune  espèce  de  rapport  avec  une  doctrine  persique,  c'est, 
,en  second  lieu,  que  les  urnes  cinéraires  dePerugia  et  de  Volterra^,  où 
le  même  antiquaire  avait  cru  reconnaître  des  baptêmes  et  des  sacrifices 
mithriaques,  représentent  des  fables  grecques,  sur  l'intelligence  desquelles 

'  Buonarotti,  ad  Dempster.  Additam.  S  xxiv,  p.  32-35.  L'urne  de  Vollerra.  «ur 
laquelle  Buonarotti  appuyait  ceUe  idée  de  sacra  Milhriaca,  tab.  lxxxi,  n.  a  ,  a  été 
acquise  par  Tauteur  de  cet  article,  à  Florence,  et  elle  se  trouve  maintenant  dans 
tK>tre Cabinet  des  Antiques.  —  *  Afw.  Etrusc.  t.  Il,  tab.  clxxii,  i  et  11  ;  tab.  clxxiii; 
tab.  GLXxiv,  I  et  11.  —  'Il  me  semble  que  c*est  tout  le  contraire  que  notre  auteur 
aurait  dû  conclure  ;  mais  j*ai  peut-être  mal  saisi  sa  pensée.  —  *  Mus.  Etrasc.  t.  II , 
tab.  CLXXIII ,  p.  34a -345.  —  'Ce  sont  celles  qui  sont  indiquées  à  la  note  précédente 
a),  et  dont  Vexplication ,  telle  que  je  l'ai  donnée  dans  mes  Monuments  inédits, 
Ofieiiiiie,  pi.  xxvi,  a  ,  p.  121  et  suiv.  el  Odystéide,  pi.  li,  p.  226  et  suîv.,  n'a  été, 
A>iaA  laoniiabstince,  contredite  par  aucun  antiquaire. 


JUILLET  1843.  425 

il  n'est  réellement  pas  possible  de  se  méprendre.  Il  faut  donc  renoncer 
à  ridée  de  trouver  sur  les  urnes  étrusques  rien  qui  ait  rapport  aux 
croyances  mithriaques,  bien  que  Tépoque  récente  de  la  plupart  de  ces 
monuments ,  dont  les  plus  anciens  remontent  à  peine  au  vu''  siècle  de 
Rome,  ou  à  la  fin  de  la  république,  permit  d'y  représenter  des  sym- 
boles du  culte  de  Mithra ,  déjà  connu  en  Italie  à  cette  époque.  Reste 
à  considérer  toute  une  classe  de  monuments  étrusques  récemment 
acquis  à  la  science  ^ ,  oii  Ton  a  cru  voir  une  idée  orientale,  la  lutte  da  ion 
et  da  maumis  génie ,  ou  des  deux  principes  da  mal  et  du  bien ,  représentée 
symboliquement  par  le  groupe  d'un  lion  assaillant  an  taureau,  image  que 
notre  auteur  rapporte  à  la  doctrine  du  dualisme  et  au  culte  de  Mitbra; 
d'où  il  suivrait  que  cette  doctrine  et  ce  culte  auraient  été  connus  des 
Etrusques  à  une  époque  bien  antérieure  à  celle  où  Ton  suppose  que 
la  religion  mitbriaque  pénétra  en  Italie ,  à  la  suite  de  la  victoire  de 
Pompée.  Mais  à  cette  supposition  de  notre  auteur  je  me  contenterai  de 
répondre  que  cette  idée  de  la  latte  des  deua  principes  n'était  pas  ex- 
clusivement propre  au  culte  de  Mithra  ;  qu'elle  était  fondamentale  et 
ancienne  dans  toutes  les  religions  asiatiques,  et  que  ce  groupe  du  lion  et 
du  taureau,  même  en  admettant  qu'il  ait,  sur  les  monuments  étrusques 
dont  il  s'agit ,  la  signification  que  lui  attribue  notre  auteur,  avait  trouvé 
un  grand  nombre  d'applications  sur  des  monuments  asiatiques  et  grecs, 
où  il  s'était  produit  sous  l'influence  d'idées  originaires  de  la  Chaldée  et 
de  la  Phénicie,  dès  une  époque  bien  antérieure  à  celle  où  M.  Grifi  place' 
la  réforme  introduite  par  Zoroastrc  dans  la  religion  des  Perses  ;  ce  qui 
tend  à  faire  croire  que  les  croyances  dont  ce  groupe  symbolique  était 
une  des  expressions  figurées  étaient   bien  plutôt  dérivées,  chez  lés 
Etrusques ,  de  communications  anciennes,  au  moins  indirectes ,  avec 
l'Assyrie,  que  de  rapports  avec  la  Perse,  dont  rien  n'indique  l'existence 
et  ne  fournit  la  preuve. 

Le  point  où  M.  Grifi  a  cru  trouver  entre  les  Perses  et  les  Etrusques 
l'analogie  de  croyance  la  plus  sensible,  et  conséquemment  l'argument 
le  plus  décisif  à  l'appui  de  cette  transmission  d'idées  d'un  peuple  i 
l'autre ,  dont  il  a  besoin  pour  justifier  son  système ,  c'est  la  doctrine  de 
cette  grande  année,  qui  parait  avoir  formé  le  fond  de  la  cosmogonie 
étrusque^,  et  qui  doit  avoir  eu  sa  source  primitive  dans  la  croyance 

'  M.  Grifi  cite  divers  monuments  publiés  par  M.  Micali,  Monum,  per  servira  alla 

storia  dei  nntichi  popoli  itaL  tav.  xxvni  ;  xxxi ,  i  ;  XLV ,  2  ;  XLix  ;  czvni ,  i  ;  1. 1 ,  c.  ZXll , 

p.  11 5,  ediz.  Milan,  auxquels  il  serait  facile  d'en  ajouter  beaucoup  d^autres.  — - 

Suid.  V.  Tv^prjvia,  Cf.  Censorio.  de  Deor,  Nat,  c  xvii  ;  Plutarch.  in  Syli  $  vu  ; 

Suid.  V.  2vXXo». 


424  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

des  Perses.  C'est,  effectivement,  d*après  cette  idée  persane  d*une  du- 
rée de«douz€  mille  ans  attribuée  au  monde  créé  et  distribuée  en  douze 
millénaires ,  qui  répondaient  aux  douze  stations  solaires  et  aux  douze 
signes  du  zodiaque,  que  M.  Grifi  explique^  les  douze  cercles  concen- 
triques ou  zones  du  pectoral  étrusque,  remplis  de  figures  symboliques 
qu  il  rapporte  de  même  à  la  religion  mitbriaque  ;  et  je  ne  saurais  nier 
que  cette  explication  ne  soit  très-ingénieuse,  et  quelle  ne  paraisse,  au 
premier  abord,  assez  plausible.  D*un  autre  côté,  je  ne  puis  dissimuler 
que ,  si  cette  doctrine  de  la  grande  année  des  Etrusques  ^  a  été  soutenue 
par  M.  Creuzer*  et  d autres  savants'^.  Vidée,  qui  paraît  véritablement 
empruntée  des  traditions  mosaïques^,  a  été  jugée  plus  récente,  à  ce 
titre,  par  plusieurs  antiquaires,  notanmient par  Heyne  ^  et  par  Ott.  Mûl- 
1er  ^  ;  en  sorte  que  ce  serait  encore  une  question  trop  problématique 
pour  .qu'on  pût  y  trouver  un  élément  de  probabilité  en  faveur  des  an- 
ciens rapports  entre  les  Perses  et  les  Etrusques.  J'avouerai,  pour  mon 
propre  compte,  que  le  témoignage  de  Théopompe  ®,  rapproché  de  ce- 
lui de  l'auteur  étrusque  anonyme  dont  Suidas  a  tiré  la  notion  curieuse 
qu'il  nous  a  transmise,  donne  à  cette  opinion  une  certaine  valeur,  en 
même  temps  qu  il  semble  lui  assigner  une  assez  haute  antiquité.  Quant 
à  la  voie  par  laquelle  la  tradition  cosmogonique  dont  il  s*agit  serait 
parvenue  chez  les  Etrusques,  celle  de  Pythagore  et  de  son  école,  qui 
fauraient  puisée  directementchez  les  mages,  disciples  de  Zoroastre,  je 
suis  obligé  de  dire  que  cette  solution,  proposée  par  M.  Creuzer^  et 
adoptée  par  M.  Grifi  ^®,  ne  me  satisfait  que  bien  faiblement;  et  le  prin- 
cipal défaut  que  j'y  trouve,  c'est  d'abaisser  jusqu'à  l'époque  présumée 
de  Zoroastre,  qui  est  celle  de  Darius,  fils  d'Hystaspe,  une  croyance  ita- 
lique ^^  qui,  si  elle  eut  réellement  cours  chez  les  Etrusques,  comme  il 

*  Grifi,  Monum.  di  Cere  antic.  p.  3;  p.  ao-ai;  p.  78,  3);  p.  85;  87;  89,  a),  et 
passim.  —  *  C*esl  le  sujet  d*une  disserlalîon  insérée  dans  les  Att.  di  Corlon.  I.  VIII, 
p.  198  sqq.  Cf.  Mazocch.  ibid,  t.  III,  p.  65.  —  'Creuzer,  SymhoUk,  t.  II,  p.  84 1- 
843,  2'  édit.  —  *  Niebuhr,  Hist,  Rom,  t.  I,  p.  i3i.  —  *  M.  Grifi  lui-même  en  fait 
l'aveu,  p.  89,  a),  95,  3).  —  *  Heyne,  Nov.  Comm.  Soc.  Gotting,  t.  VII,  p.  35  sqq. 
—  '  Ou.  Mùller,  die  Etmsker,  t.  II,  p.  4o-4i*  —  '  Theopomp.  Fragment,  n.  72, 
p.  71  et  160,  éd.  Wichers.  —  *  Symbolik,  t.  H,  p.  843.  —  **  Monum,  di  Cere,  etc. 
p.  3-4,  et  alibi,  —  "  Notre  auleur,  conséquent  en  ce  point  avec  lui-même,  explique 
les  rapports  symboliques  qu  il  croit  découvrir  sur  ce  qu  il  appelle  le  stemma,\eL  coif- 
fure hiératique,  entre  la  Perse  et  TEgypte,  par  la  connaissance  que  les  Perses  con- 
duits par  Cambyse  en  Egypte  avaient  pu  acquérir  des  superstitions  et  des  monu- 
ments de  ce  pays,  connaissance  antérieure  à  Tépoque  de  Zoroastre,  p.  100.  Mais,  à 
mon  avis,  s'il  existe,  comme  je  le  crois  aussi,  des  rapports  de  plus  d'un  genre  entre 
l'archéologie  asiatique  et  Tarchéologic  égyptienne ,  il  faut  en  chercher  Toriginc  bieu 
au  delà  de  Texpcdition  de  Cambyse ,  dans  le  fond  commun  de  doclrines  ei  de  croyance:» 


JUILLET  1843.  425 

est  difficile  d'en  douter,  doit  avoir  eu  chez  eux  une  origine  plus  an- 
cienne que  leur  commerce  avec  Técole  pythagoricienne  du  midi  de 
rilalie,  et  me  semble  bien  plutôt  avoir  ti'ouvé  son  principe  dans  tout 
lé  système  d'idées  asiatiques  que  les  Tyrrhéniens  de  Lydie  apportèrent 
avec  eux  en  Ilalic. 

Cest  la  même  observation  que  je  me  permettrais  de  faire  au  sujet 
des  autres  rapports  de  croyance  que  M.  Grifi  signale  entre  les  Perses 
et  les  Étrusques,  tels  que  le  dogme  du  dualisme,  représenté  symboli- 
quement par  le  simulacre  double  de  Porrima  et  Posverta ,  tels  aussi 
que  le  culte  de  Janus ,  dieu  de  Vannée,  diea  médiateur,  tel  qu  il  était  connu 
des  peuples  italiques,  et  que  M.  Grifi  assimile,  sous  ce  dernier  rap- 
port, au  Mithra  des  Perses.  Certainement,  ces  idées  de  dualisme,  sous 
les  diverses  formes  qu'elles  revêtirent  dans  la  symbolique  des  anciens 
peuples,  sous  celle  de  Porrima  et  de  Posverta,  et  de  Janus  lui-même, 
me  paraissent,  comme  à  M,  Grifi,  dérivées  d'une  source  asiatique;  mais 
est-ce  bien  à  la  religion  de  Mithra,  telle  qu'elle  fut  instituée,  suivant 
M.  Grifi  lui-même,  par  le  Zoroastre  contemporain  du  premier  Darius, 
qu'il  faut  rapporter  ces  croyantes  italiques,  au  lieu  d'y  voir  des  élé- 
ments d'mi  ancien  culte  asiatique,  qui  admettait  le  même  dogme  du 
dualisme,  représenté  pareillement  par  des  simulacres  de  dieux  à  double 
nature,  de  dieux  androgynes,  et  qui  aurait  été  apporté  en  Etnune 
par  l'émigration  tyrrhénienne?  A  mon  avis,  la  question  ainsi  posée 
doit  se  résoudre  dans  un  sens  contraire  au  système  de  M.  Grifr,  et 
c'est  ce  qui  résulte  jusqu'à  Tévidence  de  l'âge  même  de  quelques- 
uns  de  ces  monuments  italiques  empreints  d'idées  orientales,  tels 
que  ceux  de  notre  tombeau  de  Cœre,  certainement  antérieur,  comme 
nous  l'avons  montré,  à  la  fondation  de  Rome,  et  conséquemmentbien 
plus  ancien  que  l'époque  présumée  de  Zoroastre,  le  réformateur  du 
culte  des  Perses.  Mais,  avant  d'arriver  à  cette  seconde  question,  je  ne 
puis  m'empcchcr  de  faire  une  dernière  remarque  sur  un  autre  rapport 
que  M.  Grifi  signale  entre  la  religion  des  Perses  et  celle  des  Etrusques, 
rapport  consistant  en  ce  que  ces  deux  peuples,  séparés  par  un  si  grand 

où  les  Egypiiens  et  les  peuples  de  l'Asie  aniérieure  avaient  puisé  les  principaux  élé- 
ments dejeur  système  religieux,  tout  en  les  modifiant,  cliacun  suivant  son  génie 
propre  el  à  raison  de  circonstances  locales.  Cela  n*empcclie  pourtant  pas  qu'il  n'ait 
été  fait,  dans  les  temps  postérieurs  à  Cvrus  et  à  Cambyse,  certains  emprunts  à  Tar- 
cliéologie  ég>[)tienne  sur  des  monuments  de  la  Perse,  et  dans  ce  nombre  je  place 
aussi  la  figure  à  quatre  ailes,  ornée  d'une  coiffure  égyptienne,  qui  décore  le  célèbre 
pilier  de  Mourq-llaub  ;  mais  je  ne  regarde  pas  cette  figure  comme  celle  de  Cyra$ 
déijié,  suivant  l'interprétation  quen  a  donnée  M.  Grolefend,  et  qu'admet  M.  Griû, 
ihid.  p.  loo. 

54 


426  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

intervalle  de  temps  et  de  lieux,  reconnaissaient  T^in  et  Tautre  un  dieii 
suprême,  premier  principe  de  toutes  choses,  qui  s  appelait,  chez  les 
Perses,  Zervan-Akéréné ,  ou  le  temps  sans  limites,  et  D^mo^or^/on  chez  les 
Étrusques.  Or  voici,  à  ce  sujet,  l'observation  que  je  prends  la  liberté 
de  soumettre  à  M.  Grifi.  La  notion  du  temps  sans  limites,  du  Zervan- 
Akéréné,  ne  figiœe  que  dans  les  livres  zends,  dont  la  rédaction  plus 
ou  moins  récente  ne  saurait,  en  aucun  cas ,  s'attribuer  à  une  bien  grande 
antiquité.  Je  suis  loin  pourtant  de  prétendre  que  cette  notion  elle- 
même,  sous  sa  forme  primitive,  ne  remonte  pas  plus  haut  que  cette 
rédaction  des  livres  zends;  car  on  la  trouve  dans  d'anciennes  cosmogo- 
nies  asiatiques,  dont  nous  possédons  des  extraits  dus  à  d'anciens  au- 
teurs  grecs;  et  je  suis  convaincu  quelle  appartenait  originairement  à 
des  peuples  dont  la  civilisation  avait  précédé  de  beaucoup  celle  des 
Perses,  tels  que  les  Phéniciens  et  les  Assyriens;  en  sorte  que  ce  serait 
à  cette  source,  bien  plutôt  qu'à  celle  des  livres  zends,  que  je  serais  dis- 
posé à  rapporter  cette  croyance  d'un  dieu  suprême,  d'un  temps  sans  li- 
mites. Quant  à  l'existence  ^u  même  dieu,  sous  le  nom  de  Démogorgon, 
chez  les  Étrusques ,  sans  rejeter  absolument  cette  notion ,  j'avoue  qu'elle 
repose  sur  un  témoignage  bien  faible ,  celui  du  scholiaste  de  Stace  \  dont 
l'âge  est  bien  récent  et  le  savoir  bien  équivoque ,  pour  certifier  un  fait 
si  grave  et  d'une  si  haute  époque.  Il  n'en  existe  de  traces,  à  nia  con- 
naissance, dans  aucun  autre  auteur  ancien^,  et  ce  nom  même  de  Dé- 
mo^or^on  paraît  emprunté  au  culte  secret  des  sectes  gnostiques';  ce  qui 

*  Lutat.  Placid.  ad  Slat.  Theh.  iv,  5i5-6.  —  *  Le  nom  de  Démogorgon  ne  figure 
ni  dans  les  lexiques  grecs,  tels  que  le  Thésaurus  Unguœ  grœcœ,  de  la  récente  édition 
donnée  par  MM.  Dindorf,  avec  le  secours  de  M.  Hase,  ni  dans  les  dictionnaires  la- 
tins, tels  que  celui  de  Facciolati,  accru  par  Forcellini  et  par  Furianelto,  où  il  de- 
vait pourtant  trouver  place,  ne  fût-ce  qu*à  cause  de  ce  passage  du  scholiaste  de 
Stace.  Le  nom  Demogorgone,  qui  se  lit  dans  la  préface  des  Fables  d*Hygin,  p.  i4, 
éd.  Slaveren.  (p.  ii,  éd.  Munker.),  a  élé  reconnu  pour  une  interpolation  par  les 
plus  habile»  critiques,  y  compris  Heyne. — '  Voyez,  àce  sujet,  la  dissertation  de  Heyne 
intitulée  :  Démogorgon  dœmon,  e  disciplina  magica  repetitm,  dans  ses  Opusc,  Acad. 
t.  in,  p.  agi-Si/l-  Aux  yeux  de  l'illustre  professeur  de  Gœttingue,  la  doctrine  et  le 
nom  même  du  Démogorgon  seraient  d'une  invention  gnostique  ;  et  c'était  aussi  l'o- 
pinion d'Ott.  Mùller,  die  Etrusker,  t.  II,  p.  4o,  80).  Il  y  aurait  pourtant  quelques 
observations  à  faire  à  ce  sujet ,  en  se  fondant  sur  des  monuments  étrusques  d'une 
authenticité  non  douteuse  et  d'une  haute  antiquité.  Mais  ce  ne  pourrait  être  ici  le 
lieu  d'exposer  les  idées  que  ces  monuments  m'ont  suggérées,  et  je  les  réserve  pour 
un  travail  particulier.  Je  me  borne  à  dire  que  M.  Micali ,  en  admettant  la  notion 
du  Démogorgon  comme  tirée  des  livres  de  Tagcs,  me  parait  avoir  fait  une  applica- 
tion un  peu  hasardée  du  témoignage  du  scholiaste  de  Stace;  voy.  sa  Storia  dei  an- 
tichi  popoli  ital,  t.  U,  p.  101,  19),  et  t.  III,  p.  27,  16),  éd.  Milan. 


JUILLET  1843.  427 

nous  reporte  bien  bas  dans  Tantiquilé,  et  bien  loin,  par  conséquent,  de 
la  pure  doctrine  étrusque.  Mais  ce  n*est  là ,  toutefois,  qu  un  doute  que  je 
soumets  à  M.  Grifi,  et  dont  il  est  en  mesure  de  fournir  une  ^lutioo 
satisfaisante. 

Une  difficulté  non  moins  grave,  dont  j  ai  fait  mention  en  second 
lieu,  et  sur  laquelle  j'ai  déjà  exprimé  le  regret  que  notre  auteur  nait 
pas  donné  tous  les  éclaircissements  que  comportait  le  sujet,  c  est  celle 
de  savoir  jusqu*à  quel  point  il  est  permis  d'appliquer  les  textes  du 
Zend-Avesta  à  fexplication  des  objets  trouvés  dans  le  tombeau  de  Cœre. 
Ce  n  est  pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  une  discussion  critique  sur  la  va- 
leur et  l'authenticité  de  ces  textes,  sur  leur  âge,  sur  leur  autorité, 
toutes  questions  qui  ont  été  agitées,  depuis  l'apparition  du  livre  d'An* 
quetil-Duperron  jusqu'à  nos  jours,  dans  des  sens  très-divers,  et  qui  ne 
sont  pas  encore  fixées  avec  fassentiment  unanime  des  philologues.  Je 
n'ai  pas  davantage  l'intention  de  rouvrir,  sur  Zoroastre,  son  âge,  sa 
patrie,  son  existence  réelle  et  historique,  ou  supposée  et  mythique,  une 
discussion  si  souvent  engagée,  si  contradictoirement  débattue,  et  non 
encore  épuisée.  Je  me  contente,  pour  l'objet  de  l'examen  qui  nous 
occupe,  de  prendre  ces  questions  comme  M.  Grifi  les  a  posées  et  ré- 
solues pour  lui-même,  d'une  manière  qui,  du  reste,  s  accorde  avec  To- 
pinion  la  plus  générale;  je  regarde  donc  les  livres  zends,  que  nous 
devons  au  savant  français,  comme  une  compilation  exécutée  dans  le 
siècle  de  Darius  fds   d'Hystaspe,  mais  dont  la  rédaction  dut  subir, 
dans  le  cours  des  âges  suivants,  et  principalement  à  partir  de  fépoque 
sassanide,  des  interpolations  et  des  changements  de  plusieurs  sortes,  qui 
ne  peuvent  manquer  d'avoir  considérablement  modifié,  sur  beaucoup 
de  points,  la  doctrine  primitive,  et  qui  obligent  à  beaucoup  de  réserve 
et  de  circonspection  dans  l'usage  qu'on  peut  faire  de  ces  livres ,  où 
tout  n'est  certainement  pas  ni  également  ancien,  ni  proprement  per- 
sique.  Quant  à  Zoroastre,  je  le  regarde,  toujours  en  me  plaçant  dans 
les  idées  de  M.  Grifi,  comme  un  personnage  historique,  comme  un  ré- 
formateur de  la  religion  des  Perses,  dont  l'existence  peut  être  marquée 
vers  la  fin  du  vi*  siècle  avant  notre  ère ,  dont  la  patrie  put  être  l' Arie  ou 
laBactriane,  et  qui,  dans  l'espèce  de  conciliation  qu'il  entreprit  delà  doc- 
trine des  mages  de  la  Médie  avec  l'ancienne  religion  des  Perses,  fut 
naturellement  amené  à  introduire  dans  ce  ti*avail  éclectique  des  idées 
puisées  chez  les  Phéniciens,  chez   les  Hébreux,  et  surtout  chez   les 
Assyriens  de  Ninive  et  les  Chaldéens  de  Babylone  :  par  où  s'expliquent 
les  rapports  de  croyance  qui  existent  entre  les  dogmes  exposés  dans 
les  livres  zends  et  ces  divers  systèmes  religieux. 


42S  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Appliquant  maintenant  ces  notions,  que  je  déduis  du  livre  deM.Grifi^ 
et  auxquelles  je  souscris,  en  général ,  pour  mon  propre  compte,  à  Tex- 
pUcation  des  objets  recueillis  dans  le  grand  tombeau  de  Cœre,  il  est 
évident  que  l'âge  de  ces  monuments,  présumés  produits  sous  l'influence 
des  idées  mitbriaques  contenues  dans  leZend-Avesta,  doit  se  réputer  pos- 
térieur au  siècle  de  Darius,  fds  d'Hystaspe,  et  cela  encore  d'un  espace 
de  temps  suffisant  pour  donner  à  cette  doctrine,  rédigée  dans  l'idiome 
de  la  Perse,  au  fond  de  l'Asie  antérieure,  le  temps  d'arriver,  à  travers 
tant  de  langages  et  de  peuples  différents,  jusque  dans  le  cœur  de  l'Étrurie  : 
ce  qui  tend  à  assigner  à  notre  tombeau  de  Cœre  une  antiquité  de  bien 
peu  supérieure  au  v*  siècle  avant  notre  ère.  Or  c'est  là  une  conclusion 
qui  se  déduit  invinciblement  des  données  admises  par  M.  Grifi,  et  qui 
se  trouve  en  une  contradiction  évidente  avec  l'ensemble  des  faits  qui 
résultent  d'une  manière  non  moins  positive,  à  mon  avis,  de  l'examen 
arcbiteclonique  du  monument;  à  cet  égard,  je  ne  puis  que  m'en  ré- 
férer au  travail  dont  ce  monument  m'a  fourni  le  sujet  \  et  d'après  lequel 
nos  lecteurs  ont  déjà  pu  se  former  une  idée  de  sa  structure,  et,  par 
une  conséquence  nécessaire ,  apprécier  son  antiquité  relative.  Si  donc 
il  est  avéré,  comme  cela    est  démontré  pour  moi  par  tous  les  ca- 
ractères architectoniques  du  monument,  que  le  grand  tombeau  de  Cœre 
fut  construit ,  dans  l'état  où  il  nous  est  parvenu,  et  rempli  des  objets  qui 
y  furent  trouvés  dans  leur  place  et  dans  leur  disposition  primitives,  au 
plus  tôt  dans  le  vn'  siècle  avant  notre  ère,  il  suit  de  là  qu'il  est  impos- 
sible que  les  dogmes  de  la  religion  mithriaque ,  tels  qu'ils  avaient  pu 
être  exposés  dans  la  rédaction  primitive  du  Zend-Avesta,  aient  reçu  une 
application  figurée  sur  les  objets  sacrés  déposés  dans  ce  tombeau.  Voilà, 
sans  contredit,  une  difficulté  grave ,  qui  eût  bien  mérité  que  M.  Grifi ,  qui 
connaissait  le  livre  de  M.  Canina,  publié  trois  ans  avant  le  sien,  et  qui  s*en 
est  servi^,  s'expliquât  sur  la  manière  dont  il  se  rendait  compte  d'une  con- 
tradiction si  forte  entre  son  système  d'interprétation  et  l'âge  constaté  du 
monument.  Je  n'ai  point  fait  intervenir  dans  cette  discussion  une  diffi- 
culté accessoire,  dont  j'avoue  que  je  ne  tiens  pas  beaucoup  de  compte, 
et  à  laquelle  M.  Grifi  a,  d'ailleurs,  répondu  à  peu  près  suffisamment, 
celle  de  l'absence  de  toute  espèce  de  simulacres  divins  dans  le  culte  des 
Perses,   suivant  le  témoignage  exprès  d'Hérodote^.  Celte  notion  ne 
peut  s'appliquer  qu'à  l'ancienne  religion  des  Perses* ,  pour  les  temps  an- 

'  Voy.  Journal  des  Sav.  juin  i843,  p.  3^8-353.  —  *  La  planche  xii  du  livre  de 
M.  GriU  a  été  empruntée  à  celui  de  M.  Canina.  —  '  Herodol.  i ,  1 3 1  ;  cf.  Sirabon,  1.  xv, 
p.  73a;  Clilarch.  apad.  Diogen.  Laerl.  inProœm.  S  6;  Clem.  Alex.  Protrept.  S  v,  p.  56. 
—  *  C*est  ainsi  qu*en  ont  jugé  les  plus  habiles  critiques  modernes ,  dont  Topinion , 


JUILLET  1843.  429 

teneurs  à  Cyrus,  puisque,  à  partir  de  cette  époque,  les  rapports  intimes 
des  Perses,  devenus  maîtres  de  Tempire  d'Assyrie,  avec  les  peuples  de 
cet  empire,  durent  modifier  considérablement  leurs  idées  religieuses  \ 
et  les  induire  à  exprimer  leurs  croyances  sous  des  formes  sensibles,  par 
des  procédés  graphiques,  dont  il  est  infiniment  probable  qu'ils  trou- 
vèrent les  modèles  dans  les  monuments  de  Babylone.  A  cet  égard,  les 
murs  de  Persépolis,  tout  couverts  de  figures  symboliques,  ne  sauraient 
laisser  aucun  doute;  et,  probablement,  ces  sculptures  mêmes  de  Per- 
sépolis, d'une  exécution  si  ferme  et  si  savante,  ne  furent  pas  les  pre- 
miers essais  d'un  art  appelé  à  exprimer  les  idées  religieuses  du  peuple 
dont  ils  étaient  l'ouvrage.  Le  même  fait  aurait  donc  bien  pu  se  pro- 
duire aussi  chez  les  Etrusques,  si  les  mêmes  croyances,  qui  avaient 
déjà  trouvé  leur  expression  figurée  chez  les  Perses,  avaient  été  portées 
en  Etrurie;  et,  de  cette  manière,  la  difliculté  se  trouve  toujours  ré- 
duite à  la  question  chronologique,  la  seule  qui  ait  réellement  de  l'im- 
portance, et  qui  soit  aussi  d'une  gravité  telle,  quelle  implique  tout  le 
système  d'interprétation  de  M.  Grifi. 

La  dernière  observation  préliminaire  qui  me  reste  à  faire ,  et  que  j'ai 
indiquée  en  troisième  lieu,  porte  sur  le  gisement  même  des  objets  où 
M.  Grifi  a  cru  trouver  des  symboles  de  la  religion  mithriaque,  et  qu'il 
regarde,  à  ce  titre,  comme  autant  de  pièces  du  costume  hiératique  d'un 
pontife  étrusque.  C'est  ici  une  question  de  fait,  qui  ne  semble  pas  pou- 
voir donner  lieu  à  beaucoup  de  difficulté.  Les  deux  individus  déposés 
dans  le  tombeau  de  Cœre  occupaient  chacun  une  des  deux  pièces  de 
l'hypogée  ;  celle  de  ces  deux  personnes  qui  avait  été  placée  dans  la 
chambre  du  fond,  et  à  l'intention  de  laquelle  avait,  sans  doute,  été  cons- 
truit le  monument,  avait  eu  le  corps  entièrement  couvert  de  ces  sortes 
d'objets  en  or  qui  composent  la  parure  des  femmes,  tels  que  bracelets, 
collier,  ornements  pour  la  tête  et  pour  la  poitrine,  amulettes  d'ambre  sertis 

exposée  par  M.  Baehr,  ad  Herodol.  i,  i3i,  t.  I,  p.  Soy-S,  se  trouve  d'accord  avec 
les  monuments;  voyez  à  ce  sujet,  les  observations  de  M.  Fr.Crcuzer,  SymhoUk,  1. 1, 
p.  65i  et  719,  2*  éd.,  et  celles  de  M.  Grolefend,  dans  VAmaUhea  de  Boetli^er,  l.  IH, 
p.  69  et  suiv.  —  *  M.  GriQ  lui-môme  n'admet  le  témoignage  d'Hérodote  que  pour  les 
temps  qui  précédèrent  Zoroastre ,  p.  io4,  et  1 13,  i) ,  en  quoi  je  suis  tout  à  fait  de 
son  avis.  Mais  il  lait  remonler  les  emprunts  que  les  Perses  purent  faire  au  culte 
des  Assyriens  jusqu'à  l'époque  où  ce  peuple  était  lombé  sous  la  domination  des  rois 
•d'Assyrie,  jusqu'au  règne  deZohauk,  et  en  cela  il  suit  l'opinion  deMalcolm,  Hist. 
of  Persia,  1. 1,  p.  270.  Mais,  à  cet  égard  ,  on  ne  peut  se  livrer  qu'à  des  suppositions 
qui  manquent  de  bases  historiques;  et  la  conjecUire  de  noire  auteur,  que  les  Perses 
apprirent,  sous  le  règne  de  Zoliauk,  à  célébrer  le  culte  de  leur  Mithra  avec  les  rites 
dissolus  propres  à  celui  de  la  Afj/û/a  babylonienne,  pourrait  bien  être  dans  ce  cas. 


430         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

en  or, Jibales  au  nombre  de  vingt  et  une,  et  plaqaes  d*or  innombrables, 
pour  être  cousues,  avec  de  petits  morceaux  d'ambre,  sur  le  vêtement 
ihortuaire.  Près  du  corps  avaient  été  placés  d'autres  objets  en  argent, 
à  Tusage  des  femmes,  notamment  un  fuseau,  et  plusieurs  vases  aussi 
d'argent,  dont  quatre  portaient,  en  caractères  étrusques  gravés  au 
poinçon,  l'inscription  :  i\\9<\Ç\j  et  fllS^fl^lW,  Larthia  et  Mi  Larthia, 
sans  doute  le  nom  de  la  personne  à  qui  ils  avaient  appartenu;  et  ce 
nom,  qui  est  le  prénom  féminin  étrusque,  ne  pouvait  avoir  été  porté 
que  par  une  femme.  Jusqu'ici  donc,  toutes  les  présomptions  se  réunis- 
sent pour  faire  considérer  comme  une  femme  la  personne  qui  avait  em- 
porté dans  sa  tombe  celte  riche  garde-robe  funéraire.  Les  mêmes  pré- 
somptions tendent  à  signaler  comme  un  homme,  guerrier  ou  pontife, 
et  probablement  l'un  et  l'autre  à  la  fois,  le  personnage  enseveli  dans  la 
pièce  antérieure;  car,  ici ,  le  chat  et  le  lit  de  bronze,  les  vases  de  bronze,  les 
boucliers,  les  flèches  et  les  autres  instruments  de  guerre  ou  de  sacrifice,  s'ac- 
cordent parfaitement  avec  cette  supposition.  M.  Grifi  n'a  point  fait  cette 
distinction  importante ,  et  par  là  il  me  semble  qu'il  a  contribué  lui-même 
è  jeter  du  doute  sur  tout  son  système  d'interprétation.  En  voyant,  sur  le 
pectoral  et  sur  Vornement  de. tête  en  or,  deux  objets  qui ,  par  leur  nature  et 
parieur  matière,  semblent  n'avoir  pu  servir,  le  dernier  surtout,  que  pour 
une  femme,  des  symboles  qui  lui  ont  paru  propres  à  établir  le  caractère 
sacerdotal  du  défunt ,  M.  Grifi  a  laissé  subsister  contre  son  explication  des 
objections  très-fortes.  Comment,  en  effet ,  a-t-il  pu  prendre  pour  un  pon- 
^e  l'individu  que  tout  tend  à  faire  reconnaître  pour  une  femme?  Com- 
ment a-t-il  pu  attribuer  ces  bijoux  d*or,  ce  collier,  ces  bracelets ,  qui  com- 
posaient, avec  le  pectoral,  une  même  toilette  funéraire,  à  un  homme, 
même  revêtu  d'un  titre  sacré,  quand  on  sait,  par  tant  de  témoignages  et 
de  documents ,  que  ces  sortes  d'objets ,  sous  cette  forme  et  de  ce  métal , 
étaient  exclusivement  à  l'usage  des  femmes  *?  Comment  enfin  n'a-t-il 
pas  tenu  compte  de  ce  nom  de  Larthia,  qui  ne  peut  convenir  qu'à  une 
femme,  et  qui  se  trouverait  pourtant  sur  des  vases  placés  près  du  corps 
d'un  pontife  étrusque,  dans  l'hypothèse  de  M.  Grifi?  Voilà,  sans  doute, 

^  li  suffit  de  parcourir  les  collections  de  monuments  étrusques  pour  se  convaincre 
qae  les  figures  d'hommes  et  de  femmes  couchées  sur  les  couvercles  d'urnes  ciné- 
raires sont  généralement,  les  premières,  demi-nues,  avec  la  toge  funéraire  et  le  col- 
iier  de  laine,  les  secondes,  vêtues  et  chargées  de  toute  sorte  de  bijoux ,  qui  devaient 
être  en  or,  comme  on  en  a  trouvé  un  si  grand  nombre  dans  les  tombeaux  étrusques  ; 
\  vov.  par  exemple,  Mus,  Chiusin.  1. 1,  tav.  xiv,  xxix,  xui  ;  Micali ,  Monum,  per  servire 
ém  sioria  de'  antichi  popoli  ilaliani ,  tav.  lx  ,  cv  ;  Vermiglioli ,  Sepolcro  de'  Volunni , 
Utf.iu,  1,  a;  IV,  3,  A;  v,  5. 


JUILLET  1843.  431 

d*assez  graves  objections,  qui  méritaient,  à  ce  qu'il  nous  semble,  que 
notre  auteur  se  donnât  la  peine  de  les  résoudre,  avant  d'appliquer  aux 
objets  en  question  un  système  d'interprétation  qui  ne  laisse  pas  d'of- 
firir  par  lui-même  de  sérieuses  difficultés.  Il  est  vrai  que  M.  Grifi  s'au- 
torise des  usages  de  la  Perse,  où  le  collier,  la  tiare,  les  bracelets,  le  vê- 
tement tissu  d'or,  étaient  portés  par  les  mages  \  pour  justifier  la  présence 
de  ces  objets  sur  le  corps  d'un  pontife,  qu'il  regarde  comme  un  mage 
lui-même;  mais  c'est  là  une  supposition  bien  difficile  à  admettre,  quand 
il  s'agit  d'un  monument  étrusque,  du  tombeau  d'un  personnage  étrusque. 
En  tout  cas,  je  soumets  ces  observations  au  jugement  de  M.  Grifi ,  pour 
qu'il  décide  lui-même ,  après  un  nouvel  examen  des  faits  qui  se  rappor- 
tent à  la  découverte  du  monument  et  des  objets  qu'il  a  sous  les  yeux, 
jusqu'à  quel  point  les  doutes  que  je  viens  d'exposer  sont  dignes  d'être 
pris  par  lui  en  considération. 

En  attendant  ces  éclaircissements ,  que  je  souhaite  vivement  d'obte- 
nir d'un  antiquaire  tel  que  M.  Grifi ,  qui  joint  à  tout  le  savoir  néces- 
saire une  sagacité  remarquable,  je  ne  puis  que  maintenir  l'opinion  gé- 
nérale que  je  me  suis  faite  des  objets  déposés  dans  le  tombeau  de  Cc^e, 
en  les  examinant  au  Vatican  avec  M.  Griû  lui-même,  et  en  les  étudiant 
avec  tout  le  soin  possible  dans  les  excellents  dessins  qu'il  en  publie  et 
d'après  les  vues  ingénieuses  qu'il  en  déduit.  Je  suis  complètement  d'ac- 
cord avec  lui  que  tout  est  asiatique  dans  les  figures  et  les  symboles  qui 
décorent  les  objets  d'or,  d'argent  et  de  bronze,  déposés  dans  ce  tom- 
beau; j  y  reconnais  de  même  avec  lui,  jusque  dans  les  produits  d'une 
industrie  locale ,  les  traditions  d'un  art  qui  tient  à  la  fois  de  l'Asie  et  de 
rÉgypte  ;  enfin,  je  n'y  découvre  rien  qui  se  rapporte  directement  à  une  in- 
fluence hellénique.  Sur  tous  ces  points,  et  ce  sont ,  sans  contredit,  les 
plus  importants,  fopinion  de  M.  Grifi  me  pai*ait  tout  à  fait  conforme 
à  la  science,  et  je  la  partage  entièrement.  Le  dissentiment  que  je  me 
permets  d'exprimer  à  l'égard  de  ses  idées  porte  sur  le  système  d'inter- 
prétation qui  lui  fait  trouver  des  symboles  de  la  reUgion  mitbriaque  sur 
des  monuments  étrusques ,  dont  il  est  obligé ,  par  ce  motif,  de  rabais- 
ser l'âge  jusqu'au  v*  siècle  avant  notre  ère  ;  et  j'avoue ,  que ,  sur  ces 
deux  points ,  le  culte  de  Mithra  transmis  des  Perses  aux  Étrusques 
et  le  tombeau  de  Cœre  dépos^dé  de  sa  haute  antiquité,  ma  conviction 
résiste  à  tous  les  aliments  de  notre  auteur,  bien  que  je  reconnaisse 
avec  plaisir  qu'il  y  a ,  dans  l'emploi  des  textes  du  Zend-Avesta  appli- 
qués à  l'explication  du  pectoral,  une  foule  de  rapprochements  qui 

^  Monum.  di  Cere ,  ete,  p.  iSy-i^o. 


432  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

semblent  aussi  plausibles  quils  sont  certainement  ingénieux.  Mais, 
du  reste,  ce  dissentiment,  quil  ne  m'est  point  possible  de  ne  pas 
exprimer,  nest  pcut-êlre  pas,  au  fond,  aussi  grave  qu'il  peut  le  pa- 
raître à  nos  lecteurs.  Dans  mon  opinion,  et,  sans  doute,  dans  celle  de 
M.  Grifi  lui-même,  la  religion  dont  Zoroaslre  fut,  sinon  l'instituteur, 
au  moins  le  réformateur,  et  dans  laquelle  Mithra  finit  par  prendre  une 
importance  prépondérante,  comme  Osiris  en  Egypte  et  Bacchus  chez 
les  Grecs,  trois  expressions  diverses  d'une  même  pensée  religieuse,  et 
trois  faits  analogues  dans  l'histoire  des  croyances  de  l'humanité,  cette 
religion,  dis-jc,  dut  emprunter  beaucoup  de  ses  dogmes  et  la  presque 
totalité  de  ses  symboles  au  système  religieux  des  Assyriens  de  Ninive  et 
des  Chaldéens  de  Babylone;  car  déjà,  du  temps  d'Hérodote \  Mithra, 
divinité  femelle,  s'assimilait  à  la  AJylitla  Babylonienne;  et,  à  peine  un 
demi-siècle  plus  tard,  Mithra  était  devenu,  du  moins  pour  Xénophon  ^ 
le  grand  dieu  des  Perses;  contradiction  qui  n'est,  sans  doute,  qu'appa- 
rente, et  qui  s'explique  aisément  par  la  nature  androgyne  de  ce  dieu 
Mithras-Mithra^y  semblable,  sous  ce  rapport,  à  tant  d'autres  dieux  des 
religions  asiatiques.  Le  culte  de  Mithra  dut  donc  être ,  dans  la  forme 
nouvelle  qu'il  reçut  de  Zoroaslre,  modelé  en  grande  partie  sur  celui  de 
Mylitta;  et,  comme  les  Perses  manquaient ,  jusqu'alors,  suivant  le  té- 
moignage exprès  d'Hérodote ,  que  rien  ne  contredit ,  ni  dans  l'histoire 
ni  dans  les  monuments,  de  signes  figurés  propres  à  rendre  leurs  idées 
religieuses \  et  qu'ils  trouvaient  abondamment,  sur  les  monuments  de 
Babylone ,  des  modèles  déjà  consacrés  pour  exprimer  des  croyances  qui 
leur  étaient  devenues  communes,  tout  nous  autorise  à  croire  qu'ils  se 

*  Herodol.i,  i3i.  —  *Xcnoph.  Cyrop,  vn,  5,  18;  Œconom.  iv,  2^.  —  '  C'est  ainsi 

que  M.  Crciizer,  Goenep,  et  la  plupart  des  mylhographes  modernes,  ontchcrclié  à 86 

rendre  coinple  de  celle  conlradiclion,  et,  quoi  qu'en  dise  M.  Gril'i,  p.   106-107, 

cette  explication ,  qui  a  pour  elle  le  témoignage  môme  des  livres  zcnds ,  est  encore 

la  plus  plausible  et  la  mieux  d'accord  avec  l'ensemble  des  textes  et  des  monuments. 

—  *  M.  Grifi,  tout  eu  admettant  le  témoignage  d'Hérodote,  répété  plutôt  encore 

que  conlirmé  par  Slrabon ,  1.  XV,  p.  -jSq  ,  est  d'avis  que  les  Perses  employaient 

des  figures  luimaines  pour  exprimer  symboliquement  des  idées  religieuses,  sans 

leur  rendre,  toutefois,  un  culte  divin  ,  et  il  s'autorise,  à  ce  sujet,  des  sculptures  de 

rerscpolis  et  d'autres  endroits  de  la  Perse,  p.  25-26,  2).  Mais  ces  monuments 
ofonf  in„g  d'une  é"'^"""  ««o»/„:««««  «  r.,^..^ ^^,^.,^..t  „:«^  a.  va^^^a  ,i^„  »^^ — 

dent ,  et 

ajoute  q'  . 

la  même  idée,  p.  77,  les  sculptures  de  Tschelminar  et  de  PcrsèpoUs,  comme  appar- 
tenant à  deux  localités  distinctes,  telles  que  celle  de  MourglJaub,  notre  auteur  a 
commis  une  Kgèie  inexaclilude,  puisque  les  seules  sculptures  de  PersépoUs  qu'il  ait 
eues  en  vue  sont  celles  du  palais  des  rois,  nommées  aujourd'hui  Tschelminar. 


JUILLET  1843.  433 

servirent,  pour  leur  propre  usage ,  de  ces  figures  symboliques,  que  Tart 
babylonien  avait  multipliées  sous  toutes  les  formes;  et,  sur  ce  point,  les 
monuments  viennent  encore  à  l'appui  de  la  présomption  historique. 
Les  sujets  gravés  sur  les  cylindres  persépolitains  et  sur  les  cylindres 
babyloniens  offrent  tant  d'analogie ,  qu'il  est  souvent  bien  difficile  de 
les  distinguer  autrement  que  par  les  inscriptions,  qui  sont  toujours, 
sur  ces  derniers,  conçues  dans  le  même  système  d'écriture  cunéiforme 
que  celle  qui  paraît  sur  les  briques  de  Babylone.  kPersépolis  même  et  à 
Pasargades,  où  tout  dut  être  proprement  et  piu'ement  persique ,  la  plupart 
des  figures  symboliques  qui  se  rapportaient  à  une  intention  religieuse , 
telles  que  les  animaux  à  double  nature,  telles  surtout  que  le  fameux 
groupe  colossal  du  personnage  combattant  un  animal  chimérique,  sont  cer- 
tainement empruntées  à  Tart  babylonien  ;  et  la  célèbre  figure  â  quatre 
ailes  du  pilier  de  Mourg-Haub  avait  eu  son  modèle  dans  un  grand 
nombre  de  figures  semblables  que  nous  offrent  les  cylindres  babylo- 
niens ,  et  qui  étaient  une  conception  propre  au  système  figuratif  des 
Assyriens,   aussi  bien  quà  celui  des  Phéniciens. 

Cela  posé,  et  en  me  bornant  à  cette  indication  générale,  que  ce  ne 
peut-être  ici  ni  le  lieu  ni  le  moment  de  justifier  par  des  explications 
particulières,  il  me  semble  qu'on  pourrait  rendre  compte  des  figures 
et  des  symboles  représentés  sur  les  objets  du  tombeau  de  Cœre, 
que  M.  Grifi  croit  puisés  dans  la  religion  mithriaque,  en  y  voyant  un 
emprunt  fait  à  Tarchéologie  assyrienne ,  et  que  cette  explication  aurait 
l'avantage  de  conserver  aux  idées  de  M.  Grifi  toute  leur  valeur,  sans 
rien  retrancher  de  la  haute  antiquité  du  tombeau  de  Cœre,  C'est  ce 
que  je  vais  m'attacher  à  montrer,  en  entrant  dans  quelques  explicationSr 
Mais  le  défaut  d'espace  m'oblige  de  renvoyer  ces  explications  à  un 
prochain  article. 

RAOUL-ROCHETTE. 

[La  fin  aa  prochain  cahier.  ) 


55 


434  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


Tables  pour  le  calcul  des  syzygies  écliptiques  et  non  écliptigues,  par 
M.  Largeteau,  adjoint  du  bureau  des  longitudes.  Brochure  in-S** 
de  3o  pages,  annexée  à  la  Connaissance  des  temps  pour  1 846. 
Paris,  i843. 

PREMIER   ARTICLE. 

*Nous  n'avons  besoin  d'aucune  apologie  pour  présenter  aux  lecteurs 
du  Journal  des  Savants  l'annonce  de  simples  tables  numériques,  desti- 
nées à  faciliter  quelques  calculs  d'astronomie.  La  composition  variée 
des  articles  que  leur  offre  habituellement  notre  recueil  a  du  s'accorder 
avec  leurs  propres  reflexions  pour  leur  prouver  que  toutes  les  con- 
ceptions de  Tesprit  se  prêtent  un  mutuel  secours,  les  diverses  éludes 
intellectuelles  s'associant  dans  une  science  commune  et  générale,  dont 
chaque  partie  profite  à  toutes  les  autres ,  comme  les  branches  d'un  grand 
atbre  concourent  pour  constituer  sa  force  et  pour  assurer  son  accroisse- 
ment. Et,  de  même  que,  dans  le  travail  mécanique,  les  perfectionne- 
ments apportés  aux  plus  simples  rouages  ont  souvent  des  conséquences 
de  première  importance  pour  la  production  des  effets  généraux,  de 
même,  dans  le  travail  de  la  pensée,  tout  ce  qui  en  abrège  ou  en  sim- 
plifie l'exercice  étend  son  pouvoir  et  ses  résultats  presque  autant  que 
de  nouvelles  découvertes.  Pour  les  sciences  physiques  et  mathématiques, 
en  particulier,  quand  on  étudie  avec  attention  leur  marche  progressive , 
on  est  surpris  de  voir  que  des  conceptions ,  d'ordres  en  apparence  très- 
divers,  et  ayant,  à  ce  qu'il  semblé,  des  valeurs  propres  très-inégales, 
peuvent,  par  le  mode  d'action  le  plus  dissemblable,  exercer  sur  leur  dé- 
veloppement des  influences  presque  également  fécondes.  Tout  le  monde 
comprend  la  grandeur  des  idées  qui  nous  découvrent  des  lois  naturelles 
jusqu'alors  inconnues,  en  nous  initiant  dans  le  secret  de  leurs  principes 
et  de  leurs  conséquences;  Newton,  par  exemple,  démontrant  la  gravi- 
tation universelle,  et  dérivant  de  là,  par  un  nouveau  genre  de  calcul, 
toute  la  mécanique  des  cieux.  Mais  ce  que  l'on  conçoit  moins  générale- 
ment, et  ce  que  je  crois  pourtant  pouvoir  avancer  sans  blasphème ,  une 
simple  invention  arithmétique,  celle  des  logarithmes,  a  peut-être  été 
aussi  fructueuse  pour  les  sciences  exactes,  en  centuplant,  et  c'est  peut- 
être  trop  peu  dire,  la  vie  intellectuelle  des  géomètres,  des  physiciens, 
des  astronomes;  en  leiu:  rendant  possibles,  même  faciles  et  courtes,  des 
multitudes  infinies  de  recherches  jusqu'alors  inabordables  par  leur  com- 


JUILLET  1843.  435 

plicatlon  excessive;  en  leur  donnant  enfin  le  pouvoir  de  mettre  en 
contact  numérique  des  résultats  si  distants,  qu'ils  n auraient  pas  même 
auparavant  songé  à  chercher  ou  à  soupçonner  leurs  rapports.  Cette  im- 
portante  invention  fut  aussi,  à  la  vérité,  une  œuvre  de  génie  non  moins 
que  le  produit  d'une  ténacité  d'idées  presque  incroyable,  surlout  si  Ton 
considère  le  temps,  le  lieu,  et  le  mode  de  l'exécution  ^  Mais,  à  un  grand 
intervalle  au-dessous  de  ces  qualités  si  rares,  la  patience  instruite  et  la- 
borieuse peut  encore  rendre  des  seiTices  du  même  genre ,  quoique  d^une 
utilité  plus  restreinte,  en  extrayant  des  méthodes  numériques  déjà  in- 
ventées les  éléments  principaux  des  résultats  qu'elles  donnent,  pour  les 
combiner  seuls  entre  eux,  de  manière  à  reproduire  les  valeurs  de  ces 
résultats,  non  plus  rigoureuses  ni  complètes,  seulement  a[)prochées, 
mais  d'une  formation  si  facile  et  si  rapide  dans  leur  limitation  approxima- 
tive, que  l'on  puisse,  avec  un  faible  travail,  les  réaliser  en  très-grand 
nombre,  connaître  à  peu  de  chose  près  leurs  valeurs  absolues,  relatives, 
manifester  leurs  circonstances  principales,  développer  la  série  progres- 
sive de  leur  succession,  et  enfin  les  comparer  entre  eux  sous  ces  divers 
rapports,  sinon  avec  autant  de  rigueur  que  s'ils  étaient  complets,  du 
moins  avec  autant  d'utilité  réelle  dans  une  foule  d'applications,  que  Ton 
ne  se  résoudrait  jamais  à  entreprendre  avec  les  valeurs  rigoureuses,  à 
cause  de  la  fatigue  excessive,  et  peut-être  finalement  infructueuse,  que 
leur  réalisation  exigerait.  Le  petit  otivrage  de  M.  Largeteau,  que  nous 
annonçons  ici,  est  précisément  de  cette  nature  ;  et,  tant  à  cause  de  son 
utilité  propre,  que  par  l'exemple  qu'il  donne  des  services  que  Ton  peut 
rendre  en  entrant  dans  cette  voie  de  simplification  trop  peu  pratiquée, 
nous  avons  pense  qu'il  convenait  d'en  signaler  ici  l'existence  ainsi  que 
les  principales  applications,  qui  pourront  servir  aux  érudits  comme  aux 
astronomes. 

Les  géomètres  du  xvin*  siècle ,  ces  hommes  que  leur  supériorité  au- 
dessus  de  nous  présente  à  notre  admiration  comme  ayant  été,  pour 
ainsi  dire,  d'une  autre  nature,  Euler,  d'Alembert,  Clairault,  Laplace, 
Lagrange,  se  sont  attachés  à  développer  les  effets  de  la  gravitation  sur 
le  sphéroïde  lunaire  avec  un  concours  d'efforts  tel,  que  les  moindres 
mouvements  de  ce  satellite,  si  variable  dans  sa  marche,  se  prédisent 
aujourd'hui  par  le  calcul,  ou  se  déterminent  dans  le  passé  par  une  com- 
putation  rétrograde,  avec  une  exactitude  que  les  observations  les  plus 
délicates  ne  surpassent  point,  si  même  elles  parviennent  à  l'égaler. 

'  Voy.  les  articles  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Napîer ,  insérés  dans  le  Journal 
âes  Savants,  année  i835. 

55. 


436  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Mais  les  attractions  du  soleil  et  de  la  terre ,  qui  régissent  ces  moove- 
ments,  étant  sans  cesse  modifiées,  dans  leurs  particularités  d'intensité 
et  de  direction ,  par  les  différences  des  aspects  sous  lesquels  la  terre  et 
la  lune  se  présentent  Tune  à  Tautre,  à  cause  de  leui*  proximité  mu- 
tuelle jointe  à  leur  configuration  non  sphérique,  la  multiplicité  des 
termes  nécessaires  pour  les  exprimer  complètement  est  rendue  fort 
considérable  ;  de  sorte  que  le  calcul  complet  d  un  lieu  de  la  lune  de- 
vient un  travail  extrêmement  long,  difficile,  qui,  pour  les  époques  an- 
ciennes surtout,  ne  peut  être  exécuté  avec  succès,  ou  même  entrepris 
sans  risque  de  fautes  graves,  que  par  un  calculateur  très-exercé.  Ce- 
pendant il  y  a  une  foule  de  recherches  pour  lesquelles  cette  rigueur 
absolue  n  est  point  nécessaire.  Par  exemple ,  lorsqu'on  veut  seulement 
connaître  la  possibilité  ou  l'impossibilité  d  une  ancienne  éclipse,  soit  de 
lune,  soit  de  soleil,  qui  aurait  été  visible  ou  invisible  en  tel  ou  tel 
point  du  globe ,  il  suffirait  le  plus  souvent  de  savoir  assigner  ces  par- 
ticularités avec  certitude,  à  quelque  minutes  près.  Comme  aussi,  pour 
Tapplication  générale  des  phases  lunaires  aux  calendriers  antiques  ou 
aux  usages  civils  des  anciens  peuples,  la  détermination  de  ces  phases, 
dans  les  mêmes  limites  d'approximation,  serait  toujours  parfaitement 
suffisante,  puisque  les  dates  de  jours  et  d'heures  qui  en  résulteraient 
seraient  encore  beaucoup  plus  précises  qu'on  n'a  pu  les  obtenir  alors 
par  l'observation  immédiate ,  ou  par  l'emploi  des  périodes  révolutives , 
dont  les  prédictions,  n'étant  applicables  qu'aux  lieux  moyens,  ont  du 
être  sans  cesse  démenties  par  les  variations  des  inégalités  périodiques 
entre  les  époques  comparées.  Or,  d'après  le  mode  de  construction  de 
nos  tables  lunaires ,  le  calcul  de  ces  résultats  approximatifs  serait  encore 
fort  pénible;  et  celui  qui  voudrait  l'entreprendre  sans  y  être  préparé 
par  une  pratique  habituelle  de  leur  manipulation  risquerait  fort  de 
tomber  dans  de  graves  erreurs.  Il  était  donc  à  désirer  qu'on  les  modi- 
fiât pour  ce  but  spécial  des  approximations ,  en  les  restreignant  aux  seuls 
termes  d'un  emploi  nécessaire  ;  de  manière  qu'alors ,  au  lieu  d'avoir  à 
en  extraire  ces  tennes,  et  à  les  séparer  de  ceux  qui  deviendraient  inu- 
tiles, on  les  trouvât  déjà  tous  choisis  et  rassemblés  dans  quelques  pages 
de  nombres  que  l'on  n'aurait  plus  qu'à  consulter  immédiatement,  pour 
chaque  date  ancienne  ou  moderne  à  laquelle  on  voudrait  les  appliquer. 
Voilà  précisément  ce  qu'a  effectué  M.  Largeteau.  Mais  la  distinction 
des  termes  qu'il  convenait  de  choisir  ou  de  rejeter,  les  conditions  à 
remplir  pour  les  employer  seuls ,  l'appréciation  des  amplitudes  d'er- 
teur  dont  les  résultats  qu'ils  donnent  peuvent  être  affectés ,  la  forme 
sous  laquelle  il  fallait  les  disposer  pour  qu'ils  devinssent  d'un  usage  gé* 


JUILLET  1843.  437 

néral  et  commode,  tout  cela  ne  pouvait  être  fait,  ou  du  moins  bien  fait, 
que  par  un  astronome  calculateur,  initié  à  l'intelligence  des  théories, 
pouvant  juger  la  portée  des  inégalités  quil  néglige,  et  assez  familier 
avec  la  construction  des  tables  astronomiques  pour  n'omettre  dans  ses 
abréviations  aucun  élément  utile,  et  n'y  comprendre  rien  de  superflu. 
Nulle  de  ces  qualités  n'a  manqué  à  M.  Largeteau  pour  i'exéculion  de 
son  travail.  Aussi,  en  se  guidant  sur  une  instruction  préparatoire  ac- 
compagnée d'exemples,  où  il  en  explique  fort  clairement  l'usage,  avec 
le  seul  travail  de  quelques  additions  appliquées  à  des  nombres  ayant 
toujours  moins  de  quatre  chiffres  qui  se  prennent  à  vue  dans  des  co- 
lonnes toutes  préparées,  chacun  peut,  à  l'aide  de  ces  tables,  trouver  en 
quelques  minutes  les  dates  des  lunes  nouvelles  ou  pleines,  ou  de  toute 
autre  phase  intermédiaire,  pour  un  intervalle  de  trente  siècles,  soit 
avant,  soit  après  l'ère  chrétienne.  Le  résultat  montre,  en  outre,  si  la 
phase  choisie  est  ou  n'est  pas  accompagnée  d'une  éclipse  ;  et ,  si  elle 
l'est,  on  a  l'heure  et  la  minute  du  phénomène.  Dans  l'extrême  simpli- 
cité de  leur  construction ,  ces  tables  abrégées  comprennent  cependant 
les  eflets  des  cinq  inégalités  les  plus  sensibles  du  mouvement  de  la 
lune;  de  sorte  que  leurs  indications  rétrogrades  les  plus  distantes  sur- 
passent beaucoup  en  exactitude  celles  que  Ptolémée  ou  Hipparque  au- 
raient jamais  pu  obtenir  pour  les  mêmes  époques,  quoiqu'ils  s'en  trou- 
vassent bien  plus  rapprochés.  Mais  tel  est  l'avantage  que  la  théorie  de 
l'attraction  nous  donne  sur  l'empirisme  auquel  les  anciens  astronomes 
étaient  bornés. 

Les  exemples  rapportés  par  M.  Largeteau  ont  été  judicieusement 
choisis  parmi  ceux  qui  pouvaient  le  plus  intéresser  les  érudits  par  leur 
antiquité,  ainsi  que  par  les  controverses  dont  ils  ont  été  l'objet. 

On  sait  que  la  chronologie  des  premiers  temps  de  l'empire  chinois 
dépend  de  la  date  que  l'on  doit  assigner  à  une  éclipse  de  soleil,  men- 
tionnée dans  le  Ghou-king  comme  ayant  été  vue  en  Chine  sous  le 
règne  de  l'empereur  Tchong-kang.  Les  dates  du  jour  et  de  l'année 
manquent  dans  le  texte  original.  Celles  que  l'on  trouve  mentionnées 
dans  les  traités  chronologiques  chinois  d'époques  plus  récentes  ont 
dû  être  ajoutées  d'après  des  computations  rétrogrades,  établies  systé- 
matiquement, de  sorte  qu'elles  ne  peuvent  faire  autorité.  Les  seuls  élé- 
ments certains  que  l'on  ait  aujourd'hui  pour  retrouver  cette  éclipse 
résultent  de  certaines  circonstances  physiques  et  chronologiques  qui 
lui  sont  propres,  et  auxquelles  la  date  cherchée  doit  satisfaire.  D'abord 
la  discussion  historique  des  règnes  la  place  vers  l'an  2000  avant  l'ère 
chrétienne,  plutôt  au  delà  de  ce  terme  qu'en  deçà.  Ensuite,  d'après  le 


^ 


438  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

texte  du  Chou-king,  il  faut  quelle  tombe  dans  une  neuvième  lune  du 
calendrier  des  Hia,  dont  la  forme  est  connue,  et  que  le  lieu  des  deux 
astres  se  soit  alors  trouvé  compris  dans  la  division  équatoriale  Fang, 
ayant  pour  limite  les  cercles  de  déclinaison  menés ,  en  ce  temps-là ,  par 
les  deux  étoiles  tt  et  o-  du  Scorpion  de  nos  cartes  modernes,  ce  qui  fixe 
un  intervalle  d'ascension  droite  de  cinq  degrés  et  quelques  minutes, 
où  le  phénomène  doit  s  être  opéré.  Il  faut  enfin  qu'il  ait  été  visible  dans 
la  ville  de  Ngan-i-hien,  résidence  de  Fcmpercur  Tchong-kang,  laquelle 
est  située  sous  la  latitude  boréale  de  3°  A',  environ  8  minutes  de 
temps  i  Toccident  de  Pe-king.  Les  annalistes  chinois  ont  fait  de  nom- 
breuses  tentatives  pour  déterminer  la  date  de  celte  éclipse   par  les 
caractères  précédents.  Mais  Timperfection  des  tables  lunaires  qu'ils  em- 
ployaient les  mettait  hors  d'état  de  résoudre  un  tel  problème,  et  la 
discordance  de  leurs  résultats  ne  prouve   que  la   diversité   de  leurs 
erreurs.  Les  savants  européens  eux-mêmes  n'ont  pas  été,  jusqu'ici,  plus 
heureux.  Gaubil,  en  se  sei'vant  des  tables  de  Flamsteed  et  de  la  Hire, 
trouvait,  dans  l'année — 21 55  des  chronologistes ,  au  12  octobre,  une 
éclipse  de  soleil  qui  paraissait  remplir  toutes  les  conditions  deman- 
dées, si  ce  n'est  que  la  portion  éclipsée  de  l'astre  semblait  bien  res- 
treinte pour  correspondre  à  la  grandeur  des  eflets  moraux  que  sa  dis- 
parition est  supposée  avoir  produits.  Fréret  combattit  l'opinion  de 
Gaubil  en  lui  opposant  cette  circonstance;  et,  s'appuyant  lui-même  sur 
tin  calcul  de  Dominique  Cassini,  il  adopta  comme  préférable  une  autre 
éclipse,  que  cet  astronome  trouvait  avoir  eu  lieu  dans  l'année — 2007. 
Gaubil,  à  son  tour,  combattit  ce  résultat  par  des  considérations  astro- 
nomiques et  historiques,  dans  la  troisième  partie  de  son  traité  sur  la 
chronologie  chinoise  imprimé  longtemps  après  la  mort  de  son  savant 
adversaire.  Lorsque  je  publiai,  dans  le  Journal  des  Savants,  mes  re- 
cherches sur  fancienne  astronomie  des  Chinois,  à  l'occasion  d'un  tra- 
vail analogue  de  M.  Ideler,  qui  venait  de  paraître  ^  je  priai  M.  Large- 
teau  de  vouloir  bien  calculer  ces  deux  éclipses  avec  toute  l'exactitude 
que  peuvent  donner  aujourd'hui  nos  tables  lunaires  perfectionnées.  En 
le  faisant  il  trouva  qu'aucune  des  deux  n'avait  été  visible  à  la  Chine, 
le  soleil  se  trouvant  alors  sous  l'horizon  de  toutes  les  contrées  qu'em- 
brasse cet  empire.  Mais  ce 'résultat,  qui  lui  demanda  un  long  calcul, 
se  découvre  aujourd'hui  en  un  moment  par  ses  nouvelles  tables,  et  il 
exige  seulement  l'addition  de  quelques  nombres ,  que  tout  le  monde 

*  Recherches  sur  l'ancienne  astronomie  chinoise,  publiées  à  Foccasion  d'un  mémoire 
de  M.  Ludwig  Ideler  sur  la  chronologie  des  Chinois.  (Journal  des  Savants,  années 
>839  et  i84o.) 


JUILLET  1843.  439 

peut  faire.  Ce  sont  là  deux  des  exemples  que  M.  Largeteau  a  choisis. 

Il  nefaudiniit  pas  inférer  de  ces  contradictions  que  les  déterminations 
actuelles  pourraient  bien  aussi,  un  jour,  être  reconnues  incertaines  ou 
fausses,  comme  les  précédentes.  LVrrcur  de  celles-ci  a  une  cause  que 
nous  connaissons.  Elle  tient  surtout  à  l'omission  d'une  inégalité  séculaire 
qui,  depuis  les  plus  anciens  temps  jusquà  notre  époque,  a  continuelle- 
ment accéléré  le  moyen  mouvement  de  la  lune;  de  sorte  qu'en  la  faisant 
rétrograder  avec  sa  vitesse  actuelle,  pour  la  reporter  à  ses  anciennes  po- 
sitions sans  égard  à  la  variabilité  de  sa  marche  séculaire,  on  la  recule 
trop;  et  ainsi,  quand  on  la  trouve  éclipsant  le  soleil  par  ce  faux  calcul, 
à  un  moment  donné ,  Téclipse ,  si  elle  a  lieu ,  s  est  déjà  opérée  à  quelque 
instant  antérieur.  Par  conséquent,  lorsqu'on  la  trouve  existante  au  lever 
du  soleil,  elle  a  dû  s'opérer  pendant  la  nuit.  C'est  ce  qui  est  arrivé  à 
Gaubil  et  à  Fréret,  qui  employaient  des  tables  où  l'accélération  sécu- 
laire du  moyen  mouvement  n  était  pas  introduite.  Car  l'existence  de  ce 
phénomène  n'a  été  découverte  que  plus  tard  par  Halley,  qui  l'a  conclue 
de  l'impossibilité  de  satisfaire  sans  cela  aux  éclipses  chaldéennes;  et  Ton 
n'a  pu  l'introduire  avec  certitude  dans  les  tables  que  bien  plus  tard  en- 
core, lorsque  M.  Laplace  est  parvenu  à  faire  résulter  son  existence  et 
sa  mesure  de  la  théorie  de  l'attraction. 

Une  ancienne  chronique  chinoise  appelée  Tchou-chou-ki-nien ,  c'est- 
à-dire  les  tablettes  chronologiques  écrites  sur  des  planchettes  de  bambou,  men-^ 
tionne,  sous  le  règne  de  Tchong-kang,  une  éclipse  de  soleil  «ncore 
différente  des  précédentes,  dont  elle  assigne  la  date  cyclique;  laquelle, 
corrigée  de  l'erreur  de  trois  cycles  d'années  qui,  vers  cette  époque, 
parait  affecter  toutes  les  dates  de  ce  livre,  répond  au  i3  octobre  de 
l'an  julien  — 2 128^.  L'application  des  marques  cycliques  doit  faii'e  sus»- 
pecter  qu'elles  ont  été  ajoutées  d'après  quelque  combinaison  posté- 
rieure à  l'événement  qu'elles  désignent,  car  il  est  plus  que  douteux 
qu'elles  aient  été  usitées  si  anciennement.  Quoi  qu'il  en  soit ,  beaucoup 

'  Les  cycles  dont  je  veux  parler  ici  sont  des  intervalles  de  temps  contenant  cha- 
cun 60  années  de  36&  7,  intercalées  comme  les  juliennes,  et  désignées  par  autant 
de  caractères  individuels.  Les  Chinois  ont,  en  outre,  un  cycle  de  60  jours,  dési- 
gnés aussi  individuellement  par  des  caractères,  lequel  s'associe  au  cycle  des  an- 
nées. Au  moyen  de  cette  double  notation ,  toutes  les  dates  chinoises  s'expriment  et 
s'enchaînent  les  unes  aux  autres  par  la  simple  succession  des  jours,  indépendam- 
ment de  toute  théorie  astronomique,  ce  qui  leur  donne  une  grande  sûreté.  Mal- 
heureusement, quoique  l'année  julienne  intercalée  ait  été  employée  à  la  Chine 
depuis  un  temps  immémorial ,  la  notation  cyclique  des  années  paraît  avoir  été  pos- 
térieure à  Confucius,  au  lieu  que  celle  des  jours  lui  est  fort  antérieure,  étant  eni*> 
ployée  dans  le  Chou-king« 


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1 


440         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

d'astronomes  chinois  d'époques  diverses,  et  parmi  eux  Ko-cheou-king, 
le  plus  habile  de  tous ,  ont  considéré  cette  éclipse  comme  devant  être 
la  même  dont  le  Chou-king  parle.  Cette  opinion  a  été  récemment  re- 
produite dans  les  Mémoires  de  la  société  astronomique  de  Londres 
par  M.  Rothman,  qui,  en  s  appuyant  sur  nos  meilleures  tables  du  soleil 
et  de  la  lune,  trouve,  pour  ce  même  jour  i3  octobre,  une  éclipse  de 
soleil  considérable ,  laquelle  aurait  été  parfaitement  visible  à  Ngan-y- 
hien,  et  même  dans  toute  la  Chine,  puisqu'elle  aurait  eu  lieu  dans 
cette  ville  quelques  minutes  après  midi  ^  Néanmoins  un  calcul  rigou- 
reux, effectué  avec  les  mêmes  tables  par  M.  Largeteau ,  lui  a  fait  recon- 
naître que  celte  éclipse  a  dû  être  invisible  en  Chine,  et  il  le  prouve  de 
nouveau  en  appliquant  ses  tables  abrégées  à  cette  date ,  l'ayant  prise 
exprès  comme  dernier  exemple.  Ici  on  ne  peut  plus  alléguer  la  diffé- 
rence des  méthodes  ;  mais  M.  Largeteau  fait  remarquer  que  les  nombres 
rapportés  par  Tauteur  anglais  décèlent  une  erreur  de  calcul  qui  saute 
aux  yeux  tout  d'abord.  Car  la  plus  grande  phase  de  l'éclîpse  est  mar- 
quée par  lui  comme  ayant  eu  lîeu,  en  temps  de  Pe-king,  huit  heures  plus 
tôt  que  la  conjonction  vraie  en  temps  de  Paris,  résultat  impossible,  qui 
semble  indiquer  que  l'auteur  anglais  aura ,  par  mégarde ,  soustrait  du 
temps  de  Paris  la  différence  des  longitudes  entre  Pe-king  et  cette  ville 
au  lieu  de  Vy  ajouter,  comme  on  doit  le  faire,  Pe-king  étant  plus  oriental 
que  Paris.  On  voit  donc  par  là  que  les  tables  abrégées  de  M.  Large- 
teau seront  utiles  aux  astronomes  mêmes,  puisque,  en  leur  ofirant  des 
évaluations  approchées,  si  faciles  à  obtenir  qu'elles  ne  comportent,  pour 
ainsi  dire,  aucune  chance  d'erreur,  elles  les  préserveront  des  inadver- 
tances quils  pourraient  commettre  dans  des  calculs  rigoureux,  plus 
longs  et  plus  difficiles  à  effectuer. 

Mais,  indépendamment  des  services  que  ces  tables  poiurront  rendre 
par  leur  application  immédiate  à  des  dates  données,  elles  auront  encore, 
pour  les  études  chronologiques ,  une  autre  sorte  d'utilité  d'une  nature 
plus  complexe ,  en  ce  qu'elles  permettront  de  chercher  et  de  découvrir 
des  concordances  que  l'indétermination  de  leurs  éléments  rendrait 
presque  impossibles  à  obtenir  par  les  tables  rigoureuses,  à  cause  de  la 
longueur  excessive  des  calculs  qu'elles  exigeraient.  Par  exemple ,  per- 
sonne ne  se  résoudrait  à  retrouver  ainsi  l'éclipsé  du  Chou-king,  par  ses 
conditions  données  de  temps,  de  particularités  physiques  et  de  lieu  cé- 
leste. Mais  cela  devient  abordable  avec  les  tables  nouvelles,  pouvant  si 
aisément  étendre  les  épreuves  préparatoires  à  autant  d'années  que  l'on 

^  Mémoires  de  la  société  aslronomique  de  Londres,  t.  Xly  p.  ily. 


JUILLET  1843.  441 

voudra  autour  de  Tépoque  présumée,  jusqu'à  ce  que  Ton  trouve  une 
éclipse  qui  satisfasse  à  toutes  les  conditions  données,  s*il  en  existe.  Et, 
s*il  nen  existe  pas  de  telle,  dans  les  limites  de  temps  historiquement 
admissibles  pour  le  règne  de  Tchong-kang,  on  le  saura  par  ces  épreuves 
mêmes ,  ce  qui  résoudra  du  moins  la  question  négativement.  Ou  enfin , 
si  l'on  trouvait  une  éclipse  réelle,  mais  qui  n aurait  dû  offrir  que  des 
phases  très-restreintes ,  ce  serait  le  cas  d'examiner  si  leur  disproportion 
avec  renoncé  du  Chou-king  ne  décèlerait  pas  la  nécessité  de  quelque 
petite  correction  qui  resterait  encore  à  faire  dans  nos  tables  lunaires 
actuelles,  pour  les  adapter  avec  une  complète  exactitude  à  des  temps 
aussi  éloignés.  Car  les  éclipses  chaldécnnes  rapportées  par  Ptolémée 
ont  offert  les  seules  épreuves  de  cette  espèce ,  mais  bien  plus  récentes , 
auxquelles  on  ait  pu,  jusqu'ici,  les  soumettre.  Les  époques  postérieures 
de  la  chronologie  chinoise  pourraient  aussi  en  fournir  d'autres ,  qu'il  con- 
viendrait de  faire  servir  au  même  but.  M.  Largeteau  annonce,  dans  son 
introduction ,  qu'il  va  s'occuper  de  cette  recherche,  où  la  chronologie  et 
l'astronomie  se  portent  une  mutuelle  assistance;  et  l'on  ne  peut  douter 
qu'il  ne  l'amène  à  bonne  fin,  puisque  la  voie  à  suivre  pour  l'effectuer 
est  maintenant  aussi  facile  qu'évidente. 

J'ai  profité  moi-même  du  secours  de  ces  nouvelles  tables  pour  faire, 
sur  les  relations  des  lieux  de  la  lune  avec  l'ancienne  année  vague  égyp- 
tienne, une  épreuve  que  j'avais  souhaité  depuis  longtemps  d'accomplir, 
ou  du  moins  de  tenter;  mais  j'en  avais  toujours  été  détourné  par  la  lon- 
gueur décourageante  des  calculs  auxquels  il  aurait  fallu  me  résoudre, 
et  qui  n'auraient  eu  peut-être  aucun  résultat.  Avec  les  tables  ^^i^ég^es 
de  M.  Lai^eteau,  cette  épreuve  n'exigeait  que  peu  de  jours  de  travail, 
dont  on  pouvait  prévoir  le  succès  ou  l'insuccès  dès  les  premiers  pas.  Je 
me  suis  donc  empressé  de  l'effectuer,  et  les  résultats  ont  été  tels,  que 
j'aurais  été  loin  de  les  espérer  si  curieux,  comme  si  positifs.  Mais  cette 
dernière  application  fera  le  sujet  d'un  second  article,  ayant  besoin, 
d'en  indiquer  le  but  par  une  exposition  préliminaire  qui  étendrait  trop 
celui-ci. 

BIOT. 


56 


442  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


msirruT  royal  de  frange. 

ACADÉMIE  FRANÇAISE. 

L* Académie  firançaîse  a  tenu,  le  jeudi  ao  juillet,  sa  séance  publique  annuelle, 
sous  la  présidence  de  M.  Flourens,  directeur.  La  séance  a  été  ouverte  par  un  rap- 
port de  M.  ViUemain,  secrétaire  perpétuel ,  sur  les  concours.  La  pièce  de  vers  qui  a 
remporté  le  prix  de  poésie  a  été  lue  ensuite  par  le  chancelier  de  l'Académie ,  et  la 
séance  a  été  terminée  par  un  discours  de  M.  Flourens ,  directeur,  sur  les  traits  de 
vertu  qui  ont  mérité  les  prix  fondés  par  M.  de  Montyon. 

PRIX  DÉCERNlés. 

Prix  de  poésie.  Le  prix  de  poésie,  dont  le  sujet  était  le  Monument  de  Molière,  a 
été  décerné  à  M'~  Louise  Colet.  M.  Alfred  des  Essarts  a  obtenu  le  premier  accessit; 
le  second  accessit  a  été  obtenu  par  M.  Bignan.  Deux  mentions  honorables  ont  été 
accordées,  la  première  à  Tauteur  anonyme  de  la  pièce  inscrite  sous  le  n**  58,  la  se- 
conde à  M.  Prosper  Blanchemain. 

Prix  d'histoire  de  France  fondé  par  M.  le  baron  Gohert.  Les  ouvrages  couronnés 
conservant,  d*après  la  volonté  du  testateur,  les  prix  annuels  jusqu'à  déclaration  de 
meilleurs  ouvrages ,  et  aucun  n'ayant  paru  dans  Tannée,  qui,  au  jugement  de  l'Aca- 
démie, puisse  disputer  le  prix  à  ceux  qui  l'ont  précédemment  obtenu,  le  premier 
prix  demeure  décerné  à  M.  Augustin  Thierry,  auteur  d*un  ouvrage  intitulé  Récits 
dei  temps  mérovingiens;  le  seconda  M.  Bazin,  auteur  de  l'ouvrage  intitulé  :  Histoire 

de  France  sous  Louis  XIIL 

Prix  Montyon  destinés  aux  actes  de  vertu.  L* Académie  a  décerné  :  un  prix  de 
3,000  fr.  à  Marie-Anne-Pierrette  Linet,  demeurant  à  Paris;  —  un  prix  de  3,ooo  fr. 
k  Jean  Prévôt,  demeurant  à  Libourne;  —  un  prix  de  a, 000  fr.  à  Catherine  Auge , 
demeurant  à  Neufchât eau ,  déparlement  des  Vosges^;  —  un  prix  de  a, 000  fr.  à  Ma- 
rie-Madeleine-Victoire-Rosalie Girard,  demeurant  àEtampes,  département  de  Seine- 
et-Oise;  —  un  prix  de  a, 000  fr.  à  Gilbert  Bellard,  demeurant  à  Artonne,  départe- 
ment du  Puy-ue-Dôme;  —  trois  médailles  de  1,000  fr.  chacune  aux  personnes 
ci-après  nommées,  savoir  :  à  Dominique-François-Marie  Laury,  demeurant  à  Fon- 
tainebleau; à  Anne  Catton,  demeurant  à  Jussey,  département  de  la  Haute  Saône; 
et  à  Sophie  Josserand ,  demeurant  à  Provins  (  Seine-et-Marne  )  ;  —  neuf  médailles  de 
5oo  fr.  chacune  aux  personnes  ci-après  nommées,  savoir  :  i*  à  Marie-Thérèse  Ca- 
ron,  femme  Hévin,  demeurant  à  Sus-Saint-Léger  (Pas-de-Calais);  —  a*  à  Thérèse 
Lefebvre,  demeurant  k  Dieppe;  —  3*  à  Gabriel  Dieudonné,  demeurant  h  Lille  ;  — 
4*  k  Catherine  Bourgoin ,  demeurant  à  Besançon;  —  5'  à  Jean  Drouino,  demeurant 
k  Paris;  —  6*  à  Marie-TÎiérèse  Bœuf,  demeurant  à  Marseille;  —  7*  à  Marie-Fran- 


JUILLET  1843.  443 

çoise-Florence  Buard,  demeurant  à  Paris;  —  8*  à  Etienne  Garnavauid,  demeurant 
à  la  Bigotlière  (Mayenne);  —  9*  et  à  Anne  Ribes,  demeurant  à  Limoux  (Aude). 

Prix  Montyon  destinés  aux  ouvrages  les  plus  utiles  aux  mœurs.  L*Académie  a  dé- 
cerné :  un  prix  de  3,ooo  fr.  à  M.  Wilm ,  auteur  d'un  ouvrage  intitulé  Essai  sur  Té- 
ducation  du  peuple;  —  un  prix  de  a,5oo  fr.  à  M.  Salmon ,  auteur  d*un  ouvrage  inti- 
tulé Conférences  sur  les  devoirs  des  instituteurs  primaires;  -^-  un  prix  de  a,ooo  fir.  À 
M"*  Louise  Bertin,  auteur  d*un  recueil  de  poésies  intitulé  Glanes;  —  une  récom- 
pense de  i,5oo  fr.  à  M'~  Félicie  d*Ayzac,  auteur  d'un  recueil  de  poésies  intitulé 
Soupirs;  —  une  récompense  de  i,5oo  fr.  à  M.  Mary  Lafon,  auteur  d'un  ouvrage 
intitulé  Histoire  religieuse,  politique  et  littéraire  du  midi  de  la  France;  —  une  récom- 
pense de  1  ,ooo  fr.  à  M.  Ernest  Fouinet ,  auteur  d'un  ouvrage  intitulé  Gerson  ou  le 
manuscrit  aux  enluminures;  —  une  récompense  de  i,ooo  fr.  à  M^**  Anaîs  Martin,  au- 
teur d'un  ouvrage  intitulé  l'Amie  des  jeunes  personnes.  L'Académie  a,  en  outre,  décidé 
qu'une  médaille  d'or  serait  décernée  à  M*"*  Agénor  de  Gasparin,  auteur  d'un  ou- 
vrage intitulé  le  Mariage  au  point  de  vue  chrétien. 


PRIX    PROPOSÉS. 


L'Académie  rappelle  qu'elle  a  proposé ,  pour  sujet  du  prix  d'éloquence  qui  sera 
décerné  en  1 844»  un  discours  sur  Voltaire.  Le  prix  sera  une  médaille  d'or  de  la  va- 
leur de  a,ooo  francs.  Les  mémoires  ne  seront  reçus  que  jusqu'au  i5  mars  i844« 
terme  de  rigueur. 

Prix  Montyon,  Dans  la  séance  publique  du  mois  de  mai  i844«  l'Académie  dé- 
cernera les  prix  et  les  médailles  provenant  des  libéralités  de  M.  de  Montyon  et  des- 
tinées par  le  fondateur  à  récompenser  les  actes  de  vertu  et  les  ouvrages  les  plus 
utiles  aux  mœurs  qui  auront  paru  dans  le  cours  des  deux  années  précédentes. 

Prix  extraordinaire  provenant  des  libéralités  de  M.  de  Montyon.  L'Académie  avait 
proposé,  en  i83i,  un  prix  de  io,ooo  francs  pour  la  meilleure  tragédie  ou  pour  la 
meilleure  comédie ,  en  cinq  actes  et  en  vers ,  composée  par  un  françab ,  représentée, 
imprimée  et  publiée  en  France,  et  qui  serait  morale  et  applaudie.  Ce  concours  a 
été  prorogé  jusqu'au  i*  janvier  1 844- L'Académie  ne  s'occupera  du  jugement  d'a- 
près lequel  le  prix  sera  décerné,  qu'un  an,  au  plus  tôt,  après  la  clôture  du  con- 
cours. 

Prix  extraordinaire  fondé  par  M,  le  baron  Gobert,  A  partir  du  i*'  janvier  i844« 
l'Académie  s'occupera  de  l'examen  annuel  relatif  au  prix  fondé  par  feu  M.  le  baron 
Gobert,  pour  le  morceau  le  plus  éloquent  d'histoire  de  France,  et  pour  celui  dont  1$ 
mérite  en  approchera  le  plus.  L'Académie  comprendra  dans  cet  examen  les  ouvrages 
nouveaux  sur  l'bistoire  de  France  qui  auront  paru  depuis  le  i"  janvier  1 843.  Les 
ouvrages  précédemment  couronnés  conserveront  les  prix  annuels,  d'après  la  vo- 
lonté expresse  du  testateur,  jus^qu'à  déclaration  de  meilleurs  ouvrages. 

Prix  extraordinaire  fondé  par  M.  le  comte  de  Maillé-Latour-Landry,  à  décerner 
en  i8^1.  M.  le  comte  de  Maillé-Latour-Landry  a  légué  à  l'Académie  française  et  à 
l'Académie  royale  dés  beaux-arts  une  somme  de  3o,ooo  francs  h  employer  en  rentes 
sur  l'État  pour  la  fondation  d'un  secours  à  accorder,  chaque  année ,  au  choix  de 
chacune  de  ces  deux  académies  alternativement,  à  un  jeune  écrivain  ou  artiste 
pauvre,  dont  le  talent,  déjà  remarquable,  paraîtra  mériter  d'être  encouragé  à  pour- 
suivre sa  carrière  dans  les  lettres  ou  les  beaux-arts. 


56. 


444  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


ACADÉMIE  DES  SCIENCES. 

Nous  allons  donner  quelques  extraits  du  discours  prononcé  par  M.  Libri ,  au 
nom  de  T Académie  des  sciences,  aux  funérailles  de  M.  Lacroix,  que  Tlnstitut  et  le 
Journal  des  Savants  ont  perdu  le  27  mai  dernier,  t  La  mort  de  M.  Lacroix  brise  un 

des  rares  liens  qui  nous  rattachaient  encore  à  Tancienne  Académie  des  sciences 

Depuis  plus  de  soixante  ans  il  se  livrait  à  renseignement,  et,  par  sa  voix  comme  par 

sa  plume,  il  a  contribué  à  Tinstruction  de  tous  les  géomètres  de  l'Europe On 

connaît  bien ,  dans  les  écoles ,  ces  volumes  où  il  enseigne  avec  tant  de  clarté  les 
principes  de  toutes  les  branches  des  mathématiques  pures  ;  mais  le  public  ne  sait 
pas  que ,  dès  sa  jeunesse ,  M.  Lacroix ,  voulant  élever  un  monument  plus  durable , 
songeait  à  réunir,  dans  un  grand  ouvrage ,  les  recherches  des  analystes  sur  les  par- 
ties les  plus  élevées  de  la  science Les  difficultés  d'une  telle  entreprise  étaient 

immenses  :  elles  furent  très-heureusement  surmontées  par  M.  Lacroix.  Pour  faire 
sentir  l'importance  de  son  Traité  du  calcul  différentiel  et  du  calcul  iiUégral,  il  suffirait 
de  rappeler  que ,  depuis  quarante-cinq  ans ,  ce  livre  est  le  compagnon  inséparable 
de  tous  les  géomètres,  qu'il  est  le  guide  sûr  et  fidèle  de  tous  ceux  qui  aspirent  à 

se  faire  un  nom  dans  les  mathématiques Certes  le  talent  ne  manquait  pas  à  celui 

qui ,  à  vingt-deux  ans,  remportait,  sur  une  question  difficile,  le  prix  de  mathéma- 
tiques à  l'ancienne  Académie  des  sciences.  Si  M.  Lacroix  s'est  voué  à  l'enseigne- 
ment, c'est  parce  que  le  succès  qu'il  devait  obtenir  dans  cette  carrière  répondait 
mieux  aux  besoins  de  son  cœur  et  à  ce  zèle  pour  la  propagation  des  lumières,  que 

ni  Tâge  ni  les  infirmités  n'ont  jamais  affaibli Lamace,  qui  appréciait  si  bien  le 

mérite  de  M.  Lacroix ,  aimait  aussi  à  signaler  son  désintéressement  et  la  noblesse 
de  son  caractère.  Sous  la  Convention ,  le  futur  auteur  de  la  Mécanique  céleste,  qui 
était  alors  examinateur  à  l'école  de  Metz ,  fut  destitué ,  et  l'on  chargea  M.  Lacroix  de 
ces  fonctions.  A  cette  époque,  il  était  également  dangereux  de  désobéir  aux  ordres 
du  Gouvernement  et  de  prendre  la  défense  des  hommes  injustement  persécutés. 
M.  Lacroix  sut  faire  deux  choses  honorables  à  la  fois  :  il  refusa  la  place  qui  lui  était 
offerte ,  et  il  n'épargna  aucune  démarche  pour  qu'elle  fût  rendue  à  Fillustre  géo- 
mètre qu'on  venait  de  déposséder.  Le  souvenir  de  cette  action  est  resté  dans  la  fa- 
mille de  M.  de  Laplace  :  quant  à  M.  Lacroix,  il  n'en  parla  jamais.  Ce  n  est  pas  seu- 
lement comme  professeur  et  comme  écrivain  que  M.  Lacroix  a  rendu  aux  sciences 
des  services  signalés;  il  a  montré  le  môme  désir  de  répandre  la  bonne  et  solide 
instruction ,  lorsque  les  circonstances  lui  ont  donné  d'autres  moyens  d'y  contribuer. 
Attaché,  sous  la  Convention,  à  la  commission  executive  de  l'instruction  publique ,  il 
concourut  au  rétablissement  des  études ,  et  il  exposa  ses  idées  relatives  à  l'ensei- 
gnement dans  un  Essai  qui  renferme  des  vues  très-élevées  sur  l'instruction  publique 
et  sur  l'éducation  en  général.  A  la  création  de  l'Université ,  il  fut  nommé  doyen  de 

la  faculté  des  sciences,  et  il  conserva  ses  fonctions  après  la  chute  de  FEmpire 

M.  Lacroix  était  le  plus  ancien  professeur  de  France.  La  marine ,  l'artillerie ,  l'Ecole 
normale,  les  écoles  centrales,  l'Ecole  polythccnique,  la  Sorbonne,  le  Collège  de 
France  l'ont  possédé  tour  à  tour  :  partout  il  a  montré  le  même  zèle;  partout  il  a 
témoigné  à  ses  élèves  le  même  attachement ,  la  même  affection  paternelle.  Les  in- 
fortunés lui  inspiraient  un  intérêt  tout  particulier.  Son  cœur  comme  ses  souvenirs 
le  portaient  vers  les  malheureux  ;  il  se  rappelait  sans  cesse  ses  commencements  si 
rudes ,  si  pénibles ,  et  la  détresse  dans  laquelle  il  avait  vécu ,  avec  sa  pauvre  mère , 


JUILLET  1843.  445 

dans  les  premières  années  de  sa  vie La  philosophie  de  M.  Lacroix  fut  bonne  et 

douce.  L  étude  des  sciences  exactes  i*a  porté  à  douter  des  choses  qu*on  ne  saurait 
démontrer  par  la  raison  ;  mais  il  ne  douta  jamais  des  grands  principes  de  la  morale , 
qu*il  avait  gravés  dans  son  cœur,  et  dont  il  faisait  une  application  rigoureuse  et 
continuelle.  D^ailleurs ,  la  culture  des  lettres,  qu*il  sut  allier  si  heureusement  à  celle 
des  sciences,  avait  encore  élevé  son  esprit;  car  M.  Lacroix,  géomètre  éminent,  fut 
aussi  un  homme  d*un  savoir  universel,  d*un  goût  très-pur,  auquel  tous  les  chefs- 
d'œuvre  que  les  anciens  et  les  modernes  ont  produits  étaient  familiers.  Nul  ne  com- 
prit mieux  que  lui  la  charité,  cette  charité  qui  nous  porte  à  oublier  les  injures,  et 
à  ne  considérer  dans  les  hommes  que  leurs  bonnes  qualités.  Il  s'éteignit  comme  il 
avaitvécu,  et  lorsque ,  dans  sa  dernière  maladie ,  la  douleur  se  relâchait  un  instant, 
il  cherchait  encore  à  retremper  son  âme ,  en  se  faisant  lire  les  pensées  des  plus 
beaux  génies  de  Tantiquité....  * 

LIVRES  NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Mémoires  présentés  par  divers  savants  à  V Académie  royale  des  sciences  de  V Institut  de 
France,  et  imprimés  par  son  ordre.  Sciences  mathématiques.  Tome  VIII.  Paris,  im- 
primé par  autorisation  du  Roi  à  Tlmprimerie  royale,  i8Â3,  in-4*  de  690  pages  avec 
4o  planches.  —  Ce  volume  contient:  1"  Recherches  générales  sur  Torganographie , 
la  physiologie  et  Torganogénie  des  végétaux,  par  M.  Charles  Gaudichaud ;  —  a°  Mé- 
moire sur  1  action  de  Tarchet  sur  les  cordes,  par  M.  J.  M.  C.  Duhamel;  —  3'  Mé- 
moire sUr  la  composition  chimique  des  végétaux ,  par  M.  Payen  ;  —  4*  Mémoire 
sur  Tamidon ,  la  dextrine  et  la  diastase',  considérés  sous  les  points  de  vue  anato- 
mique ,  chimique  et  physiologique ,  par  M.  Payen  ;  —  5*  Mémoire  sur  le  rayonne- 
ment chimique  qui  accompagne  la  lumière  solaire  et  la  lumière  électrique ,  par 
M.  Edmond  Becquerel  ;  —  6*  Recherches  sur  la  disposition  des  nerfs  de  Tutérus  et 
l'application  de  ces  connaissances  à  la  physiologie  et  à  la  pathologie  de  cet  organe , 
par  M.  le  docteur  Johert  de  Lamhalle  ;  —  7*  Mémoire  sur  la  démonstration  d'un 
nouveau  cas  du  dernier  théorème  de  Fermât,  par  M.  G.  Lamé;  —  8*  Recherches 
expérimentales  sur  l'inanition ,  par  M.  Charies  Chossot;  —  9"  Recherches  sur  la  cris- 
tallisation considérée  sous  les  rapports  physiques  et  mathématiques ,  par  M.  G.  De- 
lafosse. 

Ministère  des  travaux  publics.  Rapport  fait  à  la  commission  sur  le  tracé  du  chemin  de 
fer  de  Paris  à  Chàlons- sur -Saône,  par  M.  le  comte  Daru,  pair  de  France,  au  nom 
d'une  sous -commission  composée  de  MM.  Fèvre,  inspecteur  général  des  ponts  et 
chaussées;  Daullé ,  lieutenant  général  ;  le  Masson ,  inspecteur  divisionnaire  des  ponts 
et  chaussées;  comte  Daru,  pair  de  France.  Paris,  Imprimerie  royale,  i843,  in-4° 
de  248  pages  avec  6  planches.  —  Ce  rapport  est  divisé  en  cinq  parties.  On  trouve 
dans  la  première  des  considérations  générales  sur  les  tracés  ;  dans  la  seconde ,  la 
comparaison  des  divers  tracés  au  point  de  vue  de  Fart.  La  troisième  partie  contient 
Texamen  de  la  section  du  chemin  de  fer  de  Paris  à  Châlons*sur-Saône  comprise 
entre  Paris  et  le  coude  que  fait  la  Seine  à  Romilly.  La  quatrième  partie  traite  de 
la  section  qui  s'étend  en!rc  Romilly  et  le  faîle  des  Vosges.  La  cinquième  et  dernière 
est  consacrée  à  la  section  comprise  entre  le  fatte  des  Vosges  et  Dijon.  Les  conclu- 


446  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

mons  de  M.  le  comte  Daru  sont  en  faveur  du  tracé  par  la  vallée  de  la  Seine.  Elles 
sont  suivies  d*un  appendice  où  le  savant  rapporteur  traite  de  Tinfluence  des  che- 
mins de  fer  sur  les  contrées  qu'ils  traversent.  Cet  important  travail  est  terminé  par 
des  tableaux  statistiques  sur  la  circulation  des  voyageurs  et  le  mouvement  des  mai^ 
chandises  et  par  des  renseignements  sur  les  cinq  départements  traversés  par  les 
divers  projets  du  chemin  de  fer. 

Fragments  littéraires ,  par  M.  Victor  Cousin ,  pair  de  France ,  membre  de  F  Aca- 
démie française.  Paris,  imprimerie  de  Ducessois,  librairie  de  Didier,  i843,  in-8* 
de  5i6  pages.  —  L'intérêt  varié  des  sujets,  aussi  bien  que  la  profondeur  des  pen- 
sées et  ces  grandes  qualités  de  style  qui  ont  placé  si  haut  M.  Cousin  parmi  nos  écri- 
vains, assurent  un  succès  durable  à  ces  Fragments  littéraires.  Nous  nous  bornerons 
k  donner  ici  le  titre  des  vingt  et  un  morceaux  dont  ils  se  composent.  Discours  de 
réception  à  l'Académie  française,  prononcé  le  5  mai  i83i;  —  Éloge  de  M.  Fourier; 

—  Note  additionnelle  à  TÉloge  de  M.  Fourier,  lue  à  l'Académie  française  dans  une 
de  ses  séances  particulières;  —  Discours  adressé  au  Roi,  le  i*'  mai  i84ii  au  nom 
de  rinstitut  ;  —  Discours  d'ouverture  de  la  séance  des  cinq  académies  du  3  mai 
i84i;  —Discours  d'ouverture  de  la  séance  de  l'Académie  des  sciences  morales  et 
politiques  du  i5  mai  i84i  ;  —  Discours  du  ministre  de  l'inslruclion  publique  à  la 
distribution  des  prix  du  concours  général  des  collèges  de  Paris  (août  i84o);  — 
Discours  prononcés  aux  funérailles  de  M.  Charles  Loyson,  maître  de  conférences  à 
l'école  normale,  le  29  juin  1819; — de  M.  Laranza ,  maître  de  conférences  à  Técole 
normale,  le  3o  septembre  18a 5;  —  de  M.  J.  G.  Farcy,  élève  de  l'école  normale,  le 
ao  juillet  i83i,  jour  anniversaire  de  sa  mort;  —  de  M.  Laromiguière ,  le  i4  août 
1837  ;  —  de  M.  Poisson,  le  3o  avril  i84o;  —  de  M.  de  Cessac,  le  18  juin  i84i; 
de  M.  JouiFroy,  le  i3  mars  i84a  ;  —  de  M.  de  Gérando,  le  i4  novembre  i84a; 

—  Rapport  fait  à  la  Chambre  des  Pairs,  le  ai  mai  i833,  sur  la  loi  de  l'instruction 
primaire;  —  Huit  mois^au  ministère  de  l'instruction  publique;  —  Discours  pro- 
noncé à  la  Chambre  des  Pairs,  le  a 6  décembre  i838,  sur  la  renaissance  de  la 
domination  ecclésiastique;  —  Documents  inédits  sur  Domat  (extraits  du  Journal 
des  Savants)  ;  —  Lettres  inédites  de  M""  la  duchesse  de  Longueville,  sœur  du  grand 
Condé  (publiées  par  M.  Cousin  dans  la  Bibliothèque  de  l'école  des  charles);  — 
Kant  dans  les  dernières  années  de  sa  vie;  —  Sanla-Rosa,  lettre  à  M.  le  piince  de 
la  Cisterne  (i838). 

Dictionnaire  étymologique ,  historique  et  anecdotiqœ  des  proverbes  et  des  locutions  pro- 
verbiales de  la  langue  française,  en  rapport  avec  des  proverbes  et  des  locutions  pro- 
verbiales des  au  Ires  langues,  par  P.  M.  Qui  tard.  Paris ,  imprimerie  de  Tilliard,  librai- 
rie de  S.  Bertrand,  in-8'*  de  xv-701  pages.  — •  iLa  langue  proverbiale,  dit  l'auteur 
du  livre  que  nous  annonçons,  est  à  peu  près  aujourd'hui  une  langue  morte,  et  il 
est  certain  que  la  lecture  de  nos  vieux  auteurs ,  qui  ont  fait  un  si  fréquent  usage  des 
proverbes,  exige,  pour  être  complètement  fructueuse,  une  sorte  de  commentaire 
de  celte  langue.  ■  C'est  ce  commentaire  que  M.  Quitard  a  en  (repris  de  nous  donner, 
et  son  ouvrage,  même  après  les  travaux  de  Lamesangère  et  de  M.  Méry,  sera  lu  avec 
fruit  par  les  personnes  instruites  comme  par  celles  qui  veulent  s'insiruire.  Il  a 
éclairci,  par  de  patientes  recherches,  le  sens  de  beaucoup  de  ces  adages  d'origine 
obscure  qui  rappellent  des  traditions  pleines  d'intérêt,  et,  à  ce  titre,  se  ratlachent 
essentiellement  à  l'histoire  nationale.  Un  certain  nombre  de  ses  explications,  sou- 
vent neuves  et  ingénieuses,  nous  paraissent  devoir  être  adoptées  par  les  philologues. 
Pour  donner  plus  de  variété  et  d'intérêt  à  son  livre,  M.  Quitard  a  fréquemment 
comparé  les  expressions  proverbiales  des  différents  peuples,  et ,  par  des  citations  pui^ 


JUILLET   1843.  447 

sées  dans  nos  classiques,  il  a  montré  tout  le  parti  que  nos  grands  écrivains  ont  su 
tirer  des  locutions  les  plus  vulgaires.  Tous  ces  rapprochements  ajoutent  beaucoup 
au  mérite  de  ce  travail  recommandable. 

Notice  sur  les  imprimeries  qui  existent  ou  ont  existé  en  Europe,  par  H.  Ternaux- 
Gompans.  Paris,  imprimerie  de  Fain  et  Thunot ,  librairie  d*Arthus  Bertrand,  i843, 
in-8*  de  1 46  pages.  L*auteur  s^est  surtout  attaché  à  donner  une  liste  des  villes  où  il 
a  existé  des  imprimeries  antérieurement  au  xviii*  siècle.  Malgré  quelques  rares 
omissions,  ce  travail  utile  ne  peut  manquer  d*élre  bien  accueilli  par  les  biblio- 
graphes. 

maqhas  toi  des  Çiçnpala,hà  mort  du  Çiçupala ,  épopée  tirée  du  sanscrit,  traduite 
et  expliquée  par  le  docteur  G.  Schûtz.  Bielefeld,  librairie  de  Velhagen  et  Kiusing, 
i843  (  1** livraison,  pages  i-i44)* 

Logique  d'Arisiote,  traduite  en  français  pour  la  première  fois,  et  accompagnée  de 
notes  perpétuelles ,  par  J.  Barthélémy  Saint-IIilaire ,  membre  de  Tlnstilut  (Académie 
des  inscriptions  et  belles-lettres),  etc.  Tome  IV.  Paris,  imprimerie  de  H.  Foumier, 
librairie  de  Ladrange,  i843,  in-S**  de  xlviii-446  pages.  —  Ce  volume  renferme  les 
Topiques  et  la  Réfutation  des  sophistes.  Nous  nous  proposons  de  revenir  sur  cet  im- 
portant ouvrage. 

Voyage  en  Islande  et  en  Groenland,  exécuté,  pendant  les  années  1 83 5  et  i836, 
sur  la  corvette  la  /lec/ierc^,  commandée  par  M.  Trehouart,  lieutenant  de  vaisseau, 
dans  le  but  de  découvrir  les  traces  de  la  Lilloise,  Publié  par  ordre  du  Roi ,  sous  la 
direction  de  M.  Paul  Gaimard.  Littérature  islandaise,  par  M.  Xavier  Marmier, 
I**  partie.  Paris,  imprimerie  de  Firmin  Didot ,  librairie  dArthus  Bertrand,  i843, 
in-8*  de  a8o  pages. 

Voyage  dans  ^intérieur  de  l'Amérique  du  Nord,  exécuté,  pendant  les  années  i83a, 
i833  et  i834,  par  le  prince  Maximilien  de  Wied-Neuwied  (texte).  T.  III.  Paris, 
imprimerie  de  Didot,  et  librairie  d*Arthus  Bertrand,  i843,  in-8*'  de  4a4  pages, 
plus  une  carte  et  6  planches. 

Histoire  de  la  renaissance  des  lettres  en  Europe ,  au  xv*  siècle ,  par  J.  P.  Charpen- 
tier. Paris,  imprimerie  de  Fain,  librairie  de  madame  veuve  Maire-Nyon,  i843. 
2  vol.  in-8'  ensemble  de  796  pages. 

Collectanea  Gersoniana ,  ou  recueil  d'études ,  de  recherches  et  de  correspondances 
littéraires  ayant  trait  au  problème  bibliographique  de  Torigine  de  Timitation  de 
Jesus-Christ;  publiées  par  Jean  Spencer  Smith.  Caen,  imprimerie  et  librairie  de 
Hardel.  Paris,  librairie  de  Derache,  i843,  in-8*  de  336  pages. 

Travaux  sur  l'histoire  du  droit  français,  par  feu  Henri  Klimralh,  docteur  en  droit, 
recueillis,  mis  eu  ordre  et  précédés  d'une  préface  par  M.  L.  A.  Warnkœnig.  Stras- 
bourg, imprimerie  et  librairie  de  M"*  veuve  Berger-Levraull;  Paris,  librairie  de  Jou- 
bert,  1843,  a  vol.  in-8°  ensemble  de  io48  pages. 

Mémoire  sur  les  voies  romaines  de  la  Bretagne,  et,  en  particulier,  sur  celles  du  Mor- 
bihan, par  M.  Biseul.  Caen,  imprimerie  et  librairie  de  Hardel,  i843,  broch.  in-8* 
de  88  pages. 

Histoire  statistique  et  archéologique  de  la  ville  de  Montagnac,  suivie  d'une  notice 
historique  sur  les  onze  communes  de  son  canton;  par  M.  *'*.  Béziers,  imprimerie  de 
Fuzier,  i843,  in-8"  de  3i2  pages. 

Chansons  de  Maurice  et  de  Pierre  de  Cruon ,  poêles  anglo- normands  du  xii*  siècle, 
publiées  pour  la  première  fois,  d'après  les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi, 
par  G.  S.  Trébutien.  Caen ,  imprimerie  de  Poisson ,  librairie  de  Mancel,  i843,  in- 16 
de  3a  pages. 


448  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


BELGIQUE 

Lucilibargensia ,  sive  Luxemhurgum  romanum.  Hoc  est,  Arduenos  vctcris  situs^ 
populi,  loca  prisca,  ritus,  sacra,  vis  consulares,  caslra,  castella,  vills  pubUcae, 
jam  inde  a  Csesarum  temporibus  urbis  ad  h»c  Luxemburgensis  incunabula  et  in- 
crementum  investigata  atque  a  fabula  vindicata.  Monimentonim  insuper,  praepri- 
mis  vero  Eglensis  Secundinorum  Cisalpinorum  principis;  inscriptionum ,  simula- 
chrorum ,  sigillorum  epilrapeziorum ,  gemmarum  et  aliarum  antiquitatum  quam 
piurimarum  tam  urbi  Luxemburgensi  importai  arum  quam  per  totam  passim  pro- 
vinciam  sparsarum  mylhologica  romana.  Pleraque  aut  prorsus  nova ,  aut  a  nemine 
hactenus  explanata,  erudite  non  minus  quam  operose  eruderata  et  illustrata  a  R. 
P.  Alexandro  Wiltbemio,  Luxemburgensi,  soc.  Jesu  sacerdote.  Opus  posthumum, 
a  med.  doclore  aug.  Neijen ,  Luxemburgi ,  nunc  primum  in  iucem  editum.  Luxem- 
bourg, librairie  de  Kuborn,  i843,  in-4*,  i"  livraison  avec  i5  planches. 

Histoire  de  la  Belgique»  par  H.  G.  Moke,  professeur  k  Tuniversité  de  Gand  et  k 
Tathénée  de  celle  ville ,  membre  de  l'Académie  de  Bruxelles ,  a*  édition ,  augmentée 
et  enrichie  de  huit  caries  et  de  plusieurs  tableaux  généalogiques.  Gand ,  librairie 
de  veuve  Bivort-Crowic ,  i84a ,  in-8'. 

Mémoire  sar  les  fougères  du  Mexique,  et  considérations  sur  la  géographie  bota- 
nique de  celle  conlrée,  par  MM.  M.  Martens  et  H.  Galeotti.  iSAa  •  in-4*  avec  a3  pi. 
(Elxlraildu  tome  XV  des  mémoires  de  T  Académie  royale  de  Bruxelles.) 

Catalogue  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  des  ducs  de  Bourgogne,  publié  par 
ordre  du  ministre  de  Tiotérieur,  t.  in.  Répertoire  méthodique.  Bruxelles,  i84a, 
grand  in-4*. 

Etudes  sur  les  hymnes  da  Rig  -  Véda ,  avec  un  choix  d'hymnes  traduits  pour  la 
première  fois  en  françab»  par  M.  F.  Nève.  Louvain»  i84a ,  in-8'. 


TABLE. 

Histoire  des  Seldjoucidcs  de  Mirkhond ,  pubUée  en  persan  d'après  les  manuscrits 
de  Paris  et  de  Berlin,  avec  des  annotations  critiques  et  philologiques,  par  Jo. 
Aug.  Vullers  (2*  et  dernier  article  de  M.  Quatremère) Page  385 

Revue  des  éditions  de  Bufibn  (3*  article  de  M.  Flourens) 404 

Antichi  monumenti  sepolcrali  scoperti  nel  ducato  di  Ccri ,  dichiarati  dal  cav.  P.  S. 
Visconti.  —  Descriiione  di  Cere  antica ,  cd  in  particoiare  del  monumento  se- 
polcrale  scoperto  neir  anno  1836,  deir  architetto  cav.  L.  Canina.  —  Monu- 
menti di  Cere  antica,  dal  cav.  L.  Grifi  (3*  article  de  M.  Raoul -Rochelle) 416 

Tables  pour  le  calcul  des  syzygies  écliptiques  et  non  écliptiques ,  par  M.  Large- 

teau  (  1"  article  de  M.  Biot) 434 

Nouvelles  littéraires 442 

FIN   DS   LA  TABLE. 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


AOUT  1843. 


Revue  des  éditions  de  Baffon. 

QUATRIÈME   ARTICLE. 

Idées  de  Buffon  sur  la  dégénération  des  animaux  et  sur  la  mutabilité  des  espèces. 

Un  des  beaux  chapitres  du  grand  ouvrage  que  j*étudie  est  celui  qui 
ti^ite  de  la  dégénération  des  animaux. 

Et  je  remarque  qu'il  y  a  encore  ici  deux  parties  :  une  partie  expéri- 
mentale et  une  partie  qui  touche  au  système. 

Voyons  d'abord  la  partie  expérimentale. 

Trois  causes  principales,  le  climat,  la  nourriture  et  la  domesticité, 
produisent  le  changement ,  Taltération ,  la  dégénération  dans  les  ani- 
maux. 

Buffon  démêle  et  suit  les  effets  de  ces  trois  causes  données  sur  la 
plupart  des  espèces ,  et  particulièrement  sur  les  espèces  que  nous  con- 
naissons le  mieux ,  sur  les  espèces  domestiques. 

La  brelîs,  comparée  au  mouflon  dont  elle  est  issue,  nous  offre  les 
changements  les  plus  remarquables.  Le  mouflon,  grand,  l^er,  armé 
de  cornes  défensives ,  couvert  d*im  poil  rude ,  ne  craint  ni  rinclémence 
de  l'air,  ni  la  voracité  du  loup  ;  nos  brebis  ne  peuvent  se  défendre 
même  par  le  nombre ,  elles  ne  soutiendraient  pas  sans  abri  le  froid  de 
nos  hivers ,  toutes  périraient  si  l'homme  cessait  de  les  soigner  et  de  les 
protéger,  leur  poil  rude  s'est  changé  en  une  laine  fine  ^ ,  leur  queue 
s'est  chargée  dune  miasse  de  graisse,  plusieurs  ont  perdu  leurs  cornes; 
enfin ,  dit  Buffon ,  «  de  toutes  les  qualités  du  mouflon ,  il  ne  reste  rien  à 

^  Voyez,  sur  les  deux  espèces  de  poil  qii*ont  tous  les  animaux  sauvages,  le  poil 

57 


450  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

nos  brebis,  rien  à  notre  bélier,  quun  peu  de  vivacité,  mais  si  douce, 
qu  elle  cède  encore  à  la  houlette  d*ane  berçè^ê^  ^) 

L* espèce  de  la  chèvre,  quoique  fort  dégénérée  aussi,  Test  pourtant 
moins  que  celle  de  la  brebis.  Les  variétés  de  nos  chèvi^es  domestiques 
se  di&tingueat  entre  elles  par  la  (aille ,  par  la  longueur,  la  couleur,  la 
finesse  du  poii,  par  la  direction,  la  grandeur,  et  mène  lé  nombre  des 
cornes  :  il  y  a  des  boucs,  comme  des  béliers,  à  quatre  cornes. 

Le  bœuf  varie  d'abord  sous  Tinfluence  de  la  nourriture  :  un  bœuf, 
nourri  dans  une  contrée  où  le  pâturage  est  riche,  acquiert  le  double 
du  volume  d'un  bœuf  nourri  dans  un  pays  sec;  il  varie  ensuite  sous 
rinfluence  du  climat  :  les  races  de  la  zone  torride  portent  une  loupe 
sur  les  épaules;  le  zébu,  le  bœuf  à  bosse,  n*est,  en  effet,  qu'une  variété, 
qu'une  race  de  notre  bœuf  domestique. 

Tout  le  monde  sait  combien  nos  chevaax  diQîbrent  les  uns  des  autres 
par  la  couleiu*,  parla  taille,  parles  formes  de  la  tête,  etc. 

Le  lapin  varie  par  sa  grandeur,  par  la  couleur,  par  la  quantité ,  par 
la  qualité  de  son  poil ,  etc. 

Le  sanglier,  devenu  domestique,  a  pris  des  oreilles  à  demi  pendantes; 
sa  couleur  a  passé  du  aoir  au  blanc ,  au  rouge,  etc.  etc. 

La  couleur  des  animaux  est,  de  tous  leurs  caractères,  le  plus  va- 
riable. Leur  couleur  originaire  est,  en  général,  fauve  ou  noire.  Le 
chien,  le  bœuf,  la  chèvre,  la  brebis,  le  cheval,  domestiques,  ont  pris 
toutes  sortes  de  couleurs;  le  cochon,  comme  je  viens  de  le  dire,  a 
changé  du  noir  au  blanc ^  et  même  le  blanc,  le  blanc  pur,  paraît  être, 
en  ce  genre ,  le  signe  du  dernier  degré  de  dégénération.  On  le  voit  par 
les  hommes  qu'on  nomme  albinos.  H  y  a  aussi  des  albinos  dans  les  ani- 
maux, n  y  a  des  éléphants,  des  cerfs,  des  daims,  des  guenons,  des 
taupes,  des  souris,  des  lapins,  etc.  qui  sont  absolument  blancs.  Tous 
ces  albinos ,  comme  les  albinos  de  l'espèce  humaine,  ont  les  yeux  rouges, 
l'oreille  dure,  etc.  Une  mutation  inverse  change  la  couleur  de  quelques 
espèces  du  fauve  au  noir  :  il  y  a  des  panthères  dont  tout  le  pelage  est 
noir  ^.  Le  simple  changement  de  saison  fait  passer  le  lièvre  des  cUmats 
froids,  du  gris ,  qui  est  sa  couleur  d'été,  au  blanc,  qui  est  sa  couleur 
d'hiver*,  etc. 

Le  chien  est  l'animal  dont  l'espèce  a  subi  les  altérations  les  plus  pro- 
fondes :  an  dans  les  pays  ciiauds ,  couvert  d  un  poil  épais  et  inide  dans 
les  contrées  du  nord,  paré  d'une  belle  robe  soyeuse  en  Espagne,  en 

laineux  et  le  pM  soyeux,  mon  Résumé  analytique  des  observations  de  F.  Govîer 
sur  finstinct  et  rintelligcnce  des  animaux,  Paris,  i84i,  p.  106.  —  ^  T.  XXIX, 
p.  1 7a.  -«^  '  Fûlit  mêlas.  -«-  '  Lepus  vùriabilii. 


AOUT  1843.  451 

Syrie,  il  varie  encore  plus  par  la  taille,  par  la  foiiioe  du  crâne,  par  celle 
du  cerveau,  par  rintell^ence ,  par  la  voix;  le  cbien  sauvage,  ou  des 
peufdes  grossiers,  est  presque  muet  :  <«La  voix  de  ces  animaux,  dit 
Buffon,  a  subi,  comme  t6ut  le  reste,  d'étranges  mutations;  il  semble 
que  le  cbien  soit  devenu  criard  avec  l'homme,  qui,  de  tous  les  êtres 
cftd  ont  une  langue ,  est  celui  qui  en  use  et  abuse  le  plus  ^.  n 

Rien  n'est  plus  intéressant  que  ce  tableau,  tracé  par  Buifon,  de  la 
d^énération  des  espèces^.  Mais,  cédant  toujours  au  besoin  qu'il  a 
d'agrandir  son  horizon  et  d'étendre  sa  vue ,  il  quitte  bientôt  cette  belle 
et  solide  étude  expérimentale  pour  se  livrer  à  toutes  les  séductions 
d'un  système. 

«Après  le  coup  d'œil  que  l'on  vient  de  jeter  sur  ces  variétés  qui 
nous  indiquent  les  altérations  particulières  de  chaque  espèce ,  il  se  pré- 
sente, dit-il,  ui^  considération  plus  importante  et  dont  la  vue  est  bien 
plus  étendue,  c'est  celle  du  changement  des  espèces  mêmes,  c'est  cette 
dégénération  plus  ancienne  et  de  tout  temps  immémoriale,  qui  parait 
s'être  faite  dans  chaque  famille,  ou,  si  l'on  veut,  dans  chacun  des  genres 
sous  lesquels  on  peut  comprendre  les  espèces  voisines  et  peu  différentes 
entre  elles'. 

((  En  comparant  ainsi,  dit-il  encore,  tous  les  animaux,  et  les  rappelant 
chacun  à  leur  genre ,  nous  trouverons  que  les  deux  cents  espèces  dont 
nous  avons  donné  l'histoire  peuvent  se  réduire  k  un  assez  petit  nombre 
de  familles  ou  souches  principales,  desquelles  il  n*est  pas  impossible 
que  toutes  les  autres  soient  issues^.  » 

Il  établit  donc ,  d'une  part,  neuf  espèces  qu'il  regarde  comme  isolées  ; 
et,  de  l'autre,  quinze  genres  principaux,  souches  primitives,  d'où  il  dé- 
rive, à  sa  manière,  tous  les  animaux  qui  lui  sont  connus. 

Les  neuf  espèces  isolées  sont  :  l'éléphant,  le  rhinocéros,  Thippopo- 
tame,  la  girafe,  le  chameau,  le  lion,  le  tigre,  l'ours,  et  la  taupe. 

Or,  une  première  remarque  à  faire,  c'est  que  la  plupart  de  ces  es- 
pèces, 150/^^5  au  temps  de  Buffon,  ne  le  sont  plus  aujourd'hui. 

Sans  compter  les  espèces  fossiles,  nous  avons  deux  éléphants  vivants: 
l'éléphant  d'Asie  et  celui  d'Afrique  ;  nous  avons  quatre  rhinocéros  :  deux 
unicornes ,  celui  des  Indes  et  celui  de  Java,  et  deux  bicornes^  celui 
de  Sumatra  et  celui  d'Afrique^.  Nous  connaissons  jusqu'à  sept  ou  huit  es- 

^  T.  XXXIX,  p.  177.  -^  *  Bien  qu'il  se  trompe  sur  plus  d*un  fait  particulier, 
comme,  par  exemple^  lorsqu*il  attribue  les  bosses  du  chameau  à  faction  de  la  do- 
mesticité, elc.  etc.  —  ^  T.  XXIX,  p.  igA.  —  *  i^^-  p-  227.  —  *  tLe  rhinocéros, 
dit  Buffon ,  semble  ne  différer  de  lui-même  que  par  le  caractère  singulier  qui  le 
fait  différer  de  tous  les  animaux,  par  cette  grande  corne  qu*il  porte  sur  le  tuen  : 

57. 


452  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pèces  d'ours;  deux  espèces  de  taupes,  la  taupe commane et  la  taape (xveagle ; 
le  dromadaire  est  une  espèce  très -distincte  du  chameau;  et,  pour  le 
lion ,  pour  le  tigre,  ce  sont,  très-certainement,  deux  espèces  d'un  même 
genre ^  car  le  lion  et  le  tigre  peuvent  se  mêler  et  produire  ensemble^. 

Restent  la  girafe  et  Thippopotame  dont  nous  ne  connaissons  en- 
core, il  est  vrai,  qu'une  espèce;  mais  rien  n  empêche  qu'il  ne  puisse  y 
avoir,  pour  chacun  de  ces  animaux,  plus  d'une  espèce;  et  l'unité,  l'unité 
de  type,  ne  peut,  en  aucun  sens,  être  donnée  comme  un  privilège  de 
leur  nature. 

La  seule  espèce  qui,  pour  me  servir  des  expressions  de  Buflbn, 
«  fasse  en  même  temps  espèce  et  genre  ',  »  la  seule  vraiment  simple ,  la 
seule  essentiellement  une,  est  l'espèce  de  l'homme. 

Je  ne  citerai  que  quelques-uns  des  quinze  genres  primitifs  proposés 
par  Buffon.  Le  premier  de  ces  genres  comprend  le  cheval ,  le  zèbre , 
l'âne,  etc.;  le  second,  les  brebis,  les  chèvres \  etc.;  un  autre,  le  san- 
glier avec  toutes  les  variétés  du  cochon;  un  autre ,  le  chien  avec  le  loup, 
le  renard,  le  chacal,  etc.  etc. 

Je  m'en  tiens  à  ces  premiers  genres,  et  je  place  les  opinions  de 
Buffon  à  côté  des  faits. 

Le  cheval,  l'âne,  le  zèbre,  sont  certainement  de  la  même  famille, 
comme  Buffon  le  dit  ici,  et  quoique  ailleurs  il  ne  le  veuille  pas,  parce 
que  c'est  Linné  qui  le  dit  ^.  Mais  s'ensuit-il  que  l'âne  vienne  du  cheval , 
ou  le  cheval  du  zèbre  ? 

Le  cheval  produit  avec  l'âne ,  le  cheval  et  l'âne  produisent  avec  le 
zèbre;  mais  le  métis,  le  mulet,  l'individu  né  de  ce  mélange  est  toujours 
un  individu  stérile®.  Et  il  y  a  bien  plus  :  il  y  a  un  fait,  un  grand  fait,  que 
Buffon  n'aperçoit  pas,  et  qui  est  la  réfutation  directe  de  son  hypothèse. 

Le  cheval  et  l'âne  sont  peut-être  les  deux  espèces  les  plus  voisines , 
les  plus  semblables  entre  elles,  qu'il  y  ait  dans  toute  la  classe  des  mam- 

celte  corne  est  simple  dans  les  rhinocéros  de  TAsîe  et  double  dans  ceux  de  l'A- 
frique. •  (T.  XXIX,  p.  igS.)  n  prend  ici,  pour  un  simple  caractère  de  variété,  un 
vrai  caractère  d'espèce.  —  *  Voyez,  sur  les  caractères  positifs  de  Y  espèce  et  du  genre, 
mon  Analyse  raisonnée  des  travaux  de  G.  Cuvier,  Paris,  i84ii  p.  a64.  —  *  On  en  a 
eu  un  exemple  à  Londres  :  voyez  mon  Résumé  analytique  des  Observations  de  F. 
Cuvier  sur  Tinstinct  et rinlelligence  des  animaux,  Paris,  18A1,  p.  ga.  —  'T. XXIX, 
p.  195.  —  *  Buffon  met  dans  ce  genre,  avec  les  brebis  et  les  chèvres,  les  gazelles 
et  les  cbevrotins,  qui  appartiennent  chacun  à  des  genres  très-différents.  Mais  je 
n^examine  pas  ici  les  genres  de  Buffon  sous  le  point  de  vue  zoologique  ;  je  n*y 
cherche  que  ses  idées  sur  la  transformation  des  espèces.  —  *  Voyez,  ci-devant, 
mon  premier  article,  p.  a 58. —  *  Ordinairement,  dès  la  première  génération,  et 
toujours  dès  la  seconde. 


AOUT  1843.  453 

mifères.  L'o^  le  plus  attentif  na  pu  découvrir,  jusqu'ici,  aucune  diiTé- 
reûce  caractéristique  entre  leurs  squdettes.  Ajoutez  que,  depuis  des 
siècles ,  on  les  mêle ,  on  les  excite  à  produire  ensemble.  Assurément , 
si  jamais  une  transformation  avait  pu  se  faire  d'une  espèce  en  une  autre , 
il  semble  que  cette  transformation  aurait  dû  se  faire  ici.  Et  cependant 
s'est-elle  faite?  le  cheval  n'est-il  pas  toujours  le  cheval  ?  l'âne  n  est-il  pas 
toujours  l'âne? 

Un  fait  tout  pareil  nous  est  donné  par  l'exemple  du  bouc  et  du  bé- 
lier. Le  bouc  s'accouple  avec  la  brebis,  le  bélier  se  joint  avec  la  chèvre; 
«mais,  comme  le  dit  très-bien  Buifon  à  un  autre  endroit,  quoique  ces 
accouplements  soient  assez  £réquents,  et  quelquefois  prolifiques,  il  ne 
s'est  point  formé  d'espèce  intermédiaire  entre  la  chèvre  et  la  brebis. 
Ces  deux  espèces  demeurent  constamment  séparées  et  toujours  à  la 
même  distance  Tune  de  l'autre  ;  elles  n'ont  point  &it  de  nouvelles 
souches,  de  nouvelles  races  d'animaux  mitoyens;  elles  n'ont  produit 
que  des  différences  individuelles  qui  n'influent  pas  sur  l'unité  de  cha- 
cune des  espèces  primitives ,  et  qui  confirment ,  au  contraire ,  la  réa- 
lité de  leur  difiérence  caractéristique  ^  » 

L'exemple  du  sanglier  et  des  cochons,  allégué  par  BuQbn,  n'est  pas 
h  sa  place ,  car  il  s'agit  ici  à'espèces  distinctes  ;  et  les  cochons  ne  sont 
que  des  variétés,  des  races,  d'une  espèce,  d'une  souche  primitive,  qui 
est  le  sanglier. 

Enfin,  Buffon  croit  pouvoir  dériver  le  chien ,  le  chacal ,  le  loup  et  le 
renard  d'une  seule  de  ces  quatre  espèces.  Mais,  pour  nous  en  tenir  au 
chien,  qui  est  celle  de  ces  quatre  espèces  que  nous  connaissons  le 
mieux,  il  ne  vient  sûrement  pas  du  loup,  car  le  loup  est  solitaire  et  le 
chien  est  essentiellement  sociable  ;  il  ne  vient  pas  du  chacal ,  car  le 
chacal  a  une  odeur  si  particulière,  qu'il  ne  semble  guère  possible  que 
le  chien,  venu  du  chacâd,  n'en  conservât  pas  au  moins  quelques  traces  ; 
dun  autre  côté,  le  mélange  du  chien  avec  le  renard  n'est  point  proli- 
fique ;  et  voici  quelque  chose  de  plus  décisif  encore  :  le  chien  a  été 
rendu  à  l'état  sauvage  et  il  n'est  point  passé  à  Tune  des  trois  autres  es- 
pèces, il  est  resté  chien. 

Les  espèces  ne  viennent  donc  pas  les  unes  des  autres.  Toutes  sont 
primitives;  et, ce  qui  trompe  Buflbn,  c'est  qu'il  ne  voit  pas  la  limite  fixe 
qui  sépare  partout  les  variétés  des  espèces.  L'homme,  qui  ne  peut  rien 
sur  Y  espèce,  peut  tout,  ou  à  peu  près  tout,  sur  les  variétés,  sur  les  races. 

Tout,  ou  presque  tout,  est  artificiel  dans  la  production  de  quelques- 

*  T.  IX ,  p.  79. 


454  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

unes  de  nos  races  domestiques.  On  produit,  à  yoionté,  des  chiens  gros 
ou  petits,  et  de  plus  en  plus  petits,  ou  de  plus  en  pins  gros,  en  unissant 
ensemble  les  plus  grands  ou  les  plus  petits  individus. 

<(  On  est  toujoiu*s  sûr,  dit  F.  Guvier,  qui  avait  beaucoup  médité  sur 
cette  matière,  on  est  toujours  sûr  de  former  des  races,  lorsqu'on  prend 
soin  d'accoupler  constamment  des  individus  pourvus  des  particularités 
d'organisation  dont  on  veut  faire  les  caractères  de  ces  races.  Après  quel- 
ques générations,  ces  caractères,  produits  d'abord  accidentellement, 
sont  si  fortement  enracinés,  qu'ils  ne  peuvent  plus  être  détruits  que  par 
le  concours  de  circonstances  puissantes,  et  les  qualités  intdlectu^es 
s'affermissent  comme  les  qualités  physiques ,  etc.  ^.  » 

Daubenton  a  produit ,  avec  des  race^  de  France^  les  plus  belles  laines , 
et,  par  conséquent,  les  plus  belles  races  des  moutons  d'Espagne. 

Unissant  des  béliers  dont  la  laine  avait  six  pouces^  de  longueur  à  des 
brebis  dont  la  laine  n'avait  que  trois  pouces*,  il  a  vu,  dès  la  première 
génération ,  les  petits  avoir  une  laine  de  cinq  pouces  et  demi  de  lon- 
gueur^ :  poursuivant  ainsi,  et  unissant  toujours,  à  chaque  génération,  les 
individus ,  béliers  et  brebis ,  dont  la  laine  était  la  plus  longue ,  il  est  par- 
venu ,  au  bout  de  quelque  temps ,  à  produire  des  laines  longues  de  vingt- 
deux  pouces*. 

Et  il  en  est  de  la  taille  entière  de  l'animal  comme  de  la  longueur  de 
sa  laine.  Daubenton  a  uni  des  brebis  qui  avaient  vingt  pouces^  de  hau- 
teur à  des  béliers  qui  en  avaient  vingt-lmit  "^  ;  et ,  dès  la  première  généra- 
tion, il  a  eu  des  agneaux  dont  la  hauteur  était  de  vingt-sept  pouces^. 

Le  mélange  des  i^ces,  le  climat,  la  nourriture,  l'esclavage,  etc. 
peuvent  donc  beaucoup,  peuvent  tout,  sur  la  production  des  races. 
Mais ,  ce  qu'il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue,  c'est  que  les  altérations  qui 
amènent  les  variétés ,  les  races ,  ne  portent  que  sur  les  caractèi-es  les 
plus  superficiels  des  animaux  :  sur  la  couleur,  sur  l'épaisseur,  sm*  la  Ion- 
gueiu'  des  poils,  sur  la  grandeur,  sur  le  volume  du  corps,  etc.  M.  Cu- 
rier,  qui,  en  reprenant  tout  le  travail  de  Buffon,  a  ai  bien  vu  ces  li- 
mites marquées  à  la  dégénération  des  espèces ,  que  Buffon  n'avait  pas 
aperçues,  M.  Cuvier  a  étudié  les  nombreux  squelettes  de  chats,  d'ibis, 
de  chiens ,  de  singes ,  de  crocodiles,  de  bœufs,  etc.  rapportés  d'Egypte  ; 
«  et  certainement ,  dit-il ,  il  n'y  a  pas  plus  de  différence  entre  ces  êtres 

^  Voyez  mon  Hésumé  analytique  des  Observations  de  F.  Cuvier  sur  l'instinct  et 
rintdlîgeacc  des  animaux,  Paris,  iSili,  p.  ii3.  ^-  '  16  cent.  5  mili.  —  ^  8  cent. 
—  *  i5  cent.  —  *  60  cent.  Daubenton  ,  Instruction  pour  les  bergers  et  pour  les  pro- 
priétaires de  troupeaux,  an  x,  p.  109.  —  *  54  cent.  —  '  77  cent.  —  *  74  cent.  Dau 
benton,  ihid,  p.  108. 


AOUT  1843,  455 

et  ceux  que  nous  voyons ,  qu*entre  les  naomies  humaines  et  les  sque- 
lettes d*hoinmes  d'aujourd'hui^.»  Il  a  comparé  des  crânes  de  renards 
du  Nord  arec  des  crânes  de  renards  d*Egyple ,  et  n  y  a  trouTé  que  des 
différences  individuelles.  Une  crinière  plus  fournie  fait  la  seule  diffé- 
rence entre  Thyène  de  Perse  et  celle  de  Maroc.  La  squelette  d'un  chat 
d'Angora  ne  difière  eii  rien  de  constant  de  celui  d  un  chat  sauvage  ;  plus 
ou  moins  de  taUie,  des  cornes  plus  ou  moins  longues  ou  qui  manquent , 
une  ioupe  de  graisse  «  forment,  oonmie  nous  avocns  vu,  toutes  les  diffé- 
rences des  bœu&  ;  il  y  a  quelques  races  de  cochons  où  les  ongles  se 
soudent  ;  enfin ,  Textrême  des  différences  que  l'esclavage ,  porté  à  lex- 
tréme,  a  produites,  se  Toit  dans  le  chien,  dont  quelques  individus  ont 
un  doigt  de  plus  au  pied  de  derrière ,  et  quelques  autres  une  dent 
molaire  de  plus  ^. 

L'altération  des  foimes  n'est  donc  pas  indéfiAiie.  Et  ce  n'est  pas  tout  : 
ces  altérations  mêmes ,  qoe  des  circonstances  données  ont  mis  tant  de 
temps  à  produire ,  et  qu'elles  ne  produisent  jamais  que  jusqu'à  une  cer- 
taine limite»  ces aUérations  ne  sont  pas  ineffaçables.  Supprimes  les  cir- 
constances qui  les  ont  amenées ,  et  les  caractères  primitifs  reparaissent. 

Nos  cbevavDL  »  redeipeaus  libres  en  Amérique ,  y  ont  repris  leur  ins- 
tinct ,  qui  est  de  vivre  en  troupes  conduites  par  un  chef;  leur  taille , 
qui  est  moyenne;  une  couleur  uniforme,  qui  est  le  bai  châtain. Nos  chiens 
y  ont  perdu  leur  aboiement;  le  cochon  y  a  repris  les  oreilles  droites 
du  sanglier,  et  ses  petits  la  livrée  du*  marcassin^  etc.  ^. 

La  dégénération  des  animaux  a.donc  des  limites  fixes;  et  c'est  parce 
qu'il  n'a  pas  vu  cesiimhss  que  Buffon  a  cru  à  la  rmtabUité  des  espèces. 

Le  méla»^  de  quelques  espèces  très- voisines  est  prolifique.  Le  loup 
produit  avec  le  chien,  l'âne  produit  avec  le  cheval;  mais  ici  encore  il 
y  a  des  limites,  et  toujours  des  limites  qui  ne  peuvent  être  franchies  : 
d'une  part,  les  métis  nés  de  ce  mélange  sont  stériles  dès  les  premières 
générations^;  et,  de  l'outil,  ces  menées  métis,  unis  à  l'une  des  deux 
espèces  primitives,  reproduisent  bientôt  tous  les  caractères  de  cette 
espèce. 

Les  espèces  sont  donc  inunaables:  dles  ont  toutes  une  même  origine , 
une  mènve  date,  et  c'esl  la  marne  noain,  la  main  du  Maître  du  monde, 
qui  les  a  toutes  formées. 


^       transportés 

étrangers,  i835.— -■*  D  en  est  de  même,  quoiqu'un  peu  plus  tard,  pour  les  mélîs 
des  oiseaux. 


456  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Mais  je  ne  puis  terminer  cet  article  sans  revenir  un  moment  à  Buf- 
fon.  C'est  un  spectacle  qu'il  ne  faut  pas  se  lasser  d'observer  que  c^lui  de 
ces  mutations  profondes  auxquelles  il  a  constamment  souxnis  ses  idées. 

Ici  il  admet  le  changement  des  espèces,  il  les  tire  toutes  de  quel- 
ques-unes ,  il  suppose  un  petit  nombre  de  iamilles  ou  souches  princi- 
pales ,  desquelles  «  il  n'est  pas  impossible ,  dit-il  »  que  toutes  les  espèces 
soient  issues  ^.  »  Il  prend  donc  ici  le  mot  famille  au  sens  positif ,  réel , 
et  ailleurs  il  n'en  veut  pas  même  au  sens  abstrait  :  «  Nous  ne  bous  ser- 
virons, dit-il,  des  familles,  des  genres,  des  ordres  et  des  classes,  pas  plus 
que  ne  s'en  sert  la  nature  ^.  w 

Ici  il  veut  que  le  cheval  vienoe  du  zèbre,  on  le  zèbre  du  cheval ,  et 
ailleurs  il  ne  veut  pas  même  que  Linné  les  mette  l'un  à  coté  de  l'autre  : 
M  Ne  vaut-il  pas  mieux ,  dit-il ,  faire  suivre  lé  cheval ,  qui  est  solipède,  par 
le  chien ,  qui  est  fissipède ,  et  qui  a  coutume  de  le  suivre  en  effet ,  que 
par  un  zèbre,  qui  nous  est  peu  connu,  et  qui  n'a  peut-être  d'autre  rap- 
port avec  le  cheval  que  d'être  solipède  *?»  > 

Ici  les  espèces  peuvent  changer,  puisque  quelques-unes  donnent 
toutes  les  autres ,  et  ailleurs  il  appelle  les  espèces  :  «  Les  seuls  êtres  de 
la  nature,  êtres  perpétuels ,  aussi  anciens,  aussi(»permanents  qu'elle  ^;  » 
eVû  écrit  cette  belle  phrase  :  u  L'empreinte  de  chaque  espèce  est  un  type 
dont  les  principaux  traits  sont  gravés  en  caractères  ineffaçables  et  per- 
manents à  jamais  ^.  )> 

Plus  on  étudie  Buffon,  plus  on  voit  combien  il  étudiait  lui-même 
sans  relâche,  sans  (in ,  et  combien  son  génie,  aussi  flexible  que  puissant, 
se  prétait  facilement  à  toutes  les  idées  nouvelles  que  fai^t  naître,  tour 
à  tour,  ou  la  méditation  profonde  des  faits,  ou  le  charme  entraînant 
des  combinaisons  et  des  vues. 

FLOURENS. 

'  T.  XXIX,  p.  aay.  —  *  T.  VIII,  p.  lâ.  «H  ne  faut  pas  oublier  qae' o^  fiunUlet 
•ont  notre  ouvrage;  que  nous  ne  les  avons  faites  que  pour  le  soulagement- de  notre 
esprit;  que,  s*il  ne  peut  comprendre  la  suite  réelle  de  tous  les  êtres,  c'est  notre 
faute  et  non  pas  celle  de  la  nature,  qui  ne  connaît  point  ces  prétendues /ami/Ze^, 

et  ne  contient  en  effet  que  des  indivîalis.  •  Ibii,  p.  li.  t S*il  était  une  fois 

prouvé  quon  pût  établir  ces  JwniÙes érec  raison;  s*il  était  acquis  que,  dans  les  ani- 
maux, il  y  eût,  je  ne  dis  pas  plusieurs  espèces,  mais  une  seule  qui^ût  été  produite 
par  la  dégénération  d'une  autre  espèce;  s  il  était  vrai  que  Tâne  ne  fût  qu'un  cheval 
dégénéré,  il  n'y  aurait  plus  de  bornes  à  la  puissance  de  la  nature»  et  l'on  n'aurait 
pas  tort  de  siq)poser  que  d'un  seul  être  elle  a  su  tirer,  avec  le  temps,  tous  les 
auii^être8organi8és..i6iJ.p.9.  — *T.I,p.5i.  — *T.XXVI,p.  X.  — 'T.XXVI, 


AOUT  1843.  457 

..       ^ 
Explication  de  trois  iascriptians  trouvée  à  Phiies,  en  Egypte. 

OEUXIÂME    ET    DERNIER    ARTICLE. 

D. 

J  ai  annoncé  que  la  seconde  inscription  grecque  dont  je  dois  donner 
connaissance  à  nos  lecteurs  n'a  qu  un  seal  mot;  et  que,  si  elle  est  une 
des  plus  courtes  que  l'on  connaisse ,  elle  n'est  pas  une  des  moins  cu- 
rieuses. Je  pense  qu'ils  seront  de  mon  avis  quand  ils  aiu*ont  lu  les  dé- 
tails qui  suivent  ...  > 

Ce  mot  est  AYTOKPATOPWN,  Au  premier  abord,  on  doit  présumer 
que  ce  nom ,  au  génitif  pluriel ,  est  le  reste  d'une  inscription  plus  longue, 
que  le  temps  aura  détruite;  mais  on  ne  voit  aucune  trace  de  lettres  au- 
dessus  ni  au-dessous ,  avant  ni  après ,  et  la  place  qu'il  occupe  ne  per- 
met pas  de  croire  qu'il  ait  jamais  été  accompagné  d'aucun  autre.  Da^s 
quelle  intention  peut  avoir  été  tracé  un  mot  dont  la  forme  annonce 
qu  il  a  dû  faire  partie  d'une  phrase,  et  la  position ,  qu'il  a  toujours  été 
isolé?  C'est  là  une  sorte  d'énigme,  dont  la  solution  doit  dépendre  d^s 
circonstances  qui  accompagnent  ce  mot  unique.  Je  vais  donc  commen- 
cer par  les  relever  avec  soin,  puis  le  mot  de  l'énigme  sortira  de  iui- 
même ,  et  peut-être  que  nos  lecteurs  le  devineront  avant  qu'il  soit  né- 
cessaire de  le  leur  apprendi^e. 

A  la  partie  occidentale  de  Pblles,  entre  le  Nil  et  le.  pylône  du  grand 
temple,  il  existe  les  restes  d'un  très-petit  temple  ou  chapelle  décrits  d'a- 
bord par  Lancret,  sous  le  titre  de  Ruines  de  V Ouest  ^,  ensuite  par  le  doc- 
teur Parthey  ^  et  sir  Gardner  Wilkinson  ^.  Ce  temple  est  remarquable 
par  plusieurs  bas-reliefs  dont  les  sujets  ne  se  trouvent  point  ailleurs; 
telle  est  une  scène  funéraire  où  l'on  voit  une  caisse  de  momie  placée 
sur  le  corps  d'un  crocodile  qui  marche  au  milieu  de  plantes  aquatiques; 
aurdessus  «st  un  tableau  circulaire  renfermant  les  figures  d'Osiris  et  d'Ho- 
rus ,  et  surmonté  d'une  bande  étroite ,  terminée ,  d'un  côté ,  par  le  disque 
du  soleil,  de  l'autre,  par  le  croissant  de  la  lune;  le  long  de  cette  bande 
sont  répandues  douze  étoiles  qui  répondent ,  selop  toute  apparence ,  aux 
douze  he\u*es  du  jour  ou  de  la  nuit.  Ce  sujet  curieux,  publié  dans  la 
grande  description  d^Égypte  avec  peu  d'exactitude^,  a  été  reproduit 

*  Descript.  de  Phiies,  S  vu,  p.  4A«  Aniûi,  Descript  1. 1. —  *  De  Philis  insuk,  p.  ^9. 
—  *  Topography  of  Thehes,  p.  A69.  « —  *  Antiif.  t.  I,  pi.  19,  n.  a. 

58 


B*  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

phis  complètement  par  M.  le  docteur  Parthey  ^  ;  mais  il  n*a  été  donné 
d'uoé'^tainitte  s^ti^misàrrte ,  «hluihiné  de^^él^  véritable»  ooiilèut^,  que 
dans  Touvrage  de  Ghampollion  ^. 

L'époque  comparatirement  récente  à  laquelle  doit  appartenir  la  cons- 
truction de  cette  chapelle  pouvait  se  conclure  des  observations  de 
Lancret  :  «Ce  petit  édifice,  dit-il,  "présente  le  double  aspçct  de  la  jeu- 
nesse et  de  la  vétusté  :  il  n'en  reste  plus  qu'une  salle  ;  encore  un  des 
murs  est-il* abattu,  cependant  les  pierres  e¥i  sont  blanches,  les  pein- 
turés fVafbheb  et  bien  conaiervé^*.  »' 

Lancret  juge  donc  qu  il  a  dû  être  bâti  postérieurement  au  grand 
temple  "et  "â  ses  dépendances ,  mais'  il  ne  feri  croyait  pas  moins  encore 
fort  ancien  ;  car  cet  observateur  exact  et  judicieux ,  qui  partageait,  urtc 
erreur  commutie  à  toute  la  commîssiôrt  d^gypte,  pensait  que  tous  les 
temples  dé  consttnititidn  égyptienne  sont  antérieurs  à  Cambyse.  Ainsi, 
sèloii  lui,  le  grand  temple  d^Isis  à  PhîlesaVait  été  bâti  étdécoré  à  cette 
époque,' que  Dupuis  a  rendiie  si  fameuse,  où  le  lioii  était  solsticial  et 
le'* taureau  équinoxial,  c'est-à-dire  qu'il  rémontait,  pour  le  moins,  à 
îSoo  ans  avant  Jéisus-Christ*,  et  il  croyait  que  les  plus  récents  des  autres 
édifices  égyptiens  de  l'île,  et,  entre  autres,  celui  dont  je  parie  en  ce  mo- 
thent,  sont  beaucoup  plus  anciens  que  la  conquête  des  Perses^.  C'est 
là  une  opinion  à  présent  détruite  sans  retout  aux  yeux  de  quiconque 
veut  prendre  la  peiné  de  connaître  Tensemblé  des  observations  qui 
dht  été  faites  deptus  la  pnbiîéàtibii' dé  la  description 'de  riÉ^pte.  Cette 
opinion  lut  d'abord  ébranlée  par  l'examen  des  inscriptions  grecques 
grâvéeà  sur  le  massif  de  gauche  du  grand  pylône,  dont  quelques-unes, 
évideiiuiiént  postérieures  aux  sctilptures  égyptiennes,  appartiennent, 
ainsi  que  je  l'ai  montré  dès  1823,  aux  derniers  temps  de  la  dynastie  des 
Laides,  et  même  au  commencement  du  règne  d'Auguste;  l'opinion 
fut  sapée  ensuite  par  les  observations  de  'M.  Gaii  et  de  M.  Huyot,  qui, 
sahs  autre  indice  que  la  comparaison  des  styles,  reconnurent  que  les 
setllJ^tUi^és  du  grand  temple  de  Phîles,  dont  Lanéret-  exalte  la  déli- 
catesse et  le  fini  adrtiirablés ,  sont,  au  contraire,  aussi  mauvaises  que 
celles  de  Dendéra*,  qu'on  avait  crues  si  belles,  et  annoncent  également 
la  dééàdbnce  de  l'art  Egyptien;  enfin  cette  opinion  fut  radicalement 
tûfnée  par  ïàpplifcation  de  l'alphabet  phonétique  de  Champoliion,  d'où 
i\  réstilté à  présent,  avec  certitude,  qu'il  n'existé  pas  à  Phîles  un  seul  nom 
Vdyàl^Jiharàôniqué ,  excepté  celui  de  Nectanebo ,  roi  égyptien  qui  a  régné 

*  De  Philis  insala,  p.  ig.  —  *  Monum.  de  l'Egypte  et  de  la  Nahie,  t.  I,  pi.  xciii, 
fi*  a.  —  *'Lancftet  ;  t  l—  *  Detcrfpt  de  Philes,  p.  58.  —  *  Ibid.p.  67.  —  *  Voy. 
mon  Recueil  des  imcr.  yrécqaèr  de  VÉgjrpfe,\,  I,  iiitrOd.  p.  icirV-xvi. 


AOUT  1843.  459 

pendant  la  domination  des  Perses»  seulement  une  quarantaine  d'années 
avant  la  conquête  d'Alexandre.  C'est  maintenant  un  &it  reconnu,  que, 
dans  le  grand  temple,  le  naos  tout  entier  appartient  au  temps  de 
Plolémée  Philadelphe  et  d'Évergète  I*  ;  que  le  pronaos  a  été  décoré 
sous  Ëvergète  II,  et  le  pylône  sous  Philométor  ;  que  le  temple  périptère 
à  gauche ,  commencé  sous  Épiphane ,  a  été  fini  sous  Ëvergète  il ,  sauf 
quelques  bas-relie&  qui  sont  du  temps  de  Tibère;  que  les  édifices  de 
droite  sont  du  temps  de  Philométor  et  d'Évergète  II,  è  l'exception  d'une 
salle  qui  a  été  sculptée  sous  Tibère  ;  enfin  que  les  deux  galeries  qui  se 
prolongent  au  midi  sont  exclusivement  de  l'époque  romaine  ^ 

n  suit  de  ces  observations  que  la  petite  chapelle  dont  je  parie , 
comparativement  plus  récente  que  les  autres  édifices  de  cette  partie 
de  rîle,  ne  peut  être  aussi  que  de  iépoque  romaine,  et  probablement 
appartenir  au  temps  des  empereurs  postérieurs  au  règne  de  Tibère. 

Cette  induction  est,  en  efiet,  confirmée  par  la  date  des  inscriptions, 
tant  grecques  qu'égyptiennes,  qui  ont  été  gravées  sur  les  parois  de  cet 
édifice. 

f^es  premières,  recueillies  par  M.  Lenormant  et  sir  G.  Wilkinson, 
sont  au  nombre  de  neuf:  cinq  d'entre  elles  n'ont  point  de  date;  mais 
leur  contexture  et  la  forme  des  caractères  aqyoncent  qu'elles  ne  sont 
pas  antérieures  au  règne  d'Adrien;  et  elles  peuvent  être  de  beaucoup 
postérieures»  Les. quatre  autres  ont  des  dates  précises  :  trois  d'entre  elles 
sont  des  règnes  simultanés  de  Marc-Aurèle  et  de  Lucius  Vérus;  la  der- 
nière, qui  est  du  lo  payni  de  l'an  vni  de  Septime-Sévère  et  de  Cara- 
calla  [à  juin  i  ^  de  notre  ère),  a  cela  de  fort  important  qu'elle  a  pour 
auteur  un  égyptien  nommé  ArpaisiSf  fils  d'Ammonius,  qui  a  placé, 
au-dessus,  la  même  inscription  en  égyptien,  écrite  en  caractères 'dé-, 
motiques.  Champollion  y  a  discerné  les  noms  propres  de  Sévère,  dAu- 
tonin,  à'Arpaisis,  d'Ammonius,  qui  sont  dans  le  texte  grec.  Non  loin  de 
Jà  est  une  autre  inscription  démotique  où  Champollion  ^  a  distingué  les 
noms  de  Marc-Aurèle  et  de  Vérus,  avec  les  titres  d Armeniacus ,  ParÛU' 
eus,  Medicm.  Ainsi  aucune  des  inscriptions  grecques  ou  démotiques 
conservées  sur  les  murs  de  cette  chapelle  n'est  antérieure  au  temps 
des  Antonins  ou  d'Adrien.  Or  il  serait  fort  singulier  qu'aucun  prqscynème, 
ou  hommage  religieux,  n'eût  été  gravé  sur  ses  parois,  si  l'édifice  «ût 
existé  auparavant. 

n  en  est  de  même  des  cartouches  hiéroglyphiques  qu'on  y  peut  dis- 

^  ChampolUon ,  Lettres  éerites  d'Éaypte,  p.  i65;  Wilkinson,  Topoar.  of  Thebei^, 
^  466. ^ *  Mst.  de  Ghampotton,  PAib». 

58. 


460  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

cerner  encore  ;  Chaiçpollion  les  a  recueillis  avec  soin  ;  les  plus  anciens 
sont  deux  cartouches  accouples,  répétés  deux  fois,  portant  autocrator, 
Airianos ,  toujours  vivant,  aimé  d'Isis;  et  aatocraJtor  Cœsar,  Tnganus ,  Adria- 
nos.  Tous  les  autres  sont  de  Marc-Aurèle,  associé  tantôt  à  Lacias  Vé- 
rii5,.  tantôt  à  Commode,  dont  la  date,  par  conséquent,  se  renferme 
soit  entré  161  et  169,  soit  entre  169  à  180.  Ainsi  Tédifice,  com- 
mencé peut-être  sous  Adrien ,  a  été  continué  sous  le  règne  de  Marc- 
Aurèle,  sans  avoir  jamais  été  fini. 

A  répoque  de  ce  dernier  prince  appartient  la  sculpture  de  la  frise 
intérieure  (parois  de  gauche)  de  Tédifice,  et  c'est  ici  que  j  arrive  au  mot 
aùloxpctlépûjv,  que  je  me  suis  proposé  d'expliquer. 

Cette  frise  intérieure  est  décorée,  entre  autres  (MTiements,  de  huit 
cartouches  hiéroglyphiques  disposés  horizontalement  sur  une  seule 
ligne  et  contigus  les  uns  aux  autres.  Feu  Henry  Sait  a  le  premier  re- 
marqué ces  cartouches,  et  les  a  réunis  dans  son  Essai  sur  le  système 
phonétique  ^  Ce  savant  consul  anglais,  si  zélé  pour  les  études  égyp- 
tiennes, auxquelles  il  a  rendu  tant  de  services,  s'était  d'abord  montré 
fort  peu  disposé  à  admetti^e  l'alphabet  phonétique  de  ChampoUion.  Le 
croyant  fondé  sur  des  bases  trop  conjecturales,  il  se  disposait  à  le 
combattre  ;  mais,  lorsq^l  en  eut  pris  connaissanee,  et  qu'il  l'eut  com- 
paré avec  les  monuments  qu'il  avait  sous  les  yeux,  les  armes  lui  tom- 
bèrent des  mains ,  et  il  reconnut  son  erreur  en  des  termes  qui  montrent 
à  la  fois  la  droiture  de  son  jugement  et  la  sincérité  de  son  caractère  '^. 
Non-seulement  il  adopta  tous  les  principes  qu'il  avait  rejetés  d'abord  , 
mais  il  en  étendit  les  applications.  Lorsque  ChampoUion  écrivit  sa  fa- 
meuse lettre  à  M.  Dacier,  il  croyait  encore  que  son  alphabet  ne  se  trou- 
vait que  dans  Jes  noms  des  Lagides  et  des  empereurs,  et  qu'il  ne  s'ap- 
pliquait pas  à  ceux  des  rois  indigènes*.  Sait  reconnut  que  les  noms  des 
Pharaons  étaient  écrits  d'après  le  même  système  graphique  ;  et  il  fit 
cette  découverte  en  Egypte,  dans  le  temps  que  ChampoUion^  de  son  « 
côté,  donnait,  en  France,  la  même  extension  à  son  alphabet.  M.  S.  de 
Sacy^a  fait  remarquer  combien  était  heureuse  cette  rencontre  de  deux 

'  Essay  on  IX  Yoang's  and  ChampoUion  s  phoneiic  System  of  kieroglyphics ,  etc.  hy 
Henry  Sait ,  London ,  1 8a 5.  —  '  t . . .  But  having  lately  received  M.  ChampoUion's 
pamphlet,  as  well  as  that  of  ly  Young  on  hieroglyphics ,  I  set  myself  seriously  to 

the  examinatioo  of  iheir  contents This  led  to  a  complète  conviction  of  mj 

error,  and  induced  me  not  only  to  entertain  a.  just  appréciation  of  its  value 

but to  add  some  important  names,  as  weU  as  other  pbonetic  characters,  that 

are  Hvely  to  condiict  to  results  ofstill  higher  value  than  those  already  altained, 
by  its  authors,  and  to  give  a  new  lustre  to  this  interessing  discovery.  f  (P.  4)  — 
'  Lettres  à  if.  Dacier,  p.  43,  44.  —  ^  Joumai  des  Savants,  année  i8a6,  p.^^i- 


AOUT  1843. 


461 


personnes /travaillant  chacune  de  son  côté,  k  de  grandes  distances  Tune 
de  l'autre.  Sait,  en  retrouvant,  comme  Ghampoilion,  les  noms  de  Pto- 
lémée,  de  Cléopâtre,  de  Bérénice,  d'Alexandre,  etc.  avait  découvert, 
de  plus ,  celui  de  Philippe ,  et  quelques  noms  d'empereurs  romaine ,  que 
Ghampoilion  n'a  reconnus  que  plus  tard ,  par  exemple ,  ceux  qui  sont 
renfermés  dans  les  cartouches  hiéroglyphiques  sculptés  sur  la  frise  inté- 
rieure du  petit  édifice  de  l'ouest;  mais,  sans  doute.  Sait  en  avait  pris 
le  dessin  à  une  époque  où,  attachant  moins  d'importance  à  ces  enca- 
drements elliptiques,  dont  la  vraie  signification  ne  lui  était  point  con- 
nue, il  ne  les  copiait  pas- avec  le  soin  qu'il  y  mit  plus  tard.  C'est  ce  (jùi 
explique  pourquoi  son  dessin  est  inexact  et  incomplet  en  deux  points 
essentiels  :  i®  en  ce  qu'il  ne  contient  que  six  cartouches  au  lieu  de  huit; 
2""  en  ce  qu'il  ne  les  a  point  disposés  dans  leur  ordre  véritable.  Les 
voici  tels  qu'il  les  a  donnés  ^  : 


W 


¥    t 


V 


•I 


6 


11  les  lit  de  cette  manière  :  i  Marcns.  2  Verns.  3  Antordnus,  U  Se- 
bastos.  5  autocrator.  6  Cœsar.  La  lecture  des  cinq  derniers  est  exacte, 
et  conforme  aux  principes  de  l'alphabet  de  Ghampoilion;  celle  du  pre- 
mier seule  est  fausse ,  et  devait  l'être ,  puisque  Marcus  n'était  pas  le  pré- 
nom de  Vérus.  Sait  les  a  donc  attribués  tous  les  six  à  ce  prince ,  erreur 
qui  est  la  conséquence  de  l'inexactitude  de  sa  copie. 

C'est  pendant  le  voyage  de  Ghampoilion  que  les  huit  cartouches  ont 
été  copiés  avec  exactitude.  Rosellini  les  a  donnés  dans  leur  ordre  véri- 
table^, mais  je  ne  sais  pourquoi  il  a  oublié  le  dernier;  il  n'en  donne 

«  Au  reste,  ce  qu'il  v  a  d'important  pour  le  public  qui  s'intéresse  à  ces  découvertes, 
c'est  de  savoir  que  deux  personnes ,  à  de  grandes  distances  Tune  de  Tautre ,  et  sans 
aucune  communication  entre  elles,  par  la  seule  application  4u  système  phonétique, 
tel  qu'il  était  exposé  dans  la  Lettre  à  M.  Dacier,  sont  parvenues  à  des  résultats 
identiques  ;  et  il  ne  peut  rester  là-dessus  aucun  doute ,  à  moins  que ,  contre  toute 
apparence ,  on  ne  refusât  d  ajouter  foi  k  la  dédaration  précise  de  M.  Sait ,  qui  af- 
firme n'avoir  pas  changé  un  seul  mot  à  la  première  rédaction  de  son  E^sai ,  et  le 
donner  au  public  dans  le  même  état  où  il  était  avant  que  les  travaux  de  Gham- 
poilion ,  postérieurs  à  la  lettre  à  M.  Dader,  fussent  venus  k  sa  connaissance.  >  — 
Essay,  etc.  pi.  11,  n.  19.  —  * Monwn.  âelV  Egitto,  etc.  Mon.  ReyaU,  t.  H,  pi.  xxviii, 
i3;  p.  &53. 


Mî 


JOURNAL  DES  SAVANTS. 


que  wpt;  qu'U  divûe  en  deux  groupes  Béparés/sans  avertir  qu'ils  se 
stûventsurlamâmel^e.  D6s  1^19,  M.Lrâonbant,!  soir  retour  d'E- 
gypte, m'avait  remis  la  copie  exacte  et  coiûplète  des  huit  cartouciiea, 
que  j'ai ,  depuis ,  retrouvés  dans  les  papiers  de  CbampoUion  ^.  Les  deux 
oopiet,  qui  ont  été  prises  séparément,  sont  identiques,  et  doivent  re- 
présenter l'original  ar«c  fidélité. 

Mais  celle  de  M.  Lenormant  ^  se  distingue  par  une  circonstance  im- 
portante ,  à  sirvoir,  le  mot  aÔTùftparépen» ,  que  tous  les  autres  voyageurs 
ont  négligé ,  même  Ghampollion ,  parce  qu'ils'  l'ont  jugé  sans  aoeim  in- 
térêt. M.  Lenormant,  qui  avait  pris  à  tâche  de  relever  tontes  les  ins- 
criptions grecques  qu'il  pourrait  découvrir  k  Phdes ,  ce  qu'à  a  fait  avec 
utie'  remarquable  exactitude,  n'a  heureusement  pas  laissé  échapper  le 
mot  isolé  aùroxpatépav,  et  il  a  indiqué  avec  précision  la  place  toute 
singulière  que  ce  mot  occupe  au-dessus  des  huit  cartouchei  ',  dont  il 
est  conune  le  titre ,  disposé  à  peu  près  au  milieu  de  la  ligne ,  de  cette 
manière  : 


AYTOKPATOPWN 


M 


n 


H 


'  La  véritable  lecture  des  sept  premiers  cartouches  a  -été  donnée  par 
Rosellini,  d'après  les  principes  de  Ghampollion.  Voici  les  déments  de 
chacun  d'eux: 

1*  AORAI   [Ai(nfi.iot]\  3' AHTONtHT  [kvnmtvot]  ;  3'  ZBtTZ  (ïeSa»?*»}; 

V  AOTKPTP  {A*™.f>*r«p);  5'  K^PE  (KaAwpoe)';  6'  AOKI  (Aoiww); 

7'OVPPt  (0&(fp«). 

'  Mss.  deOumpoUioD,Pfcifat, fol. 77.— *P1. xxviii,  i3;xux, lâ. —  'N.B.  J'ap- 
pelle l'attention  sur  lei  carloaches  hiéroglypbiques  impriinés  dans  cet  article.  Ils 
sont  en  camctèrei  moUlei,  et  présentent  le  premier  tpécimen  d'une  foute  sur  deux 
eorpt ,  que  ilmpriniOTie  royale  aura  l'honneur  d'avoir  ta  première  entreprise ,  el  qui 
permettra  de  reproduire ,  par  la  typographie ,  tous  les  textes  hiérogiypmques.  Les 
^rpes  ont  été  gravés,  d'apiîs  les  dassias  de  M.  J.  J.  Dubois,  avec  une  exactUude  et 
une-justesse  de  trait  dont  les  Goonaîasenre  pourront  déjà  se  £ture  une  idée.  —  *  Ce 
nom  a  toujours  le  sigma  fintd,  qui  indique  le  génitif  (KAIZAPOZ).  tandis  que 
AyrOKPATUP.  n'ayant  que  rarement  ce  sigma,  est  presque  toujours  au  nomi- 
atfîf,  comme  ZEBAÏTOZ.  H  ptovtt  que  les  premiers  ÉgyptieDS  qui  ont  écrit  la 
nom  de  Cifor  ont  pria  KAI£APO£  pour  no  nominatif. 


AOUT  1843.  &63 

•Le  haidème  eartouche  «e  compose  de  sept  signes,  dont: les  tfok  «pre- 
miers signifient  chef  on  puissant  ^  ^  et  les  quatre  autces  fonnent  le  gconpf 
connu  pour  exprimer  l'idée  de  tiô^aiit  à  ioajoun  (cdofvéSiOB)  ^  épitbèlequi 
accompagne  non-seulement  les  nonas  des  Lagides ,  mais  encore  ceux  de 
quelques  empereurs,  teb  que  Tibère  ^,  Caîus',  Trajan  ^,  Sabine^  et 
Ântonin ?  ;  ce  dernier  cartouche  est  donc,  selon  toute  apparence,  apr 
plicableaux  deux  nomajprécédents,  qui  sont  ceux  d'AwreUos''^  Anianinosy 
Aatocrator,  Sehastos,  Cœsaros,  Lucios>VerûSf  puissant^  ioyoars  vivant 

Ces  noms  indiquent  encore  la  même  époque  que  lea  autres  cartouches 
hiéroglyphiques  gravés  sur  cet  édifice  ;  mais  leur  disposition  sur  la  firise>, 
ainsi  que  leur  nombre,  leur  donne  encore  plus  d'intérêt  qu'aux  autres. 
•  Ces  huit  encadrements  ont  été  évidemment,  tracés  pour  y  inscrire 
les.  noms  des  deux  empereurs  régnant,  ensemble  ;  car  il  fallait  qu'il  y  eût 
deux  empereurs,  au  moins,  pour  que  leurs  noms  et  leurs  titres  occu- 
passent huit  cartouches.  On  ne  peut  donc  supposer,  comme  on  l'a  fait 
en  d'autres  circonstances,  sans  plus  de  fondement,  que  ces  cartouches  ont 
été  sculptés  antérieurement,  laissés  vides,  et  remplis  après  coup.  Ainsi 
la  décoration  de  la  firise  du  petit  temple  est  bien  de  l'époque  de  ces  car* 
touches,  c'est-à-dire .  des  règnes  simultanés  de  Marc  -  Âurèle  et  de  Lu- 
cius  Vérus.  Cette  décoration  étant  du  même  style  et  portant  le  même 
caractère  que  le  reste ,  il  n'est  guère  possible  de  douter  que  tout  l'édifice 
ne  soit  à  peu  près  du  même  temps,  c'est  à  savoir,  du  second  siècle  d^ 
notre  ère;. tout  se  réunît,  d'ailleurs,  pour  conduire  à  ce  résultat. 

Maintenant,  il  est  clair  que  le  mot  aùroxparépùfVf  placé  au-dessus 
des  huit  noms,  en  forme,  pour  ainsi  dire,  le  titre.  Ce  génitif  pluriel 
ne  peut  s'expliquer  que  par  la  présence  de  ces  mêmes  noms^  qui 
ne  sont  rien  autre  que  ceux  des  empereurs,  aùroxparéfxk»  bvéptara; 
c'est,  en  efiet,  l'idée  de  nom  (  6vofia),  exprimée  par  les  cartouches  eux- 
mêmes  Ç  j,  qui  est  ici  sous-entendue  *.' Et  ce  mot  grec  n'a 

pu  être  ti^acé  que  par  une  personne  qui,  connaissant  la  signification  de 
ces  caractères  égyptiens,  a  écrit  au-dessus  avroxparépcûp ^  voulant  dire 
noms  d'empereurs. 

^  Gramm,  Egypt  p.  aga.  —  '  Rosellini,  Monum,  Re^fdi,  t  H,  pi.  txvi,  n.  a  a  et 
2  b.  —  *  Ibld.  n.  3.  —  * îhid.  n.  lo,  lO  d,  lo  e.  —  *  Jferf.  n.  1 1  g.  —  *  IbÛL  n.  la  c 

—  'Le  prénom  Marcas  f  «■■*  «  --•—   J ,  qui  est  exprimé  dans  d'autres  cartoucbes 

du  même  temple  de  1  ouest,  manque  quelquefois  même  sur  les  médailles.  —  'On 
•ait  gue,  dansfinscripiion  de  Rosette,  le  mot  àvofia  du  texte  grec  est  rendu  par  ui> 

cartouche  yide  f  J  dans  le  texte  hiéroglyphique. 


464  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Assurément,  pour  tout  homme  sensé,  la  lecture  des  noms  hiérogly- 
phiques impériaux  ne  peut  maintenant  offrir  aucun  doute.  La  justesse 
de  Tapplication  de  l'alphabet  phonétique  à  ces  noms  se  prouve  :  i  "*  par 
ia  coïncidence  des  titres  de  Cœsar,  autJocrator  et  Sebastos,  qui  se-trouvent 
toujours  ensemble,  ou  ne  se  rencontrent  jamais  avec  d'autres  noms 
propres  que  ceux  qui  se  lisent  :  Tiberios,  Caîos,  Clauiios,  Néron,  etc, 
c  est-à-dire  avec  des  noms  d'empereurs  romaiq^  ;  a®  par  la  coïncidence 
de  ceux-ci  avec  les  épithètes  qui  caractérisent  chaque  empereur  dans 
l'histoire ,  et  quisont  toujours  disposées ,  dans  les  cartouches ,  selon  l'ordre 
observé  sur  les  médailles,  et  principalement  sur  celles  d* Alexandrie. 

A  toutes  ces  preuves  d'induction  se  joint  maintenant  une  preuve 
directe ,  c'est-à-dire  une  explication  générale  des  cartouches  impériaux 
par  le  mot  aùroKparépcjv ,  qu'a  tracé  un  voyageur  ancien  ;  ce  mot  cons- 
titue donc,  comme  je  l'ai  dit,  une  sorte  d'inscription  bilingue. 

On  peut  se  demander  si  ce  mot  grec  avait  été  tracé  à  la  même  époque 
que  4es  cartouches,  ou  s'il  appartient  à  une  époque  postérieure.  Je  me 
décide  pour  cette  dernière  opinion;  d'abord  parce  que,  dans  le  premier 
cas,  on  aurait  voulu  dire  :  ce  sont  là  les  noms  de  nos  empereurs,  et  alors 
on  aurait  écrit  tôiv  aôroxparSpGJv  ou  rciv  xvpiojv  ifiiSv,  Le  mot  avroxpccri- 
pcjv  (  bv6(iaTa) ,  sans  article,  annonce  l'intention  d'exprimer,  en  général , 
que  ce  sont  là  des  noms  d'empereurs,  et  indique  une  époque  où  les  noms 
propres  n'étant  lus  que  difficilement ,  et  seulement  par  les  personnes 
instruites ,  un  voyageur  a  cru  utile  d'apprendre  à  c^eux  qui  verront  ces 
huit  cartouches  rangés  de  suite  qu'ils  indiquent  des  noms  impériaux. 
Or  ce  n'était  pas  le  cas,  au  temps  des  Ântonins,  dont  les  cartouches  se 
Usent  sur  une  foule  de  monuments  construits,  ou  réparés,  sous  le  règne 
de  ces  princes.  C'est  au  règne  de  Septime  Sévère  et  de  Caracalla  que 
semble  avoir  cessé  Tusage  de  les  écrire;  du  moins,  on  n'a  pas  trouvé, 
dans  toute  l'Egypte ,  un  seul  cartouche  impérial  postérieur  à  ces  deux 
princes,  dont  le  nom  est  accolé  à  celui  de  Géta;  mais  ce  dernier  nom.  est , 
dans  les  deux  seujs  exen^ples  qu'on  en  connaît,  raturé  ^  comme  il  la 
été  dans  la  plupart  des  inscriptions  grecques  et  latines ,  même  aux  ex- 
trémités de  l'empire^:  ce  qui  indique  que  ce  nom  pouvait  être  encore 
Reconnu  par  le  vulgairç,  aussi  facilement  que  s*il  eût  été  écrit  en  grec 
ou  en  latin  ;  autrement  on  n'aurait  pas  tenu  autant  à  effacer  les  carac- 
tères hiéroglyphiques  qui  l'exprimaient. 
.  Lorsque  l'usage  d'écrire  ces  noms  se  fut  perdu ,  on  en  dut  perdre 

^  On  distineae  encore  les  caractères  ^^  (  1~T),  éléments  consonnes  de  FeTA. 
:^  *  fiecMi/  wtt  inscr.  grecq,  de  f Egypte,  1. 1,  p.  àUj- 


s 


AOUT  1843.  465 

aussi  peu  à  peu  Tintelligence ,  et  il  devint  le  partage  des  personnes  ins- 
truites seules. 

On  doit  à  Champollion  deux  remarques  qui  montrent  que  fort  tard 
quelques  personnes  conservaient  encore  une  certaine  connaissance  de 
ces  caractères.  Il  a  observé  que ,  dans  une  des  salles  du  temple  de 
Louqsor,  on  a  trouve  tous  les  cartouches  portant  le  nom  d'Âméno- 

phis  ni  N  ^  'f^  1  mutilés  seulement  à  la  partie  supérieure ,  où  sont 

les  trois  caractères  ^^  (  N  )  ^^pri^^t^^^  ^^  ^^^  divin  Ammon  ou 
Amoun;  les  trois  autres  ^  (ttt)  ^"'  constamment  été  respectés. 

ChampoUion  présume  que  cette  mutilation  doit  être  Touvrage  de 
quelque  chrétien  scrupuleux,  qui  aura  effacé  le  nom  détesté  d' Ammon, 
laissant  subsister  les  caractères  qui  n'exprimaient  que  des  articulations; 
et  cette  conjecture  a  beaucoup  de  vraisemblance.  Gomme  ce  même 
cartouche  hiéroglyphique  a  été  respecté  dans  les  autres  parties  du 
temple ,  il  faut  admettre  que  la  salle  où  la  mutilation  a  eu  lieu  ser- 
vait de  demeure  à  quelque  chrétien  qui  n*aura  pas  voulu  conserver 
sous  ses  yeux  le  nom  d*un  dieu  du  paganisme.  Mais  une  telle  mutila- 
tion aurait  pu  difficilement  avoir  lieu  dans  un  temple  de  Thèbes  avant 
la  destruction  du  paganisme  par  Tédit  de  Théodose,  en  891;  d*où 
il  suit  qu  au  commencement  du  v'  siècle  il  y  avait  encore  des  gens 
qui  connaissaient  la  valeur  des  éléments  phonétiques  du  nom  d*A- 
ménophis.  ChampoUion  ^  a  retrouvé  la  même  singularité  près  de 
l'île  de  Bégeh  ou  Snem,  en  face  de  Philes,  à  Tendroit  qu  on  regarde 
comme  étant  ïabaton  ou  le  sanctuaire  dont  parlent  les  inscriptions 
grecques.  Dans  le  nom  d*Aménophis,  les  trois  premiers  cairactères 
sont  aussi  raturés,  et  les  trois  autres  constamment  intacts;  mais  le 

nom  de  Tkouthmosis  Ç^  f(\  P  jj  »  qui  est  souvent  répété  au  mèipe 

lieu,  a  toujours  été  respecté;  d'où  il  suit  que  l'auteur  de  la  mutilation, 
qui  savait  lire  AMN,  ignorait  que  ïibis  ^,  qui  est  le  premier  signe 
du  nom  de  Thouthmosis,  représentait  le  dieu  Thoth.  J'ai  prouvé 
ailleurs  que  l'édit  de  Théodose  n'avait  point  aboU  le  paganisme  à 
Philes ,  et  que  le  culte  d'Isis ,  qui  y  était  encore  en  vigueur  à  la  fin  du 
V*  siècle,  n'a  été  entièrement  aboli  que  par  Justinien,  vers  54o^.  Ce 
n'est  donc  probablement  qu'après  cette  époque  que  ces  cartouches  ont 

*  Mss.  de  ChampoUion ,  Philes^  —  '  Matériaux  pour  Vhistoirt  du  ckristianwnÊ  en 

59 


466  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pu  être  mutilés  par  le  ^èle  de  quelque  anachorète.  D'où  Ton  peut  con- 
clure qu  au  commencement  du  vi*  siècle  la  connaissance  des  caractères 
hiéroglyphiques  n'était  pas  encore  totalement  perdue. 

III. 

Cette  inscription ,  la  seule  en  langue  latine  qui  ait  été  recueillie  à 
Philes,  est  placée  sur  le  grand  pylône ,  au  bas  d'une  des  figures  sculptées 
sur  le  massif  de  gauche.  Elle  a  été  gravée ,  en  avant  du  pied  de  la  figure , 
parndessus  les  moulures  de  l'encadrement,  ce  qui  prouve  qu'elle  est 
postérieure  à  l'achèvement  des  sculptures  de  cette  partie  du  pylône; 
elle  donne  aussi  une  limite  inférieure  pour  l'époque  de  leur  exécution; 
et  commence,  avec  d'autres  indices,  à  montrer  quelles  furent  entière- 
ment achevées  dans  les  premières  années  du  rè^e  d'Auguste. 

Cet  acte  de  visite  a  été  publié  d'abord  dans  l'ouvrage  de  la  com- 
mission d'Egypte  ;  mais  la  première  ligne  y  est  séparée  des  suivantes , 
qui  sont  présentées  comme  formant  une  autre  inscription  distincte. 
M.  Hamilton  l'a  publiée  plus  exactement;  puis  M.  Gau,  qui  a  indi- 
.que  avec  précision  la  place  qu'elle  occupe.  La  copie  de  sir  Gardner 
Wilkinson  est  aussi  fort  correcte. 

L-TREBONIVS 

OmCVLAHJCFVI 

C-NVMONIVSVALA 

HICFVI 
IMPCAESAREXillCOS 
A-DVIIIKAPRILES- 

Ce  sont  deux  personnages  romains  qui  attestent  avoir  visité  le  temple 
de  Philes.  Comme  il  n'y  a  qu'une  date  pour  les  deux  inscriptions ,  on 
doit  croire  qu'ils  sont  venus  ensemble. 

L'un  de  ces  noms  CNVMONIVS-VALA  est  historique.  Niebuhra  déjà 
remarqué  que  ce  doit  être  le  G.  Namonius  Vala  à  qui  Horace  adresse 
la  quinzième  épître  du  premier  livre.  Le  prénom  Caîus  manque  dans 
quelques  manuscrits,  mais  il  en  existe  d'autres  qui  donnent  ad  C.  Nu- 
n\onùm  Valam.  Dans  la  copie  de  M.  Gau,  on  lit  6'NVMONiVS-VALA, 
et  Niebuhr  avait  bien  vu  que  cet  6  devait  être  un  C.  La  correction  est 
vérifiée  par  la  copie  de  la  Commission  d'Egypte  et  par  celle  de  sir  G. 
Wilkinson,  où  le  C  se  lit  distinctement. 

Déjà  Fulvio  Orsini  avait  reconnu  que  le  Namonius  Vala  d'Horace 


AOUT  1843.  4«7 

(et  par  conséquent  le  nôtre)  doit  être  ]e  même  que  le  Namonius  Vola, 
lieutenant  de  Varus ,  qui,  après  avoir  lâché  pied  lors  de  la  bataille  contre 
les  Germains,  fut  tué  dans  sa  fuite  ^  Ce  n  est,  il  est  vrai»  qu'une  conjec- 
ture ^  ;  mais  elle  est  rendue  maintenant  bien  probable  par  le  prénom  de 
Gains,  que  Vala  tenait  sans  doute  de  lun  de  ses  ancêtres,  personnage  in- 
connu d ailleurs,  dont  il  reste  une  médaille  avec  la  légende  C.  NVMO- 
NIVS  VAALA,  où  Ton  voit,  au  revers,  un  retranchement  attaqué  pai*  un 
homme  seul  ;  ce  sujet  se  rapporte  au  motif  qui  lui  avait  valu  son  sur- 
nom de  VaalUj  A  long  de  Vala  (pour  Valla,  de  Vallum)  étant  exprimé 
par  la  double  voyelle  ;  ce  qui  indique ,  selon  la  remarque  de  Visconti , 
que  la  médaille  a  été  frappée  antérieurement  au  vu*  siècle  de  Rome'. 

Notre  inscription  ajoute  un  trait  nouveau  à  la  vie  de  Tami  d'Horace. 
L'époque  de  sa  visite  au  temple  dlsis  est  fixée  par  les  mots  IMP-CAE- 
SARECOS-XIIIAD-VIIIKAPRILES*  :  c'est  le  3i  mars  de  Tan  762 
(2  avant  Jésus-Christ).  La  défaite  de  Varus  eut  lieu  en  762  (9  après 
Jésus-Christ)  ;  cette  visite  est  donc  antérieure  de  onze  ans  à  la  mort  de 
Vala.  Il  est  vraisemblable  qu'il  était  alors  officier  dans  une  des  liions 
cantonnées  en  Egypte,  et  qu'il  en  fut  ensuite  tiré  avec  un  grade  supérieur, 
pour  faire  partie  de  l'armée  de  Germanie ,  où  il  avait  le  grade  de  lieu- 
tenant {legatas).  On  doit  regretter  que  Numonius  Vala ,  moins  modeste 
ou  moins  indifférent  pour  ses  titres,  n'ait  pas  joint  à  son  nom  l'indica- 
tion de  son  grade  ;  nous  saurions  le  chemin  qu'il  fit  pendant  les  onse 
années  qui  s'écoulèrent  entre  sa  visite  à  Philes  et  la  bataille  contre  les 
Germains. 

Si  la  xv*  épître  du  livre  I"  a  été  écrite ,  comme  on  le  pense  *,  vers 
l'an  ySi  ou  ySa  de  Rome,  C.  Numonius  Vala,  qui  était  dors  dans  sa 
terre  de  Lucanie,  devait  être  fort  jeune.  En  supposant  qu*il  eût  cin- 
quante-cinq  ans  à  sa  mort ,  il  devait  avoir  de  vingt-deux  à  vingt-trois 
ans  lorsque  Horace  le  consultait  sur  le  climat  de  Vélia  et  de  Ssdernè. 

Quant  à  Trebonias  Oricula ,  qui  l'accompagnait ,  c'était  sans  doute 
un  officier  du  même  corps.  Serait-ce  le  Trébonius  dont  parle  Horace*, 
qui  fut  surpris  en  adultère  ? 


Ne  sequerer  mœdias,  concessa  qunm  Venere  uli 
Possem  :  deprensi  noa  bella  est  fama  Treboni. 


^  Vell.  Patercul.  0, 119.  —  *  Eckhel,  Doct.Nnm,  t.  V,  p.  i63.  —  ^  leomarapkm 
romaine,  1. 1,  p.  4i-  —  Dans  la  copie  de  M.  Gau,  après  le  mot  APRILES,  oa 
Yoit  les  chiffres  XIII,  qui  manquent  dans  les  autres  copies.  Ce  sera  une  répétition 
(autive  du  chiffre  qui  suit  COS.  —  *  Walckenaer,  Vie  a  Horace,  t.  II,  p.  17  at  6a 6. 
—  •  L  Sat  IV,  11 5. 

59. 


468  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Le  surnom  Oricala  (  pour  Auricula  ) ,  la  petite  oreille ,  exprime  sans 
doute  un  trait  particulier  de  sa  figure.  Cet  ofiBcier  était  peut-être  un 
de  ces  petits-maitres  qui  faisaient,  à  Rome,  le  désespoir  des  maris,  et 
donnaient  de  la  besogne  au  censeur  ou  à  ses  délégués.  En  tout  cas , 
nous  avons,  dans  cette  double  inscription,  au  moins  un  autographe 
d*un  ami  d*Horace. 

LETRONNE. 


Géographie  dEdrisi,  traduite  de  Varabe  en  français,  d'après  deux 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi ,  et  accompagnée  de  notes , 
par  M.  P.  Amédée  Jaubert,  etc.  Paris,  Imprimerie  royale^, 
in-ii**,  tome  I,  i836;  tome  II ,  i84o. 


SECOND  ET  DERNIER  ARTICLE. 


Dans  mon  premier  article,  je  me  suis  attaché  principalement  à  re- 
cueillir quelques  renseignements  sur  la  vie  et  les  ouvrages  du  schérif 
Ëdrisi,  auteur  du  traité  géographique  dont  j'étais  chargé  de  rendre 
compte.  En  parlant  de  la  noble  famille  à  laquelle  appartenait  cet  écri- 
vain, j*ai  attesté  qu'une  branche  de  cette  famille  était  établie  dans  la 
ville  d* Alexandrie ,  et  j'ai  invoqué ,  à  Vappui  de  cette  assertion ,  le  té- 
moignage d'un  historien  de  l'Espagne,  le  docte  Makarri.  Je  dois  main- 
tenant reproduire  en  entier  le  passage  de  ce  chroniqueur  ^  Suivant  lui, 
le  prince  arabe  Hakam-Mostanser-billah ,  qui  régnait  dans  le  iv*  siècle 
de  l'hégire,  déposséda  les  enfants  d'Édris  de  la  souveraineté  qu'ils  oc- 
cupaient sur  le  rivage  de  rAfrique  occidentale,  dans  les  parages  de 
Rif.  Il  leur  fit  passer  la  mer,  les  amena  à  Cordoue,  après  quoi  il  les 
exila  dans  la  ville  d'Alexandrie  :  i  i^iXjJL^t-J^  u^  (j«^^'  <^  J>JuU.I 
i^^ouC-^l  Jl^^:^^^  AAk>>  Jl^l  ji^jM^  u^pi  iUi^b.  D'après 
ce  passage  si  formel,  on  conçoit  facilement  que  des  schérifs  issus  de 
l'illustre  famille  d'Édris  aient  existé  en  Egypte  et  dans  les  contrées  voi- 
sines. Il  est  certain  également  qu'une  branche  de  cette  famille  s'était 
fixée  h  la  Mecque;  car  un  écrivain  judicieux,  Taki*eddin  Fâsi,  dans 
l'ouvrage  intitulé  :  Alikd  atOtamin  (:jvAJI  oouJI  ^  «  Le  collier  précieux ,  » 

'  T.  I,  man.  arabe  704,  fol.  96  r*.  —  *  T.  I,  mau.  arabe  720,  fol.  44  r*. 


AOUT  1843.  469 

qui  contient  une  vie  détaillée  de  tous  les  hommes  remarquables  ^qu*a- 
vait  produits  cette  ville,  indique  les  schérifs  de  la  famille  d'Ëdris, 

Ebn-Beîtai*,  dans  son  Traité  des  médicaments  simples,  cite  souvent, 
à  l'appui  de  ses  assertions,  un  écrivain  qu*il  nomme  indifféremment  le 
schérif,  u^^l  \  ou  le  schérifÉdrisi,  (P«a^j^^I  vJLr^l  ^.  Il  lui  attribue  un 
ouvrage  intitulé  Moufredat,  c:>t:»ydl,  c est-à-dire  uLes  choses  isolées,  » 
ou  plutôt,  a  Les  remèdes  simples,»  qui  parait  avoir  été  consacré  spé- 
cialement k  la  botanique.  Pariant  de  la  plante  qu'il  nomme  IkUL-djebeli 
Jj^  JjvX^^I ,  c  e5t-à-dire  «  la  Couronne  de  montagne ,  »  il  dit  *  :  «  Elle 
tt  a  été  décrite  par  le  schérif  Edrisi  dans  ses  Moufredat,  »  ^^ma^^^I  u^;^l 
A3bjjU  i  J^^  J^^\j^9^ .  Ailleurs ,  et  dans  un  grand  nombre  de  pas- 
sages, il  cite  les  Moufredat  du  schérif,  vJL^^t  i::>t:>yU  ^.  Il  est  extrême- 
ment probable  que,  par  ce  nom,  le  schérif  ou  le  schérif  Edrisi,  Ebn- 
Beitar  a  désigné  Thomme  éminent  qui,  par  ses  travaux  scientifiques, 
avait  donné  à  la  famille  d'Édris  une  illustration  littéraire  bien  durable. 
Or,  comme  les  renseignements  auxquels  renvoie  le  botaniste  arabe  ne 
se  trouvent  pas  dans  le  traité  géographique  de  notre  auteur,  il  parait 
constant  que  celui-ci  avait  composé ,  soit  avant ,  soit  après  la  rédaction 
de  sa  Géographie,  un  ouvrage  consacré  à  la  botanique  médicale.  C'est 
ce  même  ouvrage  que  Makarri  ^  désigne  par  ce  titre  :  «  Le  livre  du 
u schérif  Ëdrisi-Sikali  (le  Sicilien),  »  JJùâJl  (^i*4^:»^l  o^yJl  v^ 

Il  me  reste  à  traiter  une  question  littéraire  qui  n'est  pas  sans  impor- 
tance. Léon  rAfîicain,  dans  son  traité  des  savants  illustres  qui  ont  fleuii* 
chez  les  Arabes ,  donne  une  notice  sur  un  personnage  appelé  Esserif 
essachalli,  aïe  Schérif  sicilien  ^. 'i  Suivant  le  biographe,  «cet  homme, 
qui  appartenait  à  la  famille  de  Mahomet,  était  né  en  Sicile,  dans  h 
ville  de  Mazara.  U  était  d'un  mérite  supérieur,  profondément  vevsé 
dans  la  philosophie,  la  médecine,  l'astrologie  et  la  cosmographie-,  en 
sorte  que,  sur  ces  matières,  dit-il,  personne  ne  T^alait,  et  peut-être  ne 
régalera.  Il  composa  un  ouvrage  intitulé  :  Nozhat  alabsar  (Spatiatoriam 
ocaloram),  qu'il  divisa  en  sept  parties,  suivant  les  sept  climats  du  globe. 
Il  y  indique  les  villes  de  chaque  climat ,  soit  anciennes ,  soit  modernes , 
les  routes  qui  conduisent  d'une  ville  à  l'autre,  les  merveilles  qui  les 
distinguent,  les  phénomènes  de  la  nature,  les  mœurs  des  habitants,  les 
animaux,  les  îles,  les  montagnes,  les  fleuves,  les  lacs,  les  métaux,  etc. 

*  Man.  t.  II,  fol.  162  V*,  i63r*  elv',  181  v%  i83  v*,  186  r*  et  v',  189  v*,  190  v*, 
191  y,  19a  r*.  ao4  v*.  —  •  Fol.  i48  r%  198  r*.  —  '  Fol.  i48r*.  —  *  Fol.  1S6  r* 
elY*,  189  Y*,  190  v%  191  V*,  loa  r*.  —  *  Man.7a4i  foL3oor*. — •  Ap.  HoUîogeri 
Biblio^ecttr,  quairijmrtit  et  Fabricii  BMiothêca  grmca,  I.  XID,  p.  978,  279. 


470  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Lorsque  le  roi  Roger  fit  une  invasion  en  Sicile ,  les  habitants  de  Mazara , 
voulant  se  rendre  à  ce  prince ,  députèrent  auprès  de  lui  notre  auteur, 
qui  offiît  et  dédia  au  roi  son  ouvrage.  Roger  le  fit  traduire  en  latin,  et 
tenta  de  retenir  Fauteur  à  sa  cour.  Mais  celui-ci  refiisa  ces  o£Bres  et  se 
rendit  en  Mauritanie.  U  mourut  Tan  5i6  de  Thégire  (de  J.  G.  112a). 
Roger  avait  constamment  entre  les  mains  ce  traité  de  géographie,  pour 
lequel  il  professait  Tadmiration  la  plus  grande,  n 

D'après  ces  renseignements,  Bochart  avait  conjecturé  que  le  per- 
sonnage dont  il  est  question  ici  était  identique  avec  le  schérif  Édrisi. 
D'autres  savants,  Brucker,  Tenzel,  Fabricius,  et,'  en  dernier  lieu, 
M.  Hartmann,  ont  soutenu  Topinion  contraire;  mais,  malgré  les  argu- 
ments qu'ils  ont  employés  pour  étayer  leur  hypothèse,  je  crois  pou- 
voir m'en  tenir  au  sentiment  de  Bochart.  Sans  doute,  Tarticle  biogra- 
phique rédigé  par  Léon  l'Afiricain  renferme  d'assez  graves  inexactitudes; 
mais  on  conçoit  que  l'auteur,  écrivant  après  un  intervalle  de  près  de 
trois  siècles,  qui  s'étaient  écoulés  depuis  la  mort  de  l'auteur,  n'ayant 
sous  les  yeux  qu'un  petit  nombre  de  monuments  historiques  peu  fidèles, 
s'étant  peut-être  trop  fié  à  sa  mémoire ,  a  pu  et  dû  se  tromper  sur  plu- 
sieurs points.  Le  simple  titre  de  schérif ^  donné  à  l'historien  dont  il  s'agit, 
sans  aucune  autre  désignation,  sans  l'addition  du  moi  Édrisi,  ne  saurait 
offrir  une  difficulté  réelle ,  car  nous  avons  vu  que  l'auteur  de  notre 
Traité  de  géographie  est  souvent  indiqué  de  la  même  manière,  et  par 
le  seul  nom  de  schérif.  L'épithète  Sikali  (Sicilien),  ajoutée  à  la  fin  du 
nom,  ne  peut  pas  nous  arrêter  davantage.  Notre  géographe,  à  la  vé- 
rité, n'était  pas  né  en  Sicile;  mais,  comme  il  y  avait  passé  une  bonne 
partie  de  sa  vie,  c'en  était  assez,  suivant  l'usage  constant  des  Orien- 
taux, pour  qu'on  lui  donnât  un  surnom  qui  rappelait  non  sa  patrie 
réelle,  mais  sa  patrie  adoptive.  Et,  en  effet,  comme  le  remarque  Hadji- 
Khalfah,  notre  géographe  a  été  plusieurs  fois  désigné  par  le  surnom  de 
Sikali  (Sicilien). 

Il  est  bien  peu  probable  que  Léon,  voulant  passer  en  revue  les 
hommes  d'entre  les  Arabes  qui  s'étaient  le  plus  distingués  par  leurs 
connaissances  dans  la  philosophie,  la  médecine,  la  géographie,  ait 
complètement  passé  sous  silence  le  cosmographe  célèbre  auquel  il 
avait  eu  lui-même  de  si  importantes  obligations,  et  dont  il  avait  si  sou- 
vent copié  et  reproduit  fidèlement  les  récits.  Il  est  plus  vraisemblable 
3u'fl  a  eu  l'intention  de  payer  à  un  de  ses  meilleurs  guides  un  tribut 
e  son  estime  çt  de  sa  reconnaissance. 

Tro^)pé  par  le  surnom  de  Sihali  (Sicilien),  appliqué  à  ce  person- 
nage, et  sachant  qu'il  avait  ^assé  une  partie  de  sa  vie  dans  la  yille  de 


AOUT  1843.  471 

Mazara,  il  aura  cru  pouvoir  conclure  que  cette  ville  avait  été  la  patrie 
réelle  du  schérif,  tandis  qu'elle  avait  été  seulement  le  lieu  de  sa  rési- 
dence favorite. 

Si  le  roi  Roger  avait  reçu  avec  tant  d'empressement  Touvrage  que 
lui  avait  offert  le  schérif  sicilien ,  s'il  l'avait  Êiit  traduire  en  latin ,  s'il 
professait  pour  ce  livre  une  si  haute  estime ,  une  admiration  si  pro- 
fonde ,  se  serait-il  immédiatement  occupé  de  faire  -composer  en  langue 
arabe  un  traité  d'un  genre  complètement  identique,  rédigé  absolument 
sur  le  même  plan?  Aurait-il  poussé  l'oubli  des  convenances  jusqu'à  aller 
choisir  dans  la  famille  de  l'auteur  le  rival  qui  devait  effacer  son  livre , 
et  lui  enlever  la  gloire  à  laquelle  il  semblait  avoir  tant  de  droits?  Et,  si 
Ëdrisi,  encouragé  par  les  éloges  du  roi,  pressé  par  ses  ordres,  eût  cru 
devoir  refaire  le  travail  tenté  si  récemment  par  son  devancier,  aurait-il, 
en  rendant  compte,  dans  sa  pré£aice,  des  secours  qu'il  avait  eus  pour 
la  composition  de  son  traité,  passé  entièrement  sous  silence  l'ouvrage 
d'un  compatriote,  d'un  proche  parent ^  récemment  descendu  dans  la 
tombe,  et  dont  la  mémoire  réclamait  de  lui,  plus  que  de  tout  autre, 
un  sentiment  d'estime,  ou,  tout  au  moins,  de  justice?  Tout  ceci  pré- 
sente, il  faut  le  dire,  un  tissu  d'invraisemblances. 

D'ailleurs,  le  titre  même  de  Touvrage  qu'indique  Léon  est  réelle- 
ment identique  avec  celui  de  notre  géographe.  La  petite  différence  qui 
existe  entre  les  mots  Noxhat-alabsor  et  Nozat-almoschtak  n'est  due,  sui-^ 
vant  toute  apparence,  qu'à  une  légère  erreur  de  mémoire.  Du  reste,  le 
plan  du  premier  ouvrage,  tel  qu'il  nous  est  donné  par  le  biographe, 
est  absolument  celui  que  le  schérif  Ëdrisi  a  stdvi  dans  la  rédaction  de 
son  traité  géographique.  Léon ,  ayant  sans  doute  écrit  à  une  époque 
où  il  n'avait  pas  sous  les  yeux  l'ouvrage  dont  il  a  parlé,  et  s'étant  un 
peu  trop  fié  à  ses  souvenirs ,  a  supposé  que  le  traité  géographique  avait 
été  offert  par  l'auteur  au  roi  Roger,  tandis  que ,  suivant  la  vérité  et  le 
témoignage  de  l'écrivain,  ce  livre  aurait  été  entrepris  sur  l'ordre  formel 
du  roi  normand. 

Si  le  schérif  sicilien  est  réellement  mort  l'an  5i6  de  l'hégire,  c'est- 
à-dire  l'an  1 1  a  2  de  notre  ère ,  Roger,  à  cette  époque ,  était  âgé  de  vingt- 
cinq  ans.  Or,  il  s'était  écoulé  plusieurs  années  depuis  l'époque  où  l'auteur, 
après  avoir  offert  son  ouvrage  au  prince ,  s'était  dérobé  aux  sollicitations 
honorables  qui  avaient  pour  but  de  le  retenir  à  la  cour,  et  avait  {râ- 
le chemin  de  la  Mauritanie.  Peut-on  croire  que  Roger,  livré  à  une  vie 
aventureuse  «  ayant  sans  relâche  les  armes  à  la  main,  occupé  constam- 
ment à  conquérir  une  à  une  les  villes  de  Sicile,  défendues  par  une' 
populatioD  fisnatiqae  et  couragaotè ,  eût  eu  le  loisir  jPétudîer  à  foiMl  uo' 


472  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

traité  de  géographie,  et  d'en  faire  la  matière  de  ses  études  et  de  ses  irir 
vestigations? 

La  date  de  5 1 6 ,  donnée  par  Léon,  tient ,  si  je  ne  me  trompe,  à  une 
erreur  de  ce  biographe ,  qui  aura  remplacé  un  chi£Pre  par  un  autre ,  et 
substitué  1 6  à  76.  On  conçoit  que  notre  auteur,  qui  était  venu  au  monde 
l'an  493,  a  pu  prolonger  sa  carrière  jusquà  Tannée  876.  Il  aurait  été 
alors  âgé  de  quatre-vingt-trois  ans,  ce  qui  n*a  rien  d'invraisemblable. 

Ainsi,  je  crois  pouvoir  admettre  que  la  notice  biographique  rédigée 
par  Léon  TAfticain,  sauf  les  erreurs  quy  a  mêlées  Técrivain,  nous  offre 
le  tableau  à  peu  près  fidèle  de  la  vie  du  schérif  Édrisi,  et  qu'il  est  com- 
plètement inutile  de  vouloir  y  chercher  im  autre  personnage,  dont  le 
nom  et  Texistence  sont  restés  inconnus  aux  écrivains  arabes. 

L'ouvrage  du  schérif  Édrisi  a,  comme  Ton  sait,  trouvé  chez  les 
Arabes  un  abréviateur  qui,  sans  changer  le  style,  sans  altérer  en  rien 
les  assertions  delauteur,  s'est  borné  à  retrancher  une  foule  prodigieuse 
de  détails.  Par  cette  méthode,  il  avait  souvent  trouvé  le  moyen  de  sub- 
stituer à  une  narration  intéressante  un  tableau  firoid  et  sec,  de  transfor- 
mer un  corps  plein  d'embonpoint  en  un  véritable  squelette.  M.  Jaubert 
a  rendu  un  service  réel  à  la  science  et  à  l'érudition  orientale,  en  réta- 
blissant le  véritable  texte  de  son  auteur,  en  l'offrant  aux  lecteurs  dans 
toute  son  étendue ,  dans  toute  son  intégrité.  Sans  doute  ces  détails  n'of- 
frent pas  tous,  au  même  degré,  un  intérêt  puissant,  quelques-uns  même 
présentent  quelque  chose  de  fabuleux,  d'invraisemblable;  mais,  en  gé- 
néral, leur  absence  laissait  dans  la  narration  un  vide  réel,  quelque  chose 
de  faux,  d'incomplet,  de  peu  intelligible.  Aussi  M.  Jaubert,  en  repro- 
duisant, avec  cette  élégante  fidélité  qui  caractérise  sa  version,  les  long^ 
renseignements  que  donne  avec  profusion  le  géographe  arabe ,  a  bien 
mérité  de  l'auteur  et  de  la  science  en  général.  Si  je  ne  me  trompe,  per- 
sonne ne  voudra  lui  reprocher  les  soins  extrêmes  et  scrupuleux  qu'il  a 
déployés  dans  son  ti^avail ,  et  ne  sera  tenté  de  trouver  dans  l'ouvrage  une 
lecture  aride  et  fatigante. 

Comme  le  traducteur  a  eu  soin  d'indiquer  par  des  guillemets  les  por- 
tions qui  ne  se  rencontraient  pas  dans  l'abrégé  arabe,  il  sera  facile 
d'apprécier  tout  ce  que  la  version  actuelle  offre  d'avantages  sur  la  tra- 
duction latine  publiée  par  les  Maronites.  Je  n'ai  donc  pas  besoin  d'in- 
diquer en  détail  les  nombreux  et  importants  renseignements  que  nous 
devons  au  travail  de  l'infatigable  traducteur,  et  qui  font  plus  que  doubler 
l'ouvrage  qui  était  jadis  sous  nos  yeux.  La  description  de  l'Afrique,  qui, 
datas  l'abrégé  arabe ,  offrait  déjà  de  si  nombreux  détails ,  et  où  les  meilleurs 
géographes ,  JDanville ,  Renneli ,  etc.  s'étftieiit  plu  à  puiser  avee  confiaDce  » 


AOUT  1843.  473 

s*«st  encore  enrichie  d'une  foule  immense  de  faits  plus  ou  moins  cu- 
rieux. Les  autres  contrées  n  offrent  pas  moins  d'additions  remarquables; 
elles  sont  en  trop  grand  nombre  pour  n'être  pas  remarquées  :  à  chaque 
page,  pour  ainsi  dire,  elles  s'offrent  aux  regards  du  lecteur;  souvent 
même  elles  présentent  une  très-grande  étendue.  Parmi  les  plus  curieuses, 
je  signalerai  la  description  de  la  grande  mosquée  de  Cordoue  :  c'est  un 
morceau  que  l'auteur  semble  avoir  traité  avec  cet  intérêt  qui  s'attache 
aux  lieux  où  l'on  a  passé  son  enfance. 

Ce  morceau  présentait  d'assez  gi^andes  difficultés,  surtout  en  raison 
des  termes  techniques  relatifs  à  l'architecture ,  à  la  sculpture  et  à  la  pein- 
ture ,  qui  s'y  rencontrent  en  assez  grand  nombre.  Des  connaissances  spé- 
ciales, et  la  comparaison  des  descriptions  que  des  voyageurs  modernes 
nous  ont  données  de  cet  édifice.,  ont  mis  le  traducteur  en  état  de  sur- 
monter avec  bonheur  ces  graves  obstacles.  Dans  le  fragment  qui  con- 
cerne les  poissons  du  Nil,  M.  Jaubert  a  eu  soin  d'indiquer,  pour  cha- 
cun de  ces  animaux,  le  nom  qu'il  porte  dans  les  méthodes  naturelles; 
il  s'est  également  attaché  à  rapprocher  du  nom  de  chaque  plante  celui 
par  lequel  la  désignent  les  naturalistes  modernes.  Enfin,  comme  je  l'ai 
dit  plus  haut,  dans  la  description  des  contrées  de  l'Europe,  le  traduc- 
teur a  partout  eu  soin  d'indiquer,  et  ordinairement  avec  la  plus  grande 
vraisemblance,  le  nom  réel  plus  ou  moins  altéré  dans  la  transcription 
arabe.  Dans  la  notice  des  poissons  du  Nil,  je  crois  que  le  savant  tra- 

ducteur  aurait  pu  ne  pas  hésiter  à  substituer  le  mot  JoA*  bolti  à  celui 

de  JaX>  ialti,  qu'il  a  admis  dans  sa  version.  De  même ,  au  lieu  de  (/H^Jt^^ 

ebklis,  je  lis  ^jMuJiCil,  et  je  reconnais  ici  ïanguille. 

Un  ouvrage  aussi  considérable  que  celui  d'Ëdrisi ,  qui  traite  d'objets 
aussi  nombreux,  aussi  variés,  pourrait  facilement  fournir  matière  à 
des  observations,  à  des  conjectures  de  plus  d'un  genre.  Je  me  bor- 
nerai à  en  hasarder  un  petit  nombre.  Dans  la  description  des  poissons 
du  Nil,  je  crois  gue  le  mot  ,      i  w  n'est  point  un  nom;  qu'il  faut  lire 

j^j  et  traduire  a  de  la  longueur  d'un  empan.  )>  A  l'article  des  sources 

du  Nil,  on  trouve  l'indication  d'une  idole  gigantesque,  et  l'auteur  ajoute 
dM0,^  y^^,  M.  Jaubert,  à  l'exemple  du  traducteur  latin,  a  vu  ici  un  nom 

d'homme,  et  traduit  :  uon  dit  que  c'est  Masach  (ou  Masnah).»  Pour 
moi,  je  crois  qu'il  faut  lire  ^^  ^^  et  traduire  :  u  il  fut  métamorphosé.  » 
Dans  deux  endroits  \  il  est  fait  mention  d'hommes  belliqueux,  appelés 

•  p.  35 .  4a. 

6o 


474.  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Belm  ou  Beliounj  qui  habitaient  au  sud-est  de  l'Egypte,  entre  la  Nubie 
et  la  mer  Rouge;  ils  professaient  la  religion  chrétienne ,  et  suivaient  les 
dogmes  des  Jacobites.  Il  est  également  fait  mention  de  cette  peuplade 
dftDi  fouvrage  dElhn-Alwardi.  M.  Hartmann  na  pas  pu  déterminer  ^ 
({ifttUe  nation  appaitenait  cette  tribu  redoutable.  Si  je  ne  me  trompe, 
le  nom  s  est,  dans  lorigine,  écrit  (jiysko  BelemioaUf  et  il  a  désigné  ees 
Blemmycs  sur  lesquels  les  écrivains  grecs  et  latins  nous  ont  transmis 
des  détails  assez  nombreux ,  mais  mêlés  de  tant  de  fables. 

Deux  petites  îles  situées  au  midi  des  côtes  de  TArabie  Heureuse  sont 
désignées,  en  deux  endroits^,  parles  noms  de  Khartan  oa  Martan,  mais 
cotte  leçon  n  est  pas  exacte.  Il  est  à  croire  que  la  faute  provient  d'Édrisi 
hiirjiiéaie ,  qui  n  aura  pas  bien  su  lire  les  monuments  littéraires  qui  se 
trouvaient  sous  ses  yeux.  Car  les  écrivains  arabes  ont  plus  d  une  fois 
varié  sur  la  manière  dont  ces  noms  devaient  être  orthographiés.  La  véri- 
table leçon  est  celle  de  Kharian  oa  Marian.  Ces  îles,  qui  avaient  été  visi- 
tées par  des  missionnaires  portugais  au  quinzième  siècle,*  sont  indi- 
quées, dans  les  Mémoires  d'Albuquerque,  sous  les  noms  de  as  ilhas  de 
Garia  Maria  ^.  Dans  ces  derniers  temps.  Tan  iS36,  un  navigateur  an- 
glais, M.  Hulton,  a  reconnu,  dans  les  plus  grands  détails ,  les  cinq  îles 
qui  composent  le  groupe  de  Curia  Muria,  et  nous  en  a  donné  une  rela- 
tian  extrêmement  intéressante,  publiée  dans  le  Journal  of  the  royal  geo- 
gnpkiûal  Society  'ofLondon  ^. 

.  L4  plante  appelée  ti^^  oaar^ ^,  qui  s'emploie  pour  teindre  les  étoiles, 
est  la  même  que  nous  nommons  Yorseille,  dénomination  évidemment 
empruntée  au  terme  arabe. 

Plus  loin  ^,  on  lit,  en  parlant  de  la  côte  de  Zanguebar,  «les  habi- 
((tants  adorent  un  tambour,  nommé  errahinty  aussi  grand  que  axJI.» 
Le  traducteur  avoue  quil  n'a  pu  déterminer  la  signification  de  ce  der- 
nier mot.  Mais  plus  haut,  on  lit*  que,  chez  les  habitants  de  la  contrée 
de  Barbarie,  les. tortues  marines  portent  le  nom  de  x—aNI  Uheh,  Or, 
dsms  \t  passage  en  question ,  je  lis  iu^M!  ellebehy  et  ja  traduis  :  «  aussi 
(i^e^nd  que  la  carapace  d'une  tortue  marine,  »  Plus  bas  \  le  mot  ^jyr  , 
si  je  ne  me  trompe,  doit  «e  traduii^  par  golfe,  et  non  pas  par  rivière.  H 
i?)e  ^mble  aussi  que  le  nom  de  la  ville  qui  accompagne  Mélinde  doit 
être  lu  iU»»UjU  Monbasah,  et  non  a^UL»  Molbasah, 

Dans  la  description  de  la  Chine  méridionale  *,  Tauteur  parle  d'un 
arbre  appelé  J^-Jl  3  ifjsJ)  schehi  et  berki.  J'ai  donné  ailleurs  ®,  d'après 

*  Pi  45»  48.  —  *  Commentanos  do  grande  Afonso  Alboquerqae,  1. 1,  p.  77»  78,  79. 

—  •  T.  :îU.  p.  i56  et  suiv.  _  *  p.  5i.  —  *  P.  57.  —  •  P.  44'—  '  P.  58.  —  ^  P.  85. 

—  •  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  t.  XllI,  p.  38a. 


AOUT  1843,  475 

ïlbn-Batoutah ,  des  détails  sur  le  même  arbre,  que  j'ai  regardé  comme 
identique  avec  celui  qui,  dans  Tile  de  Ceylan,  porte  le  nom  dejwks. 
Plus  loin,  on  lit  dans  la  version^  :  «cest  par  là  que  montent  les 
«navires,  »  et  le  texte  ajoute  ces  mots,  que  Thabile  traducteur  regarde 
comme  un  peu  obscurs  4  J^^^  v:tfUs>-  (^^  Jji^l^ -iô^t^^p^uwl.  Je 

traduis  :  «Tespace  d*un  mois,  plus  ou  moins,  entre  des  jardins  et  des 
«  vergers.  » 

Plus  bas^,  il  est  fait  mention  d'im  gouffre  «situé  à  Textrémité  de  la 
«Chine  entre  Siraf  et  Maskat.  »  Il  est  évident  que.,  dans  ce  passage,  il 
ne  «aurait  être  question  de  la  Chine  proprement  dite  ;  ainsi  on  peut 
prononcer  que  le  texte  est  ici  altéré.  Je  iisyu*  cjÀ^,  et  je  traduin  : 
«  à  l'extrémité  de  Minau.  »  Et,  en  effet,  il  existe  une  ville  appelée  Minam 
ou  Minaby  située  à  Textrémité  orientale  du  golfe  Persiqiie,  et  qui  se 
trouve  placée  dans  une  position  intermédiaire  entre  ia  ville  de  Siraf 
et  celle  de  Maskat. 

Notre  géographe^,  décrivant  les  limites  géographiques  de  TËgypie, 
s'exprime  ainsi  :  «  sa  largeur,  depuis  Alexandrie  jusquaui  demiik'es 
«  alluvions,  qui  s*étendent  du  côté  de  la  mer  de  Kolzoum ,  est  d'environ 
«  huit  journées.  »  Dans  les  deux  manuscrits ,  on  lit  le  mot  cJ>r>»  que  le 
traducteur  a  rendu  par  allavions.  Pour  moi,  je  proposerais  de  substi- 
tuer à  cette  leçon  celle  de  Haaf  Oy=^ ,  et  je  traduirais  :  «jusqu'à  la  pro- 
«  vince  de  Hauf ,  qui  touche  à  la  mer  de  Kolsoum  ;  n  ce  qui^st  parfaite- 
ment justifié  par  1q  témoignage  des  historiens  et  des  géographes  arabes. 

Édrisi  expose ,  avec  des  détails  étendus,  ce  qui  concerne  les  difféventes 
branches  dont  se  compose  le  delta  du  Nil.  M.  Hartmann  trouvait  cette 
description  extrêmement  obscure.  Dans  un  ouvrage,  imprimé  il  y  a 
trente-deux  ans  *,  je  m'attachai  h  faire  voir  que  cette  prétendue^  obscu- 
rité tenait  seulement  à  ce  qu'on  ne  s'était  pas  bien  rendu  compte  de 
la  direction  des  divers  canaux  du  fleuve.  Je  ne  reviendrai  pas  sur  cet 
objet.  Il  est  seulement  un  point  sur  lequel  je  crois  devoir  m' arrêter  \m 
instant.  Edrisi,  décrivant  un  des  canaux  qui  se  prolongent  dans  l'inté- 
rieur du  delta,  s  exprime  ainsi  :  (jMyu>^.  Le  traducteur  latin  avait 
rendu  ces  mots  par  Pergit  ad  Nicaus  ^.  Le  célèbre  Danville  changea  ce 
dernier  mot  en  celui  de  Nikions,  et  crut  reconnaître  la  ville  de  Niciu, 
dont  les  auteurs  grecs  et  latins  ont  souvent  fait  mention.  Cette  asser-  « 
tion,  appuyée  par  un  témoignage  d'un  poids  si  imposant,  fut  adoptée, 
sans  aucune  objection ,  par  tous  les  géographes.  Pour  moi,  je  m'atlaehai 

/  P.  90.  —  *  P.  169.  —  ^  P.  3o4.  —  *  Mémoirei  géographiques  et  historiqius  smr 
T Egypte,  1. 1.  —  *  Geogrtiphim  NuUenm,  p.  99. 

60. 


476  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

'\  combattre  une  hypothèse  toute  gratuite.  Je  conjecturai  que,  dans  le 
texte  de  TEdrisi,  il  fallait  lire  ^jM^ycH),  et  traduire:  «cette  branche  se 
u  dirige  en  décrivant  une  ligne  arquée ,  une  ligne  courbe  ;  »  ce  qui  est 
parfaitement  conforme  au  cours  de  ce  canal.  Ma  conjecture  se  trouve 
pleinement  confirmée  par  la  leçon  des  deux  manuscrits,  qui  offrent 
visiblement  (j^y^  et  non  pas  (jMsîyuj,  qui  ne  présenterait  pas  un  sens 
assez  clair,  puisque,  s'il  s'agissait  d'un  nom  de  ville,  fauteur  aurait  écrit 
(jMS!yuAj.  Je  démontrai  que  la  ville  de  Niciu  n'avait  jamais  été  placée 
dans  la  position  assignée  par  Danviile ,  mais  qu  elle  était  située  sur  la 
rive  de  la  branche  occidentale  du  Nil,  et,  enfin,  que  cette  ville  était 
complètement  identique  avec  celle  qui,  dans  les  livres  coptes,  est  dé- 
signée par  le  nom  de  Pshadi  l\^l>^-  Un  passage  qui  m'avait  échappé, 

à  cette  époque,  vient  encore  à  l'appui  des  nombreuses  preuves  rassem- 
blées dans  mon  mémoire.  On  lit  dans  fHistoire  des  Patriarches  d'A- 
lexandrie ^  :  u  La  ville  de  Nikious ,  qui  est  la  même  que  Abschadi ,  aju^x.* 
(^^Js-6ol)  ^^*x-i*^l  ^  2JL  iij^yi^)  ij^y^J^  .  Toutes  mes  hypothèses,  à  l'é- 
poque où  elles  virent  le  jour,  n'attii'èrent  aucune  attention,  et  furent 
regardées  comme  non  avenues.  On  continua,  dans  des  ouvrages  de  géo- 
graphie, à  placer  Niciu  dans  l'intérieur  du  Delta.  Et,  toutefois,  mes  as- 
sertions, à  cet  égard,  forment,  si  je  ne  me  trompe,  des  vérités  incon- 
testables. 

PlusbasA,  le  géographe,  décrivant  le  puitsob,  suivant  la  tradition.  Moïse 
abreuva  le  troupeau  de  Jéthro ,  ajoute  :  a  on  dit  que^ce  puits  est  mainte- 
«  nant  à  sec,  et  qu'on  a  élevé  au-  dessus  une  construction.  »  Un  des  deux  ma- 
nuscrits porte  en  effet  aUmi-*,  et  c'est  la  leçon  que  le  savant  traducteur 
a  cru  devoir  admettre.  L'autre  exemplaire  offre  iUJâjc*  ;  j  avoue  que  je 
préfère  cette  dernière  leçon,  et  je  traduis  :  «  ce  puits  est  en  vénération , 
«  et  on  a  élevé  au-dessus  une  construction.  »  On  conçoit  bien  qu'un 
puits  auquel  se  rattachaient  des  souvenirs  si  anciens  et  si  imposants 
devait  inspirer  aux  Arabes  du  voisinage  un  sentiment  de  respect,  d'ad- 
miration ,  et  que  le  bâtiment  élevé  au-dessus  de  ce  puits  avait  eu  pour 
objet  de  le  soustraire  à  des  usages  profanes. 

La  chaîne  de  montagnes  que  les  Grecs  et  les  Latins  désignèrent  par 
le  nom  de  Taurus  est,  dans  la  traduction,  appelée  el'Kiûm^/J^\^.  J'ose 
croire  que  cette  leçon  n'est  pas  parfaitement*exacte.  Si  je  ne  me  trompe, 
il  faut  lire  Loukam  ^^UÛI  *.  Je  ferai  également  observer  que  la  ville 
d*Amad,  ou  plutôt  Amid,  nest  pas  identique  avec  celle  d'Amadiah, 
mais  bien  avec  celle  de  Diarbekir,  et  cette  légère  inexactitude  a  été 

*  T.  I.  man.  arabe  iSg,  p.  88.  —  *  P.  333.  —  '  P.  336.  —  *  P.  338. 


AOUT  1843.  477 

rectifiée  dans  le  tome  II.  Un  peu  plus  loin  \  je  trouve  deux  noms  de 
lieux ,  sur  lesquels  je  hasarderai  une  conjecture.  L'auteur,  pariant  des 
courants  d'eau  qui  grossissent  le  Jourdain,  indique  les  rivières  qui  des- 
cendent du  Kouarmat  «^U^^.  Je  crois  qu'il  faut  lire  ljXaj^^  «les  dis- 

«tricts  de  Maab.»  Celte  ville,  aujourd'hui  en  ruines,  nous  représente, 
par  son  nom  comme  par  sa  position,  la  capitale  de  l'ancien  pays  des 
Moabites.  Dans  la  même  page,  il  est  fait  mention  d'un  lieu  appelé 
Asan  ylx»^,  ou,  comme  on  lit  plus  bas^,  Ghasan  yU<^.  Le  traducteur 
fait  observer  qu'un  des  manuscrits  offre  le  mot  Aman  ^l*;  et  je  nliésite 
pas  à  adopter  cette  leçon.  En  effet,  tel  est  le  nom  par  lequel  les  Arabes 
désignent  encore  aujourd'hui  les  ruines  de  l'antique  capitale  des  Am- 
monites ;  et  plus  bas  *,  en  effet ,  la  même  ville  est  désignée  par  le  nom 
de  Amman  yl*.  Plus  loin*,  l'auteur,  décrivant  la  route  qui  conduit  de 
Ramlali  à  Elarich ,  s'exprime  en  ces  termes  :  «  de  Ramlah  à  Merdoud 
n^^^j,^,  une  journée;  de  Merdoud  à  Ghazza,  une  journée.))  Le  nom 

Merdoud,  si  je  ne  me  trompe,  est  un  peu  altéré.  Je  propose  d'y  sub- 
stituer celui  de  Yezdoad  ^3^,, qui  nous  représenterait  le  site  de  l'an- 
cienne Azote. 

Dans  la  description  des  lieux  qui  avoisinent  la  ville  de  Tripoli  de 
Syrie  *  on  trouve  ces  mots  :  «  A  quatre  milles  au  midi  de  Tripoli  est  un 
retranchement  qui  fut  construit  par  Ebn-Mikhaîl  le  Franc  ^X-^^Ç-*  (j^' 
cs^j^^K  et  au  moyen  duquel  il  sVmpara  de  la  vilîe. »  Mais,  ici^ 
soit  par  la  faute  de  l'auteur  arabe  lui-même ,  soit  par  celle  des  copistes, 
il  s'est  glissé  une  inexactitude.  Au  lieu  du  mot  «J^a-^ÇS*  »  il  faut  lire 
Juj^^-m  Sindjil,  et  reconnaître  ici  le  fort  que  Beitrand,  fds  de  Raymond, 
comte  de  Toulouse  et  de  Saint-Gilles ,  fit  élever  pour  resserrer  la  ville 
de  Tripoli  et  hâter  la  prise  de  cette  place,  que  les  chrétiens  tenaient 
bloquée  depuis  dix  ans. 

Je  continuerai  à  présenter,  sur  le  travail  du  savant  traducteur,  quel- 
ques observations,  quelques  légers  doutes,  qui  prouveront  au  moins 
avec  quelle  attention,  et  en  même  temps  avec  quel  intérêt  j'ai  lu  son 
ouvrage.  Ainsi  l'auteur,  dans  sa  description  de  l'Espagne*,  s'exprime 
ainsi  :  «  ces  montagnes  nourrissent  quantité  de  troupeaux  de  moutons 
et  de  bœufs,  qui  sont  ensuite  conduits  par  des  pâtres  voyageurs  dans 

d'autres  contrées.  )>  Le  texte  offre  ^jyi'^y^;  si  je  ne  me  trompe,  le  mot 

V^^  ne  signifie  pas  un  paire  ambulant ,  mais  un  marchand.  En  Egypte, 
on  désigne  spécialement  par  ce  terme  un  marchand  ^esclaves.  Je  crois 

'  P.  338.  —  «  P.  34i.  —  '  P.  34o.—  *  P.  346.  —  •  P.  367.  —  •  T.  U,  p.  3a. 


478  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

donc  que  te  passage  devrait  être  rendu  dé  cette  manière  :  «  des  moutons 
et  des  bœufs,  que  les  marchands  exportent  dans  d'autres  contrées.  i> 

Plus  loin  ^  on  lit  :  o  ce  bourg  produit  quantité  de  raisins  secs  de 
couleur  rouge ,  et  dont  le  goût  approche  de  celui  du  vin  sec  et  doux.  » 
Dans  le  texte  on  trouve  ces  mots  »)\y  x^iJo  «^^wasi^» .  Je  serais  porté  à 
lire  5;!^  ,  et  je  traduirais  :  a  son  goût  est  accompagné  d*amertume.  » 

Dans  la  description  de  la  mosquée  de  Cordoue  ^,  le  texte  offre ^y^l 
i^y^jie^^ ,  que  le  traducteur  rend  par  :  a  des  énormes  pins  de  Tarsous.  » 
U  atteste  qu*un  des  deux  manuscrits  porte  :  u  de  Tortose.  »  Ne  pourrait- 
on  pas  lire,  au  lieu  de  fjoymjiai] ,  ^y»oji\ ,  et  traduire  :  udes  pins  for- 
tement assujettis  ?  » 

A  Tarlicle  de  la  ville  d'Antioche  ^ ,  on  lit  que  cette  ville  est  bâtie  sur 
un  fleuve  appelé  El-Arbat  tl^;-^! .  Mais  il  s'est  glissé  ici  une  petite  er- 
reur, qui  a  peut-être  été  commise  par  l'auteur  lui-même.  Au  lieu  de 
tl^j^l ,  il  faut  lire  ky^I  (l'Orohte). 

Plus  bas^  on  lit  :  u  entre  cette  ville  (Tarsous)  et  la  frontière  de  Roum 

il  existe  des  montagnes  entrecoupées  de  fossés »  Le  texte  porte 

^%\<-M!  çj^  iixA-AJu  Jlx:>-.  Je  crois  qu'il  faut  faire  ici  une  légère  correc- 
tion ,  substituer  x»*^w»a,4  à  iU».&J:^ ,  et  traduire  :  «  des  montagnes  qui  se 
détachent  du  Loukam.  )i  On  a  vu,  plus  haut,  que,  par  ce  nom,  les 
Arabes  désignent  la  grande  chaîne  du  Taurus. 

Dans  un  passage  où  l'auteur  parle  des  affluents  du  Tigre  ^,  on  lit  ces 
mots  :  «  Les  deux  Zab  forment  deux  grandes  rivières,  qui,  si  elles  étaient 
réunies,  présenteraient  un  volume  d'eau  égal  ou  même  supérieur  à  la 
moitié  de  celui  du  Tigre.  »  Le  texte  porte  l*^v5>-l  lit  «  lorsqu'elles  se 
réunissent.  »  Le  traducteur  cite  en  note  l'opinion  de  l'illustre  Dan- 
ville,  qui  dit  e>tpressément  :  «Il  y  a  quelque  défaut  dans  la  traduction 
de  l'Édrisi,  ou  il  se  trompe  lui-même,  dans  la  vi*  partie  du  iv"  cU- 
mat,  en  disant  que  les  deux  Zab,  lorsqu'ils  se  joignent,  (juando  in 
anum  coalescunt,  égalent  et  surpassent  même  la  ipoitié  du  Tigre.  » 
Qu'il  me  soit  permis  de  hasarder  une  observation  sur  ce  passage.  Sans 
doute ,  d'après  les  idées  que  Ton  s'est  formées  sur  la  géograpliie  de 
cette  contrée  de  l'Orient,  il  est  impossible  de  concevoir  cette  phrase  : 
((lorsque  les  deux  Zab  se  réunissent,  »  puisque,  suivant  le  témoignage 
unanime  des  géographes,  le  grand  et  le  petit  Zab  vont  se  jeter  dans  le 
Tigre ,  à  une  certaine  distance  l'un  de  l'autre  ,  et  que  ces  deux  rivières 
ne  réunissent  jamais  leurs  eaux  qu'à  Tépoque  d'inondations  extraordi- 
jiaires.   Mais  il  paraît  que,  sur  cet  article,  les  géc^raphes  sont  dans 

>P.47.  — «P  59.  —  *?.  i3i.--*P.  i5Scli3ii.  — •P.iA?. 


AOUT  1843.  47g 

Terreur.  M.  Ainsworth  ^  qui ,  dans  ces  dernières  années,  a  parcouru  pied 
à  pied  et  avec  un  soin  admirable,  ces  régions  peu  hospitalières,  atteste, 
(fe  la  manière  la  plus  formelle,  la  réunion  du  grand  et  du  petit  Zab.. 
Voici  de  quelle  manière  s'exprime  ce  savant  et  consciencieux  voyageur: 
«Sous  le  parallèle  de  Kiyau,  ou  plutôt,  un  peu  plus  bas,  au  pied  du 
mont  Warandun ,  le  Zab  est  divis^  en  deux  branches  d'un  volume  4 
4)eu  près  égal.  Le  bras  méridional  vient  de  la  contrée  située  au  delà  du 
Julainerik  ;  celui  du  nord  vient  de  Leïhoun  et  des  environs.  Ce  der- 
nier porte  le  nom  de  Berdizawi ,  ou  Petit  Zab.  »  D'après  ces  détails ,  on 
voit  qu'il  n*y  a  rien  à  changer  dans  le  texte  d'Édrisi ,  et  qu'il  faut  tra- 
duire :  ((Lorsque  ces  deux  rivières  se  réunissent,  leur  volume  d'eau 
égale  la  moitié  de  celui  du  Tigre.  » 

Plus  bas^,  dans  la  description  de  la  viUe  de  Roha  (Édesse),  nous 
liions  :  ((  il  y  a  une  église  où  l'on  conservait  le  suaire  du  Messie.  »  Mais 
il  s'est  glissé  là  une  petite  faute.  Le  mot  arabe  J^.^yJ^  ne  signifie  pas 
un  suaire,  mais  il  reproduit  le  terme  latin  mantile,  et  désigne  une  ser- 
viette, un  mouchoir;  et,  en  elTet,  la  reKque  conservée  dans  la  ville  de 
Roha  était  un  mouchoir  sur  lequel  était,  dit-on,  imprimée  la  figure  de 
Jésus-Christ,  ou  qui,  suivant  d'autres,  avait  servi  au  fils  de  Dieu  pour 
s'essuyer  au  sortir  des  eaux,  du  baptême.  Les  habitants  avaient  la  con- 
viction intime  que  cette  précieuse  relique  formait  pour  leur  ville  une 
sauve-garde  assurée ,  qui  ne  la  laisserait  jamais  tomber  au  {)ouvoir  d'un 
ennemi.  Lorsque,  malgré  ces  espérances  flatteuses,  Roha  eût  été  con- 
quise par  les  Arabes  musulmans ,  les  empereurs  de  Constantinople  vou- 
lurent retirer  cette  relique  des  mains  des  infidèles.  Suivant  le  témoi- 
gnage de  Masoudi*,  les  Grecs,  ayant  mis  le  siège  devant  Roha,  l'an  332 
de  l'hégire ,  consentirent  à  le  lever,  sous  la  condition  qu'on  leur  remet- 
trait celte  relique.  Au  rapport  d'Abou'lféda*,  de  Nowaïri^  et  d'Abou'l- 
mahasen®.  Tan  33 1  de  l'hégire,  l'empereur  grec  fit  demander  au  khalife 
Moltali  le  linge  avec  lequel  Jésus-Christ  s'était  essuyé  le  visage,  et  sur 
lequel  sa  figure  était  empreinte.  Il  s'engagea,  si  on  lui  rendait  cette  re- 
lique ,  à  délivrer  tous  les  prisonniers  musulmans  que  les  chances  de  la 
guerre  avaient  feit  tomber  entre  ses  mains. 

Plus  ba^,  il  est  fait  mention  de  la  chaîne  de  montagnes  de  lemanin. 
Je  crois  qu'il  faut  lire  Thajnanin  (^jy^. 

La  ville  nommée  par  Eldrisi  Beheschoun^  oy^'^  ^^  diffère  pas ,  je 

^  An  accoant  of  a  visit  to  tke  Chaïdeans,  ap.  7%^  Journal  of  the  royal  geographical 
Society  of  London,  t.  XI,  p.  47.  —  *  P.  i53.  —  *  Morondj,  t.  I,  fol.  i43  v*:  — 
*  Awmlet,  t  II,  p.  4aii.—  *  Man.  vab.  645,  fol  4i  r*.  —  *  Man.  arab.67i,jfoL  89  v*. 
—  ^P.  i54.  — 'P.  i63. 


'i80  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

crois,  de  Bihsatoan  ^jj^^*»^,  et  je  pense  que  c'est  ainsi  qu'il  faut  lire. 
Dans  la  version  du  passage,  je  me  permettrai  de  faire  un  petit  change- 
ment, et  je  traduis  :  «on  voit  la  représentation  de  Kesra  (Cosroës) 
monté  sur  le  cheval  appelle  Schebdiz.  »  Car,  suivant  la  tradition  des 
Persans,  tel  était  le  nom  que  portait  le  cheval  de  Rhosrev-Parviz. 

Dans  la  description  de  la  mer  Caspienne  ^  ,  il  est  fait  mention  de 
Demestan  ^Uam^^  et  Selioun  {j^^  ou  Aleskoan  ^^X^mJ!.  Mais,  si  je  ne 
me  trompe,  le  premier  nom  doit  être  changé  en  celui  de  Dàhestan 
^IjÙMb^â  (le  pays  des  Dahes) ,  et ,  au  second,  il  faut  substituer  Abeshoun 

L'auteur,  décrivant  la  contrée  du  Deïlem,  ajoute^  :  «Les  habitants 
ont  une  langue  à  part,  qui  n'est  ni  le  pei'san  ,  ni  le  râni  *^^J^ ,  ni  Var- 
niénien.  n  Cette  langue  du  Deïlem  est  également  nommée  par  d'autres 
écrivains  orientaux.  Quant  au  langage  râni,  je  crois  qu'il  faut  lire  Arh- 
niah  iujl^^l ,  et  y  reconnaître  la  langue  qui  était  en  usage  dans  la  pro- 
vince d'Arran.    . 

Au  nom  de  la  ville  de  Taran  u'r^^' j^  ^''^^^  V^'^^  ^^^^  substituer  ce- 
lui de  Taroz  j'iJo.  Le  mot  Karentaré  »  Jsxil  Ji  *  désigne-t-il  réellement  la 
Tarantaise?  Ne  serait-ce  pas  plutôt  la  Carinthie? 

Dans  l'article  qui  concerne  les  Russes^,  on  lit  :  «Quelques-uns  se 
rasent  la  barbe,  d'autres  la  réunissent  et  la  tressent  à  la  manière  des 
Arabes  du  Douab.  »  La  manière  dont  le  passage  est  écrit  me  laisse  ,  je 
favoue,  quelques  doutes.  Le  mot  v'j/^'  ^st,  si  je  ne  me  trompe,  une 
mauvaise  leçon  introduite  par  la  négligence  des  copistes.  S'il  m'est  per- 
mis de  hasarder  une  conjecture ,  je  crois  qu'il  faut  lire  ô'^'  et  traduire  : 
«  comlne  les  crinières  des  chevaux.  »  Le  mot  »j\S ,  dans  le  passage  qui 
suit ,  doit-il  se  traduire  par  civilisation  ?  Je  crois  qu'il  désigne  le  pays 
habité.  Le  mot  a-«UI  ne  signifie  pas,  je  crois,  l'action  de  se  tenir  debout, 
mais  ((  une  proclamation  de  la  prière  qui  a  lieu  dans  l'intérieur  d%  la 
mosquée,  immédiatement  après  ïidzan,n  et  sur  laquelle  j'ai  donné  ail- 

leurs' quelques  détails^.  Enfin,  les  mots  i^jy  ^jjiJo signifient  peut-être 

«  les  agresseurs  russes ,  »  plutôt  que  «  les  magiciens  de  Russie.  "^  » 

J'ai  peut-être  trop  prolongé  ces  remarques ,  dont  quelques-unes,  pro- 
bablement ,  offriront  aux  lecteurs  un  bien  faible  intérêt.  En  supposant 
même  que  j'aie  eu  raison  sur  quelques  points ,  mes  observations  ne  sau- 
raient diminuer  en  rien  l'estime  profonde  que  Ton  doit  au  travail  de 

'  P.  169,  179.  —  •  P.  178.  —  '  P.  ao8.  —  *  P.  a46.  —  *  P.  4oa.  —  *  Notices 
et  extraits  des  manuscrits,  t.  XII,  p.  587  —  ^  P.  A33. 


AOUT  1843.  481 

mon  savant  confrère.  Voulant  faire  connaître  et  apprécier  au  public  la 
géographie  des  Arabes,  il  ne  pouvait  choisir  un  répertoire  plus  vaste, 
plus  riche  de  faits,  plus  abondant  en  détails  de  toute  espèce.  Le  texte  , 
ainsi  que  je  Tai  dit,  a  été  traduit  avec  une  fidélité  scrupuleuse  ^  une  fa- 
cilité élégante  ;  et  le  lecteur,  en  cohsultant  et  étudiant  cet  ouvrage ,  peut 
se  flatter  de  connaître  à  peu  près  tout  ce  que  les  Arabes  ont  su,  relati- 
vement à  la  constitution  du  globe ,  à  la  description  des  pays  du  monde 
et  aux  mœurs  de  leurs  habitants.  C'est  là  un  service  éminent  que  M.  Jau- 
bert  a  rendu  aux  amateurs  de  la  géographie.  Il  eût  été  à  souhaiter  que 
le  texte  arabe  pût  être  joint  à  la  traduction  de  son  savant  interprète. 
Mais  un  tel  vœu  était  plus  facile  à  former  qu*à  réaliser; une  pareille  pu- 
blication aurait  exigé  des  frais  trop  considérables;  la  Société  de  géogra- 
phie ,  dont  le  zèle  éclairé  a  procuré  au  monde  savant  cette  mine  de  do- 
cuments précieux,  a  noblement  mérité  de  la  littérature ,  et  Ton  n'était 
pas  en  droit  de  demander  qu'elle  fît  davantage. 

QUATREMÈRE. 


Tables  pour  le  calcul  des  syzygies  écliptiques  et  non  écliptiques,  par 
M.  Largeteau,  adjoint  du  bureau  des  longitudes.  Brochure  in-8^ 
de  3 G  pages,  annexée  à  la  Connaissance  des  temps  pour  1 846. 
Paris,  i843. 

OBUXièMB   ARTICLE. 

Pour  apprécier  avec  exactitude  les  notions  et  les  institutions  astro- 
nomiques des  peuples  qui  ont  été  séparés  de  nous  par  le  temps  et  par 
les  formes  de  la  civilisation,  une  condition  indispensable,  c*est  de  s'ini- 
tier è  leurs  idées,  de  chercher  ^  se  rendre  propres  les  procédés  qu*ils 
ont  pu  mettre  en  usage ,  et  de  nous  demander  ce  que  nous  aurions  dû 
(aire  avec  de  pareils  moyens,  si  nous  eussions  été  à  leur  place.  Or,  ce 
transport  de  nous-mêmes  à  une  autre  époque,  cette  sorte  d'oubli  intel- 
ligent de  nos  méthodes  acquises,  qui  laisse  seulement  à  notre  esprit  sa 
faculté  d'invention  naturelle,  et  la  connaissance  intuitive  des  lois  nu- 
mériques auxquelles  la  simple  observation  doit  le  conduire ,  ce  sont  au- 
tant d'abstractions  presque  impossibles  à  réaliser  avec  justesse ,  si  Ton 
n'a  pas  une  pratique  personnelle  de  f  astronomie  ;  non  de  celle  que  Ton 
voit  tout  établie  dans  nos  observatoires  avec  les  instruments  perfec- 

^6i 


482  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

• 

licmnés  de  la  science  moderne ,  mais  de  celle  qu*îl  Bauit  créer,  pour  son 
propre  besoin.,  da&s  des  lieux  où  rien  a  a  été  préparé.  Les  détermina- 
tions approuoiatives  par  lesquelles  il  Êiut  commencer  alors  vous  ap- 
preiment.  par  expérience  les  ressources  que  peuvent  fournir  les  pro- 
cédés les  plus  simples ,  rétat  présent  du  ciel  et  les  accidents  mêmes  des 
lieux.  Vous  voyez  ainsi  quelles  sortes  de  résultats  peuvent  être  obtenus 
primitivement,  quel  degré  de  précision  Ton  en  peut  attendre,  et  je 
doute  que  tes  connaissances  théoriques^  même  les  plus  profondes, 
puissent  rem[dacer  cet  enseignement.  Aussi,  faute  des  notions  pra- 
tiques quii  donne,  combien  de  conceptions  non  réalisables,  d'idées 
postérieurement  acquises,  ne  se  sont  pas  introduites,  à  Tinsu  de  leurs 
auteurs ,  dans  Tinterprétation  de  ce  que  les  anciens  ont  dû  faire ,  et  de 
et  qu'ils  ont  spu  découvrir  on  astronomie,  aux  époques  qui  ont  précédé 
les  livres  grecs!  Les  uns  les  mettent  en possieasion  d'une  science  théo- 
rique qui  serait  de  même  nature  que  la  nôtre,  seulement  moins  riche, 
mais  procédant  avec  le  même  esprit  d'abslraclion.  Ils  leur  prêtent, 
sans  s  en  apercevoir,  des  opérations ,  des  résultats  qui  ne  peuvent  être 
amenés,  même  suggérés,  que  par  la  connaissance  ou  la  pratique  de 
nos  méthodes  modernes;  de  sorte  que,  par  celte  uniformité  de  concep- 
tions, contraire  à  la  nature  de  Tesprit  humain  comme  aux  faits  eux- 
mêmes,  Dous  serions  seulçm^nt  les  continuateurs  4e  cet  ancien  savoir. 
D'autre^  se.  croient,  et  semblent  en  effet  plus  sévères.  Us  pi'étendent 
accorder  uniquement  aux  anciens  les  notions  naturelles  et  les  détermi- 
natiohsles  plus  simples.  Mais,  n'ayant  jamais  eu  Tobligation  de  marcher 
eux-mêmes  pratiquement  dans  ces  premières  voies,  ils  les  mettent, 
sans  s'en  rendre  compte,  à  Tongine  de  celles  que  nous  suivons  mainte- 
nant, et  ne  jugent  de  la  simplicité  que  par  comparaison  avec  nos  ha- 
bîftudes  iprésentes ,  aulieu  de  la  cherdier  dans  des  habitudes  différentes, 
où  elle  131  tout  ansai  rédttement  existé,  sens  une  autre  forme.  Écoutez, 
par  exemple,  Géminus,  lorsqu'il  explique  comtnent  les  fêtes  égyp- 
tiennes attachées  aux  }^nra  vagnes  se  transportent  successivement  dans 
toutes  lies  phases  de  Tannée  sfoiaire  vraie.  Il  en  rend  parfaitement 
compte  dans  Thypothèse,  pour  lui  famflière,  où  cette  année  contîen- 
dmit  366  J  ajuste;  €t,  par  un  icalcuJ  arithmétique  exact,  il  en  conclut 
le rertptir des  fêtes  vagues  «ux  mêmes  phases  solaires,  après  iâ6o  an- 
nées éclaires  révolues.  'G'^est  aussi  ce  que  fait  Gensorîn.  Mais,  raison- 
nant d*un  et  Tautre  d'après  le»  usages  reçus  de  leur  temps,  il  ne  leur 
vient  pas  en  pensée  d'exammei*  ce  poim;  de  fait  :  Savoir,  si.  depuis  fë- 
poqvietoù  les  anciens  l^^ens étendirent'léur  année  va^e  à  365  jours , 
an  tieu  «^  Mo  quelle  wvnAi  auparatant ,  il^  ont  ex^é  en  corps  dé 


AOUT  1843.  4«3 

nation  indépendaiite ,  sous  leurs  institutions  religieuses  propres,  asseï 
longtemps  pour  avoir  suivi,  sans  iaterruption ,  la  mai^he  de' leurs 
fêtes  pendant  uoe  de  ces  révolutions  ^entière.  Cette  question  était  ce- 
pendant d*une  grande  importance  pour  Thistoire  de  l'astronomie.  Car, 
en  supposant  Tannée  de  365  jours  aussi  anciennement  employée  chez 
les  Egyptiens,  ce  qui  me  semble  fort  douteux,  pardesraisons  que  j'ex- 
poserai tout  à  r heure,  et  en  admettant  qu'ils  l'eussent  suivie  avec  con- 
tinuité pendant  tout  ce  temps  par  des  observations  de  solstices,  comme 
Géminus  atteste  qu'ils  le  faisaient  régulièrement  à  son  époque  (i),  les 
prêtres  auraient  dû  indubitablement  voir  que  la  révolution  des  365 
jours,  dans  l'année  solaire  vraie,  ne  s'accomplissait  pas  en.  i/!t6o  ans 
solaires,  mais  en  1 5o5 ,  et  cela  par  le  seul  cours  naturel  des  faits,  sans 
aucune  science  ;  de  même  que  les  Eluropéens  ont  reconnu  Terreur  de 
Tannée  julienne  par  le  déplacement  de  û  fête  de  Pâques,  dans  Tannée 
solaire,  lequel  était  d'un  peu  plus  d'un  joiur  en  i32  ans  (%).  Les  prêtres 
Egyptiens  auraient,  par  conséquent,  constaté  ainsi  la  vraie  durée  de 
Tannée  solaire  en  jours,  ce  qu'Hipparque  et  surtout  Ptolémée  auraient 
pu  difficilement  ignorer,  mais  dont  ils  n'ont  eu  aucune  connaissance  (3). 
D'une  autre  part,  sous  la  même  préoccupation  d'une  année  solaire  de 
365  J  -f,  Géminus,  ainsi  que  Censorin,  n'ont  pas  remarqué  combien, 
le  déplacement  des  fêtes  une  fois  accepté  ou  justifié,  Tannée  vague  de 
365  jours  était  d'un  usage  plus  commode  que  toute  autre.  Car,  d'a- 
bord ,  les  nouvelles  et  les  pleines  lunes  y  revenaient  aux  mêmes  jours 
vagues  après   2  5  de  ces  années    révolues,  sans  qu'il  s'en  manquât  â 
peine  d'un  jour  en  575  ans  (4),  de  sorte  que  leurs  apparitions  ayant  été 
physiquement  observées  et  notées  pendant  une  seule  période  pareille 
de  2  5  ans,  ou,  si  Ton  veut,  pendant  quelques-unes  consécutives,  afin 
d'avoir  une  moyenne  plus  exacte,  cela  suffisait  pour  azinoncer  et  ipré- 
parer  toutes  les  cérémonies  qui  s'y  rapportaient,  et  que  nous  voyons 
niarquées  dans  leur  litui^ie,  selon  que  les  phases  désignées  avaient 
lieu  à  tel  ou  tel  jour  de  tel  ou  tel  mois.  La  rétrogradation  de  Tannée 
vague  dans  Tannée  solaire  vraie  n'ofl'rait  pas  moins  de  simplicité,  puis- 
qu'elle était  juste  d'an  quart  de  lanaison  en  trente  ans  vagues  ^  ou  d'une  lu- 
naison entière  en  cent-vingt  ans  (5) .  Les  anciens  Égyptiens  avaient-ils.  re- 
marqué cette  relation?  L'importance  qu'ils  attachaient  â  leurs  périodes 
de  3o  ans  pourrait  le  faire  croii*e.  S'ils  Tont  remarquée,  elle  suffisait 
pour  transporter  indéfiniment  les  solstices  et  les  équinoxes  d'une  époque 
à  une  autre,  avec  une  précision  surprenante.  En  eflfet,  la  concordance 
qu'elle  établit  n'est  pas  seulement  ^ale  à  la  julienne;  elle  lui  est  fort 
supérieure  en  exactitude ,  puisqu'dyle  reproduit  identuiuement  Tannée 

61. 


484  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

d'Hipparque;  de  sorte  qu*il  aurait  pu  déduire  sa  correction  d'un  trois 
centième  de  jour  de  cette  tradition,  si  elle  existait,  et  quon  la  lui  eût 
communiquée.  Malheureusement  pour  Thistoire  de  Tesprit  humain ,  les 
astronomes  grecs  ont  trop  peu  cherché  à  s  aider  des  documents  tradi- 
tionnels qui  pouvaient,  comme  ceux-là,  être  fournis  par  le  simple  as- 
pect des  phénomènes  célestes  opérés  pendant  de  longues  suites  de 
siècles;  et,  si,  parfois,  ils  les  ont  connus,  ils  ont  mis  trop  d'indifférence 
à  en  consei*ver  les  détails.  Ainsi  ils  ont  mentionné  la  période  lunaire 
de  6585  J  Y,  et  ses  remarquables  applications,  sans  spécifier  aucune- 
ment les  observations  nécessairement  très-anciennes  et  très-nombreuses 
qui  ont  dû  être  faites  pour  l'établir.  Us  n'indiquent  même  pas  nette- 
ment d'où  ils  l'ont  apprise  (6).  Us  ont  employé  dix  éclipses  chaldéennes; 
mais  tant  d'autres  qui  leur  étaient  venues  aussi  de  Babylone,  et  qui 
nous  seraient  aujourd'hui  si  utiles,  ils  les  ont  laissées  périr  dans  l'oubli. 
N'en  voyant  pas  l'usage  actuel  pour  eux,  ils  se  sont  mis  peu  en  peine 
d'en  perpétuer  la  mémoire.  En  général,  les  Grecs,  si  grands  par  leurs 
arts  et  par  leurs  productions  intellectuelles ,  ont  porté,  dans  toutes  les 
parties  de  l'histoire  humaine,  le  caractère  de  présomption  ignorante 
propre  à  un  peuple  nouveau  et  vain.  S'ils  ont  quelquefois  cherché  à 
pénétrer  dans  les  origines  des  nations  qu'ils  appelaient  barbares ,  ils 
l'ont  fait  pour  y  découvrir  quelque  vestige  d'antiquité  qu'ils  pussent 
s'appliquer  à  eux-mêmes,  par  un  futile  sentiment  de  nationalité.  Le 
même  esprit  a  influé  sur  leurs  travaux  astronomiques,  et  nous  prive 
aujourd'hui  de  documents  du  plus  haut  prix,  qu'eux  seuls  pouvaient 
nous  transmettre. 

Les  écrivains  modernes  sont  exempts  de  ces  préjugés.  Mais  ceux 
d'entre  eux  qui  entreprennent  de  rechercher  les  notions  astronomiques 
des  anciens  temps,  manquant  pour  la  plupart  d'une  pratique  person- 
nelle de  l'art  d'observer,  substituent  fréquemment  les  idées  qui  leur 
sont  habituelles  à  celles  qui  ont  été  réellement  propres  aux  peuples  dont 
ils  étudient  l'histoire.  Par  exemple,  depuis  une  très-haute  antiquité,  les 
Chinois  ont  rapporté  les  lieux  des  astres  à  des  divisions  équatoriaies, 
comprises  entre  les  cercles  de  déclinaison  menés ,  à  chaque  époque , 
par  certaines  étoiles  déterminatricos  qui  nous  sont  connues,  et  qui, 
une  fois  adoptées,  ont  toujours  servi  à  cet  usage.  Ces  divisions,  dont 
l'établissement  parait  avoir  été  successif,  se  trouvent  déjà  portées  au 
nombre  final  de  a8,  du  temps  de  Tcheou-kong ,  onze  siècles  avant  l'ère 
chrétienne.  Sur  ces  q8,  quatre  correspondent  exactement  aux  colures 
des  équinoxes  et  des  solstices,  pour  le  temps  de  ce  prince  astronome, 
que  l'oii  doit  ainsi  présumer  les  avoir  établies.  Les  a  4  autres  sont  dis- 


AOUT  1843.  485 

persées,  à  des  distances  très-inégales,  sur  le  contour  de  Téqualeur,  tel 
qu'il  se  traçait  dans  le  ciel  il  y  a  quatre  mille  ans.  Celles-là  coïncident 
avec  les  équinoxes  et  les  solstices  de  cette  époque  reculée ,  ou  avec  les 
cercles  de  déclinaison  des  principales  étoiles  des  deux  ourses ,  dont  les 
passages  au  méridien  servaient  alors  pour  mesurer  le  temps.  Voilà  ce 
que  les  anciens  textes  chinois  nous  disent;  et  Ton  n'y  voit  absolument 
aucune  indication  d*un  rapport  intentionnel  avec  les  positions  succes- 
sives de  la  lune  pendant  sa  révolution  mensuelle ,  rapport  qui  eût  été, 
en  effet ,  incompatible  avec  l'inégalité  excessive  et  bizarre  des  divisions 
adoptées  (7).  Néanmoins,  d'après  cette  seule  particidarité  du  nombre  28, 
les  plus  habiles  orientalistes  de  Calcutta,  et  presque  tous  les  savants 
d'Europe ,  ont  attribué  aux  anciens  Chinois  an  zodiaque  binaire,  analogue 
aux  28  naschatras  des  Hindous ,  et  aux  a 8  mansions  lunaires  des  Arabes, 
associant  ainsi,  dans  une  identification  idéale,  des  conceptions  déri- 
vées, à  la  vérité,  d'une  même  origine ,  mais  successivement  modifiées 
dans  leur  application  par  le  progrès  du  temps.  Ainsi,  chez  les  Hindous , 
les  naschatras  équatoriaux  qu'ils  ont  pris  des  Chinois,  étant  mêlés, 
comme  ils  le  sont,  avec  les  longitudes  et  latitudes  grecques,  composent 
une  association  aussi  monstrueuse  que  les  formes  de  leurs  divinités.  Et 
ils  n'ont  jamais  pu  mettre  ces  naschatras  inégaux  en  rapport  avec  la 
lune  que  pour  des  intei^rétations  astrologiques,  où  toute  sorte  de  dérai- 
son est  tolérable.  Encore  ont-ils  dû  être  fort  embarrassés  poiu*  leur  con 
server  cet  usage ,  depuis  que  le  déplacement  progressif  du  pôle  ter- 
resti'e  parmi  les  étoiles  a,  vers  le  xiii*  siècle  de  notre  ère,  anéanti  une 
de  ces  divisions,  tant  indiennes  que  chinoises  ,  par  la  superposition  des 
deux  cercles  de  décUnaison  qui  la  limitaient;  ce  qui  en  a  réduit  dès 
lors  le  nombre  à  a 7.  Les  Arabes,  mieux  instruits  de  ces  déplacements, 
ou  peut-être  les  voyant  trop  près  de  s  accomphr,  ont  rendu  cette  con- 
ception astrologique  plus  durable  en  se  l'appropriant.  Car  ils  ont  distri- 
bué leurs  a 8  mansions  lunaires  sur  le  contour  de  l'équateur,  à  des  in- 
tervalles d'ascension  droite  sensiblement  égaux;  ce  qui  permettait  d'y 
placer  toujours  effectivement  la  lune  aux  différents  jours  de  chaque 
mois,  mais  en  leur  donnant  une  distribution  tout  autre  que  ne  l'avaient 
primitivement  les  divisions- chinoises.  Néanmoins,  la  persistance  des 
préjugés  scientifiques  une  fois  admis  est  si  grande,  que  cette  fiction 
d'un  zodiaque  lunaire  chinois  a  été  reproduite  encore  il  y  a  peu  d'an- 
nées, comme  un  fait  réel,  dans  un  travail  spécial  publié  sur  la  chrono- 
logie chinoise  par  un  savant  étranger  très  -  érudit ,  et  intentionnelle- 
ment très-opposé  à  l'esprit  de  système.  Comme  aussi,  en  exposant  les 
notions  astronomiques  qui  servent  de  base  à  cette  chronologie,  il  attri- 


4»a  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

bue  aux  anciens  Chinois  des  conceptions  à  la  vérité  fort  simples ,  mais 
entièrement  différentes  des  leurs  et  toutes  grecques,  leur  faisant,  par 
exemple,  diviser  primitivement  en  douze  parties  égales  le  contour 
de  f  écliptique,  qu'ils  n'ont  connu  que  fort  tard,  et  dont  ils  n  ont  con^- 
déré  les  subdivisions  que  spéculativement,  sans  en  faire  aucun  usage 
pour  leurs  déterminations  pratiques,  uniquement  fondées  sur  les  divi- 
sions équatoriales.  Certes,  je  rends  une  complète  justice  à  l'érudition 
et  à  la  droiture  d'esprit  de  ce  savant  distingué  ;  mais  ces  qualités ,  que 
personne  ne  lui  contestera,  montrent  avec  d'autant  plus  d'évidence 
combien  nous  sommes  portés  à  introduire,  dans  ces  restitutions  des 
résultats  anciens,  les  notions  scientifiques  que  notre  éducation  nous  a 
rendues  habituelles.  Et  réciproquement,  les  procédés  d'observation  que 
les  peuples  ti'ès-anciens  ont  pu  employer,  ayant  dû  être  tout  autres  que 
ceux  dont  nous  iious  servons  aujourd'hui,  surtout  n'ayant  dû  être  inten- 
tionnellement appliqués  que  pour  des  déterminations  immédiates,  cela 
nous  avertit  qu'il  faut  chercher  la  simplicité  de  leurs  opérations  dans 
la  nature  même  des  phénomènes,  indiquée  par  l'expérience  pratique, 
non  dans  une  relation  plus  ou  moins  analogique  avec  les  idées  établies 
actuellement. 

D'après  ce  que  j'ai  remarqué  plus  haut,  sur  les  rapports  si  simples 
de  l'année  de  365  jours  avec  les  révolutions  du  soleil  et  de  la  lune, 
l'époque  à  laquelle  on  lui  donna  cette  forme  en  Egypte,  par  l'adjonc- 
tion  des  cinq  épagomènes,  n'est  pas  sans  intérêt  pour  l'histoire  de 
l'astronomie ,  non  plus  que  pour  faire  pressentir  la  valeur  des  documents 
astronomiques  que  l'étude  des  monuments  égyptiens  peut  offrir  à  nos 
espérances.  Les  plus  anciennes  traces  que  ChampoUion  ait  découvertes 
de  ces  cinq  jours,  dans  les  inscriptions  et  dans  les  papyrus,  ne  remon- 
tent pas  au  delà  de  la  xvni*"  dynastie  diospolitaine  ;  et  personne,  depuis, 
n'en  a  trouvé  d'antérieures  à  cette  limite  de  temps.  Mais  la  notation  écrite 
des  douze  mois  se  lit  sur  les  monuments  de  toutes  les  époques,  même 
les  plus  anciennes  (8).  Et,  comme  elle  convient  aussi  bien  à  une  année  de 
36o  jours  qu'à  une  de  365,  puisqu'elle  ne  s'applique  qu'aux  mois,  on 
voit  que,  conformément  aux  traditions,  elle  a  dû  être  inventée  pour 
cette  première  forme,  bien  avs^nt  que  l'on  adoptât  la  seconde.  Cela 
prouve  que  le  principe  du  déplacement  des  fêtes  dans  l'année  solaire 
vraie  a  dû  être  admis,  depuis  la  plus  haute  antiquité,  par  les  Egyptiens. 
Dès  que  ChampoUion  m'eut  communiqué  cette  notation ,  je  cherchai , 
par  les  calculs  de  concordance ,  à  quelles  époques ,  dans  l'état  final  de 
l'année  vague ,  eUe  avait  dû  coïncider  avec  les  phases  de  l'année  solaire 
vraie;  et,  en  me  bornant  aux  trois  plus  récentes,  je  trouvai  que  cela 


AOUT  1843.  487 

avait  eu  lieu  dans  les  années  juliennes  — 276,  — 1780,  — 3285,  en 
comptant  à  la  manière  des  chronologistes  (9).  Maintenant ,  pour  faire 
usage  de  ce  résultat  numérique,  reportons -nous  aux  temps  où  Tannée 
vague  de  36o  jours  était  en  usage.  La  notation  écrite  revenait  alors, 
en  coïncidence  presque  exacte  avec  les  phases  solaires,  après  des  inter- 
valles de  209  années  pareilles,  qui  pouvaient  se  subdiviser  en  trois  pé- 
riodes alternées,  de  70,  69  et  70  ans,  à  chacune  desquelles  il  $*opérait 
une  concordance  du  même  genre,  mais  moins  précise  (10).  L adjonc- 
tion des  cinq  épagomènes  eut  sans  doute  pour  effet  de  rapprocher  da- 
vantage Tannée  vague  de  Tannée  solaire,  afin  quune  fois  concordantes 
elles  ne  se  séparassent  pas  si  vite.  Alors  on  dut  vraisemblablement  Tef- 
fectuer  à  une  des  époques  où  un  tel  accord  existait,  dans  Tespoir  de 
le  maintenir  plus  longtemps,  sinon  pour  toujours.  En  effet,  la  sépara- 
tion des  deux  années  en  devint  si  lente,  qu'il  devait  s*écouler  i5o^  an- 
nées vagues  nouvelles  avant  quune  coïncidence  ultérieure  pût  se  re- 
produire. En  admettant  cette  intention  de  rapprochement  très-naturelle , 
Tépoque  du  changement  d  année  doit  se  trouver  à  Tune  de  ces  coïnci- 
dences rétrogrades  qiie  Tannée  finale  nous  oilre;  et,  devant  être  anté- 
rieur à  la  XIX*  dynastie,  puisque  les  épagomènes  se  voient  dans  la  xvui', 
il  faut  quil  ait  eu  lieu  lors  de  la  coïncidence  de  — 1 780,  ou  i  celle  de 
— 3 a 85,  la  première  date  étant  la  plus  rapprochée  de  nous  que  Ton 
puiase  supposer,  et  la  seconde,  très-probablement,  la  plus  distante.  Si 
cette  dernière  est  la  véritable,  les  prêtres  égyptiens  ont  vu  s'accomplir 
une  révolution  entière  de  leur  année  définitive  dans  Tannée  solaire 
vraie ,  et  ils  ont  pu  suivre  toutes  les  phases  de  ce  mouvement,  par  des 
observations  régulièrement  c<mlinuées,  puisque  les  fonctions,  ainsi  que 
Tautorité  de  leur  caste,  se  sont  encore  maintenues  beaucoup  plus  tard 
que  la  fin  de  cette  période.  Mais ,  si  le  changement  d'année  s  est  opéré 
lors  de  la  coïncidence  de  — 1780,  il  est  presque  impossible  que  cette 
continuité  n'ait  pas  été  interrompue  :  d'abord, par  les  ferres  intérieures, 
qui,  sept  siècles  plus  tard,  désolèrent  TÉgypte  et  y  produisirent  ime 
anarchie  complète  ;  puis,  après  quelques  siècles  de  repos,  par  Tinvasion 
persane,  qui  ravagea  tout  le  pays,  dévasta  les  temples,  persécuta  la 
religion  ;  enfin ,  par  l'invasion  et  la  domination  grecques ,  qui  laissèrent 
seulement  aux  prêtres  Texercice  de  leurs  pratiques  religieuses,  avec  le 
devoir  de  prier  pour  le  vainqueiu*,  sans  aucune  participation  au  gou> 
vemement.  Comment  croire  qu'après  tant  de  désastres  la  caste  sacer- 
dotale aurait  continué,  sans  interruption,  les  observations  astrono- 
miques et  les  spécidations  abstraites  qui,  au  temps  de  son  ancienne 
prospérité,  étaient  un  attribut  spécial  de  ses  fojactioQs  religieuses ,  et  sans 


488  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

doute  aussi  un  puissant  instrument  de  domination  P  Cela  semble  tout 
à  fait  impossible. 

Pour  ne  négliger  aucun  indice  qui  pût  éclairer  cette  importante  al- 
ternative ,  j'avais  rapporté  un  passage  du  Syncelle ,  où  il  est  dit  que  les 
cinq  épagomènes  ont  été  ajoutés  à  Vannée  primitive  soas  le  règne  du  roi  Aseth, 
père  d'Amosis,  le  premier  de  la  xviif  dynastie  diospolitaine  ;  et  aussi,  que  le 
bœuf  Apis  fut  mis  au  rang  des  dieux  à  la  même  époque  (i  i).  Cette  dernière 
particularité  n'a  rien  d'invraisemblable  ;  car  le  bœuf,  ou  plutôt  le  taureau 
Apis,  comme  les  monuments  le  représentent,  était  consacré  à  la  Lune(  1 2), 
probablement  à  la  lune  en  conjonction  avec  le  soleil,  d'après  ce  qu'in- 
dique la  couleur  noire  qui  lui  est  attribuée;  et,  en  outre,  la  durée  de  sa 
vie  symbolique  était  limitée  à  vingt-cinq  ans  vagues  (1 3).  C'est,  en  effet, 
la  période  du  retour  des  phases  lunaires,  à  un  même  joiu*  vague,  dans 
l'année  de  365  jours,  mais  nullement  dans  celle  de  36o.  La  quatrième 
.lettre  écrite  d'Egypte  par  Champollion  ajoute  aujourd'hui  à  ces  indica- 
tions une  circonstance  qui  leur  donne  beaucoup  de  force.  Car,  d'après  des 
inscriptions ,  sculptées  sur  de  grandes  stèles,  â  l'entrée  de  deux  des  car- 
rières qui  avoisinent  Memphis ,  le  fameux  temple  dédié  à  Apis ,  dans  cette 
ville ,  a  été  effectivement  bâti  par  ce  même  roi  Amosis  dont  le  Syncelle 
parle.  Quant  au  surplus  de  son  récit,  pour  en  faire  une  juste  application, 
il  faut  remarquer  que ,  dans  le  sens  qu'il  lui  donne ,  son  roi  Aseth  ne  doit 
pas  être  confondu  avec  ï Assis  que  Flavien  Josèphe  désigne  comme  ayant 
été  le  dernier  des  rois  Hycsos,  dans  un  célèbre  passage,  que  l'on  a  sou- 
vent reproduit  (i4).  Car  le  Syncelle,  qui  assure  avoir  eu  sous  les  yeux 
plusieurs  exemplaires  de  Josèphe  (1 5) ,  ne  pouvait  pas  ignorer  la  mention 
que  cet  auteur  fait  de  son  Assis,  lequel  est  aussi  nommé  par  Eusèbe, 
avec  la  même  désignation  d'Hycsos  (16);  et  toutefois  il  affirme  qu'il  n'y  a 
aucune  mention  de  cet  Aseth  dans  Eusèbe,  ni  dans  l'Africain  (  1 7).  De  plus, 
la  qualification,  qu'il  lui  donne,  de  père  d' Amosis,  le  premier  roi  de 
de  la  xviii*  dynasfie  diospolitaine,  le  distingue  essentiellement  des  rois 
Hycsos  ;  et  il  assure  avoir  tiré  cette  filiation  de  plusieurs  manuscrits ,  les 
plus  corrects  :  ok  rà  Tikeiara  xeù  ixpifôrrepa  t&v  àvriypépcûv  (18).  Or,  si 
l'on  prend  la  date  absolue  que  le  Syncelle  assigne  à  son  Aseth ,  et  qu'on  la 
rapporte  à  l'ère  chrétienne,  par  différence  avec  la  première  année  de 
Nabonassar,  extraite  pareillement  de  sa  chronographie,  elle  se  trouve 
justement  répondre  à  l'année  julienne — ^1 778;  ce  qui  est  si  près  de  la 
coïncidence  calculée  pour — 1780,  qu'il  y  a  plus  à  s'étonner  de  l'accord 
que  de  la  différence  des  deux  résultats  (19), 

Je  n'ignore  pas  que  la  chronographie  du  Syncelle  est  contestable , 
6urtôut  dans  ses  dates  absolues.  Et  quelle  autre  ne  le  serait  pas,  quand 


AOUT  1843.  489 

il  faut  reconstruire  une  chaîne  d'années  si  longue,  dont  tant  d*anneaux 
sont  l3risés  !  C'est  pourquoi  je  vais  remonier  à  cette  même  date  par 
un  document  qui  nous  reportera  de  suite  à  peu  de  distance  d'elle  ;  de 
sorte  qu'il  ne  nous  restera  qu'un  petit  nombre  d'intermédiaires  à  fran- 
chir pour  y  arriver. 

On  admet  je  crois  aujourd'hui,  comme  un  fait  non  contestable,  que 
le  Rhamsës  IV,  dit  Meîamoun ,  dont  Ghampollion  a  lu  les  légendes  sur 
les  inonuments  de  Médinet-Habou,  a  été  le  premier  roi  de  la  xix*  dy- 
nastie diospolitaine ,  et  qu'il  est  identique  avec  le  Rhamessès-Séthos , 
que  Jules  Africain,  le  Syncelle  et  Eusèbe ,  placent  à  la  tète  de  cettedy- 
nastie,  en  lui  attribuant,  l'un  5i ,  les  deux  a'utres  55  années  de  règne, 
d'après  Manéthon.  Or,  suivant  l'interprétation  que  j'ai  cru  pouvoii* 
donner  d'un  tableau  relatif  à  ce  prince ,  tableau  sculpté  dans  une  des 
salles  de  son  palais ,  à  Médinet-Habou ,  la  cérémonie  qui  s'y  trouve  re- 
présentée aurait  été  accomplie,  lorsque  l'équinoxe  vemal  vrai  a  coïn- 
cidé avec  le  premier  jour  du  mois  de  pachon  vague;  ce  qui  est  arrivé 
le  %  avril  de  l'année  jidienne  — 1^89  (ao).  L'usage  que  je  vais  faire  de 
cette  interprétation  lui  servira  aussi  d'épreuve.  En  l'admettant,  si  la^ 
cérémonie  avait  eu  lieu  dès  la  première  année  du  règne ,  elle  fixerait 
son  commencement  à  l'annéç  — 1389  elle-niême;  si,  au  contraire, 
elle  avait  eu  lieu  k  la  dernière  année ,  elle  reporterait  ce  commence- 
ment 55  ans  plus  haut,  c'est-à-dire  à  — 1444.  Telles  seraient  donc, 
suivant  ce  calcul ,  les  deux  dates  extrêmes  entre  lesquelles  on  devrait 
placer  l'avènement  de  la  x^^dynastie ,  mais  vraisemblablement  plus 
près  de  la  première  que  de  la  seconde. 

Revenant  alors  au  récit  du  Syncelle,  je  n'emploie  plus  la  date  qu'il 
donne ,  mais  seulement  la  tradition  qu'il  dit  avoir  extraite  des  manus- 
crits qu'il  avait  sous  les  yeux;  et  encore  je  la  restreins  à  ses  circons- 
tances les  plus  générales,  savoir:  que  les  épagomènes  auraient  été 
ajoutés  vers  la  fin  de  la  xvu*  dynastie  Intime,  ou  au  conunencement 
de  la  xvni*  dynastie,  lorsque  la  race  royide  indigène  eut  recouvré  son 
pouvoir  sur  toute  l'Egypte ,  le  Delta  excepté.  Puis,  je  vais  chercher  si  cette 
indication  nous  ramène  à  l'époque  de —  1 780 ,  où  l'année  égyptienne  de 
365  jours ,  en  rétrogradant  sur  elle-même ,  se  place ,  pour  la  première  fois , 
en  coïncidence  avec  l'année  solaire  vraie,  au  delà  des  limites  de  temps 
dans  desquelles  nous  avons  des  traces  certaines  de  son  existence.  Pour 
cela,  entre  les  évaluations  discordantes  que  les  divers  extraits  de  Ma- 
néthon rapportent  sur  la  durée  de  la  xvui*  dynastie  diospolitaine ,  je 
prends  celle  qui  lui  donne  348  ans,  comme  la  plus  généralement 
adq»lée  ;  et ,  l'ajoutant  aux  dqua  dates  extrêmes ,  trouvées  tout  à  l'heure , 

6a 


400  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

j'obtiens,  pour  Hmites  du  commencement  de  cette  xviii*  dynastie,  les 
années — 1737,  et  179a  ,  dont  ia  première  ne  pourrait  être  que  trop 
rapprochée  de  nous,  et  la  dernière  en  est  trop  distante.  Maintenant,  si 
l'on  place  l'adjonction  des  cinq  épagomènes  vers  la  fin  de  la  xvn*  dy- 
nastie ,  selon  la  tradition  que  le  Syncelle  rapporte ,  et  que  tous  les  ma- 
'^  numents  jusqu'ici  connus  ne  font  que  confirmer,  on  voit  que  cette 
indication,  dégagée  des  dates  numériques  dont  il  l'affecte,  nous  ramène 
à  la  coïncidence  solaire  de  l'an- — 1780,  sans  aucune  possibilité  de  re- 
joindre l'antérieure,  qui  aurait  dû  s  opérer  en — 3a85,  si  l'oiireculait 
jusque-là  hypothétiquement  l'existence  de  l'année  de  365  jours. 

Quoique  je  ne  veuille  pas  me  détourner  ici  à  des  discussions  chror 
nologiques,  je  dois  prévenir  une  objection  qui  pourrait  se  présenter. 
Dans  le  calcul  précédent,  la  date  solaire  absolue  déduite  du  monument 
de  Rhamsès  Meïamoun  donne ,  pour  le  commencement  de  la  xvm*  dy- 
nastie égyptienne,  des  limites  de  temps  un  peu  plus  rapprochées  de 
nous  que  celles  qui  ont  été  adoptées  par  plusieurs  écrivains  modernes. 
Sans  vouloir  exagérer  la  valeur  du  mode  d'évaluation  direct  que  j'ai  emr 
ployé,je  ferai  remarquer  que  la  moins  distantede  ces  limites, — 1 787,  est 
presque  exactement  intermédiaire  entre  les  dates  absolues  qui  se  tii^ent  de 
la  chronographie  du  Syncelle  et  de  celle  d'Eusèbe ,  présentant  avec  la  pre- 
mière une  différence  de  i3  ans  en  moins,  avec  la  seconde  une  de  i5 
en  plus,  comme  je  le  prouve  ici  en  note  (21).  Gela  semblerait  indiquer 
que  la  cérémonie  de  la  prise  du  pschent,  représentée  sur  le  tableau  de 
Meïamoun  «  aurait  eu  lieu  dans  la  preiA^e  année  de  son  règne.  Cette 
circonstance  n'a  rien  d'improbable,  si  l'on  considère  que,  parmi  tous 
les  tableaux  historiques  relatifs  au  même  prince ,  et  sculptés  dans  le 
même  palais,  celui-là  est  le  seul  qui  ne  porte  qu'une  date  de  jour  sans 
indication  d'année  de  règne.  En  supposant  que  ce  fût  la  première  page 
de  son  histoire ,  il  ne  pouvait,  en  effet,  lui  donner  d'autre  date,  ni  plus 
précise,  que  celle  du  jour  correspondant  à  la  phase  solaire  où  ou  l'avait 
célébrée.  Il  est  Inen  difficile  de  renouer  aujpurd'hui  avec  plus  de  cer- 
titude la  cliaine  des  temps  jusqu'à  des  époques  si  distantes,  lorsqu'on 
n'a ,  d'dilleurs ,  pour  le  faire ,  que  des  dates  relatives ,  tirées  d'une  seule 
source  peu  sûre ,  qui  nous  ont  été  transmises  avec  des  vides  qu'il  faut 
sans  ce^se  rempKr,  et  des  discordances  qu  il  &ut  sans  cesse  concilier. 

Je  vais  maintenant  soumettre  ce  résultat  à  une  dernière  épreuve ,  tirée 
des  mouvements  de  la  lime;  et  ceci  me  fournira  un  nouvel  exemple  de 
l'utilité  des  tables  de  M.  Largeteau,  pour  jfaciliter  l'application  des  phé- 
nomènes astronomiques  aux  recherches  de  chronographie.  l^es  parti- 
cularités du  culte  d'Apis  montrent  que  \ps  Égyptiens  n'ignoraient  pas 


AOUT  1843.  491 

]a  dunée  die  la  révolution  des  phases  lunaires  dans  Tannée  de  365  jours; 
et  il  était,  en  effet,  impossible  quils  n'eussent  pas  remarqué  leur  re- 
tour si  exact  aux  mêmes  jours  vagues,  après  la  courte  période  de  a  5  an- 
nées pareilles.  Mais  une  autre  tradition ,  rapportée  par  Plutarque ,  indique, 
en  outre,  sous  le  voUe  d*une  allégorie  transparente,  que  Tadj onction 
des  cinq  épagomènes  avait  été  expressément  faite  pour  établir  ainsi  une 
concordance  périodique  plus  exacte,  ou  plus  commode,  entre  la  succès^ 
sion  des  lunes  et  celle  des  années  nouvelles  [i  a).  Maintenant  approprions- 
nous  cette  vue ,  et  cherchons  quelle  devait  être  l'occasion  la  plus  favo- 
rable de  la  réaliser.  Lorsque  Tannée  vague  de  36o  jours  était  en  usage, 
la  notation  des  mois  revenait  «en  coïncidence  presque  exacte  avec  les 
phases  solaires  après  209  de  ces  années;  et  même,  dans  chaque  période 
pareille,  il  y  avait  trois  époques  alternées  par  des  intervalles  de  70, 
69  et  70  ans,  où  les  écarts  de  la  notation  ne  s'élevaient  pas  à  1^,8;  de 
sorte  que  des  observateurs  peu  exercés,  ou  peu  attentif,  auraient  pu 
facilement  les  confondre  avec  des  coïncidences  rigoureuses  (a  3).  Mais  ces 
concordances  approximatives,  que,  dans  notre  mépris  du  passé,  nous 
jugerions  avoir  dû  paraître  à  peu  près  également  convenables  pour 
rapprocher  Tannée  primitive  de  Tannée  solaire  par  Tadjonction  des 
épagomènes,  ne  présentaient  pas,  à  beaucoup  près,  la  même  uniformité 
d'appropriation  pour  y  fixer  les  phases  lunaires.  Car,  bien  rarement, 
-en  beaucoup  de  siècles,  elles  durent  s'y  trouver  réparties,  dans  la  série 
des  mois ,  à  des  places  où  il  fût  désirable  de  les  voir  souvent  revenir. 
Cela  se  rencontre  pourtant  une  fois,  non  pas  à  peu  près,  mais  exacte^ 
ment,  et  avec  des  circonstances  si  heureuses,  que,  dans  cette  coïnci- 
dence spéciale  de  la  notation  avec  les  phases  solaires,  toutes  les  lunes 
nouvelles  répondaient,  aussi  près  que  possible,  aux  commencements 
des  mois,  et  toutes  les  pleines  lunes  à  leurs  milieux.  C'était  donc  une 
occasion  presque  unique  d'ajouter  les  cinq  épagomènes,  pour  faire  re- 
venir une  si  précieuse  concordance  tous  les  vingt-cinq  ans.  Si  on  Ta 
saisie,  nous  devons  retrouver  les  lunes  ainsi  distribuées  dans  la  coïnci- 
dence rétrograde  de  Tannée  vague  finale,  qui  a  offert  cette  opportunité. 
Or  on  va  voir  qu'elle  se  rencontre  dans  la  coïncidence  de — 1780, 
exclusivement  à  toute  autre,  et  avec  un  tel  degré  de  justesse,  que  Ton 
ne  retrouve  pas,  dans  le  cours  des  siècles,  la  possibilité  d'un  si  parfait 
arrangement. 

Pour  apprécier  la  vérité  de  cette  assertion ,  il  faut  se  rappeler  que 
Tannée  lunaire ,  composée  de  douze  lunaisons  moyeniies ,  contient  un 
nombre  de  jours  très-peu  différent  de  356^36.  En  conséquence,  la 
distribution  la  plus  régulière  que  Ton  puisse  idéalement  lui  supposer, 

62. 


492  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dans  une  année  de  365  jours,  consiste  à  Ty  insérer  de  manière^ue  la 
première  lune  nouvelle  suive  le  premier  jour  de  Tannée ,  à  peu  près  au 
même  intervalle  dont  la  treizième  lune  nouvelle  précède  le  365*  jour; 
ce  qui  amènera  les  intermédiaires  à  s'approcher  le  plus  possible  du 
commencement  des  mois  vers  le  milieu  de  Tannée ,  et  à  s*écarter  le 
moins  possible  de  ce  commencement  dans  les  mois  extrêmes.  Or  cette 
disposition  spéciale  se  trouve  effectivement  réalisée ,  ainsi  qu'on  va  le 
voir,  dans  la  coïncidence  de  Tannée  vague  finale  avec  Tannée  solaire, 
qui  s*est  opérée  en  — 1 780.  Et,  comme  elle  est  un  résultat  naturel  du 
cours  du  soleil  et  de  la  lune,  que  Ton  ne  saurait  ni  retarder  ni  accé- 
lérer, ni  préparer  artificiellement  pour  gu*il  fasse  suite  à  une  année  de 
36o  jours  déjà  établie,  dont  on  n altère  pas  la  disposition  primitive, 
il  faut  inévitablement  que,  parmi  toutes  les  coïncidences  successives 
de  cette  année  primitive  avec  Tannée  solaire  vraie,  on  en  ait  choisi 
une  des  plus  exactes,  oùTaddition  finale  des  cinq  épagomènes  complé* 
tait  la  symétrie  dé  distribution  des  douze  lunes  qui  s'était  spontanément 
opérée.  Alors  cela  n*a  exigé  aucune  science  théorique,  aucune  spécu^ 
lation  abstraite,  mais  un  simple  calcul  arithmétique  appliqué  à  une 
concordance  céleste  remarquée  avec  exactitude,  et  saisie  habilement. 

Pour  établir  ce  résultat  avec  le  soin  qu'il  me  semblait  mériter,  j  ai 
calculé,  par  les  tables  de  M.  Largeteau,  les  dates  de  toutes  les  lunes 
nouvelles  et  pleines ,  pour  les  deux  derniers  mois  de  Tannée  julienne- 
— 1781  deschronologistes,  et  ponrles  dix  premiers  de — 1780,  lesquels 
ensemble  comprennent  les  douze  mois  de  Tannée  ^ptienne  vague  qui 
se  trouva  alors  en  conèordance  avec  les  phases  solaires.  Ces  dates  étant 
ainsi  connues  dans  le  calendrier  julien  rétrograde ,  je  les  ai  transportées 
dans  Tannée  égyptienne  de  365  jours  par  les  tables  de  concCMrdance, 
ce  qui  m*a  donné  les  jours  des  mois  égyptiens  auxquels  elles  répon- 
daient. Ces  résultats  sont  réunis  dans  deux  tableaux  placés  à  la  fin  du 
présent  article,  et  il  su£Git  d'y  jeter  les  yeux  pour  en  avoir  une  com- 
plète intelligence.  Je  n'aurai  donc  ici  qu'à  en  signaler  divers  détails. 

La  disposition  générale  est  telle  que  je  l'ai  annoncé  plus  haut.  Les 
premières  lunes  nouvelles  suivent  d'abord ,  à  un  petit  intervalle ,  le  pre- 
mier jour  de  chaque  mois  ;  elles  se  rapprochent  graduellement  de  ce 
premier  jour,  l'atteignent,  et  finissent  par  le  précéder  d  un  intervalle  i 
peu  près  égal ,  à  la  fin  de  Tannée.  Par  une  conséquence  nécessaire ,  les 
pleines  lunes  tombent  au  milieu  des  douze  mois,  entre  le  1 9*  jour  et 
le  1 4*«  Mais  cet  espèce  d'équilibre  astronomique  présente  une  particu* 
larité  qui  mérite  surtout  d'être  remarquée,  parce  qu'elle  est  en  har- 
monie mtime  avec  les  idées  ^ptiemies ,  et  qu'elle  dul  être  singulière- 


AOUT  1843.  493 

ment  déterminante  pour  les  prêtres  cpii  opéraient  ce  raccordement.  On 
sait  qu  aux  époques  où  f année  vague  de  365  jours  concorde  avec  les 
phases  solaires ,  le  premier  jour  du  mois  de  pachon  vague ,  qui  ouvre 
k  tétraméftie  des  eaux ,  coïncide  avec  le  solstice  d*été  vrai ,  qui  est 
aussi  Tinstant  de  Tannée  où  le  Nil  commence  à  croître  (a  4).  Cette  coïnci- 
dence eutdonclieu  encore  à  Tépoquede — 1 7Ô0  que  nous  considérons. 
Or  ce  fut  pareillement  à  ce  même  pachon  solsticial  que  la  nouvelle 
lune  se  montra  en  accord' exact  avec  le  premier  jour  du  mois,  consé- 
quemment  avec  le  solstice  d'été.  Car  sa  réapparition  à  Thèbes  eut  lieu 
le  soir  de  ce  jour-la  même,  ayant  été  visible  seulement  le  a  au  soir  du 
mois  précédent  pharmouti ,  et  Tétant  devenue  la  veille  du  premier  jour 
du  mois  suivant  paoni.  Cette  symétrie  de  disposition  autour  de  la  phase 
solaire  principale  et  du  mois  qui  y  correspond  est  si  par&ite,  et  elle 
est  si  spéciale ,  qu'on  a  besoin  de  se  rappdier  qu'elle  n'a  pas  pu  être  l'effet 
d'une  combinaison  artificielle ,  mais  un  simple  résultat  naturellement 
opéré  par  la  concordance  actuelle  du  cours  des  deux  astres,  dans  Tannée 
de  36o  jours  qui  se  trouvait  établie  antérieurement.  Mais  on  peutcomr 
prendre  par  là  quelle  justesse  d'observation  il  a  fallu  pour  saisir,  avec 
tant d a  propos,  le  concours  unique  de  circonstances  que  présentait  la 
concordance  de  Tannée  primitive  avec  Tannée  solaire  qui  eut  lieu  alora, 
et  qui  la  rendait  plus  convenable  que  toute  autre  pour  opérer  Tad- 
jonction  des  cinq  épagomènes. 

Afin  qu'on  ne  s'exagère  pas  la  connaissance  que  les  prêtres  égyp» 
tiens  ont  dû  avoir  de  Tannée  lunaire  pour  saisir  si  habilement  une  tdle 
occasion,  je  ferai  remarquer  que  Tinstant  précis  des  lunaisons  leur 
avait  été  indiqué  ou  rappelé,  cette  année-là  même,  par  une  édipae  de 
lune ,  visible  à  Thèbes ,  qui  eut  lieu  le  1 7  du  mois  choiack.  Une  autre 
éclipse  pareiUe,  également  viable  à  Thèbes  «  avait  eu  lieu  encore  dans 
les  derniers  mois  de  Tannée  précédente.  Toutefois  •  il  fiedlait  qu'ila  eussent 
suivi  pendant  bien  longtemps  les  phases  solaires,  dans  leur  année  vague 
[Himitive,  pour  savoir  que  le  solstice  d'été  concourait  si  exactement 
avec  le  premier  jour  de  pachon ,  cette  année-là  même ,  plutôt  que  dans 
la  précédente  ou  la  suivante ,  quoique  le  déplacement  de  cette  phase  y 
fikt  seulement  de  cinq  jours  et  un  quart  par  année  I  Comme  auasi  ils  de- 
vaient avoir  reconnu  bien  précisément  la  marche  des  phases  lunaires 
dans  les  mois  vagues,  pour  s'être  aperçus  qu'aucune  autre  coïncidence 
antérieure  de  Tannée  primitive  avec  le  soleil  ne  les  avait  }»ésentées  ré* 
parties  entre  ces  mois  #vec  une  symétrie  pareille,  .en  amenant  juste  une 
lune  nouvelle  au  premier  pachon  solsticial ,  cette  époque  principale  de 
leur  calendrier  I  Mais  la  justesse  avec  laquelle  ils  ont  saisi  une  tàle  oc- 


*^. 


t- 


4ft4  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

casîoti ,  qui  ne  s  était  jamais  présentée  à  eux  et  qui  ne  devait  jamais  re- 
puraitre ,  est  restée  invisiblement  inscrite  dans  leur  année  définitive , 
puisquen  ia  reconduisant  en  arrière,  par  un  calcul  de  concordance 
qui  ne  peut  pas  être  en  erreur  d'un  seid  jour,  nous  la  repkiçons  dans 
les  mêmes  rapports  avec  le  soleil  et  la  tune  où  ils  ont  dû  nécessairement 
la  trouver  alors.  Et  ce  doit  être  là  certainement  le  point  où  ils  Tont 
prise  pour  la  compléter  par  laddition  des  cinq  épagomènes.  Ca^,  suppo- 
ser qu'ils  les  auraient  ajoutés  à  toute  autre  époque  antérieure  ou  pos- 
térieure, de  manière  à  opérer  un  pareil  accord  entre  les  deux  astres  par 
prévision  ou  par  une  computation  rétrograde,  qui  aurait  exigé  la  con- 
naissance des  mouvements  vrais,  aussi  exacte  que  nous  pouvons  Tavoii^ 
nous-mêmes,  depuis  moins  d*un  siècle ,  ce  serait  leur  attribuer  des  com- 
binaisons théoriques  auxquelles  notre  science  moderne  pourrait  diffi- 
oiiement  atteindre;  au  lieu  que  l'observation  toute  simple,  mais  l'ob- 
servation attentive  et  constante ,  leur  a  suffi  pour  voir  des  phénomènes 
de  concordance  qui  se  réalisaient  naturellement.  Il  semble  à  peine  né- 
cessaire de  discuter  l'idée  qu'ils  lie  letf  auraient  pas  aperçus ,  et  que  cette 
concordance  astronomique  si  précise,  à  laquelle  leur  année  établie  re- 
montiB ,  serait  un  résultât  duilâsard ,  qui  aurait  fait  ajouter  les  cinq  épa- 
goinfènes  à  toute  autre  époque  antérieure  h  celle-là,  de  manière  à  y  con- 
duire sans  prévision.  MaiiS  enfm,  si  Ton  voulait  mettre  en  avant  une 
semblable  hypothèse ,  un  raisonnement  bien  simple  en  montrerait  le 
peu  de  probabilité.  IV>ur  cela  v  partons  de  la  coïncidence  avec  les  phases 
solaires  et  lunaires  que  l'année  définitive  nous  présente  en  — 1 780  ;  puis 
£aiisôns-la  rétrograder  indéfininient  dans  la  série  des  nècles,  en  lui  con- 
servant ses  36  Séjours;  et,  dans  chacune  dés  positions  où  ce  calcul  la 
transporte ,  -otonfr-lui  ses  cinq  épagomènes.  Nous  obtiendrons  ainsi  au- 
tant d'années  de  36o  jom^s,  qiti  seront  telles ,  que ,  si  l'on  en  choisit  une 
quelconque  pour  en  faire  une  année  ^léfinitive,  en  lui  restituant  cinq  épa- 
gomènes, elle  reviendra  d'elle-même  à  la  coïncidence  de  -^1 780  ;  et  ce 
seront  lea  seules  qui  auront  cette  propriété.  Mais  elles  l'auront,  toutefois , 
sous  la  cotndition  expresse  qu'on  y  aura  fait  cette  addition  à  l'époque 
précise  où  le  crel  aura  présenté  chacune  d'elles.  Gar^  si  on  lui  laisse  faire 
un  seul  pas  au  delà ,  en  lui  conservant  ses  36o  ]o\xtb\  Tannée  complétée 
qui  en  dérivera  ne  rejoindra'  plus  la  coïncidence  dé -^-^1780.  Mainte- 
nant, admettons  que  Tannée  é^ptienrie  primitive  fût  arrivée  effecti- 
vement dané  une  de  ces  positions  privilégiées,  où  rien  he  décelait  ses 
propriétés  futures'.  Quelle  chance  spéciale,  exceptionnelle,  ne  faudra-t-it 
pàsÉMipposer  pojur  qu'on  l'ait  saisie  juste  dans  cette  position  plutôt  que 
dans't0utei|iutre,  antérieure  oil'pOBtéri(puré,  et  ^*<éM  lui  ait  ajouté  les 


AOUT  1843.  495 

cinq  épagomènes ,  précisément  alors  par  pur  hasard ,  saps  prévision , 
sans  calcul  possible  qui  fît  connaître  que  c  était  là  Tépoque  unique  où 
il  laUait  la  compléter  pour  qu  elle  rejoignit  ultérieurement  la  concor- 
dance céleste  de — 1780,  à  laquelle  Tannée  définitive  se  trouve  adaptée 
si  exactement!  N'est-il  pas  incomparablement  plus  simple  et  plus  vrai> 
semblable  qu  on  ait  effectué jcette  addition  à  Tépoque  m^e  de —  1 780 ,, 
où  la  double  concoixiance  s  était  spontanément  réalisée  dans  Tannée 
courante  de  36o  jours ,  et  quil  ne  fallait  que  la  voir.  Cest  déjà  bien  assez 
d'admettre  qu  elle  ait  été  ainsi  amenée  naturellement  par  les  seules  re- 
lations que  les  mouvements  de  la  lune  et  du  soleil  se  sont  trouvés  avoir 
avec  Tannée  de  36 o  jours  primitivement  établie ,  sans  qu'on  Tait  favori- 
sée ou  produite  par  quelque  mutation,  opérée  à  la  même  époque  dans 
la  naarcbe  de  cette  année  primitive ,  comme  on  a  altéré,  chez  nous ,  le 
calendrier  julien  pour  le  raccorder  avec  les  phases  solaires,  lors  de  la 
réforme  grégorienne.  Mais  rien  n'aulorise  à  supposeï*  qu'une  modifica- 
tion analogue  aurait  été  opérée  dans  Tannée  égyptienne  de  36o  jours, 
à  Tépoque  de  Taddition  des  épagomènes ,  pour  lui  donner  Texacte  con-t 
cordance  que  nous  lui  trouvons  avec  les  phases  solaires  en  —  1 780  ;  de 
sorte  que  nous  ne  devons  pas  introduire  cette  hypothèse  dans  nos  rai* 
sonnements,  quelque  commode  qu'elle  (Ctt  pour  expliquer  le  &it  de 
cette  double  concordance.  Je  remarquerai,  toutefois,  que,  si  on  voulaiit 
l'attribuer  à  un  pareil  artifice,  ce  serait  encore  en — 1 780  qu'on  l'aurait 
employé,  en  ajoutant  de  plus  les  cinq  épagomènes,  puisque,  dans  toute 
la  série  des  siècles,  il  n'y  a  que  cette  seule  époque  où  Tannée  égyp- 
tienne définitive,  qui  est  venue  jusqu'à  nous,  se  trouve  en  coïncidence 
aussi  exacte  avec  les  phases  simultanées  du  soleil  et  de  la  lune,  lorsque 
nous  la  faisons  retourner  pai*  le  calcul  dans  la  nuit  des  temps.  £n  ré- 
sumé, si  Ton  considère  .que  toutes  les  voies  qui  viennent  de  s'offirir  à 
nous,  comme  pouvant  conduii^e  à  Tépoque  de  Tadjonction  des  épago- 
mènes égyptiens,  aboutissent  à  cette  même  date ,  qu'on  y  est  également 
amené  par  la  tradition  que  le  Syncelle  rapporte,  par  celle  que  Plutarque 
raconte ,  par  Tomission  ou  la  présence  de  ces  jours  additionnels  sur 
les  monuments,  enfin  par  la  coïncidence  solaire  et  lunaii^e  qui  a  offert 
une  occasion  unique  de  les  introduire  tels  que  nous  les  trouvons ,  d'a- 
près la  simple  observation  actuelle  du  ciel ,  sans  autre  science  qu'un  à 
propos  d'une  extrême  justesse,  on  devra,  je  crois,  reconnaître  que  cet 
ensemble  d'inductions  concordantes,  établit  une  probabilité  très-appro- 
obantc  de  la  certitude ,  puisqu'on  peut  apprécier  sa  force  par  la  presque 
impossibilité  qu'il  y  aurait  de  les  concilier  différemnient. 

Je  crois,  en  terminant,  devoir  aller  au^^evaat  d*una  idée  qui. poui- 


496  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

rait  se  présenter  à  Tesprit  de  beaucoup  de  personnes.  Les  indications 
chronographiques  tirées  des  fragments  de  Alanéthon ,  de  quelque  ma- 
nière qu'on  les  combine,  ne  font  pas  remonter  les  derniers  temps  de 
ia  XVII*  dynastie  égyptienne  beaucoup  plus  haut  que  — 1 780  ;  et  Ton  n'a 
pas  nen  plus  trouvé  les  épagomènes  inscrits  sur  des  monuments  anté- 
rieurs à  la  XVIII*.  Tout  s'accorde  donc  jusque-là  pour  placer  leur  adop- 
tion vers  le  point  de  jonction  de  ces  deux  dynasties,  lors  de  la  concor- 
dance astronomique  que  nous  avons  démontrée,  et  qui  s'est  opérée  à 
cette  date  précise.  Supposez  cependant  que,  par  une  éventualité  peu 
probable ,  on  vînt  à  découvrir  les  épagomènes  sur  un  monument  ap- 
partenant avec  certitude  à-quelque  prince  un  peu  élevé  dans  la  xvii*  dy- 
nastie, ou  même  d'une  autre  antérieure  :  que  faudrait-il  en  conclure? 
On  ne  pourrait  pas  évidemment  détruire  le  fait  matériel  de  la  concor- 
dance céleste  de  — 1 780 ,  non  plus  que  sa  coïncidence  avec  la  notation 
de  Tannée  définitive.  Il  ne  resterait  donc  qu'à  peser  ces  deux  difiBcultés 
contradictoires  :  d'une  part,  la  presque  impossibilité  d'ajouter  les  épa- 
gomènes, antérieurement  à  — 1780,  avec  un  hasard  assez  juste  pour 
que  l'année  ainsi  complétée  vienne  ensuite  s'adapter  au  ciel  si  exacte- 
ment ;  de  l'autre  part ,  l'inconvénient  de  rapprocher  plus  ou  moins  de 
nous  les  dates  absolues  conclues  de  Manéthon  d'après  les  indications 
qu'il  donne  des  durées  des  règnes  ;  durées ,  à  la  vérité ,  qui  reposent  sur 
son  témoignage  unique ,  qui  ne  peuvent  être  vérifiées  sur  les  monu- 
ments, et  qui,  après  tant  de  catastrophes  subies  par  l'Egypte,  ont  dû 
être  bien  autrement  difficiles  à  obtenir  pour  lui-même,  avec  exactitude, 
sous  les  Ptolémées ,  que  n'a  dû  l'être  l'ordre  de  succession  des  règnes 
dont  les  cartouches  royaux  pouvaient  encore  conserver  les  traces  presque 
complètes.  Telle  serait  donc  l'alternative  que  la  critique  aurait  alors  à 
décider;  mais  heureusement  il  est  peu  probable  qu'elle  se  présente. 


BIOT. 


NOTES. 


Note  1.  Géminus,  Introduction  aux  phénomènes  célestes,  chap.  vi  :  Des  mois.  Dans 
ce  chapitre,  Géminus  explique  le  déplacement  progressifde  Tannée  égyptienne  vague 
dans  1  année  solaire  vraie,  qu  il  suppose  contenir  SGS'  7  juste.  li  dit  d*abord  com- 
ment on  peut  le  reconnaître  par  ses  résultats  les  plus  apparents;  ensuite  il  men- 
tionne les  procédés  dpbservaUon  par  lesquels  on  le  constate  avec  une  entière  ri- 
gueur, en  fixant  les  époques  où  les  équinoxes  et  les  solstices  se  réalisent,  ce  qu  ii 
présente  comme  une  pratique  établie  de  tous  temps  chez  les  Égyptiens.  On  en  peut 
juger  par  les  expressions  qu  il  leur  applique  :  Kai  al  rte  àfpoXoyUnf  jiaraypa^al 
ix8ifXov«  vofoGcri  ràs  xor'  dSiifâtiap  ytpofsépos  rpovàt,  xtd  ftéXiala  Tap'  AiyvitlioK 


496  his. 

i 

'RJQUB,  préteniant  les  époques  vraies  des  nouvelles  et  des  pleines  lunes,  en  temps  moyen  compté  de  minuit  à 
^  les  douze  mois  de  Vannée  égyptienne  définitive,  qui  est  comprise  entre  les  années  juliennes  — i78i,  — i780 
'istes,  ou  — i780,  — i779  des  astronomes,  année  dans  laquelle  la  notation  imite  des  mois  s'est  trouvée  con- 
i  les  phases  solaires,  le  solstice  d'été  ayant  lieu  le  i*^  pachon, 

i 


LiENMES  DES  LUNES  NOUVELLES  ET  PLEINES  Â  THÈSES. 
\àm  ioTmixiii  db  corâciDixci  — 1780 ,  — 1779  dis  astkoiombs. 


OT9inbT6.« 

-ovêmbra.. 


•nviar. . . . 
Uivier. . .  • 


^vrier.. .  • 
^Yrier. . . . 


IftTS»   •  •  •  • 

!•« 


vril 


14  U8^  9' 
29  i  19^  40' 


14àl2M4' 
28  à  15^  59' 


13  i  5M0' 
27  i  4^44' 


11418^35' 
25i]8M4' 


13  à  4»  49' 
27  à  8^   3' 


llàl3M8' 


Temps  moyen  compte  de  minait  à  Thèbes. 


DATES  CORRESPONDANTES 

DAKS   L'AiniiB    VACVB    DB    365   JOUBB. 


THOT. 
NoQveUe.U    4  à  18^    9' 

Pleine,      le  19  i  19^  40' 


•  •  •  • 

•  •  •  • 


••••■•••■« 


Éclipse  de  Inné  certaine ,  visible  à  Thèbes . 


^  PAOPHI. 

NonveUe .  le    4  à  12^  44' 
Pleine,      le  18  à  15^  59' 


vrfl 25à23M5' 


lai 10  420^22' 

lai 25  à  14^  13' 


Dia 

ain 

uiliet .... 


9  à   3M8' 

bl4à  5^  r 

8  à  10^  52' 


aillet .... 


23  à  19^  22' 


o&t 6à20^22' 


••••••• 


•••••••• 


ATHYR. 

Nouvelle,  le    4  à    5^  10' 
Pleine,      le  18  i    a**  44' 

CHOIACK. 
Nouvelle  ,  le    3  à  IS''  35' 

Pleine.      le  17  4  IS»»  14' 

TOBY. 

Nouvelle  .le    3  à    4^  49' 
Pleine,      le  17  i    8^    3' 


MECHIR. 

Nouvelle,  le  2  i  13M8' 
Pleine,      le  16  à  23>>  35' 

PHAMÉNOTH. 

Nouvelle ,  le  1  à  20^  22' 
Pleine»      le  16  à  14M3' 

PHARMOUTHI. 

NouveUe.  le  1  à  3M8' 
Pleine.  le  16  à  5^  1' 
2« nouvelle,  le  30 à  10^ 52' 


PACHON. 
SoUticed'éti.lelà8'>6' 

Pleine,      le  15  à  19^  22' 
NouveUe.  le  29  à  20V22' 


PAONI. 
Nouvelle,  prkidtmta. 


Visible  le  surlendemain  6 ,  soir ,  déjà 
grande. 


Visible  le  lendemain  5 .  soir. 


Vbible  le  lendemain  5.  soir,  déjà  grande. 


Visible  le  surlendemain  5,  soir,  déjà 
,  grande. 

Eclipse  de  lune  certaine ,  visible  à  Thi^ 
bes .  peu  après  le  coucher  dn  soleil. 

Visible  le  lendemain  4 ,  soir- 


Visible  le  lendemain  3 ,  soir. 


Visible  le  snrlendemain  3 ,  soir,  grande. 


Visible  le  lendemain  2 ,  soir,  grande. 

Invisible  le  soir  de  ce  même  jour.  Visible 
seulem*  le  lendemain  1*'  pachon,  soir. 


Nouvelle  lune  de  la  veille,  visible  ce 
soir-là  même  {  grande. 

Invisible  oe  même  jour.  Visible  tont  au 
plus  le  30 ,  soir,  mais  très-petite. 


Visible  le  30  du  mois  précédant,  an  soir. 
I       très-petite. 


498  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

la  différenee  ^iqprimera  le  mouvement  synodique  moyen  de  la  lune  en  un  siècle  à 
r époque  considérée ,  lequel  sera  : 

*  1236""  -H  3o6-.  54'.  55",o  =  445266%9 162777  =  ^• 

Puisqu'il  s* accomplit  en  3653 S',  si  Ton  représente  par  L  la  durée  d'une  lunaison 
moyenne,  comprenant  une  circonférence  entière  ou  36o*,  on  aura  L  parcelle  pro- 
portion : 

D*  :  3652  5»  :  :  36o'  :  L,  ce  qui  donne  en  jours  :  L  =  "'V'""- 

Mettant  donc  polir  D  sa  valeur  en  degrés,  et  effectuant  la  division  par  parties, 
pour  avoir  le  quotient  avec  plus  d'exactitude,  on  trouve  : 

L  =r  29^,5306018679. 

C'est  la  durée  d'une  lunaison  moyenne  à  Tépoque  considérée.  Elle  surpasse  de 
i",i52  la  durée  d'une  lunaison  moyenne  à  l'époque  présente,  ce  qui  résulte  de 
l'accélération  séculaire  que  le  moyen  mouvement  de  la  lune  a  éprouvée  depuis  les 
anciens  temps  jusqu'à  nos  jours. 

.Si  l'on  multiplie  la  valeur  de  L  par  809  ,  on  trouve  : 

309 L  =:  9124^9559771811, 

Or  2  5  années  égyptiennes  de  365  jours  comprennent  en  somme  : 

9 1 2  5^,0000000000. 

L'excès  de  25  années  pareilles  sur  309  lunaisons  est  donc  égal  à  la  dift'érencc  de 
ces  deux  nombres ,  c'est-à-dîre  qu'en  les  désignant  par  V  on  a  : 

25  V  —  309  L  r= -t- 0^,0440228189. 

Ainsi,  après  chaque  période  de  2  5  années  vagues,  contenant  chacune  365  jours, 
toutes  les  phases  lunaires  revenaient  aux  jours  de  même  dénomination ,  sauf  la  pe- 
tite erreur  que  le  second  membre  exprime.  De  là  il  est  facile  de  conclure  qu'après 
23  périodes  pareilles,  comprenant  676  ans  vagues.  Terreur  de  ce  retour  final  au- 
rait été 

23.  o\o44o228i89  zz:  i\oi25248347. 

C'est-à-dire  qu'il  se  serait  élevé  à  peine  à  un  jour  entier.  Or,  comme  c'est  à  peu 
près  là  le  temps  qui  s'écoule  depuis  l'instant  de  chaque  conjonction  vraie  jusqu'au 
moment  où  le  croissant  déjà  formé  peut  être  aperçu,  il  en  résulte  qu'après  que  l'an- 
née vague  fut  portée  à  365  jours ,  la  période  de  25  ans  suffisait  pour  prédire  le  re- 
tour des  phases  lunaires  moyennes  aux  mêmes  jours  vagues ,  sans  aucune  erreur 
appréciable  pendant  tout  ce  long  intervalle  de  b'jb  années  ;  et  les  inégalités  pério- 
diques qui  aJOTectent  le  moyen  mouvement  de  la  lune  ne  pouvaient  altérer  la  justesse 
de  ces  prévisions  que  de  quantités  négligeables  pour  1  usage  pratique,  dont  une 
observation  attentive,  quelque  peu  continuée,  aurait  bientôt  dû  faire  reconnaître  les 
principales  par  leur  périodicité,  comme  cela  paraît  avoir  été  effectué  par  les  Chal- 
déens. 

L'année  primitive  de  36o  jours  se  raccordait  beaucoup  moins  bien  avec  la  lune. 
Elle  offirait  d'abord  une  petite  période  de  5  ans  qui  put  être  la  première  remarquée  ; 
mais  elle  était  en  erreur  de  1' ,366  ;  de  sorte  que  son  écart  devenait  promptement 
sensible.  On  en  trouve  ensuite  une  de  2 1  ans  ;  mais  elle  est  quatre  fois  moins  exacte 
que  la  période  de  26  dans  l'année  de  365  jours.  Il  aurait  fallA  aller  jusqu'à  1 73  ans 


• 


AOUT  1843.  499 

pour  en  trouver  une  qui  donnât  le  même  degré  de  précision,  (ji  durent  être  là  de 
puissants  motifs  pour  compléter  Tannée  de  36o  jours  par  l'addition  des  cinq  épago- 
mènes ,  lorsqu'on  eut  reconnu  ces  circonstances  par  son  usage  prolongé. 

Note  5.  Pour  découvrir  cette  relation,  reprenons  dans  la  note  û  la  valeur  de 
Tannée  solaire  ancienne  S,  en  années  vagues  V  de  365  jours,  nous  en  tirerons 

V  =  S  —  o^,a42  5;  conséquemment  120  V  nz  lao  S  —  29\i. 

La  quantité  soustraite  de  lao  S  dans  le  second  membre  est  presque  égaie  à  une 
lunaison  entière.  Il  ne  s*en  manque  que  de  7^5- de  jour.  Ainsi,  en  négligeant  cette 
diflérence,  comme  il  était  naturel  de  le  faire  pour  obtenir  un  énoncé  simple,  les 
prêtres  égyptiens  auraient  pu  dire  que  Tannée  vague  recule  dans  Tannée  solaire 
d'un  quart  de  lunaison  en,3o  ans  vagues  de  365  jours,  ou  d'une  lunaison  entière  en 
120  ans. 

Accordons-leur  cette  remarque  si  facile,  mais  acceptons  pour  eux  Terreur  qui 
résulte  de  la  substitution  d'une  lunaison  entière  au  nombre  exact  n^Ki-  Il  faudra 
alors  supposer 

120  V  =r  120  S  —  29,530602  ;  ce  qui  donne  S  =  V  -H   "  V«V** 
Alors,  en  remplaçant  V  par  365  jours,  et  effectuant  la  division  indiquée,  il  viendra 

S  =  365\246o88. 
Or  Tannée  d'Hipparque  est 

S  =  365\25  —  -rhr  =  365\246667. 

« 

La  différence  avec  la  précédente  évaluation  est  si  petite,  qu'il  n'aurait  pas  pu  lui- 
même  en  répondre. 

Note  6.  Géminus ,  Introduction  aax  phénomènes  célestes ,  chapitre  xv  :  Sur  la  période 
d'évolution.  En  examinant  avec  exactitude  les  termes  dont  se  sert  Géminus  dans  ce 
chapitre  remarquable ,  je  trouve,  comme  Delambre,  qu'il  attribue  seulement  aux 
Chsddéens  la  détermination  du  moyen  mouvement  diurne  de  la  lune  en  longitude, 
relativement  aux  étoiles  ;  mais  je  ne  vois  nullement  qu'il  leur  concède  la  recherche 
des  phases  extrêmes  de  ce  mouvement ,  non  plus  que  la  détermination  de  la  période 
de  6585^  J-,  ni  la  connaissance  des  propriétés  quelle  a  d'accorder,  presque  exacte- 
ment, en  nombres  entiers,  les  révolutions  de  la  lune,  relativement  au  soleil,  à  son 
anomalie  et  à  ses  nœuds ,  ce  qui  la  rend  si  propre  à  ramener  des  éclipses  semblables. 
Excepte  dans  Tunique  phrase  où  il  s'agit  du  moyen  mouvement  sidéral ,  Géminus 
emploie  toujours  les  expressions  indéterminées,  on  a  dit  y  on  a  vu.  Ptolémée ,  en  citant 
cette  période  d'après  HipparquA*  Tattribue  aux  anciens  mathématiciens ,  et  il  ajoute 
que  ce  sont  aussi  les  eufteaMmi  d*tiipparque.  Il  est  fort  possible ,  sans  doute ,  que 
les  Chaldéens  fussent  les  véritables  auteurs  de  cette  découverte,  et  Ton  peut  le  pré- 
sumer d'après  le  système  général  d'obserrations  que  Ton  sait  avoir  été  organisé  che7. 
eux  si  anciennement  ;  mais  cela  n*est  pas  du  tout  dit  formellement  dans  Tes  auteurs 
grecs ,  et  ils  rejettent  les  véritables  auteurs  de  ces  belles  découvertes  dans  l'obscu- 
rité du  passé  :  Carent  quia  vate  sacro. 

' . •     . ..  , 

Note  7.  Voyez  mes  Recherches  sur  Taucienne  astronomie  des  Chinois,  publiée.« 
à  l'occasion  d*un  Mémoire  de  M.  Ludwig  Idelér  sur  lacbronobgie  ^noise.  Jour- 
nal dés  Savants,  innées  1889 'et  i84a 

63. 


500 


JOURNAL  DES  SAVANTS. 


r 

Note  8.  Mémoire  sur  les  signes  employés  par  les  anciens  Egyptiens  pour  la  notation 
des  divisions  du  temps,  par  Champollion  le  jeune.  Mémoires  de  V Académie  des  inscrip- 
tions et  belles-lettres,  t.  XV,  i'*  partie,  p.  lao  et  i32. 

Note  9.  Recherches  sur  Vannée  vague  des  Egyptiens,  Mémoires  de  V Académie  des 
sciences,  t.  XIII,  i835. 

Note  10.  Voici  la  démonstration  de  ces  périodes.  J*ai  dit  plus  Haut,  note  a*,  qu  aux 
époques  anciennes  que  nous  considérons ,  la  durée  moyenne  de  Tannée  solaire  était 
36^^,2425.  Représentons-la  par  S,  comme  nous  Favons  fait  alors,  et  désignons  par 
V  Tannée  vague  primitive  contenant  36o  jours.  Nous  aurons  évidemment 

r  =  S — 5^,24^5 

Si  Ton  cherche,  par  les  fractions  continues,  les  valeurs  approximatives  du  rap- 
port i,  on  trouve  successivement  77,  -ff ,  777.  En  s'arrêtant  à  ces  trois  premières 

évaluations,  et  appliquant  à  Téquation  précédente  les  multiplicateurs  successifs 
qu* elles  indiquent,  eUe  se  transforme  dans  les  suivantes,  que  Ton  peut  aisément 
vérifier  à  posteriori. 

69  t>  =::    68  S  -H  3^,5ioa 

70  i>  =    6q  S  —  1^7326 
209  V  =  206  S  -4-  o^,o45o 

La  dernière  montre  que  209  années  vagues  de  36o  jours  n'excèdent  206  années 
solaires  que  de  la  petite  fraction  de  jour  o,o45o,  équivalente  à  1^  à'  48".  Si  Ton  né- 
figeait  cet  excès ,  il  ne  produirait  pas  un  jour  entier  après  22  révolutions  pareilles 
contenant  4532  années  solaires,  car  Terreur  finale  serait  seulement  22.  o^,o45o 
ouo',990. 

Or  cette  période ,  qui  comprend  209  v,  peut  se  subdiviser  en  deux  de  70,  séparées 
par  une  de  69.  En  effet,  si  on  les  alterne  dans  cet  ordre  et  qu*on  évalue  les  erreurs 
qui  se  produiront  à  la  fin  de  chacune  d'elles  en  partant  d'une  coïncidence  exacte, 
on  aura  le  résultat  suivant. 


DÉSIGNÂTIOS 

réKIOOl   BHPLOTél. 

ERREUR  FINALE 

QVI   LOI    BST    FKOrKB. 

ERREUR  RÉSULTANTE 

Dl    ton    AIMOKCTIOX 

•OS  pr^cMenlM. 

70  9 

• 

70  V 

—1^,7525 
+3  .5100 
—1  ,7325 

— 1J,7325 
4-1  ,7775 
-f  0  .0450 

L'erreur  partielle  qui  se  produira  aux  époques  tenninales  de  ces  alternatives  sera 
donc  moindre  que  i^8;  et,  après  Taccomplissement  des  trois  périodes  ainsi  assem- 
blées, elle  se  réduira  à  o^,o45,  comme  dans  la  grande  période  de  209  v,  que  leur 
somme  reproduit. 

Cette  même  succession  alternée  ramenait  aussi  presque  exactement  le  lever  hé- 
liaque  de  Sirius  au  premier  jour  du  mois  de  thot.  Pour  s'en  convaincre ,  il  faut  se 
rappder  que ,  par  une  combinaison  singulière  de  la  position  de  cet  astre ,  relative- 
ment i  Tédiptique,  avec  le  mouvement  du  soleil ,  ses  levers  héliaques  consécutifs  en 


AOUT  1843. 


501 


9 

Egypte  ont,  pendant  une  longue  suite  de  siècles,  compris  un  intervalle  de  temps 
presque  exactement  égal  à  365^,a5.  Désignons  cet  intervalle  par  J,  et  conservons  i2i 
lettre  v  pour  représenter  Tannée  vague  de  36o  jours.  Si  Ton  cherche  les  valeurs  ap- 
proximatives du  rapport  L  par  les  firacliops  continues ,  on  trouve  successivement 

fj»  «T  ®^  fH-  Cette  dernière  évaluation  est  exacte,  de  sorte  qu'il  s'opérait  préci- 
s^ent  4Bo  hevers  héliaques  en  ^87  petites  années  vagues ,  comme  il  est  facile  de 
s'en  assurer  par  Tégalité  des  nombres  de  jours  que  contiennent  ces  deux  périodes. 
Mais  les  deux  premiers  rapports  étant  les  mêmes  que  nous  avons  trouvés  plus  haut, 
ils  donnent  ^ussi  des  petites  périodes  d'égale  intermittence  pour  les  retours  des  le- 
vers héliaques;  les  écarts  seuls  autour  du  phénomène  sont  différents.  En  effet,  on 
a  ici  : 

69  V  =  68J  -i-'3\oo 

70  «  =  69  J  —  2^25 

et  les  sept  levers  héliaques  qui  se  suivaient  dans  les  487  ans  s'opéraient  à  la  fin  de 
chacune  de  ces  petites  périodes  avec  les  oscillations  représentées  dans  le  tableau  qui 
suit  : 


AoiiMt  de  960  joara,  icovMt» 
depv»  m  thol  héliaque. . . 

Écart  da  lexer  h^quc  avant 
( — )  ou-aprèa  (4-)  le  premier 
joar  de  thot,  à  la  fin   de 
chaque  période  partielle. . . 

0 
0 

70 

-2i.25 

60 

-l-Oi.75 

70 

-li,50 

69 

.50 

70 
—0^.75 

69 
-+-2' 

.25 

70 

0 

Le  phénomène  n'étant  déterminable  par  l'observation  qu'à  trois  ou  quatre  jours 
près,  ces  périodes  devaient  paraître  exactes.  Elles  durent  aussi  être  d'un  grand  in- 
térêt pour  les  Egyptiens,  tant  qu'ils  conservèrent  leur  année  de  36o  jours.  Car  ils 
attachaient  beaucoup  d'importance  au  lever  héliaque  de  Sirius,  qui ,  dans  les  an- 
ciens temps  auxquels  leur  notation  remonte,  coïncidait,  pour  l'Egypte,  avec  le  sols- 
tice d'été,  où  les  eaux  du  Nil  commencent  à  croître.  Aussi  avaient-ils  marqué  d'un 
caractère  religieux  les  retours  de  ce  phénomène  au  premier  jour  de  leur  année ,  en 
consacrant  l'étoile  Sirius  à  Isis ,  et  personnifiant  cet  astre  dans  ses  rapports  avec  le 
premier  mois,  sous  la  forme  d'une  déesse  appelée  Isis-Thot,  ainsi  qu  on  le  voit  sur 
des  monuments  de  Thèbes.  Cette  spécification  religieuse  était  fort  naturellement 
suggérée  par  la  fréquence  des  époques  auxquelles  ce  retour  s'opérait  alors  périodi- 
quement. Mais  ce  motif  cessa  quand  on  eut  ajouté  les  épagomènes.  Car  alors  les 
Âots  ne  redevinrent  héliaques  qu*après  des  intervalles  de  ]46i  années  nouvelles, 
sans  qu'aucune  période  intermédiaire  pût  les  ramener  plutôt,  même  approximative- 
ment. Si  l'on  suppose  les  épagomènes  établis  en  — 1780,  comme  je  me  propose  de  le 
prouver  dans  la  suite  du  présent  article,  le  premier  thot  qui  redevint  héliaque ,  après 
cette  adjonction ,  arriva  dans  rannée  julienne  —  1 322  ;  et  cette  nouvelle  coïncidence , 
qui  ne  devait  plus  se  reproduire  pendant  toute  ht  durée  ultérieure  des  dynasties  égyp- 
tiennes ,  ne  put  manquer  d'être  signalée  comme  un  événement  remarquable.  Aussi 
Théon  d'Alexandrie,  le  commentateur  de  Ptolémée,  la  désigne-t-il  comme  l'époque 
d'une  ère  spéciale ,  qu'il  appelle  Vhre  de  Ménophrès.  Malheureusement,  cette  dénomi- 
nation ne  spécifie  pas ,  pour  nous ,  le  prince  auquel  il  Tapplique ,  parce  qu'elle  parait 
n'exprimer  qu'une  épithète  qualificative,  le  serviteur  da  dieu  Phré,  qui  peut  avoir  été 
commune  à  plusieurs  pharaons.  Si  Ton  place  le  commencement  de  la  xix*  dynastie 


502  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

à  Tan  julien  •— 1889 ,  selon  rinterprétation  astronomique  que  j*ai  donnée  d*nn  mo- 
nument de  Thèbes,  ce  qui  est,  d'ailleurs,  une  évaluation  intermédiaire  entre  celles 
du  Syncelle  et  d*Ëusèbe ,  comme  le  premier  prince  de  cette  dynastie ,  Rbamsès  Se- 
thos,  ou  Meïamoun,  a  régné,  d'après  les  textes,  5i  ou  55  ans.  Tannée  iSaa,  con- 
séquemment  le  premier  ikot  qui  fut  de  nouveau  héliaque ,  a  du  arriver  sous  son 
successeur  direct,  Rliamscs  IV,  appelé  aussi  Rampsacès.  Selon  ce  même  calcul, 
l'addition  des  épagomènes  aurait  été  effectuée  vers  la  fin  de  la  xvir  dynastie,  ou 
tout  au  commencement  de  la  xviii*.  Il  serait  intéressant  de  chercher,  dans  les  mo- 
numents des  dynasties  précédentes ,  si  Ton  ne  retrouverait  pas  quélquç  indication 
des  thots  héliàques  qui  furent  si  fréquents  alors. 

Note  11.  G.  Syncelle,  Chrvnogr.  p.  laS  ou  p.  a33,  t.  I,  édit.  Dindorf. 

Note  12.  ChampoUion  le  jeune ,  dans  son  Panthéon  égyptien ,  pi.  Sy,  a  donné  une 
représentation  coloriée  du  dieu  Apis ,  tel  qu'il  l'a  trouvée  dans  un  riche  cercueil  de 
momie,  au  musée  de  Turin.  C'est  un  taureau  noir,  portant  le  disque  de  la  lune  entre 
ses  cornes,  et  orné  d'attributs  célestes.  Une  foule  d'auteurs  anciens  attestent  qu'A- 
pis était  consacré  à  cet  astre.  On  peut  en  voir  les  textes  cités  dans  le  Panthéon  égyp- 
tien de  Jablonski,  article  Apis. 

Note  13.  La  limite  de  2  5  ans ,  vague ,  fixée  à  la  vie  du  taureau  Apis ,  est  expresse^ 
ment  attestée  par  Plutarque  de  Iside  et  Osiride  LV.  Une  multitude  de  passages,  ras- 
semblés par  Jablonski  dans  son  Panlbéon  égyptien,  article  Apis,  expriment  égale- 
ment qu'il  y  avait  un  temps  fixé  par  les  rites,  après  lequel  on  le  mettait  à  mort 
s'il  n'était  pas  décédé  naturellement.  La  relation  de  celte  divinité  emblématique 
arrecf  année  vague  est  aussi  indiquée  par  les  cérénronîes  que  le  SchoHaste  de  Ger- 
maokua  inAratea,  rapporte  comme  ayant  été  usitées  lors  du  couronnement  des  rois 
égyptiens. 

Note  14.  FI.  Josèphe,  contra  Apionem  lib.  I,  chap.  xiv. 

Note  15;  G.  Syncelle,  Chrtm,  p.  63  ou  p.  1 17, 1. 1,  édit.  Dindorf. 

Note  16.  Eusèbe,  Chronicorum  can.  lib.  I,  cap.  xxi,  a,  p.  10g,  édit.  de  Mai  el 
Zohrab. 

Note  17.  G.  Syncelle,  Chran.  p.  6^  ou  p.  1 18, 1. 1",  édit."  Dindorf. 

Note  18.  G.  Syncelle,  Chron,  p.  68  ou  p.  127,  t.  1,  édit.  Dindorf.  Voyez  aussi 
p.  1 1 7, 1 28  de  la  même  édition ,  ou  le  premier  roi  de  la  XVIU*  dynastie  diospoli laine, 
Amosis',  appelé  aussi  Tethmosis,  est  présenté  comme  le  fils  légitime  d*Aseth.  G)n- 
sultez  enfin  le  passage  de  la  page  i23,  où  le  Syncelle  raconte  les  soins  qu'il  a  pris 
pour  rassembler  tous  les  documents  écrits  («Eraypa^dtf }  qui  pouvaient  servir  à  la 
construction  de  son  ouvrage. 

Note  19.  Suivant  le  Syncelle,  1. 1",  p.  253,  édit.  Dindorf,  le  roi  Aseth,  le  der- 
nier de  la  XVIP  d^astie  égyptienne  sous  lequel  furent  établis  les  épagomènes , 
commence  à  régner  en  Tau  du  monde 37 1 6 

Dans  le  même  système  de  chronoghiphie ,  t.  P*,  p.  383,  même  édition, 
le  commencement  du  règne' du  roi  chaldéen  Nabonassar  est  placé  eri  Tan 
du  itfonde ^7/17 

Diffi^renicie,  ouintervalk  écoulé  depidf  AMtk  josq«ftà'  Ndx)nfi$t*r:  ...    io3i 


AOUT  1843.  503 

Report  de  )a  différence io3i 

Distance  de  Nabonassar  à  Tère  chrétienne,  d* après  les  observations  chai- 

(iéennes,  rapportées  par  Ptolémée -747 


Somme  augmentée  deTunité,  ou  date  du  roi  Âseth,  antérieurement  à 
Tère  chrétienne,  d'après  le  Syncelle ^77^ 


Note  20.  J'avais  indiqué  cette  interprétation  dans  mes  Recherches  sur  Tannée 
vague  égyptienne ,  Mém.  de  VAcad.  des  Sciences,  t.  XIII,  p.  633,  et  je  Tavais  présentée 
dès  lors  comme  un  moyen  de  découvrir  des  dates  absolues  par  la  considération  des 
monuments  égyptiens ,  sur  lesquels  des.  cérémonies  attachées  à  des  phases  solaires 
définies  seraient  représentées  accompagnées  de  dates  vagues.  Je  1  ai  récemment 
reproduite  avec  plus  de  détails  dans  un  mémoire  lu  à  TAcadémie  des  inscriptions, 
mais  qui  n'est  pas  encore  imprimé.  La  révision  que  j'ai  dû  faire  pour  cela  de  m^s 
premiers  calculs  m'a  montré  que  la  coïncidence  rigoureuse  du  premier  pachon  vague 
avec  l'équinoxe  vemal  vrai  avait  eu  lieu  dans  Tannée  julienne — 1 389  des  chronolo- 
gistes ,  au  lieu  de  — ^^97*  que  j'avais  admise  d'abord  par  une  évaluation  approxi* 
mative.  Voici  les  éléments  de  cette  concordance. 

D'après  un  calcul  fait  par  M.  Largeteau ,  et  dont  j'ai  vérifié  l'exactitude ,  on  a , 
dans  1  année  julienne  --<i389  ^^  chronologistes  ; 

Equinoxe  vernal.vrai le  a  avril  à   i^*"  35'  24'"*  ^*™P'  "°2^*°  ■  ^■''* 

*■  oonpte  Mi  misait. 

On  a,  en  outre  :  ; 

Longitude  deThèbes  à  Test  de  Paris 

en  temps 2       1     o 


Donc  equinoxe  vernal  vrai  de  l'an 

—  1689  à  Thèbes le  2  avril  à  16'  36'  aA" 


L'année  —1689  ^^^  chronplogistes  est  bissextile.  Or,  pour  cette  même  année ,  les 
tables  de  concordance  placent  la  date  du  thot  vague  dans  le  calendrier  julien  ré- 
trograde au  5  août jour  a i8* 

Nous  avons  aussi ,  dans  la  même  année ,  l'équinoxe  vemal  vrai 
au  2  avril jour     93' 

Différence ,  ou  intervalle  compris  entre  l'équinove  vemal  et  le 
thot  suivant 126  jours. 


Or,  dans  une  année  égyptienne  composée  de  douie  mois  de  trente  jours ,  com- 
plétés par  cinq  épagomènes,  si  l'on  compte  continuement  les  joars  k  partir  du  i*^ 
du  mois  de  thot  qui  la  commence,  on  aura  : 

Rang  du  1"  de  thot  suivant jour  366* 

Rang  du  1"  de  pachon jour  24i' 

Donc  intervalle  du  1*  jour  de  pachon  au  1"  de  thot  suivant.  126  jours. 


Cet  intervalle  étant  le  même  que  nous  avons  trouvé  tout  à  Theure  entre  Téqui^ 
noze  vennal  vrai  et  le  1"  jour  de  tkok.db  r-âiinée  r-^iSS^*.  lorsqne  nous  ^ivon»  ex- 


504         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

primé  Tun  et  Tautrc  en  dates  juliennes,  on  voit  que,  dans  Tannée  égyptienne  cor- 
respondante à  celle-là,  Téquinoxe  vernal  vrai  a  coïncidé  avec  le  i"  jour  du  mois  de 
pachon  vague.  Cette  concordance  fixe  donc  la  date  absolue  de  Tannée  où  ou  Ta 
spécifiée  comme  existante  sur  le  monument  de  Meîamoun. 

Note  21.  Je  déduis  les  concordances  ici  mentionnées  des  nombres  mêmes  qui 
ont  été  adoptés  par  le  3yncelle  et  par  Eusébe  dans  leurs  chronographies  respectives. 

Selon  le  Syncclle,  1. 1,  p.  233,  édit.  Dindorf,  Amosis,  appelé  aussi  Thetmosis, 
le  premier  roi  de  la  xviii*  dynastie  égyptienne,  commence  son  règne  en  Tan  du 
monde 37^0 

Dans  la  même  chronographie,  p.  383,  le  commencement  du  roi  chai- 
déen  Nabonassar  est  placé  en  Tan  du  monde.  .  .  .*. 47^7 

Différence ,  ou  intervalle  du  commencement  de  la  xviii*  dynastie  à 
Nabonassar,  selon  le  Syncelle 1007 

Distance  du  commencement  de  Nabonassar  à  Tère  chrétienne,  diaprés 
les  observations  chaldéennes  rapportées  par  Ptolémée 7^7 

Somme  augmentée  de  Tunité,  ou  date  du  commencement  de  la  xyiii* 
dynastie  antérieurement  à  Tère  chrétienne  d'après  le  Syncelle 1765 

Voici  maintenant  le  même  calcul  effectué  d*après  la  chronique  d^Eusèbe.  J*em- 
ploie  les  nombres  rapportés  dans  Tédition  de  MM.  Mai  et  Zohrab. 

Commencement  ae  la  xviii'  dynastie  égyptienne,  p.  27^,  Tan  d*Âbra> 
ham • 394 

Commencement  du  règne  de  Philippe  Aridée,  p.  347 1693 

Différence ,  ou  intervalle  du  commencement  de  la  xviii*  dynastie  à 
Philippe  Aridée,  selon  Eusèbe 1399 

Dist^ce  du  commencement  de  Nabonassar  au  commencement  de 
Philippe  Aridée,  selon  le  canon  de  Ptolémée 4^5 

Donc  intervalle  du  commencement  de  la  xviii*  dynastie  à  Nabonas- 
sar, d*après  Eusèbe 974 

Distance  du  commencement  de  Nabonassar  à  Tère  chrétienne,  d'après 
les  observations  chaldéennes 747 

Somme  augmentée  do  Tunité,  ou  date  du  commencement  de  la  xviii*- 
dynastie  antérieurement  à  Tère  chrétienne 1722 

La  date  — 1 7^7 ,  qui  est  immédiatement  donnée  par  la  phase  solaire  représentée 
sur  le  monument  de  Rhamsès  Meîamoun ,  est  presque  exactement  intermédiaire 
entre  ces  deux  évaluations,  étant  de  18  ans  moins  éloignée  de  nous  que  la  première, 
et  de  i5  ans  plus  éloignée  que  la  seconde.  Cela  donnerait  lieu  de  penser  qu'elle' 
s'applique  à  la  première  année  du  règne  de  ce  prince,  et  qu'ainsi  sa  prise  de 
possession  solennelle  du  pschent  aurait  eu  lieu  cette  année-là  même.  Cela  n  a  rien 
que  de  vraisemblable ,  le  tableau  qui  retrace  cette  cérémonie  portant  seulement 
la  date  du  jour,  le  1*'  pachon,  sans  indication  d'année  de  règne;  contrairement  à 
ce  qui  se  voit  dans  le  même  palais  pour  tous  les  autres  taUeaux  relatifs  au  même 
prince,  lesquels  sont  la  plupart  datés  de  Tan  xvi. 

Note  22.  Pluluque  rapporte  celta  allégorie  dans  son  Traité  dlsis  el  d'Osiris.  EUé 


AOUT  1843.  505 

y  fait  suite  à  un  paragraphe ,  où  il  dit  qu'il  ne  faut  pas  prendre  les  mythes  égyptiens 
dans  leur  sens  apparent,  mais  s'attacher  au  sens  moral ,  qui  est  caché  sous  les  formes 

aui  les  expriment.  Après  avoir  donné  plusieurs  exemples  de  cette  double  signification, 
ajoute  celui-ci,  S  Ail  :  t  Selon  ce  que  disent  les  Égyptiens,  la  déesse  Rhéa  eut  un 
«  commerce  secret  avec  le  dieu  Kronos.  Le  Soleil,  ayant  découvert  ce  fait,  jura  qu'elle 
«  n'accoucherait  dans  aucun  mois ,  ni  dans  aucune  année.  Mais  Hermès ,  épris  d'a- 
«  mour  pour  Rhéa ,  se  joignit  à  elle;  et,  ayant  joué  aux  dés  avec  la  Lune,  il  lui  gagna 
«  la  70*  partie  de  chacune  de  ses  périodes  lumineuses ,  desquelles  parties  rassem- 
«hlées  il  composa  cinq  jours,  qu'u  ajouta  aux  36o  de  l'année.  Ces  cinq  jours  sont, 
«pour  ce  motif,  appelés  par  les  Egyptiens  épagomènes,  et  on  les  célèbre  comme 
«  étant  ceux  de  la  naissance  des  dieux.  >  En  effet ,  Plutarque  explique  ensuite  que ,  dans 
ces  cinq  jours,  Rhéa  mit  successivement  au  monde  Osiris ,  Aroueris,  Typhon ,  Isis  et 
Nepthis.  Pour  comprendre  cette  allégorie,  il  Ùluï  se  rappeler  quelles  étaient,  dans 
les  idées  égyptiennes,  les  attributions  des  personnages  divins  qui  y  sont  nommés, 
autant,  du  moins,  que  nous  pouvons  aujourd'hui  les  saisir  à  travers  les  versions 
grecques  qui  nous  les  ont  transmises ,  en  nous  aidant  du  petit  nombre  de  documents 
originaux  que  Champollion  a  pu  réunir  et  discuter  dans  son  Panthéon  égyptien.  Le 
Kronos  dont  il  est  question  ici  est  un  dieu  du  second  ordre,  qui  préside  au  temps  ; 
et  le  crocodile ,  emblème  du  temps ,  est  son  symbole.  Rhéa ,  sa  sœur,  est  une  autre 
divinité  tiu  même  ordre,  caractérisée,  suivant  ChampolUon,  comme  la  génératrice 
des  dieux.  Mais  Tidentilication  qu'il  en  a  faite  avec  la  Naphté  ou  Nephté  égyptienne , 
étant  presque  uniquement  établie  sur  cette  spécialité  de  titre,  pourrait  paraître 
moins  certaine  que  la  précédente.  L'Hermès,  qui  complète  l'action,  est  défini  indu- 
bitablement par  ses  rapports  mythiques  avec  la  Lune ,  qu'une  foule  de  monuments 
retracent.  C'est  aussi  un  dieu  du  second  ordre,  appelé  le  second  Hermès,  ou  Thot, 
deux  fois  grand,  que  Platon ,  vers  la  fin  du  dialogue  intitulé  Phèdre,  désigne  comme 
ayant  inventé  les  nombres,  le  calcul,  la  géométrie,  l'astronomie,  l'écriture  par 
4ettreâ,  et  deux  sortes  de  jeux  de  combinaisons  qui  se  jouaient  avec  les  dés ,  irrrrc/o» 
xai  xv^eiaç.  Son  domicile  céleste,  au  dire  de  Plutarque  (de  Iside  et  Osiride,  xli)< 
était  dans  la  lune;  et  les  monuments  le  représentent  toujours  en  relation  avec  tes 
phases  de  cet  astre,  soit,  sous  l'emblème  d'un  cynocéphale,  associé  au  disque  lu- 
naire, cet  animal  étant  supposé  sensible  aux  influences  de  la  lune;  soit,  sous  une 
forme  humaine ,  avec  une  tète  d'ibis;  ou  enûn  symboliquement,  sous  la  forme  d'un 
ibis  ayant  les  deux  extrémités  du  corps  noires,  fe  milieu  blanc,  ce  qui  correspond 
évidemment  à  l'état  de  la  lune  aux  deux  termes  de  sa  révolution  mensuelle  et  à  ses 
phases  intermédiaires.  Pour  appliquer  ces  diverses  attributions  mythiques  à  la  tra- 
dition allégorique  rapportée  par  Plutarque,  il  but  considérer  que,  dans  les  temps 
primitifs  où  les  Égyptiens  adoptèrent  l'année  vague  de  36o  jours,  les  périodes  des 
lunaisons  durent  d'abord  être  approximativement  égalées  à  un  mois  solaire  de 
3o  jours  complets.  Mais  l'erreur  de  celte  évaluation,  très-embarrassante  pour  les 
euples  qui  voulurent  régler  leur  calendrier,  en  accordant  les  mouvements  de 
a  lune  avec  ceux  du  soleil,  n'avait  aucun  inconvénient  pour  les  Égyptiens;  car, 
laissant  leur  année  vague  suivre  librement  sa  marche  propre,  ils  avaient  seulement 
à  constater  le  cours  naturel  des  deux  astres  dans  la  série  des  jours ,  non  à  les  con- 
cilier. Toutefois,  lorsque,  après  un  long  usage  de  celte  année  primitive,  ils  voulurent 
y  ajouter  cinq  jours,  probablement  pour  la  rapprocher  davantage  de  l'année  solaire  , 
ils  avaient  eu  tout  le  temps  àe  voir  qu'il  (allait  diminuer  la  durée  supposée  des 
lunaisons.  C'est  aussi  ce  que  fait  Hermès.  Car  d'abord  il  ôte  k  chacune  d'elles  S9i 
70'  partie,  ou  4  de  jour,  ce  qui  la  réduit  à  29^,57,  au  lieu  de  2^^bi ,  qui  est  sa  va- 

64      " 


î. 


506  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

leur  morenne  exacte.  Paii ,  de  ces  \  répétés  1 2  Cois ,  c  est-à^re  aaUnt  quH  y  a  de 
loiittsons  complèlea  dans  36o  jours,  'û  forme  âne  s^mune  égale  à  ^,  ou  5^,i4,  dont 
H  prend  seulement  ciiU|  jours  pleins,  qa*il  ajoute  aux  36o  dga  employés.  Or  ees 
jours  nouTeanx  ne  purent  être  placés  qa  a  la  suite  des  S60 ,  comme  ils  le  furent 
Car  déjà  ,  dans  la  notation  de  Tannée  pranitire,  tous  ceux-ci  avaient  été  a£Eectés  à 
des  dieux  spéciaux  qui  se  succédoieni  suivant  un  ofdrt  constant  dans  le  cours  de 
chaque  mois;  et  Ton  n'aurait  pas  pu,  sans  rompre  irréguUèrament cette  succession , 
insérer  parmi  eoi  les  cinq  nouveaux  jours  «me  la  déesse  Rhéa  devait  produire.  D 
était  donc  très-exact  de  dire  que,  en  vertu  du  décret  irrévocable  du  dieu  Soleil,  par 
lequel  les  douze  mois  étaient  déjà  réglés,  Rhéa  ne  pouvait  enfanter  ces  cinq  jours 
dans  aucun  mois,  ni  dans  aucune  année  de  la  forme  adoptée  jusque-là;  mais  on 
put  les  [riacer  hors  de  ces  mois  et  à  leur  suite,  en  les  sanctinant  ocnnme  époques  de 
naissance  de  cinq  divinités  qui  n'avaient  pas  encore  reçu  d'emploi  analogue.  Cela 
n'implique  nullement  que  ces  cinq  dieux,  qui  sont  au  nombre  des  plus  anciens  de 
la  mythologie  égyptienne ,  aient  dû  effectivement  être  nés  ou  inventés  à  une  époque 
historique  aussi  tardive  que  celle  où  l'on  ajouta  les  épagomènAs.  Gir.  même  en  admets 
tant  que  cette  particularité  de  la  tradition  ne  soit  pas  résultée  d'une  interprétation 
postérieure,  ce  qui  serait  fort  possible,  l'incarnation  terrestre  des  cinq  dieux  put 
être  actuellement  rapportée  aux  cinq  jours,  ou  l'être  commémorativement^  leurs 
anak^es  antérieurs  dans  les  révolutions  rétrogrades  de  l'année  nouvelle  ;^ie  même 
qu'en  exaltant  le  mérite  de  Tannée  julienne  Censorin  déclare  que,  si  le  commen- 
cement du  monde  était  connu,  il  faudrait  y  reporter  Torigine  de  ce  mode  de 
oomputation  des  temps.  On  ne  doit  pas  non  plus  se  trop  scandaliser  de  ce  que  le 
cdcul  d'Hermès  rapporté  par  IHutarque  laisse,  ou  £eisse  supposer,  dans  la  durée  des 
lunaisons  moyennes  une  erreur  de  777  de  jour.  Car,  même  après  les  détermina- 
tions d'Hipparque  et  de  Ptolémée,  Censorin  avoue  que,  de  son  temps,  on  ne  savait 
pas  encore  au  juste  de  combien  un  mois  lunaire  est  moindre  que  3o  jours.  £1, 
pour  les  Egyptiens  surtout,  l'usage  de  leur  année  vague  leur  rendait  l'exactitude 
de  cette  connaissance  anticipée  à  peu  près  indifférente,  puisqu'ils  voyaient  toujours 
bien,  par  l'observation  même,  à  quel  jour  chaque  phase  lunaire  se  reproduisait. 
Toutefois,  lorsqu'ils  eurent  adopté  Tannée  de  365  jours,  ils  durent  bientôt  recon- 
naître de  cette  manière,  s'ils  ne  l'avaient  pas  prévu,  que  ces  phases  revenaient  aux 
jours  de  même  dénomination  après  a5  années  pareilles.  Et  aussi  est<>ce  là  le  terme 
qu'il  s  fixèrent  à  la  durée  de  la  vie  symbolique  de  leur  dieu  Apis;  dont  le  culte  ne 
put  être  établi ,  ou  modifié  par  cette  particularité  de  mythe,  qu'après  l'établissement 
de  la  nouvelle  forme  d'année.  Mais,  antérieurement  à  Apis,  ils  avaient  déifié,  sous 
le  nom  de  Mnévis,  un  autre  taureau  qui  avait  son  temple  à  Héliopolis.  Les  auteurs 
anciens  s'accordent  à  dire  qu'il  était  consacré  au  soleil;  toutefois,  plusieurs  détails 
qu'ils  rapportent  paraissent  indiquer  que  ce  mythe,  comme  celui  d'Apis,  s*  appliquait 
spécialement  aux  relations  du  soleil  avec  la  lune  dans  les  conjonctions,  et  les 
éclipses  où  elle  perd  sa  lumière.  En  effet.  Porphyre  cité  par  Eusèbe  [Prœp.  evang. 
lib.  in,  ch.  XIII )  et  Plutarque  (de  Iside  et  Osiride)  attestent  que  Mnévis  était  aussi 
de  couleur  noire.  Plutarque  ajoute  qu'on  le  considérait  comme  le  père  d'Apis,  et 
que  le  nombre  2  5 ,  qui  exprimait  la  somme  des  années  de  la  vie  d'Apis ,  se  forme 
en  multipliant  par  lui-même  le  nombre  5 ,  qui  est  à  la  fois  mâle  et  femelle.  Tout  cela 
doit  faire  présumer  que  la  durée  de  la  vie  de  Mnévis  était  fixée  à  cinq  années  de 
la  forme  primitive.  C'est  aussi  la  jdus  simple  période  qui  ramène  les  phases  lu- 
naires à  un  jour  de  même  dénomination  dans  une  année  vague  de  36o  jours.  L'erreur 
de  cette  période  e^t  moindre  que  1^  {>;  et  ainsi  die  Ibtmiijisait  «me  approximation 


AOUT  1843.  507 

qui  a  pu  d*abord  suffire,  surtout  aux  Egyptiens,  que  la  libre  circulation  de  leur 
année  dans  Tannée  solaire  exemptait  du  besoin  de  prévisions  {dus  précises,  au  moins 
dans  les  anciens  temps. 

Note  23.  Ces  diverses  évaluations  sont  démontrées  numériquement  dans  la 
note  10. 

Note  24.  Recherches  sur  I*année  vague  égyptienne ,  Mémoire  de  V Académie  des 
sciences,  t.  XŒ,  p.  689  et  suivantes. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


INSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE. 

ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES -LETTRES. 

L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  a  tenu ,  le  vendredi  1 1  août,  sa  séafice 
publique  annuelle,  sous  la  présidence  de  M.  le  comte  Beugnot.  Après  Tannonce 
des  prix  décernes  et  des  sujets  de  prix  proposés,  M.  Lenormant  a  lu  un  rapport  sur 
les  mémoires  envoyés  au  concours  relatif  aux  antiquités  de  la  France  ;  M.  Walc- 
kenaer,  secrétaire  perpétuel ,  une  notice  historique  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de 
Louis  Dupny ,  et  M.  Vitet,  un  rapport  sur  les  ouvrages  envoyés  au  concours  des 
prix  extraordinaires  fondés  par  M.  le  baron  Gobert.  L*heure  avancée  n'a  pas  per- 
mis d'entendre  la  lecture  de  Vextrait  d'un  mémoire  de  M.  Quatremère  sur  les  asiles 
chez  les  Orientaux,  et  d*un  mémoire  de  M.  deSaulcy  sur  les  monuments  de  la  langue 
phénicienne. 

Voici  les  résultats  du  concoure  et  les  sujets  de  prix  proposés  : 

JUGEMENT  DES  CONCOURS. 

L'Académie,  dans  sa  séance  annuelle  de  i84ii  avait  prorogé,  jusqu'au  1"  avrS 
1843,  le  concours  ouvert  sur  cette  question  :  t  Rechercher  quelles  furent,  chez  les 
Romains,  depuis  le  tribunal  des  Gracques  jusqu'au  règne  d'Adrien  inclusivement, 
la  composition  des  tribunaux  et  l'administration  de  la  justice,  en  ce  qui  concernait 
les  crimes  et  délits  commis  par  les  magistrats  et  officiers  publics  de  tout  ordre.  •  Ce 
prix  a  été  décerné  à  M.  Edouard  Laboulaye.  Le  mémoire  inscrit  sous  le  n"*  1  a  été 
jugé  digne  d'une  mention  très-honorable. 

L'Académie  avait  aussi  proposé  pour  éujet  d'un  prix  à  décerner  dans  sa  séance  de 
i8â3  :  «  L*Histoire  de  Chypre  sous  le  règne  des  princes  de  la  maison  de  Lnsignan.  » 
Le  prix  a  été  obtenu  par  M.  Mas-Latrie.  L'Académie  a  accordé  un  second  prix,  dont 
M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  a  bien  voulu  &ire  ks  fonds,  au  mémoire 
n"*  2  ,  dont  les  auteurs  sont  MM.  Théofrfiile  Roussel  et  Eugène  de  Rosière. 

64. 


508  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Dans  saséaooede  iSSg,  T Académie  araii  pit^xMé,  pour  sujet  d*iin  prix  à  décer- 
ner en  1 84 1,  la  aoettiOD  suivante  :  «  Recherdier  l'origine,  les  émigrations  et  la  suc- 
cession des  peuples  qui  ont  habile  au  nord  de  la  mer  Noire  et  de  la  mer  Caspienne, 
depuis  le  troisième  siedejusqu  à  la  un  du  onzième;  déterminer,  le  plus  précisément 
qu  il  sera  possîMe, Fétendue  des  contrées  que  chacun  d*eux  a  occupées  a  différentes 
époques  ;  examiner  s*ils  peuvent  se  rattacher,  en  tout  ou  en  partie ,  à  qudques-unes 
dfes  nations  actuellement  existantes  ;  fixer  la  série  chronologique  des  diverses  inva- 
sions que  ces  nations  ont  faites  en  Europe.  •  L* Académie  ayant  trouvé  que ,  dans  les 
mémoires  qui  lui  furent  envoyés,  la  question  n*avait  pas  été  traitée  d*une  manière 
assez  spéciale  ni  suffisamment  approfondie,  prorogea  ce  concours  jusqu'au  i"  avril 
i843.  Ellle  n*a  reçu,  cette  année,  qu'un  seul  mémoire,  qui,  par  les  raisons  ci-dessus 
exprimées,  n*a  pas  été  jugé  digne  du  prix.  L'importance  de  la  question  a  déterminé 
l'Académie  à  proroger  encore  ce  concours  jusqu'au  i*  avril  i845.  Le  prix  est  une 
médaille  de  la  valeur  de  2,000  francs. 

Pris  de  numismatique.  Le  prix  de  numismatique  fondé  par  feu  M.  Allier  d'Hau- 
teroche  n'a  point  été  décerné  cette  année. 

Antiquités  de  la  France.  L'Académie  a  décerné  la  première  luédaille  à  M.  Teulet , 
éditeur-traducteur  et  commentateur  des  CEuvres  complètes  dCEginhard;  la  seconde 
médaille  à  M.  Gamier,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Chartes  boarquignonnes  inédites  des 
vtti' ,  tx",  x'  et  II'  siècles;  la  troisième  médaille  à  MM.  Martin  et  Cahier  pour 
leur  ouvrage  sur  les  vitraux  de  la  cathédrale  de  Bourges.  L'Académie  a  regretté  de 
n*avoir  pas  une  quatrième  médaille  à  partager  ex  œquo  entre  MM.  Germain  et 
Loui&  Paris,  l'un  auteur  d'une  Histoire  de  l'égUse  de  Nîmes,  et  l'autre  d'un  ouvrage 
intitulé.  Les  toiles  peintes  et  tapisseries  de  la  ville  de  Reims,  ou  la  mise  en  scène  du 
théâtre  des  confrères  de  la  Passion.  Elle  a  accordé  des  mentions  très-honorables  à 
M.  Cassany  Mazet,  pour  son  Histoire  de  Villeneuve-sur'Lot ,  et  à  M.  Péremet,  pour 
son  ouvrage  manuscrit  sur  les  temples  chrétiens  primitif,  et  des  mentions  honorables 
à  M.  Pistollel  de  Sainfc-Ferjeux  pour  ses  Recherches  historiques  et  statistiques  sur  les 
principales  communes  de  V arrondissement  de  Langres,  1  vol.  in-8*;  à  M.  A.  Bernard, 
pour  les  Procès-verbaux  des  États  généraux  de  1593  »  1  vol.  in-4*  ;  à  M.  Cartier,  au- 
teur de  différents  mémoires  sur  \  Histoire  du  château  et  de  la  ville  d'Amboise  ;  à 
M.  l'abbé  Texier,  pour  son  Essai  historique  et  descriptif  sur  les  argentiers  de  Limoges, 
manuscrit  ;  et  à  M.  Henry  pour  le  Guide  en  Roussillon ,  in-8*. 

Prix  extraordinaires  fondés  par  M.  le  baron  Gobert  pour  le  travail  le  plus  savant 
ou  le  plus  profond  sur  l'histoire  de  France  et  les  études  qui  s'y  rattachent.  L'Aca- 
démie a  décerné  le  premier  de  ces  prix  à  M.  Floquet,  pour  son  Histoire  du  Parlement 
de  Normandie,  et  décidé  que  M.  Montcil  serait  maintenu  dans  la  possession  du  se- 
cond prix,  qui  lui  a  été  décerné  en  i84o. 

PRIX  PROPOSAS  POUR  l8d4ET  i8d5. 

L'Académie  rappelle  qu'elle  a  proposé,  pour  sujet  du  prix  ordinaire  à  décerner  en 
i8â4«  la  question  suivante:  «Tracer  l'histoire  des  guerres  qui,  depuis  l'empereur 
Gordien  jusqu'à  l'invasion  des  Arabes,  eurent  lieu  entre  les  Romains  et  les  rois  de 
Perse  de  la  dynastie  des  Sassanides,  et  dont  fut  le  théâtre  le  bassin  de  TEuphrate  et 
du  Tigre,  depuis  l'Oronte  jusqu'en  Médie,  entre Erzeroum  au  nord,  Ctésiphon  et  Pé- 
tra  au  sud.  p  Le  prix  est  une  médaille  de  a,oao  francs. 


AOUT  1843.  509 

L*Âcadéinie  propose,  pour  sujet  du  prix  ordinaire  de  1 845  :«  Uexamen  critique  des 
historiens  de  Constantin  le  Grand ,  comparés  aux  divers  monuments  de  son  règne.  • 
Le  prix  est  une  médaille  de  2  ,ooo  francs. 

Le  prix  annuel,  pour  lequel  M.  Allier  de  Hautcroche  a  légué  à  T Académie  une 
rente  de  4oo  francs,  sera  décerné,  en  i844t  au  meilleur  ouvrage  de  numismatique 
qui  aura  été  publié  depuis  le  i*' avril  i843  et  déposé  au  secrétariat  de  Tlnstitut  avant 
le  i"  avril  i844. 

Trois  médailles,  delà  valeur  de  5oo  francs  chacune ,  seront  décernées,  en  i84A* 
aux  meilleurs  ouvrages  sur  les  antiquités  de  la  France  qui  auront  été  déposés  au  se- 
crétariat de  rinstitut  avant  le  i"  mai  i84â- 

Au  i''  avril  i844«  T Académie  s'occupera  de  Texamen  des  ouvrages  qui  auront 
paru  depuis  le  i"  avril  i843«  et  qui  pourront  concourir  aux  prix  annuels  fondés  par 
M.  le  baron  Gobert.  Six  exen^plaires  de  chacun  des  ouvrages  présentés  à  ce  concours 
devront  être  déposés  au  secrétariat  de  FJnstitut  avant  le  i*'  avril  i843  et  ne  seront 
pas  rendus.  (Pour  les  autres  conditions  du  concours,  voir  nos  cahiers  d*août  i838 
et  septembre  iSiio.) 


M.  le  marquis  de  Fortia  d*Urban ,  membre  libre  de  l'Académie  des  inscriptions  et 
belles-lettres,  est  mort  à  Paris,  le  4  août. 

ACADÉMIE   DES  SCIENCES. 

Dans  sa  séance  du  lo  juillet,  TAcadémie  des  sciences  a  élu  M.  Binet  à  la  place 
vacante  dans  son  sein  par  le  décès  de  M.  Lacroix. 

ACADÉMIE  DES  BEAUX-ARTS. 

M.  Cortot,  membre  de  TAcadémie  des  beaux-arts,  est  mort  à  Paris,  le  la  août. 


SOCIETES  SAVANTES. 

La  société  des  antiquaires  de  la  Morinie,  à  Sainl-Omer,  décernera  une  médaille  d'or 
de  la  valeur  de  5oo  francs  au  meilleur  mémoire  présenté  avant  le  i*'  octobre  i8àà  t 
sur  un  sujet  important  d'histoire ,  de  géographie  on  d*archéologie ,  relatif  à  la  Mo- 
rinie, pendant  Tépoque  dite  du  moyen  âge  (de  5oo  à  i5oo).  La  société  verrait 
avec  plaisir,  sans  pourtant  en  faire  une  condition  obligatoire,  que  Ton  traitât  (2e  la 
géographie  de  la  Morinie  sous  Charlemacfne. 

Les  mémoires  devront  être  adressés  à  M.  de  Givenchy,  secrétaire  perpétuel  de  la 
société,  à  Saint-Omer. 

La  société  libre  d'agriculture,  sciences,  arts  et  belles-lettres,  du ' département  de 


p 


5tO  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

l'Eure  a  ouvert  nn  concours  pour  le  uieilleur  Mémoire  tar  Ut  vie  et  Ui  Inaïaaj:  de 
M.  Julet  de  Bhitmiille,  commandant  de  la  Chearetle,  perdu  avec  boq  bâliment  dans 
on  voyage  aux  mers  bon^'dea.  Ce  concours  sera  ferm^  le  i5  mai  i8ââ. 

L' Académie liei  jeuxjlomix,  àe  Toulouse,  propose,  enire  autres  sujet»  de  prix, 
pour  le  concours  de  i84A.  l'Éîoge  de  Dante  Alighieri.  Ce  prix  sera  t'êçlanline  d'or, 
dont  la  valeur  est  de  iSo  francs.  Le  lermedu  concours  est  fixé  au  i5  février  i844. 
Les  concurrents  devront  adresser  trois  copies  de  leur  ouvrage  à  M.  1«  vicomte  de 
Panai .  secrétaire  perpétuel  Je  l'Acadëinie .  à  Toulouse. 

ACADÉMIES  ÉTRANGÈRES. 

L'Académie  royale  des  seiencei  et  belles-le tiret  de  Braxellm  a  ajouté  la  queilion 
suîvanic  à  celtes  qu'elle  a  mises  au  concours  pour  l'année  i8â^<  et  dont  nous  avons 
publié  le  programme  dans  notre  cahier  de  septembre  iS^a  (p.  571)  :  «Les  ducs  et 
comtes  qui  ont  rëgné  en  Belgique,  des  cvëques,  des  seigneurs  particuliers  et  des 
corporations  religieuses,  ont  battu  monnaie,  tantôt  au  nom  deleurt  lur.erains  et  au 
leur,  tantôt. en  leur  propre  nom  seulennenl.  On  demande  vers  quelle  époque  ils  ont 
commencé,  dans  chaque  localité,  à  battre  des  monnaies,  tant  en  or  qu'en  argent, 
et  comment  ils  aonl  parvenas  à  exercer  ce  droit.  ■ 

L'Académie  décernera,  en  i8i5 ,  le  prix  extraordinaire  de  3, 000  francs  accordé 
par  le  Gouvernement  pour  la  meilleure  Uisloire  da  règne  d'Albert  et  I$abelle.  Nous 
en  avons  donné  le  programme  dans  notre  caliier  de  mai  18A1.  p.  3i3. 

La  même  Académie  propose ,  pour  le  concours  ordinaire  de  1 8^5 .  les  questions 
suivantes  :  i'  Quelles  ont  été ,  jusqu'à  l'avènement  de  Char!  es -Quint,  les  relations 
politiques  et  commerciales  des  Belges  avec  l'Angleterre? 

3°  Comment,  avant  le  règne  de  Cliaries^Quinl,  le  pouvoir  judiciaire  a-l-il  été 
everce  en  Belgique?  Quels  étaient  l'organisation  des  dilTèrents  tribunaux,  les  de- 
grés de  juridiction,  les  lois  ou  la  jurisprudence  d'aj^rés  lesquelles  ils  prononçaient? 

3°  Faire  un  exposé  raisonné  lies  systèmes  qui  ont  été  proposés  pour  former  l'é- 
ducation intellectuelle  et  morale  des  sourds  -  m  ue  Is  ^  établir  un  parallèle  entre  les 
principales  institutions  ouvertes  à  ces  infortunés  dans  les  différents  pays,  en  expo- 
sant les  divers  objets  de  l'enseignement,  les  moyens  d'instruction  employés ,  le 
degré  d'extension  donné  a  l'application  de  ces  moyens  dans  chaque  institution ,  et 
enfin  déterminer,  d'après  un  eiamen  composé  de  ces  moyens  d'enseignement,  ceux 
auxquels  on  doit  ta  préférence. 

Le  travail  des  concurrents  devra  être  envoyé ,  avant  le  1  "  février  1 8i5 ,  ù  M.  Que 
lelet.  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie. 

LIVRES   NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Ramayana,  poema  indiano  di  Valmici .  testo  sanscrito  seconde  i  codici  manos- 
critti  délia  scuola  Gaudana .  per  Gaspare  Gorresio,  socio  délia  R.  Accademia  délie 


AOUT   1H43. 


511 


scienu  di  Torino.  Tome  I".  Pmis;  imprimé,  par  autorisalioii  du  garde  des  steanx 
de  France,  a  l'Imprimerie  royale,  i843,  in-8'  de  ckliii-364  pages,  —  L'épopée 
connue  sous  le  DOm  de  liamayana  occupe,  dans  la  littérature  sanscrile,  le  même 
rang  que  les  poèmes  d'flooitre  dans  la  lilléralure  grecque.  U  existe  de  ce  grand 
ouvrage  deux  principales  leçons  ou  rédactions  ;  l'une  recueillie  dans  la  partie  cen- 
trale du  Bengale  appelée  Gauda,el  que  M. Gorrcsio  nomme,  pour  celle  raison,  nceii- 
tio  Gaadana;  i'ûulre  impropremeni  appelée  version  des  comnitalatears ,  composée  dans 
le  nord  de  l'Inde,  et  à  laquelle  i)  applique  la  dénomination  de  leçon  laptentrioiiale.  Les 
deux  premiers  livres  du  Kamayana  et  le  commencement  du  Iroiaiéme  ont  élc  publiés 
dans  l'Inde  par  Guillaume  Carey  et  Josua  Mnrshman,  avec  une  traduclion  anglaise, 
(âerampore,  1806-1810,  4  vol.)  Mais  cette  édition  incomplète  est  très-défectueuse 
sous  tous  le»  rapports.  Le  savant  M.  G.  deSchle^ela  aussi  donné  au  public,  de  1839 
à  1 838.  les  deux  premiers  livres  de  ce  poëme.  d'après  le  texte  septentrionid.  avec  une 
traduction  latine  du  premier  livre  seulement.  M.  Gorresio  entreprend  aujourd'hui , 
Atius  la  pnilectton  et  avec  l'encouragement  du  roi  de  Sardaigne,  de  publier  le  texte 
complet  du  Ramavana  d'après  la  leçon  du  Bengale.  Le  volume  qu'u  vient  de  l'aire 
paraître  comprend  le  texte  du  premier  livre,  précédé  d'une  pi'emièrc  introduction . 
où  le  savant  éiliteur.  après  des  réflexions  sur  l'importani^e  de  l'ouvrage  qu'il  publie 
et  une  analyse  succincte  du  premier  et  du  second  livre,  développe  le.'*  motifs  qui 
lui  ont  fait  préférer  le  texte  bcngalique  au  texte  septentrional,  cl  cnumère  les  ma- 
nuscrits de  Paris  et  de  Londres  dont  il  a  Tnil  usage.  L'appréciation  complète  du 
poème,  les  recherches  et  les  questions  de  critique  qui  s'y  rattachent,  seront  l'objet 
d'une  introduction  plus  ample,  qui  accompagnera  la  traduction  italienne  dont 
M.  Gorresio  doit  faire  suivre  le  texte  sanscrit-  Cette  grande  publication ,  sur  laquelle 
nous  nous  proposons  de  revenir,  est  exécutée  avec  un  soin  tout  à  fait  digne  du 
haut  encouragement  qu'elle  a  obtenu,  et  peut  être  mise  au  rang  dpi  plus  magni- 
liquea  et  des  plus  excellents  produits  de  l'ImprimcHe  rovale. 

Voyage  iiatoiirdu  mande,  entrepris,  par  ordre  du  roi.  sous  le miiûstei-eet  Loiifor- 
mément  aux  instructions  de  S.  Êic.  M.  le  vicomte  Duboucljage.  secrétaire  d'Étal 
au  département  de  la  marine,  exécuté  sur  les  corvettes  de  Sa  Milité  l'Lrauie  et 
la  Physicienne,  pendant  les  années  1817,  1818.  181a  et  i8ao;  publié  ïoub  les 
auspices  de  M.  l'amiral  Duperré,  ministre  secrétaire  d'Etal  de  la  marine  et  des  co- 
lonies, par  M.  Ixiuis  de  Freycinet,  capitaine  de  vaisseau  ,  etc.  cummandanl  de  l'ex- 
pédition. Paris,  Imprimerie  royale,  in-i"  de  vjii-34a  pages,  avec  une  carte.  —  Ce 
volume  contient  la  partie  du  voy»^e  de  l'Uranie  relative  au  magnélisme  terreitre.  Il 
est  précédé  d'un  avertissement  daté  du  taoU  d'août  iS&a,  et  dans  lequel  M.  de 
h'reycinet  annonce  U  prochaine  publication  des  livraisons  qui  restent  à  paraltrt 
pour  compléter  ce  grand  ouvrage.  Les  parties  non  encore  publiées  sont  la  meleo- 
rùlogie  et  les  racbei-ches  sur  les  liiiigues. 

Recaeit  de  VAcaAémie  des  Jena:  jloraiix ,  Î8I1S.  Toulouse,  imprimerie  de  .1.  M. 
Uouladourc.  i8û3-  —  On  trouve  dans  ce  volume,  après  la  liste  des  membres  de 
l'Académie  des  jeux  floraux  et  le  programme  du  concours  de  i8iâ,  vingt  et  un 
morceaux  de  poésie  qui  ont  été  couronnés,  celte  année,  par  l'Académie,  ou  pré- 
sentes à  ses  concours.  Viennent  ensuite  le*  éloges  des  membres  que  l'Académie  a 
perdus  pendant  l'année,  et  le»  discours  de  réception  prononcés  par  leur»  succw- 


512  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


ANGLETERRE. 

An  encYclopœdia Ënc>'clopédie  historique,  théorique  et  pratique,  de  Tar- 

cKitecture,  par  J.  Gwilt.  Londres,  Longman,  iSà^,  in-S**  de  i  loo  pages,  avec  plus 
de  looo  gravures  sur  bois. 

A  dictionary  ofpractical  medicine ....  Dictionnaire  de  médecine  pratique ,  com- 
prenant la  pathologie  générale,  la  nature  et  le  traitement  des  maladies,  etc.  par 
James  G)pland.  Londres  ,  Longman,  i84ti ,  in-8^. 

Bibliotheca  Grenvilliana,  or  bibliographical  notices. .  . .  Bibliotheca  Grenvilliana , 
ou  notices  bibliographiques  des  livres  rares  et  curieux  de  la  bibliothèque  de  sir 
Thomas  GrenvîJle,  par  J.  T.  Payne  et  ?L  Foss.  Londres,  librairie  de  Payne  et  Foss , 
i84a,  2  vol.  in-8'. 

BELGIQUE. 

Mémoires  couronnés  et  mémoires  des  savants  étrangers,  publiés  par  T Académie  royale 
de  Bruxelles.  Tome  XV,  2*  partie,  i84i-i8iia.  Bruxelles,  Ha^ez,  i843,  in-4*. 

Histoire  politique,  civile  et  monumentale  de  la  ville  de  Bruxelles,  par  MM.  Alex. 
Henné  et  Alph.  Wauters.  Bruxelles,  i843,  in-8*.  —  La  commission  royale  d'his- 
toire de  Belgique  a  décerné  à  cet  ouvrage  le  pnx  offert  par  M.  le  prince  de  Ligne. 

Rapport  à  M.  le  ministre  de  l'intérieur  sur  les  documents  concernant  l'histoire  de  la 
Belgique,  qui  existent  dans  les  dépôts  littéraires  de  Dijon  et  de  Paris,  par  M.  Gachard. 
1"  partie,  archives  de  Dijon.  Bruxelles,  i843,  in-8'. 

Rapport  adressé  à  M.  le  ministre  de  l'intérieur  au  sujet  du  manuscrit  de  la  paraphrase 
qrecque  de  Théophile,  déposé  à  la  bibliothèque  royale  des  ducs  de  Bourgogne,  par 
M.  Ph.  Bernard.  Bruxelles,  i843,  in-8'*. 

Description  des  fossiles  qui  se  trouvent  dans  le  terrain  houiller  et  dans  le  système  du 
terrain  anthraxifire  de  la  Belgique,  par  M.  L.  de  Koninck.  Liège,  1 84^-1 843 ,  in-V. 
—  Se  publie  par  livraisons. 


TABLE. 


Revue  des  éditions  de  Baffon  (4*  article  de  M.  Flourena) Page  449 

Explication  de  trois  inscriptions  grecques  trouvées  à  Philes,  en  Egypte  (2*  article 

de  M.  Letronne) 457 

Géographie  d'Edrisi,  traduite  de  Tarabe  en  français  par  M.  P.  Amédée  Jaubert 

(2*  article  de  M.  Quatremère) 468 

Tables  pour  le  calcul  des  syxygies  écUptiques  et  non  écliptiques ,  par  M.  Large- 

teau  {2*  arlide  de  M.  Biot) !..  481 

Nouvelles  littéraires 507 

Pm   DE   LA   TABLE. 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


SEPTEMBRE   1843. 


SvR  un  Traité  arabe  relatif  à  Vastronomie. 

PREMIER    ARTICLE. 

Il  y  a  quelques  années  qu'on  publia,  dans  le  Journal  de  la  société 
asiatique  de  Paris ,  un  document  qui  semblait  avoir,  pour  l'histoire  des 
sciences,  des  conséquences  aussi  importantes  qu'inattendues.  C'était 
un  chapitre  inédit  d'un  traité  astronomique ,  composé  au  x*  siècle  de 
notre  ère  par  l'astronome  arabe  Aboul-Wéfa  de  Badgad.  En  exposant  les 
divers  accidents  périodiques  qui  troublent  l'uniformité  du  mouvement 
de  la  lune,  et  que  l'on  appelle  ses  inégalités,  cet  auteur  en  mentionne 
une,  qui,  par  la  description  qu'il  en  fait,  la  mesure  qu'il  en  donne,  le 
rang  qu'il  lui  attribue  parmi  les  autres ,  parut  au  traducteur  devoir  être 
identique  à  celle  que  l'on  nomme  aujourd'hui  la  variation ,  et  que  l'oo 
croyait  généralement  avoir  été  reconnue,  pour  la  première  fois,  six 
siècles  plus  tard  par  Tycho-Brahé,  dont  elle  était  considérée  comme  une 
des  plus  belles  découvertes.  Cette  inégalité,  dans  son  maximum  d'effet, 
produisant  à  peine  une  altération  de  y  de  degré  sur  la  longitude  de  la 
lune,  elle  ne  peut  être  aperçue,  et  surtout  mesurée,  qu'après  qu'on  a 
déterminé,  avec  une  précision  du  même  ordre,  toutes  les  autres  plus 
influentes  qui  l'accompagnent.  Son  appréciation  par  les  Arabes  suppo- 
sait donc  qu'ils  auraient  préalablement  rectifié  les  évaluations  et  les  lois 
de  celle-là,  imparfaitement  obtenues  par  Ptolémée;  ce  qui  aurait 
exigé  qu'ils  en  eussent  fait  des  observations  nouvelles  et  plus  exactes, 
d'où  seraient  nécessairement  résultées  pour  eux  des  tables  lunaires  meil-  '^ 

65 


514  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

leurc«  que  les  grecques.  Ainsi,  au  lieu  d'avoir  seulement  traduit  ou  com- 
menté les  ouvrages  grecs,  comme  on  Tavait  cru.  Us  les  auraient  dépassés 
de  beaucoup ,  et  se  seraient  élevés  au  rang  d^înventeurs ,  ce  qui  chan- 
geait toutes  les  idées  que  Ton  s  était  formées  jusqu'alors  sur  leurs  con- 
naissances scienliflques,  et  sur  le  caractère  plus  superficiel  que  profond, 
plus  brillant  qu  exact,  qu'on  avait  attribué  à  leur  nation. 

Toutefois,  le  désaccord  même  de  ces  conséquences  avec  les  produc- 
tions habituelles  de  leur  esprit  excita  des  doutes ^  A  la  vérité,  on  savait 
bien  qu'ils  avaient  cherché  à  perfectionner  les  tables  lunaires  de  Plo- 
lémée;  mais  Ebn-Jounis,  qui  nous  l'apprend,  avoue  que  les  observations 
faites  dans  ce  dessein  montrèrent  des  difiérences  trop  considérables 
et  trop  variées  pour  qu'on  pût  en  démêler  les  causes;  or  celui-là 
était  un  de  leurs  astronomes  les  plus  laborieux  et  les  plus  habiles. 
Aboul-Wéfa  aurait-il  été  plus  heureux?  S'il  a  fait  faire  un  si  grand  pas  à 
la  science  astronomique,  sa  découverte  aura  été  vraisemblablement 
connue  des  savants  orientaux  qui  suivirent  après  lui  la  même  carrière. 
Du  moins ,  elle  aurait  été  difficilement  ignorée  d'Ulug-Beg,  puisque  le 
manuscrit  même  où  on  la  suppose  consignée  a  fait  partie  de  la  biblio- 
thèque de  Schah-rokh ,  le  père  de  ce  prince  astronome.  Ulug-Beg  n'au- 
rait donc  pas  manqué  d'introduire  des  rectifications  si  impoi^tantes  dans 
les  tables  lunaires  qu'il  a  construites.  Or  on  en  possède  le  manuscrit . 
écrit  en  persan,  de  sorte  qu'on  peut  aisément  voir  s'il  les  a  connues  et 
ifil  en  a  fait  usage.  Il  fallait  aussi  examiner  le  traité  d' Aboul-Wéfa  dans 
§ùn  ensemble ,  voir  comment  la  découverte  qu'on  y  suppose  est  amenée , 
k  quelle  place  on  ty  trouve ,  et  comme  elle  se  lie  aux  autres  perfection- 
nements avéclesquels  elle  a  une  connexion  nécessaire,  puisqu'ibont  dû 
la  préparer.  Guidé  par  ces  détails,  on  aurait  pu  discuter  sûrement  le 
texte  du  chapitre  arabe,  et  décider  avec  certitude  que  la  découverte 
annoncée  y  est  ou  n'y  est  pas  comprise.  Mais  ce  sont  là  des  recherches 
arides,  auxquelles  on  ne  se  résout  guère  que  par  l'espoir  d'établir  le  pre- 
mier un  fait  littéraire  imprévu,  ou  par  la  nécessité  de  remplir  un  devoir 
d'examen  personnel. 

J*avais  moi-même  exprimé  ce  sentiment  de  doute  dans  un  article  sur  les  ins- 
truments astronomiques  aes  Arabes,  inséré  au  Journal  des  Savants  de  Tannée  i84i  ; 
cft  j'y  exposai,  à  peu  près  comme  je  le  fais  ici,  par  quels  motifs  jV  n'osais  pas  com- 
jjfrmire  parmi  leurs  découvertes  celle  de  l'inégalité  lunaire  appelée  la  variation.  Mais, 
n'ayant  pas  alors  examiné  la  question  à  fond ,  je  me  gardai  bien  de  prononcer  un 
jugement  absolu.  Je  ne  rappelle  ce  fait  que  parce  que,  dans  une  publication  récem- 
ment imprimée, on  m'a  présenté  comme  ayant  admis  la  réalité  de  la  découverte  de 

'zà^'-  ^  variation  par  Aboul-Wéfa,  en  se  fondant  sur  l'article  même  où  je  m'exprimais 

'^"  «iec  cette  réserve. 


SEPTEMBRE  1843.  515 

Les  choses  en  étaient  ià  quand  un  orientaliste  expérimenté,  attaché 
à  la  Bibliothèque  royale,  M.  Munek,  trouva  dans  un  traité  astrono- 
mique, écrit  en  hébreu,  au  xni*  siècle,  par  Isaac  Israïli,  juif  de  To- 
lède ,  un  passage  qui  lui  sembla  résoudre  la  question.  Cet  auteur,  en 
expliquant  la  dernière  des  corrections  faites  par  Ptolémée  au  mouve- 
ment de  la  lune,  l'appelle,  comme  Aboul-Wéfa,  la  troisième  inégalité; 
et  il  en  décrit  la  loi  dans  des  termes  qui  offrent  beaucoup  de  rapports 
avec  ceux  de  Tastronome  arabe.  Celui-ci,  selon  M.  Munck,  nauraitdonc 
fait  que  reproduire  cet  ancien  résultat,  établi  par  Ptolémée  au  chapitre  v 
du  V*  livre  de  TAlmageste.  L'auteur  de  la  première  annonce  contesta 
Videntité  de  la  rédaction,  et  réclama  en  faveur  d* Aboul-Wéfa  la  pro- 
priété d'une  découverte  distincte;  à  quoi  M.  Munck  opposa  de  nou* 
veaux  indices  de  ressemblance  tirés  d*autres  écrivains  arabes  du  xi*  siècle. 
Sur  sa  demande,  une  commission  prise  dans  l'Académie  des  sciences 
fut  chargée  d'examiner  ce  point  d'histoire  scientifique;  mais,  après  l'avoir 
étudié,  elle  déclara  unanimement  qu'il  ne  lui  paraissait  pas  susceptible 
d'une  décision  collective,  et  que  ceux  de  ses  membres  qui  s'en  étaient 
occupés  croyaient  plus  convenable  de  communiquer  individuelle- 
ment leurs  recherches  à  l'Académie,  ce  qui  fut  approuvé  définitive- 
ment. 

M'étant  trouvé  au  nombre  des  commissaires  qui  avaient  été  désignés , 
les  recherches  que  j'ai  indiquées  plus  liaut  devinrent  pour  moi  un  de- 
voir. Mais  il  me  sembla  plus  fructueux,  et  je  dirai  aussi  plus  attrayant, 
d'envisager  la  question  sous  une  face  moins  restreinte ,  c'est-à-dîre  de 
caractériser  nettement,  et  d'exprimer,  s'il  était  possible,  en  langage  in- 
telligible, les  tentatives  qui  ont  été  successivement  faites  pour  repré- 
senter les  mouvements  de  la  lune,  par  les  observateurs  grecs,  arabes 
et  européens,  qui  ont  précédé  Newton ,  afin  de  voir  par  quelles  idées, 
et  pour  quelle  part,  chaque  époque  a  contribué  au  dévoilement  de  ces 
capricieux  phénomènes,  dont  nous  avons  aujourd'hui  le  secret.  Ce 
coup  d'œil  jeté  sur  le  passé  n'est  pas  sans  application  présente,  puisque, 
tant  de  vérités  naturelles  nous  restant  cachées,  nous  sommes  réduits  i 
les  représenter  provisoirement  par  des  hypothèses,  comme  le  faisaient 
nos  prédécesseurs;  de  sorte  que  les  essais  heureux  qui  les  ont  approchés 
du  but,  et  les  erreurs  qui  les  en  ont  éloignés,  nous  instruisent  de  ce 
que  nous  devons  rechercher  ou  éviter,  espérer  ou  craindre ,  dans  ces 
interprétations  imparfaites  par  lesquelles  nous  arrivons  lentement  aux 
réalités. 

Pour  bien  apprécier  les  idées  et  les  hommes  que  nous  allons  passer 
en  revue,  il  faut,  puisque  nous  le  pouvons,  nous  j^aœr  au  bout  de  la 

65. 


516  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

carrière,  et,  du  centre  des  vérilts  finales,  où  la  théorie  de  Tattraction 
nous  élève,  regarder  les  voies  diverses  dans  lesquelles  ils  se  sont  avan- 
cé». Commençons  ainsi  par  poser  les  conditions  physiques  des  mouve- 
ments de  la  lune ,  et  dcTmissons  les  forces  qui  les  r^issent.  Ellle  circule 
autour  delà  terre  dans  une  orhite  rentrante.  Si  ces  deux  corps  existaient 
<ieuls  dans  fespace ,  forbile  serait  un  cercle,  ou  une  ellipse,  dont  la 
terre  occuperait  le  centre  ou  un  des  foyers.  Dans  Torbe  circulaire,  le 
mouvement  du  satellite  serait  uniforme.  Considérez  alors  deux  de  ses 
positions,  séparées  par  un  intervalle  de  temps  arbitraire;  puis  menez 
de  là  au  centre  du  mouvement  deux  droites,  qui  seront  ici  deux  rayons 
du  cercle,  mais  que  Ton  nomii.e  généralement  en  astronomie  des 
rayons  veciears.  Ils  comprendront  entre  eux  un  certain  angle ,  ils  inter- 
cepteront sur  la  circonférence  un  certain  arc,  et  limiteront  sur  la  sur- 
face du  cercle  un  secteur  d'une  certaine  étendue.  Or  cet  angle,  cet 
arc,  ce  secteur,  seront  proportionnels  au  temps  écoulé  entre  les  deux 
observations;  c  est-à-dire  que,  ce  temps  étant  par  exemple^,-— ou  toutt- 
autre  fraction  de  la  révolution  totale,  fangle  sera  la  même  fraction  de 
36o",  l'arc  de  la  circonférence  entière,  le  secteur  de  la  surface  du  cercle 
décrit.  Telle  est  la  loi  du  mouvement  circulaire.  Pour  en  simplifier 
renoncé,  j'ai  considéré  la  terre  et  le  satellite  comme  de  simples  points. 
I^a  même  loi  de  circulation  unifonne  a  lieu  pour  des  masses  d'une 
étendue  sensible,  en  l'appliquant  à  leurs  centres  de  gravité.  Mais,  si 
les  deux  corps  ne  sont  pas  sphériques,  la  dissymétrie  de  leur  configu- 
ration développe  entre  eux  des  résultantes  d'attraction  qui,  ne  passant 
plus  par  ces  centres,  impriment  aux  deux  masses  des  mouvements  au- 
tour de  ces  points.  C'est  là  ce  qui  produit  la  précession  des  cquinoxes, 
la  natation  de  l'axe  terrestre,  et  la  libration  de  la  lune  autour  du  lon^; 
diamètre  de  sa  masse  qui  est  tourné  vers  la  terre.  Mais  ces  phénomènes 
ne  réagissent  qu'indirectement,  et  toujours  pour  une  très-faible  part, 
sur  le  mouvement  de  circulation  que  nous  aurons  seuls  ici  à  considé- 
rer; Je  ne  les  énonce  que  pour  en  faire  abstraction,  et  je  m'occuperai 
des  seuls  mouvements  éprouvés  par  les  centres  de  gravité  des  masses, 
comme  si  toute  la  matière  attirable  qui  les  compose  v  était  con- 
centrée. 

Venons  maintenant  au  mouvement  elliptique.  Alors  la  terre  sera  dans 
un  des  foyers  de  Fellipse  que  la  lune  décrit.  Prenez  donc,  comme  tout 
à  l'heure,  deux  positions  du  satellite  séparées  par  un  intervalle  de  temps 
arbitraire;  puis  menez  de  là  à  la  terre  deux  rayons  vecteurs,  qui  seront 
généralement  de  longueur  inégale  à  cause  de  la  forme  ovale  de  l'orbite. 
Ils  nomprenrlront  encore  entre  eux  un  certain  angle ,  ils  intercepteront 


SEPTEMBRE  1843.     ^  517 

sur  Je  contour  de  Tellipse  un  ceiiain  arc,  el  ils  limiteront  sur  sa  sur- 
face un  secteur  curviligne  d'une  certaine  étendue.  Ici  Tangle  el  Tare  ne 
seà'ont  plus  proportionnels  au  temps  écoulé  entre  les  deux  observations, 
mais  la  proportionnalité  subsistera  pour  le  secteur;  c'est-à-dire  que,  si 
le  temps  est  7^,  ou  -pJr,  ou  toute  autre  fraction  de  la  révolution  totale, 
l'aire  (area)  du  secteur  sera  la  même  fraction  de  la  surface  totale  de 
Tellipse.  La  constance  de  ce  rapport,  ainsi  que  la  configuration  ellip- 
tique de  l'orbite  sont  deux  immortelles  découvertes  de  Kepler.  Elles 
s'appliquent  à  tous  les  satellites  et  à  toutes  les  planètes  considérées  au- 
tour de  leurs  foyers  propres.  Réunies ,  elles  donnent  la  loi  physique  dut 
mouvement  de  circulation  ,  et  elles  suflisent  pour  assigner  numérique- 
ment le  lieu  du  satellite  ou  de  la  planète  sur  son  ellipse  à  un  instant 
quelconque ,  lorsque  Ton  connaît,  par  observation,  la  durée  de  sa  révo- 
lution totale,  ainsi  que  le  moment  où  l'astre  s'est  trouvé  à  l'une  de» 
extrémités  du  grand  axe  de  l'orbe  qu'il  décrit;  sous  la  condition  toute- 
fois que  les  deux  corps  considérés  sont  assez  éloignés  de  tous  les  autres 
astres  pour  que  leurs  mouvements  relatifs  s'accomplissent  sensiblement 
comme  s'ils  étaient  seuls. 

En  effet,  cette  fiction  d*isolcment  étant  adnaise,  traçons  ici,  fig.  i"*, 
l'ellipse  décrite  par  le  satellite,  qui  sera,  par  exemple,  la  lune,  et  pla- 
çons la  terre  au  foyer  F  de  cette  courbe,  l'autre  foyer  étant  F'.  L'extré- 
nnté  A  du  grand  arc  la  plus  distante  de  la  terre  s'appelle  l'apogée,  l'ex- 
trémité la  plus  proche  P,  le  périgée,  dénominations  grecques.  L*angle 
visuel  que  sous-tend  le  disque  lunaire,  et  que  Ion  appelle  son  diamètre 
apparent,  est  le  plus  petit  en  A,  le  plus  grand  en  P,  réciproquement 
aux  deux  distances  correspondantes.  La  mesure  de  ces  diamètres  fait 
donc  connaître  les  rapports  d'éloignement  des  deux  points  extrêmes, 
conséquemment  la  proportion  de  Vexcentricité  CF  ou  CF'  à  la  longueur 
totale  de  Taxe  PA,  ainsi  que  les  instants  auxquels  la  lune  a  passé  par  ces 
points.  Les  Grecs,  qui  n'avaient  pas  d'instruments  assez  précis  pour  dé- 
terminer avec  exactitude  les  valeurs  des  diamètres  apparents,  sup- 
pléaient à  ces  données  par  des  combinaisons  trigonométriques  tirées  de 
leurs  hypothèses ,  et  qui  les  conduisaient  au  même  but.  Mais  nous,  qui 
savons  les  obtenir  au  moyen  des  lunettes  munies  intérieurement  de  mi- 
cromètres, supposons  que  nous  en  ayons  conclu  le  rapport  de  l'excen- 
tricité CF  au  demi-grand  axe  CA,  ainsi  que  les  instants  auxquels  l'astre 
a  passe  en  A  ou  en  P;  alors,  si  l'on  nous  demande  quel  sera  le  point  L 
où  il  se  trouvera  sur  son  ellipse,  après  un  temps  quelconque  t  compte 
depuis  le  passage  en  A ,  nous  pourrons  aisément  le  définir.  Car  les  re- 
tours successifs  de  l'astre  au  jjoint  A  nous  ont  fait  connaître  le  temps  T 


518  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

de  sa  révolution  totale.  Il  suffira  donc  de  mener  du  foyer  F  un  rayon 
vecteur  FL ,  tellement  dirigé  qu'il  isole  dans  Forbile  un  secteur  curvi- 
ligne AFL,  dont  la  surface  soit  à  celle  de  Tellipse  comme  <  à  T,  ce  qui 
est  un  simple  problème  de  géométrie  que  Ton  sait  résoudre.  La  lune  se 
trouvera  au  point  ainsi  obtenu ,  et  Ton  pourra  vérifier  l'exactitude  de  ce 
résultat  de  deux  manières  :  d'abord  en  mesurant  Tangle  LFA  formé  par 
Je  rayon  vecteur  réel  FL,  avec  l'apogée  A  projeté  précédemment  sur 
le  ciel,  et  voyant  s'il  est  égal  à  celui  que  le  calcul  du  secteur  donne, 
puis  en  mesurant  le  diamètre  apparent  de  la  lune  en  L ,  et  voyant  s'il 
est  réciproque  à  la  longueur  calculée  du  rayon  FL,  comparativement 
à  FA.  La  seconde  de  ces  épreuves ,  celle  des  diamètres ,  manquait  aux 
Grecs;  de  sorte  qu'ils  n'ont  pu  assujettir  leurs  bypothèses  qu'à  représen- 
ter les  seules  variations  du  mouvement  angulaire,  non  des  distances,  ce 
qui  les  a  toujours  laissées  fautives  quant  à  ce  dernier  élément,  et  leur 
a  fait  ainsi  méconnaître  la  véritable  forme  des  orbites  parcourues. 

Ici,  je  suis  obligé  de  rappeler  deux  termes  d'astronomie  qui  nous 
viennent  des  Grecs ,  mais  que  nous  prenons  dans  un  autre  sens,  et  bien 
plus  restreint  que  celui  qu'ils  leur  attribuaient.  L'angle  LFA,  formé  à 
chaque  instant  par  le  rayon  vecteur  actuel  LF,  avec  la  distance  apo- 
gée FA,  nous  l'appelons  Vanomalie  vraie;  et  nous  nommons  anomalie 
moyenne  l'angle  que  formerait,  au  même  instant,  avec  cette  même  dis- 
tance, le  rayon  vecteur  d'un  astre  fictif  qui*,  ayant  passé  à  fapogéc  A, 
avec  le  véritable,  circulerait  uniformément  autour  du  foyer  F,  dans  le 
même  temps  T,  de  manière  à  se  retrouver  sur  la  même  direction  FP, 
ou  FA ,  avec  f  astre  vrai ,  chaque  fois  que  celui-ci  revient  au  périgée 
ou  à  l'apogée  de  son  orbite.  Cette  fiction  est  représentée  dans  la  fig.  a . 
La  lettre  L  y  désigne  l'astre  vrai,  L'  l'astre  fictif,  dans  des  positions 
simultanées  des  deux  côtés  de  l'axe ,  et  le  sens  de  leur  mouvement  de 
circulation  est  indiqué  pai*  des  flèches.  D'abord,  en  partant  de  l'apogée, 
l'astre  fictif  précède  le  vrai,  et  l'angle  L'FL,  compris  entre  leure  rayons 
vecteurs,  s'appelle  ïéqaation  da  centre,  parce  qu'en  le  retranchant  alors 
de  l'anomalie  moyenne  LTA,  calculée  d'après  le  temps  écoulé  depuis 
le  passage  à  l'apogée  A  dans  la  supposition  d'un  mouvement  uniforme, 
on  égale  celle-ci  à  l'anomalie  vraie  LFA,  qui  s'obtient  ainsi  pour  le 
même  temps  par  cette  soustraction.  L'écart  des  deux  astres  augmente 
ainsi  progressivement  de  ce  côté  de  l'axe,  jusqu'à  un  certain  terme  oii 
leur  mouvement  autour  du  foyer  F  devient  égal.  Alors  l'angle  L'FL 
atteint  sa  plus  grande  ouverture  et  s'appelle  la  plus  grande  équation  du 
centre,  laquelle  est  liée  à  la  grandeur  de  l'excentricité  par  un  rapport 
palculable.  Au  delà  de  ce  point  d'égalité ,  l'astre  vi^ai ,  qui  s'accélère  con* 


SEPTEMBRE  1843.  519 

tinuellcment  à  mesure  qu'il  se  rapproche  du  foyer  F ,  se  rapproche  aussi 
progressivement  de  Tastre  fictif,  le  rejoint  au  périgée  P,  où  Téquation 
du  centre  devient  nulle,  puis  le  dépasse ,  et  le  précède  ensuite  de  Tautrc 
côté  de  Taxe  jusquà  lapogée,  où  Tastre  fictif  le  rejoint  de  nouveau  pour 
recommencer  une  révolution  nouvelle  avec  les  mêmes  alternatives;  de 
sorle  que,  dans  toute  cette  seconde  moitié  de  Tellipse ,  Téquation  du  centre 
doit  être  ajoutée  à  Tanomalie  moyenne  pour  avoir  le  lieu  de  Tastre  vrai. 
Cette  équation  est  la  première  et  la  principale  inégalité  qui  s'observe  dans 
le  mouvement  des  planètes  et  des  satellites.  Les  Grecs,  et  après  eux  tous 
les  astronomes  jusqu'à  Kepler,  admettaient  comme  un  axiome  incon- 
testable que  tous  les  phénomènes  de  déplacement  des  corps  célestes 
doivent  résulter  de  mouvements  réellement  circulaires  et  uniformes. 
En  conséquence ,  ils  appelèrent  du  nom  commun  anomalie  toutes  les 
apparences,  selon  eux  optiques,  qui  écartaient  les  lieux  observables  de 
cette  uniformité,  et  ils  appliquèrent  cette  dénomination  à  toutes  les  cor- 
rections numériques  qu'ils  trouvaient  nécessaires  pour  les  y  réduire.  Le 
grand  Copernic  lui-même ,  non-seulement  resta  soumis  à  ce  préjugé , 
mais ,  dans  le  mémorable  livre  où  il  rétablît  si  hardiment  la  circulation 
de  la  terre  autour  du  soleil ,  en  commun  avec  les  autres  planètes ,  il 
soutint  comme  une  vérité  palpable  qu'on  ne  peut  admettre  dans  les 
corps  célestes  des  mouvements  variables,  qu'il  faudrait  attribuer  à  l'im- 
perfection de  leur  essence  ou  à  l'inconstance  de  la  vertu  motrice  qui 
les  régit,  et  cela,  dit-il  :  qaoniam  ab  utroque  abhorret  inteUectaSf  essetqme 
indignant  talc  quiddam  in  illis  eodstimari  ^  Kepler,  enfin  ,  Kepler,  non  sans 
peine,  et  après  beaucoup  d'hésitations,  renversa  cette  erreur  séculaire, 
devenue  incompatible  avec  la  constance  des  secteurs  parcourus  en  temps 
égal  dans  une  même  ellipse,  constance  qu'il  avait  constatée  sur  le  ciel 
même.  Car,  pour  que  ces  secteurs  soient  égaux  en  surface  dans  un  même 
temps,  il  faut  bien  que  les  deux  rayons  vecteurs  qui  les  limitent  forment 
entre  eux  un  angle  moindre  lorsqu'ils  sont  plus  longs  que  lorsqu'ils  sont 
plus  courts,  par  exemple,  près  de  l'apogée  que  du  périgée,  ce  qui  dé- 
truit l'uniformité  de  la  circulation  angulaire  pour  la  transporter  à  la 
surface  du  secteur  elliptique  décrit.  Par  là,  on  voit  aussi  que  l'arc  par- 
couru par  lastré  sur  le  contour  de  son  ellipse,  en  un  même  temps, 
doit  être  nécessairement  moindre  à  l'apc^ée  qu'au  périgée ,  pour  sei*vir 
de  base  à  un  secteur  d'égale  surface.  Cette  variation  successire  et  pé* 
riodique  des  vitesses,  tour  à  tour  moindres,  plus  grandes  «  et  de  nou- 
reau  moindres,  dans  un  même  corps  libre,  accomplissant  ainsi  ses  ré- 

^  Dtf  revtAmtionihai  cûrparwm  cmlâiiium,  p.  3,  editio  princeps. 


:520  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

voliitions  éternelles,  n était  pas  seulement  oxcessivenlent  difficile  à 
découvrir  à  cause  de  Tanlique  préjugé  qui  la  cachait,  elle  Tétait  encore 
comme  offrant  un  fait  incompréhensible  à  cette  époque,  où  Ton  igno- 
rait comment  la  continuelle  variété  des  vitesses  résulte  du  perpétuel 
équilibre  qui  s  établit,  en  chaque  point  deForbite,  entre  la  force  tangen- 
tielle,  qui  emporte  Tastrc ,  et  la  force  centrale,  qui  le  rappelle  sans  cesse 
vers  son  foyer. 

Toutefois,  cette  loi  si  simple  de  la  constance  des  secteurs  ellip- 
tiques ,  décrite  en  temps  égal  dans  une  même  orbite ,  n'est  vraie  que 
pour  deux  corps  soumis  à  la  seule  influence  de  leurs  attractions  mu- 
tuelles ,  réciproque  au  carré  des  distances  qui  les  sépare.  Et,  heureu- 
sement pour  Kepler,  comme  pour  nous  tous  qui  jouissons  aujourd'hui 
de  sa  découverte ,  cette  fiction  d'isolement  se  trouve  très-approximati- 
v.ement  applicable  aux  mouvements  des  planètes  principales  autour  du 
«oleil,  parce  que  la  petitesse  de  leurs  masses,  comparativement  à  celle 
de  cet  astre,  et  la  grandeur  des  distances  qui  les  séparent  les  unes  des 
autres,  rendent  leurs  influences  réciproques  presque  insensibles ,  compa- 
rativement à  la  sienne  ;  de  sorte  qu'elles  circulent  autour  de  lui,  pres- 
que comme  si  elles  étaient  soumises  à  sa  seule  action.  Mais,  dans  la  cir- 
culation de  la  lune  autour  de  la  terre ,  la  force  attractive  qui  émane 
du  soleil  exerce  siu*  le  mouvement  relatif  du  satellite  une  influence 
qui  ne  peut  être  négligée,  et  qui,  altérant  toutes  les  lois  de  son  mouve- 
menl  elliptique  simple,  y  produit  cette  infinité  de  variations  qu'il  nous 
présente. 

Une  considération  mécanique,  très-facile  à  saisir,  va  faire  com- 
prendre comment  elles  naissent,  de  quelle  nature  elles  doivent  être, 
et  par  quelles  périodes  elles  doivent  s'accomplir.  L'orbite  de  la  lune 
petit  être  considérée ,.  à  chaque  instant ,  comme  contenue  dans  un  plan 
incliné  d'environ  5**  sur  celui  de  l'écliptique ,  où  la  terre  elle-même  tourne 
autour  du  soleil  dans  l'intervalle  d'une  année ,  entraînant  avec  elle  son 
satellite  dans  son  mouvement  de  circulation.  Pour  plus  de  simplicité 
«transportons  ce  mouvement  annuel  au  soleil ,  ce  qui  laissera  la  terre 
fixe ,  et  ne  changera  rien  aux  aspects  relatifs  des  trois  corps.  Les  pre- 
nant alors  dans  une  quelconque  de  leurs  positions,  menons  un  plan 
idéal  qui  les  contienne;  il  contiendra  donc  le  rayon  vecteiu*,  dirigé  h 
cet  instant  de  la  terre  vers  la  lune ,  et  suivant  lequel  leur  attraction 
mutuelle  agit,  proportionnellement  à  la  somme  de  leurs  masses  di- 
visée par  le  carré  de  ce  rayon.  Le  même  plan  renfermera  aussi  les 
deux  rayons  vecteurs  menés  du  soleil  à  la  terre  et  à  la  lune.  Si  cet  astre 
était,  ou  pouvait  être  supposé,  infiniment  distant,  il  agirait  sur  les  deux 


SEPTEMBRE  1843.  521 

masses  avec  une  égale  énergie  et  suivant  des  directions  parallèles,  de 
sorte  quil  leur  imprimerait,  à  chaque  instant,  un  mouvement  commun 
qui  ne  troublerait  pas  leur  mouvement  relatif;  mais  la  distance  du  so- 
leil à  la  terre  et  à  la  lune ,  quoique  très-grande ,  n'étant  pas  infinie  com- 
parativement aux  dimensions  de  Torbe  lunaire ,  son  attraction  instan- 
tanée sur  les  deux  corps  est  sensiblement  différente  en  intensité  comme 
en  direction.  Pour  avoir  l'effet  de  cette  circonstance  sur  le  mouvement 
relatif,  il  n'y  a  qu'à  décomposer  chaque  attraction  en  deux  forces, 
toutes  deux  comprises  dans  le  plan  idéal  que  nous  avons  mené ,  et  dont 
l'une  soit  dirigée  suivant  le  rayon  vecteur  lunaire  actuel ,  l'autre  perpeO' 
diculaire  à  ce  rayon.  Puis,  prenant  la  différence  des  composantes  ana« 
logues,  on  aura  deux  forces  perturbatiîces  du  mouvement  actuel,  dont 
Tune  s'ajoutera  à  la  force  centrale  principale  ,  ou  s'en  retranchera  selon 
son  signe  éventuel;  l'autre,  perpendiculaire  au  rayon  vecteur,  le  sollici- 
tera à  revenir  vers  le  soleil  dans  toute  la  moitié  de  l'orbite  la  plus  proche 
de  cet  astre,  et  à  s'en  éloigner  dans  l'autre  moitié  la  plus  distante;  de 
sorte  qu'elle  accélérera  le  mouvement  de  circulation  du  satellite  quaiid 
elle  conspirera  avec  lui,  et  le  retardera  quand  elle  lui  deviendra  con- 
traire. 

Ces  deux  forces  perturbatrices  sont  loin  d'être  insensibles  compara- 
tivement à  l'action  propre  de  la  terre  sur  la  lune.  La  première,  qui  est 
dirigée  suivant  le  rayon  vecteur  lunaire,  est,  en  moyenne,  contraire  & 
cette  action,  qu'elle  affaiblit  de  yJ-j-.Mais  elle  fait  autour  de  ce  terme 
moyen  des  oscillations  considérables,  devenant  quadruple  avec  le  sens 
soustractif  dans  les  syzygies ,  et  double  avec  le  sens  additif,  dans  les  qua* 
dratures.  La  force  perturbatrice  normale  au  rayon  vecteur  éprouve  des 
alternatives  encore  plus  grandes.  Elle  est  nulle  dans  les  syzygies,  ainsi 
que  dans  les  quadratures;  mais,  dans  les  octants,  ses  valeurs  s'élèvent  jus- 
qu'à YTT  de  l'action  centrale  de  la  terre,  en  changeant  successivement 
de  sens  dans  chaque  quart  de  l'orbite. 

Tous  les  caprices  du  mouvement  de  la  lune  viennent  de  ces  deux 
forces.  Celle  qui  est  dirigée  suivant  le  rayon  vecteur  modifie  à  chaque 
instant  la  force  centrale  principale  avec  une  énergie  qui  varie  sans 
cesse.  La  force  normale  au  même  rayon  produit,  dans  l'orbite  instan- 
tanée ,  une  composante  tangentielle  qui  modifie  la  vitesse  de  ciixulation , 
et  une  composante  normale  au  plan  de  cette  orbite ,  qui  tend  à  lui 
donner  une  autre  direction  dans  l'espace.  L'orbite  cesse  ainsi  d'être  une 
ellipse  fixe,  située  dans  un  plan  invariable;  elle  change  sans  cesse  de 
forme  et  de  position. 

j^orsqu'un  corps  libre  circule  dans  une  ellipse  sous  l'influence  d'une 

66 


512  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

simple  force  centrale  réciproque  au  carré  de  la  distance  et  émanant 
d'un  des  foyers,  comme  les  planètes  principales  circulent  autour  du 
soleil»  abstraction  faite  des  forces  perlurbatrices  très-petites  qui  les  soi^ 
Ucijtenty  les  sommets  extrêmes  deforbite,  que  Ton  appelle  les  apsides, 
sont  diiamétralementopposés  Fun  à  Vautre  sur  une  droite  fixe  qui  passe  par 
ie foyer;  et  le  rayon  vecteur  revient  de  fapside  la  plus  éloignée,  que 
Ton  nomme  la  sapérienre,  à  la  plus  proche,  que  Ton  nomme  Yinférieare, 
comme  de  celle-ci  è  la  première»  dans  la  moitié  du  temps  d*une  révo* 
itttîon  complète  autour  du  centre  de  circulation.  Mais,  pour  peu  que  la 
force  centrale  diffère  de  la  loi  précise  du  carré  des  distances,  les  résul- 
tais changent.  Si  elle  varie  dans  quelque  proportion  plus  rapide,  et  in- 
termédiaire entre  le  carré  et  le  cube ,  une  orbite  rentrante  est  encore 
possible.  Seulement  les  apsides  ne  sont  plus  opposées  Tune  à  Tautre,  ni 
fixes  autour  du  foyer  central.  Le  rayon  vecteur  dirigé  vers  chacun  de 
ces  points  tourne  sans  cesse  avec  un  mouvement  angulaire  que  Ton  ap- 
pelle (fîrect,  parce  quil  est  de  même  sens  que  le  mouvement  de  circula- 
tiûii;  et,  en  conséquence, l'astre  emploie p/iw  que  le  temps  dune  demi- 
révolution  totale  pour  passer  d'une  apside  à  lapside  suivante ,  qui  (îiit 
devant  lui.  La  force  centrale,  au  contraire,  varie-t-elle  suivant  quelque 
proportion  plus  lente  que  le  carré  des  distances?  Les  apsides  se  dé- 
placent encore;  mais  leur  mouvement  angulaire  est  inverse  du  mouve- 
iaent  de  circulation ,  ou  ce  que  Ton  appelle  rétrograde  :  alors  Fastre 
emploie  moins  que  le  temps  d'une  demi-révolution  totale,  pour  passer 
d!une  apside  à  l'apside  suivante,  qui  se  rapproche  de  lui.  Ce  sont  là 
deux  théorèmes  généraux ,  établis  par  Newton.  Or  la  force  centrale  qui 
sollicite  la  lune  éprouve  successivement  ces  deux  genres  de  modifica- 
tions dans  chaque  mois,  par  l'intervention  variable  de  la  composante 
sokdre  qui  s'y  associe.  Mais  les  alternatives  qui  la  rapprochent  du  cube 
sont  plus  longues  en  durée  et  d'une  énergie  plus  puissante  que  celles 
qui  Téloignent  du  carré  en  la  ralentissant.  Les  apsides  de  l'orbe  lunaire 
doivent  donc  avoir,  en  somme,  un  mouvement  direct  prédominant,  inter- 
rompu par  des  périodes  de  rétrogradation  restreintes,  qui  le  retardent 
sans  le  compenser;  de  sorte  qu'elles  doivent  finalement  accomplir  au- 
tour du  foyer  central  des  révolutions  entières  dans  le  sens  du  mouve- 
ment de  circulation  de  la  lune  :  tout  cela  s'observe  effectivement  ainsi. 
L'effet  de  la  composante  normale  au  plan  instantané  de  l'orbite  n'est 
pas  moins  facile  à  prévoir,  d'après  son  expression  générale  qui  montre 
ie  sens  ainsi  que  les  vicissitudes  de  son  action.  Pour  cela,  arrêtons  ce 
pian  dans  Tespace  à  un  instant  quelconque;  puis  traçons  son  intersec- 
tion instantanée  sur  le  plan  de  l'orbite  de  la  terre»  que  l'on  nomme  ïi- 


SEPTEMBRE  1843.  523 

diptique,  et  que  nous  supposons  fixe.  Cette  intersection  s*appelle  h 
ligne  des  nœuds  ascendants  et  descendants  de  la  lane.  Le  nœud  ascendant 
est  le  point  où  elle  perce  le  plan  de  Técllptique,  quand  son  mouvement 
4e  circulation  Tamène  dans  1  hémisphère  boréal  du  ciel,  et  le  nœud  des- 
cendant, celui  où  elle  le  perce  de  nouveau,  lorsqu'elle  rentre  dans  ¥hé- 
Oiisphère  austral.  Or,  en  comparant  la  force  perturbatrice  normale  avec 
la  force  tangentiellc  du  mouvement  de  circulation  instantané,  on  en 
voit  dériver  deux  effets  :  premièrement,  la  ligne  des  nœuds  est  em- 
portée dans  récliptique  autour  de  la  terre  par  un  mouvement  angulaire 
rétrograde  dont  la  continuité  prédominante  est  interrompue  par  des 
périodes  restreintes  de  marche  dans  le  sens  direct ,  lesquelles  répondent 
aux  intermittences  de  sens  de  la  force  perturbatrice;  secondement,  ïnt- 
clinaison  du  plan  de  Torbile  sur  récliptique  éprouve  de  faibles  chan^ 
gements,  qui  le  font  périodiquement  osciller  autour  de  son  inclinaison 
moyenne,  mais  sans  qu il  existe  d'influence  prédominante  et  non  com^ 
pensée  qui  puisse  l'écarter  indéfmiment  de  cet  état  moyen.  Ce  sont 
là  encore  des  conséquences  démontrées  par  Newton,  et  que  les  obser- 
vations de  tous  les  siècles  ont  conOrmées. 

Parmi  les  accidents  de  la  lune,  dont  nous  venons  d*indiquer  la  cause 
physique,  et  que  Ton  appelle  ses  inégalités,  il  y  en  a- une  que  je  vais 
tout  de  suite  caractériser  spécialement,  pour  que  nous  puissions  la  re^ 
connaître  sans  hésitation  quand  elle  se  présentera  pour  la  première  fois 
dans  les  hypothèses  astronomiques  :  on  la  noinme  la  variation.  Par  un 
singulier  hasard,  ce  nom,  qui  lui  a  été  donné  empiriquement,  exprime 
très-bien  sa  nature.  Elle  se  compose,  en  effet,  de  la  somme  des  accélé- 
rations, ou  des  retardements,  que  la  force  perturbatrice  perpendiculaire 
au  rayon  vecteur  lunaire  produit  par  alternatives  dans  son  mouvement 
de  circulation  pendant  qii*il  passe  de  chaque  syzygie  à  la  quadrature 
suivante,  puis  de  cette  quadrature  à  la  syzy<^ie  qui  lui  succède.  L*élé- 
ment  angulaire  qui  règle  5a  période,  et  que  Ton  appelle  son  argam^t, 
est  le  même  que  celui  de  la  force  dont  elle  résulte: c'est  le  double  ^c 
la  dislance  angulaire  de  la  lune  au  soleil,  sans  aucune  intervention  de 
la  ligne  des  apsides,  ni  de  la  distance  de  la  lune  à  ces  points.  Si  donc 
nous  trouvons,  dans  les  hypothèses  astronomiques,  quelque  prescriptiott 
de  calcul  dépendante  de  ces  éléments  de  Torbite,  ou  qui  s'y  rapporte, 
cette  connexité  suffira  pour  nous  apprendre  que  ce  nesl  point  la  va- 
riation. Afin.de  faire  reconnaître  plus  aisément  cette  dernière,  je  joins 
ici  une  figure,  fig.  3,  qui  rend  sa  loi  physique  sensible  aux  yeux.  La 
lettre  S  désigne  le  soleil  placé  au  devant  de  l'orbe  de  la  lune,  qui  est 
représenté  comme  circubire  pour  plus  de  simplicité  ;  T  désigne  la  terre; 

66. 


524  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Lia  lune,  et  les  flèches  intérieures  au  cercle  montrent  le  sens  du  mou- 
vement  que  la  force  perturbatrice,  émanée  du  soleil,  tend  à  imprimer, 
dans  chaque  quart  de  Torhite,  au  rayon  vecteur  lunaire  vrai  TL.  Les 
grandes  flèches  extérieures  au  cercle  indiquent  le  sens  du  mouvement 
propre  de  circulation  du  satellite  ;  de  sorte  que  Ton  distingue  aisément 
les  deux  quadrants  dans  lesquels  la  force  perturbatrice  conspire  avec  lui, 
et  les  deux  où  elle  lui  est  opposée.  Pour  faire  une  juste  application  de 
cette  figure  au  mouvement  actuel, il  faut  remarquer  que  le  rayon  vec- 
teur troublé  TL  entre  dans  chaque  quart  de  Torbite  avec  ce  qui  lui 
reste  de  la  somme  des  accélérations  ou  des  retardements  qu*ii  a  reçus 
dans  le  quadrant  qui  a  précédé.  Jai  indiqué,  par  les  lignes  ponctuées 
TL',  les  positions  relatives  du  rayon  vecteur. fictif  qui  parcourrait  si- 
multanément Torbite  avec  un  mouvement  de  circulation  uniforme. 

Mais  bien  d^autres  inégalités  dont  nous  n*avons  pas  parlé  encore  se 
prévoient  avec  une  égale  évidence  par  les  considérations  que  je  viens 
d'exposer.  Nous  avons  raisonné  jusqu'ici  comme  si  le  soleil  restait  à  une 
distance  constante  de  la  terre.  Or  cette  distance  varie  périodiquement 
dans  le  cours  de  chaque  année,  à  mesure  que  la  terre,  en  parcourant 
son  ellipse,  s'approche  ou  s'éloigne  de  cet  astre;  et  la  force  perturba- 
trice qu'il  exerce  s'en  trouve  successivement  augmentée  ou  aflfaiblie.  U 
en  résultera  donc  des  modifications  correspondantes  dans  les  perturba- 
tions qu'elle  produit,  et  ces  nouvelles  inécjalitéSf  comme  on  les  appelle, 
dépendant  des  aspects  mutuels  de  la  terre  et  du  soleil,  elles  auront  pour 
périodes  les  phases  de  l'année,  ou  Tannée  entière,  selon  que  les  cir- 
constances qui  les  développent  se  reproduiront  les  mêmes  plus  ou  moins 
fréquemment.  Par  exemple,  nous  avons  reconnu  tout  à  l'heure  que, 
dans  le  cours  de  chaque  mois,  la  force  perturbatrice  dirigée  suivant  le 
rayon  vecteur  lunaire,  tantôt  augmente  la  force  centrale  principale,  et 
tantôt  l'afiaiblit,  mais  avec  une  énergie  prédominante  dans  ce  dernier 
sens;  de  sorte  qu'en  moyenne  la  lune  s'en  trouve  comme  soulevée,  et 
maintenue  plus  loin  de  la  terre  que  si  la  pesanteur  terrestre  n'était  pas 
ainsi  combattue.  Cet  effet  augmentera  donc  quand  la  terre  se  rappro- 
chera dû  soleil  vers  son  périhélie ,  et  il  diminuera  lorsqu'elle  s'éloignera 
de  cet  astre  vers  son  aphélie.  Dans  le  premier  cas,  le  soleil,  devenu  plus 
puissant,  dilatera  l'orbe  moyen  de  la  lune,  ce  qui  la  fera  circuler  plus 
lentement;  dans  le  second,  l'action  centrale  de  la  lune,  étant  moins  ba- 
lancée ,  contractera  cet  orbe,  et  la  lune  s'y  mouvra  avec  plua  de  rapidité. 
De  là  naîtra  donc  une  inégalité  dont  la  période  sera  d'une  année,  comme 
le  renouvellement  des  circonstances  qui  la  produisent.  C'est  ce  que  l'on 
nomme  l'équation  annuelle.  De  là  résulteront  aussi  des  variations  an- 


SEPTEMBRE  1843.  525 

nuelles  dans  le  mouvement  des  nœuds  et  des  apsides,  puisque  le  pre* 
mier  de  ces  phénomènes  dépend  de  la  force  perturbatrice  normale 
combinée  avec  le  mouvement  instantané  de  circulation,  et  que  le  »e» 
cond  dépend  de  la  proportion  suivant  laquelle  la  force  centrale  prin- 
cipale, réciproque  au  carré  des  distances,  est  écartée  de  cette  loi  pré- 
cise par  rinterventîon  de  la  force  perturbatrice  dirigée  suivant  le  rayon 
vecteur  lunaire.  Une  autre  réaction  plus  mystérieuse  accroît  Texcen- 
tricité  de  Torbe  lunaire  quand  la  ligne  de  ses  apsides  se  rapproche  des 
syzygies,  et  la  diminue  quand  cette  ligne  se  rapproche  des  quadratures, 
avec  des  alternatives  d'influence  si  considérables,  que,  dans  ces  positions 
extrêmes,  Texcentricité  varie  dans  le  rapport  de  3  à  2.  Ce  phénomène, 
combiné  avec  le  déplacement  du  centre  de  Torbite  lunaire  et  avec  les 
oscillations  de  la  ligne  des  apsides,  produit  la  grande  inégalité  que  Ton 
a  nommée  mal  à  propos  Vévection.  Car  ce  terme,  introduit  par  Bouillaud 
pour  exprimer  qu'on  élève  le  calcul  à  une  plus  grande  perfection  en  y 
ayant  égard,  ne  convient  pas  plus  à  cette  inégalité-là  qu'à  toute  autre, 
et  n'indique  nullement  la  cause  complexe  qui  la  produit.  Lorsqu'on  la 
considère  dans  ses  eflets  immédiats  pour  altérer  l'excentricité  et  Tano- 
malic  moyenne,  sa  période  est  d'à  peu  près  206^  et  c'est  pourquoi 
Newton,  qui  la  considérait  sous  cette  forme,  l'appela  l'inégalité  semes- 
trielle. Mais  aujourd'hui  on  n'exprime  plus ,  dans  les  tables  lunaires ,  que 
l'effet  total  qui  est  produit  dans  l'équation  du  centime  par  la  variation 
simultanée  des  deux  éléments  sur  lesquels  elle  agit;  d'où  résulte  une 
seule  correction  applicable  à  la  longitude  moyenne,  et  dont  le  terme 
principal  a  pour  période  un  peu  moins  de  Sa  jours.  Il  est  indispen- 
sable de  distinguer  ces  deux  formes  de  tévection ,  quand  on  veut  en  re- 
chercher l'équivalent  dans  les  hypothèses  astronomiques  anciennes,  car 
sans  cela  on  ne  saurait  reconnaître  jusqu'à  quel  degré  de  précision 
elle  y  est  comprise. 

J'omets  une  multitude  de  modifications  moins  sensibles,  que  la  théorie 
de  l'attraction  pouvait  seule  faire  découvrir,  et  je  me  bornerai  à  en 
montrer  une  dernière  conséquence,  qui  se  présente  d'elle-même.  Les 
observations  grecques ,  comparées  aux  arabes  et  à  celles  de  notre  temps, 
prouvent  que  l'équation  du  centre  du  solefl  a  subi,  pendant  tout  cet 
intervalle,  un  décroissement  progressif.  L'excentricité  de  l'orbe  terrestre, 
qui  lui  est  presque  proportionnelle ,  a  donc  aussi  constamment  diminué/ 
D'une  autre  part,  la  théorie  de  l'attraction  nous  apprend  que  les  grands 
axes  des  orbites  planétaires  sont  invariables.  Le  soleil,  foyer  de  l'ellipse 
que  décrit  la  terre,  est  donc  maintenant  plus  près  du  centre  de  cette 
courbe  qu'il  n'était  autrefois  ;  de  sorte  que  la  terre  se  trouve  un  peu 


526  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

plus  rapprochée  du  soleil  dans  son  aphélie,  et  un  peu  plus  éloignée 
dans  son  périhélie,  le  changement  qui  s  est  opéré  étant  d  ailleurs  égal 
pour  ces  deux  distances.  Mais  un  changement  d'égale  grandeur  est  tou- 
jours proportionnellement  plus  sensible  sur  une  longueur  plus  faible. 
Ainsirattractiondusolcilsurla  terre  est  moins  augmentée,  dans  raphélie» 
p^  la  diminution  dcl^  distance,  qu'elle  n  est  diminuée,  dans  le  périhélie, 
par  son  accroissement,  ce  qui  fait  que  la  force  altraciive  moyenne  en  est 
affaiblie ,  et  un  résultat  pareil  a  lieu  pour  tous  les  autres  points  de  l'orbite 
comparés  deux  à  deux.  Il  suit  de  là  qu  en  moyenne  ratlraclion  annuelle- 
ment  exercée  par  le  soleil  sur  la  terre  est  devenue  moindre ,  et  un  calcul 
très- simple,  que  je  rapporte  ici  en  note,  montre  qu'en  général,  dans  une 
ellipse  dont  le  grand  axe  reste  inv;iriable,  cette  attraction  moyenne 
augmente  ou  diminue  proportionnellement  au  carré  de  foxcentricité. 
Or  ceci  conduit  aussitôt  à  des  conséquences  évidentes.  Puisque  Tattrac- 
tion  moyenne  du  soleil  sur  la  terre  est  maintenant  plus  faible,  la  force 
perturbatrice  quelle  exerce  sur  la  lune  est  moindre;  Faltraction  de  la 
terre  sur  ce  satellite  en  est  moins  alTaiblie;  il  circule  donc  autour  de  la 
terre  dans  une  orbite  plus  restreinte,  et  il  doit  s  y  mouvoir  plus  rapi- 
dement. Cette  même  force  perturbatrice,  qui  se  décompose  suivant  le 
rayon  vecteur  lunaire,  étant  plus  faible,  écarte  moins  la  force  centrale 
totale  de  la  loi  simple  du  carré  des  distances;  elle  la  rapproche  moins 
de  la  proportion  cubique  quand  elle  lui  est  contraire,  et  la  œnd  moins 
diÇTérentc  du  carré  quand  elle  faugmente.  Or  nous  avons  vu  que  la 
première  de  ces  modifications  produit  le  mouvement  direct  des  apsides, 
et  la  seconde  ses  intermittences  de  rétrogradation.  Ces  deux  mouve^ 
ments  doivent  donc  être  naoindres  aujourd'hui  qu  autrefois.  En  outre, 
la  vitesse  de  circulation  é,lant  devenue  plus  rapide,  et  la.forcc  pertur- 
batrice moindre,  Torbite  inst<intanée  sera  plus  fixe,  et  le  déplacement 
rétrograde  de  ses  nœuds  en  sera  ralenti.  Enfin  la  diminution  de  Tex- 
centricilé  de  forbe  tcrrc$fr^,  cause  de  ces  changements,  s  opérant  avec 
une  extrême  lenleur,  ils  s'accompliront  aussi  très-lentement.  Ce  sont  là 
i^  grands   phénomènes  que  Ton  nomme   les  inégalités  séculaires   du 
moyen  mouvement  de  la  lune,  de  ses  apsides  et  de  ses  nœuds.  Leur 
qrjgine,  longtemps  ignorée,,  même  méconnue,  n'a  été  rapportée  à  la 
théorie  de  fattraction  quei;!  ^T^l*  J?^^  ^'  Laplace,  à  Taide  des  plus 
profonds  calculs,  et  encore  po^r  le  moyen  mouvement  seul.  Il  n'a 
reconnu  la  réaction  de  la  .même  cause  sur  le  mouvement  des  nœuds 
et  des  apsides  qu'en  i8QQ«*par  une  discussion  plus  générale  des  mêmes 
formules.  En  rendant  un  juste  hommage  au  génie  mathématique  qui 
lui  a  iait  découvrir  le  principe  de  ces  phénomènes,  et,  ce  qui  était  bien 


SEPTEMBRE  1843.  527 

plus  diQîpile,  obtenir  leurs  mesures  nuoi^ériques  clans  1c  passé  conime 
dans  Tavenir,  on  ne  peut  se  dëFendrc  de  remarquer  qu  ils  n*auraient  pas 
échappé  jusque-là  aux  eflbrts  des  plus  grartds  géomètres,  si,  au  lieu  de 
Touloir  les  faire  dériver  uniquement,  je  dirais  presque  aveuglément, 
des  formules  analytiques,  ces  intelligences  puissantes  avaient  éclairé 
leur  marche  par  les  considérations  mécaniques  dont  Newton  a  fait  un 
si  heureux  usage,  puisqu elles  décèlent  le  principe  de  ces  phénomènes 
avec  tant  d'évidence,  quon  peut  ainsi,  par  le  raisonnement  le  plus 
simple,  en  reconnaître  immédiatement  la  nécessité,  en  prévoir  les  cir- 
<H)nstances  principales ,  et  montrer  jusqu*è  Télément  numérique  dont  iis 
dépendent,  comme  je  viens  de  le  faire  ici.  Clairault,  qui  avait  suivi  de 
plus  près  les  traces  de  Newton,  dans  son  beau  travail  sur  la  lune,  serait 
sans  doute  arrivé  le  premier  à  ces  découvertes,  s*il  avait  su  que  l'équa- 
tion du  centre  de  lorbe  terrestre  avait  varié ,  son  grand  axe  restait 
constant;  mais  l'invariabilité  des  grands  axes  planétaires  na  été  dé» 
montrée  que  longtemps  après  lui. 

Pour  compléter  cet  exposé,  il  resterait  à  parler  des  modifications 
qui  s'opèrent  dans  les  mouvements  de  la  terre  et  de  la  lune,  en  vertu 
de  la  configuration  non  sphérique  de  leurs  masses;  ce  qui  permet  de 
déterminer  la  distance  du  soleil  à  la  terre  par  une  inégalité  mensuelle 
qu'il  produit  dans  le  mouvement  de  circulation  de  la  lune ,  et  de  me^ 
surer  la  partie  elliptique  de  Taplatissement  de  la  terre  par  sa  réaction 
sur  ce  satellite,  plus  exactement  que  par  la  mesure  immédiate  des  de- 
grés terrestres.  Mais  ces  belles  découvertes  de  l'analyse  moderne  se* 
raient  inutiles  à  mon  but,  et  je  me  borne  à  les  rappeler. 

En  résumé ,  la  théorie  de  l'attraction  nous  présente  l'orbite  lunaire 
comme  mie  ellipse  qui,  perpétuellement  agitée  dans  des  limites  pres- 
crites ,  change  à  chaque  instant  de  forme ,  de  grandeur,  de  direction , 
de  position  dans  l'espace ,  et  qui  est  décrite  par  un  corps  dont  la  vitesse , 
sans  cesse  variée,  éprouve  des  intermittences  continuelles  de  retarde- 
ment ou  d'accâération.  Voilà  l'ensemble  compliqué  de  faits  que  les 
astronomes  des  différents  âges  ont  eu  à  démêler,  avant  que  Newton 
eût  porté  la  lumière  du  calcul  mécanique  dans  ce  labyrinthe.  Nous  al« 
Ions  voir  comment  ils  sont  progressivement  parvenus  à  en  reconnaître 
les  inégalités  révolutives  les  plus  apparentes;  car,  pour  la  multitude  des 
autres  ,  le  seul  empirisme  de  l'observation  n'aumt  jamais  pu  discerner 
leur  individualité ,  ni  surtout  l'établir  avec  certitude. 

Je  commence  par  les  Grecs,  puisque  nous  ne  savons  rien,  que  par  eux, 
des  temps  antérieurs.  D'après  ce  que  Ptolémée  nous  apprend ,  les  pre^ 
mières  tentatives  pour  régulariser  les  mouvements  de  la  lune  furent 


528  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

fondées  sur  l'idée  très-naturelle  de  leur  inaltérabilité.  Alors ,,  quelque 
variables  qu  ils  parussent,  il  n'y  avait  qu'à  les  observer  assez  longtemps 
et  avec  assez  de  suite,  pour  voir  se  développer  toutes  leurs  anomalies 
accidentelles,  après  quoi  elles  recommenceraient  à  s'accomplir  dans  le 
même  ordre  de  succession;  de  sorte  qu  ayant  reconnu  les  durées  de 
leurs  périodes  partielles ,  il  ne  resterait  plus  qu  à  composer  par  le  calcul 
un  nombre  entier  de  jours  qui  pût  toutes  les  embrasser,  et  qui  servirait 
â  les  prédire.  Le  premier  élément  qui  se  présentait  ainsi  à  déterminer, 
c'était  l'intervalle  de  temps  qui  ramène  la  lune  sur  une  même  direc- 
tion avec  le  soleil,  et  que  l'on  nomme  le  mois  synodique  ou  lunaire.  Sa 
durée  nest  pas  constante,  à  cause  des  inégalités  qui  affectent  le  mou- 
vement de  révolution  de  la  lune  dans  son  orbite.  Mais,  en  comparant 
des  nouvelles  lunes  d'époques  très -distantes,  ou  mieux  encore  des 
pleines  lunes  elliptiques,  dans  lesquelles  Tobscurcissement  du  disque 
avait  présenté  des  phases  à  peu  près  semblables,  on  put  en  conclure, 
beaucoup  plus  exactement  que  par  une  lunaison  unique ,  le  nombre 
moyen  des  jours,  et  même  de  fractions  de  jours,  qui  ramenait  la  lune 
en  conjonction  ou  en  opposition  avec  le  soleil.  Ayant  déjà,  antérieure- 
ment, une  évaluation  approximative  de  l'année  solaire,  par  exemple, 
celle  de  365J-J-,  qui  se  présente  avec  évidence,  on  savait,  par  la  date 
du  jour,  quelle  avait  été  la  distance  angulaire  du  soleil  à  l'équinoxe  ver- 
nal,  c'est-à-dire  sa  longitude,  dans  chacune  des  deux  éclipses  comparées. 
Cela  donnait  donc  celle  de  la  lune  aux  mêmes  instants,  puisque ,  vers  le 
milieu  de  chaque  éclipse ,  elle  s'était  trouvée  en  opposition  avec  le  so- 
leil ,  sur  le  prolongement  du  rayon  vecteur  mené  de  la  terre  à  cet  astre. 
On  connaissait  ainsi  l'arc  total  de  longitude  que  le  rayon  vecteur  de  la 
lune  avait  décrit  autour  de  la  terre,  entre  les  deux  éclipses  comparées; 
et  de  là,  par  une  simple  proportion,  on  pouvait  conclure  le  temps  que 
ce  rayon  vecteur  emploie  pour  décrire  une  seule  circonférence  complète 
autour  du  point  équinoxial.  C'est  ce  que  l'on  nomme  le  mois  périodique: 
on  devrait  plutôt  l'appeler  le  mois  tropique.  Si ,  en  outre,  on  connaît  l'arc 
de  rétrogradation  du  point  équinoxial  pour  un  nombre  donné  de  jours. 
il  n'y  a  qu'à  chercher  quelle  a  dû  être  sa  rétrogradation  pour  l'intervalle 
de  temps  qui  s'est  écoulé  entre  les  deux  éclipses;  et,  en  l'ajoutant  à  l'in- 
tervalle des  longitudes ,  on  obtient  l'arc  décrit  par  la  lune,  à  partir  d'un 
point  fixe  du  ciel  stellaire;  d'où  l'on  conclut  encore,  par  une  simple 
proportion,  le  temps  qu'elle  emploie  à  décrire  une  circonférence  autour 
d'u  n  tel  point.  C'est  ce  que  l'on  nomme  le  mois  sidéral  :  il  est  nécessaire- 
ment un  peu  plus  long  que  le  mois  tropique.  Mais  le  phénomène  de  ré- 
trogradation qui  le  donne  n'ayant  pas  dû  être  connu  des  premiers  ob- 


SEPTEMBRE  1843.  529 

servateiirs ,  ils  n*ont  pas  dû  distinguer  ces  deux  périodes  si  peu  différentes. 
Je  ferai  même  remarquer  que,  si  j*ai  employé  Texpression  d'arcs  de  lon- 
gitude, c'est  seulement  pour  plus  de  clarté,  et  sans  vouloir  nullement 
supposer  que  Ton  eût  dès  lors  connu,  ou  imaginé  dans  le  ciel,  le  cercle 
idéal  que  nous  appelons  Fécliptique,  sur  lequel  nous  mesurons  ces  arcs. 
Cette  notion  abstraite  n  est  pas  nécessaire  pour  la  détermination  des 
mois  tropique  et  synodique  telle  que  je  viens  de  Texpliquer.  Il  n*y  entre 
que  ridée  d'un  mouvement  révolutif ,  embrassant  des  circonférences  en- 
tières ,  et  des  portions  de  la  circonférence  qui  peuvent  s  exprimer  par 
des  fractions  numériques,  sans  même  exiger  une  division  convention- 
nelle en  degrés. 

En  observant  la  marche  de  la  lune  parmi  les  étoiles,  dans  le  cours 
d*un  même  mois,  on  dut  aisément  s'apercevoir  qu'elle  était  inégale, 
tantôt  plus  lente,  tantôt  plus  rapide,  et  qu'elle  revenait  périodique-  . 
ment  aux  termes  de  sa  plus  grande  et  de  sa  moindre  vitesse.  Il  fallut 
donc  encore  déterminer  l'intervalle  de  temps  qui  l'y  ramenait,  et  l'on 
obtint  sa  valeur  moyenne  de  la  même  manière ,  d'après  le  nombre  total 
de  jours  compris  en  deux  retours  de  la  lune  à  im  de  ces  états  extrêmes. 
Les  Grecs  nommèrent  cette  période  le  temps  de  restitution  de  Vanomalie, 
appelant  anomalie  la  modification  survenue  dans  la  vitesse  de  l'astre. 
Nous  l'appelons  encore  aujourd'hui,  d'après  eux,  mois  anomalisticjue.  Cest 
le  temps  que  la  lune  emploie,  en  moyenne,  à  revenir  au  périgée  ou  à 
l'apogée  de  son  ellipse.  Sa  plus  grande  vitesse  s'observe  quand  elle  se 
trouve  au  premier  de  ces  points,  la  plus  petite  au  second,  en  vertu  du 
mouvement  variable  de  circulation  combiné  avec  l'inégalité  de  la  dis- 
tance. Les  anciens,  qui  ne  supposaient  dans  les  astres  que  des  mouve- 
ments uniformes,  attribuaient  tous  ces  effets  à  la  variation  de  la  distance, 
ce  qui  leur  en  a  fait  méconnaître  les  véritables  lois. 

Le  mois  anomalistique  est  un  peu  plus  long  que  le  mois  tropique , 
parce  que,  comme  nous  l'avons  montré  plus  haut,  le  périgée  et  l'apogée 
lunaire  ont  tous  deux  un  mouvement  propre  de  même  sens  que  le 
mouvement  de  circulation  de  l'astre;  de  sorte  que  celui-ci  doit  décrire 
dans  le  ciel  plus  qu'une  circonférence  entière  avant  de  les  rejoindre. 
On  put  facilement  reconnaître  ce  mouvement  des  apsides  de  la  lune , 
en  voyant  que  les  points  de  sa  plus  grande  et  de  sa  plus  petite  vitesse  se 
déplaçaient  progressivement  parmi  les  étoiles  dans  le  même  sens  qu  elle, 
et  faisaient  le  tour  entier  du  ciel  dans  un  peu  moins  de  neuf  années. 

Quand  une  éclipse  de  lune  s'opère,  le  lieu  du  ciel  où  la  lune  se 
trouve  est  marqué  par  les  étoiles  qui  l'avoisinent.  Une  suite  d'observa- 
tions pareilles,  longtemps  continuées,  montre  nécessairement  que  les 

67 


530  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

étoiles  ccliptiques  sont  situées  sur  im  même  grand  cercle  que  par- 
rourt  la  pointe  de  l'ombre  terrestre,  conséqucmment  le  rayon  vecteur 
solaire  qui  lui  est  alors  opposé.  Cest  peut-ctre  là  le  caractère  le  plus 
propre  à  faire  reconnaître  que  le  soleil  se  meut  constamment  dans  ie 
plus  grand  cercle,  oblique  à  la  direction  du  mouvement  diurne,  et 
dont  on  a  ainsi  la  trace  dans  le  ciel.  Or,  en  suivant  la  route  de  la  lune 
parmi  les  étoiles  pendant  le  mois  qui  suit  une  éclipse,  on  reconnaît  d 
même  (|u*elle  aussi  est  peu  différente  d'un  grand  cercle,  oblique  à  ce' 
du  soleil.  Et,  puisque  co  cercle  lunaire  mensuel  coupe  le  premie 
de  s  points  divers  dans  1rs  érlipses  successives,  il  faut  bien  que  so' 
tourne  dans  le  ciel  par  un  mouvcmeiil  propre,  (|ui  transporte  • 
sivement  sur  différentes  parties  du  cercle  solaire  ses  points  (^ 
tion  avec  ce  cercle ,  lesquels  ont  été  appelés  les  nœuds  de  la 
scrvation  montre  que  le  sens  de  leur  mouvement  est  rétr 
à-dire  contraire  au  mouvement  de  révolution  de  la  lun 
terre,  et  quils  parcourent  ainsi  la  circonférence  enli^î 
un  intervalle  de  dix-buit  à  dix-neuf  ans.  Ce  mouvemcr 
l'orbe  lunaire  combiné  avec  son  inclinaison  sur  l'éclip. 
cessivement  la  lune  à  des  latitudes  différentes  autour  de  ce  tu  . 
lorsqu'elle  arrive  à  l'opposition;  et  c'est  pourquoi  il  y  a  tant  de  pi^ 
lunes,  non  éclîptiques,  comme  aussi  la  portion  de  son  disque  que  l'on 
voit  s'éclipser  est  très-inégale  à  des  époques  différentes.  Il  fallut  donc 
cberclier  encore,  par  de  longues  suites  d'observations,  la  période  d'accom- 
plissement de  cette  inégalité  que  les  Grecs  appelèrent  la  restitution  de 
latitude,  parce  qu'elle  ramenait  la  lune  à  une  égale  distance  du  plan  de 
l'écliptique.  C'est  réellement  la  révolution  de  la  lune  autour  de  son 
nœud  mobile,  dans  son  propre  plan;  et  ainsi  elle  doit  être  plus  courte 
que  la  révolution  tropique,  puisque  le  nœud  rétrogradant  se  rapproche 
de  la  lune  pendant  qu'elle  revient  vers  lui.  Mais  la  durée  des  retours  à 
une  même  latitude  pai^mi  les  étoiles  aurait  pu  être  déterminée  sans  la 
connaissance  abstraite  des  nœuds. 

Quand  on  eut  ainsi  trouvé  les  durées  moyennes  du  mois  synodique, 
du  mois  tropique,  de  la  restitution  d'anomali<* ,  et  de  la  restitution  de 
latitude,  il  fallut  chereber  un  nombre  de  jours,  soit  entier,  soit  accom- 
pagné dune  fraction  simple,  qui  contînt  des  révolutions  entières  de 
ces  quatre  périodes,  et  qui,  s'il  était  possible,  contînt  aussi  un  nombre 
presque  entier  d'années  solaires ,  afin  que ,  le  soleil  étant  revenu  à  peu 
près  au  même  point  de  son  orbite,  l'inégalité  de  son  mouvement  propre 
se  trouvât  à  peu  près  de  même  grandeur  qu'à  l'époque  prise  pour  point 
de  départ.  Ptolémée  nous  dit  que  les  anciens  maûiématiciens  [ol  itcCKauoï 


530  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

étoiles  écliptiques  sont  situées  sur  im  mcmc  grand  cercle  que  par- 
court la  pointe  de  l'ombre  terrestre,  conséqucmment  le  rayon  vecteur 
solaire  qui  lui  est  alors  opposé.  Cest  peut-ctre  là  le  caractère  le  plus 
propre  à  faire  reconnaître  que  le  soleil  se  meut  constamment  dans  le 
plus  grand  cercle,  oblique  à  la  direction  du  mouvement  diurne,  et 
dont  on  a  ainsi  la  trace  dans  le  ciel.  Or,  en  suivant  la  route  de  la  lune 
parmi  les  étoiles  pendant  le  mois  qui  suit  une  éclipse,  on  reconnaît  de 
même  qu'elle  aussi  est  peu  différente  d'un  grand  cercle,  oblique  à  celui 
du  soleil.  Et,  puisque  ce  cercle  lunaire  mensuel  coupe  le  premier  en 
des  points  divers  dans  les  éclipses  successives,  il  faut  bien  que  son  plan 
tourne  dans  le  ciel  par  un  mouvement  propre,  qui  transporte  progres- 
sivement sur  différentes  parties  du  cercle  solaire  ses  points  d'intersec- 
tion avec  ce  cercle,  lesquels  ont  été  appelés  les  nœuds  de  la  Jane,  L'ob- 
servation montre  que  le  sens  de  leur  mouvement  est  rétrocjradcy  c'est- 
à-dire  contraire  au  mouvement  de  révolution  de  la  lune  autour  de  la 
terre,  et  qu'ils  parcourent  ainsi  la  circonférence  entière  du  ciel,  dans 
un  intervalle  de  dix-huit  à  dix-neuf  ans.  Ce  mouvement  de  transport  de 
l'orbe  lunaire  combiné  avec  son  inclinaison  sur  l'écliptique  amène  suc- 
cessivement la  lune  à  des  latitudes  différentes  autour  de  ce  dernier  plan , 
lorsqu'elle  arrive  à  l'opposition;  et  c'est  pourquoi  il  y  a  tant  de  pleines 
lunes,  non  écliptiques,  comme  aussi  la  portion  de  son  disque  que  l'on 
voit  s'éclipser  est  très-inégale  à  des  époques  différentes.  Il  fallut  donc 
chercher  encore,  par  de  longues  suites  d'observations,  la  période  d'accom- 
plissement de  cette  inégalité  que  les  Grecs  appelèrent  la  restitution  de 
latitude,  parce  qu'elle  ramenait  la  lune  à  une  égale  distance  du  plan  de 
l'écliptique.  C'est  réellement  la  révolution  de  la  lune  autour  de  son 
nœud  mobile,  dans  son  propre  plan;  et  ainsi  elle  doit  être  plus  courte 
que  la  révolution  tropique,  puisque  le  nœud  rétrogradant  se  rapproche 
de  la  lune  pendant  qu'elle  revient  vers  lui.  Mais  la  durée  des  retours  à 
une  même  latitude  pai*mi  les  étoiles  aurait  pu  être  déterminée  sans  la 
connaissance  abstraite  des  nœuds. 

Quand  on  eut  ainsi  trouvé  les  durées  moyennes  du  mois  synodique, 
du  mois  tropique ,  de  la  restitution  d'anomalie ,  et  de  la  restitution  de 
latitude,  il  fallut  chercher  un  nombre  de  jours,  soit  entier,  soit  accom- 
pagné dune  fraction  simple,  qui  contint  des  révolutions  entières  de 
ces  quatre  périodes,  et  qui,  s'il  était  possible,  contînt  aussi  un  nombre 
presque  entier  d'années  solaires ,  afin  que ,  le  soleil  étant  revenu  à  peu 
près  au  même  point  de  son  orbite,  l'inégalité  de  son  mouvement  propre 
se  trouvât  à  peu  près  de  même  grandeur  qu'à  l'époque  prise  pour  point 
de  départ.  Ptolémée  nous  dit  que  les  anciens  mathématiciens  [oi  itcChaioï 


SEPTEMBRE  1843.  531 

fiaôvfJLOtnxoi) ,  il  ne  les  désigne  pas  d'une  autre  manière,  estimèrent  (vTre- 
'kdfiëavov)  toutes  ces  conditions  remplies  par  une  période  de  6585^  -j, 
quils  élevèrent  à  19756  jours  en  la  triplant  pour  éviter  les  iractions. 
Car,  selon  eux,  dans  cet  intervalle  de  temps,  ils  voyaient  [êcipuyv)  s'ac- 
complir 669  mois  synodiques,  jii  mois  périodiques,  yiy  restitutions 
d'anomalie,  726  révolutions  de  latitude,  et  5/i  révolutions  complètes 
du  soleil,  plus  ^  d'une  révolution.  En  eflbt,  si  l'on  divise  successive- 
ment le  nombre  entier  de  jours  19766  par  le  nombre  de  révolutions 
entières  attribué  à  chaque  période  partielle,  on  leur  trouve  ainsi  des 
durées  très-peu  différentes  de  leurs  véritables  valeurs;  et,  en  opérant 
de  la  même  manière  avec  le  diviseur  54  ^,  qui  exprime  l'arc  total 
décrit  par  le  soleil  en  19766  jours,  on  a,  pour  le  temps  d'une  seide 
révolution  complète,  365^-^-,  plus  une  fraction  négligeable,  puisqu'elle 
ne  s  élève  pas  à  j^  de  jour.  Ces  évaluations  ne  renferment  ainsi  que 
la  notion  la  plus  vulgaire  de  l'année,  et  l'on  a  vu  qu'elles  ont  pu  s'ob- 
tenir par  la  seule  contemplation  longtemps  survie  du  ciel,  sans  aucune 
notion  abstraite  d'astronomie  théorique.  On  serait,  toutefois,  bien  cu- 
rieux de  savoir  quels  sont  ces  anciens  mathématiciens  que  Ptolémée  a 
voulu  désigner;  car  ils  ont  dii  être  en  effet  bien  anciens,  et  avoir  pos- 
sédé des  observations  bien  longtemps  suivies,  pour  avoir  pu  en  dé- 
duire un  assemblage  si  exact  des  cinq  périodes  lunaires  et  solaires. 
Géminus,  dans  son  Introduction  aux  phénomènes  célestes,  semble  d'a- 
bord faire  espérer  quelque  lumière  sur  ce  point  d'histoire.  Car,  au 
chapitre  xv,  il  mentionne  la  même  période  de  6585^  -f ,  et  son  exten- 
sion à  19766  jours  entiers,  ce  qui  fait  quil  l'appelle  è^ekiyiiàs  [evo- 
latio).  Mais,  en  décrivant  son  usage  pour  obtenir  individuellement  les 
diverses  périodes  qu  elle  embrasse ,  il  ne  l'attribue  pas  explicitement 
aux  Chaldécns,  comme  on  l'a  souvent  avancé;  il  la  donne  comme  un 
résultat  des  temps  anciens  (^x  irakaiôjv  )(^p6vojv),  sans  indiquer  d'où  elle 
est  venue.  A  la  vérité,  il  nomme  les  Chaldécns  une  fois,  mais  seule- 
ment ,  à  ce  qu'il  me  semble ,  pour  dire  qu'ils  ont  trouvé,  par  une  marche 
naméricjue  pareille,  le  mouvement  moyen  tropique  ou  sidéral  de  la  lune, 
en  un  jour,  égal  à  i3'  10'  36";  et,  comme  cet  arc  est  presque  exacte- 
ment -^  de  la  circonférence,  il  serait  très-possible  que  l'énoncé  qu'il  en 
donne  en  degrés,  minutes  et  secondes ,  ne  fût  qu'une  traduction  grecque 
de  leur  résultat.  Le  reste  du  chapitre  n'est  plus  que  l'exposé  d'opérations 
numériques  très-peu  exactes,  pour  répartir  les  variations  mensuelles  de 
l'anomalie  autour  de  leur  terme  moyen,  de  manière  à  ce  qu'elles  ré- 
produisent la  plus  grande  et  la  j)Ius  petite  vitesse  diurne,  à  peu  près 
telles  qu'on  les  observe.  Mais  Géminus  y  parle  toujours  en  son  propre 

67. 


532  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

nom  ou  en  termes  généraux,  et  rien  ne  fait  entendre  qu'il  veuille  men- 
tionner de  nouveau  les  Chaldéens. 

Hipparque  trouva  la  période  de  6585^  -j  trop  peu  exacte,  et  il  en 
composa  une  plus  longue,  qui  a  beaucoup  plus  de  précision.  Indépen- 
damment de  son  grand  génie ,  il  se  trouvait  dans  des  conditions  spécia- 
lement favorables  pour  obtenir  un  tel  résultat.  Etant  parvenu  à  mesurer 
rinégalité  de  mouvement  que  la  lune  éprouve  dans  les  éclipses  selon 
la  distance  où  elle  est  de  son  apogée,,  il  pouvait  connaître  sa  longitude 
exacte  en  appliquant  celte  inégalité  au  mouvement  moyen  calculé  par 
le  temps.  En  outre,  il  paraît  qu'il  possédait  les  observations  datées  d'un 
très-grand  nombre  d'éclipsés ,  et  fort  anciennes ,  qui  avaient  été  appor- 
tées de  Babylone,  avec  le  détail  des  particularités  que  leur  apparition 
^vait  présentées;  de  sorte  qu'il  pouvait  choisir,  et  qu'il  choisissait  en 
effet,  dans  cet  ensemble,  les  éclipses  dont  les  circonstances  étaient  le 
ptus  semblables  entre  elles,  ou  convenaient  le  mieux  aux  épreuves  qu'il 
voulait  faire.  Ce  travail  immense,  et  que  la  forme  de  larithmélique  ta 
grecque  rendait  infiniment  pénible ,  donna  des  valeurs  de  tous  les  mou- 
vements moyens  si  exactes,  que  Ptolémée,  venu  deux  siècles  et  demi 
après  Hipparque ,  n  a  trouvé  à  y  faire  qu  une  légère  rectification  pour 
le  mouvement  de  l'apogée;  et  leiu*  comparaison  avec  celles  que  nous 
observons  aujourd'hui,  après  tant  de  temps,  nous  fournit  les  preuves 
les  plus  sûres,  comme  les  plus  palpables,  de  la  réalité  ainsi  que  de 
rétendue  des  inégalités  séculaires  dont  Texistence  est  signalée  par  la 
théorie  de  Fattraction.  Nous  allons  voir,  dans  un  autre  article,  comment 
Hipparque ,  et  ensuite  Ptolémée ,  se  sont  fondés  sur  ces  évaluations  des 
mouvements  moyens  pour  déterminer  les  deux  principales  inégalités 
périodiques  qui  les  altéraient. 

BIOT. 

NOTE. 

Sur  les  changements  que  les  variations  séculaires  de  Vexcentricité  de  l'orbe  terrestre  pro- 
duisent dans  ïintensilé  de  la  force  attractive  par  laquelle  le  soleil  trouble  le  mouve- 
ment relatif  (le  la  lune  autour  de  la  terre. 

Soit  a  le  demi-grand  axe  de  TeUipse  que  décrit  annuellement  la  terre  autour  du 
soleil  comme  foyer.  Désignons  par  ae  Texcentricité  de  cette  ellipse  à  une  époque 
quelconque ,  el ,  comptant  les  anomalies  vraies  v  à  partir  de  l'aphélie ,  nommons  r 
le  rayon  vecteur  solaire  correspondant  à  Tanomalie  v.  Si  Ton  néglige  les  variations 
de  e  pendant  la  durée  d'une  même  année,  la  relation  des  v  aux  r  à  Tépoque  con- 
sidérée sera 

1         1 — e  cos  V 

r  a  (i — e*) 


534  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


ScRiPTORUM  grjEcorum  bibljotheca.  Parisiis,  editore  Ambrosio 

Firm.  Diçlot.  T.  XIV  et  XV. 

Depuis  notre  dernier  article  ^  sur  cette  belle  collection ,  elle  a  con- 
tinué de  marcher  avec  toute  la  rapidité  que  permettent  les  soins  nom- 
breux dont  elle  est  Tobjet.  Sept  nouveaux  volumes  ont  paru,  à  savoir; 
l'Ancien  Testament ,  a  volumes;  le  Nouveau  Testament,  i  volume;  le 
tome  I"  de  Diodore  de  Sicile;  Eschyle  et  Sophocle,  i  volume  ;  les  Frag- 
ments dès  historiens  grecs  avant  Alexandre,  \  volume;  les  Scholie» 
d Aristophane,  i  volume. 

Nous  allons  rendre  compte  dabord  des  Scholies  dAristophane  et  de» 
Fragments  des  anciens  historiens. 

PREI^IER    ARTICLE. 

I.  Scholia  grœca  in  Aristophanem  y  ciim  prolegomenis  grammaticoram ,  va- 
rietate  lectionis  optimorum  codicum  intégra,  ceterorum selecta ,  annotatione 
criticoram  item  selecta,  cai  sua  quœdam  inserait  Fr.  Dàbner,  xxxn  et 
728  pages. 

U  n'est  peut-être  pas  d'auteur  qui  ait  plus  besoin  qu'Aristophane 
d'être  éclairci  par  des  commentaires  et  des  explications  antiques  tirées 
de  sources  qui  n'existent  plus.  Heureusement  les  scholies  de  cet  auteur 
sont  les  plus  étendues  et  peut-être  les  plus  importantes  de  toutes  celles 
qui  nous  restent  de  l'antiquité. 

Ce  qui  aura  sans  doute  déterminé  M.  F.  Didot  à  commencer  par  ces 
scholies,  c'est,  outre  leur  importance,  qu'il  avait  le  secours  d'une  ex- 

nous  venons  de  le  démontrer;  et,  cVaprès  les  considérations  exposées  dans  le  pas- 
sage auquel  se  rapporte  la  présente  note,  il  a  du  en  résulter  une  accélération  cor- 
respondante dans  le  mouvement  de  circulation  de  la  lune,  ainsi  qu*un  ralentisse- 
ment dans  le  mouvement  de  progression  direcle  de  ses  apsides,  comme  dans  Ja 
rétrogradation  de  ses  nœuds.  Mais  »  pour  obtenir  la  mesure  numérique  de  ce» 
changements ,  pour  constater  même  s'ils  sont  sensibles ,  il  faut  développer,  par  une 
analyse  détaillée  et  profonde,  le  mode  mécanique  par  lequel  la  force  perturbatrice 
produit  les  mouvements  dont  ils  sont  de  simples  modifications. 

^  Journal  des  Savants,  juin  i84i< 


SEPTEMBRE  1843.  535 

rdlente  édition,  celle  de  M.  G.  Dindorf.  Ce  savant  helléniste  a  fait  un 
si  bon  usage  des  manuscrits,  et  tant  cpuré  le  texte,  que  son  édition 
peut  être  considérée  comme  Tédition  princeps  de  ces  scholies.  Publiée 
en  3  volumes  in-S*",  à  Oxford,  elle  est  fort  chère,  et  peu  de  savants 
sont  en  état  de  se  la  procurer.  La  réduire  en  un  volume ,  pour  la  mettre 
à  la  portée  d'un  plus  grand  nombre  d'acheteurs,  était  déjà  beaucoup 
servir  les  études  grecques.  Mais  ce  n'était  pas  assez,  pour  l'éditeur  de 
la  collection,  de  reproduire  exactement  cette  belle  édition;  son  désir 
était  de  l'améliorer  encore ,  s'il  était  possible.  Grâces  aux  soins  de 
M.  Dûbner,  ce  volume  est  devenu  nécessaire  à  ceux-là  même  qui  pos- 
sèdent l'édition  de  M.  Dindorf. 

En  traçant  une  courte  histoire  de  ces  scholies,  nous  indiquerons  en 
quoi  consiste  le  mérite  de  l'édition  d'Oxford;  puis  nous  ferons  con- 
naître les  amélioi*ations  et  les  additions  qui  distinguent  celle  de  Paris. 

La  première  édition  de  ces  scholies  se  trouve  dans  celle  de  neuf  CO'^ 
médies  [les  Thesmophoriazases  et  la  Lj5i5fra(t' manquent)  donnée  iiWeiliMe 
en  1 498,  chez  Aide  l'Ancien,  par  le  crétois  Marc  Musurus,  dont  les  tra- 
vaux, eu  égard  au  temps  oii  il  vivait,  ne  méritent  peut-être  pas  le  j!^ 
gement  sévère  qu'en  a  porté  M.  Dindorf.  Son  édition  des  scholies, 
laite  d'après  des  manuscrits  qui  semblent  à  présent  inconnus,  se  com- 
pose des  anciennes  schohes  mêlées  à  celles  des  grammairiens  byzan- 
tins, principalement  sur  les  Grenouilles,  les  Nuées  et  Plutas,  qui  sont 
presque  les  seules  comédies  d'Aristophane  qu'on  étudiât  dans  les  écoles 
byzantines.  Le  mélange  de  ces  deux  sources  principales  est  tel ,  dans  cette 
édition,  qu'il  est  le  plus  souvent  impossible  de  les  distinguer.  En  outre, 
Musurus,  par  Fenvie  d'être  utile  à  l'interprétation  d'un  auteur  si  difficile, 
augmenta  encore  la  confusion ,  en  intercalant  une  foule  de  gloses  tirées 
d'Hai'pocration ,  de  Suidas  et  de  divers  écrivains,  tel  que  Diodore,  Pau- 
sauias,  Plutarque,  Elien,  Etienne  de  Byzance,  Ammonius,  Démétrius, 
Grégoire  de  Corinthe,  Ëustathe,  Zénobius,  les  scholiastes  d'Euripide  et 
d'Apollonius  de  Rhode. 

La  deuxième  édition,  celle  de  Florence  iSîS,  fut  donnée  par 
Antoine  Francinus  (  et  non  Fracinus  ) ,  qui  ne  fit  que  reproduire  l'édi- 
tion princeps  avec  toutes  ses  fautes ,  sauf  quelques  additions  de  peu 
d'importance,  tirées,  à  ce  que  Ton  croit,  du  manuscrit  de  Ravenne.  Lei 
deux  éditions  de  Sigismond  Gelenius  (Bas.  iS/iy)  et  d'Emilius  Portus 
(Aurel.  Allobr.  1607)  méritent  peu  qu'on  s'y  aiTête.  Ludolph  Kuster, 
dans  sa  belle  édition  d'Amsterdam  (1710),  améliora  peu  le  texte  des 
scholies;  mais  il  publia  celles  de  la  Lysistrate  d'après  deux  manus- 
crits qu'il  coUationna  avec  assez  de  négligence. 


536  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Le  premier  travail  réellement  critique  fut  celui  d'Hemsterhuis  sur 
le  Plutus  :  c  est  à  lui  qu'on  doit  les  premiers  efforts  pour  distinguer  les 
diverses  sources  auxquelles  appartiennent  ces  scholies ,  apprécier  le 
degré  de  confiance  que  méritent  les  faits ,  souvent  très-curieux ,  qu'elles 
nous  révèlent,  et  expliquer  les  contradictions  et  les  absurdités  quon  y 
remarque. 

Dès  l'apparition  de  ces  scholies ,  on  y  reconnut  une  mine  abondante 
de  renseignements  instructifs  sur  l'antiquité,  et  principalement  sur  la 
vie  publique  et  privée  des  Athéniens  ;  et  Ton  ne  tarda  point  à  s'aper- 
cevoir que  ces  renseignements  n'avaient  point  la^même  origine,  qu'ils 
provenaient  de  mains  diCTérentes ,  qu'ils  n'étaient  pas  du  même  temps , 
et  que  la  valeiu*  n'en  était  point  égale. 

Pour  pouvoir  introduire  une  règle  sûre  dans  la  critique  de  ces 
sources  diverses,  il  était  nécessaire  de  prendre  une  connaissance  exacte 
et  d'exécuter  une  collation  complète  des  divers  manuscrits  qui  eu 
existent. 

Cette  utile  opération  fut  commencée  par  M.  Imm.  Bekker,  qui  copia 
le  manuscrit  de  Venise  [Marcianas,  n°  k'jli),  un  des  plus  anciens  et  le 
le  plus  important  de  tous ,  puisqu'on  peut  prouver  avec  la  dernière  évi- 
dence que  Suidas  a  eu  sous  les  yeux  un  manuscrit  tout  semblable  quand 
il  a  compilé  son  lexique,  où  il  l'a  fait  passer  presque  en  entier.  Mal- 
heureusement il  manque  dans  ce  manuscrit  quatre  pièces,  les  Achar- 
nienSf  la  Lysistrate,  les  Thesmophoriaznses  et  les  Ecclesiaznses. 

Mais  on  pouvait  y  suppléer  à  l'aide  du  manuscrit  de  Ravenne ,  un 
peu  plus  ancien  que  celui  de  Venise ,  et  à  peu  près  complet ,  c'est-à- 
dire  comprenant  des  scholies  sur  les  onze  pièces  d'Aristophane,  et, 
entre  autres,  quelques-imes  qu'on  n'a  depuis  retrouvées  dans  aucun 
manuscrit,  par  exemple  celles  des  Thesmophoriaznses  et  de  la  Lysistrate, 
poiu"  les  vers  818  à  889,  ia6o  à  1278,  1297  à  i3i  1,  que  M.  Dindorf 
a  publiées  pour  la  première  fois.  Quant  au  reste,  il  ne  contient  qu'un 
simple  abrégé  des  scholies  du  manuscrit  de  Venise. 

Ces  deux  manuscrits,  ainsi  que  Suidas,  qui  reproduit  le  second,  ne 
contiennent  que  des  extraits  d^anciens  grammairiens  qui  possédaient 
une  multitude  d'ouvrages ,  maintenant  perdus,  où  ils  pouvaient  puiser 
des  notions  exactes  sur  les  passages  les  plus  difficiles  du  poète ,  et  s'é- 
^slairer,  pour  beaucoup  de  points,  de  la  tradition  encore  vivante. 

Il  reste  à  présent  peu  de  moyens  de  connaître  l'époque  de  la  rédac- 
tion de  ces  scholies,  non  plus  que  la  patrie  de  leurs  auteurs;  mais  on 
est  à  peu  près  sûr  que  cette  rédaction  est  antérieure  à  Constantin.  Le 
peu  de  mots  appartenant  à  une  grécité  récente  qu'on  y  rencontre  sont 


SEPTEMBRE  1843.  537 

du  Qdmbre  de  ceux  qui  s'étaient  déjà  introduits  dans  la  langue  avant 
répoque  de  cet  empereur. 

Quant  aux  sources  doii  elles  dérivent,  Kuster  avait  déjà  proposé  de 
les  diviser  en  deux  classes;  M.  Dindorf  pense  qu'on  doit  les  diviser  en 
trois.  La  première  comprendrait  les  ^oses  émanées  directement  des 
graounairiens  alexandrins,  dont  les  uns  avaient  éclairci  les  pièces  d'A- 
ristophane par  des  annotations  [ùnofivrffAaurtv),  tels  que  Symmaque, 
Apollonius,  Didyme,  Aristarque,  etc.  cités  dans  ces  scholies;  et  les 
autres  composèrent  des  traités  ex  professa  sur  Tart  de  la  comédie  en 
général  et  sur  certaines  pièces  en  particulier  :  tels  furent  Eratoslhène  et 
Lycophron ,  dont  les  livres  Trepï  KœiJupSias  y  sont  souvent  mentionnés. 
Dans  la  seconde  classe  on  metti^ait  les  gloses  des  grammairiens  qui , 
ayant  eu  sous  les  yeux  ces  anciens  ouvrages,  en  ont  tiré  des  extraits 
(éxXoyaï  ÙTrofivfiiiarfûv) ,  auxquels  ils  ont  joint  leurs  propres  annotations, 
et  en  ont  formé  cet  ensemble  de  scholies  que  nous  possédons  à  présent. 
Cette  rédaction  doit  être,  selon  M.  Dindorf,  du  quatrième  ou  du  cin- 
quième siècle.  La  collection ,  qui  éprouva  peu  de  changements  depuis 
cette  époque,  comme  on  peut  en  juger  par  Suidas,  se  répandit  à  faide 
des  manuscrits  copiés  sur  un  manuscrit  primitif:  c'est  vers  le  xii*  siècle 
qu'elle  s'^crut  des  élucubrations  des  grammairiens  byzantins  Jean 
Tzetzès,  Moschopule,  Thomas  Magister  et  autres. 

Ce  sont  ces  deux  premières  classes  de  sjcholîes  que  nous  ont  conser- 
vées les  deux  manuscrits  de  Venise  et  de  Ravenne ,  ainsi  que  le  lexique 
de  Suidas  ;  tandis  que  la  plupart  de  celles  qui  se  trouvent  dans  les  autres 
manuscrits  appartiennent  à  la  source  byzantine,  et  sont  inférieures  aux 
premières  sous  le  rapport  de  l'autorité  comme  de  l'importance.  Depuis 
que  l'on  connaît  ces  deux  manuscrits,  on  a  donc  un  point  d'appui  solide 
pour  établir  la  diversité  des  éléments  qui  ont  formé  ces  précieux 
commentaires. 

Or  le  parti  qu'avait  tiré  M.  Bekker  de  ces  deux  manuscrits  ne  ré- 
pondant pas  à  leur  importance,  l'université  d'Oxford  les  fit  coUationner 
de  nouveau,  ainsi  que  plusieiu^s  autres,  à  savoir  : 

1*  Un  second  manuscrit  de  Venise  (n*  AyS),  qui  parait  avoir  été 
copié  sur  le  premier,  et  qui  en  offre  une  sorte  de  répétition,  sauf  quel- 
ques changements  et  de  nouvelles  annotations  sur  le  Plains ,  les  Oiseaux 
et  los  Grenouilles; 

a"*  Un  manuscrit  de  la  Laurentiane,  à  Florence,  contenant  seule- 
ment quatre  pièces ,  les  Chevaliers^  les  Naées,  le  Platas  et  les  Grenouilles  ; 
on  y  a  recueilli  plusieurs  scholies  nouvelles  ; 

08 


538  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

3^  Un  autre  manuscrit  de  la  même  bibliothèque,  à  peu  près  du  même 
temps ,  c'est-à-dire  du  xrv  *  siècle ,  qui  est  surtout  utile  pour  Tintelligence 
des  Ecclesiazuses ; 

k"*  Un  manuscrit  de  la  bibliothèque  Ambrosienne,  contenant  les 
CbevaUers,  les  Oiseaux,  les  Grenouilles f  les  Nuées  et  le  Plains;  'A  four- 
nit peu  de  choses  utiles  qui  ne  soient  pas  déjà  dans  les  deux  premiers 
manuscrits  de  Venise  et  de  Ravenne. 

Telles  sont  les  bases  sur  lesquelles  M.  Dindorf  a  établi  son  édition 
d'Oxford  (3  vol.  iSSg).  Le  texte  qu'il  a  donné  ne  contient  que  ce  qui 
se  trouve  dans  les  manuscrits.  Toutes  les  additions  que  Musurus  avait 
tirées  des  auteurs  que  j'ai  indiqués  plus  haut  en  ont  été  retranchées 
par  le  savant  éditeur.  A  chaque  pas  il  avertit  de  la  source  d'où  pro- 
viennent les  scholics.  Sans  entrer  dans  plus  de  détails  sur  le  mérite 
supérieur  du  travail  de  M.  Dindorf,  il  nous  suffira  de  dire  qu'il  forme, 
à  proprement  parler,  l'édition  princeps  des  scholies,  puisque  ce  nest 
qu'à  partir  de  cette  édition  qu'on  peut  se  servir,  en  toute  connaissance 
de  cause,  des  renseignements  qu'elles  contiennent,  et  apprécier  l'au- 
torité de  la  tradition  sur  laquelle  chacune  d'elles  repose. 

Quelque  parfaite  que  soit  l'édition  d'Oxford ,  M.  Fr.  Dùbner  a  su , 
comme  je  l'ai  dit ,  tout  en  la  reproduisant  dans  celle  que  publie  M.  Di- 
dot,  y  ajouter  des  perfectionnements  qui  la  rendent  à  la  fois  plus  com- 
plète et  plus  commode.  Nos  lecteurs  en  jugeront  par  les  indications 
que  je  vais  donner. 

Pour  montrer  du  premier  coup  d'œil  au  lecteur,  et  sans  qu'il  soit 
obligé  de  recourir  aux  notes,  Tautorité,  pour  ainsi  dire,  diplomatique  de 
chaque  scholie ,  l'éditeur  a  indiqué,  par  des  crochets  de  diverses  formes , 
tout  ce  qui  manque  dans  l'un  des  manuscrits  de  Ravenne  et  de  Venise , 
ou  dans  tous  les  deux.  Celte  disposition,  purement  typographique,  fait 
voir,  au  moins  pour  les  sept  pièces  de  celui  de  Venise  (  l'autre  ne  con- 
tenant que  des  extraits),  que  les  scholics  qui  manquent  dans  ces  ma- 
nuscrits sont,  à  très -peu  d'exceptions  près,  modernes,  cest-à-dirc  éy- 
zantines. 

Comme  on  est  habitué  maintenant  à  citer  Aristophane  d'après  le 
numérotage  adopté  dans  l'édition  de  Brunck,  M.  Dûbnerl'a  substitué 
à  celui  de  l'édition  de  Ruster,  que  M.  Dindorf  avait  préféré. 

Le  texte  de  M.  Dindorf  n'a  été  changé  que  bien  rarement  par 
M.  Dùbner,  et  lorsqu'il  était  indispensable  de  le  faire.  Dans  un  travail 
définitif  sur  ces  scholics,  on  pourra,  par  une  application  encore  plus 
sévère  de  l'excellente  méthode  de  M.  Dindorf,  améliorer  encore  ce 
texte  déjà  si  perfectionné.  Ainsi  cm  remarque  parfois,  dans  le  choix 


SEPTEMBRE  1843.  539 

entre  les  diCFërentes  rédactions  d'une  scholie,  une  sorte  d'hésitation  et 
d'inconsistance.  Le  plus  souvent  M.  Dindorf  rejette  la  leçon  aldine 
(celle  de  Musurus)  et  préfère  celle  des  nianuscrits;  mais  il  lui  arrive 
aussi  de  conserver  la  rédaction  aldine,  en  la  retouchant  seulement 
d'aprts  les  manuscrits,  sans  indiquer  les  motifs  de  cette  préférence.  A 
notre  avis ,  il  serait  plus  conforme  aux  règles  de  la  critique ,  si  bien 
mises  en  œuvre  par  ce  docte  helléniste,  d'exclure  toute  rédaction  ou 
scholie  moderne,  et  de  n'admettre  que  les  scholies  des  deux  manus- 
crits de  Ravenne  et  de  Venise,  avec  celles  de  Suidas,  et  une  partie  de 
celles  qu'on  trouve  dans  les  manuscrits  qui  ont  une  affinité  reconnue 
avec  les  deux  premiers  ;  on  choisirait  entre  celles  des  manuscrits  plus 
modernes,  quand,  par  des  raisons  internes,  on  pourrait  en  découvrir 
l'origine  ancienne.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que,  dans  un  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  royale,  qui  ne  contient  que  des  scholies  byzantines, 
M.  Dûbner  a  i^etrouvé  tout  ce  que  les  anciennes  scholies  citent  sous  le 
nom  de  Timachidas  (Grenouilles,  v.  1270,  p.  535).  Le  reste  devrait 
êti^e  rejeté  au  bas  des  pages,  en  plus  petit  caractère.  De  cette  manière, 
on  pourrait  lire  les  anciennes  scholies  d'Aristophane  (  autant  qu'il  est 
possible  de  le  savoir  maintenant  )  sans  être  troublé  i>ar  aucune  de  ces 
additions  modernes,  le  plus  souvent  insupportables,  surtout  pour  les 
trois  pièces  du  Phtas ,  des  Nuées  et  des  Grenouilles ,  sur  lesquelles  les 
scholiastes  byzantins  ont  débité  tant  d'inepties. 

L'exemple  que  je  viens  de  citer  indique  que  M.  Dûbner,  pour  per- 
fectionner le  texte  des  scholies  autant  que  le  permettait  la  marche 
non  interrompue  des  autres  parties  de  la  collection,  a  pris  à  tâche 
de  compulser  les  manuscrits  et  les  livres  de  la  Bibjiothèque  royale.  11 
y  a  trouvé  im  exemplaire  de  l'édition  de  Froben ,  sur  les  marges  du- 
quel Claude  Dupuy  avait  mis  d'anciennes  scholies  sur  la  Lysistrata,  qui 
j)roviennent,  non  du  manuscrit  de  Ravenne,  mais  d'un  semblable. 
Elles  ont  servi  à  perfeclioxiner  les  scholies  tirées  de  celui  de  Ra- 
venne. Le  même  volume  contient  aussi  des  scholies  sur  les  Thesmopho- 
riazuses,  mais  provenant  d'une  origine  plus  récente.  La  Bibliothèque 
royale  ne  contient,  outre  le  manuscrit  célèbre  2-712  (membranœ  Brun- 
cJxii)y  que  des  manuscrits  des  trois  pièces  du  Platas,  des  Nuées  et  des 
Grenouilles.  M.  Dûbner  a  choisi  principalement  le  n°  282 1 ,  qui  ne  con- 
tient, comme  Içs  autres,  que  des  scholies  byzantines ,  mais  dans  un  état 
(Tinlégrité  tout  h  fait  remarquable.  Il  s'en  est  servi  pour  corriger  un 
grand  nombre  de  ces  scholies,  qui,  bien  que  modernes,  méritent  en- 
(»oi'c  l'attention  des  hellénistes  sous  le  rapport  de  la  lexicologie,  de  la 
^Mammaire  et  de  la  métrique.  M.  Dûbner  en  a  inséré  dans  les  notes 

68. 


540  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

plusieurs  centaines  d'inédites,  qui  se  distinguent,  en  général,  à  défaut 
d'autre  mérite,  par  un  style  très-châtié  ^ 

Outre  les  variantes,  éclaircies  par  des  notes  critiques  et  historiques, 
M.  Dîndorf  a  donné  un  choix  de  ce  qu'il  y  avait  de  meilleur  dans  les 
observations  des  critiques  qui  l'ont  jM'écédé.  M.  Dùbner  y  a  ajouté  plu- 
sieurs notes  sur  des  points  qui  lui  paraissaient  avoii*  de  l'importance, 
et  une  multitude  de  renvois  à  des  ouvrages  plus  modernes.  Aux  va- 
riantes des  deux  manuscrits  de  Ravennc  et  de  Venise,  et  à  celles  que 
fournit  Suidas,  il  a  joint  toutes  celles  des  autres  manuscrits  et  des  édi- 
tions qui  pouvaient  avoir  quelque  valeur,  et  il  a  proposé  beaucoup 
de  corrections  au  texte  d'après  ces  variantes.  Je  me  contente  de  ren- 
voyer le  lecteur  aux  pages  Zi 2 3  »  4^5 ,  44 1,  445,  449,  5oi,  5o2  ,  5o3, 
5o4,  5o5,  507,  5i3,  5i4,  5a3,  537,  543,  544,  548,  558,  559, 
563,  566,  570,  573^  577,  578 ,  583.  On  doit  au  même  critique  des 
éclaircissements  tirés  des  nouvelles  variantes  (par  exemple,  aux  pages 
443,  449,  5^0,  6o3),  ainsi  que  plusieurs  corrections  ex  inqenio.  J'en 
citerai  trois  exemples  : 

1  *  Dans  ce  passage  de  l'argument  de  la  Lysistrate  :  Ùfiéa-at  Se  dvaTretaatra 
fifj  irpérepop  toîs  àvSpdcri  awavaieZeiv ,  Trpîi;  âv  itokeyLOvvies  oKkifkois  vaù- 
(Tùnnat , ràs  (lèp  ÉEÛIliOTS  ÉM1IPIAÀ2  xara'kt'rrovcTa  biricroj  (p.  248,  5), 
en  place  des  mots  £S£2inOT2  EMIIPIAA2,  qui  n'ont  aucun  sens, 
M,  Dùbner  lit  EI2IIPIAA2  pour  eh  irarpiSas,  et  ESÛAniOTSAS ,  et 
le  texte  devient  ràs  (lèp  i^  àittoiaas  els  TtarpiSasx.  t.  >.,  ce  qui  parait 
certain. 

2*  Le  scholiaste  (  Thesmoph.  v.  1 68)  cite  deux  vers  du  poète  comique 
Téléclide  dans  ce  passage  mutilé  :  TrfXexTisiSrjs  tLaiàSois  •  oKk*  1)  TctXanfa 

^ù^Mkia  j8 Sev  oSv,  el  S^è</l\v  Al<rxvXov  (ppâvrifi*  é^&w,  passage  que 

M.  Dîndorf  n'a  pas  essayé  de  rétablir.  M.  Meineke ,  en  donnant  oes 
deux  vers ,  a  laissé  subsister  la  lacune  '  : 

'  Depais  que  cette  édition  a  paru,  M.  le  minisire  de  rinstraction  publique  a  fait 
déposer  à  la  Bibliothèque  royale  un  nouveau  manuscrit  d* Aristophane,  envoyé  de 
Grèce  par  M.  Mînoide  Mynas.  Ce  manuscrit,  sur  papier  de  coton  et  du  xiv*  siècle, 
ne  contient,  comme  tous  les  manuscrits  byzantins,  que  les  trois  pièces  du  Platas, 
des  Grenoailles  et  des  Nuées,  Les  scholies  sont  les  mêmes  que  ceues  du  manuscrit 
2821,  sauf  peu  de  variantes  sans  intérêt.  Par  exemple,  dans  la  Vie  d'Aristophane, 
p.  XXIX,  1.  /15,  le  manuscrit  donne  ^pifiacra  pZ',  comme  Tancienne  Vie;  L  47 1  après 
yéypa-ttrat^ il  ajoute  lipeoekeyeïov,  P.  a 7 4^  1 .  1  a ,  e^  xaU  (pikoraàvtcç  vàrv  Trenotrjfiévov  ; 
Tadverbe  iràvM  n'existe  pas  dans  les  autres.  Dans  Tarrangement  des  vers  du  iv*  ai*ga- 
ment  des  Nuées,  il  confirme  Inobservation  de  M.  Meineke,  rapportée  p.  4 18,  et  la- 
leçon  de  Tédilion  aldine.  Les  autres  variantes  ont  peut-être  moin  s  d'importance  en- 
core. —  *  Fragmenta  comicor.  grœcor.  vol.  II,  pars  I',p.  3&7. 


SEPTEMBRE  1843.  541 

ÀXX'  rj  réikaiva  4>iXoxXéa  |S Sev  ohv 

M.  Dûbner  propose  : 

ÂXX'  i)  réikaiva  <l^ikoKkéa  f^^sX'ùrlerat , 

On  'pourrait  substituer  un  autre  mot  à  yvwis  (Iiouime  efféminé), 
njais  ^SekMttat  est  bien  probable. 

3*  Au  vers  58  de  la  Lysistrate,  Aristophane  cite  quelques  mots  du 

poète  comique  Phérécrate  (rà  toC  Oepexpdrov^ ).  Les  grammairiens 

n  ont  pas  pu  trouver  ces  mots  dans  les  comédies  de  ce  poète  :  êv  Se  toU 
crùXfliiJivots  (OepexpûÉTOw^)  tôS  xâi/xixoîf  toSto  otî;^  eipltixerat.  Ce  texte  est 
clair;  mais  le  manuscrit  de  Ravenne,  celui  de  Dupuy  et  celui  de  la  bi- 
bliothèque Baroccienne,  ont  tous  :  rà  (rà  Se,  Bar.)  dirb  rSv  SkT^anf  yéysiv 
(  "kéyeiv  est  omis  dans  Bar.)  Stà  rb  elptjfxévov  Ospexpétovs'  èv  yàq  roïs,  etc. 
Au  lieu  de  corriger  les  mots  inintelligibles  fournis  par  trois  manus- 
crits, on  les  a  tout  simplement  rayés.  M.  Dûbner  a  vu,  dans  les  mots 
ûtTrà  tSv  SKkcjv  ['Xéyeiv)  Stà,  une  horrible  corruption  de  dmoTiCàkirùinf ,  et 
<^^  ;  il  a  donc  écrit  :  toSto  (ou  raSra)  tôv  (ou  éx  tSv)  dttsroX&yXdrcin^,  e/  Sri 
TA  elptiyiévov  <!>epexpdTovs  (si  toutefois  cela  est  bien  de  Phérécrate)  •  ép 
yàç  tots,  etc.  Si  cette  correction  avait  besoin  d*être  justifiée,  elle  le 

serait  par  la  scholic  du  vers  1 3  des  Grenouilles  :  ^pôvty^os oiS^ 

TOVTGJv  éTToirjo'ev  èv  TOis  cTùXfiiiévois  oùtov  '  slxbs  Se  êv  To7$  d'fsdkojyjknv  eJpat 
avTOv  toiouriv  ri. 

Le  nouvel  éditeur  rectifie  quelquefois  les  vues  de  ses  prédécesseurs 
(p.  4i8,  A99,  5o5),  et  il  propose  des  vues  ou  des  explications  nou- 
velles. Ainsi,  dans  une  scholie  sur  la  Lysistrate  (v.  1 087),  que  fournit 
le  manuscrit  Dupuy,  des  lettres  xarà  îofSpé  il  tire  xcnà  AvSpéa»  [selon 
Andréas),  et  il  montre  que  ce  doit  être  le  grammairien  très-récent  (cité^ 
aussi  dans  la  scholie  du  même  manuscrit  sur  le  v.  70a  des  Thesmo^ 
phoriazuses)  dont  Fabricius  cite  un  ouvrage  7rep2  voSSv^.  On  trouvera 
d*autres  bonnes  remarques  (p.  619,  ^ 98,  5 10). 

En  tête  de  Tédition  ont  été  réunis ,  sous  le  titre  de  Prolegomena  de 
comœdia,  les  divers  fi*agments  grecs  irepl  Kc^iiipSlas,  ainsi  que  les  petites 
biographies  grecques  d'Aristophane,  mais  augmentés  de  plusieurs  pièces, 
telles  que  1  *"  le  petit  écrit  ^repl  KœfupSiaf  tiré  des  Anecdota  Parisiensia  de 
Cramer  (t.  I,  p.  3  sq.),  dont  une  grande  partie  a  été  retrouvée  aussi 
par  M.  Dûbner  dans  le  manuscrit  ^821,  qui  donne  fréquemment  la 

'  Bibl  Grœc.  t.  VI,  p.  3oi,  335. 


542  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


bonne  leçon;  2^  les  vers  de  Tzetzès  vepï  SttlpopSs  Tzoïnrwv  et  vep\  Yiùh 
(tf^las^  déjà  publiés  par  M.  Dûbner  dans  le  Rheinisches  Muséum  (i  835 , 
p.  SgS  sq.),  et  par  M.  Cramer  dans  les  Anecdota  Oxoniensia  (III,  p.  ihli 
sq.);  mais  ils  reparaissent  ici,  rectifiés  en  beaucoup  d'endroits  d'après 
l'excellent  manuscrit  de  Paris  n*  26&&;  3*  les  Sx^/f^ara  àpiarlorekixa, 
d'après  M.  Cramer.  [Anecd,  Paris.  1. 1,  p.  4o3.) 

Je  viens  maintenant  à  la  partie  du  travail  de  M.  Dûbner  la  plus  neuve 
et  la  plus  utile. 

Le  volume  contenant  Aristophane,  qui  a  déjà  paru ,  n*est  point,  comme 
les  autres ,  terminé  par  tme  table.  L'éditeur  avait  promis  qu'à  la  suite  des 
âcholies  il  en  publierait  une  qui  servirait  à  la  fois  pour  le  poète  et  ses 
ficboliastes  :  elle  termine  le  présent  volume.  M.  Dûbner  l'a  eiécutée 
avec  le  savoir  et  l'exactitude  qu'il  met  atout  ce  qu'il  entreprend.  Les  per- 
sonnes qui  connaissent  Aristophane  sentiront  combien  il  est  difficile  de 
faire  la  table  des  matières  traitées  par  un  poète  qui  joint,  à  chaque  instant, 
la  fiction  et  l'histoire.  M.  Dûbner,  pour  échapper  à  la  nécessité  de  donner 
de  continuels  éclaircissements  et  éviter  toute'  confusion ,  a  mis  en  iia- 
Uqaes ,  dans  sa  table ,  tout  ce  qui  est  tiré  du  scholiaste ,  de  sorte  qu'on 
voit  d'un  coup  d'oeil  ce  qui  appartient  à  Aristophane  et  ce  qui  provient 
de  ses  coomientateurs.  Quant  au  poète,  s' attachant,  autant  que  pos- 
sible ,  à  ses  paroles,  il  a  tourné  ses  phrases  de  manière  que  le  lecteur 
voit  sans  peine  s'il  s'agit  d'une  fiction  ou  d'un  fait  réel;  quelquefois 
M.  Dùbaer  en  avertit  par  une  parenthèse.  Cette  table  peut  donc  servir, 
en  même  temps,  d'un  glossarium  Arisiophaneum  à  ceux  qui,  en  lisant 
Aristophane ,  veulent  avoir,  en  peu  de  mots ,  l'explication  des  allusions 
du  poète.  On  sent  qu'il  n'y  a  qu'un  homme  très^amilier  avec  la  lecture 
d'Aristophane  qui  pouvait  exécuter  cette  tâche  sans  laisser  échapper 
beaucoup  d'erreurs,  soit  en  lui  prêtant  des  idées  auxquelles  il  ne  pen- 
sait point,  soit  en  in»stant  sur  des  plaisanteries  purement  incidentes, 
soit  en  passant  légèrement  sur  des  indications  qui  sont  fort  importantes, 
et  quelquefois  tiennent  au  nœud  même  de  la  pièce.  Il  résume  en  peu 
de  mots  le  rôle  de  chacun  des  personnages,  soit  principaux,  soit  ac- 
cessoires, que  le  poète  fait  intervenir  :  par  exemple,  le  petit  rôle  d'Iris , 
dans  les  Oiseaux  (v.  1202-1361),  est  analysé  avec  exactitude  dans  la 
note  suivante  :  a  Iris  per  Nubicuculiam  (Ne^sXoxoxxv^^)  tanquam  per 
uinane  volât;  comprehensa  et  ad  Pisthetâerum  ducta,  se  nescire  dicit 
uquas  portas^  quam  w*bem  dicat  ilie,  et  quaerit  satisnc  sanus  sit  ;  ino- 
unet  ne  deos  contemnat;  tandem  obscœnis  minis  virgo  abigitur.  » 

Cette  table,  qui  formerait  à  elle  seule  un  volume  in-S""  de  grosseur  or- 
dinaire, est  suivie  de  Yindex  des  auteurs  cités  dans  les  scholies,  et  d\\n 


SEPTEMBRE  1843.  543 

index  gr^ecas  in  scholia,  contenant  tous  les  mots  sur  lesquels  les  scho- 
liastes  ont  fait  quelques  observations. 

Le  volume  est  terminé  par  la  concordance  des  nimiéros  indiquant 
les  vers  dans  l'édition  de  Brunck  et  dans  celle  de  Kuster,  d'après  la- 
quelle les  scholies  sont  ordinairement  citées. 

Tous  ces  index  donnent  une  grande  utilité  à  ce  volume,  et  en  font  un 
livre  indispensable  à  quiconque  veut  se  livrer  à  une  étude  approfondie 
d*Aristopbane ,  ou  seulement  y  retrouver  facilement  ce  qu'il  se  souvient 
d'y  avoir  lu. 

Nous  réservons  pour  un  autre  article  l'analyse  du  volume  qui  cou* 
tient  les  Fragments  des  historiens  grecs,  dont  l'édition  est  due  aux 
soins  de  MM.  Charles  et  Théodore  Mûller. 

LETRONNE. 


1 .  Anticbi  MONUMENT!  SEPOLCRALi  scopcrti  nel  dacato  di  Ceri , 
dichiarati  dal  cav.  P.  S.  Visconti.  Roma,  i836,  in-fol. 

2.  Descrizions  di  Cere  an  tic  a,  ed  in  particolare  del  monumento 
sépulcrale  scoperto  nelV  anno  1836,  etc.  delV  architetto  cav.  L. 
Canina.  Romat  i838,  in-foL 

3.  Monumenti  di  Cere  antica,  spiegaii  colle  osservanze  del  cnito 
di  Mitra,  dal  cav.  L.  Grifi.  Koma,  i8Ai«  ia-fol. 

QDATaiàllB    ET    DERNIER    ARTICLE  \ 

Le  plus  important  des  objets  déposés  dans  le  tombeau  de  Cœre,  du 
moins  en  apparence ,  et  à  considérer  smlout  sa  matière ,  l'or,  sa  com* 
position,  qui  consiste  en  une  multitude  de  figures  symboliques  dis- 
tribuées dans  un  certain  ordre,  et  la  place  même  qu'il  occupait  sur  la 
poitrine  d'une  personne  qui  doit  avoir  été  une  femme,  consacrée  peut- 
être  à  quelque  sacerdoce,  le  plus  important,  dis-je,  de  ces  objets»  est 
le  pectoral,  dont  un  dessin  fidèle,  de  la  grandeur  de  l'original,  est  donné 
par  M.  Grifi.  Dans  la  conviction  où  il  est,  et  que  je  ne  puis  partager, 
que  l'individu  auquel  appartenait  cet  ornement  funèbre ,  si  remarqual)le 
à  tant  d'égards,  était  un  pontife  étrusque,  ou  même  un  mage  perse \ 

'  Voir  ies  numéros  de  mai,  jaia  et  juillet  i843. 

^  M.  Grifi  se  sert,  en  an  endroit  de  son  livre,  de  celte  expression  de  magf»  de* 
Caliei,  p.  lag,  a),  expression  certainement  bien  impropre  et  fort  singnlière de  k 
part  d'nn  savant  qui ,  comme  M.  Grifi  «  connatt  assnranenl  très-bien  la  ^Béreom 


Wi  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

M.  Grifi  y  voit  un  emprunt  fait  à  Tarchéologie  biblique,  une  imitation 
du  rariona/ hébreu';  mais,  en  se  plaçant  dans  une  autre  hypothèse,  qui 
sei'ait  bien  plus  d'accord  avec  Tcnsemble  des  monuments,  on  pourrait, 
avec  tout  autant  de  raison,  y  reconnaître  quelque  chose  d'analogue  k 
Tespèce  de  plaque  ornée  de  scalpixares  qui  décorait  la  poitrine  des  prêtres 
et  des  prêtresses  de  Cybèle  et  de  la  déesse  de  Syrie,  comme  nous  l'ap- 
prenons de  quelques  témoignages  classiques^,  et  que  nous  le  voyons  sur 
quelques  monuments  ^.  Quoi  qu'il  en  soit ,  c'est  la  composition  même 
de  cet  ornement,  et  surtout  la  signification  attachée  aux  figures  sym- 
boliques dont  il  est  chargé ,  qui  mérite  au  plus  haut  degré  l'attention 
de  nos  lecteurs. 

Ce  pectoral  se  compose  de  neuf  zones  ou  bandes  concentriques ,  for- 
mant un  demi-cercle  autour  du  cou,  au-dessous  desquelles  règne  une 
plaque  carrée,  divisée  elle-même  en  quatre  bandes  ou  zones  horizontales, 
qu'entourent ,  dans  une  direction  verticale ,  douze  autres  bandes  sem- 
blables, dont  les  deux  dernières,  ou  les  plus  extérieures,  correspondent , 
par  leur  extrémité  supérieure ,  à  celle  des  deux  premières  des  neuf  zones 
concentriques.  Chacune  de  ces  bandes  est  remplie  de  figiu^es  symboliques 
qui  expriment  certainement  des  idée^  religieuses ,  et  dont  la  composi- 

des  mages  de  la  Médic  et  de  la  Perse  d*avec  les  Ghaldéens  de  Babylone.  Dans  le 
passage  qu*il  cite  de  Pausanias ,  iv,  3a ,  Ai  il  est  question  des  Chaldéens  et  des  ma^es 
de  r Inde,  ce  qui  est  conforme  à  la  vérité. — ^  Grifi,  Afonam.  di  Cere,  p.  96,  3).  Sur  ce 
rational  hébreu ,  appelé  en  grec  \&yiov  et  XoyeTov,  Yôy.  Fabricius,  Biblioth.  ont  c.  11. 
—  *  Dionys.  Hal.  11,  19  :  tùttovs  re  Trepixeifisvoi  toTs  aliideat.  Cette  sorte  de  plaqae 
sculptée  se  nommait,  à  raison  de  la  place  qu^elle  recevait  sur  la  poitrine,  ispoalrjOl' 
liov.  n  en  est  fait  mention  dans  un  fragment  de  Polybe,  cité  par  Suidas,  v.  FiXXoç; 
cf.  Polyb.  Fragm,  lib,  xwi,  c.  ao,  S  6,  t,  IV,  p.  aao,  Schw.,  où  ce  mol,  altéré  en 
ifpàç  T^  Ihéa ,  a  été  rétabli  par  Valois ,  d'après  un  autre  passage  du  même  écrivain , 
cité  par  le  même  Suidas ,  v.  irpaa^rjÔiZicùv.  L'objet  nommé  dans  ces  deux  textes 
vpo&lrjBC^wv  a  été  mal  expliqué  par  Suidas:  ehiives  (Âé/pi  (/Jiidovs^  qui  signifient 
desjigures  en  buste  ;  tandis  qu*il  s  agissait  elTectivement  défigures  placées  sur  la  poi- 
trine. En  second  lieu ,  il  y  avait  certainement  une  distinction  à  faire  entre  T{nrovs 
et  vpo&lrjSRia^  distinction  que  n'ont  faite  ni  Winckelmann ,  Monum,  ined.  n.  8,  ni 
réditeur  du  Musée  Capitolin,  t.  IV,  p.  63,  ni  Visconti  lui-même.  Mus.  P,  Clem. 
t.  Vn,  p.  37.  —  ^  Je  citerai  particulièrement  une  peinture  d*Herculanum ,  reprê- 
•eotant  cinq  ministres  sacrés  dévoués  au  culte  de  la  déesse  de  Syrie,  et  portant  sur 
la  poitrine  une  plaque  ornée  de  lignes  et  de  signes  symboliques,  Pittur.  d*Ercolan.  t  Ilf , 
far.  Li;  voy.  p.  267,  11),  où  les  savants  interprètes  de  cette  peinture  n'ont  pas  ou- 
blié de  rappeler  les  passages  de  Denys  d'Halicamasse  et  de  Suidas,  rapportés  à  la 
note  précédente,  et  de  citer  à  Tappui  deux  monuments,  publiés  par  Montfaucon, 
représentant  une  prêtresse  de  Cybèle  avec  le  buste  de  la  déesse  suspendu  sur  la  poi- 
trine, mais  où  ils  ont  aussi  laissé  échapper  à  leur  attention  cette  distinction  impor- 
tante eatre  le  buste,  vitvoç^  et  la  plaque,  vpo&Jijd(^tQv. 


SEPTEMBRE  1843.  545 

tion ,  comme  le  style,  se  rapporte ,  sans  nul  doute ,  à  uii  type  asiatique  : 
voilà  ce  qui  résuite,  pour  toute  personne  tant  soit  peu  versée  dans 
Tarchéologie  comparée,  de  la  première  inspection  de  ce  monument, 
unique  jusqu'ici.  L'embarras  commence  quand  il  s'agit  dy  appliquer 
un  système  d'interprétation.  Partant  de  l'idée  que  ce  sont  les  dogmes 
de  la  religion  mithriaque ,  tels  qu'ils  sont  exposés  dans  les  livres  zends, 
particulièrement  dans  le  Boundehesch,  qui  ont  fourni  tous  les  motifs 
de  cette  composition  symbolique,  M.  Grifi  voit ,  4ans  les  douze  grandes 
zones  concentriques  qui  forment  la  principale  partie  du  pectoral,  un 
emblème  de  la  grande  année,  qui  consistait  en  doaze  milliers  d'années 
solaires,  et  qui  représentait,  dans  la  croyance  des  Perses  commune  aux 
Étrusques,  la  durée  totale  du  monde  créé.  J'ai  dit  précédemment  ^  ce 
que  je  pensais  de  cette  idée  de  notre  auteur,  et  je  n'ai  point  à  y  revenir. 
Il  me  suffira  d'exposer  ici  en  peu  de  mots  de  quelle  manière  M.  Grifi  ap- 
plique les  notions  cosmologiques  contenues  dans  les  livres  zends  à  Tex- 
plication  des  figures  symboliques  de  notre  monument  étrusque.  Il  trouve , 
dans  le  choix  de  ces  figures,  et  dans  la  place  qui  leur  est  donnée  sur  cha- 
cune des  doaze  bandes  en  question ,  l'image  emblématique  de  la  lutte  da 
1)ien  et  du  mal,  qui  remplit,  avec  des  alternatives  diverses,  l'espace  en- 
tier des  douze  millénaires.  Ce  premier  point  admis,  il  voit,  dans  la  plaque 
carrée  qu'embrassent  ces  douze  zones  concentriques ,  et  qui  est  divisée  en 
quatre  bandes  parallèles,  l'image  des  quatre  âges  du  monde,  composés  cha- 
cun de  trois  mille  ans,  qui  sont  une  autre  expression  de  la  durée  du 
monde  créé.  Appliquant,  enfin,  ces  deux  notions  à  la  partie  supérieure 
du  pectoral,  qui  consiste  en  neuf  zones  concentriques,  d'une  moindre  di- 
mension ,  d'après  la  place  même  qu'elles  occupent  autour  du  cou ,  il  re- 
connaît,  dans  ces  neuf  divisions,  neuf  milliers  d'années,  qui  s'étaient  écoulés 
depuis  la  première  création  des  choses  jusqu'à  l'époque  où  Zoroastre,  le 
régulateur  présumé,  l'instituteur  historique  de  la  religion  des  Perses, 
accomplit  la  réforme  qui  porta  son  nom  ;  ce  qui  place  l'existence  de  ce 
chef  des  mages  à  la  fin  du  troisième  âge  du  monde,  c'est-à-dire  après 
trois  mille  ans  écoulés  de  l'existence  du  monde  actuel ,  et  ce  qui  répond 
à  l'époque  du  règne  de  Darius ,  fils  d'Hystaspe ,  sous  lequel  l'opinion  la 
plus  commune  fait  vivre  le  Zoroastre  rédacteur  des  livres  zends.  Telle 
est  l'idée  générale  qui  a  présidé  à  tout  le  travail  de  M.  Grifi ,  idée  qui 
est  certainement  ingénieuse,  et  qui  semble  se  prêter,  sans  trop  d'efforts, 
à  l'explication  détaillée  de  chacun  des  douze  ordres  de  figures  symbo- 
liques, distribués  dans  les  douze  zones  concentriques ,  comme  autant  d'ex- 


»    \T 


Voy.  Journal  des  Savants,  juillet  i8â3,  p.  4a3-&a5. 

69 


546  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pressions  idéographiques  de  la  notion  religieuse  attachée  à  chacun  des 
douze  millinaires.  Ces  figures,  empruntées,  les  unes  à  la  nature  humaine , 
mais  avec  des  appendices  qui  en  font  des  êtres  surnaturels,  à  savoir 
quatre  ailes  placées  aux  épaules  et  à  la  ceinture,  et  deux  tiges  de 
lotus  partant  du  milieu  du  corps  ;  les  autres  au  règne  animal ,  mais  pa- 
reillement aussi  avec  des  combinaisons  ou  des  accessoires  qui  en  font 
des  êtres  chimériques ,  tels  que  des  griffons ,  des  lions  avec  une  tige  de 
lotus  dans  la  gueule,  des  ceifs,  des  béliers ,  des  chevaux  ailés  et  des  chimères, 
ces  figures,  disons-nous,  sont  distribuées  dans  les  douze  zones  concen- 
triques, d'une  manière  qui  semble  indiquer  les  alternatives  de  la  lutte 
du  bien  et  du  mal  qu'exprime  probablement  chacune  d'elles.  Ainsi 
les  griffons  de  la  zone  supérieure,  considérés  comme  symboles  du  premier 
millénaire,  exprimeraient  la  race  des  puissances  malfaisantes,  produits 
d'Ahriman  ;  les  figures  à  quatre  ailes,  qui  succèdent  aux  griffons  dans  la 
seconde  bande ,  indiqueraient  la  création  des  Ferouers^  génies  des  étoiles  » 
ou  âmes  des  bons  ;  les  lions,  avec  la  tige  de  lotus  dans  la  gueule,  disposés 
dans  la  troisième  bande,  répondraient  aux  Daroudj,  autres  génies  mal- 
fisôsants  de  la  création  d'Ahriman  ;  les  figures  à  qmûre  ailes,  qui  se  repro- 
duisent identiques  dans  la  iv*  et  la  vi*  zones,  se  rapporteraient  aux  Izeds 
et  aux  Amschaspands ,  génies  bienÊiisants,  créés  pour  maintenir  et  dé- 
fendre l'œuvre  d'Ormuzd,  et  les  Uons  ailés,  ou  griffons,  de  la  v'  zone, 
représenteraient  les  chefs  des  Dews ,  ministres  d'Ahriman.  Ainsi  se  trou- 
veraient symboliquement  exprimées,  dans  les  six  zones  supérieures  du 
jfectoral,  les  vicissitudes  de  la  latte  entre  les  deux  principes  qui  remplit 
les  six  premiers  miUénaires  de  la  grande  année,  ou  l'espace  de  six  mille 
ans  assigné  à  la  durée  de  la  création  du  monde  invisible ,  résultat  qui 
ne  laisse  pas  de  paraître  assez  plausible,  et  qui  est  justifié  par  les  textes 
du  Zend-Avesta,  dans  les  applications  qu'en  fait  notre  auteur  à  chacune 
de  ces  classes  de  figures  symboliques,  bien  qu'il  y  ait  nécessairement  plus 
d'une  supposition  arbitraire  dans  les  idées  de  l'ingénieux  interprète  :  par 
exemple,  dans  l'hypothèse  que  le  premier  millénaire ,  au  lieu  d'être  con- 
sacré h  la  création  du  bien ,  qui  précède  effectivement  celle  du  mal  dans 
la  cosmogonie  de  Zoroastre,  serait  occupé  par  l'image  du  mal ,  sous  l'em- 
blème des  griffons;  en  second  lieu,  dans  l'emploi  d'un  même  ordre  de 
figures  à  quatre  ailes,  pour  exprimer  des  êtres  divers  d'origine  et.  d'at- 
tribution ,  tels  que  les  Ferouers ,  les  Izeds  et  les  Amschaspands ,  tandis  que 
des  animaux  différents ,  les  griffons  et  les  Uons  avec  la  tige  de  lotus  dans 
k  gueule ,  représenteraient  des  êtres  d'une  nature  semblable ,  tels  que 
les  Dews  et  les  Daroudj.  Je  me  borne  à  indiquer  ces  difficultés,  sans  entrer 
dans  le  détail  d'une  explication  qui  me  mènerait  trop  loin ,  et  que  je 


SEPTEMBRE  1843.  547 

n'ai ,  d'ailleurs,  ni  l'intention  ni  le  moyen  dappi*écier  avec  toute  là  ri- 
gueur de  la  critique. 

Le  principal,  peut-être  même  l'unique  défaut  du  système  d'interpré- 
tation adopté  par  M.  Grifi ,  et  le  seul  point  sur  lequel  il  me  convienne 
d'insister,  c'est  l'âge  trop  récent  et  l'autorité  trop  équivoque  des  tertes 
religieux ,  tirés  des  livres  de  Zoroastre ,  qu'il  applique  à  T explication  du 
pectoral  étrusque  de  Cœre.  Gomme  il  n'est  pas  possible  de  ne  pas  re- 
connaître que  le  Boundehesch ,  livre  très-moderne,  surtout  par  rapport 
aux  croyances  dont  il  contient  l'expression,  a  subi  encore  une  foule  de 
remaniements  et  d'interpolations  rendues  sensibles  par  l'incohérence  de 
sa  rédaction ,  on  éprouve  un  scrupule  presque  invincible  à  se  servir  de 
pareils  textes  pour  rendre  compte  d'Images  symboliques  dont  l'ipven- 
tion  appartient  certainement  à  une  époque  beaucoup  plus  ancienne,  dont 
la  signification  peut  se  lier  à  un  tout  autre  système  religieux.  Quant  au 
fait  que  ces  images  symboliques  se  rapportent ,  même  chez  les  Étrusques , 
qui  n'en  furent  sans  doute  pas  les  auteurs,  mais  qui  en  durent  puiser  les 
types  dans  les  œuvres  d'im  art  asiatique ,  à  une  époque  bien  plus  haute 
que  celle  à  laquelle  M.  Grifi  place  l'exécution  des  monuments  de  Cœre , 
au  moins  un  siècle  après  la  réforme  de  Zoroastre ,  ce  fait  se  prouve  par  la 
connaissance  que  nous  avons  acquise  dç  figures  semblables  ou  analogues 
sur  des  vases  d'argile  noire ,  recueillis  à  Cœre  même  et  dans  d'autres 
anciennes  villes  étrusques ,  lesquels  vases  appartiennent ,  à  n'en  pouvoir 
douter,  par  leur  fabrication ,  à  la  plus  haute  antiquité  étrusque ,  et ,  par 
l'origine  des  représentations  qui  s'y  trouvent,  à  une  archéologie  orien- 
tale. Par  exemple ,  h  f  gare  vétae  à  quatre  ailes ,  qui  est  peut-être  l'image 
la  plus  significative  et  la  plus  souvent  reproduite  sur  le  pectoral  de  Cœre , 
s'est  rencontrée,  presque  absolument  pareille ,  dans  une  figurine  d'argile 
noire,  découverte  aussi  à  Cœre  et  publiée  d'abOTd  par  M.  Dorow*;et 
nous  possédons ,  sur  beaucoup  de  monuments  étrusques ,  de  nature  et 
de  matière  diverses,  et  tous  d'une  très-ancienne  fabrique,  des  figures 
semblables,  qui  tiennent  au  même  système  religieux  et  au  même  art 
asiatique.  Or,  s'il  y  a  quelque  chose  d'avéré  dans  des  recherches  de  te 
genre,  c'est  que  l'invention  de  ces  figures  à  quatre  ailes,  si  souvent  em- 
ployées sur  les  cylindres  babyloniens^,  n'appartient  pas  à  Tart  des  Perses, 

*  Voyage  archéologique  en  Étrurie,  pi.  xv,  n.  3 ,  p.  &o;  Micali,  Monnm.  per  urmre 
alla  storia  de'  antichi  popoli  itaKani,  tav.  xxi,  n.  5.  —  *  M.  Grifi  n'a  cîté  aue  le  cy- 
Hodre  de  M.  Dorow,  Morgenlànd.  AUerthûm.  taf.  ï;  mais  il  en  existe  beaucoup 
d^autres ,  les  uns  publiés ,  les  autres  encore  inédits ,  tels  que  les  deux  cylindres  dû 
Musée  britannique ,  dont  un  dessin  se  trouve  sur  Tune  des  planches  jointes  à  la 
Religion  der  Bahylonier,  du  EK  Mûnter,  taf.  i,  n**  la  et  i3.  J'en  publierai  plusieurs 

69. 


548  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

mais  à  celui  des  Assyiîens.  Il  en  est  de  même  des  figures  danimaux 
symboliques  représentés  sur  le  pectoral  de  Cœre.  Certainement,  les  lions, 
les  béliers,  les  cerfs,  les  griffons,  les  chevaux  ailés,  tels  qu'on  les  voit  si 
souvent  sur  les  vases  d'argile  noire  et  sur  ceux  de  manière  dite  phé- 
nicienne et  de  fabrique  primitive ,  dérivent  originairement  de  modèles 
founiis  par  une  industrie  phénicienne,  en  rapport  avec  une  archéologie 
assyrienne  ;  et  de  pareils  travaux  remontent ,  chez  les  Etrusques  eux- 
mêmes,  et,  à  plus  forte  raison,  chez  les  peuples  de  l'Asie  antérieure, 
qui  en  produisirent  les  types,  à  ime  époque  bien  plus  ancienne  que  celle 
de  la  réforme  introduite  par  Zoroastre  dans  la  religion  des  Perses ,  par 
suite  de  laquelle  des  images  figurées,  restées  jusqu'alors  étrangères  à  ce 
peuple,  prirent  place  parmi  les  objets  de  son  culte.  La  chimère,  ou  l'a- 
nimal à  deax  têtes  sar  an  corps  de  lion ,  qui  figure  parmi  les  animaux  sym- 
boliques du  pectoral  de  Cœre,  est  pareillement  connue  pour  s'être  pro- 
duite sur  des  vases  d'argile  noire,  provenant  de  nécropoles  étrusques  '; 
et  cette  figure  appartient  indubitablement  k  une  archéologie  asiatique , 
comme,  de  l'aveu  même  de  M.  Grifi^,  elle  est  en  dehors  du  système  de 
la  symbolique  persépolitaine.  J'en  dirai  autant  de  l'image  la  plus  impor- 
tante que  nous  offre  le  pectoral  de  Cœre ,  le  groupe  du  personnage  divin 
placé  entre  deux  lions  qail  dompte.  Ce  groupe  symbolique,  dont  je  crois 
avoir  donné,  dans  un  travail  particulier',  la  véritable  explication»  en  le 
rapportant  au  mythe  de  Y  Hercule  assyrien  et  phénicien,  revient  si  fréquem- 
ment sur  des  cylindres  babyloniens  et  persépolitains  de  tout  âge ,  dans  la 
principale  de  ses  variantes ,  celle  où  le  personnage  divin  combat  le  lion  dressé 
devant  lui^ ,  qu'on  ne  peut  douter  qu'y  n'exprimât  une  des  croyances  les 
plus  fondamentales  de  la  religion  de  ces  peuples ,  la  lutte  du  dieu  favorable 
contre  le  mauvais  principe;  mais  cette  idée  avait  certainement  revêtu, 
chez  les  Assyriens  et  les  Phéniciens,  une  forme  graphique,  avant  de 

dans  les  planches  jointes  à  mon  Mémoire  sur  rHercule  assyrien  ;  ce  qui  fait  que  je 
m^abstiens  ici  d'en  citer  d'autres.  —  ^  Micalî ,  Monam.  per  serv,  alL  star,  de  wiL 
popoL  ital.  tav.  xx,  i  et  ao;  tav.  xxvi,  a  ;  Dorow,  Voyage  archéologique  en  Ètrarie, 
pi.  IV,  iig.  7.  Un  de  ces  vases  noirs,  oii  paraît  une  chimère  figurée  avec  un  corps  et 
une  tête  de  lion,  et,  de  plus,  avec  une  tite  de  chèvre,  &ît  partie  de  la  collection  de 
M.  le  comte  de  Pourtalès-Gorgier,  où  il  est  décrit,  p.  97-98,  n.  j464«  et  gravé  en 
vignette,  p.  i33.  Un  vase  pareil,  avec  une  représentation  semblable,  appartenait  à 
M.  de  Magnoncourt,  et  on  le  trouve  décrit,  sous  le  n*  1 16,  p.  73 ,  dans  le  Catalc^e 
de  ce  cabinet  ;  ce  vase  est  maintenant  en  ma  possession.  —  *  Monum.  di  Cere,  etc. 

C69. —  *  Dans  un  Mémoire  sur  l'Hercule  assyrien ,  déjà  cité. —  *  J'ai  indiqué ,  dans 
mémoire  mentionné  à  la  note  précédente,  la  plupart  de  ces  cylindres  qui  m'é- 
taient connus,  et  j*en  publierai  plusieurs,  qui  étaient  encore  inédits,  dans  les  planches 
qui  y  seront  jointes. 


SEPTEMBRE  1843.  549 

passer  dans  les  œuvres  de  Tart  persépolitain ,  comme  nous  la  voyons  re- 
présentée dans  les  raines  de  Tschelminar ;  et  la  même  idée,  sous  une 
forme  analogue  et  avec  plusieurs  de  ses  variantes,  avait  pénétré  chei 
les  Étrusques ,  certainement  aussi  dès  une  époque  antérieure  à  celle  où 
M.  Grifi  suppose  qu'ils  purent  avoir  connaissance  des  dogmes  de  la  re- 
ligion mithriaque,  à  en  juger  d'après  Tancienneté  de  style  et  de  fabrique 
qu'offrent  la  plupart  de  ces  monuments  de  l'art  étrusque  ^  La  variante 
signalée  en  derjiier  lieu  et  souvent  reproduite ,  celle  où  le  personnage  di- 
vin combat  le  lion  dressé  devant  lui ,  est  une  des  images  figurées  que  Gtésias 
avait  en  vue  dans  ce  quil  appelle  les  représentations  de  chasses  royales, 
sculptées  et  émailléeâ  sur  les  murs  du  palais  des  rois  à  Babylone  ^.  L'in- 
vention ,  comme  le  motif,  en  était  donc  bien  certainement  assyrienne  ^  ;  et 

'  Le  héros  placé  entre  deux  lions  qu'il  conduit  enchaînés ,  ou  quil  tient  serrés  par 
la  gorge,  est  un  sujet  qui  s*est  trouvé  sculpté  sur  des  bronzes  étrusques  du  plus  an- 
cien style,  Inghirami,  Monum.  Etrusch.  ser.  m,  tav.  xxiii  et  xxxiii;  Micali,  lHonam. 
per  serv.  ail.  stor,  de*  ont.  popol.  UaL  tav.  xxviii,  n.  3  et  5.  Le  modèle. de  cetie 
représentation  ne  pouvait  avoir  été  fourni  que  par  des  monuments  babyloniens, 
tels  que  le  sceau  trouvé  à  Babylone  même ,  et  publié  par  le  voyageur  anglais  Ui- 
gnan,  Traveb  in  Chaldea  (London,  1828,  inS",  sur  le  frontispice),  où  le  personnage 
divin  tient  de  chaque  main  un  lion  dressé  sur  ses  pattes  de  derrière.  Le  groupe  d'un 
homme  nu,  agenouillé  entre  deux  lions ,  dans  la  gueule  desquels  il  plonge  un  bras  vie- 
torieux,  sujet  d*un  bas-relief  d*un  tombeau  de  Tarquinies  (  d*Agincourt ,  Hist.  èe 
l'art.  Architecture,  pi  xi,  n.  A,  Inghirami,  Monum.  Etrusch.  ser.  IV,  tav.  xvni),  est 
une  image  équivalente ,  puisée  à  la  môme  source  *,  et  le  groupe  symbolique  do 
héros  entre  deux  lions,  de  notre  pectoral  de  Cœre,  vient  confirmer  tous  ces  rapports 
par  une  de  ses  applications  les  plus  significatives.  Quant  aux  monuments  de  fart 
étrusque,  où  se  présente  le  groupe  du  héros  combattant  un  lion  dressé  devant  lui,  ou 
bien  tenant  par  la  queue  le  lion  renversé  la  tête  en  bas,  variante  de  la  même  idée,  je 
citerai  particulièrement  un  scarabée  du  Musée  d'Arigoni,  t.  U,  Amulett,  tab.  xii,  n. 
5  ;  un  autre  scarabée ,  récemment  sorti  des  fouilles  de  Vulci ,  et  publié  dans  les 
Annal.  delV  It^stit.  Archeol.  t.  Vil,  tav.  agg.  H,  5,  avec  les  scarabées  de  sujet  et  de 
signification  analogues  publiés  par  M.  Micali,  Monum.  per  serv.  ail,  stor,  de  ont, 
popol.  ital.  tav.  xlvi,  n.  8,  la,  17,  18,  23;  et,  à  cette  occasion,  je  remarque 
avec  plaisir  que  M.  Micali,  qui  avait  vu  d*abord,  dans  ces  monuments  d*un  art 
étrusque  archaïque,  le  sujet  ai  Hercule  domptant  les  lions  du  Cithéron  et  de  Némse, 
est  revenu  sur  cette  opinion  qu*il  abandonne,  en  reconnaissant  ici,  conune  il  s'et^ 
prime  lui-même  :  i7  preminente  potere  del  genio  buono  sopra  il  perverso.  Mais  il  est 
vrai  de  dire  (et  c*est  peut-être  ce  qa*aurait  dû  ajouter  le  savant  antiquaire),  que  ce 
dogme  fondamental  des  religions  asiatiques  s^exprimait  par  la  lutte  symbolique  de 
Y  Hercule  assyrien  combattant  le  lion ,  qui  avait  passé  dans  le  mythe  de  rHercuIe 
hellénique ,  ainsi  que  j'espère  en  fournir  la  preuve  dans  le  mémoire  plusieurs  ibis 
cité.  —  *  Ctes.  apud  Diodor.  Sic.  1. 11,  c.  8;  cf.  Ctes.  apud  Vhoï,. Cod,  lxxii,  p.  4i, 
éd.  Emm.  Bekker.  Voy.  Creuzer,  zur  Gemmenkande ,.  taf.  v,  n.  a 6,  p.  ioi-io3,  et 
191,  206).  —  ^  Depuis  que  cet  article  a  été  écrit,  j*ai  eu  connaissance ,  par  des  lettres 
de  M.  Botta,  communiquées  à  TAcadémic  des  belles-lettres ,  de  la  découverte  d*un 


550  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

les  Étrusques,  qui  en  firent  usage  pour  leur  propre  compte,  ne  purent 
en  puiser  le  type,  avec  Tintention  qui  y  était  jointe,  qu'à  cette  source; 
d'où  il  suit  encore  que  cette  image,  telle  qu'on  la  voit  exécutée  sur  les 
bracelets  du  tombeau  de  Cœre,  se  rapporte  à  une  époque  plus  élevée 
que  celle  de  la  réforme  de  la  religion  mithriaque  et  de  son  introduc- 
tion présumée  en  Étrurîe. 

Le  vice  que  je  viens  de  signaler  dans  le  système  d'interprétation  ap- 
pliqué par  M.  Grifi  au  pectoral  du  tombeau  de  Cœre  n'est  peut-être  nulle 
part  aussi  sensible  que  dans  l'explication  qu'A  donne  de  T objet  qui  formait 
l'ornement  de  la  tête  de  la  défunte,  et  que  notre  auteur  désigne  par  le 
nom  de  stemma.  C'est,  comme  il  est  facile  de  s'en  assurer  en  jetant  les 
yeux  sur  le  dessin  très-exact  qu'en  publie  M.  Grifi,  et  qui  peut  tenir 
lieu  de  l'original^,  une  espèce  de  coiffure  hiératique,  composée  de 
deux  pièces  principales  :  l'une ,  supérieure  et  plus  large ,  d'une  forme 
à  peu  près  demi-circulaire;  l'autre,  inférieure  et  d'ime  moindre  di- 
mension, d'une  forme  à  peu  près  ovale,  réunies  l'une  à  l'autre  au 
moyen  de  deux  lames  étroites  de  forme  très-allongée  et  arrondie  aux 
extrémités ,  à  chacune  desquelles  sont  attachées  par  des  anneaux  trois 
fleurs  qui  paraissent  être  de  lotos.  En  voyant  dans  cet  objet,  d'une 
matière  précieuse  et  d'une  forme  singulière ,  la  lame  d'or  qui  recouvrait 
la  tiare  d'un  personnage  présumé  mage  ou  pontife  chez  les  Étrusques  ^ , 
M.  Grifi  reste ,  sans  doute,  conséquent  avec  lui-même,  et  fidèle  à  toutes 
les  idées  qu'il  s'est  faites  concernant  l'usage  et  la  destination  des  di- 
verses pièces  de  cette  toilette  funéraire,  mais  sans  que  le  fait  que  cette 
lame  d'or  était  placée  sur  la  tête  d'une  femme ,  fidt  qui  constitue  une 
objection  si  grave  contre  cette  supposition,  cesse  de  subsister  avec 
toutes  ses  conséquences.  Une  seconde  difficulté,  qui  eût  mérité  aussi 
d'être  prise  en  quelque  considération  par  M.  Grifi ,  c'est  la  disparition 
de  la  tiare  elle-même,  qui  était  la  coiffure  propre  des  mages,  qui,  à  ce 

grand  monument  assyricD ,  opérée  par  les  soins  et  soos  la  directîoD  de  ce  foDCtion- 
naire  firançab ,  sur  l'emplacement  de  rancienne  Ninive.  Entre  autres  ol:gets  curieux 
^recueillis  dans  ces  ruines,  il  est  fait  mention  d*une  hoale  d'argile j  portant  imprimé 
le  groupe  symbolique  du  héros  combattant  le  lion  dressé  devant  lai,  dont  il  s'est 
trouvé  une  aemi-douzaine  de  répétitions.  C'est  là  une  preuve  nouvelle,  qui  peut 
paraître  surabondante ,  mais  qui  n*en  es^  pas  moins  précieuse  par  la  localité  qui  la 
fournît,  que  l'invention  du  groupe  en  question  appartenait  à  Tafcbéolc^e  assy- 
rienne. —  *  Monam.  di  Cere,  etc.  tav.  ii.  —  *  Ibid.  p.  94  et  96  :  «  Niun  dubbio  poi 
«  deve  insorgere  che  questa  lamina  d*  oro,  ritratta  neil&  grandeaa  sua  medesima  alla 
«tav.  II,  non  guamisse  la  tiara,  e  formasse  cosi  il  principale  omamento suo,  poichè 

■  fu  rinvenuta  giacersi  alquanto  piii  in  sopra  di  quello  e  in  distanza  taie ,  quanta 

■  pno  misurarsene  dal  petto  al  capo  di  un  uomo.  » 


SEPTEMBRE  1843.  551 

titre ,  et  en  se  plaçant  dans  les  idées  de  Fauteur,  devait  certainement 
faire  partie  des  ornements  avec  lesquels  celui-ci  était  enseveli,  et  qui 
pourtant  ne  s  est  pas  retrouvée,  à  ma  connaissance.  Il  y  aurait,  en  troi- 
sième lieu,  une  observation  à  faire  contre  Topinion  de  M.  Grifi:  cest 
qu'un  objet  d*ime  forme  toute  semblable,  de  la  même  matière,  et  peut- 
être  d'une  égale  antiquité,  à  en  juger  par  le  travail,  a  été  trouvé  dans 
un  tombeau  de  Gânino,  et  regardé  par  l'antiquaire  qui  Ta  publié, 
M.  Micali  ^ ,  comme  ane  grande  fibule ,  grande  affibiaglio  ;  en  quoi  il  me 
parait  constant  que  cet  antiquaire  s'est  trompé.  Mais ,  quoiqu'il  soit  évi- 
dent pour  moi  que  la  lame  d'or  du  tombeau  de  Canino  est  une  coiffare 
hiératique  f  comme  celle  du  tombeau  de  Cœre,  et  non  nue  fibule,  il  ne 
résulte  pas  moins  de  la  confrontation  de  ces  deux  objets  tout  pareils, 
sauf  les  détails  de  leur  composition,  une  difficulté  de  plus  à  admettre 
pour  lun  et  pour  l'autre  la  supposition  qu'ils  avaient  servi  à  orner  la 
tête  d'un  mage  chez  les  Étrusques;  car  cette  présence  de  mages  en 
Étrurie,  si  contraire  à  toutes  les  notions  que  nous  possédons,  devient 
plus  difficile  à  croire,  à  mesure  que  les  exemples  s'en  multiplient. 
M.  Grifi,  qui  semble  avoir  prévu  cette  objection,  n'a  point  parlé  de 
cette  seconde  lame  d'or,  dont  la  découverte  avait  précédé  de  six  années 
celle  de  la  lame  d'or  du  tombeau  de  Cœre,  et  dont  la  destination,  d'a- 
bord mal  comprise,  a  xeçu,  par  l'apparition  de  celle-ci,  à  la  place 
qu'elle  occupait  sur  la  tête  du  diéfant,  sa  véritable  explication.  Cet  oubli 
de  notre  auteur  est-il  involontaire ,  ou  bien  est-ce  une  réticence  ré- 
fléchie? C'est  une  question  que  je  me  garderai  bien  de  décider;  je  me 
borne  à  signaler  le  fait,  et  je  passe  à  l'interprétation  que  donne  M.  Grifi 
de  la  lame  d'or  en  question ,  qu'il  regarde  comme  ayant  servi  à  garnir  la 
tiare  du  personnage  étrusque,  dont  il  fait  un  mage,  disciple  de  Zoroastre. 
Il  y  voit  une  image  emblématique  du  monde  dans  les  deux  régions  :  le 
globe  supérieur,  ou  le  règne  d'Hormuzd,  et  le  globe  inférieur,  ou  l'em- 
pire d'Âhriman.  Les  cing  Uons ,  disposés  en  pyramide  dans  le  g^obe  su- 
périeur, lui  paraissent  désigner  les  cinq  planètes ,  d'après  le  rapport  sym- 
bolique de  cet  animal  avec  le  soleil;  les  griffons  et  les  autruches,  distribués, 
comme  on  les  voit,  alternativement  dans  les  zones  parallèles  du  globe 
inférieiu*,  lui  effilent  un  rapport  du  même  genre  avec  le  génie  mal&i- 
sant  qui  préside  au  monde  inférieur.  De  pareilles  conjectures,  que  je  me 
contente  d'énoncer,  peuvent  paraître  spécieuses;  mais,  pour  moi,  j'a- 
voue franchement  que  je  n'y  trouve  aucune  solidité.  Il  y  a  plus  :  je  ne 
suis  pas  convaincu  que  Foiseau  symbolique  que  notre  auteur  prend  ici 

'  Monam.  per  sert.  ail.  star,  in  ont  popol.  ital  tav.  xlt,  i^ 


552  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pour  une  aàtmche,  sans  doute  parce  qu'il  en  a  besoin,  soit  réellement 
une  autruche.  Nous  connaissons,  par  des  cylindres  babyloniens ^  le  rôle 
que  cet  oiseau  remplissait  dans  la  symbolique  des  Chaldéens,  et  la  si- 
gnification qui  y  était  attachée.  Nous  le  voyons,  sur  ces  monuments,  re- 
présente avec  la  forme  qui  lui  convenait  ;  et  nous  le  retrouvons ,  sous 
la  même  forme ,  et ,  très-probablement  aussi,  avec  la  même  signification , 
sur  des  monuments  de  la  haute  antiquité  étrusque,  sur  des  vases  d'argile 
noire  ^,  et  sur  des  vases  de  manière  phénicienne  *.  Mais  la  forme  donnée 
k  ïautruche,  sur  ces  monuments  babyloniens  et  étrusques,  difière  tota- 
lement de  celle  de  l'oiseau  que  M.  Grifi  prend  pour  une  aatrache  sur  le 
stemma  de  Cœre.  Cet  oiseau  ressemble,  en  effet,  à  une  oie  ou  à  un 
canard;  et  c'est  sous  le  nom  du  premier  de  ces  oiseaux  aquatiques  qu'il 
a  été  désigné  par  M.  Cavedoni*,  dont  j'avoue  que  je  partage  tout  à  £adt 
la  manière  de  voir.  L'oie,  comme  oiseau  funèbre ,  consacré  à  Hercine^ 
et  à  Proserpine^,  figurerait  très-bien  sur  notre  coiffure  funéraire,  attendu 
que  ce  sont  aussi  des  images  de  signification  funèbre  qui  décorent  l'autre 
stemma,  publié  par  M.  Micali*^.  Mais,  en  tout  cas,  la  présence  de  l'ao- 

'  Un  de  ces  cylindres  a  été  publié  par  M.  Dorow,  Morgenl.  Alterthûm.  H.  I,  taf.  r. 
n  s'en  trouve  deux  dans  les  Morgenl.  Fandgrub.  B.  III,  3,  H,  i3,  B.  IV,  là.  Un 
troisième,  du  Masée  britannique ,  a  été  publié  par  le  D"  Mûnter,  Relig.  der  Babylgn. 
taf.  I,  n.  i3,  qui  a  vu,  à  la  vérité,  dans  Tanimal  syitibolique,  un  griffon,  tandis 
que  c'est,  suivant  moi,  un  oiseaa,  et  probablement  une  autruche.  —  *  Tels  que 
ceux  qu*ODt  publiés  M.  Dorow,  Notizie  intomo  alcuni  vasi  etraschi,  tav.  viu,  fig.  6, 
et  M.  Micali,  tav.  xvn ,  5,  xx,  i  a  ,  où  ce  savant  a  signalé  lui-même  fanalogie  de  cette 
représentation  étrusque  avec  Timage  des  cylindres  babyloniens,  sur  lesquels  il  voit 
rized  ailé,  tenant  de  chaque  main  par  le  col  une  autruche,  obeau  d'Ahriman;  opinion 
k  laquelle  je  souscris  pour  mon  propre  compte,  sauf  en  ce  qui  concerne  les  déno- 
minations d'Ized  et  d^Ahriman,  qui  ne  conviennent  pas  à  des  monuments  babylo- 
niens. Je  dois  observer  encore  que  M.  Micali  avait  pris  cet  oiseau  pour  un  cygne, 
d'après  des  motifs  qui  m'avaient  paru  plausibles;  voy.  Joum,  des  Sav.  mars  i83A» 
p.  1^7;  maintenant,  je  serais  plus  disposé  à  croire  qu'il  s'agit  d'une  autruche  sur 
tous  ces  monuments,  évidenunent  produits  sous  l'influence  du  même  système  hier 
ratique.  —  'Un  de  ces  vases,  de  la  collection  Bartholdy,  a  été  publié  par  M.  Do- 
row, Notizie  intomo  alcuni  vasi,  etc.  tav.  vni,  fig.  i  a  et  i  6^  p.  ig-ao.  Il  s'en  trouve 
un  autre  au  Musée  de'  Stadj ,  qui  a  été  publié  par  M.  Quaranta,  R.  Mus.  Borbon. 
t.  VI ,  tav.  LVi ,  et  reproduit  par  M.  Micali ,  Monum.  per  serv.  ail.  stor.  dei  ant.  popol. 
ital.  t.  Lxxni,  n.  i.  — *  Cavedoni,  Sopra  un  sepolcreto  etrusco,  etc.  p.  Ay,  71); 
cf  Bullet.  Archeol.  i836,  p.  60.  —  •  Pausan.  ix,  39,  3.  —  *  La  relation  de  Voie 
avec  les  divinités  infernales  est  établie  par  de  nombreux  monuments ,  dont  je  ne 
saurais  donner  ici  l'indication.  Je  me  contente  de  renvoyer  aux  observations  faites 
le  plus  récemment  sur  ce  sujet  par  un  ingénieux  et  docte  antiquaire  napolitain , 
M.  Fil.  Gargallo  Grimaldi,  dans  les  Annal,  delV  Instit.  Archeol  t.  XIII,  p.  124-135, 
tav.  agg.  F,  lett.  A  et  B.  —  '  J*ai  en  vue  le  groupe  de  deux  gladiateurs  en  attitude 
de  combattre ,  de  chaque  côté  d*une  pyramide ,  indiquant  un  tombeau.  Les  oiseaux 


SEPTEMBRE  1843.  553 

trache  sur  le  monument  de  Cœre  ne  saurait  plus  être  admise;  ce  qui  ôte 
à  l'explication  de  M.  Griii  son  principal  appui,  et  me  dispense  d'entrer, 
sur  les  autres  points,  dans  une  discussion  qui  pourrait  aboutir  au  même 
résultat. 

Je  n  ajouterai  qu'un  mot  sur  un  objet  qui  acquiert  une  grande 
importance  dans  l'interprétation  de  notre  auteur,  mais  sans  que  cette 
importance  puisse,  à  mon  avis,  se  justifier  par  la  forme  et  par  la  valeur 
réelle  de  cet  objet  II  s'agit  des  deux  lames  longitudinales,  au  moyen 
(lesquelles  sont  Ûées  entr«  elles  les  deux  parties  supérieure  et  inférieure 
du  stemma.  Partant  de  l'analogie  qu'il  croitdécouvrir  entre  le  Ph^hafc, 
dieu  démiarge  de  la  théologie  égyptienne,  et  le  MiAras  des  Perses, 
considéré  sous  le  même  raf^ort  de  démiurge,  M.  Grifi  pense  que  ces 
deux  lames  ont  ici  la  même  valeur  symbolique  que  les  quatre  barres,  qui, 
dans  le  langage  idéographique  de  l'Egypte,  exprimaient  l'idée  de  Phihah, 
et  qui  avaient,  dans  l'objet  appelé  vulgairement  nihmètre,  une  autre  ex* 
pression  équivalente  ^  Ailleurs ,  il  explique  encore  ces  deux  lames,  comme 
o&ant  un  emblème  de  Mithra,  en  sa  qualité  de  dieu  médiateur^,  fieaflns, 
qualification  dont  nous  devons  la  connaissance  à  Plutarque  ^ ,  et  qui  a 
donné  lieu,  comme  on  sait,  à  beaucoup  d'explications  contradictoires^. 
L'idée  de  M.  Grifi  ne  me  paraît  pas  destinée,  je  l'avoue,  k  produire, 
sur  ce  point  difficile,  l'accord  des  opinions;  et,  quant  à  la  supposition 
que  les  deux  hmes  de  notre  stemma  représentent  Mithra  comme  média- 
teur, je  ne  puis  m'empêcher  de  dire  que  cela  me  parait  une  pure  illusion , 
aussi  bien  que  l'idée  qui  fait  des  douze  Jleurs  de  lotus  autant  d'emblèmes 
des  douze  signes  du  zodiaque  et  des  douze  mille  ans  de  la  grande  année^. 
Notre  auteur  ne  s'est  jeté  dans  toutes  ces  subtilités,  qui  ne  reposent  sur 
rien  de  solide ,  à  mon  avis ,  que  parce  qu'il  avait  écarté  d'avance  le  rap- 
prochement de  la  coiffure  funéraire  de  Cœre  avec  celle  de  Canino.  Là  aussi 
deux  lames  longitudinales  tiennent  attachées  ensemble  les  deux  parties 
du  stemma ,  sans  qu'on  puisse  y  voir  aucun  élément  d'une  croyance  mi- 
thriaque;  et  les  douze  Jleurs  de  lotus,  remplacées  par  quatre  espèces  de 
palmettes^t  suspendues  aux  deux  extrémités  des  deux  lames  en  question , 

qui  remplissent  le  champ  de  cette  plaque  ont  certainement  aussi  une  intention  fu- 
néraire, comme  c*est  le  cas  sur  beaucoup  de  vases  peints  de  style  archaïque.  -— 

*  A/onam.  di  Cere,  etc.  p.  98-100.  —  *  Ibid,  p.  116-117.  —  '  Plutarch.  de  Isii. 
et  Osir,  S  XLVi,  p.  36q  (t  II,  p.  5i4»  edit  Wyttenbach.  ).  —  *  Voy.  sur  ce  sujet 
l*opinion  de  Zoega,  Abhandlangen ,  etc.  p.  118,  avec  celles  des  savanU  cités  dans  la 
note  ajoutée  par  M.  Welcker,  ibid.  1*).  *—  *  Monam.  di  Cere,  etc.  p.  117-118.  ^ 

*  Il  serait  possible  qu*en  se  plaçant  dans  les  idées  de  M.  Grifi ,  et  en  admettant , 
pour  la  parure  de  Canino,  la  même  signification  religieuse  que  pour  celle  de  Cmn^ 

70 


5^4  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ipontrent  bien  que  c'est,  de  part  et  d'autre,  un  simple  ornement,  au- 
quel  on  ne  saurait  attacher  une  valeur  symbolique,  sans  se  livrer,  je  le 
répète,  à  des  illusions  qui  devraient  ôtre  aujourd'hui  bannies  du  do- 
maine de  la  science. 

J  ai  donné  quelque  étendue  aux  explications  qui  concernent  le  pec- 
toral et  la  coiffure  du  tombeau  de  Cœre,  parce  que  j'ai  dû  chercher  à 
mettre  nos  lectem^  au  fait  de  l'importance  archéologique  de  ces  deux 
objets,  et  à  leur  faire  apprécier  le  système  d'interprétation  que  notre 
auteur  y  applique.  Je  serai  plus  court  dans  le  compte  qui  me  reste  à 
rendre  .des  autres  objets  composant  la  toilette  funéraire  de  notre  mo 
nument.  Parmi  ces  objets,  le  plus  remarquable  est,  sans  contredit,  la 
paire  de  bracelets  cfui  fut  trouvée  aux  deux  côtés  du  corps,  à  la  place 
même  qu'elle  devait  occuper.  La  représentation  qui  s'y  voit  est  peut- 
é^re  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  et  de  plus  significatif  entre  toutes  celles 
qui  décorent  les  diverses  pièces  de  notre  toilette  funéraire  :  elle  con- 
siste en  une  figure  debout ,  de  face ,  tenatrt  de  chaque  main  une  tige  de 
lotu^,  laquelle  figure  est  placée  entre  un  groupe  d'un  personnage  vêtu, 
qui  s'apprête  à  frapper  du  glaive,  qu'il  tient  d'une  main,  un  lion  dressé 
sur  ses  pattes  de  derrière,  qu'il  saisit  par  la  tête  de  l'autre  muin,  groupe 
répété  de  chaque  côté.  L'image  symbolique  qu'exprime  ce  groupe  est , 
comme  n.pus  l'avons  dit  plus  haut,  si  notoirement  puisée  dans  les 
modèles  de  l'art  assyrien,  d'où  elle  avait  passé  dans  les  monuments 
du  culte  des  Perses,  sur  des  sceaux,  des  cylindres,  et  jusque  sur  des 
monnaies  \  qu'on  ne  peut  en  méconnaître  ni  l'invention  asiatique , 

on  interprétât  ces  quatre  espèces  de  pdlmettes  comme  étant  un  emblème  des  quatre 
âges  du  monde;  ce  qui  serait  une  expression  équivalente  des  douze  feurs  de  lotos , 
représentant  les  dpusie  millénaires  de  la  durée  du  monde.  Mais,  avec  un  pareil  sys- 
tème d'interprétation,  il  n'est  rien  dont  on  ne  rende  compte;  ce  qui,  pour  moi, 
est  absolument  la  mèmç  chose  que  de  n'expliquer  rien.  —  *  Plusieurs  de  ces  cy- 
lindres ont  été  publiés  dans  le  recueil  de  Raspe,  pi.  ix,  n**  638  et  64i«  pi.  x,  n'  6^9  » 
et  pi.  XI ,  n*'  658  et  66o ,  et  il  en  est  un  qui  a  été  reproduit  avec  bien  phis  d'exac- 
l'iude  par  M.  Lajard ,  Mémoire  sur  la  Vénus  orientale  androgyné,  pi.  iv,  n.  a.  Le 
IV  Monter  en  avait  reproduit  aussi  un  autre,  d'après  le  journal  de  Murr,  Relig. 
der  Babylon.  laf.  n,  n.  ig.  Le  même  groupe  se  trouve  répété  deux  fois  sur  un 
seul  de  ces  cylindres,  recueilli  par  Ker-Porler  dans  les  mines  de  Babylone,  el 
publié  dans  ses  Travels,  etc.  t.  H,  pi.  79,  n.  5.  Jen  connais  plusieurs  antres,  du 
cabinet  de  la  Haye  et  du  Musée  britannique ,  qui  sont  encore  inédits,  et  qui  seront 
puUiés  dans  les  planches  jointes  k  mon  Mémoire  sur  l'Hercule  assyrien ,  d'après 
léi  empreintes  que  j*en  possède.  Un  monument,  beaucoup  pins  rare  dans  son 
genre,  acquis  récemment  pour  notre  Cabinet  des  Antiques,  est  un  amulette  à 
quatre  faces ,  trouvé  à  Marathon ,  où  le  même  groupe  du  personnage  divin  combat- 
tant un  Hon  dressé  devant  lui  se  voit  gravé  en  creux  sur  une  des  faces*.  Je  publierai 


SEPTEMBRE  1&43.  :  96S 

ni  ia  valeur  idéographique;  et,  ici  encore,  nous  sommes  sûrs  de  nouB 
retrouver,  bien  qu'en  face  d*un  monument  étrusque,  sur  le  terrain  de 
l'archéologie  chaldéenne.  Seulement,  nous  devons  y  voir  l'expression 
d'une  doctrine  plus  ancienne  que  celle  du  Zend-Avesta;  et  de  àevd 
une  nouvelle  preuve,  ajoutée  à  tant  d'autres,  de  la  réalité  des  em- 
prunts que  l'art  des  Perses  fit  à  celui  des  Assyriens,  que  cette  appli- 
cation ,  faite  à  leur  propre  croyance  par  les  Etrusques,  d'un  motif  qu'ils 
n'avaient  pu  devoir  qu'à  d'anciennes  communications  avec  l'Assyrie. 
Au-dessous  de  cette  représentation  si  remarquable,  se  trouve  une 
seconde  composition,  qui  consiste  en  tiroà  figures  debout,  se  tenant  par 
la  main,  avec  quatre  tiges  de  lotus,  dans  le  champ,  sans  doute  pour  fi- 
gurer les  âmes  pures  admises  au  séjour  de  l'immortalité.  Ici  encore 
tout  est  asiatique  dans  le  choix  des  symboles,  bien  que  tout  soit  étrusque 
dans  le  style  et  dans  l'exécution ,  et  j'admets  l'interprétation  que  donne 
notre  auteur  de  ces  représentations  symboliques,  bien  que  je  ne  puisse 
convenir  avec  lui  qu'elles  soient  puisées  dans  un  fottd  de  doctrines  mi- 
thriaques.  Mais  je  suis  surpris,  au  sujet  de  là  lige  de  htus,  qui  joue  uft 
si  grand  rôle  dans  les  divei*ses  parties  de  cette  décoration,  que  notre 
auteur  n'ait  pas  fait  un  rapprochement,  qui  soflrait  naturellement  à 
l'esprit,  c'est  celui  du  lion,  tenant  dans  la  gueule  une  tige  de  lotus,  image 
du  mauvais  génie,  qui  s'attaque'  au  principe  de  vie  et  d'immortalité, 
avec  le  lion  mithriaque,  tenant  dans  la  gueule  un  papillon ,  image  tout  à  fait 
analogue ,' que  nous  offrent  des  pierres  gravées,  d'origine  et  de  travail 
gnostiques^  A  la  vérité,  cette  dernière  image,  d'après  l'âgé  récent  des 
monuments  qui  la  présentent,  a  pu  sembler  d'une  invention  exclusive- 
ment propre  au  gnosticisme;  mais,  commç  elle  était  certainement  pui- 
sée dans  un  fond  de  doctrines  analogue  à  celui  qui  avait  produit  ,"^abdtti 
chez  les  Assyriens,  puis  chez  les  Etrusques,  l'image  du  Uon  avec  ta  tiqede 
lotus  dans  la  gueule,  on  peut  croire,  à  présent  que  nous  reticotHrons  éèite^i 
sur  un  monument  étrusque  du  vu*  siècle  au  moins 'avant  notre  èii^é-,  qiie 
l'image  équivalente  du  lion  avec  le  papillon  dans  la  gueule,  seulement 
connue  jusqu'ici  par  des  monuments  du  gnosticisme,  pouvait  avoir 
aussi  un  type  plus  ancien  ;  et  je  ne  serais  pas  éloigné  de  penser  qu'il 
n'en  fût  de  même  de  plusieurs  autres  symboles  des  sectes  gnostiqueaf, 

aussi  cet  amulette,  ainsi  que  plusieurs  cohes  ou  sceaux  inédits,  de  travail  babylo- 
nien et  persépolitain ,  et  quelques  dâriqoes ,  qui  offrent  le  groupe  en  question',  rap- 
porté, comme  je  crois  pouvoir  en  fournir  la  preuve,  au  culte  de  Y  Hercule  assyrien. 
—  ^  Voy.  les  deux  pierres  publiées  dans  le  recueil  d'Agostini,  part.  III,  tav.  3â  et 
35,  et  reproduites  par  Hyde,  De  relig.  vet  Persar,  p.  m,  tab.  ann.  et  par  d*autres 
savants. 

70.  • 


556  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qui  avaient  sans  doute  approprié  à  leur  usage,  en  les  rendant  à  leur 
manière,  plusieurs  des  signes  symboliques  créés,  avec  une  intention 
équivalente,  dans  les  systèmes  religieux  de  la  haute  antiquité  asiatique. 
M.  Grifi  continue  à  rendre  compte  des  autres  objets  composant  ia 
parure  funéraire  de  notre  tombeau,  d*après  les  principes  du  culte  de 
Mithra,  et  ses  explications,  toujours  ingénieuses,  ont  toujours,  à  mes 
yeux,  le  tort  de  s  appuyer  sur  des  textes  d'une  autorité  trop  équivoque  et 
de  se  rapporter  à  des  temps  trop  récents  ;  ce  qui  fait  que  je  ne  m'y  arrê- 
terai pas  davantage.  Mais  je  regrette  que  notre  auteur,  qui  est  entré , 
sur  quelques-uns  des  vases  de  bronze,  dans  des  explications  qui  ont 
le  même  mérite,  et  malheureusement  aussi  le  même  défaut,  n'ait  pas 
même  essayé  l'explication  des  vases  d'argent ,  ornés  de  représentations 
où  tout  se  rapporte  par  l'invention  à  des  idées  asiatiques,  et  par  l'exé- 
cution à  un  art  étrusque  archaïque,  où  se  trouve,  par  conséquent,  la 
combinaison  la  plus  curieuse  qu'il  y  ait  à  constater  pour  l'histoire  des 
anciens  rapports  archéologiques  de  l'Étrurie  avec  l'Orient ^  à  quelque 
époque  qu'on  les  rapporte  et  de  quelque  manière  qu'on  les  explique. 
M.  Grifi  nous  a  donné,  du  moins ,  de  ces  vases  si  précieux  à  tant  de  titres, 
d'excellents  dessins,  d'après  lesquels  nous  pouvons  en  étudier  la  com- 
position et  le  motif,  en  apprécier  le  goût  et  le  style ,  comme  si  nous 
avions  les  originaux  mêmes  sous  les  yeux  ;  et  c'est  un  véritable  service 
qu*il  a  rendu  à  la  science,  et  dont  on  doit  lui  savoir  beaucoup  de  gré. 
Les  sujets  sculptés  sur  ces  vases,  de  formes  diverses ^  sont  exécutés  de 
très-bas  relief,  à  l'aide  du  burin  ;  les  particularités  du  costume  qu'on  y 
remarque  ofirent  beaucoup  d'analogie  avec  les  monuments  ^ptiens , 
sauf  le  travail  même ,  qui  appartient  certainement  à  une  industrie  locale  ; 
quelques  détails  de  la  représentation,  notamment  ïépervier  aax  deux 
ailes  éployées,  l'une  en  haut.  Vautre  en  bas,  rappellent  si  positivement  les 
modèles  égyptiens,  qu'il  est  impossible  d'en  méconnaître  l'imitation, 
due  à  des  mains  étrusques.,  D*  un  autre  côté,  le  motif  général  de  la  com- 
position, avec  la  plupart  des  accessoires,  sont  évidemment  puisés  dans 
des  représentations  asiatiques  ;  d'où  il  suit  que  les  auteurs  de  ces  mo- 
numents durent  avoir  sous  les  yeux  des  objets  d'un  goût  analogue,  pro- 
duits dans  une  école  d'art  asiatique,  où  s'exerçait  naturellement  l'in- 
fluence de  Tart  égyptien.  Je  n'ai,  du  reste,  ni  le  temps,  ni  l'intention 
de  donner  une  explication  complète  de  ces  vases  d'argent  de  Cœre. 
Ce  travail,  que  M.  Grifi  a  jugé  sans  doute  trop  difficile,  puisqu'il  a 
évité  de  l'entreprendre ,  est  peut-être  impossible ,  dans  l'état  actuel  de 

'  Monam.  di  Cere,  etc,  tav.  v,  n.  i  ;  tav.  vui,  n.  i;  tav.  n;  tav.  x,  n.  i  et  a. 


SEPTEMBRE  1843.  557 

la  science  ;  et  j'aurais,  moins  quun  autre ,  les  moyens  d*y  réussir.  Je  me 
bornerai  à  donner  à  nos  lecteurs  une  idée  générale  de  la  composition 
de  ces  vases,  et  à  y  signaler  les  principaux  traits  qui  me  pai-aissent 
déposer  à  Tappui  d*an tiques  relations  d'art  et  de  croyance  entre  rÉtrurie 
et  l'Asie  antérieure. 

Le  motif  de  la  composition  de  ces  vases  se  rapporte  à  des  idées  de 
chasse ,  ce  qui  est  aussi  le  sujet  habituel  des  vases  peints ,  de  la  manière 
dite  phénicienne,  et  de  ceux  du  plus  ancien  style  grec  qui  se  rattache 
directement  à  cette  manière ,  tels  que  le  célèbre  vase  Dodwell  ^  le  vase 
du  musée  de  Naples ,  publié  dans  le  premier  recueil  d*Hamilton  ^,  et 
d autres  vases,  semblables  par  le  sujet  et  par  le  style,  qui  indiquent  une 
fabrique  originairement  corinthienne ,  récemment  sortis  des  fouilles  de 
Cœre  même  '  et  d'autres  villes  étrusques  du  voisinage  ^.  Mais  ces  repré- 
sentations  de  chasses  étaient,  comme  on  le  sait  par  le  témoignage  de  Cté- 
sias  ^y  le  sujet  favori  des  travaux  de  Tart  babylonien.  Cétait  de  pareilles 
images  qu'étaient  couverts  les  murs  du  palais  des  rois  à  Babylone  ;  et , 
presque  à  toutes  les  époques  de  la  civilisation  orientale,  et  jusque  sous 
les  Sassanides,  ces  sortes  de  sujets  furent  ceux  qu'affectionna  le  jplus  le 
goût  de  ces  princes ,  d'accord  avec  le  génie  de  leurs  peuples.  Il  est  donc 
bien  probable  que  c'est  à  cette  source  orientale  que  furent  puisés  les 
motifs  de  ces  représentations  de  chasses  héroïques ,  exécutées  en  Grèce  et 
en  Etrurie  sur  les  plus  anciens  monuments  de  l'art  qui  nous  soient  res- 
tés de  ces  deux  pays;  et  Ton  peut  croire  que  c'est  par  Corinihe  que  les 
modèles  en  furent  répandus ,  dans  la  Grèce  d'abord ,  et  plus  tard  en 
Etinirie.  Mais  il  est  évident ,  par  l'âge  même  de  ces  monuments  de  Cœre, 
que  c'est  directement  de  l'Asie,  et  sans  doute  par  suite  des  relations  de 
commerce  que  les  Tyrrhéniens  entretenaient  avec  cette  région  de  l'an- 
cien monde  d'où  ils  étaient  originaires,  que  furent  tirés  les  modèles 
de  ces  représentations  de  chasses  héroïques ,  telles  que  nous  les  voyons  exé- 
cutées sur  un  vase  d'argent  de  Cœre ,  dont  l'exécution  locale  me  parait 
aussi  certaine  que  l'est  l'invention  orientale.  Cette  dernière  notion  résulte 

*  Dodwell,  a  Toar,  etc.  t.  II,  p.  197  ;  d^Agincourt,  Fragm,  de  terre  cuite,  pi.  xxxvi; 
Ingbirami,ilfofuiiii.E<niJc.  ser.  V,  tav.  lviii,  lix;  Maisonneuve,  Introd,  à  l'étude  des 
vases,  pi.  LVi.  Ce  vase  se  trouve  maintenant  à  la  Pinacothèque  de  Munich.  — 
'  D*Hancarville,  t.  I,  pi.  i-iv.  —  *  Tels  que  le  vase  du  Museo  Gregoriofio,  publié 
dans  les  Monum,  delV  înstit,  Archeol  t.  Il,  tav.  xxvni,  A.  —  *  Tels  qu*un  aulre  vase 
du  même  musée ,  décrit  dans  les  Annal.  delV  Instit.  Archeol  t.  VIII,  p.  3 10,  1),  et 
un  Yase  du  musée  de  Beiiin ,  Éd.  Gerhard*s  Neuerworhene  Denkmàler,  etc.  1 ,  1 ,  S. 
3-6,  publié  dans  les  Monum.  delV  Instit.  Archeol  t  II,  tav.  xxviii,  B.  Ce  dernier 
Yase  provient  des  fouilles  de  Cmre.  —  *  Ctes.  apud  Diodor.  Sic.  ii,  8;  cf.  Ctes.  apud 
Phot.  Cod.  Lxxu,  p.  4ii  éd.  Emm.  Bekker. 


558  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

invinciblement,  à  mon  avis,  de  l'ensemble  de  la  composition,  du  style 
des  f]gm*es ,  des  détails  du  costume  et  de  tous  les  accessoires  de  la  re- 
présentation ,  ainsi  que  j'espère  le  démontrer  bientôt.  Mais ,  d  abord , 
il  importe  d'être  fixé  sur  le  premier  point ,  celui  de  savoir  si  les  vases  en 
question  proviennent  d'une  industrie  nationale ,  ou  si  ce  sont  des  objets 
d'un  art  étranger  importés  par  le  commerce  en  Etrurie, 

A  cet  égard ,  il  existe  déjà  une  présomption  très-forte  dans  le  travail 
même  de  ces  vases,  qui  indique  un  type  originairement  asiatique ,  mais 
traité  d'une  manière  et  exécuté  d'un  style  qui  ne  peuvent  convenir  qu'à 
un  art  étrusque.  Nous  possédons,  d'ailleurs,  un  objet  de  comparaison, 
dont  je  ne  sache  pas  qu'on  ait  encore  fait  usage,  et  que,  par  cette  rai- 
son ,  on  pourra  me  savoir  gré  d'avoir  signalé  à  l'attention  de  nos  lec- 
teurs :  ce  sont  deux  vases  d'argent,  l'un  de  la  forme  de  patère,  l'autre 
de  celle  de  sitala  ^  qui  furent  trouvés,  au  commencement  du  siècle  der- 
nier, dans  le  territoire  de  Chiasi  ^.  Ces  deux  vases  sont  ornés,  par  bandes 
ou  zojies  concentriques ,  de  figures  d'hommes  et  d'animaux  gravées  au 
poinçon.  Le  sujet  de  la  patère  paraît  se  rapporter  à  des  idées  de  chasse; 
du  moins,  y  voit-on,  dans  la  zone  inférieure,  un  homme,  armé  d'une 
lance  et  d'un  fouet,  et  suivi  d'un  chien,  au-dessus  duquel  vole  un  oiseau 
de  proie,  image  qu'on  ne  peut  expliquer  que  par  cette  intention,  dans 
laquelle  rentrent  très-bien  les  figures  de  sangliers  qui  précèdent  ce  chas- 
sear.  La  même  image  se  répète  dans  la  bande  du  milieu ,  avec  cette  dif- 
férence, qu'au  lieu  de  sangliers  ce  sont  ici  des  taureaux  qui  précèdent 
Yhomme  armé  de  la  lance ,  et  accompagné  d'un  chien  de  chasse  et  d'un 
oiseau  de  proie.  Enfin ,  dans  la  zone  supérieure ,  sont  représentés  des  hommes 
armés,  alternativement  à  pied  et  à  cheval,  évidemment  des  chasseurs, 
comme  on  les  voit  aussi  sur  nos  vases  d'argent  de  Cœre.  La  composition 
du  vase  ne  se  rapporte  pas  moins  manifestement  à  des  motifs  de  jeux 
et  de  sacrifices  funèbres  ,  tels  qu'on  les  connaît,  dès  la  plus  haute  anti- 
quité étrusque ,  à  laquelle  appartiennent  certainement  les  deux  monu- 
ments dont  il  s'agit.  Effectivement,  deux  des  plus  habiles  connaisseurs 


*  Lanzi,  Saggio  di  lingna  etrusca,  t.  H,  p.  à^b  (éd.  a*,  i8a&).  —  *  Buonarotti ,  qui 
en  reçut  les  dessins  au  moment  de  la  découverte ,  à  ce  qu'il  parait ,  les  publia  dans 
les  planches  ajoutées  par  lui  à  l'édition  de  YEtraria  regalis  de  Dempster,  t.  I , 
tab.  Lxxvii ,  Lxxviii;  voy.  ibid.  t.  II,  Adiiiam,  p.  74-75.  Depuis  celte  époque,  la  pa- 
tère s*e8t  perdue ,  et  il  n'en  reste  que  le  dessin  publié  par  Buonarotti.  Le  vase  se 
conserve  encore  à  la  galerie  de  Florence,  et  il  a  été  reproduit,  dans  un  nouveau 
dessin  exécuté  d'après  Toriginal  même,  par  M.  Fr.  Inghirami ,  Monum,  Etrasc.  ser.  llï , 
tar.  XIX  et  xx,  p.  35g-a88;  cf.  Passer.  Paralipomen.  ad  Derapster.  p.  ia3  sqq.  ;  Land, 
Saggio,  etc.  tav.  xiv,  n.  A,  t.  II,  p.  à^b-àSo,  et  1. 1,  p.  170;  1. 11,  p-  lAa. 


SEPTEMBRE   1843.  559 

de  l'art  étrusque,  labbé  Lanzi^  et  M.  Inghirami^,  regardent  le  vase, 
qui  se  conserve  encore  aujourd'hui  dans  la  galerie  de  Florence,  comme 
le  monument  où  se  montrent  de  la  manière  la  plus  prononcée  tous  les 
caractères  d'un  art  primitif;  et  cest  ce  qui  résulte  pour  nous-mêmes, 
qui  n  avons  Se  ce  vase  qu  un  dessin  sous  les  yeux ,  de  la  comparaison 
que  nous  en  pouvons  faire  avec  les  vases  d'argent  du  tombeau  de  Cœre , 
notamment  avec  celui  que  M.  Grifi  a  fait  graver  sur  la  planche  v  de  son 
livre.  L'analogie  du  style  y  est  sensible  de  part  et  d'autre ,  sauf  cette  cir- 
constance ,  que  l'imitation  d'un  type  asiatique  parait  mieux  indiquée 
sur  le  vase  de  Cœre ,  en  même  temps  qu'elle  s'y  joint  à  une  exécution 
plus  ferme-que  sur  le  vase  de  Chiasi;  ce  qui  dénote,  pour  le  premier, 
une  ancienneté  supérieure  à  celle  du  second ,  et  un  art  qui  travaillait 
avec  plus  de  sûreté  d'après  les  monuments  originaux  qui  lui  servaient 
de  modèles. 

Du  reste ,  les  particularités  du  costume ,  aussi  bien  que  les  détails 
de  la  composition ,  offrent ,  sur  ces  divers  monuments  de  la  cœlature 
étrusque,  provenant  du  sol  de  Chiasi  et  de  celui  de  Cœre,  assez  d'ana- 
logie pour  nous  autoriser  à  croire  que  les  uns  et  les  autres ,  bien  que 
produits  par  une  industrie  locale ,  dérivent  d'une  même  source.  Ce  qu'il 
y  a  surtout  de  remarquable  dans  le  costume ,  c'est  la  pièce  d'étoffe  plis- 
sée  ^  attachée  autour  des  hanches ,  qui  se  voit  à  la  plupart  des  figures 
d'hommes  armés ,  à  pied  ou  à  cheval ,  des  vases  de  Cœre  et  de  celui  de 
Chiasi,  Cette  espèce  de  vêtement  rappelle  celui  qu'on  voit  à  tant  de 
figures  égyptiennes,  et  qui  se  retrouve  aussi  sur  des  monuments  asia- 
tiques ,  cylindres  et  pierres  gravées.  Mais ,  sans  m'arrêter  davantage  à 
un  examen  comparatif  de  nos  vases  de  Cœre  avec  les  deux  de  Chiasi,  que 
j'ai  dii  me  borner  à  énoncer,  je  terminerai  cette  analyse  en  indiquant  les 
principaux  traits  qui  me  semblent  déposer,  sur  ces  vases  de  Cœre,  à 
l'appui  d'une' provenance  originairement  asiatique. 

Le  premier  de  ces  vases,  représenté  sur  la  planche  v,  n**  i  du  livre 
de  M.  Grifi ,  a  la  forme  d'une  patère  très-évasée  et  peu  profonde.  Il  est 
orné  de  deux  bandes  de  figures,  dont  la  première,  ou  la  supérieure,  re- 

'  Lanzi,  Saggio,  etc.  t.  L  p.  170,  et  t.  II,  p.  i4a-  —  '  Inghirami,  Monum.  Etr. 
ser.  I!L  p.  285-q88.  —  *  Cette  pièce  de  vétemenl,  formée  d'un  morceau  d'étoffe 
caiT}^,  ne  doit  pas  être  confondue  avec  le  TFepiia)(ia^'  qui  était  une  espèce  de  tablier 
fait  de  peaux  de  bouc,  aussi  de  forme  carrée,  attaché  autour  des  hanches,  tel  que 
nous  le  connaissons  par  beaucoup  de  monuments  antiques,  et  que  l'indique  Denys 
d'Halicamasse,  dans  la  description  qu'il  nous  donne  de  la  Pompa  circensis,  Dionys. 
Haï.  VII,  7a ,  t.  m,  p.  iA85,  éd.  Reisk.  :  Td  uàv  àXXo  o&ijm  yt>nvoi,  rà  iè  vepi  rif^- 
Mùj  xakrntlàfievoi;  cf.  ihid.  p.  1Â91  :  IIEPIZÛMATA  xoU  iopal  rpàyvp. 


560  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

présente  deux  personnages  sur  un  char  attelé  de  deux  chevaux ,  suivis 
d*hommes  à  pied  et  à  cheval  partant  pour  la  chasse  ;  ce  qui  résulte  de 
la  présence  des  oiseaax  de  proie  ^  voltigeant  au-dessus  de  quelques  figures, 
et  de  celle  des  arbres,  pins  et  cyprès,  indiqués  dans  le  champ.  La  chasse 
elle-même  est  représentée ,  dans  la  seconde  zone ,  ou  TBiférieure ,  au 
moyen  d'un  groupe  d'un  lion  qui  foule  aux  pieds  un  chasseur  na,  et  qu  as- 
saillent, à  droite  et  à  gauche,  d'autres  chasseurs,  à  pied  et  à  cheval,  qui 
épuisent  contre  le  redoutable  animal  tous  les  traits  de  leur  carquois.  La 
scène  se  passe  dans  un  lois  de  cyprès.  Un  autre  groupe ,  placé  entre  deux 
palmiers,  offre  1^  personnage  principal  s' apprêtant  à  frapper  du  glaive  nu, 
qu'il  tient  de  la  main  gauche,  un  lion  dressé  devant  lui,  qu'il  tient  de  l'autre 
main  par  une  des  pattes  de  devant;  image  conçue  absolument  comme 
sur  les  monuments  asiatiques ,  où  la  présence  des  deux  palmiers  n'est  pas 
non  plus  une  circonstance  indifférente,  puisque,  en  accusant  une  loca- 
lité asiatique ,  elle  indique  ici  à  quelle  source  cette  représentation  était 
puisée.  Derrière  ce  groupe  si  remarquable  est  une  éminence,  figurée  à 
peu  près  comme  on  voit  le  mont  Argée  sur  tant  de  médailles  de  Césa- 
rée  et  d*Eusebia  de  Cappadoce  ;  autre  trait  d'observation  locale  qui  ne 
semble  pas  pouvoir  moins  bien  se  rapporter  à  un  culte  asiatique  du  feu 
ou  du  soleil  ^.  Du  sommet  de  cette  éminence  se  précipite  une  antilope , 
espèce  de  chèvre  asiatique,  figurée  comme  on  la  voit  sur  des  médailles 
de  Cilicie  ',  ce  qui  devient  encore  un  élément  caractéristique  de  plus. 
Au-dessus  se  voit  un  épervier  représenté  à  la  manière  des  monuments 
égyptiens.  Le  médaillon  placé  au  centre  du  vase  offre  un  groupe  d'un 
taureau  assailli  par  deux  lions,  dont  je  ne  présume  pas  qu'on  puisse  mettre 
en  doute  l'invention  orientale,  liée  à  l'idée  d'exprimer  la  lutte  des  deux 
principes^.  Ce  groupe  est  placé  entre  deux  tiges  de  lotus,  plante  qui  joue 
un  si  grand  rôle  dans  la  symbolique  égyptienne  et  asiatique,  pour  expri- 
mer des  idées  de  vie,  de  fécondité,  d'éternité;  et  au-dessus 'plane  encore 
Vépervier,  toujoiu^  d'une  manière  conforme  au  type  égyptien  :  en  sorte 
qu'il  n'est  guère  possible  de  trouver  réunis,  sur  un  même  monument 
d'une  industrie  étrusque ,  plus  d'éléments  significatifs  d'un  art  asiatique. 

*  Martial.  Epigramm,  xiv,  216;  cf.  Brod.  Annotât,  frior.  in  Pandect,  fol.  laA-  — 

*  Cavedoni,  Spicilegio  numismatico,  p.  a 54 -3 55,  217);  cf.  Slrabon.  xii,  538.  — 

*  Mionnet,  Description,  etc.  t.  III,  p.  669,  n**  683,  684,  etc.  —  *  Cest  une  no- 
tion qui  a  été  mise  en  évidence  par  M.  Lajard ,  dans  un  Mémoire  récemment  pu- 
blié, qui  fait  partie  du  tome  XV,  1"  part,  des  Mémoires  de  f  Académie  des  inscrip- 
tions et  belles-lettres ,  et  dont  il  a  été  fait  un  tirage  à  part  ;  ce  mémoire  a  pour  sujet 
une  urne  cinéraire  du  musée  de  Rouen,  dont  le  fronton  est  orné  d*un  groupe  du  tau- 
reau assailli  par  le  lion;  voy.  surtout  p.  7  et  suiv. 


_    m 


SEPTEMBRE  1843.  561 

Le  vase  ou  tasse  en  forme  de  demi-œuf,  représenté  sur  les  planches 
vin  et  IX  des  Monumentidi  Cere,  es<  pareillement  orné,  au  dedans  et 
au  dehors,  de  deux  rangs  de  figures ,  les  unes  sur  un  char  ou  à  cheval, 
le  plus  grand  nombre  h  pied,  toutes  avec  la  chevelure  disposée  suivant 
la  manière  étrusque^,  et  dans  un  costume  qui  paraît  asiatique,  repré- 
sentant un  départ  pour  la  chasse.  Le  lion\  en  repos ,  qui  s  y  voit  en  deux 
endroits,  la  présence  des  arbres  sculptés  dans  le  champ,  et  Vépervier, 
qui  vole  dans  le  haut ,  à  des  places  qui  doivent  avoir  été  déterminées 
par  quelque  motif  hiératique,  ne  laissent  aucun  doute  à  cet  égard,  non 
plus  que  le  chariot  rustique,  attelé  d*un  seul  mulet,  qui  semble  avoir  été 
destiné  à  rapporter  le  gibier.  Mais  Télément  le  plus  curieux  peut-être 
de  cette  représentation,  où  tout  porte  pareillement  une  empreinte  orien- 
tale ,  c'est  le  symbole  imprimé  sur  la  croupe  de  tous  les  chevaux  sans 
exception.  Ce  symbole  offre  exactement  la  forme  de  la  croix  ansée,  qui 
était  le  signe  de  vie  dans  la  symbolique  égyptienne  ^,  et  qui  devait  avoir 
la  même  signification  dans  celle  des  peuples  de  TAsie  antérieure.  Oq 
voit,  en  effet,  le  même  objet,  figuré  comme  il  l'est  ici,  sur  quelques 
monnaies  frappées  en  Cilicie,  à  Tépoque  de  la  domination  persane*; 

'  Ccsl  cfTcctivcmcnt  celle  qui  se  voit  sur  les  plus  anciens  monuments  de  la  sculp- 
ture étrusque,  tels  que  les  deux  iiêies  provenant  de  Vulci,  et  publiées  dans  les  mo- 
num.  deir  Instit.  ArcheoL  t.  I,  (av.  xLi,  n*  la.  L*analogie  que  présente  celte  dispo- 
sition des  cheveux  avec  la  coiffure  des  têtes  égyptiennes  n*esl  qu'apparente ,  attendu 
que,  sur  ces  monuments  étrusques,  ce  sont  les  cheveux  mômes  qui  sont  ainsi  tren- 
•éd,  tandis  que,  sur  les  létes  égyptien  nés,  ce  sonl  les  plis  d'une  étoile  qui  produisent 
un  effet  à  peu  près  semblable.  — *  Ce  symbole,  avec  rinlenlion,  généralement  ad- 
mise, d'exprimer  Vidée  de  vie,  qui  est  la  signification  propre  du  mot  dont  il  est 
le  signe  phonétique  (Rosellini,  hettera  sopra  rin  vaso  erjiziano  d' argento,  dans  Irs 
Annal.  deW  Instit.  ArcheoL  t.  V,  p.  i8o;  cf.  Ungarelli,  Interpret.  oheliscor.  Urbù , 
p.  5,  6) ,  ce  symbole,  dis -je,  se  voit  à  la  main  des  divinités  égyptiennes  sur  d'in- 
nombrables monuments-,  je  me  contenterai  de  citer  celui  qui  ouvre  le  Panthéon 
égyptien  de  Champollion,  pi.  i.  —  '  Plusieurs  de  ces  monnaies,  la  plupart  encore 
inédiles,  et  faisant  partie  du  cabinet  de  feu  M.  Gossclin,  sont  décrites  par  M.  Mion- 
net,  t.  III,  p.  663,  n.  65o;  p.  664,  ii.  656-,  p.  665,  n.  667,  658,  660.  On  en  voit 
une  gravée  sur  une  des  planches  jointes  au  Supplément,  t.  VII,  pi.  vni,  n.  5,  la 
même  dont  un  bel  exemplaire,  du  cabinet  de  M.  le  duc  de  Luynes,  est  gravé  dans 
son  Choix  de  médailles  grecques,  pi.  xi,  n.  5.  Plusieurs  de  ces  médailles  existent 
dans  notre  Cabinet;  il  s'en  trouvait  trois  dans  la  colUclion  de  M.  Allier,  décrites 
p.  98.  On  voit,  du  reste,  que  M.  Letronne  s'était  trop  hâté  de  dire.  Matériaux  pour 
l'histoire  du  christianisme  en  Nubie,  p.  92,  que  celle  singularité  (celle  de  la  croix 
ansée)  n'existe  point  hors  de  l'Egypte.  Car,  si  ce  savant  philologue  a  voulu  pailer 
ici  de  la  croix  ansée  employée  par  les  premiers  chrétiens,  il  est  certain  qu*on  en 
trouve  des  exemples  assez  nombreux  dans  les  catacombes  de  Rome;  et  nous  savons 
maintenant  que  le  même  symbole  était  connu  dans  la  haute  antiquité  des  peuples 
de  TAsie  Mineure,  qui  l'avaient  sans  doute  transmis  aux  Étrusques. 

71 


562 


JOURNAL  DES  SAVANTS. 


et  c est  là,  sans  contredit,  un  des  rapprochements  les  plus  curieux  et 
les  plus  instructifs  que  puisse  ofTrir  l'archéologie  comparée.  Mais ,  en  fait 
d*images  de  ce  genre ,  rien  n  approche  de  la  nouveauté  et  de  l'intérêt 
que  présente  la  scène,  tout  hiératique,  sculpjée  dans  la  bande  supé- 
rieure, à  l'intérieur  du  vase  qui  nous  occupe.  Deux  hommes,  vêtus  de 
l'espèce  de  caleçon  serré  que  nous  avons  signalé  comme  une  pièce  de 
coutume  égyptien  et  asiatique ,  sont  nssis ,  en  face  Tun  de  Tautre ,  sur  un 
cabe  de  pierre.  Ils  tiennent  sur  une  main  un  vase  de  la  forme  de  coupe 
sans  anse,  de  laquelle  part  une  ligne  ponctuée  qui  aboutit  au  milieu  de 
leur  corps.  Entre  eux  est  placée  une  femme  nue,  debout,  qui,  de  la  main 
droite  élevée,  verse,  d'un  vase  surmonté  de  la  croix ansée,  une  liqueur 
indiquée  par  une  ligne  de  points ,  qui  semble  sortir  des  parties  génitales 
de  cette  femme ,  et  qui  tombe  dans  le  vase  tenu  par  un  de  ces  hommes 
assis.  Derrière  ce  groupe  de  trois  figures  sont  trois  autres  femmes  nues, 
debout,  dans  une  altitude  toute  pareille ,  portant  sur  leur  tête  un  grand 
vase  en  forme  de  cratère  évasé,  et  oflrant  la  même  particularité  d'une 
ligne  de  points,  qui  pai*t  de  l'endroit  indiqué  plus  haut  et  qui  aboutit  à 
leur  main  gauche ,  étendue  en  avant.  Je  ne  me  hasarderai  point  à  ex- 
pliquer cette  singulière  représentation,  unique  jusqu'ici  entre  tout  ce 
que  nous  connaissons  de  monuments  de  l'antiquité.  Je  me  bornerai  à 
signaler  ce  qu'elle  a  de  neuf  et  de  curieux  par  la  présence  de  femmes 
naes,  si  raie  en  général,  et  si  remarquable  parla  particularité  que  j'ai 
relevée,  et  qui  semble  avoir  quelque  analogie  sur  des  monuments  égyp- 
tiens ^  avec  cette  dififérence  que  le  rôle  attribué  ici  à  la  femme  est 
rempli  par  l'autre  sexe  sur  ces  monuments.  Il  y  a  certainement ,  dans  la 
^cène  hiératique  composée  de  ces  six  figures,  un  des  mystères  les  plus 
intéressants  de  la  croyance  étrusque ,  dérivée  de  l'Orient.  Mais  qui  pourra 
nous  révéler  le  sens  propre  de  cette  image  symbolique,  dont  le  fond 
est  sans  doute  asiatique,  avec  une  forme  qui  parait  bien  étrusque?  Lès 
deux  médaillons  sculptés  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur,  sous  le  pied  du 
vase  qui  nous  fournit  tant  d'éléments  nouveaux  et  importants  d'archéo- 
logie comparée,  ne  sont  pas  moins  curieux  que  tout  le  reste.  Le  mé- 
daillon intérieur  offre  le  groupe  d'une  vache  allaitant  an  veau,  image 
symbolique,  dont  l'idée  se  rapporte  probablement  au  culte  de  la  Vénus 
assyrienne  et  phénicienne  ^  et  dont  le  type, fourni  par  l'archéologie  de 

'  J*ai  en  vue  les  représentations  de  quelques  tombeaux  égyptiens  publiées  dans 
la  Description  sur  TÉgypte,  Antiquités,  t.  II,  pi.  84  *  n.  6,  pi.  86,  n.  i,  et  pi.  9a , 
fig.  Il,  sur  le  sens  symbolique  desquelles  j'aurai  lieu  de  m  expliquer,  en  les  com- 
parant avec  des  peintures  de  vases  grecs,  de  style  archaïque,  dans  la  IV*  do  m^ 
Lettres  archéologiques  sur  la  peinture  des  Grecs.  —  *  C'est  une  opinion  qui  a  été 


\, 


SEPTEMBRE  1843.  563 

ees  peuples  ^  avait  passé  de  très-bonne  heure  sur  des  monuments  grecs 
et  étrusques  ^  :  nouvelle  et  irrécusable  preuve  des  rapports  d'art  et  d% 
croyance  qui  existaient  entre  ces  peuples ,  et  qui  ne  pouvaient  apparte- 
nir qu  à  une  très-haute  époque.  L'autre  médaillon ,  malheureusement 
moins  bien  conservé,  présente  un  lion  ossw, -surmonté  d'un  épervier,  et 
placé  entre  deux  figures  d'hommes ,  dont  il  est  impossible ,  d'après  Tétat 
d'imperfection  où  elles  se  trouvent,  de  déterminer  l'intention. 

Les  deux  vases  représentés  sur  la  planche  x ,  n**  i  et  2 ,  ne  sont  pas 
moins  curieux  par  leur  sujet,  qui  paraît  être  toujours  un  départ  pour 
la  chasse,  et  par  tous  les  détails  du  costume  et  du  site.  Les  arbres,  qui 
sont  ici  le  lotos  et  le  cyprès,  sont  évidemment  pris  dans  un  oixlre  de 
croyances  asiatiques.  Les  vêtements  offrent,  dans  leurs  formes ,  presque 
toutes  les  variétés  que  présentent  les  monuments  asiatiques ,  notam- 
ment cette  espèce  de  tunique,  fendue  sur  le  devant  du  corps,  qui  couvre 
toute  la  cuisse  et  la  jambe  gauches ,  en  laissant  à  découvert  la  cuisse  et  la 
jambe  droites  portées  en  avant ,  que  l'on  voit  si  souvent  sur  les  cylindres 
babyloniens.  Le  médaillon  d'un  de  ces  vases  a  pour  type  le  groupe  delà 
wiche  allaitant  un  veau,  dont  j'ai  déjà  signalé  l'invention  et  le  motif,  dus 
à  l'archéologie  asiatique ,  et  dont  la  signification  achève  d'être  mise  en 
évidence  par  cette  particularité  neuve,  que  le  groupe  en  question  est 
placé  ici  dans  un  bois  de  lotus.  Le  médaillon  de  l'autre  vase  est  presque 
entièrement  détruit;  cependant,  on  distingue  encore,  dans  ce  qui  en 
subsiste ,  le  sujet  de  la  composition-,  c'est  un  personnage  qui  perce  de  sa 
longue  lance  un  captif  qu'on  lui  amène  les  mains  liées  en  avant  du  corps. 
Cette  image  de  sacrifices  humains ,  certainement  étrangère  à  la  civilisation 
des  Perses,  et  aussi  certainement  propre  à  celle  des  Phéniciens,  for- 
mait une  objection  grave  contre  le  système  d'interprétation  de  M.  Grifi. 
Aussi  a-t-il  cherché  à  éluder  cette  difficulté,  en  supposant  d'abord  que 
l'exécution  de  ces  vases  d'argent  était  d'une  époque  plus  ancienne  que 
celle  des  autres  objets  du  tombeau  de  Cœre,  supposition  tout  à  fait  ar- 
bitraire; en  second  lieu,  en  conjecturant  que  cette  immolation  de  vûr- 

exprimée  plusieurs  fois  par  M.  Lajard ,  iiolammcnt  dans  sou  Mémoire  sur  une  ume 
cinéraire  du  musée  de  Rouen ,  p.  20 ,  6) ,  et  que  j'admets  tout  à  fait  pour  mon  propre 
compte.  —  *  J'en  puis  citer  pour  preuves  les  médailles  phéniciennes  frappées  en 
Glicie,  telles  que  celle  qui  a  été  puLlice  par  Dutens,  Explicat,  de  quelques  médaillés 
phéniciennes,  pi.  11,  n.  10,  et  une  autre  médaille  publiée  par  le  même  savant,  ihid. 
(^.  1 ,  n.  5.  —  *  Tout  le  monde  connaît  les  médailles  de  Corcyre,  d*Apollonie  et  dt 
Dyrrachium,  dont  le  groupe  en  question  forme  le  type  habituel.  Le  même  type  tt 
rencontre  sur  des  monnaies  de  Carystos  d*£ubée,  Miounet,  Description^  t.  II,  p.  3oa, 
n.  1 5 ,  et  sur  une  stalére  d*or,  de  Cyzique,  du  cabinet  de  Munich ,  publié  par  Sm* 
tioi,  Stut.  antich.  tav.  nr,  fig.  a3. 

/  *  • 


564  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

limes  humaines  pourrait  être  due  à  quelque  coutume  introduite  chez 
les  Perses  par  suite  de  la  conquête  de  TLgypte  par  Cambyse  \  idée  qui 
n'est  justifiée  par  aucun  témoignage.  Le  savant  auteur  ne  s'est  jeté  dans 
toutes  ces  suppositions ,  que  parce  quil  s  est  formé,  sur  l'origine  et  la 
signification  des  objets  placés  dans  le  tombeau  de  Cœre,  un  système 
qui  l'oblige  à  réduire  l'antiquité  de  ces  monuments  beaucoup  au-dessous 
de  leur  époque  véritable. 

Il  s'en  faut  bien  que  j'aie  indiqué  tout  ce  qu'offre  de  neuf  et  d'im- 
portant pour  la  science  l'apparition  des  objets  d'antiquité  qui  forment 
le  sujet  de  l'ouvrage  de  M.  Grifi,  et  dont  nous  lui  devons  la  publica- 
tion. Mais,  dans  une  matière  si  riche  et  si  difficile,  j'ai  dû  me  borner 
1^  quelques  points  principaux ,  à  ceux  qui  marquent,  de  la  manière  la 
plus  caractéristique ,  l'existence  de  ces  anciennes  relations  entre  l'Étru- 
rie  et  l'Orient,  qui  constituent  pour  moi  le  fait  archéologique  le  plus 
grave  en  soi  et  le  plus  fécond  en  conséquences  de  l'époque  où  nous 
sommes.  Le  mérite  de  M.  Grifi  sera  d'avoir  dirigé  vers  ce  point  l'atten- 
tion et  la  sagacité  des  antiquaires,  bien  qu'il  se  soit  trompé ,  à  mon  avis, 
en  cherchant ,  dans  les  croyances  milhriaques,  d'une  date  trop  récente  et 
d'une  autorité  trop  équivoque,  l'explication  de  symboles  qui  avaient 
une  source  plus  haute  dans  un  système  de  culte  et  d'art  asiatique.  En 
tout  cas,  l'importance  et  la  nouveauté  des  questions  soulevées  dans  le 
livre  de  M.  Grifi ,  aussi  bien  que  le  mérite  et  la  singularité  des  monu- 
ments eux-mêmes,  exigeaient  de  notre  part  un  examen  aussi  scrupuleux 
que  celui  auquel  nous  nous  sommes  livrés;  et,  en  soumettant,  comme 
nous  l'avons  fait ,  nos  réflexions  et  nos  doutes  au  jugement  de  M.  Grifi , 
nous  croyons  avoir  satisfait,  autant  qu'il  était  en  nous,  à  nos  obligations 
envers  la  science  et  envers  lui-même. 

RAOUL-ROCHETTE. 


Loi  SALiQUE ,  OU  Recueil  contenant  les  anciennes  rédactions  de  cette 
loi  et  le  texte  connu  sous  le  nom  de  Lex  emendata,  avec  des 
notes  et  des  dissertations,  par  J.  M.  Pardessus,  membre  de  Fins-- 
titut,  Paris,  Imprimerie  royale,  in-4.*'  de  lxxx  et  789  pages. 


PREMIER    ARTICLE. 


Si  la  loi  salique  est  restée  célèbre  en  France,  ce  n'est  point  assuré- 
ment par  le  mérite  des  dispositions  qu'elle  renferme  :  toutes  sont  abo- 

^  Monum.  di  Cere,  etc.  p.  i53,  1). 


SEPTEMBRE  1843.  565 

lies  depuis  longtemps  de  notre  jurisprudence;  mais  c*est  à  la  faveyr 
d*une  constitution  quelle  ne  contint  jamais,  à  laquelle  toutefois  elle  a 
eu  le  bonheur  d'imposer  son  nom,  et  qui,  sanctionnée  par  le  temps, 
forme  encore  aujourd'hui  un  des  principes  les  plus  sages  et  les  plus 
fermes  de  notre  droit  public.  La  constitution  dont  je  parle,  tout  le 
monde  la  connaît;  cest  celle  qui  règle  la  succession  au  ti^ône,  et  qui, 
prononçant  Texclusion  absolue  des  femmes,  appelle  les  mâles  les  plus 
proches,  par  ordre  de  primogéniture  et  par  droit  de  représentation. 
Elle  se  résumait  dans  cette  courte  formule  :  La  couronne  nepeat  tomber 
de  lance  en  quenouille;  et,  parce  qu'on  ne  la  trouvait  écrite  nulle  part, 
on  fattribuait  à  la  loi  surannée  de  la  tribu  des  Saliens;  comme  si 
une  loi  aussi  informe  eût  pu  avoir  cette  portée  et  compter  sur  un  pareil 
honneur.  D'où' vient  donc  une  attribution  si  peu  légitime?  et  dans  quel 
temps  l'opinion  publique  s  est-elle  grossie  d'une  erreur  si  aisée  à  recon- 
naître? Je  demande  la  permission  de  dire.,  à  ce  sujet,  quelques  mots 
avant  d'en  venir  à  l'ouvrage  dont  je  dois  rendre  compte. 

Depuis  Hugues  Capet  jusqu'à  Jean  l*',  c'est-à-dire  sous  treize  règnes, 
la  royauté  avait  toujours  été  transmise  en  ligne  directe,  de  père  en  fils, 
sans  contestation;  mais,  en  i3i6,  elle  devint  litigieuse  par  la  mort  de 
ce  fils  posthume  de  Louis  le  Hutin,  arrivée  dès  le  cinquième  jour  de 
sa  naissance.  Alors  il  s'agit  de  savoir  qui,  de  la  sœur  ou  de  l'oncle,  de- 
vait succéder  au  petit  roi  défunt.  La  question  était  entre  Jeanne  de 
Navarre  et  Philippe,  comte  de  Poitiers.  Pour  la  résoudre,  si  on  voulait 
des  exemples,  il  fallait  les  chercher  hors  de  la  troisième  race,  qui  n'en 
offrait  pas,  et  remonter  aux  temps  carlovingiens  et  mérovingiens.  Or 
c'était  évoquer  de  vieilles  coutumes ,  ensevelies  sous  quatre  siècles  de 
féodalité;  c'était  rétrograder  misérablement  vers  l'usage  germanique, 
qui  partageait  le  royaume  comme  un  patrimoine  ;  enfin  c'était  répudier 
le  principe  d'indivisibilité  et  le  droit  de  primogéniture ,  observés  uni- 
versellement dans  les  fiefs. 

S'il  n'était  pa%  douteux  que  les  femmes  n'avaient  jamais  hérité  du 
trône  pendant  les  deux  premières  races,  on  ne  pouvait  pas  non  plus 
méconnaître  que,  depuis,  il  s'était  fait  une  révolution  dans  l'hérédité, 
non-seulement  à  l'égard  des  fiels,  mais  même  à  l'égard  du  pouvoir 
royd.  Ainsi  le  royaume,  qui  se  divisait  anciennement,  comme  on  l'a 
dit,  entre  les  mâles,  avait  obtenu  l'indivisibilité  au  commencement  de 
la  troisième  race,  pour  être  dévolu  intégralement  à  l'ainé  des  fils.  Ce 
fut  là  le  bienfait  le  plus  signalé  de  l'usurpation  du  duc  de  France  :  le 
principe  qui  gouvernait  le  fief  passa  au  trône,  et  le  duché  fit  la  loi  à  la 
monarchie.  Or,  du  moment  qu'en  matière  de  succession  la  couronne 


566  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

avait  subi,  sur  un  point,  l'influence  féodale,  il  n'y  avait  rien  d*étonnant 
qu'elle  Teût  subie  sur  Tautre  point,  qui  concernait  la  successibilité  fémi- 
nine. Quelle  raison  particulière,  en  eflet,  de  refuser  ici  ce  qu'on  accor- 
dait là?  et  pourquoi  aurait-on  trouvé  mauvais  pour  la  royauté  ce  qu'on 
«vait  trouvé  bon  pour  la  seigneurie^?  De  plus,  si  les* femmes  conti- 
nuaient ,  au  quatorzième  siècle ,  d'être  exclues  du  trône  de  France ,  com- 
ment se  faisait-il  qu'elles  étaient  admises  sans  difliculté  à  ceux  de, Na- 
varre, d'Aragon,  de  Castille,  d'Angleterre,  d'où  jadis  elles  avaient  été 
pareillement  exclues  ?  Est-ce  que  la  légitimité  n'était  pas  la  même  en 
tous  ces  pays?  au  moins  devra-t-on  convenir  que,  chez  nous,  elle  pouvait 
paraître  incertaine  entre  Jeanne  et  Philippe,  à  la  mort  du  roi  Jean  I*. 

Mais ,  si  les  droits  étaient  contentieux ,  les  chances  n'étaient  pas  égales. 
D'un  côté  nous  voyons,  pour  défendre  l'hérédité  des  femmes,  une 
jeune  fille  dans  la  sixième  année  de  son  âge,  à  laquelle  il  manquait  l'ap- 
pui dune  mère,  et  qui  même  n'avait  recueilli  de  la  sienne,  Margue- 
rite de  Bourgogne ,  étranglée  pour  crime  d'adultère ,  qu'une  mémoire 
déshonorée  et  des  soupçons  injurieux  sur  la  légitimité  de  sa  naissance. 
De  l'autre  côté,  au  contraire,  se  présentait  un  prince  de  vingt-deux 
ans,  actif,  prudent,  résolu,  investi,  avec  la  régence,  de  tous  les  pou- 
voirs de  la  royauté ,  et  qui  s'était  déjà  signalé  à  Lyon  par  un  acte  d« 
vigueur  en  faisant  enfermer  les  cardinaux  pour  les  contraindre  à  nom- 
mer un  pape. 

Toutefois,  malgré  les  avantages  d'une  si  belle  position,  il  eut  à  lutter 
contre  un  parti  considérable  ^  qui  se  déclara  en  faveur  de  la  princesse. 
Non-seulement  le  duc  de  Bourgogne  et  sa  mère,  Agnès  de  France ,  fille 
de  saint  Louis,  prirent,  comme  il  était  naturel,  la  défense  de  Jeanne, 
leur  nièce,  mais ,  de  plus,  ce  qui  n'était  pas  une  médiocre  recomman- 
dation pour  la  petite  orpheline,  Charies,  comte  de  la  Marche,  le  propre 
frère  de  Philippe ,  et  le  plus  intéressé  après  lui  à  l'exclusion  des  femmes, 
se  déclara  généreusement  pour  elle.  Charles  de  Valois,  fds  du  roi 
Philippe  le  Hardi,  embrassa  la  même  cause.  Cette  cause  échoua  néan- 
moins, et  voici  comment. 

A  la  mort  de  son  frère  Louis  le  Hntin,  Philippe,  ayant  entouré  d^ 
gardes  les  principaux  seigneurs  du  royaume  réunis  dans  son  palais, 
s'était  fait  décerner  d'avance  la  royauté  dans  le  cas  où  sa  bdlle-sœur  la 
reine  Clémence  de  Hongrie  accoucherait  d'une  fiUe.  Six  semaines  après 
avoir  enterré  à  Saint-Denis  le  petit  prince,  son  neveu,  auquel  elle  donna 

*  Dès  le  temps  de  Philippe-Auguste,  les  femmes  s^élevaient,  en  France,  à  la  lé- 
lilé  sans  beaucoup  de  succès  alors ,  contre  le  principe  de  la  masculinité  des  fiefr. 
Vf«jei  un  acte  rapporté  par  raM>é  Saliicr,  Acmi,  ic$  wMcripL  XX,  AyS. 


SEPTEMBRE  1843.  507 

le  jour,  il  se  rendit  à  Reims  avec  une  armée,  ferma  les  portes  de  la 
ville ,  et  fut  couronné  par  Tarchevêque ,  malgré  l'opposition  des  princes , 
qui  protestèrent  par  leur  absence  contre  son  couï:onnement.  De  retour 
à  Paris,  il  n  eut  pas  de  peine  à  se  faire  reconnaître  par  une  assemblée 
de  prélats,  de  seigneurs  et  de  bourgeois;  et  ce  fut  alors,  suivant  Tex- 
pression  remarquable  du  continuateur  de  Guillaume  de  Nangis,  que  les 
femmes  furent  déclarées  inhabiles  à  succéder  à  la  couronne  de  France  ^ 
Ayant  ensuite  pris  les  armes ,  Philippe  le  Long  trouva  le  moyen  de 
gagner  ses  adversaires  sans  combattre ,  et  régna  désormais  sans  contes- 
tation. Lorsqu'il  mourut,  en  iSsa ,  comme  il  ne  laissait  aussi  que  des 
filles,  son  frère  Charles,  comte  de  la  Marche,  Tancien  partisan  de  Thé- 
redite  féminine ,  écarta  ses  nièces  et  s'assit  paisiblement  sur  le  trône. 

La  question  était,  en  effet,  définitivement  résolue  en  faveur  des  mâles, 
et  même,  sur  le  point  capital,  elle  ne  devait  plus  désormais  trouver  de 
contradicteurs.  Mais  il  est  permis  d'imaginer  une  tout  autre  solution 
dans  le  cas  où  la  cause  des  femmes  n'eût  pas  été  placée  en  des  mains 
débiles.  Si  l'on  consulte  le  droit  public  qui  dominait  alors  et  l'opinion 
dont  les  premiers  princes  du  sang  se  rendirent  les  défenseurs ,  on  croira 
volontiers  que  l'exclusion  de  Jeanne  de  France  est  bien  moitis  la  preuve 
de  son  inhabilité  que  celle  de  sa  faiblesse,  et  quelle  peut  être  princi- 
palement attribuée  au  défaut  de  la  force  trop  souvent  nécessaire  pour  le 
triomphe  de  la  justice.  Quant  à  moi,  je  suis  persuadé  que  la  pente  du 
siècle ,  à  la  mort  du  fils  posthume  de  Louis  X ,  devait  faire  échoir  la 
couronne,  comme  les  fiefs,  au  pouvoir  des  femmes.  Des  circonstances 
heureuses  empêchèrent  cet  événement,  dont  les  conséquences  auraient 
tourné  sans  doute  contre  la  grandeur  et  la  prospérité  de  notre  pays. 

La  royauté ,  une  fois  engagée  dans  la  voie  de  la  succession  mascu- 
line, ne  fut  plus  libre  d'en  sortir.  Le  roi  qui  eût  appelé  sa  fille  à  régner 
après  lui  se  fut,  par  cet  acte  même,  déclaré  illégitime  et  usurpateur, 
attendu  qu'il  ne  devait  le  trône  qu'au  principe  de  l'exclusion  des  femmes. 
Aussi  Charles  le  Bel,  qui  n  avait  qu'une  fiUe,  n'osant  pas,  à  son  lit  de 
mort,  faire  de  réserve  pour  elle,  déclara  que,  si  la  reine,  qui  était  en- 
ceinte, n'accouchait  pas  d'un  enfant  mâle,  la  couronne  serait  décornée 
par  les  douze  pairs  et  les  hauts  barons  de  France  i\  celui  qui,  suivant 
l'expression  do  Froissard  (  i  ,2  a) ,  j^  avait  droit  par  droit.  Cette  déclaration , 
qui  rappelle  celle  que,  seize  siècles  auparavant ,  Alexandre  avait,  dit-on, 
faite  .à  ses  généraux,  n'était  peut-être  pas  dictée  pai*  une  politique  très- 

'  «  Tune  eliam  declaralum  fuitqaofd  ad  coronam  regni  Francis  muliernon  toc- 
«  cedit.  • 


568  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

prudente,  puisqu'elle  conférait  ou  confirmait  aux  premiers  seigneurs 
du  royaume  un  droit  dangereux  pour  Tunité  dynastique. 

Quoi  qu  il  en  soit,  lai  reine  étant  accouchée  d'une  princesse,  les  grands, 
assemblés  à  Paris,  appelèrent  au  trône,  d'une  voix.unanime,  Philippe, 
comte  de  Valois,  fils  de  Charles,  troisième  frère  de  Philippe  le  Hardi. 
Ce  prince  fut  reconnu  par  tout  le  monde,  même  par  Edouard,  roi 
d'Angleterre,  qui,  après  avoir  inutilement  brigué  contre  lui  la  cou- 
ronne, lui  fit  hommage,  comme  à  son  suzerain  légitime,  pour  la  pro- 
vince de  Guienne,  tant  le  principe  de  la  masculinité  avait  déjà  jeté  dans 
le  royaume  de  profondes  racines!  Ce  fut  seulement  après  un  assez 
grand  nombre  d'années,  en  iSSy,  qu'excité,  à  ce  qu'on  a  cru,  par  les 
conseils  de  Robert  d'Artois,  jadis  son  adversaire  le  plus  déclaré,  il 
s'avisa  de  protester  contre  la  royauté  de  Philippe  de  Valois ,  et  d'usurper 
le  titre  de  roi  de  France. 

La  question  d'hérédité  fut  alors  agitée  de  nouveau,  et  ne  fut  complè- 
tement résolue  qu'après  avoir  engendré  un  siècle  de  guerres  et  de 
calamités  effroyables.  Pour  la  bien  concevoir,  il  est  nécessaire  de  se 
reporter  à  la  mort  de  Charles  le  Bel ,  et  d'examiner  quels  étaient  les 
droits  de  chacun. 

Commençons  par  les  femmes.  Comme  elles  n'avaient  jamais  été  ap- 
pelées au  trône,  que  même  elles  en  avaient  été  solennellement  exclues 
en  deux  circonstances  toutes  récentes,  et  que  personne,  dans  la  suite, 
ne  revendiqua  plus  leurs  droits,  nous  devrons  regarder  leur  inhabilité 
personnelle  comme  une  chose  jugée  et  comme  étant  définitivement 
passée  en  principe  dans  la  constitution  de  la  monarchie  :  par  consé- 
quent ,  nous  retrancherons  du  nombre  des  prétendants  toutes  les  filles 
des  derniers  rois.  Il  ne  reste  plus  qu'à  chercher  parmi  les  mâles  celui 
qui  devait  légitimement  hériter  du  trône. 

Or  les  mâles  se  divisaient  en  deux  classes,  selon  qu'ils  descendaient 
des  hommes,  ou  selon  qu'ils  descendaient  des  femmes  de  la  maison 
royale.  Ceux  de  la  seconde  classe,  c'est-à-dire  ceux  qui  venaient  par 
les  femmes,  étaient  nés  les  uns  des  filles,  les  autres  des  sœurs  des  trois 
rois  Louis  le  Hutin ,  Philippe  le  I^ong  et  Charles  le  Bel ,  tous  trois  fils 
de  Philippe  le  Bel.  D'abord,  parmi  ceux  qui  procédaient  des  filles,  il 
n?y  en  avait  qu'un  d'existant  au  moment  oii  s'ouvrit  la  succession  au 
trône,  le  i*'  avril  iSîxS  :  c'était  Phihppe  de  Bourgogne,  né,  en  i3aa, 
du  mariage  de  Jeanne,  fille  aînée  de  Philippe  le  Long,  avec  Eudes  IV, 
duc  de  Bourgogne.  Louis  II,  comte  de  Flandre,  ne  vint  au  monde 
qu'en  1 33o,  et  Charles  II,  dit  le  Mauvais,  roi  de  Navarre,  qu'en  j  33a  : 
le  premier  était  fils  de  Louis  I",  comte  de  Flandre,  et  de  Marguerite 


SEPTEMBRE  1843.  569 

de  France,  seconde  fille  de  Philippe  le  Long;  le  second  était  fils  de 
Philippe ,  comte  d'Évreux ,  et  de  Jeanne  de  France  et  de  Navarre ,  fille 
unique  de  Louis  le  Hutin.  Ensuite  il  n'y  avait  de  même  qu'un  seul 
prince  vivant  descendu  des  sœurs  :  c'était  le  fameux  Edouard,  né,  en 
i3i2,  d'Edouard  II,  roi  d'Angleterre,  et  d'Isabelle  de  France,  la  seule 
fille  de  Philippe  le  Bel  qui  fut  mariée. 

Enfin,  si  nous  passons  aux  princes  de  la  première  classe,  c'est-à-dire 
aux  plus  proches  parents  par  les  mâles,  celui  qui  les  précédait  tous  était , 
sans  contestation,  Philippe  de  Valois,  né,  en  isgS,  de  Charles,  comte 
de  Valois,  second  fils,  après  Philippe  le  Bel,  du  roi  Philippe  le  Hardi. 

C'était  donc  entre  ces  trois  princes,  Philippe  de  Bourgogne,  Edouard 
d'Angleterre  et  Philippe  de  Valois,  que  pouvait  être  le  débat;  et,  comme 
aucune  prétention  ne  fut  élevée  au  nom  du  premier,  Philippe  de  Va- 
lois n'eut  qu'Edouard  pour  antagoniste. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  la  discussion  approfondie  des 
titres  de  chacun  :  je  dois  seulement  rappeler  que  l'inhabilité  des  femmes 
n'était  pas  moins  reconnue  par  l'un  que  par  l'auti'e.  Edouard  excluait 
donc  du  trône  sa  mère,  qui  vivait  encore;  mais,  étant  le  neveu  des 
derniers  rois,  tandis  que  Philippe  n'en  était  que  le  cousin  germain,  il 
se  trouvait  évidemment  le  plus  proche  héritier  mâle  des  deux,  et  c'est 
à  ce  titre  qu'il  réclamait  la  couronne.  On  lui  objectait  qu'il  n'y  pou- 
vait prétendre  que  par  sa  mère ,  et  que  sa  mère  n'y  ayant  aucun  droit 
à  cause  de  son  sexe,  elle  ne  pouvait  lui  transmettre  ce  qu'elle  n'avait 
pas,  ni  lui  recevoir  d'elle  un  titre  dont  elle  était  privée.  A  cette  ob- 
jection, d'une  grande  force,  Edouard  répondait  qu'il  venait  à  la  suc- 
cession du  trône  de  son  propre  chef  et  non  du  chef  de  sa  mère ,  par 
droit  de  proximité  et  non  par  droit  de  représentation;  enfin  que  les 
femmes  étaient  exclues  seulement  à  cause  du  défaut  de  leiu^sexe,  mais 
non  pas  les  mâles  descendus  des  femmes,  puisqu'ils  n'avaient  pas  le 
même  défaut. 

Je  laisse  les  nombreux  arguments  qui  furent  ou  qui  pouvaient  être 
apportés  de  part  et  d'autre,  surtout  de  la  part  de  Philippe  :  le  motif 
qui  domina,  je  crois,  tous  les  autres,  fut  que  ni  les  grands  ni  la  nation 
ne  voulaient  être  gouvernés  par  un  prince  étranger.  Quant  à  celui  dont 
Froissard  fait  mention  sans  en  alléguer  d'autre,  savoir,  que  le  rcjuame 
de  France  est  de  si  grande  noblesse ,  qu'il  ne  doit  mie  par  succession  aller  à- 
femelle f  il  est  évident  qu'il  ne  s'appliquait  pas  ici,  attendu,  je  le  répète, 
que  les  deux  adversaires  étaient  parfaitement  d'accord  pour  exclure  les 
femmes.  Ce  motif  supposait  d'ailleurs,  ce  qu'il  eût  fallu  prouver,  quelles 
ne  pouvaient  recueillir  des  héritages  d'une  certaine  noblesse,  c'est-à-dire 

72 


570  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qu*on  ai^uait  d*abord  de  la  noblesse' de  la  chose,  ensuite  de  Tindignité 
de  ia  personne  des  femmes.  Celait,  comme  on  voit,  un  argument  tout 
nouveau.  Mais,  s'il  avait  été  fondé,  il  ne  serait  probablement  pas  resté 
sans  effet  sur  TAi^eterre,  l'Espagne ,  la  Navarre,  la  Sicile,  qui  se 
croyaient,  sans<loute,  sinon  d'une  aussi  grande  noblesse  que  la  France, 
au  moins  d'une  noblesse  assez  grande  pom'  avoir  le  droit  de  n'être  gou- 
vernées que  par  des  hommes.  II  ne  faut  pas  disconvenir,  toutefois,  que 
ces  raisons  de  sentiment,  exprimées  avec  de  grands  mots  et  des  phrases 
sonores,  qui  mettent  en  jeu  l'orgueil  ou  la  vanité  nationale,  exercent 
souvent  un  grand  empire  sur  le  vulgaire;  et  je  ne  voudrais  pas  affirmer 
que  l'argun^nt  de  Froissard ,  qui  n'a  pas  beaucoup  de  valeur  aux  yeux 
d'un  juge  impartial,  n'eût  paru  le  meilleur  de  tous  au  xiv*  siècle,  s'il 
se  fût  agi  d'en  faire  l'application. 

Bref,  pour  que  le  roi  Edouard  pût  revendiquer  le  royaume  de  saint 
Louis,  il  devait  avant  tout  se  rétracter  d'avoir  reconnu  pour  roi  de 
France  Philippe  de  Valois,  et  faire  agréer  sa  rétractation,  quoiqu'il 
l'eût  difïérée  longtemps  après  l'âge  de  sa  majorité;  puis  il  devait  pro- 
voquer la  réunion  des  états  généraux ,  et  les  saisir  de  l'aHaire  en  litige, 
qui  jusque-là  n'avait  été  examinée  et  décidée  que  par  des  assemblées 
incompétentes.  Il  fallait  ensuite  qu'il  fit  admettre  dans  la  jurisprudence 
un  tlroit  de  proximité  différent  du  droit  de  représentation ,  en  prou- 
vant que  la  loi,  l'usage  ou  l'opinion,  qui  repoussait  les  femmes,  ne 
repoussait  pas  leur  descendance  masculine  :  la  question,  en  effet,  ne 
s'était  pas  encore  présentée  dans  toute  son  étendue,  les  j>rincesses  ex- 
clues par  Philippe  le  Long  et  Charles  le  Bel  n'ayant  pas  de  fils  au 
moment  de  leur  exclusion.  Enfin,  lorsque  cette  preuve  aurait  été  faite, 
comme  Edouard  était  primé  pai*  Philippe  de  Bourgogne ,  il  aurait  pu 
encore  avoir  k  écarter  ce  prince  après  avoir  écarté  Philippe  de  Valois  ;  car 
les  raisons  allouées  contre  le  second  étaient  sans  valeur  contre  le  pre- 
mier. On  voit  combien  la  reconnaissance  de  sa  légitimité  devait  ren- 
contrer d'obstacles;  mais,  quand  bieu  même  il  eût,  par  impossible, 
jréussi  à  établir  son  droit,  on  croira  facilement  qu'il  im;  s'en  fût  trouvé 
guère  plus  avancé,  et  que,  pour  posséder  de  fait  le  royaume  de 
Franoe.,  il  eût  eu  besoin  de  tirer  fépée  et  de  l'emporter  par  la  force 
des  Jirmes. 

Tel  est,  aussi  brièvement  que  j'ai  pu  le  faiœ,  le  résumé  du  grand 
|irocès  politique  qui  menaça  d'engloutir  la  France  au  xiv*  siècle. 

J'en  viens  maintenant  à  l'objet  principal  de  ce  préambule,  savoir,  à 
la  prétendue  loi  salique  relative  à  la  succession  du  trône. 

L'ancienne  loi  dfts  Saliens,  comme  on  l'a  dit,  garde  sur  ce  point  un 


SEPTEMBRE  1843.  57t 

silence  absolu ,  mais  elle  contient  une  disposition  qui  refuse  positire- 
ment  aux  femmes  une  part  quelconque  d*béritage  dans  la  terre  saUque. 
Eb  bien,  c'est  cette  disposition  purement  de  droit  privé,  et  restreinte  à 
une  espèce  particulière  de  biens,  qui  constitue  le  seul  titre  écrit  et 
patent  de  la  masculinité  de  la  couronne.  D'abord ,  qu  elle  ait  été  invo- 
quée et  appliquée  en  France  ou  dans  les  pays  de  l'ancienne  Gaule,  au 
moins  jusqu'à  la  fin  du  xiii*  siècle ,  c'est  un  fait  dont  il  est  aisé  d'admi- 
nistrer la  preuve.  Ainsi,  en  l'année  ii85,  un  seigneur  du  Balmey, 
Joannes  del  Balmeto,  affranchit  de  la  coutume  de  la  loi  salique,  pour  k 
prix  de  i8  livres  viennoises,  un  de  ses  hommes  et  tous  les  descendants 
légitimes  de  celui-ci,  afin,  dit  l'acte,  que  lesjilles  de  cet  homme  paissent 
lai  succédera  Plus  de  cent  ans  après,  en  1296,  les  moines  de  Val- 
Sainte,  au  canton  de  Fribourg,  assignent  une  certaine  quantité  de 
terres  à  la  petite-fille  du  fondateur  de  leur  couvent,  h  condition  que 
ces  terres  leur  feront  retour,  suivant  la  loi  salique,  au  cas  que  la  femme 
ou  ses  descendants  meurent  sans  enfants  mâles  ^.  Voilà  donc  l'inhabi- 
lité salique  des  femmes  qui  s'est  perpétuée  dans  la  jurisprudence ,  au 
moins  jusque  sous  le  règne  de  Philippe  le  Bel.  Après  cela  est-il  éton- 
nant  qu'elle  ait  été,  vingt  ans  plus  tard,  étendue  à  la  succession  du 
trône? 

A  la  vérité,  en  recourant  à  la  loi  salique,  on  reconnaît  tout  de  suite 
quelle  ne  s'occupe  nullement  de  la  succession  directe;  et,  par  consé- 
quent, on  pourrait  prétendre  que,  dans  son  application  à  la  royauté, 
elle  excluait  du  trône  seulement  les  nièces  et  non  les  fiUes  de  nos  rois, 
^  à  l'exemple  de  nos  anciennes  coutumes,  d'après  lesquelles  c'était  seule- 
ment dans  les  successions  collatérales  des  fiefs,  que  les  mâles  excluaient 
les  femmes  de  même  degré.  Mais  une  pareille  assertion  nesauraitse  soute- 
nir devant  des  témoignages  positifs,  tirés  des  formules  de  Marculf  (u,  la) 
et  d'autres  documents  non  moins  irrécusables,  qui  prouvent  que,  même 
en  hgne  directe ,  la  terre  salique  appartenait  exclusivement  aux  mâles. 
Toutefois,  comme  ils  prouvent  en  même  temps  que  le  père,  par  un 
acte  exprès  de  sa  volonté,  pouvait  déroger  à  la  loi  et  partager  par 

*  I  Franchio  manu  et  ore  manumitto  a  consuetudlne  legis  salicae  Johannem.  Pkion 
a  de  Vico,  hominem  meum,  et  suos  legitinie  natos ,  et  ad  sanum  intellectiutt  redoco  : 
■  ita  ut  sus  fklis  possint  sibi  succedere.  Dictumque  Johannem  et  suos  Mrtaf  «onsti- 
«  tuo  liomines  meos  franchos  et  liberos  ab  omni  usagio  bono  vel  malo  legis  salicae.  « 
(Guichen.  Hist.  de  Bresse,  part.  IV,  p.  5.)  —  *  «  Sub  tamen  conditione  legis  sidice, 
I  his  in  lociâ observari  solitœ  :  ridebcet, ut,  si  illaabsque  liberis  masculis  naturalibos 
«et  legitimis,  vel  sui  hxredes,  ex  bac  vita  décédèrent,  tune  illa  tertîa  pars  ad  qm 
<  rediret  pleno  jure  et  sine  calumnia.  »  (Ihid,) 

73- 


572  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

portions  égales  cette  terre  entre  tous  ses  enfants,  mâles  ou  femelles, 
on  en  devra  conclure  que,  si  le  royaume  avait  été  complètement  assi- 
milé à  la  terre  salique,  il  aurait  pu  être  divisé  également  entre  les  fils 
et  les  filles,  et  même,  dans  certains  cas,  par  exemple  lorsqu'il  ny  au- 
rait pas  eu  d'héritier  mâle,  tomber  tout  .à  fait  en  quenouille.  Heureu- 
sement, au  XIV®  siècle,  pendant  quon  admettait  le  principe  d assimila- 
tion de  la  royauté  à  la  lerre  salique ,  on  refusait  d'en  subir  toutes  les 
conséquences,  et  l'on  appliquait  la  règle  sans  tenir  compte  des  excep- 
tions, que  sans  doute  on  ne  connaissait  plus. 

Quoique  la  loi  des  Saliens,  d'après  les  observations  précédentes, 
ait,  je  crois,  servi  de  fondement  ou  de  prétexte  au  grand  acte  qui 
écarta  des  mains  des  femmes  le  sceptre  si  mobile  des  derniers  Capé- 
tiens, on  ne  voit  pas  qu  elle  ait  été  mentionnée,  à  cette  occasion,  dans 
les  écrits  du  temps.  Mais  je  la  trouve  formellement  appliquée  à  l'héré- 
dité du  trône,  dans  un  mémoire  composé,  en  liiao,  contre  les  préten- 
tions des  rois  d'Angleterre ,  par  Jean  de  Montreuil ,  prévôt  de  Lille. 
Cet  auteur,  de  soixante-dix  ou  quatre-vingts  ans  plus  ancien  que  Robert 
Gaguin  et  Claude  de  Seissel,  ne  s'est  pas  contenté  de  l'invoquer  ;  il  en 
a  extrait  le  fameux  article  6  du  titre  62 ,  pour  prouver  que  la  couronne 
de  France  ne  pouvait  passer  au  sexe  féminin,  et  Ta  textuellement  rap- 
porté en  ces  termes  :  Nalla  portio  hereditatis  mulieri  veniat,  sed  ad  viri- 
lem  sexam  tota  terre  hereditas  perveniat.  C'est,  à  n'y  rien  changer,  la  le- 
çon de  Baluze,  moins  les  premiers  mots  de  la  phrase,  de  terra  vero 
salica,  qui  ont  été  omis,  quoiqu'ils  ne  fussent  pas  insignifiants. 

La  leçon  est  identiquement  la  même  dans  les  trois  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  du  roi,  qui  contiennent  la  rédaction  latine  de  Jean  de 
Montreuil;  mais  elle  est  toute  différente  dans  sa  rédaction  française, 
dont  le  manuscrit  est  conservé  dans  la  même  bibliothèque.  Nous  y 
lisons  :  «  Laquelle  loy  salique  contient  en  latin  ceste  propre  forme  et 
parole  :  MaUer  vero  in  regno  nullam  habeat  portionem^.n  L'altération, 
qui  consiste  principalement  dans  la  substitution  du  royaume  à  la  terre 
salique,  n'est  certes  pas  de  petite  conséquence.  Elle  donne  lieu  à  une 
disposition  toute  nouvelle,  dont  les  termes  ne  souffrent  point  d'équi- 
voque; et  Ton  ne  peut  douter  que  l'ancienne  leçon  n'ait  été  falsifiée 
avec  intention  et  dans  un  esprit  de  parti. 

Dans  tous  les  cas,  concevrait-on  qu'on  eût  songé  à  faire  intervenir 

*  Les  manuscrits  latins  sont  cotés  N'  D"  257,  et  suppV  l.  200  et  236.  Le  manus- 
crit français,  dont  fabbé  Sallier  a  publié  la  notice  [Acad.  des  inscript.  XX,  469) , 
est  du  fonds  de  Gaignières,  et  porte  le  n**  3oi.  Tous  sont  du  xv*  siède,  à  l'excep- 
tion du  n""  a  36,  qui  appartient  au  xvi*. 


SEPTEMBRE  1843.  573 

la  loi  salique ,  si  cette  loi  eût  été  alors  sans  renom  et  sans  autorité  ? 
qu'on  en  eût  exhumé  le  titre  62 ,  si  ce  titre  eût  paru  sans  application 
dans  Tespèce  ?  et  qu'on  Teût  tronqué  ou  falsifié,  non  poiu*  favoriser  une 
opinion  reçue,  mais  uniquement  pour  justifier,  sans  besoin  et  par  de 
honteux  moyens,  des  faits  depuis  longtemps  accomplis?  Evidemment 
ce  n*estpas  la  falsification  qui  aura  engendré  l'opinion;  c'est,  au  contraire, 
fopinion  déjà  répandue  qui  aura  provoqué  la  falsification. 

De  plus,  quand  on  considère  que  Jean  de  Montreuil  fait  preuve, 
dans  tout  son  mémoire ,  d'un  grand  sens  et  d'une  constante  sincérité , 
que  ses  raisonnements  sont  pleins  de  justesse  et  de  force,  qu'il  n'avance 
d'ailleurs  rien  de  controuvé  ni  de  suspect,  et  qu'il  connaît  à  fond  toutes 
les  questions  qu'il  traite,  on  ne  peut  guère  faccuser  d'avoir  eu  recours 
au  mensonge  et  de  s'être  armé  du  nom  d'une  loi  qui  n'aurait  pas  été 
reconnue  de  son  temps,  encore  moins  d'avoir  falsifié ,  dans  son  écrit 
français,  un  texte  qu'il  a  respecté  dans  son  écrit  latin,  le  tout  par  pur 
esprit  de  cl)icane  et  sans  nécessité. 

Mais,  quoi  qu'il  en  soit,  je  puis  invoquer  un  auteur  encore  plus  an- 
cien. Le  moine  Richard  Scoti,  qui  écrivait,  comme  il  nous  l'apprend 
lui-même  ^ ,  sous  le  roi  Jean ,  pendant  la  régence  de  son  fils  aîné ,  de- 
puis Charies  V  (mars  i358  à  juillet  i36o),  mentionne  la  loi  salique 
à  propos  des  droits  de  Philippe  de  Valois  au  trône  et  de  sa  descendance 
du  roi  Philippe  le  Hardi,  par  les  mâles  :  Patet,..  processisse  in  sexu  mascu- 
lino  a  Philippo  rege  Francie ,  filio  S,  Ludovici  régis.  A  la  vérité,  il  nous 
avertit  que  cette  loi  était  ignorée  de  tous  les  jurisconsultes  de  sa  con- 
naissance :  «Legem  vero  salicam,  dit-il,  quam  ab  omnibus  doctoribus 
«  legum,  quoscumque  novi,  petii  utrum  de  ea  cognitionem  haberent,  et 
«  tamen ,  michi  nuUam  penitus  respondentes,  libentissime  vobis  demons- 
((  trarem  ^.  »  Mais  une  preuve  que  lui  au  moins  la  connaissait,  c'est  qu'il 
en  a  fait  l'historique ,  et  qu'il  s'est  évidemment  servi  pour  cela  du  grand 
prologue  de  la  loi  même,  dans  le  passage  suivant,  qui  lui  appartient  : 
«  Primî  namque  reges  etiam  adhuc  pagani  illam  condiderunt.  Postea  rex 
a  Francorum  primus  christianus  Clodovcus ,  qui  fuit  a  sancto  Remîgio 
«  baptizatus,  deinde  Cildebertus  et  Clotharius,  quod  minus  in  pactohabe- 
((  batur  ydoneum  per  istos  très  fuit  lucide  emendatum,  percurrente  tali 
«decreto  quod  sic  incipit  :  Vivat  qui  Francos  ixligit^.  Item  legi  salice, 
«  id  est ,  francisée ,  Karolus  Magnus ,  rex  Francorum  et  imperator  Roma- 

*  Genealogia  aliquorum  regum  Franciœ,  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale,  coté 
S,  Vict.  287,  fol.  39.  —  *  Ihid,  fol.  ijo.  —  *  «  Et  quidquid  minus  in  pacto  habebatur 
«  idoneum  per  praecelsos  reges. . .  fuit  lucidius  emendatum ,  et  procuratum  decretum 
■  hoc  :  Vivat  qai  Francos  diligit  Ckristas  !  •  (Prolog,  d'Hérold,  dans  Bouq.  t.  IV,  p.  1 22.) 


574  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

«  noi  am ,  xxxix  capitula  addidit.  Ladoricus  ejus  fiiius,  eque  imperator, 
aintilto  plura  addidit,  valde  puichra  ^»  Quoique  le  moine  Richard 
n'affirme  pas  expressément  que  la  succession  au  trône  fut  réglée  par  la 
loi  salique,  il  est  néanmoins  facile  de  voir,  d'après  le  sujet  qu'il  traite 
et  la  manière  dont  il  s'exprime,  que  cette  opinion  régnait  de  son  temps, 
sans  que  toutefois  on  connût  généralement  le  texte  sur  lequel  on  la 
croyait  fondée. 

Ainsi,  pour  conclure  ce  long  préambule,  le  principe  dp  la  mascu- 
linité de  la  coiu'onne,  qui  l'emporta  constamment  en  France  depuis 
l'origine  de  la  monarchie ,  était  regardé ,  au  moins  dès  le  milieu  du  xiv* 
siècle ,  comme  une  dérivation  de  la  loi  salique.  Du  moment  que  celte 
opinion  devint  dominante,  le  nom  de  cette  loi,  appliqué  jadis,  par 
l'abbé  Suger^,  à  la  coutume  qui  privait  de  son  fief  le  vassal  félon,  fut 
ou  commença  d'être  employé  communément  chez  nous  pour  désigner 
la  loi  de  succession  au  trône,  au  lieu  de  désigner  le  vieux  code  de  la 
tribu  des  Salions.  La  nouvelle  appellation  et  l'ancien  principe  furent 
plus  tard  consacrés  simultanément  par  le  célèbre  arrêt  du  parlement 
de  Paris,  du  28  juin  1  SgS  ;  et  le  principe  seul  le  fut  encore  deux  cents 
ans  après  par  le  décret  de  l'assemblée  nationale  du  3  septembre  1791. 

M,  Pardessus,  dont  l'ouvrage  va  désormais  nous  occuper  unique- 
ment, n'avait  pas  à  traiter  la  question  qui  vient  d'être  examinée.  Aussi, 
Ta-t-il  seulement  touchée  en  passant,  pour  dire  (page  719)  que  c'était 
une  pure  illusion  que  de  voir  dans  l'article  6  du  titre  62  de  la  loi  sa- 
lique une  règle  applicable  à  la  succession  du  trône. 

GUÉRARD. 
(  La  suite  au  prochain  cahier.  ) 

*  Genealog.  fol.  4o  et  4i.  —  *  Vita  Lndov.  Grossi,  c.  xi. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


LIVRES   NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Etudes  sur  les  tragiques  grecs,  ou  Examen  critique  d'Eschyle,  de  Sophocle  et 
d'Euripide ,  précédé  d'une  histoire  générale  de  la  tragédie  grecque ,  par  M.  Patin , 
de  r Académie  française ,  professeur  de  poésie  latine  à  la  facvdté  des  leUres  de  Paris. 


SEPTEMBRE  1843.  575 

Tome  111.  Paris,  isapriinerie  de  Panckoucke,  librairie  de  Hachetle,  i8A3,  in-S*^  de 
565  pages.  •—  M.  Patin  achève,  dans  ce  troisième  et  dernier  volume,  l'examen  du 
théâtre  d'Eurijpâde,  commencé  dans  le  tome  II.  (Voir  notre  cahier  de  juin  i8/îa , 
p.  38 1.)  Quatorze  tragédies  de  ce  grand  poète,  Alceste,  Oreste,  Andromaque,  les 
Phéniciennes,  les  Troyennes,  Hécube,  Hercule  furieux,  Ion,  Hélène,  Iphigénie  en 
Taunde,  Rhésus,  les  Suppliantes,  les  Héraclides,  les  Bacchantes,  y  sont  analysées 
et  jugées  avec  une  connaissance  approfondie  de  Tesprit  et  des  procédés  de  Tari 
tragique  chez  les  Grecs.  A  l'occasion  du  Cydope  du  même  poète,  le  savant  acadé- 
micien recherche  ensuite  quels  ont  été  les  caractères  du  drame  satirique  des  an- 
ciens, dont  celte  pièce  est  Tunique  monument  parvenu  jusqu'à  nous.  Le  sixième 
et  dernier  livre  contient  une  judicieuse  appréciation  des  jugements  de  la  critique 
ancienne  et  moderne  sur  la  tragédie  grecque.  L'auteur  s'y  élève  surlout  contre  ce 
mépris  de  l'antiquité  qu'affectait  le  xviii*  siècle,  et,  en  faisant  ressortir  tout  ce  que 
les  décisions  de  Laharpe  ont  de  partial  et  d'erroné,  il  résume  les  vues  saines  et 
âevées  développées  dans  le  cours  de  ces  études.  Ce  morceau,  comme  tout  le  reste 
de  ce  remarquable  ouvrage,  respire  le  goiit  le  plus  pur  et  un  sentiment  exquis  du 
génie  antique.  On  peut  appliquer  au  livre  de  M.  Patin  ce  qu'il  dit  lui-même  à  pro- 
pos du  jugement  d'un  célèbre  auteur  moderne  sur  l' Andromaque  d'Euripide  :  «  Un 
tel  travail  fait  comprendre  quelle  nouveauté  sait  rendre  aux  sujets  les  plus  vieux , 
et  en  apparence  les  |)lus  usés,  l'esprit  qui  pousse  aujourd'hui  la  critique  à  com- 
parer les  productions  des  arts  avec  les  époques  d'où  elles  sont  sorties  ;  esprit  sé- 
rieux, qui  élève  et  agrandit  les  recherches  littéraires,  en  les  transportant  dans  le 
domaine  de  l'histoire  et  de  la  philosophie.  » 

Collection  de  documents  inédits  sur  l'histoire  de  France,  publiés  par  ordre  du  Roi 
et  par  les  soins  du  ministre  de  l'instruction  publique.  Première  série.  Histoin^  poli- 
tique. Recaeil  des  lettres  missives  de  Henri  IV,  publié  par  M.  Berger  de  Xivrey, 
membre  de  l'Institut  de  France  (Académie  royale  des  inscriptions  et  belles-lettres). 
Tomes  I  et  II.  Paris,  Imprimerie  royale ,  i843,  a  vol.  in-4°  de  XL1-7 lo  et  657  pages. 
—  L'histoire  de  France  ne  pouvait  fournir  à  la  collection  des  documents  inédits  un 
monument  plus  important  et  plus  digne  d'intérêt  que  le  recueil  des  lettres  missives 
de  Henri  IV.  L'heureuse  idée  de  cette  publication,  vraiment  nationale,  est  due  à 
M.  Villemain,  minisire  de  rinstruction  puMique,  qui  en  a  facilité  l'exécution  en 
organisant,  sur  tous  les  points  du  royaume  et  à  l'étranger,  des  recherches  dont 
le  résultat  a  déjà  produit  plus  de  deux  mille  neuf  cents  lettres,  provenant  des  dé- 
péi^  publics,  des  collections  particulières  et  des  archives  des  familles.  Les  deux  vo- 
lumes que  nous  annonçons  contiennent  la  première  partie  du  recueil,  c'est-à-dire 
la  correspondance  de  Henri  IV  avant  son  avènement  au  trône  de  France.  Le  tome  I 
comprend  la  période  comprise  entre  les  années  1 56a  et  1 585 ,  et  le  tome  II  les 
années  1 585-1 589.  Les  lettres  du  roi  de  Navarre  y  sont  disposées  par  ordre  chrono- 
logique et  accompagnées  de  nombreuses  notes  historiques  et  biographiques  néces> 
saires  à  l'intelligence  de  cette  précieuse  correspondance ,  dont  la  plus  grande  partie 
était  restée  jusqu'à  ce  jour  inédite.  En  tète  du  tomel"  est  un  rapport  de  BdL  le  ministre 
de  rinstruction  publique  au  Roi,  suivi  du  texte d*une  ordonnance  royale  du  1"  mai 
1843,  qui  prescrit  le  dépôt  de  la  collection  des  lettres  de  Henri  IV  dans  chacune  des 
bibliothèques  des  villes  chefs-lieux  de  départements  et  des  grands  établissements 
publics  du  royaume.  On  trouve  ensuite  une  préface  où  M.  Berger  de  Xivrey,  chargé 
de  la  direction  du  recueil ,  en  expose  le  plan  et  rend  compte  des  mesures  adoptées 
pour  en  assurer  l'exécution.  Chaque  volume  est  précédé  a'un  sommaire  historique 
résumant,  année  par  année,  les  événements  principaux  relatifs  à  la  vie  de  Henri  IV, 


576  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  suivi  d^une  liste  alphabétique  des  personnes  à  qui  sont  adressées  les  lettres,  et 
d'une  table  des  noms  propres  compris  dans  les  notes.  Â  la  fin  du  tome  II  l'éditeur 
a  placé  un  itinéraire  de  Henri  IV  avant  sorr  avènement  à  la  couronne  de  France , 
travail  curieux  et  utile ,  dont  il  a  puisé  les  principaux  éléments  dans  la  correspon- 
dance du  prince  et  dans  les  comptes  manuscrits  de  sa  dépense  conservés  à  Pau. 
M.  Berger  donne  ensuite  l'indication  des  sources  d'où  proviennent  les  lettres  ras- 
semblées dans  les  deux  premiers  volumes ,  et  un  glossaire  succinct  des  mots  vieillis 
ou  inusités.  Tous  ces  soins  de  l'éditeur  nous  paraissent,  en  général,  dignes  de  l'im- 
portance de  ce  grand  travail,  dont  l'achèvement  se  poursuit  avec  beaucoup  d'acti- 
vité et  de  sollicitude,  sous  les  auspices  du  ministre. 

La  Collection  des  documents  inédits  vient  encore  de  s'augmenter  du  volume 
dont  voici  le  titre  :  Papiers  dEtat  du,  cardinal  de  Granvelle,  d'après  ]es  manuscrits 
de  la  bibliothèque  de  Besançon ,  publiés  sous  la  direction  de  M.  Ch.  Weiss.  Tome  IV. 
Paris,  Imprimerie  royale,  i843  ,  in-A"  de  784  pages.  —  Ce  quatrième  volume  ren- 
ferme deux  cent  quarante-quatre  pièces ,  datées  du  9  juin  1 553  au  6  février  1 556. 

Notices  et  extraits  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  roi  et  autres  bibliothèques, 
publiés  par  l'Institut  royal  de  France ,  faisant  suite  aux  Notices  et  extraits  lus  au 
comité  établi  dans  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Tome  XIV  (pre- 
mière partie).  Paris,  Imprimerie  royale,  i8à3,  in-A"  de  5i4  pages.  —  Cette  pre- 
mière partie  du  tome  XIV  est  occupée  en  totalité  par  une  Notice  de  Vouvrage  persan 
qui  a  pour  titre  :  Malla-assuadem  ou-madjma-albahreîn ,  et  qui  contient  l'histoire  des 
deux  sultans  Schah-rokh  et  Abou-Saîd  (manuscrit  persan  de  la  Bibliothèque  du  roi 
n**  106;  manuscrit  persan  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  n"*  a4)t  par  M.  Quatre- 
mère.  Ce  travail  considérable,  accompagné  de  savantes  notes,  renferme,  outre  des 
détails  sur  la  vie  et  les  écrits  de  Kemal-eddin-Abd-errazzak ,  auteur  de  l'ouvrage 
persan,  de  nombreux  extraits  de  son  livre,  relatifs  à  l'histoire  du  règne  de  Schah- 
rokh  ,  suivis  du  texte  et  de  la  traduction  de  deux  morceaux  importants ,  le  voyage 
des  ambassadeurs  de  Schah-rokh  à  la  Chine  et  celui  d'Abd-errazzak  lui-même  dans 
rindoustan. 

ERRATUM  DU  CAHIER  D'AOUT. 
Dans  les  cartoaches  n"*  6  de  la  page  46i ,  et  n"**  4  et  7  de  la  page  463,  il  faut  mettre  un 
A>  au  lieu  d*un  S^;  et,  dans  celui  de  Marcas,  p.  463,  n**  7,  mettez  un  ^^^  au  lieu  d'un  •». 


TABLE. 

Sur  un  traité  arabe  relatif  à  lastronomie  (  V  article  de  M.  Biot) Page   513 

Scriplorum  grasconim  bibiiotheca,  editore  Ambrosio  Firm.  Didot  (I**  article  de 

M.  Letronne) 534 

Antichi  monumenti  sepoicrali  scoperti  nel  ducato  di  Ceri ,  dal  cav.  P.  S.  ViscontL 
—  Descrizione  di  Ccre  antica,  ed  in  particolarc  dei  moniunento  sepolcrole 
scoperto  neir  anno  1836,  dell'  archilctto  cav.  L.  Canina.  —  Monumenti  di 
Gère  antica,  dal  cav.  L.  Grifi  (4*  et  dernier  article  de  M.  Raoul -Rochette) . . .  543 

Lot  salique,  avec  des  notes  ci  dissertations,  par  J.  M.  Pardessus  (1*'  article  de 

M.  Guérard.  ) 564 

Nouvelles  littéraires 574 

FIN    DE   LÀ  TABLE. 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


OCTOBRE  1843. 


Le  LiVBE  DES  BOiSf  par  Aboulkasim  Firdousi,  publié,  traduit  et 
commenté  par  M.  Jules  Mohl.  Tome  IL  Paris,  Imprimerie 
royale,  1842. 

PREMIER    ARTICLE. 

En  publiant,  dans  le  Journal  des  Savants,  une  suite  d'articles  consa- 
crés à  l'examen  du  premier  volume  de  cet  ouvrage,  j'avais  promis  de 
continuer  à  offrir  aux  lecteurs  instruits  le  résultat  de  mes  observations. 
Et,  en  effet,  j'avais  poussé  beaucoup  plus  loin  mon  travail.  Mais,  dans 
cet  intervalle,  le  second  volume  ayant  vu  le  jour,  je  dois,  pour  rem- 
plir la  tâche  qui  m'a  été  confiée  par  le  comité  du  Journal,  m'attacher 
à  faire  connaître,  d'une  manière  succincte,  Jes  détails  contenus  dans 
le  nouveau  tome  que  M.  Mobl  vient  de  mettre  sous  les  yeux  des  sa- 
vants. 

Le  volume  s'ouvre  par  une  préface  composée  de  quelques  pages, 
et  dans  laquelle  l'éditeur  rappelle,  en  peu  de  mots,  les  principaux 
épisodes  que  contient  le  livre;  puis  il  indique  plusieurs  ouvrages  pu- 
bliés, surtout  en  Allemagne ,  depuis  la  publication  du  premier  tome,  et 
qui  renferment  la  traduction  de  morceaux  plus  ou  moins  étendus,  ex- 
traits du  Schah-nûmeh  II  annonce  que ,  dans  la  traduction  du  premier 
.  volume,  il  ne  peut  signaler  qu'une  seule  correction  à  faire,  a  Elle  se 
«rapporte,  dit-il,  au  vers  suivant  de  la  satire  contre  Mahmoud  : 

73 


578  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

«  Je  Tai  traduit  :  «  La  générosité  du  roi  Mahmoud ,  de  si  noble  nais* 
«sance,  n'est  rien  et  moins  que  rien;»  tandis  que  j'aurais  dû  dire: 
«  n'est  rien ,  ou  peu  de  chose.  »  Puis  il  ajoute  :  «  Lorsque  mon  savant  ami , 
«M.  Kazimirski  de  Biberstcin,  partit  en  iSlio  pour  la  Perse,  en  qua- 
«lité  d'interprète  de  l'ambassade  française,  je  lui  indiquai  ce  passage  et 
«quelques  autres,  en  le  priant  de  m'en  chercher  l'interprétation.  Il  a 
«bien  voulu  s'en  occuper,  avec  sa  complaisance  ordinaire,  et  il  m'a 
«  rapporté ,  à  son  retour,  l'explication  de  ce  vers ,  que  lui  avait  commu- 
«niquée,  à  Téhéran,  le  mollah  Mohammed  Ali.  Selon  ce  dernier,  Fir- 
«  dousi  fait  allusion  au  hisab-alakd,  c'est-à-dire  à  une  méthode  au  moyen 
«  de  laquelle  on  exprime  les  nombres  par  la  position  que  l'on  donne  aux 

«doigts La  traduction  littérale  du  vers  de  Firdousi  est  :  «La  main 

«de  Mahmoud,  de  noble  naissance,  est  neuf  fois  neuf  et  trois  fois 
«quatre.»  Or,  selon  le  mollah,  le  nombre  quatre-vingt-un  se  marque 
«le  poing  fermé  (le  pouce  en  dedans),  et  le  nombre  de  douze  par  les 
«  quatre  doigts  fermés  et  le  pouce  levé  tout  droit.  Le  vers  signifie  donc 
«que  la  main  de  Mahmoud  était  entièrement  fermée,  ou  presque 
«entièrement:  ce  qui  donne  le  sens  indiqué  plus  haut,  parce  que  la 
«main  close  est  le  symbole  de  l'avarice.  »  Mais  est-ce  bien  là  le  sens  de 
ce  vers.  Dans  le  texte  publié  par  M.  Macan,  on  lit  :  a-w  *x.*Ï  hJjôsj]  a» 
jU^jL*^'*  J*oserais  préférer  cette  leçon,  et  je  traduirais  :  «La  main 
«  de  Mahmoud  •  à  la  noble  origine ,  est  devenue  neuf  contre  neuf,  ou 
«  même  trois  contre  quatre.  »  C'est-à-dire,  cette  main,  qui,  par  sa  géné- 
rosité ,  devait  se  trouver  à  une  distance  immense  au-dessus  de  la  main 
des  autres  hommes,  s'est  ravalée  jusqu'à  n'être  qu'au  niveau  des  mains 
vulgaires ,  ou  même  jusqu'à  leur  être  inférieure. 

Le  volume  s'ouvre  par  un  récit  étendu  de  l'expédition  du  roi  Kaï- 
Kaous  dans  le  pays  de  Hamaveran.  Cette  contrée  a-t-elle  réellement 
existé?  ou  n'est-elle,  comme  on  peut  le  croire  de  plusieurs  des  lieux 
mentionnés  dans  le  Schah-nâmeh ,  que  le  produit  de  l'imagination  de& 
historiens  ou  des  romanciers?  C'est  ce  qu'il  est  difficile  de  décider. 
Mais ,  daufi  tous  les  cas ,  ce  qui  concerne  la  position  géographique  de 
ce  pays  présente  un  amalgame  d'éléments  hétérogènes,  de  détails  in- 
cohérents ,  qu'il  est  impossible  de  ramener  à  un  système  tant  soit  peu 
raisonnable. 

Dans  le  récit  du  poète,  la  contrée  de  Hamaveran  a  pour  limites,  d'un 
côté  l'Egypte^  de  l'autre  le  pays  des  Berbères,  et  enfin  la  province 
de  Zerah.  Or  cette  dernière  province  est  située  sur  le  bord  du  lac  du 
même  nom ,  placé  au  midi  de  la  ville  de  Hérat.  11  est  impossible  de  conci- 
lier des  assertions  semblables  avec  les  données  géographiques  que  nous 


OCTOBRE  1843.  579 

possédons  sur  les  régions  de  l'Orient.  Il  est  croyable  que  les  premiers 
narrateurs  de  f  ancienne  histoire  de  la  Perse  avaient  raconté  une  expédi- 
tion entreprise  par  Kaî-Kaous,  dansla  contrée  du  Saghestan  (Sedjeslan). 
Le  fait  n  avait  rien  que  de  très-naturel ,  de  vraisemblable  ;  mais  un  chroni- 
queur ou  un  romancier  d'une  date  plus  récente,  ne  trouvant  pas  qu'une 
guerre  portée  dans  une  contrée  si  peu  éloignée  fût  assez  glorieuse  pour 
son  héros ,  aura  cru  bien  faire  en  transportant  dans  T Afrique  le  théâtre 
de  cette  expédition.  Et  Firdousi,  en  compilant  sans  critique  les  maté- 
riaux qui  devaient  faire  la  base  de  son  ouvrage,  aura  admis  cette  dernière 
assertion,  comme  plus  poétique,  et  aura  essayé  de  la  combiner  avec, 
l'opinion  plus  ancienne,  sans  s'apercevoir  que  ces  renseignements,  mis 
bout  à  bout,  offraient  une  contradiction  choquante,  une  invraisem- 
blance complète. 

Après  ce  morceau  vient  immédiatement  un  récit  d'une  grande  éten- 
due, l'épisode  de  Sohrab,  qui  a  acquis,  même  en  Europe,  une  certaine 
célébrité,  et  a  été  publié  plusieurs  fois.  11  s'agit  d'un  jeune  guerrier,  fils 
de  Rustem,  et  qui,  dans  un  combat,  périt  sous  les  coups  de  ce  redou- 
table guerrier;  et  celui-ci  s'aperçoit  trop  tard  à  quel  ennemi  il  vient  d'ôter 
la  vie.  Un  pareil  sujet,  qui,  en  soi-même,  a  quelque  chose  d'imposant, 
d'éminemment  pathétique,  et  qui  nous  offre  le  même  tableau  que  Té- 
pisode  de  d'Ail ly,  dans  la  Henriade,  est,  il  faut  le  dire,  traité  d'une 
manière  assez  peu  touchante.  Les  poètes  persans  ne  connaissent  guère 
le  langage  du  cœur,  et  le  parlent  mal.  D*ailleurs,  il  règne  dans  tout  le 
récit  une  invraisemblance  réelle.  Que  deux  guerriers,  se  renconti^ant 
au  milieu  du  combat,  s'attaquent  avec  fureur,  et  qu'un  fils,  dans  cette 
circonstance,  périsse  de  la  main  de  son  père,  un  pareil  malheur  se 
conçoit  trop  facilement ,  puisque  des  hommes ,  placés  dans  ces  terribles 
circonstances,  entourés  du  feu,  du  bruit  du  combat,  n'ont  ni  le  temps, 
ni  la  volonté  d'échanger  entre  eux  des  explications  quelconques.  Mais, 
dans  le  récit  du  poète  persan,  les  deux  armées,  dont  l'une  est  com- 
mandée par  Rustem ,  fautre  par  Sohrab ,  restent  quelque  temps  en  pré- 
sence, se  livrent  des  escarmouches  avant  d'en  venir  à  une  action  géné- 
rale et  décisive.  Des  négociations  s'établissent  entre  les  deux  généraux. 
On  voit  qu'il  leur  serait  facile  de  découvrir  la  vérité  et  d'éviter  une 
collision  parricide;  que  Sohrab  ayant  appris  de  sa  mère  qu'il  est  fils  de 
Rustem,  et  sachant  que  ce  héros  commandait  l'année  contre  laquelle 
il  avait  à  se  mesurer,  une  explication  devenait  inévitable,  et  devait  faire 
tomber  les  armes  des  mains  des  deux  guerriers.  Si  cet  éclaiixissement 
n*a  pas  eu  lieu,  c'est  qu'il  entrait  dans  le  dessein  du  poète  que  la  mé- 
prise se  prolongeât  et  amenât  une  épouvantable  catastrophe. 

73. 


F 


580 


JOURNAL  DES  SAVANTS. 


Je  parlerai,  plus  bas,  des  autres  morceaux  qui  composent  ce  voluine. 
L'éditeur  a  suivi,  pour  cette  partie  de  son  ouvrage,  la  même  marche 
■  qu'il  a  adoptée  pour  le  tome  précédent,  11  s'est  borné  à  imprimer  le 
teite,  revu  sur  les  manuscrits,  et  accompagné  d'une  traduction  fran- 
çaise. Du  reste,  il  n'a  joint  à  son  travail  aucune  note,  aucime  observa- 
lion  d'aucun  genre,  philologique,  historique,  ou  autre;  et,  cependant, 
je  persiste  à  croire  que,  dans  bien  des  endroits,  des  remarques  critiques 
auraient  été,  non-seuiement  utiles,  mais,  j'ose  le  dire,  nécessaires.  Bien 
des  expressions,  des  locutions,  auraient  mérité  d'être  expliquées,  car,  si 
elles  sont  conformes  au  génie  de  la  langue  persane,  elles  ne  le  sont 
guère  au  génie  de  la  nôtre,  et  présentent  souvent  quelque  chose  de 
bizarre,  et  même  d'absurde.  L'éditeur  a  supprimé  un  grand  nombre 
de  vers  que  M-  Macan  a  admis  dans  son  texte.  Il  a  pu  avoir,  pour  faire 
ces  retranchements ,  des  raisons  solides;  mais  il  aurait  dû  apprendre 
aux  lecteurs  instruits  les  motifs  d'après  lesquels  il  a  cru  devoir  se  décider 
pour  faire  main  basse  sur  des  morceaux  étendus,  dont  l'absence  laisse 
quelquefois  des  regrets.  On  aurait  paiement  désiré  savoir  pourquoi, 
dans  bien  des  occasions,  il  a  remplacé  par  d'autres  expressions  les  le- 
çons qu'avait  reçues  M.  Macan,  et  qui  présentaient  souvent  im  sens 
fort  raisonnable. 

Chai'gé  de  rendre  compte  du  contenu  de  ce  volume ,  je  ne  puis  dis- 
cuter les  assertions  du  traducteur,  puisque,  comme  je  l'ai  dit,  il  n'a 
cru  devoir  accompagner  son  travail  d'aucune  note,  d'aucune  observa- 
tion. Je  serai  donc  réduit  à  la  lâche  fatigante  et  Ingrate  de  comparer  la 
version  au  texte,  de  proposer  mes  doutes,  mes  critiques,  sur  les  endroits 
où,  dans  mon  opinion,  la  phrase  originale  n'a  point  été  rendue  avec 
une  parfaite  exactitude.  Si  l'on  trouve  mes  remarques  un  peu  nom- 
breuses [et  cependant  j'am-aispu  les  multiplier  davantage),  qu'on  veuille 
bien  réfléchir  que  le  champ  de  la  philologie  persane  a  été ,  jusqu'ii  pré- 
sent, assez  peu  cultivé;  que  des  observations  critiques  sur  le  plus  an- 
cien monument  poétique  de  cette  littératiu-e  ne  sam'aient  manquer 
d'avoir  une  utilité  réelle.  Loin  de  repousser  ce  genre  de  Iravail,  on  doit 
seulement  regretter  qu'un  pareil  ouvrage  ne  puisse  être,  dans  toutes  ses 
parties,  l'objet  d'un  commentaire  savant  et  approfondi. 

Le  premier  vers  est  conçu  en  ces  termes  : 


ûl^  yUùfta  J 


'  1^         =>'i^,.WjIs  «_i^  yjJ^J  C^yif 


M.  MohI  traduit  :  «Je  vais  conter  ce  que  j'ai  appris  d'im  mobed  et 
((d'un  vieillard  issu  d'une  famille  du  Dilikans.  »  Cette  version,  si  je  ne 
trompe,  n'est  pas  tout  à  fait  exacte.  Suivant  moi,  le  vers  doit  être  rendu 


OCTOBRE  1843. 
ainsi  :  "Je  vais  raconter,  d'aprf^s  le  mobed,  et  en  suivant  le  récit  du 
H  vieillai-d ,  issu  d'une  famille  du  Dilikans.  »  Ici ,  l'article  n'est  rien  moins 
qu'indillérent;  l'auteur,  voulant  donner  à  son  récit  une  autorité  impo- 
sante, ne  pouvait  guère  citer,  pour  garant  de  ses  assertions,  un  mobed 
inconnu,  un  vioiilaid  qui  n'aurait  eu  d'autre  titre  à  la  confiance  que 
d'être  issu  d'une  race  de  propriétaires  ruraux.  Mais  il  annonce ,  d'um; 
manière  expresse,  que  tout  ce  qu'il  va  dire  est  extrait  de  l'histoire  de 
la  Perse ,  composée  par  le  mobed  des  mobeds  Bebi-am ,  et  de  celle  qu'a- 
vait écrite,  sous  le  règne  de  Iczdegherd.  un  personnage  instruit  dont 
il  a  été  fait  mention  plus  haut,  C'étaient  là  les  témoignages  les  plus 
giaves  que  Fiidousi  pouvait  indiquer;  c'étaient  ceux  qui  pouvaient,  plus 
que  tout  autre,  prouver  la  vérité  de  la  narration,  et  lui  mériter  la  con- 
fiance de  tous  les  lecteurs  instruits  et  jaloux  de  la  gloire  de  leur  pays. 
Au  reste,  dans  un  aiticle  suivant ,  je  donnerai  des  développements  plus 
approfondis  sur  les  faits  qu'indique  ce  vers. 

Dans  le  quatiième  vers,  le  premier  hémistiche  ai^\j\  <y^  ub^j 
(j«jy*  ijy^  a  été  rendu  par  :  «  il  quitta  le  Mckran ,  arec  une  armée  ornée 
«comme  une  fiancée.  »  J'ignore  pourquoi  le  traducteur  a  ajouté. ces 
mots  avec  une  armée;  le  texte  porte  simplement:  «il  partit  de  Mekran, 
H  paré  comme  une  épouse.  » 

Le  vers  suivant  me  foiu-nira  la  matière  d'une  discussion  qui  pourra 
répandre  un  peu  de  variété  sur  ces  observations,  d'un  genre  si  aride. 
Il  est  conçu  en  ces  termes  : 

M.  Mohl  traduit:  u  tous  les  grands  lui  apportèrent  des  tributs  et  des 
H  redevances ,  car  les  tam-eaux  n'osaient  pas  lutter  contre  le  lion.  »  Le 
premier  hémistiche  n'a  pas  été  rendu,  je  crois,  d'une  manière  parfaite- 
ment exacte.  Le  verbe  (jUtjÂj  ne  signifie  pas  payer,  mais  accepter.  Par 
conséquent,  il  faut  traduire  :  u  chaque  grand  se  soumit  à  payer  un 
Il  tribut,  une  redevance.  »  Ce  qui  est,  comme  on  voit,  bien  différent, 
puisqu'il  ne  s'agit  pas  d'un  fait  isolé ,  mais  d'un  engagement  pris  pour 
toutes  les  années  suivantes.  C'est  ainsi  que,  dans  un  auU'c  passage  du 
Schah-nâmeh\  on  lit  :  >^j  ^l*  ^j  ■^^~^  fcï*i^Â^  k chacun  de  nous  con- 
H  sentit  à  payer  un  tribut ,  une  redevance.  «  Je  n'ai  aucune  observation 
critique  à  faire  sur  la  traduction  du  second  hémistiche;  mais,  comme 
je  l'ai  annoncé,  il  va  me  fournir  l'occasion  d'une  petite  discussion,  qui 
ne  sera  peut-être  pas  entièrement  dénaée  d'intérêt. 


'  T,  n,  p.  -joo,  Voy.  auui  1. 111,  p,  i45i,  i5A6,  ibhj- 


1 


582  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Sur  les  bas-reliefs  qui  décorent  les  murailles  du  palais  de  Persépoiis, 
on  voit,  en  plusieurs  endroits,  la  figure  d'un  lion  s'acbamant  sur  le 
dos  d*un  animal,  qui  semble  être  une  licorne,  mais  que  Ton  peut  aussi 
bien  prendre  pour  un  taureau.  Un  symbole  analogue  se  retrouve  ail- 
leurs ;  on  Ta  rencontré  chez  les  Etrusques  et  sur  une  urne  découverte 
récenunent  en  France.  Plusieurs  savants  antiquaires  de  notre  temps 
ont  cru  pouvoir  y  reconnaître ,  ou  la  lutte  du  principe  cbaud  contre  le 
principe  bumide,  ou  le  combat  du  bon  piincipe  contre  le  mauvais. 
J'oserai  ne  pas  adopter  ces  hypothèses.  D'abord ,  les  représentations  qui 
décorent  les  débris  des  murs  de  Pei^sépolis  n'ont,  je  crois,  rien  de  reli- 
gieux ,  et  indiquent  simplement  un  hommage  rendu  au  monarque  de  la 
Perse  par  ses  sujets.  En  second  lieu,  si  l'image  indiquée  représentait  une 
idée  métaphysique,  l'animal  qui  est  aux  prises  avec  le  lion  serait  tou- 
jours le  même;  or  il  n'en  est  rien.  Pour  moi,  je  ne  vois  dans  ce  sym- 
bole qu'une  allusion  au  courage  guerrier,  à  des  luttes  heureuses ,  sou- 
tenues, soit  par  un  peuple,  soit  par  un  particulier,  contre  des  ennemis 
plus  ou  moins  redoutables.  Le  lion,  chez  tous  les  peuples,  est  regardé 
comme  le  roi  des  animaux,  comme  le  plus  redoutable  de  tous,  et  au- 
cun quadrupède,  à  l'exception  du  tigre,  ne  saurait  lutter  avec  aucune 
chance  de  succès  contre  ce  terrible  dévastateur.  Parmi  les  animaux  qui 
peuvent,  au  moins,  se  défendre  quelques  moments  contre  la  fureur  du 
Ûon ,  le  taureau  tient  une  place  distinguée.  Certes ,  le  buffle  sauvage , 
que  Ton  trouve  errant  dans  les  forêts  du  Bengale,  dont  la  taille,  la 
force  prodigieuse  et  la  férocité,  inspirent  tant  d'effroi  aux  voyageurs  et 
aux  chasseurs,  qui  redoutent  sa  rencontre  autant  que  celle  du  tigre, 
n'offiîraitpas  au  roi  des  animaux  une  proie  facile  à  vaincre  et  à  dévorer. 
Mais  ie  taureau  domestique,  lui-même,  acquiert,  dans  plusieurs  con- 
trées de  rOrient,  une  taille  et  une  force  qui  le  rendent  excessivement 
redoutable.  Aussi,  dans  les  langues  de  cette  contrée,  le  taureau  ex- 
prime-t-il  l'image  d'un  guerrier  plein  de  force  et  de  bravoure.  Les 
écrivains  sacrés  comparent,  partout,  les  hommes  belliqueux  à  ces 
énormes  taureaux  que  nourrissaient  les  gras  pâturages  dont  abondait 
la  province  de  Daschan  ]^^ ,  la  Bathanée  des  Grecs ,  située  au  delà  du 
Jourdain.  Nous  trouvons  dans  les  Psaumes  ces  mots  :  <(  tauri  pingues 
« circumdederunt  me.  »  Chez  les  auteurs  arabes,  le  taïu'eau  se  prend 
également  pour  un  guerrier.  Cette  circonstance,  jointe  à  ce  que  le 
taureau,  comme  animal  domestique,  se  trouve,  trop  souvent  pour  lui, 
exposé  aux  attaques  du  lion,  altiquel,  d'ailleurs,  sous  le  rapport  de  sa 
masse,  il  offre  une  nourriture  abondante  et  succulente,  a  engagé  les 
artistes  et  les  poètes  à  réunir  dans  une  même  image  ces  deux  ani- 


OCTOBRE  1843.  583 

maax,  aux  prises  l'un  avec  l'autre.  On   lit  dans  le  Schah-nâméh^  : 

((Behram  lui  dit  :  Sache  que  Tejav  est,  à  mon  égard,  comme  un  tau- 
ce  reau  à  Tégard  d*un  lion  déchimnt.  »  Plus  loin  ^  : 

(X  peut-être  un  taureau  ne  saurait  lutter  contre  un  lion;  »  et  '  : 

((  un  taureau  pouvait  lutter  contre  un  lion.  »  La  première  fable  du  re- 
cueil attribué  à  Lokman  nous  peint  im  lion  qui,  se  trouvant  en  pré- 
sence de  trois  taureaux,  et  n'osant  pas  lutter  seul  contre  ces  trois  ani- 
maux réunis,  vient  à  bout,  par  ses  artifices,  de  les  tromper  et  de  les 
empêcher  de  joindre  leurs  efforts  contre  Tennemi  commun;  puis,  les 
attaquant  isolément ,  il  trouve  dans  chacun  d'eux  ime  proie  facile.  Cette 
image  n'est  pas  particulière  aux  écrivains  orientaux.  Homère  peint ,  en 
plusieurs  endroits,  un  lion  qui  a  égorgé  et  dévoré  un  taureau,  comme 
dans  ce  vers  *  : 

On  lit  dans  le  poème  de  Valerius  Flaccus  ^  : 

Qualiler  implevit  gemitil  quum  taurus  acerbo 
Âvia,  frangeDiem  morsu  super  alta  leonem 
Terga  ferons. 

J'ai  dit  que  le  taureau  n'était  pas  le  seid  animal  qui  fôt  représenté 
conmie  aux  prises  avec  le  lion,  et  succombant  dans  cette  lutte  iné- 
gale. Sur  les  médailles  de  la  ville  de  Tarse  nous  voyons  un  cerf  dé- 
voré par  un  lion  ;  et  Homère  ^  peint  un  lion  qui  brise  de  ses  dents  ter- 
ribles le  corps  des  petits  d'un  cerf. 

La  même  image  se  trouve  également  dans  le  Schah-nâmeh,  On  y  lit  "^  : 


((ils  engagèrent  le  combat,  comme  an  lion  qui  s'avance  impétueuse- 
ument  contre  un  cerf.»  Hus  bas^  :  j^  ^W  4>wt) ^«Xil  {jjy^  (de 
«  cerf  entra  dans  la  tanière  du  lion.  » 

*  T.  U,  p.  595,  éd.  Macan.  —  *  P.  616.  —  *  T.  U,  p.  976.  —^Iliad.  D,  v.  487 
et  suiv.  —  '  Argonaui.  lib.  II,  v.  àb6.  —  *  lUad.  A,  v.  n3.  —  '  T.  II,  p.  726.  — 
•  P.  807. 


584         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Le  sanglier  est  indiqué  dans  Homère  comme  la  proie  du  lion  ^  Dans 
les  écrivains  persans ,  la  gazelle  est  représentée  comme  la  pâture  ordi- 
naire du  lion.  On  lit  dans  le  Schàh-nâmeh  ^  : 

^tyftT  (j,U^^  ^jy>.  c;^t  2)j^  ^ 


u  car  la  mort  est  comme  un  lion ,  et  nous  sommes  semblables  à  des 
«gazelles,  w  Plus  loin  *,  on  lit,  en  parlant  d'un  guerrier  : 


*-^j'  iS^yjy^^ 


«qui  arrachait  une  gazelle  des  griffes  d*un  lion.  »  D'autres  fois,  il  est 
fait  mention  de  Tonagre;  on  lit*  : 


m 


«Tu  n*es  pas  un  lion  belliqueux;  je  ne  suis  pas  un  onagre  du  désert  : 
«  il  ne  faut  pas  ainsi  vouloir  nous  attaquer.  »  Ailleurs  ^  :  ^^j^k^  kj^ 
jy^  »ji  yJSj^jiJ^ ^  «  car  tu  es  un  lion ,  et  ton  gibier  est  un  onagre.  » 
Plus  loin  ^  \j*A  »2LL&.jt  4X3U*«o^^\X  «qui  arrache  un  onagre  des 
«  griffes  du  lion.  »  Et  "^  : 


«  comme  im  lion  qui  applique  ses  griffes  sur  un  onagre  mâle ,  et  abat 
«  cet  animal.  »  Plus  bas  ®  : 


«  le  destin  étendit  ses  griffes  de  lion  et  me  renversa  comme  un  ona- 
«gre. »  Ailleiu's  on  lit  ^  :  iu^  ^y^  U^jUb  yl^jLÛ^^  «ils  sont  sem- 

«  blables  à  des  lions  féroces,  et  nous  à  des  troupeaux.  »  Ailleurs  ^^  :  ti 
5^  (jfti^^^  iS^yj^  «là  était  un  lion,  tenant  dans  ses  griffes  un 
agneau.  »  Ces  images  rappellent  les  beaux  vers  de  Virgile  : 

Impastus  stabula  alta  leo  ceu  saepe  peragrans, 
Suadet  enim  vesana  famés,  si  forte  fugacem 
Gonspexit  capream ,  aut  surgcntem  in  cornua  cervum , 
Ardet,  hians  immane,  comas  que  arrexit,  et  hœret 
Visceribus  super  incumbens. 

*  Iliad,  n.  V.  823.  —  *  T.  II,  p.  590.  —  '  P.  908.  —  *  P.  57A.  —  ^  P.  888.  — 
—  •  P.  902.  —  '  P.  927.  —  •  T.  m,  p.  laig.  —  •  P.  65A.  —  "  P.  899. 


OCTOBRE  1843.  585 

J.  B.  Rousseau  a  dit  également  : 

Faibles  et  vils  troupeaux,  après  tant  de  disgrâces, 
N*irritODs  point  en  vain  de  superbes  lions. 

Le  lion  n'est  pas  le  seul  animal  qui  soit  représenté  par  les  poètes 
comme  exerçant  sa  force  et  sa  fureur  sur  les  autres  animaux.  Nous 

lisops  dans  le  Scliah-nâmeh  ^  :  2LÀi^  ^jy^  3^3  y^y^  ubl^  ^^  ^^^  ^^' 
«valiers  sont  comme  des  gazelles,  et  lui  comme  une  panthère.» 
Ailleurs  ^  :  «ILîA^  :>:>^ j^jj^jk ^^  j^  y^  a  lorsqu'une  panthère  est  vic- 
«  torieuse  d'un  bélier  sauvage.  »  Ailleurs  '  : 


tt  comme  une  panthère  qui  se  pose  sur  le  dos  d'un  taureau  et  égorge 
((  cet  animal.  »  Ces  vers  nous  rappellent  involontairement  ceux  d'Horace  : 

Cervi,  luporum  praeda  rapacium, 
Sectamur  ultro,  quQs  opimus 
Fallere  et  effugere  est  triumphus. 

Quant  à  ces  files  de  lions  et  de  taïu'eaux,  qui  sont  représentés  sur 
le  miu*  du  palais  de  Persépolis,  se  promenant  d'une  manière  si  paci- 
fique, si  inofiensive,  ou  j'y  verrais  un  simple  ornement,  ou  bien  ils 
ofiRriraient  un  symbole  du  courage  réuni  à  la  perfection  de  l'agricul- 
ture, et,  par  suite,  à  la  fertilité,  ce  qui  rappellerait  l'expression  de  Vir- 
gile : 

Sic  nam  fore  bello 
Egregiam,  et  fadlem  victu  per  secula  gentem. 

Quelques  vers  plus  bas  *,  on  lit  : 


«x^J^  Li  ^Jm  By&  A-^^  ^j-^j       <>^<>^  Ih^J  ^^^'^^  Jl^jt  LT^» 


Le  traducteur  rend  ainsi  ce  vers  :  a  On  ne  voyait  plus  de  mains  ni  de 
((  lances ,  au  milieu  de  la  poussière  qui  enveloppait  les  montagnes.  »'  Il 
a  confondu  ici  le  mot  yUi  avec  ^^^ViU» .  H  faut  traduire  :  «  Par  suite  des 
u nuages,  personne  ne  voyait  ni  sa  main,  ni  la  bride  de  son  cheval. 
«  La  poussière  que  faisaient  élever  les  troupes  cacha  les  montagnes,  n 
Deux  vers  plus  loin  ^,  on  lit  :  ^^^sjsSjj  {j}j^  ^yi  ^^y^  «  V^^  ^^  traduc- 
teur rend  ainsi  :  a  il  détacha. du  bouton  de  la  selle  sa  massue  pesante.  » 
Cette  version  ne  me  parait  pas  complètement  exacte.  D'abord ,  cette 

*  T.  II,  p.  68a.  —  '  P.  634.—  *  T.  HI,  p.*  laoï.— *  P.  6,  v.  9—  »  V.  1 1. 

là 


586  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

expression,  bouton  de  la  selle,  que  le  traducteur  semble  affectionner, 
car  il  la  reproduit  toutes  les  fois  que  le  mot  a^j^  se  présente,  ne 
m'offre  pas,  je  Tavoue,  une  id^e  bien  daire.  Il  faut  lire  :  le  haut  de  la 
selle.  Le  terme  koaheh  a^^  est  proprement  un  adjectif  formé  du  mot 
houh  »3-5'( montagne) ,  et  qui  désigne  «  ce  qui  est  montueux.  »  Par  suite, 
il  se  prend  pour  tout  ce  qui  est  élevé.  Il  s'applique  à  l'extrémité  supé- 
rieure du  dos  d'un  animal,  à  la  bosse  d'un  chanoeau.  On  lit  dans  le 

Schah-nâmeh  ^  :  (j-jJ' Juj  aA^ ^  «Xi4XJu  ju  «  ils  attachèrent  un  tam- 
«  bour  sur  le  dos  de  l'éléphant.  »  Ailleurs*  :  ^^ v^my  Sh  *^^^ 
«  lorsqu'il  attacha  le  tambour  sur  le  dos  de  l'éléphant  ;  »  et  *  :  «XJU- 

tr>-â»  J.  ■*  ^  n  ^^  *^'j^  ^  ^  attachèrent  le  tambour  sur  le  dos  de 
«l'éléphant.»  Il  désigne  également  la  partie  antérieure  de  la  selle,  qui, 

chez  les  Orientaux ,  est  toujours  fort  élevée.  Plus  bas  *,  on  lit  :  (jj)  aA^ 
«le  haut  de  la  selle.»  Au  haut  de  la  selle,  du  côté  droit,  se  trouvait 
une  espèce  de  fourreau  dans  lequel  était  placée  l'extrémité  inférieure  de 
la  lance.  C'est  ce  qu'on  voit  sur  un  des  bas-reliefs  de  Rirmanschah , 
dessinés  par  M.  Kerr-Porter. 

Plus  loin  ^  on  lit  :  t\J^  cuJ;  ^^t  {j^'j^  u^^,  ce  que  le  traducteur 
rend  ainsi  :  «  le  roi  s'enfiiit  devant  lui  en  toute  hâte.  »  Mais  je  ferai 
observer,  i""  que  la  préposition  ly»^  ne  signifie  pas  devant,  mais  der- 
rière; 2^  que  le  mot  sLm  ne  s'applique  pas  au  roi  vaincu,  mais  au  mo* 
narque  àe  la  Perse.  En  conséquence ,  je  traduirais  :  «le  roi,  bouillant 
«  d'ardeur,  s'avançait  sur  les  pas  du  guerrier.  »  Plus  bas  *^,  le  texte  porte  : 

ce  que  le  traducteur  rend  ainsi  :  «  nous  comblerons  encore  le  trésorier 
«  de  nos  actions  de  grâces.  »  Dans  l'édition  de  M.  Macan,  on  lit  jyp  ^\j 
au  Ireu  dejj^^^,  et  j'avoue  que  je  préfère  cette  leçon.  En  effet,  le 
mot  o^\^  se  constat  plutôt  avec  la  préposition  jl  qu'avec  v«  En  ef- 
iet,  (j«\^  ne  signifie  pas  seulement  louange,  mais  bienfait  motif  de 
louange.  0|n  lit  daps  i^e  ScJiahrnâmeh  ^  :  sUj  Os^^  «xj^lJ^Âi.  \l  ^i^m 
«louange  au  ipaître  du  soleil  et  de  la  lune.  »  Ailleurs ^:jl  (jmU-^Iw 
/^JilHW  *>^3J<>^,  «louçpge  au  seigneur  victorieux;  »  et  plus  bas*  : 


'  T.  I,  p.  47a,  éd.  Macan. —«T.  II,  p.  496. —  *  P.  SSg.  —  *P.3o,  v.  5i3. 

—  "^  T.  II,  p.  712 ,  73a,  748,  962  ;  voyez  aussi  v.  i3.—  •  V.  18.  —  '  T.  II,  p.  664. 

—  «p.  671:— •  P.  681. 


OCTOBRE  1843.  587 

«d'ailleurs,  demain,  nous  rendrons  grâces  à  Âfrasiab  et  nous  cherche* 
(irons  le  sommeil.»  L^expression  {^^^j^j-f  «poser  sur  sa  tête,»  si- 
gnifie «  se  charger  d'une  chose ,  laccepter  comme  un  devoir,  une  obii> 

c(  galion.  »  On  lit  dans  le  Schah-nâmeh  ^  :  ^^  j^j^  d^  u!)3  **  ®*  j^  ™^ 
«  croirai  obligé  à  la  reconnaissance.  »  Ailleurs  *  :  (^  u^j^  {^^  c5«'l^ 
«tu  m'imposeras,  par  cette  action,  un  devoir  de  reconnaissance.  »  Si 
je  ne  me  trompe,  il  faut  traduire  ainsi  :  «je  me  croirai  encore  obligé 
«à  la  reconnaissance  envers  le  trésorier  (de  ce  qu'il  voudra  bien  rece- 
«  voir  ma  contribution).  »  L'expression  :  «  le  roi  qui  illuminait  le  monde 
«  eut  le  coeiu:  en  joie  ',  »  est  peu  élégante.  Il  fallait  traduire  :  «  le  roi 
«  qui  est  la  gloire  du  monde  fut  ravi  de  joie.  »  11  est  à  regretter  qu'une 
main  amie  n'ait  pas  fait  disparaître  quelques  expressions,  quelques 
tournures,  peu  conformes  au  génie  de  la  langue  française.  J'en  avais 
signalé  quelques-unes,  qui  ont  été  reproduites  dans  le  second  volume 
avec  une  fidélité  peut-être  un  peu  trop  scrupuleuse. 
Dans  les  vers  suivants  ^,  on  lit  :  « 


ce  que  le  traducteur  rend  s^nsi  :  «  H  conduisît  son  armée  de  la  plaine 
((  à  la  mer,  du  côté  où  ses  ennemis  avaient  paru.  Il  prépara  des  vaîs- 
«  seaux  sans  nombre,  et  se  hâta  d*embarquer  $ts  troupes  sur  la  mer.  »^ 
Le  texte  qu'a  suivi  M.  Macan  présente,  dans  les  deux  vers,  des  variantes 
assez  considérables.  On  y  lit  :  «>s!«>ô  \j^\  ^^^  \^  ^jL-^-jI^Xj  et  ov-Éi*t;Uj 
cx^Uj^  ^^Kfji^ .  Javoue  que  je  serais  plus  enclin  à  adopter  ces 
leçons,  d*après  lesquelles  il  faudrait  traduire  :  «  Il  conduisit  son  armée  de 
«  la  plaine  à  la  mer,  de  manière  à  la  dérober  aux  regards  de  l'ennemi.  Il 
«  fit  construire  im  nombre  infini  de  vaisseaux  et  de  barques.  Il  les  équipa 
«  et  y  embarqua  son  armée.  »  Les  mots*  ylj^j  isàU^J^  Çr*^-^'  ^^  ^ 
ne  signifient  pas,  je  crois,  «il  pleuvait  des  épées  indiennes,»  mais 
«  par  l'eflFet  des  épées  indiennes,  il  pleuvait  des  âmes;  »  c'est-à-dire  :  «  les 
((  combattants  tombaient  en  foule  sous  le  tranchant  des  épées  indieu- 
«nes.  »  Dans  le  vers  suivant,  jJbU  ne  désigne  pas  an  honnet,  mais  an 
casqae.  Plus  bas^,  cet  hémistiche  gVjU»  «^y  «Xi^^b  v^j^  a  été  mal 
rendu  par  ces  mots  :  «  ils  trempèrent  dans  le  fiel  la  pomte  de  leurs 
«lances.  »  Le  traducteur  a  confondu  le  motj^j,  poison,  avec  ^j^j.fi^l' 

'  T.  II,  p.  556.  _  >  P.  688.  —  •  V.  33.  —  •  V.  35.  —  *  V.  5i.  —  *  V.  67. 

74. 


588         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

D'ailleurs,  le  fiel,  malgré  sa  saveur  amère,  na  rien  de  vénéneux;  et 
les  guerriers ,  en  trempant  la  pointe  de  leurs  lances  dans  cette  substance , 
ne  lui  auraient  communiqué  aucune  propriété  malfaisante.  Il  faut  donc 
traduire  :  «  ils  trempèrent  dans  le  poison  la  pointe  de  leurs  lances,  n  Je 
reviendrai  sur  cette  expression. 
Dans  le  vers  ^  : 


que  le  traducteur  rend  ainsi  :  «.tu  aurais  dit  que  Tair  faisait  tomber  de 
«la  rosée,  et  qu'il  semait  des  tulipes  sur  les  rochers,»  le  mot  jkllj  ne 
signifie  pas  àe  la  rosée ,  mais  de  la  grêle. 
On  lit  dans  le  Schah-nâmeh  ^  : 

ê-^  ^^^  *W  U^J^J^  *^      6^  *^l3  U5^  *N>^  U^'  ^ 

«Comme  la  grêle  qui  tombe  d'un  nuage,  il  pleuvait  sur  eux,  soit  des 

«  flèches  lancées  par  les  arcs ,  soit  des  glaives  d'acier,  o  Ailleurs  ': 

^    # 


«Pai*  suite  du  nombre  des  javelots,  des  massues,  des  masses  d'armes, 
«des  glaives,  tu  aurais  dit  que  l'air  pleuvait  de  la  grêle.»  Plus  bas^  : 
ify^ji  (S^y^^  (Ji  ^|3  y^  ^^  firappait  sur  sa  tête  conmie  la  grêle.  »  Et 
enfin  *  : 


0  :>jIj  jJtj  ^    ^  Aô  ^sJ^j.^  u*N;^> 


«  Par  suite  de  la  pluie  de  traits ,  on  aurait  dit  qu'un  nuage  faisait  sortir 
ttla  grêle  de  la  gueide  d'un  lion.  »  Partout,  dans  le  Schah-nâmeh ,  les 
traits,  lè^  coups  de  massue,  dont  les  guerriers  se  frappent  sans  relâche, 
sont  comparés  à  la  grêle  qui  tombe  en  abondance  de  l'atmosphère. 
Boileau  a  dit ,  dans  le  même  sens  : 

Les  livres  sur  Evrard  fondent  comme  la  gréle. 

Relativement  au  second  hémistiche ,  il  eût  fallu  une  note  pour  bien 
faire  comprendre  cette  expression  :  «  qu'il  semait  des  tulipes  siu*  les 
«rochers.  »  Plus  bas^,  on  lit  :  <Mtf>^  si^  (J^jj^  '3^  (S^^^y^  *  «on 
«  eût  dit  que  l'air  avait  semé  de;»  tulipes  sur  la  terre.  »  Ailleurs  '':  2lXm„f 
(^^yj)^  "^^  UJU*^^'  «  J6  sème  des  tulipes  sur  la  pierre.  »  Comme  je  l'ai 
exposé  dans  mes  précédents  artides,  la  tulipe,  en  Perse,  étant  plus 

'  V.  6a.  —  «  T.  n,  p.  751.  —  '  P.  708.  —  *  P.  960.  —  *  P.  961.  —  •  P.  3o, 

V.  3i5.  — 'T. n, p. 905. 


OCTOBRE  1843.  589 

généralement  de  couleur  rouge ,  cet  hémistiche  veut  dire  que  le  sang 
coulait  en  abondance  et  s^imprégnçiit  dans  les  pierres. 

Plus  bas,  le  mot  ^^40u  ^^^^^A*  ne  signifie  pas  le  trône ,  mais  le  palais, 
et  cet  hémistiche  ^jK*  ^1  U  ^^^Cau:  *^^  iS^ne  doit  pas  se  rendre  «car 
tt  elle  convient  à  mon  trôtie ,  »  mais ,  a  car  une  telle  beauté  fera  rornement 

«  de  mon  palais,  n  On  lit  ailleurs  ^  :  U  (^^  ^^^AdÇ  «  dans  notre  palais 

u  d'or.  »  Plus  bas  '  :  (j-^  iS^^*3  y U**h^  a' j-^  «  lorsque  tu  entreras 
«dans  mon  hvrem  et  dans  mon  palais. ))'^Âilleurs  ^  :  Os.-^) jO^t  i^U^.^ 
•Lm  i^^A  «cOtnme  une  iune^  elle  entra  dans  le  palais  du  roi;»  et 
enfin  ^  :  »lâ  fS^^A,  <>^T»L«  ^)  y^  «lorsque  cette  lune  entra  dans  le 
«  palais  du  roi.  »  Ce  vers^  : . .  • .  ^  ^^♦^^^  l;<^)  ^  est-il  bien  rendu 

de  cette  manière  :  «je  désire  cimenter  notre  paix?  »  H  fallait  dire  :  «  je 
a  laverai  la  joue  de  la  paix,  »  c est-à-dire  «j'écarterai  tout  ce  qui  pour- 
«  rait  altérer  la  sincérité  de  la  paix.  » 

Les  mots  ^Wj  »;a^  "^  ne  signifient  pas  «  à  la  languejaffilée ,  »  mais 
«hardi dans  son  langage,  n L'hémistiche®  q-— ^  a-^  \)Xû^  (^^t  oumjô^^ 
ne  signifie  pas  «la  demande  de  Kaous  est  pour  moi  im  malheur  ex- 
trême ;  »  il  fallait  traduite ,  si  je  ne  me  trompe ,  «  une  pareille  prétention 
«  n'a  ni  commencement  ni  fin,  n  c'est-à-dire,  «  n*a  ni  rime  ni  raison;  est 
«  sans  motif;  est  tout  à  fait  inconvenante.  »  Plus  bas^,  on  lit  :  ^^j  ^^ 
^  JoU  J^  (j«^,  ce  que  le  traducteur  rend  par  ces  mots  «  dorénavant, 
«mon  cœur  sera  loin  de  moi. »  J'aimerais  mieux,  je  l'avoue,  la  leçon 
adoptée  par  M.  Macan:  ^  *>oU  ^U*-  (j»»^  ç^j  (jJ^  «désormais,  ma  vie 
«ne  sera  plus  auprès  de  moi;»  c'est-à-dire,  «je  n'aurai  plus  avec  moi 
«  l'être  qui  faisait  le  charme  de  mon  existence,  »  ce  qui  rappelle  ce  vers 
de  Corneille  : 

La  moitié  de  ma  vie  a  mis  fautre  au  tombeau. 

Si  on  adopte  la  leçon  suivie  par  le  nouvel  éditeur»  il  feiudrait  traduire , 
je  crois,  «désormais,  mon  intelligence  n'existera  plus  pour,  moi.»  Le 

vers^®  : 


est-il  bien  traduit  de  cette  manière  :  «  Sôudabeh  lui  répondit  :  S'il  n'y  a 
«pas  de  remède,  il  vaut  mieux  commencer  par  ne  pas  a'en  afiliger?» 
J'oserai  ne  pas  le  croire. 

'  V.  85.  —  '  T.  m,  p.  ia85.  —  *  P.  1187.  —  *  ^-^  lago.  —  •  P.  199g.  — 
•V.  ga.  i33.--'V.  96.  — 'V.  io4.  — •¥.  107.  — "V.  ni       T 


590  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


\F- 


Le  mot  ftjl>>^  iN^  esl  identique  avec  celui  de  j\y^  ms^  ,  et  signifie  : 

«celui  qui  prend  du  souci  pour  qiieiquun,  qui  s*intéresse  à  lui,  un 
u  ami.  »  On  lit  dans  le  Schah-nâmeh  ^  :  (j^â»  «>o  »^ly^  as  a  personne 
«ne  s  intéressa  à  lui.»  Ailleurs  ^  :  ^^^ï  «^tysM^  »Lfi  4^J>3j^>  «O  roi, 
c(  nous  sommes  pleins  de  soucis^  dlntérêt  pour  toi;  »  et  enfin  ^  :  «>su»^ 
I "niti^i  »j\y^^^  «>H^&  j»>l  «  Kaid  s'informa  de  ce  qui  le  concernait,  et 
<(  conçut  pour  lui  un  vif  intérêt.  »  J'ai  expliqué  ailleurs  ce  qui  concerne 
les  significations  de  ce  terme  et  de   son  synonyme  j\  n  ^\  ^ ,  De 

j\y^  ^  se  forme  le  substantif  «^t,^  ^  ,  qui  désigne   o  l'amitié , 

«  raffection  »  »  comme  dans  ces  passages  de  l'histoire  de  Firischtah  ^  : 

^ye^3  cik^V^  «l'alTection  et  l'amitié;  »  et*  9à^\  yM^  c^y'y^  ^VJ^ 
«  il  s'avança  comme  ami.  »  Je  traduirais  donc  :  u  Soudabeh  répondit  : 
«Puisque  la  chose  est  inévitable,  nous  n'avons  pas  aujourd'hui  d'ami 
«  plus  utile  que  ce  prince.  »  Dans  la  même  page^,  le  nurt  o^«o»w  a  été 
rendu  par  a  six  cents;  »  il  fallait  dire  u  trois  cents.  »  Plus  bas'',  ces  mots 

àjJtAj) y  ftU^  ^l&  signifient-ils  :  «dans  une  litière  venait  la  jeune  lune 
«  toute  parée.  »  Je  traduirais  :  a  une  litière  que  décorait  la  présence  de  la 
a  nouvelle  lu&e.  »  Un  peu  plus  bas ,  on  lit  ^  :^/v^  (j*^^  3^ ,  que  le  tf  a- 
âucteur  rend  ainsi  :  «  ses  deux  jreux  étaient  noirs  comme  le  narcisse  ;  )> 
mais  la  fleur  du  narcisse  n'^est  pas  noire*  £n  second  lieu ,  le  mot^^  doit- 
û  J^e  tràd^e  par  noir  ?  Il  désigne  proprement,  triste,  soucieux,  et  ensuite 
ivre. Si  îe. ne  me  trompe,  il  signifie  ici  hmgoureax;  et  il  faut  traduire  : 
«deux  yeux  langoureux.  »  Ce  qui  rappelle  les  beaux  vers  de  Catulle  : 

Tum  diilcis  paerî  ebrios  ocdlps 
Itto  purpsrte  ore  Buariata. 

Plus  bas  ^  on  lit  : 

Le  traducteur  rend  ainsi  ce  verâ  ;  «11  se  peut  qiié,  placé  au<lessous  de 
«toi,  il  perde,  par  jalousie,  toute  l'affection  quil  te  portait.  »  Soit  qu'on 
adopte  la  leçon  de^^i^  ô^,  soit  qu'on  lise,  avec  M.  Macan,  tS^^yj,  on 
:dpit ^^ i^roisv  iloadlure  :jk  II  {lâut^e  faire  qu'il  Ëoii  d'un  rang  inférieur  au 
«tien,  et  ^ue  pourtant  il  maigrisse  de  la  jalousie  que  lui  cause  ton  af- 
•((fectlo6.«fCêTfeire^<>:     ^  ' 


'  T.  n,  p.  889.  —  '  T.  m. p.  1  l3q.  —  '  p.  iSoS.  —  •  T.  I.  p.  i4q.  ^  '  T.  II 
p.  76. -^«Y  1;»;^  ^  »  V,  l^^^^V.  i»j>.  —  •  V,:i79.  —  »»  J>.  jo.v.  i$o. 


OCTOBRE  1843.  591 

signifie-t-il  :  «  pour  ramener  Sasdabeh»  et  pour  la  remettre  sous  l'auto- 
orité  du  roi?»  Je  traduirais  :  a  afin  d^emmener  Soudabeh,  et  de  ren- 
«verser  sous  leurs  pieds  la  tente  de  cette  princesse.»  Le  mot  s«>a5l^ 
ne  signifie  pas  vide,  mais  dispersé.  Ainsi  rhémistiche^  «âvâ^  «>U»  s«Xi5l^ 
^5^^6i^Uv  ne  doit  pas  se  traduire  :  u  que  le  trône  dn  roi  des  rois  était 
«vide;  »  mais  :  a  que  le  trône  de  la  souveraineté  était  en  débris.  »  Les 
mots^  ù^  ^^ne  signifient  pas  :  «  une  grande  foule  de  peuple;  »  mais,  «  à 
((  deux  portions;  n  c'est-à-dire  »  la  moitié  de  la  population.  »  Plus  bas  ^, 
on  lit  ce  vers  : 


\jlè  ^j  ^ — y^\       -xû  oum:>j|^  ^J 


Le  traducteur  rend  ainsi  ce  passage  :  «  Un  lion  qui  ne  redoute  pas  les 
«  tigres  doit  venir  à  notre  aide  dans  cette  douleur,  n  Ce  qui  n'offre 
pas  un  sens  parfaitement  clair.  M.  Mohl  ne  s'est  pas  souvenu  que 
le  mot  jXM,  en  persan,  présente  deux  significations  bien  différentes; 
qu'il  désigne  un  lion  et  du  tait.  Il  a  admis  la  première  signification , 
tandis  qu'il  fallait  choisir  la  seconde ,  et  traduire  :  u  Quiconque  n*a  pas 
«sucé  le  lait  des  panthères  viendra  à  notre  secours,  dans  cette  afflic- 
Cl  tion.  0  On  sent  très-bien  que  cette  expression,  «  avoir  sucé  le  lait  de& 
«panthères,»  doit  signifier  «avoir  un  caractère  féroce;»  et  ce  passage 
rappelle  le  vers  de  Virgile  : 

Hyrcanaeque  admonint  ubera  tigres. 

Sadi  ^,  peignant  des  hommes  dont  te  caractère  fét*oe^  s'était  complé> 
iement  adouci,  se  sert  de  cette  expression  :  uP^  isy^  •^j^  ^j  {j^S^ 
«lies  panthères  avaient  déposé  (quUté)  les  mœurs. des  panthères*» 

Dans  le  vers  suivant,  les. mots >jyj^jO^\ y^  nedoiveat  pas  se  tra- 
duire par  «  respectueusement ,  »  mais  «dans  la  fonne  convenable,  » 

Plus  loin^  l'éditeur  nous  donne  cet  hémistiche  |4Jiu9?.  <^  \jji^^\ 
iS^j^  qu'il  traduit  :  «  quand  je  secouerai  mon  poignet  »  Mais  ii  n'a  pas 

fait  attention  qu'il  fallait  lire  [x^^^  au  lieu  de  j^iioLa^,  et  traduire  :  «  si 
«je  sors  de  x^sl  place  ppjur  aller  combattre.  »  M.  Macan  avait  donné  la 
v^table  leçon 9  que  le  i^ouvel  éditeur  n'aurait  pas  ditcbAnger^ 

Plus  bas^  les  mots  J^  ^jis-^j^^^  i^Mis  ne  signifient  pas,  je  orois, 
«  les  aigles  sauvages  étendirent  leurs  ailes ,  »  mais  «  l'ai^  haodi  laissa 
t tomber  ses  ailes;  »  c'est^^ire  interrompit  son  vol,  par  suite  de  la 

*  P.  ao,  V.  196.  -»-  *  P.  aa,  T,  ao8.  —  '  V.  ai5.  —  *  Galittan,  p.  ih;  éd.  Gen- 
tîo.  —  ^  P.  a8.  V.  a78.  —  'P.  3o,  v.  3o8. 


592         JOURNAL  DES  SAVANTS- 

frayeur  que  lui  causaient  les  mouvements  et  les  cris  des  combattants. 
Cette  expression^  /^^^^  ^^-^^  u!^  ^«xjJ^  est-eiie  rendue  fidèlement 
par  ces  mots,  «jetant  la  terreur  parmi  les  combattants  ?»  Il  fallait  dire  : 
«jetant  sur  le  champ  de  bataille  le  jour  de  la  résurrection;  n  c'est-à-dire 
une  frayeur  égale  à  celle  dofit  tous  les  êtres  seront  glacés,  dans  ce  jour 
solennel  consacré  à  la  vengeance  divine.  J'ai  expliqué  ailleurs  tout  ce 
qui  concerne  cette  loôution.  Plus  bas^,  les  mots  <xâa^I:>^  jy^  jui»»Uh# 
ne  signifient  pas,  je  crois,  «les  armées  des  trois  royaumes  se  disper- 
«sèrent,»  mais  «évacuèrent  le  pays.» 

Les  mots  'jly^  v^-m*I  c^  ne  signiiientpas ,  je  crois ,  «  une  haquenée  qui 
(«  allait  Tamble,  »  mais  simplement  «  un  cheval  à  la  marche  rapide.  »  Les 
mots  j^  ^Vyj  ^  ne  signifient  pas  a  pars  voilée ,  »  mais  «  pars  secrètement.  » 
Dans  le  vers  suivant,  l'hémistiche  mlj'^  ^  \^^,  j^r  uH^^  "^^  ^^^^ 
pas  se  traduire:  «nous  ne  tenons  notre  pays  que  de  sa  volonté;»  mais 
il  faut  dire  :  «  nous  ne  parcourons  le  monde  que  d'après  ses  ordres.  »  L'hé- 
mistiche suivant,  v'j^J^^  ^Wm  •>v  o*^,  ne  signifie  pas,  je  crois, 
«puisse  ce  méchant  ne  jamais  le  voir,  même  en  songe,»  mais, 
«  puisse-t-il  ne  jamais  voir,  même  en  songe ,  un  pareil  malheur.  »  Un 

peu  plus  bas',  l'hémistiche  ^Jm  ASyàS^Oy^  JU3j4j  ajU)  est-il  bien 
rendu  par  ces  mots  :  «  les  bons  ont  péri  comme  les  méchants?  »  Je 
crois  qu'il  faut  dire  :  «  la  fortune  a  produit  toutes  sortes  de  biens  et 
«  de  maux.  »  Un  des  vers  suivants  est  conçu  en  ces  termes  ^  : 


^^jl  «X.d  U^^       ^g^  {^M^Av^jl^^  yl^t 


M.  Mohl  traduit  :  «  Sors  di}  pays  d'Iran  et  ne  tarde  pas;  ma  tête  est 
«  remplie  des  bruits  qui  courent  sur  ton  compte.  »  Dans  le  texte  qu'a 
publié  M.  Macan ,  on  lit  t^^  au  lieu  de  is-m-^  \  et  j'avoue  que  la 
première  leçon  me  semble  préférable  ;  en  conséquence ,  je  traduirais  : 
«  Quitte  le  pays ,  et  renonce  à  tes  vues  ambitieuses  ;  ma  tête  est ,  par 
«rapport  à  toi,  remplie  de  trouble.» 

L'hémistiche  suivantjt; à  ^  jû^  ss»:>^  ^^-^  a^  est-il  bien  rendu  par 

ces  mots  :  «  car  tu  vas  t' attirer  xaie  punition  dont  ta  te  souviendras  long- 
temps?» J'aimerais  mieux  dire  :  «car  il  va  bientôt  amener  pour  toi  de 
«longs  chagrins. »  L'héinistiche'^  t^Jo^  ^1  »l^  ^L^  c;^  ^  est-il  bien 
et  surtout  élégamment  rendu  par  ces  mots  :  «  chevauchant  que  c'était 
«  merveille?  »  je  traduirais  :  «  il  partit  en  courant  avec  une  merveilleuse 

'  P.  3a ,  V.  3a8.  —  *  V.  33a.—  '  V.  34o.  —  *  V.  34a.  —  »  V.  36i.  —  *  V.  364. 

—  '  V.  375. 


OCTOBRE  1843.  593 

((rapidité.  »  Les  mots^  *a3  »^ê>  jt^^U*«o^^A-£i.^ûbj  sont-ils  bien  rendus 
par  :  «mon  glaive  fend  la  cime  des  montagnes;»  il  faut  plutôt  dire  : 
«avec  mon  glaive ,  j'enlève  à  une  montagne  sa  cime.»  On  voit  que  fau- 
teur a  vo»du  j(ftier  sur  le  mot  ^,  qui  offre  une  double  signification, 
celle  «  d'épée  »  et  celle  de  «  la  cime  d  une  montagne.  »  Le  mot  Osai^  ^  ^^ 
signifie  pas  «  du  vin  nouveau ,  »  mais  «  du  vin  de  palmier,  n  Cette  liqueur 
se  trouve  souvent  indiquée  dans  le  Schah-nâmeh^.  On  sait  que  le  vin 
de  palmier  était,  chez  les  Arabes,  f objet  dune  prédilection  passionnée; 
qui  figurait  dans  tous  leurs  banquets,  dans  toutes  les  réunions;  et  les 
khalifes  de  Bagdad,  casuistes  assez  relâchés,  prétendaient  que  le  vin 
de  palmier,  malgré  ses  propriétés  éminemment  enivrantes,  n'était  point 
compris  dans  la  prohibition  que  l'Alcoran  a  prononcée  contre  le  vin. 
Le  vers*  : 


•  * 

est  rendu  en  ces  termes  :  «  afin  que  vous  puissiez  jouer  de  vos  épées  en 
t(  combattant  mes  ennemis,  et  non  pas  pour  que  vous  vous  comportiez 
«  ainsi  dans  ma  guerre  contre  les  Arabes.  »  Je  ne  m'arrêterai  point  sur 
le  peu  d'élégance  de  cette  phrase,  mais  je  dois  dire  que,  dans  le  texte 
de  M.  Macan,  le  second  hémistiche  est  écrit  ainsi:  iSUj^^jô  Ajp'^jy 
OyvÂ5"^^jb,  et. je  préfère  cette  dernière  leçon.  En  second  lieu,  je  ne 
croîs  pas  que  le  mot  4^3  b  désigne  ici  «les  Arabes;  »  il  signifie,  si  je  ne 
me  trompe,  «l'impétuosité,  fardeur,  »  et  je  traduirais:  «afin  que  vous 
«luttiez,  le  glaive  à  la  main,  contre  mes  ennemis;  afin  que  vous  vous 
«  précipitiez  ainsi  dans  les  combats.  »  Dans  Thémistiche  suivant^,  les  mots 

Js>j3Ti2Ilâ>  ca^  J^  sont-ils  bien  rendes  par  «soutenez  la  lutte?»  H 
fallait  dire  :  «  étroitement  unis ,  marchez  au  combat.  »  Ces  mots ,  en 
parlant  de  Rustem* ,  J^  ^j^^p  aaaS"^!  ^  -Ji  aS",  ne  sont  pas  assez  fidè- 
lement traduits  par  ceux-ci  :  «  devant  l'épée  duquel  tremble  la  voûte  du 
«  ciel.  »  Il  vaut  mieux  dire  :  «  devant  l'épée  duquel  le  ciel  rougit  de  honte.  » 
Plus  bas ,  dans  la  même  page  '^ ,  un  hémistiche  est  ainsi  conçu  : 

«^         ■      **»    *  »  ^        PI  cK        ^   U3—~^   (J         .^g    '*)   (jV        mk        y^    Ifcij. 

M.  Mohl  traduit:  «leur  sang  rendit  la  terre  rouge  comme  une  rose. n 
Le  traducteur  n'a  pas  pris  garde  qu'il  fallait  lire  J^  et  non  pas  J^. 
En  conséquence,  on  doit  traduire  :  «la  terre,  détrempée  par  leur  sang, 

*  P.  36,  V.  385.  — 'P.  38,v.395.  — *Tom.III,p.  1100,  1137,  1192,  1498, 
i5aa,  etc.  —  *  V.  398.  —  *  V.  399.  —  •  V.  4oi.  —  '  V.  409. 

75 


594  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

«  devint  semblable  à  de  la  boue.  »  Une  image  analogue  se  trouve  sou- 

vent  dans  le  Schah-nâmeh.  On  y  lit^  :  J^^j^  cj^^  U!>^j'  «par  TefiFet 

«du  sang,  la  terre  ressemblait  à  de  la  boue.»  Plus  Icgn^:  Jl»-jl  mS^ 
J^  jAiAcCj^^  :>jU«  ((  qui ,  avec  son  épée ,  transforme  la  terre  en  boue.  » 

Ailleurs':  J^  »j<jU  ^^U  »j^  4->lj  «par  suite  de  ses  pleurs,  son  pied 

(I enfonçait  dans  la  boue.»  Plus  loin^:  ii^j<Xjl  (^U  0>»  v!>^  «car, 

«par  suite  de  mes  pleurs,  j*ai  le  pied  dans  la  boue.»  Ailleurs*:  Aâ» 
Jt^  yS  ^jy^j  ^^j  dl^  j^  «de  ton  sang,  il  fera  sur  la  terre  une  couche 

«  de  boue.  »  Plus  bas^  :  :>y,  AX-i^l  J^  ^^ys^  u^^  Cjv;;  «  sous  eux,  la 
tt  terre  fut  détrempée  comme  de  la  boue.  »  Ailleurs  "^  :  3I  *x-û  J^^  (^^^'^ 

tj^jj^^  {jy^  "  P^  1^  mélange  du  sang  des  soldats  de  Gouderz,  la  terre 
«devint   comme   de   la   boue.»    Et,   enfin ^  :  jysS^ :>j^  ç^fj^j  ^jyà^j 

r'\  w\^i  «  par  suite  de  IjefTusion  du  sang ,  la  poussière  de  la  contrée  est 

fi 

«  semblable  à  la  boue.  »  Les  mois  ^  ^y%^  «^  ne  signifient  pas  «  des  lin- 
«gots  d'argent,  »  mais  de  l'argent  brut.  » 

Plus  bas  ^^,  les  mots  <^*>^  ^^l;L*>Ci  {j\^j  ^jy^  (j^  ne  signifient 
pas,  je  crois,  «les  roses  y  étaient  belles  comme  les  joues  des  femmes 
«  qui  dissipent  les  chagrins ,  »  mais  «  les  roses  étaient  semblables  aux 
«joues  des  jeunes  amantes.»  J'ai  expliqué  ailleurs  le  terme  jLJÎji,  qui 
ne  signifie  pas,  je  crois,  «  celui  qui  dissipe  le  chagrin,  »  mais  «  celui  rpii 
«prend  du  souci,  qui  s'intéresse  à  quelqu'un,  un  ami,  une  amante.» 

Dans  le  Schah-nâmeh,  on  lit  ^^  :  jûl?  y  ^j\^mSà  «  sois  son  ami;  »  et  ^^  :  ^ 

^Lo  ^  j^  fax»  dl^  «je  vois^que  la  terre  s'intéresse  à  toi.  »  On  trouve 

ailleurs,  dans  le  même  sens ,  le  mot^^^>M5"9«>sil .  On  lit  ^'  :  »«>sil^  ^SjutjJ». 

«  .4  m.iS' ^  j  Lo  «  quel  est  l'homme  sensé,  et  qui  s'intéresse  à  toi.» 

Les  mots  i^^^^^ytj  ^^  ne  signifient  pas  <i  rusé,  »  mais  «  habile.  »  Je  pren- 
drai encore  la  liberté  de  faire  observer  combien  est  impropre  cette  ex- 
pression :  «  le  Dieu  tout  pm*,  »  que  le  traducteur  semble  aJDTectionner, 
ear  il  la  répète  une  fouie  de  fois;  tandis  qu'il  pouvait  si  facilement  diie  : 
«  le  Dieu  saint.  »     • 

Le  mot  cy'^*»  ^*  ne  signifie  pas  «  Une  afiàire  difficile ,  »  mais  «  une 
«afiaire  importante. » 

JL'hémistiche  ^^  «x-û  ib^iU^tXil  jl  jftJljy  ne  doit  pas,  je  crois,  se 

'T.II.p.719.— *P.73i.  — 'P.  766.  — *P.  83i.  — 'P.  834.  —  •P.  916.— 
' P.949.  — ^P.956.— '^P.  4o,  V.  43o.  — "V. 435. --"  T.  U.p.  770.  —  ^^ T.  m, 
p.  i36i.  —  "  T.  n.  p.  563—  **  P.  4a,  v.  44i.  —  '*  V.  445.  —  "  V.  456. 


-aX.  :>>— ^t^  ^j\^[;i  rjLjL^       c;^^-.0  «^Ve  bé/^  C:J<rou*Jt4Xi 


OCTOBRE  1843.  595 

traduire  par  :  ((  son  esprit  succomba  à  ses  pensées.  »  H  faut  dire ,  si  je  ne 
me  trompe  :  «  son  esprit  devint  incapable  de  réflexion.  » 
Le  vers  suivant  ^  : 

m 

a  été  rendu  ainsi  par  le  traducteur  :  «  Il  ignorait  qu  il  n'y  a  nid  moyen 
«de  monter  au  ciel;  que  les  étoiles  sont  sans  nombre,  mais  que  Ûeu 
((  est  un.  »  Pour  moi,  je  traduirais  ;  «H  ne  savait  pas  que  le  ciel  n'a  par 
«lui-même  aucun  rang;  qu'il  existe  un  grand  nombre  d'astres;  mais 
«  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu,  w  M.  Mohl  n'a  pas  fait  attention  àU  sens 
exact  du  mot  ajU,  qui  désigne,  à  la  vérité,  an  degré,  et,  par  suite,  une 
échelle,  mais  qui  exprime  aussi  «un  rang,  une  dignité.  »  Le  vers  suivant 
est  conçu  de  cette  manière  ; 


JOl  »jWJJ^  »2Ur?^3  (Jûjl^tW  t^      *>^»  •jV.JfS-?  ^^j*  c^^  ** 


M.  Mohl  traduit  :  «  Toutes  les  créatures  sont  impuissantes  contre  ses  or- 
udres,  car  elles  sont  impures,  rebelles  et  méchantes.  »  Dans  l'édition 
de  M.  M ao^n ,  on  lit  : 


J'avoue  que  je  préfère  cette  leçon.  En  effet,  il  ne  s'agit  pas  ici,  comme 
l'a  cru  le  traducteur,  des  créatures  en  général,  mais  seidement  des 
astres.  En  secorld  lieu,  les  mots  (ji^^l^  ne  signifient  pas  impars,  mais 
«pleins  de  trouble,  d'agitation.»  Je  rendrais  donc  ce  vers,  en  m'atta- 
chant  à  la  leçon  de  l'éditeur  anglais  :  «  Tous  les  astres  sont  invariable- 
«  ment  soumis  aux  ordres  de  Dieu;  tous,  astres  favorables,  ou  funestes, 

«ou  errants.»  L'hémistiche ^^j  ^^j)  jiyj]^^^  iS^^j\^  yl^  ne  signifie 
pas,  je  crois  ,  «de  sorte  qu'ils  pouvaient  enlever  un  argali,»  mais  «de 
«  manière  qu'ils  pussent  vaincre ,  abattre ,  un  bélier  sauvage.  » 

Les  mots^  jt  ^j  »  ^*  5^(j>»..,C  v>  «x^l;  (:ys^  ne  signifient  pas  : 
«  tel  sera  le  sort  de  ceux  qui  tenteront  cette  entreprise ,  »  mais  «  tel 
«  est  le  sort  de  celui  que  la  convoitise  possède.  »  L'expression  *  em- 
ployée en  parlant  des  aigles,  «XjUiJjô  ^^y^  ^je^  c-^^S"^,  est-elle 
bien  rendue  par  ces  mots  :  «ils  se  décoiu'agèrent,  plièrent  leurs  ailes, 
«selon  leur  habitude?  »  J'oserai  ne  pas  le  croire.  Si  je  ne  me  trompe, 
le  traducteur  a  pris  le  mot  <i>^  sueur  pour  celui  de  ^^^^^  ^  exprime 
«le  caractère,  l'habitude.»  Je  crois  donc  devoir  traduire  :  «ces  oiseaux 

>  V.  458.  —  *  P.  44,  T.  467.  —  »  V.  479.  —  •  V.  480. 


596  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

a  furent  fatigués,  et  abattirent  leurs  ailes  dans  la  3ueur.i)  Les  deux 
vers  suivants,  conçus  en  ces  termes  : 


sont  rendus  ainsi  par  le  traducteur  :  «  Par  miracle ,  la  terre  ne  tua  pas 
(de  roi  par  le  choc,  et  ce  qui  devait  arriver  restait  eiltJore  un  secret  :  le 
uroi  désii'ait  qu'un  canard  sauvage  s  élevât,  car  il  avait  besoin  de  man- 
ager un  peu.»  Mais  je  crob  qu'il  s'est  glissé  ici  une  erreur  assez  forte. 
Je  sais  que  le  mot  Jm^W«m  désigne  un  oiseau  aquatique,  de  coidetu: 
rouge,  peut-être  un  canard.  Mais,  dans  le  passage  qui  nous  occupe,  il 
n'est  question  d'aucun  oiseau,  teiTestre,  aquatique,  domestique  ou 
sauvage.  Il  s'agit  ici  du  nom  d'un  prince,  fils  du  roi  Kaï-Kaou6,  et 
dont  la  mort  tragique  donna  naissance  à  de  terribles  catastrophes. 
En  second  lieu,  le  traducteur  a  rendu  par  «  la  terre  »  le  terme  e)^y>-,  qui 
désigne  «le  jnonde,  »  et,  par  suite,  «la  destinée,  la  fortune.»  Je  traduis 
donc  de  cette  manière  :  «Par  l'eflFet  d'un  miracle,  le  monde  (le  destin) 
«  ne  permit  pas  la  mort  de  Kaous;  car  il  cachait  dans  un  profond  secret 
«les  événements  qui  devaient  se  réaliser  un  jour.  Comme  il  fallait  que 
«  Siavusch  naquit  de  ce  monarque,  celui-ci  dut,  encore  quelque  temps, 
«  se  promener  et  se  nourrir.  »  On  pourrait  croire  que  ces  mots  :  c^dM^^ili^ 
«<N^^j^3  o^x:^  <^uL  ((il  lui  fallut  encore  quelque  temps  se  promener 
«  et  se  nourrir  (propr.  paître),  »  ont  été  choisis  à  dessein  par  le  poëte, 
pour  exprimer  le  profond  abaissement  opéré  dans  la  position  de  ce 
roi,  qui,  du  faîte  de  la  grandeur,  était  tombé  dans  un  état  où  il  n'avait 
plus  qu'à  vivre  d'une  vie  animale,  à  végéter  de  la  manière  la  plus  triste, 
4a  plus  ignoble.  Du  reste,  cette  expression,  qui,  proprement,  s'applique 
aux  animaux,  s'emploie  aussi  en  parlant  des  hommes,  et  même  des 


princes.  On  lit  dans  le  Schah-nâmeh^,  '^j^^  e)*>^^s^  f"y^  cT-^  (iTô' 
«  désormais,  je  ne  pourrai  plus  me  promener  et  me  nourrir.  »  Ailleurs  *^, 

4X^L*^^  *3sji-«?  *N»ï-f-?       «X — ry^  Os>Ui  JLk^ 


«Tout  homme  qui  occupe,  dans  ce  monde,  le  rang  de  roi,  ne  doit 
«  choisir  qu'une  bonne  renommée  :  du  reste ,  il  peut  se  promener  et 
«se   nourrir.»  Et  *,  ^x — 4^— ^^  ^X-ajjçj^xjI  *xi^  ^ii^  «durant  Tes- 

*  T.  II.  p.  911.  —  *  P.  988.  —  *  P.  1016. 


OCTOBRE  1843.  597 

«pace  d'une  semaine,  promenez-vous  et  nourrissez-vous.»  Ailleurs  ^ 
on  lit  ces  mots  :  ^Ul  »*>sj^  Ij^  J^  f^j^^  «son  cœur  était  rempli  de 
«chagrin,  et  ses  lèvres  n étaient  point  repues  (étaient  sans  nourri- 
ce ture).  »  On  lit  ^,  en  pariant  d'Ardeschir  :  Os!^  *j?''  •N/^  (S^^  ^>^W 
«  pendant  quelque  lemps  il  se  reposa  et  se  nourrit  de  ce  qu'il  voyait.  » 
Le  verbe  (jw^l^  vouloir,  employé  pour  devoir,  se  retrouve  dans 
ce  passage  du  Schah-nâmeh  *  :  o^-a5"  c-^^!^  \j^  glà  ^  ^ji^  a  la  gran- 
ttdeur  et  la  royauté  ont  dû  (proprement  ont  voulu)  m  appartenir.  » 
Cette  expression  rappelle  naturellement  ces  vers  de  Molière,  dans  les 
Femmes  savantes  : 

Et  ne  repoussez  pas,  voulant  qu'on  vous  seconde, 
Quelque- petit  savant  qui  veut  venir  au  monde. 

M.  Mohl  a  eu  tort,  je  crois,  de  supprimer  le  vers  suivant,  que  je 
trouve  dans  l'édition  de  M.  Macan,  et  qui  confirme  pleinement  l'opi- 
nion que  j'ai  émise.  Il  est  conçu  en  ces  termes  : 


«car,  si  le  roi  Kaous  avait  péri,  un  monarque  puissant  ne  serait  pas 
«  né  de  lui.  »  Le  mot  jUyûo  *  ne  signifie  pas  «  la  honte,  »  mais  «  le  re- 
«  penlir.  »  Dans  le  vers  suivant,  on  trouve  les  mots  ^jy^  a4n^  *?  »*xjU[ 
j'->  j!)  »  ^®  ^®  traducteur  rend  ainsi  :  «  il  resta  dans  la  forêt  tout  épuisé.  » 
Mais  l'expression  jt^^t)  n'est  pas  conforme  au  génie  de  la  langue  per- 
sane, et  je  ne  l'ai  rencontrée  nulle  part.  Je  préfère  la  leçon  adoptée 
par  M.  Macan,  et  qui  offre  ces  mots  -j^j^j^y^  e)J^^  A^&go  k^  i^o^U^, 
«  il  resta  dans  la  forêt,  humilié  et  triste.  » 

Les  mots  ^Uwl  ^j  liU^Ï  oo:>^^  ne  sont  pas,  je  crois,  bien  traduits 
de  cette  manière :« n'ont  fait  une  entreprise  contre  le  ciel;»  mais  il 
fallait  dire  :  «n'ont  formé  le  projet  de  s'élever  vers  le  ciel.»  Le  mot 
^l>Jt^â<^  ne  signifie  pas  «les  possédés,  »  mais  «les  fous^  les  insensés.  » 
On  lit  dans  le  Sc}iah'nâm£h  "^  :  •Xi^Lôo  ^^  ^\  y\iCil^à  j5"  «  car  les 
«  insensés  écouteront  le  discours.  »  A  l'occasion  de  ce  vers  •  :  ^  ^ 
^^*yJé  ç^jj  )j^\  f^:>yi  «  tu  étais  pour  lui  une  idole  (tu  es  devenu  un 
«  brahmane) ,  »  je  ferai  observer  que  le  mot  ^^-^j^  est  quelquefois 
employé  par  notre  auteur  pour  désigner  «  im  idolâtre,  un  païen.» 
On  iit^  :  Js^U  {^ji  j^  Vyilâl  oo  a^  «dans  les  temples  d'idoles  il  ne 
«resta  aucun  païen.»  On  trouve  aussi,  avec  le  même  sens,  le  mot 

*  P.  64o.  —  •  T.  m,  p.  i38o.  —  '  T.  lU,  p.  laai.  —  •  V.  485.  —  '  P.  46, 
v.  494.  —  •  V.  495.  —  *  T.  m,  p.  laoo.  —  •  V.  5oi.  —  •  T.  lU,  p.  1 189. 


598  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

schaman  ^;  on  lit^  :  (^^  t>Ub  ^jy^  j-vS'jSJU^  «je  l'adorerai  comme 
«  un  schaman  adore  les  idoles,  »  Le  vers  suivant  est-il  bien  traduit  de 
cette  manière  ? 

uSi  tu  félèves  de  la  largeur  dune  main  plus  haut  que  ta  ne  dois,  tu  es 
«  entièrement  rebelle  envers  Dieu.  »  Je  lis,  en  suivant  la  leçon  ov-i*ô  ^j 
donnée  par  M.  Macan,  «  Lorsque  d'un  côté  tu  t'élèves,  tu  t  engages  dans 
M  des  guerres  continuelles.  » 

quatremère: 

(  La  suite  à  un  prochain  cahier,  ) 


Il  sepolcro  dei  Volunni,  sçoperto  in  Peragia  nel  iSàO,  ed  altri 
monumenti  inediti  etruschi  e  romani,  esposti  da  G.  B.  Vermîglioli. 
Perugia,  i84o,  în-4^ 

PREMIER    ARTICLE» 

Entre  toutes  les  anciennes  villes  étrusques  dont  les  tombeaux  nous 
ont  fourni  presque  tous  les  éléments  de  l'archéologie  étrusque  que  nous 
possédons,  Peragia  est,  sans  contredit,  une  de  celles  qui  se  distinguent 
le  plus  par  l'abondance  et  par  le  mérite  des  monuments  sortis  de  son 
territoire.  A  la  tête  de  ces  monuments  se  placent  les  urnes  cinérairçs, 
la  plupart  en  travertin,  d'autres  en  terre  cuite,  et  quelques-unes  en 
marbre ,  presque  toutes  ornées ,  du  moins  sur  la  face  antérieure ,  de 
bas-reliefs  représentant  des  sujets  mythologiques  empruntés  à  l'histoire 
héroïque  de  la  Grèce.  Le  nombre  de  ces  urnes ,  extraites  des  seuls  tom- 
beaux de  Peragia,  est  très-considérable,  et  les  objets  d'antiquité  qui  ont 
été  retirés  des  mêmes  sépultures,  tels  que  miroirs,  aussi  en  très-grand 
nombre,  et  presque  tous  d'un  rare  mérite,  par  le  choLx  des  sujets,  par 
le  style  et  par  les  inscriptions^;  pierres  gravées,  la  plupart  en  forme  de 
scarabée,  dont  l'une,  représentant  cinq  des  sept  chefs  devant  Thèbes, 
avec  leur  nom  grec  sous  la  forme  étrusque ,  est  incontestablement  le 
plus  beau  monument  de  ce  genre  que  nous  ayons  recueilli';  vases 

*  P.  1 1 6o.  —  *  Les  plus  remarquables  de  ces  miroirs  ont  été  reproduits  par  M.  Ver- 
mîglioli dans  ses  Ant.  îscriz, Perug.  (a*  ediz.Perugia,  i833,  in-fol.},  tl,  tav.  ii ,  m,  iv 
et  V.  —  ^  Ce  scarabée ,  célèbre  depuis  an  siècle  et  souvent  publié ,  a  été  publié  encore 
en  dernier  lieu,  comme  un  produit  du  sol  antique  de  Perugia,  par  M.  Vermiglioiî , 


OCTOBRE  1843/  599 

peints  de  diverses  fabriques;  statues  et  figurines  de  bronze,  telles  que  la 
célèbre  statue  du  Metellus  de  la  galerie  de  Florence  ^  et  la  statuette  de 
ïenfant  à  Voiseau  du  musée  du  Vatican  ^;  sans  compter  une  foule  d* ob- 
jets divers,  d'ustensiles,  d'armes,  de  bijoux,  chefs-d œuvre  de  fart  et  de 
l'industrie  des  anciens  Étrusques,  ont  fait  de  Perugia  lune  des  locali- 
tés antiques  les  plus  intéressantes  à  tous  égards  dans  le  domaine  de  Tar- 
chéologie;  et  presque  tous  ces  motifs  d'intérêt  se  trouvent  réunis  dans 
la  découverte  du  grand  tombeau  qui  forme  le  sujet  du  livre  que  je  me 
propose  de  faire  connaître  à  nos  lecteurs. 

Les  tombeaux  de  Perugia  avaient  déjà  attiré  l'attention  des  savants  et 
des  amateurs  du  pays  dès  avant  le  dernier  siècle  ;  on  en  a  la  preuve 
par  la  publication  dûmes  étrusques  provenant  des  sépultures  du  sol  de 
cette  ville,  d'après  les  dessins  de  P.  Santo-Bartoli*  et  d'autres  gravés 
à  la  suite  de  l'ouvrage  de  Dempster  ^.  Malheureusement,  le  pur  zèle  de 
la  science  n'entrait  alors  que  pour  trop  peu  de  chose  dans  l'intérêt 
qu'excitait  la  découverte  des  monuments  antiques.  Après  avoir  retiré 
d'un  tombeau  les  objets  de  diverses  sortes  qui  pouvaient  s'y  trouver 
encore ,  après  les  déprédations  des  âges  de  barbarie ,  on  ne  s'inquiétait 
pas  de  constater,  par  une  relation  exacte,  ou,  ce  qui  eût  mieux  valu 
encore,  par  un  dessin  fidèle,  la  position  respective  de  ces  objets;  en- 
core moins  songeait-on  à  lever  un  plan  du  tombeau  qui  pût  en  conser- 
ver un  souvenir,  après  que  le  monument  avait  été  rempU  et  recouvert  de 
terre,  pour  rendre  à  la  culture  le  sol  qu'il  occupait.  Je  ne  sache  pas,  en 
eifet ,  que ,  parmi  tant  de  découvertes  de  tombeaux  étrusques ,  opérées 
dès  la  fin  du  xvn*  siècle  jusquà  nos  joui^,  sur  le  sol  même  ou  au  voi- 
sinage de  Perugia ,  et  dont  j*ai  pu  consulter  les  indications ,  il  se  trouve 
la  mention  d'un  plan ,  ou  même  une  description  tant  soit  peu  détaillée 
du  monument,  sous  le  rapport  architectonique ,  excepté  le  célèbre  tom- 
beau vulgairement  appelé  Tbrre  di  San-Manno  ^,  le  seul  tombeau  cons- 
truit à  la  surface  du  sol  qui  subsiste  de  l'antiquité  étinisque ,  à  deux 

dans  Tourrage  dté  à  la  note  précédente,  et  dont  je  ferai  souvent  usage  dans  ie 
cours  de  cet  article  et  du  suivant ,  1. 1 ,  p.  zxix.  —  ^  Cest  celle  qui  est  si  connue 
sous  le  nom  vulgaire  de  ï Arringatore ,  le  Harangueur,  et  qui  passe,  avec  raison, 
pour  un  des  principaux  monuments  de  la  statuaire  étrusque  de  Tépoque  romaine. 
—  *  Publiée  d'abord  par  Cialti,  Perug.  Etrusc»  p.  i3l,  puis  reproduite  dans  les 
[danches  ajoutées  à  YEtraria  regdiis  de  Dempster,  1 1,  tâE.  xlv,  et  souvent  publiée, 
depuis  Gori,  Mw.  Eirusc,  1. 1,  tab.  xiv.  — 'Scpo/cn  aniichi,  lav.  91-96.  — ^Etrur. 
rejfa/.  1. 1,  tal^ix,  xxi,  xxv,xxxvi,xxxvii,l,  li,  Lii,Lxvn,Lxix,etalibi.  —  *  Ce  mo- 
nument,  célèbre  surtout  parjson  inscription,  que  Maflei,  Osserv.  Letter,  tV,  p.3oa  , 
appelait  la  reine  des  imcripiions  étrusques,  titre  qu  elle  m^te  encore  aujourd'hui,  sinon 
par  le  nombre  de  lignes  dont  elle  se  compose,  du  moins  par  la  foriDe^  la  grandeur  et 


600  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

inilles  de  Peragia,  et  qui  n'est  pas  même  aujoiird'lmi  reconnu  univer- 
sellement pour  un  tombeau,  d'après  le  mot  8flHV,  qui  se  lit  dans  Tins- 
eription ,  et  que  Lanzi ,  dont  la  doctrine  en  matière  d'épigraphie  étrusque 
est  encore  suivie -par  la  plupart  des  savants  ultraibontains ,  interprétait 
parfanam  ^  ;  interprétation  arbitraire  et  tout  à  fait  détruite ,  de  nos  jours, 
par  la  découverte  de  l'inscription  du  tombeau  des  Pomponii  à  Comeio  ^, 
où  se  lit  aussi  le  mot  SPiriV,  avec  une  signification  encore  incon- 
nue, mais,  en  tout  cas,  sans  aucun  rapport  avec  celle  du  mot  latin 
fanum. 

Ce  défaut  de  renseignements ,  cette  absence  de  plans  et  de  dessins , 
pour  tant  de  monuments  funéraires  appartenant  à  des  époques  plus 
ou  moins  reculées  de  l'antiquité  étrusque  de  Perugia,  constituent  sans 
doute  une  des  plus  fâcheuses  lacunes  qui  existent  dans  nos  connaissances 
archéologiques,  et  rendent  d'autant  plus  précieuse  la  découverte  du 
tombeau  des  Volumnii,  opérée  dans  un  temps,  tel  que  le  nôtre,  où  Ton 
apprécie  mieux  l'importance  de  ces  documents ,  et  où  il  se  trouve  des 
antiquaires,  tels  que  le  savant  professeur  Vermiglioli ,  toujours  prêts  à 
publier  les  monuments  qui  courent  le  risque  d'être  perdus  pour  la 
science ,  et  à  les  sauver  ainsi  de  la  destruction  ou  de  l'oubli.  Grâce  à 
cet  antiquaire ,  qui  a  rendu  tant  de  services  du  même  genre  à  l'archéo- 
logie étrusque  de  son  pays,  nous  possédons  une  connaissance  du  tombeau 
des  Volumnii  suffisante  pour  nous  donner  une  idée  exacte  de  son  plan  et 
de  sa  disposition  intérieure  ;  et  j'ajoute  que,  par  la  libéralité  d'un  géné- 
reux citoyen,  le  comte  Ben.  Baglioni,  dans  les  terres  duquel  le  monu- 
ment se  trouvait  situé,  il  a  été  pris  des  mesures  pour  que  ce  tombeau, 
conservé  dans  toute  son  intégrité ,  restât  en  tout  temps  accessible  aux 

la  beauté  des  caractères,  n*cst  pas  moins  important,  sous  le  rapport  architectonique , 
par  Texcelience  de  sa  constnictîon  et  par  la  perfection  de  son  appareil,  qui  appar- 
tiennent au  plus  bel  âge  de  Tantiaulté  étrusque.  Il  a  été  publié  plusieurs  fois,  par 
Gori,  Mus.  Etrasc.  1. 111,  part.  I,  cl.  u  ,  tab.  v,  p.  81 -84;  par  Tantiquaire  Coltellini, 
dans  une  dissertation  particulière ,  Congetture  topra  Viscrizione  etrusca  scolpita  a  gran 
carûtteri  neW  eâifizio  antichissimo  detio  la  Terre  diSan-Manno,  Perugia,  1796,  in-8*, 
fig.  et,  en  dernier  Heu,  par  M.  Vermiglioli,  I&cnz.  Perag,  1. 1,  tav.  v,  n.  4.  Plus  ré- 
cemment encore,  il  a  fourni  le  sujet  d*un  travail  inséré  dans  le  Giprnal  scient. -leiter. 
di  Peragia,  aprile  i834,  et  cité  avec  éloge  dans  les  Annal  delV  Insiit.  Archeol  t.  XIII, 
p.  39.  —  '  Voy.  le  Saggiodi  ling.  Etrasc,  t.  II,  p.  438-443  (2'  ediz.  Firenze,  i8a5). 
Lanzi  8*est  encore  occupé  de  cette  inscription,  pour  soutenir  l'interprétation,  très- 
incomplète  d'ailleurs ,  qu  il  en  avait  donnée  d'abord ,  dans  sa  dissertation  sopra  un' 
urnetta  ioscanica,  etc.  p.  43-46;  dissertation  devenue  très-rare,  et  ré^piprimée  à  la 
suite  Ae  son  Saggio  de  la  a*  édition.  —  *  Voy.  cette. inscription,  publiée  avec  les 
observations  de  ieu  M.  Kellermann,  dans  le  Ballet.  delV  Instit.  Archeol.  i833,  Uv. 
ann.  n.  4»  p<  55-56. 


OCTOBRE  1843.  601 

observations  de  la  science  ;  ce  qui  n  avait  été,  jusqu'ici,  le  cas  pour  aucun 
des  tombeaux  découverts  à  Perugia. 

Les  tombeaux  de  cette  localité  sont  tous  pratiqués  sous  terre,  et 
creusés,  à  plus  ou  moins  de  profondeur,  dans  un  tuf  calcaire  très-tendre. 
L'ordonnance  générale  de  ces  hypogées  paraît  avoir  été  toujours  très- 
simple  et  dépourvue  de  tout  ornement  architectonique.  Il  ny  a  point, 
à  ma  connaissance,  d'exemple  de  chambres  sépulcrales  qui  aient  été  dé- 
corées, sur  leurs  parois  ou  leurs  plafonds,  de  peintures,  encore  moins 
de  sculptures ,  comme  on  en  a  recueilli  des  exemples  dans  quelques  autres 
villes  étrusques,  à  Vulci,  k  Véies,  à  Cœre,  surtout  à  Tarcjuinies  et  à  du- 
sium.  Le  seul  ornement  qui  fut  ajouté  à  Textérieur  de  ces  sépultures  con- 
sistait en  une  stèle  ou  colonnette,  portant  une  inscription,  et  alfectant 
quelquefois  une  forme  phallique,  d'après  un  système  d'idées  religieuses 
qui  avait  certainement  l'Asie  pour  siège  originaire,  et  que  la  colonie  tyr- 
rhénienne  avait  du  apporter  directement  de  la  Lydie ,  où  ce  système  avait 
trouvé  sa  plus  imposante  application  dans  le  célèbre  tombeau  d'Alyatte, 
près  de  Sardes.  Il  est  bien  vrai  que ,  à  l'exemple  de  Passeri  ^ ,  le  savant  au- 
teur du  livre  dont  ijpus  nous  occupons  a  cru  pouvoir  contester^  la  dé- 
nomination de  cippes  phalliques  généralement  adoptée ,  d'après  leur  forme 
même,  pour  lès  stèles  en  question,  par  les  antiquaires  du  dernier  siècle. 
Mais  cette  opinion,  de  la  justesse  de  laquelle  il  semble  s'être  défié  lui- 
même  depuis*,  ne  saurait  véritablement  se  soutenir  en  présence  des 
monuments,  tels  que  ceux  qui  ont  été  publiés  dans  le  dernier  siècle  et 
dans  le  nôtre ^,  et  bien  d'autres  encore  qui  sont  restés  inédits,  et  qui 
abondent  surtout  dans  les  localités  étrusques  de  Corneto ,  à'Orviette  et  de 
Viterbe,  sans  être  rares  dans  celle  de  Peragia  ^.  Il  est,  d'ailleurs,  suffisam- 
ment démontré^  que  le  symbole  du  phallus  y  à  la  fois  comme  signe  de 
vie  et  de  génération  et  comme  préservatif,  se  plaçait,  dans  l'antiquité 
grecque  et  étrusque,  à  l'instar  de  l'antiquité  asiatique,  sur  beaucoup  de 
monuments,  principalement  sur  ceux  de  nature  sépulcrale  ;  et  l'on  est 
aussi  suffisamment  autorisé  à  croire  que  les  stèles  en  forme  de  colon- 

*  Letter.  Roncagl,  n.  —  *  Iscriz,  Perug.  t.  1,  p.  aa.  —  *  Ibid,  p.  i45,  i).  — 
*  Plusieurs  de  ces  colonnettes  ont  été  publiées  par  Gori,  dans  son  Muséum  Etruscum, 
t.  m,  part.  II,  tab.  xi,  i  et  2,  et  tab.  xvni,.5,  6.  On  en  trouve  une  très-remar- 
quable gravée  à  la  suite  des  Lettere  di  etrusca  erudizione,  tav.  n.  Voy.  aussi  les  Mo- 
rmm,  dell'  Instit,  ArcheoL  t.  I,  tav.  xli,  i4.  —  *  Vermiglioli,  Iscriz.  Perug.  t.  I, 
p.  1/18,  n.  9,  p.  i5o,  n.  1 1  et  12  ,  et  ailleurs.  —  *  Voy.  surtout,  à  ce  sujet,  les  ob- 
servations de  MM.  Gerhard  et  Panofka,  dans  les  Annal,  delt  Instit  Archeol.  t.  I, 
p.  3 10,  auxquelles  je  me  propose  d*ajouter  de  nouveaux  éclaircissements,  appuyés 
sur  des  bâts,  dans  la  IV*  de  mes  Lettres  archéologiques  sar  la  peinture  des  Grecs. 

76 


602  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

neUis,  le  plus  souvent  terminées  par  une  pomme  de  pin  ^,  telles  qu'il  en 
existe  dans  les  collections  d'antiquités  étrusques,  la  plus  remarquable 
desquelles,  k  tous  égards,  est  le  célèlw^e  monument  aujourd'hui  placé 
dans  le  palais  Connestabili  de  Perugia,  consistant  en  une  colonne  cannelée, 
surmontée  d'une  pomme  de  pin,  et  érigée  sur  une  base  ronde  ornée  de 
bas-reliefs  2,  appartiennent  au  même  ordre  d'idées  religieuses  et  d'images 
symboliques.  Quant  à  la  supposition  que  cet  emploi  de  cippes  phalliques, 
k  l'extérieur  des  sépultures  étrusques,  était  originaire  de  la  Lydie,  point 
de  départ  de  la  colonie  tyrrhénienne,  c'est  une  conjecture  qui  se  trouve 
changée  en  cetHitude,  maintenant  que  nous  savons  que  les  cinif  grandes 
stèles  servant  de  couronnement  au  tamulas  d'Alyatte,  près  de  Sardes,  et 
désignées  par  Hérodote^  sous  le  nom  doSpoty  étaient  effectivement  des 
phallus  gigantesques ,  ainsi  que  la  chose  a  été  constatée  sur  l'une  de  ces 
cinq  stèles,  encore  aujourd'hui  gisante  au  sommet  du  monument,  par 
un  voyageur  et  antiquaire  célèbre ,  M.  de  Prokesch  ^. 

Après  ces  observations  préliminaires,  j'entre  dans  l'examen  du  tom- 
beau qui  doit  spécialement  nous  occuper^.  C'est  une  de  ces  sépitdtures 
étrusques,  de  la  plus  noble  espèce,  de  celles  qui  Wmaient  un  hypogée 
pour  une -famille  entière  :  cela  résulte  à  la  fois  de  son  étendue,  de  sa 
•  disposition,  et  du  nombre  des  ui'nes  cinéraires  qui  y  furent  trouvées 
en  place,  toutes  inscrites  du  nom  d'une  même  famille;  et  ce  qui  n'est 
pas  moins,  bien  établi  par  Tespace  considérable  destiné  à  recevoir 
d'autres  urnes  et  resté  vide,  c'est  que,  par  des  circonstances  inconnues, 
ce  tombeau  cessa  de  recevoir  de  nouveaux  hôtes,  après  qu'on  y  eut  dé- 
posé les  membres  de  deux  générations  de  la  famille  qui  l'avait;  fait 
construire.  Du  reste ,  l'état  dans  lequel  il  fut  trouvé ,  avec  la  plupart 
des  objets  qui  avaient  accom^pagné  les  dépouilles  mortelles  qu'il  ren- 
fermait, et  qui  n'avaient  été  endommagés  que  par  l'elTet  de  la  vétusté, 

'  La  pomme  de  pin,  coiiiine  symbole  de  fécondité,  figure ,  au  môme  litre  et  à  la 
même  intention  que  le  phalltis ,  sur  beaucoup  dé  monuments  funéraires  de  l'Asie 
-Mineure,  notamment  sur  les. tombeaux  ôeTelmissus.  Cest  une  variante  de  la  même 
imêige  symbolique,  dont  j'aurai  lieu  d'étabnr  le  sens  cl  de  citer  les  applications  dans 
mes  Mémoires  d'Archéologie  comparée,  asiatique,  grecque  et  élrusquc.  —  *  Ce 
monument,  si  remarquable  et  unique  dans  son  genre,  a  été  publié  plusieurs  fois, 
dans  le  Mas.  Etmsc.  I.  III,  tab.  xx,  xxi ,  avec  une  dissertation  parliculièiv  de  Pas- 
seri.  De  Etruscorum  funere ,  ibid.  p.  79  sqq.  ;  par  M..  In<?hirami ,  Monnm,  Etrasck, 
ser.  VI,  lav.  Za,  et  par  M.  Vermigfioii,  Isrriz,  Perug.  1. 1,  tav.  vi,  p.  i44-i48.  — 
^  Herod.  1,  93.  —  *  Prokescli,  Erinnerungen  aus  jEgypten  und  Klein- Asien,  t.  HI, 
p.  49.  —  '  I-a  découverte  de  ce  tombeau,  opérée  dans  le  courant  de  février  i84o, 
fut  annoncée  dans  le  BulleL  dell  Instit.  ArchefiL  de  ceUe  même  amiée,  p.  17-18, 
par  M.  Vermiglioli.  Il  en  est  encore  fait  mention  dans  le  même  Bulletin,  p.  1 16- 
laS,  et  dans  celui  de  i84i,  p   12-16. 


<  • 


OCTOBRE  1843.  »03 

semblait  indiquer  qu'il  n  avait  éprouvé  aucune  de  ces  déprédations 
dont  la  plupart  des  tombeaux  antiques  ont  eu  tant  à  soufTrir,  et  qui 
ont  causé  à  la  science  tant  d'irréparables  pertes. 

Le  plan  de  cet  hypogée  est  d'une  régularité  et  d'une  noblesse  qui 
annoncent,  du  premier  coup  d'oeil,  qu'il  a  été  exécuté  en  même  temps, 
que  conçu  pour  une  famille  considérable.  On  sait,  en  efiFet,  que  la  plu- 
part des  hypogées  étrusques  accusent,  par  l'irrégularité  de  leurs  dispo- 
sitions ,  les  additions  successives  qui  ont  pu  être  faites  à  leur  plan  pri- 
mitif; tandis  qu'ici  tout,  dans  la  conception  comme  dans  l'exécution, 
porte  l'empreinte  d'une  même  pensée  et  celle  d'une  même  époque.  C'est 
donc  un  monument  complet  dans  son  genre,  et,  sous  ce  rapport,  d'un 
grand  intérêt  pour  l'art.  La  forme  générale  qu'il  présente  est  celle  d'une 
espèce  de  croix  latine,  c  eSt-à-dire  d'une  giande  pièce  longitudinale  ou 
ce//a,  traversée,  à  son  extrémité,  par  une  autre  de  moindre  étendue  qui  la 
coupe  à  angle  droit,  et  terminée,  au  fond ,  par  une  tribune  ou  abside,  qui 
paraît  avoir  été  le  sanctuaire  sépulcral ,  le  lieu  où  reposait  le  chef  de 
la  famille ,  entouré  de  la  plupart  des  siens.  La  cella  est  flanquée,  à  droite 
et  à  gauche,  de  deux  chambres  de  forme  carrée;  et  la  pièce  du  fond , 
que  j'ai  appelée  tribune,  est  pareillement  accompagnée,  de  chaque  coté, 
d'une  chambre  plus  petite,  qui  a  son  entrée  sur  la  traverse,  servant 
en  quelque  sorte  de  vestibule  à  ces  trois  divisions  de  la  partie  reculée 
de  l'hypogée.  Toute  cette  disposition  est  d'une  régularité,  tant  pour  le 
plan  que  pour  les  mesures ,  dont  il  y  a  bien  peu  d'exemples  dans  les 
tombeaux  antiques,  et  d'une  ordonnance  pleine  k  la  fois  de  simplicité 
et  de  grandeur.  Le  lit  funèbre,  je  veux  dire  cette  espèce  de  banquette 
qui  règne  ordinairement  le  long  des  parois  des  chambres  sépulcrales 
dans  les  tombeaux  étrusques,  et  sur  laquelle  se  plaçaient  soit  les  dé- 
pouilles des  morts,  soit  les  sarcophages  qui  les  renfermaient,  manque, 
non-seulement  dans  la  pièce  longitudinale  ou  cella,  qui  parait  n'avoir 
dû  servir,  dans  le  principe ,  que  de  grand  vestibide ,  mais  encore  dans  les 
quatre  chambres  latérales,  sans  doute  parce  qu'elle  ne  devait  recevoir  qu'à 
une  époque  éloignée  d'autres  membres  de  la  même  famille;  mais  cette 
banquette  existe  non-seulement  dans  la  tribune,  où  sept  sarcophages  se 
trouvaient  rangés  de  chaque  côté  de  celui  du  chef  de  la  famille,  à  leur 
place  originaire  ;  jnais  encore  dans  les  deux  petites  chambres  prati- 
quées à  droite  et  à  gauche  de  cette  pièce  principale.  Ainsi  toutes  les 
dispositions  de  ce  tombeau  indiquent  bien  qu'il  fut  construit  à  une 
même  époque,  et  à  l'usage  de  deux  générations  d'une  même  famille. 

La  porte  d'entrée ,  qui  consiste  en  une  ouverture  quadrilatère ,  avec 
deux  chambranles  de  traveitin  et  une  architrave  de  la  même  pierre,  ne 

76. 


604  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

se  distingue  que  par  cette  parlicularité;  car  ces  membres  d'architecture 
sont  d'une  extrême  simplicité.  Les  autres  portes ,  qui  donnent  accès 
aux  chambres  latérales,  ont  pareillement  leurs  chambranles  et  leur  ar- 
chitrave en  travertin,  au  lieu  du  tuf  dans  lequel  est  pratiqué  tout  le 
reste  du  monument.  Ces  chambres  latérales  ont  toutes  un  toit  plat, 
orné  de  caissons,  d'un  travail  très-soigné,  bien  que  dans  un  tuf  tendre 
et  poreux;  mais  la  cella  est  voûtée  dans  le  système  d'un  toit  on  char- 
pente à  double  versant,  avec  tous  les  détails  d'une  couverture  en  bois 
fidèlement  imités  dans  le  tuf;  ce  qui  n'est  sans  doute  pas  unç  particu- 
laiîté  nouvelle  ni  rare  dans  ces  sépultures  étrusques,  mais  ce  qui  est 
encore  ici  un  trait  remarquable,  d'après  le  soin  extrême  avec  lequel  est 
exécutée  dans  le  tuf  cette  décoration  d'une  charpente  feinte.  L'rntrée  du 
monument,  au-dessus  de  la  porte  unique  cjui^y  donne  accès,  s'annonce 
d'une  manière  qui  correspond  à  ce  toit  à  double  rampant,  au  moyen 
d'un  fronton  sculpté  dans  le  tuf,  avec  un  disque  du  Soleil  radiée  occu- 
pant le  milieu  du  tympan  et  flanqué  de  deux  dauphins.  Le  mur  intérieur 
de  la  tribune  est  décoré  dans  le  même  système,  c'est-à-dire  avec  un 
fronton,  dont  la  face  du  milieu  est  pareillement  ornée  d'un  disque  et  de 
figures  accessoires  à  droite  et  à  gauche.  Telle  est  l'idée  générale  que  je 
puis  donner  de  cet  hypogée,  sous  le  rapport  de  son  plan  et  de  sa  dis- 
position architectonique,  autant  qu'il  m'est  possible  de  le  faire,  d'après 
les  dessins  publiés  par  M.  Vermiglioli  et  d'après  le  texte  qui  les  accom- 
pagne, en  y  joignant  la  relation  d'un  témoin  oculaire  et  d'un  antiquaire 
instruit,  M.  Feuerbacli\  qui,  du  reste,  ne  s'accorde  pas  siu*  tous  les 
points  avec  la  description  du  savant  professeur  de  Permjia, 

Quant  aux  sculptures,  autres  que  les  urnes  cinéraires,  surmontées  de 
statues  ,  qui  méritent  d'être  l'objet  d'un  examen  particulier,  et  certaines 
figurines  employées  à  la  décoration  intérieure  du  tombeau,  et  dont  je 
devrai  dire  aussi  quelques  mots  dans  le  cours  de  cet  article,  elles  se  ré- 
duisent aux  bas-reliefs  qui  formaient  l'ornement  des  deux  tympans,  au- 
dessus  de  la  porte  d'entrée  et  dans  la  partie  supérieure  du  mur  de  la 
tribune.  Le  premier  de  ces  frontons  est  orné,  comme  je  l'ai  déjà  dit, 
d'un  discjue  ou  bouclier  portant  une  tête  radiée,  dont  il  ne  subsistait  plus 
qu'une  partie,  et  qui  ne  pouvait  être  que  celle  du  Soleil,  ce  grand  sym- 
bole de  vie  et  de  génération,  naturellement  placé  surje  frontispice  d'un 
tombeau.  Ce  disque  est  accompagné  de  deux  dauphins,  emblème  de  la 
/navigation  aux  îles  Fortunées,  devenu  d'un  usage  populaire  sur  les 

*  Cette  relation  est  publiée,  à  la  suite  d'une  note  accompagnant  les  dessins  du 
monument  qui  nous  occupe,  dans  le  Ballet.  deW  Instit,  ArcheoL  i84o,  p.  1 17-1  a 3. 


OCTOBRE  1843.  605 

monuments  du  dernier  âge  de  l'antiquité  grecque  et  étrusque,  dont  Jes 
exemples  sont  trop  communs  sur  les  urnes  étrusques  ^  qui  appartien- 
nent généralement  à  cette  époque,  pour  avoir  besoin  d'être  cités,  et  qui 
avait  passé,  avec  une  signification  analogue,  dans  la  symbolique  du 
christianisme  primitifs.  J'ajoute  qu'il  subsistait  encore,  sur  la  paroi  où 
était  pratiquée  l'entrée  du  monument,  à  gauche  de  cette  entrée  et  vers 
le  haut  du  mur,  une  grande  aile  déployée,  seul  débris  d'une  Jigure  ailée, 
qui  avait  eu  certainement  sa  figure  correspondante,  de  l'autre  côté  et  à 
la  même  place.  On  sait  combien  ces  figures  àe femmes  ailées,  qui  repré- 
sentent des  Erinnyes  ou  Euménides ,  empruntées  à  la  mythologie  grecque , 
sont  fréquentes  sur  les  monuments  funéraires  des  Etrusques ,  de  tout 
ordre  et  de  tout  âge;  et  la  présence  dé  celles-ci,  à  feutrée  de  notre 
tombeau ,  n'a  rien  qui  puisse  donner  lieu  à  quekpie  observation;  mais 
ce  n'est  pas  moins  une  circonstance  fâcheuse  que  la  perte  de  ces  sculp- 
tures, qui, vu  leur  proportion  et  fimportance  du  monument,  devaient 
être  de  quelque  mérite. 

Le  second  fronton  doit  sans  doute  à  sa  position  dans  l'intérieur  du 
tombeau  de  s'être  conservé  en  totalité  et  sans  aucune  altération.  Le 
milieu  du  tympan  est  rempli  par  un  disque,  ou  plutôt  par  un  bouclier, 
couvert  d'écailles,  avec  la  tête  de  AJéduse  au  centre.  Cette  image  de  la 
Nuit,  qui  répond  parfaitement  à  celle  du  Soleil,  placée  à  l'entrée,  ainsi 
que  M.  Feuerbach  l'a  judicieusement  observé^,  offre,  de  plus,  dans  le 
type  de  Méduse,  employé  à  cette  intonfîon,  un  symbole  funéraire  très- 
familier  à  la  haute  antiquité  grecque  et  étrusque,  ainsi  que  nous  l'ont 
appris  des  centaines  de  vases  peints,  de  style  grec  archaïque,  trouvés 
en  Étrurie,  où  ils  avaient  sans  doute  été  fabriqués;  et  nous  savions 
déjà,  par  un  grand  nombre  d'urnes  étrusques,  provenant  du  sol  de 
Perugia  *,  que  le  masque  de  la  Gorgone,  avec  cette  intention  funéraire, 

'  Noire  auteur  en  a  fait  robservalion  dans  ses  Iscriz.  Etrusc.  1.  I,  p.  219-220, 
n.  11 3.  Une  frise  ornée  de  dauphins  faisait  partie  de  la  décoration  intérieure  du 
tombeau  de  Isl  famille  Pomponia  à  Cometo,  Monum.  delV  Instit.  Archeol.  t.  II,  tav.  iv, 
et  Annal.  I.  VI,  p.  i5/i. —  *  Voyez  mon  U*  Mémoire  d'antiquité  chrélienne,  p.  60-61. 
—  ^  Bullet.  delV  Instit.  Archeol.  i84o,  p.  119.  Ces  images  du  Soleil  et  de  la  Nuit , 
employées  à  la  décoration  dun  tombeau  étrusque  d'épocjue  romaine,  expriment  la 
même  idée  que  le  cJiar  du  Soleil  et  celui  de  la  Nuit,  opposés  fun  à  fantre,  servant 
de  type  sur  des  sarcophages  romains;  et,  dans  f un  comme  dans  fautre  cas,  c'était 
une  manière  symbolique  de  représenter  le  court  de  la  vie  humaine  par  la  révolution 
diurne  du  soleil,  par  ces  alternatives  de  lumière  et  d'obscurité,  de  vie  et  de  mort,  qui 
ont  fourni  le  motif  de  la  plupart  des  monuments  funéraires  de  f  antiquité.  — 
*  C'est  M.  Vermiglioli  lui -môme  qui  en  a  fait  robservation  ;  voy.  ses  Opuscoli, 
t.  II,  p.  49  ;  et  ajoutez  les  nombreux  exemples  qu'il  en  cite  dans  ses  Iscriz.  Perag. 


606  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

avait  été  surtout  d  an  usage  fréquent  sur  les  monuments  de  cette  ville. 
Mais,  d*ailleurs,  le  tombeau  qui  nous  occupe  en  offre,  plus  qu aucun 
autre,  des  applications  frappantes,  pubque  ce  inasqae  forme  l'ornement 
principal  de  la  face  antérieure  des  urnes  qui  y  avaient  été  placées,  et 
qu'il. est  encore  répété  à  la  voûte  de  la  tribune,  de  même  qu'au  plafond 
d'une  des  chambres  latérales  ^  Malgré  tant  de  raisons  de  reconnaître  le 
bouclier  couvert  (Técailles  et  orné  du  Gorgonion  dans  le  disque  du  tympan, 
M.  Vermiglioli  s'est  pourtant  éloigné  d'une  explication  qui  s'offrait  si 
naturellement  à  l'esprit ,  pour  voir,  dans  l'image  en  question ,  une  tête 
d'Apollon,  placée  sur  un  fond  composé  d'un  triple  rang  àe  feuilles  de 
luurier;  et  le  savant  antiquaire  s'est  donné  inutilement  beaucoup  de 
peine  pour  justifier  cette  manière  bizarre  et  certainement  sans  exemple 
de  représenter  une  tête  d'Apolbn.  Il  lui  eut  sufTi  d'un  rapprochement 
bien  facile  à  faire  pour  renoncer  à  cette  idée  malheureuse  ;  c'eût  été  de 
jeter  les  yeux  sur  les  médailles  de  quelques  villes  de  Pont  et  de  Pa- 
phlagonie,  Cabiru,  Chabacta,  Comana,  Laodicée ,  Amisas  elAmastris^, 
dont  le  type  ordinaire  est  Y  égide  ornée  uu  centre  d'une  iéte  de  Méduse,  ab- 
solument comme  sur  le  tympan  de  notre  tombeau.  La  ressemblance  du 
type  de  ces  médailles  avec  Y  égide  sculptée  sur  le  monument  qui  nous 
occupe  est  si  frappante,  qu'on  en  peut  tirer  par  induction  une  conjec- 
ture qui  n'est  pas  non  plus  sans  quelque  intérêt.  Les  monnaies  que  j'ai 
en  vue  me  paraissent,  d'après  leur  fabrique  toute  semblable,  d'après 
leur  module  et  leur  poids  uniformes ,  appartenir  à  une  même  époque 
de  fabrication,  qui  doit  être ,  si  je  ne  me  trompe,  celle  de  Mithridate. 
Elles  durent  donc  venir  à  la  connaissance  des  soldats  romains  durant  le 
cours  des  guerres  de  Lucullus  et  de  Pompée  contre  ce  roi  du  Pont;  et 
sans  doute  que  plusieurs  de  ces  monnaies  furent  portées  par  cette  voie 
on  Italie,  où  il  ne  serait  pas  invraisemblable  qu'elles  eussent  servi  de 
modèle  pour  Yégide  qui  forme  le  type  du  tympan  de  notre  tombeau 
étrusque.  Ce  monument  doit  effectivement  s'éloigner  très-peu  des  der- 
niers temps  de  la  république  ou  de  l'époque  de  Pompée,  ainsi  que  cela 
résulte  de  tous  les  caractères  archéologiques  qu'il  présente;  et  le  rap- 

t.  [,  p.  190,  D.  47 ;  p.  199,  n.  59;  p.  2ai ,  n.  1 16;  p.  23o,  n.  i36  et  187 ;  cette 
dernière  urne  est  publiée  dans  le  Afus.  Veron.  tab.  m,  n.  4*  —  ^  Sepolcr.  de  Va- 
lunni,  iav.  vin,  i  et  2.  La  tête  de  Méduse,  dessinée  ici  en  second  lieu,  est,  il  est 
vrai,  regardée  par  le  savant  antiquaire  comme  une  simple  tête  de  femme.  Mais  j*a- 
voue  que  je  ne  puis  être  de  son  avis.  —  *  Ces  médaiUes ,  devenues ,  de  nos  jours , 
plus  communes  qu'elles  ne  Tétaient  il  y  a  vingt  ans ,  sont  décrites  par  M.  Mion- 
net,  t.  II,  p.  3^2,  n.  69;  p.  347 1  a-  98;  p.  349,  n.  io5;  p.  35o«  n.  108;  p.  35 1, 
n.  ii5;p.  389,  n.  10,  etc.  et  Supplément,  i.  IV,  p.  437,  n.  iioet  suiv.  p.  445, 
n.  161;  p.  552,  n.  13  et  suiv. 


OCTOBRE  1843.  6©7 

prochement  que  je  viens  de  faire  ajouter^t  ud  nouveau  potds  à  celle 
conjecture,  que  je  soumets  avec  confiance  au  jugement  de  M.  Vcrmi- 
glioii  ' . 

Avant  de  passer  à  un  autre  sv^t,  je  dois  parler  ici  d'un  objet  dont 
Tapparition  constitue  ici  un  fait  neuf  et  curieux;  cest  une  partie  anté- 
rieure d'un  serpent  à  crête  figuré  en  terre  cuite  coloriée,  avec  la  la<ngnt' 
en  métal  peinte  en  blanc,  qui  soi^t  de  ses  deux  mâchoires  entr'ou^ 
vertes.  Cette  figure  était  insérée  dans  le  miu*  antérieur  de  chacune  des 
chambres  latérales,  et  elle  se  trouvait  deux  fois  daus  la  cella,  toujours 
à  la  même  hauteur,  et  placée  de  manière  à  exprimer  vine  sorte  de  m«- 
nace  contre  fimpie  violateur  de  la  tooabe.  Cest  la  première  fois,  à  ma 
connaissance,  quon  a  trouvé,  dans  un  tombeau  antique,  cette  demi- 
figure  de  serpent  employée  de  cette  manière;  et  les  conjectures  n*ont 
pas  manqué  ]>our  en  expliquer  Tusage.  On  a  pensé  que  ces-  demi-ser- 
pents répétés  sur  tous  les  murs  avaient  été  destinés  à  su^ndre  quelque 
objet,  tel  qu  une  lampe,  en  guise  de  bras  de  candélabre^;  et  Ton  a  même 
été  jusqu'à  dire  qu'ils  avaient  dû  servir  à  porter  une  lampe  dans  la  yieuU 
ouverte,  et  précisém£nt  sur  la  langue  tirée  en  dehors^.  Mais,  outi'e  qoe, 
dans  ce  cas ,  on  aurait  dû  trouver  au  moint»  un  débris  d^  ces-  lampes . 
ce  qui  n'a  pas  eu  lieu,  d'après  le  témoignage  formel  de  M.  VcrmiglioU. 
je  pense  que  cet  usage  même  de  soutenir  des  lampes  est  tout  à  fait 
étranger  à  ces  figures  de  serpent  dont  il  s'agit ,  et  qu'il  faut  y  voir  toat 
simplement,  comme  l'a  remarqué  le  même  antiquaire,  un  symbole  fa- 
nèbre,  connu  par  de  nombreuses  applications  et  attesté  par  beaucoup 
de  textes  classiques.  Ce  qui  achève  de  prouver  que  la  présence  de  cIrs 
serpents,  facile  à  expliquer  par  les  idées  religieuses  des  anciens,  qui 
*  «  faisaient  de  cet  animal  un  espèce  de  génie  des  lieux  sacvéa  et  en  par- 
ticulier des  tombeaux,  est  ici  sans,  aucun  rapport  avee  l'usage  des 
lampes,  c'est  que  les  lampes  qui  se  trouvaient  effectivenesit  suspens 

'  Je  ne  dis  rien  des  objets  sculptés  aux  deux  côtés  du  prétendu  bouclier  cèpolli- 
néen,  ApoUineo  clipeo,  parce  que  ces  objets  sont,  à  ce  qu'il  paraît,  trop  imparfaite* 
ment  sculptés  dans  le  tuf,  ou  trop  peu  respectés  par  le  temps,  pour  qu'on  puisse 
les  reconnaître  avec  tant  soit  peu  de  cerliturie  et  en  hasarder  i  e^tplicatibn.  Mais 
j'avoue  que  les  idées  de  M.  Vermiglioli  m'ont  faiblement  satisfait.  —  '  C'est  ainsi 
que  s'exprime  M.  Feuerbach,  a  guisa  fan  braccio  di  candeîabro;  idée  qui  me  paraît 
trop  moderne  pour  trouver  ici  son  application.  —  *  C'est  encore  M.  Feuérbacli 
qtu  a  eu  cette  idée,  passablement  bizarre,  et  qui  Ta  exprimée  en  ceà  terkvnM  :  dipu- 
tati  a  sostener  nelV  aperta  bocea  una  lampada  salla  protratta  lingua.  Je  m'en  rapporte 
à  M.  Vermiglioli  pour  décider  si  ces  serpents  sont  d'une  teUe  proportion»,  qu*une 
lamue,  même  de  la  plus  petite  dimension  connue,  put  tenir  sur  la  langue  Pecourbée 
en  dehors. 


608  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dues  en  deux  endroits  de  l'hypogée,  cest  à  savoir,  à  la  voûte  de  la  cella 
et  à  Tarchivolte  de  l'entrée  de  la  tribune,  ont  été  retrouvées  à  terre,  à 
des  places  correspondantes  à  celles  quelles  avaient  occupées,  et  en 
partie  brisées ,  mais  de  manière  à  pouvoir  être  recomposées  àFtiidede 
leurs  fragments  réunis,  comme  Ta  fait  M.  Vermiglioli  dans  lune  des 
planches  jointes  à  son  livret  Ces  deux  lampes,  en  tout  pareilles ,  con- 
sistaient en  une  figure,  modelée  en  terre  cuite,  d'un  génie  fanèbre ,  nu 
et  ailé,  les  pieds  posés  sur  un  récipient,  aussi  de  terre  cuite,  formant 
le  corps  de  la  lampe  et  orné ,  à  sa  partie  postérieure ,  d*un  masque  de 
Méduse  en  médaillon.  Ici  encore  tout  est  d'accord  dans  la  composition 
de  ces  lampes  avec  leur  usage  funéraire;  et  la  présence  de  leurs  débris 
au-dessous  de  la  tige  métallique  qui  servait  à  les  suspendre,  en  deux 
endroits  différents,  à  la  voûte  de  Thypogéo,  tandis  que  de  pareils  dé- 
bris manquent  absolument  au-dessous  des  demi-figures  de  serpent 
qu'on  suppose  avoir  servi  à  soutenir  des  lampes,  montre  bien  que  cette 
dernière  supposition  est  tout  h  fait  dépoui'vue  de  fondement. 

J'aurai  achevé  d'indiquer  les  objets  employés  à  la  décoration  inté- 
rieure de  ce  tombeau,  indépendamment  des  urnes,  que  je  me  réserve 
d'examiner  avec  quelque  détail ,  en  parlant  des  pièces  d'armure  et  de 
quelques  autres  bronzes  qui  y  furent  trouvés  à  leur  place  antique, 
plus  ou  moins  endommagés  par  le  temps.  Ces  objets  consistaient  en  un 
casque,  de  la  forme  la  plus  simple,  en  deux  cnémides,  du  plus  beau 
travail,  avec  im  fragment  de  la  doublure  d'un  bouclier  rond,  dont  fâme 
avait  été  de  bois,  et  dont  la  plus  grande  partie  avait  été  consumée  par 
l'oxydation  ^.  Cette  armure ,  qui  avait  été  suspendue  à  l'extérieur  du  mur 
de  droite  de  la  tribune,  près  d'une  inscription  gravée  dans  le  même 
tuf,  et  devenue  aussi  par  la  vétusté  à  peu  près  illisible  *,  appartenait, 
sans  doute  au  chef  de  la  familte  qui  fit  construire  ce  monument,  et, 
par  l'excellence  du  travail,  elle  annonçait  l'opulence  de  ce  personnage, 

'  Sepolcro  de'  Volanni,  lav.  ix,  n.  i ,  a ,  3,  4  et  5,  p.  26-26.  —  *  Ibid.  lav.  vin, 
8,  et  IX,  6,  7  et  8.  —  '  L'inscription  est  rapportée,  p.  19,  avec  un  essai  cTinler- 

prétation  que  je  ne  puis  admettre.  Le  mot  ll4dY0^2 ,  où  notre  auteur  voit  un 
nom  de  famille ,  Septimii ,  doit  être  un  nom  commun ,  de  signification  encore  in- 
connue, comme  la  plupart  des  noms  étrusques,  pour  ne  pas  dire  tous;  et,  ce 
qu*il  y  a  de  sûr  au  moins ,  c'est  que  le  nom  des  Septimii  se  lit  sur  une  inscription 

de  Perugia  même,  écrit  IMdY+I^E,  et  non,  comme  ici,  IM«iY032;  Vermiglioli, 

Iscriz.  Perug.  1. 1,  p.  3 10,  n.  368.  Quant  aux  lettres  5I^Y1>  où  notre  auteur  croit 
voir  le  mot  grec  Trvpdt,  je  crois  que  c'est  encore  de  sa  part  une  pure  illusion,  née 
de  ce  système ,  trop  accrédité  par  Lanzi ,  qui  cherche  à  expliquer  par  le  gnec  les 
mots  d'unç  langue  dont  nous  ne  connaissons  pas  le  fond. 


OCTOBRE  1843.  609 

en  même  temps  qu'une  époque  de  l'art  supérieure  à  celle  du  monument 
même,  ce  qui  n'implique  aucune  contradiction;  car  on  comprend  sans 
peine  que  des  armes  plutôt  sépulcrales  ou  honorifiques  que  d'usage 
réel ,  telles  que  celles-ci,  avaient  pu  se  conserver,  durant  plusieurs  géné- 
rations, au  sein  d'une  famille ,  avant  d'être  déposées  dans  la  tombe  du 
membre  de  cette  famille  qui  en  restait  le  dernier  dépositaire.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  y  a  du  moins  une  particularité  curieuse  à  constater 
dans  le  mode  de  décoration  qui  avait  été  appliqué  au  boncUer.  Cette 
pièce  principale  de  l'armure  antique  est  ornée  extérieurement  de  ti'ois 
cercles  concentriques,  dont  le  premier  renferme  des  méandres ,  le  se- 
cond, des  palmettes  d'un  travail  grec  exquis,  et  le  troisième,  une  série 
de  taureaux  et  de  lions,  opposés  les  uns  aux  autres,  et  séparés  par  des 
arbres.  Le  sens  funéraire  de  ce  groupe  symbolique  ^  se  trouve  donc 
encore  une  fois  justifié  par  cet  ornement  d'un  bouclier  destiné  à  être 
placé'  4ans  un  tombeau ,  et  c'est  un  trait  d'archéologie  comparée  qui 
méritait  d'être  signalé  sur  ce  monument  étrusque. 

RAOUL-ROCHETTE. 


Sur  un  Traité  arabe  relatif  à  Vastronomie. 

DEUXIÈME    ARTICLE  *. 

Les  hypothèses  grecques. 

Ayant  exposé  dans  notre  précédent  article  les  véritables  lois  des 
mouvements  de  la  lune,  et  caractérisé  exactement  leurs  principales 
in^alités,  comme  résultant  des  variations  de  la  force  qui  les  cause,  il 
va  nous  être  très- facile  d'apprécier  les  hypothèses  géométriques  par 
lesquelles  les  observateurs  des  différents  âges  ont  voulu  les  représenter. 
Car,  pour  chaque  détail  des  phénomènes  apparents  qu'ils  auront  reconnu, 
et  qu'ils  se  seront  proposé  de  reproduire,  nous  n'aurons  qu'à  demander 
à  la  théorie  de  l'attraction  quelle  est  la  vraie  loi  de  cette  apparence;  et, 
en  la  comparant  à  la  loi  empirique,  nous  saurons  la  valeur  de  celle-ci. 
Nous  n'aurons  même  aucune  peine  à  trouver  l'élément  théorique  de 

'  Voyez,  à  ce  sujet,  robservatîoii^que  j'ai  eu  tout  récemment  roccasion  de  faire 
dans  ce  journal  même,  septembre  i8â3,  p.  56o,  4)* 

*  Erratum,  Au  commencement  de  Tarlicle  précédent  (cahier  de  septembre  i843) , 
p.  5i3,  ligne  3,  en  remontant,  au  lieu  de  celle-là ,YiseL  celles-là.  La  substitution  du 
singulier  au  pluriel  intervertit  les  relations  naturdles  des  idées  et  détruit  le  sens. 

77  . 


610  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

cette  comparaison:  il  nous  est  immédiatement  fourni  par  les  tables  lu- 
naires modernes ,  qui ,  pour  chaque  instant  assigné ,  nous  présentent  le 
lieu  moyen  de  la  lune,  accompagné  de  toutes  les  inégalités  qui  s*y  asso- 
cient ;  de  sorte  qu'il  suffira  d'y  introduire ,  dans  chaque  cas  d'observa- 
tion ,  les  circonstances  spéciales  qui  la  caractérisent ,  et  la  table  vous 
donnera  aussitôt  la  forme  ainsi  que  la  grandeur  individuelle  de  chaque 
inégalité  qui  modifie  alors  le  lieu  moyen.  J'emploierai  à  cet  usage  les 
tables  lunaires  de  M.  Damoiseau,  qui  sont  entièrement  fondées  sur  la 
théorie  de  l'attraction,  et  les  plus  exactes  que  l'on  possède.  Dans  ¥^ 
prédation  des  hypothèses  anciennes,  il  nous  suffira  presque  toujours 
d'examiner  la  manière  dont  elles  expriment  la  longitude  vraie  de  la  lune, 
qui  est  l'élément  principal  de  ses  positions  apparentes  vues  de  la  terre. 
En  effet,  l'inclinaison  de  l'orbe  lunaire  sur  Técliptique  étant  très-petite, 
et  à  peu  près  constante,  on  y  peut  placer,  très-approîdmativement,  le 
rayon  vecteur  de  la  lune,  d'après  sa  longitude,  quand  on  connaît  la 
position  actuelle  des  nœuds  de  ce  plan ,  et  son  inclinaison  moyenne 
5°  9',  l'inclinaison  véritable  variant  tout  au  plus  de  1 1'  autour  de  ce 
terme  moyen.  Hipparque  et  Ptolémée  lui-même  n'aperçurent  pas  ces 
variations,  non  plus  que  les  oscillations  périodiques  des  nœuds,  parce 
qu'ils  considéraient  presque  uniquement  la  lune  dans  les  éclipses,  où 
ces  phénomènes  ne  se  manifestent  point.  Leur  existence  est  restée  pa- 
reillement inconnue  aux  Arabes ,  aux  rédacteurs  des  tables  Alphonsines, 
et  à  Copernic.  Tycho,  le  premier,  les  découvrît  ;  ce  qui  prouve  que,  an- 
térieurement à  cet  astronome  infatigable,  on  avait  observé  la  lune  hors 
des  syzygies  avec  trop  peu  de  suite,  ou  avec  trop  peu  d'exactitude,  pour 
y  constater  ces  diverses  inégalités,  à  plus  forte  raison,  d'autres  moins 
sensibles  qui  sont  mêlées  avec  elles. 

.  Nous  avons  dît  que,  en  perfectionnant  l'ancienne  période  de  6585^ -i-, 
Hipparque  était  parvenu  à  en  composer  une  plus  longue,  mais  plus 
exacte,  qui,  dans  un  intervalle  de  126007  j^^''^»  pl"^  ^^^  heure  équi- 
noxiale,  comprenait  des  révolutions  complètes  de  tous  les  élénfients 
moyens  des  mouvements  lunaires,  avec  celte  circonstance  heureuse  que, 
dans  le  même  intervalle  de  temps,  le  soleil  accomplissait  aussi  3&5 
révolutions  sidérales  complètes  à  y°  ^  pr^s.  Delà  on  conclut  par  propor- 
tion le^  durée  d'une  seule  révolution  pareille ,  égale  à  365^2 5988868. 
Telle  est  donc  l'année  sidérale  admise  par  Hipparque;  elle  ea^  un 
peu  trop  longue.  Toutefois,  en  la  comparant  à  son  année  tror 
pique  365^2/1666667,  qui  pèche  dans  le  même  sens,  la  différence 
o^^oi3i^2oi  suppose  un  mouveipent  annupl  de  précession  égal  à 
&6'\8o7,  valeur  à  la  vérités  un  peu>trop  faible,  mais  bien  préférable 


OCTOBRE  1843.  611 

aux  36",  adoptées  par  Ptolëmée^  Ce  rapprochement,  qui,  je  croîs, 
n  avait  pas  encore  été  fait ,  montre  évidemment  que  Ptolémée  a  eu  très- 
grand  tort  d'employer  une  évaluation  aussi  fautive,  et  surtout  de  la  pré- 
senter comme  celle  à  laquelle  s  était  arrêté  Hipparque;  tandis  que, 
selon  les  expressiops  de  ce  grand  astronome  qu  il  rapporte ,  et  sur  les- 
quelles il  s  appuie,  cette  précession  de  36'',  loin  d*être  la  meilleure, 
serait  exceptionnellement  la  plus  faible  que  les  observations  partielles 
eussent  indiquée.  Ce  qui  est  pire,  c'est  que  Ptolémée  prétend  avoir 
trouvé  aussi  cette  même  valeur  de  36"  par  ses  propres  observations 
comparées  à  celles  d*Hipparque  ;  car  de  là  résulte  cette  inévitable  al- 
ternative :  ou  qu'il  a  très-mal  observé  la  précession ,  ou  qu'il  ne  Ta  pas 
observée  du  tout,  comme  la  plupart  des  astronomes  modernes  Tout 
présumé. 

La  période  d'Hipparque  ramenant  le  soleil  et  la  lune  dans  des  cir- 
constances exactement  pareilles  de  positions  relatives,  ainsi  que  de 
mouvement  individuel ,  si  toutes  les  éclipses  comprises  dans  ieei  34t5 
ans  qu'elle  embrasse  avaient  été  une  seule  fois  observées  et  notées, 
on  aurait  dû  les  voir  ensuite  revenir,  avec  les  mêmes  caractères  ,.'dans 
un  ordre  absolument  pareil,  pendant  plusieurs  révolutions  suivantes , 
jusqu'à  ce  que  le  progrès  du  temps  eût  développé  les  inexactitudes  du 
cycle  où  on  les  avait  renfermées.  Il  est  fort  naturel  qu'un  tel  mode  de 
prévision  se  soit  oflert  à  des  peuples  qui  tenaient  registre  de  tous  les 
phénomènes  célestes ,  comme  les  Chaldéens^  les  Égyptiefis  et  les  Chinois; 
Ils  auraient  même  pu,  très-convenablement,  faire  servir  à  cet  usage  des 
périodes  moins  longues  que  celle  d'Hipparque  -,  et  moins  savantes,  par 
exemple  celle  de  6585^  -,  ou  environ  i8  ans  et  1 1  jouts,  en  leà  etfi- 
^oyant  comme  indications  approximatives  des  éclipses  possibles,  et 
observant  la  route  ainsi  que  la  vitesse  actuelle  de  la  lune  parmi  le^ 
étoiles,  dans  le  mois,  ou  vers  les  époques,  qu'elles  désignaient.  Car  alors 
il  était  fort  aisé  de  prévoir  si  cet  astre,  par  son  mouvement  acttiél , 
arriverait  à  la  conjonction  ou  à  l'opposition  la  plus  prochaine, «dans  lek 
conditions  nécessaires  pour  éclipser  le  soleil ,  ou  pour  être  éclipsé  'ptA 

^  D'après  la  théorie  de  Tattraction ,  la  vf aie  valeur  de  la  précessioo  annuelle ,  à 
Tépoque  d*Hipparque,  devait  être  âq",645,  moindre  de  o",a55  qu*dle  ne  Test  au- 
k)urd*hui.  Par  une  conséquence  évidente,  Tannée  tropique  d*alors  devait  èére  plus 
longue  que  Tannée  actuelle  de  ii",076,  temps  sexagésimal.  Cela  éqaivinit'à 
o^fOOOiaSa  ;  et,  comme  nous  la  trouvons  aujourd'hui  de  365^,a&aa64«.M  dorée, 
au  temps  d'Hipparque,  devait  être  365^,a4a392.  Il  Ta  évaluée  à  365^,a46667. 
Mais ,  dans  les  passages  que  Ptolémée  nous  a  rapportés  de  lui ,  il  avoue  n*avoir  pas 
trouvé  d*observations  anciennes  assez  exactes  pour  en  pouvoir  conclure  cet  élément 
afvec  une  complète  certitude. 

77- 


612  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

la  terre.  J'ai  rapporté  et  discuté ,  dans  ce  journal ,  des  documents  qui 
rendent  présumable  que  c  était  là  le  procédé  usité  un  Cliine,  dès  les 
plus  anciens  temps ,  pour  prédire  les  éclipses  de  lune  et  même  de 
soleil,  sans  aucune  théorie  astronomique.  L'idée  est  si  simple  et  si 
naturelle,  quelle  pouvait  se  présenter  chez  tous  les  peuples  qui  étaient 
attentifs  à  ces  phénomènes  ;  cela  ôte  à  leur  prévision  ce  qu  elle  aurait 
de  peu  croyable ,  si  on  la  supposait  fondée  sur  des  méthodes  scienti- 
fiques analogues  à  celles  que  nous  employons. 

Mais  toutes  les  éclipses  qui  s'opèrent  dans  un  temps  donné  ne  sont 
pas  visibles  dans  un  même  lieu  de  la  terre  :  conséquemment  les  registres 
qu  on  en  formait  ne  pouvaient  servir  que  pour  la  localité  où  ils  avaient 
été  dressés.  Si  donc  Tiialès  a  réellement  prédit  une  éclipse  de  soleil 
aux  peuples  dlonie,  comme  Hérodote  le  raconte,  et  s  il  la  fait  daprès 
quelque  période  rapportée  d'Egypte  ou  de  Babylone,  comme  on  pour- 
rait le  présumer,  l'annonce  a  dû  être  fort  chanceuse,  à  moins  quil  ne 
l'eût  assurée  par  l'obseiTation  du  cours  de  la  lune  près  de  l'époque  pré- 
sumée. Toutefois  ce  n'était  Ik  qu'un  mode  de  prévision  empirique  et  à 
coujpt  terme.  Pour  le  rendre  scientifique  et  général ,  il  fallait  assigner 
d'avance  quelle  devait  être,  à  une. époque  quelconque,  la  position  ac- 
tuelle de  l'orbe  de  la  lune ,  et  la  direction  vraie  de  son  rayon  vecteur 
dans  ce  plan  ,  afin  de  prévoir  les  conjonctions  et  les  oppositions  où  il 
se.trouverait  assez  près  de  l'un  ou  l'autre  nœud  pour  qu'il  y  eût  éclipse. 
La  première  partie  du  problème  était  facile  à  résoudre ,  puisque  l'on 
connaissait  le  mouvement  rétrograde  de  la  ligne  des  nœuds.  Car  alors 
une  seule  éclipse  exactement  observée  suffisait  pour  donner  la  position 
absolue  de  cette  ligne  sur  le  contour  de  l'écliptique ,  d'où  l'on  pouvait 
conclure  toutes  ses  positions  subséquentes  d'après  le  temps  écoulé 
depuis  l'observation ,  prise  ainsi  pour  point  de  départ  ;  et  de  mode  de 
détermination  devenait  tout  à  fait  certain,  en  le  fondant  sur  une 
moyenne  entre  plusieurs  observations  pareilles.  B  restait  donc  à  régler 
la  marche  du  rayon  vecteur  dans  l'orbite  par  quelque  loi  continue  qui 
reproduisît  ses  variations  de  mouvement  angulaire,  tantôt  plus  lent, 
tantôt  plus  rapide,  pendant  une /évolution  anomalistique ,  de  manière 
à  pouvoir  prédire  aussi  sa  position  vraie,  à  un  instant  quelconque,  en 
partant  d'une  position  déterminée  qui  aurait  été  fixée  par  une  ou 
plusieurs  éclipses.  Cette  seconde  partie  du  problème,  et  de  beaucoup 
la  plus  difficile ,  est  celle  qu'Hipparque  a  résolue ,  du  moins  dans  les 
seuls  cas  écliptiques  qu'il  considérait. 

Pour  cela,  conformément  aux  idées  de  son  temps,  il  imagina  que 
le  mouvement  angulaire  du  rayon  vecteur  devait  être,  en  réalité,  uni- 


OCTOBRE  1843, 


613 


forme  dans  le  plan  de  l'orbite ,  et  que  les  in^alités  qu'il  présente  de- 
vaient toutes  provenir  du  point  de  vue  optique  sous  lequel  l'astre 
s'aperçoit  de  la  terre.  Cela  le  conduisit  à  considérer  la  courbe  décrite 
comme  un  cercle  placé  dans  le  plan  mobile  qui  contient  la  lune ,  et 
tournant  lui-même  dans  ce  plan ,  autour  de«la  terre ,  par  un  mouve- 
ment angulaire  direct,  égal  à  celui  de  l'apogée.  La  figure  i  repré- 
sente cette  construction.  La  lettre  T  désigne  la  terre,  placée  comme 
un  point  immobile  au  centre  de  la  sphère  des  fixes,  qui, en  est  infini- 
ment distante  ;  L  désigne  la  lune ,  décrivant ,  dans  son  plan  oblique  à 
l'écliptique,  le  cercle  ALP,  dont  le  centre  C,  placé  hors  de  la  terre, 
se  meut  circulairemcnt  autour  de  cette  dernière,  sur  un  autre  cercle 
intérieur,  ayant  pour  rayon  CT.  Le  diamètre  ^CTP,  qui,  dans  chaque 
phase  de  ce  mouvement,  passe  par  la  terre ,  est  la  ligne  mobile  des  ap- 
sides, marquant  l'apogée  en  A,  le  périgée  en  P.  Cette  ligne,  fixe  sur 
l'excentrique,  tourne  lentement  avec  lui  dans  le  sens  direct,  tandis  que 
la  lune  L  se  porte  successivement  de  A  vers  P,  puis  de  P  vers  A,  en 
parcourant  sa  période  mensuelle  d'anomalie  ^, 

Pour  adapter  cette  hypothèse  aux  réalités,  il  faut  donner  aux  divers 
mouvements  qu'elle  suppose  les  vitesses  absolues  et  relatives  que  l'ob- 
servation leur  assigne.  Le  plan  où  ils  s'opèrent  est  incliné  sur  celui  de 
l'écliptique  d'environ  5®.  Mais  on  peut  transporter  les  mômes  lois  hy- 
pothétiques à  leurs  projections,  c'est-à-dire  aux  mouvements  de  longi- 
tude, considérés  sur  l'écliptique  même;  alors  leurs  vitesses  se  déduisent 
des  périodes  révolutives  dans  lesquelles  Hipparque  avait  trouvé  que 
chacun  de  ces  mouvements  s'accomplissait.  En  voici  les  évaluations 
d'après  lui,  avec  les  légères  rectifications  de  calcul  que  Ptolémée  y  a 
faites.  Ainsi  corrigées  elles  ne  diffèrent  presque  de  celles  d'aujourd'hui 
que  par  les  changements  qu'y  ont  apportés  les  inégalités  séculaires. 


Révolution  tropique  M 

anomaiisti({ue  M 

de  Tapogée  A. . . . 

— —  synodiqoe  M*. . . , 


DURÉES  DES  PÉRIODES 

n  joim  ■oms 

•t  fimetioiu  d«  jo«r«« 


M=:  27^321582 
M'==  27 ,554552 
A  =3231  ,616554 
}/['=     29 ,530504 


VITESSES  DIURNES 

n  sBotés 
•t  frMtÛMU  d«  degr^ 


m: 

m. 

a  \ 
m 


13M7640 

13,06500 

0,11140 

12,19073 


^  Dans  la  fig.  i  et  dans  les  suivantes ,  on  a  été  obligé  d'exagérer  le  mouvement 
angulaire  de  1  apogée  comparativement  au  mouvement  tropique,  pour  qoe  les  di- 


614         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Lia  vitesse  diurne  propre  à  chaque  mouvement  s^obtient  en  divisant 
les  360**  de  ia  circonférence  entière  par  le  nombre  de  jours  contenu 
dans  ia  durée  de  ia  révolution  qui  y  correspond.  Comme  conséquence 
nécessaire  des  rapports  que  ces  périodes  ont  entre  elles,  le  mouvement 
diurne  a  de  Tapogée  est  égal  à  Texcès  de  ia  vitesse  diurne  tropique  sm* 
Tanomalistique.  De  là  on  peut  déduire  Tare  total,  décrit  en  vertu  de 
chaque  mouvement,  pendant  un  intervalle  de  temps  quelconque,  en 
multipUant  les  vitesses  diurnes  par  la  durée  de  cet  intervalle  exprimée 
en  jom*s.  AGn  que  ce  produit  soit  toujours  exact,  les  astronomes  sont 
dans  1  usage  d'exprimer  les  mouvements  pour  un  siècle  de  3  65a  5  jours , 
non  pour  un  jour  seul;  mais  les  vitesses  diurnes  conviendront  mieux 
pour  montrer  le  jeu  de  la  construction  grecque  dont  elles  rendront 
leffet  plus  évident. 

Pouvant  fixer  à  volonté  l'instant  physique  à  partir  duqud  nous  com- 
mençons à  compter  les  mouvements ,  et  que  Ton  appelle  l'époque  des 
tables  astronomùfues ,  choisissons -le  tel  que.  la  ligne  AP  des  apsides  ait 
coïncidé  alors  avec  le  rayon  visuel  TY  mené  de  la  terre  au  point  infini- 
ment distant  de  la  sphère  des  fixes,  oii  se  trouvait  Téquinoxe  vernal  T, 
commencement  du  signe  mobile  Ariès;  et  supposons  ,  en  outre,  qu*À  ce 
même  instant  la  lune  ait  été  aussi  en  Ao  à  son  apogée.  Cette  combinai- 
son de  circonstances  primordiales  est  toujours  admissible ,  puisqu-'elle 
se  reproduit  périodiquement  à  des  époques  que  l'on  peut  assigner  par 
observation  ou  par  computation  numérique.  Après  un  certain  nombre 
de  jours,  que  je  déa%nerai  généralement  par  la  lettre  t,  la  ligné  des  ap^ 
sides  AP  a  pris  une  nouvelle  direction,  et  le  centre  de  l'excentrique  a 
quitté  sa  position  primitive  C,  pour  se  porter  en  C  sur  un  autre  point 
du  cercle  qu'il  parcourt.  Pendant  ce  même  temps,  la  lune,  qui  marche 
plus  vite. que  l'apogée ,  l'a  devancé  et  est  venue  en  L.  Or  nous  pouvons 
assigner  l'amplitude  angulaire  de  ces  deux  mouvements,  dans  l'hypo- 
thèse que  nous  considérons.  En  effet,  les  périodes  que  renferme  notre 
tableau,  et  les  vitesses  diurnes  que  nous  en  avons  déduites,  étant  toutes 
«comptées  à  partir  du  point  équinoxial  mobile  T,  nous  avons  réellement 
transporté,  à  f apogée  et  à  la  lune  le  mouvement  rétrograde  de  ce 
point ,  de  sorte  que  nous  devons  le  considérer  comme  fixe  quand  hout 
•employons  ces  éléments.  Ceci  reconnu,  par  la  nouvelle  position  C  dû 
.centre  de  l'excentrique  menons  ime  droite  C'Y'  dirigée  au  point  équi- 

-verses  ligii6«-qii*fl  fdiéîiy  «Mwer4e^dislmgii«00ent  etiffieemmeiit  les  unes  des  entres; 
mais  les  vraies  grandeurs  relatives  des  an^es  sont  indiquées  par  les  quantités  mt, 
m'4,  qu'on*  y ^«  iikseriies,x  et  â  faut  totyours*  i^s  vConoearoir  ré^os  par  les  valeurs 
de  C9B  quantités  pouTiJ^niia^tenips i. 


.       OCTOBRE  1843.  615 

noxial  V  ;  nous  pourrons  la  supposer  parallèle  à  la  primitive  C V  ;  car  les 
dimensions  du  cercle  CC'T,  et  de  rexcentriquemêmfe,  sont  insensibles, 
comparativement  à  la  distance  des  fixes ,  où  le  poinlT  est  censé  exister. 
Ainsi  Tan^e  V'C'A  égal  à  YTA  sera  le  mouvement  angulaire*  tropejne 
de  la  ligne  des  apsides  pendant  le  temps  t  ;  Tangle  V'C'L  sera  le  mou- 
vement tropique  de  la  lune  pendant  le  même  temps  ;  et  leur  différence 
AC'L  sera  le  mouvement  anomalistique ,  exéès  du  premier  sur  le  se- 
cond. Nous  pourrons  donc  assigner  les  valeurs  de  tous  ces  angles  pour 
Tintervalle  de  temps  assigné,  puisque  notre  tableau  nous  les  donne  pour 
un  jour,  et  que  Wiypo thèse  considérée  suppose  leur  accroissement  uni- 
forme. Conséquemment,  nous  poun'ons  mettre  l'excentrique  dans  sa 
position  nouveUe ,  tracer  la  direction  actuelle  de  la  ligne  des  apsides  AP 
•  sur  sa  surface,  et  placer  la  lune  en  L  sur  son  contour,  dans  le  vrai  lieu 
où  elle  s  est  transportée. 

Néanmoins,  tout  n'est  pas  fait  encore.  L'observateur  terrestre  iie  Voit 
pas  la  lune  du  point  central  C,  mais  du  point  excentrique  T,  et  îi  la. 
projette  sur  le  ciel  suivant  la  direction  TLL',  différente  de  CL.  Ce  qui 
lui  importe,  c'est  de  pouvoir  prédire,  pour  l'instant  donné  ,  la  direction 
du  rayon  visuel  TL,  conséquemment  l'angle  LTV  que  ce  rayon  fortne 
avec  la  ligne  équinoxiale  TV,  et  que  l'on  nomme  la  longitade  vraie  de  la 
lune,  quoiquon  dût  plutôt  l'app^er  sa  longitade  apparente ^  dans  i'hypiEV 
tbèse  que  nous  considérons» 

Heureusement  cette  réduction  de  perspective  est  très-facîi\e.  En  effet, 
par  la  terre  T  menez  une  droite  TL'',  parallèle  à  CL  :  l'angle  fc"TV  égaf 
à  LC'V  sera  la  longitade  moyenne  delà  lune,  c'est-à-dire  Tare  de  longitude 
qu'elle  aura  décrit  pendant  le  temps  donné,  en  vertu  de  son  moyen 
mouvement  tropique ,  si  elle  n'avait  pas  d'inégalité.  On  peut  donc  le 
calculer  comme  tout  à  l'heure ,  puisque  la  vitesse  de  ce  m<)uvement  «st 
connue.  Pour  avoir  la  direction  du  rayon  visuel  TL,  il  faudrait  retran^ 
cher  de  cet  angle  total  l'angle  L"TL',  ou  son  ^1  TLC.  Or  celui^ 
s  obtient  aisément  dans  le  triangle  C'LT,  lorsque  l'on  se  donne  le  rayon 
CL  de  l'excentrique,  et  l'excentricité  C'T,  ou  seulement  leur  rapport, 
puisque  l'angle  LCT  compris  entre  eux  est  le  supplément  à  i8o*  de 
Yanomalie  moyenne  actaelle  LC'A,  laquelle  peut  se  calculer,  pour  l'instant 
que  l'on  considère ,  d'après  la  vitesse  du  mouvement  aiiomalistique ,  qui 
est  connue.  Ay  ant  ainsi  l'angle  C'LT ,  conséquemment  son  «égal .  LTL" , 
on  retranchera  celui^î  de  la  longitude  moyenne  calculée  VTL",  et  le 
reste  LTV  sera  la  longitade  vraie  de  la  kme  pour  l'instant  désigné.  Cet 
angle  C'LT  s'appelle  Yétjnatiùnia  centre,  comme  égalant  lé: lien  moyen 
calculable  au  lieu  vrai  cherché;  scrit'  pai** soustraction  comme  dam-  le- 


616         JOURNAL  DES  SAVANTS^ 

cas  représenté  .sur  la  figure ,  soit  par  addition  quand  la  lune  se  trouve 
"^de  l'autre  côté  de  la-  ligne  des  apsides  AP,  ainsi  que  cela  résulte  de  la 
construction  même.  Le  triangle  C'LT,  duquel  on  déduit  cette  correc- 
tion, donne  aussi  la  longueur  du  côté  TL ,  distance  actuelle  de  la  terre 
à  la  lune ,  qu  il  faut  comparer  aux  diamètres  apparents  mesurés  en  di- 
vers points  de  la  révolution  mensuelle  pour  constater  la  réalité  phy- 
sique de  l'hypotïièse  employée;  mais  la  délicatesse  de  cette  épreuve  la 
rendait  impraticable  aux  Grecs.  Ils  ont  pu  vérifier  les  dii^ections  qu  ils 
assignaient  aux  rayons  visuels ,  non  leurs  longueurs. 

J'ai  exposé  avec  quelque  détail  cette  construction  d'Hipparque. 
parce  que  toutes  celles  qu'on  lui  a  postérieurement  substituées ,  jusqu'à 
la  découverte  des  mouvements  elliptiques ,  n'en  sont  que  des  équiva- 
lents modifiés  pour  avoir  égard  à  des  circonstances  additionnelles;  de 
sorte  qu'ayant  bien  saisi  cette  première,  on  comprendra  toutes  les 
autres  sur  leur  simple  énoncé  par  l'inspection  des  figures  qui  les  re- 
présentent. 

Pour  en  donner  la  preuve,  je  vais  tout  de  suite  rapporter  ici  l'hypo- 
thèse que  Ptolémée  a  substituée  à  celle  d'Hipparque.  Il  le  faut  bien , 
d'ailleurs,  puisqu'il  ne  nous  a  transmis  que  ses  propres  calculs,  même 
lorsqu'il  emploie  les  observations  et  les  méthodes  de  son  prédécesseur. 
La  construction  est  représentée  dans  la  fig.  2 . 

La  lettre  T  désigne  la  terre;  CC  est  im  cercle  décrit  autoiu:  d'elle ,  et 
que  Ton  appelle  par  cette  raison  Ihomoceniriqae.  Mais  on  l'appelle  aussi 
déférent,  p^rce  qu'il  porte  un  cercle  plus  petit,  dont  le  centre  C  ou  C 
se  meut  sur  sa  circonférence.  Ce  second  cercle  a  reçu,  en  conséquence, 
des  Grecs,  le  nom  à'épicycle;  les  Arabes  Vxyat  appelé  le  cercle  de  circon- 
volution. Il  doit,  comme  le  premier,  se  concevoir  décrit  dans  le  plan 
mobile  de  l'orbe  lunaire.  Mais,  au  lieu  de  considérer  les  mouvements 
qui  s'opèrent  dans  ce  plan  oblique  à  l'écliptique,  on  peut,  comme  pour 
rbypothèse  d'Hipparque ,  transporter  les  mêmes  conditions  empiriques 
d'uniformité  à  leurs  projections  sur  l'écliptique  même.  C'est  ce  que 
fait  Ptolémée,  en  se  fondant  sur  la  petitesse  de  l'obliquité,  qui,  n'étant 
que  de  5"*,  rend  les  arcs  parcourus  dans  le  plan  oblique  sensiblement 
^aux  à  leurs  projections.  La  différence  peut  cependant  s'élever,  dans 
certains  cas,  à  près  de  sept  minutes  de  degré,  qu'apparemment  il  né- 
glige. En  rigueur,  si  les  mouvements  pix)jetés  sont  imiformes,  ceux  de 
l'astre  qui  leur  correspondent  dans  le  plan  oblique  sont  variables,  ce 
qui  détruit  le  principe  d'inaltérabilité  qu'on  leur  attribuait. 

Dans  l'application,,  le  rayon  visuel  TCAq,  TC'A,  mené  de  la  terre 
aii  centre  de  répicycle,  marque^  sur  le  ciel,  le  liea  moyen  de  la  lune, 


OCTOBRE  1843.  617 

celui  où  on  la  trouverait  à  chaque  instant,  si  elle  n'avait  pas  d'anomalie. 
Gons6({uemment  ce  rayon  tourne  autour  du  centre  T,  avec  la  vitesse 
moyenne  tropique ,  suivant  le  sens  de  mouvement  direct  indiqué  par 
la  flèche  apphquée  au  contour  du  cercle  excentrique  CC.  L'épicycle 
est  emporté  angulairement  par  ce  même  rayon  auquel  il  est  fixé  in- 
variablement, de  manière  que  son  même  diamètre  physique  AP  est 
constamment  dirigé  vers  T  dans  toutes  ses  positions  successives.  Les 
oscillations  du  lieu  vrai  autour  du  lieu  moyen  s'opèrent  par  un  second 
mouvement  de  circulation ,  imprimé  à  la  lune  sur  le  contour  de  l'épi- 
cycle  qu'elle  ne  quitte  point,  et  qu'elle  décrit  dans  un  mois  anomalis- 
tique,  y  devenant  une  fois  apogée  en  A,  périgée  en  P,  à  chacune  de 
ces  révolutions.  Pour  raccorder  cette  seconde  condition  avec  la  précé- 
dente ,  choisissons ,  comme  origine  des  deux  mouvements ,  un  instant 
tel  que  le  rayon  TCA  se  soit  trouvé  alors  dirigé  au  point  équinoxial  Y 
sur  la  sphère  des  fixes,  la  lune  étant  apogée  en  Aq.  A  mesure  que  le  rayon 
déférent  TCAo  s'éloigne  de  cette  position  primordiale  avec  sa  vitesse 
tropique  directe  ^  la  lune  quitte  l'apogée  A  et  marche  sur  l'épicycle  avec 
sa  vitesse  anomalistique ,  dans  le  sens  rétrograde,  indiqué  par  la  flèche 
qu'on  y  a  figurée.  Ainsi,  après  un  temps  quelconque  t,  le  rayon  TCAq 
ayant  pris  la  direction  TCA,  la  lune  a  pris,  sur  l'épicycle,  la  direc- 
tion CL ,  telle  que  l'angle  ACL  soit  le  mouvement  angulaire  d'ano- 
malie correspondant  au  mouvement  angulaire  tropique  CTC.  Alors 
l'observateur  terrestre  voit  la  lune  suivant  la  direction  TL.  L'angle 
YTL  est  la  bngitade  vraie  ou  apparente ,  que  l'on  veut  obtenir  ;  l'angle 
YTC  est  la  longitude  moyenne  correspondante,  que  l'on  peut  calculer 
d'après  le  temps  écoulé  depuis  l'époque  primordiale;  enfin  l'angle  CTL 
est  Véqaationda  centre  qui,  retranchée  de  la  longitude  moyenne  dans  la 
première  moitié  de  la  révolution  anomalistique,  et  ajoutée  dans  l'autre, 
donne  longitude  vraie  YTL.  Cette  équation  s'obtient  en  résolvant  le 
triangle  LGT,  dans  lequel  on  connaît,  ou  l'on  est  censé  connaître,  le 
côté  CT  rayon  de  l'homocentrique ,  le  coté  CL  rayon  de  l'épicycle,  et 
Tangle  compris  LCT  supplément  de  l'anomalie  moyenne  ACL,  la- 
quelle peut  se  calculer,  comme  la  longitude  moyenne ,  d'après  le  temps 
écoulé  depuis  l'origine  des  mouvements. 

Cette  hypothèse,  traduite  en  formule,  est  identiquement  équiva- 
lente à  celle  d'Hipparque.  Mais  on  peut  déjà  le  voir  sans  calcul  en  je- 
tant les  yeux  sur  la  figure  3 ,  où  elle  est  reproduite  sur  les  mêmes  dimen- 
sions que  la  figure  i ,  et  pour  le  même  temps  écoulé  depuis  l'époque 
primordiale.  Car  les  lignes  déterminatrices  de  la  première  hypothèse  y 
étant  reportées  en  ponctuation ,  et  marquées  de  petites  lettres  jpour 

"  78 


t 


618  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qu'on  puisse  les  distinguer,  elles  se  trouvent  toutes  géométriquement 
parallèles  aux  lignes  déterminatrices  de  la  seconde,  et  reproduisent  par 
leur  assemblage  le  même  rayon  visuel  TL.  Le  cercle  excentrique  d'Hîp- 
parque  devient  Thomocefl trique  de  Ptolémée,  et  le  cercle  intérieur  qui 
portait  Texcentrique  dévient  Tépicycle  maintenant  porté.  Le  résultat 
optique  est  le  même ,  si  les  mouvements  angulaires  sont  pareils  et  les 
rayons  analogues  égaux. 

Miais ,  sous  le  rapport  physique ,  les  deux  hypothèses  sont  bien  diffé- 
rentes. Remplacez  le  cercle  excentrique  mobile  d'Hipparque  par  uwe 
ellipse,  ayant  la  terre  pour  un  de  ses  foyers ,  et  son  grand  axe  mû  de 
même,  vous  avez  l'es  phénomènes  réels;  au  lieu  que  Ptolémée  détruit 
toute  réalité ,  par  le  mouvement  rétrograde  qu'il  donne  à  la  lune  sur 
son  épicycle.  H  a  préféré  ce  mode  de  construction  comme  plus  générai", 
parce  qu'en  y  ajoutant  de  nouveaux  rouages  il  le  trouvait  propre  à  ex- 
primer, outre  l'inégalité  JHipparque,  une  autre  qui  se  joint  à  elle,  hors 
des  syzygies,  et  qu'il  avait  découverte.  En  efiFet,  il  n'y  a  pas  de  mouve- 
ment révolutîf,  quelque  complexe  qu'il  soit,  s'il  est  composé  de  parties 
individuellement  périodiques,  que  Ton  ne  puisse  imiter,  angulairement, 
avec  un  assemblage  sufBsant  d'excentriques  et  d'épicy des  portés  les  uns 
sur  les  autres.  C'est  aussi  ce  que  les  astronomes  postérieurs  ont  fidt,  en 
suivant  Ptolémée ,  à  mesure  qu'ils  découvraient  des  inégalités  nouvelles^; 
mais  plus  on  compliq[ue  cet  échafaudage,  plus  on  s'éloigne  dés  réalités. 
La  fixité  des  fausses  notions  ainsi  transmises  a  retardé  de  quinze  siècles 
la  découverte  des  vrais  mouvements  dont  Hîpparque  était  tout  près. 

Pour  appUq[uer  l'une  et  l'autre  hypothèse ,  il  feut  établir  enti'e  les 
rayons  des  deux  cercles  un  rapport  qui  la  fasse  concorder  numérique- 
ment avec  les'  observations.  Ptolémée  résout  ce  problème  par  une  mé- 
thode qu'il  dit  lui-même  avoir  empruntée  d*Hipparque ,  et  qui  a  con- 
servé le  nom  dé  ce  grand  inventeur.  Comme  elle  est  une  des  plus  belles 
conceptions  scientifiques  du  génie  grec ,  je  dirai  en  quoi  elle  cottststéi 

Hîpparque  prend  trois  éclipses  de  lune  observées  à  Babylone  sous 'le 
règne  de  Màrdocempal',  dans  les  années  719  et  7^0  avant  notre  ère. 
n  les  choisit  aussi  rapprochées  entre  elles ,  pour  que  les  moyens  mouve- 
ments tropiques  et  anomalistiques  déduits  des  périodes  puissent  être 
employés ,  comme  tout  à  fait  exacts ,  dans  le  court  intervalle  de  temps 
qui  les  sépare.  La  date  de  chaque  éclipse,  dans  l'année  courante,  lui 
donne  la  direction  qu'avait  alors  le  rayon  vecteur  du  soleil  sur  TëcKp^ 
tique,  par  conséquent,  celle  du  rayon  vecteur  de  la  lune  qui  lui  était 
opposé.  Il  connaît  ainsi  lès  trois  longitudes  successives  de  ce  dernier 
rayon  ;  il  connaît  encore,  par  ces  mêmes  dates,  lès  nombres  de  jours  et 


OCTOBRE  1843.  619 

d'heures  que  la  lune  a  employés  pour  passer  de  la  première  longitude 
à  la  seconde,  de  celle-ci  à  la  troisième.  Les  vitesses  de  ses  mouve- 
ments ,  conclues  des  périodes  révolutives*,  lui  donnent  les  arcs  qu  elle  a 
décrits  dans  ces  deux  intervalles ,  tant  en  longitude  autour  du  point 
équinoxial  qu  en  anomalie  autour  de  son  apogée.  Ce  qui  lui  manque , 
c  est  d'abord  la  position  absolue  de  cet  apogée  dans  la  première  éclipse; 
puis  lanomalie  absolue  qu'avait  la  lune  au  moment  de  ce  phénomène, 
ou,  comme  donnée  équivalente,  le  temps  absolu  écoulé  depuis  son 
précédent  passage  par  Tapogée;  puis,  enfin,  le  rappoit  du  rayon  de 
Texcentrique  à  Texcentricité ,  qui  convient  pour  que  les  mouvements 
observés  se  soient  continués  dans  une  même  orbite.  Ayant  ainsi  trois 
conditions  à  remplir,  et  trois  éléments  inconnus  dont  il  peut  disposer 
pour  y  satisfaire ,  il  parvient  à  découvrir  les  valeurs  qu'ils  ont  dû  avoir 
pour  produire  de  tels  effets.  Si  l'on  veut  comprendre  toute  la  force  de 
combinaison  géométrique  qu'a  exigée  alors  la  solution  de  ce  problème, 
on  n'a  qu'à  regarder  l'effroyable  complication  de  formules  trigonomé- 
triques,  de  proportions,  de  constructions,  que  Delambre  a  rassemblées 
dans  son  histoire  de  l'astronomie  ancienne,  pour  le  résoudre,  à  ce 
qu'il  dit  plus  généralement ,  par  les  méthodes  modernes.  Mais  il  leur 
fait  tort;  car,  à  son  ordinaire,  il  n'y  emploie  que  ce  mélange  bâtard  de 
géométrie  et  d'analyse  qui  n'a  ni  l'él^ante  évidence  de  l'une,  ni  la 
pénétrante  simplicité  de  l'autre.  Le  problème  d'Hipparque,  énoncé 
comme  je  viens  de  le  faire,  peut  se  traduire  immédiatement  en  ana- 
lyse et  se  résoudre  directement,  presque  sans  figures,  par  des  formules 
si  simples,  si  analogiques,  qu'on  n'a,  pour  ainsi  dire,  qu'à  les  écrire  à  la 
suite  les  unes  des  autres  sans  aucune  peine,  comme  expressions  des 
trois  conditions  imposées;  après  quoi  les  règles  ordinaires  du  calcul  al- 
gébrique en  dégagent  les  trois  inconnues  presque  sans  réflexion  ;  mais 
je  n'ose  insérer  ici  cette  forme  de  solution,  même  dans  une  note ,  crai- 
gnant qu'elle  n'intéresse  un  trop  petit  nombre  de  lecteurs. 

Après  avoir  reproduit  le  calcul  d'Hipparque  avec  quelques  rectifica- 
tions de  détail,  Ptolémée  applique  la  même  méthode  à  trois  autres 
éclipses  observées  par  lui-même  sous  Adrien.  Il  en  conclut  une  nouvelle 
position  absolue  de  l'apogée  lunaire,  qui,  étant  comparée  à  celle  qu'il 
avait  déduite  des  éclipses  de  Mardocempal ,  kd  donne  le  déplacement 
absolu  de  ce  point,  et,  par  suite,  la  vitesse  de  son  mouvement  avec 
plus  de  précision  que  par  les  périodes.  B  trouve  ainsi  une  petite  cor- 
rection à  faire  aux  mouvements  tropiques  et  anomalistiques  adoptés  par 
Hipparque.  Il  obtient  pour  le  rapport  du  rayon  de  l'épicycle  au  rayon 
de  l'homocentrique  la  fraction  -^  ;  d'où  résulte ,  dans  les  deux  hypo- 

78. 


620  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

thèses,  une  plus  grande  équation  du  centre  égale  S""  i'  1 1"  y  dont  il 
négUge  toute  la  partie  correspondante  aux  secondes  de  degi'é.  Ayant 
ainsi  tous  les  mouvements  moyens  bien  rectifiés,  avec  le  lieu  de  Tapo- 
gée  exactement  connu,  il  construit  des  tables  numériques  qui  donnent 
le  lieu  moyen  de  la  lune,  et  la  position  de  son  apogée  pour  un  temps 
quelconque ,  compté  depuis  la  première  année  de  Nabonassar.  Enfin , 
connaissant  la  plus  grande  équation  du  centre ,  il  construit  une  autre 
table  où  il  donne  les  valeurs  numériques  de  l'équation  éventuelle  qui 
répond  aux  degrés  successifs  de  l'anomalie  moyenne;  et,  comme  celle-ci 
peut  être  calculée  pour  chaque  instant  donné,  d'après  la  vitesse  de 
mouvement  qui  lui  est  propre,  on  voit  que  l'ensemble  de  ces  tables 
détermine ,  pour  le  même  instant,  le  lieu  vrai  de  la  lune ,  en  supposant 
que  l'inégalité  reconnue  par  Hipparque  est  la  seule  qui  l'affecte.  J'éta- 
blis en  note,  à  la  suite  du  présent  article,  deux  courtes  formules  qui 
montrent  l'identité  des  résultats  optiques  obtenus  ainsi  par  l'excentrique 
ou  par  l'épicycle.  On  en  peut  déduire  tous  les  nombres  consignés  par 
Ptoïéméc  dans  sa  table  d'anomalie  que  je  viens  de  mentionner. 

Maintenant  jusqu'à  quel  point  de  précision  ces  hypothèses  repré- 
sentent-elles les  phénomènes  véritables  ?  Hipparque  ne  considérait  que 
des  éclipses  de  lune,  dans  lesquelles,  par  conséquent,  cet  astre  était 
toujours  opposé  au  soleil  en  longitude.  Les  calculs  de  Ptolémée  ne 
s'appliquent,  pour  le  moment,  qu'à  ce  même  genre  d'observation.  Pre- 
nez donc,  dans  nos  tables  lunaires,  l'expression- de  la  longitude  vraie 
en  fonction  de  la  longitude  moyenne,  pour  ce  cas-là;  tirez  la  même  ex- 
pression de  fhypothèse  grecque,  puis  comparez  les  formes  et  les  valeurs 
numériques  des  deux  résultats:  vous  verrez  qu'ils  s'accordent  remarqua- 
blement bien  dans  leur  premier  terme.  La  différence  n'est  que  de  3"pour 
une  quantité  totale  de  5*".  Mais,  dès  le  terme  suivant,  l'écart  s'élève  à 
plus  de  1 1  ',  ce  qui  serait  pour  nous  une  erreur  énorme,  et  n'était  pour 
les  Grecs  quune  incertitude  d'observation  négligeable.  Les  distances 
relatives  de  laslre  à  la  terre  sont  encore  plus  inexactes.  D'après  les 
nombres  que  j'ai  rapportés  tout  à  l'heure,  si  l'on  désigne  le  rayon 
de  rhomocentrique  par  8o,  la  distance  apogée  sera  80H-7,  ^^  ^^' 
tance  périgée  80 — 7,  ce  qui  donne  pour  leur  rapport  ~;  tandis  qu'il 
est  seulement  ^  par  la  théorie,  dans  les  cas  d'opposition,  ici  considérés. 
Ces  erreurs  viennent  de  ce  que,  dans  ce  cas  même,  le  plus  simple  de 
tous,  l'orbite  de  la  lune  n'est  en  réalité  ni  un  cercle  ni  une  ellipse 
exacte;  et  il  était  comme  impossible  de  découvrir  sa  véritable  forme 
par  le  seul  empirisme  des  observations,  surtout  d'observations  aussi 
peu  précises. 


OCTOBRE  1843.  621 

Après  avoir  corrigé,  autant  qu'il  le  pouvait,  Tinëgalité  des  mouve- 
ments de  la  lune  dans  les  syzygies,  Hipparque  construisit  un  instrument 
k  limbes  divisés,  portant  deux  alidades  mobiles  munies  de  pinnules ,  pour 
observer  la  distance  angulaire  de  la  lune  au  soleil,  hors  des  conditions 
écliptiques,   afin  de  voir  si  la  même  équation  appliquée  aux  lieux 
moyens  donnerait  encore  les  lieux  vrais ,  dans  ces  circonstances  plus  gé- 
nérales. Il  trouva  qu'elle  ne  les  reproduisait  pas.  Ceci  est  attesté  par 
Ptolémée  lui-même;  et  il  mentionne  des  observations  faites  ainsi,  tant 
par  lui  que  par  Hipparque,  principalement  dans  les  quadratures,  où 
rinsuffisance  de  la  première  hypothèse  est  le  plus  manifeste.  Cela  tient 
à  ce  que  la  forme  de  Torbite  est  autre  dans  ces  circonstances  que  dans 
les  syzygies.  Mais  fidée  d'une  telle  altération  contrastait  trop  avec  le 
préjugé  de  rimmutabilité  des  orbites,  pour  qu Hipparque  pût  l'ad- 
mettre ou  seulement  la  concevoir  ;  il  se  borna  donc  à  signaler  la  dis- 
cordance sans  assigner  sa  loi.  L'esprit  systématique  de  Ptolémée  lui 
rendait  les  réalités  moins  exigeantes.  Représenter  numériquement  les 
apparences  lui  suffisait.  Il  reconnut  d'abord,  ou  crut  reconnaître,  que, 
dans  les  quadratures,  comme  dans  les  syzygies,  aucune  inégalité  n'exis- 
tait quand  la  lune  était  apogée  ou  périgée.  Mais ,  à  ces  deux  aspects  dif- 
férents du  soleil,  quand  la  lune  se  trouvait  hors  des  apsides  de  l'épi-, 
cycle,  il  se  manifestait  une  inégalité  de  grandeur  différente,  augmentant 
de  même  avec  l'anomalie,  jusqu'à  un  certain  maximum,   qui,  étant 
seulement  de  5°  i'  dans  les  syzygies,  comme  nous  l'avons  vu,  s'élevait 
à  7**  /io'  dans  les  quadratures.  Il  entreprit  de  lier  ces  deux  inégalités  par 
une  même  hypothèse  géométrique,  qui  les  reproduisît  isolément  dans 
les  circonstances  spéciales  où  chacune  se  montre,  sauf  à  examiner  en- 
suite si  les  positions  intermédiaires  entre  les  syzygies  et  les  quadratures 
seraient  suffisamment  représentées  par  la  même  loi,  sans  nouvelle  cor- 
rection. Comme  il  supposait  toutes  ces  variations  purement  optiques, 
il  lui  suffisait  pour  cela   d'imaginer  quelque  artifice  qui  rapprochât 
son  épicycle  de  la  terre  dans  les  quadratures ,  pour  avoir  alors  une 
équation  plus  grande ,  et  qui  le  laissât  à  sa  distance  précédente  dans 
les  syzygies,  pour  y  produire  la  même  équation  que  précédemment.  Il 
réalisa  ces  alternatives,  en  faisant  de  son  cercle  homocentrique  un 
excentrique,  assujetti  à  exécuter  deux  révolutions  autour  de  la  terre 
pendant  la  durée  de  chaque  lunaison  ;  de  manière  que  l'épicycle  porté 
sur  sa  circonférence  fût  amené  deux  fois,  dans  cet  intervalle,  à  sa 
moindre  distance  pour  chaque  quadrature,  et  deux  fois  à  la  plus  grande 
pour  chaque  syzygie.  Le  détail  de  cette  construction  est  représenté  dan* 
la  figure  à. 


«S2  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Les  pirconstaxices  primordiales  sont  les  mêmes  que  dans  ia  fig.  2  , 
s0i4fW|snAi9  centre  du  cercle  déférent  ne  coïncide  plus  avec  la  terre  ;  i^ 
e^t  placé  en  c,  à  ime  distance  iae,  sur  la  ligne  équinoûale  TT.  La  lune 
e^  d'abord  en  Aq,  à  Tapogée  de  son  épicycle ,  comme  précédemment,  et 
le  soleil  est  aus^i  dans  le  prolongement  de  ia  même  ligne ,  en  conjonction 
avec  elle.  C'est  le  lieu  et  Tinstant  où  elle  se  trouve  k  la  plus  grande  de 
toutes  ses  distances  à  la  terre.  A  partir  de  ce  moment,  le  rayon  vecteur 
central  TC,  qui  porte  Tépicycle,  se  met  à  tourner  dans  le  sens  direct,  avec 
i^on  mouvement  angulaire  tropique  propre,  comme  dans  la  première 
kypotbièse;  et,  après  un  certain  temps,  que  je  désignerai  généralement 
p^  (,  il  se  trouve  ainsi  amené  sur  la  direction  TC.  La  lune  aussi,  pen- 
dant ce  même  temps,  a  décrit,  sur  son  épicycle,  langle  AC'L  en  vertu 
de  son  mouvement  anomalistique ,  comme  elle  le  faisait  précédemment. 
Mais  la  distance  actuelle  TC  n  est  plus  la  même  que  dans  la  position 
primordiale.  Car  le  centre  du  cercle  déférent  a  quitté  le  point  c,  et  a  ré- 
trogradé en  c'  en  décrivant  un  cercle  autour  de  la  terre;  de  manière  que 
le  rayon  primitif  çC  ou  ca  a  pris  maintenant  la  direction  Tc'a',  telle  que 
Tangle  C'Ta'  est  double  du  mouvement  angulaire  synodique  correspon- 
dant au  temps  t.  Alors  le  rayon  vecteur  moyen  TC',  dont  la  direction 
actuelle  est  fixée  par  le  mouvement  tropique ,  ne  cbupe  plus  le  cercle 
excentrique  à  son  sommet  le  plus  éloigné  de  la  terre ,  comme  dans  la  po- 
aitàon  primordiale,  mais  k  une  distance  TC  moindre  queTC.  L'équation 
du  centre  LTC  est  donc  agrandie  par  ce  rapprochement,  pour  un  même 
degré  d'anomalie  ;  et  elle  atteint  la  plus  grande  phase  de  ses  valeurs,  quand 
le  centre  de  l'épicycle  arrive  ainsi  à  sa  plus  petite  distance  de  la  terre.  Cet 
effet  se  produit ,  pour  la  première  fois ,  lors  de  la  quadrature  qui  succède 
à  la  syzygie  primordiale  ;  c'est-à-dire  lorsque  le  temps  t  est  devenu  égal 
à  un  quart  de  mois  synodique.  Car  alors  la  distance  angulaire  de  la  lune 
au  soleil  étant  90**,  l'angle  CTa\  qui  en  est  le  double  par  la  condition 
de  mouvement  établie,  doit  devenir  égal  à  1 80"*.  Le  centre  de  l'épicycle 
et  le  sommet  du  cercle  déféi^nt  se  sont  ainsi  respectivement  portés  eu 
C"  et  a"  aux  extrémités  opposées  d'un  même  diamètre  de  ce  dernier 
cercle,  dont  le  centre  c"  est  du  même  côté  de  la  terre  que  son  sommet 
a".  La  distance  TC'  est  donc  alors  la  moindre  de  toutes  celles  que  la 
marche  relative  des  deux  cercles  puisse  produire;  et  l'équation  du  centre 
L^TC"  atteint,  par  conséquent,  le  maximum  de  ses  phases  pour  une  va-  , 
leur  égale  de  l'anomalie.  La  même  loi  de  circulation  indéfiniment  con- 
tinuée ramène  périodiquement  la  même  alternative  de  distances  ex- 
trêmes danà  toutes  les  syzygies  et  toutes  les  quadratures  qui  se  succèdent. 
Mais  les  mouvements  tropique  et  anomalistique  ayant  d'autres  vitesses 


OCTOBRE  1843.  653 

et  d'autres  périodes  que  le  double  mouvement  syiibdiqne  du  cercle  dé- 
férent ,  il  en  résulte  qu'aux  instants  où  le  centre  de  l'épicycle  e^t  suc- 
cessivement râittené  à  ses  distances  extrêmes,  la'  hme  occupe,  sûr  soii 
contour,  dès  places  progressivement  diverses  ;  cotitime  aussi  Tépicyclfe 
se  projette  successivement  vers  des  paiiSes  différentes'  dti  ciel; 

Ces  variations  mensuelles  de  la  plus  grande  équation  du  centré  ^  £[tt^ 
Ptolémée  cherche  ici  à  représenter,  sont  une  des^  conséquences  de  la 
grande  inégalité  que  les  modernes  ont  appelée  Vévectibn.  Considérée 
dans  son  principe  mécanique ,  comme  le  disait  Néwtôfa ,  cette  ihégalifeé 
est  produite  par  l'action  perturbatrice  du  soleil,  qUi,  selon  ijù^éUe  eàt 
diversement  oblique  au  grand  axe  de  Torbe  lunaire ,  atlgmenté  ou  di- 
Uninue  son  excentricité  ittoyenne,  et,  en  mènie  t^nij^i^,  écarte  Faxe  d^ 
positions  moyennes  que  lui  assignerait  son  mouvement  ùtiifbrme  de 
progression.  Le  changement  dé  ^excentricité  modifie  Tamplitude  dé  là 
plus  grande  équation  du  centre;  le  déplacement  oscillatoire  de  Yiié 
idflué  sut  répoque  à  laqtielle  cette  équiation  se  réah'se.  La  côhshhiction 
irinaginéc  par  Ptolémée  représente ,  avec  une  approximàlïon  i^êniai*- 
quable,  Tappàrence  optique  produite,  sur  la  loil|^itude,  par  le  premieir 
de  ces  deux  phénomènes.  Car,  en  calcildant  les  valeurs  de  là  plus'gràhdé 
équation,  dans  les  syzygies,  les  quadratures  et  les  octant^,  d'après  le^ 
rapports  qu'il  assigne  sÂix  rayons  de  ié6'  céi'cles,  puis',  faisant  le  lilêmé 
calcul,  avec  nos  tables' lunaires ,  dépouiHées  des  autt^s  îiiégalîtéà  qù*îï 
ne  connaissait  pas,  je  hii  trouvé  seuleriient  des  erreurs  de  18'  dians  Ifes 
dieuic  obtants  les  plus  éloignés'  dû  sOFeîl  ;  ce  qtiî  eàt  un  hasal*d  d*autànt 
plus  heureux,  qu'il  n'avait  pas  arrangé  "son  hypothèse  pôUi*  céé  pbiiife 
de  l'orbite,  mais  seuleUient  pour  les  ^ygîes  et  \e&  qùadirtifurésf. 

Enfin,  par  un  trait  dé  sagacité  encore  plus  remai'quable',  ^'on'n'a 
pas  asseï'  apprécié,  il  aperçut  aussi  àet  autre  effet  de  l'éVection  (jpi 
consiste  dans  le  ibouvènt  oscillatoire  de  la  ligne-  dés  apsidi^îT.  Il  rie  dit 
pas  conmlëht  il  Yû  décbuVèlrt.  B  aiirait  pu  y  être  oondiut  eti  obàferVarit 
que  les  poiîits  de  rorbitt!  dû  la  lune  acquiert  sa  pliisf  grahdé  ef  s£  plils 
petite  vitesse  diurnje  ne  se  déplacent  pas ,  parmi  letf  étoilbà ,  avec  uûè 
constante  uniformité;  du  bien  encore,  eii  résolvaiit  le  ph)blème  dés 
trois  éclipses  pour  divers  groupes  d'observatîonà  peu  distante/,  et 
trouvant  des  inégalités  dans  le  mouveUient  de  Fapiogéè  qui  s*en  dédiiii. 
Quels  que  soient  les  indices  qui  l'aient  guidé ,  il  présente  ces  osèTllatîons 
de  l'apdgée  comme  un  fkit  qui  exige  une  correetiôn  dafasTanomàlië 
moyenrtè  calculëte'paf  le  temps;  et,  aiirioriÇant  qùèf  dette  côttectiôn  at- 
teint son  maximum  vers  les  instants  du  mois  où  le  centre  de  fépicycle 
est  dans  ses  moyetthea  diManèes  à  la  terre,  il  eiitrtefprend  dëf  dâtehuiner 


624  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

sa  loi  par  deux  observations  d'Hipparque  faites  précisément  dans  ces 
circonstances-là.  Ici  donc,  comme  pour  les  quadratures,  Hipparque 
fournit,  à  point  nommé,  les  données  les  plus  spécialement  propres  à  la 
détermination  des  éléments  essentiels  d'une  théorie  générale.  Car  ces 
observations  sont  faites  dans  des  aspects  intermédiaires  entre  les  syzy- 
ries  et  les  quadratures,  que  nous  appelons  des  octants,  expression  que, 
au  reste,  Ptolémée  et  ses  commentateurs  grecs  n  emploient  jamais. 

Elles  offrent  encore  une  autre  particularité ,  dont  l'avantage  est  trop 
spécial  pour  n  avoir  pas  été  cherché  intentionnellement  par  Hipparque. 
Dans  toutes  deux  la  lune  se  trouve  presque  sur  la  direction  que  la 
ligne  des  apsides  devait  avoir  en  vertu  de  son  mouvement  moyen,  de 
sorte  que  Téquation  du  centre  étant  alors  nulle  ou  très-petite ,  on  ne 
peut  craindre  aucune  erreur  notable  dans  son  évaluation.  Mais,  si  la 
ligne  des  apsides  a  dévié  de  la  direction  moyenne  qu'on  lui  suppose , 
Tanomalie  calculée  par  le  temps  amènera  la  lune  sur  le  contour  de  son 
épicycle  au  point  où  elle  devrait  se  trouver  dans  cette  supposition  ,  et 
non  pas  dans  le  point  où  elle  se  trouve  réellement.  De  sorte  que  la  dif- 
férence de  son  lieu  optique  calculé  au  lieu  optique  vrai ,  étant  reportée 
sur  répicycle ,  donnera  la  déviation  que  la  ligne  moyenne  des  apsides 
a  subie,  et  déterminera,  par  conséquent,  la  nouvelle  direction  qu'elle 
a  prise.  C'est  ce  que  fait  Ptolémée  ;  il  trouve  ainsi  que ,  dans  les  deux 
observations  d'Hipparque,  et,  à  ce  quil  assure,  dans  un  grand  nombre 
d'autres,  la  ligne  moyenne  des  apsides  de  Tépicycle,  que  Ton  supposait, 
jusque-là,  constamment  dirigée  vers  la  terre,  comme  AT  fig.  6,  s'en 
détourne  pour  se  diriger  aussi  constamment  vers  un  autre  point  N, 
situé  sur  le  contour  du  cercle  intérieur  que  le  centre  de  l'excentrique 
décrit,  de  manière  à  se  trouver  toujours  diamétralement  opposé  à  ce 
centre.  Cette  condition  géométrique  étant  admise  lui  donne  la  correc- 
tion angulaire  AC'A',  qu'il  faut  généralement  faire  à  Tanomalie  moyenne 
pour  la  compter  à  partir  de  l'apogée  moyen  A ,  ainsi  oscillant  ;  cor- 
rection dont  il  établit  la  valeur  avec  une  grande  habileté  géométrique, 
dans  le  chapitre  v  du  livre  V de  sa  Syntaxe,  intitulé  :  irep)  rits  Trpocrveôo'eojs 
ToS  Tris  aikilvns  êTTixôxXov  ;  c'est-à-dire  :  Sur  la  direction  d'aspect  de  l'épi- 
(ycla  lunaire.  Des  personnes  qui  avaient  probablement  une  idée  peu 
exacte  de  l'inégalité  étudiée  ici  par  Ptolémée  l'ont  quelquefois  appelée 
simplement  irpécrpsuais.  Mais  cette  dénomination  absolue  n'oQre  aucun 
sens,  si  l'on  n'y  joint  le  sujet  de  l'action,  soit  ouvertement  exprimé, 
soit  conventionnellement  sous-entendu  ^  Ayant  montré  aussi  évidem- 

.'  Comme  exemple  de  cette  omission  conventiomieUe,  je  citerai  les  titres  des  cba- 


OCTOBRE  1843.  625 

ment  le  but  que  s'est  proposé  Ptolémée,  j'ai  à  peine  besoin  d'ajouter 
que  la  rectification  qu'il  obtient  ici  n'a  aucun  rapport  avec  l'inégalité 
lunaire  appelée  la  variation.  D'ailleurs,  il  suffirait,  pour  s'en  convaincre, 
de  considérer  qu'elle  s'applique  à  l'anomalie  moyenne,  dont  la  variation 
est  essentiellement  indépendante. 

Après  avôii'  ainsi  complété  son  hypothèse,  Plolémée  la  traduit  en 
tables,  qui  donnent  numériquement,  pour  un  instant  quelconque,  et 
poui'  un  aspect  quelconque  du  soleil,  les  valeurs  de  l'équation  du  centre, 
résultantes  des  deux  inégalités  de  la  longitude  et  de  l'oscillation  de  l'a- 
pogée, ce  qui  comprend  les  deux  phénomènes,  qui,  réunis,  composent 
l'évection  de  nos  tables  modernes.  Dans  une  note  qui  fait  suite  au  pré- 
sent article ,  je  contracte  cette  hypothèse  dans  trois  courtes  formules  qui 
reproduisent  tous  ses  effets,  et  en  fournissent  l'appréciation  générale. 
Pour  cela  j'en  tire  une  expression  de  l'équation  du  centre ,  de  même 
forme  que  celle  de  nos  tables  modernes,  et  je  compare  les  termes  cor- 
respondants. On  voit  alors  que  l'hypothèse  reproduit  le  terme  princi- 
pal de  l'évection,  mais  en  l'accompagnant  d'autres,  à  la  vérité  moins 
sensibles,  dont  l'association  l'altère.  La  cause  de  cette  erreur  est  facile 
à  découvrir. 

Elle  tient  précisément  à  la  précaution  que  Ptolémée  avait  prise,  de 
fonder  sa  dernière  correction  sur  des  observations  d'Hipparque ,  dans 
lesquelles  la  lune  était  à  peu  près  périgée  ou  apogée,  de  sorte  que,  dans 
les  deux  cas,  elle  se  trouvait  presque  placée  sur  la  ligne  des  apsides.  Il 
conclut  de  ces  observations  que  la  correction  de  l'anomalie,  comme  celle 
de  l'excentricité,  a  pour  élément  régulateur,  ou,  comme  on  dit,  pour 
argument,  le  double  de  la  distance  angulaire,  comprise  entre  le  soleil 
et  la  lune.  Il  aurait  pu  aussi  légitimement  faire  dépendre  sa  dernière 
correction  du  double  de  l'angle  compris  entre  le  soleil  et  la  ligne  des 
apsides,  puisque  ces  deux  expressions  étaient  équivalentes,  dans  les  cir- 
constances d'observation  qu'il  avait  choisies.  Le  premier  énoncé  s^offrit 
probablement  seul  à  son  esprit,  parce  qu'il  l'avait  déjà  adopté  pour  la 
première  partie  de  l'hypothèse,  malheureusement  c'était  le  second  qui 
était  vrai  ;  et  de  là  résultent  les  termes  fautifs  que  j'ai  signalés.  Ptolé- 

pitres  XI  et  xii  du  livre  VI  de  la  Syntaxe,  qui  sont,  pour  le  premier,  irepi  rôiv  èv 
raîç  èxXelyperrt  irpocre^KTeaw ,  et,  pour  le  second,  hiixptcts  irpoaveicecûv.  Le  mot 
vp6<Tvev(Tts  s*y  (rouvc  ainsi  employé  dans  un  sens  en  apparence  absolu;  mais  ce 
sens  est  spéciQé  dans  son  application  par  la  nature  même  du  sujet  traité  dans  ces 
chapitres,  où  l'on  voit  qu'il  s'agit  des  directions  que  les  parties  éclipsées  du  soleil 
et  de  la  lune  se  trouvent  prendre  successivement,  dans  chaque  éclipse,  soit  rela- 
tivement à  l'écliptiquc,  soit  relativement  à  rhorizon. 

79 


V' 


626  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

mée  n'a  donc  pas»  à  proprement  parler,  découvert  Vévection,  comme  on 
a  coutume  de  le  dire.  B  a  seulement  constaté  Texistence  de  cette  grande 
inégalité,  et  reconnu,  avec  une  sagacité  rare,  la  nature,  ainsi  que  les 
Videurs  extrêmes  des  deux  éléments  qui  la  composent.  Car  la  plus 
grande  et  la  plus  petite  équation  du  centre  qu'il  a  eniployées  sont 
presque  les  mêmes  que  nous  admettons  aujourd'hui ,  et  les  limites  qu'il 
assigne  aux  écarts  de  l'apogée  autour  de  son  lieu  moyen  sont  d*une 
justesse  d'approximation  peut-être  encore  plus  surprenante  ;  puisque , 
d'après  ses  nombres,  le  maximum  de  ces  écarts  est  i3°  3'  53",  tandis 
qu'il  serait  i  a°  1 5'  4"  suivant  Newton.  Mais  la  vraie  loi  de  ces  phéno- 
mènes ,  qui  les  fait  dépendre  des  positions  du  soleil  autour  du  diamètre 
principal  de  l'orbe  lunaire,  non  de  la  lune,  lui  a  échappé.  Au  reste 
cette  loi  n  a  été  établie  avec  certitude  qu'après  la  découverte  de  l'at- 
traction; et,  pendant  beaucoup  de  siècles,  Tempirisme  des  astronomes 
n'en  approcha  guère  plus  que  Ptolémée  n'avait  pu  le  faire.  L'hypo- 
thèse définitive  dans  laquelle  il  a  voulu  réunir  tout  Tenscmble  des 
mouvements  est  surtout  défectueuse,  quant  à  l'évaluation  des  distances 
relatives  :  elle  l'est  beaucoup  plus  que  l'hypothèse  simple  d'Hipparque 
pour  les  syzygies.  Car,  d'abord ,  il  place  la  lune  à  sa  plus  petite  distance 
de  la  terre,  quand  elle  est  en  quadrature  et  périgée  ;  tandis  que  ce  mi- 
nimum d'éloignement  a  lieu  quand  elle  est  périgée  et  en  opposition.  Puis, 
selon  son  hypothèse  encore,  le  rapport  de  la  plus  grande  distance,  dans 
les  syzygies  apogées,  à  la  moindre,  dans  les  quadratures  périgées,  serait 
-î-fy,  presque  celui  de  a  à  i  ;  tandis  que,  dans  les  mêmes  circonstances, 
le  rapport  véritable  est  seulement  -j-pj-,  c'est-à-dire  bien  plus  rapproché 
de  régîdité;  et,  tout  imparfaite  que  fût  alors  la  mesure  des  diamètres 
apparents,  elle  aurait  dû  montrer  à  Ptolémée  une  disproportion  si  con- 
sidérable. Malgré  ces  fautes,  la  force  de  conception  qu'il  lui  a  fallu  dé- 
ployer pour  construire  son  système  général  des  épicycles,  et  l'appliquer 
à  la  lune  ainsi  qu'aux  planètes,  a  été  prodigieuse,  quoique  peut-être 
aussi  elle  ait  été  fatale  aux  progrès  de  l'astronomie  vers  les  vraies  lois 
du  ciel.  On  appréciera  bien  cette  puissance  de  coordination,  en  voyant 
la  peine  que  les  commentateurs  de  Ptolémée,  ses  traducteurs,  et  même 
le  plus  grand  nombre  des  astronomes,  ont  eue,  dans  les  siècles  suivants, 
je  ne  dis  pas  pour  perfectionner  ou  étendre  ses  théories,  mais  seule- 
ment pour  les  bien  comprendre  ^ 

BIOT. 

*  On  trouvera,  dans  le  prochain  numéro  du  Journal,  les  développements  de 
calcul  qui  expriment  les  diverses  hypothèses  dnipparque  et  de  Ptolémée,  ainsi 
(\ne  leur  comparaison  numérique  avec  les  tables  lunaires  modernes. 


.1 


OCTOBRE  1843.  627 

Loi  SALiQUE ,  OU  Recueil  contenant  les  anciennes  rédactions  de  cette 
loi  et  le  texte  connu  sous  le  nom  de  Lex  emendata,  avec  des 
notes  et  des  dissertations,  par  J.  M.  Pardessus,  membre  de  Fins- 
titut.  Paris,  Imprimerie  royale,  in- 4**  de  lxxx  et  789  pages. 

DEUXIÈME    ARTICLE  \ 

Le  projet  du  savant  académicien  avait  d*abord  été  de  rassembler  en 
un  volume  les  différents  textes  imprimés  de  la  loi  salique,  et  d*y  joindre 
les  commentaires  des  précédents  éditeurs;  mais,  ayant  reconnu  que  les 
textes  d'Eckhart  et  de  Frick  ou  de  Schilter  étaient  remplis  de  fautes ,  il 
prit  la  résolution  d'agrandir  son  pian  et  d'accroître  de  beaucoup  sa 
tâche,  en  composant  son  recueil  d'après  les  manuscrits  mêmes,  et  non 
d'après  les  imprimés. 

Son  livre  peut  se  diviser  en  quatre  parties  principales  :  la  Préface, 
les  Textes  de  la  loi  salique ,  les  Notes  et  les  Dissertations. 

la  préface  comprend  quatre  paragraphes  : 

$  i"  Phin  (le  V ouvrage  et  Notice  des  éditions  de  la  loi  salique  (p.  i-ix); 

S  II.  Description  sommaire  des  manuscrits  connus  de  la  loi  satique  (p.  ix- 
Lxxii  )  ; 

$  m.  Des  Notes  et  Dissertations  (p.  Lxxn-Lxxvin ) ; 

$  IV.   Observations  sur  l'orthographe  et  lessignes  typographiques  (p.  lxxviii- 

LXXX). 

M.  Pardessus,  s' étant  misa  la  recherche  de  tous  les  manuscrits  exis- 
tants de  la  loi  salique,  en  a  trouvé  soixante-cinq,  savoir  :  trente-cinq 
en  France  et  trente  en  pays  étrangers.  Tous  ceux  dont  il  a  pu  avoir  com- 
munication, et  c'est  le  plus  grand  nombre,  il  les  a  examinés  lui-même 
attentivement.  Sur  les  autres,  il  s'est  attaché  à  recueillir  des  notes 
exactes,  dont  plusieurs  lui  ont  été  envoyées  d'Italie  par  son  petit-fils, 
M.  Eugène  de  Rozière.  C'est  la  description  de  ces  soixante-cinq  manus- 
crits qu'il  a  placée  sous  le  $  11  de  sa  Préface. 

Le  nombre  des  textes  qu'il  a  publiés  intégralement  dans  son  ouvrage 
ne  s'élève  pas  à  moins  de  huit,  et  chacun  d'eux  représente  une  famillç 
de  manuscrits.  Les  caractères  qui  servent  à  distinguer  ces  huit  familles 
sont  tirés,  non-seulement  du  nombre  et  de  Tordre  des  titres,  mais  en- 
core du  contenu  de  chaque  exemplaire. 

*  Voir  le  noméro  de  septembre  i843. 

79- 


628  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Les  trois  premières  familles  sont  fournies  exclusivement  par  les  ma- 
nuscrits de  la  Bibliothèque  du  Roi  ;  la  quatrième  par  des  manuscrits  de 
bibliothèques  et  de  pays  différents  ;  la  cinquième  par  le  manuscrit  de 
Wolfenbiittel  ;  la  sixième  par  celui  de  Munich  ;  la  septième  par  le  ma- 
nuscrit de  Fulde,  ou  les  autres  manuscrits,  aujourd'hui  inconnus,  dont 
Hérold  s'est  servi  pour  son  édition  ;  la  huitième  par  les  nombreux 
manuscrits  qui  contiennent  la  loi  corrigée  par  Charlemagne,  et  qui 
n'offrent  entre  eux  que  d'assez  légères  différences. 

Les  deux  premières  familles  se  distinguent  des  autres  par  l'absence 
de  toute  trace  de  christianisme,  et  diffèrent  entre  elles,  non  par  le 
nombre,  ni  par  Tordre  des  titres,  mais  par  plusieurs  paragraphes,  qui 
sont  particuliers  à  chacune,  et  par  une  assez  grande  quantité  de  va- 
riantes dans  les  leçons.  Elles  ne  comprennent  chacune  qu'un  manuscrit: 
la  première,  le  n®  litxoli  de  l'ancien  fonds  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  et 
la  seconde ,  le  n"  65  du  supplément  latin. 

La  troisième,  à  laquelle  appartiennent  deux  manuscrits,  de  la  même 
bibliothèque,  cotés  H03  b  et  iV*  D'  252,  présente,  comme  toutes  les 
suivantes,  des  traces  de  christianisme.  Elle  contient  plus  de  paragraphes 
que  les  précédentes,  quoique  le  nombre  et  l'ordre  des  titres  y  soient 
les  mêmes,  et  ressemble  beaucoup,  pour  le  contenu,  à  la  loi  corrigée 
par  Charlemagne. 

La  quatrième  diffère  de  la  troisième  par  la  forme  seulement.  Les 
neuf  manuscrits  qu'elle  rassemble,  et  parmi  lesquels  on  remarque  le 
n**  4627  {Olim,  5189)  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  publié  dans  le  Thé- 
saurus de  Schilter,  divisent  la  loi  en  cent  titres,  quoique  le  texte  ne 
contienne  rien  de  plus  que  les  textes  précédents.  La  rédaction  remonte, 
suivant  M*  Pardessus,  au  commencement  de  la  seconde  race.  C'est  le 
manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Montpellier  qui  sert  de  base  à  son 
édition  :  il  Fa  préféré  avec  raison  pour  type  de  cette  famille,  parce  qu'il 
est  sans  lacune  et  plus  correct  que  les  autres,  sans  excepter  celui  de 
Schilter. 

La  cinquième  famille  ne  possède  que  le  manuscrit  de  Wolfenbûttel , 
publié  très-négligemment  par  Eckhart ,  comme  le  prouvent  les  fautes 
que  le  nouvel  éditeur  a  relevées  au  bas  des  pages.  Le  manuscrit  paraît 
avoir  été  composé  au  vm*  siècle  et  sous  les  Mérovingiens,  car  il  ne 
contient  pas  un  seul  document  de  la  seconde  race.  11  est  divisé  en 
quatre-vingt-quatorze  titres,  ou  plutôt  en  quatre-vingt-treize,  à  bause 
du  double  emploi  que  présentent  les  n"  l\6  et  65;  et  ces  titres  sont 
répartis  en  trois  livres.  Le  premier  livre,  composé  de  soixante-sept  titres, 
a  ,  ce  me  semble,  beaucoup  de  rapport  avec  les  textes  des  deux  pre- 


OCTOBRE  1843.  629 

narres  familles,  surtout  avec  celui  de  la  seconde.  Le  deuxième  livre 
comprend  les  titres  68-80,  et  le  troisième,  les  titres  81-93.  Le  contenu 
de  ces  deux  derniers  livres  se  retrouve  dans  les  titres  que  M.  Pardessus 
a  publiés  à  part  sous  le  nom  de  Capita  extravagantia. 

Le  manuscrit  de  Munich  est  seul  aussi  pour  constituer  la  sixième  fa- 
mille. Il  est  de  la  fin  du  vin*  siècle,  ou  du  commencement  du  ix®,  sui- 
vant M.  Pertz.  Publié  pour  la  première  fois  par  M.  Feuerbach,  en  1 83 1 , 
il  a  été  réimprimé  en  i833  par  M.  Laspeyrcs  dans  son  édition  synop- 
tique et  comparative  des  cinq  textes  de  la  loi  salique  et  de  la  loi  des 
Ripuaires.  Il  a  quatre-vingt-trois  titres.  Les  soixante-cinq  premiers  ré- 
pondent aux  soixante-cinq  titres  des  manuscrits  des  trois  premières 
familles,  et  aux  soixante-sept  premiers  du  manuscrit  de  Wolfenbùttel. 
Les  suivants,  jusqu'au  n*"  80  inclusivement,  se  retrouvent  dans  les  deux 
derniers  livres  de  ce  manuscrit.  Les  titres  8 1-83  sont  tirés  de  la  loi  des 
Bourguignons. 

La  septième  famille  est  formée  du  texte  publié  par  Hérold  en  i557* 
Ce  texte ,  soit  qu  il  provienne  d'un  seul  manuscrit,  soit  quil  ait  été  formé 
de  la  collation  de  plusieurs  manuscrits,  qu'on  ne  reconnaît  plus,  et 
dont  le  principal  paraît  avoir  appartenu  à  Tabbaye  de  Fulde,  jouit  d'une 
si  grande  célébrité,  et  les  savants  en  ont  fait  un  si  fréquent  usage,  que 
le  judicieux  éditeur  ne  pouvait,  sans  laisser  une  lacune  dans  son  re- 
cueil, se  dispenser  de  le  réimprimer.  Il  est  composé  de  quatre-vingt 
titres,  dont  les  soixante-huit  premiers  répondent  assez  bien  aux  soixante- 
cinq  titres  des  manuscrits  des  trois  premières  familles  et  de  la  sixième, 
ainsi  qu'au  premier  livre  du  manuscrit  de  Wolfenbùttel.  Les  titres  69- 
71,  73-78  et  80  se  retrouvent,  au  moins  en  très-grande  partie,  dans 
d'autres  textes;  mais  les  titres  7a  et  79  appartiennent  exclusivement  i 
l'édition  d'Ilérold.  On  observe  aussi  beaucoup  de  ressemblance  entre 
les  soixante  et  onze  premiers  titres  de  cette  édition  et  les  soixante^iix 
de  la  loi  corrigée  par  Charlcmagne,  quoique  ceux-ci  soient  moins 
diffus. 

Ces  trois  derniers  textes,  savoir  :  ceux  du  manuscrit  de  Wolfenbùttel, 
du  manuscrit  de  Munich  ,  et  de  l'édition  d'Hérold ,  ont  été  publiés  par 
M.  Pardessus  en  plus  petit  caractère,  après  le  quatrième  texte ,  sous  le 
nom  de  premier,  deuxième  et  troisième  appendice. 

La  huitième  et  dernière  famille  comprend  les  nombreux  manuscrits 
de  la  loi  salique  de  Charlcmagne.  L'on  doit  entendre  sous  cette  déno^ 
mination,  comme  en  avertit  M.  Pardessus,  non  pas  une  rédaction  nou- 
velle ,  mais  une  transcription  plus  correcte  et  plus  simple  que  Charlc- 
magne fit  faire  de  la  loi  salique  avant  d'être  empereur.  Ce  ne  fut  qu'en 


630  JOURNAL   DES  SAVANTS. 

8o3  qu'il  toucha  au  fond  même  de  cette  loi,  en  y  ajoutant,  par  un  ra 
pitulaire,  un  certain  nombre  de  dispositions  nouvelles,  tout  en  se 
réservant,  au  rapport  d'Eginhard  [Vita  Car,  M.  29),  de  corriger  et  de 
compléter  plus  tard  la  législation  entière  des  Francs.  Le  texte  contient 
soixante-dix  titres ,  dont  trois  seulement  ne  se  trouvent  pas  dans  les 
manuscrits  des  trois  premières  familles.  A  ces  soixante-dix  titres 
M.  Pardessus,  suivant  Texemple  de  Baluzo  et  des  autres  éditeui^,  en 
a  ajouté  deux  autres,  qu  il  a  mis  entre  rrorhets  parce  qu  ils  sont  étr  ngers 
à  la  huitième  famille.  Ce  texte  de  Charlcmagne  se  distingue  aussi  par 
Vabsence  des  gloses  màlbergiques  et  par  des  formes  de  latinité  moins 
barbares.  M.  Pardessus ,  au  lieu  d'établir  son  texte  d'après  les  éditions 
antérieures  de  Jean  duTillet,  F.  Pithou,  Lindebrog,  Théodore  Bignon 
et  Baluze,  a  suivi  le  manuscrit  du  Roi  /i/n8,  en  y  rattachant  les  prin- 
cipales variantes  de  vingt-cinq  autres  manuscrits. 

Après  la  loi  salique  corrigée,  il  place,  comme  appendice,  les  ru- 
briques des  titres  de  cette  loi,  suivant  l'ordre  de  deux  manuscrits,  Tun 
de  Modène  et  l'autre  de  Gotha,  qui  remontent,  à  ce  qu'il  paraît,  au 
X*  siècle.  Cet  ordre ,  qui  diffère  beaucoup  de  celui  des  autres  manus- 
crits, peut  être  considéré  comme  méthodique,  c'est-à-dire  que  les  ré- 
dacteurs ou  copistes  ont  tâché  de  rapprocher  les  uns  des  autres  les 
titres  qui  se  rapportent  aux  mêmes  matières. 

Viennent  ensuite  les  rubriques  du  manuscrit  de  Leyde,  qui  con- 
tient aussi  le  texte  de  la  loi  corrigée,  mais  avec  de  nombreuses  addi- 
tions, que  le  savant  académicien  a  réservées  pour  ses  Capita  extrava- 
gantia. 

Les  Capita  extravagantia ^  qui  suivent,  sont  composés  de  quarante 
titres  (et  non  chapitres^)  de  la  loi  salique.  Ils  se  tix)uvent  seulement 
dans  quatre  manuscrits  ou  quatre  textes,  et  sont  regardés  par  M.  Par- 
dessus comme  des  additions  faites  à  la  rédaction  primitive.  Le  manus- 
crit de  Leyde  en  contient  trente-trois;  le  manuscrit  du  Roi  n*"  àlxoli 
contient  les  vingt- trois  premiers,  et  plusieurs  de  ceux-ci  sont  donnés, 
en  outre,  par  le  manuscrit  de  Wolfenbiittel  et  par  le  texte  d'IIérold. 
Aucun  de  ces  quarante  titres  n'était,  d'ailleurs,  resté  inédit ,  depuis  que 
M.  Pertz  avait  inséré  dans  sa  collection  [Leg,  //,  p.  1  etss.)  ceux  qui 
avaient  échappé  aux  recherches  des  éditeurs. 

M.  Pardessus  a  rejeté  après  les  Capita  extravagantia  :  i"les  deux  pro- 
logues de  la  loi  salique,  fun,  plus  court,  commençant  par  les  mots 

*  Le  chapitre  étant  une  divisioa  du  titre,  suivant  le  sens  que  M.  Pardessus  lui- 
même  attache  à  ces  mots,  au  lieu  de  capita  extravagantia ,  i\  eu l  été,  je  crois ,  plus 
logique  de  se  servir  de  Texpression  tituH  extravagantes. 


.4 


OCTOBRE  1843.  631 

Plaçait  oique  convenit  ;  Tautre,  plus  étendu  et  passablement  emphatique  « 
qui  commence  par  ceux-ci  :  Gens  Francoram  inclita,  et  dont  Gibbon  s*e8t 
peut-être  exagéré  l'importance  ^  ;  a°  le  paragraphe  qui>  dans  le  manu^ 
crit  de  Wolfenbùttel,  est  transcrit  à  la  fm  de  la  loi  salique,  et  auquel 
M.  Pardessus  a  donné  le  nom  d'épilogue,  mais  qui  diffère  entièrement 
de  l'épilogue  imprimé  par  Hérold  à  la  suite  de  son  édition;  celui-ci 
commençant  par  Sciendum  autem  est,  et  contenant  la  récapitulation  des 
compositions;  celui-là  commençant  par  Qaem  vero  rex,  et,  dans  d'autres 
manuscrits,  par  Primusrex  Francoram,  et  contenant  une  coiute  notice 
sur  la  rédaction  de  la  loi  salique;  3**  les  Septem  septennœ,  ou  la  récapi^ 
tulation  des  tarifs  des  compositions ,  dont  M.  Pardessus  publie  trois  textes 
différents,  tout  en  laissant  de  côté  celui  d'Hérold. 

Tel  est  le  plan  suivi  par  le  savant  jurisconsulte  dans  l'édition  des 
textes  que  réunit  son  riche  recueil.  Les  familles  i ,  a ,  5  et  6  ne  com- 
prennent chacune  qu'un  manuscrit  ;  la  troisième  en  comprend  deux 
et  la  quatrième  neuf;  la  septième  comprend  le  manuscrit  ou  les  ma- 
nuscrits dont  s'est  servi  Hérold,  la  huitième  tous  les  manuscrits  de  la 
loi  corrigée,  au  nombre  de  quarante-neuf.  On  pourrait,  néanmoins, 
détacher  de  ces  derniers  le  manuscrit  de  Leyde  renfermant  cent  six 
titres,  pour  en  composer  une  neuvième  famille. 

En  présence  de  tant  de  textes,  si  l'on  demandait  quel  est  celui  qu'on 
peut  considérer  comme  officiel,  il  faudrait,  je  crois,  répondre  qu'il  n'y 
en  a  pas  un  seul.  Tous,  en  effet,  plus  ou  moins  incomplets,  plus  ou 
moins  appropriés  à  des  pays  divers,  et  modifiés  par  la  jurisprudence 
locale,  paraissent  être  des  recueils  de  coutumes  en  usage  chez  diffé- 
rentes peuplades  de  Saliens,  et  sont  des  ouvrages  de  jurisconsultes,  fait» 
pour  les  tribunaux,  plutôt  que  des  actes  législatifs  émanés  de  l'autorité 
souveraine.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  plusieurs  dispositions,  ex- 
pressément attribuées  à  la  loi  salique  dans  de  très-anciens  doc\iments, 
ne  se  trouvent  consignées  dans  aucun  texte  connu  de  cette  loi  :  tel  est, 
pour  nen  citer  qu'un  exemple,  d'après  la  formule  88  de  Lindebrog, 
l'obligation,  pour  la  femme  libre  enlevée  par  un  esclave,  de  réclamer 
dans  les  quarante  jours  de  son  enlèvement,  sous  peine  de  tomber  elle- 
même  dans  l'esclavage.  Toutefois,  en  l'état  actuel  des  documents,  et 
jusqu'à  ce  qu'on  soit  parvenu  à  recomposer  un  texte  qui  tienne  lieu  de 
tous  les  autres,  celui  qui  mérite  le  plus  de  confiance,  et  qui,  k  tout 
prendre,  représente  peut-être  le  mieux  le  code  des  Saliens,  est  le  texte 
de  la  loi  corrigée  par  Charlemagne  ;  c'est  aussi  celui  que  M.  Pardessus 

'  Dans  une  note  de  son  chapitre  zxxviii. 


.■\ 


632         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

a  pris  pour  base  de  son  travail  dans  ses  annotations  et  ses  commentaires. 
Mais  je  regrette  beaucoup  qu'il  n'ait  pas  joint  à  son  livre  une  concor- 
dance semblable  à  celle  que  D.  Bouquet  a  placée  dans  son  iv*  vo- 
lume, et  qui  aurait  été  si  commode  pour  passer  d'un  texte  à  un  autre, 
et  pour  conférer  entre  elles  toutes  les  différentes  leçons. 

Sur  ce  point,  l'ouvrage  publié  en  i833  par  M.  Laspeyres,  profes- 
seur de  droit  à  l'université  de  Halle ,  a  l'avantage  de  présenter  en  regard 
les  cinq  textes  de  la  loi  salique  alors  connus,  savoir  :  les  textes  publiés 
par  Eckhart,  d'après  le  manuscrit  de  Wolfenbûttel  ;  par  Fcuerbach, 
d'après  le  manuscrit  de  Munich;  par  Jean  Frick,  dans  Schilter,  d'après 
le  manuscrit  de  Paris  ;  par  Hérold  et  par  Baluze.  Cet  éditeur  a  mis  en 
présence,  dans  six  colonnes,  les  titres  ou  les  paragraphes  des  cinq  textes 
de  la  loi  salique  et  de  la  loi  des  Ripuaires,  qui  contiennent  les  mêmes 
dispositions  ou  des  dispositions  analogues.  Il  a,  par  conséquent,  dérangé 
l'ordre  des  textes,  excepté  dans  l'édition  de  la  loi  salique  d'Eckhart, 
qu'il  a  prise  pour  guide,  et  à  laquelle  il  a  comparé  toutes  les  autres. 
Son  livre ,  qui  réunit  deux  textes  de  plus  que  le  recueil  d'Eckhart ,  et 
un  de  plus  que  les  recueils  de  D.  Bouquet,  de  Canciani  et  de  Waller, 
est,  comme  on  voit,  beaucoup  moins  riche  que  celui  de  M.  Pardessus  \ 
avec  lequel,  d'ailleurs,  il  ne  peut  entrer  en  parallèle,  ni  pour  le  travail, 
ni  pour  l'érudition.  Dans  l'un,  on  s'est  contenté  de  réimprimeries  textes 
et  les  notes  d'autrui,  sans ,  pour  ainsi  dire,  y  rien  mettre  du  sien  ;  dans 
l'autre,  au  contraire,  la  collation  des  manuscrits,  les  notes,  les  disser- 
tations, sont  l'œuvre  propre  de  l'éditeur,  et  concourent  à  faire  de  son 
livre  une  publication  complète  en  son  genre,  non  moins  savante  qu'ori- 
ginale. 

Je  n'aurais  pas  besoin  de  parler  de  la  fidélité  des  textes,  si  je  n'avais 
eu  l'occasion  de  la  constater,  au  sujet  du  manuscrit  du  supplément  la- 


*  Nous  avons  vu  que  M.  Pardessus  a  publié  huit  textes  de  la  loi  salique,  sans 
jcompter  celui  du  manuscrit  de  Leyde  (le  codex  Lugdancnsis  de  M.  Perlz).  Néan- 
moins, dans  plusieurs  endroits  de  son  ouvrap;e,  et  dans  les  lifrcs  courants  du  vo- 
lume, il  ne  compte  que  cinq  texies,  donnant  le  cinquième  rang  à  la  Lex  emendata , 
et  désignant  les  textes  d'Eckhart,  de  Feuerbach  et  d'Ilérold,  sous  les  noms  de  i", 
ix*  et  III*  appendice.  Au  contraire,  dans  sa  préface  (p.  vu),  il  comple  sept  textes, 
et,  dans  ses  dissertations  (p.  A 16),  il  en  comple  hiiil.  Enfin  la  préface  donne  au  ma- 
nuscrit de  Wolfenbûttel  le  nom  de  5*  texte,  au  manuscrit  de  Munich  le  nom  de  6*, 
et  le  nom  de  7*  à  la  Lex  emendata.  Quoique  celle  différence  dans  les  dcsij^nalions 
ne  puisse  sérieusement  embarrasser  le  lecteur,  nous  avons  préféré  l'uniforniité,  et, 
tout  en  conservant  leurs  noms  numériques  aux  quatre  premiers  textes,  qui  ne  font 
aucune  difficulté,  nous  avons  désigné  les  suivants  par  des  appellations  exemptes 
d*équivoqpe. 


OCTOBRE  1843.  633 

tin  65,  d'où  le  deuxième  texte  a  été  tiré,  et  dont  j  ai  fait,  en  partie,  h 
collation.  C'est  à  peine  si  Ton  découvre  deux  ou  trois  endroits  où  l'on 
puisse  ne  pas  être  d'accord  avec  le  savant  éditeur.  Ainsi,  titre  m,  S  y, 
et  titre  iv,  $  2,  je  lis,  dans  le  manuscrit  :  si  qvjs  xii,  et  si  qvjs  anniculum, 
tandis  quil  y  a  seulement,  dans  Timprimé  (p.  38),  si  xjj,  et  si  annicu- 
luTUy  le  mot  qais  ayant  été  omis.  Mais  je  dois  dire  que  ce  mot  est  presque 
entièrement  eflacé  dans  le  manuscrit,  et  que,  déjà  employé  à  la  phrase 
précédente,  il  était  fort  inutile  de  le  répéter.  Plus  loin,  titre  xi,  $  5, 
là  où  je  lis  :  et  si  in  domo  ingressus  fuerit  et  sic  in  de  aliquidfurtam  talerit, 
M.  Pardessus  a  laissé  imprimer  et  sic  exinde;  ce  qui,  d'ailleurs,  ne  peut 
tromper  sur  le  véritable  sens.  Au  titre  xn ,  $  2  (p.  4îi  ),  dans  ce  passage  : 
qui  fartam  fecit ,  capitalem  restituât,  au  lieu  de  capitalem,  on  pourrait 
lire,  dans  le  manuscrit,  capitale,  qui  vaudrait  un  peu  mieux.  Enfin, 
pour  ne  rien  passer,  titre  xni,  S  5  (même  page),  nous  lisons  prœtias 
(pour  pretiam),  lorsque  le  manuscrit  porte  seulement  l'abrégé  ptius  ;  ce 
qui  permettait  d'écrire  pretius  par  un  e  simple,  et  de  faire  ainsi  l'éco- 
nomie d'un  barbarisme  sur  deux,  dans  un  même  mot,  peut-être,  je 
l'avoue ,  en  dérogeant  un  peu  à  l'orthographe  du  temps. 

A  l'égard  du  tarif  des  compositions,  je  ferai  observer  que,  sur  les 
huit  textes  de  la  loi  salique,  il  y  en  a  six  dans  lesquels  chaque  somme 
est  exprimée  de  deux  manières  à  la  fois  ;  c'est-à-dire  qu'après  avoir  été 
marquée  en  deniers  elle  est  réduite  en  sous,  à  raison  d'un  sou  pour 
quarante  deniers.  Les  deux  textes  qui  font  exception,  ou  qui  ne  pré- 
sentent ordinairement  qu'une  seule  de  ces  deux  manières  de  compter, 
sont  le  quatrième  et  celui  de  Munich.  Or  il  n'est  pas  très-rare,  dans  les 
six  textes  dont  nous  venons  de  parler,  que  la  somme  des  deniers  ne  ré- 
ponde pas  à  celle  des  sous.  Dans  ces  cas-là,  M.  Pardessus,  comme  il 
en  avertit  (p.  3,  note  1),  s'est  abstenu  de  rétablir  l'accord ,  par  respect 
pour  le  texte,  et  n'a  pas  indiqué  la  correction  dans  les  notes,  par  la  diffi- 
culté de  savoir  s'il  fallait  rectifier  le  chiffre  des  deniers  par  celui  des 
sous ,  ou  le  chiffre  des  sous  par  celui  des  deniers.  Son  scrupule  d'édi- 
teur est  assurément  très- respectable  ;  mais  la  difficulté  de  la  correction 
ne  me  paraît  pas  aussi  grande  qu'il  la  suppose.  Par  exemple,  dans  le 
premier  texte,  tit.  ji,  S  lA  (p.  i5),  on  lit  que  2;5oo  deniers  font  &a 
sous;  ce  qui  n'est  pas,  puisqu'ils  en  faisaient  62  1/2 ,  et  que,  d'un  autre 
côté,  4a  sous  ne  faisaient  que  1,680  deniers.  Pour  savoir  quel  est  ie 
bon  chiffi'e,  de  celui  des  deniers  ou  de  celui  des  sous,  U  suffit  de  jeter 
les  yeux  sur  les  autres  textes.  Or  le  deuxième,  tit.  n,  S  i3  (p.  37), 
porte  2,5oo  deniers  et  6a  sous;  le  troisième,  tit.  11,  5  18,  (p.  71), 
a,5oo  deniers  et  62  sous  1/2  ;  le  quatrième ,  tit.  n ,  S  9  (  p.  11 8,  note  aa), 

80 


634  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

de  même  ;  le  manuscrit  deWoifenbùttei,  tit.  ii,  $  1 3  (p.  1 62),  2,5oo  de- 
niers et  62  sous;  le  manuscrit  de  Munich,  tit.  11,  $  i3  (p.  196),  6a 
sous;  le  texte d'Hérold ,  tit.  11,  $.  1  a  (p.  227),  1 ,4oo  deniers  et  35  sous, 
et,  S  i3,  2,5oo  deniers  et  62  sous  1/2;  enfin,  la  loi  corrigée,  tit.  11, 
S  18  (p.  279),  2,5oo  deniers  et  62  sous  1/2.  Ainsi,  nous  lisons,  à  peu 
près  partout,  2,5oo  deniers  et  62  sous  ^1/2,  ou  62  sous;  et  telle  est 
évidemment  la  bonne  leçon.  On  devra  donc,  dans  le  premier  texte, 
conserver  le  chiffre  des  deniers,  qui  est  le  bon,  et  corriger  celui  des 
sous,  en  remplaçant  Ixi  par  62  1/2  ,  ou  seulement  par  62 ,  si  Ton  sup- 
prime la  fraction.  Les  corrections  de  ce  genre  nont,  certes,  rien  de 
difficile,  ni  de  hasai^dé  ;  nég^er  de  les  faire,  soit  dans  le  texte,  soit  en 
note,  n  est  pas,  je  crois,  sans  inconvénient  pour  les  lecteurs  :  en  effet, 
lorsqu'ils  voudront  faire  usage  des  doubles  chiffres  des  compositions, 
ils  devront  quelquefois  les  vérifier  eux-mêmes ,  non-seulement  à  Taide 
du  calcul,  mais  encore  par  la  collation  des  différents  textes. 

Tout  le  monde  peut,  au  reste,  exécuter  sans  peine  ce  petit  travail, 
qui  n'exige  qu'une  légère  attention.  Celui  que  M.  Pardessus  a  fait  sur 
les  sources  auxquelles  on  avait  déjà  puisé  pour  les  éditions  de  la  loi 
salique  est  le  produit  d'une  critique  non  moins  judicieuse  que  déli- 
cate, et  ne  pourrait  pas  être  aussi  facilement  suppléé.  Non  content  de 
publier  avec  une  fidélité  scrupuleuse  les  manuscrits  qu'il  avait  à  sa  dis- 
position, il  a,' de  plus,  autant  que  cela  était  possible,  indiqué,  parmi  les 
soixante-cinq  dont  il  a  donné  la  notice ,  ceux  que  les  savants  avaient 
consultés  avant  lui.  Et  ce  n'était  pas  une  petite  affaire  que  de  les  re- 
connaître au  signalement  incomplet,  obscur,  vague,  ou  mênfie,  le  plus 
souvent,  en  l'absence  de  toute  espèce  de  signalement  laissé  parles  an- 
ciens éditeurs.  Il  lui  a  donc  fallu  non-seulement  découvrir,  au  milieu 
de  la  multitude  et  de  la  confusion  des  variantes,  celles  qui  devaient 
lui  servir  de  caractères-  distirictifs,  mîfis' enttO^e  siWvre  des  manuscrits 
dans  toutes  les  mains  par  lesquelles  ils  ont  passé,  et  se  déterminer  en 
général  par  des  indices  qui,  pour  être  aperçus,  exigeaient  l'examen 
le  plus  attentif  et  le  plus  minutieux ,  et  qu'on  ne  pouvait  mettre  à 
profit  qu'avec  une  grande  sagacité.  M.  Pardessus  a  fait  tout  cela  pa- 
tiemment ,  simplement ,  en  conscience ,  et  de  bon  cteur,  comme  si 
c'était  amusant,  parce  qu'il  ne  voulait  rien  négliger  pour  rendre  ser-' 
vice  à  la  science,  et  pour  que  son  travail  fût  en  tous  points  digne 
d!éloges.  C'est  particulièrement  en  ce  qui  concerne  les  ihanuscrits  de 
la  Lex  emendata  (p.  268-273)  qu'on  en  sentira  mieux  la  difficulté  et 
le  prix. 

Les  notes,  placées  immédiatement  après  les  textes  ,  sont  au  nombre 


OCTOBRE  1843.  635 

de  huit  cent  vingt  et  une,  et  remplissent,  avec  l'Avertissement  qui  les 
précède ,  les  pages  36 1  à  4 1 2 . 

Quoiqu'elles  soient  appliquées,  comme  on  Ta  dit,  au  texte  de  la  Lex 
emendata,  elles  se  rattachent  néanmoins  aux  autres  textes  à  Taide  des 
renvois  et  des  indications  qui  les  accompagnent.  Celles  qui  sont  mar- 
quées des  n**  701  à  8a  1  se  rapportent  aux  Capiia  extravagantia, 

La  phipart  des  notes  sont  courtes,  et  consistent  soit  en  indications  de 
variantes;  de  déplacements  ou  d'omissions  dans  les  textes;  soit  dans 
Tinterprétation  de  mots,  de  phrases,  de  paragraphes  et  de  titres  obs- 
curs ;  soit  en  rapprochements  ou  conférences  de  certains  passages  ;  soit 
enfin  dans  jde  simples  renvois.  Toutes  les  fois  qu'elles  exigeaient  quel-' 
ques  développements ,  elles  ont  été  réservées  pour  les  Dissertations. 

Les  explications  ajoutées  par  M.  Pardessus  à  celles  des  savants  qu'il 
a  reproduites  intéresseront  surtout  les  jurisconsultes ,  et  seront ,  je 
pense ,  généralement  adoptées.  Quelques-unes  seulement  pourraient 
donner  lieu  à  des  observations.  Je  doute,  par  exemple,  que  les  mots 
mitio  et  fristito,  dans  les  Capîta  eoctravagantia  (i  et  xvni),  aient  le  sens 
qui  leur  est  attribué  aux  notes  701,  702  et  764  (p.  lxo5  et  Aog).  Je 
croirais  plutôt  que  le  premier  signifie  la  seigneurie,  dominium,  et  non 
\ ajournement  ni  \ assemblée  da  placité;  que  le  second  est  po\ir  foristico  ou 
forastico,  qui  veut  dire  étranger,  extérieur,  extraneus,  et  ne  vient  pas 
du  verbe  fristen  signifiant  suspendre  ^  empêcher;  enfin  que  l'expression 
mitio  fristito  ou  fristito  mitio  est  la  même  que  forasmitio,  opposé  à  infra- 
mitio.  Si  le  vrai  sens  de  ces  termes  offre  de  l'incertitude  dans  les  Capita 
extravagantia ,  il  est  permis  de  l'attribuer  à  l'efiroyable  corruption  des 
textes.  Ce  qui  n'est  pas  douteux,  à  mon  avis,  c'est  que  mitiam  et  foras- 
mitiam  ou  forasmixtam  ont,  dans  les  autorités  que  cite  M.  Pardessus 
et  dans  les  diplômes  de  Pépin  et  de  Chariemagne,  dans  les  Capitulaires 
(a.  8o3,  c.  10,  dans  Pertz,  Leg.  1,  p.  1 15)  et  dans  le  polyptyque d'Ir- 
minon,  la  signification  que  je  propose. 

Malheureusement,  la  loi  salique  contient  encore  tant  de  mots  et  tant 
de  passages  d'une  orthographe  et  d'une  signification  douteuse ,  qu'on 
n'aura  probablement  jamais  la  parfaite  intelligence  des  dispositions 
qu'elle  renferme.  Néanmoins  les  termes  expliqués  par  M.  Pardessus 
sont  assez  nombreux  pour  nous  faire  regretter  qu'il  ne  les  ait  pas 
réunis  alphabétiquement  dans  un  glossaire.  Une  telle  disposition  eût 
été  fort  commode  pour  le  lecteur,  au  lieu  qu'il  peut  être  embarrassé 
pour  découvrir,  dans  huit  cent  vingt  et  une  notes,  celle  qui  doit  fournir 
l'interprétation  dont  il  a  besoin.  Par  exemple ,  une  explication  a  été 
promise  (p.  10)  pour  le  mot  salina ,.  mais  elle  n'a  pas  été  donnée  à  la 

80. 


636  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

note  2  la  (p.  SyS),  qui  semblait  sa  véritable  place,  et  ion  ne  sait  plus 
où  la  chercher.  Au  reste,  ce  regret  que  j'exprime  est  loin  de  couvrir  un 
reproche.  Le  savant  éditeur  nous  a  beaucoup  donné;  mais,  en  fait  de 
bonnes  choses,  on  n'en  peut  trop  avoir,  et  personne  ne  trouvera  mau- 
vais  que  nous  en  eussions  encore  voulu  davantage. 

GUÉRARD. 
[La  suite  au  prochain  cahier,) 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


INSTITUT  ROYAL  DU  FRANCE. 

ACADÉMIE  DES  SCIENCES. 

M.  Coriolis,  membre  de  T Académie  des  sciences,  section  de  mécanique,  est  mort 
le  18  septembre  i843. 

ACADÉMIE  DES  BEAUX-ARTS. 

L'Académie  royale  des  beaux-arls  a  tenu ,  le  samedi  7  octobre ,  sa  séance  pu- 
blique annuelle  sous  la  présidence  de  M.  Blondel.  Après  Fexécution  d'un  morceau 
instrumental  de  M.  Gounod,  pensionnaire  de  TAcadémie  de  France  à  Rome,  et  Ja 
lecture  du  rapport  de  M.  Raoul- Rochelte,  secrétaire  perpétuel,  sur  les  ouvrages 
des  pensionnaires  de  1* Académie  de  France  à  Rome ,  la  proclamation  des  grands 
prix  de  peinture,  de  sculpture,  d'architecture,  de  gravure  en  médaille  et  en  pierre 
fine ,  et  de  composition  musicale ,  a  eu  lieu  dans  Tordre  suivant  : 

Grands  prix  de  peinture.  Le  sujet  du  concours  donné  par  T Académie  était  :  Œflipe 
s'exilant  de  Thèhes.  Le  premier  grand  prix  a  été  remporté  par  M.  Eugène-Jean  Du- 
mery,  de  Paris,  âgé  de  vingt  ans,  élève  de  M.  Delaroche.  Le  second  grand  prix  a 
été  remporté  par  M.  François -Léon  Benouvilïe,  de  Paris,  âgé  de  vingt- deux  ans 
et  demi ,  élève  de  M.  Picot.  Le  deuxième  second  grand  prix  a  été  remporté  par 
M.  Henri- Augustin  Gamhard,  de  Sceaux  (Seine),  âgé  de  vingt-quatre  ans,  élève  de 
M.  SigDol. 

L'Académie  a  témoigné  la  satisfaction  que  lui  a  fait  éprouver  ce  concours. 

Grands  prix  de  scalptare.  L'Académie  avait  donné  pour  sujet  du  concours  la  mort 
d'Epaminondas.  Le  premier  grand  prix  a  été  remporté  par  M.  René-Ambroisc  Ma- 
réckal,  de  Paris,  âgé  de  vingt-cinq  ans  et  demi,  élève  de  MM.  Ramey  et  Dumont. 
Le  second  grand  prix  a  été  remporté  par  M.  Eugène-Louis  Legaesne,  de  Paris ,  âgé 
de  vingt-huit  ans  et  demi ,  élève  de  M.  Pradier.  Le  deuxième  second  grand  prix  a 
été  remporté  par  M.  Hubert  Lavigne,  de Cons-la-Grand' Ville  (Moselle) ,  âgé  de  vingt- 
cinq  ans,  élève  de  MM.  Ramey  et  Dumont. 


OCTOBRE  1843.  637 

Grands  prix  d'architecture.  Le  sujet  donné  par  rAcadémie  était  :  Un  palais  de  Vins- 
titut.  Le  premier  grand  prix  a  élé  remporté  par  M.  Jacques-Mari  in  Tétaz,  de  Paris, 
âgé  de  vingt-cinq  ans  et  demi ,  élève  de  feu  M.  Huyol  et  de  M.  Lebas.  Le  second  grand 
prix  a  été  remporté  par  M.  Pierre-Joseph  Dupont,  de  Dijon,  âgé  de  vingt-huit  ans» 
élève  de  MM.  Dcbret  et  Huvé.  Le  deuxième  second  grand  prix  a  été  remporté  par 
M.  Louis-Jules  André,  de  Paris,  âgé  de  vingt-quatre  ans,  élève  de  feu  M.  Huyot  et 
de  M.  Lebas. 

Grands  prix  de  gravure  en  médaille  et  en  pierre  Jine.  Le  sujet  du  concours  était  : 
Arion  sur  le  dauphin.  Le  premier  grand  prix  a  été  remporté  par  M.  Louis  Merley, 
de  Saint-Etienne  (Loire),  âgé  de  vingt-huit  ans  et  demi,  élève  de  MM.  David  et 
Galle. 

Grands  prix  de  composition  musicale.  Le  sujet  du  concours  a  été,  conformément 
aux  règlements  de  T Académie  pour  Tadmission  des  candidats  à  concourir  :  i"*  une 
fugue  à  huit  parties,  à  deux  chœurs,  sur  des  paroles  latines,  dont  ils  reçoivent  le 
sujet  avec  les  paroles  au  moment  d*entrer  en  loge;  a*  un  chœur  à  six  voix,  sur  un 
texte* poétique,  avec  accompagnement  à  grand  orchestre;  et,  pour  le  concours  défi- 
nitif, une  réunion  de  scènes  lyriques  à  trois  voix  (h  Chevalier  enchanté,  paroles 
d*un  membre  de  TAcadémie  des  beaux-arts),  précédée  d'une  introduction  instru- 
mentale, suffisamment  développée,  d*après  laquelle  réunion  de  scènes  les  grands 
prix  sont  décernés,  fl  n'y  a  pas  eu  de  premier  grand  prix.  Le  second  grand  prix  a 
été  remporté  par  M.  Henri-Louis-Chanes  Duvemoy,  né  à  Paris,  âgé  de  vingt-deux 
ans  et  demi ,  élève  de  M.  Halévy.  L'Académie  a  accordé  une  mention  honorable  à 
M.  Nicolas  Alexandre  Marchand,  de  Bourmont  (Haute-Marne),  âgé  de  vûai^t-quatre 
ans,  élève  de  M.  Fétis. 

Prix  extraordinaire  fondé  par  M.  le  comte  de  Maillé- Latour-Landry.  Feu  M.  le 
comte  Charles  de  Maillé-Latour-Landry  a  légué,  par  son  testament,  à  TAcaclémie 
française  et  à  TAcadémie  royale  des  beaux-arts,  une  somme  de  trente  mille  francs 
pour  fondation  d'un  prix  à  accorder,  chaque  année,  au  jugement  de  chacune  de 
ces  deux  académies ,  alternativement ,  à  un  écrivain  et  à  un  artiste  pauvre ,  dont 
le  talent  méritera  d'être  encouragé.  L'Académie,  se  conformant  aux  intentions  de 
M.  le  comte  de  Maillé-Latour-Landry,  a  décerné  le  prix  à  M.  Elwart,  compositeur, 
ancien  pensionnaire  de  l'Académie  de  France  à  Rome. 

L'Académie  a  arrêté,  le  i5  septembre  i8ai,  que  les  noms  de  MM.  les  élèves  de 
l'école  royale  et  spéciale  des  beaux-arts,  qui  auront,  dans  l'année,  remporté  les 
médailles  des  prix  fondés  par  M.  le  comte  de  Caylus,  celui  fondé  par  M.  de  Latour, 
et  les  médailles  dites  autrefois  du  prix  départemental ,  et  de  paysage  historique , 
seront  proclamés  annuellement  à  la  suite  des  grands  prix,  dans  la  même  séance 
publique.  Le  prix  de  la  tête  d'expression,  pour  la  peinture,  a  été  remporté  par 
M.  François-Léon  Benouville,  élève  de  M.  Picot.  Une  mention  honorable  a  été  ac- 
cordée à  M.  Félix-Joseph  Barrias,  élève  de  M.  Cogniet.  Le  prix  de  la  tête  d'ex- 
pression, pour  la  sculpture,  a  élé  remporté  par  M.  Mathurin  Moreau,  élève  de 
MM.  Ramey  et  Dumont.  Une  mention  honorable  a  été  accordée  à  M.  Eugène-Louis- 
Lequesne,  élève  de  M.  Pradier.  Le  prix  de  la  demi-figure  peinte  a  été  remporté  par 
M.  Charies-François  Jalabert,  élève  de  M.  Delaroche.  Une  mention,  honorable  a  été 
accordée  à  M.  Louis-Jean-Qaude  Dien ,  élève  de  M.  Blondel. 

Aucun  élève  de  la  première  dasse  de  la  section  d*architecturc  n'ayant  atteint  le 
nombre  de  vingt-cinq  degrés  exigé  pour  la  grande  médaille  d'émulation  accordée 
au  plus  grand  nombre  de  succès  dans  l'école  d*architecture ,  il  n'y  a  pas  eu  lieu , 
cette  année,  à  accorder  ce  prix. 


638  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Après  la  proclamation  des  prix,  M.  Raoul-Rochette,  secrétaire  perpétuel,  a  lu 
une  notice  historique  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  M.  Ramey  père.  La  séance  a 
été  terminée  par  Inexécution  de  la  scène  qui  a  remporté  le  second  grand  prix  de 
composition  musicale,  et  dont  Tauteur  est  M.  Duvernoy,  élève  de  M.  Halévy. 

Dans  sa  séance  du  lA  octobre,  TAcadémie  des  beaux-arts  a  élu  M.  Duret  à  la 
place  vacante  dans  la  section  de  sculpture  par  le  décès  de  M.  Ojrlot.    . 

LIVRES  NOUVEAUX. 

FRANGE. 

Mémoires  présentés  par  divers  savants  à  l'Académie  royale  des  inscriptions  et  belles- 
lettres  de  l Institut  de  France,  Deuxième  série.  Antiquités  de  la  France»  tome  I.  Paris, 
imprimé  par  autorisation  da  Roi  à  l'Imprimerie  royale,  i8A3,  ïn-U"  de  xxxv- 
36a  pages,  plus  a 5  planches.  —  Avec  ce  volume  commence  la  seconde  série  du 
recueil  que  TAcadémie  consacre  aux  mémoires  présentés  par  divers  savants.  Cette 
série  est  spécialement  relative  aux  anlic^uités  de  la  France.  Cest  un  choix  fait 
dans  les  mémoires  manuscrits  adressés  au  concours  peur  les  trois  médailles  d*or 
que  décerne  annuellement  TAcadémie.  En  tête  de  ce  premier  volume  on  trouve  une 
introduction  de  M.  Berger  de  Xivrey,  suivie  d'une  liste  des  principaux  ouvrages 
signalés  aux  distinctions  de  TAcadémie  par  «^a  commission  des  antiquités  de  la 
France ,  pendant  les  vingt  premières  années  des  concours.  Viennent  ensuite  les  six 
mémoires  qui  ont  été  jugés  dignes  d'ouvrir  cette  nouvelle  partie  du  recueil  de 
r Académie.  1.  Mémoire  sur  les  antiquités  romaines  et  gallo-romaines  de  Paris,  conte- 
nant la  découverte  d'un  cimetière  gallo-romain ,  sis  entre  la  rue  Blanche  et  la  rue 
de  Qichy,  dans  l'impasse  Tivoli ,  et  des  recherclies  sur  les  voies  romaines  qui  abou- 
tissaient  à  Lutèce  ;  suivi  d'un  résumé  statistique  et  accompagné  d'observations  nou- 
velles sur  les  antiquités  trouvées,  en  divers  temps  et  en  différents  lieux,  dans  Paris , 
Sar  M.  JoUois.  —  2.  Extrait  d'un  mémoire  sur  les  antiquités,  l'abbaye  et  les  églises  de 
iontmartre,  par  M.,  Ferdinand  de  Guiihermy.  —  3.  Rapprochement  d'une  inscription 
trouvée  à  Constantine  et  d'un  passage  des  Actes  des  martyrs,  fournissant  une  nouvelle 
preuve  de  l'identité  de  Constantine  et  de  Cirla,  par  M.  £.  Carette.  —  4.  Mémoire  sur 
Vancien  monastère  de  Saint-Orens,  à  Auch,  par  M.  Du  Mège. —  5.  Recherches  sar 
t ancienne  constitution  municipale  de  la  ville  de  Perpignan,  par  M>  Henry.  —  6.  Essai 
sur  le  feu  grégeois  et  sar  l'introduction  de  la  poudre  à  canon  en  Europe  et  principale- 
ment en  France,  par  M.  Ludovic  Lalanne. 

Recueil  de  dissertations  choisies  sur  différents  sujets  d! histoire  et  de  littérature,  par 
i'abbé  Lebeuf.  Tome  F'.  Paris,  imprimerie  de  Maulde  et  Renou,  librairie  de  Te- 
chener,  i843«  in-ia  dexxiii-a44  pages.  —  Cet  utile  recueil,  qui  forme  le  complé- 
ment de  ceux  que  l'abbé Lebeuf  a  publiés  de  son  vivant,  comprendra  toutes  les  dis- 
sertations de  ce  .savant  tirées  du  Mercure  de  France  et  du  Journal  de  Verdun ,  à 
l'exception  de  celles  qui  ont  dé^k  été  reproduites ,  soit  dans  la  collection  de  disserta- 
dons  de  M.  Leber,  soit  dans  les  Variétés  historiques.  L'idée  de  réunir  ces  pièces  si 
intéressantes  pour  l'étude  de  notre  histoire  sera  appréciée  de  tous  ceux  qui  savent 
combien  les  œuvres  de  Lebeuf«vtouies  importantes  ou  curieuses,  sont  oifEciles  à 
rassembler.  En  tète  du  tome  I*  qui  vient  d'être  mis  en  vente,  l'éditeur  publie,  sous 


OCTOBRE  1843.  639 

le  nom  de  Qaude  Gauchet,  que  nous  croyons  un  pseudonyme,  une  bonne  notice 
sur  Tabbé  Lebeuf ,  tirée  des  Mémoires  de  1* Académie  des  inscriptions ,  du  Journal 
de  Verdun ,  d'Odieuvre  et  de  quelques  documents  manuscrits. 

Les  Trouvères  artésiens,  par  M.  Arthur  Dinaux,  de  la  Société  royale  des  Antiquaires 
de  France,  etc.  Valenciennes ,  imprimerie  de  Prignet;  Paris,  librairie  de  Techener, 
in-8*  de  vii-A83  pages.  —  Ce  nouvd  ouvrage  de  Tauteor  des  Trouvères  cambrésiens 
et  des  Trouvères  de  la  Flandre  et  du  Tournésis,  est,  comme  ses  aînés,  le  fruit  de 
laborieuses  recherches,  el  se  recommande  par  le  nombre  et  l'importance  des  textes 
et  des  renseignements  que  contiennent  les  soixante-quinie  notices  dont  il  se  com- 
pose. Ces  notices,  consacrées  à  un  pareil  nombre  de  poètes  artésiens,  sont  précé- 
dées d'une  introduction  ou  Ton  trouve  des  aperçus  nouveaux  sur  la  versification  en 
usage,  [iendant  cette  période,  dans  la  prorince  d'Artois  ,  et  accompagnés  d'éclair- 
cissements sur  tous  les  passages  qui  se  rapportent  à  l'histoira  du  pays. 

Poésies  provençales  des  xyi*  et  xru'  sièchs,  publiées  diaprés  les  éditions  origi- 
nales et  les  manuscrits.  Tome  I",  i843,  imprimerie  des  hoirs  Feissat  aîné  et  J)e- 
mouchy,  à  Marseille-,  librairie  de  Techener,  à  Paris.  —  Ce  premier  volume  d^une 
collection  destinée  à  reproduire  toutes  les  poésies  publiées  en  Provence  dafos  le 
xvii'  siècle,  sous  le  titre  général  de  Jardin  des  muses  provençales,  comprend-  le 
tome  1"  de  la  réimpression  du  plus  ancien  des  trois  recueils  qui  portent  ce  nom  : 
Le  Jardin  deys  musos  provensalos,  divisât  en  quatre  partidos,  per  Claude  Brueys,  es» 
cuyer  d'Aix ;  à  Aix,  par  Estienne  David,  i6a8.  Cette  réimpression,  exécutée  av«c 
un  grand  soin ,  est  précédée  de  recherches  intéressantes  sur  Claude  Brueys  par 
l'éditeur,  M.  Anselme  Mortreuil ,  avocat  à  Marseille.  On  ne  peut  qu'applauctiffwia 
reproduction  de  ces  pièces  peu  connues,  charmantes  pour  la  plupart,  et  qui  mé- 
ritent toutes  d'être  étudiées  comme  monimients  curieux  et  rares  de  la  belle  langue 
provençale. 

L'illustre  châtelaine  des  environs  de  Vaucluse;  la  ÏAiure  de  Pétrarque,  ^-  Disserta- 
tion et  examen  critique,  par  Hyac.  d'Olivier- Vitalis,  bibliothécaire  deCarpentras, 
correspondant  du  ministère  de  l'instruction  publique  pour  les  travaux  historique*. 
Imprimerie  de  Devillario ,  à  Carpentras  ;  librairie  de  Techener,  à  Paris  ;  in-8*  de 
xv-a83  pages,  avec  gravures. 

Tiecherches  critiques  sur  l'âge  et  l'origine  des  traductions  latines  d'Aristote  et  sur  des 
commentaires  grecs  oa  arabes  employés  par  les  docteurs  scholastiques.  Ouvrage  couroiltié 
par  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres ,  par  Amable  Jourdain.-  Nouvelle 
édition,  revue  et  augmentée  par  Charies  Jourdain.  Paris,  imf^rimerie  de  Crapelet, 
librairie  de  Joubert,  1 843 ,  in-8'  de  488  pages. 

Ijexicon  manuale  hebraîcum  et  ckaldaîcum ,  cum  indice  latino  vocabulorum;  auctore 
J.  B.  Glaire.  Eklitio  altéra.  Paris,  imprimerie  de  Wittersheim ,  librairies  de  Méqui- 
gnon-Junior  et  J.  Leroux,  i843,  in-^**  de  734  pages. 

Isographie  des  hommes  célèbres,  ou  collection  de  fac-similé ,  de  lettres  autographes  et 
de  signatures  dont  les  originaux  se  trouvent  à  la  Bibliothèque  du  Boi,  aux  archives  du 
royaume ,  à  celles  des  différents  ministères ,  du  département  de  la  Seine ,  et  dans  les  col" 
lections  particulières.  Noirvelle  édition,  4  vol.  in-4^.  Paris,  librairie  de  Techener.  La 
table  alphabétique  qui  complète  cette  nouvelle  édition  vient  de  paraître.  (Sg  pages 
in-4*'t  imprimerie  de  Malteste ,  librairie  de  Techener.  ) 

Alphabet- album.  Collection  de  soixante  feuilles  d*alphabet8  historiés  et  fleuron- 
nés  ,  tirés  des  principales  bibliothèques  de  l'Europe  ou  composés  par  Silvestre ,  pro- 
fesseur de  calligraphie  des  princes  ;  gravés  par  Gérault.  Paris ,  librairie  de  Teche- 
ner, 1843. 


640  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ANGLETERRE. 

Eusebias,  or  ihe  Theophania,  iranslated  into  english  with  noies,  from  an  ancient 
syriac  version  of  the  greek  original  now  lost,  by  Samuel  Lee.  Cambridge,  i843, 
in-S",  dix  et  344  pages.  —  Syriac  version,  edilcd  from  an  ancient  manascript.  Prin- 
ted  for  the  society  for  the  publication  of  oriental  texts.  London,  iSia,  grand  in-8', 
218  pages.  —  Ëusèbe,  évêque  de  Césarée  en  Palestine,  au  commencement  du 
iv*  siècle,  fut,  comme  ou  le  sait,  un  des  hommes  les  plus  érudils  et  des  plus  élo- 
quents de  sont  emps  :  on  lui  doit ,  entre  autres  ouvrages  ,  une  histoire  ecclésiastique 
très-estimée.  Il  assista  au  concile  de  Nicée,  y  porta  la  parole  devant  Constantin,  et 
ce  fut  lui  qui  rédigea  contre  Arius  la  formule  de  foi  orthodoxe  que  les  Pères  du 
concile  adoptèrent,  en  y  ajoutant  seulement  le  mot  b[i.oiatos^  ou  consubstantiel ,  ex- 
pression qu'Eusèbe  n*admit,  à  la  vérité,  qu'avec  peine.  La  répugnance  qu'»l  ma- 
nifesta au  sujet  de  ce  mot,  et  plusieurs  passages  d'un  commentaire  sur  les  psaumes, 
dont  il  est  auteur,  Tout  fait  assez  généralement  considérer  comme  partisan  des 
opinions  d' Arius.  Aujourd'hui  son  orthodoxie  n'est  plus  douteuse ,  grâce  à  la  pré- 
cieuse découverte  qui  a  été  faite  d'un  de  ses  ouvrages,  dont  on  ne  connaissait  que 
le  titre.  La  gloire  de  venger  la  mémoire  de  ce  savant  prélat  était  rése.  :ée  à  un 
des  ministres  les  plus  distingués  de  l'église  anglicane,  qui  est  en  même  temps  un 
des  orientalistes  européens  les  plus  instruits,  les  plus  laborieux,  et  aussi  les  plus 
célèbres.  M.  Samuel  Lee,  dans  son  zèle  infatigable  pour  les  travaux  d'érudition 
orientale  qui  ont  rapport  à  la  religion,  a  trouvé  la  traduction  syriaque  du  livre  dont 
il  s'agit.  Cet  ouvrage,  dont  l'original  grec  est  perdu,  traite  précisément  du  sujet 
délicat  de  la  divinité  de  Jésus-Christ ,  à  laquelle  on  accusait  ce  Père  de  l'Eglise  de 
ne  pas  croire.  Ce  livre,  intitulé  Seo^àveia^  c'est-à-dire  la  manifestaLon  divine  [en 
Jésus-Christ) ,  nous  dévoile  la  véritable  pensée  d'Eusèbe ,  et  on  ne  peut  douter,  après 
l'avoir  lu,  que  le  saint  prélat  n'ait  cru  à  la  vérité  fondamentale  de  la  religion  ch**é- 
tienne ,  vérité  sans  laquelle  elle  n'est  qu'une  secte  philosophique.  M.  Lee  a  publié 
le  texte  et  la  traduction  de  ce  traité,  et,  dans  une  savante  dissertation  préliminaire, 
il  en  met  en  relief  les  doctrines,  et  il  conclut  k  l'orthodoxie  d'Eusèbe.  Nous  ne  le 
suivrons  pas  dans  ses  consciencieuses  recherches,  et  nous  n'entreprendrons  pas  non 
plus  d'analyser  le  traité  de  l'évêque  de  Césarée.  Il  nous  suffit  d'appeler  l'attention 
des  savants  sur  la  double  publication  de  M.  Lee,  une  des  plus  intéressantes  qui 
^ient  paru  dans  ces  dernières  années. 


TABLE. 


Le  Livre  des  rois,  par  Abou^lkasim  Firdousi,  publié,  traduit  et  commenté  par 

M.  Jules  Mohl;  tome  II  ( l*"  article  de  M.  Quatremère) Page  577 

11  sepolcro  dei  Volanni,  ed  altri  monumenti  inediti  etruschi  e  romani,  esposti  da 

VermiglioH  (1"  article  de  M.  Raoul-Rocbette) 598 

Sur  un  traité  arabe  relatif  à  rastronomie  (2*  article  de  M.  Biot) 609 

Loi  salique,  avec  des  notes  et  dissertations,  par  J.  M.  Pardessus  (2*  article  de 

M.  Guérard.) Ci27 

Nouvelles  littéraires  * • .  • • • . . .  • 636 

PIH  DB  LA  TABLE. 


•• 


1  *i  t     ■;■!— ac 


JOURNAL 

DES  SAVANTS. 


NOVEMBRE  1843. 


Histoire  de  la  république  de  Gênes  y  par  M.  Emile  Vincens, 
conseiller  dÉtat.  Paris,  Firmin  Didot,  i842,  3  vol.  in-8^ 


PREMIER    ARTICLE. 

Après  Venise ,  Gênes  est  celle  des  républiques  italiennes  qui  a  eu  la 
plus  longue  existence  et  le  plus  de  grandeur  extérieure.  Du  xi*  siècle  à 
la  fin  du  XVIII*,  elle  a  formé  un  État  indépendant,  soumis  à  des  vicis- 
situdes diverses,  toutes  dignes  d'être  étudiées,  comme  pouvant  fournil* 
des  matériaux  à  la  science  politique  et  ajouter  à  la  prudence  des  peuples 
qui  se  gouvernent  eux-mêmes.  Elle  a  occupé,  depuis  Porto- Venere  jus- 
qu'à Vintimille ,  le  vaste  littoral  au  centre  duquel  se  trouve  placé  son 
magnifique  port  et  qu'entoure  la  chaîne  de  l'Apennin,  formant,  dans 
sa  jonction  avec  les  Alpes,  comme  une  forteresse  naturelle  sur  ses  der- 
rières. 

Favorisée  par  cette  position ,  et  n'ayant  d'autre  ressource  que  l'aven- 
tureuse industrie  de  la  mer.  Gênes  a  joué  de  bonne  heure  un  rôle 
important  dans  la  Méditerranée.  Elle  a  pris  la  part  la  plus  efficace 
aux  croisades  par  ses  flottes  et  ses  colonies;  elle  a  fondé  en  Orient 
des  comptoh's  commerciaux  qui  étaient  eux-mêmes  de  petits  États  sou- 
mis à  leurs  propres  lois  et  ne  reconnaissant  que  leurs  magistrats  natio- 
naux; elle  a  possédé  des  villes  sui*  la  côte  de  Syrie,  des  îles  dans  l'ar- 
chipel de  la  Grèce.  Du  faubourg  fortifié  de  Galata,  elle  a  exercé  une 
sorte  de  suprématie  sur  l'empire  byzantin ,  dont  elle  avait  secondé  la 

81 


642         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

restauration  au  profit  des  PaJéologues;  elle  a  disposé  du  commerce  de 
la  mer  Noire  par  Timmense  établissement  de  CaiSa.  Après  deux  siècles 
dune  lutte  acharnée,  elle  t  ruiné,  dans  la  bataille  de  la  Meloria,  la 
puissance  navale  de  Pisc,  à  qui  elle  disputait  la  Sardaigne  et  la  Corse, 
et ,  un  peu  plus  tard,  elle  a  si  étroitement  pressé  dans  ses  lagunes  Venise 
vaincue  à  Pola  et  à  Chioggia ,  que  cette  altière  dominatrice  de  TAdria- 
tique  se  crut  alors  arrivée  à  son  dernier  moment. 

Le  peuple  génois ,  Tua  des  principaux  agents  du  commerce  de  la 
Méditerranée  et  de  TOrient  pendant  le  moyen  âge,  et  devenu,  posté- 
rieurement à  la  découverte  de  TAmérique ,  en  quelque  sorte  Tintendant 
de  la  fortune  espagnole  ;  ayant  essayé  de  toutes  les  manières  de  se  gou- 
verner lui-même  ou  de  se  faire  gouverner  par  autrui,  sans  pouvoir 
rester  ni  inàépendant  ni  soumis,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  ti'ouvé,  en  i  628, 
dans  la  lassitude  deS  troubles  et  des  assujettissements,  ainsi  que  dans 
le  patriotisme  désintéressé  du  plus  grand  de  ses  citoyens ,  le  moyen  de 
rendre  sa  liberté  plus  stable  par  une  constitution  plus  sage ,  le  peuple 
génois  mérite  l'attention  particulière  des  économistes  et  des  politiques. 

Us  peuvent  étudier  les  révolutions  de  son  commerce  et  de  son  gou- 
vernement dans  les  trois  volumes  qu'a  publiés  M.  Vincens,  et  qui  con- 
tiennent l'histoire  la  plus  complète  de  Gênes.  Cette  histoire  manquait. 
Elle  était  à  désirer,  malgré  les  ouvrages  qui  avaient  déjà  paru  sur  cette 
république  célèbre.  M.  de  Bréquigny  avait  bien  donné,  en  lySsi,  trois 
volumes  sur  les  révolutions  qu'elle  avait  subies  depuis  son  origine  jus- 
qu'à la  paix  de  1 7/18;  mais  ce  livre,  destiné  à  retracer  les  mouvement» 
intérieurs  d*un  Etat  maritime  dont  la  grandeur  se  fondait  principalement 
sur  le  commerce,  ne  dit  rien  de  celui-ci,  auquel  Gênes  a  dû  surtout 
son  organisation ,  son  caractère,  ses  troubles  et  la  puissance  des  familles 
qui,  durant  tant  de  siècles,  y  ont  entretenu  la  guerre  civile  et  provoqué 
les  changements  politiques  par  leur  ambition.  Outre  ce  défaut,  il  en  a 
un  autre ,  qui  a  même  empêché  le  savant  académicien  d'atteindre  le  but 
particulier  qu'il  s'était  proposé.  Les  révolutions  de  Gênes  y  sont  très- 
imparfaitement  appréciées  dans  leurs  causes  et  dans  leur  portée.  Com- 
ment en  aurait-il  été  autrement?  Gomment,  du  sein  de  la  paix  profonde 
du  xvni*  siècle  et  de  son  inexpérience  politique ,  M.  de  Bréquigny  au- 
rait-il pu  pénétrer  dans  les  passions  des  partis ,  saisir  les  luttes  com- 
plexes et  acharnées  des  familles ,  suivre  les  détours  et  comprendre  k 
violence  des  ambitions  ;  expliquer  la  mobilité  des  changements  ?  Il  fal- 
lait pour  cela  qu'une  grande  révolution  jetât  ses  ardentes  lumières  sur 
toutes  les  autres. 

Aussi  est-on,  à  cet  égard,  bien  plus  satis£adt  de  ce  que  contient  sur 


NOVEMBRE  1843.  6ft3 

Gênes  Tintéressante  Histoire  des  républiques  itaUeimes.  M.  Sismondi  fa 
entreprise  au  commencement  du  siècle,  en  ayant  encore  sous  les  yeuK 
le  spectacle  de  nos  grandes  luttes  civiles,  qui  l'ont  aidé  à  mieux  con- 
naître celles  du  moyen  âge.  Mais,  dans  cet  ouvrage,  où  plus  d'expé- 
rience s*unit  à  de  vastes  études ,  où  la  chaleur  d'une  âme  jeune  se  répand 
dans  de  nobles  récils,  et  où  qudquefois  même  l'éloquence  des  senti- 
ments s'oppose  à  la  simplicité  des  explications»  l'histoire  de  Gênes  se 
trouve  trop  éparse  et ,  en  bien  des  points,  trop  ébauchée.  La  natixre  de 
l'ouvrage  le  voulait  ainsi.  D'ailleurs ,  M«  Sismondi  n'a  pas  eu  à  sa  dispo- 
sition les  documents  originaux  et  secrets  avec  leMjueis  M.  le  marquis 
Girolamo  SeiTa  a  composa  son  histoire  de  Gênes ,  publiée  i  Turin  en 
i83&  ^,  et  dmit  M.  Vincéns  s'est  ^[alement  servi  pour  faire  la  sienne. 

Le  savant  travail  du  marquis  Serra ,  exécuté  avec  des  matériaux  pris 
dans  les  archives  de  Gênes,  s'arrête  malheureusement  en  ii83.  fl 
n'apprend  rien  dès  lors  ni  sur  la  révolution  décisive  de  1 5 18,  qui,  en 
changeant,  sous  l'influence  généreuse  d'André  Doria,  la  constitution  de 
Gênes,  lui  donna  une  vie  nouvelle,  ni  sur  la  conspiration  si  curieuse 
de  Jean-Louis  Fiescbi ,  ni  sur  la  guerre  de  Corse ,  ni  sur  les  rapports  Àe 
ia  république  reconstituée  avec  les  grandes  puissances  de  l'Eurqpe  pen- 
dant cette  dernière  période  de  son  existence  politique.  M.  Seira  n'a  pas 
cm  devoir  s'engager  dans  l'histoire  des  trois  derniers  siècles  :  le  sujet 
aurait  été  peut-être  trop  délicat  h  traiter  pour  lui  à  mesure  qu'il  je  aé- 
rait approché  du  temps  où  son  pays  est  devenu  l'annexe  d'un  autre  Etat. 

Plus  libre  que  lui,  M.  Vincens  a  déroulé  les  annales  de  Gênes  de- 
puis  son  oiîgine  jusqu*à  nos  jours.  Vingt-cinq  ans  passés  dans  les  mors 
de  cette  ville  lui  ont  permis  de  connaître  i  fond  le  caractère  génois , 
d'examiner  avec  curiosité  le  théâtre,  et  d'étudier  avec  fruit  les  éviae- 
ments  de  son  histoire.  Il  a  profité  des  travaux  de  ses  prédécessevrt, 
comblé  leurs  lacones ,  rect^é  qudqaes^tnes  de  leurs  «nwurs  ;  il  a  eu 
â  sa  disposition  les  documents  dont  ils  se  sont  servis.  Gaffaro  et  les 
autres  chroniqueurs  officiek  de  la  république  de  1101  à  1^9/1;  les 
commentaires  de  Jacques  de  Varagine,  archevêque  de  Gênes;  les  ou- 
vrages des  deux  Stella  et  de  Senarega  au  xn*  et  au  xv*  siècle  ;  ceux 
d'^u^[ustin  Giustimani,  de  Foglietta  et  de  Bonfadio  «u  xv^;  enfin  les 
chroniques  semi- officielles  des  Casoni,  le  Compendiù^  eU.  d'Acciaelli, 
et  l'histoire  du  traité  de  Womis,  jusqu'à  la  paix  d'Aix-la«Qiapdk ,  en- 
1 7/18 ,  par  un  Doria ,  au  xvif  et  mi  xvm*,  ont  été  les  sources  où  il  a  pinaé , 

*  La  ttoria  delt  antica  Ligwia  e  tR  Gmmà,  weritta  dal  nuœdme  Gipohmo  Sitra, 
Torino,  i834,  àyci. 

81. 


644         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

non  sans  critique  et  sans  discernement ,  le  fond  de  son  ouvrage.  Plu- 
sieurs dissertations  d'un  haut  intérêt,  composées  avec  les  documents  se- 
crets sur  les  établissements  des  Génois  dans  la  mer  Noire ,  et  envoyées , 
en  1798,  par  le  père  Semini,  à  Tlnstitut  de  France,  qui  les  lui  avait 
demandées  ;  les  deux  volumes  publiés ,  en  1 83 1 ,  à  Turin ,  par  M.  L.  Saulî , 
sur  l'importante  colonie  de  Galata;  les  documents  originaux  tirés,  en 
1 8o5,  desarchives  de  Gênes ,  par  M.  Silvestre  deSacy,  ainsi  que  le  rapport 
publié,  à  leur  sujet,  dans  les  mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions, 
par  ce  savant  illustre,  ont  donné  à  M.  Vincens  le  moyen  de  traiter 
4  une  manière  sûre  et  approfondie  tout  ce  qui  concerne  la  navigation 
et  le  commerce  de  cette  république  marchande.  Mais,  indépendam- 
ment de  ces  secours  généraux ,  il  avait  recueilli  lui-même  des  documents 
particuliers  pendant  son  séjour  à  Gênes,  et  il  en  a  trouvé  d'inconnus 
jusqu'ici  aux  autres  historiens,  soit  dans  le  dépôt  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  royale ,  soit  dans  les  archives  de  France.  Les  instruments 
originaux  des  transactions  de  la  république  avec  les  rois  de  France  aux 
xiv',  xv*  et  xvi*  siècles  lui  ont  été  communiqués,  et.il  a  été  admis  à  con- 
sulter aussi  les  correspondances  des  affaires  étrangères  au  xvii*  et  au 
xvin*.  Avec  ces  secours,  il  a  pu  ajouter  à  l'histoire  de  Gênes  des  faits  nou- 
veaux ,  et  donner  la  vraie  explication  de  certains  événements  impar£ù- 
tement  appréciés,  parce  qu'ils  étaient  inexactement  connus.  C'est  ainsi 
qu'il  montre  dans  son  ouvrage ,  où  l'on  désirerait  pourtant  quelquefois  un 
peu  plus  d'art  dans  la  composition  et  d'élégance  dans  le  style,  de  la  pé- 
nétration comme  historien,  de  la  science  comme  économiste,  et  une 
expérience  acquise  par  plus  de  cinquante  ans  passés  dans  la  pratique  des 
affaires.  En  rendant  compte  de  cet  ouvrage,  j'examinerai  surtout  les 
transformations  subies  parle  gouvernement  de  Gênes,  et  ies  vicissitudes 
de  son  commerce. 

M.  Vincens  n'insiste  pas  beaucoup  sur  ies  commencements  de  cette 
ville.  Les  documents  manquent,  et,  lorsqu'on  n'a  pas  encore  laissé  de 
U'ace  dans  l'histoire,  c'est,  en  générai,  une  preuve  qu'on  n'a  encore  rien 
fait  de  digne  d'elle.  On  sait  seulement  que  Gênes,  si  favorablement  placée 
au  centre  d'un  beau  golfe  pour  jouer  un  grand  rôle  commercial ,  était, 
du  temps  de  Strabon ,  le  marché  de  toute  la  Ligurie  ;  que  les  Francs 
d'Austra&ie  la  pillèrent  et  la  brûlèi^nt  en  53  9,  ainsi  que  Pavie;  que ,  pen- 
dant leis  invasions  germaniques ,  elle  servit  de  refuge  aux  émigrés  de 
cette  partie  de  L'Italie,  fuyant  les  dévastations  des  barbares  et  cherchant 
un  abri  derrière  l'Apennin,  comme,  du  côté  oppose,  ils  en  trouvaient 
un ^ncpre  plus  sur  dans^ les. lagunes  de  la  Vénétie-,  qu'elle  se  défendit 
contre  les  expéditions  maritimes  des  Arabes,  à  l'époque  où  ceuvci,  partant 


NOVEMBRE  1843.  645 

des  côtes  d'Afrique  et  d'Espagne,  s'emparaient  de  Majorque,  de  Mi- 
norque ,  de  la  Saôxlaigne ,  de  la  Corse ,  de  la  Sicile ,  et  s'étendaient  d'une 
manière  menaçante  sur  toutes  les  cotes  de  la  Méditerranée;  qu'eUe 
se  dégagea  peu  à  peu  des  liens  qui  la  rattachaient  au  faible  royaume 
d'Italie  pendant  le  x*  siècle,  et  les  brisa  presque  entièrement  au  xi' 
pour  devenir  indépendante.  Dès  cette  époque ,  on  voit  les  Génois  en- 
treprendre la  grande  navigation,  où  les  avaient  cependant  précédés 
les  Amalfitains,  les  Vénitiens  et  les  Pisans,  et  agir  en  peuple  qui  se 
gouverne  lui-même.  M.  Vincens  nous  les  peint  u  intrépides  sur  mer, 
braves  contre  l'ennemi,  sobres  comme  les  habitants  d'un  sol  pauvre 
et  stérile,  habiles  à  la  manœuvre,  prompts  àTabordage,  et  ne  craignant 
pas  plus  d'aller  à  la  rencontre  du  danger  qu'à  la  recherche  du  gain.  » 

Le  XI*  siècle  fut  le  vrai  berceau  de  leur  république,  qui,  d'accord 
avec  celle  de  Pise,  commença,  de  ioi5  à  10112,  sous  l'influence  direc- 
trice des  papes ,  la  grande  réaction  chrétienne  contre  la  conquête  arabe. 
Cette  réaction,  qui  se  signala,  au  début  du  siècle,  par  la  reprise  de  la 
Sardaigne  et  de  la  Corse,  et  par  des  expéditions  en  Afrique,  et,  vers  sa 
fin,  par  l'invasion  même  de  l'Asie  au  moyen  de  la  première  croisade, 
développa  le  caractère  entreprenant  et  prépara  la  puissance  des  Génois. 
Leur  ville  était  alors  encore  petite.  «Elle  était  resserrée,  dit  M.  Vin- 
cens  ,  dans  une  enceinte  fort  étroite  ;  elle  était  bien  loin  de  border  de  ses 
quais  et  d'entourer  de  ses  édifices  la  vaste  sinuosité  dont  on  a  fait  depuis 
le  port  de  Gênes.»  La  forme  du  gouvernement  était,  de  son  côté,  ex- 
trêmement simple.  Selon  M.  Vincens,  «  la  commune,  dont  les  affaires  se 
décidaient  ou  plutôt  se  concertaient  sur  la  place  publique ,  n'était  qu'une 
société  de  commerce  maritime.  »  On  s'associait  pour  construire ,  pour 
équiper,  pour  armer  les  flottes.  Dans,  cette  association  l'un  mettait  son 
argent,  l'autre  son  habileté,  un  troisième  son  courage,  et  chacun  avait 
une  part  dans  les  profits  de  l'entreprise.  Nul  ne  naviguait  pour  im  salaire  : 
c'est  une  habitude  qui  s'est  constamment  conservée  à  Gênes ,  où  l'ad- 
ministration des  compagniejS  conmierciades  devint,  au  reste ,  assez  long- 
temps le  gouvernement  de  la  république.  La  chi^onique  de  Caffaro  le 
prouve  surabondamment.  Ce  Génois,  qui,  pendant  toute  la  première 
moitié  du  xn* siècle ,  a  été  mêlé  aux  plus  importantes  affaires  de  son  pays, 
qu'il  a  gouverné  six  fois  comme  consul,  représenté  deux  fois  comme 
ambassadeur,  dont  il  a  dirigé  plusieurs  expéditions  maritimes ,  et  dont 
il  a  rédigé  les  annales,  nous  dit,  de  1101  à  1 1  a  1 ,  à  chaque  terme  et  à 
c^iaque  renouvellement  de  la  compagnie  commerciale  :  on  fit  une  com- 
pagnie de  trois  ans  et  de  six  consuls,  qui  furent  aussi  les  consuls  de  la  opj$-. 

MUBE. 


«4«  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

C'est  avec  un  gouvernement  aussi  impariait,  en  étant  régie  et  jugée 
par  des  consuls  qui  étaient  les  agents  d'une  compagnie  commerciale,  que 
la  répubh'que  naissante  de  Gênes  fit  tles  choses  considérables  et  acquit 
bientôt  une  vaste  puissance.  La  guerre  contre  les  Arabes  des  îles  de  la 
Méditerranée  avait  commencé  sa  grandeur,  qui  s'acheva  dans  les  croi- 
sades contre  les  musulmans  de  la  Syrie  et  de  la  Palestine.  DéjSi  en 
106&,  vingt-neuf  ans  avant  la  première  croisade,  on  aperçoit  une  flotte 
génoise  à  Joppé ,  et  l'on  trouve  à  Jérusalem ,  devenue  le  but  des  pèle- 
rinages de  l'Occident,  une  factorerie  génoise  dans  le  quartier  où  était 
bâtie  une  église  pour  les  chrétiens  européens. 

Les  Grénois  se  signalèrent  dans  la  conquête  de  la  terre  sainte.  Ils  en- 
voyèrent sept  flottes,  dont  quelques-unes  de  soixante-dix  galères,  dans 
ie  cours  de  la  première  croisade  seulement,  et,  sans  les* approvisionne- 
ments qu'ils  fournirent  aux  imprévoyants  croisés,  sans  les  machines  à 
l'aide  desquelles  Tingénieur  génois  Èmbriaco  leur  facilita  la  prise  de 
Jérusalem,  il  est  vraisemblable  que  cettp  hardie  expédition  n'aurait 
pas  eu  le  même  succès.  Les  Génois  contribuèrent  également,  par  la  puis- 
sance de  leurs  machines  et  par  l'intrépidité  de  leur  courage ,  à  la  con- 
quête deCésarée,  d'Arsur,  de  Ptolémaïs  ou  Saint- Jean-d' Acre ,  de  Jaffa, 
de  Tripoli»  de  Beyrout,  de  Sarepta.  Leur  assistance  ne  fut  pas  désinté- 
ressée ;  ils  obtinrent  à  perpétuité  le  tiers  de  Césarée ,  d'Arsur,  de  Saint- 
Jean-d' Acre,  et  de  plusieurs  autres  villes,  outre  la  place  de  fiibios  dont 
ib is'emparèrent  pour  leur  propre  compte.  Us  possédèrent,  dans  Jérusa- 
lem, Jaffa,  Tripoli,  Antiocbe,  et  toutes  les  villes  de  cette  principauté, 
une  itie  dont  fls  étaient  souverains  et  où  se  trouvaient  une  égjlùe  ^  un 
fbuf  J[)anal,  un  bain  public.  Dans  cette  enceinte  privilégiée,  dans  cette 
petite  cite  génobe  transmarine,  un  consul  administrait  la  colonie  «  qui 
avait  de  vastes  magasins  pour  ses  marchandises,  se  servait  de  ses  pro* 
près  poids ,  obéissait  aux  lois  de  la  métropole  en  matière  de  succes- 
sion et  de  justice ,  suivait  ses  usages ,  et  soumettait  à  ce  régime  les  étran- 
gers qui  venaient  prendre  domicile  an  milieu  d'^e.  La  forme  que  les 
Génois  donnèrent  les  premiers  à  leurs  établissements  coloniaux  dans 
la  terre  sainte  fot  imitée  par  les  Vénitiens ,  après  que  la  prise  de  Sidon 
et  de  f^r  eut  mis  ces -derniers  en  possession  de  stations  maritimes  sur 
la  c6te  de  Syrie ,  et  elle  servit  plus  tard  de  modèle  aux  consulats  firan- 
cals  du  Levant,  institués  cependant  sur  une  moins  grande  échelle^ 

'En  même  temps  quils  jetaient  en  Orient  les  fondements  de  leur 
puissance  commerciale  et  d'une  souveraineté  lointaine ,  les  Génois  8*é- 
teiitiaient  sur  leur  propre  territoire*  Us  passaient ,  conmie  cda  arrive 
toujours ,  de  l'esprit  d'indépendance  à  l'esprit  de  domination ,  et ,  après 


NOVEMBRE  1843-  647 

s  être  rendus  entièrement  libres ,  ils  étaient  devenus  conquérants.  Us 
avaient  ambitionné  Tacquisition  de  tout  le  littoral  de  cette  Ligurie  ma- 
ritime qui  a  cent  cinquante  milles  de  côtes ,  et*  des  bords  du  Var,  dans 
la  rivière  du  ponant,  à  ceux  de  la  Magra,  dans  celle  du  levant,  ils  ne 
tardèrent  pas  à  faire  reconnaître  leur  autorité.  D'un  coté,  ils  soumirent 
Savone,  Albenga,  Vintimille;  de  Tautre,  ils  occupèrent  jusqu'au  golfe 
de  la  Spezzia,  à  l'entrée  duquel  ils  construisirent  la  place  de  Porto- 
Venere.  Les  seigneurs  féodaux  qui  dominaient  les  vallées  méridionales 
defApennin,  ou  bien  dont  les  possessions  arrivaient  jusqu'aux  bords  de 
la  mer,  comme  les  marquis  de  Gavi,  de  Geva,  de  Clavesana,  etc.  les 
comtes  de  Vintimille  et  de  Lavagna,  furent  domptés,  et  la  petite  corn-* 
mune  marchande  de  Gênes  devint ,  en  moins  d'un  demi-siècle ,  une 
grande  et  redoutable  république,  au-devant  de  laquelle  Taltier  Frédéric 
Barberousse  abaissa  ses  prétentions ,  même  après  avoir  vaincu  la  li|[oe 
lombarde,  soumis  Grème,  rasé  Milan,  détruit  les  constitutions  républi- 
caines des  autres  villes  d'Italie ,  et  proclamé,  en  s'appuyant  sur  les  doe* 
trines  despotiques  des  jurisconsultes  bolonais ,  qu'il  possédait  le  merum 
imperiam  dans  toute  la  Péninsule. 

Il  faut  suivre  ces  développements  rapides  de  la  puissance  génoise 
dans  le  livre  de  M.  Vincens ,  qui  les  expose  fort  bien.  G'est  avec  clarté 
et  précision  qu'il  décrit  les  changements  intérieurs  produits  dans  la 
constitution  de  la  république  par  ses  nouvelles  prospérités  et  ses  vastes 
accroissements ,  et  qu'il  en  assigne  la  cause  et  le  moment.  Le  revenu 
des  villes  conquises  en  Syrie ,  un  butin  immense  fait  pendant  la  guerre, 
le  transport  lucratif  des  pèlerins,  le  trafic  des  marchandises  d'Europe  et 
d'Asie ,  avaient  rapidement  augmenté  la  richesse ,  la  population  et  l'en* 
ceinte  de  Gênes ,  dont  le  gouvernement  ne  pouvait  plus  dépendre  uni* 
quement  des  compagnies  commerciales  formées  pour  l'armement  des 
flottes ,  et  se  confondre  ainsi  avec  le  syndicat  des  intérêts  particuliers. 
11  s'en  dégagea  dès  lors  peu  à  peu ,  et  les  consuls ,  tout  en  restant  en- 
core les  élus  de  la  compagnie ,  devinrent  les  chefs  annuels  de  la  répu- 
blique. 

Cette  révolution  n'eut  rien  de  brusque  et  fut  le  passage  gradué  d'une 
association  commerciale  à  une  société  politique.. Gomme ,  en  général, 
les  peuples  transforment  plus  qu'ils  ne  changent  les  éléments  primitifs 
de  leur  constitution ,  la  compagnie ,  qui  était  la  base  de  la  commune  gé^ 
noise ,  subsista  toujours,  mais  elle  servit  alors,  si  l'on  peut  parler  ainsi,  de 
cadre  aux  citoyens  actifs.  Elle  devint  pour  ceux-ci  le  moyen  d'exercer  leurs 
droits  et  de  participer  à  la  conduite  de  l'État*  Quiconque  ne  se  présentait 
pas  dans  le  délai  de  onze  jours,  pour  y  adhérer  après  qu'dile  avait' élé 


648  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

formée,  ne  pouvait  recevoir  aucun  emploi  public,  ne  devait  point  être 
admis  en  justice  à  moins  qu'il  ne  fût  défendeur,  et  il  était  interdit  à  tout 
membre  de  la  compagnie  de  le  servir  sur  ses  galères  ou  de  le  défendre 
devant  les  tribunaux.  Il  était  rejeté  de  la  société  génoise  pour  tout  le  temps 
que  durait  la  compagnie.  Les  quatre  consuls  furent  alors  nommés  pour 
un  an ,  et  ils  entrèrent  en  charge  le  2  février,  jour  de  la  purification  ^  D» 
juraient  de  ne  faire  ni  guerre  ni  expédition  sans  le  consentement  du 
peuple  demeuré  souverain,  et  qui,  assemblé  en  parlement,  réglait  les 
grandes  entreprises,  ainsi  que  rétablissement ^es  impôts  et  les  salaires 
des  ambassadeurs;  d* empêcher  Timportation  des  marchandises  étran- 
gères en  concurrence  avec  celles  du  pays,  excepté  les  bois  de  construc- 
tion et  les  munitions  navales,  et  de  rendre  exactement  la  justice  ^.  Par 
suite  de  cette  marche  vers  la  formation  d'un  gouvernement  plus  régu- 
lier, la  république  de  Gênes ,  qui ,  en  1101,  avait  commencé  à  battre 
monnaie ,  qui ,  en  1121,  avait  créé  des  consuls  annuels ,  institué  un 
chancelier,  des  greffiers',  donné  un  caractère  politique  à  la  compagnie 
commerciale,  sépara,  en  1  i3o ,  les  attributions  judiciaires  des  attribu- 
tions politiques,  et  nomma  des  consuls  des  plaids  chargés  de  distribuer 

'  Caffaro  dit,  dans  sa  chronique,  à  Tannée  1  laa  :  •  Primo  auno  unius  consulalus 
cfueruDt  consules  primus  de  Castro,  Caffarus,  Otto  de  Mari,  Guilleimus  judex  de 
cDubreco.  »  — *  Ce  serment  a  été  donné  en  substance  par  M.  Serra  (t.  I,  p.  377), 
qui  le  possédait  manuscrit ,  mais  qui  lui  assigne  une  date  inexacte.  D  le  place  en  gSo , 
et  croit  que  le  gouvernement  consulaire  était  constitué  à  Gènes  dans  le  x*  siècle- 
H.  Vincens  est  d*un  avis  contraire,  et  avec  raison.  Il  ne  donne  pas  une  origine 
aussi  reculée  au  consulat  «  qui,  en  effet,  est  d*institution  plus  récente  en  Italie.  Les 
p}u8  anciens  consuls  dont  les  chroniques  fassent  mention  sont  ceux  de  Milan  en 
109g,  de  Gênes  en  1100,  de  Brescia  en  1  io4f  de  Bergame  en  1109,  de  Como  en 
iiOQ,  de  Tortone  en  iiaa,  etc.  On  voit,  par  cet  ensemble  de  faits,  sur  lequel 
H«  Vincens  aurait  pu  s'appuyer,  que  la  révolution  consulaire  éclata  k  la  fm  du 
XI*  et  au  commencement  du  xii*  siècle.  Elle  devint  générale ,  parce  qu'elle  était 
produite  par  Tétat  social  de  Tltalie,  lequel  devait  conduire. les  nombreuses  et  puis- 
santes villes  de  cette  contrée  à  Tindépendance  républicaine ,  lorsque  les  invasions  y 
auraient  cessé ,  et  que  la  force  militaire  que  celles-ci  y  avaient  déposée  ne  serait  plus 
en  état  de  les  contenir  dans  Tobéissance.  La  guerre  des  investitures  entre  les  em- 
pereurs de  la  maison  de  Franconie  et  les  papes  la  provoqua ,  et  elle  était  consom- 
mée partout  à  la  paix  de  Worms,  en  1  laa.  Quoi  qu*il  en  soit,  M.  Vincens  prouve 
très-bien ,  contre  M.  Serra ,  qu*il  faut  placer  ce  document  sans  date  entre  Tannée 
1121  et  Tannée  ii3o.  Il  est  postérieur  à  iiai,  puisquil  suppose  le  C3nsulat  an« 
nuel  établi  seulement  alors ,  et  antérieur  à  1 1 3o ,  puisque  les  consuls  avaient  à  la 
fois  la  juridiction  civile  et  criminelle  et  Tadministration  de  TÉtat,  qui  ne  furent 
séparées  qu'à  cette  époque,  et  juraient  d*agir  pour  Futilité  de  Yévéché  et  communs 
dé  Gênes ,  dont  le  siège  ne  devint  archiépiscopal  qu*en  1 1 3o.  —  '1  Clavarii ,  scri- 
cbani,  cancellarius,  pro  utilitate  reipublics  in  hoc  consiOatu  primitos  ordinati 
sont*.»  Caffarus,  ad  an.  1121. 


NOVEMBRE  1843.  649 

la  justice  à  chacun,  tandis  que  les  consuls  de  la  commune  n'eurent  plus 
qu  a  administrer  les  afiaires  de  l'État. 

Le  nombre  de  ces  consuls  des  plaids  varia  extrêmement.  On  en 
nomma  d'abord  quatorze  pour  les  sept  compagnies,  entre  lesquelles 
étaient  divisés  par  quartiers  la  ville  et  le  bourg,  qui  fut  le  prolonge- 
ment, le  long  de  la  mer,  et  du  côté  du  couchant,  de  l'ancienne  Gênes, 
à  mesure  qu'elle  s'agrandissait.  Deux  d'entre  eux  rendaient  la  justice 
civile  et  la  justice  criminelle  à  chaque  compagnie.  La  seconde  année 
de  rinstitution ,  on  n'en  choisit  que  quatre ,  la  troisième  cinq ,  la  qua- 
trième trois ,  la  cinquième ,  où  le  nombre  des  compagnies  s'était  accru 
d'une,  huit,  enfin  la  sixième,  qui  fut  l'année  1 1 35 ,  six,  dont  trois  ju- 
gèrent quatre  compagnies,  et  trois  les  quatre  autres  ^  Les  consuls  for- 
mèrent ainsi  deux  tribunaux.  Ce  fut  un  pas  vers  la  concentration  de  la 
justice ,  qui  était  la  fonction  la  plus  diffîcÛe  à  exercer  dans  ces  villes  tur- 
bulentes, où  les  passions  étaient  si  promptes,  les  haines  si  inexorables, 
les  ambitions  si  hardies ,  les  intérêts  si  intraitables ,  et  où ,  avant  la  fin 
du  siècle ,  on  fut  obligé  d'appeler  partout  des  justiciers  étrangers  sous 
le  nom  de  podestats  pour  maintenir  la  paix  civile.  Dès  ce  moment,  le 
nombre  des  consuls  des  plaids  fut  de  huit  ou  de  quatre,  composant 
deux  cours  de  justice  pour  les  deux  grandes  divisions  de  la  ville  de 
Gênes.  M.  Vincens  fait  connaître,  à  l'aide  de  CafiFaro,  ce  premier  essai  de 
l'organisation  de  la  justice,  qui,  toute  débile  qu'elle  était  encore  et  tout 
impuissante  qu'elle  devint  bientôt,  fut  Tinévitable  accompagnement 
d'une  organisation  politique  un  peu  plus  avancée. 

C'est  après  s'être  ainsi  fortifiée  intérieurement ,  que  la  république  as- 
sujettit les  vallées  féodales  de  l'Apennin  ;  qu'elle  parut  à  l'embouchure 
de  l'Arno  avec  quatre-vingts  galères ,  quatre  gros  vaisseaux,  soixante-huit 
autres  navires;  débarqua  sur  le  tenitoire de  Pise  vingt-deux  mille  com- 
battants, dont  cinq  mille,  dit  Caffaro,  étaient  revétas  de  cuirasses  et  de 
casques  blancs  comme  la  neige  ^,  et  fît  trembler  cette  superbe  rivale  dans 
la  mer  tyrrhénienne;  qu'elle  ravagea  les  côtes  de  l'Espagne  musidmane, 
s'empara  d'Almeria  et  y  établit  un  gouverneur  génois,  prit  en  com- 
mun avec  le  comte  de  Barcelone  la  ville  de  Tortose  et  en  obtint  le 
tiers  pour  sa  part  de  conquête ,  et  contraignit  le  roi  de  Valence ,  Boabdil , 

'  Voir  Caffaro  à  ces  diverses  années.  —  *  t  Januenses  cum  magno  exercita  ad 
«pytum  Pisanum  tenderunt  cum  galeis  lxxx,  cum  gatlis  xxxv,  cum  galobis  xxviil 
«et  cum  navibus  iv,  portaotibus  machinas  ac  omnia  instrumenta  quae  ad  bella 
sunt  necessaria,  necnon  viginti  duo  millia  virorum  bellalorum,  militum  et  pedi- 
«  tum,  in(er  quos  bellatores  quînque  millia  cum  loreis  et  galeis  ferreîs,  ul  nix  albis, 
<  ioduti  erant.i  Apud  Mnratori,  VI,  p.  aS4. 

8a 


650  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

de  lui  céder  un  quartier  dans  Valence  et  dans  Dénia  ;  qu'elle  reçut  enfin 
de  l'empereur  Manuel  Comnène  les  mêmes  privilèges  commerciaux  que 
les  Vénitiens  et  les  Pîsans  possédaient  dans  Tempire  grec,  et  conclut 
un  traité  d'alliance  et  de  commerce  avec  le  roi  de  Sicile. 

Cette  période  de  prospérité ,  d'organisation  et  de  grandeur,  vit  s'é- 
lever les  fortifications  de  Gênes  à  l'approche  de  Frédéric  Barberousse , 
et  se  termina  par  l'apparition  d'une  classe  aristocratique.  Lorsque  Fré- 
déric vint  réclamer  en  Italie  les  droits  de  l'Empire ,  et  prétendit  substi- 
tuer, dans  le  gouvernement  des  villes,  des  podestats,  nommés  par  lui, 
auii  consuls  librement  élus  par  leurs  concitoyens ,  les  Génois  ne  fléchirent 
pas  devant  ses  volontés.  U  n'envoyèrent  point  de  députés  à  la  diète  de 
Roncaglia,  où  fiit  décidé,  en  1 1 58,  l'assujettissement  de  la  Lombardie,  et 
ils  répondirent  aux  menaces  impériales  en  construisant  autour  de  leur 
ville,  du  côté  de  la  terre,  un  mur  de  cinq  mille  cinq  cent  vingt  pieds, 
couronné  de  mille  soixante-dix  créneaux,  flanqué  de  tours  de  distance 
en  distance ,  et  en  fortifiant  Voltaggio ,  Porto-Venere ,  ainsi  que  d'autres 
points  du  territoire. 

L'empereur  n'osa  point  les  attaquer.  Après  même  qu'il  eut  dompté 
Milan,  en  1 162 ,  et  qu'il  eut  fait  prévaloir  momentanément  sa  souve- 
raine autorité  dans  la  haute  Italie  républicaine ,  il  consacra  par  une  bulJé 
la  libre  élection  des  consuls  génois.  Il  avait  besoin,  il  est  vrai,  de  leurs 
Cottes  pour  l'expédition  qu'il  projetait  en  Sicile,  et  il  s'engagea  à  payer 
la  coopération  des  Génois  à  la  conquête  de  l'île  en  leur  cédant  Syracuse 
et  deux  cent  cinquante  fiefs  de  chevalier  dans  le  Val-di-Nota.  Mais  les 
desseins  ambitieux  de  Frédéric  Barberousse ,  d'abord  suspendus  par  les 
troubles  qm  le  rappelèrent  en  Allemagne ,  furent  ensuite  renversés  par 
les  désastres  qu'il  essuya  en  Italie.  La  bataille  de  Lignano,  qu'il  perdit, 
en  1 1 76,  contre  les  Milanais,  rendit  aux  villes  lombardes  leurs  consti- 
tutions républicaines ,  et  consolida  encore  davantage  l'indépendance  de 
Gênes.  Tout  cela  est  sagement  exposé  dans  le  premier  volume  de 
M.  Vincens,  où  l'on  voit  le  fond  de  faiblesse  et  le  manque  de  ressources 
de  ce  vaste  empire  militaire  de  l'Allemagne,  qui,  placé  trente  ans  sous 
la  main  d'un  grand  prince,  est  réduit  à  ipénager  une  ville  maritime,  et 
échoue  enfin  devant  la  milice  d'une  des  villes  lombardes. 

Quant  à  la  petite  révolution  aristocratique  opérée  vers  la  même 
époque ,  M.  Vincens  est  le  premier  historien  qui  croie  l'avoir  surprise 
à  travers  le  laconisme  cal^^ulé  de  Gafiaro  et  ses  obscurités,  qu'il  regarde 
comme  volontaires.  M.  Vîncens  se  demande  si  la  noblesse  exista  dans 
Gênes  au  début  de  la  république,  ou  si  elle  s'y  développa  postérieure- 
ment, par  suite  de  la  richesse  commerciale  de  certaines  familles,  des 


NOVEiMBRE  1843.  C51 

services  qu^elles  rendirent  à  leur  pays  pendant  plusieurs  générations , 
des  emplois  publics  qu'elles  obtinrent  héréditairement  par  la  voie  or* 
dinairement  si  routinière  de  l'élection.  Il  nhésite  pas  à  se  prononcer 
pour  cette  dernière  opinion  et  à  combattre  M.  Sismondi  et  M.  Serra, 
qui  ont  embrassé  l'opinion  contraire.  Ceux-ci  ont  en  leur  faveur  la 
composition  générale  des  villes  italiennes  au  xi*  et  au  xii*  siècles.  Daûs 
toutes  il  y  avait  trois  ordres  de  personnes ,  les  capitanei ,  qui  étaient  Idl 
pubsants  feudataires  du  voisinage ,  les  vavassores ,  qui  étaient  les  feuda- 
taires  inférieurs,  et  les  cives,  qui  étaient  les  plébéiens.  Otto  de  Frysin- 
ghen ,  oncle  de  Frédéric  Barberousse ,  et  qui  a  accompagné  cet  empereur 
dans  ses  expéditions  en  Lombardie,  est  formel  à  cet  égard  :  u  Quumque, 
u  dit-il ,  très  inter  eos  ordines ,  id  est  capitaneorum ,  valvassorum ,  et 
«plebis  esse  noscantur^»  L'existence  de  ces  trois  classes  est  prouvée 
encore  par  des  espèces  de  procès-verbaux  de  plaids  tenus  en  1 1^5  et 
en  1  i3o,  et  par  d'autres  textes  qui  corroborent^  le  témoignage  d'Otto 
de  Frysinghen.  Il  en  devait,  du  reste,  être  ainsi  en  Italie,  où  l'élément 
militaire  laissé  par  les  invasions,  et  régulièrement  organisé  par  la  féo- 
dalité, manqua  de  bonne  heure  de  centre  et  d'appui,  et  fiit  prompte- 
ment  subordonné  à  l'élément  municipad,  qui,  étant  plus  fort,  l'absorba 
et  finit  par  l'anéantir.  Les  nobles  féodaux  habitèrent  les  villes  dans  le 
district  desquelles  étaient  situés  leurs  châteaux  et  leurs  fiefs,  et  où  la 
plupart  d'entre  eux  furent  contraints  de  prendre  domicile.  C'est  ce  qtie 
remarque  avec  un  mécontentement  superbe  Otto  de  Frysinghen ,  lors- 
qu'il dit  que  les  villes  se  sont  partagé  presque  toute  la  Lombardie  en 
forçant  les  nobles  de  leur  diocèse  à  demeurer  dans  leur  enceinte  i  de 
telle  sorte  qu'on  peut  à  peine  trouver  quelque  noble  assez  puissant  qoi 
ne  soit  pas  soumis  à  la  domination  de  sa  ville  '.  Introduits  forcément 
dans  la  cité,  les  nobles  en  partagèrent  l'administration  avec  les  plébéiens 
pendant  le  xii*  siècle,  et  en  furent  entièrement  exclus  au  xin*«  Après 
avoir  perdu  leur  position  féodale  devant  la  puissance  républicaine  des 
villes,  ils  furent  dépouillés  de  leurs  droits  politiques  dans  les  tilles 
mêmes  par  la  jalousie  démocratique  du  peuple. 

'  Otto  Frisingensis ,  Kb.  II,  c.  xiii.  M.  de  Savigny  a  mis  hors  de  doute  cette  com- 
position des  villes  italiennes,  dans  son  Histoire  du  droH  romain  au  moyen  ifp, 
c.  XIX ,  sur  les  villes  lombardes  depuis  le  xii*  5iècb.— -  *  • . . .  Pnssentîa  domni  Azonîi. . . 
«  et  reliquorum  bonorum  hominfun  tam  capitaneorum  quam  vavassorum  seu  civiam 
c Mediolanensium  atque  Laudënsitini.  »  Giulinî,  pars  iV,  p.  aoo.  Un  autre  dans 
Lupi,  pars  XI,  p.  ga5.  -^  *  tËx  (^uo  fit  ut,  tota  ula  terra  intra  civitates  ferme  di- 

•  YÎsa,  singulae  ad  commanendum  secum  dîœcesenos  comptderînt,  vixqae  âKqiliâ 
«  nobilis ,  vel  vir  magnus ,  tam  magno  ambitu  invaniri  qoaat»  qui  aiviuàt  sotf  Hon 

•  sequatur  imperium.»  Lib.  II,  c.xiii. 

8a. 


652  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Ce  phénomène  social,  qui  fut  commun  à  presque  toutes  les  villes 
.dltalie,  se  montra-t-il  dès  le  début  dans  Gênes  ?  L'analogie  porterait  à 
le  croire,  d'autant  plus  que,  dans  le  serment  des  consuls,  placé  par 
M.  Vincens  entre  1 1  a  i  et  i  iSo,  les  comtes  et  les  marquis  du  voisi- 
nage sont  tenus,  pour  exercer  le  droit  de  cité  dans  Gênes,  d'y  habiter 
trois  mois  par  an.  Sans  s'appuyer  sur  ce  fait,  M.  Sismondi  et  M.  Serra 
pensent  que  des  familles  féodales  furent  établies  dans  Gênes ,  et  prirent , 
de  fort  bonne  heure,  part  à  la  conduite  de  la  république.  M.  Sismondi 
le  conclut  d'après  les  désignations  de  vicecomes  et  de  marchio  attachées 
aux  noms  de  quelques  consuls.  On  trouve,  en  effet,  dans  CafTaro, 
en  1 127,  un  marchio  de  Gafiara,  consul  de  la  république;  en  1  i3/i 
et  1 136,  un  Rubaldus  vicecomes,  consul  des  plaids;  et,  en  1 167,  un 
marchio  de  Volta,  consul  de  la  commune.  Gaifaro,  en  parlant  d'une 
expédition  qu'il  conduisit  lui-même,  en  11 28,  contre  les  Pisans,  se 
aert  d'une  expression  qui  pourrait  paraître  significative  :  ajanuenses, 
a  dit-il,  galeas  vu  armaverunt,  in  quibus  Caffarus,  qui  consul  erat, 
a  cum  multis  nobilissimis  viris  et  cam  Idone  de  Garmandino  et  Marino 
((  de  Porta ,  cum  Marchione  de  Gaffara  et  aliis  multis  ivit  ^ 

M.  Vincens  pense,  au  contraire,  que  les  appellations  de  vicecomes,  de 
marchio,  etc.  ne  sont  pas  des  titres,  mais  des  prénoms  ou  des  surnoms 
bizarres,  tels  qu'on  les  a  pris  souvent  en  Italie;  qu'on  ne  les  tix)uve  pas 
deux  fois  dans  la  même  famille,  et  qu'ils  pe  se  lient  pas  à  des  noms  de 
lieux.  Ge  qui  viendrait  à  l'appui  de  son  opinion,  c'est  que,  dans  la  fa- 
mille Volta ,  l'une  des  plus  anciennes  et  des  plus  illustres  de  la  répu- 
blique, il  y  eut,  dans  cette  .courte  période,  quatre  Volta  de  prénoms 
difliérents ,  tour  à  tour  consuls ,  à  savoir  :  Paganus  de  Volta ,  Ingo  de 
Volta,  Guilelmus  de  Volta,  Marchio  de  Volta,  dont  le  dernier  était, 
comme  le  dit  GaQaro^r  fils  de  Ingo  Volta»  lequel  n'était  pas  marquis. 
M.  Vincens  pense,  de  plus,  que  les  qualifications  de  nobles  et  de  très- 
nobles,  données  à  divers  consuls  et  autres  personnages  considérables  du 
temps,  ne  sont  que  des  épithètes  honorifiques  et  ne  désignent  pas  du 
tout  une  caste  à  part.  Il  aurait  pu  ajouter  que ,  si  une  pareille  classe 
avait  existé  dans  Gênes,  GaOaro  n'eût  pas  manqué  d'indiquer  ceux  des 
consuls  qui  lui  appartenaient ,  comme  cela  se  pratiquait  dans  les  auti^s 
villes.  Ainsi  Milan  avait,  en  1 1 3o ,  vingt  et  un  consuls  tirés  de  la  grande 
noblesse,  de  la  petite  noblesse,  du  peuple,  et  dont  le  nombre  ainsi 
que  le  rang  sont  parfaitement  indiqués.  Il  y  avait  parmi  eux  dix- neuf 
capiianei,  six  valvassores,  six  cives  ^, 

'  Cafiiari  Annales  Genuentes,  apud  Muratôri,  t.  VI,  p.  a 56.  —  *  •  An.  1161,  fuc- 
«  runt  consules . .  • . .  Marchio  filius  Ingonis  dé  Volta.  1  —  '  •  Dédit  sedtenliam  Un- 


NOVEMBRE  1843.  653 

11  en  est  de  même  dans  d*autres  républiques ,  mais  on  n*aperçoit  rien 
de  semblable  à  Gênes,  où  les  consuls  sont  placés  sur  les  listes  de  ma- 
gistrature sans  ordre  et  sans  désignation,  et  où  les  Pevere,  dont  Torigine 
est  évidemment  commerciale,  les  de  Mari,  les  Usodemari,  qui  doivent 
la  leur  à  la  navigation,  les  Capra^  lesRoza,  les  Picamigli,  les  Bellamuti, 
les  Raffi,  les  Porchi,  dont  les  noms  sont  fort  plébéiens,  s'y  trouvent  sou- 
vent avatit  ceux  des  Volta,  des  Caffara  et  des  Castro,  fl  y  a  plus,  des 
quatre  puissantes  familles,  Spinola,  Doria,  Grimaldi,  Fieschi,  qui  se 
sont  disputé  si  longtemps  Tautorité  dans  Gènes ,  les  noms  des  deux  der- 
nières ne  sont  pas  encore  inscrits  sur  les  fastes  consulaires  pendant  la 
première  moitié  du  xii*  siècle ,  et  celui  des  Doria  n*y  paraît  qu  en  1 1 3  4  ;  les 
Spinola  seuls  parviennent  au  consulat  en  i  io4.  M.  Vincens  reiArque 
avec  justesse  que  jamais  ces  derniers,  dans  les  temps  anciens,  n'ont  porté 
un  titre  de  seigneurie,  et  que,  à  l'époque  de  leur  plus  grande  impor- 
tance, ils  sont  appelés  Spinola  de  LucoU  et  Spinola  de  Saint-Luc,  simples 
noms  des  rues  où  les  deux  branches  de  la  famille  avaient  construit 
leurs  palais.  Il  conclut  en  disant,  comme  Stella,  historien  de  la  fm  du 
xiv**  siècle ,  qui  connaissait  les  traditions  et  avait  consulté  les  mémoires 
domestiques  :  «  Alors  les  nobles  n'étaient  pas  distingués  du  peuple  :  tous 
avaient  le  même  rang;  mais,  avec  le  temps,  les  descendants  des  fa- 
milles qui  avaient  exercé  la  magistrature  se  sont  appelés  nobles  ^.  » 

Cette  opinion  est  la  plus  vraisemblable.  YSie  est  en  accord  avec  l'an- 
cien état  social  de  Gênes,  qui  était  une  république  marchande  ayant  eu 
pour  gouvernement  primitif  le  syndicat  d'une  compagnie  commerciale, 
et  avec  ce  penchant  du  cœur  humain  à  fonder  la  noblesse  politique 
des  familles  sur  la  grandeur  des  services ,  l'influence  de  la  richesse  et 
l'exercice  prolongé  des  emplois  publics  durant  quelques  générations. 
C'est  ainsi  que,  selon  M.  Vincens,  une  aristocratie  se  forma  ou  plutôt 
s'assit  à  Gênes,  entre  1 154  et  i  iSy,  moment  solennel  et  périlleux,  où 
la  république  eut  à  se  garder  des  entreprises  de  Frédéric  Barberousse. 

«  garus  de  Curta  ducis,  consul  prœdktœ  cîvitatis,  consHio  et  laudatione  aliorum 
«consolum  Mediolanensium ,  nomina  quorum  consulum  sunt:  Ârialdus  Vescoute, 
«  Ârialdus  Grasso ,  Lanfrancus  Ferarius ,  Lanfrancus  de  Gurte,  Ârmaldus  de  Rode, 
«  Arialdus  de  Sexto  Azofante,  Mainfiredus  de  Setara,  Mbericus  de  la  Turre,  Ansei* 
«  mus  ÂYOcatus ,  capiCaiitfi  ipsius  civitatis;  Johannes  Mainerii ,  Ardericus  de  Palazso, 
«  Guaza  Arestuguido  Malastieni,  Otto  de  Fenebiago,  Ugo  Crivello,  Guibertus  Gotta, 
«  vavassoru  jam  dictœ  civitatis;  Ugo  Zavatorius ,  Alexius  Labezarius ,  Paganus  lo^ 
«  gooart,  Azo  Martinoni,  Pagani  Maxsaso,  cives  ipsius  civitatis.  •  Lupi,  yoI.  II,  p.  9^6 
et  946.  —  ^  «  Tune  non  erant  nobiles  et  de  populo  divisi  :  imo  omnes  erant  de  une 
«  nonÛDe.  Sed  qui  progenîtî  sunt  ex  ipsis  magistratibiis  nobiles  postea  nuncupali 
«  sunt  • 


654  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Quoique  cette  révolution  ne  soit  mentionnée  nulle  part ,  M.  Vincens 
la  suppose  ingénieusement  d'après  quelques  paroles  de  Caffaro.  Ce  vieux 
chroniqueur  est  très-succinct  sur  les  années  1 1 49 ,  1 1 5o ,  1 1 5 1 ,  1 1  Sa 
et  1 1 53.  n  se  borne  à  donner  les  noms  des  magistrats  élus.  Seulement, 
en  1 1 5a ,  il  dit  «  qu'il  y  eut  plusieurs  boucheries  dans  la  ville ,  une  vers 
le  môle,  lautre  vers  Sussigîia  ^  ;  »  et  il  ajoute  que  les  consuls  désignés 
en  1 154,  voyant  «la  ville  semblable  à  un  navire  flottant  sans  pilote 
sur  la  mer  ^,  »  ne  voulaient  pas  accepter  la  magistrature.  Ces  consuls 
désignés  étaient  Lanfranco  Pevere ,  qui  avait  été  déjà  cinq  fois  consul , 
Oglerius  de  Guidone ,  qui  Tavait  été  trois ,  Antonio  Doria  et  Oberto 
Spinola.  Les  in.stances  de  Tévèque  et  du  peuple  les  décidèrent;  ils  ipé* 
tablirtnt  bientôt  les  finances  et  les  affaires  de  la  république ,  et  tinrent 
les  citoyens  en  paix'.  Dès  ce  moment,  Gaflaro  raconte  avec  détail  et 
approbation  ce  que  font  pour  la  sûreté ,  pour  la  grandeur  et  pour  le 
repos  de  leur  patrie,  des  consuls  qui  concentrent  le  pouvoir  entre  leurs 
mains ,  et  lui  impriment  une  direction  plus  ferme  et  plus  secrète.  Dès  ce 
moment  aussi  on  voit  apparaître  dans  sa  chronique  les  expressions  de  ex 
melioribus  et  de  nobilis,  appliquées  aux  membres  des  principales  familles 
de  Gênes*.  Cette  expression,  dont  l'emploi  devient  désormais  très-fré- 
quent sous  la  plume  de  Caflaro ,  désigne  une  classe  de  notables  poli- 
tiques, qui  forma  bientôt,  selon  M.  Vincens,  la  noblesse  de  Gênes.  Il 
croit  que  la  transition  du  régime  populaire  à  l'administration  aristocra- 
tique s'opéra  dans  Tannée  1 1 57 ,  «  où  les  consuls ,  dit  Caffaro,  jurèrent 
une  compagnie  nouvelle,  et  firent  élire  les  consuls  de  la  commune  et 
des  citoyens  (des  plaids)  parmi  les  meilleurs  ^.  »  La  conjecture  de  M.  Vin- 
cens a  beaucoup  de  vraisemblance.  Cinq  ans  après,  en  1 1 63 ,  les  Génois 
reprochent  aux  Pisans ,  en  leur  déclarant  la  guerre ,  u  l'assassinat ,  non 
d'obscures  victimes ,  mais  de  leurs  nobles  ^.  »  Le  premier  continuateur 
de  Caffaro,  après  1 16S,  désigne  fréquemment  les  nobles  comme  for- 

'  tEt  in  isto  consulatu  macella  fuenint  multa,  unum  ad  molum,  et  altenim  in 

•  Saxilia. »  —  *  «Et  sicut  navem  sine  gubernatore  per  mare  pei^ntem  cognosce- 
«  bant.  »  -«-  '  t  Galeas  pro  munimine  civitatis  fecere ,  quibus  civitas  omaino  carebat. 
«  . . . .  Pecuniam  quindecim  millium  librarum  numéro ,  quam  ab  initio  ftolvere  in- 
«  cœperant,  totam  debitoribus  solverunt,  et  cives  in  pace  tenuerunt.  »  —  ^  €  An.  1 1 55, 
«unus  de  consulibus,  Guilielmus  Luxius,  cum  quibusdam  ex  meUoribat  civitatb  ad 
t^r^em  perrexit..  Au.  11 56,  prffiterea  legatos  de  meliorihas  civitatis,  Guilielmum 
«  Ventum  scilicet  et  Ansaldum  Auriœ ,  ad  Guilielmum  Siculum  regem  miserunt. . . 

•  1 167  «  interea  Januenses. .  .miseront  ad  eum  (Fridericom  I)  de  nohiUorUmt  suis,  » 
etc.  — *  '  «  Et  compagniam  novam  juravefunt ,  et  consules  communium  et  civium 
«de  meUoribtti  civitatis  eligere  fecerunt.  »  Caffarus  ad  an.  1 167.  — *  *  Crudelissima 

•  cadea  et  oefiEuriœ  obtnincationea  non  quorumlibet,  sed  nostrorum  nobilium.  »  Id. 
ad  an.  1162. 


NOVEMBRE  1843.  655 

mant  une  classe  distincte  * ,  et  son  deuxième  continuateur  dit ,  en  1174, 
qu'il  écrit  «  pour  l'utilité  de  la  république  et  pour  entretenir  l'émula- 
tion parmi  les  nobles  2.  »  Alors  les  maisons  fortifiées*,  ou  à  tours,  com- 
mencent à  jouer  dans  Gênes  le  même  rôle  que  dans  toutes  les  villes 
d'Italie  où  il  y  avait  des  nobles,  et  là,  comme  ailleurs,  les  guerres  qui 
éclatent  entre  les  nouvelles  grandes  familles,  de  1 1 6&  à  1 1 90,  condui- 
sent à  l'établissement  de  podestats  étrangers,  seuls  capables  de  ramener 
les  citoyens ,  et  de  faire  cesser  les  actes  d'une  vengeance  passionnée  par 
les  arrêts  d'une  justice  impartiale. 

Nous  examinerons ,  dans  un  autre  article ,  les  révolutions  qu'a  subies 
la  répxiblique  de  Gênes  depuis  la  constitution  d*une  noblesse  au  milieu 
d'elle,  et  nous  signalerons  les  faits  dont  M.  Vincens  a  enrichi  son  his- 
toire. 

MIGNET. 


Revue  des  éditions  de  Buffon. 

CINQUIÂMB    ARTICLE^. 

Dbtribution  des  animaux  sur  le  globe. 

Les  idées  de  Buffon  touchant  la  distribution  des  animaux  sur  le 
globe  sont  des  idées  de  génie.  Ce  sont ,  comme  l'a  dit  M.  Cuvier,  de 
véritables  découvertes^.  Ajoutons  que  jamais  découvertes  d'un  ordre  plus 
élevé  n'ont  été  préparées  et  amenées  par  des  combinaisons  plus  sa- 
vantes. 

^  «  Et  auxilio  nobilium ,  an.  1 1 6A.  —  Eximii  viri  quatuor  nobiles  perierunt , 
«  an.  1 166,  etc.  •  —  *  «Quidquid  potui  memorisB  commendavi,  et  ad  commodum 
t  reipublicx  januensis  et  nobilium  animes  provocandos  pnosenti  volumine  in  script» 
«  redegi.  »  —  *  Caffan  Annales  Genuenses,  Ub.  1,  an  1 161.  «  Geterum  vero  qui  contra 

•  pr8Bceptum  arma  levaverant  et  assaltum  alicui  de  compagnia  fecerant,  tarres  et 

•  domos  eorum  destruendo  et  pecuniam,  prout  sacramento  tenebantur,  auferendo, 
«relient  aut  noUent,  per  sacramentum  quiescere  adstrinxerunt. » 

*  Voir  les  cahiers  de  mai,  juin,  juillet  et  août  i843.  -»  '  «Les  idées  de  Buffon 
sur  la  dégénération  des  animaux  et  sur  les  limites  que  les  climats ,  les  montagnes 
et  les  mers  assignent  à  chaque  espèce,  peuvent  être  regardées  conmie  de  véntaUes 
découvertes ,  qui  se  confirment  cnaque  jour,  et  qui  ont  donné  aux  recherches  des 
voyageurs  une  base  fixe«  dont  elles  manquaient  absolument  auparavant.  »  Cuvier, 
Bicgr.  univ.  art  BorFON. 


656  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

BufTon  avait  déjà  décrit  les  animaax  domestiques;  il  avait  décrit  plu- 
sieurs animaux  sauvages;  il  en  était  à  Thistoire  du  lion,  et  c'est  là  que  je 
trouve  pour  la  première  fois  sa  grande  vue  sur  les  animaux  propres  à 
chacun  des  deux  continents. 

«L'animal  d'Amérique  que  les  Européens  ont  appelé  lion,  et  que 
les  naturels  du  Pérou  appellent  pâma,  n'a  point,  dit-il,  de  crinière,  il 

est  aussi  plus  petit,  plus  faible  et  plus  poltron  que  le  vrai  lion^ » 

Il  ajoute  :  a  Le  pâma  n'est  point  un  lion  tirant  son  origine  des  lions  de 

l'ancien  continent ;  c'est  un  animal  particulier  à  l'Amérique,  comme 

le  sont  aussi  la  plupart  des  animaux  de  ce  nouveau  continent^.  » 

Pour  se  faire  une  idée  de  l'obscurité  profonde  dans  laquelle  était 
plongée  cette  partie  de  la  science ,  au  moment  où  BufTon  entreprit  d'y 
porter  le  jour,  il  faut  se  rappeler  que ,  lorsque  les  Européens  firent  la 
découverte  du  nouveau  monde ,  ils  trouvèrent  en  effet  que  tout  y  était 
nouveau  ;  les  animaux  quadrupèdes ,  les  oiseaux ,  les  poissons ,  les 
insectes,  les  plantes,  tout  parut  inconnu,  tout  l'était:  spectacle  éton- 
nant pour  l'histoire  naturelle,  et  que,  deux  siècles  et  demi  plus  tard, 
l'exploration  des  côtes  de  la  Nouvelle-Hollande  devait  lui  donner  une 
fois  encore. 

Tout  ce  que  présentait  l'Amérique  se  trouvait  donc  différent  de  ce 
qu'on  avait  vu  jusqu'alors.  D'une  part,  tout  était  nouveau;  de  l'autre, 
il  fallait  tout  nommer,  il  fallait,  du  moins,  nommer  les  principaux  ob- 
jets, et  l'on  fit  ce  qu'on  a  toujours  fait  en  pareil  cas  :  on  donna  aux 
choses  inconnues  les  noms  des  choses  connues.  Le  pumxi  fut  appelé  lion  ; 
le  jaguar,  tigre;  VaJpaca,  mouton;  et  ainsi  du  reste. 

Les  Romains  en  avaient  fait  autant  :  lorsqu'ils  virent  pour  la  pre- 
mière fois  l'éléphant,  ils  l'appelèrent  bœuf  de  Lucanie^;  ils  appelèrent  le 
rhinocéros  bœuf  d'Egypte^  \  ils  donnèrent  à  la  girafe  le  nom  de  deux  ani- 
maux connus,  le  chameau  et  le  léopard  :  camehpardalb ,  etc.  etc. 

Je  reviens  à  Buffon.  Au  moment  où  il  conçut  sa  grande  idée  des 
animaux  propres  à  chacun  des  deux  continents,  tout  était  donc  con- 
fondu. Pour  Ttie  servir  de  sa  belle  expression,  «les  noms  avaient  con- 
fondu les  choses  ^  ;  »  et  ce  n'était  pas  tout  :  les  choses  elles  -  mêmes 
étaient  déjà  mêlées  et  confondues  ensemble,  car,  depuis  la  découverte 
de  l'Amérique ,  les  Européens  n'avaient  cessé  d'y  transporter  les  ani- 
maux de  l'ancien  monde. 

*  T.  XVIII,  p.  17.  —  *  Ibid,  p.  18.  —  ^  «ElephantOs  Italie  primum  vidit  Pyirhi 
t  reeis  bello ,  et  boves  lucas  appellavit,  in  Lucanis  visos. . .  »  P)in.  lib.  VIII,  cap.  vi. 
—  Parce  que  Pompée  Tavait  fait  amener  d*Égypte.  Voyez  le  curieux  mémoire  de 
feu  M.  MoDgez  sur  les  animaux  promenés  ou  tués  dans  les  cirques.  (  Mém.  de  VAcai. 
des  inscript,  et  belles-lettres,  t.  X,  p,  38i.  —  '  T.  XVU,  p.  70. 


NOVEMBRE  1843.  657 

IJ  fallait  donc  enfin  mettre  un  terme  à  ce  grand  désordre ,  et  c  est  ce 
que  fit  BufTon.  Rien  nest  plus  admirable,  rien  nest  d'une  méthode 
expérimentale  plus  savante  que  son  énamération  comparée  ^  de  tous  les 
animaux  quadrupèdes  connus  de  son  temps. 

Le  résultat  de  cetle  belle  énamération  comparée  fut  de  lui  donner 
une  vue  nette  de  tous  les  animaux  quadrupèdes ,  qu  il  partage  en  trois 
classes,  savoir  :  en  ceux  qui  sont  propres  à  Tancien  continent,  en  ceux 
qui  sont  propres  au  nouveau,  et  en  ceux  qui  sont  communs  à  lun  et 
à  l'autre. 

Comme  les  animaux  les  plus  grands  sont  aussi  les  mieux  connus , 
c  est  par  ceux-là  que  BuQbn  commence  son  examen. 

L éléphant,  le  rhinocéros,  l'hippopotame,  le  chameau,  le  droma- 
daire, la  girafe,  appartiennent  à  l'ancien  monde,  et  ne  se  trouvent 
point  dans  le  nouveau. 

BuITon  ne  distinguait  pas  encore  f  éléphant  des  Indes  de  celui  d'A- 
frique :  nous  les  avons  distingués  depuis  ;  il  ne  connaissait  que  deux 
rhinocéros,  celui  d'Afrique  et  celui  des  Indes  :  à  ces  deux-là  nous  en 
avons  ajouté  deux  autres,  celui  de  Java  et  celui  de  Sumatra;  et,  comme 
on  voit,  la  proposition  de  BuQbn  reste  toujours  vraie  :  aucun  de  ces 
grands  quadrupèdes  ne  se  trouve  dans  le  nouveau  monde. 

Aucune  espèce  du  genre  chat  ne  s  est  trouvée  la  même  dans  l'un  et 
l'autre  continent.  Nous  avons  le  lion,  le  tigre,  le  léopard,  la  pan- 
thère, etc.;  l'Amérique  a  le  puma,  le  jaguar,  le  jaguarondi ,  l'ocelot, 
etc.  etc. 

Aucun  de  nos  animaux  domestiques  n'était  en  Amérique.  Personne 
n'ignore  quelle  surprise ,  mêlée  de  frayeur,  nos  chevaux  causèrent  aux 
Américains;  l'âne  lem*  était  également  inconnu;  le  bœuf,  la  brebis,  la 
chèvre,  le  sanglier,  le  cochon,  le  chien,  le  chat,  etc.,  ont  été  trans- 
portés d'Europe  en  Amérique,  et  ne  s'y  trouvaient  point. 

L'Amérique  n'avait  aucun  des  animaux  suivants,  tous  énumérés  par 
Biidon  :  le  zèbre ^,  le  buffle*,  l'hyène*,  le  chacal^  la  genetle^,  la  ci- 
vette', la  gazelle*,  le  chamois^,  le  bouquetin  *°,  le  chevrotain^*,  le  la- 

'  a  Pour  prévenir  la  confusion  qui  résulte  de  ces  dénominations  mal  appliquées 
À  la  plupart  des  animaux  du  nouveau  monde,...  j*ai  pensé  que  le  plus  sûr  était  de 
faire  une  énumération  comparée  des  animaux  quadrupèdes....  •  T.  XVIII ,  p.  j5. — 
*  De  la  partie  méridionale  de  l'Afrique.  —  ^  Originaire  de  flnde.  —  *  L'hyène 
rayée  habile  depuis  les  Indes  jusqu'en  Âbyssinie  ;  Thyène  brune  et  Thyène  tache- 
tée sont  du  midi  de  TAfrique.  —  ^  Depuis  les  Indes  jusqu'au  Sénégal  :  ce  sont  pro- 
bablement des  espèces  distinctes.  —  *  Commune  ou  d*Europe.  —  '  Du  midi  de 
l'Afrique.  —  *  Du  nord  de  l'Afrique.  —  *  De  l'Europe.  —  "  On  en  connaît  aujour- 
d'hui plusieurs  espèces,  mais  toutes  de  l'ancien  continent.  —  "  Tous  les  chevrotains 

83 


658         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pin^  le  furet*,  le  rat*,  la  souris*,  le  ioi^^  le  lérot^,  la  marrtiôtte^. 
la  mangouste  ^  le  blaireau  ^  la  zibeline*®,  rhermine^\  la  gerboise  "^ 
etc.  etc. 

Une  des  plus  belles  pai^ties  du  grand  travail  de  BtJflbil  est  celle  qui 
a  pour  objet  Tétude  des  singes.  On  avait  vu  dans  rAméfique  des  ani- 
maux qui  ressemblaient  à  nos  singes,  et  on  les  avait  appelés  singes.  Mais 
ces  singes  des  deux  continents  étaient-ils  les  mêmes  ?  Je  dis  plus  :  y 
avait-il  une  seule  espèce  de  singe  qui  fut  la  même  dans  Tun  et  Tautre 
continent  ? 

Examen  fait,  il  s'est  trouvé  quil  n'y  en  avait  pas  une. 

Aucun  singe  de  l'ancien  continent  n'était  dans  le  nouveau ,  et  réci- 
proquement aucun  singe  du  nouveau  n'était  dans  l'ancien. 

L'orang-outang**,  le  chimpansé**,  tous  les  gibbons  *^  touà  les  ba- 
bouins*^, toutes  les  guenons*'',  sont  propres  à  l'ancien  continent;  le 
singulier  genre  des  makis**  n'existe  qu'à  l'île  de  Madagascar;  les  loris 
ou  singes  paresseux^  ^  appartiennent  aux  Indes  orientales  :  voilà  pcmr 
l'ancien  monde. 

D*un  autre  coté ,  le  nouveau  monde  a ,  et  n'a  que  pour  lui ,  les 
alouattes,  les  sajous,  les  atèles,  les  sakis,  les  sagouins,  les  ouistitis  , 
etc.  etc. 

Tous  les  animaux  que  je  vais  nommer  sont  exclusivement  propres 
à  l'Amérique  :  le  puma  ou  couguar,  le  jaguar,  l'ocelot ,  le  juguarondi , 
le  tapir ^^  le  pécari,  le  tajassou,  le  lama,  l'alpaca**,  la  vigogne,  le  ca- 
biai,  le  paca,  l'agouti,  i'acouchi,  le  cochon  d'Inde,  les  mouffettes,  etc. 

Il  en  est  de  même  des  fourmilliers  proprement  dits  :  le  tamanoir, 
le  tamandua ,  le  fourmillier  à  deux  doigts ,  etc. 

Il  faut  en  dire  autant  des  tatous^^  des  paresseux^,  des  sarigues  :  des 
sarigues  ^^,  ces  animaux  qui ,  seuls ,  auraient  suffi  pour  mériter  au  nou- 

aujourd^hui  connus  sont  des  pays  chauds  de  Vancien  continent.  —  ^  Commun  ou 
d*Europe.  —  *  De  Barbarie.  —  '  Des  climats  tempérés  de  Tancien  continent.  — 
*  Même  patrie.  —  *  Du  midi  de  l'Europe.  —  *  Même  patrie.  —  '  De  l'Europe.  — 
'  n  y  a  plusieurs  mangoustes  :  celle  d'Egypte,  celle  des  Indes,  etc.  mais  toutes  de 
Tancien  continent.  —  •  Le  blaireau  d'Europe.  —  "  De  la  Sibérie.  —  "Du  nord  de 
TEurope.  — -  "  D'Afrique  et  d'Arabie.  —  "De  Malaca,  de  la  Conchinchîne ,  de 
Bornéo.  —  "De  Guinée,  du  Congo.  —  "  Des  Indes  et  de  leur  archipel.  —  "  Oit 
cynooéphales.  D'Afrique.  —  "  D'Afrique.  —  "  Il  y  a  plusieurs  makis ,  mais  tous  de 
Madagascar.  —  *•  On  en  comiaît  deux  :  le  loris  paresseux  et  le  loris  grêle.  —  "  Il  y 
a  deux  tapirs,  propres  à  l'Amérique.  —  *^  L'alpaca  est  une  variété  du  lama,  carac- 
térisée par  de  longs  poils  laineux.  —  '*  U  y  a  plusieurs  tatous ,  mais  tous  sont 
propres  à  l'Amérique.  —  "  On  n'en  connaît  que  deux  :  l'aï  et  Tunau.  —  **  On  le» 
a  nommés  sarigues,  opossums,  cayopolins,  etc.;  une  espèce  est  la  marmose  :  tous 
sont  d'Amérique. 


NOVEMBRE  1843.  659 

veau  monde  le  nom  de  nouveau ,  car  ils  nous  ont  oflfert  un  mode  de 
génération  vivipare  inconnu  jusque-là,  le  mode  de  génération  propre 
aux  animaux  à  hourse. 

L*Âmérique ,  particulièrement  T Amérique  du  Sud ,  a  donc  sa  popu- 
lation distincte»  sa  population  qui  nest  qu'à  elle;  et  Buffon  pose,  av.ec 
assurance,  sa  grande  loi,  savoir:  «Qu aucun  des  animaux  de  la  zone 
torride  xlans  Tun  des  continents  ne  se  trouve  dans  Tautre  ^  » 

Je  dis  particulièrement  V Amérique  du  Sud.  En  effet,  il  n'en  est  pas 
absolument  de  même  pour  l'Amérique  du  Nord.  L'Amérique  du  Nord 
a  quelques  espèces  de  lancien  continent  :  le  renne ,  Télan ,  le  loup ', 
le  castor,  par  exemple;  mais,  d abord,  ces  espèces  communes  sont  en 
très-petit  nombre;  en  second  lieu,  les  deux  continents,  séparés  au  midi 
par  des  mers  immenses,  se  rapprochent  beaucoup  vers  le  nord;  on 
peut  donc  croire,  avec  BuQbn,  que  les  espèces  communes  en  ce  point 
anx  deux  continents  ont  passé  de  Tun  à  l'autre. 

Chaque  continent,  ou ,  si  Ton  veut  plus  de  rigueur,  chaque  midi  des 
deux  continents  a  donc  sa  population  distincte ,  sa  population  propre  : 
c'est  là  le  beau,  le  grand  fait  que  Buffon  a  su  révéler  à  l'admiration  des 
naturalistes.  Et  les  naturalistes  ordinaires ,  les  naturalistes  contempo- 
rains ,  ont  eu  beau  contredire  :  plus  on  a  étudié ,  plus  on  a  approfondi 
ces  grandes  questions,  plus  on  s'est  livré  à  des  recherches,  à  des  com- 
paraisons exactes,  plus  on  s'est  convaincu  que  Buffon  avait  profondé- 
ment raison  :  il  avait  vu  de  haut,  il  avait  vu  avec  génie;  et,  cette  fois- 
ci  encore ,  la  vue  haute ,  la  vue  de  génie  s'est  ti^ouvée  la  vue  juste. 

Chose  remarquable,  il  n'est  pas  une  erreur  de  détail  échappée  à 
Buffon  dont  on  n'ait  voulu  tirer  parti  pour  combattre  sa  belle  loi,  et  il 
n'est  pa^^une  de  ces  erreurs  qui,  complètement  corrigée ,  ne  soit  venue 
confirmer  cette  loi  par  un  fait  nouveau. 

On  ne  connut  d'abord  d'animaux  à  bourse  que  les  sarigues ,  que 
les  animaux  à  bourse  d'Amérique.  On  en  était  là,  loi^que  Buffon  reçut, 
sous  le  nom  de  rat  de  Surinam ,  l'animal  à  bourse  qu'il  nomma  pludan- 
ger;  et  il  le  crut  d'Amérique. 

Eh  bien,  il  y  avait  là  une  erreur;  car  Tanimal  qu'il  avait  appelé 
phalanger  n'était  pas  d'Amérique  ;  aucun  animal  de  ce  genre  n'est  d'A- 
mérique ;  tous  les  phalangers  sont  des  terres  australes.  On  s'empressa 
de  relever  l'erreur  de  Buffon .  et  Buffon  s'empressa  de  la  corriger  :  mais 
sa  belle  loi  n'en  souffrit  pas  ;  car  l'Amérique ,  qui  a  les  sarigues ,  n  a 

*  T.  XVIII,  p.  i3&.  c  Les  «nimaux  des  parties  méridionales  de  chacuD  des  con- 
tinents n  existent  potAt  dans  fautre.  ■  T.  XVIII,  p.  i34.  «—  *  Le  loup  coHmnn  ou 
proprement  dit. 

83. 


660  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

point  de  phalangers,  et  les  tenues  australes,  qui  ont  des  phalangers  ^ 
n*ont  point  de  sarigues  ^ 

Il  venait  de  dire,  et  avec  raison,  que  les  fourmilliers ,  les  fourmillier^ 
proprement  dits,  sont  tous  d* Amérique*  Sur  ces  entrefaites,  Vosniaër, 
directeur  du  cabinet  d'histoire  naturelle  de  Leyde ,  reçoit  du  Cap  un 
animal,  qui  se  nourrit  aussi  de  fourmis,  et  il  se  flatte  que  la  loi  de  Bnf- 
fon  en  sera  compromise.  Mais  le  fourmillier  du  Cap,  le  cochon  de  terre, 
comme  on  Tappelait  alors,  Yoryctérope ,  comme  on  l'appelle  aujourd'hui, 
est  un  animal  tout  à  fait  distinct  des  fourmilliers  d'Amérique,  et  la  loi 
de  BuiTon  reste  tout  entière.  Voici  la  réponse  de  BufTon  lui-même  : 
((Nous  avons  dit  et  répété  souvent  qu aucune  espèce  des  animaux  de 
rAfrique  ne  s'est  trouvée  dans  l'Amérique  méridionale,. et  que,  réci- 
proquement, aucun  des  animaux  de  cette  partie  de  l'Amérique  ne  s'est 
trouvé  dans  l'ancien  continent.  L'animal  dont  il  est  ici  question  a  pu 
induire  en  erreur  des  observateurs  peu  attentifs,  tels  que  M.  Vosmaër, 
mais  on  va  voir,  par  sa  description  et  par  la  comparaison  de  sa  figure 
avec  les  fourmilliers  d'Amérique,  qu'A  est  d'une  espèce  très-dififërente^.  » 

Ce  Vosmaër,  un  des  opposants  les  plus  obstinés  qu'ait  jamais  ren- 
contrés une  grande  idée ,  avait  dit  que  la  belle  loi  de  BuiFon  ne  reposait 
que  sur  des  propositions  idéales,  Bulfon  répond  :  ((Cette  assertion  n'est 
point  foqdée  sur  des  propositions  idéales,  comme  le  dit  M.  Vosmaër, 
puisqu'elle  est,  au  contraire,  établie  sur  le  plus  grand  fait,  le  plus  géné- 
ral, le  plus  inconnu  à  tous  les  naturalistes  avant  moi;  ce  fait  est  que 
les  animaux  des  parties  méridionales  de  l'ancien  continent  ne  se  trouvent 
pas  dans  le  nouveau,  et  que  réciproquement  ceux  de  l'Amérique  méri- 
dionale ne  se  trouvent  pas  dans  l'ancien  continent*.  » 

Buffon  dit  ailleurs.  «  Ce  n'est  pas  qu'absolument  parlant,  et  même 
raisonnant  philosophiquement,  il  ne  fut  possible  qu'il  se  trouvât,  dans 
les  climats  méridionaux  des  deux  continents,  quelques  animaux  qui 
seraient  précisément  de  la  même  espèce ....  ;  mais  il  ne  s'agit  pas  ici 
d'une  possibilité  philosophique,  qu'on  peut  regarder  comme  plus  ou 
moins  probable,  il  s'agit  d'un  fait,  et  d'un  fait  très-général,  dont  il  est 

*  «  Je-croîs  cetle  critique  juste,  et  que  le  phalanger  appartient  en  effet  aux  Indes 
orientales  et  méridionales  ;  mais ,  quoiqu'il  ait  quelque  ressemblance  avec  les  opos- 
sums ou  sarigues, je  n*aipas  dit  qu'il  fût  du  même  genre;  j'ai,  au  contraire,  assuré 
3u'il  différait  de  tous  les  sangues,  marmoses  et  cayopolins,  par  la  conformation 
es  pieds ,  qui  me  paraissait  unique  dans  cette  espèce.  Ainsi ,  je  ne  me  suis  pas 
trompé  en  avançant  que  le  genre  des  opossums  ou  sarigues  appartient  au  nouveau 
continent,  et  ne  se  trouve  nulle  part  dans  l'ancien. i  Sapplém,  t.  XIV,  p.  77.  — 
*  Sapplém,  t.  XII,  p.  3.  —  '  Sapplém.  t.  XIII,  p.  186. 


NOVEMBRE  1843.      .  661 

aisé  de  présenter  les  nombreux  et  très-nombïeux  exemples.  Il  est 
certain  que ,  au  temps  de  la  découverte  de  TAmérique ,  il  n'existait  dans 
ce  nouveau  monde  aucun  des  animaux  que  je  vais  nommer:  Téléphanl, 
le  rhinocéros,  Thippopotame ,  la  girafe,  le  chameau,  le  dromadaire,  le 
buflle ,  le  cheval ,  Tàne,  le  iion  »  le  tigre ,  les  singes ,  les  babouins ,  les  gue- 
nons ,  etc.  ;  et  que ,  de  même ,  lé  tapir,  le  lama ,  la  vigogne ,  le  pécari ,  le 
couguar,  le  jaguar^,  Tagouti,  le  paca,  le  coati,  l'unau,  Taî,  etc. ,  n'exis- 
taient point  dans  l'ancien  continent.  Cette  multitude  d'exemples,  dont  on 
ne  peut  nier  la  vérité,  ne  suffit-elle  pas  pour  qu'on  soit  au  moins  fort  en 
garde  lorsqu'il  s'agit  de  prononcer ,  comme  le  fait  ici  M.  Vosmaër,  que 
tel  ou  tel  animal  se  trouve  également  dans  les  parties  méridionales  des 
deux  continents*?» 

En  comparant  les  uns  aux  autres  les  animaux  de  l'Amérique  et  ceux 
de  l'ancien  continent,  Buffon  a  fait  deux  remarques,  toutes  deux  très- 
importantes. 

La  première  est  que  la  nature  vivante  est,  en  général*,  beaucoup 
moins  grande,  beaucoup  moins  forte,  dans  le  nouveau  monde  que  dans 
l'ancien. 

Par  exemple ,  le  tapir  est  Tanimal  le  plus  gros  de  l'Amérique ,  le 
lama  en  est  le  plus  grand;  mais  le  tapir  n'approche  pas  de  l'éléphant, 
du  rhinocéros ,  de  l'hippopotame  *,  le  lama  n'approche  pas  du  cha- 
meau, du  dromadaire,  de  la  girafe;  le  jaguar,  qui  est  l'animal  le  plus 
terrible  du  nouveau  monde,  n'est  pas  aussi  fort,  à  beaucoup  près,  que 
le  lion ,  que  le  tigre ,  etc.  etc.  • 

La  seconde  remarque  de  BuQbn  est  plus  importante  encore  :  c'est 
que  les  animaux  du  nouveau  monde,  comparés  à  ceux  de  l'ancien, 
forment  comme  une  nature  parallèle ,  collatérale ,  comme  un  second 
règne  animal ,  qui  correspond  presque  partout  au  premier. 

Dans  l'ordre  des  pachydermes,  le  tapir,  le  pécari,  le  tajassou,  ré- 
pondent à  nos  cochons,  à  nos  sangliers ,  à  nos  tapirs^;  dans  l'ordre  des 
chats,  le  couguar,  le  jaguar,  l'ocelot,  répondent  à  nos  lions,  a  nos 
tigres,  k  nos  panthères,  etc.;  nos  ruminants  sont  représentés,  dans  le 
nouveau  monde,  par  le  lama,  par  l'alpaca,  par  la  vigogne,  etc.;  nos 
rongeurs,  par  le  cabiai,  le  paca,  l'agouti,  le  cochon  d'Inde,  etc.;  nos 
singes,  par  les  singes  qui  lui  sont  propres^;  et  nos  fourmilliers ,  le 

^  t  Buffon  a  méconnu  le  jaguar,  qu'il  a  pris  pour  la  panthère  de  Tancien  conti- 
nent, et  il  n*a  pas  bien  distingué  la  panthère  du  léopard. . . .  •  Cuvier,  Rèqn,  anim. 
1. 1,  p.  1 6a.  La  distinction  exacte  de  ces  espèces  a  été  faite  depuis,  et  la  loi  de  Buf- 
fon en  A  été  confirmée.  —  *  Supplém,  t.  VI,  p.  i  a 3.  —  *  Je  dis  «n  général,  et  j'ajoute 
même:  uniquement  pour  les  quadrupèdes.  «—  ^  Le  tapir  de  l'Inde.  — *  *  t  Gomme  les 


662  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pangolin  et  le  phatagin^,  par  des  fourmiUiers  qui  ne  sont  qu*à  lui,  le 
tamanoir,  le  tamandua,  etc.  etc. 

'  Cependant,  le  nouveau  monde  a  une  nature  vivante  qui  n*a  point 
de  nature  parallèle  dans  Tancien  monde.  Les  tatous,  les  paresseux, 
les  sarigues,  n appartiennent  qu'au  nouveau  monde,  et  nont  point  de 
représentants  dans  lancien. 

De  ces  trois  genres  d'animaux,  le  plus  important  à  considérer,  sous 
le  rapport  qui  m'occupe  en  ce  moment ,  est  celui  des  sarigues  ou  des. 
animaux  à  bourse  de  TAmérique.  Pour  trouver  les  représentants  des 
saiîgues,  il  faut  quitter  l'ancien  monde  proprement  dit,  c'est-à-dire  l'Eu- 
rope, l'Afrique  et  l'Asie,  il  faut  passer  jusqu'aux  terres  australes.  Mais 
ici  nous  touchons  à  un  fait  aussi  étonnant,  peut-être,  que  celui  que 
nous  a  offert  l'Amérique  ;  nous  touchons  à  une  population  animale  toute 
nouvelle. 

De  même  que  l'Amérique  nous  a  donné  le  couguar,  le  jaguar,  le 
tapir,  le  cabiai,  le  lama,  la  vigogne,  les  paresseux,  les  tatous,  les  four- 
milliers,  les  sarigues ,  les  sapajous,  etc.  tous  animaux  inconnus,  à  l'an- 
cien monde  ;  de  même  la  NoUvelle-Hollande  nous  a  donné  les  kan- 
guroos,  les  phascolomes,  les  dasyures,  les  péramèles,  les  phalangers 
volants,  les  ornithorinques,  les  échidnés,  etc.  :  tous  animaux  inconnus 
au  nouveau  comme  à  l'ancien  monde. 

Et  remarquez  comment  la  progression  s'est  établie. 

L'Amérique  nous  offrait  déjà  les  sarigues,  animaux  à  génération  vi- 
vtpare  nouvelle  ;  mais  à  côté  de  ces  animaux  à  génération  vivipare  nou- 
velle s'en  trouvaient  une  foule  d'autres  à  génération  vivipare  ordi- 
naire. Les  animaux  à  génération  vivipare  ordinaire  dominaient  encore 
dans  l'Amérique.  Dans  la  Nouvelle-Hollande,  c'est  tout  le  contraire: 
à  deux  ou  trois  exceptions  près ,  tous  les  animaux  y  ont  la  génération 
des  sarigues.  Tous  les  animaux  de  la  Nouvelle-Hollande  que  je  viens  de 
nommer  sont  des  animaux  à  bourse  '. 

M.  Cuvier  a  eu  l'heureuse  idée  de  faire  im  groupe  à  part  des  animaux 
à  bourse^;  et  cela  seul  lui  a  découvert  dans  ce 'groupe  une  classe  pa- 

:iiiiges,  les  babouins  et  les  guenons,  ne  se  trouvent  que  dans  fancien  continent,  on 
doit  regarder  les  isapajous  et  les  sagouins  comme  leurs  représentants  dans  le  nou- 
veau. •  T.  XXIX,  p.  aii  1 .  —  S  Les  fourmiUiers,  qui  sont  des  animaux  très-singuliers, 
et  dont  il  y  a  trois  ou  quatre  espèces  dans  le  nouveau  monde ,  paraissent  aussi  avoir 
leurs  représentants  dans  Vancien  ;  le  pangolin  et  le  pbatagin  leur  ressemblant  par  le 
caractère  unique  de  n'avoir  point  de  dents,  et  d*ètre  forcés,  comipe  eux,  à  tirer  la 
langue  et  à  vivre  de  fourmis.  »  T.  }iXIX,  p.  a46. —  *  L^s  ornithorinques  et  les  échid- 
nés n*ont  pas  de  poche,  mais  ils  ont  les  os  manupiauje,  ou  le  caractère  intérieur 
qui  répond  à  la  poche.  —  '  Ou  martapiaux. 


NOVEMBRE  1843.  663 

railèle  à  celle  des  mammifères  ordînaires  :  les  sarigues,  les  dasyures, 
les  péramèles ,  répondent  anx  insectivores ,  tels  cfue  les  tenfecs  et  les 
taupes  ;  les  phalangers  et  les  potoroos,  aux  hérissons  et  aux  musaraignes  ; 
les  phascoloïnes ,  aux  rongeurs^;  et  les  ornitborinques,  les  échidnés, 
aux  édentés  ordinaires. 

Voilà  donc  trois  populations  animales  bien  prononcées  :  celle  du  midi 
de  l'ancien  monde,  celle  du  midi  du  nouveau,  et  celle  de  la  Nouvelle- 
Hollande.  Mais  ces  ti^ois  poptdatiohs  animales  ne  sont  pas  les  seules. 

Au  point  où  en  est  la  science ,  il  est  facile  de  distinguer  aigourd'hui 
plusieurs  centres  de  populations  animales  distinctes  :  celui  de  FAmë- 
rîque  du  Midi ,  celui  de  l'Amérique  du  Nord ,  celui  de  l'Afrique  méri- 
dionale, celui  de  Tlnde,  celui  de  l'Afrique  du  nord,  celui  de  l'Asie 
centrale ,  celui  de  l'Asie  du  nord,  celui  de  TEurope,  celui  de  la  Nouvelle- 
Hollande,  et  d'autres  encore. 

Chacun  de  ces  centres  a  ses  animaux  propres. 

L'Amérique  méridionale  ^  les  sapajous  ^,  les  sajous,  les  alouattes, 
les  atèles,  les  coaïtas,  les  sakis^  les  sagouins,  les  ouistitis,  etc.;  le  fm- 
ma ,  le  jaguar,  le  jaguarondi ,  l'ocelot ,  le  raton-crabier,  le  loup  rouge , 
le  renard  du  Brésil,  le  grison,  le  taïra,  les  coatis  roux  et  brun,  la 
mouffette  chinché,  etc.;  le  cabiai,  le  coendou,  l'agouti,  l'acouchi,  Fa- 
perea^,  le  chinchilla,  etc.;  les  sarigues,  les  fourmilliers,  les  paresseux, 
les  tatous ,  les  pécaris ,  les  tapirs ,  le  lama ,  la  vigogne ,  plusieurs  cerfs ,  etc. 

L'Amérique  du  Nord  a  plusieurs  écureuils,  plusieurs  marmottes, 
londatra  ou  rat  musqué  du  Canada,  le  lemming  de  la  baie  d'Hud- 
son,  etc.;  un  blaireau,  plusieurs  renards,  plusieurs  martes.  Fours  noir, 
l'ours  terrible^,  un  raton,  un  glouton,  plusieurs  loups,  etc.;  le  cerf  du 
Canada,  le  bison,  le  bœuf  musqué,  etc.  Je  ne  parle  pas  des  espèces 
qui  lui  sont  communes  avec  le  nord  de  l'aûcien  continent,  l'élan,  le 
renne,  etc. 

L'Afrique  méridionale  et  l'Inde  méritent  d'être  comparées ,  ou  plutôt 
opposées  l'une  à  Tautre;  car  l'Inde  n'a  aucune  des  espèces  de  l'Afrique 
méridionale,  et  réciproquement  l'Afrique  méridionale  n'a  aucune  des 
espèces  de  l'Inde. 

L'Afrique  méridionale  a  l'éléphant  d'Afrique ,  le  rhinocéros  d'Afrique , 
rhippopotame ,  le  sanglier  à  masque,  Toryctérope,  le  phatagin  ou  pan- 
golin à  longue  queue,  le  chimpansé,  toutes  les  guenons,  le  papion 

^  Les  kanguroos  proprement  dits  n*ont  pas  de  terme  de  comparaison  Uen  mar- 
qué. —  *  Sapajous ,  ou  singes  à  queue  prenante.  —  '  Sakis,  ou  singes  à  queue  non 
prenante.  —  ^  Cest  la  souche  du  cochon  d*Inde.  —  '  On  ne  sait  pas  bien  encore 
si  cet  oorr  ten^le  est  une  espèce  différente  de  l'oors  bnm  d*Barope. 


664  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

noir,  le  babouin,  le  drill,  le  mandrill,  les  galagos,  Thyène  tachetée, 
rhyène  brune,  la  civette,  le  léopard  ,1e  serval ,  etc.;  le  zèbre,  le  couagga, 
le  daw,  un  grand  nombre  d'antilopes,  etc.  etc. 

Llnde  a  Téléphant,  le  rhinocéros,  le  tapir  des  Indes,  plusieurs  ma- 
caques, plusieurs  semnopithèques ,  les  loris  ou  singes  paresseux,  une 
loutre,  le  zibeth,  une  genette,  le  paradoxure,  une  mangouste,  Tours 
jongleur,  le  pangolin  proprement  dit  ou  pangolin  à  queue  courte,  le 
guépard,  plusieurs  cerfs,  plusieurs  antilopes,  etc.  etc. 

L'Afrique  du  nord,  jointe  à  TArabic,  à  la  Pei'se,  etc.,  a  aussi  ses  es- 
pèces :  rhyènç  rayée,  le  lion,  la  panthère,  Tonce,  la  gerbille  des  pyra^ 
mides,  celle  de  Nubie,  la  gazelle,  le  caracaP,  le  lynx  des  marais,  le  lynx 
botté,  plusieurs  antilopes,  etc.  etc. 

L'Asie  centrale  nous  donne  le  cheval,  Thémionç,  lane,  le  chameau , 
le  dromadaire,  Tours  duThibet,  le  chevrotain  qui  porte  le  musc,  plu- 
sieurs antilopes,  le  yack  ou  vache  grognante  de  Tartarie,  etc.  L'Asie 
du  nord,  jointe  à  TEurope  du  nord,  nous  offre  le  glouton  du  nord, 
l'hermine,  la  marte  zibeline,  les  lemmings,  le  zocor,  Télan,  le  renne,  etc. 
Nous  trouvons  dans  TEurope  centrale  le  cerf,  le  chevreuil  communs, 
l'aurochs,  le  loir,  le  lérot;  le  loup,  le  renard,  le  lynx,  la  genette,  le 
blaireau  d'Europe,  etc. 

J'ai  déjà  nommé  les  principaux  genres  de  la  population  de  la  Nou- 
velle-Hollande ;  mais  évidemment  l'archipel  indien  forme  un  centre  à 
part  et  présente  une  population  animale  distincte ,  quoiqu'il  soit  réuni 
à  la  Nouvelle-Hollande  sous  le  nom  commun  d'Océanie. 

L'archipel  indien  a  une  population  propre  et  même  très  -  remar- 
quable :  il  a  le  rhinocéros  de  Java,  celui  de  Sumatra;  il  a  Torang-ou- 
tang,  les  gibbons,  plusieurs  semnopithèques,  Tours  malais,  etc.;  et  cette 
population,  qui  le  sépare  de  la  Nouvelle-Hollande,  le  rapproche  beau- 
coup du  continent  de  l'Inde. 

Au  contraire,  les  Moluques,  Célèbes,  la  Nouvelle-Guinée,  Aroé, 
Solor,  etc. ,  se  rattachent  à  la  Nouvelle-Hollande  par  leurs  /phalangers , 
par  leurs  kanguroos,  etc. 

Sur  une  autre  partie  du  globe,  je  trouve  l'île  de  Madagascar,  laquelle 
semble  former  encore  un  centre  distinct  de  population  animale ,  car  j'y 
vois  plusieurs  animaux  qui  ne  sont  que  là ,  qui  ne  sont  pas  même  en 
Afrique;  les  makis,  Tindri,  ce  singe  à  démarche  lente  que  les  habitants 
de  Madagascar  apprivoisent  et  dressent  comme  un  chien  pour  la 
chasse  ^  ;  le  singulier  rongeur  qu'on  appelle  aye-aye,  etc. 

*  «  C'est  le  Yfai  lynx  des  anciens »  Cuvier,  Règn.  anim.  t.  î,  p.  i64.  —  *  «  Sa 


NOVEMBRE  1843.  665 

Chaque  animal,  chaque  espèce,  a  donc,  comme  le  dit  Buflbn,  son 
pays,  sa  patrie  natarelle^;  des  lois,  demeurées  longtemps  inconnues, 
président  donc  à  la  distribution  des  animaux  sur  le  globe  ;  une  science 
nouvelle  naît,  qui  lie  la  zoologie,  ou,  pour  parler  dune  manière  plus 
générale,  Thistoire  naturelle  à  la  géographie;  une  lumière  nouvelle 
éclaire  lés  rapports  des  choses  créées;  et  tous  ces  grands  résultats  sont 
dus  à  la  forte  et  puissante  patience  ^  d'un  heureux  génie  qui  a  su  com- 
biner des  faits  pour  en  tirer  des  idées  ^. 

((Dans  les  animaux,  dit  Buflbn,  Tinfluence  du  climat  est  plus  forte 
et  se  marque  par -des  caractères  plus  sensibles,  parce  que  les  espèces 
sont  diverses  et  que  leur  nature  est  infiniment  moins  perfectionnée, 
moins  étendue  que  celle  de  l'homme.  Non-seulement  les  variétés  dans 
chaque  espèce  sont  plus  nombreuses  et  plus  marquées  que  dans  l'es- 
pèce humaine ,  mais  les  diflérences  mêmes  des  espèces  semblent  dé- 
pendre des  diflérents  climats  :  les  unes  ne  peuvent  se  propager  que 
dans  les  pays  chauds ,  les  autres  ne  peuvent  subsister  que  dans  les  cli- 
mats froids  :  le  lion  n'a  jamais  habité  les  régions  du  nord  ;  le  renne  ne 
s'est  Jamais  trouvé  dans  les  contrées  du  midi;  et  il  n'y  a  peut-être  au- 
cun animai  dont  l'espèce  soit,  comme  celle  de  l'hon^me,  généralement 
répandue  sur  toute  la  surface  de  la  terre  :  chacun  a  son  pays,  sa  patrie 
naturelle ,  dans  laquelle  chacun  est  retenu  par  nécessité  physique  ;  cha- 
cun est  fils  de  la  terre  qu'il  habite ,  et  c'est  dans  ce  sens  qu'on  doit  dire 
que  tel  ou  tel  animal  est  originaire  de  tel  ou  tel  climat^,  h 

Les  animaux  sont  donc  sous  la  dépendance  du  sol  ;  leurs  espèces 
changent  avec  les  climats  ;  l'espèce  humaine  seule  a  le  privilège  d'être 
partout  la  même,  et  cela  par  la  grande  et  belle  raison  qu'en  donne 
Buflbn ,  parce  qu'elle  est  une. 

((Dans  l'espèce  humaine,  dit  Buflbn,  l'influence  du  climat  ne  se 
marque  que  par  des  variétés  assez  légères,  parce  que  cette  espèce  est 
une,  et  qu'elle  est  très-distinctement  séparée  de  toutes  les  autres  espèces. 
L'honune ,  blanc  en  Europe ,  noir  en  Afrique ,  jaune  en  Asie ,  et  rouge  en 
Amérique ,  n'est  que  le  même  homme  teint  de  la  couleur  du  climat  ; 
comme  il  est  fait  pour  régner  sur  la  terre ,  que  le  globe  entier  est  son 
domaine,  il  semble  que  sa  nature  se  soit  prêtée  à  toutes  les  situations: 


démarche  lenle,  qui  Tavait  fait  prendre  pour  un  paresseux,  a  engagé  quelques 


rauit  de  Séchelles ,  Voyage  à  Monlbard,  p.  1 5.  —  '  «  Rassemblons  des  faits  pour 
nous  donner  des  idées.  »  T.  III,  p.  a 5.  —  *  T.  XVIII,  p.  a. 

84 


666  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

sous  les  feux  du  midi,  dans  les  glaces  du  nordr  il  vit,  11  multiplie,  il 
se  trouve  partout  si  anciennement  répandu ,  qu*il  ne  parait  affecter  au* 
cun  climat  particulier  ^  n 

J'ai  examiné,  dans  cet  article,  les  idées  de  Buffon  sur  les  rapports  des 
animaux  avec  le  globe;  j'examinerai,  dans  un  autre,  ses  idées  sur  f  indé- 
pendance propre  de  Tespèce  humaine  et  sur  lunité  de  Thomme. 

FLOURENS. 


Il  sepolcro  dei  Volunm,  scoperto  in  Perugia  nel  18ù0,  ed  altri 
monumenti  inediti  etruschi  e  romani  ^  esposti  da  G.  B.  Vermiglioli. 
Perugia ,  1 84o  ,  in-4°. 

DEUXlàME    ARTICLE  ^. 

J'aiTive  maintenant  aux  urnes,  qui,  par  les  statues  qui  en  décorent 
le  couvercle,  et  par  les  inscriptions  qui  s'y  lisent,  dont  l'une  est  bi- 
lingue, c'est-à-dire  étrusque  et  latine ,  et,  sous  ce  rapport,  d'un  grand 
intérêt,  méritent  au  plus  haut  degré  Tattention  de  l'antiquaire.  J'ai  déjà 
dit  que  ces  urnes,  au  nombre  de  sept,  étaient  placées  toutes  dans  la 
pièce  du  fond,  que  j'ai  désignée  sous  le  nom  de  tribune;  et  nous  ver- 
rons bientôt  qu'elles  portent  toutes  le  même  nom  de  famille ,  avec  des 
prénoms  divers  et  avec  des  désinences  ou  afiixes  qui  indiquent  les  re- 
lations propres  aux  différents  membres  d'une  même  famille ,  en  sorte 
qu'il  ne  saurait  subsister  le  moindre  doute  sur  la  destination  de  ces 
monuments  funéraires ,  non  plus  que  sur  l'étroite  affinité  et  sur  l'é- 
poque contemporaine  des  personnages  auxquels  ils  appartiennent. 
C'est  aussi  ce  qui  résulte  de  la  composition  même  et  du  travail  de 
ces  urnes,  dont  cinq  offrent  absolument  la  même  forme;  et  toutes 
sont  exécutées  dans  le  goût  d*une  même  époque.  Les  cinq  urnes  qui  se 
ressemblent  sont  composées  de  deux  parties,  l'une,  qui  n'est,  à  propre- 
ment parler,  qu'une  base  carrée  en  forme  de  simple  cube  surmonté 
d'mie  corniche  et  orné,  au  centre,  d'une  tête  de  Méduse,  et,  dans  les 
quatre  angles,  d'une  patère;  l'autre  partie,  qui  consiste  en  un  lit  funèbre, 
couvert  de  riches  tapis ,  sur  lequel  repose  une  figure  couchée.  La  partie 

*  T.  XVIII,  p.  1.  —  *  Voir  le  cahier  dfoclobre,  p.  BgS. 


NOVEMBRE  1843.  667 

inférieure  de  ces  urnes,  ou  la  base,  est  de  .travertin,  laissé  dans  son  état 
naturel ,  avec  cette  particularité ,  que  les  masques  de  Médase  qui  en  dé- 
corent la  face  ny  étaient  point  sculptés,  mais  rapportés,  et  fixés  au 
moyen  de  crampons  de  métal.  La  partie  supérieure,  ou  le  couvercle, 
composée  du  lit  et  de  la  figure,  est  de  la  même  matière,  mais  revêtue 
d'un  stuc  très-fin  et  très- dur,  qui  a  l'apparence  et  le  poli  du  marbre. 
Du  reste ,  le  travail  du  Ut  est  exécuté  avec  beaucoup  de  soin  et  de 
goût,  et,   dans  les  cinq  urnes  qui  sont  surmontées  de  ce  meuble  fu- 
nèbre, la  composition  offre  des  variantes  d'ajustement  qui  prouvent 
qu'on  ne  s'était  pas  borné  à  répéter  de  pratique  un  même  modèle.  Des 
cinq  figures  placées  sur  ces  sarcophages,  quatre,  couchées  sur  le  lit, 
sont  des  statues  d'hommes ,  la  cinquième,  qui  est  assise  sur  un  siège  à 
dossier,  est  celle  d'une  femme;  double  notion  qui  résulte  à  la  fois  du 
costume  donné  à  ces  figures  et  de  la  teneur  des  inscriptions  qui  les  ac- 
compagnent. Les  hommes ,  vêtus  de  la  toge  mortuaire  ^  qui  lem'  laisse  la 
poitrine  et  une  partie  du  ventre  découvertes,  sont  couchés  la  tête  ap- 
puyée sur  le  bras  gauche,  dont  le  coude  pose  sur  un  riche  coussin;  ils 
tiennent  de  la  main  droite  placée  sur  le  genou  une  lai^e  patère,  le 
vase  de  la  libation  funéraire;  et  le  seul  ornement  qui  les  distingue  est 
un  long  collier  qui  leur  pend  jusqu'au  milieu  du  corps,  et  qui  parait 
formé  de  flocons  de  laine  ^.  L^  femme,  seule  personne  de  son  sexe  qui 
figure  parmi  les  membres  de  cette  famille,  est  entièrement  vétaed*nne 
tuniqae  hngaesans  manches,  serrée  au-dessous  du  sein  par  une  ceinture, 
et  d'un  pépias  qui  lui  enveloppe  le  bras  gauche;  et,  du  bras  droit,  re- 
levé à  la  hauteur  de  son  épaule,  elle  tient  l'extrémité  d'une  autre  es- 
pèce de  collier  qui  paraît  consister  en  une  simple  bandelette  d'étoffe. 

J'insiste  sur  ces  paiticularités  de  costume. qui  caractérisent  ici  les 
deux  sexes,  parce  que,  faute  d'y  avoir  fait  une  attention  suffisante, 
M.  Vermiglioli  a  pris  pour  une  femme  la  figure  d'homme  qui  orne  le  cou- 
vercle d'une  de  ces  urnes,  celle  qu'il  publie  pi.  m,  n.  i,  et  que,  d'après 
cette  fausse  supposition ,  il  a  cherché  à  appliquer  à  une  femme  l'ins- 
cription étrusque  qui  ne  peut  convenir  qu'à  un  homme;  double  erreur 
qui  ne  laisse  pas  d'avoir  d'assez  graves  conséquences ,  à  la  fois  pour  la 
connaissance  du  costume  et  pour  Tintelligence  de  la  langue.  C'est, 
d'ailleurs,  un  fait  attesté  par  beaucoup  d'autres  monuments  étrusques 
du  même  genre ,  que  \es  femmes,  couchées  sur  le  couvercle  des  sarco- 
phages, se  représentaient  vétaes,  à  la  différence  des  hommes,  qui  mon- 

*  Juvenal.  Sat.  m,  171-a;  cf.  Martial.  Epigr.  ix,  58.  —  *  C'est  Tidée  de  M.  Ver- 
mig)toli ,  qui  me  parait  fort  judicieuse ,  et  que  j*adopte  pour  mon  propre  compte  ; 
voy.  &!polcr.  de'  Volanni,  p.  35-^. 


/ 


668  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

traient  leur  poitrine  découverte^  ;  et  ce  trait  de  mœurs,  qui  doit  tenir  k 
quelque  intention  particulière,  se  trouve  justifié  par  les  urnes  de  notre 
tombeau  des  Volumnii,  où  cette  particularité,  rendue  sensible  par  les 
cinq  figures  d'hommes ,  accompagnées  de  leurs  inscriptions ,  achève  de 
devenir  évidente  par  la  figure  de  femme  vêtue,  non  plus  couchée,  mais 
assise  sur  un  siège  dont  les  pieds  sont  formés  par  des  chouettes,  Toiseau 
symbolique  de  Minerve,  et,  à  ce  titre,  l'emblème  le  mieux  approprié  à 
une  femme.  Du  reste,  toutes  ces  figures  offrent  des  traits  individuels, 
où  la  différence  de  lage,  suffisamment  exprimée,  se  trouve  d'accord 
avec  les  inscriptions  indiquant  des  relations  de  père,  dejils  et  de  frère. 
Ce  sont  donc  des  portraits  de  famille  qu'il  faut  voir  ici,  comme  c'est  le 
cas  de  toutes  les  figures  semblables  placées  sur  le  couvercle  des  urnes 
étrusques;  et  il  y  a  lieu  d'être  surpris  qu'un  aussi  savant  antiquaire  que 
M.  Feuerbach  ait  pu  prendre  pour  un  personnage  idéal,  pour  la  reine 
des  morts,  la  figure  d'une  femme  que  son  inscription  désigne  incontes* 
tablement  pour  Velia  \olamnia,fme  d'Aruns^.  Une  dernière  observation, 
qui  s'applique  à  toutes  ces  sculptures,  et  que  j'emprunte  avec  confiance 
au  même  antiquaire,  juge  éclairé  en  pareille  matière,  c'est  (que  leur  exé- 
cution est  très-supérieure  à  la  plupart  de  ce  que  nous  connaissons  de 
sculptures  du  même  genre. 

Il  me  reste  à  parler  des  deux  urnes  qui  différent,  par  leur  composition, 
des  cinq  dont  je  viens  de  rendre  compte.  L'une  de  ces  urnes,  qui,  par 
sa  position  à  la  place  principale  du  sanctuaire,  sur  la  paroi  qui  fait  face 
à  l'entrée,  par  sa  proportion,  qui  surpasse  celle  des  autres  urnes,  et 
par  la  richesse  dé  sa  décoration,  semble  avoir  appartenu  au  chef  de  la 
famille  qui  fit  constniire  cet  hypogée ,  se  compose  pareillement  de  deux 
parties,  c'est  à  savoir,  d'une  base  carrée  couronnée  de  sa  corniche,  et 
d'un  lit  funèbre,  orné  avec  beaucoup  de  luxe,  et  sur  lequel  repose  la  fi- 
gure couchée  d'un  homme,  vêtu  de  la  même  manière  qui  a  été  indiquée. 
Mais  ce  qui  distingue  cette  urne  des  cinq  dont  elle  était  accompagnée, 
c'est  qu'il  s'y  trouve,  aux  deux  côtés  de  la  base,  deux  figures  de  femmes 
assises,  que,  d'après  leur  costume,  leur  chevelure  mêlée  de  serpents,  les 
ailes  qu'elles  ont  aux  épaules,  et  \e  flambeau  allumé  que  l'une  d'elles 
porte,  appuyé  sur  son  épaule^,  il  est  impossible  de  méconnaître  pour 

^  Voy.  l'observation  que  j*ai  eu  tout  récemment  foccasion  de  faire  à  ce  sujets 
dans  ce  journal,  et  les  exemples  que  j'ai  cités  à  fappui,  juillet  i843,  p.  43o,  i). 
—  *  Bullet  deir  Instit.  Archeol,  lo^o,  p.  lao  :  «Il  capo,  su  cui  stà  una  speçie  di 
«diadema,  è  atteggiato  imperiosamente,  e  pare  accenni  la  sovrana  regina  del 
<  Tartaro.  »  —  ^  La  main  de  l'autre  figure ,  qui  est  brisée ,  devait  tenir  aussi  un  flam- 
beau, comme  M.  Feuerbach  en  a  fait  fobservation ,  Ballet.  i84i«  p-  lai- 


NOVEMBRE  18&3.  669 

deux  de  ces  Erinnyes  qui  figurent  si  souvent,  mais  ia  plupart  du  temps 
debout  et  non  assises,  sur  les  monuments  funéraires  de  Tan  tique  Étrurie. 
Ce  qu  il  y  a  encore  de  particulier  dans  ces  figures,  d*une  expression  re- 
marquable et  d*un  beau  travail,  c*est  qu  elles  ne  sont  pas  sculptées  dans 
la  masse  même  du  sarcophage ,  mais  travaillées  à  part ,  presque  entière- 
ment de  ronde  bosse,  et  réunies  aux  côtés  de  iurne  au  moyen  de  tringles 
de  fer.  Une  autre  particularité ,  plus  mre  encore  et  plus  curieuse ,  que 
présente  ce  beau  sarcopbage,  c'est  que  Tespace  lisse  laissé  sur  la  base, 
entre  ces  deiu  figures  d'Euménides,  et  couvert  d'un  stuc  très-fin ,  est  rem- 
pli par  une  peinture,  dont  je  ne  sache  pas  quil  y  ait  encore  d'exemple 
sur  aucun  de  ces  monuments  de  Tarcbéologie  étrusque  venus  jusqu'à 
nous.  Cette  peinture,  qui  parait  avoir  eu  pour  objet  de  remplacer  la 
sculpture  dont  on  décorait  ordinairement  la  partie  antérieure  des  urnes 
funéraires,  et  qui  semble,  d'après  les  expressions  de  M.  Vermiglioli  \ 
avoir  été  exécutée  d'après  le  même  procédé  que  celles  d'Herculanum  et 
dePompéi,  qui  sont  aussi  sur  enduit,  représente  quatre  Jigares  déjeunes 
filles,  deux  en  avant  et  deux  sur  le  second  plan,  placées  sous  une  es- 
pèce de  niche  ou  de  porte  cintrée.  L'absence  de  tout  attribut  empêche 
de  caractériser  ces  figures ,  qu'à  leur  jeunesse  et  à  leur  costume  on  peut 
seulement  regarder  conmieles  filles  du  défunt.  Mais,  indépendamment 
de  l'intérêt  purement  domestique  qu'avait  sans  doute  cette  représenta- 
tion funèbre,  ce  qu'il  y  a  d'important  et  de  neuf  dans  cette  application 
de  la  peinture  à  l'ornement  d'un  sarcophage,  c'est  le  mode  même  d'a- 
près lequel  cette  peinture  était  exécutée  et  le  style  dans  lequel  elle  était 
traitée.  C'est  là  ce  qu'il  importait  beaucoup  de  constater  dans  les  pre- 
miers moments  qui  suivirent  la  découverte,  alors  que  la  peinture  se 
trouvait  à  peu  près  dans  toute  son  intégrité ,  et  ce  qu'on  a  malheureuse- 
ment négligé  de  faire.  Maintenant  que,  d*après  les  renseignements  qui 
m'ont  été  transmis,  sur  ma  demande,  par  M.  Vermiglioli,  la  peinture 
est  trop  effacée  pour  qu'on  en  puisse  faire  même  un  dessin,  c'est  une 
recherche  qui  est  sans  doute  devenue  impossible,  et  c'est  conséquem^ 
ment  une  occasion,  peut-être  irréparablement  perdue,  de  vérifier,  sur 
un  monument  unique  encore  jusqu'ici,  un  des  points  les  plus  impor- 
tants de  cette  branche  de  l'art,  dans  son  application  au  marbre  ou  à 
un  enduit  tenant  lieu  du  marbre. 

La  seconde  de  ces  urnes,  qui  méritent  une  mention  particulière,  et 
qui  se  distinguent  par  des  circonstances  toutes  nouvelles,  se  trouvait 

^  Sepoler,  de'  Volanni,  p.  4o  :  iLa  pittura  applicata  allô  intonaco  del  marmo  pe- 
«  nigino  sarà  stata  eseffuita  con  io  stesso  metodo  e  procetso,  con  cui  si  dipingeano 
«gli  intonachi  di  Eroolano,  di  Pompflî  e  di  aitri  looghi.  > 


670  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

fiaicée  contre  la  paroi  de  gauche ,  à  l'entrée  même  de  la  tribune  ;  ce 
qui  semblait  indiquer  qu'elle  était  la  dernière  qui  eût  été  déposée  dans 
ce  sanctuaire  de  famille.  Cette  urne  est  de  marbre  blanc ,  à  la  diffé- 
rence de  toutes  les  autres ,  qui  sont  de  travertin ,  et  elle  offre  la  formé 
dun  petit  temple  distyle,  d'ordre  corinthien,  à  fronton,  exécuté  avec 
beaucoup  de  soin  dans  tous  les  détails  de  ses  quatre  faces  et  dé  sa  toi- 
ture :  ce  qui  ne  laisse  pas  d'être  neuf  en  soi  et  instructif  pour  la  con- 
naissance de  l'architecture  antique,  qui,  du  reste,  n'offre  ici  que  des 
éléments  purement  grecs ,  sans  rien  qui  appartienne  au  système  toscan. 
Les  deux  frontons  sont  ornés,  sur  le  milieu  du  tympan,  d'une  tête  de 
Médttse  placée  entre  des  rinceaux  de  feuillage  ;  l'angle  supérieur  est  dé- 
coré d'une  riche  palmette,  et  les  acrotères,  de  deux  figures  de  sphinx, 
dont  on  connaît,  par  une  multitude  d'exemples  fournis  par  Tantiquité 
grecque  et  étrusque,  la  signification  et  l'emploi  funéraires.  Les  divers 
objets  qui  entrent  dans  la  décoration  de  cette  urne,  et  qui  se  rapportent 
tous  à  des  intentions  pareilles,  ont  été  expliqués  par  M.  Vermiglioli 
d'une  manière  qui  me  dispense  de  m'y  arrêter.  Mais  ce  qui  fait  le  prin- 
cipal mérite  de  cet  intéressant  monument ,  et  ce  que  je  dois  signaler 
spécialement  à  l'attention  de  nos  lecteurs ,  c'est  la  double  inscription , 
étrusque  et  latine,  qui  s'y  voit  gravée,  et  qui  devient  un  moyen  cer- 
tain de  détermination  pour  le  nom  de  la  famille  à  laquelle  appartenait 
cet  hypogée.  L'inscription  latine  se  lit  sur  la  face  principale;  elle  est 
distribuée  en  deux  ligne&sur  les  deux  bandes  de  l'architrave,  et  conçue 
en  ces  termes  :  P.  VOLVMNIVS  A.  F.  VIOLENS  CAFATIA  NATUS. 
L'inscription  étrusque  est  gravée  sur  les  deux  rampants  du  toit,  et  elle 
se  lit  ainsi  : 

Ces  deux  inscriptions ,  qui  expriment  le  même  nom  de  famille ,  sous 
la  forme  étrusque  nationale  et  sous  la  forme  latine ,  établissent  ainsi  la  no- 
tion importante  que  cet  hypogée  est  celui  de  i2L  famille  Volamnia,  famille 
historique  en  Étrurie;  et  cette  notion,  trouvée  d'accord  avec  l'interpré- 
tation des  inscriptions  étrusques ,  mérite  d'autant  plus  que  nous  nous  y 
arrêtions ,  que  cette  interprétation  remplit  la  plus  grande  partie  du  livre 
de  M.  Vermiglioli.  Mais,  avant  d'aborder  ce  sujet  délicat  et  difficile,  je 
dois  faire  une  observation  qui  me  paraît  réclamée  par  l'intérêt  de  la 
science  :  c'est  que  TinteHigence  des  inscriptions  étrusques  est  aujourd'hui 
encore  la  moins  avancée  de  toutes  les  hranches  de  l'archéologie. 

On  avait  cru  longtemps^  et  j  avoue  que  j'ai  été  moi-même  dans 
cette  illusion,  que  ces  inscriptions  pouvaient  s'interpréter  à  l^aide  du 


NOVEMBRE  1843.  671 

grec  et  du  latin;  et  cest  d< après  cette;  idée,  qui- pouvait  paraître  plau- 
sible à  beaucoup  d'égards,  que  le  èélèbre  Lanzi  eiposa ,  Ters  la  fin  du 
dernier  siècle ,  un  système  d'interprétation  qui*  >&i(  aecueilfi  avec  un 
applaudissement  général,  «t  qui  est  encore,  de  MB  jours,  suivi  par  la 
plupart  des  antiquaires  ultramontains  avec  une  confiance  que  je  ne 
saurais  plus  partager.  Entre  tous  ces  disciples  de  Lanzi,  qui  se  sont 
elForcés  de  porter  quelque  lumière  dans  cette  grande  énigme  d'une 
langue  qu'on  lit  couramment  sans  pouvoir  l'entexàdre ,  M.  Vermiglioli 
est  certainement  celui  qui  s*est  le  plus  distingué  par  les  nombreiui 
travaux  que  lui  ont  fournis  les  monuments  étrusques  de  Perwgia,  sa 
patrie  ^  Mais,  s'il  m'est  permis  de  .dire  ici  ce  que  je  pense,  le  résultat 
de  tous  ces  travaux  entrepris  par  Lanzi  et  ses  successeurs  se  réduit  à 
des  conjectures  dont  le  peu  de  solidité  devient  de  jour  en  jour  plus 
manifeste.  A  l'exception  de^l'alphabet,  dont  la  valeur  est  établie,  dans 
tous  ses  éléments,  d'une  manière  désormais  incontestable,  et  dont 
l'origine  est  certainement  dérivée  de  l'alpbabet  grec  primitif,  je  crois 
pouvoir  dire  que  toutes  les  questions  qui  touchent  à  la  langue  même, 
à  ses  racines,  à  sa  marche  grammaticale  et  à  $on  vocabulaire,  sont 
encore  aujourd'hui  couvertes  de  la  même  obscurité  qu'au  temps  où 
Lanzi  essayait  d'expliquer  par  l'ancien  grée  un  certain  nombre  de  mots 
qui  -offraient  une  physionomie  grecque,  mais  sans  pouvoir  jamais  rendre 
compte- d'une  phrase  entière,  sans  poyvoir  y  discerner  avec  certi- 
tude les  verbes  et  les  autres  mots  qui  servent,  par  leurs  inflexions,  à 
lier  entre  elles  les  diverses  parties  du  discoui^.  J'en  puis  citer  pour 
preuve  la  célèbre  inscription  du  monument  appelé  Torre  di  San-Manno^ 
îa  plus  belle,  sinon  la  plus  considérable,  de  toutes  les  inscriptions 
étrusques  que  nous  ayons  recueillies  jusqu'ici.  Lanzi,  qui  en  fit  l'objet 
d'un  examen  particulier  dans  son  Saggio^,  ne  put  en  expliquer  que 
quelques  mots,  encore  de  cette  manière  purement  conjecturale  et 
tout  à  fait  arbitraire  qui  n'a  rien  de  satisfaisant  pour  un  esprit  sérieux, 
sans  se  flatter  d'en  comprendre  la  teneur  générale;  et  lorsque,  plus  tard, 
dans  un  écrit  publié  pour  défendre  son  système  contre  des  objections , 
très-insufiisantes  du  reste,  dont  il  avait  été  l'objet,  il  entreprit  une 

'  Je  citerai  particuKèreiiient  son  Saggio  di  conqettwre  suUa  grande  ùcrizione  etrusea 
scaperia  nel  1822,  Pemgia,  iSaâ,  in-A*;  son  Saggio  di  bronzi  eïraschi  trovati  nel 
i8i2,  Perugia,  181 3,  in-4*;  ses  OpuscoU,  à  vol.  in-8*,  Perugia,  1826,  où  il  se 
trouve  plusieurs  dissertatioDS  curieuses  sur  des  inscriptions  étrusques;  et,  par- 
dessus tout,  ses  Iscrizioni  Peragine,  a  vol.  in-fol.  Perugia,  181 /} ,  dont  la  3*  édition 
a  été  donnée  en  i833,  Pemgia,  a  vol.  in-fbl.  —  '  Lann,  Saggîo,  t.  H,  p.  438-^43, 
S  xxui. 


672  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

nouvelle  analyse  de  cette  inscription^,  il  ne  put  aller  au  delà  de  sa 
première  interprétation,  qui  laissait  absolument  intacts  tous  les  mots 
difficiles  de  Tinscription.  Et,  de  nos  jours  encore,  M.  Vermig^oli,  quia 
repris  cette  tâche  ingrate  avec  une  ardeur  nouvelle  et  une  foi  entière 
dans  la  doctiine  de  son  maître  ^  n  a  pu  rien  ajouter  au  travail  de 
Lanzi,  sans  compter  que  des  mots,  dont  on  avait  pu  croire  imlerpré- 
tation  fixée,  ont  apparu  de  nouveau  dans  une  autre  inscription  décou- 
vei*te  depuis  ^,  et  ont  remis  en  question  ce  qui  paraissait  décidé,  même 
au  sujet  de  ce  petit  nombre  de  mots  problématiques. 

Ce  quil  faudrait  pouvoir  déterminer  avant  tout,  dans  les  questions 
qui  touchent  à  la  langue  étrusque.,  cest  à  quel  peuple  antique  elle 
appartient.  Mais  cette  première  question ,  qui  se  lie  i  celle  de  Torigine 
même  de  la  nation  étrusque,  d*après  quels  éléments  certains  peut -on 
essayer  de  la  résoudre?  Il  n'est  peut-être  pas  de  point  historique  sur 
lequel  les  opinions  des  anciens  eux-mêmes  aient  été  plus  contradic- 
toires que  celui  qui  concerne  Torigine  des  Étrusques  ;  et  cette  question 
est  peut-être  aussi  celle  qui  a  été  le  plus  controversée  chez  les  mo- 
dernes, celle  qui  a  produit  le  plus  de  systèmes,  et  conséquemment  laissé 
le  plus  d'incertitudes  dans  les  esprits.  Sans  entrer  ici  dans  une  discus- 
sion qui  m'éloignerait  trop  de  mon  sujet ,  et  qui  pourrait  faire  à  elle 
seule  la  matière  de  tout  un  livre ,  je  me  borne  à  dire  que ,  après  un  long 
examen  de  tous  les  éléments  de  la  question,  il  me  parait  démontré, 
comme  à  M.  Lepsius  ^,  que  le  fond  de  la  langue  étrusque ,  telle  que  nous 
la  possédons  aujourd'hui  dans  des  inscriptions  qui  doivent  être  à  peu 
près  toutes  postérieures  à  l'époque  de  T asservissement  de  la  nation  par 
les  Romains ,  est  indigène  et  ombrien ,  et  que  le  peu  de  mots  grecs 
qui  s'y  trouvent ,  et  qui  tiennent  sans  doute  à  l'élément  pélasgique  ou 
tyrrhénien  mêlé  à  la  population  primitive  de  TËtrurie,  sont  tout  à 
fait  insuffisants  pour  traduire  une  seule  inscription  étrusque.  S'il  est 
possible,  à  la  rigueur,  de  rendre  compte,  à  l'aide  du  grec,  du  petit 
nombre  de  mots  étrusques  qui  se  trouvent  cités  par  les  anciens  au- 

*  Disseriazione  sopra  una  urnetta  toscanica ,  e  difesa  def  $aggio  di  Ungaa  elrasca 
eâito  in  Roma  nel  1789;  cette  dissertation,  datée  d*Udîne,  3o  juin  1799,  et  dédiée 
au  célèbre  cardinal  Born;ia,  parut,  cette  ménic  année,  dans  le  Journal  littéraire 
4e  Venise;  et  il  en  fut  fait  un  tirage  particulier,  dont  les  exemplaires  sont  devenus 
très- rares.  L'inscription  de  la  Torre  di  San-Manno  y  est  Tobjet  d'un  travail  cri- 
tique, p.  37-48.  —  *  Iscrmon.  Perng.  t,  I,  cl.  iv,  n.  2,  p.  ii8-i3o.  —  '  C'est 
Tinscripliou  du  tombeau  de  \a  famille  Pomponia  à  Tarqainies,  découvert  en  i83a; 
voy.  cette  inscription ,  publiée  avec  les  observations  du  feu  D'  Kellermann ,  dans  le 
Ballet.  delV  Instit.  Archeol.  ^333,  tav.  aim.  n.  4,  p.  55-56.  —  *  Lepsius,  ùber  die 
^yrrhenischen  Pelasger  (Leipzig,  i84a  »  in  H*)»  p.  25  et  suiv. 


NOVEMBRE  1843.  673 

eurs ,  comme  a  essayé  récemment  de  le  faire  un  phÂaiogue  allemand , 
M.  Dôderlein  ^,  personne  encore  n'a  pu  expliquer  eh  entier,  je  ne  dis 
pas  la  grande  inscription  de  Perugia  ,  trouvée  en  i8aa ,  mais  celle  de  la 
Torre  di  San-Manno ,  connue  depuis  plus  de  deux  siècles;  et  cela  tient  à 
ce  que  la  langue  dans  laquelle  ces  inscriptions  sont  conçues  diffère 
complètement,  par  ses  racines  et  par  toutes  ses  inflexions»  de  la  langue 
grecque,  aussi  bien  que  des  autres  idiomes  anciens  qui  nous  sont 
connus,  tant  sémitiques  qu' indo-germaniques^. 

Il  en  est  de  même  des  inscriptions  plus  anciennes,  que  Ton  peut 
attribuer  à  des  temps  plus  ou  moins  rapprochés  de  Tépoque  pélasgi5{ue 
ou  tyrrhénienne ,  telles  que  l'inscription  gravée  sur  le  vase,  holrr/dxi. 
général  Galassi^,  et  celle  d'un  autre  vase,  aussi  de  terre  noire,  de iïàn» 
cienne  collection  Borgia*,  inscriptions  qui,  par  la  forme  des  caractères 
et  par  la  construction  des  mots  où  les  voyelles  abondent,  paraissent* 
être  conçues  dans  l'ancien  tyrrhénien  ou  pélasgiqûe,  mais  qui  n'en 
restent  pas  moins  complètement  inintelligibles  pour  nous,  attendu  qu'il 
ne  s'y  trouve  absolument  rien  d'hellénique.  Or ,  du  moment  qu'il  est  à 
peu  près  avéré,  pSK'tant  de  tentatives  infructueuses  de  déchiflrement , 
que  l'élément  grec  introduit,  à  l'époque  pélasgique,  dans  la  langue  du 

'  Commentatio  de  vocam  aliquot  latinarum,  sabinaram,  umhricafum,  tuscarum,  co- 
gnatione  grœcUj  Erlangae,  iSSy.  —  *  Je  ne  connais  pas  le  livre  publié  à  Naples 
par  l'abbé  Cataldo  Jannelli,  sous  ce  titre  :  Tentamen  hermeneuticum  in  Etrascas  in- 
scriptiones,  ejasque  fandamenta ,  NapoH,  in-8%  i84o.  Je  sais  seulement  que  l'auteur, 
marchant  sur  les  traces  de  son  illustre  compatriote  Mazzochi,  s* efforce  de  tirer  les 
mots  étrusques  de  Thébréti  et  du  phénicien;  et,  sans  avoir  lu  Touvrage,  je  crois 
pouvoir  me  permettre  de  dire  qu*il  y  a  dans  doute  beaucoup  d*imagination ,  d*esprit 
et  de  savoir,  dans  le  livre  de  Tabbé  Jannelli  ; -mais ,  en  fait  d'inscriptions  étrusques, 
expliquées  d'après  le  sémitique,  je  doute  qu'il  y  en  ait  une  seule,  ou  plutôt  je  suis 
convaincu  qu*il  n*y  en  a  pas.  —  ^  Cette  inscription  a  été  publiée  dans  les  Armai, 
deir  Instit.  ArcheoL  t.  VIII,  p.  199,  par  M.  Lepsius,  qui  la  croit  de  Tanden  tyr- 
rhénien ou  pélasgique,  d'après  des  motifs  qui  avaient  paru  assez  plausibles  à  feu 
Ott.  Mûller,  et  qui  me  semblent  tels  à  moi-même.  M.  le  D'  Franz  en  a  jugé  diffé- 
remment, Elément  epigraph.  grœc.  (Berol.  i84o,  in-A**)»  p-  ^4;  mais  il  n'en  donne 
pas  de  raisons;  et,  comme  il  admet  quelle  n'est  pas  étrusque,  il  est  difficile  pourtant 
qu'elle  ne  soit  pas  tyrrhéno-pélasgique ,  puisqu'elle  est  conçue  en  caractères  qui 
tiennent  du  grec  primitif  et  de  l'étrusque,  et  qu'elle  se  trouve  sur  un  vase  d'Agylla, 
ancienne  ville  pélasgique  occupée  par  les  Tyrrhéniens.  —  ^ Cette  inscription,  qui 
se  trouve  maintenant  dans  le  musée  de  Naples,  avec  toute  la  collection  Borgia,  a 
été  pubhée  aussi  par  M.  Lepsius ,  ûber  die  Tyrrhenischen  Pelasger  in  Etraria,  p.  à2  ; 
et  le  même  savant  rattache  à  la  même  dasse  d'inscriptions  tyrrhéniennes  quelques 
monuments  étrusques  rangés  à  part,  comme  plus  anciens,  par  hàim,  Saqgio,  t.  II « 

S  art.  ni,  S  v,  n**  188-200,  p.  Sig-SaG;  ce  qui  peut  être  exact  pour  qudques-unes 
e  ces  inscriptions,  mais  non  pas  pour  toutes,  du  moins  à  mon  aris. 

85 


674  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

peuple  nommé  depuis  étrusque ,  ne  peut  servir  en  rien  à  1  mtelligem^e 
de  cette  langue,  qui  était  celle  d'un  peuple  primitif  et  indigène  de 
ritalie  centrale,  sur  quel  espoir  et  à  l'aide  de  quelles  ressources  peut- 
on  raisonnablement  s  exercer  encore  à  des  essais  d'interprétation  doot 
le  principal  instrument  nous  manque,  je  veux  dire  la  connaissance  de 
cette  langue  primitive,  dont  il  ne  s  est  rien  conservé  que  ces  inscriptioDi»^ 
mêmes,  que  nous  lisons  sans  pouvoir  les  comprendre?  Si,  du  moins,  il 
nous  était  parvenu  quelque  inscription  bilingue ,  d'une  certaine  éten- 
due ,  qui  permît  d'apprécier  avec  quelque  certitude  le  caractère  de  la 
langue  étrusque,  àfépoque  où  elle  était  parlée  et  écrite  concurremment 
avec  la  langue  latine ,  on  aurait  une  base  quelconque  pour  des  travaux 
philologiques  de  ce  genre.  Mais  on  sait  que  le  peu  d'inscriptions  bi- 
lingues que  nous  avons  recueillies  se  bornent  à  des  noms  propres  de 
famille ,  qui  ont  achevé  de  fixer  la  valeur  de  quelques  lettres  de  l'alpha- 
bet,  et  fait  connaître  la  signification  de  quelques  désinences,  mais  qui 
ne  peuvent  servir  en  rien  à  nous  éclairer  sur  le  système  général  de  l'i- 
diome auquel  elles  appartiennent.  La  langue  étrusque  reste  donc  un 
problème  insoluble  pour  nous  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances  ; 
et  je  suis  convaincu  que  tous  les  travaux  d'interprétation  dont  elle  peut 
être  l'objet,  si  ingénieux  et  si  doctes  qu'ils  puissent  paraître,  ne  sont 
que  de  purs  jeux  d'esprit  scientifiques,  sans  aucune  utilité  réelle  pour 
la  science. 

A{)rès  cette  déclaration ,  qui  m'a  d'autant  moins  coûté  à  faire ,  qu'elle 
comprend  la  condamnation  de  mes  propres  travaux,  si  elle  n'épargne 
pas  ceux  des  autres,  j'entreprends  avec  plus  de  liberté  l'examen  des 
inscriptions  étrusques  du  tombeau  des  Volamnii,  interprétées  comme  elles 
l'ont  été  par  le  savant  professeur  de  Peragia.  La  première  de  ces  ins- 
criptions se  présente  à  l'entrée  même  du  monument;  elle  est  gravée  sur 
le  chambranle  de  droite,  et  distribuée  en  trois  lignés,  qui  se  dirigent 
de  haut  en  bas ,  et  qui  se  lisent  ainsi  : 

MflNkklN3DO<3fl^ON<lfl  Arnth.  Larth.  Velimnas. 

<VI2V©^fl3N3<lfl  Anmeal.  ïhusiur. 

aoaO'^DfllOVa  Suthi.  Anl.  Thece. 

La  première  ligne  contient  indubitablement  le  nom  de  famille ,  Ve- 
limnaSy  du  personnage  qui  fit  creuser  cette  tombe,  précédé  des  deux 
prénoms  Arnth  (Aruns)  et  Larth  (Lars),  connus  l'un  et  l'autre  par 
une  multitude  d'inscriptions  étrusques,  et  dont  la  réunion  constitue 
ici  une  particularité,  sinon  insolite,  du  moins  assez  rare  sur  les  monu« 


NOVEMBRE  J843.  675 

ments  de  ce  pays.  Quant  au  nom  de  famille  Velimnas,  dont  rapparition 
n'est  pas  non  plus  tout  à  fait  nouvelle  dans  la  nomenclature  des  noms 
des  fimiilles  étrusques  de  Peragia,  puisc[ue  déjà  ce  nom  s'était  trouvé, 
sous  la  forme  étrusque^  et  sous  la  forme  latine^,  sur  quelques  urnes  de 
cette  ville ,  la  leçon  en  est  désormais  fixée  d'une  manière  indubitable , 
non-seulement  par  cette  première  inscription ,  mais  encore  par  toutes 
celles  des  urnes  déposées  dans  l'hypogée  ;  et  ce  nom ,  qui  appartient  à 
une  famille  étrusque  considérable ,  est  probablement  le  même  qui  jouit 
aussi  à  Rome,  dès  les  premiers  siècles  de  la  république,  d'une  cer- 
taine importance  politique,  et,  vers  le  commencement  de  l'empire, 
d'un  certain  éclat  littéraire.  Varron'  cite,  en  efiet,  un  Volumnias, 

*  Venniglioli, Monp^ru^^  t.  I,cl.  v,  n.  38,  p.  179,  et  180-181.  Le  nom  Velim- 
nos  est  ici  écrit  paa  pt  V  initial,  tandis  que,  dans  les  inscriptions  du  tombeaa  des 
Volumnii,  le  mômw'njanr  est  écrit  par  le  digamma  C;  d'où  il  suit  que  ces  deux 
caractères  avaient  la  même  valeur  dans  la  prononciation.  Du  reste,  notre  autetu*, 


n"*  9,  10,  p.  a3.  —  *  Varron.  Dtf  L.  L.  v,  9,  55,  p.  aa ,  éd.  Gtt.  Mùller.  (p.  61,  éd. 
Spengel. ].  Je  remarque  que  la  leçon  Vobiias,  au  lieu  de  Volumnias,  a  été  adoptée 
dans  ces  deux  éditions  de  Varron ,  les  plus  récentes  et  les  plus  estimées,  sur  la  foi 
de  quelques  manuscrits ,  mais  surtout  d'après  la  fausse  supposition  que  la  leçon 
Volumnias,  bien  que  donnée  par  le  plus  grand  nombre  de  ces  manuscrits,  était  due 
a  Pomponius  Letus.  Il  était  cependant  pàos  plausible  d'admettre  la  leçon  Volnius 
comme  une  abréviation  de  Volumnius,  et  les  inscriptions  étrusques  changent  cette 
conjecture  en  certitude.  Il  n*est  pas  probable  que  ce  Volumnias,  auteur  de  tragé- 
dies étrusques,  soit  le  sénateur  L.  Volumnias  dont  Varron  fait  aussi  mention ,  comme 
d*un  de  ses  contemporains,  dans  un  autre  ouvrage,  D«  R.  JR.  11,  4«  13,  et  qui  fut 
un  des  amis  intimes  de  Gcéron,  Gceron.  ai  Divers,  vu.  Sa.  Mais  on  peut  coiqec- 
turer  que  le  P.  Volamnius -àuqael  Qcéron  adresse  deux  des  lettres  de  son  recueil, 
ad  Divers,  vu,  3a,  33,  et  dont  le  prince  de  l'éloquence  latine  goûtait  beaucoup 
l'esprit  enjoué  et  malin,  était  le  poète  mentionné  par  Varron ,  le  même  aussi,  sans 
doute ,  que  celui  dont  un  grammairien  latin  inédit  cite  un  vers ,  seul  débris  de  ses 
poésies  qui  nous  soit  parvenu.  Do  reste,  on  sait  que  le  nom  de  Volumnias  paraît 
de  bonne  heure  dans  Thistoire  romaine.  Volunmia ,  femme  de  Coriolan ,  appartenait 
à  cette  famille,  Tit.  lâv.  ii,  4o.  Un  L.  Volumnias  Violens  obtint  deux  foi?  le  con- 
sulat dans  les  années  446  et  456  de  Rome,  d'après  les  Fastes  consulaires,  d^accord 
avec  le  récit  de  Tite-Lîve,  ix,  4i ,  et  x,  i6;  et  ce  surnom  Violens,  ipxi  paraît  avoir 
été  propre  à  la  famille  étrusque  des  Volumnii,  se  retrouve  encore  porté  par  un 
membre  de  celte  famille,  P.  Vobunnias.  ir.  Violens,  (joatuorvir  et  rfaomwr  de  Pe- 
rusia,  dont  nous  avons  une  inscriplioa  latine ,  Gruler,  p.  MCii,  6;  OrelU,  Inscript 
*rt.  sekct  II,  157;  Venniglioli,  Iscriz.  Perug.  t  II,  p.  4a3,  n.  i5.  Un  consul  P. 
Volumnias, -ûe  l'an  de  Rome  «93,  est  aussi  connu  par  fhistoîre ,  Tit.  Liv.  ni,  10; 
et  c'était  probabletnent  un  membre  de  cette  fiumlie  étrusque,  dont  une  brancke 
s*éiait  établie  très-anciettiiemeiit  k  Rmne»  et  dont  la aouehecontiiMia  de  fleoriruà 

85. 


676  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

comme  auteur  de  tragédies  étrusques ,  qui  florissait  peu  de  temps  avant 
lui  *  ;  et  il  n'est  pas  douteux  que  ce  Toscan  Volamnias  ne  s^appelât 
VeKmnas  dans  sa  langue  nationale.  On  sait  que  Te  des  noms  étrusques 
se  rendait  le  plus  souvent  par  0«  ^n  passant  dans  la  langue  latine  «  ainsi 
que  nous  en  avons  des  exemples  dans  le  nom  de  la  ville  étrusque 
>^^tflOl>l  [Velaihri),  que  les  Romains  appelaient  Volaterrœ,  dans  le 
nom  de  Vulcanus  [Volcanos),  qui  se  lit  écrit  /^ÇU^'flNV  sur  un  monu- 
ment étrusque^,  et  dans  quelques  autres  noms,  où  Fo»  qwi  manquai! 
à  Talphabet  étrusque,  est  remplacé  par  1*6.  On  sait  aussi  que  l'emploi 
de  Te  pour  O  avait  lieu  dans  beaucoup  de  mots  de  l'ancienne  latinité , 
comme  cela  résulte  du  témoignage  des  grammairiens,  qui  citent  pour 
exemples  benus,  hemo,  delor,  écrits  pour  bonus,  homo,  dolor;  en  sorte 
que  cette  synonymie  de  Velimnas  et  de  Volamnias  n'ë  ^sujette  à  aucune 
difficulté,  même  sans  le  secours  de  l'inscription  bilir?  ^e,  où  le  nom  de 
Velimnas  du  texte  étrusque  est  rendu  par  VolamniusSiStis  le  texte  latin. 
C'est  donc  un  point  qui  demeure  désormais  bien  avéré ,  et  sur  lequel 
nous  nous  trouvons  complètement  d'accord  avec  M.  Vermiglioli. 

Je  voudrais  qu'il  en  fut  de  même  du  reste  de  l'inscription,  composé 
des  lignes  2  et  3.  Malheureusement,  c'est  là  que  se  trouvent,  non  plus 
des  noms  propres,  mais  des  noms  de  la  langue  commune;  et  c'est  là 
aussi  que  se  rencontrent  des  difficultés  pour  la  solution  desquelles  on 
est  réduit  à  des  conjectures.  A  l'exception  du  mot  Araneal,  qui,  d'après 
la  place  qu'il  occupe  et  d'après  sa  terminaison ,  ne  peut  être  méconnu 
pour  un  de  ces  titres  matronymiques  qui  ne  manquent  dans  presque 
aucune  épitaphe  étrusque,  et  qui  doit  se  traduire  par  Arania  notas,  les 
autres  mots  renferment  probablement  une  formule  de  consécration  sé- 
pulcrale ,  telle  qu'on  doit  naturellement  s'attendre  à  la  trouver  à  l'entrée 
d'un  tombeau.  Mais  c'est  à  cette  supposition  que  se  borne  l'intelligence 
que  nous  pouvons  avoii'  de  cette  inscription ,  attendu  que  l'interprétation 
des  mots  mêmes  manque  de  toute  base  solide.  Ainsi,  même  en  admettant 
les  leçons  proposées  par  M.  Vermiglioli,  et  qui ,  dans  deux  de  ces  mots, 
qu'il  lit  thasiar  et  thece,  pourraient  être  contestées ,  puisque  la  lettre  ini- 
tiale ©  a  souvent  la  valeur  du  phi  plutôt  que  celle  du  thêta  *,  je  trouve 
que  la  manière  dont  il  en  rend  compte  est  purement  coiyecturale ,  et 

Perugia  jusque  sous  l'empire.  —  '  C'est  lopiniôn  d'OlL  Mûller,  die  Bknuker,  iv, 
5,  i,  p.  a8i,  1), 'd'accord  avec  celle  de  Lange,  VindicL  Trag.  Roman,  p.  i3. — 
*  Leiter.  di  Etrusc,  erud.  lav.  xii,  n.  a.  ^  *  Voyei-en  les  exemples  cités  par  M.  Lep- 
sius,  AnnaL  delV  Instit.  Archeol  t.  VIII,  p.  197,  1),  d'après  des  scarabées  et  des 
miroirs  étrusques.  Un  autre  motif  non  moins  grave,  que  je  pourrais  alléguer  contre 

la  valeur  du  thêta  attribuée  à  la  lettre  Q,  cest  que,  la  leUre  O  ayant  incontesta- 


NOVEMBRE  1843.  677 

j'ajoute,  à  r^^et,  que  ses  conjectures  ne  m'offrent  rieh  de  satisfaisant* 
Partant  de  l'assimilation  de  l'étrusque  thnsiar  et  de  f  ombrien  tase  et 
tarse,  des  tables  eugubines,  il  explique  l'un  et  l'autre  par  le  grec  ft^/a; 
mais  où  est  la  preuve  de  cette  origine  grecque  d'un  mot  des  langues 
ombrienne  et  étrusque?  C'est  toujours  là,  comme  on  voit,  la  même 
pétition  de  principes  qui  sert  de  base  à  tout  ce  système.  Le  même  dé- 
faut, avec  une  difficulté  plus  grande  encore,  se  rencontre  dans  le  mot 
qui  suit  IOV2,  suthi,  que  notre  auteur,  à  l'exemple  de  Lanzi,  traduit 
par  saihia,  et  qu'il  dérive  du  grec  aroinripiay  salas,  comme  il  dérive  de 
(TCûTrfptov  le  mot  sathar  de  quelques  autres  inscriptions.  Mais  j'avoue  en* 
core  que  celte  explication  me  parait  purement  gratuite  et  dépourvue 
de  toute  espèce  d'autorité.  Que  le  mot  sathi  ait  eu  une  signification  qui 
le  rendait  propre  à  faire  partie  d'une  inscription  sépulcrale,  c'est  ce  qui 
résulte  de  la  présence  de  ce  mot,  non-seulement  dans  un  grand  notnbre 
de  ces  inscriptions,  dont  deux  au  moins  sont  connues  depuis  le 
XVI*  siècle,  celles  du  monument  dit  Torre  di  San-Manno,  et  d'un  cippe 
du  musée  de  Peragia  \  mais  encore  à  la  façade  de  plusieurs  tombeaux, 
devenus  récemment  l'objet  de  l'attention  des  savants ,  tels  que  ceux  de 
la  vallée  de  Castel-d'Asso ^.  Ce  mot  s'y  trouve,  tantôt  sous  sa  forme  sim- 
ple ,  tantôt  sous  une  forme  compliquée  de  désinences ,  toujours  précédé 
du  mot  eca,  de  cette  manière  :  IOVMfl>3  (eca  sathi) ,  M^NIOVMPl)^ 
(eca  sathines) ,  4t^3n\OWt^R>3  [ecasathinesl);  et,  d'après  la  place  qu'oc- 
cupe cette  formule  sur  le  frontispice  d'un  tombeau,  on  ne  peut  douter 
qu'elle  ne  soit  de  teneur  funéraire.  On  l'a  trouvé  aussi,  le  plus  "souvent 
sous  la  forme  simple,  MlOVMfl>5  {eca  sathis) .  sur  des  stèles  sépulcrales 
de  Peragia^,  sur  deux  disques,  sortis  du  sol  de  Valci,  ayant  servi  pro- 
bablement de  bases  à  des  monuments  funéraires  *,  et  sur  la  pierre  d'un 
tombeau  de  Toscanella^;  et,  de  ce  grand  nombre  d'exemples,  tous  four- 
nis par  des  monuments  funéraires  et  appartenant  à  "diverses  localités 
étrusques ,  il  résulte  bien  que  ce  mot  et  la  formule  dont  il  faisait  partie 
avaient  un  sens  funèbre.  Mais ,  lorsque  Lanzi  essayait  d'interpréter  eca 

blement,  dans  notre  insoripiion,  cette  valeur  du  thêta,  qui  est  sa  valeur  propre  et 
constante ,  il  en  résulterait  qu*on  aurait  employé  deux  formes  de  lettres  cÛflérentes 
avec  la  même  valeur  dans  un  même  monument  lapidaire  :  ce  qui  est  contre  toutes 
les  règles  de  1* analogie.  —  ^  CeUe  seconde  inscription  a  été  reproduite  en  dernier 
lieu  par  M.  VermigUoli,  Iscriz.  Perug.  1. 1,  cl.  iv,  n.  3,  p.  i3i.  On  y  lit  au  com- 
mencement :  A>  (pour  eca)  IOV2.  Le  mol-sathi  est  le  second  qui  se  lit  dans  TiDs- 
cription  du  twnbeau  de  San-Matmo.  -—  *  Voy.  la  disserkatioii  de  M.  Orioli,  Dei 
sepolcraU  edifizi  ielV  Etraria  média  (Poligrafia  Fiesolana^  1826 «  in-4*i  tav.  ni,  iv, 
vu ,  1 .  —  ^  bepolcr,  de  Voiùfmi  «  p.  5À  «  n.  xxx.  -—  ^  Bollet.  delt  Intik,  ArcheoL  1 83% , 
p.  61 -6a,  n.  47-48.  —  ^/bîd.  1839,  p.  »4*  .  ..  .    .    u 


678  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

par  la  pr^oskiOBl  grecque  ix,  it^  et  suthi  par  cnOias,  pour  crcmiplas, 
de  manière  à  en  tirer  le  sens  e  soluté ,  ex  incolamitate ,  qu*il  jugeait  propre 
à«figiirer*daiis  une  inscription  sépulcrale  ^,  il  me  paraît  évident  que  cette 
iat^prétaiion.,  bien  que  suivie  par  la  plupart  de  nos  étruscistes  actuels, 
teis  que  M.  Orioli^  M.  Gampanari^  et  M.  Vermiglioli*,  qui  applique,  en 
dernier  lieu,  cette  doctrine  de  son  maître  à  T explication  de  Tinscription 
du  tombeau  des  Vohimnii,  est  complètement  arbitraii^e,  sans  compter 
qu'elle  est  tout  à  fait  contraire  au  génie  de  la  langue  grecque ,  où  l'on 
B>aiH*ait  jamais  dit  àc  acjmjpias,  pour  signifier  propfer  salutem  ou  pro  salute. 
Od  n  a  pas ,  d'ailleurs ,  fait  suffisamment  attention  que  le  mot  étrusque 
saàii  devait  avoir  une  relation  nécessaire  avec  le  nom  sathina,  qui  se 
lit,  gravé  en  beaux  caractères  étrusques ,  sur  plusieurs  monuments  d'an- 
tiquité ^,  où  il  paraît  désigner  une  divinité ,  sans  doute  une  déesse  d'ordre 
infernal^;  et,  dans  cette  supposition,  qui  ne  laisse  pas  d'être  très-plau- 
flible ,  de  la  relation  des  mots  suthi  et  suihina,  que  devient  la  conjectiu*e 
de  Lanzi''  P  Je  pourrais  en  dire  davantage  sur  ce  sujet,  si  je  ne  craignais 
de  Ëdre  une  dissertation,  quand  je  dois  me  borner  à  une  analyse,  et  je 

'  Lanzi ,  Saggio,  t.  II ,  S  xiv ,  p.  Ao8-Aog  ;  cf.  ihiJL  p.  A33 ,  n  xvii.  -r-  *  Orioli ,  OpascoL 
Letter.  di  Bologn.  t.  Il ,  p.  1 36  ;  Biblioth.  itah  vol.  VI,  p.  a 60  et  a 70  ;  Annal.  delT  Instii. 
ArcheoL  t.V,  p.  4q»  et  t.  VI,  p.  179.  Cependant,  le  même  antiquaire  a  fini  par  recon- 
iiàitre  et  par  déclarer,  Annal,  t.  V,  p.  ôa ,  qu*il  doute  du  véritable  sens  de  cette  for- 
mule.  -—  ^  Campanari,  Deir  uma  ai  Arunt  p.  Â9-5o,i).  —  ^  Vermiglioli,  Sagqio  di 
tCMoett  suUa grands  iscriz,  etrusca,  p.  73;  Iscriz,  Perug,  1. 1,  p.  lao,  i3a ,  et  ailleurs. 
—  Sur  une  figurine  de  bronze  publiée  par  M.  Micali,  monum,  per  serv.  ail.  stor. 
de'  ont,  popol.  itah  tav.  xxxv,  n.  9  ;  sur  une  autre  statuette,  qui  servit  de  manche  à 
une  patère,  publiée  par  Lanzi ,  Saggio,  etc.  tav.  xiv,  n.  1,  t.  il,  p.  Aig-ao;  sur  un 
mâr^ir  de  bronze  .de  notre  Cabinet  des  Anijiques,  publié  aussi  par  M.  Micali,  ihid. 
•tav.  XLVII1,  où  ce  savant  a  lu  à  tort  Mathina,  et  sur  un  candélabre  étrusque  de 
l*ancîenne  collection  Borgia,  aujourd'hui  du  musée  de  Naples,  publié  par  M.  Qiia- 
ranta,  jR.  Mus.  Borbon*  t.  XIII,  tav.  xiv,  où  cet  habile  antiquaire  a  voulu  lire  aussi 
iMathina ,  pour  y  trouver  le  Tutinus  Matinus  latin ,  avec  tout  aussi  peu  de  fonde- 
itidnt  queliànzi  avait  cru  reconnaître  dans  Safhina  la  SSt^a  grecque.  —  *  Voy. 
^tïÉOn'  Odyssèidey  p.  376 ,  1) ,  où  j*ai  indiqué  les  motifs  qui  me  portaient  à  croire  que 
Sttthina  était  le  nom  d'une  divinité  de  Tenfer  étrusque ,  et  où  j'ai  essayé  d'inter- 
priler  Tinscription  eca  Sathinesl  par  domas  Proserpinœ,  en  faisant  dériver  le  mot 
^^uwque  eca  au  grec  oïxoç.  Je  n*ai  pas  besoin  de  dire  que  je  n'attache  aucune  im- 
INirtance  à  ces  interprétations ,  maintenant  que  j'ai  perdu  toute  espèce  de  confiance 
tfu  'Système  ée  Lanzi.  Mais  M.  Vermiglioli,  qui  conserve  une  foi  entière  à  ce  sys- 
têlttie,  eût  pu  faire  au  moins  mention  de  mes  idées,  que  j'avais  reproduites  dans  le 
Jevàmsl  des  Savants,  i834«  p.  a85*6.  —  'M.  Cavedooi  regarde  encore  le  mot 
Sàthina  (et  non  Mathina)  comme  une  formule  de  dédicace  ayant  rapport  à  la  diéesse 
Salus:  il  adnaet,  par  conséquent,  la  doctrine  de  Lanzi,.  Congetture  $opra  alcani  speç- 
éhistmêeki^  p.  17  ;^t  c'est  1»  an  des  poinis  sur  lesquek  j'avoue  que  je  ne  puis 
tomber  d'accord  avec  le  savant  et  iûgéaieux  antiquaire  de  Modène.  / 


NOVEMBRE  184».  6Î0 

soumets  humblement  mes  observations  au  jugement  de  M.  Vemiîglîolii 
.  Les  deux  derniers  mots ,  avil  ihece ,  de  notre  inscription  ne-  doii>^ 
neraient  pas  lieu  à  de  moindres  difficultés,  s  il  s'agissait  de  les  scm^ 
mettre  à  une  critique  rigoureuse ,  bien  que  notre  auteur  les  ait  crm 
susceptibles  d'une  interprétation  certaine.  En  se  fondant  sur  ce  que  le 
mot  avil,  écrit  assez  diversement  sur  les  pierres  sépulcrales  étrusques, 
ajily  c^lSf  aril,  ni,  doit  avoir  eu  la  signification  générale  d'âge,  dan* 
nées,  d'après  la  place  qu'il  occupe  à  la  fin  de  ces  inscriptions  et  d'après 
la  circonstance  qu'il  est -presque  toujours  suivi  de  chîflfees  ou  de  lettres 
numérales  indiquant  le  nombre  d'années  que  le  défunt  avait  vécu,  doc-r 
trine  exposée  par  Lanzi^  et  suivie,  malgré  une  faible  contradiction  de 
Niebuhr,  par  les  plus  doctes  critiques  de  notre  âge,  M.  Orioli*,  M.  L^ 
sius',  M.  Cavedoni*  et  feu  M.  Kelle^mann^  M.  Vermiglioli  réunit  les 
mots  ihusiar  et  avil,  et  il  y  trouve  la  notion  de  sacrifices  annueU,  dont 
ï accomplissement  ou  la  dédicace  serait  exprimée  par  le  mot  thece,  qui 
serait  le  verbe  grec  iôtixe,  sous  la  forme  ionienne,  oà  Taugment  était 
supprimé.  Je  ne  doute  pas  qu'en  se  plaçant  dans  les  idées  de  Lan», 
qui  dérivait  du  grec  les  mots  étrusques  où  il  trouvait  quelque  ressen>- 
blance  avec  des  mots  grecs ,  cette  interprétation  de  M*  Vermiglioli  ne 
paraisse  ingénieuse  et  plausible.  Il  y  a  pourtant  ici,  et  même  en  admet- 
tant la  signification  d'année  pour  le  mot  o/îi,  aril,  ril^,  une  difficulté  qui 
résulte  de  l'apparition  d'une  nouvelle  inscription  de  Perugia ,  dont  1» 
publication  est  due  à  M.  Vermiglioli  lui-même^.  11  s'y  lit,  au  commen- 
cement :  f\3'\^3  2  IOV2  [sathi  etaea),  que  notre  auteur  interprète  par 
salati  annaœ  potir  salati  perpetaœ^,  et  qu'il  rapproche  des  mots  ^'^f^  et 
IOV2,  qui  se  lisent  à  peu  de  distance  l'un  de  l'autre,  à  la  première  ligne 
de  l'inscription  du  tombeau  de  San-Manno.  Mais  à  cela  on  peut  objecter 
que,  si  les  Étrusques  exprimaient  l'idée  d'année,  d'annuel,  par  ^n  met 
de  leur  langue ,  o^  et  ses  diverses  formes ,  il  n'est  pas  probable  qu'Ma 

'  Saggio,  etc.  t.  II ,  p.  a54.  -^  *  Opuscoh  Letter,  dx  Botogn,  t  II,  p.  187  ;  et  AtmaL 
(lelV  Instit.  Archeol.  t.  VI,  p.  176-177.  —  '  Ballet,  delV  Instit,  Arahèol.  i836,  p.  là^^ 
C'est  sur  la  foi  d'une  inscription  bilingue  de  Todi  que  M.  Lepsius  admet  cette  signi-' 
fication  du  mot  afils.  Mais  je  dois  faire  observer  que  i*antiquité  de  cette  inscription 
bilingue  laisse  encore  des  doutes,  de  Taveu  de  M.  Vermiglioli  lui-même.  —  *  Ballet. 
iS^i,  p.  i3g,  et  Congetture  sopra  alcuni  speecki  etrusehi,  p.  ai -a  a.  —*  *  Ballet.  i833, 

p.  57.  — "  Je  ne  puis  m*empècber  de  remarquer  que  le  même  mot,  A ^1 U ,  à  la  fin  de 
rinscription  d'un  vase  noir  de  la  collection  FeoH,  est  interprété  par  M.  VermiglîoK, 
Iseriz.  Perug.  t.  Il,  cl.  v,  n.  a76,  p^  a84t  comme  un  nom  pl^pre,  Avia  on  AvOki, 
Dès  lors  que  devient  la  signincation  alarmée  attachée  a  ce  mot?  —  ^  Bmllet  ië4i, 
p.  68-69.  —  'Il  ^"^  encore  beauconp  de  complaisance  pour  se  prêter  à  h  snppoh 
sition  que  le  mot  annaœ  soit  mis  m  avec  le  sens  de  pmpetMim. 


680  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

eussent  emprunté  à  la  langue  grecque  les  mots  EtVE,  EtVEfl,  dérivés  du 
grec  Stos^  Îtbios,  pour  exprimer  la  même  idée.  J'ajouterai  que,  si,  sur 
cette  inscription  nouvelle  de  Perugia,  le  mot  etae  signifie  annuel,  que 
devient  la  signification  de  bon  dérivée  aussi  du  grec  érôs  et  proposée  par 
M.  Vermiglioli  pour  le  même  mot  etue  de  l'inscriplion  de  la  Torre  diSan- 
Manno,  pour  ne  rien  dire  de  l'opinion  de  Lanzi,  qui  regardait  les  lettres 
etae  comme  une  inflexion  du  verbe  étrusque  dérivé  du  grec  ftJeiv,  sacri- 
fier^? Tout  est,  comme  on  le  voit,  arbitraire  et  hypothétique  dans  ce 
système  d'interprétation,  qui,  ne  reposant  sur  aucune  base  solide,  se 
prend  à  des  analogies  apparentes,  pour  n'aboutir  qu'à  des  résultats 
contradictoires.  Mais  que  fera  M.  Vermiglioli  du  même  mot  etue  gravé 
sur  le  célèbre  miroir  de  notre  Cabinet  des  Antiques^?  Il  est  bien  vrai 
que  ce  mot  a  été  lu  difiéremment,  epuue,  par  Lanzi  et  par  tous  ceux  qui 
s'en  sont  occupés  après  lui^,  afin  d'y  trouver  le  nom  grec  Epeas,  sous  sa 
forme  étrusque.  Mais  il  est  certain  que ,  même  dans  la  gravure  de 
Lanzi,  aussi  bien  que  sur  le  monument  que  j'ai  sous  les  yeux,  on 
lit  3\f\fi3  [etaue),  c'est-à-dire  le  même  mot,  sauf  une  légère  variante 
d'orthographe,  que  sur  Tinscription  de  la  Torre  ai  San-Manno,  et  sur 
celle  du  cippe  nouvellement  découvert  à  Perugia.  Or,  à  laquelle  des  trois 
ou  quatre  interprétations  auxquelles  ce  mot  a  déjà  donné  lieu  notre  sa- 
vant professeur  aura-t-il  recours,  pour  rendre  compte  du  sens  qu'il  a 
nécessairement  sur  notre  miroir  ?  C'est  une  question  que  je  me  borne 
à  lui  adresser,  en  lui  fournissant  ce  rapprochement  auquel  il  n'avait  pas 
pensé.  Quant  au  mot  ihece,  interprété  comme  le  verbe  grec  lOrixe  sous 
une  forme  étrusque,  j'aurais  aussi  plus  d'une  observation  à  faire  ;  mais 
je  me  contente  de  dire  que,  malgré  l'analogie  apparente  qu'offrent 
les  mots  étrusques  thece ,  turce  ou  turuce,  pechse,  cechase ,  et  quelques 
autres  pareils ,  avec  des  verbes  grecs  dont  on  leur  a  appliqué  la  signifi- 
cation ,  je  doute  encore  qu'on  ait  reconnu  avec  certitude  un  seid  verbe 
dans  aucune  inscription  étrusque. 

L'abondance  des  matières  m'oblige  à  renvoyer  au  prochain  cahier 
la  fin  de  cet  article. 

RAOUL-ROCHETTE. 

'  Lanzi,  Saggio,  etc,  t.  Il ,  S  xxiii ,  p.  àà i-AÂa.  —  '  Idem,  ibid.  tav.  xii,  d.  3,  t.  II , 
p.  177.  —  '  Micali.,  Monum.  per  sert.  alL  stor,  de'  ant,  popoh  ital  lav.  XLViii.  J*ai 
déjà  eu  occasion  de  montrer  ailleurs,  Achilléide,  p.  8a ,  3),  que  la  vraie  leçon  d'un 

autre  mot  lu  sur  ce  miroir,  P)E</E  (aecse,  pour  equus)^  par  Lanzi,  était  rE</E  « 
et  j'avais  proposé  d'interpréter  ce  mot  pecse  par  le  grec  émfÇe.  Aujourd'hui,  j'avoue 
que  cette  interprétation,  bien  qu'approuvée  pa^  M.  Grotefcnd,  m  inspire  beaucoup 
moins  de  confiance;  voy.  mon  Odysséide,  p.  3oo,  a). 


NOVEMBRE  1843.  681 

Loi  salique,  ou  Recueil  contenant  les  anciennes  rédactions  de  cette 
loi  et  le  texte  connu  sous  le  nom  de  Lex  emendata,  avec  des 
notes  et  des  dissertations,  par  J.  M.  Pardessus,  membre  de  Fins-- 
titut.  Paris,  Imprimerie  royale,  m-4®  de  lxxx  et  789  pages. 

TROISIEME    ARTICLE^. 

La  partie  dont  il  me  reste  à  rendre  compte  n*est  ni  la  moins  étendue 
ni  la  moins  intéressante.  Elle  se  compose  de  quatorze  dissertations,  et 
remplit  trois  cent  huit  pages  (p.  AiS-yas).  C*est  le  fruit  de  longues 
et  laborieuses  études. 

Tout  en  faisant  usage  des  explications  de  ses  devanciers,  M.  Par- 
dessus s  attache,  dans  ses  savants  commentaires,  aux  questions  de  droit 
privé  de  préférence  aux  questions  historiques  et  politiques.  Lui-même 
a  pris  soin  d'en  avertir,  afin  que  personne,  dit-il  (p.  lxxvi),  neût  à  lui 
repropher  de  n  avoir  pas  fait  ce  que  précisément  il  a  été  dans  son  plan 
de  ne  pas  faire.  Son  sujet,  ainsi  restreint,  nen  est  pas  moins  encore 
dune  vaste  étendue  et  d'un  grand  intérêt,  même  au  point  de  vue  de 
l'historien.  C'est  ce  qu'il  rend  sensible  dans  le  passage  suivant  : 

«Â  mesure  que  l'empire  des  Francs  se  consolidait  dans  la  Gaule,  le 
caractère  des  coutumes  germaniques  dut  perdre  quelque  chose  de  sa 
couleur  primitive.  Une  .multitude  de  besoins  nouveaux  donnaient  nais* 
sance  à  des  situations,  à  des  transactions  jusqu'alors  inconnues  des 
Francs.  Il  fallait  y  pourvoir  par  des  règles  que  les  coutumes  germa- 
niques ne  fournissaient  ni  d'une  manière  expresse,  ni  par  des  analogies. 
Le  droit  romain  était  là,  riche  de  tous  les  accroissements  produits  par 
une  civilisation  dont  les  Francs  éprouvaient  le  besoin ,  et  qu'ils  admi- 
raient lors  même  que  leurs  habitudes  barbares  ne  leur  permettaient  pas 
encore  de  l'adopter.  L'influence  toujours  sr puissante  de  l'exemple,  les 
liens  de  famille  qui  se  formaient  entre  les  vainqueurs  et  les  vaincus,  la 
conununauté  de  religion  et  de  langue,  entraînaient  donc  les  barbares  à 
recourir  souvent  au  droit  romain.  Ce  fut  d'abord  par  nécessité,  pour 
statuer  sur  les  cas  que  leurs  lois  n'avaient  pas  prévus;  peu  à  peu  ce  fut 
par  utilité,  pour  corriger  leurs  usages  anciens.  Ainsi  on  peut  expliquer 
comment  il  se  fait  que  le  droit  des  Francs  ait  subi  cette  influence  sous 
la  première  race  beaucoup  moins  que  sous  la  seconde;  comment,  sôus 

*  Voir  les  cahiers  de  septembre,  p.  564 «  et  d'octobre,  p.  627. 

86 


682  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

la  troisième  race ,  cette  même  influence  s*est  prodigieusement  accrue  y 
au  point  de  faire  peu  à  peu  disparaître ,  dans  les  coutumes  succe3sive- 
ment  revisées  et  réformées,  les  traditions  germaniques,  dont  on  trouve 
beaucoup  de  traces  dans  les  rédactions  primitives.»  (Préf.  p.  lxxvi  et 

LXXVII.) 

La  PREMIÈRE  DISSERTATION  (p.  4 1 5-436)  cst  intitulée  :  De  la  rédaction 
de  la  loi  salique  et  de  ses  différentes  révisions. 

Ce  fut  jadis  une  grande  question  parmi  les  écrivains  que  de  savoir 
d*oii  la  loi  salique  avait  pris  son  nom.  Les  uns ,  ce  n'étaient  pas  appa- 
renunent  les  plus  versés  dans  les  langues  du  nord ,  le  dérivaient  du 
germain  sal,  signifiant,  d*après  eux,  une  selle  de  cheval,  parce  que  les 
Saliens  se  servaient  de  selles  pour  leurs  chevaux,  à  la  différence  des 
Romains,  qui,  disaient-ils,  ne  s  en  servaient  pas.  D'autres,  plus  classi- 
ques ,  tenaient  pour  le  mot  latin  soi,  à  cause  du  rpI  ou  du  piquant  qu'ils 
trouvaient  à  la  loi  salique.  D'autres,  ayant  le  goût  moins  fin,  étaient 
d'un  avis  différent:  ils  pensaient  que,  attendu  que  beaucoup  de  para- 
graphes y  commençaient  par  si  aliquis,  on  l'avait  nommée  lex  saUca  par 
syncope,  au  lieu  de  lex  si  aliqua.  Malheureusement  pour  cette  étymolo- 
gie,  le  fait  qui  lui  sert  de  base  n'a  pas  été  bien  observé  et  manque 
entièrement  d'exactitude^.  «  Mais,  dit  Ghantereau  Lefèvre^,  qui  rapporte 
ces  étymologies  et  d'autres  semblables,  de  quelle  extravagance  l'esprit 
humain  n'est-il  capable,  quand  il  s'abandonne  à  ses  cogitations  sans  se 
tenir  attaché  aux  règles  !  » 

M.  Pardessus,  sans  s'occuper  de  cette  question,  et  pensant  très-vrai- 
semblablement que  la  loi  salique  doit  son  nom  à  la  tribu  qu'elle  régis- 
sait, la  définit  une  rédaction  de  la  plupart  des  jcoutumes  qui  réglaient 
le  droit  criminel  et  le  droit  civil  des  Francs  sous  les  deux  premières 
races.  Il  penche  à  croire  que  cette  loi  fut  originairement  écrite  dans 
l'ancienne  langue  dçs  Francs,  et  que  c'est  de  ce  texte  primitif,  aujour- 
d'hui perdu ,  que  sont  émanées  les  rédactions  latines. 

Cette  opinion  suppose  que  les  peuples  germains  avaient  l'usage  de 
l'écriture.  Il  est  vrai  que,  vers  le  milieu  du  quatrième  siècle,  l'évêque 
Ulphilas  traduisit  la  Bible,  et  la  mit  par  écrit  en  se  servant  de  l'alpha- 
bet grec  ou  romain  ;  mais  de  ce  qu'un  évêque  goth  écrivit,  dans  sa  langue 
nationale,  le  livre  fondamental  de  sa  religion,  en  pourrait-on  conclure 
que  les  Francs,  qui  n'avaient  pas  d'évèques  et  qui  n'étaient  pas  même 
chrétiens,  ont  fait  de  même  pour  leurs  coutumes?  A  mon  avis,  ce  qui 

*  Au  lieu  de  si  aliqais,  c  est  toujours  si  quis  qu'on  lit  au  commencement^des  pa- 
ragraphes. —  *  Traité  de  la  loi  salique,  ch.  vi,  ms.  de  la  Biblioth.  poy.  Suppl.  fir. 
2670. 


NOVEMBRE  1843.  683 

rend  bien  difficile  d* admettre  une  pareille  rédaction  originale  en  langue 
tudesque  ou  francique,  cest  i*état  dans  lequel  se  présentent  les  mots 
de  cette  langue  qui  nous  ont  été  conservés  par  les  gloses  malbei^ques. 
On  n'y  observe  aucune  orthographe,  aucune  uniformité  d'écriture. 
Qu'on  juge  de  ce  que  serait  un  code  écrit  tout  entier  en  tudesque  à 
la  manière  de  ces  gloses  :  c'eût  été,  sans  aucun  doute,  à  n'y  rien  com- 
prendre, même  pour  les  jurisconsultes  les  plus  expérimentés. 

Supposez  que  les  Francs  connussent  les  runes,  ils  ne  pouvaient  s  en 
servir  que  poiir  des  textes  peu  étendus.  Ce  lut  assez  tard  qu'ils  se  fa- 
miliarisèrent avec  l'art  d'écrire  en  s'appropriant  l'alphabet  latin.  Même 
après  avoir  fait  cette  conquête,  ils  éprouvèrent  encore  beaucoup  de 
diffi(5ulté  à  écrire  leur  propre  langue ,  comme  il  est  permis  de  le  con- 
clure de  leurs  tentatives  pour  imaginer  de  nouveaux  caractères  propres 
à  exprimer  les  sons  et  les  articulations  exclusivement  germaniques. 
D'après  ces  motifs,  je  croirais  donc. volontiers  que  les  coutumes  des 
Saliens  fiirent  d'abord  seulement  confiées  à  la  mémoire  des  magistrats, 
et  qu'elles  restèrent  purement  traditionnelles  jusqu'au  temps  où  pa- 
rurent les  rédactions  latines. 

La  première  de  ces  rédactions  aurait  été  faite;  suivant  M.  Millier  ^, 
entre  les  années  4o8  et  4^8,  pour  un  territoire  de  la  Belgique;  et, 
suivant  la  plupart  des  autres  savants,  au  nombre  desquels  se  range 
M.  Pardessus,  après  la  conquête  des  Gaules  et  sous  le  règne  de  Clovis, 
avant  que  le  christianisme  fôt  devenu  la  religion  nationale  des  Francs, 
attendu  qu'elle  n'en  présente  aucune  trace.  Cette  raison,  toutefois, 
constitue  plutôt  une  probabilité  qu'une  prçuve.  Mais  ce  qui  serait  en- 
tièrement décisif,  s'il  fallait  accorder  une  pleine  confiance  à  cette  espèce 
de  témoignage,  résulterait  d'un  passage  du  manuscrit  de  Leyde,  qui 
porte  expressément,  d'après  M.  Pardessus  (p.  4^5),  que  lès  Francs 
n'étaient  pas  chrétiens  quand  ils  composèrent  leur  loi. 

La  rédaction  primitive  ne  contient ,  comme  on  l'a  vu ,  que  soixante- 
cinq  titres;  ceux  qui  sont  en  plus  dans  quelques  manuscrits  ont  été 
ajoutés  successivement  pour  compléter  la  jurisprudence  des  plaids,  sa- 
voir, les  titres  soixante-six  à  soixante-dix-sept  par  Clovis,  et  les  titres 
suivants  par  Childebert  et  par  son  frère  Clotaire.  M.  Pardessus  s'ac- 
corde avec  M.  Pertz  sur  les  douze  titres  additionnels  de  Clovis;  mais 
il  exprime,  au  sujet  des  additions  postérieiures,  une  opinion  particulière, 
qu'il  fonde ,  à  mon  avis ,  sur  de  très-bonnes  raisons ,  et  d'après  laquelle 

^  Der  lex  salica  und  der  lex  Anglioram  et  Werinoram  Alter  and  Heimalh,  p.  3o 
et  270,  in-8%  i84o. 

86. 


634  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

les  additions  des  rois  Childebert  et  Cl  claire  se  réduiraient  au  Pactas 
pro  tenore  pacis,  divisé  en  quatre  titres,  et  à  la  Decretio,  qui  en  com- 
prendrait dix  (p.  4^9-434). 

La  DEUXIEME  DISSERTATION  (p.  ASy-^So)  est  intitulée  :  Da  droit  qœ 
chacun  avait,  dans  V empire  des  Francs,  d'être  jugé  par  sa  loi  d'origine. 

C'est  un  fait  constaté  par  les  documents  et  reconnu  de  tout  le  monde, 
que,  dans  le  royaume  des  Francs,  on  était  régi  parle  code  de  ses  pères, 
et  non  par  un  code  propre  au  pays  qu'on  habitait  ;  en  un  mot ,  que  les 
lois  étaient  personnelles  et  non  territoriales.  Cette  lég^lation  est  de- 
venue le  sujet  de  nombreux  commentaires;  on  s'est  donné  beaucoup 
de  peine  pour  l'expliquer,  et  M.  Pardessus ,  en  appliquant  de  nouveau 
à  la  même  question  son  savoir  et  sa  sagacité,  a ,  je  crois,  achevé  de  Té- 
claircir.  Néanmoins,  aux  raisons  qu'il  a  données  on  pourrait  encore  en 
ajouter  une  nouvelle,  qui  me  parait  d'assez  grand  poids.  La  voici.  Qu'il 
y  ait  eu  dans  la  Gaule  plusieurs  lois,  cela  devait  être,  puisqu'il  y  avait 
plusieurs  nations ,  et  que  ces  nations  étaient  venues  séparément  s'y  éta- 
blir sous  des  chefs  indépendants  les  uns  des  autres.  A  la  vérité ,  toutes 
descendaient  de  la  grande  famille  germanique;  mais  la  Germanie  était 
partagée  en  une  multitude  de  petits  peuples ,  et  rien  de  plus  naturel 
que  ceux-ci  aient  eu  chacun  leurs  coutumes  particulières.  Quand  ils 
envahirent  l'empire  romain ,  leurs  coutumes  y  furent  invasion  avec  eux. 
D'abord,  ils  étaient  si  barbares,  qu'ils  ne  pouvaient  s'accommoder  à  la 
législation  romaine,  trop  avancée,  trop  savante,  trop  empreinte  de  sa- 
gesse et  d'urbanité.  Ensuite ,  ils  étaient  trop  mobiles  et  trop  remuants 
pour  tenir  en  place.  Courant  sans  cesse  après  les  aventures,  ils  s'enga- 
geaient dans  des  expéditions  souvent  lointaines,  et  ne  savaient  se  fixer 
nulle  part.  S'ils  avaient  suivi  des  lois  territoriales ,  ils  en  auraient  conti- 
nuellement changé,  puisqu'ils  changeaient  continuellement  d'habitation 
et  de  territoire.  De  là  l'évidente  nécessité  pour  eux  d'être  régis  par  des 
lois  personnelles.  Clovis  et  ses  desceijdants  n'avaient,  d'ailleurs,  pas  plus 
l'idée  que  le  loisir  de  les  soumettre  tous  à  la  loi  salique.  Moins  avides 
de  gloire  que  de  pillage,  ils  songeaient  peu  au  rôle  de  législateurs;  si 
peu  même,  qu'on  est  obligé  de  descendre  jusqu'à  la  seconde  race  pour 
trouver  chez  les  rois  une  pensée  arrêtée  et  sérieuse  de  gouvernement. 

Au  reste ,  comme  le  remarque  judicieusement  M.  Pardessus  {p.  443), 
le  droit  de  chacun  d'être  régi  par  sa  loi  d'origine  ne  lui  était  reconnu 
que  chez  les  seules  nations  incorporées  à  l'empire  franc.  Un  étranger, 
tel  qu'un  Saxon  ou  un  Lombard ,  établi  dans  cet  empire ,  aurait  vaine- 
ment invoqué  en  sa  faveur,  avant  Charlemagne,.  les  lois  ou  les  cou- 
tumes de  ses  pères. 


NOVEMBRE  1843.  685 

Chacun  vivait  donc  sous  sa  propre  loi  :  c'est  un  fait  constant.  Mais 
était-il  permis  de  la  changer  pour  en  suivre  une  autre  P  Un  Romain , 
par  exemple,  aurait-il  pu  renoncer  au  code  théodosien  pour  adopter 
la  loi  salique ?  Oui ,  ont  répondu  Montesquieu,  Mably,  de  Gourcy  et 
d  autres  écrivains ,  en  se  fondant  sur  le  fameux  texte  d*Hérold  :  Si  qais 
ingenuus  Franco  [pour  Francum]  aat  barbaram  avt  Iwminem  qui  lege  sa- 
Uca  vivit,  occident,  etc.  On  y  distingue  :  i*  le  Franc;  2**  le  barbare  qui 
nest  pas  franc;  3^  Thomme,  Romain  ou  autre,  qui  vit  sous  la  loi  sa- 
lique.  Cette  leçon  paraîtrait  en  effet  assez  concluante,  si  Ton  pouvait 
ladmettre  ;  mais  elle  n'existe  que  dans  l'édition  d'Hérold ,  et  les  soixante- 
cinq  manuscrits  vérifiés  par  M.  Pardessus ,  au  lieu  de  aat  barbaram  aat 
hominem,  ont  seulement  ont  barbaram  hominem;  le  second  aat  ne  s'y 
trouve  pas.  L'autorité  d'un  si  grand  nombre  de  manuscrits  ne  peut  être 
mise  en  balance  aven  relie  d'un  seul;  alors  le  passage  n'a  plus  la  valeur 
quon  lui  supposait,  et  tout  le  monde  devra  l'interpréter  de  la  même 
manière ,  en  l'appliquant  aux  Germains  ou  autres  barbares  établis  dans 
les  Gaules,  mais  qiii,  étrangers  à  la  tribu  des  Saliens-,  n'étaient  pas  ve- 
nus avec  Clovis  et  ne  vivaient  pas  en  corps  de  nation. 

M.  Pardessus  aborde  ensuite  une  difficulté  bien  plus  grande,  u  Ce 
droit  des  hommes  sujets  des  rois  francs  d'invoquer  chacun  sa  loi 
d'origine  s'étendait-il  à  l'état  politique  et  à  ce  qui  intéressait  l'ordre 
public,  la  répression  des  crimes?»  Non,  répond  le  savant  juriscon- 
sulte, la  loi  des  Francs  était  la  seule  qui  régit  politiquement  tous  les 
habitants  de  leur  empire  sans  distinction.  La  concession  faite  aux  Ro 
mains  de  conserver  leiur  code  concernait  uniquement  le  droit  civil. 

Puis  il  se  demande,  en  ce  qui  touche  à  la  répression  des  crimes,  si 
le  Romain  qui  commettait  un  crime  envers  un  autre  Romain  était  puni 
par  la  loi  romaine.  A  son  avis,  le  coupable  était  puni  par  la  loi  sa- 
lique  :  c'est-à-dire  que  le  système  des  compositions  pécuniaires  avait  été 
substitué,  même  pour  les  Romains,  à  celui  des  peines  afflictives.  Les 
raisons  dont  il  s'appuie,  et  qu'il  tire  du  texte  de  Wolfenbùttel  (xvi,  3), 
de  la  loi  des  Ripuaires  (lxvi,  q),  des  Capita  extravagantia  (vu,  2  ,  etxi, 
9),  et  de  la  constitution  de  Clotaire  I*',  de  l'an  56o  (S  &),  sont,  au 
moins,  fort  plausibles,  et  n'auraient  besoin,  pour  former  une  preuve 
complète,  que  d'être  accompagnées  de  quelque  document  plus  expli- 
cite. 

Dans  les  procès,  lorsque  les  parties  suivaient  deux  lois  différentes, 
M.  Pardessus  pense  que  la  cause  était  décidée  par  celle  du  défendeur, 
lorsqu'il  s'agissait  d'affaires  que  nous  appellerions  personnelles.  En 
matière  de  conventions,  la  forme  employée  dans  le  contrat  pouvait 


686  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

servir  à  déterminer  par  quelles  lois  elles  devaient  être  réglées.  Enfin 
il  y  avait  sans  doute  des  usages  consacrés  par  la  jurisprudence  locale 
pour  les  cas  plus  compliqués;  peut-être  même  le  tribunal  était-il  mixte, 
c'est-à-dire  composé  de  juges  dont  la  moitié  suivait  la  loi  du  deman- 
deur, et  lautre  moitié  celle  du  défendeur.  A  l'appui  de  cette  conjecture 
de  M.  Pardessus,  je  pourrais  citer  plusieurs  actes  anciens,  mais  il  me 
suffira  d'indiquer  le  plaid  d*Ausone  (Vie  d'Osona},  où  siégèrent,  en 
918,  six  juges  pour  les  Romains ,  quatre  pour  les  Goths,  et  huit  pour 
les  Saliens  ^ 

La  femme  mariée  n* avait  pas  d'autre  loi  que  celle  de  son  mari,  et 
même,  selon  M.  Pardessus,  qui  diffère  d'opinion  sur  ce  point  avec 
M.  deSavigny,  lorsqu'elle  devenait  veuve,  elle  la  conservait,  tant  qu'elle 
ne  contractait  pas  un  second  mariage.  Quant  au  clergé,  il  était  r^ 
par  le  droit  romain.  Cependant  je  trouve,  dans  la  Chronique  de  Lorsch, 
sous  l'année  776,  qu'un  procès  intenté  par  le  comte  Heimeric  à  Gun- 
deland,  abbé  de  Lorsch,  fut  jugé  d'après  la  loi  des  Francs, yaj?ta  legem 
FrancommK 

La  TROISIÈME  DISSERTATION  (p.  45i*A58)  a  pouT  titre:  Des  personnes 
libres  considérées  dans  l'état  de  famille. 

Ici  le  docte  jurisconsulte  se  renferme  dans  la  loi  salique,  le  sujet 
étant  suffisamment  connu  en  ce  qui  concerne  le  droit  romain. 

Traitant  d'abord  des  enfants  mineurs ,  il  est  conduit  à  croire ,  avec 
D.  Ruinart,  que  la  majorité  était  fixée  chez  les  Francs  à-douze  ans,  et 
chez  les  EUpuaires  à  quinze.  MM.  de  Bréquigny  et  De  la  Porte  du  Theil, 
qui  la  reculent  à  vingt  et  un  ans ,  ne  paraissent  pas  avoir  bien  interprété 
les  documents  sur  lesquels  ils  se  fondent. 

A  la  mort  du  père ,  le  mineur  passait  sous  la  tutelle  de  la  mère ,  qui 
restait  seule  chargée  de  son  éducation  et  de  l'administration  de  ses 
biens.  Le  mundiam  ou  la  protection  appartenait  au  plus  proche  parent , 
et  la  tutelle  lui  était  aussi  dévolue,  à  la  mort  ou  au  refiis  de  la  mère. 
La  femme  elle-même  était  placée,  et  pendant  toute  sa  vie ,  sous  le  mun- 
diam de  son  père,  de  son  plus  proche  parent  paternel,  de  son  mari,  si 
elle  était  mariée ,  ou  du  roi,  si  elle  n'avait  ni  mari  ni  parents.  Le  man- 
diam  différait,  comme  on  voit,  de  la  tutelle  :  pour  la  personne  qui  en 
était  l'objet,  il  constituait  un  droit  à  la  protection  particulière  d'un  homme 
libre;  par  rapport  à  celui-ci,  c'était  un  devoir  impérieux  à  remplir,  pour 
lequel  il  recevait  un  certain  prix. 

Chez  les  Francs,  l'enfant  qui  atteignait  sa  majorité,  son  œtas  légitima 

^  GaU.  christ. -i,  XIII,  inslr.  coi.  2.  —  *  Chron.  Lauresh,  dans  Bouq.  V,  38a  G. 


NOVEMBRE  1843.  687 

ou  perfecta,  cessait  d'être  en  puissance  paternelle;  tandis  que,  chez  les 
Romains,  quel  que  fût  Tâge  des  enfants,  le  père  avait  la  puissance  sur 
eux ,  sur  leurs  descendants  et  sur  leurs  biens;  ou,  pour  mieux  dire,  le 
fils  de  famille  n'avait  pas  de  biens  propres ,  puisque  tout  ce  qu'il  pos- 
sédait appartenait  au  père  :  la  puissance  paternelle  ne  cessait  que  par  la 
mort  du  père  ou  par  l'émancipation  du  fds.  A  sa  majorité ,  au  contraire, 
un  Franc  était  maitre  de  sa  personne  et  de  ses  biens,  dont,  pendant  sa 
minorité  seulement,  son  père  avait  eu  la  jouissance  :  c'est  ce  que  prouve 
M.  Pardessus  à  l'aide  des  Capita  extravagantia  (S  8). 

Il  rappelle,  avant  de  finir,  que  l'adoption  ne  fut  point  inconnue  chez 
les  Francs. 

Sa  QUATRIÈME  DISSERTATION  (p.  ASg-^Sô),  intitulée  :  Des  hommes  libres 
d'origine  barbare,  considérés  dans  leur  état  politicfae,  sort  du  cadre  ordi- 
naire, puisqu'elle  est  consacrée  à  des  questions  qui  ne  sont  pas  de  droit 
privé;  mais  ce  n'est  pas  la  seule  fois  que  l'auteur  fait  une  heureuse 
exception  à  la  règle,  et  qu'il  donne  plus  qu'il  n'avait  d'abord  promis. 

Les  hommes  libres  vivant  sous  la  loi  salique  sont  les  seuls  qu'il  con- 
sidère. B  les  divise  en  deux  classes,  les  ingénus  et  les  iites,  et  consacre 
un  chapitre  à  chacune  d'elles.  «Par  libres,  dit-il  (p.  &6o),  j'entends  tous 
les  hommes  qui  n^étaient  pas  esclaves  ;  par  ingénus  j'entends  les  hommes 
nés  de  parents  qui  ne  reconnaissaient  aucun  maitre ,  et  qui  eux-mêmes 
ne  sont  tombés  ni  dans  l'esclavage,  ni  dans  une  dépendance  qu'exprime 
la  formule  kk  de  Sirmond,  par  les  mots  in  obsegaio  et  servitio  alterius, 
ingenuili  ordine;  je  donne  aux  autres  le  nom  de  Iites,  expression  dont 
se  sert  la  loi  salique.  n  Ainsi  l'homme  libre  est  celui  qui  n'est  pas  esclave . 
c'est-à-dire  celui  qui  jouit  actuellement  de  la  liberté  :  qu'elle  lui  vienne 
de  la  naissance  ou  de  l'affiranchissement,  du  moment  qu'il  la  possède 
c'est  le  libre  de  M.  Pardessus.  Ensuite  il  établit  une  distinction  entre 
les  hommes  libres  :  ceux  qui  sont  nés  de  libres  et  qui  ne  sont  tombés 
ni  dans  l'esclavage  ni  dans  la  dépendance  ingénuile  d'autrui,  il  les 
appelle  ingénus;  tandis  qu'il  donne  le  nom  de  Iites  aux  autres,  c'est-à- 
dire,  comme  il  l'explique  lui-même  (p.  /i8q),  premièrement  aux  hommes 
nés  de  parents  dépendants ,  secondement  aux  hommes  qui  se  mettaient 
eux-mêmes  au  service  ou  dans  la  dépendance  d'autrui,  troisièmement 
aux  aOranchis.  D'après  ces  définitions,  les  mots  n'ont  plus  le  même  sens 
qu'en  latin  :  eti  effet,  l'homme  né  de  parens  libres,  mais  tombé  acci- 
dentellement au  service  d'autrui,  n'en  conserverait  pas  moins,  en  latin, 
la  qualité  d ingénu,  que  M.  Pardessus  lui  retire.  L'ingénuité,  étant  unef 
propriété  originelle,  un  fait  qu'il  était  impossible  de  changer,  ne  pouvait 
ni  se  perdre  ni  s'acquérir< 


688  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Au  surplus  cette  légère  modification  dans  le  sens  propre  d*un  mot 
est  sans  inconvénient,  du  moment  que  l'auteur  a  soin  de  le  définir. 
Mois,  lorsque  je  lis  ensuite  (p.  483)  qu*un  grand  nombre  de  lites  étaient 
colons,  et  (p.  kSli)  que  le  nom  de  liti  a  été  donné  à  des  esclaves, 
j'hésite  sur  la  manière  d'entendre  ces  trois  classes  de  personnes.  En 
effet,  on  ne  pouvait  être  à  la  fois  colon  et  lide,  lide  et  esclave,  pas  plus 
que  libre  et  serf:  la  liberté,  le  colonat,  la  lidilité  et  la  servitude,  consti- 
tuaient quatre  conditions  différentes  et  exclusives  Tune  de  Tautre.  Sup- 
poser qu'un  homme  en  possédât  deux  simultanément,  ce  serait  lui 
attribuer  deux  états  civils  en  même  temps.  A  la  vérité  il  passait  quel- 
quefois de  l'une  à  l'autre  ;  mais  il  perdait  la  précédente  aussitôt  qu'il 
en  obtenait  une  nouvelle.  Il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  le  Polyptyque 
d'Irminon  pour  se  convaincre  que,  au  moins  sous  la  seconde  race,  les 
lides  étaient  essentiellement  différents  des  colons  et  des  serfs. 

Les  ingénus,  suivant  le  sshraut  académicien,  composaient  seuU le  corps 
politique  appelé  tribu  ou  nation.  En  eux  résidait  la  souveraineté,  qu'ils 
exerçaient  par  leur  participation  aux  délibérations  des  assemblés  tant 
nationales  que  locales.  Bs  formaient  seuls  l'armée;  seuls  ils  avaient  ob- 
tenu des  biens  en  partage  au  moment  de  la  conquête  de  la  Gaule;  seids 
ils  ne  payaient  pas  d'impôt  pour  ces  biens ,  et  n'étaient  jamais  battus  de 
veines. 

Ces  prérogatives  sont  exactement  définies  et  ne  peuvent,  en  théorie 
générale ,  fournir  matière  à  contestation  ;  mais  les  règles  étaient-elles  ri- 
goureusement observées?  mais  les  faits  étaient-ils  bien  conformes  aux 
principes?  avant  tout  y  avait-il  des  principes  de  gouvernement?  Dans 
beaucoup  de  circonstances ,  k  vrai  dire,  et  sur  plusieurs  questions  essen- 
tidles  d* ordre  social,  on  n'en  voit  guère  régner  d'autres  que  le  hasard 
et  la  force.  Il  n'en  faut  pas  moins  savoir  gré  à  M.  Pardessus  d'avoir  été 
net,  précis  et  complet,  dans  sa  définition  de  l'homme  libre  chez  les 
Francs. 

C'est  avec  la  même  netteté  qu'il  se  prononce  contre  l'existence  d'une 
noblesse  sous  les  rois  de  la  première  race.  Non  pas  que  l'illustration  des 
pères  ne  rejaillît  sur  les  enfants  et  ne  fût  pour  eux  un  avantage;  mais, 
sans  les  privilèges  et  l'hérédité,  comment  pouvait-il  y  avoir  une  noblesse 
proprement  dite?  L'opinion  de  Fabbé  de  Gourcy  est  ici  réfiitée  complète- 
ment ,  je  dirais  même  surabondamment,  à  l'égard  d'un  savant  de  second 
ordre ,  qui  n'a  guère  fait  que  résumer  les  connaissances  de  son  temps , 
sans  rien  ajouter  aux  vérités  acquises.  Cette  question  célèbre ,  qui  donna 
lieu  à  de  si  longs  et  si  fameux  débats,  avait  été  très-bien  exposée  et  très- 
sagement  décidée  par  M.  Naudet;  M.  Pardessus,  en  relevant  une  à  une 


NOVEMBRE  1843.  689 

les  erreurs  de  l'abbé  de  Gourcy ,  en  montrant  d*où  elles  naissaient ,  en  ré- 
tablissant le  véritable  sens  des  passages  mal  interprétés,  en  prévenant 
jusquaux  moindres  objections,  na  plus  rien  laissé  à  faire  à  la  critique. 

Passant  ensuite  à  la  seconde  partie  de  sa  Dissertation,  le  savant  aca- 
démicien nie  que  les  lites  du  royaume  des  Francs  tirent  leur  origine 
des  lètes,  établis  dans  la  Gaule,  sous  les  empereurs  romains.  Il  aime 
mieux  croire  qu  ils  sont  descendus  de  colons  germains ,  amenés  par  les 
Francs  dans  les  pays  de  leurs  conquêtes  (p.  AyS).  Celte  opinion  repose 
sur  un  fait  qui  aurait  besoin,  je  pense,  d'être  bien  constaté  avant  d*êtrc 
pris  pour  base  d'un  système;  puis  on  devrait  encore  justifier  plusieurs 
autres  assertions  qui  pourraient  aussi  sembler  un  peu  hasardées.  Ainsi, 
à  mon  avis,  il  faudrait  prouver,  i*  que  les  Francs  ont  amené  avec  eux 
des  colons;  2"*  que  ces  colons  servaient  leurs  maîtres  à  l'armée;  3^  que 
ce  sont  ces  mêmes  colons  qui  sont  désignés  sous  le  nom  de  lUi  dans  la 
loi  salîque.  Tout  cela  est  peut-être  vrai,  mais  tout  cela  est-il  suffisam- 
ment démontré? 

M.  Pardessus  range  aussi  parmi  les  lites  les  hommes  libres  cpie  la  mi- 
sère ou  d'autres  causes  forçaient  de  se  mettre  au  service  d' autrui,  sans 
toutefois  devenir  esclaves.  Il  fait  alors  de  la  condition  lidile  une  condi- 
tion accidentelle,  plus  ou  moins  durable,  qu'une  circonstance  engendre 
et  qu'une  autre  peut  détruire.  Les  lites  n'auraient  donc  pas  de  caractère 
originel,  fixe,  comme  en  ont  les  libres  et  les  serfs;  et,  plutôt  que  d'en 
former  une  classe  à  côté  de  ceux-ci,  on  devrait  les  mettre  en  parallèle, 
par  exemple,  avec  les  hôtes,  hospites,  dont  l'état,  au  lieu  de  dépendre  en 
général  de  la  naissance  et  d'être  permanent,  était  conventionnel  et 
muable.  Dans  cette  hypothèse  un  homme  libre  pourrait  être  lite  pour 
un  temps,  sans  toutefois  être  dégradé  de  sa  liberté;  ce  qu'U  me  paraît, 
je  l'avoue,  difficile  d'admettre,  la  liberté  et  la  lidilité  constituant  deux 
conditions  essentiellement  distinctes,  exclusives,  incompatibles.  Il  me 
semble,  pour  me  servir  d'une  comparaison  prise  dans  un  autre  ordre 
d'idées,  qu'il  était  aussi  impossible  d'être  à  la  fois  homme  libre  et  lide 
que  d'être  simultanément  Lombard  et  Bourguignon.  Mais  un  homme 
libre,  un  colon,  un  lide,  un  serf,  pouvaient  très-bien,  sans  perdre  leur 
condition  respective,  être  en  même  temps  ou  hospes,  ou  advena,  ou 
mansionarias ;  de  même  qu'un  Lombard  pouvait  être  fermier,  vassal, 
sergent,  etc.  Il  faut  donc  avoir  soin  de  distinguer  ce  qui  constitue  l'état 
civil,  de  ce  qui  n'est  que  position  sociale;  ce  qui  de  soi  est  permanent 
et  fixe,  de  ce  qui  n'est  que  conventionnel  et  passager.  Qu'il  me  soit  en- 
core permis  de  faire  observer  qu'il  ne  suffit  pas ,  pour  caractériser  les 
lites ,  de  dire  avec  du  Gange ,  de  Gourcy,  de  Bréquigny  et  les  autres  aa- 

87 


690         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Vânts ,  que  c'étaient  ûes  esclaves  d'une  condition  plas  douce  et  moins  abjecte 
(fûe  le  commun  des  esclaves ,  ou  que  c'étaient  des  affranchis  de  la  plas  basse 
condition  :  il  faudrait  expliquer  quelle  était  cette  condition ,  et ,  en  la 
comparant  avec  celle  des  affranchis  et  des  esclaves,  indiquer  ce  qu'elle 
avait  de  pire  que  la  première  et  de  meilleur  que  la  dernière  ;  en  un  mot, 
il,^udrait  définir  et  préciser  ^ 

Le  savant  académicien ,  sentant  parfaitement  les  difficultés  d*un  sujet 
aussi  obscur,  s'est  efforcé  de  les  surmonter  et  même  d'aller  au-devant 
âes  objections.  A-t-il  répondu  à  tout,  et  ses  réponses  sont-elles  toujotu^s 
décisives  ?  Lui-même  en  jugera  mieux  que  personne,  s'il  prend  la  peine 
dé  lire  cet  article.  J'ajouterai  que,  d*après  sa  définition  (p.  46o),  les 
Utes  devaient  former  une  classe  très-nombreuse  et  beaucoup  plus  nom- 
breuse même  qu  elle  ne  le  paraît  dans  les  documents.  En  efifet .  après  y 
afvôir  compris  les  af&anchis  et  les  colons,  quoiqu'ils  soient  distingués 
àé&  lites  dans  une  foule  d'actes  originaux ,  et  dans  ceux  mêmes  dont  il 
a  fait  usage,  il  finit  par  y  comprendre  encore  les  vassi  (p.  484),  sans 
àoMte  parce  que  les  vassi  ne  vivaient  pas  dans  une  complète  indépen- 
dance ,  et  qu'ils  avaient  des  devoirs  à  remplir,  soit  envers  un  seigneur, 
sfôît  envers  un  maître.  Alors  on  conçoit  parfaitement  ce  qu'il  a  entendu 
par  lites  :  cette  classe  se  composait ,  suivant  son  opinion ,  de  tout  ce 
(|ùi  n'était  ni  esclave,  ni  indépendant  d'autrui.  Par  conséquent  il  n'y 
avait  que  trois  classes  de  personnes ,  savoir  :  les  libres ,  les  lides  et  les 
serfk;  et  le  principal  caractère  distinctif  de  chacune  n'était  plus  fondé 
Sur  ïa  naissance.  Par  exemple,  l'homme  né  libre  qui  devenait  vassal, 
vassus,  sortait  de  la  classe  des  libres  pour  entrer  dans  celle  des  lides; 
il  subissait  une  réduction  de  moitié  dans  la  composition  dont  il  jouis- 
sait auparavant ,  et  cessait  d'être  compté  au  nombre  des  citoyens  :  car, 
tti  définitive,  les  Irtes,  pour  me  servir  des  propres  expressions  de  l'au- 
teur, étaient  libres  sans  être  citoyens,  c'est-à-dife  sans  pouvoir  siéger 
aux  assemblées  publiques,  m  servir  à  l'armée  autrement  qu'à  la  suite 
de  leurs  seigneurs  ou  de  leurs  maîtres. 

Le  titre  de  la  ciNQurÈME  dissertation  (p.  487-606)  est  ainsi  conçu  : 
De  ba  vassalité  et  de  son  influence  sur  l'état  des  Tiommes  libres. 

Les  amnistions ,  les  leudes  et  les  fidèles,  y  sont  présentés  comme  ne 
formant  qu'un  même  ordre  de  personnes,  dans  lequel  les  plus  illustres 
recevaient  le  nom  A'optimates.  Au  contraire,  les  hommes  placés  in  truste 
régis  sont  distingués  de  ceux  qui  étaient  in  verbo  régis.  Il  est  ensuite 

'  C'est,  s'il  m'est  permis  de  le  dire,  ce  que  j'ai  tâché  de  faire  dans  ua  ouvrage 
terminé,  mais  non  publié,  pour  toutes  les  ouestions  que  j'ai  traitées,  et  en  parti* 
entier  pour  celle  des  Ktes; 


NOVEMBRE  1843.  691 

traité  des  bénéfices  et  de  tout  ce  qui  concçrne  la  durée,  la  révocabilité , 
la  perpétuité  de  ces  concessions.  Les  opinions  contradictoires  sont  rap- 
portées fidèlement;  les  unes  sont  adoodses,  les  autres  combattues  et  re^ 
jetées.  Sur  un  petit  nombre ,  1  auteur,  par  une  défiance  exagérée  de  son 
jugement  ou  de  son  autorité,  évite  ou  s  abstient  de  prendre  parti.  On 
se  plaindrait  volontiers ,  à  cette  occasion ,  de  la  réserve  et  de  la  modestie 
qui  rempêcbent  ainsi  d,^  se  prononcer.  À  sa  place,  et  sans  en  avoir  au- 
tant le  droit,  on  prendrait  souvent  un  langage  plus  décisif.  Pour  ma 
part ,  je  n'hésiterais  pas  à  rejeter  ces  concessions  de  bén^ces  que  le  roi 
aurait  faites  à  titre  révocable ,  et  avec  la  prétendue  clause  quanidia  Ubaerii^ 
dont  il  n  existe  aucun  témoignage,  ainsi  que  le  reconnaît  M.  Pardessus 
(p.  AgS). 

Nous  avons  vu  que  les  opinions  de  Tauteiu*  étaient  beaucoup  plus 
arrêtées,  ou  du  moins  beaucoup  plus  explicites,  au  sujet  de  la  noblesse.. 
Ici  il  en  nie  de  nouveau  Texistence  sous  la  première  race,  tout  en  ad-> 
mettant  une  illustration  personnelle,  et  même  une  illustration  de  sou- 
venirs pour  les  familles.  La  manière  dont  il  s  exprime  à  l'égard  de  ta 
féodalité ,  qu^il  voit  vivante ,  sinon  puissante ,  dès  les  temps  mérovingiens, 
nest  ni  moins  précise,  ni  moins  juste,  a  Par  le  fait,  dit-il  (p.  6o5),  la 
féodalité ,  qui ,  au  déclin  de  la  seconde  race ,  renversa  le  trône ,  était ,  dès 
la  première,  toute  vivante,  toute  préparée  au  plus  rapide  accroissement. 
U  ne  manquait  plus  que  deux  classes  pour  la  constituer  telle  que  Tbis* 
toire  nous  la  montre  au  x*  siècle  :  la  fusion  des  pouvoirs  publics  dans 
les  possessions  territoriales,  et  déjà  depuis  longtemps  les  juridictions 
privées  préparaient  ce  résultat;  Tbérédité  des  bénéfices  et  des  fonctions 
publiques,  et  cette  hérédité ,  souvent  attachée  à  des  concessions  indivi- 
duelles ,  ou  produite  par  la  facilité  avec  laquelle  les  rois  accordaient 
des  survivances,  devint  une  loi  générale  par  le  capitulaire  de  877.  tv 
Néanmoins,  je  proposerais  une  légère  modification  dans  la  dernière, 
phrase,  pour  dii^e  que  l'hérédité  dont  il  s'agit  était  devenue  une  cou- 
tume générale  avant  le  capitulaire  de  877,  qui  ne  fait  guère,  je  pense, 
que  la  constater  ou  la  consacrer,  au  lieu  de  constituer  une  législation 
nouvelle. 

La  SIXIÈME  DISSERTATION  (p.  5 07-5 1 6 ),  intitulée  :  De  l'état  des  Romains 
d'après  la  loisalique,  contient  un  exposé  clair,  intéressant  et  bien  écrit, 
dont  je  ne  puis  m'empêcher  de  faire  Téloge,  quoique,  suivant  mon  opi- 
nion, Tauteur  parle  des  Francs  en  termes  beaucoup  trop  favorables,  et 
que  je  ne  sois  pas  non  plus  tout  à  fait  d'accord  avec  lui  sur  d'autres 
points.  Mais  il  a  bien  raison  de  dire  que  la  Gaule  fut  conquise  et  non 
délivrée  par  les  barbares,  que  les  habitants  furent  réduits  à  la  condition 

87. 


692  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

de  peuple  yaincu,  et  que  cette  condition  était  inférieure  de  moitié  à 
celle  des  vainqueurs,  attendu  que  la  loi  salique  n  accorde  au  Romain  que 
moitié  de  la  composition  payée  au  barbare. 

En  outre,  les  Germains,  qui  n'avaient  pas  plus  Tamour  de  l'égalité  que 
de  la  liberté,  ne  se  contentèrent  pas  d'instituer  pour  eux  des  tarifs  dif- 
férents dans  les  compositions,  suivant  les  différentes  conditions  des 
personnes  :  ils  distinguèrent  les  Romains  en  propriétaires ,  possessores ,  et 
en  tributaires,  irihatarii,  ou  non-propriétaires,  et  par  leur  loi  accordè- 
rent une  composition,  c'est-à-dire  une  protection,  plus  de  deux  fois 
moins  forte,  aux  seconds  qu'aux  premiers.  Celui  qui  tuait  un  proprié- 
taire payait  loo  sous;  celui  qui  tuait  un  tributaire  en  était  quitte  pour 
AS  sous. 

La  question  principale  que  se  propose  M.  Pardessus  est  de  savoir 
si  les  Romains  conservèrent,  sous  les  Francs,  leurs  anciennes  juridic- 
tions pour  les  causes  civiles  qui  naissaient  entre  eux.  Il  soutient  la  né- 
gative contre  M  de  Savigny,  et  je  crois  qu'il  a  raison.  Cependant  il 
admettra  plus  tard  le  maintien  de  l'administration  financière. 

De  l'esclavage  d'après  la  loi  salique.  Tel  est  le  sujet  de  la  septième 

DISSERTATION. 

Renfermée  ordinairement  dans  le  cadre  de  la  loi  des  Saliens ,  elle 
ne  représente  à  nos  yeux  qu'un  coin  du  tableau  de  l'esclavage  au  moyen 
âge;  mais  cette  représentation ,  au  défaut  du  neuf,  qui  devient  bien  rare 
après  tant  d'ouvrages  sur  cette  matière ,  a  généralement  le  mérite  de 
réunir  la  clarté  à  f  exactitude. 

Je  ne  sais  pourtant  s'il  faut  admettre ,  sous  les  Mérovingiens ,  un  impôt 
de  capitation  dû  au  fisc  par  les  esclaves  et  payé  par  les  maîtres,  qui  l'au- 
raient ensuite  retenu  sur  le  pécule  des  premiers  (p.  52  4).  Je  n'oserais 
non  plus  affirmer  que  les  enfants  nés  de  mariages  mixtes  suivissent  tou- 
jours la  condition  de  leur  père.  Mais  je  regarde  comme  un  très-bon  ré- 
sumé tout  ce  qui  est  dit:  d'abord  des  différents  modes  d'affranchissement, 
par  le  denier ,  par  déclaration  devant  l'Église ,  par  rachat ,  par  charte  ; 
pijus  des  effets  des  divei's  affranchissements,  de  l'état  des  affi^nchis ,  et  de 
la  succession  de  ceux  qui  mouraient  sans  enfants. 

La  HUITIÈME  DISSERTATION  (p.  533-564)  cst  intitulée  :  Delà  propriété 
foncière  d'après  la  législation  des  Francs. 

Le  savant  académicien  ne  pense  pas  que  les  soldats  de  Clovis  se  soient 
emparés  des  propriétés  privées  des  Romains  dans  la  Gaule,  ni  même 
qu'ils  en  aient  pris  une  portion  ;  «  les  vainqueurs  se  contentèrent ,  à  son 
avis,  de  confisquer  les  bénéfices  des  magistrats,  des  chefs,  des  soldats 
romains,  les  biens  des  faniilles  détruites  par  le  fait  de  la  guerre  ou  qui 


NOVEMBRE  1843.  693 

s'étaient  expatriées ,  tout  ce  qui  composait  le  domaine  impérial ,  peut- 
être  même  une  partie  des  biens  des  cités.  » 

Que  les  Francs  ne  se  soient  pas  partagé  les  biens  des  anciens  habi- 
tants à  la  manière  des  Bourguignons  et  des  Visigoths,  c'est-à-dire  en 
vertu  d*im  pacte  général  avec  les  empereurs  ou  avec  les  vaincus ,  il  ne 
peut  guère  y  avoir  de  doute  à  cet  égard ,  puisqu'on  ne  trouve  aucune 
trace  d'un  tel  partage  dans  la  loisaliqueni  dans  aucun  autre  document; 
mais  que  les  Francs  n'aient  pas  fait  main  basse  sur  les  propriétés  particu- 
lières suivant  l'occasion  et  tant  qu'ils  l'ont  pu ,  c'est  ce  qu'on  aura  de  la 
peine  à  croire ,  si  l'on  regarde  les  troupes  qui  sortirent  des  forêts  et  des 
marécages  de  la  Germanie  comme  des  bandes  d'aventuriers  sans  gouver- 
nement ,  organisées  seulement  pour  la  guerre  et  le  pillage ,  et  complè- 
tement étrangères  à  toutes  les  lois  des  peuples  civÛisés.  L'opinion  de 
M.  Pardessus  est  celle  d'un  grand  nombre  de  savants.  L'exposé  qu'il  en 
a  fait  sera  lu  avec  non  moins  de  fruit  que  de  plaisir  par  ceux-là  même 
qui  seraient,  sur  quelques  points,  d'un  avis  un  peu  différent. 

n  se  pom'rait ,  par  exemple,  qu'on  n'aperçût  pas  chez  les  vainqueurs 
un  assez  grand  esprit  d'ordre  et  d'équité ,  pour  croire  que  chacun  d'eux 
obtînt  tranquillement  son  lot ,  dans  le  voisinage  de  son  chef,  suivant 
son  grade  ou  son  habileté ,  et  non  qu'il  s'emparât  de  tout  ce  qui  fut  à  sa 
convenance ,  en  faisant  usage ,  à  l'imitation  de  Clovis  ,  non-seulement  de 
la  force,  mais  encore  de  l'astuce  et  de  la  perfidie,  qui  aident  à  carac- 
tériser cette  espèce  de  conquérants. 

Dans  tous  les  cas,  s'il  y  avait  eu  un  partage  de  terres,  le  mot  alodis 
n'aurait  pai'  signifié  la  portion  de  chacun,  vu  qu'il  s'entendait  d'un 
bien  complètement  libre,  par  opposition  au  bénéfice,  et  non,  comme 
on  disait,  d'un  sort  ou  d'un  lot,  sors.  M.  de  Montlosier  s'est  avisé  de 
faire  de  l'alleu  la  terre  libre  possédée  par  le  Gaulois  ingénu;  maïs 
M.  Pardessus,  après  l'avoir  victorieusement  combattu  sur  ce  point  et 
sur  d'autres,  le  déclare  un  mauvais  guide  dans  l'étude  des  antiquités 
de  notre  droit. 

Le  savant  jurisconsulte  dit  ensuite  un  mot  des  biens  communaux; 
puis  il  traite  de  plusieurs  questions  importantes  de  droit  privé  :  par 
exemple  de  l'aliénation  et  de  la  transmission  des  biens;  et  rappelle,  à 
ce  sujet,  d'anciens  ilsages,  dont  plusieurs  se  sont  conservés  dans  les 
contrats  connus  sous  les  noms  de  locatairie  perpétaelle ,  de  domaines  con- 
géables  (  en  Bretagne).  Il  n'oublie  pas  les  précaires,  qui  jouissaient  d'une 
si  grande  faveur  dans  l'Église. 

Enfin ,  examinant  si  les  propriétés  foncières  payaient  un  impôt  direct 
sous  la  première  race,  il  se  déclare  poiur  l'opinion  d'Hadrien  de  Valois, 


694         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qui  lui-même  Ta  résumée  en  ces  termes  dans  le  titre  d*ime  dissertation 
célèbre  :  Franci  immunes,  Galli  tributarii.  li  est  donc  contraire  et  à  Tabbé 
Dubos,  d  après  lequel  les  Francs  et  les  Romains  auraient  été  pareiUen^ent 
soumis  à  Timpôt ,  et  à  Montesquieu ,  qui  nie  tout  impôt  direct  sous  les 
Francs.  Cette  dernière  opinion  est  celle  que  MM.  fiaudi  di  Vesmé  et 
Guadet  ont  défendue  dans  leurs  mémoires,  couronnés,  en  iSSy,  par 
r Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  M.  Pardessus  semble  lui- 
même  s'en  rapprocher  beaucoup,  lorsque,  avant  de  finir,  il  fait  cette 
observation  (p.  563)  :  «Peut-être  Montesquieu  a-t-il  eu  raison  de  dire 
que,  si  les  Gallo-Romains  ont  payé  des  impots,  cet  état  de  choses  ne 
subsista  pas  longtemps.  »  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  huitième  dissertation 
est,  à  mes  yeux,  une  des  plus  remarquables  de  fouvi'age,  qui  en  con- 
tient im  si  grand  nombre ,  toutes  aussi  intéressantes  qu'instructives. 

GUÉRARD. 

[La  fin  au  prochain  cahier.  ) 


Note  annexe  des  articles  publiés  dans  les  cahiers  de  septembre  et 
(Poctobre  i8U3  sur  un  Traité  arabe  relatif  à  rastronomie. 

Analyse  mathématique  des  hypothèses  d*Hipparque  et  de  Ptolémée  exposées  dans  le  texte 
précédent,  accompagnée  de  leur  comparaison  avec  les  tahles  modernes. 

S  I.  Je  considère  d'abord  Tliypothèse  dHipparque  ;  et,  dans  la  fig.  i,  qui  la  re- 
présente, je  nomme  le  rayon  de  lexcenlrique  R,  celui  du  cercle  in^rieur  r'.  Pour 
évaluer  Téquation  du  centre  CXT  ou  e,  qui  a  lieu  après  le  temps  t,  compté  de- 
puis la  conjonction  apogée  et  équinoxiale  que  nous  adoptons  comme  point  de  dé- 
part, je  mène  TP'  perpendiculaire  sur  LC  prolongé  indéfiniment.  Alors,  dans  le 
triangle  rectangle  TCP',  Thypolénuse  C'T  est  r\  et  l'angle  TCP'  est  m't,  c'est-à- 
dire  le  mouvement  d^anomalie  pendant  le  temps  t.  On  a  ainsi 

TP'  =  r'  sin  m't;  C'P'  =  r'  cos  m't; 

ou,  en  représentant,  pour  abréger,  l'anomalie  moyenne  m't  p^r  la  lettre  z,  comme 
je  le  ferai  toujours, 

TP'  =  r  sin  z;  G'P'  z=  r  cos  z. 

Alors  LC  étant  R ,  l'angle  e  se  tirera  du  triangle  rectangle  TLP'  par  la  formule 
suivante  : 


(i  tepg  s  = 


r'  sin  z 
R  •4-  r'  cos  z 


NOVEMBRE  1843.  695 

Maintenant  Tangie  LTT  est  la  longitude  vraie  on  apparente  de  la  lutfe  que  Ton  veut 
obtenir,  je  la  nomme  v;  et  L"T^,  ou  son  égal  LC'T',  est  la  longitude  moyenne 
mt,  qui  peut  se  calculer  pour  le  temps  donné  t;  je  la  nomme  par  abréviation  a. 
L*angle  e  étant  soustrait  de  cette  dernière  donne  évidemment  v.  On  a  donc 

(a)  V  zn  a  —  e. 

r 
De  là  on  déduira  v  pour  le  temps  t^  quand  le  rapport  -^  sera  connu ,  puisque  e 

deviendra  calculable. 

S  U.  Passons  k  rhypothèse  de  Tépicycle  que  Ptolémée  substitue  à  oelle-là.  Elle 
est  représentée  dans  la  fig.  a.  Je  nomme  R  le  rayon  de  Thomocentrique,  r  celai 
de  Tépicycle,  en  conservant,  d^ailleurs,  les  mêmes  dénominations  que  précédem- 
ment, pour  tous  les  angles  décrits  en  vertu  des  mouvements  moyens.  Alors  je 
mène  LP,  perpendiculaire  à  TC  prolongé;  et,  comme  Tangle  LC'A  est,  par  con- 
vention, m  f  ou  z,  le  triangle  rectangle  LG'Pj  donne 

LPj  =  r'  sin  z;  C'P^  =  r  cos  z. 

Puisque  C'T  est  R ,  Téquation  du  centre  LTC  ou  e  se  déduit  du  triangle  rectangle 
LTPj  ;  et  Ton  a  ainsi 


(i)  tang  e  = 


r  sin  z 


R  -4-  r'  cos  z 


Quand  e  sera  connu  par  cette  formule,  on  le  soustraira  de  Tangle  C'TVt  qui  est 
la  longitude  moyenne  mt  on  a  pour  le  temps  t;  la  différence  sera  Tangle  LTT  ou 
V,  c'est-à-dire  la  longitude  vraie  que  Ton  veut  obtenir.  On  aura  donc 

(a)  V  =:  a  —  e. 

Ces  deux  formules  sont  identiques  à  celles  que  nous  avions  tout  à  Theure  trou- 
vées. Ainsi  les  deux  hypothèses  sont  équivalentes,  et  il  sufBra  de  discuter  les  con- 
séquences optiques  de  la  dernière. 

r 
S  m.   Le  rapport  ^  est  un  nombre  abstrait  moindre  que  i ,  parce  que  Ton 

prend  r  plus  petit  que  R  dans  les  deux  hypothèses.  On  peut  donc  le  représenter 
par  le  sinus  d  un  certain  angle  inconnu  que  je  nomme  E'.  Cette  transmrmation 
donne 

.    _,         r  .      ,  V  sm  E  sm  r 

sm  Ë  =:  S"  ;  et  par  suite  (a)  tang  «  =  t-ttï . 

R         "^  \  /        o  i-f-smE  cosz 

Dans  une  éqaation  de  cette  forme ,  on  démontre  aisément  que  la  f^us  grande  va- 
leur de  Tangle  e  est  précisément  E';  et  elle  se  réalise  lorsque  Tanomalie  moyenne 
z  acquiert  la  valeur  spéciale  Z ,  telle  qu'on  ait 

Z  ==  go*  -H  E'. 

E'  sera  donc  la  plus  grande  équation  du  centre  résultante  du  rapport  que  Ton  voudra 

r'  ,  .        , 

assigner  à  •^.  D  est  aisé  de  voir  qu'elle  se  réalise  lorsque  le  rayon  visuel  TL  de- 
vient tangent  à  Tépicycle;  et  l'expression  correspondante  de  z,  qui  est  90*-i-E'« 


696  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

exprime  la  valeur  que  doit  avoir  Tanomalie  moyenne  m't  ou  z,  pour  que  cette  con- 
dition de  tangence  ait  lieu,  dans  les  conditions  de  mouvement  adoptées. 

r  5-7 

Ptolémée  conclut  des  observations  -j^  égal  à  -^  ou  ^ .  Cda  équivaut,  en  frac- 
tions décimales,  à  0,0876.  On  a  donc,  d*après  cette  évaluation, 

sin  E'  =  0,0876  ;         ce  qui  donne  E'  =z  5*  1'  1  i",a8. 

Il  prend  seulement  6"*  1',  en  négligeant  les  secondes  additionnelles.  Avec  cette 
valeur  de  E',  la  formule  (a)  donnera  toutes  les  valeurs  de  Téquation  du  centre  e 
correspondantes  aux  différentes  valeurs  z  de  Tanomalie.  Les  résultats  ainsi  obtenus 
sont  conformes  a  ceux  qu'il  obtient  lui-même ,  et  qu  il  a  réunis  dans  une  table 
numérique  placée  à  la  fin  du  chapitre  ix  de  son  livre  IV. 

S  IV.  Pour  voir  d*un  coup  d*Œil  jusqu'à  quel  point  Thypothèse  ainsi  particula- 
risée s'accorde  avec  les  faits  réels ,  je  prends  dans  les  tables  lunaires  de  M.  Damoi- 
seau l'expression  générale  de  l'équation  du  centre  e  dans  les  syzygies,  en  négligeant 
les  petites  inégalités  qui  en  font  partie,  même  celles  qui  dépendent  des  positions 
des  nœuds  ainsi  que  du  soleil,  toutes  circonstances  auxquelles  Ptolémée  navail 
point  égard.  Cette  expression,  bornée  de  cette  manière  à  ses  termes  principaux,  en 
mettant  l'origine  des  anomalies  z  à  l'apogée,  comme  le  fait  Thypotnèse  grecque, 
est 

e  zz:  5*  o'  5i",6  sin  z  —  la'  48",8  sin  2  z  -ï^  36",i  sin  3  ;?. .  • . 

Je  néglige  les  termes  ultérieurs.  Maintenant,  pour  mettre  notre  expression  de  e 

sous  une  forme  de  développement  pareille  à  celle-là ,  j'y  représente ,  pour  abréger, 

r'        , 
par  e'  le  rapport  -^^  qui  est  0,0876;  et  j'ai  ainsi 

e'  sin  z 
tane  e  =  , 

°  1  -H  e  cos  2; 

Je  considère  ensuite  que  tout  angle  6 ,  moindre  que  46^,  peut  s'exprimer  par  une 
série  indéfinie,  ordonnée  suivant  les  puissances  de  sa  tangente.  Cette  série  est 

^  tane  1  ^1  .  «       1 

&  — ^î—  =  tang  d  —  2  tang*  ^  H-  r  tang  *  $ etc. 

Pour  avoir  exactement  la  valeur  de  l'anele  ^,  il  faut  pousser  ce  dévdoppement 
d'autant  plus  loin  que  tang  6  approche  plus  de  l'unité.  Mais  ici ,  comme  la  plus 
grande  valeur  de  l'iangle  e  n* excède  pas  6'*  1',  nous  aurons  une  évaluation  très- 
suflisanfe  en  nous  bornant  à  conserver  les  termes  qui  contiendront  des  puissances 
de  e'  inférieures  à  la  4*«  ce  qui  revient  à  négliger  tous  ceux  qui  contiendraient 
des  puissances  supérieures  à  e'^.  Nous  aurons  donc  simplement,  dans  cet  ordre 
d'approximation , 

tang  1  e  un  z  1      «    sm'  z 


e 


1"  i-i^e'cosz         3  (i-i-e' C0S2:)'* 


et  nous  négligerons  tous  les  termes  ultérieurs.  Mais  ceci  peut  encore  être  simplifié 
par  le  même  principe;  car,  en  opérant  par  division  continue,  on  a 

=  1  —  e'  cosz-*-e'*cos"jj^e''  cos*^;. . . .  etc. 


e  C05  z 


NOVEMBRE  1843.  697 

Puisque  nous  ne  conservons  que  les  e^^  il  faut  d*abord  faire  e'  nul  dans  le  déno- 
minateur de  notre  second  terme ,  et  développer  celui  du  premier  terme  jusqu'à 
la  seconde  puissance  de  e*  seulement.  La  réunion  des  produits  ainsi  obtenus  donne 


e  — ^1 —  =  tf  sm  z «    sm  a  z  -+-  tf    sm  ;?:  <  cos    «  —   0  »*"  ^ 

1  a  (3 

J*ai  labsé  exprès  le  coefficient  de  e^  sous  la  forme  avec  laquelle  il  8*est  présenté , 
pour  en  prendre  occasion  de  montrer  comment  les  produits  de  sinus  et  de  cosinus 
doivent  être  convertis  en  sinus  simples  d'arcs  multiples  dans  des  développements 
pareils  à  celui-ci,  ce  qui  nous  sera,  à  chaque  instant,  nécessaire  dans  les  épreuves 
analogues  que  nous  aurons  ultérieurement  à  faire.  Le  procédé  est  fondé  sur  ce 
que,  deux  arcs  quelconques  p  et  q  étant  donnés,  on  a  toujours 

8Înpco8f=:  -sin  (p-H7)-H-sin  (p  —  q). 

Au  moyen  de  ce  théorème,  tout  produit  de  la  forme  sin*/>  cot**p,  où  les  lettres  u 
et  n  indiquent  des  puissances  de  degrés  quelconques,  peut  être  converti  en  une 
somme  de  sinus  simples ,  en  opérant  la  transformation  successivement  sur  les  fifto- 
teurs  qui  le  composent.  Pour  appliquer  ceci  à  l'exemple  actuel ,  je  change  d'abord 

cos*  z  —  r  sin*  z  en  ^  cos*;2: —  -r  ;  après  quoi  le  reste  de  la  transformation  s'achève 

progressivement  comme  il  suit  : 

.      (4      ,         1)2  .  ^1.  1.,         1.  1.  1.. 

smzj«  cos'j? —  r| — gSMiiizco^z — ^  8m2:=:  ^  sm3z-t-ô  smz —  5  8mz=»sm3z; 

ce  qui  donne,  par  conséquent, 

tangi"         ,   ,  1  ^    t^    '    f, 

e ïï —  =  «  sin  ip e    sm  a  z  -H  9  «    sin  3z. 

1  a  3 

Maintenant ,  pour  avoir  e  en  secondes  de  degrés ,  il  ne  reste  plus  qu'à  mettre  dans 
chaque  terme  du  second  membre,  au  lieu  de  e  ,  sa  valeur  0,0876,  puis  à  multi- 
plier chaque  coefficient  numérique  ainsi  obtenu  par ;; ,  en  se  rappelant  que 

l'on  a,  par  les  tables  trigonométriques , 

log  tang  1"=  6,6855749. 
On  trouvera  ainsi,  par  l'hypothèse  que  nous  discutons, 

e  =  5*  o'  48",a  sinz—  1'  i9",osin  az-H46",i  sin  3z; 

au  lieu  que  nos  tables  modernes ,  qui  peuvent  être  considérées  comme  l'eicpressian 
réelle  des  faits,  donnent,  conmie  je  l'ai  annoncé  plus  haut, 

e  =  5*  G*  5i",5  sin  z  —  la'  A8",8  sin  a  z  -H  36",i  sin  3z. 

On  voit  donc  qu'il  y  a  un  accord  presque  exact  pour  le  premier  terme,  mais  qu'il 
y  a  une  diflércnce  très-notable  pour  le  second  ;  de  sorte  que  l'hypothèse  commence 
à  être  inexacte  dans  les  termes  de  l'ordre  c*.  Tel  était  donc  1  ordre  d'erreur  que 
les  observations  grecques  comportaient ,  et  qui  était  insensible  à  Ptolémée  comme 
à  Hipparque. 

S8 


80*  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

S  V.  J'arrive  à  sa  seconde  hypothèse,  représentée  fig.  A.  Toute  la  différence  avec 
la  précédente,  c*est  que  le  rayon  TC,  mené  de  la  terre  au  centre  de  Tépicycle, 
devient  variable  selon  Taspect  du  soleil,  par  la  condition  que  Tangle  C'Ta  soit 
toujours  double  de  la  dislance  angulaire  de  la  lune  à  cet  astre,  distance  que  j'ex- 
primerai généralement  par  la  lettre  a.  La  valeur  de  a  sera  ainsi  Texcès  de  la  lon- 
gitude moyenne  actuelle  de  la  lune  sur  celle  du  soleil ,  de  sorte  qu'elle  pourra  tou- 
jours être  calculée  numériquement,  d'après  le  temps  t  écoulé  depuis  la  zyzygie 
équinoxiale  prise  pour  point  de  départ.  Pour  trouver  l'expression  générale  du  rayon 
vecteur  TC  déduite  de  cette  condîition,  je  reproduis  isolément,  dans  la  fig.  5,  la 
position  éventuelle  de  l'épicycle,  que  nous  prenons  ici  pour  type,  ce  qui  évitera 
la  confusion  que  produirait  1  accumulation  d'un  trop  grand  nombre  de  lignes  sur 
une  même  figure.  Considérant  donc  la  fig.  5,  j'y  désigne  toujours  le  rayon  de  l'ex- 
centrique par  R,  celui  de  l'épicycle  par  r',  et  je  nomme  r"  le  rayon  du  cercle  in- 
térieur que  l'excentrique  décrit.  D'après  les  conventions  faites ,  l'angle  C'Ta'  est 
as,  et  il  s'agit  de  calculer  le  rayon  TC',  que  je  désigne  par  p.  Or  rien  n'est  plus 
facile.  Pour  cela,  du  centre  c  de  l'excentrique ,  menez  c'p  perpendiculaire  sur  TC. 
Te'  étant  r\  vous  aurez  évidemment 

c  p  =  r  s\n  2a,  Ip  =r  r  cos  aa. 

Or  le  rayon  éventuel  TC,  que  je  nomme  p,  se  compose  d'abord  de  Tp',  que  nous 
venons  a  obtenir,  puis  de  C'p',  qui  est  la  base  d'un  triangle  rectangle  dont  Ce'  ou 
R  est  l'hypoténuse  et  c'p'  la  hauteur.  On  aura  donc  généralement 

(a)  p  :=:  r"  cos  aa  -H  \/R*  —  r"*  sin*  a  a. 

La  plus  grande  valeur  de  p  se  réalise  quand  a  =  o ,  c'est-à-dire  dans  la  conjonc- 
tion. Alors  le  centre  C  de  l'épicycle  est  en  a,  au  sommet  de  l'excentrique  le  plus 
distant  de  la  terre,  et  p  devient  R-4-  r".  Sa  plus  petite  valeur,  au  contraire,  a  lieu 
dans  les  quadratures ,  où  a  z=  90.  Alors  aa  devenant  180*,  le  centre  C  de  l'épicycle 
se  porte  en  h'  au  sommet  de  l'excentrique  le  plus  rapproché  de  la  terre,  et  p  devient 
R— r".  Depuis  «  =  90*  jusqu'à  azu  i8o%  qui  ramène  une  nouvelle  syzygie  en 
opposition,  les  valeurs  de  p  augmentent  progressivement,  comme  elles  avaient  di- 
minué; et,  enfin,  à  cette  dernière  valeur  de  a,  a  a  devenant  36o%  les  sin  aa  et  cos  a  a 
i  entrent  dans  p  recommencent  les  mêmes  périodes  que  précédemment,  ce  qui 
ait  de  nouveau  passer  p  par  une  suite  d'états  pareils ,  qui  le  ramènent  enfin  à 
une  nouvelle  conjonction ,  où  il  recommence  les  mêmes  phases.  Le  centre  de  l'épi- 
cycle parcourt  ainsi  deux  fois  tout  le  contour  de  l'excentrique  pendant  chaque 
mois  synodique  qui  s'écoule. 


fiiii 


S  VI.  Revenons  maintenant  à  la  fig.  4;  et,  puisque  nous  connaissons  mainte- 
nait la  longueur  du  rayon  éventuel  TC  ou  p  pour  un  instant  donné,  il  va  nous 
être  facile  de  trouver  l'équation  du  centre  LTC'  ou  e  qui  convient  à  chaque  position 
de  l'épicycle.  L'opération  est  exactement  la  même  que  celle  que  nous  avons  faite 
sur  la  fig.  a,  si  ce  n'est  que  le  rayon  TC  avait  alors  une  autre  longueur  qui  était 
oonstante.  Suivant  donc  la  même  marche,  du  point  L  menons  LP^  perpendiculaire 
suir  TC  prolongé.  Puisque  CL  est  r'  et  l'angle  ACL  l'anomalie  moyenne  m't  ou  c, 
wms  anroDs,  oomme  dans  la  fig.  a , 

LP,  1=  r'  sin  z;  C'P»  rr  r  C09Z; 


NOVEMBRE  1843.  699 

après  quoi  le  triangle  rectangle  LP^T  nous  donnera  de  même  I* angle  LTC'  ou  e 
par  sa  tangente,  dont  Texpression  sera 


r  sin  z 


(i  )  tanff  e  = -, ,  où  il  faudra  faire  :  (a)  pzn  r 'cos  2a  -+-  -t/R* — r"*  sin*  a  a. 

f-Hr  cos  2:  ^  '  ^  ^ 

S  VU.  Pour  chaque  valeur  donnée  de  p,  c'est-à-dire  pour  cbaoue  position  de 
Tépicyele,  il  y  a  une  infinité  de  valeurs  de  e  correspondant  aux  diverses  valeurs 
de  Tanomalie  moyenne  z.  Nommons  E  la  plus  grande  de  toutes  ces  valeurs  de 
« ,  qui  se  réalise  pour  une  longueur  donnée  du  rayon  p.  En  appliquant  ici  le  raison- 
nement que  nous  avons  fait  S  fil  pour  Thypothèse  simple,  on.aura  évidemment 

sm  b  =  — . 
9 

Puisque  r  est  constant,  la  plus  petite  valeur  de  E  s'obtiendra  en  donnant  à  p  sa 
plus  grande  longueur,  qui  est  R-f-r"  ;  et  la  plus  grande,  en  donnant  à  R  sa  plus 
petite  valeur,  qui  est  R — r";  nonmions  E',  E',  ces  deux  valeurs  extrêmes.  On  aura 


sin  E'=  7;^ n  ;  sin  E"  = 


RII     y  >7ftU    *-l         —.    wj  II    . 

-HT        .  n —  r 

Pour  que  Thypothèse  s'accorde  avec  le  ciel,  il  faut  que  E'  reproduise  la  plus 
grande  équation,  b""  1'  11  ",2 8,  observée  d'abord  dans  les  syzygies  seulement,  et 

que  E"  reproduise  l'autre,  plus  considérable,  7*  lxo\  qui  s* observait  dans  les  qua- 

#11 

dratures.  Ptolémée  détermine  les  rapports  "5  »  "g  »  de  manière  à  remplir  ces  deux 

conditions;  et  c'est  aussi  ce  que  nous  allons  faire  plus  simplement  que  lui,  en  dé- 
gageant ces  deux  inconnues  des  deux  équations  précédentes.  Nous  aurons  ainsi 

T        2  sin  E' sin  E"  r"       sinE" — sinE' 

R  — sinE'-i-sinE"'  R" sinE'VsinE' ' 

Nous  avons  déjà  employé,  S  III,  la  valeur  de  sin  E'  égale  à  0,0876;  celle  de  sin  E" 
ou  sin  7*  4o  est  0,1 334096.  En  les  introduisant  dans  les  expressions  précédentes, 
elles  donnent 


/  M 

r  .  r 


^  =:  o,io56844;  -jt  =  0,2078208. 

J'ai  à  peine  besoin  de  dire  qu'il  faut  effectuer  tous  ces  calculs  par  logarithmes  pour 
les  faire  exactement  et  avec  facilité. 

Le  rayon  r  de  l'épicycle  et  le  rayon  r"  du  cercle  intérieur,  qui  règle  l'excentri- 
cité,  se  trouvent  donc  ainsi  déterminés  tous  deux  en  parties  au  rayon  R  de  Tex- 
centricité;  et  l'on  peut  remarquer  que  r"  est  presque  le  double  de  r  .  Pour  abréger. 


r  _  1    1  ..        .      .  r 


je  représenterai  -g  par  une  seule  lettre  e*,  et  ^  par  e",  ce  qui  donnera  aux  équa- 
tions (1)  et  (2)  cette  forme  plus  simple  : 


e  sin  z 


(1)  tang  e  = ;  (2)    ^  =  e'cos  2a-f-y  i — e"*  sin*  2a. 

*  '  ■  • 

s:  -f-  •  cos  z 


R 


88. 


s 


700         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

.$  VIII.  Il  ne  reste  plus  qu*à  introduire  dans  la  première  la  correction  de  TanO' 
malie  e ,  dépendante  des  oscillations  de  Tapogée.  La  fig.  6  représente  la  conditioD 
•hypothétique  d'où  Ptolémée  la  déduit.  Il  suppose  que  le  rayon  TC  ou  ç  ne  se  dirige 
pas  généralement  vers  Tapogée  moyen  A  ;  mais  que  cet  apogée,  d*où  Ton  compte  le» 
anomalies  moyennes  z,  se  transporte  sur  une  droite  AC'N ,  passant  par  le  centre  de 
Tépicycle,  et  constamment  dirigée  vers  le  point  N  du  cercle  intérieur,  qui  se  trouve 
diamétralement  opposé  au  centre  c  de  Texcentrique.  L*angle  A 'C'A,  que  je  nom- 
merai z  j  est  donc  la  correction  éventuelle  qu*fl  faut  faire  à  ranomaiie  calculée  z, 
pour  la  faire  partir  du  véritable  apogée  moyen  A  ;  et  Ton  voit  qu'elle  se  présente 
comme  additive  à  z,  dans  la  figure  que  nous  prenons  ici  pour  type.  D'après  cela,  il  est 
bien  facile  d'obtenir  l'expression  générale  de  cette  correction.  Car,  par  les  conven- 
tions précédentes,  le  rayon  TC  est  p,  que  nous  venons  de  déterminer  ;  langle  C'Ta 
est  as,  et  TN  est  r".  Alors,  du  point  N  menez  Np  perpeddicuiaire  sur  C'T  pro- 
longé; l'angle  NTp^  opposé  à  C'Ta,  sera  aussi  aa;  vous  aurez  donc 

Np  =  r'sinaa;  Tp  =  r'cosaa. 

Maintenant,  dans  le  triante  rectangle  NC'p,  Tangle  en  G  est  précisément  égal  à 
AC'A ,  c'est-à-dire  à  cette  correction  z  que  nous  voulons  déterminer.  Nous  auront 
donc  par  ce  triangle 


tangz'   = 


r'sin  as 


p-4*r  cosaa 
Ou,  en  mettant  pour— g-  son  expression  abrégée  e". 


(3)  tang  z'  = 


e"  sin  a  a 


~-  -4-e  cosaa 


n  ne  reste  plus  qu  à  introduire  cette  correction  z  comme  additive  à  Tanomalie  z 
dans  Texpression  de  tang  e ,  en  l'associant  toujours  à  l'expression  précédente  de  f  ; 
ce  qui  donnera  définitivement  : 

( i)   Ung  €  =  — r ' ' (a)  -^  =e"co8a«-h\/ 1— c"*sin*a«. 

Ces  trois  équations  (i)  ,(a) ,  (3) ,  comprennent  toute  l'hypothèse  finale  de  Ptolémée , 
et  c'est  par  eUe,  ou  du  moins  par  les  trois  conditions  qu'elles  expriment,  qu'il  a 
cdculé  sa  Table  générale  de  l'anomalie  de  la  lune ,  insérée  à  la  fin  du  chapitre  vii 
de  son  livre  V.  Pour  s'en  convaincre,  il  n'y  a  qu'a  prendre  comme  donnée  une 

valeur  quelconque  de  a,  et  une  valeur  quelconque  de  z,  puis  calculer -^r  z\  et 

enfin  e,  par  les  expressions  précédentes,  en  mettant  pour  e  ,  e  ,  les  nombres  qu'elles 
représentent.  L'équation  du  centre  e  que  Ton  obtiendra  se  trouvera  exactement 
égale  à  celle  que  fournit  sa  table  pour  les  mêmes  données,  c'est-à-dire  pour  la 
même  dislance  angulaire  a  de  la  lune  au  soleil ,  et  pour  le  même  degré  d'anomalie 
moyenne  z, 

g 

S IX.  en  remplaçant  -^  par  sa  valeur  explicite  dans  l'expression  de  tang  z'-. 


NOVEMBRE  1843.  701 

on  trouve  que  l*aogle  z'  a  un  maximum  de  grandeur,  que  je  désignerai  par  Z',  le* 
quel  répond  à  une  distance  spéciale  de  la  lune  au  soleil,  que  je  désignerai  par  a'. 
Les  expressions  générales  de  ces  deux  quantités  sont  données  par  les  formules  sui- 
vantes : 

•inZ'  =  d=    ,_^v't    '  cos aa'  =  —  ae"  Y    — ^  ; 

en  y  mettant  pour  e   sa  valeur  numérique  0,3078308 ,  on  en  tire 

Z'  =  ±  i3'8'  53",a,  a'  =  90*  =F  3a'  67'  37". 

Les  deux  valeurs  de  Z'  expriment  les  plus  grands  écarts  de  Tapogée  moyen  au- 
tour de  son  lieu ,  calculé  dans  la  supposition  d'un  mouvement  uniforme.  Les  deux 
valeurs  de  a'  expriment  la  distance  de  la  lune  au  soleil ,  dans  lesquelles  ces  plus 
grands  écarts  doivent  se  réidiser.  L*évaiuation  de  Z'  difière  peu  de  la  réalité.  Mais 
celle  des  élongations  a'  est  inexacte,  parce  que  Ptoiémée  ne  rapportait  pas  les 
oscillations  de  Tapogée  à  la  véritable  loi  dont  elles  dépendent. 

S  X.  Pour  comparer  généralement  Thypothèse  finale  de  Ptoiémée  avec  nos  tables 
modernes ,  il  faut  développer  Texprcssion  de  e  en  série ,  conune  nous  Tavons  lait 
pour  rhypothèse   simple  dans  le  S  IV.  Afin  d'abréger  ce  calcul ,  je  représente  le 

9 
rapport  -^  par  une  seule  lettre  p';  alors  ces  trois  équations  générales  prennent 

la  forme  suivante. 

(i)  lang«=  ^  ^ ;       (a)     9    =  e'cosaa  -H  V^ri^^V*su?ââ ; 

1  ^^•A-Jco8(^4-z') 


(3)        tangz'  = 


(t)^ 


smaa 


cos  a  a 


Les  rapports  I — r ]  •  ( — r] ,  seront  toujours  de  petites  fractions  de  Tunité  par 

la  nature  des  quantités  qui  les  composent;  c'est  ce  qui  facilite  le  développement, 

que  j'étendrai  seulement  jusqu'à  la  troisième  puissance  de  ces  rapports. 

J'applique  d'abord  à  e  le  dévdoppement  de  l'arc  par  sa  tangente ,  que  nous  avons 

déjà  employé  à  l'endroit  cité  ;  et,  en  limitant  de  même  la  série  à  la  troisième  puis- 

e 
sance  de  — r  ,  j'obtiens,  par  une  analogie  évidente , 


tang 


^ =  ( — r)  8În {z-hz')  —  (— r- j  sin [z^z] cos (z^z') 

l — rj  sin  (;^4-z'  [cos'  [z-^z) 5-  sin*  («-H;»')]  - 


702  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Pour  éliminer  %  du  second  membre,  il  fiiut  d*abord  former  les  expressions  géné- 
rales de  sin  (z-i^z)  et  de  cos  (  2;  -f-  z  ) ,  qui  sont 

sin  [z-hz*  =  sin  z  cosz'  -+-  cos;^  sin z'  =  cos z'  [sin  z  -♦-  cosz  tangz'  ] , 
cos(z-i-z')  1=  cos  zcosz'  —  sinz  sinz'  =  cosz'  [cosz  —  sin2:  tangz'  ]; 

tang  z'  peut  être  immédiatement  remplacé  par  sa  valeur  explicite  dans  les  fac- 
teurs compris  entre  les  parenthèses.  Il  ne  reste  donc  qu*à  chercher  la  valeur  ana- 
logue du  facteur  extérieur  cos  z.  Mais  on  n*a  besoin  de  la  connaître  qu*approxi- 

mativement  jusqu'aux  quantités  de  l'ordre  ( — r)  ,  puisque  les  expressions  qu'elle 
doit  compléter  s'appliquent  comme  coefficients  à  des  termes  déjà  multipliés  par 
I — ;-}  ou  par  des  puissances  supérieures  de  ce  rapport,  dont  nous  ne  voulons 

conserver  que  les  troisièmes  dimensions  au  plus.  Or,  dans  ces  limites  d'approxi- 
mation ,  on  aura  évidemment 

—r]  sin» 2 a. 

Ainsi,  en  substituant  cette  valeur  dans  les  expressions  précédentes  de  sin  [z-^-z') 
et  cos  {z-hz) ,  après  avoir  remplacé  tang  z'  par  son  expression  explicite ,  z  en  sera 
complètement  éuminé. 

n  ne  reste  plus  qu'à  mettre  dans  tous  ces  termes  la  valeur  générale  de  — r  qui 

résulte  de  l'équation  (a).  Mais  on  n'a  besoin  d'avoir  ce  rapport  qu' approximative- 
ment jusque  dans^  les  termes  de  l'ordre  e"*  au  plus,  puisque  tous  les  termes  de  e 
où  il  doit  entrer  sont  déjà  multipliés  par  e  ou  par  des  puissances  supérieures  de 
cette  fraction.  Or  on  a,  dans  cette  limite  d'approximation, 

1  1  1 


9  e"cosaa-H(i— c"*sin»aa)T  i-4-c  cosaa— |e 'sin'aa 

=  1  — e"cosaa-H7c"*sin*aa-Hc"'cos'aa=  1  —  «"cosaa  H — r—  [3 -i- cos 4a). 

Rien  ne  manque  maintenant  pour  former  tous  les  produits  partiels  qui  composent 

e  tang  1  "  , 

le  développement  de  „ — jusqu'au  degré  d'approximation  auquel  nous  l'avons 

limité.  Il  faudra  seulement  négliger,  dans  cette  opération ,  tous  les  termes  qui  con- 
tiendraient des  produits  supérieurs  aux  troisièmes  dimensions  des  rapports  e',  e", 
ou  de  leurs  produits  entre  eux ,  et  ensuite  transformer  les  diverses  puissances  de 
sinz,  cosz,  en  sinus  simples ^  par  l'artifice  q^e  nous  avons  employé  dans  le  S  IV. 
On  trouve  ainsi  finalement  : 

n =  (^-^76  e    )  sinz — ^e   smaz  -Hj^    smoz 

-♦-  e'e"8in  (aa — z)  —  \e'e"*  sin  (/la — z)  —  e'e***s\n  (4a- — z)  —  c'Vsin  (a  a — az). 

Ce  développement  que  j'avais  obtenu  a  été  vérifié  par  une  personne  très-habile 
dans  les  calculs  d'analyse,  M.  Yvon  ViUarceau,  que  j'ai  eu  l'avantage  de  connaître 


NOVEMBRE  1843.  703 

à  mon  cours  d*astronomie  ;  il  avait  encore  poussé  le  développement  jusqu'au  degré 
suivant  d* approximation  ;  mais  les  termes  qui  s'ajoutent  ainsi  à  Texpression  précé- 
dente devenant  beaucoup  moins  sensibles ,  j'en  fais  abstraction  ici. 

Il  faut  maintenant  remplacer  les  lettres  e  ,  e\  par  leurs  valeurs  numériques  trou- 
vées S  VII ,  et  qui  sont 

e   =  o,io568/l4t  fi"  =  0,2078208; 

II 

après  quoi  on  multipliera  chaque  coeflScient  par  w   ,  comme  dans  le  S  IV , 

et  Ton  aura  e  en  secondes  de  degrés.  On  trouve  ainsi  finalement 

6«/n^»  fil  •  #11  •o_ 

119  ,Dsm2; —  19  11  ,9sma;?-4-  i  21  «i  smo^; 

ri5'3o",3sin(2a — «) —  7'  5o",7  sin(4aH-5J) —  i5'4i'\5  8in(4a — «)  —  7'58",8sin(2a — 2z). 

Ceci  obtenu,  je  prends  dans  les  tables  de  M.  Damoiseau  l'expression  correspon- 
dante de  e,  en  y  comprenant  l'équation  du  centre  de  l'orbite,  et  l'évection  que 
Ptolémée  a  voulu  représenter.  J'y  joins  même  la  variation,  qui  a  pour  coefficient 
fin  2a,  sans  aucune  intervention  de  l'anomalie  z,  pour  qu'on  voie  bien  que  l'hypo- 
thèse de  Ptolémée  ne  donne  aucun  terme  semblable.  J'ai  ainsi,  en  comptant  les 
anomalies  à  partir  de  l'apogée,  comme  dans  notre  formule  : 

enz-H  6"i7'9",7sinz —  i2*48",8sin2z-i-  36",i8in32 

-♦-  i'i6'28",2  sin(2a — z)  —  3i",osin(4a — 2;?) 

—  39'29".7  sin2a  -h  2*2*,!  sina. 

La  comparaison  est  maintenant  bien  facile.  Dans  les  deux  expressions ,  la  pre- 
mière ligne  comprend  les  termes  qui  dépendent  de  l'anomalie  moyenne  seule,  et 
Si  composent  ce  qu'on  appelle  l'équation  de  Torbite.  On  voit  qu'ils  sont  de  même 
me ,  avec  des  valeurs  presque  semblables  ;  de  sorte  qu'en  ce  point  l'hypothèse 
grecque  /enferme  peu  d'erreur.  Mais  la  seconde  ligne  qui  exprime  l'^vecftow  est  fort 
différente  dans  les  deux  formules;  car  il  n'y  a  de  ressemblance  que  dans  le  premier 
terme,  auquel  se  joignent,  dans  Ptolémée,  des  termes  fort  sensibles,  que  l'ex- 
pression théorique  ne  contient  pas.  CeuxJà  résultent  de  la  loi  inexacte  dont  il  a 
tait  dépendre  cette  inégalité.  Ils  se  détruisent  presque  complètement,  lorsque  Ton 
donne  à  l'angle  a  la  valeur  qu'il  avait  dans  les  observations  d'Hipparque,  sur  les- 
quelles Ptolémée  s'est  appuyé  pour  déterminer  sa  correction  z  ,  relative  à  l'oscillation 
de  l'apogée  ;  ce  qui  prouve  que  ces  observations  devaient  renfermer  quelque  erreur, 
qui  aura  compensé  ou  dissimulé  l'effet  de  la  variation  dont  Ptolémée  ne  tenait  pas 
compte.  On  voit  que  cette  dernière  inégalité ,  comprise  dans  la  dernière  ligne  de  la 
formule  théorique,  n'est  nullement  représentée  dans  Thypotiièse  grecque,  comme 
fanalyse  directe  de  cette  hypothèse  nous  l'avait  déjà  montré. 

BIOT. 


704  JOURNAL  DES  SAVANTS. 


NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 


INSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE. 

ACADÉMIE  FRANÇAISE. 

M.  Campenon,  de  rAcadémie  française,  est  mort  le  a4  novembre. 

ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES. 

Daos  la  séance  du  vendredi  17  novembre,  M.  Mérimée  a  été  élu  à  la  place  dV 
cadémicien  libre  vacante  par  la  mort  de  M.  le  marquis  de  Fortia  d*Urban. 

ACADÉMIE  DES  SCIENCES. 

M.  Mauvais  a  été  élu,  le  ao  novembre,  dans  la  section  d'astronomie,  en  rem- 
placement de  M.  Bouvard ,  décédé. 

LIVRES  NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Précis  élémentaire  de  géologie,  parJ.  J.  d*Omalius  d*Halloy.  Paris,  imprimerie 
de  M"*  V*  Bouchard-Huzard ,  librairie  d' Artbus-Bertrand ,  1 843 ,  in-8*  de  viii-7go  pag. 
avec  planches.  —  Les  personnes  qui  s* occupent  de  sciences  naturelles  se  rappellent 
la  faveur  avec  laquelle  ont  été  accueillis  les  Eléments  de  géologie  de  M.  d'Omalius 
d*Halloy.  Mais  la  dernière  édition  de  cet  ouvrage ,  remontant  à  1 838 ,  ne  peut  plus 
donner  une  idée  exacte  d*une  science  qui  a  fait  tant  de  progrès  pendant  les  cinq  der- 
nières années.  D*un  autre  côté,  la  minéralogie  n'avait  pas  été  traitée  par  Fauteur  dans 
les  Éléments,  mais  dans  un  ouvragé  à  part,  assez  étendu,  intitulé  :  Introduction  à  lagéo* 
îogie.  Dans  le  nouveau  travail  élémentaire  que  nous  annonçons,  M.  d'Omalius  d*Hal- 
loy  a  eu  Theureuse  idée  de  réunir  toutes  les  parties  de  la  géologie,  y  compris  des 
notions  indispensables  de  minéralogie ,  et  de  mettre  au  courant  des  connaissances 
actuelles  Tensemble  d'une  science  dont  Tétude  devient  chaque  jour  plus  générale^ 

TABLE. 

Histoire  de  la  république  de  Gènes,  par  M.  Emile  Vincens  (1*'  article  de  M.  Mi- 

gnet) Page  641 

Revue  des  ëdilious  de  Buflbn  (5*  article  de  M.  Flourens) 655 

11  sepolcro  dei  Volunni,  ed  altri  monumenti  inediti  etruschi  e  romani,  esposti  da 

Vermigiioii  (2*  article  de  M.  Raoul -Rochette) 666 

Loi  salique,  avec  des  notes  et  dissertations,  par  J.  M.  Pardessus  (3*  article  de 

M.  Guérard.  ) 681 

Note  anneie  aux  articles  sur  un  traité  arabe  relatif  à  lastronomie  (de  M.  Biot] .  694 

Bfonvelles  littéraires ,..  7^4 

Tin  DB  LA  TAsix. 


704         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

NOUVELLES  LITTÉRAIRES. 

INSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE. 

ACADÉMIE  FRANÇAISE. 

M.  Campenon,  de  T Académie  française,  est  mort  le  a4  novembre. 

ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES. 

Dans  la  séance  du  vendredi  17  novembre,  M.  Mérimée  a  été  élu  à  la  place  d*a- 
cadémicien  libre  vacante  par  la  mort  de  M.  le  marquis  de  Fortia  d*Urban. 

ACADÉMIE  DES  SCIENCES. 

M.  Mauvais  a  été  élu,  le  20  novembre,  dans  la  section  d* astronomie,  en  tem* 
placement  de  M.  Bouvard ,  décédé. 

LIVRES  NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Précis  élémentaire  de  géologie ,  par  •  J.  J.  d'Omalius  d*Halloy.  Paris ,  imprimerie 
de  M"*  V*  Bouchard-Huzard ,  librairie  d* Arthus-Bertrand ,  1 843 ,  in-8'  de  viii-790 pag. 
avec  planches.  —  Les  personnes  qui  s*occupent  de  sciences  natureUes  se  rappellent 
la  faveur  avec  laquelle  ont  été  accueillis  les  Eléments  de  géologie  de  M.  d'Omalius 
d*Halloy.  Mais  la  dernière  édition  de  cet  ouvrage,  remontant  à  i838,  ne  peut  pins 
donner  une  idée  exacte  d'une  science  qui  a  fait  tant  de  progrès  pendant  les  cinq  der- 
nières années.  D'un  autre  côté,  la  minéralogie  n*avait  pas  été  traitée  par  Fauteur  dans 
les  Eléments,  mais  dans  un  ouvrage  à  part ,  assez  étendu,  intitulé  :  Introduction  à  lagéo* 
logie.  Dans  le  nouveau  travail  élémentaire  que  nous  annonçons,  M.  d*Omalius  d*Hal- 
loy  a  eu  Tlieureuse  idée  de  réunir  toutes  les  parties  de  la  géologie,  y  compris  des 
notions  indispensables  de  minéralogie ,  et  de  mettre  au  courant  des  connaissances 
actuelles  Tensemble  d'une  science  dont  Tétude  devient  chaque  jour  plus  générale* 

TABLE. 

Histoire  de  la  république  de  Gènes,  par  M.  Emile  Vincens  (1*'  article  de  M.  Mi- 

gnet) Page  (Wkl 

Revue  des  ëditious  de  Buflbn  (5*  article  de  M.  Flourens) 055 

11  sepolcro  dei  Volunni,  ed  altri  moDumenti  inediti  etruschi  e  romani,  esposti  da 

Vermiglioli  (2*  article  de  M.  Raoul -Rochette) 660 

Loi  salique,  avec  des  notes  et  dissertations,  par  J.  M.  Pardessus  (3*  article  de 

M.  Guérard.  ) 681 

Note  annexe  aux  articles  sur  un  traité  arabe  relatif  à  Tastronomie  (de  M.  Biot]  •  694 

B^onvelles  littéraires ,..  704 

ri«  DE  LA  TAsix. 


/ 


K 


JOURNAL 


DES  SAVANTS 


DÉCEMBRE  1843. 


Lucrèce,  tragédie  en  cinq  actes  et  en  vers  {représentée,  pour  la  pre- 
mière fois,  sur  le  second  théâtre  français ,  le  22  avrîHSàS),  par 
F.  Peosard.  Paris,  imprimerie  de  H.  Foumier,  librairie  de 
Fume,  i843,  i  vol.  inria  de  io4  pages,  4*  édition. 

PREMIER    ARTICLE. 

Une  pièce  d'un  genre  sérieux  et  élevé ,  dont  la  composition  solitaire 
a  échappé  heureusement  à  la  contagion  du  mauvais  goût  en  crédit,  à  la 
routine  du  métier,  aux  manœuvres  de  la  spéculation;  qui,  conçue  seule- 
ment en  vue  de  l'art,  n'a  dû  qu'à  l'art  son  succès,  un  succès  légitime, 
durable,  capable  de  soutenir  l'épreuve  périlleuse  d'une  reprise  et  de 
plusieurs  éditions  ;  une  telle  pièce  est  quelque  chose  d'assez  rare  pour  que 
le  Journal  des  Savants ,  malgré  des  habitudes  de  gravité  qui  l'éloignent 
des  choses  du  théâtre ,  n'y  puisse  rester  indifférent.  Nous  pensons  donc 
que  personne  ne  nous  reprochera  de  consacrer,  à  notre  tour,  après 
de  judicieux  critiques  \  quelques  pages  à  l'examen  de  l'estimable  et 
remarquable  ouvrage  qui  a  récemment  fait  connaître  et  répandu  le 
nom  de  M.  Ponsard. 

La  renommée,  a  dit  un  ancien,  ne  se  trompe  pas  toujours;  il  lui 
arrive  de  choisit*.  Si,  parmi  d'autres  productions  considérables,  elle  a 

'  Voyez  particulièrement,  dans  le  Constitutionnel  des  26  mai,  1,  17  et  3o  juin 
i8â3,  une  suite  d* articles  de  M.  Jay,  et,  dans  le  numéro  du  i*' juin  i843  de  la 
Revue  des  Deux  Mondes,  p.  ySS  et  suiv.,  l'article  de  M.  Ch.  Magnin,  intitulé  :  De 
la  iitvation  da  théâtre  français  à  propos  de  Lucrèce. 

89 


706  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

fait  choix,  cette  année,  de  la  tragédie  de  Lucrèce,  ce  n'est  point  assu- 
rément par  caprice;  c'est  par  des  raisons  qu'il  convient  de  rechercher, 
et  qui  ne  peuvent  être  étrangères  à  l'histoire  de  notre  théâtre ,  particu- 
lièrement de  notre  théâtre  tragique ,  dans  ces  derniers  temps. 

n  y  a  déjà  un  quart  de  siècle,  ou  peu  s'en  faut,  que  s'est  hautement 
manifesté,  chez  le  public  français,  le  désir  d'un  renouvellement  dans 
l'art  de  la  tragédie.  On  se  sentait  fatigué  de  compositions  trop  unifor- 
mément, trop  servilement  jetées  dans  le  moule  qu'avaient  créé  les 
chefs-d'œuvre  de  nos  grands  maîtres  et  consacré  nos  poétiques;  on 
était,  d'autre  part,  comme  ébloui  des  beautés  nouvelles  de  toutes  les 
productions  étrangères  offertes  alors  à  notre  curiosité  par  d'habiles  in- 
terprètes, quelquefois  même  traduites  plus  vivement  encore  à  nos 
oreilles  et  à  nos  yeux  par  le  jeu  d'acteurs  étrangers  comme  elles.  On 
en  vint  naturellement  à  souhaiter  que  la  tragédie  française ,  disposant 
plus  librement  du  temps  et  de  l'espace,  pût  s'approprier  des  sujets 
trop  vastes  jusque-là  pour  le  cadre  de  ses  unités;  que  ,  dégageant  l'ac- 
tion de  ces  récits  qui  en  absorbaient  une  forte  part,  elle  la  produisît 
davantage  sur  la  scène  elle-même;  quelle  substituât  moins  souvent  la 
continuité  des  développements  oratoires  au  mouvement  plus  drama- 
tique du  dialogue;  quelle  se  relâchât  un  peu  de  sa  dignité,  de  sa  so- 
lennité ,  pour  admettre ,  dans  les  sentiments  et  dans  le  style ,  certains 
traits  familiers;  que,  sans  renoncer  à  l'idéal,  elle  se  tînt  plus  voisine, 
quant  à  la  Ëible,  aux  mœurs,  aux  caractères,  du  cours  naturel  des 
dioses,  de  la  réalité  historique.  A  ces  vœux,  assurément  raisonnables, 
et  reproduits  avec  insistance  par  une  critique  savante  et  spirituelle,  ré- 
pondirent d'abord  les  tentatives  discrètes  de  quelques  hommes  de  talent 
et  de  goût,  pour  concilier  avec  les  habitudes  de  notre  scène  la  satisfac- 
tion de  ses  besoins  nouveaux.  Mais ,  comme  il  arrive  dans  des  révolu- 
tions d'un  ordre  plus  sérieux,  leur  modération  fut  bientôt  dépassée  par 
la  fougue  de  réformateurs  qui  nous  donnèrent  (je  parle  en  général, 
séparant  par  la  pensée ,  ainsi  que  mes  lecteurs,  des  excès  brutaux  de  la 
foule,  les  hardiesses,  dignes  d'intérêt,  alors  même  qu'on  ne  les  approu- 
verait pas  complètement,  de  plusieurs  poètes  d'éÛte),  qui  nous  don- 
nèrent à  la  place  de  ce  que  nous  eussions  souhaité,  de  ce  que  nous 
attendions,  je  ne  sais  quel  drame,  sans  limites  et  sans  proportions, 
d'une  excessive  et  invraisemblable  complication  d'intiîgue,  tout  en  in- 
cidents et  en  spectacle,  s'adressant  plus  à  la  curiosité  qu'au  sentiment, 
plus  aux  sens  qu'à  l'âme;  où  se  heurtaient  grossièrement  l'emphatique 
et  le  trivial  ;  où  débordait  hors  de  toute  mesure  la  tirade  naguère  hon- 
nie; où  dominaient,  résultat  non  moins  étrange  d'une  réforme  entre-' 


DÉCEMBRE  1843.  707 

prise  au  nom  de  la  nature  et  de  Thistoire ,  la  fantaisie  et  le  roman ,  la 
recherche  des  accidents  étranges,  des  mœurs  bizarres,  des  passions,  des 
caractères  d*exception,  et,  ce  qui  est  pis,  ce  qui  est  le  contre-pied  de 
Fart  tragique,  lequel  doit  tendre  à  élever  les  âmes,  une  préférence  dé- 
pravée pour  la  laideur  morale.  Ce  genre  de  drame ,  qui ,  dans  des  œuvres 
recommandées  par  Téclat  du  talent,  avait  d*abord  ébranlé  et  séduit  les 
imaginations,  finit  par  les  fatiguer,  quand,  arrivé  lui-même  à  fétat  de 
théorie  et  de  poétique,  il  ofiBritses  procédés  commodes  aux  entreprises 
de  la  médiocrité.  Tout  moderne  qu'il  était  et  qu'il  s'appelait ,  il  se  trouva , 
au  bout  de  quelques  années  de  redites  sans  fm ,  plus  vieux  et  plus  usé 
que  ce  qu'il  avait  prétendu  remplacer.  C'est  dans  de  telles  circons- 
tances que  s'est  montrée  la  Lucrèce  de  M.  Ponsard;  et  il  est  facile  de 
comprendre  comment  son  ordonnance  régulière,  sa  fable  simple,  ses 
situations  naturelles ,  ses  incidents ,  ses  mœucs ,  ses  caractères  fidèlement 
empruntés  à  l'histoire,  pour  la  plupart  du  moins,  son  ton  grave,  son 
élévation  morale,  ont  paru  au  public,  étonné  et  charmé  de  s'y  plaire, 
une  nouveauté  piquante. 

Cette  nouveauté,  je  l'aurais  souhaitée,  je  l'avoue,  plus  complète  en- 
core; j'aurais  voulu  que  l'auteur,  parmi  tant  d'excellentes  choses  aux- 
quelles il  a  eu  le  bon  esprit  de  revenir,  eût  compris  ce  soin  sévère  du 
style,  qui,  dans  d'autres  temps ,  tourmentait||^  grands  poètes,  qui  leur 
imposait,  même  après  le  succès  de  leur  œuvre,  tant  d'efibrts  pour  at- 
teindre à  la  perfection  idéale  conçue  dans  leur  esprit.  M.  Ponsard  est 
encore  trop  de  ce  temps-ci  par  la  résignation  facile  qui  lui  a  fait  aban- 
donner à  leur  destinée  un  assez  grand  nombre  de  vers  dont  il  n'eût 
pas  dû  se  contenter  d'abord,  et  que  la  durée  de  son  succès,  la  fréquence 
de  ses  éditions,  l'invitaient  à  changer.  Sa  manière  d'écrire  est,  en  général, 
fort  bonne;  il  ne  va  pas,  conmie  on  fait  souvent  aujourd'hui ,  des  mots 
à  l'idée ,  mais  de  l'idée  aux  mots;  son  vers,  selon  le  vœu  de  Boileau,  bien 
oa  mal,  JUt  toajoars  quelque  chose,  et  le  dit  avec  énergie  et  rapidité.  Mais 
la  force  à  laquelle  il  vise,  il  l'achète  quelquefois  trop  cher,  au  prix  de 
tours  pénibles  et  durs^;  la  recherche  de  la  concision  le  rend  fréquem- 

^  Afin  qu  il  amusât  les  princes  ennuyés. 
Et  que ,  de  ses  aieas  absous  par  sa  démence , 
Il  révélât  Tarquin  capable  de  clémence. 

Actl,$cin. 

Chaque  nouvel  affiront,  porteur  d'tuie  souffrance , 
Etait  un  aliment  à  ma  persévérance. 

lUd. 

Et  plus  vous  descendez  votre  âme  de  hauteur, 

89. 


708  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ment  obscur  ^  sa  simplicité  n'est  pas  exempte  de  certaines  aflectations 
qui  la  déparent^,  et,  dans  sa  diction,  presque  toujours  travaillée,  on 
8*étonne  de  rencontrer  cependant  non-seulement  des  négligences,  mais 
même  des  incorrections^.  Ces  défauts ,  que ,  par  estime  pour  le  talent  de 

Plus  vous  prouvez  par  là  qu*on  doit  en  avoir  peur; 
Plus  vous  vous  ramassez  de  hontes  à  contraindre , 
Vins ,  en  se  dévorant,  la  vengeauce  est  à  craindre. 

Âct.  I,  se.  ni. 

*  L* autre ,  étouffant  Vénus  par  une  main  avide. 
Interrogeait  les  dés 

Act.  I,  se.  II. 

La  lampe  sérieuse 
Qui  dérobe  au  sommeil  Tbeure  laborieuse, 
Et  d'oà  Pallas,  aimant  à  descendre  sans  bruit, 
Près  de  Vkuile  employée  aux  travaux  de  la  nuit , 
S*étonne,  etc. 

Act.  IV,  se.  III. 

Viens,  Je  m*enorgueiilis  de  la  terreur  promise  ; 
Les  enfers  opposés  haussent  mon  entreprise. 

Act.  IV,  se.  IV. 

*  Et  vous  Tavei^pu  voir  tantôt  insolemment 
Fouetter  Vépên  avec  les  lauriers  de  l'amant, 

Act.  I,  se.  ni. 

Quand  Virai  chez  les  morts,  avant  que  d'y  descendra, 
Je  prendrai  mon  courroux  tout  fumant  dans  ma  cendre. 
Et  je  l'emporterai  du  milieu  da  bûcher. 
Comme  le  tigre  emporte  une  proie  à  lécher, 

Act  ni,  se.  II. 

*  Que  vos  esdaves 

Filent  pour  votre  époux  les  robes  laticlaves. 

Act.  I,  se.  I. 

La  maison  d*un  époux  est  un  temple  sacré 
Où  même  le  .soupçon  ne  soit  jamais  entré. 

Ibid. 

Il  faut  lui  rendre  hommage  à  l&face  publique. 

Ibid, 

N'importe  en  quel  objet  vous  i*ayez  résolue. 
Votre  arrivée  ici,  etc. 

Act.  I,  se.  n. 

Ceujc  chers  à  mon  époux  me  sont  chers  à  moi-même. 

Act.  I,  se.  m. 


DÉCEMBRE  1843.  709 

M.  Ponsard,  je  relève  firanchement  dans  son  œuvre,  et  dont  je  donne, 
en  note,  pour  justifier  ma  sévérité,  quelques  exemples,  sont  de  ceux 
que  le  travail  efface  infailliblement;  on  doit  bien  souhaiter  qu'ils  dis- 
paraissent d'une  production  destinée,  je  le  crois,  à  conserver,  parmi  le 
petit  nombre  des  tragédies  contemporaines  qui  échapperont  h  Toubli, 
une  place  éminente ,  mais  à  laquelle  ils  ne  laisseraient  pas  de  nuire 
beaucoup  auprès  des  juges  délicats,  à  laquelle  ils  retireraient  d'impor- 
tants suffrages. 

n  n'est  guère  possible  que,  dans  un  premier  ouvrage ,  ne  se  laisse 
pas  trop  apercevoir  l'influence  des  modèles  qui  ont  éveiUé ,  échauffé  la 
verve  du  jeune  auteur.  Nul  de  nos  bons  poètes  tragiques  n'est  arrivé 
tout  d'abord  à  l'expression  libre  et  entière  de  son  génie  particulier,  n'a 
été  eu  conmdençant  tout  à  &it  lui-même.  Si  donc  je  remarque,  après 
tant  d'autres,  que  certains  passages  de  la  Lucrèce  rappellent  sensible- 
ment ou  les  hardiesses  familières  de  Shakspeare,  ou  le  tour  énergique 
et  franc  de  Corneille ,  ou  la  curiosité  élégamment  érudite  d'André  Ché- 
nier,  que  beaucoup' se  rapportent  visiblement  à  des  souvenirs  de  l'anti- 
quité classique,  je  n'en  iais  pas,  il  s'en  faut,  un  grave  sujet  de  reproche 
contre  M.  Poossund  :  un  jour  viendra ,  on  est  en  droit  de  l'attendre ,  où 
les  éléments  divers  que  l'imitation  pourra  fowniii*  à  ses  œuvres  se  fon- 
dront davantage  dans  l'unité  de  sa  manière,  4H|»arattront  plus  complè- 
tement dans  son  originalité  propre. 

n  ne  me  parait  pas ,  comme  à  quelques  personnes ,  que  ce  qui  peut 
compromettre  dans  la  Lucrèce  cette  originalité  ce  soit  la  fidélité  de 
l'auteur  à  suivre  le  beau  récit  de  Tite-LiveK  La  mission  de  la  tragédie 
est  précisément  de  transporter  l'histoire  sur  la  scène,  sans  l'altérer,  en 
retrouvant  seulement  par  l'imagination,  avec  vraisemblance  et  intérêt, 
les  sentiments  et  les  discours  de  ses  héros.  Le  sujet  donné  par  Tite- 
Live  est  des  plus  simples.  Brutus ,  pour  échapper  à  la  tyrannie  qui  a 
frappé  son  père  et  son  fr^e  aîné,  pour  préparer,  avec  la  vengeance 
qu'il  leur  doit,  l'aflOranchissement  de  sa  patrie,  contrefait  l'insensé.  Chef 

D'autant  plus  avili,  d'autant  plas  magnanime. 

Acl.  I,  se  ni. 

Sans  doute  un  jour  viendra. . . .  mais  ce  jour  est  distant. 

Ibid. 

Une  telle  grandeur  sied  à  votre  courage, 
Lucrèce  :  prononces ,  et  je  tous  la  partage, 

Act.  IV,  se.  ni. 
'  Hist.  I,  56  sqq. 


710  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ignoré  d'une  sourde  conspiration ,  qui  menace  de  loin  Tautorilé  des  Tar- 
quins ,  il  attend  patiemment,  pendant  de  longues  années ,  une  occasion 
qui  permette  à  la  haine  publique  d'éclater,  et  le  sort  la  lui  o£Bre  enfin 
dans  l'attentat  imprévu  qui  semble  flétrir  l'honneur  de  chaque  famille 
romaine  avec  l'honneur  de  Lucrèce.  Un  tel  siget,  je  le  répète,  est  des 
plus  simples,  et  dans  le  sens  où  l'entendait  la  poétique  des  anciens; 
c'est-à-dire  qu'il  ne  se  prête  nullement  au  jeu  des  péripéties ,  aux  com> 
binaisons  de  Tintrigue.  Retirez  Lucrèce  de  ce  sanctuaire  du  gynécée,  où 
vient  la  surprendre  la  violence ,  et  mettez-la  en  lutte  avec  les  entre- 
prises de  la  séduction;  faites  sortir  Brutus  de  son  immobilité  mena- 
çante pour  l'occuper  de  l'organisation,  de  la  conduite  d'un  complot; 
qu*ain$i  disparaisse  la  rencontre  subite  et  fatale  de  l'acte  qui  pousse  à 
bout  la  patience  des  Romains  avec  la  maturité  des  desseins  de  leur  li- 
bérateur, et  ce  sujet  a  perdu  son  vrai  caractère.  H  est  de  ceux  qui  suf- 
fisaient aux  anciens,  habiles  à  remplacer  l'action,  qui  leur  manquait 
d'ordinaire,  par  l'intérêt  de  quelques  situations  frappantes,  par  la  va- 
riété des  développements  poétiques.  M.  Ponsard  s*en  est  contenté  « 
comme  ils  eussent  fait;  il  a  su,  selon  leur  méthode,  sans  en  dénaturer 
l'esprit  par  l'emploi  de  ressorts  factices,  en  féconder  la  simplicité.  C'est, 
à  mon  sens,  un  grand  naérite  ;  d'autant  plus  grand  ^  que  ceux  qui ,  avant 
lui,  s'étaient  exercés  séÊf^à.  même  matière,  ne  lui  aviedent  guère  donné 
l'exemple  de  cette  réserve  et  de  cette  puissance. 

Je  ne  parle  pas  d'Attius,  élève  des  Grecs,  qui,  très-probablement  à 
leur  manière,  mit  sur  la  scène,  au  septième  siècle  de  Rome,  les  faits 
qui,  dans  le  troisième,  avaient  amené  l'expulsion  des  rois  et  ]a  fonda- 
tion de  la  république.  La  simplicité  du  plan,  l'éloquence  de  la  passion, 
l'énergie  du  style,  caractérisaient,  on  est  en  droit  de  le  supposer,  son 
Bratas,  tragédie  nationale  et  politique,  parmi  tant  d'autres  de  sujete 
mythologiques  et  d'origine  grecque,  tragédie  qui  resta  longtemps  popu* 
laii^e.  ^sopus  la  jouait  dans  le  temps  du  rappel  de  Cicéron,  et,  selon 
le  témoignage  de  l'orateur  ^,  y  trouvait  le  sujet  d'allusions  à  cet  événe- 
ment désiré ,  que  saisissait  avec  avidité  le  peuple  romain.  Le  second 
Brutus,  dans  une  intention  &cile  i  comprendre,  l'avait  (Choisie  pour  en 
faire  le  principal  ornement  des  jeux  apoUinaires,  auxquels  il  devait  pré- 
sider pendant  sa  prétiu^e.  Mais ,  forcé  de  quitter  Rome  après  le  meurtre 
de  César,  il  fut  remplacé  dans  cette  présidence  par  son  successeur  dé- 
signé, lequel  se  trouvait  être  un  frère  d'Antoine;  de  là,  on  le  conçoit, 
un  changement  dans  la  composition  du  spectacle  projeté;  au  Brutus  on 

*  Pro  Sextio,  58. 


DÉCEMBRE  1843.  711 

substitua  le  Térée  du  même  poète ,  pour  dérouter,  par  la  mythologie , 
des  allusions  flatteuses,  auxquelles  Thistoire  se  serait  mieux  prêtée,  et 
qui  ne  laissèrent  pas  cependant  de  se  fidre  jour  \ 

De  cette  tragédie  de  Bratas,  grave  pièce,  liée  au  souvenir  de  graves 
événements,  quelques  fragments  sont  restés,  qui  en  font  entrevoir, 
bien  obscurément  il  est  vrai ,  Tordonnance ,  et  qu'il  n*est  peut-être  pas 
hors  de  propos  de  rapporter  ici. 

Deux  d'entre  eux,  les  plus  considérables ^  nous  montrent  Tarquin  le 
Superbe  qui  consulte  des  devins  sur  un  songe  prophétique  dont  son 
âme  est  troublée. 

«Le  mouvement  du  ciel  avait  ramené  la  nuit;  je  livrais  mon  corps  au  repos  et 
délassais  par  le  sommeil  mes  membres  fatigués.  Alors  m*apparut  en  songe  un  pâtre , 

3ui  s* approchait  de  moi  avec  un  troupeau  d*une  rare  beauté.  D  me  sembla  que  j*y 
boisissais  deux  béliers  du  même  sang,  que  j'immolais  le  plus  beau,  et  qu  alors  son 
frère ,  se  précipitant  sur  moi ,  me  heurtait  de  ses  cornes ,  et  du  coup  me  jetait  à  terre. 
Blessé,  renversé,  étendu  sur  le  dos,  je  vis  dans  le  ciel  une  grande  et  merveilleuse 
chose  :  c'était  le  globe  enflammé  du  soleil  qui  abandonnait  sa  route  pour  une  route 
nouvelle,  vers  la  droite.  • 

Quum  jam  quieti  corpus  nocturne  impetu' 
Dedi,  sopore  jdacans  aitus  languidos, 
Visum  est  ^  in  somnis,  pastorem  ad  ma  adpdlere 
Pecus  lanigerum  eximia  pulchritudine  ; 
Duos  consanguineos  arietes  inde  eligi  *, 
PrsBclarioremqne  alteram  immolare*  me; 
Deinde  ejus  germanum  comibus  connitier. 
In  me  arietare ,  eoque  îclu  me  ad  casum  dari  ; 
Ezin  prostratum  terra,  graviter  saucium, 
Resupinum,  in  cœlo  contueri  maximum  ac 
Minûcum  fieicinus  :  dextrorsum  orbem  flammeum 
Radiatum  ^  solis  liquier  cursu  novo. 

« O  roi,  ce  qui  rem[dit  la  vie  des  hommes,  leurs  pensées,  leurs  soutis  divers,  ce 
qu*ib  v(Hent,  ce  qu  ib  font,  tous  les  actes  du  jour,  peuvent  leur  revenir  en  songe, 

*  Cic.  ad  Att  XVI,  i,  4*  &•  —  *  Cic.  De  divin.  I,  aa.  Cf.  Bothe,  Pœtaram  Latii 
scenicorum  fragmenta  tmg.  i8a3;  Neukirch,  De  fabula  togata  Bomanomm,  i833; 
Egger,  Latini  sermonis  vetustioris  reliqaim  selectm,  i843.  —  ^  CL  Lucret.  De  nat.  rer, 
V,  301  ;  Virg.  JEneid,  U,  aScT;  Gc.  De  nat,  Deor.  Il,  38,  e^c.  —  *  Une  autre  leçon 

donne  visiist pastor.  —  'Ce  vers  et  le  précédent  sont  mal  à  propos  transposés 

dans  quelques  éditions.  >—  *  Quelquefois  involare,  qui  n*a  point  de  sens.  —  ^  «  Ra- 
«  diatum  habeo  pro  supino,  ne  frigeant  simul  illata,  prœsertun  sine  copula ,  adjectiva 
«  duojZernim^iim  et  radiatum,  Dicitur  orbis  solis  liquier,  id  est  quasi  diifluere  et  spargi 
«per  cfldum,  dextrorsum,  ut  radiet  cursu  nova.t  Bothe,  Poetanun  Latii  sceni- 
^corum  fixigmenta  trag. 


^  * 


712  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  il  n*y  a  rien  là  qui  doive  surprendre.  Mais  de  telles  visions ,  ce  ne  saurait  être 
au  hasard ,  sans  quelque  raison  secrète ,  que  les  dieux  te  les  envoient  Prends  donc 
garde  que  celui  qui  te  semble  aussi  stupide  que  la  brute  ne  porte  en  lui  une  grande 
âme ,  fortifiée  par  la  sagesse ,  et  ne  te  chasse  de  ton  royaume.  Car  ce  que  tu  as  vu 
du  soleil  présage  pour  le  peuple  une  grande  et  prochaine  révolution.  Puisse-t-elle 
lui  être  profitable  I  Ce  signe  puissant,  qui  prend  sa  course  de  la  gauche  à  la  droite, 
semble  ofirir  Taugure  heureux  de  la  grandeur  romaine.  » 

Rex,  qu£  in  vita  usurpant  homines,  cogitant,  curant,  vident, 

Quaeque  aguot  vigilantes  agitantque,  ea  si  cui  in  somno  acddant. 

Minus  mirum  est  ^  Sed  di  rem  tantam*  liaud  temere'  improviso  offerunt. 

Proin  vide  ne,  quem  tu  esse  hebetem  députes  aeque  ac  pecus, 

Is  sapientia  munitum  pectus  egregium  gerat, 

Teque  regno  expellat.  Nam  id  quod  de  sole  ostenlum  est  tibi. 

Populo  commutationem  rerum  portendit  fore 

Pcrpropinquam.  Haec  bene  verrunoeni  *  populo  :  nam  quod  ad  dexteram 

Cœpit  cursum  ab  laeva  signum  praepotens ,  pulcherrime  ' 

Auguratum  est  rem  romanam  summam  fore. 

Ainsi  le  ressort  principal  de  cette  tragédie  c'était,  comme  dans  This- 
toire,  la  folie  simulée  de  Brutus.  A  côté,  y  trouvait  également  place, 
d'après  les  traditions,  Taventure  de  Lucrèce.  On  peut  le  conclure  d'un 
troisième  fragment  conservé  par  Vairon  ^;  fragment  bien  court ,  il  se 
compose  d'un  seul  vers;  fragment  en  apparence  bien  insignifiant,  mais 
curieux,  en  ce  qu'il  semble  avoir  appartenu  à  un  récit  du  crime  de 
Sextus  fait  par  sa  victime  elle-même  : 

«  Au  milieu  de  la  nuit  il  vint  dans  notre  maison.  • 
Nocte  intempesta  nostram  devenit  domum. 

Chez  Tite-Live  '^  se  trouve  l'analyse  d'un  discours  tenu  par  Brutus  au 
peuple  romain,  pour  lui  faire  prononcer  la  déchéance  des  Tarquins. 
C'est  à  un  discours  semblable  qu'il  faut  probablement  rapporter  le  vers 
dont  l'action  d'^sopus  et  les  acclamations  des  Romains  firent  une 
application  glorieuse  à  Gicéron,  alors  exilé  ^;  le  nom  de  l'orateur  y 
était  prononcé,  non  pas,  comme  on  l'a  dit^,  par  une  substitution  au 

'  Cf.  Lucret.  De  nat  rer,  IV,  g6 1  sqq.  —  *  Correction  ingénieuse  de  Neukirch , 
De  fabula  iogata  Romanorum,  au  lieu  de  :  sed  in  re  tanta  haud,  etc.  —  ^  Cf.  Enn. 
Afin,  m*,  fragm.  apud  Serv.  in  i£n.  IX,  3^9  : 

Haod  temere  "st ,  quod  to  tristi  com  mente  gubemas. 

—  ^  Cf .  Att.  Decii  fragm.  apud  Non.;  Pacuv.  Peribœœ  fragm.  apud  Non.;  Tit.  Lîv. 
XIX,  37.  —  ^  Cf  Enn.  Ann.  I;  fragm.  apud  Gc.  De  divin.  I,  4o.  —  *  De  ling,  lat. 
VI,  7;  Vn,  7a.  —  '  Histor.  I,  59.  —  •  Cic  Pro  Sext.  58.  —  'En  dernier  lieu, 
M.  Ch.  Magnin,  J)e  la  mise  en  scène  chez  les  (uiciens.  Revue  des  Deux  Mondes,  août 
1839,  p.  673. 


DÉCEMBRE  1843.  713 

nom  de  Brutus  ou  de  Junius,  que  portait  le  texte;  substitution  qui  eût 
été,  de  la  part  de  Facteur,  une  licence  bien  audacieuse  et  bien  étrange, 
mais  parce  que  ce  nom  était  celui  du  roi  populaire,  dont  les  libérales 
institutions,  abolies  parTarquin ,  oÉfraient  un  texte  favorable  aux  attaques 
de  Brutus  contre  la  tyrannie.  C'est,  je  n'en  doute  guère,  de  Servius 
Tullius  ainsi  rappelé  qu'il  était  question  dans  ce  passage  : 

«  Tullius ,  qui  avait  fondé  la  liberté  de  Rome.  » 
Tullius,  qui  liberlatem  civibus  stabiliverat. 

Un  dernier  fragment  me  reste  à  rapporter  pour  compléter  une  resti- 
tution que  je  ne  regarde  pas  comme  entièrement  épisodique;  car  on  y 
voit  la  lointaine  origine  des  scènes  que  M.  Ponsard  a  reproduites  après 
tant  d'autres ,  mais  avec  plus  de  succès.  Il  y  est  question  de  l'établissement 
du  consulat,  et  même  de  Tétymologie  ^ ,  depuis  diversement  expliquée , 
du  titre  de  consul.  C'est  précisément  au  sujet  de  cette  controverse  que 
l'a  cité  VaiTon  ^  : 

«  Que  celui  dont  les  conseils  régiront  VEtat  s'appelle  consul.  » 
Qui  recte  consulat,  consnl  cluat. 

Niebuhr^  s'est  autorisé  du  Bratas  d'Attius  pour  avancer  qu'à  la  diffé- 
rence des  tragédies  grecques,  il  n'y  avait,  dans  les  tragédies  dont  les 
Romains  empruntaient  la  matière  à  leur  histoire  ,  dans  leurs /a6i^5  pré- 
textes, ni  unité  de  lieu,  ni  unité  de  temps.  En  eifet,  dit-il,  la  consul- 
tation de  Tarquin  doit  avoir  lieu  au  siège  d'Ardée  ,  la  mort  de  Lucrèce 
à  Collatie ,  la  fondation  du  nouveau  gouvernement  à  Rome  ;  et ,  pour 
tout  cela ,  il  faut  plus  qu'une  durée  de  douze  ou  de  vingt-quatre  heures. 
Deux  observations  sont  à  faire  à  celte  occasion.  D'une  part ,  il  serait 
possible  qu'en  s'écartant  un  peu  de  l'histoire ,  ainsi  qu'il  en  avait  le 
droit ,  le  poète  eût  davantage  rapproché  les  choses  et  pour  le  lieu  et 
pour  le  temps;  de  l'autre,  il  eût  pris  les  libertés  que  Ton  suppose, 
qu'il  ne  se  serait  pas  écarté  autant  qu'on  le  croit  de  la  pratique  des 
Grecs.  Ces  fameuses  unités  de  lieu  et  de  temps,  au  sujet  desquelles. 
Dieu  merci,  on  a  cessé  de  disputer,  s'étaient  établies  chez  eux  d'elles- 
mêmes,  par  suite  de  la  présence  continuelle  du  chœur  sur  la  scène.  Mais 
ils  les  regardaient  comme  facultatives,  et,  quand  il  leur  convenait,  ils 
savaient  fort  bien  s'en  dispenser,  d'une  pièce  à  l'autre,  dans  les  trilogies, 
et  quelquefois  dans  une  même  pièce,  ainsi  que  le  prouvent  YAgamemnon 

*  Varr.  De  Ung,  lai,  V,  8o;  Diony».  AnL  Rom.  IV,  76;  cf.  Niebuhr,  Hist,  Rom. 
t.  II,  p.  299  de  la  traduction  française.  —  *  Ibid,  —  '  Ibid, 

90 


714  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

et  les  Euménides  d'Eschyle,  YAjax  de  Sophocle.  Ajoutons ,  ce  qui  a  été 
plus  d'une  fois  remarqué ,  qu'Aristote ,  qui ,  de  la  pratique  du  théâtre 
a  tiré  la  théorie  de  Tart,  en  se  bornant  à  conseiller  Tunité  de  temps,  ne 
dit  pas  un  mot  de  l'unité  de  lieu. 

Parmi  tant  de  monuments  de  la  littérature  antique  dont  le  temps 
nous  a  privés ,  j'en  sais  peu  de  plus  regrettables  que  le  Briitas  d' Attius , 
qui  nous  eût  fait  connaître,  par  un  si  remarquable  type,  la  tragédie  na- 
tionale des  Romains,  complètement  ignorée  de  nous. Toutefois,  de  cette 
pièce,  dont  les  Annales  d'Ennius,  autant  quon  en  peut  juger  par  les 
fragments  qui  en  restont\  avaient  fourni  la  matière,  quelque  chose  a  pu 
se  conserver  dans  le  récit  de  Tite-Live,  dans  celui  d'Ovide^,  l'un  et 
l'autre  si  dramatiques,  et  qui,  à  leur  tour,  ont  rendu  le  sujet  au  théâtre  : 
restitution,  du  reste,  bien  tardive,  car  il  faut  aller  jusqu'à  M.  Ponsard 
pour  la  rencontrer.  On  ne  saumit  trop  admirer  à  quel  point  ceux  qui, 
avant  notre  jeune  poète,  ont  mis  sur  la  scène  l'aventure  de  Lucrèce, 
se  sont  tenus  loin  des  sources  de  vérité  et  d'émotion  tragiques  ouvertes 
par  l'auteur  des  Décades  et  par  celui  des  Fastes. 

Chose  étrange!  elles  ont  été  négligées  du  grand  poète  qui,  dans  Co- 
riolan,  Jales  César,  Antoine  et  Cléopâtre,  a  reproduit,  en  traits  si  vivants, 
quelques-unes  des  grandes  scènes  de  la  vie  publique  des  Romains,  les 
caractères  de  plusieui^s  de  leurs  grands  hommes.  Mais  Shakspeare  était 
jeune  encore,  il  entrevoyait  à  peine  son  génie  tragique,  lorsqu'en  i  Sg/i, 
déjà  connu  par  un  poème  fort  maniéré  de  Vénus  et  Adonis ,  il  publia 
un  poème  de  Lucrèce  qui  promettait,  ce  qu'il  ne  donna  pas,  plus  de 
gravité.  Les  contemporains,  du  reste,  lui  eussent  peut-être  tenu  peu  de 
compte  de  ce  mérite;  ils  lui  surent  un  gré  infini  de  son  affectation  : 
dans  leur  enthousiasme,  ils  le  comparèrent  à  Ovide,  qui,  disaient-ils, 
revivait  en  lui  par  une  sorte  de  métempsychose^.  La  vérité  est  qu'auprès 
de  ce  qu'on  lit  dans  la  Lucrèce  de  Shakspeare ,  les  traits  les  plus  tour- 
mentés d'Ovide  paraîtraient  de  la  simplicité,  de  la  naïveté.  Et  cepen- 
dant, même  au  milieu  du  faux  goût  dont  cet  ouvrage  est  infecté,  quel- 
ques passages ,  comme  l'ont  remarqué  de  bons  juges*,  annonçaient  le 

*  Voyez,  dans  le  recueil  de  Mérula,  éd.  de  Leipsick,  182 5,  p.  5û  sqq.,  ceux 
qu'on  croit  avoir  appartenu  à  la  fin  du  troisième  livre.  —  '  Fast.  II,  d85  sqq.   — 

*  Voyez  ce  que  cite  du  IVit*s  treasury,  iSgS,  un  des  éditeurs  de  la  traduction  de 
Shakspeare  publiée  par  le  libraire  Ladvocat,  k  Paris,  en  18a i,  t.  I,  p.  5  sqq.  — ^ 

*  Voyez,  en  tête  de  la  traduction  citée  dans  la  note  précédente,  la  Vie  de  Shakspeare 
par  M.  Guizot,  p.  Iviij  sq.  Voyez  aussi  l'Essai  sur  Shakspeare  de  M.  Viilemain,  par- 
ticulièrement dans  la  reproduction,  retouchée  et  étendue,  de  ce  remarquable  mor- 
ceau ,  dont  il  a  enrichi  un  recueil  angiais-français  des  chefs-d* œuvre  de  Shakspeare , 
publié  à  Paris,  chez  Belin-Mandar,  en  i83g  (p.  37 sq.). 


DÉCEMBRE  1843.  715 

grand  poète  dramatique.  On  a  justement  loué  celui  où  Lucrèce  est  re- 
présentée chargeant  d  un  pressant  message  pour  GoUatin  un  jeune  et 
timide  esclave,  que  trouble  la  présence  de  sa  maîtresse,  et,  dans  la  préoc- 
cupation de  son  outrage,  slmaginant  qu'il  rougit  d'elle ^  Les  stances^  oii 
est  exprimée  la  frappante  péripétie  qui  montre  dans  Tinsensé  Brutus 
le  vengeur  de  Lucrèce,  le  libérateur  de  Rome,  méritent  aussi  des  éloges 
pour  les  accents  d'une  énergie  tragique  bien  inattendue  qui  y  éclatent. 
Elles  ont  dû  ajouter  quelque  chose  à  l'inspiration  que  recevait  M.  Pon- 
sard  des  modèles  antiques  qu'il  a  plus  particulièrement  suivis  ;  il  y  a 
même  trouvé,  je  le  pense,  l'indication  générale  du  rôle  qu'il  a  prêté  à 
Brutus ,  dans  ces  paroles  ^  :  u  Parmi  les  Romains ,  Brutus  était  considéré 
comme  les  fous  à  la  cour  des  rois,  pour  ses  bons  mots  et  ses  extrava- 
gantes saillies.  » 

Le  passage  est  brusque  et  la  chute  est  loiurde  d'Attius  et  de  Shaks- 
peare  aux  prédécesseurs  qu'à  eus  chez  nous,  dans  le  xvii*  siècle, 
M.  Ponsard  ;  à  Chevreau  et  à  du  Ryer,  qui,  en  iGSy,  donnèrent  cha- 
cun une  Lucrèce;  à  Pradon,  qui  fit,  en  1682,  représenter  un  Tarquîn. 
IjC  Tarqain,  plus  heureux  que  les  auti*es  productions  de  l'auteur,  n'a 
point  été  imprimé^;  il  a  échappé  aux  sifflets  de  la  postérité.  On  n'en 
peut  dire  autant  des  deux  Lucrèce,  que,  pour  leur  malheur,  Timpres* 
sion  a  conservées.  Nul  des  défauts  du  temps  n'y  manque  :  la  mer- 
veille du  Cid,  apparue  seulement  Tannée  précédente,  en  i636,  n'en 
avait  encore  fait  perdre  le  goût  ni  aux  écrivains ,  ni  au  public.  Intrigue 
vulgaire,  ou  disparait  toute  l'originalité  du  sujet  dans  un  détail  insipide 
des  ruses  imaginées  par  Sextus,  par  son  confident,  par  les  subalternes 
entrés  dans  leurs  intérêts,  pour  séduire  Lucrèce;  mœurs  fausses  jus- 
qu'au ridicide  ^  ;  expression  plate ,  grossière ,  d'une  brutalité  bien  cho- 

*  St.  cxcii  sqq.  —  *  St.  ccLViii  sqq.  —  '  St.  ccLViii.  —  *  \oj,  Hist.  èa  tkéAtH 
français ,  t.  XII ,  p.  3o4.  —  '  Voici  qui  suffirait  pour  en  donner  une  idée  :  dans  la 
liste  des  personnages  de  Chevreau ,  Tarquin  est  qualifié  à! empereur  de  Rome.  Du 
Ryer  célèbre  en  ces  termes  la  vertu  de  Locrèoe  : 

Le  bal  n'a  point  d'atU'aits  qui  la  puissent  tenter; 
Le  théâtre  n  a  rien  qu'elle  puisse  gouster; 
Mais  la  seule  vertu,  dont  elle  est  idolâtre, 
Est,  en  toute  saison,  son  bal  et  ton  théâtre. 

Chez  le  même  poète,  c'est  à  sa  toilette  que,  sur  le  conseil  de  CoUatin,  panégyriste 
fort  imprudent  de  sa  femme ,  Lucrèce  est  surprise  par  Sextus  : 

Voicy  rhenre  à  peu  près  où  Ion  met  en  usage 
Ce  qui  peut  réparer  les  défauts  d'un  visage, 
Et  donner  aux  moins  beaux  les  attraits  esdatatns 
Ou  que  le  âtà  refbse,  ou  que  fwit  le  temps. 

90. 


716  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

qualité  dans  des  scènes  de  nature  délicate,  qui  demandaient  à  la  fois 
beaucoup  de  hardiesse  et  de  réserve  ^;  voilà  ce  que  présentent  ces  pro- 
ductions d*un  art  encore  dans  Tenfance.  Il  serait  injuste ,  toutefois,  de 
confondre  avec  Chevreau,  du  Ryer,  dont  le  nom  ne  s  est  pas  maintenu 
sans  honneur  parn)i  ceux  des  auteurs  tragiques  c{u' élevèrent  au-dessus 
de  leur  indrmité  primitive  les  exemples  de  Corneille.  Horace  et  Cinna 
n  avaient  pas  encore,  il  est  vrai,  porté  son  talent  au  point  qu  il  atteignit 
dans  Scévole;  mais  déjà  le  progrès  se  faisait  sentir  chez  lui  par  quelques 
vers  d'un  tour  plus  noble  et  plus  élégant  qu'il  n'avail  coutume.  Il  y  a ,  par 
exemple ,  quelque  chose  de  vraiment  cornélien  dans  cette  réplique  de 
Lucrèce,  lorsqu'on  lui  donne  le  conseil  de  retenir  CoUatin  près  d'elle, 
loin  des  combats  : 

Je  le  rendrois  coupable  et  lui  serois  rebelle , 
Si  je  le  retenois  quand  la  ^oire  Tappelle  ; 
C'est  le  plus  noble  objet  qu'il  puisse  caresser, 
Et,  s'il  n'y  couroit  pas,  je  voudrois  l'y  pousser. 

Le  rôle  de  Sextus,  qu'invitent  au  crime  un  de  ces  cruels  caprices, 
familiers  au  pouvoir  absolu,  l'appât  d'un  triomphe  coupable  sur  une 
chasteté  rigide ,  enfin  l'incrédulité  où  les  méchants  se  complaisent  quand 
il  s'agit  de  la  vertu,  ce  rôle,  que  M.  Ponsard  a  conçu  à  peu  près  de 
même ,  en  le  parant  seulement  de  certains  dehors  brillants  et  aimables 
qui  ont  pu  paraître  un  anachronisme ,  n'a  pas  été  exprimé  sans  art  par 
le  vieux  poète.  C'est  ce  qu'il  y  a  de  mieux  dans  sa  pièce. 

Voici  en  quels  termes  l'annonce  Brutus ,  reprochant  à  Collatin  l'im- 

Surprenez  donc  Lucrèce,  et  contemplez  en  elle , 
Ainsi  que  la  douceur,  ia  beauté  naturelle. 

Vers  la  fin  de  la  pièce ,  Lucrèce ,  dans  son  désespoir,  crie  k  ses  femmes ,  ou ,  comme 
dit  l'auteur,  à  se^  demoiselles  : 

De  Tencre,  du  papier,  et  qu*on  me  laisse  écrire. 

—  *  La  Lucrèce  de  Chevreau  ne  prend  pas  le  soin  d'adoucir,  par  la  pudeur  des  mots, 
l'aveu  qu'il  lui  faut  faire  : 

Et  pour  dire  en  trois  mots  :  Sexte  m'a  violée. 
Ainsi  s'exprime  elle-même  la  Lucrèce  de  du  Ryer  : 

Mais  enfin  contemplez  Lucrèce  désolée, 
Voyez-la  sans  honneur,  voye^-la  violée. 

Une  telle  crudité  d'expression  n'est  point  rachetée  par  cette  étrange  pointe  : 

Sa  force  inévitable  a  vaincu  ma  foiblesse. 

Et  Lucrèce  par  lui  n'est  rien  moins  que  Lucrèce. 


DÉCEMBRE  1843.  717 

prudence  des  éloges  qu'il  donne  à  sa  femme,  en  présence  d'un  prince 
dissolu  : 


Veux-tu  que  je  le  parle  avec  cette  franchise 

Qu*une  longue  amitié  nous  a  toujours  permise  ? 

Tarquin  est  d*une  humeur  qui  8*esmeut  aysément, 

Et  qui  passe  bientost  jusqu'au  desréglement; 

Son  désir  échauffé  ne  respecte  personne, 

Et  croit  que  la  licence  est  un  droit  de  couronne  ; 

Que  c'est  un  trait  d'esprit  de  tromper  ses  amis. 

Et  que,  quand  Ton  peut  tout,  tout  est  aussi  permis. 

Tu  Tas  veu,  tu  le  sçais,  et  te  trahis  toi-mesme; 

Tu  montres  au  lyon  la  pasture  qu'il  ayme , 

Et  descouvres  peut-être  à  sa  brutalité 

Ce  que,  sans  ton  discours,  il  n'eust  point  souhaité. 

Sextus  Tarquin  se  peint  lui-même,  non  sans  franchise  et  sans  force, 
dans  ce  monologue  : 

C'est  Lucrèce  !  qu'importe  :  il  la  faut  emporter. 
Et  je  suis  en  un  rang  à  ne  rien  respecter  ; 
Je  puis  tout  espérer  et  je  ne  doy  rien  craindre  ; 
D  n'est  rien  de  si  haut  où  je  ne  puisse  atteindre, 
£t  partout  où  le  ciel  me  promet  des  plaisirs , 
Je  puis  impunément  y  porter  mes  désirs. 
Ne  considérons  point  cette  vertu  suprême 
Comme  un  empeschement  à  mon  amour  extrême  : 
La  plus  haute  vertu  peut  cheoir  en  un  instant. 
Et  n'est  jamais  constante  en  un  sexe  inconstant. 
Ce  mérite  apparent  qui  relève  Lucrèce 
N'est  peut-être  qu'un  fard  qui  cache  sa  foiblesse. 
Et  dont  l'éclat  trompeur  ne  fait  qu^espouvanter 
Quiconque  la  vaincra  s'il  ose  le  tenter. 

Le  même  rôle,  bien  qu'il  faiblisse  de  scène  en  scène  avec  la  pièce 
elle-même,  pourrait  m'offiir  le  sujet  de  plus  d'une  citation  semblable. 
Je  trouverais  aussi  des  vers  assez  dignes  d'être  rapportés  dans  le  rôle  de 
Brutus ,  dont  du  Ryer  a  fait ,  non  pas  le  fou  au  trompeur  langage ,  aux 
desseins  profonds  que  donnait  l'histoire,  mais  une  sorte  de  moraliste, 
de  raisonneur,  conseillant,  reprenant  chacun,  quelquefois  en  assez 
bons  termes,  on  l'a  vu  tout  à  Theure.  Une  singularité  qui  n'est  point 
heureuse ,  c'est  que  fauteur  lui  a  prêté  le  blasphème  contre  la  vertu , 
reproché  à  l'autre  Brutus,  le  vaincu  de  PhUippes;  il  lui  a  fait  dire  fort 
mal  à  propos  et  en  très-mauvais  vers  : 


718  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Malheureuse  vertu,  déité  sans  pouvoir. 
Qui  ne  peut  conserver  ce  qui  la  fait  valoir  ! 

La  tragédie  de  du  Ryer  n'était  guère  propre  à  décourager  ceux  de 
nos  poètes  qu  aurait  pu  tenter,  dans  le  xvii*  siècle,  dans  lexviii*,  le  sujet 
de  Lucrèce.  Le  découragement  vint  du  sujet  lui-même,  dépourvu, 
tout  ensemble,  de  ce  mouvement  et  de  cette  passion  qui  faisaient  la 
vie  de  notre  scène.  Comment  y  produire  avec  intérêt  une  femme  imi- 
quement  animée  par  le  sentiment  du  devoir?  comment  ly  montrer  avec 
bienséance  après  l'affront  fait  à  sa  chasteté  ?  Ces  obstacles ,  plus  grands 
alors  quils  ne  le  paraissent  aujourd'hui,  exilèrent  pour  longtemps  Lu- 
crèce du  théâtre  français.  Je  ne  puis  dire  comment  avait  essayé  d'en 
triompher  le  jeune  auteur  d'une  Lucrèce  en  trois  actes  et  en  prose, 
publiée  en  décembre  i  766,  et  que  Grimm  mentionne,  sous  cette  date, 
avec  beaucoup  de  dédain.  Quelques  années  auparavant,  en  lySi, 
J.  J.  Rousseau  avait  jeté  sur  le  papier  l'ébauche  d'une  Lucrèce  égale- 
ment en  prose,  sur  laquelle  nous  en  savons  davantage,  car,  de  cette 
ébauche  fort  confuse,  on  a  jugé  à  propos  dégrossir  ce  qu'on  appelle  le 
théâtre  du  grand  écrivain.  C'est  assurément  sans  aucun  profit  pour  sa 
gloire;  tout,  dans  ces  fragments,  le  style  compris,  est  d'un  goût  détes- 
table. La  Lucrèce  de  Rousseau  n'a  épousé  Coliatin  que  par  soumission 
aux  volontés  absolues  d'un  père;  elle  avait  dû  être  la  femme  du  fils  de 
Tarquin  qu'elle  aimait,  qu'elle  aime  encore,  luttant  péniblement  contre 
un  penchant  devenu  criminel  et  les  suggestions  de  méchants  conseil- 
lers placés  près  d'elle  par  l'amom^eux  Sextus.  Ces  personnages  secon- 
daires portent  des  noms  romains,  Pauline,  Sulpitius;  mais  il  n'offrent, 
en  réalité,  qu'une  soubrette,  un  valet  de  comédie,  auxquels,  pour  prix 
des  méchants  offices  qu'ils  peuvent  rendre ,  un  séducteur  libéral  a 
promis  une  petite  fortune  et,  bien  entendu,  le  mariage.  Une  intrigue  si 
vulgaire  n'est  pas  ce  qu'il  y  a  de  pis  dans  cette  informe  esquisse  de  tra- 
gédie; c'est  la  dégradation  du  caractère  de  Lucrèce,  tellement  déchue 
de  sa  pureté  antique,  qu'elle  va  jusqu'à  s'écrier  :  «Cruelle  vertu,  quel 
prix  nous  offres-tu  qui  soit  digne  des  sacrifices  que  tu  nous  coûtes?» 

Lucrèce,  ainsi  présentée,  devient  digne  des  épigrammes  dont  Bayle  * 
a  fait  justice  ,  et  que  n'en  a  pas  moins  répétées,  mais  sérieusement,  pré- 
tentieusement ,  l'auteur  des  Nuits  romaines  ^.  Or,  par  une  rencontre 
singulière ,  Tannée  même  où  paraissait  l'ouvrage  de  Verri,  en  1 792,  notre 
compatriote  etnotre  contemporain  Arnault  donnait,  avec  quelque  succès, 
une  Lucrèce ,  dont  quelques  parties  ne  sont  pas  sans  mérite ,  mais  qui 

'  Dietionnfûre^  art  Lucrèce,  —  '  II*  nuit,  6*  entretien. 


DÉCEMBRE  1843.  719 

sembla  trop  conforme  à  celle  de  J.  J.  Rousseau.  Chacun  a  senti,  chacun 
a  dit  combien  s  était  trompé  Ârnault  en  pensant  qu'un  amour  mutuel , 
ici  combattu ,  et  là  trop  obéi ,  rendrait  Lucrèce  plus  intéressante  et  Sextus 
moins  odieux.  Ce  que  les  deux  personnages  y  pouvaient  gagner  d'une 
part,  ils  le  perdaient  assurément  de  l'autre;  car,  ainsi  ramenés  au  patron 
usé  de  tant  d'amoureux  tragiques ,  toute  originalité ,  toute  vérité  histo- 
rique leur  étaient  enlevées.  L'auteur  a  été  mieux  inspiré,  quand ,  se  rap- 
prochant de  l'histoire,  il  a,  le  premier,  c'est  un  mérite  dont  on  lui  a 
tenu  compte,  entrepris  de  mettre  sur  la  scène  la  folie  simulée  de  Brutus; 
je  dis  entrepris,  car  véritablement  on  ne  peut  guère  le  louer  que  de 
l'intention.  Son  Brutus,  qui  proclame,  même  en  face  des  Tarquins,  ce 
que  d'autres  se  contentent  de  penser,  tient  plus  souvent  le  langage  d'un 
opprimé,  d'un  ennemi  incapable  de  se  maîtriser,  que  le  langage  d'un 
fou;  et  cependant  tout  le  monde  s'y  trompe,  par  une  invraisemblance 
diJDBcile,  il  est  vrai,  à  éviter,  et  qui,  on  l'a  remarqué,  malgré  le  tour 
différent  donné  à  cette  peinture,  ne  manque  pas  à  la  tragédie  de  M.  Pon- 
sard. 

Nous  voici  ramené  à  notre  jeune  poète,  qui,  dans  un  si  vieux  sujet, 
a  rencontré ,  j'ai  essayé  de  le  faire  voir  par  la  revue  qui  précède ,  un 
sujet  encore  intact,  encore  nouveau.  Alfieri  lui-même,  qui,  en  1788, 
ouvrait  son  Brato  primo  par  les  serments  prononcés  sur  le  poignard  san- 
glant de  Lucrèce,  le  lui  avait  laissé  tout  entier.  Comment ,  mettant  à 
profit  cette  heureuse  fortune ,  a-t-il  évité  les  traces  de  ses  modernes  de- 
vanciers ,  cherché ,  sur  les  pas  des  anciens ,  une  roule  meilleure ,  qui 
pût  le  conduire  à  plus  de  vérité  et  d'intérêt  réel  ?  dans  quelle  mesure 
de  fidélité  et  d'intérêt  tragique  a-t-il  reproduit  les  incidents ,  les  carac- 
tères ,  les  mœurs  que  lui  donnaient  à  exprimer  les  antiques  traditions 
de  la  poésie  et  de  l'histoire?  Je  le  rechercherai  dans  un  second  article, 
particulièrement  consacré  à  l'analyse  et  à  l'examen  de  sa  Lucrèce. 

PATIN. 


Sur  an  Traité  arabe  relatif  à  l'astronomie. 

TROISIÈME    ARTICLE^. 

Travaux  astronomiques  des  Arabes. 
Après  Ptolémée,  l'astronomie  reste  stationnaire  pendant  près  de  sept 
*  Voir  les  cahiers  de  septembre,  octobre  et  novembre  i8A3.  Dans  rartide  que 


720  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

siècles.  EUe  recommence  seulement  à  faire  quelques  progrès  sous  la 
protection  des  califes  arabes ,  lorsqu'ils  voulurent  orner,  par  les  arts , 
les  lettres  et  les  sciences,  le  triomphe  de  leurs  armes  désormais  assuré. 
Plusieurs  causes  concoururent  pour  arrêter  son  développement  ulté- 
rieur pendant  ce  long  intervalle  de  temps. 

Je  mets  au  premier  rang  de  ces  causes  l'ouvrage  même  de  Ptolémée. 
Le  cadre  systématique  dans  lequel  il  avait  rassemblé  toute  la  science; 
Taffectation  avec  laquelle  il  avait  présenté  son  livre  comme  contenant 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  bon ,  de  définitif,  dans  les  observations  d'Hip- 
parque  et  des  autres  astronomes  antérieurs;  surtout  la  patience  ,  je  di- 
rais volontiers  aussi  la  hardiesse  jusqu'alors  inusitée,  qu'il  avait  eue  de 
convertir  les  résultats  de  ses  hypothèses  en  tables  numériques,  pou- 
vant être  consultées  immédiatement  et  appliquées  au  ciel  sans  discus- 
sion ,  même  sans  aucune  intelligence  des  démonstrations  fondamentales, 
tout  cela  convenait,  par  merveille,  à  l'esprit  ambitieusement  spéculatif 
des  Grecs,  et  devait  assurer  la  réputation  d'un  traité  à  la  fois  si  com- 
mode et  si  savant.  Ptoléméc  ne  négligea  aucun  des  moyens  qui  pou- 
vaient rendre  son  ouvrage  populaire,  et  l'établir  comme  un  code 
durable  de  la  science  astronomique.  Il  en  donna,  sous  le  nom  d'Hypo- 
thèses,  un  extrait  succinct,  intelligible  aux  lecteurs  les  moins  instruits^ 
H  en  composa  un  abrégé  élémentaire,  accompagné  de  tables  qu'il  ap- 
pela manuelles ,  lesquelles  suffisaient  pour  les  prédictions  d'éclipsés  et 
pour  toutes  les  applications  usuelles  de  l'astronomie.  Enfin,  il  inscrivit 
ses  résultats  dans  le  temple  des  dieux,  comme  des  documents  impéris- 
sables. Il  était  dans  son  droit  sans  doute.  Mais,  en  affermissant  ainsi  l'an- 

j*ai  inséré  au  cahier  d'oclobre,  en  indiquant  la  précession  de  46",8,  qui  résulte 
des  périodes  d'Hipparque,  j'avais  dit,  p.  6i  i  :  «  et  ce  rapprochement,  qui,  je  crois, 
n*avait  pas  encore  été  fait,  montre,  etc.  »  M.  Sédillot,  professeur  d*histoirc  au  col- 
lège de  Saint-Louis,  vient  d'écrire  au  secrétaire  du  bureau  du  Journal  des  Savants 
qu'il  avail  déjà  signalé  celte  déduction  des  périodes  d'Hipparque  dans  un  mémoire 
sur  les  instruments  astronomiques  (les  Arabes,  présenté,  en  iSSg,  à  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-le tires,  et  admis,  par  celte  compagnie,  à  être  inséré  dans  sa 
collection  des  mémoires  des  savants  étrangers.  J'ai  constaté  l'exactitude  de  cette 
réclamation.  Quoique  le  mémoire  dont  il  s'agit  soit  seulement  imprimé,  mais  n'ait 
pas  encore  été  rendu  public,  il  l'est  pour  moi,  parce  que  M.  Sédillot  m'en  avait 
remis  un  exemplaire  en  feuilles  dans  Tannée  iS^i*  lorsque  je  travaillais  à  la  rédac- 
tion des  articles  que  j'ai  insérés,  cette  mcme  année,  dans  le  Journal  des  Savants, 
sar  le  Traité  des  instruments  astronomiques  des  Arabes,  composé  par  Ahoul-Hassan , 
qui  avait  été  traduit  par  son  père.  Mais,  n'y  cherchant  alors  que  les  documents  rela- 
tif à  l'objet  dont  j'étais  occupé,  la  remarque  de  M.  Sédillot  fils,  sur  la  précession 
qui  résulte  des  périodes  d'Hipparque,  m'avait  échappé.  Elle  se  trouve  à  la  page  ao 
de  son  introduction. 


DÉCEMBRE  1843.  721 

torité  de  son  livre ,  il  éteignit  tout  esprit  d'observation  et  de  perfection- 
nement. Quel  besoin  avait-on  désormais  de  recourir  aut  essais  timides 
du  vieil  Hipparque,  puisque  tous  les  phénomènes  du  ciel,  tous  les 
mouvements  du  soleil,  des  étoiles  et  des  planètes,  étaient  numérique- 
ment réglés  avec  une  si  grande  présomption  de  certitude?  D*ailleurs, 
quelle  main  eût  été  alors  assez  forte,  je  ne  dis  pas  pour  ébranler  un  si 
vaste  ensemble ,  mais  pour  entreprendre  d  y  toucher,  quand  les  formes 
géométriques  et  les  procédés  du  calcul  numérique  rendaient  si  difficiles 
les  applications  particulières  des  méthodes  générales,  ainsi  que  l'em- 
ploi systématique  des  résultats  que  de  nouvelles  épreuves  auraient  pu 
donner?  La  Syntaxe  de  Ptolémée  fut  donc  adoptée  universellement 
comme  l'expression  fidèle  et  incontestable  des  lois  du  ciel.  Dès  lors 
l'école  d'Alexandrie  Tenseigna,  la  commenta,  mais  n'y  ajouta  rien.  On 
ne  sait  pas  même  si  les  instruments  établis  autrefois  par  les  Lagides, 
pour  les  observations  annuelles  des  équinoxes  et  des  solstices,  conti- 
nuèrent à  être  employés  ^ 

Bientôt  l'int^êt. qu'avait  pu  exciter  la  science  asti^onomique  disparut 
devant  un  immense  événement.  La  propagation  miraculeusement  ra- 
pide du  christianisme  ouvrit  un  autre  cours  aux  imaginations;  et, 
comme  cela  arrive  toujours  dans  les  commotions  de  l'intelligence  hu- 
maine, les  esprits  les  plus  distingués  se  jetèrent  dans  la  voie  des  idées 
nouvelles ,  avec  une  puissance  de  talent  et  de  conviction  que  le  mys- 
ticisme métaphysique  des  néoplatoniciens  ne  pouvait  balancer.  Tou- 

'  Ptolémée  nous  apprend  lui-même  que  la  plupart  de  ses  observations  d^étoiles 
ont  été  faites  au  oommencement  du  règne  d'Antonin  le  Pieux,  ce  qui  correspond 
à  Tan  i38  de  Tère  chrétienne,  époque  qu*il  dit  être  de  a65  ans  postérieure  aux 
observations  analogues  d'Hipparque.  {Syntaxe  mathém.  liv.  VII,  chap.  ii.)  L'inscrip- 
tion des  éléments  de  ses  tables,  qu*il  fit  graver  dans  le  temple  de  Canope,  est  de 
dix  ans  [Jus  tardive.  Elle  est  datée  fan  x  d*Antonin,  ce  qui  correspond  à  Tannée 
de  l'ère  chrétienne  làS.  Le  petit  abrégé  de  sa  Syntaxe  mathématique,  et  l'exposi- 
tion plus  étendue  que  Ptolémée  a  composée  pour  servir  d'introduction  aux  tables 
manuelles,  sont  évidemment  postérieurs  à  la  Syntaxe;  mais  on  n*y  trouve  aucun 
document  qui  puisse  iudiquer  leur  date  précise. 

Théon  TÀlexandrin  composa  son  Commentaire  sur  la  Syntaxe  mathématique  vers 
Tannée  de  Tère  chrétienne  365 ,  la  1 1 1  a*  de  Nabonassar  ;  car  il  y  mentionne  une 
éclipse  de  soleil,  qu'il  dit  avoir  observée  à  Alexandrie  d'Egypte,  cette  année -là 
même. 

L'ouvrage  de  Produs  Diadochus,  intitulé  Hypotyposes ,  qui  peut-être  considéré 
comme  une  exposition  abrégée  de  la  Syntaxe,  a  été  composé  dans  le  v*  siècle  de 
Tère  chrétienne.  L'auteur  dit  lui-même  qu'il  Ta  écrit  à  Athènes. 

La  prise  d'Alexandrie  par  les  Arabes  eut  lieu  en  Tan  64 1*  sous  le  califat  d'Omar, 
second  successeur  de  Mahomet,  vers  la  fin  du  règne  de  l'empereur  Héracliut. 

91 


722  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

tefois  l'astronomie  fut  encore  nécessaire  aux  évêques  chrétiens ,  pour 
mettre  la  célébration  de  la  fête  pascale  en  accord  avec  les  phases  cé- 
lestes auxquelles  elle  devait  correspondre,  sans  coïncider  avec  la  pâque 
des  juifs;  et  le  besoin  d'établir  pour  cela  une  règle  générale  fut,  avec 
l'examen  des  erreurs  d'Arius,  l'objet  de  la  convocation  du  concile  de 
Nicée ,  en  3^5 ,  sous  Constantin  le  Grand.  Le  concile  établit  cette  règle 
sur  l'emploi  du  cycle  de  dix-neuf  ans  de  Méton.  Mais  l'application  nu- 
mérique pouvant  donner  lieu  à  des  incertitudes  que  fon  voulait  éviter, 
l'Élise  chrétienne  d'Alexandrie,  comtne  la  plus  savante  en  ces  matières, 
fut  chargée  de  déterminer  d'avance,  pour  chaque  année,  l'époque  pré- 
cise, et  de  la  communiquer  à  l'Église  de  Rome,  qui  la  transmettrait  à 
toutes  les  autres  ^  Cette  mesure  ayant  encore  occasionné  quelque  con- 
fusion ,  saint  Théophile,  depuis  évêque  d'Alexandrie,  composa  un  cycle 
paschal  de  418  années  (22  fois  19),  commençant  à  l'année  38a,  qu'il 
paraît  avoir  accompagné  d'une  discussion  astronomique -ft^ar  saint  Jérôme 
lui  écrivit  à  ce  sujet,  pour  le  féliciter  d'avoir  ainsi  établi  la  règle  sur  la 
connaissance  du  cours  des  astres  et  le  témoignage  de  l'Écriture  sainte , 
sans  rien  emprunter  des  sources  païennes^.  Saint  Cyrille,  successeur 
de  Théophile  au  siège  d'Alexandrie,  jugeant  ce  cycle  trop  complexe, 
en  composa  un  autre  de  gS  ans  (5  fois  19),  qui  commença  en  487  et 
continua  d'être  employé  généralement  jusqu'en  i3oi.  Les  longues  et 
véhémentes  controverses  qui  s'élevèrent  à  ce  sujet  entre  les  Églises  chré- 
tiennes d'Asie,  d'Egypte  et  d'Europe,  car  déjà  le  christianisme  embras- 
sait tout  le  monde  connu,  purent  avoir  assez  de  retentissement  dans 
Alexandrie ,  dès  le  iv*  siècle,  pour  que  Théon,  qui  tenait  école  d'astrono- 
mie dans  cette  ville,  en  ait  pris  occasion  de  publier,  vers  l'an  365 ,  son 
Commentaire  de  la  Syntaxe  mathématique,  auquel  il  ajouta  une  exposi- 

^  S.  Cyrilli  Prologas,  etc.  Petau ,  De  doctr,  temp.  p.  881-882,  1. 1.  tQuum  his  igi- 
«tcir,  atque  hujusmodî  dissensionibns ,  per  universum  orbem  paschalis  régula  tur- 
•  baretur,  sanctorum  lolius  synodi  consolatione  decrelum  est,  ut,quoniaâi  apud 

■  Alexandriam  talis  esset  reperla  Ecclesia,  qus  in  hujus  scientia  clareret,  quota 
«  kalendarum  vel  iduum,  quota  luna  Pascha  debeat  cmebrar,  per  singulos  annos 
«  romanae  Ecclesiae  litteris  intimaret,  unde^apostolica  auctoritate  univereiuis  Ëccdesia, 
«  per  totum  orbem ,  diflinitam  Paschae  diem  sine  uUa  discepiatione  cognosceret.  t 
Et  infra ,  ceci  n*ayant  pas  été  bien  observé  :  ■  Quum  esset  magna  confusio  in  Ec« 

c  ciesia ,  prœtorio,  vel  palatio,  Tbeodosius ,  religiosissîmus  imperator sanctum 

«Theophilum,  totius  Alexandrin»  urbis  (non  tune)  episcopum,  suis  littens  conro* 

■  gavit ,  ut  saCramentum  Paschse  evidentissima  ratione  disserere  sibiqae  diricere 

■  dignaretur.  Cujus  sanctissimis  prsceptis  obtemperans  4i8  annorum  circuloni 
«  paschalem  instituit.  »  —  *  t  Hanc  ipsam  disputationem  ad  Scripturarum  refers 
«  auctoritalem ,  ne  in  paschali  libro  videaris  de  secularibus  qoidquain  fontibus  mu- 
«  tuatut.  » 


DÉCEMBRE  1843.  723 

lion  abrégée ,  accompagnée  de  tables  manuelles  pour  faciliter  les  calculs 
d*écÛpses,  la  préparation  des  éphémérides,  et,  il  faut  bien  aussi  lavouer, 
les  prédictions  des  astrologues  que  Ptolémée  avait  dédaignées.  Car,  nen 
ayant  pas  dit  un  seul  mot  dans  sa  Syntaxe,  et  ne  leur  ayant  non  plus 
préparé,  dans  ses  tables,  aucun  secours  spécial,  il  ne  serait  ni  juste ,  ni 
vraisemblable  de  lui  attribuer  le  TSTpaSiSXos,  parce  qu  on  a  mis  cette 
rapsodie  astrologique  sous  l'autorité  de  son  nom.  Le  Commentaire  de 
Théon  n  est  qu'une  paraphrase  de  la  Syntaxe,  où,  comme  c'est  assez  l'or- 
dinaire de  ce  genre  d'écrits ,  il  développe  très-amplement  les  endroits 
faciles  de  son  auteur,  et  reproduit  les  difficiles  très-brièvement,  en  se 
bornant  à  répéter  les  calculs  du  texte.  Cela  est  surtout  sensible  pour  les 
cbapitres  où  il  explique  la  double  inégalité  de  la  lune  et  l'oscillation  de 
son  apogée,  que  n'éclaircissent  guère  davantage  des  fragments  de  Pappus 
sur  le  même  sujet,  qui  ont  été  intercalés  dans  le  Commentaire  de  Théon. 
C'est  le  jugement  que  Delambre  a  porté  de  cet  ouvrage;  et,  sans  pos- 
séder comme  lui  la  langue  grecque ,  on  peut  s'en  former  une  opinion 
pareille  d'après  la  version  latine  de  Théophile  d'Urbin,  envoyée  par 
Viviani  en  présent  à  Louis  XIV,  laquelle  existe  en  manuscrit  à  la  Bi- 
bliothèque royale  sous  le  n^  5868.  Dans  les  paragraphes  des  tables  ma- 
nuelles qui  sont  destinés  aux  astrologues,  Théon  distingue  ceux-ci  des 
astronomes  véritables  en  les  appelant  ol  œjroTeT^afiaTtxoL  B  explique,  en 
lem^  £aiveur,  certains  calculs  nécessaires  à  leurs  pratiques.  Dans  ce  genre, 
le  chapitre  intitulé  vepï  rporriis  mérite  d'être  remarqué,  en  ce  que  Théon 
y  mentionne  cette  idée  bizarre ,  reproduite  depuis  par  les  Arabes  d'fls- 
pagne ,  que  les  points  équinoxiaux  auraient  im  mouvement  de  trépidation 
périodique ,  associé  à  la  précession  continue ,  idée  dont  Ptolémée  n'a 
point  parié  explicitement,  et  que  Théon  attribue  aux  anciens  astrologues 
{oLTraXauol  t£p  àworekBtriiarixSv).  Un  autre  document  non  moins  curieux 
que  l'on  trouve  dans  les  tables  manuelles,  c'est  l'instruction  que  Théon 
donne  pour  la  formation  des  éphémérides ,  telles  qu'on  les  publiait  de 
son  temps.  On  y  voit  que  la  première  colonne  de  chaque  mois  devait 
contenir  les  significations  des  étoiles  fixes  (jàs  ètrta'tifxaaias  tSv  àirkatvGJv) 
ainsi  que  les  caractères  spéciaux  des  phases  lunaires.  Par  exemple ,  en 
aspect  trine  ou  sextile  avec  le  soleil  [rptyonfos  ^  é^ycjvos),  lune  favorable 
(  iyoBrf)  ;  en  aspect  quadrat  ou  diamétral  (  reTpcfyojvos  H  Sidlfierpoç  ) ,  lune 
défavorable  (^anJXii).  L'astrologie  était  alors  universellement  répandue, 
et  les  termes  qui  lui  sont  propres  étaient  devenus  usuels. 

Un  demi-siècle  après  Théon,  Proclus  Diadochus  composa,  à  Athènes, 
ses  Hypotyposes.  C'est  un  résumé  succinct,  mais  fort  clair,  des  hypo- 
thèses mathématiques  employées  par  Ptolémée  dans  la  Syntaxe,  pour 

91. 


724  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

représenter  les  mouvements  des  corps  célestes.  En  parlant  de  la  lune , 
Proclus  explique  la  première  inégalité,  qui  a  lieu  dans  lessyzygies^  et 
la  seconde,  qui  a  lieu  dans  les  quadratures;  il  ne  parle  pas  de  Toscilla- 
tion  de  Tapogée  qui  complète  cette  théorie.  Cela  eût  été  trop  difficile 
pour  Tobjet  qu'il  avait  en  vue,  et  peut-être  pour  lid-même.  Théon  n'en 
dit  rien  non  plus  dans  les  tables  manuelles.  Mais  cela  était  inutile  pour 
les  calculs  déclipses  qu'il  voulait  surtout  exposer. 

Un  peu  plus  tard,  dans  les  années  /lyS  et  5io,  on  trouve  encore, 
dans  les  manuscrits,  sept  observations  dapproches  de  la  lune  aux  étoiles 
et  aux  planètes,  ou  de  celles-ci  entre  elles,  comme  les  Chinois  en  fai- 
saient depuis  un  temps  immémorial,  sans  aucune  science.  Elles  ont 
préservé  de  Toubli  le  nom  de  leur  auteur,  un  Athénien  appelé  Thius 
(Seios).  Ce  sont  les  derniers  vestiges  de  1  astronomie  grecque.  Alors  ar- 
rivèrent les  invasions  des  Arabes  et  la  dislocation  de  l'empire  romain. 
Alexandrie  fut  prise  par  larmée  du  calife  Omar,  en  64 1  ;  et,  si  Ton  en 
croit  rhistorien  Abulpharage,  qui  a  tiré  son  récit  des  auteurs  musul- 
mans eux-mêmes,  les  trésors  littéraires  que  contenait  la  bibliothèque 
de  cette  ville  périrent  dans  le  désastre  de  cet  événement  ^  Les  bibÛo- 
thèquesi  persanes  eurent,  dit-on,  le  même  sort.  Cela  n aurait  rien  que 
de  conforme  aux  préjugés  des  Arabes  de  ce  temps. 

Au  reste,  si  ces  actes  de  barbarie  doivent  ieur  être  imputés,  un  autre 
travers  de  leur  esprit  fit  bientôt  retirer  l'astronomie  de  ses  ruines,  par 
les  mêmes  mains  qui  lui  avaient  porté  des  coups  si  funestes.  Quoique 
Mahomet  eût  expressément  réprouvé  l'astrologie,  on  la  voit  déjà  éta- 
blie en  titre  à  la  cour  des  premiers  califes  abbassides^  ;  et  la  vraie  science 
y  fut  appelée  sans  doute  à  cause  d'elle ,  plutôt  que  par  le  sentiment  de 
sa  propre  beauté.  Selon  Casiri,  cité  par  M.  Reinaud.,  le  second  calife 
abbasside,  Abugiafar-Aimansor,  aurait,  en  Tannée  77a  de  notre  ère, 
accueilli  avec  empressement  un  savant  hindou,  très-versé  dans  les  con- 
naissances astronomiques,  qui  était  venu  le  visiter  dans  sa  nouvelle  ré- 

^  Abul-Pharajii  Hist.  Dyn.  p..  11 4-  Abulpharage  a  tiré  son  récit  du  Tartkk  al 
hocama  (Dictionnaire  des  philosophes),  de  Djemâi-eddin-al-Kifti,  auteur  musul- 
man, mort  en  ia5o.  (Noie  de  M.  Munk.)  M.  Silve&tre  de  Sacy,  dans  ses  notes 
sur  Abd-AUalif,  p.  a4o,  regarde  Tincendie  des  bibliothèques  égyptiennes  et  per- 
sanes comme  un  fait  certain.  Mais  il  établit,  avec  une  très -grande  probabilité, 
qu  à  Tépoque  de  la  prise  d* Alexandrie  la  bibliothèque  publique  de  cette  ville 
ne  devait  plus  conserver  aucun  reste  de  celle  que  les  Lagides  avaient  instituée. 
— *  '  Le  calife  Abugiafar-Almansor ,  qui  monta  sur  le  trône  en  Tan  i36  de  Thé- 
giie,  754  de  notre  ère,  avait  pour  astrologue  en  litre  un  Persan  nommé  Nubacht. 
Après  un  certain  temps  de  service,  Tayant  trouvé  trop  vieux,  il  lui  fit  résigner  sa 
charge,  qu*il  donna  au  fils  de  ce  même  Nubacht.  (Abul-Pharajii  HitU  Dyn.  p.  i45.) 


DECEMBRE  1843.  725 

sidence  de  Bagdad ,  et  il  se  serait  servi  de  lui  pour  les  communiquer 
aux  Arabes  qui  l'entouraient.  Il  est  vraisemblable  qu  à  cette  époque 
les  Hindous>  étaient  déjà  en  possession  des  méthodes  grecques;  mais  il 
importait  de  les  avoir  sans  intermédiaire.  Diaprés  des  notes  extraites 
des  bibliographies  arabes,  et  que  M.  de  Slane  m'a  communiquées,  les 
premières  tentatives,  pour  obtenir  cette  connaissance,  furent  faites 
dès  le  vni*  siècle  de  notre  ère ,  moins  de  deux  siècles  après  Thégire,  par 
Yahia-Ibn-Khalid-Ibn JBarmek ,  vizir  de  Haroun-Al-Raschid.  S'étant  fait 
expliquer  la  Syntaxe  mathématique  par  diverses  personnes,  finterpréta- 
tion  qu'on  lui  en  donna  ne  le  satisfit  point,  ce  qui  est  facile  à  croire. 
Il  chargea  plusieurs  autres  savants  de  traduire  ce  livre,  conféra  leurs 
rédactions,  et,  de  cet  ensemble,  en  fit  composer  une  qui  lui  parut  de- 
voir être  plus  fidèle.  Celle-ci  fut  encore  corrigée  quelques  années  après 
par  Ishac,  fils  de  Honeîn,  chrétien  nestorien  ;  puis  enfin  par  Thabit-ben- 
KoiTa ,  Sabéen.  On  en  possède  une  copie  manuscrite  à  la  Bibliothèque 
royale,  sous  le  n®  i  iSy  de  Tancien  fonds  arabe.  L'admiration  que  l'ou- 
vrage grec  inspu'a  lui  fit  donner  le  nom  à'Almageste,  c'est-à-dire  très- 
grande  composition,  qui  lui  est  resté  depuis ^  On  en  fit  beaucoup  d'autres 
traductions  arabes,  dans  les  siècles  suivants  ;  mais  les  premières  doivent 
surtout  nous  occuper,  puisque  ce  furent  celles  qu'ont  pu  consulter  les  as- 
tronomes arabes,  voisins  de  cette  époque ,  par  exemple,  Âlbategni,  peut- 
être  même  Ibn-Jounis  et  Abulwefa.  Les  orientalistes  présument  que  la 
version  du  grec  en  arabe  a  bien  pu  ne  pas  être  immédiate,  mais  avoii* 
passé  d'abord  par  le  syriaque ,  comme  la  plupart  des  ouvrages  littéraii^s 
que  les  Arabes  ont  fait  traduire  du  grec;  et  la  nature  des  croyances 
religieuses  attribuées  aux  deux  derniers  personnages  que  je  viens  de 
nommer  semblerait  s'accorder  avec  cette  opinion.  Si  l'on  ajoute  à  cela 
les  difficultés  de  compréhension  que  la  nature  du  sujet  a  du  offrir  aux 
premiers  traducteui^s ,  on  doit  s'attendre  que  les  parties  les  plus  obscures 
des  méthodes  grecques,  par  exemple  celle  qui  s'applique  à  l'oscillation 
de  l'apogée  de  la  lune,  ont  dû  donner  beaucoup  de  peine  aux  astro- 
nomes arabes  qui  ont  voulu  les  employer;  et  une  peine  d'autant  moins 
compensée  pour  celle-ci ,  qu'elle  n'est  d'aucun  usage  pour  les  éclipses , 
dont  ils  s'occupaient  presque  uniquement.  Aussi  est-elle  reproduite, 
dans  l'ouvrage  d' Albategni,  par  un  simple  exposé  matériel  et  numérique, 
comme  précepte  de  calcul ,  sans  aucune  des  applications  ni  des  dé- 

'  Le  mot  Almagesie  ne  porte  pas  le  caractère  d*une  origine  arabe,  mais  grecque. 
M.  Reînaud  pense  qu*il  dérive  de  la  dénomination  y)  (uyhn/f  (o'tWaÇi;),  que  Tad- 
mîration  des  Alexandrins  aurait  donnée  à  i*ouvraffe  dîe  Ptolémée,  et  que  les  Arabes 
auraient  oonservée  en  y  appliquant  leur  article  at,  ^        '  > 


*1^ 


*    «b 


726         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

nlonstrations  par  lesquelles  l'auteur  grec  l'avait  préparée  et  justifiée. 
Au  reste ,  Albategni  présente ,  sous  cette  même  forme ,  la  plupart  des 
hypothèses  géométriques  qu'il  emprunte  à  Plolémée;  et  il  semble  vou- 
loir se  borner  à  les  rappeler  clairement,  exactement,  avec  une  netteté 
d'exposition  que  ne  peut  faire  méconnaître  le  latin  barbare  de  son 
unique  traducteur,  Plato  Tiburtinus.  C'est  pourquoi  il  faut  d'autant  plus 
remarquer  les  spécifications  tout  autres,  et  tout  individuelles,  par  les- 
quelles il  annonce  qu'il  substituera  les  demi-cordes  des  arcs  doubles, 
que  nous  appelons  aujourd'hui  des  sinus ,  à  ces  cordes  entières  que  les 
Grecs  avaient  employées  dans  les  calculs  trigonométriques  ;  substitution 
dont  il  démontre  très-bien  la  légitimité  et  les  avantages.  Car  cela  prouve 
évidemment  qu'elle  lui  est  propre;  et,  quoiqu'elle  ait  exigé  seulement 
de  la  finesse  d'esprit,  plulôt  que  de  la  profondeur,  ce  qui  la  rend  conce- 
vable à  une  telle  époque,  elle  a  été  si  utile,  si  féconde,  que  nous  devons 
beaucoup  de  reconnaissance  à  celui  qui  l'a  imaginée.  Ibn-Jounis,  venu 
un  siècle  après  Albategni,  a  eu  sur  lui  l'avantage  du  temps,  et  peut- 
être  d'une  notion  plus  complète  des  méthodes  grecques,  qu' Albategni 
semble  quelquefois  n'avoir  connues  qu'indirectement,  et  pai*  des  inter- 
médiaires qui  ne  sont  pas  toujours  fidèles.  L'assiduité  d'Ibn-Jounis  à 
observer,  son  intelligence  des  méthodes  grecques,  son  habileté  à  ma- 
nier, à  étendre  les  formules  trigonométriques,  le  soin  particulier,  et 
alors  nouveau,  qu'il  apporta  dans  la  discussion  des  instruments;  enfin 
la  multitude  des  observations  qu'il  recueillit ,  et  dont  nous  avons  tiré 
depuis  de  si  grands  services,  lui  assurent  un  rang  très-distingué  parmi 
les  astronomes,  en  le  laissant,  toutefois,  au-dessous  d'Albategni,  comme 
inventeur.  Delambre ,  dans  son  Histoire  de  l'astronomie  au  moyen 
âge,  me  parait  avoir  très-judicieusement  apprécié  l'ensemble  des  tra- 
vaux effectués  par  les  astronomes  arabes  de  cette  époque.  Outre  le 
pas  important  que  le  premier  d'entre  eux  a  fait  faire  à  la  trigonomé- 
trie, et  que  les  autres  ont  porté  plus  loin,  ils  ont  déterminé,  avec 
plus  de  précision  que  les  Grecs,  divers  éléments  fondamentaux  de  l'as- 
tronomie, dont  le  temps  avait  développé  les  variations  ou  l'inexac- 
titude :  par  exemple,  le  mouvement  de  l'apogée  du  soleil ,  inconnu  à 
Hipparque  et  à  Ptolémée;  l'excentricité  de  l'orbite  de  cet  astre,  l'obli- 
quité de  l'échptique,  la  durée  de  l'année,  la  quantité  de  la  précession; 
mais  ils  n'ont  rien  ajouté  aux  méthodes  générales,  ni  rien  changé  aux 
hypothèses  qui  représentaient  les  mouvements.  Ils  n'ont  pas  amélioré 
la  théorie  de  la  lune ,  quoiqu'ils  l'aient  tenté  ,  et  ils  y  ont  suivi  Ptolé- 
mée, en  acceptant  jusqu'à  ses  erreurs.  C'est  qu'il  leur  aurait  fallu  une 
intelligence  plus  qu'humaine  pour  faire  davantage ,  quand  l'asti  onomie 


DÉCEMBRE  1843.  727 

théorique  venait  à  peine  de  renaître  entre  leurs  mains.  Comment  au- 
raient-ils pu,  d'un  premier  effort,  décomposer  et  recomposer  tous  ces 
rouages  d'hypothèses,  dont  ils  devaient  avoii'  la  plus  grande  peine  à 
comprendre  Fartifice ,  à  suivre  les  applications  ?  Comment  auraient-ils 
seulement  espéré  d'améliorer  les  tables  lunaires  grecques,  qui  leur  pré- 
sentaient des  erreurs  de  20',  3o',  4o'  en  temps,  sur  les  instants  qu'elles 
assignaient  aux  éclipses?  Us  ont  constaté  ces  erreurs,  ils  en  ont  conclu 
qu'il  fallait  corriger  les  tables  :  c'était  tout  ce  qu'ils  pouvaient  fiaire.  Re- 
construire une  mécanique  si  complexe  était  une  œuvre  au-dessus  de 
leur  force,  et  prématurée  pour  leur  siècle.  Il  fallait  auparavant  donner 
aux  instruments  d'observation  plus  de  fixité,  des  divisions  plus  pré- 
cises ,  limiter  plus  minutieusement  la  direction  des  rayons  visuels ,  per- 
fectionner la  mesure  du  temps.  On  ne  doit  pas,  <l'aillears,  les  considérer 
et  les  juger  comme  des  hommes  occupés  d'abstractions  scientifiqnes, 
ainsi  qu'ont  pu  l'être  les  Grecs,  et  que  nous  le  sommes  aujourd'hui. 
L'astronomie  a  eu  surtout  pour  eux  deux  objets  d'application  pratique  : 
l'astrologie   d'abord,  puis  la  gnomonique.   Âlbategni,  dans  son  très- 
court  traité  sur  la  science  des  astres,  trouve  bien  place  pour  expliquer 
les  caractères  des  aspects  célestes ,  leur  influence  diverse  sur  les  nati- 
vités, et  la  construction  des  cadrans.  Ibn-Jounis  s'est  encore  étendu 
avec  plus  de  complaisance  sur  ces  derniers  objets;  et  les  biogi^aphes 
arabes  le  présentent  aussi  comme  ayant  été  non  moins  astrologue  pra- 
tique qu'astronome  théoricien.  Ces  deux-là  ont  été  réputés  les  plus 
habiles  de  leurs  contemporains  dans  la  science  astronomique;  et,  pour 
Âlbategni  en  particulier,  l'historien  Âbulpharage  déclare,  comme  un 
fait  incontestable,  qu'aucun  astronome  de  l'islamisme  ne  Ta  égalé.  Nous 
en  jugeons  ainsi  par  ce  qui  nous  est  parvenu  de  leurs  ouvrages,  et  cet 
accord  doit  nous  persuader  qu'ils  nous  donnent  la  juste  mesure  de  la 
science  de  leur  temps.  Nous  avons  moins  de  documents  originaux  pour 
apprécier  individuellement  les  Arabes  d'Espagne;  mais  nous  pouvons 
très-bien  juger  l'ensemble  de  leur  science  astronomique  par  les  résul- 
tats qu'elle  a  produits.  Lorsqu'au  miUeu  du  xiu*  siècle  Alphonse,  roi 
de  Castille,  voulut  &ire  construire  les  nouvelles  tables  astronomiques 
auxquelles  son  nom  est  resté  attaché,  il  réunit,  à  Tolède,  les  astro- 
nomes chrétiens,  mores  et  juifs,  les  plus  habiles  de  son  temps,  et  il 
leur  fournit,  avec  magnificence,  tous  les  moyens  d'effectuer  ce  travail. 
On  était  là  à  la  source  des  livres  arabes,  dans  cette  même  ville  qui, 
un  siècle  et  demi  auparavant,  était  le  centre  de  l'astronomie  des  Mores, 
le  siège  de  leur  école  la  plus  célèbre ,  celle  d'Arzachel.  Qu'a-t-on  retiré 
de  ce  concours,  recueilli  de  ces  traditions?  Des  tables  semblables, 


728  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

pour  le  fond ,  à  celles  de  Ptolémée ,  si  ce  n'est  que  la  forme  grecque  y 
est  déguisée  par  une  modification  qui  la  complique ,  et  associée  à  cette 
trépidation  astrologique  des  points  équinoxiaux  que  Ptolémée  avait  dé- 
daignée. On  y  voit  quelques  corrections  faites  aux  moyens  mouve- 
ments, aux  époques  et  aux  constantes,  qui  ne  sont  pas  toujours  des 
améliorations;  du  reste,  la  même  loi  inexacte  des  oscillations  de  l'apo- 
gée lunaire,  la  même  omission  des  variations  périodiques  qu'éprouvent 
l'inclinaison  et  les  nœuds  ;  toutes  choses  qui  montrent  avec  évidence 
qu'aucun  système  d'observations  continu  et  permanent  des  mouve- 
ments de  la  lune  n'avait  encore  été  institué.  Si  quelque  découverte  im- 
portante eût  été  antérieurement  faite ,  peut-on  croire  que,  dans  de  telles 
circonstances,  elle  aurait  été  ignorée  ou  omise? 

Tous  les  documents  écrits  ou  traditionnels  que  je  viens  de  rappeler 
s'accordent  donc,  jusqu'ici,  à  nous  montrer  que  les  Arabes  n'ont  été, 
n'ont  pu  être,  que  les  continuateurs,  et,  en  quelques  points,  les  amélio- 
rateurs  de  Ptolémée.  Mais  des  inductions  négatives,  si  concordantes 
qu'elles  soient,  ne  contrebalancent  pas  une  preuve  positive.  Un  astro- 
nome arabe  de  l'an  987,  Aboulwefa,  a,  dit-on,  découvert  l'inégalité 
lunaire  appelée  la  variation  ^  et  l'a  consignée  dans  un  traité  astronomique 
dont  nous  possédons  le  manuscrit.  On  cite  le  chapitre  où  elle  se  trouve, 
et  le  texte  qui  l'exprime.  L'assei*tion  est  d'autant  plus  grave  que,  si 
Aboulwefa  a  réellement  fait  cette  découverte,  il  n'a  pu  y  parvenir  qu'a- 
près avoir  rectifié  préalablement  les  inexactitudes  d'observation  qui 
ont  caché  à  Ptolémée,  à  Albategni,  à  Ibn-Jounis,  la  nécessité  d'une 
correction  aussi  délicate.  Je  vais  donc  examiner  l'ouvrage  d' Aboulwefa 
en  lui-même,  indépendamment  de  toute  induction  précédente;  et  je 
le  ferai  sine  ira  et  stadio,  sans  tort  ni  faveur. 

Ignorant  la  langue  arabe,  j'ai  cherché,  j'ai  obtenu,  l'assistance  de  trois 
habiles  orientalistes,  MM.  Reinaud,  Munk  et  de  Slane.  M.  Reinaud  m'a 
d'abord  expliqué  les  titres  et,  au  besoin,  les  détails  de  tous  les  chapitres 
qui  sont  relatifs  à  l'astronomie,  et  je  les  ai  écrits  sous  sa  dictée,  ce  qui 
m'a  donné  une  idée  générale  de  l'ouvrage.  Le  même  savant  m'a  ensuite 
remis  une  traduction  complète  et  littérale  des  chapitres  dans  lesquels 
Aboulwefa  expose  l'accroissement  de  l'équation  du  centre  de  la  lune  dans 
les  quadratures,  et  les  hypothèses  géométriques  par  lesquelles  on  doit  le 
représenter.  Arrivé  au  chapitre  suivant,  où  l'on  a  cru  voir  la  découverte 
de  la  variation,  M.  Reinaud  m*en  a  fait  encore  une  traduction  aussi  litté- 
rale que  possible,  que  j'ai  discutée  avec  lui  phrase  par  phrase,  pour  lui 
assurer  une  parfaite  fidélité  dans  la  reproduction  des  idées  scientifiques. 
Non  que  je  prétende  élever  aucun  doute  sur  celle  qui  a  été  publiée,  ni 


DECEMBRE  1843.  729 

que  je  réprouve  Tesprit  de  précision  moderne  qu'on  y  a  transporté; 
mais ,  maintenant  qu'il  s*agit  de  faits ,  non  de  style,  il  m'a  semblé  essentiel 
de  conserver  à  l'auteur  arabe  les  formes  propres  sous  lesquelles  il  a  pré- 
senté ses  conceptions,  afin  que,  par  leur  caractère  arrêté  ou  indécis, 
on  puisse  reconnaître  la  netteté  ou  le  vague  des  idées  qu'il  en  avait 
lui-même.  J'ai  fait  ensuite  un  travail  tout  pareil  avec  M.  Munk,  puis 
avec  M.  de  Slane,  sans  leur  communiquer  l'interprétation  préalable  de 
M.  Reinaud.  De  ces  trois  mot-à-mot,  strictement  conférés,  il  est  résulté 
une  traduction  littérale  qui  a  obtenu  leur  commun  assentiment,  et  je 
la  rapporterai  dans  ce  qui  va  sui>Te. 

Mais  d'abord  je  signalerai  deux  particularités  d'expressions  employées 
par  les  traducteurs  arabes  de  l'Âlmageste,  et  qui  nous  serviront  comme 
de  signes  caractéristiques  pour  reconnaître,  au  besoin,  la  reproduction 
des  idées  auxquelles  ils  les  ont  appliquées. 

La  première  leur  sert  pour  rendre  le  mot  grec  Trp6<Tvsu(ns ,  dans  le  titre 
du  chapitre  v,  livre  Y  de  Ptolémée.  Le  manuscrit  de  Thabit,  n**  i  iSy, 
de  l'ancien  fonds  arabe  de  la  Bibliothèque  royale ,  et  le  manuscrit 
\f  Ixlxo  de  l'ancien  fonds  hébreu,  où  l'arabe  est  écrit  en  caractères  hé- 
breux rabbiniqucs,  portent  tous  deux  :  f*  chapitre,  sur  le  moliadzat  du 
cercle  de  circonvolution  de  la  lune  et  sur  son  écartement.  Le  mot  mohadzat 
se  dit  proprement,  en  arabe,  de  Yétat  de  relation  qui  existe  entre  deux 
objets  dont  l'un  est  en  face  de  l'autre  ^  On  voit  que  c'est  le  sens  exact 
du  mot  grec  TrpôavsvcTis y  dans  l'application  que  Ptolémée  en  fait,  au 
chapitre  cité.  Un  autre  manuscrit,  n"  i  iSg  de  l'ancien  fonds  arabe, 
emploie  le  mot  meïl,  qui  signifie  inclinaison,  et  qui  est  quelquefois  sub- 
stitué au  mot  mohad^Mit  dans  un  même  manuscrit. 

La  seconde  forme  d'expression  que  je  veux  signaler  est  plus  singulière , 
en  ce  qu'elle  renferme  une  idée  ajoutée  en  guise  d'explication  au  texte 
grec;  et  on  la  trouve  non-seulement  dans  toutes  les  versions  arabes  de 
l'Âlmageste  qui  existent  h  la  Bibliothèque  royale,  mais  encore  dans  toutes 
les  versions  latines  dérivées  de  celles-là,  dont  j'ai  ||u  consulter  les  manus- 
crits. Au  commencement  de  ce  chapitre  v,  où  Ptolémée  veut  exposer  la 
libration  de  l'apogée  lunaire,  il  dit  qu'elle  s  observe  hors  des  syzygies  et 
des  quadratures,  irepï  ràs  firivoetSeU y  xa\  ifxCpixupTovi  àttoalclxTeis,  littéra- 
lement vers  les  élongations  dans  lesquelles  la  lune  est  en  ménisque  ou  bicon- 
vexe. Tous  les  manuscrits  arabes  traduisent  :  quand  les  ébngations  de  la 
lune  sont  dans  les  tasdisât  et  dans  les  tathlithât,  c  esl-à-dire  quand  la  lune 
est  en  aspect  sextile,  ou  en  aspect  trine  avec  le  soleil.  Les  manuscrits 

'  Note  de  M.  Reinaud. 

92 


730  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

latins  reproduisent  d  abord  la  phrase  de  Ptolémée  ;  mais  ils  la  complètent 
par  une  désignation  d'époque  équivalente  à  Fidée  arabe  :  (/aando  conca- 
vatar  (iuna)  et  cjuando  fit  gihhosa;  qaod  est  apnd  sextam  mensis  et  tertiam 
ejas  (subauditur  partem).  Or,  la  durée  vulgaire  du  mois  étant  de  3o 
jours,  qui  comprennent  une  révolution  entière  de  3 60**,  le  siuème  de 
celle-ci  est  60*",  ou  Taspect  sextile;  et  le  tiers  est  120°,  ou  l'aspect  triiie , 
comme  les  versions  arabes  le  disaient.  Le  manuscrit  if  Ixig,  ancien  fonds 
hébreu,  de  la  Bibliothèque  royale,  qui  contient  une  version  hébraïque 
de  TAlmageste,  faite  d'après  l'arabe,  reproduit  le  même  énoncé  d'é- 
poque ,  d'après  ce  que  M.  Munk  m'a  certifié.  Pour  deviner,  s'il  est  pos- 
sible ,  le  motif  de  cette  spécification  bizarre,  il  faut  d'abord  fixer  exac- 
tement le  sens  des  termes  astrologiques  employés  pour  l'exprimer.  C'est 
une  chose  merveilleuse  que  la  facilité  avec  laquelle  les  hommes ,  qui 
ne  peuvent  pas  s'entendre  pour  des  idées  raisonnables,  s'accordent 
pour  les  absurdités.  Tous  les  astrologues  grecs,  latins,  persans,  arabes, 
et  leurs  successeurs  européens  du  moyen  âge ,  distinguent  unanimement 
cinq  aspects  efficaces  des  planètes  entre  elles;  et  Albategni  en  donne 
une  raison  suffisante,  dont  je  lui  laisse  la  responsabilité.  C'est,  dit-il, 
parce  que  le  zodiaque  est  divisé  en  douze  signes ,  et  que  le  nombre  1 2 
a  seulement  quatre  diviseurs  entiers ,  a ,  3 ,  &  et  6  !  En  effet ,  le  divi- 
seur 2  coupe  diamétralement  la  circonférence,  et  fournit  deux  aspects, 
la  conjonction  et  l'opposition;  le  diviseur  3  partage  la  circonférence 
par  tiers,  et  donne  l'aspect  trine,  correspondant  à  l'arc  de  120";  c'est 
le  tathlith  arabe.  Le  diviseur  Ix  la  coupe  en  quarts;  il  donne  l'aspect 
quadrat,  répondant  à  90"",  que  désignent  le  mot  arabe  tarbia  et  notre 
mot  français  quadrature.  Enfin,  le  diviseur  6  détermine  l'arc  de  60" 
égal  à  un  sixième  de  la  circonférence.  Il  donne  l'aspect  sextile,  le 
tasdis  arabe.  Ouvrez  le  rerpciêt^os,  le  traité  de  FirmiciLs,  les  livres 
persans  ou  arabes  qui  traitent  de  l'astrologie,  vous  y  trouverez  tou- 
jours cette  même  classification  des  aspfects  au  nombre  de  cinq,  ja- 
mais davantage  ;  et,  dttis  quelques  manuscrits,  ils  sont  rendus  sensibles 
par  des  figures,  auxquelles  on  a  annexé  les  mots  ai*abes  que  je  viens  de 
citer i  ce  qui  en  fixe  matériellement  la  signification,  îndépMidamment 
de  l'étymologie,  qui  d'ailleurs  y  est  conforme.  Par  quel  motif  les  traduc- 
teurs arabes  de  l'Almageste  ont-ils  employé  ces  termes  astrologiques 
tasdis  et  tathlith,  sextile  et  trine,  pour  désigner  les  élongations  dans 
lesquelles  la  lune  est  en  ménisque  ou  biconvexe,  substituant  ainsi  une 
spécification  absolue  de  lieu  à  une  notion  indéterminée?  Je  ne  crois  pas 
qu'on  en  puisse  trouver  de  raison  suffisante  dans  le  vague  de  leurs  idées 
ou  de  leur  langue.  Il  me  semblerait  plutôt  qu'ils  ont  cru  indiquer  mieux 


DECEMBRE  1843.  731 

la  nature  du  phénomène,  en  rappelant  les  élongations  où  il  atteint  son 
maximum  dans  la  table  de  Ptolémée.  Car,  d*après  cette  table,  le  maxi- 
rnunr)  exact  aurait  lieu  dans  les  élongations  de  Sy"*  et  i^y,  lesquelles  sont 
si  proches  de  6o*  et  lao**,  que  les  traducteurs  ont  bien  pu  employer, 
pour  une  simple  indication,  le  nom  plus  connu  de  ces  dernières;  ce 
qui  n'avait  d'ailleurs  aucun  inconvénient,  puisque  la  correction  d'ano- 
malie est  presque  la  même  dans  les  deux  cas.  Au  reste,  si  Ton  n'est  pas 
satisfait  de  cette  explication ,  je  dirai  que,  plus  la  modification  faite  par 
les  Arabes  àFénoncé  de  Ptolémée  paraîtra  bizarre,  plus  elle  me  prêtera 
de  secours;  car  j'imite  ici  les  géologues,  qui  recueillent  les  fossiles  con- 
tenus dans  chaque  couche  de  l'écorce  terrestre,  afin  de  reconnaître 
l'identité  de  la  couche  quand  les  mêmes  fossiles  se  présenteront. 

Je  prends  maintenant  l'ouvrage  d'Aboulwefa ,  contenu  dans  le  ma- 
nuscrit n°  1 138,  ancien  fonds  arabe,  de  la  Bibliothèque  royale.  De- 
lambre,  dans  son  Histoire  de  l'astronomie  au  moyen  âge,  en  a  extrait 
toute  la  partie  trigonométrique ,  d'après  une  traduction  que  feu  M.  Sé- 
dillot  lui  avait  communiquée  ^  Je  n'aurai  donc  pas  à  y  revenir.  Il  n'a 
rien  dit  de  la  partie  astronomique ,  ou  l'a  considérée  coitmie  insigni- 
fiante  :  c'est  elle  que  je  vais  examiner  ^. 

Le  livre  est  intitulé,  Abnageste  d'Aboulwefa.  Cette  dénomination  se 

*  Delambre,  Histoire  de  Vaslronomie  au  moyen  âge,  p.  i65  et  166.  —  *  Le  ma- 
nuscrit a  (Hé  paginé  en  Europe,  lors  de  sa  réception  à  la  Bibliothèque  royale, 
ou  postérieurement,  et  la  continuité  du  numérotage  montre  qu*il  est  aujourd'hui 
tel  qu'il  était  au  moment  de  cette  opération.  Mais,  en  le  compulsant  tout  entier  avec 
soin,  pour  voir  s'il  ne  contiendrait  pas  quelque  détail  d'observation  propre  à  Tau^ 
teur,  relativement  à  la  lune,  ce  qui  ne  s'y  est  pas  rencontré,  M.  Munk  a  reconnu 
qu'il  manque  çà  et  là  plusieurs  feuillets  du  texte  original,  et  il  a  signalé  ces  lacunes 
dans  la  note  suivante  : 

•  Après  le  feuillet  g3 ,  il  y  a  une  lacnne  de  six  feuillets.  La  taUe  des  maiîères 
montre  que  l'auteur  y  parlait  des  différentes  sphères  de  la  lune  «et  de  leurs  mou- 
vements, ainsi  que  des  trois  inégalités  de  la  lune,  des  mouvements  des  autres  pla- 
nètes, de  Vénus,  etc.  Aboulwefa  revient  sur  ces  objets  dans  son  septième  livre  (et 
c'est  là  que  l'on  trouve  le  chapitre  dont  on  a  donné  la  tradnctioD]  ;  mais  il  les  avait 
traités  d'abord  comme  préparation  générale ,  ainsi  qdfltae  dit  lui*méme  au  com- 
mencement de  ce  livre  Vil ,  où  il  s'exprime  dans  les  termeiL^uivanis  : 

«Dans  le  livre  précédent,  bous  avons,  pour  préparer  aux  démonstrations,  traité 
«  des  choses  qui  doivent  précéder  la  connaissance  des  différents  mouvements  des 
«  planètes ,  et  des  conceptions  qu'on  peut  se  former  de  leurs  effets.  Dans  ce  livre 
«  (le  VII*) ,  nous  allons  faire  connaître  de  quelle  manière  nous  sommes  parvenu  à  la 
«  connaissance  de  ce  qui  précède ,  et  les  voies  par  lesquelles  nous  sommes  arrivé 
•  à  (  connaître)  leurs  états.  » 

On  voi{,  par  cette  phrase  même,  que  le  livre  VII,  qui  est  resté  complet,  coBtieiH 
tous  les  documents  d'observation  qii^Abouiwefa  avait  cm  devoir  rapporter  pour 
établir  la  théorie  des  diverses  ioégttîtét  hiçaires.  Le  chapitre  relatif  a  ce  qu'il  ap- 

9»- 


732  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

donnait  alors  à  tous  les  traités  astronomiques  qui  embrassaient  Tensemble 
des  phénomènes  célestes,  comme  celui  de  Ptolémée.  Aboulwefa,  dans 
sa  préface ,  nomme  Ptolémée,  Hipparque  et  Apollonius,  qui,  avec  beau- 
coup d'autres  anciens,  ont,  dit-il,  abordé  le  même  sujet;  mais  il  annonce 
qu'il  a  suivi  une  voie  nouvelle ,  qu'aucun  d'eux  n'avait  mentionnée,  et  qui 
conduit  aisément  à  ces  hautes  connaissances.  Il  est  difficile  de  se  tenir 
plus  au-dessous  d  une  si  grande  promesse.  La  partie  astronomique  du  livre 
d'Aboulwefa  n  est  que  le  traité  de  Ptolémée,  amoindri,  tronqué,  lacéré 
en  une  multitude  de  divisions  et  de  sous-divisions,  donnant  naissance 
à  des  paragraphes  de  quelques  lignes,  où  les  phénomènes  et  les  mé- 
thodes de  calcul  sont  généralement  énoncés  comme  autant  d'aphorismes, 
sans  principes  qui  les  établissent,  sans  démonstrations  qui  les  prouvent, 
sans  observations  qui  les  justifient.  Après  un  long  détail  sur  les  pro- 
blèmes les  plus  ordinaires  de  l'astronomie  sphérique,  fauteur  expose  la 
représentation  des  mouvements  des  astres  par  les  excentriques ,  les  épi- 
cycles  et  les  combinaisons  de  ces  cercles,  sans  légitimer  nullement  leur 
emploi  par  la  comparaison  des  observations  et  du  calcul,  même  sans 
rapporter  les  éléments  astronomiques  et  numériques  d'aprèi  lesquels 
on  parvient  à  établir  leurs  relations  de  grandeur.  Et  encore ,  dans  tout 
ce  long  plagiat  des  méthodes  grecques ,  il  parle  toujours  en  son  nom 
propre,  nou^  avons  reconnu,  nous  avons  trouvé,  absolument  comme  si 
toutes  ces  conceptions  étaient  siennes,  ou  comme  s'il  les  présentait  à 
des  auditeurs  en  nom  collectif.  Le  traité  des  hypotyposes  de  Proclus 
est  incomparablement  au-dessus  de  celui-là,  tant  pour  l'ordre  des  idées 
que  pour  la  netteté  de  l'exposition.  Au  reste,  on  en  jugera  dans  un 
moment. 

Toute  la  théorie  des  moyens  mouvements  et  des  inégalités  de  la  lune 
occupe  six  pages  de  discours  sans  une  seule  figure  :  je  le  donne  aux  plus 
habiles  de  notre  temps  d'être  si  bref.  Arrivé  à  la  première  inégalité, 
l'auteur  arabe  la  fait  de  5°;  et  il  la  construit  par  un  épicycle  ou  un  excen- 
trique, comme  Ptolémée  et  Hipparque;  mais  de  ceux-ci  pas  un  mot  :  il 
parle  en  son  nom.  Paaiont  à  la  seconde  inégalité,  cette  augmentation  de 
la  première  qui  s'observe  dans  les  quadratures,  nous  la  trouvons,  dit- 
il,  de  7®  lio'  :  c'est  aussi  le  nombre  de  Ptolémée;  et,  ajoute-t-il,  il  est 
évident  (jiie ,  dans  ce  cas,  le  centre  de  V épicycle  se  rapproche  de  la  terre;  c'est 
ce  que  Ptolémée  suppose  encore.  Enfin,  il  fait  tourner  l'excentrique 

pelle  la  troisième  inégalité  nous  présente  donc  tout  ce  qu'il  avait  d'essentiel  à  dire 
sur  ee  sujet. 

M.  Munk  a  encore  reconnu  une  lacune  de  deux   ieuillets  après  celui  qui  est 
numéroté  65.  Mais  il  ne  devait  s'y  trouver  rien  qui  fût  relatif  à  la  lune. 


DÉCEMBRE  1843.  733 

autour  de  la  terre  avec  un  mouvement  angulaire  double  du  synodique, 
pour  opérer  ce  rapprochement  deux  fois  par  mois  :  c'est  aussi  TartÛice 
employé  par  1  auteur  grec.  Mais  Aboulwefa  ne  le  cite  point  et  dit  tou- 
jours 11005,  en  nom  collectif;  d'où  l'on  voit  bien  que,  lorsqu'il  s'exprime 
ainsi,  on  ne  doit  pas  en  inférer  que  c'est  lui  qui  a  découvert  les  choses 
dont  il  parle. 

Après  Taugmentation  de  l'inégalité,  dans  le  passage  des  syzygies  aux 
quadratures,  Tordre  nécessaire  des  idées,  et  aussi  l'ordre  de  l'ouvrage 
grec,  amène  l'oscillation  de  l'apogée  de  l'épicycle,  qui  la  complète.  On 
va  juger  si  l'auteur  arabe  continue  à  suivre  cette  voie  d'imitation ,  ou 
s'il  saute  tout  d'un  coup,  comme  on  l'a  supposé,  à  une  nouvelle  décou- 
verte inconnue  aux  Grecs.  Voici  le  texte  littéral  du  chapitre  où  l'on  a 
cru  voir  ce  prodige  inattendu.  Je  n'y  ai  fait  d'autres  modifications  que 
d'enfermer  quelques-unes  des  phrases  incises  entre  des  parenthèses, 
pour  que  l'on  puisse  suivre  le  fil  des  idées,  que  Ton  perdrait  sans  ce 
secours. 

«Chapitre  X,  sur  la  troisième,  inégalité  que  Ton  trouve  à  la  lune, 
et  qui  est  appelée  l'inégalité  du  mohadzat.  (Manuscrit ,  folio  99,  vers.) 
Item  :  connaissant  les  deux  inégalités  déjà  mentionnées  précédem- 
ment, et  ayant  établi  l'une  des  deux,  au  moyen  du  cercle  de  circon- 
volution (savoir,  la  première  inégalité  que  nous  trouvions  toujours 
dans  les  conjonctions  et  les  oppositions);  et  ayant  connu  son  évalua- 
tion, au  moyen  des  observations  consécutives,  nous  avons  trouvé  que, 
dans  ces  moments-là,  elle  n'excède  pas  cinq  degrés  à  peu  près  (car, 
dans  certains  moments  elle  est  moindre  que  cette  quantité ,  et  parfois 
elle  n'existe  pas  du  tout).  Ensuite  nous  avons  trouvé  que  cette  inégalité 
augmente  à  des  époques  autres  que  les  conjonctions  et  les  pleines 
lunes;  et  la  plus  grande  valeur  que  nous  avons  trouvée  à  cet  accroisse- 
sement  a'eu  lieu  quand  la  lune  a  été  à  environ  un  tarbia  (quadrans) 
du  soleil.  Car,  dans  de  tels  moments,  il  (cet  accroissement)  atteint 
environ  deux  degrés  et  deux  tiers  à  peu  près.  Qu'îlquefois  il  est  moindre 
que  cela ,  et  quelcpiefois  il  n'existe  pas  du  toot.  Et  nous  avons  établi 
cet  accident  de  la  lune  aii  moyen  d'un  cercle  excentrique;  et,  après 
avoir  reconnu  la  valeur  de  ces  deux  inégalités ,  ainsi  que  h  distance 
du  centre  de  l'excentrique  au  centre  du  cercle  des  constellations  zodia- 
cales, nous  avons  trouvé  une  troisième  inégalité  qui  survient  à  la  lune, 
dans  les  temps  où  le  centre  du  cercle  de  circonvolution  se  trouve 
entre  la  distance  la  plus  éloignée  (apogée)  et  la  distance  la  pltfs  rap- 
prochée (périgée)  de  l'excentrique.  Et  le  maximum  de  cela  arrive 
lorsque  la  lune  est  à  environ  un  tathlith  (  un  tiers  de  la  circonférence),  ou 


734  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

un  tasdis(un  sixième  de  la  circonférence)  du  soleil.  Et  nous  ne  trou- 
vons pas  (ou  nous  n  avons  pas  trouvé)  que  cela  ait  lieu  dans  les  conjonc- 
tions et  les  oppositions,  ni  dans  les  moments  destarbiât  (quadratures). 
En  effet,  quand  nous  avons  connu  la  marche  de  la  lune  en  longitude 
et  sa  marche  en  inégalité  (en  anomalie  sur  Tépicycle),  et  que  nous 
avons  considéré  les  moments  où  elle  na  pas  d*inégalité,  quant  à  la  cir- 
convolution ,  je  veux  dire  les  moments  où  la  lune  est  dans  une  des  dis- 
tances opposées  (extrêmes)  du  cercle  de  circonvolution  (car,  lorsqu'elle 
est  dans  ces  endroits  du  cercle  de  circonvolution  elle  n'éprouve  aucune 
inégalité  de  ces  deux  côtés,  car  son  mouvement  moyen  autour  du 
centre  du  monde  est  le  seul  qui  existe  alors);  et,  dans  ces  cas-là, 
lorsque  la  distance  de  la  lune  au  soleil  est  telle  que  nous  l'avons 
dit ,  nous  avons  trouvé  à  la  lune  une  troisième  inégalité  d'environ 
une  moitié  et  un  quart  de  degré,  à  peu  près.  Le  fait  de  ceci  est  que 
nous  avons  observé  la  lune  dans  de  tels  moments,  avec  les  instruments 
que  nous  avons  mentionnés  ci-dessus;  et,  lorsque  nous  l'avons  trou- 
vée en  réalité  (par  son  lieu  vrai?)  dans  un  des  degrés  du  cercle  du 
zodiaque,  nous  avons,  par  un  calcul  rectifié,  en  tenant  compte  des 
deux  inégalités  précédentes,  obtenu  sa  place  plus  avancée  ou  moins 
avancée,  d'environ  un  demi  et  un  quart  de  degré;  et  nous  avons 
trouvé  que  cette  inégalité  est  moindre  que  cette  mesure,  lorsque  la  dis- 
tance de  la  lune  au  soleil  est  plus  petite  ou  plus  grande  qu'un  tasdis 
(sixième de  la  circonférence) ,  ou  un  tathlith  (tiers  de  la  circonférence). 
Et,  par  là ,  nous  avons  su  que  la  lune  éprouve  encore  un  accident, 
outre  les  deux  dont  la  description  a  précédé.  El  cela  ne  peut  avoir 
lieu  ainsi  qu'en  vertu  de  la  déviation  du  diamètre  du  cercle  de  circon- 
volution ,  du  niohadzat  du  point  autour  duquel  s'opère  le  mouvement 
égal,  je  veux  dire  le  centre  du  cercle  du  zodiaque;  car,  lorsque  le  dia- 
mètre du  cercle  de  circonvolution  se  détourne  du  point  autour  du- 
quel s'opère  le  mouvement  égal ,  il  survient  à  la  lune  une  inégalité 
dans  le  cercle  du  zodiaque;  et  cela  parce  que  l'apogée  du  cercle  de 
circonvolution  change ,  et  que  la  ligne  menée  du  centre  du  cercle  du 
zodiaque  au  centre  du  cercle  de  circonvolution  ne  passe  pas  à  l'en- 
droit où  elle  passait  dans  les  temps  où  le  centre  du  cercle  de  circonvo- 
lution est  aux  deux  distances  opposées  (extrêmes)  de  l'excentrique;  et  la 
distance  de  la  lune  à  l'apogée  du  cercle  de  circonvolution  est  changée. 
Car  nous  avons  fait  commencer  le  mouvement  de  la  lune ,  dans  son 
cercle  de  circonvolution,  à  l'apogée ,  lorsque  son  centre  se  trouve  aux 
deux  distances  opposées  (extrêmes)  de  l'excentrique.  En  considérant 
ce  que  nous  venons  de  dire ,  et  faisant  sortir  {eliciendo)  ce  point  {pane- 


DÉCEMBRE  1843.  735 

tttom)  par  les  voies  que  nous  avons  mentionnées  à  leurs  places,  nous 
a  avons  troavé  sa  distance  au  centre  du  monde,  du  côté  du  périgée  de 
«  Texcentrique  (faisant  partie)  de  la  ligne  qui  passe  par  les  centres,  égale 
«  à  la  distance  du  centre  du  cercle  du  zodiaque  au  centre  de  Texcen- 
((  trique.  Et  nous  expliquerons  les  observations  par  lesquelles  nous  avons 
u  reconnu  cette  inégalité,  lorsque  nous  exposerons  les  inégalités  spéciales 
a  des  différents  astres.  » 

Quiconque  se  rappellera  Tanalyse  que  nous  avons  faite  de  l'hypothèse 
grecque  relative  à  Toscillation  de  Tapogéc  lunaire ,  et  les  expressions 
caractéristiques  que  les  traducteurs  arabes  y  ont  attachées,  verra,  au 
premier  coup  d'œil,  que  le  texte  précédent  nest  qu'une  paraphrase 
confuse,  embarrassée,  inintelligente,  du  v*  chapiti*e  du  livre  V  de  TAI- 
mageste.  La  circonstance  astronomique  quon  y  expose  arrive,  de  même 
que  dans  l'ouvrage  grec,  à  son  rang  l<^ique  et  nécessaire,  immédiate- 
ment après  les  deux  premières  inégalités.  L'auteur  donne  à  cette  troi- 
sième-ci le  nom  spécial  du  mohadzat,  que  lui  ont  aflecté  les  traducteui^s 
arabes  de  Ptolémée ,  et  il  ne  Tannonce  pas  comme  une  chose  nouvelle , 
puisqu'il  dit  qu'on  V appelle  de  ce  nom.  Les  expressions  nous  avons  reconnu, 
nous  avons  trouvé,  que  j'ai  soulignées,  et  d'après  lesquelles  on  a  voulu  lui 
en  attribuer  la  découverte,  sont  sans  conséquence ,  puisqu*il  les  emploie 
h  chaque  instant  pour  d'autres  résultats  qui  ne  lui  appartiennent  pas. 
Il  applique  à  son  énoncé  la  même  spécialité  d'élongation  que  les  tra- 
ducteurs arabes  ;  et  il  caractérise  ces  élongations  par  les  mêmes  termes 
bizaiTes  qu'ils  ont  employés.  N'ayant  qu'une  compréhemion  imparfaite 
du  sujet,  il  prend  pour  le  maximum  absolu  de  cette  inégahté  la  valeur 
particulière  de  l'écart  qu  elle  produit  entre  le  lieu  vrai  et  le  lieu  moyen 
de  la  lune ,  dans  la  première  des  observations  d'IIipparque  dont  Pto- 
lémée a  fait  usage,  c'est-à-dire  45'  de  degré;  et  il  ajoute  que  cet  écart 
n'est  jamais  plus  considérable,  quoiqu'il  s'élève  à  i""  26'  dans  la  seconde 
observation  qu'il  néglige ,  bien  qu'elle  soit  nécessaire  pour  établir  la 
loi  du  phénomène,  telle  qu'il  l'admet.  Après  bien  des  détours,  il  se  ré- 
sirnie  en  disant  que  cette  troisième  inégalité  est  due  à  une  déviation 
d* aspect  du  diamètre  apogée  de  Vépicycle ,  lequel,  au  lieu  de  rester  di- 
rigé vers  le  centre  du  zodiaque,  se  détourne  vers  un  point  situé  sur  le 
diamètre  de  l'excentrique,  du  côté  du  périgée  de  ce  cercle,  à  la  même 
distance  de  la  terre  que  son  centre,  mais  en  opposition  avec  lui.  C'est 
là  identiquement  ï énoncé  de  Ptolémée;  et,  de  cette  phrase,  on  ne  peut 
déduire  qu'une  construction  géométrique  pareille  à  la  sienne.  Enfin, 
par  cela  seul  que  l'inégalité  considérée  ici  s'applique  à  la  position  de 
l'apogée  de  la  lune,  ce  ne  peut  être  la  vwriation,  qui  est  absohimefit 


736  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

indépendante  de  cet  apogée.  M.  Munk  a  donc  eu  toute  raison  de  dire 
que  ce  texte  d'Aboulwefa  ressemblait,  pour  le  fond  des  idées,  comme 
pour  le  caractère  général  des  expressions,  aux  versions  arabes  du  v*  cha- 
pitre du  livre  V  de  TAlmageste  ;  et  nous  devons  lui  savoir  gré  de  cet 
avertissement.  Mais  nous  devons  aussi,  tous  tant  que  nous  sommes, 
être  un  peu  confuà  qu  il  nous  ait  été  nécessaire ,  puisqu'une  connais- 
sance plus  approfondie,  ou  plus  présente,  des  hypothèses  greccjues, 
ne  nous  aurait  pas  laissés  hésiter. 

Pour  qu'on  n'ait  plus  à  revenir  sur  ce  sujet,  j'ajouterai  encore  deux 
mots. 

On  avait  présenté  le  texte  d'Aboulwefa,  relatif  à  la  théorie  de  la 
lune,  comme  se  terminant  au  chapitre  que  nous  venons  de  traduire; 
ou ,  du  moins ,  ce  soupçon  pouvait  se  présenter  à  l'esprit.  De  là  il  était 
naturel  d'inférer  que,  peut-être,  le  reste  inconnu  de  l'ouvrage  renfermait 
d'autres  découvertes  associées  à  celle  que  Ton  avait  cru  y  apercevoir. 
Mais  cette  supposition  ne  serait  pas  fondée.  Le  chapitre  que  nous  avons 
rapporté  n'est  pas  le  dernier  de  cette  théorie.  Il  est  suivi  d'un  autre,  fort 
court,  dans  lequel  Aboulwefa  veut  prouver  que  le  moyen  mouvement 
de  la  lune  s'effectue  constamment  autour  du  centre  de  la  terre  ;  ce  qui 
montre,  à  mon  avis,  qu'il  n'avait  pas  une  juste  notion  des  principes 
sur  lesquels  se  fpnde  la  détermination  de  cet  élément.  De  là  il  passe  à 
la  théorie  des  autres  astres  qui  ont  un  mouvement  propre,  de  sorte 
que  ce  qu'il  a  voulu  dire  ici  sur  les  inégalités  de  la  lune  est  complet. 

Comme  la  variation  atteint  son  maximum  dans  les  octants,  on  a ,  pour 
la  retrouver  ici  dans  le  texte  arabe,  avancé  que  les  mots  tathlith  et  tas- 
dis  pourraient  bien  désigner  aussi  les  octants ,  soit  dans  leur  significa- 
tion propre,  soit  conjointement  avec  le  sens  d'aspect  trine  et  d'aspect 
sextile ,  qu'on  leur  attribue  dans  leur  usage  habituel.  Mais,  au  dire  des 
orientalistes  les  pins  expérimentés,  cette  extension  ou  cette  connexité 
de  sens  seraient  contraires  à  l'analogie  grammaticale,  et  sans  exemple 
dans  les  textes  connus.  M.  Reinaud  m'a  écrit,  sur  ce  point  de  philologie, 
une  lettre  dont  il  m'a  autorisé  à  faire  usage,  a  Les  expressions  tathlith  et 
iitasdiSf  dit  M.  Reinaud,  dérivent  d'un  radical  arabe  aussi  régulièrement 
u  que  le  mot  latin  sextilis  dérive  de  sex,  quadrans,  de  quatuor^  etc.  Ces 
«  termes  astrologiques,  mis  en  usage  par  les  premiers  astronomes  arabes, 
«ont  été  adoptés  parles  Persans  et  les  Turcs,  qui  les  ont  employés 
M  dans  la  même  acception  qu'on  leur  avait  donnée  primitivement.  Rien  , 
«  dans  ces  mots,  ne  renferme  l'idée  du  nombre  huit.  Si  les  Arabes  avaient 
«voulu  exprimer  l'idée  d octant,  il  leur  était  bien  facile  de  recourir  à  la 
«  forme  tathmin ,  qui  aurait  signifié  huitième,  en  la  dérivant  de  la  racipe 


DÉCEMBRE  1843.  737 

«arabe  thaman,  qui  signifie  huit;  mais  je  n'ai  jamais  trouvé  l'expression 
(itaikmin  ainsi  employée. »  Un  autre  orientaliste  fort  célèbre  ma  dit  la 
même  chose;  mais  il  a  voulu  garder  Tincognito.  M.  Munk  a  seule- 
ment trouvé  le  participe  mothamman  employé  pour  signifier  octo- 
gone,  dans  TEuclide  arabe  de  Nacir-eddin-Tousi.  Me  permettra-t-on 
d'ajouter  à  ces  savants  témoignages. une  citation  qui  les  justifie  et  les 
complète?  Ils  s'accordent  à  établir  que  le  mot  tathmin,  qui  serait  gram- 
maticalement possible  dans  la  langue  arabe ,  pour  exprimer  l'idée  d'oc- 
tant, ne  s'est  jamais  offert  aux  profonds  orientalistes  que  je  viens  de 
nommer  :  cela  vient  très-probablement  de  ce  que  le  mot  qui  aurait  ex- 
[Kimé  cet-  aspect  de  la  lune  n'a  jamais  été  nécessaire  aux  astronomes 
arabes,  parce  qu'il  ne  l'ont  jamais  spécialement  considéré  dans  leurs 
observations.  Car  Kepler,  qui  était  fort  instruit  des  doctrines  arabes, 
asgure  que  le  mot  octant  a  été  inventé  par  Tycho,  à  propos  de  la  va- 
riation qu'il  avait  découverte.  «  Quadrantes,  dit-il,  quatuor  phases  bise- 
«  cant;  Braheusoctantes  dixit,  quodmensis  iis  in  octo  parte»  dividatur^  » 
Ainsi  s'évanouit  encore,  dans  cette  dernière  épreuve,  l'espérance 
trop  légèrement  conçue  de  voir  les  Arabes  dépasser  les  théories  astro- 
nomiques des  Grecs.  Un  tel  résultat,  pour  vrai  dire,  était  peu  à  présumer 
d'un  peuple  nouveau,  sans  préparation  intellectuelle,  récemment  tiré  par 
le  fanatismC^t  parles  armes  du  fond  de  ses  déserts,  ayant  alors  à  peine 
une  langue  écrite,  et  que  son  imagination  fantastique  devait  rendre  pen- 
dant longtemps  insensible  à  la  précision  des  idées  autant  qu'impropre 
aux  conceptions  rigoureuses.  Mais,  en  perdant  ces  illusions,  nous  sommes 
plus  sûrement  ramenés  à  leur  demander  seulement  ce  qu'ils  ont  pu  avoir 
et  qui  nous  serait  si  utile ,  je  veux  dire  les  traces  perdues  des  idées  an- 
cieniies  \  peut-être  la  reproduction  d'ouvrages  grecs  qui  ne  nous  sont  pas 
arrivés  directement;  surtout,  des  notions  contemporaines  sur  les  peuples 
avec  lesquels  ils  ont  dû  avoir  des  rapports;  et  enfin  quelque  lumière 
sur  le  passé  de  l'Inde,  dans,  lequel  nous  n'avons  pas  encore  pénétré. 
Toutefois ,  en  cherchant  à  puiser  ces  notions  dans  leurs  livres  *  il  faudra 
user  d'une  sage  défiance,  et  se  rappeler  toujours  ces  paroles  d'un  écri- 
vain philosophe  qui  avait  été  en  position  de  les  bien  connaître  :  «De 
u  los  Moros  no  se  puedc  esperar  verdad  alguna ,  porque  todoâ  son  em- 
u  belecadores ,  falsarios,  y  chimeristas^.  » 

BIOT. 

'  Epitome  astrommiœ  Copemicanœ,  lib.  VI,  p.  792  «  éd.  in-13,  Lentiis  ad  Danu- 
bium,  i5a3.  —  *  Je  joins  ici  Tindication  de  quelques  fautes  d*impression  qu'il  est 
nécessaire  de  corriger  dans  les  articles  précédents,  et  que  je  n  ai  aperçues  que  trop 
tard.  Page  5i4«  ligne.5  en  remontant  :  celMà,  L'seï  celles-là-  Page  SaS,  ligne  là  : 

93 


738  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Il  sbpolcro  dej  Volunnî,  scoperto  in  Peragia  nel  iSàO,  ed  altri 
monamenti  inediti  etraschi  e  romani,  esposti  da  G.  B.  Vermiglioli. 
Perugia,  i84o,  in-4". 

PIN    DU    DEUXTÈMB    ARTICLE  ^ 

En  continuant  Texamen  des  autres  inscriptions  du  tombeau  des  Vo^ 
Iwnnii,  et  sans  nous  arrêter  au  fragnfient  qui  se  trouve  sur  la  paroi  du 
mur  extérieur  de  la  tribune ,  à  droite  de  Tentrëe ,  mais  qui  est  trop 
maltraité  par  le  temps  pour  qu  on  puisse  en  rien  tirer,  mênie  par  con- 
jecture ^  nous  arrivons  à  Tinscription  bilingue  que  nous  avons  déjà  fait 
connaître  *,  et  qui  offre  une  importance  trop  facile  k  apprécier  par  tous 
nos  lecteurs,  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'insister  sur  ce  point.  Cette  ins- 
cription porte  le  nom  d'un  membre  de  la  famille  Volumnia,  appelé 
Publias  VOLUMNIUS,yîfe  d'Aulas,  surnommé  Violens ,  et  qualifié,  en 
outre,  selon  l'usage  étrusque,  de  Jils  de  Cafatia,  Cafatia  natus,  La  pré- 
somption naturelle,  confirmée  d'ailleurs  par  quelques  autres  inscrip- 
tions du  même  genre  qui  nous  restent  de  l'antiquité  étrusque ,  de  l'é- 
poque romaine,  c'est  que  l'inscription  étrusque  comprend  les  mêmes 
désignations.  Partant  de  là,  cette  inscription ,  qui  est  ainsfconçue  : 

Jfll+A8flD   .    VA   .   ANM4U3-^    .   IV1 

doit  se  traduire  de  cette  manière  :  Pub,  Velimnas  ,jils  d'Aulas,  né  de  Cafa- 
tia; et  Ton  voit  qu'à  l'exception  du  surnom  romain  Violens,  qui  avait  dû 
naturellement  se  trouver  supprimé  dans  l'inscription  étrusque,  le  même 
personnage  est  désigné  de  la  même  manière  dans  les  deux  textes.  Ce- 
pendant, M.  Vermiglioli  a  tiré  de  l'inscription  étrusque  un  sens  tout  dîf- 

elliptiqaes,  lisez  écliptiques.  Page  53o,  ligne  5  :  plus  grand  cercle ,  iisez  le  plan  d'un 
^rand  cercle.  Pitge  535,  lignes  6-io-i4-23  :  au  dénominateur  des  formules,  au  lieu 
de  1 — a*,  lisez  (x — a*)  *.  Page  6a6,  iigae  i5,  eu  remontant,  au  lieu  de  —^^  lisez 


1  <  6 

1  *  •' 


'  Voir  le  cahier  de  novembre,  p.  666-680.  —  *  Voy.  Tobservation  que  ce  frag- 
ment d'inscription  nous  a  suggérée,  dans  notre  premier  article,  p.  608,  3).  —  '  Les 

lettres  RV,  par  abréviation  de  RVU»  pour  RVtES,^/^  d'Aulas,  sont  connues  par 
plus  d'un  exemple  Iburni  par  des  inscriplions  étrusques.  Quant  au  mot  Cafatial,  où 
la  désinence  al  est  généralement  admise  comme  signifiant  la  relation  dejlb,  c  est 
un  nouvel  exemple  à  Tappui  de  cette  doctrine ,  qui  la  rend  de  plus  en  plus  cer- 
taine. La  famille  Cafatia  est  coanue  par  de  nombreuses  inscriptions  de  Permgia , 
Verroi^ioli,  Iscriz.Perug.  t.  I,  n.  la,  p.  a4-2  5;  n.  37,  p.  179;  n.  la,  p.  i5o: 
n.  190»  p.  aô3;ii.  a6a  et  si63,  p.  977';  n.  356,  p.  Soi;  n^365,  p.  3io,  etc. 


DÉCEMBRE   1843.  739 

férent,  en  regardant  les  lettres  fVI  comme  exprimant  ie  mot  étrusque 
rvifli  et  en  adoptant  pour  ce  mot  la  signification  défile  proposée  par 
Lanzi  ^  Dans  cette  hypothèse,  et  en  supposant  que  le  non>  f^^U^^p 
est  mis  au  datif,  M.  Vermiglioli  traduit  ainsi  l'inscription  étrusque  : 
La  fille  à  Volamnitts,  fils  d'Aulas,  né  de  Cafatia  (sous-entendu  a  posé,  a 
consacré  ce  monument);  mais  je  ne  crains  pas  de  dire  que  cette  traduc- 
tion ,  fondée  sur  plusieurs  suppositions  gratuites ,  est  tout  k  fait  inadmis- 
sible. Il  est  contraire  à  l'analogie  et  à  lusage  de  toutes  les  langues  que 
nous  connaissons  qu'une  inscription  commence  par  le  moi  fille ,  sans 
que  cette  fille  soit  nommée  d'abord;  et  il  est  de  fait  que,  sur  un  assez 
grand  nombre  d'inscriptions  étrusques  que  nous  possédons  de  Peragia 
même,  où  se  trouve  ce  mot  rVIfl»  avec  la  signification  présumée  de 
fiUe^  il  se  lit  toujours  à  la  fin,  non  au  commencement  de  l'épitaphe,  et  à 
la  suite  d'un  nom  de  femme^.  Je  me  contente  de  cette  observation,  sans 
opposer  à  l'opinion  de  M.  Vermiglioli  la  difficulté  que  phis  d'un  critique 
moderne,  notamment  feu  M.  Kellennann  ',  a  élevée  contre  cette  signi- 
fication même  du  mot  rvtf) .  admise  sur  la  foi  de  Lanzi  par  notre  au- 
teur, mais  contestée  par  la  plupart  des  étruscistes  ultramontains  ^.  Mal- 
gré le  peu  de  confiance  que  j'éprouve  dans  ces  origines  grecques  des 
mots  étrnsques,  ingénieusement  recherchées  par  Lanzi,  j'avoue  que 
celle  de  paîa,  qu'il  dérive  du  grec  uW,  féminin  supposé  de  vlés,  avec 
le  digamma  éolique  fvid,  m'a  toujours  paru  l'une  des  plus  heureuses; 
elle  est  en  quelque  «orte  justifiée  par  l'inscription  tyrrhénopélasgique  : 
2VIV®V^mjfl>IM,  que  Lanri  lisait  MI .  CALAIRV .  PHVIVS  pouf 
slfju  Ka'kaipov  vl6^  *,  interprétation  qui  a  paru  plausible  à  Ott.  Mùller*  et 
à  M.  Lepsius  '',  et  que  je  suis  ti'ès-disposé  à  admettre  pour  mon  propre 
(X>mpte:  Et  cependant,  je  ne  puis  dissimuler  que  le  grand  critique  que 

*  Saggio,  etc.  t.  II,  p.  aSg.  — *  Vermiglioli,  hcriz.  Perug,  I,  cl.  iv,  7,  p.  i43; 
ci.  V,  n.  1 55,  p.  343 ;  n.  820,  p.  298;  n.  368,  p.  3iO',  n.  373,  p.  3i  1  ;  n.  38&, 
p.  3 16;  cl.  VI,  n.  8,  p.  319.  Des  exemples  de  la  même  expression,  employée  dans 
des  circonstances  semblables,  sont  cités,  p.  1^3,  2),  d'après  des  inscriptions  iné- 
dites de  Cometo  et  de  Viterbe.  —  '  Kellermann,  Ballet.  aelY  Instit,  Arcneol.  i833, 
p.  60-61.  — *  Entre  antres,  par  M.  Orioli,  Annal.  delV Instit.  Archeol.  t.  VI,  p.  176, 
qui  préfère  la  signification  d  épouse,  mais  sans  en  donner  de  motifs  suffisants  ;  car 
il  n'y  a  pas  de  raisons  pour  regarder  plutôt  comme  épouse  que  covain^  fille  la  per- 
sonne désignée  à  la  suite  d*un  nom  d'homme  sur  les  inscriptions  qu'il  cite  d'après 
Lanzi  et  Vermiglioli.  Feu  M.  Kellermann,  qui  avait  adopté,  à  l'exemple  d'OtL 
MùUer,  la  même  opinion  sur  le  sens  du  mol  puia,  n'a  pas  fourni  de  meilleurs  ar- 
guments; et  Lanzi  avait  du  moins  pour  lui  l'élymologie  du  mot,  qu'il  dérivait  du 
grec  ^àU>ç\  tandis  que,  dans  l'hypothèse  contraire,  sur  quoi  se  fonde  la  signification 
èi  épouse?  —  •  Lanzi,  Saggio,  etc.  t.  II,  p.  3a  1 ,  n.  191 .  —  *  Die  Etrasker,  Beilage  zu 
B.  il,  Kap.  4,p.  45i,6i*).  —  '  Lepsius,  ûher  die  Tyrreniscken  Pelatger,  p.  43. 

93. 


740  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

je  viens  de  citer,  Ott.  Mùller,  doutait  de  la  significatioii  de  fille  proposée 
pour  le  mot  rVIfl  ;  il  préférait  plutôt  celle  de  femme  ^,  en  même  temps 
qu'il  adoptait  la  signification  de  fils  aîné  pour  le  mot  CUAN  »  qui  se  ren- 
contre, à  la  fin  de  beaucoup  d'inscriptions  étrusques,  dans  une  posi- 
tion correspondante  à  celle  du  mot  rvifl,  circonstance  qui  semble  ve^ 
nir  à  Tappui  de  l'interprétation  de  fils  et  de  fille  donnée  à  ces  deux  mots. 
Mais  qu'aurait  dit  Ott.  Mûller  et  que  dirait  M.  Vermiglioli  d'une  ins- 
cription étrusque  qui  se  lit  sur  une  urne  funéraire  du  musée  de  Leyde, 
et  qui  est  ainsi  conçue^:  OflIV'WRJD,  cest-à-dire:  CUftH  .  TVIPl .  C ..? 
Et  comment  nos  étiniscistes  pourraient- ils  rendre  compte  de  ces  deux 
mots  ainsi  réunis,  en  l'absence  de  tout  nom  propre  et  d'une  manière 
absolument  contraire  à  tout  ce  que  nous  connaissons  d'exemples  de  ces 
deux  mots,  employés  séparément  sur  tant  de  monuments  étrusques? 
On  voit  encore,  par  ce  trait,  de  combien  de  difficultés  à  peu  près  in- 
solubles dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  est  environnée  l'étude 
des  inscriptions  étrusques ,  et  avec  quelle  réserve  on  doit  procéder  dans 
l'interprétation  de  celles  de  ces  inscriptions  qui  semblent  les  plus  intel- 
ligibles en  apparence.  D'après  ces  observations,  je  n'hésite  pas  à  dire 
que  l'explication  proposée  par  M.  Vermiglioli ,  pour  notre  inscription 
bilingue  du  tombeau  des  Volumnii,  est  de  tout  point  inadmissible.  Les 
lettres  rVI ,  où  il  veut  voir  le  mot  rVIR  contre  toute  analogie,  repré- 
sentent, sans  doute,  par  une  abréviation  qui  n'est  pas  sans  exemple 
dans  l'épigrs^bie  étrusque',  le  prénom  Publias  y  exprimé,  suivant  lusage 
romain,  par  la  lettre  P,  dans  l'inscription  latine,  et  le  nom  /^EUlK^Mfl* 
écrit  pour  /^EUMiMAM,  n'offre  pas  une  difficulté  sérieuse;  en  sorte  que 
l'inscription  étrusque  ainsi  entendue  :  Pub.  Velimnas,fils  d'Aalus,  né  de 
Cafatia,  représente  fidèlement  l'inscription  latine  :  P..  Volamnias.  A.  F. 
Violens,  Cafatia  natas:  ce  qui  doit  être  le  cas  de  tout  monument  bilingue. 
Je  poursuis  l'exafnen  des  inscriptions  étrusques  du  tombeau  des  Vo- 
lumnii, et  je  me  trouve  ainsi  conduit  à  celle  de  l'iu'ne,  qui  est  publiée 

*  Die  Etrusker,  Beilag.  zu  B.  ii,  Kap.  4.  p-  ààb.  —  *  Janssen,  Mus.  Lugd.  Bat. 
inscript  Etrusc.  lav.  ii,  n.  aoo,  p.  i5-i6.  Lanzi  avait  déjà  publié  cette  inscription, 
Saggio,  t.  II,  p.  3o3 ,  n.  i24«  mais  sans  en  faire  Tobjet  d*aucune  observation.  — 
'  Je  puis  citer,  entre  autres ,  Tinscription  d*un  des  cippes  étrusques  du  prince  de 
Canino,  laquelle  est  ainsi  conçue  : 

2PllMVniMU   AI1fl2V<1fl  .  IV1 

Voy.  le  Catal.  di  scelle  Antichità,  etc.  p.  4,  n.  i8a8,  où  elle  est  figurée.  M.  Vermi- 
glioli, qui  la  cite  dans  ses  Iscriz.  Perug.  1. 1,  p.  i54,  i),  aurait  dû  s'en  souvenir, 
en  retrouvant  une  abréviation  semblable  dans  son  Sepolcro  de'  Volunni ,  et  il  m'ex- 
cusera sans  doute  de  la  lui  avoir  rappelée. 


DÉCEMBRE  1843.  741 

pi.  m,  n.  1,  et  dont  Tépitaphe,  distribuée  en  deux  lignes,  est  de  la 
teneur  suivante  : 

MflMkMIJB-^  :   M8<10 

que  notre  auteur  traduit.ainsi  :  Épria  (femme  de)  Volumnias,  Jille  de 
Tarquia.  Ici  encore,  je  ne  crains  pas  de  dire,  ou  plutôt  de  répéter,  car 
j'en  ai  déjà  fait  Tobservation  ^  que  M.  Vermiglioli  s'est  trompé  double- 
ment, en  expliquant  par  des  noms  de  femme  une  inscription  qui  appar- 
tient à  un  homme,  et  en  prenant  pour  une  figure  de  femme  la  statue 
couchée  sur  le  couvercle  de  Furné ,  laquelle  n  est  et  ne  peut  être  que 
celle  d'un  homme.  Le  nom  Velimnas,  par  sa  terminaison  masculine,  ne 
saurait  effectivement  être  qu'un  nom  d'homme;  et  cette  même  terminai- 
son, qui  se  reproduit  pour  tous  les  membres  mâles  de  la  même  famille 
déposés  dans  ce  tombeau,  est  la  désinence  du  nominatif;  d'où  il  suit 
que  le  mot  sous-entendu  de  femme  ne  saurait  se  construire  avec  ce  no- 
minatif. Nous  verrons,  d'ailleurs,  que  le  féminin  du  nom  Velimnas  était 
Velimnei;  d'où  il  résulte  encore,  avec  une  nouvelle  évidence,  que,  sur 
notre  inscription ,  ce  nom  Velimnas  désigne  on  Volamnius ,  et  non  une 
Volumnia.  Le  mot  clan,  qui  termine  l'inscription,  est  généralement 
admis  par  les  critiques  comme  ayant  la  signification  de^fe  ^,  et  même 
de  fils  aine,  suivant  une  distinction  plus  arbitraire ,  il  est  vrai,  que  solide , 
proposée  par  Ott.  Mùller  *.  Mais  les  exemples  que  nous  possédons  de  ce 
mot  clan  nous  l'offrent  toujours  à  la  suite  de  noms  d'hommes,  et  non  de 
femmes '^\  ce  qui  s'accorde ,  du  reste,  avec  l'usage  du  mot  puia,  pour  dé- 

*  Voy.  notre  précédent  article,  cahier  de  novembre,  p.  667.  —  *  Cest  Lanzi  qui 
a  proposé  cette  interprétation  du  mot  clan,  Saggio  di  lingua  etrusca,  t.  1,  p.  264, 
6);  cf.  ibid.  p.  i33,  n.  XLi-xui;  et  son  opinion  a  été  soutenue  avec  raison,  à  mon 
avis,  par  M.  Orioli,  Annal.  delV  Instii.  Archeol.  t.  VI,  p.  167-171,  contre  les  doutes 
exprimés  par  feu  M.  Kellermann,  Ballet  i833,  p.  56.  Les  inscriptions  publiées  par 
M.  VermigiioH,  Iscriz.  Perag.  1. 1,  p.  367 ,  n.  aoÀ  ;  p.  Q91 ,  n.  3o];  p.  298,  n.  32i  ; 
p.  3o4«  n*  3/I7;  p.  3i3,  n.  38o;  surtout  p.  167,  n.  6,  semblent  ne  laisser  aucune 
incertitude  à  ce  sujet.  Ajoutez  finscription  de  la  famille  Pomponia,  à  Tarquinies , 
Ballet,  i833 ,  n.  5,  p.  56,  où  le  mot  clan  ne  peut  guère  s^interpréter  autrement. — 
*  Die  Etrasker,  Beilage  za  B.  11,  K»  Ix,  p.  446.  11  inférait  de  l'opposition  qui  parait 
avoir  été  mise  entre  etera  et  clan,  sur  deux  inscriptions  publiées  par  M.  Vermiglioli, 
Qpascol,  t.  IV,  p.  66,  que,  le  mot  etera  (dérivé  du  grec  éispoç)  signifiant  Taatre ,  le 
second,  clan,  aevait  signifier  le  premier  né;  et  M.  Orioli  a  trouvé  cette  supposition 
indubitable.  Annal,  t.  VI,  p.  170,  2).  Mais  quelle  preuve  a-t-on  que  le  mot  etera 
appartienne  à  la  lan^e  grecque,  quand  le  mot  clan  appartient  certainement  à 
rîdiome  indigène,  ombrien  et  étrusque?  Et  dès  lors,  aue  devient  la  distinction  éta- 
blie par  Ott.  MûIler? —  ^  M.  Orioli  fait  observer  que  1  une  des  urnes  qui  offrent  le 


742  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

signer  une  jille.  Toules  les  analogies  se  réunissent  donc  pour  traduire 
ainsi  Tinscription  qui  nous  occupe  :  Thephri.  Volamnias ,  fils  de  Torchis  ; 
le  premier  de  ces  noms  est  un  prénonpi  étrusque  sous  une  forme  abrégée  ; 
et  Tarchis,  qui  rappelle  le  nom  du  fondateur  de  la  nation  étrusque,  est 
aussi  un  prénom  dont  on  a  déjà  plusieurs  exemples  sur  des  inscriptions 
de  Peragia  même^.  Si  à  toutes  ces  raisons,  dont  1  accord  ne  laisse  pas 
d'avoir  un  certain  poids ,  on  ajoute  la  considération  que  la  figure  couchée 
sur  fume  sépulcrale,  à  en  juger  par  le  dessin  même  que  publie  M.  Ver- 
miglioli,  est  manifestement  celle  d'un  homme,  vêtu,  comme  le  sont  toutes 
les  autres  figures  d'homme  du  même  tombeau ,  de  la  toge  mortuaire  ^m* 
laisse  la  poitrine  découverte,  tandis  que  les  figm^es  de  femme,  dans  ce 
monument  et  généralement  ailleurs,  sont  constamment  v^fue^  d'une 
tunique  qui  les  couvre  tout  entières  ^,  et  si ,  dans  cette  manière  de  juger 
cette  figure ,  je  puis  m'autoriser  de  l'opinion  d'un  témoin  oculaire , 
excellent  juge  en  fait  d'ouvrages  d'art,  M.  Feuerbach,  qui  reconnaît  un 
homme,  et  non  une  femme,  dans  la  statue  en  question*,  on  conviendra, 
sans  doute ,  que  toutes  les  probabilités  se  réunissent  en  faveur  de  la 
traduction  que  je  propose,  et  que  je  soumets,  du  reste,  au  jugement  de 
M.  Vérmiglioli  lui-même,  qui  a  le  monument  sous  les  yeux,  et  qui 
peut  mieux  que  personne  apprécier  la  valeur  de  mes  raisons. 

Nous  allons  retrouver  le  même  prénom  Thephri  dans  l'inscinption 
qui  suit,  et  qui  est  celle  de  l'urne  publiée,  pi.  in,  n.  îi.  On  y  lit  : 

RZ\<S30   MflklMiU^-^    9JVA 
k1AJ>  JAN308VN 

mot  clan  à  la  fin  de  rinscription  a  sur  son  couvercle  une  figure  de  femme  ;  d*où  il 
suivrait  que  ce  mol  désignait  une  fille  aussi  bien  qu*un  fi(s,  hcriz,  Perag.  I.  I , 
p.  1 16,  n.  6  (t.  I,  p.  i63,  cl.  v,  n.  o,  a*ediz.].  Mais  il  aurait  dà  ajouter  que ,  sui- 
vant le  témoignage  de  M.  Vérmiglioli  lui-même,  le  couvercle  n'appartient  pas  à  Fume; 
et  il  est  de  fait  que  le  docte  antiquaire  de  Peragia  traduit  rinscription  de  cette  urne 
ar  des  noms  d'homme  dans  sa  première  édition,  et  par  des  noms  defimme  dans 
a  seconde  :  en  quoi  je  suis  convaincu  qu*il  s*est  trompé;  car  toutes  les  inscriptions 
qu'il  publie ,  où  figure  le  mot  clan ,  me  paraissent ,  sans  exception ,  appartenir  à 
des  hommes.  —  *  Vérmiglioli,  Iscriz.  Perag.  1. 1,  p.  i48,  n.  10;  et  Sepoler,  de'  Vo- 

larmi,  p.  48,  xx.  Le  féminin  RU'^^R'^'  (Tarcbisa)  se  lit  sur  une  inscription  de  la 
galerie  de  Florence,  publiée  par  Lanzi,  Saggio,  t.  II,  p.  346,  n.  agS.  — *•  *  Voy. 
robservation  que  j'ai  eu  déjà  foccasion  de  faire  dans  ce  journal  même ,  juillet  i84^  « 
p.  43o,  1),  et  à  Tappui  de  laquelle  je  puis  citer  encore  deux  urnes  étrusques  du 
Campo  Santo  de  Pise,  dont  le  couvercle  est  formé  par  deux  figures  de  femme  vêtue 
et  voilée,  Monum.  antich.  del  Campo  Santo  di  Pisa  (Pisa,  i8i4«  in-4*')«  tav.  xxxii , 
n.  97 ,  et  tav.  gxlix,  n.  4.  —  *  Feuerbacb,  Ballet.  i84o,  p.  lao  :  cLe  figure  quîvi 
•  riposanti  sono  tutte  quante  m ascoline  ,  etc.  t 


r, 


DÉCEMBRE  1843.  743 

que  M.  Vermiglioli  traduit  de  cette  manière  :  Aulns  VcUmnas,  JiU 
d^Éprisia,  née  de  Nafronia.  La  difficulté  de  cette  inscription,  qui  est  in- 
dubitablement celle  d*un  homme,  Auhs  VeUmnas ,  lequel  était  né  de 
Nufronia,  notion  exprimée  à  la  fois  par  le  mot  Nufrunal,  dont  la  ter- 
minaison al  emporte  cette  signification,  et  par  le  mot  clan,Jils,  la 
difficulté ,  dis-je ,  réside  dans  le  nom  Thephrisa ,  qui,  d'après  sa  désinence 
en  sa  y  semble  appartenir  à  une  femme,  suivant  la  doctrine  d'Ott.  Mùl- 
lei:^,  adoptée  par  d'habiles  critiques  ^;  ce  qui  ne  paraît  cependant  pas 
pouvoir  s'accorder  avec  le  nom  qui  précède  et  avec  lusage  pratiqué 
sur  tous  les  monuments  de  notre  hypogée ,  où  les  noms  et  prénoms  de 
chaque  personnage  sont  constamment  suivis  du  prénom  du  père.  D'après 
cette  considération,  je  serais  disposé  à  croire  que  le  ^ot  Thephrisa  est 
incomplet,  ainsi  que  Va  conjecturé  M.  Vermiglioli  lui-même',  et  je 
présume  qu'il  faudrait  lire  J  A2K  850,  Thephrisal,  jils  de  Thephris, 
Quelle  que  soit  l'opinion  qu'on  adopte,  je  reconnais  toujours  dans  ce 
mot  un  prénom  étrusque ,  Thephris ,  et  non  un  nom  de  famille ,  Épria 
et  Éprisia,  deux  noms  différents  que  notre  auteur  propose  pour  un 
seul  et  même  nom,  lOS^O  et  A2K1850.  Une  observation  paléogra- 
phique qui  n'est  pas  sans  quelque  intérêt,  c'est  celle  qui  concerne  le  mot 
JAN3<8VNi  Nufrunal,  où  la  voyelle  U  est  rendue,  àla  seconde  syllabe , 
par  le  digamma  3.  Nous  connaissions  déjà  plusieurs  exemples  de  ce 
même  emploi  du  digamma  dans  des  inscriptions  étrusques  \  notamment 

*  Die  Elrtuker,  Beilage  za  B.  li ,  K,  tx^  p.  437.  —  *  Kellerroann,  Bullet.  i833, 
p.  54.  —  *  Sepolcro  de*  Volunni,  p.  36  :  «Ivi  le  ultime  leltere  si  sopprimettero  pro- 

•  babilmente,  o  per  idiotisme,  o  per  incuria,  ed  anche  perché  la  pronunzia  di  quel 
«  gentilizio  era  io  famiglia  notissima.  >  Je  trouve  un  exemple  analogue ,  fourni  par 

M.  Vermiglioli,  ibid.  p.  /18,  n.  xx,  dans  le  mot  RJ^I^I^^fli**  Tarchisla,  au  lieu  de 

Jfl2l^9R+,   Tarchisal ,  Jils  de  TarchiSj  qui  était  sans  doule  la  vraie  leçon.  — 

*  Nous  en  avions  déjà  vu  un  exemple  dans  le  nom  matronymique  JA3M3<]R, 

Araneal,  de  noire  tomheaa  des  Volumnii.  Le  même  caractère  C  a  la  valeur  de  TU 

dans  beaucoup  de  mots  étrusques,  tels  que  i3nZ>3Rl  (Saucenes),  Lanzi,  Saggio , 

t.  II,  p.  4i6,  n.  ▼;  ^3^y  [cuer,  pour pmer) ,  ibid.  p.  45a,  n.  xxxv;  U0330  (Thue- 

(U,  Vetilîus),  ihid.;  ^£3+3  (etue).  Ballet,  i84i,  p.  68-69;  cf.  Vermiglioli,  Iscriz. 
Perug.  1. 1,  cl.  n,  r.  3,  p.  1 18.  Ce»t  enfia  1^  même  caractère  qui  figure,  avec  la 

même  valeur,  dans  le  mot  iJI3>MNI'|'  [Tinscail]^  qui  se  voit^  gravé  sur  tant  de 
monuments  étrusques ,  sur  un  manche  de  hnm^,  Lanxi,  Saggio,  t.  II,  p.  443 ,  n.  xxv  ; 
sur  une  base  de  tuf  carrée,  ihid.  p.  434 «  n.  xx;  sur  le  grijfoa  de  Cortone,  Janssen, 
Mus,  Lagd.  Bat.  inscripL  Etrusc.  pj.  iil,  n.  34.  p-  a3-a4;  sur  la  célèbre  Chimère  de 
1a  galerie  de  Florence,  Lanzi,  Saggio,  t.  II,  p.  464 «  n.  xl  ;  cf.  Osann.  Inscript,  aut. 
tab.  III,  n.  3,  et  sur  là  jambe  d*un  chien  de  bronze  iu  musée  Coltellini,  à  Cortoae, 

firagment  inédit.  Le  ne»  4l3^MRO  {Thamckuil) ,  qui  dut  être  si  commun  cbez 


744  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

dans  le  prénom  Aalus  ou  Aula,  emprunté  aux  Romains  ^;  et  je  rappelle , 
h  cette  occasion ,  Tinscription  étrusque  qui  se  lit  sur  \in  vase  peint,  de 
style  et  de  fabrique  grecques,  de  ma  collection,  et  que  j'ai  publiée  dans 
ce  journal  même^,  inscription  ainsi  conçue  :  ^Rmi3^343fl,  cest-à- 
dire  Aule  (Aulas)  Sapinas,  où  nous  voyons  un  nom  propre  de  famille 
étrusque  avec  la  terminaison  ordinaire  en  nos,  usitée  surtout  à  Peragia, 
et  ce  même  prénom  Aulas,  fréquent  aussi  à  Peragia,  et  où  nous  trou- 
vons ,  dans  cette  présence  même  de  noms  étrusques ,  tracés  au  pinceau 
sur  un  vase  peint,  de  fabrique  indubitablement  grecque,  une  des  par- 
ticidarités  les  plus  curieuses  et  les  plus  difficiles  à  expliquer  de  This- 
toire  de  ces  vases  recueillis  de  nos  jours  en  si  grande  quantité  sur  le 
sol  étrusque ,  où  ils  étaient  à  la  fois  un  objet  dlmportation  étrangère 
et  de  fabrication  locale. 

Les  trois  inscriptions  qui  suivent,  appartenant  à  trois  membres  de  la 
famille  Volamnia,  tous  les  trois  ^k  d'Aalas ,  et  conséquemment /réres , 
avec  les  prénoms  divers  de  0<1AJ  [Larth)^  de  J^"ai  (Velius)  et  de 
OH<3R  [Aruns),  ne  donnent  lieu  à  aucune  observation,  si  ce  n'est  que 
M.  Vermiglioli  a  comnois  encore,  au  sujet  de  la  première  de  ces  urnes, 
la  faute  d'y  voir,  dans  la  figure  et  dans  finscription ,  une  Larthia  Vo- 
lumnia,  au  lieu  d'un  Larth  Volamnias,  Cette  faute,  que  j'ai  réellement 
de  la  peine  à  m' expliquer  de  la  part  d'un  homme  aussi  versé  que  le 
savant  professeur  de  Peragia  dans  Tintelligence  des  monuments 
étrusques,  est  rendue  plus  sensible  par  l'inscription  de  l'urne,  publiée, 
tav.  VI,  n.  6 ,  qui  porte  la  statue  de  la  femme  assise  sur  un  siège,  et 
dont  l'inscription  est  ainsi  conçue  : 

La  forme  Velimnei  est  depuis  longtemps  reconnue  pour  celle*  des 
noms  féminins ,  particulièrement  de  ceux  dont  le  masculin  se  termine 

les  Etrusques,  s'écrivait  pareillemeDt  par  C  pour  D,  Land,  Saggio^  t.  II,  p.  3o4. 

n.  ia8.  On  sait,  d'ailleurs,  (jue  le  digamma  C  avait  aussi  .la  valeur  de  la  lettre  U 
dans  Falphabet  osque;  et  je  me  contente  d'en  citer  pour  preuve  les  nombreuses 

monnaies  de  Capoue,  dont  la  légende  constante  est  3/1^^  (Kâpu).  —  *  Ce  prénom , 
si  souvent  représenté,  soit  intégralement,  soit  en  abrégé,  dans  les  inscriptions 

étrusques,  renferme  presque  toujours  le  digamma  C  avec  la  valeur  de  l'U;  voyex-en 
des  exemples  dans  Lanzi,  Saggio,  t.  II,  p.  Ai 9,  n.  vni  ;  dans  Vermiglioli,  Saggio 
di  congett  sopr.  la  grand,  iscriz,  p.  19,  et  tscriz.  Perug,  t.  I,  cl.  11,  n.  8,  p.  1^4;  dan» 
les  Letter.  di  Etrusc.  eradiz,  p.  1^7  »  et  ailleurs.  —  *  Nouvelles  observations  sur  les  an- 
ciennes fabriques  de  vases  peints,  dans  le  Journal  des  Savants,  juin  i84ii  p.  3^,  1). 


DÉCEMBRE  1843.  745 

en  nas;  Lanzi  en  a  fait  le  premier  Tobservation  \  qui  a  été  convertie 
en  règle  grammaticale  par  Ott.  Mûller  ^  ;  et,  àTappuide  cette  doctrine, 
je  me  contente  de  citer  une  belle  urne  étrusque  de  Volterra,  publiée 
deux  fois  par  M.  Micali^,  dont  le  couvercle  porte  la  figure  d'une 
femme,  vétae  et  parée  de  tous  ses  bijoux,  et  dont  Tinscriplion  nous  fait 
connaître  celte  femme  nommée  :  I5IMDI30  [Ceicnei,  pour  Ceicinei,  fémi- 
nin de  Cœcinas).  Le  nom  Velimneif  féminin  de  Velimnas,  est  formé  ab- 
solument suivant  le  même  principe,  et  ce  nom  féminin  s'accorde  par- 
faitement avec  la  figure  de  femme  que  porte  l'urne  sépulcrale.  D'après 
cela,  j'ai  réellement  peine  à  concevoir  que  M.  Vermiglioli  *,  tout  en 
traduisant  l'inscription  étiHisque  comme  elle  devait  se  traduire  :  Velia 
Volumnia,  Aruntia  Nata,  ait  pu  croire  que  Velimnei  était  mis  pour  Ve- 
limnas ,  c'cst-i-dii'e  que  la  forme  féminine  fut  employée  indifféremment 
pour  la  forme  masculine  :  ce  qui  est  contraire  à  l'analogie  et  à  tout  ce 
que  nous  connaissons  de  meilleurs  exemples  fournis  par  fépigraphie 
étrusque. 

Ici  se  termine,  avec  la  dernière  des  inscriptions  étrusques  du  tom- 
beau des  Volumnii,  l'examen  que  je  m'étais  proposé  de  faire  du  travail 
de  M.  Vermiglioli.  J'ai  donné  quelque  étendue  à  cette  analyse,  parce 
qu'il  m'a  semblé  important  de  fixer ,  autant  qu'il  pouvait  dépendre  de 
moi ,  le  véritable  état  de  la  question  en  ce  qui  concerne  l'étude  des  ins- 
criptions étrusques.  Je  ne  me  flatte  pas  que  mes  idées  obtiennent  toutes 
l'assentiment  du  savant  professeur  de  Perugia;  mais  je  connais  assez  la 
noblesse  de  son  caractère  et  la  sincérité  de  son  dévouement  à  la 
science  pour  être  convaincu  que,  malgré  la  diversité  de  nos  opinions,  il 
verra,  du  moins ,  dans  mes  observations,  la  preuve  de  ma  profonde  es- 
time pour  soii  mérite  et  du  vif  intérêt  que  je  porte  à  ses  travaux. 

RAOUL-ROCHETTE. 

*  Lanzi,  Saggio,  L  II,  p.  261 -a 62.  —  *  Die  Etrasker,  Beilaye  zu  B.  11,  K.  4, 
p.  Ikàc^.  —  ^  Monam.  per  serv.  ail'  Italia  avant,  il  dominio  de  Romani,  tav.  XLin;  et 
Monam.  per  serv.  ail.  stor.  de'  ant.  popol.  ital.  tav.  cy.  Ce  monument  fait  maintenant 
partie  de  notre  musée  du  Louvre.  —  *  Sepolcr.  de'  Volunni,  p.  4i  :  Nel  Velimnbi, 
forse  per  Velimnas  Vei  posto  in  fine  si  ha  da  conirarre  in  L  Qui  ne  voit  que  celle 
supposition  est  tout  à  fait  gratuite  et  inutile,  et  que  Velimnei  doit  se  prendre  pour 
le  féminin  de  Velimnas,  comme  Ceicinei  est  le  féminin  de  Ceicinas  ? 


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746  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Histoire  de  la  bé publique  de  Gênes,  par  M.  Çmile  Vincens^ 
conseiller  d'Etat.  Paris,  Firmin  Didot,  i842,  3  vol.  in-8*. 

DEUXIÈME    ARTICLE  ^ 

Lorsqu'une  classe  aristocratique  se  fut  formée  dans  Gênes,  vers  le 
milieu  du  xif  siècle ,  par  suite  de  la  richesse  croissante  et  de  Tinfluence 
prolongée  de  certaines  familles ,  que  rendit  peu  à  peu  nobles  la  pos- 
session des  magisti'atures ,  la  répubKque  fut  en  proie  aux  mêmes  divi- 
sions et  aux  mêmes  désordres  que  les  autres  villes  libres  d'Italie.  Les 
passions  ambitieuses,  les  intérêts  opposés,  les  animosités  héréditaires, 
la  remplirent  de  troubles.  Le  gouvernement  était  resté  trop  faible  à 
côté  de  familles  devenues  trop  puissantes  ;  il  ne  pouvait  pas  prévenir 
ou  terminer  leurs  difl'érents  et  imposer  à  toutes  Tobéissance. 

Les  premières  querelles  éclatèrent  entre  les  Castello  et  les  Volta, 
d'une  part,  et  les  Avocati,  de  l'autre.  Les  de  Turca  ou  de  Caria,  les  Vento, 
et  d'autres  citoyens  parmi  les  plus  considérables  de  la  république ,  s'y 
joignirent  bientôt.  Suivies  de  leurs  clientes,  ayant,  malgré  les  défenses 
légales,  élevé  les  tours  de  leurs  maisons  au-dessus  de  quatre -vingts 
pieds ^,  afin  de  pouvoir  y  soutenir  des  assauts,  après  les  avoir  ainsi  for- 
tifiées, ces  familles  turbulentes  se  livrèrent  des  combats  fréquents  dans 
Gênes  *.  Les  consuls  mirent  tout  en  œuvre  pour  les  pacifier.  Ils  firent 
jurer  aux  citoyens  de  leur  prêter  assistance  contre  les  pertubateurs  de 
la  république^;  ils  obligèrent  les  chefs  des  familles  ennemies  à  pro- 
mettre d'observer  une  trêve  pendant  la  durée  de  leur  consulat  *  ;  ils 
saisirent  plusieurs  des  sicaires  qui  servaient  leurs  vengeances ,  coupè- 
rent les  pieds  ou  les  mains  aux  uns,  et  en  jetèrent  d'autres  à  la  mer 
en  leur  attachant  des  pierres  au  cou.  Mais  ce  fut  en  vain  :  le  fils  de 
Rolando  Avocato  avait  été  tué  par  les  archers  de  Marchio  de  Vol  ta , 
Marchio  de  Volta,  fils  d'Inson ,  était  tombé,  pendant  qu'il  était  consul, 
sous  les  coups  des  meurtriers  qui  étaient  sans  doute  aux  gages  d'Âvo- 

'  Voirie  cahier  de  novembre  i843.  —  *  «Hic  quidam,  dit  fannaliste  de  Gènes 
«en  parlant  du  podestat  milanais  qui  régissait  ]a  ville  en  1198,  primiUis  super- 
«fluitates  turrium,  quas  pro  velle  suo  quidam  cives  conlra  licitum  et  constitutio- 
«  nem  communitatis  construxerant ....  sapienter  ac  probissime  demoHri  et  ad  cer- 
«lum  modum  pedum  lxxx  redigi  fecit.  »  Ann.  Genuenses,  lib.  IH;  Muratori,  t.  VI, 
p.  376.  —  '  Ihid,  p.  3 10,  320,  etc.  —  *  «  Treueam  habentibus  guerram  et  maxime 
«  capitibus  jurare  fecerunt.  >  Ibid.  p.  3ao.  —  *  Ibid.  p.  327-3^8. 


DÉCEMBRE  1843.  747 

cato.  Les  haines  paraissaient  irréconciliables  entre  ces  deux  maisons, 
qui  n  étaient  pas  les  seules  en  guerre  ;  d'autres  avaient  commis  ou  souf- 
fert des  violences  qu* elles  ne  se  pardonnaient  pas.  Les  consuls  de 
Tannée  1 1 69  tentèrent  avec  habileté  d'opérer  une  réconciliation  plus 
sérieuse.  L'annaliste  Oberto,  qui  a  continué  CatTaro,  et  qui  était  chan- 
celier de  la  commune,  raconte  la  scène  h  laquelle  donna  lieu  cette  ré- 
conciliation ,  d  une  manière  à  la  fois  plus  naïve  et  plus  intéressante  que 
tous  les  historiens  postérieurs. 

U  dit  que  les  consuls,  après  avoir  pris  à  leur  service  deux  cents  clients 
armés  S  en  avoir  placé  quelques-uns  dans  les  maisons  rivales  et  d'autres 
sur  la  voie  publique ,  s  être  assurés  du  concours  des  hommes  consu- 
laires et  de  lappui  du  peuple,  et  n  avoir  pas  pu  obtenir  des  chefs  des  fa- 
milles en  hostilité  déclarée  qu'ils  sacrifiassent  leurs  ressentiments  au  bien 
public,  les  citèrent  en  justice,  et,  ayant  examiné  leurs  griefs  réci- 
proques ,  décidèrent  qu'il  y  aurait  entre  eux  six  duels  en  champ  clos. 
Tout  fut  préparé  pour  cela  ;  mais  cette  sentence  n'était  qu'un  strata- 
gème imaginé  par  les  consuls  poiu^  disposer  plus  facilement  les  citoyens 
à  la  concorde.  Ainsi  qu'ils  l'avaient  prévu,  les  parents,  les  mères,  les 
femmes  de  ceux  qui  devaient  combattre,  effrayés  d'une  si  dangereuse 
extrémité,  vinrent  supplier  les  consuls  de  ne  pas  y  exposer  ieiurs  con- 
citoyens. Laissons  ici  parler  l'annaliste  : 

((  Lorsque  ces  désirs  et  ces  dispositions  furent  ainsi  connus  des  con- 
suls, ceux-ci  n'en  persistèrent  que  davantage  dans  leur  projet  d*empê- 
cher  les  six  combats,  et  ils  en  choisirent  merveilleusement  le  moyen. 
Gomme  une  pareille  chose  devait  être  entreprise  avec  crainte  et  avec 
respect,  les  consuls  se  rendirent  d'abord  auprès  du  seigneur  archevêque 
Hugo,  qui  ignorait  leurs  intentions  cachées,  et  auquel  ils  les  confièrent 
sous  le  secret.  Elles  lui  convinrent  admirablement.  Les  consuls  lui  di^ 
rent  alors  :  «  Appelons  les  personnes  pieuses  de  l'archevêché  à  concourir 
dà  une  œuvre  si  excellente,  afin  qu appuyés  sur  leur  conseil  nous  com- 
umencions  à  conduire  à  bonne  fin  et  à  l'honneur  de  Dieu  un  dessein  si 
«louable.»  Gela  dit,  ils  résolurent  de  convoquer  au  son  de  la  cloche 
un  parlement  avant  le  jour,  sans  que  les  citoyens  s'y  attendirent,  afin 
qu'étonnés  ils  se  levassent  et  accourussent  de  nuit  plus  promptement 
qu'ils  ne  l'auraient  fait  de  jour.  Us  ordonnèrent  que  les  reliques  de 
saint  Jean-Baptiste  fussent  platées  au  milieu  de  l'assemblée,  que  les 
croix  de  la  ville  fussent  tenues  à  chacune  des  portes  par  des  personnages 

'  •  Statuerunt  ex  libère  suo  arbitrio  clientes  numéro  ce  in  urbe  quam  cito  esse 
«  futures.  >  Ann.  Gmiuetu,  Hb.ll;  Muni((»i,  t  VI,  p.  334. 

9Â. 


748  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

recommandables ,  et  que  tout  le  dergé  se  montrât  revêtu  des  habits 
quil  portait  les  jours  de  grande  fôte.  Aussi  les  citoyens,  en  arrivant  à 
rassemblée  et  en  voyant  cela,  furent  saisis  de  stupeur,  et  ceux  qui,  les 
jours  précédents ,  avaient  accoutumé  de  se  montrer  sans  frein  dans  ce 
même  lieu,  y  parurent  ce  jour-là  comme  tournés  à  Tobéissance  par  l'ins- 
piration divine. 

«  Le  seigneur  archevêque  Hugo  se  leva  d'abord ,  et  après  lui  les  con- 
suls. Attirant  par  dos  insinuations  merveilleuses  les  citoyens  à  la  paix 
qu'il  s'agissait  d'établir,  composant  d'une  manière  admirable  ses  paroles 
et  ses  gestes,  et,  d'une  voix  angélique,  disant  sur  les  périls  de  la  répu- 
blique des  choses  nobles  et  utiles,  comme  il  convient  à  Dieu  et  au 
peuple,  il  s'empara  de  l'attention  de  toute  l'assemblée,  et  sa  pieuse 
vieillesse  plia  les  esprits  à  des  résolutions  inouïes  jusqu'alors.  Aussitôt 
les  consuls  appelèrent  Rolando  Avocalo,  afin  qu'il  vînt  sans  retard  ju- 
rer la  paix  pour  la  cause  de  Dieu ,  pour  l'honneur  de  la  république ,  et 
pour  ne  pas  exposer  davantage  la  ville  au  danger  des  attaques  étran- 
gères. En  entendant  ces  paroles,  Rolando Avocato  déchira  ses  habits, 
pleura ,  et ,  appelant  à  haute  voix  ceux  qui  étaient  morts  dans  cette 
guerre,  il  s'assit  à  terre  et  refusa  d'y  aller.  Ses  parents,  qui  avaient  pro- 
mis aux  consuls  de  prêter  leur  assistance  au  rétablissement  de  la  paix , 
se  pressaient  autour  de  lui,  et,  sans  toutefois  lui  faire  violence,  ils  le 
suppliaient  de  se  rendre  au  vœu  des  consuls  et  du  peuple.  Lorsque  les 
consuls  surent  qu'il  était  comme  anéanti  et  qu'il  ne  voulait  pas  s'avan- 
cer, ils  allèrent  vers  lui  avec  l'archevêque  et  tout  le  clergé,  portant  les 
croix  et  le  livre  des  Evangiles,  devant  lequel  ils  le  conduisirent  comme 
malgré  lui.  Après  beaucoup  d'exhortations  et  de  prières,  il  finit  parju- 
rer avec  calme  la  paix,  selon  l'ordre  des  consuls.  Cela  fait,  on  appela 
aussitôt  Foulques  de  Castro,  qui  n'assistait  pas  à  l'assemblée,  mais  qui 
donna  une  réponse  humble  et  raisonnable  en  disant:  «Je  veux  obéir 
«aux  consuls  comme  aux  seigneurs  et  aux  recteurs  de  ma  patrie;  mais 
«qu'ils  ne  s'offensent  pas  cependant,  si  je  ne  le  puis  avant  que  mon 
«  beau-père  Ingon  de  Volta  m'en  ait  donné  la  permission.  »  Alors  les  con- 
suls ,  accotnpagnés  de  tout  le  clergé,  se  rendirent  à  leur  maison ,  et,  les 
ayant  amenés  tous  les  deux  à  l'assemblée ,  ils  les  sommèrent  avec  une 
aussi  religieuse  gravité  de  jurer  la  paix.  Conduits  devant  le  livrée  de  l'E- 
vangile, après  quelque  résistance,  ils  jurèrent  tranquillement.  Ensuite 
tous  les  parents  qui  avaient  été  en  guerre,  et  tous  ceux  de  la  part  des- 
quels les  consuls  le  crurent  le  plus  utile,  jurèrent  également  et  se  don- 
nèrent les  uns  aux  autres  le  baiser  de  paix.  Cette  réconciliation  ache- 
vée, au  bruit  des  cloches  qui  retentissait  dans  la  ville,  le  seigneur 


DÉCEMBRE  1843.  749 

archevêque  enlonna  ie  Te  Deam  laudamus  avec  tout  son  clergé,  dout 
la  voix  éclatante  remplit  toute  Téglise  ^  » 

Cette  scène  touchante,  empreinte  de  la  couleur  religieuse  du  moyen 
âge  et  des  teintes  sombres  de  ses  querelles  domestiques,  peint  fort  bien 
l'état  des  villes  libres  à  celte  époque.  Elle  prouve  que  M.  Vincens  ne  doit 
pas  se  plaindre  de  la  sécheresse  des  chroniques,  qui  racontent  ordinai- 
rement avec  naïveté  et  rendent  avec  grandeur  tous  les  événements  et 
toutes  les  situations  qui  ont  de  l'importance  pour  Thistoire.  Le  récit  que 
je  viens  de  traduire  n  a  été  surpassé  par  aucun  des  historiens  qui  en  ont 
reproduit  les  détails  d'après  le  chroniqueur  même  du  xii*  siècle.  M.  Sis- 
mondi  Jes  lui  a  empruntés  avec  éloquence ,  M.  Vincens  avec  simplicité. 
Quant  à  M.  Serra,  il  l'a  un  peu  défiguré,  i>our  le  rendre  plus  pitto- 
resque, en  y  ajoutant  quelques  circonstances  qui  sont  dépure  invention^, 
et  Foglietta  Ta  presque  réduit  à  un  long  discours  ^,  qu  il  a  mis  dans  la 
bouche  de  larchevcque,  selon  la  métliode  historique  du  xvi*  siècle,  re- 
nouvelée des  anciens. 

Cette  réconciliation  ne  fut  qu  éphémère,  a  Les  cœurs  de  quelques-uns 
des  chefs  ennemis,  dit  Tannaliste,  paraissaient  encore  ténébreux  et 
comme  remplis  d'orages  ^.  »  En  efiet,  les  volontés  avaient  été  un  mo- 
ment pacifiées ,  sans  que  la  position  qui  devait  les  diviser  de  nouveau 
fut  changée.  Aussi,  quelque  temps  après,  en  i  188,  ie  consul  Angelo 
de  Mari  fut  tué  par  Lanfranco  délia  Turca,  dont  on  bannit  la  famille 
et  rasa  les  tours  ^.  L'année  suivante ,  les  Venlo'ct  les  Volta  se  firent  la 
guerre  dans  les  rues  pour  la  possession  même  du  consulat  ^.  Alors  les 
bons  citoyens,  voyant  que  tous  les  moyens  esssay es  jusque-là  pom*  ra- 
mener la  poix  dans  la  république  avaient  été  infructueux,  recoururent 
à  un  remède  plus  efTicace  :  ce  fut  une  révolution  dans  le  gouvernement. 
Les  magistrats  impériaux  que  Frédéric  Barberousse ,  au  moment  de  sa 
puissance  et  de  ses  victoires  en  Italie ,  avait  introduits  à  la  place  des  con- 
suls dans  les  villes  qui  les  avaient  d'abord  repoussés  comme  les  instru- 
ments d'une  domination  étrangère,  étaient  devenus  la  principale  res- 
source de  celles-ci  au  milieu  de  leurs  luttes  intestines  et  de  leur  sanglante 
anarchie.  Ces  magistrats,  appelés  potestates  ou  podestats,  parce  qu'ils  étaient 

• 

*  Ann.  Genn.  lib.  II  ;  Muratori,  t.  VI,  p.  3a4  à  337.  —  *  T.  I ,  lib.  111,  cap.  vni , 
p.  44i  à  443-  —  *  Foglietta,  Hist.  Genn.  Hb.  II.  —  *  «Corda  quorumdam  hostiuin 
«  videbantur  (cnebrosa  et  velut  imbribus  plena.  >  Ann.  Genaens.  lib.  II,  ad  an.  11 70; 
Muratori,  l.  VI,  p.  333.  —  '  «Congregatis  ilaque  nobilibus  civiiatis  et  populo  ar- 
«mata  manu  ad  capiendos  illos  qui  tantum  scelus  perpetraverant ,  (consules)  ac- 
«  cessenint,  et  domos  et  turrim  et  bona  eonim  omnia  radicitus  destruxenint ,  eot- 
«  que  de  civitale  peniius  ejecerunt.  >  Ibid.  p.  358.  — «  *  Ibid.  p.  36a. 


750  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

investis  de  l'autorité  de  l'empereur,  avaient  été  rétablis  volontairement 
dans  les  villes  deux  ans  après  la  paix  de  Constance,  qui  avait  consacré, 
en  1  i83,  les  résultats  de  la  bataille  de  IJgnano.  En  1 185 ,  les  deux  ca- 
pitales de  la  Lombardie  et  de  la  Romagne ,  Milan  et  Bologne ,  avaient 
déféré  la  suprême  autorité  judiciaire  dans  leurs  murailles  à  des  podestats  ^ 
donnant  ainsi  un  exemple  qui  devint  bientôt  général.  Ces  podestats 
durent  être  étrangers  pour  être  impartiaux ,  nobles  afin  d'exercer  le  pou- 
voir du  glaive  avec  plus  de  résolution  et  de  vigueur,  annuels  et  soumis  à 
rendre  compte  de  leur  administration  en  sortant- de  charge,  de  peur 
qu'ils  ne  tendissent  à  perpétuer  leur  .autorité  ou  qu'ils  n'en  abusassent. 
Ils  arrivaient  dans  les  villes  où  ils  étaient  appelés  avec  les  chevaliers  qui 
leur  servaient  d'escorte  et  les  hommes  de  loi  qui  devaient  les  aider  à 
rendre  la  justice  ;  et ,  dans  les  moments  de  faction  et  de  désordre ,  ils 
convoquaient  le  peuple  au  son  des  cloches ,  pour  qu'il  maixhât  en  armes , 
sous  leurs  ordres,  contre  les  turbulents  et  les  séditieux.  On  doit  le  dire 
î'i  leur  louange,  ils  remplirent,  presque  partout,  avec  une  rare  équité 
et  la  plus  entreprenante  énergie,  la  mission  qui  leur  fut  confiée ,  de  sou- 
mettre tout  le  monde  aux  lois  dans  les  villes  devenues  déjà  incapables 
de  satisfaire  elles-mêmes  au  double  besoin  qu'elles  avaient  de  la  paix 
et  de  la  liberté.  Mais  le  régime  des  podestats  fut,  pour  la  plupart  d'entre 
elles,  le  passage  naturel  du  régime  consulaire  au  régime  seigneurial. 

Les  Génois,  en  voyant  les  heureux  effets  de  la  nouvelle  institution 
chez  leurs  voisins,  se  l'approprièrent  en  1191.  «Par  suite,  dit  le  chro- 
niqueur Oberto,  de  la  jalouse  rivalité  de  plusieurs  qui  ambitionnaient 
outre  mesure  i'ofïice  de  consids  de  la  commune,  beaucoup  de  dis- 
cordes civiles,  de  conspirations  odieuses  et  de  divisions,  s^afiermirent 
dans  la  ville  ;  d'où  il  arriva  que  les  sages  et  les  conseillers  de  la  repu* 
blique  se  réunirent  ensemble,  et  convinrent,  d'un  commun  accord,  de 
mettre  un  terme  au  consulat  dans  l'année  suivante,  et  d'avoir  un  po- 
destat. Le  seigneur  Manegold  de  l'elocio,  citoyen  de  Brescia,  fut 
choisi  pour  exercer  cette  charge,  et  heureusement  installé  ^  »  M.  Vin- 
cens  expose  mieux  cette  révolution  que  M.  Serra.  Celui-ci  place  avant 
le  meurtre  du  consul  Lanfranco  Pevere^  qui  n'eut  lieu  qu'après,  puis- 
que Lanfranco  Pevere  ne  fut  tué  qu'à  la  suite  de  la  révolution  dont  il 
était  le  principal  auteur,  par  le  fils  de  Foulques  de  Castello*;  mais,  en 
retour,  il  donne,  d'après  le  livre  du  notaire  public  Frédéric  de  Riges- 
tro ,  quelques  règles  particulières  à  l'institution  du  podestat  dans  Gênes. 

^  Ann,  Genuens,  lib.  III,  ad  an.  1 190;  Muratori,  t.  VI,  p.  363-36Â.  -~  '  La  stoiia 
délia  antica  Ligaria,  etc.  1 1,  lib.  III,  cap.  vin,  p.  443.  —  ^  Ann.  Genuens,  11b.  UI; 
Muratori ,  t.  VI ,  p.  364  et  366. 


DÉCEMBRE  1843.  751 

Ces  règles ,  les  voici  :  «  Le  conseil  nommera ,  chaque  année ,  trente 
électeur  qui  procéderont  à  Féleclion  sommairement.  L'élu  sera  informé 
sans  retard,  et  interpellé  s'il  accepte.  Après  cela,  deux  envoyés  (de  la 
république)  lui  porteront  les  articles  suivants  pour  quil  les  jure  devant 
le  conseil  de  sa  ville  natale  :  i*  il  ne  verra  les  statuts  de  Gênes  qu'a- 
près avoir  prêté  le  serment  de  vouloir  les  observer;  a*  il  sera  servi  par 
vingt  personnes,  et  accompagné  de  trois  chevaliers  et  de  deux  ou  trois 
juges  à  son  choix,  qui  le  remplaceront,  avec  le  titre  de  vicaires  ou  de 
lieutenants,  en  cas  d'absence,  de  maladie  ou  de  mort;  3*"  les  salaires, 
les  loyers,  les  dépenses  de  voyage,  resteront  à  la  charge  du  podestat; 
mais  il  recevra  le  traitement  de  trei^^e  cents  livres  de  Gênes  \  et  deux 
livres  de  plus  par  jour  dans  les  campagnes  de  mer,  quatre  dans  les 
campagnes  de  terre ,  et  autant  que  le  conseil  en  accordera  dans  le& 
ambassades  ;  4^  l'anniversaire  du  jour  où  il  aura  pris  possession  de  la 
magistrature,  il  devra  sortir  de  Gênes,  non  pas  seul,  mais  avec  tous 
ceux  de  son  pays  et  de  sa  juridiction,  ce  dont  il  sera  dressé  un  instni- 
ment  spécial  ^.  » 

Le  gouvernement  du  podestat,  auquel  on  avait  donné  pour  auxi- 
liaires, dans  la  direction  des  affaires  publiques ,  huit  nobles  élus  tous  les 
ans^,  qui  eut  la  présidence  du  sénat,  exerça  le  pouvoir  exé^cutif  et  la 
police  coercitive  sur  tout  le  territoire  de  Gênes  et  fut  le  juge  des  causes 
criminelles ,  ne  se  fonda  point  tout  d'un  coup.  Les  grandes  familles,  dont 
cette  nouvelle  forme  d'autorité  annulait  l'influence  et  menaçait  la  tur- 
bulente ambition,  essayèrent  d*empêcher qu'elle  ne  se  consolidât.  L'an- 
née même  qui  suivit  son  établissement,  elles  parvinrent  à  restaurer  le 
régime  consulaire  et  à  le  maintenir  trois  ans  de  suite \  Mais,  en  119/1, 
la  guerre  ayant  éclaté  entre  elles  avec  plus  de  violence  que  jamais,  les 
unes  ayant  attaqué  les  tours  des  autres  à  faide  de  fortes  machines ,  et 
chaque  faction  s'étant  donné  des  consuls  particuliers,  les  Génois  i*e- 
noncèrent  encore  au  consulat,  et  choisirent  un  noble  et  courageux 
podestat  de  Pavie,  Oberto  de  Olevano,  qui  rétablit  parmi  eux  Tordre  et 
la  paix^.  Quoique  des  podestats  aient  été  nommés  de  1 1 94  à  1  ao6 ,  sauf 
une  interruption  en  1  ao  1  ^,  il  fallut  encore  une  épreuve  intérieure  pour 
amener  l'affermissement  de  cette  magistrature.  Les  consuls  ayant  repris 
l'autorité,  de  1207a  1 2 1 6  '^,  les  troubles  recommencèrent,  et  Ton  revint 

^  t Nd  1 191,  dit  M.  Serra,  la  lira  di  Genova  valeva  men  oncla  d^oro,  et  la  pro- 
«  porzione  deli*  oro  ail*  argento  era  quasi  soddupla  délia  présente,  v  Note  de  la 
page  45o  du  premier  volume.  —  *  La  storia,  ele,  1 1,  p.  449'45o.  —  ^  Ann.  Gênmeiu. 
lib.  m ,  ad  an.  11 96  ;  Moratori ,  t.  VI ,  p.  374*  —  ^  IbU.  p.  566-67.  —  '  Ibid,  p.  367. 
— ^  Ibid.  p.  383.  —  '  Ibid,  p.  394  à  4ii.  Cependant  3  y  eut  un  podestat  en  laii; 


752  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

définitivement  à  Tadministration  plus  tutélaire  des  podestats,  qui  fut 
alors  complétée  par  le  choix  de  jurisconsultes  étrangers,  nommés  tous 
les  ans  à  la  place  des  consuls  des  plaids ,  dont  le  tribunal  s'était  con- 
servé jusqu'en  1216  ^  L'institution  du  consulat  prit  ainsi  fin  à  Gênes, 
soit  dans  l'ordre  politique,  soit  dans  l'ordre  judiciaire ,  après  y  avoir 
duré  plus  d'un  siècle.  Elle  avait  été  la  première  forme  du  gouverne- 
ment de  la  république,  qui  en  essaya  depuis  beaucoup  d'autres,  sans 
se  reposer  longtemps  dans  aucune. 

En  lisant  cette  partie  de  l'ouvrage  de  M.  Vincens,  on  aimerait  que  le 
judicieux  historien  eut  marqué  davantage,  à  l'aide  même  de  la  chro- 
nique d'Oberto ,  les  alternatives  de  la  lutte  qui  exista,  de  1191  à  1116, 
entre  les  deux  régimes  des  consuls  et  des  podestats,  dont  l'un  succomba 
parce  qu'il  favorisait  l'ambition  des  grandes  familles,  et  l'autre  triompha 
parce  qu'il  soutenait  l'intérêt  public.  Gênes,  sous  les  podestats,  fut  mieux 
gouvernée  et  resta  aussi  libre.  Elle  le  devint  même  davantage,  car  tout 
ce  qui  est  p^rdu  pour  Tanarchie  est  gagné  pour  la  liberté.  D'ailleurs ,  les 
podestats ,  quoique  plusieurs  d'entre  eux  aient  été  maintenus  jusqu'à 
trois  années  consécutives  en  charge^,  en  infraction  des  règles  prudentes 
consacrées  à  cet  égard,  ne  pouvaient  pas  usurper.  Les  citoyens  de  Gênes, 
en  leur  donnant  des  conseillers,  leur  avaient  imposé  des  surveillants. 
Ils  conservaient  leur  vieille  souveraineté ,  qu'ils  exerçaient  dans  les  par- 
lements. La  haute  direction  des  affaires  appartenait  toujours  à  un  sénat 
composé  des  personnages  les  plus  importants  et  les  plus  expérimentés 
de  la  république ,  et  le  maniement  des  finances  était  confié  à  un  collège 
de  huit  nobles,  renouvelé  tous  les  ans^.  L'élection  était  la  forme,  et  la 
mobilité  la  condition  de  tout  pouvoir  dans  Gênes. 

Mais  bientôt  parut  sur  ce  théâtre  un  nouvel  acteur.  Cet  acteur  fut 
ie  peuple.  Son  intervention  dans  le  gouvernement  des  républiques  mu- 
nicipales du  moyen  âge  était  inévitable.  A  mesure  que  s'accroîtraient 
le  nombre ,  la  richesse ,  l'importance  des  plébéiens ,  ceux-ci  devaient 
attaquer  et  vaincre  les  nobles,  dont  ils  supportaient  avec  peine  la  tur- 
bulence et  la  domination  :  c'est  ce  qui  arriva  partout.  Cette  révolution, 
l'une  des  grandes  phases  politiques  par  lesquelles  passèrent  les  villes 

p,  4oo.  —  ^  •  Quum  e  voluntate  totius  consilii  consulatus  placitorum  cessasset.  »  Ihid, 
p.  409.  —  ^  Ainsi  ie  podestat  Guifredollo  Grassello  de  Milan  "fut  élu  en  ia02  et 
réélu  en  i2o3  et  iao4.  Ibid,  p.  584  à  588.  Il  en  fut  de  même  du  podestat  Lam- 
berlino  Guidone  de  Bonarello  de  Bologne,  pour  les  années  laiS,  1219  et  laao. 
Ibid.  p.  /iia  à  417,  etc.  —  ^  «  Pro  reddilibus  quoque  communis  Januœ  recolligen- 
«dis  et  exponendis  habuit  octo  nobiles.  >  Ann.  Genuens.  lib.  V,  ad  an.  laai;  Mura- 
tori,  t.  VI,  p.  42a ,  et  les  années  suivantes. 


DÉCEMBRE  1843.  753 

italiennes,  s'accomplit  au  xni*  siècle.  Dès  Tannée  laoo,  les  plébéiens 
de  Padoue  enlevèrent  aux  magnats  Tadministration  de  la  ville ,  quils 
^attribuèrent ,  et  ceux  de  Brescia  chassèrent  les  nobles  de  leurs  mu- 
railles. En  1221,  les  nobles  de  Milan  et  de  Plaisance  furent  aussi  ex- 
pulsés par  lesl plébéiens^  et,  sans  Imtervention  du  pape  Honorius  III, 
qui  pacifia  les  deux  classes,  à  Crémone  la  lutte  y  aurait  eu  la  même 
issue.  Des  divisions  semblables  troublèrent  Modène  en  1224,  et  ce 
phénomène  social,  alors  commun  dans  les  républiques  lombardes, 
éclata  un  peu  plus  tard,  mais  toujours  durant  le  même  siècle,  dans 
les  répubUques  moins  avancées  de  la  Toscane  et  de  la  Romagne.  Ce 
fut  en  1227,  après  le  succès  des  plébéiens  dans  les  villes  de  la  vallée  du 
Pô,  que  se  montrèrent,  à  Gones,  les  premiers  symptômes  de  la  révo- 
lution populaire,  qui,  toutefois,  ne  s'y  opéra  pleinement  qu'en  iSSg. 
Pourquoi  fut-elle  aussi  lente?  Par  deux  raisons,  à  ce  que  je  crois.  La 
première  est  la  tai^dive  formation  de  la  noblesse  génoise;  la  seconde  est 
Torigine  commerciale  de  cette  noblesse.  N'ayant  pas  été  primitivement 
féodale  et  n'ayant  pas  dominé  dans  Gênes  ni  aussi  tôt  ni  aussi  orgueil- 
leusement que  les  noblesses  militaires  dans  les  autres  villes ,  elle  resta 
moins  séparée  du  peuple ,  et  fut  dès  lors  plus  tard  dépossédée  par  lui 
<le  l'autorité.  Ces  explications,  que  je  hasarde,  je  les  soumets  à 
M.  Vincens ,  qui  les  trouvera  peut-être  fondées. 

En  eifct,  Guillaume  de  Mari^  qui  suscita,  avec  le  concours  d'un  cer- 
tain nombre  de  nobles,  le  mouvement  populaire  de  1227,  appartenait 
à  une  des  grandes  familles  de  la  république.  Eji  se  mettant  à  la  tête 
des  plébéiens,  il  prétendit  non  les  rendre  maîtres  de  l'État,  mais  se 
servir  d'eux  pour  arracher  une  partie  des  emplois  publics  à  ceux  des 
nobles  qui  les  possédaient  exclusivement.  Ces  emplois  se  distribuaient 
au  moyen  de  l'influence  qu'exerçaient  sur  les  élections  des  compagnies 
particulières  ou  associations  libres,  auxquelles  tous  les  nobles  n'étaient 
pas  affiliés^,  et  dont  Guillaume  de  Mari  voulut  renverser  la  supréma- 
tie en  créant  une  compagnie  nouvelle.  Il  survint  entre  les  nobles  une 
transaction,  à  la  suite  de  laquelle  les  compagnies  furent  toutes  dis- 

'  cSurrexit  quidam  vîr  nobilis  et  egregius  civis  Januœ,  scîlicet  Guilelmus  de 

«  Mari ,  et  cum  quibusdam  de  nobîlibus conjurationetti  fecit  maximam  et  po- 

«  tentem ,  in  qua  fere  omnes  populares  fuerunt  et  maxima  quantitas  illorum  de  vil- 
«lis.  >  Arui,  Genaent,  lib.  VI,  ad  ana.  1337  ;  Muratori,  t.  VI,  p.  450.  —  '  tQuum 
«  plures  conununitates  et  compagniœ  dicerenlur  esse  in  Janoensi  civitate  et  diutius 
«viguisse,  quamplures  nobOes,  qui  non  erant  in  ipsis  compagniis,  prout  eis  vîde- 
«  balur,  honores  assequi  non  polerant,  ut  debebanl,  nec  ad  communis  officia  voca* 
«  bantur.  v  Ibid. 

95 


♦.. 


754  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

soutes ,  les  emplois  partagés ,  et  qui  laissa  les  plébéiens  livrés  à  leur 
faiblesse  et  à  Timpuissance.  Trente  ans  après,  en  laSy,  cette  impuis- 
sance était  bien  diminuée,  lorsque  les  Génois  firent,  sous  la  conduite 
d*un  plébéien ,  le  premier,  mais  peu  durable ,  essai  du  gouv^nement 
populaire.  Il  est  curieux  de  voir  comment  on  .y  fut  conduit. 

Bien  que  contenues  et  jugées  par  des  podestats  et  des  jurisconsultes 
étrangers,  les  familles  nobles  n  avaient  pas  modéré  leurs  prétentions  ni 
renoncé  à  leurs  luttes.  Ces  luttes  n'avaient  plus  lieu  entre  les  Castello^ 
les  Volta ,  les  Avocati,  les  Turca ,  les  Vento ,  les  Grillo,  et  dans  Tintérieur 
de  Gênes  seulement,  comme  au  xii*  siècle;  elles  existaient  entre  quatre 
familles  qui  avaient  dépassé  de  beaucoup  les  autres  et  dominaient  ia  ré- 
publique ,  et  elles  devaient  se  prolonger  durant  le  cours  du  xiu*  et  la 
première  moitié  du  xiv'  siècle ,  dans  toutes  les  parties  du  territoire  de  la 
république.  Ces  quatre  familles  étaient  celles  des  Spinola ,  des  Doria ,  des 
Grimaldi  et  des  Fiescbi.  Les  deux  premières  figurdiafit  au  nombre  des 
familles  consulaires  depuis  1 1  o&  et  1 1 3&  ;  la  troisième  n  y  avait  été  ad- 
mise qu en  1 1 62  ^,  et  la  dernière,  tirant  son  origine  des  ccmites  féodaux 
deLavagna,  ne  prit  part  au  gouvernement  de  Gênes,  où  elles  établit, qu'a- 
près f  élévation  du  fameux  Sinibald  de  Fieschi  sur  le  trône  pontifical,  en 
i  a  /i  3 ,  sous  le  nom  d'Innocent  IV  ^.  Rattachant  les  querelles  de  leur  ambi- 
tion aux  deux  grandes  causes  de  l'empire  et  de  la  liberté  en  Italie ,  s  as- 
sociant aux  partis  des  Gibelins  et  des  Guelfes,  les  Spinola  et  les  Doria 
s'enrôlèrent  sous  la  bannière  de  Frédéric  II,  les  Grimaldi  et  les  Fiescbi 
sous  celle  des  papes.  Pendant  toute  la  dui^e  de  la  guerre,  la  république 
de  Gênes  (ut  l'alliée  fidèle  de  la  ligue  lombarde  et  du  saint-^i^  contre 
le  petit-fils  de  Frédéric  Barberousse.  Elle  soutint  avec  intrépidité  l'in- 
dépendance italienne  ;  c'était  pour  elle  un  rôle  obligé.  Frédéric  II ,  dis- 
posant des  forces  de  l'Allemagne,  maître  de  la  Sicile  et  du  royaume  de 
Naples,  appuyé,  dans  la  haute  Italie,  sur  les  Gibelins  lombards  et  sur  le 
puissant  Ëccelino  III  de  Romano,  qui  commandait  déjà  dans  Vérone, 
Padoue,  Vicence,  Trévise,  Feltre,  Bellune,  Bassano,  Frédéric  II,  aussi 
à  craindre  par  son  esprit  entreprenant  que  par  ia  grandeur  de  son  cou- 
rage, menaçait  la  péninsule  d'un  entier  assujettissement.  Le  serment  de 
fidélité  qu'il  réclama  des  Génois,  et  qui  fut  présenté  à  ces  fiers  répu- 
blicains comme  un  seiment  de  soumission  ^,  les  rendit  ses  ennemis 

'  Gaffari  Ann.  Genuens.  lib.  I,  ad  an.  ia6a;  Muratori,  t.  VI,  p.  278.  -^  'tCo- 
«  mites  Lavaniœ,  scilicet  iiii  qui  dicanlur  de  Flisco,  nepotes  domini  LÛiocentii  tune 
«  papae,  in  republica  vires  habere  cœpemnt.  >  Ann.  Genuens,  lib.  VI,  ad  ann.  laSo; 
Muratori,  t.  VI,  p.  617.  —  ^  Dans  ses  lettres ,  rempereor  demandait  anx  Génois  de 
prêter  sacramentamjidelitatis  et  hominii;  le  podestat  ]i\t  JideUtatis  et  ooMUfti,  oe 


DÉCEMBRE  1843.  755 

acharnés  et  irréconciliables.  Aussi  bannirent-ils  les  familles  gibelines 
des  Spinola  et  des  Doria,  et  concoururent- ils  à  ruiner  les  desseins  de 
Frédéric.  Leurs  flottes  se  chargèrent  de  transporter  à  Rome ,  en  1 2  4 1 , 
les  prélats  que  Grégoire  IX  y  avait  convoqués  pour  Ty  juger,  et,  n  ayant 
pas  réussi,  elles  allèrent  chercher,  en  ia43 ,  sur  le  rivage  romain ,  le 
Génois  Innocent  IV  pour  qu'il  pût  se  rendre  en  sûreté  au  concile  de 
Lyon,  et  y  prononcer  la  déposition  du  redoutable  empereur.  Cette 
nouvelle  guerre  contre  la  ligue  des  villes  et  des  papes  eut  les  mêmes 
alternatives  et  aboutit  k  la  même  issue  que  Tancienne.  Comme  son  aïeul, 
Frédéric  II  fut  d*abord  vainqueur  des  Milanais  4Corte-Nuova,  en  laSy, 
et,  comme  lui,  il  fut  complètement  battu  à  Vittoria  devant  Parme,  e» 
1 2À A.  Ce  fut  la  dernière  tentative  sérieuse  exécutée  par  un  grand  prince 
pour  réunir  toute  l'Italie  sous  une  seule  domination  et  en  soumettre 
tous  les  petits  États  à  Tempire  d'Mlemagne.  Depuis  lors,  jusqu'à  la  fin 
du  XV'  siècle,  c'est-à-dire  pendant  deux  cent  cinquante  ans,  l'Italie  resta 
presque  uniquement  livrée  à  elle-même;  elle  vit  ses  divers  éléments 
sociaux  lutter  entre  eux,  et  les  nombreux  gouvernements  qui  s'étaient 
fondés  sur  son  territoire  se  développer  selon  les  lois  de  leur  nature 
combinées  avec  les  lois  de  leur  action  les  uns  sur  les  autres. 

A  l'issue  de  la  guerre  avec  Frédéric  II,  les  Gibelins  génois  rentrèrent 
dans  leur  patrie,  à  laquelle  ils  avaient  fait  beaucoup  de  mal  du  haut 
des  vallées  de  l'Apennin  et  des  côtes  de  la  mer,  où  ils  s'étaient  rendus 
maîtres  de  châteaux  et  de  villes  dépendantes  de  la  république.  Us  ne 
tardèrent  pas  à  redevenir  les  plus  forts  dans  Gènes ,  où  dominaient  les 
Grimaldi  et  les  Fieschi.  Ceux-ci  ne  supportaient  pas  plus  patiemment 
que  les  Spinola  et  les  Doria  le  régime  des  podestats  annuels  et  étran- 
gers. U  venait  d'être  donné ,  dans  la  Marche  trévisane ,  un  exemple  qui 
devait  être  bientôt  suivi  sur  d'autres  points  de  l'Italie ,  parce  qu'il  était 
propre  à  tenter  l'ambition  des  chefs  des  grandes  familles.  Eccelino  III 
s  était  fait  proclamer,  en  i^35,  capitaine  da  peuple  à  Vérone.  Cette 
nouvelle  institution ,  appuyée  sur  la  puissance  du  peuple ,  moins  limitée 
en  autorité  et  en  durée,  pouvait  être  et  fut,  pour  la  plupart  de  ceux  qui  la 
possédèrent,  un  acheminement  à  l'usurpation.  En  laSy,  des  nobles  de 
Gênes  ^  demandaient  qu'un  capitaine  du  peuple  remplaçât  le  podestat, 

qui  révolta  les  Génois.  Voir  Ann.  Gennens.  ad  an.  ia38;  Muratori,  t.  VI,  p.  479. 
—  '  Déjà,  en  laSg,  ie  podestat  avait  choisi  dmot  capitaneas  poouli  et  cammunis  Ja- 
mem»  ui  fortins  esset  eonunnne.  Ces  deux  capitaines,  Tun  de  la  ville,  l'autre  du  boui^, 
eurent  chacun  vingt-cinq  sergents  d*armes  sous  leurs  ordres,  et  obtinrent  six  cents 
livres  de  Gènes  pour  leur  salaire  et  celui  de  leurs  sergents  d*annes.  iliui.  Genuens. 
lîb,  VI;  Muratori ,  t.  VI,  p.  48q. 

95. 


756  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

sous  Vadministration  duquel  la  ville  avait  été  néanmoins  prospère  et 
triomphante  durant  un  demi-siècle;  mais  {Inconstance  génoise  se  prê- 
tait volontiers  au  changement.,Le  peuple  se  rendit  au  vœu  des  nobles, 
en  déconcertant  toutefois  leurs  espérances.  Voici  comment  lannaliste 
Bartholomeo,  greffier  de  la  commune,  raconte  cette  révolution.  «  L'an 
du  Seigneur  mcclvii,  Alberto  de  Malavolta,  citoyen  de  Bologne,  fut 
podestat  de  Gênes.  Cette  même  année,  au  moment  où  le  seigneur  Al- 
berto allait  entrer  en  charge  ,  et  où  Philippe  de  la  Torre ,  qui  avait  été 
le  podestat  de  Tannée  précédente  allait  en  sortii*,  une  sédition  s*élev8 
contre  celui-ci  parmi  les  habitants  de  Gênes.  Dans  cette  sédition ,  plu- 
siem*s  des  plus  puissants  de  la  ville  crièrent  aux  armes,  disant  qu'ils  vou- 
laient avoir  un  capitaine  du  peuple ,  ce  qui  plut  beaucoup  aux  popu" 
laires.  En  tumulte,  ils  se  rendirent  vers  Téglise  de  Saint-Cyr,  et  là,  sans 
discussion,  au  milieu  du  désordre  et  des  cris,  les  populaires  élurent 
Guillaume  Boccanegra  pour  capitaine  du  peuple  de  Gênes;  et  ils  Ten- 
traînèrent,  en  le  poussant  et  en  le  poitant,  avec  des  clameurs  tumul- 
tueuses et  avec  pompe  à  l'église  de  Saint-Cyr,  et  là,  le  firent  asseoir  et 
lui  prêtèrent  serment  comme  à  un  capitaine  du  peuple.  Le  jour  sui- 
vant, selon  qu'il  était  usité  pour  les  autres  capitaines,  furent  élus  parie 
peuple  trente-deux onziaiu,  à  savoir,  quatre  par  chaque  compagnie,  afin 
que  tout  ce  que  le  capitaine  du  peuple  aurait  décidé  ou  prescrit,  d'ac- 
cord avec  eux  ou  avec  la  majeure  partie  d'entre  eux,  fût  exécuté.  Cela 
fait,  il  fiit  demandé  à  l'assemblée  pour  combien  de  temps  était  décer- 
née la  charge  de  capitaine.  Elle  décida  que  ledit  Guillaume  serait  ca- 
pitaine du  peuple  de  Gênes  pendant  dix  ans,  et  que,  s'il  mourait  dans 
ce  temps,  un  de  ses  firères  lui  succéderait  en  son  office.  L'assemblée 
décréta  aussi  qu'il  aurait  avec  lui  un  chevalier  qui  recevrait,  chaque  an- 
née, pour  salaire,  mille  livres  de  Gênes;  un  juge  et  deux  greffiers  aux 
gages  de  la  commune;  douze  gardes  ou  exécuteurs,  et  cinquante  ser- 
gents ou  clients  armés  qui  garderaient  lui  et  son  palais  de  jour  et  de 
nuit^» 

Guillaume  Boccanegra,  premier  capitaine  du  peuple,  et  plébéien, 
comme  l'ont  établi  M.  Serra  et  M.  Vincens,  contre  l'opinion  de  M.  Sis- 
mondi  qui  fait  de  lui  un  noble  ^,  ne  conserva  pas ,  durant  les  dix  années 
prescrites,  l'autorité  dont  les  plébéiens  l'avaient  investi.  Deux  ans  s'étaient 

*  Ann.  Gemiens.  lib.  VI,  ad  an.  1367  î  Muratori ,  t.  VI,  p.  5a3-5a4-  —  *  •  Le  pre- 
mier de  ces  nobles  flatteurs  du  peuple,  dit  M.  Sismondi  (Histoire  des  républiquÊt 
italiennes ,  t,  III,  p.  324,  édil.  de  1809,  Paris),  fut  Guillaume  de  Boccanîgra.  »  — . 

•  Nobile  ei  non  era,  dit  M.  Serra  (t.  U,  p.  167),  ma  i  suoi  antichi  avevano  padro- 

•  neggialo  moite  navi,  etc.  »  D  s'est  appuyé  sur  les  Famigl  Gen<n>.  t  U,  ms.  Htt.  %S. 


DÉCEMBRE  1843.  757 

à  peine  écoulés  que  la  noblesse  conspira  contre  lui ,  et ,  au  bout  de  quatre 
ans,  elle  le  renversa.  Si  le  peuple  avait  été  assez  entreprenant  pour  mettre 
un  des  siens  à  la  tète  de  la  république ,  il  n'était  pas  encore  assez  fort 
pour  Ty  maintenir  :  on  revint  donc  aux  podestats ,  comme ,  après  Tin- 
troduction  des  podestats,  on  était  revenu  quelque  temps  aux  consuls, 
parce  que  rien  ne  s'établit  ou  ne  disparait  d'un  seiil  coup.  Mais  la 
chaîne  de  capitaine  du  peuple,  dès  ce  moment  objet  de  l'ambition 
des  nobles,  fut  restaurée  d'abord  en  126/1^  par  les  Spinola  et  les 
Doria,  qui  en  prirent  tout  à  fait  possession  en  la70^  après  avoir 
vaincu  dans  une  bataille  de  rues  lesGrimaldi  et  les  Fiescbi,  qu'ils  expul- 
sèrent de  Gênes.  Ce  qui  facilita  le  triomphe  de  ces  deux  familles,  ce 
fut  la  position  nouvelle  où  la  république  se  trouvait  au  dehors.  Elle  était 
en  hostilité  avec  la  cour  de  Rome ,  qui  avait  excommunié  les  Génois 
pour  avoir  concouru  à  rétablir  Tempire  grec  des  paléologues  aux  dépens 
des  Latins,  et  qui  avait  appelé  en  Italie  la  maison  d'Anjou.  Charles 
d'Anjou,  déjà  comte  de  Provence,  devenu  alors  roi  de  Naples  et  de 
Sicile ,  sénateur  de  Rome ,  vicaire  en  Toscane ,  menaçait,  au  nom  des 
Guelfes ,  l'indépendance  italienne ,  tout  autant  que  l'avait  fait  naguère 
Frédéric  II ,  au  nom  des  Gibelins ,  et ,  de  plus,  il  tenait ,  en  quelque  sorte , 
le  golfe  de  Gênes  bloqué,  entre  les  côtes  de  Provence  et  celles  de  Tos- 
cane et  de  Naples.  La  crainte  qu'on  avait  eue  de  Frédéric  avait  élevé 
les  Grimaldi  et  les  Fieschi ,  la  crainte  qu'inspira  Charles  d'Anjou  fît 
alors  triompher  d'eux  les  Spinola  et  les  Doria,  Le  déplacement  du  dan- 
ger pour  Gênes  amena  de  sa  partom  changement  de  parti  :  après  avoir 
été  jusque-là  guelfe,  elle  devint  gibeline  avec  toute  la  Lombardie. 

Uberto  Spinola  et  Uberto  Doria  furent  nommés  capitaines  du  peuple 
pour  vingt  ans,  avec  la  suprême  autorité  dans  la  ville  et  sur  son  tem- 
toire^.Hs  choisirent  eux-mêmes  les  podestats,  qui  furent  chargés  de  rendre 
une  justice  secondaire ,  et  qui  n'eurent  plus  qu'un  pouvoir  fort  limité. 
Comme  ils  s'appuyaient  sur  le  peuple,  ils  lui  accordèrent  une  sorte  de 
tribun  sous  le  nom  d'abbé^.  Uberto  Spinola  et  Uberto  Doria ,  remplacé , 
en  1 286,  par  son  fils  Conrad  Doria ,  demeurèrent  vingt  ans  capitaines 
du  peuple.  S'étant  fait  confirmer  pour  cinq  ans  encore  dans  leur  charge, 
en  ia88,  une  conspiration,  à  laquelle  prirent  part  non-seulement  les 

*  Ann.  Gennens.  lib.  Vil;  Muratori,  I.  VI,  p.  535.  —  '  Ilid.  lib.  IX,  p.  55i-55a. 
— -  ^  t  Eisque  a  popolo  in  civitate  et  toto  distri<;tu  cum  mero  el  mixto  imperio  omnis 
«  fuit  attri&uta  potestas.  •  Ann,  Genuêns,  lib.  IX;  Muratori,  t.  VI,  p.  55a.  —  *  t  Post 
•  autem  electi  sunt  capitanei,  videlicet  nobili  vin  D.  Obertus  Spiocla  et  D.  Obertos 
«  Auriœ.  Eiectos  est  quoque  abhas  populi.  »  Chronicon  Januenn  Jacobi  de  Varaginê, 
pars  VI,  c.  i;  Muratori,  t.  IX,  p.  10-19. 


758  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Grimaldi  et  les  Fieschi,  mais  les  Castro,  les  Embriaci,  les  Malloai,  le» 
Picamigli,  les  Guysulphi,  et  la  plupart  des  anciennes  familles  nobles  ^ 
éclata  contre  eux^  Ils  en  triomphèrent  ;  mais,  Tannée  suivante,  ils  furent 
invités  par  leurs  amis  mêmes  à  déposer  le  pouvoir,  et,  sur  le  vœu  qu  en 
manifesta  ie  peuple,  dont  Tascendant  croissait  chaque  jour,  il  fut  décidé 
que  le  capitaine  serait  pris  désormais  parmi  les  étrangers ,  et  que  les 
fonctions  de  conseillers,  &anziani,  ainsi  que  les  autres  charges  de  la 
république  seraient  données  moitié  aux  plébéiens,  moitié  aux  nobles  \ 

Le  gouvernement  de  petits  chefs  étrangers  temp€M:aires  était  em- 
prunté à  un  autre  temps,  et  ne  convenait  plus  à  une  situation  qu'il 
n  était  pas  capable  de  maîtriser.  On  en  fit  deux  essais  qui  échouèrent. 
Le  premier,  tenté  de  lagi  à  1296,  se  termina  par  une  guerre  san- 
glante dans  Gênes,  entre  les  Guelfes  et  les  Gibelins,  qui,  demeurés 
vainqueurs,  nommèrent  capitaines  du  peuple,  avec  le  pouvoir  absolu, 
Conrad  Spinola  et  Conrad  Doria ,  Tun  et  l'autre  fils  des  deux  anciens 
capitaines  Uberto  Spinola  et  Uberto  Doria ^  :  c  était  un  commencement 
d'hérédité.  Le  second,  poursuivi  de  i3oo  à  i3o6,  se  signala  aussi 
par  de  violentes  luttes,  et  aboutit  è  Télévation  d'Obizo  Spinola.  Ici  se 
présente  un  spectacle  curieux,  et  Ton  aperçoit  une  famille  de  Gênes 
marcher  vers  cette  usurpation  de  la  souveraineté  qui  changea  toutes 
les  républiques  lombardes  en  seigneuries.  Les  Spinola  visèrent  à  deve- 
nir dans  Gênes  ce  qu'étaient  les  délia  Torre  dans  Milan,  les  délia  Scak 
dans  Vérone,  les  d'Esté  dans  Ferrare,  les  Bonnacorsi  dans  Mantoue; 
et  l'ambitieux  Obizo  entreprit  de  dominer  sa  patrie.  Nommé  capitaine 
du  peuple  malgré  la  famille  Doria,  qui,  jalouse  de  la  grandeur  des 
^ioola,  avait  rompu  sa  vieille  alliance  aveceiuc,  et  s'était  unie  aux 
Grimaldi  et  aux  Fieschi,  à  l'exception  de  Bernabô  Doria,  qu'Obizos'é* 
tait  fait  associer  parle  peuple;  ayant  vaincu  tous  ses  adversaires,  aux- 
quels s'étaient  joints  les  Spinola  de  Saint-Luc,  envieux  à  leur  tour  delà 
puissance  des  Spinola  de  Lucoli ,  dont  il  était  le  chef;  s'étant  défait  de 
son  collègue  Bemabô  Doria ,  que  le  grand  conseil  avait  déposé  pour 
l'investir  lui  seul ,  et  durant  toute  sa  vie,  du  gouvernement  absolu  dans 
Gênes;  allié  avec  le  marquis  de  Montferrat,  auquel  il  avait  donné  sa 
Jille  en  mariage;  soutenu  par  l'abbé  du  peuple,  personne  ne  toucha 
de  plus  près  que  lui  à  la  souveraineté.  Comment  ne  parvint-il  pas  à  s'en 

*  Ann,  GettuMS,  lib.  X;  Muratori,  t.  VI,  p.  §97.  —  *  tDareoiur  medietas  illîs  de 
t  populo,  et  alia  medietas  nobilibus.  »  Ibia.  p.  600.  Ce  partage  avait  été  stipulé  k 
Milan,  en  ia58,  par  le  traité  de  paix  de  Saint- Ambroise,  conclu  entre  les  noUes 
et  les  plébéiens  après  une  guerre  acharnée.  Corio,  //ût  Afilan.  pars  II,  p.  ii5  v*. 
—  ^  Uberli  Folietœ  Genuens,  hisL  lib.  VI. 


DÉCEMBRE  1843.  759 

emparer,  et  &t-il  renversé  d a  pouvoir  en  i3io?  La  coalition  de  tous 
ses  adversaires ,  sous  les  efforts  desquels  il  succomba,  explique  sa  chute , 
et  donne  la  solution  d'un  problème  politique  intéressant. 

En  suivant  les  variations  du  gouvernement  génois  dans  Touvrage  de 
M.  Vincens,  en  voyant  la  perpétuité  des  luttes  intestines  et  les  progrès 
•'*-  croissants  de  la  démocratie  ne  pas  produire  là  les  mêmes  effets  qu'ail- 
leurs, et  le  pouvoir  y  prendre  toutes  les  formes  sans  en  conserver  au- 
cune ,  passer  de  main  en  main  sans  jamais  s  y  fixer,  on  se  demande  ce 
quia  pu  empêcher  la  république  de  Gènes>  qui,  après  avoir  épuisé  le 
i*égime  des  consuls,  des  podestats,  des  capitaines  du  peuple,  se  donne 
bientôt,  et  tour  k  toiu*,  des  rois  pour  seigneurs  et  des  doges  plébéiens 
pour  chefs,  on  se  demande,  dis-je,  ce  qui  a  pu  Tempêcher  de  tomber 
sous  la  domination  d'un  usurpateur  national  ou  étranger.  C'est  une 
question  que  j'am'ais  aimé  à  voir  traiter  par  M.  Vincens.  Elle  est  d'au- 
tant plus  digne  de  la  sollicitude  de  Thistoire,  qu'à  part  Venise ,  qui  a  été 
sauvée  de  la  destinée  commune  aux  républiques  italiennes  par  la  vi- 
gueur et  la  défiance  de  ses  institutions ,  toutes  les  autres,  qu'elles  fussent 
manufacturières,  maritimes,  agricoles,  ont  abouti,  un  peu  plus  tôt,  un 
peu  plus  tard ,  à  Tusurpation  ;  Florence  comme  Milan ,  Pise  comme  Bo^ 
logne.  Grênes  en  a  été  préservée  aussi,  mais  ce  n'est  certes  pas  par  les 
mêmes  causes  que  Venise.  ' 

S'il  m'est  permis  de  hasarder  quelques  conjectures  à  cet  ^ard,  je 
dirai  que  les  causes  qui  ont  maintenu  l'indépendance  de  Gênes,  malgré 
la  mobilité  et  la  faiblesse  de  ses  institutions ,  sont  de  plusieurs  sortes. 
Les  unes  tiennent  à  sa  position  géogr2q)hique  et  à  son  existence  mari- 
time; les  autres  se  rattachent  aux  éléments  mêmes  dont  se  composait 
sa  population ,  ainsi  qu'à  la  combinaison  particulière  de  ses  forces  in- 
térieures. La  barrière  de  l'Apennin  fermait  presque >  du  côté  de  la  terre, 
l'accès  de  Gênes,  que  sa  puissance  et  ses  ressources  mirent  d'ailleurs, 
pendant  le  cours  du  moyen  âge,  tout  à  fait  en  mesure  de  résister  à  une 
attaque  ouverte.  Les  petits  princes  du  voisinage  étaient  trop  Êdbles  ; 
les  grands  chefs  militaires  du  continent  étaient  trop  éloignés  pour  son- 
ger à  l'assujettii*.  Elle  n  avait  donc  pas  à  craindre  d'êti*e  conquise.  Outre 
l'obstacle  qu'aurait  rencontré  une  tentative  de  ce  genre  dans  la  nature 
des  lieux  et  dans  la  force  d'une  république  capable  d'avoir  sur  pied  des 
armées  considérables ,  il  s'en  serait  trouvé  un  autre  dans  le  caractère 
indomptable  de  ses  citoyens,  parmi  lesquels  les  hasards,  les  périb ,  l'in- 
dépendance de  la  vie  maritime,  avaient  développé  au  plus  haut  d^é 
la  vigueur  du  courage  et  l'amour  de  liberté.  Les  causes  qui  s'opposaient 
à  une  conquête  extérieure  devaient  en  même  temps  rendre  très^liffidle 


760  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

une  usurpation  intérieure ,  soit  de  la  part  d'un  étranger  appelé  à  exer- 
cer temporairement  le  pouvoir  suprême ,  soit  de  la  part  d'un  Génois 
parvenu  un  moment  à  le  saisir  ;  mais  elles  n'auraient  pas  suffi  pour  rem- 
pêcher,  comme  le  prouvent  en  Italie  de  mémorables  exemples.  Afin 
d'assurer  à  Gênes  la  conservation  de  son  existence  indépendante,  il  fal- 
lut peut-être  faction  d'une  autre  cause,  qui  ne  se  rencontre  pas  ailleurs, 
et  qui  consbta  dans  le  rapport  où  se  trouvaient  entre  elles  les  forces 
et  fambition  des  grandes  familles  génoises. 

Les  villes  dans  le  sein  desquelles  il  n*y  eut  qu'une  grande  famille 
convoitant  la  domination,  ou  deux  grandes  familles  se  disputant  l'in- 
fluence ,  fiu^ent  exposées  à  perdre  leur  liberté  par  f  élévation  croissante 
de  la  première  ou  par  la  victoire  d'une  des  deux  autres.  C'est  ce  qui  se 
passa  presque  partout.  Il  n'en  fut  pas  de  même  à  Gênes.  De  ce  qu'il  y 
eut  dans  cette  république  quatre  grandes  familles  qui  purent  viser  à 
fusurpation ,  il  s'ensuivit  qu'aucune  ne  fut  capable  d'y  parvenir.  For- 
mant deux  partis  y  ayant  chacun  à  sa  tête  deux  de  ces  familles ,  il  devint 
impossible  à  une  seule  d'elles  de  produire  un  usurpateur,  car  elle 
aurait  soulevé  contre  elle  les  trois  autres ,  unies  dans  l'intérêt  de  la  li- 
berté et  de  fambition  commune.  Obizo  Spinola  en  fit  promptement 
f  expérience.  Ce  qu'exécutèrent  dans  Milan  les  délia  Torre  et  puis  les 
Visconti,  dans  Vérone  les  délia  Scala,  dans  Padoue  les  Carrura,  dans 
Mantoue  les  Bonnacorsi  et  ensuite  les  Gonzague ,  dan^  Bologne  les 
Pepoli  et  les  Bentivoglio,  dans  Florence  les  Médicis,  pour  ne  citer  que 
les  exemples  les  plus  éclatants  et  les  plus  connus,  ne  put  pas  s'effec- 
tuer dans  Gênes.  Trois  familles  se  ti*ouvèrent  toujours  en  état  d'empêcher 
la  domination  d'une  quatrième,  et  toutes  ensemble,  secondées  par  mi 
peuple  épris  de  sa  liberté  jusqu'à  la  passion  et  au  désordre,  s'opposèrent 
sans  peine  à  f  établissement  durable  d'une  seigneurie  étrangère. 

On  le  vit,  à  plusieurs  reprises,  pendant  la  période  aristocratique  qui 
s'étendit  jusqu'en  liig.  B  en  fut  de  même  plus  tard  dans  la  période 
démocratique,  qui  comprît  de  i339  à  i5a8,  lorsque  les  quatre 
familles  nobles  des  Spinola,  des  Doria,  des  Fieschi,  des  Grimaldi, 
eurent  été  exclues  du  gouvernement,  et  que  les  deux  familles  plé- 
béiennes des  Adorno  et  des  Fregoso  s'en  disputèrent  à  leur  tour  la  pos- 
session. Pour  être  écartées  des  bautes  magistratures,  les  qualre  glandes 
familles  aristocratiques  ne  disparurent  point  de  la  scène,  comme  s'é- 
clipsèrent, dans  les  autres  villes,  les  anciennes  familles  dépossédées.  Si 
elles  perdirent  leur  position  politique  dans  Gênes,  elles  y  conservèrent 
leur  prépondérance  sociale.  Elles  gardèrent  la  direction  des  finances , 
firent  partie  du  sénat ,  continuèrent  à  fournir  des  amiraux  à  la  repu- 


DÉCEMBRE  1843.  761 

blique ,  et  entretinrent  leur  influence  par  ]e  commerce  et  la  navigation. 
Après  deux  cents  ans  d^ostracisme ,  on  les  voit,  au  seizième  siècle,  pos- 
séder des  flottes  et  se  montrer  aussi  puissantes  qu'avant.  Saiîs  profiter  des 
mouvements  qui  s'accomplirent  dans  leur  pays,  elles  y  concoururent 
jf^  se  plaçant,  tantôt  derrière  les  Âdomo,  tantôt  derrière  les  Fregoso. 
Les  éléments  intérieurs  propres  à  empêcher  l'usurpation  dans  Gênes 
se  trouvèrent  ainsi  accrus,  puisque  aux  quatre  familles  nobles  se  joi- 
gnirent deux  familles  plébéiennes  pour  y  mettre  obstacle ,  et  que  les 
forces  furent  encore  mieux  balancées  de  part  et  d'autre.  C'est  le  conflit 
et  le  balancement  de  ces  forces  paiticulières  qui  firent  la  turbulence 
et  la  sûreté  de  Gênes.  Ils  produisirent  ses  agitations  sans  cesse  renais- 
santes et  ses  ussujettissements  toujours  momentanés,  et  ils  servent  à 
expliquer  des  inconséquences  apparentes,  qui  prenaient  leur  source 
dans  1  ambition  mobile  des  citoyens  et  dans  le  double  besoin  d*ordre 
et  de  liberté  qu'éprouvait  alternativement  la  république.  Suivant  qu'elle 
cédait  à  l'un  ou  à  l'autre  de  ces  besoins,  elle  semblait  se  précipiter 
vers  l'asservissement  ou  vers  l'anarchie.  Lorsqu'elle  avait  été  trop  trou- 
blée, elle  concentrait  le  pouvoir  en  nommant  un  capitaine  du  peuple , 
un  seigneur,  un  doge  ;  lorsqu'elle  craignait  d'être  trop  dominée ,  elle 
renversait  ceux  qu  elle  avait  pris  un  moment  pour  maîtres.  C'est  ainsi 
que  Gênes  se  donna  souvent  et  ne  se  soumit  jamais. 

Quelle  que  soit  la  valeur  de  ces  explications ,  toujours  est-il  que  les 
révolutions  se  succédèrent  dans  cette  ville  sans  qu'elle  s'en  trouvât  fa- 
tiguée ou  qu'elle  en  sortît  asservie.  Après  la  chute  et  l'exil  de  l'ambi- 
tieux Obizo  Spinola,  les  Génois  se  placèrent,  pour  la  première  fois ,  sous 
le  régime  seigneurial  :  ils  donnèrent  en  1 3 1  i ,  et  pour  vingt  ans ,  la  sei- 
gneurie de  leur  ville  à  l'empereur  Henri  VII,  qui  la  conserva  peu,  la 
mort  l'ayant  enlevé  à  ses  desseins  sur  l'Italie  en  1 3 1 3.  Des  guerres  san- 
glantes éclatèrent  alors  entre  les  quatre  grandes  familles,  et  durèrent, 
avec  diverses  vicissitudes ,  jusqu'en  1 3 1 8 ,  où  les  Fieschi  et  les  Gri- 
maldi,  ayant  divisé  adroitement  les  Spinola  et  les  Doria,  dominèrent 
dans  Gênes.  Comme  ils  n'auraient  pas  été  assez  forts,  s'ils  n'avaient  pas 
été  soutenus  par  le  chef  de  leur  opinion  en  Italie ,  ils  ramenèrent  la 
ville  du  parti  gibelin  au  parti  guelfe,  et  firent  nommer  le  roi  Robert 
de  Naples  seigneur  de  la  république,  d'abord  pour  dix,  ensuite  pour  six 
ans.  Cette  seigneurie  étrangère,  avant  le  terme  de  laquelle  les  Gibelins 
étaient  rentrés  après  douze  ans  d'exil  et  de  guerre,  et  avaient  pu  bien- 
tôt donner  pour  capitaines  à  la  république  Raphaël  Doria  et  Galeotto 
Spinola  de  Lucoli,  fut  bientôt  suivie  d'une  révolution  décisive,  vej^s 
laquelle  on  marchait  depuis  longtemps. 

96 


762  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Le  peuple,  qui,  en  i  Qay,  avait  secondé  Tentreprise  un  peu  démocrsh- 
tique  de  Guillaume  de  Mari,  qui,  en  i  tîSy,  avait  nommé  capitaine  de 
la  ville  le  plébéien  Guillaume  Boccanegra,  qui,  vers  1270,  avait  ob- 
tenu la  création  d'un  tribun,  sous  le  nom  dabbé,  qui,  en  lago,  avait 
introduit  les  plébéiens,  par  moitié,  dans  toutes  les  magistratures  de  la 
république,  le  peuple,  de  jour  en  jour  plus  puissant  et  plus  las  de  la 
domination  des  familles  nobles,  fonda,  en  iSSg,  une  administration 
purement  démocratique.  Réuni  pour  élire  Yabbé  chargé  de  la  protection 
de  ses  intérêts,  il  plaça  Tépée  de  la  i^épublique  entre  les  mains  de 
Simon  Boccanegra ,  arrière-neveu  du  premier  capitaine  du  peuple  resté 
cher  à  ses  souvenirs,  et  le  nomma  doge  y  empruntant  cette  fois  à  Venise 
le  titre  de  sa  suprême  magistrature.  Je  renvoie  au  livre  de  M.  Vincens 
pour  les  détails  curieux  et  les  suites  importantes  de  cette  révolution  po- 
pulaire, qui,  entreprise  en  1 33 9,  ne  se  consolida  qu'en  i354,  par  le 
retour  sur  le  trône  ducal  de  Simon  Boccanegra ,  que  la  noblesse  avait  con- 
traint d  en  descendre  en  1 345.  Dans  cet  intervalle  de  dix  années ,  Bobca- 
n^ra  avait  été  successivement  remplacé  par  deux  nobles  obscurs ,  mais 
modérés,  Jean  de  Murta  et  Jean  de  Valente ,  qui  furent  les  derniers  re- 
présentants de  leur  ordre  placés  à  la  tête  du  gouvernement  de  Gênes. 
«  L'établissement  du  premier  doge ,  dit  M.  Vincens ,  est  l'installation  dé- 
finitive de  la  bourgeoisie  au  pouvoir.  Alors  finit  réellement  le  règne  de 
la  noblesse.  Aucune  incapacité,  il  est  vrai,  ne  fut  prononcée,  au  pre- 
mier moment,  contre  les  nobles  gibelins  individuellement;  mais,  hucniliés 
et  révoltés ,  ils  s'attirèrent  l'interdiction ,  pour  tout  noble ,  bientôt  de  la 
dignité  de  doge,  ensuite  de  la  première  place  du  gouvernement,  sous 
quelque  nom  qu'elle  fût  déguisée,  exclusion  qui,  devenue  la  première 
loi  traditionnelle  de  la  répuUique,  a  duré  cent  quatre-vingt-dix  ans.  » 

Cette  révolution  démocratique,  analogue  à  celles  qui  s'étaient  déjà 
accomplies,  le  siècle  précédent,  dans  les  républiques  lombardes  et 
dans  les  républiques  toscanes ,  et  qui  avaient  fait  tomber  les  premières 
de  ces  républiques  sous  le  joug  de  petits  tyrans,  les  secondes  sous  le  ré- 
gime des  marchands  et  des  gens  de  métier,  donna  une  instabilité  inouïe 
au  gouvernement  de  Gênes.  La  souveraineté  de  la  démocratie  génoise 
ne  fut  pas  régularisée  comme  à  Florence,  à  Sienne,  etc.  où  des  institu- 
tions en  organisèrent  l'exercice  par  l'administration  des  prieurs  des  arU 
et  de  la  liberté^ y  renouvelée  tous  les  deux  mois,  et  en  tempérèrent  les 
effets  à  l'aide  de  la  dictature  fréquemment  employée  de  la  BaUe,  Elle 

En  1283.  Ces  prieurs,  qui,  au  nombre  de  six,  formaient  la  seigneurie, 
étaient  tirés  au  sort  sur  une  liste  d*éligibles,  et  ne  pouvaient  faire  partie  de  ce 
coUége  souverain  que  deux  ans  après  en  être  sortis,  en  vertu  de  la  lof  du  dwieto^ 


DÉCEMBRE  1843.  7«3 

ne  fut  pas  détruite  par  ses  excès  comme  à  Milan ,  à  Plaisance ,  à  Padoue  ^ 
k  Bologne,  où  la  domination  de  la  multitude  conduisit  à  la  domination 
dun  seul.  Mal  constituée,  ayant  à  sa  tête  des^ chefs  perpétuels  incapables 
de  se  maintenir  sur  le  trône  ducal,  où  aucun  d'eux  ne  put  rester  long* 
temps,  livrée  aux  intrigue» incessantes  des  ambitieux,  aux  movivements 
tumultueux  des  partis,  aux  inconstances  multipliées  de  la  foule,  elle 
s  exerça  surtout  par  Tinsurrection ,  et  les  révolutions  furent  en  quelque 
sorte  son  état  normal. 

Le  doge,  nommé  à  vie,  n'avait  pour  toute  force  qu'une  garde  de 
vingt-cinq  hommes  d'armes.  11  était  électif,  et  devait  se  conduire  d  Câ- 
pres Tavis  dun  collège  d'anziani,  qui  formaient,  en  quelque  sorte,  son 
conseil  privé.  Ils  présidaient,  avec  double  suffrage,  la  credenza,  ou  le 
petit  conseil,  composé  de  quarante  membres,  et  qui  intervenait  dans 
la  délibération  des  affaires  graves,  ainsi  que  dans  le  choix  des  amiraux. 
Ils  présidaient  également,  et  avec  le  même  privilège  de  deux  suffrages, 
le  grand  conseil,  dont  faisaient  partie  trois  cent  vingt  membres,  parmi 
lesquels  étaient  depuis  longtemps  les  anziani,  les  deux  consuls  de 
chaque  métier,  des  députés  du  tervitoire  et  des  colonies ,  des  élus  de  la 
masse  du  peuple ,  et  qui  décidait  de  la  guerre ,  de  la  paix ,  et  concluait 
les  traités.  Au-dessous  de  ces  pouvoirs  politiques,  étaient:  le  collège  des 
officiers  de  la  monnaie,  qui  géraient  les  finances;  les  suprêmes  syndica- 
teurs ,  auxquels  étaient  confiés  la  surveillance  et  le  jugement  des  autres 
magistratures;  le  podestat ,  toujours  étranger,  docteur  en  loi ,  de  famille 
patricienne,  chargé  ,  avec  ses  vicaires,  de  rendre  la  justice  dans  Gênes 
et  sur  son  territoire;  les  proviseurs ,  qui  avaient  la  police  de  la  ville  et 
l'indication  des  dépenses  publiques;  les  officiers  de  la  Romanie,  qui  ad- 
ministraient les  colonies  de  Péra  et  de  la  mer  Noire;  les  officiers  de  la 
marchandise,  qui  formaient  un  tribunal  de  commerce;  enfin  les  con- 
suls de  la  raison ,  qui  prononçaient  sur  les  différends  de  moins  de 
cent  livres,  et  étaient  des  espèces  de  juges  de  paix. 

Ce  mécanisme  légal  du  gouvernement,  qui  était  déjà  ancien ,  et  que 
le  doge  Georges  Âdomo  s'attacha  à  régulariser  en  1 4 1 3  ^,  fut  dérangé 
fréquemment  par  les  ambitions  privées  et  la  violence  populaire.  On 
sentit  sa  faiblesse  dès  le  début  du  régime  nouveau ,  et  les  doges  nommés  à 
vie  passèrent  avec  une  mobilité  effrayante  du  trône  ducal  à  Texil.  Gabriel 

^  Lorsqu^en  i3i8  les  Padouans  décernèrent  la  seigneurie  de  leur  ville  à  la  mai- 
son de  Carrara,  ils  fondèrent  cette  révolution  sur  Vahus  de  plébiscites,  qui  les  condui- 
sait  à  une  ruine  certaine,  Ferretus  Vicentinus,  Hb.  VII,  p.  1 179.  —  *  Leges  antiquœ 
Januens.  ms.  des  archives  de  Gènes;  M.  Serra,  t.  III,  p.  88,  et  M.  Vincens,  t.  II, 
p.  174  à  178. 

96. 


764  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Adorno,  qui  avait  succédé,  en  1 363,  à  Boccanegra,  fut  renversé,  en  i  Sya, 
par  Dominique  Campo  Fregoso,  que  remplaça  et  fit  bannir,  en  iS-yS, 
Nicolas  de  Guarco,  auquel  le  même  sort  fut  réservé  en  i383,  où  Iiéo- 
nard  Montaldo  prit  sa  place,  qu'occupa,  en  i384,  Antoniotto  Adorno. 
Celui-ci,  dans  l'espace  de  dix  ans,  fut  expulsé  et  revint  trois  fois.  L'in- 
tervalle qui  s'écoula  entre  ses  fuites  et  ses  retours  fut  un  temps  d'ex- 
trême anarchie,  pendant  lequel  Gênes,  gouvernée  par  Jacques  Fregoso 
et  par  Montaldo,  eut,  en  outre,  des  doges  de  quinze  jours,  de  trois  jours, 
d'un  jour,  et  vit  même  deux  compétiteurs  tirer  au  sort  la  suprême  ma- 
gistrature. Après  sa  troisième  élévation  sur  le  trône  ducal ,  Antoniotto 
Adorno,  comprenant  qu'il  n'y  serait  pas  avec  plus  de  sécurité  qu'aupa- 
ravant, mit,  en  i3g6,  avec  l'assentiment  du  peuple  fatigué  des  troubles 
et  des  ambitions,  la  république  sous  la  seigneurie  du  roi  de  France, 
Charles  VL 

La  cour  de  France  commençait  à  intervenir  dans  les  affaires  d'Italie, 
où  le  duc  d'Orléans  avait  acquis  Asti ,  par  son  mariage  avec  Valentine 
de  Milan ,  fille  de  Jean  Galeas  Visconti,  qui  s'était  rendu  maître  de  toute 
la  Lombardie,  et  où  la  seconde  maison  d'Anjou  luttait  pour  la  possession 
du  royaume  de  Naples.  Éloignée  bientôt  par  ses  propres  et  longues 
guerres  civiles  de  ce  dangereux  pays,  vers  lequel  elle  ne  tourna  se"- 
rieusement  ses  desseins  et  ses  armées  qu'à  la  fin  du  siècle  suivant, 
cette  cour  se  laissa  alors  engager  un  moment  dans  les  intrigues  et  dans 
les  querelles  italiennes.  Déjà,  trois  années  avant  qu' Antoniotto  Adorno 
livrât  la  souveraineté  de  Gênes  à  Charles  VI,  les  nobles,  dépossédés  du 
pouvoir,  avaient  entamé  une  négociation  secrète  avec  ce  prince,  auquel 
ils  avaient  offert  aussi  la  seigneurie  perpétuelle  de  leur  ville,  à  condition 
qu'il  les  y  rétablirait  en  les  investissant  de  leur  ancienne  autorité.  Ainsi, 
la  noblesse  comme  la  bourgeoisie ,  les  Fieschi,  lesGrimaldi,  les  Spinola, 
les  Malocelli,  les  Lomellini^,  comme  les  Adorno,  ne  songeaient  plus  qu'à 
placer  leur  pays  sous  une  domination  étrangère ,  afin  de  gouverner  plus 
aisément ,  et  tous  à  l'envi  s'adressaient  à  ce  royal  insensé  qui  ne  pou- 
vait pas  porter  sa  couronne,  et  qui  devait  lui-même,  au  préjudice  de  sa 
race,  la  placer  sur  la  tête  d'un  monarque  étranger.  M.  Vincens  a  retracé 
ces  curieuses  négociations  d'après  les  documents  originaux ,  déposés  aux 
archives  du  royaume  et  restés  inconnus  jusqu'ici  aux  historiens  génois. 
Cette  partie  de  son  ouvrage  présente  des  faits  nouveaux.  La  nature  des 

^  M.  Vincens  a  donné  pour  la  première  fois  la  substance  de  cette  négociation , 
engagée  en  février  iSgS,  et  dont  Tinstrument  original,  signé  de  tous  ces  grands 
noms ,  est  déposé  aux  archives  du  royaume.  La  copie  s* en  trouve  aussi  dans  le  vo 
lume  1 59  de  la  collection  Dupuy ,  ms.  de  la  Bibliothèque  royale. 


DÉCEMBRE  1843.  765 

rapports  qui  s  établirent  depuis  lors  entre  Gênes  et  la  France ,  et  qui 
durèrent  plusieurs  siècles  avec  quelques  intermittences  et  sous  diverses 
formes,  les  conditions  auxquelles  Tune  fut,  à  plusieurs  reprises,  gouvernée 
par  l'autre  \  les  causes  qui  conduisirent  cette  ville  inquiète  à  reprendre 
et  à  reperdre  son  indépendance,  y  sont  exposées  avec  exactitude  et 
appréciées  avec  sagesse. 

Nous  renvoyons,  pour  les  bien  connaître,  nos  lecteurs  au  livre  de 
M.  Vincent.  Nous  les  y  renvoyons  aussi  pour  y  trouver  les  raisons  et  y 
suivre  les  mouvements  de  ces  brusques  et  fréquents  passages  d'une  sei- 
gneurie étrangère  à  une  administration  nationale ,  qui  remplissent  alter- 
nativement toute  la  période  entre  1896  et  iSîS,  et  qui  rendent  éga- 
lement éphémères  la  puissance  des  gouverneurs  seigneuriaux  et  des 
doges  républicains.  Us  y  verront  la  domination  de  Charles  VII ,  tour  à 
tour  exercée  par  Antoniotto  Adorno,  Valeran  de  Luxembourg,  comte 
de  Saint-Paul,  le  chambellan  Colard  de  Carville,  et  le  fameux  maréchal 
de  Boucicaut,  y  durer  à  peine  onze  ans,  brisée  deux  fois  entre  les  mains 
des  deux  derniers  gouverneurs  par  suite  de  la  faiblesse  de  fun  et  malgré 
la  vigueur  de  l'autre.  Ils  y  verront  les  conflits  d'ambition  renaître ,  après 
le  renversement  de  l'autorité  française,  entre  le  marquis  de  Montferrat , 
président  très-momentané  de  la  république,  les  doges  Georges  Adorno, 
Bemab6  Guano,  Thomas  Fregoso,  qui  s'aiTachent  le  pouvoir  de  1/109 
à  1  &2a ,  et  ces  conflits  conduire  à  la  seigneurie  du  duc  de  Milan  Phi- 
lippe-Marie Visconti,  déjà  maître  de  la  haute  Italie.  Ils  y  verront  la 
domination  milanaise,  exercée  parle  comte  de  Carmagnola  et  par  Érasme 
Trivulzi,  n'être  pas  supportée  plus  de  quatorze  ans,  et,  en  1 436,  les  que- 
relles armées  recommencer,  pour  la  possession  du  trône  ducal,  entre 
Thomas  Fregoso,  Raphaël  et  Bernab6  Adorno,  Janus,  Louis  et  Pierre 
Fregoso,  jusqu'en  1  469,  où  ce  dernier  négocia  avec  Charies  VII  le  ré- 
tablissement de  l'autorité  française,  qui,  cette  fois,  ne  se  maintint  pas 
dans  Gênes  au  delà  de  deux  ans.  Ils  y  verront  les  plus  violents  désordres 
succéder  à  l'expulsion  du  gouverneur  La  Vallée  et  de  ses  hommes 
d'armes;  Pierre  Fregoso  tué  en  cherchant  à  redevenir  doge;  ses  deux 
frères,  Louis  et  Paul,  après  avoir  renversé  du  trône  ducal  Prosper 
Adorno,  y  monter  et  s  en  précipiter  chacun  trois  fois;  Louis  XI,  au- 
quel les  Génois ,  dans  leur  détresse  anarchique ,  oflraient  la  dangereuse 

'  Les  actes  relatifs  à  la  seigneurie  de  Charies  VI  sont  en  original  aux  archives 
du  royaume,  en  copie  dans  le  volume  169  de  la  collection  Dupuy.  Ceux  que  les 
Génois  conclurent,  en  1^57 ,  làbS  et  i46o,  avec  le  duc  de  Calabre  et  Charies  VII . 
et  plus  lard  avec  Louis  XI,  Louis  XII  et  François  1*,  se  trouvent  au  même  dépôt 
ou  dans  les  volumes  i56  et  453  de  Dupuy. 


^i: 


766  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

soumission  qu'ils  avaient  promise  et  retirée  à  son  père  et  à  son  sâeul,  la 
refuser  sagement  et  leur  répondre  que,  s  ils  se  donnaient  à  lui,  lui  les 
donnait  au  diable.  Ce  prince  habile  et  prévoyant,  auquel  Guichardin 
donne  Téloge  mérité  davoir  toujours  examiné  le  fond  des  choses  sans 
jamais  s  être  laissé  surprendre  par  l'apparence ,  et  davoir  ainsi  rejeté 
toutes  sortes  d'expéditions  en  Italie ,  comme  pernicieuses  à  la  France  et 
pleines  de  difficultés  ^  évacua  en  effet  Savone,  où  il  avait  garnison, 
et  céda  ses  droits  sur  Gênes  à  François  Sforza.  Depuis  i464  jusqu'en 
1499,  sauf  une  interruption  de  dix  ans,  durant  laquelle  les  Fregoso 
et  les  Adorno  se  disputèrent  de  nouveau,  de  1/178  à  i4&8,  la  su- 
prême magistrature,  les  Sforza,  dont  la  maison  avait  succédé  à  celle 
des  Visconti  dans  le  duché  de  Milan,  administrèrent  la  république  de 
Gênes  par  des  gouverneurs  ou  des  vicaires. 

•  Cette  situation  se  prolongea  en  s'empirant  dans  le  premier  quart 
du  xvï*  siècle.  En  i  txQtx ,  Charles  VIII, moins  sage  que  son  père,  descen- 
dit en  Italie  pour  revendiquer  le  royaume  de  Naples,  comme  héritier 
des  Angevins,  et,  en  1  A99 ,  Louis  XII  ajouta  aux  prétentions  de  son  pré- 
décesseur celles  qu'il  s'attribuait  sur  le  duché  de  Milan,  comme  héri- 
tier des  Visconti.  La  longue  guerre  qui  s'engagea,  à  cette  occasion,  dans 
la  «Péninsule,  entre  les  grandes  monarchies  militaires  du  continent, 
influa,  par  ses  vicissitudes,  sur  les  destinées  de  Gênes.  Soumise  à 
Louis  XII  en  1/199,  i^^voltée  contre  lui  en  i5o6,  prise  et  assujettie  par 
lui  en  1 607,  Gênes  secoua  de  nouveau  le  joug  de  ce  prince  en  1 5i  a , 
après  la  bataille  de  Ravenne,  pour  nommer  doge  Janus  Frégoso,  que 
renversa,  en  1 5 1 3 ,  Antoniotto  Adorno  qui  avait  traité  avec  Louis  XII, 
mais  qui  fut  presque  aussitôt  culbuté  lui-même  par  Octavien  Frégoso, 
que  l'assistance  victorieuse  des  Espagnols  porta  sur  le  trône  ducal, 
après  la  bataille  de  Novarre.  Octavien  Frégoso  ne  resta  point  fidèle  à 
ceux  qui  l'avaient  élevé,  et,  après  la  bataille  de  Marignan ,  se  tournant 
du  même  côté  que  la  fortune,  il  se  donna  à  François  I",  qui  le  fit  gou- 
verneur perpétuel  de  Gênes.  Mais  rien  n'était  perpétuel  dans  Gènes. 
Prise  d'assaut,. en  i5a2,  par  les  Espagnols,  après  leur  victoire  de  la 
Bicoque,  elle  reçut  de  leur  main  Antoniotto  Adorno  pour  doge.  Les 
Français,  ayant  acquis  de  nouveau,  en  1527,  la  supériorité  qu'ils  pa- 
raissaient avoir  perdue  à  jamais,  en  iS^S,  par  le  désastre  de  Pavie,  y 
placèrent  comme  gouverneur  Théodore  Trivulzi,  auquel  André  Doria, 
en  1 5^8 ,  enleva,  les  armes  à  la  main ,  l'administration  de  sa  patrie  pour 
la  rendre  sagement  libre  et  définitivement  indépendante. 

^  Guicciard.  1. 1,  liv.  1,  an  lAgS. 


DÉCEMBRE  1843.  767 

Le  moment  était  favorable  à  rcxécution  de  ses  beaux  desseins.  Cent 
quatre-vingt-neuf  ans  s'étaient  écoulés  depuis  la  révolution  qui  avait 
mis  les  plébéiens  à  la  tcte  de  la  république,  en  fondant  le  régime  ducal 
en  leur  faveur.  Sur  ces  cent  quatre-vingt-neuf  années,  il  y  en  avait  eu 
environ'  quatre-vingts  d'occupation  étrangère ,  et  cent  neuf  d'anarchie 
intérieure.  Plus  de  quarante  doges  avaient  pris  en  main  le  gouverne- 
ment de  Gênes ,  sans  pouvoir  le  conduire  et  le  garder.  Presque  tous 
s'étaient  élevés  violemment  et  étaient  totnbés  de  même.  On  était  encore 
plus  las,  en  1828,  de  la  domination  populaire,  qu'on  ne  l'avait  été, 
en  iSSg,  de  la  domination  aristocratique.  La  haute  bourgeoisie  sem- 
blait trouver  enfin  que  son  ambition  était  aussi  désastreuse  pour  elle 
que  pour  sa  patrie.  Elle  avait  été,  d'ailleurs,  effrayée  des  excès  et  des 
empiétements  des  classes  inférieures,  qui,  après  l'avoir  aidée  dans  ses 
luttes  contre  l'ancienne  noblesse,  demandaient  à  leur  tour  de  parti- 
ciper à  la  conduite  et  aux  avantages  du  gouvernement.  Le  progrès  na- 
turel du  principe  démocratique  avait  rendu  celles-ci  un  moment  maî- 
tresses de  rttat  en  1 5o6.  A  cette  époque,  les  artisans  de  Gênes  avaient 
nommé  doge  le  teinturier  Paul  de  Novi,  comme  ceux  de  Florence 
avaient,  en  1878,  proclamé  gonfalonier  de  la  justice  le  cardeur  de 
laine  Michel  Lando.  La  domination  des  artisans  n'avait  eu  une  longue 
durée  ni  à  Florence,  ni  à  Gênes.  L'aristocratie  bourgeoise  l'avait  répji- 
niée  dans  la  première  de  ces  villes,  et  l'autorité  française  dans  la  se- 
conde. Mais  les  prétentions  et  le  succès  momentané  de  la  démagogie 
avaient  disposé  les  bourgeois  de  Gênes  à  se  séparer  de  la  multitude, 
sans  laquelle  ils  ne  pouvaient  pas  se  maintenir  contre  la  noblesse,  et  à 
se  rapprocher  de  la  noblesse,  sans  la  coopération  de  laquelle  ils  ne 
pouvaient  pas  gouverner  contre  la  multitude.  Il  s'était  développé  depuis 
lors  un  ardent  désir  d'union  entre  ceux  qui  avaient  gouverné  jusqu'en 
1  339  et  ceux  qui  avaient  gouverné  depuis.  Mais  il  fallait  qu'im  homme 
grand  par  son  caractère  et  par  ses  actions ,  capable  de  protéger  sa  patrie 
au  dehors  et  de  la  constituer  au  dedans ,  se  chargeât  d'accwnplir  une 
œuvre  encore  aussi  difficile.  C'est  ce  que  fit  André  Doria. 

Il  appartenait  à  cette  vieille  et  puissante  famille  qui  avait  donné 
tant  de  chefs  à  l&  répubhque,  et  l'avait  illustrée  par  les  glorieuses  vic- 
toires navales  de  la  Meloria,  de  Corzola,  de  la  Sapienza,  dePola,  de 
Chioggia,  qu'avaient  gagnées,  sur  les  Pisans  au  xni*  siècle,  et  sur  les 
Vénitiens  dans  le  cours  du  xiv*  siècle,  Uberto,  Lamba ,  Pagan,  Lucien 
et  Pierre  Doria.  André  avait  continué  et  égalé  ces  grands  hommes  de 
mer,  car  il  rendit  François  1"  et  Charles-Quint  tour  à  tour  vainqueurs 
dans  la  Méditerranée ,  suivant  qu'ils  l'eurent  fun  ou  l'autre  pour  ami- 


768  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

ral.  Ami  d'Octavien  Frégoso,  il  avait  quitté  Gênes  avec  ses  galères,  lors- 
que Octavien  en  avait  été  chassé  par  les  Espagnols ,  et  il  avait  embrassé 
la  cause  de  François  I*',  qui  ne  sut  pas  le  garder  à  son  service.  Ce  prince 
entreprenant,  mais  imprévoyant,  ne  tint  aucun  compte  des  promesses 
qu'il  avait  faites  à  André  Doria ,  quoique  celui-ci  fut  resté  fidèle  à  sa 
mauvaise  fortune  après  la  défaite  de  Pavie,  et  se  fût  alors  mis  à  la  solde 
de  son  allié  le  pape  Clément  VII.  Non-seulement  il  ne  lui  paya  point  les 
36,OQo  écus  qu  il  devait  lui  donner  pour  Tentretien  de  ses  galères ,  mais 
il  humilia  le  fier  Génois ,  en  confiant  à  un  autre  que  lui  Texpédition  de 
Catalogne,  en  1 5^8.  Avant  de  rompre  les  liens  qui  rattachaient  à  Fran- 
çois I*',  André  Doria  lui  écrivit  une  lettre  fort  noble  et  fort  importante , 
découverte  et  publiée  par  M.  Vincens. 

«Sire,  lui  dit-il,  il  vous  a  plu  m^établir  votre  lieutenant  général  sur 
votre  armée  de  mer  -.  je  ne  veux  pas  dire  que  je  Tai  mérité;  mais  vous 
savez  que,  pour  entretenir  un  tel  état,  vous  ne  m  avez  donné  un  seul 
écu.... ,  et  maintenant  dites  par  votre  lettre  que  ne.  me  pourrais  trouver 
en  ladite  entreprise  de  Catalogne ,  pour  la  distance  d*ici  en  Provence. 
Je  n*ai  trouvé  aucun  voyage  difficile  quand  il  y  a  eu  apparence  de  bon 
etfet,  et  temps  disposé  à  l'exécution  encore Si  veux  bien  dire,  no- 
nobstant que  j'aie  la  barbe  blanche,  ne  se  trouvera  personne  ayant  la 
connaissance  et  le  vouloir  meilleur  de  moi;  et  m'est  donné  occasion  de 
penser  que  vous  ne  vous  souciez  de  mon  service.  Selon  ma  possibilité , 
me  suis  instamment  employé  le  plus  loyalement  que  j'ai  pu,  sans  y 
épargner  corps  et  biens ,  que  me  peuvent  témoigner  plusieurs  de  vos 

serviteurs,  mêmement  vos  ennemis  :  au  moyen  de  quoi trouve  bien 

étrange  cette  chose  par  laquelle  puis  juger  que  vous  n'avez  acceptable 
mon  service.  Mais,  puisque  ainsi  vous  plaise.  Dieu  me  donne  patience  ; 
joint  que  n'est  donné  ni  fait  démonsti^ation  de  donner  ordre  à  ce  dont 
je  vous  ai  tant  de  fois  fait  requête  pour  subvenir  à  l'urgente  nécessité  où 
je  me  trouve ,  à  cause  de  la  grande  cherté  des  vivres,  qui  est  deçà ,  pour 
laquelle  je  ne  puis,  sans  être  entièrement  satisfait ,  fournir  à  l'entrelè- 
nement  m  mes  galères.  —  Vous  supplie  de  me  donner  libéralement 
congé,  lequel,  pour  les  raisons  ci-dessus,  prendrai  autant  à  gré  que  si 
vous  me  faisiez  satisfaction  de  tout  ce  que  m'avez  fait* promettre,  tant 
parlcttres,  messagei^s,  qu'autrement;  et,  si  votre  plaisir  n'est  tel,  à  tout 
le  moins.  Sire ,  vous  plaise  députer  un  autre  chef  à  vos  galères  *.  » 

Cette  lettre  était  altière;  François  I*'  la  crut  menaçante.  Il  donna 
l'ordre  secret  d'arrêter  André  Doria ,  qui  en  fut  instruit  et  se  mit  en 

*  Ms.  de  la  Bibiiothèqae  royale,  collection  Dupuy,  vol.  ^53. 


DÉCEMBRE  1843.  769 

sûreté.  Sollicité  depuis  longtemps  de  passer  au  service  de  Cbarles- 
Quint,  il  y  consentit.  Alors  l'empereur  lui  offrit  le  pouvoir  suprême 
dans  son  pays;  mais  il  aima  mieux  en  devenir  le  libérateur  que  le 
maître,  et  il  stipula  noblement,  comme  condition  de  ses  services,  que 
Cbarles-Quint  n  attenterait  jamais  à  Tindépendance  de  Gênes.  Lorsque, 
les  armes  à  la  main ,  il  eut  chassé  de  sa  ville  natale  le  gouverneur  de 
François  I",  Théodore  Trivuki,  il  refusa  d'occuper  le  palais  public,  où 
voulait  le  conduire  le  peuple,  et  il  fit  convoquer  un  parlement  pour 
constituer  la  république  d'après  le  projet  d'union.  Le  la  septembre 
i5a8,  on  arrêta,  dans  cette  assemblée,  la  liste  de  tous  les  citoyens 
capables  du  gouvernement,  sans  distinction  de  nobles  et  de  plébéiens. 
Les  familles  inscrites  sur  cette  liste,  qui  fut  le-iivre  d'or  de  Gênes,  fon- 
dèrent le  nouveau  patriciat  chargé  d'administrer  la  république.  Des 
cent  cinquante  races  qu'avait  comptées  l'ancienne  noblesse,  il  n'en  res- 
tait plus  que  trente-cinq,  tandis  qqe  les  races  plébéiennes  admises  aux 
magistratures  s'élevaient  à  plus  de  quatre  cents.  Âfm  que  le  grand 
nombre  des  unes  ne  détruisit  pas  l'égalité  pour  les  autres,  on  forma 
vingt -huit  alliances  ou  alberghi,  qui  furent  des  familles  politiques  dans 
lesquelles  on  enrôla,  sous  vingt-huit» noms,  les  quatre  cent  trente-cinq 
familles  naturelles.  On  décida  que  les  vingt-huit  familles,  qui  se  com- 
poseraient au  moins  de  six  branches,  donneraient  leurs  noms  aux  vingt- 
huit  alberghi.  On  en  trouva  vingt -trois  de  l'ancienne  noblesse  et  cinq 
de  la  noblesse  plébéienne.  ..Tous  les  citoyens  aptes  aux  magistratures 
portèrent  les  noms  des  familles  politiques  auxquelles  ils  furent  afliliés, 
ce  qui  multiplia  extrêmement  les  Grimaldi ,  les  Spinola ,  les  Doria ,  etc. 
Le  gouvernement  fut  partagé  eptre  elles.  Devenu  réellement  électif,  il  fut 
confié  à  un  doge  nommé  tous  les  deux  ans ,  sous  les  garanties  les  mieux 
entendues,  et  à  un  sénat  de  huit  membres,  chargé  de  le  seconder  et 
de  le  sm^yeiller  dans  l'exercice  de  la  puissance  publique.  Un  collège  de 
procurateurs  eut  la  direction  supérieure  des  finances,  et  un  tribunal  de 
dnq censeurs,  toujours  appelés  syndicatean  suprêmes,  fut  investi  du  droit 
redoutable  déjuger  les  procurateurs,  les  sénateui's,  le  doge,  lorsqu'ils 
sortiraient  de  charge.  Tous  les  magistrats  furent  élus  à  temps  et  au 
scrutin,  ou  par  le  grand  conseil  dépositaire  de  la  souveraineté  nationale, 
ou  par  le  petit  conseil,  dans  le  sein  duquel  se  concentraient  les  affaires 
d'Etat.  Le  premier  de  ces  conseils  dut  avoir  quatre  cents  membres,  et  le 
second  cent,  tirés  annuellement,  par  le  sort,  de  Turne  qui  contint  tous 
les  noms  des  nouveaux  patriciens  de  la  république  reconstituée.  Tiellp 
fut  la  révolution  accomplie  en  iSsS,  sous  Tinspinitiôn  et  avec  l'appiû 
d'André  Doria,  que  Gênes  reconnaissante  déchira  préiîdeBt  jivie  dés 

97 


770         JOURNAL  DES  SAVANTS. 

syniicateurs  suprêmes ,  en  lui  élevant  un  palais  sur  la  place  de  Saint* 
Mathieu,  de  tout  temps  habitée  par  ses  ancêtres,  et  en  lui  décernant 
le  titre  de  fondateur  de  la  liberté. 

Après  avoir  présenté  avec  clarté  la  succession  confuse  des  doge» 
plébéiens  depuis  i33g  jusquen  i5a8,  M.  Vincens  a  exposé  d*une  ma- 
nière intéressante  les  préparatifs,  les  incidents  et  les  résultats  de  cette 
dernière  révolution,  a  L'édifice  qu'elle  éleva ,  dit-il ,  n*a  croulé  que  de 
nos  jours,  après  deux  cent  vingt  ans,  non  pas  de  ^oire,  le  temps  de 
la  gloire  et  des  progrès  était  passé  pour  Gênes  «  mais  de  stabilité  et 
de  repos.  »  Dans  un  dernier  article ,  nou6  montrerons  les  suites  de  ce 
grand  changement,  et  nous  examinerons,  d'après  Touvrage  de  M.  Vin« 
cens,  rhistoire  extérieure  de  Gênes,  ainsi  que  ses  établissements  colo- 
niaux et  ses  vicissitudes  commerciales. 

MIGNET. 

NOUVELLES  LITTÉRAIRES, 

INSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE. 

ACADÉMIE  FRANÇAISE. 

M.  Casimir  Delavigne,  de  TAcadémie  française,  est  mort  le  la  décembre  i843. 

ACADÉMIE  DES  SCIENCES. 

M.  Morin  a  été  tiu,  le  18  décembre,  dans  ]a  section  de  mécanique,  en  remplie- 
can^nt  de  M.  Coriolis,  décédé. 

LIVRES  NOUVEAUX. 

FRANCE. 

Rapport  de  M,  Cousin,  membre  du  conseil  royal  de  Tinstraction  publique*  prési- 
dent du  concours  ouvert,  en  i8&3«  pour  diverses  places  d*agrégés  de  puilospphie 
près  les  facultés  des  lettres  du  royaume  •  suivi  des  disserlations  de  If  M.  Emile 
Saisset  et  Amédée  Jacques,  faites  sous  les  yeux  du  jury  dans  ledit  concours.  Paris, 
imprimerie  et  librairie  de  Paul  Dupout  et  de  Jules  Delalain,  i843,  in-8*  de 
3a  pages.  —  Les  deux  disserlations  annoncées  dans  le  titre  de  cette  brochure  ont 
égdement  pour  sujet  cette  question  :  Ce  qu'il  y  a  de  vrai,  ce  qu'il  y  a  de  faux  dans 
la  morale  stoïcienne.  Faites,  selon  le  vœu  des  règlements,  en  dix  heures,  sans  le 
secours  d*aucua  livre,  d'aucune  note,  elles  étonnent  véritablement  par  Tétendue 
et  la  sûreté  du  savoir,  la  solidité  des  idées ,  le  talent  de  Texposition.  Ainsi  que  le 
beau  rapport  qui  les  précède,  et  qui  constate  les  succès  divers  obtenus  dans  la  triple 
épreuve  de  la  composition ,  de  Tàrgumentation  et  de  la  leçon ,  par  M.  Lorquet 
paftleolièrement,  pkr  MM-  Henné,  Jourdain  et  Lefranc,  elles  portent,  en  &vear 
de  Venseigaemeat  philosophique  donné  pari'univenilé  die  France,,  un  témoîgfBage- 


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DÉCEMBRE  1843.  771 

précieux,  et  qui  a,  en  ce  moment,  nn  intérêt  de  circonstance.  On  peut  en  dire  autant 
des  écrits  nombreux  dont  nous  allons  donner  la  liste.  Composés  récemment  pour 
les  épreuves  du  doctorat  dans  la  faculté  des  lettres  de  Tacadémie  de  Paris ,  ils  ho- 
norent a  la  fois  les  doctrines  philosophiques  et  les  principes  littéraires  professés 
dans  nos  écoles  par  les  plus  distingués  de  nos  jeunes  maîtres.  On  retrouvera  dans 
ces  titres  plusieurs  des  noms  que  mentionne,  en  termes  si  favorables,  le  rapport 
de  M.  Cousin. 

Ecole  de  Mégai*e,  par  Désiré  Henné.  Bourges,  imprimerie  de  Manceron;  Paris, 
librairie  de  Joubert,  i843,  in-8*  de  a48  pages. 

De  Cœsare  rerum  a  se  gestarum  scriptore,  par  le  même.  Chez  le  même.,  Paris, 
i843,  în.8*. 

Leibnitii  jmdiciiun  de  nonnullis  Baylii  sententiis,  etc.  par  L.  Lefranc.  Paris,  im- 
primerie de  Fain  et  Thunot,  i8â3,  in-8*  de  19  pages. 

De  la  entique  des  idées  platoniciennes  par  Aristote,  par  le  même.  Bordeaux,  impri*- 
merie  de  Lavigne;  Paris ,  librairie  de  Joubert,  i8il3 ,  in-8''  de  ao3  pages. 

De  controversis  quibusdam  Anaxagorœ  doctrinis,  par  E.  Bersot.  Paris,  imprimerie 
de  Fain  et  Thunot,  i843,  in-8*  de  37  pages. 

Doctrine  de  saint  Augustin  sur  la  liberté  et  la  Providence,  par  le  même.  Paris,  im» 
primerie  de  Fain  et  Thunot,  librairie  de  Joubert,  i843,  in-8*  de  a5d  pages. 

De  Entelechia  apud  Leibnitium ,  par  Ad.  Bertereau.  Paris ,  imprimerie  de  Fain  et 
Thunot,  librairie  de  Joubert,  i843,  in-8**  de  63  pages. 

Leibnitz  considéré  comme  historien  de  la  philosophie,  parle  même.  Chez  les  mêmes, 
Paris,  1843,  in-8*de  i4o  pages. 

De  summa  providentia  res  humanas  administrante  quid  sensennt  prioris  Eceluim 
scriptores,  et  qumfaerit  apud  eos  hujus  doctrinœ  fortuna  et  incrementum,  par  S.  R. 
Taillandier.  Paris,  imprimerie  de  Crapelet,  i843,  in-8*  de  64  p^g^- 

Scot  Erigène,  par  le  même.  Strasbourg,  imprimerie  et  librairie  de  Berger-Le- 
vrault,  18&3,  in-8*  de  334  pages. 

Quid  in  libris  M.  Terentii  Varronis  de  re  rustica  ad  litter€u  attineat,  par  A.  Fremy* 
Paris,  imprimerie  de  Foumier,  i843,  in-8**  de  46  pages. 

Essai  sur  les  variations  du  style  français  au  xvii'  siècle,  par  le  même.  Même  im- 
primerie, Paris,  1843,  in-8*  de  3a 3  pages. 

De  homericorum  poematum  origine  et  unitate ,  par  £.  Havet.  Paris,  imprimerie  de 
Crapelet,  i843,  in-8'  de  67  pages. 

De  la  rhétorique  d* Aristote,  par  le  même.  Même  imprimerie,  Paris,  i843,  in»8* 
de  i3i  pages. 

D.  Augustini  et  Sahiani  jadicia  de  suorum  temporum  caltunitatibus ,  par  C.  H.  Ver- 
dière.  Paris,  même  imprimerie,  i843,  in-8''  de  47  pages. 

Essai  sur  Mneas  Synius  Piccohmini,  par  le  même.  Même  imprimerie,  Paris, 
1843,  in-8*  de  i65  pages. 

Quant  utilitatem  cofferat  ad  historiam  sui  temporis  illustrandam  rhetor  Aristides, 
par  A.  C.  Dareste.  Paris,  imprimerie  de  P.  Dupont,  i843,  in-d"  de  4o  pages. 

•  Thamas  Morus  et  Campanella,  ou  Essai  sur  les  utopies  contemporaines  de  la  re- 
naissance et  de  la  réforme,  par  le  même.  Même  imprimerie.  Pari»,  i843,  îii-'S* 
de  68  pages. 

Parmi  œs  dix -huit  thèses,  toutes  dignies  d'attention  et  d'intérêt,  et  dont  plu- 
sieurs sont  des  ouvrages  considérables ,  on  a  paru  distinguer  plus  ptArticnlièfement 
les  travaiir  de  MM.'Henne.^TAÎllaif^r,  et  surtcmt  de  MM.  Bersot  et  Havet,  sur 
rÉcoledeM^«#e,-fi%MRt«gêiiei'^ifk«A«igti8tinet  Arfistote.  ./.; 

97- 


772  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

.      in     '  ■     »  ^      ■  ■       I  I  II  ■  ■  ■  ■  ■         ■    ■  ■ ■     I    I.  I  iC 


«4*» 


TABLE 


DBS   ARTICLES   BT    DES    PRINCIPALES   NOTICES  OU    ANNONCES    QUE   CONTIENNENT 
LES   DOUZE    CAHIERS   DU   JOURNAL   DES   SAVANTS,    ANN^E    1 843. 


I.  LITTÉRATURE  ORIENTALE. 

Géographie  d*Edrisi,  traduite  de  Tarabe  en  français,  d*après  deux  manuscrits  de 
ia  Bibliothèque  du  Roi,  et  accompagnée  de  notes,  par  M.  P.  Amédée  Jaubert,  etc. 
Ipmrimerie  royale,  in  4*-  Tome  I",  i836;  tome  II,  i84o.  i*  article  de  M.  Qua- 
tremère,  avril,  ao5-3i7;  3*  et  dernier  article,  août,  468-48). 

Théâtre  chinois,  ou  choix  de  pièces  de  théâtre  composées  sous  les  empereurs 
mongols..  .  .  par  M.  Bazin  aîné,  i  vol.  in-8'.  Imprimerie  royale,  i838. — Le  Pi-pa- 
ki  ou  histoire  du  luth,  drame  chinois.  .  .  .  par  le  même,  i  vol.  in-8%  Imprimerie 
royale ,  i84i.  3*  et  dernier  article  de  M.  Magnin.  Janvier,  39-43*  (Voir,  pour  les 
pfnicédents  articles,  mai  et  octobre  i843.) 

Mirchondi  historia  Seldschukidarum edidit.  .  .  .  Jo.  Âug.  Vullers.  Gisss 

1837,  in-8'.  —  Mirchond*s  geschichte  der  Seldschuken ....  von  Jo.  Aug.  Vullers. 
Giessen,  1837,  in-8'*.  i"  article  de  M.  Quatremère,  mars,  170-186;  3*  artido, 
juillet,  385*4o3. 

Le  livre  des  vois ,  par  Abou  Ikasim  Firdousi ,  publié ,  traduit  et  commenté  par 
Jules  Mohl.  Tome  II.  Imprimerie  royale,  i843.  1"  article  de  M.  Quatremère.  Oc- 
tobre, 577-598. 

Mélanges  posthumes  d'histoire  e\  de  littérature  orientales,  par  Abd  Rémusal. 
Imprimerie  royale,  i843,  in-8'  de  iy-471  pages.  Mars,  190. 

Ramayana,  poema  indiano  di  Valmici. .  .  .  per  Gaspare  Gorresio.  .  .  .  Tome  I*'. 
Paris,  Imprimerie  royale,  i84o,  in-8*  de  cxLni-364  pages.  Août,  5 10. 

Bibliothèque  asiatique  et  africaine par  H.  Ternaux-Gompans.  Paris,  i843, 

in-8*  de  347  page*-  Février,  13  3. 

A  Grammar  of  tlic  hindustani  language ,  by  Jolm  Shakespear,  fourth  édition. . . ,  « 
London,  i843,  in-4°  de  307  pages.  Juin  ,^83. 

Lexicon  manuale  hebraïcum  et  chaldaîcum auctor  J.  B.  Glaive.  Editio  altéra. 

Paris,  1843,  in-8'  de  734  pages.  Octobre,  639. 

Maghas  tod  dis  Ciçupala,  La  mort  deCiçupala,  épopée  tirée  du  sanscrit,  traduit 
parle  docteur  G.  Schûtz.  Bielefeld,  i843.  1"  livraison,  pages  i-i44.  JuiUel ,  447- 

fl.  LITTÉRATURE  GRECQUE  ET  ANCIENNE  LITTÉRATURE  LATINE. 

>  L  art  de  la  rhétorique  d^Aristote traduit  en  français  par  G.  Minoîde  Mynas. 

Paris.  -^  STNATûrH  TEXJNQN,  sive  artium  scriptores,  ab  iniliis  usque  ad  editos 
Arislotelis  libros.  Composuit  Leonardus  Spengel.  Stuttgard,  1838,  3*  artide  4e 
M.  Rossignol.  Février,  103-1 19.  (Voir,  pour  les  pi^cédeiUs  articles,  octobre,  i&io, 
septembre,  1843.) 

,.  Scriplorum  grscorum  bibliotlieca.  Parisiisr,  editore  Ambrf>iio  finyi..  Dâdot 
Tome  AlV  ei  XV.  1*  artide  de  M.  Lelronoe.  Septembre,  âa4-543».  !/   ,♦  .       î  . 


DÉCEMBRE  1843.  773 

Etudes  sur  les  tragiques  grecs par  M.  Patin.  Tome  111.  Paris,  i843,  in-8** 

de  565  pages.  Septembre,  b'jà. 

Œdipe,  tragédie  de  Sophocle,  traduite  en  français  par  M.  A  L.  Boyer.  Paris,  i843, 
in-12  de  107  pages.  Avril,  a 5 5. 

Thésaurus   Gnccae  linguae,  ab  Henrico  Stéphane  constructus Volumen 

sextnm ,  fasciculùs  secundu.n.  Paris,  i84a,  in-f*,  ag*  el  3o'  livraisons,  chacune  de 
320  pages.  Février,  128. 

Histoire  de  la  vie  et  des  poésies  d'Horace par  M.  Walckenaer.  —  Epîtro 

d'Horace  aux  Pisonssur  l'Art  poétique par  C.  F.  X.  Chanlaire. — Art  poétique 

d'Horace. .  . .  par  J.  B.  Pérennès.  —  Art  poétique  d'Horace,  traduit  en  vers  par 
Bon  le  Camus.  —  5*  et  dernier  article  de  M.  Patin.  Janvier,  43-58.  (Voir,  pour  les 
précédents  articles,  octobre  1 84 1»  janvier,  février  el  octobre  i84a.) 

in.  LITTÉRATURE  MODERNE. 

l"*    GRAMMAIRE,    POESIE,    MELANGES. 

LaCélestinc,  tragi-comédie  de  Calixte et Mélibée ,  traduilc  de  l'Espagnol,  annotée 
et  précédée  d'un  essai  historique,  par  M.  Germond  de  Lavignc.  Paris,  i84ii  1  vol. 
in-12.  Article  de  M.  Magnin.  Avril,  ]93-2o5. 

Lucrèce ,  tragédie  en  cinq  actes  et  en  vers. .  .  .  par  F.  Ponsard.  Paris.  i843,  1  vol. 
in-12  de  io4  pages,  4'  édilion.  1"  article  de  M.  Patin.  Décembre,  705-719. 

Chansons  de  Maurice  el  de  Pierre  de  Cruon , .  . .  .  publiées  pour  la  première 
Ibis.  . .  .  par  G.  S.  Trébutien.  Caen,  i843 ,  in- 16  de  3a  pages.  Juillet,  447- 

Les  Trouvères  artésiens,  par  M.  Arthur  Dinaux.  Valenciennes  et  Paris,  in-8''  de 
vii-483  pages.  Octobre,  639. 

Poésies  provençales  des  xvi*  el  xvii*  siècles,  tome  I*,  'i843,  Marseille  et  Paris. 
Octobre,  639. 

Fragments  littéraires,  par  M.  Victor  Cousin.  Paris,  i843,  in-8'  de  5i6  pages. 
Juillet,  446. 

Causeries  et  méditations  historiques  et  littéraires,  par  M.  Charies  Magnin.  Paris, 
1843,3  vol.  in  8*  de  xn-5o6  et  538  pages.  Mai,  319. 

Epoques  de  Thistoire  de  France  en  rapport  avec  le  tliéâtre  français ....  par  Oné- 
sime  Leroy.  Les  Batignolles  et  Paris,  i843,  in-'S®  de  467  pages.  Juin,  38a. 

Essai  sur  les  cours  d'amour,  par  Frédéric  Diez.  .  . .  traduit  de  l'allemand.  .  . . 
par  M.  le  baron  Ferdinand  de  Roisin.  Lille  et  Paris,  i84a,  brochure  in-8'  de 
a  9  pages.  Janvier,  6a. 

Le  Livre  du  cœur.  .  .  par  Louis- Auguste  Martin.  Paris,  i843,  in-18  de  a83  pagesi^ 
Février,  137. 

1^  Chevalerie  Ogier  de  Danemarche ,  par  Raimbert  de  Paris ,  poème  du 
x^rsiècle.  . . .  Paris,  i84a»  a  vol.  in-ia  ,  ensemble  ciii-557  pages.  Février,  lai. 

Chronique  riméc  des  troubles  de  Flandre,  par  Edw.  Le  Glay.  Lille,  1 84a, in -8* 
de  160  pages  avec  une  pi.  Février,  137. 

Nouvelles  lettres  de  la  reine  de  Navarre  adressées  au  roi  François  1*  son  frère. .  . 
par  F.  Genin.  Paris,  184^1  in-8*  de  3ao  pages.  Février,  ia8. 

L'illustre  châtelaine  des  environs  de  Vaucluse,  la  Laurc  de  Pétrarque.  Carpentras 
et  Paris,  in-8*  de  xv-a83  pages  avec  gravures.  Octobre,  639. 

Dictionnaire  étymologique,  historique  et  anecdotraue  des  proverbes  et  des  locu- 
ixoDs  proverbiales  de  la  langue  française.  . . .  par  P.  M.  Quitard.  Paris,  in-8*  de 
XV- 701  pages.  Juillet,  446. 


774  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

a*    SCIENCES    HISTORIQUES. 

1 .  Géographie  et  Voyages. 

Relation  d*un  voyage  d'exploration  au  nord-est  de  la  colonie  du  cap  de  Bonne- 
Espérance,  par  MM.  T.  Arbousset  et  F.  Daumas.  Paris ,  i842,  in-8*de  x-6ao  pages. 
Février,  122. 

Voyage  pittoresque  dans  Tempire  ottoman ,  en  Grèce  •  dans  la  Troade  «  etc.  par 
le  comte  de  Choiseul-GoufFier . . . .  nouvelle  édition,  augmentée  de  notices  histori- 
ques, rédigées  avec  le  concours  de  M.  Hase,  de  Tlnstitut,  et  de  M.  Miller.  Épemay 
et  Paris,  i843,  livraisons  94  à  100  et  dernière,  11a  pages  in-8**  et  ai  pi.  in-ibl. 
Février,  12  3. 

Relations  d'un  voyage  en  Orient,  de  i83o  à  i838 ,  par  Aucher  Eloy,  revues  et  an- 
notées par  M.  le  comte  Jaubert,  membre  de  la  chambre  des  députés.  Paris,  i843, 
2  vol.  in-8",  ensemble  de  832  pages,  avec  une  carte.  Février,  i23. 

Voyage  au  pôle  sud  et  dans  i'Océanie,  sur  les  corvettes  V Astrolabe  et  la  Zélée,  .  . 
histoire  du  voyage  par  M.  Dumont-d^Urville,  tome  VI.  Paris,  i84ai  in-8*  de  428  pag. 
Février,  124. 

Souvenirs  d'un  voyage  dans  Tlnde,  exécuté  de  i834  à  1839,  par  M.  Adolphe  De- 
lessert,  Paris,  i843 ,  in-8"  de  2^8  pages ,  avec  35  planches.  Février,  124. 

Le  Léman,  ou  voyage  pittoresque,  historique  et  littéraire  à  Genève  et  dans  le 
canton  de  Vaud  (Suisse),  par  M.  Bailly  de  Lalondc.  Paris,  i84a  1  2  vol.  in-8*,  en- 
semble de  xvi-xlvi  et  ii32  pages.  Février,  124. 

Voyage  en  Islande  et  en  Groenland.  .  . .  pendant  les  années  i835  et  i836. .  • . 

Sublié  sous  la  direction  de  M.  Paul  Gaimard;  littérature  islandaise,  par  M.  Xavier 
larmier,  i"  partie.  Paris»,  i843,  in-8*  de  280  pages.  Juillet,  447- 
Voyage  dans  TAmérique  du  Nord.  .  .  par  le  prince  Maximilien  de  Wied-Neuwied 
(texte),  tome  III.  Paris,  i843,  in-8*  de  4^4  pages,  avec  une  carte  et  6  planches. 
JuOlet,  447. 

Voyage  autour  du  monde  .  .  .  par  M.  Louis  de  Freycinet,  magnétisme  terrestre. 
Imprimerie  royale,  in-4*  de  viii-34a  pages.  Août,  5ii. 

2.  Chronologie  et  Ilisloîre  ancienne. 
3.  Histoire  de  France. 

Collection  de  documents  inédits  sur  Thistoire  de  France. —  Recueil  des  lettres 
missives  de  Henri  IV,  publié  par  M.  Berger  de  Xivrey,  tomes  I  et  II.  Imprimerie 
royale,  i843,  in-4*  de  XLi-7ioel  657  pages.  Septembre,  675. 

Collection  des  documents  inédits  sur  l'histoire  de  France.  —  Papiers  d'État  du 

cardinal  de  Granvelie publiés  sous  la  direction  de  M.  Ch.  Vveiss,  tome  IV. 

Imprimerie  royale,  i843,  in-4'  de  784  pages.  Septembre,  676. 

Annuaire  historique  pour  l'année  i843,  publié  par  la  société  de  Thisloire  de 
France,  7'  année.  Paris,  i842 ,  in-8*  de  208  pages.  Janvier,  64- 

Archives  de  Nevcrs.  . . .  par  A.  Duvivier.  Nevers  et  Paris,  1842»  a  vol.  in-8*  de 
lJUii-428-338  pages.  Janvier,  62. 

L'ancienne  Auvergne  et  le  Vélay par  Ad.  Michel  et  une  société  d'artistes. 

Paris ,  1 843 ,  prospectus.  Janvier,  64. 

Le  siège  de  Lille  en  1792 ,  par  Victor  Derode.  Lille ,  i84a ,  in-S®  de  79  page»- 
Février,  122. 


DÉCEMBRE  1843.  775 

Histoire  de  Cambrai  et  du  Cambrésis,  par  Eug.  Bouly.  Cambrai,  i842 ,  in-8*  de 
208  pages.  Février,  126. 

Table  chronologique  et  analytique  des  archives  de  la  mairie  de  Douai,  par 
M.  Pilate-PrévosL  Douai,  i843,  in-8'  de  532  pages.  Février,  128. 

Mémoire  historique  sur  la  ville  de  Moustier,  par  Jean  Solomé. . .  .  Digne,  18^2  , 
in- 12  de  64  pages.  Février,  12&. 

Archives  municipales  de  Rouen.  Rapport  adressé  au  maire  de  Rouen,  par  M.  Ch. 
Richard.  Rouen,  in-8*  de  32  pages.  Février,  127. 

Bibliothèque  de  Técole  des  chartes,  tome  IV  (livraisons  1  et  2).  Paris,  18^2- 
1843,  in-8',  188  pages.  Février,  12  5.  —  3'  livraison  (janvier  et  février  i843). — 
4*  livraison  (mars  et  avril  i843).  Juin,  38o. 

Mémoires  authentiques  de  Jacques  Nompart  de  Caumont ,  duc  de  la  Force .... 

publiés par  M.  le  marquis  de  la  Grange, député  de  la  Gironde.  Paris,  i843, 

4  vol.  in-8*.  Juin,  383. 

Recueil  de  dissertations  choisies  sur  différents  sujets  d'histoire  et  de  liliéralure , 
par  Tabbé  Lebeuf,  tome  1".  Paris,  i843,  in-12  de  xxiii-244  pages.  Octobre, 
628. 

Les  chroniques  dç  Tévéque  de  Langres,  du  père  Jacques  Vigner,  traduites  du  la- 
tin..  . .  par  Elmile  Jolibois.  Chaumoni,  i843,  îq-8*  de  111-287  pages.  Juin,  282. 

4.  Histoire  d*Kafope.  d'Asie,  d'Afrique,  etc. 

>  _  • 

Histoire  de  la  république  de  Gènes,  par  M.  Emile  Vincens,  conseiller  d'Etat. 
Paris,  1843,  3  vol.  in-8*.  Premier  article  de  M.  Mignet,  novembre,  64 1 -655; 
2*  article,  décembre,  746-770. 

Histoire  de  la  Belgique,  par  H.  G.  Moke. ...  2*  édition.  Gand,  i842,  in-8*. 
Juillet,  448. 

Histoire  politique ,  civile  et  monumentale  de  la  tille  de  Bruxelles ,  par  MM.  Alex. 
Henné  et  Alph.  Wauters.  Bruxelles ,  i843,  in-8*.  Août,  5i2. 

Rapport  adressé  à  M.  le  mînisfte  de  Tintérieur  au  sujet  du  manuscrit  de  la  para- 
phrase grecque  de  Théophile par  M.  Ph.  Bernard.  Bruxelles,  i843,  in-8*. 

Aoât,  5ia. 

Rapport  à  M.  le  ministre  de  l'intérlear  sur  les  documents  concernant  Thistoire 
de  la  Belgique,  qui  existent  dans  les  dépôts  littéraires  de  Dijon  et  de  Paris,  par 
M.  Gachard.  Bruxelles,  i843 ,  in-8*.  Août,  5t2. 

L'Empire  chinois,  ou  histoire  descriptive  des  mœurs,  coutumes du  peuple 

chinois.  • . .  traduit  de  Tanglais,  par  Clément  Pelle,  avec  gravures  sur  acier 

Londres  et  Paris.  Juin,  384. 

5.  Histoire  littéraire,  bibliographie. 

Notices  et  extraits  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi  et  autres  biblio- 
thèques, publiés  par  Tlnstitut  royal  de  France. . . .  Tome  XIV  (  i"*  partie).  Impri- 
merie royale,  i843,  in-4*  de  5i4  p^ges.  Septembre,  576. 

Notice  sur  les  manuscrits  autographes  de  ChampoUion  le  jeune,  perdus  en  Tan- 
née i832  et  retrouvés  en  i84o  par  M.  Champollion-Figeac.  Paris,  i842,  broch. 
in-8*  de  4?  p*ges  avec  CEic-simile.  Janvier,  04. 

Chronique  de  Richer,  moine  de  Senones,  traduction  du  xyi*  siècle publiée 

pour  la  première  ibis par  Jean  Gayon.  Nancy,  i843,  tn-4*  de  248  pages. 

Mars,  19a. 


776  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Notice  sur  un  manuscrit  intitulé  Annale»  mundi  ad  annum  i26â,  par  le  comfe 
Ch.  de  l^Escalopier.  Paris,  in-8°  de  5o  pages.  Mars,  191. 

Histoire  des  lettres  au  moyen  âge par  Amédée  Duquesnel.  Paris,  1842» 

lomelV,  in-8'  en  456  pages.  Février,  lay. 

Histoire  de  la  renaissance  des  lettres  en  Europe  au  xv*  siècle,  par  J.  P.  Ghar- 
penlier.  Paris,  i843,  2  vol.  in-8°,  ensemble  796  pages.  Juillet,  447. 

Bibliothèque  de  M.  le  baron  Silvestre  de  Sacy tome  I".  Imprimerie  royale ,. 

i84îi,  in-8*.  Février,  121. 

Les  Manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  du  Roi par  A.  PauKir  Paris 

tome  V.  Paris,  1842,  in-8'*  de  5i  1  pages.  Mars,  191. 

Catalogue  des  livres  composant  la  bibliothèque  de  la  ville  de  Bordeaux.  Théolo-^ 
gic.  Imprimerie  royale,  1842.  Mars,  192. 

Catalogue  d'une  belle  collection  de  lettres  autographes.  Paris,  i843,  in-8*  de 
76  pages.  Mars,  192. 

Manuel  du  libraire  et  de  Famateur  de  livres par  Jacques-Charies  Brunet, 

4' édition  originale.  Paris,  1 842.  Février,  126. 

Collectanea  Gersonîana,  ou  Recueil  d*éUides ayant  trait  au  problème  bibïio- 

gmphique  sur  Torigine  de  Tlmitation  de  Jésus-Christ,  par  Jean  SpencernSmith.  Caen 
et  Paris,  1843,  in-8°  de  336  pages.  Juillet,  447- 

Bibliographie  douaisienne par  H.  R.  EhithiUœul.  Nouvelle  édition  in-8"  de 

52 o  pages.  Février,  127. 

Bibliotbeca  Grenvilliana ou  Notices  bibliographiques  des  livres  rares  et 

curieux  de  la  bibliothèque  de  sir  Thomas  Grenville,  par  J.  T.  Payne  et  H.  Foss. 
Londres,  1842,  2  vol.  in-8°.  Août,  5i2. 

Catalogue  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  des  ducs  de  Bourgogne  (tome  III). 
Bruxelles,  1842,  gr.  in-4*.  Juillet,  448. 

Notice  sur  les  imprimeries  qui  existent  ou  qui  ont  existé  en  Europe,  par  H.  Ter- 
naux-Compans.  Paris,  i843,  in-8°  de  i46  pages.  Juillet,  447- 

Notice  sur  rétablissement  de  Timprimerie  dans  la  ville  d'Aire par  Fr.  Mo- 
rand. Saint-Pol,  i842,  in-4"  de  i5  pages.  Février,  127. 

Paléographie  universelle par  M.  Silvestre.  Paris,  i843,  4  vol.  in-f*.  Mai,  320. 

Alphabet-Album par  Silvestre.  Paris,  i843.  Octobre,  639. 

Isographie  des  hommes  célèbres,  ou  Collection  de  fac-similé,  etc.  nouvelle  édi- 
tion, 4  vol.  in-4*,  Paris.  Octobre,  639. 

'  1* 

6.  Archéologie. 

Recherches  sur  les  nionuments  cyclopéens par  L.  C.  F.  Petil-Radel.  Paris  ^ 

Imprimerie  royale,  i84i.  in-8*-  Article  de  M.  Raoul-Rochctte.  Mars,  129-150. 

1.  Anlichi  monumenti  sepolcrali  scoperti  nel  ducato  di  Ceri  dichiarati  dal  cav. 

P.  S.  Visconti.  Roma,  i836,  in-f*.  —  2.  Descrixione  di  Gère  antica dell'  ar- 

chitetto  cav.  L.  Canina.  Roma,  i838,  in-P.  —  3.  Monumenti  di  Gère  antica 

dal  cav.  L.  Grifi.  Roma,  i84i»  in-f*.  —  1"  article  de  M.  Raoul-Rochette,  mai,  268- 
287;  2*  article,  juin,  344-36o;  3*  article,  juillet,  4i6-433;  4*  et  dernier  article, 
septembre,  543-564. 

Explication  de  trois  inscriptions  trouvées  à  Philes,  en  Egypte.  1*  article  de  M.  Le- 
Ironne,  juin,  321-333;  2*  et  dernier  article,  août,  457-468. 

Il  sepolcro  dei  Volunni,  scoperto  in  Perugia  nel  i84o,  ed  altri  rnoomneiYti  ine- 
dili  etruschi  e  romani ,  esposti  da  G.  B.  Vermiglioli.  Perugia  i84o,  iD-4*.  i*  ar- 


DÉCEMBRE  1843.  777 

ticle  de  M.  Raoul-Rochelte ,  octobre,  598-609;  a"  article,  novembre,  666-680;  3'  et 
dernier  article,  décembre,  738-A45. 

Mémoires  et  dissertations  sur  les  antiquités  nationales  et  étrangères,  publiés  par 
la  Société  royale  des  Antiquaires  de  France.  Nouvelle  série.  Tome  VU.  Paris,  i84a, 
in-8'*  de  xl-534  pages  avec  pi.  Janvier,  63. 

Mémoires  sur  les  voyages  de  Tempereur  Hadrien  et  sur  les  médailles  qui  s  y 
rapportent,  par  J.  G.  H.  Greppo.  Bellcy  et  Paris,  i843,  in-8*  de  3  5a  pages.  Mars, 

19^- 

Notice  sur  une  petite  statue  de  bronze  trouvée  à  Esbarras par  P.  J.  Gau- 
thier Stirum,  maire  de  la  ville  de  Seurre Paris,  i84a,  in-4*  ae  i5  pages  et 

3  pi.  Janvier,  6a. 

Essai  sur  Tancienne  monnaie  de  Strasbourg par  Louis  Levrault.  Stras- 
bourg, i84a,  10-8**  de  xii-46a  pages.  Février,  137. 

Recherches  archéologiques  sur  les  monuments  de  Besançon,  par  A.  Delacroix. 
Besançon,  in-8*  de  3a  pages.  Février,  lay. 

Mémoires  sur  quelques  antiquités  remarquables  du  département  des  Vosges,  par 
J.  B.  Jollois.  Paris,  i843,  in-4°  de  aa4  pages.  Février,  ia8. 

Recherches  sur  la  géographie  ancienne  et  les  antiquités  du  département  des 
Basses-Alpes,  par  D.  J.  M.  Henry;  a*  édit.  Paris,  i84a,  in-8*  de  190  pages.  Fé- 
vrier, ia8. 

Histoire  des  antiquités  de  la  ville  de  TAigle  et  de  ses  environs ouvrage 

posthume  de  J.  P.  Gabriel  Vaugeois.  l'Aigle,  i843,  in-8*  de  6oà  pages.  Mars,  19a. 

Luciliburgensia ,  sive  Luxemburgum  romanum Opus  posthumum  a  med. 

doctore  aug.  Neijen.  Luxembourg,  i8âa,  in-4*;  i"*  livraison  avec  i5  planches. 
JuiUet,448. 

3*  PHILOSOPHIE:  SCIENCES  MORALES  ET  POLITIQUES.  —  (Jurisprudence,  théologie.) 

Nouveaux  documents  inédits  sur  le  P.  André  et  sur  la  persécution  du  cartésia- 
nisme dans  la  compagnie  de  Jésus.  1*  article  de  M.  Cousin,  mars,  i5o-i6q;  a*  ar- 
ticle, avril,  ai8-a45;  3*  artide,  mai,  a 87*308;  A*  et  dernier  article,  jum,  36o- 

379. 

Rapport  de  M.  Cousin,  président  du  concours  ouvert  en  i843  pour  diverses 

places  d'agrégés  de  philosophie  près  les  facultés  des  lettres.  Décembre,  770. 

Logique  d'Arislote par  J.  Barthélémy  Saint-Hilaire tome  iV.  Paris, 

1843,  in^**  de  XLViii-4â6  pages.  Juillet,  447^ 

Recherches  critiques  sur  Tâge  et  Torigine  des  traductions  latines  d*Aristote  et 
sur  des  commentaires  grecs  ou  arabes  employés  par  les  docteurs  scolastiques. . . . 
par  Amable  Jourdain.  Nouvdle  édition.  Paris,  i843,  in-S""  de  488  pages.  Octobre, 
639. 

Essai  sur  les  écoles  philosophiques  chez  les  Arabes,  et  notamment  sur  la  doctrine 
d*Algazzali,  par  Auguste  Schmôlders.  Paris,  1  vol.  in-8*.  Février,  lao. 

La  science  de  la  vie,  ou  principes  de  conduite  religieuse,  morale  et  politique. . . . 
par  M.  Valéry.  Versailles  et  Paris,  i84a ,  1  volume  iu-8''  de  viii-33o  pages.  Avril, 
a56. 

Études  politiques. ....  par  Charies  Farcy,  a*  édition.  Paris,  i843,  in-8*  de 
i5a  pages.  Juin,  338. 

T£d>leau  sur  la  situation  des  établissements  français  dans  T Algérie  en  i84ii  Im- 
primerie royale,  i84a  1  in-4*  de  445  pages ,  avec  une  carte  de  1* Algérie.  Mars,  191. 

98 


778  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

Économie  politique  du  moyen  âge ,  par  Ch.  Cibrario  ;  traduite  de  l'italien 

par  Humbert Ferrand.  Bellcy  et  Paris,  i8^3 ,  in-S*  de  a88  pages.  Mars,  19a. 

Sir  Richard  Arkwrigbt,  ou  naissance  c'e  Tiodustrie  cotonnière  dans  la  Grande- 
Bretagne  (  1760  à  179a)  par  M.  Saint-Germain  Leduc.  SeoJis  et  Paris,  i84a«  in-S** 
de  3a8  pages.  Mars,  19a. 

Annuaire  de  la  pairie  et  de  la  noblesse  de  France.  •  • .  publié  sous  la  direction 
de  M.  Borel  d'Hauterive.  Paris,  i843,  in-ia  de  vin -388  pages,  avec  plancltes. 
Février,  126. 

Notice  historique  sur  la  Guyane  française,  par  H.  Ternaux-Gompans.  Paris ,  i&àS  t 
in-8** de  vi-i oa  pages.  Février,  1  a 4. 

Essai  sur  Téducation  du  peuple par  J.  Wilui.  Strasbourg  et  Paris,  i843, 

in-8''  de  xji-459  pages.  Février,  laA. 

Ministère  des  travaux  publics.  Rapport  fait  à  la  commission  sur  le  tracé  du  che- 
min de  fer  de  Paris  à  Cbâlons-sur-Saône ,  par  M.  le  comte  Daru ,  pair  de  France. . . 
Imprimerie  royale,  i843,  in-4*  de  a48  pages ,  avec  6  planches.  Juillet,  445. 

The  jews  in  China,  iheir  synagogue,  their  scriptures,  their  history,  etc.  by  James 
Finn.  London,  i843,  royal  in-ia  de  viu-86  pages.  Juin,  383. 

Documenta  inédits  sur  Domat.  i*'  article  de  M.  Cousin,  janvier,  1-18;  2"  article, 
février,  76-93. 

Loi  salique,  ou  recueil  contenant  les  anciennes  rédactions  de  cette  loi  et  le  texte 
connu  sous  le  nom  de  Lex  emendata^  avec  des  noies  et  des  dissertations  par  J.  M. 
Pardessus.  Imprimerie  royale,  i843;  in-4'*de  Lxxx-739  pages.  Mai,  3 16.  i"  artkie 
de  M.  Guérard,  septembre,  564-574;  a*  article,  octobre,  6a7'636;  3'  article,  no 
vembre,  68i-6o4. 

Travaux  surThistoire  du  droit  français,  par  feu  Henri  Gimrath.  .  .  .  recueflUset 
mis  en  ordre. . . .  par  M.  L,  A.  Wamkônig.  Strasbourg  et  Paris,  i843 ,  a  vol.  in-8*» 
ensemble  io48  pages.  Juidiet,  447- 

Rei  agrariae  scriptorum  nobiliores  reliquiae. . .  .  edidit. .  .  .  Carolus  Girard 

Paris,  1843 ,  in-8**.  5*  et  dernière  livraison  de  la  Chrestomathie.  Février,  ia8. 

Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  le  comte  Bigot  de  Pi*éAmeneu ,  ministre  des 
GvAles  sous  Tempire. . .  .  par  Aug.  Nougarèdede  Fayei,  son  petit-fils.  Paris,  i843, 
in-8**  de  38  pages.  Juin ,  383. 

Eufldbius,  or  the  Theophania,  translated  inio  engliab. . . ,  by  Samuel  Lee.  Cam- 
bridge, 1843,  in-â"",  GLix-344  pages.  Octobre,  64o. 

4''    SCI£1IG£S   PHYSIQUES    ET    MATHEMATIQUES.  (ArtS.) 

MéixK)ire  sur  la  mesure  théorique  et  expérimentale  de  la  réfraction  terres  Ire. . . . 
par  M.  Biot.  Paris,  1842,  in-8'  de  84  pages.  Février,  ia3. 

Tables  pour  le  calcul  des  syzygies  écliptiques  et  non  édiptîques,  par  M.  Largeteau. 
Brochure  in.8'  de  3o  pages.  Paris,  i843.  t**  arlide  de  M.  Biot»  juillet.  434-44i; 
a*  article,  août,  48i-5o7. 

Sur  un  traité  arabe  relatif  à  Tastronomie.  1"  articlede  M.  Biot»  septembre,  5&S> 
534  ;  a*  article,  octobre,  6o9-6a6;  note  annexe  des  articles  précédents,  novembre, 
694-703;  3*  article,  décembre,  719-737. 

Histoire  de  la  chimie,  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  notre  époque 

par  le  docteur  Ferdinand  Hoeter.  Tomel".  Paris,  i84si.  l'artidiede  M.  Chevreul. 
Février,  65-75. 


DÉCEMBRE  1843.  779 

Saggi  di  naturali  esperienze Eâsais  d*expéneDce$  faites  à  T  Académie  del 

Qjncnto.  3*  édition  de  Florence,  i84i«  in-â''*  i"  article  de  M.  Libri,  février,  gS- 
103;  2"  article,  mars,  185-190;  3*  arlidet  avril,  a46-;t65;  à*  article,  mai, 
3ofr3i6. 

Revue  des  éditions  de  Bufibn.  i**  article  de  M.  Flourens,  mai,  357-268;  2*  ar- 
ticle, juin,  333'3A4;  3*  article,  juillet,  /ioA-Âi5;  A*  article,  août,  A4g-456;  5*  ar- 
ticle, novembre,  655-666. 

Histoire  naturelle  des  mammifères par  M.  Geoffroy  Saint-Hilaire  et  par 

M.  Frédéric  Cuvier.  Paris,  in-f*,  7a*  et  dernière  livraison  de  34  pages  et  6  pi.  Fé- 
vrier, )23. 

Histoire  et  phénomènes  du  volcan  et  des  iles  vdcaniques  de  Santorin par 

M.  Tabbé  Pègues.  Imprimerie  royale,  i84a«  in-8''  de  VI1-6&7  pages  avec  une  carte. 
Février,  122. 

Précis  élémentaire  de  géologie,  par  J.  J.  d*Omalius  d'Halloy.  Paris,  i843.  No- 
vembre, 704. 

Description  des  fossiles  qui  se  trouvent  dans  le  terrain  houiller  et  dans  le  sys- 
tème du  terrain  anthraxifère  de  la  Belgique,  par  M.  L.  de  Koninck.  Liège,  i842 
1843,  in-4^  Août,  5i2. 

Recherches  sur  Torganisalion de  plusieurs  espèces  d*algues par  J.  F. 

Chauvin.  Caen,  i842,  in-4*  de  i3i  pages.  Février,  123. 

Mémoires  sur  les  fougères  du  Mexique par  MM.  M.  Martens  et  H.  Galeotii. 

1842,  in-4°  avec  23  pi.  Juillet,  448. 

A  Dictionary  of  practical  medicine Dictionnaire  de  médecine  pratique 

par  James  Coplano.  Londres,  1842,  in-8^.  Août,  5 12. 

La  rcalc  gaiieria  di  Torîno,  îIIusfratQ  da  Rob.  d*Azeglîo,  direttore  deDa  mcde- 
sima.  Torino,  fascicoli,  i-24i  i835-i84a.  3*  article  de  M.  Raoul-Rochette.  Janvier, 
19-28.  (Voir,  pour  les  précédents  articles,  mars  et  décembre,  1842.) 

An    Encyclopedia Encyclopédie  hiatoriqae*. ...   de  f  architecture ,  par 

J.  Gwilt.  Londres,  i842,  in-S*"  do  1 100  pages  avec  plua  de  1000  gravures  sur  bois 
Aoât,  5i2. 

INSTITUT  ROYAL  DE  FRANCE. 
Académies.  —  Sociétés  fittéraires.  —  Jomnauz. 

Institut  royal  de  France.  Séance  publique  des  cinq  académies.  Prix  décerné  et  pro- 
posé. Juin,  379-380. 

Académie  française.  Séanoe  publique  annuelle.  Prix  décernés  et  proposés. 
Juillet,  442-443.  Mort  de  M.  Campenon.  Novembre ,  704.  Mort  de  M.  Casimir  De- 
iarignc.  Décembre,  770. 

Académie  des  inscriptions  et  belles-lettrea.  Tome  XV  (  i**  partie  )  des  mémoires 
de  cette  académie.  Imprimerie  royale,  i842,  iu*4*,  de  4ao  pag.  avec  pi.  Jan- 
vier, 61.  M.  le  chevalier  Félix  Faulcon  est  élu  correspondant.  Février,  1 20.— Séance 
pablique,  jugement  des  concours;  prix  proposés  pour  i844et  i845.  Août,  507-509 
-—Mort  de  M.  le  marquis  Fortia  dUrbau,  membre  libre.  Août,  5oû. —  Mémoires 
présentés  par  divers  savants  à  cette  académie.  2*  série.  Antiquités  de  la  France, 
tome  I,  Imprimerie  royale,  i843,  in-4*'  de  xxxy-362  pages,  plus  23  pi.  Octobre, 
368.  Election  de  M.  Mérimée.  Novembre ,  704. 

Académie  des  sciences.  Séance  publique  annuelle.  Prix  décernés  et  proposés.  Jan- 
vier, 58-6 1. — Élection  de  M.  Andral  à  la  place  de  M.  Double,  décédé,  de  M.  Rayer, 


780  JOURNAL  DES  SAVANTS. 

à  la  place  de  M.  de  Morel-Vindé  ;  de  M.  Hansed  à  Gotha ,  en  qualité  de  corr^pon- 
dant.  Février,  lao.  —  Mort  de  M.  Lacroix.  Mai,  3 16.  —  Mort  de  M.  Bouvard  ; 
âection  de  M.  Laugier.  Juin ,  38o.  —  Discours  prononcé  aux  funérailles  de  M.  La- 
croix. Juillet,  IxUk'  —  Mémoires  présentés  à  cette  académie  par  divers  savants, 
tome  Vin,  sciences  mathématiques.  Imprimerie  royale,  i8â3,  in-°  de  690  pages 
atec  ilo  pi.  Juillet,  A4S.  —  Election  de  M.  Binet.  Août,  609.  -7-  Mort  de  M.  Coriolis. 
Octobre,  636.  Élection  de  M.  Mauvais.  Novembre,  704.  —  Élection  de  M.  Morin. 
Décembre,  770. 

Académie  aes  beaux-arts.  M.  le  comte  de  Rambuteau  est  élu  membre  libre.  Juin , 
34o.  —  Mort  de  M.  Gortot.  Août,  609. — Séance  publique.  Prix  décernés.  Octobre, 
636-638.  —Élection  de  M.  Duret.  Octobre ,  638. 

Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Séance  publique.  Prix  proposés 
pour  les  concours  de  i84A«  i845  et  i846.  Mai,  3i6-3i8. 

SOaÉTÉS  SAVANTES. 

Journal  des  Savants.  Mort  de  M.  Lacroix,  Tun  des  assistants  du  journal.  Mai, 
3 16.  —  Dbcours  prononcé  à  ses  funérailles  par  M.  Lîhrî.  Juillet,  444. 

Société  des  antiquaires  de  Normandie.  Prorogation  du  concours  de  i84a'  Prix 
proposé  pour  i844*  Janvier,  61. 

Société  des  antiquaires  de  la  Morinie.  Prix  proposé  pour  i844.  Août,  609. 

Société  libre  d'agriculture ,  sciences ,  arts  et  belles-lettres  du  département  de 
TEore.  Prix  proposé  pour  i844-  Août,  609. 

Académie  des  jeux  floraux  de  Toulouse.  Prix  proposé  pour  i844-  Août,  5 10. 
—Recueil  de  cette  académie ,  i843,  Toulouse.  Août,  5 1 1 . 

ACADÉMIES  ÉTRANGÈRES. 

Académie  royale  des  sciences  et  belles-lettres  de  Bruxelles.  Prix  proposé  pour 
1844.  Août,  5|0.  «—  Mémoires  couronnés  et  mémoires  des  savants  étrangers , 
publiés  par  cette  académie,  tome  XV,  3*  partie,  i84i-i84a.  Bruxelles,  i843, 
m-4^  Août,  5ia. 


TABLE. 

Lucrèce,  tragédie  en  cinq  actes  et  en  vers,  par  M.  F.  Ponsard  (i"  article  de 
M.  Patin  ) Page  705 

Sur  un  traité  arabe  relatif  à  Tastronomie  (3*  article  de  M.  Biot] 719 

11  sepolcro  dd  Volonni,  cd  altri  monumentî  inediti  etroschi  e  rpmani,  esposti  da 

Vermiglioli  (2*  artide  de  M.  Raoul -Roehette) 738 

Histoire  de  la  république  de  Gènes,  par  M.  Emile  Yincens  (2*  article  de  M.  Mi- 

gnet) 746 

Nouvelles  litténdres 770 

Table  des  articles  et  notices  contenus  dans  les  douze  cahiers  de  Tannée  1843 ...  772 

Fin   Dit  LA  TABLE. 


•  f  ' 


ivRinODnvnnRni  MKnmNiTi 

1993