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BUREAU DU JOURNAL DES SAVANTS.
M. Martin (du Nord), garde des sceaux, président.
Assistants . .
M. Lebrun, de Tlnstitut, Académie française, secrétaire du bureau.
M. QuATREMERE DE QuiNCY, de llostitut. Académie des inscriptions
et belles-lettres.
M. Lacroix, de Tlnstitui, Académie des sciences.
M. QuATREMÈfiiE, de llnstitut, Académit des inscriptions et belles-
lettres.
Auteurs.
j M. BiOT, de llnatitui, Académie des sciences.
If. RADiL-RocitfTTE, de rinsiitut , Académie des inscriptions et btlles-
lettres , et seiirétaire perpélud de l'Académie des beaux-arts.
M. Cousin, de Tlnsti tut. Académie française et Académie des sciences
morales et politiques.
M. Letronne, deTInstitut, Académie des inscriptions et belles-lettres.
M. Chevreul , de Tlnstitut, Académie des sciences.
M. Eugène Burnouf, de llnstitut. Académie des inscriptions et belles-
lettres.
M. Flourens, de Tlnstitut, Académie française, et secrétaire perpé-
tuel de r Académie des sciences.
M. Naudet, de Tlnslitul, Académie des inscriptions et belles -lettres
et Académie des sciences morales et politiques.
M. Villemain, deTInstitut, secrétaire perpétuel de l'Académie fran-
çaise.
M. Patin, de Tlnstitut, Académie française.
M. Lirri, de Tlnstitut, Académie des sciences.
\ M. Magnin, de llnstitut. Académie des inscriptions et belles-lettres.
JOURNAL
DES SAVANTS.
ANNÉE 1843.
PARIS.
IMPRIMERIE ROYALE.
M DCCC XLIII.
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JOURNAL
DES SAVANTS.
JANVIER 1843.
Documents inédits sur Domat.
PREMIER ARTICLE.
Domat est, par excellence, notre jurisconsulte philosophe. Gujas ha^
bite en quelque sorte avec Tantiquité romaine : ce qui l'occupe , c*esl
redit du préteur, la restitution et Tinterprétation légitime du texte au-
thentique. Dumoulin s'enfonce dans les coutumes et le droit canon,
pour y disputer la raison et Téquité à la barbarie qui Tenveloppe lui-
même. Domat a travaillé pour la société nouvelle que Richelieu et
Louis XIV tiraient peu à peu du chaos du moyen âge. Cest au profit du
présent qu il interroge le passé , les lois romaines et les coutumes , les sou-
mettant les unes et les autres aux principes éternels de la justice et à Tes-
prit du christianisme. Il est incomparablement le plus grand jurisconsulte
du xvu* siècle; il a inspiré et presque formé d^Aguesseau; il a quelque-
ibis prévenu Montesquieu et frayé la route à cette réforme générale des
lois entreprise et commencée par la révolution française et réalisée par
f empire. Les Lois civiles Bans leur ordre naturel sont comme la préface
du code Napoléon. La même législation pour la même société , sur le
fondement immuable de la justice et à la lumière de cette grande ph9
losophie qu'on appelle le christianisme, tel est Tobjet de Touvrage de
Domat. Sa méthode est celle de la géométrie. Gomme la plupart de ses
amis de Port-Royal et à l'exemple de Pascal, Domat avait étudié avec
svccès les mathématiques ; il en transporta le^ habitudes dans la corn-
6 JOURNAL DES SAVANTS.
position des Lois civiles. U y part des maximes les plus générales pom*
arriver, de degré en degré et par im enchaînement rigoureux et lumi-
neux, aux dispositions les {dus particulières, itn|mmant ainsi à tous les
détails des lois la grandeur de leurs premiers principes, et à 1* édifice
entier xme simplicité austère et majestueuse. Le style de Domat nest
point, il est vrai, du premier ordre : il n'a ni 1* énergie passionnée du
style de Pascal , ni ces traits de grandetff qui éclatent de loin en loin dans
la diction abondante et un peu diffuse d'Ârnauld; il n*e pas non plus Télé-
gance et laménité répandue dans les Essais de Nicole ; mais il possède
au moins l^s qualités essentielles de la belle prose du xvii* siècle , le na-
turel, la correction, la clarté. Tordre, la gravité.
A ces titres divers le nom de Domat est illustre , mais sa vie est très-
peu connue. Tandis que lion compte plusieurs biographies étendues et
savantes de Cujas, qui assurément mérite bien cet honneur, tandis que
les éloges et les notices historiques s'accumulent chaque jour sur la
mémoire de Pothier, k peine quelques pages obscures ont-elles été ac-
cordées à Domat, et notxs «n ^mmes encore à ces belles paroles, tant
de fois répétées, de d'Âguesseau, dans ses instructions à son fils sûr
l'étude de la jurisprudence {Œavres Àe d'Aguesseau, t. I, p. ayS):
« Personne n'a mieux approfondi que cet auteur le véritable principe
des lois, et ne l'a expliqué d'une manière plus digne d'un phiiosoj^he^
d'un jurisconsulte et d'un chrétien. Après avoir remonté jusqu'au pre-
mier principe, il descend jusqu'aux dernières comséquences. H les dé-
veloppe dans un ordre presque géométrique : toutes les différentens es-
pèces de lois y sont dé^Blées avec les caractères qin les distinguent.
C'est le plan général de la société civile le xmewc fiait et le plus achevé
qm ait jamais paru, et je l'ai toujours regiardé commue un ouvrage
précieux que j'ai vu croître et presque naîtra eMre mes mains por l'a-
mitié que l'auteur avait pour moi. Vous devez vous «titiier heureux ,
mon t^faer fils , de trouver cet ouvirage fait avant que voM eiitriee idlms
l'éttde de la jurisprudence. Vous y af^rtere» un esprit noc^-^eukment
de jurisconsulte mais de législateur, si vous le lisec avec f attention qu'il
nrâite ; et vous serei: en état , par les principes, qu'il vous donnera , de
démêler de vous-même, dans toiltes les lois qfue voc» Kpbè, ce qui
^partient à la justice naturelle et imm^iable -de ce qui ^n'^est que l'on-
nage d'une volonté positive et arbitraire., 4e ne vows point laisser
éblouir par les subtilités qui sont souvent répandues idans les juriscon-
sultes romains, et de puiser avec sàreté dans ce trésor de la raisoti
humaine et du sens-commun n £t ailleurs (p. a 7 5 ) : « V^s serei «en
état, après cela, de commencer & lire les instiw6DM «le luitîniefi, et.
JANVIER 1843. 7
quoique f ordre n*en soit pas vicieux, vous souhaiteres néanmoins plus
d'une fois qu'il eût pu être tracé par M. Domat au lieu de l'être par
M. Tribonien.n
On connaît aussi la lettre de Boileau à Brossette , où il appelle Do-
mat le restaurateur de la raison dans la jurisprudence {Œuvres de Boileau,
édit. de Saint*Surin, t. IV, p. 5 1 5).
Après ces hommages rendus k Domat par le poète de la raison et
par l'illustre auteur des ordonnances de lySi et de lySS, nous ren»
controns , parmi les Additions de Perrière à la nouvelle édition des Vies
des plus célèbres jurisconsultes de'Taisand (Paris, 1 787, p. 634-38) , une
notice biographique fort courte , mais puisée à de bonnes sources qui
ne sont pas indiquées. Terrasson en a tiré la page unique qu'il aocorde à
Domat dans l'Histoire de la jurisprudence romaine (Paris , 1 74 o , p. 482).
Les deux derniers éditeurs de Domat, M. Carré (1" édition in-8*, Pa-
ris, 1822) et M. Rémy (Paris, i835), ont été encore plus brefs que
Terrasson; ils déclarent l'un et l'autre que c'est dans ses ouvrages quil
fautchercher Domat , car ils sont, pour ainsi dire, sa vie entière ^ Enfin, la
Biographie universelle (artide de M. Bernardi) est, s il est possible,
plus vide encore de tout renseignement historique.
Par une sorte de compensation , un article de cette même Biographie
universelle sur Prévost de la Jannès nous apprend que ce maître et ce
prédécesseur de Pothier à l'Université d'Orléans, qui s'était formé lui-
même à la grande jurisprudence dans les écrits de Domat, avait laissé
manuscrite « une Histoire de la vie et des ouvrages de Jean Domat, qu'en
1742 il était dans Tintention de publier. Mais l'impression éprouva di-
vers obstacles, dont le jprincipsd était l'opposition du censeur royal
Hardion, qui, taxant, on ne sait trop sur quel fondement, l'ouvrage de
jansénisme , exigeait de nombreuses corrections qui l'eussent défiguré ,
et, par-dessus tout, le retranchement absolu de tout ce qui, dans cet
écrit, avait trait à Pascal, compatriote et ami de Domat. Cet éloge,
réuni à deux ouvrages inédits de Prévost , faisait partie de la bibliothèque
publique de la ville d'Oriéans. Ce recueil , indiqué au catalogue de 1777
par D. Fabre , a disparu , ainsi que plusieurs autres , lors du désordre
momentané qui exista dans cet établissement à l'époque des troubles
révolutionnaires. » L'éloquent et savant éditeur de Pothier, M. Dupin,
dans sa dissertation sur la vie et les ouvrages de ce célèbre juriscon-
sulte ( Œcft;re5 de PoAier, Paris, 1824, tome I* p. lxxxix], après avoir
' M. Carré, Notice sur Domat, p. 1. M. Rémy (p. 1 ) répète cette phrase : «C'est
donc seulement dans ses ouYrages qu*U faut le chercher font entier. »
8 JOURNAL DES SAVANTS.
cité ce passage curieux dé ^a Biographie unirerselle, remarque qu'il est
commode de tout rejeter sur les troubles révolutionnaires. (cSans dis-
puter, dil-il, sur Tépoque où cet enlèvement d'un manuscrit suspect
de jansénisme a pu avoir lieu, je crob qu'on peut assurer que cet en-
lèvement a eu lieu avec discernement par un de ceux à qui Touvrage
avait déplu , et qui voyaient dans labolition de l'ancienne censure l'a-
néantissement de l'obstacle apporté jusque-là à la publication du ma-
nuscrit. Isfecit cui prodest »
Nous n'avons point retrouvé l'écrit si regrettable de Prévost de la
Jannès; mais nous sommes à peu près certain de connaître et de pos-
séder la source à laquelle il avait puisé lui-même les documents authen-
tiques dont il avait pu se servir. Dans le manuscrit de la Bibliothèque
royale (Supplément français, n** i485} qui contient les mémoires de
Marguerite Perrier sur sa famille et sur les amis de sa famille, avec une
foule de lettres et de pièces de toute sorte, nous trouvons (p. 268)
un écrit intitulé : Mémoire pour servir à Ihistoire de la t)ie de M, Domaty
avocat da roi aa présidial de Clermont en Auvergne. Ce mémoire ne parait
pas de la main de Marguerite Perrier, puisqu'elle y est citée , mais il a
été composé évidemment sur des renseignements fournis par elle. Il est
plus étendu que l'article de Ferrière, et c'est la source première et par-
faitement sûre de tout ce qui a été écrit sur Domat ; car Marguerite
PeiTier l'avait longtemps connu à Paris et à Clermont, à différentes
époques; elle partageait ses opinions, elle avait vécu dans le même
parti et avait été mêlée à toute sa vie. Plusieurs écrivains jansénistes, par
exemple l'auteur du Recueil de plusieurs pièces pour servir à l'histoire
de Port-Royal (Utrecht, 1 7/10) et celui du SuJ>plément au Nécrologe de
Port-Royal (1" partie, lySS), ont eu connaissance de ce mémoire.
Prévost de la Jannès , qui était imbu de l'esprit de Domat , et qui , comme
Pothier, était lié au parti janséniste, l'avait eu probablement sous les
yeux, ainsi que les pièces qui l'accompagnent, c'est-à-dire plusiem^
lettres inédites, les seules de Domat qui soient venues jusqu'à nous, et
deé Pensées ou trouvées dans ses papiers après sa mort, ou recueillies
dans sa conversation , et qui portent un caractère manifeste d'authen-
ticité. Nous publierons ioi intégralement le mémoire, en y joignant
divers morceaux de Domat, que contient notre manuscrit, et nous ter-
minerons par les Pensées elles-mêmes , dont quelques-unes s'élèvent au-
dessus du style ordinaire des Lois civiles et jusqu'à la manière énergique
et mélancolique de Pascal. Ces divers documents, en faisant mieux con-
naître Domat, mettront encore plus haut sa mémoire, et ajouteit)nt à
l'admiration universelle excitée par le jurisconsulte le respect singulier
JANVIER 1843. 9
que mérite l'homme par la beauté de Tâme et ta vigueur soutenue du
caractère.
«MÉMOIRE |)Our servir à i*histoirc de la vie de M. Domat, avocat du roy au prési-
dial de Clermont en Auvergne.
« M. Jean Domat naquit à Clermont, le 3o novembre 1626. Son père ,
qui s'appeloit Jean comme lui, étoit bourgeois. Sa mère sappcloit Mar-
guerite Vaugron, petite-fille de M. de Basmaison, célèbre commenta-
teur de la Coutume d'Auvergne. H avoit un frère qui se fit jésuite, et
deux sœurs qui furent mariées. Le pèreSirmond, jésuite, grand-oncle
de M. Domat, confesseur du roi Louis XIII, se chargea de son éduca-
tion. Il le conduisit h Paris, le mit au collège de Clermont, où, avec
les humanités et la philosophie, il apprit encore le gi'ec, l'italien , l'es-
pagnol et la géométrie. La vivacité, la beauté, l'élévation et la justesse
de son esprit, lui donnoient une merveilleuse facilité pour toutes sortes
de sciences ^
« Aprèé le cours des études du collège, il revint dans sa famille. Il fut
ensuite prendre ses licences en droit dans l'Université de Bourges.
M. Emérilius^ lui trouva tant de capacité, qu'il lui offrit le bonnet de
docteur quoiqu'il n'eût que vingt ans. Au retour de Bourges , il suivît
le barreau et commença à plaider avec un succès extraordinaire. Il con-
tinua cet exercice durant neuf à dix ans, et, pour remplir plus digne-
ment cet emploi, il s'appliqua sérieusement à l'étude du droit. A cette
étude il joignit celle de la religion, et se désabusa bientôt des fausses
préventions qu'on lui avoit inspirées dans le collège des jésuites.
« Il fit une liaison étroite avec le célèbre M. Pascal. Leurs premiers
entretiens et leurs premières conférences furent sur les mathématiques ;
ils firent ensemble plusieurs expériences sur la pesanteur de l'air, etc.
Dans la suite ils s'entretinrent sur les importantes affaires de l'Église ,
troublée, comme l'on sait, par la faction des jésuites. Personne ne fut
plus parfaitement uni de sentiments avec M. Pascal, sur les affaires
de la religion, que M. Domat ; c'est sans doute ce qui engagea M. Pascal
h lui confier, préférablement à tout autre , quelques écrits qu'il avoit
faits sut la signature du formulaire. M"* Perrier a dit au P. Guerrier que
* Ferrière , dans Taisand , ajoute que , « après avoir fait son cours de philosophie ,
il en soutint des thèses générales avec le fils de M. le prince de Conti. » — * Per-
rière : EmervUle. Terrasson , avec raison : Edmond Morille, professeur de droit à
Bourges, mort en i647t et dont la notice est dans Taisand, tandis quËmerville
ou Ëmérillc est absolument inconnu»
10 JOURNAL DES SAVANTS.
8on oncle avoil prié M. Domat, en lui remettant ces papiers, de ie^
brûler, si les religieuses de Port-Royal se soutenoient dans la perséco-
tion qu'elles soufiroient à ce sujel, et de les rendre publics, si elles
plioient. M. Domat fut aussi très -lié avec la famille de M. Pascal, et
avec Messieurs de Port-Royal, qui rcslimoienl beaucoup et prenoient
ses avis sur des matières de théologie. Sétant trouvé à Paris durant la
dernière maladie de M. Pascal, après lui avoir rendu les devoirs/I'un
ami sincère , il reçut ses derniers soupirs.
» A l'âge de vingt-deux ans, M. Domat épousa M''^ Blondel . de bonne
famille, suivant plutôt la volonté de son père, à qui il etoit parfaite-
ment soumis, que sa propre inclination. Dieu bénit ce mariage en leur
donnant plusieurs enfants ^ après la naissance desquels . fepouse n é-
tant pas moins chrétienne que l'époux . ils firent ronooitre par leur
conduite le motif qui les avoit unis.
<' Sept ou huit ans après son mariage , il fut pourvu d une charge d a-
vocat du rov au siège présidial de Clermont . dont il renoplit les devoirs
avec dignité pendant près de ti ente années; ses conclusions lurent tou-
jours suivies à l'exception de trois ou quatre. Il etoit ferme dans 1 exer-
cice de ses fonctions ; nulle considération humaiiif ne i afioiblis6oit
ayant fàdt mettre en prison un homme qui fut surpris dans une action
contraire aux bonnes mœurs et à la police, et M. l'intendant de la pro-
vince, dans une visite aux prisons, après avoir appris du prisoonier
la cause de sa détention. Tayaut élaip, \i. Donifet le fit remettre en
prison.
«Les grands jours étant veous à Clermont en 166 5. M. Domat fit
avec MM. les présidents de Novion, Pelletier et Talon, une étroite liai-
son qui a duré jusqu'à la mort. Ces messieurs, après avoir reconnu sa
capacité et son intenté , lui confièrent le soin de plusieurs aŒures im-
portantes , et en particulier la recherche de la noblesse qui abosoit de
son autorité ^. Ny les menaces de plusieurs gentilshonunes qui avoiect
juré sa perte, ny quelques coups de fiisil tirés sur lui . ne furent point
capuihles de l'intimider dans les fonctions de sa charge.
t Au commencement de l'année 166a, les jésuites emplovèrent bien
' Ferrière, 1, 1. : « Son père Tavoit ûiariè, le 8 juillet 16A8, avec la fiUe du sieur
Blondel, avocat an présidial de Qermont. D en eut treize enfants. Huit rnoorurent
trés-jeunes , et les cinq autres , qui restèrent , éioient trois filles et deux garçcois ,
Jean Domat, chanoine de la cathédrale de Gennont, el Gâbert Domat. oonseîUer
a ia cour des aides de la même ville. > — *^Terra!«sQn dit que les présidents de No»
rion , Lepelletier et Talon , lui confièrent le soin de plusiairs afiaires importantes ,
«tant désigner la nature de ces affaires. Les df taiis donnés dam oeue partie du
mémoire sont entièrement nouveaux.
JANVIER 1843. 11
des artifices çt des fourberies pour s emparer du collège de Clermont;
MM. les chanoines de Téglise cathédrale écrivirent à M. Domat, qui
étoit à Paris, et lui envoyèrent une procuration, en le priant de s'op-
poser en leur nom à cet établissement, ^ ai ne peut, disoient-ils , produire
d'autre effet que l'interruption de cette quiétude que nos pères nous ont con-
servée depuis tant d'années, M. Domat fit de son mieux pour rendre ser-
vice en cette occasion à sa patrie, mais sans succès, le père Annat,
confesseur du*roy, ayant sçu tromper ce prince par ses impostures^.
«Quelques années après, un ecclésiastique, M. Légerat, de la com-
munauté de Saint-Joseph; établie à Lyon, qui est mort leur supérieur
général , après avoir prêché deux années consécutives deux avents et
deux carêmes dans la cathédrale de Clermont avec un concours, un
applaudissement et un succès extraordinaires , fit un bon et beau dis-
cours sur lamour de Dieu. Los jésuites , ennemis jurés de ce grand pré-
cepte, engagèrent M. Tévêque (M. Barbouze) à interdire ce prédica-
teur, qui se disposoit à prêcher Tavent et le carême suivant à Riom.
M. Domat, ne pouvant faire autre chose pour réparer l'injure faite à la
religion et au premier précepte par Tinterdit de cet excellent prédica-
teur des vérités de TEvangile, ramassa plusieurs attestations de gens
d*honneur qui rendoient témoignage qrfil n*avoit rien dit que de con-
forme à la doctrine de TÉglise , et les lui remit entre les mains.
^ Vers le même temps M. Domat fit un voyage à Aleth pour consulter
le grand évêque (M. Pavillon) qui en rcmpÛssoit le siège. Sa famille et
plusieurs de ses amis le pressoient de se défaire de sa charge d'avocat
du roy , afin qu'ayant plus de temps à travailler dans son cabinet les
émoluments qui lui en reviendroient le missent en état de fournir aux
besoins de sa famille, car il n étoit pas riche. M. d' Aleth, connoissant
la manière dont il remplissoit les fonctions de sa charge , fut d'avis qu'il
ne s'en défît pas ^.
«Le désintéressement de M. Domat ne pouvoit être plus grand; il
aimoit tendrement sa famille , qui étoit assez nombreuse , il en sentpit
les besoins, et néanmoins ses amis, ne pouvoient lui persuader de dimi-
nuer les gratis dans les adaires où il étoit employé; il refusa même cons-
tamment le don d'un bien considérable qu'un ami le pressa longtemps
d'accepter, et, lorsqu'on lui représentoit qu'il laisseroit des enfants sans
bien : Si c'est la volonté de Dieu , disoit-il , je ne dois pas m'y opposer'.
« L'estime générale qu'il s'étoit *acquise par son savoir, par son inté-
' Voy. notre second «rticle. — * Hist. de Port- Royal, t. IV, p. 465. — * Suppl
au Néendoge, p. 661 .
a.
12 JOURNAL DES SAVANTS.
grité et par sa droiture, le rendoit l'arbitre de toutes les grandes affaires
de la province.
« II avoit un grand amour pour les pauvres ^ et les soulageoit selon son
pouvoir, et prenoit un soin particulier des affaires des hôpitaux^. Mais,
s*appliquant ainsi à rendre service au prochain , il ne négligeoit en rien
les devoirs de sa charge; il étoit laborieux et nétoit jamais détourné par
aucun amusement. Si on le pressoit de prendre quelque repos : « Tra-
vaillons, disoit-il; nous nous reposerons dans le ParadiS*. » -
((Ayant partagé , (lans les premières années de son établissement, la
succession d'un oncle chanoine , il remit aux pauvres , dans la suite , avec
une scrupuleuse exactitude , tout ce qu il put soupçonner y avoir de bien
ecclésiastique dans cette succession *.
(( Dieu avoit donné à M. Domat de grands sentiments de religion ; il
saffligeoit sur tous les maux de' TÉglise, il gémissoit continuellement
du déluge d'erreurs qui, par la négligence ou la foiblesse des pasteurs,
ternissoient la pureté de la foy, renversoient la règle sainte des niœiirs,
et faisoient mépriser celle de la discipline, a N-aurois-je jamais , disoit-il ,
la consolation de voir un pape chrétien sur la chaire de saint Pierre ^! »
. Il n estimoit que les prédicateurs qui annonçoient les véiités de l'Evan-
gile avec une simplicité digncde la parole de Dieu.
((Il ne permit point à M. son fds, l'ecclésiastique, de prendre des
grades en Sorbonne, parce qu'il étoit fort opposé aux signatures que
l'on y exige , quoiqu'il lui eût été très-facile d'obtenir un bénéfice pour
ce fils, et que les affaires de sa famille dussent^ selon l'usage du monde,
le porter à faire quelque démarche pour cela ; il ne voulut ni en faire,
ni consentii' qu'on en fit^. Les jésuites, dans la province, le r^gardoient
comme leur grand ennemi''; il l'étoit en effet, non de Içurs personnes,
mais de leurs mauvaises doctrines , de leur morale corrompue et de leurs
pratiques dangereuses; aussi ne voulut-il jamais leur confier l'éducation
de ses enfants.
(( La confusion que M. Domat remarqua dans les lois le détermina
à en faire une étude singulière, et à s'appliquer en même temps à un
travail qui ne devoit être que pour son usage particulier et pour ses
* SuppL au Nécroloqe, p. 46i; Hist. de Port-Royal, t. IV, p. 465. — * Additions de
Ferrière p. 638. — Suppl. aa Nécrologe et Hist. de Port-Royal. C'est le mot qu'a-
dressa aussi , dit-on , Arnauld à Nicole. —»•* ibid. — ^ Suppl. au Nécrologe. — * Suppl.
au Nécrologe, — ' Le Supplément au Nécrologe parle de Ténergie avec laquelle ,
en 1673, «il réprima le P. Duhamel , jésuile , qui avait osé, dans la catliédrale de
Clermont, prêcher rinfaillibilité du pape et contredire les maximes du royaume et
les sentiments de l'Eglise gallicane. » Voyez, sur ce point, notre second article.
JANVIER 1843. 13
enfants qui voudroient prendre le parti de la robe ; mais , l'ayant fait voir
à quelques-uns de ses amis, ils le trouvèrent si beau, et jugèrent qui!
pouiToit être si utile au public, quils l'engagèrent à le communiquer
^ des personnes habiles et constituées en dignité.
« En 1 681 , il fit un voyage exprès à Paris. Le plan de son ouvrage,
et ce qu'il avoit déjà fait, fut si goûté, que S. M. lui ordonna de le con-
tinuer, avec promesse d'une pension de 2,oojo livres ^
«M. Domat se retira donc tout à fait à Paris, pour s'appliquer uni-
quement à cet ouvrage, c'est-à-dire aux Lois civiles dans leur ordre na-
turel , et travailler sous les yeux de ceux qui l'y avoient engagé ; il le leui*
comQîuniquoit à mesure qu'il avançoit. Ces messieurs goùtoient de plus
en plus l'ouvrage, et M. d'Aguesseau, conseiller d'Etat, lui dit en lui
remettant un cahier où étoit le traité de l'usure : «Je savois, Monsieur,
uque l'usure étoit défendue par fEcriture et par les lois; mais je ne la
u savois pas contraire au droit naturel : votre écrit m'en a persuadé ^. »
M. Domat ne pouvoit s'empêcher d'applaudir lui-même à son ouvrage
et de marquer en quelques occasions l'estime qu'il en faisoit; s'en étant
expliqué de la sorte à un ami, il dit tout de suite : u Je suis surpris que
«Dieu se soit servi d'un petit homme, d'un homme de néant comme
«moi, pour faire un si bel ouvrage, pendant qu'il y a à Paris des per-
« sonnes d'un si grand mérite *. »
«Lorsque son afnour pour la justice et pour la vérité l'obligeoit à
s'élevei' avec force contre tout ce qui y étoit contraire, il conservoit
dans son cœur de vifs sentiments de mépris pour lui-même , et ces sen-
timents se produisoient quelquefois malgré lui au dehors , comme il
parut dans une rencontre où un ecclésiastique de mérite , parlant dans
une compjignie très-avantageusement d'une personne, après en avoii*
fait un éloge accompli : « U vous ressemble, » lui dit-il. M. Domat , par
un mouvement subit , répondit avec sa vivacité naturelle : « C'est donc
« quelque chose de bien horrible ! »
«L'application au travail causa à M. Domat de grandes iniirmijtés '
qui le conduisirent au tombeau ; il souffroit de violents accès d'asthme
^ Perrière dit que ce fut M. Lepelletier qui fut le protecteur de Domat auprès
(lu roi. « L*attention que M. Lepelletier avoit pour le bien public fit qu'il se résolut
(Ven parier à Sa Majesté de manière à en être écouté favorablement. Le roi, qui
connoissoit sa candeur, sa probité et son discernement, très-satisfait du rapport qu'il
lui venoit de faire , lui répondit qu'il falloit que Fauteur restât à Paris pour le con-
duire à sa perfection , pour raison de quoi Sa Majesté lui accordoit une pension de*
2,000 livres. » Terras^on fait le même récit. — * Cf. le Recueil d'Utrecht. H s'agit
ici de M. d'Aguesseau, conseiller d'Etat, père de l'illustre chancelier. — * Cf. SuppL
oo Nicroloife et UisL de Port-RoyaL
14 JOURNAL DES SAVANTS.
et de vivos douleurs de la pierre : ces deux maux furent Texerciee de
sa patience et le moyen dont Dieu se servit pour le purifier plus par-
faitement. Il disoit souvent avec action de grâces , pendant ses grandes
douleurs : « C'est un excellent moyen dont Dieu se sert poor purifier
« les hommes. » Un de ses amis Tétant venu voir dans un violent accès
d'asthme, M. Domat, voyant cet ami touché de son état : uCé mal n*est
(( rien, lui ditril , en comparaison de lautre (c est-à-dire des douleurs de
«la pierre); vous voyez, ajouta-t-il, que je suis bien impatient',. imîs je
une puis m*empêcher de crier.» Il disoit encore k cet ami que» s'ap-
pliquant quelquefois au travail durant les plus vives douleurs de b
pierre, il ne les sentoit plus; il lui dit aussi que^ par ouhli, lui. étant
arrivé de faire deux fois les mêmes titres et les mêmes sections, il les
avoit trouvés si parfaitement conformes , qu'il n y avoit pas eu un mot
de différence. Souvent, après avoir médité pendant la nuit la section
ou le titre sur lequel il devoit travailler en se levant, il Técrivoit cou-
ramment, et le donnoit en même temps au copiste pour le distribuer
aux personnes t\ qui il le communiquoit.
« U s étoit fait une si grande réputation à la cour, que feu M. le ré-
gent, qu'on nommoit alors M. le duc de Chartres, voulut ayoir avec
lui une conférence sur son ouvrage, dont le prince parut fort content^.
«Les Lois civiles dans leur ordre naturel furent imprimées par
* Coignard, en 1696, en 3 tomes in-à**; le Droit public, qui est une
suite des lois civiles, fut aussi imprimé chez le même libraire, i^rès la
mort de M. Domat, en 1697. M. Domat, pendant Texercice d avocat
du roy, avoit fait plusieurs harangues que Ton trouvoit belles, mais
qu'il n'a point revues , et qu'il auroit même jetées au feu , si ses en&nts
ne l'en avoient pas détourné'^.
« Enfm , consumé par le travail et par ses grands maux, U* mourut â
Paris, le 1 li mars 1696^, dans une grande paix , âgé de 70 ans 3 mois
4. jours. Il voulut être enterré dans le cimetière de Saint-Benoit, sa pa-
roisse ; il laissa en mourant cinq enfants, dont trois filles et deux fils.
•
* Perrière et Terrasson disent que Domat, conduit par M. Lepelletier, fat admis
à présenter à Louis XIV les premiers volumes des Lois civiles à mesure qu'ils pa-
rurent. — * Ces harangues se trouvent dans fédition in-folio de Domat de 1705.
£Ues furent prononcées de Tannée 1667 à Tannée i683. Elles occopent quarante
pages ii^-foUo à deux colonnes. Presque toutes ces harangues rouleat sur le» devoirs
des juges et des avocats. Elles ont un caractère particulier de sévérité. Les lois ro-
maines y sont très-rarement citées; mais, en revanche, la Bible et l'Evangile y re-
viennent si fréquemment, qu*on prendrait ces harangues pour des sermons « si Ion
ne eonnaissait le nom de 1 auteur. — ' Terrasson donné la inéme date. Ferrière :
mars 1695.
JANVIER 1843. 15
Mesdemoiselles ses filles sont mortes dans un âge assez avancé; elles ont
été le modèle*des vierges chrétiennes de leur temps par leur piété, leur
modestie » la retraite et Téloignement de ce que le monde estime et re-
cherche. M. son fils aîné est chanoine de la cathédrale de Clermont, et
le second , conseiller à la cour des aides de la même ville. »
Le mémoire jusqu'alors inédit sur la vie de Domat, que nous vanons
de transcrire , contient bien des particularités nouvelles. 11 nous initie aux
sentiments les plus intimes et nous découvre le fond de cette âhie qu'une
religion forte et éclairée avait préparée et, en quelque sorte , consacrée au
service de l'humanité et de la science. Deux points obscurs de la vie de
Domat reçoivent surtout ici de vives lumières , ses rapports avec Pascal
et ses démêlés avec les jésuites.
On savait déjà que les mathématiques avaient été un des liens do
Pascal et de Domat. Le Recueil de plusieurs pièces pour servir à Thi.v
toire de Port-Royal le dit expressément ( p. a 7 4 ) : « L'amour qu'il (M. Do
mat) avait pour les mathématiques fut ce qui lui donna occasion de se
lier si étroitement avec M. Pascal.» L'Histoire do Tabbaye de Por(
Royal (t. IV, p. USlx) le répète; mais c^ que nous ignorions jusqu'ici,
c'est que Domat eût fait avec Pascal les célèbres expériences sur la pe-
santeur de l'air. Il est fâcheux que ce renseignement ne soit pas plus
détaillé.
Nous connaissons beaucoup mieux le rôle que joua Domat dans l'af-
faire alors si importante de la signature du formulaire que l'autorité
e6clésiastique imposait aux religieuses de Port-Royal. Ce qui se trouve» .
à cet égard , dans notre mémoire est confirmé et développé par les deux
écrits jansénistes que nous avons cités. Le Supplément au Nécrologe de
Port -Royal (p. 460) s'exprime ainsi : « Se trouvant à Paris dans le temps
que l'on commença à. exiger la signature du formulaire, il (Domat) as
sista à toutes les assemblées qui se tinrent pour chercher les moyens de
foire signer les religieuses de Port-Royal d'une manière qui contentât
les supérieures sans donner atteinte à la pureté de leur foi ni aux règles
de la sincérité chrétienne M. Pascal n'approuva aucune des résolu-
tions où l'on s'arrêta. 11 prétendit que non-seulement on ne devait pas
laisser soupçonner que l'on attribuât les cinq propositions à Jansénius ,
mais encore qu'il fallait avoir soin , en signant leur condamnation , de
mettre à couvert le sens de Jansénius, parce que c'était celui de la grâce
efficace par elle-même , et , par conséquent , la pure doctrine de Sain t- Au-
gustin et de toute l'Église. M. Domat fut de l'avis de M. Pascal. » Le *
Recueil d'Utrecht, qui expose d'après Mai^uerite Perrier tout le détail
de cette affaire, raconte, page 3 1 a , que, dans une dernière conférence»
16 JOURNAL DES SAVANTS.
qui eut lieu, à ce sujet, chez Pascal , celui-ci, voyant la plupart de ceux
qui étaient présents passer à l'avîs d^Arnauld et de Nicole , « en fut si
pénétré de douleur, qu'il se trouva mal et perdit la 'parole et la con-
naissance; tout le monde fut surpris et on s'empressa pour le faire re-
venir. Ensuite ces messieurs se retirèrent et il ne resta que M. de Roanès
et i\L Domat (qui eut grande part aux écrits de M. Pçiscal) et M. Perrier
le iils. »
Quels peuvent être ces écrits de Pascal auxquels Domat aurait eu
une grande part? Seraient-ce quelques parties des Provinciales? Cela
n'est guère admissible. Il reste donc que ce soit iesfactams pour les cu-
rés de Paris, que la tradition janséniste attribue à Pascal , ou ses écrits
aujourd'hui perdus contre la signature du formulaire. Nous inclinerions
h penser qu il s'agit de ces derniers; du moins le Supplément au Nécro-
loge de Port-Royal nous apprend que Domat écrivit comme Pascal
pour défendre leurs sentiments communs : « Quel sujet le public n'a-t-il
pas de se plaindre de ce que , pour des raisons qu'il ne saurait approu-
ver, on Ta privé jusqu'à présent des lumières qu'il eût pu tirer de ce que
ces deux grands hommes avaiejit écrit en cette occasion ! » Le Recueil
d'Utrecht, en lyAo, confirme ce que disait, en lySS, le Supplément au
Nécrologe. Recueil, page 3 a a : «Pour les écrits de M. Pascal on ne sait
s'ils existent encore. Il les confia à M. Domat préférablement à tout
autre, et le pria de les brûler, si les religieuses de Port-Royal se sou-
tenaient, et de les faire imprimer, si elles pliaient. M. de Roariès, qui en
avait des copies, les brûla. Pour M. Domat, une lettre de M. l'évêqùe
d'Aleth témoigne qu'il fut vivement- sollicité d'en faire autant. » Notre
manuscrit contient quatre lettres de cet évêque à Domat où cette affaire
est rappelée. Il paraît qu'il s'était élevé quelque différent entre Domat
et la famille de Pascal , particulièrement en ce qui regardait les écrits
que Pascal avait confiés k Domat , et que celui-ci refusait de rendre à
MM. Perrier. Troisième lettre de M. d'Aleth à Domat : «J'ai regardé,
monsieur, comme une marque de votre confiance et de votre amitié
la connoissance que vous avez voulu me donner par M. Pège de ce
qui s'est passé entre vous et la famille de M. Perrier. La part que je
prends à ce qui vous touche et l'estime particulière que j'ai pour votre
personne me portèrent dès lors à vous écrire pour vous porter à faire
toutes les avances qui dépendent de vous pour une réconciliation sin-
cère et vraiment chrétienne U y a encore un autre point qui n'a rien
de commun avec cette affaire et qui néanmoins peut beaucoup nuire
ou beaucoup contribuer à votre réconciliation : c'est touchant certains
écrits de feu M. Pascal qui vous ont été confiés. On croit, par la qua*
JANVIER 1843. 17
lité de ces écrits et vu Tétat de votre famille, qu'il y a beaucoup d'in-
convénients que vous les gardiez; et, comme on ne voit pas quelle» uti-
lité on en pourroit tirer à Tavenir, et qu il y a , au contraire., tout sujet de
craindre qu'on en abuse d'une manière préjudiciable à la vérité et à la
mémoire de M. Pascal , on pense que vous êtes dans l'obligation de les
remettre à ses parents , entre les mains desquels ils ne courent pas le
même risque, ou de les brûler en leur présence, sans en retenir de copie,
■ comme a fait une personne de qualité et de mérite, ami de M. Pascal,
qui avoit une copie des mêmes écrits. C'est, monsieur, ce que je crois
que vous devez faire par principe de conscience et d'honneur, et même
vous servir de cette occasion comme d'un moyen pour faciliter et affer-
mir votre réconciliation Nicolas, évêque d'Aleth , à Aleth, ce 26
septembre 1 676. » On ignore ce que fit Domat; on voit seulement par
une autre lettre de M. d'Aleth qu'il se réconcilia avec les Perrier. « Je
n*ai point eu, monsieur, l'occasicui de vous' écrire depuis que j'ai su
votre parfaite réunion avec là famille de M"" Perrier : j'en ai été ex-
trêmement consolé et édifié i^'août 1677 ^-^
' Puisque Domat fut le confident et peut-être le collaborateur de Pascal ,
puisqu'il l'assista dans^a dernière maladie et reçut ses derniers soupirs ,
comme nous l'apprepd l'auteur inconnu de notre mémoire , nul n'était
plus capable que lui de témoigner des derniers sentiments de son ami
et de la fausseté de la prétendue rétractation que Pascal aurait faite à
son lit de mort, entre les mains de M. Beurier, curé de Saint-Etienne^.
Aussi, quand M. de Péréfixe , archevêque de Paris, "voulut faire usage
de cette prétendue rétractation, personne n'eut plus d'autorité que
Domat pour s'opposer à ces bruits mensongers et attester que Pascal
était mort comme avait écrit l'auteur des Provinciales. Un M. Audigier
ayant eu l'idée de publier la déclaration que M. l'archevêque avait sur-
prise au curé de Saint-Etienne, Domat se joignit à M"* Perrier afin
d'empêcher la propagation de cette calomnie. Notre manuscrit renferme
la lettre suivant|^, jusqu'ici entièrement inconnue, de Domat à ce M: Au-
digier : « Vous serez peut-être surpris de la liberté que je prends de vous
écrire sur le même sujet dont M"* Perrier vous écrit aussi, parce que la
considération que je sçay que vous avez pour son mérite, et pour le
grand intérêt qui l'oblige à vous faire la prière qu'elle vous fait, devroil
•
' Les quatre lettres de M. d* Aleth sont terminées par cette noie dans le manus-
crit : • On a copié ces quatre lettres sur les originaux , qui sont entre les mains de
M. Domat , conseiller à.la cour des aides , ù\s de celui à qui elles ont été écrites. »
— * Voyez, sur celle rétractation , le Recueil d'Utrecht, p. 3^7, et le Supplémenl
au Néérologe , p. a8o.
18 JOURNAL DES SAVANTS.
me persuader que rien de ma part ne peut vous toucher à Tégal de sa
prière et de ses raisons. Mais, monsieur, j*ai cru par une autre yeue que
je manquerois à ce que je dois à la mémoire d^ M. Pascal, si je nég^i-
geois de témoigner, dans une occasion de cette conséquence , combien
je m'attache à tout ce qui peut intéresser Thonneur de son nom. Vous
savez, monsieur, les raisons qui me donnent ces sentiments; car vous
connoissez beaucoup mieux que le commun le mérite extraordinaire de
M. Pascal, et surtout quelle étoit sa sincérité et sa fermeté proportionnée
à rélévation de son esprit. Et, quand je naurois pas eu la part singulière
qu'il m*a fait Thonneur de me donner dans son amitié , je ne pourrois me
dispenser, en cette rencontre , de vous faire connoître, monsieur, que le
sujet de sa prétendue rétractation est une calomnie, la moins vraisem-
blable à tous ceux qui ont connu M. Pascal, et la plus fausse, en effet,
qui ait jamais été pensée; et aussi le malentendu qui en fut la cause s'est
expliqué par la rétractation de la personne qui avoit donné sujet à ce
bruit, delà manière que M"* Perrier vous l'expliquera par sa lettre : et
je dois ajouter à son témoignage et à son récit que personne au monde
n'a jamais sçu mieux que moy les sentiments de M. Pascal sur ce sujet,
et pendiant sa vie , et pendant sa maladie , et à sa fhort ; et je puis , mon-
sieur, vous assurer par ma connoissance de la vérité de cette. histoire,
dont je ne répète pas le récit que vous en fait M™ Perrier. Ainsi, mon-
sieur, je m'assure avec elle et sa famille et tous les amis de M. Pascal,
et pour l'estime que vous avez de son mérite, que vous laisserez à
M"** Perrier le dr©it naturel du sort de la pièce qui est tombée entre
vos mains . et qu'au lieu de l'obligation du bon office que vous penserez
rendre , on vous aura celle de n*en pas rendre un très-mauvais et à la
mémoire de M. Pascal et au repos de M°" sa sœur. Un voilà trop pour
vous recommander une demande aussi juste, et où vous êtes san$ autre
intérêt que d'obliger les personnes qui vous prient de le £adre d*une autre
manière ; je profite de cette occasion pour vous assurer Dobiat.
A Glermont, le 1 5 janvier 1 682 . Copié sur l'original. » ^
V. COUSIN.
( La suite au prochain cahier. )
JANVIER 1843. 19
La'JREàle Galle Ri a di Tobino, illustrata da Rob. d'Azeglio, di-
rettore délia medesima. Torino, in-folio, fescicoH 1-24» i835-
i842.
TROISIÂME ARTICLE.
Je viens d*indiquer brièvement plusieurs des principaux ouvrages de
peinture que renferme la Galerie de Turin , et qui , n'étant pas encore
publiés , serviront à accroître de plus en plus l'intérêt du recueil de
M. d'Azeglio, et peuvent, dès ce moment, en faire apprécier Timportance
à' nos lectem's. Il résulte de cet aperçu que , bien que formée, pour ainsi
dire, au hasard des circonstances , sans but arrêté , par des princes qui
n'avaient ni le goût ni les connaissances nécessaires pour composer une
galerie de tableaux dans un ordre et dans un esprit conformes à l'inté-
rêt de l'art, cette galerie, riche de cinq cent huit tableaux, distribués
en vingt pièces, tant grandes que petites ^ , est déjà néanmoins l'une des
plus considérables de l'Italie , sous le double rapport du nombre et du
mérite des ouvrages; et l'on peut croire que ce qui y manque y sera
tôt ou tard ajouté , grâce à la générosité d'un monarque qui ne laisse
échapper aucune occasion de contribuer à l'instruction de ses peuples
par tous les moyens de sa pxiissaiice, et qui a trouvé dans M. d'Azeglio
l'homme le plus capable de seconder, à cet égard, ses nobles intentions.
D nous reste maintenant à faire connaître, autant que le comporte
l'espace où nous devons nous renfermer, les morceaux de peinture déjà
publiés dans les XXIV premières livraisons du recueil de M. d'Azeglio,
dont quelques-uns ont été cités dans notre premier article, mais seu-
lement à cause des observations générales dont ils nous fournissaient
l'occasion et le sujet; après quoi nous aurons à signaler à nos lecteurs ce
qui forme le principsd caractère de ce recueil , ce qui le distingue de toutes
les publications du même genre, sans exception, le mérîtlTlittéraîre et
historique du texte qui accompagne les planches, et qui esfdû tout
entier à la plume de M. d'Azeglio.
' Je ne puis m^empécher, à cette occasion, de signaler, comme une idée aussi
heureuse que neuve, la manière dont Thabile architecte delà Pinacotltèqae de Mu-
nich , M. L. de Klenze , a distribué les tableaux de ceUe magnifique collection en
gi*andes salles, destinées à recevoir les principaux ouvrages de chaque maître et
de chaque époque, lesquelles salles sont accompagnées de petites pièces où sont
placés les tableaux de moindre dimension des mêmes maîtres ou des mêmes écoles ;
ce qui rend Tétude de ces ouvrages, de proportion différente t^inliniment plus com-
mode, en ménageant à Foeil et à Tesprit des divisions utiles et des repos nécessaires.
3.
20 JOURNAL DES SAVANTS.
Les tableaux déjà publiés'de la Galerie de Turin , dont nous avons les
estampes sous les yeux, peuvent se ranger en quatre classes principales :
tableaux d*histoire ou de genre, portraits et paysages. La distribution de
tout l'ouvrage est faite d'après ce principe , c'est-à-dire de manière que
chaque livraison , composée de quatre planches , offre généralement deux
tableaux d'histoire et de genre, un portrait et un paysage. Ce mode de
distribution laisse, sans doute, beaucoup à désirer sous le rapport de l'ordre
historique et chronologique dans lequel doivent être classées les diverses
productions de l'art, dans les différentes écoles ; mais c'est, en réalité , le
seul que comporte un genre de publication périodique par livraisons ,
tel que celui qui se pratique généralement de nos jours; et j'ajoute que
ce désordre jipparent se trouve réparé, autant qu'il est possà)le, dans
toute la suite de l'ouvrage , par le texte même de l'éditeur, qui ofire un
cours à peu près complet de l'histoire de l'art, où chaque objet est re-
mis à sa place , chaque artiste apprécié suivant sa valeur et jugé d'après
son époque; d'où il suit que le classement rigoureux, qui ne saurait
avoii* lieu dans la galerie même, s'établit graduellement dans le texte du
livrer qui la représente.
Voici maintenant la liste des tableaux pid)liés dans les deux volumes
que nous avons entre les mains, à commencer par les tableaux d*his-
toire. Un Gaudenzio Ferrari , la Déposition de croix, chef-d'œuvre de l'é-
cole piémontaise, publié ici pour la première fois, d'après uiie bonne
gravure laissée imparfaite par feu Garavaglia , de Florence , et terminée
par Anderloni, de Milan ; un Raphaël , la Madonna délia tenda, déjà gravée
par Toschi; une Sainte Famille , de Mantegna; deux bell& Vierges,, de
Carlo Dolci , et une de Sassoferrato ; cinq Guerchin , tableaux de demi-
figures , un seul excepté , le Retour de l'Enfant prodigue , un des bons ou-
vrages de ce maître , et l'une des bonnes gravmres du recueil , due à feu
Rosaspina, de Bologne; quatre Guide, dont un est la «Sainte CatheYine,
vierge et moi^e, ouvrage de la meilleure manière de ce peintre, l'un de
ceux o{k brille au plus haut degré le mérite de la beauté dans les têtes
de femme, qui le distingue entre tous les peintres des écoles italiennes ;
Un Sementi, la Cléopâtre, copie d'après le Guide ; un Gentileschi, Y An-
nonciation, beau tableau , qui fit longtemps partie de notre musée du
Louvre ; un Dan. Grespi , la Confession de Saint-Jean Népomncène, un des
chefs - d'œuvre de la galerie , et lune des plus belles productions de
l'école milanaise pour la vérité et la puissance de l'effet , très-bien gra-
vée par Ferreri ; un Jule César Procaccini ; un Moraxone ; un Calvart ,
Sainte Marie Magdeleine portée aax cieax, un des plus beaux ouvrages de
ce maître et de toute la galerie ; deux Albane , |'un et l'autre du même
■JANVIER 1843. ' 21
sujet, Salmacis et Hermaphrodite, traité de deux manières diflerentes,
une fois avec un détail d'une inconvenance qu on a peine à croire pos-
sible , et qui fut cependant très-familière à quelques peintres flamands ,
enti*e autres, à Patenier; deux Cignani, élève de l'Aibane, plus réservé
que son maître, et plus soigneux dans lexécution de ses ouvrages, mais
qui porta cette qualité de son talent jusqu'à l'excès , un de ces peintres
dont Cicéron disait : Pictores qui non sentirent quid esset satis ; un Bemar-
dino Lanini , charmant tableau , où Ton admire la grandeur de style de
Gaudenzio Ferrari, maître de l'artiste , tempérée par la grâce de Léonard
de Vinci; un Allori; un Annibal Caracci ; deux Schidone ; un Carlo Ma-
ratta ; un Salviati ; un Palma Vecchip , superbe tableau de ce peintre ,
où l'on retrouve toute la dignité de composition et toute la beauté des
figures de femme , jointes à la magie de la couleur, qui lui assignent
un rang si élevé dans Técole vénitienne, où il n'eut de supérieur que le
Titien, dont il était l'élève. A ces tableaux des diverses écoles italiennes
je dois ajouter ceux des écoles allemande et flamande , tels que trois
Rubens,dont une Sainte Famille et une Magdeleine,ce dernier sujet traité
plusieurs fois par ce peintre , et une fois , entre autres , d'une manière
supérieure , il faut le dire, à ce tableau de la Galerie de Turin; deux Ant.
Van-Dyck, une Madone et une Sainte Famille, l'une et l'autre exécutées
dans la manière italienne de l'auteur , où il rivalise , dans le second sur-
tout , avec toutes les qualités de Técole vénitienne ; et un Aldegrever, la
VisitiUion, charmant tableau d'école allemande, où l'on retrouve, avec
le sentiment et la naïveté d'un Fra Angelico, le style de draperie d'Alb.
Durer, maître de l'auteur.
Parmi les tableaux de genre , tous produits dans les écoles hollandaise
et flamande, qui surpassent à elles seules, dans cetta classe de pein-
tures , toutes les autres écoles , à la fois par le mérite et par le nombre
de leurs ouvrages , je puis citer quelques-uns des chefs-d'œuvre les plus
célèbres des maîtres de Hariem , de Leyde , d'Anvers et de Bruxelles :
un Van-Ostade, son Joueur de flûte; trois Dav. Téniers, deux Intérieurs
d'auberge et de taverne , et un Joueur de vielle , tabeau de la meilleure
manière de ce maître, qui eut aussi plus d'un degré dans son style*, un
Hochtemburg, la Bataille de Turin, magnifique composition d'un artiste
qui avait voué ses talents aux victoires du prince Eugène \ comme Wou-
vermaiis, son maître, à celles de Louis XIV ; deux Miéris, le Joueur de
-vielle et la Bonne mère , ce dernier ouvrage , un des chefs-d'œuvre de la
' Des trois tableaux de cet artiste qui existent au musée royal de la Haye , \\\n
représente le prince Eugène à cheval, entouré i officiers ; et c^est un de ses plus beaux
ouYrages.
22 JOURNAL DES SAVANTS.
peinttu^e hollandaise et Tun des bijoux de la Galerie de Turin , un tableau
où Ton retrouve tout le charme tie couleur et tout le fini d'etécution
que lauteur avait puisés à Técole de Gérard Dow, son maître , avec
une qualité de dessin supérieure ; un Wouvermans ; un Rubens , groupe
licencieux d'une Paysanne et d'un Soldat, où Fauteur semblait, comme
plus d un peintre célèbre de Tantiquité, se délasser de travaux plus sé-
rieux en jouant avec son pinceau.
Mais, de tous ces tableaux de genre, d'école hollandaise, le plus re-
marquable sans doute , d'abord par son propre mérite, puis par la fata-
lité étrange qui semble avoir voué & Toubli le nom de l'auteur de ce
chef-d'œuvre, c'est V Intérieur de temple protestant peint par Pierre-Jean
Saenredam , dont M. d'Azeglio nous « donné une bonne gravure , t. II ,
pi. LU. Ce tableau , où la fidélité de l'imitation , dans tout ce «qui tient
aux effets de la perspective, est porté k un degré de perfection qui fit
dire à notre célèbre peintre Granet, après avoir passé une heure entière
k le considérer ^ : «Da tanti anni che io studio sul vero, io mi credeva
u da quai cosa , ma costui mi prova ch' io sono un ignorante ; » ce tableau ,
qui excita au même degré l'admiration d'Horace Vernet, quand il le vit
pour la première fois dans la Galerie de Turin , est , jusqu'id , presque le
seul ouvrage connu de son auteur ; et cet auteur lui-même , qui fût resté
ignoré , s'il n'eut pas écrit son nom de sa propre main sur la base d'une
des colonnes-du temple que représente son tableau, a échappé aux inves-
tigations des nombreux Iiistoriens de l'art moderne , tels que d'Afgen-
ville , Decamps , FéKbien , de Piles, Mechêin , qui ont mis tant de ^èle
et de soin à rechercher les moindres titres de célébrité des peintres fla-
mands et hollandais. Gault de Saint-Germain est, au témoignage de
M. d'Azeglio, i% seul de ces historiens de la peinture hollandaise qui
fasse mention d'un tableau de i^aenredam , représentant Yhôtel de ville de
Harlem, Du reste , le savant éditeur de la Galerie de Turin observe qu'on
ne connaît ni le lieu et l'époque de sa naissance , ni fa date de sa mort;
il suppose seulement qu'il pourrait bien avoir été de la même famille ,
et peut-être aussi la même personne qu'un Hanz ou Jean Saenredam,
célèbre graveur, cité dans le Dictionnaire de Bassano et dans celui de
Ticozzî, comme né à Sardam en 1 565 ^ et mort en 1 607 ; et il affirme
qu'en tout cas ce peintre appartient , par le genre même de son talent ,
à l'école hollandaise ; ce qui est effectivement indubitable. Je puis com-
pléter ce peu de renseignements donnés par M. d'AzegKo sur le compte*
' M. d*Azeglio rapporte, t. II, p. i38, les paroles prononcées par- M. Granet en
italien, comme elles lui furent, sans doute, aictèes par le long usage qu'it p^sède
de cette langue.
JANVIER 1843. 23
d'un peintre si injustement oublié dans Thistoire de Tart de son pays,
en ajoutant, sur la foi de FioriUo ^ qu'il était né à Asfelt, en i Sgy, et
qu il eut la réputation d'un des meilleurs peintres de perspective de son
temps : ce qui se trouve tout à fait^' accord avec le genre de mérite qui
brille au plus haut degré dans le tableau de cet artiste que possède la
Galerie de Turin, et qui est d'autant plus précieux, indépendamment de .
ce mérite même, qu'il n'existe, à ma connaissance, aucun tableau de
Saenredam, l'égal, si ce n'est le maître des Steenwich et des Peeterneer
dans les collections publiques de la Hollande.
* En fait de portraits , de toutes les écoles, nous devons déjà à M. d'A*
seglio plusieurs des plus beaux de ceux que possède la Galerie de Turin :
un Giorgione , Jeune guerrier en demi-figure , un de ces rares ouvrages
d*un artiste qui fit faire un si grand pas à l'art de peindre , et dont la
carrière fut si courte; un Titien, de Personnage inconnu; deux superbes
Bronziûo, Cosme /'^ grand-duc de Toscane, el Éléonore de Tolède, sa
femme ; un Velasquez , Philippe IV, d'Espagne ; un Aldegrever, Person-
nage inconnu, peinture où la vérité d'imitation rappelle l'école et la ma-
nière d'Alb^ Durer, à laquelle appartenait ce peintre, dont on possède
plusieurs ouvrages à la Pinacothèffue de Manich; trois Rubens, tous les ^
trois dû Personnages inconnus , dont l'un. Figure d'homme en pied, est
l'une des plus belles productions de l'artiste en ce genre , une de celles
où se montrent avec le plus d'avantage la iranchise de son pinceau et la
puissance de sa couleur; six Holbein , tous les six presque également ad-
mirables par la réunion des^qualités qui distinguent ce peintre si exact et
si vrai, et non moins recommandables par la célébrité des personnages
qu'ils représentent, Érasme, Luther, Calvin, le cardinal de Lénoncourt,
et Charles JU, dac de Savoie ; le sixième est le portrait d'an Jeune homme
inconnu; deux Van-Dy ck , Amédée et Louise-Christine de Savoie - Carignan ,
deux charmâtes figures d'enfant, où brille tout le talent de l'artiste
flamand, épuré et perfectionné par son long séjour en Italie, et leprmce
Thomas de Savoie, représenté à cheval , un deschefs^'œuvre de Van-Dy ck ,
gravé par P. j^ptius, célèbre graveur d'Anvers; un Jean-le-Duc, larès-
beau pOTtrait oe Personnage inconnu; un Gérard Dow, portrait de ^elque
' FioriUo, G^lckicfcte der zeichnenden Kûnste in Deutschland ttndder vereinigten Nie-
derlanden, t. U» p. 485-486. D'après cette date, tbumie à Fioriilo par quelque do-
cument autheatiîpie , il est évident que notre Pien^eaa SaeDredam ne peut >étre
le Jean Saenredam cité oomme graoeur parmi les élèves de Goltadus, dont recelé
fleurit de i558 à 1617; v<9y. au sujet de ce dernier, Kugler, Handbach der Kunst-
gmehkhte, p. S^TM^otMerve que le nom de P. J. Saenredam , peintre de perspective, ê
a parcfllemeni échappé à la mémoire de œ dernier historien de l*art.
24 JOURNAL DES SAVANTS.
Savant contemporain , l'un des ouvrages les plus précieux du maître , parce
qu'on y trouve, avec l'effet général , le caractère du fond et le clair-obscur
qui tiennent encore à l'école de Rembrandt, son maître, un maniement
de pinceau, un fini d'exécution et unececherclie de la forme, qui rentrent
dans sa propre manière, et qui le distinguent à un si haut degré entre
, tous les peintres hollandais; c'est donc un de ces ouvrages de transition
dans la carrière d'un artiste , si importants à étudier, parce qu'ils ré-
vèlent à un œil intelligent tout ce qu'un peintre peut devoir à l'éducation
en même temps qu'à la nature. Je terminerai cette énumération de por-
traits par l'indication du plus important de tous , sinon par son mérite?
qui est pourtant excellent , du moins par les contrariétés d'opinions dont
il a été et dont il est encore l'objet; c'est un Portrait de bourgmestre y at-
tribué par les uns à Rubens, par d'autres à Rembrandt, par le plus
grand nombre et par M. d'Azeglio lui-même à Maas, élève de Rem-
brandt, qui atteignit, dans le portrait, genre de peinture auquel il
finit par se livrer exclusivement, une telle supériorité, que ses ouvrages
furent souvent comparés à ceux de son maître, excepté par lui-même,
qui se faisait gloire en toute occasion de reconnaître l'incomparable
mérite de Rembrandt. Je ne me hasarderai pas à décider une ques-
tion ainsi débattue entre tant d'habiles connaisseurs; toutefois, je dois
dire que l'opinion de M. d'Azeglio me parait la plus probable, d'après
la connaissance profonde qu'il possède de l'histoire de l'art,* jointe
à la grande expérience qu'il s'est acquise de la peinture même , en la
pratiquant.
Enfin, dans le paysage, où nous i*etrouvons encore Rubens, avec
toutes les qualités de son talent , dans une Chasse de sanglier, le seul restant
de quatre tableaux pareils qu'il avait exécutés pour Victor Amédée I*
dans le château de la Vénerie , nous avons à citer trois Both d'Italie ,
qui sont au nombre des meilleurs de ce maître hollandais , dont le style,
comme paysagiste, s'était agrandi en Italie, sans rien perdre de sa finesse
dé ton hollandaise, et en conservant malheureusement aussi son goût
de personnages vulgaires, qui contraste encore davanta|^ dans des sites
poétiques; deux Pannini; deux Gaspard Poussin , d'un mérite ordinaire,
plutôt que d'un ordre supérieur ; deux Claude Lorrain , qui sont du
nombre des plus beaux et des plus magnifiques de ce maître ; un Gas-
pard de Witte ; deux Freedeman de Vries , peintre hollandais , qui se
distingua surtout par ses fabriques, et qui, dans quelques-uns de ses
ouvrages , atteignit presque à la perfection d'Hobbema , rival souvent
heureux de l'inimitable nuysdael; et un Bakhuizen, le frand peintre de
marine hollandais, dont on nous donne ici une Tempête, sujet favori des
JANVIER 1843. 25
compositions de cet artiste , qui s y est montré varié et inépuisable
comme ia nature quii imitait si soigneusement.
Tel est l'aperçu succinct que je puis donner des tableaux déjà publiés
de la Galerie de Turin , et qui, joint à l'indication qui précède des prin-
cipaux ouvrages de cette galerie dont s'enrichira successivement le re-
cueil de M. d'Azeglio , doit mettre nos lectçurs à même d'apprécier la
richesse de cette collection royale, conséquemment/aussi Fimportance
du service qu'a rendu son éditeur aux amis de l'art, en la publiant avec
tout le soin qui a présidé dès Torigine à cette publication , et qui ne
fait que s'accroître à mesure qu'elle se continue.
Il ne nous reste plus, pour achever le compte que nous avons voulu
rendre de la Galerie de Turin , qu'à parler du texte , qui en constitue ,
comme nous l'avons déjà dit, un des principaux mérites. Mais la ma-
tière est si abondante , et l'espace qui nous es^ laissé est si court, que
c'est à peine si nous pourrons donner une faible idée de ce texte , ^û
tout entier à la p)umc de M. d'Azeglio. Pour être juste envers lui, nous
dirons d'abord que nous ne connaissons aucune collection de tableaux
qui ait été décrite avec la même étendue et avec le même soin , avec
cette abondance de vues et avec cette exactitude de recherches, qui
témoignent à la fois la passion de l'auteur pour son sujet "et Tintelli-
gence qu'il en possède. On trouve ici des qualités qui sont bien rarement
réunies, et dont le concours est cepea^idant nécessaire pour produire
une pareille œuvre, le savoir de l'artiste et le talent d^ l'écrivain; et on
les trouve réunies de manière qu'elles se servent mutuellement, sans
jamais se nuire. M. d'Apeglio a pratiqué l'art de peindre, assez pour en
connaître les secrets, a plus forte raison pour en démêler avec saga-
cité, pour en analyser avec ju^esse les qualités et les défauts, dans
toutes les productions qu'il en décrit. Sous le rapport technique , ses
appréciations sont donc toujours empreintes de cette connaissance po-
sitive des choses , qui manque trop so,uvent aux hommes qui écrivent
sur les arts , avec plus d'imagination que d'expérience, et avec plus de
goût que de savoir. D'im autre côté , M. d'Azeglio ne se laisse pas tel-
lement préoccuper par les connaissances de l'artiste , qu'il attache aux
qualités intrinsèques d'une peintiu'e et à ses mérites techniques une
importance disproportionnée avec son cfiet et sa valeur morales. C'est
toujours , comme nous l'avons dit dans notre premier article , d'un point
de vue très-élevé qu'il juge les ouvrages de l'ai^t , en les rapportant à ce
noble but de l'imitation , qui est d'élever l'âme et d'apurer l'esprit^par
la représentation^ du beau et du noble en tout genre; et, sous ce rapport
encore , les appréciations de M. d'Azeglio, toujours dictées par ce pro-
26 JOURNAL DES SAVANTS.
fond sentiment de la vraie destination de Tart, forment tout un corps
de doctrines , où la philosophie et Thistoire sont perpétuellement ap-
pelées en témoignage, pour servir à Tétude de Fart, en en exposant
les principes , en même temps qti*il en produit les modèles. Il résulte
de Ûl que le texte de M.d*Azeglio offre un mérite tout à fait indépendant
de celui de la galerie qu il^ est destiné à faire connaître , mérite qui en
ferait, à part même des peintures quil accompagne, un livre éminem-
ment-utile à f instruction de tous ceux qui voient dans Thistoire de lart
un des plus brillants chapitres de Thistoire de Tesprit humain.'
Malgré le mérite des peintures qui composent la Galerie de Turin , il
'est certain que toutes ces peintures nétantpas du premier ordre , n^me
dans la classe i laquelle elles appartiennent, la description de ces ou-
vrages risquerait d'offrir peu d'intérêt, si elle se bornait ou à une simple
appréciation pittoresque ou à une analyse purement historique; mais
iljBst rare qu'un tableau, même d'un ordre secondaire, même d'un mé-
rite médiocre, ne suggère pas à M. d'Azeglio quelques-unes de ces con-
sidérations, tirées soit de la nature du sujet, soit de la philosophie de
l'art en général , sôit de la vie de l'artiste en particulier, qui rachètent
abondamment, par l'importance des vues que l'auteur a su y répandre
et. par le charme de style avec lequel il les expose, la faiblesse relative
de l'ouvrage qui en a fourni l'occasion et le sujet, et, à cet égard, je
puis dire qu'il serait difficile de se faire une idée de toutes les ressources
que M. d'Azeglio puise à la fois dans son vaste savoir et dans sa riche
imagination, pour ajouter au mérite des peintures qu'il décrit par celui
des observations qu'il y rattache , si l'on n'avait pas lu attentivement
le texte de la Galerie de Turin. Ainsi, pour en citer quelques exemples,
les réflexions de l'auteur sur le génie ^e l'art antique , où la perfection
de la forme était tout, par opposition à celui de l'art moderne, où l'ex-
pression de l'âme tient le premier rang, réflexions inspirées par la Ma-
dmie de Sassoferrato , t. I*', pi. xxii; le^ remarques sur la vitesse et la
&cilité du travail, qui, de tout temps, ont perdu les arts, à l'occasion
d'un tableau du Guerchin, t. P', pi. xxxi; celles qui on^ pour objet les
dangers de l'imitation des maîtres, quelquefois substituée à l'étude de
la nature, et les avantages d'une bonne direction dans l'imitation des
Grecs , au sujet du Portrait de Philippe W par Velasquez , 1. 1". pi. xxxvi ;
les considérations sur l'utilité des sujets religieux par rapport aux mœuis
publiques, où l'auteur fait ressortir, dans un parallèle historique d'une
véifté à laquelle il serait possible d'ajouter encore beaucoup de traits',
. ■' La dissertation dans laquelle l'auteur expose les principaux traits de ce qui
JANVIER 1843. 27
tout Tavantage moral de Fart chrétien sur l'art antique, dont le prin-
cipe, d'accord avec celui d'une religion naturelle, était essentiellement
sensuel, et par là même nécessairement licencieux, considérations qui
sont inspirées à M. d'Azeglio par une figure du Sauveur de C. Cignani,
t. II, pi. Lxi; des vues, pleines de savoir et dégoût, sur ce que c'est ^e
le beau et la beauté dans les ouvrages de Tart, h propos de la Sainte Cathe-
rine du Guide, t. 11^ pi. lxxxvi; des remarques sur le degré de eompé>
tence et d'utilité des jugements publics, à l'occasion du Saint Pierre re-
pentant de Tiarini, t. Il, pi. lxxxix; tous ces morceaux, dont je suis
obligé de me borner à indiquer l'objet et le mérite , et bien d'autres
encore, dont je ne puis même donner l'indication, sont autant de disser-
tations où des aperçus neufs et ingénieux , appuyés de textes historiques
et nourris de citations instructives , sont exposés dans un style plein de
chaleur, d'éclat et de mouvement, qui y ajoute encore un nouveau
prix.
A côté de ces dissertations, qui traitent divers points de l'esthétique
et de la philosophie de l'art , se placent d'autres morceaiuc purement
historiques, qui ont pour objet, soit le sujet du tableau, soit quelque
circonstance de la vie ou du talent du peintre , ou la biographie même
de l'artiste, soit une particularité intéressante de l'histoire de l'art. Telles
sont les explications que M. d'Àeeglio a jointes au tableau de la BàtaiUe
de Turin, par Hochtemburg, et au Portrait du prince Thomas, par Van-
Dyck ^ qui sont deux morceaux historiques d'un grand n^érite , par l'é-
tendue et la variété des recherches , par l'importance et la nouveauté
des résultats; tels sont encore les détails donnés par l'auteur 5ar les
femmes illustres du xvj* siècle, à propos du Portrait de Marguerite- de Va-
lois, par Gh. Amberger; sur les oracles des songes, à l'occasion du tableau
d'Allori, le Songe de Jacob: sur les hermaphrodites, au sujet du tableau
de l'Albane , d'après la fable de Salmacis ; surtout les biographies de
Cosme 1"", grand-duc de Toscane, et de Calvin, servant de texte expli-
catif aux portraits de ces deux personnages par Bronzino et Holbein.
Telles sont, dans un autre genre, les notices de Rubens, de Giorgione,
constituait la licence de Vart antique remplit les pages 197 à a 18 du tome II.
Dans cette partie de son travail , il se montre d'accord avec les idées que nous
avons exposées nous-mêmes dans nos Peintures antiques inédites, p.* a&6-a68; et
nous profitons de cette occasion pour dire que, comme les résultats' de notre tra-
vail ont été contestés, nous nous proposons de revenir sur ce sujet, et de prouver,
par de nouveaux témoignages appuyés de nombreux monuments , que celte licence
de fart était liée au principe même de la religion hellénique, et qu'elle était inhé-
rente à tout le système de la civilisation grecque : ce sera fobjet de la IV* de nos
Lettres archéologiques sur la peinture des Grecs, adressée à M. Fr. Jacobs.
4.
28 JOURNAL DES SAVANTS-
du Guerchin, de Mantegna, de Dan. Crespi, où sont exposées beaucoup
de vues neuves et curieuses sur la vie et le talent de ces artistes. Je ci-
terai encore, comme morceaux historiques d*un mérite etd*un intérêt
bien supérieurs à ceux qui composent le texte des autres galeries, This-
toiiv de la peinture de paysage chez les modernes, à Toccasion des
paysages de Freederaan de Vries et de Both à'italie ; les recherches
sur les peintures des sujets vulgaires des anciens, rapprochées des bam-
bochades et caricatures modernes , à propos de l'Intérieur de taverne de
Dav. Téniers; les détails sur Técole de Modène et sur celle de Man-
toue, qui accompagnent la description des tableaux de Schidone et de
Mantegna. Généralement, M. d'Azeglio aime i\ mettre en rapport les
particularités connues de l'histoire de Tart des anciens avec celle de
Tart des modernes, à expliquer et à justifier Tune par l'autre; et il se
montre partout aussi nourri des souvenirs de l'antiquité que familiarisé
avec les monuments de son pays. Ce sont ces rapprochements, tou-
jours instructifs, produits sous une forme toujours ingénieuse et pi-
quante, alors même qu'on pourrait trouver à y reprendre çà et là quelque
chose de hasardé ou d'inexact, qui donnent à son texte historique un
caractère particulier, et qui en rendent , par ce mélange d'ifhagination
et de savoir, d'érudition et de goût, rehaussé par le charme du style, la
lecture singulièrement attachante. Nous croyons donc , et c'est la con-
clusion du long et consciencieux examen auquel nous nous sommes li-
vré , que la publication de la Galerie de Tmrin est un véritable service
rendu à l'étude de l'art, et que cet ouvrage, dû au talent de M. d'Aze-
glio, réunit toutes les conditions du succès le plus légitime et le plus
honorable.
RAOUL-ROCHETTE.
JANVIER 1843. 29
Théâtre chinois, on choix de pièces de théâtre composées sous les
empereurs mongols, traduites pour la première fois sur le texte ori-
ginal, précédées d!une introduction et accompagnées de notes, par
M. Bazin aîné. Paris, Imprimerie royale, i838, i vol. in-8**.
Le Pi-pA'KI , ou histoire du luth, drame chinois de Kao-tong-kia ,
représenté à Péking, en lâOâ, avec les changements de Mao-tseu,
traduit sur le texte original, par M. Bazin aîné. Paris, Impri-
merie royale, i84i, i vol. in-8^
TROISIEME ET DERNIER ARTICLE.
Avant de passer à Texamen du Pi-pa-ki, il nous reste à faire connaître,
^ dans la première publication de M. Bazin , une- quatrième et dernière
pièce, intitulée Le ressentiment de Teou-ngo , ou, pour transcrire ici
le titre dans son entier : « Le ressentiment de Téou-ngo qui touche le'
ciel et émeut la terre. »
Ce tsa-ki ou drame entremêlé d'ariettes a pour sujet Thistoiie mi-
raculeuse d'une jeune femme injustement condamnée à mort, et dent
Tombre irritée opère des prodiges qui font enfm reconnaître son inno-
cence. Cette légende a, comme on voit, beaucoup de ressemblance
avec celles que représentaient sur leurs tréteaux nos aieux des xiv* et
XV* siècles. On ne peut, en effet, mieux comparer ce drame quà nos
anciens miracles de sainte Catherine , de saint Nicolas et de saint Jean-
Baptiste.
Le prologue (car cette pièce , comme la majeure partie de celles qui
ont été représentées sous la dynastie des Kin et des Youen , se compose
d'un prologue suivi de quatre actes ou coupures), le prologue, dis-je.
nous introduit dans la maison d'une veuve déjà sur le retoiu*, madame
Tsai , à qui son mari a-laissé une fortune assez considérable et un fils âgé
de huit ans. Celte dame , qui habite la ville de Tsou-tcheou, a prêté à
un pauvre bachelier de son voisinage, nommé Teou-tien-tchang, vingt
taels d'argent, qui , avec les intérêts d'une année (intérêts que l'auteur
ne représente point comme usuraires), forment une dette totale do
quarante taels. Comment ce pauvre homme , qui, suivant l'expression
de l'auteur chinois , ne possède que les quatre murs , pourrait-il acquit-
ter cette somme "} Heureusement il a une fille âgée de sept ans , que les
agréments précoces de sa personne et ses qualités aimables ont fait re-
30. JOURNAL DES SAVANTS.
marquer de madame Tsaï. Celle-ci désire vivement faire un jour i^a bru
de cette jeune fdle ; et , comme, à la Chine , il est d'usage que l'époux
et non pas Tépouse apporte une dot, madame Tsaï propose au bache-
lier de lui faire remise de la totalité de sa créance, et de lui donner
en sus dix taels d'argent, pour aller à la capitale subir ses examens de
licencié, s'il veut remettre la jeune Touan-yun entre ses mains, et
consentir à ce qu'elle soit fiancée à son fils. Teou-tien-tchang ne peut
qu'accepter avec reconnaissance une proposition aussi avantageuse , et
se met en route pour aller tenter la fortune aux élections du prin-
temps, non sans avoir adressé à sa fdle les plus sages et les plus tendres
conseils.
Dans l'intervalle qui sépare le prologue du premier acte , treize ans
se sont écoulés. Madame Tsaï a quitté la ville de Tsou-tcheou pour se
fixer dans celle de Chan-yang^. La fdle du bachelier Teou" a changé
son nom d'enfance en celui de '['eou-ngo. Ayant atteint sa dix -sep-
tième année , elle a épousé le fils de madame Tsaï , que la mort lui a
enlevé presque aussitôt. Veuve à dix-neuf ans , elle vit dans une pro-
fonde tristesse et dans une parfaite régularité auprès de sa belle-mère.
L'expression de la mélancolie de cette jeune femme mérite d'être citée.
Voici en quels termes elle récapitule tous les chagrins de sa vie : « Dès
TAge de trois ans je perdis ma mère , à sept ans mon père se sépara de
moi ; quelque temps après j'épousai un homme dans la société duquel
je vivais heureuse ; mab la destinée trancha bientôt le fil de ses jours
Peut-être que , dans ma vie précédente, je n'ai pas observé les rites et
brûlé les parfums des sacrifices ; voilà pourquoi, depuis que je suis sor-
tie du sein de ma mère, j'ai appelé sur ma tête toutes les disgrâces. Il
faut qu'on exhorte les hommes à faire le bien dans cette vie , afin qu'ils
soient heureux dans la suivante ^. »
Cependant madame Tsaï , qui a prêté à un apothicaire de la ville de
^U y a ici un peu d*obscurité, par la faute du traducteur ou de l'auteur.
Madame Tsai dit (acte I*', scène a) : • Je demeurais auk'efois dans le district de
Chan-yang, où je menais une vie calme et tranquille. » Toute la suite de la pièce
Ïrouve qu'elle devait dire au contraire : t Je demeurais autrefois dans la ville de
'sou-tcheou, et je suis venue m*établir dans celle de Chan-yang. » En.eÇet, on voil
(acte IV, scène i**) qu'après sa première promotion Teou- tien 'tchang envoya un
messager à sa fille, chez madame Tsai, dans la ville de Tsou-Tcheou, et que ce
messager ne put découvrir ces deux femmes , parce qu'elles étaient allées s'élablii*
à Chan-yang, ville voisine et dépendant de la juridiction administrative de Tsou-
tcheou. — * M. Bazin a traduit ce dernier membre de phrase par • afin qu'ils soient
heureux dans l'autre. » Cette expression « dans l'autre vie • m'a paru substituer une
idée chrétienne k une idée booddhiqne. Je fais M. Baiin juge de ma correction.
JANVIER 1843. 31
Chan-yang , au docteui' SaMoii , dix taels d'argent , se rend un matin
au domicile de son débiteur, pour lui demander le remboursement de
cette somme. Le docteur répond i madame Tsaï qu il n a pas assez d'ar-
gent dans sa boutique pour la satisfaire , et la prie de laccompagnei* à
sa maison des champs, qui est voisine. Arrivé dan$ un lieu écarté, le
scélérat prend sa ceinture, en fait une corde, et se dispose à étrangler
cette pauvre femme. Par bonheur, deux hommes du peuple, Li-lao et
son fds Tchang-lu-eul , accourent à ses cris et Tarrachent des mains de
Saï-lou , qui prend la fuite. Dans l'effusion de sa reconnaissance , ma-
dame Tsai apprend à ces inconnus qu'ils ont sauvé les jours d'une
veuve qui passe sa vie avec une jeune bru, qui est veuve comme elle.
Cette confidence inspire une singulière pensée à ses libérateurs. Le père
prétend à la main de madame Tsaï, le fils à celle de sa bru. La pauvre
femme se récrie à celle étrange proposition ; elle prie ces deux hommes
de la laisser retourner chez elle, et leur promet de récompenser, pai*
une honnête quantité de biDets de banque", l'important service qu'elle a
reçu d'eux. Mais cette manière d'éluder leur demande les irrite. Le plus
jeune et le plus violent des deux féerie : «Qi^i! madame, vous osez
nous refuser!...^. Eh bien, n'en parlons plus. Je porte encore sur moi
la corde de Saï-lou, et je vais finir ce qu'il avait commencé. » Madame
Tsaï est bien dlflgée de céder à cet argument péremptoire , et re-
tourne en leur compagnie dans sa maison ; mais , quand 1 eou - ngo
apprend ce que prétendent ces deux misérables, elle entre dans une vio-
lente colère , et n'épargne pas même les reproches à sa tremblante belle-
mère, a Pourriez- vous bien, madame, consentir à rompre les liens qui
vous attachaient à votre premier mari ? Quoi ! lorsque la terre de son
tombeau est encore humide, vous songeriez à seiTer dans votre armoire
les habits 4iun nouvel époux!» Malgré ces représentations, madame
Tsaï, qui ne pai^ait pas absolument indifférente aux projets de Li-lao .
prie ses deux redoutables libérateurs d'excuser les emportements de sa
belle-fille et les invite à rester dans sa maison. Cependant Tchang-
lu-eul ti*ame, pour vaincre la résistance obstinée de la jeune veuve, un
complot abbminable : il empoisonnera madame Tsaï et imputera ce
crime à Teou-ngo , si elle continue à lui refuser sa main. 11 s'agit d'a-
bord de se procurgr du poison. Il a remarqué une pharmacie de mau-
vaise apparence à l'extrémité de la ville, dans un quartier désert. Il
entre dans cette boutique et demande hardiment du poison. L'apothi-
caire étonné fait quelques diflicultés; mais Tchang-lu-eul a reconnu Saï-
lou , qui , n'ayant pas de scrupules à opposer k un homme dont le témoi-
gnage peut lui coûter la vie, fournit le poison qu'il demande. Toutefois
\
32 JOURNAL DES SAVANTS.
•
Saj4ou croit prudent de quitter la ville de Chan-yang et de se retirer à
Kia-tcheou, où il vendra de la mort-aux-rats, ce qui est à peine changer
de profession.
Sur ces entrefaites, madame Tsai étant tombée malade, Tchang-lu-eul
jette, à la dérobée» du poison dans une tasse de bouillon que Teou-
ngo a préparée pour sa belle-mère. Celle-ci, n ayant pu en faire usage,
la présente à Li-lao, qui la boit et tombe mort aussitôt. Tchang-lu-eul
accuse à grands cris Teou-ngo de la mort de son père : a Malheureuse,
s écrie-t-il , c*est toi qui as tué mon père par le poison , et maintenant
tu voudrais fuir pour échapper au châtiment Choisissez, de sor-
tir de cette maison volontairement ou par autoiité de justice. » —
«Qu entendez-vous, répond Teou-ngo, par ces mots «sortir volontai-
rement ou par autorité de justice? »
TCHANG-LU-EUL.
«
«Si vous ne vous retirez d'ici que par autorité de justice, je vous
traînerai devant les magistrats ; vous endurerez , Tmi après Tautre , tous
les genres de tortures. P Si, au contraire, vous vous retirez de bon
gré , vous deviendrez sur-le-champ mon épouse. ... . . » .
De son côté , madame Tsaî conjure sa belle-fille de céder aux instances
de Tchang-lu-eul; mais Teou-ngo demeure inébranMie : «Une femme
vertueuse, dit-elle, ne convole jamais à de secondes noces. Quand je
songe qu'il y a deux ans h peine je jouissais encore des chastes plai-
sirs que le ciel réserve aux époux , dites-moi , puis-je me décider à prendre
un autre homme pour mari? — Comme ce n'est pas moi, Tchang-
lu-eul, qui ai empoisonné votre père, tout ce que je désire, c'est d'al-
ler avec vous trouver le magistrat. »
Je n'ai cité ce morceau presque dans son entier que peur montrer
qu'il offre une bien singulière ressemblance avec un passage d'un autre
drame chinois , le Cercle de craie. Au premier acte de cette pièce , tra-
duite, comme on sait, par M. Stanislas Julien, on voit une femme lé-
gitime empoisonner son mari dans une tasse de bouillon , et accuser de
ce crime Haï-tang, la seconde femme : « Tu as tué par le poison le sei-
gneur Ma, s'écrie-t-elle, et après cela tu voudrais fuir pour te tirer
d'affaire. Dis -moi, veux- tu te retirer de bon gré ou par autorité de
justice?»
HAÎ-TANG.
. u Qu'est-ce que c'est que « se retirer par autorité de justice ou se re-
x( tirer de bon gré ? »
JANVIER 1843. 33
MADAME MA.
(( Si tu te retires de bon gré et me laisses le jeune enfant , tous les biens
du seigneur Ma, ses maisons, ses meubles, ses eiFets, tout cela sera ^
toi Mais, si tu ne veuiCtc retirer que par autorité de justice , je te
rappellerai que tu as empoisonné ton mari. Allons toutes les deux trou-
ver le magistrat.
HAÏ-TANG.
<( Gomme ce n*est pas moi qui ai empoisonné le seigneur Ma , que
puis-je craindre du magistrat? Je le veux bien ; allons le trouver en-
semble. »
. On voit que les auteurs dramatiques chinois ne se font pas un grand
scrupule de s'emprunter les uns aux autres , non-seulement des situa-
tions , mais des parties entières de dialogue dont ils varie&t à peine les
expressions.
Le juge devant lequel Tchang-lu-eul accuse Teou-ngo est un cer-
tain Tao-ouo, magistrat prévaricateur, qui, comme le juge du Cercle de
craie, n*aime que Targent, et, grâce à ce blanc métal, donne toujours
raison à l'accusateur. Dans la pièce qui nous occupe , ce juge inique fait
parade de sa turpitude par un jeu de théâtre tout à fait grotesque. En
entrant dans le tribunal , Tchang-lu-eul et Teou-ngo s'agenouillent , con-
formément à l'usage qui veut, à la Chine, que l'accusateur et l'accusé
se prosternent devant le juge, comme des etifants devant leur père.
Tao-ouo descend de son siège et s'agenouille devant Tchang-lu-eul. » Que
faites-vous, lui dit à l'oreille l'huissier du tribunal? cet homme est l'ac-
cusateur; pourquoi vous mettez-vous à genoux devant lui?— ^ Ne sa-
vez-vous donc pas, reprend l'impudent et facétieux magistrat, que, toutes
les fois qu'un accusateur se présente, je dois honorer en lui le père et-
la mère qui me nourrissent? »
Par ordre de cet homme inique, Teou-ngo est appliquée à la torture.
En un instant son corp& est déchiré. à coups de verges. Mais, au mi-
lieu des plus cruelles douleurs , elle ne cesse de protester de son inno-
cence. «Puisque ce n'est pas vous, s'écrie le juge impatienté, que l'on
mette à la torture cette autre femme. » Alors Teou-ngo, pour éviter à
sa belle-mère les horribles souffrances de la torture , consent k ' se dé-
clarer coupable et avoue le crime qu'elle n a point commis. Tao-ouo
prononce aussitôt contre elle la peine de mort, et fixe Texécution de
l'arrêt au lendemain.
Le troisième acte nous fait suivre, dans ses moindres détails, l'exécu-
34 JOURNAl. DBS SAVANTS.
•
tion d'une s'enteiice capitale à la Chine. D*abord les agents de la force
publique ferment Tentrée des rues et interdisent la circulation. Un ar-
cher frappe, à trois reprises, trois coups de tam-tam. Le bourreau, te-
nant d'une main un drapeau et de l'autre une épée, accompagne la con-
damnée , qui s'avance chargée d'une chaîne d^fer etd*une lourde cangue.
Arrivé sur la place publique , l'exécuteur lui demande si elle ne voit
personne dans la foule à qui elle veuille adresser un adieu ou une prière.
Teou-ngo reconhaît madame Tsaï qui sanglotte; elle l'appelle et lui re-
commande le spin de sa triste mémoire. Puis, se tournant vers le pro-
cureur criminel, elle demande pour toute grâce qu'on étale sous ses
pieds une natte, et qu'on suspet^de à la lance du drapeau deux mor-
ceaux de soie blanche. «Pour prouver, dit-elle, que je meurs victime
àc^utïe fâusse^ccusation , quand le glaive du bourreau tranchera ma tête,
ne croyez pas qu'une seule goutte de mon sai^ tombe sur la terre: il
ira rougir les* morceaux de soie blanche de ce drapeau Sans des
prodiges capables de frapper les imaginations,* je ne ferais pas éda-
terla justice du ciel. » Puis, s'ailimant de plus en plus à l'idée de l'injus-
tice dont elle est victime : û Nous sommes maintenant dans la saison où
fon supporte avec peine le poids de la chaleur; eh bien, pour prou-
ver mon innocence* le ciel fera tomber une neige épaisse et froide qui
couvrira mon corps Oui , je suis si profondément indignée , que
je vem( que mon courroux fasse voler dans l'air les fleurs de l'eau gla-
ëée; je veux que ces fleurs enveloppent mon cadavre, afin qu'on n'ait
pas besoin d'un char couvert d'une étoffe unie , ni de chevaux blancs ,
pour le transpofter dans une sépulture déserte. • .'. Quand je ne se-
rai plus qu'un démon sans tète , gardant au fond du cœur le ressenti-
ment de mon injuste condamnation , j'appellerai svlv l'arrondissement
de Tsou-tcheou une sécheresse qui durera trois années. « . (On entend
le bruit do vent qui souffle.) Nuages , qui flottez dans l'air à cause de
hioi, obscurcissez le ciel! Vents, gémissants à cause denu)i, descendes
eh to}u*billons ! Oh! fasse le ciel que mes troia imprécations saodbin-
plissent!» • . •
L'épée de l'exécuteur frappe Teou*ngo. Et aussitôt k neige comnence
à blanchir Ife sol , et pas une goutte de sang ne rougit la natte ; il a volé
en bouillonnant sur les deux mt^rceaux de soie Uandie. Enfin la troi-
sième ht la plus terrible menace de Teou-ngo , une sécheresse de trois
années-, afflige l'arrondissement de Taou-tchedU. C» fléau pesait enepre
sur la province , quand anffe on des grands fonctionnaires de l'empire ,
chargé de reviSer les sentences et de scruter la condkiite- des juge». Ce
nftagîstràt redmitable exeree^dei ibnctÎDna^ et, qui {dus est, efliploie«un
• 4 •
JANVIER 1843. 35
langage absolument semblables à ceux d*un juge du même grade qui
figure dans THistoire du cercle de craie. Quoique iatigué d*une longue
route, ce magistrat fait demander aux employés des six bureaux (aux
commis du greiTe criminel apparemment) les dossiers des affaires ju-
gées depuis la dernière inspection , et il se met en devoir d'examiner
ces pièces à la clarté d'une lampe. Or ce vigilant délégué de lempe-
reur n'est autre que Tancien bachelier Tcou-tien-tchang , le père de
Teou-ngo , qui, il y a seize ans, est allé prendre ses grades dans la ca-
pitale et est arrivé à la plus haute fonction de la magistrature. Depuis
longtemps il a fait chercher à Tsou-tcheou sa fille et madame Tsaï;
mais 4>érsonne n'a pu lui indiquer le lieu de leur résidence. Parmi les
pièces quil parcourt, il est frappé d'en trouver une relative à im crime
conunis. par une jeune femme qui porte son nom. Mais ^pnpoisonne*
ment d'un beau-père par une bru est un des dix crimes qu'on ne par-
donne jamais. L'accusée »'est reconnue coupable; ccst une affaire con-
sommée. Il remet la pièce officielle sous les autres et continue l'examen;
mais, malgré ses efforts, la &tigue l'emporte et il s'endort. Cependant
l'ombre toujour^rritée de Teou-ngo, qui plane et gémit incessamment
dans les tourbillons et les nuages, avertie de l'arrivée de son père, se
glisse en voltigeant dans la salle du tribunal et apparaît en songe au
mandarin. Teoû-tien-tchang se réveille fort ému d'avoir vu dans son rêve
sa fille Touan-y4in éplorée. Il veut continuer son travail ; mais l'ombre
voltige autour de la lampe et de temps en temps l'obscurcit. Pendant
que Teou-tien-tchang mouche la lampe , l'ombre retourne les pièces , de
.sorte que, quand il veut continuer son examen , la première affaire qu'il
a sous les yeux est celle d'une jeune femme, nommée Teou-ngo, qui
a empoisonné son beau-père. Le magistrat, qui se rappelle avoir placé
ces papiers sous les autres, est saisi d'étonnement et de crainte; il. les
replace dessous et veut passer à une autre affaire; mais l'ombre. vol-
tige encore autour de la lampe et l'obscurcit. Le juge mouche la lampe,
et Fomhre retourna de nouveau les pièces; le premier procès qui s'offre
k lui est toujours celui de Teou-ngo. Il ne peut plus douter qu'il n'y
ait des démons dans le palais de Tsou-tcheou. En effet, l'ombre appa-
raît et bondit au milieu de la salle. Elle pleure et demande justice à
son père. Dans une très-minutieuse naiTation , elle lui raconte de point
en point comment elle a changé son noni d'enfance en celui de Teou-
ngo, et elle n'oublie aucune des circonstances; bien connues de nous,
de la mort de Li-lao, des traitements injustes qu'elle a subis et des pro-
diges par lesquels elle s'efforce , depuis trois ans , de faire éclater son
innocence. Teou-tien-tchang ,- versant des larmes, promet à sa fille une
5.
•
•
36 JOURNAL DES SAVANTS.
complète réhabilitation, et, en effet, aussitôt le jour venu, il donne
ordre de rechercher tous les coupables , et en fait bonne et prompte
justice. • •
Je me hâte, à présent, de passer à fexamen de la seconde publica-
tion de M. Bazin.
Le Pi-pa-ki,-ou l'Histoire du luth, est un drame qui diffère essen-
tiellement, par la forme et surtout par ^étendue, de ceux dont nous
nous sommes occupé jusqu'ici. Bien que composé sQus*la dynastie
mongole, comme tous les drames chinois que nous connaissons, il na
d*autre rapport avec les youen-pen et les tsa-ki que tl'être, ainsi que
ces pièces, entremêlé de diailogue et de cbant; il diffère de ces ou-
vrages en ce qu'au lieu d'être resserré en quatre actes il se déroule en
tableaux nqmbreux. Le Si*siang-ki, ou l'Histoire du pavillon d'Occident ,
ofiFre seize acTes ou tableaux ^ Le Pi-pa-ki, ou l'Histoire du kith , err con-
tient quaranfe-deux. L'éditeur chinois diBs cent pièces de la dynastie des
Youen, dont nous avons rapporté les classifications dans notre précé-
dent article, a donc été un peu trop restrictif, en^^ne mentionnant
comme usitées sous la dynastie des Kin et des Youerf||ue trois espèces
de drames, à savoir : les youen-pen , les tâa-ki et les yen-kia ou bluettes.
Ce critique aurait dû ajouter à ces trois catégories de pièces les drames
à longs développements , tels que le Pi-pa-ki et le Si-siang-ki; et il était
d'autant plus nécessaire de tenir compte de ces vastes compositions,
que le Si-siang-ki passe, au jugement des lettrés, pour un des dix chefs-
d'œuvre de la littérature chinoise , et que l'auteur de ce dfame , Waç-
cbi-fou , figure au premier rang dans le catalogue des auteurs qui dnt '
écrit pour le théâtre sous les Youen^.
On a lieu d'être surpris que le nom de l'auteur du Pi-pa-ki, JCao-tong-
kia^ aujourd'hui si célèbre à la Chine, ne soit pas mentionné sur cette
liste^ quoique cet auteur ait écrit l'Histoire du luth vers le milieu du
XIV* siècle et, par conséquent, sous les Youen ^. Le docteur Ching-chan ,
qui a publié, en 1 70^ , une édition du Pi-pa-ki, précédée d'une préface
diaioguée traduite par M.* Bazin, s'étonne de l'oubli de ses prédéces-,
seurs et surtout du silence de Han-hiu-tseu , qui a composé de -savantes
dissertations sur les dramesje cette époque et dressé une liste de leurs
auteurs^. On ne peut expliquer cette singulière omission que par le peu
' M. Stanislas Julien a traduit, en i83â, le premier de ces actes ou tableaux dans
un recueil périodique, TEurope littéraire. — Ce catalogue, traduit par M. Bazin,
porte à treize le «lombre des pièces de Wan-ch^-fou. — ^ La dynastie des Youen
a pris/in Tan 1878 de notre ère. — - * H est douteux que la liste, dressée par Han-
hiu-iseu, des auteurs dramatiques du temps des Youen, soit la même que le cata-
>
JANVIER 1843. 37
•de succès qu'obtint le Pi-pa-kî, du vivant de son auteur. Ce ne fut
t]u*au commencement du siècle suivant, 'en iliolxy Sbus'la dynastie des
Sling, qu'un homme de lettres habile, Mao-tscu, reloucha les paroles
et les airs de ce drame et le fît rejouer sur le théâtre de Pékin , avec
un succès qui s* est toujours soutenu depuis : «Dès qu'on ouvre un
marché quelque part, même dans le plus petit hameau, dit l'éditeur
de 1 70 A , si une troupe de comédiens arrive et que les acteurs montent
sur la scène pour jouer le Pi-pa-ki, c'est à qui viendra les entendre. . .
Alors, parmi tous les spectateurs, propriétaires, matrones du iieu \
Jeunes pâtres, loucherons, vieillards vénérables, on n'en voit pas im
seul qui n'ait les joues rouges et les oreilles brûlantes ; les larmes cou-
lent des yeux , tous les visages sont consternés; on n'entend plus que
des soupirs, des gémissements , des sanglots , des cris , et cela dure jus-
qu'à la fin de la représentation » Mao-tseu ne se contenta pas
d'avoir restitué à la scène cette œuvre attendrissante; il en publia une
édition nouvelle , et intitula ce drame corrigé et commenté : le Livre du
septième tksaî'tseu ou écrivain de génie ^. Depuis lors la renommée de
Kao-tong-kia n'a pas cessé de s'accit)ître. Une des éditions sur lesquelles
\f . Bazin a travaillé ne renferme pas moins de quatorze préfaces. On en
est venu, sous la dynastie Thaï-tsing, aujourd'hui régnante, à déclarer le
Pi-pa-ki l'ouvrage le plus utile aux mœurs '. On recommande la lecture de
ce drame aux époux, aux fils, aux fidèles sujets de l'État L'éditeur de 1 7 o A *,
malgré plusieurs critiques judicieuses qui portent sur la contexture de
la pièce, parle des beautés morales du Pi-pa-ki avec une exagération
laudative et une sentimentalité prêcheuse qui rappellent , d'une manière
frappante , le pathos philosophique de Diderot dans les dissertations qui
accompagnent ses drames à prétentions vertueuses : u Un tableau telque
celui que vous venez de lire, s'écrie le critique chinois, vaut mieux
qu'un chapitre tout entier du Li-sao-tsi. Oui , celui qui lit le Ming-fou-
ki et ne verse pas de larmes n'est pas un sujet fidèle : celui qui lit le
Jogue traduit par M. Baxin et placé a ia tôte de son Théâtre chinois. Voici ce qu*a
dit Ching-chan , en 1704, dans sa préface, du Pi-pa-ki : • J*ai parcouru le catalogue
Je Han-hiu-tseu. . . . j'ai vu la liste des auteurs dramatiques, depuis Tong-li jusqu'au
dernier; il y a en tout cent quatre-vingt-sept écrivains » Or le catalogue traduit
par M. Bazin ne commence pas à Tong-li , dont le nom ne figure même pas sur ia
liste , et le nombre des auteurs n*est pas de cent quatre-vingt-sept. -^-^ * Ce passage
prQuve qu'en 1704 les femmes respectables* tissistaient,- en Chine, aux représenta-
tions dramatiques. — - ' On a vu plus haut que les lettrés cpmptaient six çhers-
•38 JOURNAL IJES SAVANTS.
Pi-pa-ki de Kao-tong-kia et ne verse pas de larmes est un homme qui
n'a jamais aim*^ s^ père ni ^'mère! » Et un peu pl«s loiâ : u Gomme
la piéti^ filiale de Tchao-ou-niang est touchante ! Quelle profonde sen-
sibilité!... Chaque mot est une larme et chaque laftne est une perle!... »
Nous savons beaucoup de gré h M. Bazin de nous avoir fait connaître
ce très-curieux échantillon de la critique admirative à la Chine. Nous
le remercions encoi*e d*avoir traduit un petit prologue , qui n'est pas
dans l'édition du docteur Ghing-chan , mais qui se trouve dans l'édition
probablement plus récente que possède la Bibliothèque royale- Ce pro-
lo<aie nous montre le directeur du théâtre délibérant, avec les comé-
diens réunis dans le foyer, sur le choix de 1» pièce qu'ils vont représenter
devant le public. Le directeur propose de jouer un tchouen-khi , c'est-
à-dire un des drames historiques composés soua la dynastie des Thang;
mais les comédien§ demandent à représenter le Pi-pa-ki, Le directeur
leur fait remarquer qu'il est plus aisé de faire rire les-hommes que de
les faire pleurer: axiome qui, dans notre Europe, ^rait pour le moins
contestable. Néanmoins, il consent à ce qu'on joue le Pi-pa-ki. U
entre donc en scène, annonce la pièce aux spectateurs et les prie d'é-
couter l'argument, qui est une exposition tout à fiadtdans la forme, des
prologues de Plante. Puis, ayant rejoint les acteurs, messieurs, leur
dit-il, je ne veux pas que celte représentation dure trop longtemps,
tâchez de finir aujourd'hui (ce qui prouve que les représentations chi-
noises, comme jadis celles de nos mystères, durent quelquefois plu-
sieurs jour^. Enfin, il leur adresse cette dernière - recommandation
pleine de bon sens : a Mais surtout, messieurs, ne retranchez rien. »
Malheureusement M. Bazin , â qui nous empruntons la traduction
de ce conseil , n en a pas reconnu toute Texcellence. Il a cru pouvoir
, opérer de nombreux reti-anchements dans le Pi-pa-ki. Des avis pourtant,
et des avis venant de la Chine, comme celui-ci, ne lui ont pas manqué.
On lit dans la préface de l'édition de l yoil, â propos de quelques lon-
gueurs reprochées â l'Histoire dû lutlj : wDes longueurs! y songez-vous?
Parce que le Si-siang-ki n'a que seize actes on'le trouve trop court et l'on
voudrait y ajouter des scènes; parce que le Pî-pa-kî a quarante-deux
tableaux, on le trouve trop long et l'on voudrait en retrancher plu-
sieurs passages ; mais tout critique avisé n'ignore point qu'il n'est pas
plus à propos de faire des additions au Si-âiang-ki que des coupures au
Pi-pa-ki. Si, parce qu'un canard a les jambes trop courte3, on voulait
les allonger, on le nmtilerait ; et si, parce qu'une cigogne a le cou trop
long, on voulait le raccourcir, on la tuerait... n En dépit de cet avertis-
sement naïf, mail au fond trèf-iensé , M. Bàni), qui a traduit tout en-
JANVIER 1843. 39
tières et ave(^ la plus scrapuleuse exactitude les quatre pièces de son
Théâtre chinois ^ , a cru pouvoir prendre plus de liberté dans sa seconde
publication : des quarante-deux tableaux qui composent le Pi-pa-ki, il
• en a retranché dix-huit. Gomment n'a-t-il pas vu que c'était là précisément
vouloir raccourcir le cou de la cigogne? Comment n a- t-il pas senti que
ce qu'on souhaite d'un tr^ucteur de drames et de romans chinois , ce
n'est pas qu'il refasse ces ouvrages selon les lois de Tari européen , mais
qu'il nous les montre dans leurs proportions , et même , s'il ^ a lieu , dans
leur difformité naturelle?
Nous regrettons d'autant plus que M. Bazin ait appliqué le 'système
meurtrier de Tabréviation au Pi-pa-ki, qu'autant qu'on en peut juger, la
foime de ce remarquable ouvrage est de beaucoup moins imparfaite
que celle de tous les .autres drames chinois qu'on nous a fait connaître
jusqu'à ce jour. On ne trouve point ici, au commencement db chaque
scène , comme dans toutes les pièces des Youen , cette formule initiale
si fatigante et qui rappelle nos vieux mystères : a Mon liom de famille est
Tchang, mon surnom I, je suis originaire de Nan-king, etc. » ou bien :
u C'est moi qui suis Fan-sou » On ne trouve pas non plus dans ^^efte
pièce les fastidieuses répétitions de discours et de faits déjà connus du
spectateur, qui attestent l'enfance de l'art théâtral, et qui sont si fré-
quentes dans les drames du répertoire des Youen. En un mot, le
Pi-pa-ki, retouché par Mao-tseu, nous^ donne une idée des progrès,
faibles sans doute, mais pourtant remarquables, que l'art du théâtre a
fiadts à la Chine du xiv* au xv* siècle de notice ère.
Ce drame est trop étendu e^ trop chargé d'épisodes » ppur que je
puisse essayer d'en tracer une analyse complète. Je tacherai seulement
d'indiquer en peu de^ mots, ses imperfections et ses beaut^. L'action ,
quoique une , se divise en deux parties tout à fait distinctes , mais qui
ont entre elles de certains rapports de ressemblance ou d'opposition ;
ce qui établit une sorte de parsdlélisme continu qui, dans les idées chi-
noises ,* est le plus gr^nd mérite d'une composition La scène se passe
alternativement dans un viUage de la frontière , nommé Tchin-lieou . et
dans la ville de Tdiang-ugan , aiors capitale de l'empire. Dans le village
habite une honnête famille, composée de M. Tsaî, de sa femme, de
leur fils Tsaî^yong et de leur bru Tchao-ou-niang. M. Tsaï n'a qu'une
pensée, qu'un désir, celui de voir gon fils, jeune bachelier c^e grande
espérance , se rendre- à la capitale et concomir poui» un grade supérieur.
' M. Baiin pousse la fidélité , dans le Théâtre chinois , jusqu'à donner en note le
trèt-petit nomore de passages fa'il croit devoir retrancher ou modifier.
JOURNAL DES SAVANTS.
Madame Tsaï est fort opposée à ce voyage, et le Jeune hoqame éprouve
aus^i la plus vive ré[iugnance à exposer ses vieux parents el sa jeune
femme à tous les accidents qui peuvent survenir pendant son absence.
Ce n'est que poui- obéir à la volonté formelle de son père qu'il se résout ■
h partir, après avoir recommandé ses père et mère el sa jeune épouse
,iux soins d'un bon et obligeant voisin , M. Xf^^^ng- Dans la capitale .
nous avons sous les yeux l'intérieur d'une famille toute différente. Voici
l'hôtel et les jardins du riche seigneur Nieou , précepteur de la famille
impériale, qui consacre tous ses loisirs à l'éducation de sa fdle. l'aimable
Nieou-chi, auprès de laquelle il a placé une sage gouvernante et une
jeime sui\anle presque aussi éveillée que la petite Fan-sou de la Soubrette
accomplie. Toute l'ambition du seigneur Nieou est de trouver pour sa
fille un époux digne d'elle. Cependant, au village de Tcbin-lieou . les
tristes pressenlinienls de madame Tsaï s'accomplissent : les années s'é-
coulent et leur fds ne revient pas; une inondation ruine le pays; la fa-
mine survient ; les.deux pauvres vieillards sont réduits à la plus extrême
misère. Leur bru , la vertueuse Tchao-ou-niang , vend un à un tous ses
bijoux, toutes ses pannes, pour faire subsister ses vieux parents. Leur
charitable voisin. M. Tcliang, vient aussi souvent à leur aide; mais en-
fin ils meurent de misère l'un après l'autre. V ous demandez quel obstacle
s'est opposé au retour de Tsa'i-yong? Il a obtenu la palme académique,
il est devenu magistrat de première classe et a été prpmu au grade de
ministie d'État. Bien plus, par ordre exprès de l'empereur, et malgré
ses refus réitérés . il a été contraint d'épouser la fille du précepteur de
la famille ijiipériaie , la charmante Nieou-chi. Pourquoi n'a-t-il pas Iran-
chement informé le seignem' Nieou et l'empereur du premier mariage
qu'il a contracté.^ Pourquoi, ne pouvant quitter la capitale , n'a-t-il pas
écrit ou envoyé un exprès à sa famille? C'étaient ih des démarches fa-
ciles, indispensables . et dont l'oubli est fort mal motivé. dans la pièce.
Au reste , ces grossières invraisemblances , qui sont le défaut capital de
ce drame , n'ont pas échappé aux critiques chinois , notamment k l'en-
thousiaste éditeur de i -oZi '; mais il faut reeonnaitre.en revanche, qu'il
résulte de ces invraisemblances une situation d'un intérêt puissant et
dont l'auteur a lire les effets les plus dramatiques. Rien n'est mieux senti
que les remords et la tristesse de Tsaï-jong , qui , plein du souvenir de
sa famille et de sa jeune femme, maudit la science, les succès littéraires,
les grandeurs . la beauté même et les grâces de sa nouvelle épouse. EUeD
n'est plus louchant que la^anière froide et triste, et néanmoins douce
' toy. le Pi-pa-ki, préface de l'éditeur cliinois. p. i6 cl 17, 1 1— 1 '»i 1 i'
JANVIER 1843. 41
cl affectueuse dont il ajourne les questions et élude les caresses de Nieou-
chi. Une scène surtout est vraiment charmante; c'est, je crois, celle
qui a fait nommer ce drame l'Histoire du luth. Un soi»,^seul et pensif dans
sa bibliothèque, Tsaï-yong essaie de tirer quelques accords de son luth.
Il est surpris par sa jeune épouse qui lui demande la faveur de l'entendre ;
car eUe aussi a du chagrin , et elle croit qu'une romance lui serait un
soulagement. Tsaï-yong ne peut se refuser à cette prière. Il propose à
Nieou-chi de lui chanter « Le faisan qui , le matin , prend son vol. »
Mais la jeune femme n'approuve pas ce choix; il n'y a pas d'amour là-
dedans ; c'est une chanson de chasseur. « Eh bien , dit le jeune homme ,
je vais vous chanter « L'oiseau louen séparé de la compagne qu'il aime. »
— L'époux et l'épouse ne sont-ils pas réunis? répond Nieou-chi; pour-
quoi voulez-vous déplorer sur votre luth les regrets du veuvage?
TSAÏ-YONG.
" Alors chantons une autre chanson. Que dites-vous de la romance
intitulée uLe ressentiment de la belle Tchao-kiun?»
NIEOU-CHI.
u Qu'avez-vous besoin de chanter la vengeance dans le palais de Han ?
La paix et la concorde habitent ici. Seigneur, dans le calme de cette
belle soirée, devant ces perspectives ravissantes, chantez-moi la ro-
mance (I Quand la tempête agite les pins. »
Tsaï-yong acquiesce h ce désir; mais il se trompe et chante l'air
(( Quand je pehse que je retournerai dans mon pays natal. » Nieou-chi
l'interrompt, et il recommence ; mais il se trompe encore , et chante
l'air de « La cigogne délaissée. » Cette scène, qui se prolonge et amène
une demi - explication entre les deux époux, serait pleine de grâce et
d'intérêt sur tous les théâtres dû monde.
Enfin Tsai-yong se résout à faire ce par où il aurait dû commencer,
l'aveu de sa position à sa femme et à son beau-père. L'un et Tautre ap-
prouvent qu'il envoie un messager à Tchin-lieou pour en ramener sa
famille. Comme il est permis et, de plus, très-commim , à la Chine, d'a-
voir deux femmes , et que la seconde est tenue seulement à quelque
subordination à H^ard de la première , ^ieou-chi consent de bonne
grâce à un partage qui rendra le bonheur à son mari.
Que fait cependant Tcfaao-ou-niang? Elle a vu mourir de misère son
beau-père et sa belle-mère; mais comment leur rendra-t-elle les derniers
devoirs ? Elle coupe sa chevelure et la vend pour subvenir aux fi*ais de
leiirs funérailles. Elle ramasse avec ses mains de la terre dans le pan
6
42 JOURNAJ. DES SAVANTS.
de sa tunique pour leur élever un tombeau. Aveitie par un songe pro-
phétique , elle revêt un habit blanc de religieuse , prend un luth , et ,
amaigrie par la sopCTrancé , s achemine versia capitale en chantant et en
demandant laumône sur la route. Ayant découvert Fhôtel qu'habite
Tsaî-yong, et sachant que Nieou-chi cherche à louer deux nouvelles ser-
vantes pour soigner la famille de son mari dont elle attend l'arrivée ,
Tchao-ou-niang se présente à elle. C est une scène on ne peut plus heu-
reusement conçue , et non moins heureusement exécutée , que celle où
de question en question , de confidence en confidence , ces deux femmes
commencent à se comprendre, à s'aimer, et finissent par se reconnaître.
Quelle frappante péripétie ! Quel touchant échange de rôle entre ces
deux femmes! « Hélas ! madame , s'écrie Nieou-chi, c'est à cause de moi
que vous avez souffert tant d'humiliations, éprouvé tant de douleurs!. s.
mais aussi vous serez à jamais citée comme un modèle de piété filiale !...
Asseyez -vous, madame, pour recevoir les salutations de votre ser-
vante...»
Après les retranchements qu'a éprouvés cet ouvrage, il serait, sans
doute, peu prudent de vouloir porter un jugement sur son ensemble.
On aurait à craindre que les parties qui restent à connaître ne vinssent
donner un démenti à l'opinion qu'on émettrait sur celles que Ton con-
naît. Je me bornerai, pour ma part, à une seule observation. Cette
pièce, qui fronde les institutions nationales de la Chine, notamment
les examinateurs et les concours, et qui, dans plusieurs passages, mé-
nage assez peu les croyances religieuses, n'en a pas moins la plus haute
prétention à la catéchisation morale. Chose singulière! Ce drame, qui
a est connu que d'hier en Europe, semble le type et comme le modèle
de ce que Diderot, avec les critiques allemands du dernier siècle, ap-
pelait le comique honnête et vertueux. La Soubrette accomplie nous a rap-
pelé la sentimentalité fine et railleuse* de Marivaux; le Pi-pa-ki nous
rappelle le drame à la fois déclamatoire et larmoyant, sentimental et
frondeur, de Diderot, de Mercier et de Lessing.
Au reste , quelle que soit la valeur littéraire de ces productions théâ-
trales, valeur qui me paraît assez grande, sinon dans la disposition et
les ressorts de l'intrigue , au moins dans l'exécution de quelques scènes ,
nous n'en devons pas mokis une extrême reconnaislince à M. Bazin,
pour avoir mis à notre portée des ouvrages remplis de notions inté-
ressantes sur le génie littéraire, les moeurs privées et les sentiments in-
time» d'un peo]^ cpai occupe une place si considérable dans Tespèce
humaine.
MAGNIN.
JANVIER 1843. 43
Histoire de là vie et des poésies d'Horace, accompagnée dHun
portrait et dune carte, par M. le baron Walckenaer,> membre
de r Institut de France [Académie des inscriptions et belles-lettres),
Paris, imprimerie de Bruneau, librairie de L. G. Michaud,
• i84o, 2 vol. in-8" de 696 et 666 pages.
Epitre d Horace aux Pisons sur lart poétique. Texte revu
sur les manuscrits et les éditions les plus estimées, version fran-
çaise, notes diverses, discussion de leçons et interprétations diffé--
rentes, études sur les préceptes, etc.; précédé dune introduction
où sont%traitées diverses questions relatives à ce poème, par B.
Gonod', professeur de rhétorique au collège royal de Clermont,
bibliothécaire de la ville; suivi dune traduction en vers français ,
par C. F. X. Chanlaire, professeur de rhétorique au collège royal
du Puy. Clermont-Ferrand , imprimerie et librairie de Thi-
baud-Landriot, i84i, 1 vol. in-8** de xii-335 pages.
Art poétique d'Horace, traduction nouvelle par J. B. Pérennès,
doyen de la faculté des lettres de Besançon. Besançon , impri-
merie de Outhenin-Chalandre fils, i84i » in-8** de 20 pages.
Art poétique d'Horace, traduit, en vers par Bon Le Camus, an-
cien élève de V école polytechnique. Riom , imprimerie de Salles
fils; Paris, librairie de L. Hachette, i84it ia-S"" de 33 pages.
C1NQUIÈM1B ET DERNIER ARTICLE ^
Pendant que M. Gonod commentait TArt poétique d*Horace avec le
soin curieux et la sagacité dont je Tai loué précédemment, plusieurs
littérateurs, appartenant la plupart, ainsi que lui, à TUniversité, faisaient
de ce poème des traductions en vers dont il me reste à dire im mot,
pour ne pas manquer aux promesses de mon titre.
Nul ancien n*a été, chez nous , et probablement aussi chez les autres
nations, plus souvent traduit en vers que ne Fa été Horace; et parmi
ses œuvres il n y en a peut-être point que nous nous soyons plus ap-
pliqués à reproduire de cette manière que son Art poétique. Non-
seulement rÉpître aux Pisons a trouvé place à la suite des épitres
^ Voyez les quatre premiers dans les cahiers d'octobre i84i, p. 6a i, de janvier,
février et octobre i84a , p. ti6, 83 et Sga.
44 JOURNAL DES SAVANTS.
dans nûs versions complètes du poète, mais elle a été encore le su-
jet spécial d*une multitude d'essais parliels, où nos écrivains se sont
efforcés de rendre, sans jamais arriver à une expression définitive, la
force de sens , la précision, la vivacité de tour, qui en font un des rares
chefs-d'œuvre du genre didactique : non-seulement on a renouvelé sans
fin cette lutte difficile , d'autres diraient impossible , contre un texte
gravé dans toutes les mémoires et objet du plus redoutable contrôle pour
la fidélité et l'agrément de ses copies , mais, on s'est quelquefois libre-
ment inspiré des idées et du style de son auteur en rédigeant de nou-
veaux codes plus particulièrement appropriés à l'usage des modernes.
Rien n'atteste la valeur de cette production célèbre, comme une si
constante préoccupation, et le nombre toujours croissant#)e traduc-
tions, d'imitations, qui n'ont pu y mettre un terme. •
Dès le commencement du xvi* siècle, un certain Charles Fontaine,
auteur de poésies recueillies en i555, sous le titre singulièrement
prétentieux de Ruisseau de Fontaine, avait entrepris une traduction en
vers de l'Art poétique d'Horace , qu'une concurrence décourageante
lui fit abandonner, ou du moins supprimer. Il en porta toutefois
quelques vers à la connaissance du public, lorsqu'en i55i il donna
une réfutation du manifeste littéraire publié , au nom d'une école nou-
velle de poésie , par Joachim du Bellay, sous le titre de Défense et illus-
tration de la langue française. Cette réfutation était elle-même intitulée ,
du nom d'un critique célèbre dontHorace, dans ces vers si connus :
QuintiKo si quid recitares, etc.\ a tracé le portrait, Quintil Horatian, et
Charles Fontaine trouvait là une occasion, qu'il avait peut-être cher-
chée , de citer sa traduction. La ruse innocente de sa vanité nous
permet de faire connaître quel humble point de départ ont eu nos
nombreuses traductions de l'Art poétique d'Horace.
Si tu iisois quelque chose à Quintil ,
Cecy corrige, et cela, disoit-il.
Si tu disois mieux faire ne pouvoir.
Et essayé deux ou Ut)is fois à voir,
Il commandoit effacer à la plume
Vers mal tournez et remettre à i*enclume.
Si mieux aymois défendre ton erreur
Que Tameuder et changer en meilleur.
Plus pas un mot; plus il ne prenoit peine,
Peine perdue et diligence vaine ;
Mais permettoit que sans envie ou rage
Amasses seul et toy et ton ouvrage.
' Epist. ad Pison, v. ^38.
JANVIER 1843- 45
Ainsi commence, assez facilement, la citation de Charles Fontaine.
Je ne pourrais continuer de la transcrire sans arriver à des vers bien
pénibles, quelquefois bien barbares, qui font comprendre comment
fauteur, dont f ouvrage avait été anticipé, cest son expression, crut
prudent de ne point lutter contre le grand succès obtenu, dans finter-
valle, et pour de longues années, par la traduction de Jacques Pelletier
du Mans.
La trace d*un premier essai, rendu public en 1 54o , est sensible dans
ce nouveau titre d une édition plus souvent citée : UArt poétique d'Horace,
traduit en vers francois par Jacques Pelletier du Mans, recongnu par Vauteur
depuis la première impression; imprimée à Paris par Michel de Vascosan, au
mois d'aoust 1565. Elle ne Test pas moins dans cette épigraphe : Moins
et meilleur, par laquelle le traducteur semble annoncer qu'il a pris soin
de réduire, et de rendre ainsi plus conforme aivnodèle , sa version d'un
poète qui, dit -il dans sa dédicace, a excellé eu brièveté sentencieuse. En
preuve de cet effort louable on peut citer, par exemple, la manière dont
il a rendu le vers, naturalisé dans notre langue par Boileau :
Id vitium ducit culps ftiga ; si caret arte *.
L'esprit humain en erreur est induit
En l'évitant, s'il n'est par art conduit.
On peut citer cette traduction de la tirade, Sumite materiam, etc. ^
Vous, écrivains, prenez un argument
A vous égal , et pensez longuement
Ce que pourrez , ce que ne pourrez point :
Qui son suget aura choisi à point
Selon sa force, il n'aura nul défaut
De motz exquis , ni d'ordre td qu'il faut.
Il n échappe point à nos lecteurs que le traducteur de FArt poétique
latin ne tient pas compte de la règle établie par le français pour l'entre-
lacement des rimes masculines et féminines; que, d'autre part, il est,
par quelques réformes d*orthographe , poussées ailleurs chez lui jusqu'à
des excès bizarres, fort en avant de l'usage. Son style n'est pas exempt, il
s'en faut, du prosaïsme que Ton n'évitait guère alors dans les sujets sé-
rieux ; il n'a rien non plus de la roideur pédantesque et de l'obscurité
que devait bientôt introduire dans la haute poésie l'imitation indiscrète
des formes grecques et latines; il procède non des exemples de Ronsard,
qui étaient encore à venir, mais de ceux de Marot , dont il reproduit
*
' Epiit. ad Pif9/i. v. 3i. — ' Ibid. y. 38.
46 JOURNAL DES SAVANTS.
quelquefois assez heureusement les allures lestes, faciles, gracieuses.
Voici comme Pelletier a rendu la charmante comparaison d'Horace : Ut
silvœfoliis, etc. ^
Ni plus ni moins qu*un bois se renouvelle ,
Par chacun an , de verdure nouvelle ,
Aiant jette tout son premier feuillage ;
Ainsi des motz se passe le vieil âge,
Et sont en fleur les vocables récens ,
Ainsi que sont jeunes adolescens.
Sa traduction du Tableau des quatre âges , Reddere qui voces jam scit
paer, etc.^, se soutient, malgré Tantiquité du style, par une aimable
naïveté et quelques hons traits, contre les imitations qu*en ont faites,
avant Boileau, Régnier *, et après, Delille *. On me saura gré , je pense ,
de la rapporter : qui lit aujourd'hui Pelletier, et combien sont à même
de le lire?
L'enfant petit qui desia sait parier,
Et qui seulet fermement peut aller ,
Est de jouer à ses pareilz bien aise :
Il se courrousse et soudain se rappaise ,
Et à tous coups change d'affection.
L*adolescent, hors la correction
Du pédagogue , aime chevaux et chasse ,
Et aa soleil sus Vherhe se déldsse^.
Facilement à malice 6*applicque ,
Et rudement aux remontrans replicque ,
Est bien à tard de son bien provident,
Prodigue, fier, convoiteux et ardent.
Tôt ennuie de son premier plaisir.
L*agc viril change et met son désir
A biens avoir et amis mériter,
Craint son honneur et sait bien éviter
Ce que changer conviendroit par après.
Plusieurs ennuiz environnent de près
L^homme vieillard : car étant plantureux
En biens aquis, tant il est malheureux,
n les épargne, et user il n*en ose ;
Il est timide et froid en toute chose.
Grand délaieur, long d*espoir, imbécille.
Et curieux du futur, difficile.
Plein de chagrin , louant le temps premier
* Epist ad Pisoh. v. 60. — * Ihid. v. i58. — ' Sat V. — * L'Imagination, ch. vi.
— Ml est inutfle d'insister sur la faute de sens commise ici par le vieux traducteur.
JANVIER 1843. 47
Qu'il étoit jeune, et censeur coutumier
Des jeunes gens
La traduction de Pelletier, contemporaine d'une traduction des Sa-
tires et des Épîtres d'Horace, donnée en iS/ig-iSSi, avec applaudis-
sement, par François Habert, eut, je Tai déjà dit, une longue existence,
et cela , à une époque où les révolutions de la langue vieillissaient vite
les ouvrages. Elle reparut pour la troisième fois en i555; en i583 on
la réimprimait encore dans un Horace de plusieurs mains , donné par
Luc Delaporte , auteur lui-même de la traduction des Odes qui ouvrait
ce recueil. Pelletier, que son succès encouragea depuis à traiter lui-
même, mais en prose, pour l'instruction de son temps, de la Poétique \
ne s était pas fait scrupule d'habiller quelquefois son auteur à la mo-
derne. Les Sosies, qu enrichissent les bons livres (feic meret œra liber
Sosiis ^)j le copiste négligent qui tombe toujours dans la même faute [ut
scriptor si peccat idem Ubrarius usqae * ) , étaient devenus pour lui des im-
primeurs , et le musicien dont il est question dans ce dernier endroit
[ciûiarœdus chorda (fui semper oberrat eadem'^) un organiste! Bien
plus , à des noms anciens il s'était quelquefois permis de substituer des
noms modernes , de dire Poiet [sic) et Liset au lieu de Messala et^Cas-
cellius Aulus ^; pour Cécile et Plante, Alain et Meung-, pour Virgile et
Varius ^ , Marot et Mellin.
Mais en ceci peat-on favorizer
Alain et Mun (51c) et qu'un pareil crédit
Soit à Marot et Meiiin (sic) interdit ?
Cela conduisait à Fidée de tirer, par voie de simple imitation, de
rÉpître aux Pisons « un Art poétique françois. » C'est ce que ne larda pas
de faire , sous ce titre même , un écrivain connu par des succès dans
l'idylle , dans la satire , déjà accoutumé , par conséquent , à chercher des
inspirations chez Horace , Jean Vauquelin de la Fresnaie.
Son poème a pour base TÉpître aux Pisons, et même l'Epître à Au-
guste, de sujet littéraire, comme on sait, l'une et l'autre traduites ou
imitées presque en entier, distribuées en trois livres et mêlées, sans
grand art de composition, d'enseignements nouveaux sur les genres
plus particulièrement traités par les modernes, de détails fort curieux
pour nous sur les auteurs qui paraissaient alors offirir de ces genres des
modèles achevés. Cet ouvrage se distingue par l'emploi assez discret
' L*Art poétique de Jacques Peletier du Mans , départi en deus livres, Lyon , 1 555.
— ' Epùt ad Pison, v. 345. — ' Ihid. v. 354. — ^ HM. y. 356. — * Ihid. y. 370.
— • Ihid. V. 54 sqq- *
48 JOURNAL DES SAVANTS.
de rérudition du temps, une assez grande justesse d'idées , de l'abon-
dance, de la franchise dans le style, et, au milieu de vers souvent
aussi prosaïques que ceux de Fontaine et de Pelletier, comme chez
eux quelques heureuses rencontres de pensée et de langage. C'est
ainsi que, pour peindre le débrouillement confus de notre langue, il
s'est servi, peut-être le premier, de cette expression, souvent répétée :
Et dénouant le nœud, qui la tenoit pressée ^ . . .
qu'il a dit, au sujet des emprunts habiles par lesquels elle s'est en-
richie :
Et comme nous voyons beaucoup d^herbes plantées
D*un bon terroir en Tautre , et les greffes entées
Dessus un autre pied , derechef revenir
El de leur premier tronc perdre le souvenir *
qu'il a donné aux poètes cet excellent conseil , d'un tour si poétique :
n faut monter aux cieux sur Taisle du penser '.
Boileau , si dédaigneux pour le xvi* siècle, avait lu , non sans quelque
fruit, Vauquelin de La Fresnaie, comme le témoignent les passages
suivTints , où se trouvent en germe des vers trop connus pour les rappor-
ter ici :
Et vous plais t en peinture une chose hideuse ,
Qui seroit , à la voir ea essence , fâcheuse ^.
Le théâtre jamais ne doit .être rempli
D*un argument plus long que d'un jour accompli ^
Si Ton pouvait douter du secours efficace qu'ont prêté à notre langue ,
jusque-là toute folâtre , toute femilière, pour s'élever aux sujets graves,
les langues anciennes, on en trouverait une preuve de plus dans cet
ouvrage, mi-parti d'imitation, de traduction, et dont la meilleure moitié
est certainement celle que l'auteur doit à Horace. On y pourrait re-
cueillir un assez grand nombre de passages où l'influence du texte ori-
ginal se fait sentir par un progrès de vivacité et d'élégance. Je ne crois
pas qu'on ait jamais mieux rendu, par exemple, ce que dit Horace du
jeune homme , Cereus in vUiamJlecti ^, que par ce vers :
Au vice , comme cire« il est ployaUe et tendre \
J'en dirais presque autant de la traduction du versate dia^, etc. :
' Ch. II. — • Ibii. — » Ch. III. — * Ch. I. — * Ch. ii. — • Epist ad Pison.
V. i63. — ' Ch. II. — ^ Epist, ai Piton, v. Sg.
JANVIER 1843. 49
Penseï longtemps au faix qae vous pourrez porter ^ ;
d*une Comparaison , où déjà , on Ta vu plus haut , avait assez bien réussi
Pelletier :
Comme on voit tous les ans les feuilles s'en aller ^
Au bois naistre et mourir ei puis renouveller,
Ainsi le vieux langage et les vieux mots périssent,
Et, comme jeunes gens, les nouveaux refleurissent'.
L'Art poétique François ne parut qu en 1 6o5 , 1 6 1 si , en tête de deux
éditions', dont une posthume, des œuvres de Vauquelin de La Fres-
naie. Il avait été composé hien des années auparavant, comme le fait
connaître un épilogue dans lequel Tauteur, à Texemple du chantre des
Géorgiques, a pris soin de dater son œuvre. Nous y voyons que ce fut
vers 1674,4 répoque où Henri III passait du trône de Pologne au trône
de France, et sur l'invitation de ce prince, quii commença à s en occu-
per. Cette circonstance explique l'apparition assez étrange, lorsque déjà
était venu Maiherhe, d'un Art poétique écrit dans la langue moitié noble,
et moitié basse, semi- française, semi-latine, de Ronsard*; d'im Art
poétique dans lequel Ronsard, et, a sa suite, les poètes de la Pléiade,
Djsportrs, Bertaut, Garnier enfin, st^nl proposés à l'admiration, à l'imi-
tation des écrivains comme les maîtres de l'art; dans le. |uel Malherbe
lui-même , devant qui disparaissait au moment même toute cette littéra-
ture , n'est nommé qu'en passant, et encore en sa qualité de poète nor-
mand , compatriote de l'auteur.
Entreprendre de dicter des lois aux poètes quand la langue était en-
core flottante, les principaux genres à peine essayés, les règles géné-
rales^u goût inaperçues au milieu de la confusion anar^hique des fan-
taisies individuelles, les esprits dans l'éblouissement de quelques gloires
hasardeuses auxquelles avait manqué l'épreuve du temps, c'était là un
dessein d'une hardiesse bien prématurée. Il eût dû raisonnablement être
' Cil. I. — ' Ibid. Cf. Epist, ad Pison. v. Go. — ^ Les diveims poésies du sieur de
]a Fresnaie-Vauquclin , Caen, i6o5, id. 161a. Voy. Goujet, Bibliothèque française ,
éd. de i74a« 1- IH , p. 98, /i3g sq. — * On lit dans la préface, écrite par Vauque-
lin de la Frcsnaie , et qui ouvre son recueil publié un an avant sa mort : t Lecteurs,
ce sont ici des vieilles et des nouvelles poésies : vieilles, car la pluspart sont com-
posées il y a longtemps; nouvelles, car ou n*esccil point à celle heure comme on
^scrivoit quai)d elles turent escrites Le public où j^cslois allaché , lous*Ics
troubles de ce royaume avenus de mon âge, elle soin de mon mén(\ge, m*eni-
pes(. lièrent île les revoir et de les faire imprimer alors que leur langue et leur stile
eust esté, peut-être, receu comme celuy de l)eauooup qui firent voir leurs ouvrages
au même temps.»
50 JOURNAL DES SAVANTS.
réservé pour un tcmp» plus oouibmie à ceint cà Horace avait rédigé
son code immortel , pour ce temps de maturité auquel Torigina^ imita-
teur dHorace, Boileau, cent ans environ après Vauqudin de la Fres-
naie, en 1 672, nous donna notre véritable Art poétique, celui qu'avaient
lentement préparé, avec les souvenirs des préceptes et des exemples
antiques, les chefs-d'œuvre reconnus, consacrés, des vrais génies mo-
dernes, la soumission universelle des écrivains, Tadhéûcn de tout le
public aux grands principes de la composition et du style; celui dont
l'autorité avait enfin pour interprète, sans parier de la haute raison et
de la forte expression de son auteur, une langue capable de durée;
f Art poétique qu'on ne referait point.
On fa refait pourtant, et plusieurs fois, mais dans des intentions
bien diverses et de bien diverses manières.
Un poète ridicule, qui, en i8o3, avait 'recommencé la Phèdre de
Racine , recommiença , en 1 8 1 si , l'Art {>oétique de Boileau , et associa in-
scdemntent Horace à cette nouv^e profimation, comme il avait associé
Euripide à la première^, d'abord dans ce titre: Épitre sur ïwrt poétique
en général, divisé en quatre épitres aux Pisons modernes, ensuite dans ces
vdrs, début d'une nouvelle production^, où il disait plus justement
qu'il ne pensait :
J*ai, sur les pas d* Horace, eo dépit de Boileau,
Dicté pour le poète un code tout nouveau.
Ce fut, au contraire, sous Tinvocation à^ Boileau , et comme supplé-
ment à son Art poétique , pour donner les règles des genres dont il n'a-
vait point parié , que P. J. B. Ghaucbard publia en 1811, et surtout en
1.81 7, dans nue édition complètement refondue et renouvelée.| j| Poé-
tique secoDoaire. C'est un ouvrage judicieux, mais d'un tour flus cor-
rect que poétique. La division princi^le en. est empruntée, à ce vers
d'Horaee :
Aut pqadesse Yolont aut delectare poeta '.
On peut regai^r cocune un honunage délicat et à Horace et à Boi-
leau , en même temps qu'aux doctrines enseignées par leurs vers , le Nou-
vd Art poétique, dans lequd un écrivain fort instruit de notre histoire
littéi*aire et fort spirituel , M . Viollet Le Duc , a exposé ironiquement ,
àojfs forme de préceptes, la pratique, les procédés de composition et
«
^ Bippofyte, tragédie
OMieaux, représentée à . ^^, ««.. .^ ^w«..^ ^«. ^„..~., .^ ^ , ^^ •
*- ' L'Art aa quatrain, par le même, 181a. *- ' fyist. ad Pimm, t. SU.
JANVIER 1843. SI
de conduite de quelles auteurs du temps. Là se nencpotcent des
imitations indirectes de quelques passages d'Horace que je d(Ms rappe-
ler; par exemple, cette piquante contre-partie du conseil qu'il donne
de se choisir un sévère Âristarque :
Choisissez des amis dont la douce indulgence
Goûte de vos écrits Theureuse négligence;
Doimex-leur, un beau jour, pour vous encourager.
Avec un dîner fin , tous vos vers à juger.
Le Nouvel Art poétique. a été imprimé trois fois en 1809; une qua-
trième édition serait, je crois, bien accueillie; mais elle ne pourrait pa-
raître sans suppléments. L'art de composer et d'écrire a fait, depuis
1 809 , bien des progrès.
La revue des imitateurs de l'Épître aux Pisons m'a conduit asses près
de ce temps-ci ; il me faut maintenant revenir sur mes pas , et , repre-
nant la suite interrompue de ses traducteurs , enregistrer, après Pelletier
du Mans, Jacques Mondot, les frères Robert et Antoine Le Chevalier
d'Agneaux. Le premier, auteur, vers 1079, de la première traduction
en vers français que l'on eût encore publiée des odes d'Horace , n'a point
rendue publique celle qu'il annonçait avoir faite du reste des œuvres de
ce poète ; les deux autres ayant donné , dans l'année 1 58q , une version
eu vers français de Virgile, y joignirent bientôt une version semblable
d'Horace, plus exacte qu'él^ante et poétique, dont pourtant les deux
éditions, de i58&, de i588, attestent le succès.
Il ne parait pas que, pendant toute la durée du xvii* siècle , il ait paru
une seule traduction en vers de l'Épitre aux Pisons, si souvent traduite
en prose à la même époque et au commencement du siècle suivant,
par Martignac, Bienvenu, MaroUes, Maucroix, Dacier, Brueys, Tar-
teron , Sanadon , etc. avec les autres œuvres du poète. C'est peut-être
quon redoutait d'avoir à lutter, non-seulement contre Horace, mais
contre ses deux imitateurs, Vauquelin de laFresnaie d'abord, et ensuite,
à dater de 1 672 , ooileau.
On ne s'y enhardit qu'après la mort de ce grand poète , en 1711,
année où un littérateur qui s'est fort exercé à rendre en vers les anciens ,
Prepetit de Grammont, prêtre, ancien recteur de l'université de Paris
et professeur émérite en éloquence, rouvrit la carrière par une traduc-
tion fidèle et correcte, mais qui fut jugée froide, languissante, surtout
prolixe. Elle n'a pas moins de 732 vers, ce qui est beaucoup pour en
•
' Episi. ai Pison. v. 419 sqq.
7
52 JOURNAL DES SAVANTS.
rendre 4 7 6. L'ouvrage était, d'ailleurs, accompagné d'analyses et de notes
dont on a loue le goût et Térudition.
H commence une longue suite de traductions ia plupart complète*
ment oubliées. Telles sont celles de labbé Salmon en 1 762 , de Lefebvrc
Laroche en 1 798 , de S. M. Clornetle en 1 802 , de A. Dadaoust en 1 8o3,
du baron de Ballainvilliers en 181 a, du marquis de Sy en 1816, de
H . Terrasson en 1819, de J.B. Ppupareni8a8,deM.Baudoinen i834,
d'autres encore sans doute, échappées à Tattention des bibliographes :
M ulti praeterea quos dama obscura recondît.
Ces traductions méritaient-elles l'obscurité où elles sont restées?
'peut-éire pas toutes. M. Gonod, dans sa notice des ouvrages sur Horace
qu'il a consultés et cités, trouve celle de Lefebvre Laroche un des plus
heureux essais qui aient été faits en ce genre ; il en recommande les
notes, qui lui paraissent pleines de goût.
J'ai eu entre les mains l'ouvrage du marquis de Sy. H est peu remar-
quable; mais, dans la préface qui le précède, se trouve rapporté un
petit fait assez curieux. Le marquis , retiré en An^eterre pendant l'émi-
gration, y voyait souvent Delille, duquel il apprit que ce poète, cher-
chant un sujet de traduction , avait quelque temps hésité entre TElssai
sur l'homme de Pope et l'Art poétique d'Horace. Ce fut à son refus et
sur son invitation que lui-même osa entreprendre , après et avant tant
d'autres, ce qui avait peut-être effrayé l'illustre traducteur. Un jour qu'U
lui parlait de la difficulté de rendre ce passage :
Nec deùs intersit , nisi dignus vindice n^dus
Incident \
Delille , avec cette aimable facilité d'improvisation dont il a donné tant
de preuves , repai^tit par ces deux vers dont le marquis de Sy ne manqua
p9^, bien entendu, de profiter :
Et que Tintrigue enfin , où votre ëspri( se joue,
S*o£hre digne d'un dieu , quand un dieu la d£ioue.
La traduction que ne voulut point faille Delille fut tentée par un autre
poète célèbre de ce temps, M. J. Chénier, qui , d'ailleurs, dans son Essai
sur les principes des arts, comme son frère André, dans le poème de
l'Invention , a plus d'une fois imité TÉpître aux Pisons. U reprit le mètre
dont s'étaient servis ses vieux prédécesseurs Fontaine et PeUetier ; peut-
être à tort, car ce mètre familier, d'une facilité qui semble négligée, a
' E/riit, ad Pifon. v. 191.
JANVIER 1843. 53
dit Voltaire, convient peut-être moins que Thexamèlre à la gravité di-
dactique. Chénier, qui le maniait fort bien, lui a du de rendre avec ai-
sance certains passages difficiles à transporter dans notre poésie , le début
du poème entre autres, dont je ne sacbe pas qu aucun autre se soit beu-
reusement tiré :
Si quelque peintre osait associer
A tète d homme oreilles de coursier,
Plumes d*aig]on , corps de nymphe jolie ;
SI de ce corps les plis voluptueux
Se terminaient en poisson (orlucux,
Que diriez-YOus d*une telle folie ^ ?
11 s'est parfois servi avec art de sa brièveté, de sa rapidité, pour faire
courir la maxime, selon le précepte même du poète ^, comme- dans
ce vers, auquel on en pourrait joindre bon nombre d'autres :
Le bien penser conduit au bien écrire '.
•
Mais on doit regretter que, trop indécis entre les procédés de la tra-
duction et ceux de Timitation, se contentant le plus souvent d*à peu
près vulgaires , il ait pris trop de licence avec un texte digne de plus
de respect; quil lui ait donné parfois une couleur trop moderne; que
des inexactitudes, des faiblesses , des incorrections même, déparent une
production trop courte pour que la perfection n*y fût point de ri*
gueur, et dont un peu plus d*eÔbrt et de travail eût pu faii*e un des
monuments de la traduction française. A quelle époque Tébaucha-f-il?
Je ne le sais. Son excellent biograpbe ,- M. Daunou , l'ignorait sans doute ,
car il ne l'a point dit ; mais elle ne parut qu'après sa mort , en 1 8 1 8 ,
dans un recueil de ses poésies postlmmes.
 cette époque , depuis longtemps déjà , le public était en possession
de la traduction de M. Daiu. Aux Odes, publiées dès 1798, avaient
été ajoutées, dans l'édition de i8oiï et les suivantes, les Satires et les
Épitres, quelques-unes, entre autres rËpitre aux Pisons, d'une autre
main , celle d*un collaborateur que M. Dam avait trouvé dans sa fa-
mille, son beau-frère, M. Lebrun. Cette traduction, en général exacte,
sauf pourtant la stibstitution d'un nom de fantaisie , le nom de Sceva ,
au nom historique du fameux orateur Messala ^, écrite d'un style cor-
rect et naturel , manque de cette poésie dont étincellent les discours fa-
miliers d'Horace. On y voudrait plus de vivacité, de rapidité. Le pré-
cepte du poète :
' &^isL ad Pûon, 9i i sqq. — * Serm. I, x , 9. — ' Epist. ai Pimmi. y. 3og. —
^ * /m. V. 370.
54 JOURNAL DES SAVANTS.
Est breritate Dpus ntcurrat sentientîa, iieu m
Impediat verbis lassas onerantibos awres ' ,
y semble trop mis en oubli.
Ce défaut n*est pas assurément celui de la version de TÂrt poétique
qu a donnée en 1 835 , et reproduite en 1 838, après de nouveaux efforts,
M. MoUevaut. Ce traducteur infatigable et courageux, qui s'est mesuré
contre la plupart des poètes latins, et n'a éludé aucune des difficultés de
la traduction, convaincu, avec raison, que la concision était au nombre
des mérites les plus caractéristiques du poème d'Horace , s'est appliqué
à le rendre vers pour vers. Il s'est proposé, je crois, une difficulté in-
surmontable. Nos hexamètres , de douze syllabes invariablement, ne
peuvent contenir ce que contenaient les six pieds prosodiques des hexa-
mètres latins; et il faut cependant qu'ils donnent place à des mots pa-
rasites dont ceux-ci n'étaient point embarrassés. De là, à part la difficidté
de suivre de si près un poète d'une telle plénitude de sens, d'une telle
rapidité d'expression , une inégalité matérielle qui ne permet pas de
rendre exactement le vers par le vers, sans des sacrifices de plus d'un
genre , sacrifice de certains détails que retranche l'inexorable mesure,
et, ce qui est plus grave, en certains cas, sacrifice de l'harmonie, de
l'aisance, de la clarté. C'est traduit avec cette rigueur, qu'Horace
pourrait dire quelquefois : Brevis esse lahoro^ obscurusjio^. J'appuierais
facilement la franchise de cette critique par la citation de quelques pas-
sages de M. Mollevaut, dans lesquels le latin ne se retrouve pas tout
entier, et où paraît trop l'effort qui a voidu l'y faire tenir. Il me serait
possible aussi de montrer qu'en certains endroits la contrainte qu'il s'im-
posait lui a fait exprimer avec bonheur la brièveté de Toriginal.
Deux excès sont à fuir dans une traduction d'Horace , le trop et le
trop peu. Celui qui le premier tenta l'œuvre , le vieux Pelletier, l'écri-
vait à Mellin de Saint-Gelais :
Le plus souvent, la règle et loi du mètre
Nous rend contrainls d'ajouter ou d^omeltre ;
Ou, en voulant suivre fidèlement
L'original, il nous prend tdlement,
Qu'il faut user d'une grand' jpériphrase
Qui veut sauver du vulgaire la phrase.
Horace lui-même semblait avoir voulu avertir d avance ses inter-
prètes de ne pas se donner trop libre carrière, et de n'aller point non
plus s'emprisonner dans im cercle trop étroit :
* Serm, I, x, g. — • Epist ad Pison. v a5.
JANVIER 1843. 55
Non circa Yilem patnluniqne moraberi» odbem ;
Nec veriram verbo curabis reddere , fidus
Interpres ; nec desilies imitator in arctum ,
Unde pedem proferre pudor vetet, aut operis lex \
Quelques traducteurs , dans ces derniers temps , profitant mieux de
Tavis que leurs devanciers , ont cherché , entre les longueurs trop com-
modes de la paraphrase et les gênes de la version littérale, un milieu
difficile à garder.
M. Duchemin, qui, comme autrefois les frères d*Agneaux, nous a
donné, en iSSg, après un Virgile complet, un Horace complet aussi,
y a visé, dans sa traduction de l'Ait poétique particulièrement, avec
un zèle digne d'estime. Je n'oserais dire qu'il y ait complètement réussi;
que , plus fidèle à la lettre qu'à l'esprit de son modèle , il l'ait toujours
exprimé aaaez poétiquement.
Suivant, un peu avant lui, une voie pareille, M. Ragon, dans la tra-
duction d'Horace par laquelle il aj>réludé, de i83i à iSSy, à ses tra-
ductions du Ghilde-Harold deByron, des Lusiades de Camoêns^, a rendu
f Épitre aux Pisons avec un plus heureux mélange d'exactitude et d'élé-
gance. Peut-être cette élégance se montre-t-elle parfois trop facile à ad-
mettre certaines formes usées du vocabulaire poétique; peut-être ne
s'abstient-elle pas assez de certains mouvements par lesquels les poètes
didactiques modernes, depuis Delille surtout, donnent à leurs idées
une sorte de chaleur factice ; je retrancherais volontiers ces apostrophes
qui ne sont pas dans Horace : Cherchez-vous un sujet? Voyez dans
Vélégie.... Entendezr-vous Çfs vers? etc. A ces défauts près, l'Art poétique
de M. Ragon, irréprochable quant au sens, complet par la reproduction
scrupuleuse des principaux détails de la pensée et du style , se fait lire
sans fatigue et même avec plaisir, ce qui, dans ce genre d'ouvrages,
n'est pas un mérite commun. Voici, ce me semble, sur le caractère
périssable de tous les ouvrages de l'homme , le langage compris , de
fort bons vers :
Qu*ici-bas iaiUemeiU Thonmie imprime sa trace I
Tout ce qui vient de nous est promis à la mort.
Qa*une royale main creuse ce vaste port
Où Neptune repose a Fabri des orages;
Que ce fleuve, aux moissons épaignant ses ravages.
Docile , appremie à suivre an utile détour ;
Que, nourricier nouveau des cités d«lentour.
Ce marais, de ton sein chassant son onde impure.
' Efist. ad Pimn. v. i33. — ' Paris, t833 el i84a.
56 JOURNAL DES SAVANTS.
Appelle la charrue et s*ouvre à la culture ;
Ces ouvrages mourront, car îIb sont d*un mortel :
£t les mots brilleraient d*un édat éternel * I
Jarrive par un bien long chemin aux trois traductions de l'Epitre
aux Pisons , publiées en 1 84 1^, que mentionne mon titre , et c'est pour
les associer à l'éloge qui vient d'être fait de l'ouvrage de M. Ragon.
Quelque chose manque encore pour la fermeté, ia précision du styler
à ceiie de M. Pérennès, écrite, ce semble, un peu rapidemçnt, et qui,
avec les avantages de la facilité, oQre aussi quelques-uns de ses incon-
vénients. On doit beaucoup attendre des soins nouveaux que donnera
k son œuvre l'auteur, qui , en sa double qualité de doyen de ia faculté
des lettres et de secrétaire de l'Académie de Besançon , publie , chaque
année, de bons morceaux de prose et de vers, et dont je suis heureux
de pouvoir rappeler ici les Principes de littérature ', ouvrage fort esti-
mable , favorablement accueilli en 1 83 7. J'apprends que sa traduction,
imprimée il est vrai , mais à peine distribuée , n'est considérée par lui
que comùie un essai , qu'il se propose de revoir et de corriger avec la
sévérité et la patience recommandées par Quintilius à ses amis, et
implicitement par Horace à ses traducteurs.
I^e choix est embarrassant entre MM. Chanlaire et Le Camus, tous
deux exacts, serrant de près, dans une mesure raisonnable, le texte
original, l'exprimant avec une précision élégante; mais l'un plus aisé
peut-être , tandis que l'autre compense ce que sa manière a de laborieux
par plus de sévérité.
M. Chanlaire a traduit un passage bien djjTicile à rendre, celui qui
renferme les lois du vers iambique, Syllaba longa breviy e<c. *, d'une
manière qui me semble heureuse et propre à recommander son travail :
^ Epist. ad Pison. v. 63. — * Il en a paru depuis une quatrième, d'un tour dégagé,
mais qui n'est pas sans négligences , sans faiblesses , où certaines expressions
manquent de propriété , d*élégance ; où , selon un procédé trop en usage aujour-
d'hui, les viers enjambent assez cofistamment les uns sur les autres. Bien qu'à tout
prendre elle ne manque pas de mérite , je la crois inférieure aux trois autres. En
voici le titre, qui complétera , je Tespère, cette revue : « Art poétique d'Horace, tra-
duit en vers français, suivi d'une épître et d'une ode aussi traduites en vers français,
par Y. J. M. Pérennès, gérant de l'école des sciences appliquées, à Paris; avec le
texte en regard et des notes reproduisant les imitations de Boileau et de Delille.
Paris, imprimerie de Cosson , librairie de Maumus, i84a • — ^ Principes de littéra-
ture mis en harmonie avec la morale chrétienne, ou Essai sur V accord du beau, du bon
et du vrai, dans les ouvrages de l'esprit, par J. B. Pérennès. Besançon, imprimerie
de Sainte- Agathe ; Paris, librairie de Hachette, 1837, ^ ^^^- i'^'^'* ^^ ^^^ pages. —
* Epist. ad Pison. v. 261. • -
JANVIER 1843. 57
D*une longue suivie une brève autrefois
Reçut le nom d*iambe ; et le vers où , six fois ,
Ce pied vif et rapide apportait à Toreille
Le retour cadencé d*une chute pareille ,
Dut le nom de trimètre à sa légèreté.
Pour donner à sa marche un peu de gravité ,
L*iambe, complaisant, de son vieil héritage
Naguère au lent spondée accorda le partage,
Sans souffrir qu*au second , au quatrième rang ,
Jamais son allié devînt son concurrent
Le passage dans lequel Horace exprime le caractère du même vers,
Àrcliilocham proprio, etc. ^ n'a pas été reproduit moins heureusement
par M. Le Camus :
lyArchiloquc outragé Tiambe arma la rage ;
Chez Thalle et sa sœur on en garde Tusage ;
n sied au dialogue , aide au jeu des acteurs ,
Et du peuple assemblé surmonte les clameurs.
Mettons les deux interprètes aux prises dans la traduction du même
passage , par exemple le rapprochement fameux : ut pictara poesis^. Voici
comme le traduit en vers coulants et agréables M. Chanlah'e :
De notre art , dira-t-on « la peinture est Timage :
Tel tableau, vu de près, captive davantage,
Un autre flatte mieux, regardé de plus loin;
Celui-ci, moins parfait, d'un peu d ombre a besoin ;
Celui-là ne craint pas ToBil d'un juge sévère,
Et souffre volontiers que le grand jour T éclaire.
L'un n'a plu qu'une fois, l'autre plaira toujours.
M. Le Camus dit non moins biefa et d'une façon plus brève et plus
ferme , en cinq vers , comme Horace :
La peinture et notre art ont de la ressemblance :
Telle œuvre est bien de près et telle autre à distance ;
L'une aime un demi-jour, Tautre un jour éclatant,
Et des fins connaisseurs ne craint point l'œil perçant :
L*uDe plaît une fois, l'autre sait toujours plaire.
Les deux ouvrages ont été fort travaillés par leurs auteurs. Le pre-
mier, déjà connu en i833, ne s'est pas remontré sans de grands chan-
gements , sans avoir beaucoup gagné au Umœ labor et mora , prescrit par
Horace ; le second , depuis l'édition que mon titre fait connaître , a
reparu , retouché et amélioré , à la suite d'une traduction des Satires
' Eput. ad Piton, v. 79. — * Ihii. v. 36i.
8
58 JOURNAL DES SAVANTS.
et des Épîtres^ M. Le Camus, qui, en i835, avait publié une traduc-
tion des Odes^, nous a ainsi donné un Horace complet, le dernier en
date de tous ceux que nous possédons, mais de tous aussi, je le crois,
celui où a été abordé le plus franchement le problème de Tart de tra-
duire, problème trop éludé aujourd'hui dans tant de versions impro-
visées, d'une élégance sans exactitude ou d'une liltéralité plate, je veux
dire Tunion difficile de la stricte fidélité avec les mérites qui font le bon
style. Cette production sérieuse, qui sera peut-être peu remarquée, eût
fait un grand honneur à M. Le Camus, dans un temps où ce genre de
travaux était plus encouragé par l'attention de la critique et le goût du
public.
PATIN.
' Satires et Epîtres d'Homce, traduites en vers par Bon Le Camus, ancien élève
de l'école polytechnique, Paris, librairie de Hachette, i84a. — * Odes d* Horace,
traduites en vers par B. L. C. ancien élève de fécole polytechnique, Paris , librairies
de Hachette et de Meriin, i835.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
•INSTITUT ROYAL DE FRANCE.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
Dans la séasce publique annuelle du ig décembre i8Âa les prix décernés et les
sujets de prix proposés ont été proclamés dans Tordre suivant :
PRIX DÉCERNÉS.
Sciences physiques. Le prix de physiologie expérimentale , consistant en une mé-
daille d*or de la valeur de 8g5 francs , a été partagé entre M. le docteur Longet ,
pour ses quatre mémoires : Sur les fonctions du larynx chez les mammifères ; sur Virri-
tahilité musculaire; Sur les fonctions sensoriales et motrices du cordon de la mx)eUe épi-
nière et les racines des nerfs qui en émanent et Sur les fonctions de Vépiglotte, et M. le
professeur Matleucci, pour son Essai sur les phénomènes électriques des animaux. L'A-
cadémie accorde , en outre, à chacun de ces deux concurrents, pour les dédommager
des frais auxquels les ont entraînés leurs expériences, une somme de i,5oo francs.
Des mentions honorables ont été accordées à un ouvrage de M. le docteur Négrier,
d* Angers , intitulé : Recherches anatomiques et physiologiques sur les ovaires de Vespèce
hamaine considérés spécialement dans leur influence sur la menstruation, et à un mé-
JANVIER 1843. 59
moire , en italien , snr Tinfluence de la nourriture et de la boisson sur la fécondité
et la proportion des sexes dans les naissances chez T espèce humaine , ainsi que sur
le nombre et la position des mamelles dans tous les mammifères , par M. le profes-
seur Bellingier, de Turin.
Les prix relatifs aux arts insalubres ont été décernés, savoir : 3,ooo francs à M. de
la Rive, professeur de physique à Genève, pour avoir le premier appliqué les forces
électriques à la dorure des métaux et , en particulier , du bronze , du laiton et du
cuivre; 6,000 francs à M. Elkington, pour la découverte de son procédé de dorure
par voie humide et pour la découverte de ses procédés relatifs à la dorure galvanique
et à l'application de l'argent sur les métaux, et 6,000 francs à M. de Ruolz« pour
la découverte et Tapplicalion industrielle d'un grand nombre de moyens propres
soit à dorer les métaux, soit a les argenter, soit à les platiner, soit enfin à détermi-
ner la précipitation économique des métaux les uns sur les autres par Taction de
la pile.
Sur les fonds destinés par M. de Montyon aux prix de médecine et de chirurgie,
rAcadémie a accordé, à titre de récompense, à M. Bouillaud, pour ses deux ou-
vragés sur les Maladies du cœur et sur le Rhumatisme, la somme de 4iOOO francs;
à M. Amussat, pour sa Nouvelle méthode d'entérotomie lombaire, 3,ooo francs; à
M. Grisolle, pour son livre sur la pneumonie, a, 000 francs; à M. Ségalas, pour son
nouveau mode de traitement des Jistules urinaires, i,5oo francs ; à M. Ricord, pour
le perfectionnement qu'il a apporté à cette méthode , 1,000 francs ; et, comme en-
couragement, à M. A. Becquerel, pour ses recherches sur la séméiotique des urines,
1 ,000 francs. Le mémoire de M. Félix Hatin sur Vhémaleucose a obtenu une men-
tion honorable.
Sciences mathématiques, L*Académie a décidé qu'il n y avait pas lieu d'accorder le
prix d'astronomie fondé par Lalande (année i8iii).
Le prix de mécanique (année i84i) a été décerné à M. Carville, pour une ma-
chine destinée à mouler les briques.
Le prix de statistique n'ayant pas été donné en 18Â0, l'Académie a décerné, pour
le concours de i84i« deux prix de valeur égale, l'un à M. Dufau, pour son Traité
de statistiqne, l'autre à M. Surell, ingénieur des ponts et chaussées, pour son ou-
vrage intitulé : Etudes sur lei torrents des Hautes- Alpes, L'Académie a accordé, en
outre, à M. Surell, une indemnité de 5oo francs. M. Lachèse, médecin à Angers ,
a obtenu une mention honorable pour sa Statistique des conseils de révision dans le dé'
partement de Maine-et-Loire,
Madame la marquise de Laplace ayan| fondé, à perpétuité, en faveur du pre-
mier élève sortant ae Técole polytechnique, un prix annuel consistant dans la col-
lection complète des ouvrages de Laplace. M. le président a remis de sa main les
cinq volumes de la Mécanique céleste, Y Exposition du système du monde et le Traité
des probabilités k M. Bossey (Adolphe- Armand), premier élève sortant de la promo-
tion de i84i.
PRIX PROPOSÉS.
Sciences physiques. Aucun mémoire n'ayant été adressé sur la question de la cha-
leur spécifique des corps mise au concours de l'année i84i« cette question a été re-
tirée et remplacée par celle de la chaleur dégagée dans les combinaisons physiques, pour
laquelle le prix sera douUé et porté à 6,000 francs. (Voir ci-après le programme de
cette nouvelle question mise au concours de i845.)
L'Académie ra|^pelle qu «Ue a remis au concours, pour sujet du grand prix des
8.
^
60 JOURNAL DES SAVANTS.
sciences physiques à décerner en i8â3, les deux questions suivantes : « i^ Déter-
miner, par des expériences d'acoustique et de physiologie , quel est le mécanisme de
la production de la voix chez Thomme ; a** déterminer, par des recherches anato-
miques , la structure comparée de Torgane de la voix chez Thomme et chez les ani-
maux mammifères. >
L'Académie a remis également au concours, pour i8A3,le sujet suivant , qu'elle
avait d'abord proposé pour le grand prix de physique de 1 83g : « Déterminer, par
des expériences précises , quelle est la succession des changements chimiques , phy-
siques et organiques, qui ont lieu dans l'œuf, pendant le développement du fœtus,
chez les oiseaux et les batraciens. (Voir notre cahier de juillet i84o, p. Â4a.)
Les mémoires présentés pour ces deux concours devront être remis au secré-
tariat de l'Institut avant le i* avril i8à3.
L'Académie décernera, dans sa séance publique de i843, le grand piix de
10,000 francs relatif à la vaccine, et le prix de i,5oo francs, fondé par M. Manni,
sur la question des morts apparentes.
L'Académie propose pour sujet du grand prix des sciences physiques, qui sera
décerné, s'il y a lieu, dans la séance publique de i845, la question suivante': Dé-
terminer, par des expériences précises , les quantités de chaleur dégagées dans les combi-
naisons chimiques. Plusieurs physiciens distingués ont cherché à déterminer, par des
expériences directes, les quantités de chaleur dégagées pendant la combinaison de
quelques corps simples avec l'oxygène ; mais leurs résultats présentent des diver-
gences trop CTandes, pour que l'on puisse les regarder comme suffisamment établis,
même pour les corps , tels que l'hydrogène et le carbone, qui ont plus particulière-
ment fixé leur attention. L'Académie propose de déterminer, par des expériences
précises : i*Ia chaleur dégagée par la combustion vive, dans l'oxygène, d'un cer-
tain nombre de corps simples, tels que l'hydrogène, le carbone, le soufre, le phos-
1>hore, le fer, le zinc, etc. etc.; a** la chaleur dégagée, dans des circonstances ana-
ogues, par la combustion vive de quelques-uns de ces mêmes corps simples, dans
le chlore; 3' lorsque le même corps simple peut former, par la combustion directe,
dans l'oxygène, plusieurs combinaisons, il conviendra de déterminer les quantités
de chaleur qui sont successivement dégagées; iC on déterminera , par la voie di-
recte des expériences , les quantités de chaleur dégagées dans la combustion , par
l'oxygène, de quelques corps composés binaires, bien définis, dont les deux éléments
soient combustibles, comme les hydrogènes carbonés , l'hydrogène phosphore, quel-
3ues sulfures métalliques ; 5"* enfin les expériences récentes de MM. Hess et An-
rews font prévoir les résultats importants que la théorie chimique pourra déduire
de la comparaison des quantités de chaleur dégagées dans les combinaisons et dé-
compositions opérées par la voie humide. L'Académie propose de confirmer, par de
nouvelles expériences , les résultats annoncés par ces physiciens , et d'étendre ces
recherches à un plus grand nombre de réactions chimiques, en se bornant toutefois
aux réactions les plus simples. Elle émet le vœu que les concurrents veuillent bien
déterminer, autant que cela sera possible, les intensités des courants électriques
qui se développent pendant ces mêmes réactions , afin de pouvoir les comparer aux
quantités de chideur dégagées.
Ce prix sera de 6,000 francs. Les mémoires devront être parvenus au secrétariat
de rinstilut avant le 1" avril i845. •
Sciences mathématiques. L'Académie décernera , dans sa prochaine séance publique,
le grand prix des sciences mathématiques de i84a« dont le sujet est la question
suivante : « Trouver les équations aux limites que l'on doit joindre aux équations in-
JANVIER 1843. 61
définies , pour déterminer complètement les maxima et les minima des intégrales
multiples. > Ce concours a été clos le i*' avril i842.
L'Académie rappelle qu'elle a mis au concours , pour sujet du grand prix des
sciences mathématiques de Tannée i84*^« la question suivante : «Perfectionner les
méthodes par lesquelles on résout le problème des perturbations de la lune ou des
planètes, et remplacer les développements ordinaires en séries de sinus et de cosi-
nus par d'autres développements plus convergents, composés de termes périodiques
que Ton puisse calculer facilement à Taide de certaines tables construites une fois
pour toutes. »
Les mémoires devront être arrivés au secrétariat de 1* Académie avant le i*' avril
i843.
Le roi, sur la proposition de M. le baron Charles Dupin, ayant ordonné qu un
prix de 6,000 francs serait décerné par l'Académie des sciences, en i83G,«au
meilleur ouvrage ou mémoire sur l'emploi le plus avantageux de la vapeur pour la
marche des navires , et le système de mécanisme , d'arrimage et d'armement qu'on
doit préférer pour cette classe de bâtiments, > l'Académie annonça qu'elle décerne-
rait le prix dans sa séance de i836. Les auteurs des inventions présentées n'avaient
pas donné aux commissaires de l'Académie les moyens d^efiectuer ces expériences ,
qui seules pouvaient en constater le mérite pratique. L'Académie remit donc la
question au concours. De nouvelles pièces , de nouvelles inventions furent admises
à concourir avec les premières. Aucun des mémoires n'ayant pcuru digne du prix,
l'Académie propose encore une fois la même question.
Le prix, s*il y a lieu, sera décerné dans la séance publique de i844. Les mé-
moires devront être arrivés au secrétariat de l'Institut au 1" mars i844.
M. Puissant, membre de l'Académie des sciences, est mort à Paris le 1 1 janvier.
SOCIETES SAVANTES.
La Société des antiquaires de Normandie avait proposé pour le concours de i84a
le sujet de prix suivant : Faire connaître Tétat du commerce et de l'industrie en
Normandie depuis Rollon jusqu'à Jcansans-Tcrre. Le mémoire envoyé n'ayant pas
été jugé digne du prix, ce concours a été prorogé jusqu'en i843. Le prix est porté
à 4oo francs. La société décernera, en i844* une médaille d'or de 5oo francs à l'au-
teur du meilleur mémoire sur la famille des Talvas. Les concurrents devront faire
connaître les titres honorifiques et les possessions des membres de cette famille ,
tant en Normandie que dans les provinces limitrophes et en Angleterre. Ils indi-
queront les établissements religieux et civils qu'ils ont fondés et les événements
auxquels ils ont pris part. Adresser les mémoires , pour ce dernier concours , à
M. (servais, secrétaire perpétuel , avant le i** juin i844.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Mémoires de flnstitat royal de France. Académie des inscriptions et belles lettres.
Tome XV ( 1" partie). Paris, Imprimerie royale, i84a , in-4* de 4a3 pages avec
planches. — Cette première partie du tome XV contient onze morceaux, dont voici
62 JOURNAL DES SAVANTS.
les titres : Mémoire de M. Pardessus sur le commerce de la soie chez les anciens ,
antérieurement au vi* siècle de Tère chrétienne, époque où l'éducation des vers à
soie a é(é introduite en Europe (lu à TAcadémie, le a3 mai i83a) ; — Mémoire
de M. Dauuou , où Ton examine si les anciens philosophes ont considéré le Destin
comme une force aveugle ou comme une puissance intelligente (lu le 22 mai 181 2) ;
-;— Mémoire de M. Champollion le jeune sur les signes employés par les anciens
Égyptiens à la notation des divisions du temps dans leurs trois systèmes d*écriture
(lu le 18 mars i83i j ; — Mémoire de M. Séguier de Saint-Brisson sur Miltiade
et les auteurs de sa race ; — Mémoire de M. MoUevaut sur la statue de Laocoon,
mise en parallèle avec le Laocoon de Virgile ; — Mémoire de M. le baron Walcke-
naër sur la chronologie de l'histoire des Javanais et sur Tépoque de la fondation de
Madjapahit (lu le 28 décembre 1818) ; — Conjectures archéologiques de M. Raoul-
Rochctte sur le groupe antique dont faisait partie le torse du Belvédère, précédées
de considérations sur Tutilité de Tétude des médailles pour la connaissance de
Thistuire de la statuaire antique ; — Mémoire de M. Berger de Xivrey sur une
tentative d'insurrection organisée dans le Magne, de 1612 à 1619, au nom du duc
de Nevers, comme héritier des droits des Paléologues ( lu le 9 juillet i84i, et
déjà publié dans la Bibliothèque de l'école des chartes , t. II , p. 5Aa-553 ) ; — Nou-
velles recherches de M. P. Paris sur le véritable auteur du songe du Vergier ( deux
mémoires) ; •— Mémoire de M. Natalis de Wailly sur des fragments de papyrus,
écrits en latin, et déposés au cabinet des antiques de la Bibliothèque royale, an
musée du Louvre et au musée des antiquités de la ville de Leyde.
Essai sur les cours d'amour, par Frédéric Diez, professeur de belles -lettres à
l'université de Bonn ; traduit de l'allemand et annoté par M. le baron Ferdinand de
Roisin. Imprimerie de Danel , à Lille ; librairies de J. Labitte, à Paris, et de Vanackère
à Lille, 1842, brochure in-8° de 20 pages. — Cet opuscule a paru en Allemagne
en 1826, et a été suivi, en 1826, d un ouvrage plus considérable du même auteur
(la poésie des troubadours, Die poésie der troubadours) , dont M. Raynouard a rendu
compte dans ce journal (v. cahier de juin 1828). M. Diez a encore publié, en 1829,
les vies et les œuvres des troubadours, Leben und werke der troubadours. (Leipzick,
1 vol. in-8°)t et, en i837-i838,lcs deux premiers volumes d'une grammaire com-
parée des langues romanes. Les e'crits de ce savant, que nous n'entendons pas
apprécier ici, sont d'une véritable importance pour l'étude de notre littérature au
moyen âge, et l'on ne peut qu'applaudir M. de Roisin d'avoir entrepris de les faire
passer dans notre langue. L'avant-propos et les notes dont il accompagne sa traduc-
tion de l'essai sur les cours d'amour ajoutent encore à l'utilité de ce travail. Le
traducteur annonce qu'il fera paraître prochainement, en français, le livre de
M. Diez sur la poésie des troubadours , avec un abrégé de la vie de ces poètes.
Notice sur une petite statue de bronze trouvée à Esbarras, au milieu de débris
d'objets d'art, le 18 juillet i84o, par P-J. Gauthier-Stirum , maire de la ville de
Seurre, etc. ornée de lithographies exécutées d'après les dessins de l'auteur. Paris,
imprimerie de F. Didot, librairies de F. Didot et d'Arthus Bertrand, i842, in-4*
de 1 5 pages et 3 planches. — Cette statue représente un gladiateur ou bestiaire ,
armé d'un trident. L'auteur de la notice croit y voir l'empereur Commode, opinion
qu'il nous paraît difficile de concilier avec le caractère de tète et le costume de la
stalue.
Archives de Nevers, ou Inventaire historique des titres de la ville, par Parmen-
tier, précédé d'une préface, par A. Duvivier. Imprimerie deDuclos et Fay, à Nevers;
librairie de Techener, à Paris « i84a, a volume» in-S"* de lxiii-4^8 et 338 pages.
JANVIER 1843. 63
— Charles-Antoine Pannentîer, procureur général de la chambre des comptes du
duché de Nivernais, né à Paris vers 1719, mort à Nevers, le 1" janvier 1791, a
laissé en manuscrit plusieurs ouvrages historiques importants ,• entre autres une His-
toire abrégée de la province de Nivernais, une Histoire cbrRiologique des évéques
de Nevers, et Tlnventaire que publie aujourd'hui M. Duvivier. Ce dernier travail,
où Ton trouve tous les caractères de rérudition et de l'exactitude, ne présente pas,
comme son litre pourrait le faire supposer, une nomenclature détaillée des tilres
déposés aux archives de Nevers, mais une analyse savante, et souvent pleine d'in-
térêt , de tout ce que ces documents renferment de précieux pour Thistoire de cette
ville, de ses établissements civils et religieux, de son industrie, de ses corporations,
des usages et des mœurs de ses habitants. L'auteur a divisé cette analyse en Uk cha-
pitres, parmi iesquds on remarquera ceux qui sont relatifs à l'établissement de la
commune, aux maires et aux échevins, à la juridiction de la ville, à ses revenus,
aux hôpitaux, aux corps des arts et métiers. Le dernier chapitre est consacré à un
précis des événements qui se sont passés à Nevers jusqu'en 1770. Cet ouvrage sera
certainement consulté avec fruit par les archivistes et par toutes les personnes li-
vrées à l'étude des monuments originaux de notre histoire , quoiqu'on puisse re-
gretter de n*y pas rencontrer des indications plus prédises sur les titres dont l'auteur
a fait usage. L absence de ces renseignements de détail, qui permettent de trouver
facileinent ou de citer avec exactitude une pièce historique , ne saurait être , à notre
avis, tout à fait compensée par le mérite des extraits les plus judicieux ou des plus
savantes analyses. Quoi qu'il en soit, l'Inventaire des archives de Nevers nous pa-
raît digne, à beaucoup <i égards, de servir de modèle aux travaux du même genre,
qui s'exécutent, parles ordres du ministre de l'instruction publique, dans les ar-
chives départementales; et l'on saura d'autant plus de gré a M. Duvivier de cette
publication, qu'il a fait précéder l'ouvrage de Parmentier d'une introduction éten-
due, où il donne des notions instructives sur l'origine et l'état actuel des dépôts de
titres de la ville de Nevers.
Mémoires et dissertations sur les antiquités nationales et étrangères, publiés par la
Société royale des antiquaires de France. Nouvelle série, tome VIL Paris, imprimerie
de Duverger, i8Aa, in-8" de xl-534 pages, avec planches. Se trouve au secrétariat
de la société, rue Taranne, n' la. — Ce volume contient deux notices biogra-
phiques, l'une de M. AUon sur la vie et les travaux de M. Alexandre Lenoir,
l'autre de M. Depping sur M. Legonidec. Elles sont suivies de dix-sept mémoires
et dissertations sur des sujets variés, qu'il nous suffira d'indiquer sommairement.
Four faire juger de l'intérêt de celte publication pour l'étude de l'archéologie et de
histoire : De la poterie chez les Gallo-Romains , par M. Le Maistre ; Dissertation sur
Bélisana , déesse des Gaulois , par M. le baron Chaudruc de Crazannes ; Description
d'un tombeau découvert à Nîmes, par M. A. Pelet; Mémoire sur la montagne du
grand Saint-Bernard, par M. Rey ; Note sur quelques monuments gallo-romains,
par M. Schweighaeuser ; Des sarcophages en plomb, et de l'époque a laquelle ils
commencèrent à être en usage dans les Gaules, par M. Beaulieu ; Antiquités de
Vaison, par M. £. Breton ; Rapport d'une tournée archéologique, faite dans l'arron-
dissement de Lannion, par le chevalier de Fréminville ; Explication de quelques
bas*reliefs de la cathédrale de Paris , par M. Duchalais ; Mémoire sur l'hôtel de la
Trémouille, par M. Troche-, Ermitage de Notre-Dame-des-Anges , chronique du
XIII* siècle, par M. Ricard; Titres singuliers tombés en désuétude, par le baron de
Gaujal ; Éludes historiques sur les cartes à jouer, par M. C. Leber ; Mémoire sur les
registres du pariement de Paris , pendant le règne de Henri II , par M. A. Taillandier ;
64 JOURNAL DES SAVANTS.
G)uluincs ni privilèges de la Française, ancienne ville du Quercv, aujourd'hui chef-
lieu de canton du déparlement de Tarn-et-Garonne , par M. Mary-Lafon ; Le fief
Colonger d*Hochstett (arrondissement d'Altkirck , département du Haut-Rhin ) , par
M. Richard ; Documei#l inédits sur les états de Tours (iii8A)« publiés par M. F. Bour-
quelot.
Annuaire historique pour Vannée i8à3, publié par la société de THisloire de France,
7* année. Paris, imprimerie de Crapelet, librairie de Jules Renouard, i84a, in-8^
de a 08 pages. — On trouvera dans ce volume un tableau des naissances et alliances
des rois , reines , princes et princesses des différents Etals ou souverainetés de TEu-
rope; un glossaire des dates, fort utile pour l'interpréta lion des documents du
moyen âge, et qui sert de complément aux tables chronologiques publiées dans
Tannuaire de i84a ; enfin les éphémérides de THistoire de France, depuis Vempire
jusqu^au il\ juillet i84a-
Notice sur les manuscrits autographes de ChampoHion le jeune , perdus en Tannée
i83a et retrouvés en i84o, par M. ChampoUion-Figeac. Paris, typographie de F.
Didot frères, i84a, brochure in-8* de à'j pages avec fac-similé. — Notice sur deux
grammaires de la langue copte, récemment publiées en Italie, et sur la grammaire
copte manuscrite de ChampolHon le jeune, par le même. Paris, imprimerie de veuve
Dondey-Dupré , i84a« brochure in-8'' de i5 pages. (EIxtrait de la revue de biblio-
graphie analytique.) — Notice sur les ouvrages intitulés : Interpretatio obeliscorum
urbis ad Gregorium XVI, ponlificem maximum, digesta per Aloisium Mariam Un-
garellium, sodalem Bamabitam. Romae, i84a * in-folio, par le même. Paris, im-
primerie de veuve Dondey-Dupré, 1842 , in-8' de 19 pages. (Extrait de la revue de
bibliographie analytique.)
L'ancienne Auvergne et le Vélay ; histoire, archéologie, mœurs, topographie;
par Ad. Michel et une société d'artistes. Moulins, imprimerie et librairie de Desro-
siers, éditeur de Tancien Bourbonnais; à Paris, librairie de Chamerot, i84a. Cet
ouvrage, dont le prospectus vient d'élre publié, paraîtra en 36 ou 4o livraisons , de
mois en mois , et formera 3 volumes in-folio. Chaque livraison , de 7 à 8 feuilles de
texte ou de 4 planches , coûtera 5 francs.
TABLE.
Documents inédits sur Domat ( T' article de M. Cousin) Page 5
La reale Galleria di Tonno, illustrata da Rob. d'Âzeglio (3* article de M. Raoul-
Rochette) 19
Théâtre chinou. -* Le Pi-pa-ki. — Traduction faite sur le texte original par
M. Bazin aîné ( 3* article de M. Magnin) 29
Histoire de la vie et des poésies d'Horace, par M. Walckenaer. — Commentaires et
traductions en vers de TArt poétique d'Horace, par MM. Gonod, Chanlaire, Pé-
rennès et le Camus (5* article de M. Patin ) 43
f<îouvc11es littéraires 58
FIN DE LA TABLE.
^■
•.. ^
^
^
JOURNAL
DES SAVANTS
FÉVRIER 1843.
Histoire de la chimie, depuis les temps les plus reculés jusqu à
notre époque, comprenant une analyse détaillée des manuscrits al-
chimiques de la Bibliothèque royale de Paris, un exposé des doc-
trines cabalistiques sur la pierre philosophale , l'histoire de la phar-
macologie, de la métallurgie, et, en général, des sciences et des
arts qui se rattachent à la chimie, etc. par le D^ Ferd. Hoefer.
Tome I**. Paris, au bureau de la Revue scientifique, rue Jacob,
n° 3o. 1842.
PREMIER ARTICLE.
L'utilité de Thistoire d'une science n'est pas restreinte aux savants
qui la cultivent particulièrement; car, sans doute, elle s'étend à tous
ceux qui veulent étudier l'esprit humain d'une manière positive. En
effet, la source la plus abondante où l'on peut puiser, pour cette étude,
les faits les plus précis comme les plus variés, ne se trouve-t-elle pas
dans la connaissance même des procédés spéciaux à l'aide desquels on
a établi un nombre suffisant de principes propres à constituer les divers
corps de doctrine auxquels on donne le nom de sciences? N'est-il pas
évident que des histoires bien faites de chaque branche des connais-
sances humaines composeraient le recueil le plus exact de ce dont
l'entendement de l'homme est capable, lorsqu'il s'agit d'abord de dé-
couvrir des vérités, et ensuite de les démontrer, dans i*intentioo,de
pouvoir, par leur intermédiaire , en trouver de Bouvelles ? ^
*>
%
66 JOURNAL DES SAVANTS.
L'importance que peut avoir Thistoire d'une science n'ayant pas été
toujours convenablement appréciée, nous avpns saisi avec empresse-
ment l'occasion d'examiner ime histoire de la chimie par le docteur
Ferd. Hoefer, dont le premier volume a paru récemment. Si les consi*
dérations auxquelles nous allons nous livrer, avant de rendre compte
de cet ouvrage, ne font pas partager au lecteur na^e manière de voir,
peut-être provoqueront-elles des discussions, ou /cKA^oins, feront-elles
naître des réflexions propres à fixer l'opi^n sur l'utilité dç^it peuvent
être les histoires des sciences, lorsque lestnal^iiiaux qui les composent
ont été subj)rdonnés à une méthode rationnelre, d'après laqueil^es au-
teurs, avant detprétendre captiver pîir la forme et parJ'agrément et la
variété des détails , se sont principalement proposé de faire connaître
l'esprit des sciences et la succession des îaées qu'elles ont prop^ées ,
aux différentes époqiMlg de leur développement.
^ Sous ce Jioint ^e vue , la chimie se présente , à celui qui veut en
tracer l'histoire , comme une science tout à tait à part, soit qu'il consi-
dère la vaste étendue du champ qu'elle embrasse et les diverses classes
de connaissances dont l'ensemble en constitue le fond principal , soit
qu'il cherche à y rattacher des notions qui sembleraient, à une observa-
tion peu attentive , en être absolument indépendantes , parce qu'elles
émanent de sources réputées généralement étrangères, à son essence.
Développons ces propositions.
^ 1. Etendue de la chimie.
On admet que toute matière perceptible à nos sens résulte de l'agré-
gation âe pfi^ties qu'on appefle molécules, atomes, d*une si grande ténuité
qu'elles sont individuellement invisibles, et que leur diamètre est bien
plus pe;t^ que la distance qj^i les sépare les unes des autres, quoiqu'on
reconnaisse cependant qae cette distance échappe par sa petitesse h nos
moyens les plus précis de mesurer l'étendue. Tout changement d'équi-
libre dans l'état de ces molécules, de ces atomes, qui se mariifeste par
quelque phénomène sensible aux organes de nçs sens, est du ressort
de laixhimie, *)it que ce changement se borne à une simple modifica-
tion de l'état d'agrégation des molécules d'une même matière, soit qu'il
amène l'imion de molécules de matières diverses , soit enfin qu'il consiste
dans la séparation de molécules hétérogènes qui étaient en combinaison.
^ ^ Le$ phénomènes du ressort Je la chimie sont ou passagers ou perma-
n£ids. Les. premiers se mjiiifestent avec l'action chimique et n'ont guère
plhs de dttrée que le %lhps nécessaire pour que les molécules soumises
K
j^
4 ♦
gijen
FÉVRIER 1843; «7
â CQtte action parviennei|t au nouvel état d^équilibre qui s'établit; les
seconds,. au contraire, apî)araissent après cette action, et, comme ils
consistent dans les propriétés mêmes que les corps ont acquises par
suite du nouvel état d'équilibre où se troui|snt actuellement leurs mo-
lécules, jgji^nt la persistance de cet état même.
Les ffSSbmènes passagers sont un changement de température, une
émission de lumière, une manifestation d'électricité*, unt détonation , une
solidification JNpiie liquéfaction; une vaporisation, etc. Pour être moins
variés que les phénomènes permanents, ils n'en méritent pas moins de
fixer l'attention , car, en se bornant à les envisager sous le point de vue
de Tapplication , on jroit qu'en eut réside la source du feu, sans lequel
il n'y a pas de progrès possible dans la société humaine; celle de la lu-
mière, qui nous éclaire lorsque le soleil a cessé de briller siu: l'horizon
ou que nous nous trouvons dans d|| lieux impénétrables à ses rayons.
Elnfin , c'est^ar des phénomènes passagers que la poudre à canon est
puissante et qu'elle a lant agi sur la ci^sation en changeant Tart'de la
terre. r-
(6$ phénomènes permanents , résultats des actions chimiques , sont
si nombreux et si variés, que, pour en dof^r tme idée exacte *|lbr des
exemples, on a Tembati^as du^choix àm «itations; car il n'est aucune
propriété imaginable (Je la matière qui m s'y rapporte. Tantôt deux
corps insipides, comme le sont l'oi^gène et le soufre, produisent, en s^
combinant en diverses proportions, jusqu'à cinq acides absolument di^
tin<jts , parmi lesquels nous citerions le sulfurique et le sulfureux; le pré*
mier est solide, camstique et volatil; le «edond se présente sous la forme
d'un gaz doué d'une odeur suffocante et d'iyie Avem* aigrtf sans caus-
ticité. Tantôt deux caustiques^viole4its, comme le sont l'aci^suUurique
et la potasse , perdent , par leer imion mutudie , la causticité et les
propriétés qui caractérisent l'acidité et l'alcalinité. Une autre fois nous
voyons le mercure, chauffé convenablement avec l'air, perdre sa niobi^
lité et son éclat métallique par son union avec le gaz oxygène r il fe
transforme alors en une poudre rouge cristalline bien différente des cfeux
éléments qui la constituent. »^' '
Pour dernier exemple, citons les ^rin&ipét immédiats des plantes et
des animaux, en qui réÀle la prodigieuse variété d'odeurs et de cou-
leurs que l'homme le moins attentif re^iarque dans la matière rivante ,
la prodigieuse variété des propriétés , en vertu desquelles les uns ont la ^
saveur douce du sucre, l'insipidité'^e )?8midoi)^la saveur aigre de l'a-
cide acétique ; les autres , Tamertume de l'aloèsTla" pfllpriété fébrifu^
de 1» quinine, l'action délétère de Ih stryèfanine ou da l'acide prus-
«I •
4:
68 JOURNAL DES SAVANTS.
sic[ue (cyanhydrique), etc. etc. Si la variété de ces propriétés étonne
rimagination la plus active , que doit-on penser lorsque T analyse chi-
mique nous révèle que la plupart de ces principes sont formés de trois,
ou de quatre éléments auijHius: Toxygène, Tazote, le carbone et l'hy-
drogène! ^w
Au domaine de la chimie il faut réunir cette foule d'arts'ddïit.le but
est de modifier, d^ime manière utile à la société , les propriétés les plus
intimes des corps en agissant sur leurs molécules, parce gUc la science
seule est capable d'en diriger la pratique par des règles certaines. Ainsi ,
les moyens de préparer, non-seulement les corps simples, parmi lesquels
se trouvent les métaux , objets dç la métallurgie , mais encore les acides,
les alcalis et les sels; les procédés du potier de terre, du veirier , du
fabricant d*émaux; l'extraction du sucre, des résines, des huiles fixes et
des huiles volatiles, de l'indigo , été.; les arts de faire le pain, les vins,
les vinaigres, les fromages; Textraction de l'alcool des ligueurs spiri-
tueuscs par la distillation; la préparation des vernis, des encres, des
peintures; les moyens de conserver les aliments; la préparation dçs
médicaments; l'art du tanneur et du hongroyeur, et enfin les procédés
si norSbreux et si variés de l'art de teindre , reçoivent de la chimie la
forme scientifique , hors de laquelle il n'y a qiîe la pratique aveugle.
Au premier aspect on pourrait croire certains, arts étrangers à cette
science, parce que les produits qu'ils confectionnent sont de simples
yélanges. et non des combinaisons chimiques; cependant ils peuvent
s'y rattacher, si ces produits tirent leur utilité d'actions moléculaires
auxquelles ils donnent lieu : tels sont, par exemple, les arts de fabriquer
la poudre à canon et les matières propres aux feux d'artifices* car ces
préparations , lorsqu'elles brûlent rapidement dans une arme ou succes-
sivement dans une fusée, ne remplissent leur destination qu'au moyen
de phénomènes passagers essentiellement du ressort de la chimie.
Enfin , comme ta matière enlevée au monde extérieur par les coi*ps
vivants qui s'en nourrissent éprouve, dans leurs organes, des change-
ments moléculaires plus ou moins gi^ands, la chimie doit être nécessai-^
rement consultée lorsqu'il s'agit d'étudier les phénomènes physiolo-
giques sous tous les aspects qui frappent l'observateur.
2. Diverses classes de connaissances chimiques.
L'exposé précédent suffit, sans doute, pour justifier la qualification
de vaste, que notis avons donnée au domaine de la chimie; si mainte-
nant nous considérons les connaissances qui en constituent le fond prin-
■ t
^
t
-V
FÉVRIER 1843. 69
cipal relativement h leur diversité, nous verrons combien elles sont dis-
tinctes les unes des autres, et comment il en est qui se lient à des sciences
très -différentes de la chimie par la manière spéciale dont chacune
d'elles peut envisager le monde extérieur. Ces considérations auront le
double avantage tfétablir les rapports de la chimie avec ces branches
des connaissances humaines et les différences qui Ten distinguent en
en faisant une science absolument spéciale. . . *
n suffit , sans doute , pour se convaincre de la diversité des connais-
sances fondamentales de la chimie, de dire qu'elle s occupe :
1*" Du développement de la chaleur ,*de la lumière, et de Télectri-
cité comme phénomène^ passagers de Faction c],^mique;
2** Des ^îfcpnstances \)ii les acUons chimiques s accomplissent*, soit
qu'il en résulta /iii\e cojmbinaison ou une deAmposition , soit qu'il y ait
^ la fois combmaison. et décomposition;
3** Des proportions suivant lesquelles les combinaisons s'effectuent;
en les rapportant au poids ou au volume, elle arrive ainsi à distinguer
*des combinaisons en proportions définies et des combinsâsons en pro-
portions indéfinies; les premièroi sont assujetties à dqs lois fort simples;
4** Des formes cristallines sous lesquelles la plupstrt des corps appa-
raissent à rétat de pureté; *■'
5"* De toutes les propriétés qu'il est possible de reconnaître à chaque
e^ce dé matière qui devient par là une sorte d'individu correspon-
dant à l'individu organisé qui représente l'espèce végétale ou animale à
laquelle il appartient; *
6"* Enfin des causes des actions chimiques. C'est à cette étude que
se rapporte-ce qu'on peut appeler la mécaniqae chimique, si différente de<
la mécanique proprement dite. •"**
En effet, lorsque cette mécanique résout les questions de son ressort,
c'est que, connaissant toujours d'une manière précise quelques-tms des
termes de ses problèmes, elle parvient, à leur aid^Và déteniil%er ceux
qui sont inconnus. En définitive, ia mécanique connaît ou peut con-
naître les masses agissantes , les trajectoires qu'elles décrivent , les vi-
tesses qui les animent, et l'intensité des forces , causes des mouvements.
Ajoutons qu'elle peut arriver à son but, quoique l'essence même des
forces lui soit cachée; car il lui suffit de connaître fintensité de chacune
d'elles par la vitesse qu'elle ioiprime à l'unité de masse dans l'unité de
temps, soit que la force n'agisse qu'un instant, soit qu'elle agisse d'une
manière permanente , à l'instar de la pesanteur.
Le chimiste est dans une position bien différente lorsqu'il s'agit de
définir les causes des actioniS chimiques en les assimilant èksim forces ;
^
70 JOURNAL DES SAVANTS.
car, ainsi que nous Favons dit déjà, les actions chimiques se passent
entre des parties matérielles si ténues > qu'elles échappent à nos sens.
Dès lors il nous est impossible d'en apprécier la masse ou le volume ,
d*en suivre les mouvements; dès lors il n*y a plus de trajectoires et de
vitesses appréciables. La mécanique chimique est dknc tout à fait dis-
tincte de la mécanique proprement dite.*' * -
Si' une chose semble%icoq|préhensi^le , ce sont , sans doote , les chan-
gements qui surviennent dans les propriétés des corps pair le fait des acn
tions chimiques. Par exemple , comparez le ^ou&e et le carbone au
composé qu'ils forment, et voyez si vous pouvez concevoir comment le g
soufre, Risible à i is^^volatil à Aïo^, doué d'une faible odeur, et ie
carbone, fixe à la tempérfto*e la Mus élevée mie nou^lumaissions^
absolument inodore , donqlDt naissance, par lA unîbfiputi\elle , mé %
sulfure de carbone, liquide bouillmt à ^5"", et d^fi de Rdeur la plus^
fétide ! Qui conçoit en vertu de quelle foi^e a volumes id'bydrogène , •
le corps le plus expansible qu'on connaisse, en s'unissant à i volume
de gaz oxygène^ produisent de l'eau, liquide dont le volume, à la tem-'
péràture de zéro, ^ à /^elui des gaz qi^ le constituent conune i est à
a55o enviroit? Qfcu conçoit en vertu del^elle force 2 volumes d'hy-
drogène, eil s'unissant à 1 voluq^e ou à y^rolume de carbone, donnent,
dans les deux cas 41 volume dliydrogène bicarboné et \ volume d'hy-
drogène protocarnoné? * dMs^ ^ i^J. . *Jar'-
De cet état de*thos^ il résulté qu'en chimie l'élude de la force ne
porte pas sur les ph4iiomijies dynamiques qu'on lui attribue, mais nicii «
sur des changements survnhM dans la manière d'être , dans 1^ s pro-
^^priétés des cor]^ après l'accomplissement de Kàction chimique, ou , eo*
d^<mi«s termes, lorsque ceic^i sont à Tétat statique. Mais une force . \
attractivt? unique ^côiwne la pesanteur, ne peut être invoquée pour
expliqueélés actions moléculaires ; il faut admettre une attraction spé-
^ ciale , qtJki nomm^id&i^ ou cohésion , et , en outre , que cette attrâc-
. tion se compose aveb d'amres forces^j^eHes que la chaleur, certaines rjL^
diations flu soleil , l'électricité. Il*€t donc de toute évidence queues
considérations relatives à 4a nature des forces concourant à l'action^
chimique ne portent que sur l'observation de phénomènes ou de pro-
priétés que les cofps présembnt après que leijM molécules sont parve- •
Jiues à l'équilibre plus ou moins stable jÉbOiÇattribue à l'action de ces
forces. ' 0
Il est aisé de voii* njainfeenant les rapports de la chimie avec diverses
sciences qui , comme elle , sont du domaine de la philosophie naturelle.
jEn rffnr<iî chyiie a les {dus graiAls raoibrts avec la physique , nvm^
W M
•f
FÉVRIER 1843. 71
seulement par l'étude qu elle fait de rélectricité , de la chaleur, et de la
lumière apparaissant sous la forme de feu dans les actions moléculaires,
mais encore par la nécessité où elle est de connaître de la manière la plus
prédsejbes propriétés physiques , telles que la densité, le» températures
où chjique corps change d'état, soit pour se congeler, soit pour se 11-
^qtiéfiel' ou se volatiliser ; les propriétés optiques , parmi lesquelles nous
distinguons la faculté d*agir sur le plan de la lumière polarisée ; enfin
lëy'propriétés électriques et magnétiques que les corps peuvent présen-
ter d'une manière permanente dans des circonstances définies. La chimie
et la physiquejtt'^ncontrent donc dans^fétude de? phénomènes passa-
gers ayssi bien qiie dà^ celle des phénfMn^es permanents.
Les lois de la .^idstalusption , si importantes pour la chimie, lorsqu'il
"^ s'agit de rarntBgement.^es molécules et desfinflyuctions qu'on tire de
Jla formie> comnre car|^ctère des espèces, ress^rent encore les liens de
'la physique avec la chimie, eamème temps qu'<^es établissent un rap-
port incontestable entre celUyi et la géométrie. ^ . . *
L'étude des proportions suivant lesquelles ^'opèrent les combinai-
sons définies^a besoin, pour êlre généralisée, de recoiuir à la meiyie
des nombres, car c'est à elle qu'on est redevable de co&J^xpressivis na-
jgiériques qi|i constituent la doctrine des quantités équivalentes. ^ .
Ënfm, rétude des actions moléculaires qui s'accymplissentMàns les
plantes lorsqu'elles s^assimilent l'eau , le carbone jde l'acide carbonique ,
la matière organique plus ou moins profSHdément altérée des engrais,
établit ontnè la chimie , la physiologie végétale^éH'agrioltfture , le m Ahd^
i^pport que Tétude des actipns, moléculaires qm s'accomplisseilt d^i^
les animaux pendant la digestion, la respiration, les sécrétions,^ ete«
établit entre la chimie , la physiologie animale et la médecine ^
Mais , après avoir fixé les rapportrcle la chimie a^c 4r physique , la
géométrie , la science des noâibres , la physiologie , l'agripuljHi^ ef la
médecine, tout en lui accordant la qualification ^e science ^iff refu-
sera- t-on un caractère propre , essentiel , absolument spéctp|^ Noq cer-
tainement; car, si elle recourt à la physique et à la géométne %>rsqifdH€
étudie les propretés physiques des corps, à la physiologj^ et à la Ifi*
rapeutique lorsqu'elle veut connaître celles de leurs pro[mwés que iIdus^
appelons drgai|oleptiques , elle, seule appreaÉ^à connaître le^s pro-*
priétés chimiques, elle seule ramène chaqu^Bafière simple ou "Com-
plexe à une définition précise, reup^nt sutiensemble des propriétés
' Voyez, dans le cAier de novenibre de Tannée i8^ , Farticle mi I poar nlre s
Quelques coiuidération^ généraïm et iàiucHons rAitmes mheaitÊttière des iir& vivants.
Je pourrai revenir sur ce sujet; qui fixÉmaintenant Taffention di:|f|usieur8 savaots*
r'
72 JOURNAL DES SAVANTS.
physiques, chimiques et organoleptiques, inhérentes à cette matière,
afin d'en faire ce que nous nommons une espèce chimiqae; et c est même
de là qu elle tire le caractère essentiel et absolument spécial qui la dis-
tingue de la physique. Sous ce dernier rapport, clique espèce de corps,
simple ou composé , est donc envisagée par le chimiste comité une
unité ou comme un individu doué d'un ensemble de propriétâl insi^w
parables de sa nature, ainsi que les corps vivants, d'après des carac-
tères tirés de l'organisation, sont définis par le naturaliste en espèces
végétales ou animales distinctes les unes des autres.
3. Notions qui peuvent paraître indépendaii|p8 de" la chimie.
Il nous reste une oèmière proposition à développer,, c'est de mon- ^
trer la nécessité où se trouve l'auteur 'd'une histoire de la chimie vrai-#
ment rationnelle de rattacher à cette science des idées qu'on pourrait
en croire indépendantes, parce qii'elles^.ont été exposées d'abord par
des écrivains qui n'étaient pas chimistes , ou qu'elles ont commencé à
fixpr Pittention des philosophes à une époque où la chimie n'existait
point encore conune science.
Parmi ces idées nous citerons celles qui concernent la nature des
corps, la formatio%de ceux qu'on considérait alors comme complexes,
la force prise dans les molécules , la destruction apparente de la ma-
tière, ou sa transformation, ou, ce qui revient encore au même, la cir-
tllâtion des élétnents dans des corps affectant les formes les plus variées,
^s anciens philosophes , en se livrant à l'examen de ces idées , ne crai-
gnirent pas d'aborder des questions qui exigeaient la lumière des sciences
physico-chimiques pour être traitées avec quelque chance de succès;
aussi durent-ils échouer, malgré la. force de leur intelligence et leur es-
prit observatem', lorsqu'ils voulurent distinguer les éléments de la ma-
tière, assigner une composition essentielle aux corps complexes, parler -^
de la fomjation de la terre, expliquer la combustion, en un mot,
traiter de. phénomènes passagers ou permanents relatifs aux actions chi-
lù^ues. Mais, si l'écueil contre lequel leurs efforts se brisèrent ne pouvait
^êtrc franchi qu'avec des secours qui leur manquaient absolument, ils
montrèrent jusqu'à l'évidence qu'ils sentaient le besoin de comprendre
dans la philosophie l'étude du monde extérieur, et c'est sous l'influence
de ce sentiment que plusieurs grandes harmonies de la nature n'échap-
pèiMt poi|[it à leur observation, quoiqu'ils les représentassent par les
images de la poésie, au lieu de les décrire dans le langage précis de la
science. ^ . ♦•
FÉVRIER 1843. 73
Enfin , pour achever le développement de noti^ dernière propoM-
Uon , parlons des avaqtâges que la connaissance de la méthode chimique
peut avoir pour celui qui se livre à une étude approfondie de ce qu'on
appelle en philosophie la méthode analytique et la méthode synthétique.
Les opérations de la chimie étant, sans «xception , analytiques,. syn-
thétiques, ou à la fois analytiques et synthétiques, et les résultats
quelles donnent tirant de leur netteté un caractèi^ incontestable de
leur origine , elles présentent des exemples d*une précision rigoureuse ,
pi*opre à faire comprendre la marche de Fesprit , qui , pour découvrir,
et démontrer d autres vérités que les vérités chimiques , se livre aux
opérations d une analyse ou d*une synthèse purement intellectuelle.
En effet les résultats des opérations chimiques, considérés sous lé •
point de vue de leur- origine analytique ou synthétique, doivent leur
précision à Taccord qiii règne entre tous les chimistes pour distinguer
les corps réputés simples d'avec les. corps composés. I>è8 lors on sait
toujours parfaitement, sans- amhigulté, si le résultat d'une o^iration
est analyXique ou synthétique, ou s'il est à la fois analytique et syntlié-
tique. On voit qu il n'y a pas de science chimique sans synthèse ou san^
analyse , et, en outre, que les produits de la synthèse n'ont de valeur
scientifique qu'autant que l'analyse a défini d'une manière rigoureuse
les éléments unis par la synthèse; toute synthèse suppose donc des ana-
lyses préalables pour que les conclusions déduites de la première aient '
la clarté et la précision qui leur impriment le caractère scientifique.
C'est en prenant, dans chaque science douée d'un caractère absolu-
ment spécial et livrée à l'étude du monde e}(^érieur, la méthode la plys
générale au moyen de laquelle l'esprit recherche les vérités du' ressort
de cette science, qu'on peut arriver, suivant nous, à recueillir, pour
riiistoire de l'entendement, les matériaux les plus précis comme les plus
exacts, parce qu'en définitive ils ont été découverts, élaborés, souiflis
à des discussions plus ou moins nombreuses, plus ou moins approfon-
dies, et, enfin, coordonnés par les intelligences variées qui ont animé -
des hommes éminents livrés à la recherche des vérités d'une même
classe.
G)nclu9ion relative à la q^^nîère de composer une histoire de, la chimie.
Après avoir démontré par les considérations précédentes combien
une histoire de ht chifflie est difficile à écrire , à cause de la vaste étendue
du champ qu'elle embrasse et de la diversité même des matériaux qui ^
doivent la composer, lors même qu!on ne voudrait pas descendre aux
lO
74 JOURNAL DES SAVANTS.
détails , il nous reste i parler d une difficulté plue mtide , soivani nous ,
que toutes celles qu'on peut s'imaginer en ne' T.oyaiit que le Dombne
et la diversité des matériaux; la &ire connaître se» justifier complète*
ment la proposition que nous ayons émiaé en avançant, au commencf^^
ment de cet article, que la ehimie se présente comme une science tout
à fait à part à celui qui veut en tracçr i'histoire. Parlons d'abord des
sources où l'on peut trouver les nUatériaux de i'histoire de la chinne
dans les temps les plus anciens. *
Si,, en cherchant avec attention dans le'passé tout ce qui se rapporte
à la connaissance des actions moléculaires, y compris les arts chi-
miques et les idées concernant la nature des corps, on arrive à con-
clure que l'origine de la chimie , considérée comme science, ne remonte
guère au delà du xviii* siècle, on est cependant obligé de reconnaître
qu'il y a un grand nombre de notions antérieures à cette époque , qu'il
&ut rassemUer et examiner soigneusement sous le rapport de l'in-
fluence- qu'elles ont pu avoir sur les premiers dévleloppements de ia
science. Les sources où l'on peut puiser ces notions sont le^arls chi-
miques, les systèmes philosophiques, enfin un ensemble de choses
occultes parmi lesquelles nous comprenons Valchimie.
i" source. Si les arts donnent des faits «positifs à celui qui peut en
étudier les produits, en s éclairant des procédés que les écrivains de
l'antiquité nous ont transmis, il faut avouer cependant que l'histoire de
l'industrie des anciens peuples présente bien des lacunes , et qu'il n'est
pas toujours .facile de choisir Tordre le plus utile à suivre pour en
CQordonher les notions r^ativement à l'histoire de la chimie.
^ 2* source. Les notions concernant la nature des corps professées par
les anciens philosophes sont vagues ou manquent d'exactitude , puis-
qu'elles ne furent jamais ex{)érimentales. Il importe cependant de cher-
ctferles analogies qu'elles peuvent avoir avec nos théories actuelles, et
surtout de reconnaître les rapports qui les unissent avec les premiers
'essais de théories chimiques. Cette recherche est' fort délicate; car elle
ne consiste pas à faire des extraits des systèmes généraux , mais bien à
découvrir ce qu'il y a dans ces systèmes d'essentiellement applicable
à l'histoire de la chimie.
3* source. La source qui a fourni le plus dfi faits , le plus de notions
utiles, le plus d'idées à cette science, est, sans aucun doute, celle qui
se composait de traditions et de procédés pratiques transmis à un petit
nombre de personnes choisies. Nous comprenons dan^ cette source la
cabale, la magie, et surtout Palchimie : évidemment une doctrine chi-
mique* devait sortir tôt ou tard delà pratique de procédés concernant
FÉVRIER 1843. 75
les actions moléculaires de la matière; mais que de difficultés pour ap-
précier exactement les résultats de cette pratique , en Tétudiant dans le
développement de ses procédés successifs , puisque ceux qui s y livraient
devaient tenir leurs travaux secrets, et, s ils écrivaient, c*était exclusi-
vement pour des initiés 1 Enfin les idées , les doctrines mystiques, qui,
dès l'origine , furent associées de la manière la plus intime aux procédés
dont nous parlpis n'ont pas peu contribué à épaissir les. ténèbres qui
régnent sur un sujet déjà si obscur par lui-même.
» En définitive , nous trouvons dans l'antiquité , avant l'alchimie , des
£ûts pratiques et des vues hypothétiques sur la nature des corps;
mais, s'ils ont exercé de l'influence sur le développement de la chimie,
ce n'est point par l'institution de recherches expérimentales. 11 eh est
autrement de lalchîmie : les expériences de ceux qui la pratiquaient
devaient aboutir à la science des actions moléculairos. Enfin , si les no-
tions puisées dans les arts chimiques et dans les systèmes des philo-
sophes appartenaient au domaine public, la partie pratique, tout au^si
bien que la partie théorique ou mystique de Talchimie, n'étaient
connues que d'un petit nombre d'initiés.
Après avoir parlé des sources où l'on peut puiser les matériaux les
plus anciens de l'histoire de la chimie , il nous reste à exposer la diffi-
culté précédemn^nt signalée, qui ne tient pas à la disette des faits, ni
aux lacunes, ni aux obscurités des écrits, mais à la nature même des
matériaux que l'historien doit mettre en œuvre. ^
Cette difficulté porte sur ce que les matériaux tirés des soureesV-
ciennes ont besoin, pour se fondre dans l'histoire à laquelle ils se rap-
portent, d'être l'objet d'ifti examen analytique; car .ce n'est point
intégralement, en conservant leur forme et en se juxtaposant les uns
aux autres, comme les pierres d'un édifice qu'on élève, ce n'est point,
comme les ruisseaux qui alimentent un fleuve , en y versant leurs eaux ,*
qu'ib devien4ront les véritables éléments d'une histoire rationnelle âe
la chimie: ils devront subir des modificatiens, de manière jque des .
parties* seront éliminées, tandis que les autres, après avoir été réduites
en éléments précis et exactement définis, seront coordonnées entre
el|es par une synthèse habile, pour devenir les principes constituants *
de cette histoire. En définitive, les matériaux puisés immédiatement
aux sources' les plus anciennes éprouveront les modifications d'uû ali-
ment complexe qui ne s'assimile que partiellement au corps vi\'^nt
qu'il doit nourrir.
E. GHEVREUL.
lO.
•
•
\
•
•
76 JOCRNAL DES SAVANTS.
• . ■
Documents inédits sur Domat.
*
DEUXIEME ARTICLI.
Mais , saD8 contredit , la partie la plus curieuse de notre mémoire est
celle qui noqs peint Domat comme l'adversaire in(atîg||ile des jésuites.
Quand tout pliait sous leur autorité, lui seul, après ia mort de Pascal,
avec quelques amis fidèles, luttait, dans un coin du royaume, contue
leur astucieuse tyrannie. Vaincu dans une première rencontre , il revient
à la charge et leur tient tète jusqu'à sa mort.
Cette première rencontre, où Domat se montra le digne ami de Pascal,
est l'affaire du collège de Ciermont en Auvergne, dont lés jésuites s'em-
parèrent à Taide de leurs artifices accoutumés. Notre inémoire nous
donne , à cet égard , des détails intéressants , et qui ne sont point ailleurs.
ht Recueil de Marguerite Perrier les confirme et les développe : il Con-
tient plusieurs pièces où paraissent les efforts des jésuites pour attirer
à eux l'éducation tle la jeunesse, jusqu'alors confiée, dans Ciermont,*
à la S3vante et libérale congrégation de l'Oratoire, et, en même temps,
la vive résistance et de TOratoire et de la ville entière , et la part de
Domat dans ce démêlé. Voici quelques lignes d'une Plainte des pères de
rOratoire de la ville de Ciermont contre les jésuile^p. 34 a de notre ma-
nuscrit : « Aussitôt , dit cette Plainte, qu'un des nôtres prêche avec quel-
q^Psupcès, ils l'accusent d'hérésie. Ils ne parlent jamais de nous à leurs
écoliers sans nous traiter de suspects en la foi. Ils ont dit à quelques-uns
de nos écoliers qu'on s'expose à la damnatioti éternelle quand on étudie
dans notre .collège. » A cette plainte les jésuites répondent (p. agy ) par
une Relation deH'état présent du jansénisme dans la ville de Ciermont,
t)ù ils représentent la ville de Ciermont comme un foyer de jansé-
nisme, et Domat comme le chef du parti. «Le jansénisme n'a pas plus
tôt paru en France , qu'il a eu des sectateurs dans Ciermont; et, si l'Au-
vergne a fomenté cette secte dans sa naissance, ayant été le lie» d'ori- •
ginc de MM. Amauld, Bourzées, Brousse, Rebours, Laporte, Mauguin
.et Pascal, la ville de Ciermont contribua beaucoup à son progrès ct^à
sa conservation * La secte est com*p6sée de plusieurs laïques des
dcuX'Sexes ; les plifs considérables sont les sieurs Montorcict, président
en la cour des aides, le sieur Penîer, conseiller en ladite cour, la de-
moiselle Pascal , sa femme , le sieur Guerrier, avocat Mais le plus
signalé .est le sieiiç Domat, avocat du roL audit présidial, lequel, ayant
quelque vivacité d'esprit et-s étant employé ui^iquementà l'étude de ces*
• FÉVRIER 18^3. 77
isiatières, passe pour le plus, habile, faiit leçon à ses confédérés, et cor-r
rompt une partie de la jeunesse Pour fomenter leur liaison fac-
tieuse , ils font beaucoup d*assemblées secrètes. . . .„ Le lieu des coit-
venticules ordinaires et réglés est la maison de Bienassis, à deux fcents
pas des murailles de la ville , appartenant audit Perricr. Cest là où ils
s^assemblent hommes et femmes , les dimanches et jours de fête.*. . . Les
précautions qu'ils prennent pour le secret font coi^ecturer quelque mys-
tère diniquité. » Après avoir habilement semé la calomnie , les jésuites
s*occup^ent d*en recueillir le fruit , e t , par le crédit de leur P. Ânnat , con>
fesseur du roi, ils firent rendre un ordre du cabinet, qui les mettait en
possession du collège de Ciçrmont » en dépit des anciennes et des nou-
velles ordonnances , qui portaient qu aucune communauté religieuse ne
pourrait s'établir dans aucune viUesans le consentement de cette ville.
Dès que cet ordre du cabinet fut connu à Clermont^ ce fut une récla-
mation universelle. On s'adressa à Domat pour quil prit en main cette
affaire. Domat n'hésita pointa s'en charger. Il écrivit lui-même (ms.
p. 3o i) une. requête au roi Louis XIV, au nom de la ville de Clemiont ,
et,, à la tête d'une * députation de vingt de ses compatriotes, il alla à
Paris la pointer au roi. Nous donnons ici cette pièce (ms. p. 290), qui
est un des meilleurs morceaux sortis de la pluoie de Domat
# ■
« Requête présentée par les habitants de la ville de Clermont en Auvergne contre
les R. P. jésuites. * •
«Ao RoY.
« Sire, vos très-humbles, très-obéissants et très-fidèles sujets les éche*
vins et habitants de cette ville de Clermont viennent se jeter aux pieds
de V. M. pour lui demander justice contre les jésuites, qui, pour s'éta-
blir daift Clermont, malgré toute la ville, sont venus supposer à votre
conseil qu'on les y demande, et, ayant obtenu sur ce faux exposé un
arrêt et des lettres de cachet, en ont gbusé d'une manière injurieuse à
la clémence de V. M. et digne de cette attention avec laquelle ejle
écoute les plaintes de tous ses sujets. * •
uCes pères. Sire, voyant les babitajits plus aliénés qye jamais par
cette conduite et prêts d'en venir informer V. M. , feignirent d'avoir du
scrupule et du repentir de ce qu'ils avoient ainsi obtenu cet arrêt et
ces lettres de cachet, et promirent par écrit aux échevins une surséance
qu'ils demandoient pour recourir à V. M. ; et, comme ensuite les habi-
tants s'alloient assembler promptement dans l'hôtel de ville pour dé-
puter,, ils envoyèrent de nouveau leur recteur de Montferrand pour»'
78
JOURNAL DES SAVÀHTS.
protester i cette assemblée qu'ils ne vouloient poîfaft du< tout entrer dans
Glermont sans' le consentement de toute la ville, etporter parole que,
qlkand même on les y voudroit forcer sous préte^ite de cet anét et de ces
lettrée xle cachet, ils n*y consentiroient jamaÎF. Et cependant, Sire» dès
le lendemain, ils vinrent avec ce rec^fur et s'empai^èrent du collège à
la. vue de ces mêmes habitants à qui ils avoient -donné cette parole ie
jour précèdent et qui accburoient k cette surprise , mais qui n'opposèrent
que la modération k toute cette cotiduite des jésuites ; car ia fidâité si
ancienne et perpétuelle de la ville de Clermont est à toute épreuve -,
non*seulement pour le service de ses roys , dont cette ville a cet honneur
singulier de ne s'être Jamais départie , mais pour les moindres choses qui
portent leur nom. Ces habitants, Sire, osent espë»rerque V. M. ne per-
mettra pas que, sous un règne tel que le sien, les jésuite»' jouissent du
succès de leurs artifices,- et que, pour être ainsi entrés dans Clermont
et pour empêcher que cette ville n'ait eu l'honneur d'être ouïe de V. M. ,
elle soit condamnée à les y Souffrir contre ses intérêts et contre son
gré.
«Ces intérêts, Sir^, sont si grands et appuyésde raisons si fortes, et
de la part des habitants de Clermont et de la part même des jésuites et
de leur propre conscience , que c^s habitants osent s'assurer que V. M.
,en seroit touchée, -si elle vouloit souffrir qu'oivreti informât. Mais ces
raisons. Sire, sont en si grand nombre et fondées sur tant de -titres,
.édits, traités -arrêts, privilèges, et sur tant d'autres considérations, qu'ils
n'oseroicnt 1 en importuner.
« Maïs , comme les roys prédécesseurs de Votre Majesté , dont les
jésuites ont autrefois obtenu de pareils ordres pour s'établir dans Cler-
mont sur de semblables faux exposés qu'on les y demandoit, ont tou-
jours révoqué ces ordres aussitôt qu'ils ont seulement connu la répu-
gnance des habitants , il y a présentement , Sire , bien plus (fie cette
raison si naturelle du gré des villes : par une déclaration solemnelle
de l'année 1669, qu'elle a voulu.faire publier dans^out son royaume,
elle a très -effectivement deffendu tous établissements de communau-
tés religieuses sans ie* consentement des villes. Ces deffenses de Votre
Majesté ne doivent pas être nécessaires pour les jésuites; car leurs sta-
• tuts, Sire, leur font encore d'autres deffenses bien plus étroites, non-
seulement de s'établir malgré les villes, mais de demander même d'y
être reçus.
«Et cependant, Sire, non -seulement ils demandent et ils insistent
d'entrer dans Clermont contre les statuts qu'ils font vœu d'observer,
-Pliais ils y entrentpar force et s'opiniâtrent à y demeurer, quoyqu'on per-
, >
* FÉVIilER 1843. 79
sévère à leur^^lire qu*on ne les veut pas, et conti^ignent les habitants à
venir importaner V. M. .
- «lis espèrent, Sire, quelle leur fera cette justice de ne pas souiFrir
cette déàobéiflsanoe des jésuites à vos onlonnances et à leurs statuts , et
qu'elle n'obligera pas de très-fidèles sujets, pleins de zèle et d'amour
pour son service, à recevoir contre leur gré des religieux qui, profes*
sant d*enseigner la piété et les bonnes mœurs , commencent par forcer
ceux qu'ils veulent instruire à ^enir d'a|>prd demander justice contre
eux, et qui, pour le premier exemple de leur piété, violent en un jour
ordonnances,. édita, traités, vœux, statuts, parole, et qui ont violé le
respect mêm^ qu'ils dévoient à V. M. sacrée, par la suppositipn qu'ils
ont Êdte à votre conseil qu'on les demandoit , et par la* manier^ dont
ils ont usé des lettres de cachet qu'ils onUobteQues par cette surprisf .
«La ville de Clermont, Sire, a fait l^lever sa jeunesse jusqu'à pré-
sent par d'autres maîtres que par ces pères , et elle a eu la gloire de
produire, dans tous les siècles, des personnes de mérite poul* la reli-
gion et pgur l'Etat; mais surtout, Sire, elle a eu l'honneur de n'élever,
dans tous les temps, que de véritables serviteurs des rois, et quTmeme
parleurs services en ont mérité ce que demandent aujourdTiui à Votre
.Majesté avec tant d'instance les habitants de cette même ville, d'être
dispensés de recevoir les jésuites.
« Le ray Henry le Grand , ayeul de -Votre Maje^é, a été l'un des roys
qui a conservé, la liberté de la ville de Clermont contre les entreprises
de ces pères. Ce grand prince, Sire, aimoit cette ville, et avoit la bonté
de vouloir bien reconnoître qu'elle lui avoit rendu un service bien im-
portant, et d'autant plus considérable qu'il regardoit aussi l'État. Car,
pendant la ligue, les habitants de Clermont ne s'étoient pas seulement
' conservés fidèle$ au milieu de la rébellion de presque tout le royhume,
mais, par ui^zèle extraoqKnaire et tout inouï, étant sortis de leurs
murailles, et., avec le peu de sujets quio'estoient au roy , qui s'y étoient
réfugiés, avoient exposé Igurs vies, attaqué Tarmée des ligueurs, rej^ris
^ur eux une ville, et gagné cette bataille d'issoire dont toutes les his-
toires femarqnent qu'ayant rendu au roy l'Auvergne entière et toutes
les provinces voisines , qt qu'étant arrivée , comme par une espèce de
miracle, le même jour que ce prince gagna en personne celle d'Ivry,
ces deux batailles avoient été la fin de la ligue , et le rétablissement de
ce gi*and roy dans son patrimoine, qui est aujourd'hui l'héritage de
Votre Majesté.
« Les habitants de Clermont , Sire , ont cette confiance que Votre Ma-
jesté aura toujours pour cette ville les mêmes bontés qu'ont eues pour
80 JOURNAL DES SAVANTS. *
cUc tous les Foys ses Drédécesseurs , pour tous iesqaels aile t contemé
une fidélité plus ferme çt plus. inviolable qu*aucune autre ville de floo
royaume , et qu'elle ne leur refusera pas la même grâce qu'elle tcoorde
k tant de villes qui résistent aux jésuites, de ne pas les obliger, non
plus que les autres , à les recevoir , et qu'elle ordonnera k ces pères de
retourner dans leur collège de Montferrand ; si ce n'est que cette af-
faire étant trop peu digne d'occuper les soins de Votre Majesté, elle
veuille la renvoyer à son parlement de.Paris, qu'elle a rendu juge na-
turel, â cause des déclarations et des édits qu'elle a fait vérifier en ce
parlement et qui font une partie des moyens décisifs contre cette enr
treprise deA jésuites ; et toute cette ville redoublera , Sire ». les prières
publiques et particidières'quelle faitincessanunent pour Votre Majesté,
et s'animera de plus en plus.de zèle et d'ardeur pour son service et de
tous les roys que Dieu fera naMre, jusqu'aux derniers siècles,* du sang
de Votre Majesté , le plus illustre de toute la terte , comme elle en est
le phis grand roy. n •
0 M^Domat , avocat du roy «ajoute notre manuscrit, fut député pour
présenter à*Sa Majesté la requête cy -dessus. Etant arrivé à iParis, il ras-
senlbla vingt Auvergnats , avec lesquels il alla porter sa plainte au roj, .
qui ayant fait avertir le P. Ânnat , son confesseur, pour lui dire que
o'étoit contre ses confrères qu'on agissoit , ce jésuite répondit que Sa
Majesté ne dévoit point s'inquiéter de cette affaire , qu elle étoit accom-
modée , et par cette fourberie il obligea les suppliants de se retirer.
Ceci se passoit en 1 663. Ainsi les jésuites s'établirent à Clermont malgré
M. l'évèque, les doyen, chanoines et chapitre de la cathédrale, syndic
du Idioeèsc, le gardien des cordeliers, le sous-prieur des carmes et les
échevins de la ville de Clermont »
Ce n'est pas la seule affaire où Domat ait osé combattre ouverte-
ment les jésuites. Dix ans après« un de leurs prédicateurs » le père Du-
hamel, ayant Êiit, dans la cathédrale de Gerrnpnt, un sermon ou il sou-
tenait rinfaillibilité absolue du pape, ce qui étiût contre les maximes de^
rÉglise gallicane et contre l'ordonnance du roi , qui interdisait ée trai-*
ter de matières étrangères au salut des âmes et préjudiciables à la paix
publique, Domat, comme avocat du roi et chargé de l'exécution des
ordonnances royales, informa contre le père Duhamel , dressa lui-même
un procès-verbal détaillé, et écrivit à M. le procureur général une lettre
pour accompagner ce procès-verbal. Nous donnons icilces deux pièces
pour morilrer et l'esprit généreux de l'ancienne magistrature et Tintré-
pidité de Domat en face du parti puissant qui persécutait le cartésia-
FÉVRIER 1843. 81
nisme, menaçait l'Oratoire, écrasait Porl-Royal, et, dominant sur la
conscience du roi, entraînait l'État dans ses querelles et en faisait Tins-
trument de ses desseins.
« Procès-verbal.
« L'an 1 673 et le dernier jour de février, nous, Jean Domat, avocat
du roy en la sénéchaussée et siège présidial d'Auvergne, à Clermont,
ayant appris par le bruit commun que ce jourd'hùy mardy d'après le
deuxième dimanche de carême, le père Duhamel, jésuite, qui prêche
pendant ledit carême dans l'élise cathédrale de ladite ville , ayant pris
pour texte Saper caffeedram Moysi sederant, etc. auroit pris pour son su-
jet l'infaillibilité de l'Église et celle du pape , et auroit traité en deux
points de ces deux sortes d'infaillibilités, et entrepris de prouver sépa-
rément celle du pape seul, nous aurions été obligés par le devoir de
notre charge , en l'absence du S' procureur du roy audit siège , de nous
informer plus particulièrement des propositions que ledit père Duhamel
avoit avancées touchant ladite infaillibilité, pour exécuter, en ce qui
dépend de nous, l'arrêt de la cour du parlement du 3o may i663, par
lequel la cour auroit ordonné la publication et enregistrement de six
articles de certaine déclaration de la faculté de théologie de Paris, du
3 may touchant l'autorité du pape avec deffenses de soutenir au-
cune doctrine contraire, et aussi la décfaratioh de Sa Majesté avoir
ordonné que ladite déclaration de la faculté de théologie de Paris se>
roit publiée et enregistrée dans tous les pariements et autres jurisdic-
tions de son royaume, avec deffenses à toutes personnes de soutenir,
deffendre et enseigner aucune proposition contraire à ladite -déclara-
tion, à peine de punition exemplaire, lequel arrêt et déclaration ont
été publiés et enregistrés à ladite sénéchaussée , et à cette fm , comme
nous n'aurions pas ouy ledit sermon, 'nous étant enquis de plusieurs
personnes qui y auroient assisté , nous aurions appris par tous les ré-
cits conformes que ledit père Duhamel a pris pour son texte dans le-
dit sermon ce passage de l'Évangile du jour, Sm>er cathedram Moysi se-
derant, etc. et pour son sujet TinfaillibUité de l'Église et celle du pape;
qu'il a divisé son sennon en deux points, le premier pour l'infaillibi-
lité de l'Église , et le deuxième pour l'infaillibilité du pape ; que , dans
le premier point, rapportant quelques preuves de l'infaillibilité de
rÉ^Uise, il a dit que, comme celle du pape s'établissoit aussi sur les
mêmes preuves, il prouveroit Tune et l'autre dans les deux points, et
que» dans i*un et dansftutre, fliapporté diverses preuves de rinfkiilitft-
11
» JOURNAL DES SAVANTS. ', ,
iké du pape seul , et a avancé entre autres preuves de cette infaillibilité
les propositions suivantes :
i** (( Que les théologiens étant souvent contraires dans leurs opinions
« sur les matières de la foy, comme les horloges qui ne s accordent pas,
« il falloit une règle, et que, comme le cadran solaire est la règle infail-
«lible des horloges, le pape est le cadran solaire de l'Église, qui est la
«règle infaillible dans les matières de la foy. -
%° t< Que Notre-Seigneur avait dit . à saint Pierre : Ego auiem rogca^i
npro te ut non iejiciatfides taa et taaliquando conversas confirma fratres tao$,
« pom* marquer Tinfaillibilité qu'il lui a communiquée et à ses succes-
« seurs , et que ce passage se doit entendre de TinfaiUibilité de saint
«Pierre et de ses successeurs^ et non de celle de VÉ^dse, ce qu'il a
«prouvé par deux réflexions sur ce passage, Time sur ces mots prote,
a en disant que cétoit le pronom de la seconde personne qui s'adres-
«soit à la personne de Pierre et non à l'Église, qui ne s'appelle pas
«Pierre, l'autre sur ce mot frntres, en disant que ce mot s'entendoit
« des papes successeurs de saint Pierre , qui sont ses frères , et non de
« l'ÉgÛse , et que , si Notre-Seigneur avoit prétendu parler de l'Église , il
« auroit dit ses enfants et non ses frères.
3* «Qu'il est impossible que le pape enseigne une doctrine Êiusse,
« erronée et scandaleuse , et qu'il arriveroit plutôt de ces trois choses
«l'une, ou qu'il changeroit de sentiment comme il arriva au pape Vi-
« gile , ou que le Saint-Esprit se mcleroit dans ses expressions pour lui
ti faire dire la vérité malgré qu'il en eût et lors même qu'il voudroit
«dire une fausseté, comme il est aixivé à Balaam et à Caiphe , ou qu'il
« mourroit d'une mort subite avant que de prononcer tme erreur selon
« le sentiment de B.
li"* « Que lé pape est infaillible dans les décisions qui concernent h
« foi , la doctrine et les mœurs , et que, dans le reste, il esthomme comme
«les autres et sujet à faillir; sur'quoy il a ajouté et Eodt remarquer qu'il
« se rendoit d'autant plus exact en cette matière qu'il s'y agissoit du
« saluté
5" « Que certains théologiens de robe courte semblent jeter des scru-
«pides dans les esprits foiUes, lesquels il est important de lever, et
« qu'il y en a qui vont déterrer de vieux grimoires pour prouver qu'il
«y a eu des papes qui ont failli.
6'' « S'étadt objecté comment il se pouvoit &ire que le pape fût in-
« faillible , il a répondu que , dans les choses de la foi , il ne Êilloit
« pas demander comment. Je sçay , a-t-il dit , que , dans le mystère de
Trinité», Dieu est ua en trois personnes; mais, ai on me demanda
FÉVRIER 1843. «3
« comment cela se peut faire , je n'en sçay rien. Je sçty que , dans le
«mystère de Teucharistie , le corps et le sang de Notre^eigneur sont
Cl sous les espèces du saint sacrement; mais comment, j« n*en sçay rien ;
«je sçay que d'abord qu un homme est élevé à la chaipe de saint Pierre ,
«il ne peut plus enseigner une doctrine &usse, ent)née, scandaleuse;
a mais s^ on demande comment, je n en sçay rien. »
« Et, comme toutes lesdites propositions de ce sermon tendent & per-
suader riniaillibilité absolue du pape, et que cette doctrine que ledit P. Du-
hamel a prétendu établir par ledit sermon est directement contraire
auxdits articles de la déclaration de ladite &culté , et notamm^fit au
sixième, concernant Im&illibilité du pape, nous avons cru qu'il ëtoit
d'une nécessité indispensable de £ûre , en cette rencontre, ce qui peut
dépendre de nous dans notre fonction pour contribuer à réprimer une
telle entreprise contre lesdits arrêts et ladite déclaration de Sa Ma-
jesté et contre les lois de son État; et, ne pouv^t y pourvoir avec'
prudence par d'autres vgies, nous avons jugé qu'en une affaire de telle
conséquence, où nous voyons cette doctrine de l'infaillibilité du pape
aussi publiquement enseignée avec l'approbation et l'applaudissement
de la plus part des ecclésiastiques et principalement des religieux,
et consentement tacite du peuple, qui, n'étant pas informé de la faus-
seté et des pernicieuses conséquences de cette doctrine , la reçoit comme
véritable, nous devons au moins en donner avis à M. le procureur géné-
rai , affin qu il lui plaise d'informer la cour de cette entreprise contre son
arrêt, et Sa Majesté, s'il le juge à propos, de cet attentat contre sa
déclaration V et nous nous voyons aussi obligés, en même temps, de sup-
plier très-bumbiement mondit seigneur le procureur général d'agréer
que nous lui remontrions Fimportance singulière que nous y remar-
quons d'employer son zèle , sa prudence et son abtorité , comme il a fait
cy-devant si utilement en toutes sortes de pareilles occasions^ pour ache-
ver en celk-cy d'arrêter toutes les entreprises semblables de ceux qui
publient ou débitent en particulier cette doctrine au préjudice dudit
arrêt et de ladite déclaration; et, ce qui nous oblige à ces remontrances,
c*est que nous voyons en cette ville un exemple de la nécessité d'y exé-
cuter avec éclat ladite dédaration et ledit arrêt, parce que cette ville
étant le siège d'un des plus grands évêchés du royaume, et une ville ca-
pitale des plus fidèles au service des roys, comme elle en donna d'in-
signes preuves pendant les ligues, nous y voyons néanmoins que le sen-
timent de l'infaillibilité du pape y est insinué et s'y répand comme une
doctrine dé foi , ^ que la plus part croyent que la doctrine contraire
est une doctrine hardie , ce qui est arrivé non par des prédications
11 .
84 JOURNAL DES SAVANTS.
ou leçons publiques que nous n aurions pas dissimulées , mais par ie
cours universel que donne à cette doctrine le grand nombre de ses
partisans , et particulièrement des réguliers et autres ecclésiastiques.
a Et il est facile^ de juger que , si ce sermon du P. Duhamel demeure
impuni, cette doctrine de Tinfaillibilité du pape , publiquement établie
par cette voie et sans contredit, passera pour une vérité de foy et un
dogme qui ne peut être contesté; et, comme nous apprenons de ladite
déclaration de Sa Majesté que c est son intention que les sentiments de
ses sujets soient uniformes sur lesdits articles, et que nous voyons que,
tout au conti*airc , ils se rendent uniformes dans la créance de Tinfail-
libilité du pape , et que cette créance s*établissant pourroit mettre les
sujets du roy , dans cette ville si fidèle à son service, en péril de tom-
ber dans les suites pernicieuses qu*elle pourroit produire contre leur
devoir , s*il arrivoit des occasions où Tautorité des papes pût les. porter
à s en départir, nou^ croyons que ces considérations nous obligent à
supplier mondit seigneur le procureur général d y faire les réflexions
qui lui sont plus propres qu'à nous et qu il saura beaucoup mieux faire,
et de souflrir que nous lui exposions les faits et les considérations par-
ticulières qu'il ne peut apprendre que de nous, et dont le devoir de
notre chaîne nous oblige de lavertir par ce présent procès-verbal que
nous avons dressé de tout ce que dessus , afiin qu'il plaise à mondit
seigneur le procureur général d y pourvoir ainsi qu'il avisera par sa pru-
dence , et nous sommes souscrits avec notre «greffier en toutes pages ,
et avec M. Claude Labourieux , ancien chanoine de l'église cathédrale
et ancien officiai de Clermont; M. Etienne de la Mare, docteur en théo-
logie, chanoine et théologal de ladite église; M. Antoine Dufour, cha-
noine de la même église; M. Éticane Perrier, conseiller en la cour des
aydes de ladite ville ; M. François Pascal , prieur et seigneur de Termes
et de la Faghe; M. Robert Mauguin, avocat au parlement; M. Antoine
Bourlin , avocat en ladite cour ; M. Georges du Gourd , docteur en mé-
decine; M. Jacques -Antoine Sarret, avocat au parlement, aussi sous-
crits avec nous en toutes pages, pour attester, par leur signature, la
vérité du contenu en notredit présent procès-verbal touchant ledit ser-
mon , après qu'ils ont fait lecture d'iceluy et des propositions avancées
par ledit P. Duhamel dans ledit sermon, auquel ils ont assisté. Fait
ledit jour et an. Signé Douât, premier avocat du roy; Laboubisox, etc...
Baptiste , greffier. »
FÉVRIER 1843. 85
t Lettre de M. Domat k M. le procureur général pour accompagner le procès-verbal.
t Ce 1" mars 1773.
c( Monseigneur, m*étant rencontré dans la nécessité, par le devoir de
ma charge, en Tabsence de M. le procureur du roy, d*entreprendre la
deflense de l'intérêt du roy et du public en une affaire importante et
qui regarde aussi TEglise, je me trouve obligé, Monseigneur, de vous
en rendre raison , et de la mettre entre vos mains. Le père Duhamel ,
jésuite, qui prêche présentement le carême en cette ville, fit, hier
mai*dy, un sermon exprès pour prouver T infaillibilité du pape ; vous
verrez , Monseigneur, par le procès- verbal que je prends la liberté de
vous envoyer, le récit du dessein et de quelques propositions de ce
sermon. Je n ay rien à y ajouter de particulier pour ce qui est du fait,
si ce n*est que je me suis rendu très-certain de la vérité telle qife j^ l'ex-
pose^ et qu'elle est prouvée par ce procès-verbal; mais je crois, Monsei-
gneur, devoir adjouter qu'il est d'une conséquence extrême de réprimei*
cette entreprise, car je puis rendre ce témoignage que les réguliers et
quelques ecclésiastiques de leur cabale ont tellement répandu cette
doctrine de l'infaillibilité du pape, ou dans les confessions, ou dans les
entretiens, ou par d'autres voies qui ne viennent pas à notre connois-
sancc et qi/il ne nous est pas possible de réprimer, qu'encore que les
personnes intelligentes , et particulièrement ceux qui sont instruits dé
l'arrêt et de la déclaration du roy sur cette matière , qui sont en très-
petit nombre, ayent été extrêmement scandalisés de ce sermon, le
peuple et la pluralité des personnes même de condition , qui ne sont pas
instruits de ces matières ny des conséquences de cette doctrine contre
l'autorité légitime de l'Église et contre l'intérêt du roy et de l'État, se
laissent persuader de cette infaillibilité; et je crois. Monseigneur , en cette
occasion, que cette doctrine est devenue si commune, que non-seule-
ment elle passe pour catholique, mais que même la doctrine contraire
passe, dans les esprits de ces personnes, pour une hérésie; mais cette
opinion si pernicieuse demeureroit bien plus fortement établie , si un
tel sermon restoit impuni. Car vous sentez. Monseigneur, quelles sont
les impressions que fait dans l'esprit de la multitude une doctrine ensei-
gnée comme la parole de Dieu et dans la chaire de vérité, et quelles en
sont les conséquences surtout quand il s'agit des premières règles de la
religion et du discernement de l'autorité légitime qui peut régler les
points de la foi. Mais l'entreprise de ce jésuite êst d'une conséquence
d'autant phis importante , qu'il a prêché cette dçctrine si contraire A
86 JOURNAL DES SAVANTS.
rÉcriture et à la tradition, aux conciles, aux canons, aux libertés de
l'Église gallicane , à cet arrêt , à cette déclaration , et si pernicieuse dans
rÉglise et dans FÉtat, comme une doctrine et une règle de la foi , et par
un sermon exprès, en séparant exprès et distinguant Tinfaillibilité du
pape, qui fut son principal sujet, d avec celle de TÉglise, qu'il ne toucha
quasi qu^en passant , et en traitant de ridicules , de théologiens de robe
courte , ceux qui defiendent la véritable doctrine de TEglise ; ee qui
tourne , par une conséquence nécessaire , contre les premiers magifltrîrts
du royaume et les officiers de la cour, qui se sont rendus les pnitec*
teurs de cette doctrine par l'arrêt du 3o may 1 663 , et enfin p^ un^
sermon prêché dans le cours d'un carême, dans une église cathédrale,
à la face d'un des plus amples auditoires du royaume et des mieux rem-^
plis d'officiers de trois compagnies, d'ecclésiastiques d'une cathédnde,
de trois collégiales , un grand séminaire et onze communautés de ré*
guliers de divers ordres, de tous lesquels corps il y a toujours bon
nombre au sermon ; et je dois encore ajouter. Monseigneur, i toutes
ces circonstances , que je ne vois pas d^autre partie ny d'autre juge dont
il faille attendre de justice contre ce sermon que vous, Monseigneur,
et le parlem^t. Toutes ces considérations me font espérer, Moasei*
gneur, que vous aurez la bonté , non-seulement d'approuver ma con-
duite , mais de la protéger et d'en faire votre affaire , comme elle l'est
plus que de personne. J'aur ois bien souhaité, Monseignelir, de vous
envoyer une information, au lieu d'un simple procès- verbal , mais il
m'a été nécessaire de me réduire à cette voye en attendant que je puisse
faire faire une information. Je vous prie de considérer qu'un procès^
verbal de la qualité de celui que je vous envoyé, en une affaire dé
cette nature , peut tenir liev d'information , sinon pour établir toutes
les peines que ce jésuite peut mériter, et que la cour pourra ordoaner
après une plus ample procédure, si elle le juge à propos, du moins
pour effacer et réparer promptement les mauvaises impressions de ce
sermon qui subsistent dans le public, par les voies que vous jugêres,
Monseigneur, le plus à propos par votre prudence »
Le procureur général auquel cette lettre et ce procès-verbal étaient
adressés était M. de Harlay, probablement Achille de Harlay, troisième
de ce nom , celui dont Saint-Simon nous a laissé un portrait peu flatté ,
et qui, avant d'être président du parlement de Paris, en i68g, aurait
été d'abord et se trouvait, en 1673, procureur général. M. de Harlay
rendit compte de la lettre de M. Domat à M. le premier président La-
moignon, et il fut convenu ei\tre eux que, d'une part, on approuve-
rait la conduite de Domat, que, de l'autre, on ne donnerait point tin éclat
FÉVRIER 1843. 87
Irop grand à cette affaire ; que pourtant on exigerait une double répara-
tion du père Duhamel : d abord un désaveu de ce qu'il y avait de blâ-
mable dans son sermon par-devant M. révêquè de Clermont, en son
palais épiscopal et en présence de Tavocat du roi (Domat) et du
lieutenant criminel; et, de plus, des paroles de paix et de soumissiofi
en chaire devant l'assemblée des fidèles. Notre manuscrit contient la
lettre où M. de Harlay écrit à Domat pour l'informer de ces résolu-
tions , et le procès-verbal de l'acte de soumission du père Duhamel de-
vant l'évéque de Clermont , le lieutenant criminel et Domat. Mais les
jésuites ne se tinrent pas pour battus. Selon leur méthode accoutumée ,
ils agirent auprès du roi , et lui persuadèrent d'enlever cette affaire au
parlement de Paris , et de l'évoquer à sa propre personne , en son cour
seil; et là ils obtinrent un ordre enjoignant aux gens du roi, t\ Cler-
mont , d'assoupir toute cette affaire , de se dessaisir des minutes mêmes
des divers procès-viBrbaux et de toutes pièces écrites en cette circons-
tance, et de les envoyer à Paris, au conseil d'État, et encore faisant
défense au parlement de Paris et à tous officiers du présidial de Cler-
mont de plus faire aucune poursuite contre le père Duhamel , comme
aussi au père Duhamel et à tous autres prédicateurs de parier ni'trai-
ter, dans leurs prédications, de semblables matières. M* de Marie, con-
seiller d'Etat et commissaire en la généralité de Riom , fut chaîné de
l'exécution de cet ordre , et il l'exécuta fidèlement. Le procureur du
roi et le greffier criminel durent remettre toutes les minutes qui étaient
entre leurs mains. Mais voici qui témoigne de la manière la plus vive
du sentiment d'honneur qui animait toute l'ancienne 'monarchie : le
greffier criminel pria que les minutes à lui demandées fiisseiU laissées
au greffe pour sa propre décharge, et il ne les remit que sur i'injoncr
'tion réitérée et impérative du commissaire du roi ; quant au procu-
reur du roi, au nom duquel avait agi Domat, U alla plus loin que le
greffier criminel; U fit une respectueuse mais ferme remontrance, et re-
quit un «ursis à l'exécution de l'arrêt du coBseil. Ce procureur du roi
s'appelait Pierre Pascal. On ne pouvait mieux porter un tel nom.
Nous ne pouvons résister au plaisir de citer ici une partie du procès-
verbal de cette dernière pièce.
uL'an 1 673 et le vingt-deuxième jour d'avril, p^r*devant nous Ber-
nard de Marie, chevalier, se%neur de Vercigny, conseiller du roi en,
ses conseils , maître des requêtes ordinaires de son hotd , et commis-
saire départi pour l'exécution des ordres de Sa Majesté , en la province
d^Ânvergne et généralité de Riom, est comparu M* Pierre Pascal,
ëouycTi seigneur du Monté! , procureur de Sadite Majetté en la séiié-
88 JOURNAL DES SAVANTS.
chaussée et siège présî(j[ial de Ciermont , lequel nous auroit dit qu'ayant
eu avis de la signifioation que nous aurions fait faire à M. le greffier
criminel de l'arrêt du conseil d'Etat, portant évocation de la procédure
faite contre le père Duhamel , jésuite il est obligé de nous remon-
trer par le devoir de sa chaîne que, par Texpositif dudit arrêt, il paroit
que Sa Majesté n'a pas été informée de la vérité de ce que ledit père
Duhamel a avancé dans ladite prédication , et laquelle ne peut être con-
nue que par la procédure qui en a été faite à la requête dudit pro-
cureur du roi, de laquelle ayant été envoyées des expéditions h M. le
procureur général, cette affaire auroit été consommée suivant des
ordres envoyés audit procureur du roi et ceux de M. le premier pré-
sident, d'eux envoyés à M. l'évêque de Ciermont, par le moyen de la
rétractation que le père Duhamel avoit faite de ce qu'il auroit avancé
dans sa prédication, par acte fait, le 27 du mois dernier, par-devant le-
dit lieutenant criminel, en présence du procui^eur du roi, et sa sou-
mission k l'arrêt du parlement de Paris, du 3o mai 1 663 , et déclaration
de Sa Majesté du à* août audit an, et les défenses faites audit père Du-
hamel de contrevenir directement ou indirectement à ladite déclara-
tion et arrêt, duquel acte ledit procureur du roi auroit envoyé une
expédition audit sieur procureur général , et partant , ladite procédure
se trouvant transmise suivant lesdits ordres, il est important audit pro-
cureur du roy que ledit acte du a 7 mars demeure au greffe dudit
siège, pour justifier de ses diligences et de l'exécution des ordres qu'il
a reçus dudit sieur procureur général , ce qu'il nous a requis de vou-
loir ordonner, 'et qu'il soit sursis à l'exécution dudit arrêt sous le bon
plaisir de Sa Majesté, en ce qu'il est ordonné par iceluy que lesdites
minutes seront mises en nos mains , jusqu'à ce que Sa Majesté ait été
pleinement informée de la conduite dudit père Duhamel par là grosse*
de ladite procédure , que ledit procureur du roy offre de faire délivrer
incessamment par ledit greffier, ou qu'il en ait été par elle autrement
ordonné sur les remontrances par lui présentement faites , et a signé
Pascal. »
Enfin , nous citerons une lettre du procureur général de Harlay à
Domat, dans laquelle il s'excuse auprès de l'austère magistrat de l'arrêt
du conseil, et l'invite à ne pas se décourager.
«Monsieur l'avocat, nous avons été aussi surpris que vous de l'ar-
rêt du conseil que vous m'avez envoyé. Si le roi eût été ici , je ne
doute pas que Sa Majesté n'y eût apporté les remèdes nécessaires , sur
les très-humbles remontrances que nous lui en eussions faites. Mais,
en son absence, nous verrons, dans la première occasion, ce que l'on
FEVRIEU l.<ïfi3
pourra laue pour y remédier. On ne peut ttriie lout ce i^ue l'on penie
et tout ce que Ton sait sur ce sujet , cl je finirai en vous assurant que
des choses de cette nature ne doivent pas vous crapèther de témoi-
votie zèle avec piudeuce dans toutes les occasions qui se présen-
teront. Je suis, Monsieur l'avocat, votre fiére et bon ami. De H'arlayî »
i.ef, pensilcs de Domat que nous Irouvoiis dans le Recueil de M"'Perrier
(p. 2-;'i) \ occupent plusieurs feuilles et Font connaître des côtés nou-
v<::liiix cl inattendus tic l'esprit et de rame de notre grand jurisconsulte,
Commençons par celles qui peignent le magistrat. H'impartial exécuteur -
ou l'intell^cnt réformateur dos lois, l'homme qui avait un senlimealft-
si profond et un amour si ferme do la vérité et du droit. ^^ "
Nous ne connaissons point, dans d'.Aguesseaii,dc plus belles et de plus
hautes pensées que celles-ci :
"Los avocats ont pour objet la vérité même.
V L'éJoquence de l'avocat consiste à faire connaître la justice pour le
vérité.
<i Fins difl'érentes de f éloquence : plaire, instruire, persuader, exhorter,
.'louer : toutes doivent avoir pour règle la vérité.
-. * Le geste est un effort de l'àmc popr se communiquer it travers le
nwr^s, et faire passer dans l'âme de celui qui entend ce qu'elle sent et
"ce qu'elle voit.
' Il Les gens d'épée appellent les ofltcicrs ' gens dlÉBÔIoise*: il ^^
appeler les officiers gens de tête . et eux gens de maia^V W
"Il y a une îhfmité de lois qui ne subsistent que parce «j^o»' n'a -pas
le temps de Ifis réformer. ,' 4Hft
"Les passions sont des lois que les juge^ suivent?' ^ '
«Nous faisons dans le palais, qui est le temple de ia justice, ce qa^
faisaient les marchands dans le temple. /
ii^'y a-t-il pas quelque comp^nie où ion examine sur Te bon eens
comme sur la loi-'»
Ecoutons maintenant fami du peuple, l'ami des pauvres et de la
pauvreté, un digne élève de cette grande écfjde* de stoïcisme clirétien
qui s'appelle Port-Royal.
(I Le superflu des riches devrait serviu pour le nécessaire des pauvres;
mais , tout au contraire , le nécessaire des pSuvres sert pour le superflu
des riches.
' OJficiers , gens pourvu» d'offices, le» magisl
i" T
uCin^ou six péndat'ds partagent la meiUeuro pertic du mont
i ricne. d
n est assez pour
I10U9 faiïrfî
Oîéû que les ricbesses.
jugfr quel bïpn r'eai
oOn doit plus crtîndrc d'avoir trop à l'heure de !
pto peiit
idant 1
t que trop
oOn se sert du prétexte de ce que l'on mendie pour ne "pas donnerait -• ^
à l'hôpilal, et de^iliôpital pour ne pas donner aux mendiants,^ **■ ^^
Les pensives morajes qui suivent, sans avoir une grande originalité,
valent assurément la peine d'être' (irées de l'oublî.
■c Comme le corpS s'anéantit et s'appesantit par l'Age et la dun'-e de la
vie, le ccpur s'appesantît et s'aHaiblit par la durée des mftuvaiseg ha-
bitudes.
« Les événements sont liors de tious ; notre volonté seide est à nous;
ne pouvant régler aucun événeftient, nous devons nous mettre en étal
gue nul événement ne nous trouble et ne nous empêche d'être heureux.
,i< II. n'y a que deux voies pour se rendre heureux et content, Twnp
de remplir tous nos désir» , l'autre de les borner h ce que nous [louvouj
. posséder. La première est impossible en cette vie; ainsi c'est une folifl
* que d'entreprendre de se contenter en ce monde par cette voie.
a Les maximes de morale des païens sont des régies particulières pour
de certaines actions , et en de certaines rencontre», pour certaines con^
ditions; celles del'Ëvangilc soatuuivQj^elles, car dles cliangeut le fond
.du cœur et s'étoident ù toute la conduite, en tous lieux et en toutes
rencontres. ■
u II y a une dilTérence extrême entre la manière dont nous sentons
les injustices qui nou.s regardent, et celle dont nous jugeons de celles •
qiii ne regardent que le prochain.
. <i Pourquoi souflroris-tious les douleurs sans nous mettre en colère,
ef nue nom ne souffrons pas les injustices et les maux que nous causent
les nommes sans mouvement de colère?
< "Nous voulonstellement plaire que nous ne voulons pas déplaire
ans autres, lorsque nous nous déplaisons à nous-mêmes, et que nous
voulons plaire à ceux qui nous déplaisent.
" Quand on est dans la vérité , jX ne faut pas craindre de cruuser ; on
trouve toujours un bon fond, on ne saurait mampjor d'être soutenu;
mais, dans les choses vaines et incertaines , il est périlleux de creuser.
«Les hommes ne jugent de la malice lies actions et du cœur de
i'honnne que par rapport à ce qui les touche. Une incivilité à letir
FÉVRIER 1843.
91
égard leur paraît plus criminelle que de grands péchés devant Dieu
qui ne choquent pas les hommes. -
«Tout homme qui a la moindre expérience dans le monde juge"
facilement que tous les autres, sans exception des plus raisonnables,
raisonnent mal quelquefois, et raisonnent mai, pour rordinairc. dans
leurs intérêls. Ainsi il faut être fou de présomption pour s'imaginer
qu'on soit l'unique au monde rabonnible dans son intérêt, et ne pas
se défier toujours dç, son jugement quand îi s'en agit. D'où j'admire
l'extravagance de la plupart des gens, surfout des plaideurs, qui s'ima-
ginent toujours tous avoir le meilleur droit du monde.
a On juge aussi témérairement en bien qu'en mal. Il y a du péril en
l'un et eu l'autre. Si on juge mal en mal , on blesse la charité ; sj on
juge mal eu bien, on blesse la vérité; c'est-à-dire que, jugeant mai
d'une bonne action, on fait tort à son prochain, et que, jugeant biep*, "-"*
d'une mauvaise action, on fait tort i "la vérité, ""^
« Les louanges, quoique fausses, quoique ridicules, quoique non crues,
ni par celui tpii loue ni paç celui qui est loué, ne laissent pas de plaire ;
et, si elle» ne plaisent par un autre motif, elles plaisent au moins par la
dépendance et par f assujettissement àe celui qui loue. »
Si les deux pensées suivantes étaient plus travaillées pour le tour al
l'expression, on les attribuerait aisément k celui qui a pris la défense*
des répétitions et qui réduisait toute la poésie à des figures, /ata( taa-
_ner, bel astre.
" On hait si fort les redites, que , quand elles sont nécessaires , on veut
au moins , à chaque fois , être averti que c'est une i-edite : dans ie pa-
lais. W((, ladite: c'est l'excuse de celui qui redit Mais d'où vient
cette haine des redites? La nouveauté et l'ennui des même» choses.
L'oi^eii y a sa part; car U y a apparence qu'Ain veut, inculquer par re- *
dites, et qu'on n'aime pas paraître dur à comprendre.
" La poésie a d'ordinaire plus d'éclat et plus d'agrément que.Ja'
prose; mais ce n'est que'comtift les grotesques dans la peinture : ce qui
V plaît est plus surprenant . mais assurément moins- Solide et utoias
b|au que ie naturel, n
Ma.iimes tout empreintes de l'esprit de Port-Royat. et qui auraient
pu échapper à la plume de Pascal dans un moment de négl^ence :
Il Aujourd'hui la dévotion et la vertu sont rhoses fort dill'érentes.
"Il est bien à crjundre que les dévotions, extérieures de ce temps,
scapulaires, etc. ne soient^dans la nouvelle loi, ce qu'étaient, dans
l'aijpienDe, les traditions superstitieuses des pharisiens, par lesquelles (A
¥■
92 JOURNAL DES SAV4î*TS.
sous prétexte desquelles ils quittaient l'esaâïtiel de la loi. s'imagiiiant
qu'ils étaient purifiés par ces ct^nl-monips. »
Voici les fondements mêmes de ce qu'on pourrait appeler la logique
et la pliilosopliie de Pascal :
Il Nous n'agissons pas par raieon , mais par amour, parce que ce n'est
pas l'esprit qui agit. luiiis le rœur qui gouverne, et toute la déférence
qu'a le cœur poiir l'esprit est qilc , s'il n'agit pas par raison , ï) fait ati
moins croire qu'il agil par raison. . *
H II y a deul manières de ^eioir h la connaissance de la vérité, fum
par démonstration , et l'autre par des vraisemblajices qui peuvent
nir à un tel point, que la preuve en soit aussi forte que la dénionsi
lion et même plus touchante, plus persuasive et plus convaioCantefa
par exemple, on est plus persuadé qu'on mourra, quoiqu'il n'y en ait
pas de démonstration, que de toutes les vérités d'Euclide.
"H est impossible d'avoir des, (Umonstrations des vérités de notre
religion, car il arriverait deux choses: l'une que tout le monde l'em-
brasserait, l'autre qn'il n'y aurait pas de foi, gui est la voie par laquelle
Dieu a voulu noOs unir àiui, h ^
Est-ce l'auteur des Lois civile* ou celui des Pensées qui a tçacé ces
lignes où ïesprit. i^humeur et la mélancolie, se confondent dans une
originalité si touchante? Ce peu de lignes nous font pénétrer dans l'âme
de Domat , et notis découvrent sa grandeur et ses misères , son austérité
et ses caprices , 1 iine_ et l'autre face de la médaille , f'horaroe tout entier. ,
- ' M L'esprit sans piété ne sert qu'A rendre misérables ceux qui en ont,
isequi arrive en bien des manières, et entre autres par la prane qu'il y a
à souffrir les sots.
a Ce n'est pas une petite consolation pour quitter ce monde que de
*sortir de la toulc d.u grand nombre des sots et des méchants dont on est
environné. . ,
• «Toutes les sottises et les injustices que je ne fais pas m'émouvÀt
la bile. ^ • . •
«Je ne serais*ni de l'humeur de Démocrite ni de celle d'Héracliti
p prendrais un tiers parti pour mon naturel, d'être tous les jours
colère contre tout le monde.
«Quelle salisiàction peut-on avoir de ne voir que des misères sans
ressources? Quel sujet de vanité de se trouver dans* des obscurités im-
pénétrables?
■( Un peu de beau temps, un bon mol, une louange, une caresse, me
tirent d'une profonde tristesse dont je n'ai pu me tirer par aucun eQjprt
'»
?
\'
f
s^
, m FÉVRIER 184^. ; 93
«pie machine que mo^ âme , quel abîme de misère et
J'ai une expérience réglée d'un certain toui' que fait mon esprit du
^ubie à#tf çpos , âa repos au trouble , sans que jamais la cause ni de
ni. de lauti'e tîesse , mais seulement parce que , la roue toiurnant,
à aeypouve tantôt dessus.^ tantôt dessous.
- « Mon sort^^st différent^ àtx vôtre ; vous changez souvent d'état , et
moi je *suis toujours à la même place; nous sommes pourtant tous deux
égaiementMfarmentés : vous roulez dans jles flots, et je les sens rouler
sur moi^7
t ' .. . / '^ V.CODSIN.
^ Saggi %i natubali esperienze EssaU^' expériences faites à,
FAciidémie del Cimento. Troisième édition de Florence, précé-
I dée d'une notice , historique de cetto^cadémie, et suivie de"
quelques additidîfis* ^ Florence^ iS^rfro-A^
l^ns un avertissement placé en tète de ce w)lume il est dit que
cette édition, entreprise sous les auspices du gouvernement toscan, a
été donnée ena présent aux savants italiens qui, en iS^i, se réunis-
saient au congrès scientifique de Florence. C'était certes une excellente
idée que d'offirir aux physii^iens et aux naturalistes assemblés dans cette
mémorable circonstance un livre qui peu t. encore servir de modèle et-
de guide dans l'art difficile d'pbserver et de faire des expériences ; et
npus sommes assuré que le zèle des savants italiens a dû être puissam-
ment stimulé par le souvenir d'une société si célèbre , dont pn mettait
ainsi de nouveau le^lravaux sous leurs yeux. Ce souvenir, ranimé par
l'aspect des anciens instruments de physique qu'on conserve encore à
Florence , de ces instruments que construisirent Galilée et Toricèlli , *
aevait eiji^ammer d'une noble émulation les hommes d'élite qui se près-
lAdent, il y a deux ans, autour de ces précieuses reliques scientifiques.
Réunis dans une salle destinée à l'apothéose de *Galilée ,. ces instruments
^ Dans le cahier de juillet 1 84 i«p- 435,1. 33, auIieudeiËrunellesco, HseziAlbertî.
Dans le cahier 'de janvier i843 t p^3 f 1. a4 » au lieu de : point , Uses : guère.
m
94 JO.URNAL DES SAVANTS,
si délicats, qui. malgré mille chances de destruction, çnt traversé deux
siècles, semblent annoncer que, lorsqu'il a été touché par an h(Hnine
de génie, que. lorsqu'il a servi à une découverte impoitante, le verre
le pins fragile devient |)arfoiB plus impérissable que l'airain.
L'édition que nous annonçons aujourd'hui a été dirigée par MM. An-
linori et Gazzeri. bien connus tous les deux en ItaUe comme physiciens
et comme écrivains. Sans être effrayés par la nécessité dans laquelle
ils se trouvaient de paraître à jour lixe et dans un tris-court délai , ils
ont mis au jour un ouvrage .qui occupe déjà un rang tiis-distingué
dans la littéralure italienne. Le succès qu'ils ont obteiu^ iiiit vive-
ment regretter qu'A ne se présente pas plus souvent , en Italie , de sem-
blablos occasions où l'esprit soit forcé impérieusement" de quitter un
état de vague <;ontemplation pour passer à l'action. Si, chez d'aulres
|ieuples, la production intellecluelle. sbumise à une cyièce d'exploitation
régulière, semble parfois perdre de sa spontanéité pour devenir une*
sorte de denrée ou de maichandise, elle n'est, du moins, jamais inter-
rompue , et le talent, continuellement stimulé, n'est guère exposé it s'en-
dormir. A Dieu ne plaise que nous fassions ici un ap[)el à UQC littérature
vénale qui deviendrait le fléau de la société; mais, dans un pays comme
l'Italie, oiw actuellement les habitudes et les mœurs paraissent quelque-
fois repousser les ed'orts persévérants, où aucune carrière n'est ouverte
i l'ambition , où , avec une publicité très-restreinte , l' émulation ne peut
agir que bien faiblement, c'est mettre les écrivains à une trop rude
épreuve que de tes forcer, comme cela arrive à présent, à payer le
plus souvent les frais d'impression d'un livre qui leur a coûté plusieurs
années de travail. Nous croyons donc que, à défaut d'autres stimulants,
-ce qu'on pourra faire pour améliorer Ja condition matérielle des écri-
vains et des savants italiens sera utile, et mérite la sollicitude de tous
ceux qui aiment ce pays.
Plus heureux que beaucoup d'aulres, MM. Antinori et Gazzeri , qui
n'auraient pas été arrêtés par de semblables dilTicultés, ont été forcés,
par lés solhcitations du gouvernement toscan, de produire à point
nomipé l'ouvrage dont nous devons rendre compte aujourd'hui. Us se
sont partagé la besogne. M. Antinori s'est chargé d'une introduction
historique, "qui est un ouvrage fort considérable ^ el M. Gazzeri s'est
occupé de corriger le teste el de préparer les additions qui devaient
figurer dans cette nouvelle édition. Un travail de cette nature, fait par
' Cetie fntroduction se compose de centtreale-Irois pages, grand iu-4°.
•>
r*
iT
PÉVBJER 1843. -95
deui salw^fltii^ont dû^'aider d^ toutes les ressources que leur of-
fraient les mbliothèques de FloatÈtice, et qui ont pu recueillir les tradi-
Jjons'et les souvenirs conservés dans le pays, mérite un exâtnen ap-
profondi. Nous en rendrons ùil compte détaillé , en commençant par
l'introduction hiftorique placée en tête du volume.
Dans éette introduction ,jil. Ântinori trace d'abord rapidement la
vie de Galilée, et montre Neomment TÂcadémie del Cimento a été for-'
^^i^ ftiée par les disciples et les descendants de ce grand philosophe. La
^ métibiflc jBxp^imei)tale , qu'il avaitintroduite dans Tétude de la nature,
ouvrait un champ iibmense aux explorations des savants, qui purent alors
se réunir et travailler utilement en commua. C'est là eflectivemantice qui
*;^rriva; fnais peut-être 'doit -ton regretter que M. Antinori n'ait pas
•^flonné quelques détails sur les sociétés scientifiques qui avaient été fon-
jîRe^ précédemmMt en Italie. Quoique le savant autem: de cette intro-
duction^ût être naturellement portéà placer horsde ligne l'Académie del
tlimento, i^ll^i aurait été facile d'esguisser en quelques pages l'histoire
des plus ai^Éennes sociétés savantes de l'Italie; ce devait être là, à notre
. « avis , la base et le^point de départ de cet ^itéressant ti%vail. Car, si ces so-
^^ ciétésv9*6nt pas fait alors d)» travaux comparables aux célèbres Essais de
*^.J'Académie del Cimento, elles ont été utiles aux sciences, et, si elles
*' n'ont |fiis produites résultats .plus décisif, il faut surtout en chercher
la caufié'dans l'état politique de l'Itîàlie , au xv* et au xvi* siècle , et surtout
dans les vexâtes et les persécutions dont les académies furent d'abord
l'objet. H suffira d'un seul exemple pour montrer quel fut, à une certaine
époque , le sort de 'ces sociétés en Italie. Cneiies plus anciennes acadé-
mies philosophiques , foadée à Rome par Pomponius Lœtus, au xv* siècle, *
fut dispersée,' en a 468', par ordve de Paul II. Ce pape, s'imaginant que des
^académiciens, qui, dans les lettres jatines qu'ils s'adressaient mutuelle-
ment, s'appelaient quelquefois patr6m5a72ctîs5Îmam, conspiraient contre
lui et voulaient s'approprier son titre, les fit jeter tous dans des cachots.
Il fiiutJire dans Platina le récit de cette persécution, que l'on. a de la
peine à comprendre actuellement. Non-seulement, en deux jours, plus
de vingt personnes furent, à cette occasion , tourtnentées de la manière
la plus barbare, mais, par un rafiinement de cruauté, l'ecclésiastique qui
présidait à ces tortures *mêlait l'ironie aux supplices , et pariait d'amour et
de femmes devant ceux dont on bridait les os ^ ! Cet accouplement mons-
' Voici le passage origioal de Platina : • *
; «Uberatus hoc metu Paulus ad nos stâtim animum adjidt. Mittit in areem Ma-
• •
•
9^
96- JOURNAL .DELAVANTS. ^ - *• *•
ti*ueux de féroci^p et de luxure étaiu^ xv* ^cLOt tin dé^Rmtèm de
cette cour de Rome; qui, même avniliL^i^exandre VI, avait rendu né- , *
cessafre la réforme. Ces malheureux Ismguirent^ longtemps en pnson^^
et, lorsque enfin le pape parut se relâcher de sa rigueur, il déclara héré-
tiques tous Ceux qui , à Tavenir, sérieusement ou métm pour rire , pro- . r^
nonceraient le nom d'académie « Paulus tfgMn hffreticos eos pronan^tiavit
qui- nomen Acadejytiœ vel serio veljoco deinctps comm^morarentor ^; » telles
sont l^s paroles'inçroyables, mais vraies, de lliistorieQ contemppmn/ -^
On conçoit que de semblables^ menaces ne devaient. gu^^e^iSS^ou- ^ *
ragèr les savants h se réunir pour'travailler en commttti : aussi , pendant
longtemps , il ne se forma en Italie aucune société scientifique régulière.
A la vérité Léonard de Vinci, ce grand 'f>eintre qui cultiva avec un ^gailf^
succès toutes les branches des connaissances humaines, avait foijcî^^WF .
à la coui* du duc^ de Milan , une académie ^ qui pai'ait avoir eu pdn^
^ objet rétude dès science mathématiques et physiques; mais ikne nous
reste que des indications bien fugitives sur cette société , dont les . •
piembres furent promptement dispersés par suite des guerres et des ^
driani Vianesiuln cum Johanne Francesco clugiensi 3anga et satellite qui nos quovis *
génère tonneniormin adigal ea etiam fateri quœ nusquam sciebamus. Tor^entur ^ $
.prima et seqpcnti die mulli ; quorum pars magna prsB dolore. in ipsis cruciatibus \
concidit. Bovem Phalaridis sepulchrum Hadriam lum putasses ;«deo resonabtt fornix '* ^
ille concavus vocibus miserorum adolescëntum. Torquebalur Lucidus bomo om- ^
' nium innoceniissimus. Torquebatur Marsus Demetrius ; AugusUaus Gampanus op-
timus adolescens et unicum secuii nostri decul : si ingenium jpft littêraturam inspicis ^j^J^^^^
•quibus cruciatibus et dolore animi mortuum postea credideom. Fessi tqrtores, >^on^HHSM^
tamen satiati. Nam ad viginti fere eo biduo questioni subiecerant. Me quoque ad J^^^^T'
* pœnam vocant. Accingunl se operi camifices : parantu* tormenta : spolior : laceror : ^^^^k
trudor, tanquam crassator et lalro. Sedel Vianoaius tanquam alter Minos «^catis ta- ^r
petibus : ac siin«nuptiis esset, vel potius în cœna Atrei et Tantali. Homo inquam^
sacris initiatus : ei quem sacri canones fêtant de laicis questionem habere : ne tl\ if
mors subséquatur: quod in ibnnenlis interdum accidere sôlet: irregularis (ut eo-
r^m verbo utar)*et impius habcatur. P^eque hoc quidem contentas : dum pendcrein ^
miser in ipsis cruciatibus , manilia sangœ clugiensis attrectans hominein fogabat :
a qua puellà donum amoris babuisset. De amoribus locutus.ad me conversas in-
, stabat, etc. > Il n^est peut-être pas inutile de rappeler ici que cet ouvrage a été dédié
far fauteur au pape Sixte IV, et que ce récit a été publié très-peu de temps après
époque dont il s'agit, et lorsque la plupart des témoms et des victùnes de ces sup-
plices étaient encore vivants.. Nous avons suivi ici fédition de 1^79 des Vies des
pontifes, par Platina. — ' Platina ajoute plus loin : « Humanitatis autem studia ita
Paulus odérat ei conteinnebat, ul eius studiosos uno nomine hsreticos appellaret.
l^anc ob aem Romanos adhortabatur ne filios diutias in stadii44itteraram versari
. paterentur. Satis esse si légère et sciU>ere didicissent.i — * Voyez, ace sujet, jnotre •
«fiistoire des sciences mathéjnatiques en Italie , t. III , p. a 1 . • *
■
FÉVRIER ISlkS.'^ 97
invasions auxquelles la Lombardie fut livrée à cette époque. Pendant
le XVI* siècle il ny eut guère d'associations scientifiques, et une seule/
TAcadémie des Segreti , instituée par Porta , à Naplrt , a pu échapper
k Toubli sans pour cela que Ton en connaisse Toi^anisation. Au
mencementdu xvii* siècle, il se forma, à Rome, une société, puissa^i^'
les chefs qu elle avaif; et que les travaux de plusieurs de ses menfjcres
rendirent célèbre. Cette académie, qui mérite une attention particu-
»re^ fut fondée par Frédéric Gesi, fus du duc d'j^ùÉtaïaspara , et plus
»nh\i sou« le nom de prince Gesi, Elle s* appela /itadémie des Lmeei;
d*après le lynx, animal que Cesi choisit pour devise et auquel les an-
ciens attribuaient une vue extrèmejnent perçante. • '
^.;. Le prince Cesi avait à peine dix-huit ans , lorsqu'il conçut et exécuta
le projet de fonder cette académie, dont la première séance^ eut lieu
le 17 août i6o3^. Rempli d'admiration pour Porta, dont la Bupiommée
remplissait alors l'Europe , et dont les ouvrages étaiea|| t|pdïiits dans
* Dans son ouvrage M. Ântinori dit (p. 160) qtie f Académie des Lînèë!, chê'ebbe
per iscopo spéciale lo studio délia storia naturale, ne doit pas être comnaréeii f Académie
del Gmento. Sans doute celle-cî a produit des résultais bien plus remarquables;
m'|is il lie serait peut-être pas exact de dire que TAcadémie'des Lincei atait pour ob-
jet spécial fétude de l'histoiretiatureile. En effet, dans les constitutions de cette aca-
démie, il est dit, en parisnt des études politicms : «H«c extra physica, etmatbe-
matiib studia , proiademïpraeler academicitin mstitutum , Lynceo absque agnomine
tfansfiguntur. » (Odeseallcbi , MemormÊU^Mcei, Roma, 1806, in-A**, p. 3 1 a .)&étaient
donc, en général, les sciences pbysîi^JPRt mathématiques que cultivaient ivLincei.
Si , au commencement de ces constitutions , on parle de disciplinis naturalHus, cela doî^- '
s'entendre de fétude delà nature en général (car on ajdtite immé4iatement prœsertim
'^^Ikithematicis) ,ei non pas seulement de f histoire naturelle. Cest ce qui résulte de Ten-
*^semble du passage suivant : « Philosopbos suos (LMOceÉAcademia) academicos desi-
derat, qui ad rerum ipsispimarum cognitionem (endenles, disciplinis naturallbus,
praesertim mAthematicis >||ft dedant , iisque sedulam commodeiit operam , non ne-
glectis iillerim amœniorum musarum et nhîiologit^ omamen^s , ut qus , ad instar
elegantissimae vestis, reliquum totum scieSarum corpus^ondecÔirent; idque eo in-
dustrie magis quo derelinquis-, qui plures haTconsueverunt , quia minus studiosislu-
crinare existimarentur. Hinc L^hceonim fmis et institutum ; hinc contemplatio magis .
^ pivposita. Nec aliunde Lyncis insigne,etc. » (Odescakhi, Memorie dei Lincei, p. 3o8.)
Les^uvrages^que Galilée adressa èN*Académie des Lincei, et qui furent publiés
auiTirais de la société; nous aotoblent prouver d*une manière irréfragable que cette
académie n*avait pas pour but spécial V histoire naturelle. On voit, par les actes de
Tacadémie, que, le i5 olHobre i6o3, on commença les travaux académiques par
des leçons de philosophie, de mathématiques , 'd'histoire naturelle et de physique.
Pour les Lincei Thistoire naturelle comprenait lout Tunivers : « Naturaliumque ob-
servationibus (disai^t-ils dans leurs Constitutions) et magni naturae libri (cœli in-
quam et terrx). etcT» (Odescnlchi, Memoilê^dei Lincei, p. 3o9^ -^ * Odescalchî,
Memorie dei Lincei, p. i3. ' '
i3
m-
98 JOiteNAL DKS SAVANTS.
tOAife^ les Isftigues de TÈurope et même en arabe , Cesi forma le pro-
jet d'étudier ia nature et de lui arracher quelques-uns de ces secrets,
Savaient rendô si célèbre le physicien napolitain. H s associa , à cet
^t, deux jeunes savants, Stelluti et de Filiis, auxquels vint se joindre
tl^ecin hollandais, appelé Eckius. '
Us étaient tous très-jéunes : mais Us surent sup^éer par le zélé et par
la persévérance au mantjue d'expérience, et ils jetèrent les bases d'une
institution qui a^ft^les plus heureux effets sur le renouvellement dé
philosophie naturêfie. Des travaux remarquables leur ont assuré
place dans l'histoire , et pourtant leur nom n'est presque jamais ppo»-
nonce et jie se trouve guère dans les biographies. C'est pourquoi nous
crcîyons devoir nous y aroêter un instant. . **
*De Filiis, natif de Ternit était un parent éloigné de Gesi. U s'applK
quait spécialement à l'astronomie et à rhistoirefU construisit uiti planis-
phère pau^fi^ confrères , et fut le premier secrétaire de l'académie.
On ne eojgmîi ni sa vie ni ses travaux : on sait ^eulemept qu'il étu-
diaièles^ilfops antédiluviens, et qu'il s'appliqua à la construction de
certaines lampçs d'une forme particulière. Lors de la dispersion de l'a-
cadémie, de Filiis se yetira à Terni, et ensuite à Naples, où il mourut
en 1608, à l'âge de trente-deux ans^ "" *
Stelluti était de Fabriano : il^occupait de mathématiques et d'histoire
naturelle. On a imprimé de liii-UP ouvrage suç.réi|. bois fossile, i|uel-
ques Doésies, et une traduction de r^Mjjjcn langue ilalicnne. Cette tra-
duction est accompagnée de notes forWrvantes. Il suffira de citer, à ce
sujet, les observations microscopiques sur divers insectes, avec les fi-
gures, insérées dans ces notes ^. gN>
Le médecin Eckius était allé fort jeune dans les États Romains, *
où il exerçait la médecine. Cétait un homme surent et enthousiaste :
il cultivait la philosophie , la mécanique et les s^bnces nature^j^s ; il a
écrit des comédjesr, # il ^ laisséMti grand nombre d'ouvrages inédits
•
' Odescaichi, Memorie dei Lincei, p. 36-87. — ' Persio, tradotte in verso sciolto
da Francesco Stelluti, academico hinceo , Ro|xia, i63o, in-4*, p. 47, 52-53, 127,^
etc. Dans Le Api de Rucellai, poète italien , «(tii écrivait en|i524, ^ trouveg^es
observations anatomiques faites sur les abeilles à faide de miroirs grossissants, voici
le passage si remarquable de cet auteur : ^
« lo già mi posi a far di questi insetti
Incision , per molti raerabri loro.
(Che chiama anatomia la lingua greca)
Taate cure ebbi délie picciole Api. .^
E parrebbe incredibil, s*io narrassi
FÉVRIER 1843. 00
que Ton croyait perdus ^ et dont la plupart existent en France^ actuel-
lement.
Quant à Cesi,:qui était lame de la'société, il a laissé plusîe|||^ ou-
vrages sur toutes les branches des sciences; mais, presque tous ^ ces
écrits ont péri ^. Cette perte est d* autant plus regrettable, que les,Tables
pbilosopHiques , qui ont été publiées et qui Oontiennent des découvertl^s
importantes sur la physiologie et le genre de la philosophie botanique ,
en général , donnent une plus vaste idée de son génie *.
Âlcuni lor membretti , corne stanno.
Che son quasi invisibili ai noslr' occhi ; . * ■
Ma s* io ti dico Y instrumento, e' 1 modo,
Ch* io tennî, non para impossibil cosa. i^
Dvnque se vuoi saper quesfo tal modo ,
^ Prendi un bel specchio lucido e scavato, ^
In cui la picciol forma d' un fanciuHo, *
Ch* uscito sia pur or del matern* alvo ,
Tî fcnnbri ne la vis ta un gran colos9p ; .
Siimle a quel del sol, che stava in Hodi.
' £ comequel, che fabbricar già volse»
Dimocrate architetto, per scolpirne - . . •
La fortunata imagin d*Alessandro ^
Nel dorso del superbo monte d'Ato. ^ ,
Cosi andrai multiplicar la imago
Dcd concavo reflesso del métallo , *
Iii' guîsm tal che TApe sembra un drago
Od àltra bestia elle la Libia mes a. ^
Indi potrai veder come vîd' io ?,
L* orgaQO dentro articulato , e fuori , etc. » * ^
*''' (Alamanni, la poltivazione , eR\}|^ai, le Api^
Firenze, 1690, in-8*, p. jl48-a^Q.)
^ Odescalcbi, Memorie dei Lincei, p. 78 et 269. — * Nous avons d^à cité dain
ce journal (sep^mbre 18A1, p. 553), quekj^es écrits autogràpl|Bs a£ckiu^
rhistoire naturelle , qui se conservent à la mbliothèque de Téc^ de méde
de MoiApellier. Il y a quelques années que, dpns une vifa^iuU)lique , nous ^ a;
acheté deux volumes autographes d*£ckiusf%)nt run^HfpIktient un tra
cosmografilGfië et deux comédies , est cité par Odescalcbi. (Mmorie, p. 276.) L*
qui e0t.JDn énorme in-folio, renferme un grand m^iy^re de dessins de machines
avec l'explication. La première des deux comédies est en italien ; elle a pour titrç*:
Jla donna padica. L'autre, qui a pour titre : « Hecastus, comœdia sacra, a Joanne
Heccio (51c}, Belga Daventrensi, anno Domini 16941 et aetatis suae i4; 3 Martii,^
est en vers latins. Le recueil de machines est précédé d'une lettre Tort intéressante,
adroisée par Eckius, en i6o5, au prince Cesi. Avant cette lettre il y a, dans le
manuscrit, celte espèce d'adresie aux Lincei f « Ostendite Lynceorum illustrissimo
prîncipi , sapienten^ nullam servitutem, scdsacram saltem obedientiam, admittere. »
— ' On peut en voir la liste dans O^scalcbi. (Memorie, p. a 65.) — 'On trouvera
i3.
- »
100 JOURNAL DES SAVANTS.
P^r «'assurer la propriété deieurs découvertes, les nouveaux aca-
démiciens travaillèrent en secret , et ils attirèrent par ce mystère Tat-
ten^ob Au gouvernement. Le père de Gesi devint lé^plus ardent fer-
sécitteàr des amis de sonfili^^ et alors commença une véritable action
dramatique avec açcompagnemep^t de violences et de sicairesi Lorsque ,
pdbr se^ustraîreaux dangei^qui lés menaçaient, les académiciens étaient
forcés de se cacher, on les faisait enlever par des compagnies de sol-
dats; ils" se sauvaient et recommençaient à travailler. L'inquisition s'en
ihèla. Eckiùs fut dénoncé comme un assassin fugitif,' et , ce qui était
biennius grave à Rome, on le taxa d'hérésie. Le cardinal Borghesi,
qui plus tard devint pape sous le nom de Paul V, s'acharna contre les
piembres de la nouvelle académie, qui furent dispersés sans cesser de
correspondre et de travailler avec'une constance inébr^lable.
Eckius visita successivement toutes les contrées de l'Europe et ren-
dit compte V ses collègues de ses observations. Il fallait pdtirtant sous--
traire cette correspondance à tous les yeux\ pour dérouter les qjirieux
on inventa des alphabet^ bizarres. Parmi les manuscrits de la biblio-
thèque de l'école de médecine de Mpntpellier, querfibus avons cités plus
haut, il y a des volumes écrits par Eckius en latin, en caractères
arabesUft quelquefois même en signes alchimiques \ c'est-à-dire en ces
caractères que les alchim^tes employaient, au moyen âge, pour s'as-
surer le secret de leurs préparations. ' . ' ¥ *
Cette persévérance fut récompensée. Peu à peu I4 persécution s'a-
paisa , Cesi , qui possédait de très-grandes richesses et qui tenait aiut
plus grandes Èamilles, devint avec l'âge un des hqmmey l^^jlus con-
^jsidérable^de Rome,, et l'on sentit qu'il fallait le ménager.^||kntôt les
savants les plu» célèbres demandèrent à faire partie de cette société.
La chose Vêtait point facile; Galilée, Fabilis Colonna, qur&t un des
plus grands botanistes de son temps. Porta et quelques autres, furent
lis». Le scrutin , car on votait, ne fut pas également favorable INbus
candidats, et il^t fort cudgux d^ voir que Bacon, le céHJKpé au-
du iVovam àf^rainm, fut/^lroposé et refusé**. Appuy^H|h'*46 tels
Iï8ft&ies, Cesi se seiitît beaucoup pluf fort et conçut un pr^e^nfiqjiT
ment plus vaste. Il se pr^osa de faire de "«on académie ime^pedi^
d'ordre philosophique , une association dans le genre de celle^u*avaielp
une analyse détafllée de cet ouvrage dans Odescalchi. ( Memorie, p. a 49 ot fuiv.)'-<*
^ Voyez les n" 5oS«5o8 de la bibliothèque de fécole de médecine oe MoDtpiill|^.
— * Lisez, à ce sujet, le Prospetto' délie Memorif aneddote dei Lincei, raccolte^
Francesco Cancellieri , Roma, i8a3, in-S*", p. ^. (Opuscule extrait du Giornale Arca-
FÉVRIER 1843. 101
formée les pythagoriciens, et de rétablir dans tout r\jnivers. Toutes
les grandes villes de l'Europe et de rAmériq[ue devaient posséder un
lycée ; ces lycées étaient obUgés de correspondre entre eux et de»
valent dépendre du lycée central. Une de ces maisons secon^ires fut
organisée à Naples, d'autres devaient bientôt s'ouvrira Padoue, à Co-
logne, à Vienne, à Paris, à Séville, et même aux Indes ^. En 162^
parurent les constitutions de cet ordre philosophique. En voici la subs-
tance :
Les académiciens se partageaient en trois classes : les élèves, les maitres
et les émérites. Les élèves et le*imaîtres travaillaient; les émérites con-
tribuaient aux dépenses. Les savants qui se consacraient à cet institut
étaient logés, habillés et nourris aux frais de la société, qui fournissait,
en outre , des maîtres et des livres. On mettait à leur disposition tout ce
qui pouvait êti'e utile aux travaux qu'ils voulaient entreprttodre, et chaque
lycée devait posséder un observatoire, une bibliothèque et une impri-
merie. Pour être admis dans la société, îl ftilait avoir achevé ses études
et êtie âgé de vingt-deux à trente ans. Les moines étaient exclus. Le no-
viciat durait cinq ans. Tout élève, pendant ce temps, devait composer
lui ouvrage , pour le présenter au prince à la fin d|| noviciat. Il était
défendu de s'occuper de politique, de théologie et d'alchimie. Le!^
sdences physiques et mathématiques devaient former l'objet principal
Aé9 travaux de chaque membre. Mais la société ne repoussait ni les re-
cherches historiques, ni les travaux littéraires.
Si cette entreprise gigantesque ne reçut pas toute l'extension qu^Jc
fondateur avait imaginée, elle j^rit un développement qui doit sembler
prodigieux , si Ton considère que c'était ià une institution privée , et
que des particuliers en faisaient les frais. Une correspondance immense ,
des travaux Irès-remarquables (panaàîïesquels il faut citer surtout plu-
sieurs écrits de^fialilée et de Çolonna, qui furent imprimés aux frais de
la société, aiiiîsi que -^K!i^iti6fV de f ouvrage d'Hernandez, auquel on
travailla en commun J, une rare activité dirigée vers l'étude des sciences,
une protection constante accordée à tous les savan^ et particu-^
li^ement k Galilée, qui ttouva toujours un appui clS les Lincei;
tels sont les prïDcinaux résultats que produisit cette association. Après
vingt-sepifems de travaux glorieux, elle fut dissoute, en i63o, par la
mort de^SUskSf^ par les persécutions dirigées contre quelques-uns
^% làgs priiSibipaux académiciens. Mais les services qu'elle avait rendus
'* MX science^ ne auraient être passés sous silence; et l'on doit regret-
-'. * Odescalehi TM^mone dei Lincei, p. aai et a43. "^
I«2
JOCBNAL DES SAVANTS.
ter. BOB» le K|iéfanf. que, pressé par ie temps , M. AiitiiK»i o'ait pu
pa «MHOirnr qudqoes pages à cette société. Le talent doot U a iâit
ynsre dams son hi^oire de l'Académie del CimeDto ne peut ([D'augmeD-
ter o» nçrets. Les ressources qu'il pouvait trouver dans le pays, les
Jocmnents qu'il avait à sa disposition, auraient, saos doute , cootnbué à
dOBoer de fintérét à ce chapitre de son bel ouvrage; au reste nous e»-
|iéroas que le savant auteur pourra reprendre plus tard ce sujet, et le
taiser de manière à ne rien laisser à désirer. C'est dans cet espoir que
BOUS ne nous arrêtons pas davantage ici sur l'Académie des Lincei, et
qae nous ne parions pas 'de quelques autres associations scientifiques
qui ont précédé, en Italie, l'Académie del Cimento. Dans un prochain
arlide nous rendrons copipte de la partie du travail de H. Antinori
qui précède immédiatement l'bistoire de cette académie.
G. UBïa.
VAttT DE LA RniTOitiQUE PAR Abistote. Texte coUatioimè sur les
■ mantucHU de la Bibliothèque da Roi, et tradait en français par
C. Minoïde -Mynas , ex-professeur de philosophie et de rkétoriqae
en Macédoine. Paris, chez réditeur, rue Saint-Hyacinth^-Saint-
Michel, n" a5.
ZiNATOTH TEXNQN , sive artium tfriptores , ab initiis astjae ad
editos Aristotelis Ubros. Composait Leonhardus Spengel , Mona-
censis. Stuttgard, 1828.
TBOISliME ARTICLE.
Liv. I, c. VII, Sti. — Aristote, énumérant les signes auxquels on doit
reconnaître qu'une chose est meilleure qu'une autre, dit ^Kal ^ to pi^-
yiertop tov fuySrrou iixÊpé)(;ji, xol mtràL aùrâti' xal &ra aùri du^rôw, »ai ii
fiiyttnov tow fisyùmv oJov, et à néyi<rros db/^p ywaa^ titt ftxyiams fiti-
Zuv, xai S^e^f ol éiiSpes tÛv ywtuxêv fieilovs' xai el ol AnSfxs^tSôv ywat-
xà» 8>&)$ faltflvff xaii dviip è fiéyiaros tvs fisyitmis yvva^^ |||(w èati-
X0701' ;ip t-^j^rsiv si iJTTEpoxal TWi' jErwi' xaJ Tti'v \uyi<rs'j.'v iv aSroJs. Le
premier membre de c^UMfarasc est d'une concision tjui.au pi'cmier
abord, présente qiielq^^^^H^té ; mais l'exemple que le philosophe
apporte vient bientôl^^^^^BHr. Les deux parties de la phrase.
FÉVRIER 1843^. 103
effet , sont calciuées Tune sur lautre , et ne diffèrent qu'en ce que la se-
conde offre une application du principe que pose la première. Cette
conformité même ne contribue pas seulement à éclaircir le sens , elle
peut nous aider à rectifier le texte. Remarquons d'abord que les éditions
d'Âlde et de Basic suppriment les deux conjonctions el, et que quelques
autres éditions, telleis que celles de Camotius, en placent une entre
Sfojs et ol AvSpes. Vettori est le premier qui leur ait assigné la place;
qu'elles occupent aujoiu'd'hui, en se fondant, nous dit-il, sur ses ma-
nuscrits. Mais, pour qu? la correspondance entre les deux membres
soit parfaitement régulière , il est encore nécessaire , ce me semble ,
de lire dans le premier èàv, au lieu de 6(tol^ correction qui se trouve
indiquée à la marge de l'édition de Venise, comme l'obseiTe Buhle.
Je vois aussi que les anciennes versions, notamment celle de George
de Trébisonde, supposent cette conjonction : «Item, si maximum à
maximo exj^ditur, ipsa quoque ab ipsis; et si ipsa ab ipsis, maximum
quoque à maximo, etc.» Dans tous les cas, ji la faut sous-entendre ;
car la phrase entière ne peut signifier que ceci : « Et , si le plus grand
dans un genre l'emporte ?br le pKis grand dans un autre genrç^ ce sont
les qualités intrinsèques du genre qui donnent cette supériorité ; et , JI
^ quaUtal intrinsèques du genre donnent cette supériorité, il en ré-
cite ^eié plus grand l'emporte sur le plus grand : par exemple , si le plus
grand homme est plus grand que la plus grande femme , cela tient à éè
qi^jjgénéralement, les hommes sont plus grands que les femmes; e^,
sî'mi nommes sont généralement plus.grands que les femmes, il en ré-
sulte que le plus grand homme est plus grand que la plus grande femme ;
car il y a analogie entre la supériorité du gente et celle des plus grandes
choses dans chaque genre. » Pour l'intelligence complète de la pensée
d'Aristote, il n^t pas inutile ^'ajouter que, par grande il entend , ainsi
qu'il le remarque quelques lignes plus haut, ce qui surpasse, et par
petit ce qui est surpassé : Kaï ÙTrepéxpv pih, tb (xéya • rb Se iKXeînovy
(Âtxpév,
J'ai voulu expliquer et traduire tout d'abord ce passage, afin que le
lecteur pût juger tout de suite copibien M. Mynas et ses devanciers se
sont éloignés du vrai sens. M. Mynâs traduit : « Si , entre deux biens
majeurs, l'un surpasse l'autre, les parties du premier surpasseront aussi
celles du second ; et si c'est, les parties , le tout aussi surpassera l'autre ;
par exemple, l'homme le plus grand surpasse la femme la plus grande,
les hommes grands , en général , surpasseront les femmes grandes ; et, si
les hommes en général [sic) , et le plus grand surpassera la plus grande ;
car f excédant dans les genres se trouve et dans le tout et dans ses parties* »
104 JOURNAL DES SAVANTS.
Ca^sandre et M. Gros qui Ta suivi,- sans traduire d'une façon si obs-
cure et si embrouillée, n'ont guère mieu^ compris le texte. M. Gros
paraphrase ainsi ce morceau : « Si une chose , qui est la meilleure dan^
son genre, l'emporte sur une autre qui est la nieiileure dans le sien, le
premier de ces deux genres doit êti^ préféré au second^- Réciproque-
ment, si un geni^ remporte sur un autre genre, ce qu'il y a de préfé-
^rable dans le meilleur remportera sur ce qu'il y a de préférable dafis
l'autre ; par exemple., si le meilleur des hommes l'emporte sur la meil-
leure ^^# femmes , il est certain que leshomnnfts, en général, sont d'une
nature supérieiu'e à celle *des femmes.^ De même, si les hommes, en
génftral, l'emportent sur ks femmes, le plus parfait des hommes l'em-
portera sur la plus estimanle des femmes, etc. »
Je pourrais êiler, dans les chapitres précédents et dans ceux qui
suivent, bon nombre de phrases de ce genre, où M. Mynas et ses prédé-
cesseurs n'ont pas été plus heureux; j'aime^ mieux terminer les remar-
*^ aues'que j'avais à faire ailr le premier livre par la discussion dun pâs-
llijjQ^I^ intérei^îl'hirtoire littéraire et la mémoire d'un des plus grands
orateurs de jl'anâquité. ^
• Ibid. c. IX, $ 38. — Aristote suppose la circonstance où l'orateur, ayant
à louer un homme, ne trouve pas, dans cethcHifme, une tuËez ampt|^
matière d'éloges. «S'il en est ainsi, ajoute-t-il, il le faut romjifrerï
d!autres; ce que faisait Isocrate, par suite de l'habitude qu'il avait du
harreliu : Kâv (iri xa9' avrbv eùnop^Sy Trpbs êtkitovs àv^ntaoaëctKhàtv ^&Êfo
to'oxpchris ènoUi Sioi tïjv crvvrfOeiav toS SixoXoyelv. • -V^w
Comme presque tous les discours que nousj30ssédons encore d^o-
crate rentrent dans ^egenredélibératif ou le genre démonstratif, et qu'eit*
outre nous savons que la faiblesse delà voix et la liniidité de cet orateur
ne lui permirent jamais de plaider ni de se produire Wla tribune, on
a été fort embarrassé pour expliquei^le mot (ryvriOeiav, Quelques-uns ont
proposé de lire àcrvvrlOeiav, donné par le vieux manuscrit de Vettori; et
des éditeurs tels que M. B^kker et M. Mynasn'ont pas hésité ^introduire
^cette leçon dans le texte. Vettori a examiné le pour et le contre, et ne
s'est point décidé, tout en laissant voir une préférence assez marquée pour
avvtfOeiav, Buhle , au contraire , a admis davvrfOeiav, sans oser l'intrgduire
dans le texte. M^ la première difficulté que présenterait cette leçon
serait doter à la phrase tout air de vraisemblance et toute "physiono-
mie grecque. Comment croire qu Aristote , s'il eût voulu faire entendre
que cette coutume disocrate venait de la grande habitude qu'il avait
des discours dans le genre délibératif , n'aurait pas dit simplement, Stà
Tijv ^vfiôeiav tSv aviÀ€ovXetmKSv "kàyonf, ou quelque chose de sembla1l>le?
• «*"
FEVRIER 1843. 105
11 auraif bien certainement évité de donner cette forme négative à une
raison dont il s'appuyait pour démoùtrer un fait positif. En second
lieui le genre délibératif a beaucoup moins besoin de recourir au paral-
lèle que le genre judiciaire, surtout lorsque ce dernier se confond, ainsi
qu'il arrive souvent, avec le genre démonstratif. D'un autre côté, il est
vrai, si nous conservons (TvvrfSeiOP^ la difficulté cpxe nous aVons signalée
reparait , et l'on nous demandera comment il est possible de concilier
l'assertion d'Aristote avec l'aveu que fait Isocrate lui-même , au commeà;-
cément du Panathénaïque et dans sa lettre aux magistrats de Mitylène :
Eycû Tov (Jièv itokitcôtoBai, xcù ^VTéjpsôeiv ènré<m\v' oSre yàp (powriv $Ij(Ov
ixavijv y oSre rôT^iav. — Je me suis abstenu de prendre part aux affaires iitb
l'État et de porter la parole en public^ parce que je ne me sentais ni la
force de voix, ni la confiance nécessaire pour ceta^. On nous demandera
comment il est possible de concilier cette assertion avec le^%noignage
de Denys d'Halicamasse^ qui affirme positivement qu'Isocrafb ne soutint
aucune lutte, ni au barreau ni à la tribune ; ky&va fièv oOre îSiovy dhe
SrtfÂéaiov oiiSéva âycaviaafiévov^.
Rien n'est plus aisé que de mettre d'accord l'assertion d'Aristote avec
l'aveu d'isocrate et le témoignage de Denys d'Haï icamasse, si l'on prend
SixoXoyécû dans le sens de composer des discours judiciaires ^ sens qu'il reçoit
aussi naturellement que celui de plaider. Par ih cependant ne dispa#>
raît pas encore toute la difficulté; car on peut encore nous objecter
qp'lsocrate, au commencement du discours sur V Échange des fortunes,
se défend d'avoir composé des plaidoyers : Je n'ignore pas, dit-il, que
quelques sophistes calomnient mon genre de vie, et qu'ils prétendent
que je passe moojemps à écrire des plaidoyers, ikriitant à peu près en
cela c^i qui çsei^t appeler Phidias', l'auteur de la statue de Minerve,
un faiseur de poupées , ou qui comparerait l'art de Zeuxis et de Parrha-
sius à celui des faiseurs de petite tableaux. — Èyù yàp elSès êvlovs tSp
ao<pi(rt6iv ^euT^iJLOvvraç irepï tijç èpSjç SiarpiëïfÇy xaï TJyovras dç &m Vepi
S^Hoypa^lapy x. t. > *• Dans le Panathénaïque* il revient encore sur
la même accusation pour la repousser de nouveau^. De plus, nous sa-
* P. 4a 6, éd. H. Steph. — ' P. 96a, éd. Reisk. — * On trouvera, sans doute,
de lorgueil dans le rapprochement qu établît Isocrate entre lui et Phidîa#; il parait
cependant que l'illustre rhéteur ne faisait que se rendre justice. Ûenys d*Haiicar-
nasse , cherchant à donner une idée de la manière oratoire d'isocrate , dit qu*efle
tient beaucoup de fart de Polyclète et de Phidias par la dignité , l'élévation et la
gravité majestueuse < àoxeî iij fioi fii) éuà axovoî{ tis àv elKÔurcu t))p fiàv "
rartç Âtiroptxi^ ri) IloXvxXcfrov xai ^sAlcv féyvif xord xà aeyivàp nai fieyaV ^^^
xai é&coiiaxtxév. (P. 54a ^ éd. Reisk.) — ' P. 3io, éd. H. Steph. — ' IKi. p. aSÇ
m *
•
<Ç^
106 JOURNAL DES SAVANTS.
vons qu'Apharée , fils adoptif d'Isocrate , soutint que son pèrfe n'avait
jamais écrit de discours pour les tribunaux ^ Mais les témoigoages du
père et du fils sont ici trop intéressés pour que nous les écoutions ^eids;
interrogeons Thistoire. Nous recueillons d'abord un mot sanglant d'A-
ristote, qui disait «que les libraii^es' colportaient d'énormes liasses de
discours judiciaires de la façon d'Isocrate*. » Théopompe nous apprend
qu'Isocrate et Théodecte, à leur début, cherchèrent un moyen d'exis-
t€fnce dans la composition de discours pour le barreau*. Cicéron con-
firme , en ces termes , le récit de l'historien grec : Isocrateni primo artem
dicendi esse negavisse, scribere autem aliis solitum orationes, quibus
in judiciis uterentur^. Enfin, parmi Içs discours qui nous restent d'Iso-
cratc, il y a de véritables plaidoyers, et qui sont incontestablement
de lui, nâtamment le Trapézitique. Il est donc bien avéré qu'Isocrate
composarpour les autres des discours judiciaires. Que ses ennemis
aient exdtgêré le nombre de ces sortes d'écrits , nous le voulons bien
croire; mais on nous accordera', du moins , ce que fiit obligé de recon-
naître Céphisodore lui-même,. le disciple et l'ami dlsocrate. Ecoutons
Denysjï oalicarnasse : «Je sais, dît le judicieux rhéteur, que toutes ces
choses ont été avancées par ces hommes-là, et je n'ajoute point foi au
• propos d'Aristote, qui voulait avilir Isocrate ; je ne me range pas non
plus à l'opinion d'Apharée , qui composa un discours spécieux pour la
défense de son père; mais, regardant plutôt con^me sûr garant de la vé-
rité l'Athénien Céphisodore , qui vécut dans l'intimité d'Isocrate , qui fcit
son disciple le plus assidu , et qui fit de son maître une admirable apo-
logie* en réfutant Arîstote, je crois avec lui qu'Isocrate composa pour
les tribunaux quelques discoui's, en petit nombre tO!||tèfois^. »
n faut donc retenir Sià ti)v (ivvtfOeiav rov StxoXoyeîv, ettradu^ire, non
comme M. Mynas : « habitué qu'il était dans le genre démonstratif; »
car ce serait du même coup altérer Te texte, dénaturer la pensée d'A-
ristote et blesser la langue française; mais bien : « à cause de l'habitude
qu'il avait de composer d,es plaidoyers. »
Le mot SiKoKoyeiv, ainsi entendu , non-seulement aplanit toutes les
difficultés de ce passage embarrassant , mais il établit encore avec certi-
tude im fait que plusieurs habiles critiques ont révoqué en doute, la
jalousie** d'Aristote contre Isocrate. Jonsius^, Ménage'' et Coray^ ont
avancé, en effet, que les auteurs de Tantiquité, tels que Cicéron, De-
nys d'Halicarnasse , Athénée et Eusèbe, qui attestent cette rivalité,
'";;*;Jflfeny8. Hal. p. 676, éd. Reisk. — " Id. ihid. — * Ap. Phot. Biblioth. p. 120,
jMff Bekk. — * Brat. 12. — * P. 577, éd. Reisk. — • Dissert, de philos, peripat. —
\Àd Diog, LaerL V, 1 , 35. ^^* In Isoer. Proîeg. t. f, p. 68. ^
^^.
:^-
FÉVRIER 1843. 167
avaient confondu le chef de Técole péripatéticienne avec un certain rhé-
teur de Sicile appelé aussi Âristote, et mentionné par Diogène de
Laërte^, comme ayant composé un écrit en réponse au panégyrique
dlsocrate. C*est là , sans doute , une grande témérité. Sur quoi cependant
ces habiles critiques se sont-ils fondés pour rejeter de si graves té-
maignages? Ils se sont fondés sur ce qu^Âristote, selon eux, avait tou-
jours,«dans ses ouvrages , parlé honorablement dlsocrate. Mais Texpli-
cation de Sixokoyéoj ne permet plus maintenant d'alléguer cette raison;
car il^devient évident que le reproche renfermé dans Stxo'koyécû n'est
autre que celui qu'Isocrate repoussait sous le mot Sixoypa^ia^ et qu'A-
ristote n'a fait que reproduire ici, quant au sens, le propos que lui at-
tribue Denys d'Halicamasse. La même explication détruit aussi .entiè-
rement une preuve dont M. Max. Schmidt g'est servi pour fixer la date
de la Rhétorique d' Aristote. Admçttant la rivalité entre les deux onateurs
comme chose incontestable, Ma^Schmidt soutient, d'im autre côté, qu'il
ne subsiste de cette rivalité aucune trace dans la Rhétorique , d'où il
conclut qu'à l'époque de la publication de ce livre, la jalousie d' Aris-
tote ne devait plus avoir d* objet, c'est-à-dire qu'Isocratc devait être
mort^. On voit que M. Schmidt n'a soupçonné ni le véritable sens de
SiKoT^oyécâ , ni le trait épigrammatique qui s'y trouve caché. * ù
Nous concevons difficilement aujourd'hui , je l'avouQ^ toute la gra-
vité du reproche adressé à Isocrate ; ni^, si nous nous reportons vers
ces temps reculés de la Grèce, nous verrons que c'était accuser le rhé-
teur, non-seulement d'avoir fait un trafic immoral de son talent^ en le
mettant tour à tour au service de l'erreur et de la vérité, mais encore
d'avoir avi|i, prostitué son art en lui faisant défendre de misérables
causes. Dans ces TépuUkpies antiques, l'éloquence devait, sous peine
de déchoir, n'engager autres luttes que ceUes de la tribune, et se ré-
server tout entier^ pour les grands intérêts de la politique. Cicéron
nous le^montre bien , lorsqu'il nous re^éaente u Démosthèhes ah|nd(m-
nant fes chicanes .du barreaj^DOur jouer le rôle d'un personns» pluÈ
important et j^s utile à l'Ë|Hp— Fuit enim mihi commodum,ïlcrit-il
à Atticus , qilfwn eis orationibtis , quae Philippicœ nominantur, enitu%-^
rat civis ille tuus Demoslhenes, eU, qtiod se ab hoc refractariolo judi-
ciali dicendi génère abjunxerat, ut cre(iv6Tep6s ns xûà noXuriKohepas vi-
deretur, curare ut meœ quoquç essent orationes, quae consulares no-
minarentur *. » Aussi, dans la phrase que nous. avons déjà citée du
Panathénaîque , Isocrate sou|^ent-il ne s'être jamajs mêlé d'aucune «f-
* lu c. — •■ Commentât, de temp. qao ab Àristot. Rhet. edit, sint. f» 17. — * Ad
Attic. n, i,init. r
là.
106 JOURNAL DES SAVANTS.
faire entre particuliers, mais avoir toujours traité des questions qui
touchaient aux intérêts des peuples, des rois et de la politique ^ Du
r.este* les rhéteurs eux-mêmes paraissaient lellement persuadés que
telle devait être la véritable destination de leur art, «qu'ils affichaient
tous, nous dit Aristote, des prétentions à la politique, ceux-ci par igno-
ranée , ceux-là par vanité , les autres se laissant aller à d'autres faiblesses
humaines ^. » . •
Liv. II, c. VI, S 20. — Aristote, énumérant les diverses personnes
devant lesquelles on est honteux de faire quelque action blââlable,
dit : « Kai [roùs ala)(yvovTai) iv oU (inSèv dn(yteTV)(r{xaaw • wmep yàp Quu-
(joiiôfuvoi Stdxetvrai' Sib xa\ tovs npSroff SttiOiviaLS rt aday^vovrat , es
oôSév voû fjSo^rtxÔTSç^iiirxzùroîs' rotoOrot S'oire Apn ^ouXSiAevoi (ptkoi $Ivau'
rà yàp fiiXricrra TeOiavrat \xal tSv itdtkan yvœpiiuav j)l lAtjSèv aw^tSires.
Celle phrase, qui n est pas sans dijQQctdté, \ cause de sa grande con-
cision, se laissé néanmoins entendre ,'sîr Ton a soin de nen isoler au-
cune partie, et, surtout, si Ton ne perd pas de vue les rapports qui la
lient aux phrases précédentes. J'ignore si c'est pour n'avoir pas eu cette
double attention que les traducteurs , en^général , ne l'ont pas comprise;
mais M. Mynas notamment a fait un contre-sens à chaque incise : <( On
est Ipnteux, dit-il, devant ceux qui n'ont rien refusé comme étant sur
le terrain de Iqpidmiration ; c'est ce qui fait qu'on est honteux de ceux
qui font une première demande, comme jusqu'alors ne s'étant pas
abaissés devant soi; tels sont cetix qui cherchent votre amitié en voyant
vos belles qualités; (on est encore honteux) devant les anciennes con-
naissances qui ne s'en doutaient jamais. » Que signifient être sur le ter-
rain de Vadmiratiorij ne ^'étre pas abaissés devant soi, et des anciennes cow-
naissances qui ne s'en doutaient jamais? Cassandre, et après lui M. Gros,
ont paraphrasé le texte; mais ils l'ont beauc^p mieux compris que
M. Mynas , car nous n'avons à leur reprocher que de s'être écartés en
un poûtt de la pensée d'Aristotefr «De là vient^ traduit M. Grçs, que
nous pp)sons rejeter les prières de ceuxmii nous dçmandent uh ser-
vice f^r la première fois; car nous noHp^ jamais rien fait pour leur
<ldnner mauvaise opinion de nous. » G^^tist pas là i^jÊ(k\ iî ne s'agit
dé prières ni exaucées ni rejetées; Ajistote a posé plus naut en principe
quei'homme éprouve de la honte devant ceux dont il fait.cas; «et il
fait cas, a-t-il ajouté, de ceux qui le considèrent et de ceux qu'il consi-
dère , et de ceux dont il veut être considéré , et de ceux avec qui il est
en rivalité , et de ceux dont il ne dédaign^ point l'opinion. — Aéyop $è
m
' P. a35, éd. H. Steph.— ' Bfce/or. I, a, 7.
FÉVRIER 1843. 109
trOoUy xaï 'JTpbç oôs ^iT^OTiiieiTOLt y xa) &v (irl xûtTa(PfX)ve7 rfiç S6^tis [Ibid. S 1 5). n
Or, en disant plus bas : Sih xaï roùç itpôkov SevOévraç t< cda^vvovrai y
ds oùSév noû ifSo^rixéres èv avroîs , i) applique son principe. Pourquoi
éprouvons-nous, en eOet-, de Tembarras devant ceux qui nous adressent
une prière pour la première fois? C'est parce que nous sentons qu'ils
considèrent quelque chose en nous; car, sans cela , ils ne nous adresse-
raient point de prière. Le philosophe achève de développer ce sens et
le porte jusqu'à l'évidence dans les paroles qu'il ajoute. Sa phrase en-
tière signifie donc : a Les hommes rougissent devant ceux dont ils n'ont
essuyé aucun refus ; car ils s'en regardent comme honorés. Voilà pour-
quoi ils rougisseîit également devant les personnes qui leur demandent
une- chose pour la première fois , parce que cela prouve qu'ils n'ont
encore rien fait pour démériter auprès d'elles. Au iiombre.de ces per-
sonnes, nous mettrons, par exemple, ceux qui ont voulu être depuis
peu nos amis, car ils ne l'ont voulu que par considération pour ce que
nous avons de plus distingué, et ceux qui, liés depuis longtemps avec
nous, ne nous peuvent reprocher aucune action blâmable. ».
N'oublions pas de remarquer que les anciennes éditions offrent
ifÇtoxôres au lieu de tfSo^rjxéres. Vettori a le premier, sur la foi de son
ancien manuscrit , rétabli celte leçon justement adoptée par tous les
éditeurs.
Ibid. c. xxiii, 8 7. — Parmi les 4ieux où Torateur peut puiser (fes
enthy mêmes, iten eSt un qiii consiste à retourner contre Tadversaire
ce qu'il a dit contre nous. Aristote en allègue deux exemples; mais il
se contente d'indiquer le premier, et cite seulement le second : « ATÎXos
[rénos) èx tâv elptjpLévcjv xa6' avrovs itphs rhv elnôtna' Sta(pépet Se à
Tpéitosy 6Ï0V iv *Tfp Tevxp^' çS êxjprfcraTO i(pixpà[Trjs irphs Aptaro^Svra,
iTtepàyLBvoç , el npoSolrj &v ràs vaSs ènl yjptl^tJOUTiv * où (pduxovroç Se , ehot^
eïire' 2t; (lèv Aptaro^âv ûv ^ où itpoSolriSy èyà S' ôv l^ixprfrv^ ,• » Les an-
ciennes éditions omettent^ devant /j^pi/uaTO, ce qui répandait quelque
obscurité sur la phrase olov iv tÇ Tetîxp^, déjà très-concise. Vettori a,
le premier, d'après^^on ancien manuscrit , rétabli l'adjectif conjonctif,
et par là ôté toute équivoque , comme le remarque lui-même le savant
commentateur : uNunc vero omnia cerliora.» Tout ce passage, en ef-
fet, doit certainement signifier : «Un autre lieu consiste à retourrter
contre l'adversaire ce qu'il a dit contre nous. C'est un argument des
plus forts, comme on le voit par la pièce intitulée Teacer; Ipliicrate
s'en serviLxontre Âristophon*: lui ayant demandé s'il aurait livré les
yaiss6aux|ll!hir de Targent , et celui-ci lui ayant répondu que non , eh
110 JOURNAL t)ES .SAVANTS.
quoi ! reprit Iphicrale , loi , qui es Aristophon , tu ne les aurais pas livrés ,
et moi» qui suis Iphicrate, je TBurais fait!» Cependant M. Mynas a
(M3minis ici les plus étranges erreurs; il traduit : «Le sixième Ûeu est
celui qui consiste à rétorquer la négation contre l'adversaire lui-même ,
qui est un excellent argument, comme le poète Teucer fait demander
par Iphicrate à Aristophon, si pour de rargent il trahirait la flotte
d'Athènes, etc. «
11 prend, comme on voit, le titre d'xme pièce pour le nom d'un
poète , et il confond les deux citations en une aeule. Mais comment le
traducteur n'a-t-il pas fait quelques recherches sur ce poète Teufsç^U
se serait convaincu que ô!est un être chimérique. Comment n*a-t-il pas
refnarqué ensuite que la phrase ne serait véritablement pas grecque,
si elle avait le sens quil lui a donné? Ce qui rend cette double*mé-
prise plus ,inexpU«able encore , c'est que le discours d' Aristophon ac-
cusant Iphicrate dé haute trahison est un*fait très-conr)u dans l'histoire
littéraire , et qu'un peu plus loin Aristote cite de nouveau la pièce in-
titulée Teucer, sans laisser subsister cette fois la moindre équivoque.
Ce discours, en effet, qui avait pour titre Ilepi 'jtpoSoa-las j a été men-
tionné par Quintilien ^ et Aristide ^, qui ont rapporté l'exemple cité
par Aristote. C'est sans doute aussi dans le même débat judiciaira^que
ftit prononcé par Iphicrate le mot que lui attribue Plutarque. « H ne
ffi^t pas , dit le philosophe, ^e celui qui prend part au gouvernement
de l'Etat ait besohi , pour ^rler, de recourir à la voix d'nin autre, ni
qu'il dise comme Iphicrate rfe trouvant vivemcyjt preSsé par l'orateur
Aristophon : la partie adverse a un plus habile comédien; qfiais ma
pièce est meilleure '. » Aristote , énumérant les lieux où Ton peut puiser
des enthy mêmes pour réfuter une inculpation , dit : Kotvbs 5* àiiCpoiv 6
rénosy tô <JV[ièoka "kéyeiv olov êvr^ Tevxpcûy à ÙSvcratèsy Sri oixeioç tçJ
ITpirf/ut^' >) yip ncFiàvri àSek(pil* b Sk, 8ti b narrip èyOphs tÇ Ilpia/utû) b
TeT^afiGJVy xalirt ov xateîns t3v xarao'xiiroûv^. — Ua moyen ^dont se
peuvent servir également l'accusation et la défense consiste à faire
valoir certains indices. Ainsi, dans le drame intitulé, Teucer, Ulysse re-
proche au héros de la pièce d'être l'allié de Priânl,. puisque Hésione
est* la sœur de ce roi. Mais Teucer se défend en disant que Télamon ,
son père , est Tennemi de Priam , et que lui Teucer n'a point dénoncé
les espions [que les Grecs envoyèrent à Troie].
^ V/ia , lo. Pour être équitable, je dois remarquer que de savants commenta-
teurs de Quintilien, notamment Spalding^ ayant eu occasion de rappeler ici le
passage d'Ârislote, ont commis la double erreur que je reproche à |&p|lynas. —
T. II, p. 667, éd. Jebb. — * T. IX, p. 1.99, éd. Reisk. — * III, i5, 9.
• FÉVRIER 1843. m
L'existence d*un drame intitulé Teucer est donc un fait avéré. l\ y
a plus , ce sujet paraît avoir été très-fréquemment traité. On sait' quelle
fui, sur le théâtre grec, la fortune d*Ajax; et, à vrai dire, le caractère
ardent et généreux de ce héros, sa valeur impétueuse, sa contestation
avec Ulysse au sujet des armes d'Achille, et surtout sa fin tragique en
faisaient un personnage à souhait pour le drame. Mais la vie de Teucer
était aussi remplie d'événements non moins intéressants : son désespoir
à la nouvelle de la mort d'Ajax, la douleur quil fit éclater en présence
des restes de son frère; son accusation contre Ulysse, quil regardait
comme fauteur de ce meurtre; les imprécations paternelles qui lac-
cueillirent à ^on retour dans sa patrie, parce qu'il y reparaissait sans être
accompagné d'Ajax, son exil et le courage résigné avec lequel il partit
pour affronter de nouveaux dangers, et chercher sur les flots une
autre Salamine, c'étaient là autant de circonstances que la muse tragique
pouvait exploiter avec succès. Aussi Quintilien nous dit-îl : « Neque
« enim' accusator hoc tantuni dicit, occidisti, sedquibus idprobel narrât.
(( Ut enim in tragœdiis , cum Tçucer Ulyssem reum facit Ajacis occisi ,
«dicens : Inventum enmin soUtudine, jaxta^exanime corpus inimici, cum
iigladio cruento; non id modo Ulysses respondet : Non esse a se id facinus
aadmissum, sed sibi nullas cum Ajace inimicitias fuisse ; de laude inier ipsos
(icertatum. Deinde subjungit quomodo in eam solitudinem venerit, jacen-
« tem exanimem sit conspicatus, gladium e vulncre extraxcrit ^ » Les mots
in tragœdiis prouvent bien que les poètes iragiljues avaient dû traiter
à fenvi ce sujet. Il paraît aussi que faccusation portée contre Ulysse
par Teucer était un événement qui figurait constamment dans ce
drame. Ce n est pas le passage de Quintilien seulement qui le prouve,
nous le pouvons encore inférer des citations de Cicéron^ et de fautem^
de la Rhétorique à Hérennius. Ce dernier expose ainsi en peu de mots
lé sujet du débat judiciaire : «Ajax in sylva, postquam rescivit quaî
« fecisset pcr insaniam, gladio incubuit. Ulysses intervenit; occisuui
u conspicatur; e corpore telum cruentum educit. Teucer intervenit; fra-
«trem occisum et inimicum fratris /;um gladio cruento videt; capitis
« arcessit'. » Un peu plus loin, il développe longuement 1 argumentation
sur. laquelle devait reposer faccusation*. Cette lutte d'enthymèmes
ingénieux et subtils que soutenaient, en cette occasion, les deux parties,
resta célèbre dans les annales du théâtre, d'où elle passa dans les
écoles des rhéteurs : et voilà, sans doute, pourquoi Aristote se con-
tente d'indiquer la tragédie et de renvoyer d'un mot à une argumen-
tation'si connue de ses lecteurs.
* IV, a, i3. — * De inv, I, 8 et 49* — * I, 1 1 ; cf. 17. — * II, 19.
112 JOURNAL DES SAVANTS.
Ibid. c. XXIV, S a. — Parmi les lieux où Ton peut puiser des enthy-
mêmes* apparents, il en est un qui r^ose sur l'équivoque des mots,
Aristole en cite plusieurs exemples, qui ne me paraissent avoir été bien
compris ni par les commentateurs ni par les traducteurs :*Èr Se ri
itapâ T))v b(iûJW(iiaPj c&Çy eîris kÔvcl êyKCOfiiàZojv , rbv iv rÇ oipav^ avfÀTrapar
'kafx&iveiy H rbv Uavay &Ti I\(vSûLpof *p».'
Ô (lâxap, 6v te yieyàXas Q^ov xivci irayro-
iavàv xeCLéofjmv ÔXiinttoi *
1$^ 6ti rb (lïfSéva $lpat xvva àttyLcircLtàv ê&riv , S&te rb xuva SrCkov&ti
rifiiov. Ka) Tb xoivojvijcbv (pdvcu tbv Epfiijv elvai yLéiXtata rSp
SeSv (lôvos yàp xcùshai ILoivbç ttpixriç. . •
Le premier exemple ne présente aucune difficulté ; mais, dans le se-
cond, que veut dire Pindare, lorsqu'il appelle Pan le chien de la
grande déesse? Une pareille qualification donnée à une divinité sur-
prend d'abord, même dans la bouche d'un lyrique aussi audacieux que
Pindare; cependant, si l'on se place au point d%jrue des idées reli-
gieuses des anciens, elle s'explique aisétnent et na rien d'irrévérent.
Nous voyons dans Callimaque que Pan fournit tles chiens à Diane *; et
Servius nous apprend que Pan lui-même servait de chien à la déesse,
et que c'était pour mieux pénétrer dans les fourrés des bois qu'il avait
reçu des pi^ds de chèvre : Comiitem Dianœ, feras solitum e cubi-
libus excitare , et ideo capripedem figuratum , quo facilius densitatem
cursu posset evadere ^. On sait encore que Pan était lé dieu particu-
lièrement invoqué par les chasseurs , et une épigraipme de l'Anthologie
nous dit que c'est lui qui montre aux chiens les traces de la bête :
Pindare lui donne ici l'épithète 'naLmoScntbv ^ parce que les anciens
regardaient Pan comme l'emblème de la nature entière, K^cr/utoio rb
rri^itav, dit le pseudonyme Orphée*. Maintenant, quelle est cette
grande déesse dont nous parle le poète? A mon avis, ce ne peut être
que Cybèle. D'abord, on l'appelait^la grande déesse par excellence; en
second lieu, Cybèle et Pan étaient deux divinités parèdres : Pindare
fait mention d'une chapelle située en face de sa demeure, où déjeunes
vierges chantaient, toute la nuit, la vénérable déesse ainsi que l'e dieu
Pan ^. Enfin le même poète donne ailleufs à Cybèle le dieu Pan pour
compagnon; il dit dans un fragment de ses Parthénies : . " ^
' Hymn. in Dian. 87. — * Ad Georg, I, 16. — * Ànalect. t. III , p. i84; cf. Qa-
vier. ad ApoUod. t. II, p. 43. — * Hymn, X, 1. — * Pyth. DI, 187 ; cf. ScW. ad
h. 1. et Wesse). ad Dioaor, 1. 1, p. 227.
FÉVRIER 1843. 113
^aerpàç luyàXae àvaZé,
Ssfitm» Xaptnùp lÂéXtfiia vepm&p,
m
(( 0 Pan , protecteur de FÂrcadie , compagnon de la grande mère ,
objet' chéri des Grâces pudiques;» où Ton voit, en outre, que bnaié
n'est que f équivalent de xuva.
Le troisième exemple joue sur un des sens de xuùfp. Ce mot était
un de ceux que les Grecs appelaient ?ro>t}or)7|iot', à flusiewrs siqmficaiions ,
et il désignait aussi, comme nous l'apprend Hésychius, les parties
sexuelles de Thomme : Sifkoî Si xai rb àvSpeîov (i6piov^. Cette remarque
suffit pour tout éclaircir; s'il est honteux d'être privé de wjcjp dans la
dernière acception, on en conclut que xÔcjv, dans l'acception vulgaire,
est un animad dont on doit faire cas. La pointe d'une épigramme de
l'Anthologie est tirée June équivoque semKIable , .comme l'a très-bien
observé Huet*.
Un jeu de mots absolument dans le même goût, c'est celui qu'Âris-'
tophane prête à l'esclave de la comédie de la Paix, quand il lui fait
dire : Oôx i</liv oôSeU i</ltç où xpiOijv fyst (965). — «Il n'est personne
ici qui ne soit muni de xpiOr(.)y KpiOrf signifiait proprement de l'orge;
mais il avait aussi l'autre sens de xucjv, comme nous l'apprend Hésy-
chius : KptOrf' mphvy H rb tov àvSpbs (lôpiov (V. KpiOrf).
Le dernier exemple est fondé sur une allusion au proverbe si connu
des Grecs, xoivbs Èpfins. Lorsque, deux personnes cheminant ensemble,
Tune d'elles venait à découvrir un dbjet, l'autre s'écriait : xotvbçÈpfiiis,
Mercure est commun, je retiens ma part de la trouvaille : xoivbç ÈpfAijç'
napotixia ên\ tSv xoivif 71 çùpKTxàvrcûv^. Lucien a fait de ce proverbe
une application fort piquante dans le dialogue qui a pour titre les
Vœux ^. Les Latins disaient, m commune : «Quoties aliquid inveni, non
(( exspecto donec dicas : in commune ^. » On sait que Mercure présidaif
aux chemins et aux inventions de toute espèce; or, de l'épithète K0iv6§,
qui lui était donnée en cette circonstance, on concluait, par abus,
qu'il était le plus libéral des dieux ou le plM communicatif, si l'on veut
conserver en français le jeu de mots.
Tout le morceau signifiera donc : u Une partie de ce lieu se tire de
• *
* V. K^6w; cf. Clem. Alex. p. gai, éd. Potl. — *Àd cote, poem, p. £g. — * He-
sych. T. Koiv. Ëppi.; cf. Diogenian. Prev, V, 38; Boissonad. Anecd. Gr. II, p. &48.
— VT. lU, p. a 58. — * Senec. Epwlf. CXIX, inil.; cf Phaedr. V, 7 , 3, el iW. in-
terpret
i5
3i^
114 JOURNAL DES SAVANTS.
rhomonymie, comme, par exemplç^ Si^i^pour faire l'éloge d'un chien,
on le rapprochait de celui qui est au ciel , ou du dieu Pan , parce que
Pindare a dit : 0 divinité bienheureuse, et que les habitants de l'O-
lympe nomment le chien aux mille formes de la grande déesse; ou si
encore on s'autorise de l'opinion qui regarde comme très-déshonorant
de n'avoir- point le' signe de la virilité [xuva), afm qu'il suive de là
évidemment que le chien [xvva) doit être en honneur. Cest en vertu
de cette homonymie que l'on dit de Mercure qu'il est le plus commani-
catif des. dieux , parce que seul il est appelé Mercure commun. »
Bien que ia lettre de ce passage ne présentât pas beai^coup de diiB:
culte au traducteur, M. Mynas n'en a pas moins fait un contre-sens à
ohaq^ phrase, et quelques-uns de ces contre-sens sont, en outre, inin-
telligibles; il traduit : «Ou lorsqu'on se fonde sur le sens différent de
xuofp, chien, honoré, canicale, le dieu Pan, conune Pindare l'appelle : 0
toi, que les dieux de V Olympe nomment chien omniforme de la grande déesse ,
pour en faire Téloge du chien ; ou lorsqu'on dit : C'est une infamie que
d'être déshonoré, donc le chien est un animal honorable. De même, lors-
qu'on se fonde siir xôiv6ç , commun , attribut de Mercure , pour en faire
le plus grand des dieux , parce que lui seul parmi eux entretient un
commerce avec nous. »
Les prédécesseurs de M. Mynas n'avaient guère été plus heureux
que lui. Cassandre nous dît, dans sa note, que, comme on ne voit goutte
en cet endroit, il a mieux aimé biaiser un peu que die dâ)iter du ga-
Hmiatias. M[ais il a fait plus que biaiser, il s'est mis entièrement à côté.
Voicf , çn eflfet, de quelle manière il paraphrase le troisième exemple :
«Ou bien encore, si,* à cause que le proverbe dit qu'il est honteux de
n'avoir chez soi ni chien, ni chat, on allait conclure qu'il faut qUe le
chien soit quelque chose de bien honorable. >) M. Gros, qui Ta suivi
dans la .première moitié de l'exemple, en suppriqiant toutefois le mot
^hat , n'aurait pas dû s'en écarter dans la. seconde , pour dire : u II est
honteux de ne poânt avou; de chien , de sorte qu'en avoir un est une
chose bonoi[able; » car c'est là une pure tautologie. Quant à l'exemple
pris 4^ Mercure, Cassancbe l'a omis «pour. être fondé, reni^arque-t-il ,
iSur des équivoques qui ffint rien de commuq avec notre langue. »
M. Qros fa pmis aussi. prebablen\ent pour les mêmes raisons.
Liv.m, G. tiv, S /i. — Âristote, examinant lés différents exordes que*
Ton emploie^dans le genre démonstratif^ dit qu'il en est un qui rentre
4ws le^ exorde^ du g^n;re judiciaire, «celui, par exemple, oùj'orateur
tire de k oature de^son sujet quelque ^otif d'obtenir l'indulgence de
Tauditéur : «ToSto S* iarh [npooifitov), $1 vep) iroipaSéÇov yAyos^ 4 mpi
%
FÉVRIER 1843- 115
fivv y 6r9 Tiévra iéiaaran.
«Cet exorde a lieu, quand on doit s'occuper d'un sujet extraordi-
naire, ou difficile, ou déjà souvent traité ^ afin d'obtenir Tindûigence.
C est i exorde de Chœrile :
Mais aujourd'hui qu'on s'est tout partagé >
On a cm que cet hémistiche renfermait l'exemple auquel Aristote
fait allusion. C'est une erreur; le philosophe n*a voulu<ionner ici qu'un
simple renvoi au début du poème de Chœrile, début qu'il suppose
connu de ses lecteurs. La phrase n'est, en effet, que commencée, et le
sens reste suspendu. Il était, d'ailleurs, aisé de s'en convaincre i en exa-
minant ce début que Vettori nous a conservé :
À ^.éxap, Ôartç érjv xeTvov fipàvov (^pis dotiSnf
Uawrioiv 3>epdhre)t^, 6r' ixifpaTOs 9p ^ti Xetfiép,
fivv S* 6t9 trdbrra ^haarai , ijfowxi, iè vetpara réx^cu,
'tararoi d^s Ipôfiav wncCkensàpMff * oiAé roi iâitu
UàifTïj irœirralvovTa veoivyèc àpiia Trekàatrat.
« Heureux le chantre habile , serviteur des Muses , qui à vécu dans
ce temps où la prairie n'aVait pas encore senti la faux! Mais aujourd'hui
qu'on s est tout partagé, et que les arts de l'esprit ont touché la borne,
nous sommes laissés en arrière, nous, comme h la course; et, en quelque
ondroil que se portent mes regards, je ne vois pas où conduire le char
que je viens d'atteler. » M. Gros a donc eu tort de traduire : «Mainte-
nant tout est dit;)) et M. Mynas a beaucoup plus mal fait encore, en
rendant l'hémistiche de cette sorte : «Pardonnez, si je vous jparie d'un
sujet si connu, d M. Mynas parait avoir suivi le scholîaste , qui dit aussi :
(i^vyyvôJixovtnéov y S AvSpeçy el vSv ircLpiardiMa TJ^àrt^ raur\y x. t. 'k.n
Mais , en cet endroit comme en mille autres , le schoiiaste Yi'a point
compris Aristote. On voit, en effet, que, si Chœrile, en indiquant la
difficulté de traiter un sujet neuf, réclamait implicitement l'indulgence
pour le peu de nouveauté de cdui qu'il était forcé de prendre , il ne
l'exprimait pas en termes formels , et que le développement de cette
idée , à laquelle Aristote me semble faire allusion par lél^ mots 4 ^epl
TtOpvT^vipLévov TtoiXXotSt ne devait venir qu'après les vers que nous avons
cités. Je ne puis donc, devait alors continuer le poëte, je ne puis que
chanter cette guerre d^à si. souvent célébrée. Tout récemment, en
effet , l'invasion de Xerxès n'avait-elle pas inspiré la muse de la tragédie
iS.
116 JOURNAL DES SAVANTS.
et celle de Ffaistoire? Ghœrile forme la même plainte que Virgile, au
commencement du troisième livre des Géorgiques : Omnia jam vulgata.
Mais , comme le poète mantouan , Ghœrile ne pouvait pas ajouter ;
Primus Idumœas referam tibi, Mantua, palmas ' ;
et c'était là surtout ce qui le désolait.
Je ne quitterai point ce curieux firagment sans justifier la manière
dont j'ai rendu le troisième vers. M. Naeke explique ainsi les mots
lyovcn Si irelparot rfyvou : « Verbis his sensus inest, ut Gbœrilus non so-
lum conqueratur de exhausta ab antiquioribus epicis epici carmînis ma-
teria , sed etiami de eo, quod poeseos gênera, inter se separata et discreta ,
suos quodque sibi fines, suum dominium vindicaverint, cum antiquis
poetis epicis quolibet evagari et nuUam materiam non licuisset aggredi^. »
A mon^avis, M. Naeke se trompe. Ghœrile ne se plaint pas que les divers
genres de poésie aient chacun leur domaine à part, circonscrit et bien
déterminé ; une pareille idée n'aurait aucune liaison avec ce qui pré-
cède et ce qui suit. Le firagment nous offre une double métaphore dé-
veloppée sans confiision : tous les sujets ont été envahis, et le poète ne
sait en quel endroit diriger son char; tous les sujets ont touché la borne,
et le poète est laissé en arrière comme un coureur impuissant. Remar-
quons , d'ailleurs , que i/ovai Tre/pora ne se traduirait pas régulièrement
par ont leur circonscription, leurs bornes. Ë^eiy irépaç signifie atteindre au
bat, toucher au terme, et, par extension ,.^voiryinï| terminé^.
Je ne multiplierai pas davantage ces remarques de détail; il est temps
de donner une idée générale de l'ouvrage de M. Mynas. Tout dernier
venu , surtout parmi les traducteurs, s'engage à mieux faire que ses de-
vanciers. M. Mynas a-t-il rempli cet engagement? Malheureusement,
non ; il a même un peu &it le contraire de ce qu'on attendait de lui.
Gependant tous ceux qui connaissent M. Mynas savent combien il réu-
nit de qualités pour s'acquitter convenablement de la tache qu'il s'était
imposée.* Non - seulement il est fort versé dans le grec moderne, sa
langue maternelle , mais il écrit encore le grec ancien d'une manière
remarquable; et it avait, en outre, l'avantage Savoir enseigné l'art d' A-
ristote sur les lieux mêmes où le philosophe l'enseigna jadis à Alexandre.
Gonunent donc est-il arrivé que , disposant de toutes ces ressources , il
ait si peu réussi? Je dirai ma pensée tout entière : je tiens M. Mynas
pour un habile grec ; mais il a , sur plusieurs points de la rhétorique
* GêorgAU, 12. — * ChœriL Fragm. p. 107. — * Vid. Demosth. p. làài »qq-
6d« Reiik.
FÉVRIER 1843. 117
ancienne, des idées qui ne me paraissent nullement en rapport avec
celles d'Aristote, et, soit méprise de sa part, soit défaut de cette abné-
gation qui devrait être la première vertu d un traducteur, il a souvent
prêté ses propres idées au philosophe qaii avait à traduire ; en second
lieu, M. Mynas partage les funestes préventions de ses compatriotes
contre Térudition. Les Grecs modernes sont persuadés, pour la plupart,
que leur descendance ^suffit poiu* leur expliquer tout ce qui touche à
leui*s glorieux ancêtres. Je comprends , sans doute , qu'une tradition qui
n*a jamais été tout à fait interrompue ait dû conserver beaucoup de
choses ; je comprends tout ce qu il y a de vivace dans les coutumes po-
pulaires , tout ce qu*il doit y avoir de fécond dans la transmission de
ce sang qui n'a jamais cessé de communiquer avec sa source; mais je
sais aussi combien a duré l'asservissement de la Grèce, et le contact de
ce peuple avec la barbarie; je sais toute la distance qui sépare la langue
d'aujourd'hui de celle d'autrefois, et je persiste à dire que les Grecs
modernes ne parviendront à retrouver et à connaître leur passé qu'avec
le secours seul de l'érudition. M. Mynas pourrait fournir plus d'une
preuve à l'appui de ce que j'avance; car il a commis plus d'une erreur
qu*avec un peu d'érudition il eût aisément évitée.
Mais je n'ai pas encore signalé la cause qui a influé sur son travail
de la manière la plus funeste. Tout traducteur est obligé de savoir au
moins deux langues ; or, si j'ai accordé à M. Mynas qu'il est un habile
grec , je lui dois dire en toute franchise qu'U ne sait pas assez le fran-
çais pour traduire Âristote en cette langue. 1\ n'est pas de page de son
livre où l'on ne pût relever bon nombre de ces fautes qui sont de na-
ture à choquer le lecteur le plus inexpérimenté.
Le texte grec que M. Mynas a mis en regard de sa traduction est la
partie de son travail que nous aurons à traiter le plus favorablement ; ce
n'est pas cependant qu'il n'y ait encore ici des restrictions à faire. Ainsi
M. Mynas nous a semblé parfois ajouter des mots un peu légèrement;
je citerai quelques exemples :
Page 46, M. Myqas ajoute xai devant réxpti , dans la phrase suivante :
iityutas [Aèv yàp té^vri ahia' MoKXot/s Si xa\ lusyéBouSy (piais.n (I, 5,
S ly. ) Le mot ajouté me parait superflu, à cause que les id^es qui
précèdent et qui suivent expliquent suffisamment qu'Âristote n'a pu
vouloir dire que la santé fôt toujours dépendante de l'art.
Ce xal m'en rappelle un autre que M. Myrias a aussi introduit dans
le texte, et qui pourrait avoir de graves conséquences. Page àS , Aris-
tote dit qu'on délibère non sur le but , mais sur les moyens qui le
peuvent faire atteindre : « BouXeiSoirrou Si où mpl jw'rikaufy àXkà %tpi
118 JOURNAL DES SAVANTS.
Tftw irp6$ rb riXof. ». (I, 6, S i . ) M. Myna^^ajoute xo/ après £Kki\ or, par
riosertion de ce .mot, la phrase pourrait très - régulièrement signifier
tju'on délihèje non^seulement ^ur iec but, maiis eocore sur les moyens
de [atteindre,: ce qui n*a pas.de sens, le but d*une délibération étant
toujours oonnO:: aussi. tous les éditeurs^ ont-iis donné la phrase sans ce
nai\ quand je dis touales éditeurs, je metrompeicependant,>oar M. Gros
a écrit con^me M. Mynas^ . r .v. •
Page loo.rr-r Aristote, énumérapt les choses qui nou&icausent du
plaisir, dit quïl est |^us agréable d^êtne loué par les gens sensés que
par ceux qui ne le sont point, par im grand.nombre que par un petit
nombre ; . pai: il est plus probable que la vérité se trouve dans la bouche
des premiers que dans. celle des seconds^ «Aussi, continne-t^il , -n'atta-
die-t-on aucun prix h Testime et à l'opinion de ceux que chacun mé-
prise profoodén^eat, comme si c'étaient des en&nts<ou de^ animaux;
je dis à l'opinion 3 pour elle-mèmo; mais il est possible qu'on y tienne,
en vue de quelque autre avantage. — Èmi > &p rts no7^ KaraJ^pop&i y éiaiisp
neuS^ i'Q^piûJiv fOùShf fUKsi.rrh xoùrtav ri^s 4 tiis Sentis, nùrnç ^e rnç
S6^nf x^^^^ ^^% ^^^p9 ^'' dEXXoTi. » (I, 1 1 , S i6. ) M. Mynas a cru de-
voir insérer oùSé entre Sà^ns et <x6%ns^ et il se contente de nous dire, en
note, que cette. addition lui. apparu nécessaire. Mais la phrase d'Aris-
tote n'a, comme on voih mul besoin de o^, et .M. Mynas ne l'a sur-
cbai^ée de cç mot,, qae pour ne. l'avoir, pas comprise ; il traduit, en
effet : « Quant à Tesstime et A l'honneur de la part de «eux que l'on mé-
jvise, coo^me enfants :OUi bêtes , on ne.Ven soucie point; on fait, d'ail-
leurs^ peu de cas de l'estime elle-même ,. quand elle ne s'adresse pas à
la personne, n M. Gros ne l'a guère mieux entendue, et, en outre, il
prête au phUosophe un > langage d'oii l'on serait en droit de conciure
que les bêtes peuvent avoir de l'estime pour nou^ ^ De plus, dit-il, il
est des êtres dont l'estime ne < nous paraît. d'atucune importance. Tels
sont ceux pour^qtli L'on n'a que du mépris, les enfants et les bêtes, par
exemple. Nous ne faisons aucun cas des honneurs qu'ils nous rendent,
ni de leur estime., eX^yi , ■ . .
Une addition plus^ considérable, mais qui était autoasée par des ma-
nuscrit^ et.par quelques anciennes, éditions , c est celle que présente le
texte de &A. Mynas, à la page. 1 3 a^. Le sie lisent cinq lignes de grec, de-
puis Sel Se yjystp jusqu'à Tiarày èp ^wjdvoiM ( 1 , 1 5 , $ 26 ) , qui on) dis-
paru de toutes les :^(j[itions. modernes. V!ettoi?i le premier les retrancha,
les regardant comme uoe aïole explicative. qui, :de la marge de quelque
manuscrit avait, pa^sé dans ie itexte.< Il se fondait i^> sur Je caractèreide
la diction, qui nerparait poiat àtrevdans ces lignes, le même que.dans
FÉVRIER 1843- 110
le reste de ïouvrage ; 2"" sur le siience de l'ancien interprète latin , qui
ne les a point traduites ; 3° sur ce qu'Aristote avait déjà exprimé plus
haut les pensées qui se reproduisent ici. M. Mynas n en a pas moins
cru devoir réintégrer ie passagle suspect, et je suis loin de l'en blâmer ;
seulement j'aurais désiré qu'il eût enfermé l'addition entre crochets.
La division du texte en chapitres et en paragraphes n'est jamais
chose indifférente ; mais elle prend un nouveau d^ré d'importance ,
quand il s'agit du texte d'un auteiu* comme Aristote ; sous ce rapport,
le livre de M. Mynas m'a paru généralement digne d'éloges. J'en
ai trouvé aussi la correction typographique bien soignée, et la ponc-
tuation distribuée avec intelligence, malgré quelques fautes. J'en signa-
lerai une qui n'est pas sans gravité : page 1 6 , Aristote , rappelant ce
qu'il a dit dans ses Topiques au sujet du syllogisme et de l'induction ,
s'exprime ainsi : aEaeei yàp mpï ax^^koyiaysoS xai éirayctyyris eïpvTou irpà-
Ttpovy ^1, X. T. >. (I, 2 , S 9.) Car là il a été déjà dit touchant le syllo-
gisme et l'induction, que, etc.» M.. Mynas a mis entre irpStepav et Sn
un point en haut ; il ne fallait qu'une virgule. Toutefois , cette faute ne
saurait jamais avoir des suites si désastreuses que celle qui a étécommise
en ce même endroit par M. Gros. P^on content de placer 'un point après
'TrpSrepov, M. Gros a commencé par irt un nouvel alinéa, et de là,
comme on le pense bien, il est résulté un lourd contre-sens dans le
français et un affreux désordre dans le grec.
M. Mynas nous annonce, en terminant sa préface, qu'U fera bientôt
paraître une traduction de la Rhétorique à Alexandre. Je serais fâché
que mes observations le pussent décourager dans sa nouvelle entreprise;
j'aime mieux espérer qu'en appelant son attention sur içs parties faibles
de son premier travail , et en lui indiquant tes causés de cette faiblesse ,
j'aurai contribué en quelque chose à rendre l'ouvrage dont U s'occupe
meilleur et plus digne d'un helléniste aussi distingué que l'est M. Mynas.
. J. P. ROSSIGNOL.
120 JOURNAL DES SAVANTS.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
mSTITUT ROYAL DE FRANCE.
ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
M. le chevalier Félix Faulcon , à Poitiers (Vienne), éla corretpondant le 3 juin
i8oa, est mort le 3i janvier i8A3.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
M. Andral a été élu, le 6 février i843, dans la section de médecine et chirurgie,
à la place de M. Double, décédé.
M. Rayer a été élu, le i3 février i843, dans la section d*économie rurale, à la
place de M. le vicomte de Morel-Vindé, 'décédé.
M. Hansen, à Gotha, a été élu correspondant, dans la section d*aslronomie, en
remplacement de M. Littrow, le ao février i843.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Essai sar les écoles philosophiques chez les Arabes, et, notamment, sur la doctrine
à^Alaazzali, par Auguste Schmôlders, docteur en phflosophie. Paris, Firmin-Didol,
1 vol. in-8*. -^ On sait combien peu de renseignements nous avons sur la philo-
sophie des Arabes. M. Schmôlders, qui est né dans les provinces rhénanes de
Prusse, publia à Bonn, en i836, sous le titre de Documenta philosophiœ Arabum,
deux traités arabes accompagnés d'une version latine et d'un conmientaire. Plus
tard , M. Schmôlders vint a Paris, où il se perfectionna dans la connaissance de la
langue arabe sous M. Reinaud, et il prit pour objet de son travail un traité fort cu-
rieux d'Algazxali, intitulé : Ce qui stmve des égarements et ce qui éclaircit les ravisse-
ments. Le volume que nous annonçons renferme le texta de ce traité , une version
française et des observations générales sur lé caractère et les vicissitudes de la phi-
losophie chez les Arabes. Feu Pallia a fait une analyse du traité d*Algazzali , et cette
analyse a paru dans le recueil de l'Académie des sciences morales et politiques, pre-
mier volume des Savants étrangers. Mais ici on trouve le traité complet ; il n*est
pas, d'ailleurs, inutile de pouvoir comparer la manière de voir de deux honmies com-
pétents , qui travaillaient à peu près en même temps ,• et qui ne se sont pas com-
muniqué leurs idées. Tout porte à espérer que, d'ici à peu de temps, les personnes
FÉVRIER 1843. 121
qui s'occupent de rhistoire de la philosophie auront les moyens d* aborder les doc-
trines des Arabes. M. WiUiam-Cureton , garde du musée britannique , a publié , il
y a qudques mois , k Londres , sous les auspices du comité de publication des textes
orientaux , la première partie du traité de Schabristani , intitulé : 7Vai7^ des sectes
reliaieases et philosophiques. Cette première partie renferme les doctrines religieuses;
la deuxième partie, qui est consacrée aux doctrines phildfephiques , ne tardera pas
à paraître. Le tout formera un volume grand in-S**. Il est vrai que M. Cureton s est
seulement chargé de publier le texte, et, comme ce texte est difficile à lire, peu de
personnes pourraient en profiter; mais M. Schmôlders qui, pendant son séjour à
Paris , s*était déjà occupé de Touvrage , et qui en a inséré ides fragments dans le
volume publié par M. Didot, en prépare une traduction complète.
La cnèvalerie Ogier de Danemarche, par Raimbertde Paris, poème du xii* siècle,
publié pour la première fois d'après le manuscrit de Marmoutier et le manuscrit
2739 de la Bimiothèque royale. Paris, imprimerie de Pecquereau, librairie «le
Techener, 18&3 , 3 volumes in-i3 , ensemble de cm et 667 pages. — * La chevale-
rie Ogier, chanson de geste de i3o58 vers, est le plus ancien texte qu^ nous soit
resté des poèmes nombreux dont le célèbre Ogier le Danois a été le héros. Le ma-
nuscrit que puUie M. Barrois, et qui fait partie de sa riche bibliothèque, provient
deTabbaye de Marmoutier. Ce n*est, à la vérité, qu*une copie du xiv* siècle, mais
cette copie est la seule complète qui soit connue , et Ton y retrouve toutes les formes,
des premiers temps de notre langue. La rédaction du poème serait du xi* siècle,
selon les Bénédictins [Hist. Litt. de la Fr. t. VIII, p, 595) ; cependant Téditeur ne
croit pas pouvoir lui assigner une date antérieure au commencement du xii*. Les
soins que M. Barrois a donnés à cette publication sont tout à fait dignes d*un mo-
nument littéraire si important par son ancienneté. Il a collationné le texte «de* Mar-
moutier sur le manuscrit de la Bibliothèque royale, fonds La Vallière, n* 78,
olim 3739, dont il note les principales variantes, et Ta fait suivre d*une très-utile
analyse. On lira -surtout avec intérêt une préface étendue où le savant éditeur ex-
plique conunent s*est introduite et propagée Terreur qui a fait attribuer au preux
Ogier une origine danoise, par une fausse interprétation du surnom d'Ardenois ou
Danois, que les anciens monuments donnent à ce personnage, arrière petit-fils de
Turpin d Ardennes. Ces deux volumes forment les tomes Vlfi et IX de. la collection
des douze pairs de France, publiée par le libraire Techener, et dont les septpre*
miers tomes comprennent les ouvrages suivants : Roman de Berthe aux gYands pieds,
précédé d*une dissertation sur les romans des douze pairs, par M. P. Paris (1 vol.).
— Roman de Garin le Loherain, précédé d*un examen des romans carlovingiena
(3 vol. ). — Parise la duchesse ( 1 vel. ). — Chanson des Saxons, par Jean Bodêl , pu^
bliée pour la première fois par M. Francisque Michel (3 vol.). — Raoul de Cambray,
publié par M. Ed. Le Glay (1 vol.).
Bibliothèque dejd, le baron Silvestre de Sacy, pair de France, etc. tome premier.
Imprimés. Philosophie, théologie, sciences naturelles. Paris, imprimé par autori-
sation de M. le garde des sceaux à Tlmprimerie royale , librairie de R. Meiiin. Se
trouve aussi chez B. Duprat, JuUien et veuve Dondey-Dupré, 18&3 , in-8* de la-
Lxiv&SG pages, tome III. Manuscrits, 63 pages in-8*. — Cette première livraison du
catalogue de l'importante bibliothèque de M. de Sacy est précédée de la notice
historique de M. Daunou sur la vie et les écrits de cet illustre académicien, d*un
avertissement de A|. Merlin , chargé par les dernières volontés de M. de Sacy de la
rédaction du catalogue de*ses livres, sur les soins quil a pris pour remplir digne-
ment cette tâche honorable et di£Scile, enfin d'observations sur Tordre suivi dans
16
122 * ^ JOURNAL DES SAVANTS.
•
le dassement de la lliéologie contenue dans le premier volume, et sur les ouvrages
les plus rares de celte partie du catalogue. Le nombre des artides compris dans
le tome I*' est de «lyQS, dont Sg pour la philosophie, iBya pour la théologie, qui
embrasse les croyances et lliistôire religieuse des différenls peuples, et i8& pour
les sciences naturdles. Les manuscrits, dont la description a été confiée par M. de
Sacy à M. de Lagrange, sont au nombre de 364f savoir : aai arabes , 108 persans,
29 turcs et 6 syriaques. La vente de ces livres et manuscrits commencera le 18
avril prochain et finira le 9 mai suivant.
Lesiége de Lille en 1792, par Victor Derode, chef d*institutioii. Lille, imprime-
rie de Danel , librairie de Durieux, i84a , in- 8** de 79 pages, avec jdanches et fac-
similé. — Le siège de Lille , Tun des plus mémorables épisodes des guerres de la
révolution , est raconté avec talent par M. Derode dans cet opuscule écrit d*un style
sans emphase , mais plein de mouvement et de chaleur. L*auteur a su répandre
beaucoup d'intérêt sur les détails d*un événement si glorieux pour les annales de
aa ville natale , et son récit a d'autant plus de mérite, qu'il s*appuie constanmient
sur Tautocité de documents puisés aux meilleures sources. La correspondance sin«
gulière des officiers municipaux de Lille avec Roland , ministre de l'intérieur, avant
et après le siège, nous parait surtout digne de fixer l'attention, comme étant de
nature à faire appréder et le patriotisme des assiégés et le caractère de ce ministre.
La publication de cette notice fait bien augurer du succès de ï Histoire deLille dont
elle est extraite , et que M. Derode doit £aire paraître prochainement
Relation djui voyage d'exploration au nord-est de la colonie du cap de Bonne -Espé-
rance, entrepris dans les mois de mars, avril et mai i836, par MM. T. Arbousset
et F. Daumas , missionnaires de la Société des missions évangéliques de Paris , écrite
Sar T: Arbousset , avec 1 1 dessins et une carie ; publiée par le comité des missions
vangéliques de Paris chez les peuples non chrétiens. Paris , imprimerie de A. René ,
librairies d'Arthus-Bertrand et de Delay. Se trouve aussi à la maison des missions
évangéliques , rue de Beriin , n* 7, i84a , in-8* de x-6ao pages. -^ MM. Arbousset
et Daumas, ministres prolestants, sont établis, le premier, depuis i833, à Morija,
dans le pays des Bassoutos, et le second, depuis i>837, à Mekuatling, chez les Lig-
hoyas. L excursion qu'ils ont faite de concert entre le fleuve Orange et le Namagari,
dans le but spécial d'étendre l'influence du christianisme et de la dvilisation , leur
a fourni l'occasion de recueillir des observations d'un grand intérêt pour la géogra-
f^e , la statistique et l'histoire naturelle de celte partie du sud de l'Afrique. Rs ont
révélé un fait ignoré jusqu'à présent, cdui de l'existence de hordes cannibales dans
le voisinage des Maloutis, et Us ont trouvé la source des prindpaux fleuves du sud
de l'Afiique dans un mont qui couronne , au nord, la chaîne des montagnes Bleues ,
et auquel ils ont donné le nom de Mont des Sources. Le voyage des deux courageux
missionnaires ne se recommande pas seulement par ces deux découvertes impor-
tantes ; on y trouvera des renseignements précieux qui sont le résultat d'une étude
approfondie du caractère et des mœurs d'un grand nombre de triCus indigènes mal
connues avant eux. Ces notions compléteront très-utilement pour la science celles
que M. Casalis a déjà rassemblées sur les Béchuanas , dans l'introduction de ses
Etudes sur la langue sêchuana, autre ouvrage très-estimable dont on doit aussi la pu-
blication à la Société des missions évangéliques , et que nous avons annoncé dans ce
journal en 18&1 (octobre, p. 634)-
Histoire et pkénomèfies du volcan et des îles volcaniques de Sjpitorin , suivis d*un
coup d'œil sur l'état moral et rdigieux de la Grèce moderne; composés en 1837 par
M. l'abbé Pègues, ancien missionnaire apostolique dans lé Levant, et supérieur
FÉVRIER 1843. 123
de la mission de Santonn. Paris , imprimé par autorisation du roi à i^Imprimierie
royale, i843 , in-S"* de vii-667 pages, avec une carie. — • Pendant un séjour de douie
années k Santorio, Tantique Théra, Tauteur de ce livre a étudié avec soin les phé-
nomènes si ciOMSux de cette île volcanique, soi^ histoire ancienne, son état actuel et
les mœurs de ^s habitants. Les connaissances de M. l*abbé Pègues et le caractère
dont il est revêtu donnent k son ouvrage une incontestable autorité, et nous croyons
que cette relation sera lue avec autant de fruit que de plaisir. Elle est divisée en quatre
parties. La première est consacrée à Thistoire de Tancienne Théra et à la description
de ses antiquités ; dans la seconde , Tauteur fait Thistoire des révolutions volcaniques
de Tile et des éruptions du volcan ; dans la troisième , il expose l*état physique de
Santonn ; enfin , la quatrième partie contient le tableau de rétat moral et religieux
de cette île et de la Grèce en général , dans les temps modernes , depuis Toccupation
du pays par les Turcs jusqu*à ce jour. Les observations importantes et les particu-
larités curieuses abondent surtout dans cette dernière partie , qui se recommande
spécialement à Tattention du lecteur. Parmi les pièces justificatives nous avons re-
marqué les capitulations données en faveur des îles grecques, en i58o, par Amu-
rat lU, et, par Ibrahim, de i6io à i645.
Vofoge pittoresque dansTempire ottoman « en prèce, dans la Troade, les îles de
i*Arcmpd et sur les côtes de FAsie Mineure, par le comte de Choiseul-Gouffier,
ambassadeur de France à Constantinople. Nouvelle édition, augmentée de notices
historiques d*après les voyageurs modernes les plus célèbres , rédigées avec le con*
cours et sur les observations inédites de M. Hase de Tlnstitut , et de M. Miller.
Epemay, imprimerie de Warrin-Thierry ; Paris, librairie de Aillaud, i843 ^ livrai-
sons g4 à 100 et dernière, un seul cahier de 1 la pages ^ in^* ; plus de ai planches
in-folio.
Relations de Vùyages en Orient de 1830 à 1838, par Aucher Éloy, revves et an-
notées par M. le comte Jaubert, membre de la chambre des députés, i** et a' par-
ties. Paris, imprimerie de Fain, librairie de Roret, i84a\ a vol. in-ô", ensemble de
83a pages, avec une carte..
BibUotkèqae asiatique et africaine, on catalogue des ouvrages relatifs à TAsie et k
rAfnque qui ont paru depuis la découverte de l'imprimerie jusqu'en 1 700 , par
H. Temaux-Compans. Paris, imprinierie de Didot, librairie d'Arthus Bertrand, ,
i84a, in-8* de 3^7 pages — ^ L'ouvrage est terminé par une table «dpbabétique
des auteurs.
Histoire naturelle des mammifères , avec des figures originales, coloriées, dessinées
d'après des animaux vivants ; publiée sous l'autorité de l'administration du Muséum
d'histoire naturelle , par M. Geofiroy Saint-Hilaire et par M. Frédéric Guvier.lParis,
imprimerie d'Henry, librairie de Biaise, in-folio , 7a* et dernière livraison de 34 pages
de texte et 6 planches. Cet important ouvrage , aujourd'hui terminé , forme 7 vo-
lumes in-folio.
Recherches sur l'organisation, la fructification et la classification de plusieurs genres
d'algues, avec la description de quelques espèces inédites ou peu connues. Essai
d'une répartition des polypiers calcifères de Lamonroux dans la classe des algues ;
par J. F. Chauvin. Caen, imprimerie de Hardd, i84a , iiW de i3i pages.
Mémoires sur la mesure théorique et expérimentale de la réfitiction terrestre,
avec son application à la détermination exacte des différences de niveau , d'après
les observations des distances zénithales simples ou réciproques; par M. Biot. Paris,
librairie de Bachelier, i84af in-8* de 84 pages, avec une planche. (Extrait de la
CowuàMsanoe des temps,)
16.
124 JOURNAL DES SAVANTS.
Notice historique sar la Guyane française , par H. Ternaus-Compans. Paris, im-
primerie et librairie de F. Didot frères , i8&3, in-8* de vi-iga pages. — M. Ternauz
raconte tous les essais d'établissement qui ont été faits li la Guyane par les Fran-
çais-depuis Tan i6oâ jusqu'à ce jour, et fait suivre ce récit intéressai de réflexions
sur les causes qui se sont opposées , jusqu'à présent, au succès de ces tentatives et
à la prospérité de la colonie. Il attribue surtout ce mauvais résultat au défaut de
persévérance des colons et à la direction inhabile donnée à leurs travaux. Il insiste
principalement sur la salubrité du climat , malgré le préjugé contraire, et termine
en faisant des vœux pour que le gouvernement songe à féconder ce beau pays , la
seule de nos colonies qui, par l'étendue de son territoire, puisse recevoir un grand
développement. On trouve en appendice à la fm du volume des extraits de diverses
relations , imprimées ou manuscrites , et une bibliographie de la Guyane , conte-
nant les titres de 1 66 ouvrages publiés sur ce pays.
Essai sar F éducation du peuple, ou sur les moyens d'améliorer les écoles primaires
populaires et le sort des instituteurs, par J. willm, inspecteur de l'Académie de
Strasbourg. Strasbourg, imprimerie de veuve Berger-Levrault, librairie de veuve
Levrault; Paris , librairie de P. Bertrand, i843, in-8* de xii-45g pages. — Après
avoir exposé, dans la première paftie de son ouvrage, les principes généraux de
toute éducation, l'auteur montre, dans la seconde, comment ces principes doivent
être appliqués dans les écoles populaires, et quel doit être l'enseignemenf dans ces
écoles. Il insiste sur la nécessité de compléter le système de Tinstruclion et de l'édu-
cation élémentaires en ouvrant partout des salles d'asile, et en retenant à l'école les
élèves au delà de la première communion. Quant aux procédés d'enseignement, il
se prononce pour le mode simultané comme devant être partout préféré, tout en
empruntant au mode d'enseignement mutuel ce qu'il a de plus utile. Il d^nande
que tous les enfants parvenus à l'âge de six ans soient annuellement soumis à une
sorte de conscription scolaire et leurs parents tenus de payer la rétribution men-
suelle, s'ils le peuvent, ou âe les anîlener à l'école, à titre gratuit, s'ils sont indigents.
Dans la troisième et dernière partie de son travail, où il s'occupe des garanties de
capacité à demander aux maîtres et des moyens d'améliorer leur sort, M. Willm est
d'avis d'obliger tous les professeurs à passer par les écoles normales tenues au nom
de l'Etat, ou de ne leur donner l'institution définitive qu'après trois années au moins
d'exercice. En même temps , il voudrait que le traitement fixe des instituteurs fût
porté à 3oo francs , qu'on transformât en une caisse de retraite la caisse d'épargne
établie dans chaque département aux termes de la loi organique de i853; enfin
qu'il fîit créé, au sein de l'Académie des sciences morales et politiques, une sec-
tion de pédagogie , et que des chaires fussent consacrées, à Paris et dans les dépar*
tements , à l'enseignement de cet art.
Voyage au pâle sud et dans l'Océanie, sur les corvettes Y Astrolabe et la Zélée, exé-
cuté par ordre du roi, pendant les années 1837, i838, i83g, i840i sous le com-
mandement de M. J. Dumont-d'Urville , capitaine de vaisseau. Histoire du Voyage,
par M. Dumont-d'Urville, tome FV. Paris, imprimerie de A. Pihan Delaforest, li-
brairie de Gide, i84^, ia-8* de 4a8 pages.
Souvenirs d'an VoyagOans l'Inde, exécuté de i83Â à i83g; par M. Adolphe De-
lessert. Paris, imprimerie de Béthune, librairi'es de Fortin et Masson, Lang^ois et
Leclercq, i843, in-8'* de a48 pages, avec 35 planches.
Le Léman, ou Voyage pittoresque, historique et littéraire, à Genève et dans le
canton de Vaud (Suisse), par M. Bailly de Lalonde. Paris, imprimerie et librairie
de Dentu, i84a, 2 vol. in-S"", ensemble de xvi-xlvi et 1 i3a pages. — L'auteur de
FÉVRIER 1-843. 125
xe voyage a certainement atteint le but qu*ii s*est proposé, de recueillir, sur Genève
et le canton de Vaud, plus d*pbservations , de faits et d anecdotes, qu'aucun de ses
devanciers. Catholique zélé, il examine, surtout au point de vue religieux , les insti-
tutions que la réforme a fondées dans celte partie de la Suisse; -mais, s'il juge peu
favorablement de Tinfluence du protestantisme , il exprime toujours son opinion
avec une grande modération dans les termes. Voyageur instruit, il sait donner
souvent un intérêt nouveau k des descriptions tant de fois répétées, et les détails
historiques et biographiques, qu il mêle avec trop de complaisance peut-être à son
récit, sont le fruit d une étude patiente et de laborieuses recherches.
BihUothèqae de l'école des chartes, tome quatrième (livraisons i et 3). Paris, im-
primerie de F. Didot, i8&3-i8â3, 188 pages* in-8'*. La première de ces deux livrai-
sons contient les morceaux suivants : I. Notice sar les mcuiuscriis de formules rela-
tives au droit observé dans T empire des Francs, par M. Pardessus. Cette notice, où le
savant auteur fait ressortir l'intérêt des formules pour Thistoire du droit chez les
Francs, et énumère les manuscrits qui les ont fournies à Bignon, à Sirmpnd, à
Baluze, à Mabillon, etc. est suivie du texte de i4 formules inédiles, dont g sont
tirées d'un manuscrit ayant appartenu à P. Pithou, et qui est aujourd'hui en la
possession de M. Michel, curé de la cathédrale de Nancy. Les 5 autres formulés
sont publiées par M. Pardessus, d'après les manuscrits n"* 4oo5 et 4627 de la Bi-
bliothèque royale. II. De la poésie provençale en Italie, par M. Fauriel. Dans ce tra-
vail remarquable, M. Fauriel traite de l'hisloire el des influences de la poésie pro-
vençale en Italie depuis 1^ commencement du xii* siècle jusqu'en 1 3oo , el apprécie
les travaux des troubadours provençaux qui ont séjourné en Italie, et ceux des
poètes italiens formés à l'école des troubadours , et qui ont écrit en provençal.
III. La charte aux Normands, par M. A. Floquel. Cet article résume l'histoire des
privUéges concéd'és aux Normands par la célèbre charte de Louis X, donnée an
mois de juillet i3i5. IV. Fragments inédits de Georges Chastellain, publiés par
M. Jules QuicheraU On sait coinbien de lacunes sont à regretter dans la chronique
de Georges Qiastellain. C'est dans' un manuscrit d'Arras que M. Quichcrat a trouvé
cesjcurieux fragments, qui se rapportent aux événements de i430f année encore
inédite de ce grand ouvrage. On y remarque surtout le récit du combat où fut
prise la pucelle d'Orléans, et les portraits du comte xle Foix, des seigneurs de la
maison d'Albret, du comte de Saint-Pol, du comte de Vaudemont el du roi
Gharies VII. Toute celte partie de l'histoire de Chastellain se retrouve dans un ma-
nuscrit plus complet de la bibliothèque Laurentienne de Florence , qui comprend
les trois années i^aOi i43o et i43i. Ce manuscrit, signalé par M. Paul Lacroix
dans ses notices sur les manuscrits d'Italie , sera prochainement publié par M. Bu-
chon. Les quatre articles suivants composent la seconde livraison. I. Sordello, par
M. Fauriel. Dans un premier travail, que nous venons de citer, M. Fauriel avait
parlé des italiens qui se sont fait connaître, au moyen âge, comme poètes proven-
çaux. Celui d'entre eux qui mérite le plus d'être étudié est Sordello ou Sordel de
Âfantoue, dont parle Dante dan^ un des plus beaux passages de la Divine comédie.
C'est à ce poète, digne d'attention par son talent et par la singularité de ses aven-
tures, que M. Fauriel a consacré ce second article, qui sera.lu avec un vif intérêt.
II. Affaire du P, Saint-Ange, capucin, ou un épisode de la jeunesse de Pascal, par
M. Victor Cousin. En 1647, I^^^cali ^g^ ^^ ^^ ^^^^ ^^ ^^"^ ^^ ferveur de sa pre-
mière conversion , prit une part très-active à une infoimation faite à Rouen contre
un'celieieux de l'ordre des capucins, Jacques Forlon, dit le P. Saint-Ange « accusé
de professer des opinions contraires à l'orthodoxie. Deux manuscrits de la Biblio-
*.*
126 JOURNAC DES SAVANTS.
thèqae royale (supplément français, n* 176, et fonds de l'Oratoire, n° 160), ont
fourni à M. Cousin des documents intéressants, qui mettent tout à fait en lumière
cette circonstance peu connue de la vie de Pascal. III. Ètades sur l'ancienne admi-
nistration des villes de France , par M. Martial Delpit. Après des considérations fort
justes sur la nécessité d'étudier Thistoire du droit municipal dans chacune de nos
grandes villes pour connaître Tontine et apprécier les perfectionnements de nos
institutions administratives modernes, M. Delpit annonce qu'il a entrepris de pu-
blier une suite de recherches sur l'organisation financière des villes de France, et
commence cette publication par un article instructif sur le système financier de la
ville d'Amiens. Ce travail est extrait d'un mémoire couronné en i84i par l'Aca-
démie des inscriptions et belles-lettres.
Annuaire de la pairie et de la noblesse de France et des maisons souveraines de l'Eu-
rope, publié sous la direction de M. Borel d'Hauterive, archiviste r -^léographe. Au
bureau de la Revue historique de la noblesse, rue Bleue, n* aS. Paris, i843 , in-ia
de viii-388 pages , avec planches. Cet annuaire se distingue, au milieu des ouvrages
«du même genre qui paraissent chaque année , par l'intérêt des documents histo-
riques qu'il renferme. Dans sa préface , l'auteur donne de curieux détails sur les
Lettres de Henri IV, dont la publication est confiée à M. Berger de Xivrey par
M. le ministre de l'instruction publique. On trouve aussi dans la préface un exa-
men historique de la salle des Croisades du musée de Versailles, examen qui sug-
gère cette réflexion pénible que de toutes les familles françaises dont les ancêtres
ont figuré dans les événements de la première croisade jeux seulement subsistent
encore, celle de Montmorency et celle d'Aubusson. L'annuaire contient ensuite
Tétat actuel des races régnantes de l'Europe , la liste <les ducs de l'ancienne pairie ,
des ducs de Fempire et des ducs de la restauration. On voit , dans cette partie de
l'ouvrage, que la famille de l'empereur Napoléon compte encore a 3 membres. Après
ce travail , M. Borel donne l'histoire sommaire de la pairie , les lois et ordonnances
relatives à celte dignité, la liste des pairs de France de 181 A à i83o, des notices
historiques sur 60 familles, enfin la première partie d'un traité élémentaire de
blason dont le complément paraîtra dans l'annuaire de i8&4i avec la liste des pairs
de France depuis i83o, et de nouvelles notices généalogiques.
Manuel du libraire et de V amateur de livres, contenant : 1" un nouveau diction-
naire bibliographique, dans lequel sont décrits les livres rares, précieux, singu-
liers , et aussi les ouvrages les plus estimés en tout genre , qui ont paru tant dans
lés langues anciennes que dans les principales langues modernes, depuis l'origine
de l'imprimerie jusqu'à nos jours; avec l'histoire de^ différentes éditions qui en ont
été faites ; des renseignements nécessaires pour reconnaître les contrefaçons et col-
Rationner les anciens livres. On y a joint une concordance des prix auxquels une
partie de ces objets ont été portés dans les ventes publiques faites en France, en
Angleterre et ailleurs , depuis plus de soixante ans , ainsi que l'appréciation approxi-
mative des livres anciens qui se rencontrent fréquemment dans le commerce;
3* une table en forme de catalogue raisonné, où sont classés méthodiquement
tous les ouvrages portés dans le dictionnaire, et un grand nombre d'autres ou-
vrages utiles, mais d'on prix ordinaire, qui n'ont pas dû être placés au rang des
livres ou rares ou précieux; par Jacques- Charles Brunet, quatrième édition origi-
nale. Paris , imprimerie de Maulde et Renou , librairie de Sylvestre, i84a* '— Cette
nouvelle édition d'un livre si universellement eslimé ne peut manquer d*étre ac-
cueillie avec empressement par les bibliographes. Elle formera cinq volumes grand
in-8'', à deux colonnes , dont le dernier contiendra la table méthodique. Chaque vo-
FÉVRIER 1843. .
127
lume sera publié en deux livraisons. Chaque livraison coûtera 8 francs , à Texcep-
lion de celles du cinquième volume qui seront payées g francs chacune ; ce qui
portera à 8a francs, pour ]es souscripteurs , le prix des dix livraisons. Les trois pre*
mières livraisons, composées du premier volume du dictionnaire et de la première
partie du second, sont actuellement en vente. Les livraisons suivantes paraîtront
de quatre mois en quatre mois.
Essai sar T ancienne monnaie de Strasbourg et sur ses rapports avec l'histoire de la
ville et de Vévêché, par Louis Lcvrault. Strasbourg» imprimerie de V* Berger-Le-
vrault, librairie de V* Levrault, i84a, in-8* de xii*46a pages. — Cet ouvrage, fait
avec soin, sera, pour l'histoire numismatique de TAlsace, le complément néces-
saire du livre récemment publié en allemand par le baron de Berstett, sous le titre
de Versuch einer Mànzgeschichte des Elsasse. L'auteur y a joint des pièces justifica-
tives nombreuses et importantes.
Le Livre du cœur, ou Entretiens àês sages de tous les temps sur Tamitié, ouvrage
dédié à la jeunesse, par Louis-Auguste Martin. Paris, imprimerie de Mdteste, li-
brairie de Têtu, i8A3, in-i8 de 283 pages.
Notice sur V établissement de Vimprimerie dans la ville d'Aire, aux XYlf et
XVI II' siècles, par Fr. Morand, archiviste de Boulogne. De l'imprimerie de Tho-
mas, à Saint-Pol, i84a « brochure in-S** de i5 pages. — Quoique la ville d'Aire ûi
eu des associations dramatiques dès le xv* siècle et des poètes dès lexvi*, le goût
des lettres parait n'y avoir fait que des progrès très-lents. Une imprimerie y (ut
fondée, pour la première fois , en i683, et ne put s'y soutenir. C'est depuis quel-
ques années seulement que ^ cette ville possède un établissement typographique,
qui publie , sous le titre d'Écho de la Lys , un recueil principalement consacré à
1 histoire locale. — Notice historique sur le beffroi de la ville de Boulogne, par le même.
Boulogne, imprimerie de Birlé, i8iia, in-S"* de i6 pages. — La description du
.beffiroi de Boulogne, dont la construction remonte au xiii* siècle, donne à l'auteur
l'occasion de rassembler quelques faits intéressants relatifs à l'origine de la com-
mune de cette ville, à sa suppression en ia63 et à son rétablissement en 1269.
Recherches archéologiques sur les monuments de Besançon, par A. Delacroix. Impri-
merie d'Outhenin-Chalandre , à Besançon, broch. in- 8" de 32 pages.
Chronologie des barons de Mello depuis le xi* siècle jusqu'en 18A2. Paris, iippri-
primene de Dupont, 1842, in-4* de 88 pages.
Bibliographie doaaisienne, ou catalogue historique et rabonné des livres imprimés
à Douai depuis Tannée i563 jusqu'à nos jours, avec des notes bibliographiques et
littéraires, par H. R. Duthillœul. Nouvelle édition, in-8' de 520 pages. .
Archives municipales de Rouen. Rapport adressé à M. Henri Barbet, maire de
Rouen. Imprimerie de N. Périaux, k Rouen, 1842, broch. in-8* de 3a pages. jCe
rapport est signé de M. Cb. Richard, conservateur des archives municipales de
Rouen.
Chronique rimée des troubles de Flandre à la fin du xiv* siècle , suivie de documents
inédits relatifs à ces troubles; publiés d'après un manuscrit de la bibliothèque de
M. Ducas , à Lille , par Ëdw. le Glay. Imprimerie de Ducroc , à Lille , 1 8421 , in-8*
de 1 60 pages , avec une planche.
Histoire des lettres au moyen, âge, cours de littérature, par Amédée DuquesncL
Paris , imprimerie de Cosson , librairie de W. Coquebert, i84a , tome IV, in-8* de
456 pages.
Histoire de Cambrai et du Cambrésis, par Eug. Bouly , i** partie. Cambrai, impri-
merie de Lévèque , librairie de Hattu, i84a, in-8'* de a 08 pages.
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128 JOURNAL DES SAVANTS.
De Vanin et de t abattis de maison dans le nord de la France s par M. Le Giay, 86«
conde édition. Lille, imprimerie de Danel, iSâSi broch. in-8* de &o pages.
Mémoire historique sar la ville de Moustier, par Jean Solomé , prêtre bénéficier,
1756. Digne, imprimerie de Guichard, i84at in-ia de 64 pages.
Thésaurus Grœcœ Hnguœ ab Henrico Stephano conslructus. Post editionem an^
glicam novis additamenlis auctum , ordineque alphabetico digestum tertio edide*
runt Carolus B^nedictus Hase , Guillebnus Dindorfius et Ludovicus Dindorfius. Vo-
lumen quintum, fasciculus seciindus. — ^Volumen sextum fasciculus secundus. Paris,
imprimerie et librairie de Fr. Didot, i84a, in-folio, 39' et 5o* livraisons de cbacune
330 pages.
Rei agrariœ scriptorum nohiliores reliquiœ. Accessit legum romanarum agrariaruai
delectus , ad usum scholarum ex optimorum libromm ûde et manuscriptis codici-
bus ope recensuit, edidit, notulis instruidt Carolus Girard, juris antecessor Aq. Sext.
Paris, imprimerie de Rignoux, librairie de Videcoq, i843 , in-8*. Cet ouvrage forme
la 5* et dernière livraison de la Chrestomathie , dont la publication a été commencée
en i833.
Nouvelles lettres de la reine de Navarre adressées au roi François /•^ son frère, pu-
bliées d'après le manuscrit de la Bibliothèque royale, par F. Genin. Paris, impri-
merie de Crapelet, librairie de Jules Renouard, i84a, in-8* de 3ao pages. (Pu-
blication de la société de Thistoire de France. ) Un premier recueil de lettres de
Marguerite d*Angouléme, reine de Navarre, a été pnblîé par le même éditeur en
i84i. (Voy. notre cahier d'octobre i84i, page 63a.)
Mémoire sur quelques antiquités remarquables du département des Vosges, par J. B.
Jollois. Paris, imprimerie de Blondeau, librairie de Derache, i843, in -4* de
aa4 pages.
Recherches sur la géographie ancienne et les antiquités du département des Basses-
Alpes, par D. J. M. Henry, 2* édition, imprimerie de M" V* Guicbard. Paris, li-
brairie de Colomb de Batines, i84a , in-8* de loo pages.
Table chronologique et analytique des archives de la mairie de Douai, depuis le on-
zième siècle jusqu'au dix-huitième, d'après les travaux de feu M. Guilmot, par
Pilate-Prévost. Douai, imprimerie d^Aubers, librairie d'Obez, i843, vol. in-8*' de
53a pages.
TABLE.
Histoire de la chimie, depais les temps les plus reculés jusqu*à notre époque,
par Ferd. Hoefer ( i*' article de M. Chevreul) Page 65
Documents inédits sur Domat (2* article de M. Cousin] 76
Essais d'expériences faites dans l'Académie del Cimento (article de M. Libri) . • 93
L'Art de la rhétorique par Aristote, texte coHationné et traduit en français par
C. Minoîde Mynas. * — Artium scriptores, ab initiis usque ad editos Aristotelis
libros. Composuit Leonhardus Spengel ( 3* article de M. Rossignol ) 1 02
Nouvelles littéraires • 1^0
FIN DE LA TABLE.
i* '
JOURNAL
DES SAVANTS
MARS 1843.
Recherches sur les monuments cyclopéens, et description de là
collection des modèles en relief composant la galerie pélasgiqae de
la bibliothèque Mazarine, par L. C. F. Petit-Radel , publiées dia-
prés les manuscrits de Fauteur. Paris, i84i, in-8*^.
Le premier titre de cet ouvrage donne Tidée d un travail qui a ex-
cité, pendant près dun demi-siècle, l'attente de l'Europe savante, et
que son auteur eût été certainement plus capable que personne d ache-
ver, comme il avait eu, avant tout autre, la pensée de Tentreprcndre. r ^'^•'*'
Mais ce travail, dont il avait passé presque toute sa vie à recueillir les
matériaux, et dont il avait, dans un de ses derniers écrits ^ tracé le plan " :*^
et indiqué les principaux éléments ^ de manière à donner lieu de croire
que la rédaction en était au moins commencée , s est trouvé réduit à des
notes trop insuffisantes pour atteindre ]e but que le savant auteur avait
dû se proposer; et l'ouvrage dans lequel elles auraient pu trouver leur
place a été perdu pour la science en même temps que M. Petit-Radel '''.
lui-même lui a été enlevé, dans un âge assez avancé. C'est donc le se-
cond titre de ce livre qui seul en indique véritablement l'objet, et il est
certain que cet objet est beaucoup au-dessous de ce qu'on était en droit
* Dans une LeUre adressée à M. Panofka , et insérée dans les Annal dell Instit
ArcheoL 1. 1 , p. 345-35a. L*ouvrage devait avoir pour titre : Histoire des recherchés
faites, entre les années 1792 et 1830, sur les monuments cyclopéens ou pélasgiques, 9i
sur les caractères historiques et techniques qui les rattachent aux premières colonies
grecques et à la civilisation de TEurope et de l'Asie Mineure,
»7
-*
^^^ . 130 joiJKNAL mA s
^^^ d'attendre de recheichps continuées, dur
r
t
i
i SAVANTS,
d'attendre de recheichos continuées, durant tanl d'années, avec tant de
îèlc et de persiSvérance , sur un point si impoilant.de la science de i'an-
tiquité. Néanmoins, l'intérêt qui s'attache à ce dernier ûuil des veilles '
de M. Petit-Radel, et celui qu'excite la question arclicoiogi(]uc elle-
même, nous font un devoir d' examiner, avec tout le soin dont nous
sommes capable, l'ouviill^e posthume où sont déposées les dernières
pensées de M. Pctit-Radel sur un sujet qui l'a occupé la plus grande
partie de sa vie , et qui partage encore les antiquaires.
Pou de mots nous suffiront pour donner une idée de la composition
de ce livre, qui renferme trois parties: la première, où l'auteur rend
compte de la découverte des monuments cyclopéens, arrivée accidentel-
lement à l'occasion d'un voyage entrepris en juin i ■yga , pffur chercher, ^^^^ ^^^
au Monte Circeo, ie palmier éventail (chamœrops humilis). qui manquait ^^V ^J
au Jardin botanique de Rome, et où il présente l'analyse ou le texte
des rapports et des opinions contradictoires dont celte découverte fut
liobjet de la part de savants français, italiens et allemands; ta seconde,
où il fait un exposé chronologique des travaux et investigations de '
toute sorte, dont l'espèce de monuments auxquels il appliqua d' abord la ^ '
dénomination de cyclopc'ens a fourni le sujet ou l'occasion, soit h des ^
savants ou voyageurs, soit i\ des académies, à partir de i 792 , époque
de celte découverte, jusqu'en i835, date de la mort de l'auteur; la
troisième , enfm , où se trouve l'expiicationit^taillée des modèles en re-
lief composant la galerie pélasgiijae , au noiûbre de lxxx , avec les témoi-
gnages classiques qui viennent à l'appui, et avec les observations four-
nies à l'auteur par divers savants et voyageurs.
Les deux premières parties de cet ouvrage ne sauraient être sus-
ceptibles d'analyse, puisqu'elles ne consistent elles-mêmes qu'en ana-
lyses de témoignages, d'opinions ou de rapports , qui forment comme
l'exposé histoiique de la théorie des monuments cyclopéens, telle que «
lavait conçue M. Petit-Radel. lïe troisième partie, contenant l'explica-
tion d'un certain nombre de monuments cyclopéens , choisis comme
les plus importants parmi ceux de l'Italie, de la Grèce et de l'Asie
Mineure, peut seule fournir la matière de quelques observations, que
nous présenterons en suivant l'ordre même des monuments qui nous
serviront à exposer l'état actuel des opinions sur la question des monu-
ments cyclopéens.
Aucun de nos lecteurs n'ignore certainement quel est le mode d'ar-
chitecture auquel s'applique celte dénomination de cyclopéenne, qui 3
acquis, de nos jours, une si grande célébrité dans la science. On sait -'*
qu'il consiste en nn appareil de construction composé de blocs de pierre
'••s*
V*
il
Mars 1843.
131
de forme polygone irrcgulière, gi^néralement de très-grande dimension,
et toujours assemblés sanffciment. C'est cette espèce de constriiclîon qui
frappa pour iâ première fois M. Pelil-Radel pai'mi les ruines du pro-
montoire de Circé, et qu'il appela dès lois cyclopécrine , parce qu'il la
trouva identique avec celle qui s'observe encore dans les murs de
Tirynthe et de Mycènes, en Argolide, el qui éïfcîfrcgardt^c, par les an-
ciens eux-mêmes , comme l'œuvre des Cyclope». Depuis, en retrouvant
la même constiuction dans un assez grand nombre d'enceintes de villes
âuLatlum. particulièrement de eellâ du pays des Hiriiiijim, des Èqaes
et des Aborigènes , auxquels certaines traditions antiques ^ribuaient
une origine p»^lasgiqup, M, Petit -Radel se fixa dans l'idée que cette
construction en pierres polygones irrégidières, appareillées sans ciment,
était propre au peuple pélasge, c'est-à-dire à la pace grecque primitive,
dont on sait, par de nombreux témoignages historiques, que les colo-
nies venues en Italie par les côtes de l'Épire et de l'Illyrie. avaient
fondé beaucoup de villes dans cette partie centrale de l'Italie, où ces
ruines, dites cyclopéel^n&j devenaient ainsi, à ses yeux, autant de mo-
numents certains de lear origine pélasgiqiie; et il ne put que s'affermir
dans cette opinion, à mesure que les voyageurs, dont l'attention avait
été dirigée par lui-même sur cette espèce de constniclions, découvraient
de ces murs cydopécns dans des pays, tels que le Péloponnèse , VAttiqae,
la Béotte, la Phnctdc, la Thessahe, YEpire. la Thracc et Y Asie Mine are,
avec les iles qui en dépendent, où le séjour des Péiasges, attesté par
l'histoire, se trouvait, de cette manière, justifié par les monuments.
Quelquefois, les murs dont il s'agit , surmontés de constructions de style
hellénique, et conséquemment d'une époque plus récente, ofiitiicnt
ainsi la preuve matérielle de leur antériorité. Le plus souvent, ces murs,
appartenant h des villes depuis longtemps détruites et laissées à l'aban-
don, se montraient, dans cet isolement même de toute autre construc-
tion, empreints d'une caractère d'antiquité qu'il était impossible de
méconnaître; et toutes ces conÂdéra lions réunies tendaient de plus en
plus i\ confirmer l'idée que dea murs , ainsi marques du sceau d'une vé-
tusté ineffaçable et comme donés d'une force indestructible, ne pou-
vaient être (p^ie l'œuvre d'une race primitive , telle que celle des Péiasges
de la Grèce et de l'Italie.
Cette doctrine, qui, sous le double rapport de l'art et de l'histoire,
renfermait de grandes conséquences, et qui fut d'abord accueillie avec
fiiveur en Italie, où elle était née, et en France, où son auteur l'ap-
porta vers 1 800 , éprouva néanmoins d'assez graves contradictions. On
essaya de contester la justesse de cette dénomination de cyclopéenne
>*^
132 JOURNAL DES SAVANTS.
appliquée à un mode de construction qu'on croyait trouver dé.sigué,
tantôt dans ïincertum , tantôt dans i'emp/ccion de Vitruve , et ce fut
surtout un critique allemand, feu M. Sicklcr, qui se fondit, dans le
Magasin encyclopiidique de Millin', l'organe de celte opposition, trop
légèrement admise par le docte commentateur de Vitruve, Gottl. Schnei-
der^. Un savant rapport'de l'Académie des beaux-arts, rédigé par Vis-
conti*, fit aisément justice de ces objections réellement dénuées de
fondement. On crut trouver un argument plus décisif contre la théorie
de M. Petit-Radel dans le fait d'n^ inscription latine, constatant la
construction d'une partie de murs d'enceinle de la citadeHe de Feren-
tinum, laquelle inscription aurait été gravée directement aa-dessus d'an
mar cyclopéen; d'où il suivrait que l'on aurait continué de construire
dans ce système, k une époque très-avancée de la république, dans
les vil' et viii° siècles de Rome, conséquemment , que l'attribution de
ces sortes de murs à une population et à une époque exclusivement
pélasgiques se trouvait riûnée dans sa base. Celait encore M. Sickler
qui avait imaginé ce moyen de combattre la doctrine du savant fran-
çais*; je dis imagine, parce qu'il avait fondé tout son raisonnement
sur un dessin du mur en question, dessin dont l'exactitude devait lui
paraître passablement suspecte à lui-même, et dont la fausseté fut pu-
bliquement démontrée, d'abord par l'aveu do l'aulcur même de ce
dessin, Mariana Dionigi. puis par une déclaration du célèbre archi-
tecte et voyagem' anglais Dodwell, appuyée d'un nouveau dessin exé-
cuté avec lout le soin possible à la chambre claire. 11 resta dh lors par-
faitement établi que la partie du mur'antique de i'évêché actuel de
Feretitino, qui porte l'inscription latine de M. Lotlius et d'A. Ilirtius,
est une construction romaine appareillée par assises horizontales, sans
aucun rapport avec la vraie construction cyclopéenne; le nouvel argu-
ment dfc M. Sickler se trouvait donc détniit comme le premier; et , si
quelque cItOsc peut surprendre dans ces luttes de la scifiDce , où la pas-
sion et l'esprit de parti prennent trop souvent la place de la critique et
pervertissent faction du jugement, c'est qu'après vingt-quatre ans
écoulés sur cette malheureuse tenlalive du docteur Sickler, un écrivain ,
' Magasin encyclopédique, ann. 1811, 1. 1, p. ail el suiï. et l. 11, p. 3oi et suiv.
— ' Aitimadv. ofl Vifruv. u, 8, 1, t. II, p. i i5-ii6. — * Ce rapport, imprimé dans
le Momicur, année i8ia, n° 110, a été reproduit dans le volume dont nous ren-
dons compte, p. ^1-/17; mais c'est pnr uoe erreur, due sans doute aux éditeurs,
qu'il est donné comme émanant de l'Académie des inscriptions el bel les- le tires. —
' Magasin encychpédiqae de Millin, année 1810, cahier de février, l. I, p. ail et_
¥
■.it >
MARS 1843. 133
aussi honorable par son caractère que par son savoir, M. Bunson * , ait
cru pouvoir reprendre Tarme brisée entre les mains du critique aller,'
mand, et s'en servir de nouveau pour diriger contre la doctrine àkSf
M. Petit -Radel une attaque tout aussi vaine' qûé^iii première, mais'-
peut-être encore moins excusable ^. " ?
Je ne comprends pas, dans le nombre des contradictions qua.pu
éprouver, dès Torigine jusquà nos jours, cette théorie des monameAts
cyclopéens, des doutes exprimés avec trop ped de raisons à i*appui par
M. Micali ', et réfutés suffisamment par M. Petit- Radel * ; ni même les
observations plus sérieuses consignées par M. Quatremèrc de Quincy
dans son Dictionnaire d'Architecture, au mot Poljrgone^, L'illustre anti-
quau'e ayant supprimé tout cet article dans la seconde édition de son
Dictionnaire, publiée en 1 832 , à la vérité , sans y admettre le mot cy-
clopéen\ qui fait pourtant partie du vocabulaire de l'architecture an-
tique , semble avoir indiqué par là qu'il voulait rester neutre dans cette
question, ou, du moins, qu'il attendait, pour se prononcer avec l'auto-
rité qui lui appartiefl^dans ces matières, des éclaircisscmertîs plus
K^
^ Voy. YEsame cCf9gnjfflBf:!0' Storico del sito dei pÎ8 aniichi stahilimenti itaJici nel
territorio reatino e le tm9,:èSfKéênze , inséré aux Annal, delV Instit, ArcheoL t. VI,
p. i44: t Finalmente porta Ferentino teslimonio cliiaro avervi fabricato i Romani
nel tempo délia republica un muro poligono che finisce in qiiadrato, d«i ibnda-
menti, e non divers© dagU allri saggi di mura che ivi si scorgono, » avec la noifc
où se trouve rapportée à IHippui l'inscription célèbre pnbllée d'abord par Gruler,
1. 1, p. CLXV, 3. — * M. Petil-Radel a repoussé, dans le même volume des Annal.
deW Instit. Archeol. p. 35o-353 , l'attaque de M. Bunsen ; et celle réponse n'ayant
\à^^ été suivie d'aucune réplique, nous devons croire que le critique allemand s*esl
'- rendu aux raisons du savant français. — ' Dans l'explication de la pi. x de l'Atlas
• qui accompagne son Italia avanti il dominio dei Eomani , Firenze, iSîo ; cf. t. Il, ^
p. 1 52, a) : tBenchè sia piaciuto al sig. Petil-Radel chiamar tali mura ciclopee , e *• /*
farne un capo di conclusioni islcfriche, vi sono forli ragioni per credere che simîl
struttura di murage convenga a tempi meno antichi. » Il est fâcheux que l'auteur
n'ait pas jugé à propos d'indiquer, au moins par quâlques mots, quels étaient les ..
raisons si fortes qui le portaient à attribuer les murs dont il s'agit à des temps moint^^i.-.
anciens. En tout cas, une opinion qui se produit sans aucune preuve ne saurait pré-"*"
tendre k une bien grande autorité. Dans son dernier onrrage, Storia degli antichi
Popoli Italiani, t. I, p. 1 44. M. Micali cite les murs de Satarnia et de Cossa comme *
exemples de celle construction , che vaol chiamarsi ciclopicu e che potrehh' essere la
meno vetasta. Mais là non plus il ne donne aucune raison de cette manière de voir,
qui me paraît contraire à tous les faits acquis jusqu'ici à la science. — * Voy. le
Monitenrde 1812, n. 110. — "T. III, p. i56-i57, Paris, in-ii% i8a5. Je dois dire .• .
. pourtant que, dans plusieurs endroits de ce dictionnaire, où il est fait mention 4^
^ des constructions cyclopéennes , Tauteur s^exprime de manière à montrer qu'il n*ad-
mettaii pas la doctnne de M. Pelit-Radel. Je citerai particulièrement Tarticle Voâte,
f-
.*
t. n • p. 696.
*
■^■
t
t-.
13t JOURNAL DES SAVANTS.
complél» iburnîs par des témoignages plus authentSjàes ^ Mais cette *
»^question des monuments cychpéens, qui ne s était agitée , durant plusieurs
%. "- * *Mjpitmées , que dans uii,*^to5le assez étroit d'objections et de réponses, a
^Tpris, à une époque'yirfi^roisine de la nôtre, une importance plus grande,
■^ en raison des déœ'uV(?rtes phis nombreuses de monuments qui eurent
lieu à cette époque, et surtout par suite d'une observation pjus atten-
tive dont ils devinrent Tobjet. C'est aussi alors que des difficultés plus
graves furent élevées contre la doctrine de M. Petit- Radel; et ces diffi-
cultés, dont quelques-unes ne se sont produites que depuis sa mort, et
sans qu'il y ait été encore répondu d'une manière satisfaisante, mé-
ritent que nous en rendions un compte sommaire à nos lecteurs; ce
qui , du reste , nous fournira l'occasion de parler des monuments mêines.
UInstitut Archéolocjique i dont la fondation fut surtout occasionnée
par les découvertes de monuments opérées sur le territoire étrusque
voisin de Rome, à partir de 1827, et qui tîontribua si puissamment à
'faire coîéiaître ces monuments et à enrichir fe science de l'antiquité
^ de toJs*les faits qui résultaient de leur pu^^aiion, n'apporta pas
moins d'intérêt à la recherche des ruines cyctti^iilijfim et à la solution de3
questions, à la fois historiques et archéol(|Pp|i(K?qiii se rattachaient à
ces ruines. Les trois premières planches du réiSS^ de monuments iné- '
dits que publia cette société offraient, avec \m plan de Nt)rba, le pre-
flIRer ifKr^n eût encore été dressé^, les dessyU^e trois des portes de
cette ahtîique cité detSVolsques et celui de la^éli^bre porte dite sara-
cenica, de la ville de Slrjnia, aujourd'hui Segni; et le volume de texte
** qui accompagnait cette publication , et qui parut dès 1 829 , renfermait ^. j^ '
un long et savant mémoire de M. Éd. Gerhard sur la question des mars ^^
cychpéens f en général, et sur celle des murs de Noria et de Signia, en **>
particulier'. En môme temps, se préparaient, de la part du célèbre
voyageur anglais, feu M. Dodwell, et de celle de son compatriote,
sir W. Gell, des excursions sur le territoire de Tancien Latium, sur ce-
, ;lui des Sabins, des Marses et des Samniies, au sud de cette partie de
' l'Apennin, et sur cSfaî' des Ombriens et des Étrusques, au nord^ excur-
sions qui devaient avoir pour objet de reconns^ttre, sur toute la face de
ri
* C'est à peu près dans le même sens que je m'expliquais moi-même, mais eii.
des termes que je n^aurais pas dû me permettre, danj une note de la traduction
française de l'ouvrage de M. Micali, t. II, p,^ 335-337 , n. xvni. J'ai rétracté; depuis
f ' ^ V irançaise ac 1 ouvrage ue iyi. lYiicaii, i. xi, ^^ooo-dd'j , n. xyiii. o ai reiracio; uepu»
'A^'" cette note, dont la forme était peu convetiable pour un savant dont j'ai toujours i
. y ' ^- honoré le mérite et dont je respecterai toujours la mémirire ;• voy. les Annal. delV ^
fi*- InstiL ArcheoL 1. 1, p. 433. — * Monum. pubhlic. dalV trisiit. Archeol. U I, tav. 11 ;
^. Annal. 1. 1, p, 67-78. — * Annal, delV Instit, ArcheoL 1. 1 ,'p. 36-90. -, >•
#
MARS 1843. 1Ç 135
ce pays , qui avait été , dans les temps a^férieurs à. la formation de la
ligue latine et à la naissance de Rome , ^occupé , potf la grande partie,
par les Aborigènes et les Pélasges, les sites des villes mentionnées par
Denys d'Halicamasse , sur la foi de Varron, compie ayant été fondée^
par ces peuples, et de constater, par des dessins plus exacts, le style
d'architecture des monuments qui pouvaient en subsister enoore. Ces
voyages, qui s accomplirent, en effet, dans le cours des trois années sui-
vantes, eurent tous les résultats qu'on pouvait s'en promettre, et sur-
passèrent même l'attente qu'ils savaient excitée, en produisant la dé-
couverte de beaucoup de villes ;nouvelles dans des localités antiques,
particulièrement aux environs de Tivoli et du lac Fucin, aii3tt4}uç dans
l'étroite vallée qui s'étend de Rieti à ce lac, et^i, sous^ift^m nft-
derne de Cicolano, régond à l'ancien pays des Mqaicolœ.^^aÈ^lculani,
et en circonscrivant avec plus d'exactitude et de préoMUMtfen n'a-,
vait pu le faire jusque-là le territoire , jadis couvert'5«içj!lBBES pélas-
giques, où se retrouvent de nos jours I%iitar5 cyclopéens, terrilbire com-
pris entre le Tibre , l'Apennin et 1^, Lms , dans un espace d'enviroi;^
soixante lieues. Les résultats de ces voyages de IVf! Dodwell et de ceux'
de sir*W. Gell, sans compter de nombreux dessins de raines cych-
péennes ohsefvées sur tout ce tefiMÊrc par divers voyageurs anglais,
allemands et fran^îs, qui tous Mjicouraient à resserrer la question
cyclopéenne dans ses vraies limites d'espace, et conséquemment îiussi
de temps , ont été , à diverses reprises et sous plusieuES fonnes , signalés
à l'intérêt du monde savant, dans les [iiililii itiriii iilOiyfjfiiliiif liifii'iifii
^ue^. M. Petit-Radel, qui nuait cessé de provGMitfié^
tions nouvelles, comme il avnt/ dirigé les preirpM|l||n^ exé-
cutées dès i8io en Sabine par l'architecte Simelli, ëônSKiade prendre
à ces travaux de YInstitat une part active par plusieurs mémoires qu'il
fit insérer dans ce recueil^; eXÎmxt ce qui semblait avoir été acquis à
la science, sur ce point important d'antiquité,. en fait de monuments
* Un extrait du premier Voyage de M. Dodwell en Sabine, donné par son compa-
triote sir W. Gell, se trouve dans le Ballet Archeol. de i83i,* p^é^-âB. La Lettreîde
M. Dodwell lui-même sur ses découvertes dans le territoire de Tivoli se trouve dans
les Memorie delVdnstit, Archeol, 1. 1, p« 84-86; t;f. p. 82 , 3i), Sa). Il faut joindre à
ces notices celles qui so^^dminées dàia les mêmes Memorie, p. 55-56 et 67-ga , et
dans les AnnaLLW.1 p.i|||^4i5 , en y ajoutant les deux Mémoires de M. Petit-Radel
sur les monuments cyclé^tens des villes pélasgiques de la Sabine, insérés dans ces
mêmes* ilnna/. t. IV, p. 1^19 et a38-a5Â. — ' Indépendamment des deux Mémoires
cités à la note p^cédeoi^, je rappellerai encore les deux Lettres à M. Panpfka',
publiées dans tes ilnrufifiTC!}, pt'SÎib*36o • et deux autres Lettres adressées à H. le
duc de Luynes et insétAs dans kf Annal, t. VI, p. 350-367. ^
Luynes et insérees dans^kt ^ima/. t. VI, p. 35o-367.
.. /
^
»
h. m
-#■
136 JOUifNAL DES SAVANTS.
nouveaux et d'observations liées à l'étude de ces monuments , se trouva
résumé dans un nJpport géfip||iral de M. Bunsen, qui fut rédigé à la fin
de 1 833 , et qui parut dans le tome VI des Annales de Tlnstitut Archéo-
logique ^
Tels sont les travaux exécutés du vivant de M. Petit-Radel , dont il
put encore avoir connaissance , pour compléter, rectifier ou défendre
sa. théorie des monuments cyclopéens, sur les points où cette théorie avait
dû paraître plus ou moins justifiée par les faits; et, depuis sa mort, ar-
rivée ^n 1 836, il n'a paru qu'un ouvrage, publié dans cette même année,
sur les antiquités d*Alba Facensis ^, qui tende à infirmer, à l'égard des mo-
numents de cette ville, les idées que s'en était faites M. Petit-Radel. Je
d^s pour^nt ajouter^pncore à cet ouvrage ceux de l'architecte romain
L. CanSdi|ËL^pu^ en plusieurs endroits de son Architecture romaine, par-
ticulièrepîwfitu sujet des antiquités de Norba et de SegnP, s est éloigné
delà doiS^jllHjlp'^ Fauteur des Recherches sur les monuments cyclopéens,
en adoptait, à cet égard*, les iàééi des deux savants antiquaires de ïlnsti-
^ tjit Archéolo(jique , MM. Ed. Gerhard iît Bunsen; et je suis d'autant plus
.obligé d'en faire ici l'observation, que les éditeurs de l'ouvrage pos-
thume de M. Petit-Radel s'autorisent de l'assentiment donné aux opi-
nions du savant français par les §âix architectes Promis et Canina ,
comme d'un dernier hommage renOB à sa doclrine^ : ce qui manque
tout à fait d'exactitude.
. Après cet exposé succénct des travaux produits jusqu'à nos jours sur
la quesiioïi^ des ràtnuments cyclopéens, il nous reste à faire connaître les j^
difficultés' q^étf-ir^ultent pour l'opiiûon de la haute antiquité de c6d[H|L
monuments et pour colle de leur origîtie exclusivement pélasgique. Ces ^^fSr
objections ont été surtout exposées, d'abord par M. Éd. Gerhard, puis
par M. Bunsen, qui n'a fait, il est vrai, que reproduire l'opinion de son
confrère , sans y ajouter de nouveaux arguments; plus récemment, par
M. Canina, qui semble avoir regardé comme tout à fait démontrée l'o-
pinion de M. Éd. Gerfcard sur l'époque romaine des mars cyclopéens de
*i p. 99-1 45. — * Le Antichità di Alla Fucense, Roma, i836 , in-8'. — ' Architett.
Roman, p. I , c. i, p. 32 , et ailleurs. — * Il suffît de comparer ce que disent léi^ré-
dactcurs des Recherches posthumes de M. Petit-Radel, au sujet àe$ opinions de
MM. Promis et Canina sur la question cyclopéenne, p. L.a^-ia6, avec les opinions
réelles de ces deux architectes , telles qu* elles sont expiiiâées dans leurs ouvrages
mêmes , pour se convaincre qu*elles sont dans un désaccord complet avec la doc-
trine du savant français *, et c est c€ que prouvera la suite de cet article , ou nous
.combattrons Topinion de ces artistes, dont nous estimons beaucoup, du reste, le
talent et le savoir, et où nous la combattrons précisémenr<9lil8 ce qu'elle a de con-
traire à la thâèie de M. Petit-Radel. ^ '
>
MARS 1843. 137
Norba et de Seqniy sans tenir compte des réponses quy avait opposées
M. Petit-Radel; et, enfin, par M. Promis, qui, en s occupant de l'étude
des antiquités diAlba Facensisy qu'il croit d'époque romaine, contraire-
ment à l'idée de M. Petit-Radel, a cherché à justifier cette manière-de
voir par des considérations purement architcctoniques. Dans cette dis-
cussion, c'est donc l'opinion de M. Ed. Gerhard qui forme le prin-
cipal et à peu près le seul appui des dissentiments qui se sont élevés, de
nos jours, sur la théorie des monuments cyclopéens, telle que l'avait con-
çue son auteur ; et nous aurons réduit la question au point où elle se
trouve aujourd'hui, en faisant connaître les motifs de cette opinion
de M. Éd. Gerhard, et en tâchant de les apprécier à leur juste valeur.
On rejette d'abord la dénomination de cyclopéens donnée aux monu-
ments dont il s'agit, comme ayant été introduite, pour la première fois , en
Italie par Dodwell, ce qui n'est certainement pas exacte et, deplus.comme
ne reposant sur aucune autorité antique ; c'est M. Bunsen qui déclare cela
eh termes exprès, et qui s'autorise delà démonstration qu'en a donnée
M . EiL Gerhard ^. Or le savant dont on allègue ici le témoignage s'est borné
à dire^ : Quelle costruzioni che pià non si ritengono corne operate da' Telchini
e Ciclopi, vengono d'ordinario a' nostri tempi attribuite ai Pelasgi; et ce n'est
certainement là qu'une opinion tout à fait dénuée de preuves, dont il est
permis de ne pas tenir beaucoup de compte, surtout lorsque l'on voit
l'auteur employer, à chaque instant, dans cette même dissertation, le mot
de cyclopéens pour désigner les murs en question. Ensuite, n'y a-t-il pas
quelque légèreté à prononcer ainsi que ce nom de cychpéen manque d'au-
torité antique, quand il est si certain et si notoire qu'Euripide, dans plu-
sieurs de ses tragédies*, a nommé cyclopéens les murs de Tirynthe et de
Mycènes; quePindare a dit, en parlant de ces mêmes murs de Mycènesi-
Kvxkùhrta vpôOvpa EvpvcrOecjs^; que Strabon, auteur grave ® , et Pausa-
nias, voyageur instruit"', se sont rendus les interprètes de la tradition
^ On fait, sans doute, allusion à un Mémoire de M. Dodwell sur les monuments cy-.
clopéens, lu à f Académie romaine d^Ârchéologie , et cité par M. Fortia d'Urban dans
son Discours sur les murs cyclopéens, Roma, i8i3, p. At i)* Mais il est notoire qu'en
1702, vingt ans auparavant, M. Petit-Radel avait employé cette expression. —
* Annal. delV Instit. Archeol. t. VI, p. iâ5 : « Neppure vorrei che si ritenesse il nome
délie mura cyclopee perché di niun autorita antica , come Tha ffià perfettamente
stabilito il nostro chiarissimo collega, Sig. Prof. Gerhard. — ' Annal. 1. 1, p* 47*
— * Euripid. Troad, v. 1094 : kpyoç, tva reiyea \àiva, KTKAÙUEr, oOpdria ytfftov-
Toi ; Electr. v. 1 166 : KTKAÛDEIÀ T oùpépia rei/ea; Iphig. Aal y. a65 : Éx Mwat-
vas le ràç KTKAÛIltA^; Hercul Far. y. gàbS : Upds ràs Uwcivas sïfit es rà
KTKAÙnûN ^àâpa ; Orest, v. gSS : Ta KTKAaiIElA. — * Pindar. Fragm. incerL 1 5i .
— * Strabon. vm, 369 et SyS. — 'Pausaii. 11, 16, 4t et a5, 7; vu, a5, 7.
* ' 18
138 JOURNAL DES SAVANTS.
antique qui attribuait la construction des anciennes murailles de Ti-
jjnihe, de My cènes et de Naaplia, aux Cyclopes de Lycie amenés par
Proetus; et que, pour ne pas prolonger cette énumération de témoi-
gnages qui nous mènerait trop loin , la même tradition avait trouvé un
organe plus ancien encore et plus accrédité dans Phérécyde ^? Ce n est
pas ici la place de m' expliquer sur Topinion que je puis avoir au sujet
de ces Cyclopes, ouvriers de Tâge mythologique, qu'il ne faut pas con-
fondre avec ceux d'Homère ^ et d'Hésiode *, ainsi que les commenta-
teurs français de Strabon en ont déjà fait la remarque*; je me contente
de dire que je partage à peu près, sur ce point, les idées de ti'ois des
antiquaires de notre âge , qui ont traité avec le plus de savoir et de sa-
gacité les questions de Thistoire de l'art, et spécialement celle des mo-
naments cjclopéens , Boettiger^, Hirt®, et M. de Klenze''; et cela me dis-
pensera de réfuter plus en détail une allégation aussi dépourvue , d*ail-
îem's , d'autorité que celle de M. Bunsen *.
J'ai déjà dit ce qu'il fallait penser de l'allégation du même critique",
au sujet de l'inscription latine gravée au-dessus d'un prétendu nuu* cy-
clopéen de l'enceinte antique de Ferentinam ; et c'est là le second ar-
gument que l'on faisait valoir contre la doctrine de M. Petit-Radel ; d'où
il suit que cette seconde raison ne subsiste pas plus que la première.
Reste une troisième considération, développée d'abord par M. Ed.
Gerhard, reproduite par M. Bunsen, suivie par M. Canin a, à laquelle
on est convenu d'attacher beaucoup d'imporlance, et la seule qui ait,
en effet, quelque valeur; c'est que, parmi les villes de l'ancien Latium,
dont l'enceinte , en construction cyclopéenne , offre , au plus haut degré,
les caractères d'antiquité qui semblent lui assigner une époque pelas-
^ique, il en est deux au moins , Signia et Norba, dont la fondation his-
torique appartient à une époque romaine. Examinons donc brièvement
les motifs sur lesquels s'appuie cette opinion.
Tite-Live rapporte qu'en l'an de Rome 2 1x6 Tarquin le Superbe
envoya deux colonies à Signia et à Circei , pour servir à la sûreté de
Rome, du côté de la terre et de celui de la mer^. Le même fait, de
^ Pherecyd. apad Schol. Odyss, xxi, a 3; et apud Schol, Apollon. Rhod. iv, 1091;
c£ S(urz. Pherecyd. Fragm. p. 'j2-'j'j. — ' Homer. Odyss. ix, io6-54o. — ' Hesiod.
Theogon. v. 1U2 sq. — T. III, p. a 34-5, 3). — * Kunstmythologie , 1 1, p. 34a, 10);
voy. Creuzer, Histor. vet, grœc. fragm. p. 73, 55). — * Hirl, dans Wolf. Analect
1. 1« p. 1 53 sqq. — ^ Dans ÏAmalthea de Boettiger, t. III , p. 81 et suiv. — 'M. Bun-
seo uvait déjà exprimé cette opinion, certainement très^inexacte , dans sa Beschrei-
hwig der Stadt Rom, t. I, p. 618, *), en y joignant une erreur de fait, la mention
des murs cyclopéens de Trœzène, lisez Aïyeèties. — * Tit. Liv. i , 56 : « Signiam Gir-
ceiosque colonos misit, praeaidia urbi terra marique. »
MARS 1843. 139
la colonie de Signia, est articulé par Frontin \ de la manière qui lui est
ordinaire: Signia muro dada colonia, sans qu'il résulte, le moins du
monde, de ces expressions, que la première fondation de Signia fôt
l'œuvre de cette colonie. Il semblerait qu on pût mieux Tinférer de
la manière dont Denys d'Halicarnasse expose rétablissement des co-
lons romains, qui étaient des soldats campés dans la plaine de Signia ^,
où ils passèrent Thiver : XetfioLcrdvrcàv èv r^ ireSlcp t&v crtpaTiùnôp
Ka\ KaTotTxsvaaafiévoâv rà arparôneSov^ et qui fournirent ainsi à Tarquin
l'occasion de fortifier ce camp comme une ville : ùs (ivSèv Sia<pépeiv
iréyeœs. Mais, malgré le silence que l'historien garde sur le fait d'im éta-
blissement antérieur, rien ne prpuve que cette- occupation militaire de
Signia, due à une cause fortuite, n'eût été précédée de l'existence au
même lieu d'une population pélasgique. Le mot âvotxlo'ag, dont se sert ici
Denys d'Halicarnasse , n'a certainement pas, chez cet auteur, la valeur
absolue qu'on lui attribue, d'une première fondation de ville; il signifie
simplement TétabUssement d'une colonie dans un lieu déjà habité; et
je n'en voudrais d'autre preuve que ce pasfege de Denys d'Halicarnasse
lui-même, où, parlant de la destruction d'Aile la Longue, il rappelle
qu'elle fut la métropole des trente villes latines, et où il emploie, pour
exprimer ce fait , le même mot àTrotxiaaa-a ' : H [xèv Srj tôv AkScafSv it&kiç ,
... )} Tàtf rpidxoma Aarlveav ÀHOIKlSASA irôysis. Or, s'il est une chose
historiquement avérée, c'est que la plupart des trente villes latines,
telles que Tibur, Prœneste, Cœnina, Crastuminum, Tellene, Gabies, Tas-
cahm, Cora, Lonavîam, Aricia, avaient une existence antérieure à l'éta-
blissement de la colonie d'Albe^; le même Denys d'Halicarnasse nous
l'apprend , en termes formels, en parlant d'une de ces villes, Cameria,
qui, avant d'avoir été une colonie d'Albains, kkëavSv âmàKttms, était
une des principales villes des Aborigènes^, Aêopiytvœv oÏKYiais iv raiç Ttduv
èni^avrls\ et la même notion peut tout aussi bien s'appliquer à Signia,
dont la position, à peu près à mi-chemin, entre Préeneste et Cora, se
trouvait dans un pays 'tout rempli de villes aborigènes, et n'avait pu,
à raison même de la situation du lieu , être négl^ée par une popula-
tion pélasgique.
Le fait de la colonie romaine à Signia, en l'an de Rome ^46, n'ex-
clut donc , en aucune fs^çon , celui d'une habitation antérieure des Pë-
'^ Frontin. De Colon, v, 5. — ' Dion. Hal. iv, 63 : TapnitPioç iùo vôXsts (broi-
xkras, Hfv (Aèv Kakwftspiip Xtwiav, — ' Dion. HaL ni , 3i. — - ^ Cest ce qui a été
établi tout récemment par M. Canina, dans une savante et judicieuse dissertation
suite trmita colotdeAlhane^ Roma, i8Ao, in-Â*; voy. surtout p. iS, ig, 9o, ai, aa-3,
a5. — * Dion. Hal. n , 5o.
i8.
140 JOURNAL DES SAVANTS.
lasges mêlés aux Aborigènes ; et Texpression de Denys d*Halicarnasse, loin
d*être contraire à cette supposition, lui est plutôt favorable. Il existe,
d'ailleurs, une indication de l'origine grecque de Signia, dont on n'a pas
tenu assez de compte; c'est que Plante se sert de la langue grecque pour
désigner cette ville, aussi bien que celles d'Aîafrî, de Cora et de Prœneste ,
qu'il appelle toutes quatre barbaricas urbes^. Or la tradition de l'origine
grecque de ces trois villes, généralement admise cbez les Romains,
tend à établir une présomption semblable pour Signia, la quatrième;
et, à l'appui de cette induction, nous possédons des monuments dont
M Éd. Gerhard et M. Bunsen peuvent fort bien ne pas avoir eu con-
naissance , attendu qu'ils ont été assez récemment acquis à la science ;
ce sont des monnaies de Signia, en argent, de petit module, dont la lé-
gende, mêlée de lettres grecques^, répond bien à ce caractère de villes
d'une population originairement étrangère au Latium, que Plante en-
tendait, sans doute, désigner par l'épithète de barbaricas ur6e5, jointe à
l'emploi de noms grecs.
Mais , ce qui est bien plusJécisif encore que les présomptions histo-
riques qu'on pourrait faille valoir à l'appui de l'origine pélasgique de
Signia, antérieure à la colonie romaine de Tarquîn, ce senties murs
mêmes de Signia, bâtis dans le système cyclopéen, en pierres polygones
irrégulières appareillées sans ciment, qui ne peuvent appartenir au style
d'architecture propre à l'âge de Tarquin , lequel nous est bien connu par
la cloacaMaxima, par le qaai du Tibre, par le carcer Tullianus et par les
substructions du Capitale, On insiste cependant , et l'on croit trouver, dans
les murs cyclopéens de Signia, la preuve que les Romains, du temps de
Tarquin , avaient pratiqué, pour leur propre usage, ce genre de construc-
tion , bien que , de Taveu des auteurs de ce raisonnement , on n'en con-
naisse pa^ jusqu'ici d'antre exemple dans aucun débris de murailles romaines,
sans excepter même celles de Servius et des temps de la république '. Mais ,
* Plaut. Captiv. act. iv, se. ii, v. ioo-io4 : N») ràv KàocLv* vrf ràv Upaivéanpf vif
tàv ^tyviav * vt) rà kXàrptov, Cet emploi de noms grecs me paraît infirmer ici Tob-
servation d'Olt. Mûller sur le sens. du mot harharica dans Plante, AnnaL delVInstit.
Archeol, t. IV, p. 379. — ' Sur ces monnaies de Signia, avec des types grecs et des
lettres grecques dans la légende SEIG, voy. Sestîni , Letter. namism. t. V, p. aâ-a^i
tav. II, n. 12; Mas, Hedervar. p. I, p. 19, n. 4o5; Avellino, Ital. vet, numism.
Add, p. 95, n. 3; Ramus, Cataîog. Num, vet. Mus, rcg, Danic, p. I, p. a8, n. 1.
Ces médailles, encore excessivement rares, ont été récemment Tobjel d'un travail
particulier , de la part de Thabile numismatiste romain, M. Capranesi, dans ks
Annal, delV Instit, Archeol. t. XII, p. 207-210, tav. agg. P, n. a. — ' Les restes de
l'enceinte de Rome attribuée au temps de Tarquin le Superbe, qui se voient dans
la vigne Barberini, à Porta Pia, sont effectivement en construction parallélipipède ,
comme tout ce qui subsiste , à Rome , de Tépoque des rois.
MARS 1843. 141
avant d'admettre cette conclusion, qu'on reconnaît soi-même contraire
à tous les faits de Thistoire de Tart , s'était-on, du moins, assuré qu'il n'exis-
tait à Signia aucun reste de constructions qui pussent appartenir à la co-
lonie romaine de Tarquin, et qui, exécutées dans le système d'architec-
ture proprement romain, c'est-à-dirç en pierres taillées carrément et
assemblées par assises horizontales , se distinguassent essentiellement
des mars cyclopéens attribués à une population pélasgique ? Or j'ai re-
gret d'avoir à dire que cette recherche préliminaire n'avait point été
faite, ou que, si elle l'avait été , le résultat en avait été présenté d'une
manière qui accuse la critique "ou la bonne foi des auteurs du rapport^
topographique. Il eiHSte, en effet, à Si(jnia, deux ordres de constiniction
bien distincts , qui répondent indubitablement , par la diversité de l'ap-
pareil *et par celle des matériaux mêmes , à deux époques historiques
dillerentes : d'une part, l'enceinte de la ville haute, toute construite sui-
vant le système cyclopéen, avec ses hait portes, dont (fuatre fermées par
en haut avec un grand linteau horizontal, et deux terminées en ogive tron-
quée, comme on en a des exemples dans des villes pélasgiques de la
Grèce , et avec les trois degrés en retraite d'un grand autel pélasgique ,
comme on en connaît aussi dans plusieurs villes pélasgiques de la Sabine
et du Latium , notamment à Circei et à Alatri; d'autre part, une portion
considérable du mur d'enceinte de la ville basse, attenant à une porte
jumelle, voûtée à plein ccintrc, et flanquée de tours carrées au nombre
de six encore dans l'état actuel des lieux. Ces murs , construits à l'é-
querre , avec la voûte à claveaux de la porte jumelle, sont bâtis en tuf vol-
canique, comme les constructions du temps de Tarquin, à Rome, dont
elles ofifreht absolument le caractère; et on trouve, de plus, à Segni, une
piscine circulaire, construite dans le même appareil et avec le même tuf
volcanique, aiq^i qu'une partie de la cella d'un temple romain, proba-
blement dédié à Hercule, et bâti ^ur l'emplacement même du grand
autel pélasgique, qui lui sert de soubassement. En présence de ces cons-
tructions , si manifestement romaines ^ , par le mode d'appareil , par le
système de voûte à claveaux , et par la nature de la pierre , qui est le tuf
volcanique constamment mis en œuvre dans tous les ouvrages publics
du temps des rois et de celui de la république , comment se refuser à y
voir les monuments de la colonie romaine de Tarquin? et, par une con-
séquence irrécusable , comment ne pas reconnaître que les murs cycUh
^ Le temple romain d'Hercule , converti depuis en église chrétienne de Saint-
Pierre, et bâti sur \ autel pélasgique h trois degrés, est représenté dans nne des
Slanches du Recueil de H. Dodwell, n. 86 « et dans Touvrage de M. Canina , Architeit.
[aman. tav. xiii.
142 JOURNAL DES SAVANTS.
*
péens de Tenceinte supérieure , avec leurs portes & linteau horizontal ou en
ogive tronquée, et avec leiu*s blocs polygones de pierre calcaire dure, ap-
partiennent à un tout autre système d'architecture, qui ne peut avoir été
employé simultanément par le même peuple, sur le même lieu? Cette
conséquence, qui justifie la doctrine de M. Petît-Radel , ressort si posi-
tivement de Tensemble des faiis, que, pour récuser cette conséquence ,
il faudrait nier les faits eux-mêmes. 'Cétait là la dernière ressource de
M. Ed. Gerhard, et je suis fâché qu'il y ait eu recours en des termes
qu'il suffira de placer sous les yeux de nos lecteurs , pour les mettre à
^mêrne d'apprécier l'exactitude ou la sincérité du critique *. Mais, à cette
dénégation précipitée, nous pouvons opposer aujourd'hui le plan des
murs de Segni^ levé, en 1882, par trois architectes pensionnaires de
l'Académie de France à Rome , MM. Labrouste frères et L. Vaudoyer,
qui ont constaté d'une manière désormais inattaquable l'existence, à Segni,
des murs de la colonie romaine de Tarquin et de ceux de l'ancienne
ville pélasgique ^ ; en sorte qu'il ne subsiste plus rien des arguments tirés
de l'examen des témoignages relatifs à Segni et de celui de ses murai&es,
contre la théorie des monuments cyclopéens , et que tout , au contraire,
s'y montre d'accord avec cette théorie.
Les objections élevées contre l'antiquité pélasgique des murs cyclo-
péens de SIgnia s'appliquant aussi aux murs de Noria, la réfutation,
en ce qui concerne ceux-ci , n'en sera ni moins facile ni moins péremp-
toire. On n'a pu se fonder, pourvoir dans les murs cyclopéens de Norha
un monument d'architecture romaine du ni* siècle de notre ère, que
sur le fait de la colonie romaine établie, en l'an de Rome 262, à Norha,
en même temps qu'à Velitrœ, fait attesté à la fois par Tite-Live' et par
Denys d'Halicamasse *. Mais il résulte de ce passage même de Denys
que iVorta existait bien antérieurement, puisqu'elle était une des villes
principales de la ligue latine, et, suivant toute apparence , une des trente
coionies d'Albe. M. Ed. Gerhard, qui exprime cette opinion sous ia
forme d'une conjecture'^, pouvait s'autoriser d'un 'témoignage direct,
celui de l'auteur des Antiquités romaines , qui comprend les habitants
* Memorie, 1. 1, p. 92 : t Non trovando poi ( neUa città di Signia) nessun «vanio
d*antico recinto che rcpatar si potesse corne fortificazione allora aggiunta ad uua
Eiù antîca citlà Ripeto che di avanzi tnfacei, quali desîderava u signer Petil-
iadel, non allro vi si trova che una piscîna. t — ^ Annal t. VI, tav. agg. H, I.
— * Tit. Liv. H, 34. J'ai peine à comprendre comment M. Petit- Radel, qui cite,
0 p. 189, ce texte de Tîte-Live, attribue aux Volsques cette colonie des Romains. —
^ Dion. Hal. vu , i3 : Eh fiAfkap vSkiv, ^ iavi toO Aarha^ êdvovç oùk â^mfit^. —
* Annal. 1. 1, p. 55 : • Norba una ragguardevole colonia latina parlita probalHl-
MARS 18.43. 143
de Norba dans le nombre des trente peuples latins qui se liguèrent en fa-
veur de Tarquin le Superbe ^ et qui tenaient leurs assemblées à Feren-
tinum. C*est, pour en faire en passant la remarque, une notion impor-
tante qui a échappé à M. Canina^, auteur de la dissertation citée plus
haut sur les trente colonies à'Alhe, ott Norba n'est point nommée, quoi-
qu'il soit certain qu'eUe dût figurer sur cette liste ; et c'est aussi uAe
raison sans réplique contre la supposition de M. Bunsen ', que Norba
n'avait dâ sa fondation aux Latins que dans des temps peu antérieurs au règne
du dernier Tarquin. Dans la disposition d'esprit systématique qui lui fait
rapporter les constructions cy clopéervnes de Norba à une époque romaine,
M. Bunsen ne s'est pas aperçu qu'il se mettait ainsi en une contradiction
palpable avec son collègue M. Ed. Gerhard, qui regarde avec raison JVorfca
comme une colonie d'AWe; or, Albe ayant été détruite l'an de Rome 88,
sous le règne de TuUus Hostilius, la colonie albaine de Norba était né-l
cessairement antérieure à cette, époque , et conséquemment eUe ne
pouvait être, comme le présume M. Bunsen, d'un âge voisin du ri^kê
de Tarquin, ou de l'an de Rome 2 46, époque des colonies romainesde
Circei et de Signia. Du reste , je ne m'arrête pas à l'établissement de la
colonie albaine de Norba comme à une première fondation de cette
ville; je crois que Norba, ainsi que la plupart des trente villes latines qui
reconnaissaient Albe pour leur métropole , avait eu une existence anté-
rieure, probablement pélasgique, et je me fonde précisément, pour
cela, sur les murs cyclopéens de Norba, qu'on a voulu, non-seulement
sans motif suffisant, mais contre tout im ensemble de faits et de témoi-
mente d'Alba Longa. — ' Dion. Hal. v, 6i. On a remarqué que vingt-trois seule-
ment des villes latines issues à' Albe se trouvent nommées dans ce passage de Deoys
d'Halicamasse ; ce qui ne peut guère s'expliquer que par la faute des copistes; car
ce nombre des trente peuples latins ligués en faveur de Tarquin est articulé en plu-
sieurs autres éhdroits du livre de Denys d'Halicamasse , vi, 63, 7^ et 76; et, quant
à Torigine latine de ces trente villes dérivées d'Albe la Longue, c'est encore Dtnys
d*Halicarnasse qui Taffirme d*une manière formelle , ni, 3i. Je m'étonne donc que
M. Canina n'ait point fait usage de ce texte, v, 61 , pour la construction de sa
liste des trente colonies d'Âlbe. — 'Je dois pourtant remarquer que M. Canina fait
mention , en deux endroits de son Architett. Roman, p. II , c. i, p. 1 1, 26), et p. III ,
c. I, p. 58, 6), de forigine de Norba due à une^ colonie latine, partita evidentemente
da Alba Longa anche prima che Romolo fondasse la sua città. Mais il n'en est que [^us
étrange que, après une pareille déclaration, le même auteur, traitant spécialement des
trente colonies diAlbe, ait omis sur cette liste le nom de Norba; sans compter l'autre
contradiction qu'il y a, de sa plrt, à ne voir, dans les construclions de Norba, que
des monuments de la colonie romaine, quand il lui assigne une origine latine.
— ' Annal t. VI, p. iM : « Pare che non possa (Norba ) essere fondata dai Latîni
in tempi moite anteriori dl* oltimo Xarquimo. > -
X
144 JOURNAL DES SAVANTS.
gnages, rabaisser à une époque romaine. Il existe, en efiFet, parmi les
ruines de Norba , deux constructions qui ont conservé leur couverture
en encorbellement, signalées par M. Ld. Gerhard lui-même , sur la foi de
larchitecte Knapp, ailtcur du plan de Norba^y laquelle couvertiu'e,
d'une époque certainement antérieure à celle où Tart des voûtes en voas-
soirs ^tait déjà connu et pratiqué par les Romains, prouve que les cons-
tructions dont elle fait partie sont au moins d une époque latine , sinon
péiasgique. Or lusage des voûtes à plein cintre existait, à Rome, du
temps de Tarquin TAncien , qui commença la construction de la cloaca
Maximal, et même plus tôt, puisqueje carcer Mamertinas, ouvrage d*Ancus
Martius^, offre une voûte cintrée. Il nest donc pas possible d abaisser
ces constructions de Norba à Fépoque de la colonie romaine ; et il est
certain, d'ailleurs, qu'on y reconnaît, en plus d'un endroit, notamment
0dans les ruines d'un grand édifice marqué du n*" 44 sur le plan , des
restes de bâtisse romaine exécutée avec la chaux adossés à une mu-
ïÉJà^e en polygones sans ciment ; d'où il résulte la preuve de deux âges
bien distincts, correspondant aux deux populations différentes qui se
sont succédé à Norba, et d'où il suit que l'opinion qui ne voit à Norba
que des monuments de la colonie fbmaine a contre eljie le témoignage
des faits, aussi bien que celui de l'histoire.
La seconde objection élevée par M. Éd. Gerhard contre là haute
antiquité des murs de Norba ,, c'est qu'il existe sur le plan de cette ville,
dressé par un architecte allemand, M. Knapp^, ua trop grand nombre de
substramons , déformes diverses, pour n'avoir pas appartenu à des édifices
privés^ \ d'où il suit que ce système de constructions cyclopéennes, qu'on
croyait propre exclusivement à Vasage des enceintes de villes et de temples
de V âge péiasgique, avait servi, en effet, pour des habitations particulières , à
tme époque romaine. Mais c'est là, si je l'ose dire, une des idées les moins
; heureuses que l'esprit de contradiction ait pu suggérer contre la théo-
rie des monuments cyclopéens. Prétendre que, sur Un site comme celui
derforba, où le sol très-escarpé est tout entier de roche pure, on ait
ifiu ériger toutes les substructions en blocs polygones d une grande di-
^ Ce sont les constructions indiquées sous les n"" 4a et 56. Voy. à ce sujet les ob-
servations de M. Éd. Gerhard , Annal, t. I, p. 72 et 73. — ' PHn Hist. fsat. xxxvi,
i4. Voy. Beschreihang der Stadt Rom. 1. 1, p. i5i et suiv. — *Tit. Liv. i, 33. —
* Voy. dans le recueil des Monum. puhhUc. dall* Instit. Archeoî. t. I, la pi. 11, qui
offre la vue et le plan de Norba, avec la description ,*qui se lit, Annal, 1 1, p. 67-78.
Un autre plan de Norba, rectifié d'après des observations postérieures, a été publié
vépenunent par M. Canina,. Architett. Roman. 1. 1, tav. iv, p. II, c. i, p. 33, et p. III,
'**©. i,p. 58, 7). — • Annal, tl, p. 58, 69, 60, ei Memoriê, 1. 1, p. 8o, i3).
MARS 1843.
niension , uniquement pour soutenir des maisons et des cabanes de bois.
comme dit en propres terme's M. Éd. Gerhard : soslrazioni ejià destinate .
. a sostener.casc e capanne di legno, c'est réellement trop présumer de la
eréduUté de ses ïectcurs. M. Pelit-Radel a déjà réduit cette supposition
k sa juste valeur'. Il a rappelé, sur la foi de Varron*, que les maisons,
même à Rome, ne furent longtemps bàlîes que de hriqaes crues et cou-
vertes que de bardeaux, comme elles le sont encore aujourd'hui aux en- .
virons de Sablaco, et dans une grande partie de la Sabine moderne, et
il a soutenu, avec toute espèce de raison,, qu'il n'était pas possible d'ad-
mettre que des substructions si laborieuses en blocs de pierre d'une si
grande dimension et d'un appareil si difficile, fussent destinées à siip-
poiler des habitations si fragiles et si viagères. Quant au nombri* d'édi-
■ïires sacrés de toutes formes qui paraîtrait résulter du plan des subs-
tructions cyclopéennes de Norba, et qui formait une difficulté auxyeux
de M. Éd. Gerhard, il a montré que la même chose e-\islait à <4nnjni,
où elle avait frappé Marc-Aurèle ^. Il aurait pu s'autoriser aussi de
l'observation des monuments cyclopéens iAlba Fucen^is. dont les trois
itcropoles offrent pareillement des édifices sacres de plusieurs formes et
de diverses grandeurs; un , entre autres, ûù l'exiguïtif du pirtn contraste
avecl'énormît^ des matériaux, consistant en blocs polygones, comme
ii Norba''; et il aurait pu rappeler aussi le grand nombre dédivules cri-**
gées sur la seule partie delà colline du Capitolc tpii deviùt recevoir li-
temple de Jupiter, et mentionnées par Varron "'. Je ne crois donc pas
qu'il puisse subsister ta moindre objection sérieuse contre l'antiquité ^
des miirs cjclopéens de Nprha et contre leur ongîne pélasgiquc, cl je
suis, au contraire
masses
•»■
persuadé que cesmurs. qui, parla grandeurdcl
passent même ceux de Tirynthe , el qui, par la succession ».t''
des tentasses, où la roche naturelle est soutenue par des constructions ^^ '
cyclopéennes, olTrent la disposition primitive d'une villç pélasgiquecon-* _ ''j
servée dans la colonie latine, doivent être maintenus au premier ransf ^|JL''
des monmnents les plus préciei^^ de la haute antiquité italique. jW^
4»?' il
M. Canina n'ayant guèr
w/. t IV, p. a38-9.
: fait que reproduire, en les abrégeant, les
•-•
ViUTO apad Non. v. Suffundalum. — ' Voy. la Lettre
de Marc-Aurèle ù Fronton, lib. iv, ep. 4, éd. iMa!, Rom. iSaS, dont un fragincut
a été rapporté par M. Petil-Radel dans les Mcmorie rfeH' Institut. Archeol. I. fJa-OS ;
• Deiiide id oppidum [AnafmïaRi]anIiquuiJ) vidimos; mïniUuluniquidom, «d mut-
las rti in se antlqua: habet , sdts
JKGCLCs fuit, ubi dctubnim, a
de Marc-Aurde répond sulSsamment u
bard, Jlfemone^tn p.'So, i3]. — ' *
■#£?:'
146
JO(]RN'A-L DES. SAVANTS.
■v
objecUons de M. Éd. Gerhai'd , sans y ajoutei- aucun argumeiil nouveau',
je me crois dispensé de m'y arrêter; et,* pour achever de faire con-
naître les difficultés qu'a pu rencontrer la doctrine desnionuraents cy-.
riopéens depuis la mort de l'auteur, je passe à l'exomen des antiquités
d'Alba Facensis, que M.Pclit-Radelaveit cru pouvoir, d'après ses piopjes
obsei"vatioiis , regarder comme d'époque et d'origine pélasgiques, qup
. M. Preniis, savant et liahiie architecte, qui en a fait l'objet d'un trà- •
vaii particulier^, soutient, au contraire, être d'une époque romaine;
ce qui rentre dans le système de MM. Ed. tîerhard et Bunsen . et ce
qtfl nous met dans l'obligation d'examiner les raisons sur lesquelles se
, fonde l'opinion de M. Promis. . ,
L'auteur des Antiquités à'Alba Fuceasis , cherchant en premier lieu A se *J
rendre compte de la dénominatiorfqu'il convient d'appliqueraux plus an-^
tiennes consti-aeiions en blocs polygones irréguliers dont il existe de nom-
kreujt vestiges sur le site de celte ville des Eques (et non des Marses),
r^ette'également cellesde çfcfo/imine et de pélan^iijae. H observe*, *
qm^ouelic la première, que l'expression dont se sert Pausanias pour dési-T
:gaer les murs" de Tirynthc , constfails en grandes masses île pierrei , avec les » •
inttrstices remplie par des pierres plas petiies". no peut convenir qu'à cette ■
sorte de murs, bien que, d'un autre côté, Pausanias nomme aussi, ""
comme oHuraje des Cyilopa, la p.irtîe de l'enceinte de Mycènes attenant
i h'Porte desLians^. laquelle est, comiiieoii sait, construite en pierres
taillées carrément, bien que d'iiu'gale dimension : d'où il résulte . selon
lui, qnc ce n'est pas à la ibrme de [lolvgoncs plus ou moin.s irréguliera
t./
1%^
^.-i
■i
-t.
employés dans la construction , mais a la ffrandear fies i
s el à la hatt-
teur des murailles, que s'appliqtie réellement cetle expression de cyclo-
péenue, qui ne saurait, en tout ras. convenir qu'aux monuments de
l'Argolidc. Cette opinion , qui revient i celle de Stieglit?.*, et qui ne s'é-
' Voy. suTlom son Archilett.Iioman. p. \, c. i, p, 3a, io8), 109), où il regarde le^
viiiei do Siffitia, de Cîrcci cl de Norim, comm^ayaiit dû leur première fondation aux
colonies romaines, el où il admet, comme unccliosc prouvée, que la dilTérence des
ileiUL systèmes de construction , en blocs jjoKgoncs irrégulicrs el par assises hori-
zontales, tien) uniquetncnt à la difiiérence des mattrinux fournis por chaque loca-
l-lé, C'cbL le inC-nie argunienl qu'il reproduit en plusieurs aurres endroits de son
ouvrage, p. II, cl, p. 11, et p. 3a, la r}, 33. laa); p. ill, p. 58. 6) ; el ces! celui
qui avait été d'abord mis en uvanl par M. Qualremère de Quîiicy, el dont on ne
peul, en effet, se refuser k tenir compte , dans un assez grand aotubre de eas par-
ticuliers. — ' Le Antichilà di Mba Facmse. Borna, i83ti, in-8°. — ' Le AnlKhità
di Alba Facense, p. io3 — ' Pousnn. n, a5, 7.;— ' Idem, u, 16, 4. — " Stiegliti,
Getchichte der Baakanit, p. i85 el suiv, et Deyiriige ziv Gesckichte (ier Bauk. t. I .
p. i4.
MAHS 1843. 147
loigncpasde celles de sir W.Gcll cl de M. de Klellze^ n'a rien, au fond,
qui contrarie le système de M. Petit-lladel ; car, comme les enceintes
des plus anciennes villes, tant de la (irèce que de ritalie,qui offrent
cet emploi de masses énormes assemblées sans ciment et portées à une
plus ou moins grande hauteur, présentent toujours aussi des blocs polygones
d'une forme plus ou moins irrégulière , il est sensible que cette der-
nière condition a dû paraître, çinon essentielle, au- moins habituelle
dans les ouvrages attribués par les anciens aux Gyclopes ; cela suilit pour
expliquer le témoignage de Pausanias, qui ne songeait certainement
pas aux distinctions subtiles quon a voulu tirer de ses paroles; et, cela
posé, rien n empêche que Ton n'appelle aussi cychpéens, ailleurs même
fque dans TÂrgoilde, des monuments qui offrent le même caractère
^. général et qui appartiennent à la même antiauité. En contestant , en
second lieu, la dénomination de pélasgigue, appliquée par M. Petit-Ra-
• del aux monuments cydppéens de la partie centrale de Tltalie , M. Pro-
mis porte une atteinte plus grave au système du savant français; mais
les motifs qu'il allègue pour se refuser à cette attribution sont loin do
nous parsdtre décisifs : c'est, d'une part, que les Pélasges, qui occu-.'
pèrent, à une certaine époque de l'histoire, la partie inférieure de
TEtrurie maritime entre le Tibre et la Fiora , n'y ont laissé que des ruines - ^
de constructions en pierres carrées appareillées horizontalement; d'où
il suit que la construction en blocs polygones irréguliers n'était pas ab- *^^^ ^
solument propre à ce peuple; d'autre part, que ce dernier mode de ^ *
construction se rencontre .dans les murs des villes latines et des colo-
nies romaines, telles que Signia, Norba et Circei, d où il résulte encore
qu'tm système d'architecture employé par les Latins et même par les ' > " * ' ^
Romains ne peut être attribué exclusivement aux Pélasges K * ^ ^ '
J'ai déjà réfuté ce dernier argument, en montrant qu'on avait eu tort ^ ' «r '' ^ ^
de regarder les murs cyclopéens de Signia et de JVor6a comme l'œuvre, j ^ ''
de la garnison romaine et même de la colonie latine, quand on devait y ^
voir bien plutôt un monument de la fondation pélasgique. Relativement -
aux murs en construction par assises horizontales des villes de l'Étmrie
maiûtime , je me contenterai de dire qu'il subsiste aussi , dans cette r^ion
même de fltalie, notamment à Satarnia, à dossa, à Ruselbe, à Cortone,
et même à Popuhnia^, des exemples de murs en blocs polygones irré--
guliers , surmontés de murs de cette construction parallélogramme , qui
attestent la succession des deux peuples dont ils sont l'ouvrage ^ lesquels
* Dans VAmaltheaf t. III, p. loo. — * Le Antichità di Alba Fucmise, p. io5-io6. ' »
— ' Petit-Radel, Recherches, etc. p. 217-8, aai; Annal, t. III, p. &10, et t. IV.-
p. a4-
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148 -JOURNAL DES SAVANTS,
peuples ne peuvent être que les Pélasgcs et les Tjrrliéoiens-Etrusques;
ci que, si ces ruines ne sont pas plus abondantes' dans celte partie de
l'Italie, 'c'est que les Pélasges, qur en furent promptement qhassés par
les Euiisques, n'eurent pas le temps d'y àlever ces reinparts d'une
construclion si solide,, qu'ils ont laissés dans le Latium et dans la Sa-
bine, où ils firent un plus loiig séjour. Mi Promis conclut cette dis-
cussion en- proposant de n'employer^ pour désigner l'espèce de cons-
truction antique dont il s'agit, que la dénomination de pohgoiie irrégaliire,
et il est d'avis que les murs polygones, au lieu de s'attribuer à certains
peuples^ et à certaines cpoqucs, doivent se rapporter plutôt aux loca
ïités et aux matériaux des divers pays '. Si cette conclusion, qui rentre
tout i l'ait (Jans l'opinion exposée en dernier lieu par M. Canina ■'. fiait-,
adoptée, ce serait la ruiné du système si iaborreu sèment construit par
M.Pctit-Radel ; mais nofis n'hésitons pas à repousser, pour notre propre
.*^ i compte , une doctrine qui fait peidre aux monuments toute leur im-
if ,. !« • poilance liistorii|nc . et qui réduit une grande question d'art et d'his-
_* '^ _ , toire à^uo simple accidentée localité; et nous sommes plus que ja-
,-. ,k 7 •' . "^niais convaincus, par l'examen impartial de tous les faits produits dans
, A' m •-,' ■ ' ^etf(€ controverse d'un dejni-siècle , que les ruines cyclopécnnes, obser-
*■■' •tf ■ vées tant en Italie qu'en Grèce et dans l'Asie - Mineure , sont i'œuvi-e
' ' d'une même population pélasgique, dont les émigrations, altestées par
^B», rbistoirc, se trouvent ainsi confirmées par les monuments.
L'examen .particulier des antiquités ù'Alha FucevsU n'est pas plus fa-
vorable à l'opÎDion de M. Promis, malgré le soin qu'il a mis h les étu-
dier et à les décrire , que les considérations d'ordre général dont il avait
cherché d'avance à l'appuyer. Après avoir remarqué que le mur d'en-
<;eintc li'Alba, construit en blocs polygones irréguliers, offre une iden-
■jPt— ^_ »"" lité parfaite avec les murailles do tant de villes du CîcolanQ ( la Sabine) ,
''-^^ ^Î^'ÏOl* ^"'" '"riginc desquelles, due aux Pélasges mêlés avec les Aborigènes, il
gf ^^ i^ ' ne peut riMistcr ic moindre doute, il observe, en second lieu, que l'em-
« r. "tt ^ ^ P'"' ^^ Ycmpleclon dans le revêtement Intérieur d'une partie de ce mur
,, "^ . ' d'enceinte le caractérise |>ositivement comme une œuvre d'architecture
_ P*. romaine; et de cette observation particulière il déduit une règle géné-
_ •_ ^ raie , que toatc construction polygone reiètae d emplecton doit être reconnue
' comme un oax^aijc romain'. Mais à cette déduction très-hasardée je me
.y
>:
. ' Le Antickità di Âtba Faeease. p. ii.)S . Bencbc la sloria e rosservazioiie dinios-
f V' ""'"o ('') "^liÊ l'opéra poligonîa anilcliè a ccrle epochc eil a cerli popoli débitas! at-
^ ^' ti'ibuire aile località ed ai materiaH de' varï paesi. — ' Canioa Arvhiiell. Roman.
. _ . part. I, c I, p. 3». 109); part, II. c. I, p. 3a-33, I igj-iaS) , et part, lll, c. II,
, j • ^^^^ .-J- 57-58, Aty). — ^ Le Aniiehilii i/i Alha Facfpe^. 1 ia iJJk qu^to dalo si deve
»- *y*|' -^if. V * ^
^- «Vf ''..•.- • ■ f
••'
».
MARS 1843. 149
contenterai de répondre que Tusage de Yemplecton ne fut pas propre
aux Romains, puisque Vitruve lui-même établit une distinction entre
ie mode romain d'cmpfecfon et celui des Grecs, qu'il préfère de beau-
coup pour la solidité ^ Il y a plus : Tcspècc d'emplecton que Vitruve
décrit comme différent de cqlui qui se pratiquait chez les Grecs, et
qu il croyait employé uniquement par les Romains , ce qui -a induit
M. Promis à y voir un caractère exclusif de bâtisse romaine , cette es-
pèce, dis-je, d'emplecton, a été signalée par M. Dodwcll, précisément
dans des murailles cyclopéennes d'anciennes villes gi^eçques, notam-
ment à Delphes, à Lébadée, à Pharsale et en Étolie ^ ; le savant antiquaire
Stieglîtz en a. déjà fait Tobservation *, qui détruit Tobjection de M. Pro-
mis, et qui ne me laisse rien à y ajouter. J'avoue, du reste, qu'après
" avoir admis l'existence d'Albc comme'ville pélasgiqne, antérieure à la co-
, lonié romaine tle Tan de Rome 45o^; après avoir reconnu l'identité
parfaite de construction du mur d'enceinte avec celle des villes pelas-
giques du Cicolano^; après avoir signalé lui-même h Alhe des monuments
qui ne peuvent* se rapporter quà cette origine pélasgiqne, notamment
^ l'autel consistant en trois assises de masses polygones, sans ciment ni revê-
tement, qu'il compare aux grands autels pélasgiques du pays des Éques'',
^ je suis surpris que M. Promis se refuse à voir une construction pélas-
gique dans le soubassement du temple toscan converti en église chré-
tienne de Saint-Pierre, lequel soubassement, construit pareillement en
blocs pofygones sans ciment, offre un fait absolument analogue à ceux que
M. Petit-Radel avait observés à Segni et à Alatri'^. Mais je m'arrête ici,
pour ne pas prolonger une discussion qui a déjà piîs trop d'étendue.
Je viens d'exposer les principales difficultés qu'a rencontrées la théorie
des monuments cyclopéens conçue par M. Petit-Radel, et je crois avoir
démontré que, en ce qui concerne les murs de Signia et de iVor&a 'sur-
tout, ces objections, auxquelles on a paru^ de nos jours, attacher tant
d'importance , n'avaient réellement aucune valeur. L'espace me manque
pour rendre compte du livre même où sont consignées les dernières vues
de M. Petit-Radel sur l'espèce de monuments qui avait fait l'objet des
études de toute sa vie. Mais j'ai peu à regretter d'être obligé de suppri-
per analogia stabilîre chc ogni opéra pollgonia coii fodera di enipleclon sia slala
eieguita dai Romani. — ^ Vilruv. de Arcidiect. ii, 8, 7. — ' Dodwdi, A Tour, elc.
' I- 1» 97 > i63, ail5, et t. U^ lao. — ' Slieglitz, GesAichte der Baukanstj p. iSj.
— * Ltf Antichità di Atba Facense, p. 72-73. — * Ibid. p. 108. — * 16m/. p. aao,
tav. m , C. — ^ Cest ce qu*a reconnu encore tout récemment un des anllquaires
de Ylnsiitat Archéologique, M. Abeken, dans un article inséré au t XI des Annales
de cette société, p. :|0o-aoi.
* ï
150 JOURNAL DES SAVANTS,
mer cette partie de mon analyse , attendu que ces Recherches posthumes
sur les inonuni,ents'cycloiy:ens ne présentent aucun fait nouveau , et que .
par la discussion qui a r&mpli cet article , j'ai mis suffisamment nos lec-
teurs au courant de toutes ies questions qui se rattachent à ces monu-
ments. Je termine donc, en disant que' l'ouvrage sur ies monuments
cyciopéens dont M. Petit-Kadel avait travaillé, pendant près d'un demi'
sit-cie. à recueillir les matériaux, est encore à faire'; et que, si cet ou-
viag? de patience, d'érudition et de critiqfie, s'accomplit quelque jour,
comme on doit le désirer, c'est d'après les idées de l'auleur qu'il devra
s'exécuter, lesquelles me paraissent presque eu tout point conformes a
la vérité ^Gtorique.
"• •..V?*»'V • r.AOUL-ROCHETTE.
Nouveaux documents inédits sur le P. André et sur la persécution
da Cartésianisme dans h compagnie de Jésus.
•- ■» , ' rPFMIER ABTILLE.
Nos artiéfes tfu'Joumal des Savants de janvier et fémer iS/u , sur
un certain nombre de lettres inédites du P. André, en révélant l'existence
d'une vaste correspondance, jusqu'alors inconnue, de Malebranche,
et en excitant le lèle des amis de la philosophie nationale à en recher-
cher les débris épars, n'ont pas été étiangers peut-être à la découverte
et à la publication de ia co'rrespondance de Malebrancbe et de Mairan^;
en môme temps l'attention qu'ils ont appelée sur le P. Audré, l'intérêt
qu'ils ont inspii'é pour ce disciple ingénieux et fidèle de Descaites et de
Malejii^nchc, égaré parmi les jésuites, viennent de procurer une autre
jï découverte d'une assez grande importance. Telle est la récompense de
tout travail sur des documents inédits : il provoqiie la recherclie et
met sur la trace d'autres documents plus précieux encore. L'auteur de
' IrparaHque M. le docteur Nott en avait formé le projet, du moins exprimail-ii.
à"U%n tle son artide Jar les ruines cyclopéermes île Cefala. Annal, dell' Instil. Ar-
cheot. l. m, p. 387, l'inlention ot'i il élail alors de traiter la question génimle des
édifices cyclopéens ; mms j'ignore s'il a persisté dans cette inlention. et si elle a re^u
de sa part im commencement d'exécution. — ' Joumul des Savants de i8ia . juillet
et décembre, » « » ^
MARS 1843. 151
la découverte que nous annonçons 1-expose lui-même dans la lettre sui-
vante , qui nous est adressée :
*
4 «
' ' " ' ' «Caen, 3 1 décembre i8&i. •
«Monsieur, •' • '
•
a Les deux intéressants articles que vous avez publiés sur le P. André ,
dans le Journal des Savants des mois de janvier et de février derniers,
. m*engagent à vous faire part , avant tout autre , de la décQuverte que
je viens de faire, concurremment avec MM. Trébutien et Leflaguais,*
mes coUègues à la bibliothèque de Caen.
^•^. ^ tt H y a quelques jours , ayant rencontré , en visitant deux immenses
^ baUots de papiers manuscrits et autres qu'on se disposait à vendre à la
^^ Jivre, quelques imprimés relatifs à l'histoire du Calvados pendant la ré-
volution, je fis porter ces jballots à la bibliothèque de la ville, afin de
' les examiner. Vous jugerez de notre satisfaction lorsque, après avoir jeté
les yeux sur les premiers cahiers écrits à la main , nous reconnûmes,' au
milieu de notes assez curieuses sur notre histoire locale, la majeure
partie des manuscrits autographes et.inédits de Tauteur de TEssai sur
le beau, savoir:
1* La Géométrie pratique, i fort vol. în-A°.
a* Traité de rarchitecture civile et militaire , in-A*".
5" Traité de Tarchitecture, etc. (mise au net du précédent) , in-fol.
4* LWrl de bien vivre , poème en quatre chants , in-4^.
5** Une vingtaine de sermons sur différents sincts^ in-4*'-
6* Un fort volume de notes sur Dcscarles et Malebranche, in-4'*-
7* Metapkysica sive Tiieologia naturdis, in-fol.
8"* Instruction chrétienne pour un enfant qui est dans les études, in-fol.
9" Deux carions considérables de cahiers et de feuilles volantes, contenant des
opuscules en vers on en prose, des maximes, des pensées, des notes^ etc.
lo* Ènnn, un fragment considérable de la seconde partie de TEssai sur le beau*
in.4'.
« Mais ce qui nous frappa le plus furent trois cahiers contenant : «
Le premier, de 46 feuillets , la correspondance du P. André avec les jésuîtes
(xuimond, Hardouin, Porée et Dutertre, lors de sa persécution comme Ma-
lebranchisle;
Le second, de 6i feuillets, la correspondance du P. André avec FonteneUe,
dont seize lettres autographes de ce dernier et une dix-septième écrite en son
nom par M. de Croismare : elles sont datées des dernières années de la vie
de FonteneUe ;
Le troisième, enfin ^ de 5g feuillets, composé de brouillons des dix-sept letfjres
du P. André à Hfalebranche, et deâ réponse» autographes de Tillustre phSo-
sofiie, Flusieors de ces lettres ; entre autres, une sur ie mensonge ,',ron}ent
152 JOURNAL DES SAVANTS.
sur des sujets philosophiques; les, autres ont Irait à /les iQcidenU de la vie
iâlime des deux correspondants : elles n'en ont pas moins une grande valeur,
puisque vous nous avez appris que les leltres de Malebranche élaient si rares,
que vous n'en connaîesiei que- deux. Deux ou trois lettres du P. Lamy feni
aussi parliu de,ce«cahier. ■■ ■
. . '♦ - ■ . . '
" Tqjis ces manuscrits . que nous nous sommes empressés d'achetçr,
apparteneientà une demoiselle Peschel, li^galaire d'uiie demcùscile de IsT
^Itiéi'P.iiéritière elle-mûme d'un avocat littérateur de Caen, nommé
Gliarles'de Qucns. Élève du P. André, M. de Quens parait, dans ses ma-
nuscrite, qup nous avons. achetés aussi, lui avoû' voué une vénération
toute particulière. Nous avons trouvé deux volumes entiers de notes de ' • *^
sa main, qui semblent avoir été prisés jour par jour et être le résultat ■ ^ X^P^
de son entretien avec son professeur sur la religion, la philosophie, '"'
riiistoire, les auteurs, les liOnmies et les choses. Malebranche, vous ■
pouvez le croire, n'y est pas oublié. Il s'y trouve, en outre, une foiJe d'a-
necdotes qui prouvent que, si le P. André était un savant distingué, il
étai^ encore un homme d'esprit et de saillies. Ce même M. de Quens
s'assom avec l'abhéGuyot pour faire graver une épitaphe sur la tombe
du P. André dans l'église des chanoines de-l'Hôtel-Uieu de Caen, C'est,
du moins, ce que nous a appris un manuscrit inédit do l'abbé Guyot,
depuis longtemps dans la bibliothèque de Caen , et intitulé le Moréri des
Ptormands.
«Voilà, Monsieur, tout ce que nous avons pu remarquer jusqu'ici.
après Uii rapide examen des manuscrits que nous avons eu le bonheur '
"de sauver d'une destr\iction certaine. Nous allons maintenant nous
mettre à les classer et à les étudier. Nous ne doutons pas que ce travail
n aboutisse ù quehpie heureux résultat.
« Je me suis lu sur ce qui peut avoir rafiport à la Vie de Malebranche ,
que vous réclamez, à si juste titre, de son possesseur inconnu. C'est
qu'en effet nous l'avons cherchée en vain. Un des exemplaires que
vgus signalez avait été. k la vérité, dans les mains de M. de Quens, '
mais il s'en était dessaisi, quelque temps avant de mourir, en faveur
d'u^ M. Ileraey-d'Auberive (sans doute l'ahlïé Hemey-d'Auberive, édi-
teur d#s Œuvres de Bossuet, i8i5-i8i9, dont parle Quérard, t. IV, *
p. 63 , et qui moumt, à Paris, à la fm de i8i5], à la condition qu'il
la piiblierait , et le signalerait, lui , M. de Quens, dans sa préface. Je
voi|s, envoie les pièces à l'appui de ce fait; ce sont un reçu daté de
}t>o-] et une lettre de M. d'Auberive lui-même, qui, comme vous le
venez, demeurait alors à l'Abbaye-au-Bois. Si vouS'pouviez maintenant
relrouyer les héritiers de cet écrivain . ils devraient en conscience rendre
le livre du P. Adâvé , puisque les conditions pour Wqu^les il avait étd, J
^onné'n'om o^ été re'ni[^ies;fpt. s'ils s v tîfufi^ieot , 1^ mandataire de
la demoiselle^eschet esr dîjjps^à faire'toiitei les déiuarches'.pour le
recouvrer. Vous devei^ien o^nser qij'une foi^ e&t^etlos magnat ^pe
■ tarderait pas à être liviîii la pjjblicité.^ ^ A^
:^
tarderait pas à être livre A la jpjjblicité.^ * A^ ^ ' •
*<<> J'ai llkonneur'^'être.^MEjeapect. monsia^, votre ^UiumUe et * «
très-obéissant serviteMT. ^^r • jfc Mb , * *
^ ^ ' m, «G. ^Ianc», *|| ^ ^m ^
' ^^. .Conservateur (le !n bilitiriihéque Lie Caeii. .r. - ,■ ' ,
Voici maintenant qudq&es lignes de M. l'abbé Marc, qui prouvent
qu'en 1807 la Vie de Malebranche, par ii? P. André, <!'tait ontre sis
mains. pI formait un volume in-folio de 999 pages.
"J'ai reçu de M. defiuince (sic pOurQucns] un volume in-folîo com-
mençant par ces mois 1 La vie da A. P. Malcbranche , prèttè'âe f Oratoire .
ledit manu.scrit contenant 999 p^ges. et je m'engage do le renietlrt!
aussîHIt que j'en serai requis. Caen, le 1 o mar.s 1807.
i , « Signé L. Mauc. h
Nous suivons le précieux Volume jusqu'en 1810, dans une iettie^d''
M. l'abbé Hemey-d' Aubcrîve , où il s'engage à remettre aux bériticrs de
M. de Quens la Vie de Malcbianclie, qu'U croyait lui avoir été non pas
prêtée, mais donnée. M- d'Aubcrive, qui était fort en état d'en bien
juger, déclare « qu'il y avait de Irès-bonnes choses fet très-intéressantes
dans cette VîedeMalebranche, mais que ce n'était point un livre achevé,
qu'il y avait quantité de lacunes, beaucoup d'articles imparfaits, et qu'A
faudrait un temps et un travail assez considérables pour le mettre en
état d'être imprimé. » M. d'Auberivc avait entrepris celle tâche, et s'en
occupait quand le manuscrit lui fut redemandé. Les héritiers de M. de'
Quens repnrent-iis fouvrage du P. André ou le laissèrcnt-iLs entre les
mains de M. d'Auberive ]■' Nous l'ignorons. La Vie de Malebranche
ne fait point partie des papiers 3u P. André provenant de la succession
de M. de Queus, et en a bien de la peine à parvenir jusqu'à la famille
de M. fabbé d'Auherive pour en obtenir ce simple renseignement, si
parmi les papiers qu'il a dû laisser se trouve la Vie de Malebrancbe.
Cette recherche se poursuit avec de grandes lenteurs; nous aurons soin
d'informer les lecteurs du Journal des Savants du résultat définitif qui "
sera obtenu, ' j
Du moins, nous voilà en possession d'un bon nombre de fflgnus^s
"* ,^ aft '
. ^
154" JOURNAL I^ SAVANTS,
du P. André^ ilâîéont inainlenam déposés dans uùe grande bibliç-
Itièqùe piibliqile, celle^d^ja ville dc*^aeq, et le diguje ^sèrvàteuj^
deuc«Ue bîbliQthèquei,M. Iwancel . jrvecjcs deux excellents collabom-
t^:^, MlCr Ti^butfen et Xellaguais, les étudie, et s'occupe de lecon-
naîlrf ïPqui mérite den ètr^mblié. wi pi'emiey rang, Û faut placer
;issuivmciit la coircspoudanceTla P. ÂufeeçVec Fohienell^Jt^vec Mfe-
Icbrauche. r'osi presque un point (jjjioi^^wpoiu- M. Mancâde donner
i lui-nicmi? ies Icltres de son illustre compa^ote Fontei^e, Déjà l'abbé
Guyot.danbsanoliccsiuicP. André, a cité quelques traits de c^ettres'
où 1 on voit quel cas faisaîl de l'aiiTiablc ôt soirituel jcsilile le dernier
canésïen, le plus bel esprit du win" siècle tîvant ^lontesquitu et Vol-
\a.frot Nous nous sciions olfort bien volontiers poni' mettre au jour la
copiespondanre du P. André et de Malebrancbc. où peut-élre aurait
clé de ruise quelque connaissance des matières agitées entre les deux
ttiétapbjsiciens et surtout de I)i tîtlératui'e pliilosopliique de celte époque;
mais nous concevons l'i merveille qu'on ne remette pas facilement à un
/ •autt'e Ij soin de faire connaître de nouvelles pages sorties de la plume
j ^^Caul(?& de la Rcclierche de la vérit*-. quand on est soi-rnème^papfai-
tement cctpnblc de les bien comprendre et par conséquent de les pu-
blier avec exaclitude. Nous sommes trop heureux que M. Mancel et ses
collaborateurs aient bien voulu nous communiquer, et nous autorisent
4 à éiiqdoyer h noire gré. ia correspondance du P. André avec plusieurs
de ses confrères et de ses supérieurs de la compagrde de Jésus, pendant
• le t^ps qu'il fiit persécuté comme partisan de la nouvelle philosophie
de Descartes el de Alalebrancbe. Cette correspondance est la suite Ct
{é complément nécessaire de celle dont nous avons donné des extraits
étendus dans ce journal (janvier el février i8Ai)*, nous allons la faire
conuailre en détail et en tirer toutes leslumières qui peuvent éclairer
ce triste et intéressant épisode de l'bistoire dn cartésianisme.
-j. Marquons d'abord la dilîérenee qui dislingue celle nouvelle corres-
pondance de la première. Dans celle-ci le P. André écrit !\ des amis qui
jjcnsent comme lut, à Malebranche, à foratorien de Marbeuf, disciple
de Malebranche, ou ii M. Larchevèque, qui paraît avoir parlagé ses
sentiments: il leur ouvre son cœur ; il se complaît à leur montrer son
goût vif et constant pour la nouvelle philosophie , ses études secrètes et
obstinées, son pieux et fidèle altacbement à leur commun maître et
JBon dédiiin courageux pour leurs communs ennemis. Ici la scène est
^OBte différente. Ce n'est plus le P. André- parlant i!i son aise à des amis
t'
« M
--^Qe«vr
' dafea P. André, 1. 1, Eloge historiqat
eLâ^des^^P^^I^^^Bffi^a cooipagnie; c'est If P. André dans le
sein. même aeceuëcomi^niè, aux [Crises avec ses supérieurs, entoura
• d'oiiïljfages , de menaces et de tracasseries, obligé de c^ier ses études,
de dissimuler ses amitiés et ses opinions sans les Irahii*. perpétueliem^t
placé entre mio rirronspeclion qui poun-ail ressembler à l'artifice'jflt "
uni; franchise bien voisine de la révolte , réclamant sans .qesse la'ÎBstice ,
|»rodi{»iiaiil les explications et les apologies, abandonuiS peu à peu par
i-cut lii- -.es confrères qui pai'aissaicnt d'abord tout aussi ardents (juc lui
(laii> i I uiùine querelle, se tWhatlaut en vain contre de'çOurdes iiiù-igues
on cuiiiie une perséculion_déclacée , gêpé et tourmenté dans les plus
l»ctiLs (It'taiU.'dc sa vie , renvôyi^ de ville en ville et de collège en col-
lige , rour h tour accusé dâcartésjflnismc et de jansénisme, en hutte ii
•inie juquisJlion qui t^r se relâche jSinais, une fois nicme livré au bras
séculier- einpri-oiiné li la Uastillc, et traînant ainsi une vie iu(|U!èlc O
agitée pendaut touli' hi premi^ïc moitié du xvni* siècle. On voit i(d l'iu-
téricur de ia coni[ia;^iiie de Jésus, sa forte hiérarchie, le mystère dont
s'y envfilopfe l'autorité, *ses ménagements astucieux ou ses coups d'é-
dal, des esjirils d'une souplesse intinie et des cœurs de fer. une [lon-
tique toujours là même sous les formes les plus diverses, et, au milieu
de tout cela^^dans cette nombreuse sociél^ , touics les variétés de la na-
ture humaincTmen des mécontents, quelques hommes esceilents, beau
coup de f;ons Taibles, plus d'un lâche, l'empire de l'habiiude eUdc la
routine, le monde enfin tel qu'il est et sera toujours, ^ûutçz que nous
avons ici tous les nomsjpropres, que les masques sont ôt&', el qu'on
voit comparaitre dans cette alTaire les principaux personnages du jésui-
tisme à cette époque. On peut donc se promettre plus d'une révélation
inattendue et piquante; c'est, en quelque sorte. la chronique philoso-
phique de la fameuse compagnie, et comme un chapitre inédit de son
histoire intérieure . dans la del■m^re ppriode de sa domination ol de son
existence légale en France.
La première correspondance que nous avons fait connaître commence
en '707. et nous montre le P. André déjà relégué au colléee de La
^.Flèche. Nos nouveaux papiers remontent un peu plus haut .à la moitié
de l'année 1 70G , et le peignent faisant sa théologie à Paris , au célèbre
collège de Ciermont, et, pendant ce temps, s'écHappanl de son collège
pour aller assister aux conférences de M. l'abbé de Cordcmoy', entrant
' Elles avaient pour objet In rèfulalion el la conversion dei liOrétiqitfs. L'abbc
cle Cordemoy était tils du Cartésien de Cordemoy, conseiller d'Etal, lecteuTOrdiiiaire
du Dauphin, membre de l'Académie française, et dont lea œuvres plùlosopliique*
forment un in-^° en deux parIJvs: il v en a une quatrième édition, Parib. 170^
>v
'^'
JOL'RtAl DES savants:
en relation avec MaUbranche , et dcjà susflfi^ pai'r6on ef^t mal oissi'
ttr^é pour le cartésianisme. Il partît qufe Je^re recleor Jll collège îe •• *
Clênnont instruisit le pèie provincial de la cunduile d'Aiidr<^. On léSblut
ipc, dans les conseils de la compagnie, de l'éloigner dç Paris, et de '
tvoyei- dans quelque collège ^oigni'. Dès (Ju'Andri^ cul coiinaîssancc ^
decÉlfe rosolutîàfl, il fit tout au monde pour la conjurei el obtenir de
ses sïip'^rieurs dé l'ester à Paris, en apparence pour aciievcrsa dernière ^P,^
aânée de théologie, en réalité pour poursuivre ses études pliiloso-
jihiqtiies el les relations qu'il avait commencées avec l'école carlésiennCi •
Le 6 juillet 1 706 , il éciil au père provincial une lettre oii, sans avouer
ni desavouer les opinions qu'on lui imptite, il s'appliqncÀ dissiper les
mauvaises impressions qui déjà se répandaient contre lui.
"Mon Irès-révérend père,
"J'apprends depuis quelques jouj"S qu'on m'a élransemeLU dicjir
dans votre esprit; mais, étant persuadé que vous avez gardé luic ureiJlc
pour inrrusé, je ne veii\ point m abandonner moi-mêmi^ni meiiler,
si je puis, d'être condamné et pout-otre punî sans être entendu. Ce
n'est pas d'aujourd'hui , mon révérend père , que je commence à épron-
vjer les Mms a$ la calomniciôl y a longtemps que j y suis en butte. En
voici^yTlgues preuves choisies entre mille. On m'a accusé de rejeter
tes hAitudes spiritticHca, et je les ai toujours crues de foi et soutenues
lomme telles, contre le sentiment de la plupart des théologiens. On
m'a imputé de nîrr la tradition des Pères, êÇ j'ai toujours maintenu
que la religion ne peut exister sans elle, quoique absolument elle puisse
Subsister sans récriture. Enfin, mon révérend père, mes calomnia-
leurs me faîsoicnt, an commencement de celte année, donner dans le
système du père flardouîn', et ils m'accusent aujourd'hui d'en vouloir
un tout S l'ait contraire, félois flarduiniste lorsque cela pouvoit me
pflrdre, et, [)^ec que la protection de Dieu m'a sauvé de leurs mains,
malheur à moi! Me voilà tout à coup devenu Malebrancbiste. Ouït-on
jaiuàî^ parler d'une si étrange métamorphose I Vous voyez, mon révé-
rend père , que l'un ou l'autre est certainement une calomnie. Mais je,^
piiis:.VOus assurer que Tun et l'autre l'est dans le sens qu'ils l'entendent,
''t apparemment Je sais miau\ qu'eux ce que je pense. Quel est donc
mon crime? Car enfin ces gens de bien, des prêtres qui disent tous les
jours la messe , n'auront point accusé un prètie sans quelque espèce de
raison. Il faut donc vous le confesser, mon réyérend père, ce crime
' Ve fameux P. Hardouî
sndra bientôt dar
^ MARS 1843. 157
abomiuable, indigne de tout pardon: cest que jamais je n*ai su lart de
jurer sur la. foi d'un maître; cest que je ne reçois sans examen- que ce-
qui part d'une autorité infaillible; c'est que je preods la liberté d exa-
miner tout le reste à la lumière de la raison et de là foi; c'est que je
tâche de distinguer ce qui est du ressort de Tune de ce qui est du res-
sort de Tautre; c'est que je mets de la dififérence entre les dogmes de la
^W religiœQ et les explications des Pères et des'théoIogie;is, et qu'à leur
exemple j'en cherche de meilleures quand les leurs ne me satisfont pas;
^ c'est que j'ose distihguer, dans les Pères, cç qu'ils disent en qualité de
témoins de la foi de leur temps , et ce qu'ils avancent en qualité d'au-
teurs particuliers; eiest qu'après avoir tout lu sur une matière, je tâche
eiftuite, pour la possëderv de faire plus d'usage de mon esprit que de ma
mémoire ou de l'esprit ^d'autruî ; c'est enûn, mon révérend père, que
je parle quelquefois d'idées clair^, et que, pour bien apprendre la tliéo-
% îogie , j'égale presque la méditajdpa des^^Kj^tés chrétiennes à la lecture
des mêmes vérités. Voilà tous mes crimes, mon révérend père; voilà
Iles dangereuses nouveautés quon peij| m'imputer justement, mais'
^nouveautés sans lesquelles je crois que l^^recherche des antiquités ne
peut que charger la mémoire , sans éclairer, sans étendre , sans per-
fectionner l'esprit. Et il est si vrai que,mes accusateurs n'ont rien de
plus fort à;.m'imputer, qu'ils n'osent entrer dans aucun détail ; ou, si
quelquefois ils s'y hasardent, ils y réussissent de la manière que j'ai déjà
eu l'honneur de vous exposer, c'est-%-dii'e si heureusement, que de leurs
^accusations vagues et générales ils concluent toujours la contradiction
de mes sentiments : et, preuve enœre -qu'ils se défient de la bonté de
leur logique , c'est que, lorsqu'on les p^sse , ils laissent là leurs accusa-
tions et se jettent sur mes manières, qu'ils disent être jHéprisantes , ce
qui feroit croire que c'est le feu de ^ vengeance qui an^ie leur zèle.
Cependant, mon révérend père, j'avoue en rela quej'a^lAj^s'ils ont la
moindre raison de se plaindre. Mais ,|.gf âce au Seifi^neivfjai toujours
su distinguer, dans la conversatjjjCm ailleurs , les*^ersoniigLde lem^
opinions, et les auteurs de leurs feùy^jhjel'; et , en tous cas,^^otEe rCTe-
rence sait assez qu'il ne fijnt P^^^éS/Br ^^ ^^^^^ P^^ 1^ manière, et
que ce ne fut jamais une hérésie ^4raSknoili|au& dangereuse que de
n'avgînpiiit bonne grâteA parler.^nMWp
a Excusez, mon rév^rena^Â*e, si je parle avec cettg, liberté , c'est
voire tionté et mon u|^oç^|pe qui mç l'inspirent. . Je ne crains rien,*
parce qu«i|pia coiMciencenAne reproche rien; si je jk>us écris cette es-
pèce degustificatioh , c'est pUlIt [f#ur ne pas paroi tre insensible à la
perte de fotre estitxig^qi||Kttr^iter l'effet des sourdes pratiques de
■
V
9'
!5« JOURNAL DES SAVANTS.
mes bons amis. Votre révérence est trop éctaîrt-e et trop équitable
pour s'y laisser prendre. Je suis , elc, »
Le père provincial auquel s'adressait André s'appelait Delaistie'. Il
ne lui répondit point, et, après deux mois de silence, il se contenta
de lui signifier que la résolution de lui faire quitter Paris est arrêtée el
qu'il doit s'y soumettre. 'lui marquant que la raison de sa disgrâce 1^
est, en effet, son allacliement aux nouvelles opinions, el lui conseillant
d'y renoncer, V
X MON BivÉKEND VÈRE LE 1'. ANDRÉ DE LA COUPAUNEE DE JESUh.
"Mon. révérend père. . •
^ » Pax Cliristi.
"Je n'ai point fait réponse ii la lettre que vous me fites l'honnemf^^^
de m'écrire il y a environ d«u\ mois, parce que dès iors la résolution
■étoit prise de vous oster de Paris. Il n';pa point d'autre raison que celiey
que votre révérence toucha daiîs sa lettre, trop d'attachement à de cei^
laines nouvelles opinions. Jfl ne sçaurois vous donner an conseil qui
vous soit plus avantageux que de renoncer à tout cela. Et à Paris et à
Rome on est résolu de ne poinf souffrir de pareilles nouveautés. Votre
révérence a de l'esprit, et elle aimeTestudc, Si elle veut tirer de ces
deux choses favantage qu'elle doîW%ouhaîlter. il faut nécessairement
qu'elle travaille à elfacer de fesprii des (supérieurs) les impressions
qu'on a conçues d'elle. C'est ce qiîe^e lui souhaite et ;\ quoi je la prie
de tout mon cœur de travailler ,'Croiic/-moi, mon révérend père, c'est
le seul moyen qpe votre esprit , cultivé par beaucoup d'études, produise,
dans la soitte'^es fruils qui vous soient agréables et qui fassent honneur
à la compa^iç. Je -me recommande à ses saints sacrifices, et suis plus
' La Bibliolheca icq/iloram socielaùt-Jesa , lie l'i^Jilion de Solvel, étant de 1676,
et |ës dmiu^pplémenU de Caballerô [BiUiothecœ scriptomm societatis Jesa supple-
mema , ilotDBs 181 4 et 1816) ne con)prena{|l que les auteurs qui odI écrit après fa '
condamnalioo et la dispcnsion de ili; société, tout secours nous a manqua pour
l'époque intermédiaire . tqui ^t prestement celle d'André. Nous avons pu nom
aider quelquefois de noies siIT les cppfr^ites du P. André empruntées aux manus-
crits de M.^dc Quens , et que M. Mancêl â bien voulu nous communiquer- Gès noies
ne contiennent rien sur le P. Delaislrc, et il n'est fait aucune mention de ce père
jésuite ni dans Mdréri ni dans les Mémoire» de Trévoux ni ailleurs. Seulement nous
rencontrons son nom, Ckarlei Delahtre, comme provincial de la compagnie de
Jésus dans la province de France, au bas de la permission aocordée au P. Breton-
neau d'imprimer les sermons de Bourdaloiie pour l'avenl et le rarème , Paris , le
3 janvier 1707. Vovei le Bouçdaloue de RioTtud , 17O7 •<;'
i
MARS 1843.
159
que personne, avec beaucoup de respect, de voU-e révérence, lelrès-
huinblft et très-obeïssant serviteur,
n^uen, r» septembre 1706-
"Delaistre. h
!^o\t);efl6 lettre dup. André, plus vive que la jLiremière, où, insistant
sui- U forme plus que .siu' le fond«de raffairc, il se plaint avec énergie
, d'être puni comme s'il était coupable, sans avoir été a^mis à se justifier.
André avait alors ^jn^^trentaine d'années, et il en comptait déjà dix
o» f]f)uzekàc service parmi les jésuites. .
^- -10 septembre \jïo.
ii^on i'évérend_pwe .
« Je sça! trop bien le prix descroix pour murmurer de celle que Dieu
m^nroîe par vos m.iins; je m en tiens bonoré, «t le remercie de tout
m|Tn.cii;iir de la part qu'il me donne au calice de son fils. Mais je ne suis
■point pfcis palient que nfijn maître-, vous sçavez combien de fois il de-
maudu ( grâce ) à son .père ► et qu'un f oup reçu dijn valet insolent lui
sçut arracbcr.une plainte; c'est;^on révérend père, la même que je
prei^ln liberté 4^yous.^re auiourd'b'ui. Si j'ai mal parlé, si j'ai, de
^njanyais.sentiffli^nts, que mes acc*ilieurs montrent ^nquoi; mais, si je
n'eô alipoim d'autres que ceux de U raison et de la foi la plus pure ,
oserois'je. le demandera votre révérence, pourquoi prêter vos mains
pateinclles à l'Injustice des coups qu'ils me portent? Encore si Ton avoit
observé ipiplque l'orme de justice à mon égard; mais à peine ai-je été
■accuséJLYOlre Iribimal, dès ce moment j'ai été coupable et condamné. «
Voti^^Êïcrcnce clle-n»ême m'en est un sûr garant; car, si vous n'avez
pmntgtot jépQp s e à la lettre justificatif que j'eus f honneur de vous
écrire ii^yt^s de Jélix mois, c'est, mtes-vous, pai«e que. dès lors,
^ rj^luHofT étoit prise de m'ôter d'ici? Quoi, cUs lors, mon révérend
p^? J'ai dwio été condamné avant que vous eussiez pu lire ma justi-
fication ^0nt que vous m'eussiez communiqué les accusations de mes
ennemisT^'ant que je sçiisse que j'^tois accusé? Est-ce là le procédé
d'un père, d'un supérieur, d'un juge? Quel est donc mon crime, ce
crime si énorme, qu'il mérite qu'on viole . à mon égaçd , les droits les plus
naturels? Je veux Ijien m'en rapportCL' à votre r*'véience, c'est trop d'at-
tachement à do certaines nouvelles opÎDioiis. \r>ilà, dites-vous, la seule
raison de ma disgrâce. Mais , prcmiècenicnt , quelles sont ces certaines
nouvelles opinions? qu'on m'en msrque une seule parmi les miennes
en matière de foi . ou qui y ait le moindre rapport aux yeux du bon
sens; qu'on m'en montre en pbilosopliie même une seule que j'aie lel-
iemCDt embrassée, que je ne sois pas presl de l'abandonner à la pre-
jf-
r
160 JOURNAL DES SAVANTS,
mière iuciir de la véril<5. Mais, en second lieu, mon révi^rend père.
quand j'aurois ces prétendues nouvelles opinions, puis-jc demander à
votre révérence d'où elle peut savoir que j'y ai trop d'attachepient?
M'en avei-vous jamais parlé ou fait parler par vos subalternesrVous
avez passé par ici à votre retour de Rome; m'aA^ez-vous mandé pour
rp'en avertir charitablement:' Et cependant c'est dès lors que ma perte
a été résolue. Que le Seigneur en soit loué ! Mais je le prie de nous
juger tous deux, et de vous pardonner cette yioleïite résolution aussi
bien qu'il ceux dont les calomnies vous l'ont arrachée. '
Il Cependant, mon révérend père, nwlgré leyr crédit et leurs ins-
tances, j'ai bien de la peine à croire que vous l'eussiei prise s'ils ue vous
avoîent empêché d'examiner, i Tê tort que vous faites ^ ma réputation .
qui est une chose si difficile à réparer, et si nécessaire dans l'emploi
auquel j'espère me destiner avec l'agrément de mes supérieurs; a*'lés
circonstances dans lesquelles vous m'otez d'ici, je veux dire-pendant
que vous en ôlez d'autres pour 'certaines choses qui ont fait bruit, et
dont le soupçon pourra bien retomber sur moi par concomitance ; 3° le
tort que vous faites à mes études en me privant. d'un des meilleurs
moyens d'avancer dans les sciences .'qui est la conversation des habiles
gens que j'avois Flionneur de voir à Paris ; 4" l'injustice , et peut^tre
l'ingratitude de ce procédé, après dix oîf'"douze années du service le
plus rude , sept années de régence . et quatre années de chambre com-
mune
k «Voilà, mon révérend père , i\ peu près touîès mes raisons, et je mi-
flatte qu'il n'y a que des esprits vendus à la prévention qui puissent ne
s'y pas rendre"; mais par malheur pour moy, et plaise ît Dieu que ce n'en
soit pas un pour votre révérence, vous m'avez condamïié sans m'avoii'
entendu; de sorte que, quand m^ne je serois coupable, j'aurois tou-
jours droit de me plaindre. Mais, bien loin de l'être, mon révérend père,
j'en atteste mon Dieu et mon juge, et je maintiens que je rfpi point de
sentiments en matière de loi qui ne soient entièrement confofmesà i'K-
criture, à la tradition, aux défmîtïons des conciles généraux et aux dé-
risions des papes généralement reçues, et qu'en matière même de phi-
losophie j'embrasse toujours les opinions qui me paroissent les plus
favorables k la religion catholique,
«C'est à votre révérence àjugeV maintenant si, en ce qui regarde mes
pensées, je suis plus croyable que ces délateurs téméraires que je sais
fle m' avoir accusé que sur des ouï-dire ou sur des malentendus; en
tout cas, la chose est bien aisée à vérifier. Falloit-il donc, mon révé-
rend père, flétrj|:. ^;i matlèrCde doctrine, un ftÇ^^. destiné ^ppa-
H\.
MARS 1«43. 161
reaiment à enseigner ou à prêcher, sur le seul témoignage de ses en-
nemis? Falloit-il au moins, je le répète encore, me condamner sans me
convaincre, et résoudre ma perte sans m'avoir entendu? En vérité, mflb
révérend père, ce procédé me paroît si irrégulier, que j'ai peine à le
croire, malgré même le témoignage de votre lettre. En effet, on ne m'a
point encore intimé les ordres de votre révérence. Ainsi, je vous prie
de trouver bon que j'attende encore une réponse de votre part avant
que je me résolve à vous croire capable d une pareille injustice.
Je suis, en attendant, avec tout le respect possible, aux ordres du
Seigneur, etc.»
La réponse ne se fit pas attendre. Quoique toujours emmiellée dans.
les termes, elle est, au fond, péremptoire et décisive : le P. André doit
quitter Paris.
((X'mOJT RiéfÉREND pArE, LE R. P. ANDRié , DE LA COMPAGNIE DE J^SUS.
« Mon révérend père ,
u Pax Chris ti.
«Je souhaiterois que votre révérence n'eust point pris les engage-
ments qu'elle m'a mandé qu'elle a pris avec certaines personnes ; j'es-
père , néanmoins, que cela ne Fempeschera pas de se rendre à la Flèche
au temps ordinaire. Puisque Dieu lui envoyé une croik, il ne manquera
pas de lui donner les forces nécessairespoiy: la porter. Je prie Nostre
Seigneur qu'il la comble de l3énédictioj(HPdans tous les lieux où elle sera.
Je me j^ec^mande à ses SS. SS. et je suis, plus que personne, avec
beaue6up d'estime et de respect , de votre révérence , le très-humble , etc.
«A Brest*, le 17 de septembre 1706. •
* • « Delaistre. ».
* On voit» par les lieux mêmes d
d ou le
en tournée dans sa ^kvince , d* abord à Rouen , puis à Brest , d'où celte derniâ
lettre est écrite. La province de Finance proprement dite n'ét^t qu une des pro-^
vinces dans lesqueUes la compagnie de J4bis avait divisé pour elle^le royaume de
France, à savoir, la province de France proprement dite, Franciœ provincia, qoi
possédait les collèges de Paris , Ponl-i Mousson « la Flèche , Bourges , Verdun , Nevep »
EifO^ouen, Rennes,. Moulins, Amiens, Reims, Nancy, Caen; la province d'Aqni-
liinogei
ai
^63 JOURNAL DES SAVANTS. '
André tente un dernier effort; il demande une dernière fois justice
au père provincial , et toujours inutilement.
m
^ a Mon trè»-révérend père ,
a Je vois bien que votre révérence a des affaires plus pressées que
celle de me faire justice, ou plutôt de se la faire à elle-même en justi-
fiant le procédé qu'elle suit à mon égard. Je vous en conjure encore
une foi» au nom de Jésus-Gbrist , et pour votre honneur autant que pour
> le mien : vous m'avez condamné sans m* avoir convaincu , sans m'avoir
averti, sans m'avoir entendu, etpoui' avoir, dit-on, violé une loi qui
n'étoit pas encore portée. N'ai-je pas droit de vous demander de deux
choses TunC; ou de me justifier, ou de me convaincre? Entrez . je vous
prie, dans le détail des accusations formées contre moi, marquez-le
moi, au nom de notre commun juge; et, pouj^vous faciliter ma convic-
tion , je ne demande qu à être convaincu de faux ou dp nouveauté
dangereuse dans une seule de mes Qpinions théologiques ou philoso-
phiques pour passer condamnation sur toutes les autres. Encore une
fois, mon révérend père, je ne demande point grâce; il vous seroit
libre de me refuser ; je vous demande justice, justice pure, telle qu'on
raccorde aux plus scélérats dans la plus inhumaine barbarie ; mais que
je sois justifié si je ne suis point criminel. Cestce que j'attens de votte
révérence avant que de partir, etc. »
k MON RJÊVÉREND PÈRB , IJK IW^ ANDR^ DE^A COMPAGNIE DE JESiS.
« Mon révérend père , ^
uPax Christi.
« Je n ay rien fait sur ce qui regarde votre révérence qu après uift
meure délibération et avec conseil de gens fort sages ; c'est tout ce que
je puis vous dire quant à présent. Je croyois que le révérend père rec-
teur^avoit dit à votre révérence que c'esloit à la Flèche où elle devoit
achever sa théologie. C'est avec ill^ret'que je la voy dans une disposi-
tion si contraire à la parfaite obéissance. Je la prie d'yi^piire une sérieuse
Lyon, Avignon, Tournon, Chambéry, E^jon, Dol, Besançon, Vienne, Embrun,
Carpentras., Sisteron; la province de Toiuouse, provincia Tolosoiut, Toulouse, Bii-
lom, Mauriac, Rodez, Auch, le Puy, Béziers, Cahors, AlbL Tel est, du moin^ le
déacmbrement que donne le Catalogus de Ribadéneira , a* édition , AntwerpUB ,
161 3. Depuis, jusqu en ¥706 , la compagnie avait fort augmenté le nonibre de ses
collèges , et la France jésuitique 8*était accrue de plnsleurs province».
MARS 1843. 163
réflexion. Je me recommande à ses SS. SS. et je suis plus que personne ,
avec beaucoup d'estime, de votre révérence le très-humble , etc.
« Delaistre. »
Dans cette extrémité , André prend le parti de porter plus .haut
sa plainte et de s adresser à Rome, au général même des jésuites. Il lui
écrit en latin une lettre où il demande hardiment justice de la condvSte
du P. provincial à son égard , et , en Taccusant de partialité , déclare au
père général et nous apprend à nous-mêmes qu'il y avait, dans la so-
ciété de Jésus, plus d'un membre qui, comme André, inclinait aux
nouvelles opinions et les professait même. Il indique un de ses con-
frères qui avait encouru la même accusation et une plus forte encore,
mais qui s'en était tiré à l'aide de puissants protecteurs. Quel était
ce jésuite encore plus cartésien qu'André? Quels étaient ces profes-
seurs 9e philosophie et de physique qui enseignaient la doctrine de
Descartes et de Malebranche? La charité du P. André ne lui permet
pas de les nommer. Mais cette relation, quoique imparfaite, n'est pas sans
intérêt. Voici la lettre au père général ; la latinité en est peu sévère
mais faciift , et le ton en est remarquablement énergique :
« 39 septembris 1706.
« Révérende in Christo pater,
« Accusâtoi'um meorum calunuùis appetitus, superiorum injuriis
pêne oppressus , confugio a J patemitatem tuam. Quia Cartesii et Ma-
lebrancii ^genium ctmi philosophis omnibus aliquando laudavi, no-
varum accessor(?) opinionum reus; atque hujus flagitii vix bene apud
R. P. provincia^^ accusatus, ab eo fui statim non modo convictus,
sed , ne auditus quidem ^. nec ante monitus , inscius et absens , accusa-
torum meorum ar]|j|rio mi damnatus ; nec damnatus quidem , sed ecce
etiam, qu» ma^ima apud nos infapiia est, Parisiis FÏexiam mittor in
exsilium. Denique, révérende admodum pater, tribus momentis accu-
satus , danmatus , punhus fui. •
«Postulavi frustra a superioribtt ut unam aliquam mihi, quam pro-
fcssus fuerim , propositionem iidicarent quse reMevissima censura di-
gna esseL Provocavi frustra accusatores meos , ut vel unicam mihi ex
eis opinionibus qoas uuquam defenderim , afferrent in médium , qoie
aut rationêm aut fidem aliquatemis Isederet. Eadem de re interpellavi
4 fhistqlR. P. proiAnckleii^ ut vel eos j|d id cogeret f vel quid ipaé ab
illis audierit mihi deciaiaret: vu tandem hane ab eo* reappoaioiiem
* ai.
Ifi:
164 JOURNAL DES SAVANTS.
obtinui : nuUam quidem aliam meî exsilii rationem esse prseter nimiam
ad certas quasdam novas opiniones adhaesionem; sed Deum, quoniam
ipse hanc mihi crucem mîtteret , necessarias ad illam ferendam gratias
concessurum.
«Huic responsioni tam paternaî, tam consola toriae , tam christiana*,
duas ego tamen postula liones subjeci; ab eo quaesivi : i** Quaenam es-
senf illae certae opiniones, ut scirem an jure an injuria tribuerentur
mihi et crimini verterentur; 2"* Quomodo sciret me istis nescîo qui-
bus novis opinionibus nimium adhaerere, quoniam ante latam in me
sententiam ea de re nunquam me aut per se aut pcr alios monuisset ,
atque adco nunquam docililatis mea? periculum fecisset. His , révérende
admodum pater, tamaequis postulationibus*nihil respondit aliud, nisi
ut intérim Flexiam me dcferrem, seque orare Doiiiinum ut me ubique
omni benedictione cumularet, Patrisne haec oratio esi, an superioris,
an judicis? Nihii dico tamên quod meiis ipsiusque litteris demolislrare
non possim.
((QuiJ'ergo jam, révérende in Christo pater, ex isto R. P. provin-
cialis sîlentio ac tergîversationibus scquitur, nisi, 1® ipsum nihil habere
quod mihi in specic et in particulari objicere possit; 2° aoi^isatîones
adversum me factas générales tantum ac proinde nuUius de jure mo-*
menti fuisse; 3° non cmendationem ab eo mcam ia me puniendo, sed
accusatorum meorum gratiam quaesitam esse; 4° ipsum habuisse, ut
soiet, aliquem Parisiis collocandum, meque adeo hbminem l^actenus
patientissimum, patronis apud nos hodie tam necessariis destitutum,
de mea sede deturbandum fuisse. Hoccine vero credibilc ^st? non est
credibile, révérende admodum pater, sed utrum verum sit, j,ecum erit
judicium.
((Non ego unus scilicet, multi in eadem causa versamur : quorum
aliquis etiam atrocius quam ego, novîtatis hujus j^hilosophicœ nempe
(ne quid pejus suspiceris) accusatus fuit. Seï patèodos habet; si quis
eum tangit, plurimos tangit; non potest ergo fieri ut ait unquam reus.
Quin etiam hoc ipso anno uterque philosophiae professer, ac prsecipue
*physices, multas Cartesii et Malebranoii opiniones, etîani eas quse
in uitima congregatione generaii ^ djtuntur esse prohibitaî , docuerunt
publice et defenderunt; sed patronos hakent, rei nunquam erunt. Plura
possim addere , sed parco iibens persecutoribus meis ; et spero fore ut
ex bis duobus factis patemitas restra satis perspiciat quam œquos hic
judices habéamus. Quid igitur mihi restabat, carissime in Christo pa-
^ Ce senit cd)e>de 1706. Voyes la note suivante. %
» * I •
• *
MARS 1843. 165
1er, quid restabat homini librorum semper magis quam patronoruin
studioso , nisi ut implorarct clemcntiam et tequitatem tuam? Nullius rei
coovictus, non auditus, non ante latam in me sententiam monitus, et
qui dicor Icgem nondum statuiam violasse, non modo condemnor, sed
exsilii pœna afficior; et,'quod mihî durius est, meae famae hactenus in-
tacts periculosa in futurum nota iniiritur.
«His de causis, révérende admodum pater, ad tuum tribunal
R. P. provincialem voco. Reddat paterniiati tute rationem :
«1** Cur me non convictum , non audilum , non ante meam condem-
nationem monitum, ac ne postea qiiidcm, ut oportebat, pœna affecerit ;
«2** Cur me potissimum ex inullîs, quoniam ipsi placet, reis sele-
gerit, in quo prietensam iegis nondum latœ infractionem vindicarct;
« 3® Cur me, quum hcrc ipso anno sacerdotii dignitate non indignuofi
censuit, eumdem repente domicilio Parisiensi, quod studiorum meO'
rum cursus et ratio et mos poslulabat, indignum judicet;
« à"* Cur mihi ab eo flagitanti ut declararet qiRenam essent illae
certœ opiniones, quarum rcûs fierem, semper aut silendo aut tergi-
versando aut insultando responderît;
« 5* Cur me, quum ffffma in hanc urbem revertisset, quum in hoc
ipso collegio esset, nec agitavcrit accusatum, nec monuerit;
u 6** Aut, si fUnc non vacabat , cur meam pœnam uno duntaxat mense
non distulerit, dum ipso hue ex provinclœ iustratione redux, mecum
pi*aesens adversariorum meorum accusationes singillatim examinaret;
cur accusatorcs meos tam iihenter audierit, me vero audire tantopere
refugerit, ut ne me quidem accusari monuerit. Cavcbat sane amicis
suis, calumniatoribus meis; verebatur judex sequissimus ne reus non
essem
((Quid restât, révérende admodum pater, nisi ut mea jam omnia
tuœ committam paternitati? Duo abs te per communem omnium nos-
trum judicem peto : i**"^! jus mihi denegatum reddas; a** ne mihi lu
futurum obsit aut Roma; R. P. provincialis iniquitas, aut in Gallia mea
ad te coacta^ppellatîo. Scio cnim qwm non œquis oculis aspiciantur
41 • qui Romam licet inviti confugiunt. »
* Une plainte aussi vive ne dut ^ as plaire beaucoup à Roi^e. Le gé-
néral des jésuites^ se contenta de faire avertir le P. André de se tenir
tranquille et d'obéir à ses supérieurs, qui, d'ailleurs, pouvaient*^ avoir
^ Ce devait être le P. Michel-Ange Tamburini , élu dans la quinzième assemUée
génér^^t le 3i janvier 1706, et mort en ijSo. Nous retrouverons plusieurs Cdîs
ce povonnage dans la suite de rfiistoire d^ndré.
♦ *
166 JOURNAL DES SAVANTS.
encore d'autres motifs que son attachement à des nouveautés dange-
reuses pour renvoyer de Paris à la Flèche. Cette lettre, que nous n'a-
vons pas, parut au P. André une injustice nouvelle, contre laquelle il
réclama de nouveau auprès du père général lui-même. Cette réclama-
tion est' plus vive encore que la première. Elfe abonde en détails cu-
rieux; eue renferftie une défense de l'orthodoxie de Descartes et de
Malebranche, et, quoique toujours d'une latinité peu sévère, elle s'é-
lève quelquefois juisqu'à l'éloquence. Nous en transcrirons les passages
les plus frappants.
« Reverendissime in Christo pater,
« Video non lectam fuisse a paternitate vestra epistolam meam. Talis
enim Koma venit ad me responsio quae (ita) fei*e ad nullum querelae meae
caput respondeat, ut non meis sed alterius litteri^ respondere videatur.
Cujus rei œquitatem te, reverendissime in Christo pater, judicare volo.
«Scripsiad patetnitatem vestram reverendum patrem provincialem ,
cum me hue mitteret, mihi per litteras déclarasse nullam aliam exsilii
rationem esse prœter nimiam ad novas quasdam opiniones adhœsionem, Vestro
autem nomine mihi respondetur potaisse pafrerfi^rovincialem auas habuisse
causas tradacendi mei Parisiis Flexiam/ prœter nimiam ad novitates pro-
pensionem. Qùum declaret ipse illius rei nullam haberesS aliàm causam ,
dieere alias eum rationes habere potuisSe, quîd est aliud quam dicere
patrem provincialem contrq^mentem suam loqui potuisse, autpotiûs, re-
verendissime in Christo pater, quid hoc est aliud quam divînare, quam
patienti novam injuriam addere, et fij^o conquerenti pro paterna con-
solatione ne Rumanam quidem responsionem dare?
<( Sed ea pœna, inquit, non videtur tanta quantam ego esse
contendo. Utinam , reverendissime admodum pater, judicium Romœ
facere posset ne tanta a nostris sentiretur in GaUia ! Non immolafentur,
ut fit, pietas, doctrina, et saepe ipsa probital patrociniis seniorum et
nonnunquam secularium intercessionibus , vel n^huc venîatur, vel
hinc vel quam primum abeâturv^ed eam pœnam quanmlamcumque
tantam omnino quantam dixi superiores noairi judicari volunt, siquidem
delictis paulo gravioribus semper et ubiqu^ nil^ nîsi Flexiam clknmi-*
nantur; lintam judicat tota provincie, siquidem eos qm hue raittuntur
ad studia ( et quanto magis eos qui Parisiis hue remittuntur?)etminoris
. a^per aestimat, al delicti alicujus labe centaminatos suspicatur. 0
oin mea igitur pœna, révérende admodum pater, duo distinguenda
6unt, mutatio loci, exsilium,- et causa exsilii. De mutatione loj^i non
queror : cubiculum potius mutan quamwbem; et promitto reveren-
#
> i
MARS 1843. 167
dîssimae patemitati vestne ubicumque Deo et Ecciesiae servire licebit,
ibi me semper béate victurum. Immo et exsilium foret tolerabile, si
decretum fl^set ob certa quaedam deiicta , quœ transire censentur. . .
(( Sed novitatîs in génère doctrinœ suspicio , si cui semel
injecta est, praesertim si per sententiam judicis, impressa adhaeret in
perpetuum, et nisi superioris alicujus tribunalis judicium sententiam
inferioris infringat, talis macula nunquam elui potest ; semper hominem
ejus modi suspectum habent supériores, atque adeo jus sibi putant
esse multa illi dura quotidie imperandi vel ad caatelam vei ad pœnam.
i£quales eumdem aut observant ut quibus oportet gratificentur , aut
fugiunt ne maia aliqu'a contagione laedantur.
« Scio , reverendissime in Christo pater, hoc praesertim
initio administrationis tuae^ non esse contristandos supériores ; sed nec
uiferiores omnino deserendi sunt. Vices illius geris qui personasnon ac-
cipit, aut, si quando accipit, non eos qui per se tuti sunt, sed quibus
defensore opusest, afHictos, iaborantes, ut ait, atque oneratos accipit.
« . . . . .At pauci- supersunt mihi' cursus theologici menses; at midti,
ut vi4(po, mihi supersunt persecutionis anni, quoniam illius initium
impune esse voluisti. Novi quod loquor norunt omnes ; sed nondum
convenit mysteria quaedam attingere; non attingam, reverendissime in
Christo pater, donec illud a me tam clara voce justitia postulabit, ut
in ea re certus sim me non iœdere officia caritatis.
« Vestrum illud intérim consilium sequar, quo mihi suadetur p*acifice
et religiose vivere. Quo tamen cjonsilio, ut ver^ dicam,iTiagis egere vide-
bantur persecutores mei; namquaeso, reverendissime pater, quis pacem
turbavit, ego, an iili? Et, si licet insipientem fieri, ut sanctus Paulus os-
tendit aiiquando oportere, quis mihi vitam minus rel^osam'cmjicere
potest ? semper aut oro aut studeo ; meditationi aut lectioni semper in-
tentus Ghristum discere modis omifibus laboro. Vix necessariam natjinp
rdaxationem permitto, vix domo pedem, aut potitis vix e cubicuio eflerre
consuevi. Pacem foveo cum omnibus; in nuUa unquam fectione, in ^
nulio cujusquaift gemitu nomen auditum fuit; cum meis duntaxat erro-
ribus ac vîtiis bellum gero.
« Hinc, reverendissime admodum pater, ubi mandatum de me Lute-
tiam a reverendissimo pâtre prôvinciaii venit, praeter meos duos tresve
ad summum accusatores meos, mirati sunt omnes. Dolebant, ut mihi
«ndique summa cum mea laetitîa renuntiabatur, hominem, ut voiebant,
non parum religiosum, domusque, ut dicebant, maxime pacificum, et
Allusion à |*élection récente de Tamburini.
f 4
••
af
f
168 JOURNAL DES SAVANTS,
certe laboriosissimum , tanta cum duritie tractari. Itaque, reverendis-
sime in Christo pater, non erit mihi difficile hic, ut semper alias, paci-
fiée et religiose vivere , sed fateor me pro judicio nudum a paternitate
vestra non sperasse consilium. Quum enim doctrinae novilas ageretur,
qua de re non îta pridem gravissime statuisset, cum nomine illius accu-
satores mei actionis suae, judex sententiœ invidiam tegeret, quiun déni-
que ad ipsumlegislatorem delcgis sua3 interpretatione rei intercessisset
appellatio; nihil videbatur œquitati, niliil tempori convenientius, quam
accusatores cogère ut actionem probarent suam; judieem, ut senten-
tiam, reum ut innocentiam. Erat etiam fortasse aliquod operae pretium
de novitatibus diligcntcr te judice disccptare, ne forte ex zelaoptimo
pessîmum illud oriatur scandaluni, ut dum novitati bellum indicitur,
veritati inferatur.
«Ita sanctum Hieronymum malevoli quidam novitatis insimulabant'
quod pro antiqua editione vulgata novam ad sensum hebraîci textus in-
ducere vellet, quum tamen, ut ipse loquitur, pro grœca fide veritatem
hebraicam Ecclesiae daret. Ita sanctum Augustinum aliqui etiam e ca-
tholicis palam culpabantur quasi nova quaedam de gratia; de liberq aibi-
trio, de praedestinatione commentus essel, quamvis, ut Ecclesiae de-
monstrat approbatio, nihil nisi (secundum) fidem catholicam. Sed cum
e longinquo exempla petimus, nonne et istis temporibus a quibusdam
etiam oithodoxis Molinœ nostro novitas objicitur, quia faciliorem exco-
gitavit gratiae cum libeftate conciliandaî rationem ?
« At certe, inquiunl, magnam de Cartesio , ma^am de Ma-
lebrancio opinionem habes. Esto, si Tobis placet. At, reverendissime
admodum pater, quo in Europae angulo nova aestimari haec opinio
potest P^uis eam nescit tam antiquani esse quam libros auctorum illo-
rum, tam communem, quam viros cruditos ? Sed quoniam hue recidit
tola accusatorum meorum incriminafîo, proinde totum meum crimen,
videamus, obsecro, quinam illi homines sint quos aliquanti facere taiT-
*tum est scelus.
« i"* Auctores sunt ita catholici, ut Cartesiusquidemifl Batavia degens
a ministrîs c^lvinianis pro dissimillato jesuita haberetur; Malebrancius
autem contra Arnaldum aliosque jansenistas multa scientiae mediac evi-
denter faventia de gi'atia et lib.ertate conscripserit. Ergo illos laudare
nec suspectum apud nos videri débet, nec invidiosum.
« a"* Ita docti sunt, tantumque luminis in omnes disciplinas intulerunt,
ut constet apud Europae totius eruditos per methodum Cartesii intra
annos sexaginta plures inventas esse veritatcs, saltemin physicis ac ma-
thematicis, quam per antiquain methodum intra mo annorum millia.
•
%
MARS 1843. 169
Nihil ergo videtui^ perîculosi si de illis nene sentiendo totî Europae non
dissentias?
(c 3^ Quis dicat tantam eos fanlam apud philosophos , non dico istos
vulgares , sed mathematicos gratis et sine ulio verîtatis auxiiio compa-
rasse? Imo quis tam hospes in phiiosophia est, qui multa ab ipsis in-
geniose et vere inventa esse nescit?
« Ita, révérende admodum pater, si qua apud iiios faisa et nov^ repe-
riuntur, muita apud eosdem vera atque adeo muita antiqua sunt. Ergo
sceius non videtur homines eruditis omnibus approbatos, ab Ecclesia
adhucindemnatos, aiicujus pretii sestimare; et, si quid in eorum iibris
veri alTulgeat, noA auctoribus sed veritati injuriam facit, qui verum
iilud, quia fortasse cum faisis admi}itum est, récusai agnoscere? Nemo
igitur eo dimtaxat nomine reus fieri potest, quia cum domino Des-
cartes tantum et pâtre Maiebranche aliquas habet communes senten-
tias , sed tantum si forte communes defendat errores , si forte tum pe-
ricuiosas quasdam opiniones amplectatur.
« Hoe erat, révérende in Christo pater, quod de me accusa tores meos
ostendere oportebat. Hoc erat quod toties a superioribus rogavi, toties-
que denegatum fuit. Et vere multo erat tutius me novitatis in génère
quam in specie accusare; faciiius erat horrendae-illius vocis terrore pa-
tris provinciaiis animumperceilere, quam me ex factis aut dictis reum
probare; cautius fuit certas quasdam, ut ioquuntur, no vas opiniones
mihi objicere, quam vel unam designare. Itaque absens, inauditus,
istarum ignarus rerum, damnandus fui; mihique postulanti accusa-
tionis in me instituts capita, quod vei nocentissimis in ipsa barbariœ
immanitate conceflitur, fuit omnino denegandum. Âtqui incredibilia
sunt ista. .Quid dicam, révérende admodum pater? Taiis est mea con-
ditio, ut facta mibi injuria judici meo persuadori non possit; sed non
aequum est ut gravitas injuriae securos faciat inferentes. »
V. COUSIN.
(La suite au prochain cahier.)
sa
-r
170 JOURNAL DES SAVANTS.
Mjbchondj BiSTORiA Seldschukidarum , persice e codicibtu manu--
scriptis Parisino et' Berolinensi nànc primum edidit, lectionis va-
rietate instraxit , annotationibas criticis et philologicis illastravit
Jo. Aug. VuUers. Gissae, 1887, in-8^
Mibchond's geschichte der Seldscuuken , ans dem pérsischen zum
ersten mal ûbersetzty und mit historischen , geographischen und tir
terarischen anmerkangen erlàutert, von Jo. Aug. Vulters. Giessen,
1837, in-S^
PREMIER ARTICLE.
Le nom de Mirkhond est bîen connu de toutes les personnes qui
sont tant soit peu versées dans Tétude de la littérature et des antiquités
de rOrient. On sait que ce fécond écrivain est auteur d'une grande com-
position historique , intitulée Raonzat-assafâ UuaJI om^j^ , c'est-à-dire le
Jardin de la pareté, qui forme sept gros volumes , et contient le récit de
tous les événements dont TOrient a été le théâtre, depuis les premiers
temps du monde , jusqu'à l'époque où fleurissait ce chroniqueur infati-
gable. Nous avons peu de détails sur la vie et les actioàs de notre his-
torien. Et ce fait n'a rien qui doive surprendre : un homme constam-
ment livré à la recherche et à l'étude des monuments historiques, à la
rédaction de volumineux ouvrages, à dû avoir bien peu de temps à
donner aux intrigues de la politique, aux soins de l'administration; et
sa carrière paisible et uniforme a , comme on peut le croire , présenté
une série non interrompue de travaux peu variés , bien utiles sans doute,
mais bien peu propres à piquer la curiosité des lecteurs. Feu'M. Jour-
dain, dans une notice particulière, et M. AudifFret, dans la Biographie
universelle , ont recufeÛli jadis des renseignements sur la personne et
les actions de l'historien. On peut y ajouter un petit nombre de faits.
Au rapport d'Ali-Schir^ et de Khondémir, fils de Mirkhond ^, celui-ci
eut poiu: père le seïd, l'émir, Borhan-eddin-Khavend-schah. Ce" der-
nier, ainsi que ces titres l'indiquent, réunissait en sa personne la con-
sidération qui s'attache à une illustre origine , puisqu'il descendait
d'Ali, le gendre de Mahomet, et celle que procure dans le monde une
position élevée et brillante. Voici les détails que nous donne, sur lui,
son petit-fils Khondémir * ; « Le 'seïd Borhan-eddin-Rhavend-schah étaiit
' Koulliati-NevaU/i. H, fol. 780 r'. — » Habib essiiar, t. HI, fol. 220. — ' Ibid.
fol à3a V.
^
MARS 1843. 171
le quatrième descendant de Khavend-seïd-Âdjall-Bokhari, qui tenait
un rang distmgué parmi les principaux seïds du Ma-wara-annahar, et
dont la généalogie remontait jusqu'à Ali-Zeïn-alabedîn , fils de Hosaïn
et petit-fils d*Âli. Le père de Témir Khavend-schah se nommait Kemâl-
eddin-Mahmoud. Au moment où ce dernier mourut, Khayend-schah
était enoofe en bas âge. Forcé par des circonstances impérieuses d aban-
donner sa patrie, il vint se fixer dans la ville de Balkh, où il se livra à
rétude des sdéOces et à l'acquisition des connaissances théoriques et
pratiques. En peu de temps il prit place parmi les plus savants hommes
de son siède» et ne s'occupa plus désormais qu'à se préparer au voyage
de la vie future. Ayant quitté Balkh, il se rendit dans la ville de Hérat,
et se lia avec les scheikhs de cette capitale. Le schelkh Beha-eddin-Omar
conçut pour lui l'amitié la plus vive; au point que, dans la maladie dont
il- mourut, il ordonna, par son testament, que la prière sur son corps
fôt faite par fémir Khavend-schah. Un jour, à cette même époque, le
schdkh, ^'adressant à Khavend-schah, lui dit : « Seïd, nous désirions
u rester ensemble; mais le sultan Ahmed-Khazrouieh , vous prenant au
(( collet, vous a entraîné de son côté.» Nous verrons plus bas que cet
émir fut , en plusieurs circonstances , chargé de missions importantes.
Après la mort du scheîkh Beha-eddin-Omai*, il quitta Hérat , et retourna
à Balkh. Il y mourut l'an , et fut entenré devant la sépulture du
sultan Ahmed-Khazrouieh ; et ce fait offrit l'explication du mot que le
schelkh- Beha-eddin-Omar lui avait , comme nous l'avons dit , adressé dans
sa dernière maladie. Khavend-schah laissa trois fils , savoir : j "* Emir-
Khond (oaMirkhond) Mohammed, père de l'historien Khondémir; a"* le
seïd Nizam-eddin-sultan- Ahmed , qui, dui*ant plusieurs années , occupa
le rang de sadr auprès du sultan Bedi-ezzeman-Mirza ; 3** le seïd Nimet-
allah, qui, dès sa naissance, était livré à des états d'extase, et dont on
lieut citer quantité d'actes extraordinaires et surnaturels. »
L'an 85o de l'hégire, une division funeste éclata entre Mirza-CHug-
beig , fils de Schah-rokh , et Mirza- eddaulah , petit-fils de ce dernier
ptince. Au moment où l'oncle et le neveu se préparaient à ep venir
aux mains ^ Ala-eddaidah , voulant prévenir les maux qu'une pareille
lutte allait faire tomber sur l'empire des descendants de Timour, songea
sérieusement à faire la paix; et, pour réussir plus sûrement dans cette
entrepris^ honorable, il eut recours à la médiation du scheîkh Beha-
eddin-Omar, dont il a été fait mention* plus haut, et que la haute consi-
dération dont il était environné rendait plus capable que personne de
« « .
' Mirkhond, VI* partie, man. de T Arsenal, foi. 207 v**.
22 .
172 JOURNAL DES SAVANTS.
conduii*e une pareille n^ociaiion. Le scheîkh ne pouvait refuser cette
noble marque de la confiance de son souverain. Il se mit en marche,
accompagné d*un nombreux cortège , qui se composait de ses disciples
et de ses adhérents. De ce nombre était Témir Khavend-schah , père de
notre historien, et Mirkhond lui-même, qui devait être âgé d'environ treize
ans. Ce dernier, malgré son extrême jeunesse, prit la liberté de repré-
senter que la lune , étant dans son plein , permettait d'avancer avec une
plus grande rapidité. Cette observation fiit mal accueillie du sèheikh ,
qui traita durement le jeune homme, et demanda avecT aigreur quel
rapport il pouvait y avoir entre la marche de la lune et celle des négo-
ciateurs. Et cependant l'événement vint donner un démenti aux asser-
tions du scheîkh , et prouver la bonté du conseil qu'avait donné Mir-
khond. Car, avant l'arrivée du scheîkh et de sa suite, la bataille s'était
engagée, et avait amené, avec une grande effusion de sang, la défaite
complète d'Ala-eddaidah. Non-seulement ce voyage ne produisit aucun
résultat , mais les négociateurs furent pillés par Jes Turcs et dépouillés
de tout ce qu'ils portaient avec eux ^ L'an 8611 ^, Sultan-Ibrahim, fils
d'Ala-eddaulah , voulant conclure la paix avec le sultan Abou-Saîd , fit
partir pour la ville de Balkh le scheîkh Beha-eddin-Omar, auquel .il ad-
joignit rémir Khavend-schah , père de notre auteur.
Il existe sur la vie de Mirkhond une anecdote rapportée par lui-même ,
et qui , bien que publiée par M . Langues , n'a , ce me semble , attiré l'atten-
tion ni du savant éditeur, ni d'aucun autre bic^aphe. Voici de quelle ma-
nière l'auteur raconte le fait ^ : « A l'époque où Yordou (la cour) auguste du
roi de la terre et du temps, Abou'Igâzi-sultan-Hosaîn-Behadur, avait éta-
bli son campement d'été dans le canton de Badghis , l'humble auteur de
cet ouvrage, appelé par une affaire importante , se dirigea vers ce point,
et les circonstances l'obligèrent de s'y arrêter durant quelques jours.
Sur ces entrefaites, le roi de l'islamisme prépara une grande chasse.
La nuit qui précéda le matin où les troupes devaient se former en rangs
pour cette expédition, quelques-uns des principaux personnages de l'État,
dans la société desquels l'auteur passait son temps, lui représentèrent,
avec de vives instances, qu'il fallait, le lendemain, assister à la chasse.
Je leur répondis qu'il m'était impossible de consentir à ce qu'ils me
demandaient. Conmie ils voulurent connaître les motifs, de mon hési-
tation, je leur dis : Il est possible 'que demain je me r.enAe coupable de
quelque négligence qui attire suc moi la colère du prince et des châ-
* Fol. 258 r". — ^ Fol. 283 v*. — ^ Notices et extraits des manuscmts, l. V, p. 227-
229.
MARS 1843. 173
timents rigoureux , dont le moindre consistera à me percer les oreilles
ou le nez. Malgré mes représentations, au moment du lever du soleil,
ces personnages importants m*enunenèrent avec eux et me conduisirent
sur le terrain de la chasse. Durant If^te la matinée je courais de côté
et d*autre, comme un oiseau à moitié tué. A Tépoque de la prière de
midi , le khodjah Ali-Akbar-Djeschti-Soufi , le scheïkh Sadr-eddin-Ra-
wasi, ^cheïkh'alislam , Thui^ble auteur de cette histoire, et un autre
membre de notre société , sortirent des rangs, se retirèrent dans un
endroit écarté , pour accomplir ce devoir religieux. Tandis que nous
étions en marche, quelques tawadji vinrent à nous et nous dirent, du
ton le plus sévère : Retournez sur vos pas , car Témir vous demandé,
n nous fallut de toute nécessité tourner bride et nous diriger du côté
que ces hommes nous indiquaient. Eux aussi nous accompagnèrent, se
proposant d'exposer à Témir la faute que nous avions commise. Pendant
la route ils tirèrent de leur carquois des flèches , dont ils posaient la
pointe sur nous , en nous disant : nous allons , dans un moment , *vous
percer le nez avec ces flèches. Nous nou% résignâmes à notre sort. A
peine avions-nous fait quelques pas que nous aperçûmes le seîd Ahmed,
émir-akhor (grand écuyer), et chef des tawadji, qui faisait son ablution.
Comme il avait avec nous d'anciennes relations d*amitié , il nous dit seu-
lement ces mots : Quelle affaire vous fait donc quitter les rangs des chas-
seurs? Nous lui répondîmes : Nous aliîoDs satisfaire au devoir qui vous
occupe en ce moment. Ce discours le fit sourire , et il nous accorda de
la meilleure grâce la permission de partir. Ses serviteurs, qui s'atten-
daient fermement à nous voir accabler de reproches sévères et à extor-
quer de chacun de nous ime sonune considérable , restèrent honteux et
confondus. Nous retournâmes tranquillement dans nos demeures ; mais
l'humble auteur de cet ouvrage , par suite de la terreur que lui avait eau- .
sée cet événement, éprouva une maladie de quelques jours. Durant la
nuit, des songes effirayants s'oflraient à lui; et, avant son départ, il jura ,
en prenant le nom de Dieu à témoin, que désormais, quelque instance
qu'on lui fît, il n'assisterait jamais à aucune partie de chasse. ».
Suiyant le témoignage formel de Khondémir,' dont le passage avait
été communiqué par moi à feu M. Jourdain , Mirkhond mourut fan 90 3
de l'hégire.
Mirkhond et son fib attestent que le grand ouvrage historique inti-
tulé Raouzat-assafâ Ua^JI «^^j^; , c est-à-dire le Jardin de la. pureté , qui
forme le titre imposant par lequel l'auteur se recommande à l'estime de
la postérité, fut entrepris et poursuivi h l'instigation de l'émir Ali-Schir.
Et ce dernier, dans l'article biographique qu'A a consacré h Mirkhond,
174 . JOURNAL DES SAVANTS.
et dans lequel il vante en termes pompeux les talents distingués de cet
écrivain ) s'applaudit vivement d'avoir, par ses conseils, par ses instances
répétées, vaincu la modestie de cet honmie honorable, et d avoir ainsi
contribué à doter la littérature jbersane d'une production si éminem-
ment remarquable.
On sent bien que la rédaction d'un ouvrage de ce genre, qui se com-
pose de sept grands volumes, a dû exiger up temps considérable. Dans
plusieurs endroits l'auteur prend soin de rappeler quelle était l'époque
où il écrivait chaque portion de son réeit. Ainsi, dans la sixième par-
tie, il indique successivement l'an 897 ^ et l'an 899 de l'hégire 2, ou,
plutôt, je suis persuadé que la première date est le produit d'une er-
reur de copiste , et que , dans les deux endroits , on doit lire ç**o neuf
au lieu de ^^ sept. Mais, d'après un témoignage formel, on peut croire
que Mirkhond avait publié longtemps auparavant, et dans un volume
séparé , la portion de cette histoire qui contient la vie de Schah-rokh ,
fils de Timour. En effet, ainsi que je l'ai rapporté ailleurs, l'écrivain
Abd-errazzak, qui mourut l'an 887 de l'hégire, rapportant les faits qui
signalèrent les premières années du règne de Schah-rokh , cite expres-
sément le Raouzat-assafâ de Mirkhond. L'auteur, après avoir terminé
•la sixième partie de son histoire, se proposait de rédiger un septième
volume, dont il parle en plusieurs endroits,. et qu'il annonce comme
devant infailliblement voir le jour. Suivant le plan que l'auteur parait
avoir adopté, il semble que ce dernier volume ne devait pas contenir
une histoire suivie d'un règne particulier, mais un recueil de faits iso-
lés, réunis ensemble , et traités avec tous les détails que chaque sujet
pouvait comporter. Il annonce ^ que, dans cette partie de son ouvrage,
il se proposait de raconter l'expédition que le sultan Abou-Saîd avait
entreprise contre la province de Mazenderan, l'an 864 de l'hégire. Or
la sixième partie de fliistoire de Mirkhond nous offre un récit complet
de la vie et de la mort de ce prince; mais l'écrivain, craignant, sans
doute, de donner à sa narration une étendue démesurée, avait cru de-
voir exposer quelques faits d'une manière succincte, se réservant, lors-
qu'il publierait son appendice, d'y consigner les mêmes événements avec
des détails dont rien ne gênerait le développement. Mirkhond, ainsi
qu'il nous l'apprend^, devait, dans le même volume, raconter tout au
long le récit de l'expédition entreprise par le sultan Hosaïn-Behadur,
pour soumettre la province de Khorasan. Enfin ^, l'histoire de Mirza-
* Man. de TArsenal, fol. 3oi r*. — * Ibid. — ^ VI* partie, raan. de LÂrscnai,
fol 287 v'. — '* Fol. 290 1^ — ' Fol. 3oi v^
*%
MARS 1843. 175
1
:\bou-Bekr, fds d'Abou-Saïd , devait également trouver place dan? ce
volume. Mirkhond a-t-ii réellement écrit cette dernière partie de son
ouvrage, ou bien son projet est-il resté sans exécution? Si Ton réfléchit
que l'auteur termina, dans Tannée 899, la sixième paitie de son his-
toire, si Von se rappelle qu'il survécut seulement de quatre années à
cette dernière époque, puisquil mourut Tan 903 ; si Ton pense que,
dans un espace si court, des occupations de tout genre, des soins
qu'exigeait une santé chancelante, ont pu ogposeraux intentions de
rhistorien des obstacles insurmontables , on sera tenté de croire que
Mirkhond, surpris par la mort, n'a pu réaliser le projet auquel il de-
vait consadter le reste de sa laborieuse vieillesse, et que cette partie de
Touvrage n'existe réellement pas.
Nous lisons, dans l'ouvrage historique intitulé Alem-araî-Abbâsi^, que
le prince , fils aîné du sckah Mohammed-Mirza , se disposant à marcher
contre Içs Tiuxîomans rebelles, avait devant lui le Raouzat-assafâ.
Il IWvrit , afin de voir quel passage se présenterait à lui , et lui indi-
querait la conduite qu'il deyait tenir. Il tomba sur le récit de la révolte
de l'émir Tchouban contre le sultan Abou-Saïd.
En voyant la masse énorme que présente la composition historique
de Mirkhond , on reste étonné et eflrayé des recherches immenses qu'un
pareil travail semble avoir exigées. Toutefois, il ne faut pas pousser
trop loin l'estime qu'on serait tenté d accorder à l'érudition ^t à la sa-
gacité critique de l'auteur. Cet ouvrage n'offre, en grande partie, qu'une
compilation , extraite d'un petit nombre d'historiens , dont on pourrait
facilement donner la liste. Il est même surprenant que Mirkhond. qui
vivait dans la ville de Héral, capitale des descendants de Timôùr, et
qui devait avoir à sa disposition la bibliothèque rassemblée par les soins
de' ces princes, n'ait pas consulté plus fréquemment cette foule d'histo-
riens célèbres , mais dont* nous ne connaissons que les noms , et qui, se
trouvant certainement réunis dans cette vaste collection , ne pouvaient
manquer d'offrir à leui abréviateur une source abondante de ren-
seignements précieux et authentiques. Mirkhond, il faut le dire, s'est
trop souvent borné à présenter à ses lecteurs de longues et firoides nar-
rations de batailles, un i*écit abrégé et sec des faits les plus importants.
Quelquefois dix années fécondes en événements de toute espèce se
trouvent resserrées dans une page ou deux , tandis qu'une anecdote ab-
surde ou insignifiante occupe cinq ou six pages. L'auteur a négligé com-
plètement ce qui concerne rhistoire littéraire ; il n'a nullement songé
* Man. pers. de Bruii, II, fol a5a r* et v*.
^
176
JOURNAL DES SAVANTS.
i
i consignei" dans son ouvrage des faits intéressants qui peignent tes
moeurs d'une nation, l'esprit d'une époque. Conçoil-on, par cxompie,
que, dans i'histoire qui va faire fobjet de cet examen , en traçant le ré-
cit du règne de Meiik-scliah , il ait presque oublié de faire mention du
chaDgemeQt que ce prince introduisit dans la chronologie de la Perse,
et d'indiquer cette ère appelée, de son surnom, Djelaléenne, et qu'il
substitua à l'ère de lezdegherd , le dernier monarque de la dynastie des
Sassanides. On peut dirç, en effet, qu'il l'a presque oublié, car, au lieu
de traiter ce sujet avec les détaib intéressants qu'il réclamait, il se con-
tente de placer, à la suite de l'histoire du règne de ce prince, cette
pbrase sèche et peu instrurlive : «C'est de lui que l'ère Djelaléenne a
pçîs son nom."
L'histoire de Mirkhond ofirant, comme je l'ai dit, un exposé de tous
lesfaits qui concernent l'Orient, de toutes les révolutions dont cette
contrée a été le théâtre, les savants qui ont pris l'Orient pour objet de
leurs investigations ont consulté avec eitipressement cette source qui
devait leur offrir des matériaux si abondants. De nombreux morceaux ,
extraits do cette histoire, ont été ou sont encore journellement pu-
bliés, soit dans la langue originale, soit dans une traduction phis ou
moins littérale. Je ne m'arrêterai point ici à présenter la note des frag-
ments de ce genre qui op^t vu le jour depuis quatre-vingts ans, et je
me hâte da venir à celui^qui doit faire l'objet de cette notice. M. Vullers
:i choisi ri;iistoire des Selqjoucides. Et, en elfet, si l'on considère la gran-
deur et l'importance des événements qui ont signalé le passage de cette
dynaBlie,sur la scène politique, le nombre d'hommes éminents qu'elle
a produits, on se convaincra que peu d'époques historiques pouvaient
présenter à fattention (fu lecteur un spectacle plus imposant. Maiheu- '
reusemenl, il faut le dire, le chroniqueur persan ne parait pas avoir
bien compris la noble lâche dont il s'était chargé-, et, à la place d'une
•narration vive, animée, riche en détails curieux et piquants, il nous
offre trop souvent un froid récit d'interminables opérations mihtaires,
ou des renseignements dépourvus d'intérêt et quelquefois peu vraisem-
blables.
L'éditeur a publié cette histoire dans son entier : le texte persan.
qui forme im volume in-S" de ^80 pages, a été établi, d'après la com-
paraison de deux manuscrits, dont l'un appartient à la bibliothèque de
Berlin, et l'autre se trouve à Paris, dans la riche collection de fArse-
nal. Les variantes des deux exemplaires ont été scrupuleusement indi-
quées au bas des pages. La traduction allemande, publiée la même
année que le texte original, et de même format, se compose de
A *
MARS 1843. i?^V
477
»
f
ih6 pages. L'Babile SStJ^ur se^t attaché à ««produire exactement, jbn ,, 4
texte, sans toutefois s'apiitèiii^ê à ofTijf 4uie veraon purt^ment' littà^ale. ijl'^
Et, il faut le dire, il aurait pu, dans plusieurs passages, suiyrede ply^'#
flfès le texte, et représenter avec une exactitude encotejp^uSr
leuse l'es expressions dè^* original , dont il était appelé à offrir^^l^
fidèle; car, plus dune-fois, il 5*est content4de reproduire le sommj
des idées de Tauteur, sans s appèsanti£^|j>n^va^)ar de ckpq[ue nSP
pourtant , cette djernière tâch épurait eu^ je crois Men , unf utîli|^^ll»]
surtout -lorsqtie Ton songe ql|^et opi^j^ge -est destiné S être^^eotî^
les mains des personnetj^îY^eulent ^éttR^^-^ fond likMngue •persfjie ,
et qui , n ayant point à leurllîsposition le secours précieux d'usé fo^
truction orale , sont trop heureux de trouve^ dans, rédâàâi^ du iMlW'
quilPont sous les yeux, un gui(^ complaisant, kui prenne^om 4s^^|r
[ire bien comprendre ceViaiotisav
apISTnir les difficultés et de
insolites que présentent, à dBfque pas7 im écrivains de i!Cb:ienUJ|}ès
notes jpatjructives, placées^u-dessous ide^ verdon, oflreiiti^.i^ppTo-
chemeqtjde ce que les historiens^-et les ^(^OfiTapS^ orientas '«.publiés
jusqu'ici, et les écriv&îns mo^mes, siirt(mt Dherbelpl ^JDwp^es ,
M. de Hammer, M. Siivâstre de Sacy et autres, nous offretil de ren-
seignements pfiopres à jeln^ jour sur les faits qui concernejit la dy-
nastie ^s ^eldjoi&cid^. ' *^^
i
-*■■■
Cd!niï>e"ïouvn^6^ilblié pat M: Vul^e»d52PB,^|Mfi^ siiite de-58n im-
portance, t^uver un gçaria' nombre de lecteurs, être expliqué pm*
sieurs foisddos les leçons pubfig|i|^s^ professeurs, et que, pj^gj^a^l
ment, il obtiendra les Tionnemfvdl^e secon^e^ édition. Je ci
une chose utile en communiquari| sniP^'yblic instriiit et en souml
à rhabile éditeur un certain nombre de conjectures que^nsla sugg^rees
une lecture attentive des deux volumes, et qui pourront'rjé'croisi con-
tribuer en quelque chose à Tamélioration d« textç^^et de latl^uQtJon.
Mirkhond.^ , ^parlant de Daiçak, l'un des ancêtres d<Kla dyoastîeaes Sel- *
djqpcijes , dit que les Turcs Khozars le désignaicint par le nom de Temar-
b^u^^^-^j ce qui signifie ^tTo^i^, c'M-à-cUre celui qai possède unA
arc pvàssant M. Vuilei^ fait remarquer crap Dherbelot eljpiçguignes ont
ts^psi^-iç nom turc par le mot tazim^-j^ il n'ose^écider quelle est
leçon. Pour moi je croîs ^{vili^Tune et l'autre transcription
^nt fautives, et qu'il faut lira-: temar-icâ-lig ^ ^^,j^^
turc orientidj^/aî qai possède an arc de fer. . '
ipli JJU v^A^fyjjyt ne signi|ient pas, je crok^ l'e/afoir
P 2^ •
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178 JOL'HNAL DES SAVANTS.
du livre intitulé Melik-ndmeh, mais le tradacteur. Et, en effet, le titre
seul de a^l* JX» démontre que ce livre avait été t'crit en persan. Or
le passage cité par Mirkhond est en langue arabe. Il est donc clair que
l'kistorien persan avait sotis les yeux, non pas le texte original, mais la
version arabe de l'ouvrage dont il invoque le témoignage.
Ala page suivante , au lieu de «A^ ^s^h '•^**-^'^-»i H li*"! lire: cxiLii.
Plus loin', les mots ajj yU» JjoI^ Jj,». jt n'offrent pas un sens bien
clair: et M. VuUers, on traduisant, a éludé complètement la difficulté.
Je crois .qu'il feut lire : alJw yW- J^li>* 'î'-*^ j^ - ^t traduire : " il re-
mit son lime entre tes mains d'Azruil ( c'ést-à-enre , de l'ange de la mort).
Plus bas'', au lieu de (_f-l;,jl faut lire u-W, et traduii-c : par saiie de lear
extrême coararje. n ,
Je prendrai la liberté de faire obséP(er :'i M. Vuliers que, dans les
mots ^'w i|ij-^ *-^y', qui se trouvent r<^pétës plusieurs fols, le s fmal du
mot *r*-y ne Hoil pas recevoir le hamza^. Les mots* (j*)jj 14)** j^^
j>j)\ >Xj|y;i jjyJôj Aife jjjfti. jt jisU. sont ti'aduils par M. VuUers,
damit er iiicht etwu eine Entschatdi^Hng vorbringe, c'est-à-dire, «afin qu'il
ne puisse produiie aucune excuse. j> Mais , ilne s'est pas aperçu qu'il fal-
lait lire (^ap au lieu de tsj^- Il faut donc rendre ainsi ce passage :
« afin que , si une idée de perfidie entrait dans sa pensée , il ne pût la
réaliser. » Je ferai observer que, dans plusieurs endroits , le mot JUxil *
a été , jiai' erreur, substitué à celui de JUiiiû! ; dans le passage ^ yLi. j^jlJ
•^jTx'l>y-'W i£A} tsV^fJ ^^' y fallait rendre les mots ^rt-^-j ^^,
qui signifient « de la manière la plus bonteuse. » A la page suivante'', on
lit : i-iwili jlyiil y U. liUjl \t ; mais il faut écrire : yVi. liU^Li ou JJsîl JW
ytÀ.. En effet, la préposition \i n'est nullement synonyme de v ou *;.
Elle répond constamment à la préposition arabe*-», et doit se traduire
par avec ou malfjré. Ces mots'' ijsj^ (j*!:> jl t::***» i^^ yU*ii «^ J-pj?
•>-i.ij bI;^U ne sont pas assez fidèlement rendus de cette manière :
" peut-être que leurs ennemis cesseront de les poursuivre; " il faut tra-
duire : " peut-être que nos puissants ennemis seront hors d'état de porter
la main sur le pan de la robe de notre honneur, » c'est-à-dire , " ne
pourront attaquer notre réputation, a f '
A la page suivante ', au lieu de ^-S i})!*!^ y i ju (,*iJ<-* U**ï*a*3: yjl,
t
' P. 6el7. — 'P. 7. — 'P. 9, xk. ai, 89. etc. — * P. 9. — 'P. lo.—'Pj^i.
MARS 1843. 179
il fauMpB is*^^ ' et traduire : a votre réunion aboutira 'k cela. » Cest •'
ainsi ^[!^, "plus bm^^ans iS^tte phrase: ^^àx^ ^lâ^t JUa ^b^
.^Uf^ cj|5^ufj^^ au mot ^y»àjî<y , substituer ^^làdU, pt traduire :
tm^tié et l'affection qui régnent entfe vous aboutiront bjentot à
ié^et à la r^ke; » En/^t, le verbe arabe Jj^nk, à la qtiatrièm%
cdnjfiflH|bOD|^igniQeajTÎv#r, aboutir. Au lieu de^ »:^^) 2lk^ijjy^'J\,
que M. ^IhliHers ^vlÇ^^ ' ^^ engageant dans une gijierre la fanodUe ^e
oeldjpuk^. û' faut T^tj^i 2Lk^, e£^pAHuire : «ayanti^plpe^ye^^ mains les
membces de la bmille de Seldjouk. » Plus ^^ 7?!' J^ àe JouâJb
Jl^^l- 6^1, il 'fHI/^ UKte, 'aifje ne lïfé trompe : ^\:^\ (jjrfflff^"'- , ce qui
est la formule^àsiié^ife ^tôreille circonst£g:ice£' AiUéurs'^^u lieu de
»JU> ^Umi (des li3ns ilbisibles)^î^iifaut lire aJjU» >^f', c*est-à-dire; («des
lions exercés à la guerre, au carnd^e. » Car cest là une locution consa-
crée, qu'emploient constamment les écrivains arabes, et, à leur exemple, '
les auteurs persandUl^lus bas^, au lieu de ces mots. ^ S^^ jt «^
jêSjsJ ^^ ^ aaJB^^ j£|^ ^3 , qui signifieraient : o après mie les deux
troupes et que le^ste des 4eux armées furent FÉHI^s Fuiï
lautre , » il |aut lire : a3«|. et traduii^e : ,a après que les aéux troupe
furent approchées l'une « l'autre , et que les deux armées furent rangées
ei)u bataille. )) Plus bas^, on lit, dans le^^èxte imprimé : ^j^ ^xxaS
^y\nïmé\ ^^ jiamif^^^e qui n'offre pas un sens çphvenab^e. Il faut
écrire bjA^o^^ et traduire : a eux (les Seldjoucfdes) , ^ièvinrent une
mille de^^esse, une mer de triomphe.» Dans la même nage, aux
motS'Lâi /5>âAj if &ut substituer UUâi (^^àM^ aquelques-im^'cKto^vé-
nements. )&Plus bas"^, au lieu du mot ^«x^, je lis: ^J^, et je tra-
duis : « s'mquiétant fièu du nombre des soldats. de son adversaire et
dé la quantité de ses provisions de guerre. » Les mots ^j]jfX.jLf ^\.»A^.t
0>^^\ôJJÉ offrent'u^e faute érfdente« Il faut %e::»jlJs^/ c'est-à-dire ,
. jril n'est point nécessaire de répéter ces faits '» Au Jieu Me ces mots :
^JOUi àj^ c^Jip vb^ > iî faut lire : <>sjucj^ j^ , et traduire : « ils tom-
bèrent dans le sommeil de l'apathie. » Plus bas*, on lit, en parlant des
^^ chrétiens : «xJ^U <^ ajJU* %s*yJà (jX»oyS jS ^y^j^ *A^j^. M^. Vullgjfs<
après avoir rAidu le ^pxte d'uvft 'mi^qière t^rojppeu littérale ^ dit, dans
* P. i8 et 19. J»-: • P. 1 7. -/P^i .— • JflK.- • IWQvC- * P* 37, .^^^ P.4a;
— •?. 44. — •P.fci. ^- j'"--^.*
• a3.
<^>.
•#«
w^^
180 ,, JOURNAL R^jS SAVANTS.
sa note, que Son' doit probablem«>f linduirc de cetle-feani
kent^ich, Mar^i mit menschlichen Prœdikaten atijzascftmof i^ïffKes^à -
dire', dibs'enbrcentd'urnerllBîii'ie de toutes lej|q^uqâjï|ui conviennent
à l'huiQanité.u \t8i£.Ia phràje^c saorait comp6|tb»'ce^eçs. Au lii*n dr
Mi?>3, qui ne signifie rcciicment rien, jl faut iire j«ri>**. et Iradtiire :
niis mellont le plus grand soin à isoler de iVfarîe tous les attributs
(]Ui apparCienuent h l'humanité.» Dans la même page on lit : £^
*^**V**3!>*-'1>* ****" • ^'^ *ï"' n'oflilftjCBenenieiit auuun sens ; car on m;
peut pas din0 : "tesoldal de l'arpiéeVélève au nombre diin million^ »
il faut lire :^\^m jW«. ce qui signifie mot à mol, «la uoiiccnF.i3ç î'ar-
aiée, » c>st*^à^dire. «la niasse de l'armée. » Telle est, ea effet, f» signi-
ficatioB»d(Mermc persan jjt*-!. On lit dans l'Ilistçhe (l'es Mongols, de
Raschid-eddin ' : JL^^ «J^l^Uà Jjjf'^Ç^— "la niasse des ferres de
.l'ennemi s'est montrée. » Plus !oin^:J*i 1*-*^ jitjiAi ^^ "la masse
de l'armée se fit voir.» Dans le Zfl/cr-ndmefc ' v'-Nî**-» Î;j4U* â^
"il ne vit -pas la masse de l'armée." Dans rHiftoir*._4c Mirkhond * :
Jw^^s*j!>* j1>*-j »^-• ($W" " la masse de j'armée* s'élève k un mil-
, Hoti d'hojnnJes. " Ailleurs^; b-Xj» Ijjl al--" iÉ^(y«'nayanl vu la niasse
de sOD''année;n et*: »Aji jjs^IfU™ jUwvinyant de loin la masse
de l'armée, n Dans l'Histoire' d'Abd-crrazfek ~ ; jl* aLw. ^L*-. yïjl^
Jtj^A nies tiorabal (coureurs), aperçurent la masse de l'armée en-
nemie.» Plus bas*r fcjLjÇp U »L-y jUm.jI "fuyant devant la masse
de notre armée. « Dans l'Histoire de l'Inde de Firischtah " : gijil jl,w
■-*a3>-^j^ rfM* «la masse des troupes de l'enneinî se Bl -voir.»
Dans VAnvari-SokaiU^" : Ji^Aj étj ^U*» jj* jt y^jj, n lorsqu'il vil rfi- .
loin la masse des "corneilles. » Dans la Vie de Schaii-Abbas " -.jXriiiX.*
■>^>yi oOIJi bUm jgU*»j^^ «ils attendaient que la masse^de l'armée
ennemie commençât à sèmontrer. 1) Plus Bas'"^ : *-*tl>_pàlji ylÂ^I S'^i^^
^ji ««Nî*.;^ ^leur ïïimée n'avait pas encore disparu;» et enfin "-^
StX-ï ijA^ ji^KtA jUm « la masse de l'armée se montra. » Le mot arabe
il^*». (Juî répond au terme persan jgU*», -présente la même significa- .
- .-■ . /^
' Man. peM. 86 A. fW. 34a »'. — * Fol. 344 i*. — ^ De mon man. fol. iH r'.
—■ ' IV partie, fol. 85 r°.^ — ' VI' partie, fol i-]ir\~'?ol-3,^by'. — ' P'parlie;
de mon man. foi. i44 r'. — ' Fol. 147 y'. — * T.Il, p. 35. — " Fol, 95 r
" Man. de feu M. Silyestre de Sacy, fol. 1 15. — " " ■■ - ■
''^
r
't
J
MARS 184'3. ' 181*
tion. On lil , cl a iis~ l'Histoire des Gaznévi^s de Mirkbond ' : sl^ »\ym
UM»J J^<>i^ li •XÂA i^U^^M fjif-A jù _y,'%m\ «la masse de l'armée de
l'islamisme disparut au milieu des bataillons indiens, n Je pourrais en
citei»- un^ grand nombre d'exemples, mais ils ti^uveront içur place
ailleurs; elje m'arrête ici, ne voulant pas prolonger trop cette discus-
sion philologique.
j'T'hr'Mge suivante '^ on Ht : *j^ •>^lf a>w^^IA-« (j^Jy. L'éditeur a
cruTievoir sidistiluer la leçon^l*-» à celle de^Ajliiw*^ que présentent
i. manuscrits. Il traduit, .en conséquence, den Feint! anziigreifen
(att0Q[uer l'ennemi). Mais, dans c
;,il faudrait, au lieu dci^^Aj, lire :
"^î^. Je ci'ois qufc la leçon des manuscrits se rapproche plus de la véri-
table, cl qtfîl faut écrire :j*îl«>»j (jj.->^ . et traduire: «avec ces mesures. "
Plus bas',- on lit dans le texte : »:>j.fe A» uijj.i- J3U1 6^. l-'éditour
a cru devoir adopter la leçon JiLïl au lieu do la leçon Jbl, que prt*
sente un des manuscrits, et qui u'ollre aucun si.-iis. Mais je crois qu'il
faut écrire i J W . et traduire ; <• ayant arraclic l'aibre de sa fortune. "
Phis bas*, onwncontre cctttf plirase : <Siu caa.|^jui.I j^^jj^j) -yja u*».lj
>y3 .>vAl^>.j5^ \a*j ^yi fjijj tyaij], ïl s'est glissé ici ujoe faute
qui rend l'explication tout à fait ii\cerlaine. 11 iairt Jlre : j5at i»*? , et ti-a-
duîre : «le repos viendra après la victoire; la tranquillité renaiti'^
pour nous : après que nous aurons triomphé de ces liommcs injustes. "
Au lieuiîc^ ijUiXm àUïjîj i^ri^Ual -.yjtAj^ ^L a>x*j , il faut lire : |*Ijm.
■■t traduire : «je serai un esclave constamment soumis et obéissaitt au
sultan, n A la page suivante, au lieii de ç^th^^)^ u^V^' ^ '^"' ''^*'
cLLï-* ^l* u^J* ",I'o'"di"C auquel le monde entier obéit» : car telle
est îuvarîablemenLli manière doDt cette expression est employée chei
les écrivains persans. Plus bas, on doit substituer à yW«j»j ^l?^iiJ
les mots uW»i) t'S'jSUJ. Plus bas", au lieu de jljiïJl •>**— L yUai— , il
fuu.t lire : '^^>>J.I -^jum \t ^UaLb xte sultan ou Saad-eddaulah. » A la 4
pâte suivante ". on trouve ces mots : _y«-oï1 (^ y^lii . que iâ. Vullers
ti'aduit ; von den Satâtzen der jûngern kaiseriichea Pnnzen (des trésors
des jeunes princes -impériaux). Mais le texte est ici fautif; il faut
lire : ji-oVl {^j . et traduire : «les trésors des Romains. » J'ai donné
ai)feurs des détails étendus sur l'expression^jJwVl yii. Immédiatement
K0ÈS. le texte préseiite ces mots : A--sb uXolj A-i-ilj^jjsly» jl. M. Vul-
' P. 6a. — ' P. 7a, — ' P- 73, — • P. 77. — ' P. 79 .
' p. 8a
i
^
JOURNAL DES SAVANTS,
*182
■ lers, embarrassé, sans doute, de rendre le mot *.&»lj, qui n'ofi're au-
ruiîSens, l'a omis complètement, et s'est conlenlë'de traduire an kost-
baren Perleii ttndandern Kieinodien. Mais il est facile de corriger ce pas-
sage, enlisant, au lieu de KS,i\j . a^Ij; et d faut ti'aduire : nconsiflant
en pierreries, étoiles et effets ^écieux. o
A la page suivante, les mots (jljiijl*^ o^Xc n'ofirent point une
leçon exacte,, puisque, dans la langue arabe, ce n'est pas \ë terme
kj".*Xc , mais o^U qui désigne pâture .- mais on doit écrire |>*^;
car ce dernier mot indique a le' sac d orge qui sert à la nourriture
journalière ^dun cheval et qu'on lui suspend au cou, ii Les mots
ijivXrj v**'j' ^^ doivent pas se traduire par der aUgiitùje Geber; maïl
il faut dire : « le donateur qui ne reproche k personne ses bienfaits. »
A la page suivante '^, les manuscrits offrent ces mots ; y-^l yljA
«jwil j.<£>l*t ^Joi jyai j\ j^^o~y u'-*^ j' u'j-^' L'éditeur a cm devoir
changer le mot yt*» en celui de ^Jy■=^ , et traduit, si je ne me
trompe, d'une manière peu natiu'elle, en attribuant à la princesse,
épouse du sultan AJelîk-scbali, les expressions y'j*i; et j^y»-. Pour
moi, je CiTois devoir conserver la leçon yU»- , Je traduis : i^le pa-
radis, quittant SOS jardins , les hourjs, quittant leurs palais, étaient ve-
nus, dans cette réunion, contempler le spectacle," Plus bas*, il faut
effacer la préposition jj devant le mot J^. A là page suivante*, on
Ht ces mots : ^fi jj-rf^.w'rf yL»' yUaXw c:)fk*y jl j5f. M. VuUers,
dan» la note qui accompagne ce passage, s'exprime en ces termes :
iS'ic scripsi jj-^ fo niendoso sj*^ ulriust^ae codicis, optime enim in sen-
siim quadrat notioformœ IV. i. q, oral. .^ expedUîa. Mais je crois qu'ici
le savant éditeur se trompe; au lieu de ti./^ il faut lire s^^. Ce
mot, qui, de la langue des Turcs, a passé dans celle des Persans, dé-
signe un guide. On lit dans l'histoire de Mirkhond ^ r »Jv*lja J-ilf
. Jwt>ta^ 5j.i «étant soumis, ils prirent le rôle de guides.» Plus loin'^,
<xj>>m;ï Sjj^ yW- (** jl «craignant de perdre la vie, ils consentirent
k être guides, n Dans le ZaJ'er-nûmeh '' , ■*)».£ sj^ !;aX=-jXaJ f^V^^j^
u d fut le guide de l' avant-garde des troupes de Djeteh. » Une glose mar-
ginale, qui se trouve dans mon exemplaire, explique 3j-£ parles deux
mots jjiW et U^, qui, l'un en langue turque, et l'autre en langue
'P. 8
fol. i3. -
' p. 88. —' P. 91.%. 1
- * P 9^
MARS 1843. 183
persane, désignent un ijaide. Le même terme est encore employé plus
bas'. Ailleurs^: aJLwU. sj-4- Îju^'^j' (jW^jj «Toktamisch prit Oglaii
pour ^ide. » Ailleurs^ : aXI* sj^ IjjX&J » il sera le guide de l'ar-
mée.» Plus bas* : flijS'laJ* s!; sj^ " 'c guide s'était trompé de
route. H Plus loin ^ : ti^i-U. yLi^l sj^ J5**s- j.»^! n il leur donna poiii
guide l'ému" Djelal.» Kt *• yljjîWij yU=-^ dans le Matla - assaadeïn
d'Abd-eirazzak '', iXjtXÂ sj^ u^V^ O^ '• '"^^^ mêmes Turcomans lu-
rent ses guides. » Je croîs donc qu'il faut traduire le passage de celte ma-
nièr&i n si je pois être à l'abri du ressentiment du sultan . je m'engage .^
servir de guide à ses tro8^es. » Plus bas *, au lieu de tjjjJa'j Ij^' - il feiit
lire o'^Sj *L^I "les côtés et l^s. 1:001005. >< Dans la même page, au
lieu de >)yuLÉ> h.otXâ. , il iàut lire, avec un des manuscrits: «lu. t-MtU.
H une robe magnifique." Plus bas, l'éditeur a admis dans le texte'' ces
mots : .>^L^ i;:(âl^ «^^>V Ijc^^à^Um jjtaAjy^ yl • Mais, au lieu de
j**a.« il faut lire : yt^^. et traduire : « il donna la couronne du mar-
tyre à ce principal personnage de TEgypte de la souveraineté. « On
voit que l'auteur fait allusion ài'liistoîrc de Joseph, telle qa'dje est rap-
portée dans l'Alcoran.
Dans la même page, le texte imprimé présente ces mots : ^^
AjIjiCi »>^*^, que l'éditeur traduit de cette manière : HDaaerte es demi
aach nock eine Zeitianj,» c'est-à-dire, «il se passa encore quelque
temps, a Mais le mot S^ oQ^'S ""^ leçon fautive '", à laquelle Ufautsubs-
tituer rfS", et traduire : «il avança quelques pas.» Plus bas, au lieu de
ces mots : -y-Si Jyta-* jl «N*., qui n'offrent pas un sens bien clair, je lis :
tjliïs^ u il s'occupa de remédier au mal. n A la page suivante ", 011 l'au-
teur fait mention d'une bande de chameaux, le texte imprimé offre ces
mots ; Ajj ^jj i^W^ *â isW^ J"^- M- VuJIers traduit ; « que tous
étaient chargés de soie de Grèce, » Mais, au mofc tsUJ^ U faut substi-
tuer (i^fl^ . et traduire : « tous ces animaux étaient couverts de iiousses
de soie grecque, n Plus loin "on lit : a^ A^ila;^ dj^^ u^*^ h^ij^
.y^AykjJijjb isj\-y^. L'éditeur traduit : «il causa parnù eux une dis-
p^ïon telle , que personne n'en aurait jamais prévu une pareille. >> Mais
H ' Fol. ao t\ — • Fol. 78 r" — ' Foi. «4
— ' Foi. laS r°. — ' Man, de l'Arsenal ai, I
'"P 107.— " P. 108. — " P. lia.
r'. _ ' Fol- ia6 »'. — ' Foi. la^f,
J. agir- -'P. 96. — 'T, 99.-
WTW'
ISli JOURNAL DES. SAVANTS,
je q£ crois pas^mjç Ip texte puisse ricUement se prêter k cette inter-
prétation. En substituant au OBOt (^jl**; ceiui de_)l*>***-, je traduis : h il
mit ce corps de troupes teileaienl en déSferdre, que les soldats ^oiit il
se romposait ne se réveillèrent jamais, » c'est-à-dire, «ne songèrent
k *^ jamais à se rallier." Plus bas', au lieu de yj->JI i^>**, il faut lire
» * (jji!'>Jl>«^ H celui qui rend la roliàoii glorieuse.» A la ligne suivante.
ietexteoiïrecestnots:8J^A^I:>^(;MM:^ jj^^i- xt5'yrfW (j^^js i5>**j.
^^ que le traducteur rend ainsi i Beinamen Moa-zzi hatte er skh Ici sfiner
^" Befreiang seibst gegebcn , n il avait lui-même adopté le surDom de IVlpaezi ",
au moment de sa délivrance. » Mais il ni^est^ possible de souscrire à
cette inferprétatien . et je crois.dey<âr traduire ainsi : «Fécrivain appelé
^ Moazzi a emprunté i\ ce mot ( celui Je"(jjjJI >im ) ce flïrnom . qu'il
sest donné à lui-même. » M, Vullérs ne pai'ait pas avoir connu un fait ,
important , je,veux dire la sîgi^fication du mot ^ya~i^ . qui signifie un
surnom. Je sais bien que les dictionnaires n'offrent pas cette significa-
tion ; mais il esr^cile don démontrêr'îa vérité d'une nianîèrç evimnte.
On lit dft^la Vie des poètes de Devlelschah^ ti-oi.jT u>.jajj ^airf' *»-j
" voilà ce" qui a. donné naissance au surnom de Firdousi. n Plus loin ' :
•.;uhI «^m^:?- "ciïiïy is-^^*^ yfl^ " telle est l'origine du surnom de
.^i. I) Ailleurs*; ^^^^âi (j~l^l fë^L ^ JûL ^^amU.* «XiU». ^^m^ig
J_-*_4_»y y- Ufca < ^-*' J"*'-W i-jV" «JJ-*-* iS*°^^^ {lis. t^) 'j jS-^ «s"
^j^s ^*jj; " jf ne trouvais pas un surnom qui fi'it convenable. Je priai
le sclicïkh de vouloir bien m'honorcr d'un surnom. Cet bomme respëc-
• table. p-aça pour moi le nom de Sobaili. » Dans tê^Saiih-essiiarj-jàe
• Kbâiul^mir^ ; ij^ s o*^ S'^ " '^ prenait le surnom de Schahi. i
Tlnsbas**: Jj^j^ jUil yj j<ylJoLç !jj»J^ (^^ *;&*-.--) 1 c—U*
t^'L» J^Js^'jSja ^jaX^ juii convient quf lu m'abandonnes re siirnooK,
et que tu ajoutes à tes poésies un surnom différent.» Pms loin'':.
P ^i^^ ijoi*' s:aLl cx*i>o c»LAJ;fi ylj3 « daos ces gazel si éloquentes
' il adopta un fiurnom. n Dans les Mémoires du sultan Baber 1
Ayi tftftwfc. jl lyalse ^^son surnom était Ilosaîni.» Dans l'histoire , ne
' P, 1 1™;. — ' Man. ners, ai((. fol- aa r". — ' Fol. 77 v°, — ' Bol. 180 V. -
T ni, fol.-aioï'': — ^;6i((. — 'Fol. 3oo ï°. — 'Fol. 1UO Y'. ^ 'j*^ . -
^i^r
'* Vèé^ -J^'
%;
I
MARS 1843. - 185
l'Inde de Firisobtah'; J^U*_i ji ^.AJii^JâÂj oUs» ^ijà^^Ui ^^Xie nie
surnom que le poète prenait dans cet ouvrage n'est pas venu sous les
yeux de l'humble auteur, "Dans le traité de géographie intitulé Heftlklim
(ies.-Sept Ctimals), on Ht ^ : ouCç* joXitf is^^s ■Svj^-** t^H**" J*^ ■
«quelquefois il fait des vers, et prend le nom de Oalfati.n Ce mot
s'est introduil dans le langage arabe d'un âge récent. On lit dans la
Biographie des hommes illustres du xi' siècle de l'hégire': yaMim jA*;jI
jjf*i Aut— j «Ibrahim, surnommé Seïd-Scherifi. >> Plus bas*: [£<:oUi
^^U> -jjJt clyfciJl v'* ii« yflJ.=ïm^UJl ideMonnsc/ii, le poète, qui,
suivant l'usage des poètes de Roum (la Turquie) , avait adopté le surnom
de Fàizi. •> Dans le Lexique hiblîbgraphique de Hadji-Khalfa ^' on bt :.
jlA» yflXsÀil A^i J^i u le Maula Ahmed, surnommé Schani. n
Buis H même page . nu heu des mots uH^ ^, je crois devoir adop-
ter la îe^on ti*-0^ j sans frais, que présente un des manuscrits.
QLIATREMÈRE.
{La saite à un prochain cahifr.)
1
.^»
SàGGI di NATunALi ESPEUIENZE Essais d'expériences faites à
l'Académie del Cimento. Troisième édition de Florence, pré-
cédée d'une notice historique de cette Académie, et suivie de
quelques additions. Florence, iè^i, in-i".
>, DKtfXliîa ARTICLE.
Le premier des élèves de Galilée auquel s'arrêlc M. Anlinori dans
son ouvrage*, c'est Benoît Castelli de Brescia , moine hénédicliii , qui ne
cessa jamais de prendre la défense de son maître et de propager ses
doctrines. De (reize ans seulement moins âgé gue Galilée ^ Castelli se lia .*
de bonne heure avec ce grand philosophe, qui lui communiquait toutes
ses recherches, toutes ses découvertes. Aussi c'est seulement dans les
lettres de Casteih que l'on trouve la description de certaines expériences
*T.l,p.53i. — 'Fol'. i83 r*. — ' Manusc. de la Biblioth. royale, p. 1.0. —
* p. 71a. — ' T. I, p. a83. — * Sungi ai nalunli esperienze, p. 5. — ' Galilée était '
564 ; CeutelU vînt BU nond» en 1 577 . '
'> w
.-*
18fi JOURNAL DES SAVANTS,
de Galilée; c'est lui qui nous a appris que ie thermomètre' avait été
découvert par son illustre ami. Castelli est surtout connu par son Traité
de la mesure des eaux courantes , qui est le premier ouvrage didactique
où l'Iiydrauiique soit exposée d'une manière scientifique. A la véiité ,
Léonard de Vinci avait composé sur l'hydraulique un ouvrage rempli
d'observations ingénieuses-, mais ce traité , que nous ne possédons pas en
entier, n'a été mis au jour que depuis peud'annéeSv et il était inconnu
lorsque Castelli publia son livre.
Dans cet écrit , qui panit pour la première fais * en 1 6 'j 8 , et qui
est devenu classique , ce savant moine considère pour la première fois
la vitesse de l'écoulement comme l'élément le plus essentiel do la
science des eaux. Pour l'avoir négligé, les anciens ingénieurs étaient
. tombés dans les erreurs les plu6 étranges et les plus dangereuses. Ils
supposaient que la mesure de la section d'un canal sufBsait pour con-
naître la quantité d'eau qui le traversait dans on temps donné, et que
l'inclinaison plus ou moîo9 grande du fond, n'avait aucune influence
sur le résultat final. Phisîeurs fois l'application de ces principes er-
ronés avait amené de grands désastres, et l'on vit souvent l'eau, sor-
tant des canaux qui devaient la contenir, et où elle n'avait ni l'incli-
naison ni la vitesse nécessaires, inonder de vastes étendues de pays.
Pendant que Galilée créait la dynamique, Castelli posait àïnsi les bases
. àg l'hydraulique. Galilée lui a rendu un hommage éclatant, en appe-
lant cet ouvrage nn Uhretto aareo, un petit lifre d'or ^.
Outre ce traité si connu, Castelli a laissé des Opuscules philoso-
phiques, recueil qu'on ne cite presque jamais, et qui cependant n'est ni
moins original ni moÎDs remarquable que la Misara deW acque correnti.
Dans ces Opuscules , qui ne parurent qu'en i (>f>Q. vingt-cinq ans après
fa mort de l'auteur, par les soins du cardinal Léppold de IVlédiçis \ Cas-
telli traite les questions les plus diverses. If y éherche les causes de
' Nelli , Vita di Galileo. Lo^^anDu, 1793, a *ol. in-i', I. I, p- 73- -r»* La pre-
mière édition . de Borne, fut dédiée au pnpe Urbain VUI. Gel ouvrage Tut réimprimé
•on 1660, à Bolûpic, avec beaucoup d'ad*) lirons. Plusieurs lettres du Castelli sur le
'. même st^st ont été insérées dans l'édilion de Panne du Itccueil des auteurs qui
-ont écrit sur le mouvemcut des eaux. — ' >Dtoo. l'opinione mîa inlomo n
quesla maloria , scmpre da me slala tenula pcr difEcilissima e piena d'oscurilà . e
nella quale sodo slali conuncsû moltî equivoci ed erroH, e massime avanli che i
professori fossero stati rendutrcerli (Uli uvverlinieiili Je! M. R. P. abale D. Bene-
dette Casletli in quel suo libretto vcramenle aureo che sua pateinità scrisse, e pub-
Uicft tre arnii sono, întorno alla miiura JeH' acque correnti. (Galiiei, Opère, Fî-
renm, 1716, .S vol. in-4'. l. ID , p. 7.) — ' Castelli . Atcani apuseolt fitosofiei . \^o
. logaa . 1 66g . în-â'. Vojez la Dédicace. ^^ - ^^ - ^ -w-
» •
• MARS 18^43. 187
4 1
rauggfDcntation apparente du diamètre ^ des astres , lorsqu'on les regairU
à Pcâl nu, eh quaq^ ils sojit près de Thori^on. Il y expose. un procédé
pour teonservër le btë , en le présen^nt de Thumidité et des variations
de U températurç.^ dans lesquelles 'H avait reconnu les causes princi-
pales qjk altérations que le grain pouvait éprouver ^. La diverse faeidté
conductrice des corps po^jp la chaleur est établie dans cet ouvrage^ où
diverSs substances sont raijgées dans Tordre de leur pouvoir conduc-
teur'. Enfin, dJhs deuK lettres à Xfsdilée^> qui términeAt ce volnme,
Tauteûr traite longuement de Tinfluehce (fe la couleur sur le pouvoir
qu*ont ies corps d'absor)>er, d*éélettre oikne réflécWr la chaleur. Cas-
telli faÎMit %e^ expérience» avec ^s briques dont une des faces était en •
partie biandie et en ^arti^ noire , et il il posé , dans cet écrit , les prin-
cipes fondamentaux de la théorie de la chaleur rayonnante.
Si Ton remarque^que ces lettres l^nt datées dos années lâSy et
i638, et i^'if a fallu près de deux siècles pour que «es principes, re- .
produit) par d'autres physiciens, aient été adoptés généralement, on
compi*en4ra toute fimportance d^jlfics recherches. Castelli, dont le
"nom i/ftt pres!i|ué jamais prononcé phr 1^ physiciens, est le véritable
fondateur de la théc^ie de la chakur rayoanahte. Ses Opusdfies méritent
d'ettfL cités dans tous les traités ae pl^Ékuie. Â la vérité , quelques-uns
des^PlRiomènes principaux, de la chak^prayonnante-s/Vaieiit é.té remar-
qués avant la publication de Touvrage dé (âsteUi» .et GavaHeri, dans son
^ecchio u^torui, publié à Bologne en 1 632 ,aviit parlé du froid intense
produit, à faide d'un miroir, ]gar la réflexion des rayqsis qui émanent
de la neige'. Mais, qupiqii^ &rt intéressantes, ces observations res-
taient isolées;'4i on les rappelle ici, cest suriout p(ftir nffttrer que ce*
qu'on nomme impropi*ement la réflexion du froid n est pas, coiAme on
Ta prétendu souvent, une découvette moderne". Kffts Castelli tie s*est
^ Castelli, %|kuSoS, p. 4 et a8. — ^bid. p. 4a- — ' « £d arenrao di piè osser-
vato, che diversî corpi di diverse materie rîceYOfio molto diYcrsamente le imgressMN^i
esleme delf ambiente, cioè chi piu^e.iaeao : imperocchè esponendo id sole diverti
corpi, oome sarekbero^anni, legnn t^roiliâ, terra, etc. e lasciandovegli stare c^piaie
spaûo di tempo, il metaflo si riscalda assai più che la pietn, e )a pietra piu'^Ma
terra, e questa più del legpo.» (Ibid. p. 4a.) — ^ Ibid. p^8-79. — * Coa op-
porre alcun di quesd Speccki ad uoa^assa di aeve, o di^miacdo, sentiremo niai
loro foco esaere U fireddo faite molto gigiiar^o , ma per quMo effetto sai^ più alto
riperbolico'di tutti, coae quelle che raccoglierà maggior quantità di linee fiiydde;
e qoesto baiti ancora tirca il fireddo, polendesi forsein un dtr^ modo creder cbe
iile effetto accadesse âDco inlorno aglî odori , provando Boi dOatarsi pqir qneiii éMi
<!torpi odoriferi wso ognî bafMHL'^Cavaiîeri, lo Sfecthio uttorio, Bélogaa, iCSa ,
a4f»
*:
» •
**
188 JOURNAL, DES SAVANTS.
pas arrêté la : par une étude attentive et par une longue suite d'obseï
vations, il est parvenu à établir tes bases expérinijntaies de la théo-,
rie de la cbaleui. H s'est "aperçu que la diiîérencé de couleur servait
i^ changer la quantité du rayonncrtieiit , et que l'élat de la surface ne
modifiait pas le flux iiïtérieur de la cbaleur', Il a remarqué, de plus,
qu'il y avait une grande diversité, à cet égal■d^ entre la chaleur obscure
et la chaleur lumineuse, et (ce qui était plus délicat et plus difficile à
découvrir) entre les rayons du soleil e^les rayons éiïTanés du feu ter-
restre^. Ces faits-là, que la science moBerne a établis d'une manière
incontestable, à faide d'iiisthimen Is très-délicats, Casteili les avait dé-
couverts sans même se servir de thermomètre. Ce n'est pas qi^j:et ins-
trument ne fût connu à f époque où CasteUi faisait ces cxpéiiences ,
mais, comme il s'agissait de comparer des températures différentes, et
que te thermomèti;e alors n'étaif'pas encore comparable, le savant bé-
nédictin ne s'en iervait pas , et c'est avec la main seulement , et k l'aide
d'une sensibilité exquise du sens du toucher, que Castelli a fait les dé-
rouverles que nous venons de rappeler^. Au reste, on conçoit quavec
un moyen si imparfait de comparer les températures entre elles, il ait
pu se tromper dans l'apprécialion des petites différences de tempéra-
' 'Esposi al sole il rovescio della iacâa Ljiilii del mallone, e dopo un par d'oie
iii circa avcado'Il caldo peiiGirata la grosnc/JUi i!cl niAUone, ritrovai assolutaïuenle
essersi riscaldato lanto il liero quanlo il biaiico. • (CaMelli, Opascoli, p. 55.) —
' Ces expériences sont si peu connues, que nous croyons devoir rapporter ici quel-
ques-uns des pasiegcs les plus remarquablet auxquels nous faisons allusion danx
le lexle : ■ E ^ro fînta clic snra la melà d'una^aoota d'un mauone di nero. e l'altra
mclà di bianco , e esposto al sole per un ora i[) circa si lîenlirà pîù calda la parle
nera chc la bîanca Dissî adunque , che avendo io esposlo la faccia tinta del
mallone al Ai^co noalro or^ario di legmi : dopo avërio la.sciato slart> poco più d'un
quarto d'ora, rilroiyji elle il caldo si era impresso quasi egiialmentp nella parle
liera , corne n^a bl^ca, cioè con pochishîpio vanlaggio di chlore ndla parte nera,
talmente che la dîlTerenza era (fuasi insensibile. E di più dissi dî avère osservalo ,
r}ie esponendo al lume del sole il rovescio ddla Faccia linla del matlone, dopo avère
il caldo penetrata la cras.iizie del mattone , si era riscaldala lanto la parle nera det
mallone quanto la biauca. E Ënalmenle ho osîervato che ritcaldando al caiore del
fuoco aenia il tume la medesima faccia linla. si vienc a rï.scaldare egualmente la
parle nera chc la bis|ica. I quali elletli mi pajono degnî d'essere consideralî mollo
benc ; vedendosi una *egnalatissima diOerenza Ira il caiore dol fuoco senza il Itime,
cd il caiore del lume Mnia ïl fuoco , ed il caiore chc procède parle dal fuoco e parle
dal l,umc. Imperocchè noi vediamo che il caiore che procède dal lumesolu riscalda
notabilmente più il ilero che il bianco, cietens parilins, e pËr lo contrario, il caiore
del fuoco solo sema il lume Hscalda egualmente il bianco ed il nero. Ma il caiore
del fuoco congiuiilo col lume del fuoco riscalda con qiialche poco di vanlugpo pîù
il nero che il bianco. ».( /èiii. p, 64 el 68,) — ' Ibid. p. 5o. 55. 69, elc.
^
tn. _
M^RS 18^3.
189
fur'!' \ mais nu rloit , à juïfc tiU'e , admirer la précision qu'il a su porter
dans ces oljsmaûoiis, et cet ïnslintl scientiliqiie qui lui a iail.dcvincr.
pour MiiLsi (lirr, des fails sî importaols. Caslciii suivait ea-tOtil'la plu-
losopiiic tic GaliJée t il savait icpaodre dans ses écrits oe set et cet csprif '
iiui ont tant contribué au succès des ouvrages de son maître. Le récit
de l'explitalion donnée par un péripaléticicR ^es fausses oxpéricuces
que Caslciii lui communiquait' est un oiorcpau di^e de figurer <Tans
le SagçjiiUore de Galilée.
Il n'est pas inutile d'ajouter que, quoique irès-résfirvé dans la pailie
théorique, Casleilî avait parfaitement compris que les diveis degrés
d'échauBemeiil des briques différemment teintes tenaient à la divei'se
(]uantilé de chaleur absorbée ou réfléchie : il considère expresséinenl la
chalem' rcllécliie comme étant le complément de la chaleur ahsorhéf ,
et réciproquement; et il explique, par des considérations très-îngi'-
nieuses, les modincalions que l'élal de la surface introduil dans le
rayonnement'.
Le recueil que nous venoa» de citer oc contient pas tous les opus-
cules que Castelli avait laissés, M. Aniiuori elle un écrit inédit' sur le
magnétisme, qui se trouve actuellement à Florence, dans la bibliothèque
Palatine. D'nprès ce qu'en dit le savant historien do l'Académie del Ci-
mento, cet écrit serait digue de voir le jour. Outre deâ renseignemi nls
précieux sur les travaux de Galilée au sujet du magnétisme, on y ren-
contre, suivant M, Antinori. la première mention de celte espèce de
rayonnement magnétique qui fait prendre une disposition parliculiérc,
et connue des physiciens, à la limaille du fer placée dans un papier ;ui
dessus des pôles d'un aimant^. Uni; nouvelle édition de ces OpOsculeb,
qui sont devenus très-rares, et qu'il iàodrait compléter par l'écrit qui
venons de citer, ainsi que par différentes lettres de Castelli épai-
pillées dans divers recueils, seiait certainement bien accueillie du pu
biic, et M. Artinori. qui a signalé l'existence de l'opuscule relatif au
magnétisme, rendrait un grand service aux physiciens, s'il voulait entre-
prendre une telle publication , qu'il saurait mieux que personne diriger.
Castelli, que l'inquisition avait essayé par tous les moyens d'éloîgnei-
de Galilée, resta toujours l'ami le plus ferme et le plus dévoué de ce
grand philosophe, dont il ne cessa jamais de prendre la défense, et qu'il
suivit de près au tombeau. Cet attachement si vif et si durable les lio
nore tous les deux. On aime à voir un moine bénédictin prodiguant
T'Y
9^
' Castelli, OpaieoH, p- 48 et euiv. — ■ '.Lise», à ce sujet, toute la seeoiute' leUic
de Castelli à Galilée. {OpuscoH, p. fia-yS.i — ' Sag^i Ji naturali eiperignie, p 6.
î
<4
J90 JOLU\NAL DKS SAVANTS,
les cAnsolations et les marques de respect à ihomme célèbre que les
jésuites et les dominicaiDS poursuivaient avec tant d'achartioiiieiit ; ri
l'on est surtout satisfait en voyant i'ambassadeur de Franci' :■ Ruine ,
m, de Noailles, travailler eiUcacement . de concert avec Casteili, potii
faire cesser cette injuste persécution '.
G. LiBRI.
' M. de Noailles ne cessa jamais de prendre auprès tlu pape la défen» de GaKléf ,
«ju'i! voulut voir k son passade en Toacsue , et dont il Til publier en HdHande un
des principaux ouvrages. Dans la correspondance inédite de Galilée i^ui est entre
nos toains «e trouvent plusieurs lettres de Castellî et de Noailles, qni prouvent que
ces deux ami$ de Galdéc se concertaient toujours dans loun démarches. Une de
ces pièces est^Urloul curieuse, parcequ'o'n y voit que les jésuites, s'élanl cmparé.s
de I édition du traiié de Galilée sur les tacheft du soleil, commencèrent par en éé-
Irutreuttgiand nombre d'exemplaire», et consenlireul ensuileà traiter avec l'auteur
pour lui vendre fort cher tout ce qni restait entre leurs mains de celle édition
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LIVRES NOUVEAUX,
j *, FRANCE.
Mélanges postkame} irkàloire el de lilléralure orientales, par M. Abe) BéntUS^
publiés sous tes auspices dtt ministère de l'instmctiDn publique. Paris, Imprimerie
roytde, i8i3, in-8° deiv-471 pn[;es. — Lu commission cbai^éedu soin de publier,
sous les auspices du ministère de l'inslraction publique, tes œuvres posthumes de
MM. Abel Rémnsat et Saint-Martin, commission composée de MM. Hase, Félix
Lajard et Eugène Burnouf, vient de publier sous ce titre un volume où elle a ras-
semblé divers écrits publiés, pour ta plupart , du vivant de M. Abel Rémusal. mai»
qui étaient disséminés dans plusieurs recueils litlèraires. difficiles à trouver. Ces
écrits forment la suite et le complément des qnatre voilâmes de Mélanges aiiatiqaei
que M. Hémusat avait fait imprimer en 183& , 1836 et 183g. Le» Mélanges poslhamet
sont disposés dans un ordre qui permettra de mieux saisir la pensée de M. Rémusat
dans les divers morceaux détachés dont ils se composent, et de mieux comprendre
par quels pointa ils se rattachent aux grands travaux de l'auteur sur l'Asie orientale
Ces morceaux sont au nombre de dix, dont voici les litres : 1, Observations sur la
rdigion samaoéenne; 11. Essai surla cosmographie et la cosmogonie de.i bouddhistes,
d'après les auteurs chinois; III. Observations sur les sectes religieuses des Hindous;
IV. De la philosophie chinoise; V. Discoure sur l'état des sciences neiurclles chez
les peuples de l'Asie orientale ; VI. Discours sur le génie et les mœurs des peuples
orientaux; VII. Trois discours sur la littérature orientale: VIII. Quatre lettres sur
le régime des lettrés de la Chine, el suri influence qu'ils ont dans le gouvernement
MARS 1843. 191
de TElat ; IX. Analyse de l^histoîre des Mongols de Sanang-Setsen ; X. Mémoire sur
Jes avantages d'un établissement conèulaire à Canton. ^
Tahkau sarla situation des étaUmements français dans l Algérie, en tSùi, Pans,
Imprimerie royale, décembre iS^a, in-4* de A&5 pages, avec une carte de l' Al-
gérie, dressée au dépôt général delà guerre. — Cet important ouvrage rpuUiéfar
le ministère de la guerre , commeooe par un précb historique des événements qui
se sonl passés en Algérie depuis le i "^ janvier jusqu'au 3i décentre i84i. Le ta-
bleau général qu on y trouve ensuite présente, sons ces quatre divisions : armée, in-
térieur, justice , finances , des renseignements très-développés sur la ritualion des
établissements français en Algérie, pendant la mAme pénode. Le volume est ter-
miné par un appendice , comprenant : i* un précis analytique de Tbistoire moderne
de TAfrique septentrionale sous les Arabes et sous les Turcs, faisant suite au piécis
publié dans le Tableau de la situation de TAlgérie, en i84o; a* et un précis ana-
lytique de rhistoire d'Alger pendant la domination turque. Ce dernier travail s'ar-
rôte à Tannée 1710. ^
Les manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, leur histoire et celle des textà|^.
allemands , anglais , hollandais , italiens , espagnols , de la même collection , par^
A. Paulin Paris, de T Académie royale des inscriptions et belles-lettres, conaefMÉur
adjoint de la BibUothèque du Roi (section des manuscrits), tome V. Paris, în^-
merie de Béthune et Pion , librairie de Techencr, 18&2 , in-8° de 5i 1 pages. — Ce
volume contient la description de 17& manuscrits ( n" 7068' - 716g , anciens
fonds) de formats divers. Les notices que M. Paris a consacrées à ces ouvrages sont
nécessairement inégales sous le rapport de l'intérêt et de Tétendue. Nous y avons
surtout remarqué des notions neuves et intéressantes sur plusieurs écrits de Chris-
tine de Pisan et de Claude de Seyssel , sur la vie du célèbre chirurgien Lanfranc, et
sur une chronique de France de 1 27 1 à i348 , où M. Paris croit avoir retrouvé oette
oeuvre originale de Jean Lebel, dont s*est servi Froissard , et qu'on cherche en vain
depuis si longtemps. Cette chronique est conservée à la Bibliothèque royale, sous
le n* 7 1 56 des manuscrits français. Le volume est terminé par une taUe des noms
de lieux et de personnes , et par une table méthodique de tous les ouvrages contenus
dans les cinq tomes publiés jusqu'ici. L^auteur l'a dédié aux conservateurs de la Bi-
bliothèque royale, qui, pour assurer la continuation de l'ouvrage, ont réceomient
proposé au ministre de l'instruction publique de couvrir la moitié des fraia d'im-
pression de chaque volume.
Notice sur un manuscrit intitulé Annales mundi ad annum 126â , par le oomle.Ch.
de L'Escalopier, conservateur honoraire, chargé du catalogue raisonné des madus*
crits à la bibliothèque de TArsenal. Paris, imprimerie de F. Didot , librairie de
Teclirner, in-8* de 5o pçges. -^ Le manuscrit qui fait l'objet de ce travail inlé-
i^essant est conservé à la bibliothèque de F Arsenal, parmi les manuscrits Ullns
(H. 8* n° 11). C'est une chronique abrégée qui a beaucoup d'analogie avec celle de
S. Marien d'Auxerre, publiée par Camusat. Les bénédictins en donnent un eztraiC'fort
court, pour ce qui a rapport aux années 987^-1031 , dans le tome X du Recueil
des historiens de France, p. 29a, d'après un manuscrit de la Bibliothèque royale.
M. de L*Esccdopier donne, dans sa notice, les sommaires de toute la partie de cette
chronique qui se rapporte à l'ère chrétienne et des extraits de ce qu'il y a trouvé de
plus remarquable sur les fondations reUgieuses, les origines liturgiques et les lé-
gendes. 11 serait à désirer que la publication du catalogue général dçs manuscrits de
la bibUothèque de l'Arsenal permît bientôt au public d'apprécier les richesses de
re précieux dépôt trop peu connu.
.t
JOURNAL DES SAVANTS.
Calalogae d'une belle collection Je letlrei aaloifraphes donl là venle aura lieuse
i6 igoai iâ43 el jours snîvants, à 6 licuies du soir, rue des Bons Enfaol», n. 3o.
maison Sifveslrc. Ce catalogue bc distribue h Paris, chez M. Charoa, me Louis-le-
Grand. n. 33. Imprimerie de Crapdet , à Paris, 76 pages in-8°. — Ce catalogue con-
lieot des indîcklions sur 536 pièces, parmi lesquelles on eu remarque un grand
nombre qui paraissenl offrir ud véritable întérël.
Mémoires sur \ei i'oyages de l'empereur llaiîrica eilarles médailles qui s y rapportent
par J, G. H. Greppo. BeUej, imprimerie de Verpfllon; Paris, librairie de Debécourt,
1843, in-8'de a5i pages.
Economie politiqae du moyen Age, parCh. Cibrario; Iraduilc de l'ilnlien el aug
mentée de notes et Édairci.ssi'inents considérables, par Humbcrl Ferrand. BeUej
imprimerie de Verpillon; P;iris, librairie doDcbCcourl. i843, in-8° de 588 pages.
Sir Richard Arkivrigkl , ou naissance de l'industrie coloniiiere dans la Grande-
Bretagne [1760 à ly^a). par M. Saint-Germain Leduc. Imprimerie de M"' Fes
urt, à Seulis; librairie de Guillauniin, à Paris, i.Siki 338 pages in-18.
Catalogue des livra composant la bibiiotlièque de la ville de Bordeaux. Théologie.
'aris, Imprimerie rojale, 18^3. — Dans ce catalogue, imprimé par autorisation du
Roi du 6octol)re iSs^. la théologie est divisée en six classes : liturgie, conciles,
saints PèKs, théologiens de l'Eglise romaine, llioologiciis séparés de l'Église ro-
maine. Le nombre des artides cnntentis dans le volume est de 8àUo.
Chronic/ae de Richer, moine de Senones, traduction française du svi' siècle, sur un
texte beaucoup plus complet que tous ceux connus jusqu'ici , publiée pour la pre-
mière fois, avec des éclaircissements hisloriques , sur les manuscrils des Tierceiin
Nancy el de la bibliothèque jpnblique de la même ville . par Jean Cayon. Impri-
Tresnel, a Sainl-Nicoias-de-Porl ; librairie de Cayon-Liébault, ii Nancy,
t des re-
'843.
Histoire des antiquités de la ville de l'Aigle et de u
cherches hisloriques sur les invasions des Romains , des Francs et des Normands
dans les Gaules, sur l'origine de Verneud, etc. Ouvrage posthume de J. P.Gabriel
Vaugeois, édité el publié par sa famille. Laigle, imprimerie et librairie de Bredif,
1843, in-8°de6oi pages.
TABLE.
Recherches sur les momimpnls cyciopéens, par feu L. C. F. Pptit-Radcl , putliées
d'après les manuscrits de l'auteur ( article do M. Raoul -Rochcttc) Page 120
Nouveaux documenls inédilx sur le P. André et sur la persécution du Cartésia-
nisme dans la compagnie île Jfsua ( 1" article de M. Cousin] 150
Histoire des Seidjnucidcs de MJrLhond, publiée en persan d'après Ips manuscrits
de Parts et de Berlin, avec des annotations critiques cl pbitologiqaes . par Jo.
Aug. Vullers ( 1" article de M. Quatramère ) 170
Essais d'expériences faites dans fAcadémic del Cimcnlo ( 2* article de M. LibK), 185
Nonvdles littéraires 190
JOURNAL
DES SAVANTS
AVRIL 1843.
La Célestine , tragi-comédie de Calixte et Mélibée^, traduite de
V espagnol , annotée et précédée d'an essai historique, par M. Ger-
mond de Lavigne; Paris, Charles Gosselin, i84i, i vol. in-i 2.
On trouvera que nous venons bien tard pour apprécier cette tra-
duction, dont le succès na pas attendu nos éloges; mais il est toujours
temps (le parler de la Célestine , livre classique , et qui peut-elre a con-
tribué plus qu aucun autre à fixer la prose espagnole. Nous connaissons
peu d'ouvrages qui aient joui, auprès des contemporains, d*une vogue
plus générale et plus populaire , peu qui aient ensuite excité entre les
érudits et les critiques autant de controverses et de débats. On n'est
d'accord , en effet, ni sur l'auteur ou les auteurs, ni sur l'époque de la
rédaction et de l'impression, ni sur la moralité ou l'immoralité du
livre, ni même, ce qui peut paraître encore plus singulier, sur le genre
de composition auquel il appartient.
' Le vrai litre de la pièce, que le traducteur donne (page 1), d'après les édi-
tions de Séville (1602} et de Madrid (i8aa), esl ainsi conçu : «La Célestine, tragi-
comédie de Calixte et Mélibée, contenant, outre un style agréable et facile, une
grande quantité de sentences philosophiques et de conseils fort nécessaires aux
jeunes gens; ayant pour but de leur faire connaître tout ce qu'il y a de ruses et
de fausseté chez les serviteurs et les entremetteuses.» On lit encore le titre sui-
vant en tète de plusieurs éditions, notamment de celles d'Anvers (1696, 1^99 et
1601) : « Tragi-comédie composée pour servir de le<^on aux amoureux extra-
vagants , qui , vaincus par une folle passion , donnent à leurs maîtresses le nom de
la divinité, et aussi pour les avertir de se défier des entremetteuses et des servi-
teurs faux et méchants. »
2b
194 JOURNAL DES SAVANTS.
La plupart des critiques , tant nationaux qu'étrangers , tout en recon-
naissant que cette œuvre na pas été composée pour la scène, la pro-
clament cependant la source du théâtre espagnol, la mère du drame
castillan. Un d'eux, celui, assurément, dont l'autorité est la plus con-
sidérable en pareille matière, Moratin, s'exprime, à ce sujet, de la
manière suivante : a Gomme la tragédie grecque se compose des reliefs
d'Homère , de même la comédie espagnole reçut sa première forme
de la Célestine. Cette Nouvelle dramatique, écrite en excellente prose
castillane, avec une fable régulière, variée à l'aide de situations vrai-
semblables et intéressantes, animée par l'expression des caractères et
des passions, par une fidèle peinture des mœurs nationales et par un
dialogue qui abonde en traits comiques, a été un objet d'étude pour
tous ceux qui, au xvi* siècle, sont entrés dans la carrière du théâtre ^ »
Le nouveau traducteur, M. Germond de Lavigne, a poussé cette
idée encore plus loin. A son avis, si la Célestine n'est pas précisément
un drame , dans le sens que nous attachons aujourd'hui à ce mot, ce
n*en est pas moins u positivement une œuvre théâtrale au point de vue
de Fépoque : c'est une pièce faite pour la scène , comme son titre l'in-
dique suffisamment, et cela peut se dire de cet ouvrage avec plus de
raison que des premiers essais de Juan Ruiz*, de don Pedix) Gonçalès
de Mendoza^ ou de la comedieta de Ponza du marquis de Santillane »
Avant d'aller plus loin, je dois faire remarquer à M. Germond de
Lavigne que l'argument qu'il croit trouver dans le titre de tragi-comédie
donné à la Célestine n'a qu'une bien faible valeur, car, du vi* au xvi*
siècle, les mots comœdia et traqcedia ont été appliqués constamment à
des compositions épiques et purement narratives. Quoi qu'il en soit ,
M. Germond de Lavigne pense que , si la Célestine n'a pas été repré-
sentée, elle est pour le moins aussi représentable que les églogues de
Juan de la Encina et les premières comédies de Torres Naharro. M. do
Lavigne rapporte, à l'appui de cette opinion, le passage de Moratin cité
plus haut et extrait d'une note de l'histoire des origines du théâtre
espagnol ; mais il oublie que, dans le corps même de l'ouvrage, Moratin
a reconnu expressément que l'auteur de la Célestine n'a point travaSlé
en vue de la scène : aanque no hizo su obra para el teairo. Le critique
^ Olras de Leonardo FernandeE de Moratin; Madrid, i83o, 1. 1, p. 88. — 'Juan
Ruiz, ardiiprétre de Hîta, mort avant i35i, a composé un dialogue buriesque en
cinq aatos et en vers, intitulé : Las hodas de don Melon de la Huerta, con la hija de
ion Endrino y de dona Rama, « Les noces de don Mekm du Verger avec la fille de
don Prunier de Damas et de dofia Branche. » Voyez la collection de T. Sanchez,
t. IV. — ^ Aïeul de don Ifiigo Lopez de Mendoza , marquis de Santillane.
AVRIL 1843. 195
espagnol n*a fait , comme presque tous les écrivains de son pays , que
proclamer Tinfluence que, suivant lui, ce roman dialogué a exercée sur
le développement du théâtre en Espagne , et cette assertion , réduite
même à ces termes, est encore tirès-contestable.
Pour ma part, quelque périlleux qu'il soit de contredire une opinion
établie et soutenue par des critiques nationaux , je ne puis m'empêcher
de regarder la prétendue influence de la Célestine sur la scène espa-
gnole comme extrêmement exagérée , pour ne pas dire tout à fait nuUe.
A mon avis , cet ouvrage , dans le goût des Dialogues de Lucien , par-
ticulièrement de ceux où figurent des courtisanes, n'a rien à voir avec
le théâtre. L'action incontestable que ce livre a exercée sur les esprits
en Espagne a porté sur une tout autre branche de littérature.
Les origines du théâtre espagnol, de ce théâtre élevé si haut pai*
Lope de Vega et Galderon, découlent, comme celles de tous les théâtres
de l'Europe, de trois sources bien distinctes : i"^ de certaines céré-
monies et représentaticms litui^ques, devenues peu à peu laïques et
transformées avec le temps en aatos; 2^ des églogues et poésies dialo-
guées, récitées ou chantées dans les galas royaux ou princi«*s; y des
parades ou jongleries populaires exécutées, les jours de foire, dans
les carrefours et les marchés. La Célestine n'appartient à aucune de ces
trois sources de toute poésie dramatique. Cet ouvrage est, à la vérité,
divisé en actes, et n'en ofire pas moins de vingt et un , fort in^aux. Mais
cette coupe n'a pas prévalu et n'a été que fort rarement adnodse par les
vrais dramatistes de la péninsule. Les pièces espagnoles se divisent gé-
néralement, comme on sait, non en actes [autos), mais en journées
[jomadas), et rarement en comptent-elles plus de trois. Ainsi, comme
on voit , la Célestine n'a exercé, en Espagne, aucune influence appréciable
sur la forme et la contexture du drame. Quant à la diction, on sait
que les aatos sacrameniales , les comédies de cap et d'épée , les prologues
même appelés 1ms ont constamment et invariablement retenu le vers.
La prose claire, sententieuse et logique de la Câestine^, qui semble
proche parente, non de l'esprit, mais de la langue nerveuse et saine
du jDofi Qaixote, est le contre-pied le plus complet de la poésie fauui-
riante et presque orientale qui est la gloire et le défaut des meilleurs
écrivains dramatiques de l'Espagne. Quant à l'esprit même de la com-
position et à l'inspiration générale , la Célestine est une moquerie de
tout ce que l'Espagne avait tenu jusque-là pour sacré : le clergé, )a
' Gt sont à peu près les leiwes de féloge que {'Milear du Diakgo de Im fanf Mf
a fait de cette tragi-comédit .
a5.
196 JOURNAL DES SAVANTS.
noblesse et les femmes. C'est une réaction et comme une sorte de re*
vanche ouverte prise par le sensualisme renaissant contre la domina-
tion expirante de Tascétisme religieux et sentimental ; c est une réhabi-
litation de la matière, comme on disait chez nous il y a peu d'années.
Le théâtre espagnol , au contraire , sous la plume enthousiaste et reli-
gieuse des Lope de Vega, des Cervantes et des Calderon, a été, aux
XVI* et XVII* siècles , la continuation et comme le refuge des plus pures
traditions de chevalerie, de religion et d'amour désintéressé.
On voit donc qu'il n'y a absolument rien de commun entre la très-
positive et très -sensuelle Célestine, recueil de conversations épicu-
riennes , et le drame espagnol , passionné , enthousiaste et tout rempli
de péripéties, de mouvement et d'héroïsme.
Le peu que nous venons de dire de l'esprit qui nous semble avoir
présidé à la conception de cet ouvrage a dû faire déjà pressentir notre
sentiment sur un autre point , qui , avec moins de raison , a partagé ,
jusqu'à présent, la critique. Presque tous les éditeurs et traducteurs de
la Célestine (y compris M. Germond de Lavigne, malgré quelques judi-
cieuses restrictions) ont cru voir, dans ce spirituel et peu scrupuleux ba-
dinage, une œuvre d'une morale profonde, conçue dans la louable in-
tention de préserver la jeunesse des égarements du vice et des liaisons
perverses. C'est vraiment pousser un peu loin l'optimisme que d'accepter
pour sérieuses, comme le fait le dernier traducteur, les protestations
d'innocence que l'auteur a insérées dans les pièces en vers et en prose
qui servent de prologue et d'épilogue à l'ouvrage. Un docte Allemand.,
Gaspard Barth, qui a traduit en latin la Célestine pour l'édification de
ses compatriotes , n'a pas craint de qualifier cet ouvrage , sur le titre
même, de Liber plane divinus^, Cervantes, dans un des sonnets plai-
sants^ qui précèdent le don Quixote, avait dit aussi de la Célestine que
ce serait un livre divin, si les nudités de la nature humaine (a-t-il judi-
cieusement ajouté) y avaient été un peu plus voilées. Quant à nous,
tout en ne partageant point l'humeur mélancolique d'Alejo Vanega, qui,
se plaignant des maux causés par une si dangereuse lecture, voulait
qu'on écrivît Scelestina au lieu de Celestina^, nous croyons impossible
d'admettre avec le vieux traducteur , Jacques de Lavardin , que la
^ La traduction de Gaspard Barth parut à Francfort en 162a, sous le titre suivant :
« Pornoboscodidascalus Latinus. De lenonum , lenarum , conciliatricum , servitiorum
dolis, vcneficiis, machinis plusquam diabolicis; de miseriis juvcnum incautorum
qui florem setatis amoribus inconcessis addicunl; de miserabili singulorum pericuio
et omnium interitu, etc. etc. > ** * Décima del Donoto, au commencement du Don
Quixote, — ' Voy. Tratado de ortografia, part. II, cap. m.
AVRIL 1843. 197
Célestine soit « un clair mirouër de vertueuse doctrine à se bien gou-
verner, )) ni avec M. de Lavigne, que Ferdinand Rojas, un des auteurs
présumés de cet ouvrage , ait positivement voulu faire une œuvre de
morale. Nous pensons, au contraire, que la Célestine, sans être, comme
rappelle un romancier moderne dans un accès de rigorisme assez étrange,
u une chose infâme et digne de i'Arétin \ w est cependant un ouvrage
plutôt licencieux qu édifiant. Malgré l'utilité pratique des enseignements
et rimpression salutaire qui peut résulter du dénouement, fabjection
du principal personnage, le lieu le plus habituel où la scène se passe,
la liberté de plusieurs peintures classent cette production, littéraire-
ment exquise, parmi les livres qu'il y aurait duperie ou dérision à
regarder comme utiles aux moeurs^.
Il y a mieux ; c'est à sa licence , autant et plus qu'à son mérite , que
la Célestine a dû sa popularité. Composée dans les dernières années
du XV* siècle , elle parut au milieu du relâchement et du sybaritisme
universel qui , grâce à la renaissance de la philosophie et des beaux-
arts, sétaiçnt répandus dans toute l'Eiu'ope, et plus particulièrement
en Italie , en France et en Elspagne. Dans ces trois contrées, à la place
de l'esprit de mortification évangélique s'était substitué une sorte d'é-
picuréisme chrétien , qui avait gagné jusqu'aux grands dignitaires de
rtglise et allait bientôt s'asseoir, avec Léon X, sur le siège de saint
Pierre, et provoquer cette réaction terrible que Ton appela la réforme,
A cette époque d'ivresse voluptueuse et érudite , où les cardinaux lisaient
plus Homère que la Bible , plus Cicéron que saint Thomas, plus Catulle
et Pétrone que saint Augustin , la Célestine, classique dans la forme,
païenne dans les idées ^, dissolue dans la fable, la Célestine, qui enché'-
lissait sur Boccace, qui précédait la CalandrUy qui frayait la route à
Rabelais, dut être le livre favori, le vade mecam de toute cette société
sensuelle et sceptique, dont, sous forme d'admonition charitable, elle
reflétait si agréablement l'atticisme libertin et flattait l'élégante corrup«-
tion. Aussi la vogue que cet écrit obtint dès son apparition fut-elle im-
mense. Dans une de ses Nouvelles, Bonaventure des Périers, le valet de
chambre de la reine de Navarre , introduisant un jeune Parisien, bien
^ M. Lottin de Laval, dans une note du roman intitulé: Galanteries du Maréchal
de Bassompierre. — * On ne peut rien dire de mieux pour et contre la Célestine que
la défiuilion suivante , insérée dans le Dialogo de las lenquas : « Ce petit livre est
rempli des plus belles sentenœs ; c'est une fleur de laqudle le sage tire du mid et
le midicieux du poison. » — ^ Calixte, le héros du livre, renie hautement lui-même
les croyances chrétiennes : « Moi , chrétien ! dit-il ; je suis mélibéen -«j'adore Mélibée*
je crois en Mélibée , j*aime Méiibée i »
108 JOURNAL DES SAVANTS.
dressé au manège de la galanterie, ajoute pour dernier éloge : « Il a lu
Boccace et Céiestine. » A peine imprimé à Burgos, en 1 699 ^ ce livre
fat aussitôt réimprimé sur tous les points de TEspagne. On en publia
plusieurs éditions espagnoles et plusieurs traductions en Italie, une tra*
duction en Allemagne ^, une en Angleterre * et deux ou trois en France.
Les gens d*É^ise eux-mêmes paraissent ne s*étre que faiblement scan-
dalisés des libertés de cet ouvrage , qui , à la vérité , ne contient pas le
moindre levain d'hérésie. Clément Marot , qui , comme on le pense bien ,
faisait grand cas de la Célestine , a très-finement relevé cette partialité
ecclésiastique pour une production remplie d'obscénités et de blas-
phèmes :
Formosum pastor, Célestine,
Tout cela est bonne doctrine
Et n y a rien de défendu ^.
Cependant, le savant littérateur espagnol Pellîcer prétend que la Cé-
lestine fut , sinon supprimée , au moins condamnée par Tlnquisition ^.
M. Simonde de Sismondi, dans le petit« nombre de pages trop peu
exactes qu'il a consacrées à cet ouvrage, avance, je ne sais sur quelle
autorité, que la lecture en fut interdite en Espagne et permise en Italie^.
Quant au second point, la libre lecture de ia Célestine en Italie, il
est établi péremptoirement par un fait digne de remarque. En 1 5 1 5 ,.
il parut à Venise une traduction italienne de la Célestine , par Alfonso
Hordognez (Ordonez), qui prend, dans la souscription, la qualité de
famîUare deÙa Santità di nostro signore Jalio papa segundo. Quant à Tin-
terdiction en Elspagne , si le fait est exact , ce dont il est permis de
douter, il faut convenir, au moins , que le saint office , alors tout-puis-
' L'ouvrage, dans cette édition, n a encore que seize actes; mais Targument du'
seûdème est le même que celui du vingt et unième des éditions subséquentes.
Quelques critiques ont avancé qu*il existe des éditions antérieures à celle de Burgos,
I&99, lesquelle», peut-être, ne contiennent que le premier acte; mais ce n'est la
£une conjecture que rien « jusqu'ici,. n'est venu confirmer. Voy. M. Brunet, Manuil
libraire, nouvelle édition, 1. 1. — ' Augsbourg, i5ao, in-4'. — ' Cette traduc-
tion est de James Mabbe, et porte le titre suivant : The Sptmish bawd représentée
in Celesiina, or the tragike comédie of Calixio and Melihea; London, i63i, in-foP.
-« * Qément Marot, seconde Epitre da coq à Vasne, adressée, en i535, à son ami
Lyon Jamet; t. II, p. 1 65 des Œuvres complètes, édit. de M. Auguis. — ' Voy. D.
Gasiano Pellicer, Tralado Jdstorico sobre el origeny progresiu de la comedia ydelhis-
trionismo em Hespama; Madrid, i8o4i p. 16. —» Voy. De la littérature da midi de
VEarapc, t. III, p. 360, a* édition. M. de Sîsmondi a supprimé, dans sa troisième
édition , ce renseignement , qu'il aura trouvé hasardé. U a maibeoreusement laissé
subsister des aiseriîons plus tautives. U avance* par exemple, que Ferdinand Rojas
/compléta et publia la Célestine vers l'année i5io.
AVRIL 1843. 199
tant au delà des Pyrénées , n a pas exercé contre ce livre des poursuites
bien rigoureuses, puisque, en moins d'un siècle et demi, les presses
espagnoles n en ont pas répandu moins de trente et une éditions ^ Enfin ,
tout ce qui constate et accompagne un grand succès, les imitations et
les suites, ne se firent pas attendre. Il y eut la seconde Célestine ou Çé^
lestine ressuseitée ^, puis une troisième Célestine '. On publia à Tolède, en
i547i une tragédie de PoUciana^ où figurait la diabolica vieja Claudina,
mère de Parménon et institutrice de Célestine. Un peu plus tard, Juan
de Herrera donna l'Ingénieuse Hélène ^ fille de Célestine, et Andres Parra,
^ Dans le même espace de temps, le uombre des éditions de la Célestine publiées
en Espagne, en Italie, en France et dans les Pays-Bas, s*é!eva à quarante-six. Mo-
ratin (ouvrage cité, p. 89) n*en mentionne que vingt-huit, auxquelles M. Germoncl
de Lavigne (p. vin et ix) en a ajouté deux. Voici la liste de ces quarante-six réim-
pressions connues jusqu^ici : 1 499 « Burgos , io-4"* — 1 5oo , Salamanque. — 1 5o 1 ,
Séville, par Stanislas rolono, in-4*. — i5o2 , Séviile, in-d". — i5oa, Salamanque,
in-4". — i5i4i Valence, in-4* allongé. — i5i4» Milan. — 1 5x5, Venise. — 162 3,
Séville. — iSaS, Séville. — iBaS, Venise. — iSîG, Tolède, in-4*. — i^ag, Va-
lence. — 1 53 1, Venise, in-g*, gothique. — i534f Venise, in-8*, gothique. — i534,
Séville. — 1 535 , Venise. — 1 536 , Séville , in-8", gothique. 1 — 1 538 , Tolède , in-A%
gothique. — i538. Gènes. — i539, Séville. — i539, Anvers, petit in-8*. — i54o
(sans date), Médina del Campo, petit in-8% gothique; le titre porte Carolus V im-
perator. — i545, Saragosse, in-8'. — *• i545 , Anvers, petit in- 12. — i553, Venise,
Gabriel Giolito, corrigée par ^onso de Ulloa. — - 1 556, Venise, reproduction de la
précédente. — 1 558 , Salamanque. — 1 563 , Alcala , in- 1 2. — 1 566 , Barcelone. -^
1569, Alcala, in- 12. • — 1569, Salamanque. — 1570, Salamanque. — 1571,
Guença. — i573, Tolède, in- 12 allongé. — 1575, Valence. -^-^ i^gi, Alcala. —
1595, Anvers, petit in-8". — 1599, Anvers, in-16. — 1601, Anvers. — r 1601,
Madrid. — 1607, Saragosse, in-12. — 1619, Madrid, petit in-12. — i632, Ma-
drid, in- 12. — i633, Pampelune, texte et traduction française. f~ i633 et i63ii,
Rouen, texte et traduction française en regard, sur deux colonnes. — Des diverses
éditions qui ont paru depuis nous ne citerons que la dernière et la plus estimable ;
elle a été donnée à Madrid , en 1822 , par D. Léon Amarita, 1 vol. in-12 ; elle est
accompagnée d'une bonne préface, de notes et de variantes. -^ * Cette pièce est in-
titulée : SeguHtla eomediu de lafamosa Celettina, en la qtudse traia de la Fesarreccion
de la dichu Celestina corregida y emendada por Domingo de Gaxtdu , Venecia ,
1 536 , in-8*. L'auteur de cette seconde Célestine n'est point Domingo Gaztelu , mais
Feliciano de Siiva; ce que nous apprennent quelques copias de Pedro Mercado,
correcteur de l'ouvrage. Cette continuation se trouve souvent à la suite de l'édition
de la Célestine de Venise, i534- U y en a eu une autre édition imprimée à Anvers,
sans date et sans nom d'auteur, mais toujours précédée des copias de Pedro Mer-
cado. M. de Lavigne s'est trompé en £usanl de ces deux éditions deux ouvrages dis-
tincts, la secomde Célestine et la Résurrection de Célestine, qu'il attribue l'une et
Gaztdu, l'autre à Feliciano de Silva. Voy. Essai historique, p. ix. -p~ ' Tra-
gicomedia de Lyuutdn y Rosdia llamada Elida y por otro nombre quarta obra , y ter^
eera Ceiestina; Madrid , i542 , in-4*- Don Antoaio Mayans die encore une troisièm*
partie de la Célestine par Gaspar GomeL
200 JOURNAL DES SAVANTS.
l'École de la Célestine. Parmi les imitations, lEafrosina^y la Selvagia ^, la
Fbrinea^j la Doleria^, la Lena^, sont les plus connues. Les traductions
aussi abondèrent. Pour ne parler que de la France, dès 1627, il parut ,^
à Paris, une Célestine translatée de i italien en français, chez Galliot Du-
pré, in-8" gothique, avec privilège, ce qui est à noter. En 1 5^9 , Claude
Nourry publia à Lyon une autre traduction ^, qui fut reproduite à Paris ^
chez Oudin Petit, en iS/ia''. Jacques de Lavardin, gentilhomme tou-
rangeau et seigneur du Plessis Bourrot, « translata, en 1678, pour la
décharge de sa conscience , la Célestine en domestic et familier fran-
çois, afin de présenter ses chastes et honestes admonitions à la gaillarde
et folastre jeunesse du royaume qui fait merveilles de se jeter sur l'a-
mour et le professe à l'ouvert ^.» En i633, Labayen , à Pampelune,^
et, en i633 et i634 , Charles Osmond®, libraire à Rouen, publièrent
chacun une Célestine en français avec le texte espagnol en regard.
Chose surprenante ! les femmes mêmes contribuèrent, par leurs suf-
frages, au succès d*un livre où leur sexe est représenté sous les couleurs
les moins flatteuses , et où leurs plus belles qualités ne reçoivent que
les plus grossiers hommages. Malgré les avertissements de Corneille
' V Eufrosina , qui , d'ailleurs, ne rappelle la Célestiue que par la forme, fut coin
posée originairement en portugais, par un écrivain qui s'est caché sous le pseudo-
nyme de Juan Ëspera en Dios. 11 ne faut pas confondre ceUe pièce avec une autre
deLope de Kueda qui porle le même titre. — * Par Alonso de Villegas Selvago»
Tolède, i554, in-4". On a quelquefois confondu avec cette comédie un drame in-
titulé Comedia Selvage, en cualro jornadas, por Joaquin Romero de Zapeda ; Sé-
ville, 1682. Les deux premières journées de cette dernière pièce sont une imitation
en vers des quatre premiers actes de la Célestine. — ^ Par Juan Rodriguez Flo-
rian; Médina del Campo, i55/l» in-4". — * Ou El sueno del mundo, por Pedro Hur-
tado de la Vega. — * Par don Alonso Velasque de Velasco Pinciano; Milan, 1602 ,
in-16. — " M. de Lavigne dit à tort que Claude Nourry traduisit la Célestine;
Claude Nourry n'est que l'imprimeur. — ' Un vol. petit in -8*. 11 est possible que ce
soit une traduction nouvelle ; je n'ai pas eu les moyens de véiiiicalion. — * Voici
le titre : La Célestine fidèlement répurgée. . . par Jacques de Lavardin , sieur du Piessis
Bourrot, tragicomédie jadis espagnole, composée en répréhension des fols amou
reux et aussi pour découvrir les tromperies des macquerelles et l'infidélité des mé-
chants serviteurs; Paris, Gilles Robinot, 1578. Il y a une édition de Paris, Nie.
Bonfons, sans date, in-16, augmentée de la Courlizane de Joachim du Bellay, et
enfin une troisième de Rouen, 1698, chez Claude Le Vilain, ayant pour titre : « La
Célestine, tragicomédie traduit (sic) d'espagnol en françois : où se voyent les ruses
et tromperies dont les macquerelles usent envers les fols amoureux. » On voit, par
ce titre même, que la traduction du sieur de Lavardin n'est pas trop sévèrement
répttrgée. La dédicace est ainsi conçue : «A très-nobles et vertueux gentils-hommes ,
Jean de Lavardin , R. abbé de l'Elstoille , et Anthoine de Lavardin , seigneur de Ren-
nay, et Boessoy, ses frère et nepveu, salut et prospérité. » -^ * Le litre espagnol
porte la date de i633, et le titre français celle ae loSii.
AVRIL 1843. 201
Agrippa^ et ceux de l'illustre Louis Vives, qui, dans le livre intitulé
De institutione christianœ fœminœ , au chapitre Qui non Ugendi scriptores,
qui Ugendi, classe la Célestine parmi les ouvrages les plus dangereux
pour les femmes^, celles-ci paraissent avoir été peu effrayées des péiîls
que leur signalaient ces moralistes chagrins. Ce fut à la requête d une
belle et illustre dame , nommée Feltria di Campo Fregoso , que le fa-
milier du pape Jules H, dont nous^ avons déjà parlé, Alfonso Ordoiîez,
traduisit en italien la Célestine. Il y a plus : Tauteur d'une imitation du
premier acte de cette pièce en vers castillans, D. Pedro Manuel de
Urrea, trouva convenable de dédier cette œuvre à sa mère, la comtesse
de Aranda^. De tels faits sont-ils un argument en faveur de la moralité
de la Célestine, ou n offrent-ils qu un nouvel indice de l'excessive liberté
que nos aïeules du xvi* siècle apportaient dans le choix de leurs lec>
tures? Je pencherais, je l'avoue, pour cette dernière explication.
Quoi qu'il en soit, tandis que les traducteurs français et italiens ne
disaient aucune difficulté d'avouer hautement leur participation à cet
ouvrage, fauteur ou les auteurs de l'original, les artisans de ce mi-
rouer de vertueuse doctrine, comme dit Lavardin, estimèrent plus prudent
de cacher leur nom, et, malgré le prodigieux succès que ce livre ob-
tint, ils persistèrent, «de crainte des détracteurs et des médisants,»
à garder le voile de l'anonyme. Cependant , à la fin de l'édition de
1 5o2 , Alonzo de Proaza, le correcteur du livre, révéla, dans quelques
copias, que onze octaves, placées en tête de la Célestine, formaient un
acrostiche et offraient, par la réunion des premières lettres de chaque
vers , le nom du bachelier Fernando de Rojas de Montai van, auteur des
vingt derniers actes , si toutefois cette révélation énigmatique n*est pas
elle-même, comme j'en ai peur, une mystification et un piège tendu aux
fureteurs de secrets bibliogi^phiques. On ne sait, d'ailleurs, absolument
rien de Fernando de Rojas, si ce n'est le peu qu'il nous apprend de sa
personne dans une préface en forme d'épitre adressée à un sien ami et
où se trouvent quelques mots sur la gravité de sa profession et sa qua*-
lité de légiste. Aucun biographe, pas même le savant Nicolas Antonio
^ Voy. le paradoxe de Corneille Agrippa De vanitate scienliarum , déclamation
dans le genre du discours de Jean-Jacques Rousseau contre les lettres « chap. lxiv.
— ' Louis Vives, avant Corneille Agrippa, avait mis la Célestine au rang des pes-
tiferi libri , tels que Tristan , Lancelol du Lac , Euryale et Lucrèce d'/£neas Sylvius
Picolomtni (le pape Pie II), le Décaméron de Boccace, etc. "^^ Egloga de la trm^-
ccmedia de Calixto y Melibea , de prosa Irovada en métro. Cette ^ièce est insérée dans
ie leoueil de' poésies ou cancioMro de fauteur, imprimé, en iSkiS^ i^ Logrono, in^ibl^.
£n.i5Ào, il parut k Salamanqœ «ne autre imitation de la Céle»tine en vers eafM-
gnok, par Juan de Sedeno.
a6
202 JOURNAL DES SAVANTS.
dans sa volumineuse Bibliothèque espagnole , ne nous a donné le
moindre renseignement sur la vie et les ouvrages d*un écrivain qui, sui-
vant toutes les probabilités, n'a pas dû se borner à composer cet unique
chef-d'œuvre. Mais, si Texistence du continuateur, Fernando de Rojas,
me semble un peu problématique, les ténèbres qui enveloppent Tauteur
de la première partie sont bien autrement épaisses. Rojas, ou réeri-
vain qui s est caché sous ce nom , déclare , dans Tépitredont nous avons
parlé ,.ne rien savoir de certain sur Tauteur primitif: «Les uns, dit-il,
désignent Juan de Mena ; suivant les autres , ce serait Rodrigo de Cota. »
De ces deux poètes (car lun et l'autre ne nous sont connus que par des
productions en vers), le premier florissait sous don Juan II de Castille,
dans la première moitié du xv' siècle ^ , le second un peu plus tard ,
sous 'don Juan II et sous don Heniîque IV. Dun autre côté, il est
prouvé que les vingt derniers actes de ia Célesline ont été écrits sous
Ferdinand et Isabelle, après 1 492 , époque de la prise de Grenade, car
ie siège de cette ville est mentionné au troisième acte, et il est fait allu-
sion, dans le quatrième et le septième actes, au lugubre cérémonial des
auta-da-fé, lequel ne s'établit en Espagne, avec toute son odieuse ma-
gnificence, qu'à la fm du xv* siècle. Aussi les meilleurs critiques espa-
gnols , Nicolas Antonio , don Antonio de Guevara , évêque de Monde-
nedo, don Tomas Tamago de Vargas, et plus récemment don Gasiano
Pellicer, pensent-ils que la langue du temps de don Juan II est trop
dissemblable de celle de la fm du xv* siècle , pour qu'il soit possible d'at-
tribuer à l'Ennius de Coixioue, Juan de Mena, le premier acte de la
Gélestine, lequel ne diffère que fort peu. pour le style, si même il dif-
fère , des actes suivants. Les auteurs que nous venons de nommer ont
donc attribué ce premier acte à Rodrigo de Cota , né à l'olède , auteur
de quelques essais plus véritablement dramatiques que la Gélestine , à
savoir, le Dialogue entre l'Amour et an vieillard^, et surtout une espèce
d*églogue intitulée Mingo Revalgo et GU Arribato, peinture satirique et
piquante des mœurs de don Henrique IV et de sa cour. Cependant cette
opinion, ia plus généralement admise, a trouvé des incrédules. Plu-
sieurs écrivains, entre autres, Lorenzo Palmireno, auteur du livre in-
titulé Hypoihiposes claroram viroram^, ont soupçonné que Fernando de
' Juan de Mena, né en i^ia , mourut en liiSâ. U est surlouk connu des iilté-
rftèeun par son poème intitulé : El labirinio ou Las trecientas copias, imitation de la
Divine comédie de Dante. — 'Ce dialogue a été réimprimé par flioralin dans ses
Origines da théâtre espagnol , 1. 1 , 2* partie , p. 3o3 et suiv. et à la fia de la dernière
édi^n espagnole de la Gélestine; Madrid, D. Léon Amarita, tSaa , ini2. — ^ Voy.
Nie. Antonio , Bihlioth. Hisp. art. Rodrigo de Cota.
AVRIL 1843. 203
Bojas pourrait bien être Tauteur de Touvrage entier. M. Germond de
Lavigne, dans son essai historique sur la Gélestine, a exposé et déve
loppé cette thèse avec beaucoup d'habileté, et Ta entourée de toutes les
probabilités qu'elle comporte; car, comme il le reconnaît très-judicieu-
sement, cette question est de celles dont, faute de données suffisantes ,
la démonstration n'est pas possible.
Eln se chargeant de traduire la Gélestine, M. Germond de Lavigne
ne s est dissimulé aucune des difficultés de sa tâche. Get ouvrage n'a au-
jourd'hui de valeur réelle que par la perfection du style. Entreprendre
d'introduire dans notre langue un monument littéraire aussi achevé ,
c'est accepter une lutte où l'intelligence et le travail ne suffisent pas
toujours, et où il faut encore le talent. M. de Lavigne n'a rien négligé
pour reproduire la naïveté du langage, la vivacité des sentences, le sens
souvent si difficile à saisir des proverbes , dont il a bien senti qu'il fallait
encore conserver le rhythme et le laconisme. Dans les efforts qu'il a tentés
pour remplir toutes ces conditions , il a presque toujours été heureux.
Nous n'avonns à lui reprocher qu'un très-petit nombre d'incorrections
qui lui sont échappées çà et là. Quoique ces négligences soient, par le
temps qui court , des vétiHes imperceptibles pour la plupart des lecteurs ,
nousne pensons pas moins qu'elles ne devaient point trouver place dans
la traduction d'un monument recommandable surtout par la propriété
et la pureté du langage. 11 aurait été désirable que M. Germond de La-
vigne eût évité d'admettre les locutions suivantes : De suite (p. io6,
169, îSa et a53), la côte d*an Jleave (p. 34 et 44), en outre d'avoir
(p. 54), en outre de plusieurs autres choses (p. 1 et ^33), se disputer
dans le sens de se quereller (p. xx, 199, 200 et a35), de manière à ce que
(p. a 76), prendre de la proie (p. 46 , note) , toutes manières de parler
vicieuses , mais qui , heureusement , nous le répétons , ne déparent que
de loin en loin la diction habituelfement correcte et même élégante du
traducteur. Nous lui reprocherons encore l'emploi de quelques mots
récents qui jurent avec un plus grand nombre d'autres qu'il a emprun-
tés à nos écrivains du xvi* siècle. Nous n'aimons pas, par exemple, le
mot horticulteur au lieu de jardinier.
Une des grandes difficultés qu'of&ait la traduction de la tragi-comé-
die de GaUxte et Mélibée, c'est la liberté vraiment latine que se permet
l'antenr original. M. Germond de Lavigne en a pris très -cavalièrement
9tiù parti. «Je n'ai pas cm, dit-îl, devoir à la pudeur auriculaire de
notre siècle de voiler une seule des expressions franches et nettes qui se
renoontrent^ans le texte. S'il est certains BdQts exclus de notre langage
depuis Molière, on ne les a pas effacés de ses écrits, on les prononce
36.
204 JOURNAL DES SAVANTS.
avec lui, et ce serait œuvre sacrilège que de se torturer i esprit pour
trouver de plats équivalents. J*ai donc religieasement conservé dans la
Célestinc toutes les expressions qui aujourd'hui sont reléguées dans le
vocabulaire du peuple ; elles appartiennent au caractère de Touvrage ,
et je n ai pas voulu détruire une des plus piquantes originalités de mon
modèle. Je me serais trouvé grandement coupable, si, (>6dantanx motifs
scrupuleux qui guidèrent le sire de Lavardin, j'avais osé répurger les
endroits scandaleux qui peuvent offenser les religieuses oreilles....! en-
core moins y mettre du mien Le traducteur n'est ni coiTecteur ni
interprète; il est copiste et reproducteur; il doit respecter même les
fautes, et s'estimer heureux quand il parvient à conserver les beautés. »
J'admets pleinement cette théorie de M. Germond de Lavigne; mais
je regrette de ne pouvoir approuver également la manière dont il l'ap-
plique dans certains cas. Il y a tel mot, qui, dans notre langue, est d'une
grossière et choquante obscénité , dont l'analogue castillan résonne à
toute heure d'un bouta l'autre des Espagnes, et qu'on entend les femmes
et même les jeunes fdles prononcer sans hésitation ni rougeur. Tra-
duire un tel mot par une simple transcription , c'est-à-dire par une ex-
pression que personne ne prononce en France , c'est commettre une
infidélité contraire à celle du bon sire de Lavardin; mais ce n'en est
pas moins commettre une infidélité véritable ^.
D'ailleurs, M. Germond de Lavigne a signalé de bien singulières va-
riantes introduites dans sa traduction par cet excellent seigneur tou-
rangeau. Seulement, M. de Lavigne a tort, suivant moi, de qualifier
de traduction pudique l'œuvre du sieur de Lavardin. Les passages les plus
scabreux, soit dans les situations, soit dans les paroles, ne sont pas
ceux que voile ce bon seigneur; je puis certifier que, dans presque
tous ces passages, il est très-suffisamment fidèle. U n'a guère cherché,
comme il le dit ingénuement, qu'à répurger les endroits qui pourment
choquer les oreilles religieuses et dévotes. Ainsi , toutes les fois qu'un
moine se trouve compromis avec quelques-unes des jeunes prot^ées
delà vieille Gélestine, le sire de Lavardin ne manque jamais d'écrire
^ M. de Lavigne admet, par exemple (p. 33, note a ) , que l'expression putd vieja
et quelques autres qui en aérivent étaient alors si fréquemment employées en Es-
pagne, que i'habilude en avait fait de simples exclamations* Il devait donc, pour
être conséquent, les traduire par des équivalents et non nar les mots mêmes, que
pi0rsonne ne prononce plus en France. D a montré assez a habileté en ce genre de
substituti<m , notamment à la fin de l'acte septième, p. i4o de sa traduction, si
toutefois il' n'a pas, en cet endroit, prêté à l'auteur une équivoque à laquelle celui-ci
n*avait pas songé. .1
AVRIL 1843. W5
dans sa version, au lieu d*un moine, un officier ^ ^, quand il s agit
d*un chanoine ,^ il substitue invariablement à la place un gros comman*-
deur^. Quelquefois , quand le passage est par trop blasphématoire , il le
supprime entièreihent. Savez-vous ce que prouvent ces précautions, qui
nous semblent aujourd'hui ridicules et puériles? Cest qu'eq France,
pendant nos guerres de religion, en 1678, le clei^é et ses adhérents
<lu parti catholique n entendaient pas raÛlerie sur des accusations dàêi
on avait fait contre lui une arme de guerre; tandis quen Ëspagiké^
surtout vers Tan i5oo , les membres du clergé se montraient par&iitç-
ment indifférents k des plaisanteries qui n avaient rien d*hostile, et dont
ils n'étaient probablement pas les derniers à se divertir.
En somme, la nouvelle traduction de la Gélestine et fessai historique
qui la précède attestent, dans M. Germond de Lavigne, de sérieuses
études et une connaissance approfondie des mœurs, de la langue et de
la littérature espagnoles.
MAGNIN.
Géographie dÈdrisi, traduite de V arabe en français , d'après deux
manuscrits de la Bibliothèque du Roi, et accompagnée de notes,
par M. P. Amédée Jaubert, etc. Paris, Imprimerie royale,
, in-4®, tome I, i836;toraelI, i84o.
PRBHIER ARTICLE.
Le géographe arabe dont fouvrage fait Tobjet de cette notice. fujt
longtemps coonu sous le nom impropre de géographe lie NjMe^ Qa sait
que cette dénomination avait été imaginée, et propagée par Je§ dgiil^
Maronites Sionita et Hesronita ^ auxquels le public , est, Befievable i^Nu|e
version latine de fabrégé de ce traité géographique. L*^i|^ur décrj^^^
le cours du Nil et son entrée dans la Nubie , le texte arabe impirui^é
offre ces mots Ui^l j '^.: secaA terram nostram. Les traducteurs cràreql
pouvoir conclure, de ce passage, que la Nubie avait été la patrie de llé^
mvain arabe : la eritique a fait jfusticé de cette îbypothèse haisardéb; J|
est bien reconnu aujowd'hui q«e , dans^ie textes aûiiiwi des molf.vU^
êemm noHramy il &ut lire VtM^jl illias terram; Et, <diailleurB;c^painA
' Voy. p. i5 verso, édit de tS^t. •«-?' Vc^-f . ni vcirso, i<|iim édilywk
.\
806 JOURNAL DES SAVANTS.
la. première ieçoa serait la véritable, elle ne prouverait rien du tout en
faveur de Topinion émise par les deux Maronites ; car l'expression terra
iiosfra aurait pu, sans inconvénient, être employée par notre géographe
pour désigner , non pas la contrée où il avait pris naissance , mais .
ea général, les pays soumis à Tislamisme. Nous savons aujourd'hui,
d*une manière inoubitaUe, que Tauteur se nommait le schérif£drisi,
Abou - Abd-allah- Mohammed- ben- Mohammed -^ben-Abd - allah-ben-
Edris-Hamoudi ^Ml 4X..s^ ^-^ «X-^ (^ ^^ M\ Jwi^^l (^i^j^^\ vJm^I
iS^y^ cr^^i {^- Ainsi que des titres l'indiquent, notre géographe était
schérif, cest-à-dire qu'il descendait d'Ali, gendre de Mahomet; il appar-
tenait à la famille de cet Edris qui, dans le second siècle de Th^^e,
ayant quitté l'Orient pour se dérober à la vengeance des khalifes Ab-
bassides, vint se réfugier à l'extrémité de l'Afrique septentrionale, où
ii créa une monarchie puissante , et dont le fils , qm*. portait également
le nom d'Edris , fut le fondateur de la ville de Fez. Les Edrisites ayant
été précipités du trône par les armes victorieuses d'une dynastie rivale,
ceux des membres de la famille d'Edris qui échappèrent au carnage se ré-
fugièrent en Espagne , où ils occupèrent des emplois impoitants. Parmi
les branches de cette noble famille on distinguait celle de Hamoud ,
qui s'était établie dans plusieurs villes d'Espagne , et , entre autres, dans
celle de Malaga, où dés membres de cette famille occupèrent succès
siyement le rang honorable d'émirs. Bientôt une révolution leur enleva
cette position importante et les força à se réfugier dans des cantons
plus ou moins éloignés de lem* terre natale. Nous apprenons de Mak-
kari ^ qu'une branche des schérifs de la famille d'Edris était établie
dans la ville d'Alexandrie ; et nous voyons paraître , sous le règne de
Saladin, un schérif Edrisi , que l'on a voulu mal à pcopos confondre
È!te6 Mttfi géographe. )
'"'Suivant ie témoignage de Casiri, notre géographe vint au Inonde
daufepla'Ville de Sebtah (Geuta), l'an li^i dél'hégire (deJ.Gi 1099),
ët'^fikt élèyé'-b'€ordouê. Il est fftcbeux que le docte Maronite ne nous
ait- i^s' fait ébhiiaître les auteurs arabes auxquels il a emprunté ce do-
cttthie^t. Toutefois , comme on ne peut soupçonner qu'un homme tel
^eCaskii ait avancé à la légère un fait dont il n'aurait pas eu par de-
vjei^ lui hi preuve matérielle^ oh doit ciroire que l'indication donnée
liairliii o^ par£Buièmentexiacte,«t appuyée sur i'assertion d'auteurs èien
ilg^riitUitOn' pouvait x)bîiecter<pieno^^ pariant de la ville
Aê'Sebtah.,! énrxLonufi une dàscription bien abr^ée, bien sèche, sang
' HisimPê-itEiimfm, th, nan. 'fptbe 70&, bi^'^b t*.
1-/
AVRIL 1843. . 201
que rien n indique cette prédilection que tout homme conserve si ha<-
turellement pour le lieu où il a vu le jour; maison peut répondre que,
probablement « notre auteur avait quitté sa patrie dans un âge encore
tendre , et n'avait pu conserver de cette ville qu un souvenir vague et in-
complet. Quant à la ville de Gordoue, si Ton considère le soin que notre
géographe a pris d'en donner une description complète, de relever, en
termes pompeux, les avantages de sa situation, la magnificence de ses
monumetits, labondance et la richesse de sa population, on restera
convaincu que Tauteur avait vu cetta capitale dons les plus grands dé*
tails, qu'il y avait longtemps séjourné, et qu'il y avait, en effet, passé
les plus belles années de sa jeunesse. 11 paraît certain qu'il avait visité
plusieurs parties de l'Espagne et de l'Afrique. Parlant du flux et du re-
flux de la mer, il atteste ^ qu'il avait été témoin de ce phénomène sur
les bords de l'Océan qui baigne les côtes occidentales de l'Andalousie.
Il nous apprend^qu'il avait vu le détroit de Gibraltar; qu'ilavait visité les
fameuses mines de mercure situées dans l'Andalousie '. Il rapporte ^
que, dans la ville africaine d'Agamat , l'eau gèle souvent, que la ^ace ac-
quiert une assez grande épaisseur^ et que les enfants glissent dessus sans
qu'elle se rompe : il assure avoir vu lui-même le fait. Parlant du pont
bâti sur la rivière qui coule à Constantine ^, il ajoute : u G'est l'une des
constructions les plus curieuses que nous ayons jamais vues. » Parlant
de l'animal qui produit le parfum de la civette ^, il ajoute : « On trouve
des civettes en quantité dans l'Afrique occidentale, et particulièrement
aux environs du pays des MouUUthemis : c'est un animal très-oonnu;
nous l'avons vu de nos propres yeux.» La manière dont l'auteur s'ex-
prime indique, si je ne me trompe, que c'était sur les lieux mêmes
qu'il avait été à portée d'observer l'animal dont il nous offiré la descrip
tion. Des circonstances, sur lesquelles nous ne connaissons aucun ék-
tail , le conduisirent momentanément dans l'Asie Mineure ; car il noue
apfrend que, l'an 5io de l'hégire (de J. G. 1 1 16}, il se troavflk
auprès des ruiaes de l'antique hphèse, et qu'il visita la grotte célèbre
des Sept'Dormants ^. Mais rien ne donne à penser que, soit dans cettM!
occasion, soit plus tard, il ait poussé au delà de cette limite ses excur-
sions vers l'Orient, ni qu*il ait visité l'Egypte, la Syrie et les autres
contrées soumises à la domination musulmane ou à celle des cfatfé^
tiens. Ainsi, par exemple, décrivant^ la grande mosquée qui a ptia
la pdace du temple de Jérusalem^ et qui est connue sous le nom 4e
* Géographie, 1 1, p. 96. — • P. aiû. — * P. a43. — • T. Il, p. 3* — • P. 66
— • P. 190. — 'T. n, p. Soo. — •!. I, p. 345.
208 JOURNAL DES SAVANTS.
Mesdjid-alaksà (y^Ai^l «^h^*^* ii s'exprime en ces termes : « H n en existe
pas au monde qui Végale en grandeur, si Ton en excepte toutefois la
grande mosquée de Gordoue en Andalousie; car, d'après ce que Ton
rapporte, ie toit de cette mosquée est plus grand que celui de la Mes-
^id-alaksâ. » Or Tauteur, qui bien certainement avait vu à loisir la
grande mosquée de Cordoue , ne se serait pas exprimé de cette manière
dubitative, et n'aurait pas invoqué des témoignages étrangers, s il eût
été à même de voir par lui-même la mosquée de Jérusalem, et de la
comparer avec le monument doat sa mémoire avait dû conserver une
image fidèle.
Nous ignorons quelles circonstances amenèrent notre géographe en
Sicile, et à quelle époque précise il vint fixer sa résidence dans cette
île. Mais on peut, sur cet objet, former des conjectui'es assez vraisem-
blables. Dans le vi* siècle de f hégire , TAfrique septentrionale se trou-
vait^ tout entière sous la domination des princes qui avaient renversé
du ti*ône la famille de notre auteur. Il est donc probable que cette
contrée loi ofirait peu de sécurité. Et, d'ailleurs, son habitation pré-
caire dans un pa^ys où ses ancêtres avaient régné avec quelque gloire
ne pouvait manquer de présenter à son esprit un contraste pénible,
un spectacle fatigant. D'un autre côté l'Espagne , où le nom des Arabes
avait jeté un si vif éclat ^ était envaliie par les armes des chrétiens,
qui, chaqtie jour, par des conquêtes rapides, enlevaient aux musulmans
quelques-unes des villes où ils avaient établi leur domination. Et Ton
pouvait presque prévoir Tépoque où ces redoutables vainqueurs achè-
veraient d'écraser, dans cette contrée, les restes de la puissance de l'isla-
misme, et arboreraient partout la croix à la place du croissant. Au milieu
de ces circonstances pénibles , il est probable que l'Edrisi sentit se re-
lâcher les liens qui l'attachaient à son pays natal , et qu'il se décida , si-
non sans peine , du moins sans ti^p de répugnance , à aller chercher
sur une terre étrangère la sécurité que ne lui offraient plus les contpées
où il avait passé son enfance et sa jeunesse. A cette époque, la Sicile
avait pour roi le prince normand. Roger II, homme d'un mérite émi-
neot, qui réunissait à toutes les grandes qualités qui conviennent à un
monarque un goût vif et éclairé pour tous les genres de science et de
littérature. Guidé par tme sage tolérance, il accueillait avec bonté les
miisulmans quji se distinguaient par leur savoir , les admettait à sa cour,
encourageait leurs efforts , et récompensait leur savoiravec une rare
munificence. L'Edrisi, attiré, sans doute, par la noble réputation de ce
gr^nd prince,., vint chercher un refuge dans ses Etats, où il trouva la
protection et les égards que réclamaient également sa naissance et son
AVRIL 1843. 209
mérite. Un témoignage irrécusable nous atteste quel accueil notre au-
teur éprouva à la cour du roi de Sicile , et exprime la reconnaissance
dont il était pénétré pour les bienfaits dont Favait comblé son nouveau
maître. Car, en deux endroits de son ouvrage , il peint en traits pom-
peux le portrait de Roger, qu'il représente comme le modèle des sou-
verains, comme un homme accompli. Parmi les sciences dont Tétude
occupait les loisirs de ce prince, la géographie tenait le premier rang;
et il paraît que Roger montrait , pour ce genre de recherches , un goût
qui était porté jusqu'à la passion. Après avoir recueilli par lui-même ,
ou fait recueillir, tout ce que, de son temps, on savait sur les contrées
de l'Europe et les parties dé TAsie Mineure qui étaient soumises à
Tempire de Constantinople , il voulut réunir des renseignements non
moins abondants , non moins authentiques , sur les vastes pays deTAsie
et de TAfirique. Or, à cette époque , et le prince ne l'ignorait pas , les
ouvrages des chrétiens ne pouvaient oflfrîr, siu* une pareille matière ,
que des documents fort incomplets. Quelques relations commerciales
existaient, il est vrai, entre plusieurs villes de la chrétienté et les ré-
gions de l'Orient; mais les négociants ne fréquentaient qu'un petit
nombre de villes situées sur le bord de la mer , et ne s'aventuraient
guère à pénétrer dans l'intérieur des terres. Roger s'était, à la vérité,
rendu maître de quelques points de l'Afrique. Les croisés avaient établi
leur domination sur la Palestine et une partie de la Syrie; mais ces con-
quêtes n'offraient à la géographie que de faibles lumières. On pouvait
décrire les pays soumis par les armes des chrétiens; mais, quand il s'a-
gissait de pénétrer plus loin, l'esprit religieux, la haine naturelle, en-
core fomentée par des hostilités journalières, opposaient aux efforts des
explorateurs de la science des obstacles insurmontables. On savait ([ue
des écrivains arabes- d'un mérite réel avaient, à plusieurs époques, par-
couru en divers sens les vastes régions de l'Asie et de l'Afrique, et en
avaient rédigé des descriptions plus ou moins étendues, plus ou moins
autlientiques. C'était donc là qu'il fallait chercher les matériaux d'une
géographie de ces pays lointains. L'exécution d'un pareil projet récla-
mait une connaissance approfondie de la langue arabe. Or, comme ,
à cette époque , on ne trouvait qu'un petit nombre de chrétiens qui
possédassent cet avantage, et que ceux même qui se livraient à cette
étude n'avaient pour but que les besoins du commerce, et se bornaient
à une connaissance pratique de lidiome vulgaire , sans se mettre en
peine d'approfondir la littérature des peuples musulmans, Roger, qui
sentait ce grave inconvénient , comprit qu'il ne pouvait mieux faire que
de confier ce travail important à un Arabe instruit et judicieux. Son
K
210 JOURNAL DES SAVANTS.
choix tomba sur le sehérif Ëdrisi, qui, comme nous Tavons dit, se trou-
vait alors en Sicile.
Le monarque sicilien s'occupait lui-même de ces recherches géo-
graphiques avec un zèle, une ardeur infatigables, comme aurait pu
faire un simple particulier qui aurait fondé sur le travail sa fortune lit-
téraire. Après avoir fait compulser et dépouiller tous les auteurs arabes
qui se trouvaient à sa disposition, et qu'avait rassemblés pour lui
le schérif Edrisi, s'aperce vant que leurs récits, confrontés l'un avec
Tautre, bien loin d*offrir un corps complet; un ensemble de ren-
seignements imiformes, bien liés dans toutes leurs parties, ne pré-
sentaient que trop souvent des contradictions visibles, dès invraisem-
blances palpables ^ il s'attacha à consulter, soit par lui-même , soit par
Tiatermédiaire d'interprètes habiles , les voyageurs qui avaient parcouru
les régions les plus lointaines du globe. « Toutes les fois qu'ils tombaient
d*accord et que leur rapport était unanime sur un point , ce point était
admis et considéré comme certain. Quand il en était autrement, leur
avis était rejeté et mis de côté^. Voulant inettre à profit et commu-
niquei* au public le résultat de si longues et de si patientes investiga-
tions , le roi fit préparer une vaste planche à dessiner, sur laquelle on
grava, un à un, au moyen de compas en fer, les points indiqués dans
le^ ouvrages consultés, et ceux sur lesquels on s'était fixé, d'après les
assertions diverses de leurs auteurs, et dont la confrontation générale
avait prouvé la parfaite exactitude. Il ordonna , de plus , que l'on coulât
en argent pur et sans alliage un cercle (planisphère) d'une grandeur
énorme, du poids de quatre cent cinquante livres romaines, chaque
livre pesant cent douze drachmes. Il y fit graver, par des ouvriers ha-
biles, la configuration des sept climats, avec celle des régions, des
pays, des rivages voisins et éloignés de la mer, des bras de mer, des
aiers et des cours d'eau , l'indication des pays déserts et des pays cul-
tivés , de leurs distances respectives par les routes fréquentées , soii<'^n
milles déterminés, soit en (autres) mesures connues, et la désignation
des ports , en prescrivant à ces ouvriers de se conformer scrupuleuse-
ment au modèle tracé sur la planche à dessiner, sans s'écarter, en au-
cune manière , des configurations qui s'y trouvaient indiquées. Enfin ,
le monarque voulut que, pour l'intelligence de ce planisphère, on ré-
digeât un livre qui offiritxine description complète du monde habitable,
l'indication des villes, des mers, des montagnes, des fleuves, des dé-
tails circonstanciés sur les espèces de grains , de firuits, de plantes que
>
' Préface, p. xix, xx.*
AVRIL 1843. 211
produit chaque pays , les propriétés de ces plantes , les arts et métiers
dans lesquels excellent les habitants, les objets de commerce et les objets
curieux qu offre chaque région , l'état des populations , leurs mœurs , leurs
religions, leurs habillements, leurs idiomes.»
Ce -travail, exécuté, d après les ordres du roi; parle schérif Edrisi*.
porte le tiire de ^U^l ^ij^t i (i\:iJSéU i^, c est-à-dire Délassements
de l'homme désù^eux de parcourir les diverses contrées da monde. Il est éga-
lement cité sous le titre de^U?^ 4-*Uê>, le Livre de Roger, comme ayant
été écrit par ordre de ce prince.
Ce traité de géographie , suivant Fassertion formelle de Tauteur, était
donc destiné à servir de développement et d'explication à cette grande
carte et à ce planisphère d*argent dont le monarque sicilien avait ordonné
la fabrication. C*est ainsi que , plusieurs siècles après, Tan 987 de Tfaé-
gire, suivant le témoignage de Firischtah^ Tempereur mogol Humaioun
fit exécuter un vaste globe solide, qui ofirait, avec des couleurs diffé-
rentes, Imdication des diverses r^ons de la terre, la figure des astres ,
les noms des étoiles, etc.
Notre auteur nous donne la liste des géographes orientaux dans les
écrits desquels il avait puisé les éléments de son ouvrage, et je fiend
observer que, dans cette nomenclature, il s'est glissé une erreur, qui,
sans doute, doit être exclusivement attribuée aux copistes. Il est fait
mention du Livre des merveilles os!^^) c^U^»^ , composé par Masoudi;
mais cette assertion est inexacte. Parmi les livres qu'avait produits la
plume féconde du judicieux Masoudi, il n'en est aucun qui porte le
titre de Livre des merveilles. En second lieu , notre auteur, qui cite Sou-
vent ce dernier ouvrage *, l'attribue expressément* à un écrivain nommé
Hasan-ben-Âlmondar. Suivant toute apparence , un copiste , ayant sons
les yeux un exemplaire dans lequel se tix)uvaient indiqués le Morondj-
Addhahah 4^ jJl ^ji^de Masoudi et le Livre des merveilles de Hasan-brâ-
Almondar, aura , par mégarde , passé une ligne et attribué à Masoudi un
livre auquel il n'avait eu aucune part.
Le traité géographique rédigé par l'Edrisi contient, comme ii est
facile de le voir, peu d'observations qui fussent le résultat des re-
cherches personnelles de l'auteur, puisque ses voyages ne s'étaient éten-
dus que sur un petit nombre de pays. On ne doit y chercher qu'une
compilation savante, qui présentait un résumé exact de ce que Ton' sa-
vait, à cette époque, sur la description du globe. On y trouve même
^ Histoire de Vlnàe, i. I, p. 397. — * Préface, p. zix. — ' Géographie, 1 1, p. 29
et passim. — ^ Ihid. p. 38.
2J2 JOURNAL DES SAVANTS.
un avantage que n*offirirait, au même degré, aucun autre ouvrage des
écrivains orientaux; je veux dire des renseignements, en général exacts
et circonstanciés, quoique mêlés de quelques fables, sm* les contrées de
TEurope occupées par les chrétiens. On conçoit que Tau leur s était
trouvé, à cet égard, dans une position toute particulière , puisqu'il avait
pu faire usage de tous les renseignements recueillis à grands firais , par
ïej ordres et les soins du roi Roger. Quant à ce qui concerne TAsie et
l'Afrique, on pourrait, avec ime sorte de certitude, déterminer ce que
notre géographe a emprunté à chacun de ses prédécesseurs. Il nous
apprend lui-même que, dans la description qu*il fait des pays habités par
les Turcs \ il avait pris pour guide Aboalkâsem-Abd-allah-ben-Khor-
dadbeh.Les détailsquildonnesurla Perse et les contrées voisines, sur
les itinéraires qui traversent TOrient, sur l'Egypte, sont, en général, pui-
sés dans Touvrage d*Ebn-Haukal. Le traité intitulé <-^jJJ g.^, rédigé
parMasoudi, a été continuellement mis .à contribution par notre auteur,
qui en transcrit, à tout moment, de très-longs passages , sans y changer
un seul mot. On peut être surpris que Tauteur ne cite pas une seule fois
un écrivain qui avait dû lui fournir, sur l'Afrique septentrionale, TEs-
pagne, etc. les détails les plus circonstanciés, les plus authentiques;
je veux dire Abou-Obaîd-Bekri. Ce géographe habile, sur lequel j'ai
donné quelques renseignements, et dont j'ai traduit, en grande partie,
l'ouvrage , avait écrit près d'un siècle avant notre auteur, et il avait des
droits particuliers à la reconnaissance de celui-ci, puisqu'il s'était plu à
retracer avec quelque étendue l'histoire de la famille d'Edris.
Notre géographe, ainsi qu'il nous l'apprend lui-même^, acheva son
ouvrage dans les derniers jours du mois de schewal, l'an 51x8 de
l'hégire (de J.-C. ii54), et son récit se concilie parfaitement
avec ce qu'il dit de la conquête faite par Roger des villes de Sfaks et
de Mahdiah^, de la prise de Tripoli, l'an 54 o, par les armes du
roi * , de l'occupation de Gaza par les croisés ^. Toutefois , cette
assertion ne doit pas être prise à la rigueur ; et il est facile de se con-
vaincre que, si la première rédaction fut, en effet, terminée à l'époque
susdite , l'auteiu* retoucha à plusieurs reprises son traité , et y fit de
Jipmbreuses additions. Il nous apprend que, l'an 548^, la ville de Bone
•fut conquise par un des lieutenants de Roger. Puis, il ajoute : u Elle est
actuellement pauvre , médiocrement peuplée , et administrée par un
agent du grand Roger, issu de la famille de Hamad. » On conçoit faci-
* Géographie, t. I, p. Agg. — * Préface, p. xxii. — ^ Géographie, t. I, p. 267,
a58. — * P. 373. — ' P. 34o. — • T. I, p. a68.
AVRIL 1843. 213
lemeat que ces lignes n'ont pu être écrites en 548. L'auteur, après avoir
dit que Tîle de Djerbeh^ était tombée, Tan 629 de l'hégire, au pou-
voir de Uoger, ajoute : « Les habitants se soumirent d'abord et restèrent
tranquilles jusqu'à l'an 548, époque à laquelle ils secouèrent le joug.
Roger, pour les punir, y envoya une nouvelle flotte. L'île lut de nou-
veau conquise; les habitants furent réduits en esclavage et transportés
à la ville.» Ceci n'a dû être écrit que postérieurement à Tannée 548.
Parlant de la ville d'Âscalon ^, il s'exprime ainsi : « Le roi de Jérusalem,
â la tête d'une armée de chrétiens, s'en empara, fan 548 de Thégire,
et les chrétiens la possèdent encore à présent, w II atteste qu'à l'époque
où il écrivait ^ a le sultan des chrétiens des deux Castilles et de l'Anda-
lousie faisait sa résidence à Tolède. » Il fait observer^ que la ville de
Coria était au pouvoir des chrétiens. Il nous apprend ^ que la ville de
Makhrit (Madrid) était, ainsi que Tolède, au pouvoir des chrétiens,
dont le roi, d'origine castillane, est connu sous le nooi d'Alphonse; il
rapporte^ que la ville d'Alméria, qui, sous le règne des princes Mou-
lattfaemi, était une ville musulmane, tomba sous la domination des chré-
tiens. Il atteste que la ville de Cordoue , qui était encore le siège du
khali&t^, était bien déchue de sa grandeur^. Enfin, il assure que la
ville d'Alzahirah était en décadence et en ruines.
En rendant justice aux ti'avaux de l'Edrisi, on peut, toutefois, lui
adresser plusieurs reproches très-réels : d'abord , la division de l'ouvrage
par climats présente une distribution fort peu claire, fort peu mé-
thodique. Le lecteur se trouve conduit, en un moment, des côtes de
rOcéan Atlantique aux rivages de la Chine. Il voit passer devant lui la
description de contrées importantes, sans pouvoir s'y arrêter et les en>-
brasser d'un coup d'œil. De là résulte un vague , ime int:ohérence ex-
trême dans les renseignements que renferme le livre. Il faut, à chaque
instant , pour suivre le fil d'une narration intéressante , sauter d^un
endroit à un autre , chercher à de grandes distances la suite d'un récit ,
qui perd, ainsi morcelé , une grande partie de son importance. Certes
il n'est aucun lecteur qui ne préférât avoir sous les yeux la description
complète d'un pays , la saisir dans tous ses détails , et ne s'en éloigner
qu'après avoir épuisé tout ce qu'elle pouvait offrir à sa curiosité. ^
l'auteur avait voulu absolument s'en tenir à une exactitude méthodique
et minutieuse, il aurait pu facilement atteindre son but, en réunissant
dans une ou plusieurs tables les noms des lieux qui appartiennent à
' P. 281. — • P. 34o. — *T. I, p. i3. ^ * P. i5. — =* P. 3a et 33. — ^ P. 43.-
45. — . ' P. 57. — • P. 63.
214 JOURNAL DES SAVANTS.
chacun des climats du globe. En second lieu , notre géographe n'a pas
eu soin de fixer Torthographe des noms de lieux qu'il a réunis et trans-
crits en si grand nombre. Or, quand on se représente le vague de i al-
phabet arabe, où les figures des lettres se confondent avec tant de faci-
lité , on sent que cette précaution , qui consiste à fixer la valeur des
caractères dont chaque mot se compose , est non-seulement de la plus
grande utilité, mais que réellement elle est indispensable. Si récrivaiïi
n'a pas pris un pareil soin , le lecteur reste perpétuellement dans fin-
certitude , ne sachant comment il doit lire un nom , et exposé à trans-
crire plusieurs fois le même mot, sous des formes tout à fait différentes.
Or, il faut le dire, notre auteur n'a jamais songé à déterminer, d'une
manière claire et précise, la véritable orthographe des noms qu'il
offrait à ses lecteurs. Enfin , il ne faut pas se faire illusion sur les pro-
messes, peut-être un peu trop pompeuses, que renferme la préface de
fauteur. Si on l'en croit, son livre devait présenter une réunion de tout
ce que l'on peut savoir de plus intéressant sur les mœurs, les institu-
tions, les religions, le commerce et les idiomes des différents peuples.
Mais, il faut favouer, un plan si beau n'a été réalisé que d'une manière
imparfaite. Sans doute la Géographie d'Edrisi nous a conservé un cer-
tain nombre de faits curieux, instructifs, puisés chez des écrivains dont
les ouvrages ne sont pas sous nos yeux; mais, trop souvent aussi, k la
place de ces notions caractéristiques qui peignent l'esprit d'une société,
qui nous initient dans le secret de ses institutions, de ses ressources,
de ses arts, nous ne trouvons que des descriptions vagues , incohérentes,
incomplètes , qui sont bien loin de satisfaire à tout ce que peut récla-
mer à bon droit la curiosité de lecteurs instruits et judicieux.
L'ouvrage de l'Edrisi forme, sur la géographie , une compilation aussi
complète qu'il lui était possible de foffrir, et qui présentait tout ce
qu'on avait recueilli de plus certain sut la configuration du globe,
sur fétat des différentes contrées du monde; ce livre n'a pu man-
quer d'être consulté avec fruit par les géographes postérieurs. Ebn-
Khaldoun l'a mis constamment à contribution, et c'est, en grande par-
tie , et on pourrait même dire uniquement , dans cette source qu'il a
puisé son érudition géographique. Abou'lfeda et d'autres écrivains font
Bréquemment cité comme une autorité imposante. On se demande
comment les écrivains arabes, tout en rendant justice aux travaux de
notre auteur, ne nous ont rien appris sur sa personne, sur les circons-
tances de sa vie? Il est facile de répondre à une pareille question. L'E-
drisi, ayant quitté le pays de sa naissance, étant allé chercher un asile
à la cour d'un roi chrétien , ayant voué au service de ce piince sa per-
AVRIL 1843. 215
sonne et ses talents , était regardé comme perdu pour les musulmans.
A une époque où la haine que les sentiments religieux entretenaient
entre les chrétiens et les musulmans était parvenue au plus haut de-
gré d'intensité, où les conquêtes des croisés dans la Palestine, celles
des Castillans dans TEspagne , en menaçant Texistence de l'islamisme ,
portaient dans le cœur des sectateurs de ce culte un sentiment amer,
dont rien ne pouvait modérer l'expression, un écrivain, l'Edrisi, avait
osé faire un éloge pompeux d'un roi normand, et tracer de ce prince
un portrait empreint de tout ce que la reconnaissance et l'admiration
peuvent inspirer à un sujet dévoué, au serviteur le plus humble et le
plus respectueux. De plus , dans tout le cours de son ouvrage, l'auteur
montre, à l'égard du christianisme et des chrétiens, la plus rare im-
partialité. Nulle part on n'y trouve ces expressions d'aigreur et de
mépris qu'on rencontre si fréquemment sous la plume des écrivains
musulmans. Ce trait a paru si frappant, que Ton a été jusqu'à penser
que notre géographe s'était converti au christianisme. Soit que cette mo-
dération religieuse eût sa source dans les sentiments nobles et élevés de
l'auteur, soit qu'elle fût le produit de l'indifférence d'un esprit fort, soit
qu'enfin elle tînt simplement à la position de l'écrivain, les musid-
mans rigides, dont le zèle était alors exalté et poussé jusqu'au fana-
tisme, ne purent voir de sang-froid ce qu'ils regardaient comme une
sorte de trahison contre l'islamisme. Quand on se représente que cet
ami des chrétiens, ce panégyriste de Roger, était unschérif, un descen-
dant du prophète, on conçoit que sa conduite dut exciter un profond
scandale, et que les dévots musulmans crurent faire encore grâce à
fauteur en taisant son nom, en enveloppant dans un oubli insultant
tout ce qui concernait sa personne et ses actions.
Le grand traité de géographie de l'Edrisi était resté presque com-
plètement inconnu aux savants de l'Europe. Un abrégé, dont nous
ignorons l'auteur, fut publié, l'an 1 892, è Rome , par l'imprimerie des
Médicis; et , l'an 1619, deux Maronites , Sionita et Hezronita , firent im-
primer à Paris une édition latine. Mais, dix-neuf ans avant cette époque,
l'an 1600, un des hommes les plus célèbres dont l'Italie s'honore,
Bernardino Baldi, abbé de GuastaUa, rédigea en italien, d'après le texte
arabe, une version du même livre. Cette traduction, qui n'a jamais vu
le jour, et qui parait avoir été ignorée des biographes auxquels on doit
la vie de ce savant illustre, était conservée dans la bibliothèque du
cardinal Albani. A l'époque où Rome fut soumise à la domination
firançaise, le manuscrit, ayant été apporté en France, fut acquis, vers le
commencement de ce siècle , par M. le !> Prunel, pour la bibliothèque
216 JOURNAL DES SAVANTS.
de la faculté de médecine de Montpellier. Ce savant ayant bien voulu
noie communiquer ce livre intéressant, je rédigeai, sur ce qui le concerne,
une note qui doit se trouver encore aujourd'hui en tête du volume.
N ayant point sous les yeux ce manuscrit, je ne puis encore réaliser ce
que je m'étais promis,. c est-à-dire présenter au public quelques mor-
ceaux de cette traduction et les mettre en parallèle avec la veçsion la-
tine ainsi qu'avec celle de M. Jaubert. Peut-être serai-je plus heureux
lorsque je publierai mon second article; car j'apprends que l'envoi du
manuscrit a été demandé au nom de monsieur le ministre de l'instruc-
tion publique. Feu M. Melchior Hartmann publia , sur l'Afrique d'Edrisi,
un commentaire rempli d'une vaste érudition. La partie qui concerne
l'Espagne fut donnée par Gonde, avec une traduction espagnole et des
notes instructives. Enfin, la description de la Sicile, après avoir été
publiée en latin dans les Opuscoli degli scriitori siculi, fut insérée, avec
le texte arabe, par le chanoine Rosario Gregorio, dans la collection
qui a pour titre : Rerum Arabicaram ad &ciUam spectantium ampla collectio,
et qui se compose d'un volume grand in-folio.
L'ouvrage entier, ainsi que je l'ai dit, était resté à peu près inconnu ;
on savait seulement qu'il en existait deux manuscrits dans la biblio-
thèque d'Oxford , et le célèbre Ed. Pococke en avait extrait et publié
un fragment, qui contenait la description de la Mecque. M. Amédée
Jaubert, ainsi qu'il nous Tapprend lui-même, se livrant à des recherches
littéraires dans la Bibliothèque royale, découvrit, parmi les nombreux
volumes que renferme ce riche dépôt, un manuscrit non catalogué , qui
paraissait axoir échappé à toutes les investigations des savants , et dans
lequel un examen attentif ne tarda pas à lui faire reconnaître le traité
cosmographique d'Edrisi. La société de géographie , toujours empressée
de concoiurir efficacement aux progrès de la noble science qu'elle a prise
S0U5 son patronage, sentit qu'une traduction complète de cet ouvrage
offrirait aux savants un secours d'un prix inestimable. M. Jaubert fut
prié d'entreprendre cet ouvrage et ne recula point devant celte tâche
longue, pénible, mais importante. Sur ces entrefaites, la Bibliothèque
royale s'enrichit d'un nouveau manuscrit qui fait-partie de la collection
rassemblée par feu M. Asselin de Ghervilliez. Grâce à ce nouveau se-
cours , M. Jaubert put conférer ensemble les deux manuscrits, corriger
les fautes de l'un des textes par la comparaison de l'autre, rectifier l'or-
thographe des noms de lieux. Malgré une absence de deux années, du-
rant lesquelles le traducteur, chargé, par le gouvernement fit'ançais,
de la mission la plus honorable , résida à Gonstantinople pour défendre
et assurer les intérêts du royaume de la Grèce, la version fi^ançaise
AVRIL 1843. 217
d*Edrisi , loin d'être abandonnée, fut poussée, au contraire, avec une ac-
tivité vraiment méritoire. L'ouvrage, confié aux presses de Tlmprimerie
royale, ne tarda pas à voir le jour; il se compose de deux volumes
in-4°, dont le premier lut publié en i836 et le second en i8/io.
M. Jaubert s est partout attaché à ofïrir à ses lecteurs une version fi-
dèle, claire et élégante, du traité d'Edrisi. Ne pouvant pas publier le
texte arabe , il a eu soin de transcrire, en caractères originaux , tous les
noms de lieux, ainsi que les passages qui pouvaient présenter quelque
difficulté , laisser quelque doute ; des guillemets désignent les morceaux
qui ont été omis dans Tédition de Tabrégé arabe. Le traducteur a eu
soin de donner, entre parenthèses, le véritable nom des lieux, que l'au-
teur arabe avait quelquefois représentés d'une manière peu fidèle. De
courtes notes, placées au bas des pages, indiquent les vaiûantes des
deux exemplaires manuscrits, celles que présentent Tabrégé arabe, et
offrent des observations utiles pour l'intelligence du texte, des rappro>
chemeiits empruntés à d'autres auteurs, à des voyageurs européens.
Le traducteur aurait pu facilement, s'il l'avait voulu , multiplier ce genre
de remarques. Personne n'était plus propre à ce travail que M. Jaubert,
qui réunit à l'érudition puisée dans les livres un avantage inappré-
ciable, celui d'avoir par lui-même, dans le cours de ses importantes
missions, exploré une bonne partie de l'Orient, étudié à fond la topo-
graphie, les moeurs, les institutions des peuples de cette contrée, et
dont on peut dire avec vérité :
Qui mores hominum multorum vidit et urbes.
Mais on conçoit que, «omme la traduction se composait déjà de
deux volumes in-^"*, un commentaire perpétuel qui aurait embrassé
toutes les parties de cette vaste composition , devant prendre une ex-
tension immense, aurait probablement opposé à la publication de l'ou-
vrage des obstacles insurmontables. M. Jaubert, forcé par ime nécessité
absolue , a donc dû s'abstenir des développements dans lesquels il se
serait engagé avec tant de plaisir, et se renfermer dans ce qui était ab-
solument essentiel pour faciliter l'intelligence du livje qu il était ap*
pelé à reproduire.
QUATREMÈRE.
( La suite à un prochain cahier. ]
a8
218 JOURNAL DES SAVANTS.
Nouveaux documents inédits sur le P. André et sur la persécution
du Cartésianisme dans la compagnie de Jésus,
OEUXIÉMB ARTICLE.
La i>éclamation d*Ândré fut donc inutile, et pourtant il croyait bien
avoir pri^ toutes les mesures nécessaires pour la faire réussir. En même
temps quil Tadressàit au P. général, il avait eu soin d^écrire à un de
se» confrères et amis le P. Deschamps \ qui était alors en Italie, et de
lui demander son appui auprès du révérend père assistant pour le
roJFaume de France, le P. Daubenton^, qui ne pouvait manquer d*avoii'
ilu crédit sur Tesprit du général de la compagnie. Par les mains du
P^Deschamps il adressa au P. DaubentQn uoe relation de toute Taffaire,
latitude Relation jidèle , où il fait connaître toute sa coirespondance avec
le 1 révérend père provincial Delaistre, et reproduit ^ peu près tout ce
que bous avons vu dans les lettres précédentes.
:llstt£Bra 4e donner les deux passages de cette relation où le P. André
iftîl «allusion aux deux cartésiens de la compagnie quon épargnait tandis
quoo lé fi^appàit, îet où il nous apprend que le recteur du collège de
Glerm<HQt, qui lavait dénoncé sans. l'avertir, était le célèbre Letellier'.
* Ce ne peut être le P. Etienne Deschamps , auteur du livre De hœresi Janse-
niana ab apostolica sede mêritd prosûripta (la dernière édition par le P. Souciet est de
Paris, in-fol. 1728), et de plusieurs autres ouvrages, célèbres dans leur temps, né
à 'Bourges en i6i3, mort à la Flèche au mois d'août 1701. Voy. les Mémoires de
Trévoux, janvier 170^ , et le Dictionnaire de Moreri, art. Champs ( de ). — * Le P.
Guillaume Daubenlon était né à Auxerre en i648„ entré dans la compagnie en
i665, recleur du collège de Strasbourg quand la France acquit T Alsace, puis con-
fesseur d'Anne Victoire, mère de Philippe V, ce qui le conduisit à devenir celui de
ëé prince quand ilhidûta sur le trône d'Espagne. Il' partit, en 1700, pouP aller
namplircet emploi; mais il se forma bientôt contre lui un parti pubsant, et il revint
en France. En 1706, il fut député à Rome pour la quinzième congrégation générale
d^ sa .compagnie , et U y fut élu assistant général pour la nation française ; peu s'en
fiftilutmême, dît MoVeri, qu'il ne fui élu général au lieu du P. TamKurini. C'est en
ce poste que nous le rencontrons dans cette partie de l'histoire dit P. André. En
1716 « Philippe V le rappela en Espagne, et il fut de nouveau le confesseur de ce
roi. n mourut à Madrid le 7 août 1723. Voy. dans Moreri la liste de ses ouvrages,
qui ne sont pa > fort importants. — ^ Michel Tellier ou Letellier, l'un des plus
grands ennemis du jansénisme ( voyez dans Moreri l'énumération de ses ouvrages
contre Arnauld et contre Que^ftêl^^t'anssichr cartésianisme, car on lui a attribué
des Réflexions sur la vie de Descartes, qui pourtant, d'après Moreri, sont réellement
de son conirère le P. Boschet. Letellier était né à Vire en Normandie, en i643 ;
>■!
AVRIL 1643. iTÔ
« Le père provincial retient à Paris plusieurs personnes dont deux no-
tamment ont, Tannée dernière ; enseigné pubKquement plusieurs points
de la doctrine de M. .Descartes et du P. Malebranche; leurs cahiers^
leurs thèses en font- foi, et surtout les cahiers et les thèses de celui qui
finissoit son cours, et qui par coriséquent pouvoit être envoyé en pro-
vince plus honnêtement et plus justemenjt que moi. Or, mon révéreijld
père, si ces deux personnes ne sont point coupables pour soutenir là
doctrine de M. Descartes et du P. Malebranche, je pe suis point cou*
pable d'estimer les personnes de ces detix auteurs. < * ' r
« Que veut dire ce silence affecté des supérieurs à nK»i égard ;
et ce soin extrême d'éviter Téolairciss^ment des faits avancés contre filîi'
doctrine? Mais surtout que veut dire le silence du père Le TellierPiTai
vécu une année entière avec lui ; il a été mcm recteur pendant six on
sept mois; il ma vu en particulier, et je Tai vu de même assez souvent;
et cependant, mon révérend père, ce grand ennemi de tout ce'qii/
s'appelle nouvdles opinions pourra dire à votre paternité <^'il ne m'^en
a jamais ouvert la bouche; silence d autant plus remarquable que c'est
au temps seul de son rectorat qu'on rapporte tous mes crimes., qiJ^H
était informé de tout, et qu'il n'épargnoit personne. Tout cela, môft
révérend père, est bien convaincant en ma faveur; Mais, nonobstant
la justice de ma cause, je ne sais encore ce que je dois espérer. Je voil^
beaucoup d'innocens accusez, mais je h^en vois point de justifiez; ou , si
quelquefois on en justifie , ce n'est que de bouche et non d'effet. Je porté
mes plaintes à trois cents lieues de moi, et 1 on sçait assez que, de lotnv
ia peine dont on se plaint diminue toujours aux yeux du juge, et -iej.
crime qu'on impute augmente encore davantage.... i. Dieu m'est témoin
que je les aime et respecte (ses accusateurs) eii Jésus-Christ. Je prie
Dieu pour eux chaque jour à l'autel, -et, si je suis exaucé j ils seront pluÉ
heureux que moi. ' J'aurois pu , mon révérend père, user de récrimina-
tions à leur égard; mais h Dieu ne plaise que je me justifie en les accù*
sant 1 A peine ai-je pu me résoudre à nommer dans ma lettre ceux que je
ne pouvois me dispenser de nommer sans trahir la justice ou xnoilitll|o>^
cence. J'ai toujours appréhendé de leur faire le mal qu'ils m'ont fait,
et pour lequel je voudrois qu'une entière justification me pût mettre en
•
fit ses études à Caen, au collège des jésuites , entra dans la compagnie en i66i, et
passa successivement par les emplois de régent, de recteur et ae provincial. Cest
comme recteur du collège de Qermont [depuis collège de Louis-le-Grand) qu'André
paraît favoir connu. Â la mort du P. ae la Chaise, en 1709, Lelellier fut nommé
confesseur de Louis XIV, et, après la mort de ce monarque, il fut envoyé à Amiens
et ensuite à ia Flèche, oà d est moH en sqitemlirQ >7^9*
a8.
220 JOURNAL DES SAVANTS.
état de leur rendre mille biens. Ni la collusion des supérieurs , ni Tac-
ception de personnes dont ils ont usé en me maltraitant, ni le refus
qu'ils m'ont fait des chefs d'accusation formés contre moi, ni leur du-
reté, ni leui^ artifices, ne m'obligeront jamais k rompre la charité.))
La Relation fidèle est accompagnée d'une lettre, datée du a o septembre
1706, où Ton remarque le passage suivant sur ses accusateurs : «Il
(le P. provincial) m'a puni sur la seule foi de mes accusateurs, dont je
sçai, en général, que la plus part ont bien de la peine à voir autre chose
que du blanc et du noir dans les livres, dont quelques-uns avoient l'es-
prit envenimé contre moi par certains rapports que des personnes cha-
ritables ont faits du peu d'estime qu'il m'est échappé de témoigner pour
leurs écrits, dont enfin le principal notoirement ne connoit ni antiqui-
tés ni nouveautés , n'ayant pas mis le nez dans un livre depuis plus de
trente ans, excepté peut-être dans des registres et dans son bréviaire.
Voilà cependant, mon révérend père, l'habile homme dont une seule
parole justifie et condamne ^ fait venir à Paris et chasse qui bon lui
semble, ce qui fait dire dans la province que, depuis 1 5 ou 20 ans, il
n'y a point eu de provincial en France, et ce qui fait dire au R. P. De-
lautre même , pour consoler ceux qu'il laisse à la Flèche ou qu'il y en-
voie, qu'il a les bras liés et qu'il est bien fâché de n'être pas maître de
rendre justice à leur mérite Grâce à cette injustice et à la précipita-
tion de mon juge, je vais passer dans la province pour un esprit dange-
reux , indocile , entêté , et pour tout ce qui plaira à la médisance et à la
passion de mes ennemis. C'est de quoi, mon révérend père, je demande
justice au révérend père général , et je vous conjure , au nom de Jésus-
Christ, de solliciter auprès de lui le rétablissement de ma réputation. Le
P. Deschamps, avec qui j'ai eu l'honneur de vivre, pourra bien vous
dire si je suis tel qu'on veut le faire accroire w
Nous rencontrons ici un homiête homme, modéré, bienveillant,
plein d'affection pour André, qui s'offre de lui être utile et lui donne
au moins d'excellents conseils; nous voulons parler du P. Deschamps.
A.peine a-t-il reçu la lettre d'André qu'il se met en campagne pour le
servir et s'empresse de l'informer du résultat de ses démarches»
Loretta, le a décembre 1706.
« Mon révérend père ,
a Vous me faites plaisir de me croire parfaitement de vos amis et
' Nous ne soupçonnons pas quel peut être ce personnage.
AVRIL 1843. 221
dans vos interests; je le suis en effet, et je ferai toujours mon possible
dans la suitte pour vous en convaincre. J*ay pris toute la part possible
h la peine qu*on a faite à votre révérence ; il est certain qu'elle méri-
toit un autre traitement et qu'on devoît plus d'égard à l'application que
je sçay qu'elle a toujours eue à ses devoirs. Aussitost sa lettre receue,
comme j'étois à Lorette alors, et que je ne pouvois pas bien agir par
moy même, j'écrivis aussitost auR. P. Malescat* en luy envoyant aussi
votre lettre, et le priois de la lire, après quoi je le conjurois de voir
avec le révérend père assistant ce qu'on pouvoit faire pour vous rendre
service; que vous estiez de mes amis, et qu'ainsi j'avois à cœur ce qui
vous regardoit comme si c'estoit moi mesme. J'écrivis en mesme temps
au révérend père assistant que celuy dont le P. Malescat lui parieroit
étoit de mes amis, et que je le priois de lui donner sa protection comme
k moy mesme. Le mercredi dernier, premier décembre, je reçus sur
tout cela une lettre de l'un et de l'autre. Le premier, étant en retraite,
n'avoit pu encore parier au P. Daubenton , estant fort éloigné de la
pénitencerie de Saint-Pierre, mais il m'assure qu'il le fera de tout son
cœur pour me faire plaisir. Voici la lettre du second, qui apparemment
avoit desja entendu parler de votre affaire :
(t Je voudroisbien pouvoir rendre service à vostre amy, mfais la chose
« n'est pas possible , les études estant déjà commencées. Notre père veut
((absolument exterminer les nouvelles opinions, et un père qui est icy,
« qui connoit votre ami, a confirmé qu'il a du penchant pour les nou-
(( reautés (je ne sçay pas quel est cet homme qui a parlé ainsi). D'ailleurs
« le père achève sa théologie ; il ne convient pas, pour quelques mois de
«séjour à la Flesche, de chagriner votre provincial qui l'y a envoyé.
« Si , dans )a suitte , je puys luy estre bon à quelque chose , je tascheray
« de le servir avec ardeur; c'est de quoy vous pouvez l'assurer. »
«Par cette lettre vous voyés, mon révérend père, quelles sont mes
diligences pour vostre service, et combien je suis porté à vous faire
plaisir. Le R. P. Daubenton fera ce qu'il promet , n'en doutez pas. C'est
un homme fort judicieux , qui ne peut souffrir qu'on pousse un homme
pour quelques fautes qui peuvent luy estre échappées. Je croy que, sur
la lettre que j'ay l'honneur de vous écrire, votre révérence fera bien
de luy en écrire une pour le remercier de sa bonne volonté et luy de-
mander sa protection. Car, entre nous, de la manière dont je vois que
les choses vont à Rome , cela va quelquefois plus loin qu'on ne vou-
droit. Les objets les plus petits, quoyque éloignés, s'y gfossissent fort
' Sic. Ce père jésuite nous est entièrement inconnu.
222 JOURNAL DES SAVANTS.
souvent; j'espère cependant qu'il n'en arrivera rien de plus iascheui
à votre révérence. Je la prie de m' écrire ce qui se passera sur cela,
et de croire que j*auray un soin particulier de ce qui la regardera. Si
vous écrives au P. Daubcnton, taschez de faire une lettre honneste qui
n ait aucune aigreur contre le P. provincial. Contentez-vous seulement
de justifier doucement vostre conduite, et de parler toujours avec
beaucoup de soumission; car le P. Daubenton ne manquera .de lire
vostre lettre à nostre père, qui se faira un plaisir de voir de vostre part
une justification douce et honneste. »
Le P. Deschamps ajoute quelques détails sur la manière dont il passe
sa vie en Italie, et il montre des sentiments tout û-ançais, ce qui fait
voii' que dans la société même de Jésus il y avait des membres en qui
l'esprit de corps et l'absolue obéissance à un chef étranger n'avaient
point étouffé la conscience de la patrie. ((Je suis icy dans un lieu où
Ton respire la sainteté, par rapport à la sainte maison de la vierge
qu'on y possède, mais où il est aisé de s'ennuyer et de se dégoûter, si
on ne sçait charmer et son ennuy et son dégoust. On y est parmy les
Italiens presque tous ordinairement ennemis des Français, et qui n'ont
point plus de joyc que quand ils en apprennent les mauvais succès; je
n'en excepte pas nos jésuites, qui, dans leur cœur, en seçitentune vraye
joye, quoyqu'à l'extérieur ils la dissimulent à cause de moy. Outre qu'il
n'est pas jjermis de parler de nouvelles à cause des différentes nations,
ils sont bien convaincus que je ne serais pas homme à soufirir qu'ils
parlassent désavantageusement de la nation. Nos tristes expéditions
d'Italie les rendent tout fiers, et, si les succès de Philippe V en Espagne
ne diminuoient leur joye, ils seroient insupportables. On se figure en
France une tout autre idée de l'Italie que ce n*est en effet. C'est un
pays plus vilain qu'il n'est beau
a Adieu , mon cher père , une autre fois dava^itage. Croyez-moi avec
toute la sincérité possible votre , etc.
(( Deschamps S. J. )>
n parait que le P. Daubenton intervint en effet en &veur d'André ,
et, sans changer la résolution arrêtée de l'envoyer à la Flèche, obtint du
moins qu'on l'y laisserait un peu tranquille. D'après le conseil du P. Des-
champs, André s'empressa de remercier le P. Daubenton. Cet honmie,
qui se révoltait si fièrement contre l'injustice, s'adoucit tout à coup dès
qu'il entend des paroles d'affection : il se résigne au mal que lui font ses
ennemis et remercie avec tendresse du bien qu'on a voulu lui faire.
((Je prie Dieu, écrit-il au P. Daubenton, je prie Dieu, qui sonde les
AVRIL 1843. 223
cœurs, de vous découvrir tout le mien et de vous faire sentir toute la
douceur qu il y a à obliger un homme reconnoissant. Cest un plaisir
dont il se contente lui-même , et le seul fruit qu'il attend de ses bien-
faits. Je le conjure par Jésus-Christ d'ajouter par ma reconnoissance
autant de biens que vous m*en avez voulu faire et autant de plaisirs que
vous avez pris de peine pouîp me tirer de l'oppression. Il est vrai que
j'aurois bien plus de satisfaction à m acquitter moi-même de ce que je
dois à votre révérence, mais Tétat où elle est et Tétat où je suis me
rendent insolvable; j ai recours à celui qui s'est chargé de payer les
dettes des pauvres; je le prie de répondre pour moi parce que je souffre
violence. »
Le P. Daubenton envoya de Rome au P. André le billet suivant,
plein de bonté et de sagesse.
« A Rome , ce ag mars 1 707.
« Mon révérend père ,
c( Pax Christi.
« Je n ai pas mérité le remerciement que votre révérence a la bonté
de me faire , si ce n'est qu'elle compte pour quelque chose la volonté
que j'ai eue de lui rendre service. Je vous conseille, mon révérend
père, de vous en tenir à votre dernière lettre, et de passer tranquil-
lement quelques mois qui vous restent de votre théologie. La meilleure
apologie est la bonne conduite que je suis assuré que vous tiendrez.
Je doute que notre père réponde à votre lettre, qui a paru ici aussi vive
qu'elle est spirituelle. Ne pouvant vous servir dans la conjoncture pré-
sente, je souhaite de trouver d'autres occasions où je puisse vous mieux
marquer l'estime particulière avec laquelle je suis, dans l'union de vos
SS. SS., mon révérend père, votre, etc.
«G. Daubenton, S. J. »
André répond inunédiatement au P. Daubenton : il suivra les con-
seils qu'on lui donne , il renonce à l'appel qu'il avait adressé à Rome ,
il renonce à la philosophie et h la théologie , il renonce même aux ma-
thématiques et aux sciences; il se propose d'entrer dans la carrière de
la prédication. En même temps il écrit à son ami le P. Deschamps pour
lui annoncer les mêmes résolutions; mais le ton de cette dernière
lettre n'est pas tout à fait celui d'une résignation absolue : il pardonne &
ses ennemis , mais il s'en moque un peu , et , dans son exil de la Flèche,
il conserve les sentiments qui l'animaient au collège de Clermont à
Paris.
224 JOURNAL DES SAVANTS.
LETTRE AU P. DAUBENTON.
« Mon très-révérend père ,
« Je suivrai le conseil que votre révérence me fait l*honneur de me
donner ; et , quoique le silence du révérend père générai me paroisse en^
core plus choquant que sa précédente réponse , je ne m'en plaindrai qu'au
Seigneur; il sait si j*ai tort, mais, bien loin de lui demander justice, je
lui demanderai toujours grâce pour mes accusateurs et pour mes juges.
Je ne veux plus défendre mon innocence aux dépens de la leur. J'a-
bandonne mon appel que je croyois être dans les formes, conunemon
bon droit que je croyois être incontestable ; je sacrifie tout au bien de
la paix et à la déférence que je dois à vos conseils. Si mes ennemis en
veulent davantage, ils n'ont quà parler : je suis prêt, mon révérend
père , à tout ce que la raison et l'Évangile me permettront de faire
pour leur satisfaction. Désormais je veux bien renoncer à la philoso-
phie et à la théologie, de peur que rardeiu* que je pourrois avoir pour
approfondir la nature et la religion ne me suscite encore quelque mé-
chant procez. Je laisse à d'autres l'emploi d'écrivain, où, dans la mau-
vaise réputation que l'on m'a faite , on ne manqueroit pas de chicaner
toutes mes syllabes. Je renonce aux mathématiques à cause du rapport
naturel qu'elles ont avec ce qu'on appelle la nouvelle philosophie , et
plus encore à cause du mauvais penchant qu'elles donnent pour une
autre méthode que la scholastique. Enfin, mon révérend père, je suis
résolu d'entrer dans la prédication avec l'agrément des supérieurs, et
de sacrifier toutes les sciences à la simplicité de la foi. Je ne veux plus
savoir que Jésus-Christ ni enseigner autre chose que son amour. C'est,
si je ne me trompe , le seul parti qui me reste à prendre dans la com-
pagnie. Si votre révérence juge que mon dessein puisse tourner à la
gloire de Dieu, je la prie de m'y aider. Depuis ma disgrâce, je n'ai
trouvé de bonté qu'en vous; la douceur de vos lettres m'a consolé
des rigueurs de la persécution. Parmi les coups qu'on m'a portés à
Rome et de Rome, .j'ai trouvé dans votre révérence un asile à mon
malheur. Grâces à Dieu par Jésus-Christ , je n'ai pas tout à fait été aban-
donné à ma foiblesse. Le Seigneur, en m'affligeant , m*a préparé un
consolateur et le plus capable d'adoucir mes peines. Je le remercie,
mon révérend père , de me l'avoir donné , et votre révérence de f avoir
été.
a Je suis, etc. m
AVRIL 1843. 225
LETTRE AU P. DESCHAMPS.
« Mon révérend père ,
« Je suis très-sensible aux bontés que votre révérence me témoigne
dans sa lettre , et très-reconnoissant des peines qu'elle a bien voulu
prendre pour mes intérêts. Le révérend père assistant m*en a rendu
témoignage dans celle qu*il m*a fait Thonneur de m*écrire. Je fais au-
jourd'hui réponse à ce révérend père pour le remercier du bien qu'il
m'a voulu faire en votre consid^tion, et principdement de la pro-
messe qu'il m'a faite d'écrire en ma faveur à -notre révérend P. provincial.
Je n*ai pas jugé à propos de joindre une apologie à mon remerciment :
je suis las d'être toujours en posture de criminel. Ajoutez, mon révé-
rend père, que, tandis qu'on ne m'accuse qu'en général, je ne puis me
justifier que d'une manière vague , et par conséquent d'une manière
inefficace. Cependant j'ai cru devoir répondre à une lettre fort cava-
lière, que l'on m'a écrite au nom du révérend père général. J'ai inséré
un mot dans ma réponse pour cet homme officieux qui m'a montré
tant de charité à Rome Je finis par quelques nouvelles. Nous
avons ici le P. Duclos ^ , qui y est venu se rétablir d'un mal de poi-
trine et d'une extinction de voix, qu'il a gagnés, dit-on, en travaillant
avec ti'op d'application à ses cas de conscience. Nous avons déjà reçu
trois lettres de notre révérend père général^ : la première contre le car-
tésianisme , la seconde contre les cheveux longs ; la troisième, qui com-
mence par Non sine stapore et indignatione audivimus, est contre un de nos
pères qui avoit avancé en récréation qu'il n'était point de foi que l'É-
glise fût infaillible dans les faits non dogmatiques. »
Voilà donc le P. André établi, au commencement de l'année 1 707,
dans ce même collège de la Flèche qui avait servi de berceau à Des-
cartes et qui servait maintenant de lieu d'exil à un de ses derniers dis-
ciples. C'est dans cette situation que nous le montre la première cor-
respondance. Il y cultive en paix ses études et ses amitiés de Paris.
Dans trois lettres à Malebranche, du 1 1 février, du 9 mars et du 3o avril
1 707 ^ il lui rend compte des lettres qu'il a reçues d'Italie , et de celles
qu'il a écrites, de l'éloge qu'il y a fait de Descartes et de Malebranche,
des petites conquêtes qu'il ménage autoiu* de lui à la philosophie , ici
dans un jeune jésuite de la Flèche, appelé de la Pilonnière, là dans une
* Nul renseignement sur ce père ni dans Moreri ni dans les mémoires de Tré-
voux ni ailleurs. -^ * Tamburini. — * Voyez notre article de janvier, i84i,
p. 7-ia.
226 JOURNAL DES SAVANTS.
demoiselle delà Pidoussière, «jeune personne, dit le P. André, fort
sage et fort spirituelle, qui, depuis cinq ou six ans, n a de goût que pour
TEvangile et la Recherche de la vérité,» enfin de la résolution qu'il
avait prise de se livrer à la prédication, comme il l'avait annoncé
au pèreDaubenton; et il paraît qu'il avait commencé à exécuter cette
résolution, si on en juge par le voliume de sermons inédits trouvés
parmi ses papiers ^. La première correspondance que nous avons fait
connaître ne nous a fourni que ces trois lettres de Tannée 1707;
puis elle s'interrompt, et ne recommence qu'en 1713 par une lettre
datée de Rouen, où André était chargé de l'enseignement delà phi-
losophie. Que s'était -il passé dans cet intervalle? Les sentiments
d'André n'avaient point changé : on le voit par cette lettre même,
adressée à Malebranche; mais avait-il su les contenir? la persécution
s' était-elle ralentie, ou s' était-elle appesantie sur lui? était-il resté long-
temps à la Flèche avant d'être envoyé à Rouen? La notice de l'ahbé
Guyot ne nous donne aucunes lumières à cet égard. Mais nos nouveaux
papiers nous en fournissent d'abondantes à la fois et de bien tristes :
ils nous montrent le P. André fidèle à Descartes et à Malebranche ,
et la société fidèle aussi à l'inimitié qu'elle leur a vouée. Après l'avoir
envoyé de Paris à la Flèche, on le relègue de ce collège important dans
l'obscur collège d'Hesdin en Artois; de là il passe à Amiens, et d'Amiens
à Rouen. Pour être juste, il faut dire que sa circonspection n'était pas
toujours très-grande, et qu'il dissimulait assez mal le sentiment des injus-
tices dont on l'accablait. Ainsi, d'après les trois lettres écrites à Male-
branche que nous avons autrefois publiées, il semble que, dans les pre-
miers mois de l'année 1707, il était assez tranquille à la Flèche. Tout
à coup il apprend que, parmi les membres du conseil du P. provincial,
qui, en 1706, avaient été d'avis^ de l'envoyer de Paris à la Flèche, se
trouvait un homme qui lui avait autrefois témoigné beaucoup d'amitié,
et qui, dans cette occasion, se serait tourné contre lui. André s'anime à
cette idée et lui écrit pour lui demander une explication. Ce père jé-
suite, si sévère envers André , s'appelait Hervé Guymond , homme alors
* Voy. le cahier précédent, p. i5i. — * D'après la constitution de la société,
comme il y avait à nome, auprès du général, des représentants des diverses nations
sous le nom à'assislants, de même, au centre de chaque province, il y avait auprès
du père provincial des conseillers, consultores , dont il devait prendre favis dans
toute question importante. Regulœ societatis Jesa , Romœ , in coUegio ejusdem socie-
tatis, i58a, p. a 7. ^Regulje provincialis. Consultores quatuor hahehit a generali
designatos in ils locis ubi frequentius residet, quoadjieri poterit, cum quibas res gra-
viores commanicabit quorum unus ab eodem generali constitatus erit ejus admonilor
et socius. 9
AVRIL 1843. 227
considérable dans sa compagnie , et qui joignait à des vertus réelles très»
peu de lumières et un zèle outré ^ «J'ai su depuis peu, lui écrit André,
que le procès qu on me' fit Tannée dernière avoit passé à la consulte
de la province , et que votre révérence a été un des juges qui m* ont
condamné. Tandis que je nen ai eu que des soupçons, je me suis tu,
quelque bien fondés qu'ils me parussent; maintenant que j'en ai des
preuves certaines , je vous prie , mon révérend père , de me tirer de
peine sur une chose que Ton ne m'a jamais voulu bien éclaircir. De
quoi est-ce que j'ai été accusé, et sur quoi m*avez-vous condamné? H
est assez étrange que j'aie été si rigoureusement puni, et que je ne sache
pas encore pourquoi ; cependant il n'est rien de plus vrai. Je ne sçai
pas encore les accusations qui ont été formées contre ma doctrine ; je
sçai seulement, en général, que l'on m'a fait un grand crime d'un peu
de bonne opinion que j'ai toujours eue de M. Descartes et du P. Maie-
branche ; mais, comme je ne crois pas que ce soit là une hérésie ni une
nouveauté dangereuse, je ne crois pas non plus que ce soit la seule
cause de mon exil. On peut estimer ces auteurs sans suivre leurs opi-
nions. Je ne crois pas qu'il y ait en Finance un homme assez stupide
pour ne point convenir qu'il s'y en trouve de fort raisonnables. D'ail-
leurs, mon révérend père, mes accusateurs sont trop habiles pour m'a-
voir accusé seulement en général, et mes juges trop équitables pour
m avoir condamné sur une accusation si peu sensée. Sans doute on
aura marqué en détail mes erreurs, cité mes propositions et cité contre
moi les faits les plus circonstanciés ; c'est ce que la charité m'oblige de
croire : mais , mon révérend père , au nom de la même charité , faites-
moi la grâce de me dire quelles sont ces erreurs , ces propositions et
ces faits. J'ai eu beau, jusqu'ici, prier mes juges et défier mes accusa-
teurs de me convaincre de la moindre faute en matière d'opinion, les
^ Extrait des manuscrits de M. de Queos. i Le P. Guimon (sic), d'Orléans, avoit
été le maître des novices du P. André , qui en parloit avec grande estime d'une
singulière piété ; très-austère dans sa vie ; il en perdit le bout du nez , n'ayant pas
voulu se cnaufTer dans un hiver très-rude avoit professé la théologie à Paris;
f>enchoit vers le thomisme, persuadé que, dans l'autre système, on donnoit trop à
a prévision et trop peu à la prémotion , ce qui ne plut pas trop à la compagnie :
on lui 6tA la régence de théologie. Envoyé à Nantes, il y fut de grande édiQcation
dans les retraites appelé à Caen par M. de Nesmond, évoque, il rétablit le
calme dans une communauté de religieuses qui avoit éprouvé quelques troubles
par rapport à leurs directeurs étant vieux, à la Flèche, à l'hôtel des invalides,
fait un voyage à pied « et s'asseoit dans le chemin sans pouvoir marcher. Un homme
charitable le rapporte sur ses épaules avec grande peine : Eh I mon père , lui dit-il ,
ne vaudroit-il pas bien mieux vous faire porter par une béte que par un homme ? b
39-
228 JOURNAL DES SAVANTS.
uns et les autres ne m*ont répondu que par un grand silence ou par
des discours vagues ou généraux. Je vois bien ce que c'est : mes ac*
cusateurs ne se soucient pas que je me corrige, et mes juges ne veulent
point que je me justifie. En cela, mon révérend père, j ai toujours ex-
cepté votre révérence; je crois seulement que l'autorité de mes accu-
sateurs, dont je sais que deux ont aussi été de mes juges, vous auront
arraché ma condanmation , et que le mot de noaveaatés , prononcé avec
force par d'aussi bons connoisseurs que le P. F. et le P. M. (sic) y vous
aura tellement effrayé , que le péril de la compagnie vous aura paru trop
pressant pour examiner s'il étoit réel. Je suis même persuadé que vous
avez cru rendre service à Dieu en me condamnant, et je le prie de tout
mon cœur de vous en tenir compte, aussi bien que des anathêmes qu'on
m'a rapporté que le zèle vous a Édt prononcer contre moi, un peu après
ma condamnation. Vos intentions étaient saintes, cela me suffit. Et,
d'ailleurs , mon révérend père, je suis plus sensible au bien qu'au mal
qu'on me fait. Je n^c souviendrai toujours avec reconnoissance de toutes
les bontés que vous m'avez autrefois témoignées. Je crois même que les
calomnies de mes accusateurs, en m'ôtant votre estime, ne m'ont point
tout à fait ôté votre amitié. C'est dans cette persuasion que je m'adresse
à vous, mon révérend père, pour vous demander le détail des crimes
dont on m'a chargé à votre consulte provinciale , et sur lesquels vous
avez conclu mon exil. Si le révérend père provincial a mieux aimé me
faire excuse de m' avoir maltraité que de me donner là-dessus l'éclaircis-
sement que je me suis cru obligé de lui demander, je serois bien fâché
que mes autres juges fissent de même : ce seroit m'ôter le moyen de me
corriger, si j'ai tort, et de me justifier, si j'ai raison. Je prie votre révé-
rence d'en user à mon égard avec plus de droiture, et de me déclarer,
en détail, de quoi il faut que je me corrige ou que je me justifie. Ce
sera mettre le comble aux obligations que je vous ai. Je suis avec res-
pect , etc. ))
A cette récrimination assez inutile et médiocrement prudente, le
R. P. Guymond ne répond ni oui ni non sur la part qu'il aurait prise
à la disgrâce d'André, mais il lui rappelle le précepte de l'humilité
et surtout celui de l'absolue obéissance. Il ne lui cache pas le tort
quon lui impute, à savoir, son inclination pour la nouvelle doc-
trine; il lui déclare que la société a résolu de ne point souffrir cette
doctrine : elle veut non-seulement qu'on ne la loue pas , mais qu'on la
combatte. Le cartésianisme est aujourd'hui aux yeux de la société ce
qu'était le calvinisme avant le concile de Trente; de sorte que dire
qu'on estime Descaries et qu'il a des opinions raisonnables , c'est dire
AVRIL 1843. 229
quon a de reslimc pour Calvin, que Calvin a des opinions raison-
nables. Cette lettre peint si bien , avec la bonhomie du P. Guymond ,
l'entreprise de la compagnie , que nous la rapporterons tout entière.
A Paris, ce g juillet 1707.
<i Mon révérend père ,
« Pax Christi.
« Je suis bien aise que votre révérence ait voidu s'adresser à moy en
ce qui la regarde; elle sçait que j'ai eu de lamitié pour elle, et je Tas-
sure que j'en ay encore plus que jamais. C'est dans un sentiment de
l'amitié la plus sincère que je luy diray tout ce que je pense, et je la
prie de le recevoir du même cœur que je le dis.
«Il me paroist, mon cher père, que vous avez l'esprit un peu aigri.
Vous pariez d'accusateurs, déjuges, de condamnations, d'exil. Entre
ces accusateurs que vous trouvez si injustes vous mettez deux personnes
assurément des plus sages et des plus vertueuses. Vous dites aussi que
le R. P. provincial vous a fait des excuses de vous avoir maltraité ; tout
cela est-il de ce divin maistre qui nous dit : « Prenez de moy (jue je sais
dovLx et humble de cœur? De plus, à prendre au fond le sujet de votre cha-
grin, il ne s'agit que d'un changement de collège. Hé quoi! faut-il tant
de mystère pour vous envoyer d'un lieu dans un autre? où est cette
volonté toujours preste à obéir en tout ce qui n'est point péché? où est,
comme parle saint Ignace, lebaston du vieillard? où en sont les (supé-
rieurs), si, à chaque disposition, il faut rendre tant de raisons et entendre
tant de justifications? Il suffît que les pensionnaii*es ne soient pas con-
tents de vos soins envers les enfants ni de la manière de les conduire.
« Vous direz que c'est encore une autre cause qui vous fait de la
peine , savoir l'attachement qu'on croit que vous avez à ces deux au-
teurs, Descartes et Malebranche. Ce point est de conséquence , et c'est
sur quoy il faut tacher, avec la grâce de Dieu, de vous persuader que
vous avez tort plus que vous ne pensez, et que vous n'avez point sujet
de vous plaindre.
«Premièrement, il est certain que très-souvent, en pleine récréation,
devant tous les préfets, vous avez fait leur éloge, que vous avez soutenu
avec chaleur plusieurs de leurs sentiments; que vous avez parlé avec
mépris d'Aristote et des théologiens qui le suivent avec saint Thomas ;
que tous ceux qui n'admirent pas ces gens-là vous font pitié , et qu'ils
n'ont, à vous entendre, point d'esprit en comparaison des autres; que
vous avez donné à plusieurs escholiers tant de dégoust de leurs écrits
230 JOURNAL DES SAVANTS.
qu*ils ne daignoient les lire et les étudier. Ces faits-là sont notoires , et
tous les préfets avec d'autres pères âgez en donnent témoignage. Ce
bi*uit et cette réputation ne suffist-elle pas à un supérieur pour éloigner
un homme, et pour montrer qu'on ne veut pas souffrir chez nous cette
nouvelle doctrine?
<( En second lieu , si vous prenez garde à la lettre que vous m'écrivez
pour vous justifier, vous verrez vous-même qu'elle vous condamne.
Vous avouez que, de tout temps, vous avez eu de Vestime pour ces deux au-
teurs, que leur doctrine n'est point une hérésie et une nouveauté dangereuse,
qu'il n'y a point d'homme en France assez stupide pour ne pas convenir que
parmi leurs opinions il y en ait de fort raisonnables. Ce langage m'étonne
extrêmement , car la vérité est que cette doctrine est en toute sa subs-
tance opposée à la bonne théologie , et même, en plusieurs articles, & la
foy. Vous savez qu'elle a été réprouvée à Rome, par M. de Paris et par
quelques universitez. Vous ne pouvea ignorer que le père général et les
supérieurs la défendent , que la compagnie prétend non-seulement qu'on
ne l'approuve point, mais encore qu'on la combatte, ainsi qu'on com-
battoit celle de Calvin avant le concile. Après cela, mon cher père,
comment vous séparez-vous du sentiment de Rome, de tous les théo-
logiens bons catholiques, et de notre compagnie? Comprenez, je vous
prie, que dire que vous les estimez et qu'ils ont des opinions bien rai-
sonnables , c'est comme qui diroit : j'ay de l'estime pour Calvin, et il a
des opinions très-raisonnables.
<( Au reste l'affaire est sérieuse , car on est résolu de ne point souffrir
dans la compagnie non-seulement ceux qui suivent ces auteurs ou qui
les louent, mais ceux qui ne les blâment pas et qui n'ont pas de zèle
contre leur doctrine. C'est pourquoy, je vous prie, mon cher père,
dcsabusez-vous, et reconnoissez que vous avez eu grand tort de louer
ces gens-là , et de passer pour un de leurs disciples. Si j'étois à votre
|)lace, je dirois au révérend père recteur et j'écrirois au révérend
])ère provincial : il est vray que j'ay eu de l'estime pour Descartes et
pour Malebranche, et que je n'ay point cru leur doctrine dangereuse;
mais, puisque la compagnie les condamne, je vois maintenant que je
me suis trompé; j'ai eu tort de les louer et j'en demande pardon à votre
révérence et à tous nos pères. Je proteste que , loin de les approuver
maintenant, je les regarde comme des auteurs très-dangereux dans la
religion et très-contraires à la bonne théologie.
«Faites, je vous prie, réflexion que je vous parle avec une vraye
amitié, et que ce que j'ay l'honneur de vous dire ne peut avoir qu'un
très-bon effet et devant Dieu et devant les hommes. Certainement le
AVRIL 1843. 231
sujet que vous avez douné de croire que vous étiez sectateur de ces
nouveaux philosophes demande une rétractation. Je prie le Seigneur et
sa sainte mère de vous inspirer ces sentiments ; je le souhaite du même
cœur dont je suis, dans Timion de vos SS. SS., votre, etc.
«Hervé Guymond, S. J. *)
En recevant cette lettre si naïvement intolérante , et où la bonhomie
le dispute au fanatisme, le P. André dut comprendre toute la gravité,
tout le danger même de sa situation. Il reconnut qu'il y avait un parti
pris, contre lequel se briseraient tous lès raisonnements. Comment
éclairer un pareil aveuglement, et donner un peu de raison à Tes-
prit de parti, surtout à l'esprit de corps, si opiniâtre et si ardent,
parce qu'il se compose et se nourrit de toute la vivacité de l'intérêt
personnel fortifié delà noble apparence de l'intérêt général? Devant
de tels adversaires, quand ils ont en main la puissance, ce qu'il y
a de mieux à faire est de mépriser intérieurement et de se taire.
C'est ce que fit pendant un an le P. André ; mais , quand on a de la
grandeur et de la force dans l'âme , on ne se résigne pas longtemps à
une sagesse qui ressemble à la pusillanimité ; quand on croit à la vérité
et quand on Taime, on la préfère à soi et on se risque un peu pour
elle. Bientôt donc le sentiment de la justice surmonta la prudence
dans le généreux et intrépide jésuite, et, le 1 5 juillet 1 708 , après un an
d'efforts sur lui-même pour retenir son indignation , il la laisse éclater,
et, au lieu de la rétractation qu'on lui demande, il adresse au P. Guy-
mond une apologie régulière et complète du cartésianisme, au point de
vue religieux et chrétien. Cette apologie, écrite il y a un siècle et demi
par un jésuite, a prévenu celle qu'ont entreprise le cardinal Gerdil
{Opère édite ed inédite del cardinale Gerdil, in Roma, 1806, passim) et
M. Tabbé Eymery, supérieur de Saint-Sidpice , au commencement du
XIX* siècle [Pensées de Descartes sur la religion et la morale, Discours préli-
minaire, Paris, 1811). Aujourd'hui encore elle est malheureusement de
mise et pourrait être adressée aux mêmes personnes : il n'y a guère à
changer que les noms propres.
« 1 5 juillet 1708.
w Mon très-révérend père ,
<( Vous serez sans doute surpris que je m'avise aussi tard de répondre
à la lettre que vous me fites l'honneiu* de m'écrire Tannée dernière.
Plusieui*s raisons très-fortes m'en ont empêché jusqu'ici; mais, après
avoir tout exaoïiné , j'ai cru que la justice et la charité ne me permet-
232 JOURNAL DES SAVANTS.
toient plus de me taire. Je ne veux point que ma conscience ait davan-^
tage à me reprocher que je souffre sans réponse Toutrage que vous
faites, en m*écrivant, à deux auteurs très-catholiques, de les placer au
rang des plus infâmes hérésiarques, et que je laisse une personne qui
me doit être aussi chère que votre révérence dans une erreur si contraire
à la vérité et par conséquent si préjudiciable à son salut. Souffrez donc,
mon révérend père, que Tespérance de vous être utile l'emporte sur la
crainte de vous déplaire , et que je tâche de vous désabuser au sujet de
ces deux illustres calomniés; cest ce qui ne sera pas fort difficile, pour
peu que vous soyez capable d*en juger sans prévention.
(( En effet , le préjugé à part, la comparaison que vous faites de leur
doctrine avec celle de Calvin est-elle soutenable? Est-il une page dam
cet hérésiarque qui ne montre à découvert Tesprit hérétique dont il étoit
animé ? Et en est-ii une dans les auteurs en question qui ne respire un
air de catholicité qui ôte aux lecteurs équitables tout sujet de douter de
leur religion? Ont-ils jamais fait une démarche ou produit un ouvrage
qui nen soit la preuve?
« Commençons par M. Descartes. Que ce nom, je vous prie, ne vous
prévienne point contre mes raisons. Quel attachement ne montre-t-il
pas , dans sa Méthode, pour la religion de ses pères? A qui adresse-t-il ses
Méditations métaphysiques , où Ton prétend trouver tout le venin de sa
doctrine? N'est-ce point à l'université la phis catholique de l'Europe , et
qui le fit bien voir en cette occasion même , n'ayant accepté la dédicace
de ce livre qu'après l'avoir fait examiner par ses plus habiles et plus
zélés docteurs? Pouvez-vous ignorer qu'il a soumis ses Principes à la
censure de l'Eglise? A-t-il fait un livre, a-t-il presque écrit une lettre
qui ne porte des marques évidentes de sa religion? Le pèlerinage qu'il
fit à Notre-Dame-de-Lorette est-il d'un hérétique? Vous savez qu'il aima
toujom's notre compagnie, et que, jusqu'à la mort, il entretint un com-
merce de lettres avec les plus saints et les plus savants jésuites de son
siècle, et qui apparemment l'eussent bientôt abandonné, si, comme
votre révérence, ils l'eussent tenu pour un Calvin. Mais ils avoient trop
d'esprit et trop d'équité pour en porter ce jugement. Ils n'avoient garde
de réprouver sa doctrine comme opposée à notre sainte foi, tandis que
le ministre Voet, à la tête de l'université d'Utrecht, la poursuivoit
comme tendant à la ruine entière du calvinisme; tandis que ses senti-
ments et sa conduite le faisoient regarder en Hollande comme un émis-
saire du pape, et comme un jésuite déguisé; tandis qu'il y étoit persé-
cuté comme un papiste trop hardi à professer sa religion ; tandis qu il
écrivoit avec tant de zèle à ime princesse calviniste pour justifier la
AVRIL 1645. • 233
conversion d*un prince de sa maison. Voici un irait de sa lettre qui sera
* un témoignage étemel de son catholicisme et de la malice de ses calom-
niateurs :. Tools c^iuD, dit-il» qui sont de la religion dont je suis approuve At
son chan^ejhent; pour ceux qui sont £une autre créance, j ils considèrent
quils ne seroient pas dé là religion dont ib sont, si eux ou leurs pères ou
leurs aïeux navoient point quitté la romaine, ils n auraient pas sjgetdese mo- ,
quer ni de nommer inconstanïs veux qui quittent la leur ^ Après cela, mon
révérend père , permettez-moi de le dire , quelle est votre charité de
mettre M. JDescàrtes en parallèfe avec Calvin ? Par quel endroit a-t-il
mérité un si indigne traitement? H a^ toujours (respecté) TÉglise; il y a
vécu-; il y est mort en paix. Peu de jours avant sa dernière maladie il
communia de la main du P. Viogué^ M. Chanot, un des hommes les
plus sincères et lès plus i%l%ieux de son temps, a rendu plusieurs
témoignages authentiques à la pureté de ^a foi et à Tinnocence de ses
mœurs'. La reine Christine à dédaré par écrit de sa main que M. Des-'
cartes avait plus que penonne contribué à sa glorieuse conversion ^
Voilà certainement un Calvin bien difi&rent du premier; un Calvin
qui s'applique à étendre la Toi de TÉg^iae romaine !
«A regard du P. Malebranche, il esfeneorç plus étonùant que vous
compariez sa doctrine avec Thérésie calvinienne. Si^vous vous ètejs
donné la peine de lire ses ouvrages, n'y avez-vous point remarqué un
extrême éloignement pour Tesprit de cabale? Quelle piété répandue
dans ses livres! Quelle bonne foi! QueUe humilité & confesser son igdo-
rance et à convenir de ses erreurs aussitôt qu'on les lui découvre? Quel
amotir pour Jésus-Christ ! Quel attachement à l'Églîse ! Qiiet fléau du
jansénisme! Peut-on coinbattre plus solidement le système' de M. Ar-
naud sur la grâce, la prédestination et la liberté? Mais surtout avec
qttelle (jiarité faites-y attention , mon révérend père , c'est4a marque'
à laquelle nôtre aimable maître veut qu'on reconnoisse ses disciples),
avec quelle charité il répondit à ses adversaires et k celui même qui
Tavoit attaqué avec nK>ins de raison et plus d*insolence ^ ! Tout cela est-
m
* Voy. noire édition, t. K, p. 371. r^* Vie de Descartes, par Bailiet, II* part,
chap. XXI, D. 4i4. — ' Ihid. BaiUet citçdes lettres manascrltes dé H. Ghanut à la
princesie Élisabelli et à Tabbé Picot. Nous oossédons les preçiières, au^. nous pu-
blierons un jour. — * Ibid, chw). xxiif, p. 4^3. — * Le P. André fiât ici probabte-
ment allusion à Técrit du père jésuite Le Valois, caché sous le pseudonyme de Louis .
de la Ville : Sentiments de^ M. iJjficartes touchtait tSmence et les propriétés des corps,
ovposis à.la doctrine de l'Église et conformes aux arrifsn de Calvin sur h sujet de Vea-
charutie, par Louis de k Ville, Paris, in-12 . i68o* Dans cet. outrage, ce n'est pas
seulement Descartes qui est pris Vp^ ^^^ 1®' cariésieiis et surtoitit ^a!e-
lurandie. . • • ' » * ^
36
234 JOURNAL *DES SAVANTS.
ri cl*ùn Calvin ? Je puis vous assurer que sa personne est encore moins
hérétique que ses ouvi^igès. Si vousvouUes en (aire f épreuve, que vov^
verriez de dififérence entre le véritable P. Matebr^chè et le fahtôaae
ridicule que vous combattez! Vous verriez un homme doux, simple,
pacifique, droit, puvert, toujours prêt à rendre raison de sa foi. Vous y
trouveriez un modèle de piété, d*aâ>n^ti<») , de prudence et de a^;
je ne dis pas de zèle aveugle, amer et turlHlIent, mais d'un z^e véri-
tablement chrétien, éclairé par la science et adouci par la diarilé.
C'est la justice que lui rendent toutes les persoimes qui ont lé bonjicittr
de le connaître , et que vous lui rendriez sans doute vous-même, si voès
aviez pris la peine d'étudier 'sa doctrine et sa personne. • "
«Voilà, mon révérend père, quels sont en effet M. Descartès'^t le
P. Malebrandbe , bien différents de ce quHsTsont dans votre imaginatiAD.
Voilà ces Calvin de nos jours qu'on ne peut estimer sans crime, qu^ôn
ne peut louer sans àM^omir l'indignation des gens de bien , et donties
sentiments sont si abominables, que c'est im'e hérésie de dire que par'-
mi {ear5 opinions il s'y en trouve quetqnes-unes de raisonnahles. Maia es-
core , puisqu'il vous plmt de les comparer à Calvin , où sont les nçni-
veaux dogmes qu'ils ont avancts , ou les anciens qu'ils ont combattus ? *
En un mot, où socit leurs hérésies? Montrez m'en une seule dans leurs
ouvrages, et je les déclare anathêmet» '
<( Bs ont des erreurs, j'en conviens ; où est Tautein* qui n'en a pas ? Peut-
être même' que de ces auteurs on petft tirer' des conséquences fâcheuses
pour la foi; usais ils nient ces conséquences , et prétendent qu'elles ne
suivent pas de leurs principes. Disons plutf t je vrux qu'ils raisonnent
mil , et que leur prétention soit tout à fait insensée : mais l'Église n'a
encore rien décidé contre leur 'doctrine. Comment donc votre révé-
rence oaeA-elle assurer qu'on la doit combattre conime'celle de Camb,
avant le concile? £tes-vous assez peu instruit dans l'histoire pour igno-
rer que cet hérésiarque ne fit que donner une nouvelle forme à de
vieilles erreurs déjà mille foils conddnméès, qu'il n'attendît point lés
foudres de TEgiise pour ronipre ouvertement avec elle , que , longtemps
avant le concile ^ il s'ëtoît retiré à Xîenève pour y établir le siégé de-
rantîpapisme? Donè, avant le concile, on pouvoit sans témérité lé trai-
ter comme up hérétique. Mais un peu d'équité , moii révérend père ;
pouvez-vous traiter de la même sorte deux auteurs que la plus grande
et la plus saine partie dewftholigues. tiennent pour orthodoxes ; qui
n'ont jamais attaqué ni di!fêctement ni indirectement aucun artide de
notre foi-^ qui ont même tâché, à Fexemplé dé saint Augustin , de^saint
Tj^omas, etc. de trouver de noutKÙes raisons -pour en appuyer lef
AVRIL 1843. . 235
fondements et pour en éclairciries mystères; deux auteurs doutTun^
est mort dans le sein de TÉglise romaine , et dont l'autre y vit encore
avec édification ? t. ♦ • ^
(( Mais . enfin « dites-vous , leur doctrine a été répromée à Rome. Qu'un
^eu de bonne foi siéroit bien avec un grand tèle ! Il semble mie vous
vouliez parler d'ui^e censiœé authentique,, fulminée contre euirpar le
pape , et il ne s'agit que. de ïindice. Je sais que quelquçs-uns de let:^
ouvrages y ont été mis, et pourquoi, et comment. Mais, mon revend
père , pensez-vous qu^il faille combattre la doctrine de tous l^, auteii^
qui sont daos^ cette listjp comme celle de Calvin? H faut donc dire ana-
thême au P,. Langlois^ au P. Letelljer^, à combien d'autres bons catho-,
liques'l Et, si quelqu'un est assez hardi pour ayancer qu'il les estime tk
que parmijiears opiniom il y en a de fort raîsonnableii , îl feudra s^étpnner
de ce terrible, langage , et lui faioe^ entendre sérr^useihent que ç*est
ccmime qui fliroit : J'ai ieVestimépour Gahm^et U^a des opinions hien
nusomiablesl Dites-moi , mon révérend père, quel sêroit dans te monde
l'efiet d'un pareil^sèle? N'exciterbit-il point d'abord la risée publiqueTSla
pitié ensuite, et enfin l'indignation de tous les honnêtes gens ? Et, dans
la vérité, qui sera jamais à couvert /lu reproche d'h^sie, s'3 est jper-
mis i chaque particulier, ^ur des c^séquencesJ>ien ou mal tirées , d!ac^
cuser de ces crimes le premier qiu s'avisera de ctfnârêdire ses opinipuS;?
thomistes, scotistes,\noli|iistes,nous serons tous l^rétiques, et pis en-
core, s'il plaît au caprice de nos adversaires.
« Au reste , mon révérend père , je ne suis point «sectateur aveugle *de^
M. Descartes et du*P. Malebranc^e. Si j'embrasse les vérités qu'ils dé-
montrent, je tâche de suspendre mon jugepient sur cdles de leurs opi^
nions qui ne sont que- vraisemblables , et je suis prêt de combattre les *
ecreurs qu'ils avancent, non pas, je Taniioue, copime des hér^ieli, mais
■■■ "•* '
^ S*agit-Sici'da P. Jean-Baptiste Langlois ,*tié à Neversen i663, entré dans la
société en 1679 , et moit en 170&, auteur de quelques écridlassez insignifiants , Èa
joamée ipijjtwUB à Vusage des v^tgê$, Da respect hamaint HistairmMJfÊ i^ti^sades
contre les Albigeois^ ijoifin-i^ , et élfis divers ourrages composés parlés jésuites
contre Tédition de saint Augustin des bénédictins ? Moreri ne oit pomt qu'aucun dt.
ces écrfls ait été mis à Yinaex, — ^ CertaineBent 'celui dont il a été question plus
pidsieurs fi)is blâmée. .VbyeK Moreri , art. Tel-
lier, — ^ Cest à peu pi^s la même réponse que fait au P. Veo^pra (D0 method&j^
losophandir Rom8&, i8a8, Dissert. préKm. S ^5, p. i,$ 6ii) M. Tabbé Gossdin,
danupon eiceHente* dissertation : Fénélon considéré commje métaphysicien^ p. Qa , der-
nier vtftiufte iMi Oi^ivras^e Pé»é)oii
3o.
#
• •
»
\
236 JOOI^AL DES SAVANTS.
comme de^.'mépiises qui échappent à la foibiesse de Tesprit humaiHr
Cest le nom que la justice m^oblige de leur donner, et que la^ charité,
qui adoucit tout, devroit, ce n^ seinhle, vous faire approuver. Vous^
sçaves que, sans cette vertu, ni la foi qui transporte les montagnes, m
Taumône qui rachette les péchés , ni le martyre qui les efface, ne servenf
de rieinl^ur le salut. Vous ^vez que f esprit déJfésus*Ghrist est un es^
prit de douceur. Est-ce cet esprit, mon révérend père., qui vous*a dâcté
les atroces injures dont veus accablez deui^ pauvres auteurs, qui vous son^
asl^i^rï^ent inconnus? Croyez-vous qu»oe zèle soit fort agrâJ>le à notire
charitable maître? Plût à Dieu que vous ne lés pussiez pas encore con*
damnés I Je vous dirois de' sa part : NoUte condemnare, et non condemna-
binùni; mais, puisque vous avez déjà porté leur arrêt, souffrez que je
vous dise avec lui-même : Si sciretis qnoi misericordiam voloM non sa-
crificinm, nanquam toniemnçissetU im^entes. Pardonnez-moi, mon ré-
vérend père , ceis refluions en faveWu une infinité d'autre! que je^q|i{ls
épargne; car je pourvois encot^ vous montrer que, dans votre lettre,
vdCls prêtez à la compagnie des vues quelle n*a pas; que les termes que *
vous reprenez dans la mifsme sont les plus soumis et les plus modérés
qui soient en usage pour exprimer, les choses, dont javoisèpari^, que
4ès accusations, que vou^ citez contilt. moi sont toutes fausses^ ou ridi*
cules , que la formille di rétractation que vous m'envoyez est tout à fait
contraire à la charité, etcMais, parce que je.ci^dns. de blesser cette
vertu en plaidant pour elle , je m'abandonne volontiers pour ne songer
qu'à votre salut. Peut-être ce zèle ne me co]}vient pas : mais, quand il
Vagit de 1 mtérêt éternel d'un père , dbit-on s'arrêtei^à des bienséance^s
dont l'observation y mettroit obstacle? Je prie donc votre révérence , au*
nom de votre Sauveur et de votre sadut, d'examiner si le jugement in-
jurieux qu'elle a porté jusqu'ici^vde M. D. et du P. M. n'y pourra point
préiudiciar» et si ce défaut de charité n'y rend point inutile ce martyre
cominuel dans lequel vous vivez. Je suis avec respect,. etc. »
On :%r]Gâ|^ peut- être que, pour répon4i'« à une pareille lettre, où*
toutes ies âcèiisations faites au cartésianisme soAt réfutées avec tant-
de force, le P. Guymond va faire quelques frais d'esprit, et i:assem-
bler au moins quelques arguments pluS ou moins plausibles. Nul-
lement; il se borne, dans un très - court biUet du di juillet 1708, à
répéter ce qu'il a déjà dit : a La doctrine de Descartes et de Mafe- ^
branche est 'condamnée dans la compagnie, et on la trouve mauvaise
dans se^ principes et dans ses^ conclusions. Si vous me croyez, vous
abandonnerez ces deux auteurs » et ne vous attacherez qu'à ceux de notre
AVRIL 1843. 237
compagnie. Le parti que je vous conseille ne vous peut nuire ni devant
Dieu xff. devant les hommes; Tautre vous nuira toujours. »
Ces derniers mots étaient prophétiques; car, quelques mois après'
cette lettre, André est envoyé du collège de la Flèche au petit collège
d'Hesdin en Artois, comme régent d'une classe inférieure. Et encore il
y est mal vu et tracassé jusque dans les moindres détails de la vie : par
exemple, nous rencontrons parmi nos papiers, daté du commencement
de 1709, un hillet adressé à André par le P. Letellier, de reeteur de^
venu provincial avant ^'être nonimé confesseur du roi, bSlet où se
trouve cette phrase : «Je Êôs écrire au i^évèrend père recteur pour qu'il
trouve bon que vous -ayez des rideaux à vos fenêtre». Pour ce qui est
de la porte, je ne sache pas que cela soit d'usage^. D y a d'autre»
moyens d'empêcher les vents coulis. » Mais un chagrin tout autrement
sérieux attendait à Hes<tin le P. André.
n était arrivé à Tépoque où, ayant parcouru les grades inférieur»
de la compagnie, il devait faire les derniers vceux et devenir profès, ce'
qui donnait accès aux emplois un peu élevés. Mais la doctrine d* André
ne parut point assez sûre au général des jésuites pour ladmettre k
faire profession. André s* émut de ce refus; il s'imagina qu'on voulait le
chasser de la société; et, pour prévenir cette extrême disgrâce, il se
décida à écrire au père général une lettre longue et développée , où ,
recherchant les motifs du refus qui lui est opposé, il n'en trouve qit'un
seul, à savoir, son attachement à la doctrine de Descartes et de Maie-
branche; siu* quoi il déclare que, si ce motif est le vrai, il est insur-
montable et lempêchera à jamais de devenir profès , parce qu'il est bien
résolu à ne point trahir sa conscience et à ne point abjurer la doctrine
cartésienne. Il pose donc au père général cette alternative, ou de l'ad-
mettre à faire ses derniers vœux à présent malgré ses opinions, ou de
lui permettre;dde se retijrer librement de la compagnie. D désire ar-
demment y rester; mais, s'il doit y vivre toujours soupçonné, mal vu^
maltraité, il aune mieux en sortir, quoiqu'il soit sans aucmie ressource^
sans patrimoine , s^s asile , incapable de tout excepté de la prière et
de l'étude. Cette lettre , écrite en latin , est un modèle à la fois d'hu^
milité et àe courage.
Comme une affaire* aussi importante que celle de la démission d'un^
membre de la compagnie devait passer par le conseil provincial, André -
écrivit à un des membres de ce conseil, qui avait la réputation d'être plu»
• <
• m
^ Probablement d'après la règle ^ NuUus ita cubioalam sunm clauêàt quin aperiri
ejstrvuwmpwsit, p. 1^. Reçvuê cqmmvkws, Regul. Soc. #. . '^**'
23» JOURNAL DES SAVANTS.
•r ^
m »
éclairé et plus modéré que ses confrères, une lettre plus détaillée encore
que la précédente , pour qu'elle fût mise sous les yeux du conseil.^iidré
s y explique catégoriquement sur les points de la doctrine d# Male^
branche qu^il est résolu de ne pas abandonner. Celui qi4 était '^rs
le plus agité était Torigine des idées. Fidèles à Aristote, les jésuites
mettaient dans les sens Torigine de toutes Jes idées. André , aveC^Des-
cârtes et Malebranche , soutenait la théorie platonicienne qui rapporte
à la force de Tentendement toutes les idées générales, seules appelées
du nom d'idées ; et ces idées ou vérités , que d'entendement hunàain
conçoit mais qu'il ne fait pas , André , conune Haton et comme Maie*
brahche , comme aussi Fénélon et Bossuet , les faisait remonter jusqu'à
Dieu lui-même: Ainsi les jésuites» ces défenseurs si vigilant du cauiCK*
Ucisme , étaient pour l'école empirique , et ils persécutaient André comme
trop peu orthodoxe et trop peu catholique , parce que celui - ci tenait
pour l'école idéaliste de Descartes et de Malebranche , c'est-à-dire pour
l'école de Fénélon et de Bossuet , celle que plus tsfà défendirent contre
les pérq)atéticiens modernes Gassendi, Hobbes ^ Xiocke et GondiQac,
]e cafdinal Gerdil, avec les plus fidèles interprètes de la religion chré^
tienne. Jamais accusation d'hérésie ai\.ticatholique ne fut donc plus niai
fondée que celle qu'on faisait alors au P. André ; jamais persécution en
matière de doctrine n'alla plus directement contre le but même qu'elle
se proposait.
« Hesdin , le a 1 juin j 709.
« Mon très-révérend père , • -*
<( Ayant une affaire qui doit bientôt passer à la consulte de pro-
vince , j'ai cru qu'il étoit à propos d'en écrire à quelqu'im de ceux qui
la composent , afm de parler par son entremise à tous les autres. Comme
je sçais que votre révérence a de grandes lumières, et qne j'ai toujours
ouï dire qu'elle y joint une équité à l'épreuve 4e la prévention, c'est
à. elle que je m'adresse. Vous pardonnerez celte liberté à la fâcheuse
nécessité où je me trouve. Yoici le fait. Il y a trois ans qu'on me ren-^
voya de Paris, sur l'accusation vague et générée que je donnois- dans
des nouveautés dangereuses, et qu'en plusiemrs occasionys j'avois témo^é
beaucoup d'estime pom* M. Descartes et pour» le P. Malebrianché.
Comme je ne croyois pas qu*il y eût au monde une personne assez dé-
raisonnable pour condamner ces deux auteurs en toutes choses, je
priai le révérend père provincial de me marquer en détail les opinions
dangereuses que l'on m'accusoit d'avoir prise$i.d*eux, afin que je pusse me
ju8l||ler si j'avois raison , ou me corriger si j'ayoistoit. Me voyant refiisé
AVRIL 1843. 239
et préTOyant bien toutes les suites de cette affaire, et, d'ailleurs, per-
suadé qu'un prêtre, accusé en matière de doctrine, ne pou voit se taire
sansL prévarication , j'en écrivis ^ notre révérend père général pour le
conjurer, de me faire signifier par mes supérieurs immédiats queHes
étoient ces nouveautés dont on me faisoitam si grand crime. Mais j*eus
beau prier, on me refusa toujours cette grâce, et par là tout moyen
de me défendre. Depuis ce temps-là je me suis tenu en paix, attendant
en patience le dernier coup de la persécution , c'est-à-Jire , mon révé-
rend père , le retardement de mes derniers vœux. Je ne ferai point ici
le philosophe : quoique j*y fusse préparé, je n ai point laissé de le sentir,
et j'avoue même que je n'ai point été fâché d'y être sensible, parce que
de cette sorte j*y ai trouvé la matière d'un sacrifice qu6 j'ai offert au
Sei^èur avec joie et que je lui joffre encore tous les jours par notre
adordble pontife. • •
«Cependant, mon révérend père, quoique Dieu m'ait donné cette
patience, et que ses consolations foient beaucoup plus douces que ses
coups ne sont rudes, il nfest toujours resté une peii>e : j'^i comparé la
sincérité de ma conduite (pardonnez-moi > mon révéïend père, cette
comparaison; un homme réduit à ^e défendre est obligé de dire hien
des choses odieuses et qu'il voudroit bien pouvoir taire), j'ai donc com-
paré la sincérité de ma conduite avec le procédé plein de dissimulation»
que les supérieurs ont suivi à^mon égard depuis la première accusation
qu'on leur fit de ma doctrine jusqu'à la dernière punition qu'ils en font.
Je vous en épargne le détail, que je puis démontrer par leurs lettres et
plus encore par leur silence. Je m'arrête à la seule manière dont on m'a
signifié le retardement.de ma profession. On ne lïi'en écrit rien à moi-
même , quoiqufl semble que la charité le demandât ainsi, et que la jus-
tice le permit. On prie seidement notre P. recteur de medéelarer
que le révérend père général a jugé à propos de me différer mes der-
niers vœux à cojase de mon attachement aux opimon$ de M. Descartes; et
que si , dans la suite , il y aVoit quelque autre chose à me dire, on m'en feroit
avertir. De tout ce procédé, et principalement de ces dernières paroles,
je conclus, mon révérend père, -qu'outre le délai de ma profession il
poun^oit bien y avoir quelque autre chose que l'on me cachoit et qu'on
étoit pourtant bien aise que j'entrevisse , que leur chanté me retenoit
encore dans la compagnie, mais qu'enfin cette charité pourroit bien-
tôt* céder à la justice. Je crus même qu'ils ne seroient point f&chés
que je les prévinsse et que je leur épargnasse la peine qu'ont natu-
rellenient de si bons^res à chasser de la maison patemdle des enfaitt^
qui n y ont pas été tout à fait iiiutiles. CVst , mon révérend père , ce
240 JOURNAL DES SAVANTS.
qui m'a déterminé à écrire à notre révérend père générai, non pas pqnr
iui demander ma démission, je nai pas jugé que cda fut nécessaire,
mais pour le supplier très-humbiement d*examiner les raisons qu'il a
de me la donner, et de s'y rendre s'O les trouve bonnes, §ans aucun
égard à mes intérêts particuliers, que je sacrifie de bon cœur à Tinté-
rèt général de la compagnie. Je Tai prié en même temps d'envoyer uxQf,
pères consultçurs de la province une copie plutôt qu'un extrait de -ma
lettre; afin qu'ils y puissent voir mes sentiments tels qu'ils sont, et non *
pas tels qu'il plairoit à un abréviateur de les montrer. Vous y verrei,
mon révérend père , que je regarde conune un grand malbeur la séptr
ration que je lui annonce, et que je la crains autant que mes anus ki
désirent. Vous y verrez combien j'honore et combien j aime en Jé$u|h
Christ ceux qui m'ont accusé ou conc^^né; et que, si j'ai eu le malheur
d'en offenser quelqu'un,* je suis prêt de lui faire toute la satisfaction
qu'il pourra souhaiter. Je les conjure même ici de me pai)donner si je
leur ai souvent demandé un détaille ces nouveautés dangereuses
m'ont imputées ; j'ai cru ie devoir faire parce qu'il m'a paru qu'fl
connoître les erreurs dont on m'accusoit avant que de m'en défendre.
Je sayois de plusieurs endroits qu'on m'en avoit attribué de fort impies et
de fort extravagantes; j'avois lieu d'en conclure que tout le reste étoît de
«même. Le déchaînement public de certaines personnes et la cond&ite
violente de quelques autres fortifioient mes conjectures. Je devois
donc, si je ne me trompe, demander une liste dq mes prétendues
hérésies, afin de m'en justifier avant toutes choses, me réservant à dé-
clarer mes véritables sentiments, quand les supérieurs jugeroient à
propos de me l'ordonner. Mais, si néanmoins j'ai fait en cela quelque
peine ou donné quelque embarras à mes accusateurs ou à mes juges,
je vais réparer ici ma faute par une déclaration , qu'ils prendront sans "
doute pour une apologie de toutes leurs démarches. Je veux bien teur
faire ce plaisir, et les assurer en même temps que, quand j'aurqis- tcNit
le pouvoir du monde, je ne pourrois jamais leur en faire autant que je
leur en souhaite. Cette déclaration me paroit d'ailleurs nécessaire,
afin que nos pères considteurs sachent précisément sur quoi ils me
renverront, ou, ce qui me plairoit davantage, avec quoi ils m'-ad-
mettront.
«le vous déclare donc , mon révérend père, et à toute la compagnie,
que j^ tiens pour indubitable que Jésus-Christ, en tant que Verbe éfer-
nel et sagesse personnelle, est, coïDme parle saint Jean, la lumière
véritable 'qui éclaire tous les hommes, et, comme fmrki saint Augustin,
la vérité essentielle qui renferme dans sa divine substance toutes les
AVRIL 1843. • 241
vérités immuabks, et , comme parle ]e P. Malebranche; la raison -uni-
verselle des esprits, dans laquelle nous voyons, les idées de toutes les
choses que nous conqoissonç , les mêmes que Dieu voit î sur lesquelles
il a formé cet univers-, et sur lesquelles il le gouverne. J*adniets ce
grand et vaste principe avec toutes ses véritable^ conséquences; et, par
unesuite nécessaire, je tiens que^ce que nous* af^elona nos idées ou
Tobjiet immédiat de nos esprits est réellement distingué des perceptiotis
que nous, en avons, et qui seules nous appertiennenft eflectivement. Je
tiens cette opinion plus évidemment démontrée qu aucun^ proposition
de géométrie ou d^arithmétique , puisqu'il n'y a point de démonstrâtitm
qui ne suppose des idées étemelles, immuables, nécessaires, univer*
selles, et par conséquent bien différentes de nos pensées, qui toutes
ont commencé d'être, sont passagères, contingentes, particulières. Je
tiens enfin que la doctrine de la distinction des idées et de nos percep-
tions est le fondement de toute la certitude humaine dans la religion ,
dans la morale, dans toutes les sciences; et, si. quelqu'un pou voit se
vanter d'avoir là-dessus solidement réfuté les raisonnements de saint
Augustin et du P. Malebranche, je ne crains point de le dire, pour
peu qu'il eût d'esprit et qu'il suivît ses propres principes, il pourroit
se vanter en même temps d'avoir solidement établi le pyrrhonisme. ■
«Je voi bien, mon révérend père , que cet endroit de ma lettre ne
sera pas trop favorablement écouté de la plupart de nos pères consul-
tants. Mais je les conjure, par la douceur de Jésus-Christ, de suspendre
un peu les mouvements de leur indignation , et surtout de m'épargner
le nom d'opiniâtre qui retomberoit sur le plus célèbre des saints Pères.
Car vous sçaves mieux que moi , mon révérend père, que ce grand doc-
teur de la vérité et de la grâce, si pénéti^ant, si habile, si judicieux et
si éloigné du soupçon d'entêtement, est si plein de cette opinion, qu'il
n'a presque point un ouvrage , presque point une lettre , qui soit dé
quelque étendue, où il. ne la prouve et ne la suppose. C'est une des
clefs de sa doctrine; c estlà-dessiTs que roule presque toute sa théologie,
que persomie n'entendra jamais parfaitement s'il n entend cette ma-
tière. Vous sçavez les conséquences si saintes et si chrétiennes qu'il en
tire , et , quoiqu'il fût si rempli de charité , qu'il épai^oit les injures
aux hérétiques mêmes, si raisonnable^ qu'il n'accusa jamais d'obstination
ceux qui avoient des sentiments contraires aux siens ^ans les matières
qui n'étoient point tout à fait incontestables, vous savez comme il traité
ceux qui ne reconnoissent point avec lui la doctrine des ^dées dbtinguées
de nos connoissances : « His et talibus. documentis 4pogunti^ faterit<{uî^
(( bus disputantibus Deus d9na;vit ingenium, et peirtinacia caligineiti noh
3. -N
242 JOURNAL DES SAVANTS.
il obducit, rationem verîtatemque numerorum et ad sensus corporis non
li pertinere et invertîbilem sinceramque consistere , et omnibus ratîoci-
« àantibus ad videndum esse conimBnem ^ » Et dans ses SoUloqùes, 1. Il ,
c. 1 8 ^ : « Quis mente tam csecus est qui non videat istas figuras , quœ in
Hgeometria docentur, habitare in ipsa veritate?»
! u Cen est assez , mon révérend père , pour faire connohre à tout ie
monde que je suis inébranlable dans une opinion qui me paroit dé-
montrée en toutes les manières par les livres de TAncien et du Nouveau
Testament , par les écrits des plus sçavants Pères de TÉglise » grecs et
latins , par une infinité de raisons évidentes à quiconque y réfléchit
de bonne foi, sans passion et sans préjugés. Cest poiu'quoi, suivant
toujours les règles inviolables de la sincérité chrétienne, je vous dé-
diare que, si c*est un obstacle à ma profession, c*est un obstacle insur-
montable, un obstacle aussi éternel que la vérité que je défends. Je vous
l'avoue néantmoins , mon révérend père , quelque nécessaire que m'ait
paru cette déclaration, j'ai eu bien de la peine à m'y résoudre. Le Sei-
gneur m'a fait la grâce de me donner sa crainte, et je n'appréhende rien
tttit que d'être un sujet de scandale à mes frères pour qui Jésus-Christ
est mort. Mais j'en fais juge tout esprit non préoccupé et qui voudra
bien prendre la peine d'examiner le fonds de cette affaire , de quel côté
vient le scandale? De celui qui ne soutient que des opinions aussi rè-
gnes dans l'Église que celles de ses adversaires, et, ce qu'il n est pas dif-
âciie de prouver , infiniment plus favorables à notre sainte religion ,
ou de ceux qui le persécutent parce qu'en des matières qu'eux-mêmes
avouQiit n'être point de foi il préfère la raison qui vient de Dieu à l'au-
torité qui vient des hommes, et une philosophie toute chrétienne et
toute sainte dans ses principes à une philosophie toute payenne et
toute charnelle, compatible avec l'idolâtrie et avec le mahométisme,
comme il a paru dans ses principaux auteurs , réprouvée par les premiers
Pères de TËglise conune donnant trop aux sens, condamnée univer-
sellement dans un concile de Paris où présidoit, si je ne me trompe,
un légat du saint-siége , et où lés livres d'Aristote furent jugés dignes du
flpu comme des sources d'hérésies; et la lecture en fut défendue sous
p^iae d'excommunication ; condamnée en partictdier dans sa métaphy-
Hqfj^ par une assemblée d'évêques sous Philippe-Auguste , et dans sa
physique parle souverain pontife Grégoii*e neuvième', à une philoso-
phe enfin dont le grand principe, qu'il n'y a rien dans l'esprit qui n'ait
^ Be lib, arhitr. i. îf, c. vin, edil. Benedict. 1. 1, p. ôgS. — * Edil. fiçnedicLt. 1 ,
p-49'* ^^ * Voy. Vécrît de Laonoy, De varia Aristotelis in Academia Parisiensi for-
AVRIL 1843. 243
passé par les sens, renverse évidemment toutes les âciences et Mkrlont
kr morale , et dont les autres maximes> qui la plupart ne , sont pas meil-*
leures, ont {orme tant d'hérétiques, tant de libertins, et répanjdvMtaïkt
de ténèbres dans Tatucienne scbolastique; en un. mot, parce qu^'il. pré-
fère la philosophie de saint Augustin à celle d'Aiistote.* i i
« Au reste, mon révérend père, je né{)réten8..poinA rejeter ici sur lesr
disciples^de ce prince de Técole les conséqueneès de leùris opinions ^
des siennes, dès lors qu'ils nient ces conséquences^ Dieu me.préscfye
d'une conduite si contraire à Tesprit de la charité, et d'imiter .en"€Sèlft
nos adversaires! Je nem veux qu'à l'erreur, et je' respecté, je wéyàce
les personnes qui de bonne foi la soutiennent pour la vérité. Mairiv^ait»
malgré un procédé si juste et si équitable, je ne pkits éviter de leur.ètiPe
une occasion de seandale, eu en suis-je réduit « et^qael ^parti veuiçnt^
ils que je prenne? Qu'ils en jugent eux-mênôes par ce mot de saioÉiAiiiH
gustin, qae je les supplie de me permettre d'estimer doifanie unjgnttui
philosophe et comme un gi*and théolo^en^'^'ils me. Tèfuaent cette '||iàoc|
à r^rd de M. Descartes et du P. Malebranche: a Nonne 'in muitiurd
ûOD secmidum carnem horoo sapiat, quam mortem dicit esse apostoMj
magno aeandalo erit ei qui a<jlhuc 9ecundum<€amem^sa|>it« ukî>éV
dicere qoid sentias periculosissimum , et non dicere laboriosissimvM;
et aliud quam sentis dicere perniciosissimum?)) Voilà précisémentilléisl
où je me trouve. Je prie notre maître commun qu'il vous dicte là-deasus
la résolution que vous avez à prendre; et, s'il en faut venir k la sépara-
tion, que ce soit sans rompre la charité Repart ni d'autrcu>Je voua pto-
mets que, de quelique manière quonr me traite, j« vivrai toujours àbeo
la compagnie dans Fux^té d'un même^^ esprit e^ d'ub mèihC' oteuv^eb
Jésus^hrist, et que toute ma vie je Mtaiparticplièremeiit, etc.i> i il
> Le personnage auquel s'adressmt <Andr^ était un [PvDlàiiiot^ eacén^'f
de tout fanatisme, qui lui répondiune lettre fort maAérée dabs le gtUre
de ceUe>dU'Pv Dauj^enton. .;.. . ; i:»^ i ../i . :|. «.u » < i) .iin
« Je- n'ay re^u/écrîA-ii de Paris «'le a j^. juin 1709U flUCUA!:ordr«»if as-
sembler iai consulte) touchant, ce qui^regahle^vatre i^évéreoieeviiiMb^
vous prie d'être persuadé que je auiBeadtsposilipn^deirottsirenéretoas
lesi services rque (VOUS désire'zidd.ihoy. Trouvez ibéd cependant ^pm je
vfnis <lise qtiê droits prenez uti!pe«(.trop prompteiçentffnilareijiartiî^darii
une fiffaire jqùi eat de. si grande conséquence, p<Kir (VoM^ scit pikr fip^
part à.DièUv • aoit pat^ifappôrt.aux autres st]ite9)f[U)'elle'ppiitfdiiwib. £m*
.'.♦< ■! ./ .i;»} / .. :. .■; ; il- i-îi'. -lit' ■/'.',. li'io'iji' 'ji'\n]> r>tioK
3i.
244 JOURNAL DES SAVANTS.
dmeifert le P. Malebranche, et il est mesme fort de mes ainis, mais je
vous crois trop sage pour vous faire le martyr de sa doctrine. Si vous
n*ave£ pas d autre fondement que ce que Yoàs me dites pour croire
i[uon songe à vous renvoyer de la compagnie, votre soupçon me pa-
roist très-mal fondé. Quoy qu'il en- soit, il n'est pas question de dispu-
ter avec vous des principes du P; Malebranche ; je vous diray seulement
que j'ai 'examiné lEiutrefois sa doctrine là-dessns, et que je nlay pa3 ea
asseï de pénétration pour la comprendre , et que d'autres que des jé-
silites n'en ont pas eu plus quemoy ; mais que nous voyions ou que
nous ne voyions jpas les choses en Dieu, c'est une question qu'un régent
de philosophie nest pas. obligé de traiter dans un cours de philosophie
qu'on dicte à des écoliers. Il est de lavprudence, quand on est dans un
cOrps^ de ne pas s'joocuper d'opiéions qui ne regardent pas la foy. Elu
unrmot, mon révérend père, je vous conseille de faire de sérieuses
réfleoûons scnfiVafFaire dont il s'agit. Consultez Dieu et les règles de la
ppudende, je ne d)emande que cela de vous; mais consultez-les de sang-^
froid , et comme si vous étiez<bûr le point de rendre bientôt compte à
Dieiiide jb déterniinadon que vous prendrez. Quoy que je n'aye point
Vhonoeur de vouaioonnoître, j'ay ouy parler de vous avec quelque es-
time, et serois Inès-fâché que vous fissiez une démarche dont tost où
lardivbus devez* vous repentir. Je suis avec respect, etc.
«Daniôt. »
Srekni sa coutume , aussitôt qu'il entend des paroles modérées et bien-
veillantes,'André s'apaise. Après avoir offert sa démission, il la retire,
et ne témoigne plus que le désir de vivre eni paix avec ses confrères.
((Je n'ai pu vous mîarquer plutôt, répoud-il au P. Daniot, combien
j'^ été satis£ut dé. la lettre que votre révérence* ma fait l'honneur de
m'iécrire. Je suis bien aise que vous me rassuriez sur ce. que je m'étois
mis dans l'esprit que l'on ne seroit pas fâché que je d^se! quelque ou-
verture pouc délivrer la compagnie! d'un -si mauvais sujet Je l'avois cru
die -bonne foi, 6t sur la conduite que je voyois garder aux supérieurs à
mon é^rd et sur ice que mi'atoient dit deux ou trois personnes. Je me
s^is^^ompé :^ j'en bénis le Seigneur.!. Jd n'ai jamai» souhaité de sortîj^
d'une compagnie où je suis entré aVec tant de joie,, et où j*ai vécu avec
tant de. consolation, et, je puis vous en assur»% mon révérend père;
avec d^antant plu^'de consolation que j'y ai "eu plus à sou£Brir. Je nW
donc garde désormais d'insister sur l'alternative que j'avois proposée ;
j*atfçndrai av^. patience qu'il plaise au pévérend père général de m'y
unir encore plus étroitement par les dernier» liens. Je nyveuxd autre
AVRIL 1843. 245
degré que d'y être au-dessous de tous, ni d'autre privilège que d'y
servir tout le monde. Je ne vous dis point , mon révérend père , de ne
point nionti^er noa première lettre; elle ne feroit qu exciter les passions
de certaines personnes q^ui ne sont pas aussi raisonnables que votre ré-
vérence sur le chapitre du P. Malebranche. »
Le P. André avait bien raison de penser que tout le monde ne se-
rait pas aussi modéré que le P. Daniot. En effet la réponse qu'il atten-
dait du général des jésuites arriva dans Tannée i 7 i o, et il faut qu'elle
ait été bien sévère et même bien dure, puisque le P. André, épou-
vanté , ne fait plus entendre qu'une voix suppliante. Cependant plus
d'un retour amer sur te passé, plus d'une allusion courageuse à la con-
duite de ses adversaires, comparée à la sienne, est mêlée h la plainte
du pauvre jésuite. Il rappelle ses services, son attachement à la société,
ses disgrâces passées, eft il attend en paix le dernier coup.
Cette lettre , que nous supprimons parce qu'elle est en latin et fort
longue, paraît avoir touché l'austère Tamburini; car on voit, dans une
autre lettre latine du P. André, qu'il remercie le révérend père général
de s'être adouci à son égard, et lui-même s'excuse de la vivacité de ses
plaintes. Grâce à cette soumission , André vécut plus tranquille h Hesdin
pendant la fin de Tannée 1710. Il paraît même que son excellent ca-
ractère, sa douceiu*, son talent, tempéré par une plus gi'ande pru-
dence, lui firent trouver grâce auprès de ses supérieurs; car, en 1 y 1 1 ,
il fut envoyé du très-petit coUége d'Hesdin dans un collège plus im-
portant, celui d'Amiens ^, où il resta très-peu de temps, et ensuite dans
ûelui de Rouen, chargé de renseignement périlleux de la philosophie.
Y sut-il éviter les écueils au-devant desquels il allait lui-même? Aurons-
nous maintenant à admirer en lui la prudence qui conjure la tempête,
ou, comme auparavant, le courage qui sait la braver? C'est ce que
nous verrons dans un prochain article.
V. COUSIN.
* C'est ce que prouvent les deux billels suivants : « Je prie voire révérence de me
permertre d^empoiter où elle m^envoye une Bibje de Vîli^ et trois livres de mathé-
matiques , les Eléments de mathématiques , les Eléments de géométrie et TAnalyse
d^ontrée. André. — Permis d'emporter les livres ci-dessus à Amiens , le 6 août
1711. Larteb. »
. I
246 JOURNAL DES SAVANTS.
Sàggi dj nàturali esperiènzb Essais d! expériences faites A
r Académie del Cimento. Troisième édition de Florence, pré-
cédée d'une notice historique de cette Académie , et suivie de
quelques additions. Florence, i84i, in-4**.
TROISliME ARTICLE.
Après avoir exposé sommairement les travaux de Gastelli, M. Anti-
nori fait remarquer \ dans son introduction, que ce savant moine rendit
un grand service aux sciences , en encourageant les premiers travaux de
Gavalieri et de Torricelli, quil introduisit tous les deux auprès de Ga^
lilée. Cet illustre philosophe , qui devint le maîixe et le guide des deun
biturs géomètres, ne cessa jamais de leur témoigner cette vive affection
qu'il eut toujours pour ses élèves, et d'applaudir à leurs progrès; maïs U
ne reçut pas de tous les deux également les mêmes marques d affection et
de reconnaissance. Car, tandis que Torricelli sut adoucir, par des soins
constants et éclairés, les derniers moments du grand géomètre, doiit il
nous a conservé certains ouvrages, que celui-ci, devenu aveugle; lui
avait dictés , Gavalieri donna plusieurs fois à son maître le droit de se
plaindre , et parut même vouloir essayer de s'approprier une des prii^
cipales découvertes de cet homme célèbre. Gomme ce fait est peu
connu, et que nous possédons des documents inédits qui servent à
éolaircir toute cette affaire, nous demandons la permission d'entrer, à
ce sujet, dans quelques détails.
Né à Milan, en iSgS, Gavalieri entra chez les jésuites à l'âge de
quinze ans , et , s'étant rendu bientôt à Pi&e , il fut présenté par Gastelli
à Galilée , sous la direction duquel il s'appliqjua aux mathématiques. Les
rapides progrès qu'il Gt dans les sciences lui valurent, en 1629, l'hon-
neur de succéder à IVf agini dans la chaire d'astronomie k l'université de
Bologne. Galilée, qui lui avait coipmuniqué ses principales découvertes ,
l'aida beaucoup pai* ses recommandations ^ à obtenir cette chaire, où
* Sàggi ai naturati espârienze, p. 7 et 8. — ''Voici une lettre que Gavalieri lui
écrivit à ce sujet ; nous ne croyons pas qu*elle ait jamais été publiée :
I Molto illustre signore ,
« Uaffetto singolare , con il quale ho conosciuto che ella mi ha sempre amato , fa
die hora che Tautorilà sua puo unicamente giovarmi in un negozio , venga a pre-
garla dd présente favore. Essendo venuto qui il signer cardinale Aldobrandino, ed
AVRIL 1843. 247
il ne tarda pas à s illustrer. H publia à Bologne différents ouvrages , dont
le plus connu , la Géométrie des indivisibles, a fait dire à Fontenelle que
Cavalieri avait été le précurseur du calcul différentiel et intégral. Nous
ne devons pas nous arrêter ici à Texamen de ces divers écrits , qui sont
asses connus des savants, et nous entrerons dans quelques détails au
sujet du Traité des sections coniques , dans lequel se trouve une digres-
sion qui motiva les réclamations de Gadilée.
Ce grand géomètre venait à peine de publier le célèbre Dialogue
qui donna lieu à sa condamnation ,. que Cavalieri inséra dans le Traité
des sections coniques^ trois chapitres sur le mouvement, qui ne se rat-
tachaient pas directement aux chapitres précédents , et qui avaient pour
objet unique de démontrer que le mouvement des projectiles dans le
vide s'effectue suivant une parabole. Or cette proposition , que Galilée
avait communiquée à son élève, est un des plus beaux théorèmes de la
dynamique, que le philosophe toscan venait de fonder. Lagrange a par-
fiaiitement caractérisé Timportance de ces découvertes, en disant que,
essendo ancora per venirvi il signor cardinal Ludovisi , che tanto puô a Bologna ,
ed avendo dall* altra parte considerato di quamio giovamento e comodo ai mei studj
ed a stampare le mie opère sarebbe s* io potessi ottenere la lettHra d^k matema-
licbe in taie università, sapendo insieme quanlo elle fosse inchinato a favorirmi per
quella di Pisa , sebben fosse plu conveniente darla al sîgnor Nicole Âggiiinti , come
lo fu ; ed in somma perché so che avià caro , che io , come suo scolare , abbia qtiell*
occasione , che puô singolarmente svegliarmi a farcosa degna di simil maestro, perciô
renga a pregaria (se le pare di poter con sicurtà dir fiuakhe bugia appresso â sud-
detto signor cardinale Aldobrandini) che voglia con le sua autorità per sua lettera
al detto signore cardinale fare quella fede di me che le parrà , accio io possa oUenere
tel lettura, ed anco appresso qualcheduno di quei signori Bolognensi suoi amid ,
come appresso il signor Cesare Marsili, ed altri. Aggiungerei che venendo à Ptama
la signora Duchessa nuova sposa , sarebbe unica per raccomandarmi al detto signore
cardinale. Ma perché so che soprà meglio di me se sia espediente il ferio , o nA ,
lascero che se lo giudica bene voglia in una parola raccomandarie tal negono , che
del tutto le restera obbligatissimo , e farô con le mie fatiche in maniera che eUa non
impieghi malamente le sue raccomandazioni , e viva sempre ancora per mia bocca
la fama délia sua virtù , e il lume délia sua rara dottrina ; alla quale frattanto faccio
devotamente viverenza, raccomandandomi di tutto cuore
• Di V. S. Molto Illustre ed EcceUentissima.
« Di Parma, a4 novembre 16 a8:
« Obi)Ugati3simo servitore ,
« Fra Bonavbntuba Qavalibri. »
* Cavalieri, lo Specchio uêtom, owtero truttato delU ê^ttioni.comche^ Bologna , i63a,
isï'à*t p. i&i et suiv.
248 JOURNAL DES SAVANTS.
pour y parvenii% il Êdlait un génie extraordinaire^. On conçoit donc que
Galilée, qui avait Tintention d*însérer cette proposition dans ses Discours
sur deux nouvelles sciences, quil avait composés, et dont Tin) pression
fut retardée encore pendant six années , ait vu avec regret cette publi-
cation anticipée, d*autant plus que cela se passait justement au momieat
où commençaient les poursuites qui devaient le conduire aux pieds des
inquisiteurs.
A la vérité , dans le premier des trois chapitres consacrés au mouve-
ment, Cavalieri déclarait généralement qu*il avait reçu quelqaes lumières
de Galilée et de Castelli^ à ce sujet; mais sa déclaration était telle, qu'on
n y pouvait voir que la communication des principes généraux de la
chute des graves , principes que Galilée venait de publier récemment ,
et Ton devait naturellement penser que les applications, et principa-
lement ce qui était relatif au mouvement des projectiles dans le vide,
appartenaient à Cavalieri. Dans la correspondance inédite de Galilée que
nous possédons , cette afiiadre est traitée avec beaucoup de détail. D'a-
bord, dans une lettre' du 3i août i632, Cavalieri annonce la publi-
^ Lagrange , Afécanique analytique, a* édition ,tl,p. aai-aïa. Dans l'Histoire des
sciences mathématiques en Italie, nous avons rappelé que Tartaglia avait trouvé
que le maximum du tir 8*obtenait en donnant au canon une inclinaison de àb de-
grés ; et nous avons publié un fragment inédit de Guidubaldo dv\ Monte , qui
prouve que ce géomètre avait entrevu , par l'observation , que la trajectoire déter-
minée théoriquement par Galilée ressemblait à une hyperbole ou à une parabde.
Ces premiers aperçus, si imparfaits, ne diminuent en rien le mérite de l*auteur
des Dialogues. — - ' t Spero che sarà manifeste , per la nuova dottrina de! motojpro-
messaci dall' esquisitissimo Saggiatore délia Natura , dico dai signer Galileo Gali-
lei , ne* suoi Diaiogi , protestando io baver havuto e motivo e lume anche in parte
intorno a quel poco cb io dico del moto in questo mio Trattato, per quanto aile
Settioni coniche si aspetla dai sottilissimi discorsi di quello , e del reverendissimo P.
Ahbate D. Benedetto Castelli monaco cassinense matematico di N. S. e molto in-
tendenle di queste malerie, ambidue miei maestri. » (Cavalieri, Settioni coniche,
p. i5a-i53. ) — ^- Voici cette lettre, adressée par Cavalieri à Galilée, et que nous
n^avons jamais vue nulle part :
t Molto Illustre ed Eccellentissimo Signore,
t L^essere io stato spesso travagliato dalla gotta ed anco ne tempi di sanità occu-
pato nella stampa d'un operetta degii specchi adesso finita e stato cagione che io da
un pezzo in quà non le abbia scritlo. Ora dunque rîspondendo ail* ultima sua gra-
tissima, le dico che avendo fatlo diligenza di quel signore Gio Balta Arisio, ho ri-
trovato che da due mesi in quà egli non e più in Bologna, ma se n*è ito a Brescia,
dove dicono che aV présente si ritrorL Se ci fosse stato non avrei mancato di dili-
genza perché fosse restato servito.
« Mi dispiace che î^-nuovi oppositorî ai «uoi Dialoghi la vadano molestando, dove
piudosto aovriano ringraziarla tutti gli studiosi. Ad ogni modo questo farà che la
AVRIL 1843. 2^i9
cation de son ouvrage sur les sections coniques , et dît qu'il a prouvé ,
d après les principes de Galilée, que, dans le vide, le mouvement des
projectiles doit s'effectuer suivant une parabole. A celte nouvelle , Ga-
lilée s'émeut, et il écrit à Marsili, ami de Cavaiieri, une lettre où il
exprime ses regrets au sujet de la publication qui lui enlevait une dé-
couverte dont mieux que personne il sentait le prix, et qu'il devait à
quarante années de travaux persévérants. Cette lettre ne se trouve pas
dans la correspondance imprimée de Galilée, et nous croyons qu'on la
lira ici avec quelque intérêt.
tt Monsieur,
a J'ai reçu une letti'e du père Bohavcnture (Cavaiieri) avec l'avis
qu'il a récemment publié un traité des sections coniques, dans lequel
il dit avoir saisi l'occasion d'insérer une proposition relative à la tra-
fama più altamcnlc volando porti il suo nome air orecchi di queUi , che per ailro
non vi farchbono alcuna appHcazione.
«lo mandai cinquanta copie de niiei Libri al Landini per qnaranta de* suoi Dîa-
loghi, ma non ho mai visto cosa alcuna. Non manchero di farle avère uno de' miei
HbreUi ora stampati , e che ho inlilolali Specchio ustorio. In esso vcdrà un mio pen-
siero intorno allô specchio d'Archimede; tratto pero universalmente délie sezioni
coniche, considerando alcuni efletli di natura ne* quali hanno che fare. Ho toccato
qualche cosella de! moto de' projetti, mostrando che dovrà essere per una para-
bola, escluso Timpedimento dell' ambienie, supposto il principio del movimento de
gravi , che si velocili secondo Tincremenlo de numeri dispari continuali dali' unità
attestando di aver in gran parte imparato da lei cio cir io tocco in quesla materia ,
adducendo ancora anch' io una rugione per quel principio. Rimetio pero il ieUore
al libre che da lei si aspetia sopra la materia del moto , che tutti desiderano veder
presto fatto pubblico per potergodere di si preziosi, e maravigliosi trovali, e di cosi
rara, e ncccssaria dottrina. E quanto a me crederei che questi elemenli, voglio
dire -del moto, fossero per piacere in altra maniera, che gli elementi geometrici, c
che i filosoû fossero per aderire più facilmente. Perciô la prego a soUecitare, poiche
ogni di passa un giorno, che pure c troppo prezioso, ed è di troppo danno al mondo
che vada vuolo montre che aspetta d arricchirsi délie sue peregrine , ed ingegnose
speculazioni. 11 signore Cesare Marsili compatisce molto a suoi travagli e se le ri-
corda aflezionalissimo servitore, corne iu pure le vivo continuamente desideroso di
mostrarmi con gli efletti ; ed in fine desiderandole sanità , le faccio reverenza pre-
gandola a conservarmi nclla sua graia memoria
« Di V. S. Molto Illustre ed Ëccellentissima.
«Dî Bologna, li 3i agoslo i63a.
« Ella mi maudo una Jettera diretia al signore Agostîno Saniinî , la quale va k
Lucca , senza dirmi oltro ; io perciô Tho inviata à Lucca.
t Obbligatissimo servitore,
« F. BoiiAVENTuaA Cavalibiu. »
3a
250 JOURNAL DES SAVANTS.
jectoire décrite par les projectiles, en prouvant que cest une parabole.
Je ne saurais .vous cacher, monsieur, que j'ai éprouvé de rafUiction
en voyant qu'on m'enlevait ainsi la priorité d'une recherche que
j'avais suivie pendant quarante ans; et cela parce que j'ai communiqué
avec une grande confiance mes résultats au père Cavalieri. J'ai perdu
ainsi la fleui* d'une gloire que je désirais ardemment, et que je m'étais
promise après tant de travaux; car le premier motif qui me porta ù
étudier le mouvement des corps, ce fut précisément celui de trouver
cette trajectoire, qu'on démontre assez facilement une fois qu'on l'a
découverte, mais dont je sais, par expérience, combien la détermina-
tion est difficile; et, si le père Bonaventure, avant la publication de ce
livre, m'avait averti de son projet, comme peut-être la politesse l'eût
eidgé, je l'aurais tant prié d'attendre, qu'il m'aurait permis de publier
d'abord mon livre, après quoi il aurait pu faire paraître autant de re-
cherches qu'il eût voulu. J'attendrai ce qu'il pourra dire à cet égard ;
mais certes il faudrait de grandes choses pour adoucir mon chagrin.
Pour ma plus grande mortification, tous mes amis, qui ont appris cette
affaire, m'ont reproché une trop grande confiance. Ma mauvaise étoile
veut que j'aie toujours à batailler, et parfois avec perte, pour con-
server mon bien. Je sais que cette lettre vous aura ennuyé : pardonnez-
moi, monsieur, c'est la douleur qui m'a forcé à vous écrii'e ainsi. Pour
me consoler un peu, dites-moi que vous m'aimez toujours , car c'est là
ce que je désire le plus.
«Florence, 1 1 septembre i632.
(( Votre très-dévoué serviteur,
(( Galileo Galilei. »
Cette lettre, dont nous devons admirer la modération, fut commu-
niquée à Cavalieri, qui, le 21 septembre ^ s'empressa d'écrire à Ga-
lilée pour s'excuser.
«Le chagrin que vous avez éprouvé (disait Cavalieri à son maitie) à
cause de ce que j'ai inséré, dans mon Traité des sections coniques, sur
la parabole tracée par les projectiles dans le vide, n'est rien en com-
paraison de la douleur que j'ai ressentie en apprenant que j'avais pu
vous blesser, lorsque je croyais vous honorer. Ce que j'ai dit du mou-
vement, je l'ai dit comme votre élève et comme élève du P. Castelli;
car c'est de vous deux que j'ai appris le peu que j'en sais. Vous direz
peut-être que j'aurais dû déclarer plus explicitement que la découverte
' Voy. Vmlinri, Hemçm.di Galileo, Modena, 1816, 2 vol. in-4*, t. II, p. 264.
« •
AVRIL 1843. 251
de cette trajectoire vous appartenait. . . Voyez, Monsieur, ce que je dois
faire y car je suis prêt à vous satisfaire de toute manière. Si vous le voulez ,
je ne ferai plus livrer au public aucun exemplaii^e de mon ouvrage jus-
qu'à ce que vous ayez publié votre Traité sur le mouvement, que vous
pouvez antidater. Je ferai réimprimer aussi deux feuilles , en changeant
tout ce qui a pu vous déplaire , et en mettant à la marge : Conclasion de
M. Galilée. Enfin, si vous le désirez, je brûlerai tous les exemplaires de
mon ouvrage , afin de détruire en même temps ce qui a pu vous donner
du chagiîn ; car je ne veux pas que Galilée puisse me dire comme Cé-
sar : Tu quoqae Brute jili ! »
Ces offres étaient magnifiques , mais elles n'eurent aucun effet. Ga-
lilée adressa une autre lettre à Marsili pour lui dire qu il ne doutait
nullement de la bonne foi de Cavalieri, et qu* il ne demandait pas qu'on
touchât au livre imprimé. Nous pensons qu'on lira avec plaîsii' cette
seconde lettre de Galilée à Marsili ; car non-seulement elle manque dans
ses œuvres imprimées , mais on y trouve des renseignements précieux
sur le commencement de la persécution dirigée contre ce grand phi-
losophe :
«Monsieur,
« n y a un peu moins de deux mois que le père inquisiteur de cette
ville nous enjoignit, à mon libraire et à moi, par ordre du très-révé-
rend père et maître du sacré palais de Rome, de ne plus faire paraître
aucun exemplaire de mon Dialogue jusqu'à nouvel avis. Ce fut là le
premier acte d'une vive persécution, dont j'avais entendu parler quelque
temps auparavant, et qui se préparait contre moi aussi bien que contre
mon livre. Cette persécution a pris peu à peu un tel caractère de vio-
lence, qu'enfin, il y a quinze jours, il m'arriva un ordre de la sacrée
congrégation du saint office de me présenter dans ce mois-ci au tribunal.
Cet ordre m'afiligea profondément , non pas que je craignisse de ne
pouvoir me justifier et prouver mon innocence et mon zèle pour la
sainte Église, mais mon âge avancé, beaucoup d'infirmités corporelles,
ce surcroît de préoccupation d'esprit , un long voyagé rendu plus pé-
nible encore par les soupçons qui en sont la cause, tout cela me donne
presque la certitude que je succomberai avant la fin du procès. J'ai fait
tout ce qu'il était possible d'imaginer pour obtenir de me disculper par
écrit, ou , du moins , pour faire juger ma cause ici , où nous avons des
ministres de l'inquisition , et j^attends une réponse. Cependant j'ai voulu
vous faire savoir ceci, monsieur, comme à un ami très-affectionné» qui,
certtiûeinent, prend part à mon infortune. .>: i*.-...
39.
252 JOURNAL DES SAVANTS.
«c J'ai reçu une très-longue lettre du très-révérend P. Bonaventure.
Il me fait des excuses qui n'étaient vraiment pas nécessaires, car je
naî jamais douté de sa très -bonne intention, mais je m'affligeais de
ma disgrâce, quoique celui qui la causait ne le fit pas voloiitairement
ni par conviction. Me trouvant fort occupé, je ne peux pas lui écrire
maintenant; je vous prie seulement de lui dire que je ne désire aucun
changement à son livre déjà imprimé, et que je le remercie même de
rhonorable mention qu il y fait de moi. Je vous salue respectueusement.
Je vous baise les mains , et je prie pour votre bonheur.
«Florence, 18 octobre i632.
« Votre très-dévoué serviteur,
(i GaLILEO GalîLEI; »
On retrouve ici la bonté du caractère de Galilée : cependant , sans
accepter les propositions de Cavalieri, et tout en déclarant qu'il ne
demandait pas qu'on fît aucun changement au livre déjà imprimé, cet
illustre géomètre ne repoussait nullement les autres moyens qu'avait
CavaHerî de constater ses droits. Mais ceïui-ci ne songea plus à cette
affaire, et ne fit aucune déclaration publique pour restituer à son
maître, au véritable inventeur, cette mémorable découverte.
C'est ici un nouvel exemple du danger qu'il y aurait à adopter l'o-
pinion fort étrange de certains savants , qui ne pas craignent d'avancer
que les découvertes scientifiques appartiennent toujours à celui qui les
a publiées le premier,. sans qu'on puisse jamais combattre cette pre-
mière publication par d'autres preuves. A notre avis , ce principe , s'il
était admis, ne pourrait qu'être nuisible aux sciences, en provoquant
des publications précipitées et incomplètes, ou en encourageant la
fraude et les soustractions.
Au reste, dans le cas actuel, on ne saurait s'empêcher de remarquer
que Cavalieri appartenait à cette compagnie de Jésus qui avait voué une
haine si implacable à Galilée, et que, seul parmi tous les élèves du
gi^nd philosophe toscan , le professeur de Bologne parut presqiie in-
sensible à la persécution dirigée contre son maître. Nous voyons, en
effet, par la correspondance inédite déjà citée, qu'après la sentence de
rinquisitipn Cavalieri cessa d*abord tout à coup d^écrire^ à Galilée, et
^ Depiiis le^ décembre i63a jusqu'au 17 décembre i633, nous ne trouvons au-
cune lettre de Cavalieri à Galilée. Voici comment Cavalieri tâche d'excuser son long
silei^pe dans la première lettre quil écrivit à son maître après Tavoir délaissé pen-
dant toute Tannée de sa condamnation : « Moltb Illustre ed EccellentissimO Si'gnore,
Sébbene îo non fao da molto tempo în quà scntto a V. S. Eécellenlissima (cioè per
il tempo dei suoi travagli) nonô perà eh* io non igU nbbiii 'tentiti con quella pas-
?'
', AVRIL; 1843. (^ 2&3
qu ensuite celui-ci eut 4 se ;p}aii^€Lre de landilTërençe, avec laquelle
Cavalier! le voyait attaqué c)jaas<] est libelles que llocco\ péripatéticien
enragé, publiait. Il est impossible de ne pas reconnaître , dans tqute cette
conduite, les effets de Tinfluence que les autres jésuites devaient exercer
sur Cavalieri.
^ . Au re^te.i aans se comprooaeMre;, ce savant mathématicien accablait
de louanges Galilée , loi^squjl espérait en cetirer quelque^ profit. Dè^ qu il
apprit qu0 Galilée avait aebeyésou ouvrage sur le mouvement, il lui
adressa une longue leitre pour, tâcher d avoir quelque communication
anticipée des découvertes qu'il devait y exposer. Dans cette lettre, il ex*
prime de nouveau s^s ft^rct^ pour ce qui était arrivé au sujet.de la U^-
jectoiie dépritç ^ar 109 projectiles; dans le vide , et il promet de ne plus
commettre la njijême; &ute« ûçLte lettre est fort remarquftblecii^tnousifa
'•'.:..■ ■ ■. .:. . }.
sioiie che si puo, iipaginare , inlorpo de* quali non.ipi diifondo in coi)solaj;]a per
non ofFendere la sua molta prudenza e vafore d'animo, con cuî sàxliê avrà supe-
rato i passati Iravagli. • On ne trouve pas , dans toute cette correspondance , un §éûl
mol de Cavalieri pourlHâiii&r la sentence de Tinquisition. — ^ Voféi une dtilre leUre
de Cavidieri, dan» laquelle il s^excose, à ce »ujet^ auprès de Gidilée^. Le dernier pa-
ragraphe surtout :est signiOcatif , car il. prouve que Ca(valîeri lie >Koulait rien i^ccire
qui pût le compromettre :
.1.1. ■ • . ' . . ■ • •
« Molto Illustre ed ElcceUentissimo Signore ,
« V. S. Eccellenlissîma si quereia mëco, ch* ionon abbm-con quelk enei^a pro-
ekmato rimpertio^nvbe stoltizia dell* autore del iibro ioviatole , che la condÎBon^
di queUo richiede^a,,^ çhe ip abbia mostraio di<Ce|rBe qualphe couto. Nel çfae cOo-
fesso d'essere andalo veramente rimesso alquanto, per non dir troppo, trapassando
la sua insôlénza ogni termine e scoprendosi pîù cbe chîara la sua incapacité e stu-
pldczza. La frclta con la quale io scrissi non mi diede campo di potere al vivo rap-
presentafgli come l*autorc non m*era sembriito altro che qiiellQ che à )ei è parso :
rai spedii con' dire , sepptir maie non mi ricordo che m*éra parif^d pieno di scioc*^
chérie e di spropositi etcosl di miDvo le confefmo, né ho intuicalo ragSpna.ndo con
akri di rappëèsentarlo per taie; Né credo che appfesso di me abbia* acqti^tato un
minimo chedi stima. Ma si bene alT opposito,'ne ho fbtmato un cbilcétto d^inso-
ientissîmo e îgiforantt^éîmo pedàn(è. Ndh mi ^ëvtiehê'gîà che cosa abbia detto daf
che possa raccoglierc ch* io Tabbia in qualche credilo, se non forsQ chT io àvés^î detto
che egli si mostri pratico d*Aristolëte, il çhe pèrô non tn'aggiugneria éredito poi-
ché se benej'come Ethi dice che questr si slimano d'essere ^nfvati al sommo del
sapere quamlo hanno fatio gràn pnitièa sopra li suoi tësti , dtST accozuunenlo de*
qdali profeè^àno ^tersi reèpofidéf^ a- ogcf? cosà. spi*é2â^ndo ogni altro' ^od'o di sa-
pere ed ogni allra strada, per singolar chè'sifi, dï (Hoisofaire. Si'sgahni 'pure V. S.
Ecccllentissinf^^ i^questo, né si pQ|[)tprU»;|)oiphè itpurissimo oro délie sue sal-
dissirae ragioni è da me, per quanto la debolezza del mio iogegno mi permette,
benissimo distinto dal rame , dd quale sembrano eSscre i distofsl dél sûadefto au-
tore. Mb pdi quando io pure non coiioaieeàki a nieno tal disfinxione, non per questo
-creda che siano per maacare îngeghi dii gran lunga super ion al mio (del quale la
254 JOURNAL DES SAVANTS.
donnons ici, surtout parce qu* elle montré que Gavalieri nétait pas to-
talement étranger aux habitudes de la eëlèbre compagnie à laquelle il
appartenait :
a Monsieur,
« J'ai appris avec une satisfaction extraordinaire que vous aviez achevé
vos glorieux travaux sur cette doctrine si impatiemment attendue des
savants, et qui; malgré les efforts qu'on a pu faire potrr supprimer vos
ouvrages, vous fera vivi^e éternellement. Je regrette vivement de ne pa^
pouvoir en avoir communication, car je le désirerais au delà de toute
expression. Ne croyez pas cependant, monsieur, que, connaissant vos
intentions, je pusse commettre la faute de traiter actuellement ces
théories que vous avez inventées avec tant de peine, ni même que, si
cela était permis à la faible intelligence d'un homme qui , à votre égard ,
n'est qu'un pygmée, je voulusse faire le moindre tort à vos rares inven-
tions. Je suis désolé du chagrin que je vous donnai dans mon Traité
des sections coniques, où je fis connaître la ti:ajectoire décrite par lea
projectiles. Car je ne pensais pas que vous pussiez y tenir beaucoup, et
j'espérais que la déclaration que j'avais faite, que c'était là une chose
que vous m'aviez apprise , devait vous faire plaisir, au lieu de vous cha-
griner, comme cela arriva à mon très-grand regret. Soyez certain que
je ne. fendis plus la même faute, si vous me communiquiez vos idées.
Quanti ma Géométrie , je désirerais avoir l'opinion de» «avants de votre
ville, je crains qu'ils iVè se fatiguent au premier et Su Sfecond livre , où
il y a les choses les plus simples*,, car, s'ils ne lisaient pas là suite, ils
ringrazio cqolto de% stin^a che zoostra dî (are) che benissimo conosceranno quanto
ella sopravanzi tutti gli altri nella saldezza dql suo discorrere , e quanto sciocco ,
arrogante e preoQ di yanità si ritrovi il detto aiUore» nei suo trattato. lo non Tho aile
mani., sicchè io lo possa di nuovp vedere, ma poco mi si puè aggiugnere, credg
al çQi^ceUo che ne ho fonn^tp, sebbene lo Tidi di scorsa, poic)iè aÔa, prima mi
son parae cosi bea chiare le sue scioccherie,. che poco più potrei avvantagiarmi in
conoseerle per ta^.
« G)ndonî qualchè jcosa allô scnvere , che non permette talora allargarsi , e mi
ienga per suo parziallsjsuno servîtore e che a ^iuno cedp nel fare singolarissim»
stima del suo ^ublimissimo ingegno , çhe con sâggi cosi esquisiti Ella ha a luUo il
moodo co* saia soltîlissimi ^iscorsi palesato : e con tal fine alla sua affeltuoKA me*
moria mi raccû^;ni|;|iao haçiandole le ^ant.
t Di V. fit. Mdlo IHmire ed EcceHenttssîma.'
« polognà , 1 4 f<^brajp i $,34-
r»rf ••. ' % '»i;".
t
Obbligatiasimo ç 4^voUssimo.;»ervt^re,;
/
'\' r- ."-i>' -:-' - -^ «FlU BoNAVBirrvaA'CiKVA^in».-»
AVRIL 1843. 255
se formeraient probablement une opinion défavorable de l'ouvrage.
Cependant j'espère qu'ils ne voudront pas me condamner sans avoir
tout lu. Je regi*ette que votre âge, monsieur, ne vous pennette plus
de grandes fatigues; mais celui qui a tant fait a droit à une glorieuse
tranquillité. Je prie Dieu qu'il vous donne une longue vie corporelle,
car, quant à la gloire, vous ave» acquis l'immortalité. Je me recom-
mande à votre afifection, et je vous baise affectueusement les mains.
(I Bologne, 2 & juin i635.
a Votre très-obligé serviteur,
« F. BoîiAVENTORE CaVALIERI. ))
Galilée sut éviter le danger, et il ne parait pas qu'il ait jugé à p^ppos
de se fier de nouveau à la discrétion du savant jésuite. Dans d'autres
lettres, Cavalier!, qui ne dédaignait pas les éloges d'un homme que
l'inquisition avait condamné , demandait avec instance ^ à Galilée qu'il
voulût bien parier de lui dans ses Discours sur deux nouvelles sciences.
Oubliant la conduite du jésuite, Galilée ne vit toujours dans Gavalieri
qu'un élève distingué, et il fit mention de ses travaux de la manière
la plus honorable dans ces Discours , qu'il publia bientôt après ^.
Ces faits, fort peu ccHinus, nous ont semblé pouvoir intéresser les
savants, et c'est pour cela que nous avons cru devoir nous y arrêter.
Si M. Ântinori ne les a pas signalés dans son important ouvrage , c'est
qu*il réservait les développements pour les travaux des membres de
l'Académie dei Cimento.
G. LffiW.
^ Voyez surtout la lettre inédite de Gavalieri à Galilée du i4 juin i634. — **
* Galilei, Discorsi.,, intomo a due nuove scienze, Leida, i638, in-4*, p. 42.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
CEdipe roi, tragédie de Sophocle, traduite en français par M. A. L. Boycr, pro-
fesseur de rhétorique au collège Stanislas. Paris , imprimerie et librairie de Firmin
Didot frères, i843. in* 12 de 107 pages. — Cette traduction se recommande,
250 JOURNAL DES SAVANTS.
comme celle que M. Boyer a donnée, Tannée dernière, de VAntigone (voy. Journal
des Savants, juin i84a, p. 38i), par un grand respect du texte original, un soin
curieux n en rendre les beautés avec fidélité et élégance. M. Boyer, qui continue à
chercher dans Tétude de Racine le secret, si difficile à retrouver, de rendre, sans
Taltérer , et dans un langage qui ne cesse point par exactitude d*étre français , la
simplicité antique , a indiqué en note tous les passages de notre grand tragique où
il paraît s^être inspiré du souvenir de YŒdipe roi. Peut-être ne sont-ikpas tout à
t'ait aussi nombreux que le pense M. Boyer. Mais , si ses rapprochements pèchent
par quelque excès, ils n*^en sont pas moins intéressants et instructifs, et ils ajoutent
beaucoup de prix à son consciencieux et estimable travail.
La Science de la vie, ou Principes de conduite religieuse, morale et politique, ex-
traits et traduits d*auteurs italiens, par M. Valéry, auteur des Voyages historiques,
littéraires et artistiques en Italie , des Voyages en Corse , à Tile d'£lbe et en Sar-
daigqe , et de Tltalie confortable ; bibliothécaire du roi aux palais de Versailles et
de Trianon ; de TAcadémie royale de Turin , de TÂcadémie des sciences de Naples ,.
et de plusieurs autres Académies dllalie. Imprimerie de Montalant-Bougleux à Ver-
sailles, librairie d'Amyot à Paris, i84a, t vol. in-S* de viii-33o pages. — Dans
cette nouvelle production d*un auteur qui s'est apphqué avec tant de zèle et de
succès à reproduire , sous ses faces diverses , l'image de lllalie ( voy. Journal des
Savants, septembre i858, p. 585; mai i84i, p. 3i8; février 1842, p. i23], sept
chapitres empruntés à des moralistes, à des traités de morale italiens, les uns peu
connus , d'autres aujourd'hui négligés , au Miroir de la vraie pénitence par le do-
minicain Jacques Passavant!, aux Discours sur la vie sobre de Louis Cornaro, à la
Vie civile de Matthieu Palraieri , au Traité du aouvernement de la fam'dle d'Ange
Pandolûni , au Livre du courtisan du comte Ballnazar Castiglione ,, au Galateo , au
Traité des devoirs, aux Poésies, aux Lettres de monsignor Jean délia Casa, enfin au
Dialogue dn père de famille du Tasse, embrassent, dans toute son étendue, le sujet
promis par le titre. A un choix d'excellents préceptes se joint , pour recommander
ce livre, le double mérite, ordinaire à l'auteur, d'une érudition ingénieuse et dis-
crète et d'un style élégant.
TABLE.
La Célestinr , tragi-comédie de Calixtc et Mélibée , traduite de Tespagnoi , annotée
et précédée don estai historiqae, par M. Gcrmond de Lavigne (article de
M. Magnîn) • Page 1 93
Géographie d'Édrisi, traduite de Tarabe en français par M. P. Amédéc Jaubert
( 1" article de M. Quatremère] 265
Nouveaux documents inédits sur le P. André et sur la persécution du Cartésia-
nisme dans la compagnie de Jésus (2* article de M. Cousin) 218
Essais d'expériences faites dans TAcadémie del Cimento (3* article de M. Libri). 246
IlouveUet littéraires 255
PIN DE LA TABLI.
I ■
JOURNAL
DES SAVANTS.
MAI 1843.
"i
t
' Il avait formé ce projet avec M. Geoffroy-Saint-Hiiaire, lequel a publié, dans
ces derniers lemps, sur ouffon, des Études très-remarquables, et que j'aurai plus
d'une fois occasion de citer par la suite. — ' t M. de BufTon rend raison des mo-
tifs de préférence qu'il a eus pour tous les mots de ses discours, sans exclure même
33
»'
«
Revue des éditions de Baffon.
Art. I". Idées de Buffon sur la méthode.
M. Cuvier avait eu, dès le début de sa carrière , le projet de donner
une édition de BuiTon ; et il a toujours regretté de ne Tavoir pas donnée.
((Il est fâcheux, dit-il dans les Mémoires qu*il a laissés sur sa vie, que
mon projet n ait pu se réaliser; il aurait empêché les éditions absurdes
de Castel et de Sonnini, qui ont fait tant de tort à la science K »
Les éditions de Castel et de Sonnini sont absurdes ; nous n'avons pas
celle qu'avait projetée M. Cuvier; nous en avons vingt autres, mais qui
n'en sauraient tenir lieu, et le problème dune bonne édition de Buf-
fon est encore à résoudre.
Je m'occuperai, dans un autre article, de ce problème. Ce qui va
d'abord m'occuper ici, c est l'étude même des pensées de Buffon.
Il y a , dans tout ce qu'a écrit Buffon , im ordre , une suite , une géné-
ration visible des idées. On peut démêler partout, dans ces idées, ce
qui est de lui et ce quil emprunte à (^'autres, et particulièrement
aux trois hommes quil avait le plus étudiés, Aristote, Descartes, "^ ♦j
Leibnitz; on le suit pas à pas dans ces combinaisons profondes d'où il j^*
a fait sortir tant de vues nouvelles; il rend raison de tout ce qu'il dit ^;
\
#
It-
1
258 JOURNAL DÈS SAVANTS.
et lui-même nous a laissé l'histoire la plus sûre et la plus savante de ses
méditations et de ses pensées.
C'est cette histoire des pensées de BuCFon, écrite par lui-même , que je
me propose d'étudier ici , et d'étudier successivement dans chacune des
deux parties de son grand ouvrage : YHistoire des animaux et XHistoire
de la terre,
V Histoire des animaux, ou, comme on dit aujourd'hui, la zoologie, se
compose de Vhistoire même de chaque espèce prise à part , et de la 'dis-
tribution méthodique de toutes les espèces comparées entre elles.
Or, de ces deux choses, Buffon a merveilleusement compris la pre-
mière, Yhistoire proprement dite, et il n'a jamai^^bien compris la seconde
ou la distribution méthodique,
BufTon n'a jamais vu, d'une vue nette, ce (]^ecest que la méthode en
histoire naturelle. Tantôt il la confond avec la description ou Yhistoire :
M La vraie méthode , dit*il, est la description complète et l'histoire exacte
de chaque chose en particulier ^ » Tantôt il l'en sépare pour n'y voir
«qu'une convention, une langue arbitraire, un moyen de s'entendre
dont il ne peut résulter aucune connaissance réelle^.» Ailleurs il feint
de se méprendre sm^ le vrai sens du rapprochement des espèces dans
la méthode, et croit se moquer de Linné : «Ne serait-il pas plus simple,
dit'il , plufl naturel et plus vrai , de dire qu'un âne est un âne , et un chat
un chat, que de vouloir, sans savoir pourquoi, qu'un âne soit un che-
val, et un chat un loup-cervier^? »
Enfin, il va jusqu'à écrire cette phrase singulière : «Ne vaut-il pas
mieux ranger, non-seulement dans un traité d'histoire naturelle, mais
même dans un tableau ou partout ailleurs, les objets dans l'ordre et
dans la position où ils se trouvent ordinairement, que de les forcer à se
trouver ensemble en vertu d'une supposition? Ne vaut-il pas mieux faire
suivre le cheval , qui est solipède , par le chien , qui est fissipède , et qui
coutume de le suivre en effet, que par un zèbre , qui nous est peu
connu , et qui n'a peut-être d'autre rapport avec le cheval que d'être
solipède*?» ^
Il fallait en vouloir beaucoup à Linné pour trouver mauvais qu'il
eût placé le cheval près du zèbre. Assurément tout n'est pas parfait
de cette discussion ^s moindres particules , les conjonctions les plus ignorées. «
(Noav. Mél. extr. des manusc, de A/"' Necker,) Cette raison qu*il rendait, dans ia
conversation, de tous ses mots, il Ta rendue, dans son livre, de toutes ses pensées.
' — ' T. I, p. 34. édit. in-ia de Tlmpr. roy. — ' Ibid, p. a a. — ' Ihid, p. 57. Loup-
çervier, espèce de lynx, et par conséquent espèce aefelis, de chat. — * Ihid,
p. 5i.
«•*>
MAI 1843. 259
dans Linné : il n*a pas connu la grande loi de Yimportance relative des ca-
ractères ^ ; mais il a vu , et îl est le premier qui lait nettement vu , que
tous les caractères devaient être pris dans les objets mêmes , et c'é-
tait là un pas immense. Pour Buffon , il consent bien que Ton sépare ,
en se réglant d'après leur nature , les anùnaax des végétaux, les végétaux
des minéraax; il consent que l'on sépare les quadrupèdes des oiseaux, les
oiseaux des poissons; mais, cela fait, il repousse toutes les autres divi-
sions fondées sur la nature des choses. Il ne veut plus juger les objets **i
que par les rapports d'utilité ou de familiarité qu'ils ont avec nous; et ^
sa grande raison pour cela, c'est «qu'il nous est plus facile, plus
agréable et plus utile, de considérer les choses par rapport à nous, que
sous aucun autre point de vue ^. »
Il est curieux de l'entehdre exposer lui-même ce qu'il appelle sa mé-
thode. Il imagine un homme, qui, ayant tout oublié, «s'éveille tout
neuf pour les objets qui l'environnent; » il place cet homme dans une
campagne, «où les animaux, les oiseaux, les poissons, les plantes, les
pierres se présentent successivement à ses yeux. — Bientôt, dit-il, cet
homme se formera une idée générale de la matière animée , il la distin-
guera aisément de la matière inanimée, et, peu de temps après, il dis-
tinguera très-bien la matière animée de la matière végétative, et natu- TiSi
rellement il arrivera à cette première grande division : animxil, végétal
et minéral; et , comme il aura pris en même temps une idée nette de
ces grands objets si différents, la terre , Yair et l'eau, il viendra en peu
de temps à se former une idée particulière des animaux qui habitent la
terre, de ceux qui demeurent dans l'eau et de ceux qui s'élèvent dans
l'air, et, par conséquent , il se fera aisément à lui-même cette seconde di-
vision : animaux quadrupèdes, oiseaux et poissons; il en est de même,
dans le règne végétal , des arbres* et des plantes; il les distinguera très- ^
bien, soit par leur grandeur, soit par leur substance, soit par leur '^
figure. Voilà ce que la simple inspection doit nécessairement lui don- ^
ner, et ce qu'avec une très-légère attention il ne peut manquer de re-
connaître ; c*estlà aussi ce que nous devons regarder comme réel , et que
nous devons respecter comme une division donnée par la nature même. *
Ensuite mettons-nous à la place de cet homme, ou supposons qu'il ait *
acquis autant de connaissances et qu'il ait autant d'expérience que nous "^
* en avons, il viendra à juger les objets de l'histoire naturelle par les
rapports qu'ils auront avec lui : ceux qui lui seront les plus nécessaires ,
' Voyez, sur la grande loi de Timportance relatnre des caractères et sur tout oe
qui tient à la méthode, mon Analyse raisonnée des travaux de G. Gurier, 18&1.
— *T.I,p. 48.
33.
260 JOURNAL DES SAVANTS.
les plus utiles, tiendront le premier rang; par exemple, il donnera la
préférence, dans Tordre des animaux, au chien, au bœuf, etc. et il
connaîtra toujours mieux ceux qui lui seront les plus familiers; ensuite
il s'occupera de ceux qui , sans être familiers , ne laissent pas que d'ha-
biter les mêmes lieux , les mêmes climats , comme les cerfs , comme les
lièvres et tous les animaux sauvages; et ce ne sera qu'après toutes ces
connaissances acquises que sa curiosité le portera à rechercher ce que
peuvent être les animaux des climats étrangers, comme les éléphants,
les dromadaires, etc. Il en sera de même pour les poissons* pour les
oiseaux , pour les insectes , pour les coquillages , pour les minéraux , et
pour toutes les autres productions de la nature : il les étudiera à propor-
tion de l'utilité qu'il en pourra tirer; il les considérerai mesure qu'elles
se présenteront plus familièrement, et il les rangera dans sa tête rela-
tivement à cet ordre de ses connaissances, parce que c'est, en effet,
l'ordre selon lequel il les a acquises , et selon lequel il lui importe de
les conserver. Cet ordre, le plus naturel de tous, est celui que nous
avons cru devoir suivre. Notre méthode de distribution n'est pas plus
mystérieuse que ce qu'on vient de voir ' »
Voilà pourtant jusqu'où peut conduire la prévention; et, quand on
songe à l'époque où Buffon s'exprimait ainsi , l'étonnement redouble.
Lorsque Buffon écrivait ce qu'on vient de lire, il y avait plus d'un
demi -siècle que Ray^ et Toumefort' avaient publié leurs grands tra-
vaux sur la méthode; Linné avait publié ses Fandamenta botanica^, pre-
mier germe d'une philosophie nouvelle de la science ; les idées de Ber-
nard de Jussieu commençaient à se répandre, et je trouve la preuve
de ce dernier fait dans un monument bien précieux.
Nous avons , de Malesherbes , des Observations ^ pleines de savoir, et
surtout de bon sens , «ur les trois premiers volumes ^ de l'Histoire na-
turelle de Buffon. Là cet esprit souverainement droit démêle bien vite
la cause réelle de toutes les erreiurs de Buffon , en fait de méthode. « Je
crois, dit Malesherbes, que le peu de connaissance que M. de BuQbn
a des auteurs systématiques est ce qui l'a empêché de faire attention
à la première et principale utilité de leurs méthodes^ C'est un re-
' T. I, p. 45. — * Methodus plantamm nova, 1682. -^ ^ Éléments de botanique,
on Méthode pour connaittv les plantes, i6g4* — ^ Fandamenta hotanica, etc, 1736.
— * Observations de Lamoignon-Malesherbes sar thistoire naturelle générale et parti-
culière de Buffon et de Dauhenton. L'ouvrage , qui n*a paru qu^après la mort de fau-
teur, avait été composé en 1749* à l'époque même où Buffon publiait ses premiers
volumes. *- * Pubuét en 1749* -** ^ Observations sar l'histoire naturelle, etc. t. I,
p. 8.
MAI 1843. 261
proche, dil-il encore, que je ne puis m'empêcher de faire à M. de Buf-
fon , surtout à l'égard de M. Linnaeus , dont je crois qu'il a trop peu lu
les ouvrages, et dont il n a pas saisi l'esprit ^ »
Et, en effet, si Buffon a mal jugé les méthodes, c'est, tout simple-
ment, parce qu'il ne connaissait pas les méthodes, u Lorsque l'ouvrage
de M. de Buffon fut annoncé au public, dit Malesherbes, il me parut
que, par ce titre d'Histoire naturelle gériérale et particulière , l'auteur pro-
mettait un traité complet sur chaque partie de cette science; et ce pro-
jet me sembla d'autant plus hardi , que M. de Buffon n'avait pas encore
paru dans le monde savant comme naturaliste ; il était déjà célèbre par
plusieurs mémoires lus à l'Académie sur différents sujets d'agriculture,
de physique et de géométrie, et par une traduction très-estimable^.
Mais ces différentes connaissances me paraissaient autant de diversions
à l'étude de la nature ' »
Lorsque Buffon, nommé en i ySg intendant du jardin du Roi, conçut
le projet de son grand ouvrage , il n'était pas naturaliste. D'un autre
côté , rien ne convenait moins à son génie que l'étude rigoureuse et
abstraite de la nomenclature et des caractères. Il se mit donc à décrire
les animaux un à un, conmie il les étudiait, n'ayant pas eu le temps
de les étudier tous ensemble et de les comparer entre eux ; et , ce
parti pris, il ne chercha plus qu'à multiplier, autant qu'il put, les ob-
jections contre les méthodes.
« Il est aisé de voir, dit-il , que le grand défaut de tout ceci est une
erreur de métaphysique dans le principe même des méthodes,
erreur qui consiste à vouloir juger d'un tout par une seule de ses par-
ties *. » Buffon se trompe ; il n'y a point là d'erreur de métaphysique :
toutes les parties d'un animal étant faites les unes pour les autres , cha-
cune donne les autres; on peut juger du tout par une seule de ses par-
ties; il s'agit seulement de bien choisir cette partie^. «H su£Eit, disait
déjà Malesherbes, de choisir des caractères fixes, constants et inva-
riables; et il y en a dans la nature^. »
Buffon prétend o qu'il est impossible de donner un système général,
^ Ibid. p. 4. -^ ' La traduction de la Statistique des végétaux, de Haies. La pré-
face de cette traduction est remarquable à plus d'un titre ; j'y reviendrai plus tard.
Malesherbes oublie la traduction du Traité des fluxions, de Newton. Cette traduc-
tion a aussi une très-belle préface, mais qui ne se rapporte point à notre objet. —
' Observ. sur l'histoire nat. etc. t. I, p. 3. — * T. I, p. a8. — ' Voyez, sur les deux
grandes lois de la subordination des caractères et de la corrélation des parties (deux
lois qui donnent toute la méthode) , mon Analyse raisonnée des travaux de G. Cu-
vier. — • Observ, sar Vhist. nat. etc. 1. 1, p. i3.
262 JOURNAL DES SAVANTS.
une méthode parfaite , non-seulement pour l'histoire naturelle entière ,
mais même pour mie seule de ses branches^. » Substituez aux mots
vagues de méthode parfaite les mots précis de méthode naturelle, et l'as-
sertion de Bufibn sera jugée.
n dit « qu'il n'existe réellement , dans la nature , que des individus , et
que les genres , les ordres et les classes n'existent que dans notre ima-
gination^:» idée mal démêlée» et, depuis Bufibn, bien souvent repro-
duite^.
Voici, sur cette idée même, quelques-unes des remarques de Ma-
lesherbes. «Outre les systèmes artificiels-, dit-il, les natiu^alistes con-
naissent une autre méthode qu'ils appellent méthode naturelle. Pour
sentir le principe de cette méthode , il faut remarquer qu'il y a , dans
la nature, des collections de genres, ou, si l'on veut, des classes,
qui semblent séparées naturellement de toutes les autres. C'est ce qu on
appelle familles naturelles. Telles sont, parmi les animaux, la famille
des oiseaux , la famille des poissons , etc. La division de ces deux fa-
milles ne part pas de la* fantaisie d'un nomenclateur qui a dit je don-
nerai le nom d'oiseaux aux animaux qui ont des ailes et le nom de pois-
sons à ceux qui ont des nageoires. C'est la nature elle - même qui a
rapproché , par une fouie de ressemblances , les animaux de ces deux
familles ; et la somme de tous ces rapports est ce qu'on appelle le ca-
ractère naturel'^ Parmi les espèces dont ces familles naturelles sont
composées , il s'en trouve encore qui se tiennent plus particulièrement
que les autres. Ainsi les mouches et les papillons sont des familles par-
ticulières dans la famille des insectes Cette marche de la nature,
une fois bien connue, donnerait ce qu'on appelle la méthode natu-
relle, etc. etc. ^. »
On voit, par tous ces passages, combien Malesherbes, aidé, sans
doute, ainsi que je le disais tout à l'heure, des idées de Bernard de
Jussieu, avait profondément étudié les méthodes. Il voyait déjà dans la
méthode natvu-elle ce qu'elle est en efiet par-dessus tout , un instrument
de généralisation. «Rien, dit-il, n'est plus propre à étendre la science
et à généraliser les découvertes ^. w II est peut-être le premier qui ait
bien compris la fondamentale distinction établie par Linné entre les
méthodes artificielles et la méthode naturelle; et je citerai encore de lui ce
passage, car j'avoue que je trouve un grand bonheur à le citer. BufFon
* T. I, p. 17. — • T. I, p. 54. — ' Les groupes mal faits n'existent que dans notre
imaaination; mais les groupes natureU, les groupes bien faits, existent dans la nature.
''^ Observ, sur Vhist. nat. etc. 1 1, p. 9. — ' Ibid. p. 1 1. — * Ibid. p. i3.
Mai 1843. 263
reproche souvent à Linné ce qu ii y a d'artificiel dans le système sexuel
des plantes : « Pour répondre à ce reproche , dit Malesherbes , il suffit
de remarquer que le système de M. Linnœus est un système artificiel,
qu'il le donne pour tel , et qu*il est même celui de tous les botanistes
qui a le mieux marqué la différence entre la méthode naturelle et les
méthodes artificielles. Lorsque ses principes le conduisent à quelque
classe quil regarde comme naturelle, il a soin d'en avertir... Il a même
donné le petit nombre de familles qui lui paraissent naturelles, et cela
pour faciliter le travail de ceux qui cherchent la méthode naturelle gé-
nérale ^ *>
M. Cuvier dit : « Par tous ces travaux, Linné fut conduit à dis-
tinguer nettement les systèmes artificiels de la méthode naturelle.
Jusqu'à lui cette distinction n'avait pas été faite clairement; on ne se
rendait pas bien compte de la différence des méthodes de classification.
Chacun cherchait, sans doute, à rapprocher, autant qu'il le pouvait, les
plantes, les animaux et les minéraux qui se ressemblaient par certains
rapports , mais on ne s'attachait pas à rendre ces rapports simples et
précis. Linné adopta le système artificiel , mais il déclara qu'il ne con-
venait que pour arriver à la détermination positive des espèces, et qu'il
ne fallait pas négliger de travailler à la découverte d'une méthode na-
turelle fondée sur les véritables rapports des objets 2.» M. Cuvier juge
donc Linné comme Malesherbes; mais M. Cuvier est M. Cuvier, et il
écrivait de nos jours : Malesherbes écrivait il y a près d'un siècle.
Je reviens à Buffon. Ses préventions contre la méthode ne pouvaient
durer bien longtemps. A mesure qu'il avançait dans son gi^and travail ,
il se faisait de plus en plus aux idées, et, par les idées, au langage
des naturalistes; il sentait, de plus en plus , le besoin de ranger les ob-
jets d'après leurs rapports; et, comme le dit si bien M. Cuvier, «par-
venu à son Histoire des oiseaux , il se soumit tacitement à la nécessité
où nous sonunes tous de classer nos idées, pour nous en représenter
clairement l'ensemble *. »
J'ajoute qu'il n'avait pas attendu jusque-là. Lorsqu'après avoir décrit
l'un après l'autre , et sans aucune vue méthodique , le cheval , l'âne ,
le bœuf, la brebis, la chèvre, le cochon, le chien, le chat, tous les
animaux domestiques , il passe aux animaux sauvages , il rapproche plus
d'une fois , et avec un dessein marqué , les espèces semblables : il met
le daim près du chevreuil, la fouine près de la marte, etc. etc. Arrivé
* Ohterv, sur Vhist. nat. etc. p. 60. — ' Coun de Thistovre des sciences naturelles,
3* partie, i83a. — ' Biographie universeUe, art. Buffon,
264 JOURNAL DES SAVANTS.
aux singes , il les met tous ensemble , et même il les distribue déjà par
groupes distincts , d'après de très-bons caractères ^
Mais c est surtout dans THistoire des oiseaux que , conune le re-
marque M. Guvier, sa marche devient réellement méthodique, a Au lieu ,
dit Buffon lui - même , de traiter les oiseaux un à un , c'est-àniire par
espèces distinctes et séparées , je les réunirai plusieurs ensemble sous
un même genre ^ » En effet, à chaque espèce principale, ou qu'il
prend pour type ^, il joint toutes les espèces , soit de notre climat, soit
étrangères, qui s'y rapportent^; il forme ainsi des groupes réguliers,
des familles, des genres , et, presque partout, il respecte les grands, les
vrais caractères.
f(Rien de plus facUe, dit-il, que la distinction des espèces, fondée
sur des caractères aussi accidentels qu'inconstants ^.
(( Nos nomenclateurs modernes, dit-il encore, paraissent s'être beau-
coup moins souciés de restreindre et réduire au juste le nombre des
espèces , ce qui néanmoins est le vrai but du travail d'un natundiste ,
que de les multiplier, chose bien moins difficile et par laquelle on
brille aux yeux des ignorants, car la réduction des espèces suppose
beaucoup de connaissances , de réflexions et de comparaisons; au lieu
^ «Dès que Buffon arriva aux quadrumanes, aux singes, il fut obligé, par leurs
nombreux points de ressemblance, d'établir des divisions entre ces animaux « de
former des genres et d'indiquer les caractères des espèces. La même nécessité se
fit sentir dans Thistoire des oiseaux. Aussi cette histoire est-elle presque entière-
ment distribuée d*une manière méthodique ; il y a des familles , des genres , qui
sont aussi bien fails que ceux des autres méthodistes. On peut donc dire que Buf-
fon , sans Tavouer, a réfuté lui-même les déclamations qu u a répandues contre les
méthodes dans ses divers écrits. » Coars de Vhist. des sciences nat, i83a. L*opinion
de M. Geoffroy-Saint-Hilaire est ici très-importante : « Buffon , privé d'abord, dit-il,
du principe de la ressemblance des êtres, crut trouver un ordre plus rationnel en
procédant du connu à Tinconnu ; mais , il ne faut pas se le dissimuler, c'était uni-
quement un ordre relatif à ses propres besoins. • . Sia distribution des quadrupèdes ,
n'ayant pas pour base l'appréciation de leurs rapports de £Eunille et de leurs uegrés
divers d a£Bnité , n'était et ne pouvait être , pour buffon , qu'une combinaison propre
à déguiser son peu d'habitude dans Fart d apprécier ces rapports et ces a£finités. .
C'est dans cette portion de son ouvrage (Yhistoire des singes) que Buffon renonce
au classement tout personnel à lui, et vraiment étranger à la nature des choses,
qu'il avait suivi jusqu'alors. Ce qu'il avait condamné dans Linné , il l'adopte alors. . . >
Etudes sur la vie, les ouvrages et les doctrines de Buffon, p. &o, i838. — * Oiseaux,
1. 1, p. xxix. — ''«Je prends pour base de ce que j'ai a dire des perdrix, et pour
première espèce de ce genre • [Oiseaux, 1 1 , p. gg.) — * « Nous présenterons
les oiseaux dans l'ordre qui nous paraîtra le plus naturel Nous joindrons à
chacun les mseaux étrangers qui ont rapport à ceux de notre climat. » ( Oueaux,
t.I,p.88.) — * Oiieanx, 1. 1, p. gg.
MAI 1843. 265
qu'il ny a rien de si aisé que d'en augmenter la quantité; il suffit pour
cela de parcourir les livres et les cabinets d'histoire naturelle, et d'ad-
mettre, comme caractères spécifiques, toutes les différences, soit dans
la grandeur, dans la forme ou la couleur, et de chacune de ces diffé-
rences , quelque légère qu'elle soit, faire une espèce nouvelle et séparée
de toutes les autres; mais malheureusement, en augmentant ainsi très-
gratuitement le nombre nominal des espèces , on n'a fait qu'augmenter
en même temps les difficultés de l'histoire naturelle, dont l'obscu-
rité ne vient que de ces nuages répandus par une nomenclature arbi-
traire, souvent fausse, toujours particulière, et qui ne saisit jamais
l'ensemble des caractères ; tandis que c'est de la réunion de tous ces
caractères, et surtout de la différence ou de la ressemblance de la
forme , de la grandeur, de la couleur, et aussi de celles du naturel et
des mœurs, qu'on doit conclure la diversité ou l'unité des espèces ^ »
Enfin, n'y a-t-il pas, dans le passage qui suit, quelque chose de plus
remarquable encore , et comme un sentiment confus de la belle théorie
de la subordination des parties?
<tLes différences extérieures ne sont rien en comparaison des diffé-
rences intérieures; celles-ci sont, pour ainsi dire, les causes des autres,
qui n'en sont que les effets. L'intérieur, dans les êtres vivants, est le
fond du dessein de la nature, c'est la forme constituante, c'est la vraie
figure; l'extérieur n'en est que la surface ou même la draperie; car
combien n'avons-nous pas vu, dans l'examen comparé que nous avons
fait des animaux, que cet extérieur, souvent très-différent, recouvre
un intérieur parfaitement semblable, et qu'au contraire la moindre dif-
férence intérieure en produit de très-grandes à l'extérieur, et change
même les habitudes naturelles, les facultés, les attributs de l'animaP. »
Lorsqu'on parie des idées de Buffon sur la méthode, il faut donc
tenir compte, et grand compte, de l'époque où il les a eues, et, si je
puis dire ainsi, de leur date^. Et il en est de presque toutes les autres
opinions de Buffon comme de ses opinions sur la méthode. Nul
homme, peut-être, n'a plus constamment modifié ses pensées, parce que
* Oiseaux, 1. 1, p. loo. — * Quadrapèdes, t. XXVI, p. 5i. H ny avait plus qu*à
appliquer ces belles idées de physiologie générale à la méthode. — ' Comme il
n étudiait les objets que successivement et Tun après fautre, les points de vue ne
se découvraient aussi que successivement à ses yeux. De là bien des variations, et,
souvent même, bien des contradictions. Par exemple, il dit, à un endroit, tquil
n'existe, dans la nature, que des individus t ( 1. 1 , p. 54) ; et puis il écrit, à un autre
endroit, cette belle phrase : «Tous les êtres semblent se réunir à leurs Tmsins, et
former des groupes de simâitudes dégradées, des genres. • (T. XXVID, p^4o*}
. • . H
• * ', ' -.1 ^
266 JOURNAL DES SAVANTS.
nui homme ne les a plus constamment travaillées. On vient d'en voir
un exemple : BufTon avait commencé par se moquer des méthodes , et
il a fini par suivre, ou plutôt par se faire une excellente méthode.'
Cependant, Buffon n*a jamais bien compris ce qui, à considérerle
côté philosophique, c est-à-dire le vrai côté du problème, constitue
réellement la méthode.
La méthode est Texpression des rapports des choses.
La méthode subordonne les rapports particuliers aux rapports géné-
raux, et les rapports généraux à de plus généraux encore, lesquels sont
les lois. . •
Montesquieu définit admirablement les lois : des rapports^.
C'est là tout im ordre d*idées que Buffon na pas soupçonnées. Jus-
qu'à lui la méthode semblait faite plutôt pour conduire aux nonu
qu'aux rapports des choses. Après lui, le véritable objet a paru, mais il
a fallu pour cela tout ce long travail sur Tanatomie comparée que
Buffon n'a pas vu, et auquel peut-être, lors même qu'il eût pu le voir,
il n'aurait pas donné toute l'attention requise, car il avait la patience
du génie et non pas celle des sens.
Buffon n a donc pas compris cette méthode qui donne les rapports,
ces rapports qui donnent les lois, ces lois qui, sous le point de vue
abstrait, sont toute la science^.
Son véritable titre est d'avoir fondé la partie historique et descriptive*
de la science. Et ici il a deux mérites pour lesquels il n'a été égalé par
personne. H a eu le mérite de porter le premier la critique dans l'his-
toire naturelle^, et le talent de transformer les descriptions en peintures.
Il ne se borne plus à compiler, comme on faisait avant lui, il juge; il
ne décrit pas , il peint.
Il a connu deux cents espèces de quadrupèdes, et de sept à huit cents
* iLes lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires
qui dérivent de la nature des choses. • Esprit des lois, liv. I, cnap. i. — * Vqyei,
sur ces rapports et ces lois, mon Analyse raisonnée des travaux de G. Cuvier, i84i«
— 'Ha toujours réuni ces deux parties, qui, en effet, nen font qu'une : Vkistoire
et la description, t L'histoire doit suivre la description » T. I , p. 42. « Ces deux
parties (Thistoire et la description), que Ton ne doit jamais séparer en histoire
naturelle » Oiseaux» 1. 1, p. vij. — • * Sa critique s'étend à tout : à la comparai-
son des espèces entre elles, à celle de leurs caractères, de leur structure, de leurs
habitudes , de leurs noms , etc. t La première chose que Ton doit se proposer, lors-
quon entreprend d*éclaircir Thistoire d'un animal , c'est de faire une critique se-
rère de sa nomenclature , de démêler exactement les différents nom# qui lui ont
été donnés et de distinguer, autant que possible, les différentes espèces aux-
quelles les mimes noms ont été appliqués, t Oiseaux, t, III , p. i .
MAI 1843. 267
espèces d'oiseaux; et, pour chacune de ces espèces, il a donné une des-
cription complète , posant ainsi , pour la zoologie , des basçs qui seront
étemelles , en même temps que , par les descriptions anatomiques de Dau-
benton, il préparait des matériaux à jamais précieux pour ïanatomie
comparée.
Mais, il faut bien le dire, ce qui a fait de Buffon, dans la science,
un homme à part, et dont la grandeur semble, chaque jour encore,
devenir plus imposante, c'est le génie avec lequel il a écrit ses ouvrages.
Son style lui assure, dans les sciences, une immortalité propre; et lui-
même le pressentait bien : « Les ouvrages bien écrits , dit-il avec com-
plaisance, seront les seuls qui passeront à la postérité. La multitude
des connaissances , la singularité des faits , la nouveauté même des dé-
couvertes ne sont pas de sûrs garants de Vimmortalité; si les ouvrages
qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets, s'ils sont
écrits sans goût, sans noblesse et sans génie, ils périront, parce que les
connaissances, les faits et les découvertes s'enlèvent aisément, se
transportent et gagnent même à être mises en œuvre par des mains
plus habiles. Ces choses sont hors de l'homme, le style est l'homme
même....^»
C'est par ce style, qui est Yhomme même , que Buffon s'est fait une
place qui n'est qu'à lui; et, chose qu'on n'a pas assez remarquée, c'est
que le style , je ne parle pas ici de la langae scientifique "^^ je ne parie pas
de la nomenclature^ , je dis le style, a été pour beaucoup aussi dans les
grands succès de Linné.
Linné parie une langue morte; il altère même, sous plus d'un rap-
port, les formes de cette langue : qu'importe ? Son génie , original et
vif, trouve dans cette langue singulière des ressources pour tout ani-
mer et tout peindre; car il est aussi grand peintre, mais à sa manière.
Tout, entre Buffon et lui, dififère. Buffon a la puissance de la médita^
tion, Linné a la puissance ae l'enthousiasme; Buffon ramène tout à lui, '4^
et par lui à l'homme ; Tâme de Linné semble se répandre dans la na-
ture et de la nature s'élever à Dieu ; on sent partout dans Buffon la
force raisonnée de l'esprit ; on sent plus d'une fois dans Linné l'émotion
du cœur.
Sa description de l'hirondelle a quelque chose d'inspiré et qui tient
de l'hymne: Venit, venit hirundo, palchra addacens tempora et pnlchros
annos.
/ Discours de réception à VAcad, franc. — * linaé a créé une langue descriptive.
* Linné a créé la nomenclature hmaire,
34.
268 JOURNAL DES SAVANTS.
D peint ainsi les tristes amours du chat : Clamando rixandoque misère
amat
Sa description du cheval est très-helie : animal generosum, saperbam,
fortissimum, cursufurens , etc.
Et quelle pensée que celle-ci : 0 qaam eontempta res est homo, nisi su-
pra hamana se erexerit I
Je commencerai, dans un autre article, Texamen particulier des idées
de Bufibn sur l'économie animale.
FLOURENS.
1 . Antichi MONUMENT! SEPOLCRALi scoperti fiel ducato di Ceri ,
dicliiarati dal cav. P. S. Visconti. Roma, i836, in-fol.
2. Descrizjone di Cere antica, ed in particolare del monumento
sepolcrale scoperto nelV anno 1836, etc. delV architetto cav. L.
Canina. Roma, i838, in-fol.
3. MoNUMENTi DI Cere ANTICA, spiegutt collc osservanze del culio
di Mitra, dal cav. L. Grifi. Roma, i84i, in-fol.
PREMIER ARTICLE.
Après les découvertes de vases peints , de style grec , opérées dans
le cours des douze dernières années, au sein des nécropoles de plu-
sieurs villes étrusques , voisines de Rome , notamment dans celles de
Vulci , de Tarquinies et de Tuscai^ , découvertes qui constituent le fait
archéologique le plus grave en soi et le plus fécond en conséquences
de répoque où nous sommes , je ne crois pas qu*on ait eu à signaler un
événement scientifique plus important que celui de la découverte due
aux soins du général Galassi et de Tarchi^être Regolini, du grand
tombeau de Tantique Cœre , qui fait Tobjet de deux des ouvrages dont
le titre est transcrit en tête de cet article. Cette découverte avait été
précédée , une année auparavant , de celles d'autres tombeaux apparte-
nant à la même cité étrusque de Cœre, mais situés dans un autre en-
droit, au lieu nommé Abatone, et dune époque qui pai^aît comparati-
vement moins ancienne, bien qu'elle soit comprise aussi dans les limites
de la haute antiquité. Ces tombeaux de V Abatone, décrits avec un soin
particulier par le célèbre antiquaire romain, P. E. Visconti, dans un
ouvrage publié aux frais du prince Aless. Torlonia , duc de Ceri et pro-
priétaire du sol , ont pareillement offert, en fait de vases et d autres ob-
MAI 1843. 269
jels d'antiquité, des éléments d'archéologie aussi neufs que curieux; et
il ne sera cerlainement pas sans intérêt pour nos lecteurs de trouver ici
réunis sous un même point de vue les principaux résultats de ces fouilles
récentes, exécutées dans une même localité étrusque , dans la nécropole
de lantique Cœre. Afin d'avoir une idée aussi complète que possible
de ces résultats si importants pour l'archéologie comparée , asiatique et
étrusque, il est nécessaire de joindre à l'examen approfondi des trois
ouvrages que je me suis proposé de faire connaître en détail à nos lec-
teurs les notions acquises à la science par suite des investigations de
plusieurs antiquaires et architectes romains et étrangers, qui concernent
les diverses espèces de sépultures étrusques découvertes à Ceri et à Cer-
vetri, et celles qui ont eu également pour objet la nécropole de Pyrgi,
ancien port de Cœre, les ruines pélasgiques d'AgyUa, premier siège de
la ville nommée Cœre du temps de l'occupation étrusque, et enfin les
tonQd)eaux à'Alsium, autre ville d'origine tyrrhénienne , qui paraît avoir
été comprise dans le territoire étrusque de Cœre. Toutes ces notions,
qui jettent une lumière si neuve et si curieuse sur l'histoire ancienne
de Cœre, et sur les antiques rapports qui unissaient cette importante
localité étrusque à la civilisation asiatique , se trouvent réunies dans le
Bulletin et dans les Annales de l'Institut Archéologique publiés de 1 83/i
à 1861 S et j*en extrairai les particularités qui me paraîtront néces-
saires pour compléter l'intelligence des trois ouvrages qui forment le
principal objet de notre analyse.
La position de Cœre , telle qu ejle a été déterminée , avec toute la
certitude possible, d'après les résultats des dernières fouilles, et ex-
posée, avec toutes les preuves à l'appui, dans le livre de M. Canina, sa-
vant architecte romain^, cette position, disons-nous,, se trouve à peu
' Je place au premier rang de ces utiles publications la description donnée par
MM. Kramer et Poletti des tombeaux de la nécropole de Cœre, dans le Bulletin de
1834, p. 97-101, et dans les Annales, t. VII, p. 177-186, d'après les dessins de
rarchitecle romain Vespignani, qui sont au nombre des Monumenti puhblicaii dalV
Instit, Archeol t. II, tav. xix. Il faut y joindre le Rapport de M. le D' Braun sur les
tombeaux récemment découverts à Ceri, inséré au Bulletin de i836, p. 56-6a ; des
Observations de M. Lepsius, dans les Annales , t. VIII, p. aoi-aoS^ et de M. Ulrichs,
dans le Bulletin de i83g, p. 72-73; enfin, le détail des fouilles opérées tant sur le
site de S. Severa , correspondant à celui de Tan tique Pyrgi, dans le Bulletin de 1 84o ,
p. 1 ]3-i i5, que dans le voisinage de S. Marinella, qui répond à la situation de
Tantique AUium, dans le Bulletin de 18A1, P. 3g-43; en y ajoutant encore la des-
cription de tombeaux fouillés, en i83g , au lieu dit les Monteroni, voisin de la né-
cropole de Cœre, description qui se trouve dans le Bulletin de 1839, p. 81 -85, et
dans celui de i84o, p. i33. — ^ Descrizione di Cere antica, part, ii', p. 43-58, avec
les deux plans du territoire de Cœre et de la ville d'AgyHa ou Cœre.
27» JOURNAL DES SAVANTS.
àe distance de la mer qui porta , dans l'antiquité , le nom de Tyrrhénienne ,
i çeu près à moitié chemin entre Rome et Civita-Vecchia. La ville an-
tique s étendait sur le dos de petites collines ou éminences, semblables,
pour la forme, à celles qui se nomment vulgairement monterozzi à Tar-
qainies, et renfermant aussi, dans leurs flancs, comme ces dernières,
les sépulcres souterrains ou hypogées qu'on y a découverts en dernier
lieu. Une de ces éminences plus ou moins escarpées, qui se rencontrent
si fréquemment dans la campagne romaine, s'élargit, en se prolongeant
dans la direction du nord , et sa face occidentale, taillée à pic en plu-
sieurs endroits , est percée d'anciens sépulcres, ouverts et fouillés depuis
longtemps, qui servent, dès une époque inconnue , de lieux de refuge
aux bergers du pays. Ce sont ces tombeaux qui attirèrent pour la pre-
mière fois , en 1 83 4, lattention de l'Institut Archéologique sur l'emplace-
ment antique de Cœre , et qui devinrent ainsi l'occasion des découvertes
beaucoup plus importantes opérées dans le coui*s des années sui-
vantes. D'après l'état où ils se trouvaient, laissés depuis des siècles à
l'abandon , on ne devait pas s'attendre à y recueillir le moindre objet
d'-antiquité. L'architecture seule semblait devoir y fournir quelque élé-
ment propre à faire connaître l'âge présumé de ces sépulcres , et peut-
être aussi à indiquer la nation dont ils étaient Fouvrage. C'est donc sous
ce rapport qu'ils furent examinés, avec tout le soin possible, par un an-
tiquaire allemand, M. Kramer, en société avec un jeune architecte ro-
main, M. Vespignani , qui en leva les plans et en dessina les élévations
et les détails , dont une explication fut donnée , l'année d'après , par le
maître même de cet artiste, l'architecte romain Poletti^; et, sous ce
rapport aussi , le vœu de la science est loin d'avoir été déçu , malgré
tant de dégradations qui résultaient ici de l'action du temps et de celle
des hommes. La face entière du roc où sont taillés les tombeaux en
question , telle qu'elle est représentée sous la lettre A de la planche xix
des monuments publiés par l'Institut Archéologique , tome II » offre , au
premier aspect, une analogie sensible avec les sépulcres, taillés aussi
dans le roc , qui sont si conununs en plusieurs contrées de l'Asie mi-
neure ^. L'intérieur même de ces tombeaux ne se rapporte pas d'une
mAXiière moins frappante au même système d'architecture, et, con>
^ Osservazioni iniomo aile tombe etrasche ii Cere, dans les Amtal delï Instit, Ar-
émoi. t. VII , p. 177-186. — 'M. Poletti ne parle que à^VEgypte, p. 181, par suite
chi Pjc^jugé, si généralement établi, qui rapporte toute antiquité grecque ou étrusque
à VÈgypte, en faisant abstraction de XAsie, qui eut pourtant une part beaucoup
Im considérable, et surtout plus directe, sur la naissance et sur le développement
e la civilisation , tant de la Grèce que de l'Étrurie.
t
MAI 1843. 271
séquemment, de civilisation. Le plafond, dans un de ces tombeaux,
donné comme exemple , et dessiné sous la lettre B , est taillé en forme
de comble aplati , c'est-à-dire avec une large bande horizontale au mi-
lieu, figurant une poatre,ei avec deux versants inclinés de chaque côté,
lesquels sont sculptés en carrés, imitant ce qu*on appela depuis lacu-
naria ou caissons. Cest donclapparence d une construction en bois qu'offre,
sculptée en pierre, le plafond de ces tombeaux étrusques v et cette
apparence, qui ne pouvait avoir aucun modèle non plus qu aucun motif
en Egypte , où rien, dans rarchitecture, ne donne Tidée de 1^ charpente,
et qui trouve, au contraire, tant d'exemples en Asie, accuse manifeste-
ment une influence asiatique, comme, par la simplicité même de cette
ordonnance, privée de toute espèce d'ornement, elle indique la haute
antiquité des monuments qui la présentent.
J'ai dit que la façade de ces tombeaux était taillée dans une paroi ver-
ticale du roc, comme on en avait déjà tant d'exemples dans la vallée de
Castel-d'Asso, dans celle de Norchia, et en d'autres localités voisine^,
tandis que l'intérieur s'enfonçait dans ce rocher, qui forme, à sa super-
ficie, une espèce de plateau parsemé de petites éminenoes. Ce furent
ces monticules qui donnèrent d'abord l'idée de tamulus artificiels , et
qui furent , en effet , reconnus plus tard pour des restes d'une cons-
truction pyramidale, composée d'assises en retraite, posant sur une
base circulaire pourvue d*une corniche , absolument dans le style
des tombeaux de Tarquinies et de Valci. Cette circonstance, qui résul-
tait de la simple observation de l'analogie de ces monticules avec les
monterozzi de Corneto, donna lieu de croire qu'en y fouillant on trou-,
verait aussi des sépulcres, et les excavations qui furent pratiquées, en
raison de cette observation, produisii^ent, en 1 83 4, la découverte de
cinquante-trois hypogées , composés d'une ou de plusieurs chambres ,
qui se trouvèrent malheureusement dépouillées , à une époque anté-
rieure, de tout ce que la piété des anciens âges avait pu y déposer d'ob-
jets d'art ou de culte, et que l'on recouvrit presque aussitôt de la terre
qu'on en avait retirée , pour rendre à l'agriculture le sol qu'ils occupent.
De ces cinquante-trois sépulcres, deux seulement avaient été laissés ou-
verts , et ils peuvent servir d'exemples de la manière dont les tombeaux
de l'antique Cœre , ville d'une population mixte, pélasgique et étrusque,
étaient disposés et décorés. L'un de ces tombeaiu, qu'on désigne par
le nom de tombe a voila piana, avait sa façade taillée dans le roc et
tournée au couchant, à l'extrémité d'un escalier pratiqué dans le
même 'tuf, par lequel on y descend. U était précédé d'ujie espèce de
vestibule, d'une (onw ovale approcbaDt beaucoup de la circulaire,
272 JOURNAL DES SAVANTS.
dont le plafond, parfaitement horizontal, était orné de caissons. De là
on entrait dans une vaste salle rectangulaire , divisée en trois espaces
inégaux par quatre piliers carrés, et dont le plafond, en forme de
comble, rappelait, par la grande poutre longitudinale du milieu, par
les deux versants inclinés, et par le travail en caissons, le tout sculpté
dans le tuf, le système de toiture en charpente commun à tant de
tombeaux étrusques de Vulci, de Tarqainies et d'autres localités voisines ,
et certainement dérivé de TAsie. Dans la pièce principale, celle du
milieu, se trouvait, à gauche, un lit, taillé pareillement dans le roc, et
en face, du côté droit, un sarcophage, pris dans le même tuf, qui
devait avoir eu un couvercle, et qui conservait encore, à ses deux extré-
mités, deux espèces de frontons. L'un et l'autre de ces objets, par leur
forme, par leur proportion, et par une sorte d'élégance, qui se remar-
quait dans leur exécution, indiquaient une belle époque de Tart, et don-
naient lieu de croire que la tombe, dont ils constituaient en quelque
sorte le mobilier massif, avait appaiienu à quelque personnage considé-
rable de la haute antiquité étrusque.
Mais ce que ce tombeau offrait surtout de curieux, c'étaient les pein-
tures dont les parois du vestibule ovale avaient été ornées, et qui,
malgré les effets de l'humidité et malgré tant de causes de destruction
qui se sont exercées dans ces sépultures étrusques, permettaient encore
qu'on pût en recorinaître le sujet et en apprécier le style et le caractère.
Je n'ai pas besoin de rappeler ici à nos lecteurs que Cœre, qui, à l'é-
poque hellénique , eut un trésor à Delphes, sous le nom des AgyllîBens,
ses anciens habitants grecs, était renommée par des peintures, dont
Pline vante V excellence da dessin et la haute antiquité ^^ sans que son té-
moignage puisse avoir, il est vrai, beaucoup de valeur, du moins en ce
qui concerne l'époque antérieure à la fondation de Rome qu'il assigne
à ces peintures ^. De quelque nature qu'aient été les peintures dont il
est fait mention dans Pline , ce qui restera toujours pour nous un pro-
blème, il est bien évident que l'on ne doit pas s'attendre à trouver dans
des tombeaux de l'antique Cœre, tels que celui qui nous occupe, rien
qui ressemble à de la peinture , telle que nous l'entendons. Effective-
ment, la peinture dont ce tombeau conservait encore des ti*aces con-
sistait en tme simple délinéation au trait, exécutée en couleur noire,
avec des teintes plates en blanc et en rouge , distribuées dans l'inté-
rieur des figures ; c'étaient donc des dessins linéaires enluminés , dans
^ Plin. x^xY, 3 , 6, et lo, 37. — * Voy. ce qui a été dit sur ces peintures de
Cœre, et sur celles SArdée et de Lonaviam , qui paraissent avoir été dans le même
cas, dans mes Peintures antiques inédites, p. 87'^8 et a6p-a73.
MAI 1843. 273
le genre de ceux des vases peints , et rien autre chose. Les traits étaient
formés au pinceau, dune manière très-grossière; et les deux couleurs
rouge et blanche étaient employées avec tout aussi peu d*art, le blanc
pour les têtes , et le rouge pour les corps , quelquefois avec une jambe
blanche et Fautre rouge; du reste, sans aucune espèce d apprêt sur le
roc , qui est un tuf poreux de couleur brune. Mais , si le procédé au
moyen duquel ces espèces de monochrônaes avaient été produits y ac-
cusait tout à la fois Tenfance de lart et la négligence de fartiste, il
s en faut bien cependant que le dessin fût tout à fait sans mérite , et
les sujets eux-mêmes sans intérêt. Le principal objet de la représenta-
tion, distribuée sur les deux côtés hémisphériques de l'enceinte ovale,
en deux bandes ou zones, lune supérieure et Tautre inférieure, tétait
une figure d'homme en marche, dans VattUude de décocha an trait contre
une biche; cet homme, à la figiu^ blanche, aux cheveux noirs, longs
et grossièrement imités, était vêtu d'une espèce de tanigue courte et
serrée, peinte en rouge avec des raies noires; laiidb avait les formes
allongées qu offre généralement cet animal, sur les vases peints, de ma-
nière dite phénicienne^, et qui sont d*accordavec le vêtement de Thomme,
emprunté aux modèles asiatiques^. Venait ensuite un groupe d*un cerf
assailli par deux lions , image qui rappelle aussi les peintures des vases
phéniciens . et dont le type primitif n'était pas moias certainement puisé
dans les traditions de Fart asiatique ^. Ce groupe se terminait à la porte,
dont le chambranle était décoré de fdets blancs , rouges et noirs; et sur
l'architrave était représenté un bélier, cherchant à se dérober par la
fuite à l'attaque d'un {ion qui le poursuivait, et dont il ne restait que la
tête et les pattes de devant. L'autre côté du vestibule avait ses peintures
^ M. Kramer, auteur de la description qui nous sert de guide, compare ces fi-
gures à celles des vases dits égyptiens, dans le Rapport de M. Éd. Gerhard, p. i4-
Mais j*ai déjà eu , dans ce journal même , foccasion de montrer que kr aénomina-
tion d'égyptiens appliquée aux vases en question était tout à fait dépourvue de fon-
dement, et que c'élait à une fabrication prîmititement phénicienne qu'il fallait rap»
porter toute la classe de vases dont il s'agit, et dont les produits, communs à
Corinthe, à Athènes, à Égii^ et dans les Cyclades, ont été recueillis, de nos jours,
en si grande quantité, en Sicile, en Campanie et en Elrurie. Voy. Joamal des Sa-
vâRf4« avril i835, p. aiA-2l6; juin i836, p. 3^6, et juin i84i* p. 358-û, a).
— ' C*est ce que je me suis attaché à montrer dans un Mémoire encore inédit sur
l'Hercule assyrien et phénicien, considéré dans ses rapports a^xec l'Hercule grec, prin-
cipalement à Iroide de V antiquité figurée. — ' C'est encore une notion que j'ai cher-
ché à établir dans le mévioire cité à la note précédente. Sàr ce groupe du cerf et
du taureau assaillrpar un'Uon, sur son intention primitive et sur ses diverses appli-
cations , on ne consultera pas sans fruit un Mémoire de M. Lajard , qui paraîtra
dans le prochain volume du recueil de l]Académie des belles-lettres.
35
A
274 JOURNAL DES SAVANTS.
beaucoup plus endommagées par le temps et par Thuaiidité que celles
du côté droit; cependant on y reconnaissait encore le même personnage
chasseur décochant un irait; et, dans le nombre des animaux, dont Tes-
pèce était devenue dilFicile à déterminer, on distinguait un taureau. Le
rang inférieur se composait uniquement, sur les deux côtés de la pièce,
de figures d'animaux presque entièrement effacées, si ce n'est celle d'un
lion assis ; et généralement, ces figures d'animaux offraient les formes et
le style de dessin qui caractérisent celles de tant de vases de ia fabrique
Imputée originairement phénicienne. Le grand sarcophage dont ù a été
parlé plus haut avait été aussi orné de peintures sur ses deux petits
côtés, c'est à savoir, d'une palmette, dans le champ du fronton, et,
dans ia partie inférieure, d'un lion, qui avait pour correspondant, du
côté opposé , un cerf. Malgré ia grossièreté du dessin , ces figures d'a-
nimaux ne manquaient ni d'expression ni de vérité, particulièrement
dans le groupe principal; et l'on s'apercevait que l'artiste qui les avait
exécutées avait eu sous les yeux des modèles tracés par une main plus
habile ^ Tels sont les traits principaux que l'examen de ce tombeau four-
nit à l'observation des antiquaires, et d'où résulte la notion positive
d'un certain nombre d'éléments puisés dans l'archéologie asiatique , qui
ne peut manquer d'avoir un haut intérêt pour la recherche des an-
tiques relations de l'Etrurie avec l'Asie , par le fait de l'émigration tyr-
rhénienne, dont il est historiquement avéré que Cœre devint un des
principaux sièges et des premiers établissements.
L'autre tombe ne *se recommande pas moins à l'intérêt des anti-
quaires par sa disposition générale et par les principaux détails de son
architecture. C'est celle qui a reçu le nom de Tomba délie sedie, à cause
des deux sièges sculptés dans le tuf avec leurs dossiers et leurs marche-pieds ,
de chaque côté de l'entrée de la porte du fond. Ce tombeau se compose
d'un vestibule auquel on descend par un escalier taillé dans le roc,
et qui .est flanqué, à droite et à gauche, de deux pièces latérales, d'une
grande salle qui occupe, dans le sens de sa longueur, toute la largeur
du monument, et de trois chambres disposées comme l'étaient les trois
édicules du grand temple capitolin , avec cet autre trait d'analogie que
la chambre du milieu est plus large que les deux autres^. Les plafonds
sont tantôt plats , tantôt à pans inclinés» et les portes, outre la tendance
à la forme de pyramide tronquée , qui tient au goût général de la haute
' Ces détails sont fidèlement extraits de la Notice de M. Kramer. insérée, soub
lé litre de Scavidi Cerveteri, dans le Bullet, ielV Instit, Archêol. de iSià, p. 97-101,
— * Voy. le pian, avec les coupes et les détails, donné dans les Monum, deu' Instit
Archeol l. II, tav. xix, lett. G, H, I, L, M. N.
MAI 1843. 275
antiquité asiatique et égyptienne, offrent, dans le simple listel qui en
encadre les chambranles et rarchitrave, le principal caractère des portes
doriques décrites par Vitruve \ telles qu'elles pouvaient être dans leur
ordonnance primitive, adoptée par les Etrusques^. Il règne, au pourtour
des chambres de cet hypogée , une banquette de la largeur d'un mètre
et de la hauteur de 68 centimètres, qui servait originairement pour
placer les restes des morts, et qui, dans la salle du milieu et dans une
des pièces contiguës au vestibule, s'était changée en une rangée de sar-
cophage» décorés en forme de lits funèbres, d'un travail élégant et soi-
gné. Mais ce qui formait le principal ornement de ce tombeau, apparte-
nant, sans doute, à quelque ktcamon de Tantique Cœre, et ce qui le dis>
tinguait entre tous les monuments du même genre découverts de nos
jours, c'étaient les deux sièges taillés à la place que nous avons indiquée*
avec des boucliers parei&ement sculptés au-dessus et distribués eh
d autres endroits ; d'où résidtait la preuve palpable de la haute dignité
et de la profession des anciens hôtes de cette sépulture étrusque; et ce
n'est peut-être pas une conjecture trop hasardée que de voir dans ce
liége étrusque, le plus ancien certainement qui se soit eonyrvé sur la
terre, le modèle delà chaise curale, empnmtée, comme on le sait, aux
Étrusques par les Romains , ainsi que les haches et iesfaisceaiix^ comme
autant d'emblèmes delà puissance suprême. Malheureusement, il ne res-
tait plus dans ce tombeau, lorsqu'on en fit la découverte en 1 836 , au-
cun des objets du riche mobilier funéraire qui y avait été déposé avec
les dépouilles des morts ; et c'est peut-être , en raison de l'impoitance
arcbitectonique de ce monument, une des pertes les plus graves que la
science ait eues déplorer. -
J'arrive maintenant à la description des dett tombeaux découverts
en i835 sur 4e site appelé aujourd'hui Ceri, qui forme la propriété du
duc Torionift, aux frais duquel la publication en aété fidte parjes tiji/fB
de l'antiquaire romain P. E. Visconti. L'emplacement même où se fit
' VitruY. IV, 5. — 'M. Poktti poridt croire que celte siodplîdtè d'ordonnance T
qui tient au système étruMine, prouve rantériorîté de ce systèaie par rapport à
1 architecture grecque; d'où il suivrait, en généralisant cette idée, que Tart des
Étrusques aurait précédé celui des Grecs ; voy. Annal ielV Instit Archeol, t. VU ,"
p. 1 83. Mais , sans entrer id dans la controverse , si vainement agitée entre les an-
tiquaires du dernier »iède et même du nôtre , sur la priorité des arts de l*Étrurie
relativement à ceux de la Grèce, je ift borne à dire que nous ne possédons plus les
andens monuments de rarchitectui% grecque où le dorique put être appliqué dans
sa simpUdté primitive, et que rien ne nous autorise à condure, de la sunplidté
d*oidMinance d*un monument étrusque, ou^il est antérieur à ce qui put exister de
nonvaKnis analogues de Yvtt grec. ^^ * 89. Italie viii ; ASS* sqq.
35.
276 JOURNAL DES SAVANTS.
celte découverte, situ)^ au centre des collines volcaniques qui cnlou-
raient la cité antique, porte, dès une époque immémoriale, à ce qu'i^ '^
paraît, Je nom de Monte Ahatone, nom dont la forme a semblé olTru*
quelque cliose d'anlique; et le savant auteur de la description que j'ai
sous les yeiiit s'est cru autorisé par cette circonstance à voir le nom
grec aiaton. donné par quelques auteurs latins' à des lieux sacrés, inac-
cessibles aux profanes, dans cette tlénoniination locale à'Abatone, et à y
trouver la preuve de l'existence, en cet endroit, de la nécropole de
Cœre. Mais j'avoue que cette conjecture, tout ingénieuse qu'elle peut
paraître au premier coup d'ceil, ne repose .sur aucun fondement solide.
L'idée exprimée parie mot grec Sëanov n'a jamais pu convenir ^ une né-
crof o/c, qui , loin d'être un Heu inaccessible, était, au contraire, un lieu où
l'accomplissement des devoirs funi'bres et des cérémonies anniversaires
mettait sans cesse les vivants en présence des morts. Il a , d'ailleurs, été
sui&samment démontré^ que la vraie nécropole de Cœre existe à Cerve-
teri et non au Mante Abatone, ce qui enlève toute espèce d'appui à la
supposition de M. Visconli ; et, s'il fallait absolument trouver une ori-
gine antique à cette dénomination actuelle à'Àhatonc,]e serais disposée
adopter de préférence l'étymologie proposée par M. Canina ' , qui dérive
ce nom du mot latin ahies, sapin, d'après ia forêt de noirs sapins que Vir-
gile , si fidèle observateur des circonstances locales , place précisément
en cet endroit''. Quoi qu'il en soit, ce sont les deux tombeaux décou-
verts dans cette localité antique qui méritent surtout d'être signalés À
l'intérêt de nos lecteurs.
Le premier de ces tombeaux ^, taillés comme à l'ordinaire dans l'es-
' M. Visconli s'autorise du nom tïAbiiton , donné, suivnnt Vitruvc, n, 6, 5, à un
édifice de Ehodes. Il aurait pu ciler d'autres exemples du niËine nom , qui se rap-
portent à des causes bien dîflërcnles, lela que ïabalon d'un temple de Jupiter, Polyt.
xsi, 13, 7; cf. Piularch. Qaasi. Greec. I. I, p. 3oo. B; Vahalon de l'ancien temple
de Laïinium, Dionys. Hal. 1, 67; la petite île, voisine de Phila;, nommée Abaton.
n enuse de son lemple d'Ists, accessible aux seuls prf^lres , Senec. Quœst. Nul. iv,
2, -j: voy. helronne ,■ Recherches utr l'Egyple, p. 3oa et suiv.; et un autre endroit
de l'Egypte, situé dans le marais de Memphis, où l'on supposait qu'était placé le
tombeau d'09irts,et qui se nommait aussi .^iuron, par une raison semblable, Lucan.
Phartal. X , 3a 3. Maïs aucun de ces exemples ne justifie , à mon avin , l'étymologie
du nom à'Âhatone proposée par M. Visconti. — ' Dana le Butlel. dcll' Inilit. Arclwol.
de i836, p. i^Q-ièo. — ' Desçrizione di Cere antka, p. 53. g} el 10}, où fauteur
réiiite. avec raison, suivant moi, l'opinion de M. Visconti. — ' Vii^l, /En. vni,
597 sqq. : •
Est ingens gelidum lucus prope^Cfritis amnem m^
I\elligioue patrum laie sscer; uniUque colles
Inctusere cavi et aigra nemos ibiets cingunt.
— ' Voyei-en le plan, accompagné de coupes et de détails, ainsi que de vues per-
¥
\
MAI 1843. 277
pèce de tuf volcanique nommé ici nenfroy à une assez grande profon*
deur, se distingue, par plusieurs particularités neuves et curieust^s, des
autres , hypogées qui existent dans cette même localité. L*excavation , y
jDompris le long <;orridor qui y aboutit, ne comprend pas moins de
3oo palmes romains. Cette espèce d'avenue aboutit à une porte cintrée,
flanquée, à droite^t à gauche, d'escaliers, par lesquels on s'élevait à la
partie supérieure du monument, consistant en im vaste taintalus de
forme circulaire, construit de blocs parallélipipèdes de nenfro assemblés
sans ciment et disposés peut-être par assises en retraite, ce qui reste
incertain, dans Téta^ actuel du monument, qui n*a conservé que la
partie inférieure ou la première assise de cette construction, mais ce qui
peut être a*dmis par induction, d* après Texemple du second tombeau*
voisin de celui-là, dont il sera parié ci-après, et qui conserve encore
plusieurs des assises en retraite qui composaient son couronnement ex-
térieur ^ Au delà de cette porte d'entrée se présente une pièce qu'on a
désignée par^ le nom de tabUnum , j'ignore d'après quel motif, mais qui
doit avoir servi de vestibule, et d'où part un escalier qui descend di-
rectement au sépulcre. De' chaque côté de ce vestibule règne une ban-
quette , taillée dans le tuf, et dans le fond est sculptée une porte feinte,
destinée certainement à masquer la véritable entrée du tombeau. li
suit de là que l'escalier qui conduit de cette pièce au tombeau même
devait être aussi caché aux regards , soit au moyen d'ais de bois revê-
tus de bronze, soit à l'aide de dalles de pierre amovibles. Ce vestibule
est couvert d'une voûte soutenue par des pilastres, dont la base et le
chapiteau offrent des moulures enduites de stuc, qui ne tiennent d'au-
cun ordre précisément grec o^ toscan, mais qui sont pourtant exécutées
avec un soin particulier. C*était , sans doute , dans cette pièce que les
parents et les amis se réunissaient à couvert pour célébrer, à certains
jours anniversaires, la mémoire des hôtes de cette sépulture; c'était
aussi là qu'avait lieu, suivant toute apparence, le banquet funèbre, dont
il existe tant de réminiscences sur les bas-reliefs et dans les peintures
des tombes^x antiques , et nulle part peut-être cette disposition du ves-
tibule, pratiqué à cette intention en avant de fhypogée, n'avait été
rendue plus sensible que dans le monument qui nous occupe,
vi Rien de plus grandiose et en même temps de plus régulier que le
plan de ce tombeau , consistant en une première pièce renfermant , à
droite et à gauche, deux banquettes taillées en forme de lits funèbres^
puis en une grande cella, flanquée, de chaque côté, de trois édicules,
tpeclives , rendues avec beaucoup de soie , dans le bel ouvrage de M. P. E. Visconti,
tav. I, II, III, IV, V, VI , VII et vin. — ' Voy. planches xi et xii.
278 JOURNAL DES SAVANTS.
au pourtour desquelles régnent pareillement des lits funèbres, et en une
pièce du fond , qui correspond , pour la place et pour la dimension , à
celle d'entrée , et qui renferme un grand sarcophage^ à deux corps placé
directement en face, dans Taxe du monument. La grandeur et la ré-«.
gularité de ce plan, jointes à la forme des divers plafonds, qui offrent
Timitation fidèle en pierre des divers modes de opuverture en bois
usités, à Texemple des peuples asiatiques et des anciens Grecs, chez les
Tyrrhéniens de Cœre, et aux détails des pilastres et des portes , qui ac-
cusent un système d'architecture primitif, dont une partie des élétnents
est grecque et dorique , l'autre peut être rapportée à une origine asia-
tique , et le tout caractérise une ordonnance étrusque , certainement de
*la plus haute époque qui nous soit connue, toutes ces circonstances réu-
nies font du tombeau qui les présente un des monuments les plus im-
portants pour Thisloire de fart, et en particulier pour celle de l'archi-
tecture, qui aient été reîîemment acquis à la science. Sous ce rapport,
le gi^and lit funèbre, creusé , comme il a été dit plus haut, pour recevoir
deux corps, mérite aussi une mention particulière ^ Il est décoré, à Tune
de ses extrémités, d'un pilastre à chapiteau formé de deux volutes en
sens contraire et à base toscane , dont il n'existait pas encore d'exemple
parmi les monuments connus de l'architecture éttusque, et où il me
parait difficile de méconnaître à la fois un motif funèbre et un type asia-
tique^. Tout concourt donc à rendre ce tombeau de Cœre digne du plus
haut intérêt. Malheureusement, il fut trouvé, comme tant d'autres \ absolu-
ment dépouillé de" toute espèce d'objet d'antiquité, à l'exception des dé-
bris de squelettes couchés sur les lits funèbres , qui se réduisirent en
poussière k la première impression de l'ail* extérieur. La violation de ce
tombeau avait été exécutée avec tant de soin, qu'on n'y recueillit même
pas le moindre débris de ces vases qu'on rencontre le plus souvent,
brisés et laissés par indiffërence sur le sol de tant de tombeaux antiques-,
et c'est encore ici un bien juste motif de regret; car, à en juger d'après
l'étendue et l'importance de ce monument , le mobilier £ânéraire qu'il
reçut de la piété contemporaine dut être d'une grande richesse, et il
eût formé pour nous tout un trésor archéologique.
■-./
* On en voit un dessin , de face et de profil , sur la planche vi , n*" 4 et 5 , fe
l'ouvrage cité à la note précédente. — * Je puis dire que j'ai été l'un des premim
à établir, dans plusieurs de mes écrits , l'intention funéraire de la volute ionique et
le type asiatique d*apr.ès lequel avait été constitué cet ordre grec, d'une date si ré-
cente, par rapport au dorique, et dont l'emploi resta presque exclusivement usité
chez les Grecs asiatiques; voy. mes Monuments inédit», p. 97, i)t p. 110, 3), •!
p. 3o4-3o5, 3). »
MAI 1843. 279
Le second tombeau de Cœre, découvert au voisinage de celui-là, et
publié à la suite du premier dans Touvrage de M. Viiconti ^ offrit du
moins quelque compensation à une perte si déplorable , bien que , d ail-
leurs , il ne se recommande point par une égale importance architecto-
nique. Il se compose d'une espèce d'avefaue taillée dans le tuf, dont la
porte, plus large en bas qu'en haut, se termine par un arc cintré, avec
cette particularité neuve que la partie cintrée est entièrement fermée.
Cette porte introduit dans un corridor très-élevé et long de 2 5 palmes,
cpii fut autrefois couvert de ddles de pierre , placées en saillie l'une
au-dessus de l'autre , suivant le système des voûtes en encorbellement ,
dont l'usage , certainement antérieur à celui des voûtes en claveaux , et
probablement dérivé des modèles de l'architecture égyptienne et asia-
^ueî atteste ici une haute antiquité, et devient un élément précieux
pour la détermination chronologique du monument qui nous occupe et
des objets qu'il renfermait. Aux deux extrémités de ce corridor, servant
de vestibule, s'ouvrent, à droite et à gauche, deux chambre» latérales, de
forme carrée, qui se trouvèrent encore remplies de très-grands vases
d'argile noire , en forme cTmnpbore à deux anses , la plupart ornées ,
entre ces anses, d'qne espèce de frise imprimée en relief, dont les su-
jets, qui se répétaient un certain nombre de fois, réprésentaient un
homme à cheval , ou bien simplement un cheval, un sphinx ailé, et une
chimère^. On connaît, par les nombreux exemples qu'on en a recueiliis
dans plusieurs des nécropoles étrusques, ces vases d'argile noire avec
des ornements ou des sujets estampés de la même manière ', dont Tu- .
sage doit avoir précédé celui des vases d'argile peints , de fabrique grec-
que, et dont le style, d'accord avec le choix des représentations qui s'y
voient, dénote évidemment ^ue influence orientale. La circonstance
que des vases de cette sorte, ae grande dimension, formaient le mobilier
funéraire de ce tombeau de Cœre, à l'exclusion des vases peints, dont
on n'y retrouva pas le moindre fragment, vient à l'appui de ce qui a été
-observé plus haut au sujet de la voûte en encorbellement; et ces deux
jjl^rtiqularités, aiçsi d'accord l'une avec l'autre, deviennent autant de
preuves péremptoires. de la haute antiquité du monument qui les pré-
sente. Du reste , ce tombeau , quoique fouillé à une époque inconnue ,
n'avait pas été l'objet de recherches malheureusement aussi exactes que
-«
' P. ag-33, tar. x, xi, xii et xui. — * Un de ces vases est dessiné sur la pi. x.
^ — ^11 m'est permis àm dire que j'ai été Tun des premiers à appeler Tattenlion
des antiquaires sur ces sortes de vases , d'après les résultats des fouilles opérées ,
en* 1827, dans les tombeaux de Cbm^to et de Chian; voy. è cet égard mon Cou»
d*arch4mogie (Paris, 1818, iih8*), p. i4^iA6.
4
«
::>
^
280 JOURNAL DES SAVANTS.
celles dont avait eu à souffrir le tombeau précédemment décrit; car,
outre ces vases tfargile noire qui y avaient été laissés, la plupart brisés,
il est vrai, et quelques-uns encore intacts, on y recueillit quelques ob-
jets d'or, tels que cinq petites fibules, un morceau de fermoir et Tune
de ces feuilles si minces destinles à être cousues sur les vêtements des
morts, qui prouvaient que les déprédateurs de ce tombeau avaient pro-
cédé , dans leur opération , avec plus de négligence et de précipitation
qu on ne le fait aujourd'hui en y recherchant, dans llntérêt de la scieiiecv
le peu que la cupidité des siècles de barbarie y a épargné des trésors .de
l'antiquité.
Une porte , pratiquée au fond du vestibule , donne entrée sur la cham-
bre principale, dont la longueur s'étend dans le sens de la largeur du
monuTient. dette cella renfermait trois lits funèbres sur lesquels awmt
été placée une civière en bois, peinte de couleur bleue, dont il restait
encore des fragments ; et c'était sur cette civière qu'avaient été couchés,
k découvert, au lieu d'être déposés dans un sarcophage, les cadavres
dont on recueillit les ossements. C'est là une particularité déjà connue
par l'exemple des tombeaux de Bomarzo, qui offre quelque analogie avec
l'usage suivi dans les sépultures de Panficàpee ^ et qui doit tenir aussi à
une tradition asiatique. Une autre circonstance, qui rentre dans celles
que nous ont fait connaître ces tomneaux gréco-scythiques du Bosphore
Oîmmérien, c'est qu'on trouva, dans cette même chambre, près d'un
des lits funèbres, le squelette , parfaitement.i^connaissable dans tous seà
éléments, d'un cheval, sans doute l'animal favori du défunt et le com-
pagnon de sa vie guerrière. Les corps ensevelis dans cette chaii^bre
avaient été vêtus d'un Jilet à mailles formé de grains d'émail, d'un vert
bleuâtre, absolument semblables, pour la pâte et pour la couleur, à ceux
qu'on a recueillis dans les tombeaux égyptiens, et alternant avec des
grains plus gros de corail propres à faire ressortir l'ensemble du travail;
et c'est îci un trait infiniment curieux pour la connaissance des antiques ^
rapports delà civilisation étrusque avec l'Egypte, qui ne peuvent s'ex--*
pliquer que par le commerce des Tyrrbéniens et par le souveiyr dêj
traditions qu'ils avaient apportées a^ec eux dans leur émigi'ation de*
l'Asie. Outre ces émaux , qui n'avaient pas offert un appât suffisant à la
cupidité des violateurs de cette tombe , et qui furent recueillis en assez
grand nombre pour pouvoir en composer tout un filet, on trouva en-
core, parmi les objets qui avaient composé le mobilier de cette tombe, ^^
' Voy/la description que j*ai donnée, dans ce journal même, juin i835, p. 333
et suiv. du grand tombeau découreri à Panticapée, et renfermant, entre autres
objets curieux , un catafalque en hoù peint, pli^cé sur le squelette d*une femme.
%
^
MAI 1843. 281
et qu'on avait négligé d'en emporter, deux figurines de bronze, du tra-
vail le plus archaïque, représentant des monstres à double nature ,
l'un, une espèce de chimère, Tautre, un sphinx ailé ^ , qui appartiennent
indubitablement, par leur composition même, autant que par leur
forme et leur style de dessin , aux modèles de Tart asiatique , et qui de-
viennent, à ce titre, un des éléments les plus précieux de ces antiques
relations de TÉtrurie avec TAssyrie, qui trouvent leur explication facile
et leur preuve historique dans la tradition de lorigine lydienne des
Tyrrhéniens. Cette induction est encore justifiée par la présence de plu-
sieurs vases, que leur peu de valeur intrinsèque aux yeux des barbares
qui dépouillèrent cette tombe a sauvés de la destruction, mais qui sont
d'un grand prix pour la science. Ce sont deux de ces vases d'argile
noire , avec des figures de femmes ailées et danimaux symboliques ^, es-
tampées de bas-relief, dont les types appartiennent à un art asiatique,
et un autre vase, à fond d'un blanc verdâtre, avec des figures d'ani-
maux, lioTis, taureaux, cerfs, sphinx ailés, distribués en cinq zones, et
coloriés en rouge et en noir, qui ne tiennent point du style égyptien,
comme le pense M. Viscontî, mais bien de cette manière phénicienne,
originairement importée dans la plupart des îles de farchipel grec , et
de là sur le continent de la Grèce même, principalement à Corinthe
et à Athènes, dont les Tyrrhéniens durent puiser le goût à cette source,
je veux dire dans les îles voisines du continent asiatique, et dont ils
portèrent avec eux l'usage dans leur établissement en Étrurie. On voit
donc combien toutes les notions acquises par l'observation de ce tom-
beau de Cœre et par l'examen de tous les objets qu'il renfermait s'accor-
dent entre elles pour nous y faire reconnaître un monument produit
sous l'influence directe d'idées asiatiques, à une époque où la tradition
s'en conservait encore chez les Tyrrhéniens de l'Italie dans toute sa
force primitive, et presque sans aucun mélange d'une influence pro-
prement hellénique.
Avant de sortir de cette chambre, qui renfermait encore , malgré les
déprédations qu'elle avait subies , tant d'objets d'art importants par les
conséquences historiques qui en dérivent, je dois signaler k l'attention
de nos lecteurs un dernier élément de la décoration de cette tombe ,
lequel nous est déjà connu par l'un des tomb*eaux précédemment dé-
^ Voyez-en le dessin sur la planche ix, leltre A. Ces figures doivent avoir fait
partie de la décoration d'un des lits funèbres. — * Les deux vases d'argile noire
sont dessinés, pi. ix, fig. a et 6. Ils ressemblent, pour la forme et pour le travail ,
à ceux qu'on trouve dans le recueil de M. Micali , Monum. per servire alla storia de
antichi Popoli iialiani, tav. xxi, i, et xxiii, 3.
36
282 JOURNAL DES SAVANTS.
couverts à Cœre : c'est un siège taillé dans le tuf, à côté de la porte qui
conduisait à la chambre du fond de l'hypogée. Ce siège , destiné , sans
doute, à l'usage des morts, dans ce système d'illusions naïves et tou-
chantes, où se manifestait, sous une forme matérielle et palpable, une
idée morale , profondément imprimée dans toute l'antiquité asiatique ,
la notion de l'immortalité de Fâme, ce siège, disons-nous, avec son
dossier et son marchepied , offre absolument la même forme et le même
travail que les deux de la tomba délie sedie de Cervetri; et il en résulte
que tous ces monuments tiennent au même système de croyances , de
cuite et de traditions d'art qui caractérisaient la haute civilisation
étrusque. La dernière chambre de notre hypogée, taillée en face de
rentrée, dans l'axe du monument, et de forme carrée, ne contenait
qu'un seul lit funèbre; mais il s'y trouvait, de plus que dans les autres
chambres, des niches pratiquées dans le fond, en guise d'armoires, sans
doute pour y placer, soit les objets précieux à l'usage du mort, soit les
Vases et ustensiles sacrés qui servaient à l'accomplissement des rites
funéraires. Ces objets, de quelque nature et de quelque matière qu'ils
fussent, avaient tous disparu; les niches étaient absolument vides. On
recueillit pourtant dans cette chambre quelques objets d'une grande
valeur archéologique: un fragment de pâte émaillée de couleur bleue ^
de travail égyptien, avec des hiéroglyphes égyptiens imprimés en re-
lief; cinq balsamaires, en forme de figures de femmes, aussi de style
égyptien ^ ; tous objets, dont la présence attestait ici les anciens rapports
de commerce que les Tyrrhéniens entretenaient avec l'Egypte, soit di-
rectement par eux-mêmes, soit indirectement, par l'entremise des Phé-
niciens. D'autres objets, trouvés dans cette niême chambre, tristes
restes du précieux mobilier qu'elle avait reçu à une ancienne époque ,
doivent se considérer comme appartenant à une industrie locale :
c'étaient des vases en forme d'écuelle , qui avaient dû servir à contenir
les mets préparés pour le repas funèbre, et auxquels j'aJQute, comme
une particularité curieuse, la mention de grains d'ambre et de pâtes
odorantes de résines orientales , qui avaient été disposées tout autour
du mort, et dont la substance était encore si bien conservée après tant
' Un de ces vases , en émail bleu , aviec figures d^animaux en relief, est décrit ,
comme faisant partie du cabinet de M. le chev. Kestner, dans le Ballet delV Instit
Archeal, i835, p. 181 . Voy. les observations que ces découvertes d objets de travail
égyptien dans des tombeaux étrusques de Cœre, aussi bien que de Valci et d^ailleurs
encore, ont suggérées au 1> Ulrichs, dans le Ballet, deli InsHt. Arckeol. iSSg,
p. 73-73 , et à M. Cavedoni , dans son curieux et sâvanfc écrit sopra un sepolereto
etrasco scoperto nella collina Modenese (Modena, i84a, in-8'), p. 89» 34).
MAI 1843. 283
de siècles, quun petit fragment de ces pâles, approché du feu, jsuffit
pour remplir le vaste salon du palais ducal des princes. Torlonia à Ceri
d une vapeur parfumée qu'il fut impossible de supporter, au témoignage
de M. Visconti, auteur de l'expérience et historien de la découverte.
Pour compléter la connaissance de ces antiques tombeaux de Cœre
que nous devons à M. Visconti, je nai plus qu'à faire mention de quel-
ques vases trouvés dans des sépulcres voisins de ces deux -là, au lieu
nommé Monte dell'orOf qui est une nécropole d'une moins haute anti-
quité, placée au centre d'une colline artificielle. Ces vases, fidèlement
représentés par l'antiquaire ronlain sur Tune des planches de son
livre \ appartiennent à une fabrique grecque archaïque ; ce sont , •-par
conséquent, des monuments d'une époque de civilisation plus récente,
où s'exerçait déjà l'influence des artistes grecs quf avaient suivi le co-
rinthien Démarate dans son établiissement à Tarquinies. Deux de ces
vases /d'ancienne fabrique, portent le nom du fabricd^i Nicosthénès ,
qui nous était déjà connu par des vases de CaYiino^, NIKO^OEf^ES
EROIESEN, et dont notre autem* croit, à la vérité sans mo|ff suffisaot,
que l'atelier était établi à Cœre même. Les sujete qui décorent ces vases,
et qui ont rapport aux jeux gymniques^, dont la célébration se liah,
dans les usages de la société grecque, comme dans ceux de la civilisa-
tion étrusque, à la célébration des funérailles*, offrent plys d'une par-
* Planche ix, n" i et 5 , lettres B , D , E. — * Je renvoie , pour rarticle de ce fabri-
cant , Nicosihénès, dont les produits, portés dans fantiquité ju8qu*en Sicile, se re-
trouvent encore aujourd'hui dans la plupart de nos grandes collections, je renvoie,
dis-je, à la seconde édition de ma Lettre à M. Schorn, où cet article sera traité avec
tous les accroissements que comporte Tétat actuel de nos connaissances. — ' L*un ide
ces sujets représente (2eiu; Aomm^s /titf , iaus une course rapide, ayant entre eux uJie
femme vêtue et ailée, qui ne peut être que la Victoire. Un second sujet oSre deux
lutteurs en attitude de combattre, avec un trépied au milieu; c'est le prix, S^Xoy,
de la victoire qu'ils se disputent. La principale représentation, céHe qui occupe la
bande intermédiaire du vase, se compose de figures à^athlètes et de gymnastei,
entre lesquels intervient la même figure de femme vêtue et ailée , dans laqodle j'^
reconnu la Victoire. — * J*ai donné , dans mes Monuments inédits , AchUléide, pi. xxi ,
2 , p. 95, 3), et 97 , 1 ) , et Orestéide, pL xxxv, p. 96, 1) , les preuves de cette as-
sertion , et j'ai cité les principaux monuments qui s y rapportent. Je puis y ajouter
maintenant deux vases peints, de fabrique étrusque, servant de pendants l'un à
faulre, sur l'un desquels est représentée la pompe funèbre , sur l'autre* une suite
de figures q«i ont rapport aux divers exercices du stade, à la course , au pugilat. ei
au disque. Ces deux vases , qui ûûsaieot partie de la collection du prince de CimiAp,
et qui sont décrits dans la Notice d'iïne colleclton de r^ses antiques provenimt des
fouilles faites en Étrurie (Paris, i843, in-8*)^ «eus les n** 187, p. 38, et 161,
p. d344t ont été récemment apqub pouE notre cabinet ides Antiques ,«i je me pro-
pose de les publier.
36.
/
284 JOURNAL DES SAVANTS.
ticularité neuve et curieuse, entre autres, la présence de la Victoire ,
placée entre lès -combattants , sous les traits d'une femme veine et ailée ^
pour indiquer Tobjet de cette représentation. Deux autres vases, en
forme de coupe pourvue de deux anses et montée sur un pied élevé,
présentent encore plus d'intérêt, à la fois par le sujet, par le style et
par le notn du fabricant, qui enrichit d'un nom nouveau, et peut-être
aussi d'une forme nouvelle d'inscription, notre liste des anciens artistes.
L*une de ces coupes est ornée, à l'intérieur, d'un sujet encadré, qui re-
présente le groupe à Hercule terrassant le liorif du style le plus archaïque,
^ en figures noires sur fond jaune ; l'insdription tracée sur la circonférence
extérieure du vase est ainsi conçue : XAPITAIOS EROIESEN ME, en
lettres de la plus ancienne forme. La même inscription se lit à la même
place, mais avec un? variante : XAPITAIOS EITOIESEN EME EV, sur la
seconde coupe , où elle est accompagnée d'une seconde inscription que
M. Visconti a lue, ou, du moins, qu'il a représentée de la manière que
voici : AnAKI0N3;PrfÊXPE0PCJEPE3AI0. Il est permis de croire que
cette inscri[|tion , sans doute un peu maltraitée par le temps, n'a pas été
très-fidèlement rendue *,4|t ce serait peut-être une imprudence d'essayer
de la corriger sans avoir le monument sous les yeux ; j'oserai pourtant,
à mes risques et périls, proposer de lire : APAXION HEPMOKAEOZ EIP-
FAIETO; e^ s'il était possible que cette leçon se trouvât conforme à
la vérité, nous aurions, avec un nouveau nom d'artiste, Arrachion , fils
d'Hermoclès^, un exemple jusqu'ici encore inconriu du verbe EIPfAZETO,
pour désigner le travail du peintre, qui n'est jamais, il est vrai, ex-
primé que par le verbe EPPAS^E ou ErPA<t)E» sur les vases peints que
nous possédons. Quoi qu'il en soit de cette correction, que je ne pro-
pose qu'avec toute la réserve possible, et parce que M. Visconti parait
croire que l'inscription se refuse à toute interprétation fournie par la
connaissance du grec : la iscrizione di ana dettdtara non penetrabile co
sussidii del Greco; ce qui tend à faire considérer cette inscription, et tant
d'autres qui sont dans le même cas , comme autant d'énigmes indéchif-
frables, et comme des débris d'une langue primitive mêlée de toute
sorte d'éléments asiatiques, lydiens, phrygiens , doctrine de feu M. Amati,
* Le nom à'Arrachion, écrit ici APAXION, pour k^payitùv ^ par archaïsme, est
connu. comme celui d*un athlète arcadien , dont la statue est citée par Pausanias,
vin , l\o , 1 , comme un des plus anciens monuments de fart grec. Quant à cette
particularité du nom du père , ajouté ici à celui de fartiste , nous en avons un
.^exemple dans Tinscription TLESÔNHONEAPXOY, si souvent reproduite sur des
'coupes de Canino. L emploi des mots EIPFAZETO ou EIPfAZATO na pas be-
' soin d^aulorités.
MAI 1843. 285
qui me parait complètement erronée, et quil serait bien temps d'aban-
donner avec les rêves antédiluviens du prince de Canino; c'est prin-
cipalement sur le sujet de cette coupe que j'appellerai l'attention de
nos lecteurs. II. consiste en une figure de cavalier, sur la tête duquel
est posé un oiseau, sans doute avec une intention augurale, dont le
caractère favorable me semble indiqué par la couleur blanche du chevaL
Cette représentation , où la discipline étrusque se trouve ainsi associée
à l'art grec, me paraît, sous ce rapport, un fait neuf et curieux, et le
vase qui nous la procure, par son style de dessin, qui est des plus
archaïques, et par le nom de son fabricant, Charitœos, est certainement
un des monuments les plus précieux de la céramographie grecque
qui soient sortis des fouilles de Cœre, Il existe encore , à ma connais-
sance, un vase de la même main et d'une autre forme, dont je ne crois
pas que l'indication ait été donnée nulle part : c'est un vase de la forme
d'amphore à trois anses, orné, sur le col et sur le ventre, de deux re-
présentations encadrées, qui ont pour sujets des motifs empruntés «^
l'histoire des Amazones. Le style de ce vase, qui se trouvait, en i838,
dans la collection de M. Depoletti à Rome, appartient aussi à l'ancienne
école, et l'inscription , qui s'y lit gravée, et non tracée, sous le pied du
vase, en caractères très-fins et de très-belle forme, nous apprend que
son fabricant est le même Charitœos ; KAPITAIOZ ElTOIEZEN, dont le
nom est écrit ici par un K, et non par un X, variante qui peut être con-
sidérée comme une forme dorique, si ce n'est une faute de l'artiste.
Il ne me reste plus, avant d'arriver au grand tombeau de Cœre, dont
la découverte a été l'un des événements archéologiques de ce siècle, et
dont la description formera le principal objet de notre examen, qu'à
dire quelques mots des autres tombeaux de la même localité ou du
voisinage , dont la connaissance peut servir à compléter les notions que
nous avons voulu donner k nos lecteurs sur toute cette classe de mo-
numents appartenant à l'antique Cœre ou à ses dépendances. De ce
nombre, je citerai particulièrement les tombeaux qui paraissent avoir
appartenu à la nécropole de l'ancienne Alsium, ville pélasgique comme
Cœre^, et située dans son voisinage. Ces tombeaux, découverts en i Sâg,
consistaient en un grand tumulus, semblable à celui de la Cucumella de*
Vulci , qui n a pu être fouillé dans toute sa profondeur, mais qui a li-
vré à la science, dans un des hypogées qu'il renfermait, un monnaient
d'une architecture et dune disposition tout à fait analogues au grand*
tombeau de Cœre , que nous nous proposons de faire connaître en dé-
' Dionys. Hal. i, 20, 1. 1, p. 5à, ed, Reisk.
286 JOURNAL DES SAVANTS.
tail dans un prochain article. Ce que ceiui-oi^îi* ofiert' de plus curieux,
en fait de construction , c est la voûte du long corridor qui conduit aux
chambres sépulcrales , et qui se compose de dalles de pierre posées ho-
rizontalement en saillie Tune au-dessus de Tautre, lesquelles, au lieu de
décrire un arc aigu , se redressent tout à coup à peu de distance de leur
point de jonction, et forment une espèce de canal dont le parement est
vertical et la couvertupe plate. Cette conftruction, d'un genre tout à
fait nouveau et d*un caractère qui paraît conventionnel, s'accorde, avec
labsence totale de vases peints ou d'objets empreints dune influence
grecque , pour faire attribuer à ce monument une antiquité antérieure
à répoque de l'introduction en Étrurie des arts de la Grèce. Un autre
tombeau, creusé dans le tuf au pied du même tumulas, n'offrit pareille-
ment, dans le petit nombre d'objets qu'on y recueillit, et qui consis-
taient en vases d'argile avec des dessins d'animaux gravés au trait, et
en petites idoles d'argile noire, d'un style primitif ^ n'offrit, disons-
nous, aucun indice d'une influence hellénique; et la disposition de ce
tombeau, avec le Ut funèbre creusé en forme de sarcophage, avec la
banquette régnant autour des chambres sépulcrales, et avec les débris de
la construction par assises en retraite qui en couronnait le faîte ^, rentre
toiit à fait dans le type asiatique des tombeaux que nous avons décrits
à Ceri.
Dans une fouille exécutée, l'année suivante, sur un terrain dépendant de
la même nécropole, on découvrit un autre tombeau' taillé pareillement
dans le tuf, avec un long corridor aboutissant aux chambres sépulcrales, avec
des banquettes taillées en forme de lit funèbre, et pourvues, sur leurs cô-
tés , de cohnnettes , ainsi que d'un coussin de pierre pour soutenir ta tête
du défunt; et, dans ce tombeau, il ne fut trouvé non plus que des vases
d'argile noire avec figures estampées de bas-relief, sauf un seul vase
* Une de ces idoles, qui m'avait été envoyée par M. Viscontî pour être déposée
dans notre cabinet des Antiques , m*a ofiert an rapprochement curieux. Elle res-
semble tout à fait , pour la composition de la figure, pour la couleur de la terre,
i>our le style et pour la dimension, à une idole qui se trouvait déjà dans notre col-
ection , et qui provenait du cabinet du comte de Caylus , à qui elle avait été pro-
bablement envoyée par le P. Pacciaudi , sans que la provenance nous en fût connue ;
et, maintenant, il devient évident pour nous que cette idole du cabinet de Caylus
doit être sortie de quelques fouilles opérées alors aux Montenni ; c*est le nom ou on
donne actueUement aux petites collines artifidelles qui forment la nécropole de
Tantique Alsium. — * Ces détails sont extraits de la Notice des fouilles des Monte-
roni, rédigée par M. Âbeken, et insérée au BuUet, delV Instit. Archeol. i83g, p. 8i-
84. — ' Voyez-en la description dans un autre Rapport de M. Abeken, publié dans
le Ballet. ielV Instit. Archeol, i84o, p. 1^3- 1 34*
MAI 1843. ^ 287
peint, de cette manière que j'ai été Tun des premiers à .appeler phéni-
cienne, et de la forme de balsamaire; en sorte que tout s!accorde tou-
jours pour nous montrer, dans le plan et dans la disposition de ces
tombeaux, et dans la nature des vases qui s y trouvent, des monuments
étrangers à la civilisation grecque et empreints de la civilisation asia-
tique. La même notion résulte de la découverte de deux autres tom-
beaux fouillés, en 18 do, à Cervetri, au lieu nommé Zambra, dont Vun
renfermait un assez grand nombre de vases de terre cuite noire , avec
un fragment d un seul vase peint, de style phénicien, et avec un débris
dun autre vase orné de figures d'animaux, que le style des figm^es, joint
à rinscriptlon en caractères étrusques: g^A/M , indiquait sufiisam-
ment pour un produit d'une industrie locale. Je citerai enfin les toni-
beaux découverts, en i84o, siur un emplacement qui doit avoir fait
partie du territoire de l'antique Pyrgi, port de Cœre, lesquels tombeaux,
pareillement taillés dans ]e tuf, mais revêtus intérieurement de dalles
de pierre, et terminés, à l'extérieur, en forme dé tumalds, offrirent, entre
autres particularités qui dénotent une haute antiquité, des chambres
sépulcrales voûtées au moyen de deux dalles de pierre appuyées l'une
contre- l'autre à arc aigu S comme on l'observe à la galerie de Tirynthe
et à une porte de Délos. Malheureusement , ces tombeaux avaient été
fouillés à une époque inconnue , et l'on n'y recueillit aucun objet , pas
môme le plus mince débris de vase propre à nous éclairer siu* la nature
du mobilier funéraire qui put y être déposé et sur le caractère de la
civilisation dont ils étaient l'ouvrage.
RAOUL-ROCHETTE.
f La suite au prochain cahier. )
Nouveaux documents inédits sur le P. André et s^r la persécution
du Cartésianisme dans la compagnie de Jésus.
TROISIÈME ARTICLE.
Notre première correspondance nous avait fourni tme seule lettre
d'André, pendant qu'il était à Rouen, chargé de l'enseignement d»
la philosophie : c'est une lettre du 2 5 avril 1 7 1 3 , adressée à Maie-
^ Voy. la Relation insérée au Ballet. delV Inslit. Archeol. i84o, p. 1 i3!-i i5.
288 JOURNAL DES SAVANTS.
branche, où il lui apprend que son enseignement a soulevé contre lui
ses supérieurs, parce quil y rendait justice à Descartes et à lui Male-
branche; qu on lui a envoyé une espèce de formulaire à signer et à dicter à
ses écoliers; qu'on lui a demandé une profession de foi sur chaque
article de ce formulaire; qu*on a fait examiner cette profession dé foi
par trois PP. jésuites de Paris, dont un y a répondu article par article;
que celte réponse est un écrit considérable ; qu il a été contraint de dic-
ter à ses élèves une rétractation , dont il lui erftfoie un extrait ; et il de-
mande pardorr à Malebranche ainsi qu à Dieu d'avoir chancelé dans la
défense de la vérité. Tout cela n'était pas parfaitement clair, faute de
documents suffisants : nous n'avions ni le formulaire envoyé à André,
ni sa profession de foi , ni l'examen de cette profession de foi par les
méttiphysiciens de la compagnie ; nous ne savions pas non plus com-
bien de temps André était resté à Rouen. Aujourd'hui, grâce à nos nou-
veaux papiers, tous les voiles sont levés, et nous connaissons pleine-
ment toute cette affaire de Rouen, sans contredit la plus intéressante
de toutes celles qui furent suscitées à André. Les détails abondent, et
il ne faut pas craindre de les reproduire, sinon en totalité, du moins
avec une juste étendue; car il ne s'agit plus seulement ici des disgrâces
d'un homme de mérite, mais de la persécution exercée contre un grand
système de philosophie par la plus puissante congrégation enseignante
de la France et de l'Europe , enfin de la philosophie officielle de cette
congrégation.
André arriva à Rouen vers la fin de l'année i 7 1 i ; il y demeura le
reste de cette année , toute l'année 1 7 1 2 et une partie de l'année 1 7 1 3 ;
après quoi il est enlevé à l'enseignement de la philosophie et relégué
à Alençon dans un petit emploi purement administr|itif. C'est pendant
ces deux années d'enseignement qu'il composa ce cours .complet de phi-
losophie chrétienne dont l'abbé Guyot parle avec tant d'éloge dans sa
Notice historique sur le P. André ^ et dont on vient de retrouver à
Caen xxùe partie considérable sous le titre de Metaphysica *9ive Theo-
logia naiaralis. André se proposait de former, de toutes les opinions
cartésiennes , un corps complet de philosophie à la fois raisonnable
et chrétienne, où tout fût enchaîné dans un ordre géométrique, expli-
qué avec une clarté frappante, et dirigé vers la pratique et vers l'édifi-
eation. Mais l'Évangile lui-même , présenté avec un air de cartésianisme,
a(H*ait révolté les jésuites. Aussi à peine André a-t-il commencé à ensei-
go/er sa phik)«ophie chrétienne , que ses supérieurs reconnurent qu'aa
' P. 4
^
MAI 1843. 289
lieu de s être corrigé il s'était confirmé dans la doctrine qui lui avait été
reprochée ; il est dénoncé à Paris ; il reçoit des côtés les plus différents
des avertissements qui partent d'un véritable intérêt pour sa personne.
Les hommes les plus sages l'engagent à se soumettre. Nous voyons
reparaître ici ce bon P. Guymond, qui, depuis 1708, na pas fait lac-
quisition d*un seul argument nouveau contre Descartes et Malebranche,
et répète toujours la même chose : « Ne croyez pas, écrit-il h André de
la Flèche , le 1 4 décembre 1711, que ce qui s'est passé entre nous ait
rien diminué de ma tendresse et de mon amitié envers vous. Il est im-
portant de vous dire une chose ; mais elle demande le secret, et j'ai en
vous la confiance que vous ne me citerez point : c'est qu'on me dit hier
que l'on portoit à Rome des informations sur quelques propositions de
quelques-uns de nos professeurs et en particulier de votre révérence.
Je crains que notre père ne lui en sache mauvais gré ; ce qui me donne
la pensée qu'il seroit bon de le prévenir vous-même au plus tôt, et de
l'assurer que, loin d'être dans ces sentiments, vous en voyez la fausseté
et que vous les réfutez en toute occasion. Voilà donc ce que je ferois,
si j'étois à votre place : je me défierois de mon esprit et de l'esprit des
nouveaux philosophes; je croirois que, dans les points contestés, ils
n'ont ni eux ni moi plus de lumières que nos auteurs; j'aurois devant
moi toutes les propositions défendues; je demanderois grâce à Dieu
pour bien comprendre les raisons qu'on a de les défendre, et je cheN
cherois de quoi les réfiiter chacune en particulier et prouver la con-
tradictoire; enfin, puisque la compagnie le veut, je ferois abjuration,
persuadé qu'il ne convient point à un particulier d'être contraire à la
doctrine de son corps. Je prie très-humblement votre révérence de
prendre en bonne part tout ce que je lui écris, etc.»
André ayant répondu à cette lettre, sans désavouer son goût pour
la doctrine de Descartes et de Malebranche, qu'il ne faut pourtant
pas le croire aveuglément attaché à toutes les maximes de ces deux
auteurs, et qu'il s'y trouve des propositions qu'il tient pour fausses,
le P. Guymond, voyant là un commencement d*abandon du cartésia-
nisme, s'en réjouit fort et récrit, le 12 mars 1712 , à André : «Je ne
sais comment j'ai différé si longtemps à vous marquer la joie que j'ai
reçue de votre dernière lettre; elle est plus grande que je ne puis l'ex-
primer par l'importance du sujet dont il s'agissoit. Pour y mettre le
comble-, je demande une grâce à votre révérence : c'est de vouloir bien
me mander les propositions de ces deux auteurs qu'elle trouve mau-
vaises; cela pourroit me servir dans l'occasion,»
Hardouin , qui était à la fois le meilleur des hommes dans la vie or-
37
w
290 JOURNAL DES SAVANTS.
dinaii^e et lauteur le plus violent dans la polémique, rappelle à André
qu'il lui a toujours dit que le malebrancliisme était l'athéisme , et qu'il
devait y renoncer absolument.
«Ce 2 5 novembre.
(( Mon révérend père ,
« J'aurois bien de la dureté, et le Seigneur Dieu me la reprocheroit
un jour, si je manquois à vous avertir que vous allez vous attirer de très-
fâcheuses affaires, si vous ny remédiez promptement; et, qui plus est,
c'eit qu'on auroit raison de dire, et qu'on le dira, que vous le méritez
bien pour défendre, comme vous le faites, le malebranchisme. Vous
pouvez vous souvenir qu'il y a quelques années que je m'efforçois un
jour, en revenant de Gentilly avec vous, de vous persuader que c'étoit
l'athéisme. Cela n'est que trop vrai. On ne me consulte sur votre affaire
pas plus que l'enfant qui est à naître; mais j'ai entendu quelques mots
assez forts pour me donner occasion de vous en donner avis. Par-
donnez-moi ma liberté et ma franchise : je n'ai pas cru en chrétien et en
ami devoir manquer à vous en écrire. Ecrivez vous-même incessam-
ment au révérend père provincial que vous renoncez absolument au ma-
lebranchisme, et faites le voir par des effets, en dictant, selon l'occasion,
des opinions contraires. Et prenez bien garde à une seconde récidive.
u Je SUIS , mon révérend père ,
« Votre serviteui' et votre ami ,
« Hardouin , J. »
« P. S. Le révérend père provincial nous a dit , en pleine récréation ,
que le P. Dutertre étoit revenu de semblables idées; mais il ne m'a
pas dit un seul mot de vous , et ce n'est pas de lui que je sais ce que
je vous écris. »
Porée, le plus bel esprit de la société, et dont le cœur et le carac-
tère valaient bien mieiuc.que le talent brillant et maniéré, Porée,
qui avait pu connaître et apprécier André au collège Louis-le-Grand à
Paris, le presse d'échapper au péril qui le menace par une prompte
soumission.
(( Mon révérend p^re ,
« Votre lettre m'a extrêmement touché. La situation douloureuse où
vous vous trotivez m'afflige , et je ne me console que par l'espérance
que vous en sortirez bientôt. Quand on a autant de droiture que vous
en avez, on a une grande disposition à suivre les lumières du ciel.
MAI 1843. 291
Vous croyez les suivre maintenant ; le P. Dutertre avoit cru la même
chose de lui-même; il se trouve à présent détrompé, et l'unique chose
qui rétonne, c'est qu'il ne l'ait pas été plus tôt. Il avoit suivi vos
exemples, suivez maintenant le sien; ne l'imitez pas cependant en tout,
et n'attendez pas, je vous conjure, que les supérieurs vous aient ôté
d'un emploi que vous pouvez faire avec distinction et avec mérite de-
vant Dieu et devant les hommes. Que vous enfouissiez le talent ou que
vous mettiez les autres dans la nécessité de vous en ôter l'usage, n'est-
ce pas à peu près la même chose? Pardonnez-moi si je vous parle avec
tant de liberté; je vous ai déji\ dit que je n'entrois point dans la discus-
sion de cette affaire, qui passe ma capacité et mes lumières; mais je
crois parler à un ami et je ne me trompe pas, vous m'en avez assuré
vous-même. Que l'amitié m'excuse donc auprès de vous, si elle ne peut
avoir d'autre effet. Je suis dans l'union de vos S. S. et dans les senti-
ments d'une parfaite estime jointe à un profond respect, mon révé-
rend père, votre, etc.
«C. POR^E. »
La lettre de Porée et le post-scriptum d'Hardotiin font mention du
P. Dutertre comme abandonnant la doctrine de Descartes et de Ma-
lebranche, et donnant par là, selon Porée , un bon exemple à André.
Ceci nous conduit à un des épisodes les plus curieux de l'histoire phi-
losophique de ce temps, et à un nouvel enseignement de cette triste
vérité, que, aussitôt que le péril devient sérieux, les plus emportés d'a-
bord ne sont pas ceux qui persévèrent le plus courageusement. Comme
nous l'avons vu , André n'était pas le seid dans la société* qui s'était
laissé séduire par la philosophie nouvelle; plusieurs de ses confrères
l'avaient même enseignée. Parmi ses partisans les plus ardents était au
premier rang le P. Dutertre, homme d'esprit et de talent, auquel il n'a
manqué, pour avoir le sort du P. André , qu'un peu plus de caractère.
Il avait d'abord paru plus dévoué qu'André lui-même au cartésianbme.
Le P. Guymond lui avait aussi proposé de renoncer à Descartes et k
Malebranche et même de les réfuter; il avait répondu comme André,
et avec plus do hauteur, que, loin de les réfuter, il était prêt à les dé-
fendre. Il traite même assez sévèrement cette concession qu'André avait
faite à Guymond, qu'il y avait dans Descartes et dans Malebranche plu-
sieurs propositions fausses. La lettre qu'il lui écrit à ce sujet mérite bien
d'être donnée tout entière :
tPe la Flèche, ce à mai 171a.
« Votre lettre, mon'oher ooUègue^ kn'B éelaîré d'un point que j'étoii
37.
292 JOURNAL DES SAVANTS.
curieux de savoir, c est que le P. Guymond me vint trouver cet hiver
jpour me dire qui! avoit reçu d'une personne de mérite de la pro-
vince, qui passoit pour donner dans les idées du P. M., une lettre
où elle faisoit abjuration de celte doctrine, avouant quelle y recon-
noissoit bien des erreurs dangereuses. Je lui répondis alors que, si cela
étoit, certainement celui qui abandonnoit ainsi le P. M. ne l'avoit
jamais entendu. Il m'a plusieurs fois averti avec beaucoup d'affecta-
tion et d'empressement des desseins que les supérieurs ont, dit-il,
de pousser à toute outrance ceux qui [plusieurs mots illisibles). Il m'a
même proposé sérieusement de faire et d'envoyer au père général
une protestation de péripatétisme où je désavouerois Descaries, et je
ne me suis délivré de toutes ces propositions, dont une étoit encore
de travailler à réfuter Mal. , qu'en lui déclarant nettement que je ne
trouvois rien dans cet auteur que de très-vrai et de très-édifiant, et
que je m'offrois volontiers à le justifier contre ceux qui l'attaqueroient ,
bien loin de le réfuter. Cette réponse l'a enfin fait désespérer de mon
changement, et il me laisse maintenant en repos. Pour sûr, je ne vous
conseille pas de lui rien mander dont il puisse tirer avantage; son zèle
est trop bouillant pour compter sur un parfait secret. Je suis même
fâché que vous lui ayez donné lieu de croire ou de dire au moins que
vous trouviez des erreurs dans le P. M.; mais vous pouvez vous re-
trancher, dans votre réponse, à lui alléguer, en général, quelques er-
reurs des cartésiens , comme les idées innées au sens que le commun
l'entend, que Dieu ait fait les essences des choses par une volonté aussi
arbitraire que celle dont il a créé les choses mêmes, etc. Je suis avec
respect, mon cher collègue, votre, etc.
aDoTERTRE, s. J. n
Ce zèle de Du tertre pour le cartésianisme ne demeura pas impuni.
Il était à la Flèche , il fut envoyé dans le petit collège de Compiègne ,
et encore régent de troisième. Cette disgrâce ne l'ébranlé pas , et il prie
André d'en bien assurer le meilleur et le plus estimable de leurs amis ,
c'est-à-dire Malebranche.
AU MÊME, A ROUEN.
i A la Flèche, ce ai juillet 171a.
M Je crois, mon cher collègue, que vous avez reçu un petit paquet que
je vous ai envoyé par le neveu de M. Briant; et je ne doute pas qu en-
suite vous n'ayez été fort surpris de ma disposition pour la troisième de
Compiègne, à laquelle certes je o'avois pas lieu de m*attendre, non plus
MAI 1843. 293
qua raflectation qu'on a eue de la rendre si publique, après toutes les
honnêtetés et même les caresses que j'avois reçues du R. P. provincial.
On a voulu faire, dans ma personne , un exemple capable d'intimider
les autres. Dieu en soit loué ! Mais il faut avouer qu'on a fait cet
exemple de la manière qu'on a crue la plus capable de me mortifier, et
sans m'avoir aucunement prévenu que par des témoignages d'estime ,
qui n'alloient, comme je le vois, qu'à me tromper : conduite que je
ne crois pas devoir être tout à fait approuvée. Quoi qu'il en soit, vous
pouvez vous assurer, et en assurer aussi le meilleur et le plus estimable
de nos amis, que je suis tout consolé de ce petit chagrin qu'on m'a
fait, et par la bonté de ma cause, et parce que j'ai tâché de contri-
buer, cette année, à faire connoître la vérité, en quoi je n'ai pas tout k
fait perdu mon temps. Votre très-humble serviteur, etc.
«DuTERTRE , J.»
Avant de se rendre à Compiègne et de quitter la Flèche , Dutertre ,
qui ne connaît pas bien l'étendue du danger auquel il s'expose, fait
soutenir à ses écoliers , dans les exercices de la fin de l'année , la théorie
des idées de Malebranche. Il se vante d'avoir répandu le cartésianisme
parmi plusieurs de ses collègues. C'est en vain que les supérieurs l'en-
gagent à changer de système , il n'en sera rien , écrit-il fièrement à
André,
AU MÊME.
«A la Flèche, ce ai août 1713.
u J'ai reçu voire paquet; je m'attendois à peu près à y voir ce que j'y
ai vu , et à y remarquer bien des préjugés dans vos censeurs. Il y a
pourtant deux choses que je n'approuvois pas tout à fait dans votre
thèse , supposé que ce fût votre pensée , comme on le juge dans la
censure; 1** que Dieu ne peut anéantir notre âme; car il me semble
évident qu'il la conserve librement, autant qu'il peut l'avoir créée, pour
un certain temps déterminé, au bout duquel la cause productive cesse;
elle cesseroit aussi , sans qu'il fût besoin pour cela d'un acte de la vo-
lonté de Dieu terminé à son anéantissement , car un tel acte répugne ;
a° je crois que Dieu peut faire du vide en partageant l'étendue , en éloi-
gnant les deux parts , sans conserver aucune étendue physique dans cet
intervalle; et je crois que ce qui a trompé sur ce point M. Descartes ,
c'est qu'il confondoit l'étendue intelligible avec l'étendue physique. Ven-
dredi dernier, qui fut ma deri\jère séance , le meilleur de nos écoliers ,
un jeune homme accompli, nommé {le nom est biffé) ^ expliqua, à pro-
294 JOURNAL DES SAVANTS.
pos de la démonstration de Dieu, tout le système des idées pendant
trois gros quarts dTieure , et prouva que nos idées ne pouvoient être
que la substance intelligible de Dieu. Jamais vous ne vîtes gens plus
étonnés que la plupart de ceux qui Técoutoient. Je puis vous assurer
que la plupart de nos écoliers sont bien au fait et bien établis dans les bons
principes. H y a aussi quatre ou cinq préfets qui sont en bon chemin ,
mais occultipropter metamjadœoram. Mais ils appréhendent d'être connus,
et je ne leur ferois pas plaisir de les nommer, car vous ne sauriez croire
combien la terreur est répandue ; il y a tel qui craint même de passer
pour être de mes amis. Madame de Cabaret m'a fait l'honneur de me
venir voir, je lui ferai vos compliments, et aux autres que j'aurai doré-
navant plus de loisir d'entretenir. J'écrirai bientôt à notre bon père; je
l'auroisfait dans le temps de sa guérison, si j'eusse su sa maladie ^ Per-
mettez-moi de saluer M. Larchevêque ; c'est un homme que j'estime de
tout mon cœur et honore parfaitement. Il voudra bien prendre cette
lettre pour une réponse commune à la sienne , jusqu'à ce que je trouve
une occasion , qui se présentera apparemment bientôt sur cette fin
d'année, pour lui écrire en particulier. Au reste , je vous dirai que tous
mes actes ont si bien réussi, que la plupart de nos pères disent haute-
ment que, depuis vingt ou ti^ente ans, on n'avoit entendu d'aussi bons
écoliers; mais le P. Roi [sic) et le P. Guymond ne font pas semblant
d'entendre cela. On me donne aussi force atteintes du côté de Paris et
ici pour changer de système; mais il n'en sera rien. Je suis avec res-
pect, etc.
« Ddtertre. »)
Nous allons voir maintenant ce que devint cet altier courage quand
la tempête éclata. Dans la dernière moitié de l'année 1712, l'afiFaire
d'André à Rouen prit un très-mauvais tour, comme nous le montre-
rons tout à l'heure. On parla sérieusement à Dutertre. La peur le prit,
et, dans les premiers jours de janvier 17 13, il écrit à André pour lui
annoncer que, tout considéré, il ne se soucie pas de subir le martyre
pour le cartésianisme, qu'il abandonne les opinions de Malebranche et
qu'il l'engage à en faire autant.
AU MÊME.
«Ce 1 3 janvier 171 3.
uj appris hier, mon très-cher père et ami, une nouvelle qui me met
' Il s agit ici évidemment de Malebranche.
MAI 1843. 295
dans une très-grande inquiétude par rapport à vous. Au nom de Dieu ,
prenez bien garde, dans les conjonctures présentes, à ne pas faire de dé-
marches qui vous engagent dans des suites encore plus fâcheuses peut- ,
être quon ne peut à présent prévoir. Je vous dirai franchement que je
n'ai jamais cru que la conscience engageât à tenir aucune des opinions
du P. Mal. et qu ainsi elle demande, les choses étant comme elles
sont, qu'on les abandonne , pour ne pas résister ouvertement aux ordres
exprès des supérieurs et sexposer à vivre éternellement mal content
de soi-même, odieux ou à charge à ceux qui nous gouvernent, ou même
à quitter Un état que nous devons chérir plus que toute chose au
monde. Permettez-moi, s'il vous plaît, cette ouverture de cœur. C'est
ma très-sincère amitié qui me fait vous parler ainsi et je vous prie de
me tirer le plus tôt que vous pourrez de l'inquiétude où je suis sur le
parti que vous aurez pris par rapport aux propositions qu'on a du vous
faire dimanche ou lundi. Je suis avec respect... etc.
«Ddtertre, J. »
Au bas de cette lettre est écrit de la main du P. André :
« J'ai pris le parti de demeurer ferme dans la vérité aux dépens de
mon repos et de mon bonheur temporel. » Et, à côté du passage de la
lettre de Du tertre oix celui-ci prétend qu'il n'a jamais cru que la cons-
cience engageât à tenir aucune des opinioiïs du P. Malebranche^ André
a mis cette apostille : « Pourquoi donc le dire au père provincial et à
tout l'univers?» D'ailleurs nous avons vu les lettres antérieures de Du-
tertre à André. Jusqu'ici, du moins, ce n'était que de la prudence, une
prudence, il est vrai, bien vite venue et ^ussée bien loin; mais Du-
tertre ne s'arrêta pas dans une si bonne route. Après avoir désavoué par
politique le système de Malebranche, il va plus loin, et de nouvelles
réflexions très-promptement faites le conduisent à penser qu'en eflet ce
système est faux, même dangereux, et que les raisons des supérieurs
pour le combattre sont excellentes. Il ne parie plus seulement à André
comme le P. Daniot et comme Porée , mais comme Guymond et comme
Ilardouin.
AU MÊME.
« A Paris, ce a3 septembre 1713.
« J'ai reçu, mon révérend père et très-cher ami, votre lettre avec un
extrême plaisir, parce que j'étois fort en peine de vous depuis sept ou
huit mois. Celui qui me l'a rendue m'a dit qu on vous destinoit à la
procure d' Amieas , mais que vous paroissiez peu disposé à recevoir cet
296 JOURNAL DES SAVANTS.
emploi. Pour moi, si vous vouliez m'en croire, je vous conseiHero»
|)remièrement et avant toutes choses de renoncer sincèrement et de
bon cœur aux sentiments que les supérieurs désapprouvent, afin d*être
en état d'aller votre chemin et de répondre aux vues qu en ce cas
ils auroient sur vous. J'eus l'honneur de vous écrire , dès le com-
mencement de celte année, que je vous croyais obligé devant Dieu à
prendre ce parti dans des conjonctures où les supérieurs se déclarent si
nettement et si fortement; mais je vous avouerai franchement que, de-
puis ce temps-là, j'ai examiné plus sérieusement que jamais les matières
dont il s'agit et les raisons des supérieurs, et que je suis très-convaincu
tant de la bonté de ces raisons que de la fausseté et du danger de la
plupart des opinions auxquelles nous avons été un peu trop attachés.
C'est ce qui m'a porté moi à y renoncer hautement et de bon cœur,
persuadé qu'il étoit d'un honnête homme d'en user ainsi, et de mépri-
ser, dans cette occasion, certaines petites considérations qui pourroient
iirrêter. Néanmoins , comme je serois déraisonnable de prétendre que
mon exemple, et bien moins encore mon autorité, fût d'aucun poids sur
vous pour vous faire changer d'opinion sur des matières que vous êtes
plus capable que moi d'examiner et d'approfondir, l'autre conseil que
j'aurois à vous donner, supposé que vous ne puissiez gagner sur vous
la première chose, ce seroit d'accepter l'emploi qu'on vous propose;
car je crains que les remontrances que vous feriez ne vous attirent
que de nouveaux chagrins; ce qui m'en causeroit, je vous proteste,
beaucoup à moi-même; car je vous prie d'être très-persuadé qu'on ne
peut avoir pour personne ni plus d'estime ni plus de sincère attachement
que je n'en ai pour vous; qJ jamais rien ne sera capable de diminuer
en moi ces sentiments, dans lesquels je suis de tout mon cœur et avec
respect, mon révérend père et ami, votre, etc.
«DOTERTRE, J. ))
De là à écrire contre Malebranche, et à suivre jusqu'au bout les pro-
positions du P. Guymond, il n'y avait plus qu'un pas : Dutertre le fran-
chit rapidement. Il se mit à l'œuvre et il fit paraître, en i y 1 5, un livre
intitulé : Réfutation dan nouveau système de métaphysique proposé par le
P. M. . . . auteur de la Recherche de la vérité y Paris , chez Mazières , in- 1 2 ,
3 vol. Nous n'avons à juger ni le système de Malebranche , ni la réfu-
tation du P. Dutertre. Le système de Malebranche était loin d'être ir-
réprochable, et nous en avons nous-même plus d'une fois signalé les
défauts \ Le plus grand, qui est commun à Malebranche et à tout son
r
' Voyez l'Hisloire de la philosophie au xvnT siècle, t. I, onzième leçon , p. ^ay
MAI 1843. 297
siècle , est de sacrifier un peu trop la liberté de Thomme à la toute-
puissance de Dieu , et dans Faction et dans la connaissance ; mais entre
ce défaut et Tathéisrae il y a un abime. La théorie des idées , qui a des
côtés admirables, en a aussi de défectueux, quWrnauld avait signalés
bien ^vant les jésuites. Mais encore une fois , il ne s'agit point ici
d apprécier le mérite intrinsèque du livre du P. Dutertre; nous voulons
montrer seulement quel brusque effet la persécution produisit sur cet
esprit présomptueux , qui, dans l'intervalle de quelques mois, passant
d'une extrémité à l'autre, après avoir repoussé avec éclat les proposi-
tions du P. Guymond, finit par aller presque au delà, et par accabler
publiquement de sarcasmes d'assez mauvais goût celui quil appelait
le meilleur et le plus estimable de ses amis. En effet, l'ouvrage du
P. Dutertre contre Malebranche est fort souvent imité de celui du
P. Daniel contre Descartes. Dès les premiers mots de la préface,
voici comment il s'exprime sur le compte de Malebranche : a Après
avoir employé quelque temps à l'étude des toiu*billons de M. Des-
cartes, cet auteur commençait à s'ennuyer de voyager toujours dans
im monde matériel (ceci ne rappelle-t-il pas le Voyage du monde de
Descartes par le P. Daniel ^ ? ) , lorsque tout à coup il lui sembla voir
s'ouvrir devant lui une autre espèce de monde purement intelligible,
où un soleil intelligible découvrait aux pures intelligences mille et mille
beautés intelligibles. Il n'hésita pas un moment à y passer, et, dès que
l'œil de son esprit fut un peu remis de l'éblouissement que lui avait
causé la clarté inusitée de cette idéale région , il eut la satisfaction dq
connaître avec une entière évidence que ce monde intelligible était
le Verbe de Dieu. » Et ailleurs : a II s'applique à examiner de quel côté
il devait tourner pour trouver dans le monde philosophique un nou-
veau pays où personne ne Teût précédé. Cela ne lui lut pas aisé ; la
logique était depuis longtemps défrichée, outre qu'elle paraissait à
notre voyageur une terre bien maigre. M. Descartes avait peuplé toutes
les contrées de la physique, et les habitants s'étaient si fort multipliés,
qu'on avait été obligé d'envoyer de grosses colonies dans le royaume de
la lune et dans toutes les planètes.... » Il y a cent passages de ce genre^.
de la nouvelle édition de i84ii et le second arlicle sur la Correspondance inédite
de Mairan et de Malebranche, Journal des Savants , décembre 1SI12, — ^ Paris,
1690; nouv. édit. 1703. — * U y a un autre ouvrage de Dutertre, fort peu connu,
intitulé : Le philosophe extravagant dans le Traité de l'action de Diea sur les créatures,
Bruxelles , 1 7 1 6 , où butertre affecte le même ton , qui est un peu plus de mise
contre Boursier que contre Malebranche. Il faut dire que, dans ce second ouvrage,
Maldnrancke est plus ménagé, notamment p. 118.
38
298 JOURNAL DES SAVANTS.
Voilà le livre que Dutertre adresse à André par une lettre du i o oc-
tobre 1 7 1 5 , en lui demandant son avis avec un air de triomphe. André
parait selre borné à lui répondre quil ne pouvait lui dire son senti-
ment, parce qu'il craignait de trahir ou la vérité ou la charité. Dutertre
(lettre du g janvier 1716) trouve ce parti très-sage et très-édifiant, D se
plaint avec amertiune que les cartésiens et les malebranchistes ne l'é-
pargnent point ; il énumère avec faste tous les sulïrages que son livre
obtient; «en un mot, dit-il, vos bons amis sont encore à mé répondre
une syllabe; et des gens de lettres, je dis des séculiers, m'ont assuré
qu ils ne sauroient par où s'y prendre , ce qui ne fait pas grand honneur
à la secte. Au reste, mon révérend père , ne croyez pas que je vous dise
cela par une sotte vanité; vous me connoîtriez mal; je vous le dis par
pure charité, parce que je suis fâché de vous voir tenir une conduite
qu'on ne peut attribuer qu'à l'entêtement, et j'ai cru que ce détail
pourroit peut-être avoir quelque bon effet. »
Ici s'arrête la correspondance des deux anciens amis. Tandis que l'un
désavouait en au$si peu de temps et avec si peu de ménagement ses
premières opinions, celui qu'il avait d'abord accusé d'un peu de fai-
blesse y demeura fidèle; nulles menaces ne purent l'ébranler. Il main-
tint avec modération, mais avec fermeté, ses convictions cartésiennes.
Ne pouvant résister à la force, il se soumet, mais en se soumettant il
proteste encore.
Au miheude l'année 1712, le père provincial envoya à André un
formulaire à signer et à dicter à ses écoliers. Sans s'y refuser absolument,
André adressa au père provincial une lettre où il le prie de ne point
exiger de lui cette rétractation publique. La première correspondance
faisait allusion à cette lettre que nous possédons aujourd'hui.
« Mon très-révérend père ,
«J'ai lu l'écrit que notre révérend père recteur m'a communiqué de
la part de votre révérence. Je n'ai point de peine à enseigner les opi-
nions que l'on m'y a marquées, même les plus contraires à mes senti-
mens particuliers. Je crois le pouvoir faire sans manquer à la sincérité
chrétienne, parce que, dans les chosps que l'on enseigne dans les col-
lèges , et qui n'appartiennent point aux dogmes de la foi, on doit ou du
moins on peut présumer que c'est la robe qui parle et non pas la per-
sonne; et, de plus, parce qu'il semble à propos qu'il y ait là-desstis,
dans un corps , quelque règlement uniforme , de peur que chacun , sous
prétexte de vérité, ne s'avisât de débiter toutes ses visions. Bien ou
mal, ce sont les raisons qui m'ont déterminé, contre mon inclination.
MAI 1843. 299
à entier, par pure obéissance, dans le métier que je fais. Mais, mon ré-
vérend père, en môme temps que je vous déclare que je suis prêt à
vous obéir sans réserve, en enseignant les opinions de la compagnie,
permettez-moi de vous représenter, avec tout le respect que je dois à
votre dignité et à votre personne, qu'il ne rrte paroit aucunement à pro-
pos que je fasse une rétractation aussi publique et aussi solemnelle que
votre révérence me la demande.
« 1** C'est un éclat qui ne peut avoir dans le monde que de fort
mauvais effets. Tout ce que j'ai enseigné jusqu'ici n'y a presque fait au-
cune sensation , et il semble qu'il n'est pas juste d'exiger un réparation
publique pour un scandale qui n'a point été public.
« 2® C'est une espèce de formulaire que vous me donnez à publier, et
qui réveillera dans les esprits, déjà prévenus conti'e nous, des idées qui
ne peuvent nous être que fort désavantageuses, surtout dans les matières
en question. Il ne s'agit plus de la foi, dira-t-on, et cependant vous
voyez l'âpreté de leur zèle pour les opinions qu'ils ont une fois embras-
sées. Je vous prie donc, mon révérend père, d'épargner mon honneur
pour celui de la compagnie, qui en est inséparable dans cette conjonc-
ture. Cependant, si c'est une chose absolument arrêtée que je dicte
une rétractation publique des opinions que je n'ai jamais enseignées
ni eu dessein d'enseigner, je veux bien, mon révérend père, abandon-
ner mon honneiu* et en faire un sacrifice à l'obéissance, mais je ne puis
abandonner ni sacrifier la sincérité chrétienne. Vous m'ordonnez de
faire une .protestation publique, que je tiens pour très-vraies des opi-
nions que je tiens pour évidemment* fausses, et pour suspects dans la
foi des auteurs que je tiens pour très-orthodoxes. Je ne trouye dans leurs
écrits que des erreurs philosophiques, et vous voulez que je déclare que
j'y trouve des hérésies. Pardonnez-moi, mon révérend père, si j'ose vous
le dire^ : que Ton me flétrisse, que l'on m*accable, j'y suis prêt;^ais je
ne ferai point un pareil mensonge à la face du public , et je n'irai point
censurer sans aucun droit des philosophes très-catholiques , contre, la
persuasion intime où j^ suis de la pureté de leur foi. Je les combattrai
s'ils ont des erreurs, mais je ne flétrirai jamais des auteurs dont \fi vertu
et la religion paraissent à chaque page de leurs écrits, du moins à mes
yeux. Je mériterois par un mensonge si abominable les mauvais traite-
ments que j'ai soufferts, et je n'auroîs plus de quoi me consoler dans
^utes les disgrâces que je vois prêtes ^ fondre sur moi, si je les avois
méritées par un mensonge et par une calomnie.
' Voy. ioàniatiÉs Savants, janvier i84i« p- i4-
58.
êr>
300 JOURNAL DES SAVANTS.
u Ainsi, mon révérend père, s il est résolu que je fesse quelque chose,
non pas pour apaiser les cris du public qui ne dit mot , mais les mur-
mures de quelques particuliers, dont je ne veux rien dire par réserve ,
je vous supplie de foire changer tellement les termes du formulaire , que
je le puisse dicter en mon*^ propre nom, sans blesser en aucune sorte
ni la sincérité, ni la justice, ni la charité. Certainement, mon révérend
père, je ne devrois pas être réduit à vous demander cela comme une
grâce. C'est pourtant la seule que je vous demande, ^ous promettant,
du reste, que tout ce que je puis foire sans crime pour vous contenter,
je le ferai sans peine. Mais que j'aille faire profession ouverte de tenir
pour très-vrai ce que je tiens pour très-faux , telles que sont les opinions
que Ton me spécifie sur la nature des idées; que j'aille donnera croire
que j'ai jamais eu le moindre sentiment contraire aux décisions des
conciles de Trente ou de Constance ou de Vienne, soit sur la nature
de nos âmes ou sur le^ mystère adorable de mon maître; que j'aille ma-
lignement décrier en n:|atière de religion des auteurs illustres qui n'ont
erré qu'en matière de philosophie ; que j'aille enfin , contre toute vé-
rité, me faire passer moi-même pour un aveugle sectateur de leurs
opinions singulières, malgré l'horreur naturelle que j'ai toujours eue
pour l'esprit de secte et de cabale, quoique jamais (xlans les) matières
philosophiqilfe je ne rendis hommage qu'à la raison, et quoique je
combatte sincèrement ces auteurs en plusieurs endroits de mes écrits ,
et peut-être avec plus de force que ceux qui m'accusent de les suivre ,
par exemple TVI. Descartes dans presque toute sa métaphysique, et le
P. Malebranche dans tout ce qui regarde la manière d'expliquer l'acte
libre de notre volonté ; pardonnez-moi , mon révérend père, je vous dé-
clare que je ne rendrai jamais faux témoignage, ni contre moi-même,
ni contre personne; c'est bien assez que les autres me calomnient; il y
a longtemps que je le souffre , et. Dieu merci , en patience.
« Vçtre révérence sait elle-même qu'il y avoit une calomnie atroce
dans le petit extrait qu'elle me lut à la visite , et qu'apparemment ce
fut poyr cette raison qu'elle ne voulut jamais me le mettre dans les
mams, malgré mes instances et peut-être malgré la justice. Il y en a
deux pîresque aussi énormes dans l'écrit que vous m'envoyez. i° Que
lan passé, pour peu qu'on me poussât dans les disputes, il y avoit tou-
jours du malebranchisme dans mes dernières réponses; 2° Qu'à certaine
dispute, que l'on n'a garde de marquer, je parlai d'une manière peu or-
thodoxe du libre arbitre. Ce sont des faits absolument faux et calom-
nieux. Le premier ne peut être avancé que par des gens peu instruits,
qui prennent pour malebranchisme tout ce qu'ils n'entendent pas ou
MAI 1843. 301
peut-être aussi, pour ne rien dire de plus, tout ce qui est assez clair pour
être entendu sans peine. Mais, pour le second fait, ce nVst plus igno-
rance ; la vérité m'oblige à vous déclarer que c est une imposture abo-
minable^ et dont je ne manquerois point de vous demander justice, si
j'étois en état de pouvoir Tobtenir, et que Ton pût être dans là dispo-
sition de me la rendre. Mais je me tiendrai encore trop heureux si Ton
veut bien ne me faire aucune violence. Je prie Dieu, par N. S. J.-C. , de
calmer votre esprit irrité par de faux rapports, par de mauvais con-
seillers, peut-être plus encore par de mauvais soupçons, et de tempé-
rer par sa douceur la vivacité de votre conduite , qui ne peut avoir
que des suites fâcheuses dans la compagnie et dans le monde. Principes
(jentium dominantur eoram ; vos autem non sic. Je vous demande pardon ,
mon révérend père, de la liberté que je prends, dans les circonstances
où vous me réduisez, il semble quil me doit être permis de dire quel-
que vérité pour me défendre de tant de faussetés que l'on m'attribue.
En tout pas,*nîon révérend père, je suis prêt à tout événement: Si dixe-
ris mihi: non places, prœsto sum; si vous me dites même : Satrapis non pla-
ces, je suis prêt à obéir dans tout ce que je pourrai faire sans désobéir à
Dieu. C'est en lui , et dans l'union de son esprit saint, que je suis , avec
un profond respect... etc.»
Cette lettre, lofti de calmer le père provincial , l'aigrit au contraire,
et il exigea du P. André une profession de foi sur chacun des articles
du formulaire. Nous n'avons pas ce formulaire , mais la réponse d'An-
dré nous le fait connaître suffisamment. Elle roule précisément sur les
points^ consignés dans la jrièce célèbre appelée par Bayie Concordat
entre les jésuites et les pères de V Oratoire \ -à savoir les accidents absolus,
l'essence de l'âme, l'esisence du corps, les formes substantielles, l'union
de l'âme et du corps, la nature des idées, les idées claires, l'action des
esprits , etc. Sur toutes ces questions André s'explique de la manière la
plus catégorique. Nous sommes heureux de posséder et de pouvoir pu-.
bUer ce morceau important.
^ « i" décembre 1712.
« Mon très-révérend pèr^pr ,
(( Quelque sensible que je sois à l'outrage que l'on me fait , en jetant des
soupçons si cruels sur ma religiojjj^et sur ma bonne foi, je ne m'en plain-
drai ppint à votre révérenpe; je me contenterai de la prier très-lmmble-
* Recueil de quelques pièces curieuses concernant la philosophie de M. Dpscartes, hmr
sterdaiii, i684.
#
302 JOURNAL DES SAVANTS.
ment de lire avec un peu d attention et d'équité l'exposition que je lui en-
voie de mes sentiments sur tous les articles en question. S'il y en a un
seul qu'il ne soit pas permis d'avoir dans l'Eglise, et qui n'ait pour garant
des auteui's dont la foi ne peut être suspecte , je m'offre à le quitter
sans réplique et à l'instant môme qu'on me le fera connoître. Mais je
demande une grâce à ceux qui en feront l'examen , et qu'il semble que
l'on devroitme nommer selon les règles de la justice, c'est de n'être
point déterminés à regarder comme hérétiques tous ceux qui n'ont pas
le bonheur d'être de leur opinion. A cela près je ne crains rien, et les
juges les plus éclairés me seront toujours les plus agréables. Voici donc
la profession de foi que l'on me demande.
« I. Sur les accidents absolus.
« Sur le mystère de la sainte eucharistie, je dis anathème avec toute
l'Église, à Zuingle, à Calvin, à Wiclef et à Luther, etc. Je crois que
N. S. Jésus-Christ, Dieu et homme, corps, âme et divinité , se trouve
réellement et identiquement, substantiellement et proprement dans
toutes les hosties consacrées, et dan$ chaciuie de leurs parties, du
moins après leur séparation; que toute la matière du pain et du vin se
change véritablement au corps et au sang de Jésus-Christ, notre bon
pasteur et notre vraie nourriture, non-seulement spirituelle mais cor-
porelle; que cette conversion admirable est justement appelée tran-
substantiation ^ dans un sens propre et très-convenable à la chose
signifiée; qu'après ce changement miraculeux et singulier il ne reste
rien du pain et du vin que les seules espèces. Enfin, je ti'anscrirai, si
l'on veut , tout ce que les conciles de Trente , de Latran et de Constance ,
nous obligent à croire là-dessus; car je le crois expressément et dis-
tinctement comme un dogme de foi révélé de Dieu, et proposé par
son Église â la croyance de tous les fidèles : je suis prêt de le démon-
trer contre tous les hérétiques, et de le signer de tout mon sang. Mais
je ne crois pas que Dieu ait révélé , ni dans l'Ecriture, ni dans la tradi-
tion, ni par la voix de son Église, ni en termes exprès, ni par consé-
quence , qu'il y ait des accidents absolus ^ans le saint sacrement de l'au-
tel , ni que ces accidentg qui y restent sans sujet soient l'extension de la
quantité du pain et du vin, et moins 4Micore que Tessence du corps ne
■ • *
* La prétention d'expliquer le mystère de la transsubstantiation est une des fautes
qui firent le plus de tort au cartésianisme. Sur ce point obscur de Thistoire dç |||-
pbilosophie cartésienne nous* possédons des tiocuments importants et la plupart
inédits, que nous ferons connaître un jour.
.^
MAI 1843. 303
consistB point dans retendue, je ne dis point déterminée, je reconnois
que c'est une erreur de M. Descartes, mais dans quelque étendue in-
déterminément.
u Voici les raisons que j'ai de douter que ce soient là des articles de
foi, et que je prie d'examiner sans prévention et devant le Seigneur,
•qui ne veut point, il est vrai, que Ton retranche rien de sa parole, mais
qui ne veut pas aussi que ïon y ajoute.
u 1° Le saint concile de Trente, qui, dans cette matière, est la règle
la plus juste que nous puissions avoir de notre foi, et qui me semble
avoir décidé clairement tout ce que nous devons croire , ne fait aucune
mention de ces accidents absolus; il ne parle que d'espèces qui restent,
seules, dit-il, après la consécration : manentibas duntaxat speciebus.
Pourquoi s est-il servi si constamment, et dans les canons et dans les
chapitres, de ce mot d'espèces; et pourquoi ne s est-il jamais seiTi du
mot d'accidents , s'il a voulu faille un article de foi des accidents absolus?
ou plutôt n'est-il pas manifeste, et par son silence et pai' le terme dont il
a pour ainsi dire affecté de se servir, qu'il a regardé ce point comme
étranger à la foi, dont il avoit dessein d'établir le dogme sans en-
trer dans les questions sur lesquelles les docteurs catholiques étoient
partagés, comme l'histoire de Palavicin le remarque en plusieurs
endroits ?
« 2° Depuis le concile de Trente on a toujours vu dans l'Eglise des
docteurs très-orthodoxes qui ont soutenu qu'il ne restoit dans l'eucha-
ristie, après la consécration, que les pures apparences du pain et du
vin , sans rien d'absolu. Pour en être persuadé il n'y a qu'à lire le cé-
lèbre P. Maignan, Appendice qainta ad philosophiam sacramy etc. '.
« 3* Il paroît évident , par la lecture des anciens auteurs , que ce que
l'on a d'abord appelé accident n'étoit autre chose que les qualités sen-
sibles de couleur, d'odeur, de saveur, etc.; qu'ensuite on y ajouta la
quantité ou l'extension de la matière dii sacrement, et que de là on a
conclu enfin l'existence de cette espèce d'être qu'on a depuis appelé
dans l'école accident absolu , à ce qu'il me paroit sans aucun fonde-
ment dans la tradition des saints Pères.
« 4* On soutient , tous les jours , dans les écoles les plus catholiques,
que l'essence du corps consiste dans quelque étendue indétenninément ,
et il est impossible , dans quelque opinion cpie l'on soit, de concevoir
autrement la substance corporelle. Toute la géométrie est fondée sur
^ Père minime , ué à Toulouse en 1 6o i , professeur à Rome , à la Trinité-du-Mont ,
en i636, mort en i6g6, auteur d*un cours de philosophie estimé et de la Philo-
sophia sacra, 1663 et 167a.
V *
304 JOURNAL DES SAVANTS.
celte notion claire du corps. L'Écriture sainte elle-même ne nous en
donne point d'autre. Notre Seigneur Jésus-Christ la suppose évidem-
ment. Saint Augustin y est formel dans presque tous ses ouvrages, prin-
cipalement dans le livre qui a pour litre De la (juantité de Vâme, dont le
dessein est de faire voir que Tâme est quelque chose de très-réel, quoi-
qu'elle ne soit point corporelle , c est-à-dire étendue en longueur, largeur
et profondeur, comme lui-même s'en explique. Videtar enim mihi qaasi
nihil esse anima si nihilesthorum, lui dit son interlocuteur; et je dis après
lui avec bien plus de raison : Videtar mihi nihil esse corpas, si nihil est
horam, c. m, E. edit. Lovant
«Cependant, mon révérend père, je suis prêt de soutenir ce pre-
mier article, tel qu'on me le prescrit, pourvu qu'on ne m'oblige point,
contre ma conscience , à m'en faire un article de foi , avant la décision
de l'Église.
« II. Sur Tessence de rame.
((Dans le second article, je crois qu'il y a des expériences qui prou-
vent assez bien que l'âme pense dès le ventre de la mère ; mais je n'ai
point de peine à croire qu'elle puisse absolument être sans penser ; car
Dieu est bien puissant, et je ne connois pas assez clairement l'essence
de l'âme pour en parler aussi décisivement que les cartésiens.
« ni. Sur ressence du corps.
, uPour ce qui est de l'essence du corps, je suis persuadé avec saint
Augustin , par l'idée claire que nous en avons et que la foi suppose sans
la détruire, quelle consiste, non pas, comme le prétend M. Descartes,
dans une étendue déterminée , mais dans quelque étendue indéterminé-
ment, comme je l'ai déclaré ci-dessus. A l'égard delà pénétration, je
ne crois pas que les saints Pères en aient jamais parlé dogmatiquement,
du moins quand on y ajoute le terme proprement dite. Les Pères de
Trente n'en disent pas un mot dans un si grand nombre de décisions
et d'explications sur le mystère de la sainte eucharistie, et l'on sait assez
que l'on peut expliquer tous les miracles dont on me parle sans avoir
recours à aucune pénétration proprement dite ; et cela en plusieurs ma-
nières que mes examinateurs sauront mieux que moi. Il est clair qu'il
suffit, pour le dessein de l'Évangile et des saints Pères qui l'interprètent ,
que ces passages du corps de Notre Seigneur soient nairaculeux et surna-
' Edit. des bénédictiDs , 1. 1, p. 4o3.
MAI 1843. 305
reis , sans qu'il soit nécessaire d'y rien admetU'e qui clioque manifeste-
ment la raison. En un mot, je ne crois pas que Ton en puisse faire un
dogme de bonne foi, ce qui ne m'empêchera point de l'enseigner de la
manière la plus commune.
« IV. Sur les formes substantielles.
(1 Je tiens , contre certains philosophes , que Dieu peut faire un nombre
infini de substances qui ne soient ni esprit ni corps; mais je suis en
même temps convaincu qu'il y a une manifeste contradiction qu'il
tire ou qu'il éduise de la matière quelque substance qui ne soit pas ma-
tière, qui soit plus noble que la matière, qui soit capable de connoître,
de sentir, d'avoir des appétits, proprement ainsi appqjiés, etc. Ce senti-
ment, pris k la rigueur et joint à celui qui veut que les corps n'aient
essentiellement aucune étendue actuelle, me paroît détruire absolument
la preuve la plus belle et la plus convaincante de l'immortalité de l'âme.
De plus , une âme est assez inutile à une bête , puisque cette âme même
a besoin d'une détermination étrangère pour être déterminée à une
chose plutôt qu'à une autre. Il est vrai que la pure machine est, d'un
autre côté, bien difficile à soutenir, cela révolte; mais il me semble que
l'ignorance où' nous sommes des ressorts et des organes qui la compo-
sent en fait toute la difficulté. Cependant je ferai là-dessus tout ce qiîe
l'on voudra.
«V. Sur funion de famé et du corps.
« Pour le cinquième article je le crois intérieurement et dans toute
son étendue , par raison autant que par soumission au saint concile de
(Vienne?).
« VI. Sur la nature des idées.
«Sur la nature des idées je ne tiens que le pur sentiment de saint
Augustin, qui a soutenu évidemment : i° que nos idées étoient distin-
guées de nos perceptions; q** que nos idées étoient en Dieu. Pour s'en
convaincre, à n'en pouvoir douter, il n'y a qu'à lire attentivement son
livre De magistro, le second Da libre arbitre, le livre des 83 questions,
q. A6, le livre Xn* De la Trinité, le X* de ses Confessions, etc.; mais,
pour en épargner la peine à mes censeurs, permettez-moi, mon révé-
rend père, d'en rapporter ici un passage décisif, et sur lequel seul je
39
306 JOURNAL DES SAVANTS.
confieas quils me jugent. Il est tiré da livre des 83 questions , q. 1x6^..
'4>*
«B esit donc ckir, mon révérend père, que, selon saint Augustin,
i"* il y a des idées en Dieu; 2° Fâme raisonnable voit ces idées quand
elle se détache Tesprit et le cœur des choses terrestres qui pourroient
obscurcir son œil intérieur; 3** que chaque chose a son idée en Dieu,
formellement distinguée de toute autre idée, et, par conséquent , que
To^ peut voir Tune sans voir Tautre , Tidée de Thomme sans voir l'idée
du cheval, et, par conséquent, voir l'idée des corps sans voir l'idée des
esprits, et, par conséquent encore, voir les idées des créatures sans
vou* forqaellement Tessence divine, si ce n*est de la manière qu'il est
écrit: omnes vident eam, unasquisque intuetar procul : c'est-à-dire, en un
mot, que l'on peut voir Dieu en tant que participable par les créatures,
sans le voir proprement et formellement en tant qu'il est incommuni-
cable, et, si j'ose ainsi dire, imparticipable. Tout cela, mon révérend
père, est évidemment de saint Augustin, qui n'étoit pourtant pas un
fanatique, ni un hétérodoxe, comjxte vous permettrez que Ton m'appelle
sans que j'y aie donné la moindre occasion^ Ce grand docteur de l'Eglise
ne crut pas être un visioimaire pour être dans ces sentim.ents; et, quoi-
qu'il assurât que l'âme raisonnable voit en Dieu les idées éternelles,
nulla interposita natara, c'est-à-dire, si je ne me trompe, immédiatement,
i^ûe crut pas pour cela que l'on en pût conclure que nous voyons clai-
rement l'essence de Dieu dès ce monde , ni que son opinion pût jamais
être confondue ridiculement avec des hérésies qu'il a lui-même com-
battues (les Anoméens). M. de Cambrai, depuis ta page 1 7 1 jusqu'à 226.
« VIL Sur les idées diiiresv
«Je conviens que nous avons bien des idées obscures, les unes parce
qu'elles sont vagues, indéterminées, et comme dans un éloignement
infini, et les autres parce que les ténèbres de nos sentiments les obscur-
cissent, les troublent et les confondent. Ainsi je n'ai point de peine sur
cet article.
«VIII. Sur l'action des esprits, etc.
« Jen ai encore moins sur l'action de fâme. Mais est-ii possible qu'a-
près avcnr soutenu si publiquement, contre le père Malebranche, que
Tâme agit réellement et physiquement en elle-même, qu'elle se modifie,
^ fidit. de^ .bénédictins , t VIv p. 1 7.
MAI 1843. i 309
qu'elle se détermine par une action positive dont «lie est TédtaUement
cause efficiente t on me vienne opposer aujourd'hui lÉion propre senti-
ment comme un remède à mes erreurs? Faites lire, mon révétiend
père, le traité de lame que j*ai dicté à Amiens^; vous y trouterex des
preuves convaincantes que je ne r^rde point cet auteur comme mon
maître, et que je labandonne quand il abandonne lui-même la vérité, qui
seule a droit de régner sur les esprits. Pour ce qui r^rde l'action dei
esprits sur les corps , et particulièrement l'action de Tâme sur le corps
qu'elle anime, je trouve quelque difficulté; mais, n'ayant 14-dessus au-
cune démonstration, el, d'ailleurs, ayant toujours cru que le système des
causes occasionnelles n'examine^ pas assez fortement la puissance des
esprits, je ne vois aucune raison qui m'empêche de conformer mon ju-
gement à tout ce que l'on exige de moi.
<i Sur tout le reste on me propose ce que je pense , e&oepté néan-
moins sur la béatitude objective de l'état de pure nature, que je crois
impossible. Quant au terme, ai l'on y admet une espèce de visiooi in-
tuitive de la divine essence, l'Église permet, sur cela, de penser ce que
je veux, et je suis prêt à faire tout ce qu'on voudra, et même à dicter
une rétractation de ce que j'en ai avancé.
« Voilà , mon révérend père , un exposé fidèle de mes sentiments le»
plus intimes, par oii l'on voit assez que je ne puis pas dire le profiteor
me vera credere ■: i'* des accidents absolus; 2** de l'essçnce du corps in-
dépendante de toute étendue actuelle ; 3° des formes substantielles; 4° du
sentiment contraire à saint Augustin sur la nature de nos idées , du
moins jusqu'à ce que j'aie reçu l'instruction que je prie votre Révérence
de me faire donner par des gens habiles , sensés , non prévenus , et qui
ne veuillent point demeurer cachés pour être en droit de dire tout ce
qu'il leur plaît. Enfm j'enseignerai tout ce qu'on voudra, je ferai telle
rétractation que l'on voudra, la plus humiliante pour moi, la plus
glorieuse pour la compagnie, dont je seroîs ravi de procurer la gloire
au prix de tout l'honneur du monde. Maïs, pour me convaincre intérieu-
rement, je demande des raisons, et il me paroît qu'il ne doit pas suffire
que l'on me dise en général : cette doctrine ne vaut rien. Il n'est pas à
propos pour nous que cette manière de censurer les opinions contraires
aux nôtres soit autorisée par les gens sages; il n'y auroit plus que des
hérétiques dans le monde. Je vous prie donc, mon révérend père, de
me donner des censeurs plus équitables et moins emportés , qui ne me
traitent point d'entêté sans avoir tâché de me convaincre , ni de fanatique
^ André y était donc resté au moias qudqoe temps. — - ' Peut-être nexpriiM,
39.
308 JOURNAL DES SAVANTS.
sans avoir démoatré mes visions, ni d'hétérodoxe sans avoir découvert
mes hérésies, ni d'homme de mauvaise foi sans en apporter aucune
preuve ; c'est la dernière chose que Ton doive reprocher à tout homme
avec qui l'on veut encore avoir quelque société. Je parierai une autre
fois à votre Révérence de la calomnie évidente qui étoit contenue dans
le papier qu'elle me lut à la visite , que je lui demandai , qu'elle me
refusa, et qu'il semble que vous ayez oublié. Je suis avec respect, etc. »
. V. COUSIN.
( La suite à un prochain cahier. )
Saggj dj naturali esperienze Essais d expériences faites à
V Académie del Cimento. Troisième édition de Florence, pré-
cédée d'une notice historique de cette Académie , et suivie de
quelques additions. Florence, i84i, in-4^.
QUATRIÈME ARTICLE.
Dans son excellent ouvrage M. Antinoiî fait mçntion des Dialogues
de Rucellai , élève de Galilée , qui se distingua par l'étendue et la variété
de ses connaissances. Comme ces Dialogues n'ont jamais été publiés, et
qu'ils contiennent Fexposition complète des idées philosophiques d une
école dont on n'a connu jusqu'ici que les travaux sur la physique et sur
les mathématiques , nous demandons la permission de nous aiTeter sur
un ouvrage qui parait destiné à nous révéler enfin le système philoso-
phique des disciples de Galilée.
Horace Ruceltai naquit à Florence ^ en 1 60 4 : son nom était Ricasoli ;
mais, ayant hérité, par sa mère, des biens des Rucellai, il prit le nom de
cette famille, souvent mentionnée dans les fastes de la république de
Florence. Né à une époque où le génie de Galflée avait imprime en
Toscane une nouvelle activité aux esprits, il imita le chef de cette
gi*ande école et cidtiva avec une ardeur égale les sciences et les lettres.
On connaît de lui des poésies de divers genres et des discours acadé-
miques. Il fut un des principaux membres de l'Académie de la Crusca,
qui est, comme l'on sait, ¥ Académie française de l'Italie. Écrivain pur et
élégant, humaniste consommé , connaissant également bien les ouvrages
des anciens philosophes et les travaux des philosophes modernes, bon
* Voyer Saggio di dialoghi Jilosofici d'Orazio Racellai, Firenzc , i8a3, in-4*, p. xvii
et suiv.
MAI 1843. 300
géomètre et excellent esprit, il sut embrasser l'ensemble des connais-
sances humaines, et fut, comme nous lavons dit, le métaphysicien de
Técole de Galilée. Rien ne lui manqua ; dans un pays où la pratique des
affaires était si rare, il fut employé dans des missions importantes.
Envoyé conune ambassadeur auprès de Tempereur Ferdinand et du roi
de Pologne, il observa, en moraliste, les mœurs de peuples alors peu
connus dans le midi deTEurope. A son retour en Toscane, il lut nommé
gouverneur d'un des jeunes princes et directeur de la bibliothèque des
Médicis; rarement l'Italie a vu un homme plus encyclopédique. Maga-
lotti, secrétaire deJ' Académie del Cimento, esprit universel aussi , .disait
que Rucellai était le seul homme de Florence qui en pût montrer à
tous les étrangers ^ Il mourut septuagénaire, laissant un grand nombre
d'écrits aussi remarquables par le fond que par la forme , et qui sont
restés presque tous inédits. Ses Dialogues philosophiques sont le plus
important de ses travaux.
Le manuscrit original de cet immense ouvrage existe en douze vo-
lumes in-folio à Florence , chez le baron Ricasoli^. U n'a jamais été publié ,
et l'on n'en connaît que quelques extraits imprimés, en i8t2 3,par les
soins du chanoine Moreni, dans un mince volume, qui .ne contient
que quatre dialogues sur la Providence, et qui ne donne qu'une idée
extrêmement imparfaite de cette vaste encyclopédie philosophique^. Elle
est presque inconnue, même en Italie, et les copies manuscrites en
sont très-rares. Par un heureux hasard , nous avons pu nous en pro-
curer deux manuscrits différents. Le premier appartenait au comte To-
mitano d'Oderzo , et nous Tavons reçu d'Angleterre , avec tous les ma-
nuscrits de cet amateur, qu'on y avait transportés ; l'autre se trouvait dans
la collection des manuscrits du marquis Pucci de Florence, qui, depuis
trois ans, sont en notre possession. L'exemplaire qui a appartenu à la
famille Tomitano n'est pas complet, mais il fournit d'utiles variantes.
Ces entretiens , que l'auteur suppose avoir eu lieu à la campagne ,
pendant une épidémie, se divisent en trois parties distinctes, suivant
les divers endroits où sont censés se transpoi^er successivement les in-
teriocuteurs, savoir: Tusculum, Albano et Tivoli, toujours dans les
environs de Rome. Laissons maintenant parler l'auteur lui-même,
qui, sous le pseudonyme de ï Imparfait, nom académique qu'il s'était
^ Magalotti, LeiterefamUiari, Firenze , 1769 , a vol. in-8*, t. U, p. 28. — * Sagaio
di dialo^hi, p. xliu. — 'Le volume publié par M. Moreni est précisément celui
que nous venons do citer sous le titre de Saggio di dialoghi. D faut ajouter qu'en
i8iil on avait inséré, dans le dix-neavième volume des Opuscoli sciêntipci.e letterarj
qui se publiaient à Florence , le Proemio alla villeggiatara Tiburtma,
5W JOURNAL DES SAVANTS.
donné k la Crasca , expose le pian de son ouvrage dans 1 avertissement.
(( Les dialogues, sous le nom de V Imparfait, académicien de la Crusca
(dit Rucellai , en commençant ) , ont pour Init de diriger les enfants
de lauteur dans le chemin de' la vertu. Louis, Tainé de ces jeunes
gens, intervient dans ces dialogues, qui sont disposés suivant trois
stations : à Tusculum , à Albano et à Tivoli. Elles sont partagées en
différentes promenades de studieuse récréation, et subdivisées en dia-
logues. »
« On dit que ces trois retraites ont eu lieu à cause de l'épidémie ,
pendant laquelle l'auteur suppose que plusieurs sodétés d'énidits s é-
tabliss^it dans des endroits salubres , et se réunissent pour disserter sur
di£Eirentes matières. Raphaël Magiotti , homme d'un savoii* universel ,
est censé assister à toutes ces conférences avec ïimparfait et son fils
Louis : d'autres personnes ysont successivement appelées, suivant leurs
talents et leurs dispositions. Deux propositions forment l'objet univer-
sel de ces dialogues : la première, c'est le hoc unamscio qvuxl nïhil scio,
de Socrate; la seconde, c'est le nosce te ipsum, attribué par les anciens
à Apollon , et gravé sur le fronton du temple de Delphes.
« La sentence de Socrate , discutée dans la retraite de Tusculum ,
est établie dans plusieurs dialogues par la comparaison des opinions ,
^'différentes entre elles, des plus célèbres philosophes sur les prin-
cipes universels de la philosophie naturelle. Car, par la vanité et par
l'incertitude de ces principes, on parvient à la démonstration du nihil
scio. Dans la retraite d' Albano, on traite de l'âme et de ses facultés
ainsi que des organes et des instruments qui servent k leur action. A
l'aide de l'anatomie , on distingue les instruments destinés aux appétits
et aux sens de ceux qui servent à l'entendement et à la raison. Cela
établi, on passe, dans la retraite de Tivoli, à montrer comment ces di-
verses opérations ont pour objet d'acquérir la vertu et de fiiir le vice.
Eln cherchant à se connaître soi-même , on apprend à distinguer le but
auquel sont destinées les parties sensibles de celui qu'a la pensée , et
l'on voit que les premières sont subordonnées aux secondes. En résumé ,
dans tous ces dialogues , il est question de la philosophie naturelle et
de la philosophie rationnelle et morale , et, chaque fois que cela est pos-
sible, on expose les opinions des modernes sur la physique et sur l'a-
natomie. La philosophie n'est pas traitée ici avec les formes et les
tenues des écoles; elle est, au contraire , exposée dans des discours fa-
ciles et familiers *. »
^ Ceci forme YArgommto; dans le Preambolo, qui suit, Tauteur expose ses idées
avec plus de défekppemani.
MAI 1843. 311
Quoique très-court, cet avertissement suffit pour faire connaître le
dessein de i auteur. On voit que Rucellai , après avoir montré, par Tétude
et par la comparaison des divers systèmes philosophiques, Timpossibi-
iité de parvenir directement à la connaissance des principes généraux à
laide de l'étude du monde ext^ieur, se replie sur lui-même, et, faisant
du noscete ipsum la base de tout ce que nous savons, s élève de l'étude de
Tâme et de ses facultés aux principes généraux de la morale. Pour cons-
truix*e son édifice, Rucellai s'appuie sui' les découvertes de Galilée et
de ses disciples : les progrès des sciences physiques contribuent ainsi
à l'avancement de la philosophie.
Ce grand ouvrage mérite surtout une attention particulière, parce
qu'il nous dévoile le système philosophique de l'école de Galilée.
La première partie de la vie de cet homme célèbre se passa dans l'ob-
servation de la nature. La seconde moitié fut employée à combattre
contre les jésuites et k résister à l'inquisition. Son génie triompha de
tous les obstacles, mais la plupart de ses ouvrages périrent dans la
lutte, et, pour échapper à ses persécuteurs, il dut s'astreindre à ca-
cher ses plus sublimes conceptions. Nous ne voyons dans ses écrits
que ses découTertes et les traces de cette méthode scientifique qu'il ne
cessa d'inculquer aux savants. Mais, si nous savons qu'il considéra tou-
jo\u*s l'observation, l'expérience et l'induction, comme les instruments
de toutes les découvertes, nous ne trouvons nulle part l'ensemble de
ses idées philosophiques. Cependant il est impossible qu'un tel génie
ne se fut pas arrêté à ces grandes questions qui, depuis tant de siècles,
occupent l'humanité. D'ailleurs, il a dit lui-même, dans une de ses
lettres , qu'il avait étudié plus d'années la philosophie que de mois les
mathématiques. Seulement sa philosophie ne pouvait pas être celle des
écoles : il dut attaquer Aristote, et surtout il eut à combattre les péri-
patéticiens de son temps. Comment échappa-t-il à ce joug? Est-ce seu-
lement en se réfugiant dans le scepticisme qu'il put se soustraire au pé-
ripatétisme? Sans le savoir positivement, on l'avait cru par une espèce
de tradition , et il est probable que ses ennemis ont coopéré à cette
réputation de scepticisme ^. Un voyageur français , Monconys , cpii visita
^ La lettre ci-jointe, adressée par Galilée à Peiresc, en réponse à une lettre que
nous avons déjà fait connaître ailleurs, prouve que Galilée n avait nullement voulu
attaquer la religion dans son célèbre Dudogue, et qu*il n*avait fait que chercher la
vérité.
« lUustrissimo Signor e padron mip colendissimo,
«lo Bon poirei gÎMiiBMÎ <ob la penaa espiimere a Vostra Signoria lUusiriMiiiMi
À-
312 JOURNAL DES SAVANTS.
ritaiie , peu de temps après la mort de Galilée, paraît avoir puisé dans
ses conversations avec Viviani des renseignements qui confirmeraient
la hardiesse des opinions philosophiques du grand géomètre toscan.
On lit, en effet, dans Monconys, ce passage: «Le 6 novembre i6/i6, je
fus me promener avec \e S. Viviani, qui a été trois ans avec M. Ga-
lilée. Il me dit son opinion du soleil qu'il croyait une estoille fixe, la
il contento che mi ha arrecato la lettura dciroffiziosissima e prudentissima lettera
da lei scriUa in mia raccomandazione, délia quale il signof Raberto, mio parente
e padrone me nha mandato copia, che pur ieri mi fu resa. D piacere mio è stato,
ed è infmito ; e non perché io ne speri sollevamento alcuno , ma per scorgere in un
mio signore e padrone di si eccellenti qualité , con quanto tenero affetto compatisce
lo slalo mio, e con quali ardenti spiriti si muove a tentare con generoso, e insieme
moderato ardire , un' impresa che ha resi muti tanti altri bene afietti verso la mia
innocenza. E se i miei inforiuni m' hanno a fruttare di queste dolcezze, trovino pure
nuove raacchine i miei nimici, che io sempre gliene renderô grazie. Ho detto, li-
lustrissimo mio Signore, che non spero sollevamento alcuno; e questo perché non
ho commesso delitlo nissuno : polrei sperare , e oUener grazia e perdono, s' io avessi
errato , che i falli son la materia sopra la quale puo il principe escrcitar le grazie e
gV indulti ; dove che sopra uno innocentemente condennato convien , per coperta
d' aver iuridicamente operalo, mantenere il rigore; il quale (credami pure Vostra
Signoria Illustrissima , anco per sua consolazione) m* affligge meno di qud che altri
puo credere; perché due conforti m' assistono perpetuamenle : V uno é che nella
lettura di tutle Y opère mie , non sarà chi trovar possa pur minima ombra di cosa
che declini dalla pietà e dalla riverenza di santa Chiesa; 1 altro è la propria coscienza,
da me solo pienamente conosciuta intera, e in cielo da Dio; che ben comprende
che nella causa perla quale io patisco, molti ben più dottamente, ma niuno, anco
dei sanli Padri, più pîamenle, ne con maggior zelo verso santa Chiesa, ne in somma
con più santa intenzione di me avrebbe potuto procedere e parlare : la quai mia re-
ligiosissima e santissima mente, quanto più limpida apparirebbe, quando fussen)
e«poste in palese le calunnie, le fraudi, gli strattagemmi e gl' inganni che diciotto
anni fa furono usali in Roma per abbarbagliar la vista ai superiori? Ma ci è, al
présente, appresso di lei altre maggiori giustificazioni délia mia sincérité, che
per sua grazia ha letii i miei scritti, e puo in es«i ben aver compreso quai sia slato
il- vero e real molor primo, che solto simulata maschera di religione mi ha mosso
guerra, e che continuamente mi va assediando e trincerando in maniera tutti i passi,
che né di fuora mi possano venir soccorsi , né io posso più soiiire a mie difese ; es-
sendo espresso ordine a tutti gl' inquisitori di non permettere che si ristampi nis-
suna délie opère mie, già molti anni sono stampate, ne che silicenzi nissuna ch'io
volessi di nuovo stampare, tal che a me convîene non solamente soccombere, e ta-
cere aile opposizioni in si gran numéro fattemi in materie pure naturali per suppri-
mer la dottrina, e propalar la mia ignoranza, ma conviene inghiotlire gli scherni,
le mordacità e T ingiurie da genti più di me ignoranti temerariamente usatimi. Ma
voglio por fine aile querele, benchè appena ne abbia prodotto il principio ne voglio più
occupar Vostra Signoria Illustrissima , operturbarla in cosa di poco gusto; anzi devo
pregarla a scusarmi , se tratto da quel naturale sollevamento che gli afflitti hanno
nel discredersi talora con i suoi piu confidenli , son trascoreo con troppa liberté a in-
MAI 1843. 313
conservation de toutes choses, la nullité du mal, la participation à
l'âme universelle '. »
Ces idées, comme on le voit, sont très-hardies, et elles en font soup-
çonner d'autres encore plus audacieuses : mais appartiennent-elles bien
positivement à Gahlée? Le texte de Monconys nest pas clair; il peut
s appliquer également à Viviani et à Galilée. D'ailleurs, un homme qui,
à peine rentré dans son pays, s empressait de publier ce passage, qui
pouvait si gravement compromettre Viviani déjà soupçonné par les
jésuites, montrait une grande légèreté, et ne mérite pas une confiance
illimitée.
Quoi qu'il en soit de l'assertion de Monconys , les Dialogues philoso-
phiques de Rucellai paraissent souvent donner la substance des doctrines
de Galilée. Remarquons d'abord que Rucellai, qui cite très-fréquena-
ment ce grand philosophe , et qui , en rapportant les conversations de
son maître, témoigne toujours la crainte d'altérer sa pensée, vécut long-
temps avec lui^. Il avait quarante ans quand Galilée mourut, tandis que
fastidiiia. Restami a render^i con ï afletto de! cuore quelle grazie che con parole
non potrei mai render^i , dell' umano e pietoso uffizio da lei intrapreso a mio bene-
fizio , il quale ella ha cosi efBcacemente saputo porgere , clie se a me non avrà pro-
fittato, ben possiam.o esser sicuri, che non senzaqualche puntura e rimorso, avrà
tocco le menti che sendo di uomini non possono esser prive d* umanità. lo me glî
confermo ohligatissimo e devotissimo servitore. 11 Signore Dio ricompensi il merito
deir opéra caritatevole da lei usala : e con reverenle affetto me gl' inchino.
«D'Arcetri, li ai febbraro i635.
« Di Vostra Signoria Illustrissima,
€ Devotissimo e obbligalissimo servitore,
« Galileo Galilei. b
' Monconys, Voyages, Lyon, i665, 3 vol. inli\ t. I, p. i3o. — * Dans le Dia-
logo nom de la Villeggiatara Tihurtina , qui a pour objet l'étude des propriétés de
la lumière , on lit ce qui suit : t Ma ascollale ciocchè mi pare d' aver uedito una
voila dal signor Galileo intorno a si faite proposizioni , che il sole uell' oceano ap-
paia maggiore, non so se io mi ricordo bcne, sembrami ch* ei dicesso : puô anch*
essere che T immagiuativa faccîa caso , e che l' occhio usalo a vedere le cose da dis-
costo sempre minori, veggendo il sole da lontano eguale a quando lo vedea da vi-
cino si traporti ad un tratto col senso dell immaginazione a giudicarlo maggiore ,
ma e si cotale paiagli di vederlo nel modo che avviene di tulte le cose , le quali
veggendo uguali in disugual distanza, le più lonlane sogliono essere maggiorî.
Vedete, Signori mei, quand' io cito il signor Galileo, io tremo di paura, o di non
guastare cio ch' e gli ha proposto con tant le riserve e pronunziato con tanla chiarezza,
siccomo usato e gli era , o ch* io metta in bocca sua, per difetto di ricordanze , quelche
abbia detto un altro forse meno avveduto di lui , e che perciô patisca di grandi
opposizioni ; laonde mi dichiaro ora per sempre favellare ail' improvviso , che vuol
dire agevolmenie fallire, in modo che tulto quello che venisse detto di buono, ab-
4o
V
hi
*
314 JOURNAL DES SAVANTS.
Viviani, Torricelii, et les autres membres de cette grande école, ou
étaient fort jeunes, ou n avaient passé que très-peu de temps auprès du
maître lorsqu'ils le perdirent, ou ne lui survécurent que de peu d'an-
nées. D*ailleurs, ils étaiftit tous tellement préoccupés des grandes dé-
couvertes de Galilée dans la philosophie naturelle, qu'ils négligèrent la
métaphysique; peut-être môme craignirent-ils de s'attirer de tembles
persécutions en s'écartant en quelque point de la philosophie des Pères
de l'Eglise. Ce qui pourrait faire croire que ce fut là un des motifs qui
les éloignèrent de la philosophie rationnelle, c'est que Rucellai, qui
passa tant d'années à préparer à la philosophie un monument si remar-
quable, n'a jamais :^ongé à le publier, quoique sa fortune, très-considé-
rable , eût pu lui rendre facile l'impression de ces douze volumes. On doit
vivement regretter que ces dialogues n'aient pas paru, non-seulement
à cause des matières qu'on y traite, mais aussi parce que les Italiens,
qui se plaignent de ne pas avoir de grands modèles dans le style philo-
sophique , y auraient trouvé un exemple digne d'imitation. Rucellai ,
comme Galilée, comme Redi, comme tous les membres de cette illustre
école , était aussi excellent écrivain que profond penseur : ses écrits sont
placés parmi les ouvrages classiques par l'Académie de la Crusca.
Après avoir dit que le manuscrit original de ces dialogues se compose
de douze volumes in-folio, il est presque superflu d'ajouter qu'on ne
saurait en donner un extrait détaillé. Les titres seuls des dialogues, qu'on
suppose avoir eu lieu à Tusculum et qui forment la première partie , se-
raient beaucoup trop longs à transcrire. Il suffira de dire que Rucellai
examine d'abord, en huit dialogues, les doctrines des Sophistes et celles
de Thaïes , d* Anaximènc , d'Heraclite , d'Empédocle , de Parménide et d' A-
naximandre. Cet examen remplit le premier volume. Le tome second
contient huit autres dialogues , où l'on traite de la lumière et des ombres.
Le troisième et le quatrième volumes donnent, en seize dialogues,
un grand commentaire sur le Timée de Platon. Enfin, le dernier des
volumes qui portent le titre de Tusculum renferme vingt-quatre dia-
logues, qui ont pour objet la providence et le libre arbitre; ils con-
tiennent, en outre, une réfutation d'Epicure et une théorie des propor-
tions musicales suivant le Timée. Cette liste, fort incomplète, que nous
donnons en note avec plus de détail, doit faire comprendre toute l'im-
portance d'un pareil ouvrage^
biatelo da quel fonte , come che io non lo nomini , e ciocchè mi scappasse raale a
propo9ito, avvegna chè per suo v' el vendessi. » — * Dialogo i', contro i sofisti. —
a*, Talete Milesio, acqua. — 3% Anassimene, aria. — 4', Eraclito, fuoco. — 5% Em-
pedocle, qualtro elementi. — 6% Parménide, une etemo. — 7* et 8*, Anassimandro,
^-
MAI 1843. 315
Nous lavons déjà dit : le caractère spécial de ces dialogues, c'est l'ex-
position des découvertes modernes à propos des travaux des anciens
philosophes. Cette exposition est amenée par l'auteur avec beaucoup
d'art , et la forme de dialogue se prête volontiers à ces digressions. On
y trouve une foule de faits et d'observations qu'on chercherait vaine-
ment ailleurs. Les souvenirs et les conversations de Galilée, souvent
rapportés par Rucellai, répandent un charme spécial sur tout l'ouvrage ^
liC fond de cette philosophie, c'est un platonisme modifié par les dé-
couvertes de Galilée, qui est une fois même qualifié de Platon moderne.
Est-ce là une allusion au système embrassé par Galilée? Il est difficile
de l'affirmer. Ce qu'il faut remarquer, c'est qu'au xv* siècle comme au
xvn', la Toscane voulut s'affranchir du joug du pcripalétisme, ctqu9,du
temps de Marrile Ficin comme à l'époque de Rucellai, bien des personnes
n'échappèrent à Aristote qu'en s'enrôlant sous le drapeau de Platon.
Si , en rendant compte du remarquable travail de M. Antinori, nous
nous sommes arrêté particulièrement à un auteur qui n'entrait pas spé-
cialement dans son cadre , et qu'il a dû se borner à citer avec honneur,
c'est que nous avons pensé que l'annonce d'un grand monument inédit
de la philosophie italienne serait reçue avec quelque intér?t, et qu'il
n'était pas inutile de montrer que les plus illustres novateurs dans les
sciences, que les fondateurs de la philosophie naturelle avaient longue-
ment médité sur les questions sublimes que l'homme et l'univers offrent
aux esprits élevés. G. LIBRI. #
infinito. — 9", lo*, ii% iî% Luce. — i3% i4*» Colori. — i5% Zenone e allri. —
16', ^nofonte. — Timeo, Dialogo i*, de* principj délia natura. — a". Délie idée.
— 3", Seguono le idée. — A", Anima del mondo. ^ 5**, Se ranima del monde Âa
Iddio. — 6", Segue fanîma deli' universo secondo Platone. — 7", Segue sopra la
raedesiuia maleria. — 8*, Se l'amor sia Tanima del mondo. -^ g', Dell* anima ra-
zionale. — 10'', Segue dell' anima razionale. — 1 1"", Segue V immorlaiità dell* anima.
— 12", Segue V immortalité deil* anima. — i3*, Segue 1* immortalità dell* anima.
— lA** Segue il Timeo sopra Tanima universale. — i5°, Segue il Timeo dell* uni-
verso. — 16", — i'. Délia Providenza contro Epicuro. — a', Segue la Provideoia.
— 3% Délia Providenza, del caso. — 4% 5', 6', 7°, S\ 9% 10", Segue la Providenia.
1 1", 12', i3*, Segue la Providenza conlro Epicuro di mali. — r4*, Segue la Provi-
denza del donc délia ragione. — 5', Segue la Providenza dellà liberlà , del foto. —
16**, Délia Providenza che Dio ci sia. — 17", 18*, 19**, Délie musiche proporzioni
«econdo il'Timeo. — ai', aa', a3', ai*, Applicazione délie musiche proporzioni. —
* En voici un exemple curieux, tiré du dialogue intitulé Xenofonte : t Anzi il Gali-
leo diccva in si fatlo proposito, sarebbe bella che u grappol d* uva veggendo il sole
iutlo irapiegalo a formarlo nelle sue parti , si deva a credere ch* c non potesse ap-
plicare alla formazione di altre cose , cosi di noi pensando che 1* au tore délia na-
tura solo a noi attenda al nostro mondo , e non aobia potuto creare , e si non poata
badare al reggtmento d'altrt mondi che queato. »
316 JOURNAL DES SAVANTS.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
INSTITUT ROYAL DE FRANCE. ^
ACADÉMIE DES SCIENCES.
M. Lacroix, membre de F Académie des sciences, et Tun des assistants du Journal
des Savants, est mort à Paris le a 5 mai.
Ses funérailles ont eu lieu le 27 mai. Des discours ont été prononcés par M. Libri,
au nom de T Académie des sciences; par M. Despretz, au nom de la faculté des
sciences, et par M. Binet, au nom du collège de France. Nous donnerons dans
notre prochain cahier quelques extraits de ces discours.
ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
L* Académie des sciences morales et politiques a tenu, ie samedi 27 mai, sa
séance pubMque annuelle , sous la présidence de M. le comte Portalis. Après le dis-
cours d ouverture , prononcé par le président , la proclamation de la décision de
l'Académie sur les prix proposés , et Tannonce des nouveaux sujets de prix mis au
concours, on a entendu la lecture d'une notice sur la vie et les travaux de M. Dau-
nou, par M. Mignet, secrétaire perpétuel.
PRIX PROPOSES.
Concours de iSâû. L'Académie rappelle que, sur la proposition de la section de
philosophie, elle a remis au concours pour l'année i8Â4 le sujet de prix sgjvant :
Examen critique de la philosophie allemande, (Voir, pour le programme, notre cahier
de mai i84o.) Le prix est de i,5oo francs. Les mémoires devront être parvenus
avant le i" septembre i843.
L'Académie rappelle également que, sur la proposition de la section d'économie
politique et de statistique, elle a mis au concours de iS^il un prix de i,5oo francs
sur la question suivante : « Rechercher : 1* quels sont lestnodes de loyer ou d'amo-
diation de la terre actuellement en usage en France; a* à quelles causes tiennent
les différences qui subsistent entre ces modes de loyer et les changements qu'ils
ont éprouvés ; 3" quelle est l'influence de chacun de ces modes de loyer sur la pros-
périté agricole. »
Les mémoires devront être déposés à l'Institut, le 1" septembre i843.
L'Académie rappelle encore que , sur la proposition de la section d'histoire géné-
rale et philosophique, elle a remis au concours de i84^ un prix de i,5oo francs
sur ce sujet : «Retracer l'histoire des états généraux en France, depuis i3oa jus-
qu'en i6i4- Indiquer le motif de leur convocation, la nature de leur composi-
tion, le mode de leurs délibérations, l'étendue de leur pouvoir. Déterminer les
différences qui ont existé, à cet égard, entre ces assemblées et les pariements
d'Angleterre , et faire connaître les causes qui les ont empêchées de dievenir, comme
-A
»
> jMAI 1843. 317
ces derniers , une institution régulière de l'ancienne monarchie. » Le terme de ce
concours est fixé au 3o septembre i843.
Concours de i8à5. Sur la proposition de la section de morale, TAcadémie remet
au concours de Tannée i845 im prix de i,5oo francs sur la question suivante :
« Rechercher quelle influence les progrès et le goût du bien-être matériel exercent
sur im moralité d'un peuple. Programme : Que tous les hommes et tous les
peuples aspirent au bien-être matériel et travaillent à se le procurer, c'est là une
loi générale de l'humanité , commune à tous les pays , à tous les temps , à tous les
états sociaux, et dont il est inutile de rechercher soit la cause, soit les effets ; mais
la diffusion universelle du bien-être, Famour singulier qu'en éprouve le plus
grand nombre, la tendance des âmes et des intelligences à s'en préoccuper exclu-
sivement, l'accord des particuliers et de l'Klat pour en faire le mobile et le but
de tous leurs projets, de tous leurs efforts, de tous leurs sacrifices, voilà ce qui
n'a pas toujours existé et ce que l'on peut considérer comme l'un des traits prin-
cipaux des sociétés modernes ; c'est un phénomène moral que l'Académie a jugé
digne d*èlre étudié. Il n'est nécessaire ni de blâmer ni de louer le goût du bien-
être matériel ; il s'agit d'apprécier les conséquences de son développement et des
passions qu'il fait naître. Ce développement ne saurait s* accomplir sans influer sur
les mœurs de tous, et il engendre des «jentiments généraux ou individuels qui,
bienfaisants ou nuisibles, deviennent des principes d'action plus puissants peut-être
3u'aucun des sentiments qui, en d'autres temps, ont dominé les hommes. L'Aca-
émie désire que Ton recherche les conséquences de cette tendance pour la mora-
lité des individus et de la société elle-même. > Le terme de ce concours est fixé au
3o septembre i844-
L'Académie met au concours de la même année i845, sur la proposition de la
section de philosophie , le sujet de prix suivant : Théorie de la certitude. Programme.
« 1** Déterminer le caractère de la certitude et ce qui la distingue de tout ce qui
n'est pas elle. Par exemple , la certitude et la plus haute probabilité se confondent-
elles? 2"* Quelle est la faculté ou quelles sont les facultés qui nous donnent la cer-
titude? Si on admet qu'il y a plusieurs facultés de connaître, en exposer avec pré-
cision les différences. S"* De la vérité et de ses fondements. La vérit^lést-elle la
réalité elle-même , la nature des choses tombant sous la connaissance de l'homme,
ou n'est-elle qu'une apparence, une conception arbitraire ou nécessaire de notre
esprit ? 4"* Exposer et discuter les plus célèbres opinions anciennes et modernes sur
le problème de la certitude , et les suivre dans leurs conséquences théoriques et
pratiques; soumettre à un examen critique approfondi les grands monuments du
scepticisme , les ouvrages de Sextus , de Huet , de Hume et de Kant. 5° Rechercher
quelles sont, mal^é les attaques du scepticisme, les vérités certaines qui doivent
subsister dans la philosophie de notre temps. » Ce prix est de la somme de i.5oo fr.
Les mémoires devront être déposés au secrétariat de l'Institut, le 3o août i845.
La section de législation, de droit pubUc et de jurisprudence avait proposé, pour
être décerné dans cette séance, un prix de i,5oo francs sur le sujet suivant : a Ex-
poser la théorie et les principes du contrat d'assurance; en faire l'histoire, et dé-
duire de la doctrine et des faits les développements que ce contrat peut recevoir, et
les diverses applications utiles qui pourraient en en être faites , dans l'état de pro-
grès où se trouvent actuellement notre commerce et notre industrie. » Aucun des
quatre mémoires envoyés n'ayant mérité le prix, l'Académie a prorogé ce concour.s
au i'' novembre i844t époque à laquelle les mémoires présentés devront être dé-
posés au secrétariat de l'Institut.
4
:il8 JOURNAL DES SAVANTS. J*.
L'Académie rappelle qu'elle a mis au concours pour i8&5, sur la proposition de
la section d'économie politique et de statistique, le sujet de prit suivant : iDéler'
miner les faits généraux qui règlent les rapports des prolita a*ec les salaires , et en
expliquer les oscillaliong respectives. • Ce prix est de in somme de i ,5oo francs. Le
terme du concours est fixé an 3o septembre i&^à.
L'Académie rappelle égalemcut que, sur la proposition de la section d'histoire
générale et philosophique, elle décernera . dans sa séance de i&àb, un prÎK de
1 ,5oo fi'ancs au meilleur mémoire sur la question suivante, proposée par la section
d'hisloire générale et philosophique : 'Faire connaître la formation de l'adminis-
Iralion monarchique, depuis Philippe-Auguste jusqu'à Louis XIV inclusivement;
marquer ses progrès; montrer ce qu'elle a emprunté au régime féodal, en quoi elle
s'en est séparée, comme elle l'a remplace. • Le terme de ce concours est Uxé au
■to septembre i84i.
Le prix quinquennal de 5,t>oo francs, fondé par M. le baron Féhx de Beaujou,
devait êlre décerné, dans celle séance, au meilleur mémoire sur la question sui-
vante : ■ Ilecliercher quelles sont les applications les plus utiles qu'on puisse faire
du principe de l'association volontaire et privée au soulagement de la misère. > Au-
cun des mémoires envoyés n'ayant été Jugés dignes du pi-ix, l'Académie met de nou-
veau la même question ou concours pour l'année 1 84^. Les mémoires devront être
déposés BU secrétariat de l'Institut avant le 3o septembre i84â.
Concours de i8U6. L'Académie met au concours , pour être décerné , s'il y a heu ,
dans sa séance de 1866. le sujet de prix suivant, proposé par la section de morale :
• Rechercher et exposer comp.irativemeiit les conditions de moralité des classes
ouvrières agricoles et des populations vouées à l'industrie manufacturière. ■ Ce prix
est de la somme de i.5oo francs. Les mémoires devront être déposés au secrétariat
de rinslilul, le '60 septembre i8i5, terme de rigueur.
LIVRES NOUVEAUX.
, FRANCE.
Loi saliqae, ou recueil contenant les anciennes rédactions de cette loi et le texte
connu sous ie nom de Les emendnla^ avec des noies et des dissertations par
J. M. Pardessus, membre de l'Institut. Paris, imprimé, par autorisation du Roi, à
l'Imprimerie royale, i8i3 (se trouve à Paris chei Aug. Durand, Lbraire. rue des
Grè.s, n" 3). — In-i' de LXïx-ySg pages. — Les anciennes coutumes des Francs
connues sous le nom de Loi salique ont été l'objet de nombreux et savants travaux .
depuis la première publication qu'en a faite du Tith'l, vers le milieu du xvi' siècle.
jusqu'à la dernière édition publiée en Allemagne par M. Feuerbach, en i83i. Mais ,
pour réunir les différents textes imprimés, il fallait rassembler un ^rand nombre
d'ouvrages volumineux et pour la plupart très-rare». D'ailleurs ces publications
multipliées, dont quelques-unes sont de simplos réimpressions, ne constituaient
pas une édition vraiment com[Jéte de la Loi salique. L'utilité de l'important travail
entrepris par M. Pardessus ne saurait donc être contestée, et l'érudilion avec la-
quée il vient d'accomplir celte tàcbe si laborieuse et si difficile sera certainement
appréciée par les juges compétents. Dans une préface étendue, le savant acadé-.
micien, après avoir exposé le plan de son recueil el énuméré les diverses éditions
de la Loi salique, donne une description délaitléc de soixante-cinq manuscrits de
celle loi dont il a eu connei.'^sance, el p,irmi lesquels il a reconnu sept familles de
MAI 1843.
319
lexles OH réclaclions dilTérenlcs cjuil a jugé indispensable tic publier séparément.
Les quatre premierB de ces textes, accompagnés des gloses tnalbergiques , coin-
prennenl les plus anciennes rédactions de la Loi salique. M. Panit^sus les puDio
d'après sept tnannscrit s de ta Bibliothèque du lioi et un manuscriLdela bibliolbèque
de la faculté de médecine de Montpellier. Comm» appendice a ces quatre telles il
donne ensuite celui d'un manuscrit de Woifenbutlel qu'Eccard avait publié d'une
manière défectueuse, et celui d'un manuscrit de Munich qui a servi k M. Feiier- gr
bacb pour sa récente publication. Ces six rédactions . auxquelles l'édileur a joint la.J
leçon imprimée par Herold eo i 55^, d'après un document qui n'est pas connu .
sont antérieures nu règne de Cbarlemagne. L'éditeur les a fait suivre du texte connu
des savants sous le titre de Lcx reformata, lex à Caivto marjno emendata. 11 existe
de 3k(le rédaction un grand nombre de copies. M, Pardessus a choisi celle qui lui
a paru mériter le plus de confiance, en y ritl tachant les principales variantes des
autres manuscrits. On trouve ensuite, sous le litre de Capila cxlravaguntla , des
additions, sans caractère authentique, quoique présentées, dans quelques manus-
crits , comme faisant partie de la }.ex lulica. Les derniers textes de la collection sont
les prologues et l'épilogue de la Lui salique et deux résumés des compositions pour
crimes et délits, connus sous les noms de SE[ilem septennas et de Reeapitalalio
lolidoram. Mais M. Pardessus ne s'est point borné à donner une édition coiTecle el
complète de la Loi salique. Il l'a expliquée el commentée dans des noies nom-
breuses, à ia suite desquelles il a placé quatorze dissertations sur les points les
plus remarquables du droit privé des Francs sous la première race. Ces disserta-
lions , qui ajoutent beaucoup au prix de ce grand travail , formeraient à elles seules
un ouvrage considérable. M. Pardessus y iraite successivement de la rédaction du
la Loi salique et de sesdifTércnles révisions, du droit que chacun avait, dans l'em-
l^e des Froncs, d'être jugé par sa loi d'origine; des personnes libres considéré»
danslèlal de famille; de» hommes libres d'origine barbare considérés dons leur état
politique; de lo vassalité: de l'étal des Homains el de l'esclavage d'après la Loi s.i-
lique; de la propriété foncière d'après la légûlation des Francs; de l'organisalion
judiciaire, de ia procédure devant les tribunaux, des différents modes de preuves,
des compositions pour les crimes cl les délits , de la législation du mariage cl de la
li^gislalion de» successions chez les Francs,
Caasenes et Méditations hisloriqaet et Vtlérairts,, par M, Charles Magiiin, Paris,
imprimerie de P. Renouard, librairie de B. Duprat, i843, a vol. in-8* de xii-5o6
el53S pages. — Les iravaux de la critique moderne, deux, du moins . qui ont exercé
une inlluence incontestée sur les idées contemporaines, paraîtraient dignes d'étrtr
recueillis comme des documcnis indispensobles pour l'élude de l'hisloire littéraire
du XIX' siècle, lors même qu'on n'adopterait pas toutes les opinions qu'ils ont coii-
Iribné ii répandre. A ne considérer que soua ce jioinl de vue les remarquableii
articles publiés par M. Magnin depuis vingt ans, d'abord dans le Globe et dans
le National, cl plus tard dan^ ]a Revue des Deux-Mondi
prouver l'aulcur de les avoir réunis dans ces deux volumes. N<
leurs, que M. Magnin n'aura point à se repentir d'avoir soun
premiers travaux au jugement du public , el que sa réputation ,
comme critique, ne pourra qu'y gagner. L'auteur explique ainsi
qu'il a donné à ces roéJangei : • Les articles extraits du Globe
sont pour la plupart que de pures improvisations, derapid
c des lecleurs presque quotidiens, de véritables
pourrait qu'up'
I croyons, d'ail-
de nouveau ses
mme écrivain el
li-méme le litre
du National ne
conversations engagées
'A
u contraire, plus étendus, plusmrfrfif^i, composés dans des conditions de puUicilii
|L,320 JOURNAL DES SAVANTS.
" motni hâlite. onl paru appeler une dénoininalion plu» grave. ■ Tous ces articles
iODt reproduiU satu aucun changement pour le fond des opinions , mais M. Magnin
s'est alluché à en perfeclionner la forme. Les matières qui compoaenl ce recueil se
divisent en deux séries. Le premier volume contient ce qui est relatif à l'histoire
et à la littérature de notre pays. On y trouve vingt-trois morceaux, parmi lesquels
on remarque d'inléressantes appréciations des œuvres de Luce de Lancival. de
Parseval-Grandmaison . de Paul-Louis Courier, de MM. de Chateaubriand, Victor
Hugo, Vitet, Mérimée. Alfred de Vi^ny, Edgar Quinet. Dusillet, Valéry, de Sis-
mondi et Augustin Tliierry, et une dissertation sur les révolutions de l'art au moyen
Age, à l'occasion de la statue de la reine Nanléchildc. L'auteur a réuni dans le se-
cond volume ce qui se rapporte plus particulièrement à l'élude des lillérature»
étrangères. Les morceaux appartenant à celte dasse sont au nombre de quarutte
et un. On rehra surtout avec un vif iniérél une série d'études sur le ihéùtre anglais , à
(' occasion des représentations données à Paris par les comédiens anglais en 1837 et
i8a8; une ¥ie de Camoens, reproduite avec de nouveaux développements, et des
recherches sur le théâtre et la Hltérature en Portugal et au Brésil. Le volume est
lermiué par trois articles que M. Magnin a publiés dans le Journal des Savants
(Juillet et décembre iS^i et mai 18^3 J : les deu\ premiers sur la Chi'onique de
Guinée et le troisième sur les romans et le théâtre à la Clûne. Ces mélanges ne
comprennent point les nombreux articles que M. Magnin a consacrés, pendant
plusieurs années , dans le Globe et ailleurs , à l'examen des nouveaulés de la sccnA
française; l'auteur se propose d'en faire robjel d'une publication à part.
Paléographie anivertûtle, collection de fac-similé d'écritures de tous les peuples
et de tous les temps, tirés des plus authentiques documents de l'art graphique,
chartes et manuscrits, existant dans les archives et les bibliothèques de France,
dlltalie. d'Allemagne et d'Anglelerre , publiés d'après les modèles écrits, dessinés
et peints sur les lieux mêmes par M. Silvestre, et accompagnés d'explications his-
toriques et descriptives par MM. Champollion-Figeac et Aimé Cbampoltion hls.
Deuxième édition. Paris, imprimerie de F. Didot frères, i843, à vol. in-fol. —
Cette seconde édition est publiée en 5o livraisons , composées de 6 planches et du
texte explicelif. Le prix de chaque livraison coloriée est de 3o francs, et en noir de
10 francs. Les éditeurs vendent séparément chacune des huit parties de la Paléo-
graphie universelle , savoir : les pidéographies orientale , grecque , latine , italienne
et espagnole, française, anglo-saxonne, slavonne et allemande.
TABLE.
Boïue des éditious de Buffon ( 1" arlieie de M. Floureni] Page ii57
AnLichi monumenti sepolcrali scoperti np\ ducalu dl Ccri , didiiarmï dal cav- P. S.
Viscoiili. — Descriiione di Cerc anlica. ed in parlicoUre de! moDuinenlo se-
[)olcrale »cap«rlo nell' anno 1836, dell' architcllo cai. L. Canïna. ~- Modu-
moiili di Ccrc anticn, dal ««. L. Grifi (1" article de M. Raoul-Kochctte].. . . 268
Nouveaux documODls inédits sur le P. André et sur lu persécution du Cartésia-
nisme dans la compagnie de Jésus (3' article de M. Cousin) 287
Essais d'expériences faites è l'Acadéniie de.l Cimcnto [4' article de M. Libri ). . . , 308
Nonvellei lilt^rairw 3IC
oji-m
JOURNAL
DES SAVANTS
JUIN 1843.
Explication de trois inscriptions trouvées à Philes, en Egypte.
PREMIER ARTICLE.
Dans les cahiers de novembre et décembre derniers , j*ai fait connaître
et expliqué plusieurs inscriptions découvertes dans cette île célèbre. Peu
importantes par leur objet , puisqu'elles ne contiennent qu*un acte d'a-
doration (7rpoa-xvi;i;/xa) en l'honneur dlsis , elles offrent, dans un mot ou
deux, des indications d'un grand intérêt pour l'histoire et la chronologie.
C'est le caractère qui distingue la plupart des inscriptions grecques trou-
vées en Egypte, et qui leur donne une importance que, de prime
abord, on serait loin de leur soupçonner.
Je pense qu'on trouvera ce genre d'intérêt dans les trois inscrip-
tions que je vais faire connaître, relatives à l'époque romaine, et re-
marquables chacune par un fait curieux , de nature différente.
I.
Inscription du temps d'Auguste, qui fait connaître un mode particulier de compter
les années du règne de ce prince.
Cette inscription a été publiée d'abord par M. Hamilton \ qui en
avait séparé les sept premières lignes des six dernières, de manière
' Mgyptiaca, etc. p. 5a.
ài
322 JOURNAL DES SAVANTS.
qu'on ne pouvait soupçonner quelles formassent toutes une même ins-
cription. Cest à M. Lenormant et à sir Gardner Wilkinson que j*en dois
la connaissance complète (elle avait totalement échappé à la diligence
de M. Gau). La voici d'après les trois copies combinées.
rAioclOYAiocnAneiocenAPXoc vatos io<iXios némstoç évap^cos
HK(i)IKAinP0CK6KYNHKATHNKYPI ^xeo, xai Trpotrxsxivrjyia rifv xvpi^
ANICINCYNIOYAIGJITGJIYIGJIKAIY av ïaiv,<TÎtv lo^Xito tû5 viéô, xai d-
nePrAIGJNOCTOYNeOJTePOYYlOYe irèp ValeovosTov veûô^épov viov [é-
5. TIACKAICYNTOICOIAOICKAICYN rt U xai erOvrofe (^{kois xai<Tvv-
AnOAHMOICCYMMAXGJieYMeNei airohriiiots ^rjfifiàxo), Evfiévet,
AnOAAGJNIGJXAPHTOCKAlYIGJIAneAAAI ÀttoXXwv/w Xàprrri>s, xai mâ> ÀTreXXdt
KAlAniGJNI KAI AICM KAI xai kirlcovi xai ^y<T[i]iJ^[ix^] xd [toiV]
K6NTOPI(i)CAPOY<Da3AHMHTPINirP(i)l xemopitant Po{i(p«, ^rjiirfrplcf) , mypœ ,
10. OYAAePIGJIAABYGJNITePeNTIGJI OvaXeplco, \a€<iâvt, Tepevriù),
NIKANOPIBAP(i)NATIKAIT(i)NnAIAA ^txàvopi, Bapcovàrt) xai rewv iratZa-
PI(i)NMOYnANT(i)N p/«f fJ^o^ -KàvTwv
L K TKAieOAM Â L. K rôti xai~e <pa[i[svée] Â
«Moi, Caîus Julius Papius, commandant (de légion), je suis venu et j'ai adoré
la maîtresse Lsis , avec Julius mon fds , et pour le salut de mon fils plus jeune Caïon
(de plus, avec mes amis el compagnons de voyage, Symmaque, Eumène, Apollo-
nius fils de Charès et son iils Apellas , avec Apion iils de. ... et Lysimaque , et avec
les centurions Rufus, Démétrius, Niger, Vaiérius, Labéon, Térenlius, Nicanor,
Baronasj, et pour celui de tous mes enfants.
«L*an XX, qui est aussi Tan v, de phaménoth le 3o. »
Ce n'est là, comme on voit, qu'un simple proscynème fort ordinaire;
mais ie trait de la fin contient un fiiit chronologique des plus curieux.
Avant d'y arriver, je vais présenter quelques observations de détail.
Ligne l'\ Des leçons HAneiC (Ham. Len.) et HANCIOC (Wilk.), je
lire riAneiOC, PAPIUS, nom romain bien connu. On sait que, dans les
inscriptions de l'époque romaine, la syllabe El remplace non-seulement
ri long, mais aussi quelquefois l'I bref, quoique plus rarement ; ainsi
TEITOZ pour TITVS^ HEIOZ pour PIVS^, AIONYZIAAEI poiu* AIONY-
ZIAAI 3, EniOANEIOZ pour Eni<t)ANIOZ\ Ce Caïus Julius Papius est
' Corp. inscript, n" 353. — * Ibid. n" 1242. — * Osann, Sylloge inscript, grœc.
p. 435. — * Inscription de Philes, dans mon Recueil, t. II, p. 18a (sous presse).
JUIN 1843. 323
très-probablement le fils de Calus Papius, tribun du peuple, auteur de
la loi Papia , qui ordonnait aux étrangers de sortir de Rome et aux al-
liés du nom latin de retourner dans leurs villes ^ Cette loi fut rendue
en 689 de Rome, ou 65 avant notre ère; la date du proscynème de
Caïus Julius Papius étant, comme on le verra tout à Theure, de l'an
728 de Rome, ou 2 5 avant notre ère, nest séparée de celle de la loi
que par un intervalle d'environ quarante ans. L'auteur de ce proscy-
nème peut donc avoir été le fils du tribun Caïus Papins.
Maintenant que faut-il entendre par le mot ënap^os [prœfectas], em-
ployé d'une manière absolue? Ce doit être ou le préfet d'Egypte, ou un
chef militaire commandant la haute Egypte; on peut facilement se dé-
cider par cette considération, qu'en Tannée 2 5 avant Jésus -Christ le
préfet d'Egypte se nommait C. Pétronius. Cette raison est péremptoire.
Le mot Snapxos ne peut donc ici désigner qu'un chef de légion ou de
cohorte, soit qu'il ait été suivi d'une désignation qui aura disparu, et,
en effet, sur la copie de M. Hamillon, on voit des points qui indiquent
une lacune; soit que le mot ait été employé d'une manière absolue,
le sens devant résulter naturellement de la mention des centurions qui
accompagnaient le chef. Nous verrons plus bas que ce ne peut pas être
un chef de cohorte (;ti>/apx,o^).
Lignes 3 et 4. Caïus Julius Papius avait avec lui son fils Julius (Pa-
pius). Un autre de ses fils, plus jeune, appelé Caïon ou Gaïon (Fa/ow),
absent, est compris dans l'acte religieux du père, qui le fait à son in-
tention. Le nom de FaiW est remarquable : c'est un dérivé de Faiof
(Gaïus), comme ^apanioûv l'est de ^dipairtç, Airiœv de ÀTrif , et autres
noms en œv, dérivés de celui d'une divinité. Ainsi Caîas, prénom de
César, est ici traité comme le nom même de Cœsar, dont on avait
fait Kaiaapioûv , le fils de Cléopâtre et de César. Je crois cet exemple
du nom de Faioûv jusqu'à présent unique ; il a dû cependant être
plusieurs fois employé , puisqu'on connaît , dans une inscription de
Khardassy ( n"* 28), l'exemple de Faioûvas, qui n'en doit être qu'un
dérivé sous la forme alexandrine , comme Qecûvàs (dérivé de Séoûv),
S.eci)vas (de Xécûv), etc. Papius était accompagné, en outre [hiSèxal),
de SIX personnes , qu'il qualifie à!amis et de compagnons de voyage
[<ptkoi xai (TvvanôSrjfxôt), Ce dernier mot annonce qu'ils étaient venus
"vec lui en Egypte, profitant de l'occasion qui donnait à leur ami un
ommandcmcnt en Egypte. Ds le suivirent au lieu de sa destination
^ Dio Cassius, xxivii, /|6; ibiq. Reimar.
i .
324 JOURNAL DES SAVANTS.
dans la Thébaîde. Deux seub de leurs noms sontaccompagnés de celui
du père, Apollonius fils de Charès, et Apionfils de... car cette lacune doit
être remplie par un patronymique. On peut donner deux raisons de
ce que Caïus Julius Papius na indiqué que le nom du père d'Apol-
lonius et d*Apion : ou bien il ignorait comment s appelait le père des
trois autres, ou bien, ayant pour amis plusieurs Apollonius ou plusieurs
Apion, il a voulu distinguer ceux qui raccompagnaient par le nom
du père de chacun d'eux. Le fils d'Apollonius se nommait Apellas,
À7re>Xa^ , au datif A7re»jt ( AflGAAM ) ; il ne serait pas impossible
qu'une lettre eût disparu à la fin, et que Papius eût écrit MIGAAATI
[k.TreXXaTi)y leçon peut-être plus conforme à l'usage égyptien, dont
j'ai cilé beaucoup d'exemples ^; mais je m'en tiens à la leçon des trois
copies. Dans les monuments de l'époque romaine , le nom d'Apella ,
en grec k.7reXXa$ , est fi:équent , surtout pour désigner des affranchis ;
et, selon la remarque de Scaliger et de Bentley, dans le Credai ja-
dœus Apella d'Horace^, il faut voir, non un circoncis, comme le dit
le scholiaste ( nomen fictum a defecta prœputii) , mais un juif du nom
grec d'Apellas [kireT^^as), auquel Horace a donné la désinence latine,
Apella.
Ligne 9. Le mot K€NTOPI(i)CA (Len.) ou K€NTOPI(i)C (Wilk.) ne
peut être que xevroplaxn ou xevToplctxrtv, il indique que les noms qui
suivent désignent des centurions. L'absence de l'article devant xevToplœai
annonce qu'il s'agit de quelques centurions, et non de tous les centurions
qui étaient sous les ordres de Papius. Ces officiers sont au nombre de
huit; et, comme il n'y avait que six centurions dans chaque cohorte,
c'est une raison de croire que Papius était un chef de légion. On connaît
plusieurs exemples de ce mot latin grécisé, à la place de éKaTovrdpxnf ^.
Il me semble qu'il n'y avait que le chef lui-même qui pût ainsi désigner
les officiers qui relevaient de lui , sans autre explication du corps auquel
ils appartenaient; il pensait qu'on l'entendrait facilement. Papius était
donc venu rendre hommage h la déesse, accompagné par plusieurs de
ses officiers. Quant au nom de ceux-ci, il en est cinq de romains,
Rufus, Valérius, Labéon, Térentius et Niger, et trois de grecs, Démétrius,
Nicanor et Baronas, ce dernier, grec au moins par la désinence. Le nom
de Labéon est écrit AaSvcjv, ce qui en rappelle l'étymologie, à labiis. En
* Recaeil des inscriptions grecques de VÉgvpte, t. II, p. 55 ( sous presse). — * Ben-
dey, Epistola ad Millium, p. 77-81, ad calcem Malais. — ' Recueil des inscriptions
grecques de VÉgypte, 1. 1, p. 4i8, n. 1.
JUIN 1843. 325
effet, Verrius Flaccus, cité par Charisius, donne Labio comme ayant
élé autrefois employé dans le sens de Lahiosus. Ce nom propre doit
avoir eu aussi la forme Labio; cest cette forme que nous rend le
AaSicûv (ou A.a€vck)v en vertu de l'iotacisme) de Vinscription. Labio ou
Labeo (fhomme aux grosses lèvres) des Romains répond au XetXojv des
Grecs.
•Fai dit que le nom de Bap«v& nest grec que par sa terminaison;
en effet, il ne peut être quun dérivé du mot latin Baro [onis), qui si-
gnifie homme stupide ou imbécile, Cest un de ces singuliers surnoms que
les Romains adoptèrent sans difficulté, quoiqu'ils exprimassent des vices
ou des difformités physiques, tels que Naso, FrontOy Simus, Latro,
Asinay Bibulas, Bestia, Scato, etc. Baro est de ce genre, et les Grecs en
ont fait hapcjvis [Stos), comme de FaiW, Touo)vas. Nous avons aussi
Le bègue, Le borgne, Le bossu, et autres de ce genre. On remarquera
qu'aucun des noms romains n a de prénom; Papius aura voulu , sans
doute, économiser le temps et la place.
Il est étrange qu'après tous ces noms au datif, dépendants de otJv, se
présente le génitif xa) râv itcuSaplcûv (lov irdvTCJv. Je pense que Papius ,
après avoii' énuméré tous ses compagnons, se sera ravisé; il n'avait, au
commencement, fait de vœu que pour ses deux fils, dont l'un l'accom-
pagnait; en finissant, il désire étendre son vœu à d'autres, qu'il ap-
pelle ses 7ratS(ipia\ il met ce mot au génitif, dépendant de ùnépy sous-
entendu, comme disent les gi'ammairiens , ânh xoivov, étant séparé du
premier vvép par une grande parenthèse : virèp Talcavos [hi Se
xai avv ^apoûvan ) xai t(Sv natSotp, Qu'entend-il par ses itaiSapta ?
Ce sont ses autres enfants, encore en bas âge, qui ne l'avaient pas suivi
dans son voyage. Je ne puis croire qu'il désigne ici les esclaves de sa
maison , et , à dessein , par un diminutif caressant.
Je viens maintenant à la date de l'inscription , exprimée dans la der*
nière ligne. J'ai dit que cette date était celle de fan 26 avant notre ère.
En voici la preuve :
Des diverses variantes IKTKA 164) AMÂ (Ham.); LRTKAI€<t)AAÂ (Len.);
LKTKAfe^AM^'Â (W), je tire la leçon LKtKAÎë<t)AMÂ, c'est-à-dire
Lvxd&xvroç etKoaroij toS xa) néiÂirrov, (^afievèO^ Tpiaxo<nfi. «L'an xx, qui
qui est aussi l'an v, de phaménoth le xxx. » C'est là cette double ex-
pression d'une année de règne que l'on trouve sous les règnes simultanés
de Philométor et d'Évergète , de Cléopâtre et de Ptolémée Alexandre ,
' On connaît beaucoup d'autres exemples de noms de mois mis en abrégé.
326 JOURNAL DES SAVANTS.
de CJéopâtre et d'Antoine. La lecture étant certaine, il reste à savoir
ce que ce passage signifie.
Il est évident que le prince dont l'année est exprimée ici ne peut
être qu'un empereur romain. La présence des noms ou prénoms,
Caîas, Jalias et Caion, annonce une* époque voisine de César ou d'Au-
guste.
La double expression Van xx qui est aussi Van v indique un règne
dont les années ont pu être comptées de deux points de dépari diffé-
rents, éloignés l'un de l'autre de quinze ans; or le règne d'Auguste est
le seul qui puisse offrir cette condition.
C'est un fait reconnu, que les années de ce prince, en Lgypte, se
sont comptées à partir du 29 ou 3o août de l'an 3o avant Jésus-Christ,
et non du i*^ août, qui est le jour de la prise d'Alexandrie ^ Mais,
comme les Égyptiens avaient l'usage de compter les années d'un sou-
verain à partir de la mort de son prédécesseur, en lui attribuant l'an-
née entière dans laquelle celui-ci était mort, on conçoit que, quoique
l'usage fût, en Egypte, de ne compter les années d'Auguste que de la
conquête du pays, on ait eu l'idée de reporter le commencement de
son règne jusqu'à la mort de Jules César, événement qui pouvait être
réellement compté comme le point de départ de ce règne. Toutefois
ce ne peut guère être là qu'une idée romaine. En effet, les Egyptiens
ne pouvaient commencer le règne d'Auguste qu'à partir de la mort
de leur reine Cléopâtre. Pour eux, les quinze années précédentes, de
44 à 3o, appartiennent nécessairement à cette princesse; mais un Ro-
main , en y appliquant le principe égyptien de la succession hérédi-
taire, pouvait dater l'avènement d'Auguste de la mort de son père,
Jules César, qui l'avait précédé. Aussi n'est-ce pas un Égyptien que
nous voyons adopter cette double date, c'est un Romain, chef de lé-
gion ; et , ce qui prouve qu'il y entre bien réellement la combinaison
de la méthode égyptienne, c'est, en premier lieu , l'emploi du calen-
drier égyptien ; c'est , en second lieu , que, si Ton part des ides de mars
de l'an kk avant Jésus -Christ, jour de la mort de Jules César, et si
Ton compte la première année d'Auguste à dater du 1" thoth de Tan-
née précédente, ou du 29 août de Fan 45, comme l'aurait fait un
Égyptien, on trouve que la xvi* année d'Auguste a justement com-
mencé au 29 août de l'an 3o, l'année de la prise d'Alexandrie, en
sorte que la xx® année d'Auguste , depuis la mort de César, commence ,
* Cf. Sync. Chronic. p. 3ia-3i3, Paris; p. Sgi, Bonn. — * Voyez mon Recueil
des inscriptions de l'Egypte, 1. 1, p. 85 et 86.
JUIN 1843. 327
jour pour jour, avec la v* depuis la soumission de l'Egypte. Il y a donc
ici pleine évidence, el le mot de cette petite énigme chronologique
ne peut rester douteux.
De cette manière de compter les années d'Auguste, il n existe
d'exemple dans aucun monument contemporain , quoique nous possé-
dions onze inscriptions , trouvées en Egypte , à la date d'Auguste , et
jusqu'à huit dans la seule île de Philos ; la date partout y est simple ,
comptée exclusivement à Tégyplienne. Cependant il est assez diflicile
de voir ici une pure fantaisie individuelle; on peut même dire qu'une
pareille expression , sans tindication du nom du prince, suppose un usage
alors assez connu pour ne laisser d'incertitude dans l'esprit de personne ;
et, si l'on est forcé de convenir que ce mode de dater est resté en
dehors des actes puhlics, il faut bien admettre qu'il fut suivi par
quelques Romains en Egypte, au moins du vivant d'Auguste, comme
étant conforme aux habitudes du pays.
On pourrait objecter que, dans les inscriptions du règne d'Auguste,
qui ne portent qu'une seule date , celte date unique est peut-être ex-
primée à partir de la mort de César, ce qui jetterait une incertitude
de quinze ans sur leur époque; mais, entre autres raisons qui montrent
qu'il n'en est point ainsi , on peut en donner une décisive : c'est la
date de l'an xiv, que portent deux autres inscriptions; il faut bien
qu'elles partent de l'an 3o, année de la réduction de l'Egypte en pro-
vince romaine, puisqu'en l'an xiv, à partir de la mort de César, l'E-
gypte n'était pas encore conquise. Toute date simple est donc rap-
portée à l'an 3o; mais pourquoi n'y a-t-il, jusqu'à présent, qu'un seul
exemple d'une date double ?
L'explication de la difficulté ressort naturellement de l'époque de
la seule inscription où cette date se rencontre. On conçoit, en eflfet,
que la double expression n'a pu être employée que dans les premières
années du règne d'Auguste. Lorsque l'usage se fut bien établi de comp-
ter en Egypte d'après la méthode égyptienne , lorsque surtout l'intro-
duction de l'année fixe, de même durée que l'année julienne, eut donné
une concordance constante et commode pour les deux calendriers , la
double date devint parfaitement inutile, et l'on se contenta d'une seule.
Or notre inscription est de l'an v d'Auguste, c'est-à-dire de la même
année que l'établissement du calendrier fixe , qui eut lieu l'an 2 5 avant
notre ère. Toutes les autres inscriptions sont postérieures à cette époque,
la plus voisine étant de l'an xiv , de neuf années plus récente. L'usage
était dès lors tombé en désuétude ; voilà pourquoi l'on n'en rencontre
plus de trace. Il est vraisemblable qu'on en retrouverait l'emploi , si
328 JOURNAL DES SAVANTS.
l'on découvrait quelque inscription antérieure à Tan v d'Auguste , tracée
entre Tan 3o et Tan 2 5 avant Jésus-Christ.
La preuve que Tusage de cette double date na tenu aucune place
dans le calcul effectif des années du règne d'Auguste , c'est que Censo-
rin n'en parle pas. Cet auteur, si versé dans les calendriers anciens, fait,
il est vrai, mention de deux manières de compter les années de cet em-
pereur; mais le point initial de Tune et de l'autre ne différait que de
deux ans. Selon la première (et c'était la méthode égyptienne), on
commençait à la réduction de l'Egypte en province romaine, ce qui
avait eu lieu deux cent soixante-sept ans avant le consulat d'Ulpius et
de Pontianus , époque où Censorin rédigea son livre; selon la seconde,
on commençait deux ans plus tard , à l'année où Octave avait pris le
titre d'Auguste^. Cette seconde méthode était donc essentiellement dif-
férente de celle dont il s'agit dans l'inscription.
Pour retrouver cette manière de compter les années d'Auguste à
partir de la mort de César, il faut descendre jusqu'aux systèmes des
chronologistes anciens, au moins depuis Eusèbe, qui l'avait sans doute
tirée de Julius Africanus. Ces chronologistes ont commencé ï empire
romain , non pas seulement à la mort de César, mais encore à sa pre-
mière dictature , système suivi par George le Syncelle , et par l'auteur
du Ckronicum Paschale, compilation des chroniques antérieures. Dès ce
moment, César devient, pour eux, un véritable roi, et l'hérédité royale
commence à sa mort. Ces chronologistes donnent à Jides César un
règne de quatre ans et sept mois, jusqu'à sa mort^, et ensuite ils
commencent aux ides de mars celui d'Auguste. La durée qu'ils as-
signent au règne de César est remarquable en ce qu'elle confirme l'ex-
plication qu'Eckhel a donnée, par conjecture, de la difficulté résultant
des nombres qui expriment , sur les médailles , les consulats et les dic-
tatures de César ; car on trouve souvent deux dictatures consécutives
pour un même consulat: par exemple, DICTAT. I et II avec CON-
SVL n, ou bien DICTAT. II et IH avec CONSVL II, ou DICTAT. HI
et IV avec CONSVL IV, et enfin DICTAT. IV avec CONSVL V, parce
que , la quatrième dictature ayant été perpétuelle , le chiffre ne s'élève
pas au-dessus de IV. Eckhel a parfaitement montré^ que la difficulté
cesse, si l'on commence les années consulaires avant les autres, par
exemple, en janvier, et les dictatoriales, en juillet de la même année;
* Censorin. De die Natali, c. xxi , p. i lâ t Lugd. Batav. 1 767. — * Euseb. Chrome.
t. I, p. lûA, éd. Venel.; Chronic. Paschale, p. 354, éd. Bonn. — ' Doctrina numo-
ram, i. Vl, p. i4-i6.
JUIN 1843.
320
or les quatre ans et sept mois, à partir des ides de mai^s de Tan kUt
se retrouvent exactement en commençant la première dictature en juil-
let de Tan A 9. Cest donc de ce mois que datent les dictatures de César,
comme Eckhel Tavait conjecturé , sans se douter que sa conjecture avait
une autorité historique. Le tableau qui suit explique cet arrangement;
on y voit que les années consulaires chevauchent, pour ainsi dire, avec
les années dictatoriales, et qu'une de ces années correspond, dans le
premier semestre , à un consulat , et , dans le second semestre , au con-
sulat suivant.
DUR^B DU RÈGNE DE CléSAR , AVEC L*1NDICATI0N DE SES CONSULATS
ET DE SES DICTATURES.
AFINéF.5
de Rome.
ANNi£S
avant J. G.
CONSULATS.
DICTATUBES.
ahhÎes
dedictatm^
réyolaes. .
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44
Janvier
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V. Consulat prolongé.
De juillet à la mort de
César.
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•
\ y\
43
330 JOURNAL DES SAVANTS.
Quant au règne d'Auguste , le Canon des Rois en marque la duréeà
quarante-trois ans. En efTet, h partir du 29 août de Tan 3o avant Jésus-
Qirkt, la quarante -troisième année de ce prince derait commencer
le a 9 août de Tan i3 de notre ère; Auguste mourut le 19 août de
Tan 1^, dix jours seulement avant que la quarante-quatrième année eût
été commencée. Mais Eusèlie, le SynccUe et la Chronique pascale, qui
partent des ides de mars de Tan klx , donnent au règne d'Auguste une
durée de cinquante-six ans et six mois ^ Le surcroît de six mois est
parfaitement exact, puisque c*est le temps écoulé entre les ides de
mars, point de départ de ces années de règne, comptées à la romaine,
et le 19 août, jour de la mort d'Auguste. Mais ces chronologistes ae sont
trompés sur le chiffre cinquante-six ; c'est cinquante-sept qu'ils devaient
.dire»^çomme le prouve la concordance de ces diverses années pour
tout le règiie d'Auguste. On voit, dans le tableau suivant, que la cin-
iquante-septième année fut révolue aux ides de mars de Tan 1 4 ; or
Ajùgii^te vécut àîi mois en su5 : c'est donc cinquante-sept ans et sit
môlif'ijfu^ils auraient dû compter.
Quoiqu'il en soit, cette manière de commencer les aimées d'Au-
guste, sans avoir été usitée, à ce qu'il semble, dans les actes publics,
lie fut pas moins employée par les chroûologistes qui voulaient em-
ibrasser le règne entiéi- de ce prince, et non pas seulement à partir de
^a mort de Cléopâtre, Ils considéraient Auguste comme te successeur
jimmédiat de César, et notre inscription montre que la double méthode
fut en usagje , au moins de la part des Romains , dans les pi^emières an*
nées qui suivirent la conquête de l'Egypte.
Je ne sais si le poète sibyllin n'a pas fait allusion à cette longue
durée du règne d'Auguste, prise de la mort de Jules César, lorsqu'il
prédit ti qu'après an long temps, Auguste t;i'ansmettra le pouvoir à un
jautre, » év fxaxp^ ^pSiHf)^ érépc^ irctpaSéasTai àp')(rlv ^. Ailleurs, il dit, du
imême prince, que «jamais aucun roi des Ûomains ne régnera plus que
jK lui,, pas mèm& une seule heure de plus.» Oc3 yàp jkrepôvo-et b'Xiyow
^jp6vov ovSénor' aXkos ^xvmov^os iSa^iXeùs tovtov itkéovy oi {ilav oipapy
j Saps doute la prédiction serait conforme à la vérité quand on s'en
jtiendirait à^la durée de quarante-trois ans, puisqu'en effet apcun empe^
peur n'a régné aussi longtemps. Mais je crois que la Sibylle, qui veut
r
* IMt âraibmaticus ne compte que cinquante-six ans^ en nombre rond. ( Chrono-
hraphia, p. 5ll, 1. ao, éd. Bonn). — ' Sibyllina QracuUi, V, ao. — * Ead. XII ^
15 ifl. '-■''- - — —
* .
. JUIN 1843. 331
toujours prédire à coup sûr, et qui prend ses précautions pour n'être
jamais démenlie par Tévénement, avait sous les yeux, quand elle prédi-
sait ainsi, les cinquante-six ou cinquante-sept ans du règne d'Auguste,
depuis Ja mort de César, nombre d'années qui surpassait de beaucoup
la durée du règne de tous les princes passés , Romains ou autres , qui
avaient occupé le trône le plus longtemps.
Pour revenir à la date du 3o pbaménoth de l'an v d'Auguste, elle
répond au 26 mars de Tan 2 5 avant Jésus-Christ. La question de savbii*
si elle est marquée selon le calendrier fixe ou d'après l'année vague est
indilTérente , puisque , à cette époque , le commencement des deux
années était le même. C'est, en effet, de cette même année que part
le calendrier fixe, qui ne diffère de l'autre qu'en ce que le 1" thoth,
arrivé, par le roulement de l'année vague de trois cent soixante-cinq !
jours, à correspondre au 29 août, fiit désormais arrêté à ce jour par
l'intercalalion quadriennale. Il n'existe aucun monument qui puisse
nous assurer que Tannée fixe fiit dès lors en usage. Le premier indice
qu'on en peut trouver est de l'an xxxi d'Auguste , dans l'inscription du
propylon de Dendéra^; mais je n'aperçois aucune raison pour ne pas
croire que l'usage de ce calendrier fut admis dans les actes, dès l'an aS :
avant notre ère. Au reste, l'application en a très-peu d'importance pour
tout le règne d'Auguste, puisque, à partir de l'an 26 jusqu'à la fin de
ce règne, il n'y a qu'environ quntre jours de différence pour la plade
du 1" ihoth.
On verra, dans le tableau suivant, la concordance des diverses ma-
nières de compter les années d'Auguste, depuis la mort de Jules César
jusqu'à celle de cet empereur. J'y ai marqué la date des inscriptions
qui me sont connues , relatives à ce règne, et mis à leur place les pré-
fets dont les noms sont révélés par les historiens ou par les monu-
ments. Ce tableau fait suite à celui qui a été inséré dans ce journal*, et
qui s'étend de la mort d'Alexandre II à celle de Cléopàtre. Ces deux
tableaux, qui se succèdent l'un l'autre, donnent la chronologie de l'E-
gypte, parles monuments, pendant près d'un siècle, entre l'avènement
d'Aulète et la mort d'Auguste.
* Voy. mon Recueil des inscriptions de TEgypte , l. I , p. 85. — * Décembre
iSAa, p. 719-721.
i
43.
332 JOURNAL DES SAVANTS.
TAILIAQ DBS ANNÉES DO RÉGNE D'AOGCSTE, X PABTIR , TANT DE LA MORT DE CÉ3AB
QDE DE LA SOUMISSION DE L'EGYPTE.
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Comnitnt'durign.dBTiUfr.
JUIN 1843. 333
Des deux inscriptions qui! me reste à faire connaître, Tune a été
tracée par un ami d'Horace; i autre ne se compose que d*un seul mot y
qui n*a été suivi ni précédé d'aucun autre. C'est donc luie des plus
courtes qui existent; mais elle n'est pas la moins curieuse pour l'his-
toire , d'après les circonstances qui accompagnent ce mot unique.
LETRONNE-
Revue des éditions de Bnffon.
DEUXIÈME ARTICLE.
Idées de BufTon sur réconomre animale.
Lorsque Bufîon commença son grand ouvrage, il n'était pas plu9
nnatomiste que zoologiste, H devint plus tard zoologiste, comme nous
avons vu. Il ne devint jamais anatomiste , k proprement parler; et cepeih^
dant, d'une part, il a fait beaucoup pour ranatomie, et, de l'autre, il
lai a beaucoup dû.
Il est d'abord le premier^ qui ait joint la description anatomiqae , c'est-
à-dire intérieure y k la description extérieure des espèces. Il appela, il ins-
pira Daubcnton; il jeta, par les mains de Daubenton, les premières
bases de Vanatomie comparée; et peut-être comprit-il mieux que Dau-
benton lui-même toute la portée de cette nouvelle science.
«Depuis trois mille ans, dit-il, que l'on dissèque des cadavres hu-
mains, l'anatomie n'est encore qu'une nomenclature, et à peine a-t-on
fait quelques pas vers son objet réel, qui est la science de Téconomie
animale^ Nous avons des milliers de volumes sur la description du
corps humain , et à peine a-t-on quelques mémoires commencés sur
celle des animaux : dans l'homme on a reconnu, nommé, décrit, les
plus petites parties, tandis que l'on ignore si, dans les animaux, l'on
retrouve non-seulement ces petites parties, mais même les plus grandes;
on attribue certaines fonctions à de certains organes, sans être informé
^ J'excepte toujours Arislote, qui embrassa tout et réunit tout: Vanatomie, la
zoologie ou la méthode , et ïhistoire naturelle proprement dite. — * T. XIV, p. a8.
« . . . . Cette méthode nVst pas la science; ce n'est que le chemin qui devrait y oon-
duire, et qui peut-être y aurait conduit en effet, si, au lieu de toujours marcher
3ur la même ligne dans un sentier étroit, on eût étendu la voie et mené de front
fanatomie de Thorame et celle des animaux ■ (Ihid. p. 27.)
334 JOURNAL DES SAVANTS.
si, dans d*autres êtres, quoique privés de ces oi^anes, les mêmes fonc-
tions ne s'exercent pas; en sorte que , dans toutes ces explications qu*on
a voulu donner des différentes parties de Téconomie animale, on a eu
le double désavantage d'avoir dabord attaqué le sujet le plus compli-
qué , et ensuite d'avoir raisonné sur ce même sujet sans le fondement
de la relation et sans le secours de l'analogie. Nous avons suivi partout ,
dans le cours de cet ouvrage, une méthode très-différente : comparant
toujours la nature avec elle-même, nous Tavons considérée dans ses
rapports, dans ses opposés, dans ses extrêmes; et, pour ne citer ici que
les parties relatives à l'économie animale que nous avons eu occasion
de traiter, comme la génération , les sens, le mouvement, le sentiment,
la nature des animaux, il sera aisé de reconnaître qu'après le travail ,
quelquefois long, mais toujours nécessaii'e pour écarter les fausses idées,
détruire les préjugés, séparer l'arbitraire du réel de la chose, le seul
art que nous ayons employé est la comparaison. Si nous avons réussi à
répandre quelque lumière sur ces sujets, il faut moins l'attribuer au
génie qu'à cette méthode que nous avons suivie constamment , et que
nous avons rendue aussi générale , aussi étendue que nos connaissances
nous l'ont permis'. »
Les vues que Buffon a dues à fanatomie sont au nombre de trois^:
je veux parler ici de ses vues sur le plan général de la nature, sur les
nuances graduées des êtres, et sur la prééminence relative des différents
organes dans les différentes espèces.
I. Unifonnité da plan général de la nature.
«Si, dit Buffon, nous choisissons un animal, ou même le corps de
l'homme, pour servir de base à nos connaissances, et y rapporter, par
ja voie de la comparaison, les autres êtres organisés, nous trouverons
que, quoique tous ces êtres existent solitairement, et que tous varient
par des différences graduées à l'infini, il existe en même temps un des-
sein primitif et général, qu'on peut suivre très-loin , et dont les dégrada-
' T. XIV p. 3i. «Quelle connaissance réelle peut-on tirer d'un objet isolé? Le
fondement de toule science n'est- il pas dans la comparaison que fesprit humain
peut faire des objets semblables et dilî'érenls, de leurs propriétés analogues ou con-
ti'aires, et de toutes leurs qualités relatives? Ainsi, toutes les fois que, dans
une méthode, on ne s'occupe que du sujet, qu'on le considère seul et indépen-
damment de ce qui lui ressemble et de ce qui en diffère, on ne peut arriver à
aucune connaissance réelle , encore moins s'élever à aucun principe général ; on
ne pourra donner que des noms et faire des descriptions de la chose et de toutes
ses parties ■ (Ibid. p. 37.) — * J'eitends les grandes, les principales vues.
JUIN 1843. 336
lions sont bien plus lentes que celles des figures et des autres rapports
apparents; car, sans parler des organes de la digestion, de la circula^
tion et de la génération, qui appartiennent à tous les animaux, et sans
lesquels Tanimal cesserait d'être animal et ne pourrait ni subsister ni
se reproduire, il y a, dans les parties mêmes qui contribuent le plus à
la variété de la Ibrme extérieure, une prodigieuse ressemblance, qui
nous rappelle nécessairement Tidée d'un premier dessein sur lequel
tout semble avoir été conçu: le corps du chevaH, par exemple, qui,
du premier coup d'oeil, parait si différent de celui de Thomme, lors-
qu'on vient à le comparer en détail et partie par partie, au lieu de sur-
prendre par la différence, n'étonne plus que par la ressemblance sin-
gulière et presque complète qu'on y trouve On vient de voir, dans
la description du cheval ^, ces faits trop bien établis pour pouvoir eu
douter; mais, pour suivre ces rapports encore plus loin, que l'on con-
sidère séparément quelques parties essentielles à la forme, les côtes, par
exemple , on les trouvera dans tous les quadrupèdes , dans les oiseaux ,
dans les poissons, çtc...; que Ton considère, comme M. Daubenton',
que le pied d*un cheval , en apparence si' différent de la main de
l'homme, est cependant composé des mêmes os, et que nous avons,
à fextrémité de chacun de nos doigts , le même osselet en fer de cheval
qui termine le pied de cet animal^, et Ton jugera si cette ressemblance
cachée n'est pas plus merveilleuse que les différences apparentes; si
cette tiniformité constante et ce dessein suivi de l'homme aux quadnn
pèdes, des quadrupèdes aux cétacés, des cétacés aux oiseaux, des oi-
seaux aux reptiles, des reptiles aux poissons, etc. dans lesquels les
parties essentielles , comme le oœur , les intestins , l'épine du dos et les
sens, etc. se trouvent toujours, ne semblent pas indiquer qu'en créant
* Au moment où Buffon écriviiît ceci , Daubenton , par le soin au'il avait eu de
nommer du même nom les mêmes parties dans l'homme et dans le cheval, tenait
de faire ressortif Textréme similitude de leur structure. « Cette méthode ( celle qm
donne des noms tout spéciaux aux parties du cheval ) peut être convenable à ceux
qui traitent uniquement idu cheval; mais elle entrainerait des inconvénieiits en
histoire naturelle , lorsqu'on voudrait comparer tons les animaux les uns aux autres
et ks rapporter à l'homme : pour faciliter cette comparaison, nous appliquerons les
dénominations des os du squelette humain à ceux du cheval et des autres animaux,
et nous suivrons Tordre usité dans fanalomie de Thomme... > Daubenton , Desciipikk
da chmuJi I. Vli , p. 47&- ^^ * Par Daubenton. — * * On voit , par cet exemple et par cent
antres, comment, à mesure que Daubenton avançait dans la partie matérielle de la
Kience , Buâbn saisissait fesprit de ces progrès successifs. — * i Ce qu il y a de
singulier, G*est que oetle forme de fer à cheval se trouve aussi sur la troisièliie pha*
lange des doigts de» pieds et des maim de l'homme, t Danbenlon , DenfripHon Si
^heial, t VII, p. 5ii.
336 JOURNAL DES SAVANTS.
ies aniipaux TÊtre suprême na voulu employer qu'une idée, et la va-
rier en même temps de toutes les manières possibles, afin que l'homme
pût admirer également et la magnificence de l'exécution et la simpli-
cité du dessein ^ »
Assurément, ce passage est fort beau, et il a été souvent cité; mais
ce dont il s'agit ici, c'est de voir avec précision jusqu'à quel point la
grande idée d'un plan général, d'un seul plan , dans l'organisation des
animaux est solide et vraie.
Newton avait remarqué avant Buffon : « L'uniformité qui , disait-
il» paraît dans le corps des animaux : car, en général, les animaux
ont deux côtés, l'un droit et l'autre gauche, formés delà même ma-
nière; et, sur ces deux côtés, deux jambes par derrière, et deux bras,
ou deux jambes, ou deux ailes par-devant sous leurs épaules; et, entre
les épaules , un cou qui tient par en bas à Tépine du dos , avec une tête
par-dessus, où il y a deux oreilles, deux yeux, un nez, une bouche et
une langue, dans une même situation^.»
A l'époque même où Buffon publiait l'idée que j'examine , un autre
grand naturaliste , Réaumur , la jugeait ainsi : « Quoiqtie cette vue ne
' T. Vin, p. 4. Il revient souvent sur celle grande idée; il y revient en par-
ticulier dans le passage qui suit , et qui n*est pas moins beau que celui que je
viens de citer, quoiqu*ii ait été moins remarqué : «Prenant son corps pour le mo-
dèle physique de tous les élres vivants, et les ayanl mesurés, sondés, v:omparés
dans toutes leurs parties, Fhomme a vu que la forme de tout ce qui respire est
à peu près la même; qu*en disséquant le singe on pouvait donner l'anâtomic de
rkomme ; qu*en prenant un animal on trouvait toujours le même fond d'organi-
sation, les mêmes sens , les mêmes viscères , les mêmes os, la même chair, le même
mouvement dans les fluides, le même jeu, la même aciion dans ies solides: il a
trouvé dans tous un cœur, des veines et des artères; dans tous, les ijiêmes organes
de circulation , de respiration , de digestion , de nutrition , d'excrétion ; dans, tous, une
charpente solide , composée des mêmes pièces , à peu près assemblées de la même
iQànière ; et ce plan toujours le même , toujours suivi de l'homme au singe , du
singe aux quadrupèdes, des quadrupèdes aux cétacés, aux oiseaux, aux poissoas,
aux reptiles , ce plan , dis-je , bien saisi par l'esprit humain , esl un exemplaire fidèle
de la nature vivante, et la vue la plus simple et la plus générale sous laquelle on
puisse la considérer : et, lorsqu'on veut l'étendre et passer de ce qui vil à ce qui
végète, on voit ce plan, qui d*abord n'avait varié que par nuances, se déformer
par degrés des reptiles aux insectes, des, insectes aux vers, des vers aux zoophytes^
des zçophytes aux plantes; et, quoique altéré dans toutes les parties extérieures,
conserver néanmoins le même fond, le même caractère, dont les traits principaux
sont la nutrition, le développement et la reproduction ; traits généraux et communs à
toute substance organisée , traits éternels et divins, que le temps, loin d'effacer ou
de détruire, pe fait qve reno.uveler et rendre de plus en plus évidents. 1 T. XXVUl .
p. 38. — * Traité d'optique , etc. (trad. deCoste], t. II, p. 677.
JUIN 1843. 337
soit pas exacte, disait Réaumur, elle prouve que M. de Bufibii conçoit
très-bien qu il y a un pîan général qui rappelle tous les animaux h une
idée d*unité , à un point de conformité par lequel tout animal , quel qu'il
soit , est distingué des végétaux. L'inexactitude de la réflexion^ consiste
en ce qu'il met ce point dans certaines parties qui manquent à beau-
coup d'aniniaux , comme la charpente des os, que n'ont pas les insectes,
le cœur, qu'on distingue dans quelques animaux et qu'on ne voit pas,
dans d'autres, etc. ^))
On voit, parles paroles de Newton, que l'idée d'une certaine
uniformité dans les animaux a été saisie de bonne heure; et l'on voit,
par les remarques de Réaumur, que cette belle idée, source , jusque
dans ces derniers temps, de débats si vifs, a grand besoin d'être démêlée.
Lorsque , avec Buffon , on passe de l'homme au cheval , aux quadru-
pèdes, on trouve un dessein suivi; lorsqu'on passe des quadrupèdes ^ux
oiseaux, des oiseaux aux reptiles, des reptiles aux poissons, ce même
dessein, quoique toujours de plus en plus modifié, subsiste : on a to»-
jours le dessein, le plan de l'animal vertébré.
Mais, si des animaux vertébrés on passe aux mollusques, le dessein
change; si des mollusques on passe aux insectes, il change encore; il
change encore , si des insectes on passe aux zoophytes.
Tl n'y a donc pas un seul dessein, un seul plan; il y en a quatre : il y
a le plan des vertébrés , le plan des mollusques, le plan des insectes ^ et
le plan des zoophytes.
C'est ce que nous savons tous aujourd'hui*, et ce que Bufibn ne
pouvait savoir. BufTon n'a connu l'anatomie que par Daubenton , et
Daubenton n'avait étudié que les animaux vertébrés. Les mollusques ,
les insectes, les zoophytes , tout ce qu'on appelait alors les animaux à
sang blanc, tout ce qu'on appelle aujourd'hui les animaux sans ver-
' L'inexactitude de la réflexion n*est pas précisément dans ce que remarque RéMi«-
mur. Ce a'est pas parce que certaines parties manquent que les animaux diffèrept
de plan, c*est parce que les parties qui restent ne gardent pas la même position
relative. En un mot , il y a un fond commun d'organisation dans les animaux, et
c'est par là que Tanimal se distingue du végétal; mais le plan, c'est-à-dire Yordre
relatif des parties qui constituent ce fond commun, change. Il y a un fond commun,
et plusieurs plans distincts. Voyez ce que je dis plus loin. Voyez aussi mon Anah^
raisonnée des travaux de G. Cuvier, i84i. — * Lettres à un Américain, etc. t. IV,
p. 1 8g ; ouvrage de Tabbé de Lignac , mais où l'on reconnaît aisément , et dans
plus d'un lieu , la main de Réaumur. Je reviendrai , plus tard , sur ce point. —
Ou , plus généralement, des articulés, plan qui comprend les crustacés, les ttracfc-
nides et les insectes. — * Voyez mon Analyse raisonnée des travaux de G. Cuvier ,
43
338 JOURNAL DES SAVANTS.
tèbres , tous ces animaux n*ont été, si je puis ainsi dire , soumis à i ana-
totnie comparée que par M. Cuvier.
Au temps de BufTon , si vous exceptez quelques études particulières
de Méry sur la moaU des étangs , deMalpighi sur le ver à soie, de Swam-
merdam sur un certain nombre dUnsectes, etc. la structure de toute cette
grande partie du règne animal était à peu près inconnue. Les belles études
deFiyonnet sur la chenille du saule ^ de Pallas sur les aphrodites et les né^
réides , etc, ne sont venues qu'après. Et encore , avec tout cela , qu'a-
vait-on? des vues détachées , des faits isolés, épars; mais nulle vue gé-
nérale et comparative , nul travail d'ensemble.
Ce travail d'ensemble n'appartient qu'à M. Cuvier. Et, ce travail fait,
toutes ces structures nouvelles des mollusques , des insectes , des zoo-
phytes, ont donné leurs lois distinctes; on a eu de nouvelles formes
générales I de nouveaux dessoins, de nouveaux plans, de nouveaux
types. La belle loi de Buffon , bornée aux seuls animaux qu'il eût con-
nus, c'est-à-dire aux seuls animaux vertébrés, a paru aussi juste C[ue
belle. En un mot, Buffon a donné la loi générale d'une partie du règne
animal, et M. Cuvier a donné les lois distinctes du règne animal entier;
Buffon avait donné la loi générale des animaux vertébrés , et M. Cuvier
a donné les lois distinctes des animaux vertébrés, des mollusques, des
insectes et des zoophytes.
II. Nuances graduées des êtres.
L'idée d^une gradation continue des êtres date d'Aristote.
«Le passage des êtres inanimés aux animaux se fait, dit Aristote,
peu à peu : la continuité des gradations couvre les limites qui séparent
deux classes d'êtres et soustrait à l'œil le point qui les divise. Après
les êtres inanimés viennent d'abord Jes plantes Le genre entier des
plantes semble presque animé, lorsqu'on le compare aux autres corps ;
elles paraissent inanimées , si on leâ compare aux animaux. Des plantes
aux animaux le passage n'est point subit et brusque : on trouve dans la
mer des corps dont on douterait si ce sont des animaux ou des plantes
La même gradation insensible , qui donne à certains animaux plus de
vie et de mouvement qu'à d'autres , a lieu pour les fonctions vitales^ »
Vingt siècles après Aristote, Leibnitz reproduit l'idée de la continaité
des êtres. «Les hommes, dit-il, tiennent aux animaux, ceux-ci aux
plantes, et celles-ci aux fossiles La loi de continuité , dit-il encore,
* Hist, des animaux, liv. XVIII, chap. i (trad. de Camus).
JUIN 1843. 339
ouge que tous les êtres naturels ne forment qu*une seule chaîne, dans
laquelle les différentes classes, comme autant d^anneaux, tiennent si
étroitement les unes aux autres, qu il soit impossible de fixer précisé-
ment le point où quelqu'une commence ou finit , toutes les espèces qui
occupent les régions d'inflexion et de rebroussement devant être équi-
voques et douées de caractères qui se rapportent également aux espèces
voisines ^ »
Après Aristote , après Leibnitz , BuiTon adopte Tidée d une échelle con-
tinae des êtres; Bonnet^ Tadopte après Buffon, et presque tous les na-
turalistes de la fin du dernier siècle l'adoptent avec Bonnet.
« La marche de la nature , dit BuQbn, se fait par des degrés nuancés
et souvent imperceptibles^ La nature marche, dit-il encore , par des
gradations inconnues Elle passe d'une espèce à une autre espèce , et
souvent d'un genre à un autre genre, par des nuances imperceptibles;
de sorte qu'il se trouve un grand nombre d'espèces moyennes et d'ob-
jets mi-partis qu'on ne sait où placer*. »
Buifon parle donc comme A^stote et Leibnitz ; Bonnet parle comme
tous les trois ^ ; et cependant cette idée d'une échelle continue n'a pas moins
besoin que celle d'une unité de plan d'être sérieusement discutée.
«Que veut-on dire, s'écriait déjà Réaumur, que veut-on dire lorsqu'on
nous annonce que la nature marche par des gradations inconnues
quelle passe d'une espèce à une autre espèce, et souvent d'un genre à un
autre genre, par des nuances imperceptibles?. . . Veut-on dire que, dans le
spectacle que la nature nous offre, elle nous présente une suite d'ani-
maux qui diminuent de perfection dans leur organisation , de manière
que nous confondons aisément les espèces moins parfaites de ces ani-
maux avec les simples végétaux?. . . J'entends cela ; mais je n'y vois
point d'autre mystère, sinon que nos yeux ne peuvent suivre le travail
de la natiu'e dans la dernière perfection. Car de penser que le polype à
bras qui a l'air d'une plante, que le polype à bouquets qui ressemble à
une fleur, .... que tous ces polypes, dis-je, aient une construction qui
* Lettres de Leibnitz, dans Y Appel au public de Kœnig, Appendice, p. 45. —
* Bonnet, Considérations sur les corps organisés; Principes philosophiques sur la coûte
première et sur son effet; Contemplation de la nature, etc. — * T. I, p. ly. — * T. I,
p. i8. «La nature ne va jamais par sauts, dit-il encore. • T. XXVIII, p. i6. Na-
tara non Jacit saltus , avait dit Linné. — ^ « Tout est gradué et nuancé dans la
nature : il n'est point d'être qui n'en ait au-dessus ou au-dessous de lui qui lui
ressemblent par quelques caractères et qui en diffèrent par d'autres. ... Il est , entre
deux classes, deux genres, des productions pour ainsi dire mitoyennes, qui sont
comme autant de liaisons ou de points de passage » (Boonet, Principes phiio-
tophiqaes, etc. p. aa6, Neufchâtel, 1783.)
43.
340 JOURNAL DES SAVANTS.
ne diffère que très-peu de celle d'une plante, d'une fleur, c'est assuré-
raent ce qu'on ne me fera pas croire. Tant que je verrai à un corps
des mouvements spontanés, une sorte d'industrie, une adresse à se
dérober à tout ce qui tend à le détruire, un art pour se procui^er de la
subsistance, la faculté de changer de place, je ne verrai qu im animal ;
et, entre cet animal et une plante quelconque , j'apercevrai une ligne
très-forte et très-sensible ^ »
Ces idées sont justes. Buffon s'attache, comme tous ceux qui sont
venus après lui, à l'exemple du polype, wll y a, dit-il, des êtres qui ne
sont ni animaux, ni végétaux, ni minéraux, et qu'on tenterait vainement
de rapporter aux uns ou aux autres ; par exemple, lorsque M. Trembley,
cet auteur célèbre de la découverte des animaux qui se multiplient par
chacune de leurs parties détachées, coupées ou séparées, observa pour
la première fois le polype de la lentille d'eau, combien employa-t il de
temps pour reconnaître si ce polype était un animal ou une plante ! et
combien n'eut-il pas sur cela de doutes et d'incertitudes ! C'est qu'en
effet le polype delà lentille n'est peut êtje ni l'un ni l'autre, et que tout
ce qu'on peut dire , c'est qu'il approche un peu plus de l'animal que du
végétal. . .^. »
Mais, point du tout : on peut très-bien dire que le polype est un ani-
mal, etqu'il n'est qu'un animal. Il a la sensibilité, l'instinct , le mouvement
des animaux; il se nourrit comme eux, il mange, il digère ; à la vérité,
il se reproduit par bouture , comme les plantes ; mais il n'est pas le seul
animal qui se reproduise ainsi : des animaux parfaitement animaux, des
animaux qui ont un cœur, un estomac , un cerveau , une circulation ,
des intestins, des nerfs, etc. etc. le ver de terre, les vers d'eau douce ^^ etc.
se reproduisent aussi par bouture ; le polype n'est donc qu'un animal.
Après ce que j'ai dit sur l'unité de plan, la question de l'échelle continue
des êtres sera facilement éclaircie.
Il n'y a pas un seul plan, il y en a plusieurs : il y en a quatre. S'il n'y
avait qu'un seul plan, il pourrait y avoir une échelle continue^ pour le
règne animal entier. Mais il y a quatre plans : l'échelle continue sera
donc interi'ompue, chaque fois qu'on passera d'un plan à un autre,
chaque fois que le plan sera changé ^.
Tant que l'on restera, au contraire, dans le même plan, il y aura des
gradations continues. BuSoxit s'en tenant, comme je le disais tout à l'heure,
' Lettres à un Américain, etc. T. I, lettre ix , p. aa. — * T. III , p. 388. — ' Voy.
les expériences de Spallanzani, de Bonnet, etc. — * Expression de Bonnet. —
* Voy. mon Analyse raisonnée des travaux de G. Cuvier, i84i •
JUIN 1843. 341
aux seuls animaux vertébrés, a vu des nuances gradaées, et il a bien vu.
Il y a des nuances graduées d'un animal vertébré à un autre ; mais d'un
vertébré à un mollusque, dun mollusque à un insecte, d'un insecte â
un zoophyle, ce ne sont plus des nuances graduées, ce sont des change^
ments brusques, La loi des degrés nuancés, comme la loi d'un dessein suivi,
a donc son côté vrai, car il y a des nuances graduées et des desseins
suivis; et elle a son côté faux, car ce qui est, ce n'est pas une seule
échelle continue de nuances graduées, ce n'est pas un seul dessein suivi,
« Quoiqu'il y ait des cas, dit M. Cuvier, où l'on observe une sorte de
dégradation et de passage d'ime espèce à l'autre, qui ne peut être niée, il
s'en faut de beaucoup que cette disposition soit générale. L'échelle préi
tendue des êtres n'est qu'une application erronée à la totalité de la créa-
tion , de ces observations partielles qui n'ont de justesse qu'autant qu'on
les restreint dans les limites où elles ont été faites ^
m. Influence du développement de chaque organe sur la nature des différentes espèces.
J'arrive à la troisième des lois générales puisées par Bufibn dans
l'anatomie.
Ici la marche de Buifon est tout expérimentale ; et cette marche le
conduit aux principes les plus élevés de la physiologie comparée ^.
Il commence par établir «que ce n'est qu'en comparant que nous'
pouvons juger, et que nos connaissances roulent même entièrement sur
les rapports que les choses ont avec celles qui leur ressemblent ou
qui en diffèrent^.» Suivant donc cette marche de la comparaison des
choses, a et sans vouloir d'abord raisonner sur les causes , se bornant à
constater les effets ^, » il voit les animaux différer entre eux par leur
enveloppe, surtout par les extrémités de cette enveloppe, et les parties
intérieures qui font le fondement de l'économie animale rester, au
contraire, à peu près les mêmes dans l'homme et dxms les animaux qui
ont de la chair et du sang'^: ces parties sont donc les plus essentielles,
^ Le Règne animal, etc. t. 1 , p. xxj. -^ * «Ses idées (les idées de BufEon) cou-
cernant Tinfluence qu*exercent la délicatesse et le degré de développemeat de
chaque organe sur la nature des diverses espèces sont des idées de génie , qui fe-
ront désormais la base de toute histoire naturelle philosophique, et qui ont rendu
tant de services à Tart des méthodes, qu elles doivent faire pardonner à leur auteur
le mal qu'il a dit de cet art. » (Cuvier, Biogr, univ, art. Buffon.) — 'T. .VII, p. 3. —
^ Ihid. p. 6. — ^ Expressions de Buffon. Ihid. p. 12. Les vues de Buffon ne s'é-
tendent, je l'ai déjà dit, qu'aux animaux vertébrés; ce sont là les animaux qu'il
désigne par ces mots : lesanimaax qui ont de la. chair et damug^
342 JOURNAL DES SAVANTS.
puisqu elles sont les plus constantes, les moins sujettes à. varier ^
«En prenant, dit-il, le cœur pour centre dans la machine animale,
je vois que rhoriime ressemble parfaitement aux animaux ^ par l'éco-
nomie de cette partie et des autres qui en sont voisines : mais, plus on
s'éloigne de ce centre, plus les différences deviennent considérables, et
c'est aux extrémités qu'elles sont les plus grandes; et, lorsque, dans
ce centre même, il se trouve quelque différence, Tanimal est alors
plus différent de l'homme; il est, pour ainsi dire, d'une autre nature,
et n'a rien de commun avec les espèces d'animaux que nous consi-
dérons ^ Une légère différence dans ce centre de l'économie ani-
male est toujours accompagnée d'une différence infiniment plus grande
dans les parties extérieures ^. »
Voilà donc la subordinaiion physiologiqae des parties extérieures aux
parties centrales clairement établie. Mais Buffon ne s'arrête pas là :
dans l'enveloppe même il y a aussi des parties plus constantes les unes
que les autres ; les sens, surtout certains sens, ne manquent jamais ^; le
cerveau ne manque pas plus que les sens , car il est l'origine des sens ^ :
« Les insectes mêmes, dit Buffon, qui diffèrent si fort par le centre de
l'économie animale, ont une partie, dans la tête, analogue au cerv^eau,
et des sens dont les fonctions sont semblables à celles des autres ani-
maux'^.n Et de cela seul il pouvait conclure, conformément à son ex-
cellent principe que les parties les plus constantes sont les plus essentielles^,
que le cerveau était plus essentiel que le cœur puisqu'il avait plus de
constance ^. Mais cette belle remarque ne devait être faite que long-
temps après lui; elle ne l'a été que par M. Cuvier, et même^que par
M. Cuvier parvenu à la seconde moitié de sa vie ^®.
Au reste, tout est ici de génie. «Le cerveau et les sens, dit Buffon ,
* T. Vn, p. 17. -« * Entendez toujours les animaux vertébrés , el parliculîèremenl
ici les quadrupèdes et les oiseaux. — ' Ibid. p. i5> N*a rien de commun; s'il n'y a
rieD de commun, il n'y a donc pas de dessein suivi, ou plutôt, et à parler plus
exactement, il n'y a pas un seul dessein suivi. — * Ibid. p. 16. — * T. VII, p. 17. —
* Ibid. p. 18. — ' Ibid. — * Voyez ci-dessus, page précédente. — 'Il venait de dire :
« Dans la plupart des insectes , l'organisation de cette principale partie de Técono-
mie animale (du cœur] est singulière : au lieu de cœur et de poumons, on y trouve
des parties qui servent de même aux fonctions vitales , et que , par celte raison ,
l'on a regardées comme analogues à ces viscères, mais qui réellement en sont très-
différentes, tant par la structure que par le résultat de leur action : aussi les in-
sectes diffèrent-ils, autant qu'il est possible, de l'homme et des autres animaux. ■
Ibid. p. ib. Et des autres tmimaux : quand Buûbn dit seulement les animaux, il en-
tend les animaux vertébrés , et particulièrement les quadrupèdes et les oiseaux. J'ai
fiiit assez souvent cette remarque pour n'y plus revenir. — " Voyez mon Analyse
raisonnée des travaux de G. Cuvier, i8ài.
JUIN 1843. 343
forment une seconde partie essentielle à Téconomie animale : le cerveau
est le centre de l'enveloppe, comme le cœur est le centre de la partie
intérieure de lanimal ^ » Il venait d'établir la subordination physiologique
des organes ; il maïque ici , et tout aussi sûrement qu'on Ta fait par la
suite , la division des deux vies , et le centre particulier de chacune. On
dirait des pages dérobées à la science future des Bichat et des Cuvier.
Enfin , il arrive k la prééminence relative de chaque sens dans les
différentes espèces; et ce qu'il écrit là-dessus peut être donné, pres-
que partout, comme le modèle d'une analyse expérimentale aussi déli-
cate que neuve ^.
n remarque que les animaux ont les sens excellents, et que cependant
ils ne les ont pas tous aussi bons que Thomme; il observe même que les
degrés d'excellence des sens suivent, dans l'animal, un autre ordre que
dans lliomme ; et de là cette distinction lumineuse des sens relatifs à
Tappétit , à l'instinct , et des sens relatifs à la pensée '. a Le sens le plus
relatif à la pensée et à la connaissance est, dit-il, le toucher; l'homme a
ce sens plus parfait que les animaux. L'odorat est le sens le plus relatif à
l'instinct , à l'appétit; l'animal a ce sens infniiment meilleur que Tbomme:
aussi l'homme doit plus connaître qu'appéter, et l'animial doit plus ap-
péter que connaître. Dans l'homme , le premier des sens poiu* l'excel-
lence est le toucher , et l'odorat est le dernier ; dans l'animal , l'odorat
est le premier des sens, et le toucher est le dernier: cette différence est
relative à la nature de l'un et de l'autre ^. » Après avoir comparé l'honmie
aux quadrupèdes, il compare l'homme et les quadrupèdes aux oiseaux.
Dans l'homme , le sens du toucher est le premier; dans le quadrupède,
c'est l'odorat; dans Toiseau , c'est la vue ^ et, dans cfaactm de ces êtres,
les sensations dominantes suivent le même ordre. « L'homme, dit Buf-
fon , sera plus ému par les impressions du toucher , le quadrupède par
celles de l'odorat , et l'oiseau par celles de la vue; la plus grande partie
de leurs jugements , de leurs déterminations , dépendront de ces sensa-
tions dominantes; celles des autres sens, étant moins fortes et moins
nombreuses, seront subordonnées aux premières, et n'influeront qu'en
second sur la nature de l'être ^. »
Et, comme si, dans ces vues de génie, Buffon ne devait rien oublier
^ T. VII, p. 18. Il avait déjà dit : t Revêtons la partie intérieure d*une enveloppe
convenable, cest-à-dire donnons-lui des sens et des membres, bientôt la vie ani-
male se manifestera ; et, plus Tenveloppe contiendra de sens, de membres et d* autres
parties extérieures, plus la vie animale nous paraîtra complète, et plus Vanimal
sera parfait. » Ibid. p. 11. — * Je reviendrai plus tard sur ce point. — * T. VII ,
p. 42- — * Ihid, — * Oiseaux, 1. 1, p. 67. — * Ibid.
344 JOURNAL DES SAVANTS.
de ce qui tient à la gi^ande loi de la prééminence relative des organes, il
remarc[ue « que le cerveau , siège du sens intérieur matériel , est dans
rhomme comme dans i* animal, et que même, relativement au volume
du corps, il y est d'une plus grande étendue ^ »
On voit maintenant quelles sont les lois générales que Buffon a dues
à Fanatomie ; et non-seulement quelles sont ces lois , mais comment il
les a conçues, mais jusqu'à quel point il les a conduites. La première
règle de la critique est déjuger les opinions d'un auteur par les connais-
sances de son époque. On reconnaît bien vite alors que ses générali-
sations ne sont jamais que des généralisations relatives. Buflbn pose
Y uniformité de plan et les nuances graduées comme deux lois générales;
mais il n'a connu qu'une partie du règne animal, et ce n*est aussi que
relativement à cette partie du règne animal qu'il a connue, que ces
deux lois sont générales et vraies. L'erreur n'est donc pas à BuQbn
qui a posé de grandes lois, dans les limites où il les a posées aussi
vraies que grandes. L'erreur est à ceux qui, venant aujourd'hui, oublient
ces limites, et veulent appliquer au règne animal entier les lois que
Buffon n'avait données que pour une partie de ce règne.
Je viens d'examiner les idées positives de Buffon sur l'économie ani-
male. Un autre article aura pour objet ses systèmes.
FLOURENS.
1 . Antjchi monumenti sepolcrali scoperti nel dacato di Ceri ,
dichiarati dal cav. P. S. Visconti. Roma, i836, in-fol.
2. Descrizione di Cere antica, ed in particolare del monamento
sépulcrale scoperto nelV anno 1836, etc. delV architetto cav, 'h.
Canina. Roma, i838, in-foi.
3. Monument! di Cere antica, spiegati colle osservanze del calto
di Mitra, dal cav. L. Grifi. Roma, i84i, in-fol.
DEUXIÈME ARTICLE.
Nous arrivons maintenant au grand monument dont la découverte a
fourni l'occasion et le sujet du second des trois ouvrages que nous nous
' T. vn, p. 46.
JUIN 1843. 345
sommes proposé de faire connaître à nos lecteurs. Cet ouvrage est di-
visé en trois parties, dont la première comprend le résumé histo-
rique des principales circonstances relatives à Fantlque cité A'Agylla et
de Cœre, à partir de sa fondation, due auK Pélasgos, sous la domination
étrusque, et durant tout le cours de la république romaine; la seconde
présente les résultats des dernières recherches topographiques sur la
situation de 6We, sur son territoire et sur l'emplacement de Pyrgi^ qui
lui servait de port; la troisième, enfin, contient la description des mo-
numents sépulcraux de £épre, et, en particulier, celle du plus important
de ces tombeaux , découvert, en 1 836, par les soins du général Galassi et
de farchiprùtrc Regolini. De ces trois parties , qui se recommandent éga-
lement par le soin et Texactitude des recherches, et au mérite des-
quelles Tauteur a encore ajouté par la publication du travail qu il a in-
séré dans les Annales de l'Institut Archéologique de 1 8Zi i ^ sur les ruines
cyclopéennes -récemment observées à Pyrgi, qui confiinnent à la fois
Torigine pélasgique dtAgylla et la haute antiquité du système d'archi-
tecture, dite cyclopéenne^, employé dans la construction de ses mu-
railles ; de ces trois parties , disons-nous , nous ne nous occuperons que
de la troisième, qui se rapporte directement aux tombeaux de Cœre, et
nous nous contenterons de recommander à l'intérêt de nos lecteurs les
deux autres parties, où ils trouveront réunies toutes les notions, les
plus sûres à la fois et les plus récentes, sur l'histoire et sur la situation
de Cœre, Je ne saurais cependant, et je suis obligé d'en faire ici l'ob-
servation, adopter pour mon propre compte toutes les déductions que
le savant auteur a cini pouvoir tirer des témoignages historiques qu'il
allègue, relativement aux premières époques de l'existence de Cœre,
Ainsi je ne puis être de son avis sur ce qu'il fait de Cœre une ville
distincte des douze cités étrusques, en se fondant sur l'origine pélas-
gique à'Agylla ^. Les deux faits n'impliquent entre eux aucune contra-
diction; Agylla, habitée d'abord par une population indigène, puis
occupée en commun par les Aborigènes el les Pélasges, comme nous la
représente Denys d'Halicarnasse*, a bien pu devenir ensuite une des
douze cités étrusques, lorsque la colonie lydienne s'y lut établie, con-
jointement avec les Pélasges, sans qu'il y ait la moindre difficulté à ad-
* T. Xli, p. 3&-4Â. tav. agg. E. — * Voy. ce qui a été dit dans ot iouroal même,
mar9 i843, p. 129-150, sur ce système d'architecture, que tout tend a faire attribuer
aux populations pélasgiques de la Grèce, de TAsie Mineure et de fltalie, mais non
)as peut-éti'e dans des limites aussi exclusives de temps et d'espace que le pensait
:eu M. Petit-Radel. — ' Desciit. di Cereantica, l' part. p. i5 : «Imperocchàalla<àtlfi
di Âgilla si Irova indîcata una dîslinU provenienia. a — ^ Dionys. Hal. m, 58<
i
S46 JOURNAL DES SAVANTS.
mettre ces diverses successions de peuples, toutes attestées par des Btw
teav» dignes de foi. L'élément indigène, l'élément pélasgique ou gi^,
et félément asiatique Oii tyrrbénien, peuvent très-bien s être combinés,
A ^Terses^ reprises, dans la population de Cœre, de manière que Strabon
nifpo parler du trésor que les Agylléens avaient à Delphes, en qualité de
peuple grec d' origine^ ; que le même auteur ait pu attribuer à Yhiéran
d!IUtk)rie ou de Leucothée, qui existait à Pyrgi, une fondation pélasgique ^;
que Virgile et la plupart des poètes grecs et latins aient pu rappeler
rétablissement des colons asiatiques venus de Lydie sur remplacement
de €mre ', sans qu'il y ait lieu de contester à ces divers témoignages la
moindre part de leur autorité historique ; car toutes ces notions peuvent
trèa-bien se concilier entre elles, et je ne vois pas sur quel fondement
M% Canina a pu douter que Cœre, ville primitivement sicule, puis pé-
lasgique, soit devenue plus tard une des doure cités étrusques, comme
o'«8t le cas pour Cortone. La manière dont en parle Denys d'Halici^r-
iitsse, à l'époque de la guerre qu'elle eut à soutenir, aussi bien que
Véie9, contre Tarquia le Superbe^, semble ne pouvoir convenir qi^à
)Vipe ée ces douze cités principales , dont Véies faisait également partie;
et jusqu'ici, du moins, tous les critiques se sont accordés à ranger
Gmre parmi ces villes, dont la doueième, la seule qui fût encore incer-
taine, parait avoir été Vakiy d'après un monument découvert sui*l'emr
plaoenient de C€Bre même, et récemment acquis à la science^.
Un autre point sur lequel je me permettrais de m'éloigner encore de
fiipififion de M. Canina , c'est l'époque qu'il assigne à fémigratîon
^fndiénienne. Sans entrer ici , sur cette question qui a exercé le savoir
<fo tant d'historiens et de critiques, dans une discussion qui serait tQui
â'fiiit déplacée, je me borne à dire qu'en adoptant, sur la foi de V^-
lei«» Paterculus ^, la date de la mort de Pyrrhus, à Delphes, pour celle
de l'établissement de la colome lydienne en Etrurie, M. Canina me
' Sirabon. v, aao. — * Idem, v, aa6.-^* Vii*gil. i£â. vin, ^ySsqq. cf. Lyçophr.
ÛMfonrfr. ir. lâôi sqq. Tous les passage» relatîls k lorigine l^dieone des Tyrrbé*
nilByi^ ont été recueillis avec tout le soin , mais je D*oserais ajouter avec toute la
critique désirable, par Tantiquaire romain feu G. Fea, dans son écrit intitulé :
Siona dei vasi dipinti che da quatlro anni si trovano netto Stato ecclesittstico , Roma,
i83a , in-8*. — Dionys. Hal. m , 58 : Û irpàrepou fièv kyvkXa èxakeilo inrd
èi^t^^^fif»i^v6kMnf, Koi wêÏMémO^êsmc, — * Cest un bas-relief représentant trois
été -momze peuples étrusmes, noamiés VeimloneMei, VukenUmi,. Twrqvâfiienin, et
dtitiné 1 Mve eocai^tré daof une des iaces d*un antel oairré; ca «looumi^ot a élé
4étNril par lii Cmûna, dui»^e fin/Zetf. Amhtoi dt iâ4o, |K 9:^-94. -^ * Ve)i Paton).
I, 1.-'
JUIN 1843. 5&7
semble avoir anivi la tradition la plus difficile à concilier avec Tensemble
des Ëdts historiques. Je n'ignore pas qu'Ott. MûUer, dont Tc^inion sur
l'extraction asiatique-et lydienne des Tyrrhéniens ^ ne s'éloigne pas beau-
coup de eeUe que j'avais exposée moi-même dans mon Histoire des Co-
loniefi grecques %a cru pouvoir fixer l'arrivée de ces Tyrrhéniens de Lydie
vers le temps de la grande émigration ionienne; ce qui rentre dans le
flgfstèœe adopté par M. Canina. Mais je suis plus que jamais convaincu,
par l'examen de tous .les éléments delà question chronologique, que la
date assignée par Ryddus' à l'arrivée des Tyrrhéniens , un siècle avant
la guerre de Troie, est celle qui repose sur les meilleurs fondements
hi^riques ; et la principale difficulté qui s'élevait contre cette manière
devoir, celle de lagénésdogiede Tyrrhénus, rapportée à l'Hercule grec,
devra disparaître, du moment que ia dynastie des Héraclides de Cydie
sera reconnue pour un rameau d'une dynastie assyrienne, ayant pour
chef l'Hercule assyrien Sandon , bien antérieur à l'Hercule helléniq[ue ,
ainsi quej^e me suis attaché à l'établir dans un mémoire particulier fur
cet Hercule^. Je n'en dirai pas davantage sur ce sujet, me contentant
de la réserve que je viens de &ire contre l'époque , beaucoup trop ré-
cente, suivant moi, assignée par M. Canina à l'arrivée des Tyrrhénieiw
en Italie.
C'est dans la troisième partie du livre de cet architecte que se trouva ,
ainsi que je l'ai observé plus haut, la description complète et détaillée
du grand tombeau, découvert en i836, principal objet de notre exa-
men ; et tant de motifs d'intérêt qui se rattachent à ce monument noos
font une obligation d'apporter à cet examen tout le soin dont nous
sommes capables. Le tombeau dont il s'agit occupe une position, la
plus voisine de l'acropole de l'antique Cœre, avec une direction veraia
mer et au voisinage de la voie qui conduisait k Ppyi: toutes oiroODi-
' K. Ou. Mûller, die Etnuker, Einleitung, p. loi, 68). — » T. I, p. 35a-368.
— * Rjck. Disaert. de prim. Ital cohM. c. vi , p. à^a-à^h- Ce D*est pas ici le liair de
discuter les opinions, contradictoires sur presque tous les points , et généraleoMil
fondées sur des motifs tout à fait arbitraires, que des critiques de récoie de Niabohr,
tels que M. Lepsius, ûbertUe Tjrrhenischen Pelasger in Etrurien, Leipzig, i842, 8%
ont avancées sur Torigine des Tyrrhéniens et sur leur établissement en Êtrurie.
J*aarai , ailleurs , plus d*une occasion de dire ce que je pense de cette manière de
traiter Thistoire ancienne, où Ton tient plus de compte de ses idées propres iqae
des témoignages antiques, et où Ton accorde plus de confiance. à. des rcasanàblanats
de mois, qui ne sont souvent qu*apparentes et presque toujours fortuites, qu'à tout
un ensemble de fieiits et>de traditions admis par raniiquité idle-mème. p-^^siotîtalé :
UdmiM^ imr L'Hercule Mi^yiûn M mhénkiÊn, comUérà JmiÊ jeu nifforU>wom tthr-
cu!e grec » principalement à l'aide de V antiquité figurée.
44.
348 JOURNAL DES SAVANTS.
tances qui prouvent que ce dut être un des plus anciens monuments
de la cité pélasgique; et toutes les particularités relatives à son architec-
ture viennent à l'appui de cette première induction. H consistait prinii*
tivement en une excavation pratiquée au sein du tuf, revêtue intérieure-
ment de pierres, suivant un mode d'assemblage que nous indiquerons
tout à rheiu'e d'une manière plus particulière, et terminée extérieure-
ment par une construction circulaire en forme de tamalas. Ce sont là
les conditions communes aux plus anciens tombeaux, tant de cette lo-
calité même, que de celles de Valci et de Tarquinies, qui ne peuvent
encore se rapporter qu'à une haute époque de l'antiquité. Mais, ce qui
devient ici la preuve péremptoire de cette antiquité, et ce qui constitue
une particularité unique et de la plus grande importance, c'est que ce
tombeau reçut, avec le temps, des additions qui signalent autant d*é-
poques successives, et qui tendent conséquemment à reporter à une dfite
de plus en plus reculée la construction du monument primitif. Ainsi
il a été reconnu que d'autres sépultures, au nombre de ciVi^, avaient
été pratiquées dans la base agrandie du tamalas , et que , sur cette base ,
considérablement accrue « il avait été construit un nouveau tamalas de
la plu» vaste circonférence qui ait encore été observée dans cette partie
de l'Italie; et c'est par le fait de cette adjonction de nouvelles sépul-
tures autour du monument primitif et à sa base^ que ce monument s'est
vu conservé jusqu'à nos jours dans son état originaire, avec tout le mo-
bilier qu'il renfermait. Effectivement , il se trouvait enveloppé au sein de
ces constructions d'une époque postérieure, de manière à avoir pu
échapper aux recherches des violateurs d'anciens sépulcres , tandis que
les tombes ajoutées dans l'enceinte extérieure étaient restées accessibles
pour eux. Ces tombes furent donc facilement visitées et dépouillées
de tout ce qu'elles contenaient, sans que les auteurs de ces dépréda-
tions se doutassent qu'il existait un autre monument dans la profon-
^tHU* du tamalas. C'est donc à cette circonstance, qui prouve l'antériorité
de ce monument, qu est due aussi sa conservation, et par là lacquisi-
tion d'un des trésors archéologiques les plus précieux qui aient enrichi ,
de nos jours, le domaine de la science.
Dé toutes les circonstances qui se rapportent au monument en ques-
tion il résulte déjà, avec toute probabilité, qu'il appartient à la plus
haute époque de l'antiquité pélasgique ou étrusque, seule alternative
qtli 'puisse se présenter ici, et dont la solution doive nous intéresser.
v!i Vbjfei dans le li^re de M. Canina , la planche v ^ qui offre le plan et réléyation
reilÉùrée du grand tumului, et qui permet d'y reconnaître les adjonctions faîiet
au plan primitif.
I •
JUIN 184&; '.; ;<'!. 3â9
lic système (f architecture qm s'observe danb sa«feon6tructicm.vi6at ajou-
ter encore <^ cette présomption un élément nouveau et des plus euvieHak
de tombeau se compose d'un long corridor^. dont le ipian est rectah^
iaire, flanqué, à droite et à gauche, de deux chambres «dont le '^laiÉ
est;«Uiptique, et aboutissant, au moyen d'wiei légère déviatioikiide là
ligne droite, a une longue cella, par»llement de; forme. iieiotangulaÎEei,
dont la couverture est formée de blocs parallélipipèdesi/aasemblés paôf
assises horizontales et tendant à se rapprocher vei^&iei^^atne^.sdsvaiit
une courbe détei*minée par deux segments de cercle opposés Tm^^A
lautre, mais interrompue, à peu de .distance du point de jondicttî^dc
manière à laisser entre ces deux segnpents:un ehfondeméâ^ en foclk'é
de>canal étroit ^ Ce système. de voûte en.arc 4iigttpArh*'pToh^\Aemmti
dériiré de la voûte dite en encorbellemeni, dànX léé arêtes aui^enfcélii
abattues, est celui qui sobsei*ve dans les piu& anoiesuMS construcAiooi
grecques conservées jusqu'à nous» telles que \e4résor outombeaad'AMë,,
i Mycènes, et celui de Minyas, k Orchomène; et, d après deipamiis
exemples, on ne risque rien d attribuer au tombeau dc.Céerft,*cité d*orii-
gine pélasgique, une antiquité qoi s accorde avec celle-tà, et quijnésiÉitel
d'ailleurs, des circonstances que nous avons indiquées en premieD iieui
Je dois ajouter qu un des cinq ioii|d)eàux. pratiqués' à la base-du-mème
4amo2iu était voûté suivant le mênie> système^;, ce qui proave^ue^ies
additions faites au monument primitif appartiennent elles-inèmesV'au
moins en ce qui concerne ce tombeau , è une égale aoticpiiléll J'dbservr;
de plus, que les portes qui conamuniquent du Ipngcoirîobi^ttUK'deiui
cella latérales de forme elliptique sont construites d'aprèsj uh .syalèDM
analogue, cest-à-dii>ev en fonne de pyramide ^non^^e, fbcoislfpiipecféi
trouve dans les portes d anciennes cités pélasgîquesî telleff.que jS^ma
et Circei. Tout concourt donc à assigner au ixîonunleot qui nous occupé
uiie antiquité dont la détermination fnnéoiseéchatppe' seule àî notre api
préciation, mais qui doit, en tout cas, étpe antérieure à la £x\datkilrde
Rome. Comme cette question, en elle^mèmeiet par rapport atOLobjéb
tnmvés dansie tombeau, est d'une grande importance,:! M.. GanèHLJa
cru devoir en faire Tobjet d'une discussion .approfondie ; et, par lai mémb
raison, nous examinerons les motifs q^uJl allègue et les résultats qu'il en
^^duit- • "„■" ].\ . \-^ >
: ! .1 ;.'., . » .jlJ* l'J
^ On avait pu déjà remarquer un exenvple de oeMe elipèoecde «MMljprftlif||ié «ta
idle*d*une voûte aigué dans d^aatre» ti>iiibei|ttx de CWa^et j*eii'at fiwtfbbiepiilbp
daosmon premier article sur ces toinbeanb; y^^y.'J&ar^.id€$iBmUwni»l'è^3li,'p^o6ê*
— » * C est ce qui résulte do témoigMg«: dv D' BÎnni»; dn» UBtdkt. Mf lAsdl
Arckêol i836, p. 67 et 62. t-ir . ï • -v>a.* *
360 JOURNAiL DES SAVANTS.
}l êfltiniiftiit de recfaerdbmr aujourd'hui -si rinv«ntion du tystème de
.yoùte è ¥OU590»& ou en daveaui appavtieot Fédttement à Dëmocrîte
d/Abdèro, comme le prétendait Posidonius, cité par Sénèque ^ Cette
Inldition, réfutée par Sénëque lui-même, ne me parait pas digne de
là oènfiance que hn ont accordée des oiitiques modernes généralement
aisex wcrédnlcs en fait de 'prétentions «semblables ^. Tout ce que Ton
pourràitadmettre^ ee aenâ: qixf le procédé de la construction des voûtes
en élaveails «n'ait été réduit par Démocrife en une théorie scienti*
fiqoev an tien d'être livré > comme auparavant, à une pratique purement
^dîliônneBeJOtt. MuUer suppoisait que Démocrite avait pu apporterde
Vbalié en Grèce l^rt des voûtes , pratiqué dès ime époque plus ancienne
dms'ia première de ces contrées; mais ce n'est là qu'une conjecture
dënliée'deipreuves. Ce qui est certain, et ce qui résulte de Tobservatioû
même de^ monuments enccAre subsistants de nos jours, c'est que les Ro-
mnds ^construisirent des voûtes à plein cintre , au moins à partir tle
ilipoipie du premier Tarquin, puisque ia ehaca mazcôità, commencée
pur lee grince, est voûtée suivant ce sji^me, et qu'il ne saurait, après
le i lémoigoage , si formel de Pline et l'assentiment de l'antiquité tout
entièrei^mbsister dedouteraisonnable^url-épooptede cette cQnstruction^
doëjuucideux'iroiside la^fiunflleTaoqoînia.M. Canina me semble donc
aybir^nte raison > d'opposer là cloacamaximaf dont une partie ooasidé^
sable )SMiisisteienôore aujourd'hui, A la prétendue invention de Démo-
crite. H» hllè^pii^ ^ensuite un autre monument romain, où la présenoe
dîmie THétB myuë, rapprodhée d'une woâte cimtrée , semble propre à dé^
lacBËinerde passage d'uui système de coifstruction à l'autre et A en fixer
J^oquejehrîmblogique :\t*«stle fivneux; eareer TuUùmiis M Mamertinas^
qui i^'compdke, comiÔDron sait, de deux caveaux superposés, dont
V<fu, lïaférieur, ou le ToUionom , avait une voûte construite par assises
horizontales déorivairt une couribiev et'rautre, Je supérieur, ou le Ma-
fii4r/!tÊRttiii, !cat,>au contraire., voûté ^n plein ciati^ , au^moyen deperres
àkftaées^en claveaux. M. Canin» a donné, sur l'une des .planches (x)
ajoMléeé^ii AoQ, liyre,2les plans et des coupes de cemonument, si célébra
danad'biâRtoiréet si knportanti dans l'architecture des Romains.
'Seàec. Ëpist, xc. — * K.'Ou. MûHer, Handb. der Archàolog, S 107, a ; cf,
$168, à- Démocrite mourut âgé de quatre-vingt-dix ans, la i"* année de la xcit*
olympiade. On pourrait donc rapporter Tinveotion dont il s^agit vers la lxxxvi*
tàna^ftiàê^n iam JalpitBiiAre'amtié du v*'êîèclie. avant notre ère, qui jeat Tépoque
ùi flrafîL'néÉM>cffile, isalon la clih>oiqiie <l*£u8èbe. — ' «Les doutes de Hirt, dans
sÉlà Hfslhiitii dèf TArohitacture^xt. J,/p. aAft,*iMift été rérulés avac toute raîsan par
IUBbilsën,>AMdu^*iMy)40rr«Éiib 'A>iii, ï« j5a; laagr. amsi jivNrf. MCJnÊkial. Ap-
4|iot. 1. 1, p. 44
' 4MHÎ*i;l«43./ M KM. SSt
Mm il i)e»te 6ncoir6^}inênie^aipràsi toi|Si ksi éplaieoiaaeiteBifes >^vil «et
t^Btré'à ce sujeti« quelques <lilSieuUés( 4(ue je oojmiift.tneifdîlpQipëniée
lui soumettre. D'cd>0rd«:il est ceitaiH que te.MrMttiiODiqutiappliipieile
nom de TManmù9i^ ct<ve9U!Î&férieur« et qui en» «tinbwe ia^ttotiatmiif
lion au rcâ Seifvim Ta]/îffi,. tradition )qùîisft.rotide' jSur'kli témo%néffét
de Vanron ^ de SaUuâte^ et die Festus ^..acoutrei elle 'une! ànjKMaâiiJité
matérielle et uue conti^dîclipA bistcH'iqueH.en oe que le cavisaursupén
tiwr, ou l^.ifamteriinwit qm repose. ^ôvidiémmeniia:^ les: mu» laio
TMUianam, serait pourtant = d'ui)è.époqsiê:;abiériûure'^ comme l-céiiftré
d'AwuB Martias^ L'ordre aàtilre):)#tiiéQec»aifé.%^cettj deux cods
tÎQvs superposées : ^ que Viofétiettre rait .pt4oéd|é')ia ^siipérieurej; 'àfadi
il suit que, si; la pnsm i^fie^paf!i4[nAa9 Jlîfiit^
LiveS es! le caveau^ auquel se donné j de M^mAt Mamertikum , c'est*
à -dire le caveau si»périeHi>^ il 'n*esl pas po^sUtte que ria£ëneur aoit
Touvrage de S^rvias TulUaSiMeR qaA ait pôlrté dans Tantiquilë le.\nâfB
de TfilUanum* On. a essayé de: lïésoudre cette difiBcillté fai^riqiie./ ei^
supposant que ee n'e^t pn^S^w TitUws^m%\$i-^uUas HosiUins: qniiiai^
naît constmit le TalUma,m:'mik cette version , suWitt. par Aun/VioèoBl
ue peut se soutenir, noa^seulement eottire le tétooigaage. de 'Eleslnm
mais conti*e Tusage mènie de la laague, qui. n-a^orait pas donné le ndm
de TulUanam à \m monument d&' i TwUms HcûiUiuSf attendu ^eicest
au namr de famille » et non au prénom, que se rapportaîeiftt ces sontm
de dérivés. Et, de même que b ciim bâtie par Talks HùsiiUas a'ap
pelait caria Hostilia, et non Tullia, le carcer du Forum romain, se
serait appelé carçer ffastilius , et non TalUanuSt s'il eût élé.rœiivré de
ce prince* Le moyen adopté par sir W. GeU^ et d*autreà>antiquaii«Sy
pour mettre ici d'accord Tbi^oire et rarchitecture • en attribuant In
caveau inférieur au trojfiième roi de Rome, et le supérieur an quatiîàmol
n*est donc qu une diffîcidté^ de pi^^ Une ^(re objeotioii » dont on n'a
pa£^ tenu compte, et <fuil semble memet que M. Ganinn n'ait point
aperçue, se tire des pacoles mêmes de 1$ description siconikie cpié>£rit
SaUuste da TuUimivn^. L^bistorien repNseote ce caveau comme njant
* Varro, De L, L. (iv, v, i5i) , $ i48, p. 58, éd. K. Oll. MûHér. Lips. t833, în-Ô^i
— * SsUust Bell, CatUin, c. lv.u^ * F«tt t.TuttSanum, p. ^jit^ éà: lindemâttiT:
— ' TèL Liv. 1 , 33. -T- ' & W^S^'^fha^ff^l^h ^^^ W Ufivkinitff Uifi^dai^
i83Â, ia-8*), t. II, i<i(Ma .p;,âo74 -- * SaUint. fif«. Çatmn.j^.i.yhi^li^)^
in carcere, quod TuUianam appellatar, ubî paululum descenderis àd Icvam , circiler
4ufKledin p^es bomi deprcnav^Bf E^t^m mNiniiHit undique pamlsa* nique* înaimr
ejus (acies est. ■ •.: . •o' vA' . •... •..:i;. ■ .: *-
3B£ J0URNA£5Ëâr BAVANTS.
lRKivai^<iAi(«bwttàx»; ctil^t^ipoufta qtie le cav^ïau inférieur^
odui'qimitdtit^franlMtililé romione a coimn so¥id'4e nom de T^tUfansm^
est^qâl^quÎTapt ai^t^stèfaié tout différent. Saliuste ti'avait-il donc pas vu
d06dB7e«?f;ëetl^pH8oii>, Aont^ donneWupianl une idée êi effrayante et
ii>gèn^niè; dtii reste v&'ia vérité p ou bien , paf ^hé diétrcfction qui n au-
iâîtioKivi^^ÊiMiitnvraiseniblable/a^T^ft-i) appK^ caveau infér/enir
kbfwcQiBstiace de tf)âf^ è'^latfetinx; eixmêrm hpiiéhfornmbds vtncto, <<{ui
oàniic&ait m supérieur? Ce sont^Ià^ autant; de attestions dont il est bied
difficile deidcmnerfunê'Sdkitit^^Mitîsfeisahte, et qui intéressent potfn-
tmtài»ii>tDètt4btrtde|g^éiiicctt»aaiftsà9i(^de>l'bi^ romaine et eeHe^db
FfiirbhitTOteire^qbeziiie '^o^Iq. Cia 'MMitisk)h à laquelle s arrêta M. €a>
nibà\ en i*eil tenant ximfpôtedbient^àJtobservatiDn du monument même,
deat à savoir, qub le ca^isan iiiférîeuK i>onstrait en vaàte aignê, appe^r^
tient au règne d'Ancus' MairtiM^* et ijue le ca^au supérieur, avec sa véd/r
àfieiaV^ùiir^^^si rœu^reîtfupè'réfitapuratldn,' exécutée' en l'an de Rome
'j'j5;BOjmsi&hàm\»kà!i&é G-^VibiaslRtifiîrtUs^fet de M: Coccéius Nervaf/siii-
vaotinaie^^pl^tib&^m seik>etibôVe'm'>gfBAd4 erbeam ca|rabtère$ $tir
la Ifefii61atd^e ce ittbvmramiiî Ce s'^ccbrde trtâr-^bben
aret>. fdsfdoifQées'aifefaitecftonHfiesjfS'ij)^ défaire diispa-
raître?!é;:nom de; l?oi/«irta7n:;' en s0i»te*'iq\ïé,''poxir radmeltre, H faut
rexionnaprtreicpiié^ T^iquiU wik% ^entière ^ $^efifl trompée , en donnait fk
BCdn de. Thttnmatxf au caveau inférieur d^une prison qui joue un sr]granfd
vqle et«d<dcit^le'nbiiÀ revient si fréquemment dans tout le coursée t*hî^
toice de Aonaei -•'''• •'^' ■ '-■ . ^)''^^ ■"" .>"\- '. -. •> J'y
•hJenexrèui pas, en essa^yant'dè réjpohdre à Vies objections, m>xposef
ùpajoutpri'moi-aièmé de'nouVelfés diffictiltèi à ee problème arcbéofe-
giquBjJb the bornemi 4 fifer des éléments db la construction uiôroe»
tob tpi'ils lOWt été constatés en derriief' feu {'^t<fft*ils sont ekpdséfep datt's
les dess(nslde»M.'Camnr<»etdanS»cteUx IfcS? WK^eU *, les irtductions t][ui
sairappbrtent i Tobjet de^d^tre^eiam^tiiiil^ilblsiine encotie, du plus pi^-
foikdd^s écux caveaux 4o la ^lêo'fivcfmikitië , trois des assises 7nférieiif<è^
de sa constroction primitive {ieic'pîerresert'^ioht di^ôl*<^ par lit^ 'borf-
zontaux, de manière à se rapprocher du centre, suivant le système do
lîir^ttte^jji^u^y prajjqjiié pariq;^G|?ecs aux Trésors d'Atrép et de My^ias^
syi|{4rao(loiii p«> a aussi detiHâfitemfiIes dans iplusaduneaiieienkie' ville
pAlàsgibueid-ItaKé ; notafihment à iSuna^dans l'éiMissaire deTascidstm^, et
Aei^tefécHisàdti/âTiifaûm^^ atoclens tombeaux,
rlii": . '■nri'»-' b^ -t ' :' .' li-'^'w::» iij. H;i .••.un 'i-wi. *:•• . •.».' •» i.ij
pi. Il; Canina, l'Andco Tuscoh, tav. xiv. ' ''- **'i
JUIN 1843. 353
dessiné à celte intention par S. W. Gell ^ et par M. Canina^, est voûté de
ia même manière. Ce caveau,, ainsi construit, est certainement le plus
ancien des deux, car il supporte directement les murs du caveau supé*
rieur; et, soit qu'on Fattribue à Âncus Marti us , en y appliquant le témoi-
gnage de Tite-Live, soit qu'on persiste à y voir l'œuvre d'un autre roi
de Rome , pris plus tard pour Servius Tullius , il appartient indubitable-
ment à une époque antérieure au règne du premier Tarquin , auteur de
ia cloaca maxima. Voilà des faits qui peuvent être regardés comme ac*
quis défmitivement à la science , et d'où il résulte qu'à Rome , comme
à Tarqainies , le système de voûte aigné était pratiqué du temps des pre-
miers rois, à plus forte raison dans les époques antérieures; et, comme,
d'un autre côté , on trouve à Rome l'usage de la voûte cintrée , à partir
du. premier Tarquin , qui peut avoir apporté ce nouveau mode de cons-
truction de Tarquinies , dont une des portes anciennes , découverte eh
1829, a offert une voûte construite en claveaux , rien ne s'oppose à ce
qu'on admette, avec M. Ganina,.que cette révolution dans le système
de iarchitecture , d'abord réalisée chez les Étrusques de Tarqainies , et
introduite à Rome par la famille des Tarquins, s'est opérée dans l'inter-
valle de la fondation de Rome à l'avènement de Tarquin l'Ancien. Telle
est, sur ce point important de l'histoire de l'architecture ancienne, la
conclusion à laquelle je m'aiTete pour mon propre compte; et ce
qui en résuite , par rapport au grand tombeau de Cœre qui nous occupe,
c'est que ce tombeau, qui oflre une voûte aiguë, avec toute l'irrégula-^
rite qui caractérise une construction primitive , remonte certainement
au delà des premiers siècles de Rome. C'est là une conséquence que je
crois irrécusable', et qui me parait inBniment grave, non-seulement à
cause du fait même qu'elle constitue , mais encore par rapport aux ob^
jets d'antiquité déposés dans ce tombeau , et qui doivent devenir de notre
part l'objet d'un examen particulier.
Quant à la question de savoir à quelle époque et à quel peuple appar*
tient l'invention de la voûte en claveaux, cette question, très-importante
sans doute pour l'histoire de l'architecture ancienne , est étrangère à
l'objet de notre discussion actuelle , et je ne m'y arrête pas plus que ne
l'a fait M. Canina , qui, après avoir rappelé, sur la foi de M. Wilkinson*,
* S. VV. Gell, The topography ofRome, t. II, Addenda, p. 4o8. — ' Canina, ùei^
criz. di Cere, etc. ibid. tav. vii, p. gS. — ' Cette conclusion a été admise par M. Lep-
siiis, de Tassenliment duquel u m*est d*autant plus permis de me prévaloir sur ca
point, que je diffère davantage de ses idées sur beaucoup d autres. Voy. sa diaier*
talion ûernie Tyrrheniscken Pelasgerm Etmnen, p. 45-46. — * Wilkinson , Tofoyr.
of Thebes, p. 81 ; voy. Lepsius, Ballet. delV Instit, Arckeol. 18^7, p. lai-iaa,
45
354 JOURNAL DES SAVANTS.
cfii'U existe, dans d'anciens monuments de Thèli^s, en Egypte, des
exemples de voâte cintrée, datant dtt règne d'Aménophis i*, observe
avQG beaucoup de raison que ce système de voûte ne semble pas tenir
essentiellement au principe de Taichilectui^e égyptienne. Le fait est que
les Grecs purent être très-anciennement conduits à Finvention de la
voâte en clavemtx , dont le germe s observe déjà dans plus d*une cons-
truction cyclopéenne de Tàge pélasgique S et dont Tidée dérivait si
naturellement du système de construction en charpente propre à Tar^
chitecture grecque , ainsi que Ta démontré M. Qoatremère de Quincy \
qu'il est presque impossible d'admettre que les Grecs n'aient pas trouvé la-
voâU en claveaux dans la pratique même de leur construction en bois,
sansle secours d'aucun peuple étranger. Mais c'est, encore une fois, une
question qui ne saurait être débattue ici ; et le seul point sur lequel
nous ayons dû insister, c'est que la voûte aigaë, telle qu'elle se remarque
dans notre grand tombeau de Cœre , ayant nécessairement précédé la
voâte cintrée, dont l'introduction , historiquement avérée , à Rome, date
des temps de Tarquin l'Ancien , il en résulte , pour ce monument de
Cœre, la preuve d'une antiquité supérieure aux premiers siècles de
Rome. -Mais là s'arrête l'assentiment que je puis donner aux idées de
M. Ganina ; car, lorsque ce savant architecte croit pouvoir attribuer la
construction primitive du monument qui nous occupe à l'époque pélas-
gique, en le regardant comme l'œuvre des Pélasges thessaliens établis
à AgyUa , et lorsqu'il rapporte les additions faites à ce tombeau à l'é-
poque de l'arrivée des Tyrrhéniens de Lydie, à raison de la forme de
tanmlas, qui lui parait imitée de celle du grand tamalas d'Aly atte à Sard^
décrit par Hérodote, j'avoue que je ne puis adhérer à une pareille ma-
nière de voir. Le style des divers objets d'art trouvés dans ce tombeau,
bien que fortement empreint d'une influence égyptienne et asiatique,
ne saurait appai^enir à une époque aussi ancienne que celle de la guerre
de Troie , comme cela résulterait de l'opinion de M. Ganina ^ ; et l'em-
ploi des caractères étrusques, gravés sur plusieurs des vases qui compo-
saient le mobilier funéraire de cette tombe , s'oppose invinciblement à
ce qu'on les rapporte à une époque pélasgique. Mon opinion , fondée sur
* Une forme arquée ou curviligne , dans fassemblage des blocs de pierre , a été
remarquée dans les murailles de plusieurs villes cyclopéennes, notamment à Norba,
AnneL deW Instit Arekool. t. I, p. 66, et 67, *) , et à Albe des Èques, où cette dis*
position , regardée par quelques antiquaires comme une tendance à l*arc , a été ,
il est vrai, rqetée, et avec raison, suivant nous , par M. Promis, Aniichità di Alha
Fuceme, p. iia-ilb4* — * Dictionnaire d'Architecture, au mot Voûte, t. II, p. 697-
698, s'.édil. Pariai i83a, in-4*. — ^ ' Desctizione di Cere aniica, p. 71-73 et 80.
JUIN 18W. 3W
l'examen consciencieux de tous leséiétiiei^ts de k question , et fortifiée,
s*il m'est permis de le dire , par la connaissance personnelle que j'ai ac-
quise des monuments dont il s agit , en les examinant à plusieurs reprises
au Museo Gregoriano du Vatican , mon opinion est que le monument qui
renfermait ces riches débris de la civilisation antique , où rien d'hellé-
nique ne se remarque, tandis que tout y porte Tempreinte d'idées asi^
tiques, avec un goût de travail qui tient beaucoup de celui de l'Egypte,
appartient à tme époque où ilorissait la civilisation étrusque dans toute
l'originalité des éléments qui la constituaient , et avant que l'influence des
Grecs, que je rapporte à rétablissement k Tarqainies du Corinthien Dé-
marate , eût pu s'exercer d'une manière tant soit peu sensible en Etrufie.
Ce serait donc vers le vu* ou le vni* siècle avant notre ère que je rap-
porterais (a construction du tombeau de C^ere en question , et j'avoue qtiè
je ne crois pas qu'il soit possible de la feire remonter au delà , et encore
moins de la faire descendre au-dessous de cette époque, tant que nous
manquerons d'éléments positifs qui permettent d'adopter une détermi-
nation plus précise.
Il s'agit maintenait d'examiner l'intérieur de ce monument, tel^uHl
s offrit aux regards de ceux qui le découvrirent pour la première JFois, le
la aviîl 1 836 *, avec tous les objets qu'il renfermait, et qui occupaient
encore leur place antique, sauf les dégradations et les désordres qu'atait
pu causer, dans la situation de ces objets, l'éboulement des pierres et des
terres produit par le cours des siècles. Effectivement, une partie delà
voûte s'était écroulée; la chute des pierres avait écrasé la plupaii des
objets placés dans la tombe, qui se trouvait aussi, par suite de cet acci*'
dent, presque entièrement remplie de terre, et qu'on ne pût parvenir
à déblayer sans déranger encore les nombreux débris de ce mobilier
funéraire, malgré le soin qu'on apporta à reconnaître la place de cha-
cun d'eux; et voici, d'après la réunion des observations les plus atten-
tives faites sur les lieux au moment. même de la découverte, ce ij^t'on
put recueillir de plus exact sur le nombre , la nature et la dispositioii
respective des objets qui avaient été déposés dans ce tombeau.
Cet hypogée se composait, comme il a été dit plus haut, de deux
longues cella, dont la première paraît avoir été destinée, dans la cons-
truction primitive, à servir de vestibule, et la seconde doit avoir été, daps
cette hypothèse, la chambre sépulcrale consacrée uniquement à la pert
sonne dont on y retrouva les restes. Cependant , i) «est certain que r^
' Les premiers détails sur cette importante découverte se Ux>uvent dans le rap^^
port de M. le D* Braun, inséré au ButtetdeV Imkt, Arekèol't%i6, p, 56-6ft.
45.
356 JOURNAL DES SAVANTS.
vestibule servît aussi à recueillir plus tard ia dépouille mortelle d*un in-
dividu que des liens étroits de famille et de parenté rattachaient, sans
doute , àia|)ersonne ensevelie dans la chambre du fond; et ce fut proba-
blement à répoque de cette seconde inhumation que furent pratiquées,
à droite et à gauche du long vestibule, les deux chambres de plan ellip-
tique qui ne renfermaient que des vases de métal et d'argile, avec des
figuiines de cette dernière matière. La porte qui introduisait du vestibule
dans la chambre sépulcrale avait été murée presque aux deux tiers de sa
hauteur par deux assises de pierre, de manière à empêcher toute comr
munication entre les deux cella; ce qui démontre bien que celle du fond
était une tombe distincte et séparée du reste du monument. Sur Tespèc^
d'appui que formait le second des blocs de pierre étaient placés deux
vases de bronze de forme pareille , et sur les deux montants de la porte
étaient suspendus deux vases d'argent sans ornement : c'est le premier
exemple d'une disposition semblable qui ait encore été observé dans les
sépultures antiques. La nature et la matière des ornements qui accom-
pagnaient le corps déposé dans la cella du fond autorisent à croire que ce
corps avait été celui d'une femme; et le prénom P1I0OP1J [Larthia), qui
se lisait gravé en lettres étrusques sur plusieurs coupes trouvées en cet
endroit, et qui est le prénom féminin usité chez les Étrusques, rend cette
induction à peu près indubitable. Une présomption du même genre^ et
tout aussi plausible, résulte de l'ensemble et de la nature des objets qui
avaient été disposés autour du corps enseveli dans la cella antérîeure
ou le vestihule; ce devait être un guerrier ou un pontife de dbtinction,
probablement le fils ou l'époux de la femme dont l'inhumation avait pré-
cédé la sienne. Voyons maintenant en quoi consistait le mobilier funé-
raire de chacune de ces deux parties du monument , consacrées à deux
individus de sexe différent, en commençant par le vestibule.
Le premier objet qui se rencontra près de l'entrée même était un
réchaud de bronze placé sur un trépied de fer. Venait ensuite un grand
meuble d'une forme extraordinaire et d'un travail tout particulier, qui
sembla; n'avoir pu sei*vir qu'à l'usage de parfumer la tombe. La des-
cription en ferait difficilement comprendre la composition et le style;
mais le dessin qu'en a publié M. Grifi ne laisse rien à désirer sous ce
double rapport^: la forme générale est celle d'un candélabre, et les
parties dont il se compose sont au nombre de quatre, c'est à savoir une
base conùjue, sur laquelle posent deux globes ajustés Tun au-dessus de
l'autre, et surmontés d'un récipient en forme de cratère; le tout est
* Monwnenti mUiçhi di'Cere, «te. tat. xi, a.
JUIN 1843. 357
couvert de figures d'animaux symboliques, lions et taureaux, tantôt air
temant, tantôt opposés Tun à l'autre , lions ailés à tête humaineet griffons
ailés, lions ailés et taureaux ailés , toutes figures dont le type est certaine-
merit puisé dans Tarchéologie orientale , et dont le style accuse mani-
festement un modèle asiatique. Le meuble dont il s'agit, par sa forme,
par sa destination et par son style, est donc un des objets d'antiquité
tes plus rares et les plus curieux qui aient encore été recueillis, et il est
certainement, sous tous ces rapports, un objet unique dans son genre.
Près de ce grand vase à parfums était placé un second réchaud d'une
dimension inférieure à celle du premier. Presque en face de ces objets,
sur le côté opposé du vestibule, se trouvèrent les débris d'un char à
quatre roues , qui avait dû servir à transporter à son dernier asile le
corps du défunt. Ces débris consistaient en fragments du bois dont
avait été fabriqué ce char, avec une partie des ornements en bronze qui
y avaient été appliqués, et avec des morceaux des lames de bronze dont
il avait été revêtu ; une de ces lames était ornée de figures de lions du
même caractère symbolique et du même style asiatique qui a été re-
marqué plus haut.
A quelque distance de là, et du côté droit de la tombe « était le Ut
funèbre sur lequel était resté déposé le défunt , après avoir été trans^
porté sur le char sépulcral: ce sont là deux objets des plus rares qui
existent au monde, le dernier surtout, dont on ne connaissait pas en*
core d'exemple , et qui nous a conservé un modèle de ce meuble des
anciens Étrusques, le même, à n'en pouvoir douter, qui avait ^rvi
dans la cérémonie des funérailles , mais qui , à en juger d'après ia
forme, avait dû être employé d'abord à un usage domestique. Ce lit
est fait de bronze , et formé de petites lames qui se croisent en losange
et qui s'attachent à quatre traverses principales supportées par six pieds.
Il s'y trouve, à l'endroit de la tête, un support posé sur quatre pi^s,
et décoré d'ornements exécutés au trait. Les dimensions de ce meuble,
qui sont celles d'un coi'ps humain ^ d'accord avec sa forme* et avec
les ossements qu'on y recueillit, ne permettaient pas le moindre doute
sur sa destination, qui nous offre un mode de sépulture différent de
tout ce que nous connaissions jusqu'ici de l'archéologie étrusque ; car
c'est toujours sur un lit taillé dans le tuf, ou bien dans un sarco-
phage, soit creusé dans le même tuf, soit rapporté en une autre ma-
tière, que reposaient les morts dans tous les tombeaux des divers
^ La longueur est de cinq pieds sept pouces ; la largeur, deux pieds sept lignes ;
la hauteur, neuf pouces neuf lignes. — \oyexren un dessin exact, puUié à la suite
de Touvrage de M. Grifi, MantuMnti iinliW A' Cer9, etc. tav. iv, n* 6.
358 JOURNAL DES SAVANTS.
peuples de rÉtrurie qu'il nous a été donné d observer; et ce lit At
bronze, fabriqué à l'usage des vivants, puis consacré à celui des morts,
est jusqu'ici une particularité unique , comme le meuble même. Entre
ce lit et le mur du caveau était placé un meuble non moins rare et^non
moins remarquable par sa forme et par son usage : c'était une espèce
de Auribulunit ou de meuble servant à brûler des parfums. U con-
siste en une tablette en forme de quadrilatère allongé portée sut
quatre roues ; au centre de cette tablette est une ouveiture circulaire ,
au-dessous de laquelle est ajusté un petit bassin, de même forme et de
dimension égale, servant à recevoir les charbons ardents. Les deitt
côtés de la tablette, séjparés par la cavité circulaire, soat ornés d'un
groupe de deux lions qm se dressent en face Tun de lautre sur leurs
pieds de derrière ; et le style de ces animaux , comme celui des orne-
ments qui décorent une espèce danse rapportée vers le milieu de la ta-
blette , et comme tout le travail du meuble , long de trois pieds trois
pouces, accuse une industrie dérivée de TAsie; on en jugera avec toute
connaissance de cause d'après le dessin qu'en a publié M. Grifi ^ Aux
deux extrémités du Ut étaient placés deux petits autels de fer, tels que
ceux qui servaient sans doute aux sacrifices domestiques ; et, en face de
ce litf sur le côté opposé du vestibule, k droite et à gauche de la porte
qui donnait accès à l'une des chambres latérales, étaient suspendus à la
muraille des boucliers de bronze, au nombre de huit, qui ne consistaient
qu en plaques très-minces de revêtement , et parmi lesquels se trouvaient
mêlées desféches de bronze avec d'autres instruments de fer, sur la nature
et l'usage desquels l'opinion des antiquaires ne parait pas encore bien
fixée. Les uns^ y ont vu des armes de guerre, d'où ils ont inféré la profea-
sîon militaire du défunt; d'autres^, des instruments de sacrifice, d'où ils
ont oonduque ce personnage avait été un aruspice; et j avoue , d'après
la forme des objets, dessinés dans une des planches jointes au livre de
M. Grifi ^, que cette opinion me parait plus probable. Les boucliers, qoi
peuvent très-bien s'expliquer aussi dans cette hypothèse, offrirent, de
plus, cette particularité que, d'après l'extrênie ténuité de la lame de
bronze, ils n'avaient pu être d'un usage réel ; conséquemment, que leur
destination avait été uniquement de contrefaire cette réalité dans la cé-
rémonie des funérailles et dans la demeure des iports, ainsi qu'on en
a, du reste, tant d'auti^ea exemples dans l'antiqoité grecque et étrusque^.
^ Monamenti antichi di Cere, etc. tav. vi, n. s et 3. — ^ Canîna, Descrizione di
Cirs,'€Ïa, p. yS.^*» ' Grifi, thimwÊeHti umtklà di Cer0, p. i54-i55. — */6û£. tav. v,
n* 3. -^ ^ G*est un point d*archéologî« dont je me suis attaché a recueillir les preuves
et à établir le motif dans mon Trasîè«ie Mémoire d*Antiq. chrétienne, p. i&S-i6a.
JUIN 1843. 358
Mais Tobjet le plus curieux peut-être, parmi tons ceux qui avaioat ac-
compagne ici la dépouille du mort, c était une suite de petites idoles d'ar-
gile noire, qui se trouvèrent, partie en avant du lit funèbre , partiedaas
une des chambres latérales. Ces figurines représentent un homme vieux
et barbu , vêtu et terminé en gaine carrée. La position des bras ployés
siu* la poitrine, les deux mains placées sous le menton, ou bien Tun de
ces bras seulement dans l'attitude qui vient d'être indiquée, et Vautre
étendu en avant du corps \ constituent pour ces statuettes deux classes
distinctes ^ qui étaient en nombre égal ; et ce qui , d accord avec ces
deux gestes de nature toute hiératique, et avec la couleur noire de
Targile , achève de démontrer le caractère symbolique et fimèbrc de
ces figurines, dont le style et le travail annoncent, d'ailleurs, la plus
haute antiquité de Tart étrusque , c'est que leur nombre total était de
trent&six^. Os, cette circonstance ne pouvant être fortuite , il est diffi-
cile de n'être pas frappé de fidentité de ce nombre de trente-six avec
celui des dieax conseillers de l'astrologie chaldéenne^; ce qui devient un
trait d'analogie de plus qu oflre notre monument de Cœre avec l'ar-
chéologie asiatique. Quant à la signification de ces petites idoles, où les
uns ont vu des lares ou génies funèbres , suivant la doctrine étrusque,
d'autres, des espèces de Theraphim servant à prédire l'avenir, cuaa-
pruntés à la superstition orientale ^, c'est une question qui ma paraît
difficile à décider, dans l'état actuel de nos connaissances. Mais,
quelque opinion qu'on adopte à ce sujet, le fait n>ême de ces trente-
* Deux de ces figunnes, dand chacune des deux attitudes qui viennent d*ètre
décrites, sont publiées par M. Grifi, tav. iv, n. 3 et 4* dont le dessin achèvera de
rendre sensible aux yeux ce qui aurait pu rester obscur dans notre description. —
' M. Canlna ne désigne ces figurines que d'une Diaiûèr& générale ^ 0/0010 ^juvMf
di creta cotta, sans en indiquer le nombre, p. 76. M. Braun parle d'une qmirantaiMe
de ces statuettes, p. Sg : Verso una qaarantina di piccole Jigure di terra cotta. Mm
M. Grifi, écrivant d*après le résultat des recherches les plus exactes, et avec les jqo*
nuroents mêmes sous les yeux, assure, en termes exprès, que les figurine» en
question étaient au nombre âe trente-six , p. ijh- Idoletti di argilla nera joro-
If» numéro di trenta sei, e tatti délie daefogge qui poste nei numeri 3, â, Voy. encote
p. 1 54-1 55. — 'On sait, en effet, que les Chaldéens avaient dans leur «phère
trente-six astres, qu*i]s appelaient dieux conseillers , Oeoi ^ovXaUot , et qui , comme
les trente-six décans de fastrologîe égyptienne, présidaient, saus doute , chacun 'à un
tiers d*un des douxe signes de leur lodiaque. A ta vérité , Diodore de Sicile , à qm-
nous devons cette notion curieuse , ii , 3o , ne parle que de trente ; mais c est évi-
demment une erreur de chiffre, qui a été corrigée par M. Geseniot, Commentar àher
den Jesaia , Th. III , S. 333-334 1 ) ; et cette correction , admise et scatenne en der-
nier lieu par M. Letronne , Sar Veriginê da zodiaque grec , p. 34 1 1 ) * reçoit une
confirmation inattendue par le fient des trente-six petites idoles de notre loiBbeM» de
Cmre, — * Esecbîel. xzi , »i ; c£ Hicronmn. mih,L
360 JOURNAL DES SAVANTS.
six petites idoles dans une attitude hiératique n'en constitue pas moins
un rapport des plus ciuîeux entre Tantiquîté étrusque et Tantiquité
asiatique ^.
RAOULROCHETTE.
{La suite au prochain cahier. )
Nouveaux documents inédits sur le P. André et sur la persécution
du Cartésianisme dans la compagnie de Jésus.
QUATRIÈME ET DERNIEB ARTICLE.
Cette fois la compagnie se piqua d*honneur et consentit à discuter
avec André. Elle chargea Irois de ses plus fortes têtes d'examiner sa
profession de foi, et Tun d'eux eut ordre d'y répondre article par ar-
ticle. Cette réponse , à ce qu'André nous apprend , était un petit in-
foiio. n en fit un extrait qu'il envoya à Malebranche , et cet extrait se
trouve dans nos papiers. Il est lui-même fort étendu et n'a pas moins
d'une trentaine de pages. André a mis de loin en loin à la marge quelques
notes très-succinctes. «L'auteur de cet écrit est inconnu, dit André
dans une de ces notes , et se cache , à ce qu'il dit , par ordre de ses
supérieurs. Cependant il parle comme un pape. » Eji effet, même dans
l'extrait, 1^ ton est toujours celui d'un supérieur. Malebranche y est
' Je profiterai du peu d'espace qui me reste encore pour rectifier ou compléter
Îuelques-unes des notions exposées dans mon précédent article sur les tombeaux
e tiere. C'est par inadvertance qu'il a été dit, page 271 , qu'un de ces lombeaux
était représenté sous la lettre B; le plan donné sous cette lettre est celui de Thy-
pogée entier. En parlant, p. a8i, du vase à fond d'un blanc verdâlre , orné de
ngures d'animaux , j'aurais dii avertir que ce vase était publié à la suite de l'ou-
vrage de M. Visconti, pi. ix, u. 3; et je me suis trompé, même page, en désignant
comme une chimère la figurine de bronze , qui est un griffon. Une observation plus
importante, qui m'avait échappé, et que je saisis l'occasion de rétablir ici, a rapport
au vase à sujets gymniqaes, trouvé dans le tombeau de Cœre, que j'ai décrit, p. 383,
3), d'après le dessin de M. Visconti, pi. ix, n. 1, lettre B. Ce choix de sujets gym-
niques se trouve tout à fait d'accord avec le témoignage d'Hérodote concernant ïms-
titution Ae jeux gymniques k^Agyïia (Cœre), qui eut lieu en vertu d'un oracle de
Ddphes, et qui continuait encore d'être en vigueur du temps de l'historiei^ ; Hero-
dot. I, 167 : A a^ TLvBlrf a^éaus èxéXevtre Trotéetv rà xai NtN oi ÀrTAAATOI ÉTI
èwneXéowri - xai yàp ÀrÛNA rTMMIKÔN xai iniUKÔN èvialatTi. C'est ici .
comme on le voit, un de ces cas, toujours importants a constater, où les témoi-
gnages de la tradition écrite sont justifiés par les monuments -de l'antiquité figurée.
*UIN 1843. 36i
traité, comme philosophe et comme théologien, avec beaucoup de hau-
teur. C'est le thème développé dans le livre du P. Dutertre. D est à
peu près certain que cette pièce lui avait été communiquée aussi bien
qu à André , et il est vraisemblable qu elle lui aura été donnée comme
la fond de la réfutation de Malebi'anche qu on lui demandait. C'est le
même esprit, ce sont les mêmes arguments présentés k peu près dans
le même ordre; on y accuse Malebranchc de n'avoir aucune origina-
lité en philosophie, et d'être seidement un écolier de Descartes, qui n a
ajouté à la doctrine du maître que des contradictions et des extrava-
gances. On s'attache particulièrement à réfuter la théorie des idé^s, et,
comme Andié avait prétendu retrouver cette théorie dans saint Augus-
tin, le père jésuile qui lui répond expose à son tour ce qu'il appelle
la vraie doctrine du grand docteur : tout ce morceau a presque passé
dans l'ouvrage du P. Dutertre. Les citations de saint Augustin sont les
mêmes, le style seul est un peu changé, il est plus ironique et moins
violent dans le livre imprimé que dans la pièce manuscrite. Ici Maie*
branche est partout représenté comme un fanatique et comme un fou.
L'espiit général qui y règne est celui du péripatétisme , comme Tesprit
du platonisme domine dans Malebranchc et dans André. De là les dé-
fauts et les mérites de ce faclam philosophique. L'empirisme d'Aristote
n*a pas toujours tort contre l'idéalisme de Platon; il en faut dire autant
des jésuites à l'égard de Descartes et surtout de Malebranchc. Comme
ils eurent souvent raison contre Port:lloyal en théologie, dans la grande
affaire de la grâce, où ils se portèrent les défenseurs de la liberté et de
la puissance de la volonté humaine, de même Jeur empirisme péripa-
téticien en philosophie a quelquefois l'avantage du sens commun contre
la théorie des idées et la fameuse vision en Dieu. Ils en parlent déjà
comjne le fit plus tard leur célèbre écolier Voltaire, qui avait pris à
Louis-ie-Grand, chez les jésuites, le fond de sa philosophie, et la déve-
loppa pendant son séjour en Angleterre dans Vétude de Locke et par
le commerce de ses disciples. Reste à savoir quel peut être fauteur de
la pièce qui est entre nos mains. Kapin était mort en 1687, Le Valois
en 1700; Letellier était occupé à diriger la conscience de Louis XIV;
Hardouin n'était pas consulté, comme il -le dit lui-même; Baltus,
cité dans cet écrit, n'en peut être l'auteur. Je ne vois plus guèrç, paroai
les jésuites de France de cette époque, d autres personnages versés dans
les matières philosophiques que le P. Daniel et le P.Tournemim,
tous deux en possession d une grande autorité dans leur compagnie, et
fort engagés contre le cartésianisme. Le P. Buffier n'avait pas encore
la célébrité qu'il acquit, en 1^79 &, par la.publimtioac4iif90BTsailé des
46
361» JOURNAL DES SAVANTS.
ventés^ premières , et il était trop judicieux et trop modéré pour prêter
sa plume à des accusations aussi injustes et aussi durement exprimées.
An^reste, la: longueur de cet écrit nous empêche de le publier. Nous
nous bornerons k en donner les dernières lignes pour faire connaître
laicruelle nécessité où se trouvait André d'avoir à signer et à dicter un
foroiiilaire si opposé à ses sentiments.
M En finissant ce long article on est obligé d'avertir le P. André qu'on
le. croit obligé en conscience à réparer le scandale qu'il a donné et de-
dans et dehors par son entêtement pour le dangereux fanatisme qu*on
vient de réfuter, et qu'il n'y a pas de meilleur moyen pour réparer ce
soandalc^ que de dicter ce qu'on lui a marqué là-dessus dans l'écrit
latin. -9 i
B- faUut bien obéir k cette injonction, et André fîit contraint de
s^er et de dicter dans sa classe le formulaire latin qu'on lui avait
adressé^et dont la première correspondance nous a conservé un extrait ^
RlB^>excttse de cette faiblesse, le 1 5 avril 1 7 1 3 , dans une lettre à Maie-
braiiche , que nous avons publiée il y a deux ans ^. Mais ce qu'il plait à
tfon humilité d'appeler de la faiblesse parut à ses supérieurs une résistance
coupable. On lui ôta sa chaire de philosophie, et, sur la fin de l'année
i^Aèy.û fut envoyé de Rouen à Alençon et confiné dans un emploi
entîèDement étranger à la philosophie et même à l'enseignement. Il y
demeura jusqu'à Tannée iyi8. Pendant ce temps notre première cor-
respondance nous le peint toujours dévoué au cartésianisme et à la
doctrine de Malebranche, la cultivant en secret, la propageant même,
raspemblant des matériaux pour écrire la vie de son illustre maître, et
rendant compte de la suite et du progrès de son travail à ses deux
amis, M. Larcfaevêque et M. l'abbé de Marbeuf. Mais la paix dont il
jouit d'aboi'd à Alençon ne fut pas de longue durée. D'un autre point
de l'borixon un autre orage vint éclater sur sa tête et changer les dis-
grâces qu'il avait jusqu'ici essuyées en une véritable persécution.
•îXe fut, cette fois, la huWe Vnigenitas et les querelles qu'elle souleva
dans l'Église et dans l'État qui vinrent troubler le repos d'André. Per-
sonne au fond n'était moins janséniste. Déjà Malebranche, dans le
Traité de la nature et de la gi*âce, avait combattu la doctrine d'une gràcr
efficace par elle-même qui ne laisse point à l'âme humaine le mérite
dfyicoopérer, ni, par une conséquence forcée, le pouvoir d'y résister; et
AiHkré' était encore bien plus exact que Malebranche sur la théorie de
la liberté, humaine, comme on l'a vu dans sa profession de foi sur le
JUIN 1843. 563
formulaire ^ et comme le reconnaissent eux-mêmes les phifôsophes
de la compagnie. L accusation de jansénisme ne pouvait s'appliquer
avec le moindre fondement à André ; mais la vérité est qu'il connais-
sait et honorait plusieurs personnes de cette opinion, et qu'il était
d'avis de les combattre par des réfutations solides et modérées, au lieu
d'en appeler à l'autorité temporelle. Il ne prit donc parti ni pour les
jansénistes ni pour les jésuites, mais pour les persécutés contre les per-
sécuteurs. La première correspondance contient plusieurs lettres à l'o-
ratorien de Marbœuf, où il exprime une opinion pleine de sagesse, qui
ne devait plaire à personne , ni surtout à ses supérieurs. iLûilk donc
André devenu suspect, non plus seulement de cartésianisme, mais, qui
pis est. de jansénisme, ou, pour mieux dire, de modération à l'endroit
du jansénisme. C'est ce que lui insinue le nouveau provincial de France,
le P. Martineau.
« Paris , aa décembre 1716.
« On ne peut que louer le soin qu'on prend de se renfermer dans les
bornes d'une juste modération en quelque matière que ce sort. Mais il
ne faut pas que cela aille toujours jusqu'à garder une espèce de neu-
tralité. Car il y a des occasions où, sans se déclarer avec chaleur, on peut
et on doit faire connoître qu'on s'attache au parti que l'Eglise a pris. Je
ne puis vous en dii'e davantage sur ce sujet, une lettre ne comportant
pas un plus ample éclaircissement. Mais je prie votre révérence de faire
réflexion au peu que je luy dis et de ne pas s'en éloigner dans sa con-
duite. Je suis avec respect, dans l'union de ses SS. SS. etc.
(( Martineau. »
aintes
André ayant continué"^à user de la même modération , les plai
qu'il excita dans la compagnie allèrent jusqu'à Rome. Le P. général,
l'ardent et inflexible Tamburini ^, si connu par son zèle contre le jan-
* Voy. l'article précédent, p. 3o6. — * On ne trouve rien sur Tamburini dans
Moreri. Nous tirons le peu de renseignements que nous allons donner sur ce père
jésuite d*un ouvrage peu connu, mais curieux, imprimé à Rome en 1761 , en latin :
Imagines pra^positoram genendium societatis Jesa, delineatm et mreis formis eœpreism mk
Armoldo Van- Weitherhout , addita perhiyfvi uniascajusque vitœ descripiwne; et toîtalm :
RiiratU , etc, par le P. Galeotti , de la même compagnie , a* édit. in-foL Michel-Ange
Tamburini était de Modcne; il naquit le 27 septembre 16^8, embrassa Tétai religiem
dans la compagnie de Jésus, le 16 janvier i665. 11 enseigna la rbilosophie dansie
coQége de Sainle-Lncie à Bologne pendant six ans, lalbéologie a Mantoue pendant
six autres années. B fut recteur do collège de Uodènm eixin.cahii de ManloiNi, puis
46.
364 JOURNAL DES SAVANTS.
sénisme, écrivit à André pour se plaindre de sa conduite et lui dëcla^
rer que , s'il n'en change , il Tôtera d'Alcnçon. Il reproche même au
père provincial Martineau une trop grande indulgence , comme on le
voit dans la réponse latine d'André, que nous supprimons. Celui-ci
désirait vivement de rester à Alençon , car il était fort aimé pour son
esprit , sa douceur et sa tolérance. Dès qu'on y sut qu'on éiait me-
nacé de le perdre, les habitants les plus notables écrivirent en su
faveur au père général. Cependant l'aifaire s'envenimait; toutes les
démarches d'André étaient surveillées , toutes ses paroles maligne-
ment contentées. Excité par les reproches du père général , le père
provincia^Vfartineau donne ordre au P. Chomel, recteur, de feipe
subir à André un intcrrogatoii'e sur un certain nombre de questions
envoyées de Rome. Nous avons ces questions et les répoïises d'André,
le tout en latin. Voici quelques-unes de ces questions, qui nous pa-
raissent aujourd'hui bien puériles et qui étaient alors fort redoutables :
1° s'il pense et s'il a jamais dit qu'il n'y a pas de jansénistes; 2° s'il a
dit qu on faisait bien de s'opposer à la bulle Unigeniias; 3** s'il a dit qu'on
aurait mieux fait de réfuter que de condamner le livre de Quesnei;
Ix^ s'il n'a pas dit à une dame dont il est le confesseur que son opi-
nion ne diffère pas de celle des jansénistes et qu'il désire leur. triomphe.
Toutes les autres accusations .étaient également fondées sur des ba-
vardages de pelite ville , de collège et de couvent. Un père Urquart, sur
lequel nous ne trouvons nulle part aucun renseignement, s'était insinué
dans la confiance d'André par l'apparence d'une franchise semblable à
la sienne. André lui avait écrit une lettre où il lui raconte son interro-
gatoirc et où, tout en se prononçant avec force contre le jansénisme,
il déclare aussi qu'il ne veut pas s'écarter de la charité qu'il doit aux per-
sonnes, quelles que puissent être leurs erreurs.... «Détestant, comme
j'ai toujours fait, la grâce invincible des jansénistes et môme la grâce
prédéterminante des thomistes les plus catholiques, je suis certain que
je n'ai pu dire que ma pensée n'était pas éloignée de celle de ces
messieurs, c'est-à-dire des jansénistes. Mais veut-on que j'aille brusquer
provincial de la province de'Venise. Le père général Gonzuiès le fit venir à Borne
pourlni servir de secrétaire, et le nomma, le lâ novembre 1708, son vicaire gé-
nérdL Dans l'assemblée qui suivit la mort de Gonzalès, il fut élu, le 3i janvier
1706, général de la compagnie. li la gouverna vingt-quatre ans et un mois, étanl
mort, à fâge de quatre-vingt-deux ans, le dernier jour de février 1730, à Rome,
dans la maison professe. Il a signalé son généralat par la béatification de François
Régis et la canonisation de Louis de Gonzague et de Stanislas Kotska , par son zèle
powr ki mistàons étrangères et oonlre le jansénisme.
JUIN 1843. 365
ItHH Tunivers pour acquérir chez nous la sotte réputation de bien in-
tentionné, et dans le monde raisonnable celle d'étourdi et de brouilionû^
^^on, çesJt à quoi je ne puis me résoudre. Je condamne et j'espère que
Dieu me fera toujours la grâce de condamner toutes les erreurs que
TEglise condanme; mais, pour ce qui est des personnes qui ]es sou-
tiennent, je leur ferai toujours des honnêtetés pour les gagner par là,
si je. puis, à la vérité catholique. Si nos zélés désapprouvent ma con^
duite, peut*être que le Seigneur , qui nous commande la charité sur
toutes choses , lui donnera son approbation. » Sur ces entrefaites , un
P. de Couvrîgny, qui nous est d'ailleurs aussi inconnu que le P. Ur-
quart, écrit à André pour l'avertir que ce P. Urquart est un fourbe;
qu'il lui a écrit parle conseil de son ennemi , le P. Ma^telet^ pour le faille
parler... wOn croyait d'abord en ville, lui dit-il, que votre lettre au
P. Urquart, dont les copies couraient partout, ne se divulguait que
par le conseil des PP. D'Avrigny et Boismond^, vos amis, et on les en
blâmait fort; mais, ensuite, tout est retombé sur le P. Urquart et
sur le P. Martelet, son mobile, les autres ayant déclaré quils n'a-
vaient seulement pas vu la lettre. On nous a dit qu'elle avait été
envoyée au P. général et au P. ^)rovincial, et je crains quelle n'ait
pas un trop bon effet auprès d'eux. » Le P. de Couvrîgny apprend
encore à André une foule de détails, aujourd'hui sans intérêt, sur les
manœuvres de plusieurs de ses ennemis ; que le P. Martelet a arraché,
au confessional, d'une ancienne pénitente du P. André, sous peine de
damnation éternelle , l'aveu des sentiments que lui aurait exprimés An-
dré, avec la permission d'en informer les supérieurs. Le P. Urquart
prétendait, au contraire, que c'est ce P. de Couvrigny qui trahissait
André. Le fait est que nous trouvons dans nos papiers une lettre de
Rome du général des jésuites, blâmant André, félicitant le P. Martelet et
le P, de Couvrigny.
Ainsi ce P. de Couvrigny, qui ticcusait le P. Urquart de trahir
André, le trahissait réellement :. il s'entendait avec le P. Martelet et il
écrivait à Rome contre celui qu'il appelait son ami. Dans la persécu-
tion contre le cartésianisme, nous avons trouvé un. lâche dans la per-
sonne du P. Duterlre; voici maintenant dans l'affaire du jansénisme
un espion et un traître. On est au moins un peu consolé en .trouvftOt
un honnête homme et un honnête homme courageux dans le P. Ur-
quart Un ami anonyme d* André, en lui envoyant une copie de h
lettre du père général au P. Martelet , ajoute ceci : « C'^esl le P. [ji^uart
' Egdement inconnu. — 'JooHHiut.
c! . • . *^i '•-
366 JOURNAL DES SAVANTS.
qui Ta rendue publique à Alençon pour conyaincre le P. de G>uvrigny,
qui voulait y passer pour votre ami. Le pauvre P. Urquart a été mis en
pénitence , et pour première punition on lui a ôté sa peiTuque. Le père
recteur a même voulu l'envoyer ailleurs; il a répondu qu'il ne sortirait
que par ordre du P. général; qu'il lui avait écrit pour la justification de
votre doctrine et de votre personne, et que rien ne serait capable de
l'empêcber de rendre témoignage à la justice et à la vérité, n Enfin , le
4 février 1718, arriva de Paris à André, de la part du nonveau provin>
ckl de la Granville^ , la lettre suivante.
UMON RlivÉBEKD PÂRE LE R. PÈRB ANDR1& DE LA COMPAGNIE DE J^SUS,
X ALENÇON.
«Paris, ce i février 1718.
« Mon révérend père ,
«J'ay ordre du R. P. général de retirer V. R. d' Alençon. Comme
je n'ai point à présent d'autres employs à vous offrir que le ministériat
des pensionnaires d'Arras, je vous prie de vouloir Faccepter; peut-être,
dans la suite, pourrai-je vous offrir ^uelqu'autre employ qui soit plus
de votre goût. Je ne vous dis point les raisons de l'ordre de notre père ,
parce que je sçay que vous en êtes instruit.
«Je suis avec respect, etc.,
(( De LA Granville. »
C'est ainsi qu'André fut envoyé h Arras. Nous avons vu, par la pre-
mière correspondance , le sort qui l'y attendait. Il y fut plus que jamais
soupçonné de jansénisme. Ses lettres à Toratorien de Marbœuf furent
surprises, tous ses papiers saisis, entre autres sa vie de Malebranche,
et, pour une brochure que les jésuites avaient laite et qu'ils lui attri-
buèrent, il fut mis à la Bastille. Il en sortit, et il fut envoyé à Amiens
dans l'année 17 ta 2. Nos nouveaux papiers ne nous fournissent nul
éclaircissement sur ce point obscur et malheureusement certain de la
vie d'André. Pendant tout son séjour à Arras, nous ne trouvons qu'une
seule lettre adressée à André par notre ancienne connaissance le P.
Guymond, toujours le même, bonhomme et fanatique, exhortant
toujours André à abandonner la doctrine de Malebranche «t même à
k réfuter. Sur un mot d'espérance qu'André lui avait donné , il prend
feu et lui écrit la lettre suivante :
' Rien dans Moreri ni ailleurs sur ce père^pPOviiiciaL -*^<
JUIN 1843. 367
MkV Pèai^ ANDRé, X ÂRRAâ.
«De la Flèche, ce 17 février 1719.
tt Un dé ceux de qui j'attendoîs le plus pour le bon ser-
vice de la compagnie, c'étoit V. R. Voyant donc tout le contraire, j'ay
ressenti tout ce que dît le sage d'une espérance trompée en chose de
phis grande conséquence et qu'on désire le plus. Le petit mot qui se
trouve pour moy dans la lettre de V. R. à notre cher père m'a rendu tout
d'iin coup la vie, réveillé toute mon espérance, guéri ma douleur de
vous voir hors des emplois que vous pouvez si bien faire sans ce mau-
vais levain de cette nouvelle doctrine la plus bizarre, la plus contraire
au bon sens, la plus dangereuse pour la religion qui fut jamais. Je suis
donc très-disposé à vous servir autant que je le pourray, soit ici ou à
Rome. Mais, pour le faire prudemment et pour y réussir, je désire t
i^que vous me mandiez si, en effet, vous en vbyez maintenant la faus-
seté, et par quels principes vous la voyez; a** que vous en fassies une
réfutation courte et solide, pour l'envoyer à ceux que vous savez y être
le plus attachez, surtout à un père que je crois préfet à Orléans; 3* que
vous m'envoyiez une rétractation en bonne forme , et la susdite réfuta-
tion, afin que je la montre aux supérieurs; par là j'espère tout. Que
si peut-être vous n'êtes pas encore détrompé , mettez à part vos diffi-
cultés, je les verray, et les présenterai, sans vous nommer, à d'habiles
gens, et sûrement on y répondra. Au reste, ayez confiance en moy, et
sçachez que, quand vous m'avoueriez que vous êtes toujours dans les
mêmes sentiments et qua tout ce que vous pouvez gagner sur vous-
inême c'est de n'en parler jamais au dedans ni au dehors, à vos amis
particuliers ni aux autres, cela seroit pour moy un secret inviolable.
Si j'aime quelqu'un au monde, c'est' le cher P. André, dont je suis, dans
l'union de ses SS. SS. le très-humble, etc.
((HERVli GOYMOND. n
L'espérance du P. Guymond fut encore une fois trompée. Même
après de si cruelles expériences, André demeura fidèle à ses opinions,
et suspect à la fois de itialebranchisme et de jansénisme. Il n'était, pas
le seul jésuite qui fât dans ce cas. Nous trouvons dans nos papiers
une lettre non datée, d'un P. Lebrun, qui, sous le feu de la 4ouble
persécution philosophique et religieuse , enseignait une doctrine presque
entièrement cartésienne. Il était profeaseiir die philoaopbie à Amiens ,
et cette lettre doit avoir été écrite è André^Avadtcpie beltti-ei.eûl.quitté
36g JOURNAL DES SAVANTS.
Alençon. Il avait laissé dans cette ville des amis et des partisans , comme
on le voit par deux lettres d'un P. Prévost et d'an P. Harcouet , d*ail-
leurs tout aussi obscurs et tout aussi inconnus que le P. Lebrun.
L'abbé Guyot, dans Féloge historique du P. André, nous apprend
qui] fut envoyé, eu 1726, au collège de Caen pour y régenter les mathé-
matiques, et qu'il remplit celte place jusqu'à Tannée 1 ySg, où, parveny.
à 1 âge de quatre-vingt quatre ans, il prit sa retraite et survécut même à sa
compagnie. Depuis son arrivée à Caen, éclairé par une triste expérience,
André , sans renoncer à ses deux études de prédilection , la philosophie et
la théologie , s'y livra avec plus de rései've et partagea son temps entre les
mathématiques et la belle littérature. Nous avons vu que, parmi ces ma-
nuscrits retrouvés, il y en a plusieurs qui se rapportent aux mathéqaa-
tiques, et l'abbé Guyot nous apprend qu'il avait traduit Ëuclide en fran-
çais sur le texte grec, en y ajoutant de nouvelles vues pour l'éclaircir
et de nouvelles propositions pour le compléter. Celui de tous ses ou^
vidages scientifiques qu'André préférait était sop traité d'arithmétique,
composé sur un plan nouveau et d'après la méthode de saint Augus-
tin K L'abbé Guyot avait promis de publier ces écrits, maïs il n'a pas
donné suile à ce dessein. Autrefois André avait songé à la carrière de
la prédication ; étant à Caen, il prononça avec succès plusieurs panégy-
riques, des exhortations en présence de ses confrères, des sermons
d'avent et de carême; il acquit même, danç cette carrière, dit l'abbé
Guyot, une célébrité qui le fit connaître jusque djjns la capitale. Cepen-
dant, si on en croit son biographe , ses moyens extérieurs ne répondaient
pointa son talent, a Si une physionomie heureuse annonçait dans ses
yeux et dans son air la beauté et le gracieux de son esprit, son geste et
son maintien étaient forcés; il était, d'aijleurs, d'une très-petite taille. »
Enfin admis dans une société aimable et distinguée, celle de M"* la mar-
quise de Saint-Luc, au château de Caen. il montra plus d'une fois l'en-
jouement naturel de son esprit en des pièces de v^rs pleines de goût et
d'agrément. Nommé membre de l'Académie des belles-lettres de Caen,
dont le protecteur était l'évêque de Bayeux, il y lut des pièces de vers
et des discours qui le iirent remarquer de Fonlenelle, avec lequel il
entretint une correspondance , dont l'abbé Guyot a donné des extraits ,
et que M. Mancel et ses collaborateurs .ont retrouvée et vont publier
tout enlièi?r. '
Cependant André ne trouva pas le repos à Caen. Les ombrages de la
■ ' •
* Voy. rÉIôge lîslo^lqiie du P. André , p. xn , et « dans let OEuvret poslhoroet ,
t. lV,;l«iDîiCDilfft)llir l'ârithiiiéliqii«. t , v<
JUIN 1843. 369
. redoutable société Ty suivirent, et, ce qu'on ignorait entièrement jus-
qu ici, ce qu'il était impossible même de soupçonner, d'après le récit de
labbé Guyot, Fabsurde accusation de jansénisme le tourmenta long-
temps et jusque dans sa vieillesse. Sous le généralat de Retz , qui suc-
céda en lySo à Michel-Ange Tamburini , André essuya une nouvelle
persécution, et manqua d'être chassé du collège de Caen, comme il
1 avait été déjà de tant d'autres collèges. Agé de près de soixante et dix
ans, il s'adresse à François de Retz, comme il s'était adressé à Michel-
Ange Tamburini; il répond, le i 5 mars i ySa , à toutes les accusations
portées contre lui, çt réclame justice avec une vivacité et un courage
que l'âge n'a point affaiblis.
Le père provincial , Pierre Frogerais , intercéda pour André auprès
du père général. Nous avons du moins un billet de celui-ci, du lo juin
1733, au père provincial, où il lui abandonne la décision de cette af-
faire , mais en exigeant qu'André se soumette et signe le fameux for-
mulaire d'Alexandre VII.
Neuf ou dix ans après , en 17/11, André recueillit un certain nombre
de lectures qu'il avait faites à l'Académie de Caen , et les publia sous le
titre d'Essai sur le beau. Cet ouvrage, sur lequel nous reviendrons tout
à l'heure, obtint un grand succès, fit beaucoup d'honneur k André,
quoiqu'il n'eût pas voulu y mettre son nom , et le plaça au premier
rang des écrivains de la compagnie , au milieu des pertes irréparables
qu'elle avait faites et qu'elle faisait chaque jour ^ En 1 jlxlx, sur la nou-
velle que l'Essai sur le beau aurait bientôt une suite , Fonlenelle écri-
vait à André : «Je serais curieux, mon révérend père, de voir cette ma-
tière, agréable par elle-même, quoique très-philosophique, traitée par
une main comme la vôtre. Si vous voulez que j'aie ma part du plaisir
que vous ferez au public, je vous avertis qu'il faut un peu vous presser,
si vous le pouvez ; je n'ai pas le loisir d'attendre beaucoup. »
Qui ne croirait que la compagnie de Jésus ne se soit empressée d'en-
tourer de respect et d'égards les derniers jours du vieillard qui, presque
seul en France , soutenait honorablement la réputation littéraire de la
compagnie ? Et pourtant il n'en est rien ; si la persécution s'était arrê*
lée , les défiances et les paroles sévères jusqu'à la dureté ne cessèrent
de contrister le cœur d'André. En 17^9, dans une circonstance que
nos papiers n'éclaircissent point, André, ayant refusé, à ce qu'il semble,
' Daniel étaîl mort en 1728, Hardouin en 1729, Buffier en 1737, Tournemine
en 1739, Baltus en 1743, etc. Quand la société fut supprimée, en 176a, elle ne
comptait plus en France un seul écrivain célèbre, ni même un peu connu, excepté
André.
47
370 JOURNAL DES SAVANTS.
quelque place administrative , et ayant exprimé franchement , à cette
occasion , son opposition au système suivi par la société , fut vivement
réprimandé par le père provincial , et ne rentra en grâce qu à forcé de
soumissions et d'excuses ; c^est du moins ce que donnent à entendre
les deux lettres siûvantes du père provincial de la Granvilie.
I '
âX MON RliviiREND PÉRV LE R]£vi£rEND PÀBE ANDRÉ DE LA COHOPAGNIE
DE JÉSUS, AD COLLEGE X CABN.
«A Paris, ce a6 juillet 1749.
« Mon révérend père ,
• « Jay lu , selon mon devoir, la lettre de votre révérence en présence
de ceux qui avaient droit de décider avec moi de la validité de votre
excuse. Quelque nombreuse quait esté cette assemblée, il ne s y est
trouvé personne dont le si^age vous ait étéAvorable. Tous y ont été
indignés qu'un ancien profès de la compagnie se soit exprimé d une
manière si peu respectueuse sur ce qu'elle a ri^ardé , dans tous les
temps , comme utile ou même nécessaire. Ce nest donc point parce que
vious méritez la dispense demandée qu'on veut bien vous l'accorder,
mais. uniquement parce que, avant d*être propre à procurer le bien de
la compagnie , il est nécessaire d'avoir du respect et pour elle et pour
ses lois et usages. Je suis avec respect, mon révérend père, de votre
révérence, le très-obéissant serviteur,
«De LA GranvilLe, J. »
AU même.
«A Paris, ce 5 août 1749.
« Mon révérend père ,
« Je suis trop édifié de la lettre dont m'honore votre révérence, pour
ne pas vous témoigner et ma satisfaction et ma reconnaissance. Je me
suiQ'fait un plaisir de parler de cette lettre à ceux qui iavaient entendu
la lecture de la précédente, et ils ont tous pris très-volontiers part à la
joie qu'eUe m'occasionnait. Nous sommes tous charmés des assurances
positives que vous nous donnez de vos véritables sentiments. Ils ne
seront jamais douteux à celui qui a l'honneur d'être avec un profond
respect, etc.
«De la Granville, J. »
loi finissenl nos papiers, et on ne sait plus rien des dernières années
de la vie d'André que par l'éloge historique de l'abbé Guyot. En 1 769,
JUIN 1843. 371
parvenu à Tâge de Quatre-vingt-quatre ans, André renonça à Tenseir
gnement. Quand la conipagnie de Jésus fut supprimée ^ en 1762, .dans
la dissolution du collège des jésuites, il se retira chez les chanoines ré-
guliers de THôtel-Dieu de Caen, et il na cessé de se louer des égards
et des attentions de ses nouveaux hôtes. Le parlement de Rouen pour-
vut à sa subsistance beaucoup au delà de ses désirs, en mandant au
lieutenant général de Caen de lui accorder absolument, et sans aucune
condition, ce qu'il demanderait.
Libre de soins et de toute entrave, André ne songea plus quà don
ner une édition nouvelle de l'Essai sur le beau. Elle parut à Paris, en
1763, par les soins et avec un avertissement de Tabbé Guyot. Elle se
compose, non plus de quatre, mais de dix discours, qui forment une
sorte de traité complet. C'est l'ouvrage auquel est attaché le nom
d'André. H a été l'objet de quelques critiques et de b^ucoup d'éloges.
Ces discours, destinés à une académie de province, tout en se sentant
un peu trop de l'occasion à laquelle ils doivent naissance , portent la
vive empreinte de la pensée et de la langue du xvif siècle. On y re-
connaît partout le philosophe cartésien , le disciple de saint Augustin
et de Malebranche. Il faut en dire autant des discours , toujom^s acadé-
miques , contenus dans les quatre volumes des Œuvres du feu P. André,
que M. l'abbé Guyot publia, après la mort de leur auteur, à Paris, en
1766 et 1767. 11 serait aisé d'en choisir un certain nombre qui, dis-
posés dans un ordre convenable , formeraient un véritable cours de
philosophie cartésienne , digne d'être mis entre les mains de la jeu-
nesse de nos écoles et des gens du monde. Mais, il faut le dire, dans
l'Essai sur le beau et dans les Discours, on est bien loin de soupçon-
ner la netteté , la force et la verve qui paraissent à chaque ligne de^
lettres que nous avons publiées. EUles placent André parmi les écrivains
de l'ordre le plus élevé , et , dans la compagnie de Jésus , immédiate-
ment après Bourdalôue.
André mourut à Caen, le 26 février 176^^, dans la quatre-vingt-
neuvième année de son âge. Le 7 juin de la même années M* Rouxe*»
lin , secrétaire perpétuel de l'Académie de Caen , lut son éloge en séance
publique, et, en 1766, quand panu'ent les deux premiers volumes des
Œuvres posthumes publiées par l'abbé Guyot, Frérpn, qui était du
même pays qu'André , et qui avait appartenu quelque temps à la société
àé Jésus, tout en critiquant, d'après les maximes de la société, le male-i
branchisme d'André , se complaît à faire de notre philosophe un potlrait
qui a l'air d'une vérité frappante, et qui résume les traits épars dans les
correspondances récemment retrouvées. (Année littéraire, 1766, t. IV,
47.
372 JOURNAL DES SAVANTS.
p. 77 et 78.) « . . . . J'ai connu particuL'èrement le P. André , et j'ai vécu
pendant une année entière avec lui. Gomme j'étais de la même pro-
vince, et pour ainsi dire de la même ville où il reçut le jour, il m'a-
vait pris en amitié. M. l'abbé Guyot (en tête des Œuvres posthumes)
le peint tel qu'il était : un très-bel esprit , un galant homme , un philo-
sophe honnête, un chrétien régulier, un prêtre exemplaire, un bon
religieux, aimant les lettres et les sciences, encourageant par ses éloges
les jeunes gens de son ordre qui les cultivaient avec succès, les échauf-
fant par les peintures vives du bonheur et de la considération qu'elles
procurent, les éclairant par ses conseils, leur indiquant les meilleures
sources, les exhortant surtout à étudier la langue grecque, qu'il possé-
dait parfaitement. Il me semble que je le vois encore, plein de feu,
de sagacité, de raison, de sagesse, de christianisme, d'un caractère
égal, d'une humeur enjouée, d'une conversation agréable, l'honneur,
l'exemple , Tami de tous ses confrères »
Voilà l'homme que les jésuites, dans les cinquante dernières années
de leur puissance , ne cessèrent de persécuter, d'abord comme carté-
sien, ensuite comme janséniste. Il est démontré que l'accusation de
jansénisme ne pouvait s'appliquer à André. Lui-même déclare catégo-
riquement qu'il rejette la doctrine de l'efficacité absolue de la grâce,
agissant dans l'homme par une action souveraine, morale ou physique,
qui ôte aux actions vertueuses leur mérite et le renvoie tout entier à
Dieu; doctrine fausse en elle-même, et qui, dans la pratique, eût pu
avoir de funestes conséquences, si, dans ces grandes âmes de Port-
Royal, elle n'eût été contenue par l'auslérité du stoïcisme chrétien. Non,
ce n'était pas cette doctrine qu'on poursuivait dans André, car il la re-
poussait et il la combattait lui-même; ce qu'on poursuivait en lui, c'é-
tait, nous l'avons vu, sa modération, cette modération du véritable
sage, qui, sans chanceler sur la doctrine, incline à l'indulgence envers
les personnes, et quelles personnes, je vous prie? un Pascal, un Ar-
nauld, ses admirables sœurs, les Gornélies du christianisme, Nicole,
Duguet, RoUin, et cet homme qui a perdu dans des querelles aujour-
d'hui oubliées une force d'esprit et de caractère presque égale à celle
d'Amauld , qui a été seulement un sectaire intrépide , et qui eût pu de-
venir un grand penseur et un écrivain éminent , je veux dire Antoine
Quesnel ! André avait dit qu'il valait mieux réfuter Quesnel que de le
proscrire : voilà quel fut un de ses crimes aux yeux de l'impitoyable
société. Jusqu'en 1783 la société de Jésus tourmente André comme
janséniste : trente ans après les rôles changent, et les persécuteurs sont
persécutés à leur tour. Qui doute aujourd'hui qu'indépendamment de
JUIN 1843. 373
leurs doctrines générales, trouvées, à tort ou à raison, incompatibles
avec les libertés des peuples et la sûreté des gouvernements, ce qui con-
courut puissamment à perdre les jésuites fut le souvenir encore tout
vivant de la longue ^t obstinée persécution qu ils avaient exercée sur
les hommes les plus illustres de la nation, pendant la vieillesse de
Louis XIV, surtout à Taide du dernier et implacable confesseur du grand
roi affaibli, le P. Michel Letellier?
Encore le jansénisme n'était qu'un parti où abondait Terreur à coté
de la vertu et du génie : mais le cartésianisme n'était pas un pai'ti ;
c'était tout le xvii* siècle dans ce qu'il eut de plus original et de plus
grand; c'était à la fois les sciences, les lettres, la philosophie, le chris-
tianisme , dans leur plus admirable harmonie ; c'était une école im-
mense, essentiellement française et devenue promptement européenne,
où les esprits les plus différents venaient puiser des inspirations com-
munes , où se rencontraient l'Oratoire avec un cardinal de BéruUe et
Malebranche, Port- Royal avec Nicole et Ârnauld, Saint-Sulpice avec
Fënélon , toute l'église de France avec le cardinal de Retz et Bossuet ,
l'univei^sité de Paris avec ce qui lui restait de professeurs distingués,
la France entière, en un mot, excepté les jésuites. Là toutes les
pensées se vivifiaient à un foyer commun , et en même temps elles
s'éclairaient et se corrigeaient Tune l'autre. Descartes pose les fonde-
ments, à savoir: i** l'autorité première et souveraine de la conscience,
qui nous révèle l'existence d'une âme spirituelle avec autant de certi-
tude, ou, pour mieux dire, avec plus de certitude que les sens ne nous
donnent l'étendue et la matière ; 2® sous le sentiment de notre imper-
fection et de nos limites en tout genre, l'idée irréfragable d'un être
parfait et infini, dont la conception seule démontre l'existence; 3"*
parmi les perfections de cet être, sa véracité attestée par celle de notre
raison , la confirmant à son tour, et devenant ainsi le point d'appui
inébranlable de la certitude imiverselle ; 4** la spiritualité et la sim-
plicité de l'âme, solidement établies, servant de fondement à son incor-
ruptibilité et à l'espoir d'une autre vie; 5° partout la vertu mise dans
l'empire sur soi-même, le bonheur dans la modération des désirs et.
dans le développement tempéré et harmonieux de toutes les facultés ac-
cordées à l'homme, sous le gouvernement de la raison, l'œil toujours,
dirigé vers les lois et la volonté de la divine providence. Ces grands
principes posés , les plus beaux génies s'en emparent et les appliquent
à toutes choses. Le mouvement, une fois commencé, ne s'arrête plus,
et, en moins de cinquante années, il couvre la France de monuments
374 JOURNAL DES SAVANTS.
immorteis qui sont encore aujourd'hui debout, objets sacrés d'une
étude religieuse et d'une admiration toujours croissante.
Sans doute plus d'une erreur se glissa au sein de cette vaste école ;
plus d'un principe cartésien était contestable, et, m^al entendu, pouvait
donner lieu à de fâcheuses conséquences; mais la méthode générale
était saine et féconde , les principes généraux aussi solides qu'élevés ,
et l'esprit de tous réparait aisément les fautes qui échappaient à quelques-
uns. Le vol sublime de Malebranche Temporte-t-il un peu trop loin
du monde réel ? l'austère logique d'Arnaidd le ramène sur la teiTC.
Contre la théorie des. idées et la vision en Dieu, il n'y avait pas besoin
des calomnies et des persécutions du jésuitisme : le livre Des vraies et
des fausses idées suffisait. Pour établir et défendre le libre arbitre de
rhomme, des arrêts du conseil et des lettres de cachet surprises par
un P. Annat ou un P. Leteilier n'étaient point nécessaires ; n avait-on
pas le grand Traité de Bossuet? Un peu de spinosisme était-il dans la
théorie célèbre de l'étendue intelligible^? contre ce spinosisme, réel
peut-être, mais inaperçu et désavoué par son auteur même, toute la
puissance et toutes les manœuvres de la Société ne valaient pas une
page de Leibnitz. Tandis que tout le monde s'emporte contre Spi-
nosa , Leibnitz , qui était en con^espondance avec lui , qui l'honorait et
l'aimait, aperçoit le premier le point précis par où le spinosisme est
entré dans le cartésianisme ; il ôte ce point , indique à la fois le mal
el le remède, et la force libre de la volonté une fois bien distinguée
de l'inclination et du désir dans son principe et dans ses conséquences,
c'en est fait du spinosisme , sans l'intervention du bras séculier, et par
la seule vertu de l'analyse psychologique. La philosophie cartésienne
foiTne ainsi un grand ensemble , où un génie commim , semblable à la
puissance médicatrice de la nature, suffit à prévenir ou à dissiper les
légers désordres qui naissent de la surabondance des forces, et entre-
tient la santé et l'énergie du corps entier. Elle offrait à la morale pu-
blique, à la religion et à l'État, les plus sûres garanties qu'ait jamais pu
donner aucune philosophie, depuis la grande école de Socrate et de
Platon.
Et c'est contre une telle philosophie , dès qu'elle parut dans le monde ,
que la compagnie de Jésus se leva, et, pendant près d'un siècle, em-
ploya tour à tour la calomnie, la ruse, la violence! En 1 662, les jésuites
•
' Voy. nos deux articles du Journal des Savants de iSà^, sur la correspondance
dé Malebranche et de Mairan.
JUIN 1843. 375
poussent la congrégation de l'Index à interdire la lecture des ouvrages
de Descartes, donec corrigantar. La même année, le nonce apostolique
en Belgique, excité par la Société, dénonce officiellement à l'université
de Louvain la philosophie de Descartes «comme pernicieuse à la jeu
nesse chrétienne.» En 1667, quand les restes mortels de Descartes,
transportés de Suède en France, sont présentés à l'église de Sainte-Ge-
neviève et vont recevoir un tardif hommage , un ordre de la cour, sol-
licité par le P. Ânnat, arrive, portant défense de prononcer publique-
ment réloge de Descartes. En 1670 , la Sorbonne, mise en mouvement
par les jésuites, est bien près d'arracher au pariement de Paris la con-
damnation du cartésianisme. Forcés de reculer devant l'arrêt burlesque
de Boileau et l'admirable mémoire d'Amauld, du parlement les jésuites
en appellent au roi, et l'enseignement de la philosophie de Descartes
est proscrit par un arrêt du conseil et dans l'université de Paris et
dans l'Oratoire. En 1 680, le P. Le Valois défère à l'assemblée du clergé
la philosophie cartésienne : « Messeigneurs , je cite devant vous M. Des-
cartes et ses plus fameux sectateurs ; je les accuse d'être d'accord avec
Calvin. » Nous avons vu, dans la correspondance ici publiée, toutes les
machines employées par les jésuites contre la doctrine de Descartes,
et en particulier contre celle de Malebranche; nous avons exhumé,
pour la première fois, la résolution prise à Rome, en 1706, dans une
assemblée générale de la Société, de poursuivre la nouvelle doctrine
à l'égal du jansénisme, et de l'exterminer; c'est le mot d'ordre officiel
ici retrouvé, et désormais livré à l'histoire. Nous ne voulons pas rap-
peler les douloureux détails de la longue et incessante persécution
exercée contre André depuis le conunencement du xvni* siècle ; mais il
importe d'en faire toucher au doigt la vanité et l'impuissance*. Le factum
jésuitique contre le cartésianisme envoyé à André avec un formulaire
est de 1 7 1 3 ; le livre de Dutertre est de 1 7 1 5 : c'est à peu près là l'é-
poque du plus fort déchaînement de la Société contre la philosophie
nouvelle. Savez-vous à quoi aboutit tout ce grand déchaînement ? Sans
doute il produit des malheurs particuliers^ de lâches défections , d'o-
dieuses intrigues, d'amers chagrins dans plus d'une âme loyale et cou-
rageuse; mais attendez quelques années, attendez que Malebranche ait
fermé les yeux, et que sa gloire vivante n'importune plus la jalouse
compagnie : la doctrine nouvelle, en se retirant de la scène du temps
présent , semble avoir perdu tous ses dangers ; elle est peu à peu am-
nistiée par ceux-là même qui l'avaient proscrite ; les bonnes raisons qui
avaient été données contre plusieurs de ses maximes subsistent , tem;
pérées à la fois et forlifiées par l'équité .ioattendue dont oa commence
376 JOURNAL DES SAVANTS.
à se piquer. Bientôt de 1 amnistie on passe au panégyrique , et il arrive
un moment où, contre de nouveaux adversaires bien autrement re-
doutables , la Société aux abois est contrainte d^invoquer en faveur de
la religion ces mêmes doctrines qu elle avait persécutées pendant un
siècle.
En 1724, le métaphysicien le plus justement renommé de la so-
ciété, le P. Buffier^ dans son excellent Traité des vérités premières,
parle de Descartes et même de Malebranche comme il appartenait à un
esprit aussi judicieux et aussi éclairé [Suite da Traité des premières vérités,
p. 2 38) : c( Le soin que Descartes inspire d^abord, d*êlre en garde géné-
ralement contre tous les préjugés, est un des meilleurs moyens de nous
faire découvrir la vérité : aussi est-il vrai que, depuis, on a commencé
de philosopher avec plus de circonspection , et par divers endroits
avec plus de succès L'attention qu'il a fait faire à la nature de Tâme
ou de Tesprit et à celle du corps ou de la matière a fait connaître avec
plus de netteté et de précision les différences de ces deux substances , qu il
est si important de bien distinguer. » Je néglige les critiques de détail , que
je n'admets ni ne conteste , et je transcris le jugement définitif de Buf-
(ier : if En général , les principes et la méthode de Descartes ont été d'une
très-grande utilité par l'analyse qu'ils nous ont accoutumé de faire
plus exactement et des mots et des idées; car, nous ayant mis en goût
d'examiner de plus près les opinions qu'on nous propose, ils nous ont
mis plus sûrement dans la route de la vérité » Tel est donc le sys-
tème contre lequel le P. Annat et le P. Letellier ont lancé tant de
foudres, et qu'en 1 706 on avait résolu d'exterminer ! Ici, en 1724, au
milieu de beaucoup de critiques , on déclare que le cartésianisme a servi
la cause de la bonne philosophie. Ce n'était donc pas la peine, quelques
années auparavant, de le persécuter par les plus indignes moyens.
Buffier traite moins bien Malebranche, et avec raison, mais il en
parle avec l'estime et le respect que l'on doit au génie , alors même
qu'il s'égare. Page 270 : «La réputation de cet auteur a été si éclatante
dans le monde philosophiqpe , qu'il pai^aît inutile de marquer en quoi
il a été le plus distingué entre les philosophes. Il n'a été d'abord qu'un
simple cartésien , mais il a donné un jour si brillant à la doctrine de
Descartes, que le disciple l'a répandue par la vivacité de son imagination
* Voyez sur Buffier les Mmoires de Trévoux, 1737, août, p. i5o4. D était né
en Pologne d'une famille française; élevé au collège de Rouen, entré aux jésuites
à dix-neuf ans; alla à Rome à la suite d'un démêlé avec Tarchevéque de Rouen;
revint bientôt en France, k Paris, fut chargé de l'enseignement, et en même temps
de la rédaction du Journal de Ti^évouz. Mort à soixante-dix-sept ans, le 7 mai 1767
JUIN 1843. 377
et par le charme de ses expressions, plus que le mailre n avait fait par la
suite de ses raisonnements et par Tinvenlion de ses divers systèmes
Le plus grand talent du P. Malebranche est donc de tirer d'une opinion
tout ce qu'on peut en imaginer d'intéressant et même d'imposant pour
les conséquences, et d'en montrer tellement les principes de profil , que,
du côté qu'il les laisse voir , il est impossible de ne s'y pas rendre , au
moins tant qu'on n'en détourne pas les yeux; on le suit avec plaisir dans
la route immense de ses idées, qui amusent et qui flattent Ja curiosité,
en réveillant et en attachant de plus en plus l'esprit de quiconque veut
bien voir les objcb uniquement par la face qui lui est présentée par le
P. Malebranche. »>
Voilà déjà un ton bien différent de celui de Daniel, de Le Valois,
d'Hardouin, de Guymond, de Dutertre, et du manifeste philosophique
de la Société en 1 7 1 3. Quel rapport y a-t-il , je vous prie, entre la phi-
losophie contenue dans ce maniléste ainsi que dans le fameux concordat
et celle du Traité des vérités premières ? Et pourtant nous ne sommes
qu'en 172a. Quelques années ont suffi pour faire tomber les déclama-
tions et les calomnies, et mettre à leur place une discussion légitime,
l'équité , le respect , et jusqu'à l'éloge. Attendez quelques années de plus ;;
le temps fait un pas; en lySS l'Académie française met au concours
Vesprit philosophique; la pièce qui remporte le prix distingue et met en
lumière deux attributs fondamentaux dans l'esprit philosophique, l'in-
dépendance de toute autre autorité que celle de la raison et le respect
envers la foi dans l'ordre des vérités surnaturelles, et le cartésianisme
est proposé comme le modèle de l'esprit philosophique ainsi conçu.
L'auteur de la pièce couronnée célèbre Descartes pour avoir secoué le
joug d'Aristote et dignement porté celui du christianisme. Dans ce dis-
cours est un morceau d'une haute éloquence sur les services rendus par
Descartes à la raison humaine. Ce morceau produisit, dans son temps,
le plus grand effet, et il mérite encore d'être rappelé.
« Il est aisé de compter les hommes qui n'ont pensé d'après per-
sonne , et qui ont fait penser d'après eux le genre humain. Seids et la
tête levée, on les voit marcher sur les hauteurs; tout le reste des phi-
losophes suit comme un troupeau. N'est-ce pas la lâcheté d'esprit qu'il
faut accuser d'avoir prolongé l'enfance du monde et des sciences?
Adorateur^ stupides de l'antiquité, les philosophes ont rampé durant
vingt siècles sur les traces des premiers maîtres. La raison condamnée
au silence laissait parler ^ l'autorité. Aussi rien ne séclaircissait dani
^ La leçon ordinaire, yôtioiVparfer^ me semble défectueuse.
48
37» JOURNAL DES SAVANTS.
runivers, et f esprit humain, après s'être traîné mille ans sur les
vestiges d*Aristote, se trouvait encore aussi loin de la vérité. Enfin
parut en France un génie puissant et hardi , qui entreprit de secouer
le JQug du prince de l'école. Cet homme nouveau vint dire aux
autres hommes que , pour être philosophe, il ne suffisait pas de croire ,
mais qu'il faUait penser. A cette parole , toutes les écoles se trou-
blèrent ; une vieille maxime régnait encore : ipse dixit , le maître l'a dit.
Cette maxime d'esclave irrita tous les philosophes contre le père de la
plôiosophie pensante; elle le. persécuta comme novateur et impie, le
chassa de royaume en royaume, et l'on vit Descartes s'enfuir, empor-
tant avec lui la vérité , qui par malheur ne pouvait êti'e ancienne en
naissant. Cependant , malgré les cris et la fureur de l'ignorance , il re-
fusa toujours de jurer que les anciens fussent la raison souveraine;
ii prouva même que ses persécuteurs ne savaient rien , et qu'ils de-
vaient désapprendre ce qu'ils croyaient savoir. Disciple de la lumière ,
ad lieu d'interroger les morts el les dieux de l'école, il ne consulta que
le» idées claires et distinctes , la nature et l'évidence. Par des médita*
tioiis profondes , il tira toutes les sciences du chaos , et, par un coup de
géode plus grand encore , il montra le secours mutuel qu'elles doivent
se? prêter ; il lès enchaîna toutes ensemble , les éleva les unes sur les
autres , et, se plaçant ensuite sur cette hauteur, ii marcha, avec toutes
Iw forces de l'esprit humain ainsi rassemblées , à la découverte de ces
grtfsides vérités que d'autres plus heureux sont venus enlever après
kd', mais en suivant les sentiers de lumière que Descartes avait tracés.
Gci ibt donc le courage et la fierté dun seul esprit qui causèrent
dàilÉ^ies sciences cette heureuse et mémorable révolution , dont nous
gûétons irajdurd'hui les avantages avec une superbe ingratitude. U fallait
auy sciences un homme qui osât conjurer tout seul avec son génie
contre les anciens tyrans de la raison; qui osât fouler aux pieds ces
idoles que tant de siècles avaient adorées. Descartes se trouvait enfermé
dans le labyrinthe avec tous les autres philosophes; mais il se fit lui-
même des ailes , et il s'envola , frayant ainsi ime route nouvelle à la
Twkon captive, n
Qui prononçait en 1755 ces grandes paroles^? Etait-ce un profes-
seur de l'université de P»ris, devançant et surpassant son confrère
Tbotnas dans son éloge célèbre de Descar^s? ou bien quelque ardent
àiBiijfie 4e l'Oratoire ou de Port-Royal? Non : c'est rni père jésuite, le
?• Antoine Guénard ^
* U avait alors vingt^neuf ans. U éUk né à Damblain (e«i Lorraine), le 16 dé-
JUIN 1843. 379
Tirons donc de lous ces faits cette leçon salutaire , que la persécution
en matière de doctrine n'est pas seulement ce qu'il y a de plus odieux,
mais de plus inutile. One discussion libre et sérieuse est la seule arme
qui soit ici de mise ; le temps surtout, qui met à leur place les choses et
les hommes, qui, en brisant ou en effaçant les passions du moment,
livre bientôt une doctrine à sa faiblesse ou à sa force naturelle , letempft
et son action plus ou moins prompte mais infaillible , voilà le remède
certain à Terreur, et le vengeur assuré de la vérité qu oublient égale-
ment l'autorité qui persécute, et d'héroïques victimes, qui se dévouent
souvent aux plus cruelles souQrdnces la veille du jour qui doit éclairer
leur triomphe.
V. COUSIN,
cembre 1736, et il était, en 1765, préfet des études au collège de Pont-à-Mousson.
Le P. Guénard n a pas tenu les espérances que son discours avait excitées. Gibd-
lero dit quil est mort en 1806, à Fléville, près Nancy.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
INSTITUT ROYAL DE FRANGE.
La séance publique des cinq Académies de Tlnstitut a eu lieu le mardi a nud«
sous la présidence de M. le comte Beugnot, président de T Académie royale des ins-
criptions et belles-lettres. Après un discours du président, la commission du prix
de linguistique fondé par M. le comte de Volney a prodamé le résultat du concours
de 1843 et le sujet du prix à décerner en i&hh,
La commission avait annoncé, pour le concours de i843, quelle accorderait
une médaille d*or de la valeur de 1,300 francs à Touvrage de philologie comparée
qui lui en paraîtrait le plus digne parmi ceux qui lui seraient adressés. Ce prix a
été décerné à M. Lafaye, auteur d*un ouvrage intitulé Synor^mes français,
La commission annonce qu elle accordera, pour le concours de i84A« une mé-
daille d or de la valeur de i,aoo francs à l'ouvrage de philologie comparée qui lui
en paraîtra le plus digne parmi les ouvrages, tant imprimés que manuscrits, qui
lui seront adressés.
Il faudra que les travaux dont il s*agit aient été entrepris à peu près dans les
mêmes vues que ceux dont les langues romane et germanique ont été Toljel' de-
puis quelques années.
L'analyse comparée de deux idiomes, et celle d*une iamiUe entière de langues 1
seront également admbes au concours.
Mais la commission ne peut trop recommander aux concurrents d*envisager sous
A8.
380 JOURNAL DES SAVANTS.
le point de vue comparatif et historique les idiomes qu'ils auront choisis, et de ne
pas se borner à Tanalysc logique , ou à ce qu'on appelle la grammaire générale.
Les mémoires manuscrits envoyés avant le i" mars i84/|i et les ouvrages impri-
més qui seront envoyés avant la même époque, pourvu qu'ils aient été publiés
depuis le i" janvier i842, seront également admis au concours.
La séance a été terminée par la lecture des quatre morceaux suivants : G)nsidé-
rations sur l'origine du bouddhisme, par M. Eugène Bumouf, de l'Académie des
inscriptions et belles-lettres; Discours sur Nicolas Poussin, par M. Raoul-Rochette ,
secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts ; Fragment sur la polygamie en
Orient, *par M. Blanqui; Fragment d'une épopée de Jeanne d'Arc, chant du siège
d'Orléans, par M. Al. Soumet, de l'Académie française.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
M. Bouvard, membre de l'Académie des sciences, est mort a Paris le 7 juin.
Dans sa séance du la juin, l'Académie a élu M. Laugier a la place vacante
dans la section d'astronomie par le décès de M. Savary.
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.
Le 17 juin, M. le comte de Rambuteau a été clu membre libre de l'Académie
des beaux-arts, en remplacement de M. le comte Chabrol de Volvic.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Bibliothèque de Vécole des chartes. Tome IV, troisième livraison (janvier- février
1843); quatrième livraison (mars-avril i843). Paris, imprimerie de Didot, i843,
in-8*, pages 189-400. — La troisième livraison contient les quatre morceaux sui-
vants : i' De la poésie provençale-italienne, par M. C. Fauriel, membre de l'Ins-
titut, complément des articles publiés par le môme académicien dans les précé-
dentes livraisons ; a° la Vie et la Mort de saint Thomas de Cantorbéry , par Garnier
de Pont-Sainte-Maxence , poème analysé par M. Le Roux de Lincy d'après le ma-
nuscrit de la Bibliothèque royale n* aASg, suppl. français, in-4*; 3* Recherches sur
les opinions et la législation en matière de mort volontaire pendant le moyen âge,
du X* au xrv* siècle, par M. Félix Bourquelot; 4' Invocation à l'Éternel, traduite du
grec par Tiberianus et publiée par M. Jules Quicherat. — On trouve dans la qua-
trième livraison: l'un premier article sur Tancrède , par M. de Saulcy ; a* six
lettres inédiles ou restituées de M"* de Grignan et de l'abbé de Coulanges, publiées
par M. Vallet de Viriville; 3* Trois abbés pour une abbaye, par M. H. G. (épisode
de rhistoire de l'abbaye de Saint-Martial de Limoges, au xiii* siècle) ; 4* Nolice sur
les layettes du trésor des chartes, suivie d'un premier extrait de ces layettes, par
M. A. Teulet, travail sur lequel nous nous proposons de revenir. — Les éditeurs
anuoncent, parmi leurs prochaines publications , des lettres inédites de la duchesse
de Lôngàevâle, sœor du grand G)ndé, par M. Victor G)usîn.
r
u
JUIN 1845. 381
Génie da xix' siècle» ou Esquisse des progrès de Tcsprit humain depuis 1800
jusqu'à nos jours, par Edouard AHetz. Paris, imprimerie de Gros, librairie de Pau-
lin, i84a-i843, in-18 de l-38i-Iv pages. — Ce nouvel ouvrage de M. Allelz n'est
as moins recommandable par Vélcvalion des senlimenls et des pensées que par
es qualités du style, et présente, avec beaucoup de méthode, quoique dans un
vadre un peu resserré, des notions claires, précises, exactes, sur les progrès récenis
et Tétat actuel de toutes les branches des connaissances humaines. On lira d*abord
avec intérêt Tintroduclion, où Tauteur traite de Tcsprit général du xix' siècle et
de l'influence que doivent exercer sur ses mœurs et sur les tendancrs de son génie
les trois grands événements qui ont présidé à ses destinées , savoir : une guerre
presque universelle , la décadence des aristocraties européennes et la découverte de
Ja vapeur. Après celte introduction, et avant d'aborder fexamen scienlilique et lit-
téraire de noire époque, M. Allelz donne, dans un premier livre, un aperçu rapide
des principaux progrès des sciences et des arts depuis l'antiquité grecque et latine
jusqu'à nos jours. 11 expose ensuite le système selon lequel il traite , dans les trois
lirres suivants, des progrès de nos connaissances depuis l'année 1800. Le livre
second, intitulé Science de l'homme, comprend la théologie, la philosophie, la lit-
térature, les beaux-arts, la philologie et l'archéologie. Le livre troisième est con>
sacré à la Science de la société, qui renferme la législation, l'économie politique ,
Tart de la guerre , le commerce et la navigation , la géographie et les voyages. Dans
le livre quatrième, qu'il intitule Science de la natare, l'auteur comprend l'agricul-
tnre, la botanique, la médecine, la zoologie, les mathématiques, lasironomie, la
physique, l'hydrologie, la chimie, la minéralogie et la géologie. Un des résullals
généraux de ce tableau des progrès de l'esprit humain depuis le commencement
du XIX* siècle, c'est que la France a eu la supériorité sur les autres nations dans
les sciences naturelles, dans les mathématiques, dans l'histoire, dans Téloquenco
et dans la philosophie politique. Le cinquième livre, sous le litre de Progrès futurs
des sciences et des arts, présente l'indication de toutes les questions importantes qui
attendent une solution, et de tous les essais qui réclament un perfectionnement.
Enfin le livre sixième explique les Rapports de la religion chrétienne avec les progrès
de l'esprit humain. Un appendice placé à la fin de l'ouvrage rappelle les travaux des
hommes qui ont contribué, d'une manière secondaire, aux progrès des arts et des
sciences. Le volume est terminé par deux tables des noms cités dans l'ouvrage et
dans l'appendice, et par une table des matières.
Poésies populaires latines antérieures aa Xïi* siècle, par M. Edélestand du Méiil.
Paris, imprimerie de Guiraud et iouaust, librairies de Brockhaus et Avenarius et
de Techener, i843, in-8' de 43o pages. — Dans l'introduction qui précède ce re-
cueil, M. du Méril trace l'histoire abrégée de la poésie latine populaire, depuis les
premiers temps de Rome jusqu'à la fondation des langues modernes. tLe principal
mérite de la poésie latine au moyen âge , ajoute-l-il , est de servir de lien entre In
poésie ancienne et la littérature moderne, de continuer le passé et de le rallacher
à l'avenir. Les idées chrétiennes y apparaissent dans toute leur vivacité native; puis,
insensiblement, elles se mêlent aux traditions qu'elles avaient d'abord répudiées
atec dédain; elles les transforment, se les approprient, et la poésie vulgaire trouve
dans les chants populaires latins, qu'elle imite et reproduit sans cesse, les idées et
les faits nécessaires au développement de l'imagination. Pour l'histoire de la versi-
fication une connaissance approfondie des poèmes populaires latins est plui»
kidispensaMe encore; c'est seulement à l'aide de leur rhylhme et de ses modifica-
tions que l'on peut expliquer les principes de la versification des* langiies modernes
382 JOURNAL DES SAVANTS.
et les changements qu^elle a successivement éprouvés. > Les poésies romaines
tiennent nécessairement peu de place dans cet ouvrage. L^auteur s*est contenté de
reproduire quelques-uns des rares monuments de la poésie populaire des Romains
depuis les chants des frères Arvales jusqu'au Pervigilium Veneris, La partie la plus
importante du recueil est consacrée aux poésies chrétiennes, et renferme soixante-
dix-sept morceaux, dont les plus anciens appartiennent au iv" siècle, et les plus
récents au xii*. La plupart de ces pièces avaient déjà été imprimées. M. du Méril
en a soigneusement revu le texte, autant quil a été possible, sur les manuscrits.
Quelques-unes, restées jusqu'à ce jour inédites, sont publiées diaprés des ma*
nuscrits de la Bibliothèque royale et de la bibliothèque de Bruxelles, ou sur des
copies communiquées par divers savants. Les unes et les autres sont accompagnées
de nombreuses notes philologiques et bibliographiques, qui sont le fruit de labo
rieuses recherches.
Époques de l'histoire de France en rapport anec le théâtre français , dès la formation
de la langue jusqu'à la renaissance, par Onésime Leroy. Imprimerie de ilennuyer
et Turpin aux Batignolles, librairie de Hachette à Paris, i843, in-S"* de 467 pa^.
— * L'ingénieux auteur des Études sur les mystères a pensé que « Tintérèt offert à
l'histoire par l'exploration de nos plus vieux monuments dramatiques s'accroîtrait
encore du développement successif de l'esprit humain et de l'esprit français , dont
ces essais informes ont été le point de départ , > et c'est dans le but d'en tracer le
tableau qu'il a entrepris cette esquisse dos principales époques du théâtre en France,
c'est-à-dire des révolutions de nos mœurs, de notre langue et de notre littérature.
Cet ouvrage recommandable. sur lequel nous reviendrons, est précédé d'une intro-
duction et divisé en onze chapitres , dont voici les titres : Ecole d'Âbélard. *-* Siècle
de saint Louis. -— Société de l'immaculée conception ; beauté morale , ascendant
de la femme. — Mystère de la passion; acheminement à l'unité monarchique; pre-
mier théâtre permanent à Paris; développement de l'opinion populaire. ^ Salut et
gloire de la France au xv* siècle. — • Vœu du faisan à Lille, vœu du paon, etc. — -
Chambres dramatiques ou littéraires, dites de Rhétorique. — Drames satiriques,
précurseurs ou auxiliaires de la réformation. -— Coup d'œil rétrospectif sur saint
Martin et saint Louis. — « Tombeau de Childéric et médaille de saint Martin décou-
verts à Tournay. — - Conclusion. Jeux de scène traduits en profanation sur le tom-
beau de saint Martin à Tours.
Études politiques. De l'aristocratie an^aise, de la démocratie américaine et de la
libéralité des institutions françaises, par Chaiies Farcy, a* édition. Paris, imprimerie
de Ducessois , au comptoir des imprimeurs unis, quai Malaquais, n* i5; i843,
in-8** de 1 5a pages. — « Faire aimer davantage les institutions du pays , souvent et
injustement aénigrées au profit des institutions étrangères; mettre en première
ligne la moralité dans l'appréciation des lois , rappeler le principe rdigieux trop
souvent oublié, enfin tâcher de convaincre que les bonnes mœurs peuvent seules
faire de bons citoyens, ■ tel est le but de cet ouvrage, qui ne £&it pas moins d'hon-
neur au talent de l'auteur qu'à ses sentiments.
Les chroniques de Vévéché de Langres, du père Jacaues Vigner , traduites du latin ,
continuées jusqu'en 179^ et annotées, par Emile Jolibois. Chaumont, imprimerie et
librairie de V* Miot, i843, in-8* de 1x1-207 pages. — Cette histoire abrégée du diocèse
de Langres, publiée à Langres, par J. Vignier en i665, sous le titre de Chronicon
Lingonense, ex probationibas Decadis historicœ contextum, n'est que le résumé d'un
ouvrage plus important du même auteur, auquel il avait donné le nom de Décade
historique, parce qu'il devait être publié en di|L livres divbés en trois tomes ou par-
/ JUIN 1843. 383
lies. Il n*a para de ce grand ouvrage que le plan , publié à Dijon du vivant de Vi-
gner, et Ton croit que Tauteur, mort en 1670, na pu Tachever; du moins, il n'en
reste aujourd'hui que le commencement, et Ton ne connaît aucune copie des deux
dernières parties. L'abrégé est un récit succinct , mais plein d'érudition et de mé-
thode , des événements qui se sont passés dans le diocèse de Langres depuis Tépoque
romaine jusqu'en i65o. Le traducteur a continué ce travail utile jusqu'à la révolu-
tion , rectifié dans des notes quelques erreurs de date, et introduit dans le texte des
divisions avec des sommaires qui facilitent les recherches.
Mémoires authentiqués de Jacques Nùmpar de Caumont, duc de la Force, maréchal
de France , et de ses deux ûls le marquis de Montpouillan et de Castelnaut; suivis de
documents historiques et de correspondances inédiles de Jeanne d'Âlbret , Henri IH ,
Henri IV, Catherine de Bourbon, Louis XIII, Marie de Médicis, Condé, Sully, ViJ-
leroy, Fresnes, Ponlchartrain, Bouillon, Biron, d'Ornano, Montespan, Matignon,
du Plessis-Mornay , Rohan, Schomberg, Châtillon, d'Effîat, Feuquières, Richelieu,
Servien, des Noyers, Bouthillier, et autres personnages célèbres depuis la Saint-
Barth^emy jusqu'à la Fronde, pour faire suite à toutes les collections de mémoires
sur l'iiistoire de France, publiés, mis en ordre et précédés d'une introduction par
M. le marquis de la Grange, député de la Gironde, etc. Paris, imprimerie de veuve
Dondey-Dupré , librairie de Charpentier, i843, A vol. in-S**.
Notice sur la vie et les travaux de M, le comte Bigot de Préameneu , ministre des
cultes sous l'empire, l'un des trois rédacteurs du projet de code civil, par Âug.
Nougarède de Fayet, son petit-fils. Paris, imprimerie de Grapelet, id43, in-S** de
trente-huit pages.
ANGLETERRE.
A Grammar of the hindastani langnaqe , by John Shakespear, fourth édition, to
which is added a short grammar of the dakhani. London, i843, in-A"" de 207 pages,
avec planches gravées. — Voici la quatrième édition de la meilleure grammaire
hindoustani écrite en anglais. C'est un beau succès , qui seul fait l'éloge du livre.
Mais cette édition offre à la fois un changement et une addition précieuse , qu'il est
essentiel de signaler. La liste des principales racines de la langue hindoustani,
qu'on trouvait dans les précédentes éditions , sous forme d'appendice , à la suite de
la grammaire , est aujourd'hui remplacée par des détails intéressants sur le dialecte
hindoustani particulier au Décan , nommé dakhnt (et non dakhant, comme l'a im-
primé M. Shakespear). Ces détails occupent soixante pages, et rendent le travail du
savant orientaliste propre à être employé dans tout l'empire anglais de l'Inde, l'hin-
doustani proprement dit, appelé ourdou, étant usité dans les présidences de Calcutta
et de Bombay , et le dakhnt dans cetie de Madras. Il ne s'agit ici que de l'idiome
des musulmans : il n'est pas entré dans les vues de M. Shakespear de traiter du
dialecte hindoui, et on doit le regretter d'autant plus, que personne n'était plus en
état que lui de le faire , et qu'on ne possède aucun ouvrage ex professo sur ce dia>
lecte, si important à cause des ouvrages philosophiques et historiques qui l'enri-
chissent.
The Jews in China, their synagogue, ikeir scriptures , their historj , etc. by James
Finn. London, i843, royal in-13*, viij et 86 pages. — M. Finn est auteur d'un
ouvrage sur les juifs d'Espagne et de Portugal, que nous avons indiqué, à son ap-
parition, aux lecteurs du Joumid des Savants (novembre 18^2). Aujourd'hui les
384 JOURNAL DES SAVANTS.
•ucces de l'Angleterre en Chine Tonl engagé à 8*occuper de Tétai des juifs de ce
pajft. Ccftt d'après des traraux estimés, qui ont été écrits sur le contineot, que le
iahorioiix auteur a rédigé son opuscule. Il en offre, en cinq chapitres, une sorte
de résumé substantiel et d*un intérêt soutenu. Le preroier roule sur la manière
dont les juifs furent découverts en Chine par les missionnaires jésuites ; le second
décrit leur synagogue; le troisième, leurs copies de la Bible et leur littérature;
le qiiairicme, leurs inscriptions et leur histoire; le cinquième, enfin, contient des
réflexions scientifiques et surtout religieuses; car le but de Fauteur dans cet ou-
vrage, comme dans celui que nous avons rappelé, est principalement chrétien :
c'est, en effet, la conversion du peuple juif qu'il a surtout en vue. Le texte est ac-
compagné de notes instructives, avec des citations en caractères hébreux.
L'Empire chinois, ou Histoire descriptive des mœurs, coutumes, architecture,
industrie du peuple chinois, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours,
traduit de l'anglais par Clément Pelle, avec gravures anglaises sur acier d'après les
dessins originaux, par Th. AUom, e^. Londres, librairie de Fischer et compagnie,
38, Ncwgate slreet; à Paris, rue Saint-Honoré , n* 108. — Au retour de la deuxième
expédition des Anglais en Chine, la maison Fischer a publié une description du
Céleste Empire qui a obtenu beaucoup de succès en Angleterre, et dont elle donne
aujourd'hui une traduction française, ii laquelle sont jointes toutes les planches de
l'édition originale. Ces dessins, exécutés par les officiers de la flotte anglaise, ou
reproduits d'après les travaux des voyageurs qui out pénétré dans l'intérieur du
pays, font connaître les monuments et les sites les plus remarquables de l'empire
chinois. Les planches sont exécutées avec cette délicatesse et ce fini de détails que
nos graveurs n'ont pu encore parfaitement imiter. L'auteur du texte annonce s'être
mis en rapport avec deux Chinois lettrés attachés au service de la compagnie des
Indes orientales, et avoir rectifié, en soumettant son livre à leur contrôle, beau-
coup d'erreurs qui ont cours dans la plupart des histoires ou des descriptions de
la Chine publiées en Europe. Au moment où les événements politiques ramènent
l'attention publique sur ce pays, la publication de MM. Fischer ne peut qu'élre
bien accueillie, si l'exécution répond toujours, comme dans les premières livraisons,
aux promesses de l'auteur.
TABLE.
Ëiplication de trois inscriptions grecques trouvées h Philes, en Egypte ( 1*' article
de M. Letronne ) Page 321
Hevuo des éditious de Duflbn (2* article de M. Flourens) , 333
Antichi monumenti scpolcrali scoperti nel ducato di Ceri, dichiarati dal cav. P. S.
Visconti. — Descriiione di ('ère antica , ed in particolare de) monnmento se-
polcrale scoperto neif anno 183Ô, delf architetto cav. L. Canina. — Monu-
menti di Cere antica, dal cav. L. Grifi (2* article de M. I\aoul-Rochette] .... 344
Nouveaux documents inédits sur le P. André et sur la persécution du Cartésia-
nisme dans la compagnie de Jésus (4* et dernier article de M. Cousin) 360
Nouvelles littéraires 379
rm D£ ul taule.
JOURNAL
DES SAVANTS
JUILLET 1843.
MiRCHONDi HiSTORiA Seldschukidarum , persice e codicibus manu"
scriptis Parisino et Berolinensi nunc primum edidit, lectionis va-
rietate instruxit , annotationibus criticis et philologicis illustravil
Jo. Aug. Vullers. Gissae, 1887, in-8°.
MiRCHOND^s Geschichte der Seldschuken, ans dem persischen zuin
ersten mal ùbersetzt , und mit historischen , geographischen und li-
terarischen Anmerkungen erlàutert, von Jo. Aug. Vullers. Giessen,
1837, in-8^
DEUXIÈME ET DERNIER ARTICLE.
Dans mon article précédent, en rendant compte de l'histoire des
Seldjoucides écrite par Mirkhond et publiée par M. Vullers, je me
suis attaché à recueillir quelques détails sur la vie et les ouvrages du
chroniqueur persan. Je pourrais ajouter un petit nombre de mots,
dans lesquels Tauteur indique les époques où avaient été rédigées
quelques parties de son ouvrage, où il expose les motifs qui avaient
retardé la publication de tel ou tel volume. Mais ces renseignements of-
friraient, à coup sûr, un bien faible intérêt. Je ne m'arrêterai point i)on
plus à parler du Scïd Nizam-eddin-Sultan-Ahmed, fils de l'émir Borhan-
eddin-Khavend-schah , et frère de Mirkhond , qui remplissait , à la cour
des descendants de Timour, les fonctions augustes de Sadr, c'est-à-dire
de chef de la justice ecclésiastique. Mais, pour compléter, autant que
possible , ce qui concerne la famille de Mirkhond , je réunirai ici quel-
49
386 JOURNAL DES SAVANTS.
ques détails sur Khondémir, fils de Mirkhond , émule de son père dans la
carrière historique, abréviateur et continuateur de ses ouvrages. Cette
notice, qui sera beaucoup moins complète, beaucoup moins instruc-
tive que je ne Taurais désiré, pourra au moins servir à compléter, sur
quelques points, les renseignements donnés par Dherbelot, M. Silvestre
de Sacy, et, en dernier lieu, par M. Reinaud.
Gaïath-eddin-Mohammed , surnommé Khondémir, vint au monde
vers la fin du ix'' siècle de Thégire, Tan 879 ou 880. Cette date ne nous
est, je l'avoue, indiquée d'une manière expresse par aucun biographe,
par aucun historien; mais elle ressort évidemment d'un passage où
notre auteur, parlant de son principal ouvrage , le Habib-assilar, atteste
qu'il l'entreprit l'an 927, et il ajoute qu'il était, à cette époque, âgé de
quarante-sept à quarante-huit ans. Il est probable qu'il eut pour patrie
la ville de Hérat, qui était la capitale de l'empire des principaux des-
cendants de Timour. Dès son enfance, il montra un goût vif, une vé-
ritable passion pom* l'étude de l'histoire, et compulsait avec une ar-
deur infatigable les ouvrages qui traitaient de cette science. Guidé pai'
les conseils et les exemples de son père, qui, par ses vastes travaux
historiques, avait acquis une si juste célébrité, il s'occupait presque
uniquement à lire et à méditer les histoires générales et particulières ,
afin d'en tirer tout ce qui pouvait contribuer à augmenter ses connais-
sances et fournir la matière des compositions importantes dont il avait,
dès lors, arrêté le plan. Appelé auprès de l'émir Ali-Schir, ce noble pro-
tecteur et ami de tous les gens de lettres, il trouva chez cet homme
extraordinaire tout ce que la bienveillance et l'attachement peuvent
présenter de plus gracieux, tout ce que peuvent oflFrir d'utile les conseils
de l'expérience, les trésors d'une solide érudition; lorsque, dans le
cours de l'année 904, Ali-Schir eut réuni une bibliothèque nombreuse,
composée des meilleurs livres, il en abandonna sans réserve l'usage à
Khondémir, et le plaça à la tête de ce riche dépôt des connaissances
huxDaines. On peut se figurer quelle dut être la satisfaction de notçe
auieur, lorsqu'il se vit dans une position qui était si bien en harmonie
avec ses inclinations , et avec quelle ardeur il songea à profiter d'unç
situation si favorable. Ali-Schir, dans un de ses ouvrages^ parle en peu
de mots de Khondémir, et vante en termes pompeux les connaissances
qu'il avait acquises sur l'histoire. Du reste, dans ce passage, Ali-Schir
ne cite aucun ouvrage de Khondémir. Et, en effet, à l'époque où l'il-
lustre écrivain rédigeait l'ouvrage intitulé Medjalis-alnefdis , Khondémir,
^ Koulliati'Nevaîi , t. II, fol. 780 r*.
JUILLET 1843. 387
alors fort jeune, n avait encore rien produit, et ne donnait que des
espérances. Au rapport de Hadjî-Khaifali , ce fut vers l'an 900 de
rhégire que Rhondémir publia son abrégé historique intitulé Khelaset-^
alakhbar, qui contient Thistoire du monde, depuis la ci'éation jusqu'à
Tannée 876 de l'hégire, et qui est un extrait du Raouzat-assafa de
Mirkhond. A cette même époque , il cultivait également la poésie. Car,
ainsi qu'il nous lapprend lui-même ^, le kadi Nizam-eddin-Mohammed
étant mort au mois de moharrem de raii 900 de Thégire , notre
auteur s'attacha à consigner dans deux vers la date de cet événement.
Il se trouvait auprès d'Ali-Schir, Tan 906, au moment où la mort vint
frapper cet homme illustre. Voyant que la maladie se présentait avec
une violence extrême, il déclara qu'il fallait, sans aucun délai, prati-
quer une saignée , et que le moindre retard rendrait le mal tout à fait
incurable. Le khodjah Schehab-eddin-Abd-allah , qui avait la préten-
tion de posséder des connaissances médicales , resta incertain , et n'osa
pas prendre un parti. On s'adressa au sultan Hosain-Behadur, qui donna*
ordre d'ouvrir immédiatement la veine du malade. Mais, comme le
voyage et le retour du courrier avaient pris plusieurs heures , lorsque
l'on procéda à la saignée , il était trop tard , et le malheur que l'on
craignait se réalisa tientôt. A l'occasion de cet événement funeste,
Khondémir rédigea les vers suivants.
«Son Altesse, l'émir, qui était l'asile de la direction divine, en qui bril-
laient toutes les marques de la miséricorde, a quitté le buisson d'épines
du monde , et s'est dirigé vers un jardin où fleurit le parterre de roses
de la miséricorde. Puisque les lumières de la miséricorde sont descen-
dues sur son âme , cherchons dans les mots o»^ jty t l'année de sa
mort. » En efiet, les lettres dont se composent les deux mots ow^ jlyl,
réunies d'après leur valeur numérique, indiquent Tannée 906, qui fut,
en effet, l'époque de la mort d'Ali-Schir.
L'an 909^, lorsque le sultan Mirza-Bedi-ezzeman songeait à repousser
les Uzbeks, qui, sous la conduite de Mohammed-Scheîbani-khan, se pré-
paraient à faire une incursion dans la province de Khorasan, le prince,
* Habib-assiiar, t. III, fol. 298 r\ — * Fol. a88 r'.
49.
388 JOURNAL DES SAVANTS.
d'accord avec les grands du royaume, résolut de députer plusieiu^ des
principaux émirs vers Témir Khosrev-schah , qui était maître de la ville
de Kondoz, afin de gagner à la cause commune cet homme important,
de l'amener à la cour, et de l'engager à seconder de tout son pouvoir
les préparatifs qui avaient pour but d'éloigner un ennemî formidable.
L'auteur, suivant l'ordre de son souverain , fut adjoint aux députés et
prit avec eux la route de Kondoz. Bientôt, à la suite d'un avantage
remporté par le frère du khan des Uzbeks, l'émir Khosrev-schah
abandonna lâchement sa capitale et se retira dans les montagnes.
L'émir Zou'lnoun-Argoun , chef de l'ambassade, représenta à ses com-
pagnons combien il serait honteux d'abandonner à l'ennemi une place
aussi importante que Kondoz. Il leur fit sentir la nécessité de gagner
promptement cette ville, d'en fortifier les remparts, et de la défendre
énergiquement contre les armes des Uzbeks. Cet avis ayant été , bon
gré msd gré, approuvé de tous les émirs, Zou'lnoun, avant de partir
pour continuer sa marche, chargea Khondémir de se rendre en hâte à
la cour du sultan, d'informer ce prince du désastre de Khosrev-schah,
et de l'inviter de venir aussitôt , à la tête de son cortège auguste , pour
relever le courage des troupes et assurer le succès de l'entreprise. L'au-
teur, ayant été admis en présence de Mii^za-Bedi-ezzeman , et lui ayant
fait part de l'objet de sa mission, le sultan répondît que, dès qu'il ap-
prendrait l'arrivée des émirs à Kondoz , il se mettrait immédiatement
en marche pour les joindre.
Khondémir, sous le règne du sultan Bedi-ezzeman, obtint de son sou-
verain^ une haute marque de considération, car il fut promu par lui au
rang de Sadr, c'est-à-dire de chef de la justice ecclésiastique. L'an 912
de l'hégire^, lorsque Mohammed-khan-Scheïbani, à la tête de ses re-
doutables Uzbeks, se disposait à passer le Djeïhoun pour envahir le
Khorasan et les contrées voisines, le sultan, voidant, s'il était possible,
opposer une digue à ce torrent dévastateur, députa vers les princes et
les grands émû^s des négociateurs habiles , pour les engager à réunir
leurs forces afin de faire tête à l'ennemi commun. Notre auteur fut dé-
signé pour se rendre à Kandahar, auprès de l'émir Schoudja-beg. Il se
préparait à partir, lorsque la mort d'une des filles du sultan vint porter
le deuil dans la cour de Hérat, et empêcha l'auteur d'accomplir la mis-
sion dont il était chargé. Bientôt le Khorasan fut inondé par les nom-
breuses armées des Uzbeks. L'année suivante, la capitale elle-même se
trouvant pressée par les armes de ces redoutables conquérants ', les
' Babilhassiiar, fol. 3o5 r*. — ' Fol. 807 y\ — ' Fol. 3o8 r\
JUILLET 1843.
389
habitants épouvantés , et ne croyant pas pouvoir opposer une résistacce
sérieuse, prirent le parti de se soumettre. Khondémir fut cliargé par
eux de rédiger un acte qui constatait cette résolution, et qui fut envoyé
au quartier général des Unbeks. La négociation fut confiée à Maulaiia-
Othman, neveu de noire auteur, et qui remplissait les fonctions de
Mohtesib de la ville. Durant ia domination des Uzbeks ', Khondémir,
quoique des ordi'es formels semblassent lui assurer le traitement ie plus
honorable , se vit exposé à une suite de vexations et de tracasseries d'un
genre ignoble et odieux. Notre auteur n'entre, à cet égard, dans aucun
détail. II se contente de rapporter une anecdote qui atteste le peu de
considération que ces vainqueurs témoignaient pour des iiommes d'un
rang éminent. Scheibanî. khan des Uzheks, avait placé à la tête de l'ad-
ministration de la justice un personnage nommé Abd-errahim, qui joi-
gnait à une incapacité réelle la présomption la plus intolérable. Lors-
qu'il fiit installé dans la ville de Hérat, un jour il manda auprès de lui
l'émir Sultan-Ibrabim, KJiondérnir et Maulana-Gaiatli-eddin-Djemschid-
Halali et leur dit : Il faut que, sur les moutons qui sont échus à mes
serviteurs pour leur part du butin, vous en preniez soixante, pour
chacun desquels vous payerez vingt tengtchch-khâni , qui équivalent à
600 dinars de ia monnaie de Tebriz. Tous trois acceptèrent forcément
cette proposition exorbitante. Comme le soir était arrivé et que notre
auteur n'avait avec lui aucun esclave, aucun serviteur, il demanda que
les moutons restassent cette nuit dans les étables du palais, s'engagcani ,
ainsi que ses compagnons, à faire emmener de grand matin ce trou-
peau, à le conduire vers leurs domiciles, à en effectuer le partage, et
à solder immédiatement le prix convenu. Une demande si simple iiit
rejetée avec mépris. Ces hommes vénérables, qui, peu de temps aupa-
ravant, se monlraienl en public entourés des Insignes de leurs dignités
éminentes, revêtus d'habits de soie, et montés sur des chevaux su-
perbes, 80 virent contraints de prendre en main des houlettes, et de re-
gagner leurs maisons en cliassant devant eux ce troupeau de moutons.
Les marchands du bazar appelé Bazari-kosch 1^^ jljlf , c'est-à-dire " le
beau bazar, » A l'aspect de cet étrange spectacle, restèrent stupéfaits et
se mirent i rire. L'émir Sultan-Ibrahim et notre auteur ne purent s'em-
pêcher de partager Ibilaiilé générale- Gaïath-cddin-Djemschid fondait en
larmes, et, comme on lui demanda quel motif causait cette profonde
tristesse, il répondit : u J'étais bien résigné ii remplir, sous le gou-
vernement des Uibiîks, les fonctions de berger; mais je ne savais pas
ir. fol. 3ia
390 JOURNAL DES SAVANTS.
que je serais condamné à exercer ce métier dans le bazar appelé
Khosch.n Bientôt après, les sadr et les administrateurs des fondations
pieuses s a Hachèrent à gagner, par des présents en argent et en nature,
la bienveillance d'Abd-errahim. Celui-ci, après avoir gourmande vive-
ment Khondémir et Témir Sultan-Ibrahim, réclama deux, avec les
formes les plus impérieuses, le payement des 20,000 tengtcheh. Il £aiHut
recourir à la négociation. Après de longs pourpariers , après des sup-
plications sans nombre , il lut convenu que notre auteur et son com-
pagnon payeraient, sur leurs biens particuliers et sur les fonds que leur
fourniraient les sadr et les administrateurs des fondations pieuses, une
somme de i3,ooo terigtchehy et qu'on ne leur demanderait pas davan-
tage. »
Cependant une nouvelle révolution s'était opérée dans TOrient.
Schah-Ismaïl, déjà maître dune bonne partie des provinces qui com-
posent l'empire de la Perse, porta, l'an gi6 de l'hégire, ses armes
dans le Khorasan , afin d'arracher cette contrée importante à la domi-
nation des Uzbeks. Scheibani , leur souverain , fut vaincu et tué dans
une bataille. Les Uzbeks, écrasés par un ennemi redoutable, fuirent
en désordre, évacuèrent le pays, l'abandonnèrent au vainqueur, et al-
lèrent précipitamment cbercher un asile au delà du Djeïhoun (rOxus).
Ismaïl demeura maître du Khorasan. Toutefois, quelques princes de la
&mille de Timour, quelques émirs, se maintinrent dans quelques-unes
des provinces qui avoisinent cette vaste contrée. Mirza-Mohammed-
Zeman, fils de Bedi-ezzeman , commandait dans la province de Djor-
djan, l'ancienne Hyrcanie, située au sud-est de la mer Caspienne. D'un
autre côté , l'émir Ordou-schah, l'un des émirs qui avaient été attachés
au service du sultan Bedi-ezzeman, ayant pris les armes, soumit à sa
domination le district montueux du Gardjestan.
L'an 920 de l'hégire, à l'époque ou Mirza-Mohammed-Zeman porta
la guerre dans la province de Gardjestan, notre auteur habitait dans le
bourg appelé Bascht oJUj, qui fait partie de ce canton, et qui touche
à la montagne de Rag K Dès qu'il eut appris l'arrivée du Mirza, se rap-
pelant les bienfaits sans nombre, les marques de faveur qu'il avait re-
çues du père et de l'aïeul de ce prince, il s'empressa de se rendre
auprès de lui. Mohammed-Zeman l'accueillit de la manière la plus ho-
norable , le pressa de rester à sa cour et de ne jamais s'éloigner de sa
personne. Notre auteur eut beau alléguer toutes sortes d'excuses , elles
ne furent point agréées. Le prince le gratifia de riches présents qui con-
*Fol. 3i4r'.
JUILLET 1843.
391
bistaierit en or et en cbevaux. Bientôt après'. Mohamnied-Zeman,
s'ëtant diacide à faire la paix avec l'émir Ordou-schali , choisit Khoodémir
pour négociateur et lui ordonna de partir pour BaJkh. afin d'engager
l'émir à céder au fils de son souverain l:i contrée dont cette place im-
portante était la capitale . et à se retirer dans la province de Gardjestan.
Lorsque le prince fut forcé de s'enfuir vers le Kandahar, Khondémir de-
manda la permission de rester dans cette même province de Gardjestan,
où, comme nous l'avons vu, il avait précédemment établi sa résidence^.
Kliondémii', ainsi qu'il prend soin de le rapporter avec une sorte de
complaisance, avait, durant toute sa vie, montré pour l'étude de
l'histoire une passion qui ne s'était jamais ralentie. Dans la retraite où
les circonstances politiques l'avaient confiné, il ne manqua pas, sans
doute, de pousser ces travaux avec une activité nouvelle, 11 avait com-
posé, sur cette branche des connaissances humaines, plusieurs ouvrages
dont il a pris soin de nous faire connaître les titres^, mais qui, à l'ex-
ception d'un seul, n'ont point passé en Europe, et que je n'ai vus cités
par aucun des écrivains de l'Orient. Tels sont le Khclaset-alakhbar, le
Maâthir-atmobuk iljJii jJ'L* (les actes remarquables des rois), le Akkbar-
atahhiar j\it^^\ j\ii^\ (les histoires des hommes vertueux), le Destour-
alvttxara f\jjfi\ jy/Jm^ [la règle des vizirs). Le second de ces ouvrages
parait avoir été un livre peu étendu, car l'auteur le cite " sous le litre
de risaîek *JUy, c'est-à-dire «opuscule. »
Sous le règne de Schah-lsmaïl , Khondémii- eut le bonheur de trou-
ver des protecteurs éclairés et puissants, qui connurent son mérite,
goûtèrent ses écrits, et se firent un devoir de contribuer à l'honiieiir de
leur patrie, en favorisant les travaux d'un des plus doctes écrivains dont
s'honore la Perse. Ce fut l'an 927 qu'un personnage illustre, l'émir
Mobammed-alhosaini^, engagea khondémir à rédiger un traité succinct,
et cependant aussi complet que possible, qui renfermerait tous les faits
de l'histoire universelle. L'auteur crut devoir déférer à csette invitation ,
et se mit immédiatement à l'ouvrage. Mais bientôt l'homme honorable
dont les conseils et la noble bienveillance avaient guidé notre autem"
descendit au tombeau*. Dès ce moment, les hommes injustes et per-
vers, que conteuait la sévérité de cet administrateur, levèrent la tôt»»,
se livrèrent aux actes les plus répréhensibles , et le pays se trouva en
proie à des troubles et à des désordres continuels. Tous ces maux poi'^
taient le découragement dans l'âme de l'auteur el lui faisaient tomber
' Foi. 3i5 r'
I, III. foi. 390
■ Fol 3i6 r'. —' Habily^assiiar. L. I, fol. a ï".— * /fut.i-fl«;i<
- ' Préface dn Hahili-aistiar. fol. 3 \'. — ' Fol, 5 r'. 'i-û
392 JOURNAL DES SAVANTS.
la plume des mains. Plusieurs mois s étaient écoulés dans des angoisses
continuelles , lorsque le gouvernement de la province du Khorasan fut
confié aux mains habiles d*un personnage distingué, Aboulmansour-
Dermesch-khan, qui sut, par sa fermeté et sa prudence , rétablir l'ordre
et la tranquillité dans cette contrée importante. Il fut secondé, dans
ses nobles desseins, par un homme d'un rang élevé, d'un mérite émi-
nent, Kerim-eddin-Habib-ullah. Ce personnage, dont notre auteur fait
un éloge pompeux, et dont il parle, en plusieurs endroits, dans les
termes les plus expressifs, était natif de la ville d'Ardebil et jouissait
dune haute considération ^ Habib-ullah aimait, cultivait la science.
Tous les moments qu'il pouvait dérober aux soins de l'administration
étaient consacrés par lui à l'étude des différentes branches de connais-
sances, et, en particulier, à celle de l'histoire. Il se fit rendre compte
de l'état où se trouvait le travail de Khondémir et l'engagea à pour-
suivre sans relâche la tâche honorable qu'il avait entreprise. L'auteur,
en effet, se remit à l'œuvre et ne tarda pas à terminer cette grande
composition historique. Voulant rappeler à la postérité le nom de son
protecteur, qui, comme nous l'avons vu, portait le nom de Habib-ullah,
il donna à son ouvrage le titre de Habib-assUar j-a^I u.ys>^ , c'est-à-
dire (d'ami des biographies. » Cet ouvrage, que je me propose de faire
connaître par des extraits étendus , est , à coup sûr, un des meilleurs
livres que les Persans aient composés sur l'histoire universelle. Rédigé
sur le plan du Raouzat-assafa de Mirkhond, dont il offre souvent un
abrégé substantiel , il réunit toutefois des avantages qui ne se trouvent
pas au même degré dans le livre précédent. La narration est souvent
moins sèche, moins dépourvue d'intérêt; on y trouve l'histoire de plu-
sieurs dynasties omises par Mirkhond. Des détails nombreux , emprun-
tés à d autres historiens, nous apprennent bien des particularités inté-
ressantes, des détails piquants et instructifs. Enfin, l'auteur a eu soin de
rapporter, à la fin de chaque règne, la vie des hommes distingués, des
savants, des littérateurs, qui ont fleuri à cette époque.
Ce fut, suivant le témoignage formel de l'écrivain, fan 9 2 7 de l'hé-
gire, qu'il commença la rédaction de cet important travail. Cette date,
que l'on ne peut révoquer en doute, puisqu'elle nous est fournie par
l'auteur lui-même, suffit pour démontrer que le prétendu Appendice
de l'histoire de Mirkhond ne saurait appartenir à l'ouvrage de ce chro-
niqueur. En effet, on y trouve cité le Habib-assiiar de Khondémir. Or,
ainsi que nous l'avons vu, celte composition historique n'a été com-
* Habib'casiiar, t. III, fol. 677 v% Sgo r', Sgi r*.
JUILLET 1843. 393
iiieiicée que l'an 927, et, par conséquent, vingt-quatre années après la
mort de Mirkhond. On peut croire que cet Appendice, où l'on trouve
partout reproduites lextueilcment les expressions de KhoiuUmir, appar-
tient à un des ouvrages de noire auteur, plutôt qu'à celui de Mirkhond.
On sent bien que Vaccoinplissenient d'une si vaste tâche dut réclamer
plusieurs années. Aussi, dans plusieurs passages^, l'auteur indique l'an-
née ^2^ comme étant celte dans laquelle fut écrite une partie de l'ou-
vrage. Plus loin, il désigne également l'année gSo*. Et c'est à cette
année que se termine sa narration des faits qui concernent fempire
persan. Et, comme nous l'apprend l'auteur, cette date se trouve indi-
quée dans les mots «LiviUj ii)j_-HI ^bt *, dont les lettres réunies . et éva-
luées d'après leur valeur numérique, présentent le nombre gSo. En
finissant, il adresse au ciel les souhaits les plus ardents, et sans doute
les plus sincères, pour la prolongation des jours et de la prospérité du
monarque sous l'empire duquel il semblait devoir terminer sa carrière.
Il ne se doutait pas que ce prince, objet de tant de vœux, allait,
cette année même, et h peine âgé de trentc-huît ans, descendre au
tombeau par une fin prématurée. Il est probable que , après la mort de
Schah-Isma'd , des désagréments de plus d'un genre , sur lesquels l'his-
toire ne nous donne aucun détail, foi-cèrcnt Khondémir d'abandonner
son pays pour aller se fixer sur une terre étrangère; car nous lisons,
dans les Mémoires de Baber*, que l'historien Kbondémir, qui, avec plu-
sieurs autres littérateurs, avait quitté Uérat pour se rendre auprès du
prince, arriva à sa cour l'an g35 de i'bégire. Baber mourut l'année sui-
vante. Ilumaïoun, fils de ce conquérant, mit, sans doute, tout en œuvre
pour retenir auprès de sa personne un homme dont ii savait apprécier
le mérite ; et ce fut en rhonnei)r de ce prince que notre auteur rédigea
un ouvrage intitulé Kanouni-Utimaïoani, j^^ U^^' 1*^' ^^^ ^''^ P*"
Abou'lfazl dans son Atthar-nameh''. L'an gi 1 '', le sultan ajatit entrepris
une expédition dans les provinces qui avoisinent le pays de Guzarate , .
l'historien Kbondémir, qui était Ji la suite de ce prince, fut atteint d'une
dyssenterie , dont la violence le conduisît au tombeau. Il était âgé de ti 1
ou 62 ans. En vertu de ses dispositions testamentaires, son cercueil
fut transporté à Dehli, et enterré à côté de la sépulture du scheïkii
iNizam-eddin-A%'lià et d'Emîr-Khosrev. Kbondémir. en plusieurs en-
droits de ses ouvrages, eue des vei-s qu'il composa en diverses circons-
lances. AliSchir parle également d'une énigme dont Kbondémir était
' Hahib-a»,iar.
t m, fol. 35 r-, ,i6 V. 1:1. r*, 3i3 r'. —
• Fol. 5^b r
— ' Fol. 4iA r*--
- ' Mail. pcrs. de Leroy, t. iV, fol. aai v*. — ■
' Man. de VAr
,en-i. toi. iôArV
— ' Firijchub. Biitoirr de l'Inde, t. 1 , p, /|Oa.
394 JOURNAL DES SAVANTS.
Tauteur, mais ces morceaux, peu étendus, et, en général, assez insi-
gnifiants , ne permettent pas d'apprécier s'il avait réellement pour la
poésie un talent tant soit peu remarquable. Il nous apprend quil avait
composé des ouvrages entiers écrits en vers; mais aucun n est parvenu
jusqu'à nous.
Dans mon article précédent, en examinant l'histoire des Seldjoucides ,
écrite par Mirkhond, et publiée par M. Vullers, j'ai présenté ime série
de conjectures qui ont pour but de rectAier, sur plusieurs points, le
texte imprimé ainsi que la traduction. Je vais offrir à mes lecteurs la
suite de ce travail, dont l'utilité sera sentie, je l'espère, par les amateurs
de la littérature orientale.
Dans la phrase ^ «JCj^liXil ^^^ vly'^^r^ f^» 9"^ ^' Vullers a
rendue d'une manière trop peu littérale, le mot^ doit être lu^, et il
faut traduire : « il construisit des édifices utiles et laissa des fondations
pîeoses. » Plus bas^, au lieu de vf);Os> ^ ^^K qui n'oflre pas un sens
bien dair, il faut lire, je crois, «^Ijol> ^ d^x^UIl «ce qu'on a laissé
échapper n'est plus susceptible de remède. » A la page suivante ^, l'au-
teur nous apprend que le célèbre vizir Nizam-almulk avait fait cons-
truire un collège, appelé, de son nom , Nizamiah, en dehors de la ville
de Basrah, ^y^\ i^j^j *^j^' M. Vullers traduit : in der Nahe von Bi-
rmn-Alawwam, c'est-à-dire « dans le voisinage de Biraïn-Alawwam. » Mais
il est visible qu'il s'est glissé ici une erreur, qui consiste simplement
dans l'addition d'un point, et qui a sufiB pour bouleverser toute la phrase.
Il faut lire ^y^^ (^ y^j v*4H^ » ^t traduire : « dans le voisinage de
Zobaïr-ben-Alawwam.)) On sait que Zobaïr fut un des plus célèbres
compagnons de Mahomet. A l'avènement d'Ali au khalifat, Zobair se
déclara l'ennemi juré de ce prince, contre lequel il se ligua avecTalhah
et avec Aïschah, l'épouse favorite du prophète. Les deux partis en vinrent
aux mains dans les environs de Koufah. Cette bataille, qui vit, pour la
première fois , les musulmans tourner leurs armes les uns contre les
autres, et qui porte, chez les Arabes, le nom de combat da chameau, se
termina par la défaite entière des ennemis du légitime khalife. Aischah
tomba au pouvoir du vainqueur, Talhah fut tué sur la place. Zobaïr,
blessé à mort, expira dans la ville de Basrah. Son tombeau existe en-
eoM aujourd'hui dans le voisinage de cette cité célèbre , et il est l'objet
de la vénération des musulmans.
A la page suivante^, au lieu de a^Ud ^W^?, je n'hésite pas à lire
' P. lai. — • P. ia3. — » P. laA. — * P. laS,
JUILLET ISW. 395
Aï»Ltf , «un songe véridique.a C'est ainsi que nous Usons dans le Lutrin
de Boileau ;
La voilà donc, Giraad, cette hjdre épouvantable,
Que m*a fait voir un songe, hélas 1 trop vérilaMe.
Les mots' lioAlj»- JUajIjs ne sont pas bien rendus, je crois, pai'
ceux-ci : im Einfihren ton Neueran^en, c'est-à-dire, «dans l'introduc-
tion d'innovations, n car ie terme u^j^lj,»- n'est pas réellement arabe,
il faudrait y substituer t^ai,^»-; mais il s'est glissé ici une faute de copiste,
il faut lire livj'j-*, et traduire : «lorsqu'il s'agit de concéder les héri-
tages.» Deux lignes plus bas, au mot •XJjitS.â il faut substituer
Jij|j>><.^, i7 passe son temps. À ta page suivante ^, au lieu de ces mois
ciwil eUi^-lr, qui signifient : «suivant l'accord unanime de la nation, "
je crois qu'il faut lire «-et cUva-L- n du consentement unanime des
imams. " Plus loin ^, au mot oljj je substitue v'j? • fi* j*^ traduis : «je
dis au portier. ...» Plus bas et dans une même page, i" j'adopte la
leçon de la marge cujil jj , et je traduis : k il laissera la source limpide
de ses nobles qualités à l'abri de l'inconvi^nient que causerait la foule
des hommes altérés qui peuplent le désert du besoin;» 3° je lis ^ytH
au lieu de Jj^ûwt-, 3° au lieu de u'"^ je lis ajIa^, et je traduis r «Dieu,
qui connaît ce qui est visible comme ce qui est caché, sait très-bien »
Plus bas*, au lieu de ces mots ax^I «^Ul uies deux imams des imams, »
ce qui ne présente pas un sens bien clair, je lis t:ii-»3'l 4#Ul «les deux
imams de la nation, u Plus bas , dans la même page , au mot jM,\ •y*^\,
qui, je crois, n'est pas un nom propre, et qui, d'aillenrs, ne présente-
rait qu'une forme irrégulière , il faut substituer .iW.1 «ï»-**. Ce titre , qui
signifie « la colonne de l'empire, » était celui que portait, à cette époque,
un des premiers fonctionnaires du royaume. Plus bas ^, au Heu de (^^^m yT
je lis 4;«.u. ^tjl , u pour ce motif. » Un peu plus loin ", on lit, dans le
te&te imprimé : i-**.I «ajjt t-f^j**t {^^ ts^'^^jj^ ■ ■ -klUll^^Uoj aa-Ijâ..
Mais cette leçon est, je crois, fautive, car le mot u^^ n'offre ici aucun
sens raisonnable. Si je ne me trompe, il faut éciirsjfjjjj, et traduire :
'(Nizam-ctmulk, dans ses dispositions testamentaires, a consigné ce
qui suit. » Plus bas'', on ne saurait écrire i^i^\i- Jl b, mais il faut dire
usiU yT b II jusqu'à ce moment, n Dans la même page on trouve cette
' P. ^i^. — ' P. ia8. — ' P. lag. — ' P. i34. — ' P. 137. — ' P. i4o. —
' P, lia.
396 JOURNAL DES SAVANTS.
phrase : «ixj »ii^ *^3 j^ jl>^ *>^^ u' J'^'^ *<^ u^ ^^^ fis^\iXxA (jvju^
«XJLjç&J ^ ^l«X^ Jl>3. m. Vullers traduit : Fest àberzeugt wardass dièse
wàrde and handert tausend andere in dem Gesichte eines Gôtzen and in einem
Kopfàbel nicht sitzen ; » c esl-à-dire : « fêtais pleinement convaincu que
ce rang et cent mille autres ne pouvaient tenir à la vue d'une idole, et
au milieu d'un mal de tête.» Ce qui forme, comme on voit, un sens
assez peu clair. Le savant éditeur a cru pouvoir, dans sa note , expliquer
ce passage obscur, quil paraphrase de cette manière : «J'étais ferme-
ment persuadé qu'un homme beau et distingué n'était nullement propre
au rang de vizir ; et de pareilles places causent à celui qui les occupe
plus qu'un mal de tête. » Mais M. Vullers ne s'est pas aperçu qu'il
s'était glissé ici une erreur, causée par le déplacement d'une lettre,
et qui a suflB pour changer complètement le sens de la phrase. Au lieu
de cxj, idole, il faut lire t^Jièvre, et traduire : «Je savais parfaitement
que ce rang et cent mille autres semblables ne peuvent tenir contre une
fièvre, conti'e un mal de tête.» Quelques lignes plus bas, l'éditeur a
admis dans son texte le mot t^^^f^t auquel il donne le sens de tromperie^
et il s'efforce de justifier cette interprétation; mais il faut lire 4jW>^ ,
qui veut dire solitude,
Kus bas, après le mot (jvÂ^^A, on a omis, je crois, un nu)t qui
me paraît essentiel , celui de \^*nfC^ des individus, et on doit traduire :
a des individus arrivaient à la suite les uns des autres.» Ailleurs \
dans des vers que cite Mirkhond , l'éditeur a lu
et ii traduit: «O roi! maître du monde, si, durant trente ans, j'ai,
« pour ton bonheur, fourni ma carrière. » Mais il faut lire jA--i»» ^^^, et
rendre ainsi le vers : « 0 roi ! maître du monde , par suite du bonheur
«qui vous accompagne, j'ai pu, durant trente années, essuyer, de
«dessus le visage du temps, la poussière de l'injustice.» A la page
suivante ^, au heu de :>^^\ ^I^Xjij, il faut lire ^^^1 ^o^, « le nombre de
M ses enfants. » Plus bas , aux mots y^j^là cuJl^ il faut substituer
jjy^ b <i;JU*, «l'événement inévitable,» c'est-à-dire la mort. Ce qui
rappelle l'expression de Virgile :
Venit summa dies et ineluclabile tempus
Dardaniœ.
* P. i48. — *P. 149.
JUILLET 1843. 39/
Plus bas ^ au mot ^y, qui nofTre aucun sens, il faut substituei'
celui de ^^j, et traduire «il voulut jouer le jeu de dés » Dans ht
mènie page, au lieu de o^^4X^, il faut lire o^wlo^^ «il laissa.»
Plus bas ^, M. Vullers ne paraît pas avoir bien compris fexprossion
J^AàiJl^l, qui signifie un homme orgueilleux, arrogant. » Ailleurs ', je
nhésite pas à préférer la leçon d'un manuscrit, fji^j L « avec sa femme, »
à celle de (J^y^ l*, qui n ofire pas un sens bien clair. Deux lignes plus
bas, on lit ces mots : Ij^I^-j^ ^3 A-JûiU^»^ Aju-bi^^l^ *>^j^lrf \^\:>j^
ft^^â» ^j\y:^ «on trouva des souterrains remplis d'hommes blessés,
«égorgés )) M. Vullers, embarrassé de rendre les derniers mots
de la phrase, a traduit : «et ad muros Sodomia exercita. » Il cite, à
l'appui de son interprétation, l'autorité d'un lexicographe persan. Mais,
en supposant que cette étrange signification existe réellement dans la
langue, elle ne saurait avoir lieu ici, et je traduis simplement par
ces mots « ils étaient attachés par des clous à la muraille. » Ce qui rap-
pelle l'expression de Virgile, lorsqu'il décrit l'antre de Gacus:
Foribusque aflîxa superbis ,
Ora virûm tristi pendebant pallida tabo.
Ou bien ces mots signifieraient simplement « attachés ù lu muraille. >/
Car on lit, dans le commentaire sur le Secander-nameh *, que «le mot
« ^^\^ désigne un genre de lien solide, avec lequel on attache sépa-
« rément les mains et les pieds des prisonniers. »
Deux lignes plus bas, au lieu de ^^\M ^Sym jj il faut hre at**y
^y%\Ji «avec les plus grands affronts.» Dans la même page (ligne 1),
à ^y^^/^^jjt je substituerais :>j^^/^^jj^ « des hommes sages. » Ailleurs'',
le texte imprimé offre ces mots : »Js»«>^ jd^j^^U? AdBrtjjâljAJut^^^l
iS^y^ , ce qui n'offre aucun sens. Il faut lire, aj??!) et ti*aduire : « il
« n'avait pas vu cet événement sur la table de son horoscope. » Plus
loin^ on lit : (A^b 9ô\yà^ j^vX*^ joU^rf ^^^ jU>à jl^ ùs^, M. Vullers
suppose que le mot «il*^ doit se traduire par necessario, prorsus ;
mais il s'est glissé ici une petite faute. Je n'hésite pas à lire x»Ur^, et
je traduis : «je remettrai au trésor, par forme d'amende, 100,000 au-
tres pièces d'or. Dans l'Histoire de l'Inde de Firischtah "^ on lit ces mots :
Ajlc;i> *sjJLmyès Bùr^\^^ « douzc moutous pris à titre d'amende. » Plus
bas*, iûLcy^s?-^ qxCàa^ «un présent et une contribution.» Ce mot
est dérivé de celui de ^j^^r , qui signifie « amende. » C'est ce qu'on
»P. i54. — *P. i56. — * P. 166. — *P ibb, — '?. 168. — •P. 171 —
'TU, p. 33. — • P. 657.
398 JOURNAL DES SAVANTS.
lit dans une relation manuscrite de la Perse, rédigée par le P. Raphaël
du Mans (fol. 1 1 r.). Dans l'Histoire de la dynastie des Kadjars ^ on
lit : cxi^ it^jS' i/uQjp^ y^^j^ jAm l^iUsrl «les ayant imposés à une
a somme considérable, il la leva. »
Plus bas^, au mot g:j^, qui n'offre aucun sens, il faut substituer
^V^> et traduire «pour rendre la religion florissante.» Plus bas'« aux
mots ttJsjSé f^\j on doit substituer nà^Ji*^ ^^\j « n étant point satisfaits. »
Plus bas *, l'historien persan transcrit un vers ainsi conçu :
M. Vullers traduit « ceux qui te payaient tribut ont livré seulement le
capital de leur vie. » Mais je ferai observer au savant éditeur que les
mots du texte ne peuvent, je crois, présenter ce sens. Et je pense être
autorisé à traduire de cette manière : «les hommes qui ont apporté, è
ton service, des projets perfides, ont sacrifié le capital de leur vie.»
M. Vullers ne s'est pas rappelé la signification du mot ^jUd, qui ex-
prime laxus, remissus. On lit dans ÏAnvari'Sohaili ^ yYf^ ^i ^Wd ^JiuSi\i9
« sa force était relâchée. » Dans le poème de Joseph et Zuleicha de
Djami^ on lit ^5lb ^^Lû^t «éloigné de la joie. » Par conséquent, l'ex-
pression y^j^' \^^ doit se rendre par sacrifier, dissiper, » Plus bas, on
lit ti^HÈ*^^ *^^ j', dont M. Vullers ne me parait pas avoir bien saisi le
sens, car il ti*aduit « le sultan l'avait élevé du rang des inférieui^ à celui
d*émir. » Il fallait dire « du rang de bouffon... » Plus bas'', au motjl^AjUi»
il faut substituer jl^Ail^ , ce qui est la leçon d'un des manuscrits. Ail-
leurs, au lieu du mot yîj^ ^jy^ î' f^i^^ l^re (j]yà^ ^jyf. «l'habitation
des Gozzes. » Dans cette même page (ligne i), au lieu de XAJb aj ^jy>.
>^ cAA>l^^^«^LiM^{ on doit lire i^j aj, et traduire : «lorsqu'il fut
de retour à Balkh, métropole de l'islamisme.» Dans la même page, au
lieu de «x^mJU c- vA • on doit lire ^{«KaJU c:»4i* « une poignée d*homme8
brouillons. « Plus bas ^, au lieu du mot jt^l , qui n^offre aucun sens, je
lirais jU«AA.tMt «faire des prisonniers.» Plus bas^, on trouve ces mots :
>^ ^yi^kàjiy ]ôy^ y\ hJkf JJU ^T/^^ ^\ ^^^^ 1^ ^^ot ^7 u'cst pas ie
terme consacré, en pareille matière; il faut lire Jâii.3, et traduire «les
recettes et les dépenses de l'empire étaient réglées et consignées par sa
plume.» Quelques lignes plus bas, il faut restituer le mot 2Lm, ei tra-
' Fol. 162 r*. _ « p. 173. — * P. 178. — • P. 181 . — * Fol. 38 ▼•. — • P. 166
--' P. i85. — • P. 190. — • P. 194.
JUILLET 18/13. 399
duire « ioo chiens de chasse, n A la ligne suivante, au Heu de^j *UA»-
0 faut lirCjj *^A»- « des housses d'or. « A la page suivante , on trouve
une phrase , dont, si je ne me trompe, le traducteur n'a pas parfaite-
ment saisi le sens-, on lit : cj^y-'^-" ilj^^Ijmj i^j^Ij-*; tabjl *.tj.»< *£»! If
f^iiyi j^i.. [f iiL*j jjii.i^ |jU«.jlj-.l3 u'^^ Jly*-ljl jji-ili. M. Vullers tra-
duit : " quoique le sultan restât, la plupart du temps, dans son harem ,
ii était cependant aussi bien instruit des affaires de l'administration que
des secrets des ménages et de ceux des belles filles. » Mais le traducteur
ne s'est point aperçu qu'il a introduit daas son texie une leçon vi-
cieuse, qui en change absolument le sens-, au motjJi:^^ il faut substi-
tuer _ji^a, et traduire : « quoique le sullan consacrât la plus grande parlie
de son temps à la galanterie et aux plaisirs, iHtait parfaitement instruit
des affaires de l'administration, des secrets de l'arithmétique et de la
gestion financière.» A la page suivante', au lieu de <^nîS^ ii faut lire
*-jljy, et traduire : «les gages des habitanls.» Plus bas^, on trouve un
vers conçu en ces termes :
L'éditem- traduit : «si la faveur et la puissance dépassent les bornes,
l'homme de cceur porte l'arc avec négligence, n Mab celte version ne
me paraît pas fidèle. D'abord le mot i^U ne saurait avoir le sens de
puissance. En second Ueu, ce sens, cxislàt-il, ne pourrait convenir à la
phrase qui est sous nos yeux. Je crois qu'il faut lire i^jl^, et, dans fhé-
mistichc suivant, on doit substituer àj? le mot jli. et traduire ; «si la
bienfaisance et l'amilié vont au delà des bornes, un homme de cœur
voit dans cette conduite de la lâcheté.» Plus bas', il faut substituer
ij^y^> ^ i t:^j^sji. A la page suivante *, je crois que M. Vullers
a eu tort de subslituer cajUïlj à la leçon <jij\ji^ , que présente un des
manuscrits , et qu'il faut traduire : « lorsque l'avant-garde de l'armée du
printemps eut élevé l'étendard qui annonce que Dieu rappelle la lerre
de la mort à la vie. n
A la page suivante*, au lieu, de ^tA,»ti ^L>i t> il faut lire iU-iL
^IJuJU «ù f instigation des hommes pervers.» Quelques lignes plus
bas je n'hésite pas à substituer j^lx».* au mot i^j^^- Plus bas^. au lieu
de tii/^j^ je lis vajjJ , et je traduis : "je t'ai établi pour repousser l'en-
nemi.d A la page suivante, ua^Ij» doit remplacer «^^Ijj. Quelques
lignes plus bas, je lis JMi>>^uil ne sait pas, » au lieu de JùtJt^ « il sait; »
' P. iq6. — • P. aoi. — ' P. loU. — ' P. ao5 — ' P. ao6. — ' P. s i3. —
400 JOURNAL DES SAVANTS.
et <^y^ au lieu de caa>^. A la page suivante, je substitue JOuUamj à
*>oiXjlL**.j, je lis o^J^lrf^i au lieu de (j^^l;!^; et, enfin, c:*UC»»» au lieu
de cy\<-N.*j. Plus bas*, on lit dans le texte imprimé jU^>jà k ^yj*
•xJUitr^Uj (^X^ j\ AK^i>; M. VuUers traduit : a il ordonna qu on les pendit
publiquement sur le bord du Tigre. » Mais il s*est glissé ici une petite
faute; au lieu de ^J-Xii» il faut lire ^jA*., et traduire : «il ordonna quon
les pendit parle cou. » Telle est, en effet, Texpression qu emploie cons-
tamment Mirkhond. On lit dans son Histoire des Sassanides (p. 196):
Jwuûwl*xJl-?jb jj xxi^^J d^ j' ^JJ^^3J*^ ^ ^y^^ "P^ 50" ordre, le
fils du vizii' fut pendu par le cou et laissé sur la potence. » On trouve
ailleurs, avec le même sens, ;^4> \r r"i (^i^ ou ^«> < •^Ci^ (^X^. On
lit dans le Habib-assiiar de Khondémir (t. III, fol. 298 v*) : îjto-ljj^.
^jA>? . . . «on pendit le khodjah. » Ailleurs (fol. 286 r*),
^JJ>? \j^\ \jjx^ U^' £^*^ (jUal^ « le sidtan Bedi-ezzeman-
Mirza le fit pendre.» Dans THistoire de l'Inde de Firischtah (t. I,
p. 139): *>ô*>sjUi5' ^jA^ «àj^l »>Ijî;*^ lyl». (jyft^l «on amena Amin-
Khan auprès de la porte et on le pendit. » Plus loin (p. 3 1 1 ) t;vi);U« ^iLL»
*xj«Xa-ûS' (^X^ •^'jD^ ^.^^ « on pendit Melek- Moubarak près de
la porte.» Plus bas, dans cette pbrase^, j^ lyfjylj Ir*' ^yLm,* ^IkJLw
( AiûlOs^) amJs^ ^U ^sMêS , M. Vullers a cru devoir, par conjecture,
substituer à la leçon des manuscrits le mot turc vdb;^! , qui signifie $0-
cias, mais ce changement nest pas, je crois, bien heureux. La leçon du
texte doit être maintenue. J ai expliqué ailleurs le mot ^jjy', qui signifie
le quartier, les tentes;)) et je traduis : «le sultan Masoud ayant laissé
dans la ville d'Asad-abad ses émirs et ses tentes. » A la page suivante,
au lieu de :>y4^^ g î;u^^^» ^^ fl"^ n'offre réellement aucun sens, il faut
lire ^^i^^A^ ^1;, et traduire «dans la balance de l'intelligence il l'empor-
tait sur tous les guerriers du monde.» Un peu plus bas, je lis jjJ^Juu
«sans pareil» au lieu de^^lâJUj. Ailleurs^ le texte imprimé porte ces
mots : AA^Iâ »l50 :>\JJu (^b^i^ :>yD i^^^j^ ^^^P^;-^ ;' |/>UiJ^ ^[y^\
M. Vullers traduit: «jusqu'à ce que Ton eut arraché les trésors du sul-
tan des griffes de la colère , et que Ion eut heureusement établi des
troupes pour veiller à la défense de Bagdad. » Mais cette version ne me
parait pas exacte ; il faut changer deux mots de la phrase , substituer
caaap à o%Aâtp, ^yj à ^3-^, et traduire « on préservera les trésors du sul-
tan des griffes de la rapacité des hommes sans aveu et de la populace
»p. ai6. — ' P. ai8. — ^ P. 327.
JUILLET 1843. 401
de Bagdad. » Un peu plus loin ', au lieu du mot i^j-**3, qui n'oflre au-
cun sens , il faut lire (Sj-^ « animosité. » Plus bas^, je lis , dans une même
phrase, v.jLlio au lieu de uiJ^, et je traduis : «la somptuosité des ali-
ments et des boissons.» A la ligne suivante, je substitue >^ à (jmS^\
plus loin, à ^t je substitue cr^, et enfin *x.»*l à ^^*x.»*l. Plus loin', au
lieu de Al4^^^ il faut lire x^S. Quelques lignes plus loin, le texte porte
»àL) ^\jJti\^ US"I^; M. VuUers traduit : «où nous étions, cela suffit.»
Mais je crois qu*il faut lire ^UiJl, et traduire : wlà où nous sommes, la
mortalité augmente. » Plus bas, le nom de la forteresse doit être lu, au
lieu de ^Lô^^j^Lk^jI , ^Ia^^^Um;! , c est-à-4ire u la conquête d'Ârslan. »>
A la page suivante , j*avais cru devoir lire <i)^^ « un homme misérable »
homancioy au lieu de *2J;*Xj ; mais ce dernier mot se trouve dans le Schah-
nâmeh (t. U, p. SaS), où on lit : ^lji*>o «i(;*>v ^^l «0 homme pervers
« et mal né ! » Par conséquent, il n'est pas nécessaire de changer la leçon
du texte. Plus bas*, je n'hésite pas à lire pbl ^VkX^ « le sultan des hom-
mes » au lieu de -U* ^IkX*»», qui n'offre réellement point un sens clair.
Plus bas^, nous trouvons ces mots : «>wt\ o»S^^.jà c^yW j. ^If ylJU^;
M. Vullers traduit : « un vent si extraordinaire s éleva, » mais cette ver-
sion ne me parait pas suffisamment exacte : le mot jUi, en persan, si-
gnifie « besoin. » De là on forme l'épithète jW j « qui est sans besoin, »
qui s'emploie comme un titre ajouté au nom de Dieu, attendu que
c'est, par excellence , l'être qui n'a besoin de rien ni de personne. Si je
ne me trompe, l'expression ^^jU» j. ^l* désigne «un vent envoyé de
Dieu; le vent de la colère divine. » Et il faut traduire : « le vent de la co-
lère divine souflla avec tant de force.... » C'est ainsi que, dans un pas-
sage du Habib-assUar de Khondémir ^ , on lit v^jtô j^ j-^j^ « le tour-
« billon de la colère divine. » Dans l'Histoire de l'Inde de Firischtah "^
on lit ces mots : (;•>». c^i c^^ k$^ Ji v^^h^^ « ^^ torrent de la colère
«divine commença à couler. » Et plus loin * : »*>^3 (S^ «^ > j ^^ — ?
« le vent de la colère divine souffla. »
Plus bas^ au lieu de oi^U^^ ^ j^ j^ lis owU^^ (^ j^» et je
traduis : « il ne manquait aucune occasion d'opprimer et de dénoncer
les principaux personnages de l'État. » Quelques lignes plus bas , au
lieu de jûL^I ^j-^j, je lis, comme je l'ai fait plus haut, t^lylj ^y^j'^
c'est-à-dire «les hommes sans aveu et la populace. » Ailleurs ^^, les mots
*P. 23o. — *P. a3a.— 'P. 236. — *P. aAo. — * P. a44. — * T. III, fol. 3ii
V. — ' T. II, p. 636. — • P. 638. — • P. a46. — " P. aAg.
5i
402 JOURNAL DES SAVANTS.
aX*mI>^ yU* jl u'^*>^ b^' '^^ signifient pas uTayant pendu à la corde
d'un arc,» mais «Tayant fait périr en l'étranglant avec la corde d'un
are.» Plus loin^ fauteur, parlant des ouvrages composés sur fliistoire
de la dynastie des Seldjoucides, désigne une chronique, dont il dit :
:>^ Jk^ AJuI^ JT |A*.L »*Xd*:iL* J^ljljl iS^, Aâ>. M. Vullers traduit :
«qu'un Molhid distingué a composée pour cette dynastie. » Mais je ne
saurais admettre ni cette leçon ni cette version. Si Mirkhond avait voulu
parler des MoOiid, c'est-à-dire des Baténiens, des Ismaéliens, il est bien
douteux qu'il eût employé, relativement à eux, f expression J-«d>ljl jl t^
u un des plus excellents d'entre eux , » attendu que ces sectaires ont tou-
jours été en exécration des musulmans, qui n'auraient jamais consenti à
les désigner par un titre honorable. Je crois donc que la leçon »«x.»*^
est tout à fait fautive. Celle que présente un des manuscrits, c'est-à-
dire »«XjixA^, se rapproche plus de la véritable. Si je ne me trompe, il
faut lire «Js^^svi^, et traduire : «une chronique qu'un des hommes les
plus distingués par son mérite a consacrée spécialement à f histoire de
cette dynastie.)) A la page suivante, au lieu de xJû-tûJcè» j.AAiJbj*x*
Jsî' ciA-fcwJjj^, je lis aXamIj^ , et je traduis : «nous lui demandons par-
don de notre négligence précédente. »
Ces mots 2, UU ^ji JlJ jI .Xju JJAI , sont rendus par M. Vullers :
« le roi est éloigné ; il ne voulait pas s'approcher du vainqueur. »
Mais cette version me parait peu exacte. Du reste, je n'hésite pas
à lire avec lui ÇJ^ au lieu de Ui^ , que présentent les deux ma-
nuscrits, et je traduis : aie trône, après la mort d'Abou-Leïlâ , appar-
tiendra à celui qui sera victorieux.)) Dans la même page, au lieu de
^«Xp «une excuse, )) il faut lire c^*>^ «une perfidie.)) A la page sui-
vante^, à ces mots, ^[^^ p«V ^' ^-^^j^t que M. Vullers traduit;
((ich hahe erst erkennt am auflosen der schalden,)) il faut substituer
A^l^jJl pirf , et traduira : «je sais que Dieu peut rompre et faire échouer
les projets. )) A la ligne suivante, on trouve le terme j^Um^ju»! , qui a
fort embarrassé M. Vullers. Il n'a pas hésité à changer cette leçon et à
y substituerj^U»^^*^!, et il le rend par «un général d'un rang infé-
rieur. )) Mais je ne crois pas qu'on puisse admettre une pareille alliance
de mots. En faisant un bien léger changement, je lis j^L*o.^>.iwl , que
je traduis par «général.» Plus bas*, après le mot ^]y^, un des ma-
nuscrits ajoute cK^bl. Cette leçon, qui n'offre aucun sens, conduit natu-
* P. aSo. — * P. a5a. — ' P. a53. — * P. aSy.
JUILLET 1843. 403
rellement à la véritable. Il faut lire JUïl, et traduire : «après avoir ap-
pris les revers de fortune et le renversement de la puissance des Seld-
joucides. » Plus loin^ le texte porte *>^— *î ^^^j^j^^^^ , ce qui n offre
pas un sens bien clair; je crois qu il faut lire «>^'jiH » ^^ traduire : «le
cheval entra en fureur, s emporta. » Immédiatement après, ces mots :
.<--wUa-* ^jyi ^i|^^*l>u^, doivent se rendre de cette manière : «au mo-
ment de mourir, n ambitionne pas la grandeur.» A la page suivante ^
dans les vers qua transcrits Thistorien persan, on trouve ces mots :
:>y^ âjjm Jl? dUju \i yi j^ j\ ^^:>. M. VuUers traduit : «hier, il y avait
encore une nuit de distance entre ta tête et le ciel. » Mais je crois qu'il
faut s en tenir à la leçon ^)-^, que présente un des manuscrits, et tra-
duire : «hier, depuis ta tête jusqu'au ciel il n'y avait que l'espace d'une
coudée. » Plus bas ^, au lieu de AJUilJ^.^ \yXjl I^UyL«, que M. Vullers
traduit : «ayant enfin abandonné Soleïman,» il faut lire ^^, et tra-
duire : «ayant laissé Soleïman tout seul.»
Telles sont les observations que m'a suggérées une lecture attentive
de l'Histoire des Seldjoucides de Mirkhond. J'ai supprimé un assez
grand nombre de remarques qui auraient pu paraître minutieuses. Je
crois que les personnes qui attachent quelque prix à la littérature per-
sane me sauront quelque gré du soin que j'ai pris de revoir, d'un bout
à l'autre, le texte et la traduction, et de jeter sur le papier les notes
nombreuses qui pouvaient contribuer à améliorer l'un et l'autre. Je
n'ai eu d'autre but que la vérité, d'autre désir que d'être utile à ceux
qui suivent la carrière de l'érudition orientale. Je soumets volontiers
mes critiques au savant éditeur lui-même, et j'ose me flatter qu'elles
ne lui paraîtront pas dénuées de fondement , ni tout à fait superflues ^.
QUATREMÈRE.
^ P. 260. — * P. 261. — ^ P. 266. — * Dans l'article précédent, j'ai dît que le
niot Qfy^ désignait a un guide. ■ Il prend également la forme (^yJL • Dans le
Matlaassaadeîn (t. I, fol. 1 18 v*") on lit : J^l^ ;^jJL IftJOu JsJ^^U^ oU'JX %i^l
« si on donne Tordre, Tesclave servira de guide. » Mus bas (fol. i35 v*) : i^L Sy^
Jwft^ w%a3' • ils serviront de guide sur le chemin de Tebriz. » Ailleurs (f. 1 54 v*) :
irfûl* jv y «je servirai de guide. » Plus bas (fol. 161 v') : *^ v ^ ^ yr ^ f !>-*'
Js«M (M^j^^A)^ «l'ayant pris pour guide, il se dirigea vers Mârdin. • Et enfin
(f. 16Â r*) : aa^Um (£5Vi->« S)^ MJ^jj^ii^) «ce prince ayant désigné des guides.»
5i.
404 JOURNAL DES SAVANTS.
Revue des éditions de Baffon.
TROISIÈME ARTICLE.
Système de Buffon sur la génération.
Nous avons vu les idées positives de Buffon sur l'économie animale.
Voici son système.
Ce que je remarque d abord, c'est que BuflPon, à côté d*une théorie
positive, met presque toujours un système : à côté de sa théorie de la
terre il met ses hypothèses sur la formation des planètes; à côté de ses
idées expérimentales sur l'économie animale il met son système sui* la
génération.
Il met ces choses à côté les unes des autres et ne les confond pas ;
au contraire, il a grand soin de les séparer. Il commence son discours
sur la formation des planètes par ces paroles : « Nous nous refusons
d'autant moins à publier ce que nous avons pensé sur cette matière ,
que nous espérons par là mettre le lecteur plus en état de prononcer
sur la grande différence qu'il y a entre une hypothèse , où il n'entre que
des possibilités, et une théorie fondée sur des faits; entre un système,
tel que nous allons en donner un dans cet article sur la formation et
le premier état de la terre , et une histoire physique de son état actuel ,
telle que nous venons de la donner dans le discours précédent ^ »
Il commence l'exposition de son système siu* la génération par dé-
clarer nettement qu*i7 cherche une hypothèse^,
Bufifon lie Descartes à Newton. Il fait encore des hypothèses et des
systèmes conune Descartes; mais déjà il sépare l'expérience des hypo-
thèses , et c'est un pas , im grand pas vers Newton , vers ce Newton qu'il
a traduit, et qui, le premier des hommes, a eu la force de s'en tenir
à l'expérience.
BuflPon a traduit Newton, il a traduit Haies, et il a écrit les phrases
qui suivent : « En fait de physique , on doit rechercher autant les expé-
riences que l'on doit craindre les systèmes C'est par des
expériences fines, raisonnées et suivies, que l'on force la nature à dé-
couvrir son secret ; toutes les autres méthodes n'ont jamais réussi , et
les vrais physiciens ne peuvent s'empêcher de regarder les anciens sys-
tèmes comme d'anciennes rêveries , et sont réduits à lii*e la plupart des
* T. I, p. 188. — ' «Cherchons donc une hypothèse qui n'ait aucun des défauts
dont nous venons de parier. . . • . • T. III, p. 48.
JUILLET 1843. 40&
nouveaux comme on lit les romans 11 ne s agit pas , pour être
physicien , de savoir ce qui arriverait dans telle ou telle hypothèse
il s'agit de bien savoir ce qui arrive, et de bien connaître ce qui se pré-
sente à nos yeux ; la connaissance des effets nous conduira insensible-
ment à celle des causes, et Ton ne tombera plus dans les absiu'dités
qui semblent caractériser tous les systèmes. En effet , Texpérience ne
les a-t-elle pas détruits successivement?. . . . Amassons donc toujours
des expériences, et éloignons-nous de tout esprit de système ^ »
Buffon tient à deux époques, à deux esprits, à deux philosophies
opposées. Il a , de la philosophie de Descartes , le goût des hypothèses*,
il a , de la philosophie de Newton , le respect de Texpérience. Et voilà
pourquoi Ton trouve dans Buffon, touchant ce qu'il y a de plus fonda-
mental dans la science, touchant la méthode, les idées les plus sages,
les plus saines , les plus sévères même, et, tout à côté de ces idées, des
systèmes.
Je vais examiner le système sur la génération: et ce que j'y cherche,
c'est beaucoup moins l'opinion particulière de Buffon sur le mystère
à jamais impénétrable, sans doute, de la génération, que Buffon lui*
même, c'est-à dire que Buffon étudié sous une nouvelle face, que Buffon
étudié quand il imagine un système.
Quatre idées principales, ou, plus exactement, quatre hypothèses
réunies, constituent le système de Buffon. La première est l'hypothèse
des germes accamalés ; la seconde est celle des mx)ules intérieurs; la troi-
sième est celle des molécules organiques; la quatrième est l'hypothèse,
fort ancienne, mais renouvelée par lui, des générations spontanées.
I. Hypothèse des germes accumulés.
(( Sans nous attacher, dit Buffon , à la génération de Thomme ou-à celle
d'une espèce particulière d'animal, voyons, en général, les phéno-
mènes de la reproduction; rassemblons des faits pour nous donner des
idées ^, et faisons l'énumération des différents moyens dont la nature
fait usage pour renouveler les êtres organisés. Le premier moyen , et
le plus simple de tous , est de rassembler dans un être une infinité
d'êtres organiques semblables, et de composer tellement sa substance,
' Préface de la traduction de la Statique des végétaux, de Haies, p. 8. —
* • Rassemblons des faits pour nous donner des idées. • Je prie que Ton remarque
ces paroles , et je les rappellerai plus d*une fois , car elles sont Texpression du pro-
cédé le plus habituel de Buffon : il rassemble , il combine des faits pour sê donner
des idées.
406 JOURNAL DES SAVANTS.
qu'il n*y ait pas une seule partie qui ne contienne un germe de la même
espèce, et qui, par conséquent, ne puisse elle-même devenir un tout
semblable à celui dans lequel elle est contenue. Cet appareil, continue-
t-il , parait d*abord supposer une dépense prodigieuse et entraîner la
profusion; cependant ce nest qu'une magnificence assez ordinaire à la
nature, et qui se manifeste même dans des espèces communes et infé-
rieures, telles que sont les vers, les polypes, les ormes, les saules» les
groseillers et plusieurs plantes et insectes dont chaque partie contient
un tout, qui, par le seul développement, peut devenir une plante ou
un insecte ^. »
On voit assez quels sont ici les faits sur lesquels BufTon s*appuie. Au
moment où il imaginait son système, Trembley venait de publier ses
expériences sur les polypes ; Bonnet publiait ses expériences sur les vers
d'eau douce. Des polypes, des vers, avaient été coupés par morceaux,
et chaque morceau avait reproduit un ver, un polype entier. Tous
les esprits étaient occupés de ces étonnantes merveilles. Buffon vit ces
beaux faits; et, presque aussitôt, il y vit le premier anneau de toute
une nouvelle chaîne d'idées , de tout un nouveau système ; mais il n'y
vit ce premier anneau de toute une nouvelle chaîne d'idées, que parce
qu'il substitua au fait l'interprétation du fait.
Quand Buffon dit qu'il y a «une infinité d'êtres organiques sem-
blables , n quand il dit que « chaque partie cpntient un germe de la
même espèce, » il croit ne dire que le fait; mais ce qu'il dit, c'est la
manière dont il conçoit le fait ; et cette distinction est ici capitale.
Quand je dis qu'un polype étant coupé par morceaux, chaque mor-
ceau reproduit un polype entier, je dis le fait. Mais, quand j'ajoute
qu'il y a une infinité d'êtres organiques semblables , qu'il y a autant de germes
que de parties ^, je dis la manière dont je conçois le fait. A l'idée de re-
production, qui m*est donnée par le fait, j'ajoute l'idée d'êtres organiques
semblables , l'idée de germes, qui ne m'est donnée que par mon esprit :
car d'où sais-je qu'il y a une infinité d'êtres organiques semblables? d'où
sais-je qu'il y a des germes?
Je coupe la tête à un ver, et ce ver reproduit sa tête ; je lui coupe la
queue, et il reproduit sa queue; je lui coupe la tête et la queue, et il
reproduit une tête et une queue. Il y a donc non-seulement des germes,
mais des parties de germes, des germes qui contiennent précisément ce
qu'on coupe , et qui ne contiennent que ce qu'on coupe '.
^ T. m, p. a5. — - * Oa, ce qui revient au même, que chaque partie contient un
germe de la mime espèce, -— ' Bonnet dit sérieusement : « N*es^ce point qa*il
existe dans toute l'étendue de la jambe des germes qu'on pourrait appeler réparo'
1843.
Je c
JUILLET
;alamandre
; je iui coupe un bras, et
407
main , et elle reproduit u
e coupe a
pied et une main; je iui coupe un bras, et elie reproduit un bras tout
entier ; je lui coupe une jambe , et elle reproduit une jambe tout en-
tière. 11 y a donc des germes qui ne contiennent que des pieds, que
des tnains; et il y on a d'autres qui contiennent non-seulement des
maiuK et des pieds, mais un bras, un avant-bras, une main, ou une
cuisse, une jambe, un pied'.
Bonfieta coupé, jusfju'à six et sept fois de suite, à une salamandre le
même membre, et cette salamandre a reproduit, jusqu'à six cl sept fois
de suite, le même membre". Il y a donc, pour chaque partie, plusieurs
germes, et toujours les germes qu'il faut, des germes qui ne repro-
duisent jamais que les parlies que l'on coupe ^.
Mais que sont de tels gcmies? Que sont des germes qu'on suppose
de toutes les façons, pour répondre à toutes les circonstances des faitsi'
"En considérant, dit Bulfon, sous ce point de vue, les êtres orga-
nistes et leur reproduction , un individu n'est qu'un tout unilbrmément
oi^anisé dans toutes ses parties intérieures, un composé d'une inQnité
de figures semblables et de parties similaires , un assemblage de germes
ou de petits individus de la même espèce, lesquels peuvent tous se
développer de la même façon suivant les circonstances, et former de
nouveaux touts composés comme le premier*. »
Selon Buflbn, l'individu n'est donc que la répétition indéfinie de
lui-même^; l'individu n'est que l'assemblage de petits Individus sem-
blables'^'; un polype n'est qu'un composé d'autres polypes'': idée sin-
lears, et qui ne conlitionent précisément que ce qu'il s'agit de remplacer?» Bonnet.
1. Vn, p. a67.ëdit. in-i°, 1781. — 'Bonnet, l. V, p. 335 — "T V. p. 3ia. SpaJ-
»
le remplace!
— "l^V.p
lanzani l'avait précédé pour la plupart de cet faits sur les salamandres : Prodromo
di un opéra iopm le riprodazioni animali. Bonnet a vu un ver repousser successive-
mentdouze têtes. T. III, p. 1^9. J'ai répété moi-même toutes ces expériences, par-
ticulièrement celles sur les salamandres. Voy. mes Recherchei expérimentale sur
les propriétés et les Jonctions ia système nerveux, a' édit, iS^a , p. 4ai. — '«....
Il est trcB-manireste , dit encore Bonnet, et toujours très -sérieusement (car il ne
s'apen^oit pas qu'il accommode ses prétendus germes à tous les besoins des expé-
riences), que le bout qui est l'antérieur dans un tronçon quelconque aurait pu
devenir le postérieur, si \n seclion avait été faite dans un outre point ; le hasard seul
en a décidé. H j a donc, à cliaquebout, un germe de tète et un germe de queue. .. •
T. UI. p, 3^5. — ' T. III, p. a6. — '.Un corps organisé dont toutes les parties
seraient semblables à lui-même, comme ceux que nous venons de ciler, est un
corps dont l'organisation est la plus simple de toutes, car ce n'est que la répétition
de la même forme T. Ul, p. 69. — ' L'individu total esl formé par l'as-
semblage d'une multitude de petits individus semblables T. III, p. 36.
— ' ■ Il paraît plus aisé de concevoir comment un cube de sel marin esl
nécessairement composé d'autres cubes que de voir qu'il soit pouible qu'un po-
408 JOURNAL DES SAVANTS.
gulière, et que les mêmes faits donnent pourtant, presque en même
temps , à Buffon et à Bonnet ^ , après l*avoir donnée à Réaumur.
Avant Buffon, avant Bonnet, Réaumur avait, en effet, proposé la
conjecture des germes cachés et accumulés; mais il ne l'avait proposée
que pour ce qu'elle est, que pour une conjecture.
« Tout ce que nous pouvons avancer de plus commode et peut-être
de plus raisonnable , dit Réaumur dans son beau Mémoire sur la re-
production des jambes de Vécrevisse^, ce serait de supposer que ce» petites
jambes que nous voyons naître étaient chacune renfermées dans de
petits œufs, et qu'ayant coupé une partie de la jambe, les mêmes sucs
qui servaient à nourrir et faire croître cette partie sont employés à faire
développer et naître l'espèce de petit germe de jambe renfermé dans
cet oeuf. Quelque commode après tout que soit cette supposition, peu
de gens se résoudront à l'admettre. Elle engagerait à supposer encore
qu'il n'est point d'endroit de la jambe d'une écrevisse où il n'y ait un
œuf qui renferme une autre jambe, ou, ce qui est plus merveilleux,
une partie de jambe semblable à celle qui est depuis Tendroit où cet
œuf est placé jusqu'au bout de la jambe, de sorte que, quelque endroit
de la jambe que l'on assignât , il s'y trouverait un de ces œufs , qui con-
tiendrait une autre partie de jambe que celle qui est contenue dans
l'œuf qui est un peu au-dessus , ou dans celui qui est un peu au-dessous.
Les œufs qui seraient à l'origine de chaque pince, par exemple, ne
contiendraient qu'une pince; près du bout des pinces, il en faudrait
placer d'autres qui ne continssent que des bouts de pinces. Peut-être
aimerait-on mieux croire que chacun de ces œufs contient une jambe
lype soit composé d*autres polypes; mais examinons » T. III, p. 29. —
* Bonnet a non-seulement eu ceUe idée, comme nous avons vu, mais, en admet-
tant la préexistence des germes, il Ta poussée jusqu'au bout. §11 faut reconnaître,
dit-il, que les germes sont répandus universellement dans tout le corps de farbre.
Cette conséquence est très -légitime, puisqu'il ne s'y trouve aucun point d'où il ne
puisse sortir. Ou d'où l'on ne puisse laire sortir des radicales et des bourgeons •
T. m, p. aoQ. «Les germes de nos vers, dit-il encore, sont répandus dans tout
le tronçon. L expérience le démontre , puisque , en quelque endroit du tronçon
qu'on fasse la section, il reproduit de nouveaux organes. » T. III, p. a4o. —
* Mémoire sur les diverses reproductions qui se font dans les écrevisses, les homars, les
crabes, etc. et, entre autres, sur celles de leurs jambes et de leurs écailles. (Mémoires
de l'Académie des sciences, année l'jm.) Ce mémoire est de 171a; les premières
expériences de Trembley sur le polype sont de 1 7^0 ; les premières expériences de
Bonnet sur les vers d'eau douce sont de 17^1 ; les premiers volumes de Buflbn
sont de 1749* Les idées de Bonnet sur les germes se trouvent surtout dans ses Mé-
moires sur les salamandres, 1777-78-80, et dans ses Considérations sur les cor|>s
organiséft, 176a.
JUILLET 1843. 409
entière; mais ne serait-on pas encore phis embaumasse lorsqu'il faudrait
rendre raison pourquoi de chacune de ces petites jambes il n'en renaî-
trait qu une partie semblable à celle que l'on a retranchée à récrevisso.
Ce ne serait pas même assez de supposer qu'il y a un œuf à chaque en-
droit de la jambe de l'ëcrevisse, il faudrait y en imaginer plusieurs, et
nous ne saurions déterminer combien. Si Ton coupe la nouvelle jambe,
il en renaît une autre dans la même place. Enfin , il faudrait encore
admettre que chaque nouvelle jambe est, comme l'ancienne, remplie
d'une infinité d'œufs qui chacun peuvent semr à renouveler la partie
de la jambe qui pourrait lui être enlevée ^ »
II. Hypothèse des moules intérieurs.
«De la même façon, dit BufFon, que nous pouvons faire des moules
par lesquels nous donnons à l'extérieur des corps telle figure qu'il nous
plaît, supposons que la nature puisse faire des moules par lesquels elle
donne non-seulement la figure extérieure , mais aussi la forme inté-
rieure : ne serait-ce pas un moyen par lequel la reproduction pourrait
être opérée^?»
Je ne m'arrête pas plus que Bulfon sur l'espèce de contradiction que
présente, au moins dans les termes, l'idée du moule intérieur. «On
peut nous dire, remarque-t-il lui-même, que cette expression, moule
intérieur, paraît d'abord renfermer deux idées contradictoires; que celle
du moule ne peut se rapporter qu'à la surface, et que celle de l'inté-
rieur doit avoir rapport ici à la masse : c'est comme si on voulait
joindre ensemble l'idée de la siu:face et l'idée de la masse, et on dirait
tout aussi bien une surface massive qu'un moule intérieur. J'avoue que,
quand il feut représenter des idées qui n'ont pas encore été exprimées,
on est obligé de se servir quelquefois de termes qui paraissent contra-
dictoires^ -»
Je passe donc avec BufTon sur les mots, et je viens à l'idée. Eh bien,
l'idée n'est encore ici, comme pour les germes accumuléSy que la manière
de concevoir le fait substituée au fait , transformée en fait.
Le moule intérieur de Buffon est le corps même de l'animal ; et ce
corps est un moule parce que la matière qui s*y ajoute, s*y ajoute dans
un ordre constant et déterminé*.
' Mémoiret de V Académie des sciences, 1 7 1 a , p. aSa. — * T. lU , p. /iS. — * T. III ,
p. 5]. — * «Que peut -il y avoir qui prescrive à la matière accessoire cette règle,
et oui la contraigne à arriver également et proportionnellement à tous les points
de rintérieur, si ce n'est le moule intérieur r^ T. m, p. 61.
&10 JOURNAL DES SAVANTS.
« Le corps d*uii animal, dit Buflbn, est une espèce de moule iQliérieiii<,
dans lequel la matière qui sert à son aecroiasement se modèle et s'am-
mile au totaP Il nous parait certain, dit-il encore, que le corps
de l'animal ou du végétal est un moule intérieur qui a une forme cons-
tante, mais dont la masse et le Tolume peuvent augmenter proporticMn-
nellement, et que Faccroissement, ou, si Ton veut, le développement
de ranimai ou du végétal ne se &it que par Textension de ce moule dans
toutes ses dimensions extérieures et intérieures ; que cette extension se
fait par Tintussusception d une matière accessoire et étrangère qui pé-
nètre dans f intérieur, qui devient semblable à la forme et idttitiqoe
avec la matière du moule ^. »
Le moale intérieur nest donc que le corps de Tanimal. Et, si le corps
entier est un moule, il faut en dire autant de chaque partie du corps ,
il faut en dire autant de chaque partie de partie.
u Mais ce développement, dit Buffon, comment peut-il se £ûre,
si ce n*est en considérant le corps de Tanimal, et même chacune de %e$
parties comme autant de moules intérieurs qui ne reçoivent la matière
accessoire que dans Tordi^e qui résulte de la position de leurs parties'. »
Les moules intérieurs ne sont donc que les parties mêmes ou que les
formes données des parties. « Comme nos corps, dit Buffon, ont une cer-
taine forme que nous avons appelée le numle intérieur, les parties orga-
niques, poussées par Faction de la force pénétrante, ne peuvent y
entrer que dans un certain ordre relatif à cette forme , ce qui , par
conséquent» ne peut la changer, mais seidement en augmenter toutes les
dimensions, tant eitérieures qu intérieures ^ et produire ainsi l'accrois^
soment des corps organisés et leur développement^, n
Il y a un fait, cest que nos organes croissent et se développait
sans changer de forme ^. Ainsi, dire que la forme de nos organes, dire
que la forme des corps organisés, est constante, cest dire le ⁢
mais dire que cette forme est un moule, mais Tappeler moule inUrieur
parce quelle est constante, c'est ajouter au fait la manière dont nous
concevons le fait ; c'est , pour expliquer un fait , nous imaginer un mot.
' T. m, p. 60. — ' IUds p. 6a. — * Und. p. 60. Le numle est Informe de dianue
rtie. « CeUe matière ne peut opérer la nutrition et le déveioppoment qa en
*-'-*'' à cl •• ' .... . -
5 jai
a les ehan^ements de forme déterminés par ïivolutùm ^gubère et préfixe des or-
ganes , mais dont il ne s*agit pas ici.
JUILLET 1843. 411
m. IIypotbè$e des molécules organiques.
Buflbii, qui tient si fort, comme nous avons vu, à Tidée des germes
ciccumulés, ne veut pas des germes préexistants.
(Il ny a point de germes préexistants, dit-il; point de germes con-
tenus à rinfini les uns dans les autres^ »
Il repousse donc la préexistence des germes , et il a raison : la préexis-
tence des germes ne fait que substituer au mystère de Information le
mystère de la préexistence.
Malheureusement, Buflbn ne se sauve d'une hypothèse que par une
autre, u II n*y a point de germes préexistants , dit-il , point de germes con*
tenus à Tinfini les uns dans les autres, mais il y a une matière organique,
toujom^s active , toujours prête à se mouler, à s assimiler, et à produire
des êtres semblables à ceux qui la reçoivent^. Il y a dans la nature, dit*
il encore, une infinité de parties organiques actuellement existantes,
vivantes, et dont la substance est la même que celle des êtres organisés,
comme il y a une infinité de particules brutes semblables aux corps
bruts que nous connaissons '. »
Pour échapper à l'hypothèse des germes préexistants , BufTon imagine
donc une matière organique toujours active , une infinité de particules
vivantes, et, puisqu'il faut tout dire, une infinité de petits êtres orga<
nisés.
((Il me parait très-vraisemblable, dit-il, qu'il existe réellement dans
la nature une infinité de petits êtres organisés semblables en tout aux
grands êtres organisés qui figurent dans le monde , que ces petits êtres
organisés sont composés de parties organiques et vivantes^ )»
Ainsi les grands êtres organisés qui^jfar^n^ dans le monde sont com-
posés de petits êtres organisés ; ces petits êtres organisés sont composés
de parties organiques vivantes, «ei, par conséquent, cest Buffon qui
parle, la reproduction ou la génération n'est qu'un changement de
forme qui se (ait et s'opère par la seule addition de ces parties senk*
blables, comme la destruction de l'être (H^ganisé se fait par la division
de ces mêmes parties^. »
Ajoutez que, selon Buffon, la nutrition, le développement, la re-
production ne sont que le même fait ou la continuation du même fait.
«Se mouvoir, se développer et se reproduire, sont, ditril, les effets
d*une seule et même cause^. » H suit de là que les mofécules organiques
' T. IV, p. i5o. — • ibid. — * T. m, p. 28. ~ * rud. p. 34. — • T. m, p. 34.
— ' T. HI, p. 70. .
5a.
412 JOURNAL DES SAVANTS.
suffisent à tout : avec les molécules organixjues, l'animal se nourrit; avec
les molécules organiques, il se développe; par les molécules organiques, il
se reproduit.
Voici comment Buffon lui-même explique toutes ces choses.
«Il suffit de concevoir, dit-il, que, dans la nourriture que les êtres
organisés tirent, il y a des molécules organiques de différentes espèces ;
qiie, par une force semblable à celle qui produit la pesanteur ^ ces
molécules organiques pénètrent toutes les parties du corps organisé ,
ce qui produit le développement et fait la nutrition; que chaque partie
du corps organisé, chaque moule intérieur, n'admet que les molécules
organiques qui lui sont propres , et enfin que , quand le développe-
ment et Taccroissement sont presque faits en entier, le surplus des mo-
lécules organiques qui y servait auparavant est renvoyé de chacune
des parties de Tindividu dans un ou plusieurs endroits, où, se trou-
vant toutes rassemblées , elles forment par leur union un ou plusieurs
petits corps organisés qui doivent être tous semblables au premier in-
dividu, puisque chacune des parties de cet individu a renvoyé les mo-
lécules organiques qui lui étaient les plus analogues, celles qui auraient
servi à son développement s'il n'eût pas été fait, celles qui, par leur si-
militude , peuvent servir à la nutrition , celles enfin qui ont à peu près
la même forme organique que ces parties elles-mêmes^. »
Ainsi les molécules organiques pénètrent toutes les parties du corps
organisé, ce qui fait le développement et la nutrition ; le développement
terminé , chaque partie renvoie les molécules dont elle n'a plus besoin
dans des réservoirs particuliers^, et là, chaque molécule ayant la forme
de la partie qui Ta renvoyée, la réunion de toutes ces molécules pro-
duit un individu nouveau qui a toutes les parties du premier, ou qui
est semblable en tout au premier.
« Mais comment appliquerons-nous ce raisonnement (c'est Buffon qui
parle) à la génération de l'homme et des animaux qui ont des sexes,
et pour laquelle il est nécessaire que deux individus concourent ^? » Oh !
mon Dieu, de la manière la plus facile du monde. Il suffira de conce-
voii' que, «dans ce cas (c'est toujours Buffon qui parle), les molécules
* Buffon compare ses moules intérieurs aux forces qui , comme la pesanteur ,
agissent sur les parties les plus intimes des corps , et les pénètrent dans tous les
points, t Je connais, dit-il , dans la nature une qualité qu'on appelle pesanteur, qui
pénètre les corps à l'intérieur ; je prends l'idée du moule intérieur relativement à
cette qualité. » T. III, p. 67. — * T. LU, p. 7g. — * Dans les réservoirs de la li-
queur séminale ; liqueur séminale qui , d'après cela , et comme le dit Bufîon , « est
une espèce d'extrait de toutes les parties du corps. » T. III, p. 86. — - * Ibid. p. 81.
JUILLET 1843. 413
organiques ne peuvent se réunir et former de petits corps organisés
semblables au grand que quand les liqueurs séminales des deux sexes
se mêlent ^ »
Avec les molécules organiques rien n'embarrasse, pas même la
question de savoir pourquoi le nouvel être, produit par la réunion de
ces molécules, est tantôt une femelle et tantôt un mâle. ((Lorsque, dit
BufTon , dans le mélange qui se fait des molécules organiques , il se
trouve plus de molécules organiques du mâle que de la femelle , il en
résulte un mâle; au contraire, s'il y a plus de particules organiques de
la femelle que du mâle, il se forme une petite femelle^. »
IV. Hypothèse des générations spontanées.
Au moment où BufTon reproduisit les générations spontanées, elles
étaient oubliées, et, selon toutes les apparences, pour toujours oubliées.
Les méprises des anciens étaient trop palpables.
Aristote dit que les chenilles viennent des feuilles vertes*; les puces ,
d'une légère fermentation qui s excite dans les ordures*; les poax, de
la chair ^, etc. etc.; plusieurs poi55on5 , soit du limon, soit du sable ^ etc.
11 dit enfin que (itout corps sec qui devient humide, et tout corps hu-
mide qui se sèche, produit des animaux, pourvu qu'il soit susceptible
de les nourrir', n
Les travaux de Swammerdam , de Redi , de Vallisneri, avaient depuis
lopgtemps détruit toutes ces erreurs. Redi, le premier, avait montré
que , jusque dans les animaux qui vivent dans d'autres animaux ^, on trouve
des mâles, des femelles , des œufs. Redi, le premier encore, avait mon-
tré, et montré par les expériences les plus exactes, que (des vers qui
naissent dans les chairs y sont produits par des mouches et non par ces
chairs mêmes ^»
«Il y a deux cents ans, dit très -bien Réaumur, qu'on n'avait point
surpris dans leur opération ces mouches qui déposent leurs œufs dans
les fruits , et , quand on voyait un ver dans une pomme , c'était la cor-
ruption qui l'avait engendré. Maintenant il est bien prouvé, au con-
traire , que le ver est la cause de la corruption du fruit ^^. »
Chose à peine croyable , tant et de si beaux résultats de la science
* T. m, p. 86. — * Ibid. — * Histoire des animaux, trad. de Camus, 1 1, p. 288.
— * Ihid. p. 309. — • Ihid. p. 3i i. — • Ibid. p. 363. — ' Ibid. p. 3i3. — • Os'
sêrvazioni intomo agli animaii viventi che si trovano negli animali viventi, i684. —
* Esperienze intomo alla generazione degV insetti, 1668, trad. de la Collect. acad.
t. IV, p. 4ao. — '* Lettres à un Américain, lettre vi , p. 46.
414 JOURNAL DES SAVANTS.
moderne sont entièrement perdus pour BufTon. Les générations sponta-
né sont une conséquence nécessaire des moUcnUs organiques; Tune de
ces hypothèses suit forcément de l'autre , et BufTon admet des généra-
tions spontanées.
«Il y a peut-être, dit-il, autant dêtres, soit vivants, soit végétants,
qui se reproduisent par Tassemblage fortuit des molécules organiques ,
qu il y a d animaux ou de végétaux qui peuvent se reproduire par une
succession constante de générations ^ Plus on observera la nature,
dit-il encore, plus on reconnaîtra quil se produit en petit beaucoup
plus d'êtres de cette façon (par la génération spontanée) que de toute
autre. On s'assurera de même que cette manière de génération est non-
seulement la plus fréquente et la plus générale , mais la plus ancienne ,
c est-à-dire la première et la plus universelle ^. »
Ici BuQbn semble avoir pris à tâche de reproduire toutes les mé-
prises des anciens. Selon lui , les vers de terre , les champignons , etc.
n'existent que par une génération spontanée. « Dès que les molécules
organiques, dit-il, se trouvent en liberté dans la matière des corps
morts et décomposés , dès qu'elles ne sont point absorbées par le moide
intérieur des êtres organisés qui composent les espèces ordinaires de
k nature vivante ou végétante, ces molécules, toujours actives, tra-
iH vaillent à remuer la matière putréfiée , elles s'en approprient quelques
particules brutes, et fonnent, par leur réunion, une multitude de pe-
titi corps organisés, dont les uns, comme les vers de terre, les cham-
pignons , etc. paraissent être des animaux ou des végétaux asseï: grands ,
mais dont les autres , en nombre presque infini , ne se voient qu'au
microscope ; tous ces corps n'existent que par une génération sponta-
née* »
Si le ver de terre , si les champignons sont produits par génération
spontanée , à plus forte raison les animaux qui vivent dans les autres ani-
maux, les ténias, les lombrics , les douves, etc. le seront-ils aussi. « La géné-
ration spontanée, dit BuQbn , s'exerce constamment et universellemant
après ia mort , el quelquefois aussi pendant la vie Les molécules
surabondantes qui ne peuvent pénétrer le moule intérieur de l'animal
pour sa nutrition cherchent à se réunir avec quelques parties de la ma-
tière brute des aliments, et forment, comme dans la putréfaction, des
corps organisés : c'est là l'origine des ténias, des ascarides, des douves
et de tous les autres vers qui naissent dans le foie, dans l'estomac, les
intestins, et jusque dans le sinus des veines de plusieurs animaux; c'est
* Suppléments, t. VIII, p. i8. — * Ihid. p» 57. — * IHd. p. a5.
JUILLET 1843. kït
aussi Torigine de tous les vers qui leur percent la peau ^ »
Mais ce n est pas tout : BufToo s anime de plus en plus , et croit bien-
tôt découvrir et voir les molécules organiques y les particules vivantes.
((Mon preniier soupçon, dit-il, fut que les animaux spermatiques que
Ton voyait dans la liqueur séminale pouvaient bien n être que ces par-
ties organiques ^. » — « Ces prétendus animaux , dit-il encore , ne sont
tout au plus que Tébauche d'un être vivant, ou, pour le dire plus
clairement, ces prétendus animaux ne sont que les parties organiques
vivantes dont nous avons parlé*.» — «Les anguilles de la colle de
farine , dit - il enfin , celles du vinaigre , tous les prétendus animaux
microscopiques , ne sont que des formes différentes que prend d'elle-
même, et suivant les circonstances, cette matière toujours active et qui
ne tend qu à Torganisation *. »
On voit tout ce qu'il en coûte pour faire un système : d'abord, de
simples manières de voir les faits substituées aux faits , les germes accu-
malés, les moules intérieurs, des mots pris pour des choses ; puis, l'oubli ,
le dédain même des faits les plus certains, la génération spontanée
supposée pour des animaux tels que le ver de terre ; enfin , les asser-
tions les plus singulières; des animaux (les animaux spermatiques, les
animaux infusoires) donnés pouf de prétendues particules vivantes,
etc. etc.
Ah ! ce n*est pas ainsi que se font les vraies théories : l'esprit les voit
et ne les fait pas. Au contraire, tout, dans le Système de Bufibn, est
de fesprit de Buflbn. La vraie théorie n'est qu'un enchaînement de faite
qui, dès qu'ils sont asset nombreux, se touchent et se lient les uns aux
autres par leur seule vertu propre.
((Le temps viendra peut-être, dit Fonteneile, que Ton joindra en
un corps régulier ces membres épars; et, s'ils sont tels qu'on le sou-
haite , ils s'assembleront en quelque sorte d'eux-mêmes. Plusieurs vé-
rités séparées, dès qu'elles sont en assez grand nombre, offrent si vive-
ment à l'esprit leurs rapports et leur mutuelle dépendance, qu'il sembié;
qu'après les avoir détachées par une espèce de violence les unes des
autres, elles cherchent naturellement à se réunir*.»
FLOURENS.
' Suppléments, t. VIII, p. 26. — * T. lU, p. aSi. — * IbH. p. 3o. — * àV
plémetiU, t. VIII, p. 88. — * Préface sur l'utilité des sciences, etc.
&16 JOURNAL DES SAVANTS.
1. Antichi MONUMENT! SEPOLCBAU scoperti nel dacato di Ceri ,
dichiarati dal cav. P. S. Visconti. Roma, i836, in-fol.
2. Descrizione di Cere antica, ed in particolare del monamento
sepolcrale scoperio nelV anno i836, etc. delV architetto cav. L.
Canina. Roma, i838, in-fol.
3. MoNUMENTi DI Cere ANTICA, spieguti colle osservanze del calto
di Mitra, dal cav. L. Grifi. Roma, i84i, în-fol.
TROISIÈME ARTICLE.
Pour terminer la description de cette première partie de Thypogée ,
je n'ai plus qu à parler des vases de bronze, de formes diverses et d u-
sage domestique , qui avaient été suspendus par des clous de bronze
au haut de la voûte, dans le canal étroit qui en forme la sommité.
Plusieurs de ces clous, encore en place, étaient bien conservés, et les
vases, épars sur le pavé, étaient tombés par suite de Técroulement
d'une partie de la voûte. Cette circonstance de vases domestiques
ainsi consacrés dans un tombeau n'avait pas encore été constatée
d'une manière aussi positive, et elle est certainement très-curieuse;
mais on s'est trompé dans la conséquence qu'on en a tirée. On a cru
pouvoir expliquer, par la présence de ces clous de bronze servant
à suspendre des vases de même métal, une particularité, semblable
en apparence , qui avait été signalée à Tintérieur du fameux tombeau
d'Atrée à My cènes. Là aussi des clous de bronze, distribués à toutes
les hauteurs et dans toute l'étendue des parois circulaires, avaient été
regardés comme ayant servi à attacher les lames de bronze qui for-
maient le revêtement de cet édifice, et qui l'assimilaient, sous ce rap-
port, au chalciœkos de Spaite \ au thalamos de bronze de Danaé ^, et sans
4oate aussi au pithos de bronze dans lequel se cachait Eurysthée , comme
nous le voyons représenté sur tant de vases peints d'ancienne fabrique ^,
' Pausan. lu, 17, 3; voy. H. Meyer, Geschicht, d, hildend, Kàntte, t. Il, p. 1^,
lA); Kugler, ûber aie Polychromie der Griech. Architeciur, etc, p. 10, 1). Voy. aussi
mes Peintures antiques inédiles, p. &a5. ^— ' Pausan. 11, a3, 7. — - ^ Plusieurs de
ces vases sont gravés dans divers recueils , notamment dans le Cabinet Pourtalès ,
pi. XII, el dans TAUas de M. Micali, tav. xcii et xciii; voy. Tindicalion que j'ai
donnée des principaux de ces vases, dans ce journal même, avril i835, p. a 18; et
joignez-y les autres représentations du même sujet indiquées, ihid, p. 406A07.
JUILLET 18/i3. 417
lequel pilhos nétait probablement qu'un édifice souterrain do forme
circulaire et plaqué de lames de bronze, suivant un système dérivé
de la haute antiquité asiatique ^ Cette opinion , si vraisemblable en soi,
et si conforme k ce que nous connaissions d'autres monuments an-
tiques du même âge, a paru néanmoins, aux antiquaires romains à
qui nous devons la description du tombeau de Cœre, détruite par l'ob-
servation des clous de bronze de ce tombeau ayant servi à suspendre
des vases. M. Canina est d'avis que, d'après l'exemple de ces clous
ainsi employés, il n'est plus possible de soutenir que ceux du tombeau
d'Atrée aient servi à attacher des lames de revêtement^. M. le D' Braun
n'est pas moins disposé à voir, dans les clous de bronze de notre tom-
beau de Cœre, la preuve que ceux du tombeau d'Atrée n'ont pu avoir,
s'ils ont existé, que la même destination, et il s'autorise du témoignage
d'un architecte allemand, M. Ém. Wolff, qui a récemment examiné le
tombeau d'Atrée, et qui n'y a retrouvé aucun de ces clous en place, pour
jeter des doutes sur leur existence même et sur l'usage auquel on les
avait pu croire employés dans l'antiquité'. Il devient donc nécessaire
d'opposer à ces inductions plus ou moins hasardées une explication qui
les réduise à leur juste valeur, et qui se fonde sur la connaissance
exacte des faits. Les clous de bronze du tombeau d'Atrée étaient des
doas à tête plate, qui n'avaient pu servir, d'après leur forme même,
qu'à fixer des lames de revêtement, et non des chus à crochet, comme
ceux du tombeau de Cœre, tels qu'il les fallait pour y suspendre des
' J^aurai occasion ailleurs d-établir, par Je nombreux témoignages, celte parlicu-
larité importante de Hilsloire de fart asiatique, qui ne fut pas sans influence sur la
direction de Vart grec. En attendant, je me contente de remarquer que M. Hirt
a vu aussi, dans le revêtement en lames de bronze du tombeau d'Atrée, la tradi-
tion d'une pratique phénicienne ; ce qui e»t tout à fait d*accord avec mes idées ;
voy. les Analecta de Wolf, 1. 1, p. i58-i5g. J'ajouterai que^cette pratique même
de murs revêtus de lames de bronze était connue des anciens Etrusques, a en juger
parles exemples de deux tombeaux, l'un de Chiusi, l'autre de Corneto , qui n'au-
raient pas dû échapper à la connaissance de M. Canina et de M. Braun. La relation
originale de la découverte de ce tombeau de Chiusi , intérieurement plaqué de hunes
de bronze , se conserve à ia galerie de Florence , au témoignage de Lanzi , Saggio ,
etc. t. II, p. 311. Le second fait analogue à celui-là, et concernant un tombeau de
Cornetf, est rapporté, sur la foi de M. Orioli, par M. Vermiglioli, Opuscoli, etc. t. IV,
p. 7. — * Descriz. di Cere antica, p. 76 : « In seguito di questo ritrovalo si venue a
stabilire cbe simili cbiodi. . . i . dovettero essore stati posti al medesimo uso , e non
avère potuto servire a rafiermare lastre di métallo, corne fu supposto da coloro cbe
impresero a descrivere i'ipogeo di Micene. > — ' Braun , Ballet, delf Instit. Archeol
i836, p. 58, i) : «Pare cnela scoperta di cotai monumento servira anche perpor-
gere lumi sopra 1' uso dei famosi cbiodi di cui sono (?) coperte le pareti del tesoro
d'Atreo, etc. •
53
418 JOURNAL DES SAVANTS.
vases ou d'autres ustensiles analogues. Je possède moi-même un de
ces clous du tombeau d'Atrée, qui m'a été donné, à Athènes ^ par M. le
chevalier de Prokesch , et qui avait été détâché du monument même
par ce voyageur et antiquaire célèbre. J'ajoute, sur la foi de M. de
Prokesch, qu'il ne reslait plus aucun de ces clous dans les parties infé-
rieures du monument, ce qui confuroe l'observation de M. Em. Wolff,
et ce qui a causé son erreur. J'ajoute encore que, pour vérifier l'exis-
tence de ces clous, M. de Prokesch fut obligé de s'éiever à une assez
grande hauteur, au moyen d'une échelle, et que là il en trouva encore
plusieurs en place et assez rapprochés l'un de l'autre , qu'il détacha lui-
même et qu'il n'a pas tous conservés; il ne lui en restait plus que
deux, lorsqu'il voulut bien m'en donner un, qui sera déposé quelque
jour dans notre Cabinet des Antiques, pour conserver, avec le témoi-
gilage que je viens de rapporter, la preuve authentique d'un fait si im-
portant pour l'histoire de l'art, et resté, jusqu'à nos jours, si probléma^
tique.
La réunion des objets déposés dans la cella du fond , ou le caveau
principal, était, s'il est possible, plus importante encore, et surtout
plus précieuse , à la fois sous le rapport de l'art et sous celui de la ma-
tière. Presque tous ces objets étaient d'or ou d'argent, et cette circons-
tance , d'accord avec la nature même et la forme de ces objets, et avec
le nom de Larthià, qui parait désigner la personne à laquelle ils appar-
tenaient, et qui est le prénomféminin étrusque, ne permet guère de douter,
ainsi qu'il a été dit précédemment ^ que cette personne ne fût une femme,
et sans doute une femme de la plus haute distinction, à en juger par
l'importance du monument qui reçut sa dépouille mortelle et par la va-
leur des objets qui l'accompagnaient. Des vases de bronze de formes di-
verses se trouvèrent aussi, dans cette partie de l'hypogée, suspendus à
la voûte et attachés aux parois au moyen de clous de bronze; et parmi
ces vases, tombés de leur place, se trouvèrent les manches de six ombrelles ;
d'autres vases du même métal , en forme de cratére -sans anses, étaient pla-
cés en divers endroits , sur le sol même de la tombe. Deux de ces vases
sont ornés, sur leur bord supérieur, de cinq Utes de lion; un troisième
offre des têtes d'animaux chimériques, disposées dé la même manière et
à la même place, au nombre de six, et sa circonférence extérieure est
ornée de deux rangs de lions et de taureaux ailés alternant ensemble ^ : mo^
Hument d'un style bien certainement asiatique, à la fois ^r le sujet et
* Voy. Joarn, des Savants, juin i843, p. 356. — ' Ces vases ont été publiés par
M. Grin, tav. v, n. a et 4^ p. 176.
JUILLET 1843. 410
jiQr te travail, et, sous ce double rapport, de la plus haute importance.
Il y avait pareillement , du côté gauche de la chambre sépulcrale , un
tliuribulam , ou meuble servant à brûler des parfums, d'une forme par-
ticulière et placé sur un trépied. Des coupes d'argent et des plats du
même métal, qui avaient dû être attachés aux murs de la tombe, ou
placés sur le pavé, dans une disposition probablement hiératique, qu'il
ne fut malheureusement pas possible de constater, à cause du dé-
sordre occasionné dans cette partie du monument par l'éboulement des
teiTCS, ofirireiU, du reste, par les sujets qui y sont gravés, et dont
nous nous occuperons dans un prochain article , un intérêt qui surpasse
tout ce que nous pourrions dire , et tout ce qui avait été découvert j us-
que-là dans les tombeaux étrusques; et cet intérêt le cède pourtant
encore à celui des objets qui avaient recouvert presque en entier le corps
delà femme, dépose dans cette tombe, sur le pavé mêrae. Ce corps
avait presque entièrement disparu, décomposé par la vétusté; mais
la place qu'il avait occupée se trouvait encore marquée par les objets
qui avaient composé sa toilette funèbre, et dont la disposition respec-
tive était en rapport avec la situation des divers membres du corps.
Le plus important de ces objets était une espèce de pectoral, placé â
l'endroit de la poitrine, d'or travaillé en fdigrane, avec des figures sym-
boliques d'hommes et d'animaux imprimées en relief: monument unique
et le plus précieux en son genre qui nous soit parvenu de toute l'anti-
quité. A l'endroit de la tète élait un ornement, d'or aussi, de forme
ainguUère, qui doit avoir été une coiffure hiératiqae', et qui offre pa-
reillement des figures symboliques d'animaux, imprimées ou rappor-
tées en relief. Un collier, composé de rhombcs et de sphères alternant
ensemble, et formé de lames d'or minces; deux bracelets du même mé-
tal, d'un travail riche et soigné, et d'une composilion très-curieuse,
se trouvèrent aux places qui leur appartenaient; et des chaînes, des/-
taies, des morceaux d'ambre montés en or et portés en guise d'amu-
lettes, complétaient, avec des/oseaiLT d'or et un à'arijent^. la parm-e funé-
raire de la femme ensevelie dans ce tombeau. On jugera de la profusion
avec laquelle l'or avait été employé à cette toilette, destinée, dans i'in-
lention de ses auteurs, i servir dégage de l'immortalité ', on en jugera,
' tin objet lout semblable pour la foriue , )a dimension cl le travail . et certaine-
ment auisi pour Vit»age. fut trouvé dans un des tombeaux deCanino; il a été publié
dans le recueil de M. Micali, lav. XLV, o- 3, q«i l'avait pris à tort pour une grande
fibule. — ' Tous ces objets sont soigneusement dessinés sur le» planches jointes i
l'ouvrage de M. Grifi , tav. i , ii , m et iv. — ^ Nous voyons . dans te Zend-Auetta .
t. I, a* part, p 4i8, et t. II, p. 75, que i'amscbaspand Bnhman . «ne de* formai
53.
420 JOURNAL DES SAVANTS.
dis'je, d'après cette circonstance, quon recueillit, mêlées avec la terre,
des feuilles d'or en si grande quantité, qu'on put en remplir tout un
panier, et si minces, quelles n'avaient pu servir qu'à composer un vê-
tement tissu d'or : de manière que le corps , couvert de ce vêtement
dor, avec sa coiffure d'or, son pectoral d'or, et les bijoux d'or qu'il por-
tait, pût oQnr véritablement l'apparence d'une jE^ore toute d'or, de la
tète aux pieds : symbole de l'apothéose que l'on cherchait à réaliser ainsi
d'une manière matérielle et à rendre sensible par tous les moyens que
l'opulence fournissait à la piété.
Nous avons maintenant à rendre compte des objets qui composaient
le riche mobilier funéraire dont nous venons de donner Tindrcation
générale. Dans cette partie de notre travail , c'est surtout à Touvrage de
M. Grifi que nous devrons nous attacher, attendu que c est à l'explica-
tion approfondie des objets dont il s'agit qu'est consacré spécialement
cet ouvrage. Mais ici nous avouerons sans peine que notre tâche de-
vient beaucoup plus difficile à remplir, à mesure que son objet acquiert
plus d'importance et d'intérêt. Si l'interprétation des monuments anti-
ques, de ceux-là même qui appartiennent à un système de civilisation,
d'art et de croyance, devenu familier pour nous par une foule de tradi-
tions de tout âge et de témoignages de toute sorte, tel que celui des
Grecs et des Romains, laisse encore trop souvent prise à Tincertitude
et à l'erreur, que dirons-nous de celle qui a pour objet des monuments
produits sous l'influence d'idées placées presque entièrement en de-
hors de nos connaissances, pour un peuple dont nous ignorons la
langue , en des temps et en des lieux dont l'histoire nous manque com-
plètement? Dans cette recherche, qui se fonde presque uniquement sur
des rapprochements plus ou moins spécieux , et qui ne peut ainsi avoir
pour éléments que des conjectures plus ou moins plausibles, au lieu
de témoignages directs et de preuves positives, c'est donc une enti^eprise
à peu près désespérée , que d'amver à un résultat toujours conforme à
la critique et toujours satisfaisant pour la raison. Mais il est vrai aussi
que, dans une tentative de ce genre, il est permis de hasarder beaucoup,
précisément parce que tout est nouveau ou inconnu, de donner plus
de caiTière à son imagination, là où la science ne fournit presque au-
cun élément, et de suppléer parles ressources du savoir et de l'esprit à
de Mithra , réside au ciel , revêlu dliahils d'or, et que c est ce génie qui donne des
vêtements d'or aux justes admis dans le s^our céleste. Mais ces idées de la théolo-
gie persique étaient certainement puisées dans les croyances assyriennes , et c*est
de là quelles étaient arrivées chez les Etrusques , toujours, à mon avis, par Yémi-
gration tyrrhéoienne.
JUILLET 1843, 421
l'insiinisance des faits el à l'obscm'ilé des uionuineiits. J'yjmilc que
c'est surtout dans un pareil travail , où l'auteur est obligi" de presque
tout tirer de son propre fond et de créer en quelque sorte la matière
même sur laquelle il s'exerce, qu'on doit lui savoir gré d'une seule
vue heureuse , d'un seul aperçu ingénieux , dût-on ne pouvoir admettre
loutes les déductions qu'il tire du principe qu'il a p«é ; et, l'ensemble
de ses idées dùt-il restera l'état de système, ce peut être encore, de sa
part, une œuvre très-méritoîre , que d'avoir éclaire d'un seul rayon de
lumière un champ tout à fait neuf encore pour la science et hiexploré
par l'archéologie.
Le titre du livre de M. Grifi : Monanienti di Cere antica spie^joti colle
osservanze del calto àlMitra, annonce, sans aucune équivoque, dans quel
système d'interprétation l'auteur s'est placé pour parvenii- à l'intelligence
de ces rare^ et curieux monuments : c'est au calle de Mithra qu'il en rap-
porte tous les éléments; ainsi c'est une doctrine purement persiqué
qu'il croit trouver sur des monuments appartenant à une haute anti-
quilé étrusque. Sur ce seul énoncé , A s'élève une première question ,
dont d semble que la solution eût dil servir de préliminaire au travail
de l'auteur, celle de savoir par quels rapports la civilisation de l'an-
tique Etrurie pouvait se rattacher à celle de la Perse, qui doit n'avoir
exercé, dans les temps antérieurs à Cyrus, presque aucune influence,
même sur les régions de l'Asie antérienre les plus voisines de son siège
propre, et par quelles voies des idées, puisées dans les croyances reli-
gieuses des Pei-ses , avaient pu se propager chez les Etrusques , au poiiit
d'y ac(juérir une si grande importance. A cette question , qui se trouve
k peine indiquée dans les premières pages du livre de M. GriB , et qui
eût mérité d'être beaucoup plus approfondie, il s'en joint une autre',
qui n'est ni moins grave , ni moins ditlicile à résoudre , celle de savoir
jusqu'à quel point les textes originaux relatifs au culte de Mithra. tels
que nous les possédons dans le Zend-Avesta, peuvent servir à l'explica-
tion des monuments trouvés dans le tombeau de Ccere. Il y avait enlin
un ti'oisième point dont la détermination semblait devoir être aussi
un préliminaire indispensable à toute recherche sur le sens des sym-
boles et sur la nature même des objets déposés dans ce tombeau, c'était
(l'établir bien positivement auquel des deux individus, l'un mâle, l'autre
femelle, qui y furent ensevelis, chacun dans une pièce différente, appar-
lenaient ces objets , dont notre auteur se proposait de montrer qu'ils
composaient la parure funéraùc et hiératique d'un pontife étrusque ; ce
qui exigeait qu'il fussent placés sur le corps de fhomme , et non pas
sur celui de la femme. Ce sont li trois questions , qu'il est permis de
422 JOURNAL DES SAVANTS.
regretter que notre auteur n*ait pas d'abord discutées avec tout le soiu
qu*il pouvait y mettre , et résolues avec ia sagacité dont il a fait preuve ,
el sur lesquelles nous prendrons la liberté de lui soumettre quelques
doutes , uniquement pour obtenir de lui des éclaircissements que nous
ne nous sentons pas capables de donner nous-même.
L*opinion générale , que le culte de Mithra , ses mystères et ses mo-
numents, ne furent connus en Occident et introduits en Italie, quà la
suite de la victoire remportée , en Tan de Rome 687 , par Pompée sur les
.pirates de TAsie mineure , cette opinion semble si fort contraire à Tidée
de trouver des symboles mithriaques sur des monuments étrusques d'une
époque réputée antérieure à la fondation de Rome , que M. Grifi n*a pu
s*empêcber d'être frappé lui-même de cette contradiction. Il n'essaie
que faiblement de ia détruire , en lui opposant un certain nombre de
•monuments étrusques, vases peints et sculptures d urnes. cinéraires, oJ|
Buonarotti ^ et Gori ^ avaient cru trouver des représentations de rites
mithriaques ; et il convient lui-même , bien qu'avec un reste de scru-
pule et avec une apparence de regret , que l'âge de ces monuments ,
étont jugé postérieur à la guerre des pirates, il en résulte bien peu de
probabilité pour l'opinion de Gori '. Il ajoute enfm , mais sans en pa-
raître entièrement convaincu , que les représentations dont il s'agit ont
été rapportées à d'autres sujets que des rites mithriaques , ce qui ne laisse
aucune espèce d'appui à cette opinion des antiquaires florentins. Mais ,
SUT tous ces points, j'avoue que je ne puis partager l'espèce de réserve
dans laquelle se renferme M. Grifl S'il est une chose avérée pour toute
personne versée dans la connaissance des antiquités étrusques, c'est que
les vases peints, tels que celui que Gori a publié*, et où il croyait
trouver une épreuve mithriaqae par le feu, est un monument d'un art
grec, sans aucune espèce de rapport avec une doctrine persique, c'est,
,en second lieu, que les urnes cinéraires dePerugia et de Volterra^, où
le même antiquaire avait cru reconnaître des baptêmes et des sacrifices
mithriaques, représentent des fables grecques, sur l'intelligence desquelles
' Buonarotti, ad Dempster. Additam. S xxiv, p. 32-35. L'urne de Vollerra. «ur
laquelle Buonarotti appuyait ceUe idée de sacra Milhriaca, tab. lxxxi, n. a , a été
acquise par Tauteur de cet article, à Florence, et elle se trouve maintenant dans
tK>tre Cabinet des Antiques. — * Afw. Etrusc. t. Il, tab. clxxii, i et 11 ; tab. clxxiii;
tab. GLXxiv, I et 11. — 'Il me semble que c*est tout le contraire que notre auteur
aurait dû conclure ; mais j*ai peut-être mal saisi sa pensée. — * Mus. Etrasc. t. II ,
tab. CLXXIII , p. 34a -345. — 'Ce sont celles qui sont indiquées à la note précédente
a), et dont Vexplication , telle que je l'ai donnée dans mes Monuments inédits,
Ofieiiiiie, pi. xxvi, a , p. 121 et suiv. el Odystéide, pi. li, p. 226 et suîv., n'a été,
A>iaA laoniiabstince, contredite par aucun antiquaire.
JUILLET 1843. 425
il n'est réellement pas possible de se méprendre. Il faut donc renoncer
à ridée de trouver sur les urnes étrusques rien qui ait rapport aux
croyances mithriaques, bien que Tépoque récente de la plupart de ces
monuments , dont les plus anciens remontent à peine au vu'' siècle de
Rome, ou à la fin de la république, permit d'y représenter des sym-
boles du culte de Mithra , déjà connu en Italie à cette époque. Reste
à considérer toute une classe de monuments étrusques récemment
acquis à la science ^ , oii Ton a cru voir une idée orientale, la lutte da ion
et da maumis génie , ou des deux principes da mal et du bien , représentée
symboliquement par le groupe d'un lion assaillant an taureau, image que
notre auteur rapporte à la doctrine du dualisme et au culte de Mitbra;
d'où il suivrait que cette doctrine et ce culte auraient été connus des
Etrusques à une époque bien antérieure à celle où Ton suppose que
la religion mitbriaque pénétra en Italie , à la suite de la victoire de
Pompée. Mais à cette supposition de notre auteur je me contenterai de
répondre que cette idée de la latte des deua principes n'était pas ex-
clusivement propre au culte de Mithra ; qu'elle était fondamentale et
ancienne dans toutes les religions asiatiques, et que ce groupe du lion et
du taureau, même en admettant qu'il ait, sur les monuments étrusques
dont il s'agit , la signification que lui attribue notre auteur, avait trouvé
un grand nombre d'applications sur des monuments asiatiques et grecs,
où il s'était produit sous l'influence d'idées originaires de la Chaldée et
de la Phénicie, dès une époque bien antérieure à celle où M. Grifi place'
la réforme introduite par Zoroastrc dans la religion des Perses ; ce qui
tend à faire croire que les croyances dont ce groupe symbolique était
une des expressions figurées étaient bien plutôt dérivées, chez lés
Etrusques , de communications anciennes, au moins indirectes , avec
l'Assyrie, que de rapports avec la Perse, dont rien n'indique l'existence
et ne fournit la preuve.
Le point où M. Grifi a cru trouver entre les Perses et les Etrusques
l'analogie de croyance la plus sensible, et conséquemment l'argument
le plus décisif à l'appui de cette transmission d'idées d'un peuple i
l'autre , dont il a besoin pour justifier son système , c'est la doctrine de
cette grande année, qui parait avoir formé le fond de la cosmogonie
étrusque^, et qui doit avoir eu sa source primitive dans la croyance
' M. Grifi cite divers monuments publiés par M. Micali, Monum, per servira alla
storia dei nntichi popoli itaL tav. xxvni ; xxxi , i ; XLV , 2 ; XLix ; czvni , i ; 1. 1 , c. ZXll ,
p. 11 5, ediz. Milan, auxquels il serait facile d'en ajouter beaucoup d^autres. — -
Suid. V. Tv^prjvia, Cf. Censorio. de Deor, Nat, c xvii ; Plutarch. in Syli $ vu ;
Suid. V. 2vXXo».
424 JOURNAL DES SAVANTS.
des Perses. C'est, effectivement, d*après cette idée persane d*une du-
rée de«douz€ mille ans attribuée au monde créé et distribuée en douze
millénaires , qui répondaient aux douze stations solaires et aux douze
signes du zodiaque, que M. Grifi explique^ les douze cercles concen-
triques ou zones du pectoral étrusque, remplis de figures symboliques
qu il rapporte de même à la religion mitbriaque ; et je ne saurais nier
que cette explication ne soit très-ingénieuse, et quelle ne paraisse, au
premier abord, assez plausible. D*un autre côté, je ne puis dissimuler
que , si cette doctrine de la grande année des Etrusques ^ a été soutenue
par M. Creuzer* et d autres savants'^. Vidée, qui paraît véritablement
empruntée des traditions mosaïques^, a été jugée plus récente, à ce
titre, par plusieurs antiquaires, notanmient par Heyne ^ et par Ott. Mûl-
1er ^ ; en sorte que ce serait encore une question trop problématique
pour .qu'on pût y trouver un élément de probabilité en faveur des an-
ciens rapports entre les Perses et les Etrusques. J'avouerai, pour mon
propre compte, que le témoignage de Théopompe ®, rapproché de ce-
lui de l'auteur étrusque anonyme dont Suidas a tiré la notion curieuse
qu'il nous a transmise, donne à cette opinion une certaine valeur, en
même temps qu il semble lui assigner une assez haute antiquité. Quant
à la voie par laquelle la tradition cosmogonique dont il s*agit serait
parvenue chez les Etrusques, celle de Pythagore et de son école, qui
fauraient puisée directementchez les mages, disciples de Zoroastre, je
suis obligé de dire que cette solution, proposée par M. Creuzer^ et
adoptée par M. Grifi ^®, ne me satisfait que bien faiblement; et le prin-
cipal défaut que j'y trouve, c'est d'abaisser jusqu'à l'époque présumée
de Zoroastre, qui est celle de Darius, fils d'Hystaspe, une croyance ita-
lique ^^ qui, si elle eut réellement cours chez les Etrusques, comme il
* Grifi, Monum. di Cere antic. p. 3; p. ao-ai; p. 78, 3); p. 85; 87; 89, a), et
passim. — * C*esl le sujet d*une disserlalîon insérée dans les Att. di Corlon. I. VIII,
p. 198 sqq. Cf. Mazocch. ibid, t. III, p. 65. — 'Creuzer, SymhoUk, t. II, p. 84 1-
843, 2' édit. — * Niebuhr, Hist, Rom, t. I, p. i3i. — * M. Grifi lui-même en fait
l'aveu, p. 89, a), 95, 3). — * Heyne, Nov. Comm. Soc. Gotting, t. VII, p. 35 sqq.
— ' Ou. Mùller, die Etmsker, t. II, p. 4o-4i* — ' Theopomp. Fragment, n. 72,
p. 71 et 160, éd. Wichers. — * Symbolik, t. H, p. 843. — ** Monum, di Cere, etc.
p. 3-4, et alibi, — " Notre auleur, conséquent en ce point avec lui-même, explique
les rapports symboliques qu il croit découvrir sur ce qu il appelle le stemma,\eL coif-
fure hiératique, entre la Perse et TEgypte, par la connaissance que les Perses con-
duits par Cambyse en Egypte avaient pu acquérir des superstitions et des monu-
ments de ce pays, connaissance antérieure à Tépoque de Zoroastre, p. 100. Mais, à
mon avis, s'il existe, comme je le crois aussi, des rapports de plus d'un genre entre
l'archéologie asiatique et Tarchéologic égyptienne , il faut en chercher Toriginc bieu
au delà de Texpcdition de Cambyse , dans le fond commun de doclrines ei de croyance:»
JUILLET 1843. 425
est difficile d'en douter, doit avoir eu chez eux une origine plus an-
cienne que leur commerce avec Técole pythagoricienne du midi de
rilalie, et me semble bien plutôt avoir ti'ouvé son principe dans tout
lé système d'idées asiatiques que les Tyrrhéniens de Lydie apportèrent
avec eux en Ilalic.
Cest la même observation que je me permettrais de faire au sujet
des autres rapports de croyance que M. Grifi signale entre les Perses
et les Étrusques, tels que le dogme du dualisme, représenté symboli-
quement par le simulacre double de Porrima et Posverta , tels aussi
que le culte de Janus , dieu de Vannée, diea médiateur, tel qu il était connu
des peuples italiques, et que M. Grifi assimile, sous ce dernier rap-
port, au Mithra des Perses. Certainement, ces idées de dualisme, sous
les diverses formes qu'elles revêtirent dans la symbolique des anciens
peuples, sous celle de Porrima et de Posverta, et de Janus lui-même,
me paraissent, comme à M, Grifi, dérivées d'une source asiatique; mais
est-ce bien à la religion de Mithra, telle qu'elle fut instituée, suivant
M. Grifi lui-même, par le Zoroastre contemporain du premier Darius,
qu'il faut rapporter ces croyantes italiques, au lieu d'y voir des élé-
ments d'mi ancien culte asiatique, qui admettait le même dogme du
dualisme, représenté pareillement par des simulacres de dieux à double
nature, de dieux androgynes, et qui aurait été apporté en Etnune
par l'émigration tyrrhénienne? A mon avis, la question ainsi posée
doit se résoudre dans un sens contraire au système de M. Grifr, et
c'est ce qui résulte jusqu'à Tévidence de l'âge même de quelques-
uns de ces monuments italiques empreints d'idées orientales, tels
que ceux de notre tombeau de Cœre, certainement antérieur, comme
nous l'avons montré, à la fondation de Rome, et conséquemmentbien
plus ancien que l'époque présumée de Zoroastre, le réformateur du
culte des Perses. Mais, avant d'arriver à cette seconde question, je ne
puis m'empcchcr de faire une dernière remarque sur un autre rapport
que M. Grifi signale entre la religion des Perses et celle des Etrusques,
rapport consistant en ce que ces deux peuples, séparés par un si grand
où les Egypiiens et les peuples de l'Asie aniérieure avaient puisé les principaux élé-
ments dejeur système religieux, tout en les modifiant, cliacun suivant son génie
propre el à raison de circonstances locales. Cela n*empcclie pourtant pas qu'il n'ait
été fait, dans les temps postérieurs à Cvrus et à Cambyse, certains emprunts à Tar-
cliéologie ég>[)tienne sur des monuments de la Perse, et dans ce nombre je place
aussi la figure à quatre ailes, ornée d'une coiffure égyptienne, qui décore le célèbre
pilier de Mourq-llaub ; mais je ne regarde pas cette figure comme celle de Cyra$
déijié, suivant l'interprétation quen a donnée M. Grolefend, et qu'admet M. Griû,
ihid. p. loo.
54
426 JOURNAL DES SAVANTS.
intervalle de temps et de lieux, reconnaissaient T^in et Tautre un dieii
suprême, premier principe de toutes choses, qui s appelait, chez les
Perses, Zervan-Akéréné , ou le temps sans limites, et D^mo^or^/on chez les
Étrusques. Or voici, à ce sujet, l'observation que je prends la liberté
de soumettre à M. Grifi. La notion du temps sans limites, du Zervan-
Akéréné, ne figiœe que dans les livres zends, dont la rédaction plus
ou moins récente ne saurait, en aucun cas , s'attribuer à une bien grande
antiquité. Je suis loin pourtant de prétendre que cette notion elle-
même, sous sa forme primitive, ne remonte pas plus haut que cette
rédaction des livres zends; car on la trouve dans d'anciennes cosmogo-
nies asiatiques, dont nous possédons des extraits dus à d'anciens au-
teurs grecs; et je suis convaincu quelle appartenait originairement à
des peuples dont la civilisation avait précédé de beaucoup celle des
Perses, tels que les Phéniciens et les Assyriens; en sorte que ce serait
à cette source, bien plutôt qu'à celle des livres zends, que je serais dis-
posé à rapporter cette croyance d'un dieu suprême, d'un temps sans li-
mites. Quant à l'existence ^u même dieu, sous le nom de Démogorgon,
chez les Étrusques , sans rejeter absolument cette notion , j'avoue qu'elle
repose sur un témoignage bien faible , celui du scholiaste de Stace \ dont
l'âge est bien récent et le savoir bien équivoque , pour certifier un fait
si grave et d'une si haute époque. Il n'en existe de traces, à nia con-
naissance, dans aucun autre auteur ancien^, et ce nom même de Dé-
mo^or^on paraît emprunté au culte secret des sectes gnostiques'; ce qui
* Lutat. Placid. ad Slat. Theh. iv, 5i5-6. — * Le nom de Démogorgon ne figure
ni dans les lexiques grecs, tels que le Thésaurus Unguœ grœcœ, de la récente édition
donnée par MM. Dindorf, avec le secours de M. Hase, ni dans les dictionnaires la-
tins, tels que celui de Facciolati, accru par Forcellini et par Furianelto, où il de-
vait pourtant trouver place, ne fût-ce qu*à cause de ce passage du scholiaste de
Stace. Le nom Demogorgone, qui se lit dans la préface des Fables d*Hygin, p. i4,
éd. Slaveren. (p. ii, éd. Munker.), a élé reconnu pour une interpolation par les
plus habile» critiques, y compris Heyne. — ' Voyez, àce sujet, la dissertation de Heyne
intitulée : Démogorgon dœmon, e disciplina magica repetitm, dans ses Opusc, Acad.
t. in, p. agi-Si/l- Aux yeux de l'illustre professeur de Gœttingue, la doctrine et le
nom même du Démogorgon seraient d'une invention gnostique ; et c'était aussi l'o-
pinion d'Ott. Mùller, die Etrusker, t. II, p. 4o, 80). Il y aurait pourtant quelques
observations à faire à ce sujet , en se fondant sur des monuments étrusques d'une
authenticité non douteuse et d'une haute antiquité. Mais ce ne pourrait être ici le
lieu d'exposer les idées que ces monuments m'ont suggérées, et je les réserve pour
un travail particulier. Je me borne à dire que M. Micali , en admettant la notion
du Démogorgon comme tirée des livres de Tagcs, me parait avoir fait une applica-
tion un peu hasardée du témoignage du scholiaste de Stace; voy. sa Storia dei an-
tichi popoli ital, t. U, p. 101, 19), et t. III, p. 27, 16), éd. Milan.
JUILLET 1843. 427
nous reporte bien bas dans Tantiquilé, et bien loin, par conséquent, de
la pure doctrine étrusque. Mais ce n*est là , toutefois, qu un doute que je
soumets à M. Grifi, et dont il est en mesure de fournir une ^lutioo
satisfaisante.
Une difficulté non moins grave, dont j ai fait mention en second
lieu, et sur laquelle j'ai déjà exprimé le regret que notre auteur nait
pas donné tous les éclaircissements que comportait le sujet, c est celle
de savoir jusqu*à quel point il est permis d'appliquer les textes du
Zend-Avesta à fexplication des objets trouvés dans le tombeau de Cœre.
Ce n est pas ici le lieu d'entrer dans une discussion critique sur la va-
leur et l'authenticité de ces textes, sur leur âge, sur leur autorité,
toutes questions qui ont été agitées, depuis l'apparition du livre d'An*
quetil-Duperron jusqu'à nos jours, dans des sens très-divers, et qui ne
sont pas encore fixées avec fassentiment unanime des philologues. Je
n'ai pas davantage l'intention de rouvrir, sur Zoroastre, son âge, sa
patrie, son existence réelle et historique, ou supposée et mythique, une
discussion si souvent engagée, si contradictoirement débattue, et non
encore épuisée. Je me contente, pour l'objet de l'examen qui nous
occupe, de prendre ces questions comme M. Grifi les a posées et ré-
solues pour lui-même, d'une manière qui, du reste, s accorde avec To-
pinion la plus générale; je regarde donc les livres zends, que nous
devons au savant français, comme une compilation exécutée dans le
siècle de Darius fds d'Hystaspe, mais dont la rédaction dut subir,
dans le cours des âges suivants, et principalement à partir de fépoque
sassanide, des interpolations et des changements de plusieurs sortes, qui
ne peuvent manquer d'avoir considérablement modifié, sur beaucoup
de points, la doctrine primitive, et qui obligent à beaucoup de réserve
et de circonspection dans l'usage qu'on peut faire de ces livres , où
tout n'est certainement pas ni également ancien, ni proprement per-
sique. Quant à Zoroastre, je le regarde, toujours en me plaçant dans
les idées de M. Grifi, comme un personnage historique, comme un ré-
formateur de la religion des Perses, dont l'existence peut être marquée
vers la fin du vi* siècle avant notre ère , dont la patrie put être l' Arie ou
laBactriane, et qui, dans l'espèce de conciliation qu'il entreprit delà doc-
trine des mages de la Médie avec l'ancienne religion des Perses, fut
naturellement amené à introduire dans ce ti*avail éclectique des idées
puisées chez les Phéniciens, chez les Hébreux, et surtout chez les
Assyriens de Ninive et les Chaldéens de Babylone : par où s'expliquent
les rapports de croyance qui existent entre les dogmes exposés dans
les livres zends et ces divers systèmes religieux.
42S JOURNAL DES SAVANTS.
Appliquant maintenant ces notions, que je déduis du livre deM.Grifi^
et auxquelles je souscris, en général , pour mon propre compte, à Tex-
pUcation des objets recueillis dans le grand tombeau de Cœre, il est
évident que l'âge de ces monuments, présumés produits sous l'influence
des idées mitbriaques contenues dans leZend-Avesta, doit se réputer pos-
térieur au siècle de Darius, fds d'Hystaspe, et cela encore d'un espace
de temps suffisant pour donner à cette doctrine, rédigée dans l'idiome
de la Perse, au fond de l'Asie antérieure, le temps d'arriver, à travers
tant de langages et de peuples différents, jusque dans le cœur de l'Étrurie :
ce qui tend à assigner à notre tombeau de Cœre une antiquité de bien
peu supérieure au v* siècle avant notre ère. Or c'est là une conclusion
qui se déduit invinciblement des données admises par M. Grifi, et qui
se trouve en une contradiction évidente avec l'ensemble des faits qui
résultent d'une manière non moins positive, à mon avis, de l'examen
arcbiteclonique du monument; à cet égard, je ne puis que m'en ré-
férer au travail dont ce monument m'a fourni le sujet \ et d'après lequel
nos lecteurs ont déjà pu se former une idée de sa structure, et, par
une conséquence nécessaire , apprécier son antiquité relative. Si donc
il est avéré, comme cela est démontré pour moi par tous les ca-
ractères architectoniques du monument, que le grand tombeau de Cœre
fut construit , dans l'état où il nous est parvenu, et rempli des objets qui
y furent trouvés dans leur place et dans leur disposition primitives, au
plus tôt dans le vn' siècle avant notre ère, il suit de là qu'il est impos-
sible que les dogmes de la religion mithriaque , tels qu'ils avaient pu
être exposés dans la rédaction primitive du Zend-Avesta, aient reçu une
application figurée sur les objets sacrés déposés dans ce tombeau. Voilà,
sans contredit, une difficulté grave , qui eût bien mérité que M. Grifi , qui
connaissait le livre de M. Canina, publié trois ans avant le sien, et qui s*en
est servi^, s'expliquât sur la manière dont il se rendait compte d'une con-
tradiction si forte entre son système d'interprétation et l'âge constaté du
monument. Je n'ai point fait intervenir dans cette discussion une diffi-
culté accessoire, dont j'avoue que je ne tiens pas beaucoup de compte,
et à laquelle M. Grifi a, d'ailleurs, répondu à peu près suffisamment,
celle de l'absence de toute espèce de simulacres divins dans le culte des
Perses, suivant le témoignage exprès d'Hérodote^. Celte notion ne
peut s'appliquer qu'à l'ancienne religion des Perses* , pour les temps an-
' Voy. Journal des Sav. juin i843, p. 3^8-353. — * La planche xii du livre de
M. GriU a été empruntée à celui de M. Canina. — ' Herodol. i , 1 3 1 ; cf. Sirabon, 1. xv,
p. 73a; Clilarch. apad. Diogen. Laerl. inProœm. S 6; Clem. Alex. Protrept. S v, p. 56.
— * C*est ainsi qu*en ont jugé les plus habiles critiques modernes , dont Topinion ,
JUILLET 1843. 429
teneurs à Cyrus, puisque, à partir de cette époque, les rapports intimes
des Perses, devenus maîtres de Tempire d'Assyrie, avec les peuples de
cet empire, durent modifier considérablement leurs idées religieuses \
et les induire à exprimer leurs croyances sous des formes sensibles, par
des procédés graphiques, dont il est infiniment probable qu'ils trou-
vèrent les modèles dans les monuments de Babylone. A cet égard, les
murs de Persépolis, tout couverts de figures symboliques, ne sauraient
laisser aucun doute; et, probablement, ces sculptures mêmes de Per-
sépolis, d'une exécution si ferme et si savante, ne furent pas les pre-
miers essais d'un art appelé à exprimer les idées religieuses du peuple
dont ils étaient l'ouvrage. Le même fait aurait donc bien pu se pro-
duire aussi chez les Etrusques, si les mêmes croyances, qui avaient
déjà trouvé leur expression figurée chez les Perses, avaient été portées
en Etrurie; et, de cette manière, la difliculté se trouve toujours ré-
duite à la question chronologique, la seule qui ait réellement de l'im-
portance, et qui soit aussi d'une gravité telle, quelle implique tout le
système d'interprétation de M. Grifi.
La dernière observation préliminaire qui me reste à faire , et que j'ai
indiquée en troisième lieu, porte sur le gisement même des objets où
M. Grifi a cru trouver des symboles de la religion mithriaque, et qu'il
regarde, à ce titre, comme autant de pièces du costume hiératique d'un
pontife étrusque. C'est ici une question de fait, qui ne semble pas pou-
voir donner lieu à beaucoup de difficulté. Les deux individus déposés
dans le tombeau de Cœre occupaient chacun une des deux pièces de
l'hypogée ; celle de ces deux personnes qui avait été placée dans la
chambre du fond, et à l'intention de laquelle avait, sans doute, été cons-
truit le monument, avait eu le corps entièrement couvert de ces sortes
d'objets en or qui composent la parure des femmes, tels que bracelets,
collier, ornements pour la tête et pour la poitrine, amulettes d'ambre sertis
exposée par M. Baehr, ad Herodol. i, i3i, t. I, p. Soy-S, se trouve d'accord avec
les monuments; voyez à ce sujet, les observations de M. Fr.Crcuzer, SymhoUk, 1. 1,
p. 65i et 719, 2* éd., et celles de M. Grolefend, dans VAmaUhea de Boetli^er, l. IH,
p. 69 et suiv. — * M. GriQ lui-môme n'admet le témoignage d'Hérodote que pour les
temps qui précédèrent Zoroastre , p. io4, et 1 13, i) , en quoi je suis tout à fait de
son avis. Mais il lait remonler les emprunts que les Perses purent faire au culte
des Assyriens jusqu'à l'époque où ce peuple était lombé sous la domination des rois
•d'Assyrie, jusqu'au règne deZohauk, et en cela il suit l'opinion deMalcolm, Hist.
of Persia, 1. 1, p. 270. Mais, à cet égard , on ne peut se livrer qu'à des suppositions
qui manquent de bases historiques; et la conjecUire de noire auteur, que les Perses
apprirent, sous le règne de Zoliauk, à célébrer le culte de leur Mithra avec les rites
dissolus propres à celui de la Afj/û/a babylonienne, pourrait bien être dans ce cas.
430 JOURNAL DES SAVANTS.
en or, Jibales au nombre de vingt et une, et plaqaes d*or innombrables,
pour être cousues, avec de petits morceaux d'ambre, sur le vêtement
ihortuaire. Près du corps avaient été placés d'autres objets en argent,
à Tusage des femmes, notamment un fuseau, et plusieurs vases aussi
d'argent, dont quatre portaient, en caractères étrusques gravés au
poinçon, l'inscription : i\\9<\Ç\j et fllS^fl^lW, Larthia et Mi Larthia,
sans doute le nom de la personne à qui ils avaient appartenu; et ce
nom, qui est le prénom féminin étrusque, ne pouvait avoir été porté
que par une femme. Jusqu'ici donc, toutes les présomptions se réunis-
sent pour faire considérer comme une femme la personne qui avait em-
porté dans sa tombe celte riche garde-robe funéraire. Les mêmes pré-
somptions tendent à signaler comme un homme, guerrier ou pontife,
et probablement l'un et l'autre à la fois, le personnage enseveli dans la
pièce antérieure; car, ici , le chat et le lit de bronze, les vases de bronze, les
boucliers, les flèches et les autres instruments de guerre ou de sacrifice, s'ac-
cordent parfaitement avec cette supposition. M. Grifi n'a point fait cette
distinction importante , et par là il me semble qu'il a contribué lui-même
è jeter du doute sur tout son système d'interprétation. En voyant, sur le
pectoral et sur Vornement de. tête en or, deux objets qui , par leur nature et
parieur matière, semblent n'avoir pu servir, le dernier surtout, que pour
une femme, des symboles qui lui ont paru propres à établir le caractère
sacerdotal du défunt , M. Grifi a laissé subsister contre son explication des
objections très-fortes. Comment, en effet , a-t-il pu prendre pour un pon-
^e l'individu que tout tend à faire reconnaître pour une femme? Com-
ment a-t-il pu attribuer ces bijoux d*or, ce collier, ces bracelets , qui com-
posaient, avec le pectoral, une même toilette funéraire, à un homme,
même revêtu d'un titre sacré, quand on sait, par tant de témoignages et
de documents , que ces sortes d'objets , sous cette forme et de ce métal ,
étaient exclusivement à l'usage des femmes *? Comment enfin n'a-t-il
pas tenu compte de ce nom de Larthia, qui ne peut convenir qu'à une
femme, et qui se trouverait pourtant sur des vases placés près du corps
d'un pontife étrusque, dans l'hypothèse de M. Grifi? Voilà, sans doute,
^ li suffit de parcourir les collections de monuments étrusques pour se convaincre
qae les figures d'hommes et de femmes couchées sur les couvercles d'urnes ciné-
raires sont généralement, les premières, demi-nues, avec la toge funéraire et le col-
iier de laine, les secondes, vêtues et chargées de toute sorte de bijoux , qui devaient
être en or, comme on en a trouvé un si grand nombre dans les tombeaux étrusques ;
\ vov. par exemple, Mus, Chiusin. 1. 1, tav. xiv, xxix, xui ; Micali , Monum, per servire
ém sioria de' antichi popoli ilaliani , tav. lx , cv ; Vermiglioli , Sepolcro de' Volunni ,
Utf.iu, 1, a; IV, 3, A; v, 5.
JUILLET 1843. 431
d*assez graves objections, qui méritaient, à ce qu'il nous semble, que
notre auteur se donnât la peine de les résoudre, avant d'appliquer aux
objets en question un système d'interprétation qui ne laisse pas d'of-
firir par lui-même de sérieuses difficultés. Il est vrai que M. Grifi s'au-
torise des usages de la Perse, où le collier, la tiare, les bracelets, le vê-
tement tissu d'or, étaient portés par les mages \ pour justifier la présence
de ces objets sur le corps d'un pontife, qu'il regarde comme un mage
lui-même; mais c'est là une supposition bien difficile à admettre, quand
il s'agit d'un monument étrusque, du tombeau d'un personnage étrusque.
En tout cas, je soumets ces observations au jugement de M. Grifi , pour
qu'il décide lui-même , après un nouvel examen des faits qui se rappor-
tent à la découverte du monument et des objets qu'il a sous les yeux,
jusqu'à quel point les doutes que je viens d'exposer sont dignes d'être
pris par lui en considération.
En attendant ces éclaircissements , que je souhaite vivement d'obte-
nir d'un antiquaire tel que M. Grifi , qui joint à tout le savoir néces-
saire une sagacité remarquable, je ne puis que maintenir l'opinion gé-
nérale que je me suis faite des objets déposés dans le tombeau de Cc^e,
en les examinant au Vatican avec M. Griû lui-même, et en les étudiant
avec tout le soin possible dans les excellents dessins qu'il en publie et
d'après les vues ingénieuses qu'il en déduit. Je suis complètement d'ac-
cord avec lui que tout est asiatique dans les figures et les symboles qui
décorent les objets d'or, d'argent et de bronze, déposés dans ce tom-
beau; j y reconnais de même avec lui, jusque dans les produits d'une
industrie locale , les traditions d'un art qui tient à la fois de l'Asie et de
rÉgypte ; enfin, je n'y découvre rien qui se rapporte directement à une in-
fluence hellénique. Sur tous ces points, et ce sont , sans contredit, les
plus importants, fopinion de M. Grifi me pai*ait tout à fait conforme
à la science, et je la partage entièrement. Le dissentiment que je me
permets d'exprimer à l'égard de ses idées porte sur le système d'inter-
prétation qui lui fait trouver des symboles de la reUgion mitbriaque sur
des monuments étrusques , dont il est obligé , par ce motif, de rabais-
ser l'âge jusqu'au v* siècle avant notre ère ; et j'avoue , que , sur ces
deux points , le culte de Mithra transmis des Perses aux Étrusques
et le tombeau de Cœre dépos^dé de sa haute antiquité, ma conviction
résiste à tous les aliments de notre auteur, bien que je reconnaisse
avec plaisir qu'il y a , dans l'emploi des textes du Zend-Avesta appli-
qués à l'explication du pectoral, une foule de rapprochements qui
^ Monum. di Cere , ete, p. iSy-i^o.
432 JOURNAL DES SAVANTS.
semblent aussi plausibles quils sont certainement ingénieux. Mais,
du reste, ce dissentiment, quil ne m'est point possible de ne pas
exprimer, nest pcut-êlre pas, au fond, aussi grave qu'il peut le pa-
raître à nos lecteurs. Dans mon opinion, et, sans doute, dans celle de
M. Grifi lui-même, la religion dont Zoroaslre fut, sinon l'instituteur,
au moins le réformateur, et dans laquelle Mithra finit par prendre une
importance prépondérante, comme Osiris en Egypte et Bacchus chez
les Grecs, trois expressions diverses d'une même pensée religieuse, et
trois faits analogues dans l'histoire des croyances de l'humanité, cette
religion, dis-jc, dut emprunter beaucoup de ses dogmes et la presque
totalité de ses symboles au système religieux des Assyriens de Ninive et
des Chaldéens de Babylone; car déjà, du temps d'Hérodote \ Mithra,
divinité femelle, s'assimilait à la AJylitla Babylonienne; et, à peine un
demi-siècle plus tard, Mithra était devenu, du moins pour Xénophon ^
le grand dieu des Perses; contradiction qui n'est, sans doute, qu'appa-
rente, et qui s'explique aisément par la nature androgyne de ce dieu
Mithras-Mithra^y semblable, sous ce rapport, à tant d'autres dieux des
religions asiatiques. Le culte de Mithra dut donc être , dans la forme
nouvelle qu'il reçut de Zoroaslre, modelé en grande partie sur celui de
Mylitta; et, comme les Perses manquaient , jusqu'alors, suivant le té-
moignage exprès d'Hérodote , que rien ne contredit , ni dans l'histoire
ni dans les monuments, de signes figurés propres à rendre leurs idées
religieuses \ et qu'ils trouvaient abondamment, sur les monuments de
Babylone , des modèles déjà consacrés pour exprimer des croyances qui
leur étaient devenues communes, tout nous autorise à croire qu'ils se
* Herodol.i, i3i. — *Xcnoph. Cyrop, vn, 5, 18; Œconom. iv, 2^. — ' C'est ainsi
que M. Crciizer, Goenep, et la plupart des mylhographes modernes, ontchcrclié à 86
rendre coinple de celle conlradiclion, et, quoi qu'en dise M. Gril'i, p. 106-107,
cette explication , qui a pour elle le témoignage môme des livres zcnds , est encore
la plus plausible et la mieux d'accord avec l'ensemble des textes et des monuments.
— * M. Grifi, tout eu admettant le témoignage d'Hérodote, répété plutôt encore
que conlirmé par Slrabon , 1. XV, p. -jSq , est d'avis que les Perses employaient
des figures luimaines pour exprimer symboliquement des idées religieuses, sans
leur rendre, toutefois, un culte divin , et il s'autorise, à ce sujet, des sculptures de
rerscpolis et d'autres endroits de la Perse, p. 25-26, 2). Mais ces monuments
ofonf in„g d'une é"'^""" ««o»/„:«««« « r.,^..^ ^^,^.,^..t „:«^ a. va^^^a ,i^„ »^^ —
dent , et
ajoute q' .
la même idée, p. 77, les sculptures de Tschelminar et de PcrsèpoUs, comme appar-
tenant à deux localités distinctes, telles que celle de MourglJaub, notre auteur a
commis une Kgèie inexaclilude, puisque les seules sculptures de PersépoUs qu'il ait
eues en vue sont celles du palais des rois, nommées aujourd'hui Tschelminar.
JUILLET 1843. 433
servirent, pour leur propre usage , de ces figures symboliques, que Tart
babylonien avait multipliées sous toutes les formes; et, sur ce point, les
monuments viennent encore à l'appui de la présomption historique.
Les sujets gravés sur les cylindres persépolitains et sur les cylindres
babyloniens offrent tant d'analogie , qu'il est souvent bien difficile de
les distinguer autrement que par les inscriptions, qui sont toujours,
sur ces derniers, conçues dans le même système d'écriture cunéiforme
que celle qui paraît sur les briques de Babylone. kPersépolis même et à
Pasargades, où tout dut être proprement et piu'ement persique , la plupart
des figures symboliques qui se rapportaient à une intention religieuse ,
telles que les animaux à double nature, telles surtout que le fameux
groupe colossal du personnage combattant un animal chimérique, sont cer-
tainement empruntées à Tart babylonien ; et la célèbre figure â quatre
ailes du pilier de Mourg-Haub avait eu son modèle dans un grand
nombre de figures semblables que nous offrent les cylindres babylo-
niens , et qui étaient une conception propre au système figuratif des
Assyriens, aussi bien quà celui des Phéniciens.
Cela posé, et en me bornant à cette indication générale, que ce ne
peut-être ici ni le lieu ni le moment de justifier par des explications
particulières, il me semble qu'on pourrait rendre compte des figures
et des symboles représentés sur les objets du tombeau de Cœre,
que M. Grifi croit puisés dans la religion mithriaque, en y voyant un
emprunt fait à Tarchéologie assyrienne , et que cette explication aurait
l'avantage de conserver aux idées de M. Grifi toute leur valeur, sans
rien retrancher de la haute antiquité du tombeau de Cœre, C'est ce
que je vais m'attacher à montrer, en entrant dans quelques explicationSr
Mais le défaut d'espace m'oblige de renvoyer ces explications à un
prochain article.
RAOUL-ROCHETTE.
[La fin aa prochain cahier. )
55
434 JOURNAL DES SAVANTS.
Tables pour le calcul des syzygies écliptiques et non écliptigues, par
M. Largeteau, adjoint du bureau des longitudes. Brochure in-S**
de 3o pages, annexée à la Connaissance des temps pour 1 846.
Paris, i843.
PREMIER ARTICLE.
*Nous n'avons besoin d'aucune apologie pour présenter aux lecteurs
du Journal des Savants l'annonce de simples tables numériques, desti-
nées à faciliter quelques calculs d'astronomie. La composition variée
des articles que leur offre habituellement notre recueil a du s'accorder
avec leurs propres reflexions pour leur prouver que toutes les con-
ceptions de Tesprit se prêtent un mutuel secours, les diverses éludes
intellectuelles s'associant dans une science commune et générale, dont
chaque partie profite à toutes les autres , comme les branches d'un grand
atbre concourent pour constituer sa force et pour assurer son accroisse-
ment. Et, de même que, dans le travail mécanique, les perfectionne-
ments apportés aux plus simples rouages ont souvent des conséquences
de première importance pour la production des effets généraux, de
même, dans le travail de la pensée, tout ce qui en abrège ou en sim-
plifie l'exercice étend son pouvoir et ses résultats presque autant que
de nouvelles découvertes. Pour les sciences physiques et mathématiques,
en particulier, quand on étudie avec attention leur marche progressive ,
on est surpris de voir que des conceptions , d'ordres en apparence très-
divers, et ayant, à ce qu'il semblé, des valeurs propres très-inégales,
peuvent, par le mode d'action le plus dissemblable, exercer sur leur dé-
veloppement des influences presque également fécondes. Tout le monde
comprend la grandeur des idées qui nous découvrent des lois naturelles
jusqu'alors inconnues, en nous initiant dans le secret de leurs principes
et de leurs conséquences; Newton, par exemple, démontrant la gravi-
tation universelle, et dérivant de là, par un nouveau genre de calcul,
toute la mécanique des cieux. Mais ce que l'on conçoit moins générale-
ment, et ce que je crois pourtant pouvoir avancer sans blasphème , une
simple invention arithmétique, celle des logarithmes, a peut-être été
aussi fructueuse pour les sciences exactes, en centuplant, et c'est peut-
être trop peu dire, la vie intellectuelle des géomètres, des physiciens,
des astronomes; en leiu: rendant possibles, même faciles et courtes, des
multitudes infinies de recherches jusqu'alors inabordables par leur com-
JUILLET 1843. 435
plicatlon excessive; en leur donnant enfin le pouvoir de mettre en
contact numérique des résultats si distants, qu'ils n auraient pas même
auparavant songé à chercher ou à soupçonner leurs rapports. Cette im-
portante invention fut aussi, à la vérité, une œuvre de génie non moins
que le produit d'une ténacité d'idées presque incroyable, surlout si Ton
considère le temps, le lieu, et le mode de l'exécution ^ Mais, à un grand
intervalle au-dessous de ces qualités si rares, la patience instruite et la-
borieuse peut encore rendre des seiTices du même genre , quoique d^une
utilité plus restreinte, en extrayant des méthodes numériques déjà in-
ventées les éléments principaux des résultats qu'elles donnent, pour les
combiner seuls entre eux, de manière à reproduire les valeurs de ces
résultats, non plus rigoureuses ni complètes, seulement a[)prochées,
mais d'une formation si facile et si rapide dans leur limitation approxima-
tive, que l'on puisse, avec un faible travail, les réaliser en très-grand
nombre, connaître à peu de chose près leurs valeurs absolues, relatives,
manifester leurs circonstances principales, développer la série progres-
sive de leur succession, et enfin les comparer entre eux sous ces divers
rapports, sinon avec autant de rigueur que s'ils étaient complets, du
moins avec autant d'utilité réelle dans une foule d'applications, que Ton
ne se résoudrait jamais à entreprendre avec les valeurs rigoureuses, à
cause de la fatigue excessive, et peut-être finalement infructueuse, que
leur réalisation exigerait. Le petit otivrage de M. Largeteau, que nous
annonçons ici, est précisément de cette nature ; et, tant à cause de son
utilité propre, que par l'exemple qu'il donne des services que Ton peut
rendre en entrant dans cette voie de simplification trop peu pratiquée,
nous avons pense qu'il convenait d'en signaler ici l'existence ainsi que
les principales applications, qui pourront servir aux érudits comme aux
astronomes.
Les géomètres du xvin* siècle , ces hommes que leur supériorité au-
dessus de nous présente à notre admiration comme ayant été, pour
ainsi dire, d'une autre nature, Euler, d'Alembert, Clairault, Laplace,
Lagrange, se sont attachés à développer les effets de la gravitation sur
le sphéroïde lunaire avec un concours d'efforts tel, que les moindres
mouvements de ce satellite, si variable dans sa marche, se prédisent
aujourd'hui par le calcul, ou se déterminent dans le passé par une com-
putation rétrograde, avec une exactitude que les observations les plus
délicates ne surpassent point, si même elles parviennent à l'égaler.
' Voy. les articles sur la vie et les ouvrages de Napîer , insérés dans le Journal
âes Savants, année i835.
55.
436 JOURNAL DES SAVANTS.
Mais les attractions du soleil et de la terre , qui régissent ces moove-
ments, étant sans cesse modifiées, dans leurs particularités d'intensité
et de direction , par les différences des aspects sous lesquels la terre et
la lune se présentent Tune à Tautre, à cause de leui* proximité mu-
tuelle jointe à leur configuration non sphérique, la multiplicité des
termes nécessaires pour les exprimer complètement est rendue fort
considérable ; de sorte que le calcul complet d un lieu de la lune de-
vient un travail extrêmement long, difficile, qui, pour les époques an-
ciennes surtout, ne peut être exécuté avec succès, ou même entrepris
sans risque de fautes graves, que par un calculateur très-exercé. Ce-
pendant il y a une foule de recherches pour lesquelles cette rigueur
absolue n est point nécessaire. Par exemple , lorsqu'on veut seulement
connaître la possibilité ou l'impossibilité d une ancienne éclipse, soit de
lune, soit de soleil, qui aurait été visible ou invisible en tel ou tel
point du globe , il suffirait le plus souvent de savoir assigner ces par-
ticularités avec certitude, à quelque minutes près. Comme aussi, pour
Tapplication générale des phases lunaires aux calendriers antiques ou
aux usages civils des anciens peuples, la détermination de ces phases,
dans les mêmes limites d'approximation, serait toujours parfaitement
suffisante, puisque les dates de jours et d'heures qui en résulteraient
seraient encore beaucoup plus précises qu'on n'a pu les obtenir alors
par l'observation immédiate , ou par l'emploi des périodes révolutives ,
dont les prédictions, n'étant applicables qu'aux lieux moyens, ont du
être sans cesse démenties par les variations des inégalités périodiques
entre les époques comparées. Or, d'après le mode de construction de
nos tables lunaires , le calcul de ces résultats approximatifs serait encore
fort pénible; et celui qui voudrait l'entreprendre sans y être préparé
par une pratique habituelle de leur manipulation risquerait fort de
tomber dans de graves erreurs. Il était donc à désirer qu'on les modi-
fiât pour ce but spécial des approximations , en les restreignant aux seuls
termes d'un emploi nécessaire ; de manière qu'alors , au lieu d'avoir à
en extraire ces tennes, et à les séparer de ceux qui deviendraient inu-
tiles, on les trouvât déjà tous choisis et rassemblés dans quelques pages
de nombres que l'on n'aurait plus qu'à consulter immédiatement, pour
chaque date ancienne ou moderne à laquelle on voudrait les appliquer.
Voilà précisément ce qu'a effectué M. Largeteau. Mais la distinction
des termes qu'il convenait de choisir ou de rejeter, les conditions à
remplir pour les employer seuls , l'appréciation des amplitudes d'er-
teur dont les résultats qu'ils donnent peuvent être affectés , la forme
sous laquelle il fallait les disposer pour qu'ils devinssent d'un usage gé*
JUILLET 1843. 437
néral et commode, tout cela ne pouvait être fait, ou du moins bien fait,
que par un astronome calculateur, initié à l'intelligence des théories,
pouvant juger la portée des inégalités quil néglige, et assez familier
avec la construction des tables astronomiques pour n'omettre dans ses
abréviations aucun élément utile, et n'y comprendre rien de superflu.
Nulle de ces qualités n'a manqué à M. Largeteau pour i'exéculion de
son travail. Aussi, en se guidant sur une instruction préparatoire ac-
compagnée d'exemples, où il en explique fort clairement l'usage, avec
le seul travail de quelques additions appliquées à des nombres ayant
toujours moins de quatre chiffres qui se prennent à vue dans des co-
lonnes toutes préparées, chacun peut, à l'aide de ces tables, trouver en
quelques minutes les dates des lunes nouvelles ou pleines, ou de toute
autre phase intermédiaire, pour un intervalle de trente siècles, soit
avant, soit après l'ère chrétienne. Le résultat montre, en outre, si la
phase choisie est ou n'est pas accompagnée d'une éclipse ; et , si elle
l'est, on a l'heure et la minute du phénomène. Dans l'extrême simpli-
cité de leur construction , ces tables abrégées comprennent cependant
les eflets des cinq inégalités les plus sensibles du mouvement de la
lune; de sorte que leurs indications rétrogrades les plus distantes sur-
passent beaucoup en exactitude celles que Ptolémée ou Hipparque au-
raient jamais pu obtenir pour les mêmes époques, quoiqu'ils s'en trou-
vassent bien plus rapprochés. Mais tel est l'avantage que la théorie de
l'attraction nous donne sur l'empirisme auquel les anciens astronomes
étaient bornés.
Les exemples rapportés par M. Largeteau ont été judicieusement
choisis parmi ceux qui pouvaient le plus intéresser les érudits par leur
antiquité, ainsi que par les controverses dont ils ont été l'objet.
On sait que la chronologie des premiers temps de l'empire chinois
dépend de la date que l'on doit assigner à une éclipse de soleil, men-
tionnée dans le Ghou-king comme ayant été vue en Chine sous le
règne de l'empereur Tchong-kang. Les dates du jour et de l'année
manquent dans le texte original. Celles que l'on trouve mentionnées
dans les traités chronologiques chinois d'époques plus récentes ont
dû être ajoutées d'après des computations rétrogrades, établies systé-
matiquement, de sorte qu'elles ne peuvent faire autorité. Les seuls élé-
ments certains que l'on ait aujourd'hui pour retrouver cette éclipse
résultent de certaines circonstances physiques et chronologiques qui
lui sont propres, et auxquelles la date cherchée doit satisfaire. D'abord
la discussion historique des règnes la place vers l'an 2000 avant l'ère
chrétienne, plutôt au delà de ce terme qu'en deçà. Ensuite, d'après le
^
438 JOURNAL DES SAVANTS.
texte du Chou-king, il faut quelle tombe dans une neuvième lune du
calendrier des Hia, dont la forme est connue, et que le lieu des deux
astres se soit alors trouvé compris dans la division équatoriale Fang,
ayant pour limite les cercles de déclinaison menés , en ce temps-là , par
les deux étoiles tt et o- du Scorpion de nos cartes modernes, ce qui fixe
un intervalle d'ascension droite de cinq degrés et quelques minutes,
où le phénomène doit s être opéré. Il faut enfin qu'il ait été visible dans
la ville de Ngan-i-hien, résidence de Fcmpercur Tchong-kang, laquelle
est située sous la latitude boréale de 3° A', environ 8 minutes de
temps i Toccident de Pe-king. Les annalistes chinois ont fait de nom-
breuses tentatives pour déterminer la date de celte éclipse par les
caractères précédents. Mais Timperfection des tables lunaires qu'ils em-
ployaient les mettait hors d'état de résoudre un tel problème, et la
discordance de leurs résultats ne prouve que la diversité de leurs
erreurs. Les savants européens eux-mêmes n'ont pas été, jusqu'ici, plus
heureux. Gaubil, en se sei'vant des tables de Flamsteed et de la Hire,
trouvait, dans l'année — 21 55 des chronologistes , au 12 octobre, une
éclipse de soleil qui paraissait remplir toutes les conditions deman-
dées, si ce n'est que la portion éclipsée de l'astre semblait bien res-
treinte pour correspondre à la grandeur des eflets moraux que sa dis-
parition est supposée avoir produits. Fréret combattit l'opinion de
Gaubil en lui opposant cette circonstance; et, s'appuyant lui-même sur
tin calcul de Dominique Cassini, il adopta comme préférable une autre
éclipse, que cet astronome trouvait avoir eu lieu dans l'année — 2007.
Gaubil, à son tour, combattit ce résultat par des considérations astro-
nomiques et historiques, dans la troisième partie de son traité sur la
chronologie chinoise imprimé longtemps après la mort de son savant
adversaire. Lorsque je publiai, dans le Journal des Savants, mes re-
cherches sur fancienne astronomie des Chinois, à l'occasion d'un tra-
vail analogue de M. Ideler, qui venait de paraître ^ je priai M. Large-
teau de vouloir bien calculer ces deux éclipses avec toute l'exactitude
que peuvent donner aujourd'hui nos tables lunaires perfectionnées. En
le faisant il trouva qu'aucune des deux n'avait été visible à la Chine,
le soleil se trouvant alors sous l'horizon de toutes les contrées qu'em-
brasse cet empire. Mais ce 'résultat, qui lui demanda un long calcul,
se découvre aujourd'hui en un moment par ses nouvelles tables, et il
exige seulement l'addition de quelques nombres , que tout le monde
* Recherches sur l'ancienne astronomie chinoise, publiées à Foccasion d'un mémoire
de M. Ludwig Ideler sur la chronologie des Chinois. (Journal des Savants, années
>839 et i84o.)
JUILLET 1843. 439
peut faire. Ce sont là deux des exemples que M. Largeteau a choisis.
Il nefaudiniit pas inférer de ces contradictions que les déterminations
actuelles pourraient bien aussi, un jour, être reconnues incertaines ou
fausses, comme les précédentes. LVrrcur de celles-ci a une cause que
nous connaissons. Elle tient surtout à l'omission d'une inégalité séculaire
qui, depuis les plus anciens temps jusquà notre époque, a continuelle-
ment accéléré le moyen mouvement de la lune; de sorte qu'en la faisant
rétrograder avec sa vitesse actuelle, pour la reporter à ses anciennes po-
sitions sans égard à la variabilité de sa marche séculaire, on la recule
trop; et ainsi, quand on la trouve éclipsant le soleil par ce faux calcul,
à un moment donné , Téclipse , si elle a lieu , s est déjà opérée à quelque
instant antérieur. Par conséquent, lorsqu'on la trouve existante au lever
du soleil, elle a dû s'opérer pendant la nuit. C'est ce qui est arrivé à
Gaubil et à Fréret, qui employaient des tables où l'accélération sécu-
laire du moyen mouvement n était pas introduite. Car l'existence de ce
phénomène n'a été découverte que plus tard par Halley, qui l'a conclue
de l'impossibilité de satisfaire sans cela aux éclipses chaldéennes; et Ton
n'a pu l'introduire avec certitude dans les tables que bien plus tard en-
core, lorsque M. Laplace est parvenu à faire résulter son existence et
sa mesure de la théorie de l'attraction.
Une ancienne chronique chinoise appelée Tchou-chou-ki-nien , c'est-
à-dire les tablettes chronologiques écrites sur des planchettes de bambou, men-^
tionne, sous le règne de Tchong-kang, une éclipse de soleil «ncore
différente des précédentes, dont elle assigne la date cyclique; laquelle,
corrigée de l'erreur de trois cycles d'années qui, vers cette époque,
parait affecter toutes les dates de ce livre, répond au i3 octobre de
l'an julien — 2 128^. L'application des marques cycliques doit faii'e sus»-
pecter qu'elles ont été ajoutées d'après quelque combinaison posté-
rieure à l'événement qu'elles désignent, car il est plus que douteux
qu'elles aient été usitées si anciennement. Quoi qu'il en soit , beaucoup
' Les cycles dont je veux parler ici sont des intervalles de temps contenant cha-
cun 60 années de 36& 7, intercalées comme les juliennes, et désignées par autant
de caractères individuels. Les Chinois ont, en outre, un cycle de 60 jours, dési-
gnés aussi individuellement par des caractères, lequel s'associe au cycle des an-
nées. Au moyen de cette double notation , toutes les dates chinoises s'expriment et
s'enchaînent les unes aux autres par la simple succession des jours, indépendam-
ment de toute théorie astronomique, ce qui leur donne une grande sûreté. Mal-
heureusement, quoique l'année julienne intercalée ait été employée à la Chine
depuis un temps immémorial , la notation cyclique des années paraît avoir été pos-
térieure à Confucius, au lieu que celle des jours lui est fort antérieure, étant eni*>
ployée dans le Chou-king«
¥
.k
1
440 JOURNAL DES SAVANTS.
d'astronomes chinois d'époques diverses, et parmi eux Ko-cheou-king,
le plus habile de tous , ont considéré cette éclipse comme devant être
la même dont le Chou-king parle. Cette opinion a été récemment re-
produite dans les Mémoires de la société astronomique de Londres
par M. Rothman, qui, en s appuyant sur nos meilleures tables du soleil
et de la lune, trouve, pour ce même jour i3 octobre, une éclipse de
soleil considérable , laquelle aurait été parfaitement visible à Ngan-y-
hien, et même dans toute la Chine, puisqu'elle aurait eu lieu dans
cette ville quelques minutes après midi ^ Néanmoins un calcul rigou-
reux, effectué avec les mêmes tables par M. Largeteau , lui a fait recon-
naître que celte éclipse a dû être invisible en Chine, et il le prouve de
nouveau en appliquant ses tables abrégées à cette date , l'ayant prise
exprès comme dernier exemple. Ici on ne peut plus alléguer la diffé-
rence des méthodes ; mais M. Largeteau fait remarquer que les nombres
rapportés par Tauteur anglais décèlent une erreur de calcul qui saute
aux yeux tout d'abord. Car la plus grande phase de l'éclîpse est mar-
quée par lui comme ayant eu lîeu, en temps de Pe-king, huit heures plus
tôt que la conjonction vraie en temps de Paris, résultat impossible, qui
semble indiquer que l'auteur anglais aura , par mégarde , soustrait du
temps de Paris la différence des longitudes entre Pe-king et cette ville
au lieu de Vy ajouter, comme on doit le faire, Pe-king étant plus oriental
que Paris. On voit donc par là que les tables abrégées de M. Large-
teau seront utiles aux astronomes mêmes, puisque, en leur ofirant des
évaluations approchées, si faciles à obtenir qu'elles ne comportent, pour
ainsi dire, aucune chance d'erreur, elles les préserveront des inadver-
tances quils pourraient commettre dans des calculs rigoureux, plus
longs et plus difficiles à effectuer.
Mais, indépendamment des services que ces tables poiurront rendre
par leur application immédiate à des dates données, elles auront encore,
pour les études chronologiques , une autre sorte d'utilité d'une nature
plus complexe , en ce qu'elles permettront de chercher et de découvrir
des concordances que l'indétermination de leurs éléments rendrait
presque impossibles à obtenir par les tables rigoureuses, à cause de la
longueur excessive des calculs qu'elles exigeraient. Par exemple , per-
sonne ne se résoudrait à retrouver ainsi l'éclipsé du Chou-king, par ses
conditions données de temps, de particularités physiques et de lieu cé-
leste. Mais cela devient abordable avec les tables nouvelles, pouvant si
aisément étendre les épreuves préparatoires à autant d'années que l'on
^ Mémoires de la société aslronomique de Londres, t. Xly p. ily.
JUILLET 1843. 441
voudra autour de Tépoque présumée, jusqu'à ce que Ton trouve une
éclipse qui satisfasse à toutes les conditions données, s*il en existe. Et,
s*il nen existe pas de telle, dans les limites de temps historiquement
admissibles pour le règne de Tchong-kang, on le saura par ces épreuves
mêmes , ce qui résoudra du moins la question négativement. Ou enfin ,
si l'on trouvait une éclipse réelle, mais qui n aurait dû offrir que des
phases très-restreintes , ce serait le cas d'examiner si leur disproportion
avec renoncé du Chou-king ne décèlerait pas la nécessité de quelque
petite correction qui resterait encore à faire dans nos tables lunaires
actuelles, pour les adapter avec une complète exactitude à des temps
aussi éloignés. Car les éclipses chaldécnnes rapportées par Ptolémée
ont offert les seules épreuves de cette espèce , mais bien plus récentes ,
auxquelles on ait pu, jusqu'ici, les soumettre. Les époques postérieures
de la chronologie chinoise pourraient aussi en fournir d'autres , qu'il con-
viendrait de faire servir au même but. M. Largeteau annonce, dans son
introduction , qu'il va s'occuper de cette recherche, où la chronologie et
l'astronomie se portent une mutuelle assistance; et l'on ne peut douter
qu'il ne l'amène à bonne fin, puisque la voie à suivre pour l'effectuer
est maintenant aussi facile qu'évidente.
J'ai profité moi-même du secours de ces nouvelles tables pour faire,
sur les relations des lieux de la lune avec l'ancienne année vague égyp-
tienne, une épreuve que j'avais souhaité depuis longtemps d'accomplir,
ou du moins de tenter; mais j'en avais toujours été détourné par la lon-
gueur décourageante des calculs auxquels il aurait fallu me résoudre,
et qui n'auraient eu peut-être aucun résultat. Avec les tables ^^i^ég^es
de M. Lai^eteau, cette épreuve n'exigeait que peu de jours de travail,
dont on pouvait prévoir le succès ou l'insuccès dès les premiers pas. Je
me suis donc empressé de l'effectuer, et les résultats ont été tels, que
j'aurais été loin de les espérer si curieux, comme si positifs. Mais cette
dernière application fera le sujet d'un second article, ayant besoin,
d'en indiquer le but par une exposition préliminaire qui étendrait trop
celui-ci.
BIOT.
56
442 JOURNAL DES SAVANTS.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
msirruT royal de frange.
ACADÉMIE FRANÇAISE.
L* Académie firançaîse a tenu, le jeudi ao juillet, sa séance publique annuelle,
sous la présidence de M. Flourens, directeur. La séance a été ouverte par un rap-
port de M. ViUemain, secrétaire perpétuel , sur les concours. La pièce de vers qui a
remporté le prix de poésie a été lue ensuite par le chancelier de l'Académie , et la
séance a été terminée par un discours de M. Flourens , directeur, sur les traits de
vertu qui ont mérité les prix fondés par M. de Montyon.
PRIX DÉCERNlés.
Prix de poésie. Le prix de poésie, dont le sujet était le Monument de Molière, a
été décerné à M'~ Louise Colet. M. Alfred des Essarts a obtenu le premier accessit;
le second accessit a été obtenu par M. Bignan. Deux mentions honorables ont été
accordées, la première à Tauteur anonyme de la pièce inscrite sous le n** 58, la se-
conde à M. Prosper Blanchemain.
Prix d'histoire de France fondé par M. le baron Gohert. Les ouvrages couronnés
conservant, d*après la volonté du testateur, les prix annuels jusqu'à déclaration de
meilleurs ouvrages , et aucun n'ayant paru dans Tannée, qui, au jugement de l'Aca-
démie, puisse disputer le prix à ceux qui l'ont précédemment obtenu, le premier
prix demeure décerné à M. Augustin Thierry, auteur d*un ouvrage intitulé Récits
dei temps mérovingiens; le seconda M. Bazin, auteur de l'ouvrage intitulé : Histoire
de France sous Louis XIIL
Prix Montyon destinés aux actes de vertu. L* Académie a décerné : un prix de
3,000 fr. à Marie-Anne-Pierrette Linet, demeurant à Paris; — un prix de 3,ooo fr.
k Jean Prévôt, demeurant à Libourne; — un prix de a, 000 fr. à Catherine Auge ,
demeurant à Neufchât eau , déparlement des Vosges^; — un prix de a, 000 fr. à Ma-
rie-Madeleine-Victoire-Rosalie Girard, demeurant àEtampes, département de Seine-
et-Oise; — un prix de a, 000 fr. à Gilbert Bellard, demeurant à Artonne, départe-
ment du Puy-ue-Dôme; — trois médailles de 1,000 fr. chacune aux personnes
ci-après nommées, savoir : à Dominique-François-Marie Laury, demeurant à Fon-
tainebleau; à Anne Catton, demeurant à Jussey, département de la Haute Saône;
et à Sophie Josserand , demeurant à Provins ( Seine-et-Marne ) ; — neuf médailles de
5oo fr. chacune aux personnes ci-après nommées, savoir : i* à Marie-Thérèse Ca-
ron, femme Hévin, demeurant à Sus-Saint-Léger (Pas-de-Calais); — a* à Thérèse
Lefebvre, demeurant k Dieppe; — 3* à Gabriel Dieudonné, demeurant h Lille ; —
4* k Catherine Bourgoin , demeurant à Besançon; — 5' à Jean Drouino, demeurant
k Paris; — 6* à Marie-TÎiérèse Bœuf, demeurant à Marseille; — 7* à Marie-Fran-
JUILLET 1843. 443
çoise-Florence Buard, demeurant à Paris; — 8* à Etienne Garnavauid, demeurant
à la Bigotlière (Mayenne); — 9* et à Anne Ribes, demeurant à Limoux (Aude).
Prix Montyon destinés aux ouvrages les plus utiles aux mœurs. L*Académie a dé-
cerné : un prix de 3,ooo fr. à M. Wilm , auteur d'un ouvrage intitulé Essai sur Té-
ducation du peuple; — un prix de a,5oo fr. à M. Salmon , auteur d*un ouvrage inti-
tulé Conférences sur les devoirs des instituteurs primaires; -^- un prix de a,ooo fir. À
M"* Louise Bertin, auteur d*un recueil de poésies intitulé Glanes; — une récom-
pense de i,5oo fr. à M'~ Félicie d*Ayzac, auteur d'un recueil de poésies intitulé
Soupirs; — une récompense de i,5oo fr. à M. Mary Lafon, auteur d'un ouvrage
intitulé Histoire religieuse, politique et littéraire du midi de la France; — une récom-
pense de 1 ,ooo fr. à M. Ernest Fouinet , auteur d'un ouvrage intitulé Gerson ou le
manuscrit aux enluminures; — une récompense de i,ooo fr. à M^** Anaîs Martin, au-
teur d'un ouvrage intitulé l'Amie des jeunes personnes. L'Académie a, en outre, décidé
qu'une médaille d'or serait décernée à M*"* Agénor de Gasparin, auteur d'un ou-
vrage intitulé le Mariage au point de vue chrétien.
PRIX PROPOSÉS.
L'Académie rappelle qu'elle a proposé , pour sujet du prix d'éloquence qui sera
décerné en 1 844» un discours sur Voltaire. Le prix sera une médaille d'or de la va-
leur de a,ooo francs. Les mémoires ne seront reçus que jusqu'au i5 mars i844«
terme de rigueur.
Prix Montyon, Dans la séance publique du mois de mai i844« l'Académie dé-
cernera les prix et les médailles provenant des libéralités de M. de Montyon et des-
tinées par le fondateur à récompenser les actes de vertu et les ouvrages les plus
utiles aux mœurs qui auront paru dans le cours des deux années précédentes.
Prix extraordinaire provenant des libéralités de M. de Montyon. L'Académie avait
proposé, en i83i, un prix de io,ooo francs pour la meilleure tragédie ou pour la
meilleure comédie , en cinq actes et en vers , composée par un françab , représentée,
imprimée et publiée en France, et qui serait morale et applaudie. Ce concours a
été prorogé jusqu'au i* janvier 1 844- L'Académie ne s'occupera du jugement d'a-
près lequel le prix sera décerné, qu'un an, au plus tôt, après la clôture du con-
cours.
Prix extraordinaire fondé par M, le baron Gobert, A partir du i*' janvier i844«
l'Académie s'occupera de l'examen annuel relatif au prix fondé par feu M. le baron
Gobert, pour le morceau le plus éloquent d'histoire de France, et pour celui dont 1$
mérite en approchera le plus. L'Académie comprendra dans cet examen les ouvrages
nouveaux sur l'bistoire de France qui auront paru depuis le i" janvier 1 843. Les
ouvrages précédemment couronnés conserveront les prix annuels, d'après la vo-
lonté expresse du testateur, jus^qu'à déclaration de meilleurs ouvrages.
Prix extraordinaire fondé par M. le comte de Maillé-Latour-Landry, à décerner
en i8^1. M. le comte de Maillé-Latour-Landry a légué à l'Académie française et à
l'Académie royale dés beaux-arts une somme de 3o,ooo francs h employer en rentes
sur l'État pour la fondation d'un secours à accorder, chaque année , au choix de
chacune de ces deux académies alternativement, à un jeune écrivain ou artiste
pauvre, dont le talent, déjà remarquable, paraîtra mériter d'être encouragé à pour-
suivre sa carrière dans les lettres ou les beaux-arts.
56.
444 JOURNAL DES SAVANTS.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
Nous allons donner quelques extraits du discours prononcé par M. Libri , au
nom de T Académie des sciences, aux funérailles de M. Lacroix, que Tlnstitut et le
Journal des Savants ont perdu le 27 mai dernier, t La mort de M. Lacroix brise un
des rares liens qui nous rattachaient encore à Tancienne Académie des sciences
Depuis plus de soixante ans il se livrait à renseignement, et, par sa voix comme par
sa plume, il a contribué à Tinstruction de tous les géomètres de l'Europe On
connaît bien , dans les écoles , ces volumes où il enseigne avec tant de clarté les
principes de toutes les branches des mathématiques pures ; mais le public ne sait
pas que , dès sa jeunesse , M. Lacroix , voulant élever un monument plus durable ,
songeait à réunir, dans un grand ouvrage , les recherches des analystes sur les par-
ties les plus élevées de la science Les difficultés d'une telle entreprise étaient
immenses : elles furent très-heureusement surmontées par M. Lacroix. Pour faire
sentir l'importance de son Traité du calcul différentiel et du calcul iiUégral, il suffirait
de rappeler que , depuis quarante-cinq ans , ce livre est le compagnon inséparable
de tous les géomètres, qu'il est le guide sûr et fidèle de tous ceux qui aspirent à
se faire un nom dans les mathématiques Certes le talent ne manquait pas à celui
qui , à vingt-deux ans, remportait, sur une question difficile, le prix de mathéma-
tiques à l'ancienne Académie des sciences. Si M. Lacroix s'est voué à l'enseigne-
ment, c'est parce que le succès qu'il devait obtenir dans cette carrière répondait
mieux aux besoins de son cœur et à ce zèle pour la propagation des lumières, que
ni Tâge ni les infirmités n'ont jamais affaibli Lamace, qui appréciait si bien le
mérite de M. Lacroix , aimait aussi à signaler son désintéressement et la noblesse
de son caractère. Sous la Convention , le futur auteur de la Mécanique céleste, qui
était alors examinateur à l'école de Metz , fut destitué , et l'on chargea M. Lacroix de
ces fonctions. A cette époque, il était également dangereux de désobéir aux ordres
du Gouvernement et de prendre la défense des hommes injustement persécutés.
M. Lacroix sut faire deux choses honorables à la fois : il refusa la place qui lui était
offerte , et il n'épargna aucune démarche pour qu'elle fût rendue à Fillustre géo-
mètre qu'on venait de déposséder. Le souvenir de cette action est resté dans la fa-
mille de M. de Laplace : quant à M. Lacroix, il n'en parla jamais. Ce n est pas seu-
lement comme professeur et comme écrivain que M. Lacroix a rendu aux sciences
des services signalés; il a montré le môme désir de répandre la bonne et solide
instruction , lorsque les circonstances lui ont donné d'autres moyens d'y contribuer.
Attaché, sous la Convention, à la commission executive de l'instruction publique , il
concourut au rétablissement des études , et il exposa ses idées relatives à l'ensei-
gnement dans un Essai qui renferme des vues très-élevées sur l'instruction publique
et sur l'éducation en général. A la création de l'Université , il fut nommé doyen de
la faculté des sciences, et il conserva ses fonctions après la chute de FEmpire
M. Lacroix était le plus ancien professeur de France. La marine , l'artillerie , l'Ecole
normale, les écoles centrales, l'Ecole polythccnique, la Sorbonne, le Collège de
France l'ont possédé tour à tour : partout il a montré le même zèle; partout il a
témoigné à ses élèves le même attachement , la même affection paternelle. Les in-
fortunés lui inspiraient un intérêt tout particulier. Son cœur comme ses souvenirs
le portaient vers les malheureux ; il se rappelait sans cesse ses commencements si
rudes , si pénibles , et la détresse dans laquelle il avait vécu , avec sa pauvre mère ,
JUILLET 1843. 445
dans les premières années de sa vie La philosophie de M. Lacroix fut bonne et
douce. L étude des sciences exactes i*a porté à douter des choses qu*on ne saurait
démontrer par la raison ; mais il ne douta jamais des grands principes de la morale ,
qu*il avait gravés dans son cœur, et dont il faisait une application rigoureuse et
continuelle. D^ailleurs , la culture des lettres, qu*il sut allier si heureusement à celle
des sciences, avait encore élevé son esprit; car M. Lacroix, géomètre éminent, fut
aussi un homme d*un savoir universel, d*un goût très-pur, auquel tous les chefs-
d'œuvre que les anciens et les modernes ont produits étaient familiers. Nul ne com-
prit mieux que lui la charité, cette charité qui nous porte à oublier les injures, et
à ne considérer dans les hommes que leurs bonnes qualités. Il s'éteignit comme il
avaitvécu, et lorsque , dans sa dernière maladie , la douleur se relâchait un instant,
il cherchait encore à retremper son âme , en se faisant lire les pensées des plus
beaux génies de Tantiquité.... *
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Mémoires présentés par divers savants à V Académie royale des sciences de V Institut de
France, et imprimés par son ordre. Sciences mathématiques. Tome VIII. Paris, im-
primé par autorisation du Roi à Tlmprimerie royale, i8Â3, in-4* de 690 pages avec
4o planches. — Ce volume contient: 1" Recherches générales sur Torganographie ,
la physiologie et Torganogénie des végétaux, par M. Charles Gaudichaud ; — a° Mé-
moire sur 1 action de Tarchet sur les cordes, par M. J. M. C. Duhamel; — 3' Mé-
moire sUr la composition chimique des végétaux , par M. Payen ; — 4* Mémoire
sur Tamidon , la dextrine et la diastase', considérés sous les points de vue anato-
mique , chimique et physiologique , par M. Payen ; — 5* Mémoire sur le rayonne-
ment chimique qui accompagne la lumière solaire et la lumière électrique , par
M. Edmond Becquerel ; — 6* Recherches sur la disposition des nerfs de Tutérus et
l'application de ces connaissances à la physiologie et à la pathologie de cet organe ,
par M. le docteur Johert de Lamhalle ; — 7* Mémoire sur la démonstration d'un
nouveau cas du dernier théorème de Fermât, par M. G. Lamé; — 8* Recherches
expérimentales sur l'inanition , par M. Charies Chossot; — 9" Recherches sur la cris-
tallisation considérée sous les rapports physiques et mathématiques , par M. G. De-
lafosse.
Ministère des travaux publics. Rapport fait à la commission sur le tracé du chemin de
fer de Paris à Chàlons- sur -Saône, par M. le comte Daru, pair de France, au nom
d'une sous -commission composée de MM. Fèvre, inspecteur général des ponts et
chaussées; Daullé , lieutenant général ; le Masson , inspecteur divisionnaire des ponts
et chaussées; comte Daru, pair de France. Paris, Imprimerie royale, i843, in-4°
de 248 pages avec 6 planches. — Ce rapport est divisé en cinq parties. On trouve
dans la première des considérations générales sur les tracés ; dans la seconde , la
comparaison des divers tracés au point de vue de Fart. La troisième partie contient
Texamen de la section du chemin de fer de Paris à Châlons*sur-Saône comprise
entre Paris et le coude que fait la Seine à Romilly. La quatrième partie traite de
la section qui s'étend en!rc Romilly et le faîle des Vosges. La cinquième et dernière
est consacrée à la section comprise entre le fatte des Vosges et Dijon. Les conclu-
446 JOURNAL DES SAVANTS.
mons de M. le comte Daru sont en faveur du tracé par la vallée de la Seine. Elles
sont suivies d*un appendice où le savant rapporteur traite de Tinfluence des che-
mins de fer sur les contrées qu'ils traversent. Cet important travail est terminé par
des tableaux statistiques sur la circulation des voyageurs et le mouvement des mai^
chandises et par des renseignements sur les cinq départements traversés par les
divers projets du chemin de fer.
Fragments littéraires , par M. Victor Cousin , pair de France , membre de F Aca-
démie française. Paris, imprimerie de Ducessois, librairie de Didier, i843, in-8*
de 5i6 pages. — L'intérêt varié des sujets, aussi bien que la profondeur des pen-
sées et ces grandes qualités de style qui ont placé si haut M. Cousin parmi nos écri-
vains, assurent un succès durable à ces Fragments littéraires. Nous nous bornerons
k donner ici le titre des vingt et un morceaux dont ils se composent. Discours de
réception à l'Académie française, prononcé le 5 mai i83i; — Éloge de M. Fourier;
— Note additionnelle à TÉloge de M. Fourier, lue à l'Académie française dans une
de ses séances particulières; — Discours adressé au Roi, le i*' mai i84ii au nom
de rinstitut ; — Discours d'ouverture de la séance des cinq académies du 3 mai
i84i; —Discours d'ouverture de la séance de l'Académie des sciences morales et
politiques du i5 mai i84i ; — Discours du ministre de l'inslruclion publique à la
distribution des prix du concours général des collèges de Paris (août i84o); —
Discours prononcés aux funérailles de M. Charles Loyson, maître de conférences à
l'école normale, le 29 juin 1819; — de M. Laranza , maître de conférences à Técole
normale, le 3o septembre 18a 5; — de M. J. G. Farcy, élève de l'école normale, le
ao juillet i83i, jour anniversaire de sa mort; — de M. Laromiguière , le i4 août
1837 ; — de M. Poisson, le 3o avril i84o; — de M. de Cessac, le 18 juin i84i;
de M. JouiFroy, le i3 mars i84a ; — de M. de Gérando, le i4 novembre i84a;
— Rapport fait à la Chambre des Pairs, le ai mai i833, sur la loi de l'instruction
primaire; — Huit mois^au ministère de l'instruction publique; — Discours pro-
noncé à la Chambre des Pairs, le a 6 décembre i838, sur la renaissance de la
domination ecclésiastique; — Documents inédits sur Domat (extraits du Journal
des Savants) ; — Lettres inédites de M"" la duchesse de Longueville, sœur du grand
Condé (publiées par M. Cousin dans la Bibliothèque de l'école des charles); —
Kant dans les dernières années de sa vie; — Sanla-Rosa, lettre à M. le piince de
la Cisterne (i838).
Dictionnaire étymologique , historique et anecdotiqœ des proverbes et des locutions pro-
verbiales de la langue française, en rapport avec des proverbes et des locutions pro-
verbiales des au Ires langues, par P. M. Qui tard. Paris , imprimerie de Tilliard, librai-
rie de S. Bertrand, in-8'* de xv-701 pages. — • iLa langue proverbiale, dit l'auteur
du livre que nous annonçons, est à peu près aujourd'hui une langue morte, et il
est certain que la lecture de nos vieux auteurs , qui ont fait un si fréquent usage des
proverbes, exige, pour être complètement fructueuse, une sorte de commentaire
de celte langue. ■ C'est ce commentaire que M. Quitard a en (repris de nous donner,
et son ouvrage, même après les travaux de Lamesangère et de M. Méry, sera lu avec
fruit par les personnes instruites comme par celles qui veulent s'insiruire. Il a
éclairci, par de patientes recherches, le sens de beaucoup de ces adages d'origine
obscure qui rappellent des traditions pleines d'intérêt, et, à ce titre, se ratlachent
essentiellement à l'histoire nationale. Un certain nombre de ses explications, sou-
vent neuves et ingénieuses, nous paraissent devoir être adoptées par les philologues.
Pour donner plus de variété et d'intérêt à son livre, M. Quitard a fréquemment
comparé les expressions proverbiales des différents peuples, et , par des citations pui^
JUILLET 1843. 447
sées dans nos classiques, il a montré tout le parti que nos grands écrivains ont su
tirer des locutions les plus vulgaires. Tous ces rapprochements ajoutent beaucoup
au mérite de ce travail recommandable.
Notice sur les imprimeries qui existent ou ont existé en Europe, par H. Ternaux-
Gompans. Paris, imprimerie de Fain et Thunot , librairie d*Arthus Bertrand, i843,
in-8* de 1 46 pages. L*auteur s^est surtout attaché à donner une liste des villes où il
a existé des imprimeries antérieurement au xviii* siècle. Malgré quelques rares
omissions, ce travail utile ne peut manquer d*élre bien accueilli par les biblio-
graphes.
maqhas toi des Çiçnpala,hà mort du Çiçupala , épopée tirée du sanscrit, traduite
et expliquée par le docteur G. Schûtz. Bielefeld, librairie de Velhagen et Kiusing,
i843 ( 1** livraison, pages i-i44)*
Logique d'Arisiote, traduite en français pour la première fois, et accompagnée de
notes perpétuelles , par J. Barthélémy Saint-IIilaire , membre de Tlnstilut (Académie
des inscriptions et belles-lettres), etc. Tome IV. Paris, imprimerie de H. Foumier,
librairie de Ladrange, i843, in-S** de xlviii-446 pages. — Ce volume renferme les
Topiques et la Réfutation des sophistes. Nous nous proposons de revenir sur cet im-
portant ouvrage.
Voyage en Islande et en Groenland, exécuté, pendant les années 1 83 5 et i836,
sur la corvette la /lec/ierc^, commandée par M. Trehouart, lieutenant de vaisseau,
dans le but de découvrir les traces de la Lilloise, Publié par ordre du Roi , sous la
direction de M. Paul Gaimard. Littérature islandaise, par M. Xavier Marmier,
I** partie. Paris, imprimerie de Firmin Didot , librairie dArthus Bertrand, i843,
in-8* de a8o pages.
Voyage dans ^intérieur de l'Amérique du Nord, exécuté, pendant les années i83a,
i833 et i834, par le prince Maximilien de Wied-Neuwied (texte). T. III. Paris,
imprimerie de Didot, et librairie d*Arthus Bertrand, i843, in-8*' de 4a4 pages,
plus une carte et 6 planches.
Histoire de la renaissance des lettres en Europe , au xv* siècle , par J. P. Charpen-
tier. Paris, imprimerie de Fain, librairie de madame veuve Maire-Nyon, i843.
2 vol. in-8' ensemble de 796 pages.
Collectanea Gersoniana , ou recueil d'études , de recherches et de correspondances
littéraires ayant trait au problème bibliographique de Torigine de Timitation de
Jesus-Christ; publiées par Jean Spencer Smith. Caen, imprimerie et librairie de
Hardel. Paris, librairie de Derache, i843, in-8* de 336 pages.
Travaux sur l'histoire du droit français, par feu Henri Klimralh, docteur en droit,
recueillis, mis eu ordre et précédés d'une préface par M. L. A. Warnkœnig. Stras-
bourg, imprimerie et librairie de M"* veuve Berger-Levraull; Paris, librairie de Jou-
bert, 1843, a vol. in-8° ensemble de io48 pages.
Mémoire sur les voies romaines de la Bretagne, et, en particulier, sur celles du Mor-
bihan, par M. Biseul. Caen, imprimerie et librairie de Hardel, i843, broch. in-8*
de 88 pages.
Histoire statistique et archéologique de la ville de Montagnac, suivie d'une notice
historique sur les onze communes de son canton; par M. *'*. Béziers, imprimerie de
Fuzier, i843, in-8" de 3i2 pages.
Chansons de Maurice et de Pierre de Cruon , poêles anglo- normands du xii* siècle,
publiées pour la première fois, d'après les manuscrits de la Bibliothèque du Roi,
par G. S. Trébutien. Caen , imprimerie de Poisson , librairie de Mancel, i843, in- 16
de 3a pages.
448 JOURNAL DES SAVANTS.
BELGIQUE
Lucilibargensia , sive Luxemhurgum romanum. Hoc est, Arduenos vctcris situs^
populi, loca prisca, ritus, sacra, vis consulares, caslra, castella, vills pubUcae,
jam inde a Csesarum temporibus urbis ad h»c Luxemburgensis incunabula et in-
crementum investigata atque a fabula vindicata. Monimentonim insuper, praepri-
mis vero Eglensis Secundinorum Cisalpinorum principis; inscriptionum , simula-
chrorum , sigillorum epilrapeziorum , gemmarum et aliarum antiquitatum quam
piurimarum tam urbi Luxemburgensi importai arum quam per totam passim pro-
vinciam sparsarum mylhologica romana. Pleraque aut prorsus nova , aut a nemine
hactenus explanata, erudite non minus quam operose eruderata et illustrata a R.
P. Alexandro Wiltbemio, Luxemburgensi, soc. Jesu sacerdote. Opus posthumum,
a med. doclore aug. Neijen , Luxemburgi , nunc primum in iucem editum. Luxem-
bourg, librairie de Kuborn, i843, in-4*, i" livraison avec i5 planches.
Histoire de la Belgique» par H. G. Moke, professeur k Tuniversité de Gand et k
Tathénée de celle ville , membre de l'Académie de Bruxelles , a* édition , augmentée
et enrichie de huit caries et de plusieurs tableaux généalogiques. Gand , librairie
de veuve Bivort-Crowic , i84a , in-8'.
Mémoire sar les fougères du Mexique, et considérations sur la géographie bota-
nique de celle conlrée, par MM. M. Martens et H. Galeotti. iSAa • in-4* avec a3 pi.
(Elxlraildu tome XV des mémoires de T Académie royale de Bruxelles.)
Catalogue des manuscrits de la bibliothèque des ducs de Bourgogne, publié par
ordre du ministre de Tiotérieur, t. in. Répertoire méthodique. Bruxelles, i84a,
grand in-4*.
Etudes sur les hymnes da Rig - Véda , avec un choix d'hymnes traduits pour la
première fois en françab» par M. F. Nève. Louvain» i84a , in-8'.
TABLE.
Histoire des Seldjoucidcs de Mirkhond , pubUée en persan d'après les manuscrits
de Paris et de Berlin, avec des annotations critiques et philologiques, par Jo.
Aug. Vullers (2* et dernier article de M. Quatremère) Page 385
Revue des éditions de Bufibn (3* article de M. Flourens) 404
Antichi monumenti sepolcrali scoperti nel ducato di Ccri , dichiarati dal cav. P. S.
Visconti. — Descriiione di Cere antica , cd in particoiare del monumento se-
polcrale scoperto neir anno 1836, deir architetto cav. L. Canina. — Monu-
menti di Cere antica, dal cav. L. Grifi (3* article de M. Raoul -Rochelle) 416
Tables pour le calcul des syzygies écliptiques et non écliptiques , par M. Large-
teau ( 1" article de M. Biot) 434
Nouvelles littéraires 442
FIN DS LA TABLE.
JOURNAL
DES SAVANTS
AOUT 1843.
Revue des éditions de Baffon.
QUATRIÈME ARTICLE.
Idées de Buffon sur la dégénération des animaux et sur la mutabilité des espèces.
Un des beaux chapitres du grand ouvrage que j*étudie est celui qui
ti^ite de la dégénération des animaux.
Et je remarque qu'il y a encore ici deux parties : une partie expéri-
mentale et une partie qui touche au système.
Voyons d'abord la partie expérimentale.
Trois causes principales, le climat, la nourriture et la domesticité,
produisent le changement , Taltération , la dégénération dans les ani-
maux.
Buffon démêle et suit les effets de ces trois causes données sur la
plupart des espèces , et particulièrement sur les espèces que nous con-
naissons le mieux , sur les espèces domestiques.
La brelîs, comparée au mouflon dont elle est issue, nous offre les
changements les plus remarquables. Le mouflon, grand, l^er, armé
de cornes défensives , couvert d*im poil rude , ne craint ni rinclémence
de l'air, ni la voracité du loup ; nos brebis ne peuvent se défendre
même par le nombre , elles ne soutiendraient pas sans abri le froid de
nos hivers , toutes périraient si l'homme cessait de les soigner et de les
protéger, leur poil rude s'est changé en une laine fine ^ , leur queue
s'est chargée dune miasse de graisse, plusieurs ont perdu leurs cornes;
enfin , dit Buffon , « de toutes les qualités du mouflon , il ne reste rien à
^ Voyez, sur les deux espèces de poil qii*ont tous les animaux sauvages, le poil
57
450 JOURNAL DES SAVANTS.
nos brebis, rien à notre bélier, quun peu de vivacité, mais si douce,
qu elle cède encore à la houlette d*ane berçè^ê^ ^)
L* espèce de la chèvre, quoique fort dégénérée aussi, Test pourtant
moins que celle de la brebis. Les variétés de nos chèvi^es domestiques
se di&tingueat entre elles par la (aille , par la longueur, la couleur, la
finesse du poii, par la direction, la grandeur, et mène lé nombre des
cornes : il y a des boucs, comme des béliers, à quatre cornes.
Le bœuf varie d'abord sous Tinfluence de la nourriture : un bœuf,
nourri dans une contrée où le pâturage est riche, acquiert le double
du volume d'un bœuf nourri dans un pays sec; il varie ensuite sous
rinfluence du climat : les races de la zone torride portent une loupe
sur les épaules; le zébu, le bœuf à bosse, n*est, en effet, qu'une variété,
qu'une race de notre bœuf domestique.
Tout le monde sait combien nos chevaax diQîbrent les uns des autres
par la couleiu*, parla taille, parles formes de la tête, etc.
Le lapin varie par sa grandeur, par la couleur, par la quantité , par
la qualité de son poil , etc.
Le sanglier, devenu domestique, a pris des oreilles à demi pendantes;
sa couleur a passé du aoir au blanc , au rouge, etc. etc.
La couleur des animaux est, de tous leurs caractères, le plus va-
riable. Leur couleur originaire est, en général, fauve ou noire. Le
chien, le bœuf, la chèvre, la brebis, le cheval, domestiques, ont pris
toutes sortes de couleurs; le cochon, comme je viens de le dire, a
changé du noir au blanc ^ et même le blanc, le blanc pur, paraît être,
en ce genre , le signe du dernier degré de dégénération. On le voit par
les hommes qu'on nomme albinos. H y a aussi des albinos dans les ani-
maux, n y a des éléphants, des cerfs, des daims, des guenons, des
taupes, des souris, des lapins, etc. qui sont absolument blancs. Tous
ces albinos , comme les albinos de l'espèce humaine, ont les yeux rouges,
l'oreille dure, etc. Une mutation inverse change la couleur de quelques
espèces du fauve au noir : il y a des panthères dont tout le pelage est
noir ^. Le simple changement de saison fait passer le lièvre des cUmats
froids, du gris , qui est sa couleur d'été, au blanc, qui est sa couleur
d'hiver*, etc.
Le chien est l'animal dont l'espèce a subi les altérations les plus pro-
fondes : an dans les pays ciiauds , couvert d un poil épais et inide dans
les contrées du nord, paré d'une belle robe soyeuse en Espagne, en
laineux et le pM soyeux, mon Résumé analytique des observations de F. Govîer
sur finstinct et rintelligcnce des animaux, Paris, i84i, p. 106. — ^ T. XXIX,
p. 1 7a. -«^ ' Fûlit mêlas. -«- ' Lepus vùriabilii.
AOUT 1843. 451
Syrie, il varie encore plus par la taille, par la foiiioe du crâne, par celle
du cerveau, par rintell^ence , par la voix; le cbien sauvage, ou des
peufdes grossiers, est presque muet : <«La voix de ces animaux, dit
Buffon, a subi, comme t6ut le reste, d'étranges mutations; il semble
que le cbien soit devenu criard avec l'homme, qui, de tous les êtres
cftd ont une langue , est celui qui en use et abuse le plus ^. n
Rien n'est plus intéressant que ce tableau, tracé par Buifon, de la
d^énération des espèces^. Mais, cédant toujours au besoin qu'il a
d'agrandir son horizon et d'étendre sa vue , il quitte bientôt cette belle
et solide étude expérimentale pour se livrer à toutes les séductions
d'un système.
«Après le coup d'œil que l'on vient de jeter sur ces variétés qui
nous indiquent les altérations particulières de chaque espèce , il se pré-
sente, dit-il, ui^ considération plus importante et dont la vue est bien
plus étendue, c'est celle du changement des espèces mêmes, c'est cette
dégénération plus ancienne et de tout temps immémoriale, qui parait
s'être faite dans chaque famille, ou, si l'on veut, dans chacun des genres
sous lesquels on peut comprendre les espèces voisines et peu différentes
entre elles'.
(( En comparant ainsi, dit-il encore, tous les animaux, et les rappelant
chacun à leur genre , nous trouverons que les deux cents espèces dont
nous avons donné l'histoire peuvent se réduire k un assez petit nombre
de familles ou souches principales, desquelles il n*est pas impossible
que toutes les autres soient issues^. »
Il établit donc , d'une part, neuf espèces qu'il regarde comme isolées ;
et, de l'autre, quinze genres principaux, souches primitives, d'où il dé-
rive, à sa manière, tous les animaux qui lui sont connus.
Les neuf espèces isolées sont : l'éléphant, le rhinocéros, Thippopo-
tame, la girafe, le chameau, le lion, le tigre, l'ours, et la taupe.
Or, une première remarque à faire, c'est que la plupart de ces es-
pèces, 150/^^5 au temps de Buffon, ne le sont plus aujourd'hui.
Sans compter les espèces fossiles, nous avons deux éléphants vivants:
l'éléphant d'Asie et celui d'Afrique ; nous avons quatre rhinocéros : deux
unicornes , celui des Indes et celui de Java, et deux bicornes^ celui
de Sumatra et celui d'Afrique^. Nous connaissons jusqu'à sept ou huit es-
^ T. XXXIX, p. 177. -^ * Bien qu'il se trompe sur plus d*un fait particulier,
comme, par exemple^ lorsqu*il attribue les bosses du chameau à faction de la do-
mesticité, elc. etc. — ^ T. XXIX, p. igA. — * i^^- p- 227. — * tLe rhinocéros,
dit Buffon , semble ne différer de lui-même que par le caractère singulier qui le
fait différer de tous les animaux, par cette grande corne qu*il porte sur le tuen :
57.
452 JOURNAL DES SAVANTS.
pèces d'ours; deux espèces de taupes, la taupe commane et la taape (xveagle ;
le dromadaire est une espèce très -distincte du chameau; et, pour le
lion , pour le tigre, ce sont, très-certainement, deux espèces d'un même
genre ^ car le lion et le tigre peuvent se mêler et produire ensemble^.
Restent la girafe et Thippopotame dont nous ne connaissons en-
core, il est vrai, qu'une espèce; mais rien n empêche qu'il ne puisse y
avoir, pour chacun de ces animaux, plus d'une espèce; et l'unité, l'unité
de type, ne peut, en aucun sens, être donnée comme un privilège de
leur nature.
La seule espèce qui, pour me servir des expressions de Buflbn,
« fasse en même temps espèce et genre ', » la seule vraiment simple , la
seule essentiellement une, est l'espèce de l'homme.
Je ne citerai que quelques-uns des quinze genres primitifs proposés
par Buffon. Le premier de ces genres comprend le cheval , le zèbre ,
l'âne, etc.; le second, les brebis, les chèvres \ etc.; un autre, le san-
glier avec toutes les variétés du cochon; un autre , le chien avec le loup,
le renard, le chacal, etc. etc.
Je m'en tiens à ces premiers genres, et je place les opinions de
Buffon à côté des faits.
Le cheval, l'âne, le zèbre, sont certainement de la même famille,
comme Buffon le dit ici, et quoique ailleurs il ne le veuille pas, parce
que c'est Linné qui le dit ^. Mais s'ensuit-il que l'âne vienne du cheval ,
ou le cheval du zèbre ?
Le cheval produit avec l'âne , le cheval et l'âne produisent avec le
zèbre; mais le métis, le mulet, l'individu né de ce mélange est toujours
un individu stérile®. Et il y a bien plus : il y a un fait, un grand fait, que
Buffon n'aperçoit pas, et qui est la réfutation directe de son hypothèse.
Le cheval et l'âne sont peut-être les deux espèces les plus voisines ,
les plus semblables entre elles, qu'il y ait dans toute la classe des mam-
celte corne est simple dans les rhinocéros de TAsîe et double dans ceux de l'A-
frique. • (T. XXIX, p. igS.) n prend ici, pour un simple caractère de variété, un
vrai caractère d'espèce. — * Voyez, sur les caractères positifs de Y espèce et du genre,
mon Analyse raisonnée des travaux de G. Cuvier, Paris, i84ii p. a64. — * On en a
eu un exemple à Londres : voyez mon Résumé analytique des Observations de F.
Cuvier sur Tinstinct et rinlelligence des animaux, Paris, 18A1, p. ga. — 'T. XXIX,
p. 195. — * Buffon met dans ce genre, avec les brebis et les chèvres, les gazelles
et les cbevrotins, qui appartiennent chacun à des genres très-différents. Mais je
n^examine pas ici les genres de Buffon sous le point de vue zoologique ; je n*y
cherche que ses idées sur la transformation des espèces. — * Voyez, ci-devant,
mon premier article, p. a 58. — * Ordinairement, dès la première génération, et
toujours dès la seconde.
AOUT 1843. 453
mifères. L'o^ le plus attentif na pu découvrir, jusqu'ici, aucune diiTé-
reûce caractéristique entre leurs squdettes. Ajoutez que, depuis des
siècles , on les mêle , on les excite à produire ensemble. Assurément ,
si jamais une transformation avait pu se faire d'une espèce en une autre ,
il semble que cette transformation aurait dû se faire ici. Et cependant
s'est-elle faite? le cheval n'est-il pas toujours le cheval ? l'âne n est-il pas
toujours l'âne?
Un fait tout pareil nous est donné par l'exemple du bouc et du bé-
lier. Le bouc s'accouple avec la brebis, le bélier se joint avec la chèvre;
«mais, comme le dit très-bien Buifon à un autre endroit, quoique ces
accouplements soient assez £réquents, et quelquefois prolifiques, il ne
s'est point formé d'espèce intermédiaire entre la chèvre et la brebis.
Ces deux espèces demeurent constamment séparées et toujours à la
même distance Tune de l'autre ; elles n'ont point &it de nouvelles
souches, de nouvelles races d'animaux mitoyens; elles n'ont produit
que des différences individuelles qui n'influent pas sur l'unité de cha-
cune des espèces primitives , et qui confirment , au contraire , la réa-
lité de leur difiérence caractéristique ^ »
L'exemple du sanglier et des cochons, allégué par BuQbn, n'est pas
h sa place , car il s'agit ici à'espèces distinctes ; et les cochons ne sont
que des variétés, des races, d'une espèce, d'une souche primitive, qui
est le sanglier.
Enfin, Buffon croit pouvoir dériver le chien , le chacal , le loup et le
renard d'une seule de ces quatre espèces. Mais, pour nous en tenir au
chien, qui est celle de ces quatre espèces que nous connaissons le
mieux, il ne vient sûrement pas du loup, car le loup est solitaire et le
chien est essentiellement sociable ; il ne vient pas du chacal , car le
chacal a une odeur si particulière, qu'il ne semble guère possible que
le chien, venu du chacâd, n'en conservât pas au moins quelques traces ;
dun autre côté, le mélange du chien avec le renard n'est point proli-
fique ; et voici quelque chose de plus décisif encore : le chien a été
rendu à l'état sauvage et il n'est point passé à Tune des trois autres es-
pèces, il est resté chien.
Les espèces ne viennent donc pas les unes des autres. Toutes sont
primitives; et, ce qui trompe Buflbn, c'est qu'il ne voit pas la limite fixe
qui sépare partout les variétés des espèces. L'homme, qui ne peut rien
sur Y espèce, peut tout, ou à peu près tout, sur les variétés, sur les races.
Tout, ou presque tout, est artificiel dans la production de quelques-
* T. IX , p. 79.
454 JOURNAL DES SAVANTS.
unes de nos races domestiques. On produit, à yoionté, des chiens gros
ou petits, et de plus en plus petits, ou de plus en pins gros, en unissant
ensemble les plus grands ou les plus petits individus.
<( On est toujoiu*s sûr, dit F. Guvier, qui avait beaucoup médité sur
cette matière, on est toujours sûr de former des races, lorsqu'on prend
soin d'accoupler constamment des individus pourvus des particularités
d'organisation dont on veut faire les caractères de ces races. Après quel-
ques générations, ces caractères, produits d'abord accidentellement,
sont si fortement enracinés, qu'ils ne peuvent plus être détruits que par
le concours de circonstances puissantes, et les qualités intdlectu^es
s'affermissent comme les qualités physiques , etc. ^. »
Daubenton a produit , avec des race^ de France^ les plus belles laines ,
et, par conséquent, les plus belles races des moutons d'Espagne.
Unissant des béliers dont la laine avait six pouces^ de longueur à des
brebis dont la laine n'avait que trois pouces*, il a vu, dès la première
génération , les petits avoir une laine de cinq pouces et demi de lon-
gueur^ : poursuivant ainsi, et unissant toujours, à chaque génération, les
individus , béliers et brebis , dont la laine était la plus longue , il est par-
venu , au bout de quelque temps , à produire des laines longues de vingt-
deux pouces*.
Et il en est de la taille entière de l'animal comme de la longueur de
sa laine. Daubenton a uni des brebis qui avaient vingt pouces^ de hau-
teur à des béliers qui en avaient vingt-lmit "^ ; et , dès la première généra-
tion, il a eu des agneaux dont la hauteur était de vingt-sept pouces^.
Le mélange des i^ces, le climat, la nourriture, l'esclavage, etc.
peuvent donc beaucoup, peuvent tout, sur la production des races.
Mais , ce qu'il ne faut jamais perdre de vue, c'est que les altérations qui
amènent les variétés , les races , ne portent que sur les caractèi-es les
plus superficiels des animaux : sur la couleur, sur l'épaisseur, sm* la Ion-
gueiu' des poils, sur la grandeur, sur le volume du corps, etc. M. Cu-
rier, qui, en reprenant tout le travail de Buffon, a ai bien vu ces li-
mites marquées à la dégénération des espèces , que Buffon n'avait pas
aperçues, M. Cuvier a étudié les nombreux squelettes de chats, d'ibis,
de chiens , de singes , de crocodiles, de bœufs, etc. rapportés d'Egypte ;
« et certainement , dit-il , il n'y a pas plus de différence entre ces êtres
^ Voyez mon Hésumé analytique des Observations de F. Cuvier sur l'instinct et
rintdlîgeacc des animaux, Paris, iSili, p. ii3. ^- ' 16 cent. 5 mili. — ^ 8 cent.
— * i5 cent. — * 60 cent. Daubenton , Instruction pour les bergers et pour les pro-
priétaires de troupeaux, an x, p. 109. — * 54 cent. — ' 77 cent. — * 74 cent. Dau
benton, ihid, p. 108.
AOUT 1843, 455
et ceux que nous voyons , qu*entre les naomies humaines et les sque-
lettes d*hoinmes d'aujourd'hui^.» Il a comparé des crânes de renards
du Nord arec des crânes de renards d*Egyple , et n y a trouTé que des
différences individuelles. Une crinière plus fournie fait la seule diffé-
rence entre Thyène de Perse et celle de Maroc. La squelette d'un chat
d'Angora ne difière eii rien de constant de celui d un chat sauvage ; plus
ou moins de taUie, des cornes plus ou moins longues ou qui manquent ,
une ioupe de graisse « forment, oonmie nous avocns vu, toutes les diffé-
rences des bœu& ; il y a quelques races de cochons où les ongles se
soudent ; enfin , Textrême des différences que l'esclavage , porté à lex-
tréme, a produites, se Toit dans le chien, dont quelques individus ont
un doigt de plus au pied de derrière , et quelques autres une dent
molaire de plus ^.
L'altération des foimes n'est donc pas indéfiAiie. Et ce n'est pas tout :
ces altérations mêmes , qoe des circonstances données ont mis tant de
temps à produire , et qu'elles ne produisent jamais que jusqu'à une cer-
taine limite» ces aUérations ne sont pas ineffaçables. Supprimes les cir-
constances qui les ont amenées , et les caractères primitifs reparaissent.
Nos cbevavDL » redeipeaus libres en Amérique , y ont repris leur ins-
tinct , qui est de vivre en troupes conduites par un chef; leur taille ,
qui est moyenne; une couleur uniforme, qui est le bai châtain. Nos chiens
y ont perdu leur aboiement; le cochon y a repris les oreilles droites
du sanglier, et ses petits la livrée du* marcassin^ etc. ^.
La dégénération des animaux a.donc des limites fixes; et c'est parce
qu'il n'a pas vu cesiimhss que Buffon a cru à la rmtabUité des espèces.
Le méla»^ de quelques espèces très- voisines est prolifique. Le loup
produit avec le chien, l'âne produit avec le cheval; mais ici encore il
y a des limites, et toujours des limites qui ne peuvent être franchies :
d'une part, les métis nés de ce mélange sont stériles dès les premières
générations^; et, de l'outil, ces menées métis, unis à l'une des deux
espèces primitives, reproduisent bientôt tous les caractères de cette
espèce.
Les espèces sont donc inunaables: dles ont toutes une même origine ,
une mènve date, et c'esl la marne noain, la main du Maître du monde,
qui les a toutes formées.
^ transportés
étrangers, i835.— -■* D en est de même, quoiqu'un peu plus tard, pour les mélîs
des oiseaux.
456 JOURNAL DES SAVANTS.
Mais je ne puis terminer cet article sans revenir un moment à Buf-
fon. C'est un spectacle qu'il ne faut pas se lasser d'observer que c^lui de
ces mutations profondes auxquelles il a constamment souxnis ses idées.
Ici il admet le changement des espèces, il les tire toutes de quel-
ques-unes , il suppose un petit nombre de iamilles ou souches princi-
pales , desquelles « il n'est pas impossible , dit-il » que toutes les espèces
soient issues ^. » Il prend donc ici le mot famille au sens positif , réel ,
et ailleurs il n'en veut pas même au sens abstrait : « Nous ne bous ser-
virons, dit-il, des familles, des genres, des ordres et des classes, pas plus
que ne s'en sert la nature ^. w
Ici il veut que le cheval vienoe du zèbre, on le zèbre du cheval , et
ailleurs il ne veut pas même que Linné les mette l'un à coté de l'autre :
M Ne vaut-il pas mieux , dit-il , faire suivre lé cheval , qui est solipède, par
le chien , qui est fissipède , et qui a coutume de le suivre en effet , que
par un zèbre, qui nous est peu connu, et qui n'a peut-être d'autre rap-
port avec le cheval que d'être solipède *?» >
Ici les espèces peuvent changer, puisque quelques-unes donnent
toutes les autres , et ailleurs il appelle les espèces : « Les seuls êtres de
la nature, êtres perpétuels , aussi anciens, aussi(»permanents qu'elle ^; »
eVû écrit cette belle phrase : u L'empreinte de chaque espèce est un type
dont les principaux traits sont gravés en caractères ineffaçables et per-
manents à jamais ^. )>
Plus on étudie Buffon, plus on voit combien il étudiait lui-même
sans relâche, sans (in , et combien son génie, aussi flexible que puissant,
se prétait facilement à toutes les idées nouvelles que fai^t naître, tour
à tour, ou la méditation profonde des faits, ou le charme entraînant
des combinaisons et des vues.
FLOURENS.
' T. XXIX, p. aay. — * T. VIII, p. lâ. «H ne faut pas oublier qae' o^ fiunUlet
•ont notre ouvrage; que nous ne les avons faites que pour le soulagement- de notre
esprit; que, s*il ne peut comprendre la suite réelle de tous les êtres, c'est notre
faute et non pas celle de la nature, qui ne connaît point ces prétendues /ami/Ze^,
et ne contient en effet que des indivîalis. • Ibii, p. li. t S*il était une fois
prouvé quon pût établir ces JwniÙes érec raison; s*il était acquis que, dans les ani-
maux, il y eût, je ne dis pas plusieurs espèces, mais une seule qui^ût été produite
par la dégénération d'une autre espèce; s il était vrai que Tâne ne fût qu'un cheval
dégénéré, il n'y aurait plus de bornes à la puissance de la nature» et l'on n'aurait
pas tort de siq)poser que d'un seul être elle a su tirer, avec le temps, tous les
auii^être8organi8és..i6iJ.p.9. — *T.I,p.5i. — *T.XXVI,p. X. — 'T.XXVI,
AOUT 1843. 457
.. ^
Explication de trois iascriptians trouvée à Phiies, en Egypte.
OEUXIÂME ET DERNIER ARTICLE.
D.
J ai annoncé que la seconde inscription grecque dont je dois donner
connaissance à nos lecteurs n'a qu un seal mot; et que, si elle est une
des plus courtes que l'on connaisse , elle n'est pas une des moins cu-
rieuses. Je pense qu'ils seront de mon avis quand ils aiu*ont lu les dé-
tails qui suivent ... >
Ce mot est AYTOKPATOPWN, Au premier abord, on doit présumer
que ce nom , au génitif pluriel , est le reste d'une inscription plus longue,
que le temps aura détruite; mais on ne voit aucune trace de lettres au-
dessus ni au-dessous , avant ni après , et la place qu'il occupe ne per-
met pas de croire qu'il ait jamais été accompagné d'aucun autre. Da^s
quelle intention peut avoir été tracé un mot dont la forme annonce
qu il a dû faire partie d'une phrase, et la position , qu'il a toujours été
isolé? C'est là une sorte d'énigme, dont la solution doit dépendre d^s
circonstances qui accompagnent ce mot unique. Je vais donc commen-
cer par les relever avec soin, puis le mot de l'énigme sortira de iui-
même , et peut-être que nos lecteurs le devineront avant qu'il soit né-
cessaire de le leur apprendi^e.
A la partie occidentale de Pblles, entre le Nil et le. pylône du grand
temple, il existe les restes d'un très-petit temple ou chapelle décrits d'a-
bord par Lancret, sous le titre de Ruines de V Ouest ^, ensuite par le doc-
teur Parthey ^ et sir Gardner Wilkinson ^. Ce temple est remarquable
par plusieurs bas-reliefs dont les sujets ne se trouvent point ailleurs;
telle est une scène funéraire où l'on voit une caisse de momie placée
sur le corps d'un crocodile qui marche au milieu de plantes aquatiques;
aurdessus «st un tableau circulaire renfermant les figures d'Osiris et d'Ho-
rus , et surmonté d'une bande étroite , terminée , d'un côté , par le disque
du soleil, de l'autre, par le croissant de la lune; le long de cette bande
sont répandues douze étoiles qui répondent , selop toute apparence , aux
douze he\u*es du jour ou de la nuit. Ce sujet curieux, publié dans la
grande description d^Égypte avec peu d'exactitude^, a été reproduit
* Descript. de Phiies, S vu, p. 4A« Aniûi, Descript 1. 1. — * De Philis insuk, p. ^9.
— * Topography of Thehes, p. A69. « — * Antiif. t. I, pi. 19, n. a.
58
B* JOURNAL DES SAVANTS.
phis complètement par M. le docteur Parthey ^ ; mais il n*a été donné
d'uoé'^tainitte s^ti^misàrrte , «hluihiné de^^él^ véritable» ooiilèut^, que
dans Touvrage de Ghampollion ^.
L'époque comparatirement récente à laquelle doit appartenir la cons-
truction de cette chapelle pouvait se conclure des observations de
Lancret : «Ce petit édifice, dit-il, "présente le double aspçct de la jeu-
nesse et de la vétusté : il n'en reste plus qu'une salle ; encore un des
murs est-il* abattu, cependant les pierres e¥i sont blanches, les pein-
turés fVafbheb et bien conaiervé^*. »'
Lancret juge donc qu il a dû être bâti postérieurement au grand
temple "et "â ses dépendances , mais' il ne feri croyait pas moins encore
fort ancien ; car cet observateur exact et judicieux , qui partageait, urtc
erreur commutie à toute la commîssiôrt d^gypte, pensait que tous les
temples dé consttnititidn égyptienne sont antérieurs à Cambyse. Ainsi,
sèloii lui, le grand temple d^Isis à PhîlesaVait été bâti étdécoré à cette
époque,' que Dupuis a rendiie si fameuse, où le lioii était solsticial et
le'* taureau équinoxial, c'est-à-dire qu'il rémontait, pour le moins, à
îSoo ans avant Jéisus-Christ*, et il croyait que les plus récents des autres
édifices égyptiens de l'île, et, entre autres, celui dont je parie en ce mo-
thent, sont beaucoup plus anciens que la conquête des Perses^. C'est
là une opinion à présent détruite sans retout aux yeux de quiconque
veut prendre la peiné de connaître Tensemblé des observations qui
dht été faites deptus la pnbiîéàtibii' dé la description 'de riÉ^pte. Cette
opinion lut d'abord ébranlée par l'examen des inscriptions grecques
grâvéeà sur le massif de gauche du grand pylône, dont quelques-unes,
évideiiuiiént postérieures aux sctilptures égyptiennes, appartiennent,
ainsi que je l'ai montré dès 1823, aux derniers temps de la dynastie des
Laides, et même au commencement du règne d'Auguste; l'opinion
fut sapée ensuite par les observations de 'M. Gaii et de M. Huyot, qui,
sahs autre indice que la comparaison des styles, reconnurent que les
setllJ^tUi^és du grand temple de Phîles, dont Lanéret- exalte la déli-
catesse et le fini adrtiirablés , sont, au contraire, aussi mauvaises que
celles de Dendéra*, qu'on avait crues si belles, et annoncent également
la dééàdbnce de l'art Egyptien; enfin cette opinion fut radicalement
tûfnée par ïàpplifcation de l'alphabet phonétique de Champoliion, d'où
i\ réstilté à présent, avec certitude, qu'il n'existé pas à Phîles un seul nom
Vdyàl^Jiharàôniqué , excepté celui de Nectanebo , roi égyptien qui a régné
* De Philis insala, p. ig. — * Monum. de l'Egypte et de la Nahie, t. I, pi. xciii,
fi* a. — *'Lancftet ; t l— * Detcrfpt de Philes, p. 58. — * Ibid.p. 67. — * Voy.
mon Recueil des imcr. yrécqaèr de VÉgjrpfe,\, I, iiitrOd. p. icirV-xvi.
AOUT 1843. 459
pendant la domination des Perses» seulement une quarantaine d'années
avant la conquête d'Alexandre. C'est maintenant un &it reconnu, que,
dans le grand temple, le naos tout entier appartient au temps de
Plolémée Philadelphe et d'Évergète I* ; que le pronaos a été décoré
sous Ëvergète II, et le pylône sous Philométor ; que le temple périptère
à gauche , commencé sous Épiphane , a été fini sous Ëvergète il , sauf
quelques bas-relie& qui sont du temps de Tibère; que les édifices de
droite sont du temps de Philométor et d'Évergète II, è l'exception d'une
salle qui a été sculptée sous Tibère ; enfin que les deux galeries qui se
prolongent au midi sont exclusivement de l'époque romaine ^
n suit de ces observations que la petite chapelle dont je parie ,
comparativement plus récente que les autres édifices de cette partie
de rîle, ne peut être aussi que de iépoque romaine, et probablement
appartenir au temps des empereurs postérieurs au règne de Tibère.
Cette induction est, en efiet, confirmée par la date des inscriptions,
tant grecques qu'égyptiennes, qui ont été gravées sur les parois de cet
édifice.
f^es premières, recueillies par M. Lenormant et sir G. Wilkinson,
sont au nombre de neuf: cinq d'entre elles n'ont point de date; mais
leur contexture et la forme des caractères aqyoncent qu'elles ne sont
pas antérieures au règne d'Adrien; et elles peuvent être de beaucoup
postérieures» Les. quatre autres ont des dates précises : trois d'entre elles
sont des règnes simultanés de Marc-Aurèle et de Lucius Vérus; la der-
nière, qui est du lo payni de l'an vni de Septime-Sévère et de Cara-
calla [à juin i ^ de notre ère), a cela de fort important qu'elle a pour
auteur un égyptien nommé ArpaisiSf fils d'Ammonius, qui a placé,
au-dessus, la même inscription en égyptien, écrite en caractères 'dé-,
motiques. Champollion y a discerné les noms propres de Sévère, dAu-
tonin, à'Arpaisis, d'Ammonius, qui sont dans le texte grec. Non loin de
Jà est une autre inscription démotique où Champollion ^ a distingué les
noms de Marc-Aurèle et de Vérus, avec les titres d Armeniacus , ParÛU'
eus, Medicm. Ainsi aucune des inscriptions grecques ou démotiques
conservées sur les murs de cette chapelle n'est antérieure au temps
des Antonins ou d'Adrien. Or il serait fort singulier qu'aucun prqscynème,
ou hommage religieux, n'eût été gravé sur ses parois, si l'édifice «ût
existé auparavant.
n en est de même des cartouches hiéroglyphiques qu'on y peut dis-
^ ChampolUon , Lettres éerites d'Éaypte, p. i65; Wilkinson, Topoar. of Thebei^,
^ 466. ^ * Mst. de Ghampotton, PAib».
58.
460 JOURNAL DES SAVANTS.
cerner encore ; Chaiçpollion les a recueillis avec soin ; les plus anciens
sont deux cartouches accouples, répétés deux fois, portant autocrator,
Airianos , toujours vivant, aimé d'Isis; et aatocraJtor Cœsar, Tnganus , Adria-
nos. Tous les autres sont de Marc-Aurèle, associé tantôt à Lacias Vé-
rii5,. tantôt à Commode, dont la date, par conséquent, se renferme
soit entré 161 et 169, soit entre 169 à 180. Ainsi Tédifice, com-
mencé peut-être sous Adrien , a été continué sous le règne de Marc-
Aurèle, sans avoir jamais été fini.
A répoque de ce dernier prince appartient la sculpture de la frise
intérieure (parois de gauche) de Tédifice, et c'est ici que j arrive au mot
aùloxpctlépûjv, que je me suis proposé d'expliquer.
Cette frise intérieure est décorée, entre autres (MTiements, de huit
cartouches hiéroglyphiques disposés horizontalement sur une seule
ligne et contigus les uns aux autres. Feu Henry Sait a le premier re-
marqué ces cartouches, et les a réunis dans son Essai sur le système
phonétique ^ Ce savant consul anglais, si zélé pour les études égyp-
tiennes, auxquelles il a rendu tant de services, s'était d'abord montré
fort peu disposé à admetti^e l'alphabet phonétique de ChampoUion. Le
croyant fondé sur des bases trop conjecturales, il se disposait à le
combattre ; mais, lorsq^l en eut pris connaissanee, et qu'il l'eut com-
paré avec les monuments qu'il avait sous les yeux, les armes lui tom-
bèrent des mains , et il reconnut son erreur en des termes qui montrent
à la fois la droiture de son jugement et la sincérité de son caractère '^.
Non-seulement il adopta tous les principes qu'il avait rejetés d'abord ,
mais il en étendit les applications. Lorsque ChampoUion écrivit sa fa-
meuse lettre à M. Dacier, il croyait encore que son alphabet ne se trou-
vait que dans Jes noms des Lagides et des empereurs, et qu'il ne s'ap-
pliquait pas à ceux des rois indigènes*. Sait reconnut que les noms des
Pharaons étaient écrits d'après le même système graphique ; et il fit
cette découverte en Egypte, dans le temps que ChampoUion^ de son «
côté, donnait, en France, la même extension à son alphabet. M. S. de
Sacy^a fait remarquer combien était heureuse cette rencontre de deux
' Essay on IX Yoang's and ChampoUion s phoneiic System of kieroglyphics , etc. hy
Henry Sait , London , 1 8a 5. — ' t . . . But having lately received M. ChampoUion's
pamphlet, as well as that of ly Young on hieroglyphics , I set myself seriously to
the examinatioo of iheir contents This led to a complète conviction of mj
error, and induced me not only to entertain a. just appréciation of its value
but to add some important names, as weU as other pbonetic characters, that
are Hvely to condiict to results ofstill higher value than those already altained,
by its authors, and to give a new lustre to this interessing discovery. f (P. 4) —
' Lettres à if. Dacier, p. 43, 44. — ^ Joumai des Savants, année i8a6, p.^^i-
AOUT 1843.
461
personnes /travaillant chacune de son côté, k de grandes distances Tune
de l'autre. Sait, en retrouvant, comme Ghampoilion, les noms de Pto-
lémée, de Cléopâtre, de Bérénice, d'Alexandre, etc. avait découvert,
de plus , celui de Philippe , et quelques noms d'empereurs romaine , que
Ghampoilion n'a reconnus que plus tard , par exemple , ceux qui sont
renfermés dans les cartouches hiéroglyphiques sculptés sur la frise inté-
rieure du petit édifice de l'ouest; mais, sans doute. Sait en avait pris
le dessin à une époque où, attachant moins d'importance à ces enca-
drements elliptiques, dont la vraie signification ne lui était point con-
nue, il ne les copiait pas- avec le soin qu'il y mit plus tard. C'est ce (jùi
explique pourquoi son dessin est inexact et incomplet en deux points
essentiels : i® en ce qu'il ne contient que six cartouches au lieu de huit;
2"" en ce qu'il ne les a point disposés dans leur ordre véritable. Les
voici tels qu'il les a donnés ^ :
W
¥ t
V
•I
6
11 les lit de cette manière : i Marcns. 2 Verns. 3 Antordnus, U Se-
bastos. 5 autocrator. 6 Cœsar. La lecture des cinq derniers est exacte,
et conforme aux principes de l'alphabet de Ghampoilion; celle du pre-
mier seule est fausse , et devait l'être , puisque Marcus n'était pas le pré-
nom de Vérus. Sait les a donc attribués tous les six à ce prince , erreur
qui est la conséquence de l'inexactitude de sa copie.
C'est pendant le voyage de Ghampoilion que les huit cartouches ont
été copiés avec exactitude. Rosellini les a donnés dans leur ordre véri-
table^, mais je ne sais pourquoi il a oublié le dernier; il n'en donne
« Au reste, ce qu'il v a d'important pour le public qui s'intéresse à ces découvertes,
c'est de savoir que deux personnes , à de grandes distances Tune de Tautre , et sans
aucune communication entre elles, par la seule application 4u système phonétique,
tel qu'il était exposé dans la Lettre à M. Dacier, sont parvenues à des résultats
identiques ; et il ne peut rester là-dessus aucun doute , à moins que , contre toute
apparence , on ne refusât d ajouter foi k la dédaration précise de M. Sait , qui af-
firme n'avoir pas changé un seul mot à la première rédaction de son E^sai , et le
donner au public dans le même état où il était avant que les travaux de Gham-
poilion , postérieurs à la lettre à M. Dader, fussent venus k sa connaissance. > —
Essay, etc. pi. 11, n. 19. — * Monwn. âelV Egitto, etc. Mon. ReyaU, t. H, pi. xxviii,
i3; p. &53.
Mî
JOURNAL DES SAVANTS.
que wpt; qu'U divûe en deux groupes Béparés/sans avertir qu'ils se
stûventsurlamâmel^e. D6s 1^19, M.Lrâonbant,! soir retour d'E-
gypte, m'avait remis la copie exacte et coiûplète des huit cartouciiea,
que j'ai , depuis , retrouvés dans les papiers de CbampoUion ^. Les deux
oopiet, qui ont été prises séparément, sont identiques, et doivent re-
présenter l'original ar«c fidélité.
Mais celle de M. Lenormant ^ se distingue par une circonstance im-
portante , à sirvoir, le mot aÔTùftparépen» , que tous les autres voyageurs
ont négligé , même Ghampollion , parce qu'ils' l'ont jugé sans aoeim in-
térêt. M. Lenormant, qui avait pris à tâche de relever tontes les ins-
criptions grecques qu'il pourrait découvrir k Phdes , ce qu'à a fait avec
utie' remarquable exactitude, n'a heureusement pas laissé échapper le
mot isolé aùroxpatépav, et il a indiqué avec précision la place toute
singulière que ce mot occupe au-dessus des huit cartouchei ', dont il
est conune le titre , disposé à peu près au milieu de la ligne , de cette
manière :
AYTOKPATOPWN
M
n
H
' La véritable lecture des sept premiers cartouches a -été donnée par
Rosellini, d'après les principes de Ghampollion. Voici les déments de
chacun d'eux:
1* AORAI [Ai(nfi.iot]\ 3' AHTONtHT [kvnmtvot] ; 3' ZBtTZ (ïeSa»?*»};
V AOTKPTP {A*™.f>*r«p); 5' K^PE (KaAwpoe)'; 6' AOKI (Aoiww);
7'OVPPt (0&(fp«).
' Mss. deOumpoUioD,Pfcifat, fol. 77.— *P1. xxviii, i3;xux, lâ. — 'N.B. J'ap-
pelle l'attention sur lei carloaches hiéroglypbiques impriinés dans cet article. Ils
sont en camctèrei moUlei, et présentent le premier tpécimen d'une foute sur deux
eorpt , que ilmpriniOTie royale aura l'honneur d'avoir ta première entreprise , el qui
permettra de reproduire , par la typographie , tous les textes hiérogiypmques. Les
^rpes ont été gravés, d'apiîs les dassias de M. J. J. Dubois, avec une exactUude et
une-justesse de trait dont les Goonaîasenre pourront déjà se £ture une idée. — * Ce
nom a toujours le sigma fintd, qui indique le génitif (KAIZAPOZ). tandis que
AyrOKPATUP. n'ayant que rarement ce sigma, est presque toujours au nomi-
atfîf, comme ZEBAÏTOZ. H ptovtt que les premiers ÉgyptieDS qui ont écrit la
nom de Cifor ont pria KAI£APO£ pour no nominatif.
AOUT 1843. &63
•Le haidème eartouche «e compose de sept signes, dont: les tfok «pre-
miers signifient chef on puissant ^ ^ et les quatre autces fonnent le gconpf
connu pour exprimer l'idée de tiô^aiit à ioajoun (cdofvéSiOB) ^ épitbèlequi
accompagne non-seulement les nonas des Lagides , mais encore ceux de
quelques empereurs, teb que Tibère ^, Caîus', Trajan ^, Sabine^ et
Ântonin ? ; ce dernier cartouche est donc, selon toute apparence, apr
plicableaux deux nomajprécédents, qui sont ceux d'AwreUos''^ Anianinosy
Aatocrator, Sehastos, Cœsaros, Lucios>VerûSf puissant^ ioyoars vivant
Ces noms indiquent encore la même époque que lea autres cartouches
hiéroglyphiques gravés sur cet édifice ; mais leur disposition sur la firise>,
ainsi que leur nombre, leur donne encore plus d'intérêt qu'aux autres.
• Ces huit encadrements ont été évidemment, tracés pour y inscrire
les. noms des deux empereurs régnant, ensemble ; car il fallait qu'il y eût
deux empereurs, au moins, pour que leurs noms et leurs titres occu-
passent huit cartouches. On ne peut donc supposer, comme on l'a fait
en d'autres circonstances, sans plus de fondement, que ces cartouches ont
été sculptés antérieurement, laissés vides, et remplis après coup. Ainsi
la décoration de la firise du petit temple est bien de l'époque de ces car*
touches, c'est-à-dire . des règnes simultanés de Marc - Âurèle et de Lu-
cius Vérus. Cette décoration étant du même style et portant le même
caractère que le reste , il n'est guère possible de douter que tout l'édifice
ne soit à peu près du même temps, c'est à savoir, du second siècle d^
notre ère;. tout se réunît, d'ailleurs, pour conduire à ce résultat.
Maintenant, il est clair que le mot aùroxparépùfVf placé au-dessus
des huit noms, en forme, pour ainsi dire, le titre. Ce génitif pluriel
ne peut s'expliquer que par la présence de ces mêmes noms^ qui
ne sont rien autre que ceux des empereurs, aùroxparéfxk» bvéptara;
c'est, en efiet, l'idée de nom ( 6vofia), exprimée par les cartouches eux-
mêmes Ç j, qui est ici sous-entendue *.' Et ce mot grec n'a
pu être ti^acé que par une personne qui, connaissant la signification de
ces caractères égyptiens, a écrit au-dessus avroxparépcûp ^ voulant dire
noms d'empereurs.
^ Gramm, Egypt p. aga. — ' Rosellini, Monum, Re^fdi, t H, pi. txvi, n. a a et
2 b. — * Ibld. n. 3. — * îhid. n. lo, lO d, lo e. — * Jferf. n. 1 1 g. — * IbÛL n. la c
— 'Le prénom Marcas f «■■* « --•— J , qui est exprimé dans d'autres cartoucbes
du même temple de 1 ouest, manque quelquefois même sur les médailles. — 'On
•ait gue, dansfinscripiion de Rosette, le mot àvofia du texte grec est rendu par ui>
cartouche yide f J dans le texte hiéroglyphique.
464 JOURNAL DES SAVANTS.
Assurément, pour tout homme sensé, la lecture des noms hiérogly-
phiques impériaux ne peut maintenant offrir aucun doute. La justesse
de Tapplication de l'alphabet phonétique à ces noms se prouve : i "* par
ia coïncidence des titres de Cœsar, autJocrator et Sebastos, qui se-trouvent
toujours ensemble, ou ne se rencontrent jamais avec d'autres noms
propres que ceux qui se lisent : Tiberios, Caîos, Clauiios, Néron, etc,
c est-à-dire avec des noms d'empereurs romaiq^ ; a® par la coïncidence
de ceux-ci avec les épithètes qui caractérisent chaque empereur dans
l'histoire , et quisont toujours disposées , dans les cartouches , selon l'ordre
observé sur les médailles, et principalement sur celles d* Alexandrie.
A toutes ces preuves d'induction se joint maintenant une preuve
directe , c'est-à-dire une explication générale des cartouches impériaux
par le mot aùroKparépcjv , qu'a tracé un voyageur ancien ; ce mot cons-
titue donc, comme je l'ai dit, une sorte d'inscription bilingue.
On peut se demander si ce mot grec avait été tracé à la même époque
que 4es cartouches, ou s'il appartient à une époque postérieure. Je me
décide pour cette dernière opinion; d'abord parce que, dans le premier
cas, on aurait voulu dire : ce sont là les noms de nos empereurs, et alors
on aurait écrit tôiv aôroxparSpGJv ou rciv xvpiojv ifiiSv, Le mot avroxpccri-
pcjv ( bv6(iaTa) , sans article, annonce l'intention d'exprimer, en général ,
que ce sont là des noms d'empereurs, et indique une époque où les noms
propres n'étant lus que difficilement , et seulement par les personnes
instruites , un voyageur a cru utile d'apprendre à c^eux qui verront ces
huit cartouches rangés de suite qu'ils indiquent des noms impériaux.
Or ce n'était pas le cas, au temps des Ântonins, dont les cartouches se
Usent sur une foule de monuments construits, ou réparés, sous le règne
de ces princes. C'est au règne de Septime Sévère et de Caracalla que
semble avoir cessé Tusage de les écrire; du moins, on n'a pas trouvé,
dans toute l'Egypte , un seul cartouche impérial postérieur à ces deux
princes, dont le nom est accolé à celui de Géta; mais ce dernier nom. est ,
dans les deux seujs exen^ples qu'on en connaît, raturé ^ comme il la
été dans la plupart des inscriptions grecques et latines , même aux ex-
trémités de l'empire^: ce qui indique que ce nom pouvait être encore
Reconnu par le vulgairç, aussi facilement que s*il eût été écrit en grec
ou en latin ; autrement on n'aurait pas tenu autant à effacer les carac-
tères hiéroglyphiques qui l'exprimaient.
. Lorsque l'usage d'écrire ces noms se fut perdu , on en dut perdre
^ On distineae encore les caractères ^^ ( 1~T), éléments consonnes de FeTA.
:^ * fiecMi/ wtt inscr. grecq, de f Egypte, 1. 1, p. àUj-
s
AOUT 1843. 465
aussi peu à peu Tintelligence , et il devint le partage des personnes ins-
truites seules.
On doit à Champollion deux remarques qui montrent que fort tard
quelques personnes conservaient encore une certaine connaissance de
ces caractères. Il a observé que , dans une des salles du temple de
Louqsor, on a trouve tous les cartouches portant le nom d'Âméno-
phis ni N ^ 'f^ 1 mutilés seulement à la partie supérieure , où sont
les trois caractères ^^ ( N ) ^^pri^^t^^^ ^^ ^^^ divin Ammon ou
Amoun; les trois autres ^ (ttt) ^"' constamment été respectés.
ChampoUion présume que cette mutilation doit être Touvrage de
quelque chrétien scrupuleux, qui aura effacé le nom détesté d' Ammon,
laissant subsister les caractères qui n'exprimaient que des articulations;
et cette conjecture a beaucoup de vraisemblance. Gomme ce même
cartouche hiéroglyphique a été respecté dans les autres parties du
temple , il faut admettre que la salle où la mutilation a eu lieu ser-
vait de demeure à quelque chrétien qui n*aura pas voulu conserver
sous ses yeux le nom d*un dieu du paganisme. Mais une telle mutila-
tion aurait pu difficilement avoir lieu dans un temple de Thèbes avant
la destruction du paganisme par Tédit de Théodose, en 891; d*où
il suit qu au commencement du v' siècle il y avait encore des gens
qui connaissaient la valeur des éléments phonétiques du nom d*A-
ménophis. ChampoUion ^ a retrouvé la même singularité près de
l'île de Bégeh ou Snem, en face de Philes, à Tendroit qu on regarde
comme étant ïabaton ou le sanctuaire dont parlent les inscriptions
grecques. Dans le nom d*Aménophis, les trois premiers cairactères
sont aussi raturés, et les trois autres constamment intacts; mais le
nom de Tkouthmosis Ç^ f(\ P jj » qui est souvent répété au mèipe
lieu, a toujours été respecté; d'où il suit que l'auteur de la mutilation,
qui savait lire AMN, ignorait que ïibis ^, qui est le premier signe
du nom de Thouthmosis, représentait le dieu Thoth. J'ai prouvé
ailleurs que l'édit de Théodose n'avait point aboU le paganisme à
Philes , et que le culte d'Isis , qui y était encore en vigueur à la fin du
V* siècle, n'a été entièrement aboli que par Justinien, vers 54o^. Ce
n'est donc probablement qu'après cette époque que ces cartouches ont
* Mss. de ChampoUion , Philes^ — ' Matériaux pour Vhistoirt du ckristianwnÊ en
59
466 JOURNAL DES SAVANTS.
pu être mutilés par le ^èle de quelque anachorète. D'où Ton peut con-
clure qu au commencement du vi* siècle la connaissance des caractères
hiéroglyphiques n'était pas encore totalement perdue.
III.
Cette inscription , la seule en langue latine qui ait été recueillie à
Philes, est placée sur le grand pylône , au bas d'une des figures sculptées
sur le massif de gauche. Elle a été gravée , en avant du pied de la figure ,
parndessus les moulures de l'encadrement, ce qui prouve qu'elle est
postérieure à l'achèvement des sculptures de cette partie du pylône;
elle donne aussi une limite inférieure pour l'époque de leur exécution;
et commence, avec d'autres indices, à montrer quelles furent entière-
ment achevées dans les premières années du rè^e d'Auguste.
Cet acte de visite a été publié d'abord dans l'ouvrage de la com-
mission d'Egypte ; mais la première ligne y est séparée des suivantes ,
qui sont présentées comme formant une autre inscription distincte.
M. Hamilton l'a publiée plus exactement; puis M. Gau, qui a indi-
.que avec précision la place qu'elle occupe. La copie de sir Gardner
Wilkinson est aussi fort correcte.
L-TREBONIVS
OmCVLAHJCFVI
C-NVMONIVSVALA
HICFVI
IMPCAESAREXillCOS
A-DVIIIKAPRILES-
Ce sont deux personnages romains qui attestent avoir visité le temple
de Philes. Comme il n'y a qu'une date pour les deux inscriptions , on
doit croire qu'ils sont venus ensemble.
L'un de ces noms CNVMONIVS-VALA est historique. Niebuhra déjà
remarqué que ce doit être le G. Namonius Vala à qui Horace adresse
la quinzième épître du premier livre. Le prénom Caîus manque dans
quelques manuscrits, mais il en existe d'autres qui donnent ad C. Nu-
n\onùm Valam. Dans la copie de M. Gau, on lit 6'NVMONiVS-VALA,
et Niebuhr avait bien vu que cet 6 devait être un C. La correction est
vérifiée par la copie de la Commission d'Egypte et par celle de sir G.
Wilkinson, où le C se lit distinctement.
Déjà Fulvio Orsini avait reconnu que le Namonius Vala d'Horace
AOUT 1843. 4«7
(et par conséquent le nôtre) doit être ]e même que le Namonius Vola,
lieutenant de Varus , qui, après avoir lâché pied lors de la bataille contre
les Germains, fut tué dans sa fuite ^ Ce n est, il est vrai» qu'une conjec-
ture ^ ; mais elle est rendue maintenant bien probable par le prénom de
Gains, que Vala tenait sans doute de lun de ses ancêtres, personnage in-
connu d ailleurs, dont il reste une médaille avec la légende C. NVMO-
NIVS VAALA, où Ton voit, au revers, un retranchement attaqué pai* un
homme seul ; ce sujet se rapporte au motif qui lui avait valu son sur-
nom de VaalUj A long de Vala (pour Valla, de Vallum) étant exprimé
par la double voyelle ; ce qui indique , selon la remarque de Visconti ,
que la médaille a été frappée antérieurement au vu* siècle de Rome'.
Notre inscription ajoute un trait nouveau à la vie de Tami d'Horace.
L'époque de sa visite au temple dlsis est fixée par les mots IMP-CAE-
SARECOS-XIIIAD-VIIIKAPRILES* : c'est le 3i mars de Tan 762
(2 avant Jésus-Christ). La défaite de Varus eut lieu en 762 (9 après
Jésus-Christ) ; cette visite est donc antérieure de onze ans à la mort de
Vala. Il est vraisemblable qu'il était alors officier dans une des liions
cantonnées en Egypte, et qu'il en fut ensuite tiré avec un grade supérieur,
pour faire partie de l'armée de Germanie , où il avait le grade de lieu-
tenant {legatas). On doit regretter que Numonius Vala , moins modeste
ou moins indifférent pour ses titres, n'ait pas joint à son nom l'indica-
tion de son grade ; nous saurions le chemin qu'il fit pendant les onse
années qui s'écoulèrent entre sa visite à Philes et la bataille contre les
Germains.
Si la xv* épître du livre I" a été écrite , comme on le pense *, vers
l'an ySi ou ySa de Rome, C. Numonius Vala, qui était dors dans sa
terre de Lucanie, devait être fort jeune. En supposant qu*il eût cin-
quante-cinq ans à sa mort , il devait avoir de vingt-deux à vingt-trois
ans lorsque Horace le consultait sur le climat de Vélia et de Ssdernè.
Quant à Trebonias Oricula , qui l'accompagnait , c'était sans doute
un officier du même corps. Serait-ce le Trébonius dont parle Horace*,
qui fut surpris en adultère ?
Ne sequerer mœdias, concessa qunm Venere uli
Possem : deprensi noa bella est fama Treboni.
^ Vell. Patercul. 0, 119. — * Eckhel, Doct.Nnm, t. V, p. i63. — ^ leomarapkm
romaine, 1. 1, p. 4i- — Dans la copie de M. Gau, après le mot APRILES, oa
Yoit les chiffres XIII, qui manquent dans les autres copies. Ce sera une répétition
(autive du chiffre qui suit COS. — * Walckenaer, Vie a Horace, t. II, p. 17 at 6a 6.
— • L Sat IV, 11 5.
59.
468 JOURNAL DES SAVANTS.
Le surnom Oricala ( pour Auricula ) , la petite oreille , exprime sans
doute un trait particulier de sa figure. Cet ofiBcier était peut-être un
de ces petits-maitres qui faisaient, à Rome, le désespoir des maris, et
donnaient de la besogne au censeur ou à ses délégués. En tout cas ,
nous avons, dans cette double inscription, au moins un autographe
d*un ami d*Horace.
LETRONNE.
Géographie dEdrisi, traduite de Varabe en français, d'après deux
manuscrits de la Bibliothèque du Roi , et accompagnée de notes ,
par M. P. Amédée Jaubert, etc. Paris, Imprimerie royale^,
in-ii**, tome I, i836; tome II , i84o.
SECOND ET DERNIER ARTICLE.
Dans mon premier article, je me suis attaché principalement à re-
cueillir quelques renseignements sur la vie et les ouvrages du schérif
Ëdrisi, auteur du traité géographique dont j'étais chargé de rendre
compte. En parlant de la noble famille à laquelle appartenait cet écri-
vain, j*ai attesté qu'une branche de cette famille était établie dans la
ville d* Alexandrie , et j'ai invoqué , à Vappui de cette assertion , le té-
moignage d'un historien de l'Espagne, le docte Makarri. Je dois main-
tenant reproduire en entier le passage de ce chroniqueur ^ Suivant lui,
le prince arabe Hakam-Mostanser-billah , qui régnait dans le iv* siècle
de l'hégire, déposséda les enfants d'Édris de la souveraineté qu'ils oc-
cupaient sur le rivage de rAfrique occidentale, dans les parages de
Rif. Il leur fit passer la mer, les amena à Cordoue, après quoi il les
exila dans la ville d'Alexandrie : i i^iXjJL^t-J^ u^ (j«^^' <^ J>JuU.I
i^^ouC-^l Jl^^:^^^ AAk>> Jl^l ji^jM^ u^pi iUi^b. D'après
ce passage si formel, on conçoit facilement que des schérifs issus de
l'illustre famille d'Édris aient existé en Egypte et dans les contrées voi-
sines. Il est certain également qu'une branche de cette famille s'était
fixée h la Mecque; car un écrivain judicieux, Taki*eddin Fâsi, dans
l'ouvrage intitulé : Alikd atOtamin (:jvAJI oouJI ^ « Le collier précieux , »
' T. I, man. arabe 704, fol. 96 r*. — * T. I, mau. arabe 720, fol. 44 r*.
AOUT 1843. 469
qui contient une vie détaillée de tous les hommes remarquables ^qu*a-
vait produits cette ville, indique les schérifs de la famille d'Ëdris,
Ebn-Beîtai*, dans son Traité des médicaments simples, cite souvent,
à l'appui de ses assertions, un écrivain qu*il nomme indifféremment le
schérif, u^^l \ ou le schérifÉdrisi, (P«a^j^^I vJLr^l ^. Il lui attribue un
ouvrage intitulé Moufredat, c:>t:»ydl, c est-à-dire uLes choses isolées, »
ou plutôt, a Les remèdes simples,» qui parait avoir été consacré spé-
cialement k la botanique. Pariant de la plante qu'il nomme IkUL-djebeli
Jj^ JjvX^^I , c e5t-à-dire « la Couronne de montagne , » il dit * : « Elle
tt a été décrite par le schérif Edrisi dans ses Moufredat, » ^^ma^^^I u^;^l
A3bjjU i J^^ J^^\j^9^ . Ailleurs , et dans un grand nombre de pas-
sages, il cite les Moufredat du schérif, vJL^^t i::>t:>yU ^. Il est extrême-
ment probable que, par ce nom, le schérif ou le schérif Edrisi, Ebn-
Beitar a désigné Thomme éminent qui, par ses travaux scientifiques,
avait donné à la famille d'Édris une illustration littéraire bien durable.
Or, comme les renseignements auxquels renvoie le botaniste arabe ne
se trouvent pas dans le traité géographique de notre auteur, il parait
constant que celui-ci avait composé , soit avant , soit après la rédaction
de sa Géographie, un ouvrage consacré à la botanique médicale. C'est
ce même ouvrage que Makarri ^ désigne par ce titre : « Le livre du
u schérif Ëdrisi-Sikali (le Sicilien), » JJùâJl (^i*4^:»^l o^yJl v^
Il me reste à traiter une question littéraire qui n'est pas sans impor-
tance. Léon rAfîicain, dans son traité des savants illustres qui ont fleuii*
chez les Arabes , donne une notice sur un personnage appelé Esserif
essachalli, aïe Schérif sicilien ^. 'i Suivant le biographe, «cet homme,
qui appartenait à la famille de Mahomet, était né en Sicile, dans h
ville de Mazara. U était d'un mérite supérieur, profondément vevsé
dans la philosophie, la médecine, l'astrologie et la cosmographie-, en
sorte que, sur ces matières, dit-il, personne ne T^alait, et peut-être ne
régalera. Il composa un ouvrage intitulé : Nozhat alabsar (Spatiatoriam
ocaloram), qu'il divisa en sept parties, suivant les sept climats du globe.
Il y indique les villes de chaque climat , soit anciennes , soit modernes ,
les routes qui conduisent d'une ville à l'autre, les merveilles qui les
distinguent, les phénomènes de la nature, les mœurs des habitants, les
animaux, les îles, les montagnes, les fleuves, les lacs, les métaux, etc.
* Man. t. II, fol. 162 V*, i63r* elv', 181 v% i83 v*, 186 r* et v', 189 v*, 190 v*,
191 y, 19a r*. ao4 v*. — • Fol. i48 r% 198 r*. — ' Fol. i48r*. — * Fol. 1S6 r*
elY*, 189 Y*, 190 v% 191 V*, loa r*. — * Man.7a4i foL3oor*. — • Ap. HoUîogeri
Biblio^ecttr, quairijmrtit et Fabricii BMiothêca grmca, I. XID, p. 978, 279.
470 JOURNAL DES SAVANTS.
Lorsque le roi Roger fit une invasion en Sicile , les habitants de Mazara ,
voulant se rendre à ce prince , députèrent auprès de lui notre auteur,
qui offiît et dédia au roi son ouvrage. Roger le fit traduire en latin, et
tenta de retenir Fauteur à sa cour. Mais celui-ci refiisa ces o£Bres et se
rendit en Mauritanie. U mourut Tan 5i6 de Thégire (de J. G. 112a).
Roger avait constamment entre les mains ce traité de géographie, pour
lequel il professait Tadmiration la plus grande, n
D'après ces renseignements, Bochart avait conjecturé que le per-
sonnage dont il est question ici était identique avec le schérif Édrisi.
D'autres savants, Brucker, Tenzel, Fabricius, et,' en dernier lieu,
M. Hartmann, ont soutenu Topinion contraire; mais, malgré les argu-
ments qu'ils ont employés pour étayer leur hypothèse, je crois pou-
voir m'en tenir au sentiment de Bochart. Sans doute, Tarticle biogra-
phique rédigé par Léon l'Afiricain renferme d'assez graves inexactitudes;
mais on conçoit que l'auteur, écrivant après un intervalle de près de
trois siècles, qui s'étaient écoulés depuis la mort de l'auteur, n'ayant
sous les yeux qu'un petit nombre de monuments historiques peu fidèles,
s'étant peut-être trop fié à sa mémoire , a pu et dû se tromper sur plu-
sieurs points. Le simple titre de schérif ^ donné à l'historien dont il s'agit,
sans aucune autre désignation, sans l'addition du moi Édrisi, ne saurait
offrir une difficulté réelle , car nous avons vu que l'auteur de notre
Traité de géographie est souvent indiqué de la même manière, et par
le seul nom de schérif. L'épithète Sikali (Sicilien), ajoutée à la fin du
nom, ne peut pas nous arrêter davantage. Notre géographe, à la vé-
rité, n'était pas né en Sicile; mais, comme il y avait passé une bonne
partie de sa vie, c'en était assez, suivant l'usage constant des Orien-
taux, pour qu'on lui donnât un surnom qui rappelait non sa patrie
réelle, mais sa patrie adoptive. Et, en effet, comme le remarque Hadji-
Khalfah, notre géographe a été plusieurs fois désigné par le surnom de
Sikali (Sicilien).
Il est bien peu probable que Léon, voulant passer en revue les
hommes d'entre les Arabes qui s'étaient le plus distingués par leurs
connaissances dans la philosophie, la médecine, la géographie, ait
complètement passé sous silence le cosmographe célèbre auquel il
avait eu lui-même de si importantes obligations, et dont il avait si sou-
vent copié et reproduit fidèlement les récits. Il est plus vraisemblable
3u'fl a eu l'intention de payer à un de ses meilleurs guides un tribut
e son estime çt de sa reconnaissance.
Tro^)pé par le surnom de Sihali (Sicilien), appliqué à ce person-
nage, et sachant qu'il avait ^assé une partie de sa vie dans la yille de
AOUT 1843. 471
Mazara, il aura cru pouvoir conclure que cette ville avait été la patrie
réelle du schérif, tandis qu'elle avait été seulement le lieu de sa rési-
dence favorite.
Si le roi Roger avait reçu avec tant d'empressement Touvrage que
lui avait offert le schérif sicilien , s'il l'avait Êiit traduire en latin , s'il
professait pour ce livre une si haute estime , une admiration si pro-
fonde , se serait-il immédiatement occupé de faire -composer en langue
arabe un traité d'un genre complètement identique, rédigé absolument
sur le même plan? Aurait-il poussé l'oubli des convenances jusqu'à aller
choisir dans la famille de l'auteur le rival qui devait effacer son livre ,
et lui enlever la gloire à laquelle il semblait avoir tant de droits? Et, si
Ëdrisi, encouragé par les éloges du roi, pressé par ses ordres, eût cru
devoir refaire le travail tenté si récemment par son devancier, aurait-il,
en rendant compte, dans sa pré£aice, des secours qu'il avait eus pour
la composition de son traité, passé entièrement sous silence l'ouvrage
d'un compatriote, d'un proche parent ^ récemment descendu dans la
tombe, et dont la mémoire réclamait de lui, plus que de tout autre,
un sentiment d'estime, ou, tout au moins, de justice? Tout ceci pré-
sente, il faut le dire, un tissu d'invraisemblances.
D'ailleurs, le titre même de Touvrage qu'indique Léon est réelle-
ment identique avec celui de notre géographe. La petite différence qui
existe entre les mots Noxhat-alabsor et Nozat-almoschtak n'est due, sui-^
vant toute apparence, qu'à une légère erreur de mémoire. Du reste, le
plan du premier ouvrage, tel qu'il nous est donné par le biographe,
est absolument celui que le schérif Ëdrisi a stdvi dans la rédaction de
son traité géographique. Léon , ayant sans doute écrit à une époque
où il n'avait pas sous les yeux l'ouvrage dont il a parlé, et s'étant un
peu trop fié à ses souvenirs , a supposé que le traité géographique avait
été offert par l'auteur au roi Roger, tandis que , suivant la vérité et le
témoignage de l'écrivain, ce livre aurait été entrepris sur l'ordre formel
du roi normand.
Si le schérif sicilien est réellement mort l'an 5i6 de l'hégire, c'est-
à-dire l'an 1 1 a 2 de notre ère , Roger, à cette époque , était âgé de vingt-
cinq ans. Or, il s'était écoulé plusieurs années depuis l'époque où l'auteur,
après avoir offert son ouvrage au prince , s'était dérobé aux sollicitations
honorables qui avaient pour but de le retenir à la cour, et avait {râ-
le chemin de la Mauritanie. Peut-on croire que Roger, livré à une vie
aventureuse « ayant sans relâche les armes à la main, occupé constam-
ment à conquérir une à une les villes de Sicile, défendues par une'
populatioD fisnatiqae et couragaotè , eût eu le loisir jPétudîer à foiMl uo'
472 JOURNAL DES SAVANTS.
traité de géographie, et d'en faire la matière de ses études et de ses irir
vestigations?
La date de 5 1 6 , donnée par Léon, tient , si je ne me trompe, à une
erreur de ce biographe , qui aura remplacé un chi£Pre par un autre , et
substitué 1 6 à 76. On conçoit que notre auteur, qui était venu au monde
l'an 493, a pu prolonger sa carrière jusquà Tannée 876. Il aurait été
alors âgé de quatre-vingt-trois ans, ce qui n*a rien d'invraisemblable.
Ainsi, je crois pouvoir admettre que la notice biographique rédigée
par Léon TAfticain, sauf les erreurs quy a mêlées Técrivain, nous offre
le tableau à peu près fidèle de la vie du schérif Édrisi, et qu'il est com-
plètement inutile de vouloir y chercher im autre personnage, dont le
nom et Texistence sont restés inconnus aux écrivains arabes.
L'ouvrage du schérif Édrisi a, comme Ton sait, trouvé chez les
Arabes un abréviateur qui, sans changer le style, sans altérer en rien
les assertions delauteur, s'est borné à retrancher une foule prodigieuse
de détails. Par cette méthode, il avait souvent trouvé le moyen de sub-
stituer à une narration intéressante un tableau firoid et sec, de transfor-
mer un corps plein d'embonpoint en un véritable squelette. M. Jaubert
a rendu un service réel à la science et à l'érudition orientale, en réta-
blissant le véritable texte de son auteur, en l'offrant aux lecteurs dans
toute son étendue , dans toute son intégrité. Sans doute ces détails n'of-
frent pas tous, au même degré, un intérêt puissant, quelques-uns même
présentent quelque chose de fabuleux, d'invraisemblable; mais, en gé-
néral, leur absence laissait dans la narration un vide réel, quelque chose
de faux, d'incomplet, de peu intelligible. Aussi M. Jaubert, en repro-
duisant, avec cette élégante fidélité qui caractérise sa version, les long^
renseignements que donne avec profusion le géographe arabe , a bien
mérité de l'auteur et de la science en général. Si je ne me trompe, per-
sonne ne voudra lui reprocher les soins extrêmes et scrupuleux qu'il a
déployés dans son ti^avail , et ne sera tenté de trouver dans l'ouvrage une
lecture aride et fatigante.
Comme le traducteur a eu soin d'indiquer par des guillemets les por-
tions qui ne se rencontraient pas dans l'abrégé arabe, il sera facile
d'apprécier tout ce que la version actuelle offre d'avantages sur la tra-
duction latine publiée par les Maronites. Je n'ai donc pas besoin d'in-
diquer en détail les nombreux et importants renseignements que nous
devons au travail de l'infatigable traducteur, et qui font plus que doubler
l'ouvrage qui était jadis sous nos yeux. La description de l'Afrique, qui,
datas l'abrégé arabe , offrait déjà de si nombreux détails , et où les meilleurs
géographes , JDanville , Renneli , etc. s'étftieiit plu à puiser avee confiaDce »
AOUT 1843. 473
s*«st encore enrichie d'une foule immense de faits plus ou moins cu-
rieux. Les autres contrées n offrent pas moins d'additions remarquables;
elles sont en trop grand nombre pour n'être pas remarquées : à chaque
page, pour ainsi dire, elles s'offrent aux regards du lecteur; souvent
même elles présentent une très-grande étendue. Parmi les plus curieuses,
je signalerai la description de la grande mosquée de Cordoue : c'est un
morceau que l'auteur semble avoir traité avec cet intérêt qui s'attache
aux lieux où l'on a passé son enfance.
Ce morceau présentait d'assez gi^andes difficultés, surtout en raison
des termes techniques relatifs à l'architecture , à la sculpture et à la pein-
ture , qui s'y rencontrent en assez grand nombre. Des connaissances spé-
ciales, et la comparaison des descriptions que des voyageurs modernes
nous ont données de cet édifice., ont mis le traducteur en état de sur-
monter avec bonheur ces graves obstacles. Dans le fragment qui con-
cerne les poissons du Nil, M. Jaubert a eu soin d'indiquer, pour cha-
cun de ces animaux, le nom qu'il porte dans les méthodes naturelles;
il s'est également attaché à rapprocher du nom de chaque plante celui
par lequel la désignent les naturalistes modernes. Enfin, comme je l'ai
dit plus haut, dans la description des contrées de l'Europe, le traduc-
teur a partout eu soin d'indiquer, et ordinairement avec la plus grande
vraisemblance, le nom réel plus ou moins altéré dans la transcription
arabe. Dans la notice des poissons du Nil, je crois que le savant tra-
ducteur aurait pu ne pas hésiter à substituer le mot JoA* bolti à celui
de JaX> ialti, qu'il a admis dans sa version. De même , au lieu de (/H^Jt^^
ebklis, je lis ^jMuJiCil, et je reconnais ici ïanguille.
Un ouvrage aussi considérable que celui d'Ëdrisi , qui traite d'objets
aussi nombreux, aussi variés, pourrait facilement fournir matière à
des observations, à des conjectures de plus d'un genre. Je me bor-
nerai à en hasarder un petit nombre. Dans la description des poissons
du Nil, je crois gue le mot , i w n'est point un nom; qu'il faut lire
j^j et traduire a de la longueur d'un empan. )> A l'article des sources
du Nil, on trouve l'indication d'une idole gigantesque, et l'auteur ajoute
dM0,^ y^^, M. Jaubert, à l'exemple du traducteur latin, a vu ici un nom
d'homme, et traduit : uon dit que c'est Masach (ou Masnah).» Pour
moi, je crois qu'il faut lire ^^ ^^ et traduire : u il fut métamorphosé. »
Dans deux endroits \ il est fait mention d'hommes belliqueux, appelés
• p. 35 . 4a.
6o
474. JOURNAL DES SAVANTS.
Belm ou Beliounj qui habitaient au sud-est de l'Egypte, entre la Nubie
et la mer Rouge; ils professaient la religion chrétienne , et suivaient les
dogmes des Jacobites. Il est également fait mention de cette peuplade
dftDi fouvrage dElhn-Alwardi. M. Hartmann na pas pu déterminer ^
({ifttUe nation appaitenait cette tribu redoutable. Si je ne me trompe,
le nom s est, dans lorigine, écrit (jiysko BelemioaUf et il a désigné ees
Blemmycs sur lesquels les écrivains grecs et latins nous ont transmis
des détails assez nombreux , mais mêlés de tant de fables.
Deux petites îles situées au midi des côtes de TArabie Heureuse sont
désignées, en deux endroits^, parles noms de Khartan oa Martan, mais
cotte leçon n est pas exacte. Il est à croire que la faute provient d'Édrisi
hiirjiiéaie , qui n aura pas bien su lire les monuments littéraires qui se
trouvaient sous ses yeux. Car les écrivains arabes ont plus d une fois
varié sur la manière dont ces noms devaient être orthographiés. La véri-
table leçon est celle de Kharian oa Marian. Ces îles, qui avaient été visi-
tées par des missionnaires portugais au quinzième siècle,* sont indi-
quées, dans les Mémoires d'Albuquerque, sous les noms de as ilhas de
Garia Maria ^. Dans ces derniers temps. Tan iS36, un navigateur an-
glais, M. Hulton, a reconnu, dans les plus grands détails , les cinq îles
qui composent le groupe de Curia Muria, et nous en a donné une rela-
tian extrêmement intéressante, publiée dans le Journal of the royal geo-
gnpkiûal Society 'ofLondon ^.
. L4 plante appelée ti^^ oaar^ ^, qui s'emploie pour teindre les étoiles,
est la même que nous nommons Yorseille, dénomination évidemment
empruntée au terme arabe.
Plus loin ^, on lit, en parlant de la côte de Zanguebar, «les habi-
((tants adorent un tambour, nommé errahinty aussi grand que axJI.»
Le traducteur avoue quil n'a pu déterminer la signification de ce der-
nier mot. Mais plus haut, on lit* que, chez les habitants de la contrée
de Barbarie, les. tortues marines portent le nom de x—aNI Uheh, Or,
dsms \t passage en question , je lis iu^M! ellebehy et ja traduis : « aussi
(i^e^nd que la carapace d'une tortue marine, » Plus bas \ le mot ^jyr ,
si je ne me trompe, doit «e traduii^ par golfe, et non pas par rivière. H
i?)e ^mble aussi que le nom de la ville qui accompagne Mélinde doit
être lu iU»»UjU Monbasah, et non a^UL» Molbasah,
Dans la description de la Chine méridionale *, Tauteur parle d'un
arbre appelé J^-Jl 3 ifjsJ) schehi et berki. J'ai donné ailleurs ®, d'après
* Pi 45» 48. — * Commentanos do grande Afonso Alboquerqae, 1. 1, p. 77» 78, 79.
— • T. :îU. p. i56 et suiv. _ * p. 5i. — * P. 57. — • P. 44'— ' P. 58. — ^ P. 85.
— • Notices et extraits des manuscrits, t. XllI, p. 38a.
AOUT 1843, 475
ïlbn-Batoutah , des détails sur le même arbre, que j'ai regardé comme
identique avec celui qui, dans Tile de Ceylan, porte le nom dejwks.
Plus loin, on lit dans la version^ : «cest par là que montent les
«navires, » et le texte ajoute ces mots, que Thabile traducteur regarde
comme un peu obscurs 4 J^^^ v:tfUs>- (^^ Jji^l^ -iô^t^^p^uwl. Je
traduis : «Tespace d*un mois, plus ou moins, entre des jardins et des
« vergers. »
Plus bas^, il est fait mention d'im gouffre «situé à Textrémité de la
«Chine entre Siraf et Maskat. » Il est évident que., dans ce passage, il
ne «aurait être question de la Chine proprement dite ; ainsi on peut
prononcer que le texte est ici altéré. Je iisyu* cjÀ^, et je traduin :
« à l'extrémité de Minau. » Et, en effet, il existe une ville appelée Minam
ou Minaby située à Textrémité orientale du golfe Persiqiie, et qui se
trouve placée dans une position intermédiaire entre ia ville de Siraf
et celle de Maskat.
Notre géographe^, décrivant les limites géographiques de TËgypie,
s'exprime ainsi : « sa largeur, depuis Alexandrie jusquaui demiik'es
« alluvions, qui s*étendent du côté de la mer de Kolzoum , est d'environ
« huit journées. » Dans les deux manuscrits , on lit le mot cJ>r>» que le
traducteur a rendu par allavions. Pour moi, je proposerais de substi-
tuer à cette leçon celle de Haaf Oy=^ , et je traduirais : «jusqu'à la pro-
« vince de Hauf , qui touche à la mer de Kolsoum ; n ce qui^st parfaite-
ment justifié par 1q témoignage des historiens et des géographes arabes.
Édrisi expose , avec des détails étendus, ce qui concerne les difféventes
branches dont se compose le delta du Nil. M. Hartmann trouvait cette
description extrêmement obscure. Dans un ouvrage, imprimé il y a
trente-deux ans *, je m'attachai h faire voir que cette prétendue^ obscu-
rité tenait seulement à ce qu'on ne s'était pas bien rendu compte de
la direction des divers canaux du fleuve. Je ne reviendrai pas sur cet
objet. Il est seulement un point sur lequel je crois devoir m' arrêter \m
instant. Edrisi, décrivant un des canaux qui se prolongent dans l'inté-
rieur du delta, s exprime ainsi : (jMyu>^. Le traducteur latin avait
rendu ces mots par Pergit ad Nicaus ^. Le célèbre Danville changea ce
dernier mot en celui de Nikions, et crut reconnaître la ville de Niciu,
dont les auteurs grecs et latins ont souvent fait mention. Cette asser- «
tion, appuyée par un témoignage d'un poids si imposant, fut adoptée,
sans aucune objection , par tous les géographes. Pour moi, je m'atlaehai
/ P. 90. — * P. 169. — ^ P. 3o4. — * Mémoirei géographiques et historiqius smr
T Egypte, 1. 1. — * Geogrtiphim NuUenm, p. 99.
60.
476 JOURNAL DES SAVANTS.
'\ combattre une hypothèse toute gratuite. Je conjecturai que, dans le
texte de TEdrisi, il fallait lire ^jM^ycH), et traduire: «cette branche se
u dirige en décrivant une ligne arquée , une ligne courbe ; » ce qui est
parfaitement conforme au cours de ce canal. Ma conjecture se trouve
pleinement confirmée par la leçon des deux manuscrits, qui offrent
visiblement (j^y^ et non pas (jMsîyuj, qui ne présenterait pas un sens
assez clair, puisque, s'il s'agissait d'un nom de ville, fauteur aurait écrit
(jMS!yuAj. Je démontrai que la ville de Niciu n'avait jamais été placée
dans la position assignée par Danviile , mais qu elle était située sur la
rive de la branche occidentale du Nil, et, enfin, que cette ville était
complètement identique avec celle qui, dans les livres coptes, est dé-
signée par le nom de Pshadi l\^l>^- Un passage qui m'avait échappé,
à cette époque, vient encore à l'appui des nombreuses preuves rassem-
blées dans mon mémoire. On lit dans fHistoire des Patriarches d'A-
lexandrie ^ : u La ville de Nikious , qui est la même que Abschadi , aju^x.*
(^^Js-6ol) ^^*x-i*^l ^ 2JL iij^yi^) ij^y^J^ . Toutes mes hypothèses, à l'é-
poque où elles virent le jour, n'attii'èrent aucune attention, et furent
regardées comme non avenues. On continua, dans des ouvrages de géo-
graphie, à placer Niciu dans l'intérieur du Delta. Et, toutefois, mes as-
sertions, à cet égard, forment, si je ne me trompe, des vérités incon-
testables.
PlusbasA, le géographe, décrivant le puitsob, suivant la tradition. Moïse
abreuva le troupeau de Jéthro , ajoute : a on dit que^ce puits est mainte-
« nant à sec, et qu'on a élevé au- dessus une construction. » Un des deux ma-
nuscrits porte en effet aUmi-*, et c'est la leçon que le savant traducteur
a cru devoir admettre. L'autre exemplaire offre iUJâjc* ; j avoue que je
préfère cette dernière leçon, et je traduis : « ce puits est en vénération ,
« et on a élevé au-dessus une construction. » On conçoit bien qu'un
puits auquel se rattachaient des souvenirs si anciens et si imposants
devait inspirer aux Arabes du voisinage un sentiment de respect, d'ad-
miration , et que le bâtiment élevé au-dessus de ce puits avait eu pour
objet de le soustraire à des usages profanes.
La chaîne de montagnes que les Grecs et les Latins désignèrent par
le nom de Taurus est, dans la traduction, appelée el'Kiûm^/J^\^. J'ose
croire que cette leçon n'est pas parfaitement*exacte. Si je ne me trompe,
il faut lire Loukam ^^UÛI *. Je ferai également observer que la ville
d*Amad, ou plutôt Amid, nest pas identique avec celle d'Amadiah,
mais bien avec celle de Diarbekir, et cette légère inexactitude a été
* T. I. man. arabe iSg, p. 88. — * P. 333. — ' P. 336. — * P. 338.
AOUT 1843. 477
rectifiée dans le tome II. Un peu plus loin \ je trouve deux noms de
lieux , sur lesquels je hasarderai une conjecture. L'auteur, pariant des
courants d'eau qui grossissent le Jourdain, indique les rivières qui des-
cendent du Kouarmat «^U^^. Je crois qu'il faut lire ljXaj^^ «les dis-
«tricts de Maab.» Celte ville, aujourd'hui en ruines, nous représente,
par son nom comme par sa position, la capitale de l'ancien pays des
Moabites. Dans la même page, il est fait mention d'un lieu appelé
Asan ylx»^, ou, comme on lit plus bas^, Ghasan yU<^. Le traducteur
fait observer qu'un des manuscrits offre le mot Aman ^l*; et je nliésite
pas à adopter cette leçon. En effet, tel est le nom par lequel les Arabes
désignent encore aujourd'hui les ruines de l'antique capitale des Am-
monites ; et plus bas *, en effet , la même ville est désignée par le nom
de Amman yl*. Plus loin*, l'auteur, décrivant la route qui conduit de
Ramlali à Elarich , s'exprime en ces termes : « de Ramlah à Merdoud
n^^^j,^, une journée; de Merdoud à Ghazza, une journée.)) Le nom
Merdoud, si je ne me trompe, est un peu altéré. Je propose d'y sub-
stituer celui de Yezdoad ^3^,, qui nous représenterait le site de l'an-
cienne Azote.
Dans la description des lieux qui avoisinent la ville de Tripoli de
Syrie * on trouve ces mots : « A quatre milles au midi de Tripoli est un
retranchement qui fut construit par Ebn-Mikhaîl le Franc ^X-^^Ç-* (j^'
cs^j^^K et au moyen duquel il sVmpara de la vilîe. » Mais, ici^
soit par la faute de l'auteur arabe lui-même , soit par celle des copistes,
il s'est glissé une inexactitude. Au lieu du mot «J^a-^ÇS* » il faut lire
Juj^^-m Sindjil, et reconnaître ici le fort que Beitrand, fds de Raymond,
comte de Toulouse et de Saint-Gilles , fit élever pour resserrer la ville
de Tripoli et hâter la prise de cette place, que les chrétiens tenaient
bloquée depuis dix ans.
Je continuerai à présenter, sur le travail du savant traducteur, quel-
ques observations, quelques légers doutes, qui prouveront au moins
avec quelle attention, et en même temps avec quel intérêt j'ai lu son
ouvrage. Ainsi l'auteur, dans sa description de l'Espagne*, s'exprime
ainsi : « ces montagnes nourrissent quantité de troupeaux de moutons
et de bœufs, qui sont ensuite conduits par des pâtres voyageurs dans
d'autres contrées. )> Le texte offre ^jyi'^y^; si je ne me trompe, le mot
V^^ ne signifie pas un paire ambulant , mais un marchand. En Egypte,
on désigne spécialement par ce terme un marchand ^esclaves. Je crois
' P. 338. — « P. 34i. — ' P. 34o.— * P. 346. — • P. 367. — • T. U, p. 3a.
478 JOURNAL DES SAVANTS.
donc que te passage devrait être rendu dé cette manière : « des moutons
et des bœufs, que les marchands exportent dans d'autres contrées. i>
Plus loin ^ on lit : o ce bourg produit quantité de raisins secs de
couleur rouge , et dont le goût approche de celui du vin sec et doux. »
Dans le texte on trouve ces mots »)\y x^iJo «^^wasi^» . Je serais porté à
lire 5;!^ , et je traduirais : a son goût est accompagné d*amertume. »
Dans la description de la mosquée de Cordoue ^, le texte offre ^y^l
i^y^jie^^ , que le traducteur rend par : a des énormes pins de Tarsous. »
U atteste qu*un des deux manuscrits porte : u de Tortose. » Ne pourrait-
on pas lire, au lieu de fjoymjiai] , ^y»oji\ , et traduire : udes pins for-
tement assujettis ? »
A Tarlicle de la ville d'Antioche ^ , on lit que cette ville est bâtie sur
un fleuve appelé El-Arbat tl^;-^! . Mais il s'est glissé ici une petite er-
reur, qui a peut-être été commise par l'auteur lui-même. Au lieu de
tl^j^l , il faut lire ky^I (l'Orohte).
Plus bas^ on lit : u entre cette ville (Tarsous) et la frontière de Roum
il existe des montagnes entrecoupées de fossés » Le texte porte
^%\<-M! çj^ iixA-AJu Jlx:>-. Je crois qu'il faut faire ici une légère correc-
tion , substituer x»*^w»a,4 à iU».&J:^ , et traduire : « des montagnes qui se
détachent du Loukam. )i On a vu, plus haut, que, par ce nom, les
Arabes désignent la grande chaîne du Taurus.
Dans un passage où l'auteur parle des affluents du Tigre ^, on lit ces
mots : « Les deux Zab forment deux grandes rivières, qui, si elles étaient
réunies, présenteraient un volume d'eau égal ou même supérieur à la
moitié de celui du Tigre. » Le texte porte l*^v5>-l lit « lorsqu'elles se
réunissent. » Le traducteur cite en note l'opinion de l'illustre Dan-
ville, qui dit e>tpressément : «Il y a quelque défaut dans la traduction
de l'Édrisi, ou il se trompe lui-même, dans la vi* partie du iv" cU-
mat, en disant que les deux Zab, lorsqu'ils se joignent, (juando in
anum coalescunt, égalent et surpassent même la ipoitié du Tigre. »
Qu'il me soit permis de hasarder une observation sur ce passage. Sans
doute , d'après les idées que Ton s'est formées sur la géograpliie de
cette contrée de l'Orient, il est impossible de concevoir cette phrase :
((lorsque les deux Zab se réunissent, » puisque, suivant le témoignage
unanime des géographes, le grand et le petit Zab vont se jeter dans le
Tigre , à une certaine distance l'un de l'autre , et que ces deux rivières
ne réunissent jamais leurs eaux qu'à Tépoque d'inondations extraordi-
jiaires. Mais il paraît que, sur cet article, les géc^raphes sont dans
>P.47. — «P 59. — *?. i3i.--*P. i5Scli3ii. — •P.iA?.
AOUT 1843. 47g
Terreur. M. Ainsworth ^ qui , dans ces dernières années, a parcouru pied
à pied et avec un soin admirable, ces régions peu hospitalières, atteste,
(fe la manière la plus formelle, la réunion du grand et du petit Zab..
Voici de quelle manière s'exprime ce savant et consciencieux voyageur:
«Sous le parallèle de Kiyau, ou plutôt, un peu plus bas, au pied du
mont Warandun , le Zab est divis^ en deux branches d'un volume 4
4)eu près égal. Le bras méridional vient de la contrée située au delà du
Julainerik ; celui du nord vient de Leïhoun et des environs. Ce der-
nier porte le nom de Berdizawi , ou Petit Zab. » D'après ces détails , on
voit qu'il n*y a rien à changer dans le texte d'Édrisi , et qu'il faut tra-
duire : ((Lorsque ces deux rivières se réunissent, leur volume d'eau
égale la moitié de celui du Tigre. »
Plus bas^, dans la description de la viUe de Roha (Édesse), nous
liions : (( il y a une église où l'on conservait le suaire du Messie. » Mais
il s'est glissé là une petite faute. Le mot arabe J^.^yJ^ ne signifie pas
un suaire, mais il reproduit le terme latin mantile, et désigne une ser-
viette, un mouchoir; et, en elTet, la reKque conservée dans la ville de
Roha était un mouchoir sur lequel était, dit-on, imprimée la figure de
Jésus-Christ, ou qui, suivant d'autres, avait servi au fils de Dieu pour
s'essuyer au sortir des eaux, du baptême. Les habitants avaient la con-
viction intime que cette précieuse relique formait pour leur ville une
sauve-garde assurée , qui ne la laisserait jamais tomber au {)ouvoir d'un
ennemi. Lorsque, malgré ces espérances flatteuses, Roha eût été con-
quise par les Arabes musulmans , les empereurs de Constantinople vou-
lurent retirer cette relique des mains des infidèles. Suivant le témoi-
gnage de Masoudi*, les Grecs, ayant mis le siège devant Roha, l'an 332
de l'hégire , consentirent à le lever, sous la condition qu'on leur remet-
trait celte relique. Au rapport d'Abou'lféda*, de Nowaïri^ et d'Abou'l-
mahasen®. Tan 33 1 de l'hégire, l'empereur grec fit demander au khalife
Moltali le linge avec lequel Jésus-Christ s'était essuyé le visage, et sur
lequel sa figure était empreinte. Il s'engagea, si on lui rendait cette re-
lique , à délivrer tous les prisonniers musulmans que les chances de la
guerre avaient feit tomber entre ses mains.
Plus ba^, il est fait mention de la chaîne de montagnes de lemanin.
Je crois qu'il faut lire Thajnanin (^jy^.
La ville nommée par Eldrisi Beheschoun^ oy^'^ ^^ diffère pas , je
^ An accoant of a visit to tke Chaïdeans, ap. 7%^ Journal of the royal geographical
Society of London, t. XI, p. 47. — * P. i53. — * Morondj, t. I, fol. i43 v*: —
* Awmlet, t II, p. 4aii.— * Man. vab. 645, fol 4i r*. — * Man. arab.67i,jfoL 89 v*.
— ^P. i54. — 'P. i63.
'i80 JOURNAL DES SAVANTS.
crois, de Bihsatoan ^jj^^*»^, et je pense que c'est ainsi qu'il faut lire.
Dans la version du passage, je me permettrai de faire un petit change-
ment, et je traduis : «on voit la représentation de Kesra (Cosroës)
monté sur le cheval appelle Schebdiz. » Car, suivant la tradition des
Persans, tel était le nom que portait le cheval de Rhosrev-Parviz.
Dans la description de la mer Caspienne ^ , il est fait mention de
Demestan ^Uam^^ et Selioun {j^^ ou Aleskoan ^^X^mJ!. Mais, si je ne
me trompe, le premier nom doit être changé en celui de Dàhestan
^IjÙMb^â (le pays des Dahes) , et , au second, il faut substituer Abeshoun
L'auteur, décrivant la contrée du Deïlem, ajoute^ : «Les habitants
ont une langue à part, qui n'est ni le pei'san , ni le râni *^^J^ , ni Var-
niénien. n Cette langue du Deïlem est également nommée par d'autres
écrivains orientaux. Quant au langage râni, je crois qu'il faut lire Arh-
niah iujl^^l , et y reconnaître la langue qui était en usage dans la pro-
vince d'Arran. .
Au nom de la ville de Taran u'r^^' j^ ^''^^^ V^'^^ ^^^^ substituer ce-
lui de Taroz j'iJo. Le mot Karentaré » Jsxil Ji * désigne-t-il réellement la
Tarantaise? Ne serait-ce pas plutôt la Carinthie?
Dans l'article qui concerne les Russes^, on lit : «Quelques-uns se
rasent la barbe, d'autres la réunissent et la tressent à la manière des
Arabes du Douab. » La manière dont le passage est écrit me laisse , je
favoue, quelques doutes. Le mot v'j/^' ^st, si je ne me trompe, une
mauvaise leçon introduite par la négligence des copistes. S'il m'est per-
mis de hasarder une conjecture , je crois qu'il faut lire ô'^' et traduire :
« comlne les crinières des chevaux. » Le mot »j\S , dans le passage qui
suit , doit-il se traduire par civilisation ? Je crois qu'il désigne le pays
habité. Le mot a-«UI ne signifie pas, je crois, l'action de se tenir debout,
mais (( une proclamation de la prière qui a lieu dans l'intérieur d% la
mosquée, immédiatement après ïidzan,n et sur laquelle j'ai donné ail-
leurs' quelques détails^. Enfin, les mots i^jy ^jjiJo signifient peut-être
« les agresseurs russes , » plutôt que « les magiciens de Russie. "^ »
J'ai peut-être trop prolongé ces remarques , dont quelques-unes, pro-
bablement , offriront aux lecteurs un bien faible intérêt. En supposant
même que j'aie eu raison sur quelques points , mes observations ne sau-
raient diminuer en rien l'estime profonde que Ton doit au travail de
' P. 169, 179. — • P. 178. — ' P. ao8. — * P. a46. — * P. 4oa. — * Notices
et extraits des manuscrits, t. XII, p. 587 — ^ P. A33.
AOUT 1843. 481
mon savant confrère. Voulant faire connaître et apprécier au public la
géographie des Arabes, il ne pouvait choisir un répertoire plus vaste,
plus riche de faits, plus abondant en détails de toute espèce. Le texte ,
ainsi que je Tai dit, a été traduit avec une fidélité scrupuleuse ^ une fa-
cilité élégante ; et le lecteur, en cohsultant et étudiant cet ouvrage , peut
se flatter de connaître à peu près tout ce que les Arabes ont su, relati-
vement à la constitution du globe , à la description des pays du monde
et aux mœurs de leurs habitants. C'est là un service éminent que M. Jau-
bert a rendu aux amateurs de la géographie. Il eût été à souhaiter que
le texte arabe pût être joint à la traduction de son savant interprète.
Mais un tel vœu était plus facile à former qu*à réaliser; une pareille pu-
blication aurait exigé des frais trop considérables; la Société de géogra-
phie , dont le zèle éclairé a procuré au monde savant cette mine de do-
cuments précieux, a noblement mérité de la littérature , et Ton n'était
pas en droit de demander qu'elle fît davantage.
QUATREMÈRE.
Tables pour le calcul des syzygies écliptiques et non écliptiques, par
M. Largeteau, adjoint du bureau des longitudes. Brochure in-8^
de 3 G pages, annexée à la Connaissance des temps pour 1 846.
Paris, i843.
OBUXièMB ARTICLE.
Pour apprécier avec exactitude les notions et les institutions astro-
nomiques des peuples qui ont été séparés de nous par le temps et par
les formes de la civilisation, une condition indispensable, c*est de s'ini-
tier è leurs idées, de chercher ^ se rendre propres les procédés qu*ils
ont pu mettre en usage , et de nous demander ce que nous aurions dû
(aire avec de pareils moyens, si nous eussions été à leur place. Or, ce
transport de nous-mêmes à une autre époque, cette sorte d'oubli intel-
ligent de nos méthodes acquises, qui laisse seulement à notre esprit sa
faculté d'invention naturelle, et la connaissance intuitive des lois nu-
mériques auxquelles la simple observation doit le conduire , ce sont au-
tant d'abstractions presque impossibles à réaliser avec justesse , si Ton
n'a pas une pratique personnelle de f astronomie ; non de celle que Ton
voit tout établie dans nos observatoires avec les instruments perfec-
^6i
482 JOURNAL DES SAVANTS.
•
licmnés de la science moderne , mais de celle qu*îl Bauit créer, pour son
propre besoin., da&s des lieux où rien a a été préparé. Les détermina-
tions approuoiatives par lesquelles il Êiut commencer alors vous ap-
preiment. par expérience les ressources que peuvent fournir les pro-
cédés les plus simples , rétat présent du ciel et les accidents mêmes des
lieux. Vous voyez ainsi quelles sortes de résultats peuvent être obtenus
primitivement, quel degré de précision Ton en peut attendre, et je
doute que tes connaissances théoriques^ même les plus profondes,
puissent rem[dacer cet enseignement. Aussi, faute des notions pra-
tiques quii donne, combien de conceptions non réalisables, d'idées
postérieurement acquises, ne se sont pas introduites, à Tinsu de leurs
auteurs , dans Tinterprétation de ce que les anciens ont dû faire , et de
et qu'ils ont spu découvrir on astronomie, aux époques qui ont précédé
les livres grecs! Les uns les mettent en possieasion d'une science théo-
rique qui serait de même nature que la nôtre, seulement moins riche,
mais procédant avec le même esprit d'abslraclion. Ils leur prêtent,
sans s en apercevoir, des opérations , des résultats qui ne peuvent être
amenés, même suggérés, que par la connaissance ou la pratique de
nos méthodes modernes; de sorte que, par celte uniformité de concep-
tions, contraire à la nature de Tesprit humain comme aux faits eux-
mêmes, Dous serions seulçm^nt les continuateurs 4e cet ancien savoir.
D'autre^ se. croient, et semblent en effet plus sévères. Us pi'étendent
accorder uniquement aux anciens les notions naturelles et les détermi-
natiohsles plus simples. Mais, n'ayant jamais eu Tobligation de marcher
eux-mêmes pratiquement dans ces premières voies, ils les mettent,
sans s'en rendre compte, à Tongine de celles que nous suivons mainte-
nant, et ne jugent de la simplicité que par comparaison avec nos ha-
bîftudes iprésentes , aulieu de la cherdier dans des habitudes différentes,
où elle 131 tout ansai rédttement existé, sens une autre forme. Écoutez,
par exemple, Géminus, lorsqu'il explique comtnent les fêtes égyp-
tiennes attachées aux }^nra vagnes se transportent successivement dans
toutes lies phases de Tannée sfoiaire vraie. Il en rend parfaitement
compte dans Thypothèse, pour lui famflière, où cette année contîen-
dmit 366 J ajuste; €t, par un icalcuJ arithmétique exact, il en conclut
le rertptir des fêtes vagues «ux mêmes phases solaires, après iâ6o an-
nées éclaires révolues. 'G'^est aussi ce que fait Gensorîn. Mais, raison-
nant d*un et Tautre d'après le» usages reçus de leur temps, il ne leur
vient pas en pensée d'exammei* ce poim; de fait : Savoir, si. depuis fë-
poqvietoù les anciens l^^ens étendirent'léur année va^e à 365 jours ,
an tieu «^ Mo quelle wvnAi auparatant , il^ ont ex^é en corps dé
AOUT 1843. 4«3
nation indépendaiite , sous leurs institutions religieuses propres, asseï
longtemps pour avoir suivi, sans iaterruption , la mai^he de' leurs
fêtes pendant uoe de ces révolutions ^entière. Cette question était ce-
pendant d*une grande importance pour Thistoire de l'astronomie. Car,
en supposant Tannée de 365 jours aussi anciennement employée chez
les Egyptiens, ce qui me semble fort douteux, pardesraisons que j'ex-
poserai tout à r heure, et en admettant qu'ils l'eussent suivie avec con-
tinuité pendant tout ce temps par des observations de solstices, comme
Géminus atteste qu'ils le faisaient régulièrement à son époque (i), les
prêtres auraient dû indubitablement voir que la révolution des 365
jours, dans l'année solaire vraie, ne s'accomplissait pas en. i/!t6o ans
solaires, mais en 1 5o5 , et cela par le seul cours naturel des faits, sans
aucune science ; de même que les Eluropéens ont reconnu Terreur de
Tannée julienne par le déplacement de û fête de Pâques, dans Tannée
solaire, lequel était d'un peu plus d'un joiur en i32 ans (%). Les prêtres
Egyptiens auraient, par conséquent, constaté ainsi la vraie durée de
Tannée solaire en jours, ce qu'Hipparque et surtout Ptolémée auraient
pu difficilement ignorer, mais dont ils n'ont eu aucune connaissance (3).
D'une autre part, sous la même préoccupation d'une année solaire de
365 J -f, Géminus, ainsi que Censorin, n'ont pas remarqué combien,
le déplacement des fêtes une fois accepté ou justifié, Tannée vague de
365 jours était d'un usage plus commode que toute autre. Car, d'a-
bord , les nouvelles et les pleines lunes y revenaient aux mêmes jours
vagues après 2 5 de ces années révolues, sans qu'il s'en manquât â
peine d'un jour en 575 ans (4), de sorte que leurs apparitions ayant été
physiquement observées et notées pendant une seule période pareille
de 2 5 ans, ou, si Ton veut, pendant quelques-unes consécutives, afin
d'avoir une moyenne plus exacte, cela suffisait pour azinoncer et ipré-
parer toutes les cérémonies qui s'y rapportaient, et que nous voyons
niarquées dans leur litui^ie, selon que les phases désignées avaient
lieu à tel ou tel jour de tel ou tel mois. La rétrogradation de Tannée
vague dans Tannée solaire vraie n'ofl'rait pas moins de simplicité, puis-
qu'elle était juste d'an quart de lanaison en trente ans vagues ^ ou d'une lu-
naison entière en cent-vingt ans (5) . Les anciens Égyptiens avaient-ils. re-
marqué cette relation? L'importance qu'ils attachaient â leurs périodes
de 3o ans pourrait le faire croii*e. S'ils Tont remarquée, elle suffisait
pour transporter indéfiniment les solstices et les équinoxes d'une époque
à une autre, avec une précision surprenante. En eflfet, la concordance
qu'elle établit n'est pas seulement ^ale à la julienne; elle lui est fort
supérieure en exactitude , puisqu'dyle reproduit identuiuement Tannée
61.
484 JOURNAL DES SAVANTS.
d'Hipparque; de sorte qu*il aurait pu déduire sa correction d'un trois
centième de jour de cette tradition, si elle existait, et quon la lui eût
communiquée. Malheureusement pour Thistoire de Tesprit humain , les
astronomes grecs ont trop peu cherché à s aider des documents tradi-
tionnels qui pouvaient, comme ceux-là, être fournis par le simple as-
pect des phénomènes célestes opérés pendant de longues suites de
siècles; et, si, parfois, ils les ont connus, ils ont mis trop d'indifférence
à en consei*ver les détails. Ainsi ils ont mentionné la période lunaire
de 6585 J Y, et ses remarquables applications, sans spécifier aucune-
ment les observations nécessairement très-anciennes et très-nombreuses
qui ont dû être faites pour l'établir. Us n'indiquent même pas nette-
ment d'où ils l'ont apprise (6). Us ont employé dix éclipses chaldéennes;
mais tant d'autres qui leur étaient venues aussi de Babylone, et qui
nous seraient aujourd'hui si utiles, ils les ont laissées périr dans l'oubli.
N'en voyant pas l'usage actuel pour eux, ils se sont mis peu en peine
d'en perpétuer la mémoire. En général, les Grecs, si grands par leurs
arts et par leurs productions intellectuelles , ont porté, dans toutes les
parties de l'histoire humaine, le caractère de présomption ignorante
propre à un peuple nouveau et vain. S'ils ont quelquefois cherché à
pénétrer dans les origines des nations qu'ils appelaient barbares , ils
l'ont fait pour y découvrir quelque vestige d'antiquité qu'ils pussent
s'appliquer à eux-mêmes, par un futile sentiment de nationalité. Le
même esprit a influé sur leurs travaux astronomiques, et nous prive
aujourd'hui de documents du plus haut prix, qu'eux seuls pouvaient
nous transmettre.
Les écrivains modernes sont exempts de ces préjugés. Mais ceux
d'entre eux qui entreprennent de rechercher les notions astronomiques
des anciens temps, manquant pour la plupart d'une pratique person-
nelle de l'art d'observer, substituent fréquemment les idées qui leur
sont habituelles à celles qui ont été réellement propres aux peuples dont
ils étudient l'histoire. Par exemple, depuis une très-haute antiquité, les
Chinois ont rapporté les lieux des astres à des divisions équatoriaies,
comprises entre les cercles de déclinaison menés , à chaque époque ,
par certaines étoiles déterminatricos qui nous sont connues, et qui,
une fois adoptées, ont toujours servi à cet usage. Ces divisions, dont
l'établissement parait avoir été successif, se trouvent déjà portées au
nombre final de a8, du temps de Tcheou-kong , onze siècles avant l'ère
chrétienne. Sur ces q8, quatre correspondent exactement aux colures
des équinoxes et des solstices, pour le temps de ce prince astronome,
que l'oii doit ainsi présumer les avoir établies. Les a 4 autres sont dis-
AOUT 1843. 485
persées, à des distances très-inégales, sur le contour de Téqualeur, tel
qu'il se traçait dans le ciel il y a quatre mille ans. Celles-là coïncident
avec les équinoxes et les solstices de cette époque reculée , ou avec les
cercles de déclinaison des principales étoiles des deux ourses , dont les
passages au méridien servaient alors pour mesurer le temps. Voilà ce
que les anciens textes chinois nous disent; et Ton n'y voit absolument
aucune indication d*un rapport intentionnel avec les positions succes-
sives de la lune pendant sa révolution mensuelle , rapport qui eût été,
en effet , incompatible avec l'inégalité excessive et bizarre des divisions
adoptées (7). Néanmoins, d'après cette seule particidarité du nombre 28,
les plus habiles orientalistes de Calcutta, et presque tous les savants
d'Europe , ont attribué aux anciens Chinois an zodiaque binaire, analogue
aux 28 naschatras des Hindous , et aux a 8 mansions lunaires des Arabes,
associant ainsi, dans une identification idéale, des conceptions déri-
vées, à la vérité, d'une même origine , mais successivement modifiées
dans leur application par le progrès du temps. Ainsi, chez les Hindous ,
les naschatras équatoriaux qu'ils ont pris des Chinois, étant mêlés,
comme ils le sont, avec les longitudes et latitudes grecques, composent
une association aussi monstrueuse que les formes de leurs divinités. Et
ils n'ont jamais pu mettre ces naschatras inégaux en rapport avec la
lune que pour des intei^rétations astrologiques, où toute sorte de dérai-
son est tolérable. Encore ont-ils dû être fort embarrassés poiu* leur con
server cet usage , depuis que le déplacement progressif du pôle ter-
resti'e parmi les étoiles a, vers le xiii* siècle de notre ère, anéanti une
de ces divisions, tant indiennes que chinoises , par la superposition des
deux cercles de décUnaison qui la limitaient; ce qui en a réduit dès
lors le nombre à a 7. Les Arabes, mieux instruits de ces déplacements,
ou peut-être les voyant trop près de s accomphr, ont rendu cette con-
ception astrologique plus durable en se l'appropriant. Car ils ont distri-
bué leurs a 8 mansions lunaires sur le contour de l'équateur, à des in-
tervalles d'ascension droite sensiblement égaux; ce qui permettait d'y
placer toujours effectivement la lune aux différents jours de chaque
mois, mais en leur donnant une distribution tout autre que ne l'avaient
primitivement les divisions- chinoises. Néanmoins, la persistance des
préjugés scientifiques une fois admis est si grande, que cette fiction
d'un zodiaque lunaire chinois a été reproduite encore il y a peu d'an-
nées, comme un fait réel, dans un travail spécial publié sur la chrono-
logie chinoise par un savant étranger très - érudit , et intentionnelle-
ment très-opposé à l'esprit de système. Comme aussi, en exposant les
notions astronomiques qui servent de base à cette chronologie, il attri-
4»a JOURNAL DES SAVANTS.
bue aux anciens Chinois des conceptions à la vérité fort simples , mais
entièrement différentes des leurs et toutes grecques, leur faisant, par
exemple, diviser primitivement en douze parties égales le contour
de f écliptique, qu'ils n'ont connu que fort tard, et dont ils n ont con^-
déré les subdivisions que spéculativement, sans en faire aucun usage
pour leurs déterminations pratiques, uniquement fondées sur les divi-
sions équatoriales. Certes, je rends une complète justice à l'érudition
et à la droiture d'esprit de ce savant distingué ; mais ces qualités , que
personne ne lui contestera, montrent avec d'autant plus d'évidence
combien nous sommes portés à introduire, dans ces restitutions des
résultats anciens, les notions scientifiques que notre éducation nous a
rendues habituelles. Et réciproquement, les procédés d'observation que
les peuples ti'ès-anciens ont pu employer, ayant dû être tout autres que
ceux dont nous iious servons aujourd'hui, surtout n'ayant dû être inten-
tionnellement appliqués que pour des déterminations immédiates, cela
nous avertit qu'il faut chercher la simplicité de leurs opérations dans
la nature même des phénomènes, indiquée par l'expérience pratique,
non dans une relation plus ou moins analogique avec les idées établies
actuellement.
D'après ce que j'ai remarqué plus haut, sur les rapports si simples
de l'année de 365 jours avec les révolutions du soleil et de la lune,
l'époque à laquelle on lui donna cette forme en Egypte, par l'adjonc-
tion des cinq épagomènes, n'est pas sans intérêt pour l'histoire de
l'astronomie , non plus que pour faire pressentir la valeur des documents
astronomiques que l'étude des monuments égyptiens peut offrir à nos
espérances. Les plus anciennes traces que ChampoUion ait découvertes
de ces cinq jours, dans les inscriptions et dans les papyrus, ne remon-
tent pas au delà de la xvni*" dynastie diospolitaine ; et personne, depuis,
n'en a trouvé d'antérieures à cette limite de temps. Mais la notation écrite
des douze mois se lit sur les monuments de toutes les époques, même
les plus anciennes (8). Et, comme elle convient aussi bien à une année de
36o jours qu'à une de 365, puisqu'elle ne s'applique qu'aux mois, on
voit que, conformément aux traditions, elle a dû être inventée pour
cette première forme, bien avs^nt que l'on adoptât la seconde. Cela
prouve que le principe du déplacement des fêtes dans l'année solaire
vraie a dû être admis, depuis la plus haute antiquité, par les Egyptiens.
Dès que ChampoUion m'eut communiqué cette notation , je cherchai ,
par les calculs de concordance , à quelles époques , dans l'état final de
l'année vague , eUe avait dû coïncider avec les phases de l'année solaire
vraie; et, en me bornant aux trois plus récentes, je trouvai que cela
AOUT 1843. 487
avait eu lieu dans les années juliennes — 276, — 1780, — 3285, en
comptant à la manière des chronologistes (9). Maintenant , pour faire
usage de ce résultat numérique, reportons -nous aux temps où Tannée
vague de 36o jours était en usage. La notation écrite revenait alors,
en coïncidence presque exacte avec les phases solaires, après des inter-
valles de 209 années pareilles, qui pouvaient se subdiviser en trois pé-
riodes alternées, de 70, 69 et 70 ans, à chacune desquelles il $*opérait
une concordance du même genre, mais moins précise (10). L adjonc-
tion des cinq épagomènes eut sans doute pour effet de rapprocher da-
vantage Tannée vague de Tannée solaire, afin quune fois concordantes
elles ne se séparassent pas si vite. Alors on dut vraisemblablement Tef-
fectuer à une des époques où un tel accord existait, dans Tespoir de
le maintenir plus longtemps, sinon pour toujours. En effet, la sépara-
tion des deux années en devint si lente, qu'il devait s*écouler i5o^ an-
nées vagues nouvelles avant quune coïncidence ultérieure pût se re-
produire. En admettant cette intention de rapprochement très-naturelle ,
Tépoque du changement d année doit se trouver à Tune de ces coïnci-
dences rétrogrades qiie Tannée finale nous oilre; et, devant être anté-
rieur à la XIX* dynastie, puisque les épagomènes se voient dans la xvui',
il faut quil ait eu lieu lors de la coïncidence de — 1 780, ou i celle de
— 3 a 85, la première date étant la plus rapprochée de nous que Ton
puiase supposer, et la seconde, très-probablement, la plus distante. Si
cette dernière est la véritable, les prêtres égyptiens ont vu s'accomplir
une révolution entière de leur année définitive dans Tannée solaire
vraie , et ils ont pu suivre toutes les phases de ce mouvement, par des
observations régulièrement c<mlinuées, puisque les fonctions, ainsi que
Tautorité de leur caste, se sont encore maintenues beaucoup plus tard
que la fin de cette période. Mais , si le changement d'année s est opéré
lors de la coïncidence de — 1780, il est presque impossible que cette
continuité n'ait pas été interrompue : d'abord, par les ferres intérieures,
qui, sept siècles plus tard, désolèrent TÉgypte et y produisirent ime
anarchie complète ; puis, après quelques siècles de repos, par Tinvasion
persane, qui ravagea tout le pays, dévasta les temples, persécuta la
religion ; enfin , par l'invasion et la domination grecques , qui laissèrent
seulement aux prêtres Texercice de leurs pratiques religieuses, avec le
devoir de prier pour le vainqueiu*, sans aucune participation au gou>
vemement. Comment croire qu'après tant de désastres la caste sacer-
dotale aurait continué, sans interruption, les observations astrono-
miques et les spécidations abstraites qui, au temps de son ancienne
prospérité, étaient un attribut spécial de ses fojactioQs religieuses , et sans
488 JOURNAL DES SAVANTS.
doute aussi un puissant instrument de domination P Cela semble tout
à fait impossible.
Pour ne négliger aucun indice qui pût éclairer cette importante al-
ternative , j'avais rapporté un passage du Syncelle , où il est dit que les
cinq épagomènes ont été ajoutés à Vannée primitive soas le règne du roi Aseth,
père d'Amosis, le premier de la xviif dynastie diospolitaine ; et aussi, que le
bœuf Apis fut mis au rang des dieux à la même époque (i i). Cette dernière
particularité n'a rien d'invraisemblable ; car le bœuf, ou plutôt le taureau
Apis, comme les monuments le représentent, était consacré à la Lune( 1 2),
probablement à la lune en conjonction avec le soleil, d'après ce qu'in-
dique la couleur noire qui lui est attribuée; et, en outre, la durée de sa
vie symbolique était limitée à vingt-cinq ans vagues (1 3). C'est, en effet,
la période du retour des phases lunaires, à un même joiu* vague, dans
l'année de 365 jours, mais nullement dans celle de 36o. La quatrième
.lettre écrite d'Egypte par Champollion ajoute aujourd'hui à ces indica-
tions une circonstance qui leur donne beaucoup de force. Car, d'après des
inscriptions , sculptées sur de grandes stèles, â l'entrée de deux des car-
rières qui avoisinent Memphis , le fameux temple dédié à Apis , dans cette
ville , a été effectivement bâti par ce même roi Amosis dont le Syncelle
parle. Quant au surplus de son récit, pour en faire une juste application,
il faut remarquer que , dans le sens qu'il lui donne , son roi Aseth ne doit
pas être confondu avec ï Assis que Flavien Josèphe désigne comme ayant
été le dernier des rois Hycsos, dans un célèbre passage, que l'on a sou-
vent reproduit (i4). Car le Syncelle, qui assure avoir eu sous les yeux
plusieurs exemplaires de Josèphe (1 5) , ne pouvait pas ignorer la mention
que cet auteur fait de son Assis, lequel est aussi nommé par Eusèbe,
avec la même désignation d'Hycsos (16); et toutefois il affirme qu'il n'y a
aucune mention de cet Aseth dans Eusèbe, ni dans l'Africain ( 1 7). De plus,
la qualification, qu'il lui donne, de père d' Amosis, le premier roi de
de la xviii* dynasfie diospolitaine, le distingue essentiellement des rois
Hycsos ; et il assure avoir tiré cette filiation de plusieurs manuscrits , les
plus corrects : ok rà Tikeiara xeù ixpifôrrepa t&v àvriypépcûv (18). Or, si
l'on prend la date absolue que le Syncelle assigne à son Aseth , et qu'on la
rapporte à l'ère chrétienne, par différence avec la première année de
Nabonassar, extraite pareillement de sa chronographie, elle se trouve
justement répondre à l'année julienne — ^1 778; ce qui est si près de la
coïncidence calculée pour — 1780, qu'il y a plus à s'étonner de l'accord
que de la différence des deux résultats (19),
Je n'ignore pas que la chronographie du Syncelle est contestable ,
6urtôut dans ses dates absolues. Et quelle autre ne le serait pas, quand
AOUT 1843. 489
il faut reconstruire une chaîne d'années si longue, dont tant d*anneaux
sont l3risés ! C'est pourquoi je vais remonier à cette même date par
un document qui nous reportera de suite à peu de distance d'elle ; de
sorte qu'il ne nous restera qu'un petit nombre d'intermédiaires à fran-
chir pour y arriver.
On admet je crois aujourd'hui, comme un fait non contestable, que
le Rhamsës IV, dit Meîamoun , dont Ghampollion a lu les légendes sur
les inonuments de Médinet-Habou, a été le premier roi de la xix* dy-
nastie diospolitaine , et qu'il est identique avec le Rhamessès-Séthos ,
que Jules Africain, le Syncelle et Eusèbe , placent à la tète de cettedy-
nastie, en lui attribuant, l'un 5i , les deux a'utres 55 années de règne,
d'après Manéthon. Or, suivant l'interprétation que j'ai cru pouvoii*
donner d'un tableau relatif à ce prince , tableau sculpté dans une des
salles de son palais , à Médinet-Habou , la cérémonie qui s'y trouve re-
présentée aurait été accomplie, lorsque l'équinoxe vemal vrai a coïn-
cidé avec le premier jour du mois de pachon vague; ce qui est arrivé
le % avril de l'année jidienne — 1^89 (ao). L'usage que je vais faire de
cette interprétation lui servira aussi d'épreuve. En l'admettant, si la^
cérémonie avait eu lieu dès la première année du règne , elle fixerait
son commencement à l'annéç — 1389 elle-niême; si, au contraire,
elle avait eu lieu k la dernière année , elle reporterait ce commence-
ment 55 ans plus haut, c'est-à-dire à — 1444. Telles seraient donc,
suivant ce calcul , les deux dates extrêmes entre lesquelles on devrait
placer l'avènement de la x^^dynastie , mais vraisemblablement plus
près de la première que de la seconde.
Revenant alors au récit du Syncelle, je n'emploie plus la date qu'il
donne , mais seulement la tradition qu'il dit avoir extraite des manus-
crits qu'il avait sous les yeux; et encore je la restreins à ses circons-
tances les plus générales, savoir: que les épagomènes auraient été
ajoutés vers la fin de la xvu* dynastie Intime, ou au conunencement
de la xvni* dynastie, lorsque la race royide indigène eut recouvré son
pouvoir sur toute l'Egypte , le Delta excepté. Puis, je vais chercher si cette
indication nous ramène à l'époque de — 1 780 , où l'année égyptienne de
365 jours , en rétrogradant sur elle-même , se place , pour la première fois ,
en coïncidence avec l'année solaire vraie, au delà des limites de temps
dans desquelles nous avons des traces certaines de son existence. Pour
cela, entre les évaluations discordantes que les divers extraits de Ma-
néthon rapportent sur la durée de la xvui* dynastie diospolitaine , je
prends celle qui lui donne 348 ans, comme la plus généralement
adq»lée ; et , l'ajoutant aux dqua dates extrêmes , trouvées tout à l'heure ,
6a
400 JOURNAL DES SAVANTS.
j'obtiens, pour Hmites du commencement de cette xviii* dynastie, les
années — 1737, et 179a , dont ia première ne pourrait être que trop
rapprochée de nous, et la dernière en est trop distante. Maintenant, si
l'on place l'adjonction des cinq épagomènes vers la fin de la xvn* dy-
nastie , selon la tradition que le Syncelle rapporte , et que tous les ma-
'^ numents jusqu'ici connus ne font que confirmer, on voit que cette
indication, dégagée des dates numériques dont il l'affecte, nous ramène
à la coïncidence solaire de l'an- — 1780, sans aucune possibilité de re-
joindre l'antérieure, qui aurait dû s opérer en — 3a85, si l'oiireculait
jusque-là hypothétiquement l'existence de l'année de 365 jours.
Quoique je ne veuille pas me détourner ici à des discussions chror
nologiques, je dois prévenir une objection qui pourrait se présenter.
Dans le calcul précédent, la date solaire absolue déduite du monument
de Rhamsès Meïamoun donne , pour le commencement de la xvm* dy-
nastie égyptienne, des limites de temps un peu plus rapprochées de
nous que celles qui ont été adoptées par plusieurs écrivains modernes.
Sans vouloir exagérer la valeur du mode d'évaluation direct que j'ai emr
ployé,je ferai remarquer que la moins distantede ces limites, — 1 787, est
presque exactement intermédiaire entre les dates absolues qui se tii^ent de
la chronographie du Syncelle et de celle d'Eusèbe , présentant avec la pre-
mière une différence de i3 ans en moins, avec la seconde une de i5
en plus, comme je le prouve ici en note (21). Gela semblerait indiquer
que la cérémonie de la prise du pschent, représentée sur le tableau de
Meïamoun « aurait eu lieu dans la preiA^e année de son règne. Cette
circonstance n'a rien d'improbable, si l'on considère que, parmi tous
les tableaux historiques relatifs au même prince , et sculptés dans le
même palais, celui-là est le seul qui ne porte qu'une date de jour sans
indication d'année de règne. En supposant que ce fût la première page
de son histoire , il ne pouvait, en effet, lui donner d'autre date, ni plus
précise, que celle du jour correspondant à la phase solaire où ou l'avait
célébrée. Il est Inen difficile de renouer aujpurd'hui avec plus de cer-
titude la cliaine des temps jusqu'à des époques si distantes, lorsqu'on
n'a , d'dilleurs , pour le faire , que des dates relatives , tirées d'une seule
source peu sûre , qui nous ont été transmises avec des vides qu'il faut
sans ce^se rempKr, et des discordances qu il &ut sans cesse concilier.
Je vais maintenant soumettre ce résultat à une dernière épreuve , tirée
des mouvements de la lime; et ceci me fournira un nouvel exemple de
l'utilité des tables de M. Largeteau, pour jfaciliter l'application des phé-
nomènes astronomiques aux recherches de chronographie. l^es parti-
cularités du culte d'Apis montrent que \ps Égyptiens n'ignoraient pas
AOUT 1843. 491
]a dunée die la révolution des phases lunaires dans Tannée de 365 jours;
et il était, en effet, impossible quils n'eussent pas remarqué leur re-
tour si exact aux mêmes jours vagues, après la courte période de a 5 an-
nées pareilles. Mais une autre tradition , rapportée par Plutarque , indique,
en outre, sous le voUe d*une allégorie transparente, que Tadj onction
des cinq épagomènes avait été expressément faite pour établir ainsi une
concordance périodique plus exacte, ou plus commode, entre la succès^
sion des lunes et celle des années nouvelles [i a). Maintenant approprions-
nous cette vue , et cherchons quelle devait être l'occasion la plus favo-
rable de la réaliser. Lorsque Tannée vague de 36o jours était en usage,
la notation des mois revenait «en coïncidence presque exacte avec les
phases solaires après 209 de ces années; et même, dans chaque période
pareille, il y avait trois époques alternées par des intervalles de 70,
69 et 70 ans, où les écarts de la notation ne s'élevaient pas à 1^,8; de
sorte que des observateurs peu exercés, ou peu attentif, auraient pu
facilement les confondre avec des coïncidences rigoureuses (a 3). Mais ces
concordances approximatives, que, dans notre mépris du passé, nous
jugerions avoir dû paraître à peu près également convenables pour
rapprocher Tannée primitive de Tannée solaire par Tadjonction des
épagomènes, ne présentaient pas, à beaucoup près, la même uniformité
d'appropriation pour y fixer les phases lunaires. Car, bien rarement,
-en beaucoup de siècles, elles durent s'y trouver réparties, dans la série
des mois , à des places où il fût désirable de les voir souvent revenir.
Cela se rencontre pourtant une fois, non pas à peu près, mais exacte^
ment, et avec des circonstances si heureuses, que, dans cette coïnci-
dence spéciale de la notation avec les phases solaires, toutes les lunes
nouvelles répondaient, aussi près que possible, aux commencements
des mois, et toutes les pleines lunes à leurs milieux. C'était donc une
occasion presque unique d'ajouter les cinq épagomènes, pour faire re-
venir une si précieuse concordance tous les vingt-cinq ans. Si on Ta
saisie, nous devons retrouver les lunes ainsi distribuées dans la coïnci-
dence rétrograde de Tannée vague finale, qui a offert cette opportunité.
Or on va voir qu'elle se rencontre dans la coïncidence de — 1780,
exclusivement à toute autre, et avec un tel degré de justesse, que Ton
ne retrouve pas, dans le cours des siècles, la possibilité d'un si parfait
arrangement.
Pour apprécier la vérité de cette assertion , il faut se rappeler que
Tannée lunaire , composée de douze lunaisons moyeniies , contient un
nombre de jours très-peu différent de 356^36. En conséquence, la
distribution la plus régulière que Ton puisse idéalement lui supposer,
62.
492 JOURNAL DES SAVANTS.
dans une année de 365 jours, consiste à Ty insérer de manière^ue la
première lune nouvelle suive le premier jour de Tannée , à peu près au
même intervalle dont la treizième lune nouvelle précède le 365* jour;
ce qui amènera les intermédiaires à s'approcher le plus possible du
commencement des mois vers le milieu de Tannée , et à s*écarter le
moins possible de ce commencement dans les mois extrêmes. Or cette
disposition spéciale se trouve effectivement réalisée , ainsi qu'on va le
voir, dans la coïncidence de Tannée vague finale avec Tannée solaire,
qui s*est opérée en — 1 780. Et, comme elle est un résultat naturel du
cours du soleil et de la lune, que Ton ne saurait ni retarder ni accé-
lérer, ni préparer artificiellement pour gu*il fasse suite à une année de
36o jours déjà établie, dont on n altère pas la disposition primitive,
il faut inévitablement que, parmi toutes les coïncidences successives
de cette année primitive avec Tannée solaire vraie, on en ait choisi
une des plus exactes, oùTaddition finale des cinq épagomènes complé*
tait la symétrie dé distribution des douze lunes qui s'était spontanément
opérée. Alors cela n*a exigé aucune science théorique, aucune spécu^
lation abstraite, mais un simple calcul arithmétique appliqué à une
concordance céleste remarquée avec exactitude, et saisie habilement.
Pour établir ce résultat avec le soin qu'il me semblait mériter, j ai
calculé, par les tables de M. Largeteau, les dates de toutes les lunes
nouvelles et pleines , pour les deux derniers mois de Tannée julienne-
— 1781 deschronologistes, et ponrles dix premiers de — 1780, lesquels
ensemble comprennent les douze mois de Tannée ^ptienne vague qui
se trouva alors en conèordance avec les phases solaires. Ces dates étant
ainsi connues dans le calendrier julien rétrograde , je les ai transportées
dans Tannée égyptienne de 365 jours par les tables de concCMrdance,
ce qui m*a donné les jours des mois égyptiens auxquels elles répon-
daient. Ces résultats sont réunis dans deux tableaux placés à la fin du
présent article, et il su£Git d'y jeter les yeux pour en avoir une com-
plète intelligence. Je n'aurai donc ici qu'à en signaler divers détails.
La disposition générale est telle que je l'ai annoncé plus haut. Les
premières lunes nouvelles suivent d'abord , à un petit intervalle , le pre-
mier jour de chaque mois ; elles se rapprochent graduellement de ce
premier jour, l'atteignent, et finissent par le précéder d un intervalle i
peu près égal , à la fin de Tannée. Par une conséquence nécessaire , les
pleines lunes tombent au milieu des douze mois, entre le 1 9* jour et
le 1 4*« Mais cet espèce d'équilibre astronomique présente une particu*
larité qui mérite surtout d'être remarquée, parce qu'elle est en har-
monie mtime avec les idées ^ptiemies , et qu'elle dul être singulière-
AOUT 1843. 493
ment déterminante pour les prêtres cpii opéraient ce raccordement. On
sait qu aux époques où f année vague de 365 jours concorde avec les
phases solaires , le premier jour du mois de pachon vague , qui ouvre
k tétraméftie des eaux , coïncide avec le solstice d*été vrai , qui est
aussi Tinstant de Tannée où le Nil commence à croître (a 4). Cette coïnci-
dence eutdonclieu encore à Tépoquede — 1 7Ô0 que nous considérons.
Or ce fut pareillement à ce même pachon solsticial que la nouvelle
lune se montra en accord' exact avec le premier jour du mois, consé-
quemment avec le solstice d'été. Car sa réapparition à Thèbes eut lieu
le soir de ce jour-la même, ayant été visible seulement le a au soir du
mois précédent pharmouti , et Tétant devenue la veille du premier jour
du mois suivant paoni. Cette symétrie de disposition autour de la phase
solaire principale et du mois qui y correspond est si par&ite, et elle
est si spéciale , qu'on a besoin de se rappdier qu'elle n'a pas pu être l'effet
d'une combinaison artificielle , mais un simple résultat naturellement
opéré par la concordance actuelle du cours des deux astres, dans Tannée
de 36o jours qui se trouvait établie antérieurement. Mais on peutcomr
prendre par là quelle justesse d'observation il a fallu pour saisir, avec
tant d a propos, le concours unique de circonstances que présentait la
concordance de Tannée primitive avec Tannée solaire qui eut lieu alora,
et qui la rendait plus convenable que toute autre pour opérer Tad-
jonction des cinq épagomènes.
Afin qu'on ne s'exagère pas la connaissance que les prêtres égyp»
tiens ont dû avoir de Tannée lunaire pour saisir si habilement une tdle
occasion, je ferai remarquer que Tinstant précis des lunaisons leur
avait été indiqué ou rappelé, cette année-là même, par une édipae de
lune , visible à Thèbes , qui eut lieu le 1 7 du mois choiack. Une autre
éclipse pareiUe, également viable à Thèbes « avait eu lieu encore dans
les derniers mois de Tannée précédente. Toutefois • il fiedlait qu'ila eussent
suivi pendant bien longtemps les phases solaires, dans leur année vague
[Himitive, pour savoir que le solstice d'été concourait si exactement
avec le premier jour de pachon , cette année-là même , plutôt que dans
la précédente ou la suivante , quoique le déplacement de cette phase y
fikt seulement de cinq jours et un quart par année I Comme auasi ils de-
vaient avoir reconnu bien précisément la marche des phases lunaires
dans les mois vagues, pour s'être aperçus qu'aucune autre coïncidence
antérieure de Tannée primitive avec le soleil ne les avait }»ésentées ré*
parties entre ces mois #vec une symétrie pareille, .en amenant juste une
lune nouvelle au premier pachon solsticial , cette époque principale de
leur calendrier I Mais la justesse avec laquelle ils ont saisi une tàle oc-
*^.
t-
4ft4 JOURNAL DES SAVANTS.
casîoti , qui ne s était jamais présentée à eux et qui ne devait jamais re-
puraitre , est restée invisiblement inscrite dans leur année définitive ,
puisquen ia reconduisant en arrière, par un calcul de concordance
qui ne peut pas être en erreur d'un seid jour, nous la repkiçons dans
les mêmes rapports avec le soleil et la tune où ils ont dû nécessairement
la trouver alors. Et ce doit être là certainement le point où ils Tont
prise pour la compléter par laddition des cinq épagomènes. Ca^, suppo-
ser qu'ils les auraient ajoutés à toute autre époque antérieure ou pos-
térieure, de manière à opérer un pareil accord entre les deux astres par
prévision ou par une computation rétrograde, qui aurait exigé la con-
naissance des mouvements vrais, aussi exacte que nous pouvons Tavoii^
nous-mêmes, depuis moins d*un siècle , ce serait leur attribuer des com-
binaisons théoriques auxquelles notre science moderne pourrait diffi-
oiiement atteindre; au lieu que l'observation toute simple, mais l'ob-
servation attentive et constante , leur a suffi pour voir des phénomènes
de concordance qui se réalisaient naturellement. Il semble à peine né-
cessaire de discuter l'idée qu'ils lie letf auraient pas aperçus , et que cette
concordance astronomique si précise, à laquelle leur année établie re-
montiB , serait un résultât duilâsard , qui aurait fait ajouter les cinq épa-
goinfènes à toute autre époque antérieure h celle-là, de manière à y con-
duire sans prévision. MaiiS enfm, si Ton voulait mettre en avant une
semblable hypothèse , un raisonnement bien simple en montrerait le
peu de probabilité. IV>ur cela v partons de la coïncidence avec les phases
solaires et lunaires que l'année définitive nous présente en — 1 780 ; puis
£aiisôns-la rétrograder indéfininient dans la série des nècles, en lui con-
servant ses 36 Séjours; et, dans chacune dés positions où ce calcul la
transporte , -otonfr-lui ses cinq épagomènes. Nous obtiendrons ainsi au-
tant d'années de 36o jom^s, qiti seront telles , que , si l'on en choisit une
quelconque pour en faire une année ^léfinitive, en lui restituant cinq épa-
gomènes, elle reviendra d'elle-même à la coïncidence de -^1 780 ; et ce
seront lea seules qui auront cette propriété. Mais elles l'auront, toutefois ,
sous la cotndition expresse qu'on y aura fait cette addition à l'époque
précise où le crel aura présenté chacune d'elles. Gar^ si on lui laisse faire
un seul pas au delà , en lui conservant ses 36o ]o\xtb\ Tannée complétée
qui en dérivera ne rejoindra' plus la coïncidence dé -^-^1780. Mainte-
nant, admettons que Tannée é^ptienrie primitive fût arrivée effecti-
vement dané une de ces positions privilégiées, où rien he décelait ses
propriétés futures'. Quelle chance spéciale, exceptionnelle, ne faudra-t-it
pàsÉMipposer pojur qu'on l'ait saisie juste dans cette position plutôt que
dans't0utei|iutre, antérieure oil'pOBtéri(puré, et ^*<éM lui ait ajouté les
AOUT 1843. 495
cinq épagomènes , précisément alors par pur hasard , saps prévision ,
sans calcul possible qui fît connaître que c était là Tépoque unique où
il laUait la compléter pour qu elle rejoignit ultérieurement la concor-
dance céleste de — 1780, à laquelle Tannée définitive se trouve adaptée
si exactement! N'est-il pas incomparablement plus simple et plus vrai>
semblable qu on ait effectué jcette addition à Tépoque m^e de — 1 780 ,,
où la double concoixiance s était spontanément réalisée dans Tannée
courante de 36o jours , et quil ne fallait que la voir. Cest déjà bien assez
d'admettre qu elle ait été ainsi amenée naturellement par les seules re-
lations que les mouvements de la lune et du soleil se sont trouvés avoir
avec Tannée de 36 o jours primitivement établie , sans qu'on Tait favori-
sée ou produite par quelque mutation, opérée à la même époque dans
la naarcbe de cette année primitive , comme on a altéré, chez nous , le
calendrier julien pour le raccorder avec les phases solaires, lors de la
réforme grégorienne. Mais rien n'aulorise à supposeï* qu'une modifica-
tion analogue aurait été opérée dans Tannée égyptienne de 36o jours,
à Tépoque de Taddition des épagomènes , pour lui donner Texacte con-t
cordance que nous lui trouvons avec les phases solaires en — 1 780 ; de
sorte que nous ne devons pas introduire cette hypothèse dans nos rai*
sonnements, quelque commode qu'elle (Ctt pour expliquer le &it de
cette double concordance. Je remarquerai, toutefois, que, si on voulaiit
l'attribuer à un pareil artifice, ce serait encore en — 1 780 qu'on l'aurait
employé, en ajoutant de plus les cinq épagomènes, puisque, dans toute
la série des siècles, il n'y a que cette seule époque où Tannée égyp-
tienne définitive, qui est venue jusqu'à nous, se trouve en coïncidence
aussi exacte avec les phases simultanées du soleil et de la lune, lorsque
nous la faisons retourner pai* le calcul dans la nuit des temps. £n ré-
sumé, si Ton considère .que toutes les voies qui viennent de s'offirir à
nous, comme pouvant conduii^e à Tépoque de Tadjonction des épago-
mènes égyptiens, aboutissent à cette même date , qu'on y est également
amené par la tradition que le Syncelle rapporte, par celle que Plutarque
raconte , par Tomission ou la présence de ces jours additionnels sur
les monuments, enfin par la coïncidence solaire et lunaii^e qui a offert
une occasion unique de les introduire tels que nous les trouvons , d'a-
près la simple observation actuelle du ciel , sans autre science qu'un à
propos d'une extrême justesse, on devra, je crois, reconnaître que cet
ensemble d'inductions concordantes, établit une probabilité très-appro-
obantc de la certitude , puisqu'on peut apprécier sa force par la presque
impossibilité qu'il y aurait de les concilier différemnient.
Je crois, en terminant, devoir aller au^^evaat d*una idée qui. poui-
496 JOURNAL DES SAVANTS.
rait se présenter à Tesprit de beaucoup de personnes. Les indications
chronographiques tirées des fragments de Alanéthon , de quelque ma-
nière qu'on les combine, ne font pas remonter les derniers temps de
ia XVII* dynastie égyptienne beaucoup plus haut que — 1 780 ; et Ton n'a
pas nen plus trouvé les épagomènes inscrits sur des monuments anté-
rieurs à la XVIII*. Tout s'accorde donc jusque-là pour placer leur adop-
tion vers le point de jonction de ces deux dynasties, lors de la concor-
dance astronomique que nous avons démontrée, et qui s'est opérée à
cette date précise. Supposez cependant que, par une éventualité peu
probable , on vînt à découvrir les épagomènes sur un monument ap-
partenant avec certitude à-quelque prince un peu élevé dans la xvii* dy-
nastie, ou même d'une autre antérieure : que faudrait-il en conclure?
On ne pourrait pas évidemment détruire le fait matériel de la concor-
dance céleste de — 1 780 , non plus que sa coïncidence avec la notation
de Tannée définitive. Il ne resterait donc qu'à peser ces deux difiBcultés
contradictoires : d'une part, la presque impossibilité d'ajouter les épa-
gomènes, antérieurement à — 1780, avec un hasard assez juste pour
que l'année ainsi complétée vienne ensuite s'adapter au ciel si exacte-
ment ; de l'autre part , l'inconvénient de rapprocher plus ou moins de
nous les dates absolues conclues de Manéthon d'après les indications
qu'il donne des durées des règnes ; durées , à la vérité , qui reposent sur
son témoignage unique , qui ne peuvent être vérifiées sur les monu-
ments, et qui, après tant de catastrophes subies par l'Egypte, ont dû
être bien autrement difficiles à obtenir pour lui-même, avec exactitude,
sous les Ptolémées , que n'a dû l'être l'ordre de succession des règnes
dont les cartouches royaux pouvaient encore conserver les traces presque
complètes. Telle serait donc l'alternative que la critique aurait alors à
décider; mais heureusement il est peu probable qu'elle se présente.
BIOT.
NOTES.
Note 1. Géminus, Introduction aux phénomènes célestes, chap. vi : Des mois. Dans
ce chapitre, Géminus explique le déplacement progressifde Tannée égyptienne vague
dans 1 année solaire vraie, qu il suppose contenir SGS' 7 juste. li dit d*abord com-
ment on peut le reconnaître par ses résultats les plus apparents; ensuite il men-
tionne les procédés dpbservaUon par lesquels on le constate avec une entière ri-
gueur, en fixant les époques où les équinoxes et les solstices se réalisent, ce qu ii
présente comme une pratique établie de tous temps chez les Égyptiens. On en peut
juger par les expressions qu il leur applique : Kai al rte àfpoXoyUnf jiaraypa^al
ix8ifXov« vofoGcri ràs xor' dSiifâtiap ytpofsépos rpovàt, xtd ftéXiala Tap' AiyvitlioK
496 his.
i
'RJQUB, préteniant les époques vraies des nouvelles et des pleines lunes, en temps moyen compté de minuit à
^ les douze mois de Vannée égyptienne définitive, qui est comprise entre les années juliennes — i78i, — i780
'istes, ou — i780, — i779 des astronomes, année dans laquelle la notation imite des mois s'est trouvée con-
i les phases solaires, le solstice d'été ayant lieu le i*^ pachon,
i
LiENMES DES LUNES NOUVELLES ET PLEINES Â THÈSES.
\àm ioTmixiii db corâciDixci — 1780 , — 1779 dis astkoiombs.
OT9inbT6.«
-ovêmbra..
•nviar. . . .
Uivier. . . •
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^Yrier. . . .
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vril
14 U8^ 9'
29 i 19^ 40'
14àl2M4'
28 à 15^ 59'
13 i 5M0'
27 i 4^44'
11418^35'
25i]8M4'
13 à 4» 49'
27 à 8^ 3'
llàl3M8'
Temps moyen compte de minait à Thèbes.
DATES CORRESPONDANTES
DAKS L'AiniiB VACVB DB 365 JOUBB.
THOT.
NoQveUe.U 4 à 18^ 9'
Pleine, le 19 i 19^ 40'
• • • •
• • • •
••••■•••■«
Éclipse de Inné certaine , visible à Thèbes .
^ PAOPHI.
NonveUe . le 4 à 12^ 44'
Pleine, le 18 à 15^ 59'
vrfl 25à23M5'
lai 10 420^22'
lai 25 à 14^ 13'
Dia
ain
uiliet ....
9 à 3M8'
bl4à 5^ r
8 à 10^ 52'
aillet ....
23 à 19^ 22'
o&t 6à20^22'
•••••••
••••••••
ATHYR.
Nouvelle, le 4 à 5^ 10'
Pleine, le 18 i a** 44'
CHOIACK.
Nouvelle , le 3 à IS'' 35'
Pleine. le 17 4 IS»» 14'
TOBY.
Nouvelle .le 3 à 4^ 49'
Pleine, le 17 i 8^ 3'
MECHIR.
Nouvelle, le 2 i 13M8'
Pleine, le 16 à 23>> 35'
PHAMÉNOTH.
Nouvelle , le 1 à 20^ 22'
Pleine» le 16 à 14M3'
PHARMOUTHI.
NouveUe. le 1 à 3M8'
Pleine. le 16 à 5^ 1'
2« nouvelle, le 30 à 10^ 52'
PACHON.
SoUticed'éti.lelà8'>6'
Pleine, le 15 à 19^ 22'
NouveUe. le 29 à 20V22'
PAONI.
Nouvelle, prkidtmta.
Visible le surlendemain 6 , soir , déjà
grande.
Visible le lendemain 5 . soir.
Vbible le lendemain 5. soir, déjà grande.
Visible le surlendemain 5, soir, déjà
, grande.
Eclipse de lune certaine , visible à Thi^
bes . peu après le coucher dn soleil.
Visible le lendemain 4 , soir-
Visible le lendemain 3 , soir.
Visible le snrlendemain 3 , soir, grande.
Visible le lendemain 2 , soir, grande.
Invisible le soir de ce même jour. Visible
seulem* le lendemain 1*' pachon, soir.
Nouvelle lune de la veille, visible ce
soir-là même { grande.
Invisible oe même jour. Visible tont au
plus le 30 , soir, mais très-petite.
Visible le 30 du mois précédant, an soir.
I très-petite.
498 JOURNAL DES SAVANTS.
la différenee ^iqprimera le mouvement synodique moyen de la lune en un siècle à
r époque considérée , lequel sera :
* 1236"" -H 3o6-. 54'. 55",o = 445266%9 162777 = ^•
Puisqu'il s* accomplit en 3653 S', si Ton représente par L la durée d'une lunaison
moyenne, comprenant une circonférence entière ou 36o*, on aura L parcelle pro-
portion :
D* : 3652 5» : : 36o' : L, ce qui donne en jours : L = "'V'""-
Mettant donc polir D sa valeur en degrés, et effectuant la division par parties,
pour avoir le quotient avec plus d'exactitude, on trouve :
L =r 29^,5306018679.
C'est la durée d'une lunaison moyenne à Tépoque considérée. Elle surpasse de
i",i52 la durée d'une lunaison moyenne à l'époque présente, ce qui résulte de
l'accélération séculaire que le moyen mouvement de la lune a éprouvée depuis les
anciens temps jusqu'à nos jours.
.Si l'on multiplie la valeur de L par 809 , on trouve :
309 L =: 9124^9559771811,
Or 2 5 années égyptiennes de 365 jours comprennent en somme :
9 1 2 5^,0000000000.
L'excès de 25 années pareilles sur 309 lunaisons est donc égal à la dift'érencc de
ces deux nombres , c'est-à-dîre qu'en les désignant par V on a :
25 V — 309 L r= -t- 0^,0440228189.
Ainsi, après chaque période de 2 5 années vagues, contenant chacune 365 jours,
toutes les phases lunaires revenaient aux jours de même dénomination , sauf la pe-
tite erreur que le second membre exprime. De là il est facile de conclure qu'après
23 périodes pareilles, comprenant 676 ans vagues. Terreur de ce retour final au-
rait été
23. o\o44o228i89 zz: i\oi25248347.
C'est-à-dire qu'il se serait élevé à peine à un jour entier. Or, comme c'est à peu
près là le temps qui s'écoule depuis l'instant de chaque conjonction vraie jusqu'au
moment où le croissant déjà formé peut être aperçu, il en résulte qu'après que l'an-
née vague fut portée à 365 jours , la période de 25 ans suffisait pour prédire le re-
tour des phases lunaires moyennes aux mêmes jours vagues , sans aucune erreur
appréciable pendant tout ce long intervalle de b'jb années ; et les inégalités pério-
diques qui aJOTectent le moyen mouvement de la lune ne pouvaient altérer la justesse
de ces prévisions que de quantités négligeables pour 1 usage pratique, dont une
observation attentive, quelque peu continuée, aurait bientôt dû faire reconnaître les
principales par leur périodicité, comme cela paraît avoir été effectué par les Chal-
déens.
L'année primitive de 36o jours se raccordait beaucoup moins bien avec la lune.
Elle offirait d'abord une petite période de 5 ans qui put être la première remarquée ;
mais elle était en erreur de 1' ,366 ; de sorte que son écart devenait promptement
sensible. On en trouve ensuite une de 2 1 ans ; mais elle est quatre fois moins exacte
que la période de 26 dans l'année de 365 jours. Il aurait fallA aller jusqu'à 1 73 ans
•
AOUT 1843. 499
pour en trouver une qui donnât le même degré de précision, (ji durent être là de
puissants motifs pour compléter Tannée de 36o jours par l'addition des cinq épago-
mènes , lorsqu'on eut reconnu ces circonstances par son usage prolongé.
Note 5. Pour découvrir cette relation, reprenons dans la note û la valeur de
Tannée solaire ancienne S, en années vagues V de 365 jours, nous en tirerons
V = S — o^,a42 5; conséquemment 120 V nz lao S — 29\i.
La quantité soustraite de lao S dans le second membre est presque égaie à une
lunaison entière. Il ne s*en manque que de 7^5- de jour. Ainsi, en négligeant cette
diflérence, comme il était naturel de le faire pour obtenir un énoncé simple, les
prêtres égyptiens auraient pu dire que Tannée vague recule dans Tannée solaire
d'un quart de lunaison en,3o ans vagues de 365 jours, ou d'une lunaison entière en
120 ans.
Accordons-leur cette remarque si facile, mais acceptons pour eux Terreur qui
résulte de la substitution d'une lunaison entière au nombre exact n^Ki- Il faudra
alors supposer
120 V =r 120 S — 29,530602 ; ce qui donne S = V -H " V«V**
Alors, en remplaçant V par 365 jours, et effectuant la division indiquée, il viendra
S = 365\246o88.
Or Tannée d'Hipparque est
S = 365\25 — -rhr = 365\246667.
«
La différence avec la précédente évaluation est si petite, qu'il n'aurait pas pu lui-
même en répondre.
Note 6. Géminus , Introduction aax phénomènes célestes , chapitre xv : Sur la période
d'évolution. En examinant avec exactitude les termes dont se sert Géminus dans ce
chapitre remarquable , je trouve, comme Delambre, qu'il attribue seulement aux
Chsddéens la détermination du moyen mouvement diurne de la lune en longitude,
relativement aux étoiles ; mais je ne vois nullement qu'il leur concède la recherche
des phases extrêmes de ce mouvement , non plus que la détermination de la période
de 6585^ J-, ni la connaissance des propriétés quelle a d'accorder, presque exacte-
ment, en nombres entiers, les révolutions de la lune, relativement au soleil, à son
anomalie et à ses nœuds , ce qui la rend si propre à ramener des éclipses semblables.
Excepte dans Tunique phrase où il s'agit du moyen mouvement sidéral , Géminus
emploie toujours les expressions indéterminées, on a dit y on a vu. Ptolémée , en citant
cette période d'après HipparquA* Tattribue aux anciens mathématiciens , et il ajoute
que ce sont aussi les eufteaMmi d*tiipparque. Il est fort possible , sans doute , que
les Chaldéens fussent les véritables auteurs de cette découverte, et Ton peut le pré-
sumer d'après le système général d'obserrations que Ton sait avoir été organisé che7.
eux si anciennement ; mais cela n*est pas du tout dit formellement dans Tes auteurs
grecs , et ils rejettent les véritables auteurs de ces belles découvertes dans l'obscu-
rité du passé : Carent quia vate sacro.
' . • . .. ,
Note 7. Voyez mes Recherches sur Taucienne astronomie des Chinois, publiée.«
à l'occasion d*un Mémoire de M. Ludwig Idelér sur lacbronobgie ^noise. Jour-
nal dés Savants, innées 1889 'et i84a
63.
500
JOURNAL DES SAVANTS.
r
Note 8. Mémoire sur les signes employés par les anciens Egyptiens pour la notation
des divisions du temps, par Champollion le jeune. Mémoires de V Académie des inscrip-
tions et belles-lettres, t. XV, i'* partie, p. lao et i32.
Note 9. Recherches sur Vannée vague des Egyptiens, Mémoires de V Académie des
sciences, t. XIII, i835.
Note 10. Voici la démonstration de ces périodes. J*ai dit plus Haut, note a*, qu aux
époques anciennes que nous considérons , la durée moyenne de Tannée solaire était
36^^,2425. Représentons-la par S, comme nous Favons fait alors, et désignons par
V Tannée vague primitive contenant 36o jours. Nous aurons évidemment
r = S — 5^,24^5
Si Ton cherche, par les fractions continues, les valeurs approximatives du rap-
port i, on trouve successivement 77, -ff , 777. En s'arrêtant à ces trois premières
évaluations, et appliquant à Téquation précédente les multiplicateurs successifs
qu* elles indiquent, eUe se transforme dans les suivantes, que Ton peut aisément
vérifier à posteriori.
69 t> =:: 68 S -H 3^,5ioa
70 i> = 6q S — 1^7326
209 V = 206 S -4- o^,o45o
La dernière montre que 209 années vagues de 36o jours n'excèdent 206 années
solaires que de la petite fraction de jour o,o45o, équivalente à 1^ à' 48". Si Ton né-
figeait cet excès , il ne produirait pas un jour entier après 22 révolutions pareilles
contenant 4532 années solaires, car Terreur finale serait seulement 22. o^,o45o
ouo',990.
Or cette période , qui comprend 209 v, peut se subdiviser en deux de 70, séparées
par une de 69. En effet, si on les alterne dans cet ordre et qu*on évalue les erreurs
qui se produiront à la fin de chacune d'elles en partant d'une coïncidence exacte,
on aura le résultat suivant.
DÉSIGNÂTIOS
réKIOOl BHPLOTél.
ERREUR FINALE
QVI LOI BST FKOrKB.
ERREUR RÉSULTANTE
Dl ton AIMOKCTIOX
•OS pr^cMenlM.
70 9
•
70 V
—1^,7525
+3 .5100
—1 ,7325
— 1J,7325
4-1 ,7775
-f 0 .0450
L'erreur partielle qui se produira aux époques tenninales de ces alternatives sera
donc moindre que i^8; et, après Taccomplissement des trois périodes ainsi assem-
blées, elle se réduira à o^,o45, comme dans la grande période de 209 v, que leur
somme reproduit.
Cette même succession alternée ramenait aussi presque exactement le lever hé-
liaque de Sirius au premier jour du mois de thot. Pour s'en convaincre , il faut se
rappder que , par une combinaison singulière de la position de cet astre , relative-
ment i Tédiptique, avec le mouvement du soleil , ses levers héliaques consécutifs en
AOUT 1843.
501
9
Egypte ont, pendant une longue suite de siècles, compris un intervalle de temps
presque exactement égal à 365^,a5. Désignons cet intervalle par J, et conservons i2i
lettre v pour représenter Tannée vague de 36o jours. Si Ton cherche les valeurs ap-
proximatives du rapport L par les firacliops continues , on trouve successivement
fj» «T ®^ fH- Cette dernière évaluation est exacte, de sorte qu'il s'opérait préci-
s^ent 4Bo hevers héliaques en ^87 petites années vagues , comme il est facile de
s'en assurer par Tégalité des nombres de jours que contiennent ces deux périodes.
Mais les deux premiers rapports étant les mêmes que nous avons trouvés plus haut,
ils donnent ^ussi des petites périodes d'égale intermittence pour les retours des le-
vers héliaques; les écarts seuls autour du phénomène sont différents. En effet, on
a ici :
69 V = 68J -i-'3\oo
70 « = 69 J — 2^25
et les sept levers héliaques qui se suivaient dans les 487 ans s'opéraient à la fin de
chacune de ces petites périodes avec les oscillations représentées dans le tableau qui
suit :
AoiiMt de 960 joara, icovMt»
depv» m thol héliaque. . .
Écart da lexer h^quc avant
( — ) ou-aprèa (4-) le premier
joar de thot, à la fin de
chaque période partielle. . .
0
0
70
-2i.25
60
-l-Oi.75
70
-li,50
69
.50
70
—0^.75
69
-+-2'
.25
70
0
Le phénomène n'étant déterminable par l'observation qu'à trois ou quatre jours
près, ces périodes devaient paraître exactes. Elles durent aussi être d'un grand in-
térêt pour les Egyptiens, tant qu'ils conservèrent leur année de 36o jours. Car ils
attachaient beaucoup d'importance au lever héliaque de Sirius, qui , dans les an-
ciens temps auxquels leur notation remonte, coïncidait, pour l'Egypte, avec le sols-
tice d'été, où les eaux du Nil commencent à croître. Aussi avaient-ils marqué d'un
caractère religieux les retours de ce phénomène au premier jour de leur année , en
consacrant l'étoile Sirius à Isis , et personnifiant cet astre dans ses rapports avec le
premier mois, sous la forme d'une déesse appelée Isis-Thot, ainsi qu on le voit sur
des monuments de Thèbes. Cette spécification religieuse était fort naturellement
suggérée par la fréquence des époques auxquelles ce retour s'opérait alors périodi-
quement. Mais ce motif cessa quand on eut ajouté les épagomènes. Car alors les
Âots ne redevinrent héliaques qu*après des intervalles de ]46i années nouvelles,
sans qu'aucune période intermédiaire pût les ramener plutôt, même approximative-
ment. Si l'on suppose les épagomènes établis en — 1780, comme je me propose de le
prouver dans la suite du présent article, le premier thot qui redevint héliaque , après
cette adjonction , arriva dans rannée julienne — 1 322 ; et cette nouvelle coïncidence ,
qui ne devait plus se reproduire pendant toute ht durée ultérieure des dynasties égyp-
tiennes , ne put manquer d'être signalée comme un événement remarquable. Aussi
Théon d'Alexandrie, le commentateur de Ptolémée, la désigne-t-il comme l'époque
d'une ère spéciale , qu'il appelle Vhre de Ménophrès. Malheureusement, cette dénomi-
nation ne spécifie pas , pour nous , le prince auquel il Tapplique , parce qu'elle parait
n'exprimer qu'une épithète qualificative, le serviteur da dieu Phré, qui peut avoir été
commune à plusieurs pharaons. Si Ton place le commencement de la xix* dynastie
502 JOURNAL DES SAVANTS.
à Tan julien •— 1889 , selon rinterprétation astronomique que j*ai donnée d*nn mo-
nument de Thèbes, ce qui est, d'ailleurs, une évaluation intermédiaire entre celles
du Syncelle et d*Ëusèbe , comme le premier prince de cette dynastie , Rbamsès Se-
thos, ou Meïamoun, a régné, d'après les textes, 5i ou 55 ans. Tannée iSaa, con-
séquemment le premier ikot qui fut de nouveau héliaque , a du arriver sous son
successeur direct, Rliamscs IV, appelé aussi Rampsacès. Selon ce même calcul,
l'addition des épagomènes aurait été effectuée vers la fin de la xvir dynastie, ou
tout au commencement de la xviii*. Il serait intéressant de chercher, dans les mo-
numents des dynasties précédentes , si Ton ne retrouverait pas quélquç indication
des thots héliàques qui furent si fréquents alors.
Note 11. G. Syncelle, Chrvnogr. p. laS ou p. a33, t. I, édit. Dindorf.
Note 12. ChampoUion le jeune , dans son Panthéon égyptien , pi. Sy, a donné une
représentation coloriée du dieu Apis , tel qu'il l'a trouvée dans un riche cercueil de
momie, au musée de Turin. C'est un taureau noir, portant le disque de la lune entre
ses cornes, et orné d'attributs célestes. Une foule d'auteurs anciens attestent qu'A-
pis était consacré à cet astre. On peut en voir les textes cités dans le Panthéon égyp-
tien de Jablonski, article Apis.
Note 13. La limite de 2 5 ans , vague , fixée à la vie du taureau Apis , est expresse^
ment attestée par Plutarque de Iside et Osiride LV. Une multitude de passages, ras-
semblés par Jablonski dans son Panlbéon égyptien, article Apis, expriment égale-
ment qu'il y avait un temps fixé par les rites, après lequel on le mettait à mort
s'il n'était pas décédé naturellement. La relation de celte divinité emblématique
arrecf année vague est aussi indiquée par les cérénronîes que le SchoHaste de Ger-
maokua inAratea, rapporte comme ayant été usitées lors du couronnement des rois
égyptiens.
Note 14. FI. Josèphe, contra Apionem lib. I, chap. xiv.
Note 15; G. Syncelle, Chrtm, p. 63 ou p. 1 17, 1. 1, édit. Dindorf.
Note 16. Eusèbe, Chronicorum can. lib. I, cap. xxi, a, p. 10g, édit. de Mai el
Zohrab.
Note 17. G. Syncelle, Chran. p. 6^ ou p. 1 18, 1. 1", édit." Dindorf.
Note 18. G. Syncelle, Chron, p. 68 ou p. 127, t. 1, édit. Dindorf. Voyez aussi
p. 1 1 7, 1 28 de la même édition , ou le premier roi de la XVIU* dynastie diospoli laine,
Amosis', appelé aussi Tethmosis, est présenté comme le fils légitime d*Aseth. G)n-
sultez enfin le passage de la page i23, où le Syncelle raconte les soins qu'il a pris
pour rassembler tous les documents écrits («Eraypa^dtf } qui pouvaient servir à la
construction de son ouvrage.
Note 19. Suivant le Syncelle, 1. 1", p. 253, édit. Dindorf, le roi Aseth, le der-
nier de la XVIP d^astie égyptienne sous lequel furent établis les épagomènes ,
commence à régner en Tau du monde 37 1 6
Dans le même système de chronoghiphie , t. P*, p. 383, même édition,
le commencement du règne' du roi chaldéen Nabonassar est placé eri Tan
du itfonde ^7/17
Diffi^renicie, ouintervalk écoulé depidf AMtk josq«ftà' Ndx)nfi$t*r: ... io3i
AOUT 1843. 503
Report de )a différence io3i
Distance de Nabonassar à Tère chrétienne, d* après les observations chai-
(iéennes, rapportées par Ptolémée -747
Somme augmentée deTunité, ou date du roi Âseth, antérieurement à
Tère chrétienne, d'après le Syncelle ^77^
Note 20. J'avais indiqué cette interprétation dans mes Recherches sur Tannée
vague égyptienne , Mém. de VAcad. des Sciences, t. XIII, p. 633, et je Tavais présentée
dès lors comme un moyen de découvrir des dates absolues par la considération des
monuments égyptiens , sur lesquels des. cérémonies attachées à des phases solaires
définies seraient représentées accompagnées de dates vagues. Je 1 ai récemment
reproduite avec plus de détails dans un mémoire lu à TAcadémie des inscriptions,
mais qui n'est pas encore imprimé. La révision que j'ai dû faire pour cela de m^s
premiers calculs m'a montré que la coïncidence rigoureuse du premier pachon vague
avec l'équinoxe vemal vrai avait eu lieu dans Tannée julienne — 1 389 des chronolo-
gistes , au lieu de — ^^97* que j'avais admise d'abord par une évaluation approxi*
mative. Voici les éléments de cette concordance.
D'après un calcul fait par M. Largeteau , et dont j'ai vérifié l'exactitude , on a ,
dans 1 année julienne --<i389 ^^ chronologistes ;
Equinoxe vernal.vrai le a avril à i^*" 35' 24'"* ^*™P' "°2^*° ■ ^■''*
*■ oonpte Mi misait.
On a, en outre : ;
Longitude deThèbes à Test de Paris
en temps 2 1 o
Donc equinoxe vernal vrai de l'an
— 1689 à Thèbes le 2 avril à 16' 36' aA"
L'année —1689 ^^^ chronplogistes est bissextile. Or, pour cette même année , les
tables de concordance placent la date du thot vague dans le calendrier julien ré-
trograde au 5 août jour a i8*
Nous avons aussi , dans la même année , l'équinoxe vemal vrai
au 2 avril jour 93'
Différence , ou intervalle compris entre l'équinove vemal et le
thot suivant 126 jours.
Or, dans une année égyptienne composée de douie mois de trente jours , com-
plétés par cinq épagomènes, si l'on compte continuement les joars k partir du i*^
du mois de thot qui la commence, on aura :
Rang du 1" de thot suivant jour 366*
Rang du 1" de pachon jour 24i'
Donc intervalle du 1* jour de pachon au 1" de thot suivant. 126 jours.
Cet intervalle étant le même que nous avons trouvé tout à Theure entre Téqui^
noze vennal vrai et le 1" jour de tkok.db r-âiinée r-^iSS^*. lorsqne nous ^ivon» ex-
504 JOURNAL DES SAVANTS.
primé Tun et Tautrc en dates juliennes, on voit que, dans Tannée égyptienne cor-
respondante à celle-là, Téquinoxe vernal vrai a coïncidé avec le i" jour du mois de
pachon vague. Cette concordance fixe donc la date absolue de Tannée où ou Ta
spécifiée comme existante sur le monument de Meîamoun.
Note 21. Je déduis les concordances ici mentionnées des nombres mêmes qui
ont été adoptés par le 3yncelle et par Eusébe dans leurs chronographies respectives.
Selon le Syncclle, 1. 1, p. 233, édit. Dindorf, Amosis, appelé aussi Thetmosis,
le premier roi de la xviii* dynastie égyptienne, commence son règne en Tan du
monde 37^0
Dans la même chronographie, p. 383, le commencement du roi chai-
déen Nabonassar est placé en Tan du monde. . . .*. 47^7
Différence , ou intervalle du commencement de la xviii* dynastie à
Nabonassar, selon le Syncelle 1007
Distance du commencement de Nabonassar à Tère chrétienne, diaprés
les observations chaldéennes rapportées par Ptolémée 7^7
Somme augmentée de Tunité, ou date du commencement de la xyiii*
dynastie antérieurement à Tère chrétienne d'après le Syncelle 1765
Voici maintenant le même calcul effectué d*après la chronique d^Eusèbe. J*em-
ploie les nombres rapportés dans Tédition de MM. Mai et Zohrab.
Commencement ae la xviii' dynastie égyptienne, p. 27^, Tan d*Âbra>
ham • 394
Commencement du règne de Philippe Aridée, p. 347 1693
Différence , ou intervalle du commencement de la xviii* dynastie à
Philippe Aridée, selon Eusèbe 1399
Dist^ce du commencement de Nabonassar au commencement de
Philippe Aridée, selon le canon de Ptolémée 4^5
Donc intervalle du commencement de la xviii* dynastie à Nabonas-
sar, d*après Eusèbe 974
Distance du commencement de Nabonassar à Tère chrétienne, d'après
les observations chaldéennes 747
Somme augmentée do Tunité, ou date du commencement de la xviii*-
dynastie antérieurement à Tère chrétienne 1722
La date — 1 7^7 , qui est immédiatement donnée par la phase solaire représentée
sur le monument de Rhamsès Meîamoun , est presque exactement intermédiaire
entre ces deux évaluations, étant de 18 ans moins éloignée de nous que la première,
et de i5 ans plus éloignée que la seconde. Cela donnerait lieu de penser qu'elle'
s'applique à la première année du règne de ce prince, et qu'ainsi sa prise de
possession solennelle du pschent aurait eu lieu cette année-là même. Cela n a rien
que de vraisemblable , le tableau qui retrace cette cérémonie portant seulement
la date du jour, le 1*' pachon, sans indication d'année de règne; contrairement à
ce qui se voit dans le même palais pour tous les autres taUeaux relatifs au même
prince, lesquels sont la plupart datés de Tan xvi.
Note 22. Pluluque rapporte celta allégorie dans son Traité dlsis el d'Osiris. EUé
AOUT 1843. 505
y fait suite à un paragraphe , où il dit qu'il ne faut pas prendre les mythes égyptiens
dans leur sens apparent, mais s'attacher au sens moral , qui est caché sous les formes
aui les expriment. Après avoir donné plusieurs exemples de cette double signification,
ajoute celui-ci, S Ail : t Selon ce que disent les Égyptiens, la déesse Rhéa eut un
« commerce secret avec le dieu Kronos. Le Soleil, ayant découvert ce fait, jura qu'elle
« n'accoucherait dans aucun mois , ni dans aucune année. Mais Hermès , épris d'a-
« mour pour Rhéa , se joignit à elle; et, ayant joué aux dés avec la Lune, il lui gagna
« la 70* partie de chacune de ses périodes lumineuses , desquelles parties rassem-
«hlées il composa cinq jours, qu'u ajouta aux 36o de l'année. Ces cinq jours sont,
«pour ce motif, appelés par les Egyptiens épagomènes, et on les célèbre comme
« étant ceux de la naissance des dieux. > En effet , Plutarque explique ensuite que , dans
ces cinq jours, Rhéa mit successivement au monde Osiris , Aroueris, Typhon , Isis et
Nepthis. Pour comprendre cette allégorie, il Ùluï se rappeler quelles étaient, dans
les idées égyptiennes, les attributions des personnages divins qui y sont nommés,
autant, du moins, que nous pouvons aujourd'hui les saisir à travers les versions
grecques qui nous les ont transmises , en nous aidant du petit nombre de documents
originaux que Champollion a pu réunir et discuter dans son Panthéon égyptien. Le
Kronos dont il est question ici est un dieu du second ordre, qui préside au temps ;
et le crocodile , emblème du temps , est son symbole. Rhéa , sa sœur, est une autre
divinité tiu même ordre, caractérisée, suivant ChampolUon, comme la génératrice
des dieux. Mais Tidentilication qu'il en a faite avec la Naphté ou Nephté égyptienne ,
étant presque uniquement établie sur cette spécialité de titre, pourrait paraître
moins certaine que la précédente. L'Hermès, qui complète l'action, est défini indu-
bitablement par ses rapports mythiques avec la Lune , qu'une foule de monuments
retracent. C'est aussi un dieu du second ordre, appelé le second Hermès, ou Thot,
deux fois grand, que Platon , vers la fin du dialogue intitulé Phèdre, désigne comme
ayant inventé les nombres, le calcul, la géométrie, l'astronomie, l'écriture par
4ettreâ, et deux sortes de jeux de combinaisons qui se jouaient avec les dés , irrrrc/o»
xai xv^eiaç. Son domicile céleste, au dire de Plutarque (de Iside et Osiride, xli)<
était dans la lune; et les monuments le représentent toujours en relation avec tes
phases de cet astre, soit, sous l'emblème d'un cynocéphale, associé au disque lu-
naire, cet animal étant supposé sensible aux influences de la lune; soit, sous une
forme humaine , avec une tète d'ibis; ou enûn symboliquement, sous la forme d'un
ibis ayant les deux extrémités du corps noires, fe milieu blanc, ce qui correspond
évidemment à l'état de la lune aux deux termes de sa révolution mensuelle et à ses
phases intermédiaires. Pour appliquer ces diverses attributions mythiques à la tra-
dition allégorique rapportée par Plutarque, il but considérer que, dans les temps
primitifs où les Égyptiens adoptèrent l'année vague de 36o jours, les périodes des
lunaisons durent d'abord être approximativement égalées à un mois solaire de
3o jours complets. Mais l'erreur de celte évaluation, très-embarrassante pour les
euples qui voulurent régler leur calendrier, en accordant les mouvements de
a lune avec ceux du soleil, n'avait aucun inconvénient pour les Égyptiens; car,
laissant leur année vague suivre librement sa marche propre, ils avaient seulement
à constater le cours naturel des deux astres dans la série des jours , non à les con-
cilier. Toutefois, lorsque, après un long usage de celte année primitive, ils voulurent
y ajouter cinq jours, probablement pour la rapprocher davantage de l'année solaire ,
ils avaient eu tout le temps àe voir qu'il (allait diminuer la durée supposée des
lunaisons. C'est aussi ce que fait Hermès. Car d'abord il ôte k chacune d'elles S9i
70' partie, ou 4 de jour, ce qui la réduit à 29^,57, au lieu de 2^^bi , qui est sa va-
64 "
î.
506 JOURNAL DES SAVANTS.
leur morenne exacte. Paii , de ces \ répétés 1 2 Cois , c est-à^re aaUnt quH y a de
loiittsons complèlea dans 36o jours, 'û forme âne s^mune égale à ^, ou 5^,i4, dont
H prend seulement ciiU| jours pleins, qa*il ajoute aux 36o dga employés. Or ees
jours nouTeanx ne purent être placés qa a la suite des S60 , comme ils le furent
Car déjà , dans la notation de Tannée pranitire, tous ceux-ci avaient été a£Eectés à
des dieux spéciaux qui se succédoieni suivant un ofdrt constant dans le cours de
chaque mois; et Ton n'aurait pas pu, sans rompre irréguUèrament cette succession ,
insérer parmi eoi les cinq nouveaux jours «me la déesse Rhéa devait produire. D
était donc très-exact de dire que, en vertu du décret irrévocable du dieu Soleil, par
lequel les douze mois étaient déjà réglés, Rhéa ne pouvait enfanter ces cinq jours
dans aucun mois, ni dans aucune année de la forme adoptée jusque-là; mais on
put les [riacer hors de ces mois et à leur suite, en les sanctinant ocnnme époques de
naissance de cinq divinités qui n'avaient pas encore reçu d'emploi analogue. Cela
n'implique nullement que ces cinq dieux, qui sont au nombre des plus anciens de
la mythologie égyptienne , aient dû effectivement être nés ou inventés à une époque
historique aussi tardive que celle où l'on ajouta les épagomènAs. Gir. même en admets
tant que cette particularité de la tradition ne soit pas résultée d'une interprétation
postérieure, ce qui serait fort possible, l'incarnation terrestre des cinq dieux put
être actuellement rapportée aux cinq jours, ou l'être commémorativement^ leurs
anak^es antérieurs dans les révolutions rétrogrades de l'année nouvelle ;^ie même
qu'en exaltant le mérite de Tannée julienne Censorin déclare que, si le commen-
cement du monde était connu, il faudrait y reporter Torigine de ce mode de
oomputation des temps. On ne doit pas non plus se trop scandaliser de ce que le
cdcul d'Hermès rapporté par IHutarque laisse, ou £eisse supposer, dans la durée des
lunaisons moyennes une erreur de 777 de jour. Car, même après les détermina-
tions d'Hipparque et de Ptolémée, Censorin avoue que, de son temps, on ne savait
pas encore au juste de combien un mois lunaire est moindre que 3o jours. £1,
pour les Egyptiens surtout, l'usage de leur année vague leur rendait l'exactitude
de cette connaissance anticipée à peu près indifférente, puisqu'ils voyaient toujours
bien, par l'observation même, à quel jour chaque phase lunaire se reproduisait.
Toutefois, lorsqu'ils eurent adopté Tannée de 365 jours, ils durent bientôt recon-
naître de cette manière, s'ils ne l'avaient pas prévu, que ces phases revenaient aux
jours de même dénomination après a5 années pareilles. Et aussi est<>ce là le terme
qu'il s fixèrent à la durée de la vie symbolique de leur dieu Apis; dont le culte ne
put être établi , ou modifié par cette particularité de mythe, qu'après l'établissement
de la nouvelle forme d'année. Mais, antérieurement à Apis, ils avaient déifié, sous
le nom de Mnévis, un autre taureau qui avait son temple à Héliopolis. Les auteurs
anciens s'accordent à dire qu'il était consacré au soleil; toutefois, plusieurs détails
qu'ils rapportent paraissent indiquer que ce mythe, comme celui d'Apis, s* appliquait
spécialement aux relations du soleil avec la lune dans les conjonctions, et les
éclipses où elle perd sa lumière. En effet. Porphyre cité par Eusèbe [Prœp. evang.
lib. in, ch. XIII ) et Plutarque (de Iside et Osiride) attestent que Mnévis était aussi
de couleur noire. Plutarque ajoute qu'on le considérait comme le père d'Apis, et
que le nombre 2 5 , qui exprimait la somme des années de la vie d'Apis , se forme
en multipliant par lui-même le nombre 5 , qui est à la fois mâle et femelle. Tout cela
doit faire présumer que la durée de la vie de Mnévis était fixée à cinq années de
la forme primitive. C'est aussi la jdus simple période qui ramène les phases lu-
naires à un jour de même dénomination dans une année vague de 36o jours. L'erreur
de cette période e^t moindre que 1^ {>; et ainsi die Ibtmiijisait «me approximation
AOUT 1843. 507
qui a pu d*abord suffire, surtout aux Egyptiens, que la libre circulation de leur
année dans Tannée solaire exemptait du besoin de prévisions {dus précises, au moins
dans les anciens temps.
Note 23. Ces diverses évaluations sont démontrées numériquement dans la
note 10.
Note 24. Recherches sur I*année vague égyptienne , Mémoire de V Académie des
sciences, t. XŒ, p. 689 et suivantes.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
INSTITUT ROYAL DE FRANCE.
ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES.
L'Académie des inscriptions et belles-lettres a tenu , le vendredi 1 1 août, sa séafice
publique annuelle, sous la présidence de M. le comte Beugnot. Après Tannonce
des prix décernes et des sujets de prix proposés, M. Lenormant a lu un rapport sur
les mémoires envoyés au concours relatif aux antiquités de la France ; M. Walc-
kenaer, secrétaire perpétuel , une notice historique sur la vie et les ouvrages de
Louis Dupny , et M. Vitet, un rapport sur les ouvrages envoyés au concours des
prix extraordinaires fondés par M. le baron Gobert. L*heure avancée n'a pas per-
mis d'entendre la lecture de Vextrait d'un mémoire de M. Quatremère sur les asiles
chez les Orientaux, et d*un mémoire de M. deSaulcy sur les monuments de la langue
phénicienne.
Voici les résultats du concoure et les sujets de prix proposés :
JUGEMENT DES CONCOURS.
L'Académie, dans sa séance annuelle de i84ii avait prorogé, jusqu'au 1" avrS
1843, le concours ouvert sur cette question : t Rechercher quelles furent, chez les
Romains, depuis le tribunal des Gracques jusqu'au règne d'Adrien inclusivement,
la composition des tribunaux et l'administration de la justice, en ce qui concernait
les crimes et délits commis par les magistrats et officiers publics de tout ordre. • Ce
prix a été décerné à M. Edouard Laboulaye. Le mémoire inscrit sous le n"* 1 a été
jugé digne d'une mention très-honorable.
L'Académie avait aussi proposé pour éujet d'un prix à décerner dans sa séance de
i8â3 : « L*Histoire de Chypre sous le règne des princes de la maison de Lnsignan. »
Le prix a été obtenu par M. Mas-Latrie. L'Académie a accordé un second prix, dont
M. le ministre de l'instruction publique a bien voulu &ire ks fonds, au mémoire
n"* 2 , dont les auteurs sont MM. Théofrfiile Roussel et Eugène de Rosière.
64.
508 JOURNAL DES SAVANTS.
Dans saséaooede iSSg, T Académie araii pit^xMé, pour sujet d*iin prix à décer-
ner en 1 84 1, la aoettiOD suivante : « Recherdier l'origine, les émigrations et la suc-
cession des peuples qui ont habile au nord de la mer Noire et de la mer Caspienne,
depuis le troisième siedejusqu à la un du onzième; déterminer, le plus précisément
qu il sera possîMe, Fétendue des contrées que chacun d*eux a occupées a différentes
époques ; examiner s*ils peuvent se rattacher, en tout ou en partie , à qudques-unes
dfes nations actuellement existantes ; fixer la série chronologique des diverses inva-
sions que ces nations ont faites en Europe. • L* Académie ayant trouvé que , dans les
mémoires qui lui furent envoyés, la question n*avait pas été traitée d*une manière
assez spéciale ni suffisamment approfondie, prorogea ce concours jusqu'au i" avril
i843. Ellle n*a reçu, cette année, qu'un seul mémoire, qui, par les raisons ci-dessus
exprimées, n*a pas été jugé digne du prix. L'importance de la question a déterminé
l'Académie à proroger encore ce concours jusqu'au i* avril i845. Le prix est une
médaille de la valeur de 2,000 francs.
Pris de numismatique. Le prix de numismatique fondé par feu M. Allier d'Hau-
teroche n'a point été décerné cette année.
Antiquités de la France. L'Académie a décerné la première luédaille à M. Teulet ,
éditeur-traducteur et commentateur des CEuvres complètes dCEginhard; la seconde
médaille à M. Gamier, pour son ouvrage intitulé : Chartes boarquignonnes inédites des
vtti' , tx", x' et II' siècles; la troisième médaille à MM. Martin et Cahier pour
leur ouvrage sur les vitraux de la cathédrale de Bourges. L'Académie a regretté de
n*avoir pas une quatrième médaille à partager ex œquo entre MM. Germain et
Loui& Paris, l'un auteur d'une Histoire de l'égUse de Nîmes, et l'autre d'un ouvrage
intitulé. Les toiles peintes et tapisseries de la ville de Reims, ou la mise en scène du
théâtre des confrères de la Passion. Elle a accordé des mentions très-honorables à
M. Cassany Mazet, pour son Histoire de Villeneuve-sur'Lot , et à M. Péremet, pour
son ouvrage manuscrit sur les temples chrétiens primitif, et des mentions honorables
à M. Pistollel de Sainfc-Ferjeux pour ses Recherches historiques et statistiques sur les
principales communes de V arrondissement de Langres, 1 vol. in-8*; à M. A. Bernard,
pour les Procès-verbaux des États généraux de 1593 » 1 vol. in-4* ; à M. Cartier, au-
teur de différents mémoires sur \ Histoire du château et de la ville d'Amboise ; à
M. l'abbé Texier, pour son Essai historique et descriptif sur les argentiers de Limoges,
manuscrit ; et à M. Henry pour le Guide en Roussillon , in-8*.
Prix extraordinaires fondés par M. le baron Gobert pour le travail le plus savant
ou le plus profond sur l'histoire de France et les études qui s'y rattachent. L'Aca-
démie a décerné le premier de ces prix à M. Floquet, pour son Histoire du Parlement
de Normandie, et décidé que M. Montcil serait maintenu dans la possession du se-
cond prix, qui lui a été décerné en i84o.
PRIX PROPOSAS POUR l8d4ET i8d5.
L'Académie rappelle qu'elle a proposé, pour sujet du prix ordinaire à décerner en
i8â4« la question suivante: «Tracer l'histoire des guerres qui, depuis l'empereur
Gordien jusqu'à l'invasion des Arabes, eurent lieu entre les Romains et les rois de
Perse de la dynastie des Sassanides, et dont fut le théâtre le bassin de TEuphrate et
du Tigre, depuis l'Oronte jusqu'en Médie, entre Erzeroum au nord, Ctésiphon et Pé-
tra au sud. p Le prix est une médaille de a,oao francs.
AOUT 1843. 509
L*Âcadéinie propose, pour sujet du prix ordinaire de 1 845 :« Uexamen critique des
historiens de Constantin le Grand , comparés aux divers monuments de son règne. •
Le prix est une médaille de 2 ,ooo francs.
Le prix annuel, pour lequel M. Allier de Hautcroche a légué à T Académie une
rente de 4oo francs, sera décerné, en i844t au meilleur ouvrage de numismatique
qui aura été publié depuis le i*' avril i843 et déposé au secrétariat de Tlnstitut avant
le i" avril i844.
Trois médailles, delà valeur de 5oo francs chacune , seront décernées, en i84A*
aux meilleurs ouvrages sur les antiquités de la France qui auront été déposés au se-
crétariat de rinstitut avant le i" mai i84â-
Au i'' avril i844« T Académie s'occupera de Texamen des ouvrages qui auront
paru depuis le i" avril i843« et qui pourront concourir aux prix annuels fondés par
M. le baron Gobert. Six exen^plaires de chacun des ouvrages présentés à ce concours
devront être déposés au secrétariat de FJnstitut avant le i*' avril i843 et ne seront
pas rendus. (Pour les autres conditions du concours, voir nos cahiers d*août i838
et septembre iSiio.)
M. le marquis de Fortia d*Urban , membre libre de l'Académie des inscriptions et
belles-lettres, est mort à Paris, le 4 août.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
Dans sa séance du lo juillet, TAcadémie des sciences a élu M. Binet à la place
vacante dans son sein par le décès de M. Lacroix.
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.
M. Cortot, membre de TAcadémie des beaux-arts, est mort à Paris, le la août.
SOCIETES SAVANTES.
La société des antiquaires de la Morinie, à Sainl-Omer, décernera une médaille d'or
de la valeur de 5oo francs au meilleur mémoire présenté avant le i*' octobre i8àà t
sur un sujet important d'histoire , de géographie on d*archéologie , relatif à la Mo-
rinie, pendant Tépoque dite du moyen âge (de 5oo à i5oo). La société verrait
avec plaisir, sans pourtant en faire une condition obligatoire, que Ton traitât (2e la
géographie de la Morinie sous Charlemacfne.
Les mémoires devront être adressés à M. de Givenchy, secrétaire perpétuel de la
société, à Saint-Omer.
La société libre d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres, du ' département de
p
5tO JOURNAL DES SAVANTS.
l'Eure a ouvert nn concours pour le uieilleur Mémoire tar Ut vie et Ui Inaïaaj: de
M. Julet de Bhitmiille, commandant de la Chearetle, perdu avec boq bâliment dans
on voyage aux mers bon^'dea. Ce concours sera ferm^ le i5 mai i8ââ.
L' Académie liei jeuxjlomix, àe Toulouse, propose, enire autres sujet» de prix,
pour le concours de i84A. l'Éîoge de Dante Alighieri. Ce prix sera t'êçlanline d'or,
dont la valeur est de iSo francs. Le lermedu concours est fixé au i5 février i844.
Les concurrents devront adresser trois copies de leur ouvrage à M. 1« vicomte de
Panai . secrétaire perpétuel Je l'Acadëinie . à Toulouse.
ACADÉMIES ÉTRANGÈRES.
L'Académie royale des seiencei et belles-le tiret de Braxellm a ajouté la queilion
suîvanic à celtes qu'elle a mises au concours pour l'année i8â^< et dont nous avons
publié le programme dans notre cahier de septembre iS^a (p. 571) : «Les ducs et
comtes qui ont rëgné en Belgique, des cvëques, des seigneurs particuliers et des
corporations religieuses, ont battu monnaie, tantôt au nom deleurt lur.erains et au
leur, tantôt. en leur propre nom seulennenl. On demande vers quelle époque ils ont
commencé, dans chaque localité, à battre des monnaies, tant en or qu'en argent,
et comment ils aonl parvenas à exercer ce droit. ■
L'Académie décernera, en i8i5 , le prix extraordinaire de 3, 000 francs accordé
par le Gouvernement pour la meilleure Uisloire da règne d'Albert et I$abelle. Nous
en avons donné le programme dans notre caliier de mai 18A1. p. 3i3.
La même Académie propose , pour le concours ordinaire de 1 8^5 . les questions
suivantes : i' Quelles ont été , jusqu'à l'avènement de Char! es -Quint, les relations
politiques et commerciales des Belges avec l'Angleterre?
3° Comment, avant le règne de Cliaries^Quinl, le pouvoir judiciaire a-l-il été
everce en Belgique? Quels étaient l'organisation des dilTèrents tribunaux, les de-
grés de juridiction, les lois ou la jurisprudence d'aj^rés lesquelles ils prononçaient?
3° Faire un exposé raisonné lies systèmes qui ont été proposés pour former l'é-
ducation intellectuelle et morale des sourds - m ue Is ^ établir un parallèle entre les
principales institutions ouvertes à ces infortunés dans les différents pays, en expo-
sant les divers objets de l'enseignement, les moyens d'instruction employés , le
degré d'extension donné a l'application de ces moyens dans chaque institution , et
enfin déterminer, d'après un eiamen composé de ces moyens d'enseignement, ceux
auxquels on doit ta préférence.
Le travail des concurrents devra être envoyé , avant le 1 " février 1 8i5 , ù M. Que
lelet. secrétaire perpétuel de l'Académie.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Ramayana, poema indiano di Valmici . testo sanscrito seconde i codici manos-
critti délia scuola Gaudana . per Gaspare Gorresio, socio délia R. Accademia délie
AOUT 1H43.
511
scienu di Torino. Tome I". Pmis; imprimé, par autorisalioii du garde des steanx
de France, a l'Imprimerie royale, i843, in-8' de ckliii-364 pages, — L'épopée
connue sous le DOm de liamayana occupe, dans la littérature sanscrile, le même
rang que les poèmes d'flooitre dans la lilléralure grecque. U existe de ce grand
ouvrage deux principales leçons ou rédactions ; l'une recueillie dans la partie cen-
trale du Bengale appelée Gauda,el que M. Gorrcsio nomme, pour celle raison, nceii-
tio Gaadana; i'ûulre impropremeni appelée version des comnitalatears , composée dans
le nord de l'Inde, et à laquelle i) applique la dénomination de leçon laptentrioiiale. Les
deux premiers livres du Kamayana et le commencement du Iroiaiéme ont élc publiés
dans l'Inde par Guillaume Carey et Josua Mnrshman, avec une traduclion anglaise,
(âerampore, 1806-1810, 4 vol.) Mais cette édition incomplète est très-défectueuse
sous tous le» rapports. Le savant M. G. deSchle^ela aussi donné au public, de 1839
à 1 838. les deux premiers livres de ce poëme. d'après le texte septentrionid. avec une
traduction latine du premier livre seulement. M. Gorresio entreprend aujourd'hui ,
Atius la pnilectton et avec l'encouragement du roi de Sardaigne, de publier le texte
complet du Ramavana d'après la leçon du Bengale. Le volume qu'u vient de l'aire
paraître comprend le texte du premier livre, précédé d'une pi'emièrc introduction .
où le savant éiliteur. après des réflexions sur l'importani^e de l'ouvrage qu'il publie
et une analyse succincte du premier et du second livre, développe le.'* motifs qui
lui ont fait préférer le texte bcngalique au texte septentrional, cl cnumère les ma-
nuscrits de Paris et de Londres dont il a Tnil usage. L'appréciation complète du
poème, les recherches et les questions de critique qui s'y rattachent, seront l'objet
d'une introduction plus ample, qui accompagnera la traduction italienne dont
M. Gorresio doit faire suivre le texte sanscrit- Cette grande publication , sur laquelle
nous nous proposons de revenir, est exécutée avec un soin tout à fait digne du
haut encouragement qu'elle a obtenu, et peut être mise au rang dpi plus magni-
liquea et des plus excellents produits de l'ImprimcHe rovale.
Voyage iiatoiirdu mande, entrepris, par ordre du roi. sous le miiûstei-eet Loiifor-
mément aux instructions de S. Êic. M. le vicomte Duboucljage. secrétaire d'Étal
au département de la marine, exécuté sur les corvettes de Sa Milité l'Lrauie et
la Physicienne, pendant les années 1817, 1818. 181a et i8ao; publié ïoub les
auspices de M. l'amiral Duperré, ministre secrétaire d'Etal de la marine et des co-
lonies, par M. Ixiuis de Freycinet, capitaine de vaisseau , etc. cummandanl de l'ex-
pédition. Paris, Imprimerie royale, in-i" de vjii-34a pages, avec une carte. — Ce
volume contient la partie du voy»^e de l'Uranie relative au magnélisme terreitre. Il
est précédé d'un avertissement daté du taoU d'août iS&a, et dans lequel M. de
h'reycinet annonce U prochaine publication des livraisons qui restent à paraltrt
pour compléter ce grand ouvrage. Les parties non encore publiées sont la meleo-
rùlogie et les racbei-ches sur les liiiigues.
Recaeit de VAcaAémie des Jena: jloraiix , Î8I1S. Toulouse, imprimerie de .1. M.
Uouladourc. i8û3- — On trouve dans ce volume, après la liste des membres de
l'Académie des jeux floraux et le programme du concours de i8iâ, vingt et un
morceaux de poésie qui ont été couronnés, celte année, par l'Académie, ou pré-
sentes à ses concours. Viennent ensuite le* éloges des membres que l'Académie a
perdus pendant l'année, et le» discours de réception prononcés par leur» succw-
512 JOURNAL DES SAVANTS.
ANGLETERRE.
An encYclopœdia Ënc>'clopédie historique, théorique et pratique, de Tar-
cKitecture, par J. Gwilt. Londres, Longman, iSà^, in-S** de i loo pages, avec plus
de looo gravures sur bois.
A dictionary ofpractical medicine .... Dictionnaire de médecine pratique , com-
prenant la pathologie générale, la nature et le traitement des maladies, etc. par
James G)pland. Londres , Longman, i84ti , in-8^.
Bibliotheca Grenvilliana, or bibliographical notices. . . . Bibliotheca Grenvilliana ,
ou notices bibliographiques des livres rares et curieux de la bibliothèque de sir
Thomas GrenvîJle, par J. T. Payne et ?L Foss. Londres, librairie de Payne et Foss ,
i84a, 2 vol. in-8'.
BELGIQUE.
Mémoires couronnés et mémoires des savants étrangers, publiés par T Académie royale
de Bruxelles. Tome XV, 2* partie, i84i-i8iia. Bruxelles, Ha^ez, i843, in-4*.
Histoire politique, civile et monumentale de la ville de Bruxelles, par MM. Alex.
Henné et Alph. Wauters. Bruxelles, i843, in-8*. — La commission royale d'his-
toire de Belgique a décerné à cet ouvrage le pnx offert par M. le prince de Ligne.
Rapport à M. le ministre de l'intérieur sur les documents concernant l'histoire de la
Belgique, qui existent dans les dépôts littéraires de Dijon et de Paris, par M. Gachard.
1" partie, archives de Dijon. Bruxelles, i843, in-8'.
Rapport adressé à M. le ministre de l'intérieur au sujet du manuscrit de la paraphrase
qrecque de Théophile, déposé à la bibliothèque royale des ducs de Bourgogne, par
M. Ph. Bernard. Bruxelles, i843, in-8'*.
Description des fossiles qui se trouvent dans le terrain houiller et dans le système du
terrain anthraxifire de la Belgique, par M. L. de Koninck. Liège, 1 84^-1 843 , in-V.
— Se publie par livraisons.
TABLE.
Revue des éditions de Baffon (4* article de M. Flourena) Page 449
Explication de trois inscriptions grecques trouvées à Philes, en Egypte (2* article
de M. Letronne) 457
Géographie d'Edrisi, traduite de Tarabe en français par M. P. Amédée Jaubert
(2* article de M. Quatremère) 468
Tables pour le calcul des syxygies écUptiques et non écliptiques , par M. Large-
teau {2* arlide de M. Biot) !.. 481
Nouvelles littéraires 507
Pm DE LA TABLE.
JOURNAL
DES SAVANTS
SEPTEMBRE 1843.
SvR un Traité arabe relatif à Vastronomie.
PREMIER ARTICLE.
Il y a quelques années qu'on publia, dans le Journal de la société
asiatique de Paris , un document qui semblait avoir, pour l'histoire des
sciences, des conséquences aussi importantes qu'inattendues. C'était
un chapitre inédit d'un traité astronomique , composé au x* siècle de
notre ère par l'astronome arabe Aboul-Wéfa de Badgad. En exposant les
divers accidents périodiques qui troublent l'uniformité du mouvement
de la lune, et que l'on appelle ses inégalités, cet auteur en mentionne
une, qui, par la description qu'il en fait, la mesure qu'il en donne, le
rang qu'il lui attribue parmi les autres , parut au traducteur devoir être
identique à celle que l'on nomme aujourd'hui la variation , et que l'oo
croyait généralement avoir été reconnue, pour la première fois, six
siècles plus tard par Tycho-Brahé, dont elle était considérée comme une
des plus belles découvertes. Cette inégalité, dans son maximum d'effet,
produisant à peine une altération de y de degré sur la longitude de la
lune, elle ne peut être aperçue, et surtout mesurée, qu'après qu'on a
déterminé, avec une précision du même ordre, toutes les autres plus
influentes qui l'accompagnent. Son appréciation par les Arabes suppo-
sait donc qu'ils auraient préalablement rectifié les évaluations et les lois
de celle-là, imparfaitement obtenues par Ptolémée; ce qui aurait
exigé qu'ils en eussent fait des observations nouvelles et plus exactes,
d'où seraient nécessairement résultées pour eux des tables lunaires meil- '^
65
514 JOURNAL DES SAVANTS.
leurc« que les grecques. Ainsi, au lieu d'avoir seulement traduit ou com-
menté les ouvrages grecs, comme on Tavait cru. Us les auraient dépassés
de beaucoup , et se seraient élevés au rang d^înventeurs , ce qui chan-
geait toutes les idées que Ton s était formées jusqu'alors sur leurs con-
naissances scienliflques, et sur le caractère plus superficiel que profond,
plus brillant qu exact, qu'on avait attribué à leur nation.
Toutefois, le désaccord même de ces conséquences avec les produc-
tions habituelles de leur esprit excita des doutes ^ A la vérité, on savait
bien qu'ils avaient cherché à perfectionner les tables lunaires de Plo-
lémée; mais Ebn-Jounis, qui nous l'apprend, avoue que les observations
faites dans ce dessein montrèrent des difiérences trop considérables
et trop variées pour qu'on pût en démêler les causes; or celui-là
était un de leurs astronomes les plus laborieux et les plus habiles.
Aboul-Wéfa aurait-il été plus heureux? S'il a fait faire un si grand pas à
la science astronomique, sa découverte aura été vraisemblablement
connue des savants orientaux qui suivirent après lui la même carrière.
Du moins , elle aurait été difficilement ignorée d'Ulug-Beg, puisque le
manuscrit même où on la suppose consignée a fait partie de la biblio-
thèque de Schah-rokh , le père de ce prince astronome. Ulug-Beg n'au-
rait donc pas manqué d'introduire des rectifications si impoi^tantes dans
les tables lunaires qu'il a construites. Or on en possède le manuscrit .
écrit en persan, de sorte qu'on peut aisément voir s'il les a connues et
ifil en a fait usage. Il fallait aussi examiner le traité d' Aboul-Wéfa dans
§ùn ensemble , voir comment la découverte qu'on y suppose est amenée ,
k quelle place on ty trouve , et comme elle se lie aux autres perfection-
nements avéclesquels elle a une connexion nécessaire, puisqu'ibont dû
la préparer. Guidé par ces détails, on aurait pu discuter sûrement le
texte du chapitre arabe, et décider avec certitude que la découverte
annoncée y est ou n'y est pas comprise. Mais ce sont là des recherches
arides, auxquelles on ne se résout guère que par l'espoir d'établir le pre-
mier un fait littéraire imprévu, ou par la nécessité de remplir un devoir
d'examen personnel.
J*avais moi-même exprimé ce sentiment de doute dans un article sur les ins-
truments astronomiques aes Arabes, inséré au Journal des Savants de Tannée i84i ;
cft j'y exposai, à peu près comme je le fais ici, par quels motifs jV n'osais pas com-
jjfrmire parmi leurs découvertes celle de l'inégalité lunaire appelée la variation. Mais,
n'ayant pas alors examiné la question à fond , je me gardai bien de prononcer un
jugement absolu. Je ne rappelle ce fait que parce que, dans une publication récem-
ment imprimée, on m'a présenté comme ayant admis la réalité de la découverte de
'zà^'- ^ variation par Aboul-Wéfa, en se fondant sur l'article même où je m'exprimais
'^" «iec cette réserve.
SEPTEMBRE 1843. 515
Les choses en étaient ià quand un orientaliste expérimenté, attaché
à la Bibliothèque royale, M. Munek, trouva dans un traité astrono-
mique, écrit en hébreu, au xni* siècle, par Isaac Israïli, juif de To-
lède , un passage qui lui sembla résoudre la question. Cet auteur, en
expliquant la dernière des corrections faites par Ptolémée au mouve-
ment de la lune, l'appelle, comme Aboul-Wéfa, la troisième inégalité;
et il en décrit la loi dans des termes qui offrent beaucoup de rapports
avec ceux de Tastronome arabe. Celui-ci, selon M. Munck, nauraitdonc
fait que reproduire cet ancien résultat, établi par Ptolémée au chapitre v
du V* livre de TAlmageste. L'auteur de la première annonce contesta
Videntité de la rédaction, et réclama en faveur d* Aboul-Wéfa la pro-
priété d'une découverte distincte; à quoi M. Munck opposa de nou*
veaux indices de ressemblance tirés d*autres écrivains arabes du xi* siècle.
Sur sa demande, une commission prise dans l'Académie des sciences
fut chargée d'examiner ce point d'histoire scientifique; mais, après l'avoir
étudié, elle déclara unanimement qu'il ne lui paraissait pas susceptible
d'une décision collective, et que ceux de ses membres qui s'en étaient
occupés croyaient plus convenable de communiquer individuelle-
ment leurs recherches à l'Académie, ce qui fut approuvé définitive-
ment.
M'étant trouvé au nombre des commissaires qui avaient été désignés ,
les recherches que j'ai indiquées plus liaut devinrent pour moi un de-
voir. Mais il me sembla plus fructueux, et je dirai aussi plus attrayant,
d'envisager la question sous une face moins restreinte , c'est-à-dîre de
caractériser nettement, et d'exprimer, s'il était possible, en langage in-
telligible, les tentatives qui ont été successivement faites pour repré-
senter les mouvements de la lune, par les observateurs grecs, arabes
et européens, qui ont précédé Newton , afin de voir par quelles idées,
et pour quelle part, chaque époque a contribué au dévoilement de ces
capricieux phénomènes, dont nous avons aujourd'hui le secret. Ce
coup d'œil jeté sur le passé n'est pas sans application présente, puisque,
tant de vérités naturelles nous restant cachées, nous sommes réduits i
les représenter provisoirement par des hypothèses, comme le faisaient
nos prédécesseurs; de sorte que les essais heureux qui les ont approchés
du but, et les erreurs qui les en ont éloignés, nous instruisent de ce
que nous devons rechercher ou éviter, espérer ou craindre , dans ces
interprétations imparfaites par lesquelles nous arrivons lentement aux
réalités.
Pour bien apprécier les idées et les hommes que nous allons passer
en revue, il faut, puisque nous le pouvons, nous j^aœr au bout de la
65.
516 JOURNAL DES SAVANTS.
carrière, et, du centre des vérilts finales, où la théorie de Tattraction
nous élève, regarder les voies diverses dans lesquelles ils se sont avan-
cé». Commençons ainsi par poser les conditions physiques des mouve-
ments de la lune , et dcTmissons les forces qui les r^issent. Ellle circule
autour delà terre dans une orhite rentrante. Si ces deux corps existaient
<ieuls dans fespace , forbile serait un cercle, ou une ellipse, dont la
terre occuperait le centre ou un des foyers. Dans Torbe circulaire, le
mouvement du satellite serait uniforme. Considérez alors deux de ses
positions, séparées par un intervalle de temps arbitraire; puis menez
de là au centre du mouvement deux droites, qui seront ici deux rayons
du cercle, mais que Ton nomii.e généralement en astronomie des
rayons veciears. Ils comprendront entre eux un certain angle , ils inter-
cepteront sur la circonférence un certain arc, et limiteront sur la sur-
face du cercle un secteur d'une certaine étendue. Or cet angle, cet
arc, ce secteur, seront proportionnels au temps écoulé entre les deux
observations; c est-à-dire que, ce temps étant par exemple^,-— ou toutt-
autre fraction de la révolution totale, fangle sera la même fraction de
36o", l'arc de la circonférence entière, le secteur de la surface du cercle
décrit. Telle est la loi du mouvement circulaire. Pour en simplifier
renoncé, j'ai considéré la terre et le satellite comme de simples points.
I^a même loi de circulation unifonne a lieu pour des masses d'une
étendue sensible, en l'appliquant à leurs centres de gravité. Mais, si
les deux corps ne sont pas sphériques, la dissymétrie de leur configu-
ration développe entre eux des résultantes d'attraction qui, ne passant
plus par ces centres, impriment aux deux masses des mouvements au-
tour de ces points. C'est là ce qui produit la précession des cquinoxes,
la natation de l'axe terrestre, et la libration de la lune autour du lon^;
diamètre de sa masse qui est tourné vers la terre. Mais ces phénomènes
ne réagissent qu'indirectement, et toujours pour une très-faible part,
sur le mouvement de circulation que nous aurons seuls ici à considé-
rer; Je ne les énonce que pour en faire abstraction, et je m'occuperai
des seuls mouvements éprouvés par les centres de gravité des masses,
comme si toute la matière attirable qui les compose v était con-
centrée.
Venons maintenant au mouvement elliptique. Alors la terre sera dans
un des foyers de Fellipse que la lune décrit. Prenez donc, comme tout
à l'heure, deux positions du satellite séparées par un intervalle de temps
arbitraire; puis menez de là à la terre deux rayons vecteurs, qui seront
généralement de longueur inégale à cause de la forme ovale de l'orbite.
Ils nomprenrlront encore entre eux un certain angle , ils intercepteront
SEPTEMBRE 1843. ^ 517
sur Je contour de Tellipse un ceiiain arc, el ils limiteront sur sa sur-
face un secteur curviligne d'une certaine étendue. Ici Tangle el Tare ne
seà'ont plus proportionnels au temps écoulé entre les deux observations,
mais la proportionnalité subsistera pour le secteur; c'est-à-dire que, si
le temps est 7^, ou -pJr, ou toute autre fraction de la révolution totale,
l'aire (area) du secteur sera la même fraction de la surface totale de
Tellipse. La constance de ce rapport, ainsi que la configuration ellip-
tique de l'orbite sont deux immortelles découvertes de Kepler. Elles
s'appliquent à tous les satellites et à toutes les planètes considérées au-
tour de leurs foyers propres. Réunies , elles donnent la loi physique dut
mouvement de circulation , et elles suflisent pour assigner numérique-
ment le lieu du satellite ou de la planète sur son ellipse à un instant
quelconque , lorsque Ton connaît, par observation, la durée de sa révo-
lution totale, ainsi que le moment où l'astre s'est trouvé à l'une de»
extrémités du grand axe de l'orbe qu'il décrit; sous la condition toute-
fois que les deux corps considérés sont assez éloignés de tous les autres
astres pour que leurs mouvements relatifs s'accomplissent sensiblement
comme s'ils étaient seuls.
En effet, cette fiction d*isolcment étant adnaise, traçons ici, fig. i"*,
l'ellipse décrite par le satellite, qui sera, par exemple, la lune, et pla-
çons la terre au foyer F de cette courbe, l'autre foyer étant F'. L'extré-
nnté A du grand arc la plus distante de la terre s'appelle l'apogée, l'ex-
trémité la plus proche P, le périgée, dénominations grecques. L*angle
visuel que sous-tend le disque lunaire, et que Ion appelle son diamètre
apparent, est le plus petit en A, le plus grand en P, réciproquement
aux deux distances correspondantes. La mesure de ces diamètres fait
donc connaître les rapports d'éloignement des deux points extrêmes,
conséquemment la proportion de Vexcentricité CF ou CF' à la longueur
totale de Taxe PA, ainsi que les instants auxquels la lune a passé par ces
points. Les Grecs, qui n'avaient pas d'instruments assez précis pour dé-
terminer avec exactitude les valeurs des diamètres apparents, sup-
pléaient à ces données par des combinaisons trigonométriques tirées de
leurs hypothèses , et qui les conduisaient au même but. Mais nous, qui
savons les obtenir au moyen des lunettes munies intérieurement de mi-
cromètres, supposons que nous en ayons conclu le rapport de l'excen-
tricité CF au demi-grand axe CA, ainsi que les instants auxquels l'astre
a passe en A ou en P; alors, si l'on nous demande quel sera le point L
où il se trouvera sur son ellipse, après un temps quelconque t compte
depuis le passage en A , nous pourrons aisément le définir. Car les re-
tours successifs de l'astre au jjoint A nous ont fait connaître le temps T
518 JOURNAL DES SAVANTS.
de sa révolution totale. Il suffira donc de mener du foyer F un rayon
vecteur FL , tellement dirigé qu'il isole dans Forbile un secteur curvi-
ligne AFL, dont la surface soit à celle de Tellipse comme < à T, ce qui
est un simple problème de géométrie que Ton sait résoudre. La lune se
trouvera au point ainsi obtenu , et Ton pourra vérifier l'exactitude de ce
résultat de deux manières : d'abord en mesurant Tangle LFA formé par
Je rayon vecteur réel FL, avec l'apogée A projeté précédemment sur
le ciel, et voyant s'il est égal à celui que le calcul du secteur donne,
puis en mesurant le diamètre apparent de la lune en L , et voyant s'il
est réciproque à la longueur calculée du rayon FL, comparativement
à FA. La seconde de ces épreuves , celle des diamètres , manquait aux
Grecs; de sorte qu'ils n'ont pu assujettir leurs bypothèses qu'à représen-
ter les seules variations du mouvement angulaire, non des distances, ce
qui les a toujours laissées fautives quant à ce dernier élément, et leur
a fait ainsi méconnaître la véritable forme des orbites parcourues.
Ici, je suis obligé de rappeler deux termes d'astronomie qui nous
viennent des Grecs , mais que nous prenons dans un autre sens, et bien
plus restreint que celui qu'ils leur attribuaient. L'angle LFA, formé à
chaque instant par le rayon vecteur actuel LF, avec la distance apo-
gée FA, nous l'appelons Vanomalie vraie; et nous nommons anomalie
moyenne l'angle que formerait, au même instant, avec cette même dis-
tance, le rayon vecteur d'un astre fictif qui*, ayant passé à fapogéc A,
avec le véritable, circulerait uniformément autour du foyer F, dans le
même temps T, de manière à se retrouver sur la même direction FP,
ou FA , avec f astre vrai , chaque fois que celui-ci revient au périgée
ou à l'apogée de son orbite. Cette fiction est représentée dans la fig. a .
La lettre L y désigne l'astre vrai, L' l'astre fictif, dans des positions
simultanées des deux côtés de l'axe , et le sens de leur mouvement de
circulation est indiqué pai* des flèches. D'abord, en partant de l'apogée,
l'astre fictif précède le vrai, et l'angle L'FL, compris entre leure rayons
vecteurs, s'appelle ïéqaation da centre, parce qu'en le retranchant alors
de l'anomalie moyenne LTA, calculée d'après le temps écoulé depuis
le passage à l'apogée A dans la supposition d'un mouvement uniforme,
on égale celle-ci à l'anomalie vraie LFA, qui s'obtient ainsi pour le
même temps par cette soustraction. L'écart des deux astres augmente
ainsi progressivement de ce côté de l'axe, jusqu'à un certain terme oii
leur mouvement autour du foyer F devient égal. Alors l'angle L'FL
atteint sa plus grande ouverture et s'appelle la plus grande équation du
centre, laquelle est liée à la grandeur de l'excentricité par un rapport
palculable. Au delà de ce point d'égalité , l'astre vi^ai , qui s'accélère con*
SEPTEMBRE 1843. 519
tinuellcment à mesure qu'il se rapproche du foyer F , se rapproche aussi
progressivement de Tastre fictif, le rejoint au périgée P, où Téquation
du centre devient nulle, puis le dépasse , et le précède ensuite de Tautrc
côté de Taxe jusquà lapogée, où Tastre fictif le rejoint de nouveau pour
recommencer une révolution nouvelle avec les mêmes alternatives; de
sorle que, dans toute cette seconde moitié de Tellipse , Téquation du centre
doit être ajoutée à Tanomalie moyenne pour avoir le lieu de Tastre vrai.
Cette équation est la première et la principale inégalité qui s'observe dans
le mouvement des planètes et des satellites. Les Grecs, et après eux tous
les astronomes jusqu'à Kepler, admettaient comme un axiome incon-
testable que tous les phénomènes de déplacement des corps célestes
doivent résulter de mouvements réellement circulaires et uniformes.
En conséquence , ils appelèrent du nom commun anomalie toutes les
apparences, selon eux optiques, qui écartaient les lieux observables de
cette uniformité, et ils appliquèrent cette dénomination à toutes les cor-
rections numériques qu'ils trouvaient nécessaires pour les y réduire. Le
grand Copernic lui-même , non-seulement resta soumis à ce préjugé ,
mais , dans le mémorable livre où il rétablît si hardiment la circulation
de la terre autour du soleil , en commun avec les autres planètes , il
soutint comme une vérité palpable qu'on ne peut admettre dans les
corps célestes des mouvements variables, qu'il faudrait attribuer à l'im-
perfection de leur essence ou à l'inconstance de la vertu motrice qui
les régit, et cela, dit-il : qaoniam ab utroque abhorret inteUectaSf essetqme
indignant talc quiddam in illis eodstimari ^ Kepler, enfin , Kepler, non sans
peine, et après beaucoup d'hésitations, renversa cette erreur séculaire,
devenue incompatible avec la constance des secteurs parcourus en temps
égal dans une même ellipse, constance qu'il avait constatée sur le ciel
même. Car, pour que ces secteurs soient égaux en surface dans un même
temps, il faut bien que les deux rayons vecteurs qui les limitent forment
entre eux un angle moindre lorsqu'ils sont plus longs que lorsqu'ils sont
plus courts, par exemple, près de l'apogée que du périgée, ce qui dé-
truit l'uniformité de la circulation angulaire pour la transporter à la
surface du secteur elliptique décrit. Par là, on voit aussi que l'arc par-
couru par lastré sur le contour de son ellipse, en un même temps,
doit être nécessairement moindre à l'apc^ée qu'au périgée , pour sei*vir
de base à un secteur d'égale surface. Cette variation successire et pé*
riodique des vitesses, tour à tour moindres, plus grandes « et de nou-
reau moindres, dans un même corps libre, accomplissant ainsi ses ré-
^ Dtf revtAmtionihai cûrparwm cmlâiiium, p. 3, editio princeps.
:520 JOURNAL DES SAVANTS.
voliitions éternelles, n était pas seulement oxcessivenlent difficile à
découvrir à cause de Tanlique préjugé qui la cachait, elle Tétait encore
comme offrant un fait incompréhensible à cette époque, où Ton igno-
rait comment la continuelle variété des vitesses résulte du perpétuel
équilibre qui s établit, en chaque point deForbite, entre la force tangen-
tielle, qui emporte Tastrc , et la force centrale, qui le rappelle sans cesse
vers son foyer.
Toutefois, cette loi si simple de la constance des secteurs ellip-
tiques , décrite en temps égal dans une même orbite , n'est vraie que
pour deux corps soumis à la seule influence de leurs attractions mu-
tuelles , réciproque au carré des distances qui les sépare. Et, heureu-
sement pour Kepler, comme pour nous tous qui jouissons aujourd'hui
de sa découverte , cette fiction d'isolement se trouve très-approximati-
v.ement applicable aux mouvements des planètes principales autour du
«oleil, parce que la petitesse de leurs masses, comparativement à celle
de cet astre, et la grandeur des distances qui les séparent les unes des
autres, rendent leurs influences réciproques presque insensibles , compa-
rativement à la sienne ; de sorte qu'elles circulent autour de lui, pres-
que comme si elles étaient soumises à sa seule action. Mais, dans la cir-
culation de la lune autour de la terre , la force attractive qui émane
du soleil exerce siu* le mouvement relatif du satellite une influence
qui ne peut être négligée, et qui, altérant toutes les lois de son mouve-
menl elliptique simple, y produit cette infinité de variations qu'il nous
présente.
Une considération mécanique, très-facile à saisir, va faire com-
prendre comment elles naissent, de quelle nature elles doivent être,
et par quelles périodes elles doivent s'accomplir. L'orbite de la lune
petit être considérée ,. à chaque instant , comme contenue dans un plan
incliné d'environ 5** sur celui de l'écliptique , où la terre elle-même tourne
autour du soleil dans l'intervalle d'une année , entraînant avec elle son
satellite dans son mouvement de circulation. Pour plus de simplicité
«transportons ce mouvement annuel au soleil , ce qui laissera la terre
fixe , et ne changera rien aux aspects relatifs des trois corps. Les pre-
nant alors dans une quelconque de leurs positions, menons un plan
idéal qui les contienne; il contiendra donc le rayon vecteiu*, dirigé h
cet instant de la terre vers la lune , et suivant lequel leur attraction
mutuelle agit, proportionnellement à la somme de leurs masses di-
visée par le carré de ce rayon. Le même plan renfermera aussi les
deux rayons vecteurs menés du soleil à la terre et à la lune. Si cet astre
était, ou pouvait être supposé, infiniment distant, il agirait sur les deux
SEPTEMBRE 1843. 521
masses avec une égale énergie et suivant des directions parallèles, de
sorte quil leur imprimerait, à chaque instant, un mouvement commun
qui ne troublerait pas leur mouvement relatif; mais la distance du so-
leil à la terre et à la lune , quoique très-grande , n'étant pas infinie com-
parativement aux dimensions de Torbe lunaire , son attraction instan-
tanée sur les deux corps est sensiblement différente en intensité comme
en direction. Pour avoir l'effet de cette circonstance sur le mouvement
relatif, il n'y a qu'à décomposer chaque attraction en deux forces,
toutes deux comprises dans le plan idéal que nous avons mené , et dont
l'une soit dirigée suivant le rayon vecteur lunaire actuel , l'autre perpeO'
diculaire à ce rayon. Puis, prenant la différence des composantes ana«
logues, on aura deux forces perturbatiîces du mouvement actuel, dont
Tune s'ajoutera à la force centrale principale , ou s'en retranchera selon
son signe éventuel; l'autre, perpendiculaire au rayon vecteur, le sollici-
tera à revenir vers le soleil dans toute la moitié de l'orbite la plus proche
de cet astre, et à s'en éloigner dans l'autre moitié la plus distante; de
sorte qu'elle accélérera le mouvement de circulation du satellite quaiid
elle conspirera avec lui, et le retardera quand elle lui deviendra con-
traire.
Ces deux forces perturbatrices sont loin d'être insensibles compara-
tivement à l'action propre de la terre sur la lune. La première, qui est
dirigée suivant le rayon vecteur lunaire, est, en moyenne, contraire &
cette action, qu'elle affaiblit de yJ-j-.Mais elle fait autour de ce terme
moyen des oscillations considérables, devenant quadruple avec le sens
soustractif dans les syzygies , et double avec le sens additif, dans les qua*
dratures. La force perturbatrice normale au rayon vecteur éprouve des
alternatives encore plus grandes. Elle est nulle dans les syzygies, ainsi
que dans les quadratures; mais, dans les octants, ses valeurs s'élèvent jus-
qu'à YTT de l'action centrale de la terre, en changeant successivement
de sens dans chaque quart de l'orbite.
Tous les caprices du mouvement de la lune viennent de ces deux
forces. Celle qui est dirigée suivant le rayon vecteur modifie à chaque
instant la force centrale principale avec une énergie qui varie sans
cesse. La force normale au même rayon produit, dans l'orbite instan-
tanée , une composante tangentielle qui modifie la vitesse de ciixulation ,
et une composante normale au plan de cette orbite , qui tend à lui
donner une autre direction dans l'espace. L'orbite cesse ainsi d'être une
ellipse fixe, située dans un plan invariable; elle change sans cesse de
forme et de position.
j^orsqu'un corps libre circule dans une ellipse sous l'influence d'une
66
512 JOURNAL DES SAVANTS.
simple force centrale réciproque au carré de la distance et émanant
d'un des foyers, comme les planètes principales circulent autour du
soleil» abstraction faite des forces perlurbatrices très-petites qui les soi^
Ucijtenty les sommets extrêmes deforbite, que Ton appelle les apsides,
sont diiamétralementopposés Fun à Vautre sur une droite fixe qui passe par
ie foyer; et le rayon vecteur revient de fapside la plus éloignée, que
Ton nomme la sapérienre, à la plus proche, que Ton nomme Yinférieare,
comme de celle-ci è la première» dans la moitié du temps d*une révo*
itttîon complète autour du centre de circulation. Mais, pour peu que la
force centrale diffère de la loi précise du carré des distances, les résul-
tais changent. Si elle varie dans quelque proportion plus rapide, et in-
termédiaire entre le carré et le cube , une orbite rentrante est encore
possible. Seulement les apsides ne sont plus opposées Tune à Tautre, ni
fixes autour du foyer central. Le rayon vecteur dirigé vers chacun de
ces points tourne sans cesse avec un mouvement angulaire que Ton ap-
pelle (fîrect, parce quil est de même sens que le mouvement de circula-
tiûii; et, en conséquence, l'astre emploie p/iw que le temps dune demi-
révolution totale pour passer d'une apside à lapside suivante , qui (îiit
devant lui. La force centrale, au contraire, varie-t-elle suivant quelque
proportion plus lente que le carré des distances? Les apsides se dé-
placent encore; mais leur mouvement angulaire est inverse du mouve-
iaent de circulation , ou ce que Ton appelle rétrograde : alors Fastre
emploie moins que le temps d'une demi-révolution totale, pour passer
d!une apside à l'apside suivante, qui se rapproche de lui. Ce sont là
deux théorèmes généraux , établis par Newton. Or la force centrale qui
sollicite la lune éprouve successivement ces deux genres de modifica-
tions dans chaque mois, par l'intervention variable de la composante
sokdre qui s'y associe. Mais les alternatives qui la rapprochent du cube
sont plus longues en durée et d'une énergie plus puissante que celles
qui Téloignent du carré en la ralentissant. Les apsides de l'orbe lunaire
doivent donc avoir, en somme, un mouvement direct prédominant, inter-
rompu par des périodes de rétrogradation restreintes, qui le retardent
sans le compenser; de sorte qu'elles doivent finalement accomplir au-
tour du foyer central des révolutions entières dans le sens du mouve-
ment de circulation de la lune : tout cela s'observe effectivement ainsi.
L'effet de la composante normale au plan instantané de l'orbite n'est
pas moins facile à prévoir, d'après son expression générale qui montre
ie sens ainsi que les vicissitudes de son action. Pour cela, arrêtons ce
pian dans Tespace à un instant quelconque; puis traçons son intersec-
tion instantanée sur le plan de l'orbite de la terre» que l'on nomme ïi-
SEPTEMBRE 1843. 523
diptique, et que nous supposons fixe. Cette intersection s*appelle h
ligne des nœuds ascendants et descendants de la lane. Le nœud ascendant
est le point où elle perce le plan de Técllptique, quand son mouvement
4e circulation Tamène dans 1 hémisphère boréal du ciel, et le nœud des-
cendant, celui où elle le perce de nouveau, lorsqu'elle rentre dans ¥hé-
Oiisphère austral. Or, en comparant la force perturbatrice normale avec
la force tangentiellc du mouvement de circulation instantané, on en
voit dériver deux effets : premièrement, la ligne des nœuds est em-
portée dans récliptique autour de la terre par un mouvement angulaire
rétrograde dont la continuité prédominante est interrompue par des
périodes restreintes de marche dans le sens direct , lesquelles répondent
aux intermittences de sens de la force perturbatrice; secondement, ïnt-
clinaison du plan de Torbile sur récliptique éprouve de faibles chan^
gements, qui le font périodiquement osciller autour de son inclinaison
moyenne, mais sans qu il existe d'influence prédominante et non com^
pensée qui puisse l'écarter indéfmiment de cet état moyen. Ce sont
là encore des conséquences démontrées par Newton, et que les obser-
vations de tous les siècles ont conOrmées.
Parmi les accidents de la lune, dont nous venons d*indiquer la cause
physique, et que Ton appelle ses inégalités, il y en a- une que je vais
tout de suite caractériser spécialement, pour que nous puissions la re^
connaître sans hésitation quand elle se présentera pour la première fois
dans les hypothèses astronomiques : on la noinme la variation. Par un
singulier hasard, ce nom, qui lui a été donné empiriquement, exprime
très-bien sa nature. Elle se compose, en effet, de la somme des accélé-
rations, ou des retardements, que la force perturbatrice perpendiculaire
au rayon vecteur lunaire produit par alternatives dans son mouvement
de circulation pendant qii*il passe de chaque syzygie à la quadrature
suivante, puis de cette quadrature à la syzy<^ie qui lui succède. L*élé-
ment angulaire qui règle 5a période, et que Ton appelle son argam^t,
est le même que celui de la force dont elle résulte: c'est le double ^c
la dislance angulaire de la lune au soleil, sans aucune intervention de
la ligne des apsides, ni de la distance de la lune à ces points. Si donc
nous trouvons, dans les hypothèses astronomiques, quelque prescriptiott
de calcul dépendante de ces éléments de Torbite, ou qui s'y rapporte,
cette connexité suffira pour nous apprendre que ce nesl point la va-
riation. Afin.de faire reconnaître plus aisément cette dernière, je joins
ici une figure, fig. 3, qui rend sa loi physique sensible aux yeux. La
lettre S désigne le soleil placé au devant de l'orbe de la lune, qui est
représenté comme circubire pour plus de simplicité ; T désigne la terre;
66.
524 JOURNAL DES SAVANTS.
Lia lune, et les flèches intérieures au cercle montrent le sens du mou-
vement que la force perturbatrice, émanée du soleil, tend à imprimer,
dans chaque quart de Torhite, au rayon vecteur lunaire vrai TL. Les
grandes flèches extérieures au cercle indiquent le sens du mouvement
propre de circulation du satellite ; de sorte que Ton distingue aisément
les deux quadrants dans lesquels la force perturbatrice conspire avec lui,
et les deux où elle lui est opposée. Pour faire une juste application de
cette figure au mouvement actuel, il faut remarquer que le rayon vec-
teur troublé TL entre dans chaque quart de Torbite avec ce qui lui
reste de la somme des accélérations ou des retardements qu*ii a reçus
dans le quadrant qui a précédé. Jai indiqué, par les lignes ponctuées
TL', les positions relatives du rayon vecteur. fictif qui parcourrait si-
multanément Torbite avec un mouvement de circulation uniforme.
Mais bien d^autres inégalités dont nous n*avons pas parlé encore se
prévoient avec une égale évidence par les considérations que je viens
d'exposer. Nous avons raisonné jusqu'ici comme si le soleil restait à une
distance constante de la terre. Or cette distance varie périodiquement
dans le cours de chaque année, à mesure que la terre, en parcourant
son ellipse, s'approche ou s'éloigne de cet astre; et la force perturba-
trice qu'il exerce s'en trouve successivement augmentée ou aflfaiblie. U
en résultera donc des modifications correspondantes dans les perturba-
tions qu'elle produit, et ces nouvelles inécjalitéSf comme on les appelle,
dépendant des aspects mutuels de la terre et du soleil, elles auront pour
périodes les phases de l'année, ou Tannée entière, selon que les cir-
constances qui les développent se reproduiront les mêmes plus ou moins
fréquemment. Par exemple, nous avons reconnu tout à l'heure que,
dans le cours de chaque mois, la force perturbatrice dirigée suivant le
rayon vecteur lunaire, tantôt augmente la force centrale principale, et
tantôt l'afiaiblit, mais avec une énergie prédominante dans ce dernier
sens; de sorte qu'en moyenne la lune s'en trouve comme soulevée, et
maintenue plus loin de la terre que si la pesanteur terrestre n'était pas
ainsi combattue. Cet effet augmentera donc quand la terre se rappro-
chera dû soleil vers son périhélie , et il diminuera lorsqu'elle s'éloignera
de cet astre vers son aphélie. Dans le premier cas, le soleil, devenu plus
puissant, dilatera l'orbe moyen de la lune, ce qui la fera circuler plus
lentement; dans le second, l'action centrale de la lune, étant moins ba-
lancée , contractera cet orbe, et la lune s'y mouvra avec plua de rapidité.
De là naîtra donc une inégalité dont la période sera d'une année, comme
le renouvellement des circonstances qui la produisent. C'est ce que l'on
nomme l'équation annuelle. De là résulteront aussi des variations an-
SEPTEMBRE 1843. 525
nuelles dans le mouvement des nœuds et des apsides, puisque le pre*
mier de ces phénomènes dépend de la force perturbatrice normale
combinée avec le mouvement instantané de circulation, et que le »e»
cond dépend de la proportion suivant laquelle la force centrale prin-
cipale, réciproque au carré des distances, est écartée de cette loi pré-
cise par rinterventîon de la force perturbatrice dirigée suivant le rayon
vecteur lunaire. Une autre réaction plus mystérieuse accroît Texcen-
tricité de Torbe lunaire quand la ligne de ses apsides se rapproche des
syzygies, et la diminue quand cette ligne se rapproche des quadratures,
avec des alternatives d'influence si considérables, que, dans ces positions
extrêmes, Texcentricité varie dans le rapport de 3 à 2. Ce phénomène,
combiné avec le déplacement du centre de Torbite lunaire et avec les
oscillations de la ligne des apsides, produit la grande inégalité que Ton
a nommée mal à propos Vévection. Car ce terme, introduit par Bouillaud
pour exprimer qu'on élève le calcul à une plus grande perfection en y
ayant égard, ne convient pas plus à cette inégalité-là qu'à toute autre,
et n'indique nullement la cause complexe qui la produit. Lorsqu'on la
considère dans ses eflets immédiats pour altérer l'excentricité et Tano-
malic moyenne, sa période est d'à peu près 206^ et c'est pourquoi
Newton, qui la considérait sous cette forme, l'appela l'inégalité semes-
trielle. Mais aujourd'hui on n'exprime plus , dans les tables lunaires , que
l'effet total qui est produit dans l'équation du centime par la variation
simultanée des deux éléments sur lesquels elle agit; d'où résulte une
seule correction applicable à la longitude moyenne, et dont le terme
principal a pour période un peu moins de Sa jours. Il est indispen-
sable de distinguer ces deux formes de tévection , quand on veut en re-
chercher l'équivalent dans les hypothèses astronomiques anciennes, car
sans cela on ne saurait reconnaître jusqu'à quel degré de précision
elle y est comprise.
J'omets une multitude de modifications moins sensibles, que la théorie
de l'attraction pouvait seule faire découvrir, et je me bornerai à en
montrer une dernière conséquence, qui se présente d'elle-même. Les
observations grecques , comparées aux arabes et à celles de notre temps,
prouvent que l'équation du centre du solefl a subi, pendant tout cet
intervalle, un décroissement progressif. L'excentricité de l'orbe terrestre,
qui lui est presque proportionnelle , a donc aussi constamment diminué/
D'une autre part, la théorie de l'attraction nous apprend que les grands
axes des orbites planétaires sont invariables. Le soleil, foyer de l'ellipse
que décrit la terre, est donc maintenant plus près du centre de cette
courbe qu'il n'était autrefois ; de sorte que la terre se trouve un peu
526 JOURNAL DES SAVANTS.
plus rapprochée du soleil dans son aphélie, et un peu plus éloignée
dans son périhélie, le changement qui s est opéré étant d ailleurs égal
pour ces deux distances. Mais un changement d'égale grandeur est tou-
jours proportionnellement plus sensible sur une longueur plus faible.
Ainsirattractiondusolcilsurla terre est moins augmentée, dans raphélie»
p^ la diminution dcl^ distance, qu'elle n est diminuée, dans le périhélie,
par son accroissement, ce qui fait que la force altraciive moyenne en est
affaiblie , et un résultat pareil a lieu pour tous les autres points de l'orbite
comparés deux à deux. Il suit de là qu en moyenne ratlraclion annuelle-
ment exercée par le soleil sur la terre est devenue moindre , et un calcul
très- simple, que je rapporte ici en note, montre qu'en général, dans une
ellipse dont le grand axe reste inv;iriable, cette attraction moyenne
augmente ou diminue proportionnellement au carré de foxcentricité.
Or ceci conduit aussitôt à des conséquences évidentes. Puisque Tattrac-
tion moyenne du soleil sur la terre est maintenant plus faible, la force
perturbatrice quelle exerce sur la lune est moindre; Faltraction de la
terre sur ce satellite en est moins alTaiblie; il circule donc autour de la
terre dans une orbite plus restreinte, et il doit s y mouvoir plus rapi-
dement. Cette même force perturbatrice, qui se décompose suivant le
rayon vecteur lunaire, étant plus faible, écarte moins la force centrale
totale de la loi simple du carré des distances; elle la rapproche moins
de la proportion cubique quand elle lui est contraire, et la œnd moins
diÇTérentc du carré quand elle faugmente. Or nous avons vu que la
première de ces modifications produit le mouvement direct des apsides,
et la seconde ses intermittences de rétrogradation. Ces deux mouve^
ments doivent donc être naoindres aujourd'hui qu autrefois. En outre,
la vitesse de circulation é,lant devenue plus rapide, et la.forcc pertur-
batrice moindre, Torbite inst<intanée sera plus fixe, et le déplacement
rétrograde de ses nœuds en sera ralenti. Enfin la diminution de Tex-
centricilé de forbe tcrrc$fr^, cause de ces changements, s opérant avec
une extrême lenleur, ils s'accompliront aussi très-lentement. Ce sont là
i^ grands phénomènes que Ton nomme les inégalités séculaires du
moyen mouvement de la lune, de ses apsides et de ses nœuds. Leur
qrjgine, longtemps ignorée,, même méconnue, n'a été rapportée à la
théorie de fattraction quei;! ^T^l* J?^^ ^' Laplace, à Taide des plus
profonds calculs, et encore po^r le moyen mouvement seul. Il n'a
reconnu la réaction de la .même cause sur le mouvement des nœuds
et des apsides qu'en i8QQ«*par une discussion plus générale des mêmes
formules. En rendant un juste hommage au génie mathématique qui
lui a iait découvrir le principe de ces phénomènes, et, ce qui était bien
SEPTEMBRE 1843. 527
plus diQîpile, obtenir leurs mesures nuoi^ériques clans 1c passé conime
dans Tavenir, on ne peut se dëFendrc de remarquer qu ils n*auraient pas
échappé jusque-là aux eflbrts des plus grartds géomètres, si, au lieu de
Touloir les faire dériver uniquement, je dirais presque aveuglément,
des formules analytiques, ces intelligences puissantes avaient éclairé
leur marche par les considérations mécaniques dont Newton a fait un
si heureux usage, puisqu elles décèlent le principe de ces phénomènes
avec tant d'évidence, quon peut ainsi, par le raisonnement le plus
simple, en reconnaître immédiatement la nécessité, en prévoir les cir-
<H)nstances principales , et montrer jusqu*è Télément numérique dont iis
dépendent, comme je viens de le faire ici. Clairault, qui avait suivi de
plus près les traces de Newton, dans son beau travail sur la lune, serait
sans doute arrivé le premier à ces découvertes, s*il avait su que l'équa-
tion du centre de lorbe terrestre avait varié , son grand axe restait
constant; mais l'invariabilité des grands axes planétaires na été dé»
montrée que longtemps après lui.
Pour compléter cet exposé, il resterait à parler des modifications
qui s'opèrent dans les mouvements de la terre et de la lune, en vertu
de la configuration non sphérique de leurs masses; ce qui permet de
déterminer la distance du soleil à la terre par une inégalité mensuelle
qu'il produit dans le mouvement de circulation de la lune , et de me^
surer la partie elliptique de Taplatissement de la terre par sa réaction
sur ce satellite, plus exactement que par la mesure immédiate des de-
grés terrestres. Mais ces belles découvertes de l'analyse moderne se*
raient inutiles à mon but, et je me borne à les rappeler.
En résumé , la théorie de l'attraction nous présente l'orbite lunaire
comme mie ellipse qui, perpétuellement agitée dans des limites pres-
crites , change à chaque instant de forme , de grandeur, de direction ,
de position dans l'espace , et qui est décrite par un corps dont la vitesse ,
sans cesse variée, éprouve des intermittences continuelles de retarde-
ment ou d'accâération. Voilà l'ensemble compliqué de faits que les
astronomes des différents âges ont eu à démêler, avant que Newton
eût porté la lumière du calcul mécanique dans ce labyrinthe. Nous al«
Ions voir comment ils sont progressivement parvenus à en reconnaître
les inégalités révolutives les plus apparentes; car, pour la multitude des
autres , le seul empirisme de l'observation n'aumt jamais pu discerner
leur individualité , ni surtout l'établir avec certitude.
Je commence par les Grecs, puisque nous ne savons rien, que par eux,
des temps antérieurs. D'après ce que Ptolémée nous apprend , les pre^
mières tentatives pour régulariser les mouvements de la lune furent
528 JOURNAL DES SAVANTS.
fondées sur l'idée très-naturelle de leur inaltérabilité. Alors ,, quelque
variables qu ils parussent, il n'y avait qu'à les observer assez longtemps
et avec assez de suite, pour voir se développer toutes leurs anomalies
accidentelles, après quoi elles recommenceraient à s'accomplir dans le
même ordre de succession; de sorte qu ayant reconnu les durées de
leurs périodes partielles , il ne resterait plus qu à composer par le calcul
un nombre entier de jours qui pût toutes les embrasser, et qui servirait
â les prédire. Le premier élément qui se présentait ainsi à déterminer,
c'était l'intervalle de temps qui ramène la lune sur une même direc-
tion avec le soleil, et que l'on nomme le mois synodique ou lunaire. Sa
durée nest pas constante, à cause des inégalités qui affectent le mou-
vement de révolution de la lune dans son orbite. Mais, en comparant
des nouvelles lunes d'époques très -distantes, ou mieux encore des
pleines lunes elliptiques, dans lesquelles Tobscurcissement du disque
avait présenté des phases à peu près semblables, on put en conclure,
beaucoup plus exactement que par une lunaison unique , le nombre
moyen des jours, et même de fractions de jours, qui ramenait la lune
en conjonction ou en opposition avec le soleil. Ayant déjà, antérieure-
ment, une évaluation approximative de l'année solaire, par exemple,
celle de 365J-J-, qui se présente avec évidence, on savait, par la date
du jour, quelle avait été la distance angulaire du soleil à l'équinoxe ver-
nal, c'est-à-dire sa longitude, dans chacune des deux éclipses comparées.
Cela donnait donc celle de la lune aux mêmes instants, puisque , vers le
milieu de chaque éclipse , elle s'était trouvée en opposition avec le so-
leil , sur le prolongement du rayon vecteur mené de la terre à cet astre.
On connaissait ainsi l'arc total de longitude que le rayon vecteur de la
lune avait décrit autour de la terre, entre les deux éclipses comparées;
et de là, par une simple proportion, on pouvait conclure le temps que
ce rayon vecteur emploie pour décrire une seule circonférence complète
autour du point équinoxial. C'est ce que l'on nomme le mois périodique:
on devrait plutôt l'appeler le mois tropique. Si , en outre, on connaît l'arc
de rétrogradation du point équinoxial pour un nombre donné de jours.
il n'y a qu'à chercher quelle a dû être sa rétrogradation pour l'intervalle
de temps qui s'est écoulé entre les deux éclipses; et, en l'ajoutant à l'in-
tervalle des longitudes , on obtient l'arc décrit par la lune, à partir d'un
point fixe du ciel stellaire; d'où l'on conclut encore, par une simple
proportion, le temps qu'elle emploie à décrire une circonférence autour
d'u n tel point. C'est ce que l'on nomme le mois sidéral : il est nécessaire-
ment un peu plus long que le mois tropique. Mais le phénomène de ré-
trogradation qui le donne n'ayant pas dû être connu des premiers ob-
SEPTEMBRE 1843. 529
servateiirs , ils n*ont pas dû distinguer ces deux périodes si peu différentes.
Je ferai même remarquer que, si j*ai employé Texpression d'arcs de lon-
gitude, c'est seulement pour plus de clarté, et sans vouloir nullement
supposer que Ton eût dès lors connu, ou imaginé dans le ciel, le cercle
idéal que nous appelons Fécliptique, sur lequel nous mesurons ces arcs.
Cette notion abstraite n est pas nécessaire pour la détermination des
mois tropique et synodique telle que je viens de Texpliquer. Il n*y entre
que ridée d'un mouvement révolutif , embrassant des circonférences en-
tières , et des portions de la circonférence qui peuvent s exprimer par
des fractions numériques, sans même exiger une division convention-
nelle en degrés.
En observant la marche de la lune parmi les étoiles, dans le cours
d*un même mois, on dut aisément s'apercevoir qu'elle était inégale,
tantôt plus lente, tantôt plus rapide, et qu'elle revenait périodique- .
ment aux termes de sa plus grande et de sa moindre vitesse. Il fallut
donc encore déterminer l'intervalle de temps qui l'y ramenait, et l'on
obtint sa valeur moyenne de la même manière , d'après le nombre total
de jours compris en deux retours de la lune à im de ces états extrêmes.
Les Grecs nommèrent cette période le temps de restitution de Vanomalie,
appelant anomalie la modification survenue dans la vitesse de l'astre.
Nous l'appelons encore aujourd'hui, d'après eux, mois anomalisticjue. Cest
le temps que la lune emploie, en moyenne, à revenir au périgée ou à
l'apogée de son ellipse. Sa plus grande vitesse s'observe quand elle se
trouve au premier de ces points, la plus petite au second, en vertu du
mouvement variable de circulation combiné avec l'inégalité de la dis-
tance. Les anciens, qui ne supposaient dans les astres que des mouve-
ments uniformes, attribuaient tous ces effets à la variation de la distance,
ce qui leur en a fait méconnaître les véritables lois.
Le mois anomalistique est un peu plus long que le mois tropique ,
parce que, comme nous l'avons montré plus haut, le périgée et l'apogée
lunaire ont tous deux un mouvement propre de même sens que le
mouvement de circulation de l'astre; de sorte que celui-ci doit décrire
dans le ciel plus qu'une circonférence entière avant de les rejoindre.
On put facilement reconnaître ce mouvement des apsides de la lune ,
en voyant que les points de sa plus grande et de sa plus petite vitesse se
déplaçaient progressivement parmi les étoiles dans le même sens qu elle,
et faisaient le tour entier du ciel dans un peu moins de neuf années.
Quand une éclipse de lune s'opère, le lieu du ciel où la lune se
trouve est marqué par les étoiles qui l'avoisinent. Une suite d'observa-
tions pareilles, longtemps continuées, montre nécessairement que les
67
530 JOURNAL DES SAVANTS.
étoiles ccliptiques sont situées sur im même grand cercle que par-
rourt la pointe de l'ombre terrestre, conséqucmment le rayon vecteur
solaire qui lui est alors opposé. Cest peut-ctre là le caractère le plus
propre à faire reconnaître que le soleil se meut constamment dans ie
plus grand cercle, oblique à la direction du mouvement diurne, et
dont on a ainsi la trace dans le ciel. Or, en suivant la route de la lune
parmi les étoiles pendant le mois qui suit une éclipse, on reconnaît d
même (|u*elle aussi est peu différente d'un grand cercle, oblique à ce'
du soleil. Et, puisque co cercle lunaire mensuel coupe le premie
de s points divers dans 1rs érlipses successives, il faut bien que so'
tourne dans le ciel par un mouvcmeiil propre, (|ui transporte •
sivement sur différentes parties du cercle solaire ses points (^
tion avec ce cercle , lesquels ont été appelés les nœuds de la
scrvation montre que le sens de leur mouvement est rétr
à-dire contraire au mouvement de révolution de la lun
terre, et quils parcourent ainsi la circonférence enli^î
un intervalle de dix-buit à dix-neuf ans. Ce mouvemcr
l'orbe lunaire combiné avec son inclinaison sur l'éclip.
cessivement la lune à des latitudes différentes autour de ce tu .
lorsqu'elle arrive à l'opposition; et c'est pourquoi il y a tant de pi^
lunes, non éclîptiques, comme aussi la portion de son disque que l'on
voit s'éclipser est très-inégale à des époques différentes. Il fallut donc
cberclier encore, par de longues suites d'observations, la période d'accom-
plissement de cette inégalité que les Grecs appelèrent la restitution de
latitude, parce qu'elle ramenait la lune à une égale distance du plan de
l'écliptique. C'est réellement la révolution de la lune autour de son
nœud mobile, dans son propre plan; et ainsi elle doit être plus courte
que la révolution tropique, puisque le nœud rétrogradant se rapproche
de la lune pendant qu'elle revient vers lui. Mais la durée des retours à
une même latitude pai^mi les étoiles aurait pu être déterminée sans la
connaissance abstraite des nœuds.
Quand on eut ainsi trouvé les durées moyennes du mois synodique,
du mois tropique, de la restitution d'anomali<* , et de la restitution de
latitude, il fallut chereber un nombre de jours, soit entier, soit accom-
pagné dune fraction simple, qui contînt des révolutions entières de
ces quatre périodes, et qui, s'il était possible, contînt aussi un nombre
presque entier d'années solaires , afin que , le soleil étant revenu à peu
près au même point de son orbite, l'inégalité de son mouvement propre
se trouvât à peu près de même grandeur qu'à l'époque prise pour point
de départ. Ptolémée nous dit que les anciens maûiématiciens [ol itcCKauoï
530 JOURNAL DES SAVANTS.
étoiles écliptiques sont situées sur im mcmc grand cercle que par-
court la pointe de l'ombre terrestre, conséqucmment le rayon vecteur
solaire qui lui est alors opposé. Cest peut-ctre là le caractère le plus
propre à faire reconnaître que le soleil se meut constamment dans le
plus grand cercle, oblique à la direction du mouvement diurne, et
dont on a ainsi la trace dans le ciel. Or, en suivant la route de la lune
parmi les étoiles pendant le mois qui suit une éclipse, on reconnaît de
même qu'elle aussi est peu différente d'un grand cercle, oblique à celui
du soleil. Et, puisque ce cercle lunaire mensuel coupe le premier en
des points divers dans les éclipses successives, il faut bien que son plan
tourne dans le ciel par un mouvement propre, qui transporte progres-
sivement sur différentes parties du cercle solaire ses points d'intersec-
tion avec ce cercle, lesquels ont été appelés les nœuds de la Jane, L'ob-
servation montre que le sens de leur mouvement est rétrocjradcy c'est-
à-dire contraire au mouvement de révolution de la lune autour de la
terre, et qu'ils parcourent ainsi la circonférence entière du ciel, dans
un intervalle de dix-huit à dix-neuf ans. Ce mouvement de transport de
l'orbe lunaire combiné avec son inclinaison sur l'écliptique amène suc-
cessivement la lune à des latitudes différentes autour de ce dernier plan ,
lorsqu'elle arrive à l'opposition; et c'est pourquoi il y a tant de pleines
lunes, non écliptiques, comme aussi la portion de son disque que l'on
voit s'éclipser est très-inégale à des époques différentes. Il fallut donc
chercher encore, par de longues suites d'observations, la période d'accom-
plissement de cette inégalité que les Grecs appelèrent la restitution de
latitude, parce qu'elle ramenait la lune à une égale distance du plan de
l'écliptique. C'est réellement la révolution de la lune autour de son
nœud mobile, dans son propre plan; et ainsi elle doit être plus courte
que la révolution tropique, puisque le nœud rétrogradant se rapproche
de la lune pendant qu'elle revient vers lui. Mais la durée des retours à
une même latitude pai*mi les étoiles aurait pu être déterminée sans la
connaissance abstraite des nœuds.
Quand on eut ainsi trouvé les durées moyennes du mois synodique,
du mois tropique , de la restitution d'anomalie , et de la restitution de
latitude, il fallut chercher un nombre de jours, soit entier, soit accom-
pagné dune fraction simple, qui contint des révolutions entières de
ces quatre périodes, et qui, s'il était possible, contînt aussi un nombre
presque entier d'années solaires , afin que , le soleil étant revenu à peu
près au même point de son orbite, l'inégalité de son mouvement propre
se trouvât à peu près de même grandeur qu'à l'époque prise pour point
de départ. Ptolémée nous dit que les anciens mathématiciens [oi itcChaioï
SEPTEMBRE 1843. 531
fiaôvfJLOtnxoi) , il ne les désigne pas d'une autre manière, estimèrent (vTre-
'kdfiëavov) toutes ces conditions remplies par une période de 6585^ -j,
quils élevèrent à 19756 jours en la triplant pour éviter les iractions.
Car, selon eux, dans cet intervalle de temps, ils voyaient [êcipuyv) s'ac-
complir 669 mois synodiques, jii mois périodiques, yiy restitutions
d'anomalie, 726 révolutions de latitude, et 5/i révolutions complètes
du soleil, plus ^ d'une révolution. En eflbt, si l'on divise successive-
ment le nombre entier de jours 19766 par le nombre de révolutions
entières attribué à chaque période partielle, on leur trouve ainsi des
durées très-peu différentes de leurs véritables valeurs; et, en opérant
de la même manière avec le diviseur 54 ^, qui exprime l'arc total
décrit par le soleil en 19766 jours, on a, pour le temps d'une seide
révolution complète, 365^-^-, plus une fraction négligeable, puisqu'elle
ne s élève pas à j^ de jour. Ces évaluations ne renferment ainsi que
la notion la plus vulgaire de l'année, et l'on a vu qu'elles ont pu s'ob-
tenir par la seule contemplation longtemps survie du ciel, sans aucune
notion abstraite d'astronomie théorique. On serait, toutefois, bien cu-
rieux de savoir quels sont ces anciens mathématiciens que Ptolémée a
voulu désigner; car ils ont dii être en effet bien anciens, et avoir pos-
sédé des observations bien longtemps suivies, pour avoir pu en dé-
duire un assemblage si exact des cinq périodes lunaires et solaires.
Géminus, dans son Introduction aux phénomènes célestes, semble d'a-
bord faire espérer quelque lumière sur ce point d'histoire. Car, au
chapitre xv, il mentionne la même période de 6585^ -f , et son exten-
sion à 19766 jours entiers, ce qui fait quil l'appelle è^ekiyiiàs [evo-
latio). Mais, en décrivant son usage pour obtenir individuellement les
diverses périodes qu elle embrasse , il ne l'attribue pas explicitement
aux Chaldécns, comme on l'a souvent avancé; il la donne comme un
résultat des temps anciens (^x irakaiôjv )(^p6vojv), sans indiquer d'où elle
est venue. A la vérité, il nomme les Chaldécns une fois, mais seule-
ment , à ce qu'il me semble , pour dire qu'ils ont trouvé, par une marche
naméricjue pareille, le mouvement moyen tropique ou sidéral de la lune,
en un jour, égal à i3' 10' 36"; et, comme cet arc est presque exacte-
ment -^ de la circonférence, il serait très-possible que l'énoncé qu'il en
donne en degrés, minutes et secondes , ne fût qu'une traduction grecque
de leur résultat. Le reste du chapitre n'est plus que l'exposé d'opérations
numériques très-peu exactes, pour répartir les variations mensuelles de
l'anomalie autour de leur terme moyen, de manière à ce qu'elles ré-
produisent la plus grande et la j)Ius petite vitesse diurne, à peu près
telles qu'on les observe. Mais Géminus y parle toujours en son propre
67.
532 JOURNAL DES SAVANTS.
nom ou en termes généraux, et rien ne fait entendre qu'il veuille men-
tionner de nouveau les Chaldéens.
Hipparque trouva la période de 6585^ -j trop peu exacte, et il en
composa une plus longue, qui a beaucoup plus de précision. Indépen-
damment de son grand génie , il se trouvait dans des conditions spécia-
lement favorables pour obtenir un tel résultat. Etant parvenu à mesurer
rinégalité de mouvement que la lune éprouve dans les éclipses selon
la distance où elle est de son apogée,, il pouvait connaître sa longitude
exacte en appliquant celte inégalité au mouvement moyen calculé par
le temps. En outre, il paraît qu'il possédait les observations datées d'un
très-grand nombre d'éclipsés , et fort anciennes , qui avaient été appor-
tées de Babylone, avec le détail des particularités que leur apparition
^vait présentées; de sorte qu'il pouvait choisir, et qu'il choisissait en
effet, dans cet ensemble, les éclipses dont les circonstances étaient le
ptus semblables entre elles, ou convenaient le mieux aux épreuves qu'il
voulait faire. Ce travail immense, et que la forme de larithmélique ta
grecque rendait infiniment pénible , donna des valeurs de tous les mou-
vements moyens si exactes, que Ptolémée, venu deux siècles et demi
après Hipparque , n a trouvé à y faire qu une légère rectification pour
le mouvement de l'apogée; et leiu* comparaison avec celles que nous
observons aujourd'hui, après tant de temps, nous fournit les preuves
les plus sûres, comme les plus palpables, de la réalité ainsi que de
rétendue des inégalités séculaires dont Texistence est signalée par la
théorie de Fattraction. Nous allons voir, dans un autre article, comment
Hipparque , et ensuite Ptolémée , se sont fondés sur ces évaluations des
mouvements moyens pour déterminer les deux principales inégalités
périodiques qui les altéraient.
BIOT.
NOTE.
Sur les changements que les variations séculaires de Vexcentricité de l'orbe terrestre pro-
duisent dans ïintensilé de la force attractive par laquelle le soleil trouble le mouve-
ment relatif (le la lune autour de la terre.
Soit a le demi-grand axe de TeUipse que décrit annuellement la terre autour du
soleil comme foyer. Désignons par ae Texcentricité de cette ellipse à une époque
quelconque , el , comptant les anomalies vraies v à partir de l'aphélie , nommons r
le rayon vecteur solaire correspondant à Tanomalie v. Si Ton néglige les variations
de e pendant la durée d'une même année, la relation des v aux r à Tépoque con-
sidérée sera
1 1 — e cos V
r a (i — e*)
534 JOURNAL DES SAVANTS.
ScRiPTORUM grjEcorum bibljotheca. Parisiis, editore Ambrosio
Firm. Diçlot. T. XIV et XV.
Depuis notre dernier article ^ sur cette belle collection , elle a con-
tinué de marcher avec toute la rapidité que permettent les soins nom-
breux dont elle est Tobjet. Sept nouveaux volumes ont paru, à savoir;
l'Ancien Testament , a volumes; le Nouveau Testament, i volume; le
tome I" de Diodore de Sicile; Eschyle et Sophocle, i volume ; les Frag-
ments dès historiens grecs avant Alexandre, \ volume; les Scholie»
d Aristophane, i volume.
Nous allons rendre compte dabord des Scholies dAristophane et de»
Fragments des anciens historiens.
PREI^IER ARTICLE.
I. Scholia grœca in Aristophanem y ciim prolegomenis grammaticoram , va-
rietate lectionis optimorum codicum intégra, ceterorum selecta , annotatione
criticoram item selecta, cai sua quœdam inserait Fr. Dàbner, xxxn et
728 pages.
U n'est peut-être pas d'auteur qui ait plus besoin qu'Aristophane
d'être éclairci par des commentaires et des explications antiques tirées
de sources qui n'existent plus. Heureusement les scholies de cet auteur
sont les plus étendues et peut-être les plus importantes de toutes celles
qui nous restent de l'antiquité.
Ce qui aura sans doute déterminé M. F. Didot à commencer par ces
scholies, c'est, outre leur importance, qu'il avait le secours d'une ex-
nous venons de le démontrer; et, cVaprès les considérations exposées dans le pas-
sage auquel se rapporte la présente note, il a du en résulter une accélération cor-
respondante dans le mouvement de circulation de la lune, ainsi qu*un ralentisse-
ment dans le mouvement de progression direcle de ses apsides, comme dans Ja
rétrogradation de ses nœuds. Mais » pour obtenir la mesure numérique de ce»
changements , pour constater même s'ils sont sensibles , il faut développer, par une
analyse détaillée et profonde, le mode mécanique par lequel la force perturbatrice
produit les mouvements dont ils sont de simples modifications.
^ Journal des Savants, juin i84i<
SEPTEMBRE 1843. 535
rdlente édition, celle de M. G. Dindorf. Ce savant helléniste a fait un
si bon usage des manuscrits, et tant cpuré le texte, que son édition
peut être considérée comme Tédition princeps de ces scholies. Publiée
en 3 volumes in-S*", à Oxford, elle est fort chère, et peu de savants
sont en état de se la procurer. La réduire en un volume , pour la mettre
à la portée d'un plus grand nombre d'acheteurs, était déjà beaucoup
servir les études grecques. Mais ce n'était pas assez, pour l'éditeur de
la collection, de reproduire exactement cette belle édition; son désir
était de l'améliorer encore , s'il était possible. Grâces aux soins de
M. Dûbner, ce volume est devenu nécessaire à ceux-là même qui pos-
sèdent l'édition de M. Dindorf.
En traçant une courte histoire de ces scholies, nous indiquerons en
quoi consiste le mérite de l'édition d'Oxford; puis nous ferons con-
naître les amélioi*ations et les additions qui distinguent celle de Paris.
La première édition de ces scholies se trouve dans celle de neuf CO'^
médies [les Thesmophoriazases et la Lj5i5fra(t' manquent) donnée iiWeiliMe
en 1 498, chez Aide l'Ancien, par le crétois Marc Musurus, dont les tra-
vaux, eu égard au temps oii il vivait, ne méritent peut-être pas le j!^
gement sévère qu'en a porté M. Dindorf. Son édition des scholies,
laite d'après des manuscrits qui semblent à présent inconnus, se com-
pose des anciennes schohes mêlées à celles des grammairiens byzan-
tins, principalement sur les Grenouilles, les Nuées et Plutas, qui sont
presque les seules comédies d'Aristophane qu'on étudiât dans les écoles
byzantines. Le mélange de ces deux sources principales est tel , dans cette
édition, qu'il est le plus souvent impossible de les distinguer. En outre,
Musurus, par Fenvie d'être utile à l'interprétation d'un auteur si difficile,
augmenta encore la confusion , en intercalant une foule de gloses tirées
d'Hai'pocration , de Suidas et de divers écrivains, tel que Diodore, Pau-
sauias, Plutarque, Elien, Etienne de Byzance, Ammonius, Démétrius,
Grégoire de Corinthe, Ëustathe, Zénobius, les scholiastes d'Euripide et
d'Apollonius de Rhode.
La deuxième édition, celle de Florence iSîS, fut donnée par
Antoine Francinus ( et non Fracinus ) , qui ne fit que reproduire l'édi-
tion princeps avec toutes ses fautes , sauf quelques additions de peu
d'importance, tirées, à ce que Ton croit, du manuscrit de Ravenne. Lei
deux éditions de Sigismond Gelenius (Bas. iS/iy) et d'Emilius Portus
(Aurel. Allobr. 1607) méritent peu qu'on s'y aiTête. Ludolph Kuster,
dans sa belle édition d'Amsterdam (1710), améliora peu le texte des
scholies; mais il publia celles de la Lysistrate d'après deux manus-
crits qu'il coUationna avec assez de négligence.
536 JOURNAL DES SAVANTS.
Le premier travail réellement critique fut celui d'Hemsterhuis sur
le Plutus : c est à lui qu'on doit les premiers efforts pour distinguer les
diverses sources auxquelles appartiennent ces scholies , apprécier le
degré de confiance que méritent les faits , souvent très-curieux , qu'elles
nous révèlent, et expliquer les contradictions et les absurdités quon y
remarque.
Dès l'apparition de ces scholies , on y reconnut une mine abondante
de renseignements instructifs sur l'antiquité, et principalement sur la
vie publique et privée des Athéniens ; et Ton ne tarda point à s'aper-
cevoir que ces renseignements n'avaient point la^même origine, qu'ils
provenaient de mains diCTérentes , qu'ils n'étaient pas du même temps ,
et que la valeiu* n'en était point égale.
Pour pouvoir introduire une règle sûre dans la critique de ces
sources diverses, il était nécessaire de prendre une connaissance exacte
et d'exécuter une collation complète des divers manuscrits qui eu
existent.
Cette utile opération fut commencée par M. Imm. Bekker, qui copia
le manuscrit de Venise [Marcianas, n° k'jli), un des plus anciens et le
le plus important de tous , puisqu'on peut prouver avec la dernière évi-
dence que Suidas a eu sous les yeux un manuscrit tout semblable quand
il a compilé son lexique, où il l'a fait passer presque en entier. Mal-
heureusement il manque dans ce manuscrit quatre pièces, les Achar-
nienSf la Lysistrate, les Thesmophoriaznses et les Ecclesiaznses.
Mais on pouvait y suppléer à l'aide du manuscrit de Ravenne , un
peu plus ancien que celui de Venise , et à peu près complet , c'est-à-
dire comprenant des scholies sur les onze pièces d'Aristophane, et,
entre autres, quelques-imes qu'on n'a depuis retrouvées dans aucun
manuscrit, par exemple celles des Thesmophoriaznses et de la Lysistrate,
poiu" les vers 818 à 889, ia6o à 1278, 1297 à i3i 1, que M. Dindorf
a publiées pour la première fois. Quant au reste, il ne contient qu'un
simple abrégé des scholies du manuscrit de Venise.
Ces deux manuscrits, ainsi que Suidas, qui reproduit le second, ne
contiennent que des extraits d^anciens grammairiens qui possédaient
une multitude d'ouvrages , maintenant perdus, où ils pouvaient puiser
des notions exactes sur les passages les plus difficiles du poète , et s'é-
^slairer, pour beaucoup de points, de la tradition encore vivante.
Il reste à présent peu de moyens de connaître l'époque de la rédac-
tion de ces scholies, non plus que la patrie de leurs auteurs; mais on
est à peu près sûr que cette rédaction est antérieure à Constantin. Le
peu de mots appartenant à une grécité récente qu'on y rencontre sont
SEPTEMBRE 1843. 537
du Qdmbre de ceux qui s'étaient déjà introduits dans la langue avant
répoque de cet empereur.
Quant aux sources doii elles dérivent, Kuster avait déjà proposé de
les diviser en deux classes; M. Dindorf pense qu'on doit les diviser en
trois. La première comprendrait les ^oses émanées directement des
graounairiens alexandrins, dont les uns avaient éclairci les pièces d'A-
ristophane par des annotations [ùnofivrffAaurtv), tels que Symmaque,
Apollonius, Didyme, Aristarque, etc. cités dans ces scholies; et les
autres composèrent des traités ex professa sur Tart de la comédie en
général et sur certaines pièces en particulier : tels furent Eratoslhène et
Lycophron , dont les livres Trepï KœiJupSias y sont souvent mentionnés.
Dans la seconde classe on metti^ait les gloses des grammairiens qui ,
ayant eu sous les yeux ces anciens ouvrages, en ont tiré des extraits
(éxXoyaï ÙTrofivfiiiarfûv) , auxquels ils ont joint leurs propres annotations,
et en ont formé cet ensemble de scholies que nous possédons à présent.
Cette rédaction doit être, selon M. Dindorf, du quatrième ou du cin-
quième siècle. La collection , qui éprouva peu de changements depuis
cette époque, comme on peut en juger par Suidas, se répandit à faide
des manuscrits copiés sur un manuscrit primitif: c'est vers le xii* siècle
qu'elle s'^crut des élucubrations des grammairiens byzantins Jean
Tzetzès, Moschopule, Thomas Magister et autres.
Ce sont ces deux premières classes de sjcholîes que nous ont conser-
vées les deux manuscrits de Venise et de Ravenne , ainsi que le lexique
de Suidas ; tandis que la plupart de celles qui se trouvent dans les autres
manuscrits appartiennent à la source byzantine, et sont inférieures aux
premières sous le rapport de l'autorité comme de l'importance. Depuis
que l'on connaît ces deux manuscrits, on a donc un point d'appui solide
pour établir la diversité des éléments qui ont formé ces précieux
commentaires.
Or le parti qu'avait tiré M. Bekker de ces deux manuscrits ne ré-
pondant pas à leur importance, l'université d'Oxford les fit coUationner
de nouveau, ainsi que plusieiu^s autres, à savoir :
1* Un second manuscrit de Venise (n* AyS), qui parait avoir été
copié sur le premier, et qui en offre une sorte de répétition, sauf quel-
ques changements et de nouvelles annotations sur le Plains , les Oiseaux
et los Grenouilles;
a"* Un manuscrit de la Laurentiane, à Florence, contenant seule-
ment quatre pièces , les Chevaliers^ les Naées, le Platas et les Grenouilles ;
on y a recueilli plusieurs scholies nouvelles ;
08
538 JOURNAL DES SAVANTS.
3^ Un autre manuscrit de la même bibliothèque, à peu près du même
temps , c'est-à-dire du xrv * siècle , qui est surtout utile pour Tintelligence
des Ecclesiazuses ;
k"* Un manuscrit de la bibliothèque Ambrosienne, contenant les
CbevaUers, les Oiseaux, les Grenouilles f les Nuées et le Plains; 'A four-
nit peu de choses utiles qui ne soient pas déjà dans les deux premiers
manuscrits de Venise et de Ravenne.
Telles sont les bases sur lesquelles M. Dindorf a établi son édition
d'Oxford (3 vol. iSSg). Le texte qu'il a donné ne contient que ce qui
se trouve dans les manuscrits. Toutes les additions que Musurus avait
tirées des auteurs que j'ai indiqués plus haut en ont été retranchées
par le savant éditeur. A chaque pas il avertit de la source d'où pro-
viennent les scholics. Sans entrer dans plus de détails sur le mérite
supérieur du travail de M. Dindorf, il nous suffira de dire qu'il forme,
à proprement parler, l'édition princeps des scholies, puisque ce nest
qu'à partir de cette édition qu'on peut se servir, en toute connaissance
de cause, des renseignements qu'elles contiennent, et apprécier l'au-
torité de la tradition sur laquelle chacune d'elles repose.
Quelque parfaite que soit l'édition d'Oxford , M. Fr. Dùbner a su ,
comme je l'ai dit , tout en la reproduisant dans celle que publie M. Di-
dot, y ajouter des perfectionnements qui la rendent à la fois plus com-
plète et plus commode. Nos lecteurs en jugeront par les indications
que je vais donner.
Pour montrer du premier coup d'œil au lecteur, et sans qu'il soit
obligé de recourir aux notes, Tautorité, pour ainsi dire, diplomatique de
chaque scholie , l'éditeur a indiqué, par des crochets de diverses formes ,
tout ce qui manque dans l'un des manuscrits de Ravenne et de Venise ,
ou dans tous les deux. Celte disposition, purement typographique, fait
voir, au moins pour les sept pièces de celui de Venise ( l'autre ne con-
tenant que des extraits), que les scholics qui manquent dans ces ma-
nuscrits sont, à très -peu d'exceptions près, modernes, cest-à-dirc éy-
zantines.
Comme on est habitué maintenant à citer Aristophane d'après le
numérotage adopté dans l'édition de Brunck, M. Dûbnerl'a substitué
à celui de l'édition de Ruster, que M. Dindorf avait préféré.
Le texte de M. Dindorf n'a été changé que bien rarement par
M. Dùbner, et lorsqu'il était indispensable de le faire. Dans un travail
définitif sur ces scholics, on pourra, par une application encore plus
sévère de l'excellente méthode de M. Dindorf, améliorer encore ce
texte déjà si perfectionné. Ainsi cm remarque parfois, dans le choix
SEPTEMBRE 1843. 539
entre les diCFërentes rédactions d'une scholie, une sorte d'hésitation et
d'inconsistance. Le plus souvent M. Dindorf rejette la leçon aldine
(celle de Musurus) et préfère celle des nianuscrits; mais il lui arrive
aussi de conserver la rédaction aldine, en la retouchant seulement
d'aprts les manuscrits, sans indiquer les motifs de cette préférence. A
notre avis , il serait plus conforme aux règles de la critique , si bien
mises en œuvre par ce docte helléniste, d'exclure toute rédaction ou
scholie moderne, et de n'admettre que les scholies des deux manus-
crits de Ravenne et de Venise, avec celles de Suidas, et une partie de
celles qu'on trouve dans les manuscrits qui ont une affinité reconnue
avec les deux premiers ; on choisirait entre celles des manuscrits plus
modernes, quand, par des raisons internes, on pourrait en découvrir
l'origine ancienne. C'est ainsi, par exemple, que, dans un manuscrit
de la Bibliothèque royale, qui ne contient que des scholies byzantines,
M. Dûbner a i^etrouvé tout ce que les anciennes scholies citent sous le
nom de Timachidas (Grenouilles, v. 1270, p. 535). Le reste devrait
êti^e rejeté au bas des pages, en plus petit caractère. De cette manière,
on pourrait lire les anciennes scholies d'Aristophane ( autant qu'il est
possible de le savoir maintenant ) sans être troublé i>ar aucune de ces
additions modernes, le plus souvent insupportables, surtout pour les
trois pièces du Phtas , des Nuées et des Grenouilles , sur lesquelles les
scholiastes byzantins ont débité tant d'inepties.
L'exemple que je viens de citer indique que M. Dûbner, pour per-
fectionner le texte des scholies autant que le permettait la marche
non interrompue des autres parties de la collection, a pris à tâche
de compulser les manuscrits et les livres de la Bibjiothèque royale. 11
y a trouvé im exemplaire de l'édition de Froben , sur les marges du-
quel Claude Dupuy avait mis d'anciennes scholies sur la Lysistrata, qui
j)roviennent, non du manuscrit de Ravenne, mais d'un semblable.
Elles ont servi à perfeclioxiner les scholies tirées de celui de Ra-
venne. Le même volume contient aussi des scholies sur les Thesmopho-
riazuses, mais provenant d'une origine plus récente. La Bibliothèque
royale ne contient, outre le manuscrit célèbre 2-712 (membranœ Brun-
cJxii)y que des manuscrits des trois pièces du Platas, des Nuées et des
Grenouilles. M. Dûbner a choisi principalement le n° 282 1 , qui ne con-
tient, comme Içs autres, que des scholies byzantines , mais dans un état
(Tinlégrité tout h fait remarquable. Il s'en est servi pour corriger un
grand nombre de ces scholies, qui, bien que modernes, méritent en-
(»oi'c l'attention des hellénistes sous le rapport de la lexicologie, de la
^Mammaire et de la métrique. M. Dûbner en a inséré dans les notes
68.
540 JOURNAL DES SAVANTS.
plusieurs centaines d'inédites, qui se distinguent, en général, à défaut
d'autre mérite, par un style très-châtié ^
Outre les variantes, éclaircies par des notes critiques et historiques,
M. Dîndorf a donné un choix de ce qu'il y avait de meilleur dans les
observations des critiques qui l'ont jM'écédé. M. Dùbner y a ajouté plu-
sieurs notes sur des points qui lui paraissaient avoii* de l'importance,
et une multitude de renvois à des ouvrages plus modernes. Aux va-
riantes des deux manuscrits de Ravennc et de Venise, et à celles que
fournit Suidas, il a joint toutes celles des autres manuscrits et des édi-
tions qui pouvaient avoir quelque valeur, et il a proposé beaucoup
de corrections au texte d'après ces variantes. Je me contente de ren-
voyer le lecteur aux pages Zi 2 3 » 4^5 , 44 1, 445, 449, 5oi, 5o2 , 5o3,
5o4, 5o5, 507, 5i3, 5i4, 5a3, 537, 543, 544, 548, 558, 559,
563, 566, 570, 573^ 577, 578 , 583. On doit au même critique des
éclaircissements tirés des nouvelles variantes (par exemple, aux pages
443, 449, 5^0, 6o3), ainsi que plusieurs corrections ex inqenio. J'en
citerai trois exemples :
1 * Dans ce passage de l'argument de la Lysistrate : Ùfiéa-at Se dvaTretaatra
fifj irpérepop toîs àvSpdcri awavaieZeiv , Trpîi; âv itokeyLOvvies oKkifkois vaù-
(Tùnnat , ràs (lèp ÉEÛIliOTS ÉM1IPIAÀ2 xara'kt'rrovcTa biricroj (p. 248, 5),
en place des mots £S£2inOT2 EMIIPIAA2, qui n'ont aucun sens,
M, Dùbner lit EI2IIPIAA2 pour eh irarpiSas, et ESÛAniOTSAS , et
le texte devient ràs (lèp i^ àittoiaas els TtarpiSasx. t. >., ce qui parait
certain.
2* Le scholiaste ( Thesmoph. v. 1 68) cite deux vers du poète comique
Téléclide dans ce passage mutilé : TrfXexTisiSrjs tLaiàSois • oKk* 1) TctXanfa
^ù^Mkia j8 Sev oSv, el S^è</l\v Al<rxvXov (ppâvrifi* é^&w, passage que
M. Dîndorf n'a pas essayé de rétablir. M. Meineke , en donnant oes
deux vers , a laissé subsister la lacune ' :
' Depais que cette édition a paru, M. le minisire de rinstraction publique a fait
déposer à la Bibliothèque royale un nouveau manuscrit d* Aristophane, envoyé de
Grèce par M. Mînoide Mynas. Ce manuscrit, sur papier de coton et du xiv* siècle,
ne contient, comme tous les manuscrits byzantins, que les trois pièces du Platas,
des Grenoailles et des Nuées, Les scholies sont les mêmes que ceues du manuscrit
2821, sauf peu de variantes sans intérêt. Par exemple, dans la Vie d'Aristophane,
p. XXIX, 1. /15, le manuscrit donne ^pifiacra pZ', comme Tancienne Vie; L 47 1 après
yéypa-ttrat^ il ajoute lipeoekeyeïov, P. a 7 4^ 1 . 1 a , e^ xaU (pikoraàvtcç vàrv Trenotrjfiévov ;
Tadverbe iràvM n'existe pas dans les autres. Dans Tarrangement des vers du iv* ai*ga-
ment des Nuées, il confirme Inobservation de M. Meineke, rapportée p. 4 18, et la-
leçon de Tédilion aldine. Les autres variantes ont peut-être moin s d'importance en-
core. — * Fragmenta comicor. grœcor. vol. II, pars I',p. 3&7.
SEPTEMBRE 1843. 541
ÀXX' rj réikaiva 4>iXoxXéa |S Sev ohv
M. Dûbner propose :
ÂXX' i) réikaiva <l^ikoKkéa f^^sX'ùrlerat ,
On 'pourrait substituer un autre mot à yvwis (Iiouime efféminé),
njais ^SekMttat est bien probable.
3* Au vers 58 de la Lysistrate, Aristophane cite quelques mots du
poète comique Phérécrate (rà toC Oepexpdrov^ ). Les grammairiens
n ont pas pu trouver ces mots dans les comédies de ce poète : êv Se toU
crùXfliiJivots (OepexpûÉTOw^) tôS xâi/xixoîf toSto otî;^ eipltixerat. Ce texte est
clair; mais le manuscrit de Ravenne, celui de Dupuy et celui de la bi-
bliothèque Baroccienne, ont tous : rà (rà Se, Bar.) dirb rSv SkT^anf yéysiv
( "kéyeiv est omis dans Bar.) Stà rb elptjfxévov Ospexpétovs' èv yàq roïs, etc.
Au lieu de corriger les mots inintelligibles fournis par trois manus-
crits, on les a tout simplement rayés. M. Dûbner a vu, dans les mots
ûtTrà tSv SKkcjv ['Xéyeiv) Stà, une horrible corruption de dmoTiCàkirùinf , et
<^^ ; il a donc écrit : toSto (ou raSra) tôv (ou éx tSv) dttsroX&yXdrcin^, e/ Sri
TA elptiyiévov <!>epexpdTovs (si toutefois cela est bien de Phérécrate) • ép
yàç tots, etc. Si cette correction avait besoin d*être justifiée, elle le
serait par la scholic du vers 1 3 des Grenouilles : ^pôvty^os oiS^
TOVTGJv éTToirjo'ev èv TOis cTùXfiiiévois oùtov ' slxbs Se êv To7$ d'fsdkojyjknv eJpat
avTOv toiouriv ri.
Le nouvel éditeur rectifie quelquefois les vues de ses prédécesseurs
(p. 4i8, A99, 5o5), et il propose des vues ou des explications nou-
velles. Ainsi, dans une scholie sur la Lysistrate (v. 1 087), que fournit
le manuscrit Dupuy, des lettres xarà îofSpé il tire xcnà AvSpéa» [selon
Andréas), et il montre que ce doit être le grammairien très-récent (cité^
aussi dans la scholie du même manuscrit sur le v. 70a des Thesmo^
phoriazuses) dont Fabricius cite un ouvrage 7rep2 voSSv^. On trouvera
d*autres bonnes remarques (p. 619, ^ 98, 5 10).
En tête de Tédition ont été réunis , sous le titre de Prolegomena de
comœdia, les divers fi*agments grecs irepl Kc^iiipSlas, ainsi que les petites
biographies grecques d'Aristophane, mais augmentés de plusieurs pièces,
telles que 1 *" le petit écrit ^repl KœfupSiaf tiré des Anecdota Parisiensia de
Cramer (t. I, p. 3 sq.), dont une grande partie a été retrouvée aussi
par M. Dûbner dans le manuscrit ^821, qui donne fréquemment la
' Bibl Grœc. t. VI, p. 3oi, 335.
542 JOURNAL DES SAVANTS.
bonne leçon; 2^ les vers de Tzetzès vepï SttlpopSs Tzoïnrwv et vep\ Yiùh
(tf^las^ déjà publiés par M. Dûbner dans le Rheinisches Muséum (i 835 ,
p. SgS sq.), et par M. Cramer dans les Anecdota Oxoniensia (III, p. ihli
sq.); mais ils reparaissent ici, rectifiés en beaucoup d'endroits d'après
l'excellent manuscrit de Paris n* 26&&; 3* les Sx^/f^ara àpiarlorekixa,
d'après M. Cramer. [Anecd, Paris. 1. 1, p. 4o3.)
Je viens maintenant à la partie du travail de M. Dûbner la plus neuve
et la plus utile.
Le volume contenant Aristophane, qui a déjà paru , n*est point, comme
les autres , terminé par tme table. L'éditeur avait promis qu'à la suite des
âcholies il en publierait une qui servirait à la fois pour le poète et ses
ficboliastes : elle termine le présent volume. M. Dûbner l'a eiécutée
avec le savoir et l'exactitude qu'il met atout ce qu'il entreprend. Les per-
sonnes qui connaissent Aristophane sentiront combien il est difficile de
faire la table des matières traitées par un poète qui joint, à chaque instant,
la fiction et l'histoire. M. Dûbner, pour échapper à la nécessité de donner
de continuels éclaircissements et éviter toute' confusion , a mis en iia-
Uqaes , dans sa table , tout ce qui est tiré du scholiaste , de sorte qu'on
voit d'un coup d'oeil ce qui appartient à Aristophane et ce qui provient
de ses coomientateurs. Quant au poète, s' attachant, autant que pos-
sible , à ses paroles, il a tourné ses phrases de manière que le lecteur
voit sans peine s'il s'agit d'une fiction ou d'un fait réel; quelquefois
M. Dùbaer en avertit par une parenthèse. Cette table peut donc servir,
en même temps, d'un glossarium Arisiophaneum à ceux qui, en lisant
Aristophane , veulent avoir, en peu de mots , l'explication des allusions
du poète. On sent qu'il n'y a qu'un homme très^amilier avec la lecture
d'Aristophane qui pouvait exécuter cette tâche sans laisser échapper
beaucoup d'erreurs, soit en lui prêtant des idées auxquelles il ne pen-
sait point, soit en in»stant sur des plaisanteries purement incidentes,
soit en passant légèrement sur des indications qui sont fort importantes,
et quelquefois tiennent au nœud même de la pièce. Il résume en peu
de mots le rôle de chacun des personnages, soit principaux, soit ac-
cessoires, que le poète fait intervenir : par exemple, le petit rôle d'Iris ,
dans les Oiseaux (v. 1202-1361), est analysé avec exactitude dans la
note suivante : a Iris per Nubicuculiam (Ne^sXoxoxxv^^) tanquam per
uinane volât; comprehensa et ad Pisthetâerum ducta, se nescire dicit
uquas portas^ quam w*bem dicat ilie, et quaerit satisnc sanus sit ; ino-
unet ne deos contemnat; tandem obscœnis minis virgo abigitur. »
Cette table, qui formerait à elle seule un volume in-S"" de grosseur or-
dinaire, est suivie de Yindex des auteurs cités dans les scholies, et d\\n
SEPTEMBRE 1843. 543
index gr^ecas in scholia, contenant tous les mots sur lesquels les scho-
liastes ont fait quelques observations.
Le volume est terminé par la concordance des nimiéros indiquant
les vers dans l'édition de Brunck et dans celle de Kuster, d'après la-
quelle les scholies sont ordinairement citées.
Tous ces index donnent une grande utilité à ce volume, et en font un
livre indispensable à quiconque veut se livrer à une étude approfondie
d*Aristopbane , ou seulement y retrouver facilement ce qu'il se souvient
d'y avoir lu.
Nous réservons pour un autre article l'analyse du volume qui cou*
tient les Fragments des historiens grecs, dont l'édition est due aux
soins de MM. Charles et Théodore Mûller.
LETRONNE.
1 . Anticbi MONUMENT! SEPOLCRALi scopcrti nel dacato di Ceri ,
dichiarati dal cav. P. S. Visconti. Roma, i836, in-fol.
2. Descrizions di Cere an tic a, ed in particolare del monumento
sépulcrale scoperto nelV anno 1836, etc. delV architetto cav. L.
Canina. Romat i838, in-foL
3. Monumenti di Cere antica, spiegaii colle osservanze del cnito
di Mitra, dal cav. L. Grifi. Koma, i8Ai« ia-fol.
QDATaiàllB ET DERNIER ARTICLE \
Le plus important des objets déposés dans le tombeau de Cœre, du
moins en apparence , et à considérer smlout sa matière , l'or, sa com*
position, qui consiste en une multitude de figures symboliques dis-
tribuées dans un certain ordre, et la place même qu'il occupait sur la
poitrine d'une personne qui doit avoir été une femme, consacrée peut-
être à quelque sacerdoce, le plus important, dis-je, de ces objets» est
le pectoral, dont un dessin fidèle, de la grandeur de l'original, est donné
par M. Grifi. Dans la conviction où il est, et que je ne puis partager,
que l'individu auquel appartenait cet ornement funèbre , si remarqual)le
à tant d'égards, était un pontife étrusque, ou même un mage perse \
' Voir ies numéros de mai, jaia et juillet i843.
^ M. Grifi se sert, en an endroit de son livre, de celte expression de magf» de*
Caliei, p. lag, a), expression certainement bien impropre et fort singnlière de k
part d'nn savant qui , comme M. Grifi « connatt assnranenl très-bien la ^Béreom
Wi JOURNAL DES SAVANTS.
M. Grifi y voit un emprunt fait à Tarchéologie biblique, une imitation
du rariona/ hébreu'; mais, en se plaçant dans une autre hypothèse, qui
sei'ait bien plus d'accord avec Tcnsemble des monuments, on pourrait,
avec tout autant de raison, y reconnaître quelque chose d'analogue k
Tespèce de plaque ornée de scalpixares qui décorait la poitrine des prêtres
et des prêtresses de Cybèle et de la déesse de Syrie, comme nous l'ap-
prenons de quelques témoignages classiques^, et que nous le voyons sur
quelques monuments ^. Quoi qu'il en soit , c'est la composition même
de cet ornement, et surtout la signification attachée aux figures sym-
boliques dont il est chargé , qui mérite au plus haut degré l'attention
de nos lecteurs.
Ce pectoral se compose de neuf zones ou bandes concentriques , for-
mant un demi-cercle autour du cou, au-dessous desquelles règne une
plaque carrée, divisée elle-même en quatre bandes ou zones horizontales,
qu'entourent , dans une direction verticale , douze autres bandes sem-
blables, dont les deux dernières, ou les plus extérieures, correspondent ,
par leur extrémité supérieure , à celle des deux premières des neuf zones
concentriques. Chacune de ces bandes est remplie de figiu^es symboliques
qui expriment certainement des idée^ religieuses , et dont la composi-
des mages de la Médic et de la Perse d*avec les Ghaldéens de Babylone. Dans le
passage qu*il cite de Pausanias , iv, 3a , Ai il est question des Chaldéens et des ma^es
de r Inde, ce qui est conforme à la vérité. — ^ Grifi, Afonam. di Cere, p. 96, 3). Sur ce
rational hébreu , appelé en grec \&yiov et XoyeTov, Yôy. Fabricius, Biblioth. ont c. 11.
— * Dionys. Hal. 11, 19 : tùttovs re Trepixeifisvoi toTs aliideat. Cette sorte de plaqae
sculptée se nommait, à raison de la place qu^elle recevait sur la poitrine, ispoalrjOl'
liov. n en est fait mention dans un fragment de Polybe, cité par Suidas, v. FiXXoç;
cf. Polyb. Fragm, lib, xwi, c. ao, S 6, t, IV, p. aao, Schw., où ce mol, altéré en
ifpàç T^ Ihéa , a été rétabli par Valois , d'après un autre passage du même écrivain ,
cité par le même Suidas , v. irpaa^rjÔiZicùv. L'objet nommé dans ces deux textes
vpo&lrjBC^wv a été mal expliqué par Suidas: ehiives (Âé/pi (/Jiidovs^ qui signifient
desjigures en buste ; tandis qu*il s agissait elTectivement défigures placées sur la poi-
trine. En second lieu , il y avait certainement une distinction à faire entre T{nrovs
et vpo&lrjSRia^ distinction que n'ont faite ni Winckelmann , Monum, ined. n. 8, ni
réditeur du Musée Capitolin, t. IV, p. 63, ni Visconti lui-même. Mus. P, Clem.
t. Vn, p. 37. — ^ Je citerai particulièrement une peinture d*Herculanum , reprê-
•eotant cinq ministres sacrés dévoués au culte de la déesse de Syrie, et portant sur
la poitrine une plaque ornée de lignes et de signes symboliques, Pittur. d*Ercolan. t Ilf ,
far. Li; voy. p. 267, 11), où les savants interprètes de cette peinture n'ont pas ou-
blié de rappeler les passages de Denys d'Halicamasse et de Suidas, rapportés à la
note précédente, et de citer à Tappui deux monuments, publiés par Montfaucon,
représentant une prêtresse de Cybèle avec le buste de la déesse suspendu sur la poi-
trine, mais où ils ont aussi laissé échapper à leur attention cette distinction impor-
tante eatre le buste, vitvoç^ et la plaque, vpo&Jijd(^tQv.
SEPTEMBRE 1843. 545
tion , comme le style, se rapporte , sans nul doute , à uii type asiatique :
voilà ce qui résuite, pour toute personne tant soit peu versée dans
Tarchéologie comparée, de la première inspection de ce monument,
unique jusqu'ici. L'embarras commence quand il s'agit dy appliquer
un système d'interprétation. Partant de l'idée que ce sont les dogmes
de la religion mithriaque , tels qu'ils sont exposés dans les livres zends,
particulièrement dans le Boundehesch, qui ont fourni tous les motifs
de cette composition symbolique, M. Grifi voit , 4ans les douze grandes
zones concentriques qui forment la principale partie du pectoral, un
emblème de la grande année, qui consistait en doaze milliers d'années
solaires, et qui représentait, dans la croyance des Perses commune aux
Étrusques, la durée totale du monde créé. J'ai dit précédemment ^ ce
que je pensais de cette idée de notre auteur, et je n'ai point à y revenir.
Il me suffira d'exposer ici en peu de mots de quelle manière M. Grifi ap-
plique les notions cosmologiques contenues dans les livres zends à Tex-
plication des figures symboliques de notre monument étrusque. Il trouve ,
dans le choix de ces figures, et dans la place qui leur est donnée sur cha-
cune des doaze bandes en question , l'image emblématique de la lutte da
1)ien et du mal, qui remplit, avec des alternatives diverses, l'espace en-
tier des douze millénaires. Ce premier point admis, il voit, dans la plaque
carrée qu'embrassent ces douze zones concentriques , et qui est divisée en
quatre bandes parallèles, l'image des quatre âges du monde, composés cha-
cun de trois mille ans, qui sont une autre expression de la durée du
monde créé. Appliquant, enfin, ces deux notions à la partie supérieure
du pectoral, qui consiste en neuf zones concentriques, d'une moindre di-
mension , d'après la place même qu'elles occupent autour du cou , il re-
connaît, dans ces neuf divisions, neuf milliers d'années, qui s'étaient écoulés
depuis la première création des choses jusqu'à l'époque où Zoroastre, le
régulateur présumé, l'instituteur historique de la religion des Perses,
accomplit la réforme qui porta son nom ; ce qui place l'existence de ce
chef des mages à la fin du troisième âge du monde, c'est-à-dire après
trois mille ans écoulés de l'existence du monde actuel , et ce qui répond
à l'époque du règne de Darius , fils d'Hystaspe , sous lequel l'opinion la
plus commune fait vivre le Zoroastre rédacteur des livres zends. Telle
est l'idée générale qui a présidé à tout le travail de M. Grifi , idée qui
est certainement ingénieuse, et qui semble se prêter, sans trop d'efforts,
à l'explication détaillée de chacun des douze ordres de figures symbo-
liques, distribués dans les douze zones concentriques , comme autant d'ex-
» \T
Voy. Journal des Savants, juillet i8â3, p. 4a3-&a5.
69
546 JOURNAL DES SAVANTS.
pressions idéographiques de la notion religieuse attachée à chacun des
douze millinaires. Ces figures, empruntées, les unes à la nature humaine ,
mais avec des appendices qui en font des êtres surnaturels, à savoir
quatre ailes placées aux épaules et à la ceinture, et deux tiges de
lotus partant du milieu du corps ; les autres au règne animal , mais pa-
reillement aussi avec des combinaisons ou des accessoires qui en font
des êtres chimériques , tels que des griffons , des lions avec une tige de
lotus dans la gueule, des ceifs, des béliers , des chevaux ailés et des chimères,
ces figures, disons-nous, sont distribuées dans les douze zones concen-
triques, d'une manière qui semble indiquer les alternatives de la lutte
du bien et du mal qu'exprime probablement chacune d'elles. Ainsi
les griffons de la zone supérieure, considérés comme symboles du premier
millénaire, exprimeraient la race des puissances malfaisantes, produits
d'Ahriman ; les figures à quatre ailes, qui succèdent aux griffons dans la
seconde bande , indiqueraient la création des Ferouers^ génies des étoiles »
ou âmes des bons ; les lions, avec la tige de lotus dans la gueule, disposés
dans la troisième bande, répondraient aux Daroudj, autres génies mal-
fisôsants de la création d'Ahriman ; les figures à qmûre ailes, qui se repro-
duisent identiques dans la iv* et la vi* zones, se rapporteraient aux Izeds
et aux Amschaspands , génies bienÊiisants, créés pour maintenir et dé-
fendre l'œuvre d'Ormuzd, et les Uons ailés, ou griffons, de la v' zone,
représenteraient les chefs des Dews , ministres d'Ahriman. Ainsi se trou-
veraient symboliquement exprimées, dans les six zones supérieures du
jfectoral, les vicissitudes de la latte entre les deux principes qui remplit
les six premiers miUénaires de la grande année, ou l'espace de six mille
ans assigné à la durée de la création du monde invisible , résultat qui
ne laisse pas de paraître assez plausible, et qui est justifié par les textes
du Zend-Avesta, dans les applications qu'en fait notre auteur à chacune
de ces classes de figures symboliques, bien qu'il y ait nécessairement plus
d'une supposition arbitraire dans les idées de l'ingénieux interprète : par
exemple, dans l'hypothèse que le premier millénaire , au lieu d'être con-
sacré h la création du bien , qui précède effectivement celle du mal dans
la cosmogonie de Zoroastre, serait occupé par l'image du mal , sous l'em-
blème des griffons; en second lieu, dans l'emploi d'un même ordre de
figures à quatre ailes, pour exprimer des êtres divers d'origine et. d'at-
tribution , tels que les Ferouers , les Izeds et les Amschaspands , tandis que
des animaux différents , les griffons et les Uons avec la tige de lotus dans
k gueule , représenteraient des êtres d'une nature semblable , tels que
les Dews et les Daroudj. Je me borne à indiquer ces difficultés, sans entrer
dans le détail d'une explication qui me mènerait trop loin , et que je
SEPTEMBRE 1843. 547
n'ai , d'ailleurs, ni l'intention ni le moyen dappi*écier avec toute là ri-
gueur de la critique.
Le principal, peut-être même l'unique défaut du système d'interpré-
tation adopté par M. Grifi , et le seul point sur lequel il me convienne
d'insister, c'est l'âge trop récent et l'autorité trop équivoque des tertes
religieux , tirés des livres de Zoroastre , qu'il applique à T explication du
pectoral étrusque de Cœre. Gomme il n'est pas possible de ne pas re-
connaître que le Boundehesch , livre très-moderne, surtout par rapport
aux croyances dont il contient l'expression, a subi encore une foule de
remaniements et d'interpolations rendues sensibles par l'incohérence de
sa rédaction , on éprouve un scrupule presque invincible à se servir de
pareils textes pour rendre compte d'Images symboliques dont l'ipven-
tion appartient certainement à une époque beaucoup plus ancienne, dont
la signification peut se lier à un tout autre système religieux. Quant au
fait que ces images symboliques se rapportent , même chez les Étrusques ,
qui n'en furent sans doute pas les auteurs, mais qui en durent puiser les
types dans les œuvres d'im art asiatique , à une époque bien plus haute
que celle à laquelle M. Grifi place l'exécution des monuments de Cœre ,
au moins un siècle après la réforme de Zoroastre , ce fait se prouve par la
connaissance que nous avons acquise dç figures semblables ou analogues
sur des vases d'argile noire , recueillis à Cœre même et dans d'autres
anciennes villes étrusques , lesquels vases appartiennent , à n'en pouvoir
douter, par leur fabrication , à la plus haute antiquité étrusque , et , par
l'origine des représentations qui s'y trouvent, à une archéologie orien-
tale. Par exemple , h f gare vétae à quatre ailes , qui est peut-être l'image
la plus significative et la plus souvent reproduite sur le pectoral de Cœre ,
s'est rencontrée, presque absolument pareille , dans une figurine d'argile
noire, découverte aussi à Cœre et publiée d'abOTd par M. Dorow*;et
nous possédons , sur beaucoup de monuments étrusques , de nature et
de matière diverses, et tous d'une très-ancienne fabrique, des figures
semblables, qui tiennent au même système religieux et au même art
asiatique. Or, s'il y a quelque chose d'avéré dans des recherches de te
genre, c'est que l'invention de ces figures à quatre ailes, si souvent em-
ployées sur les cylindres babyloniens^, n'appartient pas à Tart des Perses,
* Voyage archéologique en Étrurie, pi. xv, n. 3 , p. &o; Micali, Monnm. per urmre
alla storia de' antichi popoli itaKani, tav. xxi, n. 5. — * M. Grifi n'a cîté aue le cy-
Hodre de M. Dorow, Morgenlànd. AUerthûm. taf. ï; mais il en existe beaucoup
d^autres , les uns publiés , les autres encore inédits , tels que les deux cylindres dû
Musée britannique , dont un dessin se trouve sur Tune des planches jointes à la
Religion der Bahylonier, du EK Mûnter, taf. i, n** la et i3. J'en publierai plusieurs
69.
548 JOURNAL DES SAVANTS.
mais à celui des Assyiîens. Il en est de même des figures danimaux
symboliques représentés sur le pectoral de Cœre. Certainement, les lions,
les béliers, les cerfs, les griffons, les chevaux ailés, tels qu'on les voit si
souvent sur les vases d'argile noire et sur ceux de manière dite phé-
nicienne et de fabrique primitive , dérivent originairement de modèles
founiis par une industrie phénicienne, en rapport avec une archéologie
assyrienne ; et de pareils travaux remontent , chez les Etrusques eux-
mêmes, et, à plus forte raison, chez les peuples de l'Asie antérieure,
qui en produisirent les types, à ime époque bien plus ancienne que celle
de la réforme introduite par Zoroastre dans la religion des Perses , par
suite de laquelle des images figurées, restées jusqu'alors étrangères à ce
peuple, prirent place parmi les objets de son culte. La chimère, ou l'a-
nimal à deax têtes sar an corps de lion , qui figure parmi les animaux sym-
boliques du pectoral de Cœre, est pareillement connue pour s'être pro-
duite sur des vases d'argile noire, provenant de nécropoles étrusques ';
et cette figure appartient indubitablement k une archéologie asiatique ,
comme, de l'aveu même de M. Grifi^, elle est en dehors du système de
la symbolique persépolitaine. J'en dirai autant de l'image la plus impor-
tante que nous offre le pectoral de Cœre , le groupe du personnage divin
placé entre deux lions qail dompte. Ce groupe symbolique, dont je crois
avoir donné, dans un travail particulier', la véritable explication» en le
rapportant au mythe de Y Hercule assyrien et phénicien, revient si fréquem-
ment sur des cylindres babyloniens et persépolitains de tout âge , dans la
principale de ses variantes , celle où le personnage divin combat le lion dressé
devant lui^ , qu'on ne peut douter qu'y n'exprimât une des croyances les
plus fondamentales de la religion de ces peuples , la lutte du dieu favorable
contre le mauvais principe; mais cette idée avait certainement revêtu,
chez les Assyriens et les Phéniciens, une forme graphique, avant de
dans les planches jointes à mon Mémoire sur rHercule assyrien ; ce qui fait que je
m^abstiens ici d'en citer d'autres. — ^ Micalî , Monam. per serv, alL star, de wiL
popoL ital. tav. xx, i et ao; tav. xxvi, a ; Dorow, Voyage archéologique en Ètrarie,
pi. IV, iig. 7. Un de ces vases noirs, oii paraît une chimère figurée avec un corps et
une tête de lion, et, de plus, avec une tite de chèvre, &ît partie de la collection de
M. le comte de Pourtalès-Gorgier, où il est décrit, p. 97-98, n. j464« et gravé en
vignette, p. i33. Un vase pareil, avec une représentation semblable, appartenait à
M. de Magnoncourt, et on le trouve décrit, sous le n* 1 16, p. 73 , dans le Catalc^e
de ce cabinet ; ce vase est maintenant en ma possession. — * Monum. di Cere, etc.
C69. — * Dans un Mémoire sur l'Hercule assyrien , déjà cité. — * J'ai indiqué , dans
mémoire mentionné à la note précédente, la plupart de ces cylindres qui m'é-
taient connus, et j*en publierai plusieurs, qui étaient encore inédits, dans les planches
qui y seront jointes.
SEPTEMBRE 1843. 549
passer dans les œuvres de Tart persépolitain , comme nous la voyons re-
présentée dans les raines de Tschelminar ; et la même idée, sous une
forme analogue et avec plusieurs de ses variantes, avait pénétré chei
les Étrusques , certainement aussi dès une époque antérieure à celle où
M. Grifi suppose qu'ils purent avoir connaissance des dogmes de la re-
ligion mithriaque, à en juger d'après Tancienneté de style et de fabrique
qu'offrent la plupart de ces monuments de l'art étrusque ^ La variante
signalée en derjiier lieu et souvent reproduite , celle où le personnage di-
vin combat le lion dressé devant lui , est une des images figurées que Gtésias
avait en vue dans ce quil appelle les représentations de chasses royales,
sculptées et émailléeâ sur les murs du palais des rois à Babylone ^. L'in-
vention , comme le motif, en était donc bien certainement assyrienne ^ ; et
' Le héros placé entre deux lions qu'il conduit enchaînés , ou quil tient serrés par
la gorge, est un sujet qui s*est trouvé sculpté sur des bronzes étrusques du plus an-
cien style, Inghirami, Monum. Etrusch. ser. m, tav. xxiii et xxxiii; Micali, lHonam.
per serv. ail. stor, de* ont. popol. UaL tav. xxviii, n. 3 et 5. Le modèle. de cetie
représentation ne pouvait avoir été fourni que par des monuments babyloniens,
tels que le sceau trouvé à Babylone même , et publié par le voyageur anglais Ui-
gnan, Traveb in Chaldea (London, 1828, inS", sur le frontispice), où le personnage
divin tient de chaque main un lion dressé sur ses pattes de derrière. Le groupe d'un
homme nu, agenouillé entre deux lions , dans la gueule desquels il plonge un bras vie-
torieux, sujet d*un bas-relief d*un tombeau de Tarquinies ( d*Agincourt , Hist. èe
l'art. Architecture, pi xi, n. A, Inghirami, Monum. Etrusch. ser. IV, tav. xvni), est
une image équivalente , puisée à la môme source *, et le groupe symbolique do
héros entre deux lions, de notre pectoral de Cœre, vient confirmer tous ces rapports
par une de ses applications les plus significatives. Quant aux monuments de fart
étrusque, où se présente le groupe du héros combattant un lion dressé devant lui, ou
bien tenant par la queue le lion renversé la tête en bas, variante de la même idée, je
citerai particulièrement un scarabée du Musée d'Arigoni, t. U, Amulett, tab. xii, n.
5 ; un autre scarabée , récemment sorti des fouilles de Vulci , et publié dans les
Annal. delV It^stit. Archeol. t. Vil, tav. agg. H, 5, avec les scarabées de sujet et de
signification analogues publiés par M. Micali, Monum. per serv. ail, stor, de ont,
popol. ital. tav. xlvi, n. 8, la, 17, 18, 23; et, à cette occasion, je remarque
avec plaisir que M. Micali, qui avait vu d*abord, dans ces monuments d*un art
étrusque archaïque, le sujet ai Hercule domptant les lions du Cithéron et de Némse,
est revenu sur cette opinion qu*il abandonne, en reconnaissant ici, conune il s'et^
prime lui-même : i7 preminente potere del genio buono sopra il perverso. Mais il est
vrai de dire (et c*est peut-être ce qa*aurait dû ajouter le savant antiquaire), que ce
dogme fondamental des religions asiatiques s^exprimait par la lutte symbolique de
Y Hercule assyrien combattant le lion , qui avait passé dans le mythe de rHercuIe
hellénique , ainsi que j'espère en fournir la preuve dans le mémoire plusieurs ibis
cité. — * Ctes. apud Diodor. Sic. 1. 11, c. 8; cf. Ctes. apud Vhoï,. Cod, lxxii, p. 4i,
éd. Emm. Bekker. Voy. Creuzer, zur Gemmenkande ,. taf. v, n. a 6, p. ioi-io3, et
191, 206). — ^ Depuis que cet article a été écrit, j*ai eu connaissance , par des lettres
de M. Botta, communiquées à TAcadémic des belles-lettres , de la découverte d*un
550 JOURNAL DES SAVANTS.
les Étrusques, qui en firent usage pour leur propre compte, ne purent
en puiser le type, avec Tintention qui y était jointe, qu'à cette source;
d'où il suit encore que cette image, telle qu'on la voit exécutée sur les
bracelets du tombeau de Cœre, se rapporte à une époque plus élevée
que celle de la réforme de la religion mithriaque et de son introduc-
tion présumée en Étrurîe.
Le vice que je viens de signaler dans le système d'interprétation ap-
pliqué par M. Grifi au pectoral du tombeau de Cœre n'est peut-être nulle
part aussi sensible que dans l'explication qu'A donne de T objet qui formait
l'ornement de la tête de la défunte, et que notre auteur désigne par le
nom de stemma. C'est, comme il est facile de s'en assurer en jetant les
yeux sur le dessin très-exact qu'en publie M. Grifi, et qui peut tenir
lieu de l'original^, une espèce de coiffure hiératique, composée de
deux pièces principales : l'une , supérieure et plus large , d'une forme
à peu près demi-circulaire; l'autre, inférieure et d'ime moindre di-
mension, d'une forme à peu près ovale, réunies l'une à l'autre au
moyen de deux lames étroites de forme très-allongée et arrondie aux
extrémités , à chacune desquelles sont attachées par des anneaux trois
fleurs qui paraissent être de lotos. En voyant dans cet objet, d'une
matière précieuse et d'une forme singulière , la lame d'or qui recouvrait
la tiare d'un personnage présumé mage ou pontife chez les Étrusques ^ ,
M. Grifi reste , sans doute, conséquent avec lui-même, et fidèle à toutes
les idées qu'il s'est faites concernant l'usage et la destination des di-
verses pièces de cette toilette funéraire, mais sans que le fait que cette
lame d'or était placée sur la tête d'une femme , fidt qui constitue une
objection si grave contre cette supposition, cesse de subsister avec
toutes ses conséquences. Une seconde difficulté, qui eût mérité aussi
d'être prise en quelque considération par M. Grifi , c'est la disparition
de la tiare elle-même, qui était la coiffure propre des mages, qui, à ce
grand monument assyricD , opérée par les soins et soos la directîoD de ce foDCtion-
naire firançab , sur l'emplacement de rancienne Ninive. Entre autres ol:gets curieux
^recueillis dans ces ruines, il est fait mention d*une hoale d'argile j portant imprimé
le groupe symbolique du héros combattant le lion dressé devant lai, dont il s'est
trouvé une aemi-douzaine de répétitions. C'est là une preuve nouvelle, qui peut
paraître surabondante , mais qui n*en es^ pas moins précieuse par la localité qui la
fournît, que l'invention du groupe en question appartenait à Tafcbéolc^e assy-
rienne. — * Monam. di Cere, etc. tav. ii. — * Ibid. p. 94 et 96 : « Niun dubbio poi
« deve insorgere che questa lamina d* oro, ritratta neil& grandeaa sua medesima alla
«tav. II, non guamisse la tiara, e formasse cosi il principale omamento suo, poichè
■ fu rinvenuta giacersi alquanto piii in sopra di quello e in distanza taie , quanta
■ pno misurarsene dal petto al capo di un uomo. »
SEPTEMBRE 1843. 551
titre , et en se plaçant dans les idées de Fauteur, devait certainement
faire partie des ornements avec lesquels celui-ci était enseveli, et qui
pourtant ne s est pas retrouvée, à ma connaissance. Il y aurait, en troi-
sième lieu, une observation à faire contre Topinion de M. Grifi: cest
qu'un objet d*ime forme toute semblable, de la même matière, et peut-
être d'une égale antiquité, à en juger par le travail, a été trouvé dans
un tombeau de Gânino, et regardé par l'antiquaire qui Ta publié,
M. Micali ^ , comme ane grande fibule , grande affibiaglio ; en quoi il me
parait constant que cet antiquaire s'est trompé. Mais , quoiqu'il soit évi-
dent pour moi que la lame d'or du tombeau de Canino est une coiffare
hiératique f comme celle du tombeau de Cœre, et non nue fibule, il ne
résulte pas moins de la confrontation de ces deux objets tout pareils,
sauf les détails de leur composition, une difficulté de plus à admettre
pour lun et pour l'autre la supposition qu'ils avaient servi à orner la
tête d'un mage chez les Étrusques; car cette présence de mages en
Étrurie, si contraire à toutes les notions que nous possédons, devient
plus difficile à croire, à mesure que les exemples s'en multiplient.
M. Grifi, qui semble avoir prévu cette objection, n'a point parlé de
cette seconde lame d'or, dont la découverte avait précédé de six années
celle de la lame d'or du tombeau de Cœre, et dont la destination, d'a-
bord mal comprise, a xeçu, par l'apparition de celle-ci, à la place
qu'elle occupait sur la tête du diéfant, sa véritable explication. Cet oubli
de notre auteur est-il involontaire , ou bien est-ce une réticence ré-
fléchie? C'est une question que je me garderai bien de décider; je me
borne à signaler le fait, et je passe à l'interprétation que donne M. Grifi
de la lame d'or en question , qu'il regarde comme ayant servi à garnir la
tiare du personnage étrusque, dont il fait un mage, disciple de Zoroastre.
Il y voit une image emblématique du monde dans les deux régions : le
globe supérieur, ou le règne d'Hormuzd, et le globe inférieur, ou l'em-
pire d'Âhriman. Les cing Uons , disposés en pyramide dans le g^obe su-
périeur, lui paraissent désigner les cinq planètes , d'après le rapport sym-
bolique de cet animal avec le soleil; les griffons et les autruches, distribués,
comme on les voit, alternativement dans les zones parallèles du globe
inférieiu*, lui effilent un rapport du même genre avec le génie mal&i-
sant qui préside au monde inférieur. De pareilles conjectures, que je me
contente d'énoncer, peuvent paraître spécieuses; mais, pour moi, j'a-
voue franchement que je n'y trouve aucune solidité. Il y a plus : je ne
suis pas convaincu que Foiseau symbolique que notre auteur prend ici
' Monam. per sert. ail. star, in ont popol. ital tav. xlt, i^
552 JOURNAL DES SAVANTS.
pour une aàtmche, sans doute parce qu'il en a besoin, soit réellement
une autruche. Nous connaissons, par des cylindres babyloniens ^ le rôle
que cet oiseau remplissait dans la symbolique des Chaldéens, et la si-
gnification qui y était attachée. Nous le voyons, sur ces monuments, re-
présente avec la forme qui lui convenait ; et nous le retrouvons , sous
la même forme , et , très-probablement aussi, avec la même signification ,
sur des monuments de la haute antiquité étrusque, sur des vases d'argile
noire ^, et sur des vases de manière phénicienne *. Mais la forme donnée
k ïautruche, sur ces monuments babyloniens et étrusques, difière tota-
lement de celle de l'oiseau que M. Grifi prend pour une aatrache sur le
stemma de Cœre. Cet oiseau ressemble, en effet, à une oie ou à un
canard; et c'est sous le nom du premier de ces oiseaux aquatiques qu'il
a été désigné par M. Cavedoni*, dont j'avoue que je partage tout à £adt
la manière de voir. L'oie, comme oiseau funèbre , consacré à Hercine^
et à Proserpine^, figurerait très-bien sur notre coiffure funéraire, attendu
que ce sont aussi des images de signification funèbre qui décorent l'autre
stemma, publié par M. Micali*^. Mais, en tout cas, la présence de l'ao-
' Un de ces cylindres a été publié par M. Dorow, Morgenl. Alterthûm. H. I, taf. r.
n s'en trouve deux dans les Morgenl. Fandgrub. B. III, 3, H, i3, B. IV, là. Un
troisième, du Masée britannique , a été publié par le D" Mûnter, Relig. der Babylgn.
taf. I, n. i3, qui a vu, à la vérité, dans Tanimal syitibolique, un griffon, tandis
que c'est, suivant moi, un oiseaa, et probablement une autruche. — * Tels que
ceux qu*ODt publiés M. Dorow, Notizie intomo alcuni vasi etraschi, tav. viu, fig. 6,
et M. Micali, tav. xvn , 5, xx, i a , où ce savant a signalé lui-même fanalogie de cette
représentation étrusque avec Timage des cylindres babyloniens, sur lesquels il voit
rized ailé, tenant de chaque main par le col une autruche, obeau d'Ahriman; opinion
k laquelle je souscris pour mon propre compte, sauf en ce qui concerne les déno-
minations d'Ized et d^Ahriman, qui ne conviennent pas à des monuments babylo-
niens. Je dois observer encore que M. Micali avait pris cet oiseau pour un cygne,
d'après des motifs qui m'avaient paru plausibles; voy. Joum, des Sav. mars i83A»
p. 1^7; maintenant, je serais plus disposé à croire qu'il s'agit d'une autruche sur
tous ces monuments, évidenunent produits sous l'influence du même système hier
ratique. — 'Un de ces vases, de la collection Bartholdy, a été publié par M. Do-
row, Notizie intomo alcuni vasi, etc. tav. vni, fig. i a et i 6^ p. ig-ao. Il s'en trouve
un autre au Musée de' Stadj , qui a été publié par M. Quaranta, R. Mus. Borbon.
t. VI , tav. LVi , et reproduit par M. Micali , Monum. per serv. ail. stor. dei ant. popol.
ital. t. Lxxni, n. i. — * Cavedoni, Sopra un sepolcreto etrusco, etc. p. Ay, 71);
cf Bullet. Archeol. i836, p. 60. — • Pausan. ix, 39, 3. — * La relation de Voie
avec les divinités infernales est établie par de nombreux monuments , dont je ne
saurais donner ici l'indication. Je me contente de renvoyer aux observations faites
le plus récemment sur ce sujet par un ingénieux et docte antiquaire napolitain ,
M. Fil. Gargallo Grimaldi, dans les Annal, delV Instit. Archeol t. XIII, p. 124-135,
tav. agg. F, lett. A et B. — ' J*ai en vue le groupe de deux gladiateurs en attitude
de combattre , de chaque côté d*une pyramide , indiquant un tombeau. Les oiseaux
SEPTEMBRE 1843. 553
trache sur le monument de Cœre ne saurait plus être admise; ce qui ôte
à l'explication de M. Griii son principal appui, et me dispense d'entrer,
sur les autres points, dans une discussion qui pourrait aboutir au même
résultat.
Je n ajouterai qu'un mot sur un objet qui acquiert une grande
importance dans l'interprétation de notre auteur, mais sans que cette
importance puisse, à mon avis, se justifier par la forme et par la valeur
réelle de cet objet II s'agit des deux lames longitudinales, au moyen
(lesquelles sont Ûées entr« elles les deux parties supérieure et inférieure
du stemma. Partant de l'analogie qu'il croitdécouvrir entre le Ph^hafc,
dieu démiarge de la théologie égyptienne, et le MiAras des Perses,
considéré sous le même raf^ort de démiurge, M. Grifi pense que ces
deux lames ont ici la même valeur symbolique que les quatre barres, qui,
dans le langage idéographique de l'Egypte, exprimaient l'idée de Phihah,
et qui avaient, dans l'objet appelé vulgairement nihmètre, une autre ex*
pression équivalente ^ Ailleurs , il explique encore ces deux lames, comme
o&ant un emblème de Mithra, en sa qualité de dieu médiateur^, fieaflns,
qualification dont nous devons la connaissance à Plutarque ^ , et qui a
donné lieu, comme on sait, à beaucoup d'explications contradictoires^.
L'idée de M. Grifi ne me paraît pas destinée, je l'avoue, k produire,
sur ce point difficile, l'accord des opinions; et, quant à la supposition
que les deux hmes de notre stemma représentent Mithra comme média-
teur, je ne puis m'empêcher de dire que cela me parait une pure illusion ,
aussi bien que l'idée qui fait des douze Jleurs de lotus autant d'emblèmes
des douze signes du zodiaque et des douze mille ans de la grande année^.
Notre auteur ne s'est jeté dans toutes ces subtilités, qui ne reposent sur
rien de solide , à mon avis , que parce qu'il avait écarté d'avance le rap-
prochement de la coiffure funéraire de Cœre avec celle de Canino. Là aussi
deux lames longitudinales tiennent attachées ensemble les deux parties
du stemma , sans qu'on puisse y voir aucun élément d'une croyance mi-
thriaque; et les douze Jleurs de lotus, remplacées par quatre espèces de
palmettes^t suspendues aux deux extrémités des deux lames en question ,
qui remplissent le champ de cette plaque ont certainement aussi une intention fu-
néraire, comme c*est le cas sur beaucoup de vases peints de style archaïque. -—
* A/onam. di Cere, etc. p. 98-100. — * Ibid, p. 116-117. — ' Plutarch. de Isii.
et Osir, S XLVi, p. 36q (t II, p. 5i4» edit Wyttenbach. ). — * Voy. sur ce sujet
l*opinion de Zoega, Abhandlangen , etc. p. 118, avec celles des savanU cités dans la
note ajoutée par M. Welcker, ibid. 1*). *— * Monam. di Cere, etc. p. 117-118. ^
* Il serait possible qu*en se plaçant dans les idées de M. Grifi , et en admettant ,
pour la parure de Canino, la même signification religieuse que pour celle de Cmn^
70
5^4 JOURNAL DES SAVANTS.
ipontrent bien que c'est, de part et d'autre, un simple ornement, au-
quel on ne saurait attacher une valeur symbolique, sans se livrer, je le
répète, à des illusions qui devraient ôtre aujourd'hui bannies du do-
maine de la science.
J ai donné quelque étendue aux explications qui concernent le pec-
toral et la coiffure du tombeau de Cœre, parce que j'ai dû chercher à
mettre nos lectem^ au fait de l'importance archéologique de ces deux
objets, et à leur faire apprécier le système d'interprétation que notre
auteur y applique. Je serai plus court dans le compte qui me reste à
rendre .des autres objets composant la toilette funéraire de notre mo
nument. Parmi ces objets, le plus remarquable est, sans contredit, la
paire de bracelets cfui fut trouvée aux deux côtés du corps, à la place
même qu'elle devait occuper. La représentation qui s'y voit est peut-
é^re ce qu'il y a de plus curieux et de plus significatif entre toutes celles
qui décorent les diverses pièces de notre toilette funéraire : elle con-
siste en une figure debout , de face , tenatrt de chaque main une tige de
lotu^, laquelle figure est placée entre un groupe d'un personnage vêtu,
qui s'apprête à frapper du glaive, qu'il tient d'une main, un lion dressé
sur ses pattes de derrière, qu'il saisit par la tête de l'autre muin, groupe
répété de chaque côté. L'image symbolique qu'exprime ce groupe est ,
comme n.pus l'avons dit plus haut, si notoirement puisée dans les
modèles de l'art assyrien, d'où elle avait passé dans les monuments
du culte des Perses, sur des sceaux, des cylindres, et jusque sur des
monnaies \ qu'on ne peut en méconnaître ni l'invention asiatique ,
on interprétât ces quatre espèces de pdlmettes comme étant un emblème des quatre
âges du monde; ce qui serait une expression équivalente des douze feurs de lotos ,
représentant les dpusie millénaires de la durée du monde. Mais, avec un pareil sys-
tème d'interprétation, il n'est rien dont on ne rende compte; ce qui, pour moi,
est absolument la mèmç chose que de n'expliquer rien. — * Plusieurs de ces cy-
lindres ont été publiés dans le recueil de Raspe, pi. ix, n** 638 et 64i« pi. x, n' 6^9 »
et pi. XI , n*' 658 et 66o , et il en est un qui a été reproduit avec bien phis d'exac-
l'iude par M. Lajard , Mémoire sur la Vénus orientale androgyné, pi. iv, n. a. Le
IV Monter en avait reproduit aussi un autre, d'après le journal de Murr, Relig.
der Babylon. laf. n, n. ig. Le même groupe se trouve répété deux fois sur un
seul de ces cylindres, recueilli par Ker-Porler dans les mines de Babylone, el
publié dans ses Travels, etc. t. H, pi. 79, n. 5. Jen connais plusieurs antres, du
cabinet de la Haye et du Musée britannique , qui sont encore inédits, et qui seront
puUiés dans les planches jointes k mon Mémoire sur l'Hercule assyrien , d'après
léi empreintes que j*en possède. Un monument, beaucoup pins rare dans son
genre, acquis récemment pour notre Cabinet des Antiques, est un amulette à
quatre faces , trouvé à Marathon , où le même groupe du personnage divin combat-
tant un Hon dressé devant lui se voit gravé en creux sur une des faces*. Je publierai
SEPTEMBRE 1&43. : 96S
ni ia valeur idéographique; et, ici encore, nous sommes sûrs de nouB
retrouver, bien qu'en face d*un monument étrusque, sur le terrain de
l'archéologie chaldéenne. Seulement, nous devons y voir l'expression
d'une doctrine plus ancienne que celle du Zend-Avesta; et de àevd
une nouvelle preuve, ajoutée à tant d'autres, de la réalité des em-
prunts que l'art des Perses fit à celui des Assyriens, que cette appli-
cation , faite à leur propre croyance par les Etrusques, d'un motif qu'ils
n'avaient pu devoir qu'à d'anciennes communications avec l'Assyrie.
Au-dessous de cette représentation si remarquable, se trouve une
seconde composition, qui consiste en tiroà figures debout, se tenant par
la main, avec quatre tiges de lotus, dans le champ, sans doute pour fi-
gurer les âmes pures admises au séjour de l'immortalité. Ici encore
tout est asiatique dans le choix des symboles, bien que tout soit étrusque
dans le style et dans l'exécution , et j'admets l'interprétation que donne
notre auteur de ces représentations symboliques, bien que je ne puisse
convenir avec lui qu'elles soient puisées dans un fottd de doctrines mi-
thriaques. Mais je suis surpris, au sujet de là lige de htus, qui joue uft
si grand rôle dans les divei*ses parties de cette décoration, que notre
auteur n'ait pas fait un rapprochement, qui soflrait naturellement à
l'esprit, c'est celui du lion, tenant dans la gueule une tige de lotus, image
du mauvais génie, qui s'attaque' au principe de vie et d'immortalité,
avec le lion mithriaque, tenant dans la gueule un papillon , image tout à fait
analogue ,' que nous offrent des pierres gravées, d'origine et de travail
gnostiques^ A la vérité, cette dernière image, d'après l'âgé récent des
monuments qui la présentent, a pu sembler d'une invention exclusive-
ment propre au gnosticisme; mais, commç elle était certainement pui-
sée dans un fond de doctrines analogue à celui qui avait produit ,"^abdtti
chez les Assyriens, puis chez les Etrusques, l'image du Uon avec ta tiqede
lotus dans la gueule, on peut croire, à présent que nous reticotHrons éèite^i
sur un monument étrusque du vu* siècle au moins 'avant notre èii^é-, qiie
l'image équivalente du lion avec le papillon dans la gueule, seulement
connue jusqu'ici par des monuments du gnosticisme, pouvait avoir
aussi un type plus ancien ; et je ne serais pas éloigné de penser qu'il
n'en fût de même de plusieurs autres symboles des sectes gnostiqueaf,
aussi cet amulette, ainsi que plusieurs cohes ou sceaux inédits, de travail babylo-
nien et persépolitain , et quelques dâriqoes , qui offrent le groupe en question', rap-
porté, comme je crois pouvoir en fournir la preuve, au culte de Y Hercule assyrien.
— ^ Voy. les deux pierres publiées dans le recueil d'Agostini, part. III, tav. 3â et
35, et reproduites par Hyde, De relig. vet Persar, p. m, tab. ann. et par d*autres
savants.
70. •
556 JOURNAL DES SAVANTS.
qui avaient sans doute approprié à leur usage, en les rendant à leur
manière, plusieurs des signes symboliques créés, avec une intention
équivalente, dans les systèmes religieux de la haute antiquité asiatique.
M. Grifi continue à rendre compte des autres objets composant ia
parure funéraire de notre tombeau, d*après les principes du culte de
Mithra, et ses explications, toujours ingénieuses, ont toujours, à mes
yeux, le tort de s appuyer sur des textes d'une autorité trop équivoque et
de se rapporter à des temps trop récents ; ce qui fait que je ne m'y arrê-
terai pas davantage. Mais je regrette que notre auteur, qui est entré ,
sur quelques-uns des vases de bronze, dans des explications qui ont
le même mérite, et malheureusement aussi le même défaut, n'ait pas
même essayé l'explication des vases d'argent , ornés de représentations
où tout se rapporte par l'invention à des idées asiatiques, et par l'exé-
cution à un art étrusque archaïque, où se trouve, par conséquent, la
combinaison la plus curieuse qu'il y ait à constater pour l'histoire des
anciens rapports archéologiques de l'Étrurie avec l'Orient ^ à quelque
époque qu'on les rapporte et de quelque manière qu'on les explique.
M. Grifi nous a donné, du moins , de ces vases si précieux à tant de titres,
d'excellents dessins, d'après lesquels nous pouvons en étudier la com-
position et le motif, en apprécier le goût et le style , comme si nous
avions les originaux mêmes sous les yeux ; et c'est un véritable service
qu*il a rendu à la science, et dont on doit lui savoir beaucoup de gré.
Les sujets sculptés sur ces vases, de formes diverses ^ sont exécutés de
très-bas relief, à l'aide du burin ; les particularités du costume qu'on y
remarque ofirent beaucoup d'analogie avec les monuments ^ptiens ,
sauf le travail même , qui appartient certainement à une industrie locale ;
quelques détails de la représentation, notamment ïépervier aax deux
ailes éployées, l'une en haut. Vautre en bas, rappellent si positivement les
modèles égyptiens, qu'il est impossible d'en méconnaître l'imitation,
due à des mains étrusques., D* un autre côté, le motif général de la com-
position, avec la plupart des accessoires, sont évidemment puisés dans
des représentations asiatiques ; d'où il suit que les auteurs de ces mo-
numents durent avoir sous les yeux des objets d'un goût analogue, pro-
duits dans une école d'art asiatique, où s'exerçait naturellement l'in-
fluence de Tart égyptien. Je n'ai, du reste, ni le temps, ni l'intention
de donner une explication complète de ces vases d'argent de Cœre.
Ce travail, que M. Grifi a jugé sans doute trop difficile, puisqu'il a
évité de l'entreprendre , est peut-être impossible , dans l'état actuel de
' Monam. di Cere, etc, tav. v, n. i ; tav. vui, n. i; tav. n; tav. x, n. i et a.
SEPTEMBRE 1843. 557
la science ; et j'aurais, moins quun autre , les moyens d*y réussir. Je me
bornerai à donner à nos lecteurs une idée générale de la composition
de ces vases, et à y signaler les principaux traits qui me pai-aissent
déposer à Tappui d*an tiques relations d'art et de croyance entre rÉtrurie
et l'Asie antérieure.
Le motif de la composition de ces vases se rapporte à des idées de
chasse , ce qui est aussi le sujet habituel des vases peints , de la manière
dite phénicienne, et de ceux du plus ancien style grec qui se rattache
directement à cette manière , tels que le célèbre vase Dodwell ^ le vase
du musée de Naples , publié dans le premier recueil d*Hamilton ^, et
d autres vases, semblables par le sujet et par le style, qui indiquent une
fabrique originairement corinthienne , récemment sortis des fouilles de
Cœre même ' et d'autres villes étrusques du voisinage ^. Mais ces repré-
sentations de chasses étaient, comme on le sait par le témoignage de Cté-
sias ^y le sujet favori des travaux de Tart babylonien. Cétait de pareilles
images qu'étaient couverts les murs du palais des rois à Babylone ; et ,
presque à toutes les époques de la civilisation orientale, et jusque sous
les Sassanides, ces sortes de sujets furent ceux qu'affectionna le jplus le
goût de ces princes , d'accord avec le génie de leurs peuples. Il est donc
bien probable que c'est à cette source orientale que furent puisés les
motifs de ces représentations de chasses héroïques , exécutées en Grèce et
en Etrurie sur les plus anciens monuments de l'art qui nous soient res-
tés de ces deux pays; et Ton peut croire que c'est par Corinihe que les
modèles en furent répandus , dans la Grèce d'abord , et plus tard en
Etinirie. Mais il est évident , par l'âge même de ces monuments de Cœre,
que c'est directement de l'Asie, et sans doute par suite des relations de
commerce que les Tyrrhéniens entretenaient avec cette région de l'an-
cien monde d'où ils étaient originaires, que furent tirés les modèles
de ces représentations de chasses héroïques , telles que nous les voyons exé-
cutées sur un vase d'argent de Cœre , dont l'exécution locale me parait
aussi certaine que l'est l'invention orientale. Cette dernière notion résulte
* Dodwell, a Toar, etc. t. II, p. 197 ; d^Agincourt, Fragm, de terre cuite, pi. xxxvi;
Ingbirami,ilfofuiiii.E<niJc. ser. V, tav. lviii, lix; Maisonneuve, Introd, à l'étude des
vases, pi. LVi. Ce vase se trouve maintenant à la Pinacothèque de Munich. —
' D*Hancarville, t. I, pi. i-iv. — * Tels que le vase du Museo Gregoriofio, publié
dans les Monum, delV înstit, Archeol t. Il, tav. xxvni, A. — * Tels qu*un aulre vase
du même musée , décrit dans les Annal. delV Instit. Archeol t. VIII, p. 3 10, 1), et
un Yase du musée de Beiiin , Éd. Gerhard*s Neuerworhene Denkmàler, etc. 1 , 1 , S.
3-6, publié dans les Monum. delV Instit. Archeol t II, tav. xxviii, B. Ce dernier
Yase provient des fouilles de Cmre. — * Ctes. apud Diodor. Sic. ii, 8; cf. Ctes. apud
Phot. Cod. Lxxu, p. 4ii éd. Emm. Bekker.
558 JOURNAL DES SAVANTS.
invinciblement, à mon avis, de l'ensemble de la composition, du style
des f]gm*es , des détails du costume et de tous les accessoires de la re-
présentation , ainsi que j'espère le démontrer bientôt. Mais , d abord ,
il importe d'être fixé sur le premier point , celui de savoir si les vases en
question proviennent d'une industrie nationale , ou si ce sont des objets
d'un art étranger importés par le commerce en Etrurie,
A cet égard , il existe déjà une présomption très-forte dans le travail
même de ces vases, qui indique un type originairement asiatique , mais
traité d'une manière et exécuté d'un style qui ne peuvent convenir qu'à
un art étrusque. Nous possédons, d'ailleurs, un objet de comparaison,
dont je ne sache pas qu'on ait encore fait usage, et que, par cette rai-
son , on pourra me savoir gré d'avoir signalé à l'attention de nos lec-
teurs : ce sont deux vases d'argent, l'un de la forme de patère, l'autre
de celle de sitala ^ qui furent trouvés, au commencement du siècle der-
nier, dans le territoire de Chiasi ^. Ces deux vases sont ornés, par bandes
ou zojies concentriques , de figures d'hommes et d'animaux gravées au
poinçon. Le sujet de la patère paraît se rapporter à des idées de chasse;
du moins, y voit-on, dans la zone inférieure, un homme, armé d'une
lance et d'un fouet, et suivi d'un chien, au-dessus duquel vole un oiseau
de proie, image qu'on ne peut expliquer que par cette intention, dans
laquelle rentrent très-bien les figures de sangliers qui précèdent ce chas-
sear. La même image se répète dans la bande du milieu , avec cette dif-
férence, qu'au lieu de sangliers ce sont ici des taureaux qui précèdent
Yhomme armé de la lance , et accompagné d'un chien de chasse et d'un
oiseau de proie. Enfin , dans la zone supérieure , sont représentés des hommes
armés, alternativement à pied et à cheval, évidemment des chasseurs,
comme on les voit aussi sur nos vases d'argent de Cœre. La composition
du vase ne se rapporte pas moins manifestement à des motifs de jeux
et de sacrifices funèbres , tels qu'on les connaît, dès la plus haute anti-
quité étrusque , à laquelle appartiennent certainement les deux monu-
ments dont il s'agit. Effectivement, deux des plus habiles connaisseurs
* Lanzi, Saggio di lingna etrusca, t. H, p. à^b (éd. a*, i8a&). — * Buonarotti , qui
en reçut les dessins au moment de la découverte , à ce qu'il parait , les publia dans
les planches ajoutées par lui à l'édition de YEtraria regalis de Dempster, t. I ,
tab. Lxxvii , Lxxviii; voy. ibid. t. II, Adiiiam, p. 74-75. Depuis celte époque, la pa-
tère s*e8t perdue , et il n'en reste que le dessin publié par Buonarotti. Le vase se
conserve encore à la galerie de Florence, et il a été reproduit, dans un nouveau
dessin exécuté d'après Toriginal même, par M. Fr. Inghirami , Monum, Etrasc. ser. llï ,
tar. XIX et xx, p. 35g-a88; cf. Passer. Paralipomen. ad Derapster. p. ia3 sqq. ; Land,
Saggio, etc. tav. xiv, n. A, t. II, p. à^b-àSo, et 1. 1, p. 170; 1. 11, p- lAa.
SEPTEMBRE 1843. 559
de l'art étrusque, labbé Lanzi^ et M. Inghirami^, regardent le vase,
qui se conserve encore aujourd'hui dans la galerie de Florence, comme
le monument où se montrent de la manière la plus prononcée tous les
caractères d'un art primitif; et cest ce qui résulte pour nous-mêmes,
qui n avons Se ce vase qu un dessin sous les yeux , de la comparaison
que nous en pouvons faire avec les vases d'argent du tombeau de Cœre ,
notamment avec celui que M. Grifi a fait graver sur la planche v de son
livre. L'analogie du style y est sensible de part et d'autre , sauf cette cir-
constance , que l'imitation d'un type asiatique parait mieux indiquée
sur le vase de Cœre , en même temps qu'elle s'y joint à une exécution
plus ferme-que sur le vase de Chiasi; ce qui dénote, pour le premier,
une ancienneté supérieure à celle du second , et un art qui travaillait
avec plus de sûreté d'après les monuments originaux qui lui servaient
de modèles.
Du reste , les particularités du costume , aussi bien que les détails
de la composition , offrent , sur ces divers monuments de la cœlature
étrusque, provenant du sol de Chiasi et de celui de Cœre, assez d'ana-
logie pour nous autoriser à croire que les uns et les autres , bien que
produits par une industrie locale , dérivent d'une même source. Ce qu'il
y a surtout de remarquable dans le costume , c'est la pièce d'étoffe plis-
sée ^ attachée autour des hanches , qui se voit à la plupart des figures
d'hommes armés , à pied ou à cheval , des vases de Cœre et de celui de
Chiasi, Cette espèce de vêtement rappelle celui qu'on voit à tant de
figures égyptiennes, et qui se retrouve aussi sur des monuments asia-
tiques , cylindres et pierres gravées. Mais , sans m'arrêter davantage à
un examen comparatif de nos vases de Cœre avec les deux de Chiasi, que
j'ai dii me borner à énoncer, je terminerai cette analyse en indiquant les
principaux traits qui me semblent déposer, sur ces vases de Cœre, à
l'appui d'une' provenance originairement asiatique.
Le premier de ces vases, représenté sur la planche v, n** i du livre
de M. Grifi , a la forme d'une patère très-évasée et peu profonde. Il est
orné de deux bandes de figures, dont la première, ou la supérieure, re-
' Lanzi, Saggio, etc. t. L p. 170, et t. II, p. i4a- — ' Inghirami, Monum. Etr.
ser. I!L p. 285-q88. — * Cette pièce de vétemenl, formée d'un morceau d'étoffe
caiT}^, ne doit pas être confondue avec le TFepiia)(ia^' qui était une espèce de tablier
fait de peaux de bouc, aussi de forme carrée, attaché autour des hanches, tel que
nous le connaissons par beaucoup de monuments antiques, et que l'indique Denys
d'Halicamasse, dans la description qu'il nous donne de la Pompa circensis, Dionys.
Haï. VII, 7a , t. m, p. iA85, éd. Reisk. : Td uàv àXXo o&ijm yt>nvoi, rà iè vepi rif^-
Mùj xakrntlàfievoi; cf. ihid. p. 1Â91 : IIEPIZÛMATA xoU iopal rpàyvp.
560 JOURNAL DES SAVANTS.
présente deux personnages sur un char attelé de deux chevaux , suivis
d*hommes à pied et à cheval partant pour la chasse ; ce qui résulte de
la présence des oiseaax de proie ^ voltigeant au-dessus de quelques figures,
et de celle des arbres, pins et cyprès, indiqués dans le champ. La chasse
elle-même est représentée , dans la seconde zone , ou TBiférieure , au
moyen d'un groupe d'un lion qui foule aux pieds un chasseur na, et qu as-
saillent, à droite et à gauche, d'autres chasseurs, à pied et à cheval, qui
épuisent contre le redoutable animal tous les traits de leur carquois. La
scène se passe dans un lois de cyprès. Un autre groupe , placé entre deux
palmiers, offre 1^ personnage principal s' apprêtant à frapper du glaive nu,
qu'il tient de la main gauche, un lion dressé devant lui, qu'il tient de l'autre
main par une des pattes de devant; image conçue absolument comme
sur les monuments asiatiques , où la présence des deux palmiers n'est pas
non plus une circonstance indifférente, puisque, en accusant une loca-
lité asiatique , elle indique ici à quelle source cette représentation était
puisée. Derrière ce groupe si remarquable est une éminence, figurée à
peu près comme on voit le mont Argée sur tant de médailles de Césa-
rée et d*Eusebia de Cappadoce ; autre trait d'observation locale qui ne
semble pas pouvoir moins bien se rapporter à un culte asiatique du feu
ou du soleil ^. Du sommet de cette éminence se précipite une antilope ,
espèce de chèvre asiatique, figurée comme on la voit sur des médailles
de Cilicie ', ce qui devient encore un élément caractéristique de plus.
Au-dessus se voit un épervier représenté à la manière des monuments
égyptiens. Le médaillon placé au centre du vase offre un groupe d'un
taureau assailli par deux lions, dont je ne présume pas qu'on puisse mettre
en doute l'invention orientale, liée à l'idée d'exprimer la lutte des deux
principes^. Ce groupe est placé entre deux tiges de lotus, plante qui joue
un si grand rôle dans la symbolique égyptienne et asiatique, pour expri-
mer des idées de vie, de fécondité, d'éternité; et au-dessus 'plane encore
Vépervier, toujoiu^ d'une manière conforme au type égyptien : en sorte
qu'il n'est guère possible de trouver réunis, sur un même monument
d'une industrie étrusque , plus d'éléments significatifs d'un art asiatique.
* Martial. Epigramm, xiv, 216; cf. Brod. Annotât, frior. in Pandect, fol. laA- —
* Cavedoni, Spicilegio numismatico, p. a 54 -3 55, 217); cf. Slrabon. xii, 538. —
* Mionnet, Description, etc. t. III, p. 669, n** 683, 684, etc. — * Cest une no-
tion qui a été mise en évidence par M. Lajard , dans un Mémoire récemment pu-
blié, qui fait partie du tome XV, 1" part, des Mémoires de f Académie des inscrip-
tions et belles-lettres , et dont il a été fait un tirage à part ; ce mémoire a pour sujet
une urne cinéraire du musée de Rouen, dont le fronton est orné d*un groupe du tau-
reau assailli par le lion; voy. surtout p. 7 et suiv.
_ m
SEPTEMBRE 1843. 561
Le vase ou tasse en forme de demi-œuf, représenté sur les planches
vin et IX des Monumentidi Cere, es< pareillement orné, au dedans et
au dehors, de deux rangs de figures , les unes sur un char ou à cheval,
le plus grand nombre h pied, toutes avec la chevelure disposée suivant
la manière étrusque^, et dans un costume qui paraît asiatique, repré-
sentant un départ pour la chasse. Le lion\ en repos , qui s y voit en deux
endroits, la présence des arbres sculptés dans le champ, et Vépervier,
qui vole dans le haut , à des places qui doivent avoir été déterminées
par quelque motif hiératique, ne laissent aucun doute à cet égard, non
plus que le chariot rustique, attelé d*un seul mulet, qui semble avoir été
destiné à rapporter le gibier. Mais Télément le plus curieux peut-être
de cette représentation, où tout porte pareillement une empreinte orien-
tale , c'est le symbole imprimé sur la croupe de tous les chevaux sans
exception. Ce symbole offre exactement la forme de la croix ansée, qui
était le signe de vie dans la symbolique égyptienne ^, et qui devait avoir
la même signification dans celle des peuples de TAsie antérieure. Oq
voit, en effet, le même objet, figuré comme il l'est ici, sur quelques
monnaies frappées en Cilicie, à Tépoque de la domination persane*;
' Ccsl cfTcctivcmcnt celle qui se voit sur les plus anciens monuments de la sculp-
ture étrusque, tels que les deux iiêies provenant de Vulci, et publiées dans les mo-
num. deir Instit. ArcheoL t. I, (av. xLi, n* la. L*analogie que présente celte dispo-
sition des cheveux avec la coiffure des têtes égyptiennes n*esl qu'apparente , attendu
que, sur ces monuments étrusques, ce sont les cheveux mômes qui sont ainsi tren-
•éd, tandis que, sur les létes égyptien nés, ce sonl les plis d'une étoile qui produisent
un effet à peu près semblable. — * Ce symbole, avec rinlenlion, généralement ad-
mise, d'exprimer Vidée de vie, qui est la signification propre du mot dont il est
le signe phonétique (Rosellini, hettera sopra rin vaso erjiziano d' argento, dans Irs
Annal. deW Instit. ArcheoL t. V, p. i8o; cf. Ungarelli, Interpret. oheliscor. Urbù ,
p. 5, 6) , ce symbole, dis -je, se voit à la main des divinités égyptiennes sur d'in-
nombrables monuments-, je me contenterai de citer celui qui ouvre le Panthéon
égyptien de Champollion, pi. i. — ' Plusieurs de ces monnaies, la plupart encore
inédiles, et faisant partie du cabinet de feu M. Gossclin, sont décrites par M. Mion-
net, t. III, p. 663, n. 65o; p. 664, ii. 656-, p. 665, n. 667, 658, 660. On en voit
une gravée sur une des planches jointes au Supplément, t. VII, pi. vni, n. 5, la
même dont un bel exemplaire, du cabinet de M. le duc de Luynes, est gravé dans
son Choix de médailles grecques, pi. xi, n. 5. Plusieurs de ces médailles existent
dans notre Cabinet; il s'en trouvait trois dans la colUclion de M. Allier, décrites
p. 98. On voit, du reste, que M. Letronne s'était trop hâté de dire. Matériaux pour
l'histoire du christianisme en Nubie, p. 92, que celle singularité (celle de la croix
ansée) n'existe point hors de l'Egypte. Car, si ce savant philologue a voulu pailer
ici de la croix ansée employée par les premiers chrétiens, il est certain qu*on en
trouve des exemples assez nombreux dans les catacombes de Rome; et nous savons
maintenant que le même symbole était connu dans la haute antiquité des peuples
de TAsie Mineure, qui l'avaient sans doute transmis aux Étrusques.
71
562
JOURNAL DES SAVANTS.
et c est là, sans contredit, un des rapprochements les plus curieux et
les plus instructifs que puisse ofTrir l'archéologie comparée. Mais , en fait
d*images de ce genre , rien n approche de la nouveauté et de l'intérêt
que présente la scène, tout hiératique, sculpjée dans la bande supé-
rieure, à l'intérieur du vase qui nous occupe. Deux hommes, vêtus de
l'espèce de caleçon serré que nous avons signalé comme une pièce de
coutume égyptien et asiatique , sont nssis , en face Tun de Tautre , sur un
cabe de pierre. Ils tiennent sur une main un vase de la forme de coupe
sans anse, de laquelle part une ligne ponctuée qui aboutit au milieu de
leur corps. Entre eux est placée une femme nue, debout, qui, de la main
droite élevée, verse, d'un vase surmonté de la croix ansée, une liqueur
indiquée par une ligne de points , qui semble sortir des parties génitales
de cette femme , et qui tombe dans le vase tenu par un de ces hommes
assis. Derrière ce groupe de trois figures sont trois autres femmes nues,
debout, dans une altitude toute pareille , portant sur leur tête un grand
vase en forme de cratère évasé, et oflrant la même particularité d'une
ligne de points, qui pai*t de l'endroit indiqué plus haut et qui aboutit à
leur main gauche , étendue en avant. Je ne me hasarderai point à ex-
pliquer cette singulière représentation, unique jusqu'ici entre tout ce
que nous connaissons de monuments de l'antiquité. Je me bornerai à
signaler ce qu'elle a de neuf et de curieux par la présence de femmes
naes, si raie en général, et si remarquable parla particularité que j'ai
relevée, et qui semble avoir quelque analogie sur des monuments égyp-
tiens ^ avec cette dififérence que le rôle attribué ici à la femme est
rempli par l'autre sexe sur ces monuments. Il y a certainement , dans la
^cène hiératique composée de ces six figures, un des mystères les plus
intéressants de la croyance étrusque , dérivée de l'Orient. Mais qui pourra
nous révéler le sens propre de cette image symbolique, dont le fond
est sans doute asiatique, avec une forme qui parait bien étrusque? Lès
deux médaillons sculptés à l'intérieur et à l'extérieur, sous le pied du
vase qui nous fournit tant d'éléments nouveaux et importants d'archéo-
logie comparée, ne sont pas moins curieux que tout le reste. Le mé-
daillon intérieur offre le groupe d'une vache allaitant an veau, image
symbolique, dont l'idée se rapporte probablement au culte de la Vénus
assyrienne et phénicienne ^ et dont le type, fourni par l'archéologie de
' J*ai en vue les représentations de quelques tombeaux égyptiens publiées dans
la Description sur TÉgypte, Antiquités, t. II, pi. 84 * n. 6, pi. 86, n. i, et pi. 9a ,
fig. Il, sur le sens symbolique desquelles j'aurai lieu de m expliquer, en les com-
parant avec des peintures de vases grecs, de style archaïque, dans la IV* do m^
Lettres archéologiques sur la peinture des Grecs. — * C'est une opinion qui a été
\,
SEPTEMBRE 1843. 563
ees peuples ^ avait passé de très-bonne heure sur des monuments grecs
et étrusques ^ : nouvelle et irrécusable preuve des rapports d'art et d%
croyance qui existaient entre ces peuples , et qui ne pouvaient apparte-
nir qu à une très-haute époque. L'autre médaillon , malheureusement
moins bien conservé, présente un lion ossw, -surmonté d'un épervier, et
placé entre deux figures d'hommes , dont il est impossible , d'après Tétat
d'imperfection où elles se trouvent, de déterminer l'intention.
Les deux vases représentés sur la planche x , n** i et 2 , ne sont pas
moins curieux par leur sujet, qui paraît être toujours un départ pour
la chasse, et par tous les détails du costume et du site. Les arbres, qui
sont ici le lotos et le cyprès, sont évidemment pris dans un oixlre de
croyances asiatiques. Les vêtements offrent, dans leurs formes , presque
toutes les variétés que présentent les monuments asiatiques , notam-
ment cette espèce de tunique, fendue sur le devant du corps, qui couvre
toute la cuisse et la jambe gauches , en laissant à découvert la cuisse et la
jambe droites portées en avant , que l'on voit si souvent sur les cylindres
babyloniens. Le médaillon d'un de ces vases a pour type le groupe delà
wiche allaitant un veau, dont j'ai déjà signalé l'invention et le motif, dus
à l'archéologie asiatique , et dont la signification achève d'être mise en
évidence par cette particularité neuve, que le groupe en question est
placé ici dans un bois de lotus. Le médaillon de l'autre vase est presque
entièrement détruit; cependant, on distingue encore, dans ce qui en
subsiste , le sujet de la composition-, c'est un personnage qui perce de sa
longue lance un captif qu'on lui amène les mains liées en avant du corps.
Cette image de sacrifices humains , certainement étrangère à la civilisation
des Perses, et aussi certainement propre à celle des Phéniciens, for-
mait une objection grave contre le système d'interprétation de M. Grifi.
Aussi a-t-il cherché à éluder cette difficulté, en supposant d'abord que
l'exécution de ces vases d'argent était d'une époque plus ancienne que
celle des autres objets du tombeau de Cœre, supposition tout à fait ar-
bitraire; en second lieu, en conjecturant que cette immolation de vûr-
exprimée plusieurs fois par M. Lajard , iiolammcnt dans sou Mémoire sur une ume
cinéraire du musée de Rouen , p. 20 , 6) , et que j'admets tout à fait pour mon propre
compte. — * J'en puis citer pour preuves les médailles phéniciennes frappées en
Glicie, telles que celle qui a été puLlice par Dutens, Explicat, de quelques médaillés
phéniciennes, pi. 11, n. 10, et une autre médaille publiée par le même savant, ihid.
(^. 1 , n. 5. — * Tout le monde connaît les médailles de Corcyre, d*Apollonie et dt
Dyrrachium, dont le groupe en question forme le type habituel. Le même type tt
rencontre sur des monnaies de Carystos d*£ubée, Miounet, Description^ t. II, p. 3oa,
n. 1 5 , et sur une stalére d*or, de Cyzique, du cabinet de Munich , publié par Sm*
tioi, Stut. antich. tav. nr, fig. a3.
/ * •
564 JOURNAL DES SAVANTS.
limes humaines pourrait être due à quelque coutume introduite chez
les Perses par suite de la conquête de TLgypte par Cambyse \ idée qui
n'est justifiée par aucun témoignage. Le savant auteur ne s'est jeté dans
toutes ces suppositions , que parce quil s est formé, sur l'origine et la
signification des objets placés dans le tombeau de Cœre, un système
qui l'oblige à réduire l'antiquité de ces monuments beaucoup au-dessous
de leur époque véritable.
Il s'en faut bien que j'aie indiqué tout ce qu'offre de neuf et d'im-
portant pour la science l'apparition des objets d'antiquité qui forment
le sujet de l'ouvrage de M. Grifi, et dont nous lui devons la publica-
tion. Mais, dans une matière si riche et si difficile, j'ai dû me borner
1^ quelques points principaux , à ceux qui marquent, de la manière la
plus caractéristique , l'existence de ces anciennes relations entre l'Étru-
rie et l'Orient, qui constituent pour moi le fait archéologique le plus
grave en soi et le plus fécond en conséquences de l'époque où nous
sommes. Le mérite de M. Grifi sera d'avoir dirigé vers ce point l'atten-
tion et la sagacité des antiquaires, bien qu'il se soit trompé , à mon avis,
en cherchant , dans les croyances milhriaques, d'une date trop récente et
d'une autorité trop équivoque, l'explication de symboles qui avaient
une source plus haute dans un système de culte et d'art asiatique. En
tout cas, l'importance et la nouveauté des questions soulevées dans le
livre de M. Grifi , aussi bien que le mérite et la singularité des monu-
ments eux-mêmes, exigeaient de notre part un examen aussi scrupuleux
que celui auquel nous nous sommes livrés; et, en soumettant, comme
nous l'avons fait , nos réflexions et nos doutes au jugement de M. Grifi ,
nous croyons avoir satisfait, autant qu'il était en nous, à nos obligations
envers la science et envers lui-même.
RAOUL-ROCHETTE.
Loi SALiQUE , OU Recueil contenant les anciennes rédactions de cette
loi et le texte connu sous le nom de Lex emendata, avec des
notes et des dissertations, par J. M. Pardessus, membre de Fins--
titut, Paris, Imprimerie royale, in-4.*' de lxxx et 789 pages.
PREMIER ARTICLE.
Si la loi salique est restée célèbre en France, ce n'est point assuré-
ment par le mérite des dispositions qu'elle renferme : toutes sont abo-
^ Monum. di Cere, etc. p. i53, 1).
SEPTEMBRE 1843. 565
lies depuis longtemps de notre jurisprudence; mais c*est à la faveyr
d*une constitution quelle ne contint jamais, à laquelle toutefois elle a
eu le bonheur d'imposer son nom, et qui, sanctionnée par le temps,
forme encore aujourd'hui un des principes les plus sages et les plus
fermes de notre droit public. La constitution dont je parle, tout le
monde la connaît; cest celle qui règle la succession au ti^ône, et qui,
prononçant Texclusion absolue des femmes, appelle les mâles les plus
proches, par ordre de primogéniture et par droit de représentation.
Elle se résumait dans cette courte formule : La couronne nepeat tomber
de lance en quenouille; et, parce qu'on ne la trouvait écrite nulle part,
on fattribuait à la loi surannée de la tribu des Saliens; comme si
une loi aussi informe eût pu avoir cette portée et compter sur un pareil
honneur. D'où' vient donc une attribution si peu légitime? et dans quel
temps l'opinion publique s est-elle grossie d'une erreur si aisée à recon-
naître? Je demande la permission de dire., à ce sujet, quelques mots
avant d'en venir à l'ouvrage dont je dois rendre compte.
Depuis Hugues Capet jusqu'à Jean l*', c'est-à-dire sous treize règnes,
la royauté avait toujours été transmise en ligne directe, de père en fils,
sans contestation; mais, en i3i6, elle devint litigieuse par la mort de
ce fils posthume de Louis le Hutin, arrivée dès le cinquième jour de
sa naissance. Alors il s'agit de savoir qui, de la sœur ou de l'oncle, de-
vait succéder au petit roi défunt. La question était entre Jeanne de
Navarre et Philippe, comte de Poitiers. Pour la résoudre, si on voulait
des exemples, il fallait les chercher hors de la troisième race, qui n'en
offrait pas, et remonter aux temps carlovingiens et mérovingiens. Or
c'était évoquer de vieilles coutumes , ensevelies sous quatre siècles de
féodalité; c'était rétrograder misérablement vers l'usage germanique,
qui partageait le royaume comme un patrimoine ; enfin c'était répudier
le principe d'indivisibilité et le droit de primogéniture , observés uni-
versellement dans les fiefs.
S'il n'était pa% douteux que les femmes n'avaient jamais hérité du
trône pendant les deux premières races, on ne pouvait pas non plus
méconnaître que, depuis, il s'était fait une révolution dans l'hérédité,
non-seulement à l'égard des fiels, mais même à l'égard du pouvoir
royd. Ainsi le royaume, qui se divisait anciennement, comme on l'a
dit, entre les mâles, avait obtenu l'indivisibilité au commencement de
la troisième race, pour être dévolu intégralement à l'ainé des fils. Ce
fut là le bienfait le plus signalé de l'usurpation du duc de France : le
principe qui gouvernait le fief passa au trône, et le duché fit la loi à la
monarchie. Or, du moment qu'en matière de succession la couronne
566 JOURNAL DES SAVANTS.
avait subi, sur un point, l'influence féodale, il n'y avait rien d*étonnant
qu'elle Teût subie sur Tautre point, qui concernait la successibilité fémi-
nine. Quelle raison particulière, en eflet, de refuser ici ce qu'on accor-
dait là? et pourquoi aurait-on trouvé mauvais pour la royauté ce qu'on
«vait trouvé bon pour la seigneurie^? De plus, si les* femmes conti-
nuaient , au quatorzième siècle , d'être exclues du trône de France , com-
ment se faisait-il qu'elles étaient admises sans difliculté à ceux de, Na-
varre, d'Aragon, de Castille, d'Angleterre, d'où jadis elles avaient été
pareillement exclues ? Est-ce que la légitimité n'était pas la même en
tous ces pays? au moins devra-t-on convenir que, chez nous, elle pouvait
paraître incertaine entre Jeanne et Philippe, à la mort du roi Jean I*.
Mais , si les droits étaient contentieux , les chances n'étaient pas égales.
D'un côté nous voyons, pour défendre l'hérédité des femmes, une
jeune fille dans la sixième année de son âge, à laquelle il manquait l'ap-
pui dune mère, et qui même n'avait recueilli de la sienne, Margue-
rite de Bourgogne , étranglée pour crime d'adultère , qu'une mémoire
déshonorée et des soupçons injurieux sur la légitimité de sa naissance.
De l'autre côté, au contraire, se présentait un prince de vingt-deux
ans, actif, prudent, résolu, investi, avec la régence, de tous les pou-
voirs de la royauté , et qui s'était déjà signalé à Lyon par un acte d«
vigueur en faisant enfermer les cardinaux pour les contraindre à nom-
mer un pape.
Toutefois, malgré les avantages d'une si belle position, il eut à lutter
contre un parti considérable ^ qui se déclara en faveur de la princesse.
Non-seulement le duc de Bourgogne et sa mère, Agnès de France , fille
de saint Louis, prirent, comme il était naturel, la défense de Jeanne,
leur nièce, mais , de plus, ce qui n'était pas une médiocre recomman-
dation pour la petite orpheline, Charies, comte de la Marche, le propre
frère de Philippe , et le plus intéressé après lui à l'exclusion des femmes,
se déclara généreusement pour elle. Charles de Valois, fds du roi
Philippe le Hardi, embrassa la même cause. Cette cause échoua néan-
moins, et voici comment.
A la mort de son frère Louis le Hntin, Philippe, ayant entouré d^
gardes les principaux seigneurs du royaume réunis dans son palais,
s'était fait décerner d'avance la royauté dans le cas où sa bdlle-sœur la
reine Clémence de Hongrie accoucherait d'une fiUe. Six semaines après
avoir enterré à Saint-Denis le petit prince, son neveu, auquel elle donna
* Dès le temps de Philippe-Auguste, les femmes s^élevaient, en France, à la lé-
lilé sans beaucoup de succès alors , contre le principe de la masculinité des fiefr.
Vf«jei un acte rapporté par raM>é Saliicr, Acmi, ic$ wMcripL XX, AyS.
SEPTEMBRE 1843. 507
le jour, il se rendit à Reims avec une armée, ferma les portes de la
ville , et fut couronné par Tarchevêque , malgré l'opposition des princes ,
qui protestèrent par leur absence contre son couï:onnement. De retour
à Paris, il n eut pas de peine à se faire reconnaître par une assemblée
de prélats, de seigneurs et de bourgeois; et ce fut alors, suivant Tex-
pression remarquable du continuateur de Guillaume de Nangis, que les
femmes furent déclarées inhabiles à succéder à la couronne de France ^
Ayant ensuite pris les armes , Philippe le Long trouva le moyen de
gagner ses adversaires sans combattre , et régna désormais sans contes-
tation. Lorsqu'il mourut, en iSsa , comme il ne laissait aussi que des
filles, son frère Charles, comte de la Marche, Tancien partisan de Thé-
redite féminine , écarta ses nièces et s'assit paisiblement sur le trône.
La question était, en effet, définitivement résolue en faveur des mâles,
et même, sur le point capital, elle ne devait plus désormais trouver de
contradicteurs. Mais il est permis d'imaginer une tout autre solution
dans le cas où la cause des femmes n'eût pas été placée en des mains
débiles. Si l'on consulte le droit public qui dominait alors et l'opinion
dont les premiers princes du sang se rendirent les défenseurs , on croira
volontiers que l'exclusion de Jeanne de France est bien moitis la preuve
de son inhabilité que celle de sa faiblesse, et quelle peut être princi-
palement attribuée au défaut de la force trop souvent nécessaire pour le
triomphe de la justice. Quant à moi, je suis persuadé que la pente du
siècle , à la mort du fils posthume de Louis X , devait faire échoir la
couronne, comme les fiefs, au pouvoir des femmes. Des circonstances
heureuses empêchèrent cet événement, dont les conséquences auraient
tourné sans doute contre la grandeur et la prospérité de notre pays.
La royauté , une fois engagée dans la voie de la succession mascu-
line, ne fut plus libre d'en sortir. Le roi qui eût appelé sa fille à régner
après lui se fut, par cet acte même, déclaré illégitime et usurpateur,
attendu qu'il ne devait le trône qu'au principe de l'exclusion des femmes.
Aussi Charles le Bel, qui n avait qu'une fiUe, n'osant pas, à son lit de
mort, faire de réserve pour elle, déclara que, si la reine, qui était en-
ceinte, n'accouchait pas d'un enfant mâle, la couronne serait décornée
par les douze pairs et les hauts barons de France i\ celui qui, suivant
l'expression do Froissard ( i ,2 a) , j^ avait droit par droit. Cette déclaration ,
qui rappelle celle que, seize siècles auparavant , Alexandre avait, dit-on,
faite .à ses généraux, n'était peut-être pas dictée pai* une politique très-
' « Tune eliam declaralum fuitqaofd ad coronam regni Francis muliernon toc-
« cedit. •
568 JOURNAL DES SAVANTS.
prudente, puisqu'elle conférait ou confirmait aux premiers seigneurs
du royaume un droit dangereux pour Tunité dynastique.
Quoi qu il en soit, lai reine étant accouchée d'une princesse, les grands,
assemblés à Paris, appelèrent au trône, d'une voix.unanime, Philippe,
comte de Valois, fils de Charles, troisième frère de Philippe le Hardi.
Ce prince fut reconnu par tout le monde, même par Edouard, roi
d'Angleterre, qui, après avoir inutilement brigué contre lui la cou-
ronne, lui fit hommage, comme à son suzerain légitime, pour la pro-
vince de Guienne, tant le principe de la masculinité avait déjà jeté dans
le royaume de profondes racines! Ce fut seulement après un assez
grand nombre d'années, en iSSy, qu'excité, à ce qu'on a cru, par les
conseils de Robert d'Artois, jadis son adversaire le plus déclaré, il
s'avisa de protester contre la royauté de Philippe de Valois , et d'usurper
le titre de roi de France.
La question d'hérédité fut alors agitée de nouveau, et ne fut complè-
tement résolue qu'après avoir engendré un siècle de guerres et de
calamités effroyables. Pour la bien concevoir, il est nécessaire de se
reporter à la mort de Charles le Bel , et d'examiner quels étaient les
droits de chacun.
Commençons par les femmes. Comme elles n'avaient jamais été ap-
pelées au trône, que même elles en avaient été solennellement exclues
en deux circonstances toutes récentes, et que personne, dans la suite,
ne revendiqua plus leurs droits, nous devrons regarder leur inhabilité
personnelle comme une chose jugée et comme étant définitivement
passée en principe dans la constitution de la monarchie : par consé-
quent , nous retrancherons du nombre des prétendants toutes les filles
des derniers rois. Il ne reste plus qu'à chercher parmi les mâles celui
qui devait légitimement hériter du trône.
Or les mâles se divisaient en deux classes, selon qu'ils descendaient
des hommes, ou selon qu'ils descendaient des femmes de la maison
royale. Ceux de la seconde classe, c'est-à-dire ceux qui venaient par
les femmes, étaient nés les uns des filles, les autres des sœurs des trois
rois Louis le Hutin , Philippe le I^ong et Charles le Bel , tous trois fils
de Philippe le Bel. D'abord, parmi ceux qui procédaient des filles, il
n?y en avait qu'un d'existant au moment oii s'ouvrit la succession au
trône, le i*' avril iSîxS : c'était Phihppe de Bourgogne, né, en i3aa,
du mariage de Jeanne, fille aînée de Philippe le Long, avec Eudes IV,
duc de Bourgogne. Louis II, comte de Flandre, ne vint au monde
qu'en 1 33o, et Charles II, dit le Mauvais, roi de Navarre, qu'en j 33a :
le premier était fils de Louis I", comte de Flandre, et de Marguerite
SEPTEMBRE 1843. 569
de France, seconde fille de Philippe le Long; le second était fils de
Philippe , comte d'Évreux , et de Jeanne de France et de Navarre , fille
unique de Louis le Hutin. Ensuite il n'y avait de même qu'un seul
prince vivant descendu des sœurs : c'était le fameux Edouard, né, en
i3i2, d'Edouard II, roi d'Angleterre, et d'Isabelle de France, la seule
fille de Philippe le Bel qui fut mariée.
Enfin, si nous passons aux princes de la première classe, c'est-à-dire
aux plus proches parents par les mâles, celui qui les précédait tous était ,
sans contestation, Philippe de Valois, né, en isgS, de Charles, comte
de Valois, second fils, après Philippe le Bel, du roi Philippe le Hardi.
C'était donc entre ces trois princes, Philippe de Bourgogne, Edouard
d'Angleterre et Philippe de Valois, que pouvait être le débat; et, comme
aucune prétention ne fut élevée au nom du premier, Philippe de Va-
lois n'eut qu'Edouard pour antagoniste.
Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans la discussion approfondie des
titres de chacun : je dois seulement rappeler que l'inhabilité des femmes
n'était pas moins reconnue par l'un que par l'auti'e. Edouard excluait
donc du trône sa mère, qui vivait encore; mais, étant le neveu des
derniers rois, tandis que Philippe n'en était que le cousin germain, il
se trouvait évidemment le plus proche héritier mâle des deux, et c'est
à ce titre qu'il réclamait la couronne. On lui objectait qu'il n'y pou-
vait prétendre que par sa mère , et que sa mère n'y ayant aucun droit
à cause de son sexe, elle ne pouvait lui transmettre ce qu'elle n'avait
pas, ni lui recevoir d'elle un titre dont elle était privée. A cette ob-
jection, d'une grande force, Edouard répondait qu'il venait à la suc-
cession du trône de son propre chef et non du chef de sa mère , par
droit de proximité et non par droit de représentation; enfin que les
femmes étaient exclues seulement à cause du défaut de leiu^sexe, mais
non pas les mâles descendus des femmes, puisqu'ils n'avaient pas le
même défaut.
Je laisse les nombreux arguments qui furent ou qui pouvaient être
apportés de part et d'autre, surtout de la part de Philippe : le motif
qui domina, je crois, tous les autres, fut que ni les grands ni la nation
ne voulaient être gouvernés par un prince étranger. Quant à celui dont
Froissard fait mention sans en alléguer d'autre, savoir, que le rcjuame
de France est de si grande noblesse , qu'il ne doit mie par succession aller à-
femelle f il est évident qu'il ne s'appliquait pas ici, attendu, je le répète,
que les deux adversaires étaient parfaitement d'accord pour exclure les
femmes. Ce motif supposait d'ailleurs, ce qu'il eût fallu prouver, quelles
ne pouvaient recueillir des héritages d'une certaine noblesse, c'est-à-dire
72
570 JOURNAL DES SAVANTS.
qu*on ai^uait d*abord de la noblesse' de la chose, ensuite de Tindignité
de ia personne des femmes. Celait, comme on voit, un argument tout
nouveau. Mais, s'il avait été fondé, il ne serait probablement pas resté
sans effet sur TAi^eterre, l'Espagne , la Navarre, la Sicile, qui se
croyaient, sans<loute, sinon d'une aussi grande noblesse que la France,
au moins d'une noblesse assez grande pom' avoir le droit de n'être gou-
vernées que par des hommes. II ne faut pas disconvenir, toutefois, que
ces raisons de sentiment, exprimées avec de grands mots et des phrases
sonores, qui mettent en jeu l'orgueil ou la vanité nationale, exercent
souvent un grand empire sur le vulgaire; et je ne voudrais pas affirmer
que l'argun^nt de Froissard , qui n'a pas beaucoup de valeur aux yeux
d'un juge impartial, n'eût paru le meilleur de tous au xiv* siècle, s'il
se fût agi d'en faire l'application.
Bref, pour que le roi Edouard pût revendiquer le royaume de saint
Louis, il devait avant tout se rétracter d'avoir reconnu pour roi de
France Philippe de Valois, et faire agréer sa rétractation, quoiqu'il
l'eût difïérée longtemps après l'âge de sa majorité; puis il devait pro-
voquer la réunion des états généraux , et les saisir de l'aHaire en litige,
qui jusque-là n'avait été examinée et décidée que par des assemblées
incompétentes. Il fallait ensuite qu'il fit admettre dans la jurisprudence
un tlroit de proximité différent du droit de représentation , en prou-
vant que la loi, l'usage ou l'opinion, qui repoussait les femmes, ne
repoussait pas leur descendance masculine : la question, en effet, ne
s'était pas encore présentée dans toute son étendue, les j>rincesses ex-
clues par Philippe le Long et Charles le Bel n'ayant pas de fils au
moment de leur exclusion. Enfin, lorsque cette preuve aurait été faite,
comme Edouard était primé pai* Philippe de Bourgogne , il aurait pu
encore avoir k écarter ce prince après avoir écarté Philippe de Valois ; car
les raisons allouées contre le second étaient sans valeur contre le pre-
mier. On voit combien la reconnaissance de sa légitimité devait ren-
contrer d'obstacles; mais, quand bieu même il eût, par impossible,
jréussi à établir son droit, on croira facilement qu'il im; s'en fût trouvé
guère plus avancé, et que, pour posséder de fait le royaume de
Franoe., il eût eu besoin de tirer fépée et de l'emporter par la force
des Jirmes.
Tel est, aussi brièvement que j'ai pu le faiœ, le résumé du grand
|irocès politique qui menaça d'engloutir la France au xiv* siècle.
J'en viens maintenant à l'objet principal de ce préambule, savoir, à
la prétendue loi salique relative à la succession du trône.
L'ancienne loi dfts Saliens, comme on l'a dit, garde sur ce point un
SEPTEMBRE 1843. 57t
silence absolu , mais elle contient une disposition qui refuse positire-
ment aux femmes une part quelconque d*béritage dans la terre saUque.
Eb bien, c'est cette disposition purement de droit privé, et restreinte à
une espèce particulière de biens, qui constitue le seul titre écrit et
patent de la masculinité de la couronne. D'abord , qu elle ait été invo-
quée et appliquée en France ou dans les pays de l'ancienne Gaule, au
moins jusqu'à la fin du xiii* siècle , c'est un fait dont il est aisé d'admi-
nistrer la preuve. Ainsi, en l'année ii85, un seigneur du Balmey,
Joannes del Balmeto, affranchit de la coutume de la loi salique, pour k
prix de i8 livres viennoises, un de ses hommes et tous les descendants
légitimes de celui-ci, afin, dit l'acte, que lesjilles de cet homme paissent
lai succédera Plus de cent ans après, en 1296, les moines de Val-
Sainte, au canton de Fribourg, assignent une certaine quantité de
terres à la petite-fille du fondateur de leur couvent, h condition que
ces terres leur feront retour, suivant la loi salique, au cas que la femme
ou ses descendants meurent sans enfants mâles ^. Voilà donc l'inhabi-
lité salique des femmes qui s'est perpétuée dans la jurisprudence , au
moins jusque sous le règne de Philippe le Bel. Après cela est-il éton-
nant qu'elle ait été, vingt ans plus tard, étendue à la succession du
trône?
A la vérité, en recourant à la loi salique, on reconnaît tout de suite
quelle ne s'occupe nullement de la succession directe; et, par consé-
quent, on pourrait prétendre que, dans son application à la royauté,
elle excluait du trône seulement les nièces et non les fiUes de nos rois,
^ à l'exemple de nos anciennes coutumes, d'après lesquelles c'était seule-
ment dans les successions collatérales des fiefs, que les mâles excluaient
les femmes de même degré. Mais une pareille assertion nesauraitse soute-
nir devant des témoignages positifs, tirés des formules de Marculf (u, la)
et d'autres documents non moins irrécusables, qui prouvent que, même
en hgne directe , la terre salique appartenait exclusivement aux mâles.
Toutefois, comme ils prouvent en même temps que le père, par un
acte exprès de sa volonté, pouvait déroger à la loi et partager par
* I Franchio manu et ore manumitto a consuetudlne legis salicae Johannem. Pkion
a de Vico, hominem meum, et suos legitinie natos , et ad sanum intellectiutt redoco :
■ ita ut sus fklis possint sibi succedere. Dictumque Johannem et suos Mrtaf «onsti-
« tuo liomines meos franchos et liberos ab omni usagio bono vel malo legis salicae. «
(Guichen. Hist. de Bresse, part. IV, p. 5.) — * « Sub tamen conditione legis sidice,
I his in lociâ observari solitœ : ridebcet, ut, si illaabsque liberis masculis naturalibos
«et legitimis, vel sui hxredes, ex bac vita décédèrent, tune illa tertîa pars ad qm
< rediret pleno jure et sine calumnia. » (Ihid,)
73-
572 JOURNAL DES SAVANTS.
portions égales cette terre entre tous ses enfants, mâles ou femelles,
on en devra conclure que, si le royaume avait été complètement assi-
milé à la terre salique, il aurait pu être divisé également entre les fils
et les filles, et même, dans certains cas, par exemple lorsqu'il ny au-
rait pas eu d'héritier mâle, tomber tout .à fait en quenouille. Heureu-
sement, au XIV® siècle, pendant quon admettait le principe d assimila-
tion de la royauté à la lerre salique , on refusait d'en subir toutes les
conséquences, et l'on appliquait la règle sans tenir compte des excep-
tions, que sans doute on ne connaissait plus.
Quoique la loi des Saliens, d'après les observations précédentes,
ait, je crois, servi de fondement ou de prétexte au grand acte qui
écarta des mains des femmes le sceptre si mobile des derniers Capé-
tiens, on ne voit pas qu elle ait été mentionnée, à cette occasion, dans
les écrits du temps. Mais je la trouve formellement appliquée à l'héré-
dité du trône, dans un mémoire composé, en liiao, contre les préten-
tions des rois d'Angleterre , par Jean de Montreuil , prévôt de Lille.
Cet auteur, de soixante-dix ou quatre-vingts ans plus ancien que Robert
Gaguin et Claude de Seissel, ne s'est pas contenté de l'invoquer ; il en
a extrait le fameux article 6 du titre 62 , pour prouver que la couronne
de France ne pouvait passer au sexe féminin, et Ta textuellement rap-
porté en ces termes : Nalla portio hereditatis mulieri veniat, sed ad viri-
lem sexam tota terre hereditas perveniat. C'est, à n'y rien changer, la le-
çon de Baluze, moins les premiers mots de la phrase, de terra vero
salica, qui ont été omis, quoiqu'ils ne fussent pas insignifiants.
La leçon est identiquement la même dans les trois manuscrits de la
Bibliothèque du roi, qui contiennent la rédaction latine de Jean de
Montreuil; mais elle est toute différente dans sa rédaction française,
dont le manuscrit est conservé dans la même bibliothèque. Nous y
lisons : « Laquelle loy salique contient en latin ceste propre forme et
parole : MaUer vero in regno nullam habeat portionem^.n L'altération,
qui consiste principalement dans la substitution du royaume à la terre
salique, n'est certes pas de petite conséquence. Elle donne lieu à une
disposition toute nouvelle, dont les termes ne souffrent point d'équi-
voque; et Ton ne peut douter que l'ancienne leçon n'ait été falsifiée
avec intention et dans un esprit de parti.
Dans tous les cas, concevrait-on qu'on eût songé à faire intervenir
* Les manuscrits latins sont cotés N' D" 257, et suppV l. 200 et 236. Le manus-
crit français, dont fabbé Sallier a publié la notice [Acad. des inscript. XX, 469) ,
est du fonds de Gaignières, et porte le n** 3oi. Tous sont du xv* siède, à l'excep-
tion du n"" a 36, qui appartient au xvi*.
SEPTEMBRE 1843. 573
la loi salique , si cette loi eût été alors sans renom et sans autorité ?
qu'on en eût exhumé le titre 62 , si ce titre eût paru sans application
dans Tespèce ? et qu'on Teût tronqué ou falsifié, non poiu* favoriser une
opinion reçue, mais uniquement pour justifier, sans besoin et par de
honteux moyens, des faits depuis longtemps accomplis? Evidemment
ce n*estpas la falsification qui aura engendré l'opinion; c'est, au contraire,
fopinion déjà répandue qui aura provoqué la falsification.
De plus, quand on considère que Jean de Montreuil fait preuve,
dans tout son mémoire , d'un grand sens et d'une constante sincérité ,
que ses raisonnements sont pleins de justesse et de force, qu'il n'avance
d'ailleurs rien de controuvé ni de suspect, et qu'il connaît à fond toutes
les questions qu'il traite, on ne peut guère faccuser d'avoir eu recours
au mensonge et de s'être armé du nom d'une loi qui n'aurait pas été
reconnue de son temps, encore moins d'avoir falsifié , dans son écrit
français, un texte qu'il a respecté dans son écrit latin, le tout par pur
esprit de cl)icane et sans nécessité.
Mais, quoi qu'il en soit, je puis invoquer un auteur encore plus an-
cien. Le moine Richard Scoti, qui écrivait, comme il nous l'apprend
lui-même ^ , sous le roi Jean , pendant la régence de son fils aîné , de-
puis Charies V (mars i358 à juillet i36o), mentionne la loi salique
à propos des droits de Philippe de Valois au trône et de sa descendance
du roi Philippe le Hardi, par les mâles : Patet,.. processisse in sexu mascu-
lino a Philippo rege Francie , filio S, Ludovici régis. A la vérité, il nous
avertit que cette loi était ignorée de tous les jurisconsultes de sa con-
naissance : «Legem vero salicam, dit-il, quam ab omnibus doctoribus
« legum, quoscumque novi, petii utrum de ea cognitionem haberent, et
« tamen , michi nuUam penitus respondentes, libentissime vobis demons-
(( trarem ^. » Mais une preuve que lui au moins la connaissait, c'est qu'il
en a fait l'historique , et qu'il s'est évidemment servi pour cela du grand
prologue de la loi même, dans le passage suivant, qui lui appartient :
« Primî namque reges etiam adhuc pagani illam condiderunt. Postea rex
a Francorum primus christianus Clodovcus , qui fuit a sancto Remîgio
« baptizatus, deinde Cildebertus et Clotharius, quod minus in pactohabe-
(( batur ydoneum per istos très fuit lucide emendatum, percurrente tali
«decreto quod sic incipit : Vivat qui Francos ixligit^. Item legi salice,
« id est , francisée , Karolus Magnus , rex Francorum et imperator Roma-
* Genealogia aliquorum regum Franciœ, manuscrit de la Bibliothèque royale, coté
S, Vict. 287, fol. 39. — * Ihid, fol. ijo. — * « Et quidquid minus in pacto habebatur
« idoneum per praecelsos reges. . . fuit lucidius emendatum , et procuratum decretum
■ hoc : Vivat qai Francos diligit Ckristas ! • (Prolog, d'Hérold, dans Bouq. t. IV, p. 1 22.)
574 JOURNAL DES SAVANTS.
« noi am , xxxix capitula addidit. Ladoricus ejus fiiius, eque imperator,
aintilto plura addidit, valde puichra ^» Quoique le moine Richard
n'affirme pas expressément que la succession au trône fut réglée par la
loi salique, il est néanmoins facile de voir, d'après le sujet qu'il traite
et la manière dont il s'exprime, que cette opinion régnait de son temps,
sans que toutefois on connût généralement le texte sur lequel on la
croyait fondée.
Ainsi, pour conclure ce long préambule, le principe dp la mascu-
linité de la coiu'onne, qui l'emporta constamment en France depuis
l'origine de la monarchie , était regardé , au moins dès le milieu du xiv*
siècle , comme une dérivation de la loi salique. Du moment que celte
opinion devint dominante, le nom de cette loi, appliqué jadis, par
l'abbé Suger^, à la coutume qui privait de son fief le vassal félon, fut
ou commença d'être employé communément chez nous pour désigner
la loi de succession au trône, au lieu de désigner le vieux code de la
tribu des Salions. La nouvelle appellation et l'ancien principe furent
plus tard consacrés simultanément par le célèbre arrêt du parlement
de Paris, du 28 juin 1 SgS ; et le principe seul le fut encore deux cents
ans après par le décret de l'assemblée nationale du 3 septembre 1791.
M, Pardessus, dont l'ouvrage va désormais nous occuper unique-
ment, n'avait pas à traiter la question qui vient d'être examinée. Aussi,
Ta-t-il seulement touchée en passant, pour dire (page 719) que c'était
une pure illusion que de voir dans l'article 6 du titre 62 de la loi sa-
lique une règle applicable à la succession du trône.
GUÉRARD.
( La suite au prochain cahier. )
* Genealog. fol. 4o et 4i. — * Vita Lndov. Grossi, c. xi.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Etudes sur les tragiques grecs, ou Examen critique d'Eschyle, de Sophocle et
d'Euripide , précédé d'une histoire générale de la tragédie grecque , par M. Patin ,
de r Académie française , professeur de poésie latine à la facvdté des leUres de Paris.
SEPTEMBRE 1843. 575
Tome 111. Paris, isapriinerie de Panckoucke, librairie de Hachetle, i8A3, in-S*^ de
565 pages. •— M. Patin achève, dans ce troisième et dernier volume, l'examen du
théâtre d'Eurijpâde, commencé dans le tome II. (Voir notre cahier de juin i8/îa ,
p. 38 1.) Quatorze tragédies de ce grand poète, Alceste, Oreste, Andromaque, les
Phéniciennes, les Troyennes, Hécube, Hercule furieux, Ion, Hélène, Iphigénie en
Taunde, Rhésus, les Suppliantes, les Héraclides, les Bacchantes, y sont analysées
et jugées avec une connaissance approfondie de Tesprit et des procédés de Tari
tragique chez les Grecs. A l'occasion du Cydope du même poète, le savant acadé-
micien recherche ensuite quels ont été les caractères du drame satirique des an-
ciens, dont celte pièce est Tunique monument parvenu jusqu'à nous. Le sixième
et dernier livre contient une judicieuse appréciation des jugements de la critique
ancienne et moderne sur la tragédie grecque. L'auteur s'y élève surlout contre ce
mépris de l'antiquité qu'affectait le xviii* siècle, et, en faisant ressortir tout ce que
les décisions de Laharpe ont de partial et d'erroné, il résume les vues saines et
âevées développées dans le cours de ces études. Ce morceau, comme tout le reste
de ce remarquable ouvrage, respire le goiit le plus pur et un sentiment exquis du
génie antique. On peut appliquer au livre de M. Patin ce qu'il dit lui-même à pro-
pos du jugement d'un célèbre auteur moderne sur l' Andromaque d'Euripide : « Un
tel travail fait comprendre quelle nouveauté sait rendre aux sujets les plus vieux ,
et en apparence les |)lus usés, l'esprit qui pousse aujourd'hui la critique à com-
parer les productions des arts avec les époques d'où elles sont sorties ; esprit sé-
rieux, qui élève et agrandit les recherches littéraires, en les transportant dans le
domaine de l'histoire et de la philosophie. »
Collection de documents inédits sur l'histoire de France, publiés par ordre du Roi
et par les soins du ministre de l'instruction publique. Première série. Histoin^ poli-
tique. Recaeil des lettres missives de Henri IV, publié par M. Berger de Xivrey,
membre de l'Institut de France (Académie royale des inscriptions et belles-lettres).
Tomes I et II. Paris, Imprimerie royale , i843, a vol. in-4° de XL1-7 lo et 657 pages.
— L'histoire de France ne pouvait fournir à la collection des documents inédits un
monument plus important et plus digne d'intérêt que le recueil des lettres missives
de Henri IV. L'heureuse idée de cette publication, vraiment nationale, est due à
M. Villemain, minisire de rinstruction puMique, qui en a facilité l'exécution en
organisant, sur tous les points du royaume et à l'étranger, des recherches dont
le résultat a déjà produit plus de deux mille neuf cents lettres, provenant des dé-
péi^ publics, des collections particulières et des archives des familles. Les deux vo-
lumes que nous annonçons contiennent la première partie du recueil, c'est-à-dire
la correspondance de Henri IV avant son avènement au trône de France. Le tome I
comprend la période comprise entre les années 1 56a et 1 585 , et le tome II les
années 1 585-1 589. Les lettres du roi de Navarre y sont disposées par ordre chrono-
logique et accompagnées de nombreuses notes historiques et biographiques néces>
saires à l'intelligence de cette précieuse correspondance , dont la plus grande partie
était restée jusqu'à ce jour inédite. En tète du tomel" est un rapport de BdL le ministre
de rinstruction publique au Roi, suivi du texte d*une ordonnance royale du 1" mai
1843, qui prescrit le dépôt de la collection des lettres de Henri IV dans chacune des
bibliothèques des villes chefs-lieux de départements et des grands établissements
publics du royaume. On trouve ensuite une préface où M. Berger de Xivrey, chargé
de la direction du recueil , en expose le plan et rend compte des mesures adoptées
pour en assurer l'exécution. Chaque volume est précédé a'un sommaire historique
résumant, année par année, les événements principaux relatifs à la vie de Henri IV,
576 JOURNAL DES SAVANTS.
et suivi d^une liste alphabétique des personnes à qui sont adressées les lettres, et
d'une table des noms propres compris dans les notes. Â la fin du tome II l'éditeur
a placé un itinéraire de Henri IV avant sorr avènement à la couronne de France ,
travail curieux et utile , dont il a puisé les principaux éléments dans la correspon-
dance du prince et dans les comptes manuscrits de sa dépense conservés à Pau.
M. Berger donne ensuite l'indication des sources d'où proviennent les lettres ras-
semblées dans les deux premiers volumes , et un glossaire succinct des mots vieillis
ou inusités. Tous ces soins de l'éditeur nous paraissent, en général, dignes de l'im-
portance de ce grand travail, dont l'achèvement se poursuit avec beaucoup d'acti-
vité et de sollicitude, sous les auspices du ministre.
La Collection des documents inédits vient encore de s'augmenter du volume
dont voici le titre : Papiers dEtat du, cardinal de Granvelle, d'après ]es manuscrits
de la bibliothèque de Besançon , publiés sous la direction de M. Ch. Weiss. Tome IV.
Paris, Imprimerie royale, i843 , in-A" de 784 pages. — Ce quatrième volume ren-
ferme deux cent quarante-quatre pièces , datées du 9 juin 1 553 au 6 février 1 556.
Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi et autres bibliothèques,
publiés par l'Institut royal de France , faisant suite aux Notices et extraits lus au
comité établi dans l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Tome XIV (pre-
mière partie). Paris, Imprimerie royale, i8à3, in-A" de 5i4 pages. — Cette pre-
mière partie du tome XIV est occupée en totalité par une Notice de Vouvrage persan
qui a pour titre : Malla-assuadem ou-madjma-albahreîn , et qui contient l'histoire des
deux sultans Schah-rokh et Abou-Saîd (manuscrit persan de la Bibliothèque du roi
n** 106; manuscrit persan de la bibliothèque de l'Arsenal n"* a4)t par M. Quatre-
mère. Ce travail considérable, accompagné de savantes notes, renferme, outre des
détails sur la vie et les écrits de Kemal-eddin-Abd-errazzak , auteur de l'ouvrage
persan, de nombreux extraits de son livre, relatifs à l'histoire du règne de Schah-
rokh , suivis du texte et de la traduction de deux morceaux importants , le voyage
des ambassadeurs de Schah-rokh à la Chine et celui d'Abd-errazzak lui-même dans
rindoustan.
ERRATUM DU CAHIER D'AOUT.
Dans les cartoaches n"* 6 de la page 46i , et n"** 4 et 7 de la page 463, il faut mettre un
A> au lieu d*un S^; et, dans celui de Marcas, p. 463, n** 7, mettez un ^^^ au lieu d'un •».
TABLE.
Sur un traité arabe relatif à lastronomie ( V article de M. Biot) Page 513
Scriplorum grasconim bibiiotheca, editore Ambrosio Firm. Didot (I** article de
M. Letronne) 534
Antichi monumenti sepoicrali scoperti nel ducato di Ceri , dal cav. P. S. ViscontL
— Descrizione di Ccre antica, ed in particolarc dei moniunento sepolcrole
scoperto neir anno 1836, dell' archilctto cav. L. Canina. — Monumenti di
Gère antica, dal cav. L. Grifi (4* et dernier article de M. Raoul -Rochette) . . . 543
Lot salique, avec des notes ci dissertations, par J. M. Pardessus (1*' article de
M. Guérard. ) 564
Nouvelles littéraires 574
FIN DE LÀ TABLE.
JOURNAL
DES SAVANTS
OCTOBRE 1843.
Le LiVBE DES BOiSf par Aboulkasim Firdousi, publié, traduit et
commenté par M. Jules Mohl. Tome IL Paris, Imprimerie
royale, 1842.
PREMIER ARTICLE.
En publiant, dans le Journal des Savants, une suite d'articles consa-
crés à l'examen du premier volume de cet ouvrage, j'avais promis de
continuer à offrir aux lecteurs instruits le résultat de mes observations.
Et, en effet, j'avais poussé beaucoup plus loin mon travail. Mais, dans
cet intervalle, le second volume ayant vu le jour, je dois, pour rem-
plir la tâche qui m'a été confiée par le comité du Journal, m'attacher
à faire connaître, d'une manière succincte, Jes détails contenus dans
le nouveau tome que M. Mobl vient de mettre sous les yeux des sa-
vants.
Le volume s'ouvre par une préface composée de quelques pages,
et dans laquelle l'éditeur rappelle, en peu de mots, les principaux
épisodes que contient le livre; puis il indique plusieurs ouvrages pu-
bliés, surtout en Allemagne , depuis la publication du premier tome, et
qui renferment la traduction de morceaux plus ou moins étendus, ex-
traits du Schah-nûmeh II annonce que , dans la traduction du premier
. volume, il ne peut signaler qu'une seule correction à faire, a Elle se
«rapporte, dit-il, au vers suivant de la satire contre Mahmoud :
73
578 JOURNAL DES SAVANTS.
« Je Tai traduit : « La générosité du roi Mahmoud , de si noble nais*
«sance, n'est rien et moins que rien;» tandis que j'aurais dû dire:
« n'est rien , ou peu de chose. » Puis il ajoute : « Lorsque mon savant ami ,
«M. Kazimirski de Biberstcin, partit en iSlio pour la Perse, en qua-
«lité d'interprète de l'ambassade française, je lui indiquai ce passage et
«quelques autres, en le priant de m'en chercher l'interprétation. Il a
«bien voulu s'en occuper, avec sa complaisance ordinaire, et il m'a
« rapporté , à son retour, l'explication de ce vers , que lui avait commu-
«niquée, à Téhéran, le mollah Mohammed Ali. Selon ce dernier, Fir-
« dousi fait allusion au hisab-alakd, c'est-à-dire à une méthode au moyen
« de laquelle on exprime les nombres par la position que l'on donne aux
«doigts La traduction littérale du vers de Firdousi est : «La main
«de Mahmoud, de noble naissance, est neuf fois neuf et trois fois
«quatre.» Or, selon le mollah, le nombre quatre-vingt-un se marque
«le poing fermé (le pouce en dedans), et le nombre de douze par les
« quatre doigts fermés et le pouce levé tout droit. Le vers signifie donc
«que la main de Mahmoud était entièrement fermée, ou presque
«entièrement: ce qui donne le sens indiqué plus haut, parce que la
«main close est le symbole de l'avarice. » Mais est-ce bien là le sens de
ce vers. Dans le texte publié par M. Macan, on lit : a-w *x.*Ï hJjôsj] a»
jU^jL*^'* J*oserais préférer cette leçon, et je traduirais : «La main
« de Mahmoud • à la noble origine , est devenue neuf contre neuf, ou
« même trois contre quatre. » C'est-à-dire, cette main, qui, par sa géné-
rosité , devait se trouver à une distance immense au-dessus de la main
des autres hommes, s'est ravalée jusqu'à n'être qu'au niveau des mains
vulgaires , ou même jusqu'à leur être inférieure.
Le volume s'ouvre par un récit étendu de l'expédition du roi Kaï-
Kaous dans le pays de Hamaveran. Cette contrée a-t-elle réellement
existé? ou n'est-elle, comme on peut le croire de plusieurs des lieux
mentionnés dans le Schah-nâmeh , que le produit de l'imagination de&
historiens ou des romanciers? C'est ce qu'il est difficile de décider.
Mais , daufi tous les cas , ce qui concerne la position géographique de
ce pays présente un amalgame d'éléments hétérogènes, de détails in-
cohérents , qu'il est impossible de ramener à un système tant soit peu
raisonnable.
Dans le récit du poète, la contrée de Hamaveran a pour limites, d'un
côté l'Egypte^ de l'autre le pays des Berbères, et enfin la province
de Zerah. Or cette dernière province est située sur le bord du lac du
même nom , placé au midi de la ville de Hérat. 11 est impossible de conci-
lier des assertions semblables avec les données géographiques que nous
OCTOBRE 1843. 579
possédons sur les régions de l'Orient. Il est croyable que les premiers
narrateurs de f ancienne histoire de la Perse avaient raconté une expédi-
tion entreprise par Kaî-Kaous, dansla contrée du Saghestan (Sedjeslan).
Le fait n avait rien que de très-naturel , de vraisemblable ; mais un chroni-
queur ou un romancier d'une date plus récente, ne trouvant pas qu'une
guerre portée dans une contrée si peu éloignée fût assez glorieuse pour
son héros , aura cru bien faire en transportant dans T Afrique le théâtre
de cette expédition. Et Firdousi, en compilant sans critique les maté-
riaux qui devaient faire la base de son ouvrage, aura admis cette dernière
assertion, comme plus poétique, et aura essayé de la combiner avec,
l'opinion plus ancienne, sans s'apercevoir que ces renseignements, mis
bout à bout, offraient une contradiction choquante, une invraisem-
blance complète.
Après ce morceau vient immédiatement un récit d'une grande éten-
due, l'épisode de Sohrab, qui a acquis, même en Europe, une certaine
célébrité, et a été publié plusieurs fois. 11 s'agit d'un jeune guerrier, fils
de Rustem, et qui, dans un combat, périt sous les coups de ce redou-
table guerrier; et celui-ci s'aperçoit trop tard à quel ennemi il vient d'ôter
la vie. Un pareil sujet, qui, en soi-même, a quelque chose d'imposant,
d'éminemment pathétique, et qui nous offre le même tableau que Té-
pisode de d'Ail ly, dans la Henriade, est, il faut le dire, traité d'une
manière assez peu touchante. Les poètes persans ne connaissent guère
le langage du cœur, et le parlent mal. D*ailleurs, il règne dans tout le
récit une invraisemblance réelle. Que deux guerriers, se renconti^ant
au milieu du combat, s'attaquent avec fureur, et qu'un fils, dans cette
circonstance, périsse de la main de son père, un pareil malheur se
conçoit trop facilement , puisque des hommes , placés dans ces terribles
circonstances, entourés du feu, du bruit du combat, n'ont ni le temps,
ni la volonté d'échanger entre eux des explications quelconques. Mais,
dans le récit du poète persan, les deux armées, dont l'une est com-
mandée par Rustem , fautre par Sohrab , restent quelque temps en pré-
sence, se livrent des escarmouches avant d'en venir à une action géné-
rale et décisive. Des négociations s'établissent entre les deux généraux.
On voit qu'il leur serait facile de découvrir la vérité et d'éviter une
collision parricide; que Sohrab ayant appris de sa mère qu'il est fils de
Rustem, et sachant que ce héros commandait l'année contre laquelle
il avait à se mesurer, une explication devenait inévitable, et devait faire
tomber les armes des mains des deux guerriers. Si cet éclaiixissement
n*a pas eu lieu, c'est qu'il entrait dans le dessein du poète que la mé-
prise se prolongeât et amenât une épouvantable catastrophe.
73.
F
580
JOURNAL DES SAVANTS.
Je parlerai, plus bas, des autres morceaux qui composent ce voluine.
L'éditeur a suivi, pour cette partie de son ouvrage, la même marche
■ qu'il a adoptée pour le tome précédent, 11 s'est borné à imprimer le
teite, revu sur les manuscrits, et accompagné d'une traduction fran-
çaise. Du reste, il n'a joint à son travail aucune note, aucime observa-
lion d'aucun genre, philologique, historique, ou autre; et, cependant,
je persiste à croire que, dans bien des endroits, des remarques critiques
auraient été, non-seuiement utiles, mais, j'ose le dire, nécessaires. Bien
des expressions, des locutions, auraient mérité d'être expliquées, car, si
elles sont conformes au génie de la langue persane, elles ne le sont
guère au génie de la nôtre, et présentent souvent quelque chose de
bizarre, et même d'absurde. L'éditeur a supprimé un grand nombre
de vers que M- Macan a admis dans son texte. Il a pu avoir, pour faire
ces retranchements , des raisons solides; mais il aurait dû apprendre
aux lecteurs instruits les motifs d'après lesquels il a cru devoir se décider
pour faire main basse sur des morceaux étendus, dont l'absence laisse
quelquefois des regrets. On aurait paiement désiré savoir pourquoi,
dans bien des occasions, il a remplacé par d'autres expressions les le-
çons qu'avait reçues M. Macan, et qui présentaient souvent im sens
fort raisonnable.
Chai'gé de rendre compte du contenu de ce volume , je ne puis dis-
cuter les assertions du traducteur, puisque, comme je l'ai dit, il n'a
cru devoir accompagner son travail d'aucune note, d'aucune observa-
tion. Je serai donc réduit à la lâche fatigante et Ingrate de comparer la
version au texte, de proposer mes doutes, mes critiques, sur les endroits
où, dans mon opinion, la phrase originale n'a point été rendue avec
une parfaite exactitude. Si l'on trouve mes remarques un peu nom-
breuses [et cependant j'am-aispu les multiplier davantage), qu'on veuille
bien réfléchir que le champ de la philologie persane a été , jusqu'ii pré-
sent, assez peu cultivé; que des observations critiques sur le plus an-
cien monument poétique de cette littératiu-e ne sam'aient manquer
d'avoir une utilité réelle. Loin de repousser ce genre de Iravail, on doit
seulement regretter qu'un pareil ouvrage ne puisse être, dans toutes ses
parties, l'objet d'un commentaire savant et approfondi.
Le premier vers est conçu en ces termes :
ûl^ yUùfta J
' 1^ =>'i^,.WjIs «_i^ yjJ^J C^yif
M. MohI traduit : «Je vais conter ce que j'ai appris d'im mobed et
((d'un vieillard issu d'une famille du Dilikans. » Cette version, si je ne
trompe, n'est pas tout à fait exacte. Suivant moi, le vers doit être rendu
OCTOBRE 1843.
ainsi : "Je vais raconter, d'aprf^s le mobed, et en suivant le récit du
H vieillai-d , issu d'une famille du Dilikans. » Ici , l'article n'est rien moins
qu'indillérent; l'auteur, voulant donner à son récit une autorité impo-
sante, ne pouvait guère citer, pour garant de ses assertions, un mobed
inconnu, un vioiilaid qui n'aurait eu d'autre titre à la confiance que
d'être issu d'une race de propriétaires ruraux. Mais il annonce , d'um;
manière expresse, que tout ce qu'il va dire est extrait de l'histoire de
la Perse , composée par le mobed des mobeds Bebi-am , et de celle qu'a-
vait écrite, sous le règne de Iczdegherd. un personnage instruit dont
il a été fait mention plus haut, C'étaient là les témoignages les plus
giaves que Fiidousi pouvait indiquer; c'étaient ceux qui pouvaient, plus
que tout autre, prouver la vérité de la narration, et lui mériter la con-
fiance de tous les lecteurs instruits et jaloux de la gloire de leur pays.
Au reste, dans un aiticle suivant , je donnerai des développements plus
approfondis sur les faits qu'indique ce vers.
Dans le quatiième vers, le premier hémistiche ai^\j\ <y^ ub^j
(j«jy* ijy^ a été rendu par : « il quitta le Mckran , arec une armée ornée
«comme une fiancée. » J'ignore pourquoi le traducteur a ajouté. ces
mots avec une armée; le texte porte simplement: «il partit de Mekran,
H paré comme une épouse. »
Le vers suivant me foiu-nira la matière d'une discussion qui pourra
répandre un peu de variété sur ces observations, d'un genre si aride.
Il est conçu en ces termes :
M. Mohl traduit: u tous les grands lui apportèrent des tributs et des
H redevances , car les tam-eaux n'osaient pas lutter contre le lion. » Le
premier hémistiche n'a pas été rendu, je crois, d'une manière parfaite-
ment exacte. Le verbe (jUtjÂj ne signifie pas payer, mais accepter. Par
conséquent, il faut traduire : u chaque grand se soumit à payer un
Il tribut, une redevance. » Ce qui est, comme on voit, bien différent,
puisqu'il ne s'agit pas d'un fait isolé , mais d'un engagement pris pour
toutes les années suivantes. C'est ainsi que, dans un auU'c passage du
Schah-nâmeh\ on lit : >^j ^l* ^j ■^^~^ fcï*i^Â^ k chacun de nous con-
H sentit à payer un tribut , une redevance. « Je n'ai aucune observation
critique à faire sur la traduction du second hémistiche; mais, comme
je l'ai annoncé, il va me fournir l'occasion d'une petite discussion, qui
ne sera peut-être pas entièrement dénaée d'intérêt.
' T, n, p. -joo, Voy. auui 1. 111, p, i45i, i5A6, ibhj-
1
582 JOURNAL DES SAVANTS.
Sur les bas-reliefs qui décorent les murailles du palais de Persépoiis,
on voit, en plusieurs endroits, la figure d'un lion s'acbamant sur le
dos d*un animal, qui semble être une licorne, mais que Ton peut aussi
bien prendre pour un taureau. Un symbole analogue se retrouve ail-
leurs ; on Ta rencontré chez les Etrusques et sur une urne découverte
récenunent en France. Plusieurs savants antiquaires de notre temps
ont cru pouvoir y reconnaître , ou la lutte du principe cbaud contre le
principe bumide, ou le combat du bon piincipe contre le mauvais.
J'oserai ne pas adopter ces hypothèses. D'abord , les représentations qui
décorent les débris des murs de Pei^sépolis n'ont, je crois, rien de reli-
gieux , et indiquent simplement un hommage rendu au monarque de la
Perse par ses sujets. En second lieu, si l'image indiquée représentait une
idée métaphysique, l'animal qui est aux prises avec le lion serait tou-
jours le même; or il n'en est rien. Pour moi, je ne vois dans ce sym-
bole qu'une allusion au courage guerrier, à des luttes heureuses , sou-
tenues, soit par un peuple, soit par un particulier, contre des ennemis
plus ou moins redoutables. Le lion, chez tous les peuples, est regardé
comme le roi des animaux, comme le plus redoutable de tous, et au-
cun quadrupède, à l'exception du tigre, ne saurait lutter avec aucune
chance de succès contre ce terrible dévastateur. Parmi les animaux qui
peuvent, au moins, se défendre quelques moments contre la fureur du
Ûon , le taureau tient une place distinguée. Certes , le buffle sauvage ,
que Ton trouve errant dans les forêts du Bengale, dont la taille, la
force prodigieuse et la férocité, inspirent tant d'effroi aux voyageurs et
aux chasseurs, qui redoutent sa rencontre autant que celle du tigre,
n'offiîraitpas au roi des animaux une proie facile à vaincre et à dévorer.
Mais ie taureau domestique, lui-même, acquiert, dans plusieurs con-
trées de rOrient, une taille et une force qui le rendent excessivement
redoutable. Aussi, dans les langues de cette contrée, le taureau ex-
prime-t-il l'image d'un guerrier plein de force et de bravoure. Les
écrivains sacrés comparent, partout, les hommes belliqueux à ces
énormes taureaux que nourrissaient les gras pâturages dont abondait
la province de Daschan ]^^ , la Bathanée des Grecs , située au delà du
Jourdain. Nous trouvons dans les Psaumes ces mots : <( tauri pingues
« circumdederunt me. » Chez les auteurs arabes, le taïu'eau se prend
également pour un guerrier. Cette circonstance, jointe à ce que le
taureau, comme animal domestique, se trouve, trop souvent pour lui,
exposé aux attaques du lion, altiquel, d'ailleurs, sous le rapport de sa
masse, il offre une nourriture abondante et succulente, a engagé les
artistes et les poètes à réunir dans une même image ces deux ani-
OCTOBRE 1843. 583
maax, aux prises l'un avec l'autre. On lit dans le Schah-nâméh^ :
((Behram lui dit : Sache que Tejav est, à mon égard, comme un tau-
ce reau à Tégard d*un lion déchimnt. » Plus loin ^ :
(X peut-être un taureau ne saurait lutter contre un lion; » et ' :
(( un taureau pouvait lutter contre un lion. » La première fable du re-
cueil attribué à Lokman nous peint im lion qui, se trouvant en pré-
sence de trois taureaux, et n'osant pas lutter seul contre ces trois ani-
maux réunis, vient à bout, par ses artifices, de les tromper et de les
empêcher de joindre leurs efforts contre Tennemi commun; puis, les
attaquant isolément , il trouve dans chacun d'eux ime proie facile. Cette
image n'est pas particulière aux écrivains orientaux. Homère peint , en
plusieurs endroits, un lion qui a égorgé et dévoré un taureau, comme
dans ce vers * :
On lit dans le poème de Valerius Flaccus ^ :
Qualiler implevit gemitil quum taurus acerbo
Âvia, frangeDiem morsu super alta leonem
Terga ferons.
J'ai dit que le taureau n'était pas le seid animal qui fôt représenté
conmie aux prises avec le lion, et succombant dans cette lutte iné-
gale. Sur les médailles de la ville de Tarse nous voyons un cerf dé-
voré par un lion ; et Homère ^ peint un lion qui brise de ses dents ter-
ribles le corps des petits d'un cerf.
La même image se trouve également dans le Schah-nâmeh, On y lit "^ :
((ils engagèrent le combat, comme an lion qui s'avance impétueuse-
ument contre un cerf.» Hus bas^ : j^ ^W 4>wt) ^«Xil {jjy^ (de
« cerf entra dans la tanière du lion. »
* T. U, p. 595, éd. Macan. — * P. 616. — * T. U, p. 976. —^Iliad. D, v. 487
et suiv. — ' Argonaui. lib. II, v. àb6. — * lUad. A, v. n3. — ' T. II, p. 726. —
• P. 807.
584 JOURNAL DES SAVANTS.
Le sanglier est indiqué dans Homère comme la proie du lion ^ Dans
les écrivains persans , la gazelle est représentée comme la pâture ordi-
naire du lion. On lit dans le Schàh-nâmeh ^ :
^tyftT (j,U^^ ^jy>. c;^t 2)j^ ^
u car la mort est comme un lion , et nous sommes semblables à des
«gazelles, w Plus loin *, on lit, en parlant d'un guerrier :
*-^j' iS^yjy^^
«qui arrachait une gazelle des griffes d*un lion. » D'autres fois, il est
fait mention de Tonagre; on lit* :
m
«Tu n*es pas un lion belliqueux; je ne suis pas un onagre du désert :
« il ne faut pas ainsi vouloir nous attaquer. » Ailleurs ^ : ^^j^k^ kj^
jy^ »ji yJSj^jiJ^ ^ « car tu es un lion , et ton gibier est un onagre. »
Plus loin ^ \j*A »2LL&.jt 4X3U*«o^^\X «qui arrache un onagre des
« griffes du lion. » Et "^ :
« comme im lion qui applique ses griffes sur un onagre mâle , et abat
« cet animal. » Plus bas ® :
« le destin étendit ses griffes de lion et me renversa comme un ona-
«gre. » Ailleiu's on lit ^ : iu^ ^y^ U^jUb yl^jLÛ^^ «ils sont sem-
« blables à des lions féroces, et nous à des troupeaux. » Ailleurs ^^ : ti
5^ (jfti^^^ iS^yj^ «là était un lion, tenant dans ses griffes un
agneau. » Ces images rappellent les beaux vers de Virgile :
Impastus stabula alta leo ceu saepe peragrans,
Suadet enim vesana famés, si forte fugacem
Gonspexit capream , aut surgcntem in cornua cervum ,
Ardet, hians immane, comas que arrexit, et hœret
Visceribus super incumbens.
* Iliad, n. V. 823. — * T. II, p. 590. — ' P. 908. — * P. 57A. — ^ P. 888. —
— • P. 902. — ' P. 927. — • T. m, p. laig. — • P. 65A. — " P. 899.
OCTOBRE 1843. 585
J. B. Rousseau a dit également :
Faibles et vils troupeaux, après tant de disgrâces,
N*irritODs point en vain de superbes lions.
Le lion n'est pas le seul animal qui soit représenté par les poètes
comme exerçant sa force et sa fureur sur les autres animaux. Nous
lisops dans le Scliah-nâmeh ^ : 2LÀi^ ^jy^ 3^3 y^y^ ubl^ ^^ ^^^ ^^'
«valiers sont comme des gazelles, et lui comme une panthère.»
Ailleurs ^ : «ILîA^ :>:>^ j^jj^jk ^^ j^ y^ a lorsqu'une panthère est vic-
« torieuse d'un bélier sauvage. » Ailleurs ' :
tt comme une panthère qui se pose sur le dos d'un taureau et égorge
(( cet animal. » Ces vers nous rappellent involontairement ceux d'Horace :
Cervi, luporum praeda rapacium,
Sectamur ultro, quQs opimus
Fallere et effugere est triumphus.
Quant à ces files de lions et de taïu'eaux, qui sont représentés sur
le miu* du palais de Persépolis, se promenant d'une manière si paci-
fique, si inofiensive, ou j'y verrais un simple ornement, ou bien ils
ofiRriraient un symbole du courage réuni à la perfection de l'agricul-
ture, et, par suite, à la fertilité, ce qui rappellerait l'expression de Vir-
gile :
Sic nam fore bello
Egregiam, et fadlem victu per secula gentem.
Quelques vers plus bas *, on lit :
«x^J^ Li ^Jm By& A-^^ ^j-^j <>^<>^ Ih^J ^^^'^^ Jl^jt LT^»
Le traducteur rend ainsi ce vers : a On ne voyait plus de mains ni de
(( lances , au milieu de la poussière qui enveloppait les montagnes. »' Il
a confondu ici le mot yUi avec ^^^ViU» . H faut traduire : « Par suite des
u nuages, personne ne voyait ni sa main, ni la bride de son cheval.
« La poussière que faisaient élever les troupes cacha les montagnes, n
Deux vers plus loin ^, on lit : ^^^sjsSjj {j}j^ ^yi ^^y^ « V^^ ^^ traduc-
teur rend ainsi : a il détacha. du bouton de la selle sa massue pesante. »
Cette version ne me parait pas complètement exacte. D'abord , cette
* T. II, p. 68a. — ' P. 634.— * T. HI, p.* laoï.— * P. 6, v. 9— » V. 1 1.
là
586 JOURNAL DES SAVANTS.
expression, bouton de la selle, que le traducteur semble affectionner,
car il la reproduit toutes les fois que le mot a^j^ se présente, ne
m'offre pas, je Tavoue, une id^e bien daire. Il faut lire : le haut de la
selle. Le terme koaheh a^^ est proprement un adjectif formé du mot
houh »3-5'( montagne) , et qui désigne « ce qui est montueux. » Par suite,
il se prend pour tout ce qui est élevé. Il s'applique à l'extrémité supé-
rieure du dos d'un animal, à la bosse d'un chanoeau. On lit dans le
Schah-nâmeh ^ : (j-jJ' Juj aA^ ^ «Xi4XJu ju « ils attachèrent un tam-
« bour sur le dos de l'éléphant. » Ailleurs* : ^^ v^my Sh *^^^
« lorsqu'il attacha le tambour sur le dos de l'éléphant ; » et * : «XJU-
tr>-â» J. ■* ^ n ^^ *^'j^ ^ ^ attachèrent le tambour sur le dos de
«l'éléphant.» Il désigne également la partie antérieure de la selle, qui,
chez les Orientaux , est toujours fort élevée. Plus bas *, on lit : (jj) aA^
«le haut de la selle.» Au haut de la selle, du côté droit, se trouvait
une espèce de fourreau dans lequel était placée l'extrémité inférieure de
la lance. C'est ce qu'on voit sur un des bas-reliefs de Rirmanschah ,
dessinés par M. Kerr-Porter.
Plus loin ^ on lit : t\J^ cuJ; ^^t {j^'j^ u^^, ce que le traducteur
rend ainsi : « le roi s'enfiiit devant lui en toute hâte. » Mais je ferai
observer, i"" que la préposition ly»^ ne signifie pas devant, mais der-
rière; 2^ que le mot sLm ne s'applique pas au roi vaincu, mais au mo*
narque àe la Perse. En conséquence , je traduirais : «le roi, bouillant
« d'ardeur, s'avançait sur les pas du guerrier. » Plus bas *^, le texte porte :
ce que le traducteur rend ainsi : « nous comblerons encore le trésorier
« de nos actions de grâces. » Dans l'édition de M. Macan, on lit jyp ^\j
au Ireu dejj^^^, et j'avoue que je préfère cette leçon. En effet, le
mot o^\^ se constat plutôt avec la préposition jl qu'avec v« En ef-
iet, (j«\^ ne signifie pas seulement louange, mais bienfait motif de
louange. 0|n lit daps i^e ScJiahrnâmeh ^ : sUj Os^^ «xj^lJ^Âi. \l ^i^m
«louange au ipaître du soleil et de la lune. » Ailleurs ^:jl (jmU-^Iw
/^JilHW *>^3J<>^, «louçpge au seigneur victorieux; » et plus bas* :
' T. I, p. 47a, éd. Macan. —«T. II, p. 496. — * P. SSg. — *P.3o, v. 5i3.
— "^ T. II, p. 712 , 73a, 748, 962 ; voyez aussi v. i3.— • V. 18. — ' T. II, p. 664.
— «p. 671:— • P. 681.
OCTOBRE 1843. 587
«d'ailleurs, demain, nous rendrons grâces à Âfrasiab et nous cherche*
(irons le sommeil.» L^expression {^^^j^j-f «poser sur sa tête,» si-
gnifie « se charger d'une chose , laccepter comme un devoir, une obii>
c( galion. » On lit dans le Schah-nâmeh ^ : ^^ j^j^ d^ u!)3 ** ®* j^ ™^
« croirai obligé à la reconnaissance. » Ailleurs * : (^ u^j^ {^^ c5«'l^
«tu m'imposeras, par cette action, un devoir de reconnaissance. » Si
je ne me trompe, il faut traduire ainsi : «je me croirai encore obligé
«à la reconnaissance envers le trésorier (de ce qu'il voudra bien rece-
« voir ma contribution). » L'expression : « le roi qui illuminait le monde
« eut le coeiu: en joie ', » est peu élégante. Il fallait traduire : « le roi
« qui est la gloire du monde fut ravi de joie. » 11 est à regretter qu'une
main amie n'ait pas fait disparaître quelques expressions, quelques
tournures, peu conformes au génie de la langue française. J'en avais
signalé quelques-unes, qui ont été reproduites dans le second volume
avec une fidélité peut-être un peu trop scrupuleuse.
Dans les vers suivants ^, on lit : «
ce que le traducteur rend s^nsi : « H conduisît son armée de la plaine
(( à la mer, du côté où ses ennemis avaient paru. Il prépara des vaîs-
« seaux sans nombre, et se hâta d*embarquer $ts troupes sur la mer. »^
Le texte qu'a suivi M. Macan présente, dans les deux vers, des variantes
assez considérables. On y lit : «>s!«>ô \j^\ ^^^ \^ ^jL-^-jI^Xj et ov-Éi*t;Uj
cx^Uj^ ^^Kfji^ . Javoue que je serais plus enclin à adopter ces
leçons, d*après lesquelles il faudrait traduire : « Il conduisit son armée de
« la plaine à la mer, de manière à la dérober aux regards de l'ennemi. Il
« fit construire im nombre infini de vaisseaux et de barques. Il les équipa
« et y embarqua son armée. » Les mots* ylj^j isàU^J^ Çr*^-^' ^^ ^
ne signifient pas, je crois, «il pleuvait des épées indiennes,» mais
« par l'eflFet des épées indiennes, il pleuvait des âmes; » c'est-à-dire : « les
(( combattants tombaient en foule sous le tranchant des épées indieu-
«nes. » Dans le vers suivant, jJbU ne désigne pas an honnet, mais an
casqae. Plus bas^, cet hémistiche gVjU» «^y «Xi^^b v^j^ a été mal
rendu par ces mots : « ils trempèrent dans le fiel la pomte de leurs
«lances. » Le traducteur a confondu le motj^j, poison, avec ^j^j.fi^l'
' T. II, p. 556. _ > P. 688. — • V. 33. — • V. 35. — * V. 5i. — * V. 67.
74.
588 JOURNAL DES SAVANTS.
D'ailleurs, le fiel, malgré sa saveur amère, na rien de vénéneux; et
les guerriers , en trempant la pointe de leurs lances dans cette substance ,
ne lui auraient communiqué aucune propriété malfaisante. Il faut donc
traduire : « ils trempèrent dans le poison la pointe de leurs lances, n Je
reviendrai sur cette expression.
Dans le vers ^ :
que le traducteur rend ainsi : «.tu aurais dit que Tair faisait tomber de
«la rosée, et qu'il semait des tulipes sur les rochers,» le mot jkllj ne
signifie pas àe la rosée , mais de la grêle.
On lit dans le Schah-nâmeh ^ :
ê-^ ^^^ *W U^J^J^ *^ 6^ *^l3 U5^ *N>^ U^' ^
«Comme la grêle qui tombe d'un nuage, il pleuvait sur eux, soit des
« flèches lancées par les arcs , soit des glaives d'acier, o Ailleurs ':
^ #
«Pai* suite du nombre des javelots, des massues, des masses d'armes,
«des glaives, tu aurais dit que l'air pleuvait de la grêle.» Plus bas^ :
ify^ji (S^y^^ (Ji ^|3 y^ ^^ firappait sur sa tête conmie la grêle. » Et
enfin * :
0 :>jIj jJtj ^ ^ Aô ^sJ^j.^ u*N;^>
« Par suite de la pluie de traits , on aurait dit qu'un nuage faisait sortir
ttla grêle de la gueide d'un lion. » Partout, dans le Schah-nâmeh , les
traits, lè^ coups de massue, dont les guerriers se frappent sans relâche,
sont comparés à la grêle qui tombe en abondance de l'atmosphère.
Boileau a dit , dans le même sens :
Les livres sur Evrard fondent comme la gréle.
Relativement au second hémistiche , il eût fallu une note pour bien
faire comprendre cette expression : « qu'il semait des tulipes siu* les
«rochers. » Plus bas^, on lit : <Mtf>^ si^ (J^jj^ '3^ (S^^^y^ * «on
« eût dit que l'air avait semé de;» tulipes sur la terre. » Ailleurs '': 2lXm„f
(^^yj)^ "^^ UJU*^^' « J6 sème des tulipes sur la pierre. » Comme je l'ai
exposé dans mes précédents artides, la tulipe, en Perse, étant plus
' V. 6a. — « T. n, p. 751. — ' P. 708. — * P. 960. — * P. 961. — • P. 3o,
V. 3i5. — 'T. n, p. 905.
OCTOBRE 1843. 589
généralement de couleur rouge , cet hémistiche veut dire que le sang
coulait en abondance et s^imprégnçiit dans les pierres.
Plus bas, le mot ^^40u ^^^^^A* ne signifie pas le trône , mais le palais,
et cet hémistiche ^jK* ^1 U ^^^Cau: *^^ iS^ne doit pas se rendre «car
tt elle convient à mon trôtie , » mais , a car une telle beauté fera rornement
« de mon palais, n On lit ailleurs ^ : U (^^ ^^^AdÇ « dans notre palais
u d'or. » Plus bas ' : (j-^ iS^^*3 y U**h^ a' j-^ « lorsque tu entreras
«dans mon hvrem et dans mon palais. ))'^Âilleurs ^ : Os.-^) jO^t i^U^.^
•Lm i^^A «cOtnme une iune^ elle entra dans le palais du roi;» et
enfin ^ : »lâ fS^^A, <>^T»L« ^) y^ «lorsque cette lune entra dans le
« palais du roi. » Ce vers^ : . . • . ^ ^^♦^^^ l;<^) ^ est-il bien rendu
de cette manière : «je désire cimenter notre paix? » H fallait dire : « je
a laverai la joue de la paix, » c est-à-dire «j'écarterai tout ce qui pour-
« rait altérer la sincérité de la paix. »
Les mots ^Wj »;a^ "^ ne signifient pas « à la languejaffilée , » mais
«hardi dans son langage, n L'hémistiche® q-— ^ a-^ \)Xû^ (^^t oumjô^^
ne signifie pas «la demande de Kaous est pour moi im malheur ex-
trême ; » il fallait traduite , si je ne me trompe , « une pareille prétention
« n'a ni commencement ni fin, n c'est-à-dire, « n*a ni rime ni raison; est
« sans motif; est tout à fait inconvenante. » Plus bas^, on lit : ^^j ^^
^ JoU J^ (j«^, ce que le traducteur rend par ces mots « dorénavant,
«mon cœur sera loin de moi. » J'aimerais mieux, je l'avoue, la leçon
adoptée par M. Macan: ^ *>oU ^U*- (j»»^ ç^j (jJ^ «désormais, ma vie
«ne sera plus auprès de moi;» c'est-à-dire, «je n'aurai plus avec moi
« l'être qui faisait le charme de mon existence, » ce qui rappelle ce vers
de Corneille :
La moitié de ma vie a mis fautre au tombeau.
Si on adopte la leçon suivie par le nouvel éditeur» il feiudrait traduire ,
je crois, «désormais, mon intelligence n'existera plus pour, moi.» Le
vers^® :
est-il bien traduit de cette manière : « Sôudabeh lui répondit : S'il n'y a
«pas de remède, il vaut mieux commencer par ne pas a'en afiliger?»
J'oserai ne pas le croire.
' V. 85. — ' T. m, p. ia85. — * P. 1187. — * ^-^ lago. — • P. 199g. —
•V. ga. i33.--'V. 96. — 'V. io4. — •¥. 107. — "V. ni T
590 JOURNAL DES SAVANTS.
\F-
Le mot ftjl>>^ iN^ esl identique avec celui de j\y^ ms^ , et signifie :
«celui qui prend du souci pour qiieiquun, qui s*intéresse à lui, un
u ami. » On lit dans le Schah-nâmeh ^ : (j^â» «>o »^ly^ as a personne
«ne s intéressa à lui.» Ailleurs ^ : ^^^ï «^tysM^ »Lfi 4^J>3j^> «O roi,
c( nous sommes pleins de soucis^ dlntérêt pour toi; » et enfin ^ : «>su»^
I "niti^i »j\y^^^ «>H^& j»>l « Kaid s'informa de ce qui le concernait, et
<( conçut pour lui un vif intérêt. » J'ai expliqué ailleurs ce qui concerne
les significations de ce terme et de son synonyme j\ n ^\ ^ , De
j\y^ ^ se forme le substantif «^t,^ ^ , qui désigne o l'amitié ,
« raffection » » comme dans ces passages de l'histoire de Firischtah ^ :
^ye^3 cik^V^ «l'alTection et l'amitié; » et* 9à^\ yM^ c^y'y^ ^VJ^
« il s'avança comme ami. » Je traduirais donc : u Soudabeh répondit :
«Puisque la chose est inévitable, nous n'avons pas aujourd'hui d'ami
« plus utile que ce prince. » Dans la même page^, le nurt o^«o»w a été
rendu par a six cents; » il fallait dire u trois cents. » Plus bas'', ces mots
àjJtAj) y ftU^ ^l& signifient-ils : «dans une litière venait la jeune lune
« toute parée. » Je traduirais : a une litière que décorait la présence de la
a nouvelle lu&e. » Un peu plus bas , on lit ^ :^/v^ (j*^^ 3^ , que le tf a-
âucteur rend ainsi : « ses deux jreux étaient noirs comme le narcisse ; )>
mais la fleur du narcisse n'^est pas noire* £n second lieu , le mot^^ doit-
û J^e tràd^e par noir ? Il désigne proprement, triste, soucieux, et ensuite
ivre. Si îe. ne me trompe, il signifie ici hmgoureax; et il faut traduire :
«deux yeux langoureux. » Ce qui rappelle les beaux vers de Catulle :
Tum diilcis paerî ebrios ocdlps
Itto purpsrte ore Buariata.
Plus bas ^ on lit :
Le traducteur rend ainsi ce verâ ; «11 se peut qiié, placé au<lessous de
«toi, il perde, par jalousie, toute l'affection quil te portait. » Soit qu'on
adopte la leçon de^^i^ ô^, soit qu'on lise, avec M. Macan, tS^^yj, on
:dpit ^^ i^roisv iloadlure :jk II {lâut^e faire qu'il Ëoii d'un rang inférieur au
«tien, et ^ue pourtant il maigrisse de la jalousie que lui cause ton af-
•((fectlo6.«fCêTfeire^<>: ^ '
' T. n, p. 889. — ' T. m. p. 1 l3q. — ' p. iSoS. — • T. I. p. i4q. ^ ' T. II
p. 76. -^«Y 1;»;^ ^ » V, l^^^^V. i»j>. — • V,:i79. — »» J>. jo.v. i$o.
OCTOBRE 1843. 591
signifie-t-il : « pour ramener Sasdabeh» et pour la remettre sous l'auto-
orité du roi?» Je traduirais : a afin d^emmener Soudabeh, et de ren-
«verser sous leurs pieds la tente de cette princesse.» Le mot s«>a5l^
ne signifie pas vide, mais dispersé. Ainsi rhémistiche^ «âvâ^ «>U» s«Xi5l^
^5^^6i^Uv ne doit pas se traduire : u que le trône dn roi des rois était
«vide; » mais : a que le trône de la souveraineté était en débris. » Les
mots^ ù^ ^^ne signifient pas : « une grande foule de peuple; » mais, « à
(( deux portions; n c'est-à-dire » la moitié de la population. » Plus bas ^,
on lit ce vers :
\jlè ^j ^ — y^\ -xû oum:>j|^ ^J
Le traducteur rend ainsi ce passage : « Un lion qui ne redoute pas les
« tigres doit venir à notre aide dans cette douleur, n Ce qui n'offre
pas un sens parfaitement clair. M. Mohl ne s'est pas souvenu que
le mot jXM, en persan, présente deux significations bien différentes;
qu'il désigne un lion et du tait. Il a admis la première signification ,
tandis qu'il fallait choisir la seconde , et traduire : u Quiconque n*a pas
«sucé le lait des panthères viendra à notre secours, dans cette afflic-
Cl tion. 0 On sent très-bien que cette expression, « avoir sucé le lait de&
«panthères,» doit signifier «avoir un caractère féroce;» et ce passage
rappelle le vers de Virgile :
Hyrcanaeque admonint ubera tigres.
Sadi ^, peignant des hommes dont te caractère fét*oe^ s'était complé>
iement adouci, se sert de cette expression : uP^ isy^ •^j^ ^j {j^S^
«lies panthères avaient déposé (quUté) les mœurs. des panthères*»
Dans le vers suivant, les. mots >jyj^jO^\ y^ nedoiveat pas se tra-
duire par « respectueusement , » mais «dans la fonne convenable, »
Plus loin^ l'éditeur nous donne cet hémistiche |4Jiu9?. <^ \jji^^\
iS^j^ qu'il traduit : « quand je secouerai mon poignet » Mais ii n'a pas
fait attention qu'il fallait lire [x^^^ au lieu de j^iioLa^, et traduire : « si
«je sors de x^sl place ppjur aller combattre. » M. Macan avait donné la
v^table leçon 9 que le i^ouvel éditeur n'aurait pas ditcbAnger^
Plus bas^ les mots J^ ^jis-^j^^^ i^Mis ne signifient pas, je orois,
« les aigles sauvages étendirent leurs ailes , » mais « l'ai^ haodi laissa
t tomber ses ailes; » c'est^^ire interrompit son vol, par suite de la
* P. ao, V. 196. -»- * P. aa, T, ao8. — ' V. ai5. — * Galittan, p. ih; éd. Gen-
tîo. — ^ P. a8. V. a78. — 'P. 3o, v. 3o8.
592 JOURNAL DES SAVANTS-
frayeur que lui causaient les mouvements et les cris des combattants.
Cette expression^ /^^^^ ^^-^^ u!^ ^«xjJ^ est-eiie rendue fidèlement
par ces mots, «jetant la terreur parmi les combattants ?» Il fallait dire :
«jetant sur le champ de bataille le jour de la résurrection; n c'est-à-dire
une frayeur égale à celle dofit tous les êtres seront glacés, dans ce jour
solennel consacré à la vengeance divine. J'ai expliqué ailleurs tout ce
qui concerne cette loôution. Plus bas^, les mots <xâa^I:>^ jy^ jui»»Uh#
ne signifient pas, je crois, «les armées des trois royaumes se disper-
«sèrent,» mais «évacuèrent le pays.»
Les mots 'jly^ v^-m*I c^ ne signiiientpas , je crois , « une haquenée qui
(« allait Tamble, » mais simplement « un cheval à la marche rapide. » Les
mots j^ ^Vyj ^ ne signifient pas a pars voilée , » mais « pars secrètement. »
Dans le vers suivant, l'hémistiche mlj'^ ^ \^^, j^r uH^^ "^^ ^^^^
pas se traduire: «nous ne tenons notre pays que de sa volonté;» mais
il faut dire : « nous ne parcourons le monde que d'après ses ordres. » L'hé-
mistiche suivant, v'j^J^^ ^Wm •>v o*^, ne signifie pas, je crois,
«puisse ce méchant ne jamais le voir, même en songe,» mais,
« puisse-t-il ne jamais voir, même en songe , un pareil malheur. » Un
peu plus bas', l'hémistiche ^Jm ASyàS^Oy^ JU3j4j ajU) est-il bien
rendu par ces mots : « les bons ont péri comme les méchants? » Je
crois qu'il faut dire : « la fortune a produit toutes sortes de biens et
« de maux. » Un des vers suivants est conçu en ces termes ^ :
^^jl «X.d U^^ ^g^ {^M^Av^jl^^ yl^t
M. Mohl traduit : « Sors di} pays d'Iran et ne tarde pas; ma tête est
« remplie des bruits qui courent sur ton compte. » Dans le texte qu'a
publié M. Macan , on lit t^^ au lieu de is-m-^ \ et j'avoue que la
première leçon me semble préférable ; en conséquence , je traduirais :
« Quitte le pays , et renonce à tes vues ambitieuses ; ma tête est , par
«rapport à toi, remplie de trouble.»
L'hémistiche suivantjt; à ^ jû^ ss»:>^ ^^-^ a^ est-il bien rendu par
ces mots : « car tu vas t' attirer xaie punition dont ta te souviendras long-
temps?» J'aimerais mieux dire : «car il va bientôt amener pour toi de
«longs chagrins. » L'héinistiche'^ t^Jo^ ^1 »l^ ^L^ c;^ ^ est-il bien
et surtout élégamment rendu par ces mots : « chevauchant que c'était
« merveille? » je traduirais : « il partit en courant avec une merveilleuse
' P. 3a , V. 3a8. — * V. 33a.— ' V. 34o. — * V. 34a. — » V. 36i. — * V. 364.
— ' V. 375.
OCTOBRE 1843. 593
((rapidité. » Les mots^ *a3 »^ê> jt^^U*«o^^A-£i.^ûbj sont-ils bien rendus
par : «mon glaive fend la cime des montagnes;» il faut plutôt dire :
«avec mon glaive , j'enlève à une montagne sa cime.» On voit que fau-
teur a vo»du j(ftier sur le mot ^, qui offre une double signification,
celle « d'épée » et celle de « la cime d une montagne. » Le mot Osai^ ^ ^^
signifie pas « du vin nouveau , » mais « du vin de palmier, n Cette liqueur
se trouve souvent indiquée dans le Schah-nâmeh^. On sait que le vin
de palmier était, chez les Arabes, f objet dune prédilection passionnée;
qui figurait dans tous leurs banquets, dans toutes les réunions; et les
khalifes de Bagdad, casuistes assez relâchés, prétendaient que le vin
de palmier, malgré ses propriétés éminemment enivrantes, n'était point
compris dans la prohibition que l'Alcoran a prononcée contre le vin.
Le vers* :
• *
est rendu en ces termes : « afin que vous puissiez jouer de vos épées en
t( combattant mes ennemis, et non pas pour que vous vous comportiez
« ainsi dans ma guerre contre les Arabes. » Je ne m'arrêterai point sur
le peu d'élégance de cette phrase, mais je dois dire que, dans le texte
de M. Macan, le second hémistiche est écrit ainsi: iSUj^^jô Ajp'^jy
OyvÂ5"^^jb, et. je préfère cette dernière leçon. En second lieu, je ne
croîs pas que le mot 4^3 b désigne ici «les Arabes; » il signifie, si je ne
me trompe, «l'impétuosité, fardeur, » et je traduirais: «afin que vous
«luttiez, le glaive à la main, contre mes ennemis; afin que vous vous
« précipitiez ainsi dans les combats. » Dans Thémistiche suivant^, les mots
Js>j3Ti2Ilâ> ca^ J^ sont-ils bien rendes par «soutenez la lutte?» H
fallait dire : « étroitement unis , marchez au combat. » Ces mots , en
parlant de Rustem* , J^ ^j^^p aaaS"^! ^ -Ji aS", ne sont pas assez fidè-
lement traduits par ceux-ci : « devant l'épée duquel tremble la voûte du
« ciel. » Il vaut mieux dire : « devant l'épée duquel le ciel rougit de honte. »
Plus bas , dans la même page '^ , un hémistiche est ainsi conçu :
«^ ■ **» * » ^ PI cK ^ U3—~^ (J .^g '*) (jV mk y^ Ifcij.
M. Mohl traduit: «leur sang rendit la terre rouge comme une rose. n
Le traducteur n'a pas pris garde qu'il fallait lire J^ et non pas J^.
En conséquence, on doit traduire : «la terre, détrempée par leur sang,
* P. 36, V. 385. — 'P. 38,v.395. — *Tom.III,p. 1100, 1137, 1192, 1498,
i5aa, etc. — * V. 398. — * V. 399. — • V. 4oi. — ' V. 409.
75
594 JOURNAL DES SAVANTS.
« devint semblable à de la boue. » Une image analogue se trouve sou-
vent dans le Schah-nâmeh. On y lit^ : J^^j^ cj^^ U!>^j' «par TefiFet
«du sang, la terre ressemblait à de la boue.» Plus Icgn^: Jl»-jl mS^
J^ jAiAcCj^^ :>jU« (( qui , avec son épée , transforme la terre en boue. »
Ailleurs': J^ »j<jU ^^U »j^ 4->lj «par suite de ses pleurs, son pied
(I enfonçait dans la boue.» Plus loin^: ii^j<Xjl (^U 0>» v!>^ «car,
«par suite de mes pleurs, j*ai le pied dans la boue.» Ailleurs*: Aâ»
Jt^ yS ^jy^j ^^j dl^ j^ «de ton sang, il fera sur la terre une couche
« de boue. » Plus bas^ : :>y, AX-i^l J^ ^^ys^ u^^ Cjv;; « sous eux, la
tt terre fut détrempée comme de la boue. » Ailleurs "^ : 3I *x-û J^^ (^^^'^
tj^jj^^ {jy^ " P^ 1^ mélange du sang des soldats de Gouderz, la terre
«devint comme de la boue.» Et, enfin ^ : jysS^ :>j^ ç^fj^j ^jyà^j
r'\ w\^i « par suite de IjefTusion du sang , la poussière de la contrée est
fi
« semblable à la boue. » Les mois ^ ^y%^ «^ ne signifient pas « des lin-
«gots d'argent, » mais de l'argent brut. »
Plus bas ^^, les mots <^*>^ ^^l;L*>Ci {j\^j ^jy^ (j^ ne signifient
pas, je crois, «les roses y étaient belles comme les joues des femmes
« qui dissipent les chagrins , » mais « les roses étaient semblables aux
«joues des jeunes amantes.» J'ai expliqué ailleurs le terme jLJÎji, qui
ne signifie pas, je crois, « celui qui dissipe le chagrin, » mais « celui rpii
«prend du souci, qui s'intéresse à quelqu'un, un ami, une amante.»
Dans le Schah-nâmeh, on lit ^^ : jûl? y ^j\^mSà « sois son ami; » et ^^ : ^
^Lo ^ j^ fax» dl^ «je vois^que la terre s'intéresse à toi. » On trouve
ailleurs, dans le même sens , le mot^^^>M5"9«>sil . On lit ^' : »«>sil^ ^SjutjJ».
« .4 m.iS' ^ j Lo « quel est l'homme sensé, et qui s'intéresse à toi.»
Les mots i^^^^^ytj ^^ ne signifient pas <i rusé, » mais « habile. » Je pren-
drai encore la liberté de faire observer combien est impropre cette ex-
pression : « le Dieu tout pm*, » que le traducteur semble aJDTectionner,
ear il la répète une fouie de fois; tandis qu'il pouvait si facilement diie :
« le Dieu saint. » •
Le mot cy'^*» ^* ne signifie pas « Une afiàire difficile , » mais « une
«afiaire importante. »
JL'hémistiche ^^ «x-û ib^iU^tXil jl jftJljy ne doit pas, je crois, se
'T.II.p.719.— *P.73i. — 'P. 766. — *P. 83i. — 'P. 834. — •P. 916.—
' P.949. — ^P.956.— '^P. 4o, V. 43o. — "V. 435. --" T. U.p. 770. — ^^ T. m,
p. i36i. — " T. n. p. 563— ** P. 4a, v. 44i. — '* V. 445. — " V. 456.
-aX. :>>— ^t^ ^j\^[;i rjLjL^ c;^^-.0 «^Ve bé/^ C:J<rou*Jt4Xi
OCTOBRE 1843. 595
traduire par : (( son esprit succomba à ses pensées. » H faut dire , si je ne
me trompe : « son esprit devint incapable de réflexion. »
Le vers suivant ^ :
m
a été rendu ainsi par le traducteur : « Il ignorait qu il n'y a nid moyen
«de monter au ciel; que les étoiles sont sans nombre, mais que Ûeu
(( est un. » Pour moi, je traduirais ; «H ne savait pas que le ciel n'a par
«lui-même aucun rang; qu'il existe un grand nombre d'astres; mais
« qu'il n'y a qu'un seul Dieu, w M. Mohl n'a pas fait attention àU sens
exact du mot ajU, qui désigne, à la vérité, an degré, et, par suite, une
échelle, mais qui exprime aussi «un rang, une dignité. » Le vers suivant
est conçu de cette manière ;
JOl »jWJJ^ »2Ur?^3 (Jûjl^tW t^ *>^» •jV.JfS-? ^^j* c^^ **
M. Mohl traduit : « Toutes les créatures sont impuissantes contre ses or-
udres, car elles sont impures, rebelles et méchantes. » Dans l'édition
de M. M ao^n , on lit :
J'avoue que je préfère cette leçon. En effet, il ne s'agit pas ici, comme
l'a cru le traducteur, des créatures en général, mais seidement des
astres. En secorld lieu, les mots (ji^^l^ ne signifient pas impars, mais
«pleins de trouble, d'agitation.» Je rendrais donc ce vers, en m'atta-
chant à la leçon de l'éditeur anglais : « Tous les astres sont invariable-
« ment soumis aux ordres de Dieu; tous, astres favorables, ou funestes,
«ou errants.» L'hémistiche ^^j ^^j) jiyj]^^^ iS^^j\^ yl^ ne signifie
pas, je crois , «de sorte qu'ils pouvaient enlever un argali,» mais «de
« manière qu'ils pussent vaincre , abattre , un bélier sauvage. »
Les mots^ jt ^j » ^* 5^(j>»..,C v> «x^l; (:ys^ ne signifient pas :
« tel sera le sort de ceux qui tenteront cette entreprise , » mais « tel
« est le sort de celui que la convoitise possède. » L'expression * em-
ployée en parlant des aigles, «XjUiJjô ^^y^ ^je^ c-^^S"^, est-elle
bien rendue par ces mots : «ils se décoiu'agèrent, plièrent leurs ailes,
«selon leur habitude? » J'oserai ne pas le croire. Si je ne me trompe,
le traducteur a pris le mot <i>^ sueur pour celui de ^^^^^ ^ exprime
«le caractère, l'habitude.» Je crois donc devoir traduire : «ces oiseaux
> V. 458. — * P. 44, T. 467. — » V. 479. — • V. 480.
596 JOURNAL DES SAVANTS.
a furent fatigués, et abattirent leurs ailes dans la 3ueur.i) Les deux
vers suivants, conçus en ces termes :
sont rendus ainsi par le traducteur : « Par miracle , la terre ne tua pas
(de roi par le choc, et ce qui devait arriver restait eiltJore un secret : le
uroi désii'ait qu'un canard sauvage s élevât, car il avait besoin de man-
ager un peu.» Mais je crob qu'il s'est glissé ici une erreur assez forte.
Je sais que le mot Jm^W«m désigne un oiseau aquatique, de coidetu:
rouge, peut-être un canard. Mais, dans le passage qui nous occupe, il
n'est question d'aucun oiseau, teiTestre, aquatique, domestique ou
sauvage. Il s'agit ici du nom d'un prince, fils du roi Kaï-Kaou6, et
dont la mort tragique donna naissance à de terribles catastrophes.
En second lieu, le traducteur a rendu par « la terre » le terme e)^y>-, qui
désigne «le jnonde, » et, par suite, «la destinée, la fortune.» Je traduis
donc de cette manière : «Par l'eflFet d'un miracle, le monde (le destin)
« ne permit pas la mort de Kaous; car il cachait dans un profond secret
«les événements qui devaient se réaliser un jour. Comme il fallait que
« Siavusch naquit de ce monarque, celui-ci dut, encore quelque temps,
« se promener et se nourrir. » On pourrait croire que ces mots : c^dM^^ili^
«<N^^j^3 o^x:^ <^uL ((il lui fallut encore quelque temps se promener
« et se nourrir (propr. paître), » ont été choisis à dessein par le poëte,
pour exprimer le profond abaissement opéré dans la position de ce
roi, qui, du faîte de la grandeur, était tombé dans un état où il n'avait
plus qu'à vivre d'une vie animale, à végéter de la manière la plus triste,
4a plus ignoble. Du reste, cette expression, qui, proprement, s'applique
aux animaux, s'emploie aussi en parlant des hommes, et même des
princes. On lit dans le Schah-nâmeh^, '^j^^ e)*>^^s^ f"y^ cT-^ (iTô'
« désormais, je ne pourrai plus me promener et me nourrir. » Ailleurs *^,
4X^L*^^ *3sji-«? *N»ï-f-? «X — ry^ Os>Ui JLk^
«Tout homme qui occupe, dans ce monde, le rang de roi, ne doit
« choisir qu'une bonne renommée : du reste , il peut se promener et
«se nourrir.» Et *, ^x — 4^— ^^ ^X-ajjçj^xjI *xi^ ^ii^ «durant Tes-
* T. II. p. 911. — * P. 988. — * P. 1016.
OCTOBRE 1843. 597
«pace d'une semaine, promenez-vous et nourrissez-vous.» Ailleurs ^
on lit ces mots : ^Ul »*>sj^ Ij^ J^ f^j^^ «son cœur était rempli de
«chagrin, et ses lèvres n étaient point repues (étaient sans nourri-
ce ture). » On lit ^, en pariant d'Ardeschir : Os!^ *j?'' •N/^ (S^^ ^>^W
« pendant quelque lemps il se reposa et se nourrit de ce qu'il voyait. »
Le verbe (jw^l^ vouloir, employé pour devoir, se retrouve dans
ce passage du Schah-nâmeh * : o^-a5" c-^^!^ \j^ glà ^ ^ji^ a la gran-
ttdeur et la royauté ont dû (proprement ont voulu) m appartenir. »
Cette expression rappelle naturellement ces vers de Molière, dans les
Femmes savantes :
Et ne repoussez pas, voulant qu'on vous seconde,
Quelque- petit savant qui veut venir au monde.
M. Mohl a eu tort, je crois, de supprimer le vers suivant, que je
trouve dans l'édition de M. Macan, et qui confirme pleinement l'opi-
nion que j'ai émise. Il est conçu en ces termes :
«car, si le roi Kaous avait péri, un monarque puissant ne serait pas
« né de lui. » Le mot jUyûo * ne signifie pas « la honte, » mais « le re-
« penlir. » Dans le vers suivant, on trouve les mots ^jy^ a4n^ *? »*xjU[
j'-> j!) » ^® ^® traducteur rend ainsi : « il resta dans la forêt tout épuisé. »
Mais l'expression jt^^t) n'est pas conforme au génie de la langue per-
sane, et je ne l'ai rencontrée nulle part. Je préfère la leçon adoptée
par M. Macan, et qui offre ces mots -j^j^j^y^ e)J^^ A^&go k^ i^o^U^,
« il resta dans la forêt, humilié et triste. »
Les mots ^Uwl ^j liU^Ï oo:>^^ ne sont pas, je crois, bien traduits
de cette manière :« n'ont fait une entreprise contre le ciel;» mais il
fallait dire : «n'ont formé le projet de s'élever vers le ciel.» Le mot
^l>Jt^â<^ ne signifie pas «les possédés, » mais «les fous^ les insensés. »
On lit dans le Sc}iah'nâm£h "^ : •Xi^Lôo ^^ ^\ y\iCil^à j5" « car les
« insensés écouteront le discours. » A l'occasion de ce vers • : ^ ^
^^*yJé ç^jj )j^\ f^:>yi « tu étais pour lui une idole (tu es devenu un
« brahmane) , » je ferai observer que le mot ^^-^j^ est quelquefois
employé par notre auteur pour désigner « im idolâtre, un païen.»
On iit^ : Js^U {^ji j^ Vyilâl oo a^ «dans les temples d'idoles il ne
«resta aucun païen.» On trouve aussi, avec le même sens, le mot
* P. 64o. — • T. m, p. i38o. — ' T. lU, p. laai. — • V. 485. — ' P. 46,
v. 494. — • V. 495. — * T. m, p. laoo. — • V. 5oi. — • T. lU, p. 1 189.
598 JOURNAL DES SAVANTS.
schaman ^; on lit^ : (^^ t>Ub ^jy^ j-vS'jSJU^ «je l'adorerai comme
« un schaman adore les idoles, » Le vers suivant est-il bien traduit de
cette manière ?
uSi tu félèves de la largeur dune main plus haut que ta ne dois, tu es
« entièrement rebelle envers Dieu. » Je lis, en suivant la leçon ov-i*ô ^j
donnée par M. Macan, « Lorsque d'un côté tu t'élèves, tu t engages dans
M des guerres continuelles. »
quatremère:
( La suite à un prochain cahier, )
Il sepolcro dei Volunni, sçoperto in Peragia nel iSàO, ed altri
monumenti inediti etruschi e romani, esposti da G. B. Vermîglioli.
Perugia, i84o, în-4^
PREMIER ARTICLE»
Entre toutes les anciennes villes étrusques dont les tombeaux nous
ont fourni presque tous les éléments de l'archéologie étrusque que nous
possédons, Peragia est, sans contredit, une de celles qui se distinguent
le plus par l'abondance et par le mérite des monuments sortis de son
territoire. A la tête de ces monuments se placent les urnes cinérairçs,
la plupart en travertin, d'autres en terre cuite, et quelques-unes en
marbre , presque toutes ornées , du moins sur la face antérieure , de
bas-reliefs représentant des sujets mythologiques empruntés à l'histoire
héroïque de la Grèce. Le nombre de ces urnes , extraites des seuls tom-
beaux de Peragia, est très-considérable, et les objets d'antiquité qui ont
été retirés des mêmes sépultures, tels que miroirs, aussi en très-grand
nombre, et presque tous d'un rare mérite, par le choLx des sujets, par
le style et par les inscriptions^; pierres gravées, la plupart en forme de
scarabée, dont l'une, représentant cinq des sept chefs devant Thèbes,
avec leur nom grec sous la forme étrusque , est incontestablement le
plus beau monument de ce genre que nous ayons recueilli'; vases
* P. 1 1 6o. — * Les plus remarquables de ces miroirs ont été reproduits par M. Ver-
mîglioli dans ses Ant. îscriz, Perug. (a* ediz.Perugia, i833, in-fol.}, tl, tav. ii , m, iv
et V. — ^ Ce scarabée , célèbre depuis an siècle et souvent publié , a été publié encore
en dernier lieu, comme un produit du sol antique de Perugia, par M. Vermiglioiî ,
OCTOBRE 1843/ 599
peints de diverses fabriques; statues et figurines de bronze, telles que la
célèbre statue du Metellus de la galerie de Florence ^ et la statuette de
ïenfant à Voiseau du musée du Vatican ^; sans compter une foule d* ob-
jets divers, d'ustensiles, d'armes, de bijoux, chefs-d œuvre de fart et de
l'industrie des anciens Étrusques, ont fait de Perugia lune des locali-
tés antiques les plus intéressantes à tous égards dans le domaine de Tar-
chéologie; et presque tous ces motifs d'intérêt se trouvent réunis dans
la découverte du grand tombeau qui forme le sujet du livre que je me
propose de faire connaître à nos lecteurs.
Les tombeaux de Perugia avaient déjà attiré l'attention des savants et
des amateurs du pays dès avant le dernier siècle ; on en a la preuve
par la publication dûmes étrusques provenant des sépultures du sol de
cette ville, d'après les dessins de P. Santo-Bartoli* et d'autres gravés
à la suite de l'ouvrage de Dempster ^. Malheureusement, le pur zèle de
la science n'entrait alors que pour trop peu de chose dans l'intérêt
qu'excitait la découverte des monuments antiques. Après avoir retiré
d'un tombeau les objets de diverses sortes qui pouvaient s'y trouver
encore , après les déprédations des âges de barbarie , on ne s'inquiétait
pas de constater, par une relation exacte, ou, ce qui eût mieux valu
encore, par un dessin fidèle, la position respective de ces objets; en-
core moins songeait-on à lever un plan du tombeau qui pût en conser-
ver un souvenir, après que le monument avait été rempU et recouvert de
terre, pour rendre à la culture le sol qu'il occupait. Je ne sache pas, en
eifet , que , parmi tant de découvertes de tombeaux étrusques , opérées
dès la fin du xvn* siècle jusquà nos joui^, sur le sol même ou au voi-
sinage de Perugia , et dont j*ai pu consulter les indications , il se trouve
la mention d'un plan , ou même une description tant soit peu détaillée
du monument, sous le rapport architectonique , excepté le célèbre tom-
beau vulgairement appelé Tbrre di San-Manno ^, le seul tombeau cons-
truit à la surface du sol qui subsiste de l'antiquité étinisque , à deux
dans Tourrage dté à la note précédente, et dont je ferai souvent usage dans ie
cours de cet article et du suivant , 1. 1 , p. zxix. — ^ Cest celle qui est si connue
sous le nom vulgaire de ï Arringatore , le Harangueur, et qui passe, avec raison,
pour un des principaux monuments de la statuaire étrusque de Tépoque romaine.
— * Publiée d'abord par Cialti, Perug. Etrusc» p. i3l, puis reproduite dans les
[danches ajoutées à YEtraria regdiis de Dempster, 1 1, tâE. xlv, et souvent publiée,
depuis Gori, Mw. Eirusc, 1. 1, tab. xiv. — 'Scpo/cn aniichi, lav. 91-96. — ^Etrur.
rejfa/. 1. 1, tal^ix, xxi, xxv,xxxvi,xxxvii,l, li, Lii,Lxvn,Lxix,etalibi. — * Ce mo-
nument, célèbre surtout parjson inscription, que Maflei, Osserv. Letter, tV, p.3oa ,
appelait la reine des imcripiions étrusques, titre qu elle m^te encore aujourd'hui, sinon
par le nombre de lignes dont elle se compose, du moins par la foriDe^ la grandeur et
600 JOURNAL DES SAVANTS.
inilles de Peragia, et qui n'est pas même aujoiird'lmi reconnu univer-
sellement pour un tombeau, d'après le mot 8flHV, qui se lit dans Tins-
eription , et que Lanzi , dont la doctrine en matière d'épigraphie étrusque
est encore suivie -par la plupart des savants ultraibontains , interprétait
parfanam ^ ; interprétation arbitraire et tout à fait détruite , de nos jours,
par la découverte de l'inscription du tombeau des Pomponii à Comeio ^,
où se lit aussi le mot SPiriV, avec une signification encore incon-
nue, mais, en tout cas, sans aucun rapport avec celle du mot latin
fanum.
Ce défaut de renseignements , cette absence de plans et de dessins ,
pour tant de monuments funéraires appartenant à des époques plus
ou moins reculées de l'antiquité étrusque de Perugia, constituent sans
doute une des plus fâcheuses lacunes qui existent dans nos connaissances
archéologiques, et rendent d'autant plus précieuse la découverte du
tombeau des Volumnii, opérée dans un temps, tel que le nôtre, où Ton
apprécie mieux l'importance de ces documents , et où il se trouve des
antiquaires, tels que le savant professeur Vermiglioli , toujours prêts à
publier les monuments qui courent le risque d'être perdus pour la
science , et à les sauver ainsi de la destruction ou de l'oubli. Grâce à
cet antiquaire , qui a rendu tant de services du même genre à l'archéo-
logie étrusque de son pays, nous possédons une connaissance du tombeau
des Volumnii suffisante pour nous donner une idée exacte de son plan et
de sa disposition intérieure ; et j'ajoute que, par la libéralité d'un géné-
reux citoyen, le comte Ben. Baglioni, dans les terres duquel le monu-
ment se trouvait situé, il a été pris des mesures pour que ce tombeau,
conservé dans toute son intégrité , restât en tout temps accessible aux
la beauté des caractères, n*cst pas moins important, sous le rapport architectonique ,
par Texcelience de sa constnictîon et par la perfection de son appareil, qui appar-
tiennent au plus bel âge de Tantiaulté étrusque. Il a été publié plusieurs fois, par
Gori, Mus. Etrasc. 1. 111, part. I, cl. u , tab. v, p. 81 -84; par Tantiquaire Coltellini,
dans une dissertation particulière , Congetture topra Viscrizione etrusca scolpita a gran
carûtteri neW eâifizio antichissimo detio la Terre diSan-Manno, Perugia, 1796, in-8*,
fig. et, en dernier Heu, par M. Vermiglioli, I&cnz. Perag, 1. 1, tav. v, n. 4. Plus ré-
cemment encore, il a fourni le sujet d*un travail inséré dans le Giprnal scient. -leiter.
di Peragia, aprile i834, et cité avec éloge dans les Annal delV Insiit. Archeol t. XIII,
p. 39. — ' Voy. le Saggiodi ling. Etrasc, t. II, p. 438-443 (2' ediz. Firenze, i8a5).
Lanzi 8*est encore occupé de cette inscription, pour soutenir l'interprétation, très-
incomplète d'ailleurs , qu il en avait donnée d'abord , dans sa dissertation sopra un'
urnetta ioscanica, etc. p. 43-46; dissertation devenue très-rare, et ré^piprimée à la
suite Ae son Saggio de la a* édition. — * Voy. cette. inscription, publiée avec les
observations de ieu M. Kellermann, dans le Ballet. delV Instit. Archeol. i833, Uv.
ann. n. 4» p< 55-56.
OCTOBRE 1843. 601
observations de la science ; ce qui n avait été, jusqu'ici, le cas pour aucun
des tombeaux découverts à Perugia.
Les tombeaux de cette localité sont tous pratiqués sous terre, et
creusés, à plus ou moins de profondeur, dans un tuf calcaire très-tendre.
L'ordonnance générale de ces hypogées paraît avoir été toujours très-
simple et dépourvue de tout ornement architectonique. Il ny a point,
à ma connaissance, d'exemple de chambres sépulcrales qui aient été dé-
corées, sur leurs parois ou leurs plafonds, de peintures, encore moins
de sculptures , comme on en a recueilli des exemples dans quelques autres
villes étrusques, à Vulci, k Véies, à Cœre, surtout à Tarcjuinies et à du-
sium. Le seul ornement qui fut ajouté à Textérieur de ces sépultures con-
sistait en une stèle ou colonnette, portant une inscription, et alfectant
quelquefois une forme phallique, d'après un système d'idées religieuses
qui avait certainement l'Asie pour siège originaire, et que la colonie tyr-
rhénienne avait du apporter directement de la Lydie , où ce système avait
trouvé sa plus imposante application dans le célèbre tombeau d'Alyatte,
près de Sardes. Il est bien vrai que , à l'exemple de Passeri ^ , le savant au-
teur du livre dont ijpus nous occupons a cru pouvoir contester^ la dé-
nomination de cippes phalliques généralement adoptée , d'après leur forme
même, pour lès stèles en question, par les antiquaires du dernier siècle.
Mais cette opinion, de la justesse de laquelle il semble s'être défié lui-
même depuis*, ne saurait véritablement se soutenir en présence des
monuments, tels que ceux qui ont été publiés dans le dernier siècle et
dans le nôtre ^, et bien d'autres encore qui sont restés inédits, et qui
abondent surtout dans les localités étrusques de Corneto , à'Orviette et de
Viterbe, sans être rares dans celle de Peragia ^. Il est, d'ailleurs, suffisam-
ment démontré^ que le symbole du phallus y à la fois comme signe de
vie et de génération et comme préservatif, se plaçait, dans l'antiquité
grecque et étrusque, à l'instar de l'antiquité asiatique, sur beaucoup de
monuments, principalement sur ceux de nature sépulcrale ; et l'on est
aussi suffisamment autorisé à croire que les stèles en forme de colon-
* Letter. Roncagl, n. — * Iscriz, Perug. t. 1, p. aa. — * Ibid, p. i45, i). —
* Plusieurs de ces colonnettes ont été publiées par Gori, dans son Muséum Etruscum,
t. m, part. II, tab. xi, i et 2, et tab. xvni,.5, 6. On en trouve une très-remar-
quable gravée à la suite des Lettere di etrusca erudizione, tav. n. Voy. aussi les Mo-
rmm, dell' Instit, ArcheoL t. I, tav. xli, i4. — * Vermiglioli, Iscriz. Perug. t. I,
p. 1/18, n. 9, p. i5o, n. 1 1 et 12 , et ailleurs. — * Voy. surtout, à ce sujet, les ob-
servations de MM. Gerhard et Panofka, dans les Annal, delt Instit Archeol. t. I,
p. 3 10, auxquelles je me propose d*ajouter de nouveaux éclaircissements, appuyés
sur des bâts, dans la IV* de mes Lettres archéologiques sar la peinture des Grecs.
76
602 JOURNAL DES SAVANTS.
neUis, le plus souvent terminées par une pomme de pin ^, telles qu'il en
existe dans les collections d'antiquités étrusques, la plus remarquable
desquelles, k tous égards, est le célèlw^e monument aujourd'hui placé
dans le palais Connestabili de Perugia, consistant en une colonne cannelée,
surmontée d'une pomme de pin, et érigée sur une base ronde ornée de
bas-reliefs 2, appartiennent au même ordre d'idées religieuses et d'images
symboliques. Quant à la supposition que cet emploi de cippes phalliques,
k l'extérieur des sépultures étrusques, était originaire de la Lydie, point
de départ de la colonie tyrrhénienne, c'est une conjecture qui se trouve
changée en cetHitude, maintenant que nous savons que les cinif grandes
stèles servant de couronnement au tamulas d'Alyatte, près de Sardes, et
désignées par Hérodote^ sous le nom doSpoty étaient effectivement des
phallus gigantesques , ainsi que la chose a été constatée sur l'une de ces
cinq stèles, encore aujourd'hui gisante au sommet du monument, par
un voyageur et antiquaire célèbre , M. de Prokesch ^.
Après ces observations préliminaires, j'entre dans l'examen du tom-
beau qui doit spécialement nous occuper^. C'est une de ces sépitdtures
étrusques, de la plus noble espèce, de celles qui Wmaient un hypogée
pour une -famille entière : cela résulte à la fois de son étendue, de sa
• disposition, et du nombre des ui'nes cinéraires qui y furent trouvées
en place, toutes inscrites du nom d'une même famille; et ce qui n'est
pas moins, bien établi par Tespace considérable destiné à recevoir
d'autres urnes et resté vide, c'est que, par des circonstances inconnues,
ce tombeau cessa de recevoir de nouveaux hôtes, après qu'on y eut dé-
posé les membres de deux générations de la famille qui l'avait; fait
construire. Du reste , l'état dans lequel il fut trouvé , avec la plupart
des objets qui avaient accom^pagné les dépouilles mortelles qu'il ren-
fermait, et qui n'avaient été endommagés que par l'elTet de la vétusté,
' La pomme de pin, coiiiine symbole de fécondité, figure , au môme litre et à la
même intention que le phalltis , sur beaucoup dé monuments funéraires de l'Asie
-Mineure, notamment sur les. tombeaux ôeTelmissus. Cest une variante de la même
imêige symbolique, dont j'aurai lieu d'étabnr le sens cl de citer les applications dans
mes Mémoires d'Archéologie comparée, asiatique, grecque et élrusquc. — * Ce
monument, si remarquable et unique dans son genre, a été publié plusieurs fois,
dans le Mas. Etmsc. I. III, tab. xx, xxi , avec une dissertation parliculièiv de Pas-
seri. De Etruscorum funere , ibid. p. 79 sqq. ; par M.. In<?hirami , Monnm, Etrasck,
ser. VI, lav. Za, et par M. Vermigfioii, Isrriz, Perug. 1. 1, tav. vi, p. i44-i48. —
^ Herod. 1, 93. — * Prokescli, Erinnerungen aus jEgypten und Klein- Asien, t. HI,
p. 49. — ' I-a découverte de ce tombeau, opérée dans le courant de février i84o,
fut annoncée dans le BulleL dell Instit. ArchefiL de ceUe même amiée, p. 17-18,
par M. Vermiglioli. Il en est encore fait mention dans le même Bulletin, p. 1 16-
laS, et dans celui de i84i, p 12-16.
< •
OCTOBRE 1843. »03
semblait indiquer qu'il n avait éprouvé aucune de ces déprédations
dont la plupart des tombeaux antiques ont eu tant à soufTrir, et qui
ont causé à la science tant d'irréparables pertes.
Le plan de cet hypogée est d'une régularité et d'une noblesse qui
annoncent, du premier coup d'oeil, qu'il a été exécuté en même temps,
que conçu pour une famille considérable. On sait, en efiFet, que la plu-
part des hypogées étrusques accusent, par l'irrégularité de leurs dispo-
sitions , les additions successives qui ont pu être faites à leur plan pri-
mitif; tandis qu'ici tout, dans la conception comme dans l'exécution,
porte l'empreinte d'une même pensée et celle d'une même époque. C'est
donc un monument complet dans son genre, et, sous ce rapport, d'un
grand intérêt pour l'art. La forme générale qu'il présente est celle d'une
espèce de croix latine, c eSt-à-dire d'une giande pièce longitudinale ou
ce//a, traversée, à son extrémité, par une autre de moindre étendue qui la
coupe à angle droit, et terminée, au fond , par une tribune ou abside, qui
paraît avoir été le sanctuaire sépulcral , le lieu où reposait le chef de
la famille , entouré de la plupart des siens. La cella est flanquée, à droite
et à gauche, de deux chambres de forme carrée; et la pièce du fond ,
que j'ai appelée tribune, est pareillement accompagnée, de chaque coté,
d'une chambre plus petite, qui a son entrée sur la traverse, servant
en quelque sorte de vestibule à ces trois divisions de la partie reculée
de l'hypogée. Toute cette disposition est d'une régularité, tant pour le
plan que pour les mesures , dont il y a bien peu d'exemples dans les
tombeaux antiques, et d'une ordonnance pleine k la fois de simplicité
et de grandeur. Le lit funèbre, je veux dire cette espèce de banquette
qui règne ordinairement le long des parois des chambres sépulcrales
dans les tombeaux étrusques, et sur laquelle se plaçaient soit les dé-
pouilles des morts, soit les sarcophages qui les renfermaient, manque,
non-seulement dans la pièce longitudinale ou cella, qui parait n'avoir
dû servir, dans le principe , que de grand vestibide , mais encore dans les
quatre chambres latérales, sans doute parce qu'elle ne devait recevoir qu'à
une époque éloignée d'autres membres de la même famille; mais cette
banquette existe non-seulement dans la tribune, où sept sarcophages se
trouvaient rangés de chaque côté de celui du chef de la famille, à leur
place originaire ; jnais encore dans les deux petites chambres prati-
quées à droite et à gauche de cette pièce principale. Ainsi toutes les
dispositions de ce tombeau indiquent bien qu'il fut construit à une
même époque, et à l'usage de deux générations d'une même famille.
La porte d'entrée , qui consiste en une ouverture quadrilatère , avec
deux chambranles de traveitin et une architrave de la même pierre, ne
76.
604 JOURNAL DES SAVANTS.
se distingue que par cette parlicularité; car ces membres d'architecture
sont d'une extrême simplicité. Les autres portes , qui donnent accès
aux chambres latérales, ont pareillement leurs chambranles et leur ar-
chitrave en travertin, au lieu du tuf dans lequel est pratiqué tout le
reste du monument. Ces chambres latérales ont toutes un toit plat,
orné de caissons, d'un travail très-soigné, bien que dans un tuf tendre
et poreux; mais la cella est voûtée dans le système d'un toit on char-
pente à double versant, avec tous les détails d'une couverture en bois
fidèlement imités dans le tuf; ce qui n'est sans doute pas unç particu-
laiîté nouvelle ni rare dans ces sépultures étrusques, mais ce qui est
encore ici un trait remarquable, d'après le soin extrême avec lequel est
exécutée dans le tuf cette décoration d'une charpente feinte. L'rntrée du
monument, au-dessus de la porte unique cjui^y donne accès, s'annonce
d'une manière qui correspond à ce toit à double rampant, au moyen
d'un fronton sculpté dans le tuf, avec un disque du Soleil radiée occu-
pant le milieu du tympan et flanqué de deux dauphins. Le mur intérieur
de la tribune est décoré dans le même système, c'est-à-dire avec un
fronton, dont la face du milieu est pareillement ornée d'un disque et de
figures accessoires à droite et à gauche. Telle est l'idée générale que je
puis donner de cet hypogée, sous le rapport de son plan et de sa dis-
position architectonique, autant qu'il m'est possible de le faire, d'après
les dessins publiés par M. Vermiglioli et d'après le texte qui les accom-
pagne, en y joignant la relation d'un témoin oculaire et d'un antiquaire
instruit, M. Feuerbacli\ qui, du reste, ne s'accorde pas siu* tous les
points avec la description du savant professeur de Permjia,
Quant aux sculptures, autres que les urnes cinéraires, surmontées de
statues , qui méritent d'être l'objet d'un examen particulier, et certaines
figurines employées à la décoration intérieure du tombeau, et dont je
devrai dire aussi quelques mots dans le cours de cet article, elles se ré-
duisent aux bas-reliefs qui formaient l'ornement des deux tympans, au-
dessus de la porte d'entrée et dans la partie supérieure du mur de la
tribune. Le premier de ces frontons est orné, comme je l'ai déjà dit,
d'un discjue ou bouclier portant une tête radiée, dont il ne subsistait plus
qu'une partie, et qui ne pouvait être que celle du Soleil, ce grand sym-
bole de vie et de génération, naturellement placé surje frontispice d'un
tombeau. Ce disque est accompagné de deux dauphins, emblème de la
/navigation aux îles Fortunées, devenu d'un usage populaire sur les
* Cette relation est publiée, à la suite d'une note accompagnant les dessins du
monument qui nous occupe, dans le Ballet. deW Instit, ArcheoL i84o, p. 1 17-1 a 3.
OCTOBRE 1843. 605
monuments du dernier âge de l'antiquité grecque et étrusque, dont Jes
exemples sont trop communs sur les urnes étrusques ^ qui appartien-
nent généralement à cette époque, pour avoir besoin d'être cités, et qui
avait passé, avec une signification analogue, dans la symbolique du
christianisme primitifs. J'ajoute qu'il subsistait encore, sur la paroi où
était pratiquée l'entrée du monument, à gauche de cette entrée et vers
le haut du mur, une grande aile déployée, seul débris d'une Jigure ailée,
qui avait eu certainement sa figure correspondante, de l'autre côté et à
la même place. On sait combien ces figures àe femmes ailées, qui repré-
sentent des Erinnyes ou Euménides , empruntées à la mythologie grecque ,
sont fréquentes sur les monuments funéraires des Etrusques , de tout
ordre et de tout âge; et la présence dé celles-ci, à feutrée de notre
tombeau , n'a rien qui puisse donner lieu à quekpie observation; mais
ce n'est pas moins une circonstance fâcheuse que la perte de ces sculp-
tures, qui, vu leur proportion et fimportance du monument, devaient
être de quelque mérite.
Le second fronton doit sans doute à sa position dans l'intérieur du
tombeau de s'être conservé en totalité et sans aucune altération. Le
milieu du tympan est rempli par un disque, ou plutôt par un bouclier,
couvert d'écailles, avec la tête de AJéduse au centre. Cette image de la
Nuit, qui répond parfaitement à celle du Soleil, placée à l'entrée, ainsi
que M. Feuerbach l'a judicieusement observé^, offre, de plus, dans le
type de Méduse, employé à cette intonfîon, un symbole funéraire très-
familier à la haute antiquité grecque et étrusque, ainsi que nous l'ont
appris des centaines de vases peints, de style grec archaïque, trouvés
en Étrurie, où ils avaient sans doute été fabriqués; et nous savions
déjà, par un grand nombre d'urnes étrusques, provenant du sol de
Perugia *, que le masque de la Gorgone, avec cette intention funéraire,
' Noire auteur en a fait robservalion dans ses Iscriz. Etrusc. 1. I, p. 219-220,
n. 11 3. Une frise ornée de dauphins faisait partie de la décoration intérieure du
tombeau de Isl famille Pomponia à Cometo, Monum. delV Instit. Archeol. t. II, tav. iv,
et Annal. I. VI, p. i5/i. — * Voyez mon U* Mémoire d'antiquité chrélienne, p. 60-61.
— ^ Bullet. delV Instit. Archeol. i84o, p. 119. Ces images du Soleil et de la Nuit ,
employées à la décoration dun tombeau étrusque d'épocjue romaine, expriment la
même idée que le cJiar du Soleil et celui de la Nuit, opposés fun à fantre, servant
de type sur des sarcophages romains; et, dans f un comme dans fautre cas, c'était
une manière symbolique de représenter le court de la vie humaine par la révolution
diurne du soleil, par ces alternatives de lumière et d'obscurité, de vie et de mort, qui
ont fourni le motif de la plupart des monuments funéraires de f antiquité. —
* C'est M. Vermiglioli lui -môme qui en a fait robservation ; voy. ses Opuscoli,
t. II, p. 49 ; et ajoutez les nombreux exemples qu'il en cite dans ses Iscriz. Perag.
606 JOURNAL DES SAVANTS.
avait été surtout d an usage fréquent sur les monuments de cette ville.
Mais, d*ailleurs, le tombeau qui nous occupe en offre, plus qu aucun
autre, des applications frappantes, pubque ce inasqae forme l'ornement
principal de la face antérieure des urnes qui y avaient été placées, et
qu'il. est encore répété à la voûte de la tribune, de même qu'au plafond
d'une des chambres latérales ^ Malgré tant de raisons de reconnaître le
bouclier couvert (Técailles et orné du Gorgonion dans le disque du tympan,
M. Vermiglioli s'est pourtant éloigné d'une explication qui s'offrait si
naturellement à l'esprit , pour voir, dans l'image en question , une tête
d'Apollon, placée sur un fond composé d'un triple rang àe feuilles de
luurier; et le savant antiquaire s'est donné inutilement beaucoup de
peine pour justifier cette manière bizarre et certainement sans exemple
de représenter une tête d'Apolbn. Il lui eut sufTi d'un rapprochement
bien facile à faire pour renoncer à cette idée malheureuse ; c'eût été de
jeter les yeux sur les médailles de quelques villes de Pont et de Pa-
phlagonie, Cabiru, Chabacta, Comana, Laodicée , Amisas elAmastris^,
dont le type ordinaire est Y égide ornée uu centre d'une iéte de Méduse, ab-
solument comme sur le tympan de notre tombeau. La ressemblance du
type de ces médailles avec Y égide sculptée sur le monument qui nous
occupe est si frappante, qu'on en peut tirer par induction une conjec-
ture qui n'est pas non plus sans quelque intérêt. Les monnaies que j'ai
en vue me paraissent, d'après leur fabrique toute semblable, d'après
leur module et leur poids uniformes , appartenir à une même époque
de fabrication, qui doit être , si je ne me trompe, celle de Mithridate.
Elles durent donc venir à la connaissance des soldats romains durant le
cours des guerres de Lucullus et de Pompée contre ce roi du Pont; et
sans doute que plusieurs de ces monnaies furent portées par cette voie
on Italie, où il ne serait pas invraisemblable qu'elles eussent servi de
modèle pour Yégide qui forme le type du tympan de notre tombeau
étrusque. Ce monument doit effectivement s'éloigner très-peu des der-
niers temps de la république ou de l'époque de Pompée, ainsi que cela
résulte de tous les caractères archéologiques qu'il présente; et le rap-
t. [, p. 190, D. 47 ; p. 199, n. 59; p. 2ai , n. 1 16; p. 23o, n. i36 et 187 ; cette
dernière urne est publiée dans le Afus. Veron. tab. m, n. 4* — ^ Sepolcr. de Va-
lunni, iav. vin, i et 2. La tête de Méduse, dessinée ici en second lieu, est, il est
vrai, regardée par le savant antiquaire comme une simple tête de femme. Mais j*a-
voue que je ne puis être de son avis. — * Ces médaiUes , devenues , de nos jours ,
plus communes qu'elles ne Tétaient il y a vingt ans , sont décrites par M. Mion-
net, t. II, p. 3^2, n. 69; p. 347 1 a- 98; p. 349, n. io5; p. 35o« n. 108; p. 35 1,
n. ii5;p. 389, n. 10, etc. et Supplément, i. IV, p. 437, n. iioet suiv. p. 445,
n. 161; p. 552, n. 13 et suiv.
OCTOBRE 1843. 6©7
prochement que je viens de faire ajouter^t ud nouveau potds à celle
conjecture, que je soumets avec confiance au jugement de M. Vcrmi-
glioii ' .
Avant de passer à un autre sv^t, je dois parler ici d'un objet dont
Tapparition constitue ici un fait neuf et curieux; cest une partie anté-
rieure d'un serpent à crête figuré en terre cuite coloriée, avec la la<ngnt'
en métal peinte en blanc, qui soi^t de ses deux mâchoires entr'ou^
vertes. Cette figure était insérée dans le miu* antérieur de chacune des
chambres latérales, et elle se trouvait deux fois daus la cella, toujours
à la même hauteur, et placée de manière à exprimer vine sorte de m«-
nace contre fimpie violateur de la tooabe. Cest la première fois, à ma
connaissance, quon a trouvé, dans un tombeau antique, cette demi-
figure de serpent employée de cette manière; et les conjectures n*ont
pas manqué ]>our en expliquer Tusage. On a pensé que ces- demi-ser-
pents répétés sur tous les murs avaient été destinés à su^ndre quelque
objet, tel qu une lampe, en guise de bras de candélabre^; et Ton a même
été jusqu'à dire qu'ils avaient dû servir à porter une lampe dans la yieuU
ouverte, et précisém£nt sur la langue tirée en dehors^. Mais, outi'e qoe,
dans ce cas , on aurait dû trouver au moint» un débris d^ ces- lampes .
ce qui n'a pas eu lieu, d'après le témoignage formel de M. VcrmiglioU.
je pense que cet usage même de soutenir des lampes est tout à fait
étranger à ces figures de serpent dont il s'agit , et qu'il faut y voir toat
simplement, comme l'a remarqué le même antiquaire, un symbole fa-
nèbre, connu par de nombreuses applications et attesté par beaucoup
de textes classiques. Ce qui achève de prouver que la présence de cIrs
serpents, facile à expliquer par les idées religieuses des anciens, qui
* « faisaient de cet animal un espèce de génie des lieux sacvéa et en par-
ticulier des tombeaux, est ici sans, aucun rapport avee l'usage des
lampes, c'est que les lampes qui se trouvaient effectivenesit suspens
' Je ne dis rien des objets sculptés aux deux côtés du prétendu bouclier cèpolli-
néen, ApoUineo clipeo, parce que ces objets sont, à ce qu'il paraît, trop imparfaite*
ment sculptés dans le tuf, ou trop peu respectés par le temps, pour qu'on puisse
les reconnaître avec tant soit peu de cerliturie et en hasarder i e^tplicatibn. Mais
j'avoue que les idées de M. Vermiglioli m'ont faiblement satisfait. — ' C'est ainsi
que s'exprime M. Feuerbach, a guisa fan braccio di candeîabro; idée qui me paraît
trop moderne pour trouver ici son application. — * C'est encore M. Feuérbacli
qtu a eu cette idée, passablement bizarre, et qui Ta exprimée en ceà terkvnM : dipu-
tati a sostener nelV aperta bocea una lampada salla protratta lingua. Je m'en rapporte
à M. Vermiglioli pour décider si ces serpents sont d'une teUe proportion», qu*une
lamue, même de la plus petite dimension connue, put tenir sur la langue Pecourbée
en dehors.
608 JOURNAL DES SAVANTS.
dues en deux endroits de l'hypogée, cest à savoir, à la voûte de la cella
et à Tarchivolte de l'entrée de la tribune, ont été retrouvées à terre, à
des places correspondantes à celles quelles avaient occupées, et en
partie brisées , mais de manière à pouvoir être recomposées àFtiidede
leurs fragments réunis, comme Ta fait M. Vermiglioli dans lune des
planches jointes à son livret Ces deux lampes, en tout pareilles , con-
sistaient en une figure, modelée en terre cuite, d'un génie fanèbre , nu
et ailé, les pieds posés sur un récipient, aussi de terre cuite, formant
le corps de la lampe et orné , à sa partie postérieure , d*un masque de
Méduse en médaillon. Ici encore tout est d'accord dans la composition
de ces lampes avec leur usage funéraire; et la présence de leurs débris
au-dessous de la tige métallique qui servait à les suspendre, en deux
endroits différents, à la voûte de Thypogéo, tandis que de pareils dé-
bris manquent absolument au-dessous des demi-figures de serpent
qu'on suppose avoir servi à soutenir des lampes, montre bien que cette
dernière supposition est tout h fait dépoui'vue de fondement.
J'aurai achevé d'indiquer les objets employés à la décoration inté-
rieure de ce tombeau, indépendamment des urnes, que je me réserve
d'examiner avec quelque détail , en parlant des pièces d'armure et de
quelques autres bronzes qui y furent trouvés à leur place antique,
plus ou moins endommagés par le temps. Ces objets consistaient en un
casque, de la forme la plus simple, en deux cnémides, du plus beau
travail, avec im fragment de la doublure d'un bouclier rond, dont fâme
avait été de bois, et dont la plus grande partie avait été consumée par
l'oxydation ^. Cette armure , qui avait été suspendue à l'extérieur du mur
de droite de la tribune, près d'une inscription gravée dans le même
tuf, et devenue aussi par la vétusté à peu près illisible *, appartenait,
sans doute au chef de la familte qui fit construire ce monument, et,
par l'excellence du travail, elle annonçait l'opulence de ce personnage,
' Sepolcro de' Volanni, lav. ix, n. i , a , 3, 4 et 5, p. 26-26. — * Ibid. lav. vin,
8, et IX, 6, 7 et 8. — ' L'inscription est rapportée, p. 19, avec un essai cTinler-
prétation que je ne puis admettre. Le mot ll4dY0^2 , où notre auteur voit un
nom de famille , Septimii , doit être un nom commun , de signification encore in-
connue, comme la plupart des noms étrusques, pour ne pas dire tous; et, ce
qu*il y a de sûr au moins , c'est que le nom des Septimii se lit sur une inscription
de Perugia même, écrit IMdY+I^E, et non, comme ici, IM«iY032; Vermiglioli,
Iscriz. Perug. 1. 1, p. 3 10, n. 368. Quant aux lettres 5I^Y1> où notre auteur croit
voir le mot grec Trvpdt, je crois que c'est encore de sa part une pure illusion, née
de ce système , trop accrédité par Lanzi , qui cherche à expliquer par le gnec les
mots d'unç langue dont nous ne connaissons pas le fond.
OCTOBRE 1843. 609
en même temps qu'une époque de l'art supérieure à celle du monument
même, ce qui n'implique aucune contradiction; car on comprend sans
peine que des armes plutôt sépulcrales ou honorifiques que d'usage
réel , telles que celles-ci, avaient pu se conserver, durant plusieurs géné-
rations, au sein d'une famille , avant d'être déposées dans la tombe du
membre de cette famille qui en restait le dernier dépositaire. Quoi
qu'il en soit, il y a du moins une particularité curieuse à constater
dans le mode de décoration qui avait été appliqué au boncUer. Cette
pièce principale de l'armure antique est ornée extérieurement de ti'ois
cercles concentriques, dont le premier renferme des méandres , le se-
cond, des palmettes d'un travail grec exquis, et le troisième, une série
de taureaux et de lions, opposés les uns aux autres, et séparés par des
arbres. Le sens funéraire de ce groupe symbolique ^ se trouve donc
encore une fois justifié par cet ornement d'un bouclier destiné à être
placé' 4ans un tombeau , et c'est un trait d'archéologie comparée qui
méritait d'être signalé sur ce monument étrusque.
RAOUL-ROCHETTE.
Sur un Traité arabe relatif à Vastronomie.
DEUXIÈME ARTICLE *.
Les hypothèses grecques.
Ayant exposé dans notre précédent article les véritables lois des
mouvements de la lune, et caractérisé exactement leurs principales
in^alités, comme résultant des variations de la force qui les cause, il
va nous être très- facile d'apprécier les hypothèses géométriques par
lesquelles les observateurs des différents âges ont voulu les représenter.
Car, pour chaque détail des phénomènes apparents qu'ils auront reconnu,
et qu'ils se seront proposé de reproduire, nous n'aurons qu'à demander
à la théorie de l'attraction quelle est la vraie loi de cette apparence; et,
en la comparant à la loi empirique, nous saurons la valeur de celle-ci.
Nous n'aurons même aucune peine à trouver l'élément théorique de
' Voyez, à ce sujet, robservatîoii^que j'ai eu tout récemment roccasion de faire
dans ce journal même, septembre i8â3, p. 56o, 4)*
* Erratum, Au commencement de Tarlicle précédent (cahier de septembre i843) ,
p. 5i3, ligne 3, en remontant, au lieu de celle-là ,YiseL celles-là. La substitution du
singulier au pluriel intervertit les relations naturdles des idées et détruit le sens.
77 .
610 JOURNAL DES SAVANTS.
cette comparaison: il nous est immédiatement fourni par les tables lu-
naires modernes , qui , pour chaque instant assigné , nous présentent le
lieu moyen de la lune, accompagné de toutes les inégalités qui s*y asso-
cient ; de sorte qu'il suffira d'y introduire , dans chaque cas d'observa-
tion , les circonstances spéciales qui la caractérisent , et la table vous
donnera aussitôt la forme ainsi que la grandeur individuelle de chaque
inégalité qui modifie alors le lieu moyen. J'emploierai à cet usage les
tables lunaires de M. Damoiseau, qui sont entièrement fondées sur la
théorie de l'attraction, et les plus exactes que l'on possède. Dans ¥^
prédation des hypothèses anciennes, il nous suffira presque toujours
d'examiner la manière dont elles expriment la longitude vraie de la lune,
qui est l'élément principal de ses positions apparentes vues de la terre.
En effet, l'inclinaison de l'orbe lunaire sur Técliptique étant très-petite,
et à peu près constante, on y peut placer, très-approîdmativement, le
rayon vecteur de la lune, d'après sa longitude, quand on connaît la
position actuelle des nœuds de ce plan , et son inclinaison moyenne
5° 9', l'inclinaison véritable variant tout au plus de 1 1' autour de ce
terme moyen. Hipparque et Ptolémée lui-même n'aperçurent pas ces
variations, non plus que les oscillations périodiques des nœuds, parce
qu'ils considéraient presque uniquement la lune dans les éclipses, où
ces phénomènes ne se manifestent point. Leur existence est restée pa-
reillement inconnue aux Arabes , aux rédacteurs des tables Alphonsines,
et à Copernic. Tycho, le premier, les découvrît ; ce qui prouve que, an-
térieurement à cet astronome infatigable, on avait observé la lune hors
des syzygies avec trop peu de suite, ou avec trop peu d'exactitude, pour
y constater ces diverses inégalités, à plus forte raison, d'autres moins
sensibles qui sont mêlées avec elles.
. Nous avons dît que, en perfectionnant l'ancienne période de 6585^ -i-,
Hipparque était parvenu à en composer une plus longue, mais plus
exacte, qui, dans un intervalle de 126007 j^^''^» pl"^ ^^^ heure équi-
noxiale, comprenait des révolutions complètes de tous les élénfients
moyens des mouvements lunaires, avec celte circonstance heureuse que,
dans le même intervalle de temps, le soleil accomplissait aussi 3&5
révolutions sidérales complètes à y° ^ pr^s. Delà on conclut par propor-
tion le^ durée d'une seule révolution pareille , égale à 365^2 5988868.
Telle est donc l'année sidérale admise par Hipparque; elle ea^ un
peu trop longue. Toutefois, en la comparant à son année tror
pique 365^2/1666667, qui pèche dans le même sens, la différence
o^^oi3i^2oi suppose un mouveipent annupl de précession égal à
&6'\8o7, valeur à la vérités un peu>trop faible, mais bien préférable
OCTOBRE 1843. 611
aux 36", adoptées par Ptolëmée^ Ce rapprochement, qui, je croîs,
n avait pas encore été fait , montre évidemment que Ptolémée a eu très-
grand tort d'employer une évaluation aussi fautive, et surtout de la pré-
senter comme celle à laquelle s était arrêté Hipparque; tandis que,
selon les expressiops de ce grand astronome qu il rapporte , et sur les-
quelles il s appuie, cette précession de 36'', loin d*être la meilleure,
serait exceptionnellement la plus faible que les observations partielles
eussent indiquée. Ce qui est pire, c'est que Ptolémée prétend avoir
trouvé aussi cette même valeur de 36" par ses propres observations
comparées à celles d*Hipparque ; car de là résulte cette inévitable al-
ternative : ou qu'il a très-mal observé la précession , ou qu'il ne Ta pas
observée du tout, comme la plupart des astronomes modernes Tout
présumé.
La période d'Hipparque ramenant le soleil et la lune dans des cir-
constances exactement pareilles de positions relatives, ainsi que de
mouvement individuel , si toutes les éclipses comprises dans ieei 34t5
ans qu'elle embrasse avaient été une seule fois observées et notées,
on aurait dû les voir ensuite revenir, avec les mêmes caractères ,.'dans
un ordre absolument pareil, pendant plusieurs révolutions suivantes ,
jusqu'à ce que le progrès du temps eût développé les inexactitudes du
cycle où on les avait renfermées. Il est fort naturel qu'un tel mode de
prévision se soit oflert à des peuples qui tenaient registre de tous les
phénomènes célestes , comme les Chaldéens^ les Égyptiefis et les Chinois;
Ils auraient même pu, très-convenablement, faire servir à cet usage des
périodes moins longues que celle d'Hipparque -, et moins savantes, par
exemple celle de 6585^ -, ou environ i8 ans et 1 1 jouts, en leà etfi-
^oyant comme indications approximatives des éclipses possibles, et
observant la route ainsi que la vitesse actuelle de la lune parmi le^
étoiles, dans le mois, ou vers les époques, qu'elles désignaient. Car alors
il était fort aisé de prévoir si cet astre, par son mouvement acttiél ,
arriverait à la conjonction ou à l'opposition la plus prochaine, «dans lek
conditions nécessaires pour éclipser le soleil , ou pour être éclipsé 'ptA
^ D'après la théorie de Tattraction , la vf aie valeur de la précessioo annuelle , à
Tépoque d*Hipparque, devait être âq",645, moindre de o",a55 qu*dle ne Test au-
k)urd*hui. Par une conséquence évidente, Tannée tropique d*alors devait èére plus
longue que Tannée actuelle de ii",076, temps sexagésimal. Cela éqaivinit'à
o^fOOOiaSa ; et, comme nous la trouvons aujourd'hui de 365^,a&aa64«.M dorée,
au temps d'Hipparque, devait être 365^,a4a392. Il Ta évaluée à 365^,a46667.
Mais , dans les passages que Ptolémée nous a rapportés de lui , il avoue n*avoir pas
trouvé d*observations anciennes assez exactes pour en pouvoir conclure cet élément
afvec une complète certitude.
77-
612 JOURNAL DES SAVANTS.
la terre. J'ai rapporté et discuté , dans ce journal , des documents qui
rendent présumable que c était là le procédé usité un Cliine, dès les
plus anciens temps , pour prédire les éclipses de lune et même de
soleil, sans aucune théorie astronomique. L'idée est si simple et si
naturelle, quelle pouvait se présenter chez tous les peuples qui étaient
attentifs à ces phénomènes ; cela ôte à leur prévision ce qu elle aurait
de peu croyable , si on la supposait fondée sur des méthodes scienti-
fiques analogues à celles que nous employons.
Mais toutes les éclipses qui s'opèrent dans un temps donné ne sont
pas visibles dans un même lieu de la terre : conséquemment les registres
qu on en formait ne pouvaient servir que pour la localité où ils avaient
été dressés. Si donc Tiialès a réellement prédit une éclipse de soleil
aux peuples dlonie, comme Hérodote le raconte, et s il la fait daprès
quelque période rapportée d'Egypte ou de Babylone, comme on pour-
rait le présumer, l'annonce a dû être fort chanceuse, à moins quil ne
l'eût assurée par l'obseiTation du cours de la lune près de l'époque pré-
sumée. Toutefois ce n'était Ik qu'un mode de prévision empirique et à
coujpt terme. Pour le rendre scientifique et général , il fallait assigner
d'avance quelle devait être, à une. époque quelconque, la position ac-
tuelle de l'orbe de la lune , et la direction vraie de son rayon vecteur
dans ce plan , afin de prévoir les conjonctions et les oppositions où il
se.trouverait assez près de l'un ou l'autre nœud pour qu'il y eût éclipse.
La première partie du problème était facile à résoudre , puisque l'on
connaissait le mouvement rétrograde de la ligne des nœuds. Car alors
une seule éclipse exactement observée suffisait pour donner la position
absolue de cette ligne sur le contour de l'écliptique , d'où l'on pouvait
conclure toutes ses positions subséquentes d'après le temps écoulé
depuis l'observation , prise ainsi pour point de départ ; et de mode de
détermination devenait tout à fait certain, en le fondant sur une
moyenne entre plusieurs observations pareilles. B restait donc à régler
la marche du rayon vecteur dans l'orbite par quelque loi continue qui
reproduisît ses variations de mouvement angulaire, tantôt plus lent,
tantôt plus rapide, pendant une /évolution anomalistique , de manière
à pouvoir prédire aussi sa position vraie, à un instant quelconque, en
partant d'une position déterminée qui aurait été fixée par une ou
plusieurs éclipses. Cette seconde partie du problème, et de beaucoup
la plus difficile , est celle qu'Hipparque a résolue , du moins dans les
seuls cas écliptiques qu'il considérait.
Pour cela, conformément aux idées de son temps, il imagina que
le mouvement angulaire du rayon vecteur devait être, en réalité, uni-
OCTOBRE 1843,
613
forme dans le plan de l'orbite , et que les in^alités qu'il présente de-
vaient toutes provenir du point de vue optique sous lequel l'astre
s'aperçoit de la terre. Cela le conduisit à considérer la courbe décrite
comme un cercle placé dans le plan mobile qui contient la lune , et
tournant lui-même dans ce plan , autour de«la terre , par un mouve-
ment angulaire direct, égal à celui de l'apogée. La figure i repré-
sente cette construction. La lettre T désigne la terre, placée comme
un point immobile au centre de la sphère des fixes, qui, en est infini-
ment distante ; L désigne la lune , décrivant , dans son plan oblique à
l'écliptique, le cercle ALP, dont le centre C, placé hors de la terre,
se meut circulairemcnt autour de cette dernière, sur un autre cercle
intérieur, ayant pour rayon CT. Le diamètre ^CTP, qui, dans chaque
phase de ce mouvement, passe par la terre , est la ligne mobile des ap-
sides, marquant l'apogée en A, le périgée en P. Cette ligne, fixe sur
l'excentrique, tourne lentement avec lui dans le sens direct, tandis que
la lune L se porte successivement de A vers P, puis de P vers A, en
parcourant sa période mensuelle d'anomalie ^,
Pour adapter cette hypothèse aux réalités, il faut donner aux divers
mouvements qu'elle suppose les vitesses absolues et relatives que l'ob-
servation leur assigne. Le plan où ils s'opèrent est incliné sur celui de
l'écliptique d'environ 5®. Mais on peut transporter les mômes lois hy-
pothétiques à leurs projections, c'est-à-dire aux mouvements de longi-
tude, considérés sur l'écliptique même; alors leurs vitesses se déduisent
des périodes révolutives dans lesquelles Hipparque avait trouvé que
chacun de ces mouvements s'accomplissait. En voici les évaluations
d'après lui, avec les légères rectifications de calcul que Ptolémée y a
faites. Ainsi corrigées elles ne diffèrent presque de celles d'aujourd'hui
que par les changements qu'y ont apportés les inégalités séculaires.
Révolution tropique M
anomaiisti({ue M
de Tapogée A. . . .
— — synodiqoe M*. . . ,
DURÉES DES PÉRIODES
n joim ■oms
•t fimetioiu d« jo«r««
M=: 27^321582
M'== 27 ,554552
A =3231 ,616554
}/['= 29 ,530504
VITESSES DIURNES
n sBotés
•t frMtÛMU d« degr^
m:
m.
a \
m
13M7640
13,06500
0,11140
12,19073
^ Dans la fig. i et dans les suivantes , on a été obligé d'exagérer le mouvement
angulaire de 1 apogée comparativement au mouvement tropique, pour qoe les di-
614 JOURNAL DES SAVANTS.
Lia vitesse diurne propre à chaque mouvement s^obtient en divisant
les 360** de ia circonférence entière par le nombre de jours contenu
dans ia durée de ia révolution qui y correspond. Comme conséquence
nécessaire des rapports que ces périodes ont entre elles, le mouvement
diurne a de Tapogée est égal à Texcès de ia vitesse diurne tropique sm*
Tanomalistique. De là on peut déduire Tare total, décrit en vertu de
chaque mouvement, pendant un intervalle de temps quelconque, en
multipUant les vitesses diurnes par la durée de cet intervalle exprimée
en jom*s. AGn que ce produit soit toujours exact, les astronomes sont
dans 1 usage d'exprimer les mouvements pour un siècle de 3 65a 5 jours ,
non pour un jour seul; mais les vitesses diurnes conviendront mieux
pour montrer le jeu de la construction grecque dont elles rendront
leffet plus évident.
Pouvant fixer à volonté l'instant physique à partir duqud nous com-
mençons à compter les mouvements , et que Ton appelle l'époque des
tables astronomùfues , choisissons -le tel que. la ligne AP des apsides ait
coïncidé alors avec le rayon visuel TY mené de la terre au point infini-
ment distant de la sphère des fixes, oii se trouvait Téquinoxe vernal T,
commencement du signe mobile Ariès; et supposons , en outre, qu*À ce
même instant la lune ait été aussi en Ao à son apogée. Cette combinai-
son de circonstances primordiales est toujours admissible , puisqu-'elle
se reproduit périodiquement à des époques que l'on peut assigner par
observation ou par computation numérique. Après un certain nombre
de jours, que je déa%nerai généralement par la lettre t, la ligné des ap^
sides AP a pris une nouvelle direction, et le centre de l'excentrique a
quitté sa position primitive C, pour se porter en C sur un autre point
du cercle qu'il parcourt. Pendant ce même temps, la lune, qui marche
plus vite. que l'apogée , l'a devancé et est venue en L. Or nous pouvons
assigner l'amplitude angulaire de ces deux mouvements, dans l'hypo-
thèse que nous considérons. En effet, les périodes que renferme notre
tableau, et les vitesses diurnes que nous en avons déduites, étant toutes
«comptées à partir du point équinoxial mobile T, nous avons réellement
transporté, à f apogée et à la lune le mouvement rétrograde de ce
point , de sorte que nous devons le considérer comme fixe quand hout
•employons ces éléments. Ceci reconnu, par la nouvelle position C dû
.centre de l'excentrique menons ime droite C'Y' dirigée au point équi-
-verses ligii6«-qii*fl fdiéîiy «Mwer4e^dislmgii«00ent etiffieemmeiit les unes des entres;
mais les vraies grandeurs relatives des an^es sont indiquées par les quantités mt,
m'4, qu'on* y ^« iikseriies,x et â faut totyours* i^s vConoearoir ré^os par les valeurs
de C9B quantités pouTiJ^niia^tenips i.
. OCTOBRE 1843. 615
noxial V ; nous pourrons la supposer parallèle à la primitive C V ; car les
dimensions du cercle CC'T, et de rexcentriquemêmfe, sont insensibles,
comparativement à la distance des fixes , où le poinlT est censé exister.
Ainsi Tan^e V'C'A égal à YTA sera le mouvement angulaire* tropejne
de la ligne des apsides pendant le temps t ; Tangle V'C'L sera le mou-
vement tropique de la lune pendant le même temps ; et leur différence
AC'L sera le mouvement anomalistique , exéès du premier sur le se-
cond. Nous pourrons donc assigner les valeurs de tous ces angles pour
Tintervalle de temps assigné, puisque notre tableau nous les donne pour
un jour, et que Wiypo thèse considérée suppose leur accroissement uni-
forme. Conséquemment, nous poun'ons mettre l'excentrique dans sa
position nouveUe , tracer la direction actuelle de la ligne des apsides AP
• sur sa surface, et placer la lune en L sur son contour, dans le vrai lieu
où elle s est transportée.
Néanmoins, tout n'est pas fait encore. L'observateur terrestre iie Voit
pas la lune du point central C, mais du point excentrique T, et îi la.
projette sur le ciel suivant la direction TLL', différente de CL. Ce qui
lui importe, c'est de pouvoir prédire, pour l'instant donné , la direction
du rayon visuel TL, conséquemment l'angle LTV que ce rayon fortne
avec la ligne équinoxiale TV, et que l'on nomme la longitade vraie de la
lune, quoiquon dût plutôt l'app^er sa longitade apparente ^ dans i'hypiEV
tbèse que nous considérons»
Heureusement cette réduction de perspective est très-facîi\e. En effet,
par la terre T menez une droite TL'', parallèle à CL : l'angle fc"TV égaf
à LC'V sera la longitade moyenne delà lune, c'est-à-dire Tare de longitude
qu'elle aura décrit pendant le temps donné, en vertu de son moyen
mouvement tropique , si elle n'avait pas d'inégalité. On peut donc le
calculer comme tout à l'heure , puisque la vitesse de ce m<)uvement «st
connue. Pour avoir la direction du rayon visuel TL, il faudrait retran^
cher de cet angle total l'angle L"TL', ou son ^1 TLC. Or celui^
s obtient aisément dans le triangle C'LT, lorsque l'on se donne le rayon
CL de l'excentrique, et l'excentricité C'T, ou seulement leur rapport,
puisque l'angle LCT compris entre eux est le supplément à i8o* de
Yanomalie moyenne actaelle LC'A, laquelle peut se calculer, pour l'instant
que l'on considère , d'après la vitesse du mouvement aiiomalistique , qui
est connue. Ay ant ainsi l'angle C'LT , conséquemment son «égal . LTL" ,
on retranchera celui^î de la longitude moyenne calculée VTL", et le
reste LTV sera la longitade vraie de la kme pour l'instant désigné. Cet
angle C'LT s'appelle Yétjnatiùnia centre, comme égalant lé: lien moyen
calculable au lieu vrai cherché; scrit' pai** soustraction comme dam- le-
616 JOURNAL DES SAVANTS^
cas représenté .sur la figure , soit par addition quand la lune se trouve
"^de l'autre côté de la- ligne des apsides AP, ainsi que cela résulte de la
construction même. Le triangle C'LT, duquel on déduit cette correc-
tion, donne aussi la longueur du côté TL , distance actuelle de la terre
à la lune , qu il faut comparer aux diamètres apparents mesurés en di-
vers points de la révolution mensuelle pour constater la réalité phy-
sique de l'hypotïièse employée; mais la délicatesse de cette épreuve la
rendait impraticable aux Grecs. Ils ont pu vérifier les dii^ections qu ils
assignaient aux rayons visuels , non leurs longueurs.
J'ai exposé avec quelque détail cette construction d'Hipparque.
parce que toutes celles qu'on lui a postérieurement substituées , jusqu'à
la découverte des mouvements elliptiques , n'en sont que des équiva-
lents modifiés pour avoir égard à des circonstances additionnelles; de
sorte qu'ayant bien saisi cette première, on comprendra toutes les
autres sur leur simple énoncé par l'inspection des figures qui les re-
présentent.
Pour en donner la preuve, je vais tout de suite rapporter ici l'hypo-
thèse que Ptolémée a substituée à celle d'Hipparque. Il le faut bien ,
d'ailleurs, puisqu'il ne nous a transmis que ses propres calculs, même
lorsqu'il emploie les observations et les méthodes de son prédécesseur.
La construction est représentée dans la fig. 2 .
La lettre T désigne la terre; CC est im cercle décrit autoiu: d'elle , et
que Ton appelle par cette raison Ihomoceniriqae. Mais on l'appelle aussi
déférent, p^rce qu'il porte un cercle plus petit, dont le centre C ou C
se meut sur sa circonférence. Ce second cercle a reçu, en conséquence,
des Grecs, le nom à'épicycle; les Arabes Vxyat appelé le cercle de circon-
volution. Il doit, comme le premier, se concevoir décrit dans le plan
mobile de l'orbe lunaire. Mais, au lieu de considérer les mouvements
qui s'opèrent dans ce plan oblique à l'écliptique, on peut, comme pour
rbypothèse d'Hipparque , transporter les mêmes conditions empiriques
d'uniformité à leurs projections sur l'écliptique même. C'est ce que
fait Ptolémée, en se fondant sur la petitesse de l'obliquité, qui, n'étant
que de 5"*, rend les arcs parcourus dans le plan oblique sensiblement
^aux à leurs projections. La différence peut cependant s'élever, dans
certains cas, à près de sept minutes de degré, qu'apparemment il né-
glige. En rigueur, si les mouvements pix)jetés sont imiformes, ceux de
l'astre qui leur correspondent dans le plan oblique sont variables, ce
qui détruit le principe d'inaltérabilité qu'on leur attribuait.
Dans l'application,, le rayon visuel TCAq, TC'A, mené de la terre
aii centre de répicycle, marque^ sur le ciel, le liea moyen de la lune,
OCTOBRE 1843. 617
celui où on la trouverait à chaque instant, si elle n'avait pas d'anomalie.
Gons6({uemment ce rayon tourne autour du centre T, avec la vitesse
moyenne tropique , suivant le sens de mouvement direct indiqué par
la flèche apphquée au contour du cercle excentrique CC. L'épicycle
est emporté angulairement par ce même rayon auquel il est fixé in-
variablement, de manière que son même diamètre physique AP est
constamment dirigé vers T dans toutes ses positions successives. Les
oscillations du lieu vrai autour du lieu moyen s'opèrent par un second
mouvement de circulation , imprimé à la lune sur le contour de l'épi-
cycle qu'elle ne quitte point, et qu'elle décrit dans un mois anomalis-
tique, y devenant une fois apogée en A, périgée en P, à chacune de
ces révolutions. Pour raccorder cette seconde condition avec la précé-
dente , choisissons , comme origine des deux mouvements , un instant
tel que le rayon TCA se soit trouvé alors dirigé au point équinoxial Y
sur la sphère des fixes, la lune étant apogée en Aq. A mesure que le rayon
déférent TCAo s'éloigne de cette position primordiale avec sa vitesse
tropique directe ^ la lune quitte l'apogée A et marche sur l'épicycle avec
sa vitesse anomalistique , dans le sens rétrograde, indiqué par la flèche
qu'on y a figurée. Ainsi, après un temps quelconque t, le rayon TCAq
ayant pris la direction TCA, la lune a pris, sur l'épicycle, la direc-
tion CL , telle que l'angle ACL soit le mouvement angulaire d'ano-
malie correspondant au mouvement angulaire tropique CTC. Alors
l'observateur terrestre voit la lune suivant la direction TL. L'angle
YTL est la bngitade vraie ou apparente , que l'on veut obtenir ; l'angle
YTC est la longitude moyenne correspondante, que l'on peut calculer
d'après le temps écoulé depuis l'époque primordiale; enfin l'angle CTL
est Véqaationda centre qui, retranchée de la longitude moyenne dans la
première moitié de la révolution anomalistique, et ajoutée dans l'autre,
donne longitude vraie YTL. Cette équation s'obtient en résolvant le
triangle LGT, dans lequel on connaît, ou l'on est censé connaître, le
côté CT rayon de l'homocentrique , le coté CL rayon de l'épicycle, et
Tangle compris LCT supplément de l'anomalie moyenne ACL, la-
quelle peut se calculer, comme la longitude moyenne , d'après le temps
écoulé depuis l'origine des mouvements.
Cette hypothèse, traduite en formule, est identiquement équiva-
lente à celle d'Hipparque. Mais on peut déjà le voir sans calcul en je-
tant les yeux sur la figure 3 , où elle est reproduite sur les mêmes dimen-
sions que la figure i , et pour le même temps écoulé depuis l'époque
primordiale. Car les lignes déterminatrices de la première hypothèse y
étant reportées en ponctuation , et marquées de petites lettres jpour
" 78
t
618 JOURNAL DES SAVANTS.
qu'on puisse les distinguer, elles se trouvent toutes géométriquement
parallèles aux lignes déterminatrices de la seconde, et reproduisent par
leur assemblage le même rayon visuel TL. Le cercle excentrique d'Hîp-
parque devient Thomocefl trique de Ptolémée, et le cercle intérieur qui
portait Texcentrique dévient Tépicycle maintenant porté. Le résultat
optique est le même , si les mouvements angulaires sont pareils et les
rayons analogues égaux.
Miais , sous le rapport physique , les deux hypothèses sont bien diffé-
rentes. Remplacez le cercle excentrique mobile d'Hipparque par uwe
ellipse, ayant la terre pour un de ses foyers , et son grand axe mû de
même, vous avez l'es phénomènes réels; au lieu que Ptolémée détruit
toute réalité , par le mouvement rétrograde qu'il donne à la lune sur
son épicycle. H a préféré ce mode de construction comme plus générai",
parce qu'en y ajoutant de nouveaux rouages il le trouvait propre à ex-
primer, outre l'inégalité JHipparque, une autre qui se joint à elle, hors
des syzygies, et qu'il avait découverte. En efiFet, il n'y a pas de mouve-
ment révolutîf, quelque complexe qu'il soit, s'il est composé de parties
individuellement périodiques, que Ton ne puisse imiter, angulairement,
avec un assemblage sufBsant d'excentriques et d'épicy des portés les uns
sur les autres. C'est aussi ce que les astronomes postérieurs ont fidt, en
suivant Ptolémée , à mesure qu'ils découvraient des inégalités nouvelles^;
mais plus on compliq[ue cet échafaudage, plus on s'éloigne dés réalités.
La fixité des fausses notions ainsi transmises a retardé de quinze siècles
la découverte des vrais mouvements dont Hîpparque était tout près.
Pour appUq[uer l'une et l'autre hypothèse , il feut établir enti'e les
rayons des deux cercles un rapport qui la fasse concorder numérique-
ment avec les' observations. Ptolémée résout ce problème par une mé-
thode qu'il dit lui-même avoir empruntée d*Hipparque , et qui a con-
servé le nom dé ce grand inventeur. Comme elle est une des plus belles
conceptions scientifiques du génie grec , je dirai en quoi elle cottststéi
Hîpparque prend trois éclipses de lune observées à Babylone sous 'le
règne de Màrdocempal', dans les années 719 et 7^0 avant notre ère.
n les choisit aussi rapprochées entre elles , pour que les moyens mouve-
ments tropiques et anomalistiques déduits des périodes puissent être
employés , comme tout à fait exacts , dans le court intervalle de temps
qui les sépare. La date de chaque éclipse, dans l'année courante, lui
donne la direction qu'avait alors le rayon vecteur du soleil sur TëcKp^
tique, par conséquent, celle du rayon vecteur de la lune qui lui était
opposé. Il connaît ainsi lès trois longitudes successives de ce dernier
rayon ; il connaît encore, par ces mêmes dates, lès nombres de jours et
OCTOBRE 1843. 619
d'heures que la lune a employés pour passer de la première longitude
à la seconde, de celle-ci à la troisième. Les vitesses de ses mouve-
ments , conclues des périodes révolutives*, lui donnent les arcs qu elle a
décrits dans ces deux intervalles , tant en longitude autour du point
équinoxial qu en anomalie autour de son apogée. Ce qui lui manque ,
c est d'abord la position absolue de cet apogée dans la première éclipse;
puis lanomalie absolue qu'avait la lune au moment de ce phénomène,
ou, comme donnée équivalente, le temps absolu écoulé depuis son
précédent passage par Tapogée; puis, enfin, le rappoit du rayon de
Texcentrique à Texcentricité , qui convient pour que les mouvements
observés se soient continués dans une même orbite. Ayant ainsi trois
conditions à remplir, et trois éléments inconnus dont il peut disposer
pour y satisfaire , il parvient à découvrir les valeurs qu'ils ont dû avoir
pour produire de tels effets. Si l'on veut comprendre toute la force de
combinaison géométrique qu'a exigée alors la solution de ce problème,
on n'a qu'à regarder l'effroyable complication de formules trigonomé-
triques, de proportions, de constructions, que Delambre a rassemblées
dans son histoire de l'astronomie ancienne, pour le résoudre, à ce
qu'il dit plus généralement , par les méthodes modernes. Mais il leur
fait tort; car, à son ordinaire, il n'y emploie que ce mélange bâtard de
géométrie et d'analyse qui n'a ni l'él^ante évidence de l'une, ni la
pénétrante simplicité de l'autre. Le problème d'Hipparque, énoncé
comme je viens de le faire, peut se traduire immédiatement en ana-
lyse et se résoudre directement, presque sans figures, par des formules
si simples, si analogiques, qu'on n'a, pour ainsi dire, qu'à les écrire à la
suite les unes des autres sans aucune peine, comme expressions des
trois conditions imposées; après quoi les règles ordinaires du calcul al-
gébrique en dégagent les trois inconnues presque sans réflexion ; mais
je n'ose insérer ici cette forme de solution, même dans une note , crai-
gnant qu'elle n'intéresse un trop petit nombre de lecteurs.
Après avoir reproduit le calcul d'Hipparque avec quelques rectifica-
tions de détail, Ptolémée applique la même méthode à trois autres
éclipses observées par lui-même sous Adrien. Il en conclut une nouvelle
position absolue de l'apogée lunaire, qui, étant comparée à celle qu'il
avait déduite des éclipses de Mardocempal , kd donne le déplacement
absolu de ce point, et, par suite, la vitesse de son mouvement avec
plus de précision que par les périodes. B trouve ainsi une petite cor-
rection à faire aux mouvements tropiques et anomalistiques adoptés par
Hipparque. Il obtient pour le rapport du rayon de l'épicycle au rayon
de l'homocentrique la fraction -^ ; d'où résulte , dans les deux hypo-
78.
620 JOURNAL DES SAVANTS.
thèses, une plus grande équation du centre égale S"" i' 1 1" y dont il
négUge toute la partie correspondante aux secondes de degi'é. Ayant
ainsi tous les mouvements moyens bien rectifiés, avec le lieu de Tapo-
gée exactement connu, il construit des tables numériques qui donnent
le lieu moyen de la lune, et la position de son apogée pour un temps
quelconque , compté depuis la première année de Nabonassar. Enfin ,
connaissant la plus grande équation du centre , il construit une autre
table où il donne les valeurs numériques de l'équation éventuelle qui
répond aux degrés successifs de l'anomalie moyenne; et, comme celle-ci
peut être calculée pour chaque instant donné, d'après la vitesse de
mouvement qui lui est propre, on voit que l'ensemble de ces tables
détermine , pour le même instant, le lieu vrai de la lune , en supposant
que l'inégalité reconnue par Hipparque est la seule qui l'affecte. J'éta-
blis en note, à la suite du présent article, deux courtes formules qui
montrent l'identité des résultats optiques obtenus ainsi par l'excentrique
ou par l'épicycle. On en peut déduire tous les nombres consignés par
Ptoïéméc dans sa table d'anomalie que je viens de mentionner.
Maintenant jusqu'à quel point de précision ces hypothèses repré-
sentent-elles les phénomènes véritables ? Hipparque ne considérait que
des éclipses de lune, dans lesquelles, par conséquent, cet astre était
toujours opposé au soleil en longitude. Les calculs de Ptolémée ne
s'appliquent, pour le moment, qu'à ce même genre d'observation. Pre-
nez donc, dans nos tables lunaires, l'expression- de la longitude vraie
en fonction de la longitude moyenne, pour ce cas-là; tirez la même ex-
pression de fhypothèse grecque, puis comparez les formes et les valeurs
numériques des deux résultats: vous verrez qu'ils s'accordent remarqua-
blement bien dans leur premier terme. La différence n'est que de 3"pour
une quantité totale de 5*". Mais, dès le terme suivant, l'écart s'élève à
plus de 1 1 ', ce qui serait pour nous une erreur énorme, et n'était pour
les Grecs quune incertitude d'observation négligeable. Les distances
relatives de laslre à la terre sont encore plus inexactes. D'après les
nombres que j'ai rapportés tout à l'heure, si l'on désigne le rayon
de rhomocentrique par 8o, la distance apogée sera 80H-7, ^^ ^^'
tance périgée 80 — 7, ce qui donne pour leur rapport ~; tandis qu'il
est seulement ^ par la théorie, dans les cas d'opposition, ici considérés.
Ces erreurs viennent de ce que, dans ce cas même, le plus simple de
tous, l'orbite de la lune n'est en réalité ni un cercle ni une ellipse
exacte; et il était comme impossible de découvrir sa véritable forme
par le seul empirisme des observations, surtout d'observations aussi
peu précises.
OCTOBRE 1843. 621
Après avoir corrigé, autant qu'il le pouvait, Tinëgalité des mouve-
ments de la lune dans les syzygies, Hipparque construisit un instrument
k limbes divisés, portant deux alidades mobiles munies de pinnules , pour
observer la distance angulaire de la lune au soleil, hors des conditions
écliptiques, afin de voir si la même équation appliquée aux lieux
moyens donnerait encore les lieux vrais , dans ces circonstances plus gé-
nérales. Il trouva qu'elle ne les reproduisait pas. Ceci est attesté par
Ptolémée lui-même; et il mentionne des observations faites ainsi, tant
par lui que par Hipparque, principalement dans les quadratures, où
rinsuffisance de la première hypothèse est le plus manifeste. Cela tient
à ce que la forme de Torbite est autre dans ces circonstances que dans
les syzygies. Mais fidée d'une telle altération contrastait trop avec le
préjugé de rimmutabilité des orbites, pour qu Hipparque pût l'ad-
mettre ou seulement la concevoir ; il se borna donc à signaler la dis-
cordance sans assigner sa loi. L'esprit systématique de Ptolémée lui
rendait les réalités moins exigeantes. Représenter numériquement les
apparences lui suffisait. Il reconnut d'abord, ou crut reconnaître, que,
dans les quadratures, comme dans les syzygies, aucune inégalité n'exis-
tait quand la lune était apogée ou périgée. Mais , à ces deux aspects dif-
férents du soleil, quand la lune se trouvait hors des apsides de l'épi-,
cycle, il se manifestait une inégalité de grandeur différente, augmentant
de même avec l'anomalie, jusqu'à un certain maximum, qui, étant
seulement de 5° i' dans les syzygies, comme nous l'avons vu, s'élevait
à 7** /io' dans les quadratures. Il entreprit de lier ces deux inégalités par
une même hypothèse géométrique, qui les reproduisît isolément dans
les circonstances spéciales où chacune se montre, sauf à examiner en-
suite si les positions intermédiaires entre les syzygies et les quadratures
seraient suffisamment représentées par la même loi, sans nouvelle cor-
rection. Comme il supposait toutes ces variations purement optiques,
il lui suffisait pour cela d'imaginer quelque artifice qui rapprochât
son épicycle de la terre dans les quadratures , pour avoir alors une
équation plus grande , et qui le laissât à sa distance précédente dans
les syzygies, pour y produire la même équation que précédemment. Il
réalisa ces alternatives, en faisant de son cercle homocentrique un
excentrique, assujetti à exécuter deux révolutions autour de la terre
pendant la durée de chaque lunaison ; de manière que l'épicycle porté
sur sa circonférence fût amené deux fois, dans cet intervalle, à sa
moindre distance pour chaque quadrature, et deux fois à la plus grande
pour chaque syzygie. Le détail de cette construction est représenté dan*
la figure à.
«S2 JOURNAL DES SAVANTS.
Les pirconstaxices primordiales sont les mêmes que dans ia fig. 2 ,
s0i4fW|snAi9 centre du cercle déférent ne coïncide plus avec la terre ; i^
e^t placé en c, à ime distance iae, sur la ligne équinoûale TT. La lune
e^ d'abord en Aq, à Tapogée de son épicycle , comme précédemment, et
le soleil est aus^i dans le prolongement de ia même ligne , en conjonction
avec elle. C'est le lieu et Tinstant où elle se trouve k la plus grande de
toutes ses distances à la terre. A partir de ce moment, le rayon vecteur
central TC, qui porte Tépicycle, se met à tourner dans le sens direct, avec
i^on mouvement angulaire tropique propre, comme dans la première
kypotbièse; et, après un certain temps, que je désignerai généralement
p^ (, il se trouve ainsi amené sur la direction TC. La lune aussi, pen-
dant ce même temps, a décrit, sur son épicycle, langle AC'L en vertu
de son mouvement anomalistique , comme elle le faisait précédemment.
Mais la distance actuelle TC n est plus la même que dans la position
primordiale. Car le centre du cercle déférent a quitté le point c, et a ré-
trogradé en c' en décrivant un cercle autour de la terre; de manière que
le rayon primitif çC ou ca a pris maintenant la direction Tc'a', telle que
Tangle C'Ta' est double du mouvement angulaire synodique correspon-
dant au temps t. Alors le rayon vecteur moyen TC', dont la direction
actuelle est fixée par le mouvement tropique , ne cbupe plus le cercle
excentrique à son sommet le plus éloigné de la terre , comme dans la po-
aitàon primordiale, mais k une distance TC moindre queTC. L'équation
du centre LTC est donc agrandie par ce rapprochement, pour un même
degré d'anomalie ; et elle atteint la plus grande phase de ses valeurs, quand
le centre de l'épicycle arrive ainsi à sa plus petite distance de la terre. Cet
effet se produit , pour la première fois , lors de la quadrature qui succède
à la syzygie primordiale ; c'est-à-dire lorsque le temps t est devenu égal
à un quart de mois synodique. Car alors la distance angulaire de la lune
au soleil étant 90**, l'angle CTa\ qui en est le double par la condition
de mouvement établie, doit devenir égal à 1 80"*. Le centre de l'épicycle
et le sommet du cercle déféi^nt se sont ainsi respectivement portés eu
C" et a" aux extrémités opposées d'un même diamètre de ce dernier
cercle, dont le centre c" est du même côté de la terre que son sommet
a". La distance TC' est donc alors la moindre de toutes celles que la
marche relative des deux cercles puisse produire; et l'équation du centre
L^TC" atteint, par conséquent, le maximum de ses phases pour une va- ,
leur égale de l'anomalie. La même loi de circulation indéfiniment con-
tinuée ramène périodiquement la même alternative de distances ex-
trêmes danà toutes les syzygies et toutes les quadratures qui se succèdent.
Mais les mouvements tropique et anomalistique ayant d'autres vitesses
OCTOBRE 1843. 653
et d'autres périodes que le double mouvement syiibdiqne du cercle dé-
férent , il en résulte qu'aux instants où le centre de l'épicycle e^t suc-
cessivement râittené à ses distances extrêmes, la' hme occupe, sûr soii
contour, dès places progressivement diverses ; cotitime aussi Tépicyclfe
se projette successivement vers des paiiSes différentes' dti ciel;
Ces variations mensuelles de la plus grande équation du centré ^ £[tt^
Ptolémée cherche ici à représenter, sont une des^ conséquences de la
grande inégalité que les modernes ont appelée Vévectibn. Considérée
dans son principe mécanique , comme le disait Néwtôfa , cette ihégalifeé
est produite par l'action perturbatrice du soleil, qUi, selon ijù^éUe eàt
diversement oblique au grand axe de Torbe lunaire , atlgmenté ou di-
Uninue son excentricité ittoyenne, et, en mènie t^nij^i^, écarte Faxe d^
positions moyennes que lui assignerait son mouvement ùtiifbrme de
progression. Le changement dé ^excentricité modifie Tamplitude dé là
plus grande équation du centre; le déplacement oscillatoire de Yiié
idflué sut répoque à laqtielle cette équiation se réah'se. La côhshhiction
irinaginéc par Ptolémée représente , avec une approximàlïon i^êniai*-
quable, Tappàrence optique produite, sur la loil|^itude, par le premieir
de ces deux phénomènes. Car, en calcildant les valeurs de là plus'gràhdé
équation, dans les syzygies, les quadratures et les octant^, d'après le^
rapports qu'il assigne sÂix rayons de ié6' céi'cles, puis', faisant le lilêmé
calcul, avec nos tables' lunaires , dépouiHées des autt^s îiiégalîtéà qù*îï
ne connaissait pas, je hii trouvé seuleriient des erreurs de 18' dians Ifes
dieuic obtants les plus éloignés' dû sOFeîl ; ce qtiî eàt un hasal*d d*autànt
plus heureux, qu'il n'avait pas arrangé "son hypothèse pôUi* céé pbiiife
de l'orbite, mais seuleUient pour les ^ygîes et \e& qùadirtifurésf.
Enfin, par un trait dé sagacité encore plus remai'quable', ^'on'n'a
pas asseï' apprécié, il aperçut aussi àet autre effet de l'éVection (jpi
consiste dans le ibouvènt oscillatoire de la ligne- dés apsidi^îT. Il rie dit
pas conmlëht il Yû décbuVèlrt. B aiirait pu y être oondiut eti obàferVarit
que les poiîits de rorbitt! dû la lune acquiert sa pliisf grahdé ef s£ plils
petite vitesse diurnje ne se déplacent pas , parmi letf étoilbà , avec uûè
constante uniformité; du bien encore, eii résolvaiit le ph)blème dés
trois éclipses pour divers groupes d'observatîonà peu distante/, et
trouvant des inégalités dans le mouveUient de Fapiogéè qui s*en dédiiii.
Quels que soient les indices qui l'aient guidé , il présente ces osèTllatîons
de l'apdgée comme un fkit qui exige une correetiôn dafasTanomàlië
moyenrtè calculëte'paf le temps; et, aiirioriÇant qùèf dette côttectiôn at-
teint son maximum vers les instants du mois où le centre de fépicycle
est dans ses moyetthea diManèes à la terre, il eiitrtefprend dëf dâtehuiner
624 JOURNAL DES SAVANTS.
sa loi par deux observations d'Hipparque faites précisément dans ces
circonstances-là. Ici donc, comme pour les quadratures, Hipparque
fournit, à point nommé, les données les plus spécialement propres à la
détermination des éléments essentiels d'une théorie générale. Car ces
observations sont faites dans des aspects intermédiaires entre les syzy-
ries et les quadratures, que nous appelons des octants, expression que,
au reste, Ptolémée et ses commentateurs grecs n emploient jamais.
Elles offrent encore une autre particularité , dont l'avantage est trop
spécial pour n avoir pas été cherché intentionnellement par Hipparque.
Dans toutes deux la lune se trouve presque sur la direction que la
ligne des apsides devait avoir en vertu de son mouvement moyen, de
sorte que Téquation du centre étant alors nulle ou très-petite , on ne
peut craindre aucune erreur notable dans son évaluation. Mais, si la
ligne des apsides a dévié de la direction moyenne qu'on lui suppose ,
Tanomalie calculée par le temps amènera la lune sur le contour de son
épicycle au point où elle devrait se trouver dans cette supposition , et
non pas dans le point où elle se trouve réellement. De sorte que la dif-
férence de son lieu optique calculé au lieu optique vrai , étant reportée
sur répicycle , donnera la déviation que la ligne moyenne des apsides
a subie, et déterminera, par conséquent, la nouvelle direction qu'elle
a prise. C'est ce que fait Ptolémée ; il trouve ainsi que , dans les deux
observations d'Hipparque, et, à ce quil assure, dans un grand nombre
d'autres, la ligne moyenne des apsides de Tépicycle, que Ton supposait,
jusque-là, constamment dirigée vers la terre, comme AT fig. 6, s'en
détourne pour se diriger aussi constamment vers un autre point N,
situé sur le contour du cercle intérieur que le centre de l'excentrique
décrit, de manière à se trouver toujours diamétralement opposé à ce
centre. Cette condition géométrique étant admise lui donne la correc-
tion angulaire AC'A', qu'il faut généralement faire à Tanomalie moyenne
pour la compter à partir de l'apogée moyen A , ainsi oscillant ; cor-
rection dont il établit la valeur avec une grande habileté géométrique,
dans le chapitre v du livre V de sa Syntaxe, intitulé : irep) rits Trpocrveôo'eojs
ToS Tris aikilvns êTTixôxXov ; c'est-à-dire : Sur la direction d'aspect de l'épi-
(ycla lunaire. Des personnes qui avaient probablement une idée peu
exacte de l'inégalité étudiée ici par Ptolémée l'ont quelquefois appelée
simplement irpécrpsuais. Mais cette dénomination absolue n'oQre aucun
sens, si l'on n'y joint le sujet de l'action, soit ouvertement exprimé,
soit conventionnellement sous-entendu ^ Ayant montré aussi évidem-
.' Comme exemple de cette omission conventiomieUe, je citerai les titres des cba-
OCTOBRE 1843. 625
ment le but que s'est proposé Ptolémée, j'ai à peine besoin d'ajouter
que la rectification qu'il obtient ici n'a aucun rapport avec l'inégalité
lunaire appelée la variation. D'ailleurs, il suffirait, pour s'en convaincre,
de considérer qu'elle s'applique à l'anomalie moyenne, dont la variation
est essentiellement indépendante.
Après avôii' ainsi complété son hypothèse, Plolémée la traduit en
tables, qui donnent numériquement, pour un instant quelconque, et
poui' un aspect quelconque du soleil, les valeurs de l'équation du centre,
résultantes des deux inégalités de la longitude et de l'oscillation de l'a-
pogée, ce qui comprend les deux phénomènes, qui, réunis, composent
l'évection de nos tables modernes. Dans une note qui fait suite au pré-
sent article , je contracte cette hypothèse dans trois courtes formules qui
reproduisent tous ses effets, et en fournissent l'appréciation générale.
Pour cela j'en tire une expression de l'équation du centre , de même
forme que celle de nos tables modernes, et je compare les termes cor-
respondants. On voit alors que l'hypothèse reproduit le terme princi-
pal de l'évection, mais en l'accompagnant d'autres, à la vérité moins
sensibles, dont l'association l'altère. La cause de cette erreur est facile
à découvrir.
Elle tient précisément à la précaution que Ptolémée avait prise, de
fonder sa dernière correction sur des observations d'Hipparque , dans
lesquelles la lune était à peu près périgée ou apogée, de sorte que, dans
les deux cas, elle se trouvait presque placée sur la ligne des apsides. Il
conclut de ces observations que la correction de l'anomalie, comme celle
de l'excentricité, a pour élément régulateur, ou, comme on dit, pour
argument, le double de la distance angulaire, comprise entre le soleil
et la lune. Il aurait pu aussi légitimement faire dépendre sa dernière
correction du double de l'angle compris entre le soleil et la ligne des
apsides, puisque ces deux expressions étaient équivalentes, dans les cir-
constances d'observation qu'il avait choisies. Le premier énoncé s^offrit
probablement seul à son esprit, parce qu'il l'avait déjà adopté pour la
première partie de l'hypothèse, malheureusement c'était le second qui
était vrai ; et de là résultent les termes fautifs que j'ai signalés. Ptolé-
pitres XI et xii du livre VI de la Syntaxe, qui sont, pour le premier, irepi rôiv èv
raîç èxXelyperrt irpocre^KTeaw , et, pour le second, hiixptcts irpoaveicecûv. Le mot
vp6<Tvev(Tts s*y (rouvc ainsi employé dans un sens en apparence absolu; mais ce
sens est spéciQé dans son application par la nature même du sujet traité dans ces
chapitres, où l'on voit qu'il s'agit des directions que les parties éclipsées du soleil
et de la lune se trouvent prendre successivement, dans chaque éclipse, soit rela-
tivement à l'écliptiquc, soit relativement à rhorizon.
79
V'
626 JOURNAL DES SAVANTS.
mée n'a donc pas» à proprement parler, découvert Vévection, comme on
a coutume de le dire. B a seulement constaté Texistence de cette grande
inégalité, et reconnu, avec une sagacité rare, la nature, ainsi que les
Videurs extrêmes des deux éléments qui la composent. Car la plus
grande et la plus petite équation du centre qu'il a eniployées sont
presque les mêmes que nous admettons aujourd'hui , et les limites qu'il
assigne aux écarts de l'apogée autour de son lieu moyen sont d*une
justesse d'approximation peut-être encore plus surprenante ; puisque ,
d'après ses nombres, le maximum de ces écarts est i3° 3' 53", tandis
qu'il serait i a° 1 5' 4" suivant Newton. Mais la vraie loi de ces phéno-
mènes , qui les fait dépendre des positions du soleil autour du diamètre
principal de l'orbe lunaire, non de la lune, lui a échappé. Au reste
cette loi n a été établie avec certitude qu'après la découverte de l'at-
traction; et, pendant beaucoup de siècles, Tempirisme des astronomes
n'en approcha guère plus que Ptolémée n'avait pu le faire. L'hypo-
thèse définitive dans laquelle il a voulu réunir tout Tenscmble des
mouvements est surtout défectueuse, quant à l'évaluation des distances
relatives : elle l'est beaucoup plus que l'hypothèse simple d'Hipparque
pour les syzygies. Car, d'abord , il place la lune à sa plus petite distance
de la terre, quand elle est en quadrature et périgée ; tandis que ce mi-
nimum d'éloignement a lieu quand elle est périgée et en opposition. Puis,
selon son hypothèse encore, le rapport de la plus grande distance, dans
les syzygies apogées, à la moindre, dans les quadratures périgées, serait
-î-fy, presque celui de a à i ; tandis que, dans les mêmes circonstances,
le rapport véritable est seulement -j-pj-, c'est-à-dire bien plus rapproché
de régîdité; et, tout imparfaite que fût alors la mesure des diamètres
apparents, elle aurait dû montrer à Ptolémée une disproportion si con-
sidérable. Malgré ces fautes, la force de conception qu'il lui a fallu dé-
ployer pour construire son système général des épicycles, et l'appliquer
à la lune ainsi qu'aux planètes, a été prodigieuse, quoique peut-être
aussi elle ait été fatale aux progrès de l'astronomie vers les vraies lois
du ciel. On appréciera bien cette puissance de coordination, en voyant
la peine que les commentateurs de Ptolémée, ses traducteurs, et même
le plus grand nombre des astronomes, ont eue, dans les siècles suivants,
je ne dis pas pour perfectionner ou étendre ses théories, mais seule-
ment pour les bien comprendre ^
BIOT.
* On trouvera, dans le prochain numéro du Journal, les développements de
calcul qui expriment les diverses hypothèses dnipparque et de Ptolémée, ainsi
(\ne leur comparaison numérique avec les tables lunaires modernes.
.1
OCTOBRE 1843. 627
Loi SALiQUE , OU Recueil contenant les anciennes rédactions de cette
loi et le texte connu sous le nom de Lex emendata, avec des
notes et des dissertations, par J. M. Pardessus, membre de Fins-
titut. Paris, Imprimerie royale, in- 4** de lxxx et 789 pages.
DEUXIÈME ARTICLE \
Le projet du savant académicien avait d*abord été de rassembler en
un volume les différents textes imprimés de la loi salique, et d*y joindre
les commentaires des précédents éditeurs; mais, ayant reconnu que les
textes d'Eckhart et de Frick ou de Schilter étaient remplis de fautes , il
prit la résolution d'agrandir son pian et d'accroître de beaucoup sa
tâche, en composant son recueil d'après les manuscrits mêmes, et non
d'après les imprimés.
Son livre peut se diviser en quatre parties principales : la Préface,
les Textes de la loi salique , les Notes et les Dissertations.
la préface comprend quatre paragraphes :
$ i" Phin (le V ouvrage et Notice des éditions de la loi salique (p. i-ix);
S II. Description sommaire des manuscrits connus de la loi satique (p. ix-
Lxxii ) ;
$ m. Des Notes et Dissertations (p. Lxxn-Lxxvin ) ;
$ IV. Observations sur l'orthographe et lessignes typographiques (p. lxxviii-
LXXX).
M. Pardessus, s' étant misa la recherche de tous les manuscrits exis-
tants de la loi salique, en a trouvé soixante-cinq, savoir : trente-cinq
en France et trente en pays étrangers. Tous ceux dont il a pu avoir com-
munication, et c'est le plus grand nombre, il les a examinés lui-même
attentivement. Sur les autres, il s'est attaché à recueillir des notes
exactes, dont plusieurs lui ont été envoyées d'Italie par son petit-fils,
M. Eugène de Rozière. C'est la description de ces soixante-cinq manus-
crits qu'il a placée sous le $ 11 de sa Préface.
Le nombre des textes qu'il a publiés intégralement dans son ouvrage
ne s'élève pas à moins de huit, et chacun d'eux représente une famillç
de manuscrits. Les caractères qui servent à distinguer ces huit familles
sont tirés, non-seulement du nombre et de Tordre des titres, mais en-
core du contenu de chaque exemplaire.
* Voir le noméro de septembre i843.
79-
628 JOURNAL DES SAVANTS.
Les trois premières familles sont fournies exclusivement par les ma-
nuscrits de la Bibliothèque du Roi ; la quatrième par des manuscrits de
bibliothèques et de pays différents ; la cinquième par le manuscrit de
Wolfenbiittel ; la sixième par celui de Munich ; la septième par le ma-
nuscrit de Fulde, ou les autres manuscrits, aujourd'hui inconnus, dont
Hérold s'est servi pour son édition ; la huitième par les nombreux
manuscrits qui contiennent la loi corrigée par Charlemagne, et qui
n'offrent entre eux que d'assez légères différences.
Les deux premières familles se distinguent des autres par l'absence
de toute trace de christianisme, et diffèrent entre elles, non par le
nombre, ni par Tordre des titres, mais par plusieurs paragraphes, qui
sont particuliers à chacune, et par une assez grande quantité de va-
riantes dans les leçons. Elles ne comprennent chacune qu'un manuscrit:
la première, le n® litxoli de l'ancien fonds de la Bibliothèque du Roi, et
la seconde , le n" 65 du supplément latin.
La troisième, à laquelle appartiennent deux manuscrits, de la même
bibliothèque, cotés H03 b et iV* D' 252, présente, comme toutes les
suivantes, des traces de christianisme. Elle contient plus de paragraphes
que les précédentes, quoique le nombre et l'ordre des titres y soient
les mêmes, et ressemble beaucoup, pour le contenu, à la loi corrigée
par Charlemagne.
La quatrième diffère de la troisième par la forme seulement. Les
neuf manuscrits qu'elle rassemble, et parmi lesquels on remarque le
n** 4627 {Olim, 5189) de la Bibliothèque du Roi, publié dans le Thé-
saurus de Schilter, divisent la loi en cent titres, quoique le texte ne
contienne rien de plus que les textes précédents. La rédaction remonte,
suivant M* Pardessus, au commencement de la seconde race. C'est le
manuscrit de la bibliothèque de Montpellier qui sert de base à son
édition : il Fa préféré avec raison pour type de cette famille, parce qu'il
est sans lacune et plus correct que les autres, sans excepter celui de
Schilter.
La cinquième famille ne possède que le manuscrit de Wolfenbûttel ,
publié très-négligemment par Eckhart , comme le prouvent les fautes
que le nouvel éditeur a relevées au bas des pages. Le manuscrit paraît
avoir été composé au vm* siècle et sous les Mérovingiens, car il ne
contient pas un seul document de la seconde race. 11 est divisé en
quatre-vingt-quatorze titres, ou plutôt en quatre-vingt-treize, à bause
du double emploi que présentent les n" l\6 et 65; et ces titres sont
répartis en trois livres. Le premier livre, composé de soixante-sept titres,
a , ce me semble, beaucoup de rapport avec les textes des deux pre-
OCTOBRE 1843. 629
narres familles, surtout avec celui de la seconde. Le deuxième livre
comprend les titres 68-80, et le troisième, les titres 81-93. Le contenu
de ces deux derniers livres se retrouve dans les titres que M. Pardessus
a publiés à part sous le nom de Capita extravagantia.
Le manuscrit de Munich est seul aussi pour constituer la sixième fa-
mille. Il est de la fin du vin* siècle, ou du commencement du ix®, sui-
vant M. Pertz. Publié pour la première fois par M. Feuerbach, en 1 83 1 ,
il a été réimprimé en i833 par M. Laspeyrcs dans son édition synop-
tique et comparative des cinq textes de la loi salique et de la loi des
Ripuaires. Il a quatre-vingt-trois titres. Les soixante-cinq premiers ré-
pondent aux soixante-cinq titres des manuscrits des trois premières
familles, et aux soixante-sept premiers du manuscrit de Wolfenbùttel.
Les suivants, jusqu'au n*" 80 inclusivement, se retrouvent dans les deux
derniers livres de ce manuscrit. Les titres 8 1-83 sont tirés de la loi des
Bourguignons.
La septième famille est formée du texte publié par Hérold en i557*
Ce texte , soit qu il provienne d'un seul manuscrit, soit quil ait été formé
de la collation de plusieurs manuscrits, qu'on ne reconnaît plus, et
dont le principal paraît avoir appartenu à Tabbaye de Fulde, jouit d'une
si grande célébrité, et les savants en ont fait un si fréquent usage, que
le judicieux éditeur ne pouvait, sans laisser une lacune dans son re-
cueil, se dispenser de le réimprimer. Il est composé de quatre-vingt
titres, dont les soixante-huit premiers répondent assez bien aux soixante-
cinq titres des manuscrits des trois premières familles et de la sixième,
ainsi qu'au premier livre du manuscrit de Wolfenbùttel. Les titres 69-
71, 73-78 et 80 se retrouvent, au moins en très-grande partie, dans
d'autres textes; mais les titres 7a et 79 appartiennent exclusivement i
l'édition d'Ilérold. On observe aussi beaucoup de ressemblance entre
les soixante et onze premiers titres de cette édition et les soixante^iix
de la loi corrigée par Charlcmagne, quoique ceux-ci soient moins
diffus.
Ces trois derniers textes, savoir : ceux du manuscrit de Wolfenbùttel,
du manuscrit de Munich , et de l'édition d'Hérold , ont été publiés par
M. Pardessus en plus petit caractère, après le quatrième texte , sous le
nom de premier, deuxième et troisième appendice.
La huitième et dernière famille comprend les nombreux manuscrits
de la loi salique de Charlcmagne. L'on doit entendre sous cette déno^
mination, comme en avertit M. Pardessus, non pas une rédaction nou-
velle , mais une transcription plus correcte et plus simple que Charlc-
magne fit faire de la loi salique avant d'être empereur. Ce ne fut qu'en
630 JOURNAL DES SAVANTS.
8o3 qu'il toucha au fond même de cette loi, en y ajoutant, par un ra
pitulaire, un certain nombre de dispositions nouvelles, tout en se
réservant, au rapport d'Eginhard [Vita Car, M. 29), de corriger et de
compléter plus tard la législation entière des Francs. Le texte contient
soixante-dix titres , dont trois seulement ne se trouvent pas dans les
manuscrits des trois premières familles. A ces soixante-dix titres
M. Pardessus, suivant Texemple de Baluzo et des autres éditeui^, en
a ajouté deux autres, qu il a mis entre rrorhets parce qu ils sont étr ngers
à la huitième famille. Ce texte de Charlcmagne se distingue aussi par
Vabsence des gloses màlbergiques et par des formes de latinité moins
barbares. M. Pardessus , au lieu d'établir son texte d'après les éditions
antérieures de Jean duTillet, F. Pithou, Lindebrog, Théodore Bignon
et Baluze, a suivi le manuscrit du Roi /i/n8, en y rattachant les prin-
cipales variantes de vingt-cinq autres manuscrits.
Après la loi salique corrigée, il place, comme appendice, les ru-
briques des titres de cette loi, suivant l'ordre de deux manuscrits, Tun
de Modène et l'autre de Gotha, qui remontent, à ce qu'il paraît, au
X* siècle. Cet ordre , qui diffère beaucoup de celui des autres manus-
crits, peut être considéré comme méthodique, c'est-à-dire que les ré-
dacteurs ou copistes ont tâché de rapprocher les uns des autres les
titres qui se rapportent aux mêmes matières.
Viennent ensuite les rubriques du manuscrit de Leyde, qui con-
tient aussi le texte de la loi corrigée, mais avec de nombreuses addi-
tions, que le savant académicien a réservées pour ses Capita extrava-
gantia.
Les Capita extravagantia ^ qui suivent, sont composés de quarante
titres (et non chapitres^) de la loi salique. Ils se tix)uvent seulement
dans quatre manuscrits ou quatre textes, et sont regardés par M. Par-
dessus comme des additions faites à la rédaction primitive. Le manus-
crit de Leyde en contient trente-trois; le manuscrit du Roi n*" àlxoli
contient les vingt- trois premiers, et plusieurs de ceux-ci sont donnés,
en outre, par le manuscrit de Wolfenbiittel et par le texte d'IIérold.
Aucun de ces quarante titres n'était, d'ailleurs, resté inédit , depuis que
M. Pertz avait inséré dans sa collection [Leg, //, p. 1 etss.) ceux qui
avaient échappé aux recherches des éditeurs.
M. Pardessus a rejeté après les Capita extravagantia : i"les deux pro-
logues de la loi salique, fun, plus court, commençant par les mots
* Le chapitre étant une divisioa du titre, suivant le sens que M. Pardessus lui-
même attache à ces mots, au lieu de capita extravagantia , i\ eu l été, je crois , plus
logique de se servir de Texpression tituH extravagantes.
.4
OCTOBRE 1843. 631
Plaçait oique convenit ; Tautre, plus étendu et passablement emphatique «
qui commence par ceux-ci : Gens Francoram inclita, et dont Gibbon s*e8t
peut-être exagéré l'importance ^ ; a° le paragraphe qui> dans le manu^
crit de Wolfenbùttel, est transcrit à la fm de la loi salique, et auquel
M. Pardessus a donné le nom d'épilogue, mais qui diffère entièrement
de l'épilogue imprimé par Hérold à la suite de son édition; celui-ci
commençant par Sciendum autem est, et contenant la récapitulation des
compositions; celui-là commençant par Qaem vero rex, et, dans d'autres
manuscrits, par Primusrex Francoram, et contenant une coiute notice
sur la rédaction de la loi salique; 3** les Septem septennœ, ou la récapi^
tulation des tarifs des compositions , dont M. Pardessus publie trois textes
différents, tout en laissant de côté celui d'Hérold.
Tel est le plan suivi par le savant jurisconsulte dans l'édition des
textes que réunit son riche recueil. Les familles i , a , 5 et 6 ne com-
prennent chacune qu'un manuscrit ; la troisième en comprend deux
et la quatrième neuf; la septième comprend le manuscrit ou les ma-
nuscrits dont s'est servi Hérold, la huitième tous les manuscrits de la
loi corrigée, au nombre de quarante-neuf. On pourrait, néanmoins,
détacher de ces derniers le manuscrit de Leyde renfermant cent six
titres, pour en composer une neuvième famille.
En présence de tant de textes, si l'on demandait quel est celui qu'on
peut considérer comme officiel, il faudrait, je crois, répondre qu'il n'y
en a pas un seul. Tous, en effet, plus ou moins incomplets, plus ou
moins appropriés à des pays divers, et modifiés par la jurisprudence
locale, paraissent être des recueils de coutumes en usage chez diffé-
rentes peuplades de Saliens, et sont des ouvrages de jurisconsultes, fait»
pour les tribunaux, plutôt que des actes législatifs émanés de l'autorité
souveraine. Ce qu'il y a de certain, c'est que plusieurs dispositions, ex-
pressément attribuées à la loi salique dans de très-anciens doc\iments,
ne se trouvent consignées dans aucun texte connu de cette loi : tel est,
pour nen citer qu'un exemple, d'après la formule 88 de Lindebrog,
l'obligation, pour la femme libre enlevée par un esclave, de réclamer
dans les quarante jours de son enlèvement, sous peine de tomber elle-
même dans l'esclavage. Toutefois, en l'état actuel des documents, et
jusqu'à ce qu'on soit parvenu à recomposer un texte qui tienne lieu de
tous les autres, celui qui mérite le plus de confiance, et qui, k tout
prendre, représente peut-être le mieux le code des Saliens, est le texte
de la loi corrigée par Charlemagne ; c'est aussi celui que M. Pardessus
' Dans une note de son chapitre zxxviii.
.■\
632 JOURNAL DES SAVANTS.
a pris pour base de son travail dans ses annotations et ses commentaires.
Mais je regrette beaucoup qu'il n'ait pas joint à son livre une concor-
dance semblable à celle que D. Bouquet a placée dans son iv* vo-
lume, et qui aurait été si commode pour passer d'un texte à un autre,
et pour conférer entre elles toutes les différentes leçons.
Sur ce point, l'ouvrage publié en i833 par M. Laspeyres, profes-
seur de droit à l'université de Halle , a l'avantage de présenter en regard
les cinq textes de la loi salique alors connus, savoir : les textes publiés
par Eckhart, d'après le manuscrit de Wolfenbûttel ; par Fcuerbach,
d'après le manuscrit de Munich; par Jean Frick, dans Schilter, d'après
le manuscrit de Paris ; par Hérold et par Baluze. Cet éditeur a mis en
présence, dans six colonnes, les titres ou les paragraphes des cinq textes
de la loi salique et de la loi des Ripuaires, qui contiennent les mêmes
dispositions ou des dispositions analogues. Il a, par conséquent, dérangé
l'ordre des textes, excepté dans l'édition de la loi salique d'Eckhart,
qu'il a prise pour guide, et à laquelle il a comparé toutes les autres.
Son livre , qui réunit deux textes de plus que le recueil d'Eckhart , et
un de plus que les recueils de D. Bouquet, de Canciani et de Waller,
est, comme on voit, beaucoup moins riche que celui de M. Pardessus \
avec lequel, d'ailleurs, il ne peut entrer en parallèle, ni pour le travail,
ni pour l'érudition. Dans l'un, on s'est contenté de réimprimeries textes
et les notes d'autrui, sans , pour ainsi dire, y rien mettre du sien ; dans
l'autre, au contraire, la collation des manuscrits, les notes, les disser-
tations, sont l'œuvre propre de l'éditeur, et concourent à faire de son
livre une publication complète en son genre, non moins savante qu'ori-
ginale.
Je n'aurais pas besoin de parler de la fidélité des textes, si je n'avais
eu l'occasion de la constater, au sujet du manuscrit du supplément la-
* Nous avons vu que M. Pardessus a publié huit textes de la loi salique, sans
jcompter celui du manuscrit de Leyde (le codex Lugdancnsis de M. Perlz). Néan-
moins, dans plusieurs endroits de son ouvrap;e, et dans les lifrcs courants du vo-
lume, il ne compte que cinq texies, donnant le cinquième rang à la Lex emendata ,
et désignant les textes d'Eckhart, de Feuerbach et d'Ilérold, sous les noms de i",
ix* et III* appendice. Au contraire, dans sa préface (p. vu), il comple sept textes,
et, dans ses dissertations (p. A 16), il en comple hiiil. Enfin la préface donne au ma-
nuscrit de Wolfenbûttel le nom de 5* texte, au manuscrit de Munich le nom de 6*,
et le nom de 7* à la Lex emendata. Quoique celle différence dans les dcsij^nalions
ne puisse sérieusement embarrasser le lecteur, nous avons préféré l'uniforniité, et,
tout en conservant leurs noms numériques aux quatre premiers textes, qui ne font
aucune difficulté, nous avons désigné les suivants par des appellations exemptes
d*équivoqpe.
OCTOBRE 1843. 633
tin 65, d'où le deuxième texte a été tiré, et dont j ai fait, en partie, h
collation. C'est à peine si Ton découvre deux ou trois endroits où l'on
puisse ne pas être d'accord avec le savant éditeur. Ainsi, titre m, S y,
et titre iv, $ 2, je lis, dans le manuscrit : si qvjs xii, et si qvjs anniculum,
tandis quil y a seulement, dans Timprimé (p. 38), si xjj, et si annicu-
luTUy le mot qais ayant été omis. Mais je dois dire que ce mot est presque
entièrement eflacé dans le manuscrit, et que, déjà employé à la phrase
précédente, il était fort inutile de le répéter. Plus loin, titre xi, $ 5,
là où je lis : et si in domo ingressus fuerit et sic in de aliquidfurtam talerit,
M. Pardessus a laissé imprimer et sic exinde; ce qui, d'ailleurs, ne peut
tromper sur le véritable sens. Au titre xn , $ 2 (p. 4îi ), dans ce passage :
qui fartam fecit , capitalem restituât, au lieu de capitalem, on pourrait
lire, dans le manuscrit, capitale, qui vaudrait un peu mieux. Enfin,
pour ne rien passer, titre xni, S 5 (même page), nous lisons prœtias
(pour pretiam), lorsque le manuscrit porte seulement l'abrégé ptius ; ce
qui permettait d'écrire pretius par un e simple, et de faire ainsi l'éco-
nomie d'un barbarisme sur deux, dans un même mot, peut-être, je
l'avoue , en dérogeant un peu à l'orthographe du temps.
A l'égard du tarif des compositions, je ferai observer que, sur les
huit textes de la loi salique, il y en a six dans lesquels chaque somme
est exprimée de deux manières à la fois ; c'est-à-dire qu'après avoir été
marquée en deniers elle est réduite en sous, à raison d'un sou pour
quarante deniers. Les deux textes qui font exception, ou qui ne pré-
sentent ordinairement qu'une seule de ces deux manières de compter,
sont le quatrième et celui de Munich. Or il n'est pas très-rare, dans les
six textes dont nous venons de parler, que la somme des deniers ne ré-
ponde pas à celle des sous. Dans ces cas-là, M. Pardessus, comme il
en avertit (p. 3, note 1), s'est abstenu de rétablir l'accord , par respect
pour le texte, et n'a pas indiqué la correction dans les notes, par la diffi-
culté de savoir s'il fallait rectifier le chiffre des deniers par celui des
sous , ou le chiffre des sous par celui des deniers. Son scrupule d'édi-
teur est assurément très- respectable ; mais la difficulté de la correction
ne me paraît pas aussi grande qu'il la suppose. Par exemple, dans le
premier texte, tit. ji, S lA (p. i5), on lit que 2;5oo deniers font &a
sous; ce qui n'est pas, puisqu'ils en faisaient 62 1/2 , et que, d'un autre
côté, 4a sous ne faisaient que 1,680 deniers. Pour savoir quel est ie
bon chiffi'e, de celui des deniers ou de celui des sous, U suffit de jeter
les yeux sur les autres textes. Or le deuxième, tit. n, S i3 (p. 37),
porte 2,5oo deniers et 6a sous; le troisième, tit. 11, 5 18, (p. 71),
a,5oo deniers et 62 sous 1/2 ; le quatrième , tit. n , S 9 ( p. 11 8, note aa),
80
634 JOURNAL DES SAVANTS.
de même ; le manuscrit deWoifenbùttei, tit. ii, $ 1 3 (p. 1 62), 2,5oo de-
niers et 62 sous; le manuscrit de Munich, tit. 11, $ i3 (p. 196), 6a
sous; le texte d'Hérold , tit. 11, $. 1 a (p. 227), 1 ,4oo deniers et 35 sous,
et, S i3, 2,5oo deniers et 62 sous 1/2; enfin, la loi corrigée, tit. 11,
S 18 (p. 279), 2,5oo deniers et 62 sous 1/2. Ainsi, nous lisons, à peu
près partout, 2,5oo deniers et 62 sous ^1/2, ou 62 sous; et telle est
évidemment la bonne leçon. On devra donc, dans le premier texte,
conserver le chiffre des deniers, qui est le bon, et corriger celui des
sous, en remplaçant Ixi par 62 1/2 , ou seulement par 62 , si Ton sup-
prime la fraction. Les corrections de ce genre nont, certes, rien de
difficile, ni de hasai^dé ; nég^er de les faire, soit dans le texte, soit en
note, n est pas, je crois, sans inconvénient pour les lecteurs : en effet,
lorsqu'ils voudront faire usage des doubles chiffres des compositions,
ils devront quelquefois les vérifier eux-mêmes , non-seulement à Taide
du calcul, mais encore par la collation des différents textes.
Tout le monde peut, au reste, exécuter sans peine ce petit travail,
qui n'exige qu'une légère attention. Celui que M. Pardessus a fait sur
les sources auxquelles on avait déjà puisé pour les éditions de la loi
salique est le produit d'une critique non moins judicieuse que déli-
cate, et ne pourrait pas être aussi facilement suppléé. Non content de
publier avec une fidélité scrupuleuse les manuscrits qu'il avait à sa dis-
position, il a,' de plus, autant que cela était possible, indiqué, parmi les
soixante-cinq dont il a donné la notice , ceux que les savants avaient
consultés avant lui. Et ce n'était pas une petite affaire que de les re-
connaître au signalement incomplet, obscur, vague, ou mênfie, le plus
souvent, en l'absence de toute espèce de signalement laissé parles an-
ciens éditeurs. Il lui a donc fallu non-seulement découvrir, au milieu
de la multitude et de la confusion des variantes, celles qui devaient
lui servir de caractères- distirictifs, mîfis' enttO^e siWvre des manuscrits
dans toutes les mains par lesquelles ils ont passé, et se déterminer en
général par des indices qui, pour être aperçus, exigeaient l'examen
le plus attentif et le plus minutieux , et qu'on ne pouvait mettre à
profit qu'avec une grande sagacité. M. Pardessus a fait tout cela pa-
tiemment , simplement , en conscience , et de bon cteur, comme si
c'était amusant, parce qu'il ne voulait rien négliger pour rendre ser-'
vice à la science, et pour que son travail fût en tous points digne
d!éloges. C'est particulièrement en ce qui concerne les ihanuscrits de
la Lex emendata (p. 268-273) qu'on en sentira mieux la difficulté et
le prix.
Les notes, placées immédiatement après les textes , sont au nombre
OCTOBRE 1843. 635
de huit cent vingt et une, et remplissent, avec l'Avertissement qui les
précède , les pages 36 1 à 4 1 2 .
Quoiqu'elles soient appliquées, comme on Ta dit, au texte de la Lex
emendata, elles se rattachent néanmoins aux autres textes à Taide des
renvois et des indications qui les accompagnent. Celles qui sont mar-
quées des n** 701 à 8a 1 se rapportent aux Capiia extravagantia,
La phipart des notes sont courtes, et consistent soit en indications de
variantes; de déplacements ou d'omissions dans les textes; soit dans
Tinterprétation de mots, de phrases, de paragraphes et de titres obs-
curs ; soit en rapprochements ou conférences de certains passages ; soit
enfin dans jde simples renvois. Toutes les fois qu'elles exigeaient quel-'
ques développements , elles ont été réservées pour les Dissertations.
Les explications ajoutées par M. Pardessus à celles des savants qu'il
a reproduites intéresseront surtout les jurisconsultes , et seront , je
pense , généralement adoptées. Quelques-unes seulement pourraient
donner lieu à des observations. Je doute, par exemple, que les mots
mitio et fristito, dans les Capîta eoctravagantia (i et xvni), aient le sens
qui leur est attribué aux notes 701, 702 et 764 (p. lxo5 et Aog). Je
croirais plutôt que le premier signifie la seigneurie, dominium, et non
\ ajournement ni \ assemblée da placité; que le second est po\ir foristico ou
forastico, qui veut dire étranger, extérieur, extraneus, et ne vient pas
du verbe fristen signifiant suspendre ^ empêcher; enfin que l'expression
mitio fristito ou fristito mitio est la même que forasmitio, opposé à infra-
mitio. Si le vrai sens de ces termes offre de l'incertitude dans les Capita
extravagantia , il est permis de l'attribuer à l'efiroyable corruption des
textes. Ce qui n'est pas douteux, à mon avis, c'est que mitiam et foras-
mitiam ou forasmixtam ont, dans les autorités que cite M. Pardessus
et dans les diplômes de Pépin et de Chariemagne, dans les Capitulaires
(a. 8o3, c. 10, dans Pertz, Leg. 1, p. 1 15) et dans le polyptyque d'Ir-
minon, la signification que je propose.
Malheureusement, la loi salique contient encore tant de mots et tant
de passages d'une orthographe et d'une signification douteuse , qu'on
n'aura probablement jamais la parfaite intelligence des dispositions
qu'elle renferme. Néanmoins les termes expliqués par M. Pardessus
sont assez nombreux pour nous faire regretter qu'il ne les ait pas
réunis alphabétiquement dans un glossaire. Une telle disposition eût
été fort commode pour le lecteur, au lieu qu'il peut être embarrassé
pour découvrir, dans huit cent vingt et une notes, celle qui doit fournir
l'interprétation dont il a besoin. Par exemple , une explication a été
promise (p. 10) pour le mot salina ,. mais elle n'a pas été donnée à la
80.
636 JOURNAL DES SAVANTS.
note 2 la (p. SyS), qui semblait sa véritable place, et ion ne sait plus
où la chercher. Au reste, ce regret que j'exprime est loin de couvrir un
reproche. Le savant éditeur nous a beaucoup donné; mais, en fait de
bonnes choses, on n'en peut trop avoir, et personne ne trouvera mau-
vais que nous en eussions encore voulu davantage.
GUÉRARD.
[La suite au prochain cahier,)
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
INSTITUT ROYAL DU FRANCE.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
M. Coriolis, membre de T Académie des sciences, section de mécanique, est mort
le 18 septembre i843.
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.
L'Académie royale des beaux-arls a tenu , le samedi 7 octobre , sa séance pu-
blique annuelle sous la présidence de M. Blondel. Après Fexécution d'un morceau
instrumental de M. Gounod, pensionnaire de TAcadémie de France à Rome, et Ja
lecture du rapport de M. Raoul- Rochelte, secrétaire perpétuel, sur les ouvrages
des pensionnaires de 1* Académie de France à Rome , la proclamation des grands
prix de peinture, de sculpture, d'architecture, de gravure en médaille et en pierre
fine , et de composition musicale , a eu lieu dans Tordre suivant :
Grands prix de peinture. Le sujet du concours donné par T Académie était : Œflipe
s'exilant de Thèhes. Le premier grand prix a été remporté par M. Eugène-Jean Du-
mery, de Paris, âgé de vingt ans, élève de M. Delaroche. Le second grand prix a
été remporté par M. François -Léon Benouvilïe, de Paris, âgé de vingt- deux ans
et demi , élève de M. Picot. Le deuxième second grand prix a été remporté par
M. Henri- Augustin Gamhard, de Sceaux (Seine), âgé de vingt-quatre ans, élève de
M. SigDol.
L'Académie a témoigné la satisfaction que lui a fait éprouver ce concours.
Grands prix de scalptare. L'Académie avait donné pour sujet du concours la mort
d'Epaminondas. Le premier grand prix a été remporté par M. René-Ambroisc Ma-
réckal, de Paris, âgé de vingt-cinq ans et demi, élève de MM. Ramey et Dumont.
Le second grand prix a été remporté par M. Eugène-Louis Legaesne, de Paris , âgé
de vingt-huit ans et demi , élève de M. Pradier. Le deuxième second grand prix a
été remporté par M. Hubert Lavigne, de Cons-la-Grand' Ville (Moselle) , âgé de vingt-
cinq ans, élève de MM. Ramey et Dumont.
OCTOBRE 1843. 637
Grands prix d'architecture. Le sujet donné par rAcadémie était : Un palais de Vins-
titut. Le premier grand prix a élé remporté par M. Jacques-Mari in Tétaz, de Paris,
âgé de vingt-cinq ans et demi , élève de feu M. Huyol et de M. Lebas. Le second grand
prix a été remporté par M. Pierre-Joseph Dupont, de Dijon, âgé de vingt-huit ans»
élève de MM. Dcbret et Huvé. Le deuxième second grand prix a été remporté par
M. Louis-Jules André, de Paris, âgé de vingt-quatre ans, élève de feu M. Huyot et
de M. Lebas.
Grands prix de gravure en médaille et en pierre Jine. Le sujet du concours était :
Arion sur le dauphin. Le premier grand prix a été remporté par M. Louis Merley,
de Saint-Etienne (Loire), âgé de vingt-huit ans et demi, élève de MM. David et
Galle.
Grands prix de composition musicale. Le sujet du concours a été, conformément
aux règlements de T Académie pour Tadmission des candidats à concourir : i"* une
fugue à huit parties, à deux chœurs, sur des paroles latines, dont ils reçoivent le
sujet avec les paroles au moment d*entrer en loge; a* un chœur à six voix, sur un
texte* poétique, avec accompagnement à grand orchestre; et, pour le concours défi-
nitif, une réunion de scènes lyriques à trois voix (h Chevalier enchanté, paroles
d*un membre de TAcadémie des beaux-arts), précédée d'une introduction instru-
mentale, suffisamment développée, d*après laquelle réunion de scènes les grands
prix sont décernés, fl n'y a pas eu de premier grand prix. Le second grand prix a
été remporté par M. Henri-Louis-Chanes Duvemoy, né à Paris, âgé de vingt-deux
ans et demi , élève de M. Halévy. L'Académie a accordé une mention honorable à
M. Nicolas Alexandre Marchand, de Bourmont (Haute-Marne), âgé de vûai^t-quatre
ans, élève de M. Fétis.
Prix extraordinaire fondé par M. le comte de Maillé- Latour-Landry. Feu M. le
comte Charles de Maillé-Latour-Landry a légué, par son testament, à TAcaclémie
française et à TAcadémie royale des beaux-arts, une somme de trente mille francs
pour fondation d'un prix à accorder, chaque année, au jugement de chacune de
ces deux académies , alternativement , à un écrivain et à un artiste pauvre , dont
le talent méritera d'être encouragé. L'Académie, se conformant aux intentions de
M. le comte de Maillé-Latour-Landry, a décerné le prix à M. Elwart, compositeur,
ancien pensionnaire de l'Académie de France à Rome.
L'Académie a arrêté, le i5 septembre i8ai, que les noms de MM. les élèves de
l'école royale et spéciale des beaux-arts, qui auront, dans l'année, remporté les
médailles des prix fondés par M. le comte de Caylus, celui fondé par M. de Latour,
et les médailles dites autrefois du prix départemental , et de paysage historique ,
seront proclamés annuellement à la suite des grands prix, dans la même séance
publique. Le prix de la tête d'expression, pour la peinture, a été remporté par
M. François-Léon Benouville, élève de M. Picot. Une mention honorable a été ac-
cordée à M. Félix-Joseph Barrias, élève de M. Cogniet. Le prix de la tête d'ex-
pression, pour la sculpture, a élé remporté par M. Mathurin Moreau, élève de
MM. Ramey et Dumont. Une mention honorable a été accordée à M. Eugène-Louis-
Lequesne, élève de M. Pradier. Le prix de la demi-figure peinte a été remporté par
M. Charies-François Jalabert, élève de M. Delaroche. Une mention, honorable a été
accordée à M. Louis-Jean-Qaude Dien , élève de M. Blondel.
Aucun élève de la première dasse de la section d*architecturc n'ayant atteint le
nombre de vingt-cinq degrés exigé pour la grande médaille d'émulation accordée
au plus grand nombre de succès dans l'école d*architecture , il n'y a pas eu lieu ,
cette année, à accorder ce prix.
638 JOURNAL DES SAVANTS.
Après la proclamation des prix, M. Raoul-Rochette, secrétaire perpétuel, a lu
une notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Ramey père. La séance a
été terminée par Inexécution de la scène qui a remporté le second grand prix de
composition musicale, et dont Tauteur est M. Duvernoy, élève de M. Halévy.
Dans sa séance du lA octobre, TAcadémie des beaux-arts a élu M. Duret à la
place vacante dans la section de sculpture par le décès de M. Ojrlot. .
LIVRES NOUVEAUX.
FRANGE.
Mémoires présentés par divers savants à l'Académie royale des inscriptions et belles-
lettres de l Institut de France, Deuxième série. Antiquités de la France» tome I. Paris,
imprimé par autorisation da Roi à l'Imprimerie royale, i8A3, ïn-U" de xxxv-
36a pages, plus a 5 planches. — Avec ce volume commence la seconde série du
recueil que TAcadémie consacre aux mémoires présentés par divers savants. Cette
série est spécialement relative aux anlic^uités de la France. Cest un choix fait
dans les mémoires manuscrits adressés au concours peur les trois médailles d*or
que décerne annuellement TAcadémie. En tête de ce premier volume on trouve une
introduction de M. Berger de Xivrey, suivie d'une liste des principaux ouvrages
signalés aux distinctions de TAcadémie par «^a commission des antiquités de la
France , pendant les vingt premières années des concours. Viennent ensuite les six
mémoires qui ont été jugés dignes d'ouvrir cette nouvelle partie du recueil de
r Académie. 1. Mémoire sur les antiquités romaines et gallo-romaines de Paris, conte-
nant la découverte d'un cimetière gallo-romain , sis entre la rue Blanche et la rue
de Qichy, dans l'impasse Tivoli , et des recherclies sur les voies romaines qui abou-
tissaient à Lutèce ; suivi d'un résumé statistique et accompagné d'observations nou-
velles sur les antiquités trouvées, en divers temps et en différents lieux, dans Paris ,
Sar M. JoUois. — 2. Extrait d'un mémoire sur les antiquités, l'abbaye et les églises de
iontmartre, par M., Ferdinand de Guiihermy. — 3. Rapprochement d'une inscription
trouvée à Constantine et d'un passage des Actes des martyrs, fournissant une nouvelle
preuve de l'identité de Constantine et de Cirla, par M. £. Carette. — 4. Mémoire sur
Vancien monastère de Saint-Orens, à Auch, par M. Du Mège. — 5. Recherches sar
t ancienne constitution municipale de la ville de Perpignan, par M> Henry. — 6. Essai
sur le feu grégeois et sar l'introduction de la poudre à canon en Europe et principale-
ment en France, par M. Ludovic Lalanne.
Recueil de dissertations choisies sur différents sujets d! histoire et de littérature, par
i'abbé Lebeuf. Tome F'. Paris, imprimerie de Maulde et Renou, librairie de Te-
chener, i843« in-ia dexxiii-a44 pages. — Cet utile recueil, qui forme le complé-
ment de ceux que l'abbé Lebeuf a publiés de son vivant, comprendra toutes les dis-
sertations de ce .savant tirées du Mercure de France et du Journal de Verdun , à
l'exception de celles qui ont dé^k été reproduites , soit dans la collection de disserta-
dons de M. Leber, soit dans les Variétés historiques. L'idée de réunir ces pièces si
intéressantes pour l'étude de notre histoire sera appréciée de tous ceux qui savent
combien les œuvres de Lebeuf«vtouies importantes ou curieuses, sont oifEciles à
rassembler. En tète du tome I* qui vient d'être mis en vente, l'éditeur publie, sous
OCTOBRE 1843. 639
le nom de Qaude Gauchet, que nous croyons un pseudonyme, une bonne notice
sur Tabbé Lebeuf , tirée des Mémoires de 1* Académie des inscriptions , du Journal
de Verdun , d'Odieuvre et de quelques documents manuscrits.
Les Trouvères artésiens, par M. Arthur Dinaux, de la Société royale des Antiquaires
de France, etc. Valenciennes , imprimerie de Prignet; Paris, librairie de Techener,
in-8* de vii-A83 pages. — Ce nouvd ouvrage de Tauteor des Trouvères cambrésiens
et des Trouvères de la Flandre et du Tournésis, est, comme ses aînés, le fruit de
laborieuses recherches, el se recommande par le nombre et l'importance des textes
et des renseignements que contiennent les soixante-quinie notices dont il se com-
pose. Ces notices, consacrées à un pareil nombre de poètes artésiens, sont précé-
dées d'une introduction ou Ton trouve des aperçus nouveaux sur la versification en
usage, [iendant cette période, dans la prorince d'Artois , et accompagnés d'éclair-
cissements sur tous les passages qui se rapportent à l'histoira du pays.
Poésies provençales des xyi* et xru' sièchs, publiées diaprés les éditions origi-
nales et les manuscrits. Tome I", i843, imprimerie des hoirs Feissat aîné et J)e-
mouchy, à Marseille-, librairie de Techener, à Paris. — Ce premier volume d^une
collection destinée à reproduire toutes les poésies publiées en Provence dafos le
xvii' siècle, sous le titre général de Jardin des muses provençales, comprend- le
tome 1" de la réimpression du plus ancien des trois recueils qui portent ce nom :
Le Jardin deys musos provensalos, divisât en quatre partidos, per Claude Brueys, es»
cuyer d'Aix ; à Aix, par Estienne David, i6a8. Cette réimpression, exécutée av«c
un grand soin , est précédée de recherches intéressantes sur Claude Brueys par
l'éditeur, M. Anselme Mortreuil , avocat à Marseille. On ne peut qu'applauctiffwia
reproduction de ces pièces peu connues, charmantes pour la plupart, et qui mé-
ritent toutes d'être étudiées comme monimients curieux et rares de la belle langue
provençale.
L'illustre châtelaine des environs de Vaucluse; la ÏAiure de Pétrarque, ^- Disserta-
tion et examen critique, par Hyac. d'Olivier- Vitalis, bibliothécaire deCarpentras,
correspondant du ministère de l'instruction publique pour les travaux historique*.
Imprimerie de Devillario , à Carpentras ; librairie de Techener, à Paris ; in-8* de
xv-a83 pages, avec gravures.
Tiecherches critiques sur l'âge et l'origine des traductions latines d'Aristote et sur des
commentaires grecs oa arabes employés par les docteurs scholastiques. Ouvrage couroiltié
par l'Académie des inscriptions et belles-lettres , par Amable Jourdain.- Nouvelle
édition, revue et augmentée par Charies Jourdain. Paris, imf^rimerie de Crapelet,
librairie de Joubert, 1 843 , in-8' de 488 pages.
Ijexicon manuale hebraîcum et ckaldaîcum , cum indice latino vocabulorum; auctore
J. B. Glaire. Eklitio altéra. Paris, imprimerie de Wittersheim , librairies de Méqui-
gnon-Junior et J. Leroux, i843, in-^** de 734 pages.
Isographie des hommes célèbres, ou collection de fac-similé , de lettres autographes et
de signatures dont les originaux se trouvent à la Bibliothèque du Boi, aux archives du
royaume , à celles des différents ministères , du département de la Seine , et dans les col"
lections particulières. Noirvelle édition, 4 vol. in-4^. Paris, librairie de Techener. La
table alphabétique qui complète cette nouvelle édition vient de paraître. (Sg pages
in-4*'t imprimerie de Malteste , librairie de Techener. )
Alphabet- album. Collection de soixante feuilles d*alphabet8 historiés et fleuron-
nés , tirés des principales bibliothèques de l'Europe ou composés par Silvestre , pro-
fesseur de calligraphie des princes ; gravés par Gérault. Paris , librairie de Teche-
ner, 1843.
640 JOURNAL DES SAVANTS.
ANGLETERRE.
Eusebias, or ihe Theophania, iranslated into english with noies, from an ancient
syriac version of the greek original now lost, by Samuel Lee. Cambridge, i843,
in-S", dix et 344 pages. — Syriac version, edilcd from an ancient manascript. Prin-
ted for the society for the publication of oriental texts. London, iSia, grand in-8',
218 pages. — Ëusèbe, évêque de Césarée en Palestine, au commencement du
iv* siècle, fut, comme ou le sait, un des hommes les plus érudils et des plus élo-
quents de sont emps : on lui doit , entre autres ouvrages , une histoire ecclésiastique
très-estimée. Il assista au concile de Nicée, y porta la parole devant Constantin, et
ce fut lui qui rédigea contre Arius la formule de foi orthodoxe que les Pères du
concile adoptèrent, en y ajoutant seulement le mot b[i.oiatos^ ou consubstantiel , ex-
pression qu'Eusèbe n*admit, à la vérité, qu'avec peine. La répugnance qu'»l ma-
nifesta au sujet de ce mot, et plusieurs passages d'un commentaire sur les psaumes,
dont il est auteur, Tout fait assez généralement considérer comme partisan des
opinions d' Arius. Aujourd'hui son orthodoxie n'est plus douteuse , grâce à la pré-
cieuse découverte qui a été faite d'un de ses ouvrages, dont on ne connaissait que
le titre. La gloire de venger la mémoire de ce savant prélat était rése. :ée à un
des ministres les plus distingués de l'église anglicane, qui est en même temps un
des orientalistes européens les plus instruits, les plus laborieux, et aussi les plus
célèbres. M. Samuel Lee, dans son zèle infatigable pour les travaux d'érudition
orientale qui ont rapport à la religion, a trouvé la traduction syriaque du livre dont
il s'agit. Cet ouvrage, dont l'original grec est perdu, traite précisément du sujet
délicat de la divinité de Jésus-Christ , à laquelle on accusait ce Père de l'Eglise de
ne pas croire. Ce livre, intitulé Seo^àveia^ c'est-à-dire la manifestaLon divine [en
Jésus-Christ) , nous dévoile la véritable pensée d'Eusèbe , et on ne peut douter, après
l'avoir lu, que le saint prélat n'ait cru à la vérité fondamentale de la religion ch**é-
tienne , vérité sans laquelle elle n'est qu'une secte philosophique. M. Lee a publié
le texte et la traduction de ce traité, et, dans une savante dissertation préliminaire,
il en met en relief les doctrines, et il conclut k l'orthodoxie d'Eusèbe. Nous ne le
suivrons pas dans ses consciencieuses recherches, et nous n'entreprendrons pas non
plus d'analyser le traité de l'évêque de Césarée. Il nous suffit d'appeler l'attention
des savants sur la double publication de M. Lee, une des plus intéressantes qui
^ient paru dans ces dernières années.
TABLE.
Le Livre des rois, par Abou^lkasim Firdousi, publié, traduit et commenté par
M. Jules Mohl; tome II ( l*" article de M. Quatremère) Page 577
11 sepolcro dei Volanni, ed altri monumenti inediti etruschi e romani, esposti da
VermiglioH (1" article de M. Raoul-Rocbette) 598
Sur un traité arabe relatif à rastronomie (2* article de M. Biot) 609
Loi salique, avec des notes et dissertations, par J. M. Pardessus (2* article de
M. Guérard.) Ci27
Nouvelles littéraires * • . • • • . . . • 636
PIH DB LA TABLE.
••
1 *i t ■;■!— ac
JOURNAL
DES SAVANTS.
NOVEMBRE 1843.
Histoire de la république de Gênes y par M. Emile Vincens,
conseiller dÉtat. Paris, Firmin Didot, i842, 3 vol. in-8^
PREMIER ARTICLE.
Après Venise , Gênes est celle des républiques italiennes qui a eu la
plus longue existence et le plus de grandeur extérieure. Du xi* siècle à
la fin du XVIII*, elle a formé un État indépendant, soumis à des vicis-
situdes diverses, toutes dignes d'être étudiées, comme pouvant fournil*
des matériaux à la science politique et ajouter à la prudence des peuples
qui se gouvernent eux-mêmes. Elle a occupé, depuis Porto- Venere jus-
qu'à Vintimille , le vaste littoral au centre duquel se trouve placé son
magnifique port et qu'entoure la chaîne de l'Apennin, formant, dans
sa jonction avec les Alpes, comme une forteresse naturelle sur ses der-
rières.
Favorisée par cette position , et n'ayant d'autre ressource que l'aven-
tureuse industrie de la mer. Gênes a joué de bonne heure un rôle
important dans la Méditerranée. Elle a pris la part la plus efficace
aux croisades par ses flottes et ses colonies; elle a fondé en Orient
des comptoh's commerciaux qui étaient eux-mêmes de petits États sou-
mis à leurs propres lois et ne reconnaissant que leurs magistrats natio-
naux; elle a possédé des villes sui* la côte de Syrie, des îles dans l'ar-
chipel de la Grèce. Du faubourg fortifié de Galata, elle a exercé une
sorte de suprématie sur l'empire byzantin , dont elle avait secondé la
81
642 JOURNAL DES SAVANTS.
restauration au profit des PaJéologues; elle a disposé du commerce de
la mer Noire par Timmense établissement de CaiSa. Après deux siècles
dune lutte acharnée, elle t ruiné, dans la bataille de la Meloria, la
puissance navale de Pisc, à qui elle disputait la Sardaigne et la Corse,
et , un peu plus tard, elle a si étroitement pressé dans ses lagunes Venise
vaincue à Pola et à Chioggia , que cette altière dominatrice de TAdria-
tique se crut alors arrivée à son dernier moment.
Le peuple génois , Tua des principaux agents du commerce de la
Méditerranée et de TOrient pendant le moyen âge, et devenu, posté-
rieurement à la découverte de TAmérique , en quelque sorte Tintendant
de la fortune espagnole ; ayant essayé de toutes les manières de se gou-
verner lui-même ou de se faire gouverner par autrui, sans pouvoir
rester ni inàépendant ni soumis, jusqu'à ce qu'il ait ti'ouvé, en i 628,
dans la lassitude deS troubles et des assujettissements, ainsi que dans
le patriotisme désintéressé du plus grand de ses citoyens , le moyen de
rendre sa liberté plus stable par une constitution plus sage , le peuple
génois mérite l'attention particulière des économistes et des politiques.
Us peuvent étudier les révolutions de son commerce et de son gou-
vernement dans les trois volumes qu'a publiés M. Vincens, et qui con-
tiennent l'histoire la plus complète de Gênes. Cette histoire manquait.
Elle était à désirer, malgré les ouvrages qui avaient déjà paru sur cette
république célèbre. M. de Bréquigny avait bien donné, en lySsi, trois
volumes sur les révolutions qu'elle avait subies depuis son origine jus-
qu'à la paix de 1 7/18; mais ce livre, destiné à retracer les mouvement»
intérieurs d*un Etat maritime dont la grandeur se fondait principalement
sur le commerce, ne dit rien de celui-ci, auquel Gênes a dû surtout
son organisation , son caractère, ses troubles et la puissance des familles
qui, durant tant de siècles, y ont entretenu la guerre civile et provoqué
les changements politiques par leur ambition. Outre ce défaut, il en a
un autre , qui a même empêché le savant académicien d'atteindre le but
particulier qu'il s'était proposé. Les révolutions de Gênes y sont très-
imparfaitement appréciées dans leurs causes et dans leur portée. Com-
ment en aurait-il été autrement? Gomment, du sein de la paix profonde
du xvni* siècle et de son inexpérience politique , M. de Bréquigny au-
rait-il pu pénétrer dans les passions des partis , saisir les luttes com-
plexes et acharnées des familles , suivre les détours et comprendre k
violence des ambitions ; expliquer la mobilité des changements ? Il fal-
lait pour cela qu'une grande révolution jetât ses ardentes lumières sur
toutes les autres.
Aussi est-on, à cet égard, bien plus satis£adt de ce que contient sur
NOVEMBRE 1843. 6ft3
Gênes Tintéressante Histoire des républiques itaUeimes. M. Sismondi fa
entreprise au commencement du siècle, en ayant encore sous les yeuK
le spectacle de nos grandes luttes civiles, qui l'ont aidé à mieux con-
naître celles du moyen âge. Mais, dans cet ouvrage, où plus d'expé-
rience s*unit à de vastes études , où la chaleur d'une âme jeune se répand
dans de nobles récils, et où qudquefois même l'éloquence des senti-
ments s'oppose à la simplicité des explications» l'histoire de Gênes se
trouve trop éparse et , en bien des points, trop ébauchée. La natixre de
l'ouvrage le voulait ainsi. D'ailleurs , M« Sismondi n'a pas eu à sa dispo-
sition les documents originaux et secrets avec leMjueis M. le marquis
Girolamo SeiTa a composa son histoire de Gênes , publiée i Turin en
i83& ^, et dmit M. Vincéns s'est ^[alement servi pour faire la sienne.
Le savant travail du marquis Serra , exécuté avec des matériaux pris
dans les archives de Gênes, s'arrête malheureusement en ii83. fl
n'apprend rien dès lors ni sur la révolution décisive de 1 5 18, qui, en
changeant, sous l'influence généreuse d'André Doria, la constitution de
Gênes, lui donna une vie nouvelle, ni sur la conspiration si curieuse
de Jean-Louis Fiescbi , ni sur la guerre de Corse , ni sur les rapports Àe
ia république reconstituée avec les grandes puissances de l'Eurqpe pen-
dant cette dernière période de son existence politique. M. Seira n'a pas
cm devoir s'engager dans l'histoire des trois derniers siècles : le sujet
aurait été peut-être trop délicat h traiter pour lui à mesure qu'il je aé-
rait approché du temps où son pays est devenu l'annexe d'un autre Etat.
Plus libre que lui, M. Vincens a déroulé les annales de Gênes de-
puis son oiîgine jusqu*à nos jours. Vingt-cinq ans passés dans les mors
de cette ville lui ont permis de connaître i fond le caractère génois ,
d'examiner avec curiosité le théâtre, et d'étudier avec fruit les éviae-
ments de son histoire. Il a profité des travaux de ses prédécessevrt,
comblé leurs lacones , rect^é qudqaes^tnes de leurs «nwurs ; il a eu
â sa disposition les documents dont ils se sont servis. Gaffaro et les
autres chroniqueurs officiek de la république de 1101 à 1^9/1; les
commentaires de Jacques de Varagine, archevêque de Gênes; les ou-
vrages des deux Stella et de Senarega au xn* et au xv* siècle ; ceux
d'^u^[ustin Giustimani, de Foglietta et de Bonfadio «u xv^; enfin les
chroniques semi- officielles des Casoni, le Compendiù^ eU. d'Acciaelli,
et l'histoire du traité de Womis, jusqu'à la paix d'Aix-la«Qiapdk , en-
1 7/18 , par un Doria , au xvif et mi xvm*, ont été les sources où il a pinaé ,
* La ttoria delt antica Ligwia e tR Gmmà, weritta dal nuœdme Gipohmo Sitra,
Torino, i834, àyci.
81.
644 JOURNAL DES SAVANTS.
non sans critique et sans discernement , le fond de son ouvrage. Plu-
sieurs dissertations d'un haut intérêt, composées avec les documents se-
crets sur les établissements des Génois dans la mer Noire , et envoyées ,
en 1798, par le père Semini, à Tlnstitut de France, qui les lui avait
demandées ; les deux volumes publiés , en 1 83 1 , à Turin , par M. L. Saulî ,
sur l'importante colonie de Galata; les documents originaux tirés, en
1 8o5, desarchives de Gênes , par M. Silvestre deSacy, ainsi que le rapport
publié, à leur sujet, dans les mémoires de l'Académie des inscriptions,
par ce savant illustre, ont donné à M. Vincens le moyen de traiter
4 une manière sûre et approfondie tout ce qui concerne la navigation
et le commerce de cette république marchande. Mais, indépendam-
ment de ces secours généraux , il avait recueilli lui-même des documents
particuliers pendant son séjour à Gênes, et il en a trouvé d'inconnus
jusqu'ici aux autres historiens, soit dans le dépôt des manuscrits de la
Bibliothèque royale , soit dans les archives de France. Les instruments
originaux des transactions de la république avec les rois de France aux
xiv', xv* et xvi* siècles lui ont été communiqués, et.il a été admis à con-
sulter aussi les correspondances des affaires étrangères au xvii* et au
xvin*. Avec ces secours, il a pu ajouter à l'histoire de Gênes des faits nou-
veaux , et donner la vraie explication de certains événements impar£ù-
tement appréciés, parce qu'ils étaient inexactement connus. C'est ainsi
qu'il montre dans son ouvrage , où l'on désirerait pourtant quelquefois un
peu plus d'art dans la composition et d'élégance dans le style, de la pé-
nétration comme historien, de la science comme économiste, et une
expérience acquise par plus de cinquante ans passés dans la pratique des
affaires. En rendant compte de cet ouvrage, j'examinerai surtout les
transformations subies parle gouvernement de Gênes, et ies vicissitudes
de son commerce.
M. Vincens n'insiste pas beaucoup sur ies commencements de cette
ville. Les documents manquent, et, lorsqu'on n'a pas encore laissé de
U'ace dans l'histoire, c'est, en générai, une preuve qu'on n'a encore rien
fait de digne d'elle. On sait seulement que Gênes, si favorablement placée
au centre d'un beau golfe pour jouer un grand rôle commercial , était,
du temps de Strabon , le marché de toute la Ligurie ; que les Francs
d'Austra&ie la pillèrent et la brûlèi^nt en 53 9, ainsi que Pavie; que , pen-
dant leis invasions germaniques , elle servit de refuge aux émigrés de
cette partie de L'Italie, fuyant les dévastations des barbares et cherchant
un abri derrière l'Apennin, comme, du côté oppose, ils en trouvaient
un ^ncpre plus sur dans^ les. lagunes de la Vénétie-, qu'elle se défendit
contre les expéditions maritimes des Arabes, à l'époque où ceuvci, partant
NOVEMBRE 1843. 645
des côtes d'Afrique et d'Espagne, s'emparaient de Majorque, de Mi-
norque , de la Saôxlaigne , de la Corse , de la Sicile , et s'étendaient d'une
manière menaçante sur toutes les cotes de la Méditerranée; qu'eUe
se dégagea peu à peu des liens qui la rattachaient au faible royaume
d'Italie pendant le x* siècle, et les brisa presque entièrement au xi'
pour devenir indépendante. Dès cette époque , on voit les Génois en-
treprendre la grande navigation, où les avaient cependant précédés
les Amalfitains, les Vénitiens et les Pisans, et agir en peuple qui se
gouverne lui-même. M. Vincens nous les peint u intrépides sur mer,
braves contre l'ennemi, sobres comme les habitants d'un sol pauvre
et stérile, habiles à la manœuvre, prompts àTabordage, et ne craignant
pas plus d'aller à la rencontre du danger qu'à la recherche du gain. »
Le XI* siècle fut le vrai berceau de leur république, qui, d'accord
avec celle de Pise, commença, de ioi5 à 10112, sous l'influence direc-
trice des papes , la grande réaction chrétienne contre la conquête arabe.
Cette réaction, qui se signala, au début du siècle, par la reprise de la
Sardaigne et de la Corse, et par des expéditions en Afrique, et, vers sa
fin, par l'invasion même de l'Asie au moyen de la première croisade,
développa le caractère entreprenant et prépara la puissance des Génois.
Leur ville était alors encore petite. «Elle était resserrée, dit M. Vin-
cens , dans une enceinte fort étroite ; elle était bien loin de border de ses
quais et d'entourer de ses édifices la vaste sinuosité dont on a fait depuis
le port de Gênes.» La forme du gouvernement était, de son côté, ex-
trêmement simple. Selon M. Vincens, « la commune, dont les affaires se
décidaient ou plutôt se concertaient sur la place publique , n'était qu'une
société de commerce maritime. » On s'associait pour construire , pour
équiper, pour armer les flottes. Dans, cette association l'un mettait son
argent, l'autre son habileté, un troisième son courage, et chacun avait
une part dans les profits de l'entreprise. Nul ne naviguait pour im salaire :
c'est une habitude qui s'est constamment conservée à Gênes , où l'ad-
ministration des compagniejS conmierciades devint, au reste , assez long-
temps le gouvernement de la république. La chi^onique de Caffaro le
prouve surabondamment. Ce Génois, qui, pendant toute la première
moitié du xn* siècle , a été mêlé aux plus importantes affaires de son pays,
qu'il a gouverné six fois comme consul, représenté deux fois comme
ambassadeur, dont il a dirigé plusieurs expéditions maritimes , et dont
il a rédigé les annales, nous dit, de 1101 à 1 1 a 1 , à chaque terme et à
c^iaque renouvellement de la compagnie commerciale : on fit une com-
pagnie de trois ans et de six consuls, qui furent aussi les consuls de la opj$-.
MUBE.
«4« JOURNAL DES SAVANTS.
C'est avec un gouvernement aussi impariait, en étant régie et jugée
par des consuls qui étaient les agents d'une compagnie commerciale, que
la répubh'que naissante de Gênes fit tles choses considérables et acquit
bientôt une vaste puissance. La guerre contre les Arabes des îles de la
Méditerranée avait commencé sa grandeur, qui s'acheva dans les croi-
sades contre les musulmans de la Syrie et de la Palestine. DéjSi en
106&, vingt-neuf ans avant la première croisade, on aperçoit une flotte
génoise à Joppé , et l'on trouve à Jérusalem , devenue le but des pèle-
rinages de l'Occident, une factorerie génoise dans le quartier où était
bâtie une église pour les chrétiens européens.
Les Grénois se signalèrent dans la conquête de la terre sainte. Ils en-
voyèrent sept flottes, dont quelques-unes de soixante-dix galères, dans
ie cours de la première croisade seulement, et, sans les* approvisionne-
ments qu'ils fournirent aux imprévoyants croisés, sans les machines à
l'aide desquelles Tingénieur génois Èmbriaco leur facilita la prise de
Jérusalem, il est vraisemblable que cettp hardie expédition n'aurait
pas eu le même succès. Les Génois contribuèrent également, par la puis-
sance de leurs machines et par l'intrépidité de leur courage , à la con-
quête deCésarée, d'Arsur, de Ptolémaïs ou Saint- Jean-d' Acre , de Jaffa,
de Tripoli» de Beyrout, de Sarepta. Leur assistance ne fut pas désinté-
ressée ; ils obtinrent à perpétuité le tiers de Césarée , d'Arsur, de Saint-
Jean-d' Acre, et de plusieurs autres villes, outre la place de fiibios dont
ib is'emparèrent pour leur propre compte. Us possédèrent, dans Jérusa-
lem, Jaffa, Tripoli, Antiocbe, et toutes les villes de cette principauté,
une itie dont fls étaient souverains et où se trouvaient une égjlùe ^ un
fbuf J[)anal, un bain public. Dans cette enceinte privilégiée, dans cette
petite cite génobe transmarine, un consul administrait la colonie « qui
avait de vastes magasins pour ses marchandises, se servait de ses pro*
près poids , obéissait aux lois de la métropole en matière de succes-
sion et de justice , suivait ses usages , et soumettait à ce régime les étran-
gers qui venaient prendre domicile an milieu d'^e. La forme que les
Génois donnèrent les premiers à leurs établissements coloniaux dans
la terre sainte fot imitée par les Vénitiens , après que la prise de Sidon
et de f^r eut mis ces -derniers en possession de stations maritimes sur
la c6te de Syrie , et elle servit plus tard de modèle aux consulats firan-
cals du Levant, institués cependant sur une moins grande échelle^
'En même temps quils jetaient en Orient les fondements de leur
puissance commerciale et d'une souveraineté lointaine , les Génois 8*é-
teiitiaient sur leur propre territoire* Us passaient , conmie cda arrive
toujours , de l'esprit d'indépendance à l'esprit de domination , et , après
NOVEMBRE 1843- 647
s être rendus entièrement libres , ils étaient devenus conquérants. Us
avaient ambitionné Tacquisition de tout le littoral de cette Ligurie ma-
ritime qui a cent cinquante milles de côtes , et* des bords du Var, dans
la rivière du ponant, à ceux de la Magra, dans celle du levant, ils ne
tardèrent pas à faire reconnaître leur autorité. D'un coté, ils soumirent
Savone, Albenga, Vintimille; de Tautre, ils occupèrent jusqu'au golfe
de la Spezzia, à l'entrée duquel ils construisirent la place de Porto-
Venere. Les seigneurs féodaux qui dominaient les vallées méridionales
defApennin, ou bien dont les possessions arrivaient jusqu'aux bords de
la mer, comme les marquis de Gavi, de Geva, de Clavesana, etc. les
comtes de Vintimille et de Lavagna, furent domptés, et la petite corn-*
mune marchande de Gênes devint , en moins d'un demi-siècle , une
grande et redoutable république, au-devant de laquelle Taltier Frédéric
Barberousse abaissa ses prétentions , même après avoir vaincu la li|[oe
lombarde, soumis Grème, rasé Milan, détruit les constitutions républi-
caines des autres villes d'Italie , et proclamé, en s'appuyant sur les doe*
trines despotiques des jurisconsultes bolonais , qu'il possédait le merum
imperiam dans toute la Péninsule.
Il faut suivre ces développements rapides de la puissance génoise
dans le livre de M. Vincens , qui les expose fort bien. G'est avec clarté
et précision qu'il décrit les changements intérieurs produits dans la
constitution de la république par ses nouvelles prospérités et ses vastes
accroissements , et qu'il en assigne la cause et le moment. Le revenu
des villes conquises en Syrie , un butin immense fait pendant la guerre,
le transport lucratif des pèlerins, le trafic des marchandises d'Europe et
d'Asie , avaient rapidement augmenté la richesse , la population et l'en*
ceinte de Gênes , dont le gouvernement ne pouvait plus dépendre uni*
quement des compagnies commerciales formées pour l'armement des
flottes , et se confondre ainsi avec le syndicat des intérêts particuliers.
11 s'en dégagea dès lors peu à peu , et les consuls , tout en restant en-
core les élus de la compagnie , devinrent les chefs annuels de la répu-
blique.
Cette révolution n'eut rien de brusque et fut le passage gradué d'une
association commerciale à une société politique.. Gomme , en général,
les peuples transforment plus qu'ils ne changent les éléments primitifs
de leur constitution , la compagnie , qui était la base de la commune gé^
noise , subsista toujours, mais elle servit alors, si l'on peut parler ainsi, de
cadre aux citoyens actifs. Elle devint pour ceux-ci le moyen d'exercer leurs
droits et de participer à la conduite de l'État* Quiconque ne se présentait
pas dans le délai de onze jours, pour y adhérer après qu'dile avait' élé
648 JOURNAL DES SAVANTS.
formée, ne pouvait recevoir aucun emploi public, ne devait point être
admis en justice à moins qu'il ne fût défendeur, et il était interdit à tout
membre de la compagnie de le servir sur ses galères ou de le défendre
devant les tribunaux. Il était rejeté de la société génoise pour tout le temps
que durait la compagnie. Les quatre consuls furent alors nommés pour
un an , et ils entrèrent en charge le 2 février, jour de la purification ^ D»
juraient de ne faire ni guerre ni expédition sans le consentement du
peuple demeuré souverain, et qui, assemblé en parlement, réglait les
grandes entreprises, ainsi que rétablissement ^es impôts et les salaires
des ambassadeurs; d* empêcher Timportation des marchandises étran-
gères en concurrence avec celles du pays, excepté les bois de construc-
tion et les munitions navales, et de rendre exactement la justice ^. Par
suite de cette marche vers la formation d'un gouvernement plus régu-
lier, la république de Gênes , qui , en 1101, avait commencé à battre
monnaie , qui , en 1121, avait créé des consuls annuels , institué un
chancelier, des greffiers', donné un caractère politique à la compagnie
commerciale, sépara, en 1 i3o , les attributions judiciaires des attribu-
tions politiques, et nomma des consuls des plaids chargés de distribuer
' Caffaro dit, dans sa chronique, à Tannée 1 laa : • Primo auno unius consulalus
cfueruDt consules primus de Castro, Caffarus, Otto de Mari, Guilleimus judex de
cDubreco. » — * Ce serment a été donné en substance par M. Serra (t. I, p. 377),
qui le possédait manuscrit , mais qui lui assigne une date inexacte. D le place en gSo ,
et croit que le gouvernement consulaire était constitué à Gènes dans le x* siècle-
H. Vincens est d*un avis contraire, et avec raison. Il ne donne pas une origine
aussi reculée au consulat « qui, en effet, est d*institution plus récente en Italie. Les
p}u8 anciens consuls dont les chroniques fassent mention sont ceux de Milan en
109g, de Gênes en 1100, de Brescia en 1 io4f de Bergame en 1109, de Como en
iiOQ, de Tortone en iiaa, etc. On voit, par cet ensemble de faits, sur lequel
H« Vincens aurait pu s'appuyer, que la révolution consulaire éclata k la fm du
XI* et au commencement du xii* siècle. Elle devint générale , parce qu'elle était
produite par Tétat social de Tltalie, lequel devait conduire. les nombreuses et puis-
santes villes de cette contrée à Tindépendance républicaine , lorsque les invasions y
auraient cessé , et que la force militaire que celles-ci y avaient déposée ne serait plus
en état de les contenir dans Tobéissance. La guerre des investitures entre les em-
pereurs de la maison de Franconie et les papes la provoqua , et elle était consom-
mée partout à la paix de Worms, en 1 laa. Quoi qu*il en soit, M. Vincens prouve
très-bien , contre M. Serra , qu*il faut placer ce document sans date entre Tannée
1121 et Tannée ii3o. Il est postérieur à iiai, puisquil suppose le C3nsulat an«
nuel établi seulement alors , et antérieur à 1 1 3o , puisque les consuls avaient à la
fois la juridiction civile et criminelle et Tadministration de TÉtat, qui ne furent
séparées qu'à cette époque, et juraient d*agir pour Futilité de Yévéché et communs
dé Gênes , dont le siège ne devint archiépiscopal qu*en 1 1 3o. — '1 Clavarii , scri-
cbani, cancellarius, pro utilitate reipublics in hoc consiOatu primitos ordinati
sont*.» Caffarus, ad an. 1121.
NOVEMBRE 1843. 649
la justice à chacun, tandis que les consuls de la commune n'eurent plus
qu a administrer les afiaires de l'État.
Le nombre de ces consuls des plaids varia extrêmement. On en
nomma d'abord quatorze pour les sept compagnies, entre lesquelles
étaient divisés par quartiers la ville et le bourg, qui fut le prolonge-
ment, le long de la mer, et du côté du couchant, de l'ancienne Gênes,
à mesure qu'elle s'agrandissait. Deux d'entre eux rendaient la justice
civile et la justice criminelle à chaque compagnie. La seconde année
de rinstitution , on n'en choisit que quatre , la troisième cinq , la qua-
trième trois , la cinquième , où le nombre des compagnies s'était accru
d'une, huit, enfin la sixième, qui fut l'année 1 1 35 , six, dont trois ju-
gèrent quatre compagnies, et trois les quatre autres ^ Les consuls for-
mèrent ainsi deux tribunaux. Ce fut un pas vers la concentration de la
justice , qui était la fonction la plus diffîcÛe à exercer dans ces villes tur-
bulentes, où les passions étaient si promptes, les haines si inexorables,
les ambitions si hardies , les intérêts si intraitables , et où , avant la fin
du siècle , on fut obligé d'appeler partout des justiciers étrangers sous
le nom de podestats pour maintenir la paix civile. Dès ce moment, le
nombre des consuls des plaids fut de huit ou de quatre, composant
deux cours de justice pour les deux grandes divisions de la ville de
Gênes. M. Vincens fait connaître, à l'aide de CafiFaro, ce premier essai de
l'organisation de la justice, qui, toute débile qu'elle était encore et tout
impuissante qu'elle devint bientôt, fut Tinévitable accompagnement
d'une organisation politique un peu plus avancée.
C'est après s'être ainsi fortifiée intérieurement , que la république as-
sujettit les vallées féodales de l'Apennin ; qu'elle parut à l'embouchure
de l'Arno avec quatre-vingts galères , quatre gros vaisseaux, soixante-huit
autres navires; débarqua sur le tenitoire de Pise vingt-deux mille com-
battants, dont cinq mille, dit Caffaro, étaient revétas de cuirasses et de
casques blancs comme la neige ^, et fît trembler cette superbe rivale dans
la mer tyrrhénienne; qu'elle ravagea les côtes de l'Espagne musidmane,
s'empara d'Almeria et y établit un gouverneur génois, prit en com-
mun avec le comte de Barcelone la ville de Tortose et en obtint le
tiers pour sa part de conquête , et contraignit le roi de Valence , Boabdil ,
' Voir Caffaro à ces diverses années. — * t Januenses cum magno exercita ad
«pytum Pisanum tenderunt cum galeis lxxx, cum gatlis xxxv, cum galobis xxviil
«et cum navibus iv, portaotibus machinas ac omnia instrumenta quae ad bella
sunt necessaria, necnon viginti duo millia virorum bellalorum, militum et pedi-
« tum, in(er quos bellatores quînque millia cum loreis et galeis ferreîs, ul nix albis,
< ioduti erant.i Apud Mnratori, VI, p. aS4.
8a
650 JOURNAL DES SAVANTS.
de lui céder un quartier dans Valence et dans Dénia ; qu'elle reçut enfin
de l'empereur Manuel Comnène les mêmes privilèges commerciaux que
les Vénitiens et les Pîsans possédaient dans Tempire grec, et conclut
un traité d'alliance et de commerce avec le roi de Sicile.
Cette période de prospérité , d'organisation et de grandeur, vit s'é-
lever les fortifications de Gênes à l'approche de Frédéric Barberousse ,
et se termina par l'apparition d'une classe aristocratique. Lorsque Fré-
déric vint réclamer en Italie les droits de l'Empire , et prétendit substi-
tuer, dans le gouvernement des villes, des podestats, nommés par lui,
auii consuls librement élus par leurs concitoyens , les Génois ne fléchirent
pas devant ses volontés. U n'envoyèrent point de députés à la diète de
Roncaglia, où fiit décidé, en 1 1 58, l'assujettissement de la Lombardie, et
ils répondirent aux menaces impériales en construisant autour de leur
ville, du côté de la terre, un mur de cinq mille cinq cent vingt pieds,
couronné de mille soixante-dix créneaux, flanqué de tours de distance
en distance , et en fortifiant Voltaggio , Porto-Venere , ainsi que d'autres
points du territoire.
L'empereur n'osa point les attaquer. Après même qu'il eut dompté
Milan, en 1 162 , et qu'il eut fait prévaloir momentanément sa souve-
raine autorité dans la haute Italie républicaine , il consacra par une bulJé
la libre élection des consuls génois. Il avait besoin, il est vrai, de leurs
Cottes pour l'expédition qu'il projetait en Sicile, et il s'engagea à payer
la coopération des Génois à la conquête de l'île en leur cédant Syracuse
et deux cent cinquante fiefs de chevalier dans le Val-di-Nota. Mais les
desseins ambitieux de Frédéric Barberousse , d'abord suspendus par les
troubles qm le rappelèrent en Allemagne , furent ensuite renversés par
les désastres qu'il essuya en Italie. La bataille de Lignano, qu'il perdit,
en 1 1 76, contre les Milanais, rendit aux villes lombardes leurs consti-
tutions républicaines , et consolida encore davantage l'indépendance de
Gênes. Tout cela est sagement exposé dans le premier volume de
M. Vincens, où l'on voit le fond de faiblesse et le manque de ressources
de ce vaste empire militaire de l'Allemagne, qui, placé trente ans sous
la main d'un grand prince, est réduit à ipénager une ville maritime, et
échoue enfin devant la milice d'une des villes lombardes.
Quant à la petite révolution aristocratique opérée vers la même
époque , M. Vincens est le premier historien qui croie l'avoir surprise
à travers le laconisme cal^^ulé de Gafiaro et ses obscurités, qu'il regarde
comme volontaires. M. Vîncens se demande si la noblesse exista dans
Gênes au début de la république, ou si elle s'y développa postérieure-
ment, par suite de la richesse commerciale de certaines familles, des
NOVEiMBRE 1843. C51
services qu^elles rendirent à leur pays pendant plusieurs générations ,
des emplois publics qu'elles obtinrent héréditairement par la voie or*
dinairement si routinière de l'élection. Il nhésite pas à se prononcer
pour cette dernière opinion et à combattre M. Sismondi et M. Serra,
qui ont embrassé l'opinion contraire. Ceux-ci ont en leur faveur la
composition générale des villes italiennes au xi* et au xii* siècles. Daûs
toutes il y avait trois ordres de personnes , les capitanei , qui étaient Idl
pubsants feudataires du voisinage , les vavassores , qui étaient les feuda-
taires inférieurs, et les cives, qui étaient les plébéiens. Otto de Frysin-
ghen , oncle de Frédéric Barberousse , et qui a accompagné cet empereur
dans ses expéditions en Lombardie, est formel à cet égard : u Quumque,
u dit-il , très inter eos ordines , id est capitaneorum , valvassorum , et
«plebis esse noscantur^» L'existence de ces trois classes est prouvée
encore par des espèces de procès-verbaux de plaids tenus en 1 1^5 et
en 1 i3o, et par d'autres textes qui corroborent^ le témoignage d'Otto
de Frysinghen. Il en devait, du reste, être ainsi en Italie, où l'élément
militaire laissé par les invasions, et régulièrement organisé par la féo-
dalité, manqua de bonne heure de centre et d'appui, et fiit prompte-
ment subordonné à l'élément municipad, qui, étant plus fort, l'absorba
et finit par l'anéantir. Les nobles féodaux habitèrent les villes dans le
district desquelles étaient situés leurs châteaux et leurs fiefs, et où la
plupart d'entre eux furent contraints de prendre domicile. C'est ce qtie
remarque avec un mécontentement superbe Otto de Frysinghen , lors-
qu'il dit que les villes se sont partagé presque toute la Lombardie en
forçant les nobles de leur diocèse à demeurer dans leur enceinte i de
telle sorte qu'on peut à peine trouver quelque noble assez puissant qoi
ne soit pas soumis à la domination de sa ville '. Introduits forcément
dans la cité, les nobles en partagèrent l'administration avec les plébéiens
pendant le xii* siècle, et en furent entièrement exclus au xin*« Après
avoir perdu leur position féodale devant la puissance républicaine des
villes, ils furent dépouillés de leurs droits politiques dans les tilles
mêmes par la jalousie démocratique du peuple.
' Otto Frisingensis , Kb. II, c. xiii. M. de Savigny a mis hors de doute cette com-
position des villes italiennes, dans son Histoire du droH romain au moyen ifp,
c. XIX , sur les villes lombardes depuis le xii* 5iècb.— - * • . . . Pnssentîa domni Azonîi. . .
« et reliquorum bonorum hominfun tam capitaneorum quam vavassorum seu civiam
c Mediolanensium atque Laudënsitini. » Giulinî, pars iV, p. aoo. Un autre dans
Lupi, pars XI, p. ga5. -^ * tËx (^uo fit ut, tota ula terra intra civitates ferme di-
• YÎsa, singulae ad commanendum secum dîœcesenos comptderînt, vixqae âKqiliâ
« nobilis , vel vir magnus , tam magno ambitu invaniri qoaat» qui aiviuàt sotf Hon
• sequatur imperium.» Lib. II, c.xiii.
8a.
652 JOURNAL DES SAVANTS.
Ce phénomène social, qui fut commun à presque toutes les villes
.dltalie, se montra-t-il dès le début dans Gênes ? L'analogie porterait à
le croire, d'autant plus que, dans le serment des consuls, placé par
M. Vincens entre 1 1 a i et i iSo, les comtes et les marquis du voisi-
nage sont tenus, pour exercer le droit de cité dans Gênes, d'y habiter
trois mois par an. Sans s'appuyer sur ce fait, M. Sismondi et M. Serra
pensent que des familles féodales furent établies dans Gênes , et prirent ,
de fort bonne heure, part à la conduite de la république. M. Sismondi
le conclut d'après les désignations de vicecomes et de marchio attachées
aux noms de quelques consuls. On trouve, en effet, dans CafTaro,
en 1 127, un marchio de Gafiara, consul de la république; en 1 i3/i
et 1 136, un Rubaldus vicecomes, consul des plaids; et, en 1 167, un
marchio de Volta, consul de la commune. Gaifaro, en parlant d'une
expédition qu'il conduisit lui-même, en 11 28, contre les Pisans, se
aert d'une expression qui pourrait paraître significative : ajanuenses,
a dit-il, galeas vu armaverunt, in quibus Caffarus, qui consul erat,
a cum multis nobilissimis viris et cam Idone de Garmandino et Marino
(( de Porta , cum Marchione de Gaffara et aliis multis ivit ^
M. Vincens pense, au contraire, que les appellations de vicecomes, de
marchio, etc. ne sont pas des titres, mais des prénoms ou des surnoms
bizarres, tels qu'on les a pris souvent en Italie; qu'on ne les tix)uve pas
deux fois dans la même famille, et qu'ils pe se lient pas à des noms de
lieux. Ge qui viendrait à l'appui de son opinion, c'est que, dans la fa-
mille Volta , l'une des plus anciennes et des plus illustres de la répu-
blique, il y eut, dans cette .courte période, quatre Volta de prénoms
difliérents , tour à tour consuls , à savoir : Paganus de Volta , Ingo de
Volta, Guilelmus de Volta, Marchio de Volta, dont le dernier était,
comme le dit GaQaro^r fils de Ingo Volta» lequel n'était pas marquis.
M. Vincens pense, de plus, que les qualifications de nobles et de très-
nobles, données à divers consuls et autres personnages considérables du
temps, ne sont que des épithètes honorifiques et ne désignent pas du
tout une caste à part. Il aurait pu ajouter que , si une pareille classe
avait existé dans Gênes, GaOaro n'eût pas manqué d'indiquer ceux des
consuls qui lui appartenaient , comme cela se pratiquait dans les auti^s
villes. Ainsi Milan avait, en 1 1 3o , vingt et un consuls tirés de la grande
noblesse, de la petite noblesse, du peuple, et dont le nombre ainsi
que le rang sont parfaitement indiqués. Il y avait parmi eux dix- neuf
capiianei, six valvassores, six cives ^,
' Cafiiari Annales Genuentes, apud Muratôri, t. VI, p. a 56. — * • An. 1161, fuc-
« runt consules . . • . . Marchio filius Ingonis dé Volta. 1 — ' • Dédit sedtenliam Un-
NOVEMBRE 1843. 653
11 en est de même dans d*autres républiques , mais on n*aperçoit rien
de semblable à Gênes, où les consuls sont placés sur les listes de ma-
gistrature sans ordre et sans désignation, et où les Pevere, dont Torigine
est évidemment commerciale, les de Mari, les Usodemari, qui doivent
la leur à la navigation, les Capra^ lesRoza, les Picamigli, les Bellamuti,
les Raffi, les Porchi, dont les noms sont fort plébéiens, s'y trouvent sou-
vent avatit ceux des Volta, des Caffara et des Castro, fl y a plus, des
quatre puissantes familles, Spinola, Doria, Grimaldi, Fieschi, qui se
sont disputé si longtemps Tautorité dans Gènes , les noms des deux der-
nières ne sont pas encore inscrits sur les fastes consulaires pendant la
première moitié du xii* siècle , et celui des Doria n*y paraît qu en 1 1 3 4 ; les
Spinola seuls parviennent au consulat en i io4. M. Vincens reiArque
avec justesse que jamais ces derniers, dans les temps anciens, n'ont porté
un titre de seigneurie, et que, à l'époque de leur plus grande impor-
tance, ils sont appelés Spinola de LucoU et Spinola de Saint-Luc, simples
noms des rues où les deux branches de la famille avaient construit
leurs palais. Il conclut en disant, comme Stella, historien de la fm du
xiv** siècle , qui connaissait les traditions et avait consulté les mémoires
domestiques : « Alors les nobles n'étaient pas distingués du peuple : tous
avaient le même rang; mais, avec le temps, les descendants des fa-
milles qui avaient exercé la magistrature se sont appelés nobles ^. »
Cette opinion est la plus vraisemblable. YSie est en accord avec l'an-
cien état social de Gênes, qui était une république marchande ayant eu
pour gouvernement primitif le syndicat d'une compagnie commerciale,
et avec ce penchant du cœur humain à fonder la noblesse politique
des familles sur la grandeur des services , l'influence de la richesse et
l'exercice prolongé des emplois publics durant quelques générations.
C'est ainsi que, selon M. Vincens, une aristocratie se forma ou plutôt
s'assit à Gênes, entre 1 154 et i iSy, moment solennel et périlleux, où
la république eut à se garder des entreprises de Frédéric Barberousse.
« garus de Curta ducis, consul prœdktœ cîvitatis, consHio et laudatione aliorum
«consolum Mediolanensium , nomina quorum consulum sunt: Ârialdus Vescoute,
« Ârialdus Grasso , Lanfrancus Ferarius , Lanfrancus de Gurte, Ârmaldus de Rode,
« Arialdus de Sexto Azofante, Mainfiredus de Setara, Mbericus de la Turre, Ansei*
« mus ÂYOcatus , capiCaiitfi ipsius civitatis; Johannes Mainerii , Ardericus de Palazso,
« Guaza Arestuguido Malastieni, Otto de Fenebiago, Ugo Crivello, Guibertus Gotta,
« vavassoru jam dictœ civitatis; Ugo Zavatorius , Alexius Labezarius , Paganus lo^
« gooart, Azo Martinoni, Pagani Maxsaso, cives ipsius civitatis. • Lupi, yoI. II, p. 9^6
et 946. — ^ « Tune non erant nobiles et de populo divisi : imo omnes erant de une
« nonÛDe. Sed qui progenîtî sunt ex ipsis magistratibiis nobiles postea nuncupali
« sunt •
654 JOURNAL DES SAVANTS.
Quoique cette révolution ne soit mentionnée nulle part , M. Vincens
la suppose ingénieusement d'après quelques paroles de Caffaro. Ce vieux
chroniqueur est très-succinct sur les années 1 1 49 , 1 1 5o , 1 1 5 1 , 1 1 Sa
et 1 1 53. n se borne à donner les noms des magistrats élus. Seulement,
en 1 1 5a , il dit « qu'il y eut plusieurs boucheries dans la ville , une vers
le môle, lautre vers Sussigîia ^ ; » et il ajoute que les consuls désignés
en 1 154, voyant «la ville semblable à un navire flottant sans pilote
sur la mer ^, » ne voulaient pas accepter la magistrature. Ces consuls
désignés étaient Lanfranco Pevere , qui avait été déjà cinq fois consul ,
Oglerius de Guidone , qui Tavait été trois , Antonio Doria et Oberto
Spinola. Les in.stances de Tévèque et du peuple les décidèrent; ils ipé*
tablirtnt bientôt les finances et les affaires de la république , et tinrent
les citoyens en paix'. Dès ce moment, Gaflaro raconte avec détail et
approbation ce que font pour la sûreté , pour la grandeur et pour le
repos de leur patrie, des consuls qui concentrent le pouvoir entre leurs
mains , et lui impriment une direction plus ferme et plus secrète. Dès ce
moment aussi on voit apparaître dans sa chronique les expressions de ex
melioribus et de nobilis, appliquées aux membres des principales familles
de Gênes*. Cette expression, dont l'emploi devient désormais très-fré-
quent sous la plume de Caflaro , désigne une classe de notables poli-
tiques, qui forma bientôt, selon M. Vincens, la noblesse de Gênes. Il
croit que la transition du régime populaire à l'administration aristocra-
tique s'opéra dans Tannée 1 1 57 , « où les consuls , dit Caffaro, jurèrent
une compagnie nouvelle, et firent élire les consuls de la commune et
des citoyens (des plaids) parmi les meilleurs ^. » La conjecture de M. Vin-
cens a beaucoup de vraisemblance. Cinq ans après, en 1 1 63 , les Génois
reprochent aux Pisans , en leur déclarant la guerre , u l'assassinat , non
d'obscures victimes , mais de leurs nobles ^. » Le premier continuateur
de Caffaro, après 1 16S, désigne fréquemment les nobles comme for-
' tEt in isto consulatu macella fuenint multa, unum ad molum, et altenim in
• Saxilia. » — * «Et sicut navem sine gubernatore per mare pei^ntem cognosce-
« bant. » -«- ' t Galeas pro munimine civitatis fecere , quibus civitas omaino carebat.
« . . . . Pecuniam quindecim millium librarum numéro , quam ab initio ftolvere in-
« cœperant, totam debitoribus solverunt, et cives in pace tenuerunt. » — ^ € An. 1 1 55,
«unus de consulibus, Guilielmus Luxius, cum quibusdam ex meUoribat civitatb ad
t^r^em perrexit.. Au. 11 56, prffiterea legatos de meliorihas civitatis, Guilielmum
« Ventum scilicet et Ansaldum Auriœ , ad Guilielmum Siculum regem miserunt. . .
• 1 167 « interea Januenses. . .miseront ad eum (Fridericom I) de nohiUorUmt suis, »
etc. — * ' « Et compagniam novam juravefunt , et consules communium et civium
«de meUoribtti civitatis eligere fecerunt. » Caffarus ad an. 1 167. — * * Crudelissima
• cadea et oefiEuriœ obtnincationea non quorumlibet, sed nostrorum nobilium. » Id.
ad an. 1162.
NOVEMBRE 1843. 655
mant une classe distincte * , et son deuxième continuateur dit , en 1174,
qu'il écrit « pour l'utilité de la république et pour entretenir l'émula-
tion parmi les nobles 2. » Alors les maisons fortifiées*, ou à tours, com-
mencent à jouer dans Gênes le même rôle que dans toutes les villes
d'Italie où il y avait des nobles, et là, comme ailleurs, les guerres qui
éclatent entre les nouvelles grandes familles, de 1 1 6& à 1 1 90, condui-
sent à l'établissement de podestats étrangers, seuls capables de ramener
les citoyens , et de faire cesser les actes d'une vengeance passionnée par
les arrêts d'une justice impartiale.
Nous examinerons , dans un autre article , les révolutions qu'a subies
la répxiblique de Gênes depuis la constitution d*une noblesse au milieu
d'elle, et nous signalerons les faits dont M. Vincens a enrichi son his-
toire.
MIGNET.
Revue des éditions de Buffon.
CINQUIÂMB ARTICLE^.
Dbtribution des animaux sur le globe.
Les idées de Buffon touchant la distribution des animaux sur le
globe sont des idées de génie. Ce sont , comme l'a dit M. Cuvier, de
véritables découvertes^. Ajoutons que jamais découvertes d'un ordre plus
élevé n'ont été préparées et amenées par des combinaisons plus sa-
vantes.
^ « Et auxilio nobilium , an. 1 1 6A. — Eximii viri quatuor nobiles perierunt ,
« an. 1 166, etc. • — * «Quidquid potui memorisB commendavi, et ad commodum
t reipublicx januensis et nobilium animes provocandos pnosenti volumine in script»
« redegi. » — * Caffan Annales Genuenses, Ub. 1, an 1 161. « Geterum vero qui contra
• pr8Bceptum arma levaverant et assaltum alicui de compagnia fecerant, tarres et
• domos eorum destruendo et pecuniam, prout sacramento tenebantur, auferendo,
«relient aut noUent, per sacramentum quiescere adstrinxerunt. »
* Voir les cahiers de mai, juin, juillet et août i843. -» ' «Les idées de Buffon
sur la dégénération des animaux et sur les limites que les climats , les montagnes
et les mers assignent à chaque espèce, peuvent être regardées conmie de véntaUes
découvertes , qui se confirment cnaque jour, et qui ont donné aux recherches des
voyageurs une base fixe« dont elles manquaient absolument auparavant. » Cuvier,
Bicgr. univ. art BorFON.
656 JOURNAL DES SAVANTS.
BufTon avait déjà décrit les animaax domestiques; il avait décrit plu-
sieurs animaux sauvages; il en était à Thistoire du lion, et c'est là que je
trouve pour la première fois sa grande vue sur les animaux propres à
chacun des deux continents.
«L'animal d'Amérique que les Européens ont appelé lion, et que
les naturels du Pérou appellent pâma, n'a point, dit-il, de crinière, il
est aussi plus petit, plus faible et plus poltron que le vrai lion^ »
Il ajoute : a Le pâma n'est point un lion tirant son origine des lions de
l'ancien continent ; c'est un animal particulier à l'Amérique, comme
le sont aussi la plupart des animaux de ce nouveau continent^. »
Pour se faire une idée de l'obscurité profonde dans laquelle était
plongée cette partie de la science , au moment où BufTon entreprit d'y
porter le jour, il faut se rappeler que , lorsque les Européens firent la
découverte du nouveau monde , ils trouvèrent en effet que tout y était
nouveau ; les animaux quadrupèdes , les oiseaux , les poissons , les
insectes, les plantes, tout parut inconnu, tout l'était: spectacle éton-
nant pour l'histoire naturelle, et que, deux siècles et demi plus tard,
l'exploration des côtes de la Nouvelle-Hollande devait lui donner une
fois encore.
Tout ce que présentait l'Amérique se trouvait donc différent de ce
qu'on avait vu jusqu'alors. D'une part, tout était nouveau; de l'autre,
il fallait tout nommer, il fallait, du moins, nommer les principaux ob-
jets, et l'on fit ce qu'on a toujours fait en pareil cas : on donna aux
choses inconnues les noms des choses connues. Le pumxi fut appelé lion ;
le jaguar, tigre; VaJpaca, mouton; et ainsi du reste.
Les Romains en avaient fait autant : lorsqu'ils virent pour la pre-
mière fois l'éléphant, ils l'appelèrent bœuf de Lucanie^; ils appelèrent le
rhinocéros bœuf d'Egypte^ \ ils donnèrent à la girafe le nom de deux ani-
maux connus, le chameau et le léopard : camehpardalb , etc. etc.
Je reviens à Buffon. Au moment où il conçut sa grande idée des
animaux propres à chacun des deux continents, tout était donc con-
fondu. Pour Ttie servir de sa belle expression, «les noms avaient con-
fondu les choses ^ ; » et ce n'était pas tout : les choses elles - mêmes
étaient déjà mêlées et confondues ensemble, car, depuis la découverte
de l'Amérique , les Européens n'avaient cessé d'y transporter les ani-
maux de l'ancien monde.
* T. XVIII, p. 17. — * Ibid, p. 18. — ^ «ElephantOs Italie primum vidit Pyirhi
t reeis bello , et boves lucas appellavit, in Lucanis visos. . . » P)in. lib. VIII, cap. vi.
— Parce que Pompée Tavait fait amener d*Égypte. Voyez le curieux mémoire de
feu M. MoDgez sur les animaux promenés ou tués dans les cirques. ( Mém. de VAcai.
des inscript, et belles-lettres, t. X, p, 38i. — ' T. XVU, p. 70.
NOVEMBRE 1843. 657
IJ fallait donc enfin mettre un terme à ce grand désordre , et c est ce
que fit BufTon. Rien nest plus admirable, rien nest d'une méthode
expérimentale plus savante que son énamération comparée ^ de tous les
animaux quadrupèdes connus de son temps.
Le résultat de cetle belle énamération comparée fut de lui donner
une vue nette de tous les animaux quadrupèdes , qu il partage en trois
classes, savoir : en ceux qui sont propres à Tancien continent, en ceux
qui sont propres au nouveau, et en ceux qui sont communs à lun et
à l'autre.
Comme les animaux les plus grands sont aussi les mieux connus ,
c est par ceux-là que BuQbn commence son examen.
L éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, le chameau, le droma-
daire, la girafe, appartiennent à l'ancien monde, et ne se trouvent
point dans le nouveau.
BuITon ne distinguait pas encore f éléphant des Indes de celui d'A-
frique : nous les avons distingués depuis ; il ne connaissait que deux
rhinocéros, celui d'Afrique et celui des Indes : à ces deux-là nous en
avons ajouté deux autres, celui de Java et celui de Sumatra; et, comme
on voit, la proposition de BuQbn reste toujours vraie : aucun de ces
grands quadrupèdes ne se trouve dans le nouveau monde.
Aucune espèce du genre chat ne s est trouvée la même dans l'un et
l'autre continent. Nous avons le lion, le tigre, le léopard, la pan-
thère, etc.; l'Amérique a le puma, le jaguar, le jaguarondi , l'ocelot,
etc. etc.
Aucun de nos animaux domestiques n'était en Amérique. Personne
n'ignore quelle surprise , mêlée de frayeur, nos chevaux causèrent aux
Américains; l'âne lem* était également inconnu; le bœuf, la brebis, la
chèvre, le sanglier, le cochon, le chien, le chat, etc., ont été trans-
portés d'Europe en Amérique, et ne s'y trouvaient point.
L'Amérique n'avait aucun des animaux suivants, tous énumérés par
Biidon : le zèbre ^, le buffle*, l'hyène*, le chacal^ la genetle^, la ci-
vette', la gazelle*, le chamois^, le bouquetin *°, le chevrotain^*, le la-
' a Pour prévenir la confusion qui résulte de ces dénominations mal appliquées
À la plupart des animaux du nouveau monde,... j*ai pensé que le plus sûr était de
faire une énumération comparée des animaux quadrupèdes.... • T. XVIII , p. j5. —
* De la partie méridionale de l'Afrique. — ^ Originaire de flnde. — * L'hyène
rayée habile depuis les Indes jusqu'en Âbyssinie ; Thyène brune et Thyène tache-
tée sont du midi de TAfrique. — ^ Depuis les Indes jusqu'au Sénégal : ce sont pro-
bablement des espèces distinctes. — * Commune ou d*Europe. — ' Du midi de
l'Afrique. — * Du nord de l'Afrique. — * De l'Europe. — " On en connaît aujour-
d'hui plusieurs espèces, mais toutes de l'ancien continent. — " Tous les chevrotains
83
658 JOURNAL DES SAVANTS.
pin^ le furet*, le rat*, la souris*, le ioi^^ le lérot^, la marrtiôtte^.
la mangouste ^ le blaireau ^ la zibeline*®, rhermine^\ la gerboise "^
etc. etc.
Une des plus belles pai^ties du grand travail de BtJflbil est celle qui
a pour objet Tétude des singes. On avait vu dans rAméfique des ani-
maux qui ressemblaient à nos singes, et on les avait appelés singes. Mais
ces singes des deux continents étaient-ils les mêmes ? Je dis plus : y
avait-il une seule espèce de singe qui fut la même dans Tun et Tautre
continent ?
Examen fait, il s'est trouvé quil n'y en avait pas une.
Aucun singe de l'ancien continent n'était dans le nouveau , et réci-
proquement aucun singe du nouveau n'était dans l'ancien.
L'orang-outang**, le chimpansé**, tous les gibbons *^ touà les ba-
bouins*^, toutes les guenons*'', sont propres à l'ancien continent; le
singulier genre des makis** n'existe qu'à l'île de Madagascar; les loris
ou singes paresseux^ ^ appartiennent aux Indes orientales : voilà pcmr
l'ancien monde.
D*un autre coté , le nouveau monde a , et n'a que pour lui , les
alouattes, les sajous, les atèles, les sakis, les sagouins, les ouistitis ,
etc. etc.
Tous les animaux que je vais nommer sont exclusivement propres
à l'Amérique : le puma ou couguar, le jaguar, l'ocelot , le juguarondi ,
le tapir ^^ le pécari, le tajassou, le lama, l'alpaca**, la vigogne, le ca-
biai, le paca, l'agouti, i'acouchi, le cochon d'Inde, les mouffettes, etc.
Il en est de même des fourmilliers proprement dits : le tamanoir,
le tamandua , le fourmillier à deux doigts , etc.
Il faut en dire autant des tatous^^ des paresseux^, des sarigues : des
sarigues ^^, ces animaux qui , seuls , auraient suffi pour mériter au nou-
aujourd^hui connus sont des pays chauds de Vancien continent. — ^ Commun ou
d*Europe. — * De Barbarie. — ' Des climats tempérés de Tancien continent. —
* Même patrie. — * Du midi de l'Europe. — * Même patrie. — ' De l'Europe. —
' n y a plusieurs mangoustes : celle d'Egypte, celle des Indes, etc. mais toutes de
Tancien continent. — • Le blaireau d'Europe. — " De la Sibérie. — "Du nord de
TEurope. — - " D'Afrique et d'Arabie. — "De Malaca, de la Conchinchîne , de
Bornéo. — "De Guinée, du Congo. — " Des Indes et de leur archipel. — " Oit
cynooéphales. D'Afrique. — " D'Afrique. — " Il y a plusieurs makis , mais tous de
Madagascar. — *• On en comiaît deux : le loris paresseux et le loris grêle. — " Il y
a deux tapirs, propres à l'Amérique. — *^ L'alpaca est une variété du lama, carac-
térisée par de longs poils laineux. — '* U y a plusieurs tatous , mais tous sont
propres à l'Amérique. — " On n'en connaît que deux : l'aï et Tunau. — ** On le»
a nommés sarigues, opossums, cayopolins, etc.; une espèce est la marmose : tous
sont d'Amérique.
NOVEMBRE 1843. 659
veau monde le nom de nouveau , car ils nous ont oflfert un mode de
génération vivipare inconnu jusque-là, le mode de génération propre
aux animaux à hourse.
L*Âmérique , particulièrement T Amérique du Sud , a donc sa popu-
lation distincte» sa population qui nest qu'à elle; et Buffon pose, av.ec
assurance, sa grande loi, savoir: «Qu aucun des animaux de la zone
torride xlans Tun des continents ne se trouve dans Tautre ^ »
Je dis particulièrement V Amérique du Sud. En effet, il n'en est pas
absolument de même pour l'Amérique du Nord. L'Amérique du Nord
a quelques espèces de lancien continent : le renne , Télan , le loup ',
le castor, par exemple; mais, d abord, ces espèces communes sont en
très-petit nombre; en second lieu, les deux continents, séparés au midi
par des mers immenses, se rapprochent beaucoup vers le nord; on
peut donc croire, avec BuQbn, que les espèces communes en ce point
anx deux continents ont passé de Tun à l'autre.
Chaque continent, ou , si Ton veut plus de rigueur, chaque midi des
deux continents a donc sa population distincte , sa population propre :
c'est là le beau, le grand fait que Buffon a su révéler à l'admiration des
naturalistes. Et les naturalistes ordinaires , les naturalistes contempo-
rains , ont eu beau contredire : plus on a étudié , plus on a approfondi
ces grandes questions, plus on s'est livré à des recherches, à des com-
paraisons exactes, plus on s'est convaincu que Buffon avait profondé-
ment raison : il avait vu de haut, il avait vu avec génie; et, cette fois-
ci encore , la vue haute , la vue de génie s'est ti^ouvée la vue juste.
Chose remarquable, il n'est pas une erreur de détail échappée à
Buffon dont on n'ait voulu tirer parti pour combattre sa belle loi, et il
n'est pa^^une de ces erreurs qui, complètement corrigée , ne soit venue
confirmer cette loi par un fait nouveau.
On ne connut d'abord d'animaux à bourse que les sarigues , que
les animaux à bourse d'Amérique. On en était là, loi^que Buffon reçut,
sous le nom de rat de Surinam , l'animal à bourse qu'il nomma pludan-
ger; et il le crut d'Amérique.
Eh bien, il y avait là une erreur; car Tanimal qu'il avait appelé
phalanger n'était pas d'Amérique ; aucun animal de ce genre n'est d'A-
mérique ; tous les phalangers sont des terres australes. On s'empressa
de relever l'erreur de Buffon . et Buffon s'empressa de la corriger : mais
sa belle loi n'en souffrit pas ; car l'Amérique , qui a les sarigues , n a
* T. XVIII, p. i3&. c Les «nimaux des parties méridionales de chacuD des con-
tinents n existent potAt dans fautre. ■ T. XVIII, p. i34. «— * Le loup coHmnn ou
proprement dit.
83.
660 JOURNAL DES SAVANTS.
point de phalangers, et les tenues australes, qui ont des phalangers ^
n*ont point de sarigues ^
Il venait de dire, et avec raison, que les fourmilliers , les fourmillier^
proprement dits, sont tous d* Amérique* Sur ces entrefaites, Vosniaër,
directeur du cabinet d'histoire naturelle de Leyde , reçoit du Cap un
animal, qui se nourrit aussi de fourmis, et il se flatte que la loi de Bnf-
fon en sera compromise. Mais le fourmillier du Cap, le cochon de terre,
comme on Tappelait alors, Yoryctérope , comme on l'appelle aujourd'hui,
est un animal tout à fait distinct des fourmilliers d'Amérique, et la loi
de BuiTon reste tout entière. Voici la réponse de BufTon lui-même :
((Nous avons dit et répété souvent qu aucune espèce des animaux de
rAfrique ne s'est trouvée dans l'Amérique méridionale,. et que, réci-
proquement, aucun des animaux de cette partie de l'Amérique ne s'est
trouvé dans l'ancien continent. L'animal dont il est ici question a pu
induire en erreur des observateurs peu attentifs, tels que M. Vosmaër,
mais on va voir, par sa description et par la comparaison de sa figure
avec les fourmilliers d'Amérique, qu'A est d'une espèce très-dififërente^. »
Ce Vosmaër, un des opposants les plus obstinés qu'ait jamais ren-
contrés une grande idée , avait dit que la belle loi de BuiFon ne reposait
que sur des propositions idéales, Bulfon répond : ((Cette assertion n'est
point foqdée sur des propositions idéales, comme le dit M. Vosmaër,
puisqu'elle est, au contraire, établie sur le plus grand fait, le plus géné-
ral, le plus inconnu à tous les naturalistes avant moi; ce fait est que
les animaux des parties méridionales de l'ancien continent ne se trouvent
pas dans le nouveau, et que réciproquement ceux de l'Amérique méri-
dionale ne se trouvent pas dans l'ancien continent*. »
Buffon dit ailleurs. « Ce n'est pas qu'absolument parlant, et même
raisonnant philosophiquement, il ne fut possible qu'il se trouvât, dans
les climats méridionaux des deux continents, quelques animaux qui
seraient précisément de la même espèce .... ; mais il ne s'agit pas ici
d'une possibilité philosophique, qu'on peut regarder comme plus ou
moins probable, il s'agit d'un fait, et d'un fait très-général, dont il est
* « Je-croîs cetle critique juste, et que le phalanger appartient en effet aux Indes
orientales et méridionales ; mais , quoiqu'il ait quelque ressemblance avec les opos-
sums ou sarigues, je n*aipas dit qu'il fût du même genre; j'ai, au contraire, assuré
3u'il différait de tous les sangues, marmoses et cayopolins, par la conformation
es pieds , qui me paraissait unique dans cette espèce. Ainsi , je ne me suis pas
trompé en avançant que le genre des opossums ou sarigues appartient au nouveau
continent, et ne se trouve nulle part dans l'ancien. i Sapplém, t. XIV, p. 77. —
* Sapplém, t. XII, p. 3. — ' Sapplém. t. XIII, p. 186.
NOVEMBRE 1843. . 661
aisé de présenter les nombreux et très-nombïeux exemples. Il est
certain que , au temps de la découverte de TAmérique , il n'existait dans
ce nouveau monde aucun des animaux que je vais nommer: Téléphanl,
le rhinocéros, Thippopotame , la girafe, le chameau, le dromadaire, le
buflle , le cheval , Tàne, le iion » le tigre , les singes , les babouins , les gue-
nons , etc. ; et que , de même , lé tapir, le lama , la vigogne , le pécari , le
couguar, le jaguar^, Tagouti, le paca, le coati, l'unau, Taî, etc. , n'exis-
taient point dans l'ancien continent. Cette multitude d'exemples, dont on
ne peut nier la vérité, ne suffit-elle pas pour qu'on soit au moins fort en
garde lorsqu'il s'agit de prononcer , comme le fait ici M. Vosmaër, que
tel ou tel animal se trouve également dans les parties méridionales des
deux continents*?»
En comparant les uns aux autres les animaux de l'Amérique et ceux
de l'ancien continent, Buffon a fait deux remarques, toutes deux très-
importantes.
La première est que la nature vivante est, en général*, beaucoup
moins grande, beaucoup moins forte, dans le nouveau monde que dans
l'ancien.
Par exemple , le tapir est Tanimal le plus gros de l'Amérique , le
lama en est le plus grand; mais le tapir n'approche pas de l'éléphant,
du rhinocéros , de l'hippopotame *, le lama n'approche pas du cha-
meau, du dromadaire, de la girafe; le jaguar, qui est l'animal le plus
terrible du nouveau monde, n'est pas aussi fort, à beaucoup près, que
le lion , que le tigre , etc. etc. •
La seconde remarque de BuQbn est plus importante encore : c'est
que les animaux du nouveau monde, comparés à ceux de l'ancien,
forment comme une nature parallèle , collatérale , comme un second
règne animal , qui correspond presque partout au premier.
Dans l'ordre des pachydermes, le tapir, le pécari, le tajassou, ré-
pondent à nos cochons, à nos sangliers , à nos tapirs^; dans l'ordre des
chats, le couguar, le jaguar, l'ocelot, répondent à nos lions, a nos
tigres, k nos panthères, etc.; nos ruminants sont représentés, dans le
nouveau monde, par le lama, par l'alpaca, par la vigogne, etc.; nos
rongeurs, par le cabiai, le paca, l'agouti, le cochon d'Inde, etc.; nos
singes, par les singes qui lui sont propres^; et nos fourmilliers , le
^ t Buffon a méconnu le jaguar, qu'il a pris pour la panthère de Tancien conti-
nent, et il n*a pas bien distingué la panthère du léopard. . . . • Cuvier, Rèqn, anim.
1. 1, p. 1 6a. La distinction exacte de ces espèces a été faite depuis, et la loi de Buf-
fon en A été confirmée. — * Supplém, t. VI, p. i a 3. — * Je dis «n général, et j'ajoute
même: uniquement pour les quadrupèdes. «— ^ Le tapir de l'Inde. — * * t Gomme les
662 JOURNAL DES SAVANTS.
pangolin et le phatagin^, par des fourmiUiers qui ne sont qu*à lui, le
tamanoir, le tamandua, etc. etc.
' Cependant, le nouveau monde a une nature vivante qui n*a point
de nature parallèle dans Tancien monde. Les tatous, les paresseux,
les sarigues, n appartiennent qu'au nouveau monde, et nont point de
représentants dans lancien.
De ces trois genres d'animaux, le plus important à considérer, sous
le rapport qui m'occupe en ce moment , est celui des sarigues ou des.
animaux à bourse de TAmérique. Pour trouver les représentants des
saiîgues, il faut quitter l'ancien monde proprement dit, c'est-à-dire l'Eu-
rope, l'Afrique et l'Asie, il faut passer jusqu'aux terres australes. Mais
ici nous touchons à un fait aussi étonnant, peut-être, que celui que
nous a offert l'Amérique ; nous touchons à une population animale toute
nouvelle.
De même que l'Amérique nous a donné le couguar, le jaguar, le
tapir, le cabiai, le lama, la vigogne, les paresseux, les tatous, les four-
milliers, les sarigues , les sapajous, etc. tous animaux inconnus, à l'an-
cien monde ; de même la NoUvelle-Hollande nous a donné les kan-
guroos, les phascolomes, les dasyures, les péramèles, les phalangers
volants, les ornithorinques, les échidnés, etc. : tous animaux inconnus
au nouveau comme à l'ancien monde.
Et remarquez comment la progression s'est établie.
L'Amérique nous offrait déjà les sarigues, animaux à génération vi-
vtpare nouvelle ; mais à côté de ces animaux à génération vivipare nou-
velle s'en trouvaient une foule d'autres à génération vivipare ordi-
naire. Les animaux à génération vivipare ordinaire dominaient encore
dans l'Amérique. Dans la Nouvelle-Hollande, c'est tout le contraire:
à deux ou trois exceptions près , tous les animaux y ont la génération
des sarigues. Tous les animaux de la Nouvelle-Hollande que je viens de
nommer sont des animaux à bourse '.
M. Cuvier a eu l'heureuse idée de faire im groupe à part des animaux
à bourse^; et cela seul lui a découvert dans ce 'groupe une classe pa-
:iiiiges, les babouins et les guenons, ne se trouvent que dans fancien continent, on
doit regarder les isapajous et les sagouins comme leurs représentants dans le nou-
veau. • T. XXIX, p. aii 1 . — S Les fourmiUiers, qui sont des animaux très-singuliers,
et dont il y a trois ou quatre espèces dans le nouveau monde , paraissent aussi avoir
leurs représentants dans Vancien ; le pangolin et le pbatagin leur ressemblant par le
caractère unique de n'avoir point de dents, et d*ètre forcés, comipe eux, à tirer la
langue et à vivre de fourmis. » T. }iXIX, p. a46. — * L^s ornithorinques et les échid-
nés n*ont pas de poche, mais ils ont les os manupiauje, ou le caractère intérieur
qui répond à la poche. — ' Ou martapiaux.
NOVEMBRE 1843. 663
railèle à celle des mammifères ordînaires : les sarigues, les dasyures,
les péramèles , répondent anx insectivores , tels cfue les tenfecs et les
taupes ; les phalangers et les potoroos, aux hérissons et aux musaraignes ;
les phascoloïnes , aux rongeurs^; et les ornitborinques, les échidnés,
aux édentés ordinaires.
Voilà donc trois populations animales bien prononcées : celle du midi
de l'ancien monde, celle du midi du nouveau, et celle de la Nouvelle-
Hollande. Mais ces ti^ois poptdatiohs animales ne sont pas les seules.
Au point où en est la science , il est facile de distinguer aigourd'hui
plusieurs centres de populations animales distinctes : celui de FAmë-
rîque du Midi , celui de l'Amérique du Nord , celui de l'Afrique méri-
dionale, celui de Tlnde, celui de l'Afrique du nord, celui de l'Asie
centrale , celui de l'Asie du nord, celui de TEurope, celui de la Nouvelle-
Hollande, et d'autres encore.
Chacun de ces centres a ses animaux propres.
L'Amérique méridionale ^ les sapajous ^, les sajous, les alouattes,
les atèles, les coaïtas, les sakis^ les sagouins, les ouistitis, etc.; le fm-
ma , le jaguar, le jaguarondi , l'ocelot , le raton-crabier, le loup rouge ,
le renard du Brésil, le grison, le taïra, les coatis roux et brun, la
mouffette chinché, etc.; le cabiai, le coendou, l'agouti, l'acouchi, Fa-
perea^, le chinchilla, etc.; les sarigues, les fourmilliers, les paresseux,
les tatous , les pécaris , les tapirs , le lama , la vigogne , plusieurs cerfs , etc.
L'Amérique du Nord a plusieurs écureuils, plusieurs marmottes,
londatra ou rat musqué du Canada, le lemming de la baie d'Hud-
son, etc.; un blaireau, plusieurs renards, plusieurs martes. Fours noir,
l'ours terrible^, un raton, un glouton, plusieurs loups, etc.; le cerf du
Canada, le bison, le bœuf musqué, etc. Je ne parle pas des espèces
qui lui sont communes avec le nord de l'aûcien continent, l'élan, le
renne, etc.
L'Afrique méridionale et l'Inde méritent d'être comparées , ou plutôt
opposées l'une à Tautre; car l'Inde n'a aucune des espèces de l'Afrique
méridionale, et réciproquement l'Afrique méridionale n'a aucune des
espèces de l'Inde.
L'Afrique méridionale a l'éléphant d'Afrique , le rhinocéros d'Afrique ,
rhippopotame , le sanglier à masque, Toryctérope, le phatagin ou pan-
golin à longue queue, le chimpansé, toutes les guenons, le papion
^ Les kanguroos proprement dits n*ont pas de terme de comparaison Uen mar-
qué. — * Sapajous , ou singes à queue prenante. — ' Sakis, ou singes à queue non
prenante. — ^ Cest la souche du cochon d*Inde. — ' On ne sait pas bien encore
si cet oorr ten^le est une espèce différente de l'oors bnm d*Barope.
664 JOURNAL DES SAVANTS.
noir, le babouin, le drill, le mandrill, les galagos, Thyène tachetée,
rhyène brune, la civette, le léopard ,1e serval , etc.; le zèbre, le couagga,
le daw, un grand nombre d'antilopes, etc. etc.
Llnde a Téléphant, le rhinocéros, le tapir des Indes, plusieurs ma-
caques, plusieurs semnopithèques , les loris ou singes paresseux, une
loutre, le zibeth, une genette, le paradoxure, une mangouste, Tours
jongleur, le pangolin proprement dit ou pangolin à queue courte, le
guépard, plusieurs cerfs, plusieurs antilopes, etc. etc.
L'Afrique du nord, jointe à TArabic, à la Pei'se, etc., a aussi ses es-
pèces : rhyènç rayée, le lion, la panthère, Tonce, la gerbille des pyra^
mides, celle de Nubie, la gazelle, le caracaP, le lynx des marais, le lynx
botté, plusieurs antilopes, etc. etc.
L'Asie centrale nous donne le cheval, Thémionç, lane, le chameau ,
le dromadaire, Tours duThibet, le chevrotain qui porte le musc, plu-
sieurs antilopes, le yack ou vache grognante de Tartarie, etc. L'Asie
du nord, jointe à TEurope du nord, nous offre le glouton du nord,
l'hermine, la marte zibeline, les lemmings, le zocor, Télan, le renne, etc.
Nous trouvons dans TEurope centrale le cerf, le chevreuil communs,
l'aurochs, le loir, le lérot; le loup, le renard, le lynx, la genette, le
blaireau d'Europe, etc.
J'ai déjà nommé les principaux genres de la population de la Nou-
velle-Hollande ; mais évidemment l'archipel indien forme un centre à
part et présente une population animale distincte , quoiqu'il soit réuni
à la Nouvelle-Hollande sous le nom commun d'Océanie.
L'archipel indien a une population propre et même très - remar-
quable : il a le rhinocéros de Java, celui de Sumatra; il a Torang-ou-
tang, les gibbons, plusieurs semnopithèques, Tours malais, etc.; et cette
population, qui le sépare de la Nouvelle-Hollande, le rapproche beau-
coup du continent de l'Inde.
Au contraire, les Moluques, Célèbes, la Nouvelle-Guinée, Aroé,
Solor, etc. , se rattachent à la Nouvelle-Hollande par leurs /phalangers ,
par leurs kanguroos, etc.
Sur une autre partie du globe, je trouve l'île de Madagascar, laquelle
semble former encore un centre distinct de population animale , car j'y
vois plusieurs animaux qui ne sont que là , qui ne sont pas même en
Afrique; les makis, Tindri, ce singe à démarche lente que les habitants
de Madagascar apprivoisent et dressent comme un chien pour la
chasse ^ ; le singulier rongeur qu'on appelle aye-aye, etc.
* « C'est le Yfai lynx des anciens » Cuvier, Règn. anim. t. î, p. i64. — * « Sa
NOVEMBRE 1843. 665
Chaque animal, chaque espèce, a donc, comme le dit Buflbn, son
pays, sa patrie natarelle^; des lois, demeurées longtemps inconnues,
président donc à la distribution des animaux sur le globe ; une science
nouvelle naît, qui lie la zoologie, ou, pour parler dune manière plus
générale, Thistoire naturelle à la géographie; une lumière nouvelle
éclaire lés rapports des choses créées; et tous ces grands résultats sont
dus à la forte et puissante patience ^ d'un heureux génie qui a su com-
biner des faits pour en tirer des idées ^.
((Dans les animaux, dit Buflbn, Tinfluence du climat est plus forte
et se marque par -des caractères plus sensibles, parce que les espèces
sont diverses et que leur nature est infiniment moins perfectionnée,
moins étendue que celle de l'homme. Non-seulement les variétés dans
chaque espèce sont plus nombreuses et plus marquées que dans l'es-
pèce humaine , mais les diflérences mêmes des espèces semblent dé-
pendre des diflérents climats : les unes ne peuvent se propager que
dans les pays chauds , les autres ne peuvent subsister que dans les cli-
mats froids : le lion n'a jamais habité les régions du nord ; le renne ne
s'est Jamais trouvé dans les contrées du midi; et il n'y a peut-être au-
cun animai dont l'espèce soit, comme celle de l'hon^me, généralement
répandue sur toute la surface de la terre : chacun a son pays, sa patrie
naturelle , dans laquelle chacun est retenu par nécessité physique ; cha-
cun est fils de la terre qu'il habite , et c'est dans ce sens qu'on doit dire
que tel ou tel animal est originaire de tel ou tel climat^, h
Les animaux sont donc sous la dépendance du sol ; leurs espèces
changent avec les climats ; l'espèce humaine seule a le privilège d'être
partout la même, et cela par la grande et belle raison qu'en donne
Buflbn , parce qu'elle est une.
((Dans l'espèce humaine, dit Buflbn, l'influence du climat ne se
marque que par des variétés assez légères, parce que cette espèce est
une, et qu'elle est très-distinctement séparée de toutes les autres espèces.
L'honune , blanc en Europe , noir en Afrique , jaune en Asie , et rouge en
Amérique , n'est que le même homme teint de la couleur du climat ;
comme il est fait pour régner sur la terre , que le globe entier est son
domaine, il semble que sa nature se soit prêtée à toutes les situations:
démarche lenle, qui Tavait fait prendre pour un paresseux, a engagé quelques
rauit de Séchelles , Voyage à Monlbard, p. 1 5. — ' « Rassemblons des faits pour
nous donner des idées. » T. III, p. a 5. — * T. XVIII, p. a.
84
666 JOURNAL DES SAVANTS.
sous les feux du midi, dans les glaces du nordr il vit, 11 multiplie, il
se trouve partout si anciennement répandu , qu*il ne parait affecter au*
cun climat particulier ^ n
J'ai examiné, dans cet article, les idées de Buffon sur les rapports des
animaux avec le globe; j'examinerai, dans un autre, ses idées sur f indé-
pendance propre de Tespèce humaine et sur lunité de Thomme.
FLOURENS.
Il sepolcro dei Volunm, scoperto in Perugia nel 18ù0, ed altri
monumenti inediti etruschi e romani ^ esposti da G. B. Vermiglioli.
Perugia , 1 84o , in-4°.
DEUXlàME ARTICLE ^.
J'aiTive maintenant aux urnes, qui, par les statues qui en décorent
le couvercle, et par les inscriptions qui s'y lisent, dont l'une est bi-
lingue, c'est-à-dire étrusque et latine , et, sous ce rapport, d'un grand
intérêt, méritent au plus haut degré Tattention de l'antiquaire. J'ai déjà
dit que ces urnes, au nombre de sept, étaient placées toutes dans la
pièce du fond, que j'ai désignée sous le nom de tribune; et nous ver-
rons bientôt qu'elles portent toutes le même nom de famille , avec des
prénoms divers et avec des désinences ou afiixes qui indiquent les re-
lations propres aux différents membres d'une même famille , en sorte
qu'il ne saurait subsister le moindre doute sur la destination de ces
monuments funéraires , non plus que sur l'étroite affinité et sur l'é-
poque contemporaine des personnages auxquels ils appartiennent.
C'est aussi ce qui résulte de la composition même et du travail de
ces urnes, dont cinq offrent absolument la même forme; et toutes
sont exécutées dans le goût d*une même époque. Les cinq urnes qui se
ressemblent sont composées de deux parties, l'une, qui n'est, à propre-
ment parler, qu'une base carrée en forme de simple cube surmonté
d'mie corniche et orné, au centre, d'une tête de Méduse, et, dans les
quatre angles, d'une patère; l'autre partie, qui consiste en un lit funèbre,
couvert de riches tapis , sur lequel repose une figure couchée. La partie
* T. XVIII, p. 1. — * Voir le cahier dfoclobre, p. BgS.
NOVEMBRE 1843. 667
inférieure de ces urnes, ou la base, est de .travertin, laissé dans son état
naturel , avec cette particularité , que les masques de Médase qui en dé-
corent la face ny étaient point sculptés, mais rapportés, et fixés au
moyen de crampons de métal. La partie supérieure, ou le couvercle,
composée du lit et de la figure, est de la même matière, mais revêtue
d'un stuc très-fin et très- dur, qui a l'apparence et le poli du marbre.
Du reste , le travail du Ut est exécuté avec beaucoup de soin et de
goût, et, dans les cinq urnes qui sont surmontées de ce meuble fu-
nèbre, la composition offre des variantes d'ajustement qui prouvent
qu'on ne s'était pas borné à répéter de pratique un même modèle. Des
cinq figures placées sur ces sarcophages, quatre, couchées sur le lit,
sont des statues d'hommes , la cinquième, qui est assise sur un siège à
dossier, est celle d'une femme; double notion qui résulte à la fois du
costume donné à ces figures et de la teneur des inscriptions qui les ac-
compagnent. Les hommes , vêtus de la toge mortuaire ^ qui lem' laisse la
poitrine et une partie du ventre découvertes, sont couchés la tête ap-
puyée sur le bras gauche, dont le coude pose sur un riche coussin; ils
tiennent de la main droite placée sur le genou une lai^e patère, le
vase de la libation funéraire; et le seul ornement qui les distingue est
un long collier qui leur pend jusqu'au milieu du corps, et qui parait
formé de flocons de laine ^. L^ femme, seule personne de son sexe qui
figure parmi les membres de cette famille, est entièrement vétaed*nne
tuniqae hngaesans manches, serrée au-dessous du sein par une ceinture,
et d'un pépias qui lui enveloppe le bras gauche; et, du bras droit, re-
levé à la hauteur de son épaule, elle tient l'extrémité d'une autre es-
pèce de collier qui paraît consister en une simple bandelette d'étoffe.
J'insiste sur ces paiticularités de costume. qui caractérisent ici les
deux sexes, parce que, faute d'y avoir fait une attention suffisante,
M. Vermiglioli a pris pour une femme la figure d'homme qui orne le cou-
vercle d'une de ces urnes, celle qu'il publie pi. m, n. i, et que, d'après
cette fausse supposition , il a cherché à appliquer à une femme l'ins-
cription étrusque qui ne peut convenir qu'à un homme; double erreur
qui ne laisse pas d'avoir d'assez graves conséquences , à la fois pour la
connaissance du costume et pour Tintelligence de la langue. C'est,
d'ailleurs, un fait attesté par beaucoup d'autres monuments étrusques
du même genre , que \es femmes, couchées sur le couvercle des sarco-
phages, se représentaient vétaes, à la différence des hommes, qui mon-
* Juvenal. Sat. m, 171-a; cf. Martial. Epigr. ix, 58. — * C'est Tidée de M. Ver-
mig)toli , qui me parait fort judicieuse , et que j*adopte pour mon propre compte ;
voy. &!polcr. de' Volanni, p. 35-^.
/
668 JOURNAL DES SAVANTS.
traient leur poitrine découverte^ ; et ce trait de mœurs, qui doit tenir k
quelque intention particulière, se trouve justifié par les urnes de notre
tombeau des Volumnii, où cette particularité, rendue sensible par les
cinq figures d'hommes , accompagnées de leurs inscriptions , achève de
devenir évidente par la figure de femme vêtue, non plus couchée, mais
assise sur un siège dont les pieds sont formés par des chouettes, Toiseau
symbolique de Minerve, et, à ce titre, l'emblème le mieux approprié à
une femme. Du reste, toutes ces figures offrent des traits individuels,
où la différence de lage, suffisamment exprimée, se trouve d'accord
avec les inscriptions indiquant des relations de père, dejils et de frère.
Ce sont donc des portraits de famille qu'il faut voir ici, comme c'est le
cas de toutes les figures semblables placées sur le couvercle des urnes
étrusques; et il y a lieu d'être surpris qu'un aussi savant antiquaire que
M. Feuerbach ait pu prendre pour un personnage idéal, pour la reine
des morts, la figure d'une femme que son inscription désigne incontes*
tablement pour Velia \olamnia,fme d'Aruns^. Une dernière observation,
qui s'applique à toutes ces sculptures, et que j'emprunte avec confiance
au même antiquaire, juge éclairé en pareille matière, c'est (que leur exé-
cution est très-supérieure à la plupart de ce que nous connaissons de
sculptures du même genre.
Il me reste à parler des deux urnes qui différent, par leur composition,
des cinq dont je viens de rendre compte. L'une de ces urnes, qui, par
sa position à la place principale du sanctuaire, sur la paroi qui fait face
à l'entrée, par sa proportion, qui surpasse celle des autres urnes, et
par la richesse dé sa décoration, semble avoir appartenu au chef de la
famille qui fit constniire cet hypogée , se compose pareillement de deux
parties, c'est à savoir, d'une base carrée couronnée de sa corniche, et
d'un lit funèbre, orné avec beaucoup de luxe, et sur lequel repose la fi-
gure couchée d'un homme, vêtu de la même manière qui a été indiquée.
Mais ce qui distingue cette urne des cinq dont elle était accompagnée,
c'est qu'il s'y trouve, aux deux côtés de la base, deux figures de femmes
assises, que, d'après leur costume, leur chevelure mêlée de serpents, les
ailes qu'elles ont aux épaules, et \e flambeau allumé que l'une d'elles
porte, appuyé sur son épaule^, il est impossible de méconnaître pour
^ Voy. l'observation que j*ai eu tout récemment foccasion de faire à ce sujets
dans ce journal, et les exemples que j'ai cités à fappui, juillet i843, p. 43o, i).
— * Bullet deir Instit. Archeol, lo^o, p. lao : «Il capo, su cui stà una speçie di
«diadema, è atteggiato imperiosamente, e pare accenni la sovrana regina del
< Tartaro. » — ^ La main de l'autre figure , qui est brisée , devait tenir aussi un flam-
beau, comme M. Feuerbach en a fait fobservation , Ballet. i84i« p- lai-
NOVEMBRE 18&3. 669
deux de ces Erinnyes qui figurent si souvent, mais ia plupart du temps
debout et non assises, sur les monuments funéraires de Tan tique Étrurie.
Ce qu il y a encore de particulier dans ces figures, d*une expression re-
marquable et d*un beau travail, c*est qu elles ne sont pas sculptées dans
la masse même du sarcophage , mais travaillées à part , presque entière-
ment de ronde bosse, et réunies aux côtés de iurne au moyen de tringles
de fer. Une autre particularité , plus mre encore et plus curieuse , que
présente ce beau sarcopbage, c'est que Tespace lisse laissé sur la base,
entre ces deiu figures d'Euménides, et couvert d'un stuc très-fin , est rem-
pli par une peinture, dont je ne sache pas quil y ait encore d'exemple
sur aucun de ces monuments de Tarcbéologie étrusque venus jusqu'à
nous. Cette peinture, qui parait avoir eu pour objet de remplacer la
sculpture dont on décorait ordinairement la partie antérieure des urnes
funéraires, et qui semble, d'après les expressions de M. Vermiglioli \
avoir été exécutée d'après le même procédé que celles d'Herculanum et
dePompéi, qui sont aussi sur enduit, représente quatre Jigares déjeunes
filles, deux en avant et deux sur le second plan, placées sous une es-
pèce de niche ou de porte cintrée. L'absence de tout attribut empêche
de caractériser ces figures , qu'à leur jeunesse et à leur costume on peut
seulement regarder conmieles filles du défunt. Mais, indépendamment
de l'intérêt purement domestique qu'avait sans doute cette représenta-
tion funèbre, ce qu'il y a d'important et de neuf dans cette application
de la peinture à l'ornement d'un sarcophage, c'est le mode même d'a-
près lequel cette peinture était exécutée et le style dans lequel elle était
traitée. C'est là ce qu'il importait beaucoup de constater dans les pre-
miers moments qui suivirent la découverte, alors que la peinture se
trouvait à peu près dans toute son intégrité , et ce qu'on a malheureuse-
ment négligé de faire. Maintenant que, d*après les renseignements qui
m'ont été transmis, sur ma demande, par M. Vermiglioli, la peinture
est trop effacée pour qu'on en puisse faire même un dessin, c'est une
recherche qui est sans doute devenue impossible, et c'est conséquem^
ment une occasion, peut-être irréparablement perdue, de vérifier, sur
un monument unique encore jusqu'ici, un des points les plus impor-
tants de cette branche de l'art, dans son application au marbre ou à
un enduit tenant lieu du marbre.
La seconde de ces urnes, qui méritent une mention particulière, et
qui se distinguent par des circonstances toutes nouvelles, se trouvait
^ Sepoler, de' Volanni, p. 4o : iLa pittura applicata allô intonaco del marmo pe-
« nigino sarà stata eseffuita con io stesso metodo e procetso, con cui si dipingeano
«gli intonachi di Eroolano, di Pompflî e di aitri looghi. >
670 JOURNAL DES SAVANTS.
fiaicée contre la paroi de gauche , à l'entrée même de la tribune ; ce
qui semblait indiquer qu'elle était la dernière qui eût été déposée dans
ce sanctuaire de famille. Cette urne est de marbre blanc , à la diffé-
rence de toutes les autres , qui sont de travertin , et elle offre la formé
dun petit temple distyle, d'ordre corinthien, à fronton, exécuté avec
beaucoup de soin dans tous les détails de ses quatre faces et dé sa toi-
ture : ce qui ne laisse pas d'être neuf en soi et instructif pour la con-
naissance de l'architecture antique, qui, du reste, n'offre ici que des
éléments purement grecs , sans rien qui appartienne au système toscan.
Les deux frontons sont ornés, sur le milieu du tympan, d'une tête de
Médttse placée entre des rinceaux de feuillage ; l'angle supérieur est dé-
coré d'une riche palmette, et les acrotères, de deux figures de sphinx,
dont on connaît, par une multitude d'exemples fournis par Tantiquité
grecque et étrusque, la signification et l'emploi funéraires. Les divers
objets qui entrent dans la décoration de cette urne, et qui se rapportent
tous à des intentions pareilles, ont été expliqués par M. Vermiglioli
d'une manière qui me dispense de m'y arrêter. Mais ce qui fait le prin-
cipal mérite de cet intéressant monument , et ce que je dois signaler
spécialement à l'attention de nos lecteurs , c'est la double inscription ,
étrusque et latine, qui s'y voit gravée, et qui devient un moyen cer-
tain de détermination pour le nom de la famille à laquelle appartenait
cet hypogée. L'inscription latine se lit sur la face principale; elle est
distribuée en deux ligne&sur les deux bandes de l'architrave, et conçue
en ces termes : P. VOLVMNIVS A. F. VIOLENS CAFATIA NATUS.
L'inscription étrusque est gravée sur les deux rampants du toit, et elle
se lit ainsi :
Ces deux inscriptions , qui expriment le même nom de famille , sous
la forme étrusque nationale et sous la forme latine , établissent ainsi la no-
tion importante que cet hypogée est celui de i2L famille Volamnia, famille
historique en Étrurie; et cette notion, trouvée d'accord avec l'interpré-
tation des inscriptions étrusques , mérite d'autant plus que nous nous y
arrêtions , que cette interprétation remplit la plus grande partie du livre
de M. Vermiglioli. Mais, avant d'aborder ce sujet délicat et difficile, je
dois faire une observation qui me paraît réclamée par l'intérêt de la
science : c'est que TinteHigence des inscriptions étrusques est aujourd'hui
encore la moins avancée de toutes les hranches de l'archéologie.
On avait cru longtemps^ et j avoue que j'ai été moi-même dans
cette illusion, que ces inscriptions pouvaient s'interpréter à l^aide du
NOVEMBRE 1843. 671
grec et du latin; et cest d< après cette; idée, qui- pouvait paraître plau-
sible à beaucoup d'égards, que le èélèbre Lanzi eiposa , Ters la fin du
dernier siècle , un système d'interprétation qui* >&i( aecueilfi avec un
applaudissement général, «t qui est encore, de MB jours, suivi par la
plupart des antiquaires ultramontains avec une confiance que je ne
saurais plus partager. Entre tous ces disciples de Lanzi, qui se sont
elForcés de porter quelque lumière dans cette grande énigme d'une
langue qu'on lit couramment sans pouvoir l'entexàdre , M. Vermiglioli
est certainement celui qui s*est le plus distingué par les nombreiui
travaux que lui ont fournis les monuments étrusques de Perwgia, sa
patrie ^ Mais, s'il m'est permis de .dire ici ce que je pense, le résultat
de tous ces travaux entrepris par Lanzi et ses successeurs se réduit à
des conjectures dont le peu de solidité devient de jour en jour plus
manifeste. A l'exception de^l'alphabet, dont la valeur est établie, dans
tous ses éléments, d'une manière désormais incontestable, et dont
l'origine est certainement dérivée de l'alpbabet grec primitif, je crois
pouvoir dire que toutes les questions qui touchent à la langue même,
à ses racines, à sa marche grammaticale et à $on vocabulaire, sont
encore aujourd'hui couvertes de la même obscurité qu'au temps où
Lanzi essayait d'expliquer par l'ancien grée un certain nombre de mots
qui -offraient une physionomie grecque, mais sans pouvoir jamais rendre
compte- d'une phrase entière, sans poyvoir y discerner avec certi-
tude les verbes et les autres mots qui servent, par leurs inflexions, à
lier entre elles les diverses parties du discoui^. J'en puis citer pour
preuve la célèbre inscription du monument appelé Torre di San-Manno^
îa plus belle, sinon la plus considérable, de toutes les inscriptions
étrusques que nous ayons recueillies jusqu'ici. Lanzi, qui en fit l'objet
d'un examen particulier dans son Saggio^, ne put en expliquer que
quelques mots, encore de cette manière purement conjecturale et
tout à fait arbitraire qui n'a rien de satisfaisant pour un esprit sérieux,
sans se flatter d'en comprendre la teneur générale; et lorsque, plus tard,
dans un écrit publié pour défendre son système contre des objections ,
très-insufiisantes du reste, dont il avait été l'objet, il entreprit une
' Je citerai particuKèreiiient son Saggio di conqettwre suUa grande ùcrizione etrusea
scaperia nel 1822, Pemgia, iSaâ, in-A*; son Saggio di bronzi eïraschi trovati nel
i8i2, Perugia, 181 3, in-4*; ses OpuscoU, à vol. in-8*, Perugia, 1826, où il se
trouve plusieurs dissertatioDS curieuses sur des inscriptions étrusques; et, par-
dessus tout, ses Iscrizioni Peragine, a vol. in-fol. Perugia, 181 /} , dont la 3* édition
a été donnée en i833, Pemgia, a vol. in-fbl. — ' Lann, Saggîo, t. H, p. 438-^43,
S xxui.
672 JOURNAL DES SAVANTS.
nouvelle analyse de cette inscription^, il ne put aller au delà de sa
première interprétation, qui laissait absolument intacts tous les mots
difficiles de Tinscription. Et, de nos jours encore, M. Vermig^oli, quia
repris cette tâche ingrate avec une ardeur nouvelle et une foi entière
dans la doctiine de son maître ^ n a pu rien ajouter au travail de
Lanzi, sans compter que des mots, dont on avait pu croire imlerpré-
tation fixée, ont apparu de nouveau dans une autre inscription décou-
vei*te depuis ^, et ont remis en question ce qui paraissait décidé, même
au sujet de ce petit nombre de mots problématiques.
Ce quil faudrait pouvoir déterminer avant tout, dans les questions
qui touchent à la langue étrusque., cest à quel peuple antique elle
appartient. Mais cette première question , qui se lie i celle de Torigine
même de la nation étrusque, d*après quels éléments certains peut -on
essayer de la résoudre? Il n'est peut-être pas de point historique sur
lequel les opinions des anciens eux-mêmes aient été plus contradic-
toires que celui qui concerne Torigine des Étrusques ; et cette question
est peut-être aussi celle qui a été le plus controversée chez les mo-
dernes, celle qui a produit le plus de systèmes, et conséquemment laissé
le plus d'incertitudes dans les esprits. Sans entrer ici dans une discus-
sion qui m'éloignerait trop de mon sujet , et qui pourrait faire à elle
seule la matière de tout un livre , je me borne à dire que , après un long
examen de tous les éléments de la question, il me parait démontré,
comme à M. Lepsius ^, que le fond de la langue étrusque , telle que nous
la possédons aujourd'hui dans des inscriptions qui doivent être à peu
près toutes postérieures à l'époque de T asservissement de la nation par
les Romains , est indigène et ombrien , et que le peu de mots grecs
qui s'y trouvent , et qui tiennent sans doute à l'élément pélasgique ou
tyrrhénien mêlé à la population primitive de TËtrurie, sont tout à
fait insuffisants pour traduire une seule inscription étrusque. S'il est
possible, à la rigueur, de rendre compte, à l'aide du grec, du petit
nombre de mots étrusques qui se trouvent cités par les anciens au-
* Disseriazione sopra una urnetta toscanica , e difesa def $aggio di Ungaa elrasca
eâito in Roma nel 1789; cette dissertation, datée d*Udîne, 3o juin 1799, et dédiée
au célèbre cardinal Born;ia, parut, cette ménic année, dans le Journal littéraire
4e Venise; et il en fut fait un tirage particulier, dont les exemplaires sont devenus
très- rares. L'inscription de la Torre di San-Manno y est Tobjet d'un travail cri-
tique, p. 37-48. — * Iscrmon. Perng. t, I, cl. iv, n. 2, p. ii8-i3o. — ' C'est
Tinscripliou du tombeau de \a famille Pomponia à Tarqainies, découvert en i83a;
voy. cette inscription , publiée avec les observations du feu D' Kellermann , dans le
Ballet. delV Instit. Archeol. ^333, tav. aim. n. 4, p. 55-56. — * Lepsius, ùber die
^yrrhenischen Pelasger (Leipzig, i84a » in H*)» p. 25 et suiv.
NOVEMBRE 1843. 673
eurs , comme a essayé récemment de le faire un phÂaiogue allemand ,
M. Dôderlein ^, personne encore n'a pu expliquer eh entier, je ne dis
pas la grande inscription de Perugia , trouvée en i8aa , mais celle de la
Torre di San-Manno , connue depuis plus de deux siècles; et cela tient à
ce que la langue dans laquelle ces inscriptions sont conçues diffère
complètement, par ses racines et par toutes ses inflexions» de la langue
grecque, aussi bien que des autres idiomes anciens qui nous sont
connus, tant sémitiques qu' indo-germaniques^.
Il en est de même des inscriptions plus anciennes, que Ton peut
attribuer à des temps plus ou moins rapprochés de Tépoque pélasgi5{ue
ou tyrrhénienne , telles que l'inscription gravée sur le vase, holrr/dxi.
général Galassi^, et celle d'un autre vase, aussi de terre noire, de iïàn»
cienne collection Borgia*, inscriptions qui, par la forme des caractères
et par la construction des mots où les voyelles abondent, paraissent*
être conçues dans l'ancien tyrrhénien ou pélasgiqûe, mais qui n'en
restent pas moins complètement inintelligibles pour nous, attendu qu'il
ne s'y trouve absolument rien d'hellénique. Or , du moment qu'il est à
peu près avéré, pSK'tant de tentatives infructueuses de déchiflrement ,
que l'élément grec introduit, à l'époque pélasgique, dans la langue du
' Commentatio de vocam aliquot latinarum, sabinaram, umhricafum, tuscarum, co-
gnatione grœcUj Erlangae, iSSy. — * Je ne connais pas le livre publié à Naples
par l'abbé Cataldo Jannelli, sous ce titre : Tentamen hermeneuticum in Etrascas in-
scriptiones, ejasque fandamenta , NapoH, in-8% i84o. Je sais seulement que l'auteur,
marchant sur les traces de son illustre compatriote Mazzochi, s* efforce de tirer les
mots étrusques de Thébréti et du phénicien; et, sans avoir lu Touvrage, je crois
pouvoir me permettre de dire qu*il y a dans doute beaucoup d*imagination , d*esprit
et de savoir, dans le livre de Tabbé Jannelli ; -mais , en fait d'inscriptions étrusques,
expliquées d'après le sémitique, je doute qu'il y en ait une seule, ou plutôt je suis
convaincu qu*il n*y en a pas. — ^ Cette inscription a été publiée dans les Armai,
deir Instit. ArcheoL t. VIII, p. 199, par M. Lepsius, qui la croit de Tanden tyr-
rhénien ou pélasgique, d'après des motifs qui avaient paru assez plausibles à feu
Ott. Mûller, et qui me semblent tels à moi-même. M. le D' Franz en a jugé diffé-
remment, Elément epigraph. grœc. (Berol. i84o, in-A**)» p- ^4; mais il n'en donne
pas de raisons; et, comme il admet quelle n'est pas étrusque, il est difficile pourtant
qu'elle ne soit pas tyrrhéno-pélasgique , puisqu'elle est conçue en caractères qui
tiennent du grec primitif et de l'étrusque, et qu'elle se trouve sur un vase d'Agylla,
ancienne ville pélasgique occupée par les Tyrrhéniens. — ^ Cette inscription, qui
se trouve maintenant dans le musée de Naples, avec toute la collection Borgia, a
été pubhée aussi par M. Lepsius , ûber die Tyrrhenischen Pelasger in Etraria, p. à2 ;
et le même savant rattache à la même dasse d'inscriptions tyrrhéniennes quelques
monuments étrusques rangés à part, comme plus anciens, par hàim, Saqgio, t. II «
S art. ni, S v, n** 188-200, p. Sig-SaG; ce qui peut être exact pour qudques-unes
e ces inscriptions, mais non pas pour toutes, du moins à mon aris.
85
674 JOURNAL DES SAVANTS.
peuple nommé depuis étrusque , ne peut servir en rien à 1 mtelligem^e
de cette langue, qui était celle d'un peuple primitif et indigène de
ritalie centrale, sur quel espoir et à l'aide de quelles ressources peut-
on raisonnablement s exercer encore à des essais d'interprétation doot
le principal instrument nous manque, je veux dire la connaissance de
cette langue primitive, dont il ne s est rien conservé que ces inscriptioDi»^
mêmes, que nous lisons sans pouvoir les comprendre? Si, du moins, il
nous était parvenu quelque inscription bilingue , d'une certaine éten-
due , qui permît d'apprécier avec quelque certitude le caractère de la
langue étrusque, àfépoque où elle était parlée et écrite concurremment
avec la langue latine , on aurait une base quelconque pour des travaux
philologiques de ce genre. Mais on sait que le peu d'inscriptions bi-
lingues que nous avons recueillies se bornent à des noms propres de
famille , qui ont achevé de fixer la valeur de quelques lettres de l'alpha-
bet, et fait connaître la signification de quelques désinences, mais qui
ne peuvent servir en rien à nous éclairer sur le système général de l'i-
diome auquel elles appartiennent. La langue étrusque reste donc un
problème insoluble pour nous dans l'état actuel de nos connaissances ;
et je suis convaincu que tous les travaux d'interprétation dont elle peut
être l'objet, si ingénieux et si doctes qu'ils puissent paraître, ne sont
que de purs jeux d'esprit scientifiques, sans aucune utilité réelle pour
la science.
A{)rès cette déclaration , qui m'a d'autant moins coûté à faire , qu'elle
comprend la condamnation de mes propres travaux, si elle n'épargne
pas ceux des autres, j'entreprends avec plus de liberté l'examen des
inscriptions étrusques du tombeau des Volamnii, interprétées comme elles
l'ont été par le savant professeur de Peragia. La première de ces ins-
criptions se présente à l'entrée même du monument; elle est gravée sur
le chambranle de droite, et distribuée en trois lignés, qui se dirigent
de haut en bas , et qui se lisent ainsi :
MflNkklN3DO<3fl^ON<lfl Arnth. Larth. Velimnas.
<VI2V©^fl3N3<lfl Anmeal. ïhusiur.
aoaO'^DfllOVa Suthi. Anl. Thece.
La première ligne contient indubitablement le nom de famille , Ve-
limnaSy du personnage qui fit creuser cette tombe, précédé des deux
prénoms Arnth (Aruns) et Larth (Lars), connus l'un et l'autre par
une multitude d'inscriptions étrusques, et dont la réunion constitue
ici une particularité, sinon insolite, du moins assez rare sur les monu«
NOVEMBRE J843. 675
ments de ce pays. Quant au nom de famille Velimnas, dont rapparition
n'est pas non plus tout à fait nouvelle dans la nomenclature des noms
des fimiilles étrusques de Peragia, puisc[ue déjà ce nom s'était trouvé,
sous la forme étrusque^ et sous la forme latine^, sur quelques urnes de
cette ville , la leçon en est désormais fixée d'une manière indubitable ,
non-seulement par cette première inscription , mais encore par toutes
celles des urnes déposées dans l'hypogée ; et ce nom , qui appartient à
une famille étrusque considérable , est probablement le même qui jouit
aussi à Rome, dès les premiers siècles de la république, d'une cer-
taine importance politique, et, vers le commencement de l'empire,
d'un certain éclat littéraire. Varron' cite, en efiet, un Volumnias,
* Venniglioli, Monp^ru^^ t. I,cl. v, n. 38, p. 179, et 180-181. Le nom Velim-
nos est ici écrit paa pt V initial, tandis que, dans les inscriptions du tombeaa des
Volumnii, le mômw'njanr est écrit par le digamma C; d'où il suit que ces deux
caractères avaient la même valeur dans la prononciation. Du reste, notre autetu*,
n"* 9, 10, p. a3. — * Varron. Dtf L. L. v, 9, 55, p. aa , éd. Gtt. Mùller. (p. 61, éd.
Spengel. ]. Je remarque que la leçon Vobiias, au lieu de Volumnias, a été adoptée
dans ces deux éditions de Varron , les plus récentes et les plus estimées, sur la foi
de quelques manuscrits , mais surtout d'après la fausse supposition que la leçon
Volumnias, bien que donnée par le plus grand nombre de ces manuscrits, était due
a Pomponius Letus. Il était cependant pàos plausible d'admettre la leçon Volnius
comme une abréviation de Volumnius, et les inscriptions étrusques changent cette
conjecture en certitude. Il n*est pas probable que ce Volumnias, auteur de tragé-
dies étrusques, soit le sénateur L. Volumnias dont Varron fait aussi mention , comme
d*un de ses contemporains, dans un autre ouvrage, D« R. JR. 11, 4« 13, et qui fut
un des amis intimes de Gcéron, Gceron. ai Divers, vu. Sa. Mais on peut coiqec-
turer que le P. Volamnius -àuqael Qcéron adresse deux des lettres de son recueil,
ad Divers, vu, 3a, 33, et dont le prince de l'éloquence latine goûtait beaucoup
l'esprit enjoué et malin, était le poète mentionné par Varron , le même aussi, sans
doute , que celui dont un grammairien latin inédit cite un vers , seul débris de ses
poésies qui nous soit parvenu. Do reste, on sait que le nom de Volumnias paraît
de bonne heure dans Thistoire romaine. Volunmia , femme de Coriolan , appartenait
à cette famille, Tit. lâv. ii, 4o. Un L. Volumnias Violens obtint deux foi? le con-
sulat dans les années 446 et 456 de Rome, d'après les Fastes consulaires, d^accord
avec le récit de Tite-Lîve, ix, 4i , et x, i6; et ce surnom Violens, ipxi paraît avoir
été propre à la famille étrusque des Volumnii, se retrouve encore porté par un
membre de celte famille, P. Vobunnias. ir. Violens, (joatuorvir et rfaomwr de Pe-
rusia, dont nous avons une inscriplioa latine , Gruler, p. MCii, 6; OrelU, Inscript
*rt. sekct II, 157; Venniglioli, Iscriz. Perug. t II, p. 4a3, n. i5. Un consul P.
Volumnias, -ûe l'an de Rome «93, est aussi connu par fhistoîre , Tit. Liv. ni, 10;
et c'était probabletnent un membre de cette fiumlie étrusque, dont une brancke
s*éiait établie très-anciettiiemeiit k Rmne» et dont la aouehecontiiMia de fleoriruà
85.
676 JOURNAL DES SAVANTS.
comme auteur de tragédies étrusques , qui florissait peu de temps avant
lui * ; et il n'est pas douteux que ce Toscan Volamnias ne s^appelât
VeKmnas dans sa langue nationale. On sait que Te des noms étrusques
se rendait le plus souvent par 0« ^n passant dans la langue latine « ainsi
que nous en avons des exemples dans le nom de la ville étrusque
>^^tflOl>l [Velaihri), que les Romains appelaient Volaterrœ, dans le
nom de Vulcanus [Volcanos), qui se lit écrit /^ÇU^'flNV sur un monu-
ment étrusque^, et dans quelques autres noms, où Fo» qwi manquai!
à Talphabet étrusque, est remplacé par 1*6. On sait aussi que l'emploi
de Te pour O avait lieu dans beaucoup de mots de l'ancienne latinité ,
comme cela résulte du témoignage des grammairiens, qui citent pour
exemples benus, hemo, delor, écrits pour bonus, homo, dolor; en sorte
que cette synonymie de Velimnas et de Volamnias n'ë ^sujette à aucune
difficulté, même sans le secours de l'inscription bilir? ^e, où le nom de
Velimnas du texte étrusque est rendu par VolamniusSiStis le texte latin.
C'est donc un point qui demeure désormais bien avéré , et sur lequel
nous nous trouvons complètement d'accord avec M. Vermiglioli.
Je voudrais qu'il en fut de même du reste de l'inscription, composé
des lignes 2 et 3. Malheureusement, c'est là que se trouvent, non plus
des noms propres, mais des noms de la langue commune; et c'est là
aussi que se rencontrent des difficultés pour la solution desquelles on
est réduit à des conjectures. A l'exception du mot Araneal, qui, d'après
la place qu'il occupe et d'après sa terminaison , ne peut être méconnu
pour un de ces titres matronymiques qui ne manquent dans presque
aucune épitaphe étrusque, et qui doit se traduire par Arania notas, les
autres mots renferment probablement une formule de consécration sé-
pulcrale , telle qu'on doit naturellement s'attendre à la trouver à l'entrée
d'un tombeau. Mais c'est à cette supposition que se borne l'intelligence
que nous pouvons avoii' de cette inscription , attendu que l'interprétation
des mots mêmes manque de toute base solide. Ainsi, même en admettant
les leçons proposées par M. Vermiglioli, et qui , dans deux de ces mots,
qu'il lit thasiar et thece, pourraient être contestées , puisque la lettre ini-
tiale © a souvent la valeur du phi plutôt que celle du thêta *, je trouve
que la manière dont il en rend compte est purement coiyecturale , et
Perugia jusque sous l'empire. — ' C'est lopiniôn d'OlL Mûller, die Bknuker, iv,
5, i, p. a8i, 1), 'd'accord avec celle de Lange, VindicL Trag. Roman, p. i3. —
* Leiter. di Etrusc, erud. lav. xii, n. a. ^ * Voyei-en les exemples cités par M. Lep-
sius, AnnaL delV Instit. Archeol t. VIII, p. 197, 1), d'après des scarabées et des
miroirs étrusques. Un autre motif non moins grave, que je pourrais alléguer contre
la valeur du thêta attribuée à la lettre Q, cest que, la leUre O ayant incontesta-
NOVEMBRE 1843. 677
j'ajoute, à r^^et, que ses conjectures ne m'offrent rieh de satisfaisant*
Partant de l'assimilation de l'étrusque thnsiar et de f ombrien tase et
tarse, des tables eugubines, il explique l'un et l'autre par le grec ft^/a;
mais où est la preuve de cette origine grecque d'un mot des langues
ombrienne et étrusque? C'est toujours là, comme on voit, la même
pétition de principes qui sert de base à tout ce système. Le même dé-
faut, avec une difficulté plus grande encore, se rencontre dans le mot
qui suit IOV2, suthi, que notre auteur, à l'exemple de Lanzi, traduit
par saihia, et qu'il dérive du grec aroinripiay salas, comme il dérive de
(TCûTrfptov le mot sathar de quelques autres inscriptions. Mais j'avoue en*
core que celte explication me parait purement gratuite et dépourvue
de toute espèce d'autorité. Que le mot sathi ait eu une signification qui
le rendait propre à faire partie d'une inscription sépulcrale, c'est ce qui
résulte de la présence de ce mot, non-seulement dans un grand notnbre
de ces inscriptions, dont deux au moins sont connues depuis le
XVI* siècle, celles du monument dit Torre di San-Manno, et d'un cippe
du musée de Peragia \ mais encore à la façade de plusieurs tombeaux,
devenus récemment l'objet de l'attention des savants , tels que ceux de
la vallée de Castel-d'Asso ^. Ce mot s'y trouve, tantôt sous sa forme sim-
ple , tantôt sous une forme compliquée de désinences , toujours précédé
du mot eca, de cette manière : IOVMfl>3 (eca sathi) , M^NIOVMPl)^
(eca sathines) , 4t^3n\OWt^R>3 [ecasathinesl); et, d'après la place qu'oc-
cupe cette formule sur le frontispice d'un tombeau, on ne peut douter
qu'elle ne soit de teneur funéraire. On l'a trouvé aussi, le plus "souvent
sous la forme simple, MlOVMfl>5 {eca sathis) . sur des stèles sépulcrales
de Peragia^, sur deux disques, sortis du sol de Valci, ayant servi pro-
bablement de bases à des monuments funéraires *, et sur la pierre d'un
tombeau de Toscanella^; et, de ce grand nombre d'exemples, tous four-
nis par des monuments funéraires et appartenant à "diverses localités
étrusques , il résulte bien que ce mot et la formule dont il faisait partie
avaient un sens funèbre. Mais , lorsque Lanzi essayait d'interpréter eca
blement, dans notre insoripiion, cette valeur du thêta, qui est sa valeur propre et
constante , il en résulterait qu*on aurait employé deux formes de lettres cÛflérentes
avec la même valeur dans un même monument lapidaire : ce qui est contre toutes
les règles de 1* analogie. — ^ CeUe seconde inscription a été reproduite en dernier
lieu par M. VermigUoli, Iscriz. Perug. 1. 1, cl. iv, n. 3, p. i3i. On y lit au com-
mencement : A> (pour eca) IOV2. Le mol-sathi est le second qui se lit dans TiDs-
cription du twnbeau de San-Matmo. -— * Voy. la disserkatioii de M. Orioli, Dei
sepolcraU edifizi ielV Etraria média (Poligrafia Fiesolana^ 1826 « in-4*i tav. ni, iv,
vu , 1 . — ^ bepolcr, de Voiùfmi « p. 5À « n. xxx. -— ^ Bollet. delt Intik, ArcheoL 1 83% ,
p. 61 -6a, n. 47-48. — ^/bîd. 1839, p. »4* . .. . . u
678 JOURNAL DES SAVANTS.
par la pr^oskiOBl grecque ix, it^ et suthi par cnOias, pour crcmiplas,
de manière à en tirer le sens e soluté , ex incolamitate , qu*il jugeait propre
à«figiirer*daiis une inscription sépulcrale ^, il me paraît évident que cette
iat^prétaiion., bien que suivie par la plupart de nos étruscistes actuels,
teis que M. Orioli^ M. Gampanari^ et M. Vermiglioli*, qui applique, en
dernier lieu, cette doctrine de son maître à T explication de Tinscription
du tombeau des Vohimnii, est complètement arbitraii^e, sans compter
qu'elle est tout à fait contraire au génie de la langue grecque , où l'on
B>aiH*ait jamais dit àc acjmjpias, pour signifier propfer salutem ou pro salute.
Od n a pas , d'ailleurs , fait suffisamment attention que le mot étrusque
saàii devait avoir une relation nécessaire avec le nom sathina, qui se
lit, gravé en beaux caractères étrusques , sur plusieurs monuments d'an-
tiquité ^, où il paraît désigner une divinité , sans doute une déesse d'ordre
infernal^; et, dans cette supposition, qui ne laisse pas d'être très-plau-
flible , de la relation des mots suthi et suihina, que devient la conjectiu*e
de Lanzi'' P Je pourrais en dire davantage sur ce sujet, si je ne craignais
de Ëdre une dissertation, quand je dois me borner à une analyse, et je
' Lanzi , Saggio, t. II , S xiv , p. Ao8-Aog ; cf. ihiJL p. A33 , n xvii. -r- * Orioli , OpascoL
Letter. di Bologn. t. Il , p. 1 36 ; Biblioth. itah vol. VI, p. a 60 et a 70 ; Annal. delT Instii.
ArcheoL t.V, p. 4q» et t. VI, p. 179. Cependant, le même antiquaire a fini par recon-
iiàitre et par déclarer, Annal, t. V, p. ôa , qu*il doute du véritable sens de cette for-
mule. -— ^ Campanari, Deir uma ai Arunt p. Â9-5o,i). — ^ Vermiglioli, Sagqio di
tCMoett suUa grands iscriz, etrusca, p. 73; Iscriz, Perug, 1. 1, p. lao, i3a , et ailleurs.
— Sur une figurine de bronze publiée par M. Micali, monum, per serv. ail. stor.
de' ont, popol. itah tav. xxxv, n. 9 ; sur une autre statuette, qui servit de manche à
une patère, publiée par Lanzi , Saggio, etc. tav. xiv, n. 1, t. il, p. Aig-ao; sur un
mâr^ir de bronze .de notre Cabinet des Anijiques, publié aussi par M. Micali, ihid.
•tav. XLVII1, où ce savant a lu à tort Mathina, et sur un candélabre étrusque de
l*ancîenne collection Borgia, aujourd'hui du musée de Naples, publié par M. Qiia-
ranta, jR. Mus. Borbon* t. XIII, tav. xiv, où cet habile antiquaire a voulu lire aussi
iMathina , pour y trouver le Tutinus Matinus latin , avec tout aussi peu de fonde-
itidnt queliànzi avait cru reconnaître dans Safhina la SSt^a grecque. — * Voy.
^tïÉOn' Odyssèidey p. 376 , 1) , où j*ai indiqué les motifs qui me portaient à croire que
Sttthina était le nom d'une divinité de Tenfer étrusque , et où j'ai essayé d'inter-
priler Tinscription eca Sathinesl par domas Proserpinœ, en faisant dériver le mot
^^uwque eca au grec oïxoç. Je n*ai pas besoin de dire que je n'attache aucune im-
INirtance à ces interprétations , maintenant que j'ai perdu toute espèce de confiance
tfu 'Système ée Lanzi. Mais M. Vermiglioli, qui conserve une foi entière à ce sys-
têlttie, eût pu faire au moins mention de mes idées, que j'avais reproduites dans le
Jevàmsl des Savants, i834« p. a85*6. — 'M. Cavedooi regarde encore le mot
Sàthina (et non Mathina) comme une formule de dédicace ayant rapport à la diéesse
Salus: il adnaet, par conséquent, la doctrine de Lanzi,. Congetture $opra alcani speç-
éhistmêeki^ p. 17 ;^t c'est 1» an des poinis sur lesquek j'avoue que je ne puis
tomber d'accord avec le savant et iûgéaieux antiquaire de Modène. /
NOVEMBRE 184». 6Î0
soumets humblement mes observations au jugement de M. Vemiîglîolii
. Les deux derniers mots , avil ihece , de notre inscription ne- doii>^
neraient pas lieu à de moindres difficultés, s il s'agissait de les scm^
mettre à une critique rigoureuse , bien que notre auteur les ait crm
susceptibles d'une interprétation certaine. En se fondant sur ce que le
mot avil, écrit assez diversement sur les pierres sépulcrales étrusques,
ajily c^lSf aril, ni, doit avoir eu la signification générale d'âge, dan*
nées, d'après la place qu'il occupe à la fin de ces inscriptions et d'après
la circonstance qu'il est -presque toujours suivi de chîflfees ou de lettres
numérales indiquant le nombre d'années que le défunt avait vécu, doc-r
trine exposée par Lanzi^ et suivie, malgré une faible contradiction de
Niebuhr, par les plus doctes critiques de notre âge, M. Orioli*, M. L^
sius', M. Cavedoni* et feu M. Kelle^mann^ M. Vermiglioli réunit les
mots ihusiar et avil, et il y trouve la notion de sacrifices annueU, dont
ï accomplissement ou la dédicace serait exprimée par le mot thece, qui
serait le verbe grec iôtixe, sous la forme ionienne, oà Taugment était
supprimé. Je ne doute pas qu'en se plaçant dans les idées de Lan»,
qui dérivait du grec les mots étrusques où il trouvait quelque ressen>-
blance avec des mots grecs , cette interprétation de M* Vermiglioli ne
paraisse ingénieuse et plausible. Il y a pourtant ici, et même en admet-
tant la signification d'année pour le mot o/îi, aril, ril^, une difficulté qui
résulte de l'apparition d'une nouvelle inscription de Perugia , dont 1»
publication est due à M. Vermiglioli lui-même^. 11 s'y lit, au commen-
cement : f\3'\^3 2 IOV2 [sathi etaea), que notre auteur interprète par
salati annaœ potir salati perpetaœ^, et qu'il rapproche des mots ^'^f^ et
IOV2, qui se lisent à peu de distance l'un de l'autre, à la première ligne
de l'inscription du tombeau de San-Manno. Mais à cela on peut objecter
que, si les Étrusques exprimaient l'idée d'année, d'annuel, par ^n met
de leur langue , o^ et ses diverses formes , il n'est pas probable qu'Ma
' Saggio, etc. t. II , p. a54. -^ * Opuscoh Letter, dx Botogn, t II, p. 187 ; et AtmaL
(lelV Instit. Archeol. t. VI, p. 176-177. — ' Ballet, delV Instit, Arahèol. i836, p. là^^
C'est sur la foi d'une inscription bilingue de Todi que M. Lepsius admet cette signi-'
fication du mot afils. Mais je dois faire observer que i*antiquité de cette inscription
bilingue laisse encore des doutes, de Taveu de M. Vermiglioli lui-même. — * Ballet.
iS^i, p. i3g, et Congetture sopra alcuni speecki etrusehi, p. ai -a a. —* * Ballet. i833,
p. 57. — " Je ne puis m*empècber de remarquer que le même mot, A ^1 U , à la fin de
rinscription d'un vase noir de la collection FeoH, est interprété par M. VermiglîoK,
Iseriz. Perug. t. Il, cl. v, n. a76, p^ a84t comme un nom pl^pre, Avia on AvOki,
Dès lors que devient la signincation alarmée attachée a ce mot? — ^ Bmllet ië4i,
p. 68-69. — 'Il ^"^ encore beauconp de complaisance pour se prêter à h snppoh
sition que le mot annaœ soit mis m avec le sens de pmpetMim.
680 JOURNAL DES SAVANTS.
eussent emprunté à la langue grecque les mots EtVE, EtVEfl, dérivés du
grec Stos^ Îtbios, pour exprimer la même idée. J'ajouterai que, si, sur
cette inscription nouvelle de Perugia, le mot etae signifie annuel, que
devient la signification de bon dérivée aussi du grec érôs et proposée par
M. Vermiglioli pour le même mot etue de l'inscriplion de la Torre diSan-
Manno, pour ne rien dire de l'opinion de Lanzi, qui regardait les lettres
etae comme une inflexion du verbe étrusque dérivé du grec ftJeiv, sacri-
fier^? Tout est, comme on le voit, arbitraire et hypothétique dans ce
système d'interprétation, qui, ne reposant sur aucune base solide, se
prend à des analogies apparentes, pour n'aboutir qu'à des résultats
contradictoires. Mais que fera M. Vermiglioli du même mot etue gravé
sur le célèbre miroir de notre Cabinet des Antiques^? Il est bien vrai
que ce mot a été lu difiéremment, epuue, par Lanzi et par tous ceux qui
s'en sont occupés après lui^, afin d'y trouver le nom grec Epeas, sous sa
forme étrusque. Mais il est certain que , même dans la gravure de
Lanzi, aussi bien que sur le monument que j'ai sous les yeux, on
lit 3\f\fi3 [etaue), c'est-à-dire le même mot, sauf une légère variante
d'orthographe, que sur Tinscription de la Torre ai San-Manno, et sur
celle du cippe nouvellement découvert à Perugia. Or, à laquelle des trois
ou quatre interprétations auxquelles ce mot a déjà donné lieu notre sa-
vant professeur aura-t-il recours, pour rendre compte du sens qu'il a
nécessairement sur notre miroir ? C'est une question que je me borne
à lui adresser, en lui fournissant ce rapprochement auquel il n'avait pas
pensé. Quant au mot ihece, interprété comme le verbe grec lOrixe sous
une forme étrusque, j'aurais aussi plus d'une observation à faire ; mais
je me contente de dire que, malgré l'analogie apparente qu'offrent
les mots étrusques thece , turce ou turuce, pechse, cechase , et quelques
autres pareils , avec des verbes grecs dont on leur a appliqué la signifi-
cation , je doute encore qu'on ait reconnu avec certitude un seid verbe
dans aucune inscription étrusque.
L'abondance des matières m'oblige à renvoyer au prochain cahier
la fin de cet article.
RAOUL-ROCHETTE.
' Lanzi, Saggio, etc, t. Il , S xxiii , p. àà i-AÂa. — ' Idem, ibid. tav. xii, d. 3, t. II ,
p. 177. — ' Micali., Monum. per sert. alL stor, de' ant, popoh ital lav. XLViii. J*ai
déjà eu occasion de montrer ailleurs, Achilléide, p. 8a , 3), que la vraie leçon d'un
autre mot lu sur ce miroir, P)E</E (aecse, pour equus)^ par Lanzi, était rE</E «
et j'avais proposé d'interpréter ce mot pecse par le grec émfÇe. Aujourd'hui, j'avoue
que cette interprétation, bien qu'approuvée pa^ M. Grotefcnd, m inspire beaucoup
moins de confiance; voy. mon Odysséide, p. 3oo, a).
NOVEMBRE 1843. 681
Loi salique, ou Recueil contenant les anciennes rédactions de cette
loi et le texte connu sous le nom de Lex emendata, avec des
notes et des dissertations, par J. M. Pardessus, membre de Fins--
titut. Paris, Imprimerie royale, m-4® de lxxx et 789 pages.
TROISIEME ARTICLE^.
La partie dont il me reste à rendre compte n*est ni la moins étendue
ni la moins intéressante. Elle se compose de quatorze dissertations, et
remplit trois cent huit pages (p. AiS-yas). C*est le fruit de longues
et laborieuses études.
Tout en faisant usage des explications de ses devanciers, M. Par-
dessus s attache, dans ses savants commentaires, aux questions de droit
privé de préférence aux questions historiques et politiques. Lui-même
a pris soin d'en avertir, afin que personne, dit-il (p. lxxvi), neût à lui
repropher de n avoir pas fait ce que précisément il a été dans son plan
de ne pas faire. Son sujet, ainsi restreint, nen est pas moins encore
dune vaste étendue et d'un grand intérêt, même au point de vue de
l'historien. C'est ce qu'il rend sensible dans le passage suivant :
«Â mesure que l'empire des Francs se consolidait dans la Gaule, le
caractère des coutumes germaniques dut perdre quelque chose de sa
couleur primitive. Une .multitude de besoins nouveaux donnaient nais*
sance à des situations, à des transactions jusqu'alors inconnues des
Francs. Il fallait y pourvoir par des règles que les coutumes germa-
niques ne fournissaient ni d'une manière expresse, ni par des analogies.
Le droit romain était là, riche de tous les accroissements produits par
une civilisation dont les Francs éprouvaient le besoin , et qu'ils admi-
raient lors même que leurs habitudes barbares ne leur permettaient pas
encore de l'adopter. L'influence toujours sr puissante de l'exemple, les
liens de famille qui se formaient entre les vainqueurs et les vaincus, la
conununauté de religion et de langue, entraînaient donc les barbares à
recourir souvent au droit romain. Ce fut d'abord par nécessité, pour
statuer sur les cas que leurs lois n'avaient pas prévus; peu à peu ce fut
par utilité, pour corriger leurs usages anciens. Ainsi on peut expliquer
comment il se fait que le droit des Francs ait subi cette influence sous
la première race beaucoup moins que sous la seconde; comment, sôus
* Voir les cahiers de septembre, p. 564 « et d'octobre, p. 627.
86
682 JOURNAL DES SAVANTS.
la troisième race , cette même influence s*est prodigieusement accrue y
au point de faire peu à peu disparaître , dans les coutumes succe3sive-
ment revisées et réformées, les traditions germaniques, dont on trouve
beaucoup de traces dans les rédactions primitives.» (Préf. p. lxxvi et
LXXVII.)
La PREMIÈRE DISSERTATION (p. 4 1 5-436) cst intitulée : De la rédaction
de la loi salique et de ses différentes révisions.
Ce fut jadis une grande question parmi les écrivains que de savoir
d*oii la loi salique avait pris son nom. Les uns , ce n'étaient pas appa-
renunent les plus versés dans les langues du nord , le dérivaient du
germain sal, signifiant, d*après eux, une selle de cheval, parce que les
Saliens se servaient de selles pour leurs chevaux, à la différence des
Romains, qui, disaient-ils, ne s en servaient pas. D'autres, plus classi-
ques , tenaient pour le mot latin soi, à cause du rpI ou du piquant qu'ils
trouvaient à la loi salique. D'autres, ayant le goût moins fin, étaient
d'un avis différent: ils pensaient que, attendu que beaucoup de para-
graphes y commençaient par si aliquis, on l'avait nommée lex saUca par
syncope, au lieu de lex si aliqua. Malheureusement pour cette étymolo-
gie, le fait qui lui sert de base n'a pas été bien observé et manque
entièrement d'exactitude^. « Mais, dit Ghantereau Lefèvre^, qui rapporte
ces étymologies et d'autres semblables, de quelle extravagance l'esprit
humain n'est-il capable, quand il s'abandonne à ses cogitations sans se
tenir attaché aux règles ! »
M. Pardessus, sans s'occuper de cette question, et pensant très-vrai-
semblablement que la loi salique doit son nom à la tribu qu'elle régis-
sait, la définit une rédaction de la plupart des jcoutumes qui réglaient
le droit criminel et le droit civil des Francs sous les deux premières
races. Il penche à croire que cette loi fut originairement écrite dans
l'ancienne langue dçs Francs, et que c'est de ce texte primitif, aujour-
d'hui perdu , que sont émanées les rédactions latines.
Cette opinion suppose que les peuples germains avaient l'usage de
l'écriture. Il est vrai que, vers le milieu du quatrième siècle, l'évêque
Ulphilas traduisit la Bible, et la mit par écrit en se servant de l'alpha-
bet grec ou romain ; mais de ce qu'un évêque goth écrivit, dans sa langue
nationale, le livre fondamental de sa religion, en pourrait-on conclure
que les Francs, qui n'avaient pas d'évèques et qui n'étaient pas même
chrétiens, ont fait de même pour leurs coutumes? A mon avis, ce qui
* Au lieu de si aliqais, c est toujours si quis qu'on lit au commencement^des pa-
ragraphes. — * Traité de la loi salique, ch. vi, ms. de la Biblioth. poy. Suppl. fir.
2670.
NOVEMBRE 1843. 683
rend bien difficile d* admettre une pareille rédaction originale en langue
tudesque ou francique, cest i*état dans lequel se présentent les mots
de cette langue qui nous ont été conservés par les gloses malbei^ques.
On n'y observe aucune orthographe, aucune uniformité d'écriture.
Qu'on juge de ce que serait un code écrit tout entier en tudesque à
la manière de ces gloses : c'eût été, sans aucun doute, à n'y rien com-
prendre, même pour les jurisconsultes les plus expérimentés.
Supposez que les Francs connussent les runes, ils ne pouvaient s en
servir que poiir des textes peu étendus. Ce lut assez tard qu'ils se fa-
miliarisèrent avec l'art d'écrire en s'appropriant l'alphabet latin. Même
après avoir fait cette conquête, ils éprouvèrent encore beaucoup de
diffi(5ulté à écrire leur propre langue , comme il est permis de le con-
clure de leurs tentatives pour imaginer de nouveaux caractères propres
à exprimer les sons et les articulations exclusivement germaniques.
D'après ces motifs, je croirais donc. volontiers que les coutumes des
Saliens fiirent d'abord seulement confiées à la mémoire des magistrats,
et qu'elles restèrent purement traditionnelles jusqu'au temps où pa-
rurent les rédactions latines.
La première de ces rédactions aurait été faite; suivant M. Millier ^,
entre les années 4o8 et 4^8, pour un territoire de la Belgique; et,
suivant la plupart des autres savants, au nombre desquels se range
M. Pardessus, après la conquête des Gaules et sous le règne de Clovis,
avant que le christianisme fôt devenu la religion nationale des Francs,
attendu qu'elle n'en présente aucune trace. Cette raison, toutefois,
constitue plutôt une probabilité qu'une prçuve. Mais ce qui serait en-
tièrement décisif, s'il fallait accorder une pleine confiance à cette espèce
de témoignage, résulterait d'un passage du manuscrit de Leyde, qui
porte expressément, d'après M. Pardessus (p. 4^5), que lès Francs
n'étaient pas chrétiens quand ils composèrent leur loi.
La rédaction primitive ne contient , comme on l'a vu , que soixante-
cinq titres; ceux qui sont en plus dans quelques manuscrits ont été
ajoutés successivement pour compléter la jurisprudence des plaids, sa-
voir, les titres soixante-six à soixante-dix-sept par Clovis, et les titres
suivants par Childebert et par son frère Clotaire. M. Pardessus s'ac-
corde avec M. Pertz sur les douze titres additionnels de Clovis; mais
il exprime, au sujet des additions postérieiures, une opinion particulière,
qu'il fonde , à mon avis , sur de très-bonnes raisons , et d'après laquelle
^ Der lex salica und der lex Anglioram et Werinoram Alter and Heimalh, p. 3o
et 270, in-8% i84o.
86.
634 JOURNAL DES SAVANTS.
les additions des rois Childebert et Cl claire se réduiraient au Pactas
pro tenore pacis, divisé en quatre titres, et à la Decretio, qui en com-
prendrait dix (p. 4^9-434).
La DEUXIEME DISSERTATION (p. ASy-^So) est intitulée : Da droit qœ
chacun avait, dans V empire des Francs, d'être jugé par sa loi d'origine.
C'est un fait constaté par les documents et reconnu de tout le monde,
que, dans le royaume des Francs, on était régi parle code de ses pères,
et non par un code propre au pays qu'on habitait ; en un mot , que les
lois étaient personnelles et non territoriales. Cette lég^lation est de-
venue le sujet de nombreux commentaires; on s'est donné beaucoup
de peine pour l'expliquer, et M. Pardessus , en appliquant de nouveau
à la même question son savoir et sa sagacité, a , je crois, achevé de Té-
claircir. Néanmoins, aux raisons qu'il a données on pourrait encore en
ajouter une nouvelle, qui me parait d'assez grand poids. La voici. Qu'il
y ait eu dans la Gaule plusieurs lois, cela devait être, puisqu'il y avait
plusieurs nations , et que ces nations étaient venues séparément s'y éta-
blir sous des chefs indépendants les uns des autres. A la vérité , toutes
descendaient de la grande famille germanique; mais la Germanie était
partagée en une multitude de petits peuples , et rien de plus naturel
que ceux-ci aient eu chacun leurs coutumes particulières. Quand ils
envahirent l'empire romain , leurs coutumes y furent invasion avec eux.
D'abord, ils étaient si barbares, qu'ils ne pouvaient s'accommoder à la
législation romaine, trop avancée, trop savante, trop empreinte de sa-
gesse et d'urbanité. Ensuite , ils étaient trop mobiles et trop remuants
pour tenir en place. Courant sans cesse après les aventures, ils s'enga-
geaient dans des expéditions souvent lointaines, et ne savaient se fixer
nulle part. S'ils avaient suivi des lois territoriales , ils en auraient conti-
nuellement changé, puisqu'ils changeaient continuellement d'habitation
et de territoire. De là l'évidente nécessité pour eux d'être régis par des
lois personnelles. Clovis et ses desceijdants n'avaient, d'ailleurs, pas plus
l'idée que le loisir de les soumettre tous à la loi salique. Moins avides
de gloire que de pillage, ils songeaient peu au rôle de législateurs; si
peu même, qu'on est obligé de descendre jusqu'à la seconde race pour
trouver chez les rois une pensée arrêtée et sérieuse de gouvernement.
Au reste , comme le remarque judicieusement M. Pardessus {p. 443),
le droit de chacun d'être régi par sa loi d'origine ne lui était reconnu
que chez les seules nations incorporées à l'empire franc. Un étranger,
tel qu'un Saxon ou un Lombard , établi dans cet empire , aurait vaine-
ment invoqué en sa faveur, avant Charlemagne,. les lois ou les cou-
tumes de ses pères.
NOVEMBRE 1843. 685
Chacun vivait donc sous sa propre loi : c'est un fait constant. Mais
était-il permis de la changer pour en suivre une autre P Un Romain ,
par exemple, aurait-il pu renoncer au code théodosien pour adopter
la loi salique ? Oui , ont répondu Montesquieu, Mably, de Gourcy et
d autres écrivains , en se fondant sur le fameux texte d*Hérold : Si qais
ingenuus Franco [pour Francum] aat barbaram avt Iwminem qui lege sa-
Uca vivit, occident, etc. On y distingue : i* le Franc; 2** le barbare qui
nest pas franc; 3^ Thomme, Romain ou autre, qui vit sous la loi sa-
lique. Cette leçon paraîtrait en effet assez concluante, si Ton pouvait
ladmettre ; mais elle n'existe que dans l'édition d'Hérold , et les soixante-
cinq manuscrits vérifiés par M. Pardessus , au lieu de aat barbaram aat
hominem, ont seulement ont barbaram hominem; le second aat ne s'y
trouve pas. L'autorité d'un si grand nombre de manuscrits ne peut être
mise en balance aven relie d'un seul; alors le passage n'a plus la valeur
quon lui supposait, et tout le monde devra l'interpréter de la même
manière , en l'appliquant aux Germains ou autres barbares établis dans
les Gaules, mais qiii, étrangers à la tribu des Saliens-, n'étaient pas ve-
nus avec Clovis et ne vivaient pas en corps de nation.
M. Pardessus aborde ensuite une difficulté bien plus grande, u Ce
droit des hommes sujets des rois francs d'invoquer chacun sa loi
d'origine s'étendait-il à l'état politique et à ce qui intéressait l'ordre
public, la répression des crimes?» Non, répond le savant juriscon-
sulte, la loi des Francs était la seule qui régit politiquement tous les
habitants de leur empire sans distinction. La concession faite aux Ro
mains de conserver leiur code concernait uniquement le droit civil.
Puis il se demande, en ce qui touche à la répression des crimes, si
le Romain qui commettait un crime envers un autre Romain était puni
par la loi romaine. A son avis, le coupable était puni par la loi sa-
lique : c'est-à-dire que le système des compositions pécuniaires avait été
substitué, même pour les Romains, à celui des peines afflictives. Les
raisons dont il s'appuie, et qu'il tire du texte de Wolfenbùttel (xvi, 3),
de la loi des Ripuaires (lxvi, q), des Capita extravagantia (vu, 2 , etxi,
9), et de la constitution de Clotaire I*', de l'an 56o (S &), sont, au
moins, fort plausibles, et n'auraient besoin, pour former une preuve
complète, que d'être accompagnées de quelque document plus expli-
cite.
Dans les procès, lorsque les parties suivaient deux lois différentes,
M. Pardessus pense que la cause était décidée par celle du défendeur,
lorsqu'il s'agissait d'affaires que nous appellerions personnelles. En
matière de conventions, la forme employée dans le contrat pouvait
686 JOURNAL DES SAVANTS.
servir à déterminer par quelles lois elles devaient être réglées. Enfin
il y avait sans doute des usages consacrés par la jurisprudence locale
pour les cas plus compliqués; peut-être même le tribunal était-il mixte,
c'est-à-dire composé de juges dont la moitié suivait la loi du deman-
deur, et lautre moitié celle du défendeur. A l'appui de cette conjecture
de M. Pardessus, je pourrais citer plusieurs actes anciens, mais il me
suffira d'indiquer le plaid d*Ausone (Vie d'Osona}, où siégèrent, en
918, six juges pour les Romains , quatre pour les Goths, et huit pour
les Saliens ^
La femme mariée n* avait pas d'autre loi que celle de son mari, et
même, selon M. Pardessus, qui diffère d'opinion sur ce point avec
M. deSavigny, lorsqu'elle devenait veuve, elle la conservait, tant qu'elle
ne contractait pas un second mariage. Quant au clergé, il était r^
par le droit romain. Cependant je trouve, dans la Chronique de Lorsch,
sous l'année 776, qu'un procès intenté par le comte Heimeric à Gun-
deland, abbé de Lorsch, fut jugé d'après la loi des Francs, yaj?ta legem
FrancommK
La TROISIÈME DISSERTATION (p. 45i*A58) a pouT titre: Des personnes
libres considérées dans l'état de famille.
Ici le docte jurisconsulte se renferme dans la loi salique, le sujet
étant suffisamment connu en ce qui concerne le droit romain.
Traitant d'abord des enfants mineurs , il est conduit à croire , avec
D. Ruinart, que la majorité était fixée chez les Francs à-douze ans, et
chez les EUpuaires à quinze. MM. de Bréquigny et De la Porte du Theil,
qui la reculent à vingt et un ans , ne paraissent pas avoir bien interprété
les documents sur lesquels ils se fondent.
A la mort du père , le mineur passait sous la tutelle de la mère , qui
restait seule chargée de son éducation et de l'administration de ses
biens. Le mundiam ou la protection appartenait au plus proche parent ,
et la tutelle lui était aussi dévolue, à la mort ou au refiis de la mère.
La femme elle-même était placée, et pendant toute sa vie , sous le mun-
diam de son père, de son plus proche parent paternel, de son mari, si
elle était mariée , ou du roi, si elle n'avait ni mari ni parents. Le man-
diam différait, comme on voit, de la tutelle : pour la personne qui en
était l'objet, il constituait un droit à la protection particulière d'un homme
libre; par rapport à celui-ci, c'était un devoir impérieux à remplir, pour
lequel il recevait un certain prix.
Chez les Francs, l'enfant qui atteignait sa majorité, son œtas légitima
^ GaU. christ. -i, XIII, inslr. coi. 2. — * Chron. Lauresh, dans Bouq. V, 38a G.
NOVEMBRE 1843. 687
ou perfecta, cessait d'être en puissance paternelle; tandis que, chez les
Romains, quel que fût Tâge des enfants, le père avait la puissance sur
eux , sur leurs descendants et sur leurs biens; ou, pour mieux dire, le
fils de famille n'avait pas de biens propres , puisque tout ce qu'il pos-
sédait appartenait au père : la puissance paternelle ne cessait que par la
mort du père ou par l'émancipation du fds. A sa majorité , au contraire,
un Franc était maitre de sa personne et de ses biens, dont, pendant sa
minorité seulement, son père avait eu la jouissance : c'est ce que prouve
M. Pardessus à l'aide des Capita extravagantia (S 8).
Il rappelle, avant de finir, que l'adoption ne fut point inconnue chez
les Francs.
Sa QUATRIÈME DISSERTATION (p. ASg-^Sô), intitulée : Des hommes libres
d'origine barbare, considérés dans leur état politicfae, sort du cadre ordi-
naire, puisqu'elle est consacrée à des questions qui ne sont pas de droit
privé; mais ce n'est pas la seule fois que l'auteur fait une heureuse
exception à la règle, et qu'il donne plus qu'il n'avait d'abord promis.
Les hommes libres vivant sous la loi salique sont les seuls qu'il con-
sidère. B les divise en deux classes, les ingénus et les iites, et consacre
un chapitre à chacune d'elles. «Par libres, dit-il (p. &6o), j'entends tous
les hommes qui n^étaient pas esclaves ; par ingénus j'entends les hommes
nés de parents qui ne reconnaissaient aucun maitre , et qui eux-mêmes
ne sont tombés ni dans l'esclavage, ni dans une dépendance qu'exprime
la formule kk de Sirmond, par les mots in obsegaio et servitio alterius,
ingenuili ordine; je donne aux autres le nom de Iites, expression dont
se sert la loi salique. n Ainsi l'homme libre est celui qui n'est pas esclave .
c'est-à-dire celui qui jouit actuellement de la liberté : qu'elle lui vienne
de la naissance ou de l'affiranchissement, du moment qu'il la possède
c'est le libre de M. Pardessus. Ensuite il établit une distinction entre
les hommes libres : ceux qui sont nés de libres et qui ne sont tombés
ni dans l'esclavage ni dans la dépendance ingénuile d'autrui, il les
appelle ingénus; tandis qu'il donne le nom de Iites aux autres, c'est-à-
dire, comme il l'explique lui-même (p. /i8q), premièrement aux hommes
nés de parents dépendants , secondement aux hommes qui se mettaient
eux-mêmes au service ou dans la dépendance d'autrui, troisièmement
aux aOranchis. D'après ces définitions, les mots n'ont plus le même sens
qu'en latin : eti effet, l'homme né de parens libres, mais tombé acci-
dentellement au service d'autrui, n'en conserverait pas moins, en latin,
la qualité d ingénu, que M. Pardessus lui retire. L'ingénuité, étant unef
propriété originelle, un fait qu'il était impossible de changer, ne pouvait
ni se perdre ni s'acquérir<
688 JOURNAL DES SAVANTS.
Au surplus cette légère modification dans le sens propre d*un mot
est sans inconvénient, du moment que l'auteur a soin de le définir.
Mois, lorsque je lis ensuite (p. 483) qu*un grand nombre de lites étaient
colons, et (p. kSli) que le nom de liti a été donné à des esclaves,
j'hésite sur la manière d'entendre ces trois classes de personnes. En
effet, on ne pouvait être à la fois colon et lide, lide et esclave, pas plus
que libre et serf: la liberté, le colonat, la lidilité et la servitude, consti-
tuaient quatre conditions différentes et exclusives Tune de Tautre. Sup-
poser qu'un homme en possédât deux simultanément, ce serait lui
attribuer deux états civils en même temps. A la vérité il passait quel-
quefois de l'une à l'autre ; mais il perdait la précédente aussitôt qu'il
en obtenait une nouvelle. Il suffit de jeter les yeux sur le Polyptyque
d'Irminon pour se convaincre que, au moins sous la seconde race, les
lides étaient essentiellement différents des colons et des serfs.
Les ingénus, suivant le sshraut académicien, composaient seuU le corps
politique appelé tribu ou nation. En eux résidait la souveraineté, qu'ils
exerçaient par leur participation aux délibérations des assemblés tant
nationales que locales. Bs formaient seuls l'armée; seuls ils avaient ob-
tenu des biens en partage au moment de la conquête de la Gaule; seids
ils ne payaient pas d'impôt pour ces biens , et n'étaient jamais battus de
veines.
Ces prérogatives sont exactement définies et ne peuvent, en théorie
générale , fournir matière à contestation ; mais les règles étaient-elles ri-
goureusement observées? mais les faits étaient-ils bien conformes aux
principes? avant tout y avait-il des principes de gouvernement? Dans
beaucoup de circonstances , k vrai dire, et sur plusieurs questions essen-
tidles d* ordre social, on n'en voit guère régner d'autres que le hasard
et la force. Il n'en faut pas moins savoir gré à M. Pardessus d'avoir été
net, précis et complet, dans sa définition de l'homme libre chez les
Francs.
C'est avec la même netteté qu'il se prononce contre l'existence d'une
noblesse sous les rois de la première race. Non pas que l'illustration des
pères ne rejaillît sur les enfants et ne fût pour eux un avantage; mais,
sans les privilèges et l'hérédité, comment pouvait-il y avoir une noblesse
proprement dite? L'opinion de Fabbé de Gourcy est ici réfiitée complète-
ment , je dirais même surabondamment, à l'égard d'un savant de second
ordre , qui n'a guère fait que résumer les connaissances de son temps ,
sans rien ajouter aux vérités acquises. Cette question célèbre , qui donna
lieu à de si longs et si fameux débats, avait été très-bien exposée et très-
sagement décidée par M. Naudet; M. Pardessus, en relevant une à une
NOVEMBRE 1843. 689
les erreurs de l'abbé de Gourcy , en montrant d*où elles naissaient , en ré-
tablissant le véritable sens des passages mal interprétés, en prévenant
jusquaux moindres objections, na plus rien laissé à faire à la critique.
Passant ensuite à la seconde partie de sa Dissertation, le savant aca-
démicien nie que les lites du royaume des Francs tirent leur origine
des lètes, établis dans la Gaule, sous les empereurs romains. Il aime
mieux croire qu ils sont descendus de colons germains , amenés par les
Francs dans les pays de leurs conquêtes (p. AyS). Celte opinion repose
sur un fait qui aurait besoin, je pense, d'être bien constaté avant d*êtrc
pris pour base d'un système; puis on devrait encore justifier plusieurs
autres assertions qui pourraient aussi sembler un peu hasardées. Ainsi,
à mon avis, il faudrait prouver, i* que les Francs ont amené avec eux
des colons; 2"* que ces colons servaient leurs maîtres à l'armée; 3^ que
ce sont ces mêmes colons qui sont désignés sous le nom de lUi dans la
loi salîque. Tout cela est peut-être vrai, mais tout cela est-il suffisam-
ment démontré?
M. Pardessus range aussi parmi les lites les hommes libres cpie la mi-
sère ou d'autres causes forçaient de se mettre au service d' autrui, sans
toutefois devenir esclaves. Il fait alors de la condition lidile une condi-
tion accidentelle, plus ou moins durable, qu'une circonstance engendre
et qu'une autre peut détruire. Les lites n'auraient donc pas de caractère
originel, fixe, comme en ont les libres et les serfs; et, plutôt que d'en
former une classe à côté de ceux-ci, on devrait les mettre en parallèle,
par exemple, avec les hôtes, hospites, dont l'état, au lieu de dépendre en
général de la naissance et d'être permanent, était conventionnel et
muable. Dans cette hypothèse un homme libre pourrait être lite pour
un temps, sans toutefois être dégradé de sa liberté; ce qu'U me paraît,
je l'avoue, difficile d'admettre, la liberté et la lidilité constituant deux
conditions essentiellement distinctes, exclusives, incompatibles. Il me
semble, pour me servir d'une comparaison prise dans un autre ordre
d'idées, qu'il était aussi impossible d'être à la fois homme libre et lide
que d'être simultanément Lombard et Bourguignon. Mais un homme
libre, un colon, un lide, un serf, pouvaient très-bien, sans perdre leur
condition respective, être en même temps ou hospes, ou advena, ou
mansionarias ; de même qu'un Lombard pouvait être fermier, vassal,
sergent, etc. Il faut donc avoir soin de distinguer ce qui constitue l'état
civil, de ce qui n'est que position sociale; ce qui de soi est permanent
et fixe, de ce qui n'est que conventionnel et passager. Qu'il me soit en-
core permis de faire observer qu'il ne suffit pas , pour caractériser les
lites , de dire avec du Gange , de Gourcy, de Bréquigny et les autres aa-
87
690 JOURNAL DES SAVANTS.
Vânts , que c'étaient ûes esclaves d'une condition plas douce et moins abjecte
(fûe le commun des esclaves , ou que c'étaient des affranchis de la plas basse
condition : il faudrait expliquer quelle était cette condition , et , en la
comparant avec celle des affranchis et des esclaves, indiquer ce qu'elle
avait de pire que la première et de meilleur que la dernière ; en un mot,
il,^udrait définir et préciser ^
Le savant académicien , sentant parfaitement les difficultés d*un sujet
aussi obscur, s'est efforcé de les surmonter et même d'aller au-devant
âes objections. A-t-il répondu à tout, et ses réponses sont-elles toujotu^s
décisives ? Lui-même en jugera mieux que personne, s'il prend la peine
dé lire cet article. J'ajouterai que, d*après sa définition (p. 46o), les
Utes devaient former une classe très-nombreuse et beaucoup plus nom-
breuse même qu elle ne le paraît dans les documents. En efifet . après y
afvôir compris les af&anchis et les colons, quoiqu'ils soient distingués
àé& lites dans une foule d'actes originaux , et dans ceux mêmes dont il
a fait usage, il finit par y comprendre encore les vassi (p. 484), sans
àoMte parce que les vassi ne vivaient pas dans une complète indépen-
dance , et qu'ils avaient des devoirs à remplir, soit envers un seigneur,
sfôît envers un maître. Alors on conçoit parfaitement ce qu'il a entendu
par lites : cette classe se composait , suivant son opinion , de tout ce
(|ùi n'était ni esclave, ni indépendant d'autrui. Par conséquent il n'y
avait que trois classes de personnes , savoir : les libres , les lides et les
serfk; et le principal caractère distinctif de chacune n'était plus fondé
Sur ïa naissance. Par exemple, l'homme né libre qui devenait vassal,
vassus, sortait de la classe des libres pour entrer dans celle des lides;
il subissait une réduction de moitié dans la composition dont il jouis-
sait auparavant , et cessait d'être compté au nombre des citoyens : car,
tti définitive, les Irtes, pour me servir des propres expressions de l'au-
teur, étaient libres sans être citoyens, c'est-à-dife sans pouvoir siéger
aux assemblées publiques, m servir à l'armée autrement qu'à la suite
de leurs seigneurs ou de leurs maîtres.
Le titre de la ciNQurÈME dissertation (p. 487-606) est ainsi conçu :
De ba vassalité et de son influence sur l'état des Tiommes libres.
Les amnistions , les leudes et les fidèles, y sont présentés comme ne
formant qu'un même ordre de personnes, dans lequel les plus illustres
recevaient le nom A'optimates. Au contraire, les hommes placés in truste
régis sont distingués de ceux qui étaient in verbo régis. Il est ensuite
' C'est, s'il m'est permis de le dire, ce que j'ai tâché de faire dans ua ouvrage
terminé, mais non publié, pour toutes les ouestions que j'ai traitées, et en parti*
entier pour celle des Ktes;
NOVEMBRE 1843. 691
traité des bénéfices et de tout ce qui concçrne la durée, la révocabilité ,
la perpétuité de ces concessions. Les opinions contradictoires sont rap-
portées fidèlement; les unes sont adoodses, les autres combattues et re^
jetées. Sur un petit nombre , 1 auteur, par une défiance exagérée de son
jugement ou de son autorité, évite ou s abstient de prendre parti. On
se plaindrait volontiers , à cette occasion , de la réserve et de la modestie
qui rempêcbent ainsi d,^ se prononcer. À sa place, et sans en avoir au-
tant le droit, on prendrait souvent un langage plus décisif. Pour ma
part , je n'hésiterais pas à rejeter ces concessions de bén^ces que le roi
aurait faites à titre révocable , et avec la prétendue clause quanidia Ubaerii^
dont il n existe aucun témoignage, ainsi que le reconnaît M. Pardessus
(p. AgS).
Nous avons vu que les opinions de Tauteiu* étaient beaucoup plus
arrêtées, ou du moins beaucoup plus explicites, au sujet de la noblesse..
Ici il en nie de nouveau Texistence sous la première race, tout en ad->
mettant une illustration personnelle, et même une illustration de sou-
venirs pour les familles. La manière dont il s exprime à l'égard de ta
féodalité , qu^il voit vivante , sinon puissante , dès les temps mérovingiens,
nest ni moins précise, ni moins juste, a Par le fait, dit-il (p. 6o5), la
féodalité , qui , au déclin de la seconde race , renversa le trône , était , dès
la première, toute vivante, toute préparée au plus rapide accroissement.
U ne manquait plus que deux classes pour la constituer telle que Tbis*
toire nous la montre au x* siècle : la fusion des pouvoirs publics dans
les possessions territoriales, et déjà depuis longtemps les juridictions
privées préparaient ce résultat; Tbérédité des bénéfices et des fonctions
publiques, et cette hérédité , souvent attachée à des concessions indivi-
duelles , ou produite par la facilité avec laquelle les rois accordaient
des survivances, devint une loi générale par le capitulaire de 877. tv
Néanmoins, je proposerais une légère modification dans la dernière,
phrase, pour dii^e que l'hérédité dont il s'agit était devenue une cou-
tume générale avant le capitulaire de 877, qui ne fait guère, je pense,
que la constater ou la consacrer, au lieu de constituer une législation
nouvelle.
La SIXIÈME DISSERTATION (p. 5 07-5 1 6 ), intitulée : De l'état des Romains
d'après la loisalique, contient un exposé clair, intéressant et bien écrit,
dont je ne puis m'empêcher de faire Téloge, quoique, suivant mon opi-
nion, Tauteur parle des Francs en termes beaucoup trop favorables, et
que je ne sois pas non plus tout à fait d'accord avec lui sur d'autres
points. Mais il a bien raison de dire que la Gaule fut conquise et non
délivrée par les barbares, que les habitants furent réduits à la condition
87.
692 JOURNAL DES SAVANTS.
de peuple yaincu, et que cette condition était inférieure de moitié à
celle des vainqueurs, attendu que la loi salique n accorde au Romain que
moitié de la composition payée au barbare.
En outre, les Germains, qui n'avaient pas plus Tamour de l'égalité que
de la liberté, ne se contentèrent pas d'instituer pour eux des tarifs dif-
férents dans les compositions, suivant les différentes conditions des
personnes : ils distinguèrent les Romains en propriétaires , possessores , et
en tributaires, irihatarii, ou non-propriétaires, et par leur loi accordè-
rent une composition, c'est-à-dire une protection, plus de deux fois
moins forte, aux seconds qu'aux premiers. Celui qui tuait un proprié-
taire payait loo sous; celui qui tuait un tributaire en était quitte pour
AS sous.
La question principale que se propose M. Pardessus est de savoir
si les Romains conservèrent, sous les Francs, leurs anciennes juridic-
tions pour les causes civiles qui naissaient entre eux. Il soutient la né-
gative contre M de Savigny, et je crois qu'il a raison. Cependant il
admettra plus tard le maintien de l'administration financière.
De l'esclavage d'après la loi salique. Tel est le sujet de la septième
DISSERTATION.
Renfermée ordinairement dans le cadre de la loi des Saliens , elle
ne représente à nos yeux qu'un coin du tableau de l'esclavage au moyen
âge; mais cette représentation , au défaut du neuf, qui devient bien rare
après tant d'ouvrages sur cette matière , a généralement le mérite de
réunir la clarté à f exactitude.
Je ne sais pourtant s'il faut admettre , sous les Mérovingiens , un impôt
de capitation dû au fisc par les esclaves et payé par les maîtres, qui l'au-
raient ensuite retenu sur le pécule des premiers (p. 52 4). Je n'oserais
non plus affirmer que les enfants nés de mariages mixtes suivissent tou-
jours la condition de leur père. Mais je regarde comme un très-bon ré-
sumé tout ce qui est dit: d'abord des différents modes d'affranchissement,
par le denier , par déclaration devant l'Église , par rachat , par charte ;
pijus des effets des divei's affranchissements, de l'état des affi^nchis , et de
la succession de ceux qui mouraient sans enfants.
La HUITIÈME DISSERTATION (p. 533-564) cst intitulée : Delà propriété
foncière d'après la législation des Francs.
Le savant académicien ne pense pas que les soldats de Clovis se soient
emparés des propriétés privées des Romains dans la Gaule, ni même
qu'ils en aient pris une portion ; « les vainqueurs se contentèrent , à son
avis, de confisquer les bénéfices des magistrats, des chefs, des soldats
romains, les biens des faniilles détruites par le fait de la guerre ou qui
NOVEMBRE 1843. 693
s'étaient expatriées , tout ce qui composait le domaine impérial , peut-
être même une partie des biens des cités. »
Que les Francs ne se soient pas partagé les biens des anciens habi-
tants à la manière des Bourguignons et des Visigoths, c'est-à-dire en
vertu d*im pacte général avec les empereurs ou avec les vaincus , il ne
peut guère y avoir de doute à cet égard , puisqu'on ne trouve aucune
trace d'un tel partage dans la loisaliqueni dans aucun autre document;
mais que les Francs n'aient pas fait main basse sur les propriétés particu-
lières suivant l'occasion et tant qu'ils l'ont pu , c'est ce qu'on aura de la
peine à croire , si l'on regarde les troupes qui sortirent des forêts et des
marécages de la Germanie comme des bandes d'aventuriers sans gouver-
nement , organisées seulement pour la guerre et le pillage , et complè-
tement étrangères à toutes les lois des peuples civÛisés. L'opinion de
M. Pardessus est celle d'un grand nombre de savants. L'exposé qu'il en
a fait sera lu avec non moins de fruit que de plaisir par ceux-là même
qui seraient, sur quelques points, d'un avis un peu différent.
n se pom'rait , par exemple, qu'on n'aperçût pas chez les vainqueurs
un assez grand esprit d'ordre et d'équité , pour croire que chacun d'eux
obtînt tranquillement son lot , dans le voisinage de son chef, suivant
son grade ou son habileté , et non qu'il s'emparât de tout ce qui fut à sa
convenance , en faisant usage , à l'imitation de Clovis , non-seulement de
la force, mais encore de l'astuce et de la perfidie, qui aident à carac-
tériser cette espèce de conquérants.
Dans tous les cas, s'il y avait eu un partage de terres, le mot alodis
n'aurait pai' signifié la portion de chacun, vu qu'il s'entendait d'un
bien complètement libre, par opposition au bénéfice, et non, comme
on disait, d'un sort ou d'un lot, sors. M. de Montlosier s'est avisé de
faire de l'alleu la terre libre possédée par le Gaulois ingénu; maïs
M. Pardessus, après l'avoir victorieusement combattu sur ce point et
sur d'autres, le déclare un mauvais guide dans l'étude des antiquités
de notre droit.
Le savant jurisconsulte dit ensuite un mot des biens communaux;
puis il traite de plusieurs questions importantes de droit privé : par
exemple de l'aliénation et de la transmission des biens; et rappelle, à
ce sujet, d'anciens ilsages, dont plusieurs se sont conservés dans les
contrats connus sous les noms de locatairie perpétaelle , de domaines con-
géables ( en Bretagne). Il n'oublie pas les précaires, qui jouissaient d'une
si grande faveur dans l'Église.
Enfin , examinant si les propriétés foncières payaient un impôt direct
sous la première race, il se déclare poiur l'opinion d'Hadrien de Valois,
694 JOURNAL DES SAVANTS.
qui lui-même Ta résumée en ces termes dans le titre d*ime dissertation
célèbre : Franci immunes, Galli tributarii. li est donc contraire et à Tabbé
Dubos, d après lequel les Francs et les Romains auraient été pareiUen^ent
soumis à Timpôt , et à Montesquieu , qui nie tout impôt direct sous les
Francs. Cette dernière opinion est celle que MM. fiaudi di Vesmé et
Guadet ont défendue dans leurs mémoires, couronnés, en iSSy, par
r Académie des inscriptions et belles-lettres. M. Pardessus semble lui-
même s'en rapprocher beaucoup, lorsque, avant de finir, il fait cette
observation (p. 563) : «Peut-être Montesquieu a-t-il eu raison de dire
que, si les Gallo-Romains ont payé des impots, cet état de choses ne
subsista pas longtemps. » Quoi qu'il en soit, cette huitième dissertation
est, à mes yeux, une des plus remarquables de fouvi'age, qui en con-
tient im si grand nombre , toutes aussi intéressantes qu'instructives.
GUÉRARD.
[La fin au prochain cahier. )
Note annexe des articles publiés dans les cahiers de septembre et
(Poctobre i8U3 sur un Traité arabe relatif à rastronomie.
Analyse mathématique des hypothèses d*Hipparque et de Ptolémée exposées dans le texte
précédent, accompagnée de leur comparaison avec les tahles modernes.
S I. Je considère d'abord Tliypothèse dHipparque ; et, dans la fig. i, qui la re-
présente, je nomme le rayon de lexcenlrique R, celui du cercle in^rieur r'. Pour
évaluer Téquation du centre CXT ou e, qui a lieu après le temps t, compté de-
puis la conjonction apogée et équinoxiale que nous adoptons comme point de dé-
part, je mène TP' perpendiculaire sur LC prolongé indéfiniment. Alors, dans le
triangle rectangle TCP', Thypolénuse C'T est r\ et l'angle TCP' est m't, c'est-à-
dire le mouvement d^anomalie pendant le temps t. On a ainsi
TP' = r' sin m't; C'P' = r' cos m't;
ou, en représentant, pour abréger, l'anomalie moyenne m't p^r la lettre z, comme
je le ferai toujours,
TP' = r sin z; G'P' z= r cos z.
Alors LC étant R , l'angle e se tirera du triangle rectangle TLP' par la formule
suivante :
(i tepg s =
r' sin z
R •4- r' cos z
NOVEMBRE 1843. 695
Maintenant Tangie LTT est la longitude vraie on apparente de la lutfe que Ton veut
obtenir, je la nomme v; et L"T^, ou son égal LC'T', est la longitude moyenne
mt, qui peut se calculer pour le temps donné t; je la nomme par abréviation a.
L*angle e étant soustrait de cette dernière donne évidemment v. On a donc
(a) V zn a — e.
r
De là on déduira v pour le temps t^ quand le rapport -^ sera connu , puisque e
deviendra calculable.
S U. Passons k rhypothèse de Tépicycle que Ptolémée substitue à oelle-là. Elle
est représentée dans la fig. a. Je nomme R le rayon de Thomocentrique, r celai
de Tépicycle, en conservant, d^ailleurs, les mêmes dénominations que précédem-
ment, pour tous les angles décrits en vertu des mouvements moyens. Alors je
mène LP, perpendiculaire à TC prolongé; et, comme Tangle LC'A est, par con-
vention, m f ou z, le triangle rectangle LG'Pj donne
LPj = r' sin z; C'P^ = r cos z.
Puisque C'T est R , Téquation du centre LTC ou e se déduit du triangle rectangle
LTPj ; et Ton a ainsi
(i) tang e =
r sin z
R -4- r' cos z
Quand e sera connu par cette formule, on le soustraira de Tangle C'TVt qui est
la longitude moyenne mt on a pour le temps t; la différence sera Tangle LTT ou
V, c'est-à-dire la longitude vraie que Ton veut obtenir. On aura donc
(a) V =: a — e.
Ces deux formules sont identiques à celles que nous avions tout à Theure trou-
vées. Ainsi les deux hypothèses sont équivalentes, et il sufBra de discuter les con-
séquences optiques de la dernière.
r
S m. Le rapport ^ est un nombre abstrait moindre que i , parce que Ton
prend r plus petit que R dans les deux hypothèses. On peut donc le représenter
par le sinus d un certain angle inconnu que je nomme E'. Cette transmrmation
donne
. _, r . , V sm E sm r
sm Ë =: S" ; et par suite (a) tang « = t-ttï .
R "^ \ / o i-f-smE cosz
Dans une éqaation de cette forme , on démontre aisément que la f^us grande va-
leur de Tangle e est précisément E'; et elle se réalise lorsque Tanomalie moyenne
z acquiert la valeur spéciale Z , telle qu'on ait
Z == go* -H E'.
E' sera donc la plus grande équation du centre résultante du rapport que Ton voudra
r' , . ,
assigner à •^. D est aisé de voir qu'elle se réalise lorsque le rayon visuel TL de-
vient tangent à Tépicycle; et l'expression correspondante de z, qui est 90*-i-E'«
696 JOURNAL DES SAVANTS.
exprime la valeur que doit avoir Tanomalie moyenne m't ou z, pour que cette con-
dition de tangence ait lieu, dans les conditions de mouvement adoptées.
r 5-7
Ptolémée conclut des observations -j^ égal à -^ ou ^ . Cda équivaut, en frac-
tions décimales, à 0,0876. On a donc, d*après cette évaluation,
sin E' = 0,0876 ; ce qui donne E' =z 5* 1' 1 i",a8.
Il prend seulement 6"* 1', en négligeant les secondes additionnelles. Avec cette
valeur de E', la formule (a) donnera toutes les valeurs de Téquation du centre e
correspondantes aux différentes valeurs z de Tanomalie. Les résultats ainsi obtenus
sont conformes a ceux qu'il obtient lui-même , et qu il a réunis dans une table
numérique placée à la fin du chapitre ix de son livre IV.
S IV. Pour voir d*un coup d*Œil jusqu'à quel point Thypothèse ainsi particula-
risée s'accorde avec les faits réels , je prends dans les tables lunaires de M. Damoi-
seau l'expression générale de l'équation du centre e dans les syzygies, en négligeant
les petites inégalités qui en font partie, même celles qui dépendent des positions
des nœuds ainsi que du soleil, toutes circonstances auxquelles Ptolémée navail
point égard. Cette expression, bornée de cette manière à ses termes principaux, en
mettant l'origine des anomalies z à l'apogée, comme le fait Thypotnèse grecque,
est
e zz: 5* o' 5i",6 sin z — la' 48",8 sin 2 z -ï^ 36",i sin 3 ;?. . • .
Je néglige les termes ultérieurs. Maintenant, pour mettre notre expression de e
sous une forme de développement pareille à celle-là , j'y représente , pour abréger,
r' ,
par e' le rapport -^^ qui est 0,0876; et j'ai ainsi
e' sin z
tane e = ,
° 1 -H e cos 2;
Je considère ensuite que tout angle 6 , moindre que 46^, peut s'exprimer par une
série indéfinie, ordonnée suivant les puissances de sa tangente. Cette série est
^ tane 1 ^1 . « 1
& — ^î— = tang d — 2 tang* ^ H- r tang * $ etc.
Pour avoir exactement la valeur de l'anele ^, il faut pousser ce dévdoppement
d'autant plus loin que tang 6 approche plus de l'unité. Mais ici , comme la plus
grande valeur de l'iangle e n* excède pas 6'* 1', nous aurons une évaluation très-
suflisanfe en nous bornant à conserver les termes qui contiendront des puissances
de e' inférieures à la 4*« ce qui revient à négliger tous ceux qui contiendraient
des puissances supérieures à e'^. Nous aurons donc simplement, dans cet ordre
d'approximation ,
tang 1 e un z 1 « sm' z
e
1" i-i^e'cosz 3 (i-i-e' C0S2:)'*
et nous négligerons tous les termes ultérieurs. Mais ceci peut encore être simplifié
par le même principe; car, en opérant par division continue, on a
= 1 — e' cosz-*-e'*cos"jj^e'' cos*^;. . . . etc.
e C05 z
NOVEMBRE 1843. 697
Puisque nous ne conservons que les e^^ il faut d*abord faire e' nul dans le déno-
minateur de notre second terme , et développer celui du premier terme jusqu'à
la seconde puissance de e* seulement. La réunion des produits ainsi obtenus donne
e — ^1 — = tf sm z « sm a z -+- tf sm ;?: < cos « — 0 »*" ^
1 a (3
J*ai labsé exprès le coefficient de e^ sous la forme avec laquelle il 8*est présenté ,
pour en prendre occasion de montrer comment les produits de sinus et de cosinus
doivent être convertis en sinus simples d'arcs multiples dans des développements
pareils à celui-ci, ce qui nous sera, à chaque instant, nécessaire dans les épreuves
analogues que nous aurons ultérieurement à faire. Le procédé est fondé sur ce
que, deux arcs quelconques p et q étant donnés, on a toujours
8Înpco8f=: -sin (p-H7)-H-sin (p — q).
Au moyen de ce théorème, tout produit de la forme sin*/> cot**p, où les lettres u
et n indiquent des puissances de degrés quelconques, peut être converti en une
somme de sinus simples , en opérant la transformation successivement sur les fifto-
teurs qui le composent. Pour appliquer ceci à l'exemple actuel , je change d'abord
cos* z — r sin* z en ^ cos*;2: — -r ; après quoi le reste de la transformation s'achève
progressivement comme il suit :
. (4 , 1)2 . ^1. 1., 1. 1. 1..
smzj« cos'j? — r| — gSMiiizco^z — ^ 8m2:=: ^ sm3z-t-ô smz — 5 8mz=»sm3z;
ce qui donne, par conséquent,
tangi" , , 1 ^ t^ ' f,
e ïï — = « sin ip e sm a z -H 9 « sin 3z.
1 a 3
Maintenant , pour avoir e en secondes de degrés , il ne reste plus qu'à mettre dans
chaque terme du second membre, au lieu de e , sa valeur 0,0876, puis à multi-
plier chaque coefficient numérique ainsi obtenu par ;; , en se rappelant que
l'on a, par les tables trigonométriques ,
log tang 1"= 6,6855749.
On trouvera ainsi, par l'hypothèse que nous discutons,
e = 5* o' 48",a sinz— 1' i9",osin az-H46",i sin 3z;
au lieu que nos tables modernes , qui peuvent être considérées comme l'eicpressian
réelle des faits, donnent, conmie je l'ai annoncé plus haut,
e = 5* G* 5i",5 sin z — la' A8",8 sin a z -H 36",i sin 3z.
On voit donc qu'il y a un accord presque exact pour le premier terme, mais qu'il
y a une diflércnce très-notable pour le second ; de sorte que l'hypothèse commence
à être inexacte dans les termes de l'ordre c*. Tel était donc 1 ordre d'erreur que
les observations grecques comportaient , et qui était insensible à Ptolémée comme
à Hipparque.
S8
80* JOURNAL DES SAVANTS.
S V. J'arrive à sa seconde hypothèse, représentée fig. A. Toute la différence avec
la précédente, c*est que le rayon TC, mené de la terre au centre de Tépicycle,
devient variable selon Taspect du soleil, par la condition que Tangle C'Ta soit
toujours double de la dislance angulaire de la lune à cet astre, distance que j'ex-
primerai généralement par la lettre a. La valeur de a sera ainsi Texcès de la lon-
gitude moyenne actuelle de la lune sur celle du soleil , de sorte qu'elle pourra tou-
jours être calculée numériquement, d'après le temps t écoulé depuis la zyzygie
équinoxiale prise pour point de départ. Pour trouver l'expression générale du rayon
vecteur TC déduite de cette condîition, je reproduis isolément, dans la fig. 5, la
position éventuelle de l'épicycle, que nous prenons ici pour type, ce qui évitera
la confusion que produirait 1 accumulation d'un trop grand nombre de lignes sur
une même figure. Considérant donc la fig. 5, j'y désigne toujours le rayon de l'ex-
centrique par R, celui de l'épicycle par r', et je nomme r" le rayon du cercle in-
térieur que l'excentrique décrit. D'après les conventions faites , l'angle C'Ta' est
as, et il s'agit de calculer le rayon TC', que je désigne par p. Or rien n'est plus
facile. Pour cela, du centre c de l'excentrique , menez c'p perpendiculaire sur TC.
Te' étant r\ vous aurez évidemment
c p = r s\n 2a, Ip =r r cos aa.
Or le rayon éventuel TC, que je nomme p, se compose d'abord de Tp', que nous
venons a obtenir, puis de C'p', qui est la base d'un triangle rectangle dont Ce' ou
R est l'hypoténuse et c'p' la hauteur. On aura donc généralement
(a) p :=: r" cos aa -H \/R* — r"* sin* a a.
La plus grande valeur de p se réalise quand a = o , c'est-à-dire dans la conjonc-
tion. Alors le centre C de l'épicycle est en a, au sommet de l'excentrique le plus
distant de la terre, et p devient R-4- r". Sa plus petite valeur, au contraire, a lieu
dans les quadratures , où a z= 90. Alors aa devenant 180*, le centre C de l'épicycle
se porte en h' au sommet de l'excentrique le plus rapproché de la terre, et p devient
R— r". Depuis « = 90* jusqu'à azu i8o% qui ramène une nouvelle syzygie en
opposition, les valeurs de p augmentent progressivement, comme elles avaient di-
minué; et, enfin, à cette dernière valeur de a, a a devenant 36o% les sin aa et cos a a
i entrent dans p recommencent les mêmes périodes que précédemment, ce qui
ait de nouveau passer p par une suite d'états pareils , qui le ramènent enfin à
une nouvelle conjonction , où il recommence les mêmes phases. Le centre de l'épi-
cycle parcourt ainsi deux fois tout le contour de l'excentrique pendant chaque
mois synodique qui s'écoule.
fiiii
S VI. Revenons maintenant à la fig. 4; et, puisque nous connaissons mainte-
nait la longueur du rayon éventuel TC ou p pour un instant donné, il va nous
être facile de trouver l'équation du centre LTC' ou e qui convient à chaque position
de l'épicycle. L'opération est exactement la même que celle que nous avons faite
sur la fig. a, si ce n'est que le rayon TC avait alors une autre longueur qui était
oonstante. Suivant donc la même marche, du point L menons LP^ perpendiculaire
suir TC prolongé. Puisque CL est r' et l'angle ACL l'anomalie moyenne m't ou c,
wms anroDs, oomme dans la fig. a ,
LP, 1= r' sin z; C'P» rr r C09Z;
NOVEMBRE 1843. 699
après quoi le triangle rectangle LP^T nous donnera de même I* angle LTC' ou e
par sa tangente, dont Texpression sera
r sin z
(i ) tanff e = -, , où il faudra faire : (a) pzn r 'cos 2a -+- -t/R* — r"* sin* a a.
f-Hr cos 2: ^ ' ^ ^
S VU. Pour chaque valeur donnée de p, c'est-à-dire pour cbaoue position de
Tépicyele, il y a une infinité de valeurs de e correspondant aux diverses valeurs
de Tanomalie moyenne z. Nommons E la plus grande de toutes ces valeurs de
« , qui se réalise pour une longueur donnée du rayon p. En appliquant ici le raison-
nement que nous avons fait S fil pour Thypothèse simple, on.aura évidemment
sm b = — .
9
Puisque r est constant, la plus petite valeur de E s'obtiendra en donnant à p sa
plus grande longueur, qui est R-f-r" ; et la plus grande, en donnant à R sa plus
petite valeur, qui est R — r"; nonmions E', E', ces deux valeurs extrêmes. On aura
sin E'= 7;^ n ; sin E" =
RII y >7ftU *-l —. wj II .
-HT . n — r
Pour que Thypothèse s'accorde avec le ciel, il faut que E' reproduise la plus
grande équation, b"" 1' 11 ",2 8, observée d'abord dans les syzygies seulement, et
que E" reproduise l'autre, plus considérable, 7* lxo\ qui s* observait dans les qua-
#11
dratures. Ptolémée détermine les rapports "5 » "g » de manière à remplir ces deux
conditions; et c'est aussi ce que nous allons faire plus simplement que lui, en dé-
gageant ces deux inconnues des deux équations précédentes. Nous aurons ainsi
T 2 sin E' sin E" r" sinE" — sinE'
R — sinE'-i-sinE"' R" sinE'VsinE' '
Nous avons déjà employé, S III, la valeur de sin E' égale à 0,0876; celle de sin E"
ou sin 7* 4o est 0,1 334096. En les introduisant dans les expressions précédentes,
elles donnent
/ M
r . r
^ =: o,io56844; -jt = 0,2078208.
J'ai à peine besoin de dire qu'il faut effectuer tous ces calculs par logarithmes pour
les faire exactement et avec facilité.
Le rayon r de l'épicycle et le rayon r" du cercle intérieur, qui règle l'excentri-
cité, se trouvent donc ainsi déterminés tous deux en parties au rayon R de Tex-
centricité; et l'on peut remarquer que r" est presque le double de r . Pour abréger.
r _ 1 1 .. . . r
je représenterai -g par une seule lettre e*, et ^ par e", ce qui donnera aux équa-
tions (1) et (2) cette forme plus simple :
e sin z
(1) tang e = ; (2) ^ = e'cos 2a-f-y i — e"* sin* 2a.
* ' ■ •
s: -f- • cos z
R
88.
s
700 JOURNAL DES SAVANTS.
.$ VIII. Il ne reste plus qu*à introduire dans la première la correction de TanO'
malie e , dépendante des oscillations de Tapogée. La fig. 6 représente la conditioD
•hypothétique d'où Ptolémée la déduit. Il suppose que le rayon TC ou ç ne se dirige
pas généralement vers Tapogée moyen A ; mais que cet apogée, d*où Ton compte le»
anomalies moyennes z, se transporte sur une droite AC'N , passant par le centre de
Tépicycle, et constamment dirigée vers le point N du cercle intérieur, qui se trouve
diamétralement opposé au centre c de Texcentrique. L*angle A 'C'A, que je nom-
merai z j est donc la correction éventuelle qu*fl faut faire à ranomaiie calculée z,
pour la faire partir du véritable apogée moyen A ; et Ton voit qu'elle se présente
comme additive à z, dans la figure que nous prenons ici pour type. D'après cela, il est
bien facile d'obtenir l'expression générale de cette correction. Car, par les conven-
tions précédentes, le rayon TC est p, que nous venons de déterminer ; langle C'Ta
est as, et TN est r". Alors, du point N menez Np perpeddicuiaire sur C'T pro-
longé; l'angle NTp^ opposé à C'Ta, sera aussi aa; vous aurez donc
Np = r'sinaa; Tp = r'cosaa.
Maintenant, dans le triante rectangle NC'p, Tangle en G est précisément égal à
AC'A , c'est-à-dire à cette correction z que nous voulons déterminer. Nous auront
donc par ce triangle
tangz' =
r'sin as
p-4*r cosaa
Ou, en mettant pour— g- son expression abrégée e".
(3) tang z' =
e" sin a a
~- -4-e cosaa
n ne reste plus qu à introduire cette correction z comme additive à Tanomalie z
dans Texpression de tang e , en l'associant toujours à l'expression précédente de f ;
ce qui donnera définitivement :
( i) Ung € = — r ' ' (a) -^ =e"co8a«-h\/ 1— c"*sin*a«.
Ces trois équations (i) ,(a) , (3) , comprennent toute l'hypothèse finale de Ptolémée ,
et c'est par eUe, ou du moins par les trois conditions qu'elles expriment, qu'il a
cdculé sa Table générale de l'anomalie de la lune , insérée à la fin du chapitre vii
de son livre V. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'a prendre comme donnée une
valeur quelconque de a, et une valeur quelconque de z, puis calculer -^r z\ et
enfin e, par les expressions précédentes, en mettant pour e , e , les nombres qu'elles
représentent. L'équation du centre e que Ton obtiendra se trouvera exactement
égale à celle que fournit sa table pour les mêmes données, c'est-à-dire pour la
même dislance angulaire a de la lune au soleil , et pour le même degré d'anomalie
moyenne z,
g
S IX. en remplaçant -^ par sa valeur explicite dans l'expression de tang z'-.
NOVEMBRE 1843. 701
on trouve que l*aogle z' a un maximum de grandeur, que je désignerai par Z', le*
quel répond à une distance spéciale de la lune au soleil, que je désignerai par a'.
Les expressions générales de ces deux quantités sont données par les formules sui-
vantes :
•inZ' = d= ,_^v't ' cos aa' = — ae" Y — ^ ;
en y mettant pour e sa valeur numérique 0,3078308 , on en tire
Z' = ± i3'8' 53",a, a' = 90* =F 3a' 67' 37".
Les deux valeurs de Z' expriment les plus grands écarts de Tapogée moyen au-
tour de son lieu , calculé dans la supposition d'un mouvement uniforme. Les deux
valeurs de a' expriment la distance de la lune au soleil , dans lesquelles ces plus
grands écarts doivent se réidiser. L*évaiuation de Z' difière peu de la réalité. Mais
celle des élongations a' est inexacte, parce que Ptoiémée ne rapportait pas les
oscillations de Tapogée à la véritable loi dont elles dépendent.
S X. Pour comparer généralement Thypothèse finale de Ptoiémée avec nos tables
modernes , il faut développer Texprcssion de e en série , conune nous Tavons lait
pour rhypothèse simple dans le S IV. Afin d'abréger ce calcul , je représente le
9
rapport -^ par une seule lettre p'; alors ces trois équations générales prennent
la forme suivante.
(i) lang«= ^ ^ ; (a) 9 = e'cosaa -H V^ri^^V*su?ââ ;
1 ^^•A-Jco8(^4-z')
(3) tangz' =
(t)^
smaa
cos a a
Les rapports I — r ] • ( — r] , seront toujours de petites fractions de Tunité par
la nature des quantités qui les composent; c'est ce qui facilite le développement,
que j'étendrai seulement jusqu'à la troisième puissance de ces rapports.
J'applique d'abord à e le dévdoppement de l'arc par sa tangente , que nous avons
déjà employé à l'endroit cité ; et, en limitant de même la série à la troisième puis-
e
sance de — r , j'obtiens, par une analogie évidente ,
tang
^ = ( — r) 8În {z-hz') — (— r- j sin [z^z] cos (z^z')
l — rj sin (;^4-z' [cos' [z-^z) 5- sin* («-H;»')] -
702 JOURNAL DES SAVANTS.
Pour éliminer % du second membre, il fiiut d*abord former les expressions géné-
rales de sin (z-i^z) et de cos ( 2; -f- z ) , qui sont
sin [z-hz* = sin z cosz' -+- cos;^ sin z' = cos z' [sin z -♦- cosz tangz' ] ,
cos(z-i-z') 1= cos zcosz' — sinz sinz' = cosz' [cosz — sin2: tangz' ];
tang z' peut être immédiatement remplacé par sa valeur explicite dans les fac-
teurs compris entre les parenthèses. Il ne reste donc qu*à chercher la valeur ana-
logue du facteur extérieur cos z. Mais on n*a besoin de la connaître qu*approxi-
mativement jusqu'aux quantités de l'ordre ( — r) , puisque les expressions qu'elle
doit compléter s'appliquent comme coefficients à des termes déjà multipliés par
I — ;-} ou par des puissances supérieures de ce rapport, dont nous ne voulons
conserver que les troisièmes dimensions au plus. Or, dans ces limites d'approxi-
mation , on aura évidemment
—r] sin» 2 a.
Ainsi, en substituant cette valeur dans les expressions précédentes de sin [z-^-z')
et cos {z-hz) , après avoir remplacé tang z' par son expression explicite , z en sera
complètement éuminé.
n ne reste plus qu'à mettre dans tous ces termes la valeur générale de — r qui
résulte de l'équation (a). Mais on n'a besoin d'avoir ce rapport qu' approximative-
ment jusque dans^ les termes de l'ordre e"* au plus, puisque tous les termes de e
où il doit entrer sont déjà multipliés par e ou par des puissances supérieures de
cette fraction. Or on a, dans cette limite d'approximation,
1 1 1
9 e"cosaa-H(i— c"*sin»aa)T i-4-c cosaa— |e 'sin'aa
= 1 — e"cosaa-H7c"*sin*aa-Hc"'cos'aa= 1 — «"cosaa H — r— [3 -i- cos 4a).
Rien ne manque maintenant pour former tous les produits partiels qui composent
e tang 1 " ,
le développement de „ — jusqu'au degré d'approximation auquel nous l'avons
limité. Il faudra seulement négliger, dans cette opération , tous les termes qui con-
tiendraient des produits supérieurs aux troisièmes dimensions des rapports e', e",
ou de leurs produits entre eux , et ensuite transformer les diverses puissances de
sinz, cosz, en sinus simples ^ par l'artifice q^e nous avons employé dans le S IV.
On trouve ainsi finalement :
n = (^-^76 e ) sinz — ^e smaz -Hj^ smoz
-♦- e'e"8in (aa — z) — \e'e"* sin (/la — z) — e'e***s\n (4a- — z) — c'Vsin (a a — az).
Ce développement que j'avais obtenu a été vérifié par une personne très-habile
dans les calculs d'analyse, M. Yvon ViUarceau, que j'ai eu l'avantage de connaître
NOVEMBRE 1843. 703
à mon cours d*astronomie ; il avait encore poussé le développement jusqu'au degré
suivant d* approximation ; mais les termes qui s'ajoutent ainsi à Texpression précé-
dente devenant beaucoup moins sensibles , j'en fais abstraction ici.
Il faut maintenant remplacer les lettres e , e\ par leurs valeurs numériques trou-
vées S VII , et qui sont
e = o,io568/l4t fi" = 0,2078208;
II
après quoi on multipliera chaque coeflScient par w , comme dans le S IV ,
et Ton aura e en secondes de degrés. On trouve ainsi finalement
6«/n^» fil • #11 •o_
119 ,Dsm2; — 19 11 ,9sma;?-4- i 21 «i smo^;
ri5'3o",3sin(2a — «) — 7' 5o",7 sin(4aH-5J) — i5'4i'\5 8in(4a — «) — 7'58",8sin(2a — 2z).
Ceci obtenu, je prends dans les tables de M. Damoiseau l'expression correspon-
dante de e, en y comprenant l'équation du centre de l'orbite, et l'évection que
Ptolémée a voulu représenter. J'y joins même la variation, qui a pour coefficient
fin 2a, sans aucune intervention de l'anomalie z, pour qu'on voie bien que l'hypo-
thèse de Ptolémée ne donne aucun terme semblable. J'ai ainsi, en comptant les
anomalies à partir de l'apogée, comme dans notre formule :
enz-H 6"i7'9",7sinz — i2*48",8sin2z-i- 36",i8in32
-♦- i'i6'28",2 sin(2a — z) — 3i",osin(4a — 2;?)
— 39'29".7 sin2a -h 2*2*,! sina.
La comparaison est maintenant bien facile. Dans les deux expressions , la pre-
mière ligne comprend les termes qui dépendent de l'anomalie moyenne seule, et
Si composent ce qu'on appelle l'équation de Torbite. On voit qu'ils sont de même
me , avec des valeurs presque semblables ; de sorte qu'en ce point l'hypothèse
grecque /enferme peu d'erreur. Mais la seconde ligne qui exprime l'^vecftow est fort
différente dans les deux formules; car il n'y a de ressemblance que dans le premier
terme, auquel se joignent, dans Ptolémée, des termes fort sensibles, que l'ex-
pression théorique ne contient pas. CeuxJà résultent de la loi inexacte dont il a
tait dépendre cette inégalité. Ils se détruisent presque complètement, lorsque Ton
donne à l'angle a la valeur qu'il avait dans les observations d'Hipparque, sur les-
quelles Ptolémée s'est appuyé pour déterminer sa correction z , relative à l'oscillation
de l'apogée ; ce qui prouve que ces observations devaient renfermer quelque erreur,
qui aura compensé ou dissimulé l'effet de la variation dont Ptolémée ne tenait pas
compte. On voit que cette dernière inégalité , comprise dans la dernière ligne de la
formule théorique, n'est nullement représentée dans Thypotiièse grecque, comme
fanalyse directe de cette hypothèse nous l'avait déjà montré.
BIOT.
704 JOURNAL DES SAVANTS.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
INSTITUT ROYAL DE FRANCE.
ACADÉMIE FRANÇAISE.
M. Campenon, de rAcadémie française, est mort le a4 novembre.
ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Daos la séance du vendredi 17 novembre, M. Mérimée a été élu à la place dV
cadémicien libre vacante par la mort de M. le marquis de Fortia d*Urban.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
M. Mauvais a été élu, le ao novembre, dans la section d'astronomie, en rem-
placement de M. Bouvard , décédé.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Précis élémentaire de géologie, parJ. J. d*Omalius d*Halloy. Paris, imprimerie
de M"* V* Bouchard-Huzard , librairie d' Artbus-Bertrand , 1 843 , in-8* de viii-7go pag.
avec planches. — Les personnes qui s* occupent de sciences naturelles se rappellent
la faveur avec laquelle ont été accueillis les Eléments de géologie de M. d'Omalius
d*Halloy. Mais la dernière édition de cet ouvrage , remontant à 1 838 , ne peut plus
donner une idée exacte d*une science qui a fait tant de progrès pendant les cinq der-
nières années. D*un autre côté, la minéralogie n'avait pas été traitée par Fauteur dans
les Éléments, mais dans un ouvragé à part, assez étendu, intitulé : Introduction à lagéo*
îogie. Dans le nouveau travail élémentaire que nous annonçons, M. d'Omalius d*Hal-
loy a eu Theureuse idée de réunir toutes les parties de la géologie, y compris des
notions indispensables de minéralogie , et de mettre au courant des connaissances
actuelles Tensemble d'une science dont Tétude devient chaque jour plus générale^
TABLE.
Histoire de la république de Gènes, par M. Emile Vincens (1*' article de M. Mi-
gnet) Page 641
Revue des ëdilious de Buflbn (5* article de M. Flourens) 655
11 sepolcro dei Volunni, ed altri monumenti inediti etruschi e romani, esposti da
Vermigiioii (2* article de M. Raoul -Rochette) 666
Loi salique, avec des notes et dissertations, par J. M. Pardessus (3* article de
M. Guérard. ) 681
Note anneie aux articles sur un traité arabe relatif à lastronomie (de M. Biot] . 694
Bfonvelles littéraires ,.. 7^4
Tin DB LA TAsix.
704 JOURNAL DES SAVANTS.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
INSTITUT ROYAL DE FRANCE.
ACADÉMIE FRANÇAISE.
M. Campenon, de T Académie française, est mort le a4 novembre.
ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
Dans la séance du vendredi 17 novembre, M. Mérimée a été élu à la place d*a-
cadémicien libre vacante par la mort de M. le marquis de Fortia d*Urban.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
M. Mauvais a été élu, le 20 novembre, dans la section d* astronomie, en tem*
placement de M. Bouvard , décédé.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Précis élémentaire de géologie , par • J. J. d'Omalius d*Halloy. Paris , imprimerie
de M"* V* Bouchard-Huzard , librairie d* Arthus-Bertrand , 1 843 , in-8' de viii-790 pag.
avec planches. — Les personnes qui s*occupent de sciences natureUes se rappellent
la faveur avec laquelle ont été accueillis les Eléments de géologie de M. d'Omalius
d*Halloy. Mais la dernière édition de cet ouvrage, remontant à i838, ne peut pins
donner une idée exacte d'une science qui a fait tant de progrès pendant les cinq der-
nières années. D'un autre côté, la minéralogie n*avait pas été traitée par Fauteur dans
les Eléments, mais dans un ouvrage à part , assez étendu, intitulé : Introduction à lagéo*
logie. Dans le nouveau travail élémentaire que nous annonçons, M. d*Omalius d*Hal-
loy a eu Tlieureuse idée de réunir toutes les parties de la géologie, y compris des
notions indispensables de minéralogie , et de mettre au courant des connaissances
actuelles Tensemble d'une science dont Tétude devient chaque jour plus générale*
TABLE.
Histoire de la république de Gènes, par M. Emile Vincens (1*' article de M. Mi-
gnet) Page (Wkl
Revue des ëditious de Buflbn (5* article de M. Flourens) 055
11 sepolcro dei Volunni, ed altri moDumenti inediti etruschi e romani, esposti da
Vermiglioli (2* article de M. Raoul -Rochette) 660
Loi salique, avec des notes et dissertations, par J. M. Pardessus (3* article de
M. Guérard. ) 681
Note annexe aux articles sur un traité arabe relatif à Tastronomie (de M. Biot] • 694
B^onvelles littéraires ,.. 704
ri« DE LA TAsix.
/
K
JOURNAL
DES SAVANTS
DÉCEMBRE 1843.
Lucrèce, tragédie en cinq actes et en vers {représentée, pour la pre-
mière fois, sur le second théâtre français , le 22 avrîHSàS), par
F. Peosard. Paris, imprimerie de H. Foumier, librairie de
Fume, i843, i vol. inria de io4 pages, 4* édition.
PREMIER ARTICLE.
Une pièce d'un genre sérieux et élevé , dont la composition solitaire
a échappé heureusement à la contagion du mauvais goût en crédit, à la
routine du métier, aux manœuvres de la spéculation; qui, conçue seule-
ment en vue de l'art, n'a dû qu'à l'art son succès, un succès légitime,
durable, capable de soutenir l'épreuve périlleuse d'une reprise et de
plusieurs éditions ; une telle pièce est quelque chose d'assez rare pour que
le Journal des Savants , malgré des habitudes de gravité qui l'éloignent
des choses du théâtre , n'y puisse rester indifférent. Nous pensons donc
que personne ne nous reprochera de consacrer, à notre tour, après
de judicieux critiques \ quelques pages à l'examen de l'estimable et
remarquable ouvrage qui a récemment fait connaître et répandu le
nom de M. Ponsard.
La renommée, a dit un ancien, ne se trompe pas toujours; il lui
arrive de choisit*. Si, parmi d'autres productions considérables, elle a
' Voyez particulièrement, dans le Constitutionnel des 26 mai, 1, 17 et 3o juin
i8â3, une suite d* articles de M. Jay, et, dans le numéro du i*' juin i843 de la
Revue des Deux Mondes, p. ySS et suiv., l'article de M. Ch. Magnin, intitulé : De
la iitvation da théâtre français à propos de Lucrèce.
89
706 JOURNAL DES SAVANTS.
fait choix, cette année, de la tragédie de Lucrèce, ce n'est point assu-
rément par caprice; c'est par des raisons qu'il convient de rechercher,
et qui ne peuvent être étrangères à l'histoire de notre théâtre , particu-
lièrement de notre théâtre tragique , dans ces derniers temps.
n y a déjà un quart de siècle, ou peu s'en faut, que s'est hautement
manifesté, chez le public français, le désir d'un renouvellement dans
l'art de la tragédie. On se sentait fatigué de compositions trop unifor-
mément, trop servilement jetées dans le moule qu'avaient créé les
chefs-d'œuvre de nos grands maîtres et consacré nos poétiques; on
était, d'autre part, comme ébloui des beautés nouvelles de toutes les
productions étrangères offertes alors à notre curiosité par d'habiles in-
terprètes, quelquefois même traduites plus vivement encore à nos
oreilles et à nos yeux par le jeu d'acteurs étrangers comme elles. On
en vint naturellement à souhaiter que la tragédie française , disposant
plus librement du temps et de l'espace, pût s'approprier des sujets
trop vastes jusque-là pour le cadre de ses unités; que , dégageant l'ac-
tion de ces récits qui en absorbaient une forte part, elle la produisît
davantage sur la scène elle-même; quelle substituât moins souvent la
continuité des développements oratoires au mouvement plus drama-
tique du dialogue; quelle se relâchât un peu de sa dignité, de sa so-
lennité , pour admettre , dans les sentiments et dans le style , certains
traits familiers; que, sans renoncer à l'idéal, elle se tînt plus voisine,
quant à la Ëible, aux mœurs, aux caractères, du cours naturel des
dioses, de la réalité historique. A ces vœux, assurément raisonnables,
et reproduits avec insistance par une critique savante et spirituelle, ré-
pondirent d'abord les tentatives discrètes de quelques hommes de talent
et de goût, pour concilier avec les habitudes de notre scène la satisfac-
tion de ses besoins nouveaux. Mais , comme il arrive dans des révolu-
tions d'un ordre plus sérieux, leur modération fut bientôt dépassée par
la fougue de réformateurs qui nous donnèrent (je parle en général,
séparant par la pensée , ainsi que mes lecteurs, des excès brutaux de la
foule, les hardiesses, dignes d'intérêt, alors même qu'on ne les approu-
verait pas complètement, de plusieurs poètes d'éÛte), qui nous don-
nèrent à la place de ce que nous eussions souhaité, de ce que nous
attendions, je ne sais quel drame, sans limites et sans proportions,
d'une excessive et invraisemblable complication d'intiîgue, tout en in-
cidents et en spectacle, s'adressant plus à la curiosité qu'au sentiment,
plus aux sens qu'à l'âme; où se heurtaient grossièrement l'emphatique
et le trivial ; où débordait hors de toute mesure la tirade naguère hon-
nie; où dominaient, résultat non moins étrange d'une réforme entre-'
DÉCEMBRE 1843. 707
prise au nom de la nature et de Thistoire , la fantaisie et le roman , la
recherche des accidents étranges, des mœurs bizarres, des passions, des
caractères d*exception, et, ce qui est pis, ce qui est le contre-pied de
Fart tragique, lequel doit tendre à élever les âmes, une préférence dé-
pravée pour la laideur morale. Ce genre de drame , qui , dans des œuvres
recommandées par Téclat du talent, avait d*abord ébranlé et séduit les
imaginations, finit par les fatiguer, quand, arrivé lui-même à fétat de
théorie et de poétique, il ofiBritses procédés commodes aux entreprises
de la médiocrité. Tout moderne qu'il était et qu'il s'appelait , il se trouva ,
au bout de quelques années de redites sans fm , plus vieux et plus usé
que ce qu'il avait prétendu remplacer. C'est dans de telles circons-
tances que s'est montrée la Lucrèce de M. Ponsard; et il est facile de
comprendre comment son ordonnance régulière, sa fable simple, ses
situations naturelles , ses incidents , ses mœucs , ses caractères fidèlement
empruntés à l'histoire, pour la plupart du moins, son ton grave, son
élévation morale, ont paru au public, étonné et charmé de s'y plaire,
une nouveauté piquante.
Cette nouveauté, je l'aurais souhaitée, je l'avoue, plus complète en-
core; j'aurais voulu que l'auteur, parmi tant d'excellentes choses aux-
quelles il a eu le bon esprit de revenir, eût compris ce soin sévère du
style, qui, dans d'autres temps , tourmentait||^ grands poètes, qui leur
imposait, même après le succès de leur œuvre, tant d'efibrts pour at-
teindre à la perfection idéale conçue dans leur esprit. M. Ponsard est
encore trop de ce temps-ci par la résignation facile qui lui a fait aban-
donner à leur destinée un assez grand nombre de vers dont il n'eût
pas dû se contenter d'abord, et que la durée de son succès, la fréquence
de ses éditions, l'invitaient à changer. Sa manière d'écrire est, en général,
fort bonne; il ne va pas, conmie on fait souvent aujourd'hui , des mots
à l'idée , mais de l'idée aux mots; son vers, selon le vœu de Boileau, bien
oa mal, JUt toajoars quelque chose, et le dit avec énergie et rapidité. Mais
la force à laquelle il vise, il l'achète quelquefois trop cher, au prix de
tours pénibles et durs^; la recherche de la concision le rend fréquem-
^ Afin qu il amusât les princes ennuyés.
Et que , de ses aieas absous par sa démence ,
Il révélât Tarquin capable de clémence.
Actl,$cin.
Chaque nouvel affiront, porteur d'tuie souffrance ,
Etait un aliment à ma persévérance.
lUd.
Et plus vous descendez votre âme de hauteur,
89.
708 JOURNAL DES SAVANTS.
ment obscur ^ sa simplicité n'est pas exempte de certaines aflectations
qui la déparent^, et, dans sa diction, presque toujours travaillée, on
8*étonne de rencontrer cependant non-seulement des négligences, mais
même des incorrections^. Ces défauts , que , par estime pour le talent de
Plus vous prouvez par là qu*on doit en avoir peur;
Plus vous vous ramassez de hontes à contraindre ,
Vins , en se dévorant, la vengeauce est à craindre.
Âct. I, se. ni.
* L* autre , étouffant Vénus par une main avide.
Interrogeait les dés
Act. I, se. II.
La lampe sérieuse
Qui dérobe au sommeil Tbeure laborieuse,
Et d'oà Pallas, aimant à descendre sans bruit,
Près de Vkuile employée aux travaux de la nuit ,
S*étonne, etc.
Act. IV, se. III.
Viens, Je m*enorgueiilis de la terreur promise ;
Les enfers opposés haussent mon entreprise.
Act. IV, se. IV.
* Et vous Tavei^pu voir tantôt insolemment
Fouetter Vépên avec les lauriers de l'amant,
Act. I, se. ni.
Quand Virai chez les morts, avant que d'y descendra,
Je prendrai mon courroux tout fumant dans ma cendre.
Et je l'emporterai du milieu da bûcher.
Comme le tigre emporte une proie à lécher,
Act ni, se. II.
* Que vos esdaves
Filent pour votre époux les robes laticlaves.
Act. I, se. I.
La maison d*un époux est un temple sacré
Où même le .soupçon ne soit jamais entré.
Ibid.
Il faut lui rendre hommage à l&face publique.
Ibid,
N'importe en quel objet vous i*ayez résolue.
Votre arrivée ici, etc.
Act. I, se. n.
Ceujc chers à mon époux me sont chers à moi-même.
Act. I, se. m.
DÉCEMBRE 1843. 709
M. Ponsard, je relève firanchement dans son œuvre, et dont je donne,
en note, pour justifier ma sévérité, quelques exemples, sont de ceux
que le travail efface infailliblement; on doit bien souhaiter qu'ils dis-
paraissent d'une production destinée, je le crois, à conserver, parmi le
petit nombre des tragédies contemporaines qui échapperont h Toubli,
une place éminente , mais à laquelle ils ne laisseraient pas de nuire
beaucoup auprès des juges délicats, à laquelle ils retireraient d'impor-
tants suffrages.
n n'est guère possible que, dans un premier ouvrage , ne se laisse
pas trop apercevoir l'influence des modèles qui ont éveiUé , échauffé la
verve du jeune auteur. Nul de nos bons poètes tragiques n'est arrivé
tout d'abord à l'expression libre et entière de son génie particulier, n'a
été eu conmdençant tout à &it lui-même. Si donc je remarque, après
tant d'autres, que certains passages de la Lucrèce rappellent sensible-
ment ou les hardiesses familières de Shakspeare, ou le tour énergique
et franc de Corneille , ou la curiosité élégamment érudite d'André Ché-
nier, que beaucoup' se rapportent visiblement à des souvenirs de l'anti-
quité classique, je n'en iais pas, il s'en faut, un grave sujet de reproche
contre M. Poossund : un jour viendra , on est en droit de l'attendre , où
les éléments divers que l'imitation pourra fowniii* à ses œuvres se fon-
dront davantage dans l'unité de sa manière, 4H|»arattront plus complè-
tement dans son originalité propre.
n ne me parait pas , comme à quelques personnes , que ce qui peut
compromettre dans la Lucrèce cette originalité ce soit la fidélité de
l'auteur à suivre le beau récit de Tite-LiveK La mission de la tragédie
est précisément de transporter l'histoire sur la scène, sans l'altérer, en
retrouvant seulement par l'imagination, avec vraisemblance et intérêt,
les sentiments et les discours de ses héros. Le sujet donné par Tite-
Live est des plus simples. Brutus , pour échapper à la tyrannie qui a
frappé son père et son fr^e aîné, pour préparer, avec la vengeance
qu'il leur doit, l'aflOranchissement de sa patrie, contrefait l'insensé. Chef
D'autant plus avili, d'autant plas magnanime.
Acl. I, se ni.
Sans doute un jour viendra. . . . mais ce jour est distant.
Ibid.
Une telle grandeur sied à votre courage,
Lucrèce : prononces , et je tous la partage,
Act. IV, se. ni.
' Hist. I, 56 sqq.
710 JOURNAL DES SAVANTS.
ignoré d'une sourde conspiration , qui menace de loin Tautorilé des Tar-
quins , il attend patiemment, pendant de longues années , une occasion
qui permette à la haine publique d'éclater, et le sort la lui o£Bre enfin
dans l'attentat imprévu qui semble flétrir l'honneur de chaque famille
romaine avec l'honneur de Lucrèce. Un tel siget, je le répète, est des
plus simples, et dans le sens où l'entendait la poétique des anciens;
c'est-à-dire qu'il ne se prête nullement au jeu des péripéties , aux com>
binaisons de Tintrigue. Retirez Lucrèce de ce sanctuaire du gynécée, où
vient la surprendre la violence , et mettez-la en lutte avec les entre-
prises de la séduction; faites sortir Brutus de son immobilité mena-
çante pour l'occuper de l'organisation, de la conduite d'un complot;
qu*ain$i disparaisse la rencontre subite et fatale de l'acte qui pousse à
bout la patience des Romains avec la maturité des desseins de leur li-
bérateur, et ce sujet a perdu son vrai caractère. H est de ceux qui suf-
fisaient aux anciens, habiles à remplacer l'action, qui leur manquait
d'ordinaire, par l'intérêt de quelques situations frappantes, par la va-
riété des développements poétiques. M. Ponsard s*en est contenté «
comme ils eussent fait; il a su, selon leur méthode, sans en dénaturer
l'esprit par l'emploi de ressorts factices, en féconder la simplicité. C'est,
à mon sens, un grand naérite ; d'autant plus grand ^ que ceux qui , avant
lui, s'étaient exercés séÊf^à. même matière, ne lui aviedent guère donné
l'exemple de cette réserve et de cette puissance.
Je ne parle pas d'Attius, élève des Grecs, qui, très-probablement à
leur manière, mit sur la scène, au septième siècle de Rome, les faits
qui, dans le troisième, avaient amené l'expulsion des rois et ]a fonda-
tion de la république. La simplicité du plan, l'éloquence de la passion,
l'énergie du style, caractérisaient, on est en droit de le supposer, son
Bratas, tragédie nationale et politique, parmi tant d'autres de sujete
mythologiques et d'origine grecque, tragédie qui resta longtemps popu*
laii^e. ^sopus la jouait dans le temps du rappel de Cicéron, et, selon
le témoignage de l'orateur ^, y trouvait le sujet d'allusions à cet événe-
ment désiré , que saisissait avec avidité le peuple romain. Le second
Brutus, dans une intention &cile i comprendre, l'avait (Choisie pour en
faire le principal ornement des jeux apoUinaires, auxquels il devait pré-
sider pendant sa prétiu^e. Mais , forcé de quitter Rome après le meurtre
de César, il fut remplacé dans cette présidence par son successeur dé-
signé, lequel se trouvait être un frère d'Antoine; de là, on le conçoit,
un changement dans la composition du spectacle projeté; au Brutus on
* Pro Sextio, 58.
DÉCEMBRE 1843. 711
substitua le Térée du même poète , pour dérouter, par la mythologie ,
des allusions flatteuses, auxquelles Thistoire se serait mieux prêtée, et
qui ne laissèrent pas cependant de se fidre jour \
De cette tragédie de Bratas, grave pièce, liée au souvenir de graves
événements, quelques fragments sont restés, qui en font entrevoir,
bien obscurément il est vrai , Tordonnance , et qu'il n*est peut-être pas
hors de propos de rapporter ici.
Deux d'entre eux, les plus considérables ^ nous montrent Tarquin le
Superbe qui consulte des devins sur un songe prophétique dont son
âme est troublée.
«Le mouvement du ciel avait ramené la nuit; je livrais mon corps au repos et
délassais par le sommeil mes membres fatigués. Alors m*apparut en songe un pâtre ,
3ui s* approchait de moi avec un troupeau d*une rare beauté. D me sembla que j*y
boisissais deux béliers du même sang, que j'immolais le plus beau, et qu alors son
frère , se précipitant sur moi , me heurtait de ses cornes , et du coup me jetait à terre.
Blessé, renversé, étendu sur le dos, je vis dans le ciel une grande et merveilleuse
chose : c'était le globe enflammé du soleil qui abandonnait sa route pour une route
nouvelle, vers la droite. •
Quum jam quieti corpus nocturne impetu'
Dedi, sopore jdacans aitus languidos,
Visum est ^ in somnis, pastorem ad ma adpdlere
Pecus lanigerum eximia pulchritudine ;
Duos consanguineos arietes inde eligi *,
PrsBclarioremqne alteram immolare* me;
Deinde ejus germanum comibus connitier.
In me arietare , eoque îclu me ad casum dari ;
Ezin prostratum terra, graviter saucium,
Resupinum, in cœlo contueri maximum ac
Minûcum fieicinus : dextrorsum orbem flammeum
Radiatum ^ solis liquier cursu novo.
« O roi, ce qui rem[dit la vie des hommes, leurs pensées, leurs soutis divers, ce
qu*ib v(Hent, ce qu ib font, tous les actes du jour, peuvent leur revenir en songe,
* Cic. ad Att XVI, i, 4* &• — * Cic. De divin. I, aa. Cf. Bothe, Pœtaram Latii
scenicorum fragmenta tmg. i8a3; Neukirch, De fabula togata Bomanomm, i833;
Egger, Latini sermonis vetustioris reliqaim selectm, i843. — ^ CL Lucret. De nat. rer,
V, 301 ; Virg. JEneid, U, aScT; Gc. De nat, Deor. Il, 38, e^c. — * Une autre leçon
donne visiist pastor. — 'Ce vers et le précédent sont mal à propos transposés
dans quelques éditions. >— * Quelquefois involare, qui n*a point de sens. — ^ « Ra-
« diatum habeo pro supino, ne frigeant simul illata, prœsertun sine copula , adjectiva
« duojZernim^iim et radiatum, Dicitur orbis solis liquier, id est quasi diifluere et spargi
«per cfldum, dextrorsum, ut radiet cursu nova.t Bothe, Poetanun Latii sceni-
^corum fixigmenta trag.
^ *
712 JOURNAL DES SAVANTS.
et il n*y a rien là qui doive surprendre. Mais de telles visions , ce ne saurait être
au hasard , sans quelque raison secrète , que les dieux te les envoient Prends donc
garde que celui qui te semble aussi stupide que la brute ne porte en lui une grande
âme , fortifiée par la sagesse , et ne te chasse de ton royaume. Car ce que tu as vu
du soleil présage pour le peuple une grande et prochaine révolution. Puisse-t-elle
lui être profitable I Ce signe puissant, qui prend sa course de la gauche à la droite,
semble ofirir Taugure heureux de la grandeur romaine. »
Rex, qu£ in vita usurpant homines, cogitant, curant, vident,
Quaeque aguot vigilantes agitantque, ea si cui in somno acddant.
Minus mirum est ^ Sed di rem tantam* liaud temere' improviso offerunt.
Proin vide ne, quem tu esse hebetem députes aeque ac pecus,
Is sapientia munitum pectus egregium gerat,
Teque regno expellat. Nam id quod de sole ostenlum est tibi.
Populo commutationem rerum portendit fore
Pcrpropinquam. Haec bene verrunoeni * populo : nam quod ad dexteram
Cœpit cursum ab laeva signum praepotens , pulcherrime '
Auguratum est rem romanam summam fore.
Ainsi le ressort principal de cette tragédie c'était, comme dans This-
toire, la folie simulée de Brutus. A côté, y trouvait également place,
d'après les traditions, Taventure de Lucrèce. On peut le conclure d'un
troisième fragment conservé par Vairon ^; fragment bien court , il se
compose d'un seul vers; fragment en apparence bien insignifiant, mais
curieux, en ce qu'il semble avoir appartenu à un récit du crime de
Sextus fait par sa victime elle-même :
« Au milieu de la nuit il vint dans notre maison. •
Nocte intempesta nostram devenit domum.
Chez Tite-Live '^ se trouve l'analyse d'un discours tenu par Brutus au
peuple romain, pour lui faire prononcer la déchéance des Tarquins.
C'est à un discours semblable qu'il faut probablement rapporter le vers
dont l'action d'^sopus et les acclamations des Romains firent une
application glorieuse à Gicéron, alors exilé ^; le nom de l'orateur y
était prononcé, non pas, comme on l'a dit^, par une substitution au
' Cf. Lucret. De nat rer, IV, g6 1 sqq. — * Correction ingénieuse de Neukirch ,
De fabula iogata Romanorum, au lieu de : sed in re tanta haud, etc. — ^ Cf. Enn.
Afin, m*, fragm. apud Serv. in i£n. IX, 3^9 :
Haod temere "st , quod to tristi com mente gubemas.
— ^ Cf . Att. Decii fragm. apud Non.; Pacuv. Peribœœ fragm. apud Non.; Tit. Lîv.
XIX, 37. — ^ Cf Enn. Ann. I; fragm. apud Gc. De divin. I, 4o. — * De ling, lat.
VI, 7; Vn, 7a. — ' Histor. I, 59. — • Cic Pro Sext. 58. — 'En dernier lieu,
M. Ch. Magnin, J)e la mise en scène chez les (uiciens. Revue des Deux Mondes, août
1839, p. 673.
DÉCEMBRE 1843. 713
nom de Brutus ou de Junius, que portait le texte; substitution qui eût
été, de la part de Facteur, une licence bien audacieuse et bien étrange,
mais parce que ce nom était celui du roi populaire, dont les libérales
institutions, abolies parTarquin , oÉfraient un texte favorable aux attaques
de Brutus contre la tyrannie. C'est, je n'en doute guère, de Servius
Tullius ainsi rappelé qu'il était question dans ce passage :
« Tullius , qui avait fondé la liberté de Rome. »
Tullius, qui liberlatem civibus stabiliverat.
Un dernier fragment me reste à rapporter pour compléter une resti-
tution que je ne regarde pas comme entièrement épisodique; car on y
voit la lointaine origine des scènes que M. Ponsard a reproduites après
tant d'autres , mais avec plus de succès. Il y est question de l'établissement
du consulat, et même de Tétymologie ^ , depuis diversement expliquée ,
du titre de consul. C'est précisément au sujet de cette controverse que
l'a cité VaiTon ^ :
« Que celui dont les conseils régiront VEtat s'appelle consul. »
Qui recte consulat, consnl cluat.
Niebuhr^ s'est autorisé du Bratas d'Attius pour avancer qu'à la diffé-
rence des tragédies grecques, il n'y avait, dans les tragédies dont les
Romains empruntaient la matière à leur histoire , dans leurs /a6i^5 pré-
textes, ni unité de lieu, ni unité de temps. En eifet, dit-il, la consul-
tation de Tarquin doit avoir lieu au siège d'Ardée , la mort de Lucrèce
à Collatie , la fondation du nouveau gouvernement à Rome ; et , pour
tout cela , il faut plus qu'une durée de douze ou de vingt-quatre heures.
Deux observations sont à faire à celte occasion. D'une part , il serait
possible qu'en s'écartant un peu de l'histoire , ainsi qu'il en avait le
droit , le poète eût davantage rapproché les choses et pour le lieu et
pour le temps; de l'autre, il eût pris les libertés que Ton suppose,
qu'il ne se serait pas écarté autant qu'on le croit de la pratique des
Grecs. Ces fameuses unités de lieu et de temps, au sujet desquelles.
Dieu merci, on a cessé de disputer, s'étaient établies chez eux d'elles-
mêmes, par suite de la présence continuelle du chœur sur la scène. Mais
ils les regardaient comme facultatives, et, quand il leur convenait, ils
savaient fort bien s'en dispenser, d'une pièce à l'autre, dans les trilogies,
et quelquefois dans une même pièce, ainsi que le prouvent YAgamemnon
* Varr. De Ung, lai, V, 8o; Diony». AnL Rom. IV, 76; cf. Niebuhr, Hist, Rom.
t. II, p. 299 de la traduction française. — * Ibid, — ' Ibid,
90
714 JOURNAL DES SAVANTS.
et les Euménides d'Eschyle, YAjax de Sophocle. Ajoutons , ce qui a été
plus d'une fois remarqué , qu'Aristote , qui , de la pratique du théâtre
a tiré la théorie de Tart, en se bornant à conseiller Tunité de temps, ne
dit pas un mot de l'unité de lieu.
Parmi tant de monuments de la littérature antique dont le temps
nous a privés , j'en sais peu de plus regrettables que le Briitas d' Attius ,
qui nous eût fait connaître, par un si remarquable type, la tragédie na-
tionale des Romains, complètement ignorée de nous. Toutefois, de cette
pièce, dont les Annales d'Ennius, autant quon en peut juger par les
fragments qui en restont\ avaient fourni la matière, quelque chose a pu
se conserver dans le récit de Tite-Live, dans celui d'Ovide^, l'un et
l'autre si dramatiques, et qui, à leur tour, ont rendu le sujet au théâtre :
restitution, du reste, bien tardive, car il faut aller jusqu'à M. Ponsard
pour la rencontrer. On ne saumit trop admirer à quel point ceux qui,
avant notre jeune poète, ont mis sur la scène l'aventure de Lucrèce,
se sont tenus loin des sources de vérité et d'émotion tragiques ouvertes
par l'auteur des Décades et par celui des Fastes.
Chose étrange! elles ont été négligées du grand poète qui, dans Co-
riolan, Jales César, Antoine et Cléopâtre, a reproduit, en traits si vivants,
quelques-unes des grandes scènes de la vie publique des Romains, les
caractères de plusieui^s de leurs grands hommes. Mais Shakspeare était
jeune encore, il entrevoyait à peine son génie tragique, lorsqu'en i Sg/i,
déjà connu par un poème fort maniéré de Vénus et Adonis , il publia
un poème de Lucrèce qui promettait, ce qu'il ne donna pas, plus de
gravité. Les contemporains, du reste, lui eussent peut-être tenu peu de
compte de ce mérite; ils lui surent un gré infini de son affectation :
dans leur enthousiasme, ils le comparèrent à Ovide, qui, disaient-ils,
revivait en lui par une sorte de métempsychose^. La vérité est qu'auprès
de ce qu'on lit dans la Lucrèce de Shakspeare , les traits les plus tour-
mentés d'Ovide paraîtraient de la simplicité, de la naïveté. Et cepen-
dant, même au milieu du faux goût dont cet ouvrage est infecté, quel-
ques passages , comme l'ont remarqué de bons juges*, annonçaient le
* Voyez, dans le recueil de Mérula, éd. de Leipsick, 182 5, p. 5û sqq., ceux
qu'on croit avoir appartenu à la fin du troisième livre. — ' Fast. II, d85 sqq. —
* Voyez ce que cite du IVit*s treasury, iSgS, un des éditeurs de la traduction de
Shakspeare publiée par le libraire Ladvocat, k Paris, en 18a i, t. I, p. 5 sqq. — ^
* Voyez, en tête de la traduction citée dans la note précédente, la Vie de Shakspeare
par M. Guizot, p. Iviij sq. Voyez aussi l'Essai sur Shakspeare de M. Viilemain, par-
ticulièrement dans la reproduction, retouchée et étendue, de ce remarquable mor-
ceau , dont il a enrichi un recueil angiais-français des chefs-d* œuvre de Shakspeare ,
publié à Paris, chez Belin-Mandar, en i83g (p. 37 sq.).
DÉCEMBRE 1843. 715
grand poète dramatique. On a justement loué celui où Lucrèce est re-
présentée chargeant d un pressant message pour GoUatin un jeune et
timide esclave, que trouble la présence de sa maîtresse, et, dans la préoc-
cupation de son outrage, slmaginant qu'il rougit d'elle ^ Les stances^ oii
est exprimée la frappante péripétie qui montre dans Tinsensé Brutus
le vengeur de Lucrèce, le libérateur de Rome, méritent aussi des éloges
pour les accents d'une énergie tragique bien inattendue qui y éclatent.
Elles ont dû ajouter quelque chose à l'inspiration que recevait M. Pon-
sard des modèles antiques qu'il a plus particulièrement suivis ; il y a
même trouvé, je le pense, l'indication générale du rôle qu'il a prêté à
Brutus , dans ces paroles ^ : u Parmi les Romains , Brutus était considéré
comme les fous à la cour des rois, pour ses bons mots et ses extrava-
gantes saillies. »
Le passage est brusque et la chute est loiurde d'Attius et de Shaks-
peare aux prédécesseurs qu'à eus chez nous, dans le xvii* siècle,
M. Ponsard ; à Chevreau et à du Ryer, qui, en iGSy, donnèrent cha-
cun une Lucrèce; à Pradon, qui fit, en 1682, représenter un Tarquîn.
IjC Tarqain, plus heureux que les auti*es productions de l'auteur, n'a
point été imprimé^; il a échappé aux sifflets de la postérité. On n'en
peut dire autant des deux Lucrèce, que, pour leur malheur, Timpres*
sion a conservées. Nul des défauts du temps n'y manque : la mer-
veille du Cid, apparue seulement Tannée précédente, en i636, n'en
avait encore fait perdre le goût ni aux écrivains , ni au public. Intrigue
vulgaire, ou disparait toute l'originalité du sujet dans un détail insipide
des ruses imaginées par Sextus, par son confident, par les subalternes
entrés dans leurs intérêts, pour séduire Lucrèce; mœurs fausses jus-
qu'au ridicide ^ ; expression plate , grossière , d'une brutalité bien cho-
* St. cxcii sqq. — * St. ccLViii sqq. — ' St. ccLViii. — * \oj, Hist. èa tkéAtH
français , t. XII , p. 3o4. — ' Voici qui suffirait pour en donner une idée : dans la
liste des personnages de Chevreau , Tarquin est qualifié à! empereur de Rome. Du
Ryer célèbre en ces termes la vertu de Locrèoe :
Le bal n'a point d'atU'aits qui la puissent tenter;
Le théâtre n a rien qu'elle puisse gouster;
Mais la seule vertu, dont elle est idolâtre,
Est, en toute saison, son bal et ton théâtre.
Chez le même poète, c'est à sa toilette que, sur le conseil de CoUatin, panégyriste
fort imprudent de sa femme , Lucrèce est surprise par Sextus :
Voicy rhenre à peu près où Ion met en usage
Ce qui peut réparer les défauts d'un visage,
Et donner aux moins beaux les attraits esdatatns
Ou que le âtà refbse, ou que fwit le temps.
90.
716 JOURNAL DES SAVANTS.
qualité dans des scènes de nature délicate, qui demandaient à la fois
beaucoup de hardiesse et de réserve ^; voilà ce que présentent ces pro-
ductions d*un art encore dans Tenfance. Il serait injuste , toutefois, de
confondre avec Chevreau, du Ryer, dont le nom ne s est pas maintenu
sans honneur parn)i ceux des auteurs tragiques c{u' élevèrent au-dessus
de leur indrmité primitive les exemples de Corneille. Horace et Cinna
n avaient pas encore, il est vrai, porté son talent au point qu il atteignit
dans Scévole; mais déjà le progrès se faisait sentir chez lui par quelques
vers d'un tour plus noble et plus élégant qu'il n'avail coutume. Il y a , par
exemple , quelque chose de vraiment cornélien dans cette réplique de
Lucrèce, lorsqu'on lui donne le conseil de retenir CoUatin près d'elle,
loin des combats :
Je le rendrois coupable et lui serois rebelle ,
Si je le retenois quand la ^oire Tappelle ;
C'est le plus noble objet qu'il puisse caresser,
Et, s'il n'y couroit pas, je voudrois l'y pousser.
Le rôle de Sextus, qu'invitent au crime un de ces cruels caprices,
familiers au pouvoir absolu, l'appât d'un triomphe coupable sur une
chasteté rigide , enfin l'incrédulité où les méchants se complaisent quand
il s'agit de la vertu, ce rôle, que M. Ponsard a conçu à peu près de
même , en le parant seulement de certains dehors brillants et aimables
qui ont pu paraître un anachronisme , n'a pas été exprimé sans art par
le vieux poète. C'est ce qu'il y a de mieux dans sa pièce.
Voici en quels termes l'annonce Brutus , reprochant à Collatin l'im-
Surprenez donc Lucrèce, et contemplez en elle ,
Ainsi que la douceur, ia beauté naturelle.
Vers la fin de la pièce , Lucrèce , dans son désespoir, crie k ses femmes , ou , comme
dit l'auteur, à se^ demoiselles :
De Tencre, du papier, et qu*on me laisse écrire.
— * La Lucrèce de Chevreau ne prend pas le soin d'adoucir, par la pudeur des mots,
l'aveu qu'il lui faut faire :
Et pour dire en trois mots : Sexte m'a violée.
Ainsi s'exprime elle-même la Lucrèce de du Ryer :
Mais enfin contemplez Lucrèce désolée,
Voyez-la sans honneur, voye^-la violée.
Une telle crudité d'expression n'est point rachetée par cette étrange pointe :
Sa force inévitable a vaincu ma foiblesse.
Et Lucrèce par lui n'est rien moins que Lucrèce.
DÉCEMBRE 1843. 717
prudence des éloges qu'il donne à sa femme, en présence d'un prince
dissolu :
Veux-tu que je le parle avec cette franchise
Qu*une longue amitié nous a toujours permise ?
Tarquin est d*une humeur qui 8*esmeut aysément,
Et qui passe bientost jusqu'au desréglement;
Son désir échauffé ne respecte personne,
Et croit que la licence est un droit de couronne ;
Que c'est un trait d'esprit de tromper ses amis.
Et que, quand Ton peut tout, tout est aussi permis.
Tu Tas veu, tu le sçais, et te trahis toi-mesme;
Tu montres au lyon la pasture qu'il ayme ,
Et descouvres peut-être à sa brutalité
Ce que, sans ton discours, il n'eust point souhaité.
Sextus Tarquin se peint lui-même, non sans franchise et sans force,
dans ce monologue :
C'est Lucrèce ! qu'importe : il la faut emporter.
Et je suis en un rang à ne rien respecter ;
Je puis tout espérer et je ne doy rien craindre ;
D n'est rien de si haut où je ne puisse atteindre,
£t partout où le ciel me promet des plaisirs ,
Je puis impunément y porter mes désirs.
Ne considérons point cette vertu suprême
Comme un empeschement à mon amour extrême :
La plus haute vertu peut cheoir en un instant.
Et n'est jamais constante en un sexe inconstant.
Ce mérite apparent qui relève Lucrèce
N'est peut-être qu'un fard qui cache sa foiblesse.
Et dont l'éclat trompeur ne fait qu^espouvanter
Quiconque la vaincra s'il ose le tenter.
Le même rôle, bien qu'il faiblisse de scène en scène avec la pièce
elle-même, pourrait m'offiir le sujet de plus d'une citation semblable.
Je trouverais aussi des vers assez dignes d'être rapportés dans le rôle de
Brutus , dont du Ryer a fait , non pas le fou au trompeur langage , aux
desseins profonds que donnait l'histoire, mais une sorte de moraliste,
de raisonneur, conseillant, reprenant chacun, quelquefois en assez
bons termes, on l'a vu tout à Theure. Une singularité qui n'est point
heureuse , c'est que fauteur lui a prêté le blasphème contre la vertu ,
reproché à l'autre Brutus, le vaincu de PhUippes; il lui a fait dire fort
mal à propos et en très-mauvais vers :
718 JOURNAL DES SAVANTS.
Malheureuse vertu, déité sans pouvoir.
Qui ne peut conserver ce qui la fait valoir !
La tragédie de du Ryer n'était guère propre à décourager ceux de
nos poètes qu aurait pu tenter, dans le xvii* siècle, dans lexviii*, le sujet
de Lucrèce. Le découragement vint du sujet lui-même, dépourvu,
tout ensemble, de ce mouvement et de cette passion qui faisaient la
vie de notre scène. Comment y produire avec intérêt une femme imi-
quement animée par le sentiment du devoir? comment ly montrer avec
bienséance après l'affront fait à sa chasteté ? Ces obstacles , plus grands
alors quils ne le paraissent aujourd'hui, exilèrent pour longtemps Lu-
crèce du théâtre français. Je ne puis dire comment avait essayé d'en
triompher le jeune auteur d'une Lucrèce en trois actes et en prose,
publiée en décembre i 766, et que Grimm mentionne, sous cette date,
avec beaucoup de dédain. Quelques années auparavant, en lySi,
J. J. Rousseau avait jeté sur le papier l'ébauche d'une Lucrèce égale-
ment en prose, sur laquelle nous en savons davantage, car, de cette
ébauche fort confuse, on a jugé à propos dégrossir ce qu'on appelle le
théâtre du grand écrivain. C'est assurément sans aucun profit pour sa
gloire; tout, dans ces fragments, le style compris, est d'un goût détes-
table. La Lucrèce de Rousseau n'a épousé Coliatin que par soumission
aux volontés absolues d'un père; elle avait dû être la femme du fils de
Tarquin qu'elle aimait, qu'elle aime encore, luttant péniblement contre
un penchant devenu criminel et les suggestions de méchants conseil-
lers placés près d'elle par l'amom^eux Sextus. Ces personnages secon-
daires portent des noms romains, Pauline, Sulpitius; mais il n'offrent,
en réalité, qu'une soubrette, un valet de comédie, auxquels, pour prix
des méchants offices qu'ils peuvent rendre , un séducteur libéral a
promis une petite fortune et, bien entendu, le mariage. Une intrigue si
vulgaire n'est pas ce qu'il y a de pis dans cette informe esquisse de tra-
gédie; c'est la dégradation du caractère de Lucrèce, tellement déchue
de sa pureté antique, qu'elle va jusqu'à s'écrier : «Cruelle vertu, quel
prix nous offres-tu qui soit digne des sacrifices que tu nous coûtes?»
Lucrèce, ainsi présentée, devient digne des épigrammes dont Bayle *
a fait justice , et que n'en a pas moins répétées, mais sérieusement, pré-
tentieusement , l'auteur des Nuits romaines ^. Or, par une rencontre
singulière , Tannée même où paraissait l'ouvrage de Verri, en 1 792, notre
compatriote etnotre contemporain Arnault donnait, avec quelque succès,
une Lucrèce , dont quelques parties ne sont pas sans mérite , mais qui
' Dietionnfûre^ art Lucrèce, — ' II* nuit, 6* entretien.
DÉCEMBRE 1843. 719
sembla trop conforme à celle de J. J. Rousseau. Chacun a senti, chacun
a dit combien s était trompé Ârnault en pensant qu'un amour mutuel ,
ici combattu , et là trop obéi , rendrait Lucrèce plus intéressante et Sextus
moins odieux. Ce que les deux personnages y pouvaient gagner d'une
part, ils le perdaient assurément de l'autre; car, ainsi ramenés au patron
usé de tant d'amoureux tragiques , toute originalité , toute vérité histo-
rique leur étaient enlevées. L'auteur a été mieux inspiré, quand , se rap-
prochant de l'histoire, il a, le premier, c'est un mérite dont on lui a
tenu compte, entrepris de mettre sur la scène la folie simulée de Brutus;
je dis entrepris, car véritablement on ne peut guère le louer que de
l'intention. Son Brutus, qui proclame, même en face des Tarquins, ce
que d'autres se contentent de penser, tient plus souvent le langage d'un
opprimé, d'un ennemi incapable de se maîtriser, que le langage d'un
fou; et cependant tout le monde s'y trompe, par une invraisemblance
diJDBcile, il est vrai, à éviter, et qui, on l'a remarqué, malgré le tour
différent donné à cette peinture, ne manque pas à la tragédie de M. Pon-
sard.
Nous voici ramené à notre jeune poète, qui, dans un si vieux sujet,
a rencontré , j'ai essayé de le faire voir par la revue qui précède , un
sujet encore intact, encore nouveau. Alfieri lui-même, qui, en 1788,
ouvrait son Brato primo par les serments prononcés sur le poignard san-
glant de Lucrèce, le lui avait laissé tout entier. Comment , mettant à
profit cette heureuse fortune , a-t-il évité les traces de ses modernes de-
vanciers , cherché , sur les pas des anciens , une roule meilleure , qui
pût le conduire à plus de vérité et d'intérêt réel ? dans quelle mesure
de fidélité et d'intérêt tragique a-t-il reproduit les incidents , les carac-
tères , les mœurs que lui donnaient à exprimer les antiques traditions
de la poésie et de l'histoire? Je le rechercherai dans un second article,
particulièrement consacré à l'analyse et à l'examen de sa Lucrèce.
PATIN.
Sur an Traité arabe relatif à l'astronomie.
TROISIÈME ARTICLE^.
Travaux astronomiques des Arabes.
Après Ptolémée, l'astronomie reste stationnaire pendant près de sept
* Voir les cahiers de septembre, octobre et novembre i8A3. Dans rartide que
720 JOURNAL DES SAVANTS.
siècles. EUe recommence seulement à faire quelques progrès sous la
protection des califes arabes , lorsqu'ils voulurent orner, par les arts ,
les lettres et les sciences, le triomphe de leurs armes désormais assuré.
Plusieurs causes concoururent pour arrêter son développement ulté-
rieur pendant ce long intervalle de temps.
Je mets au premier rang de ces causes l'ouvrage même de Ptolémée.
Le cadre systématique dans lequel il avait rassemblé toute la science;
Taffectation avec laquelle il avait présenté son livre comme contenant
tout ce qu'il y avait de bon , de définitif, dans les observations d'Hip-
parque et des autres astronomes antérieurs; surtout la patience , je di-
rais volontiers aussi la hardiesse jusqu'alors inusitée, qu'il avait eue de
convertir les résultats de ses hypothèses en tables numériques, pou-
vant être consultées immédiatement et appliquées au ciel sans discus-
sion , même sans aucune intelligence des démonstrations fondamentales,
tout cela convenait, par merveille, à l'esprit ambitieusement spéculatif
des Grecs, et devait assurer la réputation d'un traité à la fois si com-
mode et si savant. Ptoléméc ne négligea aucun des moyens qui pou-
vaient rendre son ouvrage populaire, et l'établir comme un code
durable de la science astronomique. Il en donna, sous le nom d'Hypo-
thèses, un extrait succinct, intelligible aux lecteurs les moins instruits^
H en composa un abrégé élémentaire, accompagné de tables qu'il ap-
pela manuelles , lesquelles suffisaient pour les prédictions d'éclipsés et
pour toutes les applications usuelles de l'astronomie. Enfin, il inscrivit
ses résultats dans le temple des dieux, comme des documents impéris-
sables. Il était dans son droit sans doute. Mais, en affermissant ainsi l'an-
j*ai inséré au cahier d'oclobre, en indiquant la précession de 46",8, qui résulte
des périodes d'Hipparque, j'avais dit, p. 6i i : « et ce rapprochement, qui, je crois,
n*avait pas encore été fait, montre, etc. » M. Sédillot, professeur d*histoirc au col-
lège de Saint-Louis, vient d'écrire au secrétaire du bureau du Journal des Savants
qu'il avail déjà signalé celte déduction des périodes d'Hipparque dans un mémoire
sur les instruments astronomiques (les Arabes, présenté, en iSSg, à l'Académie des
inscriptions et belles-le tires, et admis, par celte compagnie, à être inséré dans sa
collection des mémoires des savants étrangers. J'ai constaté l'exactitude de cette
réclamation. Quoique le mémoire dont il s'agit soit seulement imprimé, mais n'ait
pas encore été rendu public, il l'est pour moi, parce que M. Sédillot m'en avait
remis un exemplaire en feuilles dans Tannée iS^i* lorsque je travaillais à la rédac-
tion des articles que j'ai insérés, cette mcme année, dans le Journal des Savants,
sar le Traité des instruments astronomiques des Arabes, composé par Ahoul-Hassan ,
qui avait été traduit par son père. Mais, n'y cherchant alors que les documents rela-
tif à l'objet dont j'étais occupé, la remarque de M. Sédillot fils, sur la précession
qui résulte des périodes d'Hipparque, m'avait échappé. Elle se trouve à la page ao
de son introduction.
DÉCEMBRE 1843. 721
torité de son livre , il éteignit tout esprit d'observation et de perfection-
nement. Quel besoin avait-on désormais de recourir aut essais timides
du vieil Hipparque, puisque tous les phénomènes du ciel, tous les
mouvements du soleil, des étoiles et des planètes, étaient numérique-
ment réglés avec une si grande présomption de certitude? D*ailleurs,
quelle main eût été alors assez forte, je ne dis pas pour ébranler un si
vaste ensemble , mais pour entreprendre d y toucher, quand les formes
géométriques et les procédés du calcul numérique rendaient si difficiles
les applications particulières des méthodes générales, ainsi que l'em-
ploi systématique des résultats que de nouvelles épreuves auraient pu
donner? La Syntaxe de Ptolémée fut donc adoptée universellement
comme l'expression fidèle et incontestable des lois du ciel. Dès lors
l'école d'Alexandrie Tenseigna, la commenta, mais n'y ajouta rien. On
ne sait pas même si les instruments établis autrefois par les Lagides,
pour les observations annuelles des équinoxes et des solstices, conti-
nuèrent à être employés ^
Bientôt l'int^êt. qu'avait pu exciter la science asti^onomique disparut
devant un immense événement. La propagation miraculeusement ra-
pide du christianisme ouvrit un autre cours aux imaginations; et,
comme cela arrive toujours dans les commotions de l'intelligence hu-
maine, les esprits les plus distingués se jetèrent dans la voie des idées
nouvelles , avec une puissance de talent et de conviction que le mys-
ticisme métaphysique des néoplatoniciens ne pouvait balancer. Tou-
' Ptolémée nous apprend lui-même que la plupart de ses observations d^étoiles
ont été faites au oommencement du règne d'Antonin le Pieux, ce qui correspond
à Tan i38 de Tère chrétienne, époque qu*il dit être de a65 ans postérieure aux
observations analogues d'Hipparque. {Syntaxe mathém. liv. VII, chap. ii.) L'inscrip-
tion des éléments de ses tables, qu*il fit graver dans le temple de Canope, est de
dix ans [Jus tardive. Elle est datée fan x d*Antonin, ce qui correspond à Tannée
de l'ère chrétienne làS. Le petit abrégé de sa Syntaxe mathématique, et l'exposi-
tion plus étendue que Ptolémée a composée pour servir d'introduction aux tables
manuelles, sont évidemment postérieurs à la Syntaxe; mais on n*y trouve aucun
document qui puisse iudiquer leur date précise.
Théon TÀlexandrin composa son Commentaire sur la Syntaxe mathématique vers
Tannée de Tère chrétienne 365 , la 1 1 1 a* de Nabonassar ; car il y mentionne une
éclipse de soleil, qu'il dit avoir observée à Alexandrie d'Egypte, cette année -là
même.
L'ouvrage de Produs Diadochus, intitulé Hypotyposes , qui peut-être considéré
comme une exposition abrégée de la Syntaxe, a été composé dans le v* siècle de
Tère chrétienne. L'auteur dit lui-même qu'il Ta écrit à Athènes.
La prise d'Alexandrie par les Arabes eut lieu en Tan 64 1* sous le califat d'Omar,
second successeur de Mahomet, vers la fin du règne de l'empereur Héracliut.
91
722 JOURNAL DES SAVANTS.
tefois l'astronomie fut encore nécessaire aux évêques chrétiens , pour
mettre la célébration de la fête pascale en accord avec les phases cé-
lestes auxquelles elle devait correspondre, sans coïncider avec la pâque
des juifs; et le besoin d'établir pour cela une règle générale fut, avec
l'examen des erreurs d'Arius, l'objet de la convocation du concile de
Nicée , en 3^5 , sous Constantin le Grand. Le concile établit cette règle
sur l'emploi du cycle de dix-neuf ans de Méton. Mais l'application nu-
mérique pouvant donner lieu à des incertitudes que fon voulait éviter,
l'Élise chrétienne d'Alexandrie, comtne la plus savante en ces matières,
fut chargée de déterminer d'avance, pour chaque année, l'époque pré-
cise, et de la communiquer à l'Église de Rome, qui la transmettrait à
toutes les autres ^ Cette mesure ayant encore occasionné quelque con-
fusion , saint Théophile, depuis évêque d'Alexandrie, composa un cycle
paschal de 418 années (22 fois 19), commençant à l'année 38a, qu'il
paraît avoir accompagné d'une discussion astronomique -ft^ar saint Jérôme
lui écrivit à ce sujet, pour le féliciter d'avoir ainsi établi la règle sur la
connaissance du cours des astres et le témoignage de l'Écriture sainte ,
sans rien emprunter des sources païennes^. Saint Cyrille, successeur
de Théophile au siège d'Alexandrie, jugeant ce cycle trop complexe,
en composa un autre de gS ans (5 fois 19), qui commença en 487 et
continua d'être employé généralement jusqu'en i3oi. Les longues et
véhémentes controverses qui s'élevèrent à ce sujet entre les Églises chré-
tiennes d'Asie, d'Egypte et d'Europe, car déjà le christianisme embras-
sait tout le monde connu, purent avoir assez de retentissement dans
Alexandrie , dès le iv* siècle, pour que Théon, qui tenait école d'astrono-
mie dans cette ville, en ait pris occasion de publier, vers l'an 365 , son
Commentaire de la Syntaxe mathématique, auquel il ajouta une exposi-
^ S. Cyrilli Prologas, etc. Petau , De doctr, temp. p. 881-882, 1. 1. tQuum his igi-
«tcir, atque hujusmodî dissensionibns , per universum orbem paschalis régula tur-
• baretur, sanctorum lolius synodi consolatione decrelum est, ut,quoniaâi apud
■ Alexandriam talis esset reperla Ecclesia, qus in hujus scientia clareret, quota
« kalendarum vel iduum, quota luna Pascha debeat cmebrar, per singulos annos
« romanae Ecclesiae litteris intimaret, unde^apostolica auctoritate univereiuis Ëccdesia,
« per totum orbem , diflinitam Paschae diem sine uUa discepiatione cognosceret. t
Et infra , ceci n*ayant pas été bien observé : ■ Quum esset magna confusio in Ec«
c ciesia , prœtorio, vel palatio, Tbeodosius , religiosissîmus imperator sanctum
«Theophilum, totius Alexandrin» urbis (non tune) episcopum, suis littens conro*
■ gavit , ut saCramentum Paschse evidentissima ratione disserere sibiqae diricere
■ dignaretur. Cujus sanctissimis prsceptis obtemperans 4i8 annorum circuloni
« paschalem instituit. » — * t Hanc ipsam disputationem ad Scripturarum refers
« auctoritalem , ne in paschali libro videaris de secularibus qoidquain fontibus mu-
« tuatut. »
DÉCEMBRE 1843. 723
lion abrégée , accompagnée de tables manuelles pour faciliter les calculs
d*écÛpses, la préparation des éphémérides, et, il faut bien aussi lavouer,
les prédictions des astrologues que Ptolémée avait dédaignées. Car, nen
ayant pas dit un seul mot dans sa Syntaxe, et ne leur ayant non plus
préparé, dans ses tables, aucun secours spécial, il ne serait ni juste , ni
vraisemblable de lui attribuer le TSTpaSiSXos, parce qu on a mis cette
rapsodie astrologique sous l'autorité de son nom. Le Commentaire de
Théon n est qu'une paraphrase de la Syntaxe, où, comme c'est assez l'or-
dinaire de ce genre d'écrits , il développe très-amplement les endroits
faciles de son auteur, et reproduit les difficiles très-brièvement, en se
bornant à répéter les calculs du texte. Cela est surtout sensible pour les
cbapitres où il explique la double inégalité de la lune et l'oscillation de
son apogée, que n'éclaircissent guère davantage des fragments de Pappus
sur le même sujet, qui ont été intercalés dans le Commentaire de Théon.
C'est le jugement que Delambre a porté de cet ouvrage; et, sans pos-
séder comme lui la langue grecque , on peut s'en former une opinion
pareille d'après la version latine de Théophile d'Urbin, envoyée par
Viviani en présent à Louis XIV, laquelle existe en manuscrit à la Bi-
bliothèque royale sous le n^ 5868. Dans les paragraphes des tables ma-
nuelles qui sont destinés aux astrologues, Théon distingue ceux-ci des
astronomes véritables en les appelant ol œjroTeT^afiaTtxoL B explique, en
lem^ £aiveur, certains calculs nécessaires à leurs pratiques. Dans ce genre,
le chapitre intitulé vepï rporriis mérite d'être remarqué, en ce que Théon
y mentionne cette idée bizarre , reproduite depuis par les Arabes d'fls-
pagne , que les points équinoxiaux auraient im mouvement de trépidation
périodique , associé à la précession continue , idée dont Ptolémée n'a
point parié explicitement, et que Théon attribue aux anciens astrologues
{oLTraXauol t£p àworekBtriiarixSv). Un autre document non moins curieux
que l'on trouve dans les tables manuelles, c'est l'instruction que Théon
donne pour la formation des éphémérides , telles qu'on les publiait de
son temps. On y voit que la première colonne de chaque mois devait
contenir les significations des étoiles fixes (jàs ètrta'tifxaaias tSv àirkatvGJv)
ainsi que les caractères spéciaux des phases lunaires. Par exemple , en
aspect trine ou sextile avec le soleil [rptyonfos ^ é^ycjvos), lune favorable
( iyoBrf) ; en aspect quadrat ou diamétral ( reTpcfyojvos H Sidlfierpoç ) , lune
défavorable (^anJXii). L'astrologie était alors universellement répandue,
et les termes qui lui sont propres étaient devenus usuels.
Un demi-siècle après Théon, Proclus Diadochus composa, à Athènes,
ses Hypotyposes. C'est un résumé succinct, mais fort clair, des hypo-
thèses mathématiques employées par Ptolémée dans la Syntaxe, pour
91.
724 JOURNAL DES SAVANTS.
représenter les mouvements des corps célestes. En parlant de la lune ,
Proclus explique la première inégalité, qui a lieu dans lessyzygies^ et
la seconde, qui a lieu dans les quadratures; il ne parle pas de Toscilla-
tion de Tapogée qui complète cette théorie. Cela eût été trop difficile
pour Tobjet qu'il avait en vue, et peut-être pour lid-même. Théon n'en
dit rien non plus dans les tables manuelles. Mais cela était inutile pour
les calculs déclipses qu'il voulait surtout exposer.
Un peu plus tard, dans les années /lyS et 5io, on trouve encore,
dans les manuscrits, sept observations dapproches de la lune aux étoiles
et aux planètes, ou de celles-ci entre elles, comme les Chinois en fai-
saient depuis un temps immémorial, sans aucune science. Elles ont
préservé de Toubli le nom de leur auteur, un Athénien appelé Thius
(Seios). Ce sont les derniers vestiges de 1 astronomie grecque. Alors ar-
rivèrent les invasions des Arabes et la dislocation de l'empire romain.
Alexandrie fut prise par larmée du calife Omar, en 64 1 ; et, si Ton en
croit rhistorien Abulpharage, qui a tiré son récit des auteurs musul-
mans eux-mêmes, les trésors littéraires que contenait la bibliothèque
de cette ville périrent dans le désastre de cet événement ^ Les bibÛo-
thèquesi persanes eurent, dit-on, le même sort. Cela n aurait rien que
de conforme aux préjugés des Arabes de ce temps.
Au reste, si ces actes de barbarie doivent ieur être imputés, un autre
travers de leur esprit fit bientôt retirer l'astronomie de ses ruines, par
les mêmes mains qui lui avaient porté des coups si funestes. Quoique
Mahomet eût expressément réprouvé l'astrologie, on la voit déjà éta-
blie en titre à la cour des premiers califes abbassides^ ; et la vraie science
y fut appelée sans doute à cause d'elle , plutôt que par le sentiment de
sa propre beauté. Selon Casiri, cité par M. Reinaud., le second calife
abbasside, Abugiafar-Aimansor, aurait, en Tannée 77a de notre ère,
accueilli avec empressement un savant hindou, très-versé dans les con-
naissances astronomiques, qui était venu le visiter dans sa nouvelle ré-
^ Abul-Pharajii Hist. Dyn. p.. 11 4- Abulpharage a tiré son récit du Tartkk al
hocama (Dictionnaire des philosophes), de Djemâi-eddin-al-Kifti, auteur musul-
man, mort en ia5o. (Noie de M. Munk.) M. Silve&tre de Sacy, dans ses notes
sur Abd-AUalif, p. a4o, regarde Tincendie des bibliothèques égyptiennes et per-
sanes comme un fait certain. Mais il établit, avec une très -grande probabilité,
qu à Tépoque de la prise d* Alexandrie la bibliothèque publique de cette ville
ne devait plus conserver aucun reste de celle que les Lagides avaient instituée.
— * ' Le calife Abugiafar-Almansor , qui monta sur le trône en Tan i36 de Thé-
giie, 754 de notre ère, avait pour astrologue en litre un Persan nommé Nubacht.
Après un certain temps de service, Tayant trouvé trop vieux, il lui fit résigner sa
charge, qu*il donna au fils de ce même Nubacht. (Abul-Pharajii HitU Dyn. p. i45.)
DECEMBRE 1843. 725
sidence de Bagdad , et il se serait servi de lui pour les communiquer
aux Arabes qui l'entouraient. Il est vraisemblable qu à cette époque
les Hindous> étaient déjà en possession des méthodes grecques; mais il
importait de les avoir sans intermédiaire. Diaprés des notes extraites
des bibliographies arabes, et que M. de Slane m'a communiquées, les
premières tentatives, pour obtenir cette connaissance, furent faites
dès le vni* siècle de notre ère , moins de deux siècles après Thégire, par
Yahia-Ibn-Khalid-Ibn JBarmek , vizir de Haroun-Al-Raschid. S'étant fait
expliquer la Syntaxe mathématique par diverses personnes, finterpréta-
tion qu'on lui en donna ne le satisfit point, ce qui est facile à croire.
Il chargea plusieurs autres savants de traduire ce livre, conféra leurs
rédactions, et, de cet ensemble, en fit composer une qui lui parut de-
voir être plus fidèle. Celle-ci fut encore corrigée quelques années après
par Ishac, fils de Honeîn, chrétien nestorien ; puis enfin par Thabit-ben-
KoiTa , Sabéen. On en possède une copie manuscrite à la Bibliothèque
royale, sous le n® i iSy de Tancien fonds arabe. L'admiration que l'ou-
vrage grec inspu'a lui fit donner le nom à'Almageste, c'est-à-dire très-
grande composition, qui lui est resté depuis ^ On en fit beaucoup d'autres
traductions arabes, dans les siècles suivants ; mais les premières doivent
surtout nous occuper, puisque ce furent celles qu'ont pu consulter les as-
tronomes arabes, voisins de cette époque , par exemple, Âlbategni, peut-
être même Ibn-Jounis et Abulwefa. Les orientalistes présument que la
version du grec en arabe a bien pu ne pas être immédiate, mais avoii*
passé d'abord par le syriaque , comme la plupart des ouvrages littéraii^s
que les Arabes ont fait traduire du grec; et la nature des croyances
religieuses attribuées aux deux derniers personnages que je viens de
nommer semblerait s'accorder avec cette opinion. Si l'on ajoute à cela
les difficultés de compréhension que la nature du sujet a du offrir aux
premiers traducteui^s , on doit s'attendre que les parties les plus obscures
des méthodes grecques, par exemple celle qui s'applique à l'oscillation
de l'apogée de la lune, ont dû donner beaucoup de peine aux astro-
nomes arabes qui ont voulu les employer; et une peine d'autant moins
compensée pour celle-ci , qu'elle n'est d'aucun usage pour les éclipses ,
dont ils s'occupaient presque uniquement. Aussi est-elle reproduite,
dans l'ouvrage d' Albategni, par un simple exposé matériel et numérique,
comme précepte de calcul , sans aucune des applications ni des dé-
' Le mot Almagesie ne porte pas le caractère d*une origine arabe, mais grecque.
M. Reînaud pense qu*il dérive de la dénomination y) (uyhn/f (o'tWaÇi;), que Tad-
mîration des Alexandrins aurait donnée à i*ouvraffe dîe Ptolémée, et que les Arabes
auraient oonservée en y appliquant leur article at, ^ ' >
*1^
* «b
726 JOURNAL DES SAVANTS.
nlonstrations par lesquelles l'auteur grec l'avait préparée et justifiée.
Au reste , Albategni présente , sous cette même forme , la plupart des
hypothèses géométriques qu'il emprunte à Plolémée; et il semble vou-
loir se borner à les rappeler clairement, exactement, avec une netteté
d'exposition que ne peut faire méconnaître le latin barbare de son
unique traducteur, Plato Tiburtinus. C'est pourquoi il faut d'autant plus
remarquer les spécifications tout autres, et tout individuelles, par les-
quelles il annonce qu'il substituera les demi-cordes des arcs doubles,
que nous appelons aujourd'hui des sinus , à ces cordes entières que les
Grecs avaient employées dans les calculs trigonométriques ; substitution
dont il démontre très-bien la légitimité et les avantages. Car cela prouve
évidemment qu'elle lui est propre; et, quoiqu'elle ait exigé seulement
de la finesse d'esprit, plulôt que de la profondeur, ce qui la rend conce-
vable à une telle époque, elle a été si utile, si féconde, que nous devons
beaucoup de reconnaissance à celui qui l'a imaginée. Ibn-Jounis, venu
un siècle après Albategni, a eu sur lui l'avantage du temps, et peut-
être d'une notion plus complète des méthodes grecques, qu' Albategni
semble quelquefois n'avoir connues qu'indirectement, et pai* des inter-
médiaires qui ne sont pas toujours fidèles. L'assiduité d'Ibn-Jounis à
observer, son intelligence des méthodes grecques, son habileté à ma-
nier, à étendre les formules trigonométriques, le soin particulier, et
alors nouveau, qu'il apporta dans la discussion des instruments; enfin
la multitude des observations qu'il recueillit , et dont nous avons tiré
depuis de si grands services, lui assurent un rang très-distingué parmi
les astronomes, en le laissant, toutefois, au-dessous d'Albategni, comme
inventeur. Delambre , dans son Histoire de l'astronomie au moyen
âge, me parait avoir très-judicieusement apprécié l'ensemble des tra-
vaux effectués par les astronomes arabes de cette époque. Outre le
pas important que le premier d'entre eux a fait faire à la trigonomé-
trie, et que les autres ont porté plus loin, ils ont déterminé, avec
plus de précision que les Grecs, divers éléments fondamentaux de l'as-
tronomie, dont le temps avait développé les variations ou l'inexac-
titude : par exemple, le mouvement de l'apogée du soleil , inconnu à
Hipparque et à Ptolémée; l'excentricité de l'orbite de cet astre, l'obli-
quité de l'échptique, la durée de l'année, la quantité de la précession;
mais ils n'ont rien ajouté aux méthodes générales, ni rien changé aux
hypothèses qui représentaient les mouvements. Ils n'ont pas amélioré
la théorie de la lune , quoiqu'ils l'aient tenté , et ils y ont suivi Ptolé-
mée, en acceptant jusqu'à ses erreurs. C'est qu'il leur aurait fallu une
intelligence plus qu'humaine pour faire davantage , quand l'asti onomie
DÉCEMBRE 1843. 727
théorique venait à peine de renaître entre leurs mains. Comment au-
raient-ils pu, d'un premier effort, décomposer et recomposer tous ces
rouages d'hypothèses, dont ils devaient avoii' la plus grande peine à
comprendre Fartifice , à suivre les applications ? Comment auraient-ils
seulement espéré d'améliorer les tables lunaires grecques, qui leur pré-
sentaient des erreurs de 20', 3o', 4o' en temps, sur les instants qu'elles
assignaient aux éclipses? Us ont constaté ces erreurs, ils en ont conclu
qu'il fallait corriger les tables : c'était tout ce qu'ils pouvaient fiaire. Re-
construire une mécanique si complexe était une œuvre au-dessus de
leur force, et prématurée pour leur siècle. Il fallait auparavant donner
aux instruments d'observation plus de fixité, des divisions plus pré-
cises , limiter plus minutieusement la direction des rayons visuels , per-
fectionner la mesure du temps. On ne doit pas, <l'aillears, les considérer
et les juger comme des hommes occupés d'abstractions scientifiqnes,
ainsi qu'ont pu l'être les Grecs, et que nous le sommes aujourd'hui.
L'astronomie a eu surtout pour eux deux objets d'application pratique :
l'astrologie d'abord, puis la gnomonique. Âlbategni, dans son très-
court traité sur la science des astres, trouve bien place pour expliquer
les caractères des aspects célestes , leur influence diverse sur les nati-
vités, et la construction des cadrans. Ibn-Jounis s'est encore étendu
avec plus de complaisance sur ces derniers objets; et les biogi^aphes
arabes le présentent aussi comme ayant été non moins astrologue pra-
tique qu'astronome théoricien. Ces deux-là ont été réputés les plus
habiles de leurs contemporains dans la science astronomique; et, pour
Âlbategni en particulier, l'historien Âbulpharage déclare, comme un
fait incontestable, qu'aucun astronome de l'islamisme ne Ta égalé. Nous
en jugeons ainsi par ce qui nous est parvenu de leurs ouvrages, et cet
accord doit nous persuader qu'ils nous donnent la juste mesure de la
science de leur temps. Nous avons moins de documents originaux pour
apprécier individuellement les Arabes d'Espagne; mais nous pouvons
très-bien juger l'ensemble de leur science astronomique par les résul-
tats qu'elle a produits. Lorsqu'au miUeu du xiu* siècle Alphonse, roi
de Castille, voulut &ire construire les nouvelles tables astronomiques
auxquelles son nom est resté attaché, il réunit, à Tolède, les astro-
nomes chrétiens, mores et juifs, les plus habiles de son temps, et il
leur fournit, avec magnificence, tous les moyens d'effectuer ce travail.
On était là à la source des livres arabes, dans cette même ville qui,
un siècle et demi auparavant, était le centre de l'astronomie des Mores,
le siège de leur école la plus célèbre , celle d'Arzachel. Qu'a-t-on retiré
de ce concours, recueilli de ces traditions? Des tables semblables,
728 JOURNAL DES SAVANTS.
pour le fond , à celles de Ptolémée , si ce n'est que la forme grecque y
est déguisée par une modification qui la complique , et associée à cette
trépidation astrologique des points équinoxiaux que Ptolémée avait dé-
daignée. On y voit quelques corrections faites aux moyens mouve-
ments, aux époques et aux constantes, qui ne sont pas toujours des
améliorations; du reste, la même loi inexacte des oscillations de l'apo-
gée lunaire, la même omission des variations périodiques qu'éprouvent
l'inclinaison et les nœuds ; toutes choses qui montrent avec évidence
qu'aucun système d'observations continu et permanent des mouve-
ments de la lune n'avait encore été institué. Si quelque découverte im-
portante eût été antérieurement faite , peut-on croire que, dans de telles
circonstances, elle aurait été ignorée ou omise?
Tous les documents écrits ou traditionnels que je viens de rappeler
s'accordent donc, jusqu'ici, à nous montrer que les Arabes n'ont été,
n'ont pu être, que les continuateurs, et, en quelques points, les amélio-
rateurs de Ptolémée. Mais des inductions négatives, si concordantes
qu'elles soient, ne contrebalancent pas une preuve positive. Un astro-
nome arabe de l'an 987, Aboulwefa, a, dit-on, découvert l'inégalité
lunaire appelée la variation ^ et l'a consignée dans un traité astronomique
dont nous possédons le manuscrit. On cite le chapitre où elle se trouve,
et le texte qui l'exprime. L'assei*tion est d'autant plus grave que, si
Aboulwefa a réellement fait cette découverte, il n'a pu y parvenir qu'a-
près avoir rectifié préalablement les inexactitudes d'observation qui
ont caché à Ptolémée, à Albategni, à Ibn-Jounis, la nécessité d'une
correction aussi délicate. Je vais donc examiner l'ouvrage d' Aboulwefa
en lui-même, indépendamment de toute induction précédente; et je
le ferai sine ira et stadio, sans tort ni faveur.
Ignorant la langue arabe, j'ai cherché, j'ai obtenu, l'assistance de trois
habiles orientalistes, MM. Reinaud, Munk et de Slane. M. Reinaud m'a
d'abord expliqué les titres et, au besoin, les détails de tous les chapitres
qui sont relatifs à l'astronomie, et je les ai écrits sous sa dictée, ce qui
m'a donné une idée générale de l'ouvrage. Le même savant m'a ensuite
remis une traduction complète et littérale des chapitres dans lesquels
Aboulwefa expose l'accroissement de l'équation du centre de la lune dans
les quadratures, et les hypothèses géométriques par lesquelles on doit le
représenter. Arrivé au chapitre suivant, où l'on a cru voir la découverte
de la variation, M. Reinaud m*en a fait encore une traduction aussi litté-
rale que possible, que j'ai discutée avec lui phrase par phrase, pour lui
assurer une parfaite fidélité dans la reproduction des idées scientifiques.
Non que je prétende élever aucun doute sur celle qui a été publiée, ni
DECEMBRE 1843. 729
que je réprouve Tesprit de précision moderne qu'on y a transporté;
mais , maintenant qu'il s*agit de faits , non de style, il m'a semblé essentiel
de conserver à l'auteur arabe les formes propres sous lesquelles il a pré-
senté ses conceptions, afin que, par leur caractère arrêté ou indécis,
on puisse reconnaître la netteté ou le vague des idées qu'il en avait
lui-même. J'ai fait ensuite un travail tout pareil avec M. Munk, puis
avec M. de Slane, sans leur communiquer l'interprétation préalable de
M. Reinaud. De ces trois mot-à-mot, strictement conférés, il est résulté
une traduction littérale qui a obtenu leur commun assentiment, et je
la rapporterai dans ce qui va sui>Te.
Mais d'abord je signalerai deux particularités d'expressions employées
par les traducteurs arabes de l'Âlmageste, et qui nous serviront comme
de signes caractéristiques pour reconnaître, au besoin, la reproduction
des idées auxquelles ils les ont appliquées.
La première leur sert pour rendre le mot grec Trp6<Tvsu(ns , dans le titre
du chapitre v, livre Y de Ptolémée. Le manuscrit de Thabit, n** i iSy,
de l'ancien fonds arabe de la Bibliothèque royale , et le manuscrit
\f Ixlxo de l'ancien fonds hébreu, où l'arabe est écrit en caractères hé-
breux rabbiniqucs, portent tous deux : f* chapitre, sur le moliadzat du
cercle de circonvolution de la lune et sur son écartement. Le mot mohadzat
se dit proprement, en arabe, de Yétat de relation qui existe entre deux
objets dont l'un est en face de l'autre ^ On voit que c'est le sens exact
du mot grec TrpôavsvcTis y dans l'application que Ptolémée en fait, au
chapitre cité. Un autre manuscrit, n" i iSg de l'ancien fonds arabe,
emploie le mot meïl, qui signifie inclinaison, et qui est quelquefois sub-
stitué au mot mohad^Mit dans un même manuscrit.
La seconde forme d'expression que je veux signaler est plus singulière ,
en ce qu'elle renferme une idée ajoutée en guise d'explication au texte
grec; et on la trouve non-seulement dans toutes les versions arabes de
l'Âlmageste qui existent h la Bibliothèque royale, mais encore dans toutes
les versions latines dérivées de celles-là, dont j'ai ||u consulter les manus-
crits. Au commencement de ce chapitre v, où Ptolémée veut exposer la
libration de l'apogée lunaire, il dit qu'elle s observe hors des syzygies et
des quadratures, irepï ràs firivoetSeU y xa\ ifxCpixupTovi àttoalclxTeis, littéra-
lement vers les élongations dans lesquelles la lune est en ménisque ou bicon-
vexe. Tous les manuscrits arabes traduisent : quand les ébngations de la
lune sont dans les tasdisât et dans les tathlithât, c esl-à-dire quand la lune
est en aspect sextile, ou en aspect trine avec le soleil. Les manuscrits
' Note de M. Reinaud.
92
730 JOURNAL DES SAVANTS.
latins reproduisent d abord la phrase de Ptolémée ; mais ils la complètent
par une désignation d'époque équivalente à Fidée arabe : (/aando conca-
vatar (iuna) et cjuando fit gihhosa; qaod est apnd sextam mensis et tertiam
ejas (subauditur partem). Or, la durée vulgaire du mois étant de 3o
jours, qui comprennent une révolution entière de 3 60**, le siuème de
celle-ci est 60*", ou Taspect sextile; et le tiers est 120°, ou l'aspect triiie ,
comme les versions arabes le disaient. Le manuscrit if Ixig, ancien fonds
hébreu, de la Bibliothèque royale, qui contient une version hébraïque
de TAlmageste, faite d'après l'arabe, reproduit le même énoncé d'é-
poque , d'après ce que M. Munk m'a certifié. Pour deviner, s'il est pos-
sible , le motif de cette spécification bizarre, il faut d'abord fixer exac-
tement le sens des termes astrologiques employés pour l'exprimer. C'est
une chose merveilleuse que la facilité avec laquelle les hommes , qui
ne peuvent pas s'entendre pour des idées raisonnables, s'accordent
pour les absurdités. Tous les astrologues grecs, latins, persans, arabes,
et leurs successeurs européens du moyen âge , distinguent unanimement
cinq aspects efficaces des planètes entre elles; et Albategni en donne
une raison suffisante, dont je lui laisse la responsabilité. C'est, dit-il,
parce que le zodiaque est divisé en douze signes , et que le nombre 1 2
a seulement quatre diviseurs entiers , a , 3 , & et 6 ! En effet , le divi-
seur 2 coupe diamétralement la circonférence, et fournit deux aspects,
la conjonction et l'opposition; le diviseur 3 partage la circonférence
par tiers, et donne l'aspect trine, correspondant à l'arc de 120"; c'est
le tathlith arabe. Le diviseur Ix la coupe en quarts; il donne l'aspect
quadrat, répondant à 90"", que désignent le mot arabe tarbia et notre
mot français quadrature. Enfin, le diviseur 6 détermine l'arc de 60"
égal à un sixième de la circonférence. Il donne l'aspect sextile, le
tasdis arabe. Ouvrez le rerpciêt^os, le traité de FirmiciLs, les livres
persans ou arabes qui traitent de l'astrologie, vous y trouverez tou-
jours cette même classification des aspfects au nombre de cinq, ja-
mais davantage ; et, dttis quelques manuscrits, ils sont rendus sensibles
par des figures, auxquelles on a annexé les mots ai*abes que je viens de
citer i ce qui en fixe matériellement la signification, îndépMidamment
de l'étymologie, qui d'ailleurs y est conforme. Par quel motif les traduc-
teurs arabes de l'Almageste ont-ils employé ces termes astrologiques
tasdis et tathlith, sextile et trine, pour désigner les élongations dans
lesquelles la lune est en ménisque ou biconvexe, substituant ainsi une
spécification absolue de lieu à une notion indéterminée? Je ne crois pas
qu'on en puisse trouver de raison suffisante dans le vague de leurs idées
ou de leur langue. Il me semblerait plutôt qu'ils ont cru indiquer mieux
DECEMBRE 1843. 731
la nature du phénomène, en rappelant les élongations où il atteint son
maximum dans la table de Ptolémée. Car, d*après cette table, le maxi-
rnunr) exact aurait lieu dans les élongations de Sy"* et i^y, lesquelles sont
si proches de 6o* et lao**, que les traducteurs ont bien pu employer,
pour une simple indication, le nom plus connu de ces dernières; ce
qui n'avait d'ailleurs aucun inconvénient, puisque la correction d'ano-
malie est presque la même dans les deux cas. Au reste, si Ton n'est pas
satisfait de cette explication , je dirai que, plus la modification faite par
les Arabes àFénoncé de Ptolémée paraîtra bizarre, plus elle me prêtera
de secours; car j'imite ici les géologues, qui recueillent les fossiles con-
tenus dans chaque couche de l'écorce terrestre, afin de reconnaître
l'identité de la couche quand les mêmes fossiles se présenteront.
Je prends maintenant l'ouvrage d'Aboulwefa , contenu dans le ma-
nuscrit n° 1 138, ancien fonds arabe, de la Bibliothèque royale. De-
lambre, dans son Histoire de l'astronomie au moyen âge, en a extrait
toute la partie trigonométrique , d'après une traduction que feu M. Sé-
dillot lui avait communiquée ^ Je n'aurai donc pas à y revenir. Il n'a
rien dit de la partie astronomique , ou l'a considérée coitmie insigni-
fiante : c'est elle que je vais examiner ^.
Le livre est intitulé, Abnageste d'Aboulwefa. Cette dénomination se
* Delambre, Histoire de Vaslronomie au moyen âge, p. i65 et 166. — * Le ma-
nuscrit a (Hé paginé en Europe, lors de sa réception à la Bibliothèque royale,
ou postérieurement, et la continuité du numérotage montre qu*il est aujourd'hui
tel qu'il était au moment de cette opération. Mais, en le compulsant tout entier avec
soin, pour voir s'il ne contiendrait pas quelque détail d'observation propre à Tau^
teur, relativement à la lune, ce qui ne s'y est pas rencontré, M. Munk a reconnu
qu'il manque çà et là plusieurs feuillets du texte original, et il a signalé ces lacunes
dans la note suivante :
• Après le feuillet g3 , il y a une lacnne de six feuillets. La taUe des maiîères
montre que l'auteur y parlait des différentes sphères de la lune «et de leurs mou-
vements, ainsi que des trois inégalités de la lune, des mouvements des autres pla-
nètes, de Vénus, etc. Aboulwefa revient sur ces objets dans son septième livre (et
c'est là que l'on trouve le chapitre dont on a donné la tradnctioD] ; mais il les avait
traités d'abord comme préparation générale , ainsi qdfltae dit lui*méme au com-
mencement de ce livre Vil , où il s'exprime dans les termeiL^uivanis :
«Dans le livre précédent, bous avons, pour préparer aux démonstrations, traité
« des choses qui doivent précéder la connaissance des différents mouvements des
« planètes , et des conceptions qu'on peut se former de leurs effets. Dans ce livre
« (le VII*) , nous allons faire connaître de quelle manière nous sommes parvenu à la
« connaissance de ce qui précède , et les voies par lesquelles nous sommes arrivé
• à ( connaître) leurs états. »
On voi{, par cette phrase même, que le livre VII, qui est resté complet, coBtieiH
tous les documents d'observation qii^Abouiwefa avait cm devoir rapporter pour
établir la théorie des diverses ioégttîtét hiçaires. Le chapitre relatif a ce qu'il ap-
9»-
732 JOURNAL DES SAVANTS.
donnait alors à tous les traités astronomiques qui embrassaient Tensemble
des phénomènes célestes, comme celui de Ptolémée. Aboulwefa, dans
sa préface , nomme Ptolémée, Hipparque et Apollonius, qui, avec beau-
coup d'autres anciens, ont, dit-il, abordé le même sujet; mais il annonce
qu'il a suivi une voie nouvelle , qu'aucun d'eux n'avait mentionnée, et qui
conduit aisément à ces hautes connaissances. Il est difficile de se tenir
plus au-dessous d une si grande promesse. La partie astronomique du livre
d'Aboulwefa n est que le traité de Ptolémée, amoindri, tronqué, lacéré
en une multitude de divisions et de sous-divisions, donnant naissance
à des paragraphes de quelques lignes, où les phénomènes et les mé-
thodes de calcul sont généralement énoncés comme autant d'aphorismes,
sans principes qui les établissent, sans démonstrations qui les prouvent,
sans observations qui les justifient. Après un long détail sur les pro-
blèmes les plus ordinaires de l'astronomie sphérique, fauteur expose la
représentation des mouvements des astres par les excentriques , les épi-
cycles et les combinaisons de ces cercles, sans légitimer nullement leur
emploi par la comparaison des observations et du calcul, même sans
rapporter les éléments astronomiques et numériques d'aprèi lesquels
on parvient à établir leurs relations de grandeur. Et encore , dans tout
ce long plagiat des méthodes grecques , il parle toujours en son nom
propre, nou^ avons reconnu, nous avons trouvé, absolument comme si
toutes ces conceptions étaient siennes, ou comme s'il les présentait à
des auditeurs en nom collectif. Le traité des hypotyposes de Proclus
est incomparablement au-dessus de celui-là, tant pour l'ordre des idées
que pour la netteté de l'exposition. Au reste, on en jugera dans un
moment.
Toute la théorie des moyens mouvements et des inégalités de la lune
occupe six pages de discours sans une seule figure : je le donne aux plus
habiles de notre temps d'être si bref. Arrivé à la première inégalité,
l'auteur arabe la fait de 5°; et il la construit par un épicycle ou un excen-
trique, comme Ptolémée et Hipparque; mais de ceux-ci pas un mot : il
parle en son nom. Paaiont à la seconde inégalité, cette augmentation de
la première qui s'observe dans les quadratures, nous la trouvons, dit-
il, de 7® lio' : c'est aussi le nombre de Ptolémée; et, ajoute-t-il, il est
évident (jiie , dans ce cas, le centre de V épicycle se rapproche de la terre; c'est
ce que Ptolémée suppose encore. Enfin, il fait tourner l'excentrique
pelle la troisième inégalité nous présente donc tout ce qu'il avait d'essentiel à dire
sur ee sujet.
M. Munk a encore reconnu une lacune de deux ieuillets après celui qui est
numéroté 65. Mais il ne devait s'y trouver rien qui fût relatif à la lune.
DÉCEMBRE 1843. 733
autour de la terre avec un mouvement angulaire double du synodique,
pour opérer ce rapprochement deux fois par mois : c'est aussi TartÛice
employé par 1 auteur grec. Mais Aboulwefa ne le cite point et dit tou-
jours 11005, en nom collectif; d'où l'on voit bien que, lorsqu'il s'exprime
ainsi, on ne doit pas en inférer que c'est lui qui a découvert les choses
dont il parle.
Après Taugmentation de l'inégalité, dans le passage des syzygies aux
quadratures, Tordre nécessaire des idées, et aussi l'ordre de l'ouvrage
grec, amène l'oscillation de l'apogée de l'épicycle, qui la complète. On
va juger si l'auteur arabe continue à suivre cette voie d'imitation , ou
s'il saute tout d'un coup, comme on l'a supposé, à une nouvelle décou-
verte inconnue aux Grecs. Voici le texte littéral du chapitre où l'on a
cru voir ce prodige inattendu. Je n'y ai fait d'autres modifications que
d'enfermer quelques-unes des phrases incises entre des parenthèses,
pour que l'on puisse suivre le fil des idées, que Ton perdrait sans ce
secours.
«Chapitre X, sur la troisième, inégalité que Ton trouve à la lune,
et qui est appelée l'inégalité du mohadzat. (Manuscrit , folio 99, vers.)
Item : connaissant les deux inégalités déjà mentionnées précédem-
ment, et ayant établi l'une des deux, au moyen du cercle de circon-
volution (savoir, la première inégalité que nous trouvions toujours
dans les conjonctions et les oppositions); et ayant connu son évalua-
tion, au moyen des observations consécutives, nous avons trouvé que,
dans ces moments-là, elle n'excède pas cinq degrés à peu près (car,
dans certains moments elle est moindre que cette quantité , et parfois
elle n'existe pas du tout). Ensuite nous avons trouvé que cette inégalité
augmente à des époques autres que les conjonctions et les pleines
lunes; et la plus grande valeur que nous avons trouvée à cet accroisse-
sement a'eu lieu quand la lune a été à environ un tarbia (quadrans)
du soleil. Car, dans de tels moments, il (cet accroissement) atteint
environ deux degrés et deux tiers à peu près. Qu'îlquefois il est moindre
que cela , et quelcpiefois il n'existe pas du toot. Et nous avons établi
cet accident de la lune aii moyen d'un cercle excentrique; et, après
avoir reconnu la valeur de ces deux inégalités , ainsi que h distance
du centre de l'excentrique au centre du cercle des constellations zodia-
cales, nous avons trouvé une troisième inégalité qui survient à la lune,
dans les temps où le centre du cercle de circonvolution se trouve
entre la distance la plus éloignée (apogée) et la distance la pltfs rap-
prochée (périgée) de l'excentrique. Et le maximum de cela arrive
lorsque la lune est à environ un tathlith ( un tiers de la circonférence), ou
734 JOURNAL DES SAVANTS.
un tasdis(un sixième de la circonférence) du soleil. Et nous ne trou-
vons pas (ou nous n avons pas trouvé) que cela ait lieu dans les conjonc-
tions et les oppositions, ni dans les moments destarbiât (quadratures).
En effet, quand nous avons connu la marche de la lune en longitude
et sa marche en inégalité (en anomalie sur Tépicycle), et que nous
avons considéré les moments où elle na pas d*inégalité, quant à la cir-
convolution , je veux dire les moments où la lune est dans une des dis-
tances opposées (extrêmes) du cercle de circonvolution (car, lorsqu'elle
est dans ces endroits du cercle de circonvolution elle n'éprouve aucune
inégalité de ces deux côtés, car son mouvement moyen autour du
centre du monde est le seul qui existe alors); et, dans ces cas-là,
lorsque la distance de la lune au soleil est telle que nous l'avons
dit , nous avons trouvé à la lune une troisième inégalité d'environ
une moitié et un quart de degré, à peu près. Le fait de ceci est que
nous avons observé la lune dans de tels moments, avec les instruments
que nous avons mentionnés ci-dessus; et, lorsque nous l'avons trou-
vée en réalité (par son lieu vrai?) dans un des degrés du cercle du
zodiaque, nous avons, par un calcul rectifié, en tenant compte des
deux inégalités précédentes, obtenu sa place plus avancée ou moins
avancée, d'environ un demi et un quart de degré; et nous avons
trouvé que cette inégalité est moindre que cette mesure, lorsque la dis-
tance de la lune au soleil est plus petite ou plus grande qu'un tasdis
(sixième de la circonférence) , ou un tathlith (tiers de la circonférence).
Et, par là , nous avons su que la lune éprouve encore un accident,
outre les deux dont la description a précédé. El cela ne peut avoir
lieu ainsi qu'en vertu de la déviation du diamètre du cercle de circon-
volution , du niohadzat du point autour duquel s'opère le mouvement
égal, je veux dire le centre du cercle du zodiaque; car, lorsque le dia-
mètre du cercle de circonvolution se détourne du point autour du-
quel s'opère le mouvement égal , il survient à la lune une inégalité
dans le cercle du zodiaque; et cela parce que l'apogée du cercle de
circonvolution change , et que la ligne menée du centre du cercle du
zodiaque au centre du cercle de circonvolution ne passe pas à l'en-
droit où elle passait dans les temps où le centre du cercle de circonvo-
lution est aux deux distances opposées (extrêmes) de l'excentrique; et la
distance de la lune à l'apogée du cercle de circonvolution est changée.
Car nous avons fait commencer le mouvement de la lune , dans son
cercle de circonvolution, à l'apogée , lorsque son centre se trouve aux
deux distances opposées (extrêmes) de l'excentrique. En considérant
ce que nous venons de dire , et faisant sortir {eliciendo) ce point {pane-
DÉCEMBRE 1843. 735
tttom) par les voies que nous avons mentionnées à leurs places, nous
a avons troavé sa distance au centre du monde, du côté du périgée de
« Texcentrique (faisant partie) de la ligne qui passe par les centres, égale
« à la distance du centre du cercle du zodiaque au centre de Texcen-
(( trique. Et nous expliquerons les observations par lesquelles nous avons
u reconnu cette inégalité, lorsque nous exposerons les inégalités spéciales
a des différents astres. »
Quiconque se rappellera Tanalyse que nous avons faite de l'hypothèse
grecque relative à Toscillation de Tapogéc lunaire , et les expressions
caractéristiques que les traducteurs arabes y ont attachées, verra, au
premier coup d'œil, que le texte précédent nest qu'une paraphrase
confuse, embarrassée, inintelligente, du v* chapiti*e du livre V de TAI-
mageste. La circonstance astronomique quon y expose arrive, de même
que dans l'ouvrage grec, à son rang l<^ique et nécessaire, immédiate-
ment après les deux premières inégalités. L'auteur donne à cette troi-
sième-ci le nom spécial du mohadzat, que lui ont aflecté les traducteui^s
arabes de Ptolémée , et il ne Tannonce pas comme une chose nouvelle ,
puisqu'il dit qu'on V appelle de ce nom. Les expressions nous avons reconnu,
nous avons trouvé, que j'ai soulignées, et d'après lesquelles on a voulu lui
en attribuer la découverte, sont sans conséquence , puisqu*il les emploie
h chaque instant pour d'autres résultats qui ne lui appartiennent pas.
Il applique à son énoncé la même spécialité d'élongation que les tra-
ducteurs arabes ; et il caractérise ces élongations par les mêmes termes
bizaiTes qu'ils ont employés. N'ayant qu'une compréhemion imparfaite
du sujet, il prend pour le maximum absolu de cette inégahté la valeur
particulière de l'écart qu elle produit entre le lieu vrai et le lieu moyen
de la lune , dans la première des observations d'IIipparque dont Pto-
lémée a fait usage, c'est-à-dire 45' de degré; et il ajoute que cet écart
n'est jamais plus considérable, quoiqu'il s'élève à i"" 26' dans la seconde
observation qu'il néglige , bien qu'elle soit nécessaire pour établir la
loi du phénomène, telle qu'il l'admet. Après bien des détours, il se ré-
sirnie en disant que cette troisième inégalité est due à une déviation
d* aspect du diamètre apogée de Vépicycle , lequel, au lieu de rester di-
rigé vers le centre du zodiaque, se détourne vers un point situé sur le
diamètre de l'excentrique, du côté du périgée de ce cercle, à la même
distance de la terre que son centre, mais en opposition avec lui. C'est
là identiquement ï énoncé de Ptolémée; et, de cette phrase, on ne peut
déduire qu'une construction géométrique pareille à la sienne. Enfin,
par cela seul que l'inégalité considérée ici s'applique à la position de
l'apogée de la lune, ce ne peut être la vwriation, qui est absohimefit
736 JOURNAL DES SAVANTS.
indépendante de cet apogée. M. Munk a donc eu toute raison de dire
que ce texte d'Aboulwefa ressemblait, pour le fond des idées, comme
pour le caractère général des expressions, aux versions arabes du v* cha-
pitre du livre V de TAlmageste ; et nous devons lui savoir gré de cet
avertissement. Mais nous devons aussi, tous tant que nous sommes,
être un peu confuà qu il nous ait été nécessaire , puisqu'une connais-
sance plus approfondie, ou plus présente, des hypothèses greccjues,
ne nous aurait pas laissés hésiter.
Pour qu'on n'ait plus à revenir sur ce sujet, j'ajouterai encore deux
mots.
On avait présenté le texte d'Aboulwefa, relatif à la théorie de la
lune, comme se terminant au chapitre que nous venons de traduire;
ou , du moins , ce soupçon pouvait se présenter à l'esprit. De là il était
naturel d'inférer que, peut-être, le reste inconnu de l'ouvrage renfermait
d'autres découvertes associées à celle que Ton avait cru y apercevoir.
Mais cette supposition ne serait pas fondée. Le chapitre que nous avons
rapporté n'est pas le dernier de cette théorie. Il est suivi d'un autre, fort
court, dans lequel Aboulwefa veut prouver que le moyen mouvement
de la lune s'effectue constamment autour du centre de la terre ; ce qui
montre, à mon avis, qu'il n'avait pas une juste notion des principes
sur lesquels se fpnde la détermination de cet élément. De là il passe à
la théorie des autres astres qui ont un mouvement propre, de sorte
que ce qu'il a voulu dire ici sur les inégalités de la lune est complet.
Comme la variation atteint son maximum dans les octants, on a , pour
la retrouver ici dans le texte arabe, avancé que les mots tathlith et tas-
dis pourraient bien désigner aussi les octants , soit dans leur significa-
tion propre, soit conjointement avec le sens d'aspect trine et d'aspect
sextile , qu'on leur attribue dans leur usage habituel. Mais, au dire des
orientalistes les pins expérimentés, cette extension ou cette connexité
de sens seraient contraires à l'analogie grammaticale, et sans exemple
dans les textes connus. M. Reinaud m'a écrit, sur ce point de philologie,
une lettre dont il m'a autorisé à faire usage, a Les expressions tathlith et
iitasdiSf dit M. Reinaud, dérivent d'un radical arabe aussi régulièrement
u que le mot latin sextilis dérive de sex, quadrans, de quatuor^ etc. Ces
« termes astrologiques, mis en usage par les premiers astronomes arabes,
«ont été adoptés parles Persans et les Turcs, qui les ont employés
M dans la même acception qu'on leur avait donnée primitivement. Rien ,
« dans ces mots, ne renferme l'idée du nombre huit. Si les Arabes avaient
«voulu exprimer l'idée d octant, il leur était bien facile de recourir à la
« forme tathmin , qui aurait signifié huitième, en la dérivant de la racipe
DÉCEMBRE 1843. 737
«arabe thaman, qui signifie huit; mais je n'ai jamais trouvé l'expression
(itaikmin ainsi employée. » Un autre orientaliste fort célèbre ma dit la
même chose; mais il a voulu garder Tincognito. M. Munk a seule-
ment trouvé le participe mothamman employé pour signifier octo-
gone, dans TEuclide arabe de Nacir-eddin-Tousi. Me permettra-t-on
d'ajouter à ces savants témoignages. une citation qui les justifie et les
complète? Ils s'accordent à établir que le mot tathmin, qui serait gram-
maticalement possible dans la langue arabe , pour exprimer l'idée d'oc-
tant, ne s'est jamais offert aux profonds orientalistes que je viens de
nommer : cela vient très-probablement de ce que le mot qui aurait ex-
[Kimé cet- aspect de la lune n'a jamais été nécessaire aux astronomes
arabes, parce qu'il ne l'ont jamais spécialement considéré dans leurs
observations. Car Kepler, qui était fort instruit des doctrines arabes,
asgure que le mot octant a été inventé par Tycho, à propos de la va-
riation qu'il avait découverte. « Quadrantes, dit-il, quatuor phases bise-
« cant; Braheusoctantes dixit, quodmensis iis in octo parte» dividatur^ »
Ainsi s'évanouit encore, dans cette dernière épreuve, l'espérance
trop légèrement conçue de voir les Arabes dépasser les théories astro-
nomiques des Grecs. Un tel résultat, pour vrai dire, était peu à présumer
d'un peuple nouveau, sans préparation intellectuelle, récemment tiré par
le fanatismC^t parles armes du fond de ses déserts, ayant alors à peine
une langue écrite, et que son imagination fantastique devait rendre pen-
dant longtemps insensible à la précision des idées autant qu'impropre
aux conceptions rigoureuses. Mais, en perdant ces illusions, nous sommes
plus sûrement ramenés à leur demander seulement ce qu'ils ont pu avoir
et qui nous serait si utile , je veux dire les traces perdues des idées an-
cieniies \ peut-être la reproduction d'ouvrages grecs qui ne nous sont pas
arrivés directement; surtout, des notions contemporaines sur les peuples
avec lesquels ils ont dû avoir des rapports; et enfin quelque lumière
sur le passé de l'Inde, dans, lequel nous n'avons pas encore pénétré.
Toutefois , en cherchant à puiser ces notions dans leurs livres * il faudra
user d'une sage défiance, et se rappeler toujours ces paroles d'un écri-
vain philosophe qui avait été en position de les bien connaître : «De
u los Moros no se puedc esperar verdad alguna , porque todoâ son em-
u belecadores , falsarios, y chimeristas^. »
BIOT.
' Epitome astrommiœ Copemicanœ, lib. VI, p. 792 « éd. in-13, Lentiis ad Danu-
bium, i5a3. — * Je joins ici Tindication de quelques fautes d*impression qu'il est
nécessaire de corriger dans les articles précédents, et que je n ai aperçues que trop
tard. Page 5i4« ligne.5 en remontant : celMà, L'seï celles-là- Page SaS, ligne là :
93
738 JOURNAL DES SAVANTS.
Il sbpolcro dej Volunnî, scoperto in Peragia nel iSàO, ed altri
monamenti inediti etraschi e romani, esposti da G. B. Vermiglioli.
Perugia, i84o, in-4".
PIN DU DEUXTÈMB ARTICLE ^
En continuant Texamen des autres inscriptions du tombeau des Vo^
Iwnnii, et sans nous arrêter au fragnfient qui se trouve sur la paroi du
mur extérieur de la tribune , à droite de Tentrëe , mais qui est trop
maltraité par le temps pour qu on puisse en rien tirer, mênie par con-
jecture ^ nous arrivons à Tinscription bilingue que nous avons déjà fait
connaître *, et qui offre une importance trop facile k apprécier par tous
nos lecteurs, pour qu'il soit nécessaire d'insister sur ce point. Cette ins-
cription porte le nom d'un membre de la famille Volumnia, appelé
Publias VOLUMNIUS,yîfe d'Aulas, surnommé Violens , et qualifié, en
outre, selon l'usage étrusque, de Jils de Cafatia, Cafatia natus, La pré-
somption naturelle, confirmée d'ailleurs par quelques autres inscrip-
tions du même genre qui nous restent de l'antiquité étrusque , de l'é-
poque romaine, c'est que l'inscription étrusque comprend les mêmes
désignations. Partant de là, cette inscription , qui est ainsfconçue :
Jfll+A8flD . VA . ANM4U3-^ . IV1
doit se traduire de cette manière : Pub, Velimnas ,jils d'Aulas, né de Cafa-
tia; et Ton voit qu'à l'exception du surnom romain Violens, qui avait dû
naturellement se trouver supprimé dans l'inscription étrusque, le même
personnage est désigné de la même manière dans les deux textes. Ce-
pendant, M. Vermiglioli a tiré de l'inscription étrusque un sens tout dîf-
elliptiqaes, lisez écliptiques. Page 53o, ligne 5 : plus grand cercle , iisez le plan d'un
^rand cercle. Pitge 535, lignes 6-io-i4-23 : au dénominateur des formules, au lieu
de 1 — a*, lisez (x — a*) *. Page 6a6, iigae i5, eu remontant, au lieu de —^^ lisez
1 < 6
1 * •'
' Voir le cahier de novembre, p. 666-680. — * Voy. Tobservation que ce frag-
ment d'inscription nous a suggérée, dans notre premier article, p. 608, 3). — ' Les
lettres RV, par abréviation de RVU» pour RVtES,^/^ d'Aulas, sont connues par
plus d'un exemple Iburni par des inscriplions étrusques. Quant au mot Cafatial, où
la désinence al est généralement admise comme signifiant la relation dejlb, c est
un nouvel exemple à Tappui de cette doctrine , qui la rend de plus en plus cer-
taine. La famille Cafatia est coanue par de nombreuses inscriptions de Permgia ,
Verroi^ioli, Iscriz.Perug. t. I, n. la, p. a4-2 5; n. 37, p. 179; n. la, p. i5o:
n. 190» p. aô3;ii. a6a et si63, p. 977'; n. 356, p. Soi; n^365, p. 3io, etc.
DÉCEMBRE 1843. 739
férent, en regardant les lettres fVI comme exprimant ie mot étrusque
rvifli et en adoptant pour ce mot la signification défile proposée par
Lanzi ^ Dans cette hypothèse, et en supposant que le non> f^^U^^p
est mis au datif, M. Vermiglioli traduit ainsi l'inscription étrusque :
La fille à Volamnitts, fils d'Aulas, né de Cafatia (sous-entendu a posé, a
consacré ce monument); mais je ne crains pas de dire que cette traduc-
tion , fondée sur plusieurs suppositions gratuites , est tout k fait inadmis-
sible. Il est contraire à l'analogie et à lusage de toutes les langues que
nous connaissons qu'une inscription commence par le moi fille , sans
que cette fille soit nommée d'abord; et il est de fait que, sur un assez
grand nombre d'inscriptions étrusques que nous possédons de Peragia
même, où se trouve ce mot rVIfl» avec la signification présumée de
fiUe^ il se lit toujours à la fin, non au commencement de l'épitaphe, et à
la suite d'un nom de femme^. Je me contente de cette observation, sans
opposer à l'opinion de M. Vermiglioli la difficulté que phis d'un critique
moderne, notamment feu M. Kellennann ', a élevée contre cette signi-
fication même du mot rvtf) . admise sur la foi de Lanzi par notre au-
teur, mais contestée par la plupart des étruscistes ultramontains ^. Mal-
gré le peu de confiance que j'éprouve dans ces origines grecques des
mots étrnsques, ingénieusement recherchées par Lanzi, j'avoue que
celle de paîa, qu'il dérive du grec uW, féminin supposé de vlés, avec
le digamma éolique fvid, m'a toujours paru l'une des plus heureuses;
elle est en quelque «orte justifiée par l'inscription tyrrhénopélasgique :
2VIV®V^mjfl>IM, que Lanri lisait MI . CALAIRV . PHVIVS pouf
slfju Ka'kaipov vl6^ *, interprétation qui a paru plausible à Ott. Mùller* et
à M. Lepsius '', et que je suis ti'ès-disposé à admettre pour mon propre
(X>mpte: Et cependant, je ne puis dissimuler que le grand critique que
* Saggio, etc. t. II, p. aSg. — * Vermiglioli, hcriz. Perug, I, cl. iv, 7, p. i43;
ci. V, n. 1 55, p. 343 ; n. 820, p. 298; n. 368, p. 3iO', n. 373, p. 3i 1 ; n. 38&,
p. 3 16; cl. VI, n. 8, p. 319. Des exemples de la même expression, employée dans
des circonstances semblables, sont cités, p. 1^3, 2), d'après des inscriptions iné-
dites de Cometo et de Viterbe. — ' Kellermann, Ballet. aelY Instit, Arcneol. i833,
p. 60-61. — * Entre antres, par M. Orioli, Annal. delV Instit. Archeol. t. VI, p. 176,
qui préfère la signification d épouse, mais sans en donner de motifs suffisants ; car
il n'y a pas de raisons pour regarder plutôt comme épouse que covain^ fille la per-
sonne désignée à la suite d*un nom d'homme sur les inscriptions qu'il cite d'après
Lanzi et Vermiglioli. Feu M. Kellermann, qui avait adopté, à l'exemple d'OtL
MùUer, la même opinion sur le sens du mol puia, n'a pas fourni de meilleurs ar-
guments; et Lanzi avait du moins pour lui l'élymologie du mot, qu'il dérivait du
grec ^àU>ç\ tandis que, dans l'hypothèse contraire, sur quoi se fonde la signification
èi épouse? — • Lanzi, Saggio, etc. t. II, p. 3a 1 , n. 191 . — * Die Etrasker, Beilage zu
B. il, Kap. 4,p. 45i,6i*). — ' Lepsius, ûher die Tyrreniscken Pelatger, p. 43.
93.
740 JOURNAL DES SAVANTS.
je viens de citer, Ott. Mùller, doutait de la significatioii de fille proposée
pour le mot rVIfl ; il préférait plutôt celle de femme ^, en même temps
qu'il adoptait la signification de fils aîné pour le mot CUAN » qui se ren-
contre, à la fin de beaucoup d'inscriptions étrusques, dans une posi-
tion correspondante à celle du mot rvifl, circonstance qui semble ve^
nir à Tappui de l'interprétation de fils et de fille donnée à ces deux mots.
Mais qu'aurait dit Ott. Mûller et que dirait M. Vermiglioli d'une ins-
cription étrusque qui se lit sur une urne funéraire du musée de Leyde,
et qui est ainsi conçue^: OflIV'WRJD, cest-à-dire: CUftH . TVIPl . C ..?
Et comment nos étiniscistes pourraient- ils rendre compte de ces deux
mots ainsi réunis, en l'absence de tout nom propre et d'une manière
absolument contraire à tout ce que nous connaissons d'exemples de ces
deux mots, employés séparément sur tant de monuments étrusques?
On voit encore, par ce trait, de combien de difficultés à peu près in-
solubles dans l'état actuel de nos connaissances, est environnée l'étude
des inscriptions étrusques , et avec quelle réserve on doit procéder dans
l'interprétation de celles de ces inscriptions qui semblent les plus intel-
ligibles en apparence. D'après ces observations, je n'hésite pas à dire
que l'explication proposée par M. Vermiglioli , pour notre inscription
bilingue du tombeau des Volumnii, est de tout point inadmissible. Les
lettres rVI , où il veut voir le mot rVIR contre toute analogie, repré-
sentent, sans doute, par une abréviation qui n'est pas sans exemple
dans l'épigrs^bie étrusque', le prénom Publias y exprimé, suivant lusage
romain, par la lettre P, dans l'inscription latine, et le nom /^EUlK^Mfl*
écrit pour /^EUMiMAM, n'offre pas une difficulté sérieuse; en sorte que
l'inscription étrusque ainsi entendue : Pub. Velimnas,fils d'Aalus, né de
Cafatia, représente fidèlement l'inscription latine : P.. Volamnias. A. F.
Violens, Cafatia natas: ce qui doit être le cas de tout monument bilingue.
Je poursuis l'exafnen des inscriptions étrusques du tombeau des Vo-
lumnii, et je me trouve ainsi conduit à celle de l'iu'ne, qui est publiée
* Die Etrusker, Beilag. zu B. ii, Kap. 4. p- ààb. — * Janssen, Mus. Lugd. Bat.
inscript Etrusc. lav. ii, n. aoo, p. i5-i6. Lanzi avait déjà publié cette inscription,
Saggio, t. II, p. 3o3 , n. i24« mais sans en faire Tobjet d*aucune observation. —
' Je puis citer, entre autres , Tinscription d*un des cippes étrusques du prince de
Canino, laquelle est ainsi conçue :
2PllMVniMU AI1fl2V<1fl . IV1
Voy. le Catal. di scelle Antichità, etc. p. 4, n. i8a8, où elle est figurée. M. Vermi-
glioli, qui la cite dans ses Iscriz. Perug. 1. 1, p. i54, i), aurait dû s'en souvenir,
en retrouvant une abréviation semblable dans son Sepolcro de' Volunni , et il m'ex-
cusera sans doute de la lui avoir rappelée.
DÉCEMBRE 1843. 741
pi. m, n. 1, et dont Tépitaphe, distribuée en deux lignes, est de la
teneur suivante :
MflMkMIJB-^ : M8<10
que notre auteur traduit.ainsi : Épria (femme de) Volumnias, Jille de
Tarquia. Ici encore, je ne crains pas de dire, ou plutôt de répéter, car
j'en ai déjà fait Tobservation ^ que M. Vermiglioli s'est trompé double-
ment, en expliquant par des noms de femme une inscription qui appar-
tient à un homme, et en prenant pour une figure de femme la statue
couchée sur le couvercle de Furné , laquelle n est et ne peut être que
celle d'un homme. Le nom Velimnas, par sa terminaison masculine, ne
saurait effectivement être qu'un nom d'homme; et cette même terminai-
son, qui se reproduit pour tous les membres mâles de la même famille
déposés dans ce tombeau, est la désinence du nominatif; d'où il suit
que le mot sous-entendu de femme ne saurait se construire avec ce no-
minatif. Nous verrons, d'ailleurs, que le féminin du nom Velimnas était
Velimnei; d'où il résulte encore, avec une nouvelle évidence, que, sur
notre inscription , ce nom Velimnas désigne on Volamnius , et non une
Volumnia. Le mot clan, qui termine l'inscription, est généralement
admis par les critiques comme ayant la signification de^fe ^, et même
de fils aine, suivant une distinction plus arbitraire , il est vrai, que solide ,
proposée par Ott. Mùller *. Mais les exemples que nous possédons de ce
mot clan nous l'offrent toujours à la suite de noms d'hommes, et non de
femmes '^\ ce qui s'accorde , du reste, avec l'usage du mot puia, pour dé-
* Voy. notre précédent article, cahier de novembre, p. 667. — * Cest Lanzi qui
a proposé cette interprétation du mot clan, Saggio di lingua etrusca, t. 1, p. 264,
6); cf. ibid. p. i33, n. XLi-xui; et son opinion a été soutenue avec raison, à mon
avis, par M. Orioli, Annal. delV Instii. Archeol. t. VI, p. 167-171, contre les doutes
exprimés par feu M. Kellermann, Ballet i833, p. 56. Les inscriptions publiées par
M. VermigiioH, Iscriz. Perag. 1. 1, p. 367 , n. aoÀ ; p. Q91 , n. 3o]; p. 298, n. 32i ;
p. 3o4« n* 3/I7; p. 3i3, n. 38o; surtout p. 167, n. 6, semblent ne laisser aucune
incertitude à ce sujet. Ajoutez finscription de la famille Pomponia, à Tarquinies ,
Ballet, i833 , n. 5, p. 56, où le mot clan ne peut guère s^interpréter autrement. —
* Die Etrasker, Beilage za B. 11, K» Ix, p. 446. 11 inférait de l'opposition qui parait
avoir été mise entre etera et clan, sur deux inscriptions publiées par M. Vermiglioli,
Qpascol, t. IV, p. 66, que, le mot etera (dérivé du grec éispoç) signifiant Taatre , le
second, clan, aevait signifier le premier né; et M. Orioli a trouvé cette supposition
indubitable. Annal, t. VI, p. 170, 2). Mais quelle preuve a-t-on que le mot etera
appartienne à la lan^e grecque, quand le mot clan appartient certainement à
rîdiome indigène, ombrien et étrusque? Et dès lors, aue devient la distinction éta-
blie par Ott. MûIler? — ^ M. Orioli fait observer que 1 une des urnes qui offrent le
742 JOURNAL DES SAVANTS.
signer une jille. Toules les analogies se réunissent donc pour traduire
ainsi Tinscription qui nous occupe : Thephri. Volamnias , fils de Torchis ;
le premier de ces noms est un prénonpi étrusque sous une forme abrégée ;
et Tarchis, qui rappelle le nom du fondateur de la nation étrusque, est
aussi un prénom dont on a déjà plusieurs exemples sur des inscriptions
de Peragia même^. Si à toutes ces raisons, dont 1 accord ne laisse pas
d'avoir un certain poids , on ajoute la considération que la figure couchée
sur fume sépulcrale, à en juger par le dessin même que publie M. Ver-
miglioli, est manifestement celle d'un homme, vêtu, comme le sont toutes
les autres figures d'homme du même tombeau , de la toge mortuaire ^m*
laisse la poitrine découverte, tandis que les figm^es de femme, dans ce
monument et généralement ailleurs, sont constamment v^fue^ d'une
tunique qui les couvre tout entières ^, et si , dans cette manière de juger
cette figure , je puis m'autoriser de l'opinion d'un témoin oculaire ,
excellent juge en fait d'ouvrages d'art, M. Feuerbach, qui reconnaît un
homme, et non une femme, dans la statue en question*, on conviendra,
sans doute , que toutes les probabilités se réunissent en faveur de la
traduction que je propose, et que je soumets, du reste, au jugement de
M. Vérmiglioli lui-même, qui a le monument sous les yeux, et qui
peut mieux que personne apprécier la valeur de mes raisons.
Nous allons retrouver le même prénom Thephri dans l'inscinption
qui suit, et qui est celle de l'urne publiée, pi. in, n. îi. On y lit :
RZ\<S30 MflklMiU^-^ 9JVA
k1AJ> JAN308VN
mot clan à la fin de rinscription a sur son couvercle une figure de femme ; d*où il
suivrait que ce mol désignait une fille aussi bien qu*un fi(s, hcriz, Perag. I. I ,
p. 1 16, n. 6 (t. I, p. i63, cl. v, n. o, a*ediz.]. Mais il aurait dà ajouter que , sui-
vant le témoignage de M. Vérmiglioli lui-même, le couvercle n'appartient pas à Fume;
et il est de fait que le docte antiquaire de Peragia traduit rinscription de cette urne
ar des noms d'homme dans sa première édition, et par des noms defimme dans
a seconde : en quoi je suis convaincu qu*il s*est trompé; car toutes les inscriptions
qu'il publie , où figure le mot clan , me paraissent , sans exception , appartenir à
des hommes. — * Vérmiglioli, Iscriz. Perag. 1. 1, p. i48, n. 10; et Sepoler, de' Vo-
larmi, p. 48, xx. Le féminin RU'^^R'^' (Tarcbisa) se lit sur une inscription de la
galerie de Florence, publiée par Lanzi, Saggio, t. II, p. 346, n. agS. — *• * Voy.
robservation que j'ai eu déjà foccasion de faire dans ce journal même , juillet i84^ «
p. 43o, 1), et à Tappui de laquelle je puis citer encore deux urnes étrusques du
Campo Santo de Pise, dont le couvercle est formé par deux figures de femme vêtue
et voilée, Monum. antich. del Campo Santo di Pisa (Pisa, i8i4« in-4*')« tav. xxxii ,
n. 97 , et tav. gxlix, n. 4. — * Feuerbacb, Ballet. i84o, p. lao : cLe figure quîvi
• riposanti sono tutte quante m ascoline , etc. t
r,
DÉCEMBRE 1843. 743
que M. Vermiglioli traduit de cette manière : Aulns VcUmnas, JiU
d^Éprisia, née de Nafronia. La difficulté de cette inscription, qui est in-
dubitablement celle d*un homme, Auhs VeUmnas , lequel était né de
Nufronia, notion exprimée à la fois par le mot Nufrunal, dont la ter-
minaison al emporte cette signification, et par le mot clan,Jils, la
difficulté , dis-je , réside dans le nom Thephrisa , qui, d'après sa désinence
en sa y semble appartenir à une femme, suivant la doctrine d'Ott. Mùl-
lei:^, adoptée par d'habiles critiques ^; ce qui ne paraît cependant pas
pouvoir s'accorder avec le nom qui précède et avec lusage pratiqué
sur tous les monuments de notre hypogée , où les noms et prénoms de
chaque personnage sont constamment suivis du prénom du père. D'après
cette considération, je serais disposé à croire que le ^ot Thephrisa est
incomplet, ainsi que Va conjecturé M. Vermiglioli lui-même', et je
présume qu'il faudrait lire J A2K 850, Thephrisal, jils de Thephris,
Quelle que soit l'opinion qu'on adopte, je reconnais toujours dans ce
mot un prénom étrusque , Thephris , et non un nom de famille , Épria
et Éprisia, deux noms différents que notre auteur propose pour un
seul et même nom, lOS^O et A2K1850. Une observation paléogra-
phique qui n'est pas sans quelque intérêt, c'est celle qui concerne le mot
JAN3<8VNi Nufrunal, où la voyelle U est rendue, àla seconde syllabe ,
par le digamma 3. Nous connaissions déjà plusieurs exemples de ce
même emploi du digamma dans des inscriptions étrusques \ notamment
* Die Elrtuker, Beilage za B. li , K, tx^ p. 437. — * Kellerroann, Bullet. i833,
p. 54. — * Sepolcro de* Volunni, p. 36 : «Ivi le ultime leltere si sopprimettero pro-
• babilmente, o per idiotisme, o per incuria, ed anche perché la pronunzia di quel
« gentilizio era io famiglia notissima. > Je trouve un exemple analogue , fourni par
M. Vermiglioli, ibid. p. /18, n. xx, dans le mot RJ^I^I^^fli** Tarchisla, au lieu de
Jfl2l^9R+, Tarchisal , Jils de TarchiSj qui était sans doule la vraie leçon. —
* Nous en avions déjà vu un exemple dans le nom matronymique JA3M3<]R,
Araneal, de noire tomheaa des Volumnii. Le même caractère C a la valeur de TU
dans beaucoup de mots étrusques, tels que i3nZ>3Rl (Saucenes), Lanzi, Saggio ,
t. II, p. 4i6, n. ▼; ^3^y [cuer, pour pmer) , ibid. p. 45a, n. xxxv; U0330 (Thue-
(U, Vetilîus), ihid.; ^£3+3 (etue). Ballet, i84i, p. 68-69; cf. Vermiglioli, Iscriz.
Perug. 1. 1, cl. n, r. 3, p. 1 18. Ce»t enfia 1^ même caractère qui figure, avec la
même valeur, dans le mot iJI3>MNI'|' [Tinscail]^ qui se voit^ gravé sur tant de
monuments étrusques , sur un manche de hnm^, Lanxi, Saggio, t. II, p. 443 , n. xxv ;
sur une base de tuf carrée, ihid. p. 434 « n. xx; sur le grijfoa de Cortone, Janssen,
Mus, Lagd. Bat. inscripL Etrusc. pj. iil, n. 34. p- a3-a4; sur la célèbre Chimère de
1a galerie de Florence, Lanzi, Saggio, t. II, p. 464 « n. xl ; cf. Osann. Inscript, aut.
tab. III, n. 3, et sur là jambe d*un chien de bronze iu musée Coltellini, à Cortoae,
firagment inédit. Le ne» 4l3^MRO {Thamckuil) , qui dut être si commun cbez
744 JOURNAL DES SAVANTS.
dans le prénom Aalus ou Aula, emprunté aux Romains ^; et je rappelle ,
h cette occasion , Tinscription étrusque qui se lit sur \in vase peint, de
style et de fabrique grecques, de ma collection, et que j'ai publiée dans
ce journal même^, inscription ainsi conçue : ^Rmi3^343fl, cest-à-
dire Aule (Aulas) Sapinas, où nous voyons un nom propre de famille
étrusque avec la terminaison ordinaire en nos, usitée surtout à Peragia,
et ce même prénom Aulas, fréquent aussi à Peragia, et où nous trou-
vons , dans cette présence même de noms étrusques , tracés au pinceau
sur un vase peint, de fabrique indubitablement grecque, une des par-
ticidarités les plus curieuses et les plus difficiles à expliquer de This-
toire de ces vases recueillis de nos jours en si grande quantité sur le
sol étrusque , où ils étaient à la fois un objet dlmportation étrangère
et de fabrication locale.
Les trois inscriptions qui suivent, appartenant à trois membres de la
famille Volamnia, tous les trois ^k d'Aalas , et conséquemment /réres ,
avec les prénoms divers de 0<1AJ [Larth)^ de J^"ai (Velius) et de
OH<3R [Aruns), ne donnent lieu à aucune observation, si ce n'est que
M. Vermiglioli a comnois encore, au sujet de la première de ces urnes,
la faute d'y voir, dans la figure et dans finscription , une Larthia Vo-
lumnia, au lieu d'un Larth Volamnias, Cette faute, que j'ai réellement
de la peine à m' expliquer de la part d'un homme aussi versé que le
savant professeur de Peragia dans Tintelligence des monuments
étrusques, est rendue plus sensible par l'inscription de l'urne, publiée,
tav. VI, n. 6 , qui porte la statue de la femme assise sur un siège, et
dont l'inscription est ainsi conçue :
La forme Velimnei est depuis longtemps reconnue pour celle* des
noms féminins , particulièrement de ceux dont le masculin se termine
les Etrusques, s'écrivait pareillemeDt par C pour D, Land, Saggio^ t. II, p. 3o4.
n. ia8. On sait, d'ailleurs, (jue le digamma C avait aussi .la valeur de la lettre U
dans Falphabet osque; et je me contente d'en citer pour preuve les nombreuses
monnaies de Capoue, dont la légende constante est 3/1^^ (Kâpu). — * Ce prénom ,
si souvent représenté, soit intégralement, soit en abrégé, dans les inscriptions
étrusques, renferme presque toujours le digamma C avec la valeur de l'U; voyex-en
des exemples dans Lanzi, Saggio, t. II, p. Ai 9, n. vni ; dans Vermiglioli, Saggio
di congett sopr. la grand, iscriz, p. 19, et tscriz. Perug, t. I, cl. 11, n. 8, p. 1^4; dan»
les Letter. di Etrusc. eradiz, p. 1^7 » et ailleurs. — * Nouvelles observations sur les an-
ciennes fabriques de vases peints, dans le Journal des Savants, juin i84ii p. 3^, 1).
DÉCEMBRE 1843. 745
en nas; Lanzi en a fait le premier Tobservation \ qui a été convertie
en règle grammaticale par Ott. Mûller ^ ; et, àTappuide cette doctrine,
je me contente de citer une belle urne étrusque de Volterra, publiée
deux fois par M. Micali^, dont le couvercle porte la figure d'une
femme, vétae et parée de tous ses bijoux, et dont Tinscriplion nous fait
connaître celte femme nommée : I5IMDI30 [Ceicnei, pour Ceicinei, fémi-
nin de Cœcinas). Le nom Velimneif féminin de Velimnas, est formé ab-
solument suivant le même principe, et ce nom féminin s'accorde par-
faitement avec la figure de femme que porte l'urne sépulcrale. D'après
cela, j'ai réellement peine à concevoir que M. Vermiglioli *, tout en
traduisant l'inscription étiHisque comme elle devait se traduire : Velia
Volumnia, Aruntia Nata, ait pu croire que Velimnei était mis pour Ve-
limnas , c'cst-i-dii'e que la forme féminine fut employée indifféremment
pour la forme masculine : ce qui est contraire à l'analogie et à tout ce
que nous connaissons de meilleurs exemples fournis par fépigraphie
étrusque.
Ici se termine, avec la dernière des inscriptions étrusques du tom-
beau des Volumnii, l'examen que je m'étais proposé de faire du travail
de M. Vermiglioli. J'ai donné quelque étendue à cette analyse, parce
qu'il m'a semblé important de fixer , autant qu'il pouvait dépendre de
moi , le véritable état de la question en ce qui concerne l'étude des ins-
criptions étrusques. Je ne me flatte pas que mes idées obtiennent toutes
l'assentiment du savant professeur de Perugia; mais je connais assez la
noblesse de son caractère et la sincérité de son dévouement à la
science pour être convaincu que, malgré la diversité de nos opinions, il
verra, du moins , dans mes observations, la preuve de ma profonde es-
time pour soii mérite et du vif intérêt que je porte à ses travaux.
RAOUL-ROCHETTE.
* Lanzi, Saggio, L II, p. 261 -a 62. — * Die Etrasker, Beilaye zu B. 11, K. 4,
p. Ikàc^. — ^ Monam. per serv. ail' Italia avant, il dominio de Romani, tav. XLin; et
Monam. per serv. ail. stor. de' ant. popol. ital. tav. cy. Ce monument fait maintenant
partie de notre musée du Louvre. — * Sepolcr. de' Volunni, p. 4i : Nel Velimnbi,
forse per Velimnas Vei posto in fine si ha da conirarre in L Qui ne voit que celle
supposition est tout à fait gratuite et inutile, et que Velimnei doit se prendre pour
le féminin de Velimnas, comme Ceicinei est le féminin de Ceicinas ?
94
746 JOURNAL DES SAVANTS.
Histoire de la bé publique de Gênes, par M. Çmile Vincens^
conseiller d'Etat. Paris, Firmin Didot, i842, 3 vol. in-8*.
DEUXIÈME ARTICLE ^
Lorsqu'une classe aristocratique se fut formée dans Gênes, vers le
milieu du xif siècle , par suite de la richesse croissante et de Tinfluence
prolongée de certaines familles , que rendit peu à peu nobles la pos-
session des magisti'atures , la répubKque fut en proie aux mêmes divi-
sions et aux mêmes désordres que les autres villes libres d'Italie. Les
passions ambitieuses, les intérêts opposés, les animosités héréditaires,
la remplirent de troubles. Le gouvernement était resté trop faible à
côté de familles devenues trop puissantes ; il ne pouvait pas prévenir
ou terminer leurs difl'érents et imposer à toutes Tobéissance.
Les premières querelles éclatèrent entre les Castello et les Volta,
d'une part, et les Avocati, de l'autre. Les de Turca ou de Caria, les Vento,
et d'autres citoyens parmi les plus considérables de la république , s'y
joignirent bientôt. Suivies de leurs clientes, ayant, malgré les défenses
légales, élevé les tours de leurs maisons au-dessus de quatre -vingts
pieds ^, afin de pouvoir y soutenir des assauts, après les avoir ainsi for-
tifiées, ces familles turbulentes se livrèrent des combats fréquents dans
Gênes *. Les consuls mirent tout en œuvre pour les pacifier. Ils firent
jurer aux citoyens de leur prêter assistance contre les pertubateurs de
la république^; ils obligèrent les chefs des familles ennemies à pro-
mettre d'observer une trêve pendant la durée de leur consulat * ; ils
saisirent plusieurs des sicaires qui servaient leurs vengeances , coupè-
rent les pieds ou les mains aux uns, et en jetèrent d'autres à la mer
en leur attachant des pierres au cou. Mais ce fut en vain : le fils de
Rolando Avocato avait été tué par les archers de Marchio de Vol ta ,
Marchio de Volta, fils d'Inson , était tombé, pendant qu'il était consul,
sous les coups des meurtriers qui étaient sans doute aux gages d'Âvo-
' Voirie cahier de novembre i843. — * «Hic quidam, dit fannaliste de Gènes
«en parlant du podestat milanais qui régissait ]a ville en 1198, primiUis super-
«fluitates turrium, quas pro velle suo quidam cives conlra licitum et constitutio-
« nem communitatis construxerant .... sapienter ac probissime demoHri et ad cer-
«lum modum pedum lxxx redigi fecit. » Ann. Genuenses, lib. IH; Muratori, t. VI,
p. 376. — ' Ihid, p. 3 10, 320, etc. — * « Treueam habentibus guerram et maxime
« capitibus jurare fecerunt. > Ibid. p. 3ao. — * Ibid. p. 327-3^8.
DÉCEMBRE 1843. 747
cato. Les haines paraissaient irréconciliables entre ces deux maisons,
qui n étaient pas les seules en guerre ; d'autres avaient commis ou souf-
fert des violences qu* elles ne se pardonnaient pas. Les consuls de
Tannée 1 1 69 tentèrent avec habileté d'opérer une réconciliation plus
sérieuse. L'annaliste Oberto, qui a continué CatTaro, et qui était chan-
celier de la commune, raconte la scène h laquelle donna lieu cette ré-
conciliation , d une manière à la fois plus naïve et plus intéressante que
tous les historiens postérieurs.
U dit que les consuls, après avoir pris à leur service deux cents clients
armés S en avoir placé quelques-uns dans les maisons rivales et d'autres
sur la voie publique , s être assurés du concours des hommes consu-
laires et de lappui du peuple, et n avoir pas pu obtenir des chefs des fa-
milles en hostilité déclarée qu'ils sacrifiassent leurs ressentiments au bien
public, les citèrent en justice, et, ayant examiné leurs griefs réci-
proques , décidèrent qu'il y aurait entre eux six duels en champ clos.
Tout fut préparé pour cela ; mais cette sentence n'était qu'un strata-
gème imaginé par les consuls poiu^ disposer plus facilement les citoyens
à la concorde. Ainsi qu'ils l'avaient prévu, les parents, les mères, les
femmes de ceux qui devaient combattre, effrayés d'une si dangereuse
extrémité, vinrent supplier les consuls de ne pas y exposer ieiurs con-
citoyens. Laissons ici parler l'annaliste :
(( Lorsque ces désirs et ces dispositions furent ainsi connus des con-
suls, ceux-ci n'en persistèrent que davantage dans leur projet d*empê-
cher les six combats, et ils en choisirent merveilleusement le moyen.
Gomme une pareille chose devait être entreprise avec crainte et avec
respect, les consuls se rendirent d'abord auprès du seigneur archevêque
Hugo, qui ignorait leurs intentions cachées, et auquel ils les confièrent
sous le secret. Elles lui convinrent admirablement. Les consuls lui di^
rent alors : « Appelons les personnes pieuses de l'archevêché à concourir
dà une œuvre si excellente, afin qu appuyés sur leur conseil nous com-
umencions à conduire à bonne fin et à l'honneur de Dieu un dessein si
«louable.» Gela dit, ils résolurent de convoquer au son de la cloche
un parlement avant le jour, sans que les citoyens s'y attendirent, afin
qu'étonnés ils se levassent et accourussent de nuit plus promptement
qu'ils ne l'auraient fait de jour. Us ordonnèrent que les reliques de
saint Jean-Baptiste fussent platées au milieu de l'assemblée, que les
croix de la ville fussent tenues à chacune des portes par des personnages
' • Statuerunt ex libère suo arbitrio clientes numéro ce in urbe quam cito esse
« futures. > Ann. Gmiuetu, Hb.ll; Muni((»i, t VI, p. 334.
9Â.
748 JOURNAL DES SAVANTS.
recommandables , et que tout le dergé se montrât revêtu des habits
quil portait les jours de grande fôte. Aussi les citoyens, en arrivant à
rassemblée et en voyant cela, furent saisis de stupeur, et ceux qui, les
jours précédents , avaient accoutumé de se montrer sans frein dans ce
même lieu, y parurent ce jour-là comme tournés à Tobéissance par l'ins-
piration divine.
« Le seigneur archevêque Hugo se leva d'abord , et après lui les con-
suls. Attirant par dos insinuations merveilleuses les citoyens à la paix
qu'il s'agissait d'établir, composant d'une manière admirable ses paroles
et ses gestes, et, d'une voix angélique, disant sur les périls de la répu-
blique des choses nobles et utiles, comme il convient à Dieu et au
peuple, il s'empara de l'attention de toute l'assemblée, et sa pieuse
vieillesse plia les esprits à des résolutions inouïes jusqu'alors. Aussitôt
les consuls appelèrent Rolando Avocalo, afin qu'il vînt sans retard ju-
rer la paix pour la cause de Dieu , pour l'honneur de la république , et
pour ne pas exposer davantage la ville au danger des attaques étran-
gères. En entendant ces paroles, Rolando Avocato déchira ses habits,
pleura , et , appelant à haute voix ceux qui étaient morts dans cette
guerre, il s'assit à terre et refusa d'y aller. Ses parents, qui avaient pro-
mis aux consuls de prêter leur assistance au rétablissement de la paix ,
se pressaient autour de lui, et, sans toutefois lui faire violence, ils le
suppliaient de se rendre au vœu des consuls et du peuple. Lorsque les
consuls surent qu'il était comme anéanti et qu'il ne voulait pas s'avan-
cer, ils allèrent vers lui avec l'archevêque et tout le clergé, portant les
croix et le livre des Evangiles, devant lequel ils le conduisirent comme
malgré lui. Après beaucoup d'exhortations et de prières, il finit parju-
rer avec calme la paix, selon l'ordre des consuls. Cela fait, on appela
aussitôt Foulques de Castro, qui n'assistait pas à l'assemblée, mais qui
donna une réponse humble et raisonnable en disant: «Je veux obéir
«aux consuls comme aux seigneurs et aux recteurs de ma patrie; mais
«qu'ils ne s'offensent pas cependant, si je ne le puis avant que mon
« beau-père Ingon de Volta m'en ait donné la permission. » Alors les con-
suls , accotnpagnés de tout le clergé, se rendirent à leur maison , et, les
ayant amenés tous les deux à l'assemblée , ils les sommèrent avec une
aussi religieuse gravité de jurer la paix. Conduits devant le livrée de l'E-
vangile, après quelque résistance, ils jurèrent tranquillement. Ensuite
tous les parents qui avaient été en guerre, et tous ceux de la part des-
quels les consuls le crurent le plus utile, jurèrent également et se don-
nèrent les uns aux autres le baiser de paix. Cette réconciliation ache-
vée, au bruit des cloches qui retentissait dans la ville, le seigneur
DÉCEMBRE 1843. 749
archevêque enlonna ie Te Deam laudamus avec tout son clergé, dout
la voix éclatante remplit toute Téglise ^ »
Cette scène touchante, empreinte de la couleur religieuse du moyen
âge et des teintes sombres de ses querelles domestiques, peint fort bien
l'état des villes libres à celte époque. Elle prouve que M. Vincens ne doit
pas se plaindre de la sécheresse des chroniques, qui racontent ordinai-
rement avec naïveté et rendent avec grandeur tous les événements et
toutes les situations qui ont de l'importance pour Thistoire. Le récit que
je viens de traduire n a été surpassé par aucun des historiens qui en ont
reproduit les détails d'après le chroniqueur même du xii* siècle. M. Sis-
mondi Jes lui a empruntés avec éloquence , M. Vincens avec simplicité.
Quant à M. Serra, il l'a un peu défiguré, i>our le rendre plus pitto-
resque, en y ajoutant quelques circonstances qui sont dépure invention^,
et Foglietta Ta presque réduit à un long discours ^, qu il a mis dans la
bouche de larchevcque, selon la métliode historique du xvi* siècle, re-
nouvelée des anciens.
Cette réconciliation ne fut qu éphémère, a Les cœurs de quelques-uns
des chefs ennemis, dit Tannaliste, paraissaient encore ténébreux et
comme remplis d'orages ^. » En efiet, les volontés avaient été un mo-
ment pacifiées , sans que la position qui devait les diviser de nouveau
fut changée. Aussi, quelque temps après, en i 188, ie consul Angelo
de Mari fut tué par Lanfranco délia Turca, dont on bannit la famille
et rasa les tours ^. L'année suivante , les Venlo'ct les Volta se firent la
guerre dans les rues pour la possession même du consulat ^. Alors les
bons citoyens, voyant que tous les moyens esssay es jusque-là pom* ra-
mener la poix dans la république avaient été infructueux, recoururent
à un remède plus efTicace : ce fut une révolution dans le gouvernement.
Les magistrats impériaux que Frédéric Barberousse , au moment de sa
puissance et de ses victoires en Italie , avait introduits à la place des con-
suls dans les villes qui les avaient d'abord repoussés comme les instru-
ments d'une domination étrangère, étaient devenus la principale res-
source de celles-ci au milieu de leurs luttes intestines et de leur sanglante
anarchie. Ces magistrats, appelés potestates ou podestats, parce qu'ils étaient
•
* Ann. Genn. lib. II ; Muratori, t. VI, p. 3a4 à 337. — * T. I , lib. 111, cap. vni ,
p. 44i à 443- — * Foglietta, Hist. Genn. Hb. II. — * «Corda quorumdam hostiuin
« videbantur (cnebrosa et velut imbribus plena. > Ann. Genaens. lib. II, ad an. 11 70;
Muratori, l. VI, p. 333. — ' «Congregatis ilaque nobilibus civiiatis et populo ar-
«mata manu ad capiendos illos qui tantum scelus perpetraverant , (consules) ac-
« cessenint, et domos et turrim et bona eonim omnia radicitus destruxenint , eot-
« que de civitale peniius ejecerunt. > Ibid. p. 358. — « * Ibid. p. 36a.
750 JOURNAL DES SAVANTS.
investis de l'autorité de l'empereur, avaient été rétablis volontairement
dans les villes deux ans après la paix de Constance, qui avait consacré,
en 1 i83, les résultats de la bataille de IJgnano. En 1 185 , les deux ca-
pitales de la Lombardie et de la Romagne , Milan et Bologne , avaient
déféré la suprême autorité judiciaire dans leurs murailles à des podestats ^
donnant ainsi un exemple qui devint bientôt général. Ces podestats
durent être étrangers pour être impartiaux , nobles afin d'exercer le pou-
voir du glaive avec plus de résolution et de vigueur, annuels et soumis à
rendre compte de leur administration en sortant- de charge, de peur
qu'ils ne tendissent à perpétuer leur .autorité ou qu'ils n'en abusassent.
Ils arrivaient dans les villes où ils étaient appelés avec les chevaliers qui
leur servaient d'escorte et les hommes de loi qui devaient les aider à
rendre la justice ; et , dans les moments de faction et de désordre , ils
convoquaient le peuple au son des cloches , pour qu'il maixhât en armes ,
sous leurs ordres, contre les turbulents et les séditieux. On doit le dire
î'i leur louange, ils remplirent, presque partout, avec une rare équité
et la plus entreprenante énergie, la mission qui leur fut confiée , de sou-
mettre tout le monde aux lois dans les villes devenues déjà incapables
de satisfaire elles-mêmes au double besoin qu'elles avaient de la paix
et de la liberté. Mais le régime des podestats fut, pour la plupart d'entre
elles, le passage naturel du régime consulaire au régime seigneurial.
Les Génois, en voyant les heureux effets de la nouvelle institution
chez leurs voisins, se l'approprièrent en 1191. «Par suite, dit le chro-
niqueur Oberto, de la jalouse rivalité de plusieurs qui ambitionnaient
outre mesure i'ofïice de consids de la commune, beaucoup de dis-
cordes civiles, de conspirations odieuses et de divisions, s^afiermirent
dans la ville ; d'où il arriva que les sages et les conseillers de la repu*
blique se réunirent ensemble, et convinrent, d'un commun accord, de
mettre un terme au consulat dans l'année suivante, et d'avoir un po-
destat. Le seigneur Manegold de l'elocio, citoyen de Brescia, fut
choisi pour exercer cette charge, et heureusement installé ^ » M. Vin-
cens expose mieux cette révolution que M. Serra. Celui-ci place avant
le meurtre du consul Lanfranco Pevere^ qui n'eut lieu qu'après, puis-
que Lanfranco Pevere ne fut tué qu'à la suite de la révolution dont il
était le principal auteur, par le fils de Foulques de Castello*; mais, en
retour, il donne, d'après le livre du notaire public Frédéric de Riges-
tro , quelques règles particulières à l'institution du podestat dans Gênes.
^ Ann, Genuens, lib. III, ad an. 1 190; Muratori, t. VI, p. 363-36Â. -~ ' La stoiia
délia antica Ligaria, etc. 1 1, lib. III, cap. vin, p. 443. — ^ Ann. Genuens, 11b. UI;
Muratori , t. VI , p. 364 et 366.
DÉCEMBRE 1843. 751
Ces règles , les voici : « Le conseil nommera , chaque année , trente
électeur qui procéderont à Féleclion sommairement. L'élu sera informé
sans retard, et interpellé s'il accepte. Après cela, deux envoyés (de la
république) lui porteront les articles suivants pour quil les jure devant
le conseil de sa ville natale : i* il ne verra les statuts de Gênes qu'a-
près avoir prêté le serment de vouloir les observer; a* il sera servi par
vingt personnes, et accompagné de trois chevaliers et de deux ou trois
juges à son choix, qui le remplaceront, avec le titre de vicaires ou de
lieutenants, en cas d'absence, de maladie ou de mort; 3*" les salaires,
les loyers, les dépenses de voyage, resteront à la charge du podestat;
mais il recevra le traitement de trei^^e cents livres de Gênes \ et deux
livres de plus par jour dans les campagnes de mer, quatre dans les
campagnes de terre , et autant que le conseil en accordera dans le&
ambassades ; 4^ l'anniversaire du jour où il aura pris possession de la
magistrature, il devra sortir de Gênes, non pas seul, mais avec tous
ceux de son pays et de sa juridiction, ce dont il sera dressé un instni-
ment spécial ^. »
Le gouvernement du podestat, auquel on avait donné pour auxi-
liaires, dans la direction des affaires publiques , huit nobles élus tous les
ans^, qui eut la présidence du sénat, exerça le pouvoir exé^cutif et la
police coercitive sur tout le territoire de Gênes et fut le juge des causes
criminelles , ne se fonda point tout d'un coup. Les grandes familles, dont
cette nouvelle forme d'autorité annulait l'influence et menaçait la tur-
bulente ambition, essayèrent d*empêcher qu'elle ne se consolidât. L'an-
née même qui suivit son établissement, elles parvinrent à restaurer le
régime consulaire et à le maintenir trois ans de suite \ Mais, en 119/1,
la guerre ayant éclaté entre elles avec plus de violence que jamais, les
unes ayant attaqué les tours des autres à faide de fortes machines , et
chaque faction s'étant donné des consuls particuliers, les Génois i*e-
noncèrent encore au consulat, et choisirent un noble et courageux
podestat de Pavie, Oberto de Olevano, qui rétablit parmi eux Tordre et
la paix^. Quoique des podestats aient été nommés de 1 1 94 à 1 ao6 , sauf
une interruption en 1 ao 1 ^, il fallut encore une épreuve intérieure pour
amener l'affermissement de cette magistrature. Les consuls ayant repris
l'autorité, de 1207a 1 2 1 6 '^, les troubles recommencèrent, et Ton revint
^ t Nd 1 191, dit M. Serra, la lira di Genova valeva men oncla d^oro, et la pro-
« porzione deli* oro ail* argento era quasi soddupla délia présente, v Note de la
page 45o du premier volume. — * La storia, ele, 1 1, p. 449'45o. — ^ Ann. Gênmeiu.
lib. m , ad an. 11 96 ; Moratori , t. VI , p. 374* — ^ IbU. p. 566-67. — ' Ibid, p. 367.
— ^ Ibid. p. 383. — ' Ibid, p. 394 à 4ii. Cependant 3 y eut un podestat en laii;
752 JOURNAL DES SAVANTS.
définitivement à Tadministration plus tutélaire des podestats, qui fut
alors complétée par le choix de jurisconsultes étrangers, nommés tous
les ans à la place des consuls des plaids , dont le tribunal s'était con-
servé jusqu'en 1216 ^ L'institution du consulat prit ainsi fin à Gênes,
soit dans l'ordre politique, soit dans l'ordre judiciaire , après y avoir
duré plus d'un siècle. Elle avait été la première forme du gouverne-
ment de la république, qui en essaya depuis beaucoup d'autres, sans
se reposer longtemps dans aucune.
En lisant cette partie de l'ouvrage de M. Vincens, on aimerait que le
judicieux historien eut marqué davantage, à l'aide même de la chro-
nique d'Oberto , les alternatives de la lutte qui exista, de 1191 à 1116,
entre les deux régimes des consuls et des podestats, dont l'un succomba
parce qu'il favorisait l'ambition des grandes familles, et l'autre triompha
parce qu'il soutenait l'intérêt public. Gênes, sous les podestats, fut mieux
gouvernée et resta aussi libre. Elle le devint même davantage, car tout
ce qui est p^rdu pour Tanarchie est gagné pour la liberté. D'ailleurs , les
podestats , quoique plusieurs d'entre eux aient été maintenus jusqu'à
trois années consécutives en charge^, en infraction des règles prudentes
consacrées à cet égard, ne pouvaient pas usurper. Les citoyens de Gênes,
en leur donnant des conseillers, leur avaient imposé des surveillants.
Ils conservaient leur vieille souveraineté , qu'ils exerçaient dans les par-
lements. La haute direction des affaires appartenait toujours à un sénat
composé des personnages les plus importants et les plus expérimentés
de la république , et le maniement des finances était confié à un collège
de huit nobles, renouvelé tous les ans^. L'élection était la forme, et la
mobilité la condition de tout pouvoir dans Gênes.
Mais bientôt parut sur ce théâtre un nouvel acteur. Cet acteur fut
ie peuple. Son intervention dans le gouvernement des républiques mu-
nicipales du moyen âge était inévitable. A mesure que s'accroîtraient
le nombre , la richesse , l'importance des plébéiens , ceux-ci devaient
attaquer et vaincre les nobles, dont ils supportaient avec peine la tur-
bulence et la domination : c'est ce qui arriva partout. Cette révolution,
l'une des grandes phases politiques par lesquelles passèrent les villes
p, 4oo. — ^ • Quum e voluntate totius consilii consulatus placitorum cessasset. » Ihid,
p. 409. — ^ Ainsi ie podestat Guifredollo Grassello de Milan "fut élu en ia02 et
réélu en i2o3 et iao4. Ibid, p. 584 à 588. Il en fut de même du podestat Lam-
berlino Guidone de Bonarello de Bologne, pour les années laiS, 1219 et laao.
Ibid. p. /iia à 417, etc. — ^ « Pro reddilibus quoque communis Januœ recolligen-
«dis et exponendis habuit octo nobiles. > Ann. Genuens. lib. V, ad an. laai; Mura-
tori, t. VI, p. 42a , et les années suivantes.
DÉCEMBRE 1843. 753
italiennes, s'accomplit au xni* siècle. Dès Tannée laoo, les plébéiens
de Padoue enlevèrent aux magnats Tadministration de la ville , quils
^attribuèrent , et ceux de Brescia chassèrent les nobles de leurs mu-
railles. En 1221, les nobles de Milan et de Plaisance furent aussi ex-
pulsés par lesl plébéiens^ et, sans Imtervention du pape Honorius III,
qui pacifia les deux classes, à Crémone la lutte y aurait eu la même
issue. Des divisions semblables troublèrent Modène en 1224, et ce
phénomène social, alors commun dans les républiques lombardes,
éclata un peu plus tard, mais toujours durant le même siècle, dans
les répubUques moins avancées de la Toscane et de la Romagne. Ce
fut en 1227, après le succès des plébéiens dans les villes de la vallée du
Pô, que se montrèrent, à Gones, les premiers symptômes de la révo-
lution populaire, qui, toutefois, ne s'y opéra pleinement qu'en iSSg.
Pourquoi fut-elle aussi lente? Par deux raisons, à ce que je crois. La
première est la tai^dive formation de la noblesse génoise; la seconde est
Torigine commerciale de cette noblesse. N'ayant pas été primitivement
féodale et n'ayant pas dominé dans Gênes ni aussi tôt ni aussi orgueil-
leusement que les noblesses militaires dans les autres villes , elle resta
moins séparée du peuple , et fut dès lors plus tard dépossédée par lui
<le l'autorité. Ces explications, que je hasarde, je les soumets à
M. Vincens , qui les trouvera peut-être fondées.
En eifct, Guillaume de Mari^ qui suscita, avec le concours d'un cer-
tain nombre de nobles, le mouvement populaire de 1227, appartenait
à une des grandes familles de la république. Eji se mettant à la tête
des plébéiens, il prétendit non les rendre maîtres de l'État, mais se
servir d'eux pour arracher une partie des emplois publics à ceux des
nobles qui les possédaient exclusivement. Ces emplois se distribuaient
au moyen de l'influence qu'exerçaient sur les élections des compagnies
particulières ou associations libres, auxquelles tous les nobles n'étaient
pas affiliés^, et dont Guillaume de Mari voulut renverser la supréma-
tie en créant une compagnie nouvelle. Il survint entre les nobles une
transaction, à la suite de laquelle les compagnies furent toutes dis-
' cSurrexit quidam vîr nobilis et egregius civis Januœ, scîlicet Guilelmus de
« Mari , et cum quibusdam de nobîlibus conjurationetti fecit maximam et po-
« tentem , in qua fere omnes populares fuerunt et maxima quantitas illorum de vil-
«lis. > Arui, Genaent, lib. VI, ad ana. 1337 ; Muratori, t. VI, p. 450. — ' tQuum
« plures conununitates et compagniœ dicerenlur esse in Janoensi civitate et diutius
«viguisse, quamplures nobOes, qui non erant in ipsis compagniis, prout eis vîde-
« balur, honores assequi non polerant, ut debebanl, nec ad communis officia voca*
« bantur. v Ibid.
95
♦..
754 JOURNAL DES SAVANTS.
soutes , les emplois partagés , et qui laissa les plébéiens livrés à leur
faiblesse et à Timpuissance. Trente ans après, en laSy, cette impuis-
sance était bien diminuée, lorsque les Génois firent, sous la conduite
d*un plébéien , le premier, mais peu durable , essai du gouv^nement
populaire. Il est curieux de voir comment on .y fut conduit.
Bien que contenues et jugées par des podestats et des jurisconsultes
étrangers, les familles nobles n avaient pas modéré leurs prétentions ni
renoncé à leurs luttes. Ces luttes n'avaient plus lieu entre les Castello^
les Volta , les Avocati, les Turca , les Vento , les Grillo, et dans Tintérieur
de Gênes seulement, comme au xii* siècle; elles existaient entre quatre
familles qui avaient dépassé de beaucoup les autres et dominaient ia ré-
publique , et elles devaient se prolonger durant le cours du xiu* et la
première moitié du xiv' siècle , dans toutes les parties du territoire de la
république. Ces quatre familles étaient celles des Spinola , des Doria , des
Grimaldi et des Fiescbi. Les deux premières figurdiafit au nombre des
familles consulaires depuis 1 1 o& et 1 1 3& ; la troisième n y avait été ad-
mise qu en 1 1 62 ^, et la dernière, tirant son origine des ccmites féodaux
deLavagna, ne prit part au gouvernement de Gênes, où elles établit, qu'a-
près f élévation du fameux Sinibald de Fieschi sur le trône pontifical, en
i a /i 3 , sous le nom d'Innocent IV ^. Rattachant les querelles de leur ambi-
tion aux deux grandes causes de l'empire et de la liberté en Italie , s as-
sociant aux partis des Gibelins et des Guelfes, les Spinola et les Doria
s'enrôlèrent sous la bannière de Frédéric II, les Grimaldi et les Fiescbi
sous celle des papes. Pendant toute la dui^e de la guerre, la république
de Gênes (ut l'alliée fidèle de la ligue lombarde et du saint-^i^ contre
le petit-fils de Frédéric Barberousse. Elle soutint avec intrépidité l'in-
dépendance italienne ; c'était pour elle un rôle obligé. Frédéric II , dis-
posant des forces de l'Allemagne, maître de la Sicile et du royaume de
Naples, appuyé, dans la haute Italie, sur les Gibelins lombards et sur le
puissant Ëccelino III de Romano, qui commandait déjà dans Vérone,
Padoue, Vicence, Trévise, Feltre, Bellune, Bassano, Frédéric II, aussi
à craindre par son esprit entreprenant que par ia grandeur de son cou-
rage, menaçait la péninsule d'un entier assujettissement. Le serment de
fidélité qu'il réclama des Génois, et qui fut présenté à ces fiers répu-
blicains comme un seiment de soumission ^, les rendit ses ennemis
' Gaffari Ann. Genuens. lib. I, ad an. ia6a; Muratori, t. VI, p. 278. -^ 'tCo-
« mites Lavaniœ, scilicet iiii qui dicanlur de Flisco, nepotes domini LÛiocentii tune
« papae, in republica vires habere cœpemnt. > Ann. Genuens, lib. VI, ad ann. laSo;
Muratori, t. VI, p. 617. — ^ Dans ses lettres , rempereor demandait anx Génois de
prêter sacramentamjidelitatis et hominii; le podestat ]i\t JideUtatis et ooMUfti, oe
DÉCEMBRE 1843. 755
acharnés et irréconciliables. Aussi bannirent-ils les familles gibelines
des Spinola et des Doria, et concoururent- ils à ruiner les desseins de
Frédéric. Leurs flottes se chargèrent de transporter à Rome , en 1 2 4 1 ,
les prélats que Grégoire IX y avait convoqués pour Ty juger, et, n ayant
pas réussi, elles allèrent chercher, en ia43 , sur le rivage romain , le
Génois Innocent IV pour qu'il pût se rendre en sûreté au concile de
Lyon, et y prononcer la déposition du redoutable empereur. Cette
nouvelle guerre contre la ligue des villes et des papes eut les mêmes
alternatives et aboutit k la même issue que Tancienne. Comme son aïeul,
Frédéric II fut d*abord vainqueur des Milanais 4Corte-Nuova, en laSy,
et, comme lui, il fut complètement battu à Vittoria devant Parme, e»
1 2À A. Ce fut la dernière tentative sérieuse exécutée par un grand prince
pour réunir toute l'Italie sous une seule domination et en soumettre
tous les petits États à Tempire d'Mlemagne. Depuis lors, jusqu'à la fin
du XV' siècle, c'est-à-dire pendant deux cent cinquante ans, l'Italie resta
presque uniquement livrée à elle-même; elle vit ses divers éléments
sociaux lutter entre eux, et les nombreux gouvernements qui s'étaient
fondés sur son territoire se développer selon les lois de leur nature
combinées avec les lois de leur action les uns sur les autres.
A l'issue de la guerre avec Frédéric II, les Gibelins génois rentrèrent
dans leur patrie, à laquelle ils avaient fait beaucoup de mal du haut
des vallées de l'Apennin et des côtes de la mer, où ils s'étaient rendus
maîtres de châteaux et de villes dépendantes de la république. Us ne
tardèrent pas à redevenir les plus forts dans Gènes , où dominaient les
Grimaldi et les Fieschi. Ceux-ci ne supportaient pas plus patiemment
que les Spinola et les Doria le régime des podestats annuels et étran-
gers. U venait d'être donné , dans la Marche trévisane , un exemple qui
devait être bientôt suivi sur d'autres points de l'Italie , parce qu'il était
propre à tenter l'ambition des chefs des grandes familles. Eccelino III
s était fait proclamer, en i^35, capitaine da peuple à Vérone. Cette
nouvelle institution , appuyée sur la puissance du peuple , moins limitée
en autorité et en durée, pouvait être et fut, pour la plupart de ceux qui la
possédèrent, un acheminement à l'usurpation. En laSy, des nobles de
Gênes ^ demandaient qu'un capitaine du peuple remplaçât le podestat,
qui révolta les Génois. Voir Ann. Gennens. ad an. ia38; Muratori, t. VI, p. 479.
— ' Déjà, en laSg, ie podestat avait choisi dmot capitaneas poouli et cammunis Ja-
mem» ui fortins esset eonunnne. Ces deux capitaines, Tun de la ville, l'autre du boui^,
eurent chacun vingt-cinq sergents d*armes sous leurs ordres, et obtinrent six cents
livres de Gènes pour leur salaire et celui de leurs sergents d*annes. iliui. Genuens.
lîb, VI; Muratori , t. VI, p. 48q.
95.
756 JOURNAL DES SAVANTS.
sous Vadministration duquel la ville avait été néanmoins prospère et
triomphante durant un demi-siècle; mais {Inconstance génoise se prê-
tait volontiers au changement.,Le peuple se rendit au vœu des nobles,
en déconcertant toutefois leurs espérances. Voici comment lannaliste
Bartholomeo, greffier de la commune, raconte cette révolution. « L'an
du Seigneur mcclvii, Alberto de Malavolta, citoyen de Bologne, fut
podestat de Gênes. Cette même année, au moment où le seigneur Al-
berto allait entrer en charge , et où Philippe de la Torre , qui avait été
le podestat de Tannée précédente allait en sortii*, une sédition s*élev8
contre celui-ci parmi les habitants de Gênes. Dans cette sédition , plu-
siem*s des plus puissants de la ville crièrent aux armes, disant qu'ils vou-
laient avoir un capitaine du peuple , ce qui plut beaucoup aux popu"
laires. En tumulte, ils se rendirent vers Téglise de Saint-Cyr, et là, sans
discussion, au milieu du désordre et des cris, les populaires élurent
Guillaume Boccanegra pour capitaine du peuple de Gênes; et ils Ten-
traînèrent, en le poussant et en le poitant, avec des clameurs tumul-
tueuses et avec pompe à l'église de Saint-Cyr, et là, le firent asseoir et
lui prêtèrent serment comme à un capitaine du peuple. Le jour sui-
vant, selon qu'il était usité pour les autres capitaines, furent élus parie
peuple trente-deux onziaiu, à savoir, quatre par chaque compagnie, afin
que tout ce que le capitaine du peuple aurait décidé ou prescrit, d'ac-
cord avec eux ou avec la majeure partie d'entre eux, fût exécuté. Cela
fait, il fiit demandé à l'assemblée pour combien de temps était décer-
née la charge de capitaine. Elle décida que ledit Guillaume serait ca-
pitaine du peuple de Gênes pendant dix ans, et que, s'il mourait dans
ce temps, un de ses firères lui succéderait en son office. L'assemblée
décréta aussi qu'il aurait avec lui un chevalier qui recevrait, chaque an-
née, pour salaire, mille livres de Gênes; un juge et deux greffiers aux
gages de la commune; douze gardes ou exécuteurs, et cinquante ser-
gents ou clients armés qui garderaient lui et son palais de jour et de
nuit^»
Guillaume Boccanegra, premier capitaine du peuple, et plébéien,
comme l'ont établi M. Serra et M. Vincens, contre l'opinion de M. Sis-
mondi qui fait de lui un noble ^, ne conserva pas , durant les dix années
prescrites, l'autorité dont les plébéiens l'avaient investi. Deux ans s'étaient
* Ann. Gemiens. lib. VI, ad an. 1367 î Muratori , t. VI, p. 5a3-5a4- — * • Le pre-
mier de ces nobles flatteurs du peuple, dit M. Sismondi (Histoire des républiquÊt
italiennes , t, III, p. 324, édil. de 1809, Paris), fut Guillaume de Boccanîgra. » — .
• Nobile ei non era, dit M. Serra (t. U, p. 167), ma i suoi antichi avevano padro-
• neggialo moite navi, etc. » D s'est appuyé sur les Famigl Gen<n>. t U, ms. Htt. %S.
DÉCEMBRE 1843. 757
à peine écoulés que la noblesse conspira contre lui , et , au bout de quatre
ans, elle le renversa. Si le peuple avait été assez entreprenant pour mettre
un des siens à la tète de la république , il n'était pas encore assez fort
pour Ty maintenir : on revint donc aux podestats , comme , après Tin-
troduction des podestats, on était revenu quelque temps aux consuls,
parce que rien ne s'établit ou ne disparait d'un seiil coup. Mais la
chaîne de capitaine du peuple, dès ce moment objet de l'ambition
des nobles, fut restaurée d'abord en 126/1^ par les Spinola et les
Doria, qui en prirent tout à fait possession en la70^ après avoir
vaincu dans une bataille de rues lesGrimaldi et les Fiescbi, qu'ils expul-
sèrent de Gênes. Ce qui facilita le triomphe de ces deux familles, ce
fut la position nouvelle où la république se trouvait au dehors. Elle était
en hostilité avec la cour de Rome , qui avait excommunié les Génois
pour avoir concouru à rétablir Tempire grec des paléologues aux dépens
des Latins, et qui avait appelé en Italie la maison d'Anjou. Charles
d'Anjou, déjà comte de Provence, devenu alors roi de Naples et de
Sicile , sénateur de Rome , vicaire en Toscane , menaçait, au nom des
Guelfes , l'indépendance italienne , tout autant que l'avait fait naguère
Frédéric II , au nom des Gibelins , et , de plus, il tenait , en quelque sorte ,
le golfe de Gênes bloqué, entre les côtes de Provence et celles de Tos-
cane et de Naples. La crainte qu'on avait eue de Frédéric avait élevé
les Grimaldi et les Fieschi , la crainte qu'inspira Charles d'Anjou fît
alors triompher d'eux les Spinola et les Doria, Le déplacement du dan-
ger pour Gênes amena de sa partom changement de parti : après avoir
été jusque-là guelfe, elle devint gibeline avec toute la Lombardie.
Uberto Spinola et Uberto Doria furent nommés capitaines du peuple
pour vingt ans, avec la suprême autorité dans la ville et sur son tem-
toire^.Hs choisirent eux-mêmes les podestats, qui furent chargés de rendre
une justice secondaire , et qui n'eurent plus qu'un pouvoir fort limité.
Comme ils s'appuyaient sur le peuple, ils lui accordèrent une sorte de
tribun sous le nom d'abbé^. Uberto Spinola et Uberto Doria , remplacé ,
en 1 286, par son fils Conrad Doria , demeurèrent vingt ans capitaines
du peuple. S'étant fait confirmer pour cinq ans encore dans leur charge,
en ia88, une conspiration, à laquelle prirent part non-seulement les
* Ann. Gennens. lib. Vil; Muratori, I. VI, p. 535. — ' Ilid. lib. IX, p. 55i-55a.
— - ^ t Eisque a popolo in civitate et toto distri<;tu cum mero el mixto imperio omnis
« fuit attri&uta potestas. • Ann, Genuêns, lib. IX; Muratori, t. VI, p. 55a. — * t Post
• autem electi sunt capitanei, videlicet nobili vin D. Obertus Spiocla et D. Obertos
« Auriœ. Eiectos est quoque abhas populi. » Chronicon Januenn Jacobi de Varaginê,
pars VI, c. i; Muratori, t. IX, p. 10-19.
758 JOURNAL DES SAVANTS.
Grimaldi et les Fieschi, mais les Castro, les Embriaci, les Malloai, le»
Picamigli, les Guysulphi, et la plupart des anciennes familles nobles ^
éclata contre eux^ Ils en triomphèrent ; mais, Tannée suivante, ils furent
invités par leurs amis mêmes à déposer le pouvoir, et, sur le vœu qu en
manifesta ie peuple, dont Tascendant croissait chaque jour, il fut décidé
que le capitaine serait pris désormais parmi les étrangers , et que les
fonctions de conseillers, &anziani, ainsi que les autres charges de la
république seraient données moitié aux plébéiens, moitié aux nobles \
Le gouvernement de petits chefs étrangers temp€M:aires était em-
prunté à un autre temps, et ne convenait plus à une situation qu'il
n était pas capable de maîtriser. On en fit deux essais qui échouèrent.
Le premier, tenté de lagi à 1296, se termina par une guerre san-
glante dans Gênes, entre les Guelfes et les Gibelins, qui, demeurés
vainqueurs, nommèrent capitaines du peuple, avec le pouvoir absolu,
Conrad Spinola et Conrad Doria , Tun et l'autre fils des deux anciens
capitaines Uberto Spinola et Uberto Doria ^ : c était un commencement
d'hérédité. Le second, poursuivi de i3oo à i3o6, se signala aussi
par de violentes luttes, et aboutit è Télévation d'Obizo Spinola. Ici se
présente un spectacle curieux, et Ton aperçoit une famille de Gênes
marcher vers cette usurpation de la souveraineté qui changea toutes
les républiques lombardes en seigneuries. Les Spinola visèrent à deve-
nir dans Gênes ce qu'étaient les délia Torre dans Milan, les délia Scak
dans Vérone, les d'Esté dans Ferrare, les Bonnacorsi dans Mantoue;
et l'ambitieux Obizo entreprit de dominer sa patrie. Nommé capitaine
du peuple malgré la famille Doria, qui, jalouse de la grandeur des
^ioola, avait rompu sa vieille alliance aveceiuc, et s'était unie aux
Grimaldi et aux Fieschi, à l'exception de Bernabô Doria, qu'Obizos'é*
tait fait associer parle peuple; ayant vaincu tous ses adversaires, aux-
quels s'étaient joints les Spinola de Saint-Luc, envieux à leur tour delà
puissance des Spinola de Lucoli , dont il était le chef; s'étant défait de
son collègue Bemabô Doria , que le grand conseil avait déposé pour
l'investir lui seul , et durant toute sa vie, du gouvernement absolu dans
Gênes; allié avec le marquis de Montferrat, auquel il avait donné sa
Jille en mariage; soutenu par l'abbé du peuple, personne ne toucha
de plus près que lui à la souveraineté. Comment ne parvint-il pas à s'en
* Ann, GettuMS, lib. X; Muratori, t. VI, p. §97. — * tDareoiur medietas illîs de
t populo, et alia medietas nobilibus. » Ibia. p. 600. Ce partage avait été stipulé k
Milan, en ia58, par le traité de paix de Saint- Ambroise, conclu entre les noUes
et les plébéiens après une guerre acharnée. Corio, //ût Afilan. pars II, p. ii5 v*.
— ^ Uberli Folietœ Genuens, hisL lib. VI.
DÉCEMBRE 1843. 759
emparer, et &t-il renversé d a pouvoir en i3io? La coalition de tous
ses adversaires , sous les efforts desquels il succomba, explique sa chute ,
et donne la solution d'un problème politique intéressant.
En suivant les variations du gouvernement génois dans Touvrage de
M. Vincens, en voyant la perpétuité des luttes intestines et les progrès
•'*- croissants de la démocratie ne pas produire là les mêmes effets qu'ail-
leurs, et le pouvoir y prendre toutes les formes sans en conserver au-
cune , passer de main en main sans jamais s y fixer, on se demande ce
quia pu empêcher la république de Gènes> qui, après avoir épuisé le
i*égime des consuls, des podestats, des capitaines du peuple, se donne
bientôt, et tour k toiu*, des rois pour seigneurs et des doges plébéiens
pour chefs, on se demande, dis-je, ce qui a pu Tempêcher de tomber
sous la domination d'un usurpateur national ou étranger. C'est une
question que j'am'ais aimé à voir traiter par M. Vincens. Elle est d'au-
tant plus digne de la sollicitude de Thistoire, qu'à part Venise , qui a été
sauvée de la destinée commune aux républiques italiennes par la vi-
gueur et la défiance de ses institutions , toutes les autres, qu'elles fussent
manufacturières, maritimes, agricoles, ont abouti, un peu plus tôt, un
peu plus tard , à Tusurpation ; Florence comme Milan , Pise comme Bo^
logne. Grênes en a été préservée aussi, mais ce n'est certes pas par les
mêmes causes que Venise. '
S'il m'est permis de hasarder quelques conjectures à cet ^ard, je
dirai que les causes qui ont maintenu l'indépendance de Gênes, malgré
la mobilité et la faiblesse de ses institutions , sont de plusieurs sortes.
Les unes tiennent à sa position géogr2q)hique et à son existence mari-
time; les autres se rattachent aux éléments mêmes dont se composait
sa population , ainsi qu'à la combinaison particulière de ses forces in-
térieures. La barrière de l'Apennin fermait presque > du côté de la terre,
l'accès de Gênes, que sa puissance et ses ressources mirent d'ailleurs,
pendant le cours du moyen âge, tout à fait en mesure de résister à une
attaque ouverte. Les petits princes du voisinage étaient trop Êdbles ;
les grands chefs militaires du continent étaient trop éloignés pour son-
ger à l'assujettii*. Elle n avait donc pas à craindre d'êti*e conquise. Outre
l'obstacle qu'aurait rencontré une tentative de ce genre dans la nature
des lieux et dans la force d'une république capable d'avoir sur pied des
armées considérables , il s'en serait trouvé un autre dans le caractère
indomptable de ses citoyens, parmi lesquels les hasards, les périb , l'in-
dépendance de la vie maritime, avaient développé au plus haut d^é
la vigueur du courage et l'amour de liberté. Les causes qui s'opposaient
à une conquête extérieure devaient en même temps rendre très^liffidle
760 JOURNAL DES SAVANTS.
une usurpation intérieure , soit de la part d'un étranger appelé à exer-
cer temporairement le pouvoir suprême , soit de la part d'un Génois
parvenu un moment à le saisir ; mais elles n'auraient pas suffi pour rem-
pêcher, comme le prouvent en Italie de mémorables exemples. Afin
d'assurer à Gênes la conservation de son existence indépendante, il fal-
lut peut-être faction d'une autre cause, qui ne se rencontre pas ailleurs,
et qui consbta dans le rapport où se trouvaient entre elles les forces
et fambition des grandes familles génoises.
Les villes dans le sein desquelles il n*y eut qu'une grande famille
convoitant la domination, ou deux grandes familles se disputant l'in-
fluence , fiu^ent exposées à perdre leur liberté par f élévation croissante
de la première ou par la victoire d'une des deux autres. C'est ce qui se
passa presque partout. Il n'en fut pas de même à Gênes. De ce qu'il y
eut dans cette république quatre grandes familles qui purent viser à
fusurpation , il s'ensuivit qu'aucune ne fut capable d'y parvenir. For-
mant deux partis y ayant chacun à sa tête deux de ces familles , il devint
impossible à une seule d'elles de produire un usurpateur, car elle
aurait soulevé contre elle les trois autres , unies dans l'intérêt de la li-
berté et de fambition commune. Obizo Spinola en fit promptement
f expérience. Ce qu'exécutèrent dans Milan les délia Torre et puis les
Visconti, dans Vérone les délia Scala, dans Padoue les Carrura, dans
Mantoue les Bonnacorsi et ensuite les Gonzague , dan^ Bologne les
Pepoli et les Bentivoglio, dans Florence les Médicis, pour ne citer que
les exemples les plus éclatants et les plus connus, ne put pas s'effec-
tuer dans Gênes. Trois familles se ti*ouvèrent toujours en état d'empêcher
la domination d'une quatrième, et toutes ensemble, secondées par mi
peuple épris de sa liberté jusqu'à la passion et au désordre, s'opposèrent
sans peine à f établissement durable d'une seigneurie étrangère.
On le vit, à plusieurs reprises, pendant la période aristocratique qui
s'étendit jusqu'en liig. B en fut de même plus tard dans la période
démocratique, qui comprît de i339 à i5a8, lorsque les quatre
familles nobles des Spinola, des Doria, des Fieschi, des Grimaldi,
eurent été exclues du gouvernement, et que les deux familles plé-
béiennes des Adorno et des Fregoso s'en disputèrent à leur tour la pos-
session. Pour être écartées des bautes magistratures, les qualre glandes
familles aristocratiques ne disparurent point de la scène, comme s'é-
clipsèrent, dans les autres villes, les anciennes familles dépossédées. Si
elles perdirent leur position politique dans Gênes, elles y conservèrent
leur prépondérance sociale. Elles gardèrent la direction des finances ,
firent partie du sénat , continuèrent à fournir des amiraux à la repu-
DÉCEMBRE 1843. 761
blique , et entretinrent leur influence par ]e commerce et la navigation.
Après deux cents ans d^ostracisme , on les voit, au seizième siècle, pos-
séder des flottes et se montrer aussi puissantes qu'avant. Saiîs profiter des
mouvements qui s'accomplirent dans leur pays, elles y concoururent
jf^ se plaçant, tantôt derrière les Âdomo, tantôt derrière les Fregoso.
Les éléments intérieurs propres à empêcher l'usurpation dans Gênes
se trouvèrent ainsi accrus, puisque aux quatre familles nobles se joi-
gnirent deux familles plébéiennes pour y mettre obstacle , et que les
forces furent encore mieux balancées de part et d'autre. C'est le conflit
et le balancement de ces forces paiticulières qui firent la turbulence
et la sûreté de Gênes. Ils produisirent ses agitations sans cesse renais-
santes et ses ussujettissements toujours momentanés, et ils servent à
expliquer des inconséquences apparentes, qui prenaient leur source
dans 1 ambition mobile des citoyens et dans le double besoin d*ordre
et de liberté qu'éprouvait alternativement la république. Suivant qu'elle
cédait à l'un ou à l'autre de ces besoins, elle semblait se précipiter
vers l'asservissement ou vers l'anarchie. Lorsqu'elle avait été trop trou-
blée, elle concentrait le pouvoir en nommant un capitaine du peuple ,
un seigneur, un doge ; lorsqu'elle craignait d'être trop dominée , elle
renversait ceux qu elle avait pris un moment pour maîtres. C'est ainsi
que Gênes se donna souvent et ne se soumit jamais.
Quelle que soit la valeur de ces explications , toujours est-il que les
révolutions se succédèrent dans cette ville sans qu'elle s'en trouvât fa-
tiguée ou qu'elle en sortît asservie. Après la chute et l'exil de l'ambi-
tieux Obizo Spinola, les Génois se placèrent, pour la première fois , sous
le régime seigneurial : ils donnèrent en 1 3 1 i , et pour vingt ans , la sei-
gneurie de leur ville à l'empereur Henri VII, qui la conserva peu, la
mort l'ayant enlevé à ses desseins sur l'Italie en 1 3 1 3. Des guerres san-
glantes éclatèrent alors entre les quatre grandes familles, et durèrent,
avec diverses vicissitudes , jusqu'en 1 3 1 8 , où les Fieschi et les Gri-
maldi, ayant divisé adroitement les Spinola et les Doria, dominèrent
dans Gênes. Comme ils n'auraient pas été assez forts, s'ils n'avaient pas
été soutenus par le chef de leur opinion en Italie , ils ramenèrent la
ville du parti gibelin au parti guelfe, et firent nommer le roi Robert
de Naples seigneur de la république, d'abord pour dix, ensuite pour six
ans. Cette seigneurie étrangère, avant le terme de laquelle les Gibelins
étaient rentrés après douze ans d'exil et de guerre, et avaient pu bien-
tôt donner pour capitaines à la république Raphaël Doria et Galeotto
Spinola de Lucoli, fut bientôt suivie d'une révolution décisive, vej^s
laquelle on marchait depuis longtemps.
96
762 JOURNAL DES SAVANTS.
Le peuple, qui, en i Qay, avait secondé Tentreprise un peu démocrsh-
tique de Guillaume de Mari, qui, en i tîSy, avait nommé capitaine de
la ville le plébéien Guillaume Boccanegra, qui, vers 1270, avait ob-
tenu la création d'un tribun, sous le nom dabbé, qui, en lago, avait
introduit les plébéiens, par moitié, dans toutes les magistratures de la
république, le peuple, de jour en jour plus puissant et plus las de la
domination des familles nobles, fonda, en iSSg, une administration
purement démocratique. Réuni pour élire Yabbé chargé de la protection
de ses intérêts, il plaça Tépée de la i^épublique entre les mains de
Simon Boccanegra , arrière-neveu du premier capitaine du peuple resté
cher à ses souvenirs, et le nomma doge y empruntant cette fois à Venise
le titre de sa suprême magistrature. Je renvoie au livre de M. Vincens
pour les détails curieux et les suites importantes de cette révolution po-
pulaire, qui, entreprise en 1 33 9, ne se consolida qu'en i354, par le
retour sur le trône ducal de Simon Boccanegra , que la noblesse avait con-
traint d en descendre en 1 345. Dans cet intervalle de dix années , Bobca-
n^ra avait été successivement remplacé par deux nobles obscurs , mais
modérés, Jean de Murta et Jean de Valente , qui furent les derniers re-
présentants de leur ordre placés à la tête du gouvernement de Gênes.
« L'établissement du premier doge , dit M. Vincens , est l'installation dé-
finitive de la bourgeoisie au pouvoir. Alors finit réellement le règne de
la noblesse. Aucune incapacité, il est vrai, ne fut prononcée, au pre-
mier moment, contre les nobles gibelins individuellement; mais, hucniliés
et révoltés , ils s'attirèrent l'interdiction , pour tout noble , bientôt de la
dignité de doge, ensuite de la première place du gouvernement, sous
quelque nom qu'elle fût déguisée, exclusion qui, devenue la première
loi traditionnelle de la répuUique, a duré cent quatre-vingt-dix ans. »
Cette révolution démocratique, analogue à celles qui s'étaient déjà
accomplies, le siècle précédent, dans les républiques lombardes et
dans les républiques toscanes , et qui avaient fait tomber les premières
de ces républiques sous le joug de petits tyrans, les secondes sous le ré-
gime des marchands et des gens de métier, donna une instabilité inouïe
au gouvernement de Gênes. La souveraineté de la démocratie génoise
ne fut pas régularisée comme à Florence, à Sienne, etc. où des institu-
tions en organisèrent l'exercice par l'administration des prieurs des arU
et de la liberté^ y renouvelée tous les deux mois, et en tempérèrent les
effets à l'aide de la dictature fréquemment employée de la BaUe, Elle
En 1283. Ces prieurs, qui, au nombre de six, formaient la seigneurie,
étaient tirés au sort sur une liste d*éligibles, et ne pouvaient faire partie de ce
coUége souverain que deux ans après en être sortis, en vertu de la lof du dwieto^
DÉCEMBRE 1843. 7«3
ne fut pas détruite par ses excès comme à Milan , à Plaisance , à Padoue ^
k Bologne, où la domination de la multitude conduisit à la domination
dun seul. Mal constituée, ayant à sa tête des^ chefs perpétuels incapables
de se maintenir sur le trône ducal, où aucun d'eux ne put rester long*
temps, livrée aux intrigue» incessantes des ambitieux, aux movivements
tumultueux des partis, aux inconstances multipliées de la foule, elle
s exerça surtout par Tinsurrection , et les révolutions furent en quelque
sorte son état normal.
Le doge, nommé à vie, n'avait pour toute force qu'une garde de
vingt-cinq hommes d'armes. 11 était électif, et devait se conduire d Câ-
pres Tavis dun collège d'anziani, qui formaient, en quelque sorte, son
conseil privé. Ils présidaient, avec double suffrage, la credenza, ou le
petit conseil, composé de quarante membres, et qui intervenait dans
la délibération des affaires graves, ainsi que dans le choix des amiraux.
Ils présidaient également, et avec le même privilège de deux suffrages,
le grand conseil, dont faisaient partie trois cent vingt membres, parmi
lesquels étaient depuis longtemps les anziani, les deux consuls de
chaque métier, des députés du tervitoire et des colonies , des élus de la
masse du peuple , et qui décidait de la guerre , de la paix , et concluait
les traités. Au-dessous de ces pouvoirs politiques, étaient: le collège des
officiers de la monnaie, qui géraient les finances; les suprêmes syndica-
teurs , auxquels étaient confiés la surveillance et le jugement des autres
magistratures; le podestat , toujours étranger, docteur en loi , de famille
patricienne, chargé , avec ses vicaires, de rendre la justice dans Gênes
et sur son territoire; les proviseurs , qui avaient la police de la ville et
l'indication des dépenses publiques; les officiers de la Romanie, qui ad-
ministraient les colonies de Péra et de la mer Noire; les officiers de la
marchandise, qui formaient un tribunal de commerce; enfin les con-
suls de la raison , qui prononçaient sur les différends de moins de
cent livres, et étaient des espèces de juges de paix.
Ce mécanisme légal du gouvernement, qui était déjà ancien , et que
le doge Georges Âdomo s'attacha à régulariser en 1 4 1 3 ^, fut dérangé
fréquemment par les ambitions privées et la violence populaire. On
sentit sa faiblesse dès le début du régime nouveau , et les doges nommés à
vie passèrent avec une mobilité effrayante du trône ducal à Texil. Gabriel
^ Lorsqu^en i3i8 les Padouans décernèrent la seigneurie de leur ville à la mai-
son de Carrara, ils fondèrent cette révolution sur Vahus de plébiscites, qui les condui-
sait à une ruine certaine, Ferretus Vicentinus, Hb. VII, p. 1 179. — * Leges antiquœ
Januens. ms. des archives de Gènes; M. Serra, t. III, p. 88, et M. Vincens, t. II,
p. 174 à 178.
96.
764 JOURNAL DES SAVANTS.
Adorno, qui avait succédé, en 1 363, à Boccanegra, fut renversé, en i Sya,
par Dominique Campo Fregoso, que remplaça et fit bannir, en iS-yS,
Nicolas de Guarco, auquel le même sort fut réservé en i383, où Iiéo-
nard Montaldo prit sa place, qu'occupa, en i384, Antoniotto Adorno.
Celui-ci, dans l'espace de dix ans, fut expulsé et revint trois fois. L'in-
tervalle qui s'écoula entre ses fuites et ses retours fut un temps d'ex-
trême anarchie, pendant lequel Gênes, gouvernée par Jacques Fregoso
et par Montaldo, eut, en outre, des doges de quinze jours, de trois jours,
d'un jour, et vit même deux compétiteurs tirer au sort la suprême ma-
gistrature. Après sa troisième élévation sur le trône ducal , Antoniotto
Adorno, comprenant qu'il n'y serait pas avec plus de sécurité qu'aupa-
ravant, mit, en i3g6, avec l'assentiment du peuple fatigué des troubles
et des ambitions, la république sous la seigneurie du roi de France,
Charles VL
La cour de France commençait à intervenir dans les affaires d'Italie,
où le duc d'Orléans avait acquis Asti , par son mariage avec Valentine
de Milan , fille de Jean Galeas Visconti, qui s'était rendu maître de toute
la Lombardie, et où la seconde maison d'Anjou luttait pour la possession
du royaume de Naples. Éloignée bientôt par ses propres et longues
guerres civiles de ce dangereux pays, vers lequel elle ne tourna se"-
rieusement ses desseins et ses armées qu'à la fin du siècle suivant,
cette cour se laissa alors engager un moment dans les intrigues et dans
les querelles italiennes. Déjà, trois années avant qu' Antoniotto Adorno
livrât la souveraineté de Gênes à Charles VI, les nobles, dépossédés du
pouvoir, avaient entamé une négociation secrète avec ce prince, auquel
ils avaient offert aussi la seigneurie perpétuelle de leur ville, à condition
qu'il les y rétablirait en les investissant de leur ancienne autorité. Ainsi,
la noblesse comme la bourgeoisie , les Fieschi, lesGrimaldi, les Spinola,
les Malocelli, les Lomellini^, comme les Adorno, ne songeaient plus qu'à
placer leur pays sous une domination étrangère , afin de gouverner plus
aisément , et tous à l'envi s'adressaient à ce royal insensé qui ne pou-
vait pas porter sa couronne, et qui devait lui-même, au préjudice de sa
race, la placer sur la tête d'un monarque étranger. M. Vincens a retracé
ces curieuses négociations d'après les documents originaux , déposés aux
archives du royaume et restés inconnus jusqu'ici aux historiens génois.
Cette partie de son ouvrage présente des faits nouveaux. La nature des
^ M. Vincens a donné pour la première fois la substance de cette négociation ,
engagée en février iSgS, et dont Tinstrument original, signé de tous ces grands
noms , est déposé aux archives du royaume. La copie s* en trouve aussi dans le vo
lume 1 59 de la collection Dupuy , ms. de la Bibliothèque royale.
DÉCEMBRE 1843. 765
rapports qui s établirent depuis lors entre Gênes et la France , et qui
durèrent plusieurs siècles avec quelques intermittences et sous diverses
formes, les conditions auxquelles Tune fut, à plusieurs reprises, gouvernée
par l'autre \ les causes qui conduisirent cette ville inquiète à reprendre
et à reperdre son indépendance, y sont exposées avec exactitude et
appréciées avec sagesse.
Nous renvoyons, pour les bien connaître, nos lecteurs au livre de
M. Vincent. Nous les y renvoyons aussi pour y trouver les raisons et y
suivre les mouvements de ces brusques et fréquents passages d'une sei-
gneurie étrangère à une administration nationale , qui remplissent alter-
nativement toute la période entre 1896 et iSîS, et qui rendent éga-
lement éphémères la puissance des gouverneurs seigneuriaux et des
doges républicains. Us y verront la domination de Charles VII , tour à
tour exercée par Antoniotto Adorno, Valeran de Luxembourg, comte
de Saint-Paul, le chambellan Colard de Carville, et le fameux maréchal
de Boucicaut, y durer à peine onze ans, brisée deux fois entre les mains
des deux derniers gouverneurs par suite de la faiblesse de fun et malgré
la vigueur de l'autre. Ils y verront les conflits d'ambition renaître , après
le renversement de l'autorité française, entre le marquis de Montferrat ,
président très-momentané de la république, les doges Georges Adorno,
Bemab6 Guano, Thomas Fregoso, qui s'aiTachent le pouvoir de 1/109
à 1 &2a , et ces conflits conduire à la seigneurie du duc de Milan Phi-
lippe-Marie Visconti, déjà maître de la haute Italie. Ils y verront la
domination milanaise, exercée parle comte de Carmagnola et par Érasme
Trivulzi, n'être pas supportée plus de quatorze ans, et, en 1 436, les que-
relles armées recommencer, pour la possession du trône ducal, entre
Thomas Fregoso, Raphaël et Bernab6 Adorno, Janus, Louis et Pierre
Fregoso, jusqu'en 1 469, où ce dernier négocia avec Charies VII le ré-
tablissement de l'autorité française, qui, cette fois, ne se maintint pas
dans Gênes au delà de deux ans. Ils y verront les plus violents désordres
succéder à l'expulsion du gouverneur La Vallée et de ses hommes
d'armes; Pierre Fregoso tué en cherchant à redevenir doge; ses deux
frères, Louis et Paul, après avoir renversé du trône ducal Prosper
Adorno, y monter et s en précipiter chacun trois fois; Louis XI, au-
quel les Génois , dans leur détresse anarchique , oflraient la dangereuse
' Les actes relatifs à la seigneurie de Charies VI sont en original aux archives
du royaume, en copie dans le volume 169 de la collection Dupuy. Ceux que les
Génois conclurent, en 1^57 , làbS et i46o, avec le duc de Calabre et Charies VII .
et plus lard avec Louis XI, Louis XII et François 1*, se trouvent au même dépôt
ou dans les volumes i56 et 453 de Dupuy.
^i:
766 JOURNAL DES SAVANTS.
soumission qu'ils avaient promise et retirée à son père et à son sâeul, la
refuser sagement et leur répondre que, s ils se donnaient à lui, lui les
donnait au diable. Ce prince habile et prévoyant, auquel Guichardin
donne Téloge mérité davoir toujours examiné le fond des choses sans
jamais s être laissé surprendre par l'apparence , et davoir ainsi rejeté
toutes sortes d'expéditions en Italie , comme pernicieuses à la France et
pleines de difficultés ^ évacua en effet Savone, où il avait garnison,
et céda ses droits sur Gênes à François Sforza. Depuis i464 jusqu'en
1499, sauf une interruption de dix ans, durant laquelle les Fregoso
et les Adorno se disputèrent de nouveau, de 1/178 à i4&8, la su-
prême magistrature, les Sforza, dont la maison avait succédé à celle
des Visconti dans le duché de Milan, administrèrent la république de
Gênes par des gouverneurs ou des vicaires.
• Cette situation se prolongea en s'empirant dans le premier quart
du xvï* siècle. En i txQtx , Charles VIII, moins sage que son père, descen-
dit en Italie pour revendiquer le royaume de Naples, comme héritier
des Angevins, et, en 1 A99 , Louis XII ajouta aux prétentions de son pré-
décesseur celles qu'il s'attribuait sur le duché de Milan, comme héri-
tier des Visconti. La longue guerre qui s'engagea, à cette occasion, dans
la «Péninsule, entre les grandes monarchies militaires du continent,
influa, par ses vicissitudes, sur les destinées de Gênes. Soumise à
Louis XII en 1/199, i^^voltée contre lui en i5o6, prise et assujettie par
lui en 1 607, Gênes secoua de nouveau le joug de ce prince en 1 5i a ,
après la bataille de Ravenne, pour nommer doge Janus Frégoso, que
renversa, en 1 5 1 3 , Antoniotto Adorno qui avait traité avec Louis XII,
mais qui fut presque aussitôt culbuté lui-même par Octavien Frégoso,
que l'assistance victorieuse des Espagnols porta sur le trône ducal,
après la bataille de Novarre. Octavien Frégoso ne resta point fidèle à
ceux qui l'avaient élevé, et, après la bataille de Marignan , se tournant
du même côté que la fortune, il se donna à François I", qui le fit gou-
verneur perpétuel de Gênes. Mais rien n'était perpétuel dans Gènes.
Prise d'assaut,. en i5a2, par les Espagnols, après leur victoire de la
Bicoque, elle reçut de leur main Antoniotto Adorno pour doge. Les
Français, ayant acquis de nouveau, en 1527, la supériorité qu'ils pa-
raissaient avoir perdue à jamais, en iS^S, par le désastre de Pavie, y
placèrent comme gouverneur Théodore Trivulzi, auquel André Doria,
en 1 5^8 , enleva, les armes à la main , l'administration de sa patrie pour
la rendre sagement libre et définitivement indépendante.
^ Guicciard. 1. 1, liv. 1, an lAgS.
DÉCEMBRE 1843. 767
Le moment était favorable à rcxécution de ses beaux desseins. Cent
quatre-vingt-neuf ans s'étaient écoulés depuis la révolution qui avait
mis les plébéiens à la tcte de la république, en fondant le régime ducal
en leur faveur. Sur ces cent quatre-vingt-neuf années, il y en avait eu
environ' quatre-vingts d'occupation étrangère , et cent neuf d'anarchie
intérieure. Plus de quarante doges avaient pris en main le gouverne-
ment de Gênes , sans pouvoir le conduire et le garder. Presque tous
s'étaient élevés violemment et étaient totnbés de même. On était encore
plus las, en 1828, de la domination populaire, qu'on ne l'avait été,
en iSSg, de la domination aristocratique. La haute bourgeoisie sem-
blait trouver enfin que son ambition était aussi désastreuse pour elle
que pour sa patrie. Elle avait été, d'ailleurs, effrayée des excès et des
empiétements des classes inférieures, qui, après l'avoir aidée dans ses
luttes contre l'ancienne noblesse, demandaient à leur tour de parti-
ciper à la conduite et aux avantages du gouvernement. Le progrès na-
turel du principe démocratique avait rendu celles-ci un moment maî-
tresses de rttat en 1 5o6. A cette époque, les artisans de Gênes avaient
nommé doge le teinturier Paul de Novi, comme ceux de Florence
avaient, en 1878, proclamé gonfalonier de la justice le cardeur de
laine Michel Lando. La domination des artisans n'avait eu une longue
durée ni à Florence, ni à Gênes. L'aristocratie bourgeoise l'avait répji-
niée dans la première de ces villes, et l'autorité française dans la se-
conde. Mais les prétentions et le succès momentané de la démagogie
avaient disposé les bourgeois de Gênes à se séparer de la multitude,
sans laquelle ils ne pouvaient pas se maintenir contre la noblesse, et à
se rapprocher de la noblesse, sans la coopération de laquelle ils ne
pouvaient pas gouverner contre la multitude. Il s'était développé depuis
lors un ardent désir d'union entre ceux qui avaient gouverné jusqu'en
1 339 et ceux qui avaient gouverné depuis. Mais il fallait qu'im homme
grand par son caractère et par ses actions , capable de protéger sa patrie
au dehors et de la constituer au dedans , se chargeât d'accwnplir une
œuvre encore aussi difficile. C'est ce que fit André Doria.
Il appartenait à cette vieille et puissante famille qui avait donné
tant de chefs à l& répubhque, et l'avait illustrée par les glorieuses vic-
toires navales de la Meloria, de Corzola, de la Sapienza, dePola, de
Chioggia, qu'avaient gagnées, sur les Pisans au xni* siècle, et sur les
Vénitiens dans le cours du xiv* siècle, Uberto, Lamba , Pagan, Lucien
et Pierre Doria. André avait continué et égalé ces grands hommes de
mer, car il rendit François 1" et Charles-Quint tour à tour vainqueurs
dans la Méditerranée , suivant qu'ils l'eurent fun ou l'autre pour ami-
768 JOURNAL DES SAVANTS.
ral. Ami d'Octavien Frégoso, il avait quitté Gênes avec ses galères, lors-
que Octavien en avait été chassé par les Espagnols , et il avait embrassé
la cause de François I*', qui ne sut pas le garder à son service. Ce prince
entreprenant, mais imprévoyant, ne tint aucun compte des promesses
qu'il avait faites à André Doria , quoique celui-ci fut resté fidèle à sa
mauvaise fortune après la défaite de Pavie, et se fût alors mis à la solde
de son allié le pape Clément VII. Non-seulement il ne lui paya point les
36,OQo écus qu il devait lui donner pour Tentretien de ses galères , mais
il humilia le fier Génois , en confiant à un autre que lui Texpédition de
Catalogne, en 1 5^8. Avant de rompre les liens qui rattachaient à Fran-
çois I*', André Doria lui écrivit une lettre fort noble et fort importante ,
découverte et publiée par M. Vincens.
«Sire, lui dit-il, il vous a plu m^établir votre lieutenant général sur
votre armée de mer -. je ne veux pas dire que je Tai mérité; mais vous
savez que, pour entretenir un tel état, vous ne m avez donné un seul
écu.... , et maintenant dites par votre lettre que ne. me pourrais trouver
en ladite entreprise de Catalogne , pour la distance d*ici en Provence.
Je n*ai trouvé aucun voyage difficile quand il y a eu apparence de bon
etfet, et temps disposé à l'exécution encore Si veux bien dire, no-
nobstant que j'aie la barbe blanche, ne se trouvera personne ayant la
connaissance et le vouloir meilleur de moi; et m'est donné occasion de
penser que vous ne vous souciez de mon service. Selon ma possibilité ,
me suis instamment employé le plus loyalement que j'ai pu, sans y
épargner corps et biens , que me peuvent témoigner plusieurs de vos
serviteurs, mêmement vos ennemis : au moyen de quoi trouve bien
étrange cette chose par laquelle puis juger que vous n'avez acceptable
mon service. Mais, puisque ainsi vous plaise. Dieu me donne patience ;
joint que n'est donné ni fait démonsti^ation de donner ordre à ce dont
je vous ai tant de fois fait requête pour subvenir à l'urgente nécessité où
je me trouve , à cause de la grande cherté des vivres, qui est deçà , pour
laquelle je ne puis, sans être entièrement satisfait , fournir à l'entrelè-
nement m mes galères. — Vous supplie de me donner libéralement
congé, lequel, pour les raisons ci-dessus, prendrai autant à gré que si
vous me faisiez satisfaction de tout ce que m'avez fait* promettre, tant
parlcttres, messagei^s, qu'autrement; et, si votre plaisir n'est tel, à tout
le moins. Sire , vous plaise députer un autre chef à vos galères *. »
Cette lettre était altière; François I*' la crut menaçante. Il donna
l'ordre secret d'arrêter André Doria , qui en fut instruit et se mit en
* Ms. de la Bibiiothèqae royale, collection Dupuy, vol. ^53.
DÉCEMBRE 1843. 769
sûreté. Sollicité depuis longtemps de passer au service de Cbarles-
Quint, il y consentit. Alors l'empereur lui offrit le pouvoir suprême
dans son pays; mais il aima mieux en devenir le libérateur que le
maître, et il stipula noblement, comme condition de ses services, que
Cbarles-Quint n attenterait jamais à Tindépendance de Gênes. Lorsque,
les armes à la main , il eut chassé de sa ville natale le gouverneur de
François I", Théodore Trivuki, il refusa d'occuper le palais public, où
voulait le conduire le peuple, et il fit convoquer un parlement pour
constituer la république d'après le projet d'union. Le la septembre
i5a8, on arrêta, dans cette assemblée, la liste de tous les citoyens
capables du gouvernement, sans distinction de nobles et de plébéiens.
Les familles inscrites sur cette liste, qui fut le-iivre d'or de Gênes, fon-
dèrent le nouveau patriciat chargé d'administrer la république. Des
cent cinquante races qu'avait comptées l'ancienne noblesse, il n'en res-
tait plus que trente-cinq, tandis qqe les races plébéiennes admises aux
magistratures s'élevaient à plus de quatre cents. Âfm que le grand
nombre des unes ne détruisit pas l'égalité pour les autres, on forma
vingt -huit alliances ou alberghi, qui furent des familles politiques dans
lesquelles on enrôla, sous vingt-huit» noms, les quatre cent trente-cinq
familles naturelles. On décida que les vingt-huit familles, qui se com-
poseraient au moins de six branches, donneraient leurs noms aux vingt-
huit alberghi. On en trouva vingt -trois de l'ancienne noblesse et cinq
de la noblesse plébéienne. ..Tous les citoyens aptes aux magistratures
portèrent les noms des familles politiques auxquelles ils furent afliliés,
ce qui multiplia extrêmement les Grimaldi , les Spinola , les Doria , etc.
Le gouvernement fut partagé eptre elles. Devenu réellement électif, il fut
confié à un doge nommé tous les deux ans , sous les garanties les mieux
entendues, et à un sénat de huit membres, chargé de le seconder et
de le sm^yeiller dans l'exercice de la puissance publique. Un collège de
procurateurs eut la direction supérieure des finances, et un tribunal de
dnq censeurs, toujours appelés syndicatean suprêmes, fut investi du droit
redoutable déjuger les procurateurs, les sénateui's, le doge, lorsqu'ils
sortiraient de charge. Tous les magistrats furent élus à temps et au
scrutin, ou par le grand conseil dépositaire de la souveraineté nationale,
ou par le petit conseil, dans le sein duquel se concentraient les affaires
d'Etat. Le premier de ces conseils dut avoir quatre cents membres, et le
second cent, tirés annuellement, par le sort, de Turne qui contint tous
les noms des nouveaux patriciens de la république reconstituée. Tiellp
fut la révolution accomplie en iSsS, sous Tinspinitiôn et avec l'appiû
d'André Doria, que Gênes reconnaissante déchira préiîdeBt jivie dés
97
770 JOURNAL DES SAVANTS.
syniicateurs suprêmes , en lui élevant un palais sur la place de Saint*
Mathieu, de tout temps habitée par ses ancêtres, et en lui décernant
le titre de fondateur de la liberté.
Après avoir présenté avec clarté la succession confuse des doge»
plébéiens depuis i33g jusquen i5a8, M. Vincens a exposé d*une ma-
nière intéressante les préparatifs, les incidents et les résultats de cette
dernière révolution, a L'édifice qu'elle éleva , dit-il , n*a croulé que de
nos jours, après deux cent vingt ans, non pas de ^oire, le temps de
la gloire et des progrès était passé pour Gênes « mais de stabilité et
de repos. » Dans un dernier article , nou6 montrerons les suites de ce
grand changement, et nous examinerons, d'après Touvrage de M. Vin«
cens, rhistoire extérieure de Gênes, ainsi que ses établissements colo-
niaux et ses vicissitudes commerciales.
MIGNET.
NOUVELLES LITTÉRAIRES,
INSTITUT ROYAL DE FRANCE.
ACADÉMIE FRANÇAISE.
M. Casimir Delavigne, de TAcadémie française, est mort le la décembre i843.
ACADÉMIE DES SCIENCES.
M. Morin a été tiu, le 18 décembre, dans ]a section de mécanique, en remplie-
can^nt de M. Coriolis, décédé.
LIVRES NOUVEAUX.
FRANCE.
Rapport de M, Cousin, membre du conseil royal de Tinstraction publique* prési-
dent du concours ouvert, en i8&3« pour diverses places d*agrégés de puilospphie
près les facultés des lettres du royaume • suivi des disserlations de If M. Emile
Saisset et Amédée Jacques, faites sous les yeux du jury dans ledit concours. Paris,
imprimerie et librairie de Paul Dupout et de Jules Delalain, i843, in-8* de
3a pages. — Les deux disserlations annoncées dans le titre de cette brochure ont
égdement pour sujet cette question : Ce qu'il y a de vrai, ce qu'il y a de faux dans
la morale stoïcienne. Faites, selon le vœu des règlements, en dix heures, sans le
secours d*aucua livre, d'aucune note, elles étonnent véritablement par Tétendue
et la sûreté du savoir, la solidité des idées , le talent de Texposition. Ainsi que le
beau rapport qui les précède, et qui constate les succès divers obtenus dans la triple
épreuve de la composition , de Tàrgumentation et de la leçon , par M. Lorquet
paftleolièrement, pkr MM- Henné, Jourdain et Lefranc, elles portent, en &vear
de Venseigaemeat philosophique donné pari'univenilé die France,, un témoîgfBage-
/
DÉCEMBRE 1843. 771
précieux, et qui a, en ce moment, nn intérêt de circonstance. On peut en dire autant
des écrits nombreux dont nous allons donner la liste. Composés récemment pour
les épreuves du doctorat dans la faculté des lettres de Tacadémie de Paris , ils ho-
norent a la fois les doctrines philosophiques et les principes littéraires professés
dans nos écoles par les plus distingués de nos jeunes maîtres. On retrouvera dans
ces titres plusieurs des noms que mentionne, en termes si favorables, le rapport
de M. Cousin.
Ecole de Mégai*e, par Désiré Henné. Bourges, imprimerie de Manceron; Paris,
librairie de Joubert, i843, in-8* de a48 pages.
De Cœsare rerum a se gestarum scriptore, par le même. Chez le même., Paris,
i843, în.8*.
Leibnitii jmdiciiun de nonnullis Baylii sententiis, etc. par L. Lefranc. Paris, im-
primerie de Fain et Thunot, i8â3, in-8* de 19 pages.
De la entique des idées platoniciennes par Aristote, par le même. Bordeaux, impri*-
merie de Lavigne; Paris , librairie de Joubert, i8il3 , in-8'' de ao3 pages.
De controversis quibusdam Anaxagorœ doctrinis, par E. Bersot. Paris, imprimerie
de Fain et Thunot, i843, in-8* de 37 pages.
Doctrine de saint Augustin sur la liberté et la Providence, par le même. Paris, im»
primerie de Fain et Thunot, librairie de Joubert, i843, in-8* de a5d pages.
De Entelechia apud Leibnitium , par Ad. Bertereau. Paris , imprimerie de Fain et
Thunot, librairie de Joubert, i843, in-8** de 63 pages.
Leibnitz considéré comme historien de la philosophie, parle même. Chez les mêmes,
Paris, 1843, in-8*de i4o pages.
De summa providentia res humanas administrante quid sensennt prioris Eceluim
scriptores, et qumfaerit apud eos hujus doctrinœ fortuna et incrementum, par S. R.
Taillandier. Paris, imprimerie de Crapelet, i843, in-8* de 64 p^g^-
Scot Erigène, par le même. Strasbourg, imprimerie et librairie de Berger-Le-
vrault, 18&3, in-8* de 334 pages.
Quid in libris M. Terentii Varronis de re rustica ad litter€u attineat, par A. Fremy*
Paris, imprimerie de Foumier, i843, in-8** de 46 pages.
Essai sur les variations du style français au xvii' siècle, par le même. Même im-
primerie, Paris, 1843, in-8* de 3a 3 pages.
De homericorum poematum origine et unitate , par £. Havet. Paris, imprimerie de
Crapelet, i843, in-8' de 67 pages.
De la rhétorique d* Aristote, par le même. Même imprimerie, Paris, i843, in»8*
de i3i pages.
D. Augustini et Sahiani jadicia de suorum temporum caltunitatibus , par C. H. Ver-
dière. Paris, même imprimerie, i843, in-8'' de 47 pages.
Essai sur Mneas Synius Piccohmini, par le même. Même imprimerie, Paris,
1843, in-8* de i65 pages.
Quant utilitatem cofferat ad historiam sui temporis illustrandam rhetor Aristides,
par A. C. Dareste. Paris, imprimerie de P. Dupont, i843, in-d" de 4o pages.
• Thamas Morus et Campanella, ou Essai sur les utopies contemporaines de la re-
naissance et de la réforme, par le même. Même imprimerie. Pari», i843, îii-'S*
de 68 pages.
Parmi œs dix -huit thèses, toutes dignies d'attention et d'intérêt, et dont plu-
sieurs sont des ouvrages considérables , on a paru distinguer plus ptArticnlièfement
les travaiir de MM.'Henne.^TAÎllaif^r, et surtcmt de MM. Bersot et Havet, sur
rÉcoledeM^«#e,-fi%MRt«gêiiei'^ifk«A«igti8tinet Arfistote. ./.;
97-
772 JOURNAL DES SAVANTS.
. in ' ■ » ^ ■ ■ I I II ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ I I. I iC
«4*»
TABLE
DBS ARTICLES BT DES PRINCIPALES NOTICES OU ANNONCES QUE CONTIENNENT
LES DOUZE CAHIERS DU JOURNAL DES SAVANTS, ANN^E 1 843.
I. LITTÉRATURE ORIENTALE.
Géographie d*Edrisi, traduite de Tarabe en français, d*après deux manuscrits de
ia Bibliothèque du Roi, et accompagnée de notes, par M. P. Amédée Jaubert, etc.
Ipmrimerie royale, in 4*- Tome I", i836; tome II, i84o. i* article de M. Qua-
tremère, avril, ao5-3i7; 3* et dernier article, août, 468-48).
Théâtre chinois, ou choix de pièces de théâtre composées sous les empereurs
mongols.. . . par M. Bazin aîné, i vol. in-8'. Imprimerie royale, i838. — Le Pi-pa-
ki ou histoire du luth, drame chinois. . . . par le même, i vol. in-8% Imprimerie
royale , i84i. 3* et dernier article de M. Magnin. Janvier, 39-43* (Voir, pour les
pfnicédents articles, mai et octobre i843.)
Mirchondi historia Seldschukidarum edidit. . . . Jo. Âug. Vullers. Gisss
1837, in-8'. — Mirchond*s geschichte der Seldschuken .... von Jo. Aug. Vullers.
Giessen, 1837, in-8'*. i" article de M. Quatremère, mars, 170-186; 3* artido,
juillet, 385*4o3.
Le livre des vois , par Abou Ikasim Firdousi , publié , traduit et commenté par
Jules Mohl. Tome II. Imprimerie royale, i843. 1" article de M. Quatremère. Oc-
tobre, 577-598.
Mélanges posthumes d'histoire e\ de littérature orientales, par Abd Rémusal.
Imprimerie royale, i843, in-8' de iy-471 pages. Mars, 190.
Ramayana, poema indiano di Valmici. . . . per Gaspare Gorresio. . . . Tome I*'.
Paris, Imprimerie royale, i84o, in-8* de cxLni-364 pages. Août, 5 10.
Bibliothèque asiatique et africaine par H. Ternaux-Gompans. Paris, i843,
in-8* de 347 page*- Février, 13 3.
A Grammar of tlic hindustani language , by Jolm Shakespear, fourth édition. . . , «
London, i843, in-4° de 307 pages. Juin ,^83.
Lexicon manuale hebraïcum et chaldaîcum auctor J. B. Glaive. Editio altéra.
Paris, 1843, in-8' de 734 pages. Octobre, 639.
Maghas tod dis Ciçupala, La mort deCiçupala, épopée tirée du sanscrit, traduit
parle docteur G. Schûtz. Bielefeld, i843. 1" livraison, pages i-i44. JuiUel , 447-
fl. LITTÉRATURE GRECQUE ET ANCIENNE LITTÉRATURE LATINE.
> L art de la rhétorique d^Aristote traduit en français par G. Minoîde Mynas.
Paris. -^ STNATûrH TEXJNQN, sive artium scriptores, ab iniliis usque ad editos
Arislotelis libros. Composuit Leonardus Spengel. Stuttgard, 1838, 3* artide 4e
M. Rossignol. Février, 103-1 19. (Voir, pour les pi^cédeiUs articles, octobre, i&io,
septembre, 1843.)
,. Scriplorum grscorum bibliotlieca. Parisiisr, editore Ambrf>iio finyi.. Dâdot
Tome AlV ei XV. 1* artide de M. Lelronoe. Septembre, âa4-543». !/ ,♦ . î .
DÉCEMBRE 1843. 773
Etudes sur les tragiques grecs par M. Patin. Tome 111. Paris, i843, in-8**
de 565 pages. Septembre, b'jà.
Œdipe, tragédie de Sophocle, traduite en français par M. A L. Boyer. Paris, i843,
in-12 de 107 pages. Avril, a 5 5.
Thésaurus Gnccae linguae, ab Henrico Stéphane constructus Volumen
sextnm , fasciculùs secundu.n. Paris, i84a, in-f*, ag* el 3o' livraisons, chacune de
320 pages. Février, 128.
Histoire de la vie et des poésies d'Horace par M. Walckenaer. — Epîtro
d'Horace aux Pisonssur l'Art poétique par C. F. X. Chanlaire. — Art poétique
d'Horace. . . . par J. B. Pérennès. — Art poétique d'Horace, traduit en vers par
Bon le Camus. — 5* et dernier article de M. Patin. Janvier, 43-58. (Voir, pour les
précédents articles, octobre 1 84 1» janvier, février el octobre i84a.)
in. LITTÉRATURE MODERNE.
l"* GRAMMAIRE, POESIE, MELANGES.
LaCélestinc, tragi-comédie de Calixte et Mélibée , traduilc de l'Espagnol, annotée
et précédée d'un essai historique, par M. Germond de Lavignc. Paris, i84ii 1 vol.
in-12. Article de M. Magnin. Avril, ]93-2o5.
Lucrèce , tragédie en cinq actes et en vers. . . . par F. Ponsard. Paris. i843, 1 vol.
in-12 de io4 pages, 4' édilion. 1" article de M. Patin. Décembre, 705-719.
Chansons de Maurice el de Pierre de Cruon , . . . . publiées pour la première
Ibis. . . . par G. S. Trébutien. Caen, i843 , in- 16 de 3a pages. Juillet, 447-
Les Trouvères artésiens, par M. Arthur Dinaux. Valenciennes et Paris, in-8'' de
vii-483 pages. Octobre, 639.
Poésies provençales des xvi* el xvii* siècles, tome I*, 'i843, Marseille et Paris.
Octobre, 639.
Fragments littéraires, par M. Victor Cousin. Paris, i843, in-8' de 5i6 pages.
Juillet, 446.
Causeries et méditations historiques et littéraires, par M. Charies Magnin. Paris,
1843,3 vol. in 8* de xn-5o6 et 538 pages. Mai, 319.
Epoques de Thistoire de France en rapport avec le tliéâtre français .... par Oné-
sime Leroy. Les Batignolles et Paris, i843, in-'S® de 467 pages. Juin, 38a.
Essai sur les cours d'amour, par Frédéric Diez. . . . traduit de l'allemand. . . .
par M. le baron Ferdinand de Roisin. Lille et Paris, i84a, brochure in-8' de
a 9 pages. Janvier, 6a.
Le Livre du cœur. . . par Louis- Auguste Martin. Paris, i843, in-18 de a83 pagesi^
Février, 137.
1^ Chevalerie Ogier de Danemarche , par Raimbert de Paris , poème du
x^rsiècle. . . . Paris, i84a» a vol. in-ia , ensemble ciii-557 pages. Février, lai.
Chronique riméc des troubles de Flandre, par Edw. Le Glay. Lille, 1 84a, in -8*
de 160 pages avec une pi. Février, 137.
Nouvelles lettres de la reine de Navarre adressées au roi François 1* son frère. . .
par F. Genin. Paris, 184^1 in-8* de 3ao pages. Février, ia8.
L'illustre châtelaine des environs de Vaucluse, la Laurc de Pétrarque. Carpentras
et Paris, in-8* de xv-a83 pages avec gravures. Octobre, 639.
Dictionnaire étymologique, historique et anecdotraue des proverbes et des locu-
ixoDs proverbiales de la langue française. . . . par P. M. Quitard. Paris, in-8* de
XV- 701 pages. Juillet, 446.
774 JOURNAL DES SAVANTS.
a* SCIENCES HISTORIQUES.
1 . Géographie et Voyages.
Relation d*un voyage d'exploration au nord-est de la colonie du cap de Bonne-
Espérance, par MM. T. Arbousset et F. Daumas. Paris , i842, in-8*de x-6ao pages.
Février, 122.
Voyage pittoresque dans Tempire ottoman , en Grèce • dans la Troade « etc. par
le comte de Choiseul-GoufFier . . . . nouvelle édition, augmentée de notices histori-
ques, rédigées avec le concours de M. Hase, de Tlnstitut, et de M. Miller. Épemay
et Paris, i843, livraisons 94 à 100 et dernière, 11a pages in-8** et ai pi. in-ibl.
Février, 12 3.
Relations d'un voyage en Orient, de i83o à i838 , par Aucher Eloy, revues et an-
notées par M. le comte Jaubert, membre de la chambre des députés. Paris, i843,
2 vol. in-8", ensemble de 832 pages, avec une carte. Février, i23.
Voyage au pôle sud et dans i'Océanie, sur les corvettes V Astrolabe et la Zélée, . .
histoire du voyage par M. Dumont-d^Urville, tome VI. Paris, i84ai in-8* de 428 pag.
Février, 124.
Souvenirs d'un voyage dans Tlnde, exécuté de i834 à 1839, par M. Adolphe De-
lessert, Paris, i843 , in-8" de 2^8 pages , avec 35 planches. Février, 124.
Le Léman, ou voyage pittoresque, historique et littéraire à Genève et dans le
canton de Vaud (Suisse), par M. Bailly de Lalondc. Paris, i84a 1 2 vol. in-8*, en-
semble de xvi-xlvi et ii32 pages. Février, 124.
Voyage en Islande et en Groenland. . . . pendant les années i835 et i836. . • .
Sublié sous la direction de M. Paul Gaimard; littérature islandaise, par M. Xavier
larmier, i" partie. Paris», i843, in-8* de 280 pages. Juillet, 447-
Voyage dans TAmérique du Nord. . . par le prince Maximilien de Wied-Neuwied
(texte), tome III. Paris, i843, in-8* de 4^4 pages, avec une carte et 6 planches.
JuOlet, 447.
Voyage autour du monde . . . par M. Louis de Freycinet, magnétisme terrestre.
Imprimerie royale, in-4* de viii-34a pages. Août, 5ii.
2. Chronologie et Ilisloîre ancienne.
3. Histoire de France.
Collection de documents inédits sur Thistoire de France. — Recueil des lettres
missives de Henri IV, publié par M. Berger de Xivrey, tomes I et II. Imprimerie
royale, i843, in-4* de XLi-7ioel 657 pages. Septembre, 675.
Collection des documents inédits sur l'histoire de France. — Papiers d'État du
cardinal de Granvelie publiés sous la direction de M. Ch. Vveiss, tome IV.
Imprimerie royale, i843, in-4' de 784 pages. Septembre, 676.
Annuaire historique pour l'année i843, publié par la société de Thisloire de
France, 7' année. Paris, i842 , in-8* de 208 pages. Janvier, 64-
Archives de Nevcrs. . . . par A. Duvivier. Nevers et Paris, 1842» a vol. in-8* de
lJUii-428-338 pages. Janvier, 62.
L'ancienne Auvergne et le Vélay par Ad. Michel et une société d'artistes.
Paris , 1 843 , prospectus. Janvier, 64.
Le siège de Lille en 1792 , par Victor Derode. Lille , i84a , in-S® de 79 page»-
Février, 122.
DÉCEMBRE 1843. 775
Histoire de Cambrai et du Cambrésis, par Eug. Bouly. Cambrai, i842 , in-8* de
208 pages. Février, 126.
Table chronologique et analytique des archives de la mairie de Douai, par
M. Pilate-PrévosL Douai, i843, in-8' de 532 pages. Février, 128.
Mémoire historique sur la ville de Moustier, par Jean Solomé. . . . Digne, 18^2 ,
in- 12 de 64 pages. Février, 12&.
Archives municipales de Rouen. Rapport adressé au maire de Rouen, par M. Ch.
Richard. Rouen, in-8* de 32 pages. Février, 127.
Bibliothèque de Técole des chartes, tome IV (livraisons 1 et 2). Paris, 18^2-
1843, in-8', 188 pages. Février, 12 5. — 3' livraison (janvier et février i843). —
4* livraison (mars et avril i843). Juin, 38o.
Mémoires authentiques de Jacques Nompart de Caumont , duc de la Force ....
publiés par M. le marquis de la Grange, député de la Gironde. Paris, i843,
4 vol. in-8*. Juin, 383.
Recueil de dissertations choisies sur différents sujets d'histoire et de liliéralure ,
par Tabbé Lebeuf, tome 1". Paris, i843, in-12 de xxiii-244 pages. Octobre,
628.
Les chroniques dç Tévéque de Langres, du père Jacques Vigner, traduites du la-
tin.. . . par Elmile Jolibois. Chaumoni, i843, îq-8* de 111-287 pages. Juin, 282.
4. Histoire d*Kafope. d'Asie, d'Afrique, etc.
> _ •
Histoire de la république de Gènes, par M. Emile Vincens, conseiller d'Etat.
Paris, 1843, 3 vol. in-8*. Premier article de M. Mignet, novembre, 64 1 -655;
2* article, décembre, 746-770.
Histoire de la Belgique, par H. G. Moke. ... 2* édition. Gand, i842, in-8*.
Juillet, 448.
Histoire politique , civile et monumentale de la tille de Bruxelles , par MM. Alex.
Henné et Alph. Wauters. Bruxelles , i843, in-8*. Août, 5i2.
Rapport adressé à M. le mînisfte de Tintérieur au sujet du manuscrit de la para-
phrase grecque de Théophile par M. Ph. Bernard. Bruxelles, i843, in-8*.
Aoât, 5ia.
Rapport à M. le ministre de l'intérlear sur les documents concernant Thistoire
de la Belgique, qui existent dans les dépôts littéraires de Dijon et de Paris, par
M. Gachard. Bruxelles, i843 , in-8*. Août, 5t2.
L'Empire chinois, ou histoire descriptive des mœurs, coutumes du peuple
chinois. • . . traduit de Tanglais, par Clément Pelle, avec gravures sur acier
Londres et Paris. Juin, 384.
5. Histoire littéraire, bibliographie.
Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi et autres biblio-
thèques, publiés par Tlnstitut royal de France. . . . Tome XIV ( i"* partie). Impri-
merie royale, i843, in-4* de 5i4 p^ges. Septembre, 576.
Notice sur les manuscrits autographes de ChampoUion le jeune, perdus en Tan-
née i832 et retrouvés en i84o par M. Champollion-Figeac. Paris, i842, broch.
in-8* de 4? p*ges avec CEic-simile. Janvier, 04.
Chronique de Richer, moine de Senones, traduction du xyi* siècle publiée
pour la première ibis par Jean Gayon. Nancy, i843, tn-4* de 248 pages.
Mars, 19a.
776 JOURNAL DES SAVANTS.
Notice sur un manuscrit intitulé Annale» mundi ad annum i26â, par le comfe
Ch. de l^Escalopier. Paris, in-8° de 5o pages. Mars, 191.
Histoire des lettres au moyen âge par Amédée Duquesnel. Paris, 1842»
lomelV, in-8' en 456 pages. Février, lay.
Histoire de la renaissance des lettres en Europe au xv* siècle, par J. P. Ghar-
penlier. Paris, i843, 2 vol. in-8°, ensemble 796 pages. Juillet, 447.
Bibliothèque de M. le baron Silvestre de Sacy tome I". Imprimerie royale ,.
i84îi, in-8*. Février, 121.
Les Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi par A. PauKir Paris
tome V. Paris, 1842, in-8'* de 5i 1 pages. Mars, 191.
Catalogue des livres composant la bibliothèque de la ville de Bordeaux. Théolo-^
gic. Imprimerie royale, 1842. Mars, 192.
Catalogue d'une belle collection de lettres autographes. Paris, i843, in-8* de
76 pages. Mars, 192.
Manuel du libraire et de Famateur de livres par Jacques-Charies Brunet,
4' édition originale. Paris, 1 842. Février, 126.
Collectanea Gersonîana, ou Recueil d*éUides ayant trait au problème bibïio-
gmphique sur Torigine de Tlmitation de Jésus-Christ, par Jean SpencernSmith. Caen
et Paris, 1843, in-8° de 336 pages. Juillet, 447-
Bibliographie douaisienne par H. R. EhithiUœul. Nouvelle édition in-8" de
52 o pages. Février, 127.
Bibliotbeca Grenvilliana ou Notices bibliographiques des livres rares et
curieux de la bibliothèque de sir Thomas Grenville, par J. T. Payne et H. Foss.
Londres, 1842, 2 vol. in-8°. Août, 5i2.
Catalogue des manuscrits de la bibliothèque des ducs de Bourgogne (tome III).
Bruxelles, 1842, gr. in-4*. Juillet, 448.
Notice sur les imprimeries qui existent ou qui ont existé en Europe, par H. Ter-
naux-Compans. Paris, i843, in-8° de i46 pages. Juillet, 447-
Notice sur rétablissement de Timprimerie dans la ville d'Aire par Fr. Mo-
rand. Saint-Pol, i842, in-4" de i5 pages. Février, 127.
Paléographie universelle par M. Silvestre. Paris, i843, 4 vol. in-f*. Mai, 320.
Alphabet-Album par Silvestre. Paris, i843. Octobre, 639.
Isographie des hommes célèbres, ou Collection de fac-similé, etc. nouvelle édi-
tion, 4 vol. in-4*, Paris. Octobre, 639.
' 1*
6. Archéologie.
Recherches sur les nionuments cyclopéens par L. C. F. Petil-Radel. Paris ^
Imprimerie royale, i84i. in-8*- Article de M. Raoul-Rochctte. Mars, 129-150.
1. Anlichi monumenti sepolcrali scoperti nel ducato di Ceri dichiarati dal cav.
P. S. Visconti. Roma, i836, in-f*. — 2. Descrixione di Gère antica dell' ar-
chitetto cav. L. Canina. Roma, i838, in-P. — 3. Monumenti di Gère antica
dal cav. L. Grifi. Roma, i84i» in-f*. — 1" article de M. Raoul-Rochette, mai, 268-
287; 2* article, juin, 344-36o; 3* article, juillet, 4i6-433; 4* et dernier article,
septembre, 543-564.
Explication de trois inscriptions trouvées à Philes, en Egypte. 1* article de M. Le-
Ironne, juin, 321-333; 2* et dernier article, août, 457-468.
Il sepolcro dei Volunni, scoperto in Perugia nel i84o, ed altri rnoomneiYti ine-
dili etruschi e romani , esposti da G. B. Vermiglioli. Perugia i84o, iD-4*. i* ar-
DÉCEMBRE 1843. 777
ticle de M. Raoul-Rochelte , octobre, 598-609; a" article, novembre, 666-680; 3' et
dernier article, décembre, 738-A45.
Mémoires et dissertations sur les antiquités nationales et étrangères, publiés par
la Société royale des Antiquaires de France. Nouvelle série. Tome VU. Paris, i84a,
in-8'* de xl-534 pages avec pi. Janvier, 63.
Mémoires sur les voyages de Tempereur Hadrien et sur les médailles qui s y
rapportent, par J. G. H. Greppo. Bellcy et Paris, i843, in-8* de 3 5a pages. Mars,
19^-
Notice sur une petite statue de bronze trouvée à Esbarras par P. J. Gau-
thier Stirum, maire de la ville de Seurre Paris, i84a, in-4* ae i5 pages et
3 pi. Janvier, 6a.
Essai sur Tancienne monnaie de Strasbourg par Louis Levrault. Stras-
bourg, i84a, 10-8** de xii-46a pages. Février, 137.
Recherches archéologiques sur les monuments de Besançon, par A. Delacroix.
Besançon, in-8* de 3a pages. Février, lay.
Mémoires sur quelques antiquités remarquables du département des Vosges, par
J. B. Jollois. Paris, i843, in-4° de aa4 pages. Février, ia8.
Recherches sur la géographie ancienne et les antiquités du département des
Basses-Alpes, par D. J. M. Henry; a* édit. Paris, i84a, in-8* de 190 pages. Fé-
vrier, ia8.
Histoire des antiquités de la ville de TAigle et de ses environs ouvrage
posthume de J. P. Gabriel Vaugeois. l'Aigle, i843, in-8* de 6oà pages. Mars, 19a.
Luciliburgensia , sive Luxemburgum romanum Opus posthumum a med.
doctore aug. Neijen. Luxembourg, i8âa, in-4*; i"* livraison avec i5 planches.
JuiUet,448.
3* PHILOSOPHIE: SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. — (Jurisprudence, théologie.)
Nouveaux documents inédits sur le P. André et sur la persécution du cartésia-
nisme dans la compagnie de Jésus. 1* article de M. Cousin, mars, i5o-i6q; a* ar-
ticle, avril, ai8-a45; 3* artide, mai, a 87*308; A* et dernier article, jum, 36o-
379.
Rapport de M. Cousin, président du concours ouvert en i843 pour diverses
places d'agrégés de philosophie près les facultés des lettres. Décembre, 770.
Logique d'Arislote par J. Barthélémy Saint-Hilaire tome iV. Paris,
1843, in^** de XLViii-4â6 pages. Juillet, 447^
Recherches critiques sur Tâge et Torigine des traductions latines d*Aristote et
sur des commentaires grecs ou arabes employés par les docteurs scolastiques. . . .
par Amable Jourdain. Nouvdle édition. Paris, i843, in-S"" de 488 pages. Octobre,
639.
Essai sur les écoles philosophiques chez les Arabes, et notamment sur la doctrine
d*Algazzali, par Auguste Schmôlders. Paris, 1 vol. in-8*. Février, lao.
La science de la vie, ou principes de conduite religieuse, morale et politique. . . .
par M. Valéry. Versailles et Paris, i84a , 1 volume iu-8'' de viii-33o pages. Avril,
a56.
Études politiques. .... par Charies Farcy, a* édition. Paris, i843, in-8* de
i5a pages. Juin, 338.
T£d>leau sur la situation des établissements français dans T Algérie en i84ii Im-
primerie royale, i84a 1 in-4* de 445 pages , avec une carte de 1* Algérie. Mars, 191.
98
778 JOURNAL DES SAVANTS.
Économie politique du moyen âge , par Ch. Cibrario ; traduite de l'italien
par Humbert Ferrand. Bellcy et Paris, i8^3 , in-S* de a88 pages. Mars, 19a.
Sir Richard Arkwrigbt, ou naissance c'e Tiodustrie cotonnière dans la Grande-
Bretagne ( 1760 à 179a) par M. Saint-Germain Leduc. SeoJis et Paris, i84a« in-S**
de 3a8 pages. Mars, 19a.
Annuaire de la pairie et de la noblesse de France. • • . publié sous la direction
de M. Borel d'Hauterive. Paris, i843, in-ia de vin -388 pages, avec plancltes.
Février, 126.
Notice historique sur la Guyane française, par H. Ternaux-Gompans. Paris , i&àS t
in-8** de vi-i oa pages. Février, 1 a 4.
Essai sur Téducation du peuple par J. Wilui. Strasbourg et Paris, i843,
in-8'' de xji-459 pages. Février, laA.
Ministère des travaux publics. Rapport fait à la commission sur le tracé du che-
min de fer de Paris à Cbâlons-sur-Saône , par M. le comte Daru , pair de France. . .
Imprimerie royale, i843, in-4* de a48 pages , avec 6 planches. Juillet, 445.
The jews in China, iheir synagogue, their scriptures, their history, etc. by James
Finn. London, i843, royal in-ia de viu-86 pages. Juin, 383.
Documenta inédits sur Domat. i*' article de M. Cousin, janvier, 1-18; 2" article,
février, 76-93.
Loi salique, ou recueil contenant les anciennes rédactions de cette loi et le texte
connu sous le nom de Lex emendata^ avec des noies et des dissertations par J. M.
Pardessus. Imprimerie royale, i843; in-4'*de Lxxx-739 pages. Mai, 3 16. i" artkie
de M. Guérard, septembre, 564-574; a* article, octobre, 6a7'636; 3' article, no
vembre, 68i-6o4.
Travaux surThistoire du droit français, par feu Henri Gimrath. . . . recueflUset
mis en ordre. . . . par M. L, A. Wamkônig. Strasbourg et Paris, i843 , a vol. in-8*»
ensemble io48 pages. Juidiet, 447-
Rei agrariae scriptorum nobiliores reliquiae. . . . edidit. . . . Carolus Girard
Paris, 1843 , in-8**. 5* et dernière livraison de la Chrestomathie. Février, ia8.
Notice sur la vie et les travaux de M. le comte Bigot de Pi*éAmeneu , ministre des
GvAles sous Tempire. . . . par Aug. Nougarèdede Fayei, son petit-fils. Paris, i843,
in-8** de 38 pages. Juin , 383.
Eufldbius, or the Theophania, translated inio engliab. . . , by Samuel Lee. Cam-
bridge, 1843, in-â"", GLix-344 pages. Octobre, 64o.
4'' SCI£1IG£S PHYSIQUES ET MATHEMATIQUES. (ArtS.)
MéixK)ire sur la mesure théorique et expérimentale de la réfraction terres Ire. . . .
par M. Biot. Paris, 1842, in-8' de 84 pages. Février, ia3.
Tables pour le calcul des syzygies écliptiques et non édiptîques, par M. Largeteau.
Brochure in.8' de 3o pages. Paris, i843. t** arlide de M. Biot» juillet. 434-44i;
a* article, août, 48i-5o7.
Sur un traité arabe relatif à Tastronomie. 1" articlede M. Biot» septembre, 5&S>
534 ; a* article, octobre, 6o9-6a6; note annexe des articles précédents, novembre,
694-703; 3* article, décembre, 719-737.
Histoire de la chimie, depuis les temps les plus reculés jusqu'à notre époque
par le docteur Ferdinand Hoeter. Tomel". Paris, i84si. l'artidiede M. Chevreul.
Février, 65-75.
DÉCEMBRE 1843. 779
Saggi di naturali esperienze Eâsais d*expéneDce$ faites à T Académie del
Qjncnto. 3* édition de Florence, i84i« in-â''* i" article de M. Libri, février, gS-
103; 2" article, mars, 185-190; 3* arlidet avril, a46-;t65; à* article, mai,
3ofr3i6.
Revue des éditions de Bufibn. i** article de M. Flourens, mai, 357-268; 2* ar-
ticle, juin, 333'3A4; 3* article, juillet, /ioA-Âi5; A* article, août, A4g-456; 5* ar-
ticle, novembre, 655-666.
Histoire naturelle des mammifères par M. Geoffroy Saint-Hilaire et par
M. Frédéric Cuvier. Paris, in-f*, 7a* et dernière livraison de 34 pages et 6 pi. Fé-
vrier, )23.
Histoire et phénomènes du volcan et des iles vdcaniques de Santorin par
M. Tabbé Pègues. Imprimerie royale, i84a« in-8'' de VI1-6&7 pages avec une carte.
Février, 122.
Précis élémentaire de géologie, par J. J. d*Omalius d'Halloy. Paris, i843. No-
vembre, 704.
Description des fossiles qui se trouvent dans le terrain houiller et dans le sys-
tème du terrain anthraxifère de la Belgique, par M. L. de Koninck. Liège, i842
1843, in-4^ Août, 5i2.
Recherches sur Torganisalion de plusieurs espèces d*algues par J. F.
Chauvin. Caen, i842, in-4* de i3i pages. Février, 123.
Mémoires sur les fougères du Mexique par MM. M. Martens et H. Galeotii.
1842, in-4° avec 23 pi. Juillet, 448.
A Dictionary of practical medicine Dictionnaire de médecine pratique
par James Coplano. Londres, 1842, in-8^. Août, 5 12.
La rcalc gaiieria di Torîno, îIIusfratQ da Rob. d*Azeglîo, direttore deDa mcde-
sima. Torino, fascicoli, i-24i i835-i84a. 3* article de M. Raoul-Rochette. Janvier,
19-28. (Voir, pour les précédents articles, mars et décembre, 1842.)
An Encyclopedia Encyclopédie hiatoriqae*. ... de f architecture , par
J. Gwilt. Londres, i842, in-S*" do 1 100 pages avec plua de 1000 gravures sur bois
Aoât, 5i2.
INSTITUT ROYAL DE FRANCE.
Académies. — Sociétés fittéraires. — Jomnauz.
Institut royal de France. Séance publique des cinq académies. Prix décerné et pro-
posé. Juin, 379-380.
Académie française. Séanoe publique annuelle. Prix décernés et proposés.
Juillet, 442-443. Mort de M. Campenon. Novembre , 704. Mort de M. Casimir De-
iarignc. Décembre, 770.
Académie des inscriptions et belles-lettrea. Tome XV ( i** partie ) des mémoires
de cette académie. Imprimerie royale, i842, iu*4*, de 4ao pag. avec pi. Jan-
vier, 61. M. le chevalier Félix Faulcon est élu correspondant. Février, 1 20.— Séance
pablique, jugement des concours; prix proposés pour i844et i845. Août, 507-509
-—Mort de M. le marquis Fortia dUrbau, membre libre. Août, 5oû. — Mémoires
présentés par divers savants à cette académie. 2* série. Antiquités de la France,
tome I, Imprimerie royale, i843, in-4*' de xxxy-362 pages, plus 23 pi. Octobre,
368. Election de M. Mérimée. Novembre , 704.
Académie des sciences. Séance publique annuelle. Prix décernés et proposés. Jan-
vier, 58-6 1. — Élection de M. Andral à la place de M. Double, décédé, de M. Rayer,
780 JOURNAL DES SAVANTS.
à la place de M. de Morel-Vindé ; de M. Hansed à Gotha , en qualité de corr^pon-
dant. Février, lao. — Mort de M. Lacroix. Mai, 3 16. — Mort de M. Bouvard ;
âection de M. Laugier. Juin , 38o. — Discours prononcé aux funérailles de M. La-
croix. Juillet, IxUk' — Mémoires présentés à cette académie par divers savants,
tome Vin, sciences mathématiques. Imprimerie royale, i8â3, in-° de 690 pages
atec ilo pi. Juillet, A4S. — Election de M. Binet. Août, 609. -7- Mort de M. Coriolis.
Octobre, 636. Élection de M. Mauvais. Novembre, 704. — Élection de M. Morin.
Décembre, 770.
Académie aes beaux-arts. M. le comte de Rambuteau est élu membre libre. Juin ,
34o. — Mort de M. Gortot. Août, 609. — Séance publique. Prix décernés. Octobre,
636-638. —Élection de M. Duret. Octobre , 638.
Académie des sciences morales et politiques. Séance publique. Prix proposés
pour les concours de i84A« i845 et i846. Mai, 3i6-3i8.
SOaÉTÉS SAVANTES.
Journal des Savants. Mort de M. Lacroix, Tun des assistants du journal. Mai,
3 16. — Dbcours prononcé à ses funérailles par M. Lîhrî. Juillet, 444.
Société des antiquaires de Normandie. Prorogation du concours de i84a' Prix
proposé pour i844* Janvier, 61.
Société des antiquaires de la Morinie. Prix proposé pour i844. Août, 609.
Société libre d'agriculture , sciences , arts et belles-lettres du département de
TEore. Prix proposé pour i844- Août, 609.
Académie des jeux floraux de Toulouse. Prix proposé pour i844- Août, 5 10.
—Recueil de cette académie , i843, Toulouse. Août, 5 1 1 .
ACADÉMIES ÉTRANGÈRES.
Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Prix proposé pour
1844. Août, 5|0. «— Mémoires couronnés et mémoires des savants étrangers ,
publiés par cette académie, tome XV, 3* partie, i84i-i84a. Bruxelles, i843,
m-4^ Août, 5ia.
TABLE.
Lucrèce, tragédie en cinq actes et en vers, par M. F. Ponsard (i" article de
M. Patin ) Page 705
Sur un traité arabe relatif à Tastronomie (3* article de M. Biot] 719
11 sepolcro dd Volonni, cd altri monumentî inediti etroschi e rpmani, esposti da
Vermiglioli (2* artide de M. Raoul -Roehette) 738
Histoire de la république de Gènes, par M. Emile Yincens (2* article de M. Mi-
gnet) 746
Nouvelles litténdres 770
Table des articles et notices contenus dans les douze cahiers de Tannée 1843 ... 772
Fin Dit LA TABLE.
• f '
ivRinODnvnnRni MKnmNiTi
1993