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Full text of "Journal du commandant Raynal: Le fort de Vaux"

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I .Mpin ÏAbr«yT"T'^T'flnr.>T Dap ; 




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cL-u. 



ConuDandant i Raynal 



^ 



LE FORT DE VAUX 




/ / PARIS 
AL8ÏK MICHEL, ÉDITEUR 

\22, Rue Huyghcns, 22 



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JOURNAL 



DU 



lommandant Raynal , . ^ / 



o o o 



LE FORT DE VAUX 



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IL A TIRÉ DE CET OUVRAGB 

10 Exemplaires sur papier du Japon 
numérotés à la presse de l à lO 

20 Exemplaires sur papier de Hollande 
numérotés à la presse de l à 20 






586568 



Toi» droits de Iraductlon et reprod 
réservés ponr tous pays 
Copyrigt by Albin Michel 



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JOURNAL 



DU 



Commandant ^Raynal 



o o o 



LE FORT DE VAUX 




PARIS 
ALBIN MICHEL, ÉDITEUR 

22, RUIÎ HUYGHENS, 22 



"TT^-r 



PREFACE 



■ J 



Jç vi%ï\s dtt lire ce récit de la tragédie de Vaux ; 

j*y ai x^vé^M les heures d'angoisse où la France 

et 1# monde entier avaient les yeux fixés sur cet 

autre bastion d^ Saint-Gervais qp*une poignée de 
bîâvei çppos^ient cpipine un tmx infranchissable à 

la ruée des épais bataillons du kronprinz all^p^and : 

c'est tput fri^spnuQnt û\m émotion sacrée qye je 

sçrs d^ cett€ tempête de »ept jowr? que T^utew du 
yéçit a j^stçment ^i^pelée la Semaine injernak* 
L'auteur, €*e?t U cpînnwndant Raynal, le ch«f 

énergique qui fut l'âme de la défense. Il s'était 
promis d'élever lui-même à ses compagnons d^ar- 
mes le monument de reconnaiisan^^e et d*admira- 



10 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

don que méritait leur iiKlomptable vaillance : vous 
verrez de quel cœur français, de quelle enae 
indélébile il s*est tenu parole. Je connaissais de- 
puis longtemps le commandant Raynal ; pendant 
des années, je Tavais vu, là-bas, sous notre ciel 
algérien, entraîner nos braves tirailleurs et les pré- 
parer aux épreuves que son patriotiune sentait ve- 
nir. Je connaissais le chef, j*ignorais l'écrivain qui 
ne le cède en rien au soldat : Raynal écrit comme 
il se bat, à la française. Son récit court, vole, sim- 
ple et alerte, tour à tour grave et léger, ici illustré 
d*un éclflb de^la bonne vieille humeur gauloise, 
là mouillé des larmes que font jaillir les sdblimes 
sacrifices. 

Eji vérité, le journal du commandant Raynal est 
empoignant comme un beau <bame bien bâti, et 
ce beau drame est de Thistoire vécue, saignante 

de sincérité, de Thistoire que Raynal a faite avec 
ses poilus avant de Téaire. 

Et c*est pourquoi Taccueil qui attend cette pu- 
blication répondra à Tintime désir du défenseur de 






PRÉFACE 11 

Vaux : tous les cœurs s*associeront à Thominage 

qu*il a voulu rendre à ses compagnons cle gloire, 

et cet hommage restera, car il n'est pas vrai que 

la France oublie ; ceux qui ont souffert pour elle, 

ceux qui sont morts .pour qu'elle ne meure pas, par- 
tageront à jamais son immortalité. 

Eugène Etienne, 

ancien ministre de la Guerre, 



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NOTES BIOGRAPHIQUES 




Le fort de Vaux et son glorieux défen- 
seur ont fait couler beaucoup d'encre et 
imprimer qwmtité d'erreurs : le journal 
du commandant Raynal va rectifier celles 
qui ont trait à la défense du fort ; quant 
au comm^mdant lui-même, que les jour- 
naux ont fait naître un peu partout, voici 
son exacte biographie. 

Le commandant Raynal — aujourd'hui 
lieutenant-colonel — est né le 6 m^irs 1867 
à Bordeaux. La famille de son père et celle 
de sa mère, née Unal-Serres, sont origi- 
naires du Tam-et-Garonne et y ont encore 
de nombreux représentants. 

On aime la poudre chez les Raynal, la 

2 



16 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

poudre et la patrie : en 1870, le père de 
notre héros, bien qu'Uni fût plus jeune — 
il avait déjà fait la campagne d'Italie — 
s* engagea pour la durée de la guerre. 
Celle-ci terminée, notice volontaire se re- 
tira à Angoulême et s'y établit bottier. Et 
d'e^t ainû que le défenseur de Vaux, né à 
Bordeaux dé parents originaires du Tarn- 
ei-Garônne, a été élevé à Angoulême. 

En 1877, il entra aa lytèe de ùetie ville 
et y reçut hs leçons de maîtres dont il pro- 
nonce tes noms avec une émotion quasi- 
rèlîgieuùe : MM. Laley, Michel, Thabou- 
rin. . . 

Huit ans après, ses études terminées, il 
s'engage au i^^y d'infanterie : V armée 
l'attire, il est né ^ùldù!t, et les somenirs de 
70 qui lui viennent de son père, hantent 
son esprit et fortifient son jeune cœur. Au 
i^y, il fait ses premières armée sous ta 
direction d'un ami de son père, le ùupi" 



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L 



NOTES BIOGRAFHIQUU 17 

l«ÎHe Bréhsaid. H posée ou 107^ à Aiigour 
lêmey prépdte Snint-Maixeni et y e$t reçu 
croc€ te n"" t3 qu rue lai porte pas mal' 
hear : an on opris^ en iS^i» il sort de 
Saint'Maixent avec le N"" 1. Il a reçu là les 
enseignements préeieujx d'un instructeur 
de haate vsieary le lieutenant Coudre, de- 
puis lie^tenant^<iolonel. Sur les conseils 
du colonel Toumier^ qui commAinde 
V école et sera plus tard command<mt de 
corps darmée^ Huynal demande d'être ob- 
jecté au y tirailleurs à Constantine, et oh- 
Uent cette affectaiion. Onze ans après, en 
tgoa, il est promu capitame au choix et 
est Ènx>oyé au 5* d' infanterie^ à Paris — 
dépét à F^Aaise — un régiment que les Pa- 
risiens connaissent bien : c'est sous son 
drapeau que la plupart des poilus de Paris 
vieswfsnt de faire la grande guerre. Note 
qom notre héros ne nous pardonneruU pas 
d'omettre : au 5', il a le bonheur de ser- 



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18 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

vir SOUS un chef éminent, le colonel Guil- 
laumat, qui sera un Jour le général GuiU 
laumat et rendra, au cours de la guerre, 
des services qu'aucun Fronçais n'a le droit 
d'ignorer. 

En mars igiS, Raynal est appelé aux 
fonctions de major du 7® tirailleurs indi- 
gènes — régiment de nouvelle formation 
— et reçoit, trois mois plus tard, en juin, 
le grade de chef de bataillon, au choix en- 
core. C'est là, au 7** tirailleurs, à Constan- 
tine que la guerre va le trouver, la guerre 
qui lui réserve ces deux autres promotions, 
glorieusement inéritées : comm^andeur de 
la Légion d'honneur, le 6 juin 191 6, en 
pleine tempête de Vaux, et lieutenant-co- 
lonel le i*' janvier 1919, à son retour d'une 
captivité qu'il va vous raconter lui-même, 
après vous avoir fait assister à l'immor- 
telle tragédie que fut la défense du fort de 
Vaux. 



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CHAPITRE PREMIER 



JAMAIS DEUX SANS TROIS 



Aimez- VOUS les proverbes ? Ces arrêts de 
la sagesse des nations m'ont toujours hor- 
ripilé, et ce n'est pas la guerre qui m'aura 
réconcilié avec eux... 

Quand sonna l'heure de la mobilisation 
générale, j'étais à Constantine, chef de 
bataillon-major du 7* tirailleurs algériens. 
La nouvelle de la déclaration de guerre 
m'y parvint en même temps que celle du 
bombardement de Bône et de Philippe- 
ville par le Gœben et le Breslau. Encore 
qu'au 7*, nous n'eussions pas besoin du 
coup de fouet de cette sauvagerie, la mo- 






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20 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

bîlisation en fut activée et s'acheva rapi- 
dement. Notre régiment, il est vrai, 
n'avait plus qu*un bataillon à Gonstan- 
tine : deux autres étaient au Maroc, un 
troisième de relève était parti les rejoin- 
dre... Notre bataillon entra dans la forma- 
tion de la 87* division. 

Mon rôle de mobilisateur terminé, je 
solUoitai un commandement «et j'eus la 
joia de voir ma demande agréée : j'étais 
appelé à commander un bataillon du 3*" bis 
de zouaves qui s'embarquait à Alger sous 
le» ordres du colonel Franoex et devait en- 
trer dans la composition de la 45^ division, 
général Drude. 

La traversée g' effectua à bord du Car- 
ihage qui fut, plus tard, torpillé dans les 
mers de Grèce, Nous débarquâmes à Cette: 
les divers éléments de la 45* division ae 
concentraient dans le» environs, A peine 
formée, elle fut envoyée dans le camp re- 



LÇ fQ^J PE VAUX !H 



r^mi^p^'^^^^imm* 



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tri^nehé 4e Paria, 8ecte^r Su^, pQur y cons- 
tituer la réserve générale de ce agmp, Ce 
fut pour noua une déception ; nous 
croyions monter m Belgique, ms^rch^r m 
f«u.., La déception n^ devait, pas tair^çr i 
être balayée, 

Dans la nuit du 3i août au i* septem- 
bre, nous traversons Paris pour aller pren- 
dre position autour du Bourget, secteur 
Nord. Les Allemands, nous dit-on, ont été 
vus dans la région de Luzarches. Dans la 
soirée du i*^ septembre, nous sommes di- 
rigés sur Montreuil-sous-Bois, secteur Est 
du camp retranché. 

Je n'ai sai^i que plus tard la significa- 
tion dç tous qes mouvements. Notre Pi^i-^ 
3iQn, Jetée au Bourget, au devant de Taîle 

droite de von Kluck, suit lès piQuvement? 
de cette aile : le général allemand, con- 
tournant le camp retranché, dçaaiîne aion 



22 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

.... ■ - ■ ' - ■ - . 

mouvement d'enveloppement de la gauche 
française. 

Nous restons deux nuits à Montreuil- 
sous-Bois, puis, brusquement, par Le 
Raincy, nous sommes dirigés vers le 
Nord. A la manœuvre allemande répond 
la manœuvre française : Galliéni a décidé 
d'appuyer par toutes les troupes disponi- 
bles du camp retranché, T armée Maunoury 
qui se concentre sur la droite allemande 
dans la région de Nanteuil-le-Haudouin. 
C'est nous qui allons envelopper cette ar- 
mée, dont de forts contingents passent la 
Marne à Meaux et à l'Est de Meaux. Notre 
division est réserve générale de l'armée 
Maunoury. Nous recevons au bivouac de 
Ghavigny communication du magnifique 
ordre à l'armée du Général Joffre. Les 
zouaves le saluent du cri de « Vive la 
France » I 

Derrière les régiments de réserve du 



LE FORT DE VAUX 23 

général de Lamaze notre division suit le 
combat. Nous avons été renforcés par l'hé- 
roïque brigade Ditte, composée de deux 
régiments de marocains. Bientôt le géné- 
ral appelle à lui sa réserve. Nous traver- 
sons le champ de bataille semé de nos 
morts glorieux et nous jurons de les ven- 
ger. La 45* division s'attaque, avec la vi- 
gueur légendaire des troupes d'Afrique, 
aux formidables positions de Montyon, du 
bois Penchard, de Neufmortier, qui sont 
enlevées de haute lutte. Le jour suivant, 
nous progressons sur Chambry, Barcy, 
Etrepilly. Von Klûck a constitué devant 
nous une flanc-garde de plusieurs corps, 
appuyée par une puissante artillerie 
lourde. Nos progrès sont chèrement ache- 
tés, mais zouaves et tirailleurs vont de 
l'avant sans s'inquiéter d'autre chose que 
de culbuter l'ennemi. 

A Chambry, nous faisons une courte 



«wwBgggwwr^wg^w 



94 JOURNAL BV COMMANDANT RAYNAL 

halte, après laquelle noua nous lançons à 
la poursuite de Vennemi qui s'est mn en 
FMraite, Nous allons droit h VE$t et attei^ 
gnons Lîxy^BUT-Oureq, là, changement de 
direction. Von Kluck pous»é par non» ver^ 
TEst, c'eat-rà-rdire au travers des lignes de 
retraite des autres colonnes allemandes re- 
jetées vers le Nord, a changé sa direction 
de retraite et pris, lui aussi, la direction 
du Nord. Son habile manœuvre sauve Tar- 
mée allemande d'un désastre. La A5^ divi- 
sion suit cette manceuv^e. Mon hataillon 
est avant-garde de la brigade et le soir 
même s'installe, aux avant-postes, aux por- 
tes de La Fe^té-Milon, qui est occupé 
par Tennemi. Nos patrouilles sont au oon^ 
tact. 

Le lendemain, continuation de la pour- 
suite, cantonnement à Longpont ; le sur- 
lendemain, reprise de notre marche en 
avant. Oh ! les superbes journées ! Les po- 



^w 



LB FORT »B VAUX 3J5 

pulationa aoelament leurs Ubérateura, on 
nous oouvr^i de fleuri, on nou* embyasgç, 
et de toutes les poitrines jaillit en tonnerre 
oe eri unique : Vive la France ! 

Nous arrivons sans grand» combats sur 
la magnifique position de l'arbre de Reims, 
près de Soisson». L,e soir même, un mou- 
vement d'enveloppement dessiné sur la 
ville en décide l'évacuation par l'ennemi 
qui passe sur la rive droite de l'Aisne en 
coupant les ponts derrière lui. 

Les travaux nécessités par l'établis- 
sement des moyens de passage donnent 
au boche le temps de s'établir sur les pla- 
teaux qui dominent au Nord le cours de 
l'Aisne et de fortifier cette position que 
ses défenses naturelles ont déjà rendue 
formidable. Dans la nuit du i3 au i/4 sep- 
tembre les ponts sont enfin rétablis et la 
45* division passe sur la rive nord. Mon 
bataillon, en première ligne, parvient à 



26 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Crouy, franchit la tranchée du chemin d« 
fer et borde de ses éléments, les pentes de 
l'éperon 182 et le village de Sous-Perrières 
ortement défendus par un ennemi 
reux et pourvu de mitrailleuses, 
>up plus nombreuses que les nôtres. 
Tout le monde connaît l'énorme su- 
ite que les boches avaient sur nous 
îgard, dans les premières années de 



situation de mon bataillon est déli- 
il se maintient avec énergie malgré 
ux dangereux de flanc et même de 
. Ses pertes sont sérieuses. Vers une 
de l'après-midi, je suis moi-même 
! d'une balle de mitrailleuse qui, eh- 
par l'épaule gauche, me laboure prô- 
nent la poitrine. Je reste à mon 
mais je m'affaiblis rapidement et 
bligé d'aller me faire panser au poste 



i 



LE FORT DE VAUX 27 

de secours dont le médecin m'évacue d'ur- 
gence sur l'hôpital de Soissons. 

J'y séjourne deux jours, tenant à ma 
portée mon ordonnance et mes chevaux. 
Je n'ai qu'un désir, qu'un souci : retour- 
ner au front... Ce ne sera pas pour sitôt : 
les boches bombardent Thôpital et, malgré 
mes instances, je suis évacué sur l'arrière. 

C'est à Paramé, près de Saint-Malo, que 
l'on m'envoie guérir ma blessure. Grâce à 
mon excellent tempérarrient, cette guéri- 
son s'opère assez rapidement et, en fin 
d'octobre, je rejoins le dépôt du 3** zouaves 
à Sathonay : j'ai refusé toute permission 
de convalescence. Je veux me battre... 

A Sathonay, im détachement est prêt à 
rejoindre le front. J'en prends le com- 
mandement et nous retrouvons la division 
installée dans des positions au Nord d'Ar- 
ras : c'est la guerre de tranchées. 

Le secteur de mon régiment, qui est à 



28 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

la droite de la divition^ est constitué par la 
position qui entoure le village de Rooiin- 
court se reliant à gauche, par le pkteau 
d'Ecurie, au secteur du a' zouaves, et. à 
droite, par la ferme de Chantecler au sec- 
teur du corps d'armée voisin. Le sous-sec- 
teur de mon bataillon est au centre du ré- 
giment : c'est le saillant du Vieux-Cime- 
tièfe de Roclincourt. Là encore, la situa- 
tion est délicate. Rupprecht de Bavière, 
qui est devant nous, cherche à encercler 
Arras en portant son principal effort sur 
Ecurie. Les deux régiments de zouaves 
s'entr'aident pour la défense et lui oppo- 
sent une barrière infranchissable. Ce ne 
sont partout que sapes, mines, coups de 
main sur des éléments de tranchées. Le 
régiment est commandé par le colonel 
\ncel qui a remplacé le colonel France^, 
grièvement blessé à Crouy, peu après moi. 
La division est toujours commai^ée par le 



■iati**i 



ÏM FORT DB VAUX 



gétiér«il Drud4!) auquel succédera dan« 
quelque temps, l'énergique général Qui- 
quandott. Le chef du oorpt d'armée^ le 33*, 
est le général Pétain. 

Devant mon secteur, tes Bavarois sont 
extrêmement actifs et édifient Tensemble 
de travaux devenu célèbre sous le nom de 
labyrinthe. Ils bombardent furieusement 
nos lignes et le village de Roclincourt. 
Nous contrarions autant que possible leurs 
travaux, tout en perfectionnant sans cesse 
tes nôtres. Vers fin décembre, la bicoque 
dans laquelle se trouve installé mon P. G., 
au nord du village, reçoit un gros obus 
qui traverse le toit. Le culot de TcAus, 
heureusement amorti, vient me côï^tusion- 
ner la cuisse droite et me renverse. Mes 
agents de liaison se précipitent et me 
croîeût mort. Je me relève en riaat, sans 
autre blessure apparente qu'une égrati- 
gmirè à la main, et me contente de chan- 



30 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

• 

ger d'emplacement, ce poste étant par trop 
visé. 

Dans les jours qui suivent, commence 
à poindre une douleur sciatique dans la 
cuisse droite, elle s'accroit sans cesse et 
devient des plus gênantes. Sur le rapport 
du médecin et malgré ma résistance, le 
colonel Ancel décide de me faire évacuer 
dans les premiers jours de janvier 19 15. 
A ce moment, je marche courbé en deux 
et boitant. 

Transporté en voiture à Aubigny, j*ai 
la chance d'y rencontrer le médecin prin- 
cipal Darde, que j'ai connu à Constantine 
et qui m'indique comme traitement les 
bains chauds de Dax. Je trouve que c'est 
loin, mais il faut guérir et me voilà en 
route sur les Landes. La saison que j'y fais 
ne m'apporte qu'un soulagement insigni- 
fiant, mais enfin je peux revenir à mon 
dépôt de Sathonay... Là, nouvelle et cruelle 



LE FORT DE VAUX 31 

déception : le médecin de mon régiment 
me trouve impotent et me prescrit de sui- 
vre, dans Tun des établissements de Lyon, 
un traitement électrique. 

Hospitalisé à l'hôpital installé chez lui 
par M. Jacques Millevoye, je vais tous les 
jours à la brasserie du Parc, où se trou- 
vent toutes sortes d'installations électri- 
ques dirigées par l'un des praticiens les 
plus éminents de Lyon. Electricité stati- 
que, électricité dynamique. Je me soumets 
à tout... Tout échoue ! Mon médecin trai- 
tant me fait alors envoyer à Aix-les-Bains. 
Nouveau traitement, nouvel échec ! L'amé- 
lioration est à peine sensible et je com- 
mence à désespérer. Vais-je donc rester 
estropié pour le restant de mes jours ? Je 
pars plein d'angoisse. Trois semaines se 
passent et tout à coup, le mieux apparaît. 
Je me sens littéralement renaître, et 
comme le mois s'achève, ma sciatique a 

3 



32 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

complètement disparu. Aussitôt, saifis at- 
tendre la fin de ma convalescence qui est 
de deux mois, je rejoins mon Dépôt et de- 
mande à être mis en route le plus tôt pos- 
sible. Mais, par suite de nouvelles iûstruc- 
tions, les officiers supérieurs ne rejoignent 
plus directement leur ancien régiment ; il» 
sont remis à la disposition du ministre qui 
les affecte suivant les besoins. 

Je m'informe : plus de place à la 45* Di- 
vision. Nous sommes au milieu de septem- 
bre et on a fait le plein d'officiers supé- 
rieurs en vue d'événements projetés. Je 
vais à Paris et demande au Directeur de 
l'infanterie, le colonel Margot, de me faire 
affecter au front dans n'importe quel régi- 
rnent ; je veux être de la fête qui se pré- 
pare ! Ma chance me sert bien : elle m*eiî- 
voië au §6* régiment d'infanterie en Cham- 
pagne. 

Lorsque j'y arrive, le i" octobre 1916, 



LE FORT DE VAUX 38 

le régiment commandé par le brave lieu- 
teliant-colcmel Pouget^ est installé dans 
une petite tranchée de fin de combat entre 
les buttes du Mesnil et de Tahure, devant 
la tranchée boche de la Vistule. Celle-ci 
est à contre-pente et protégée par un épais 
réseau de fil de fer intact contre lequel est 
venue buter Tattaque du 25 septembre. 
Nous en sommes à une distance qui varie 
entre 4o et 60 mètres, et on prépare l'at- 
taque de cette deuxième ligne ; l'action 
des deux artilleries est déjà très vive... Je 
suis la bataille et la salue avec joie... Hé- 
las ! Hélas ! elle va me rendre cruellement 
mon saint. Jamais deux sans trois, ai-je 
écrit en tête de ce chapitre, et j'ai été 
blessé deux fois... 

Le 3 octobre au matin, comme je guide, 
dans ma tranchée de i" ligne, une recon- 
naissance faite i>ar un officier d'état-ma- 



j 

I 



34 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



jor de la Division, je reçois un coup vio- 
lent dans le ventre et je trébuche. 

— Vous êtes touché, mon comman- 
dant ! s'écrie mon compagnon. 

Sans répondre, je défais la ceinture de 
mon pantalon : j'y découvre un trou net 
qui déjà s'étoile de sang, et j'éprouve une 
vive douleur quand je veux m' appuyer 
sur ma jambe gauche. 

Aidé et presque porté par un de nos vi- 
goureux poilus, j'arrive en suivant les 
boyaux au poste de secours et le médecin 
fait la reconnaissance de ma blessure. J'ai 
été traversé de part en part par un schrap- 
nell qui a fracassé la tête de l'os illiaque... 
Je suis navré. J'injurie la guigne et le 
fatal proverbe. Depuis deux jours à peine 
dans l'atmosphère chaude du combat, me 
voilà contraint de m'en éloigner à nou- 
veau et, cette fois, très mal en point, je 
n'ai, pour m'en rendre compte, qu'à re- 



LE FORT DE VAUX 35 

garder la figure que font les médecins lors- 
qu'ils lisent la fiche attachée à mon ha- 
bit... 

Je suis renvoyé d'ambulance en ambu- 
lance, et aucune ne se soucie de me gar- 
der. Finalement, je suis expédié à Vitry- 
le-François, oti j'arrive avec une belle pé- 
ritonite. Heureusement elle cède au bout 
de quelques jours et le chirurgien peut 
m'opérer. Je subis une double éventration 
suivie d'un curetage de la tête de l'illia- 
que. On me remet gentiment, après l'opé- 
ration, deux ou trois cubes d'os gros 
comme des dés à jouer. J'ai maintenant 
deux blessures énormes à cicatriser, mais 
je suis sauvé, la guérison n'est qu'une af- 
faire de temps... 

Je quitte l'hôpital, je pars une fois en- 
core en convalescence, et le printemps de 
191 6 me trouve à Béziers, au dépôt de 
mon régiment, le 96\ 



86 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



Je suis hors He danj3fer et en bonne voie 
(le guériso)!, mais je niarnhe péniblement; 
la cicatrisation de la plaie est d'une len- 
teur désespérante, et j'ai hâte d'en finir : 
l'inaction me pèse, sans parler du petit 
compte que j'ai à régler avec ceux qui m'y 
ont réduit. Le shrapnell a beau être loin : 
je l'ai toujours sur le cœur. 

Un médecin m'offre de me guérir radi- 
calement en trois jours. Il a un remède 
souverain : la compresse imbibée d'éther. 
« Vous mouillez toutes les trois heures, et, 
à la fin du troisième jour, plus rien, une 
cicatrice à se mettre à genoux devant... » 

L'éther... Je me souviens d'avoir lu dans 
les Impressions (Tun voyage en Suisse, 
d'Alexandre Dumas — vous le savez sans 
doute, cet empereur des romanciers fut 
un enragé collectionneur de recettes — 
que l'éther a toutes les vertus ; rien ne lui 
résiste, pas même le choléra, dont il vous 



LE FORT DE VAUX 37 

débarrasse en un tour de main... Il n'y a 
pas à hésiter : le tombeur du choléra ne 
fera qu'un bouchée de ma plaie ! 

— Allons-y, docteur ! 

Et j'y vais : trois jours, soixante-douze 
heures durant, je me soumets religieuse- 
ment au traitement préconisé par l'excel- 
lent docteur, qui est, peut-être, comme 
moi, un lecteur de Dumas père — traite- 
ment facile à suivre mais un peu lancinant 
tout de même, avec la perpétuelle sensa- 
tion de chaleur trop vive que détermine 
l'action de l'éther... Bast I II faut, comme 
pour être belle, souffrir un peu pour gué- 
rir... 

La fin du petit supplice vient avec la 
soixante-douzième heure ; le docteur qui 
ne m'oublie pas est là pour constater les 
triomphants effets du traitement... Ta- 
bleau ! non seulement la plaie n'est pas 
cicatrisée, mais elle s'illustre à cette heure 



38 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

d'une magnifique brûlure, une brûlure à 
vif, large comme les deux mains ! 

Je vous assure, mon cher docteur, que 
je ne vous en ai pas voulu. C'était la faute 
à Dumas père, ce prestigieux endormeur 
de Dumas... Aussi bien, vos bons soins eu- 
rent vite raison de la brûlure, et la cica- 
trisation elle-même se décida à marcher 
normalement. 

Maintenant, nous sommes en mai et 
dans le Midi, ce Midi où le printemps, 
prompt à s'épanouir, semble, dès son au- 
rore, courir après Tété... 

Des fleurs partout. Je retrouve dans 
Tair cette traînée de parfums que font 
dans les rues de Paris les petites voitures 
de marchandes de violettes. Et, tout ra- 
gaillardi, rajeuni, je pense à ceux qui, 
plus heureux que moi se battent là-haut 
pour libérer le sol français. 

L'heure est grave : c'est la grande ruée 



LE FORT DE VAUX 39 

sur Verdun. Verdun que l'aimable héri- 
tier de Guillaume II s'est juré d'enlever. 
Les JGumaux, les communiqués, nous ap- 
portent chaque jour les échos de la formi- 
dable tempête. 

Un matin, le commandant du dépôt, 
l'excellent lieutenant-colonel de Fleurac, 
nous communique une dépêche du minis- 
tre demandant des officiers supérieurs ou 
des capitaines qui, insuffisamment guéris 
pour reprendre leur place dans le rang, 
pourraient exercer le commandement d'un 
fort dans la zone des armées. 

Je demande immédiatement à être pro- 
posé, encore que ce commandement ne 
soit pas mon idéal : à mon sens, ces pos- 
tes-là conviennent plutôt aux officiers du 
génie et aux artilleurs, et je suis un fan- 
tassin. Un espoir m'est venu : 

— Et si l'on me donnait un fort de Ver- 
dun ! 



40 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Je rêv6 d'être tout de suite aux prises 
avec Tennemi. 

Quelques jours après, le lieutenant-co- 
lonel de Fleurac m'annonce que ma de- 
mande, transmise et appuyée par la i6^ ré- 
gion, est agréée, et que je suis appelé à 
Bar-le-Duc. Et il ajoute en me serrant la 
main : 

— Cognez ferme, pour vous et pour 
moi qui vous envie I 



't 



W^' 



CHAPITRE II 



L INVISIBLE BJ.ES§URE 



En route pour Bar-le-Duc I 

Là, j'ai pour voisin de chambrie, à Thô- 
tel où je suis descendu, un chef de batail- 
lon venu pour les mêmes raisons que moi. 
Les yeux de cet of licier ont quelque chose 
d'étrange, qui m'a frappé tout de suite : 
ils rêvent sans cesse, semblent regarder 
loin, très loin, des images qu'ils sont seuls 
à voir. 

D'autres chefs de bataillon et des capi- 
taines sont accourus des quatre coins de 
la France h l'appel du ministre ; ils atten- 
dent à Bar-le-Diîc leur désignation. 



42 JOURNAL DU COMMANDANT HAYNAL 

t 

Dès le lendemain de mon arrivée, un 
officier supérieur de l'armée de Verdun, 
dont le quartier général est à Souilly, nous 
réunit, puis nous reçoit individuellement. 

Une première sélection s'opère. J'en sors 
désigné pour la rive droite de la Meuse et 
je suis dirigé sur Dugny avec quatre ca- 
marades : un commandant et trois capi- 
taines. Le commandant est l'officier au 
regard singulier... 

Dans le wagon du « Petit Meusien », 
chemin de fer d'intérêt local qui va de 
Bar-le-Duc à Verdun, se retrouvent les of- 
ficiers désignés pour la rive droite, et, 
parmi eux, je reconnais mon ancien con- 
disciple du lycée d'Angoulême, le capi- 
taine Richard Fournier. Amputé d'un pied, 
qu'il a remplacé par un pied mécanique, 
Fournier n'a pas pu se résigner à la ré- 
forme. Lui aussi veut en découdre encore ! 

Le voyage est gai ; un de nos camarades. 



LE FORT DE VAUX 43 



le capitaine Poiriei-, emplit le wagon de 
son rire sonore et nous éblouît d'un feu 
d'artifice de lazzi... 

Seul, le commandant reste froid, même 
taciturne, et, à le regarder perdu dans sa 
mystérieuse songerie, j'éprouve un vague 
malaise. 

A Dugny, nous prenons, dès notre ar- 
rivée, contact avec l'état-major du groupe 
Lebrun qui, installé au château, com- 
mande la rive droite de la Meuse. Nous 
sommes présentés au chef d'état-major, et 
le capitaine Didio qui représente auprès de 
lui le service des forts, nous fait connaître 
nos désignations respectives : 

Le capitaine Foumier aura le fort de 
Lendrecourt, le capitaine Poirier celui de 
la Falouze. Restent à pourvoir les forts de 
Vaux et de La Laufée. Je pose ma candi- 
dature pour Vaux, mon rêve, l'entrée 
presque immédiate dans la grande ba- 



44 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

taille. Mon camarade, le commandant, se 
met simplement à la disposition du géné- 
ral... 

Le capitaine Didîo sort un instant et re- 
vient avec cette décision : nous sommes, 
rhoft camarade et moi, désignés tous deux 
pour Vaux : nous nous relèverons par pé- 
riodes de dix jours, et j'aurai pouf assurer 
Tunitê de vues, la direction du service. 

Je suis heureux, ravi : c'est bien mon 
rêve qui se réalise ; la mesure qui me 
donne un second a sa signifleatioh très 
claire : il fera chaud là-haut ! 

Je regarde mon camarade : il est tou- 
jours froLd, ses yeux semblent encore cher- 
cher Fîmage lointaine qui les attire. 

En sortant de là, nous gagnons le loge- 
ment qui nous est assigné, un café aban- 
donné, tout près de la gare, qui est, pres- 
que chaque jour, bombardée... 

Un drame m'y attend, un drame dont le 



LE FORT DE VAUX 45 

souvenir m'obsède et qu'il faut que je ra- 
conte. Ce faisant, je tiens une promesse, 
je paie une dette. 

Le café, ai-je dit, est abandonné^ et pour 
cause. Nos camarades, les capitaines, se 
sont logés comme ils ont pu au rez-de- 
ehaussée ; au premier, qui est en même 
temps le grenier, j'occupe une chambre 
délabrée ; le commandant s'est installé 
dans la chambre voisine. 

La nuit e&t venue, la nuit de mai si 
douce et parfumée, là-bas dans le Midi, 
peuplée ici d'échos et de rumeurs dont 
l'origine m'est connue : c'est la tempête 
de Verdun qui fait rage... 

Jusqu'ici, nulle menace de bombarde- 
oMoti et nous aurons sans doute une nuit 
calme, la dernière ou ravant-dernière 
avant notre entrée dans Tenfer. 

Je ferme les yeux sur cette vision, je 
vais m'endormir... 



1 ^ 



46 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Non 1 mes yeux se rouvrent, je me dresse 
à demi. 

Des bruits étranges me viennent de la 
chambre voisine, celle du commandant. 
Une voix éclate dans la nuit : 

— Le hublot I Le hublot !... Une plan- 
che, nom de Dieu ! Une planche 1 La 
corde 1 

C'est le commandant qui parle, qui crie, 
et sa voix rauque et courte, comme étran- 
glée, a quelque chose de terrifiant. 

Que se passe-t-il donc P Que veut-il dire 
avec son hublot et sa planche, cette plan- 
che et cette corde qu'il réclame en ju- 
rant ?... 

Je saute à bas de mon lit, je m'habille à 
la diable. Je cours à la porte de la cham- 
bre voisine... 

La porte refuse de s'ouvrir : elle est fer- 
mée au verrou... 

Je frappe. J'appelle le commandant, il 



LE FORT DE VAUX 47 

ne me répond pas, et continue de crier : 

— Le hublot ! La planche I La corde !... 

D'un coup d'épaule, je fais sauter le ver- 
rou, je suis dans la chambre. 

Trop tard ! J'arrive pour voir le com- 
mandant ouvrir la fenêtre et se jeter dans 
le vide ! 

Je cours à cette fenêtre. Je regarde et, 
dans la nuit clarire, je vois le grand corps 
du commandant étendu sur le sol. 

Je m'élance dans l'escalier, je le des- 
cends en courant, j'appelle à Taide les 
deux capitaines, et, sans les attendre, je 
me précipite sur la route où mon malheu- 
reux camara(^est tombé. 

Il est toujours là, étendu, il n'a pas 
bougé, il ne bouge pas ; îl a les yeux ou- 
verts, des yeux exorbités... 

Je me penche, je le tâte, je le secoue, et 
j'ai la joie de le voir revenir à lui, de l'en- 
tendre parler... 

4 



48 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Il me reconnaît : 

— Ah I c'est vous, Raynàl... itierci... ai- 
dez-moi, je Vous prie, à rîie relever... Je 
me sens tout étourdi... Je ne sais pas ce 
qui m'est arrivé 

Et, soudain, dans un tressaillerlrieilt : 

— Si ! Si !... Je le sais... C'est atroce ! 
atroce !... 

Les capitaines spnt acpourus ; ils m'ai- 
dent à relever le malheu^reux... 

Il pput marc^^çr ; tombé (i'ui^ premier 
peu élevé, il n'a pté qu'étoijfdi... 

Appuyé sur l'un, soutenu par l'autre, il 
rentre dans le café et retrouve niênae la 
force de remonter à sa chamb^P--- 

Nous le couchons et il achève dp se re- 
mettre... 

Je le regarde, à la lumière de la bougie 
que l'un de nous a ralluma : il est d'unis 
pâleur de cadavre, ses yeujc ont toujours 



LE FORT DE VAUX 49 

leur expression d'épouvante, avec quelque 
chose de cruellement humilié... 

Les observations que j'^i faites me re- 
viennent ; je revois son regard qui m'avait 
frappé, son regard de rêve qui semblait 
chercher loin, très loin, des choses qu'il 
était seul à y découvrir... 

II ïiqie parle, il balbutie : 

— Je vQus demande pardon... Il ne faut 
pas m'en vouloir... Si vous saviez... 

Il s'arrête, ses yeux se ferment, de gros- 
ses larmes s'en échappent qui roulent sur 
ses joues. 

Je lui prends la main : 

— Soulagez votre cœur, nous sommes 
vos camarades, vos amis... Vous pouvez 
toiit nous dire... 

Il s'y décide brusquement : 

— Oui... oui... Je vais tout vous dire. 
Il faut que vous le sachiez ; je voudrais 

pouvoir le crier à toute la France et si 



50 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

fort qu'elle m'entende bien et n'oublie 
plus jamais ! 

Il retrouve sa voix ferme, il dit nette- 
ment ce qu'il veut dire — et nous appre- 
nons le douloureux secret de mon pau- 
vre second : 

— Vous avez dû vous demander, 
comme tant d'autres, quelle blessure 
j'avais bien pu recevoir, dont personne 
n'avait jamais rien vu... Blessure effroya- 
ble, autrement cruelle que la perte d'une 
jambe ou d'un bras ; c'est ma tête qui a 
été blessée, ou plutôt mon cerveau... Je 
suis une lamentable victime de la sauva- 
gerie boche. Il y a six mois, comme je 
rentrais de Salonique, notre bateau fut 
torpillé, la nuit ; il coula en quelques mi- 
nutes, et je me vois encore, je me vois tou- 
jours cherchant à m'échapper par le hu- 
blot que je ne parvenais pas à ouvrir, et 
me jetant enfin dans l'eau noire et me dé- 






LE FORT DE VAUX 51 

battant et appelant désespérément une 
planche où me cramponner... 

J'écoute, béant ; je m'explique enfin son 
cri rauque : Le hublot !... la planche !... 

Il continue : 

— Combien de temps dura ce supplice ? 
Je n'en sais rien ; ce que je sais, c'est que, 
de loin en loin, j'étais inondé de lumière : 
les réflecteurs du sous-marin fouillaient la 
surface de la mer... pour sauver les nau- 
fragés P non I Les bandits boches nous ti- 
raient dessus pour achever leur besogne 
d'assassins ! A un moment, mes forces 
m'abandonnèrent, je sentis que tout était 
fini... Je me trompais : j'allais être sauvé. 
A la seconde où je perdais connaissance, 
je fus recueilli par un torpilleur... Mais le 
coup était porté, la blessure invisible ne 
devait plus se fermer... 

Le malheureux respira longuement, 
puis, dans un effort : 



52 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

— Tout 1 tout 1 Je dirai tout ! 

Et il reprit : 

•^- J'ai passé trois mois dans une maison 
de santé oÈi les soins éclairés sont venus à 
bout de Tébranlement cérébral qile j'avais 
subi... J'ai recouvré toute ma raison, la 
pleine conscience de mon être ; mais je 
sens toujours l'affreuse blessure ; la bles- 
sure reste, vous dis-je ! J'ai toujours là, 
devant les yeux, le hublot qui me résiste, 
cette planche qui se dérobe, ces batidits 
qui me tirent dessus... Et malgré moi, 
mon cerveau se trouble, s'obniibile, l'haï- 
liicination me ramène à la minute terri- 
ble. Je cours au hublot, je réclame la plan- 
che... Et c'est atroce ! c'est atroce... Je nfe 
suis plus bon à rien. Je ne peux plus as^ 
sumer la responsabilité d'un commande- 
ment, la joie m'est interdite d'en finir en 
me faisant tuer pour la France !.. 

Il s'est remis à pleurer, ses derniers 



LE FORT DE VAUX 68 

mots sortent dans un sanglot, et nos yeux 
à nous, nos yeux qui ont vu tant de misè- 
res et de malheurs, se sont mouillés aussi ; 
le capitaine Poirier, la gaîté faite homme, 
le Gaulois au rire sonore, essuie une larme. 

Notre malheureux camarade voit tout 
cela, et de nouveau il s'excuse : 

— Je vous demande pardon... 

Nous lui serrons les mains, nous l'assu- 
rons de notre sympathie profonde, nous 
lui jurons de garder pour nous sa pénible 
confidence... 

Il se redresse : 

— Non, je ne vous demande pas de la 
garder ! Taisez mon nom, mais dites à 
tous ce que les bandits boches ont fait de 
moi ! Dites, criez les crimes dont se sont 
souillés les équipages de leurs sous-ma- 
rins ! Il faut que la France les connaisse, 
il faut qu'elle se souvienne au jour du rè- 



JOURNAL DU COMMANDANT RAVNAL 

des comptes ! Parlez ! Parlez ! Et 
loi ! 

ait, mon cher camarade, toute la 
iaura l'infamie boctie et votre 
ux martyre — et, à l'heure où 
îla, nos poilus vous ont vengé et 



CHAPITRE III 



SUR LE CHEMIN DE L ENFER 



Mes camarades Fournier et Poirier 
gagné leur poste avant moi, je ne m 
terai à Vaux que dans la nuit du 20 au 
et j'y monterai seul : mon pauvre sec 
a été examiné par un médecin et éva 
sur une formation sanitaire. 

Je profite de quelques jours qui me 
parent de ma prise de commanden 
pour me mettre au courant de la situai 
à Vaux. 

Tout le monde sait qu'avant l'attaque 
lemande, les forts de Verdun ont été 
classés et conséquemment désarmés. 



56 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

point à fixer, pour ce qu'il peut servir à 
la confusion de nos ennemis : 

Quand les Boches arrivèrent sur le fort 
de Douaumont, ce fort n'était plus occupé 
que par un gardien de batterie et quel- 
ques territoriaux de tîorvée. Et telle fut la 
grande victoir;e des sublimes Brandebour- 
geois de Guillaume II, cette victoire que 
les communiqués boches et le kaiser lui- 
même célébrèrent avec l'imprudent lyris- 
me que Ton sait : ce fort qu'ils disaient 

<( cuirassé », qu'ils qualifiaient d'impre- 
nable pour d'autres que les valeureuses 
troupes impériales, était désarmé et avait, 
pour tous défenseurs, un gardien de bat- 
terie et une douzaine de territoriaux en- 
voyés là pour achever le déménagement de 
son armement.. Après cela, relisez, je 
vous prie la triomphale dépêche dli kaiser 
à ses fidèles hobereaux du Brandebourg ! 
C'est notr^ tour de rire ! 



■îTr 



LE FORT DE VAUX 57 



Je revlieiis à Vaux. Ce fort que je vais 
coratiiûnder a été déclassé et désarmé en 
même temps que celui de Douaumont... 
Disons-le bieil vite, à la décharge de ceux 
qui la décidèrent, cette mesure semblait 
justifiée par Texpérience des forts de Liège 
et de là Meuse, de ceux de Maubeugè et 
des places fortes de Russie, que Tartillerie 
lourde de l'ennemi avait facilement té- 
duits au silence, sinon en poussière. 

Mais voici que notre commandement a 
résolu de défendre le terrain pied à pied 
en le faisant payer au poids du sang i Pé- 
tain a laticé son beau cri : « Verdun, on 
ne passe pas ! » On utilisera les forts, 
même désarmés, pour en faire des points 
d'appui et des abris d'infanterie, évidem- 
ment plus confortables et plus sûrs que 
les abris creusés par la pelle et la pioche 
de nos fantassins sur la ligne de combat. 
La réalisation de cette décision nécessite. 



58 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

sinon la remise complote du fort en son 
état antérieur — ce qui est impossible — 
au moins une réorganisation aussi forte 
que les circonstances et le temps le per- 
mettent. De là, la création du « Service 
des forts », organe rattaché à Tétat-major 
de l'armée de Verdun ; de là également la 
dépêche du ministre à laquelle mes cama- 
rades et moi devons notre commandement 
actuel . 

Je ne m'attends pas à trouver le fort de 
Vaux outillé comme il Tétait avant son dé- 
classement et je ne saurai exactement l'état 
de son armement que plus tard et sur 
place ; mais je peux déjà m'en faire une 
idée assez nette par les renseignements que 
me fournit l'état-major et ceux que j'ob- 
tiens des gradés et des soldats du génie 
qui y font le service et sont relevés par la 
compagnie stationnée à Dugny. 

Je passe mes journées à travailler avec 



LE FORT DE VAUX 59 

le capitaine Didio ; nous allons ensemble 
visiter le fort de La Falouze, tout près de 
Dugny ; éloigné du terrain d'attaque, ce 
fort a pu être réorganisé complètement. 
C'est le capitaine Poirier qui commande 
La Falouze, il a toujours son aimable 
bonne humeur, mais son rire gaulois s'est 
tu. Il nous fait les honneurs du fort ; je 
vois fonctionner les pièces de 76 sous cou- 
pole et les mitrailleuses. Sauf la coupole, 
je connais ces joujoux, ils me sont fami- 
liers : j'ai assisté de près au travail des 
mitrailleuses et apprécié depuis longtemps 
rétonnante précision et les terrifiants ef- 
fets de notre canon. Je me revois en Ar- 
tois, grimpé dans un arbre pour surveil- 
ler à la lorgnette le bombardement d'un 
retranchement ennemi que je fais réduire 
par l'artillerie : tir merveilleux de justesse, 
chaque coup porte et entame le retran- 
chement à l'endroit voulu ; on dirait d'un 



■OURNAL DU COMMANDANT EAYNAL 

e de la carabine s'amusant dans un 
isser successivement les dix doigts 
lannequin qui ferait kamarade ! 
» est une carabine modèle et nos ar- 
sont d'admirables virtuoses, 
tout coup l'on gagne 1 me dit Poi- 

isité par un souvenir d'histoire : 
l'heure qu'il est, avec ces joujoux- 
urs pointeurs, je me chargerais de 
■ le rêve d'Alexandre-le-Grand, 
e rêve... Quel rêve ? 
î Mont Athos qu'il voulait faire tali- 
on imagfe... Parfaitement ! Je suis 
icu que nos 75 pourraient sculpter 
ler et le transformer en une statue 
le, avec ressemblance garantie. 
ouS cherrez, Poirier ! Vous cherrez 

trtage d'ailleurs son admiration, et 
^ec lui qu'on peut tout demander au 



LE FORT DE VAUX * 81 

75... sauf, pourtant, de tailler dans la butte 
Montmartre la statue de tel ou tel' de nos 
Alexandres, grands ou petits... 

L'heure est venue de monter à Vaux. 

Au dernier moment, contre-ordre. 

L'attaque de Mangin, sur le fort de 
Douaumont, va retarder de trois jours tou- 
tes les relèves — c'est la consigne — et ce 
retard sera sans doute prolongé par les 
difficultés que rencontre Fattaque : les 
troupes françaises parviennent à prendre 
pied sur une partie du fort de Douaumdnt 
et à élargir notre position sur le plateau 
de la Caillette, mais elles ne peuvent péné- 
trer dans le fort lui-même... 

Je décide de ne pas différer plus long- 
temps ma montée à Vaux, et, dans la nuit 
du 23 au 24, j'effectue le trajet.' 

Facile jusqu'au fort de Ta vannes oh je 
suis transporté par une auto d'ambulance, 
le parcours devient, à partir de ce point. 



i 

62 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



singulièrement aventureux : la région est 
soumise à un bombardement intense ; cha- 
que jour, nos troupes de relève et nos dé- 
tachements de corvée y éprouvent des per- 
tes sérieuses... J'attends une éclaircie qui 
ne vient pas, et, comme il me faut arriver 
cette nuit même, je pars sous la pluie de 
fer. Vers une heure du matin, conduit par 
deux sapeurs du génie, je me lance dans le 
boyau de communication... 

J'ai pour toute arme ma canne de blesse 
et mon revolver ; le sabre n*est d'ailleurs 
d'aucune utilité en première ligne et tous 
nos officiers d'infanterie y ont renoncé... 
Je dis ma canne de blessé ! elle est encore 
très utile à ma marche, et j'aurai à en re- 
parler à propos d'un incident que tous les 
journaux ont rapporté plus ou moins exac- 
tement, et qu'il me faudra remettre au 
point. 

Le boyau que je suis avec mes deux sa- 



LE FORT DE VAUX 63 

peurs nous protège assez efficacement jus- 
qu'au rebord accidenté du ravin de la 
Horgne que nos poilus ont baptisé « le Ra- 
vin de la Mort ». A partir de là, eji raison 
du peu d'épaisseur de la croûte de terre, 
le boyau est souvent interrompu par les 
effets du bombardement, et, de l'autre 
côté du ravin, nous ne retrouvons plus le 
tracé, il nous faut progresser sous la mi- 
traille, de trou d'obus en trou d'obus... 
Ajoutez à cela qu'incapable encore d'un 
long effort, je dois m'arrêter souvent, et 
voici bientôt les premières lueurs du jour, 
les tirs de l'ennemi dirigés par l'observa- 
tion aérienne vont devenir d'une terrible 
précision... Des obus éclatent à chaque 
instant autour de nous, nous obligeant à 
de^ plat- ventre un peu brusques... 

Nous cheminons malgré tout I Nous pas- 
sons 1 Nous arrivons 1 Vers trois heures du 
matin, comme l'aube se lève, nous parve- 

5 



64 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

nons, trempés de sueur, moulus de fati- 
gue, à l'entrée de fortune pratiquée dans 
le coffre nord-est du fort. 

En pénétrant dans ce coffre, puis dans 
la gaine qui le relie à la grande casemate, 
quelle impression 1 Des poilus s'y pressent 
en tel nombre qu'il est extrêmement diffi- 
cile de circuler, et je suis très longtemps à 
pouvoir atteindre mon poste de comman- 
dement : le fort est utilisé comme abri par 
les troupes de relève et les unités relevées 
des tranchées situées à gauche et à droite. 
Elles y trouvent une protection passagère, 
mais quel danger elles font courir au fort I 
Si une attaque se produisait, il serait litté- 
ralement impossible de régler un mouve- 
ment dans ces gaines bourrées d'hommes, 
et tous les occupants seraient pris avant de 
pouvoir se défendre. 

Mon premier soin, contact pris avec le 
capitaine Hoffmann que je relève, est de 



««p«w« 



LE FORT DE VAUX 65 

— ■>■ ■ ■ Hi ll H I II . ■■■ , 1 . .■ . . il . III 

signaler la situatioa à qui de droit. Mon 
. prédécesseur Ta déjà fait, j'insiste «t vais 
avoir satisfaction avant l'heure de la ba- 
taille. 

N'attendons pas cette heure pour expo- 
ser l'état du fort. 

Construit sur la falaise des Hauts-de- 
Meuse, il domine la Woëvre, et ses deux 
observatoires permettent de surveiller très 
loin les mouvements qui se produisent. 
Au-dessous de lui, la pente est douce 
d'abord, puis devient très abrupte. Un peu 
après ce changement et au-dessous de la 
crête militaire, c'est-à-dire dans l'angle 
mort, la tranchée ennemie court à i5o mè- 
tres à peine du fort. Devant ce dernier, 
une mince tranchée française^ occupée 
pendant la nuit, intenable de jour, ser- 
pente parallèlement à la tranchée ennemie 
et se relie à gauche avec la position de 
l'étang de Vaux et, à droitOi avec celle de 



66 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

• 

Damloup. Plus à gauche, nos tranchées 
sont établies sur les pentes est du ravin de 
la Fausse-Côte et couvrent le ravin et le 
bois de la Caillette, au sud du fort de 
Douaumont. C'est après mon entrée à 
Vaux que j'apprends ce que j*ai déjà dit 
plus haut : les éléments de Mangin qui, 
malgré leur résistance héroïque, n'ont pu 
se maintenir sur les dessus de Douaumont, 
se sont établis un peu au sud, sur le pla- 
teau de la Caillette. 

A ma droite, le village de Damloup, or- 
ganisé définitivement, forme un grand 
éperon qui s'enfonce dans la ligne enne- 
mie et flanque les pentes du fort de Vaux. 
Très en flèche, cette organisation de Dam- 
loup est précaire ; celle de l'étang de Vaux 
ne l'est, d'ailleurs, pas moins. 

Dès le 9. fi mai, je me livre à une recon- 
naissance minutieuse de mon fort et de 
ses moyens de défense. 



iVBMMMa 



LE FORT DE VAUX 67 

Du haut des observatoires, j'examine le 
terrain des approches du fort. Il a été cou- 
vert d'un épais réseau de fils de fer dont il 
ne subsiste aujourd'hui que quelques pi- 
quets tordus ; les fils de fer se sont volati- 
lisés sous le bombardement. Le terrain 
n'est plus qu'un champ d'entonnoirs qui 
s'étend loin du côté de Souville comme du 
côté de Douaumont. J'aperçois très bien 
les bois Fumin, de Vaux, du Chapitre, de 
la Caillette... Leurs arbres, rares mainte- 
nant, n'ont plus une feuille ; ils dressent 
lamentablement leurs fûts mutilés et rous- 
sis — et nous sommes à la fin de mai : les 
Boches ont supprimé le printemps. 

Les fossés du fort, à demi comblés par 
la chute des revêtements, sont partout 
franchissables, sauf sur la façade de gorge. 

Notez ce détail des fossés comblés : nous 
le retrouverons à un moment tragique. 

A l'intérieur du fort, les voûtes sont en- 



68 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



core en état satisfaisant au-dessus de la 
grande casemate ; ailleurs, elles n'ont pas 
résisté au bombardement. La gaine de gau- 
che a été crevée par un 38o. Les plafonds 
de la casemate de Bourges, à gauche, s'in- 
fléchissent et glissent d'une façon inquié- 
tante. Dans la gaine qui conduit à la case- 
mate de Bourges, de droite, des parties de 
la chape se sont écroulées. Au coffre nord- 
est, les dégradations sont sérieuses. Dans 
la grande casemate qui sert d'abri à nos 
honmies, la voûte a résisté ; mais une lé- 
zarde énorme court tout le long de la fa- 
çade intérieure, à la jonction du mur ver- 
tical avec la voûte. 

La coupole de 76 s'est effondrée, ainsi 
que la gaine qui y conduisait. L'entrée 
normale par la gorge a eu le même sort : 
il y est suppléé par deux entrées de for- 
tune qui ont été ouvertes à la mine dans 
les coffres nord-est et nord-ouest. 



-IT- 1 a ^^JBAJ "■ - 'Tti iaaaaMifc^m 



LE FOUT DE VAUX 69 

Enfin, une ^fîroyabk odeuî* empoisonne 
Tair : elle vient des cadavres putréfiés et 
des excréments accumulés dans les fossés. 

Avec un officier du génie, le sous-lieu- 
tenant Roy, qui commande les sapeurs, je 
prends toutes les mesures urgentes et fais 
procéder aux travaux indispensables ; nos 
sapeurs les exécutent sous le feu de Ten- 
nemi. 

Un autre officier du génie, un techni- 
cien que la division m'envoie à la suite de 
mon rapport, passe avec moi la nuit du 
3i mai au i*' juin et la journée suivante ; 
il confirme toutes mes observations et ap- 
puie toutes mes demandes • — un peu trop 
tard, hélas ! Il peut repartir et rejoindre 
au commencement de la nuit du i" au 
2 juin ; vingt-quatre heures encore, il ne 
passait pluô ! A partir du 2 juin, nous se- 
rons complètement isolés, et Ton pourra 
inscrire le vers de Dante Alighieri à l'en- 



70 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

trée de cet autre enfer que va être notre 
fort : « Lasciate ogni speranza, voi cK en- 
trate. » 

Au point de vue armement, la coupole 
de 75, ai- je dit, est effondrée ; les pièces 
qui garnissaient les deux casemates de 
Bourges ont été enlevées. A la place des 
75, des mitrailleuses sont braquées dans 
les embrasures ; celles de gauche battent 
le terrain dans la direction du ravin de la 
Fausse-Côte ; celles de droite le terrain 
entre Damloup et les bois de la Laufée. 
Dans les coffres de flanquement, se trouve 
la petite artillerie qui bat les fossés : ca- 
nons-revolvers et de douze-culasse. Ces 
pièces n'ont aucune action au delà des fos- 
sés : leur champ de tir est limité à ces 
derniers. 

Le fort n'a pas de mitrailleuses sous cou- 
pole ; seul peut-être des forts de Verdun, 
il est démuni de cet engin qui m'aurait 



LE FORT DE VAUX 71 

permis de battre efficacement les dessus 
du fort. Quant aux terrains d'approche, 
ceux qui s'allongent devant les embrasu- 
res des casemates de Bourges peuvent seuls 
être battus par des éléments qui sont rela- 
tivement à l'abri. 

Mes dispositions sont aussitôt prises 
pour, à l'heure de l'attaque, faire occuper 
rapidement par des mitrailleuses qui en 
interdiront l'accès, les dessus du fort et 
certains postes aux entrées : on verra com- 
ment ces dispositions ne purent jouer... 

Chacune des gaines conduisant aux cof- 
fres nord-est et nord-ouest est pourvue 
d'un observatoire sous coupole : je peux 
de là surveiller au loin la plaine de la Woë- 
vre et, à droite et à gauche, les terrains 
d'approche, et me rendre compte de tout 
ce qui menace mon fort ; mais je n'ai pas 
les moyens de répondre efficacement à ces 
menaces : pièces de 76 et mitrailleuses 



72 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

SOUS coupole, artillerie dans les casemates 
de Bourges, tout cela, je le répète, me 
manque. 

La garnison se compose d'une compa- 
gnie du i42* régiment, la sixième, sous les 
ordres du lieutenant Alirol, d'une compa- 
gnie de mitrailleurs, commandée par le 
lieutenant Bazy, d'un détachement d'artil- 
lerie affecté à la manœuvre dès pièces de 
ilanquement et des crapouillots, d'un dé- 
tachement du génie et de quelques soldats 
des services d'administration et de santé ; 
ces détachements doivent être, en principe, 
relevés tous les quatre jours : ils ne le se- 
ront plus. 

J'ai là, en tout, près de 3oo hommes, 
mais ce chiffre va s 'augmenter presque 
tout de suite d'une cinquantaine de mitrail- 
leurs du 53^ régiment, puis des éléments 
des ICI* et i42* régiments qui, de la pre- 
mière ligne où ils sont podtés potir proté- 



LE FORT DE VAUX 73 

ger le fort, refluent vers nous pour ne pas 
être submergés par le flot ennemi. Ajoutez 
à ces chiffres quelques blessés rapportés 
du dehors, les rescapés de l'étang de Vaux 
qui sç réfugient dans le fort ; j'aurai bien- 
tôt plus de cinq cents bouches à nourrir 
— et j'ai des provisions pour 3oo hommes, 
chiffre normal de la garnison. L'eau con- 
tenue dans la citerne doit, d'après le regis- 
tre, s'élever à 5.ooo litres environ : sur ce 
point encore, une déception m'attend. Ah! 
ce problème terrible de l'eau ! Ce spectre 
de la soif, l'ennemi qui a toujours le der- 
nier mot.,. 

Nous y reviendrons, hélas ! 

Un chiffre encore , j'allais oublier dans 
la revue de mes forces, quatre soldats 
d'une arme très spéciale, quatre héros en- 
fermés dans une cage et qui ne trahissent 
leur présence que par leurs tendres rou- 
coulements : des pigeons du colombier de 



74 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



Verdun, admirables courriers ailés qui, au 
travers dm tirs de barrage, parmi les écla- 
tements des bombes et des marmites, se- 
ront à un moment nos uniques agents de 
liaison avec l'arrière . 

Cette liaison était d'abord assurée par 
le téléphone ; mais, ce dernier anéanti par 
le bombardement, elle ne s'opère plus, à 
cette heure, que par couleurs. Cette ques- 
tion essentielle n'est pas, d'ailleurs, sans 
préoccuper le commandement, et je suis 
avisé que je vais recevoir un petit déta- 
chement du génie chargé d'installer au 
fort la télégraphie sans fil... Nous reparle- 
rons de ce détachement et des pigeons 
aussi. 

J'organise ma défense, je distribue les 
postes, j'entraîne mes hommes. Mes offi- 
ciers me secondent avec un dévouement 
qui ne se lasse pas une minute et semble 



LE FORT DE VAUX 75 

croître à mesure que se rapproche Theure 
de la bataille. 

En même temps qu'il arrose copieuse- 
ment Tarrière et, coupant toutes nos com 
munications, rend notre ravitaillement 
impossible, l'ennemi, devant nous et, à 
droite et à gauche, à droite sur Damloup, 
à gauche sur la Caillette, dessine le mou- 
vement qui vise à nous encercler pour nous 
écraser à Taise sous des trombes de fer. 

Nous sommes à la nuit du 3o au 3i mai; 
j'attends les hommes qui m'apportent l'ap- 
pareil de télégraphie sans fil, je les sais en 
route... 

Ils arrivent. Les voici, — mais, d'abord, 
je ne peux me défendre de quelque effare- 
ment. 

Mon équipe de télégraphistes comprend 
en tout deux hommes et un chien !... 



.1, 



11 



CHAPITRE IV 



ouîQin 



Les hommes sont des sapeurs du génie, 
et ils ont les mains vides : pas le moindre 
appareil à poser ! 

Le chien est un jeune cocker mâtiné 
d'épagneul, aux yeux doux, aux longues 
oreilles tombantes^ qui se tient collé à la 
jambe de son maître, U sapeur Trayler. 

Je demande, regardant tour à tour le 
sapeur et son chien ; 

— C'est tout ? 

— Oui, mon commandant. Les autres 
sont restés en route avec l'appareil détruit. 

J'ai compris. Ils sont tous morts, les au- 



78 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

très ! Les Boches fauchent tout ce qui es- 
saie de passer... 

Je serre la main au rescapé. Le chien ne 
me quitte pas des yeux, il attend son tour 
et semble me demander : 

— Et moi ? qu'est-ce que tu vas me 
dire ? 

Lui, mon premier mouvement est de 
l'envoyer à tous les diables : c'est une bou- 
che à nourrir, une bouche inutile, et je 
suis tenu d'y regarder de près. 

Le sapeur devine : 

— Je vous en prie, mon commandant ! 
Laissez-le moi... Il n'est pas gourmand, il 
sait se contenter de peu, et je le nourrirai 
sur ma ration... Il n'est pas bavard non 
plus, il a été dressé à se taire ; quant à la 
propreté, il n'y a pas d'enfant aussi bien 
élevé que lui. \vec ça, il a ses petits ta- 
lents de société... et enfin, quoi ! c'est un 
enfant de troupe : il est né au mois de 



"iT 



LE FORT DE VAUX 79 

■ 

mars, à Verdun , il va avoir trois mois de 
service 1 

— Tu m'en diras tant ! 

Je suis vaincu. J'allonge la main pour 
caresser l'épagneul ; il la lèche, il me re- 
mercie à sa façon de l'accueillir dans ma 
petite garnison. Et sans qu'on l'y invite, 
il fait le beau et me donne un échantillon 
de ses petits talents de société qu'a déjà 
vantés son père nourricier. 

— Comment t'appelles-tu ? 
Le sapeur répond pour lui : 

— Marquis, mon commandant, à cause 
de ^a fncre qui s'appelait Princesse et qui 
est morte en nous léguant cet orphelin... 
morte comme un vrai poilu, au champ 
d'honneur 1 Alors, vous comprenez, on n'a 
pas hésité à l'adopter, l'orphelin... Mainte- 
nant, pour ce qui est de son nom et au 
cas où Marquis vous offusquerait, nous 
l'avons abrégé, nous en avons fait Quiquî. 



80 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Et, tandis qu'en entendant son nom, 
Quiqui se dresse sur ses pattes de derrière 
et salue de celles de devant : 

— Quiqui par q-u-i, mon commandant! 
Pas de K. Ah ! non alors ! C'est une lettre 
boche, le K, et là-dessus, Quiqui ne veut 
rien savoir.,. 

J'admire : 

— Bravo I Tu l'as bien dressé 1... 

— Oh ! dressé, c'est pas le mot, mon 
commandant... C'a été d'un facile 1 Une 
leçon a suffi... tellement que je me de- 
mande s'il n'avait pas ça dans le sang... 
Sa mère, n'est-ce pas P sa mère qui avait 
fait campagne... 

Il ne peut plus être question de renvoyer 
un poilu pareil ; je lui tends la main 
comme à un homme : 

^^ Ami, Quiqui I Et à la vie à la morf, 
n'est-oe pas P 



m^" 



LE FOI^T DE VAUX 81 

Quiqui met ses deux pattes dans ma 
main : le pacte est scellé. 

Le bon chien a d'ailleurs toutes les qua- 
lités que lui a prêtées son père nourricier : 
il sait se taire, il est très propre et rien ne 
Teffraie ; à ce point de vue-là, un vrai 
poilu. Au début du siège, chaque grenade 
boche qui éclatera chez nous le fera bon- 
dir et s'élancer vers l'endroit où elle est 
tombée... Comme il n'y aura jamais rien à 
ramasser et qu'il en reviendra toujours 
bredouille, il renoncera vite à s'émouvoir 
et attendra, tranquillement assis sur son 
derrière, que cesse la pluie de fer. 

Brave Quiqui I... Qu'on m'excuse de par- 
ler si longuement de lui ; il a été Tunique 
joie d'un enfer dont il a partagé toutes les 
souffrances et tous les dangers. 



CHAPITRE V 



LA SEiMAINE INFERNALE 



Nous y voici. Aujourd'hui i* juin, le> 
Boches mettent la main sur la Caillette, et 
ils vont prendre Damloup. 

Je peux parler de la Caillette, comme si 
j'avais été au milieu des nôtres : lorgnette 
en mains, j'ai pu, de mon créneau, suivre 
toute l'affaire, subissant le supplice d'as- 
sister, condamné à l'inaction, à l'effroya- 
ble pilonnage sous lequel nos camarades 
ont succombé. C'est en vain que les mal- 
heureux ont multiplié les fusées d'appel : 
personne n'a pu leur répondre, je n'ai 
moi-même pour leur venir çn aide que 



« 



84 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

les mitrailleuses de la casemate de Bourges 
de gauche ; nous verrons comment elles 
se comportèrent. Ah I si j'avais eu des 76! 
Je garde la conviction que le Boche aurait 
été écrasé par notre barrage et que la 6* 
division d'infanterie aurait été sauvée. 

En effet, dans la casemate de Bourges, 
tout est préparé pour le tir du 76. Sur un 
tableau affiché au mur se trouvent inscrits 
tous les éléments du tir : hausse, débou- 
chage des évents, etc. ; de telle sorte qu'un 
objectif qui se présente dans un endroit 
quelconque du champ de tir peut être ins- 
tantanément battu. Tout a été calculé pour 
que l'arme donne son maximum d'effica- 
cité, et cette arme terrible a été arrachée 
de nos mains... 

Mais voyons les faits. 

Au bout de i>3ur bombardement, les Bo- 
ches sortent des carrières de Douaumont 
et du bois d'Hardaumont, foncent sur la 



LE FORT DE VAUX 86 

'im'- ■.■■■■ • ■• :■■■ ■ -, - 

division qui a subi Touragan de fer et de 

mitraille et s'emparent de ses tranchées : 
les hommes sont surpris occupés à se déter- 
rer, la plupart d'entre eux sont ensevelis 
sous les éboulementâ ; les mitrailleuses 
brisées ou enrayées ne fonctionnent plus... 
Cependant, nos mitrailleuses, à nous, 
ont fait du bon travail. Une pièce est bra- 
quée sur un boyau de communication qui, 
du bois d'Hardaumont, descend dans le 
ravin du Bazil. Une autre pièce sur le pla- 
teau de la Caillette. Calme comme à la ma- 
nœuvre, le lieutenant Bazy commande le 
feu. Sa première pièce obtient des résul- 
tats. Nous voyons le boyau dont se servent 
les Boches obstrué peu à peu par les cada- 
vres. Le fond du boyau se hausse de plus 
en plus jusqu'à les obliger à en sortir et à 
faire le tour du ruisseau de cadavres qui 
se forme là. Sur le plateau de la Caillette 
et aussi vers le ravin des Fontaines, les 






^XjA-IT X)H1 LOïTTfil 



eiaETTB DTJ B'OBT 



JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

tmbent en grand nombre. Mais 
aes, sans cesse renouvelées, sub- 
la position. En une demi-heure, 
n a cessé d'exister. Tout ce qui 
est prisonnier, et je vois défiler 
niroux que les Boches dirigent 
rt de Douaumont... 
î qui en reste, non I Un certain 
l'hommes venant de la droite de 
ittaquée, c'est-à-dire de la région 
r de Vaux et appartenant au ioi° 
d'infanterie, ont pu se réfugier 
i : ils nous arrivent avec des vi- 
ivulsés, roulant des yeux fous, 
i^adés de l'enfer... 
t accueillis et réconfortés, mais 
)lus en état de faire des combat- 
je ne peux envisager sans an- 
supplément de bouches à nour- 

i-midi, je constate, sans sur- 



LE FOBT DE VAUX 

prise d'ailleurs, que l'ennemi 
des bois Fumin et de la Caillett 
mence ses travaux contre nous. 
à 2.5oo mètres du fort, sa prem 
de tranchées de siège — 2.5o( 
l'extrême portée de nos mitraill 
tir de nos joujoux se déclenche, 
les terrassiers gris s'abattent ; 
restent debout interrogent le cî 
dant autour d'eux, cherchant d'o 
mort. Nos mitrailleuses sont i 
mais le Boche a tôt fait de devine: 
le fort qui crache sur lui... Il cor 
perturbablement sa besogne et, i 
disparaît dans la tranchée qu'il 
Quel que soit l'ordre qu'il reçt 
s'il est sûr d'y rester, le Boche 
c'est, il faut le reconnaître, un 
doutable. 

Nous ne cesserons pas notre 
continue à gêner la progression 



90 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Les mitrailleurs de Bazy restent en posi- 
tion pendant quatorze heures consécuti- 
ves. L'un d'eux, Lurato, blessé à la main 
droite, se fait panser sommairement et 
continue de la main gauche. 

La nuit tombée, je reçois quelques com- 
munications : une du capitaine du loi*, 
commandant la première ligne entre 
l'étang de Vaux et le fort ; il rend compte 
que, dans l'après-midi, il a pu voir les 
Boches creuser des tranchées derrière lui : 
je les ai vus aussi. Une autre communica- 
tion vient du commandant Casabianca du 
loi* : il a perdu sa première ligne, mais 
tient les redoutes i et 2, et peut-être la 3, 
situées en échelon en arrière et à gauche 
du fort. De ce côté-là, du moins, l'encer- 
clement n'est pas encore chose faite. J'ins- 
cris tout cela dans mon rapport sur la 
journée du i"" juin, rapport que je confie 
au lieutenant Morier, et qui est sans çlquiç 



•Xi. 



LE FORT DE VAUX 91 

parvenu. En vue de l'attaque qui se pré- 
pare, je demande au commandant du sec- 
teur, conformément aux règles en usage, 
que la relève des unités de garnison du 
fort, qui devait avoir lieu le soir même, 
soit ajournée. Ma demande est agréée. 

Le tir de barrage commence qui cou- 
vrira l'assaut du fort, un tir méthodique, 
supérieurement établi et d'une puissance 
écrasante : le Boche nous fait bonne me- 
sure. 

Une pyrotechnie extraordinaire éclaire 
la nuit de mille couleurs : le signal est 
donné à toutes les batteries de l'assaillant. 

L'assaut va se déclencher, je l'ai senti 
venir, tous mes hommes sont prévenus et 
à leur poste. 

Pour résister à une attaque portant sur 
le fort les vagues boches, je devais pour- 
voir à la défense de neuf brèches : deux 
servant d'entrées de fortune et pratiquées 



i 



92 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

dans les coffres N.-E. et N.-O. Deux autres 
dans chaque gaine, causées par le pas- 
sage du chemin couvert, une septième 
dans la gaine de gauche au pied d'un es- 
calier donnant accès aux dessus du fort ; 
enfin une huitième et une neuvième à l'en- 
trée de gorge, dans le fond du fossé et à la 
hauteur du balcon. Ces brèches étaient 
obstruées par des barrières de sac^ à terre 
disposées en chicane. J'en fais perfection- 
ner l'installa! ion. Il m'apparaît, en effet, 
que dans un combat à la grenade la chi- 
cane est peu indiquée, elle n'a guère de 
valeur que comme barricade défendue au 
fusil. Je fais établir, à la place des chica- 
nes, un barrage plein, renforcé en épais- 
seur et percé de créneaux pour permettre 
le lancement des grenades. Je fais réparer 
autant que possible des destructions cau- 
sées par le bombardement. Une de celles- 
ci est particulièrement grave. A quelques 



^r 



LE FORT DE VAUX 93 

mètres de la grande galerie, la voûte de 
la gaine de gauche, conduisant au coffre 
double, s'est effondrée sur une longueur 
de 5 mètres. Cette ouverture constitue une 
véritable entrée supplémentaire très dan- 
gereuse dans le cas, qui se produira juste- 
ment, où Tennemi s'établirait sur la su 
perstructure de l'ouvrage. Une équipe, di- 
rigée par l'aspirant du génie Bérard, exé- 
cute le travail sous le bombardement. Une 
première réparation est démolie par le 
io5. Elle est recommencée et la circula- 
tion est enfin rétablie entre la partie cen- 
trale du fort et le coffre double. Le sous- 
lieutenant Roy, commandant le détache- 
ment du génie, se multiplie ; ses équipes 
sont partout, car partout il y a à faire ; 
nos biaves sapeurs méritent toute ma re- 
connaissance» 

Des postes se tiennent derrière chaque 
barrage de sacs à terre. A chacune des en- 



94 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

trées N.-E. et N.-O., de petits détachements 
de mitrailleurs sont prêts à s'élancer dès 

que le bombardement prendra fin, pour se 
porter devant le fort et faucher l'assail- 
lant. Un autre détachement de mitrailleurs 
se tient prêt à monter sur les dessus du 
fort, avec un détachement de la compa- 
gnie de garnison. J'ai, heureusement, un 
supplément de mitrailleuses qui me per- 
met de faire face aux nécessités de l'heure. 
Dans la journée, une compagnie de 
ipitrailleuses du 53* régiment d'infanterie, 
commandée par le lieutenant Chald, a 
séjourné dans le fort, comptant le soir re- 
joindre son unité. Voyant l'attaque immi- 
nente, son chef vient se mettre à ma dis- 
position. Je demande et j'obtiens du colo- 
nel du 53** l'autorisation de la garder. 

Dans la nuit, le capitaine Tabourot qui 
commande une compagnie de première 
ligne et ne relève pas de moi, m'a de- 



LE FORT DE VAUX 95 

mandé s'il peut faire rentrer ses hommes ; 
il lui est très difficile de joindre son chef 
direct qui est en arrière et que ses agents 
ne pourront pas atteindre, et c'est à moi 
qu'il s'adresse ; nous nous connaissons, 
nous nous sommes déjà vus plusieurs fois, 
il a confiance en moi comme j'ai con- 
fiance en lui ; je l'ai jugé et bien jugé : 
cet enfant de Dijon, ce Bourguignon taillé 
dans du cœur de chêne, est un brave en- 
tre les plus braves... 

Je lui ai répondu : Non ! Le bombarde- 
ment boche ne cesse pas, et ce n'est pas 
quand on s'attend à une attaque qu'on 
peut dégarnir la ligne... 

Toute la nuit, l'intensité de ce bombar- 
dement redouble; elle atteint une moyenne 
de i.ooo obus à l'heure, et une bonne moi- 
tié de ces obus sont de gros calibre. Repré- 
sentez-vous le fort de Vaux sous une pa- 
reille avalanche : il est le plus petit des 

7 



96 JOURNAL DU COKtMANDANT RAYNAL 

forts dt Verdun, sa superficie est trois ou 
quatre fois celle d'une salle de dimensions 
moyennes... 

Un gros détachement de brancardiers 
est venu au fort pour enlever des blessés : 
il ne peut effectuer son opération et va se 
trouver enfermé avec nous. 

Au matin, avant le lever du jour, le 
bombardement cesse subitement. Aussi- 
tôt, je demande par fusées le tir de bar- 
rage de notre artillerie et je pousse en 
avant les postes qui doivent tenir les des- 
sus du fort : trop tard ; les dessus du fort 
sont déjà occupés par Tennemi, et pour 
donner aux Boches toutes les chances, no- 
hc artillerie ne répond pas à mes appels. 

Sous l'abri de leur tir de barrage, les 
Boches sont arrivés à nos fossés au mo- 
ment où éclatait leur dernier obus, et ils 
les ont franchis sans difficultés : j'ai déjà 
dit que ropération était facile, les fossés 



C3T- 



LE FORT BE VAUX 97; 

ayant été en partie comblés par la chut« 
des revêtements. 

Comme nos hommes sortent pour ga- 
gner les emplacements qui leurs sont as- 
signés, les grenadiers boches les accueil- 
lent à coups de grenades. 

D'autres troupes ennemies essayent en 
même temps de pénétrer dans les postes ïï 
si elles y parviennent, tout est fini, le fort 
est pris. 

Tab^uTot est là, à la porte nord-est : au 
moment oîi les Boches s*y précipitent, îl 
se dresse devant eux avec les hommes qu'il 
commande. Il a les poches pleines de gre- 
nades. Debout sur la petite tranchée qui 
aboutit à l'entrée, magnifique et terrible, 
il lance ses grenades et tue tout ce qui ap- 
procha. Le sous-lieutenant de Roquette, du 
53* d^inîanterie, sorti avec son détache- 
ment de mïtraîlleuTS, ne peut se servir de: 
son arme enrïiyée : il vient se joindre à 



98 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Tabourot avec Taspirant Buffet, le sous- 
lieutenant Charles, le soldat Senécal et 
d'autres braves. Et cette poignée de héros 
sauve la porte nord-est : nos grenadiers 
restent les maîtres, ils ont culbuté les gre- 
nadiers ennemis. 

Mais tout n'est pas dit : les Boches, qui 
sont montés sur le dessus du fort, vien- 
nent à la rescousse, et notre position se 
fait extrêmement difficile : l'ennemi est 
sur nos têtes, il nous domine de haut et 
jarrose de grenades Tabourot et ses hom- 
mes. 

Je vois tomber l'héroïque capitaine : une 
grenade lui a ouvert le ventre et tranché 

les deux jambes. On le ramène, sur un 
brancard, dans Tintérieur du fort. 

Je voudrais courir à lui ; un autre de- 
Lvoir s'y oppose : j'ai mon fort à sauver. 

Dès que je le peux, je me rends auprès 
de Tabourot : on l'a transporté au poste 



LE FORT DE VAUX 99 

de secours, parmi une centaine de bles- 
sés dont la plupart agonisent. Le sous-lieu- 
tenant de Roquette est là également, griè- 
vement blessé, et aussi l'aspirant Buffet, 
mais celui-ci n'a que quelques brûlures au 
visage. 

Tabourot a toute sa connaissance, et 
voici son premier mot, une question où 
se résume tout ce qui l'agite : 

— Mon commandant, les Boches ne sont 
pas là, j'espère ? 

Je lui fais la réponse qu'il attend : 

— Non, ils n'y sont pas et ils n'y entre- 
ront pas. 

Sa main serre nerveusement la mienne, 
et je l'entends encore me dire : 

— Mon commandant, j'ai fait cela pour 
la France et pour vous ! 

Et il ajoute : 

— Je n'en ai plus pour longtemps, je 



100 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

sens mes jambes déjà glacées... C'est fini 
pour moi, mais je m'en vais content. ♦• 

11 parle encore, c'est pour réclamer l'as- 
pirant Buffet, un Bourguignon comme 
lui, qui connaît sa fismme et sa famille. Il 
le charge de son suprême adieu : 

— Tâche de t'en tirer, toi, et dis à ma 
femme et aux miens comment je suis 
mort ! 

Une heure après, il expire... 

Ah I le brave, le magnifique soldat de 
France, bien digne de commander les su- 
blimes poilus qui tombèrent avec lui ! 
Qu'il me soit permis de leur dire ici à tous 
ma reconnaissance et mon admiration, et 
aussi d'envoyer l'hommage de ma doulou- 
reuse sympathie à la veuve du capitaine 
Tabourot, à celle qui pleure là-bas, vers 
Dijon, le héros tombé pour la patrie ! 

Cette fin glorieuse de Tabourot et de ses 
hommes n'a pas abattu le courage des 






• • • • -- * ' 



• • 






LE FORT Dlï'vÂOXr" * ""^ ' '^ lut 

survivants ; bten au contraire, elle le su- 
rexcite. Pour ma part, je puise dans le 
sacrifice volontaire et si noble que ce;? laé- 
ros nous ont fait de leur vie, un^ confiance 
absolue dans mes officiers et mes poilus. 
Je peux tout attendre d'eux, tout leur de- 
mande.c, et je ne serai pas déçu une se- 
conde ; ils me donneront jusqu'au bout 
plus que je ne leur demanderai... 

L'enfer continue. Les Boches ont essaye 
de mordre dans le fort ; ils s'y sont cassé 
les dents, mais ne nous lâcheront plus. 

Il le leur faut, ce fort, dont leurs jour- 
naux annoncent déjà la capture comme 
un fait accompli, et ils vont prodiguer u 
le réduire toutes les ressources de leur 
formidable artillerie, tout leur atroce ar- 
senal de produits chimiques. 

Les Allemands sont arrivés à l'entrée des 
coffres nord-ouest et nord-est ; ils veulent 
passer et rien ne leur coûtera pour y par- 



'U « » 



" < • • 






102 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

venir. La lutte est terrible, le corps à corps 
effroyable. 

Dans l'ouvrage qu'il a consacré aux der- 
niers jours de Vaux, véritable monument 
élevé à la j^loiie de mes hommes, M. Henry 
Bordeaux cite ce passage d'une lettre écrite 
par un des combattants à sa famille : 
« Nos grenades faisaient du vide dans les 
rangs de l'ennemi, mais des renforts ar- 
rivaient toujours. Les morts et les blessés 
allemands formaient des tas mouvants que 
venaient encore déchiqueter nos projec- 
tiles. )) 

Le tableau est d'une exactitude saisis- 
sante, il traduit éloquemihent ce que mes 
yeux ont vu. 

Au coffre N.-E., la petite tranchée sur 

laquelle se tenait Tabourot a été prise par 

l'ennemi au moment où l'on enlevait le 

capitaine blessé, et les Boches se jettent 

sur l'entrée du coffre. La défense se reporte 



LE FORT DE VAUX 103 

à l'intérieur et une mitrailleuse est placée 
derrière quelques sacs de terre ; elle est 

presque aussitôt démolie à coups de gre- 
nades. Des tirailleurs armés de fusils la 

remplacent et pendant plus de deux heu- 
res Tennemi accable de grenades les dé- 
fenseurs du coffre N.-E. Ceux-ci, à moitié 
asphyxiés, n'en pouvant plus, sont enfin 
submergés par les Boches qui, comme un 
torrent, se précipitent à l'intérieur du 
coffre et aussitôt se jettent dans la gaine 
qui conduit à la partie centrale du fort. Je 
les entends descendre et remonter l'esca- 
lier qui passe sous le fossé. En haut de 
l'escalier, de notre côté, ils se heurtent à 
une nouvelle barrière qu'ils n'ont pas pré- 
vue. Pendant le combat qui ëe livrait dans 
le coffre et pour le cas oii il tournerait 
mal, j'ai fait élever un barrage de sacs 
de terre dont l'aménagement ne me satis- 
fait pas complètement mais qui les arrête 



104 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

net. Je suis derrière ce barrage avec mon 
brave Alirol et le sergent chef de poste* 
J'entends les Boches de l'autre côté ; ils 
explorent avec précaution et nianigancent 
quelque chose ; je fais signe à mes hom- 
mes de se retirer un peu : il n'était que 
temps ! Mon barrage saute en l'air dans 
une explosion formidable. 

Nous y courons après quelques instants ; 
les Boches, craignant plus que nous les 
effets de l'explosion, n'y sont pas encore, 
Vite, une équipe de sapeurs du lieutenjant 
Roy, et nous reconstruisons notre barrage, 
mieux cette fois ; il aura des créneaux et 
sera construit au-dessus de la dernière 
marche de l'escalier, de façon à nous ren- 
dre l'utilisation de l'observatoire. Je suis 
tranquille de ce côté ; mais que vient me 
dire le brave sous-lieutenant Denizet, de 
l'artillerie, qui défend de l'autre côté, avec 
le lieutenant Girard, le coffre double ? Les 



i 



LE FORT DE VAUX 105 

Boches sont sur sa têtç ! Il leur interdit 
avee ses pièces le passage des fossés et par 
conséquent coupe les communications de 
ceux qui se sont installés sur les dessus du 
fort. Alors les Boches ont descendu des pa- 
niers et, en les faisant exploser, ont mis 
les pièces hors de service. 

Par une attaque à l'aide de lance-flam- 
mes, ils ont essayé de détruire la garnison, 
et une quinzaine d'hommes ont été blessés 
et parmi eux le brave aspirant Salva, des 
mitrailleurs du lieutenant Bazy. Le coffre 
double ne peut plus remplir son office de 
flanquement. De plus, les Boches du des- 
sus du fort, rencontrant les traces du tra- 
vail fait par Téquipe de Taspirant Bérard, 
se sont mis à la défaite. Dans peu d'ins- 
tants un trou de 5 mètres dans la voûte de 
la gaine va permettre aux Boches, en lan- 
çant des grenades, de couper les défenseurs 
du coffre double. J'ordonne alors son éva- 



106 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

cuation et un autre barrage est construit 
aux créneaux pour grenadiers, en arrière 
de cette ouverture. 

Revenons aux premiers moments de l'at- 
taque et voyons ce qui s'est passé sur les 
autres points du fort. * 

Par la brèche du balcon et avec une 
fougue incomparable, le lieutenant Alirol, 
commandant la compagnie de garnison, 
pousse à l'extérieur son détachement qui 
doit monter sur les dessus du fort. Il est 
accueilli sur le balcon même par les gre- 
nadiers boches. D'autres font également 
pleuvoir des grenades des dessus du fort. 
Alirol riposte avec héroïsme. Lui aussi 
lance la grenade, mais sa position est par 
trop mauvaise en regard d'un ennemi su- 
périeur en nombre et qui le domine. 

Refoulé dans le fort, Alirol me rencon- 
tre au haut de l'escalier de gorge. Il est 
brisé par son échec et tout frémissant : 



LE FORT DE VAUX 107 

« Ah ! mon commandant, c'est terri- 
ble ! » 

Je lui serre les mains et le réconforte, 
et en même temps que ses blessés sont 
transportés au poste de secours, je prends 
avec lui les mesures nécessaires pour con- 
solider le barrage du balcon. 

Là encore, les Boches se brisent sur un 
obstacle qu'ils ne peuvent franchir. Leurs 
vagues impuissantes viennent mourir à 
toutes nos brèches. A celle de l'escalier de . 
la gaine de gauclie> défendue par les poi- 
lus du lieutenant Girard, du 53% quelques- 
uns dans un français assez pur, crient : 

c( Rendez-vous; braves Français, vous 
êtes cernés ! » 

Une décharge terrible leur répond, et les 
assaillants remontent Tescalier en hurlant 
de douleur et vomissant des imprécations 
et des menaces S 



108 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

« Voyous ! apaches ! vous serez fusil- 
lés ! » 

Quelques cadavres restent sur place. 

Devant le coffre double, les mitrailleurs 
des lieutenants Girard et Bazy et les gre- 
nadiers du lieutenant Alirol, commandés 
par le caporal Bonnin, en ont interdit l'en- 
trée à Tennemi ; maia ils n'ont pu l'empê- 
cher de monter sur le dessus du coffre et 
nous avons vu le parti que les Boches ont 
su tirer de leur position dominante à cet 
endroit. 

Ainsi, dans l'après-midi, la situation 
peut se présenter comme suit : l'ennemi 
a réussi à s'emparer des coffres N.-E. et 
N.-O. Il s'est installé fortement sur les 
dessus du fort. 

La lutte continue dans les gaines qui 
conduisent à la galerie centrale. 

Ces gaines, je les transforme en redou- 
tes ; des entassements de sacs à terre vont 



■j 






LE FORT DE VAUX 109 

dresser devant le Boche des murs où il se 
brisera. Chacun de ces murs devient un 
autre fort dans le fort, et qui nécessite un 
autre siège. 

Les pertes de rennemi sont effroyables, 
mais il reçoit sans cesse des renforts, des 
troupes fraîches qui escaladent le fort, tra- 
vaillent sur les dessus €t autour de l'ou- 
vrage. Il occupe nos anciennes tranchées 
qu'il a armées de mitrailleuses ; il est mê- 
me parvenu à en installer sur le dessus 
du fort. 

Tenter une sortie nous est interdit sous 
peine d'être anéantis par les feux de ces 
mitrailleuses. Nos communications avec 
l'arrière sont coupées sans recours. 

Communications coupées, oui, mais il 
me reste mes pigeons et mes signaux. 

J'envoie mon premier message par pi- 
geon ; j'y fais connaître la situation et 



1 



110 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

rends hommage à la vaillance du capi- 
taine Taboulot, mortellement blessé. 

Puis je remanie mes dispositions et je 
divise le fort en secteurs. Ce sont, de la 
gauche à la droite : 

Sous-lieutenant Denizet : le coffre de 
gorge et la gaine qui y conduit ; 

Lieutenant Bazy : la casemate de Bour- 
ges de gauche et les barrages du chemin 
couvert qui y sont voisins ; 

Le lieutenant Girard : le barrage de la 
gaine conduisant au coffre double et les 
environs immédiats ; 

Sous-lieutenant Fargues, de la compa- 
gnie Alirol : les barrages de la grille et du 
balcon donnant sur le fossé de gorge ; 

Sous-lieutenant Albagnac, de la compa- 
gnie Alirol : les barrages du chemin cou- 
vert dans la gaine conduisant au coffre 
N.-E. et le barrage de l'observatoire dans 
la même gaine ; 



LE FORT DE VAUX 111 

Sous-lieutenant Rabatel : casemate de 
Bourges de droite et la gaine y condui- 
sant ; 

Le lieutenant Alirol, commandant la 
compagnie de garnison, garde un rôle de 
surveillance générale. 

Ainsi s'organise cette lutte de taupes que 
je dois subir dès le matin par suite de 
l'impossibilité où je me suis trouvé de je- 
ter dehors aucun détachement. Mais le 
fort n'est pas pçrdu pour cela et je vais 
dans tous les postes parler aux poilus, raf- 
fermir leur confiance, exalter leur moral. 

Les conditions si mauvaises de l'habitat 
ont provoqué, chez le paludéen que je suis 
(souvenir de mon long séjour aux colonies) 
im accès de fièvre qui m'a fait consommer 
toute la quinine dont disposait mon méde- 
cin auxiliaire, M. Conte. 

Mais je n'ai plus le droit d'avoir la fiè- 
vre. Dans le combat et devant le danger, 

8 



112 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

elle a disparu et je me sens complètement 
dispos. Je passe ma nuit avec le sous-lieu- 
tenant Roy et d'autres officiers à combiner 
de nouvelles défenses. Puisqu'il faut se 
battre comme des taupes, nous tâcherons 
d'être de bonnes taupes et de faire quelque 
chose de propre, de français I 

A la fin du jour, j'ai fait mes premières 
distributions de vivres. Confiant dans 
l'exactitude des écritures, je fais donner 
un litre d'eau par homme, et je considère 
cette ration comme un minimum. Je de- 
vrai, hélas ! la réduire beaucoup dans la 
suite. 

Les écritures m'ont trompé, la ré- 
serve d'eau est très inférieure au chiffre 
donné, et cette eau est presque imbuvable. 
Elle exhale toutes les odeurs putrides flot- 
tant dans l'atmosphère du fort. M. Conte 
la purifie de son mieux en la filtrant à 



KX*~ 



\ 



LE FORT DE VAUX 113 

travers du coton imprégné d'un liquide 
désinfectant. 

Les combats livrés ce jour dans le fort 
ne nous ont pas empêchés de surveiller le 
champ de bataille de la Caillette. L'en- 
nemi se montre très actif dans les boyaux 
du Sud du bois d'Hardaumont. Les mi- 
Irailleiises de la casemate de Bourges, de 
gauche, pointées sur ces boyaux, tirent 
sur les groupes ennemis qui ee portent en 
avant. Ce tir bloqué est très meurtrier 
pour les Boches. 

Nous voîcl au 3 juin. 

Dès le jour, les combats recommen- 
cent. A 4 heures du matin, les Boches atta- 
quent, dans le secteur du sous-lieutenant 
Albagnac, le barrage de l'observatoire et 
les barrages du chemin de ronde. Nos gre- 
nadiers ripostent vigoureusement aux 
grenadiers boches qui laissent des plu- 



114 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

mes dans cette affaire. Nous gardons nos 
positions, les Boches sont repoussés. 

A i3 heures, les Boches renouvellent 
leurs tentatives sur les mêmes points et 
sans plus de succès. 

A i6 heures, ils reviennent avec une opi- 
niâtreté extraordinaire sur le barrage de 
l'observatoire. Ils veulent ce dernier poste 
et moi je veux le garder : de son sommet, 
j'aperçois tout le champ de bataille. 

Cette fois, ils emploient des moyens 
puissants. Avec des grenades ou des en- 
gins à forte charge d'explosifs lancés sur 
le sommet du barrage, ils provoquent son 
écroulement. Les défenseurs sont ense- 
velis sous les sacs à terre, aveuglés par la 
fumée, brûlés par l'explosion. Ils se dé- 
terrent à grand'peine et les Boches en- 
vahissent la gaine, mais un tir de mitrail- 
leuse déclanché à temps les chasse de la 
gaine et nprès une reconnaissance coura- 



LE FORT DE VAUX ' 115 



geuse faite par le sergent, je ramène le 
poste, après l'avoir recomplété, sur le bar- 
rage que nous reconstruisons. La situation 
est rétablie et je respire. 

A la fin du jour, distributions. On me 
signale la baisse inquiétante du niveau de 
Teau dans la citerne. Je réduis la ration 
d'eau puante à trois quarts de litre. 

Je rends compte de la situation par mon 
deuxième message par pigeon. 

Les sapeurs du génie poussent active^ 
ment les travaux que j'ai ordonnés : cons- 
truction d'un barrage en pierre pour 
doubler la grille en fer dans la gaine de 
l'observatoire ; construction d'un bar- 
rage en sacs à terre à l'entrée de cette 
gaine, près de la galerie centrale, avec 
poste de mitrailleuses ; construction d'un 
barrage semblable à l'entrée de la gaine 
du coffre double. 

Il n'y a plus de terre pour remplir les 



■ "-BV ' I 



116 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

sacs : nous nous en procurons en affouil- 
lant le sol dans la gaine qui conduit au 
secteur du lieutenant Bazy. 

Pendant la nuit, les Boches recommen- 
cent leur attaque sur le secteur Albagnac : 
ils sont repoussés. 

Depuis le i**, personne ne dort dans le 

fort, Ofiicîers et soldats se tiennent à leurs 
postes, prêts à agir. Les Boches, eux, sont 

relevés et nous avons affaire à des troupes 
fraîches. C'est ce qui explique le renouvel- 
lement si fréquent de leurs attaques qui 
n'auraient pas pu être faites par la même 
troupe. 

Nous atteignons le 4 juin. 

Journée plus terrible encore. Vers 
8 h. 3o, les Boches effectuent deux atta- 
ques combinées : une sur le barrage de 
l'observatoire, l'autre sur le barrage de la 
gaine de gauche. Par les ouvertures de nos 
créneaux, ils nous lancent des flammes et 






LE FORT DE VAUX 117 

des fumées asphyxiantes qui répandent 
une odeur insupportable et nous prennent 
à la gorge. D'une extrémité à l'autre du 
fort, le cri est poussé : A vos masques ! 
Dans la gaine de gauche, les défenseurs, 
chassés par les flammes et les fumées, re- 
fluent vers la galerie centrale. Mais là se 
trouve le brave lieutenant Girard. Il se pré- 
cipite dans la fumée, sur les mitrailleuses 
que ses hommes ont été contraints d'aban- 
donner. Il a la chance d'arriver avant les 
Boches et immédiatement ouvre le feu sur 
la nappe de gaz qui s'échappait du bar- 
rage droit devant lui. Entraînés par son 
exemple, ses hommes reviennent, se re- 
mettent à leurs pièces et pendant plus 
d'une heure font feu sans interruption. 
Ayant nettoyé le terrain entre ses mi- 
trailleuses et le barrage, Girard reporte en 
avant les gi^enadiers qui réoccupent leur 
poste et chassent définitivement le Boche. 



.■s 



118 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Dans cet âpre combat, livré dans la fumée 
et dans l'obscurité complète, car les gaz 
avaient éteint toutes les lampes, le brave 
Girard reçoit plusieurs éclats de grenades 
à la figure et aux mains, blessures légères 
heureusement. Il ne se retire dans la case- 
mate de Bourges de gauche que quand la 
situation est complètement rétablie. Mais 
arrivé là, il est pris de vomissements pro- 
voqués par Tabsorption des gaz et perd 
connaissance. Les soins qui lui sont don- 
nés le raniment bientôt et il reprend im- 
médiatement son commandement. Girard 
a donné là une preuve de vigueur et de 
bravoure incomparables. 

Dans la gaine de droite et à la même 
heure, la même attaque t?e produisait. 
Chassés par les flammes et la fumée as- 
phyxiante nos hommes se repliaient der- 
rière le barrage en moellons. 

Pendant que se déroulaient ces combats 



I 

j 



LE FORT DE VAUX 119 

et que le danger d'être enlevés de vive 
force se doublait du péril d'être asphyxiés, 
je prenais toutes les dispositions pour 
échapper à tous les deux et déjouer les 
calculs de l'ennemi. Les treuils d'aération, 
qui prennent l'air dans le fond du fossé, 
sont d'abord activés. Puis les gaz asphy- 
xiants commençant à tomber dans le fond 
du fossé, je suis obligé de les arrêter. 
Toutes les fenêtres de la grande casemate 
sont débarrassées des sacs à terre qui les 
obstruent et un grand courant d'air est 
ainsi créé. Mesure efficace : au bout de 
trois quarts d'heure environ, l'air rede- 
vient respirable. Beaucoup d'hommes ont 
souffert et se sont évanouis. Je vais visiter 
le poste de secours et pendant que M. Conte 
me fait un rapport, j'entends un blessé, 
étendu sur un brancard posé à terre, 
s'écrier d'une voix rude : « Vous en verrez 
d'autres, camarades ! Les Boches vous en- 



120 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

verront des trucs plus terribles encore ! » 
Quel est cet homme qui a cette mâle et 
forte manière d'exhorter son monde ? Je 
regarde et reconnais le sous-lieutenant de 
Roquette, très dangereusement blessé à la 
cuisse, un œil traversé par un éclat de 
grenade. Il souffla cruellement, mais son 
âme ne faiblit pas, et cette vaillante atti- 
tude, il la gardera, au milieu de toutes les 
épreuves, jusqu'au dernier instant. Bravo, 
de Roquette ! Me penchant sur lui, je lui 
serre la main. 

En somme, cette attaque procure aux 
Boches la seule possession du barrage de 
l'observatoire, duquel nous ne pouvons 
plus nous approcher. C'est pour moi une 
perte sensible et je songe à parer aux atta- 
ques semblables qui pourront être faites 
dans la suite. Je fais fermer hermétique- 
ment le premier barrage de la gaine de 
gauche et reporter mes grenadiers à trois 






LE FORT DE VAUX ,121 

mètres «n arrière sur barrage pour mitrail- 
leuses et grenades, le premier n'étant 
plus destiné qu'à servir de cloison étan- 
che. Je fais obtruer les tuyaux ericastrés 
dans la voûte de la grande galerie et qui 
nous procuraient un peu d'aération par 
les dessus pour empêcher, par ces ouver- 
tures, le jet de grenades, le lancement 
des flammes ou des gaz. 

A la casemate de Bourges de droite, les 
Boches essaient une attaque par les flam- 
mes lancées devant les créneaux. Le sous- 
lieutenant Rabuttel, qui veille dans ce sec- 
teur, déjoue l'attaque. Le« porteurs de ces 
machines infernales sont tués et nos mi- 
trailleurs s'emparent des flamenwerf er qui 
me sont apportés. 

Je songe qu'une attaque en grand pour- 
rait se faire de la même façon sur les fe- 
nêtres de la grande casemate, dont nous 



122 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

occupons tous les locaux. Cela pourrait 
être la fin et une fin terrible. Pour y parer, 
je fais braquer, par le sous-lieutenant De- 
nizet, qui occupe le coffre flanquant du 
fossé de gorge, une mitrailleuse sur le re- 
bord supérieur de la grande casemate. 
Tous les Boches qui se montrent là sont 
lues ou blessés et l'ennemi est obligé de se 
1 (îporter un peu en arrière et de renoncer 
a agir sur la façade de gorge. Notre esprit 
constamment tendu cherche toujours, non 
seulement à déjouer les attaques en cours, 
mais à prévoir la forme que peuvent pren- 
dre les attaques subséquentes et à y parer 
d'avance. Et ainsi nous tenons, le fort rem- 
plit la mission qui lui est assignée : main- 
tenir l'ennemi jusqu'à ce qu'une contre- 
attaque vienne rétablir la situation. 

Dans l'après-midi, l'ennemi bombarde 
furieusement les bois Fumin et de Vaux- 
Chapitre. Les mitrailleuses de Bazy en- 






LE FORT DE VAUX 123 

trent de nouveau en scène, le Boche ne 
peut réaliser de sérieux progrès. 

C'est dans le courant de cet après-midi 
que le sergent du génie garde-magasin du 
fort vient me trouver, demande à me par- 
ler seul et me dit d'une voix étranglée : 
(( Mon commandant, il n'y a presque plus 
d'eau dans la citerne. » Je me dresse, je 
fais répéter, je secoue le sergent : 

— Mais c'est une trahison ! 

— Non, mon commandant, nous n'avons 
distribué que les quantités que vous avez 
prescrites ; mais les indications du regis- 
tre sont erronées ! 

C'est l'agonie qui commence. Je donne 
l'ordre de réserver ce peu qui reste et de 
ne pas faire de distribution aujourd'hui. 

Vers vingt-deux heures m'apparaît tout 
à coup, très pâle et l'épaule bandée de lin- 
ges tachés de sang, le lieutenant Bazy, 
commandant la compagnie do mitrailleu- 



■ i 



, ••'^■^ 



124 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

ses du i42*. Voyant passer non loin du fort 
une petite troupe et discernant les cris : 
53® I 53* I il s'est penché en dehors du cré- 
neau de robservatoire voisin de sa case- 
mate de Bourges pour essayer de recon- 
naître cette troupe. Elle passe et est bien- 
tôt hors de vue. A ce moment précis, Bazy 
reçoit un éclat de grenade dans Tépaule. 

Je l'engage à rentrer au poste de secours 
tout en regrettant d'être privé de ses pré- 
cieux services à un moment aussi critique. 

— Mon commandant, me répond ce 
brave officier, j'ai encore un bras -et mes 
deux jambes, ma tête est solide ; je garde 
mon commandement. 

Puis il me dit qu'il n'est pas certain que 
la troupe qu'il a vue passer soit une 
troupe française : l'accent lui a paru 
étrange et enfin elle a interpellé le-53® alors 
que la garnison appartient au i^a* et que 
ce fait doit être connu à rextérieur. 



LE FORT DE VAUX 

Et Bazy retourne à son poste, do 
ainsi à ses mitrailleurs le plus adm 
exemple. 

Nous avons su, depuis, que la 
fraction qui est passée ainsi en vi 
fort, appartenait au bataillon du 29 
tenait, en arrière et à gauche du fc 
redoute R où il avait relevé le bntaîll 
101' du commandant Casablanca. 

Malgré l'imprécision du renseigm 
Bazy, je démêle que de l'extérieur on 
che la liaison avec nous. Je veux 
même essayer d'y parvenir et je < 
l'ordre au lieutenant Alirol d'envoyei 
de ses coureurs vers notre gaucht 
coureurs sortent par le coffre sim] 
gorge et rentrent par le même cliemii 
avoir découvert aucune troupe fra 
dans nos environs. 

Mais le salut ne m'apparaît possib 
par l'intervention rapide de nos t 



126 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

par le déclenchement de notre contre-at- 
taque, et je vais m'efforcer de la hâter. 

J'expédie mes deux derniers pigeons en 
me faisant plus pressant dans mes rap- 
ports. Je ne dis pas, cependant, à quelle 
extrémité j'en suis réduit au sujet de Teau : 
ce mode de liaison n'est pas d'une sûreté 
parfaite, l'un de ces messagers peut tom- 
ber aux mains de l'ennemi. La précaution 
prise n'est pas inutile, puisque l'un de mes 
deux messagers arrive blessé au colombier 
de Verdun, blessé et ayant perdu son mes- 
sage. Tous mes pigeons étant partis, com- 
ment vais- je communiquer avec l'exté- 
rieur ? 

J'ai, dans le fort, une petite équipe de 
télégraphistes du génie et quand ces sa- 
peurs me sont arrivés, ils m'ont informé 
qu'une équipe semblable avait été envoyée 
au fort dé Souville pour établir une liaison 
par l'optique avec le fort de Vaux. Or, tous 



LE FORT DE VAUX 127 

les appels que nous avons faits à Souville 
hier et avant-hier sont restés vains. Je les 
renouvelle et fais interroger non seulement 
Souville, mais tous les points de Thorizon 
et l'horizon reste muet. Je me rends 
compte du pourquoi. C'est que, pour rece- 
voir mes signaux, il faut s'établir en poste 
sur le plat, sur le « billard », comme disent 
les poilus dans leur langue imagée. Or, 
sur le « billard » tombe le dru et meurtrier 
bombardement boche. 

Renoncer, je ne peux pas m'y résigner, 
je n'en ai pas le droit : il faut que j'arrive 
à relier mon fort à la mère patrie. 

Je choisis deux sapeurs télégraphistes, 
jeunes et robustes, taillés pour faire ce que 
j'attends d'eux. Je leur montre la lanterne 
optique qu'ils connaissent bien, puis Sou- 
ville qu'ils connaissent également, et je 
leur dis : 
— Il faut qu'avant la fin de la nuil, un 

9 




I " I r * 



128 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

appareil soit installé là-bas pour recevoir 
mes communications et mê télégraphier 
les réponses. 

— Bien, mon commandant. 

— Vous allez vous charger d'arriver à 
Soiiville et d*y faire le nécessaire. 

— Oui, mon commandant. 

— Pour vous évader d'ici, vous avez 
d'abord à exécuter un saut de trois à qua- 
tre mètres. 

— Nous le ferons. 

— A partir de ce moment, vous serez 
sous les feux de l'ennemi qui ne négli- 
gera rien pour vous abattre... 

— Oui, mon commandant ! 

— Vous passerez I 

— Oui, mon commandant ! 

— Vous irez d'abord au fort de Ta vannes 
et vous mettrez le commandant de la divi- 
sion au courant de notre situation... 



1 



LE FORT DE VAUX 129 

Ici, je leur révèle à voix basse que nous 
n'avons plus d'eau. 

— De là, vous filerez sur Souville, c'est 
mon ordre ! Vous vous posterez à l'endroit 
le plus favorable pour voir nos signaux. 

— Oui, mon commandant ! 

— Et vous répondrez au premier de mes 
appels qui vous aura touché. 

— Oui, mon commandant I 

Je leur tends la main, j'ai envie de les 
embrasser I 

Ils partent. Et c'est d'abord, pour sortir 
du fort, le saut à faire : j'y assiste le cœur 
serré : mes deux braves peuvent y rester... 

Mon cœur se desserre, je respire : mes 
deux sapeurs — tels deux sloughis — ont 
exécuté le saut avec une admirable sou- 
plesse, et je les vois s'éloigner'en courant. 
Les Boches les ont vus aussi et les accom- 
pagnent d'une telle rafale de mitraille 



: 



130 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

que mes pauvres braves ne peuvent que 
par miracle échapper à la mort... . 

Je les perds de vue. Sont-ils tombés ? 
Poursuivent-ils leur course ? Je l'ignore, 
mais tout dit qu'ils ont succombé, et un 
remords me vient d'avoir inutilement sa- 
crifié ces deux existences. 

Ah I la terrible angoisse ! 

Penché sur mon appareil, devant le cré- 
neau d'où je découvre, au loin, la devi- 
nant plutôt, la masse noire de Souville, 
j'appelle ! J'appelle !... 

Rien. Nulle réponse ne s'allume dans la 
nuit... Mes deux sacrifiés sont bien restés 
en route, et dans le fond de mon cœur, je 
les pleure, ces deux héros. 

Avant de m'éloigner du créneau, je fais 
une dernière tentative, je lance un su- 
prême appel qui sera sans doute perdu 
comme les autres... 

— Oh !... 



iririiMata 



LE FORT DE VAUX 131 

Le cri a jailli malgré moi de ma gorge : 
là-bas, à Souville, un feu s'est allumé qui 
semble me répondre. 

Je télégraphie : 

— Est-ce vous ? 

Les feux me répondent : 

— Souville 1 

Je fais faire les appels, il y est répondu 
par les signaux convenus. Mon premier 
message optique est lancé ; je le termine 
en demandant de nouveau qu'on tente de 
nous dégager — et c'est à mes deux slou- 
ghis que je dois de le pouvoir : ils sont 
arrivés, ils ont accompli leur mission, re- 
lié à la mère patrie le fort perdu dans la 
tempête l 

Ah I mes braves enfants I Pardonnez- 
moi I Je voudrais inscrire ici vos deux 
noms ; je me frappe la poitrine de les 
avoir oubliés. Je ne peux pas les appren- 
dre à ceux qui lisent ce récit. Mais vous 



L _ 



132 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

avez mérité de vivre, la fin de la guerre 
vous aura trouvés debout et peut-être le 
lirez-vous vous-même le récit de votre 
magnifique exploit. Vous saurez du 
moins que votre commandant ne vous a 
pas oubliés et qu'il ne vous oubliera ja- 
mais. 

Le 5 et le 6, la bataille continue, elle 
fait rage, le Boche précipite ses coups, 
multiplie ses assauts, recourt à l'arme 
lâche des fumées moiielles. Voici, avec 
les gaz empoisonnés, les jets de flammes... 

C'est bien l'enfer, mais ce n'est pas lui 
qui aura raison de mes hommes I Ils tien- 
nent, ils font tête à tout ; chaque pied de 
terrain, chaque échelon d'escalier est le 
siège d'un combat héroïque, un contre 
dix, contre vingt ! Et cette défense homé- 
rique va durer deux jours encore, deux 
jour« et deux nuits, et les vivres man- 
quent, et il n'y a plus d'eau, et l'on ne 



LE FORT DE VAUX 133 

dort plus I... Les mots me manquent 
pour célébrer mes braves comme ils le 
méritent. J'y renonce... 

Quiqui assiste à la bataille ; il y est ha- 
bitué maintenant. C'est presque un gro- 
gnard. Tout Tintéresse et rien ne Tin- 
quiète. Il -est naturellement brave, comme 
sa mère morte au champ d'honneur. Il 
aime le bruit et ignore le danger. 

Il se précipite dans la gaine de droite où 
éclatent des grenades ; le combat qui s'y 
livre dans l'obscurité et la fumée, ce com- 
bat où il ne voit plus ses amis, où il n'en- 
tend que des explosions, des cris de fu- 
reur et des plaintes, ne le retient qu'un 
instant. Vite il court à la gaine de gauche 
où crépitent les mitrailleuses dans la ca- 
semate de Bourges. Ici, Tair et la lumière 
entrent par de larges créneaux... la mort 
aussi, hélas I Le calme des mitrailleurs, 
leur attitude grave, leurs gestes rapides 



134 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

rimpressionnent ; il regarde tout, il voit 
tout et se donne Tair d'y prendre part... 
Mais personne ne s'occupe de lui, per- 
sonne n'a le temps de le caresser... Un peu 
déçu, tout triste, il s'en retourne douce- 
ment à la casemate où il retrouve son ami 
le sapeur et il semble lui dire : 

— Il ne fait pas bon ici ! 

Tout à coup, du nouveau, une sauvage- 
rie boche que Quiqui ne connaît pas en- 
core, dont il va pour la première fois 
éprouver les effets : 

Après le fracas de explosions, une fu- 
mée noire, d'une âcreté mortelle, emplit 
le fort. 

— A vos masques 1 A vos masques ! 

Le cri éclate, court partout, et, en quel- 
ques secondes, tous les hommes ont ar- 
boré le masque qui les met à l'abri de l'as- 
phyxie. 

Et Quiqui ? Quiqui que rien ne pro- 



LE FORT DE VAUX 135 

tèg€, on n'a pas songé à faire des masques 
pour les chiens I... 

Son père nourricier est là qui ne perd 
pas la tête pour «i peu : le brave sapeur lui 
colle une cagoule sur le museau et l'y 
maintient tout le temps qu'il me faut pour 
chasser la pestilence... 

L'air redevient respirable, les hommes 
peuvent enlever leurs masques, et Quiqui 
est débarrassé de «a cagoule, mais il a un 
air abattu qui fait peine à voir... 

Je lui parle : 

— C'est pas des choses à faire, hein I 
mon pauvre Quiqui I 

Il est tout à fait de mon avis et le fait 
entendre en se mouchant énergiquement. 

Hélas I mon brave Quiqui, nous n'en 
avons pas fini avec les choses qui ne sont 
pas à faire 1 

Et le moral reste bon 1 Mes hommes 



136 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

n'ont pas une minute de défaillance, ils 
regardent la mort en face, leur sacrifice 
est fait, total, absolu. D'ans cet enfer oii 
ils tiendront jusqu'à leur dernier souffle, 
ils ont pris figure de démons et blaguent 
la souffrance 1 

Aussi bien, tout espoir n'est pas perdu. 
Je communique avec Souville ; j'ai si- 
gnalé : (( Sommes à toute extrémité. » Sou- 
ville m'a répondu : « Coui:age, nous atta- 
querons bientôt. » Et je sais très bien 
qu'on ne nous abandonne pas ; je suis sûr 
qu'on prépare cette attaque qui nous dé- 
gagera. 

Dès que m'a été révélé l'épuisement de 
la citerne, j'ai pris des mesures pour faire 
sortir du fort les bouches inutiles, c'est-à- 
dire les réfugiés des combats du i*' juin, 
hommes des 7* et 8® compagnies du i48', 
petits éléments du loi**, groupe de brancar- 
dîeis qui, entrés la nuit du i** au 2 juin. 



LE FORT DE VAUX 137 

n'ont pu ^n sortir bloqués par Tintensité 
du bombardement. Le mouvement doit se 
faire dans la nuit €n commençant par la 
7^ compagnie du i42\ Ce groupe possède 
un gradé énergique pour le conduire ; c'est 
l'aspirant Buffet, qui a si bien combattu 
le 2 juin au matin, aux côtés du brave Ta- 
bourot. Je donne mes instructions à Buf- 
fet €t je lui prescris de faire connaître la 
situation du fort aux états-majors qui 
sont installés au fort de Tavannes et à 
Dugny. 

Derrière les deux sapeurs télégraphistes 
qui ont commencé le mouvement, le 
groupe de l'aspirant Buffet escalade à son 
tour la façade de gorge et le talus de con- 
trescarpe. Déjà éveillée par la sortie des 
sapeurs, l'attention des Boches qui sont 
aux écoutes se fait plus active. Les mi- 
trailleuses en batterie sur la grande case- 
mate font feu d'une manière continue. Je 



138 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

suis obligé d'interrompre le mouvement 
de sortie, d'ailleurs très lent. Mais Buffet 
et un certain nombre d'hommes de son 
groupe ont pu passer. Je renvoie la conti- 
nuation de ce mouvement à la nuit sui- 
vante. 

Ainsi s'achèvent cette journée et cette 
nuit tragiques du k juin. L'issue glorieuse 
des combats de la journée m'avait laissé 
plein de fierté et d'espoir. Le sergent 
garde-magasin, en me faisant connaître 
l'épuisement de la citerne, m'a révélé no- 
tre point faible et infligé une angoisse que 
je dissimule de mon mieux. Les premières 
lueurs de l'aube vont apparaître. De quoi 
demain sera-t-il fait ? 

5 juin, cinquième journée d'enfer ! 

Le jour s'est levé, mais dans les gaines 
et dans la grande galerie, c'est toujours 
l'obscurité profonde. Il me faut maintenir 
quelques lampes d'applique constamment 



LE FORT DE VAUX 139 

allumées, dans la grande galerie, pour per- 
mettre la circulation. 

Vers cinq heures du matin, le barrage 
du chemin couvert près de la casemate de 
Bourges de gauche, saute dans une explo- 
sion formidable qui renverse une partie de 
la maçonnerie, et par la brèche ainsi 
ouverte, l'ennemi apparaît, projetant des 
liquides enflammés. Heureusement , 
rénorme courant d'air qui se produit con- 
trarie et annule Taction des flammes en 
les rejetant vers leur foyer d'émission. Un 
instant surpris, nos mitrailleurs et nos gre- 
nadiers, conduits par Bazy et par Girard, 
reviennent et attaquent à coups de grena- 
des. L'ennemi recule. Nous rétablissons 
notre barrage et emportons nos morts et 
nos blessés, car cette nouvelle attaque nous 
coûte encore de cruels sacrifices. Mes deux 
braves lieutenants Girard et Bazy sont de 
nouveau blessés, mais peu grièvement, 



^^ 



140 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

par des éclats de grenades. Tous deux de- 
mandent à conserver leur commande- 
ment. 

J'arrête, dans la grande galerfe, le ca- 
poral Bonnin, tout courant, la figure ani- 
mée : 

— Où vas-tu ? 

— Mon commandant, je vas vous dire : 
ils nous font ribouler de la terre par des- 
sus I 

C'est à peine si je comprends et je vais 
voir ce qui se passe : les Boches renon- 
çant à Tattaque de ce barrage, semblent 
maintenant vouloir nous interdire une sor- 
tie par cet endroit et comblent de terre, 
jetée à la pelle, Texcavation du chemin 
couvert. Mais dans mes télégrammes pré- 
dédents, j'ai demandé l'intervention de 
l'artillerie française sur les dessus du fort, 
et la voilà qui commence à donner : Boum! 
un éclatement de demi-lourd juste à cet 



LE FORT DE VAUX 141 

endroit et nous voyons, j)ar le créneau de 
l'observatoire et par ceux de la casemate 
de Bourges, des cadavres boches projetés 
dans les fossés. 

Le travail cesse instantanément au-des- 
sus de npus. Mais en même temps qu'il n 
fait fuir le Boche, notre obus a fait glis- 
ser le plafond du chemin couvert, d'une 
seule pièce, sur ses pieds-droits, jusqu'au 
talus de terre créé par les Boches, et, de 
fait, cette issue du chemin couvert est dé- 
finitivement obstruée. 

Dans la gaine de droite et à peu près à 
la même heure, une attaque identique se 
produisait sur les barrages du chemin cou- 
vert. 

Le brave sous-lieutenant Albagnac, qui 
commande là, est projeté par l'explosion, 
est forcé de ramener ses hommes dans la 
grande galerie et, ayant constaté au pas- 
sage l'absence momentanée du mitrailleur 



142 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

qui doit veiller à notre dernier barrage de 
cette gaine, il est pris d'un accès de fureur 
qui n'est que trop compréhensible, il crie, 
il appelle son chef et ses camarades : je 
fais immédiatement remplacer le mitrail- 
leur absent, le feu est ouvert et la progres- 
sion des Boches dans la gaine arrêtée net. 

Et j'envoie le lieutenant Alirol calmer 
Albagnac. Celui-ci croit voir là un blâme 
de son chef. 

— N'aurais-je pas fait mon devoir ? 
S ecrie-t-il . 

Et il porte la main à son revolver. 

Alirol le détrompe, le ramène au calme. 
Mais quel admirable soldat qui préfère 
mourir que d'être soupçonné, non pas de 
1 Acheté, mais de faiblesse ! 

Moins heureux à droite qu'à gauche, j*aî 
(lu ce'der, avec les deux barrages du che- 
min couvert, lo barrage en pierre construit 
derrière la grille. Mais les Boches sont ar- 



LE FORT DE VAUX 143 

rêtés devant notre dernier barrage, dé- 
fendu à la mitrailleuse, et n'osent se lan- 
cer dans la gaine par les issues qu'ils pos- 
sèdent du chemin couvert. 

Cette journée du 5 juin, dans laquelle le 
Boche n'a pourtant obtenu qu'un bien 
maigre (Succès dans la gaine de droite, 
succès chèrement payé, est pour nous une 
journée de terribles souffrances physiques. 
Les combats du matin, courts et violents, 
ont nécessité la mise en œuvre de toute la 
garnison et les forces de nos hommes sont 
épuisées. Dans la poussière et dans la fu- 
mée, je les vois haletants. Déjà, hier, j'ai 
constaté qu'ils n'avaient guère touché aux 
vivres distribués, à cause du manque 
d'eau. La viande de conserve est salée, elle 
passe mal dans nos gorges desséchées. Moi 
non plus, je n'ai pas mangé hier et je n'ai 
pas grand' faim aujourd'hui ; je n'ai que 
soif. 

10 




144 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



Je vok mes houiums écrasés de fatiguei 
silencieux et mornes. Si j'ai encore un ef- 
fort à leur demander, ils en seront incapa- 
bles. Je décide en conséquence de leur dis- 
tribuer les dernières gouttes d'eau à odeur 
de cadavre que contient la citerne. Cela re- 
présente un quart à peine pour chacun, 
c'est nauséabond et c'est bourbeux et ce- 
pendant nous buvons cet horrible liquide 
avec avidité. Mais c'est trop peu et la soif 
subsiste. La somme de nos misères s'est 
accrue, si possible, par la perte des cabi- 
nets d'aisances qui se trouvaient dan» la 
gaîne de droite. Des odeurs méphitiques 
nous serrent à la gorge. Je télégraphie à 
Souville pour appeler en hâte l'aide exté- 
rieure dans laquelle j'ai mis ma dernière 
espérance. 

A peine l'opérateur a-t-il quitté l'ouver- 
ture sur laquelle est disposée la lanterne 
optique, qu'un obus éclate juste devant 



I 




Le fort de vaux 145 

\ 

cette ouverture. Des cris de douleur y ré- 
pondent : les brancardiers qui logeaient 
dans cette casemate sont sérieusement 
éprouvés : trois morts et un certain nom- 
bre de blessés. J'ai reçu moi-même un pe- 
tit éclat dans ma capote ; il n'a déchiré que 
l'étoffe de ce vêtement. Mais la lanterne 
optique et son support sont réduits en 
poussière; aussi bien, encore que j'en fasse 
aussitôt équiper une autre, il ne me seiia 
plus possible de télégraphier : le rayon de 
ma lanterne ne pourra plus traverser les 
buées et les nuages de poussière et de fu- 
mée qui obscurcissent l'air. 

Cependant, je ne perds pas de vue l'exé- 
cutioo des ordres donnés pour alléger la 
garniêon de' >es élément? étratigers et, la 
nuit venue, je fais recommencer le mou- 
vement de sortie. 

Pendant qu'il s'exécute, je réunis les of- 
ficiers à mon poste de commandement 






146 JOURNAL l)V COMMANDANT IlAYNAL 

pour me reitscigncr sur la situation des 
hommes dans chacun des secteurs. Tous 
mes officiers s'asseoient autour de ma pe- 
tite table : Bazy blessé, Girard blessé, Al- 
bagnac blessé, Fargues les yeux luisants 
de fièvre. De Roquette, râlant, est resté 
sur son brancard au poste de secours. Je 
recueille leurs rapports : ils sont plutôt 
sombres. 

Et tout à coup, dans les profondeurs du 
fort, je crois percevoir une rumeur... Ce 
n'est pas une illusion ; la rumeur aug- 
mente. J'entends maintenant des pas pré- 
cipités dans la grande galerie. En hâte 
j'ouvre ma porte : c'est l'aspirant Buffet 
qui m'a^paraît et me salue ! 

Tout k monde se lève, tous Jes vidages 
s'éclaircissent. J'embrasse Buffet de tout 
mon cœur et je le presse de questions* 

— Quelles nouvelles nous rapportez- 
vous P Que se passe-t-il à l'arrière ? 



LE FORT DE VAUX 147 

Tranquillement, Buffet nous raconte 
comment il a pu accomplir son double ex- 
ploit : celui de la veille, la sortie du fort ; 
celui de maintenant, la rentrée sous les fu- 
sils et les mitrailleuses de nos guetteurs. 
Il a pu, en sortant, échapper au tir de l'en- 
nemi et aux postes boches et parvenir jus- 
qu'au fort de Ta vannes. Après qu'il eut 
fait là un rapport au général de division, 
il a été dirigé sur Dugny, où se trouvait 
Tétat-major «du groupement. Il a vu le gé- 
néral Lebrun, commandant le groupe- 
ment de la rive droite de la Meuse, et peu 
après, le général Nivelle, commandant 
Tarmée de Verdun. Il a dit nettement no- 
tre situation et insisté sur la nécessité d'un 
secours immédiat. Ce secours, on le lui a 
promis. Le général connnandant l'arTuée a 
bien voulu reconnaître devant lui « l'inté- 
rêt mondial » qui s'attache à la conserva- 
tion du fort de Vaux et, sans dissimuler les 



148 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

difficultés de rentreprise, il a chargé le 
général de division commandant le sec- 
teur au fort de Ta vannes, d'organiser une 
« opération importante » en vue de déga- 
ger le fort. 

Le général commandant l'armée désire 
que je sois au courant autant que possible, 
des détails de cette opération afin que je 
puisse la seconder. Il charge Buffet de le 
dire au général de division et Buffet re- 
tourne incontinent au fort de Tavannes. 

Là, le général de division fait connaître 
à mon jeune aspirant les dispositions qu'il 
a arrêtées : L'opération aura lieu le 6 au 
matin et sera exécutée par quatre compa- 
gnies d'infanterie : deux compagnies pre- 
nant pour objectif la face Est du fort, une 
compagnie la face Sud et la quatrième la 
face Ouest. Les tirs d'artillerie de la jour- 
née du 5 et de la nuit présente sont consi- 
dérés comme préparation suffisante. L'at- 



LE FORT DE VAUX 149 

taque de gauche sera soutenue par une ac- 
tion de mitrailleuses. Les unités devront 
être en place à deux heures, et le signal de 
l'attaque sera donné par une gerbe de fu- 
sées vertes. Le fort coopérera autant que 
possible à l'opération. Mais pour cela, il 
faut que je sois mis au courant de ce qui 
se prépare... Qui donc viendra me trans- 
mettre tout cela ? 

Oubliant sa fatigue, dédaigneux du dan- 
ger, Buffet s'est offert ; il est parti de Ta- 
vannes avec son sergent, qui est, hélas ! 
resté en chemin, blessé. Lui, Buffet, a pu, 
en progressant par bonds, arriver au fossé 
de gorge, il a sauté dans ce fossé, et s'est 
fait reconnaître des défenseurs du coffre 
simple qui l'ont hissé par un créneau dans 
le fort !... Maintenant, il est là, devant 
nous, il nous annonce la délivrance, il me 
transmet les paroles des grands chefs, la 
pensée de la patrie [... Sois à jamais ho- 



150 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

noré, brave et digne camarade de Théroï- 
que Tabouret, qui te choisit en mourant 
pour recueillir son vœu suprême ! 

Pendant que Taspirant Buffet me rensei- 
gne sur la contre-attaque qui doit avoir 
lieu demain matin et sur l'importance des 
effectifs engagés, je vois les visages de 
mes officiers s'assombrir et je devine ce 
qui se passe en eux, car je l'ai moi-même 
éprouvé: l'opération, telle qu'elle est mon- 
tée, semble a priori insuffisamment pré- 
parée ; l'unité qui doit l'exécuter, un ba- 
taillon, semble aussi trop faible. Je sens la 
nécessité de ranimer la confiance afin de 
donner à tous la force de coopérer, avec 
tous les moyens qui nous restent, à l'entre- 
prise engagée. Je fais donc immédiate- 
ment ressortir que l'Etat-Major a des ren- 
seignements sur l'ennemi plus complets 
que ceux que nous pouvons avoir nous- 
mêmes et que le bataillon engagé, s'il ar- 



LE FORT DE VAUX 151 

rive dans de bonnes conditions, peut par- 
faitement réussir et reprendre, avec notre 
aide, les dessus du fort. Avec notre aide, et 
cette aide, il faut la donner sans réserve. 
N'est-ce pas, d'ailleurs, notre seule chance 
de salut ? • 

Et, sur-le-champ, j'arrête avec Alirol les 
dispositions à prendre. Tout ce qui n'est 
pas indispensable pour assurer la garde de 
nos barrages constituera un peloton de 
sortie qui se tiendra prêt à se jeter dans le 
fossé de gorge et, de là, sur les dessus de 
fort. Le lieutenant Alirol en aura le com- 
mandement. Mais, en ce moment même, 
les ordres que j'ai donnés pour la sortie 
des impedimenta s'exécutent ; quelques 
hommes sont déjà passés. Je juge dange- 
reuse la continuation de ce mouvement 
d'avant en arrière, qui peut contrarier le 
mouvement d'arrière vers l'avant des uni- 
tés prenant part à la contre-attaque. Gel- 



152 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

les-ci peuvent s'en trouver influencées 
(Fune manière défavorable ; il n'est pas 
bon que des soldats marchant à l'attaque 
rencontrent des gens en retraite. J'inter- 
romps donc immédiatement toute sortie 
flu fort. 

Jusqu'à minuit, il n'y a entre le fort et 
ses assaillants qu'un échange de jets de 
grenades aux brèches, sans résultats de 
part et d'autre ; mais, à l'extérieur, le tir 
de l'artillerie française s'inicnsifie ; c'est 
évidemment la préparation de l'altaque, et 
elle nous apporte un grand souffle d'es- 
poir. 

Je discerne cependant que le tir de no- 
tre artillerie, qui a pour objectif les dessus 
du fort, est très rasant. J'entends le siffle- 
ment caractéristique de l'obus de 76, mais 
pas un seul éclatement : les obus doivent 
tous dépasser le fort. Il eût fallu là du 
demi-lourd à tir plus courbe... Pour ne pas 



x^: 



LE FORT DE VAUX 153 

diminuer la confiance de mes hommes, je 
garde pour moi cette observation, et j'ai la 
douleur, hélas ! de ne pouvoir la télégra- 
phier par Toptique à nos libérateurs. J'ai 
déjà dit que mon appareil était impuissant 
à traverser les buées et les nuages de fu- 
mée, et le feu de Souville est invisible... 

La nuit s'achève dans la fièvre de l'at- 
tente du grand événement qui doit nous 
délivrer. Dès une heure trente, le peloton 
de sortie est en position dans Tescalier qui 
conduit à la porte du fossé de gorge. Des 

guetteurs placés aux casemates de Bourges 
de droite et de gauche et aux fenêtres de 

la grande casemate, doivent m'avertir de 

tous les mouvements qu'ils apercevront. 

A deux heures, notre artillerie allon^o 
son tir. 

— Redoublez d'attention, les gars ! 

Rien ne m'est signalé. 

Le jour commence à poindre. De lous 



154 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

les côtés, nous interrogeons l'horizon: tou- 
jours rien. 

Vers trois heures, rien encore, ni au 
sud, ni à droite. Mais, de la casemate de 
Bourges de gauche, on me signale une pe- 
tite troupe de la force d'une section, ter- 
rée dans les trous d'obus, non loin du fort. 
Les mitrailleuses boches tirent dessus. Et, 
presque aussitôt les mêmes guetteurs me 
signalent que, sous le feu terrible qui la 
décime, cette petite troupe s'est déséquipée 
et est emmenée prisonnière par les Alle- 
mands. 

C'est tout ce que nous avons vu de la 
contre-attaque du 6 juin. 

Pourquoi l'héroïsme de nos libérateurs 
a échoué ? J'emprunte au beau livre de 
M. Henry Bordeaux la réponse que je ne 
saurais faire moi-même, n'ayant eu que 
les échos de la bataille : 

« Les attaques allemandes et les nôtres 



LE FORT DE VAUX 155 

se succédèrent, se heurtent, se prévien- 
nent, s'annihilent les unes les autres. Au- 
cun des adversaires ne parvient à progres- 
ser... La bataille se prolonge dans le fort 
enfermé, incendié et affamé où Ténergie 
de quelques hommes éternise la résis- 
tance. Mais nous ne pouvons reprendre 
l'ouvrage extérieur, que garnissent des mi- 
trailleuses. Tout le plateau et ses pentes 
sont battus au point que la terre est pa- 
reille à de la. cendre. 

» Dans la matinée du 6 juin, nous avons 
pu croire un instant que nous tenions à 
nouveau le fort tout entier et que la gar- 
nison était délivrée. Une attaque avait été 
montée qui devait se déclencher à deux 
heures. A quatre heures, un prisonnier al- 
lemand, du 27' régiment, est amené tout 
effaré, les vêtements en lambeaux, au 
poste de commandement de la division. 
Interrogé, il déclare s'être échappé du fort 



156 JOURNAL DV COMMANDANT KAYNAL 

de Vaux lorstjue le» Français roiit entouré. 

» L'attaque devait aborder le fort par 
ses trois faces : sur la face droite, ma com- 
pagnie du 238*, sur la gorge une autre 
compagnie du même régiment et une sec- 
tion du génie sous les ordres du comman- 
dant Mathieu ; enfin, sur la face est, deux 
compagnies du 3:>.i^ sous les ordres du 
commandant Favre. Le signal devait être 
donné à deux heures du matin par un bou- 
quet de fusées. 

» A droite, les deux compagnies du 821*, 
vigoureusement entraînées par leur chef, 
atteignent, en deux vagues, le fossé de 
contrescarpe où elles furent accueillies par 
un barrage de grenades et de mitrailleu- 
ses. E^écimés par le tir de ces mitrailleu- 
ses couronnant le parapet d'escarpe, les 
premiers grenadiers refluent. A leur tour, 
les deux vague» successivement déferlent. 



LE FORT DE VAUX 157 

Mais ceux qui les coiMluiseiit .sont presque 
immédiatement et presque tous atteints : 
le commandant Favre tué d'une balle à la 
tête, le lieutenant Ray, le sous-lieutenant 
Rives, grièvement blessés ; le sous-lieute- 
nant Rellot blessé, mais ramené ; le sous- 
lieutenant Morel tué ; le sous-lieutenant 
Billaud, tué ; le sous-lieutenant Desfougè- 
res, blessé ; le lieutenant Aymé, blessé... 
Une telle nomenclature, quel éloge ensem- 
ble et quel martyrologe d'un corps d'of- 
ficiers !... Privée de direction, une troupe 
hésite. Le capitaine adjudant-major prend 
le commandement du bataillon, reforme 
les unités engagées, distribue les conunan- 
dements et se tient prêt à repousser une 
contre-attaque qui, devant Tattitude de ses 
hommes, n'ose pas sortir des tranchées. 
Les coureurs tiennent le régiment et la 
brigade au courant de la situation. Quels 
que soient les barrages, ils parcourent ce 



158 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

sol volcanique et les survivants rempla- 
cent les blessés et les morts. i 

» Plus à gauche, l'attaque du 328* sur la 
face ouest et la gorge a rencontré les mê- 
mes obstacles. Elle a, quelques instants, 
encerclé le fort, mais n'a pas pu se main- 
tenir. Un tir de notre artillerie sur la su- 
perstructure, pour y démolir les mitrail- 
leuses ennemies. Ta gênée elle-même. Elle 
a dû elle aussi se rabattre sous les positions 
de départ... » 

J'ai tenu à citer intégralement ces pages 
de M. Henry Bordeaux, et c'est du fond du 
cœur que je m'associe à l'hommage qu'il 
y rend aux glorieuses victimes de cette 
tentative de délivrance. 

Nous l'avons sentie approcher, la déli- 
vrance ; un moment, nous avons pu y 
croire : que soient remerciés et bénis ceux 
qui purent, en se sacrifiant, nous donner 



LE FORT DE VAUX 159 



cette lueur d'espoir dans les tortures de 
notre agonie. 

Vers cinq heures, les mitrailleurs de la 
casemate de Bourges de gauche tirent sur. 
un pionnier boche porteur d'une caisse. 
L'homme est tué et de la caisse s'échappe 
une fumée intense : ainsi avorte une nou- 
velle attaque par les fumées délétères. 

Vers six heures, rien de nouveau à l'ex- 
térieur du fort. Je me décide à télégra- 
phier par l'optique, le poste de Souville 
étant redevenu visible, l'insuccès de la 
contre-attaque du matin, en mentionnant 
ce que je crois être les causes de cet insuc- 
cès : insuffisante préparation de Tartille- 
rie, qui n'a pas touché les dessus du fort 
et qui a allongé son tir avant l'arrivée de 
l'infanterie; effectif trop faible des troupes 
engagées. Les fumées et les poussières 
gênent toujours la transmission de ce télé- 
gramme; j'ignore s'il a été compris, 

11 



lHê JOURNAL OU COMMJWBANT AAINAL 

Je fait une visite à aos pottec : Tebatle- 
ment €st sur tous les visages» ma v0ix 
n'arrive plus à redresser le soldat qui^ il 
y a quelques heures, avait encore une 
lueur d'espoir dans 1^ yeux. Les iiomn[ieô 
ne répondent plus à mes objurgaii^ftB» 
ceux qui me regardent ont l'air hébêtié. Ils 
souffrent et j'ai la perception nette qu'ils 
sont à bout de forces • La fin> l'horrible fin, 
m'apparaît inéluctable. Ma gorge brûlante 
se serre d'anxiijtc. Non, il ne fnul pas qiiQ 
ce soit 1 Au secours l au secours ! II ^aut 
le crier à la France ! D'un pas qui veut être 
ferme > je rentre à mon poste. 

J'envx^ie un d<3rnier messages au com- 
mandement pour lui dire notre situation 
désespérée^ ^t, aussi^ eu bout de tna tâ€he> 
je lui sigi^ale les béros de la défefi^e» tous 
mes hi^nmes^ tous ! et^ a leur tête, le» lieu- 
tenants d^ Roquette et Girard> du 6<i*, 
Bazy, Albagnac, du t4'>^ le lieutenant Ali- 



JL£ FORT DE VAUX 101 

rol^ mon bras droit, le valeureux com- 
mandant de la compagnie de garnison : 
Fargues» Cuas, aspirant Salva^ adjudant 
Brun, du i42% lieutenants Denizet et Ha- 
batel, artilleurs, lieutenant Boy et aspi- 
rant Bérard, du 2* fi^énie, caporal Bgnnin, 
du i42*. 

Dans ce message, je dresse le bilan de 
mes pertes : 7 tués, dont le capitaine Ta- 
bourot et le lieutenant Tournery^ du 10 1* ; 
iS l^li^sés, dont 4 officiers et les médecins 
auxUiati^ Conte et Gaillard. Je transcris 
ici ce tablMii d'honneur ; il laut que ces 
noms, tous ce» is^oms soient connus et res- 
tent 

Je termine ma coxnœ^mcation en expr^* 
mant l'espoir qu'on intwviendra de nou* 
veau avant notre complet épui^ment. Ce 
suprême appel est eiuiore entendu. Le 
commandement prépare une nouv^e of- 
fensive qui, bien montée, doit réussir à 



162 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

nous dégager : cette fois, c'est un régi- 
ment de zouaves et un régiment d'infante- 
rie coloniale, troupes d'élite, chamarrées 
de victoires, qui vont venir à notre aide. 

Hélas I nous ne les verrons pas ! 

Mes questions ne reçoivent de Souville 
aucune réponse. Je m'explique, du reste, 
ce silence : les communications par l'opti- 
que peuvent être recueillies sur les dessus 
du fort, et me télégraphier, c'est télégra- 
phier à l'ennemi. 

Il n'y a qu'à attendre, il n'y a qu'à tenir 
jusqu'à la limité, jusqu'à l'extrême limite 
de nos forces. Elle est tout près, je la tou- 
che, mais le fort restera en notre posses- 
sion jusque-là. Si, espérance obstinée, une 
intervention peut se produire au dernier 
instant, elle nous trouvera à notre poste. 

Dans cette journée du 6, le boche agit 
davantage sur nos barrages. Il semble 
qu'il devine que le drame est à l'intérieur 



LE FORT DE VAUX 



et, en effet, les souffrances de mes hom- 
mes, surtout des blessés, augmentent ter- 
riblement, La soif, Thorrible soif sévit ! 

Je suis dans mon poste avec le sous-lieu- 
tenant Roy, et mon dévoué ingénieur ne 
trouve plus de remède dans son esprit si 
plein de ressources. Des bruits de gémis- 
sements nous parviennent. Mêlé à ces gé- 
missements un autre bruit s'accentue : 
c'est un pas hésitant, un frôlement de 
mains sur la muraille. 

Tout à coup la porte s'ouvre. Oh ! l'ef- 
frayante apparition ! Un blessé est là, son 
torse nu bandé de linges sanglants. Il s'ap- 
puie June main au chambranle de la 
porte. Il avance une jambe et met son ge- 
nou à terre. Il tend vers moi son autre 
main dans un geste suppliant et, d'une 
voix éteinte. 

— Mon commandant ! A boire I 

Je vais à lui, je le relève : 



164 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

— Je n'aî pas d'eau, mon brave ! Fais 
comme moi, espère t On va venir à notre 
secours ! 

Tout gémissant, mon blessé regagne 
Tinfirmerie en se traînant. Je regarde Roy: 
il a comme moi les yeux brouillés... 

A huit heures et demie du soir, le quar- 
tier-général de l'armée me fait transmettre 
ce télégramme du généralissime : 

« Le général commandant en chef 
adresse au commandant du fort de Vaux, 
au commandant de la garnison ainsi qu'à 
leurs troupes, Texpression de sa satisfac- 
tion pour leur magnifique défense contre 
les assauts répétés de l'ennemi. — Jop- 

FRE. » 

La joie me sera refusée de communi- 
quer ce message à mes hommes : il ne 
m'est pas parvenu. 

A neuf heures du soir, un nouveau mes- 
sage m'est envoyé ; il m'est personnel, ce- 



'E FORT DE VAUX 165 

■ ' ■ II» ■ I 11 m I I I I »— i»— ^j»^^»— — ^— ^.^— — ^— — — 

lui-là, îl m'annonce que je suis fait, com- 
mandeur de la Légion d^honneur... Il ne 
me parvient pas davantage. 

C*est la fin. A moins d*un miracle, cette 
nuit sera la dernière de notre résistance ; 
mes hommes qui ne boivent plus, ne man- 
gent plus, ne donnent plus, ne tiennent 
debout que par un prodige de volonté. 

Je réunis les officiers dans mon poste. 
Tous CCS braves sont désespérés. Ils ne 
voient de salut pour nos hommes, qu'il 
faut conserver à la patrie, que dans une 
prompte reddition. Mais tout à coup, le 
canon au dehors recommence à gronder et 
son grondement s'amplifie en tempête. 
C*est le canon français. Le fort n*est pas 
battu, mais ses environs sont violemment 
bombardés. La flamme de Tespoir se ral- 
lume : 

— Ecoutez, camarades ! C'est l'artillerie 
française ! Jamais son tir n'a été plus puis- 



166 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

sant ! C'est une préparation d'attaque, al- 
lez tous à vos postes. Demain matin, si la 
délivrance n'est pas venue, je vous pro- 
mets de me soumettre à la cruelle néces- 
sité. 

Réchauffés par mes paroles, mes offi- 
ciers retournent à leurs postes. 

Le tir de notre artillerie a cessé brus- 
quement vers vingt-trois heures et la nuit 
s'achève dans un calme absolu, plus ef- 
frayant encore pour moi que la tempête 
'des batailles. Aucun bruit, aucun indice 
de mouvement. Je songe à l'engagement 
que j'ai pris. 

Ai-je le droit de prolonger la résis- 
tance au delà des forces humaines et de 
compromettre inutilement la vie de ces 
braves qui ont fait si héroïquement leur 
devoir ? 

Je vais faire une tournée dans les cou- 
loirs ; ce que je vois est affreux. Des hom- 



LE FORT DE VAUX 167 

mes sont pris de vomissements causés par 
Tingestion d'urine, car ces malheureux en 
sont arrivés là, à boire leur urine ! D'au- 
tres s'évanouissent. Dans la grande gale- 
rie, un homme lèche un petit sillon hu- 
mide sur le mur... 

L'effort que j'ai demandé à mes cama- 
rades et qui doit nous maintenir jusqu'au 
matin ne peut être que le dernier.,. La 
France me jugera ! 

7 juin ! Le jour se lève et c'est à peine 
si nous pouvons nous en rendre compte : 
pour nous, c'est encore la nuit, une nuit 
oii tout espoir s'est éteint. Le secours exté- 
rieur, s'il vient, arrivera trop tard ! 

J'envoie le dernier message, le suprême 
salut du fort et de ses défenseurs à la pa- 
trie. 

Je retourne à mes hommes : 

— C'est fini, mes amis ! Vous avez fait 
votre devoir, tout votre devoir : merci ! 



URNAL DU COMMANDANT HAYNAL 

it compris, et c'est ensemble, d'un 

ri, que nous répétons le aalut que 

pareil vient de transmettre : 

ve la France t 

les minutes qui suivent, un silence 

. s'étend sur le fort. 

crifice est cnnsommé ! 



CHAPITRE VI 

GLORIA VIGTOHIBUS 



C'est pour VOUS, camarades, qu 
ici ces deux mois, c'est sur vos l 
je dépose cette couronne de I 
Gloire aux vainqueurs ! Nul com 
ne sait ce que fut votre effort, ce c 
avez dépensé là d'héroïsme et sub 
tui'es : j'ai essayé de le dire, la 
fora le reste... En attendant, je pn 
la face du monde que le vainqueur 
ce ne fut ni le Boche, qui ne put vc 
Ire, ni même la faim et la aoîf q 
avez stoïquement supportées. L 
queur, c'est vous ! 

Maintenant, nous quittons le 



170 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

heures de captivité commencent. J'ai au- 
près de moi mon brave Alirol. Nous sor- 
tons les derniers, après avoir procédé à 
révacuation de nos chers blessés, la plu- 
part incapables de marcher. Je suis aussi 
épuisé qu'eux. Je n'en peux plus, je trébu- 
cha à chaque pas, et je dois avoir une tête 
de brigand : je n'ai pas été rasé depuis 
huit jours... Mais voici les généraux bo- 
ches. Ils sont en grande tenue, soignés, 
sanglés, décorés, chamarrés... 

Je redresse ma pauvre carcasse, et je les 
regarde dans les yeux. Le général de divi- 
sion me tend un papier et m'invite à lire : 
c'est le message par lequel notre généra- 
lissime m'annonçait hier soir que j'étais 
fait commandeur de la Légion d'honneur; 
ce message qui ne m'est pas parvenu, les 
Boches l'ont saisi. 

Je lis sans broncher ; ce que j'éprouve 
ne regarde pas l'ennemi. 




LE FORT- DE VAUX 171 

Le général parle ; il me complimente 
sur notre résistance, et prononça le mot de 
vaincus... Je relève aussitôt : 

— Pardon I nous n'avons pas été vain- 
cus ; nous avons succombé à l'épuisement 
et à la soif... 

Un civil, que je n'avais, tout d'abord, 
pas remarqué, semble suspendu à mes lè- 
vres, et il prend des notes tandis que je 
parle. C'est sans doute un reporter : j'ai 
retrouvé plus tard dans les journaux bo- 
ches le récit assez fidèle de cette scène. 

Le général me demande pour finir : 

— Avez- vous un désir à exprimer ? 

— Faites-moi donner à boire ! 

Mon désir est exaucé, je bois enfin, je 
bois de l'eau fraîche et pure ! Le paradis 
après l'enfer... 

En route pour le quartier général de von 
Deimling, qui commande l'armée. 

— Herr mayor... 



i»-— 



172 JOURNAL DU COMBIANDANT RAYNAL 

• 

Herr mayor, monsieur le commandant : 
c'est un officier boche qui m'interpelle. Il 
a porté la main à son casque et ses talons 
se* soni reijoints en faisant sonner leurs 
éperons d'argent. 11 s'ap$^ue_ à être cour- 
tois, en paroles du moins, el jw^i^dxk bout 
de ma captivité^ je constaterai chez fons^ 
les offïciers boches cette même courtoisie 
verbale, purement verbale, où se traduit 
le besoin de faire croire qu'un cœur de sol- 
dat bat âous la capote du reître. 

— H^rr mayor, est-ce à vous, ça ? 
Ça, c'est Quiqui. 

Quiqui n'est pas mort, il a tenu, lui 
aussi, il est là entre son maître et moi. 

Un instant j'hésite, mais mon regard 
rencontre celui du sapeur^ du père nourri- 
cier qui a deviné ce qui attend Quiqui, si 
je me désintéresse de son chien, et je ré- 
ponds r: 

— Oui, il est à moi... 



hE FORT DE VAUX 173 

Oui, Je l'adopte, cet autre héros qui e 
souffert comme uous, partagé nos suppli- 
ces, et j'attends la décision du Boche. Elle 
est ce que je désire, ce qu'a deviné le sa- 
pear : Quiqui peut ma suivre, il ne lui 
sera fait aucun mal 1 

Nous dévalons «nseuibli* la fieule sous le 
bombardement français. Après avoir sur- 
vécu aux atrocités du siège, allons-nous 
linir maintenant sous les coups de nos Irè- 
l'es P Non, il est écrit que nous devons vi- 
vre. 

Nous errivons au bas de la pente ; icii le 
terrain est marécageux, il y a des trous 
pleins d'eau... Quiqui se précipite et il 
boit I II boit I II boit ! Il se grise de Iral- 
cheur, puis me revient tout frétillant et je 
lis dans ses j^eux ce qu'ils veulent me dire: 

— Ça va mieux ! 

Nous marchons ; nous allons de posti en 
poste de comm«ndament. Quiqui «st tou- 



174 JOURNAL DU COMMANDANT lUYNAL 

jours sur mes talons, Quiqui me suit 
comme mon ombre. A-t-il compris que 
j'étais le chef ? S'est-il rendu compte du 
mensonge que j'ai dû faire pour le sauver? 
Quand je lui pose la question, ses yeux ont 
quelque chose d'humain qui me dépasse, 
et il joue son rôle dans le mensonge avec 
une conscience impressionnante. 

Il ne me quitte pas une seconde ; si je 
monte en voiture, il y monte avec moi, 
sans attendre que je l'y invite. 

Le général von Deimling vient au-de- 
vant de moi. Je le rencontre au milieu des 
bois, dans une clairière, et la scène se re- 
produit qu^a notée le reporter au sortir 
du fort. Cette fois, c'est un photographe 
qui opère. Il prend un instantané. 

Le général m'informe que le kronprinz 
veut me voir et que l'on va me conduire 
à Stenay... A ce moment, on me sépare de 
mon cher Alirol. Je Tembrasse avec une 



LE FORT DE VAUX 175 

émotion que je ne peux dissimuler aux 
Boches et je reste seul avec mon ordon- 
nance Drexler et Quîqui... 

A Stenay, où j'arrive avant la nuit, je 
suis interné dans une maison oii logent 
des officiers de Tétat-majbr du kronprinz, 
notamment le capitaine-aviateur Sibring- 
haus, qui est chargé de mettre l'Altesse à 
Tabri des bombardements aériens. Si- 
bringhaus, parle admirablement le fran- 
çais ; il a longtemps habité Paris. Il vient 
à moi et entreprend de me démontrer que 
c'est nous qui avons provoqué TAllema- 
gne ; il me remet, à l'appui de ses dires, 
une brochure de propagande... Je com- 
mence par lui rire au nez, puis, en quel- 
ques mots, je lui mets ledit nez dans le 
mensonge boche : 

— Voyons, capitaine ! A qui croyez- 
vous faire admettre que, s'il avait voulu 
la paix, votre tout-puissant kaiser n'au- 

n 



176 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

fait pas d'abord trouvé le moyen de cal- 
mer TAutriche ? 

Sibringhaus n'in«iste pas. 

La brave femme qui garde la maison 
m'entoure de soins maternels. Prévenues 
par jelle de mon passage, les religieuses 
de Stenay m'envoient un peu de linge et 
un bonnet de police... Braves sœurs fran- 
çaises, veuilles: trouver ici l'expression de 
ma reconnaissance. 

Au matin, Sibringhaus me conduit au 
kronprinz qui veut me voir. Quiqui m'ac- 
compagne jusqu'à la porte du bureau où 
m'attend l'héritier du kaiser, et s'il n'entre 
pas avec moi, c'est qu'on ne le lui permet 
paà. î 

Lé kronprinz est debout, il m'accueille 
avec une courtoisie très franche. Il n'est 
pas laid; ce n'est pas le singe qu'ont fait de 
lui les crayons qui l'ont caricaturé ; c'est 
un cavalier mince et âouple, élégant et non 



LE FORT DE VAUX 17/, 

sans grâce, qui n'a rien de la raideur 
boche. 

Les journaux français ont raconté notre 
entrevue, mais leur récit n'est pas abso- 
lument conforme à la vérité, et, dans les 
premières pages de ce journal, à propos de 
ma canne de blessé, j'ai promis de remet- 
tre les choses au point. 

M'y voici. 

Le kronprinz parle, il s'exprime avec fa- 
cilité, dans un français assez pur. 

Il reconnaît et vante comme il sied la 
ténacité de nos hommes, leur admirable 
vaillance. Admirable, il répète plusieurs 
fois le mot, et ce sera celui dont s^e servi- 
ront après lui les journaux boches et tous 
les organes de la propagande pangerma- 
nîste : il faut mettre le Français sur un 
piédestal pour hausser d'autant celui de 
l'Allemand. Tout se tient dans l'organisa- 
tion allemande, tout y est fixé d'avance. 



JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

[u'au ton sur lequel doivent siffler les 
îles à la solde de la Wilhelnnstrasse, 
lirable ! Admirable ! C'est, le la de l'air 
vont chanter les trompettes de la Re- 
imée boche... 

>n couplet fini, le kronprinz me remet 
opie du message par lequel notre gé- 
il en chef, notre illustre Joffre, en- 
lit ses félicitations au fort de Vaux. Le 
sage, on le sait, ne m'est pas parvenu : 
été celui-là aussi, volé, par le service 
ie... 

Maintenant l'héritier du kaiser arrive 
feste noble : 

- Désireux d'honorer votre vaillance, 
1 commandant, j'ai fait rechercher vo- 
épée que je me dois de vous rendre ; 
heureusement, on n'a pu la retrou- 

- Et pour cause, suis-je tenté de glis- 
: je n'ai eu pour toute arme person- 



LE FORT DE VAUX 179, 

nelle que ma canne de blessé et mon re- 
volver. 

Mais je me tais. Je n'éprouve pas le be- 
soin de répondre et je reste figé dans la 
seule attitude qui convienne à la situa- 
tion ;: tranquille et froid, j'attends. 

Il poursuit, en me présentant le coupe- 
choux d'un sapeur du génie : 

— Je n'ai pu me procurer que cette 
arme... cette arme modeste d'un simple 
soldat, et je vous prie de l'accepter... 

Mon premier mouvement est de me hé- 
risser ; mais le kronprinz ne se moque pas 
de moi, c'est très sérieusement qu'il ac- 
complit son geste, et comme l'effet ne lui 
en échappe pas, il insiste sur l'intention 
qui donne à ce geste sa véritable portée. 

— L'arme est modeste mais glorieuse, 
mon commandant, et j'y vois, comme 
dans l'épée la plus fîère, le symbole de la 
valeur française,,. 



i^i*--*^^>^^n«*««wxiwsw«^*«<"iWB«w««^w^ 



180 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



^l^imi^^armim 



Je ne peux plus refuser : 

— Ainsi présentée, j'accepte celle urine 
et remercie Votre Altesse de Thommagc 
qu'elle rend à la grandeur de mes humbles 
camarades. 

C'est tout. Je salue militairement et m'en 
vais, en emportant mon coupe-choux, 

A la porte, je retrouve Quiqui qui m'al- 
lenil, et nous retournons ensemble, sous 
la conduite de nos gardes, à notre canipe- 
nient de prisonniers. 

Nous n'avons pas fait cent mèlros que 
Sibringhaus me retombe dessus et, la 
main au casque, les talons bruyamment 
rapprochés : 

— Herr mayor, Son Altesse Impériale 
vous prie de revenir... 

Je le suis de nouveau, je regagne le 
quax^tier général du kronprînz. 

Comme je pénètre dans le bureau par 
une porte, il sort d'une autre pièce et vient 



LE FORT DE VAUX 181 

à moi tout épanoui : il tient une épée à 
deux mains, un sabre-épée d'officier fran- 
çais. 

— J'ai trouvé, mon commandant. Je 
vous prie d'accepter cette arme plus digne 
de vous, en échange de celle que je vous 
ai offerte, à défaut d'une autre... 

J'accepte l'échange, je salue et m'en re- 
tourne. 

C'est tout. 

Dormez en paix, camarades ! Votre chef 
se fût tranché la langue plutôt que de 
prononcer un mot qui eût semblé incliner 
devant l'héritier de l'Empire la fierté de 
votre sacrifice. Gloria victoribus ! 



CHAPITRE VII 



CAPTIVITE 



J'en ai bien fini avec ces 
vées. Aussi bien, on me lais 
temps de prendre un léger ri 
lequel j'écris à ma femme, i 
rer, quelques lignes que Sit 
promet de faire parvenir sr 
et je suis conduit à Moniff 
m'embarque pour Mayence.. 
dire en passant que ma femr 
reçu la lettre confiée à Sib 
paratonnerre du kronprinz a 
faire avec son impérial proté 

J'ai avec moi mon fidèle < 



URNAL OV COMMANDANT KAYNAL 

urricier, le supeui' Trnxlcr qui n'a 
ié de ni'iiccoinpagner. 
ae compagnon de route — lisez 
— on m'a donné un officier en 
tenue, un capitaine du régiment 
ards placé sous le cosnmandcmenl 
le du mai'éclial von llaeselcr, an- 
nniandant de hi région de Metz. 
lehiuck, picjuier el long aiièt. Je 
'. que Quiqui a des impalienccs — 
; petit besoin à satisfaire : Quiqui 
cessé d'être l'enfant bien élevé dont 
3 nourricier m'avait garanti la par- 
ucation ; il est incapable de s'ou- 
ins le wagon, il veut sortir... Je 
raxler de descendre Quiqui sur le 
e capitaine m'entend et se préci- 
se charge lui-même de la délicate 
ision, c'est lui qui va descendre 
sur le quai — et, jiendant dix mi- 
i'ai sous les yeux ce tableau déso- 



LE VOIXT DE VAUX 185 

pilant: Quiqui cherchant un coin à sa con- 
venance, tirant sur sa laisse et forçant à 
le suivre le brillant capitaine des hussards 
de von Haeseler I 

Nous repartons. Mon voyage s'effectue 
sans autre incident ; je n'ai à signaler que 
le sentiment de colère éprouvé à la vue de 
la kolossale Gerinunia qui drosse sa lourde 
masse sur la rive du llhia. Le sol où 
s élève le monument de Torgucil boche n 
été français : est-ce qu'il ne va pas kv rede- 
venir ? Est-ce que tout le sang versé pour 
arracher ce sol au monstre germain aura 
coulé inutilement ? 

Le soir est venu quand je débarqise à la 
gare de Mayence. Il y a foule, et cette 
foule me garde : elle sait qui je suis, la 
propagande boche a déjà fait sa besogne. 
D'ailleurs, aucune manifestation ; je ne 
lis dans les yeux que de la surprise, et 
cette surprise vient de ce qu'on m'a laissé 



186 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

: j'ai le sabre que m'a offert le kron- 

tenay, l'officier boche qui m'a an- 
que j'allais être interné à Mayence, 
lit entendre ceci : 

Herr major, nous vous avons donné 
ice, parce que Mayence est notre 
I nous I 

r Nice à eux... Ne comparons pas. 
t trouvé cela pour se donner l'air de 
aiter avec les honneurs de la guerre 
me quelque chose plus. C'est le geste 
Dnprinz qui se prolonge, et tout cela 
d évidemment à un mot d'ordre ; il 
qu'à lire les journnaux boches pour 
endre compte : j'y suis sacré grand 
ine et couronné de lauriers, et en 
! temps que je suis porté aux nues, 
devient un fort prodigieux, un fort 
>al — avec un k — dont la prise était 
3SUS des forces humaines... 



LE FORT DE VAUX 187 

Des forces humaines, mais pas des for- 
ces allemandes ! Vous voyez d'ici la con- 
clusion du dithyrambe, vous louchez du 
doigt le but assigné aux reptiles : tout ce 
qu'ils disent de moi et du fort de Vaux 
n'est là que pour saouler d'orgueil les 
Inass^s boche« et grandir le soldat alle- 
mand et ses chefs devant les neutres. 

Je ne vous parlerai pas de Mayence : je 
ne connais de cette ville que son histoire 
— que vous connaissez comme moi — et 
sa citadelle, que je vous souhaite de ne 
jamais connaître comme je Taî connue. 

C'est à la citadelle que je suis conduit 
par deux officiers de camp qui sont venus 
me prendre à la descente du train et ne 
taie lâcheront que mis sous clé, dans une 
chambre qui sera ma cellule. C'est pro- 
prement la mise au secret, et elle va 
Wurer deux jours. La mesure, essentielle- 
ment boche, s'applique à tous les officiers, 



188 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

et dure souvent plus longtemps. Mes ca- 
marades ont baptisé les locaux qui y sont 
affectés le « saloir » : après les y avoir 
laissés macérer, dans un dénuement ab- 
solu, le Boche conduit les prisonniers au 
bureau du lieutenant Schmidt, officier in- 
formateur qui essaie de leur tirer les vers 
(In ne2. 

Mes deux jours de saloir accomplis, le 
lieutenant Schmidt me fait l'honneur de 
se déranger pour moi : il vient me voir au 
secret, et je dois dire qu'il m'épargne l'in- 
jure des questions insidieuses : il se borne 
à me mettre au courant des règlements de 
la citadelle. 

Peu après, je reçois une autre visite, 
celle du capîtaîne von Tecklembourg, qui 
commande le bâtiment dans lequel j'ai ma 
fchambre : lui aussi me donne connais- 
sance des règlements et, chose inattendue, 
encore que la courtoisie verbale des offt- 



LE FORT DE VAUX 

ciers boche m'en ait servi d'ai 
sure de toute sa sollicitude ! 

Le lendemain, on me cont 
che... Quand je me rhabille, 
que mes poches sont vides : 
briolé. Je réclame : on m'inv 
ser à von Tecklemhurg, c'e 
chose regarde... Ah ! oui, el 
la chose ; c'est lui qui l'a ce 
la voilà bien cette sollicitude 
à m'assurer ! Je proteste ass 
et il me promet une réponse 
me la fait attendre trois joui 
ment au bout de trois jours 
mon stylo et quelques autr 
■m'ont été soustraits, et il a 
m'affirmer qu'il me fait là u 
veur I La mentalité boche ; 
deurs insondables. 

A propos de cette mentali 
qiies observations que j'ai 



--^-^.^^î?^^ 



190 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Mayence ; elles ont trait aux divers types 
d'officiers boches. 

C'est d'abord le hobereau prussien, un 
embusqué, poli, se piquant d'éducation, 
mais brutal et crevant d'orgueil, con- 
vaincu que l'Allemagne ne peut être bat- 
tue. ^ \ 

Vient ensuite l'officier combattant : il 
ne fait ici qu'un court séjour, à la suite 
d'une blessure ou d'une maladie. Celui-là 
B appris sur le champ de bataille à respec- 
ter le Français. Il est le plus souvent sans 
Inorgue et manque d'assurance en parlant 
du dénouement de la guerre : le doute lui 
vient. 

En troisième rang, l'officier de réserve, 
sorti des professions libérales, avocat, ou 
professeur, le Boche intelligent, discutail- 
îfiur, fourbe et cauteleux, une vipère... Le 
tnême, venu du commerce ou de l'indus- 
trie, affecte de déplorer la guerre : il com- 



LE FORT DE VAUX 191 

m€nce à être inquiet sur l'issue de Taveii- 
ture. Les beaux jours de 1914 sont déjà 
loin, les jours de la guerre fraîche et 
joyeuse qui devait, en quelques mois, 
nous exterminer 1 

Où tous ces officiers sont encore d'ac- 
cord, c'est sur la façon de traiter le pri- 
sonnier : tous nos geôliers nous appli- 
quent avec la même rigueur un règlement 
draconien dont les sévérités semblent plu- 
tôt faites pour des bandits souverainement 
dangereux que pour des officiers prison- 
niers de guerre. 

Aujourd'hui, rentré en France, je lis 
dans les journaux les plaintes et les cris 
de colère et de haine de nos soldats qui 
reviennent de captivité : laissez-moi vous 
assurer que les officiers n'ont pas été 
moins durement traités que les soldats : 
eux aussi ont connu les iniquités, les bri- 
mades, les insolences, les vols de colis, les 

13 



.•f-j 



à 



192 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Campagnes de calomnies coiltré les Alliés, 
les fausses nouvelles déprîménteSi les pro- 
vocatioils voulues par où -s'eiuvre le Che- 
min du conseil de guei^re. Éiik atiss! ont 
tourné en rond dans une cour de fils bar-, 
belés, sous la survfeillarice de sentîilëlles 
prêtes à faire usage de leurs ai*tiies... 

Eux aussi ont été atteitits de ce tiiàl 
tioiit^au et tétrible qiii torture les ilerfs fet 
le cehveail : la psychose dés flls de fér;.. 

Qtié je Rappelle, à prdpos des vols de co- 
lis, lin souvenir où vous iretix)UVÔi*ëa bien 
la hideur boche I 

Un de nos caniàràdês, câjf>ilàinè fran- 
çais^; recevâtit un ddlià, s'âpetçilt qtife ce 
dernier avait été ouvert et pillé, et il le fit 
réihàrquer âUx soldats bdchés qui cJttt ef- 
fectué la livraison. Un cajjitaitti allëâiftttd 
s'dpprôcha ; nôtre ami t^tiô'tiVéla dévéht 
lui son accusation... 

Lie capitaine récoittaîl sailfe rien dîrfe, et 



LB FORT DE VAtJX 198 

8on «ilenc^ semblait si bien approuver le 
plaignant que notre camarade s'y trompa 
et administra^ en paroles, aux auteurs du 
vol, la volée de bois vert qu'ils méritaient. 

Le capitaine restait toujours impassible; 
il se contentait de jeter rapidement et à 
mi-voix quelques mots aux gardes boches 
qui étaient préBents à la scène. 

Or, ce» mots étaient les suivants : « No- 
tez bien ce que cet homme vient de dire 
et souvenez- vous-en*.. » 

A chïKïue dureté de notre camarade, la 
reoommandation revenait, et lé plaignant 
qui n'entendait pas un mot d'allemand et 
ge croyait toujours approuvé, poursuivait 
son réquisitoire, disait tout ce qu'il avait 
sur le co^ur et en arrivait aux violences... 

Le lendemain, il était cité en conseil de 
guérie pour outrages publics à un ojfftcier, 
«et leê gardes venaient répéter devant le 
jivLge d'instruction tous les gros mots qui 



194 JOURNAL DU GOMBCANDANT RAYNAL 

» .- •/" 

lui étaient échappés la veille : le capitaine, 
en leur jetant : Souvenez-vous 1 préparait 
leur témoignage ; le vol du .colis était ar- 
chi-démontré, le boche avait aussitôt 
trouvé la leçon à donner à ce plaignant 
qui avait le tort d'avoir raison : « Cause 
toujours, lâche tout ce que tu voudras de 
gros mots, tu les paieras I » 

Notre malheureux camarade paya, en ef- 
fet ; il fut condamné à plusieurs mois de 
cellule pour avoir outragé le capitaine bo- 
che : inutile de dire qu'il ne fut pas ques- 
tion du colis volé ; l'outrage avait effacé 
le vol. 

Dans d'autres cas, les choses se passaient 
plus simplement : la plainte du volé don- 
nait lieu à un semblant d'enquête qui en 
démontrait presque toujours l'inanité, et 
le plaignant était condamné pour dénon- 
ciation calomnieuse. Ahl la justi^ce boche! 
Imaginez Cartouche à la présidence d*un 



i 



LE FORT DE VAUX 196 

tribunal, avec Mandrin comme assesseur. 

Mes compagnons de captivité sont pour 
beaucoup des officiers anglais. Ils subis- 
sent, sans se plaindre jamais, le régime 
de fer auquel nous sommes soumis : ce 
n'est pas eux, les bons dogues britanni- 
ques, qui donneront à nos geôliers la joie 
de voir défaillir leurs prisonniers. Très 
calmes, très maîtres d'eux-mêmes, ils op- 
posent au Boche un dédain glacial qui le 
déconcerte et l'humilie : c'est le commen- 
cement de la revanche. 

Nous occupons les chambres des trois 
ciasernes édifiées dans la cour de la cita- 
delle. Un quatrième bâtiment, le plus con- 
fortable, est occupé par la kommandantur. 

Je loge avec le commandant Mercier, 
dans une pièce humide et froide du rez-de- 
tehaussée du bâtiment II. Nous avons un 
compagnon de tous les instants, un ami 
fidèle que vous connaissez bien : Quicpiî, 



p.^ 



196 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



Les autorités, je dois le reconnaître, se 
sont montrées indulgentes à Tendroit du 
bon chien ; elles épargnent la bête, quitte 
à se rattraper sur les hommes. 

Mon brave Quiqui est entré de piain- 
pied dans raffection de tous les captifs, 
les officiers anglais le gâtent, le corrom- 
pent. On l'appelle dans toutes les cham- 
bres, on le bourre de friandises, de gâ- 
teaux ; il est là qu^and on ouvre les colis, 
et c'est lui qui est servi le premier. 

Dans la cour, on joue avec lui, on 
s'amuse de ses talents de société et Ton re- 
garde du coin de l'œil la tête du geôlier 
boclie. i { 

N'allez pas croire que toutes ces gâteries 
font oublier son maître à mon bon Qui- 
qui : «on cœur me reste tout entier. Dès 
que je parais et du pins loin qu'il m'aper- 
çoit, il plante là ses nouveaux amis, il 
vient à moi en sautant de joie, il me pro- 



LB PORT DE VAUX 197 

digu6 «es caresses, comme pour me faire 
entendre : 

'— Tu sais, les autx^s sont «gentils pour 
moi, mais c'est toi que j'aime l 

Ne croyez pas davantage qu'il s'accom- 
mode de cette captivité, encore que tout le 
monde s'applique à lui en adoucir les ri- 
gueurs. Quand, appuyé contre le grillage 
qui entoure la citadelle, il m' arrive, en 
regardant la campagne, de me laisser en- 
traîner aux penséeiS mélancoliques^ Qui- 
qui vient se ranger tout près de moi : 
une patte levée, ses belles oreilles d'épa-^ 
gneul à demi dressées, et tout son corps 
figé dans une «tttitude grave et pour ainsi 
dire réfléchie, il suit mon regard, il sem- 
ble comme moi interroger Thorizon, et il 
la de petits aboiements étouffés qui sont de 
véritables soupirs. Quiqui pense aux bel- 
les galopades qui lui sont maintenant in- 
terdites, Quiqui proteste contre cette bar- 



198 JOURNAL DU COMBIANDANT RAYNAL 

rîère qire nous ne pouvons franchir, Qui- 
qui aspire à , la liberté ! A certains mo- 
ments, je me demande si le chien n'a pas 
une âme, quelque chose de celle de son 
maître. D'autres ont déjà fait cette obser- 
vation qu'à force de chercher la pensée de 
son maître dans les yeux de ce dernier, le 
chien finit par avoir le même regard que 
lui... 

J'ai dit que les autorités avaient fait 
preuve d'indulgence pour Quiqui : au dé- 
but, .pourtant, il me valut quelques peti- 
tes difficultés. 

Appelé devant un officier de la cita- 
delle, un capitaine, je m'entendis adresser 
cette observation : 

— Herr major, vous tenez beaucoup à 
votre chien et nous ne songeons pas à 
vous en priver; mais c'est pour vous, pour 
vous seul, que nous avons voulu vous le 
laisser... 



LE FORT DE VAUX 199 

Pour VOUS seul... J'avais compris : de- 
venu ràmusement, la joie des prisonniers 
'anglais, Quiqui portait ombrage aux au- 
torités qui entendaient qu'aucun adoucis- 
sement ne fût apporté au sort de nos al- 
liés. 

Aussi bien le gros bonnet précisait : 

— Je vous demande de tenir la main à 
ce que votre chien reste auprès de vous. 

Je répondis que J'y veillerais autant que 
je le pourrais, mais sans m'engager à 
réussir : aujourd'hui, le pli était pris, les 
prisonniers anglais étaient très bons pour 
Quiqui, et Quiqui n'était pas un ingrat. 

Le Boche n'insista pas ; c'était sur autre 
chose qu'il voulait me tâter, et la ques- 
tion de Quiqui ne devait être qu'un pré- 
texte. 

Brusquement, il attaqua : 

• — Puisque nous sommes là, en tête à 
tête, herr mayor, que pensez- vous de la 



200 JOURNAL DU COHHAMDANT «AYNAL 

guerra «t comment ta voyez-vous se ter- 
miner i* 

Je pense, monsieur le capitaine, que 

avez eu tort d'engager cette guerre et 
le se terminera contre vous... 

Boche, un de ces hobereaux pour qui 
incibilité de l'Allemagne est un 
ne, eut un haut-le-corps indigné : 

Vous voulez rire, herr major ! 

Je n'en ai nullement envie, monsieur 
pitaine I Je reconnais que votre ptiisr 
e est formidable et qu'elle sembla 

permettre de tout espérer... 

Elle ne semble pas, elle permet réel- 
int, elle garantit... 

Soit I mais écoutez bien ceci : Voue 
, au début de la guerre, commis une 
; dont les conséquences vous écraBe- 

; c'est au monde entier que vous 
:z déclarée, cette guerre... 



LE FORT Dfi VAUX 201 



— Nous !... noue avons... 

— Oui, monsieur le capitaine ! Le jour 
où par l'organe de tous vos journaux, par 
vos messages de propagande, vous avez 
jeté votre cri de « Deutschland tiber 
ailes », r Allemagne au-dessus de toutj 
c'est au monde entier que vous avez porté 
un défi, c'est l'univers que vous avez pro- 
voqué à se lever contre vous, et pas n'est 
besoin d'être prophète pour vous prédire 
qu'il se lèvera ; je peux d^ores et déjà vous 
nommer là nation qui prendra la tête de 
ce mouvement, j'allais dire de cette croi- 
sade... 

— Et cette nation ? 

— Les Etats-Unis d'Amérique, mon- 
sieur le capitaine I 

Et comme il répondait à cela par un 
ricanement : 

— Nous en reparlerons, si vous le vou- 
lez bien... 



I -_'_ 



IRNAJL DU COMMANDANT RAYNAL 

t un dédaigneux haussement 

s : 

fit que vous voudrez ! Même si 

lit dans la danse, ce dont je doute, 

[ue ne serait pas un danger pour 

Ile n'a pas d'armée, et si elle arri- 

1 mettre une sur pied, et à l'en- 

1 Europe, nos sous-marins suffi- 

l'anéantir avant qu'elle ait touché 

?es... 

us en reparlerons, répétai-je. 

i pas pu en reparler : l'heure ve- 

n'étais plus à Mayence. 

isai mon homme quelque peu es- 

:, et pendant toute une semaine, 

î de ses sous-ordres me fît sentir 

gardait une dent. 
)8e me fut d'ailleurs confirmée par 

■d'appel chargé de s'assurer de 
ésence dans nos chambres, 
naire, celui-là s'acquittait de sa 



LE FORT DE AUX 203 

fonction ^vcc une rigidité que rien ne fai' 
«ait fléchir : suivi de di. ix gardes i 
emboîtaient le pas, baïoiinett« au 
il se faisait ouvrir nos portes, cor 
que nous ne nous étions pas envc 
s'en retournait, solennel et roide, i 
conscience d'avoir sauvé l'AlIemag 

Un soir, je constatai, en lui ouvrs 
porte, qu'il s'était départi de sa se' 
il était seul, il avait laissé ses deux 
à l'autre bout du douloir, et il s 
à mon brave Quiqui, mon chien 
qui m'avait signalé, comme toujour 
rivée du Boche par des .grognemei 
ïieux et continuait de lui témoign 
animosité en aboyant oX montra 
dents... 

Je devinai que mon homme voul 
parler, et je fis taire Quiqui ; jh 
trompais pas... 

L'&ffîcier, un capitaine, commen 



204 JOURNAL DV COMMANDANT RAYNAL 

me faire uh salut bizarre, mystérieuses- 
ment compliqué ; il avait réglementaire- 
ment rapproché ses talons Tun de Tautre 
en faisant sonner ses éperon»^ mais sa 
main, en montant au casque, m'avait 
seinblé idôcrîre une figure géométrique... 

Comme, plutôt effaré, je ne répondais 
pas à son salut, il le renouvela et l'expli- 
qua : 

— Berr mayor, je vous salue comme 
frère.;. 

Frère ! J'allais protester, m'insorire eii 
faux contre ce titre... Je n'^en fis rien : 
tout à coup, une lumière tti'éclairà : 

j^âvaîs devaîit moi un franc-maçon à qui 
un fai^^ renseignement avait fait croire 

que je Tétais moi-même. 

Il paria encore : 

-*- Comme frère, je vens dois de vous 
prévenir que vous avez fait de la peine au 
capitaine von T.,. en le meiiaçtot de 



V. 



LE FORT DB VAUX 205 

TAmiériqtie ; mais je tiens aussi à vous ras- 
Ètiter : Je suis là pour vous couvrir et je 
me charge d'effacer l'impression fâ- 
cheuse... 

J€ï Tâtrêtai : il me répugnait d'être dé- 
fendu |>ar un Boeb€ et surtout de profiter 
du mensonge qui lui faisait voir en moi 
tiri maçon comme lui : 

— Pardon ! on vous a trompé :• je ne 
âuis pas k frère que vous etoyea*.* 

Il s'agita : 

— Ach I... Vous n'êtes pas.». 

— NdUj je ne suis pas... 

ïl se mordît tes lèvres, fit demi-tour et 
s'^h alla en grognant, ne parvenant pas à 
Comprendre que je me fusse, en le dé- 
tit)mpaût^ privé ée ses bons offices... 

Herr capitaine, nous sôtnmes Ainsi en 
Frantlè : vous cttltivei lé meUsenge, il 
nous fait horreur, à nous». 

Bt Dieu sait pourtapf U les pauvres rte- 



206 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

capes de Vaux avaient besoin d'être sou- 
tenus et aidés, physiquement et morale- 
ment. 

J'arrive à la souffrance la plus cruelle 
que m'ait léguée notre semaine infernale : 
Timpossibilité de retrouver le sommeil. 
Pendant des semaines, que dis-je ? pen- 
dant des mois, je n'ai pas dormi paisible- 
ment une heure. Les visions me poursui- 
vaient que j'avais emportées de notre en- 
fer ; elles passaient et repassaient sans 
cesse devant mes yeux, et mes oreilles 
étaient pleines des grondements de la tem- 
pête... Je n'ai été complètement débar- 
rassé de ce cauchemar qu'au bout de deux 
ans, après mon internement en Suisse ; 
je n'ai, d'ailleurs, jamais - cessé de voir 
mon fort de Vaux, comme je le vis pour 
la dernière lois, en le quittant : J'étais sur 
la route de Montmédy ; tous les dix pas, 
je me retournais pour regarder une fois 



LE FORT DE VAUX 207 

encore ce qui fut mon champ de bataille : 
tilie protubérance rouge, sur les côtes de 
Meuse, dans un nuage de poussière et de 
fumée. La canonnade faisait rage, notre 
artillerie nous vengeait. « C'est le trom- 
melfeuer » me dit le capitaine de hus- 
sards dont j'ai déjà parlé. J'entendais 
cette expression pour la première fois ; elle 
peut se traduire par « le feu en roulement 
de tambour ». Et les Boches l'appliquent 
au tir de notre artillerie. Le même officier 
tae raconta que, la veille, ils avaient subi 
\in feu pareil et que le lieutenant Radko, 
(décoré de l'ordre « Pour le Mérite » pour 
être monté le premier sur le fort de Vaux, 
avait été, du côté de Damloup, une des 
victimes de ce trommelfeuer. Mais le capi- 
taine de hussards était encore tout fré- 
missant en me parlant du canon français 
et de ses effets. Aussi .bien, il s'en conso- 
lait aussitôt en me racontant la bataille 

14 



208 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

navale du Skager-Raoh et me la donnant 
pour une grande yîctoire .de la flotte alle- 
mande sur la flotte anglaise... Je n'en crus 
pas un mot et bien m'en prit. J'ai su de- 
puis ce qu'avait .été cette bataille du Jut- 
land, ofi la flotte allemande fut» en réa- 
lité, battue et bien battue... Mon hussard 
l8 saTait-il lui-même P J'incline à penser 
qu'il était sincère ; il n'avait, en vérité, 
rien d'un Machiavel : je vous l'ai montté 
conduisant Quiqui à ses petits besoins... 



CHAPITRE VIII 

LA « BLOK^G » 

J'ai dit plu* haut l'abominable régime 
de suspicion qui nous était imposé; oela 
en violation des stipulations de la conven- 
tion de La Jiaye ; j'ai montré la cour de 
la citadelle, entourée d'une double bar- 
rière de fils de fer barbelés et surveillée 
par des sentinelles, baïonnette .au canon. 
Cette cour était la seule promenade qui 
BOUS fût permise à des heures détermi- 
nées. 

Passons à la nourriture, au régime ali- 
mentaire qu'il nous fallut subir : il était à 
base de bouillon de rutabagas et se com- 
plétait par aoo grammes de viande par se- 



210 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

maine et quelques purées de lentilles. 
Avant mon arrivée, on pouvait encore 
se procurer quelques petits suppléments à 
la cantine ; en 191 6, cela devint impossi- 
ble ; les approvisionnements étaient épui- 
sés et le blocus se resseitrant de plus en 
p5lus, TAUemagne était obligée de vivre 
sur son propre fonds. Ah ! ce blocus 1 II 
fallait voir les colères qu'il soulevait ! A 
toutes nos réclamations, la réponse était la 
même : « C'est la blokade ! C'est la faute 
â vos amis les Anglais ! » La blokade, le 
mot est une création boche ; blocus n'était 
pas aissez expressif. Et nos geôliers nous 
poussaient <à ^protester dans nos lettres à 
nos familles contre l'inhumaine blokade 
Idont nous étions, par ricochet, les victi • 
îmies ; mais l'éloquence qu'ils y dépen- 
saient ne recueillait que des rires et per- 
Isorine ne protestait, nous aurions plutôt 
demandé une aggravation des rigueurs de 



;T¥î: 



LE FORT DE VAUX 211 

la blokade ; en revanche, nous in-sistions 
auprès des nôtres pour que nous fussent 
Végulièïrement envoyés des colis de vivres, 
colis sans lesquels beaucoup d'entre nous 
seraient morts d'épuisement. Nos familles 
ne se faisaient pas tirer Toreille ; les co- 
mités de secours aux prisonniers de guerre 
nous venaient légalement en aide, et tout 
cela nous permettait, non iseuJeme*nt 
d'^améliorer notre menu, mais encore de 
secourir ceux de nos caîmarades qui 
étaient originaires des pays" envahis ou 
b'avaiient personne qui s'occupât d'eux. 
^ Notez que, pendant longtemps, tous les 
officiers français faits prisonniers sur no- 
tre fiK)nt furent envoyés à Mayence pour 
y être interrogés f par Schmidt, l'homme 
du « saloir » ; leurs familles ignoraient, 
bien entendu, ce qu'ils étaient devenus, et 
fc'était à nous qu'incombait la tâche de les 
favitaîUer... 



212 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

La nourriture du oorps n'était pas seule 
à nous précoGCiiper ; pous fiongion« aussi 
à celle de Tasprit. Quand J'arrivai à la ci- 
tadelle de Mayence, la bibliothèque n'exis- 
tait, à proprement parler, que de nom^ las 
ouv4*ages y brillaient par leur absence. Je 
lançai un appel auquel toute la France ré- 
pondit en nous envoyant des ballots de li- 
vres... Que nos généreux donateurs en 
soient ici remerciés et bénis ! — Je dois 
mentionner l'existence de la ipetite biblio- 
thèque religieuse tenue par l'abbé Ca- 
Vnail : elle rendit des services ; pour ma 
part, j'y dénichai une Vie de saint Augus- 
tin, chef-d'œuvre de Louis Bertrand, qui 
me fît faire en pensée une délicieuse pro- 
menade à travers cette chère province de 
Coastantine que j'avaïs quittée plein d'en- 
thousiasme à la mobilisation : Bône, Souk- 
Arrh-as, la .patrie d'élection et le lieu de 
naissance de saint Augustin, maintenant 



T - 



Le FORT DE VAUX 218 

(Jeux bellaa villes françaisa» où les desoen- 
danDs 4^s oontemx>oraiTi8 du grand évêquç 
afxicain se mêlent à nos'concitoyens dans 
le plu» parfait esprit d'union. Que de sou- 
venirs ! Que d© -réflexions 1... Revenons, 
hélas I aux heures de oaptivité.. 

En même temps que nous nou'« effor- 
cions de subvenir aux besoins du corps et 
à ceux de Tosprit, nous pensions aux jeux 
et aux distractions si néoes'saires à de 
malheureux exilés, et, sous Timpulsion de 
notre ^vénéré doyen, le .colonel du Gauiroy, 
nous org'anisions l'enseignement et la pra- 
tiqua de tous les sports permis aux pri- 
sonniers. Après le départ du colonel, son 
teuocesseur à la présid'ence de notre asso- 
oiation, le colonel de Tarragon, s'employa 
de toutes ses forces à développer cette or- 
ganisation, «et de très beaux résultats fu- 
rent atteints : le i4 juillet 1917, ft Tocca- 
sioîi de notre fête nationale, il nous fut 



214 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

possible .d'établir et de «réaliser un pro- 
gramme d'épreuves sportives «qui se dérou- 
lèrent le long d'une .semaine entière, sus- 
citant, même chez les Boches, le plus vif 
intérêt. Un die nos geôliers mie confessa 
qu'il n'en revenait pas de nous voir tant 
de ffessort et d<e gaieté... Au fond, l'aima- 
ble personnage était furieux : ce ressort 
et cette .gaieté, «c'était la banqueroute du 
régifloie qui tendait à nous déprimer. 

Ne quittons pas ce terrain dtes jeux sans 
parler de notre théâtre ^t de fia troupe et 
de son orchestre à cordes — théâtre quel- 
Conque, édifié à la diable, mais troupe 
convaincue et orchestre où brillaient de 
véritables virtuoses. Tiroupe convaincue, 
ai-je dît, tellement convaincue que, tout 
comme ichee les artistes du boulevard, il 
y avait des potins de coulisses et des brouil- 
les. Il me fallut maintes fois intervenir 



ji 






LE FORT DE VAUX 215 

pour apaiser -des querelles ; jje dois dire 
que j'y parvins chaque fois... 

Quelques mots, maintenant, d-e nos ca- 
marades alliés. 

D'abord, les Britanniques. Je n'eus 
guère le temps de me lier avec eux, car 
ils quittèrent le camp de Mayence en juil- 
let 1916, c'est-à-dire peu après mon arri- 
vée : mais j'ai gardé d'eux tous un très 
aimable isouvenir : officiers pleins de tact, 

d'un moral parfait, sûrs de la victoire du 
Droit. Les jeunes étaient très allants 6t 
mêtne turbulents : j'ai déjà signalé 
comme ils jouaient avec Quiqui, mon 
Qtiiqui qu'ils gâtaient à qui mieux 
mieux. 

Un mot m'est resté de mes courts rap- 
ports avec nos camarades britanniques 
— un mot trop joli pour que je le garde 
pour moi. Au -moment de leur départ, 



2Î6 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



comme j'échangeais un ishali^-haud avec 
le plus ancien, celui-ci me dit : 

— Je me souviendrai de vous : vous 
avez défendu le fort de Vaux de façon ga- 
lante ! 

De façon galante : il me semblait en- 
tendre parler un Français d*autrefois, de 
la vieille France, un Français de la guerre 
en dentelles... 

Les Russes ne donnaient pas, comme 
les Britanniquefs, rimpression d*un corps 
uni, d'une même nation. Il y avait chez 
eux des différences très nettes, des divi- 
sions qui sautaient aux yeux, même chez 
les officiers de carrière ou profession- 
nels : ceux de la garde se distinguaient 
facilement des autres. Les premiers par- 
laient presque tous français ; ils avaient 
'une tenue soignée et faisaient montre 
d'éducation. Une paille dans ce louis 
d'or : ie goût de boire poussé jusqu'à 






LE FORT DE VAUX 217 



rivrognerie. Leurs ,camarade8, d'ailleurs, 
qu'ils fussent de Tactive ou de la réserve, 
ïie leur cédaient en rien sous -ce rapport. 
îJ'ai toujours pensé ,que le tsar ayant in- 
terdit Fu'sage de l'alcool en Russie-, ces 
messieurs se rattrapaient en Allemagne. 
Je n'en ai connu qu'un seul qui ne s'eni- 
vrât pas ; il travaillait constamment à 
.parfaire son bagage scientifique : <;*était 
un chimiiste, .d'opinions ftrès avancées, 
socialiste,, disaient ses camarades, mais 
adversaire déclaré des maximalistes. 

Une remaiHjue. En France, tous les of- 
ficiers, d'où qu'ils viennent, sont unis 
par une franche ^camaraderie : l'épau- 
lette inivelle tout. En Russie, non. Môme 
chez les officiers de réserve, l'esprit de 
caste reste, fortement accusé. 

La 4?«évolution eut, on s'en doute, une 
profonde répercustsion chez nos Russes. 
Immédiatement, la mass^ des prison- 



}URNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

B divisa en groupes ou partis bien 
■s : il y eut le parti des Cent Noirs, 
lé par les officiers de !a garde, les 
îhisfces constilutiomnels, les répu- 
i et les socialistes, mininoalistes et 
alistea. Dans ce dernier groupe fi- 
it des officiers faits prisonniers au 
3 de Stockod ; ils tenaient leur 
l'on ne sait qiielle autorité, proba- 
,t de la leur propre. Ils nous appa- 
!nt nettement inférieurs, sous tous 
port«, à leurs camarades ; je n'ai 
ouvert, parmi eux, une seule per- 
te qui valût qu'on s'arrêtât à la 
T de près. 

>rdonnances formaient également 
oupe, et des officiers allaient leur 
!S couférences. Jusqu'à ce jour, on 
jamais témoigné au soldat russe 
! sollicitude et de considération : 
;paré à ce nouveau régime, il en 



LE FORT DE VAUX 219 

éclatait d'orgueil et, au lieu de se mon- 
trer reconnaisisant, toisait avec arrogance 
ses officiers. Mais, chose, bizarre que je 
vous laisse le soin d'expliquer, cette défé- 
rence qu'il refusait à ses chefs, il l'obser- 
vait religieusement avec les officiers 
français. Je me souviens d'une scène qui 
me laissa tristement impressionné : 

Le vieux colonel Lawric, président des 
offiteiers russes prisonniers, chapitrait 
dans la cour de la citadelle deux soldats 
russes qui commencèrent par lui répon- 
dre avec une vivacité quelque peu inso- 
lente et finirent par lui tourner le dos et 
s'en aller, sans le saluer. Rattrapant 
l'un de ces soldats, je lui fis reproche de 
son attitude incorrecte... Il me salua très 
convenablement, avec tout le respect 
qu'eût pu me témoigner un de nos poi- 
lus, et me répondit : 

— Le colonel est une vieille brute I 



220 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



Et puis, nous somities en révolution.:. 

Je ne pu-s le faire sottir de là. 

Il y eut che» nos camatades russes des 
évolutions effarantes : un officier que je 
voyais souvent et qui parlait teès bien 
notre langue, passa successivement, dans 
un temps très court, du tzarisme le pi ils 
noir à la république rose, et de celle-ci au 
socialisme rouge. Et beaucoup d'autres 
riniitèrent, donnant ainsi ia mesui^e «du 
désordre 'de leur esprit et du manque 
d'éqtiilibre de leur conscience. En vérité, 
ce peuple n'était pas mûr pour une révo- 
lution aussi radicale et les suites de cette 
révolution n'ont surpri-s aucun de ceux 
qui s'étaient donné la pëihè de peser l'ag- 
glomérat de il atioti alités diverses^ plus 
ou moins venues à la civilisation^ qui 
constituait l'empire de Russie... Mais je 
sens que je vais verser dans la politique, 
et je dois me 'rinterdire ; je dirai pour- 



LE FORT DE VAUX 221 

tant quelle a étéj à mon sens, la faute ca- 
pitale de la l'évolution, celle qui a causé 
tout le mal : k^'est le geste par lequel le 
premier ministre de (la Guerre du gou- 
vernement Milioukoff, du parti cadet 
(K D, Konstitutionnel'Démocrate) institua 
dans les régiments les conseils de «oldats 
et tendit le salut facultatif. La discipline 
était, du coup^ ruinée et Ton pouvait s'at- 
tendre à tout — et tout est arrivé. Le 
parti cadet à qui revient la responsabilité 
de cette première ^t grave atteinte à la 
solidité de l'armée, a payé très cher cette 
faute... Passons en «saluant les victimes. 
Les Belges formaient parmi nous une 
petite «t^lonie sympathique et très unie, 
dont les membres faisaient partie de tous 
nos groupements organisés : bibliothè- 
que, musique, sports. Leur moral était 
excellent. Ceux d'entre eux qui, avant la 
guerre, s'étaient sentis pencher vers ^ 



222 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

le Boche, étaient radicalement guéris 
de cette faiblesse : l'effroyable réveil 
qu'avait été pour la Belgique la violation 
de son sol, avait dessillé tous les yeux. 

Ardemment patriotes, nos camarades 
belges savaient que le triomphe de la Bo- 
chie entraînerait la ruine de leur indé- 
pendance, et n'avaient d'espoir que dans 
la victoire des Alliés, la victoire du Droit. 
Et comme ils voyaient en nous les pre- 
miers ^champions de ce droit, ils avaient 
pour nous des égards quasi-religieux, et 
ce n'était pas seulement les prisonniers 
qui nous montraient ainsi leur confiance 
et leur gratitude : personnellement, j'ai 
reçu de Belgique, notamraient de Liège, 
des témoignages de sympathie que je 
n'oublierai jamais... Les Boches — à 
mon grand étonnement — laissèrent 
passer les lettres qui me les appor- 
taient. . . 



LE FORT DE VAUX 223 

L_^Buaw w ■■ ^Li-LKM ■ I I II ■ ^ u M II ■ I ■ I I II ■ III l'ai — 1~ I ■"■"TTr'^rr — ■ -■ ■— ■ 

Je tiens à le dire et à le redire, je n'ai 
jamais eu que des rapports aimables avec 
mes camarades belges, des rapports de 
véritable fraternité, et je m'incline res- 
pectueusement devant leur président, le 
général Kenoker de Watlet, président 
modèle et soldat admirable... 

Deux mots enfin de la population ci- 
vile de Mayence ; je n'ai eu que quelques 
rares occasions de la voir de près, mais 
j'ai toujours été frappé de son attitude 
déférente et plutôt sympathique. Cette 
population se souvient certainement 
d'avoir été française et ne répugne pas à 
le redevenir — au contraire, oserai-je 
dire, tablant sur ce que j'ai vu. 

Dans la rue, ce n'était pas comme des 
bêtes curieuses qu'on nous regardait, en- 
core moins comme des ennemis abhor- 
rés ; je démêlais quelque chose de doux 
au fond des regards, je surprenais des 

15 



^^. 



324 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

sourires. Des passants, lioniqies et fem- 
mes, revenaient sur leur^ pas pour nous 
escorter jusqu'à la citadelle. 

Un jour, au cimetière où nous avions 
conduit la dépouille d'un camarade an- 
glais, des Mayençais qui avaient assisté à 
la cérémonie vinrent à nous et nous offri- 
rent de nous montrer un monument qui 
ne pouvait manquer de nous intéresser — 
et, en dépit de la mauvaise humeur des 
gardiens qui ne nous quittaient pas, ils 
nous conduisirent devant une tombe soi- 
gneusement entretenue et pieusement 
fleurie... 

Cette tombe était celle de Jean-Bon 
Saint-André, le premier préfet français de 
Mayence... 

Qui, cette population se souvient, et 
peut-être espère-t-elle... Je n'ai pas le droit 
d'insister sur ice point ; l'ardeur de ma 



LE FORT DE VAUX 225 

foi française m'entraînerait «ans doute 
trop loin. 

J'ai quitté Mayence en décembre 191 7 ; 
je souhaite d'y revenir, non plus en pri- 
sonnier... 



CHAPITRE IX 



EN REPRÉSAILLES ! 



Le bolchevikisme a fait son œuvre, ac- 
compli la besogne honteuse que lui a dic- 
tée Berlin : la Russie, en tant que puis- 
sance militaire, a cessé d'exister, et la paix 
de Brest-Litowsk va être signée. 

Le premier effet de cette paix va se faire 
sentir chez nous, les prisonniers : les offi- 
ciers russes internés à l'Est sont envoyés 
sur le Rhin, et c'est nous qui allons les 
remplacer, là-bas, au pays où le thermo- 
mètre descend à 25** I 

Représailles ! nous disent nos geôliers 
en nous annonçant que nous partons. Re- 



-j 



228 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

présailles de quoi ? Qu'avons-nous fait 
pour nous attirer des rigueurs^ nouvelles ? 
Nous ne le saurons jamais. Le Boche a son 
secret... 

Nous sommes en décembre, et mes ca- 
marades et moi sonimes envoyés à Strass- 
burg, au sud de Kœnigsberg, sur la fron- 
tière polonaise, dans le voisinage des fa- 
niëux lacs de Ma2:urie. 

Ce norn dé Strassburg, qui se protibtice 
exactement comme celui de la capitale de 
notre vîeillfe et chèrë Alsace, m'a d'abord 
fait frissonner de jbie. Quelle atroce dé- 
ception va suivre ! 

La vie qui llous attend, les mesures piî- 
ses contre noiis sont monstrueuses de fé- 
rocité imbécile. En plein décembre, par le 
froid que vous devinez, on commence par 
exiger que nous nous mettions nus, com- 
plètement nus, pour permettre l'examen 
et la fouillé dé nos vêtements. Et noUs 



LE FORt DE VAUX 



229 



avons parmi nous un colonel, des tnajolrs 
belges qui sont de vieux officiers ! 

Je hie suis déshabillé comme les autres, 
itiais je suis resté assis, refusant de com- 
paraître debout. Le Boche a procédé sans 
ihsister à la fouille de mon uniforme et 
de mon linge : je le vois encore, élevant 
en Tair ma chemise et en scrutant les cou- 
tures ; je m'entends lui dire de la voix que 
vous devinez : 

— Ne cherchez pas ! Ce n'est pas dans 
cette chemise-là que j^ai emporté la cita- 
delle de Mayence ! 

Quiqui me regarde — il en est, lui 
aussi, des représailles — et il ne comprend 
pas ; il semble me dire, tout effaré de ma 
nudité : 

— Qu'est-^ce qui te prend que tu te mets 
dans cet état-là ? 

Ce qui me prend, mon brave Quiqui, 
c'est une envie folle de sauter à la gorge 



•isÊ 



230 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

des bandits qui nous torturent ; mais j'y 
laisserais ma vie, et je veux revoir la 
France, je veux vivre pour la victoire, je 
veux assister au châtiment de ce peuple de 
bandits I 

Prenons donc notre mal en patience et 
tâchons de vivre — ce qui ne sera pas fa- 
cile : le régime de notre nouvelle prison 
atteint le dernier degré de Todieux dans la 
férocité, et il est appliqué par des assassins 
qui visent manifestement, cyniquement à 
nous supprimer. 

Dans ce pays, dont j'ai dit la tempéra- 
ture polaire, nous avons par jour 2 kilos 
5oo de 'charbon pour un grand poêle à la 
prussienne dont la ration quotidienne de- 
vrait être de 3o kilos ! Nous sommes logés 
en commun, entassés plutôt, de façon à 
diminuer le cube d'air qui nous est indis- 
pensable. Et ni promenades ni sports ! 
Les réunions mêmes nous sont interdites. 



LE FORT DE VAUX 231 

Quant à ralimentation, n'en parlons pas ; 
nous sommes au régime de la faim qui dé- 
prime, épuise, tue... 

Nous avons vécu. Il est arrivé ceci que, 
l'hiver 1917-18, trompant l'attente de nos 
tortionnaires, s'est montré clément ; de 
plus, nous avons pu, exploitant le mer- 
cantilisme boche, nous procurer du com- 
bustible, du bois et surtout de la tourbe, 
— c'est par montagnes qu'elle s'offre dans 
cette région des lacs. Notre moral, notre 
volonté de vivre ont fait le reste. 

Je n'ai, d'ailleurs, passé que trois mois 
à Strassburg — oh ! des mois qu'il fau- 
drait compter triples. — C'est fin mars 
19 18 que j'aî été interné en Suisse en vertu 
de l'a'ccord de Berne : j'avais à ce moment 
quarante-huit ans sonnés et plus de dix- 
huit mois de captivité. Ah I l'annonce de 
la fin, la nouvelle de la délivrance 1 Je 
comprends que la joie rende fou... 



232 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 



C'est bieii fini, cette fois ! Nous partons, 
Quiqui, tioUs quittons cette Alleinâghë 
maudite, cette terre des monstres qui iiôus 
a prodigué les sùpt>lices... Es-tu prêt, 
QuiqUi ? 

Si Quiqui ^st prêt 1 II saute littéralement 
dans mes brds, il m'embtasse et ttie ré- 
pond : 

— Partons I Partbns I 

Une gt*osse peine, pourtàrit, un gtos ser- 
rement de cteur pour Quiqili comitie pour 
moi : il nous faut nous sépâtet dé Trâxler, 
le brave sapeur, le bon père nourricier de 
Quiijui. Traxler reste, lui, et il a les yeiix 

pleins de larmes. Et noS coriipà^iibnâ du 

* 

fort, officiers et Soldats, nous fôht les thè- 
mes àdiëiix értitts, et je setis tna voix qui 
s'altère en leur répondant à idus : 

— Non ! pas adièii ! au revoir, sous 
notre ciel de F*t*ahce,.. 



CHAPITRE X 



EN SUISSE 



Nous entrons en Suisse par Constance, 
et le cri qui nous accueille, mes cartiarades 
et moi, nous fait frissonner de bonheur : 

— Vive la Ftance ! 

Il éclate en tempête, ce cri qui nous 
remue jusqu'au fond de Tâme, et toutes 
les fenêtres ont arboré les colileurs fran- 
çaises. A Schaffouse, petite enclave suisse 
dans le territoire allemand, à Schaffouse 
où Ton connaît bien les Boches pour lejs 
avoir ^ans cesôe autour de soi, ce sont des 
acclamations sans fin. 

A Zurich, toute la colonie française est 



• •» 



234 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

là qui nous attend ; on nous embrasse, on 
nous fleurit. A Berne, ce sont des délégués 
de l'ambassade de France qui nous tendent 
les bras... 

J'arrive enfin à Interlaken ; c'est là que 
je vais être interné. La réception est en- 
thousiaste ; une musique joue la Marseil- 
laise, puis nous donne un concert... 

Quiqui fait le beau. Il a reconnu le cri 
de : « Vive la France ! » que lui enseigna 
son père nourricier, il sent la liberté dans 
l'air que nous respirons et il me le dit à 
sa manière... 

Pas en*core, Quiqui 1 Pas encore, la 
pleine liberté, mais nous y touchons, nous 
sommes à quelques pas et pour ainsi dire 
au seuil de la France et ceux qui nous en- 
tourent sont de braves cœurs qui vont s'in- 
génier à nous rendre douces les heures 
d'antichambre qui nous sont imposées 
encore. 



LE FORT DE VAUX 235 

Je m'installe, et j'ai la grande joie de 
revoir ma femme qui vient partager mon 
internement. 

Quiqui regarde ce nouveau visage, et 
flaire cette robe, la première qu41 ait eue 
devant lui : il a passé toute sa \ie, avec de-^ 
poilus et des prisonniers... 

Je dois procéder aux présentations : 

— Ma femme, Quiqui, ma meilleure 
amie, mon autre moi-même... 

A-t-il compris ? Quiqui fait des grâces, 
offre sa patte ; il sera désormais pour sa 
maîtresse ce qu'il a toujours été pour moi. 

L'existence à Interlaken est plutôt aima- 
ble ; mais l'inaction m'est lourde, je de- 
mande à travailler... Le colonel Roche- 
frette, qui, charge écrasante, dirige les 
services militaires de l'internement à l'am- 
bassade de France, me nomme président 
de la Ck)mmission régionale française d'in- 



*■ *-^ 



236 JOURNAL Dy CÇMMANDANT RAYNAL 

ternpip^nt, à Mputr^ux, et fi*est Jà que je 
vais passer mes derniers mois d'exil. 

D'exil, non, je m'exprime n^^l : Mon- 
treux n'est plus l'exil : une Française, 
Mme de Jousselin, m'a offert l'hospitali^^é 
en sa villa La Vaudelle, à la tour de Peil?;, 
et là nous nous sentons en France et j'en 
iremercie deux fois notre aimable et géné- 
reuse hôtesse. 

Montreux, on le sait, est une station 
hivernale, donc une cité cosmopolite; dans 
la colonie étrangère, c'est, en temps ordi- 
naire, l'élément boche qui est le plus nom- 
breux, mais, depuis l'internement, la ré- 
gion étant réservée ^ux internés fra^nçais, 
la situation est renversée en notre faveur. 
Les Bqches qni sont restés sont des 

espions, comme tous leurs compatriotes, 

et ne jouissent d'ancune sympathie dans 
la population suisse. Ils sont d'une activité 
exlfaordin^ire... On m^ montre le châ- 



LIS FOHT PK VAUX 287 

■ ■ 

teau 4^s Crêtes qui fut habité par Tancien 
khédive d'Egypte et dans lequel s'effectua 
entre les mains de Bolo la remise des fa- 
meux millions. 

Les autorités suisses ont été fort obli- 
geantes pour nous et j'ai travaillé ave^ 
elles dans le plus parfait accord. J'ai à 
cœur de signaler, en particulier, l'aimable 
correction et le dévouement très chaud du 
major Mercauton, commandant suisse de 
la région d'internement, à qui incorn- 
baient l'établissement et l'adrfiinistration 
de ce vaste organisme. Nous avions, aussi 
bien, auprès de lui, une avocate convain- 
cue dans la personne de son aimable et 
charmante fille, qui est devenue Française 
par sqn mariage av^c un officier français. 

L'internement était alors une grande 
e\ très lourde administration où, après les 
improvisation^ du début, il fallait faire ré- 
gner rprdre et la méthode. 



n 



238 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

Nos officiers et nos soldats étaient logés 
dans les hôtels suisses, presque tous vides 
ou à peu près par suite de la crise du tou- 
risme. La nécessité s'imposa tout de suite 
de donner une occupation à tout ce per- 
sonnel et de cette nécessité surgirent des 
quantités d'œuvres. La plus remarquable 
et la plus importante : « L'Office du tra- 
vail », dont le Conseil d'administration 
était à Paris, organisa partout des ateliers 
pour toutes les professions. Des écoles se 
fondèrent pour la mécanique et la moto- 
culture, pour le teommerce et la comptabi- 
lité, pour les arts appliqués. Aucune bran- 
che ne fut négligée. Officiers et soldats 
trouvèrent ainsi un aliment à leur activité 
et cette activité servit au pays, notamment 
à la reconstitution des régions dévastées 
en vue de laquelle l'Office du travail fit 
fabriquer des quantités de baraques en 
bois. Bornons-nous à cette légère esquisse 



LE FORT DE VAUX 289 

de Tœuvre considérable accomplie en 
Suisse par rinternement : il faudrait un 
volume pour Texaminer à fond. 

A côté de rinternement, des œuvres 
multiples fonctionnaient. Sous la haute 
direction de Mme la comtesse de Manne- 
ville, femme de notre ministre plénipo- 
tentiaire chargé à l'ambassade des services 
civils de Tintemement, des ouvroirs 
étaient créés partout qui fabriquaient du 
linge et des effets destinés à nos malheu- 
reux rapatriés des régions envahies. Ceux- 
ci arrivaient à Bâle dans un état lamenta- 
ble. Ils étaient immédiatement lavés, dé- 
barrassés de la vermine qui souvent les 
rongeait, changés de linge et habillés d'ef- 
fets propres. Quel soulagement, quelle 
impression de bien-être pour ijes malheu- 
reux ! Les ouvroirs pour nos rapatriés 
franco-belges ont fait une besogne géné- 
reuse et utile. Je me plais à reconnaître 

16 



240 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

qu€ ceux de la région de Montreux ont été 
particulièrement actifs. 

Dans d'autres œuvres, Secours aux fa- 
milles d'internés nécessiteux, layettes, 
foyers du soldat, travail à domicile, Croix- 
Rouge, etc.^ etc., les femmes de la colo- 
nie française donnèrent sans 'compter, 
leur argent, leur dévouement et leur 
coéur* Ce m'est une joie de les remetxïier 
ici, joie où «e mêle le regret de ne pouvoir 
\m nommer toutes ; je citerai seulement 
leurs présidentes : Mmes de Lacroix, de 
Jousselin, Richard, Le Saux, Lemarlier,.. 
Que celles que j'oublie n»B le pardonnent î 

Un nom encore, celui d'uh Français qui 
a droit à toute notre reconnaissance : 
M. Margot, l'infatigable agent à Montreux 
de cette admirable commission romande 
qui organise partout des oours et des con- 
férences. 

Juin «t venu, un mois délicieux à Mon- 



LE FORT DE VASJX 241 

treux et dans toute la Suisse ; le prmtemps 
va finir et voici Taube de Tété... Bonne 
nouvelle : un conférencier nous arrive de 
Paris. M. Emile Hinzelin, qui va nous 
parler du concours américain et de la vic- 
toire qu'il assure aux armées du Droit. Je 
songe, malgré moi, à k^e capitaine boche 
qui affectait de ricaner quand je lui prë- 
disais l'entrée des Etats-Unis dans la 
guerre, et à qui j'avais dit : 

— Nous en reparlerons... 

li a dû, lui-même, se souvenir de ma 
prédiction et penser à moi plus d'une fois. 

Je préside les conférences de M. Hinae- 
lin. Tons nos internés sont là et toute la 
colonie française, et beau<îoup de Suisses 
et d'étrangers, même des Boches... Le suc- 
cès du conférencier est très vif et ne s'ar- 
rête pas aux murs de la salle ; il porte loin, 
tous les journaux l'enregistrent. 

Reportez- vous à bette époque, juin 1918: 



7 -ri" -•«?-• 



242 JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

la suprême offensive boche a eu des résul- 
tats qu'il serait puéril de niei\ Ludendorff 
menace Paris qui est bombardé nuit et 
jour, la nuit par les gothas, le jour par la 
grosse Bertha. C'est à ce moment qu'un 
conférencier français vient nous dire à 
Montreux, devant des neutres et de& Bo- 
ches : 

— Courage, mes frères de France ! 
grâce au concours américain, la victoire 
du Droit est en route ! 

Et elle y était si bien, en route, que, 
moins d'un mois après, notre contre-of- 
fen&ive culbutait les bataillons de Luden- 
dorff et ne les lâchait plus qu'après l'ar- 
mistibe signé, l'armistice imploré par ceux 
qui, en juin, se voyaient les maîtres de la 
France et du monde !... 

Après juin, juillet ; après les conféren- 
ces de M. Emile Hinzelin, la fête du 
î4 juillet. Nous nous devons de la célébrer 






LE FORT DE VAUX 243 

avec d'autant plus de flamme que notre 
patrie est en danger, nous ne sommes en- 
core qu'à la veille de la contre-offensive 
qui décidera du sort de la France... 

En tête du programme, j'inscris une vi- 
site à nos morts, aux infortunés qui ont 
succombé avant d'avoir revu la terre na- 
tale. 

Nous nous rendons en corps au cime- 
tière, et là, sur la tombe des vîctimes qu'a 
faites la barbarie boche, je flétris cette 
barbarie et demande à la victoire de ven- 
ger les victimes en châtiant les bour- 
reaux... 

Pour l'après-midi, j'ai organisé une ré- 
ception à l'Hôtel suisse, un des plus vastes 
hôtels de Montreux. Les autorités locales y 
assistent ; les syndics sont venus, et le dé- 
puté lui-même, et ils ne se contentent pas 
de nous apporter le réconfort de leur pré- 
sence, ils prennent la parole avec moi, et 



2*i JOURNAL DU COMMANDANT RAYNAL 

c'est pour exalter la France et proclamer 
la nécessité de la victoire du Droit et leur 
foi dans les destinées de la France !... 

Ah I l'inoubliablfi .iournée, la belle fête 
française, exclusivement française I En 
juillet dernier, les syndics sont bien 
venus au milieu de nous, mais aujour- 
d'hui, i4 juillet 1918, quand Ludendorff 
semble tenir la victoire, leur présence est 
éloquemment significative, c'est le cœur 
suisse qui parle et dit où sont ses sympa- 
thies et à qui vont ses vœux. 

Quelque temps après, c'est la Fête na- 
tionale suisse : accompagné d'une déléga- 
tion d'officiers français, je vais rendre leur 
visite aux autorités de la région et suis 
partout accueilli chaleureusement. 

C'est que, il faut le dire ici, le peuple, 
syndics et députés sont l'émaçalion 
;te, est profondénient gallophile, il 
, la France et l'a toujours aimée. Je 



LE FORT DE VAUX 



34S 



dis : le peuple. Il y a de larges réserves à 

faire pour la bourgeoisie dont les mem- 
bres ont, pour la plupart, fait ou complété 
leurs études dans les universités alleman- 
des : quelques-uns en reviennent plus ou 
moins imprégnés de germanisme : il faut 
prendre garde au virus de la kultur. 

Quoiqu'il en soit, je garde de mon inter- 
nement en Suisse un très reconnaissant 
souvenir ; j'y ai connu des cœurs d'or et 
des heures délicieuses, et ce n'est pas sans 
émotion que je revois les uns et que je 
revis les autres. Après les longs mois d'une 
captivité cruelle, la Suisse a été pour moi 
une véritable oasis où j'ai pu attendre en 
paix l'heure du retour à la mère patrie... 

Cette heure a sonné le 4 novembre 191 8, 
une semaine avant l'armistice qui va libé- 
rer tous les prisonniers ; ma rentrée a pré- 
cédé de huit jours celle de mes compa- 
gnons d'internement.... Qu'ils n'en soient 



■ 



246 JOURNAL DU COMMAl>n)ANT RAYNAL 



pas jaloux 1 Je n'ai dû cette faveur appa- 
rente qu'à l'état de ma santé. L'accord de 
Berne n'autorise la libération que pour les 
internés atteints d'une maladie grave, et 
c'est mon cas... disons : presque mon cas, 
pour ne rien exagérer. Comme je l'ai déjà 
rappelé, le long séjour que j'ai fait aux 
colonies — treize ans — m'a laissé atteint 
d'impaludisme et j'ai, de loin en loin, 
des accès de fièvre souverainement 
désagréables et incommodants, mais 
peu dangereux. Je ne m'attendais pas, 
d'ailleurs, à subir l'un de ces accès au 
bord du lac Léman, le plus joli lac et 
le plus sain du monde. J'imagine qu'il 
aura voulu, lui aussi, témoigner de ses 
(sympathies pour la France en aidant à 
lui rendre un de ses fils huit jours avant 
l'heure marquée au cadran de la Destinée. 
Merci, joli Léman I Merci, belle et noble 
Suisse I 



LE FORT DE VAUX 



247 



Cette fois, ça y est, mon brave Quiqui : 
c'est la France et la liberté ; tu peux t'en 
donner jusque-là ! 

Mon dernier mot sera pour vous, cama- 
rades du fort de Vaux, pour vous dire : 
C'est à vous que mon cœur dédie ce récit 
dont votre héroïsme a fourni la matière ; 
c'est à vous que j'en veux demander la 
dernière ligne, et je vous entends me la 
crier, comme à Vaux, sous la tempête : 

— Vive la France ! 



Commandant Raynal. 



■^- 



TABLE DES MATIÈRES 



Pages 

Préface 9 

Notes Biographiques 15 

Chapitre I. — Jamais deux sans trois 19 

Chapitre II. — L'Invisible blessure 41 

Chapitre III. — Sur le Chemin de T Enfer 55 

Chapitre IV. — Quiqui 77 

Chapitre V. — La Semaine infernale 83 

Chapitre VI. — Gloria Victoribus 169 

Chapitre VII. — Captivité 183 

Chapitre VIII. — La « Blokade 209 

Chapitre IX. — En représailles 1 227 

Chapitre X. — En Suisse 233 



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1917) '. , I vol. 

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GILBERT de VOISINS. U Mirage l vol. i 

Alexandre ARNOUX. Abisag ou l'Eglise transportée par 

la Foi I vol. 

Edmond JALOUX. L^Incertaine 1 vol. 

Francis de MIOMANDRE et Tommy SPARK. La Saison des 

Dupes I vol. 

René BOYLESVE. Tu n'es plus rien I vol. 

Edouard SCHNEIDER. L'Immaculée I vol. 

Gaston CHOISY. L'Allemagne secrète 1 vol. 

W. BIENSTOCK. Raspoutine I vol. 

Robert JAMET. La Sublime Hécatombe 1 vol. 

— Maurellia I vol. 

Roland DORGELES. Les Croix de Bois 1 vol. 

Léon WERTH. Clavel soldat I vol. 

Abbé DANIEL. Le Baptême de Sang I vol. 

i4enri d'ALMERAS. Pourquoi il faut haïr l'Allemagne.. 1 vol. 

Arnould GALOPIN. Sur le front de mer 1 vol. 

De MONZIE. Rome sans Canossa 1 vol. 

Edouard AMANIEUX. L'Armature sociale 1 vol. 

Marcel NADAUD. Les Patrouilleurs de la mer I vol. 

Henry BARBY. Ayec l'Armée Serbe. 16 gravures et 1 1 hors- 
texte , . . . I vol. 

— Au Pays de l'Epouvante. 16 hors-texte. . . . 1 .vol. 

Georges DOCQUOIS. Nos émotions pendant la Guerre — 1 vol. 

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