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Full text of "Journal du voyage de Vasco da Gama en MCCCCXCVIL"

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McKEW  PARR  COLLECTION 


MAGELLAN 

and  the  AGE  of  DISCOVERY 


PRESENTED     TO 
BRANDEIS  UNIVERSITY  •  1961 


-.A^^tug-.f/jjgj^v       j  Mir^,-^  nu\E  x-^.2'"'"y 


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JOURNAL    DU   VOYAGE 


VASCO   DA  GAMA 


JOURNAL  DU   VOYAGE 


VASCO  DA  GAMA 


EN    MCCCCXCVll 


T^s/IVUIT    VU    TOT{TUGz^lS 


ARTHUR    MORELET 

M»;nibre  correfjjnndant  de  1  Académie  des  Sciences  de  Lisbonne 


iro5\i 


IMPRIMERIE    DE    LOUIS    HERKIN 
M      DCCC      LXIV 


'HISTOIRE  de  la  navigation  n'offre  pas  d'événe- 
ment plus  fameux  que  la  découverte  de  la  route  ma- 
ritime des  Indes,  après  celle  du  Nouveau-Monde  par 
Chrijiophe  Colomb.  Si  l'on  réfléchit  même  al' impul- 
Jton  que  ces  deux  événements  ont  imprimée  au  monde, 
depuis  la  fin  du  quinzième  fiècle ,  à  l'influence  qu'ils  ont  exercée  fur  le  , 
domaine  intelleBuel  &  matériel  de  l'homme,  peut-être  leur  ajfignera-t-on 
la  place  la  plus  confidérable  dans  les  annales  de  l'humanité.  Deux 
hommes,  avec  de  faibles  reffources,  opérèrent  ce  prodigieux  réfultat;  tous 
deux  pourfuivant  le  même  but,  tous  deux  cherchant  la  route  de  l'Inde, 
ils  étonnèrent  leur  fiècle  &  le  remuèrent  profondément  en  déchirant  le 
voile  qui  cachait  l'immenfité  du  globe;  feulement,  Colomb  avait  trouvé 
toute  autre  chofe  que  ce  qu'il  cherchait,  Gama  avait  fait  ce  qu'il  voulait 
faire. 

La  date  de  la  naiffiince  de  Vafco  da  Gama  n'eft  pas  exaôiement  connue: 

A 


198510 


I) 

l  opinion  la  plus  accréditée  le  fait  naître  àSiiies,  petite  ville  de  l'Alem- 
tejo,  l'an  1469,  en  forte  qu'il  n'aurait  eu  que  vingt-huit  ans  lorfqu'il 
partit,  en  1497,  pour  fon  mémorable  voyage.  La  famille  des  Gama ,  fans 
être  de prem'ière  noblejfe,  tenait  un  certain  rang  en  Portugal,  ir  il  était 
lui-même  gentilhomme  de  la  maifon  du  roi;  d'un  cara£lère  hardi  Ù" 
fortement  trempé  ,  d'un  tempérament  violent ,  mais  avec  une  rare  force 
d'âme,  il  fut  élevé  dans  la  carrière  des  armes  ir  de  la  marine  par  fon 
père,  Eflevan  da  Gama,  qui  n'était  pas  un  homme  fans  valeur. 

Lisbonne  était  alors  le  centre  d'un  mouvement  maritime  Ù"  en  même 
temps  intelleSluel  qui  fixait  l'attention  de  l'Europe;  la  géographie  renaif- 
fait  dans  cette  capitale  Ù"  s'enrichijfait  chaque  jour  de  nouvelles  con- 
quêtes. Pouffes  par  l'efprit  d'aventure  Ù"  encouragés  par  leurs  fouverains , 
les  navigateurs  portugais  s'élançaient  à  l'envi  dans  la  carrière  Ù'  renver- 
faient  fucceffivement  toutes  les  barrières  du  vieil  Océan.  Ces  glorieufes 
entreprifes  frappèrent  fans  doute  de  bonne  heure  l'imaginat'ion  du  jeune 
Gama,  Ù"  la  découverte  de  Colomb,  dont  le  retentijfement  fut  immenfe, 
dut  éveiller  un  fentiment  d'émulation  puiffant  dans  son  âme.  Il  fallait 
que  ce  jeune  homme  fût  doué  de  qualités  bien  éminentes  pour  que  le  roi 
Dom  Manuel  lui  confiât  le  co>n?)iandement  d'une  expédition  préparée  depuis 
tant  d'années,  Ù"  fur  laquelle  repofaient  tant  d'efpérances. 

Ce  fut  le  8  juillet  1497,  cinq  ans  après  la  découverte  du  Nouveau- 
Monde,  que  Gama  partit  avec  quatre  navires  dont  le  plus  grand,  chargé 
des  approv'ifionnements ,  jaugeait  200  tonneaux.  Le  20  mai  1498,  il 
atteignait  la  côte  du  Malabar  ir  jetait  l'ancre  devant  Calicut;  l'année 
fuivante ,  dans  les  premiers  jours  de  feptembre,  il  rentrait  à  Lisbonne 
après  deux  ans  d'abfence,  ayant  perdu,  pendant  ce  rude  voyage,  fon 
frère,  la  meilleure  partie  de  fes  équipages  ir  la  moitié  de  fes  vaijfeaux. 
Mais  il  rapportait  la  folution  d'un  grand  problème  qui  allait  changer 
la  face  de  fa  patrie. 

L'illuftre  navigateur  fut  reçu  avec  des  honneurs  extraordinaires  par 


h' m  Dom  Manud  qui  le  nomma  fon  amiral  dans  l'Inde,  lui  conféra  le 
titre  de  Dom,  &  lui  ajjïgna  une  dotation  fur  les  revenus  de  l'État,  par 
lettres  patentes,  en  date  de  iyo2.  Oiielques  années  plus  tard,  le  roi  le 
renvoya  dans  les  mêmes  contrées,  à  la  tête  d'une  flotte  de  vingt  navires 
qui  m'tt  à  la  voile  le  20  février  lyoa.  Pendant  le  cours  de  ce  fécond 
voyage,  il  fonda  divers  établijfements  fur  les  côtes,  fortifia  par  des 
alliances  &  des  traités  l'influence  naiffante  du  Portugal  en  Orient,  pro- 
mena partout  fes  armes  viBorieusei,  châtia  le  roi  de  Calicut,  &  fournit 
celui  de  Quiloa  en  lui  impofant  un  tribut;  il  était  de  retour  le  \"  fep- 
tembre   1Ç05,  &  recevait  une  dotation  nouvelle  en  récompenfe  de  Jes 

fervices. 

Malgré  les  tenues  magnifiques  du  diplôme  royal  de  15-04,  //  parait 
que  la  faveur  dont  jouiflait  Gama  déclina  depuis  fon  fécond  voyage,  ir 
que  fa  carrière  maritime  fut  brufquement  interrompue  fans  que  la  caufe 
en  foit  connue.  Tous  les  hiflor'iens  portugais  s'accordent  pour  reprocher 
au  roi  Dom  Manuel  d'avoir  laijfé  ce  grand  homme  dans  l'inatlion  6" 
dans  l'oubli  pendant  une  période  de  près  de  dix-huit  ans,  qui  dura  jufqu'ii 
la  fin  de  fon  règne.  Ce  fut  feulement  en  1521  que  le  roi  Jean  III,  fon 
fuccejfeur,  fit  chercher  Gama  au  fond  de  fa  retraite  pour  l'employer 
encore  une  fois  au  fervice  de  cette  patrie  dont  il  avait  fi  bien  mérité. 
Nommé  vice-roi  des  Indes,  il  partit  en  i5'24,  à  la  tête  d'une  flotte  de 
quatorze  grands  navires  &  de  cinq  caravelles  qui  portait  trois  mille 
foldats.  H  emmenait  fes  deux  fils,  Efievan  &  Paul  da  Gama,  qui  fm- 
virenttous  deux,  avec  des  fortunes  différentes,  les  traces  de  leur  illuftre 
père,  le  premier  menant  jufqu'à  la  fin  une  ajjez  brillante  exiflence, 
l'autre  trouvant  une  mort  tragique  dans  les  guerres  civiles  de  l'Aby  finie. 
Ce  fut  dans  ce  voyage  que  Gama  montra  la  fermeté  &  la  préfence 
d'efprit  dont  il  était  doué  à  un  fi  haut  degré  par  un  mot  bien  connu  & 
qui  peint  cette  âme  intrépide.  En  approchant  des  côtes  de  l'Inde,  un 
tremblement  de  terre  fous-marin  ébranla  tout  à  coup  les  profondeurs  de 


l'Océiin  &  jeta  l'effroi  parmi  les  équipages  .■  "  Allons  donc,  dit-il  à  fes 
compagnons  conflernês  ,  voyez-vous  pas  que  c'efl  la  terre  qui  tremble 
devant  nous.  »  Il  n'en  fallut  pas  plus  pour  ranimer  tous  les  courages. 

Gama  ne  revit  poi)it  fa  patrie;  il  tnourut  à  Cochin,  peu  de  temps 
après  fon  arrivée,  le  2<;  décembre  1^24.  La  dépouille  mortelle  du  grand 
navigateur  fut  transférée  par  la  fuite  en  Portugal,  &  dépofée  au  cou- 
vent des  Carmes-Déchaujfés  de  V'idigue'ira  où  il  avait  fait  conflruire  un 
monument  pour  fa  famille.  Au  temps  oit  écrivait  Barbofa  Machado 
(17^0),  on  voyait  encore,  dans  une  chapelle  du  monafîêre,  cette  tombe 
illuflre,  recouverte  d'un  drap  de  velours  noir,  avec  l'infcription  fuivante 
gravée  fur  une  pierre  : 

AQUI     JAZ      O     GRANDE     ARC,  ONAUTA 

D.  VA  SCO  DA  GAMA 
1.    CONDE    DA    VIDIGUEIRA,    ALMIRANTE 

DAS  INDIAS  ORIENTAES 
E       SEU        FAMOSO       DESCUBRIDOR       (l) 

La  découverte  de  la  route  maritime  des  Indes  ne  fut  pas  un  réfultat  du 
hafard,  comme  on  l'a  prétendu  par  ignorance  ou  par  efprit  de  dénigre- 
tnent ,  mais  une  œuvre  préparée  de  longue  main ,  pourfuivie  pendant 
quatre-vingts  ans  avec  perfévérance  ,  et  accomplie  à  l'aide  des  lumières 
que  fournijfait  un  fiècle  où  l'art  de  la  navigation  avait  fait,  furtout 
en  Portugal,  de  remarquables  progrès.  Dès  l'an  141 T,  la  prince  Henri 
fondait  à  Sagres  une  académie  -  oit  étaient  enfeignées  les  connaiffances 


(i)  Ici  repofe  le  grand  /Irgonaitte,  D.  Vafco  ia  Ganw  ,  premier  comte  de 
l'idigueira.  ,Jmiral  de<  Indef  orienrale^  S"  leur  fjmeux  explorareiir. 


géographiques  recueillies  principalement  chez  les  Arabes  {i),  &  où  l'on 
apprenait  l'ufage  des  inftruments  nautiques  pour  calculer  le  temps  & 
prendre  la  hauteur  du  pôle.  Déjà  germait  dans  ce  grand  cœur  le  projet  de 
réfoudre,  par  la  circumnavigation  de  l'Afrique,  le  problème  fameux  que 
r antiquité  nous  avait  légué,  &  que  les  Arabes  avaient  laijfé  intaôi,  malgré 
leur  efprit  d'entreprife  &  l'étendue  de  leurs  relations  maritimes.  Ce  fut  le 
prince  Henri  qui  prépara,  par  fon  initiative,  la  découverte  de  Gama,  & 
qui  ouvrit  à  la  nation  portugaife  la  carrière  magnifique  qu'elle  a  remplie 
fi  glorieufement.  En  14(2,  G/7  AEnnes,  l'un  de  fes amiraux ,  atteignait 
pour  la  première  fois  le  cap  Nun,  &,  l'année  fuivante,  il  doublait  le 
cap  Bojador;  feize  ans  plus  tard,  le  cap  Blanc  était  reconnu  par  Nmies 
Triflan:  enfin,  en  i 4')  S,  Denis  Fernandes  s'avançait  jufqu  à  la  hauteur 
du  cap  Vert.  La  découverte  de  ce  promontoire,  vefiibule  du  pays  des 
Nègres,  fut  la  dernière  qui  récompenfa  les  efforts  perfévérants  du  prince 
quel'hiftoire  a  justement  fnrnommé  le  Navigateur:  mais  l'impulfton  était 
donnée  &  fes  fucceffeurs  la  fmvirent .  L'Océan,  dépouillé  de  fes  myftères, 
ninfpirait  déjà  plus  les  mêmes  terreurs;  les  navires  portugais  s'élançaient 
hardiment  dans  la  haute  mer,  en  fe  guidant  fur  les  étoiles,   au  lieu  de 
rafer  timidement  la  côte,  comme  on  le  pratiquait  dans  l'origine  ;  tout 
enfin  fe  préparait  pour  de  plus  importantes  découvertes. 

Sous  le  règne  d'Alphonfe  V,  les  expéditions  maritimes,  un  moment 
interrompues  par  la  croifade  contre  les  Turcs,  reprirent  avec  une  nouvelle 
ardeur.  Les  Portugais  franchirent  pour  la  première  fois  iéquateur  & 


(i)  Voye:;,  sur  Us  connaifances  géographiques  des  Arahes  &  fur  la  part  qu, 
leur  revient  dans  les  grandes  découvertes  du  quin-^ièmc  fùcle,  lafavante  Introduc- 
tion â  la  Géographie  d'Aboulféda,^par  M.  Remaud,  S-  le  Difcours  prélimmanc 
qui  fert  d'introduâion  à  la  Relation  des  voyages  exicutés  dans  VInde  &  à  la 
Chine  par  les   Arabes  6-  les  Perfans  des   le  neuvième  fièâe  de  Vère  chrétienne. 


[Pari',,  184',  &i5 


dàoitvrimit  les  iles  de  lu  côte  de  Guinée;  mais  ce  fut  feulement  fous  le 
règne  fuivant  que  le  cap  des  Tourmentes,  ou  de  Bonne-Efpérance,  comme 
le  roi  Jean  voulut  qu'on  le  nommât,  fut  doublé  far  l'intrépide  Dias  qui 
s'avança  jusqu'à  la  baie  de  Lagoa,  à  quatre-vingts  lieues  au  delà. 

Vafco  da  Gama  ne  s'embarqua  donc  point  à  l'aventure  lorfque ,  dix 
ans  plus  tard,  il  partit  de  Lisbonne  pour  chercher,  en  contournant 
l Afrique,  la  route  maritime  de  l'Inde.  Non-feulement  une  grande  partie 
de  fon  itinéraire  était  déjà  tracée,  mais  on  favait  par  Pero  de  Covilham 
qui,  en  1487,  s'était  rendu  par  terre  fur  les  lieux  afin  d'y  recueillir  des 
renfeignements,  «  qu'après  avoir  doublé  l'extrémité  méridionale  de  l'A- 
frique, les  navires  portugais  devaient  fe  diriger,  dans  l'Océan  oriental, 
fur  Madagafcar  Ù"  Sofala.  «  Le  grand  navigateur  nhéfita  pas;  'il  n'y 
a  nulle  incertitude  dans  fa  route;  on  le  voit  prolonger  la  côte  d'Afrique 
jufqu'à  la  hauteur  de  Mélinde,  puis,  à  l'aide  d'un  pilote  qu'il  fe  procure 
à  Mozambique,  s'enfoncer  dans  la  mer  des  Indes  en  fu'ivant  une  ligne 
droite  qui  le  conduit  à  fa  dejiination.  Un  simple  coup  d' œil  jeté  fur  la 
carte  itinéraire  de  fon  voyage  fuffit  pour  dijjtper  jufqu'à  l  ombre  d'un 
doute. 

Gama  fraya  la  route  aux  Cabrai,  aux  d'Acunha,  aux  d'Albuquerque, 
à  tous  ces  audacieux  marins  qui  ne  fe  bornèrent  pas  à  découvrir  des 
terres,  mais  qui  fondèrent  la  domination  de  leur  patrie  dans  l'Inde  fur 
des  bafes  formidables.  En  ifo^,  la  côte  orientale  de  l'Afrique  était 
complètement  explorée;  Madagafcar  avait  été  visitée,  is'  l'île  de  Zanzibar, 
foumife  à  un  tribut.  Quelques  années  plus  tard,  Goa  Ù"  Malacca  tom- 
baient entre  les  ?nains  du  terrible  Albuquerque,  Ù"  le  preflige  du  nom 
mufulman  s' évanouijfait  pour  toujours  dans  l'extrême  Orient.  La  prife 
de  l'île  d'Ormus  &  celle  d'Aden  affurèrcnt  bientôt  la  pojjejjïon  du 
golfe  Perftque  &  de  la  mer  Rouge  aux  Portugais  ;  alors,  le  mouvement 
commercial  fuivit  une  d'ireS'ton  nouvelle  dans  ces  contrées,  &,  des  mains 
des  Arabes,    il  pajfa  entre  les  leurs.  Dans  l'intervalle  d'un  ftècle,  une 


Vlj 

petitf  nation  dont  les  njfourcei  étaient  uujji  bornées  que  l'étendue  de 
fan  territoire,  avait,  par  fon  génie,  ouvert  au  monde  les  folitudes  de 
l'Océan;  elle  avait  conquis  l'Afrique  orientale  jujqu'à  Mogadoxo,  & 
pénétré  au  cœur  même  de  l AbyJJin'ie :  elle  s'était  établie  en  fouveraine 
fur  la  côte  du  Malabar  iT  dans  les  îles  de  l'Océan  indien,  dominant  le 
commerce  du  globe,  fondant  des  établijfements  coloniaux,  élevant  des 
villes,  répandant  la  foi  catholique  Ù"  pouffant  fes  courfes  aventureufes 
jusqu'en  Chine  &  jufquau  Japon  ;  de  pareils  réfultats,  comparés  aux 
moyens  d'exécution  ,  nous  femblent  un  des  plus  grands  fpeBacles  de 
l'hifioire. 

Ce  font  les  hu/nbles  commencements  de  cette  fortune  que  montre  le 
journal  dont  nous  donnons  la  traduBion;  fon  mérite  n'efi  pas  un  mérite 
littéraire;  il  a  été  tracé  par  une  main  rude,  plus  habituée  à  la  manœuvre 
du  vaijfeau  qu'aux  travaux  de  la  plume;  mais  il  porte,  à  un  haut  degré, 
le  caraSîère  de  la  fincérité,  Ù"  il  efl  empreint  de  cette  naïveté  du  vieux 
temps  qui  s'efface  chez  les  écrivains  avec  la  fin  du  feizièmc  fiècle. 

Il  a  paru  deux  éditions  du  Roteiro;  la  première,  publiée  à  Porto  en 
1838  par  MM.  Diogo  Kopke  Ù'  do  Cafiello  de  Paiva,  favants  profef- 
feurs  de  l'Académie  polytechnique  de  cette  ville;  la  féconde  (  i  ),  li  Lisbonne, 
en  1861,  après  la  mort  de  M.  Kopke,  par  les  foins  de  fon  collaborateur 
&  ceux  de  M.  Herculano  dont  le  nom  jouit  d'une  grande  réputation 
littéraire  en  Portugal.  Nous  avons  eu  les  deux  éditions  fous  les  yeux, 
ir  c'efl  la  plus  récente  que  nous  avons  traduite ,  fans  en  rien  retrancher, 
ni  les  difcours  préliminaires,  ni  les  notes,  car  ces  pièces  font  le  fruit 


(i)  Roteiro  da  Viagem  de  Vafco  da  Gama  em  Mccccxcvii,  por  A.  Hercu- 
lano e  0  barâo  do  Cafiello  de  Paiva,  fegunda  ediçâo,  Lisboa,  imprensa  nacio- 
nal,  1861 .  Le  titre  modejie  de  Roteiro  (Routier)  n'exprime  peut-être  pas  fujjifam- 
ment  le  caradtère  d'une  œuvre  à  Li  fois  hijiorique  S-  géographique. 


Vllj 

d'un  tnivtiil  eonfcieiuieux  qui  complète  l'intérêt  du  texte  Ù"  ï éclairât 
en  tous  [es  points.  Quant  à  la  part  qui  nous  revient  dans  cette  publi- 
cation, elle  ejî  trop  modejîe  pour  mériter  d'être  revendiquée;  c'efl  aux 
éditeurs  portugais  que  l'œuvre  appartient  en  entier,  c'efl  à  eux  à  en 
recueillir  tout  l'honneur. 


AVERTISSEMENT  SUR  LA  SECONDE  EDITION 


E  récit  du  voyage  entrepris  par  Vafco  da  Gama  pour  décou- 
vrir les  bides,  écrit  par  un  de  ceux  qui  prirent  part  à  cette 
expédition  navale,  la  plus  célèbre  de  l'hijîoire  moderne,  ejl 
une  des  œuvres  inédites  les  plus  confidérahles  qui  aient  été  publiées  en 
Portugal  dans  le  courant  du  fiècle.  La  première  édition  de  ce  récit  a  été 
lue  ir  recherchée  avec  une  telle  avidité ,  àf  les  exemplaires  en  font 
devenus  ft  rares,  que  nous  avons  eu  la  penfée  de  le  réimprimer.  Nous 
nous  fommes  efforcé,  en  abordant  cette  tâche,  de  faire  difparaître  les 
imperfeSlions  qui  exiftaient  dans  le  texte  ainfi  que  dans  les  notes  de  la 
première  édition,  imperfe6iions  qu'il  faut  attribuer  à  l'inexpérience  des 
éditeurs  Ù"  a  leur  impatience  de  mettre  au  jour,  au  milieu  de  difficultés 
de  plus  d'un  genre,  un  aujjt  précieux  monument  hifior'ique.  Tout  en 
reproduifant  les  notes  antérieures,  dont  la  rédaôîion  Ù"  le  claffement  ont 
été  améliorés,  nous  en  avons  ajouté  d'autres,  en  regard  du  texte,  pr'in- 


cipakment  des  notes  philologiques  qui  nous  ont  para  propres  à  en  faci- 
liter l'iritelligence  (i). 

Les  premiers  éditeurs  avaient  outre-pajfé  la  mefure  ordinaire  des 
règles  de  la  diplomatique  en  poujfant  beaucoup  trop  loin  le  fcrupule  de 
fidélité  dans  la  tranfcription  du  manujcrit  original.  Une  pareille  exa- 
gération ne  fervait  qu'à  accroître  les  difficultés  que  préfente  la  leSlure 
d'une  narration  écrite  avec  rudeffè,  où  la  grammaire,  &  parfaite  la 
clarté  du  difcours,  reçoivent  de  fréquentes  atteintes .  Auffi ,  avons-nous 
réformé  le  j  employé  dans  le  manufcrit  Ù'  dans  la  première  édition 
comme  fupplétif  de  l'i,  parce  que  ces  deux  fignes,  qui  correfpondent 
aujourd'hui  à  deux  lettres  différentes,  étaient  alors  deux  formes  arbi- 
traires de  la  même  lettre,  le  j  ne  fervant  pas  feulement  à  repréfenter  le 
fon  de  l'i,  mais  l'i  à  repréfenter  le  fon  du  j.  La  même  raifon  nous  a 
conduit  à  fubflituer  au  fyfième  de  numération  romaine,  tel  qu'il  était 
ufité  dans  les  derniers  fiècles  du  moyen  âge,  Ù'  même  pendant  une  bonne 
partie  du  feizième,  le  formulaire  correêl  que  la  Renaiffance  des  lettres 
ir  l'étude  des  monuments  lapidaires  latins  ont  mis  en  vigueur  depuis, 
Ù"  que  les  paléographes  ont  adopté  en  l'appliquant  aux  manufcrits  du 
moyen  âge,  fans  penfer  que  l'exaBitude  de  la  tranfcription  dût  en  être 
moins  rigoureufe.  Partout  ailleurs  nous  avons  confervé  avec  le  même 
fcrupule  que  nos  prédéceffeurs  l'orthographe  barbare  de  l'auteur  qui, 
appartenant  à  une  clajje  peu  cultivée,  exagérait,  en  écrivant,  des  fautes 
communes  alors  même  parmi  les  meilleurs  écrivains  de  l'époque. 

Nous  nous  propofons  de  fuivre,  dans  cette  nouvelle  édition,  le  fyfième 
généralement  adopté  pour  la  publication  des  anciens  auteurs  inédits, 
c'efi-à-dire  de  fuppléer  aux  lacunes  qui  exijîent  dans  le  texte  par  omif- 
Jton  de  lettres  ou  de  fyllabes  au  moyen  de  caraôières  italiques.  Un 
document  de  cette  importance,  qui  appartient  à  l'hifloire  des  nations 
modernes  de  l'Europe  &  qui  ne  concerne  pas  uniquement  la  nôtre,  efi 


(i)  Le!:  notes  philologiques,  fans  intérêt  pour  le  hâeur  français,  ont  étéfup- 
■primée^  dani  la  tradvâion.  (Tr.) 


non -feulement  utile  aux  nationaux,  mais  encore  aux  étrangers  qm 
s  occupent  de  recherches  fur  les  expéditions  maritimes  &  fur  les  décou- 
vertes du  quinzième  &  du  feizième  fiècle.  Pour  eux,  de  femblables 
lacunes  ajouteraient  une  difficulté  déplus  à  l'intelligence  d'un  écrit  déjà 
fuffifamment  barbare.  Ceji  aufft  principalement  h  leur  intention  que 
nous  avons  indiqué  en  note  la  véritable  acception  de  certains  mots 
étrangement  défigurés,  &  que  nous  avons  pris  foin  de  marquer  ï accen- 
tuation, toutes  les  fois  qu'une  omifion  de  ce  genre  pouvait  donner  lieu  à 
une  erreur  ou  produire  quelque  obfcurité,  amant  mieux  pécher  en  cette 
circonjlance  par  excès  que  par  omiffion. 

La  néceftté  de  reaifier  certaines  opinions  inexaBes,  &  de  mettre  plus 
d'ordre  dans  le  développement  des  idées,  nous  a  conduit  à  effeSluer  diver- 
fes  fupprefftons  ou  modifications  dans  ï avant-propos  &  les  notes  de  la 
première  édition.  Ainfi,  nous  avons  retranché  ce  qui  fe  rattachait  au  récit 
de  tévêque  Oforius  dans  la  note  finale  de  la  page  9.  La  confpiration 
contre  Vafco  da  Gama,  ainfi  que  la  réprejfion  des  confpirateurs,  font 
racontées  avec  détail  par  Gafpar  Correia,  dans  les  Lendas  da  Ind.a, 
&  il  eft  facile  d'expliquer  h  filence  de  Caftanheda ,  de  Barros  &  de 
Goes,  par  la  crainte  tnalentendue  de  ternir  le  luftre  des  compagnons  de 
Gama.  Nous  avons  aufft  jugé  convenable  défaire  rentrer  dans  l' avant- 
propos  les  conjectures  émifes  dans  une  note  finale  fur  l'état  inachevé 
du  Journal,  ainfi  que  le  paffage  relatif  aux  récompenfes  que  le  roi 
D.  Manuel  accorda  à  Vafco  da  Gama  .■  c'était  là  leur  véritable  place. 
Enfin,  en  reproduifint  en  appendice  un  document  relatif  à  ces  récom- 
penfes, imprimé  d'une  manière  incorreSle  dans  l'édition  précédente,  nous 
en  avons  ajouté  un  autre  non  moins  précieux  pour  la  biographie  du 
grand  navigateur  qui  nous  ouvrit  l'Orient  (i). 

Tout  à  l'heure  nous  faifions  allufion  aux  Lendas  da  India  de  Gafpar 
Correia  ;  on  peut   dire  que  la  publication  de  ce  livre  entreprife  par 


(1)  Le  texte  porte  :  Do  derciibridor  do  Oiiente. 


Xlj 

l'Acadé7nte  eft  venue  donner  une  valeur  nouvelle  au  Journal  du  voyage 
de  Gama.  Inférieures,  pour  la  forme,  aux  Décades  de  Barros  &  même, 
fi  l'on  veut,  à  la  rude  hifioire  de  Caftanlieda,  les  Légendes,  pour  le 
fond,  font  bien  fupérieures  aux  premières,  ainfi  qu'au  récit  modejie  mais 
évidemment  véridique  de  ce  dernier  écrivain.  La  grande  autorité  d'un 
homme  qui  prit  une  large  part  aux  événements  qu'il  raconte  is'  qui, 
pendant  longtemps,  fut  placé  dans  une  excellente  pofition  pour  bien  juger 
des  affaires  de  l'Inde,  s'affocie  à  la  ndiveté,  dans  le  livre  de  Correia,  Ù" 
l'on  croit  voir,  à  travers  la  fimplicité  de  fon  fiyle ,  une  peinture  fi  exadie 
Ù"  fi  naturelle  des  faits,  qu'il  infpire  la  confiance  au  degré  le  plus 
éminent.  Dans  le  récit  du  voyage  qui  aboutit  à  la  découverte,  comme 
fur  bien  d'autres  points  de  notre  hifioire  dans  l'Inde,  les  Légendes  font 
décidément  fupérieures  à  ce  que  Barros  Ù"  Cafianheda  nous  ont  laijfé. 
La  vie  intime  des  hommes  qui  tentèrent  <Ùr  menèrent  afin  une  entreprife 
fi  hafardeufe,  les  phafes  morales,  les  péripéties  de  l'expédition,  la  lutte 
des  pajjlons  humaines  fur  le  théâtre  circonfcrit  de  trois  navires,  tout 
efi  repréfenté  avec  de  vives  couleurs  &  de  fermes  contours  dans  le  récit 
de  Gafpar  Correia.  Mais  les  faits  extérieurs  de  l'expédition ,  fi  nous 
pouvons  nous  exprimer  ainfi,  demeurent  fouvent  vagues  Ù'  indécis,  lorf- 
qu'ils  n'ont  pas  été  omis.  C'efi  le  Journal  qui  vient  compléter  l'œuvre 
du  chroniqueur  Ù"  qui,  s'y  affociant,  nous  fait  connaître  parfaitement 
aujourd'hui,  dans  toutes  fes  circonftances ,  un  des  faits  les  plus  confi- 
dérables  de  l' hifioire  des  nations  modernes. 

En  reproduifant  dans  cette  édition  la  carte  itinéraire  de  la  flotte, 
nous  devons  avertir  que  cette  carte,  bien  que  fondée  en  grande  partie  fur 
des  conjeâlures,  eft,  autant  que  poffible ,  la  reproduSlion  graphique  du 
récit  dans  les paffages  qui  la  concernent;  quant  à  la  partie  conjeBurak 
du  tracé,  on  s  eft  appuyé  fur  ce  que  l'on  fait  encore  aujourd'hui  des  diffé- 
rentes routes  que  les  navigateurs  avaient  coutume  de  fuivre,  depuis  la 
découverte ,  dans  le  trajet  immenfe  du  Portugal  aux  Indes.  Travail 
favant  &  confciencieux  de  l'un  des  premiers  éditeurs,  M.  Kopke,  jeune 
homme  de   grande  efpérance ,  enlevé  prématurément  aux  lettres,  nous 


Xllj 

nous  faifons  un  devoir  de  le  reproduire  avec  une  fidélité  fcrupukufe. 
C'ejl  par  un  fcrupule  du  métne  genre,  qu'avant  de  placer  dans  cette 
édition  le  portrait  de  Vafco  da  Gama  qui  exijiait  dans  la  première, 
nous  avons  voulu  recourir  au  type,  c'ejl-à-dire  à  une  copie  de  la  peinture 
originale  confervée  dans  le  palais  des  gouverneurs  de  l'Inde,  copie  que 
l'archevêque  de  Goa,  D.  Francifco  de  Brito,  fit  exécuter,  Ù"  qui  a  été 
gravée  dans  l'ouvrage  intitulé  :  Retratos  e  buftos  de  Varôes  e  Donas. 
Les  accejff'oires  de  ce  portrait  avaient  été  modifiés  dans  la  première 
édition;  mais  nous  avons  penfé  qu'il  valait  mieux  lui  rendre  [a  fimpli- 
c'ité  primitive,  Ù'  conferver  au  grand  amiral  fon  coftume  Ù"  fies  orne- 
ments tels  qu'ils  font  repréfentés  dans  le  tableau  qui  nous  a  fervi  de 
modèle  (i). 

Dans  la  première  édition,  le  texte  était  précédé  d'une  gravure  repré- 
fentant  le  départ  de  la  flotte  ,  entre  deux  obétifques  ;  on  voyait,  en  bas, 
la  face  Ù"  le  revers  d'une  médaille  que  le  roi  D.  Manuel  fit  frapper  en 
mémoire  de  la  découverte.  Cette  œuvre  d' imagination  ne  nous  a  point 
paru  s'adapter  d'une  manière  heureufe  à  un  récit  comme  celui  auquel  elle 
fervait  d'introdu6iion;  la  médaille  même,  plus  purement  gravée  dans  le 
tome  IV  de  /'Hiftoire  généalogique  de  Souza,  n'offre  pas  un  grand 
intérêt.  Nous  avons  remplacé  cette  planche  par  un  portrait  inédit  du  roi 
D.  Manuel,  peint  en  frontifpice  fur  un  des  livres  intitulés  de  Leitura 
Nova  (i°  de  Alemdouro)  dans  les  archives  de  Torre  do  Tomba.  La 
beauté  des  enluminures  qui  ornent  les  premiers  volumes  de  cette  vafte 
colleBion,  parmi  lefquels  ceux  d' Alemdouro  font  les  plus  anciens,  nous 


(i)  Ce  portrait,  malgré  le  choix  qu'en  ont  fait  les  éditeurs  portugais,  manque 
ejfentiellemem  de  caraâere.  Nous  avons  préféré  celui  qui  exijfe  à  Lisbonne,  dans 
la  galerie  du  comte  de  Farrobo,  &  qui  pajfe  également  pour  une  peinture  contem- 
poraine. Vafco  da  Cama,  d'après  ce  que  nous  en  favons,  était  gros  &  de  taille 
moyenne;  il  avait  le  teint  coloré,  l'exprefjion  du  vifagefevère  &le  tempérament 
colérique.  (Tr.) 


XIV 


perfuadc    que  le  portrait   devait  être  d'une  haute    rejjhnblance .   Nous 
fommes  au  moins  certains  qu'il  eft  de  date  contemporaine  (i). 

Le  portrait  deD.  Manuel  &  celui  de  Vafco  da  Gama  font  accompa- 
gnés des  Jignatures  refpeSîivcs  de  ces  deux  perfonnages  —  ho  conde 
almirante  —  Rey.  Le  fac-ftmile  du  manufcrit  efi  le  même  que  celui  de  la 
première  édition .  Ony  avait  joint,  par  des  motifs  expofés  dans  t avant- 
propos,  la  fignature  de  Caflanheda,  mais  avec  doute  fur  l'authenticité. 
Ce  doute  était  fans  fondement.  Tous  les  exemplaires  de  /'Hiftoire  de 
l'Inde  que  nous  avons  eus  fous  les  yeux  portent  la  fignature  de  Hauteur, 
qui  efi  indubitablement  la  même.  Quant  à  la  copie  qui  exifie  du  Journal, 
il  ferait  difficile  de  prouver  quelle  efi  de  la  main  de  Cafianheda,  quand 
même  on  retrouverait  quelque  écrit  de  cet  hifiorien  plus  étendu  qu'une 
fimple  fignature.  L'écriture  curfive  employée  dans  ce  manufcrit  efi  d'un 
type  extrêmement  commun  dans  la  première  moitié  du  feizième  fiècle,  Ù' 
on  ne  [aurait  l'attribuer  fans  témérité  à  un  écrivain  défigné. 


(i)  Noui  n'avons  pas  reproduit  ce  portrait  qui,  fans  doute,  a  été  mal  rendu 
par  la  lithographie,  car  il  ejl  plat,  fans  relief,  fans  vigueur,  &■  il  manque  même 
de  cette  naïveté  qui  ejt  le  cachet  des  œuvres  de  l'époque.  (Tr.) 


(^^ 


û 


AVANT-PROPOS  DE  LA  PREMIERE  EDITION 


A  découverte  de  l'Inde  a  fourni  au  Portugal  la  plus  belle 
page  de  fan  hijloire.  L'audace  de  ceux  qui  tentèrent  Ù'  qui 
menèrent  à  fin  cette  entreprife ,  à  travers  tant  de  périls  Ù" 
de  fnuffrances,  quand  l'art  de  la  navigation  n'offrait  encore  que  des 
moyens  bornés  ir  qu'une  terreur  fuperjlitieufe  interdifait  l'accès  de  ces 
mers  inconnues,  eji  la  preuve  la  plus  éclatante  de  l'énergie  des  anciejis  cœurs 
portugais.  Trois  fiècles  de  révolutions  élevant  ou  abaijfant  la  fortune 
des  peuples  de  l'Europe;  le  fceptre  des  mers  pajfant  avec  rapidité  de  Venife 
Ù"  de  Gênes  au  Portugal,  du  Portugal  à  l'Efpagne,  de  l'Efpagne  à  la 
Hollande,  de  la  Hollande  à  ï  Angleterre  ;  tous  ces  événements,  liés  à  la 
conquête  de  l'Inde,  donnent  à  la  découverte  de  Gama  le  caraSîère  d'un 
fait  européen,  d'un  fait  auquel  vient  fe  rattacher  l'hifloire  moderne  de 
ces  peuples  qui  lui  durent  leur  grandeur  Ù'  leurs  maux.  Du  fond  de 
l'Adriatique  jufqu'aux  rivages  lointains  des  Hébrides,  le  nom  de  l'Inde 
retentit  comme  un  cri  douloureux,  éveillant  à  la  fois  des  fouvenirs  de 
gloire  lùr  des  remords.  Que  de  crimes,  en  effet ,  a  produits  cet  Orient 


?pn 


XV] 

fi  convoité ,  &  comble?!  de  larmes  ont  payé  fes  aromates,  [es  épices 
ir  [on  or!  Quelle  nation  pourrait  fe  flatter  d'avoir  régné  fur  l'Hin- 
dnuftan  fans  que  fon  titre  de  propriété  n'ait  été  fouillé  de  trahifons, 
de  parjures  &  de  barbarie!  Le  Portugal  a  expié  par  plus  de  deux  fiè- 
cles  d'opprobre  Ù"  d'amertume  quatre  -  vingts  ans  de  crimes ,  lùf  il  a 
payé  fa  dette  envers  Dieu  isr  envers  les  hommes.  Nos  conquêtes  d'Afie 
ont  pajfé  en  des  mains  étrangères,  ér  une  gloire  pure,  dégagée  de  nuages, 
efi  le  feul  héritage  qui  nous  revient  de  nos  dieux.  Ce  sera  donc  une 
œuvre  patriotique  que  de  mettre  en  lum'tère  tout  ce  qui  peut  rappeler 
leurs  exploits  en  Orient  .•  auffi  croyons-nous  être  utiles  en  entreprenant 
la  publication  de  ce  Journal. 

Le  manufcrit  que  nous  offrons  au  public  appartenait  au  monajlère  de 
Santa  Cruz  de  Coimbra,  d'où  il  fut  enlevé,  avec  les  autres  manufcrits 
qui  compofaient  ï ancienne  ir  précieufe  collection  du  couvent ,  pour  enri- 
chir la  bibliothèque  de  Porto  où  il  fe  trouve  aujourd'hui. 

On  voit  qu'il  n'eft  pas  autographe  aux  lignes  fuivantes  de  la 
page  6i\  (i)  :  l'auteur  de  ce  livre  a  oublié  de  nous  apprendre 
comment  font  faites  les  armes  dont  il  parle.  Cette  intercalat'ion  eft 
évidemment  une  note  du  copifle  qui  a  tranfcrit  l'original.  Toutefois,  on 
reconnaît ,  au  caraBère  de  l'écriture ,  que  cette  copie  ne  faura'it  être 
pojlérieure  aux  commencements  du  feizième  fiècle,  ce  dont  peut  fe  con- 
vaincre un  leSleur  exercé,  en  jetant  les  yeux  fur  le  fac-fimile  des  premières 
lignes  qui  ont  été  reproduites  dans  cette  publication. 

Le  volume  porte  aBuellement  le  n°  804,  d'après  l'ordre  provifoire 
établi  dans  la  bibliothèque  de  Porto.  Le  format  efi  in-folio;  le  papier, 
de  conftflance  moyenne,  eft  d'une  teinte  ajfez  foncée  ;  outre  les  empreintes 
ordinaires  de  la  forme  qui  régnent  dans  lefens  longitudinal,  on  diftingue 
la  marque  de  fabrique,  telle  qu'elle  eft  figurée  fur  la  planche  précédem- 
ment citée.  La  couleur  de  l'encre,  quoique  un  peu  altérée,  eft  encore  très 


(1)   Vjgeiy  de  Inféconde  édition.  (Tr.) 


» 


Ja.c    ,>v»mU    Je    l  cciiUttc    On  mcviui^ctiL 


vvu,  ^4- 


^M^        VtLct?^ii>s    '^i/^^^^ 


\JZ^/^/^ùft€    (^  i^^^/^e-a';fyi  ^^t?^^^:f  Oi      '    ''■j/r^/z/^^v/^/ 


\ 


^'iLo-iJut  De  |a.l<i.iciu£     i)ii.  OiXinci. 


/ 


w 


L^uV'" 


XVlj 

nette.  Le  corps  du  volume  fe  trouve  [éparé,  par  l'effet  de  ïufage,de  la 
feuille  de  parchemin  (provenant  de  quelque  livre  d'office)  qui  lui  fervait 
tant  bien  que  mal  de  couverture;  il  commence  Ù"  finit  par  une  feuille 
blanche  dont  la  contexture  Ù"  la  marque  dénotent  une  fabrication  plus 
inoderne  que  celle  du  papier  fur  lequel  il  efi  écrit;  on  difiingue,  fur  la 
première,  trois  lignes  d'une  écriture  inoins  ancienne  que  celle  du  fnanuf- 
crit,  Ù",  malgré  le  foin  qu'on  a  pris  de  les  effacer,  on  parvient  à  lire 
ce  qui  fuit  : 

Pertinet  ad  ufum  fratris  Theotonij  de  Sandlo  G Canonici 

regularis  In  Cenobio 
S""  Crucis. 

Immédiatement  après,  on  lit: 

Dô  Theotonio. 

Et  enfin,  prefqne  au  bas  de  la  page,  en  caraBeres  de  nos  jours,  & 
probablement  de  La  main  d'un  des  bibliothécaires  du  fufdit  monaflère, 
ce  titre  : 

Defcobrimento  da  India  por  D.  Vafco  da  Gamma, 

qui  fe  trouve  répété,  de  la  même  écriture,  fur  le  reElo  de  la  couverture 
de  parchemin,  Ù'  en  haut  de  la  page  par  ou  commence  le  manufcrit. 

Jufqu'à  ce  jour  il  n'a  été  imprimé,  fur  le  voyage  entrepris  pour  décou- 
vrir les  Indes ,  aucun  livre  qui  ait  été  écrit  par  un  témoin  oculaire  de 
cet  événement.  Le  feul  mémoire  contemporain  efi  la  relation  que  Ramufio 
fit  paraître  en  if^4,  fous  le  couvert  d'un  gentilhomme  florent'm,  de 
paffage  à  Lisbonne  à  l'époque  du  retour  de  Vafco  da  Gama;  rédigée 
d'une  manière  affez  confufe,  comme  un  récit  dont  les  éléments  mal  digérés 
ont  été  puifés  à  plufteurs  fources ,  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  cette 
œuvre  puijfe  être  conftdérée  comme  une  relation  hijlorique  de  la  décou- 
verte des  Indes  (i). 

Notre  bibliographe  Barbofa  Machado  attribue  à  Vafco  da  Gama  lui- 

c 


XVIlj 

même  tille  relation  de  ce  voyage,  mais  fans  nous  dire  où  elle  exifte,  Ù' 
en  ajoutant  quelle  n'a  jajnais  été  imprimée.  A  la  -page  777  du  tome  III 
de  la  Bibliotheca  Lufîtana  (17P),  on  trouve,  après  l'éloge  de  Vafco 
da  Gama,  la  note  fuivantc  : 

«  //  a  écrit  la  Relation  du  voyage  qu'il  fit  aux  Indes  en  1497. 
Cet  ouvrage  Ù"  fon  auteur  font  mentionnés  dans  Nicoldo  Antonio , 
Bib.  Hifp.  Vet.  lib.  10,  cap.  if,  §  84'5,  ir  dans  Antonio  de  Leao, 
Blb.  Ind.,  tit.  2°,  ainjt  que  dans  le  tome  I,  t'tt.  2,  col.  27  de  fon 
continuateur.  » 

U^ous  n'avons  pu  vérifier  la  citation  deBarbofa  qui  concerne  Antonio 
de  Lecio  par  la  ra'ifon  qu'il  nous  a  été  impojjïble  de  nous  procurer  fon 
ouvrage;  mais,  quant  à  celle  qui  efi  tirée  de  la  Bibliotheca  de  Nicolâo 
Antonio,  nous  trouvons,  dans  l'édition  de  1672  ainfî  que  dans  celle  de 
1788  {pofiér'ieure  à  Barbofa  MacJiado),  les  lignes  fuivantes,  à  l'endroit 
indiqué  : 

«  Vafcus  da  Gania....  dédit  reverfus  Emmanueli  fuo  régi  populari 
Portugalia  idiomate  navigationis  fua  ad  Indiam  anno  mcdxcvii  rela- 
t'tonem ,  quœ  lucem  vidit  :  »  d'où  l'on  pourrait  conclure  que  cette 
œuvre  a  été  imprimée..  On  doit  héfiter,  néanmoins,  à  donner  aux  mots 
quse  lucem  vidit  employés  par  Nicolâo  cAntonio  l'acception  ordinaire 
de  fut  imprimée ,  car  nous  avons  remarqué  que  cet  auteur  n'en  a  pas 
toujours  fait  un  ufage  fcrupuleux ,  is"  qu'il  s'en  efi  fervi  quelquefois 
pour  des  ouvrages  qui  n'ont  jamais  cejfé  d'être  manufcrits.  La  note 
fuivante,  tirée  de  la  Bibliotheca  Hifpana  Nova  (éd.  de  1788),  tome  II, 
p.  •jcjc),  en  fournit  un  exemple  :  «  Anonymus  Lufitanus,  in  eadem  biblio- 
theca fervatus,  dédit  in  lucem,  lufitanè:  Derrotero  defde  Lifboa  al 
Cabo  de  Buena  Efperanza  y  India  oriental,  cumfiguris  verficoloribus, 
Ms.  in-4''.  » 

Il  efi  regrettable  qu'aucun  des  bibliographes  cités  ne  nous  ait  fait 
connaître  la  fource  de  fes  informations,  Ù'  que  Barbofa ,  notamment, 
nous  ait  laijfé  douter  Jt  celles  qu'il  nous  tranfmet  furent  le  réfultat  de 
fes  recherches  perfonnelles ,  ou  s'il  fe  borna  à  copier  les  deux  autorités 


XIX 

(ju'il  cite.  Bien  qu'il  s'exprime  avec  plus  de  réferve  que  NicolAo  Anto- 
nio fur  l'imprejjion  de  la  relation  de  Gatna ,  cette  circonjlance  ne  fuffit 
pas  pour  dijjiper  notre  incertitude,  car  il  pouvait  fort  bien  avoir  conçu 
des  doutes  fur  la  publication  d'un  livre  qu'il  n'ava'it  jainais  rencontré. 

La  tradition  {comme  l'appelle  Jofé  Carlos  Pinto  de  Soufa  dans  fa 
Bibliotheca  hiftorica)  qui  attribuait  à  Vafco  da  Cama  une  relation 
écrite  de  fon  premier  voyage  finit  par  être  généralement  répandue.  La 
férié  tout  entière  des  DiBionnaires  hifloriques  français  nous  offre  la 
note  fuivante,  reproduite  d'édition  en  édition  : 

"  On  dit  qu'il  publia  une  relation  de  fon  premier  voyage  aux  Indes  , 
mais  elle  ne  s'efi  pas  retrouvée.  »  Cette  phrafe  fe  Ut  pour  la  première 
fois  dans  l'édition  de  1732  du  DiSlionnaire  de  Moreri ,  ?nais  avec  la 
note  additionnelle,  Bibliotheca  Portuguefa  Manufcripta. 

^?(ous  ne  pouvons  qu'émettre  des  conjeSiures  fur  l'auteur  de  cette 
Bibliothèque  portugaife,  les  éditeurs  du  DiSlionnaire  ne  l'ayant  pas 
nomjné;  toutefois ,  dans  leur  préface ,  en  traitant  des  améliorations 
introduites  dans  leur  nouvelle  édition,  ils  s'expriment  ainji  :  <<  Ce  qui 
regarde  en  particulier  l'hijloire  littéraire  du  Portugal  ayant  été  oublié 
dans  toutes  les  éditions  de  ce  DiSlionnaire ,  if  l'Académie ,  que  le  rot 
(de  Portugal)  vient  d'établir  avec  tant  de  gloire  dans  fa  capitale,  ayant 
attiré  l'attention  des  révifeurs  fur  les  favants  de  ce  royaume  ,  qui ,  bien 
qu'en  grand  nombre,  font  prefque  inconnus  en  France  ;  un  écrivain  por- 
tugais ,  homme  judicieux  Ù"  d'une  érudition  très-étendue,  a  fourni  des 
mémoires  tirés  d'une  bibliothèque  portugaife  que  cet  auteur  efpère  publier 
incejfamment  dans  fa  langue  naturelle.  »  On  ne  rencontre  rien ,  dans 
le  cours  de  l' ouvrage ,  qui  aide  à  foulever  le  voile  de  l'anonyme  por- 
tugais. Que  ce  ne  fait  point  Barbofa  Machado  {qui  déjà,  en  1724, 
avait  commencé  Ù'  même  fort  avancé  fa  Bibliotheca,  comme  on  peut 
le  conclure  de  la  page  23  de  fa  préfacé),  le  fait  ejl  plus  que  probable, 
car  il  n'aurait  pas  oublié ,  en  mentionnant  jufqu'aux  éloges  les  plus 
infîgnifiants  dont  fon  œuvre  avait  été  l'objet  avant  d'être  livrée  a  l'im- 
prejjion ,  le  tribut  des  éditeurs  de  Moreri ,  s'il  fe  fit  adrejfé  à  lui.  On 


XX 

pourrait  croire  qu'ils  ont  voulu  parler  de  D.  Luiz  Carlos  de  Menezes, 
comte  d'Ericeira,  qui  fournit  un  volume  de  corre£îions  Ù"  d'additions 
à  D.  Jofcph  de  Mariavel,  lorfque  celui-ci  fit  paraître,  en  lyn;  ^"^ 
traduSlion  efpagnok,  augmentée,  du  D'iBionnaire  de  Moreri;  cependant 
il  cjl  permis  d'en  douter:  d'abord  parce  que  les  éditeurs  français  n'au- 
raient pas  manqué  de  dire  un  mot  de  la  haute  pofition  du  comte; 
enfuite,  parce  que  l'on  comprendrait  difficilement  qu'après  leur  avoir 
fourni  des  mémo'ires  originaux  fur  les  écrivains  portugais,  'il  eût  quel- 
que motif  pour  donner  enfuite  un  volume  d'additions  i^  de  correBions 
au  tradiiSleur  cfpagnol.  (  V.  Mariavel  dans  fa  préface  Ù"  la  Bibl. 
Lufitana  fur  «  D.  Lu'is  Carlos  de  Menezes.  j>)  Notons,  toutefois,  que 
l'éditeur  efpagnol,  en  confervant  la  phrafe  des  éditeurs  français,  infifle 
avec  un  peu  plus  de  force  fur  ï impojfibiUté  de  rencontrer  la  relation 
de  Vafco  da  Gama;  «  No  fc  halla,  dit  Mariavel,  ni    fe  encuentra.  » 

Au  refle,  quel  que  fait  le  bibliographe,  nous  n'en  penfons  pas  moins 
qu'il  s'efi  trompé,  lui,  &  tous  les  autres  écrivains  que  nous  avons  cités. 

Lorfque  Ramiijïo  forma  fa  colleSlion  de  voyages,  il  ne  négligea  rien 
pour  fe  procurer  les  ouvrages  imprimés  Ù"  manufcrits  les  plus  propres, 
par  leur  réputation  Ù"  leur  véracité,  à  concourir  au  but  qu'il  s'était 
propofé  de  réunir  en  un  feul  corps  d'ouvrage  toutes  les  notions  fur 
la  navigation  ir  les  découvertes  modernes.  Il  fuffit  de  l'ire  les  avant- 
propos  des  Giunti,  éditeurs  de  la  colleBion,  pour  en  demeurer  con- 
vaincu, ou  de  fe  rappeler  qu'elle  renferme  plufieurs  relations  écrites 
par  des  Portugais,  que  nous  ne  connaîtrions  pas  fans  cette  publication. 
Ceci  pofé,  on  croira  difficilement  que  le  récit  du  voyage  de  Vafco  da 
Gama,  écrit  de  fa  propre  main ,  fût  ajfez  peu  connu  pour  échapper  aux 
invefli gâtions  de  Ramufio;  on  le  croira  d'autant  moins  qu  un  femblable 
oubli  ne  faura'it  s'expliquer  par  l'abondance  des  matériaux,  puifque,  pour 
inférer  dans fon  Recueil  quelque  chofe  fur  la  découverte  des  Indes,  il 
fe  fervit  du  livre  III  de  la  première  Décade  de  Barros  qui  avait  publié, 
peu  de  temps  auparavant ,  les  deux  premières  Décades  de  fon  Afia. 

Une  autre  confidération ,  c'efl  que  parmi  les  citations  empruntées  à 


.b 


xxj 

tant  d'ouvrages  complètement  perdus  aujourd'hui  par  ceux  de  nos  hijlo- 
riens  qui  ont  traité  des  chofes  de  l'Orient,  on  ne  trouve,  à  notre  connaif- 
fance,  aucune  trace  de  la  relation  de  Gama;  évidemment,  fi  elle  eût 
exijlé,  elle  aurait  joui  d'une  grande  réputation,  comine  étant  l'œuvre 
de  l'homme  le  plus  capable  d'écrire  l'hifioire  de  cette  périlleufe  Ù' 
lorieufe  entreprife.  Ces  preuves  négatives  font  corroborées,  d'un  autre 
côté,  par  l'ignorance  où  nous  la'ijfe  Barbofa  ainfi  que  les  autres  biblio- 
graphes précédemment  cités  fur  la  manière  dont  ils  ont  eu  connaijfance 
de  l'œuvre  de  Vafco  da  Gama.  Ainfi,  tout  nous  porte  à  croire  que  la 
«  Relation  »  de  l'amiral  efl  un  rêve  bibliographique  qui  a  eu  peut- 
être  une  origine  fort  fimple,  fur  laquelle  nous  allons  hafarder  notre 
opinion. 

H  efl  probable  que  le  manufcrit  que  nous  publions  fut  fignalé  aux 
favants  qui  fe  font  occupés  de  notre  hifloire  littéraire  fous  le  titre  qu'il 
portait  dans  la  bibliothèque  de  Santa-Cruz,  comme  on  peut  l'inférer  de 
ce  que  nous  avons  dit  précédemment,  c'efl-à-dire  fous  celui  de  Relation 
de  la  découverte  des  Indes  par  D.  Vafco  da  Gama,  ou  tout  autre 
titre  analogue.  Il  peut  bien  être  arrivé  que  la  prépofition  par,  appliquée 
au  mot  découverte  par  celui  qui  communiqua  la  note,  ait  été  rapportée, 
par  le  bibliographe  qui  la  reçut,  à  D.  Vafco  da  Gama  qui  aura  été 
confidéré,  par  fuite  d'une  équivoque  dans  la  conflruSlion  grammaticale, 
comme  auteur  de  la  fufdite  relation.  Cette  explication  nous  parait  la 
plus  vraifemblable  ;  nous  pouvons  même  préfumer,  fans  être  taxés  de 
témérité,  que  ce  fut  le  manufcrit  dont  nous  offrons  le  texte  au  public 
qui  nduifit  à  croire  que  l'auteur  de  la  découverte  des  Indes  avait 
écrit  la  relation  de  fan  voyage.  Au  moins,  en  l'abfence  de  cette  relation, 
efi-il  permis  de  concevoir  des  doutes  fur  fon  exiftence,  &  de  former  des 
conjeéîures  fur  l'origine  la  plus  probable  d'une  femblable  tradition 
littéraire. 

Quant  à  l'auteur  de  notre  manufcrit,  nous  n'avons  rien  pu  découvrir 
fur  fon  compte.  On  peut  conclure  de  la  contexture  de  l'œuvre  que  ce 
ne  fut  ni  un  des  capitaines ,  ni  un  des  pilotes  de  la  flotte ,  mais  un 


XXlj 

Jïtnple  foldiit  ou  matelot  appartenant  à  l'équipage  du  vaiffeau  de  Paul 
da  Gama,  frère  de  l'amiral;  on  peut  même  fuppofer  qu'il  n'était  pas 
fans  quelque  valeur,  car  nous  le  voyons  parler  de  lui-même  à  la  pre 
m'ière  perfonne ,  dans  des  circonflances  oit  il  efi  fort  à  croire  que  le 
fervice  était  confié  h  des  individus  clioijïs.  A  Calicut,  il  fut  un  des 
douze  que  Vafco  da  Gama  emmena  avec  lui,  lorfqu'ily  débarqua  pour 
fe  rendre  à  l'audience  du  Zamorin;  &  ce  fait,  infuffifant  à  la  vérité 
pour  nous  le  faire  complètement  connaître,  nous  permet  déjà  de  hafarder 
quelques  conjeBures.  Caftanheda,  dans  fon  Hiftoire  de  la  Décou- 
verte, &c.,  nous  a  confervé  les  noms  de  plujieurs  d'entre  eux  :  il 
nomme  Diogo  Dias,  comptable  de  Vafco  da  Gama;  Fernîio  Mart'tns, 
fon  interprète  ;  fon  veador  (i)  {qu'il  ne  déjigne  pas  autrement);  Joao 
de  Sa,  comptable  de  Paul  da  Gama;  un  marin  appelé  Gonçalo  Pires 
qui  avait  été  élevé  avec  le  commandant  en  chef;  un  Alvaro  Velho,  enfin 
Alvaro  de  Braga,  comptable  de  Nicolâo  Coelho.  Maintenant,  en  ad- 
mettant, comme  nous  le  démontrerons  plus  loin,  que  notre  manufcrit 
ait  été  la  principale  fource  où  Caftanheda  puifa  les  documents  de  fon 
hiftoire,  il  eft  infiniment  probable,  en  conjtdérant  ftrtout  l'époque  où 
il  vécut  Ù"  les  peines  qu'il  fe  donna  pour  rechercher  la  vérité ,  que 
l'auteur  ne  lui  était  pas  inconnu  ;  Ù"  comme  celui-ci  déclare  qu'il  fut 
un  des  douz£  dont  nous  avons  parlé  {p.  ^4  de  /'Ed.  portug.)  (2),  il 
eft  également  préfumable  qu'il  fut  aujji  l'un  de  ceux  que  Caftanheda  a 
défignés  nominativement.   Or,  le  contexte  de  l'œuvre  exclut  d'abord  Ù" 


(i)  Le  veador  était  un  officier  chargé  de  veiller  à  tout  ce  qui  concernait  le 
fervice  de  la  table.  Le  veador  du  Roi  prenait  rang  immédiatement  après  le 
mordomo  ;  c'était  une  charge  de  confiance  dont  était  toujours  revêtue  quelque  per- 
fonne conjîdérable.  La  noblcjfe  avait  aujjifes  mordomos  dont  les  fondions  étaient 
plutôt  honorifiques  que  lucratives.  (Tr.) 

(2)  Le  texte  porte  :  Levou  comfygo  dos  feus  treze  homens ,  dos  quaees  eu 
fuy  huum  délies,  il  emmena  avec  lui  treize  desjîens,  6-  moi-même  je  fus  l'un 
d'eux  (Tr.j 


XXllj 

de  la  manière  la  plus  évidente  Diogo  Dias,  FernSo  Martins,  le  veador 
de  Vafco  da  Gama  {quel  qu'il  fût),  ainjt  quAlvaro  de  Braga;  il  faut 
écarter  également  Joao  de  Sa ,  d'après  les  conjidérations  fuivantes  : 
1"  parce  que  l'auteur  était  un  Jîmple  foldat  ou  un  matelot  {mais  plus 
vraifemblablement  un  matelot),  comme  on  peut  l'inférer  des  exprejjîons 
nous  autres,  quelques-uns  de  nous  autres,  dont  il  fe  fert  en  diffé- 
rents pajfage  s,  lorfqu  il  parle  de  ceux  de  fa  clajfe  d'une  manière  générale 
Ù" par  oppojition  aux  capitaines;  2°  à  caufe  d'une  circonfiance  rapportée 
par  Caflanheda  (liv.  I  ,  c.  16)  qui  montre  que  Joao  de  Sa  doutait 
beaucoup  du  Chriftianifme  (i)  des  habitants  de  Calicut ,  tandis  que 
notre  auteur  paraît  y  avoir  cru  fermement  ;  3°  en  raifon  de  certains 
Jerv'ices  du  bord,  tels  que  fondages ,  auxquels  il  nous  apprend  qu'il 
fut  employé  {p.  24  de  /'Ed.  portug.),  Ù'  qui  convenaient  mieux  à  un 
marin  qu'à  un  homme  de  plume ,  bien  que  nous  fâchions  par  l'hifloire 
que  Joao  de  Sa  fut  auffi  foldat  Ù"  marin  ;  4°  enfin  à  caufe  du  flyle 
&  de  la  compofition  de  l'ouvrage  qui  femblent  dénoter  clairement 
l'humble  condition  de  notre  auteur. 

H  pourrait  exifier  quelque  doute  entre  les  deux  noms  qui  nous  refient, 
ft  Caflanheda  ne  nous  venait  en  aide.  De  ces  deux  noms,  favoir  : 
Alvaro  Velho  Ù"  Gonçalo  Pires,  le  dernier  doit  demeurer  en  dehors  de 
oute  conjeSlure  quant  à  l'attribution  du  Journal,  fi  l'on  compare  les 
pajfages  correfpondants  de  Caflanheda  Ù"  de  notre  auteur,  où  l'on  voit 
le  premier  mettre  en  fcène  Gonçalo  Pires,  ir  le  fécond  difiinguer  celui-ci 
de  fa  propre  perfonne. 


(i)  Nos  premiers  navigateurs  eurent  Vimjgination  remplie  des  récits  exagérés 
qui  couraient  fur  le  caraâère  religieux  du  Frètre  Jean  que  l'on  difait  chrétien; 
ayant  rencontré  quelques-uns  des  prétendus  chrétiens  de  San-Thomé,  &  ne  con- 
naiffant  guère  de  religion  qui  ne  fût  pas  la  leur  ou  l'ifljmifme,  ils  crurent  natu- 
rellement, â  leur  début,  que  les  Hindous  profejfaient  le  chrijîianijme . 


XXIV 


CASTANHEDA 
Liv.  I,  c.  21. 

Le  gouverneur conduijît 

Viifco  da  Gama  le  long  de  la  plage, 
is"  comme  il  fe  méfait  de  ces  gens- 
là  après  ce  qui  lui  était  arrivé  h 
Calicut,  il  donna  ordre  à  Gonçalo 
Pires,  le  marinier,  d'aller  en  avant 
aujfi  loin  qu'il  pourrait  avec  deux 
de  nous  autres ,  &,  dans  le  cas 
où  il  rencontrerait  Nicolâo  Coelho 
avec  les  chaloupes ,  de  lui  dire  de 
fe  cacher ] 

Les  deux  auteurs  racontent  enfuite  comment  ces  trois  hommes  s'éga- 
rèrent en  quittant  la  fuite  du  commandant  en  chef,  puis  ils  ajoutent  : 


L'ANONYME 

Pag-  r4- 

Pour  lors  ils  nous  menèrent  le 
long  de  la  plage.'  Et  le  cojmnandant 
foHpçonnant  quelque  mauvais  def- 
fein,  envoya  troishommese'n  avant; 
s'ils  trouvaient  les  embarcations  des 
navires  &  que  fon  frère  y  fût,  ils 
devaient  lui  dire  de  fe  cacher... 


CASTANHEDA 
(Ibidem), 

Sur  ces  entrefaites,  arriva  Gon- 
çalo Pires  avec  un  meffage  de 
Nicolâo  Coelho  qui  l'attendait  avec 
les  embarcations. . . 


L'ANONYME 
Pag.  t6. 

Et  fur  ces  entrefaites,  furvint 
un  des  hommes  qui  s'étaient  fé- 
parés  de  nous  la  veille  au  foir,  & 
il  dit  au  commandant  que  Nicolâo 
Coelho  était  là  depuis  la  nuit  précé- 
dente avec  les  embarcations... 


Ainji  donc,  il  nous  refle  Alvaro  Velho,  que  l'on  peut  fort  bien  joup- 
çonner  d'être  l'auteur  de  la  relation  que  nous  publions.  Il  ejl  évident, 
néanmoins ,  que  ceci  ne  dépajfe  pas  les  bornes  d'une  ftmple  conjeEîure 
fondée  fur  les  prém'tjfes  que  nous  avons  pofées,  c'efi-à-dire  fur  la  con- 
naijfance  que  Caftanheda  eut  de  notre  auteur,  &  fur  la  véracité  bien 
connue  de  l'infatigable  hiflorien  de  la  découverte  des  Indes,  qui  ne  s'en 
eji  point  départi  dans  les  paffiiges  que  nous  avons  cités. 


XXV 

Qjùvit  au  parti  que   Cajianheda  a  tiré  de  notre  manufcrit ,  on  en 
jugera  par  un  feul  fait,  c'eji  que  la  majeure  partie  du  premier  livre 
de  /'Hiftoire  des  Indes  a  été  copiée  prefque  littéralement  fur  le  Roteiro, 
comme  le  leSieur  peut  aifément  s'en  convaincre  en  comparant  les  deux 
ouvrages.  La  concordance  deviendra  furtout  manifefie  Ji  l'on  confulte, 
dans  cet  examen,  la  première  &  très-rare  édition  du  livre  l,  imprimée 
en    i^n,  où,  fans  parler  de  la  prefque  identité  qu'offre  le  texte  dans 
fon  enfemble,   on   trouve,  au  chapitre  XXVU' ,  le  pajfage  fuivant  qui 
paraît  ajfez  fignificatif  :  «  Les  pilotes  dirent  qu'on  était  fur  les  bas- 
fonds  du  Rio- Grande;  quant  aux  autres  particularités  concernant  la 
route  que  fui  vit  le  commandant  en  chef,   depuis  là  jufqu'à  l'île 
de  Santiago,  je  n'ai  jamais  pu  les  connaître;  feulement,  etc.  »  Dans 
l'édition  fuivante,  de  iU4,  cette  phrafe  a  été  retranchée ,  fans  que  la 
fupprejfton  soit  jujlifiée  par  l'introduSlion  de  circonjlances  ou  de  faits 
nouveaux.   Ce  qui  efi  bien  certain,   c'efl  que  dans  la  première  comme 
dans  la  féconde  édition  du  livre  de  Cafianheda ,  la  narration  circonf 
tanciée  du  voyage  ne  dépajfe  pas  le  point  où  s'arrête  l'itinéraire  que 
nous  publions,  ce  qui  confirme  pleinement  l'opinion  que  cet  écrit  fut 
bien  la  fource  où  puifa  l'auteur  de  /'Hiftoire  des  Indes  (ii). 

Lorfque  ce  manufcrit  tomba  pour  la  première  fois  entre  nos  mains, 
la  circonftance  qu'il  provenait  de  Coimbre  où  Cafianheda  écrivit  & 
publia  fon  ouvrage,  la  certitude  qu'il  y  avait  puifé  fes  matériaux, 
comme  on  l'a  vu,  au  moins  en  ce  qui  concerne  le  premier  voyage  aux 
Indes,  enfin  la  reffemblance  de  l'écriture  avec  une  fignature  que  l'on 
peut  attribuer  avec  quelque  fondement  à  Fernâo  Lopes  de  Cafianheda, 
&  que  l'on  voit  à  la  fin  d'un  exemplaire  du  premier  livre  de  l'édition 
de  I5'5'4,  appartenant  à  la  bibliothèque  de  Porto;  tout,  enfin,  nous 
perfuada  que  nous  avions  fous  les  yeux  le  propre  manufcrit  dont  il  fe 
fervit  pour  la  compnfition  de  fon  hifioire ,  &  même  une  copie  de  fa 
main;  en  effet,  il  nous  apprend  qu'il  pajfa  vingt  ans  de  fa  vie  h  recher- 
cher &  à  tranfcrire  les  mémo'ires  qui  fe  rattachaient  à  fon  fitjet,  travail 
qu'il  effeâua  au  grand  dommage  de  fa  fortune  &  de  fa  fanté.   Mais 

D 


e 


xxvj 

comme,  en  matière  d'écriture,  il  efl  extrêmement  difficile  de  rèfoudre  la 
quejlion  d'identité  par  l'examen  de  Jmples  Jignattires,  nous  fongedmes 
aujjttôt  à  effeâluer  des  recherches  à  l'univerfité  de  Coimbre  {où  Cafia- 
nhedafut  bedeau  (i)  Ù"  confervateur  des  archives'),  afin  de  nous  procurer 
des  fac-fimile  de  [on  écriture  courante  ainft  que  de  fa  Jîgnature;  mal- 
heureufement  jufqu'à  préfent  (par  des  raifons  fur  lefquelles  il  cji  inutile 
d'in/ijler) ,  nous  avons  été  déçus  dans  nos  efpérances.  En  attendant, 
nous  offrons  à  nos  ledîeurs  un  fac-fimile  de  la  Jîgnature  dont  il  s'agit, 
non  pas  feulement  à  titre  de  cariofité,  ?nais  comme  un  fil  qui  fervira 
peut  être  à  guider  les  invejiigateurs  futurs. 

Nous  terminerons  cette  longue  férié  de  doutes  Ù'  de  conjeBures  par 
une  obfervation  :  c'eji  que  probablement  toute  incertitude  cefferait  fi 
l'on  pouvait  fe  procurer  le  catalogue  des  manufcrits  de  San6la  Cruz 
de  Coimbre  ÇÙ"  il  nous  paraîtrait  incroyable  que  ce  catalogue  n'exijlât 
pas)  ;  en  admettant  qu'il  ne  nous  fournît  pas  les  moyens  de  foulever 
complètement  le  voile  de  notre  anonyme,  nous  pourrions  toujours  en 
tirer  des  lumières  qui  nous  aideraient,  f oit  à  repoujjer  par  des  arguments 
fans  réplique  l'opinion  qui  attribue  à  Vafco  da  Gama  une  relation  de 
fon  voyage,  fait  à  fortifier  nos  conjeBures  fur  l'auteur  de  celle  que 
nous  publions. 

Quant  au  mérite  du  fiyle  Ù"  de  l'exprejjion ,  on  ne  trouvera  rien, 
dans  cette  œuvre  inédite,  qui  ait  la  moindre  valeur;  comment  s'en 
étonner,  puifqu'il  s'agit  d'un  livre  écrit  par  un  foldat  ou  un  ?natelot, 
à  une  époque  où  les  érudits  eux-mêmes  ont  failli  bien  fouvent ,  dans 


(i)  C'ejî  un  officier  Jubaherne  de  l'univerfité  qui  marche  devant  le  Doyen,  portant 
une  hallebarde.  Il  prend  note  des  élèves  qui  ajjïjlent  aux  cours,  fixe  la  place 
que  chacun  d'eux  doit  occuper  dans  les  cérémonies  publiques,  proclame  les  licen- 
ciés &  les  doâeurs,  &  remplit  d'autres  fonâions  du  même  genre.  Il  y  avait  autre- 
fois des  bedeaux  dans  nos  univerfités  ;  ils  ont  été  remplacés  par  de  fimples  appa- 
riteurs. (Tr.) 


XXVIJ 

leurs  écrits,  aux  règles  de  la  grammaire  >  Au  furplus,  ce  n'ejl  ni  dans 
l'expreffion,  ni  dansle  ftyle,  que  confijle  témérité  d'une  femhlabk  com- 
pofition;  fou  vrai  mérite  ejî  d'avoir  été  écrite  par  un  témoin  oculaire 
du  fait  prodigieux  de  la  découverte  des  Indes  (i). 

En  traçant  (auft  exaBement  qu'il  eft  pofible)  fur  la  carte  itinéraire 
du  voyage  de  Vafco  da  Gama  la  route  fuiv'ie  par  ce  navigateur,  nous 
avons  voulu  montrer  combien  font  mal  fondées  les  ajfertions  qui  fe 
font  produites  à  l'étranger,  &  même  dans  notre  propre  pays,  fur  l'igno- 
rance de  ceux  qui  découvrirent  les  Indes  &  le  hafard  qui  les  y  condmfit. 
U^ous  citerons,  notamment,  le  confeiller  Antonio  de  Mariz  Carneiro, 
cofmographe  en  chef  du  royaume,  qui,  dans  fon  livre  intitulé  ;  Regi- 
mento  de  Pilotos  e  Roteiro  da  Navegaçâo  da  India  (Lisbonne, 
1642),  s'exprime  ainjt  : 

«  L'Inde  fut  découverte  au  temps  du  Roi  Dom  Manuel,  en  l'an  1497, 
par  Dom  Vafco  da  Gama,  gentilhomme  de  fa  maifon;  en  naviguant 
le  long  des  côtes  de  Guinée  &  d'Angola ,  il  arriva  au  cap  de  Bonne- 
Efpérance,  où  les  terres  aujirales  qu'il  fuivait  depuis  un  fi  grand 
nombre  de  jours  venant  à  lui  manquer ,  guidé  plutôt  par  Dieu  Notre- 
Seigneur  que  par  des  renfeignements  ou  des  routiers  capables  d'indiquer 
en  quelle  partie  du  monde  l'Inde  fe  trouvait ,  il  ne  craignit  pas,  fans 
autre  appui  que  fa  ferme  volonté  &  fon  invincible  courage,  de  doubler 
le  fufdit  cap,  Ù'c.  » 

Lorfque  des  écrivains  nationaux  défigurent  a'infi  les  faits,  'il  ne  jaut 
pas  s  étonner  de  voir  les  peuples  étrangers  adopter  des  idées  préjudiciables 


(i)  Nousfupprimons  ici  un  pjjfage  qui  s'adrejfe  excluf  veinent  aux  leâeurs  por- 
tugais; les  éditeurs  expofent  les  motifs  qui  les  ont  décidés  â  conferver  l'ancienne 
orthographe  &■  jafqu'auxfolécifmes  du  Roteiro  ;  ils  ajoutent  qu'ils  fe  font  écartés, 
dans  deux  cas  feulement,  du  rigoureux  devoir  de  copijles:  1°  en  mettant  des  ma- 
jufcules  aux  noms  propres  &■  en  améliorant  la  ponâuation;  2"  en  corrigeant  un 
petit  nombre  de  famés  quifonx  évidemment  des  fautes  de  tranjcription.  (Tr.) 


xxvaj 

à  notre  renommée,  jufqites  dans  l'exprejjion,  car  elles  doivent  fe  traduire 
chez  eux  en  termes  moins  mefurés .  Déjà  Pedro  Nunes  avait  dit,  dans  fa 
Defensâo  da  Carta  de  Marear,  que  «  ces  découvertes  de  cotes,  d'îles, 
de  continents,  ne  s'étaient  point  faites  au  hafard,  mais  que  nos  naviga- 
teurs s  embarquaient  munis  d' injlruments  &  parfaitement  inftruits  des 
règles  de  l'ajirologie  Ù"  de  la  géométrie.  »  Il  fuffit,  en  effet,  de  jeter 
un  /impie  coup  d' œil  fur  la  généralité  de  nos  hijîoriens,  pour  y  trouver 
la  preuve  que  «  notre  navigation  fut  calculée  fagement ,  d'après  de 
profondes  combinaifons  Ù"  des  conjeSlures  d'un  ordre  fupérieur  ;  qu'elle 
eut  pour  guides  les  principes  de  la  Cofmographie  Ù"  de  la  Géographie, 
fondements  de  l'Art  nautique;  quelle  fut  tracée  fur  un  plan  lumineux, 
confiant  Ù'  régulier;  enfin,  conduite  à  l'aide  d'infiruments  nouveaux, 
d'après  les  règles  de  l Afironomie  Ù"  de  la  Géométrie  (  i).  » 

Vafco  da  Gama  partait  muni  de  toutes  les  infiruSions  ir  de  tous  les 
moyens  d'ajfifiance  que  pouvaient  lui  fournir  l'obfervation,  la  politique 
Ù"  les  fciences  de  l'époque  ;  c'efi  ce  dont  nos  hifioriens  font  foi.  Sa 
defiination  lui  fut  marquée  d'avance  :  c'était  Calicut,  Ù'  il  portait  au 
roi  de  cette  contrée  une  lettre  de  D.  Manuel.  Ayant  rallié  fa  flotte  aux 
îles  du  Cap-Vert,  il  en  partit  pour  s'enfoncer  dans  l'Océan  Atlantique 
aufiral,  par  une  route  qui  ne  s'écartait  pas  beaucoup  du  Sud  :  ce  fut  alors 
qu'il  fe  fervit  de  la  connaifiance  qu'il  avait  des  vents  généraux  de  la 
côte  occidentale  d'Afrique,  qui  lui  étaient  contraires,  ÎT  de  la  d'ireSiion 
que  la  côte  orientale,  déjà  reconnue  jufqu  à  une  certaine  difiance  par 
Barthélémy  Dias ,  fuivait  du  Sud  au  Nord.  Ayant  atteint  une  latitude 
méridionale  voifine  de  celle  du  cap  de  Bonne-Efpérance,  il  fe  dirigea 
à  l'Ouefi,  ce  qui  montre  qu'il  s'appuyait  fur  des  principes  fcientifiques , 
fans  diminuer  en  rien  l'audace  de  l'entreprife.  Que  le  choix  de  cette 
route  ne  fut  po'int  l'œuvre  du  hafard,  c'efi  ce  que  prouvent  les  connaij- 


(i)  Antonio  Ribeiro  dos  Santos ,  Mém.  de  Litt.  Port,  da  Acad.   R.  das  Se. 
de  Lishoa,  tonw  ('///,  p.   169. 


XXIX 

fdiices  qu'il  pojjédait  déjà  fur  la  matière,  le  préfent  Journal,  tous  les 
voyages  enfin  qui,  depuis,  s'effeEluèrent  aux  Indes  (i);  ù"  ft  Cabrai, 
en  ifoo,  découvrit  le  Bréjtl,  c'eji  qu'il  prit  la  direBion  du  Sud,  d'après 
l'exemple  de  Vafco  da  Gama ,  en  s' écartant  toutefois  confidérablement 
dans  l'Ouefi.  Dans  l'Océan  indien,  qui  lui  était  inconnu,  nous  voyons 
l'amiral  fuivre  la  côte  d'Afrique,  du  Sud  au  Nord,  jufqu'à  ce  qu'il  ait 
rencontré  le  pilote  qui  doit  le  conduire  à  fa  deflination;  enfin,  avec  le 
même  auxiliaire,  il  profite  des  moujfons,  tant  pour  fe  rendre  à  Calicut 
que  pour  en  revenir,  bien  que  la  première  traverfée  fait  plus  heureufe 
que  la  féconde.  Dans  celle-ci,  après  avoir  doublé  le  cap  de  Bonne- 
Efpérance,  on  le  voit  s  abandonner  au  courant  des  vents  généraux  du 
Sud-Ouefl  de  la  côte  occidentale  d'Afrique,  pour  arriver  aux  îles  du 
Cap-Vert. 

Telles  font  les  particularités  que  nous  avons  voulu  relater  dans  la 
carte  réduite  du  voyage  de  Gama,  conjlruite  d'après  les  routes  fuivies 
par  fes  navires  ;  ir  bien  que  cet  itinéraire  ne  doive  être  confidéré  que 
comme  approximatif ,  nous  le  croyons  plus  près  de  la  vérité  que  les 
routes  arbitrairement  tracées  fur  la  majeure  partie  des  cartes  où  cette  ^ 
navigation  efi  figurée. 

Le  Journal  que  nous  publions  ne  va  pas ,  malheureufement,  au  delà  du 
2  y  avril  1499  (2),  date  un  peu  antérieure  à  la  féparation  de  Nicolas 
Coelho  &  de  Vafco  da  Gaina.  On  fe  demande  encore  aujourd'hui  Jt 
cette  féparation  fut  un  effet  de  la  tempête,  ou  du  dejfein  prémédité  de 
Nicolas  Coelho  qui,  connaijffant  fa  caravelle  pour  meilleure  voilière  que 
le  vaiffeau  du  commandant  en  chef,  en  profita  pour  apporter  le  premier 


(i)  l^oyef  la  colleéiion  des  notices  géographiques  de  l'Académie ,  aux  voyages 
de  Cabrai,  Thome  Lopes,  Joâo  d'Empoli,  &c. 

(2)  L'éyèque  Ofcrius  commet  une  erreur  manifejie  en  difant  que  la  jloue, 
à/on  retour  en  Portugal,  doubla  le  cap  de  Bonne-Efpérance  le  2  0  avril  1499. 
Nous  avons  vu  que  ce  fut  le  20  mars. 


XXX 

la  nouvelle  du  la  découverte  des  Indu.  Sam  avoir  la  prétention  de  tran- 
cher un  débat  dans  lequel  nous  reconnaijjmis  notre  incompétence,  nous 
ne  pouvons  nous  empêcher  de  donner  une  interprétation  fâcheufe  à  la 
brufque  conclufion  du  Journal,  circonflance  qui  femble  ajouter  encore 
au  myjlère  de  l'événement,  en  fuppofant  que  l'auteur,  après  l'incendie 
du  navire  le  San  Raphaël,  ait  pajfé  fur  le  Berrio  comtnandé  par  Nicolas 
Coelho.  A  la  vérité,  ceux  de  nos  écrivains  qui  attribuent  à  ce  navigateur 
des  intentions  coupables  font  en  minorité;  le  grand  nombre,  au  contraire, 
explique  par  l'incident  d'une  tempête  fa  féparation  d'avec  le  commandant 
en  chef,  &  ajoute,  qu'arrivant  à  la  barre  de  Lisbonne  Ù"  n'y  trouvant 
pas  de  nouvelles  de  Vafco  da  Gama,  il  voulut  retourner  à  fa  recherche, 
ce  dont  il  fut  empêché  par  les  ordres  de  D.  Manuel.  Mais  voici  ce  qui 
fait  naître  un  doute  dans  notre  efprit  :  Si  la  féparation  dont  il  s'agit 
s'ejfeôîua  avant  l'arrivée  des  deux  bâtiments  aux  îles  du  Cap-Vert, 
comment  Nicolas  Coelho  n'effaya-t-'il  pas  d'y  relâcher  >  puifqu  elles 
avaient  été  choifîes,  en  allant,  comme  point  de  ralliement  en  pareille  oc- 
currence, elles  devaient  remplir  le  même  objet  au  retour. 

Quant  à  la  fuite  du  voyage ,  on  fait  que  Nicolas  Coelho  atteignit 
la  barre  de  Lisbonne  le  i  o  juillet  1 499  ,  Ùr  que  Vafco  da  Gama,  étant 
arrivé  à  l'île  Santiago,oiifon  frère  Paul  da  Gama  fe  trouva  férieufement 
malade,  remit  le  commandement  du  bâtiment  au  fecrétaire  JoaodeSâ; 
qu'enfmte,  ayant  frété  une  caravelle  d'une  marche  plus  rapide  pour 
abréger  la  traverfée  de  Portugal,  il  relâcha  à  l'île  Terceira  is" y  la'iffa 
fon  frère  qui  avait  fuccombé.  Ce  fut  feulement  dans  les  derniers  jours 
d'août,  ou  dans  les  premiers  de  feptembre  1499,  qu'il  fit  fon  entrée  à 
Lisbonne  où  il  fut  reçu  en  grande  pojnpe  par  la  Cour.  Il  y  eut,  pour 
célébrer  fon  retour  Ù'  fes  découvertes,  de  magnifiques  fêtes  religieufes, 
ir  des  réjouiffances  publiques  qui  fe  répétèrent  dans  tous  les  lieux 
notables  du  royaume  par  les  ordres  du  roi  D.  Manuel. 


JOURNAL    DU    VOYAGE 


VASCO    DA   GAMA 


JOURNAL   DU   VOYAGE 


VcASCO    T)q4    Gc^zMc^ 


U  nom  de  Dieu,  cAmen.  En  l'an  1497,  le 
roi  Dom  Manuel,  premier  du  nom  en  Por- 
tugal ,  envoya  quatre  navires  à  la  décou- 
verte (m);  ils  allaient  à  la  recherche  des 
épices.  De  ces  navires,  Vafco  da  Gama 
était  le  commandant  en  chef;  l'un  était  fous  les  ordres  de 
Paul  da  Gama,  fon  frère,  &  un  autre  fous  ceux  de  Nicolas 
Coelho. 

Nous  fommes  partis  de  Reflello  un  famedi,  huitième  jour 
du  mois  de  juillet  de  ladite  année  1497,  commençant  notre 
route  que  Dieu  notre  Seigneur  nous  permettra  d'achever 
pour  fon  fervice,  o4men(ivy 

Premièrement,  nous  fommes  arrivés  le  famedi  fuivant  en 

I 


2 
vue  des  Canaries,  &  cette  nuit  nous  l'avons  paflTée  fous  le 
vent  de  Lancerote  ;  la  nuit  d'après,  à  Taube  du  jour,  nous 
étions  près  de  la  Haute-Terre  où  nous  nous  mîmes  à  pêcher 
pendant  environ  deux  heures,  &  le  même  foir,  à  la  nuit 
tombante,  par  le  travers  du  rio  do  Ouro.  Or,  le  brouillard 
fut  fi  épais  pendant  la  nuit  que  Paul  da  Gama,  d'un  côté, 
&  le  commandant  en  chef,  de  l'autre,  s'écartèrent  du  refte 
de  la  flotte.  Lorfque  le  jour  parut,  ne  l'apercevant  plus,  ni 
les  autres  navires ,  nous  fîmes  voile  pour  les  îles  du  cap 
Vert,  car  nous  avions  reçu  l'ordre,  dans  le  cas  où  nous  nous 
perdrions,  de  prendre  cette  direflion.  Le  dimanche  fuivant, 
à  l'aube  du  jour,  nous  eiàmes  en  vue  l'île  du  Sel,  &,  à  une 
heure  de  là,  nous  aperçûmes  trois  navires  que  nous  allâmes 
reconnaître.  Nous  trouvâmes  le  bâtiment  des  approvifion- 
nements,  aihfi  que  Nicolas  Coelho,  &  Barthélémy  Dias  qui 
nous  accompagnait  jufqu'à  Mina;  ils  avaient  également 
perdu  le  commandant  en  chef.  Après  que  nous  les  eûmes 
ralliés  nous  pourfuivîmes  notre  route,  &  le  vent  nous  ayant 
manqué,  nous  fûmes  pris  par  le  calme  jufqu'au  mercredi 
matin.  Et,  fur  les  dix  heures,  nous  eûmes  connaiffance  du 
commandant  en  chef  qui  avait  fur  nous  une  avance  d'en- 
viron cinq  lieues,  &  fur  le  foir  nous  pûmes  communiquer 
avec  lui,  ce  qui  nous  remplit  de  joie,  en  forte  que  nous 
tirâmes  force  bombardes  &  fonnâmes  des  trompettes  en 
réjouiflTance  de  notre  réunion.  Et  le  jour  fuivant,  qui  était 
un  jeudi,  nous  arrivâmes  à  l'île  de  Santiago  &  mouillâmes 
devant  la  plage  de  Santa-Maria  avec  beaucoup  de  conten- 
tement &  d'allégreflTe  ;  là,  nous  fîmes  provifion  de  viande, 
d'eau ,  de  bois,  &  réparâmes  les  vergues  des  navires  qui 
en  avaient  grandement  befoin.  Or,  un  jeudi,  qui  était  le 


3 

troifième  jour  d'août^  nous  partîmes  dans  la  direftion  de 
Teft,  &  un  jour,  par  le  vent  du  fud,  la  vergue  du  comman- 
dant en  chef  cafla;  ce  fut  le  i8  août,  à  deux  cents  lieues 
environ  de  l'île  de  Santiago.  Nous  mîmes  en  panne  avec  la 
mifaine  &  la  voile  de  perroquet  pendant  deux  jours  &  une 
nuit,  &  le  22  du  même  mois,  ayant  le  cap  au  fud  un  quart 
fud-oueft,  nous  rencontrâmes  nombre  d'oifeaux  femblables 
à  des  garcôes  (y),  &  quand  vint  la  nuit,  ils  volaient  à  tire 
d'aile  contre  le  fud-oueft,  comme  des  oifeaux  gagnant  la 
terre.  Ce  même  jour,  nous  vîmes  une  baleine,  &  c'était  bien 
à  huit  cents  lieues  en  mer. 

Le  27  du  mois  d'oélobre,  veille  de  Saint-Simon  &  Saint- 
Jude,  qui  fe  trouvait  être  un  vendredi,  nous  rencontrâmes 
beaucoup  de  baleines,  &  notamment  de  celles  que  l'on 
nomme  quoquas,  ainfi  que  des  loups  marins. 

Un  mercredi,  i*^""  novembre,  jour  de  laToulTaint,  nous 
remarquâmes  de  nombreux  indices  de  la  proximité  de  la 
terre,  confiftant  en  certaines  efpèces  d'algues  qui  naillent 
le  long  des  côtes  (vi). 

Le  quatrième  jour  du  même  mois,  un  famedi,deux  heures 
avant  le  jour,  nous  trouvâmes  fond  par  cent  dix  bralîes  au 
plus,  &  à  neuf  heures  nous  eûmes  en  vue  la  terre  5  alors  nous 
nous  réunîmes  tous  &  faluâmes  le  commandant  en  chef, 
déployant  banderolles  &  pavillons,  &  tirant  force  bom- 
bardes; tout  le  monde  était  en  habits  de  gala.  Ce  même 
jour  nous  virâmes  tout  près  de  la  côte  &  courûmes  au  large 
fans  avoir  reconnu  la  terre. 

Le  mardi,  nous  gouvernâmes  dans  la  diredlion  de  la  terre 
&  découvrîmes  une  côte  bafle  où  s'ouvrait  une  baie  fpa- 
cieufe.  Le  commandant  en  chef  envoya  dans  une  embar- 


4 
cation  Pedro  d'Alcmquer  pour  fonder  &  pour  chercher  un 
bon  mouillage  (vu)  5  il  trouva  cette  baie  dans  d'excellentes 
conditions,  fans  bas-fonds  &  à  l'abri  de  tous  les  vents,  hor- 
mis de  ceux  du  nord-ouefl,  &  s'étendant  de  l'eft  à  l'oueft  ; 
on  lui  donna  le  nom  de  Sainte-Hélène  (vi  11). 

Le  mercredi ,  nous  jetâmes  l'ancre  dans  ladite  baie  où 
nous  demeurâmes  huit  jours ,  occupés  à  nettoyer  les  na- 
vires, à  raccommoder  les  voiles  &  à  faire  du  bois. 

A  quatre  lieues  de  ce  mouillage,  vers  le  fud-eft,  coule 
un  fleuve  qui  vient  de  l'intérieur  des  terres;  fa  largeur,  à 
l'embouchure,  eft  d'un  jet  de  pierre,  &  fa  profondeur,  de 
deux  à  trois  brafl^es,  même  à  marée  balTe.  On  l'appelle  le 
rio  de  Santiago  (ix). 

En  ce  pays ,  il  y  a  des  hommes  bafanés  qui  ne  vivent 
que  de  loups  marins  ,  de  baleines ,  de  chair  de  gazelle 
&  de  racines  de  végétaux.  Us  fe  vêtent  de  peaux  &  por- 
tent une  manière  de  gaîne  à  leurs  parties  naturelles  (x). 
Leurs  armes  font  des  bâtons  d'olivier  fauvage  auxquels  ils 
ajuftent  des  cornes  paflees  au  feu  ;  ils  ont  beaucoup  de 
chiens,  comme  ceux  du  Portugal,  &  qui  aboient  de  la  même 
façon. 

Les  oifeaux  font  également  pareils  à  ceux  du  Portugal  ;  il 
y  a  des  corbeaux  marins,  des  mouettes,  des  tourterelles,  des 
alouettes  &  nombre  d'autres  efpèces.  Le  pays  efl;  très  fain, 
très  tempéré,  &  produit  de  bons  pâturages. 

Le  lendemain  du  jour  où  nous  mouillâmes,  c'eft-à-dire  le 
jeudi,  nous  defcendîmes  à  terre  avec  le  commandant  en  chef, 
&  nous  nous  emparâmes  d'un  de  ces  hommes  qui  était  de 
petite  flature  &  refl"emblait  à  Sancho  Mixia.  11  s'en  allait  re- 
cueillant du  miel  à  travers  les  halliers,  car  les  abeilles,  en  ce 


r 

pays,  le  dépofent  au  pied  des  buiflbns.  Nous  Temmenâmes 
fur  la  nef  du  commandant  en  chef  qui  le  fit  afleoir  à  fa 
table  où  il  mangea  des  mêmes  chofes  que  nous  (xi).  Le 
jour  fuivant ,  le  commandant  le  fit  habiller  à  merveille  & 
le  renvoya  à  terre.  Et  le  lendemain,  quatorze  à  quinze  de 
ces  gens-là  vinrent  à  fendroitoù  étaient  mouillés  les  navires: 
alors  le  commandant  en  chef  s'en  fut  à  terre  &  leur  montra 
diverfes  marchandifes  pour  favoir  fi  le  pays  en  produifait 
quelques  unes  de  femblables;  ces  marchandifes  confiftaient 
en  cannelle,  clous  de  girofle,  femence  de  perles,  or  &  encore 
autre  chofe  ;  mais  ils  ne  comprirent  rien  à  ces  objets  de  com- 
merce, comme  gens  qui  jamais  n'avaient  vu  chofe  pareille; 
c'eft  pourquoi  le  commandant  leur  donna  des  grelots  & 
des  anneaux  d'étain.  Ceci  fe  paflait  le  vendredi.  Il  en  fut 
de  même  le  famedi  fuivant.  Le  dimanche,  il  en  vint  de  qua- 
rante à  cinquante  environ,  &,  après  dîner,  étant  defcendus 
à  terre,  nous  leur  échangeâmes  contre  des  ceidls  (i)  dont 
nous  nous  étions  munis,  certaines  coquilles  qu'ils  portaient 
aux  oreilles  &  qui  paraiflTaient  argentées,  ainfi  que  des  queues 
de  renards  fixées  à  un  bâton  dont  ils  fe  fervaient  pour  s'é- 
venter. J'achetai  là,  pour  un  ceiiil,  une  de  ces  gaines  que 
l'un  d'eux  portait  à  fes  parties  naturelles.  Nous  jugeâmes 
qu'ils  eftimaient  le  cuivre,  car  ils  avaient  de  petites  chaînes 
de  ce  métal  aux  oreilles. 

Ce  même  jour,  un  certain  Fernand  Vellofo,  de  l'équipage 


(i)  Le  ceitil  était  une  petite  monnaie  de  cuivre,  analogue  à  nos 
centimes  &  valant  i/6  de  real.  Il  n'y  a  plus,  en  Portugal,  de  fous- 
multiple  du  reul  qui  eft  l'unité  monétaire  du  pays;  la  plus  petite 
monnaie  aéluelle  vaut  cinq  reis.  (Trad.) 


6 

du  commandant  en  chef,  eut  grand  dédr  d'aller  avec  eux  à 
leurs  cafés  pour  favoir  comment  ils  vivaient,  ce  qu'ils  man- 
geaient, &  quelle  était  leur  exiftence  (xii).  Il  demanda 
donc  comme  une  faveur  au  commandant  de  lui  permettre 
de  les  accompagner  à  leur  village,  &  celui-ci,  voyant  que 
cette  importunité  ne  ceflerait  pas  qu'il  n'eût  obtenu  fa  de- 
mande, le  laiiïa  partir  avec  eux.  Quant  à  nous,  nous  retour- 
nâmes fouper  fur  la  nef  du  commandant  tandis  qu'ils'en  allait 
en  compagnie  des  fufdits  nègres.  Auflîtôt  après  nous  avoir 
quittés,  ils  prirent  un  loup  marin,  &  s'arrêtant  au  pied  d'une 
montagne,  dans  un  hallier,  le  firent  rôtir  &  en  donnèrent  à 
Fernand  Vellofo  qui  les  accompagnait,  ainfi  que  des  racines 
de  plantes  dont  ils  fe  nourriflent.  Le  repas  terminé,  ils  lui 
dirent  de  s'en  retourner  aux  navires,  ne  voulant  pas  qu'il 
pourfuivît  avec  eux.  Or,  quand  le  fufdit  Fernand  Vellofo  fut 
arrivé  en  face  des  navires,  il  fe  mit  auffitôt  à  appeler;  pour 
eux,  ils  étaient  demeurés  cachés  dans  le  fourré,  &  nous, 
nous  étions  encore  à  fouper.  Dès  que  l'on  eut  entendu  fa 
voix ,  les  capitaines  ainfi  que  nous  autres  cefTant  à  l'inf- 
tant  de  manger,  nous  nous  jetâmes  dans  une  barque  à 
voiles  ;  mais  les  nègres  fe  mirent  à  courir  le  long  de  la 
plage  &  arrivèrent  fur  Fernand  Vellofo  auflî  preftement  que 
nous.  Comme  nous  cherchions  à  le  recueillir,  ils  commen- 
cèrent à  nous  attaquer  avec  les  zagaies  dont  ils  étaient  ar- 
més, fi  bien  que  le  commandant  en  chef  &  trois  ou  quatre 
des  nôtres  furent  blefles  (xiii).  Ceci  nous  arriva  pour  nous 
être  fiés  à  eux  ,  les  jugeant  hommes  de  peu  de  courage, 
incapables  d'ofer  ce  qu'ils  venaient  d'entreprendre  contre 
nous,  tellement  que  nous  étions  allés  fans  armes.  En  atten- 
dant nous  ralliâmes  les  navires. 


7 

Lorfque  nos  bâtiments  furent  réparés  &  nettoyés,  & 
que  nous  eûmes  fait  du  bois,  nous  quittâmes  cette  côte,  un 
jeudi  matin,  i6  novembre,  ignorant  à  quelle  diftance  nous 
nous  trouvions  du  cap  de  Bonne-Efpérance,  fi  ce  n'eft  que 
Pedro  d'Alemquer  difait  que  nous  pouvions  être,  au  plus,  à 
une  trentaine  de  lieues  en  arrière  du  Cap  ;  &  s'il  ne  l'affir- 
mait pas,  c'eft  qu'étant  parti  du  Cap  un  matin,  il  avait  pafTé 
par  ici  durant  la  nuit  avec  vent  en  poupe,  &,  qu'en  allant, 
il  avait  navigué  au  large,  de  forte  qu'il  ne  connaiflait  pas  le 
parage  où  nous  nous  trouvions.  Parce  motif  nous  gagnâmes 
la  pleine  mer  avec  des  vents  du  fud  fud-oueft,  &  le  famedi 
foir,  nous  eûmes  en  vue  le  cap  de  Bonne-Efpérance.  Le 
même  jour,  nous  virâmes  pour  prendre  la  bordée  du  large 
&,  pendant  la  nuit ,  nous  virâmes  encore  &  courûmes  à 
terre.  Le  dimanche  matin,  qui  était  le  19  du  mois  de  no- 
vembre, nous  portâmes  de  nouveau  fur  le  Cap,  mais  fans 
pouvoir  le  doubler  parce  que  les  vents  étaient  fud  fud- 
oueft  &  que  ledit  Cap  nous  restait  au  nord-eft  &  fud-oueft. 
Le  même  jour  nous  fîmes  un  bord  au  large  &,  dans  la  nuit 
du  lundi,  un  nouveau  bord  à  terre.  Enfin,  le  mercredi, 
nous  doublâmes  ledit  Cap  en  prolongeant  la  côte  avec  les 
vents  en  poupe  (xiv).  Or,  près  de  ce  cap  de  Bonne-Efpé- 
rance, s'étend,  dans  le  fud,  une  baie  très  vafte  qui  pénètre 
bien  à  fix  lieues  dans  les  terres  &  dont  l'entrée  peut  avoir  la 
même  largeur  (xv). 

Le  2^  dudit  mois  de  novembre,  un  famedi  foir,  jour 
de  Sainte-Catherine,  nous  entrâmes  dans  la  baie  de  San- 
Bras  (xvi)  où  nous  demeurâmes  treize  jours,  occupés  à 
démolir  le  bâtiment  qui  tranfportait  les  approvifionnements 
que  nous  chargeâmes  fur  les  autres  navires. 


8 
Le  vendredi  l'iiivanc,  comme  nous  étions  encore  dans  la- 
dite baie  de  San-Bras,  il  y  vint  environ  quatre-vingt-dix 
hommes  bafanés,  femblables  à  ceux  de  la  baie  de  Sainte- 
Hélène,  &  les  uns  allaient  le  long  de  la  plage  tandis  que  les 
autres  demeuraient  fur  les  hauteurs.  Pour  nous,  en  ce  mo- 
ment, nous  étions  tous,  ou  du  moins  la  plupart  d'entre 
nous  étaient  fur  la  nef  du  commandant  en  chef  Donc,  les 
ayant  aperçus,  nous  nous  rendîmes  à  terre  fur  les  embarca- 
tions que  l'on  avait  très  bien  armées,  &  quand  nous  fûmes 
près  du  rivage,  le  commandant  leur  jeta  fur  la  plage  des 
grelots  qu'ils  ramassèrent  ;  &  non  feulement  ils  ramassè- 
rent ceux  qu'on  leur  jeta,  mais  ils  venaient  les  prendre  dans 
la  main  du  commandant,  ce  dont  nous  demeurâmes  gran- 
dement émerveillés,  car,  à  l'époque  où  Barthélémy  Dias 
vint  ici,  ils  s'enfuyaient  &  ne  voulaient  rien  prendre  de 
ce  qu'il  leur  offrait.  Bien  plus,  un  jour  où  il  faifait  aiguade 
à  une  fource  qui  eft  fituée  près  de  la  mer  &  dont  feau  eft 
excellente,  ils  la  défendirent  à  coups  de  pierre  du  haut 
d'une  colline  qui  la  domine,  en  forte  que  Barthélémy  Dias 
leur  lâcha  un  coup  d'arbalète  &  en  tua  un.  D'après  ce  que 
nous  fuppofâmes,  s'ils  ne  s'enfuirent  pas,  ce  fut,  félon 
toute  apparence,  parce  qu'ils  avaient  ouï  dire  à  ceux  de  la 
baie  de  Sainte-Hélène,  où  nous  avions  été  premièrement, 
&  qui  n'efl  éloignée  de  celle-ci  que  de  foixante  heues  par 
mer,  que  nous  étions  gens  ne  faifant  aucun  mal  &,  bien 
au  contraire,  donnant  du  nôtre.  Le  commandant  en  chef 
ne  voulut  pas  defcendre  là,  parce  que  dans  l'endroit  où  fe 
tenaient  les  nègres  il  y  avait  un  grand  bois;  il  changea 
donc  de  place  &  nous  allâmes  mouiller  ailleurs  fur  un  point 
découvert  où  il  defcendit,  tout  en  faifant  figne  aux  nègres 


9 

de  fe  rendre  où  nous  allions ,  ce  qu'ils  tirent.  Alors  le 
commandant  en  chef  prit  terre  avec  les  autres  capitaines 
accompagnés  de  gens  armés  dont  quelques  -  uns  por- 
taient des  arbalètes;  puis  il  leur  ordonna  de  fe  féparer 
&  d'approcher ,  au  nombre  d'un  ou  deux  feulement , 
&  cela  par  fignes.  A  ceux  qui  approchèrent  le  com- 
mandant fit  préfent  de  grelots  &  de  bonnets  écarlates, 
&,  à  leur  tour,  ils  nous  donnèrent  des  bracelets  d'ivoire 
qu'ils  portaient  aux  bras,  car,  en  cette  contrée,  d'après  ce 
qu'il  nous  parut ,  il  y  a  quantité  d'éléphants  ;  nous  trou- 
vions de  leur  fiente  tout  contre  l'aiguade  où  ils  venaient  fe 
défaltérer. 

Le  famedi,  arrivèrent  environ  deux  cents  nègres,  grands 
&  petits,  amenant  douze  bêtes  à  cornes,  tant  bœufs  que 
vaches,  ainfi  que  quatre  à  cinq  moutons.  Et  ils  fe  mirent 
à  jouer  de  quatre  ou  cinq  flûtes,  les  uns  haut,  les  autres  bas, 
fi  bien  qu'ils  concertaient  à  merveille  pour  des  nègres  dont 
on  n'attend  guère  de  mufique,  &  ils  danfaient  à  la  manière 
des  nègres.  Pour  lors  le  commandant  en  chef  fit  fonner  des 
trompettes,  &  nous,  de  danfer  fur  les  embarcations,  &  le 
commandant  lui-même,  qui  était  de  retour,  de  danfer  avec 
nous.  La  fête  terminée,  nous  débarquâmes  au  même  endroit 
qu'auparavant  &  achetâmes,  pour  trois  bracelets,  un  bœuf 
noir  que  nous  mangeâmes  le  dimanche  à  dîner 5  il  était  fort 
gras,  &  fa  chair  auflî  favoureufe  que  celle  des  bœufs  de 
Portugal. 

Le  dimanche,  il  en  vint  tout  autant  accompagnés  de 
femmes  &  de  petits  garçons,  &  les  femmes  fe  tinrent  fur 
le  fommet  d'une  hauteur  près  de  la  mer;  ils  conduifaient 
quantité  de  bœufs  &  de  vaches  ,  & ,  s'étant  arrêtés  fur 

2 


lO 

deux  points,  le  long  du  rivage,  ils  fe  mirent  à  jouer  des  inf- 
truments  &  à  danfer  comme  le  famedi.  Or,  il  efl  d'ufage 
parmi  ces  nègres  que  les  jeunes  gens  demeurent  dans  le 
bois  avec  les  armes  ;  mais  les  hommes  faits  vinrent  con- 
verfer  avec  nous,  &  ils  tenaient  à  la  main  des  bâtons 
courts  &  des  queues  de  renards  ajuftées  à  un  manche  de 
bois  dont  ils  fe  fervent  pour  s'éventer  le  vifage.  Et  tandis 
que  nous  étions  occupés  de  la  forte  à  converfer  par  fignes, 
nous  vîmes  les  jeunes  garçons  fe  glifler  furtivement  à  travers 
le  fourré,  portant  les  armes  avec  eux.  Et  le  commandant 
en  chef  envoya  en  avant  un  homme  nommé  Martin  Affonfo, 
qui  était  allé  déjà  au  Manycongo ,  avec  des  bracelets  de 
métal  pour  les  troquer  contre  un  bœuf  Et  quand  les  nègres 
eurent  les  bracelets,  ils  le  prirent  par  la  main  &  le  menèrent 
à  l'aiguade  en  lui  demandant  pourquoi  nous  leur  avions  pris 
de  leur  eau.  Puis  ils  fe  mirent  à  chaiïer  leurs  bœufs  par  le 
bois,  &  le  commandant,  voyant  cela,  nous  ordonna,  à  nous 
autres,  de  nous  raiïembler,  &  audit  Martin  Affonfo  de  fe  fau- 
ver,  parce  qu'il  jugea  qu'il  fe  tramait  quelque  trahifon.  Nous 
allâmes  donc,  après  nous  être  ralliés,  où  nous  étions  en  pre- 
mier lieu,  &  les  nègres  nous  y  fuivirent.  Et  le  commandant 
nous  fit  defcendre  à  terre  avec  nos  lances,  nos  javelines,  nos 
arbalètes  bandées,  revêtus  de  nos  cuirafTes,  dans  le  delTein 
furtout  de  leur  montrer  que  nous  étions  en  état  de  leur 
nuire,  mais  que  nous  ne  le  voulions  pas.  A  cette  vue,  ils 
commencèrent  à  fe  ramaiïer  &  à  courir  les  uns  aux  autres^ 
&  le  commandant,  pour  éviter  que  l'on  n'en  tuât  quelques- 
uns,  fit  raffembler  les  embarcations,  puis,  lorfque  nous 
fûmes  tous  dedans,  voulant  leur  faire  comprendre  que  nous 
pouvions  leur  nuire  &  ne  le  voulions  pas,  il  fit  décharger 


II 

deux  bombardes  placées  à  l'arrière  de  la  barque.  Or,  les 
nè<Tres  étaient  tous  afîis  fur  la  plage,  contre  le  bois;  quand 
ils  entendirent  la  détonation  des  bombardes,  ils  fe  mirent 
à  fuir  avec  tant  de  précipitation  à  travers  la  forêt  qu'ils 
perdirent  les  peaux  dont  ils  étaient  vêtus  &  en  même  temps 
leurs  armes  ;  toutefois,  lorfqu  ils  furent  dans  le  bois,  il  en 
revint  deux  pour  les  chercher ,  puis  ils  ne  tardèrent  pas  à  fe 
raffembler  &  à  fuir  vers  le  fommet  d'une  montagne  en  chal- 
fant  devant  eux  leur  bétail. 

Les  bœufs  de  cette  contrée  font  de  grande  taille,  comme 
ceux  de  l'Alemtéjo,  merveilleufement  gras  &  très  doux;  ils 
font  hongres  &  quelques-uns  n'ont  pas  de  cornes.  Les  nè- 
<Tres  mettent  aux  plus  gras  un  bât  confedionné  enpaille(i), 
à  la  façon  de  ceux  de  Caftille,  &,  fur  le  bât,  une  manière 
d'appui  fait  avec  des  bâtons,  &  c'eft  ainfi  qu'ils  les  mon- 
tent; quant  à  ceux  qu'ils  veulent  vendre,  ils  leur  paflent  une 
branche  de  cifle  (2)  à  travers  les  nafeaux  &  c'eft  par  là 
qu'ils  les  dirigent. 

Dans  cette  baie,  il  y  a  un  îlot  fitué  à  trois  portées  d'arba- 
lète en  mer,  &,  dans  cet  îlot,  force  loups  marins,  quelques- 
uns  auffi  grands  que  d'énormes  ours  ;  ils  font  très  redouta- 
bles, armés  de  très  grandes  dents,  &  ils  attaquent  l'homme  ; 
&  il  n'y  a  pas  de  lance,  tant  forte  qu'elle  foit,  capable  de 
les  bleffer;  il  s'en  trouve  de  plus  petits  &  d'autres  tout-à-fait 
petits;  les  grands  poulTent  des  rugiffements  comme  des 


(1)  Tabua,  c'eft  une  efpèce  de  typlia  qui  fert,  en  Portugal,  à  cou- 
vrir les  chaumières.  {Trad.) 

(2)  Efteva,  nom  vulgaire  du  cijlus  ludanifirus  en  Portugal.  (Tr.) 


12 

lions  &  les  petits  crient  comme  des  chevreaux.  Nous  allâ- 
mes là,  un  jour,  nous  divertir,  &,  tant  grands  que  petits, 
nous  en  vîmes  bien  trois  mille  &  tirâmes  fur  eux ,  depuis 
la  mer,  à  coups  de  bombarde.  Dans  cet  îlot,  il  y  a  des  oi- 
feaux  de  la  taille  d'un  canard  qui  ne  volent  point  parce 
qu'ils  manquent  de  plumes  aux  ailes  &  que  l'on  nomme 
pingouins  (xvii);  nous  en  tuâmes  autant  que  nous  vou- 
lûmes; ces  oifeaux  braient  comme  des  ânes. 

Etant  à  faire  de  l'eau  dans  cette  baie  de  San-Bras,  un 
mercredi,  nous  y  élevâmes  une  colonne  (i)  avec  une  croix 
faite  d'un  mât  de  mifaine  &  qui  était  très  haute.  Et  le  jeudi 
fuivant,  comme  nous  nous  apprêtions  à  quitter  ladite  baie, 
nous  vîmes  dix  à  douze  nègres  qui  renversèrent,  avant  que 
nous  fuffions  partis,  la  croix  ainfi  que  la  colonne. 
■  Après  nous  être  munis  de  tout  ce  qui  nous  était  nécef- 
faire,  nous  quittâmes  ce  parage  & ,  le  même  jour,  nous 
mouillâmes  de  nouveau  à  deux  lieues  du  point  d'où  nous 
étions  partis,  car  le  vent  nous  manqua.  Le  vendredi,  jour 
de  Notre-Dame  de  la  Conception,  nous  remîmes  à  la  voile 
dans  la  matinée  &  pourfuivîmes  notre  chemin.  Et  le  mardi 
fuivant,  veiUe  de  Sainte-Luce,  nous  eiimes  une  forte  tem- 
pête &  couriàmes  vent  en  poupe,  la  mifaine  très  bafle;  & 
dans  cette  courfe  nous  perdîmes  Nicolas  Coelho  qui  nous 


(i)  Padram,padrâû;  c'était  une  colonne  de  marbre  aux  armes  du 
Portugal,  furmontée  d'une  croix  de  fer,  que  les  navigateurs  éri- 
geaient fur  les  points  les  plus  faillants  de  la  côte  au  fur  &  à  mefure 
de  leurs  découvertes;  ces  colonnes,  embarquées  à  Lisbonne  & 
tranfportées  fur  place,  conftataient  la  prife  de  poffeffion  du  lieu, 
comme  fî  le  drapeau  national  y  eût  été  planté.  (Trad.) 


'3 
eft  revenu  dans  la  matinée  de  ce  jour.  Nous  l'avions  aperçu, 
au  coucher  du  foleil,  du  haut  de  la  hune,  à  quatre  ou  cinq 
lieues  en  arrière,  &  penfions  qu'il  nous  avait  vus;  nous 
avions  allumé  des  feux  &  nous  tenions  en  panne  ;  au  mo- 
ment où  le  premier  quart  finilïait,  il  vint  fe  rallier  à  nous, 
non  pas  qu'il  nous  eût  vu  durant  le  jour,  mais  parce  que  le 
vent  étant  du  plus  près,  il  ne  pouvait  faire  autrement  que 
de  tomber  dans  nos  eaux. 

Le  vendredi ,  dans  la  madnée,  nous  découvrîmes  une 
terre  correfpondant  aux  îlots  que  l'on  appelle  ChSos(x\'ii\) 
qui  gifent  à  cinq  lieues  plus  loin  que  l'îlot  da  Crui.  De  la 
baie  de  San-Bras  audit  îlot  da  Cruz,  il  y  a  foixante  lieues, 
&  tout  autant  du  cap  de  Bonne-Efpérance  à  la  baie  de  San- 
Bras.  Des  îlots  Chaos  à  la  dernière  colonne  pofée  par  Bar- 
thélémy Dias,  il  y  a  cinq  autres  lieues,  &  de  la  colonne  au 
rio  do  Infante,  quinze  lieues. 

Le  famedi  qui  fuivit,  nous  paffames  en  vue  de  la  dernière 
colonne,  &  comme  nous  naviguions  en  rangeant  la  côte, 
deux  hommes  fe  mirent  à  courir  le  long  de  la  plage  en  fens 
inverfe  de  la  diredion  que  nous  fuivions.  Le  pays  eft  fort 
plaifant  &  bien  affis;  nous  y  vîmes  force  bétail  vaguant 
par  la  campagne,  &  plus  nous  avancions,  plus  le  terrain 
s'améliorait  &  fe  couvrait  d'arbres  élevés. 

La  nuit  d'après,  nous  demeurâmes  en  panne,  car  déjà 
nous  avions  atteint  la  hauteur  du  rio  do  Infante,  dernière 
terre  découverte  par  Barthélémy  Dias ,  &  le  lendemain  , 
avec  le  vent  en  poupe,  nous  longeâmes  la  côte  jufqu'à 
l'heure  de  vêpres  où  il  fauta  à  l'eft;  nous  virâmes  alors, 
mettant  le  cap  au  large ,  &  louvoyâmes  en  courant  des 
bordées,  tantôt  au  large,  tantôt  du  côté  de  la  terre,  jufqu'au 


mardi  oii  le  vent  tourna  à  loueft  vers  le  coucher  du  Ibleil  : 
c'eft  pourquoi  nous  demeurâmes  en  panne  cette  nuit -là 
afin  d'aller  reconnaître,  le  jour  fuivant ,  la  terre  &  le  parage 
où  nous  nous  trouvions.  Quand  vint  le  matin,  nous  por- 
tâmes droit  à  terre  &,  à  dix  heures,  reconnûmes  l'îlot  da 
Cruz,  à  foixante  lieues  en  arrière  de  notre  eflime.  Cela 
vint  des  courants  qui  font  ici  très  forts.  Ce  même  jour,  nous 
reprîmes  la  route  que  nous  avions  déjà  fuivie,  avec  un  bon 
vent  de  poupe  qui  nous  dura  trois  jours,  en  forte  que  nous 
franchîmes  les  courants  qui  nous  faifaient  grandement  ap- 
préhender de  ne  pouvoir  atteindre  l'objet  de  nos  défirs.  A 
partir  de  ce  jour.  Dieu  permit,  dans  fa  miféricorde,  que 
nous  allaffions  en  avant  fans  plus  rétrograder  ;  puifle-t-il 
vouloir  qu'il  en  foit  toujours  ainfi  ! 

Le  jour  de  Noël,  25"  du  mois  de  décembre,  nous  avions 
découvert  foixante -dix  lieues  de  côtes.  Ce  même  jour, 
après  dîner,  en  établiflant  une  bonnette,  nous  trouvâmes 
le  grand  mût  fendu  à  une  bralTe  au-deflbus  de  la  hune,  <Sc 
la  fente  s'ouvrait  &  fe  fermait  alternativement.  Nous  le 
raccommodâmes  au  moyen  de  galhaubans,  en  attendant  que 
nous  puffions  gagner  un  abri  fiir  pour  procéder  à  une  ré- 
paration. Et  le  jeudi,  nous  mouillâmes  le  long  de  la  côte  6c 
prîmes  là  quantité  de  poifTons  ;  puis,  quand  vint  le  coucher 
du  foleil,  nous  remîmes  à  la  voile  &  pourfuivîmes  notre 
voyage.  En  cet  endroit,  nous  perdîmes  une  de  nos  ancres 
par  la  rupture  d'un  petit  câble  qui  nous  retenait  au  mouil- 
lage. A  partir  de  là,  nous  navigâmes  durant  un  fi  long  temps 
fans  prendre  terre,  que  nous  n'avions  plus  d'eau  pour  boire 
&  que  nous  nous  fervions  uniquement  d'eau  falée  pour  pré- 
parer nos  aliments;  notre  ration  journalière  était  réduite  à  un 


If 

qiiartilho  (i),  en  l'orte  qu'il  devint  néceflaire  d'aborder  quel- 
que part.  Or,  un  jeudi,  le  lO  du  mois  de  janvier  (xix), 
nous  découvrîmes,  un  petit  fleuve  6c  mouillâmes  en  ce  pa- 
rage,  le  long  de  la  côte.  Et  le  lendemain,  étant  allés  à  terre 
dans  les  embarcations,  nous  y  trouvâmes  nombre  de  nègres, 
hommes  &  femmes,  d'une  haute  ftature,  &  ayant  un  fei- 
gneur  parmi  eux.  Et  le  commandant  en  chef  fit  débarquer 
un  certain  Martin  Affonfo  qui  avait  été  longtemps  au  iMany- 
congo,  accompagné  d'un  autre  individu,  &  les  nègres  leur 
firent  bon  accueil.  C'eft  pourquoi  le  commandant  envoya 
à  leur  feigneurune  jaquette  &  des  chauflTes  rouges,  avec  un 
bonnet  maurefque  &  un  bracelet.  Et  il  dit  que  tout  ce  qu'il 
y  avait  en  fon  pays  dont  nous  aurions  befoin,  il  nous  le 
donnerait  de  grand  cœur  ;  ce  fut  ainfi  que  le  comprit  ledit 
Martin  Affonfo.  Cette  nuit,  lui  &  fon  compagnon  s'en  furent 
avec  ce  feigneur  coucher  en  fon  logis,  &  nous,  nous  rega- 
gnâmes nos  navires.  Et  pendant  le  trajet,  il  revêtit  Fhabille- 
ment  dont  on  lui  avait  fait  préfent,  &  il  difait  avec  grand 
contentement  à  ceuxqui  venaient  le  recevoir:  «Voyez-vous 
ce  qu'ils  m'ont  donné!  »  &  ceux-ci  battaient  des  mains  par 
politefle,  ce  qu'ils  répétèrent  trois  ou  quatre  fois  jufqu'à 
fon  arrivée  au  village  5  là,  il  courut  tout  le  pays  dans  le  cof- 
tume  où  il  était,  &  finalement,  étant  entré  chez  lui,  il  en- 
voya loger  les  deux  hommes  qui  l'avaient  accompagné  en 
un  enclos  où  il  leur  fit  porter  de  la  bouillie  fiiite  avec  du 
millet,  très  abondant  en  cette  contrée,  &  une  poule  comme 
celles  de  Portugal.  Et  durant  toute  cette  nuit ,  nombre 
d'hommes  &  de  femmes  vinrent  pour  les  voir.  Le  lende- 

(1)  Le  quartilho  équivaut  à  peu  près  à  un  tiers  de  litre.  (Trad.) 


i6 

main  matin  ,  le  feigneur  les  fut  vifiter  &  leur  dit  de  s'en 
retourner  ;  puis  il  fit  partir  deux  autres  hommes  avec  eux, 
&  leur  donna  des  poules  pour  le  commandant  en  chef,  en 
leur  difant  qu'il  s'en  allait  montrer  ce  dont  on  l'avait  gra- 
tifié à  un  grand  feigneur  qu'ils  ont  pour  chef;  or,  d'après 
ce  que  nous  conjedurâmes,  ce  devait  être  le  roi  du  pays. 
Et  lorfqu'ils  arrivèrent  au  port  où  étaient  les  embarca- 
tions, il  y  avait  bien  deux  cents  perfonnes  qui  les  accom- 
pagnaient pour  les  voir. 

Autant  que  nous  pûmes  en  juger,  ce  pays  efl  fort  peu- 
plé, &  il  s'y  trouve  nombre  de  feigneurs.  Il  nous  fembla 
que  les  femmes  étaient  en  plus  grand  nombre  que  les 
hommes,  car,  là  où  venaient  vingt  hommes,  arrivaient 
quarante  femmes.  Les  maifons  font  en  paille,  &  les  armes 
des  habitants  confiftent  en  très  grands  arcs,  ainfi  que  flè- 
ches &  zagaies  en  fer.  La  contrée,  à  ce  qu'il  nous  parut, 
fournit  beaucoup  de  cuivre  ;  ils  en  ornent  leurs  jambes, 
leurs  bras  &  les  trèfles  de  leurs  cheveux  5  il  y  a  aufii  de  l'é- 
tain  qu'ils  portent  en  garniture  à  leurs  poignards  dont  les 
gaines  font  d'ivoire.  Les  gens  de  ce  pays  font  grande  efti- 
me  de  la  toile  de  lin ,  car  ils  nous  offraient  quantité  de  ce 
cuivre  pour  des  chemifes ,  en  cas  que  nous  euffions  voulu 
leur  en  vendre.  Us  ont  de  grandes  calebafl"es  dont  ils  fe 
fervent  pour  puifer  de  l'eau  de  mer  qu'ils  portent  à  l'inté- 
rieur &  verfent  en  des  puits  creufés  dans  le  fol  afin  d'en  fa- 
briquer du  fel.  Nous  demeurâmes  là  cinq  jours,  occupés  à 
faire  notre  provifion  d'eau  qui  était  tranfportée  fur  les  em- 
barcations par  ceux  dont  nous  recevions  la  vifi te.  Nous  n'en 
prîmes  pas  autant  que  nous  l'aurions  voulu  parce  que  le 
vent  favorisait  notre  voyage  5  puis,  nous  étions  à  l'ancre  le 


17 
long  de  la  côte,  expofés  à  la  houle  du  large.  Nous  donnâmes 
à  cette  contrée  le  nom  de  terra  da  "Boa  Genre,  ôc,  au  fleuve, 
celui  de  rio  do  Cobre. 

Un  lundi,  étant  en  mer,  nous  découvrîmes  une  terre 
fort  balTe,  plantée  d'arbres  très  hauts  &  très  ferrés,  &, 
tout  en  pourfuivant  dans  la  même  diredion,  nous  vîmes 
un  fleuve  à  large  embouchure  ;  or,  comme  il  était  néceflTaire 
de  bien  favoir  où  nous  étions,  nous  laifl"âmes  tomber  l'an- 
cre &,  un  jeudi,  pendant  la  nuit,  nous  entrâmes.  Le  navire 
"Berrio  fe  trouvait  déjà  là  depuis  la  veille,  étant  arrivé  huit 
jours  avant  la  fin  de  janvier.  Cette  terre  efl:  fort  bafle,  ma- 
récageufe,  plantée  de  grands  vergers  qui  donnent  des  fruits 
en  abondance  &  de  beaucoup  d'efpèces,  &  les  habitants 
s'en  nourriflent. 

Ce  peuple  eft  noir  &  de  bonne  preftance;  il  va  nu,  hor- 
mis une  petite  pièce  de  coton  dont  il  fe  couvre  les  parties 
naturelles;  les  feigneurs  portent  ces  pagnes  plus  grandes. 
Les  jeunes  femmes,  qui  ont  bon  air  en  ce  pays,  fe  percent 
les  lèvres  en  trois  endroits  &  y  introduifent  des  morceaux 
d'étain  tordus.  Ces  gens -là  fe  plaifaient  infiniment  avec 
nous;  ils  apportaient  à  notre  bord  ce  qu'ils  avaient,  dans  des 
almadiesÇi)  à  leur  ufage,  &  nous  aUions  également  chercher 
de  l'eau  à  leur  village. 

Il  y  avait  deux  ou  trois  jours  que  nous  étions  en  cet  en- 
droit, quand  nous  reçûmes  la  vifite  de  deux  feigneurs  du 
pays;  ils  étaient  fi  orgueilleux  qu'ils  ne  firent  aucun  cas  de  ce 


(i)  "  oAlmadie  efl;  une  barque  fubtile  qui  n'appréhende  pas  tant 
les  corfaires  à  caufe  de  fa  vitefl"e.  »  Voy.  de  Pietro  délia  Valle, 
t.  IV,  p.  109.  (Trad.) 

5 


i8 
qu'on  leur  offrit  ;  l'un  d'eux  était  coiffé  d'un  turban,  avec  des 
liferés  bordés  en  foie  5  l'autre  portait  une  forte  de  bonnet 
de  fatin  vert.  En  compagnie  de  ce  dernier  vint  un  jeune 
homme  natif  d'un  autre  pays  éloigné,  comme  ils  nous 
l'apprirent  par  fignes,  &  il  difait  qu'il  avait  déjà  vu  des  na- 
vires aufïï  grands  que  ceux  que  nous  avions  amenés.  De  tels 
indices  nous  réjouirent  fort  parce  qu'il  nous  femblaque  nous 
ne  tarderions  pas  à  arriver  au  but  de  nos  défirs.  Ces  gentils- 
hommes firent  élever  à  terre,  au  bord  du  fleuve  &  non  loin 
des  navires ,  des  cabanes  où  ils  demeurèrent  environ  une 
femaine  5  de  là,  ils  envoyaient  vendre  à  bord,  chaque  jour, 
des  pièces  de  coton  qui  portaient  des  marques  faites  à  l'encre 
rouge.  Et  lorfqu'ils  eurent  afTez  de  ce  féjour,  ils  s'en  furent 
fur  des  almadies  en  remontant  le  cours  du  fleuve.  Pour 
nous,  nous  refiâmes  là  trente-deux  jours,  occupés  à  renou- 
veler notre  provifion  d'eau,  à  nettoyer  les  navires  &  à  ré- 
parer le  mât  du  'Raphaël.  Plufieurs  des  nôtres  y  tombèrent 
malades  ;  leurs  pieds  enflaient  ainfi  que  leurs  mains,  &  leurs 
gencives  avaient  crû  tellement  par-defl^is  les  dents  qu'ils 
étaient  incapables  de  manger  fxx).  Nous  élevâmes  en  ce 
lieu  une  colonne  que  nous  appelâmes  la  colonne  de  San- 
Raphaël,  à  caufe  du  bâtiment  qui  portait  ce  nom  5  le  fleuve 
reçut  celui  de  rio  dos  'Bons  Signaes  (xxi). 

Nous  partîmes  de  là  un  famedi,  24  février,  &  durant 
cette  journée  nous  couriames  au  large  ;  puis,  la  nuit  qui 
fuivit,  à  l'eft,  pour  nous  éloigner  de  la  côte  qui  était  d'un 
fort  plaifant  afpedl.  Et  le  dimanche,  nous  fîmes  route  au 
nord-eft,  &,  à  l'heure  de  vêpres,  nous  découvrîmes  trois 
petites  îles  au  large  ;  il  y  en  avait  deux  couvertes  de 
grands  bois;  la  troifième  était  dénudée  &  moindre  que  les 


19 
autres,  &  de  l'une  à  l'autre  il  pouvait  y  avoir  quatre  lieues. 
Comme  il  faifait  nuit ,  nous  portâmes  au  large  &  pafTâmes 
à  travers  durant  l'obfcurité.  Le  lendemain,  nous  continuâmes 
notre  route  &  naviguâmes  pendant  fix  jours,  nous  arrêtant 
pendant  la  nuit.  Or,  un  jeudi,  premier  jour  de  mars,  fur 
le  foir,  nous  eûmes  connailTance  des  îles  &  de  la  terre  dont 
il  fera  queftion  plus  loin  ;  mais,  à  caufe  de  l'heure  avancée, 
nous  reprîmes  le  large  &  mîmes  en  panne  jufqu'au  matin, 
&  alors  nous  arrivâmes  au  pays  dont  on  va  parler. 

Le  vendredi,  dans  la  matinée,  Nicolas  Coelho  voulant 
pénétrer  dans  cette  baie  manqua  le  chenal  &  toucha;  ôc, 
en  virant  de  bord  pour  rallier  les  autres  navires  qui  venaient 
par  derrière ,  il  vit  des  barques  à  voile  fortir  du  village  de 
cette  île,  ce  dont  il  informa  le  commandant  en  chef  &  fon 
frère  avec  de  vives  démonftrations  de  joie.  Nous  conti- 
nuâmes donc  à  courir  ce  même  bord  au  large  afin  de  pou- 
voir arriver  au  mouillage.  Se,  plus  nous  avancions,  plus  ils 
nous  fuivaient  en  nous  invitant  par  fignes  à  les  attendre. 
Or,  comme  nous  jetions  l'ancre  dans  la  rade  de  cette  même 
île  d'où  s'était  détachée  la  barque,  vinrent  à  nous  fept  ou 
huit  de  ces  barques  &  almadies,  &  ceux  qui  les  montaient 
s'avançaient  au  fon  des  anafils  (i)  dont  ils  étaient  munis,  & 
ils  nous  engageaient  à  pénétrer  dans  l'intérieur,  offrant  de 
nous  conduire  au  port  fi  nous  le  délirions;  puis  ils  montèrent 
à  bord  des  navires,  mangèrent  &  burent  de  ce  que  nous  man- 
gions &  buvions,  &  s'en  allèrent  lorfqu'ils  en  eurent  alTez. 
Les  capitaines  furent  d'avis  d'entrer  dans  cette  baie  pour 


(i)  Sorte  de  clairon.  {Tnid.) 


20 

lavoir  quelle  forte  de  gens  étaient  ceux-ci  :  Nicolas  Coelho 
dut  aller  en  avant  avec  fon  navire  pour  fonder  la  barre, 
&,  fi  rentrée  était  praticable,  on  décida  que  nous  entre- 
rions. Or,  Nicolas  Coelho  s'apprêtant  à  entrer  vint  à  don- 
ner contre  la  pointe  de  file  &  brifa  fon  gouvernail;  mais, 
aufîitôt  qu'il  eut  touché  il  gagna  le  large,  &  j'étais  là  moi- 
même  avec  lui.  Dès  que  nous  fûmes  en  pleine  mer,  nous 
amenâmes  nos  voiles  &  laiflames  tomber  l'ancre  à  deux 
portées  d'arbalète  du  village. 

Les  habitants  de  ce  pays  font  cuivrés  (xxii),  bien  bâtis, 
&  de  la  fe6le  de  Mahomet  :  ils  parlent  le  langage  des  Maures 
&  s'habillent  d'étoffes  de  lin  &  de  coton  très  fines,  rayées 
de  diverfes couleurs,  riches  &  bien  ouvragées.  Tous  portent 
des  turbans  avec  des  liferés  de  foie  brodés  de  fil  d'or  ;  ils  font 
marchands,  &  trafiquent  avec  les  Maures  blancs  qui  avaient 
juftement,  en  ce  mêmeparage,  quatre  navires  chargés  d'or, 
d'argent,  de  clous  de  girofle,  de  poivre,  d'anneaux  d'argent 
&  de  quantité  de  perles,  de  femence  de  perles  &  de  rubis, 
toutes  chofes  que  portent  fur  eux  les  gens  de  ce  pays.  Nous 
crûmes  comprendre,  d'après  ce  qu'ils  nous  dirent,  que  la 
totaUté  de  ces  marchandifes  était  importée,  &  que  c'étaient 
les  Maures  qui  les  apportaient,  hormis  for;  que  plus  avant, 
là  où  nous  allions,  il  y  en  avait  à  foifon  ;  &  qu'enfin  les 
les  pierres  fines,  la  femence  de  perles  &  les  épices  s'y  trou- 
vaient en  telle  abondance  qu'on  n'avait  nul  befoin  de  les 
acheter,  mais  qu'on  les  ramalîait  à  pleins  paniers.  Le  tout 
était  ainfi  compris  par  un  matelot  que  le  commandant  en 
chef  avait  amené  avec  lui,  &  qui,  ayant  été  jadis  capdt 
des  Maures,  entendait  ceux  que  nous  avions  rencontrés  ici. 
De  plus,  ces  mêmes  Maures  nous  apprirent  que  lur  la  route 


21 

qui  nous  reliait  à  taiie  nous  trouverions  nombre  de  bas- 
fonds  ;  que  nous  verrions  auffi  nombre  de  villes  le  long  de 
la  côte,  &  que  nous  rencontrerions  une  île  où  la  moitié  des 
habitants  étaient  des  Maures  &  l'autre  moitié  des  chré- 
tiens (xxin)  ;  que  les  chrétiens  étaient  en  guerre  avec  les  . 
Maures,  &  que  l'île  renfermait  de  grandes  richeffes. 

Ils  nous  dirent  encore  que  le  prêtre  Jean  ne  demeurait 
pas  loin  d'ici  ;  qu'il  pofledait  maintes  villes  fur  la  côte,  &  que 
les  habitants  de  ces  villes  étaient  de  puiflants  marchands  qui 
équipaient  de  grands  navires;  mais  que  la  réfidence  dudit 
prêtre  Jean  fe  trouvait  fore  avant  dans  l'intérieur,  &  que 
nous  ne  pourrions  nous  y  rendre  qu'à  dos  de  chameau.  Les 
fufdits  Maures  avaient  amené  ici  deux  chrétiens  de  l'Inde 
captifs;  ces  récits  qu'ils  faifaient,  ainfi  que  beaucoup  d'au- 
tres, nous  rendaient  fi  joyeux  que  nous  en  pleurions  d'aife 
&  demandions  à  Dieu  de  vouloir  bien  nous  accorder  la  fanté 
pour  voir  ce  que  nous  défirions  tant  contempler. 

En  ce  parage  &  cette  île  qu'on  nomme  Mozambique,  il 
y  avait  un  feigneur,  pareil  à  un  vice-roi,  qu'ils  appelaient 
Sultan,  &  qui  venait  fouvent  à  notre  bord  en  compagnie 
des  fiens.  Le  commandant  le  régalait  très  bien;  &  il  lui  fit 
un  préfent  qui  confiftait  en  chapeaux,  capes,  filières  de 
corail  &  nombre  d'autres  chofes  ;  &  il  était  fi  orgueilleux 
qu'il  dédaignait  tout  ce  qu'on  lui  offrait  &  demandait  de 
l'écarlate  dont  nous  n'avions  point  apporté  ;  mais  nous  lui 
donnions  de  ce  que  nous  avions  avec  nous. 

Un  jour,  le  commandant  en  chef  lui  fit  fervir  une  collation 
abondante  de  figues  &  de  confitures,  &  le  pria  de  lui  donner 
deux  pilotes  pour  nous  accompagner;  ilyconfentit,  pourvu 
qu'ils  fuffent  contents  de  nous;  &  le  commandant  leur 


22 

o(5lroya  à  chacun  trente  mitkals  d'or  (xxiv)  &  deux  capes  ; 
ce  fut  à  condition,  qu'à  partir  du  jour  où  ils  auraient  reçu  ce 
paiement,  l'un  d'eux  demeurerait  toujours  à  bord,  en  cas 
qu'ils  vouluffent  s'abfenter,  ce  dont  ils  furent  très  fatisfaits. 
Et  un  famedi,  lo  du  mois  de  mars,  nous  partîmes  &  fûmes 
mouiller  à  une  lieue  au  large,  près  d'une  île,  afin  que  le  di- 
manche on  pût  célébrer  la  mefle,  &  que  ceux  qui  le  vou- 
laient fe  confefTafTent  &  communiaflent. 

Un  de  ces  pilotes  demeurait  dans  l'île,  en  forte  qu'après 
avoir  mouillé,  on  arma  deux  embarcations  pour  aller  à  fa 
recherche;  l'une  portait  le  commandant  en  chef,  l'autre 
Nicolas  Coelho.  Or,  pendant  qu'ils  allaient  ainfi ,  vinrent 
à  leur  rencontre  cinq  à  fix  barques  avec  nombre  de  gens 
armés  d'arcs,  de  flèches  très  longues&  derondaches(xxv), 
&  ils  faifaient  figne  aux  nôtres  de  retourner  en  ville.  Quand 
le  commandant  vit  cela,  il  s'aflura  du  pilote  qu'il  menait 
avec  lui,  &  ordonna  de  tirer  à  coups  de  bombarde  fur  ceux 
qui  s'avançaient  dans  les  barques.  Alors,  Paul  da  Gama,  qui 
était  refté  fur  les  vailTeaux  pour  porter  fecours  depuis  là  en  cas 
d'événement,  ayant  ouï  le  bruit  de  l'artillerie,  mit  à  la  voile 
avec  le  'Bcrrio;  &  quand  les  Maures,  qui  déjà  s'étaient  dé- 
bandés, s'aperçurent  que  le  navire  était  en  marche,  ils  fe 
prirent  à  détaler  de  plus  belle  &  gagnèrent  la  terre  avant 
que  le  'Berrio  pût  les  joindre,  en  forte  que  nous  retournâmes 
au  mouillage.  Le  dimanche,  nous  entendîmes  la  mefle  dans 
Fîle,  fous  un  bocage  fort  élevé,  &,  la  meflTe  dite,  nous  re- 
tournâmes à  bord,  mîmes  incontinent  à  la  voile  &  commen- 
çâmes à  faire  route,  munis  de  bon  nombre  de  poules,  de 
chèvres  &  de  pigeons  que  nous  avions  troqués  en  cet  en- 
droit contre  des  raflades  de  verre  jaune. 


^3 

Les  navires  de  ce  pays  font  grands  &  non  pontés  ;  ils  ne 
font  pas  cloués,  mais  coufus  avec  des  cordelettes  de  fpar- 
terie,  &  il  en  eft  de  même  des  embarcations  ;  leurs  voiles 
font  des  nattes  de  palmier^  &  les  marins  qui  les  dirigent 
ont  des  aiguilles  génoifes,  ainfi  que  des  quarts  de  cercle  & 
des  cartes  marines  (xxvi). 

Les  palmiers  de  la  contrée  donnent  un  fruit  auffi  gros 
qu'un  melonj  &  c'eft  Tamande  intérieure  que  l'on  mange  ; 
elle  a  le  goiit  du  junça  lorfqu'il  eft  fec  (i).  Il  y  a  auffi  force 
concombres  &  melons  dont  on  nous  apportait  comme 
objets  d'échange. 

Le  jour  où  Nicolas  Coelho  entra^  le  feigneur  du  lieu  vint 
à  bord  avec  une  fuite  nombreufe  &  reçut  de  lui  très  bon 
accueil  ;  il  lui  donna  une  capuche  rouge,  &  le  feigneur  lui 
fit  préfent  à  fon  tour  d'un  chapelet  noir  dont  il  fe  fervait 
pour  fes  oraifons,  comme  gage  de  fécurité  ;  puis  il  lui  de- 
manda l'embarcation  pour  s'en  retourner  &  on  la  lui  donna. 
Et  lorfqu'il  fut  à  terre,  il  emmena  en  fon  logis  ceux  qui  l'a- 
vaient accompagné,  &  leur  fit  donner  à  manger,  après  quoi 
il  les  congédia  en  les  chargeant,  pour  Nicolas  Coelho,  d'un 
pot  de  dattes  écrafées,  mêlées  à  une  conferve  de  clous  de 
girofle  &  de  cumin.  Il  envoya  également  plus  tard  diffé- 
rentes chofes  au  commandant  en  chef.  Ceci  advint  au  temps 
où  il  nous  prenait  pour  des  Turcs  ou  des  Maures  de  quel- 
que autre  lieu;  &,  en  effet,  ils  nous  demandaient  fi  nous  ve- 


(i)  Junça  eft  le  nom  vulgaire  du  cyperus  efculentus  L.  qui  croît 
abondamment  en  Portugal  &  aux  Açores.  Les  enfants  font  friands 
des  petits  tubercules  de  cette  plante  que  l'on  fait  fécher  à  l'ombre, 
dans  un  lieu  bien  aéré,  &qui  deviennent  alors  très  fucrés.  [Trad.) 


24 

nions  de  Turquie,  &  nous  priaient  de  leur  montrer  les  arcs 
de  notre  pays  &  les  livres  de  notre  loi.  ^t  quand  ils  furent 
que  nous  étions  chrétiens ,  ils  fe  concertèrent  pour  nous 
furprendre  &  pour  nous  tuer  par  trahifon  ;  mais  leur  pilote, 
que  nous  emmenions,  nous  découvrit  tout  le  mal  qu'ils  fe 
propofaient  de  nous  faire  fi  leur  complot  réufllITait. 

Le  mardi,  nous  vîmes  une  terre  accidentée  par  de  hautes 
montagnes  qui  s'élevaient  au-delà  d'une  pointe,  &  cette 
pointe  était  plantée,  le  long  de  la  côte,  de  grands  arbres 
reffemblant  à  des  ormes  &  clair-femés.  Ladite  terre  pouvait 
être  à  une  vingtaine  de  lieues,  au  plus,  du  point  d'où  nous 
étions  partis  ;  &  nous  eûmes  là  des  calmes  le  mardi  &  le 
mercredi.  La  nuit  fuivante,  nous  portâmes  au  large,  avec 
une  faible  brife  de  l'ell,  &,  fur  le  matin,  nous  nous  trou- 
vions à  quatre  lieues  en  arrière  de  Mozambique.  Ce  même 
jour,  continuant  à  naviguer  jufqu'au  foir,  nous  vînmes 
mouiller  contre  l'île  où  nous  avions  entendu  la  mefle  le  di- 
manche précédent,  &  y  demeurâmes  huit  jours  à  attendre 
un  temps  favorable.  Dans  l'intervalle ,  le  roi  de  Mozam- 
bique nous  fit  dire  qu'il  fouhaitait  faire  la  paix  avec  nous 
&  devenir  notre  ami  ;  &  l'ambalTadeur  chargé  de  ce  mef- 
fage  fut  un  Maure  blanc  qui  était  fchérif,  ce  qui  veut  dire 
prêtre  (xxvu),  d'ailleurs  un  grand  ivrogne.  Comme  nous 
étions  en  ce  parage,  vint  un  Maure  avec  un  petit  garçon  qui 
était  fon  fils;  il  s'établit  fur  un  de  nos  vaifleaux,  difant  qu'il 
voulait  s'en  aller  avec  nous  parce  qu'il  était  des  environs  de 
la  Mecque  &  qu'il  avait  fait  le  voyage  de  Mozambique,  en 
qualité  de  pilote,  fur  un  navire  de  ce  pays.  Or,  comme  le 
temps  ne  nous  favorifait  pas,  il  devint  néceflaire  d'entrer 
dans  le  port  de  Mozambique  pour  prendre  l'eau  dont  nous 


2T 
avions  befoin;  Taiguade  fe  trouvait  de  l'autre  côté,  lur  la 
terre  ferme  ;  ceft  la  même  eau  que  boivent  les  habitants  de 
rile,  car  ils  n'en  ontpas  d'autre,  chez  eux,  que  de  Feau  falée. 

Un  jeudi,  nous  entrâmes  dans  le  fufditport  &,  quand  la 
nuit  fut  tombée,  nous  mîmes  les  embarcations  à  la  mer;  & 
fur  la  minuit,  le  commandant  en  chef,  Nicolas  Coelho, 
ainfi  que  plufieursde  nous  autres,  fûmes  reconnaître  où  était 
l'eau,  en  compagnie  du  pilote  maure  plus  dilpofé  à  s'échap- 
per, s'il  le  pouvait,  qu'à  nous  montrer  l'aiguade.  Or,  il  s'em- 
brouillafi  bien  qu'il  neputjamaisnousenfeigneroùelleétait, 
ou  ne  le  voulut  pas,  de  forte  que  nous  demeurâmes  en  quête 
jufqu'au  matin.  Nous  retournâmes  donc  fur  les  navires  &, 
le  foir,  revînmes  encore  une  fois  à  terre,  accompagnés  du 
même  pilote.  Et  comme  nous  étions  déjà  près  de  l'aiguade, 
nous  vîmes  une  vingtaine  de  ces  gens -là  qui  s'en  allaient 
efcarmouchantle  long  de  la  plage,  leurs  zagaies  à  la  inain, 
&  faifant  mine  d'en  défendre  l'approche  ;  c'efl;  pourquoi  le 
commandant  en  chef  leur  fit  tirer  trois  volées  de  bombardes 
afin  de  les  obliger  à  nous  laiffer  débarquer.  Et  comme  nous 
touchions  terre  ils  fe  cachèrent  dans  fépaiiïeur  du  bois,  en 
forte  que  nous  prîmes  autant  d'eau  que  nous  en  voulûmes. 
Quand  nous  nous  retirâmes  le  foleil  allait  fe  coucher,  &  nous 
nous  aperçûmes  qu'un  nègre  du  pilote  Jean  de  Coimbre 
s'était  enfui. 

Le  famedi,  24  du  mois  de  mars,  vigile  de  Notre-Dame, 
dans  la  matinée,  vint  un  Maure  en  face  des  navires,  &  il  dit 
que  fi  nous  voulions  de  l'eau  nous  n'avions  qu'à  en  aller 
chercher,  donnant  à  entendre  que  nous  trouverions  là  à  qui 
parler.  Voyant  cela,  le  commandant  en  chef  réfolut  d'y 
aller  pour  leur  montrer  qu'il  ne  tenait  qu'à  nous  de  leur  faire 

4 


26 

du  mal  lî  nous  en  avions  la  volonté;  nous  prîmes  donc  fur- 
ie-champ la  dire(5lion  du  village  avec  les  embarcations  ar- 
mées &  l'artillerie  en  poupe .  Or,  les  Maures  avaient  confirait 
de  fortes  palifllides  &  lié  enfemble  quantité  de  planches 
épaiffes,  en  forte  que  ceux  qui  étaient  derrière  fe  dérobaient 
à  notre  vue;  &  ils  allaient  le  long  de  la  plage ,  armés  de 
rondaches,  de  zagaies,  de  coutelas,  d'arcs,  &  de  frondes 
avec  lefquelles  ils  nous  lançaient  des  pierres.  Pour  nous, 
avec  notre  artillerie,  nous  répondîmes  fi  bien  à  leurs  avan- 
ces qu'ils  jugèrent  à  propos  de  vider  la  plage ,  &  de  fe 
réfugier  derrière  la  paliflade  qu'ils  avaient  élevée  &  dont  ils 
recueillirent  plus  de  mal  que  de  profit.  Nous  palTâmes  en- 
viron trois  heures  occupés  de  la  forte  &  vîmes  là  deux 
hommes  morts,  un  quenous  avions  tué  fur  la  plage,  l'autre  en 
dedans  de  l'eflacade.  Quand  nous  fiâmes  las  de  cette  befo- 
gne  nous  retournâmes  dîner  à  bord,  &  à  l'inftant  ils  fe  mi- 
rent à  fuir  &  à  charger  leur  bagage  fur  des  almadies  pour 
gagner  un  village  fitué  de  l'autre  côté.  Pour  nous,  après 
dîner,  nous  allâmes  voir,  fur  les  embarcations,  fi  nous  ne 
pourrions  pas  en  prendre  quelques-uns,  afin  de  les  échanger 
contre  les  deux  Indiens  chrétiens  qu'ils  retenaient  captifs  & 
le  nègre  qui  s'était  enfui.  En  conféquence,  nous  nous  mîmes 
à  la  pourfuite  d'une  almadie  du  fchérif  qui  était  chargée 
de  bagage,  &  d'une  autre  montée  par  quatre  nègres  dont 
s'empara  Paul  da  Gama;  quant  à  celle  qui  portait  le  ba- 
gage, les  gens  qui  s'y  trouvaient  prirent  la  fuite  en  tou- 
chant terre  &  l'abandonnèrent  à  la  côte.  Avec  celle-ci, 
nous  en  rencontrâmes  encore  une  autre  le  long  de  la  mer; 
&  les  nègres  que  nous  prîmes  là  furent  emmenés  à  bord 
des  navires.  On  trouva  dans  les  almadies  quantité  de  toile 


27 
fine  de  coton,  des  paniers  en  feuilles  de  palmier,  une  jarre 
vernifTée  pleine  de  beurre,  des  fioles  de  verre  avec  des 
eaux  de  fenreur,  des  livres  de  leur  loi,  un  coffre  qui  renfer- 
mait maints  écheveaux  de  coton ,  un  hamac  en  filet  éga- 
lement de  coton,  enfin  plufieurs  cabas  remplis  de  mil.  Tout 
ce  que  l'on  prit  en  cette  circonftance  fut  abandonné  par  le 
commandant  en  chef  aux  marins  qui  fe  trouvèrent  là  avec 
lui  ou  avec  les  autres  capitaines,  hormis  les  livres  qu'il  garda 
pour  les  montrer  au  Roi.  Le  dimanche  fuivant,  nous  allâmes 
faire  de  l'eau  &,  le  lundi,  nous  nous  préfentâmes  fur  les  em- 
barcations armées  devant  la  bourgade  ;  &  les  Maures  nous 
parlaient  à  l'abri  de  leurs  maifons,  n'ofant  plus  s'aventurer 
fur  la  plage.  Après  leur  avoir  lâché  quelques  volées  de  bom- 
bardes, nous  ralliâmes  les  navires  &,  le  mardi,  nous  nous 
retirâmes  &  fûmes  mouiUer  près  des  îlots  de  Saint-Georges 
où  nous  demeurâmes  encore  durant  trois  jours,  dans  l'efpoir 
que  Dieu  nous  accorderait  un  temps  favorable.  Enfin,  le 
jeudi  2g  du  mois  de  mars,  nous  quittâmes  lefdits  îlots,  &, 
comme  il  y  avait  peu  de  vent,  quand  vint  le  famedi  matin 
trentième  jour  du  même  mois,  nous  n'en  étions  qu'à  vingt- 
huit  lieues. 

Le  même  jour,  dans  la  matinée,  nous  avançâmes  jufqu'au 
pays  des  Maures  d'où  nous  avions  été  ramenés  par  la  force 
des  courants. 

Le  dimanche,  premier  jour  d'avril,  nous  atteignîmes  cer- 
taines îles  très  rapprochées  de  la  terre,  &  la  première  reçut 
le  nom  Hlha  do  cAçoutado  (xxviii)  parce  que,  dans  la  foirée 
du  famedi ,  le  pilote  maure  que  nous  emmenions  avec 
nous  ayant  menti  au  commandant  en  difant  que  ces  îles 
étaient  la  terre  ferme,  avait  été  fuftigé  par  fon  ordre  pour  ce 


28 

mcnCongc.  Les  bâtiments  du  pays  naviguent  par  quatre 
hralTes  entre  la  côte  &  les  îles  ;  mais  nous,  nous  paflTâmes 
au  large.  Ces  îles  font  nomhreufes  &  tellement  rapprochées 
que  nous  ne  pouvions  les  diftinguer  les  unes  des  autres  & 
elles  font  habitées.  Le  lundi,  nous  eûmes  en  vue  d'autres 
îles  fituées  à  cinq  lieues  au  large  (\xi.x). 

Le  mercredi,  quatrième  jour  d'avril,  nous  fîmes  voile,  le 
cap  au  nord-oueft  &,  avant  midi,  nous  eijmes  connaiflance 
d'une  grande  terre  &  de  deux  îles  fifes  dans  le  voifinage  ; 
cette  terre  eft  environnée  de  quantité  de  bas-fonds.  Lorfque 
nous  en  fûmes  allez  près  pour  que  les  pilotes  la  puflent  re- 
connaître, ils  dirent  que  l'île  des  chrétiens  gifait  à  trois  lieues 
en  arrière;  en  conféquence,  nous  manoeuvrâmes  durant 
toute  la  journée  pour  tâcher  de  l'atteindre,  mais  fans  y  par- 
venir, le  vent  du  ponent  étant  trop  élevé.  Alors  les  capi- 
taines furent  d'avis  de  laiffer  arriver  pour  gagner  une  cité 
dont  nous  étions  à  quatre  journées  &  que  l'on  appelle 
iMombaza. 

Cette  île,  que  nos  pilotes  difaient  habitée  par  des  chré- 
tiens, était  une  de  celles  que  nous  étions  venus  chercher 
(xxx).  Nous  laiiïames  donc  arriver,  qu'il  était  déjà  tard, 
le  vent  étant  très  frais,  &,  à  la  nuit  tombante,  nous  aper- 
çûmes une  île  confidérable  qui  nous  reftait  au  nord  (xxxi). 
D'après  le  récit  des  pilotes  maures  que  nous  emmenions,  il 
y  avait  en  cette  île  une  ville  de  chrétiens  &  une  autre  de 
Maures;  &  quand  vint  la  nuit,  nous  ne  vîmes  plus  la  terre; 
toutefois,  ayant  fait  route  au  nord-oueft,  nous  la  retrouvâmes 
furie  foir. 

Dans  la  nuit  qui  fuivit  nous  fîmes  route  au  nord  quart 
nord-oueft  &,  à  l'aube,  nous  gouvernâmes  au  nord-nord- 


29 

oueft.  Pendant  que  nous  marchions  ainfi  avec  un  vent  pro- 
pice, il  arriva  ,  deux  heures  avant  le  jour,  que  le  navire 
San-T{aphaél  donna  fur  des  bas-fonds  qui  gifent  à  deux  lieues 
de  la  terre  ferme.  Comme  il  toucha,  on  le  cria  aux  autres 
qui  venaient  à  la  fuite,  &  les  cris  ayant  été  entendus,  ils 
mouillèrent  incontinent  à  la  diftance  d'une  portée  de  bom- 
barde &  mirent  leurs  embarcations  dehors.  A  marée  baffe 
le  navire  demeura  totalement  à  fec;  alors,  avec  les  embar- 
cations, on  élongea  plufieurs  ancres  au  large,  &,  quand 
vint  la  marée  du  jour  qui  fut  une  haute  marée,  le  bâtiment 
fe  remit  à  flot  ce  dont  nous  nous  réjouîmes  tous  grande- 
ment. 

Sur  la  terre  ferme,  vis-à-vis  de  ces  bas-fonds,  il  y  a  ,une 
chaîne  de  montagnes  fort  élevées  &  d'un  agréable  afpedl  à 
laquelle  nous  donnâmes  le  nom  de  San-Raphaël  de  même 
qu'aux  écueils  (xxxii). 

Tandis  que  le  navire  était  échoué,  deux  almadies  s'en 
approchèrent  &  vinrent  aufïï  vers  nous  ;  elles  apportaient 
quantité  d'oranges  de  fort  bonne  qualité ,  meilleures  que 
celles  de  Portugal.  Deux  Maures  demeurèrent  à  bord  & 
nous  accompagnèrent  le  jour  fuivant  à  une  cité  du  nom  de 
Mombaza. 

Le  famedi  matin  ,  feptième  jour  du  même  mois  &  veille 
des  Rameaux,  nous  vîmes,  en  prolongeant  la  côte,  des  îles 
gifant  à  quinze  lieues  de  la  terre  ferme  &  qui  pouvaient  avoir 
fïx  lieues  d'étendue  (xxxiii)  ;  ces  îles  fournifTent  nombre 
de  mâts  qui  fervent  à  mater  les  navires  du  pays,  &  toutes 
font  habitées  par  des  Maures.  Au  coucher  du  foleil,  nous 
allâmes  jeter  l'ancre  en  face  de  ladite  cité  de  Mombaza, 
mais  nous  n'entrâmes  pas  dans  le  port  ;  et  à  notre  arrivée 


vint  à  nous  une  lavra  (i)  chargée  de  Maures,  &,  devant  la 
ville,  on  voyait  force  navires,  tous  pavoifés  de  leurs  pavil- 
lons. Et  nous,  pour  leur  faire  compagnie,  nous  en  fîmes 
tout  autant  fur  nos  vaiffeaux  &  même  davantage,  car  rien 
ne  nous  manquait  hormis  les  hommes  que  nous  n'avions 
pas;  encore  le  peu  qui  nous  reliait  était-il  gravement  ma- 
lade. Ce  fut  avec  une  vive  fatisfa<ftion  que  nous  mouil- 
lâmes là,  perfuadés  que  le  jour  fuivant  nous  irions  à  terre 
entendre  la  meffe  avec  les  chrétiens  que  l'on  nous  avait 
dit  s'y  trouver,  y  vivant  féparés  des  Maures  &  ayant  leur 
alcade. 

Les  pilotes  que  nous  avions  emmenés  racontaient  que 
cette  île  de  Mombaza  était  occupée  &  habitée  par  des  Maures 
&  des  chrétiens  qui  vivaient  féparément  les  uns  des  autres 
&  avaient  chacun  leur  feigneur,  &,  qu'à  notre  arrivée,  ils 
nous  feraient  grand  accueil  &  nous  mèneraient  en  leurs 
maifons.  Or,  ils  difaient  cela  pour  en  arriver  à  leurs  fins  & 
nullement  parce  que  c'était  la  vérité. 

La  nuit  fuivante,  à  minuit,  vinrent  environ  cent  hommes 
fur  une  zavra,  tous  avec  des  coutelas  &  des  rondaches  ; 
lorfqu'ils  furent  arrivés  où  fe  trouvait  le  commandant  en 
chef,  ils  voulurent  entrer  avec  leurs  armes  ;  mais  il  ne  le 
permit  pas ,  &  il  n'en  entra  que  quatre  ou  cinq  des  plus 
qualifiés  qui  demeurèrent  avec  nous  environ  deux  heures 
puis  après  s'en  allèrent;  notre  opinion  fur  cette  vifite  fut 
qu'ils  étaient  venus  pour  s'aflurer  s'il  n'y  aurait  pas  moyen 
de  s'emparer  de  quelqu'un  des  navires. 


(i)  Sorte  de  brigantin.  ÇTrad.) 


Le  dimanche  des  Rameaux,  le  roi  de  Mombaza  envoya 
au  commandant  en  chef  un  mouton  avec  quantité  d'oran- 
ees,  de  cédrats  &  de  cannes  à  Tucre  :  il  lui  fit  remettre  aulFi 
un  anneau,  comme  gage  de  fécurité,  lui  mandant  que  s'il 
voulait  entrer,  il  lui  fournirait  tout  ce  dont  il  aurait  befoin  ; 
or,  ce  préfent  fut  apporté  par  deux  hommes  très  blancs  qui 
fe  difaient  chrétiens,  &  il  nous  parut  qu'ils  l'étaient  en  effet. 
A  fon  tour,  le  commandant  fit  préfent  au  roi  d'une  filière 
de  corail,  en  lui  mandant  qu'il  entrerait  dans  le  port  le  len- 
demain 5  &  le  même  jour,  quatre  Maures  des  plus  qualifiés 
demeurèrent  à  bord  de  fon  navire.  Or,  le  commandant  en- 
voya deux  hommes  au  roi  de  cette  ville  pour  mieux  confir- 
mer ces  alTurances  de  paix 5  &  lorfqu'ils  eurent  débarqué, 
une  foule  confidérable  les  accompagna  jufqu'à  la  porte  du 
palais.  Avant  d'arriver  en  préfence  du  roi,  ils  passèrent  par 
quatre  portes  où  fe  tenaient  quatre  gardiens,  chacun  d'eux 
à  une  porte,  le  fabre  nu  à  la  main;  &  quand  ils  furent  de- 
vant le  roi,  il  les  reçut  très  gracieufement  &  leur  fit  montrer 
toute  la  ville.  Us  s'arrêtèrent  en  la  demeure  de  deux  mar- 
chands chrétiens  qui  leur  firent  voir,  à  tous  deux,  un  papier 
qu'ils  adoraient  &  fur  lequel  était  repréfenté  un  Saint-Efprit. 
Enfin ,  lorfqu'ils  eurent  tout  examiné,  le  roi  envoya  des 
échantillons  de  clous  de  girofle,  de  poivre,  de  gingembre 
&  de  blé  trémois  au  commandant ,  toutes  chofes  dont  il 
nous  permettait  de  faire  un  chargement. 

Le  mardi,  en  levant  les  ancres  pour  entrer,  la  nef  du 
commandant  en  chef  ne  voulut  point  abattre  &  elle  allait 
donner,  en  culant,  fur  le  navire  qui  fe  trouvait  en  poupe. 
Nous  laiffames  donc  tomber  l'ancre  de  nouveau  5  alors  les 
Maures  que  nous  avions  à  bord  voyant  que  nous  n'entrions 


32 

pas  le  ralîemblèrent  fur  une  zavra,  &.,  au  moment  où  elle 
palTait  en  poupe,  les  pilotes  qui  étaient  venus  de  Mozambi- 
que avec  nous  Te  jetèrent  à  la  mer  &  ceux  de  la  zavra  les 
recueillirent.  La  nuit  venue,  le  commandant  fit  fubir  la 
quellion  de  l'huile  bouillante  (i)  à  deux  Maures  que  nous 
avions  à  bord  pour  leur  faire  confefler  s'ils  avaient  ourdi 
quelque  trahifon  ;  &  ils  avouèrent  qu'on  avait  concerté  de 
s'emparer  de  nous,  après  notre  entrée  dans  le  port,  &  de 
tirer  vengeance  de  notre  conduite  à  Mozambique.  Et  comme 
on  apprêtait  le  fupplice  du  fécond,  il  s'élança  dans  la  mer, 
les  mains  liées,  &  l'autre  s'y  jeta  au  quart  du  matin. 

Vers  le  milieu  de  cette  même  nuit,  deux  almadies  s'ap- 
prochèrent de  nous  5  elles  portaient  un  grand  nombre 
d'hommes  qui  fe  mirent  à  la  nage  tandis  que  les  embar- 
cations demeuraient  au  large  ;  les  uns  fe  dirigèrent  vers  le 
navire  'Benio ,  les  autres  vers  le  T{aphaèl.  Ceux  qui  furent 
au  "Berrio  commencèrent  à  couper  l'amarre,  &  les  hommes 
de  veille  fe  figurèrent  que  c'étaient  des  marfouins;  mais 
ayant  reconnu  la  vérité  ,  ils  avertirent  par  leurs  cris  le  relie 
de  la  flotte.  Déjà  les  autres  s'étaient  accrochés  aux  chaînes 
des  haubans  de  la  mifaine  du  %aphael  ;  fe  voyant  décou- 
verts, ils  fe  turent,  defcendirent  &  prirent  la  fuite.  Telles 
furent  les  méchancetés,  fans  parler  de  bien  d'autres,  que 
ces  chiens  ourdifTaient  contre  nous;  mais  Notre-Seigneur 
ne  leur  permit  pas  de  réuflîr  parce  qu'ils  ne  croyaient  point 
en  lui. 


(i)  Tingar,  fupplice  qui  confiftait  à  verfer  des  gouttes  d'huile 
ou  de  réfine  bouillante,  &  même  de  métal  fondu  fur  la  peau,  pour 
obtenir  du  patient  un  aveu. 


53 

Cette  cité  eft  vafte  &  elle  eft  alTife  fur  une  hauteur  battue 
par  la  mer  ;  c  eft  un  port  où  entrent  chaque  jour  bon  nom- 
bre de  navires  ;  on  voit  à  l'entrée  une  colonne  & ,  contre 
la  metj  une  forterefle  baffe  (xxxiv).  Ceux  qui  allèrent  à 
terre  nous  rapportèrent  qu'ils  avaient  rencontré  par  la  ville 
quantité  d'hommes  chargés  de  fers,  &  nous  jugeâmes  que 
ce  devaient  être  des  chrétiens,  car  les  chrétiens,  en  ce  pays, 
font  en  guerre  avec  les  Maures. 

Les  chrétiens  établis  en  cette  cité  font  des  marchands  qui 
y  réfident  paffagèrement  ;  ils  y  font  trèsaffujettis,  ne  faifant 
rien  que  ce  que  le  roi  maure  leur  commande. 

Dieu  permit,  dans  fa  miféricorde ,  qu'aufTitôt  que  nous 
eûmes  atteint  cette  ville,  tous  les  malades  que  nous  avions 
recouvraffent  la  fanté  ;  l'air,  en  effet,  eft  très  falubre  en  ce 
parage. 

Nous  demeurâmes  encore  là  le  mercredi  &  le  jeudi,  après 
avoir  reconnu  la  malice  de  ces  chiens  &  la  trahifon  qu'Us 
avaient  ourdie  contre  nous 5  nous  en  partîmes  dans  la  ma- 
tinée, avec  peu  de  vent,  &  vînmes  mouiller  près  de  terre,  à 
huit  lieues  environ  de  Mombaza.  A  faube  du  jour,  nous 
vîmes  deux  barques  fous  le  vent  des  navires,  à  trois  lieues 
environ  au  large,  &  auffitôt  nous  nous  dirigeâmes  fur  elles 
pour  tâcher  de  nous  en  emparer,  car  nous  défirions  nous 
procurer  des  pilotes  qui  fuffent  en  état  de  nous  conduire 
où  nous  voulions  aller.  Et,  à  l'heure  de  vêpres,  nous  joi- 
gnîmes l'une  des  fufdites  barques  que  nous  capturâmes  ; 
l'autre  nous  échappa  en  gagnant  la  terre.  Or,  dans  celle 
que  nous  prîmes,  nous  trouvâmes  dix-fept  hommes,  de  l'or, 
de  fargent ,  beaucoup  de  mil  &  de  provifions ,  enfin  une 
jeune  femme,  époufe  d'un  vieux  Maure,  homme  confidéra- 

)' 


34 

hle  &  qui  fe  trouvait  là.  Au  moment  où  nous  les  abordâmes 
ils  fe  jetèrent  tous  à  la  mer,  &  nous  nous  mîmes  à  les  re- 
cueillir dans  les  embarcations. 

Le  même  jour,  au  coucher  du  foleil,  nous  jetâmes  l'ancre 
en  face  d'un  lieu  qui  s'appelle  Mélinde  &  qui  gît  à  trente 
lieues  de  Mombaza.  De  Mombaza  à  ce  bourg  de  Mélinde 
on  rencontre,  dans  l'ordre  fuivant,  d'abord  "Benapa,  puis 
Toça  &  tN^guO'Quionieie . 

Le  jour  de  Pâques,  les  Maures  que  nous  avions  capturés 
nous  dirent  qu'il  y  avait,  dans  ladite  bourgade  de  Mélinde, 
quatre  navires  appartenant  à  des  chrétiens  qui  étaient  indiens; 
que  fi  nous  voulions  les  y  conduire,  ils  nous  donneraient  en 
leur  place  des  pilotes  chrétiens  &  tout  ce  dont  nous  aurions 
befoin,  comme  de  la  viande,  de  l'eau,  du  bois  &  encore 
d'autres  chofes.  Or,  le  commandant  en  chef  qui  défirait 
vivement  obtenir  des  pilotes  de  l'endroit  ayant  traité  cette 
affaire  avec  les  Maures,  nous  allâmes  mouiller  près  du 
bourg  à  une  demi -lieue  de  terre;  mais  les  habitants  n'osè- 
rent point  venir  à  bord  parce  qu'ils  étaient  déjà  prévenus,  & 
qu'ils  n'ignoraient  pas  que  nous  avions  capturé  une  barque 
avec  les  Maures  qui  la  montaient. 

Le  lundi,  dans  la  matinée,  le  commandant  en  chef  fit 
dépofer  le  vieux  Maure  fur  un  récif,  en  face  de  la  ville,  &il 
vint  là  une  almadie  pour  le  chercher.  Ce  Maure  s'en  alla 
communiquer  au  roi  les  défirs  du  commandant,  &  lui  dit 
combien  il  ferait  fatisfait  de  faire  la  paix  avec  lui.  Or,  après 
déjeûner,  le  Maure  revint  fur  une  zavra  que  le  roi  de  cette 
bourgade  expédiait  avec  un  de  fes  cavaliers  &  un  shérif;  il  en- 
voyait trois  moutons,  &  faifait  dire  au  commandant  qu'il  fe 
réjouirait  d'être  en  paix  &  d'entrenir  de  bons  rapports  avec 


3f 

lui  ;  que  s'il  Ibuhaitait  quelque  chofe  de  Ion  pays,  il  le  lui 
donnerait  très  volontiers,  comme  des  pilotes  ou  toute  autre 
chofe.  Et  le  commandant  en  chef  lui  fit  réponfe  qu'il  en- 
trerait le  lendemain  dans  le  port  5  en  même  temps  il  lui 
envoya  par  les  porteurs  du  meflage  un  balandran,  deux  fi- 
lières de  corail,  trois  baflîns  d'airain,  un  chapeau,  des  gre- 
lots &  deux  pièces  de  drap  rayé  (i). 

Or  donc,  le  mardi,  nous  nous  approchâmes  encore  plus 
près  de  la  ville,  &  le  roi  envoya  au  commandant  fix  mou- 
tons, avec  une  bonne  quantité  de  clous  de  girofle,  cumin, 
gingembre,  noix  mufcades  &  poivre,  lui  faifant  dire  que  le 
mercredi,  s'il  lui  plaifait  qu'ils  se  rencontraiïent  en  mer,  il 
irait  fur  fa  zavra,  &  qu'il  vînt,  lui,  dans  fon  embarcation. 

Le  mercredi,  après  dîner,  le  roi  vint  fur  une  zavra  &  s'ap- 
procha des  navires;  pour  lors,  le  commandant  s'embarqua 
dans  fon  canot  qui  était  parfaitement  équipé,  &,  quand  il  eut 
rejoint  le  roi,  à  finftant  celui-ci  fe  mit  près  de  lui.  Là  s'é- 
changèrent nombre  de  propos,  entre  autres  les  fuivants  :  le 
roi  ayant  dit  au  commandant  qu'il  le  priait  de  venir  avec 
lui  fe  délalTer  en  fon  palais,  &  qu'il  fe  rendrait  à  fon  tour  à 
bord  de  fes  navires,  le  commandant  lui  répondit  qu'il  n'avait 
pas  congé  de  fon  feigneur  pour  defcendre  à  terre,  &  qu'en 
y  defcendant  il  donnerait  mauvaife  opinion  de  lui  à  qui 
l'avait  envoyé.  Et  le  roi  demanda  quelle  opinion  de  fa  per- 
fonne  il  donnerait  lui-même  à  fon  peuple,  &  ce  que  Ton  di- 
rait, s'il  fe  rendait  fur  fes  vaifleaux  ?  Il  s'informa  enfuite  du 


(i)  Lambel,  étoffe  de  coton  rayée  dont  l'exportation  fut  confi- 
dérable  à  la  naiffance  des  relations  commerciales  avec  l'Afrique. 


36 

nom  que  portait  notre  roi  &  fe  le  fit  écrire,  ajoutant  que  fi 
nous  repartions  par  ici,  il  enverrait  un  ambaflâdeur  ou  écri- 
rait. Après  avoir  ainfi  caufé  l'un  &  l'autre  de  ce  qu'ils  vou- 
lurent, le  commandant  fit  amener  tous  les  prifonniers  maures 
que  nous  avions  &  les  lui  donna,  ce  dont  il  fe  montra  très 
fatisfait,  difant  que  ceci  lui  était  plus  agréable  que  fi  on 
lui  eût  fait  préfent  d'une  ville.  Et  le  roi,  pour  fe  divertir, 
s'en  alla  faire  le  tour  des  navires  qui  déchargèrent  force 
bombardes  en  fon  honneur,  &  il  s'amufait  fort  à  voir  tirer. 
Trois  heures  environ  fe  passèrent  de  la  forte,  &,  quand  il 
partit,  il  laifl!a  fur  le  vaifleau  un  de  fes  fils  &  un  de  fes  shé- 
rifs pendanii  que  deux  des  nôtres  l'accompagnaient  à  fon 
logis;  ce  fut  lui-même  qui  les  demanda,  voulant  qu'ils 
vinflent  voir  fon  palais.  Il  dit  encore  au  commandant  que 
puifqu'il  ne  fe  fouciait  pas  de  defcendre  à  terre,  il  allât  le 
lendemain  fe  promener  le  long  du  rivage,  &  qu'il  y  enverrait 
chevaucher  fes  cavaliers. 

Voici  quel  était  l'équipage  du  roi  :  premièrement,  une 
robe  de  damas  doublée  de  fatin  vert,  &,fur  la  tête,  un  turban 
très  riche;  puis,  deux  fiéges  de  bronze  avec  leurs  couffins 
&  un  dais  de  fatin  cramoifi,  de  forme  ronde,  fixé  à  un 
bâton.  Son  page  était  un  homme  âgé  qui  portait  un  coutelas 
dont  la  gaîne  était  d'argent  :  ajoutez  plufieurs  anafils  & 
deux  trompettes  d'ivoire,  de  la  hauteur  d'un  homme,  par- 
faitement ouvragées,  dont  on  jouait  par  un  trou  percé  en 
leur  milieu  ;  le  fon  de  ces  trompettes  s'accorde  avec  celui 
des  anafils. 

Le  jeudi,  le  commandant  en  chef  &  Nicolas  Coelho 
montèrent  fur  les  embarcations  avec  bombardes  en  poupe 
&  s'en  furent  le  long  de  la  bourgade.  On  voyait  à  terre 


^7 
beaucoup  de  monde  &,  dans  la  foule,  deux  hommes  à 
cheval  joutant  &  fe  divertiflant  mfiniment,  à  en  juger  du 
moins  par  leurs  démonftrations.  Et  là,  ils  prirent  le  roi  fur 
les  degrés  de  pierre  de  fon  palais  &  le  portèrent  en  palan- 
quin jufqu'à  l'embarcation  où  fe  tenait  le  commandant. 
Alors,  le  roi  le  pria  de  rechef  de  defcendre  à  terre,  difant 
que  fon  père  qui  était  perclus  ferait  joyeux  de  le  voir,  & 
que  lui  &  fes  fils  iraient  demeurer  fur  fes  vaifleaux,  ce  dont 
le  commandant  s'excufa. 

Nous  trouvâmes  ici  quatre  navires  de  chrétiens  de  l'Inde 
(xxxv);  &  lorfque  ces  chrétiens  vinrent  pour  la  première 
fois  fur  la  nef  de  Paul  da  Gama  où  fe  trouvait  le  comman- 
dant en  chef,  on  leur  fit  voir  un  tableau  repréfentant  Notre- 
Dame  avec  Jéfus-Chrift  dans  les  bras,  au  pied  de  la  croix, 
&  avec  les  apôtres.  Et  les  Indiens  à  la  vue  de  cette  peinture 
fe  proflernèrent  fur  le  fol ,  &  durant  tout  notre  féjour  ils 
vinrent  là  faire  leurs  oraifons,  apportant  des  clous  de  giro- 
fle, du  poivre,  ainfi  que  d'autres  offrandes. 

Ces  Indiens  font  des  hommes  bruns,  légèrement  vêtus; 
ils  portent  de  grandes  barbes  &  des  cheveux  très  longs  qui 
font  nattés  ;  ils  ne  mangent  point  de  chair  de  bœuf,  d'après 
ce  qu'ils  nous  dirent,  &  leur  langage  diffère  beaucoup  de 
celui  des  Maures;  toutefois  il  y  en  a  qui  favent  quelque  peu 
d'arabe  par  fuite  des  rapports  continus  qu'ils  entretiennent 
avec  les  gens  de  cette  nation . 

Le  jour  où  le  commandant  en  chef  fut  fe  promener  en 
bateau  près  de  la  ville  ,  on  déchargea  force  bombardes  à 
bord  des  navires  des  Indiens  chrétiens  ;  &,  le  voyant  paf- 
fer,  ils  élevaient  les  mains,  s'écriant  tous  avec  une  vive  allé- 
greffe  :  Chrift!  Chriji!  En  cette  occurrence,  ils  demandèrent 


58 
l'agrément  du  roi  pour  nous  fêter  durant  la  nuit  ;  &,  en  effet, 
la  nuit  venue ,  ils  firent  grande  réjouiflance  ,  tirant  force 
artillerie,  lançant  des  artifices  &  pouffant  de  grands  cris. 

Bien  plus,  ces  Indiens  avertirent  le  commandant  en  chef 
de  ne  point  aller  à  terre  &  de  ne  pas  fe  fier  aux  careffes  des 
Maures,  parce  qu'elles  n'étaient  guère  l'expreffion  de  leurs 
fentiments  ni  de  leur  volonté. 

Le  dimanche  qui  fuivit,  vingt-deuxième  jour  du  mois  d'a- 
vril, la  zavra  du  roi  vint  nous  accofler,  portant  un  de  fes 
favoris  ;  &  comme  deux  jours  s'étaient  écoulés  déjà  fans 
que  perfonne  vînt  aux  navires,  le  commandant  mit  la  main 
fur  lui  &  fit  demander  au  roi  les  pilotes  qu'il  lui  avait  pro- 
mis. Dès  qu'il  eut  reçu  ce  meffage,  le  roi  lui  envoya  un 
pilote  chrétien,  &  le  commandant  relâcha  incontinent  le 
gentilhomme  qu'il  retenait  à  bord.  Et  nous  nous  réjouîmes 
fort  d'avoir  le  pilote  chrétien  que  le  roi  nous  avait  don- 
né (xxxvi). 

Nous  apprîmes  ici  que  cette  île  qu'on  nous  repréfentait 
à  Mozambique  comme  peuplée  de  chrétiens,  eft  une  île  où 
réfide  le  roi  même  de  Mozambique,  &  dont  la  moitié  ap- 
partient aux  Maures  &  l'autre  moitié  aux  chrétiens.  Elle 
produit  abondamment  la  femence  de  perles,  &  fon  nom  efl 
Quiloa  ;  les  pilotes  maures  avaient  voulu  nous  y  conduire, 
&  nous  avions  eu  nous-mêmes  le  défir  d'y  aller,  car  nous 
les  avions  crus  fur  parole. 

Le  bourg  de  MéUnde  eft  affis  au  fond  d'une  baie  &  bâti  le 
long  de  la  plage  ;  il  reffemble  à  Alcouchete  ;  les  maifons 
font  élevées,  parfaitement  blanchies  à  la  chaux  &  percées 
de  nombreufes  fenêtres.  Du  côté  de  la  campagne ,  elles 
font  bordées  d'un  bois  de  palmiers  très  hauts  qui  touche 


39 

aux  habitations.  Tout  le  pays  aux  alentours  eft  cultivé  en 
mil  &  autres  légumes . 

Nous  demeurâmes  neuf  jours  devant  cette  bourgade,  &, 
durant  ces  neuf  jours,  il  y  eut  conftamment  à  terre  des  ré- 
jouilTances  &  des  joutes  à  pied,  le  tout  avec  force  mufique. 

Le  mardi,  24  dudit  mois,  nous  partîmes  de  là,  avec  le 
pilote  que  le  roi  nous  avait  donné,  pour  gagner  une  cité  du 
nom  de  Calicut  dont  ledit  roi  avait  connailTance,  &  nous 
fûmes  la  chercher  dans  l'eft.  Ici  la  côte  court  du  nord  au 
fud,  la  terre  formant  un  vaste  golfe  &  un  détroit  ;  &  au  bord 
de  ce  golfe,  d'après  les  renfeignements  dont  nous  étions 
munis,  fe  trouvent  plufieurs  villes  de  chrétiens  &  de  Maures, 
une  entre  autres  du  nom  de  Cambaye  ,  &  fix  cents  îles 
connues.  C'eft  là  qu'eft  la  mer  Rouge  &  le  temple  de  la 
Mecque.  Le  dimanche  fuivant,  nous  vîmes  l'étoile  du  nord 
que  nous  avions  cefle  d'apercevoir  depuis  longtemps,  &  un 
vendredi,  dix-feptième  jour  du  même  mois,  nous  décou- 
vrîmes une  haute  terre.  Il  y  avait  vingt- trois  jours  que  nous 
n'avions  aperçu  la  terre ,  ayant  toujours  marché,  durant  cet 
intervalle,  avec  le  vent  en  poupe;  en  forte  que  pendant  cette 
traverfée  nous  avions  dû  faire  pour  le  moins  fix  cents  lieues. 
La  terre ,  quand  nous  la  découvrîmes,  était  à  huit  lieues 
environ  de  diftance  ;  on  fonda  &  on  trouva  quarante-cinq 
braffes.  Durant  la  nuit,  nous  fîmes  route  au  fud-efl;  pour 
nous  écarter  de  la  côte  &,  le  jour  d'après,  nous  allâmes  la 
chercher,  mais  fans  pouvoir  en  approcher  affez  pour  que 
le  pilote  en  eût  parfaite  connailTance  ;  ceci  venait  des  nom- 
breufes  averfes  &  des  orages  qui  régnèrent  pendant  cette 
traverfée  fur  la  terre  &  fur  la  côte  que  nous  fuivions.  Le 
dimanche ,  nous  étions  tout  près  des  montagnes  qui  do- 


40 
minent  la  cité  de  Calicut,  &  nous  en  approchâmes  aflez 
pour  que  notre  pilote  les  reconnût  &  nous  dît  que  cette 
contrée  était  bien  celle  où  nous  défirions  arriver.  Et  le  même 
jour,  fur  le  foir,  nous  fûmes  mouiller  à  deux  lieues  en  def- 
fous  de  Calicut,  parce  que  le  pilote  prit  pour  cette  ville  une 
bourgade  du  nom  de  Capua  qui  exiftait  en  cet  endroit;  & 
plus  bas  que  cette  bourgade  s'en  trouve  une  autre  appelée 
Pandarany.  Nous  jetâmes  donc  l'ancre  le  long  de  la  côte, 
à  une  lieue  &  demie  de  terre  environ.  Et  lorfque  nous  eûmes 
mouillé  de  la  forte,  quatre  barques  fe  détachèrent  du  rivage 
&  vinrent  reconnaître  qui  nous  étions;  on  nous  apprit  alors 
&  on  nous  montra  où  était  Calicut.  Le  jour  fuivant ,  les 
mêmes  barques  revinrent  aux  navires,  &  le  commandant 
envoya  un  des  déportés  à  Calicut.  Ceux  avec  qui  il  y  alla 
le  menèrent  chez  deux  Maures  de  Tunis  qui  favaient  parler 
le  caftillan  ainfi  que  le  génois,  &  le  premier  falut  qu'il  en 
reçut  fut  le  fuivant  :  —  Que  le  diable  t'emporte  !  qui  t'a 
amené  ici?  —  Puis  ils  lui  demandèrent  ce  que  nous  étions 
venus  chercher  fi  loin,  &  il  leur  répondit  :  —  Nous  venons 
chercher  des  chrétiens  &  des  épices.  —  Pourquoi,  lui  dirent- 
ils,  le  roi  de  Caftille,  le  roi  de  France  &  la  feigneurie  de 
Venife  n'y  envoient-ils  pas  auffi.''  —  Et  il  leur  répondit  que 
le  roi  de  Portugal  ne  permettrait  pas  qu'ils  y  envoyafTent; 
à  quoi  ils  repartirent  qu'il  avait  raifon.  Enfuite  ils  lui  firent 
accueil  &  lui  donnèrent  à  manger  du  pain  de  froment  avec 
du  miel;  &  lorfqu'il  eut  mangé,  il  revint  aux  navires.  Et 
l'un  de  ces  Maures  l'ayant  accompagné  (xxxvii),fe  prit  à 
dire  dès  qu'il  fut  à  bord  :  —  Bon  fuccès,  bon  fuccès  :  force 
rubis,  force  émeraudes  ;  vous  devez  rendre  de  grandes  ac- 
tions de  grâces  à  Dieu  pour  vous  avoir  conduit  en  un  pays 


41 
où  il  y  a  tant  de  richefles.  Nous  fûmes  fi  grandement  ébahis 
que  nous  l'écoutions  parler  fans  y  croire,  ne  pouvant  nous 
perfuader  qu'il  y  eût  à  pareille  diftance  du  Portugal  quel- 
qu'un qui  entendît  notre  langue. 

La  cité  de  Calicut  efl  habitée  par  des  chrétiens  qui  font 
gens  bafanés  ;  quelques-uns  portent  de  grandes  barbes 
&  des  cheveux  longs  ;  d'autres  ont  la  tête  rafée  ou  ton- 
due ;  ils  confervent  au  fommet  une  forte  de  toupet  pour 
indiquer  qu'ils  font  chrétiens.  Ils  portent  auffi  des  moufta- 
cheSj  fe  percent  les  oreilles  &  y  mettent  beaucoup  d'or.  Ils 
vont  nus  jufqu'à  la  ceinture  &  fe  couvrent  le  bas  du  corps  de 
pagnes  de  coton  très-fines;  ceux  qui  s'habillent  ainfi  font 
les  plus  qualifiés  ;  les  autres  fe  vêtent  comme  ils  peuvent. 
Les  femmes  du  pays  font  laides,  en  général,  &  de  petite 
llature  ;  elles  portent  au  cou  maints  bijoux  d'or,  aux  bras 
quannté  de  bracelets,  &  aux  doigts  des  pieds  des  anneaux 
enrichis  de  diamants.  Toute  cette  population  eft  d'un  bon 
naturel  et  fenfible,  du  moins  elle  le  paraît;  ce  font  des  gens 
qui  femblent  ignorants,  à  première  vue,  d'ailleurs  extrême- 
ment avides. 

Lorfque  nous  arrivâmes  à  cette  cité  de  Calicut,  le  roi  en 
était  à  quinze  lieues;  le  commandant  en  chef  lui  dépêcha 
deux  hommes  pour  lui  dire  qu'un  ambafladeur  du  roi  de 
Portugal  était  arrivé,  qu'il  apportait  des  lettres  de  fon  fou- 
verain,  &  qu'il  irait  les  lui  remettre  à  fa  réfidence  s'il  le  trou- 
vait bon.  Le  roi  ayant  reçu  ledit  meflage  du  commandant 
fit  présent  aux  deux  hommes  qui  Pavaient  apporté  de  fort 
belles  étoffes  ;  puis  il  lui  fit  répondre  qu'il  était  le  bienvenu, 
&  que  lui-même  allait  fe  rendre  incontinent  à  Calicut, 
comme  en  effet  il  partit  fur-le-champ,  accompagné  d'une 

6 


42 

l'uite  nombrcufc.  Par  le  retour  de  nos  deux  hommes,  il  nous 
envoya  un  pilote  pour  nous  conduire  en  un  parage  nommé 
Pandarany,  plus  bas  que  notre  premier  mouillage,  car  nous 
étions  pour  le  moment  devant  la  cité  de  Calicut  :  nous  y 
trouverions  un  bon  port  où  nous  devions  nous  amarrer, 
tandis  que  celui  où  nous  étions  ne  valait  rien  &  avait  un 
fonds  de  rocher;  enfin  c'était  la  coutume  des  bâtiments  qui 
venaient  en  ce  pays  de  mouiller  là  pour  leur  sécurité.  Le 
commandant,  voyant  ce  meflage  du  roi,  &  jugeant  d'ailleurs 
que  nous  n'étions  pas  bien,  donna  ordre  de  larguer  incon- 
tinent les  voiles,  &  nous  fûmes  jeter  l'ancre  dans  le  port  en 
queftion.  Toutefois  nous  n'entrâmes  pas  auflî  avant  que  le 
voulait  le  pilote  que  le  roi  nous  avait  donné.  Et  quand  nous 
fiimes  établis  &  amarrés  dans  ledit  port,  vint  un  meflage 
du  roi  annonçant  au  commandant  en  chef  qu'il  était  déjà 
dans  la  ville  ;  il  envoyait  au  bourg  de  Pandarany  un  per- 
fonnage  qu'on  nomme  le  baile(ï)  (forte  d'alcade  qui  mar- 
che toujours  efcorté  de  deux  cents  hommes  armés  d'épées 
&  de  targes),  pour  accompagner  le  commandant  en  chef  à 
l'endroit  où  il  fe  tenait  avec  d'autres  perfonnes  de  diftinélion. 
Or,  le  jour  où  parvint  ce  meflage,  il  fe  faisait  déjà  tard  &  le 
commandant  ne  voulut  pas  y  aller.  Et  le  lendemain  matin 
qui  était  un  lundi,  28 du  mois  de  mai,  il  s'en  fut  parler  au  roi 
&  mena  avec  lui  treize  hommes  de  fes  équipages  parmi  lel- 
quels  je  me  trouvai.  Nous  partîmes  tous  en  habits  de  gala, 


(1)  Probablement  de  l'arabe  wa/«,  prince,  gouverneur,  chef  mi- 
litaire. Gafpar  Corrèa  (Lenda,  1,  c.  17)  l'appelle  gozil,  par  cor- 
ruption du  mot  arabe  wazir,  miniftre  du  roi.  Les  autres  hifloriens 
le  nomment  catual. 


43 

avec  de  rartillerie  fur  les  embarcations,  des  trompettes  & 
quantité  de  bannières.  En  abordant,  le  commandant  trou- 
va ce  même  alcade  au  milieu   de  beaucoup  d'hommes  ar- 
més et  de  quelques  autres  ftns  armes  qui  le  reçurent  avec 
force  démonftrations  de  joie  &  d'amitié,  comme  gens  en- 
chantés de  nous  voir.  Ces  individus,  à  première  vue,  n'a- 
vaient pas  une  mine  raflurante  car  ils  tenaient  leurs  armes 
nues  à  la  main.  Là,  on  amena  au  commandant  en  chef 
une   forte  de  litière  à  dos  d'hommes  dont  les   perfonnes 
quahfiées  ont  coutume  de  fe  ferviren  ce  pays,  ainfi  qu'un 
petit  nombre  de  marchands  qui,  pour  en  ufer,  paient  au 
roi  certaine  redevance.  Le  commandant  s'y  inftalla,  &  fix 
hommes  le  portèrent  en  fe  relayant;  puis,  avec  tout  ce  monde 
à  notre  fuite,  nous  prîmes  la  route  de  Calicut  &  allâmes  à 
un  autre  bourg  du  nom  de  Capua.  Là,  ils  dépolêrent  le 
commandant  en  chef  dans  la  maifon  d'un  notable  du  lieu, 
&  firent  préparer  pour  nous  un  repas  confiftant  en  riz,  avec 
beaucoup  de  beurre,  &  en  excellent  poiflon  bouilli.  Le  com- 
mandant ne  vouliàt  pas  manger  en  cet  endroit,  &  quand 
nous  eûmes  achevé,  il  alla  s'embarquer  fur  un  fleuve  qui 
eft  tout  proche  &  qui  coule  le  long  de  la  côte,  entre  la  mer 
&  la  terre  ferme.  Les  barques  fur  lefquelles  nous  montâmes 
étaient  au  nombre  de  deux,  liées  enfemble,  afin  que  nous 
pulFions  naviguer  de  conferve  ;  il  y  avait  en  outre  une  grande 
quantitéd'autres  embarcations  qui  portaient  encore  beaucoup 
de  monde;  je  ne  dis  rien  de  ceux  qui  fuivaient  par  terre  en 
nombre  infini  &  qui,  tous,  étaient  venus  pour  nous  voir. 
Nous  fîmes  environ  une  lieue  fur  ce  fleuve  où  nous  remar- 
quâmes maints  gros  &  grands  navires  échoués  fur  la  rive,  par 
la  raifon  qu'il  n'y  a  pas  de  port  en  cet  endroit.  Et  lorfque  nous 


44 
eûmes  débarqué,  le  commandant  reprit  fa  litière,  &  nous 
poursuivîmes  notre  chemin  au  milieu  d'une  telle  foule  ac- 
courue pour  nous  voir  qu'on  n  aurait  pu  la  dénombrer  ;  les 
femmes,  elles-mêmes,  fortaient  de  leurs  maifons  avec  leurs 
enfants  fur  le  bras,  &  s'en  venaient  à  notre  fuite.  Arrivés  là, 
ils  nous  conduifirent  à  une  grande  églife  où  l'on  remarquait 
ce  qui  suit  : 

Premièrement,  le  corps  de  i' églife  efl  de  la  grandeur  d'un 
monaftère  ;  elle  efl  entièrement  conflruite  en  pierres  de 
taille  &  recouverte  en  tuiles;  &  ,  à  la  porte  principale,  il 
y  a  une  colonne  de  bronze  aufTi  haute  qu'un  mât  &,  au 
fommet  de  cette  colonne ,  un  oifeau  qui  femble  être  un 
coq;  puis  une  autre  colonne  delà  hauteur  d'un  homme  & 
fort  grofle.  Au  milieu  du  vaifleau  de  l'églife  on  voyait  un 
dôme  tout  en  pierres  de  taille  ;  &  il  y  avait  une  porte  pour 
laifler  pafTer  un  homme,  ainfi  que  des  degrés  en  pierre 
pour  monter  à  cette  porte  qui  était  de  bronze  ;  dans  l'inté- 
rieur fe  trouvait  une  petite  image  qu'ils  difaient  être  de  No- 
tre-Dame, &  devant  la  porte  principale  de  l'églife,  le  long 
du  mur,  étaient  fufpendues  fept  petites  cloches.  Là,  le  com- 
mandant en  chef  fit  fes  oraifons,  ainfi  que  nous  autres 
(xxxviii)  ;  mais  nous  ne  pénéffâmes  point  dans  l'intérieur 
de  cette  chapelle  parce  que  leur  règle  efl  qu'on  n'y  entre 
pas,  hormis  certains  individus  qui  font  au  fervice  des  églifes 
&  qu'ils  noravaent  quafee s .  Ces  quafees  portent  une  manière 
de  corde  jetée  fur  l'épaule  (c'ell  l'épaule  gauche)  &  pafTant 
fous  le  bras  droit,  comme  les  diacres  portent  l'étole.  Ceux- 
ci  nous  afpergèrent  d'eau  bénite  &  nous  donnèrent  une 
terre  blanche  que  les  chrétiens  de  ce  pays  ont  accoutumé 
de  porter  à  la  tête,  à  la  poitrine,  derrière  le  cou  &  aux  avant- 


4r 

bras.  Toutes  ces  cérémonies,  ils  les  firent  au  commandant, 
&  lui  préfentèrent  de  cette  terre  pour  qu'il  s'en  fervît;  &  il 
la  prit  &  la  donna  à  garder,  laiflant  entendre  qu'il  en  fe- 
rait ufage  plus  tard.  Sur  les  murailles  de  l'églife  on  voyait 
maintes  autres  peintures  repréfentant  des  faints  qui  portaient 
des  diadèmes,  &  ces  images  étaient  de  diverfes  façons,  car 
quelques-unes  avaient  des  dents  fi  grandes  qu'elles  fortaient 
d'un  pouce  de  la  bouche;  &  chaque  faint  avait  quatre  ou 
cinq  bras.  Au  bas  de  cette  églife  était  un  grand^baifin  conf- 
truit  en  pierres  de  taille,  comme  plufieurs  autres  que  nous 
avions  remarqués  le  long  du  chemin. 

Nous  quittâmes  ce  lieu,  &,  à  l'entrée  de  la  cité,  on  nous 
mena  à  une  autre  églife  où  fe  voyaient  les  mêmes  chofes 
que  celles  qui  ont  été  relatées  plus  haut.  Ici,  s'accrut  tel- 
lement la  foule  accourue  pour  nous  voir,  que  le  chemin  ne 
pouvait  plus  la  contenir  ;  aulïï,  lorfque  nous  fûmes  aflez 
avant  dans  la  rue,  on  dépofa  le  commandant  dans  une  mai- 
fon  &  on  nous  y  fit  entrer  avec  lui,  à  cause  de  l'affluence  qui 
était  devenue  confidérable.  Là,  le  roi  envoya  un  fi'ère  du 
baile,  qui  était  un  feigneur  du  pays  ;  il  venait  pour  accom- 
pagner le  commandant  &  menait  avec  lui  bon  nombre  de 
tambours,  de  clairons,  d'anafils,  ainfi  qu'une  efpingole  que 
l'on  déchargeait  devant  nous.  Ce  fut  ainfi  qu'ils  conduifirent 
le  commandant,  avec  de  grandes  démonftrations  de  refpefl, 
c'eft-à-dire  autant  &  même  plus  qu'on  n'en  ferait  en  Efpa- 
gne  pour  un  roi.  La  foule  était  fi  grande  qu'on  n'aurait  pu 
la  dénombrer  ;  les  toits  &  les  maifons  débordaient  de  cu- 
rieux, outre  ceux  qui  nous  environnaient,  parmi  lefquels  il 
y  avait  bien  deux  mille  hommes  armés.  Et  plus  nous  avan- 
cions vers  le  palais  oii  était  le  roi,  plus  l'affluence  croifiliit. 


46 

En  approchant  de  la  résidence  royale,  des  perlonnages  du 
plus  liaut  parage  &  des  grands  feigneurs  vinrent  à  la  rencon- 
tre du  commandant,  fans  compter  bon  nombre  d'autres  qui 
déjà  cheminaient  avec  lui  :  il  pouvait  être  une  heure  avant  le 
coucher  du  foleil.  Et  lorfque  nous  fûmes  arrivés,  nous  en- 
trâmes par  une  porte  dans  une  cour  fpacieufe  &,  avant  de 
parvenir  à  celle  du  roi,  nous  en  franchîmes  quatre  autres, 
nous  faifant  jour  par  force  &  diftribuant  force  horions  au- 
tour de  nous.  Parvenus  à  la  dernière  porte  qui  donnait  chez 
le  roi,  nous  en  vîmes  fortir  un  vieillard  de  petite  taille  qui 
cfl  une  efpèce  d'évêque,  le  roi  fe  dirigeant  d'après  lui  en  ce 
qui  concerne  les  chofes  de  l'Eghfe;  il  embraflTa  le  comman- 
dant fur  le  feuil  de  cette  porte,  &,  en  entrant,  il  y  eut  des 
gens  blefles  &  nous  n'y  pénétrâmes  qu'avec  de  vigoureux 
efforts. 

Le  roi  était  dans  une  petite  cour,  couché  fur  un  ht  de  re- 
pos difpofé  de  la  forte  :  en  bas,  un  drap  de  velours  vert  ; 
par-delTus,  un  fort  bon  matelas  &,  fur  le  matelas,  un  linge 
de  coton  parfaitement  blanc  &  plus  fin  qu'aucune  toile  de 
lin  ;  enfin  le  lit  était  garni  d'oreillers  du  même  genre.  De 
la  main  gauche,  il  tenait  une  énorme  coupe  d'or,  auffi  haute 
qu'un  pot  d'une  demi  -almude  (i),  large  de  deux  palmes 
à  l'ouverture  &  fort  épaifle  en  apparence  ;  il  rejetait  dans 
ce  vafe  le  marc  de  certaines  herbes  que  les  gens  du  pays 
mâchent  à  caufe  de  la  chaleur  &  qu'ils  nomment  aram- 
bor  (xxxix);  à  droite,  il  y  avait  un  balfin  d'or  qu'un  homme 


(i)  L'almude  eft  une  mefure  de  capacité  qui  correfpond  à  feize 
litres  &  demi  environ.  (Tnid.) 


47 
eût  à  peine  meluré  de  fes  deux  bras  &  qui  contenait  ces 
herbes,  puis  plufieurs  aiguières  d'argent  ;  enfin,  le  ciel  du 
lit  était  tout  doré.  Or,  quand  le  commandant  entra,  il  fit 
fa  révérence  félon  la  coutume  du  pays  qui  confifte  à  joindre 
les  mains  &  à  les  élever  vers  le  ciel,  comme  les  chrétiens  le 
font  ordinairement  en  s'adreflant  à  Dieu  ;  puis,  après  les 
avoir  élevées,  ils  les  ouvrent  &  les  ferment  vivement.  Alors 
le  roi,  de  la  main  droite,  fit  figne  au  commandant  de  venir 
au  bas  de  Feflrade  qu'il  occupait  ;  mais  le  commandant  n'ap- 
prochait point  parce  que  l'ufage  du  pays  ne  permet  à  per- 
fonne  d'approcher  du  roi,  hormis  un  de  fes  favoris  qui  lui 
préfentait  ces  herbes  ;  &  fi  quelqu'un  lui  parle ,  c'ell  en 
mettant  la  main  devant  la  bouche  &  en  fe  tenant  à  diftance . 
Tout  en  faifant  figne  au  commandant,  il  jeta  les  yeux  fur 
nous,  &  ordonna  que  l'on  nous  fît  afTeoir  fur  un  banc,  près 
de  lui,  en  un  endroit  où  il  pouvait  nous  voir,  &  qu'on  nous 
donnât  de  l'eau  pour  les  mains  ;  puis  il  fit  apporter  une  forte 
de  fi^uit  qui  eft  fait  comme  un  melon,  fauf  qu'à  l'extérieur  il 
eft  rugueux,  mais  à  l'intérieur  il  efl  doux;  il  en  fit  apporter 
aulfi  un  autre  femblable  à  la  figue  &  d'un  goût  excellent. 
Nous  avions  là  des  hommes  occupés  à  nous  les  préparer,  tan- 
dis que  le  roiobfervait  comment  nous  mangions,  nous  fou- 
riait,  &  caufait  avec  fon  favori  qui  fe  tenait  à  fon  côté  pour 
lui  donner  à  mâcher  les  herbes  dont  on  a  parlé.  Après  cela, 
jetant  les  yeux  fur  le  commandant  afîls  en  face  de  lui,  il 
lui  dit  de  s'adrefler  aux  perfonnes  qui  fe  trouvaient  là, 
qu'elles  étaient  de  haute  condition,  &  qu'il  pouvait  leur  dire 
ce  qu'il  fouhaitait;  qu'enfuite  elles  le  lui  tranfmettraient. 
Le  commandant  en  chef  répondit  qu'il  était  ambafladeur 
du  roi  de  Portugal  &  porteur  d'un  meflage  qu'il  ne  devait 


48 
remettre  qu'à  lui-même.  Le  roi  dit  que  c'était  fort  bien, 
puis  le  fit  mener  à  l'inflant  en  une  chambre,  &,  lorfqu'il  y 
fut,  fe  leva  de  fa  place  &  alla  le  trouver.  Pour  nous,  nous 
demeurâmes  au  même  endroit  ;  ceci  fe  paflait  vers  le  cou- 
cher du  foleil.  Et  quand  le  roi  fe  leva,  un  vieillard  qui  était 
dans  la  cour  vint  auflîtôt  enlever  le  lit,  mais  la  vaiflelle 
refla.  Le  roi  étant  allé  où  fe  trouvait  le  commandant  fe 
jeta  fur  un  autre  lit  de  repos  garni  d'étoffes  brodées  d'or, 
puis  il  lui  demanda  ce  qu'il  voulait.  Le  commandant  ré- 
pondit qu'il  était  ambafTadeur  d'un  roi  de  Portugal,  fei- 
gneur  d'un  grand  royaume,  riche  en  toute  efpèce  de 
chofes ,  bien  plus  qu'aucun  monarque  de  ces  contrées  : 
que  depuis  foixante  ans  les  rois  fes  prédécelTeurs  avaient 
envoyé  chaque  année  des  navires  à  la  découverte  en  ces 
quartiers,  fâchant  qu'il  s'y  trouvait  des  rois  chrétiens  comme 
eux  5  que  cette  raifon  les  avait  engagés  à  faire  rechercher 
ce  pays,  &  nullement  le  befoin  d'or  ou  d'argent,  car  ils  en 
pofledaient  en  fi  grande  quantité  qu'ils  n'avaient  que  faire 
d'en  tirer  de  cette  contrée;  que  les  capitaines  defdits  na- 
vires naviguaient  l'efpace  d'un  an  ou  deux,  jufqu'à  ce  que 
les  vivres  leur  manquaffent,  &  que,  sans  rien  avoir  trouvé, 
ils  étaient  revenus  en  Portugal.  Qu'aéluellement ,  un  roi 
du  nom  de  Dom  Manuel  lui  avait  fait  conftruire  ces  trois 
navires  dont  il  lui  avait  donné  le  commandement  en  chef, 
&  lui  avait  enjoint  de  ne  point  revenir  en  Portugal  qu'il  n'eût 
trouvé  ce  roi  des  chrétiens ,  finon  qu'il  lui  ferait  couper  la 
tête  ;  que  dans  le  cas  où  il  le  découvrirait  il  lui  remît  deux 
lettres,  dont  il  ferait  remife  le  lendemain;  qu'enfin  il  lui 
mandait  par  fa  bouche  qu'il  était  fon  frère  &  fon  ami.  Le 
roi,  répondant  à  ce  difcours,  dit  au  commandant  qu'il  était 


4V 
le  bienvenu  ;  qu'à  fon  tour  il  tenait  le  roi  de.  Portugal  pour 
fon  frère  &  ami,  &  qu'il  lui  enverrait  des  ambalTadeurs  par 
fon  entremife,  ce  que  le  commandant  lui  demanda  comme 
une  faveur,  attendu  qu'il  n'oferait  paraître  devant  le  roi  fon 
maître  fans  ramener  quelques-uns  de  fes  fujets.  Ces  pro- 
pos &  bien  d'autres  s'échangèrent  entre  tous  deux  dans  la 
fufdite  chambre,  &  la  nuit  s'avançant,  le  roi  s'informa  du 
commandant  s'il  fouhaitait  loger  chez  des  chrétiens  ou  chez 
des  Maures  ;  &  le  commandant  repartit  qu'il  ne  voulait  loger 
ni  chez  des  chrétiens,  ni  chez  des  Maures;  mais  qu'il  lui  fît 
la  grâce  de  lui  donner  un  logement  à  part  où  il  n'y  eût  per- 
fonne.  Le  roi  dit  qu'il  en  ordonnerait  ainfi;  fur  quoi  le  com- 
mandant prit  congé,  &  vint  nous  retrouver  dans  l'endroit  oii 
Ton  nous  avait  mis,  fous  une  véranda  qui  était  éclairée  par 
un  grand  chandeUer  de  bronze;  il  pouvait  être  déjà  quatre 
heures  de  nuit.  Pour  lors,  nous  prîmes  tous  avec  le  comman- 
dant le  chemin  de  notre  logis,  efcortés  par  une  foule  in  - 
nombrable  ;  la  pluie  tombait  fi  fort  que  l'eau  ruiflelait  dans 
les  rues,  &  le  commandant  était  porté  par  fix  hommes. 
Nous  cheminâmes  parla  cité  durant  fi  longtemps  qu'il  s'en- 
nuya d'aller  ainfi  &  fe  plaignit  à  un  Maure  de  qualité,  fac- 
teur du  roi,  qui  l'accompagnait  pour  le  mener  à  ion  logis.  Et 
le  Maure  le  conduifit  à  fa  maifon  &  le  fit  entrer  dans  une 
cour  intérieure  où  s'élevait  un  pavillon  couvert  en  briques  ; 
il  y  avait  là  quantité  de  tapis  étendus  &  deux  énormes 
chandeliers ,  femblables  à  ceux  du  roi,  portant  en  haut  de 
grandes  lampes  de  fer  allumées ,  remplies  d'huile  ou  de 
graisse;  &  chaque  lampe  était  munie  de  quatre  inèches  qui 
répandaient  une  grande  lumière.  Ce  font  ces  lampes  qu'ils 
ont  coutume  de  porter  en  guife  de  torche.  Or,  ledit  Maure 

7 


fit  amener  là  un  cheval  afin  que  le  commandant  pût  gagner 
Con  logis  ;  mais  comme  on  l'amena  fans  Telle,  il  refufa  de  le 
monter  :  nous  reprîmes  donc  le  chemin  de  notre  gîte  où, 
quand  nous  arrivâmes,  fe  trouvaient  déjà  certains  des  nô- 
tres, avec  le  lit  du  commandant  &  maints  autres  objets  qu'il 
avait  apportés  dans  le  deffein  de  les  offrir  au  roi.  Le  mardi 
donc,  le  commandant  tint  prêtes  les  chofes  fuivantes  pour  les 
envoyer  au  roi,  lavoir  :  douze  pièces  de  drap  rayé,  quatre 
capuces  écarlates,  fix  chapeaux,  quatre  filières  de  corail,  un 
fervice  de  baffins  compofé  de  fix  pièces,  une  caifle  de  fucre, 
enfin  quatre  barils  pleins,  deux  d'huile  &  deux  de  miel.  Et, 
comme  il  eft  d'ufage  ici  de  ne  rien  envoyer  au  roi  fans  en 
avoir  avifé  en  premier  lieu  le  Maure  qui  eft  fon  facîteur  &, 
après  lui,  le  baile,  le  commandant  les  fit  prévenir.  Us  vin- 
rent donc  &  fe  prirent  à  rire  d'un  femblable  préfent,  difant 
que  ce  n'était  point  chofe  à  offi-ir  au  roi,  que  le  plus  pauvre 
marchand  arrivant  de  la  Mecque  ou  des  Indes  en  donnait 
davantage,  &  qu'enfin,  s'il  voulait  faire  un  préfent,  il  en- 
voyât de  l'or,  le  roi  n'ayant  que  faire  de  tout  cela.  Le  com- 
mandant fut  contrifté  de  ces  propos  :  il  dit  qu'il  n'apportait 
point  d'or,  que  d'ailleurs  il  n'était  pas  marchand,  mais  am- 
bafladeur  ;  qu'il  donnait  de  ce  qu'il  avait  &  que  c'était  de 
fon  bien,  non  de  celui  du  roi.  Que  quand  le  roi  de  Portu- 
gal l'enverrait  de  rechef,  il  le  chargerait  alors  de  bien  d'au- 
tres préfents  infiniment  plus  riches  ;  que  fi  le  roi  Camo- 
lim  (i)  rcfufait  celui-ci,  il  le  renverrait  aux  navires  ;  à  quoi 


(i)  Zamorin ,  dénomination  des  rois  de  Calicut ,  bien  connue 
dans  l'hiftoire  des  Indes. 


ils  répondirent  qu'ils  ne  fe  fouciaient  pas  de  le  remettre  au 
roi,  ni  ne  fouffriraient  qu'on  le  lui  préfentât.  Et  lorfqu'ils 
furent  partis,  vinrent  des  Maures,  de  ces  trafiquants,  qui 
tous  affecflèrent  du  dédain  pour  le  préfent  que  le  comman- 
dant deftinait  au  roi. 

Voyant,  d'après  leur  détermination,  qu'il  ne  fallait  plus 
fonger  à  cet  envoi,  le  commandant  déclara  que  puifqu'on 
l'empêchait  de  faire  remettre  fon  préfent  au  roi,  il  irait  lui 
parler,  mais  qu'il  voulait  d'abord  retourner  fur  fes  navires  ; 
ils  répondirent  que  c'était  bien,  qu'il  attendît  un  peu,  qu'ils 
ne  tarderaient  pas  à  le  rejoindre  &  qu'alors  ils  iraient  en- 
femble  au  palais.  Et  le  commandantattendit  leur  retour  du- 
rant toute  la  journée,  mais  on  ne  les  revit  plus.  Dans  fon 
irritation  de  fe  voir  entouré  d'hommes  auflî  flegmatiques  & 
fur  lefquels  on  pouvait  faire  fi  peu  de  fond,  le  comman- 
dant voulait  fe  rendre  fans  eux  au  palais;  toutefois  il  trouva 
mieux  d'attendre  au  lendemain.  Nous  autres,  après  tout, 
ne  laiflions  pas  que  de  nous  divertir,  de  chanter,  de  danfer 
au  fon  des  trompettes  &  de  nous  donner  du  bon  temps. 
Quand  arriva  le  mercredi,  les  Maures  vinrent  dans  la  ma- 
tinée pour  conduire  le  commandant  au  palais,  &  nous  y  al- 
lâmes avec  lui.  On  y  voyait  circuler  nombre  de  gens  armés; 
&  pendant  quatre  grandes  heures,  le  commandant  demeura 
avec  ceux  qui  l'avaient  amené  devant  une  porte  qu'on  leur 
ouvrit  feulement  quand  le  roi  eut  fait  dire  qu'ils  pouvaient 
entrer,  que  le  commandant  ne  prît  pas  plus  de  deux  hommes 
avec  lui  &  choisît  ceux  dont  il  voulait  être  accompagné.  Il 
dit  alors  qu'il  défirait  faire  entrer  avec  lui  Fern.  Martin,  celui 
qui  connailTait  la  langue,  &  fon  fecrétaire,  jugeant,  comme 
nous  autres,  que  cette  féparation  ne  difait  rien  de  bon.  Et 


f2 

lorlquil  fut  en  préfencc  du  roi,  celui-ci  lui  dit  que  le  mardi 
il  avait  attendu  fa  vifite  ;  &  le  commandant  répondit  qu'il 
avait  été  fatigué  de  la  route  &  n'était  pas  venu  pour  cette 
raifon.  Le  roi  reprit  &  dit  qu'il  s'était  annoncé  comme  ve- 
vant  d'un  royaume  très  riche,  &  qu'il  ne  lui  avait  rien  ap- 
porté; qu'en  outre  il  s'était  dit  chargé  d'une  lettre  pour  lui 
&  qu'il  ne  la  lui  remettait  pas.  A  cela,  le  commandant  ré- 
pliqua que  s'il  ne  lui  avait  rien  apporté,  c'eft  que  l'objet  de 
fon  voyage  était  feulement  d'obferver  &  de  découvrir;  que 
quand  viendraient  d'autres  navires ,  il  verrait  ce  qu'on  lui 
apporterait;  qu'enfin,  à  l'égard  de  la  lettre  dont  il  s'était  dit 
porteur,  rien  n'était  plus  vrai,  &  qu'il  allait  la  remettre  à 
l'inftant. 

Pour  lors  le  roi  lui  demanda  :  Qu'était-ce  donc  qu'il  était 
venu  découvrir,  des  pierres  ou  des  hommes?  S'il  était  venu 
pour  des  hommes,  comme  il  le  difait,  que  n'apportait-il 
quelque  chofe  ?  De  plus,  on  lui  avait  afluré  qu'il  pofTédait 
une  Sainte-Marie  en  or.  Le  commandant  répondit  que  la 
Sainte-Marie  qu'il  pofTédait  n'était  pas  en  or  ;  &  que,  fût- 
elle  en  or,  il  ne  s'en  deffaifirait  pas,  car  elle  l'avait  guidé 
fur  mer  &  le  ramènerait  en  fon  pays.  Le  roi  lui  dit  alors  de 
lui  remettre  la  lettre  dont  il  était  porteur.  Et  le  commandant 
répondit  que  comme  les  Maures  lui  étaient  hoftiles  &  la 
traveftiraient ,  il  demandait  en  grâce  qu'on  fît  appeler  un 
chrétien  fâchant  parler  arabe.  Le  roi  dit  que  c'était  fort 
bien,  puis  envoya  quérir  incontinent  un  jeune  homme  de 
petite  taille  qui  avait  nom  Quaram.  Alors  le  commandant 
annonça  qu'il  était  porteur  de  deux  lettres  ;  l'une  écrite  en 
fa  propre  langue,  l'autre  en  maurefque  ;  qu'il  entendait  fort 
bien  celle  qui  était  écrite  en  fa  langue  &  favait  qu'elle  ne 


r3 

laiflait  rien  à  défirer  ;  mais  que  pour  Taurre,  il  ne  l'enten- 
dait pas  ;  qu'elle  pouvait  être  bien,  comme  elle  pouvait  ren- 
fermer quelques  erreurs.  Or,  comme  le  chrétien  ne  favait 
pas  lire  le  maurefque,  quatre  Maures  prirent  la  lettre,  la  lu- 
rent entre  eux,  &  vinrent  enfuite  en  faire  lecflure  au  roi  qui 
en  demeura  fatisfait.  11  demanda  enfuite  au  commandant 
quelles  fortes  de  marchandifes  fe  rencontraient  en  fon  pays. 
Le  commandant  répondit  qu'il  y  avait  abondance  de  blé, 
d'étoffes,  de  fer,  de  cuivre,  &  il  en  nomma  encore  plufieurs 
autres.  Le  roi  s'informa  s'il  avait  avec  lui  quelques  marchan- 
difes; il  repartit  qu'il  avait  apporté  un  peu  de  tout,  pour  la 
montre  ;  qu'il  demandait  la  liberté  de  retourner  à  bord  de 
fes  navires  pour  faire  débarquer  ces  objets,  &  que  quatre 
ou  cinq  de  fes  hommes  demeureraient  à  l'endroit  où  ils 
étaient  logés.  Le  roi  répondit  que  non,  qu'il  pouvait  s'en 
retourner,  qu'il  emmenât  tout  fon  monde  avec  lui  &  fît  bien 
amarrer  fes  vaifTeaux,  qu'il  mît  fa  marchandife  à  terre  &  la 
vendît  du  mieux  qu'il  le  pourrait.  Après  avoir  pris  congé 
du  roi,  le  commandant  s'en  revint  au  logis  avec  nous  au- 
tres, &,  comme  il  était  déjà  tard,  il  ne  fe  mit  point  en  peine 
de  partir.  Or,  le  jeudi  matin,  on  lui  amena  un  cheval  non 
fellé,  mais  il  ne  voulut  point  le  monter  &  demanda  un 
cheval  du  pays,  c'eft-à-dire  une  litière ,  parce  qu'il  ne  lui 
convenait  pas  de  chevaucher  à  poil.  Pour  lors,  on  le  con- 
duifit  en  la  demeure  d'un  très  riche  marchand,  du  nom  de 
Guzerate,  qui  fit  préparer  une  de  fes  litières,  &  dès  qu'elle 
fut  prête,  le  commandant  y  monta  &  prit,  accompagné 
d'une  foule  nombreufe,  le  chemin  de  Pandarany  où  étaient 
les  navires  ;  nous  autres,  ne  pouvant  fuivre  fon  allure,  nous 
demeurâmes  fort  en  arrière.  Et,  comme  nous  cheminions 


f4 
ainfi,  l'urvint  le  bailc  qui  nous  dépafTa  &  rejoignit  le  com- 
mandant. Pour  nous,  nous  nous  trompâmes  de  route  & 
allâmes  bien  avant  dans  l'intérieur  ;  mais  ledit  baile  nous 
dépêcha  un  homme  qui  nous  remit  dans  notre  direcflion. 
En  arrivant  à  Pandarany,  nous  trouvâmes  le  commandant 
dans  une  de  ces  hôtelleries  comme  il  y  en  a  plufieurs 
fur  ces  routes  pour  abriter  contre  la  pluie  les  paflants  & 
les  voyageurs  ;  avec  lui  étaient  le  baile  &  bon  nombre 
d'autres  perfonnes.  Quand  nous  ffimes  là,  le  comman- 
dant demanda  au  baile  de  lui  faire  donner  une  almadie 
afin  que  nous  nous  rendiiïions  tous  à  bord  ;  mais  il  répon- 
dit, de  concert  avec  les  autres,  qu'il  était  déjà  tard  (&  en 
effet  le  foleil  fe  couchait),  &  que  nous  partirions  le  jour 
fuivant.  Le  commandant  reparut  que  s'ils  ne  la  lui  don- 
naient pas,  il  retournerait  vers  le  roi,  car  il  l'avait  renvoyé 
fur  fes  navires  ;  qu'eux,  cependant,  le  voulaient  retenir,  ce 
qui  était  très-mal  agir  puifqu'il  était  chrétien  comme  eux. 
Quand  ils  virent  le  mécontentement  du  commandant,  ils 
lui  dirent  qu'il  pouvait  partir,  &  qu'ils  lui  fourniraient 
trente  almadies  s'il  en  avait  befoin  d'autant.  Pour  lors,  ils 
nous  menèrent  le  long  de  la  plage,  &  le  commandant, 
foupçonnant  quelque  mauvais  deflein,  envoya  trois  hom- 
mes en  avant  :  s'ils  trouvaient  les  embarcations  des  navires 
&  que  fon  frère  y  fût,  ils  devaient  lui  dire  de  fe  cacher. 
Ils  allèrent,  ne  trouvèrent  rien  &  s'en  revinrent  ;  &  comme 
on  nous  fit  prendre  une  autre  direélion,  nous  ne  pûmes 
pas  nous  rencontrer.  Lors,  ils  nous  conduifirent  en  la  maifon 
d'un  Maure,  car  il  était  déjà  nuit  clofe,  &  dirent,  en  y 
arrivant,  qu'ils  s'allaient  mettre  en  quête  des  trois  hommes 
qui  ne  nous  avaient  pas  rejoints.    Après   leur   départ,  le 


commandant  fit  acheter  force  poules  avec  force  riz,  &  nous 
foupâmes,  bien  que  très-fatigués  d'avoir  marché  pendant 
toute  la  durée  du  jour.  Quant  à  eux,  du  moment  où  ils  fe 
furent  éloignés,  ils  ne  revinrent  plus  qu'au  matin.  Et  le 
commandant  difait  que  ces  gens-là  lui  paraiflaient  honnêtes, 
car  s'ils  avaient  mis  obftacle  à  notre  départ  la  nuit  d'avant, 
ils  l'avaient  fait  dans  de  bonnes  intentions  ;  cependant, 
d'autre  part,  nous  les  tenions  tous  en  fufpicion  &  les 
jugions  mal  difpofés,  en  raifon  de  ce  qui  nous  était  advenu 
les  jours  précédents  à  Calicut.  Et  quand  le  lendemain  ils 
revinrent,  le  commandant  leur  ayant  demandé  des  embar- 
cations pour  regagner  fon  bord,  ils  fe  mirent  tous  à  chu- 
chotter  entre  eux,  puis  lui  dirent  de  faire  avancer  fes 
navires  plus  près  de  terre  &  qu'il  pourrait  alors  y  retourner. 
Le  commandant  répondit  que  s'il  donnait  l'ordre  aux  navires 
d'approcher,  fon  frère  penferait  qu'on  le  retenait  captif  & 
qu'il  cédait  à  la  violence  ;  qu'alors  il  mettrait  à  la  voile  & 
s'en  irait  en  Portugal.  Ils  répUquèrent  que  s'il  refufait  de 
faire  avancer  fes  vaifTeaux,  il  n'y  retournerait  d'aucune  autre 
façon.  Le  commandant  repartit  que  le  roi  Camolim  l'ayant 
renvoyé  fur  fes  navires,  s'ils  ne  lui  permettaient  pas  de  s'y 
rendre,  comme  l'avait  ordonné  le  roi,  c'efl  à  lui-même  qu'il 
s'adrefTerait  ;  qu'il  était  chrétien  comme  lui  5  que  s'il 
s'oppofait  à  fon  départ  &  voulait  le  retenir  en  fes  Etats,  il 
s'en  réjouirait  infiniment.  Ils  répondirent  que  oui,  qu'il  y 
allât. Toutefois,  ils  n'y  prêtaient  guère  la  main,  car  les  portes 
du  lieu  où  nous  étions  furent  toutes  fermées  incontinent, 
&  la  maifon  remplie  de  gens  armés  qui  nous  gardaient  de 
fi  près  qu'aucun  des  nôtres  ne  pouvait  fortir  fans  être  bien 
accompagné.  Enfuite  ils  en  vinrent  à  nous  demander  de 


f6 
leur  donner  les  voiles  &  les  gouvernails  ;  mais  le  comman- 
dant déclara  qu'il  n'avait  rien  de  tout  cela  à  leur  donner 
puifque  le  roi  Camolim  l'avait  renvoyé  fans  condition  à  fon 
bord  ;  qu'ils  fiflent  ce  qu'ils  voudraient  de  fa  perfonne,  mais 
qu'ils  n'obtiendraient  rien  de  lui. 

Ayant  tous  l'âme  fort  attriflée,  bien  qu'au  dehors  nous 
montraffions  peu  de  fouci  de  leurs  procédés,  le  comman- 
dant dit  que  puifqu'on  refufait  de  le  laifTer  retourner  aux 
navires ,  on  permît  au  moins  à  fes  gens  d'y  aller,  car  ils 
mouraient  de  faim  en  cet  endroit.  La  réponfe  fut  qu'ils 
devaient  refter  ;  que  s'ils  mouraient  de  faim  ils  prifTent 
patience,  que  pour  eux  ils  n'en  croyaient  rien.  Sur  ces 
entrefaites,  furvint  un  des  hommes  qui  nous  avaient  perdus 
la  veille  au  foir,  &  il  prévint  le  commandant  que  Nicolas 
Coelho  l'attendait  fur  la  côte  depuis  la  nuit  précédente 
avec  les  embarcations.  Auffitôt  que  le  commandant  eut 
reçu  cet  avis,  il  dépêcha  un  meflager  à  Nicolas  Coelho,  le 
plus  fecrètement  qu'il  put  &  en  ufant  de  beaucoup  d'adrefle, 
car  nous  avions  une  garde  nombreufe  autour  de  nous  ;  il 
lui  mandait  de  quitter  ces  lieux  au  plus  vite,  de  fe  retirer 
fur  les  vaifTeaux  &  de  les  mettre  en  fureté  ;  ce  mefiage 
parvint  à  Nicolas  Coelho  qui  s'éloigna  précipitamment.  Or, 
ceux  qui  nous  gardaient  ayant  été  avifés  de  fon  départ, 
armèrent  en  toute  hâte  plufieurs  almadies  &  le  pourfui- 
virent  jufqu'à  une  certaine  diftance  ;  mais  voyant  qu'ils  ne 
pouvaient  l'atteindre,  ils  revinrent  trouver  le  commandant, 
&  lui  dirent  d'écrire  à  fon  frère  qu'il  rapprochât  de  terre  fes 
navires  et  entrât  plus  avant  dans  le  port.  Le  commandant 
répondit  qu'il  ne  demandait  pas  mieux,  mais  que  fon  frère 
ne  le  ferait  pas  ;  &  que,  quand  même  il  y  confentirait,  fes 


)7 
compagnons  s'y  oppoferaient  &  ne  voudraient  pas  courir  a 
leur  perte  5  à  quoi  ils  répartirent  qu'il  la  leur  donnait  belle, 
qu'ils  favaient  bien  que  s'il  ordonnait,  il  ferait  obéi. 

Le  commandant  ne  voulait  pas  faire  entrer  les  navires 
plus  avant  dans  le  port  parce  qu'il  penfait,  &  c'était  aufll 
notre  fentiment,  qu'une  fois  dans  l'intérieur,  ils  pourraient 
bien  s'en  emparer  &  nous  égorger,  en  commençant  par 
lui  &  par  nous  autres  qui  déjà  nous  trouvions  en  leur  pou- 
voir. 

Toute  cette  journée,  nous  la  paflames  dans  l'anxiété 
comme  on  l'a  vu  ;  quand  vint  la  nuit,  il  y  eut  bien  plus 
de  monde  encore  autour  de  nous  5  on  ne  nous  permit  plus 
de  circuler  dans  l'efpèce  d'enclos  où  nous  étions  placés, 
mais  on  nous  mit  dans  une  petite  cour  pavée  en  briques,  & 
on  nous  entoura  d'une  quantité  de  gens  infinie.  Nous  trou- 
vant ainfi  au  milieu  d'eux,  nous  nous  attendions,  le  lende- 
main,àêtre  féparés  lesuns  des  autres,  ou  à  fubir  quelque  autre 
traitement  funefle,  tant  ils  nous  paraiflaient  animés  contre 
nous.  Ce  nonobftant,  nous  ne  laiffâmes  pas  que  de  fort  bien 
fouper  de  ce  que  l'on  trouva  dans  la  bourgade.  Pendant  la 
nuit,  nous  fûmes  gardés  par  plus  d'une  centaine  d'individus 
armés  d'épées,  de  haches,  de  rondaches,  d'arcs  &  de  flèches  ; 
&  ils  s'arrangeaient  de  telle  façon,  que  les  uns  dormaient, 
quand  les  autres  veillaient,  alternant  ainfi  toute  la  nuit. 

Le  lendemain,  qui  fe  trouvait  un  famedi,  deuxième  jour 
du  mois  de  juin,  les  feigneurs  vinrent  dans  la  matinée  &, 
cette  fois,  avec  meilleur  vifage.  Ils  dirent  au  commandant 
que  puifqu'il  avait  manifeflé  au  roi  l'intention  de  mettre  à 
terre  fa  marchandife,  il  la  fît  débarquer  ;  car,  d'après  la 
coutume  du  pays,  les  navires  qui  y  abordent  quels  qu'ils 


foient,  doivent  mettre  incontinent  leur  cargaifon  à  terre  ainfi 
que  tout  leur  équipage,  &,  jufqu'à  la  vente  complète  de  la 
marchandife,  le  vendeur  ne  retourne  pas  à  bord.  Le  com- 
mandant répondit  qu'il  y  confentait  &  qu'il  écrirait  à  fon 
frère  de  l'expédier  ;  ils  dirent  que  c'était  bien  &,  qu'auflltôt 
après  le  débarquement  des  marchandifes,  on  le  laifTerait 
regagner  les  navires.  Le  commandant  écrivit  donc  à  fon 
frère  de  lui  envoyer  certaines  chofes  que  celui-ci  expédia 
fur-Ie-champ  ;  &  dès  qu'ils  les  eurent  vues,  ils  lui  permi- 
rent de  retourner  à  bord,  &  deux  hommes  demeurèrent  à 
terre  avec  les  marchandifes.  Nous  nous  réjouîmes  tous 
infiniment  de  ce  réfultat,  &  rendîmes  de  grandes  adions  de 
grâces  à  Notre-Seigneur  pour  nous  avoir  tirés  des  mains  de 
pareils  hommes,  auffi  incapables  d'entendre  la  raifon  que 
des  brutes  ;  nous  favions  bien,  en  effet,  qu'une  fois  le 
commandant  fur  fes  vaifleaux,  d'autres  pouvaient  refter  à 
terre  fans  qu'il  leur  fût  fait  aucun  mal.  Quant  à  lui,  de 
retour  à  bord  ,  il  ne  voulut  pas  envoyer  pour  le  moment 
une  plus  grande  quantité  de  marchandifes.  A  cinq  jours  de 
là,  le  commandant  fit  favoir  au  roi  comment,  après  avoir 
été  renvoyé  par  lui  fur  fes  navires,  certains  des  fiens  l'a- 
vaient empêché  d'y  retourner  en  le  retenant  fur  la  route 
durant  un  jour&  une  nuit;  il  ajoutait  qu'il  avait  fait  mettre 
à  terre  fa  cargaifon,  comme  il  le  lui  avait  commandé,  mais 
que  les  Maures  ne  venaient  là  que  pour  la  déprécier  ;  qu'il 
vît  donc  ce  qu'il  lui  plairait  d'ordonner  parce  qu'il  n'atta- 
chait aucune  importance  à  ces  marchandifes  ;  qu'il  demeu- 
rait d'ailleurs  à  fon  fervice,  lui  &  fes  navires.  Le  roi  fit  au(îî- 
tôt  répondre  que  ceux  qui  s'étaient  comportés  de  la  forte 
étaient  de  mauvais  chrétiens  &:  qu'il  les  châtierait;  puis  il 


Î9 
envoya  fept  ou  huit  marchands  examiner  la  marchandife 
afin  qu'ils  Fachetaflent  fi  elle  était  à  leur  gré  ;  en  outre,  il 
envoya  fijr  place  un  homme  qualifié,  pour  y  demeurer  avec 
le  fadeur,  &  ils  avaient  ordre  de  tuer  tout  Maure  qui  appro- 
cherait, fans  être  aucunement  recherchés  pour  ce  fait. 

Les  marchands  envoyés  par  le  roi  demeurèrent  là  une 
huitaine  de  jours  ;  mais  loin  d'acheter,  ils  dépréciaient  la 
marchandife.  Quant  aux  Maures,  ils  ne  vinrent  point  du 
tout  au  magafin  où  elle  était  dépofée,  &  leur  inimitié  s'en 
accrut  à  tel  point  que,  fi  quelqu'un  de  nous  allait  à  terre, 
ils  crachaient  fur  le  fol,  dans  fintention  de  nous  mortifier, 
en  difant  :  «  Portugal,  Portugal  »  ;  d'ailleurs,  dès  le  principe, 
ils  avaient  cherché  les  moyens  de  fe  faifir  de  nous  &  de  nous 
mettre  tous  à  mort.  Or,  quand  le  commandant  vit  que  la 
marchandife  n'était  pas  en  un  lieu  favorable  à  la  vente,  il 
le  manda  incontinent  au  roi,  témoignant  le  défir  de  fexpé- 
dier  à  Calicut  &  demandant  fon  agrément.  A  cette  requête 
du  commandant,  le  roi  s'emprelTa  d'ordonner  au  baile  de 
prendre  autant  de  monde  qu'il  en  faudrait  pour  charger  à  dos 
la  totaUté  des  marchandifes  &  pour  la  tranfporter  immédia- 
tement en  ville,  ajoutant  que  les  frais  feraient  à  fa  charge,  & 
que  rien  de  ce  qui  appartenait  au  roi  de  Portugal  ne  devait 
payer  en  fes  Etats.  Mais  tout  cela  cachait  le  deflein  de  nous 
faire  un  mauvais  parti,  àcaufe  de  la  méchante  opinion  qu'on 
lui  avait  fait  concevoir  de  nous  en  nous  repréfentant  comme 
des  larrons  qui  cherchions  l'occafion  de  voler]  toutefois  il 
fit,  comme  on  fa  vu,  tout  ce  qui  vient  d'être  rapporté. 

Un  dimanche,  jour  de  faint  Jean-Baptifle  &  vingt-qua- 
trième du  mois  de  juin,  la  marchandife  partit  pour  Calicut, 
&,  une  fois  là,  le  commandant  voulut  que  tout  le  monde 


6o 
allât  en  ville  de  cette  façon  :  chaque  navire  enverrait  un 
homme  qui,  au  retour,  ferait  remplacé  par  un  autre  ;  en 
forte  que  tous  pourraient  voir  la  cité,&  chacun  faire  emplette 
de  ce  qui  lui  plairait.  Ceux  qui  faifaient  ainfi  la  route  rece- 
vaient beaucoup  d'honnêtetés  de  la  part  des  chrétiens  ;  ils 
étaient  tous  pleins  de  joie  lorfque  quelqu'un  des  nôtres 
allait  manger  ou  coucher  en  leur  logis,  &  ils  leur  donnaient 
de  bon  cœur  de  tout  ce  qu'ils  poffédaient.  De  même, 
nombre  d'individus  venaient  à  bord  échanger  du  poiffon 
pour  du  pain  &  y  recevaient  très-bon  accueil  ;  beaucoup 
d'autres  amenaient  avec  eux  leurs  fils  &  leurs  petits  garçons, 
&  le  commandant  leur  fallait  donner  à  manger.  Nous 
agiffions  ainfi  dans  le  but  de  nouer  avec  eux  des  liens  de 
paix  &  d'amitié,  &  pour  les  engager  à  dire  de  nous  du  bien 
&  non  du  mal.  Et  ils  venaient  en  fi  grand  nombre  que  nous 
en  étions  importunés  &  que,  maintes  fois,  il  était  nuit 
clofe,  que  nous  ne  pouvions  pas  les  faire  fortir  des  navires, 
ce  qui  s'explique  par  la  grande  population  de  ce  pays  &  la 
rareté  des  fubfiftances.  S'il  arrivait,  parfois,  que  quelques- 
uns  de  nos  hommes  allalTent  raccommoder  une  voile  &  em- 
portaflent  du  bifcuit  pour  leur  repas,  ils  étaient  affaillis  par 
une  troupe  fi  nombreufe  de  petits  garçons  &  d'hommes  faits, 
que  le  morceau  leur  était  arraché  des  mains  &  que ,  fina- 
lement, ils  n'en  mangeaient  pas  une  bouchée.  Nous  allâmes 
donc  à  Calicut,  tous  tant  que  nous  étions  fur  les  navires, 
comme  je  vous  l'ai  dit,  deux  à  deux  &  trois  à  trois,  portant 
à  vendre  de  ce  que  nous  avions,  comme  bracelets,  hardes, 
étain,  chemifes,  chacun  enfin  fuivant  fes  facultés;  &  l'on 
vendait,  bien  que  nous  n'obtinffions  pas  de  ces  objets  le 
prix  que  nous  avions  eu  l'efpoir  d'en  tirer  à  notre  arrivée  de 


6i 

Mozambique  ;  car  une  chemife  très-fine,  valant  trois  cents 
reis  en  Portugal,  fe  donnait  pour  deux  fanés,  qui  repréfen- 
tent  ici  trente  reis  ;  il  eft  vrai  qu'une  valeur  de  trente  reis 
n'eft  pas  peu  de  chofe  en  ce  pays.  Faifant  ainfi  bon  mar- 
ché des  chemifes,  on  en  faifait  autant  du  relie,  afin  de  rap- 
porter quelques  échantillons  des  produits  de  la  contrée; 
on  achetait  donc  de  ce  qui  fe  vendait  par  la  ville,  des 
clous  de  girofle  &  de  la  cannelle,  ainfi  que  des  pierres 
fines  ;  &  chacun,  après  avoir  fait  emplette  de  ce  qui  lui 
plaifait,  s'en  retournait  à  bord  fans  que  perfonne  lui  dît  un 
mot.  Le  commandant,  voyant  l'excellent  naturel  de  cette 
population,  réfolut  de  lailTer  fur  place  un  facfleur  &  un 
clerc,  avec  la  marchandife,  &  quelques  autres  individus.  Or, 
fépoque  de  notre  départ  approchant,  il  envoya  au  roi  un 
préfent  d'ambre,  de  corail  &  de  maints  autres  objets  ;  il  lui 
faifait  favoir  qu'il  fe  difpofait  à  retourner  dans  fa  patrie,  & 
demandait  s  il  voulait  envoyer  quelques  perfonnes  au  roi  de 
Portugal,  ajoutant  qu'il  laiflTerait  ici  un  faéleur  &  un  clerc, 
ainfi  que  plufieurs  autres  individus,  avec  la  marchandife  ; 
qu'il  lui  offrait  ce  préfent,  &  le  priait  de  faire  expédier  au 
roi,  fon  maître,  un  bahar  de  cannelle,  un  autre  de  girofle, 
ainfi  que  de  toute  autre  forte  d'épicerie  à  fon  gré  ;  que  le 
fa61eur  opérerait  des  rentrées  &  s'acquitterait  envers  lui 
s'il  l'exigeait.  Quatre  jours  s'écoulèrent  fans  qu'il  fût  pofllble 
de  parler  au  roi ,  à  partir  du  moment  où  ce  mefllige  du 
commandant  parvint  à  fa  réfidence  ;  &  quand  celui  qui  en 
était  porteur  fut  introduit  en  fa  préfence,  le  roi  lui  fit  mau- 
vais vifage  &  lui  demanda  ce  qu'il  voulait.  L'envoyé  lui 
tranfmitle  meflage  du  commandant,  tel  qu'il  a  été  rapporté 
plus  haut,  &  ajouta  qu'il  lui  envoyait  le  fufdit  préfent.  Le 


62 

roi  lui  dit  de  remettre  au  facfteur  ce  qu'il  lui  apportait  &.  ne 
le  voulut  point  voir  ;  puis,  il  le  chargea  de  dire  au  comman- 
dant que  puifqu'il  voulait  partir,  il  lui  payât  fix  cents 
xérafims  (i)  &  s  en  allât  en  paix  ;  que  telle  était  la  coutume 
du  pays  &  de  ceux  qui  y  venaient.  Diego  Dias,  qui  était 
chargé  du  mefTage,  dit  alors  qu'il  allait  rapporter  cette  réponle 
au  commandant.  Et  lorfqu'il  s'en  fut,  certains  individus 
partirent  avec  lui,  &  étant  arrivés  au  magafin  où  fe  trou- 
vait la  marchandife,  à  Calicut,  ils  y  mirent  du  monde  afin 
d'empêcher  ceux  qui  la  gardaient  de  fortir  ;  en  même  temps 
ils  firent  publier  par  la  cité  défenfe  à  toute  embarcation  de 
communiquer  avec  les  navires.  Or,  quand  les  nôtres  fe  virent 
ainfi  prifonniers,  ils  chargèrent  un  jeune  nègre  qui  était 
avec  eux  d'aller  voir  le  long  de  la  côte  s'il  trouverait  moyen 
de  fe  faire  mener  à  bord  des  navires  pour  dire  comment  ils 
avaient  été  arrêtés  par  les  ordres  du  roi.  11  s'en  fut  donc  au 
bout  de  la  ville,  où  demeuraient  certains  pêcheurs,  &  l'un 
d'eux  le  conduifit  pour  tr6\%  fanôs ;  &  s'il  le  fit,  c'eft  que 
la  nuit  commençait  à  s'épaiflîr  &  qu'on  ne  pouvait  les  aper- 
cevoir de  la  cité;  auffi,  dès  qu'il  l'eut  mis  à  bord,  s'éloigna- 
t-il  fans  tarder  davantage  :  ceci  fe  partait  un  lundi,  treizième 
jour  du  mois  d'août  1498. 

Cette  nouvelle  nous  affligea  tous,  non-feulement  parce 
que  nous  voyions  plufieurs  des  nôtres  entre  les  mains  de 
leurs  ennemis,  mais  à  caufe  du  grand  empêchement  qui 
en  réfultait  pour  notre  départ.  Nous  ne  fûmes  pas  moins 

(1)  Le  xéraphim  eft  une  unité  monétaire  ufitée  encore  aujour- 
d'hui à  Goa  ainfi  que  dans  les  autres  poffeffions  portugaifes  de 
l'Inde,  &  valant  trois  cents  rm,  ou  environ  i  fr.  fo  c.  (,Tr.) 


65 

fâchés  qu'un  roi  chrétien  nous  jouât  un  aufli  méchant 
tour,  quand  on  faifait  acfle  de  libéralité  envers  lui  ;  d'autre 
part,  cependant,  nous  ne  trouvions  pas  fa  faute  aulîi  grave 
qu'elle  le  paraiflait,  fâchant  à  n'en  point  douter  que  les 
Maures  de  l'endroit,  qui  étaient  des  marchands  de  la  Mecque 
&  de  bien  d'autres  lieux,  &  qui  nous  connaiflTaient,  fuppor- 
taient  impatiemment  notre  préfence.  Ils  difaient  au  roi  que 
nous  étions  des  larrons,  &  que  fi  nous  nous  mettions  à 
naviguer  en  ces  parages,  aucun  bâdment  de  la  Mecque,  de 
Cambaye  ou  des  Imgros,  ni  même  d'autres  contrées,  ne 
viendrait  plus  en  fes  Etats  ;  qu'il  n'en  retirerait  d'ailleurs 
nul  profit,  car  nous  n'avions  rien  à  lui  donner,  mais  bien  au 
contraire  à  lui  prendre,  &  que  ceci  pouvait  amener  la  ruine 
de  fon  pays.  Non  contents  de  ces  propos,  ils  s'efforçaient 
de  le  gagner  par  des  préfents  pour  qu'il  nous  fît  arrêter  & 
mettre  à  mort,  afin  que  nous  ne  retournaffions  pas  en 
Portugal.  Les  capitaines  en  furent  avifés  par  un  Maure  du 
pays  qui  leur  dévoila  ce  qui  fe  tramait  &  les  prévint  de 
ne  point  quitter  leurs  navires  pour  fe  rendre  à  terre,  prin- 
cipalement le  commandant  en  chef.  Outre  l'avis  de  ce 
Maure,  on  fut  par  deux  chrétiens  que  fi  les  capitaines  dé- 
barquaient, on  leur  couperait  la  tête,  le  roi  en  ufant  de  la 
forte  à  regard  de  ceux  qui  venaient  en  fes  Etats  &  ne  lui 
donnaient  point  d'or. 

Telle  était  notre  fituation  ;  le  lendemain  fe  pafl"a  fans 
que  nulle  barque  accoftât  les  navires  5  mais  le  jour  d'après, 
vint  une  almadie  avec  quatre  jeunes  gens  qui  apportaient 
des  pierres  fines  à  vendre.  Nous  jugeâmes  qu'ils  venaient 
plutôt  comme  mandataires  des  Maures,  que  dans  le  but  de 
vendre  des  pierreries,  &  que  l'on  voulait  voir  fi  nous  leur 


64 

ferions  quelque  choie  ;  mais  le  commandant  les  reçut  à 
merveille  6c,  par  leur  entremife,  écrivit  une  lettre  à  nos 
compagnons  qui  étaient  à  terre.  Quand  on  vit  que  nous  ne 
leur  avions  rien  fait,  quantité  de  marchands  arrivèrent  jour- 
nellement à  bord,  ainfi  que  d'autres  individus  qui,  n'étant 
pas  marchands,  y  venaient  par  curiofité  ;  tous  recevaient 
un  bon  accueil  &  nous  leur  donnions  à  manger.  Or,  le  di- 
manche fuivant,  il  nous  arriva  environ  vingt-cinq  hommes 
dont  fix  étaient  des  perfonnes  qualifiées  ;  pour  lors,  le  com- 
mandant, jugeant  qu'en  échange  de  ceux-ci  on  lui  ren- 
drait nos  gens  arrêtés  &  emprifonnés  à  terre,  mit  la  main 
fur  eux  &  en  fit  faifir  encore  douze  de  moindre  condition, 
ce  qui  fit,  en  totalité,  dix-neuf  qu'il  garda  prifonniers. 
Quant  aux  autres,  il  les  fit  conduire  à  terre  dans  une  de  fes 
embarcations  avec  une  lettre  pour  le  Maure,  faéleur  du  roi, 
par  laquelle  il  lui  mandait  de  lui  renvoyer  les  hommes  qu'il 
retenait,  qu'à  fon  tour  il  rendrait  ceux  dont  il  s'était  faifi. 
Et  quand  on  vit  que  nous  avions  fait  des  prifonniers,  quan- 
tité de  perfonnes  fe  tranfportèrent  à  leur  fujet  au  comptoir 
des  marchandifes,  &  amenèrent  les  nôtres  au  logis  du  fac- 
teur, mais  fans  leur  faire  aucun  mal. 

Le  mercredi,  vingt-troifième  jour  dudit  mois,  nous 
mîmes  à  la  voile,  annonçant  que  nous  allions  retourner  en 
Portugal  &  que  nous  penfions  revenir  fous  peu  ;  qu'on 
verrait  bien  alors  fi  nous  étions  des  larrons.  Et  nous  allâmes 
mouiller  fous  le  vent  de  Calicut,  à  quatre  lieues  environ,  à 
caufe  du  vent  qui  était  de  ravant5  &  le  jour  qui  fuivit,  nous 
courûmes  un  bord  à  terre ,  mais  nous  ne  pûmes  doubler 
certains  bas-fonds  qui  fe  trouvent  devant  Calicut,  en  forte 
que  nous  virâmes  &  jetâmes  l'ancre  en  vue  de  la  cité.  Le 


6f 
famedi,  nous  reprîmes  la  bordée  du  large,  &  mouillâmes  fi 
avant  en  mer  qu'à  peine  diftinguait-on  la  terre.  Or,  le  di- 
manche, comme  nous  étions  à  l'ancre  en  attendant  la  brife, 
vint  du  large  une  barque  qui  était  à  notre  recherche  pour 
nous  dire  que  Diego  Dias  fe  trouvait  au  palais  du  roi,  & 
qu'on  promettait,  à  l'on  retour,  de  ramener  nos  compa- 
gnons à  bord.  Mais  le  commandant  perfuadé  qu'on  les  avait 
fait  mourir  &  qu'ils  difaient  cela  pour  nous  retenir  jufqu'à 
ce  qu'on  eût  armé  contre  nous,  ou  qu'il  furvînt  des  navires 
de  la  iVlecque  pour  nous  capturer,  leur  enjoignit  de  fe  reti- 
rer &  de  ne  plus  fe  préfenter  à  bord  fans  les  hommes  ou 
fans  lettre  d'eux  ;  qu'autrement ,  il  les  recevrait  à  coups 
de  bombardes;  qu'enfin,  s'ils  ne  revenaient  au  plus  tôt  avec 
un  meffage,  il  comptait  bien  faire  couper  la  tête  à  fes  pri- 
fonniers.  Après  cet  incident,  la  brife  fe  leva,  &nous  filâmes 
en  prolongeant  la  côte;  puis,  au  coucher  du  foleil,  nous 
jetâmes  l'ancre  de  rechef. 

Comment  le  roi  fit  appelé?-  Diego  Dias  &  lui  dit  ce  qui  fuit  : 

Quand  la  nouvelle  de  notre  départ  pour  le  Portugal  par- 
vint au  roi,  comme  il  n'y  avait  plus  moyen  de  pourfuivre 
l'objet  qu'il  avait  en  vue,  il  fongea  à  raccommoder  ce  qu'il 
avait  gâté  précédemment.  Il  manda  donc  Diego  Dias,  & 
lorfque  celui-ci  parut  en  fa  préfence,  il  lui  fit  grand  accueil, 
ce  qui  n'avait  pas  eu  lieu  précédemment  quand  il  avait 
apporté  le  préfent;  puis,  il  lui  demanda  pourquoi  le  comman- 
dant s'était  faifi  des  hommes  dont  on  a  parlé  ?  Diego  Dias 
répondit  que  c'était  parce  que  lui-même  mettait  obflacle 

9 


66 

au  retour  de  fes  compagnons  à  bord  &  les  retenait  en  ville 
prifonniers  ;  à  quoi  le  roi  repartit  qu'il  avait  bien  fait. 
Puis  il  reprit  &  demanda  fi  le  fadeur  avait  montré  quelque 
exigence,  voulant  donner  à  entendre  qu'il  ne  favait  mot 
de  ce  que  cet  homme  avait  fait,  &  que  fa  conduite  avait 
eu  pour  objet  de  leur  extorquer  quelque  chofe.  «  Ignore- 
t-il  donc,  dit-il,  en  s'animant  contre  lui,  qu'il  y  a  peu  de 
temps  j'ai  fait  mourir  un  autre  faéleur  pour  avoir  commis 
une  exaélion  fur  des  marchands  venus  en  ce  pays?  Pour 
toi,  ajouta  le  roi,  retourne  aux  navires  avec  ceux  de  tes 
compagnons  qui  font  ici,  et  dis  au  commandant  de  me 
renvoyer  les  hommes  qu'il  retient  captifs  ;  quant  à  la  colonne 
qu'il  m'a  témoigné  le  défit  d'élever  à  terre,  ceux  qui  te 
conduiront  la  rapporteront  &  la  mettront  en  place  ;  dis-lui 
de  plus  que  tu  demeureras  ici  avec  la  marchandife.  »  En 
même  temps  il  envoya  une  lettre  au  commandant  pour 
la  remettre  au  roi  de  Portugal,  &  elle  était  écrite  de  la  main 
de  Diego  Dias  fur  une  feuille  de  palmier,  car  on  emploie 
ces  feuilles  pour  tout  ce  qui  s'écrit  en  ce  pays  5  quant  à  la 
plume  dont  on  fe  fert,  elle  eft  de  fer.  Or,  la  teneur  de  cette 
lettre  était  comme  il  fuit  : 

«  Vafco  da  Gama,  gentilhomme  de  votre  maifon,  eft 
venu  en  mon  royaume,  ce  qui  m'a  été  agréable.  En  mon 
royaume  il  y  a  force  cannelle ,  force  girofle  ,  gingembre, 
poivre,  &  pierres  précieufes  en  quantité  ;  ce  que  je  défire 
du  tien,  c'ell  de  l'or,  de  l'argent,  du  corail  &  de  l'écarlate.  » 

Le  lundi,  27  dudit  mois,  dans  la  matinée,  comme  nous 
étions  en  panne,  nous  vîmes  venir  fept  barques  montées  par 
un  grand  nombre  de  gens  qui  nous  amenaient  Diego  Dias 
ainfi  qu'un  autre  dont  il  était  accompagné  ;  &  n'ofant  pas 


67 
les  mettre  à  bord,  ils  les  dépofèrent  dans  l'embarcation  du 
commandant  qui  fe  trouvait  encore  en  poupe  ;  quant  à  la 
marchandife,  ils  ne  lavaient  pas  apportée,  penfant  que  le 
fufdit  Diego  Dias  reviendrait  à  terre.  Mais,  quand  le  com- 
mandant les  vit  fur  le  vaifleau,  il  ne  voulut  pas  permettre 
qu'ils  y  retournaflent  &  donna  la  colonne  aux  gens  de  la 
barque  pour  la  mettre  en  place,  comme  le  roi  l'avait  com- 
mandé ;  puis,  en  échange  des  nôtres,  il  rendit  fix  priibnniers, 
les  plus  qualifiés  qu'il  avait,  &  en  garda  autant,  difant  que 
le  lendemain  on  apportât  la  marchandife,  &  qu'alors  il 
donnerait  ceux  qui  étaient  reftés. 

Le  mercredi  matin,  comme  nous  étions  en  panne,  un 
Maure  de  Tunis  qui  entendait  notre  langue  vint  fe  réfugier 
à  bord  parmi  nous  ;  il  difait  qu'on  l'avait  dépouillé  de  tout 
ce  qu'il  pofledait,  &  qu'il  craignait  qu'on  ne  lui  fît  pis 
encore  ;  que  telle  était  fon  appréhenfion  ;  que  les  gens  du 
pays  l'accufaient  d'être  chrétien  &  d'être  venu  à  Calicut 
comme  mandataire  du  roi  de  Portugal,  en  forte  qu'il  aimait 
mieux  s'en  aller  avec  nous  que  demeurer  en  un  pays  où, 
chaque  jour,  il  s'attendait  à  être  mis  à  mort.  Sur  les  dix 
heures  du  matin,  nous  vîmes  venir  fept  barques  chargées 
de  monde  ;  trois  d'entre  elles  portaient,  fur  les  bancs  des 
rameurs,  les  pièces  de  drap  rayé  que  nous  avions  laifTées  à 
terre,  pour  nous  donner  à  entendre  que  toute  la  marchan- 
dife arrivait.  Ces  trois  barques  approchèrent  des  navires, 
tandis  que  les  quatre  autres  demeuraient  au  large  5  cepen- 
dant, tout  en  approchant,  elles  fe  tinrent  à  bonne  dif- 
tance  ;  ceux  qui  les  montaient  nous  dirent  de  faire  defcendre 
les  prifonniers  dans  notre  barque,  qu'ils  y  transborderaient 
la  marchandife  &  prendraient  leurs  hommes.  Et  le  com- 


68 
mandant  en  chef  s'étant  avifé  de  leur  tromperie,  leur  en- 
joignit de  s'éloigner,  en  leur  difant  qu'il  n'avait  point 
fouci  de  la  marcliandife ,  mais  feulement  d'emmener  les 
prifonniers  en  Portugal  ;  qu'ils  fiflent  bien  attention  qu'in- 
ceiïamment  il  comptait  revenir  àCalicut,  &  qu'ils  fauraient 
alors  fi  nous  étions  des  larrons,  comme  les  Maures  le  leur 
avaient  dit. 

Un  mercredi,  vingt-neuvième  jour  du  mois  d'aoïit,  con- 
lidérant,  qu'en  fomme,  nous  avions  découvert  ce  que  nous 
étions  venus  chercher,  que  nous  avions  trouvé  des  épices  & 
des  pierres  précieufes,  &  qu'il  fallait  renoncer  à  quitter  le 
pays  en  bonne  -intelligence  avec  les  habitants,  le  comman- 
dant en  chef,  d'accord  avec  les  capitaines,  réfolut  de  partir 
&  d'emmener  les  prifonniers ,  attendu  qu'à  leur  retour  à 
Calicut  ces  hommes  nous  aideraient  à  former  des  relations 
d'amitié  ;  nous  mîmes  donc  incontinent  à  la  voile  &  prîmes 
la  route  de  Portugal,  tous  extrêmement  joyeux  d'avoir  eu 
la  fortune  d'effeduer  une  auffi  grande  découverte  que  celle 
que  nous  avions  faite.  Le  jeudi,  à  l'heure  de  midi,  nous 
trouvant  en  calme,  à  peu  près  à  une  lieue  au-deflous  de  Ca- 
licut, nous  vîmes  venir  à  nous  environ  soixante-dix  barques 
chargées  d'une  multitude  de  gens  infinie.  Ces  gens  por- 
taient, fur  la  poitrine,  une  armure  défenfive  faite  d'un  gros 
drap  rouge  ,  comme  un  très-fort  plaftron  ;  ce  font  leurs 
armes  pour  le  corps,  les  mains  &  la  tête...  (i).  Lorsqu'ils 


(i)  L'auteur  de  ce  livre  a  oublié  de  nous  apprendre  comment  ces  armes 
font  faites.  Note  intercalée  dans  le  manufcrit  &  de  la  même 
écriture. 


69 

furent  arrivés  à  portée  de  notre  artillerie,  la  nef  du  com- 
mandant en  chef  tira  fur  eux,  &  ainfi  firent  les  autres.  Ils 
nous  fuivirent  de  la  forte  durant  une  heure  &  demie  envi- 
ron ;  mais  tandis  qu'ils  nous  pourfuivaient,  furvint  un  grain 
qui  nous  emporta  au  large  ;  fe  voyant  alors  réduits  à  l'im- 
puiflance  ,  ils  retournèrent  du  côté  de  la  terre,  &  nous 
continuâmes  notre  chemin. 

Cette  contrée  de  Calicut,  appelée  flnde  fupérieure,  ell 
celle  d'où  viennent  les  épices  qui  fe  confomment  au  cou- 
chant, au  levant,  ainfi  qu'en  Portugal  &  même  dans  tous 
les  quartiers  du  monde  ;  c'eft  également  de  la  ville  appelée 
Calicut  que  l'on  tire  maintes  pierres  précieufes  de  toute 
forte.  La  même  cité  produit  fur  fon  propre  territoire  les 
épices  fuivantes  :  quantité  de  gingembre,  de  poivre  &  de 
cannelle,  bien  qu'elle  ne  foie  pas  auffi  fine  que  celle  qu'on 
tire  d'une  île  appelée  Çillam  (Ceylan),  diftante  de  huit 
journées  de  Calicut.  Toute  cette  cannelle  vient  s'entre- 
pofer  dans  cette  cité  de  Calicut,  &  dans  une  île  nommée 
éM'elequa  (Malacca)  qui  lui  fournit  le  clou  de  girofle.  C'eft 
là  que  les  navires  de  la  Mecque  prennent  leur  chargement 
d'épices  pour  le  tranfporter  à  une  ville  des  Etats  de  la 
Mecque  qui  a  nom  Judeà  (Djedda).  Depuis  cette  île  jufque 
là,  on  compte  cinquante  jours  de  mer  avec  vent  de  poupe, 
car  les  vaifleaux  de  ce  pays  font  mauvais  bouliniers.  Là, 
ils  déchargent  leur  marchandife  &  paient  au  grand  Soudan 
fes  droits  ;  puis  ils  l'embarquent  de  rechef  fur  de  plus  petits 
bâtiments  qui  la  tranfportent,  par  la  mer  Rouge,  en  un 
lieu  nommé  Tuz/^  (Suez)  (xl),  proche  de  Santa-Caterina  du 
Mont  Sinaï,  oii  ils  paient  un  nouveau  droit.  En  cet  endroit, 
les  marchands  chargent  les  épices   fur  des  chameaux  de 


70 
louage,  à  raifon  de  quatre  cruzades  par  tête,  &,  en  dix 
jours,  les  conduifent  au  Caire  où  ils  ont  à  payer  encore  un 
droit.  11  leur  arrive  maintes  fois,  fur  cette  route  du  Caire, 
d'être  détroulTés  par  les  voleurs  que  Ton  rencontre  en  ce 
pays,  tels  que  les  cAlarves  (Arabes)  &  d'autres  encore.  Là, 
ils  recommencent  à  embarquer  leur  marchandife  fur  un 
fleuve  appelé  le  Nil  qui  vient  des  Etats  du  Prêtre  Jean,  dans 
les  Indes  inférieures  ;  ils  naviguent  fur  ce  fleuve  durant 
deux  jours,  jufqu'à  ce  qu'ils  atteignent  un  endroit  appelé 
Rofette,  où  ils  paient  un  autre  droit.  Enfin,  on  charge  encore 
une  fois  la  cargaifon  fur  des  chameaux  qui  la  portent,  en 
un  jour,  à  une  cité  du  nom  d'Alexandrie,  laquelle  eft  port 
de  mer.  C'eft  en  cette  cité  d'Alexandrie  que  les  galères 
de  Venife  &  de  Gênes  viennent  chercher  les  épices  dont 
il  fe  trouve  que  le  grand  Soudan  tire  fix  cent  mille  cruzades 
de  droits  ;  il  en  donne  annuellement  cent  mille  à  un  roi 
nommé  Cidadym  pour  faire  la  guerre  au  Prêtre  Jean  ;  quant 
à  ce  titre  de  grand  Soudan,  il  s'achète  à  prix  d'argent  &  ne 
fe  tranfmet  pas  de  père  en  fils. 

Je  reviens  à  parler  de  notre  retour. 

Naviguant  ainfi  le  long  de  la  côte,  à  caufe  de  la  faiblelTe 
du  vent,  avec  des  brifes  de  terre  qui  alternaient  avec  des 
brifes  de  mer,  nous  jetions  l'ancre  durant  le  jour  par  le 
calme.  Or,  un  lundi,  dix  du  mois  de  feptembre,  comme 
nous  longions  ainfi  la  côte,  le  commandant  en  chef  envoya 
au  roi  Camolim,  par  un  des  hommes  que  nous  avions 
emmené  &  qui  était  privé  d'un  œil,  des  lettres  écrites  en 


71 
maurefque  &  de  la  main  d'un  Maure  qui  s'en  venait  avec 
nous.  Le  pays  où  nous  débarquâmes  le  porteur  de  ces 
lettres  fe  nomme  Compia,  &  le  roi  Biaquolle;  il  eft  en 
guerre  avec  celui  de  Calicut.  Et  le  jour  fuivant,  comme  nous 
étions  en  calme,  vinrent  à  nous  des  barques  qui  nous 
apportaient  du  poiflbn,  &  les  bateliers  montèrent  fans 
aucune  appréhenfion  fur  nos  vaifleaux.  Le  famedi  d'après, 
quinzième  jour  dudit  mois,  nous  nous  trouvâmes  près  de 
certains  îlots  fitués  à  deux  lieues  de  terre  environ  ;  ayant 
mis  là  une  embarcation  à  la  mer,  nous  élevâmes  fur  ledit 
îlot  une  colonne  que  nous  appelâmes  du  nom  de  Santa- 
Maria  (xli)  ;  &  ceci,  parce  que  le  roi  avait  dit  au  comman- 
dant d'élever  trois  colonnes  &  de  donner,  à  l'une,  le  nom  de 
San-Raphaël;  à  l'autre,  celui  de  San-Gabriel,  &  à  la  troi- 
fième,  celui  de  Santa-Maria.  Avec  ceUe-ci  nous  achevâmes 
de  les  mettre  en  place  toutes  les  trois,  favoir  :  la  première 
ou  de  San-Raphaël,  au  rio  dos  Bons  Signaes  ;  la  féconde  ou 
de  San-Gabriel,  à  Calicut  ;  &  enfin  cette  dernière  qui  était 
celle  de  Santa-Maria.  Ici  nous  vinrent  encore  nombre  de 
barques  apportant  à  bord  du  poiflTon  ;  &le  commandant  fit 
donner  des  chemifes  aux  gens  qui  les  montaient,  les  accueil- 
lit très-bien,  &  leur  demanda  s'ils  feraient  fatisfaits  de  lui 
voir  élever  une  colonne  fur  cet  îlot.  Ils  répondirent  qu'ils 
s'en  réjouiraient  fort,  &  que  11  nous  le  faifions,  on  pourrait 
dire  alors  que  nous  étions  chrétiens  comme  eux  ;  en  forte 
que  cette  colonne  y  fut  placée  du  meilleur  accord. 

La  nuit  fuivante,  nous  fîmes  voile  avec  la  brife  de  terre 
&  pourfuivîmes  notre  navigation.  Or,  le  jeudi  d'après,  dix- 
neuvième  jour  dudit  mois,  nous  nous  trouvâmes  près  d'une 
haute  terre,  fort  plaifante  &  falubre,  à  laquelle  fe  ratta- 


72 

chaient  lix  petites  iles  ;  là,  nous  mouillâmes  tout  près  de  la 
côte  &  mîmes  une  embarcation  dehors,  afin  de  nous  appro- 
viiîonner  d'eau  &  de  bois  en  quantité  fuflifante  pour  la 
traverfée  que  nous  efpérions  effeéluer,  fi  les  vents  fécondaient 
nos  défirs.  Et  quand  nous  fûmes  à  terre,  nous  rencontrâmes 
un  jeune  homme  qui  nous  vint  montrer,  au   bord  d'une 
rivière,  une  fource  d'excellente  eau  naiffant  entre   deux 
rochers.  Le  commandant  en  chef  fit  préient  d'un  bonnet  à 
ce  garçon  &  s'enquit  de  lui  s'il  était  Maure  ou  chrétien  ;  il 
dit  qu'il  était  chrétien,  &  lorfque  nous  lui  apprîmes  que 
nous  l'étions  nous-mêmes,  il  témoigna  beaucoup  de  joie. 
Le  lendemain,  dans  la  matinée,  vinrent  à  nous  quatre  hom- 
mes  dans   une   almadie,    &   ils  apportaient  quantité   de 
citrouilles  &  de  concombres.  Le  commandant  s'étant  infor- 
mé d'eux  fi  le  pays  produifait  de  la  cannelle,  ou  du  gin- 
gembre, ou  quelque  autre  forte  d'épices,  ils  dirent  que  pour 
de  la  cannelle  il  n'en  manquait  pas,  mais  qu'il  n'y  avait 
aucuneautre  forte  d'épice.  Pour  lors,  le  commandant  envoya 
deux  hommes  à  terre  avec  eux  afin  qu'ils  lui  en  rapportaf- 
fent  de  la  montre.  On  les  conduifit  dans  un  bois  où  fe  trou- 
vaient une  infinité  d'arbres  de  cette  efpèce,  &  ils  en  coupè- 
rent deux  grofies  branches  chargées  de  leurs  feuilles;  &  quand 
nous  allâmes  dans  les  embarcations  faire  de  l'eau,  nous  ren- 
contrâmes ces  deux  hommes  avec  les  branches  de  cannellier 
qu'ils  rapportaient,  &  ils  avaient  déjà  une  vingtaine  d'indi- 
vidus à  leur  fuite.  Ceux-ci  étaient  munis  de  force  poules,  lait 
de  vache,  citrouilles  pour  le  commandant;  &  ils  lui  dirent 
de  renvoyer  ces  deux  hommes  avec  eux  parce  qu'ils  avaient, 
à  quelque  diftance  de  là,  quantité  de  cannelle  sèche  qu'ils 
iraient  voir  &  dont  ils  rapporteraient  de  la  montre.  Quand 


75 
nous  eûmes  fait  notre  provifion  d'eau,  nous  regagnâmes 
les  navires  ;  pour  eux,  ils  promirent  de  revenir  à  bord  le  jour 
fuivant  &  d'apporter  un  préfent  de  vaches,  de  porcs  &  de 
poules  au  commandant.  Le  lendemain,  à  la  pointe  du  jour, 
nous  vîmes,  près  de  la  côte,  deux  grandes  barques  qui  pou- 
vaient être  à  deux  lieues  de  nous  environ  &  dont  nous  ne 
tînmes  aucun  compte.  Nous  allâmes  faire  du  bois  à  terre,  en 
attendant  que  la  marée  nous  vînt  &  nous  permît  d'entrer 
dans  le  fleuve  pour  prendre  de  l'eau.  Et  comme  nous  étions 
occupés  à  couper  du  bois,  il  fembla  au  commandant  que 
ces  barques  étaient  plus  grandes  qu'il  ne  l'avait  d'abord 
jugé;  à  l'inftant  même  il  ordonna  que  tout  le  monde  fe 
rembarquât  &  s'en  fût  prendre  des  aliments,  puis,  qu'auffi- 
tôt  après  avoir  mangé,  on  allât  fur  les  embarcations  s'affurer 
fi  ces  gens  étaient  maures  ou  chrétiens.  Et  quand  ledit 
commandant  en  chef  fut  fur  fa  nef,  il  fit  monter  un  matelot 
dans  la  hune  pour  voir  fi  l'on  apercevait  quelques  navires. 
Celui-ci  découvrit,  à  fix  lieues  environ  au  large,  huit  bâti- 
ments qui  étaient  en  calme,  ce  qui  fit  que  le  commandant 
ordonna  fur-le-champ  de  virera  pic.  Or,  ces  navires  ayant 
fenti  la  brife,  ferrèrent  le  vent  d'aufii  près  qu'ils  le  purent  ; 
&  lorfqu'ils  furent  à  notre  hauteur,  &  que  nous  jugeâmes 
qu'ils  pouvaient  nous  apercevoir,  quoique  nous  en  fuffions 
bien  éloignés  de  deux  lieues,  nous  tirâmes  droit  à  eux.  Dès 
qu'ils  virent  que  nous  leur  courions  fus,  ils  laissèrent  arriver 
vent  arrière  du  côté  de  la  terre,  &  l'un  d'eux  ayant  brifé 
fon  gouvernail  avant  d'avoir  atteint  la  côte,  ceux  qui  étaient 
dedans  fe  jetèrent  dans  fembarcation  qu'ils  avaient  en 
poupe  &  gagnèrent  le  rivage.  Pour  nous  qui  ferrions  de 
plus  près  ce  bâtiment,  nous  l'abordâmes  incontinent  ;  mais 

lO 


74 
nous  n'y  trouvâmes  que  des  provilîons  de  bouche  &  des 
armes  ;  les  vivres  confiftaient  en  cocos  &  en  quatre  jarres 
de  fucre  de  palmier  ;  tout  le  refle  n'était  que  fable  fervant 
de  left.  Les  fept  autres  navires  furent  s'échouer,  &  nous 
allâmes  les  bombarder  fur  les  embarcations. 

Le  lendemain  matin,  étant  à  l'ancre,  vinrent  à  nous  fept 
hommes  fur  une  barque;  ils  nous  apprirent  que  lesdits 
navires  venaient  de  Calicut,  &  qu'ils  étaient  en  quête  de 
nous  pour  nous  tuer  tous  s'ils  nous  prenaient.  Le  jour  fui- 
vant,  après  avoir  quitté  ce  parage,  nous  fûmes  mouiller  à 
deux  portées  de  bombarde  du  lieu  où  nous  étions  d'abord, 
près  d'une  île  que  l'on  nous  avait  dit  pourvue  d'eau  (xLii). 
Le  commandant  en  chef  envoya  donc  Nicolas  Coelho  fur 
une  embarcation  armée  reconnaître  l'aiguade ,  &  celui-ci 
trouva,  dans  ladite  île,  les  ruines  d'une  églife  bâtie  en 
pierres  de  taille  de  grande  dimenfion  ,  mais  détruite  par 
les  Maures ,  d'après  le  dire  des  gens  du  pays ,  hormis  la 
chapelle  qui  était  couverte  en  paille  ;  &  ils  faifaient  leurs 
oraifons  devant  trois  pierres  noires  placées  au  centre  de 
cette  chapelle.  Nous  trouvâmes,  en  outre,  au-delà  de  cette 
églife  ,  un  balfm  en  pierres  de  taille  &  de  même  travail 
où  nous  primes  autant  d'eau  que  nous  voulûmes  ;  &  tout 
au  haut  de  l'île,  il  y  avait  un  vafle  réfervoir  de  quatre  braffes 
de  profondeur.  Enfin,  vis-à-vis  l'églife,  nous  rencontrâmes 
une  plage  où  nous  calfatâmes  le  "Berrio  Se  la  nef  du  com- 
mandant en  chef  5  quant  au  T^aphaêl,  il  ne  fut  pas  halé  à 
terre  par  fuite  des  contrariétés  relatées  ci-dessous. 

Un  jour  où  nous  nous  trouvions  fur  le  "Berrio  qui  était 
échoué,  nous  vîmes  venir  à  nous  deux  grandes  barques  en 
manière  de  fuftes,  portant  une  multitude  de  gens  innom- 


Vf 
brable;  elles  marchaient  à  la  rame,  au  ion  des  tambours 
&  des  trompettes,  avec  des  étendards  au  haut  des  mâts, 
tandis  que  cinq  autres  ftationnaient  le  long  de  la  côte  pour 
les  protéger.  Avant  qu'elles  euflent  atteint  les  navires,  nous 
demandâmes  à  ceux  que  nous  emmenions  quels  étaient  ces 
gens  &  à  quelle  nation  ils  appartenaient.  Ils  nous  dirent 
de  ne  point  les  lailTer  monter  à  bord,  que  c'étaient  larrons 
venus  pour  nous  furprendre  s'il  y  avait  moyen;  que  les 
hommes  de  ce  pays,  qui  vont  armés,  s'introduifaient  avec 
les  apparences  de  l'amitié  fur  les  navires  &,  une  fois  de- 
dans, s'en  emparaient  s'ils  fe  trouvaient  en  force.  C'eft 
pourquoi ,  lorfqu'ils  furent  à  portée  de  bombarde ,  le 
%aphaël  tira  fur  eux,  ainfi  que  la  nef  du  commandant  en 
chef.  Pour  lors  ils  fe  mirent  à  crier  «  Tambaram  » ,  en  difant 
qu'ils  étaient  chrétiens,  car  les  chrétiens  de  ce  pays  des 
Indes  appellent  Dieu  Tambaram  ;  mais  quand  ils  virent  qu'on 
ne  fe  payait  pas  de  cette  raifon,  ils  commencèrent  à  fuir  du 
côté  de  la  terre.  Nicolas  Coelho  les  pourfuivit  fur  une 
embarcation  durant  quelque  temps,  jufquà  ce  que  le  navire 
du  commandant  en  chef  lui  eût  fait  le  fignal  de  rallier. 

Le  jour  fuivant,  comme  les  capitaines  étaient  à  terre 
avec  beaucoup  de  monde,  occupés  à  approprier  ledit 
navire  'Berrio,  vinrent  deux  petites  barques,  montées  par 
une  douzaine  d'hommes  proprement  vêtusj  qui  apportaient 
en  préfent  au  commandant  en  chef  une  braflee  de  cannes 
à  fucre.  Et  lorfqu'ils  furent  à  terre,  ils  lui  demandèrent  la 
licence  d'aller  vifiter  les  navires;  mais,  jugeant  qu'ils  ve- 
naient en  efpions,  le  commandant  fe  mit  à  s'emporter  contre 
eux.  Sur  ces  entrefaites,  arrivèrent  deux  autres  barques  avec 
autant  de  monde.  Or,  les  premiers  venus,  voyant  que  le 


76 
commandant  ne  leur  faifait  pas  bon  accueil,  dirent  aux 
furvenants  de  ne  point  prendre  terre  &  de  s'en  retourner. 
Eux-mêmes  fe  rembarquèrent  incontinent  &  s'en  furent  à 
leur  fuite. 

Pendant  que  l'on  appropriait  la  nef  du  commandant  en 
chef,  furvint  un  homme  d'une  quarantaine  d'années  qui 
parlait  le  vénitien  à  merveille  (xliii);  il  était  entièrement 
vêtu  de  toile  de  lin,  &  coiffe  d'un  fort  beau  turban,  avec 
un  coutelas  à  la  ceinture.  Auffitôt  qu'il  eut  débarqué,  il 
vint  embrafler  le  commandant  en  chef  ainfi  que  les  capi- 
taines, &  fe  mit  à  raconter  comment  il  était  chrétien,  origi- 
naire des  contrées  du  levant  &  venu  tout  petit  en  ce  pays  ; 
comment  il  demeurait  avec  un  feigneur  qui  commandait  à 
quarante  mille  cavaliers  &  qui  était  un  maure  5  comment 
il  était  maure  lui-même,  mais  tout-à-fait  chrétien  au  fond 
du  cœur  ;  que  fe  trouvant  au  logis  de  ce  feigneur,  on  était 
venu  lui  apprendre  qu'il  y  avait  à  Calicut  des  gens  que 
perfonne  n'entendait  &  qui  allaient  entièrement  vêtus  ; 
qu'ayant  ouï  ce  récit,  il  s'était  dit  que  de  tels  gens  ne  pou- 
vaient être  que  des  Francs,  car  c'efl  ainfi  qu'on  nous  appelle 
en  ces  contrées;  qu'alors,  il  avait  demandé  la  permiflîon  de 
venir  nous  trouver,  en  difant  qu'un  refus  le  ferait  mourir  de 
chagrin  5  que  pour  lors  fon  feigneur  &  maître  lui  avait  dit 
d'aller,  &  de  nous  faire  favoir  que  s'il  y  avait  en  fes  domaines 
quelque  chofe  à  notre  convenance,  il  nous  en  faifait  don, 
&  nous  offi"ait  des  navires  &  des  vivres  ;  que  de  plus,  fi 
nous  vouUons  demeurer  fur  fes  terres,  il  en  aurait  grande 
fatisfaclion .  Le  commandant  l'ayant  beaucoup  remercié  de 
tout  cela,  car  il  parailîait  de  bonne  foi,  il  ajouta  qu'il  de- 
mandait comme  une  faveur  qu'on  lui  fit  don  d'un  fromage 


77 
pour  l'envoyer  à  un  fien  compagnon  demeuré  dans  le  pays, 
à  qui  il  avait  promis,  fi  tout  allait  à  fouhait,  de  faire  tenir  un 
gage  pour  le  tranquillifer.  Pour  lors  le  commandant  lui  fit 
donner  un  fromage  avec  deux  pains  mollets ,  &  il  relia  à 
terre,  parlant  tellement  &  de  tant  de  chofes  que  par  mo- 
ment il  s'embrouillait.  Cependant  Paul  da  Gama  s'en  fut 
trouver  les  chrétiens  du  pays  qui  l'avaient  amené,  &  leur 
demanda  quel  était  cet  homme  ;  ils  dirent  que  c'était  l'ar- 
mateur venu  pour  nous  attaquer,  &  qu'il  tenait  fes  navires 
à  la  côte  avec  beaucoup  de  monde.  Ceci  connu,  avec  ce 
que  l'on  put  comprendre  encore,  on  le  faifit,  on  l'emmena 
fur  le  bâtiment  échoué,  &  on  fe  mit  à  le  fijfliger  pour  lui 
faire  confeffer  s'il  était  réellement  l'armateur  qui  nous  avait 
fuivis,  &  à  quelle  intention.  Il  nous  avoua  qu'il  favait  bien 
que  tour  le  pays  nous  était  hollile,  &  que  nous  étions  envi- 
ronnés d'un  grand  nombre  d'hommes  armés,  embufqués 
dans  les  anfes  voifines  ;  mais  qu'ils  n'ofaient  venir  nous  atta- 
quer, attendant  quarante  voiles  que  l'on  était  en  train  d'ar- 
mer pour  nous  donner  la  chafle  ;  qu'il  ignorait,  néanmoins, 
quand  elles  fe  mettraient  en  mouvement.  Sur  lui-même, 
il  n'ajouta  rien  de  plus  que  ce  qu'il  avait  dit  en  premier 
lieu.  11  fut  interrogé  encore  à  trois  ou  quatre  reprifes  ;  bien 
qu'il  ne  s'exprimât  pas  très  clairement,  il  fe  faifait  enten- 
dre par  geftes,  confefiant  qu'il  était  venu  vifiter  les  navires 
pour  s'aflurer  de  nos  forces  &  favoir  comment  nous  étions 
armés. 

Nous  demeurâmes  douze  jours  en  cette  île  où  nous  man- 
geâmes force  poiflons  que  les  gens  du  pays  nous  venaient 
vendre,  avec  force  citrouilles  &  concombres  -,  ils  amenaient 
aulTi  des  barques  chargées  de  bois  vert  de  canncllier  dont 


7« 
les  branches  portaient  encore  leurs  feuilles.  Et  quand  les 
navires  furent  nettoyés,  que  nous  eûmes  pris  l'eau  nécef- 
faire  &  démoli  le  bâtiment  que  nous  avions  capturé,  nous 
partîmes,  un  vendredi,  cinquième  jour  du  mois  d'o(flobre. 

Avant  que  le  bâtiment  ne  tût  démoli,  on  en  offrit  au 
commandant  mille  fanones  (i)  ;  mais  il  dit  qu'il  ne  le  ven- 
drait point,  parce  qu'il  venait  de  fes  ennemis,  &  fe  conten- 
terait de  le  briàler. 

Nous  nous  trouvions  à  deux  cents  lieues  au  large,  envi- 
ron, du  point  d'où  nous  étions  partis,  quand  le  Maure  dont 
on  s'était  faifi  dit  que  le  tei'nps  lui  paraiflait  venu  de  ne  plus 
rien  diffimuler  :  qu'il  était  vrai  que  fe  trouvant  chez  fon 
feigneur,  on  était  venu  l'avertir  que  nous  étions  égarés  le 
long  de  la  côte,  fans  pouvoir  retrouver  la  route  de  notre 
pays,  &  que,  par  fuite,  nombre  de  flottilles  croifaient  pour 
tâcher  de  nous  capturer  -,  que  fon  feigneur  lui  avait  dit 
alors  de  s'alTurer  de  la  façon  dont  nous  nous  gouvernions, 
&  d'aller  voir  s'il  pourrait  nous  attirer  fur  fes  terres,  car 
on  difait  que  fi  nous  étions  pris  par  l'armateur,  il  n'en  re- 


(i)  On  verra  plus  loin  (p.  107  de  l'éd.  portug.j  que  cinquante 
fanor.es  faifaient  trois  cruzades  ou  mille  deux  cents  réis  ;  ainfi,  les 
m\\\efanones  offerts  pour  le  navire  équivalaient  à  vingt-quatre  mille 
réis  ou  mille  trois  cent  cinquante-huii  francs  de  notre  monnaie.  Cette 
fomme  paraîtrait  bien  peu  confidérable,  fi  l'on  ne  tenait  compte  de 
la  dépréciation  que  le  numéraire  a  fubie  depuis  le  temps  de  Gama  ; 
on  peut  s'en  former  une  idée  en  comparant  le  prix  du  blé  qui,  en 
ip3,  peu  d'années  après  l'expédition  des  Indes,  valait  fix  cents 
réis  à  Lisbonne,  tandis  que  la  même  mefure  fe  paie  quarante-deux 
mille  réis,  c'efl-à-dire  foixante  dix  fois, plus,  aujourd'hui.  (7r.) 


79 
cevrait  aucune  parc,  candis  que,  une    fois  débarqués,  il 
s'emparerait  de  nous,  &  qu'écanc  de  vaillancs  hommes,  il 
nous  emploieraic  à  guerroyer  concre  les  aucres  rois  du  voi- 
finage  :  il  avaic  compcé  fans  fon  hôce. 

Cette  traverfée  dura  fi  longtemps  que  nous  y  confumâ- 
mes  trois  mois  moins  trois  jours  à  caufe  des  calmes  fré- 
quents &  des  vents  contraires  que  nous  rencontrâmes.  Il 
en  réfulta  que  tous  les  équipages  fouffrirent  des  gencives  ; 
elles  croiflaient  par  defTus  les  dents,  au  point  qu'il  n'était 
plus  poflîble  de  manger;  les  jambes  enflaient  aufli,  & 
d'autres  enflures  confidérables  fe  manifeftaient  fur  le  corps 
où  elles  fe  développaient  tellement  que  le  patient  fuccom- 
bait  fans  être  atteint  d'aucun  autre  mal.  Trente  perfonnes 
en  moururent  dans  cet  efpace  de  temps,  fans  compter  un 
nombre  égal  que  nous  avions  déjà  perdu.  Ceux  qui  tra- 
vaillaient à  la  manoeuvre  étaient  réduits  à  fept  ou  huit  in- 
dividus fur  chaque  vaifl^eau,  encore  n'étaienc-ils  pas  tous 
valides  comme  ils  auraient  pu  l'être  ;  aufli,  je  vous  affirme 
que  fi  cette  fituation  fe  fût  prolongée  au  delà  de  quinze 
jours,  nous  demeurions  à  la  merci  des  flots,  n'ayant  plus 
perfonne  à  bord  pour  gouverner.  Nous  en  étions  arrivés 
au  point  que  tout  était  déjà  défordonné;  &,  dans  notre 
affliflion,  nous  faifions  maintes  promelTes  aux  faints  & 
maintes  quêtes  fur  les  navires.  Déjà  les  capitaines  avaient 
pris  la  réfolution  de  regagner  la  terre  de  l'Inde,  d'où  nous 
étions  partis,  fi  nous  étions  favorifés  par  un  vent  qui  nous 
y  poufl"ât.  Mais,  Dieu  daigna,  dans  fa  miféricorde,  nous 
accorder  une  brife  tellement  propice  que ,  dans  l'efpace 
de  fix  jours,  elle  nous  conduilit  en  vue  de  terre,  ce  donc 
nous  nous  réjouîmes  autant  que  fi  cette  terre  eût  été  le 


8o 
Portugal.  Nous  avions,  en  effet,  l'erpoir  d'y  trouver  notre 
guérifon,   avec  l'afriftance   divine,   comme   nous   l'avions 
déjà  trouvée  une  fois;  &  ce  fut  un  mercredi,  deuxième 
jour  de  février  de  l'an  1499.  Comme  nous  étions  près  de 
la  côte  &  qu'il  faifait  nuit,  nous  virâmes  de  bord  &  mîmes 
en  panne  5  &,  quand  vint  le  matin,  nous  allâmes  recon- 
naître la  terre,  afin  de  favoir  en  quel  lieu  le  Seigneur  nous 
avait  conduits ,  car  il  n'y  avait  plus  à  bord  ni  pilote,  ni 
perfonne  qui  fût  en  état  de  juger  fur  une  carte  le  parage 
où  nous  nous  trouvions.  Quelques-uns  afluraient,  il  eft 
vrai,  que  nous  ne  pouvions  être  ailleurs  qu'entre  certaines 
îles  lituées  par  le  travers  de  Mozambique,  à  trois  cents 
lieues  de  terre  environ  ;  &  ceci ,  parce  qu'un  Maure  que 
nous  avions  pris  à  Mozambique  difait  que  ces  îles  étaient 
très- infalubres ,  &  que  les  habitants  y  fouffi-aient  eux- 
mêmes  du  mal  dont  nous  étions  atteints.  Or,  nous  nous 
trouvâmes  en  face   d'une  grande   cité  dont  les  maifons 
avaient  plufieurs  étages  ;  le  centre  était  occupé  par  de  vaftes 
palais,  &  il  y  avait  quatre  tours  à  la  circonférence  ;  cette 
ville,  bâtie  tout  contre  la  mer,  appartient  aux  Maures  &fe 
nomme  Mogadoxo.  Nous  étant  avancés  fuffifamment  pour 
en  être  tout  proches,  nous  lâchâmes  force  coups  de  bom- 
barde &  pourfuivîmes  notre  route  en  rangeant  la  côte, 
avec  bon  vent  en  poupe,  marchant  de  jour  &  nous  arrê- 
tant de  nuit,  car  nous  ne  lavions  pas  à  quelle  diftance  nous 
pouvions  être  de  Mélmde  où  nous  nous  propolions  d'aller. 
Et  le  famedi,  cinquième  jour  dudit  mois,   comme  nous 
étions  en  calme,  furvint  inopinément  un  grain  qui  rompit 
les  itagues  du  Raphaël.  Pendant  que  nous  étions  occupés  ;'i 
réparer  ledit  navire,  un  armateur  fortit  d'un  bourg  nommé 


8i 
Pâte  &  vint  fur  nous  avec  huit  barques  chargées  de  monde  ; 
mais  étant  arrivées  à  portée  de  notre  artillerie,  nous  tirâmes, 
&  elles  s'enfuirent  incontinent  vers  la  terre  :  on  ne  les  pour- 
fuivit  pas  attendu  que  le  vent  manquait. 

Le  lundi,  neuvième  jour  dudit  mois,  nous  fômes  mouiller 
devant  Mélinde,  &  le  roi  nous  dépêcha  fur-le-champ  une 
longue  embarcation  qui  portait  beaucoup  de  monde;  il 
envoyait  des  moutons  &  mandait  au  commandant  qu'il 
était  le  bienvenu,  qu'il  l'attendait  depuis  quelque  temps 
déjà,  ajoutant  maintes  autres  paroles  de  paix  &  d'amitié. 
Le  commandant  expédia  un  homme  à  terre,  en  compagnie 
des  envoyés,  pour  en  rapporter  le  lendemain  des  oranges 
que  nos  malades  défiraient  ardemment,  comme  de  fait  il 
en  rapporta  avec  bon  nombre  d'autres  fruits  ;  mais  les 
malades  n'en  profitèrent  guère,  car  la  terre  les  éprouva  de 
telle  façon  que  plufieurs  trouvèrent  ici  leur  fin.  Nombre  de 
Maures  venaient  aulTi  à  bord,  par  ordre  du  roi,  &  appor- 
taient à  vendre  des  poules  &  des  œufs  en  quantité.  Le 
commandant  voyant  tous  les  égards  que  ce  prince  nous 
témoignait  dans  un  moment  où  nous  en  avions  fi  grand 
befoin,  lui  envoya  un  préfent,  &  le  fit  prier  par  un  des  nôtres 
(celui  qui  favait  parler  arabe)  de  lui  donner  une  trompe 
d'ivoire  pour  l'offrir  au  roi  fon  maître,  et  de  faire  élever  à 
terre  une  colonne  qui  y  demeureraiten  témoignage  d'amitié. 
Le  roi  répondit  qu'il  ferait  de  grand  cœur  tout  ce  qu'il 
demandait,  par  amour  pour  le  roi  de  Portugal  dont  il 
voulait  être  &  demeurerait  toujours  le  ferviteur:,  &,  en  effet, 
il  envoya  fur  l'heure  la  trompe  au  commandant  &  fit 
mettre  en  place  la  colonne.  Il  nous  donna  aulîî,  pour  partir 
avec  nous,  un  jeune  Maure  qui  avait  le  défir  de  viliter  le 

1 1 


82 

Portugal  ;  le  roi  le  fit  recommander  particulièrement  au 
commandant,  en  lui  mandant  qu'il  lui  envoyait  ce  jeune 
homme  pour  que  le  roi  de  Portugal  fût  combien  il  défirait 
fon  amitié. 

Nous  palTâmes  là  cinq  jours  à  nous  divertir  &  à  nous 
repofer  des  fatigues  endurées  pendant  une  traverfée  où 
nous  avions  tous  vu  la  mort  de  près.  Et  un  vendredi,  dans 
la  matinée,  nous  partîmes,  &  le  famedi,  douzième  jour  du- 
dit  mois,  nous  paiïames  près  de  Mombaza.  Le  dimanche, 
nous  fûmes  mouiller  fur  les  bas-fonds  de  San-Raphaël  où 
nous  mîmes  le  feu  au  navire  de  ce  nom,  car  la  manœuvre 
de  trois  vaifleaux  devenait  impoffible  avec  le  peu  de  monde 
que  nous  étions.  Là,  nous  transbordâmes  tout  ce  que  ren- 
fermait le  bâtiment  fur  les  deux  autres  qui  nous  refiaient. 
Nous  demeurâmes  cinq  jours  en  cet  endroit  où  l'on  nous 
apportait,  d'une  bourgade  iîfe  en  face  de  nous  et  nommée 
Tamugata,  force  poules  à  vendre  ou  à  échanger  contre  des 
chemifes  &  des  bracelets.  Or,  un  dimanche,  vingt-fep- 
tième  jour  duditmois,  nous  quittâmes  ce  parage  avec  un 
très  bon  vent  de  poupe,  &,  dans  la  nuit  qui  fuivit,  nous 
mîmes  en  panne.  Au  matin,  nous  étions  près  dune  île 
fort  étendue,  appelée  Jamjiher  (Zanzibar)  ;  elle  eft  peuplée 
d'un  grand  nombre  de  Maures  &  peut  bien  être  à  dix 
lieues  de  la  terre  ferme .  Et  le  foir  du  premier  février,  nous 
jetâmes  l'ancre  devant  les  îles  de  Saint-Georges  en  Mozam- 
bique; &,  dans  la  matinée  du  jour  fuivant,  nous  allâmes 
dreflfer  une  colonne  fur  l'île  où  nous  avions  ouï  la  mefle  à 
notre  premier  paffage .  La  pluie  tombait  fi  fort  que  nous 
ne  pûmes  parvenir  à  allumer  du  feu  pour  faire  fondre  le 
plomb  nécciTaire  au  fcellement  de  la  Croix,  en  forte    que 


83 
le  monument  en  demeura  privé.  Nous  retournâmes enfuite 
aux  navires  &  partîmes  incontinent. 

Le  troidème  jour  du  mois  de  mars,  nous  atteignîmes  la 
baie  de  San-Bras  où  nous  primes  quantité  d\ichoa  (i),  ainfi 
que  des  loups  marins  &  des  pingouins  dont  nous  fîmes  des 
falaifons  pour  la  traversée,  &,  le  douze  dudit  mois ,  nous 
mîmes  à  la  voile.  Comme  nous  étions  à  dix  ou  douze  lieues 
de  Taiguade,  il  venta  fi  fort  du  ponent  que  nous  fijmes  con- 
traints de  retourner  au  mouillage  dans  la  fufdite  baie  ;  le 
calme  rétabli ,  nous  fortîmes  de  rechef,  &  Notre-Seigneur 
nous  accorda  un  vent  fî  favorable  que,  le  vmgtième  jour 
dudit  mois,  nous  doublâmes  le  cap  de  Bonne-Eipérance. 
Ceux  d'entre  nous  qui  étaient  parvenus  jusque-là  le  trou- 
vaient fains  et  difpos,  bien  que  parfois  à  demi  morts  de 
froid,  à  caufe  des  fortes  brifes  qui  nous  accueillirent  en  ce 
parage ,  ce  que  nous  attribuâmes  moins  à  Tintenlité  du 
froid  qu'à  notre  arrivée  d'un  pays  chaud.  Nous  pourfuivî- 
mes  notre  route  avec  un  grand  défir  d'en  voir  la  fin ,  & 
navigâmes  avec  un  vent  de  poupe  qui  nous  dura  bien  vingt- 
fept  jours  &qui  nous  conduiht  tout  près  de  l'ile  de  San- 
tiago ;  le  plus  loin  que  nous  pouvions  en  être,  d'après  les 
cartes  marines,  devait  être  cent  lieues,  &  quelques-uns 
faifaient  déjà  leur  compte  d'y  arriver;  mais  ici  le  vent  tom- 
ba, &  le  peu  qui  foufflait  n'était  qu'une  fraîcheur  de  l'avant. 
Or,  fâchant  où  nous  étions,  grâce  à  quelques  orages  qui 
nous  venaient  de  terre ,  nous  ferrions  le  vent  autant  qu'il 
nous  était  polîîble,   &  un  jeudi,  vingt-cinquième  jour  du 


(l)   Peut-être  enxovu  (anchois). 


84 
mois  d'avril,  nous  trouvâmes  fond  par  trente-cinq  brafTes, 
&,  tout  le  jour,  nous  fuivîmes  cette  route  ;  le  moindre  fond 
était  de  vingt  braiïes,  fans  que  nous  eufTions  connaiflance 
de  la  terre,  &  les  pilotes  difaient  que  nous  étions  fur  les  bas 
fonds  du  Rio  Grande. 


Les  noms  infcrits  ci-dejfous  font  ceux  de  certains  royaumes  fnués 
fur  la  cote  fud  de  Calicut,  ainfi  que  les  produélions  de  cha- 
cun d'eux  &  leur  valeur  :  toutes  ckofes  que  fai  apprifes  de  la 
manière  la  plus  certaine  d'une  perfonne  fackant  notre  langue, 
qui  était  venue,  trente  ans  auparavant,  d'cAlexandrie  en  ces 
quartiers. 

Premièrement,  Calicut  où  nous  fommes  allés:  là  fe  ren- 
dent toutes  les  marchandifes  énumérées  ci-deflous;  c'efl 
auiïî  dans  cette  cité  que  les  vaifTeaux  de  la  Mecque  pren- 
nent leur  chargement.  Le  roi,  que  Ton  nomme  Camolim, 
peut  raffembler  cent  mille  hommes  de  guerre,  avec  les 
contingents  qu'il  reçoit,  fa  propre  juridiction  s'étendant 
fur  un  très -petit  nombre. 

Voici  les  marchandifes  qu'apportent  les  navires  de  la 
Mecque,  &  leur  valeur  dans  toute  cette  partie  de  l'Inde. 

Du  cuivre  ;  hfraiala,  qui  faitprefque  trente  livres,  vaut 
cinquante  fanones  ou  trois  cruzades  (i). 


(i)  Cette  indication  nous  donne  la  valeur  des  mille  yà«o«M  dont 
il  est  question  à  la  page  78.  (Tr.) 


De  la  pierre  de  Baqua,  qui  vaut  l'on  pelant  d'argent. 
Des  couteaux,  à  un  fanon  la  pièce. 
De  l'eau  de  rofe,  valant  cinquante  fanones  la  frazala. 
De  l'alun,  à  cinquante  fanones  la  frazala. 
Du  camelot,  valant  fept  cruzades  la  pièce. 
Du  drap  écarlate  ;    lep^'^uj,  correfpondanc  à  trois   pal- 
mes, vaut  deux  cruzades. 

Du  vif  argent,  valant  dix  cruzades  la  frazala. 

cAune  T{oycHime. 

Ouorcngolii  (xLiv)  eft  pays  chrétien  &  le  roi  eu  chré- 
tien ;  la  diflance,  depuis  Calicut,  eft  de  trois  jours  de  mer 
par  un  bon  vent.  Le  roi  peut  réunir  quarante  mille  com- 
battants. Le  pays  produit  force  poivre,  valant  neuffanones 
la  frazala  :  à  Calicut,  il  en  vaut  quatorze. 

oiune    Tioyaume. 

Colcu  (xiv),  pays  chrétien,  eft  à  dix  jours  de  mer  de 
Calicut  par  un  bon  vent.  Le  roi  peut  raflembler  dix  mille 
hommes;  cette  contrée  fournit  beaucoup  de  toile  de  coton, 
mais  peu  de  poivre. 

aiuirc  Tioyaume. 

Caell  (xiv  i) ,  dont  le  roi  eft  maure  &  la  population  chré- 
tienne, eft  à  dix  jours  de  mer  de  Calicut.  Le  roi  peut 
réunir  quarante  mille  hommes  de  guerre  &  cent  éléphants 
de  combat  ;  il  y  a  ici  force  perles. 


86 


aiutie  T{oyaiime. 

Chomandarla  (xLVii)  efl  pays  chrétien  avec  un  roi  chré- 
tien; celui-ci  peut  réunir  cent  mille  hommes.  Il  y  a  ici 
force  goiTime  laque,  à  une  cruzade  les  deux  frazalas  ;  on  y 
fabrique  aussi  force  toile  de  coton. 

oiutre  'Royaume. 

Ceylan,  qui  eft  une  tort  grande  île,  eft  pays  chrétien  & 
le  roi  eft  chrétien  ;  on  compte  huit  jours  de  mer  depuis 
Calicut  par  un  bon  vent.  Le  roi  peut  réunir  quatre  mille 
hommes  ;  il  possède  en  outre  nombre  d'éléphants  pour  la 
guerre  ainli  que  pour  la  vente.  C'elT:  ici  que  le  trouve  toute 
la  cannelle  fine  de  l'Inde  ;  il  y  a  auffi  quantité  de  faphirs 
fupérieurs  à  ceux  des  autres  pays,  &  des  rubis  en  petite 
quantité,  mais  ils  ont  du  prix. 

Camaiarra  (xLViii)  eft  chrétien,  à  trente  journées  de 
Calicut  par  un  bon  vent.  Le  roi  peut  réunir  quatre  mille 
hommes  de  guerre  et  mille  cavaliers,  ainfï  que  trois  cents 
éléphants  de  combat.  La  contrée  produit  beaucoup  de  foie 
écrue,  valant  huit  cruzades  la  frazala  ;  elle  fournit  auiîî 
force  gomme  laque,  au  prix  de  dix  cruzades  le  bachar, 
qui  correfpond  à  vingt  frazalas. 

Xarnaui  (.\Li.x)  eft  chrétien  &  le  roi  de  même;  la  dif- 
tance  de  Calicut  eft  de  cinquante  journées  par  un  bon  vent. 
Le  roi  peut  réunir  vingt  mille  hommes  de  guerre  &  quatre 
mille  cavaliers  ;  il  polTède  aulîî  quatre  cents  éléphants  de 
combat.  Ce  pays  produit  force  benjoin,  à  trois  cruzades  la 


87 
frazala  ;  on  y   récolte  quantité    daloes,  valant   vingt-cinq 
cruzades  la  frazala. 

Tenacar  (l)  eft  chrétien  avec  un  roi  chrétien  ;  on  compte, 
de  Calicut,  quarante  jours  de  mer  par  un  bon  vent.  Le  roi 
peut  réunir  dix  mille  hommes  de  guerre  &  il  possède  cinq 
cents  éléphants  de  combat.  En  ce  pays,  il  y  a  beaucoup  de 
bra^U  qui  donne  une  auffi  belle  teinture  rouge  que  le 
kermès;  il  vaut  ici  trois  cruzades  le  bachar,  &,  au  Caire, 
il  en  vaut  foixante.  Il  y  a  aulfi  de  l'aloés,  mais  peu. 

"Bengala;  en  ce  royaume  il  y  a  quantité  de  Maures  &  peu 
de  chrétiens  ;  le  roi  eft  Maure  ;  il  peut  réunir  vingt  mille 
hommes  de  guerre  &  dix  mille  cavaliers.  Le  pays  fournit 
maintes  étoffes  de  coton  &  de  soie,  ainli  que  beaucoup 
d'argent  ;  de  Calicut,  on  compte  quarante  jours  de  navi- 
gation par  un  bon  vent. 

cAunc  T{oyaumc. 

<iMeh\]ua  eft  chrétien  &  le  roi  eft  chrétien  ;  la  diftance, 
depuis  Calicut,  eft  de  quarante  journées  par  un  bon  vent. 
Le  roi  peut  réunir  dix  mille  hommes  de  guerre ,  favoir  : 
deux  cents  cavaliers  &  le  relie  fantaflîns.  Dici  provient  ex- 
clufivement  le  clou  de  girofle  ;  il  vaut,  fur  place,  neuf 
cruzades  le  bachar.  Il  y  a  beaucoup  de  porcelaine,  beau- 
coup de  foie,  beaucoup  d'étain  dont  on  fabrique  une  mon- 
naie ;  mais  cette  monnaie  eft  grofle,  &de  fi  mince  valeur, 
que  trois  frazalas  ne  valent  pas  plus  d'une  cruzade.  On  voit, 
en  ce  pays,  quantité  de  gros  perroquets  dont  le  plumage  eft 
rouge  comme  du  teu . 

Tegûo  eft  chrétien  &  le  roi  eft  chrétien  ;    les   habitants 


font  tous  blancs  comme  nous  autres.  Le  roi  peut  réunir  vingt 
mille  hommes  de  guerre  ,  lavoir  :  dix  mille  cavaliers  &  le 
refte  fantaflîns,  ainfi  que  quatre  cents  éléphants  de  com- 
bat. Ce  pays  produit  tout  le  mufc  du  monde.  Le  roi  pos- 
sède une  île  diftante  de  la  terre  ferme  d'environ  quatre 
jours  de  navigation  par  un  bon  vent,  &  cette  île  elt  peuplée 
de  certains  animaux,  femblablesàdes  biches,  qui  portent  au 
nombril  une  manière  de  poche  où  ce  mufc  efl  renfermé. 
Or,  à  certaines  époques  de  l'année,  ils  fe  frottent  contre  les 
arbres,  &  perdent  leurs  poches  que  les  gens  du  pays  vien- 
nent alors  ramaiïer  :  leur  abondance  eft  telle  que,  pour  une 
cruzade,  on  vous  donne  quatre  de  ces  grandes  poches,  ou 
dix  à  douze  petites,  capables  de  remplir  un  grand  coffre. 
Sur  la  terre  ferme ily  a  quantité  de  rubis  &  quantité  d'or,  à 
tel  point  que,  pour  une  cruzade,  vous  pouvez  acheter  autant 
d'or  ici  que  l'on  vous  en  donnerait  pour  vingt-cinq  à  Ca- 
licut.  Il  y  a  aufli  force  gomme  laque,  &  du  benjoin  de  deux 
efpèces,  du  blanc  &  du  noir  ;  le  blanc  vaut  trois  cruzades  la 
frazala,  &  le  noir  une  &  demie  ;  &  l'argent  qu'on  vous 
donne  ici  pour  dLx  cruzades  en  vaudrait  quinze  à  Calicut. 
Ce  pays  eft  à  trente  jours  de  Calicut  par  un  bon  vent. 

'Bemguala  a  un  roi  maure  :  la  population  eft  mêlée  de 
Maures  &  de  chrétiens,  &  la  diftance  de  Calicut  efl  de 
trente-cinq  jours  par  un  bon  vent.  Il  peut  y  avoir  ici  vingt- 
quatre  mille  hommes  de  guerre  ,  fa  voir  :  dix  mille  cavaliers 
&le  refte  fantaffins,  outre  quatre  cents  éléphants  de  combat. 
Les  marchandifes  du  pays  confiftent  en  force  blé  &  quantité 
d'étoffes  d'un  grand  prix  ;  en  achetant  ici  pour  dix  cruzades 
de  ces  étoffes,  on  en  trouvera  quarante  à  Calicut  ;  il  y  a 
auffi  beaucoup  d'argent. 


89 

Conimata  (l  i)  a  un  roi  chrétien  &  la  population  elt  auflî 
chrétienne  ;  la  diftance  de  Calicut  ell  de  cinquante  jour- 
nées par  un  bon  vent.  Le  roi  peut  réunir  cinq  à  fix  mille 
hommes  de  guerre,  &  il  a  mille  éléphants  de  combat.  Le 
pays  produit  force  faphirs  &  force  brasyll. 

Tarer  efl  chrétien,  avec  un  roi  chrétien  ;  en  ce  royaume 
il  n'y  a  pas  un  Maure.  Le  roi  peut  réunir  quatre  mille  hom- 
mes de  guerre  &  il  possède  cent  éléphants  de  combat.  Le 
pays  produit  force  rhubarbe,  valant  fur  place  neuf  cruzades 
la  frazala  ;  il  fournit  auffi  quantité  de  rubis  balais  &  de 
laque,  valant  quatre  cruzades  le  bachar;  la  diftance  de 
Calicut  est  de  cinquante  jours  de  navigation  par  un  bon 
vent. 

De  la  manière  dont  comhanent  les  éléphanis  en  ce  pays. 

On  fait  une  maifonnette  en  bois,  capable  de  contenir 
quatre  hommes,  &  cette  maifonnette  s'adapte  fur  le  dos  de 
l'éléphant  avec  les  fufdits  hommes  dans  l'intérieur  ;  &  l'a- 
nimal porte  cinq  épées  nues  à  chaque  défenfe,  en  forte  que 
les  deux  défenfes  font  armées  de  dix  épées  ;  ils  font  alors 
tellement  redoutables  que  perfonne  n'ofe  les  affronter  fi  la 
fuite  eft  poffible.  Tout  ce  que  commandent  aux  éléphants 
ceux  qui  vont  fur  leur  dos  eft  exécuté  par  eux  auffi  ponc- 
tuellement que  par  des  créatures  raifonnables;  en  forte  que 
s'ils  leur  difent  :  tue  celui-ci,  ou,  fais  ceci  ou  cela,  ainfi  font-ils. 

T)e  la  manière  dont  on  prend  les  éléphants  fauvages 
dans  les  bois. 

Quand  on  veut  prendre  un  éléphant  fauvage,  on  fe  fert 

12 


go 
d'une  femelle  apprivoifée,  &  Ton  creufe  une  très  grande 
foiïe  dans  les  lieux  fréquentés  par  l'éléphant  ;  &  l'ouver- 
ture étant  recouverte  de  bruyère ,  on  dit  à  cette  femelle  : 
Va ,  &  fi  tu  trouves  un  éléphant,  attire-le  contre  cette 
folTe  de  manière  qu'il  y  tombe  ;  mais  toi,  n'aies  garde  d'y 
tomber.  —  Pour  lors  elle  s'en  va  &  fait  comme  on  lui  a 
commandé,  c'eft-à-dire  que  fi  elle  en  trouve  un,  elle  le 
conduit  de  telle  façon  qu'il  tombe  nécefiairement  dedans  : 
or  la  fofle  eft  aiïez  profonde  pour  qu'il  lui  foit  impoflîble 
d'en  fortir  de  lui-même. 

De  la  manière  dont  on  s'y  prend  pour  les  tirer  de  la  foffe 
&  les  apprivoifer. 

Une  fois  que  l'éléphant  eft  au  fond  de  la  folTe,  il  fe  pafle 
d'abord  cinq  à  fix  jours  avant  qu'on  lui  donne  à  manger. 
Ce  temps  écoulé,  un  homme  lui  apporte  une  très  petite 
quantité  de  nourriture,  &  chaque  jour  il  lui  en  donne 
davantage,  jufqu'à  ce  qu'il  vienne  manger  de  lui-même. 
Ceci  dure  l'efpace  d'un  mois  pendant  lequel  ceux  qui  lui 
apportent  des  aliments  l'apprivoifentpeu  à  peu  &  finiflent 
par  defcendre  dans  la  fofle,  ce  qu'ils  répètent  durant  plu 
fieurs  jours,  jufqu'à  ce  qu'ils  puiflent  mettre  la  main  fur  fes 
défenfes  ;  enfuite  un  homme  defcend  au  fond  &  lui  en- 
toure les  pieds  de  grofles  chaînes.  En  cet  état  ils  l'élèvent  fi 
bien  qu'il  ne  lui  manque  que  la  parole.  On  tient  ces  ani- 
maux dans  des  écuries,  comme  les  chevaux  ;  un  bon  élé- 
phant vaut  deux  mille  cruzades. 


Ceci  ejl  le  prix  auquel  je  vendent  les  épiceries  a  (Alexandrie . 


Premièrement,  un  quintal  de  cannelle  vaut.  2f  cruzades 

Un  quintal  de  clous  de  girofle 20       >■ 

Le  quintal  de  poivre 15'       " 

Le  quintal  de  gingembre 11        » 

Et  à  Calicut,  un  bachar  qui  correfpond  à  cinq 

quintaux  vaut  vingt  cruzades. 

Le  quintal  de  noix  mufcades  vaut     ....  16       » 

Le  quintal  de  laque   vaut i<i       » 

Le  quintal  de  brafil    vaut 10 

La  livre  de  rhubarbe   vaut 12 

Le  mitkal  demufc    vaut i 

La  livre  de  bois  d'aloës  vaut 2 

La  livre  de  benjoin  vaut 1 

Le  quintal  d'encens   vaut 2 

&  à  la  Mecque,  d'où  on  le  tire,  il  vaut  deux  cruzades  le  bachar. 

Ceci  eji  le  langage  de  Calicur. 


Pour  :  regarde,  nocane. 
Entends-tu,  que  que  ne. 
Ote-lui,  criane. 
Tirer,  balichene. 
Corde,  coraoo. 
Elargis,  lacany. 
Donne-moi,  cornda. 
Boire,  carichany. 
Mange,  tinane. 
Prends,  j  na. 
Je  ne  veux,  totenda. 
Marcher,  mareçane. 
Va-t'en,  poo. 
Viens  ici,  baa. 


Tais-toi,  pote. 
Lève-toi,  legany. 
Jeter,  carecane. 
Parler,  para  ne. 
Fou,  moto. 

Sage,  monday  decany. 
Manchot,  mura  call. 
Tomber,  biamçe. 
Beaucoup,  balidu. 
Main,  bétail. 
Vent,  clarle. 
Peu,  chiredu. 
Donne-lui,  criane. 
Bâton,  mara. 


92 


l'icrrc,  calou. 
Dents,  faley. 
Lèvres,  cire. 
Nez,  muco. 
Yeux,  cana. 
Front,  necheim. 
Cheveux,  talanay. 
Tète,  tabu. 
Oreilles,  cadee. 
Langue,  naoo. 
Cou,  caeftez. 
— ,  jnulay. 
Mammelles,  nane. 
Bras,  carit. 
Eftomac,  barri. 
Jambes,  cali. 

—  ccinay. 

—  seyrim. 

—  cudo. 
Mains,  lamguajem. 
Doigts,  beda. 

—  cula. 
Poiffon,  miny. 
Mât,  mana. 
Feu,  tiir. 
Dormir,  teraquy. 
Homme,  a?>ioo. 
Femme,  pf«a. 
Barbe,  tari. 
Homard,  xame. 
Perroquet,  tata. 
Pigeons,  cayninaa. 

—  baly. 
Baifer,  mucane. 
Mordre,  canchany. 


Regarder,  noqitany. 
Entendre,  çegade. 
Battre,  catane. 
BlefTure,  morubo. 
Epée,  batarty. 
Targe,  cutany. 
Arc,  cayny. 
Flèche,  ambum. 
Lance,  concudoo. 
Tirer  de  l'arc,  heany. 
Soleil,  nerara. 
Lune,  neelan. 
Ciel,  mana. 
Terre,  caraa. 
Mer,  caralu. 
Vaiffeau,  capell. 
Barque,  cambuco. 
Nuit,  erabiit. 
Jour,  pagalala. 
Manger,  tinane. 

—  matara. 
S'affeoir,  arricany. 
Se  tenir  debout,  anicany. 
Aller,  narecane. 
Embraffer,  traigany. 
Horions,  talancy. 
Pleurer,  que  ne. 
Lever,  alagany. 
Danfer,  canechane. 
Frapper  à  coups  de  pierre  ou  de 

bâton,  ouriany. 
Chanter, /a;T?!j. 
Pluie,  ma  jaa. 
Eau,  îany. 
Aveugle,  curuge. 


93 


Mutilé  d'une  main,  miiraquay. 

Aiguille,  ciidoo. 

—  panany. 

Vergue,  parima. 

Prends,  emay. 

Rame,  tandii. 

Allons-nous-en,  pomga. 

Bombardes,  ve  dit. 

L'eft,  careçache. 

Hune,  talii. 

L'oueft,  mecache. 

Driffe,  anguaa. 

Le  nord,  barcangache. 

Ancre,  napara. 

Lefud,  tycamgarche. 

Bannière  et  étendart,  çoù 

Chien,  naa. 

Gouvernail,  xoca. 

Chienne,  pena. 

Pilote,  cupajaoo. 

Garçon,  hum  née. 

Chauffes,  cacu  paja. 

Enfant,  co  poo. 

Bonnet,  tupy. 

Maifon,  pura. 

1)oici  quels  fom  leurs  noms. 

Tenae. —  Pumi.  —  Paramganda. —  Uja  pee. —  Quilaba. — 
Gouaa.  —  Aja  paa.  —  A  rreco.  —  A  xirama.  —  Cuerapa.  —  Cu- 
totopa.       Anapa.  —  Canapa.  —  Gande,  —  Rremaa.  —  Mamgala. 


^OTES 


UELQUES  perfonnes  ont  attribué  à  Améric  Vefpuce 
la  relation  du  voyage  deVafco  da  Gama  inférée  dans  la 
ColleBion  deT{amufio  (t.  i,  p.  137);  nous  citerons,  en- 
tr'autres,  Sebaftiâo  Francifco  de  Mendo  Trigofo,  dans  l'Introduc- 
tion aux  deux  cartes  d'Améric  Vefpuce  qui  forme  le  n°  4  de  la 
ColleSiion  des  Notices  pour  fei~vir  ii  l'HiJioire  des  Nations  d' Outre-mer, 
publiée  par  l'Académie  des  Sciences  de  Lisbonne,  &  Antonio  Ri- 
beiro  dos  Santos,  dans  fon  Mémoire  fur  l'antériorité  de  la  naviga- 
tion portugaife  au  quinzième  fiècle  [Mém.  de  Littérature  de  ï Aca- 
démie, t.  VIII,  p.  348);  nous  préfumons  que  cette  opinion  leur 
a  été  fuggérée  par  Bandini,  le  premier  qui  ait  attribué  la  relation 
dont  il  s'agit  à  la  plume  d'Améric  'Vefpuce  {Vita  e  Lettere  d'Americo 
Vefpuccio,  i74f). 

Il  ne  nous  a  pas  été  poffible  de  confulter  l'ouvrage  de  Bandini, 
qui  nous  efl  uniquement  connu  par  les  citations  que  lui  ont  em- 
pruntées d'autres  écrivains,  par  exemple  Tirabofchi,  t.  vi,  part.  1, 


96 

p.  2^  y,  il  y  aurait  donc  témérité  de  notre  part  à  nous  élever 
contre  une  affertion  dont  nous  ne  pouvons  apprécier  les  fonde- 
ments (i).  Nous  oferons  cependant  affirmer  que,  fi  la  relation  du 
voyage  de  Vafco  da  Gama,  dont  il  eft:  queftion,  fut  écrite,  comme 
le  déclare  Ramufio  en  la  donnant  pour  la  première  fois  au  public, 
par  un  gentilhomme  florentin  qui  fe  trouvait  à  Lisbonne;  d'après  le 
même  récit,  quand  Vafco  da  Gama  revint  de  découvrir  les  Indes, 
ce  gentilhomme  ne  pouvait  être  Améric  Vefpuce. 

Vafco  da'Gama  arriva  à  Lisbonne  le  29  août  1499,  félon  Goes, 
ou  dans  les  premiers  jours  de  feptembre,  félon  Caihinheda  ;  il 
avait  été  précédé,  le  10  juillet,  par  Nicolas  Coelho  qui  fe  fépara 
de  lui,  comme  on  le  fait,  le  27  avril,  pendant  la  route  du  cap  de 
Bonne-Efpérance  à  l'ile  de  Santiago  du  Cap-Vert.  La  relation, 
pour  concorder  avec  ces  dates,  a  donc  dû  être  écrite  dans  les 
derniers  fix  mois  de  1499. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  la  queftion  (fi  l'on  peut  employer  ce 
terme)  qui  s'efl  élevée  fur  la  date  des  voyages  d' Améric  Vefpuce. 
Nous  doutons,  en  effet,  qu'il  y  ait  véritablement  queftion  fur  un 
point  où,  en  réduifant  la  controverfe  à  fa  jufte  valeur,  les  preuves 
demeurent  fi  fortes  d'un  côté  qu'il  n'y  a  plus  matière  à  débat.  Mais, 
dans  l'hypothèfe  des  amis  de  Colomb  comme  dans  celle  des  ad- 
mirateurs de  Vefpuce,  nous  prouverons  qu'il  était  impoffible  que 
ce  dernier  fe  trouvât  à  Lisbonne  pendant  le  fécond  femeftre  de 
l'année  1499. 

Les  écrivains  efpagnols,  s' appuyant  fur  l'autorité  d'Herrera 
{Hijl.  gênerai  das  Indias),  fixent  au  20  mai  1499  '^  départ  d' Améric 
Vefpuce  pourfon  premier  voyage;  d'après  cette  date,  ce  naviga- 
teur était  certainement  embarqué  Se  bien  loin  de  Lisbonne  à  l'épo- 
que dont  il  s'agit,  comme  nous  allons  le  voir. 

Les  auteurs  qui  attribuent  à  Améric  Vefpuce,  au  préjudice  de 


(i)  Cette  affertion  de  Bandini  a  été  réfutée  viiftorieufement  &  pièces  en 
mains  par  Canovai,  dans  la  préface  de  fon  ouvrage  fur  Améric  Vefpuce.  Voy. 
Viciggi  d'Amerigû  Vejpucci,  &c.,  dçl  padre  S.  Canovai,  Firenze  1817,  p.  i  j  & 
fuiv.  (  Trjd.) 


97 

Colomb,  la  gloire  d'avoir  découvert  le  Nouveau-Monde,  font 
remonter  fon  premier  voyage  à  l'année  1497.  Nous  avons 
confulté  ,  dans  la  bibliothèque  de  Porto  ,  uVie  copie  très-an- 
cienne des  quatre  lettres  d'Améric  Vefpuce  qui  contiennent  le 
récit  de  fes  quatre  voyages,  dont  deux  furent  entrepris  pour 
le  fervice  du  roi  de  Caftille,  &  deux  pour  celui  du  roi  D.  Ma- 
nuel de  Portugal.  Ces  lettres  fe  trouvent  à  la  fin  d'un  petit 
traité  par  «  Martinus  llacorainus  »,  intitulé  :  Cofmographia  intro- 
du6iio  ,  &c,,  in -4°,  en  caradlères  gothiques,  imprimé  «  apud 
Argentoratos  (Strasbourg)  par  Joannes  Gruniger,  1 5^09  (i);  »  elles 
font  dédiées  à  René,  roi  de  Sicile,  duc  de  Lorraine.  &c.  Il  paraît 
que  ce  fut  l'édition  dont  fe  fervit  Simon  Gry  nœus  dans  fon  «  CNiovus 
Orbis,  Sec.,»  imprimé  à  Bâie,  en  in7'>  car,  dans  la  tranfcription  des 
lettres  dont  il  s'agit,  il  a  reproduit  les  fautes  typographiques  qui 
s'y  trouvent.  La  date  des  voyages  de  Vefpuce  eft  indiquée  dans  ce 
traité  d'une  manière  paffablement  confufe  ;  toutefois  il  ne  fera  pas 
difficile  d'en  diffiper  l'obfcurité. 

Dans  le  premier  voyage,  le  départ  de  Cadix  eft  fixé  au  io  mai 
1497,  &  le  retour  au  1  ^^  oétobre  1499;  il  y  a  évidemment  une  faute 
de  typographie  dans  la  date  du  retour,  puifqu'il  réfultede  la  teneur 
de  cette  première  lettre  que  la  navigation  dura  près  de  dix-huit 
mois;  on  doit  donc  lui  fubflituer  celle  de  1498. 

Le  départ  de  Cadix,  dans  le  fécond  voyage,  efl  placé  au  mois 
de  mai  1489  (le  jour  précis,  i  1  du  mois,  nous  efl  connu  par  l'édi- 
tion des  lettres  de  Grynœus)  ;  la  date  de  l'année,  évidemment  er- 
ronée, doit  être  1499  ;  celle  du  retour  eft  fixée  au  8  feptembre  de 
l'année  fuivante ,   1^00. 

Dans  le  troifième  voyage,  le  départ  de  Lisbonne  eft  à  la  date 
du  10  mai  i^oi  Qe  Summario  das  Navigaçces  de  Vefpuccio,  inféré 
dans  les  œuvres  de  Grynœus  &  de  Ramufîo,  la   porte  au   1^  du 


(i)  Le  véritable  nom  de  l'auteur  qui,  fuivant  la  mode  du  temps,  avaii 
adopté  un  pfeudonyme,  était  WaldreemùUer.  Il  fit  imprimer  pour  la  première 
fois  fon  livre  en  1507,  à  Saint-Dié,  fa  ville  natale,  Si  le  dédia  à  l'empereur 
Ma\imilien.  (Tr.) 

1^ 


98 

mois),  &  le  retour  cfl  placé  dans  l'année  1^02,  après  feizc  mois 
environ  de  navigation,  bien  que  la  verfion  italienne  de  Ramudo 
donne  à  cet  événement  la  date  du  7  feptembrc  i5'02. 

Le  quatrième  voyage  commence,  en  partant  de  Lisbonne,  le 
10  mai  I  f03,  &fe  termine  le  28  juin  1  ^04.  Il  y  a  une  différence  de 
dix  jours  entre  cette  date  &  la  verfion  de  Ramufio  qui  fixe  le  retour 
au  18  du  même  mois. 

Ainfi,  en  combinant  les  dates  &  les  textes  de  l'édition  de  1Ç09, 
de  celledeGrynœusde  in?  &  de  la  verfion  italienne  de  Ramufio, 
nous  arrivons  à  affigner  les  dates  fuivantes  aux  quatre  voyages 
d'Améric  'Vefpuce  : 


l"  VOYAGE.  2'    VOYAGE.  j'  VOYAGE.         4'  VOYAGE. 

Vepjir: 


20  mai  1497. 


II  mai  1499.  looiii^maii^oi.  lomaii^oj. 


fy  h  R     I  8  feptembre  1 500.     7  feptembre  1 502.     iSouaSjiiin  1 504. 


D'après  ces  dates,  il  efi:  impoffible  qu'Améric  'Vefpuce  pût  fe 
trouver  à  Lisbonne  dans  le  dernier  femeftre  de  l'année  1499. 

Mais  il  y  a  mieux  :  nous  acceptons  pleinement  l'invention  des 
deux  premiers  voyages  d'Améric  'Vefpuce.  Dans  le  récit  du  pre- 
mier, qu'il  entreprit  pour  le  fervice  du  roi  D.  Manuel,  il  déclare 
expreffément  qu'il  arriva  à  Lisbonne  en  ifoi,  quand  la  flotte  fur 
laquelle  il  s'embarqua  était  déjà  prête  à  mettre  à  la  voile.  Or,  cette 
flotte  leva  l'ancre  en  mai,  &  l'on  aura  beau  allonger  l'intervalle  qui 
s'écoula  jufqu'au  retour  de  'Vefpuce,  jamais  on  ne  pourra  reculer 
cet  événement  jufqu'aux  derniers  mois  de  l'année  1499. 

Ainfi  donc,  fi  nos  prémiffes  font  vraies,  quelle  que  foit  l'opinion 
que  l'on  adopte  fur  la  réalité  ou  la  non-réalité  des  voyages  d'Amé- 
ric'Vefpuce,  il  eft  impoffible  de  fouteniravec  quelque  fondement 
qu'il  foit  l'auteur  de  la  relation  qu'on  lui  attribue. 

Il  nous  femble  que  le  même  Antonio  Ribeiro  dos  Santos  fe 
contredit  dans  fes  affertions,  quand  on  compare  ce  qu'il  dit  à  ce 


99 

fujet  avec  ce  qu'il  a  écrit  dans  le  mémoire  intitulé  ;  Da  Antiguidadi- 
da  Obfervaçâo  dos  çAJiros,  inféré  au  tome  v,  part,  i,  p.  77  des  Mé- 
moires de  l'Académie.  On  y  lit  que  le  même  gentilhomme  floren- 
tin aurait  voyagé  avec  Vafco  da  Cama  ,  alTertion  non-feulement 
contradiétoire,  mais  qui  n'ell  pas  foutenable  en  préfence  du  texte 
de  la  relation  dont  il  s'agit. 


11  exifte,  à  la  bibliothèque  de  Porto,  un  exemplaire  de  cette 
première  édition  du  livre  i"  de  ÏHiJloire  des  Indes  parFernâo  Lopes 
de  Caftanheda.  Barbofa  Machado,  dans  la  notice  qu'il  en  donne, 
dit  que  ■<  trois  ans  plus  tard,  ce  livre  fut  réimprimé  in-folio  avec 
une  autre  dédicace  adreffée  au  même  fouverain  (D.  Joâo  III),  & 
quelques  variantes  dans  le  nombre  des  chapitres  &  le  commence- 
ment du  premier;  »  mais,  en  comparant  cette  édition  avec  celle 
de  I  f  5'4,  on  peut  fe  convaincre  que  les  changements  &  les  correc- 
tions font  plus  confidérables  qu'il  ne  les  indique.  Nous  en  avons 
mentionné  plufieurs  dans  nos  notes,  &  nous  ajouterons  ici  que  la 
différence  entre  le  nombre  des  chapitres  (l'édition  de  17^1  en 
compte  quatre-vingt-quinze  &  celle  de  i5'5'4  quatre-vingt-dix- 
fept)  réfulte  d'un  remaniement  que  fit  l'auteur,  pour  difcuter  une 
infcription  latine  prophétifant  la  découverte  de  l'Inde,  qui  fut 
trouvée  à  Cintra,  dit-on,  au  temps  du  roi  D.  Manuel;  &  auffi 
pour  inférer  dans  fon  livre  la  lettre  que  le  même  fouverain  écrivit 
au  zamorin  de  Calicut  par  Pedro  Alvares  Cabrai,  ainfi  que  la 
defcription  des  armoiries  oétroyées  par  le  roi  de  Cochin  à  Duarte 
Pacheco.  Au  refle,  comme  plufieurs  tradudions  de  cette  édition 
ont  été  faites  en  langues  étrangères,  notamment  une  en  efpagnol, 
imprimée  à  Anvers  en  i^5'4,  (&  que  nous  connaiffons  par  un 
exemplaire  appartenant  à  la  bibliothèque  de  l'univerfité  de  Coïm- 
bre),  les  incorredions  &  les  fautes  qu'elle  renferme  fe  font  ainfi 
propagées  ,  &  on  en  retrouve  la  trace  chez  plufieurs  écrivains 
tant  anciens  que  modernes.  Pour  en  citer  un   exemple  ,  il  était 


lOO 

dit,  J.ins  CL-tio  prcmicrc  édition,  que  Barthclemy  Dias  retouina  de 
l'île  de  Santiago  en  Portugal,  affertion  qui,  bien  que  corrigée  dans 
l'édition  fuivante  par  cette  variante  :  fitivit  la  route  de  Mina,  n'en 
fubfifle  pas  moins  encore  aujourd'hui  dans  la  Biographie  iiniverfelle 
ainfi  que  dans  d  autres  ouvrages. 

L'auteur  ou  plutôt  le  rédacfteur  du  Summario  da  Bibliotheca  Lujttana 
eft  inexacft  &  ne  reproduit  pas  fidèlement  Barbofa,  quand  il  donne 
à  entendre  que  toutes  les  œuvres  de  Caftanheda,  imprimées  en 
içp,  furent  corrigées  &  augmentées  dans  les  différentes  années 
qu'il  indique;  il  efl  certain  que  le  premier  livre  était  feul  imprimé 
en  ifn,  &  que  ce  fut  feulement  en  iS^4  qu'il  fut  réimprimé, 
quand  le  fixième  &  le  feptième  parurent  pour  la  première  fois.  Bar- 
bofa Machado  pèche  lui-même  contre  l'exadlitude  en  difant  que 
le  premier  livre  fut  publié  avec  celui  d'Oforius  :  De  rébus  Emma- 
nuelis,en  i  ^8i,  à  Paris,  chez  François  Etienne,  traduéVion  de  S.  G.  S.; 
ce  tradudeur,  en  effet,  profita  des  douze  livres  d'Oforius  &  ne 
recourut  que  poftérieurement  aux  derniers  de  Caflanheda,  ainfi 
que  nous  l'avons  vérifié. 


III. 


Ces  navires  étaient  ;  \e  San-Gabriel,  de  cent  vingt  tonneaux;  le 
San-Rapha'el,  de  cent;  la  caravelle  Berrio,  de  cinquante;  enfin  le 
bâtiment  qui  portait  les  approvifionnements,  jaugeant  deux  cents 
tonneaux.  Les  deux  premiers  navires  avaient  été  conftruits  fous  la 
direélion  de  Barthélémy  Dias  (qui  avait  déjà  l'expérience  des 
mers  auflrales),  avec  les  bois  que  le  roi  Jean  II,  dans  le  but  de 
pourfuivre  les  découvertes,  fit  couper  par  Joâo  de  Bragança, 
fon  garde  des  forêts  (  wofo  do  monte),  &  tranfporter  à  la  Cafa 
da  Mina  en    1494  (i).    L'agence  de  cette  conftruAion   navale   & 


(i)  On  fait  qu'en  Portugal,  le  commerce  de  l'Afrique  &  des  Indes  fui  e.xcluli- 
vement  placé  dans  l'origine  entre  les  mains  de  l'Etat ,  qui  n'accorda  qu'avec  le 
temps,  à  un  petit  nombre  de  particuliers  &  à  titre  de  récompenfe  (par  exemple  à 


loi 

I  expédition  de  la  flotte  avaient  été  confiées  à  Fernâo  Lourenço, 
tréforier  de  la  même  adminiftration,  un  des  feigneurs  les  plus 
magnifiques  de  fon  temps.  La  caravelle  fut  achetée  par  le  roi 
D.  Manuel  à  un  pilote  de  la  petite  ville  de  Lagos,  appelé  Berrio, 
dont  elle  prit  le  nom,  particularité  que  plufieursont  ignorée  (no- 
tamment MafFei,  Ifiorie  dell'hidie  Orientait).  Le  roi  D.  Manuel  fit 
également  l'acquifition  du  bâtiment  de  deux  cents  tonneaux  près 
d'un  certain  Ayres  Correia  ;  il  était  réfervé  au  tranfport  des  ap- 
provifionnements  néceflaires  à  la  durée  d'un  voyage  auffi  long  que 
celui  que  l'on  prévoyait,  la  capacité  reftreintc  des  navires  ne 
laiffant  pas  de  place  pour  l'arrimage  ;  les  inflruélions  du  comman- 
dant en  chef  portaient,  d'ailleurs,  que  ce  bâtiment  ferait  défarmé  & 
brûlé  dans  la  baie  de  San-Bras.  Enfin,  Barthélémy  Dias  devait' 
naviguer  de  conferve  avec  la  flotte  jufqu'à  la  hauteur  de  Mina  fur 
une  caravelle  comme  on  les  équipait  d'ordinaire  pour  trafiquer  en 
ces  parages;  le  commandement  lui  en  avait  été  donné  afin  qu'il  en 
tirât  quelque  profit,  en  confidération  des  fervices  qu'il  avait  rendus 
par  fes  précédentes  découvertes,  &  pour  le  récompenfer  de  la 
part  qu'il  avait  prife  aux  préparatifs  de  l'expédition  qu'il  accompa- 
gnait. 

Le  principal  navire,  le  San -Gabriel,  portait  le  commandant 
en  chef,  Vafco  da  Gama;  il  avait  pour  pilote  Pero  d'Alemquer 
qui  était  allé  avec  Barthélémy  Dias  jufqu'au  rio  do  Infante  ,  en 
l'année  1487  (Cafado  Giraldes  dit  qu'ils  doublèrent  le  Cap  en 
1493);  &,  pour  officier  comptable,  Diogo  Dias,  frère  du  fufdit 
Barthélémy. 

Le  capitaine  du  San-Kapha'él  était  Paul  da  Gama,  frère  du  com- 


Vafco  da  Gama),  le  privilège  de  trafiquer  en  ces  parages.  L'adminiftralion  de  ce 
monopole  s'appela  d'abord  Caja  da  Mina,  alors  que  les  découvertes  ne  s'éten- 
daient pas  encore  bien  loin  fuir  la  côte  occidentale  de  l'Afrique,  &.  que  le  centre 
des  opérations  était  Saint-Georges  de  Mina.  Plus  tard,  en  fe  développant,  elle 
prit  le  nom  de  Cafj  dii  India,  Mina  e  Ceutj,  avec  les  attributions  d'un  niiniftère 
delà  marine  &  des  colonies.   {Tr.) 


102 

mandant  en  chef;  le  pilote,  Joâo  de  Coinihra  ,  &  le  comptable, 
Joâo  de  Sa. 

Le  capitaine  du  Berrio  était  Nicolas  Coelho;  le  pilote,  Pero 
Efcobar,  &  le  comptable,  Alvaro  de  Braga  (i). 

Le  bâtiment  qui  tranfportait  les  approviflonnements  était  fous  les 
ordres  d'un  certain  Gonçalo  Nunes,  de  la  maifon  du  commandant 
en  chef;  Caftanheda,  dans  la  première  édition  de  fon  premier 
livre,  l'appelle  Gonçalo  Gomes,  méprife  qu'il  a  corrigée  dans  la 
féconde  en  lui  refVituant  le  nom  de  Nunes. 

Les  interprètes  de  l'expédition  étaient  Fernâo  Martins  (2)  pour 
la  langue  arabe  &,  pour  celle  des  nègres,  Martim  AfFonfo  qui  avait 
féjourné  longtemps  au  Manicongo. 

L'hiftoire  nous  a  confervé  en  outre  les  noms  d' Alvaro  Velho, 
Fernâo  Vellofo  (Caftanheda  &  Barros),  Gonçalo  Pirez  (Caflanheda), 
Gonçalo  Alvarez,  maître  d'équipage  du  navire  5an-GainV/ (Barros), 
Sancho  Mexia  (notre  auteur),  Pedro  de  Faria  e  Figueiredo  Se  fon 
frère  Francifco  qui  moururent  tous  deu.x  au  cap  Corrientes  (Faria 
e  Soufa),  enfin  Leonardo  Ribeyro  (Manuel  Correia)  (3). 


(i)  Joâo  Franco  Barreto,  daiiâ  Ton  Index  des  noms  propres,  que  l'on  trouve 
annexé  à  plufieurs  éditions  des  œuvres  de  Camoëns,  dit,  au  mot  Diego,  que  Joâo 
de  Barros  donne  à  Diogo  Dias  &.  a  Alvaro  de  Braga  les  noms  d'Alvaro  Dias  &  de 
Diogo  Correia.  Ce  n'efl  pas  ce  que  nous  voyons  dans  la  première  Décade,  1.  4, 
c.  3  Si  10  où  on  lit  Diogo  Dias  &.  Alvaro  de  Braga. 

(2)  On  lit  encore  dans  l'Index  de  Joâo  Franco  Barreto  cité  plus  liaut,  au  mol 
Fernâo  ou  Fernando,  que  Goes  donne  à  Martim  Affonfo  le  nom  de  Fernâo  Mar- 
tins. 11  y  a  ici  une  nouvelle  erreur  ;  Goes  (C.  de  D.  Manuel,  P.  i,  c.  j6  &  jq) 
ne  confond  pas  ainfi  fous  un  même  nom  deux  individus  différents. 

(3)  OEuvres  du  grand  Camoèns,  &.C.,  avec  les  Commentaires  de  Manuel  Corrèa 
8ic.,  Lisbonne,  1720,  chez  Jofeph  Lopes  Ferreira.  Dans  une  note  fur  la  (lance 
quarantième  du  fixième  chant,  le  commentateur  affirme  tenir  de  Camoëns  que 
le  véritable  nom  de  Leonardo,  mis  en  fcène  ici  par  le  poète,  était  Leonardo 
Ribeyro.  11  efl  à  noter  que  Manuel  de  Faria  e  Soufa,  dans  fon  AJïa  Porluguèja, 
dit  que  le  Leonardo  de  la  quatrième  fiance  du  fixième  chant  des  Uijïades  était 
Francifco  de  Faria  e  Figueiredo  ;  8t,  dansfes  Commentaires  fur  les  Lujîades  (Ma- 
drid, Joâo  Sanchez,  1659),  il  s'exprime  ainfl  dans  une  note  fur  la  même  (lance: 


I03 

Fana  c  Soufa  cite  encore,  dans  fon  Afîa,  comme  chapelain  de 
la  flotte,  Pcrode  Cobillones,  religieux  de  l'ordre  de  la  Trinité,  en  fe 
fondant  fur  d'anciens  titres  tout  à-fait  dignes  de  foi  (dit-il),  Se  fur 
le  témoignage  de  frère  Chrifloval  Oforio,  du  même  ordre,  configné 
dans  des  éloges  que  ce  frère  a  compofés. 

On  n'eft:  pas  d'accord  fur  le  nombre  de  perfonnes  qui  s'embar- 
quèrent pour  ce  voyage  ;  Caflanheda  (i),  Oforius  &  Goes  comp- 
tent cent  quarante-huit  individus  ;  Barros,  Dec.  I,  1.  4,  c.  11,  porte 
ce  chiffre  à  cent  foixante-dix  ;  &,  dans  le  livre  V,  c.  1,  de  la  même 
Décade,  il  parle  de  centfoixante  environ  ;  Faria  e  Soufa  s'arrête  à 
cent  foixante.  Quant  au  nombre  de  ceux  qui  revinrent  en  Portugal, 
tous  les  auteurs  qui  ont  précifé  un  chiffre  s'accordent,  à  très-peu 
d'exceptions  près,  fur  cent  cinquante-cinq.  San  Roman  (1.  I,  c.  vu) 
dit  que,  tant  marins  que  foldats,  il  y  eut  d'embarquées  centfoixante 
perfonnes,  dont  quatre-vingt-treize  moururent,  y  compris  Paul  da 
Gama,  ce  qui  porte  à  foixante-fept  le  nombre  des  furvivants. 

Nous  penchons  pour  le  chiffre  le  plus  élevé,  &  nous  préfumons 
que  la  différence  entre  les  nombres  cent  quarante-huit  &  cent 
foixante  provient  de  ce  qu'il  n'a  pas  été  tenu  compte,  dans  le 
nombre  inférieur,  des  dix  ou  douze  déportés  que  Vafco  da  Gama 


«  Il  peut  bien  avoir  été  foldat  (Leonardo)  dans  la  compagnie;  mais  le  faitimporte 
peu  &  n'était  nullement  néceffaire  pour  qu'il  fut  introduit  fur  la  fcène  par  le  poète 
qui  écrit  un  poème  &  nullement  une  hiftoîre.  n 

(i)  Dans  la  première  édition  du  premier  livre  de  Caftanlieda,  p.  87,  le  chiffre 
cent  quatre-vingts  efl  en  contradiélion  avec  ce  que  dit  l'auteur  à  la  page  7  ; 
auffi  a-t-il  été  remplacé  par  cent  quarante-huit  dans  l'édition  de  1 5  54.  11  eft  à 
noter  que  Ramufio,  dans  la  relation  de  ce  voyage  inférée  dans  fa  colle^iîtion  & 
que  nous  avons  déjà  citée,  compte  également,  en  tout,  cent  quatre-vingts  per- 
fonnes. Quelques-unes  des  éditions  italiennes  de  Maffei  portent  foixante  hom- 
mes, bien  que  les  pertes  de  Gama  foient  évaluées,  dans  les  mêmes  éditions,  à 
une  centaine  de  perfonnes.  Les  éditions  latines  font  plus  correfles,  car  elles 
donnent  le  chiffre  de  cent  foixante. 

Lafitau  &  quel  ,ues  autres  comptent  cent  foixante-dix  hommes.  Dans  VHijloire 
Générale  des  Voyage'  on  lit,  p.  22,  cent  foixante  &.,  p.  ^2,  cent  huit  hom- 
mes, &c. 


I04 

emmenait  avec  lui  (Goes,  Cliron.deD.  Manuel,  ç.  i,  c.  xxxvi),  pour 
être  débarqués  fur  les  points  où  il  jugerait  utile  de  recueillir  des 
renfeignements,  &  repris  par  la  flotte  à  fon  retour  en  Portugal. 
Les  écrivains  qui  s'arrêtent  au  chiffre  de  cent  quarante  huit  hom- 
mes n'ont  peut-être  pas  voulu  mentionner  cette  circonflance,  ou 
auront  oublié  de  le  faire,  bornant  leur  calcul  à  deux  claffes,  celle 
des  marins  &  celle  des  hommes  de  guerre. 


IV. 


On  pourra  concevoir  quelque  doute  fur  la  date  exacte  du 
départ  de  Vafco  da  Gama,  fi  l'on  fe  borne,  dans  la  vérification  des 
faits  qui  fe  rattachent  à  l'hiffoirede  nos  découvertes,  à  puifer  à  des 
fources  indirectes.  Tel  efl  le  cas  qui  fe  préfente  ici.  Ramufio, 
San  Roman,  MafFei  &  Laclade  fixent  au  9  juillet  1487  le  départ  de 
la  flotte  de  Gama  (i)  ;  Antonio  Galvâo  place  l'événement  au  20(2); 
Barrow,  au  ']  (5);  &,  pour  nous  bornera  une  dernière  citation,  le 
vicomte  de  Santarem  vante  l'exactitude  d'un  ancien  manufcrit, 
confervé  à  la  bibliothèque  royale  de  Paris,  qui  donne  la  date  du 
2  )uin  1497(4). 


fi"  Ramufiu,  1"  volume  &  2'  édition  àellc  Navigaticni,  etc.;  in  Venetui 
Ttella  Jiamperij  de  Giunfi,  l'anno  15^4,  (i.  i;o,  dans  le  voyage  de  Vasco  da 
Gama  en  1497,  écrit  par  un  gentilhomme  florentin  qui  fe  trouvait  à  Lisbonne  au 
temps  où  la  flotte  revint  de  la  découverte  de  l'Inde.  San  Roman,  Hiftoria  Gene- 
ral de  la  India  Oriental,  Valladolid,  1605,  p.  40.  MafTei,  Le  IJiorie  dell'lndie 
Orienfjii,  Milano,   1806,  t.  I,   p.  67.   Laclade,  Hi/îoire  générale  du  Portugal, 

Paris,   i7J5>  '■  4,  P-   99- 

(2)  Antonio  Galvâo,  Tratado  dos  defcubrimientoi  antigos  &  modernes.  Lisboa, 
por  Miguel  Lopes  Ferreira,  i7ji,  à  la  page  j4. 

(3)  Barrow,  Abrégé  chronologique,  etc.  (traduction  des  voyages  de  l'auteur 
de  l'anglais  en  français  par  Targe),  Paris,  1761. 

(4)  Notiiia  dos  S^îss.  na  bibliotheca  real  de  'Paris  pelofegundo  vifconde  de  San- 
tarem,  Lisboa.  1827,  p.  74. 


lO) 

Pour  nous,  la  véritable  date  de  cet  événement  eft  établie  d'une 
manière  irréfragable  par  l'autorité  colleéVive  de  ceux  de  nos  écri- 
vains qui  ont  traité  des  affaires  de  l'Inde  &  qui,  les  premiers  dans 
l'ordre  du  temps,  le  font  auffi  dans  notre  eftime.  —  Caftanheda, 
Barros,  Goes,  Faria  e  Soufa  (i)  font  unanimes  pour  fixer  le  départ 
de  l'expédition  au  famedi  8  juillet  1497,  &  leur  témoignage  eft 
corroboré  par  l'autorité  de  notre  anonyme  qui  fufîirait,  au  befoin, 
pour  décider  la  queffion,  non  feulement  à  caufe  du  degré  de  con- 
fiance qu'il  mérite,  mais  par  fuite  de  l'enchaînement  de  fon  récit, 
où  l'on  voit  les  dates  fubféquentes  découler  toutes  de  ce  point  de 
départ. 

Il  n'eft  donc  pas  poffible  ,  d'après  les  citations  précédentes, 
d'affigner  au  départ  de  Vafco  da  Gama  une  autre  date  que  celle 
du  8  juillet  1497.  Maintenant  il  importe  de  reiftifier  une  citation 
inexa(fle  qui  a  été  faite,  à  ce  propos,  dans  la  Notice  mentionnée 
plus  haut.  On  y  lit  que,  dans  l'A/ia  de  Faria  e  Soufa,  c.  4,  part,  i ,  le 
jour  du  départ  de  Vafco  da  Gama  a  été  omis  ;  or,  en  vérifiant  cette 
affertion,  nous  trouvons  cette  mention  expreffe  :  il  fortit  du  port 
de  Lisbonne  un  famedi,  huit  juillet  1497. 

Nous  relèverons  encore,  en  paffant,  une  légère  faute  d'exac- 
titude dans  une  citation  de  la  Notice  à  propos  du  départ  de  Joâo  da 
Nova  en  l'année  i5'oi.  On  y  affirme  que  Faria  e  Soufa,  dans  fon 
W/?a,  &  Barros,  Dec.  i,l.  f,c.  10,  placentle  départ  de  ce  capitaine 
dans  le  même  mois  &  la  même  année  que  le  manufcrit  n°  10023  <î"' 
donne  !a  date  du  i  <;  mars  i  J'oi,  mais  fans  indiquer  le  jour.  Ceci  n'eft 


(i)  Caftanheda,  1.  i,  c.  2  ;  Barros,  Dec.  i,  I.  4,  c.  2  ;  Goeâ,  Chronica  de 
D.  Manuel,  p.  i,  c.  j5  ;  Faria  e  Sousa,  z/^îa,  t.  i,  part,  i,  c.  4.  La  date  du 
2  juillet  1497  du  chapitre  25  de  Goes  cité  plus  haut  ne  faurait  faire  naître  de 
doute,  car  elle  réfulte  évidemment  d'une  faute  du  copifte  ou  du  typographe. 
Dans  le  chapitre  35"^  que  nous  venons  de  citer,  le  même  auteur  s'exprime  ainfi  : 
Vafco  da  Gama  partit  de  Lisbonne,  comme  il  J  été  dit  précédemmenr,  un  famedi 
8  juillet,  etc.  L'erreur  pourrait  exifter,  affurément,  auffi  bien  d'un  côté  que  de 
l'autre  ;  mais  l'indication  du  fjmedi  lève  toute  incertitude,  &  montre  où  elle 
exifte  défait,  puifque  le  2  juillet  1497  ne  tombait  pas un/jmeai. 

14 


To6 

vrai  qu'à  l'égard  de  Faria  e  Soufa,  car  Barros  le  fixe  au  <;  du  même 
mois  &  de  la  même  année,  comme  il  efl:  facile  de  le  vérifier. 

Nous  ajouterons  que  la  date  du  19  novembre  i  f  09,  affignée  par 
Faria  e  Soufa  au  départ  de  D.  Fernando  Coutinho  {Afia,  t.  i, 
part.  2,  c.  3),  nous  paraît  être,  chez  cethiûorien,  une  faute  du  co- 
pifle  ou  de  l'imprimeur.  Dans  le  Memoriade  todas as  armadas  annexé 
à  fon  Afia  (mémoire  auquel  fe  rapporte  la  note  b  de  la  préface  des 
navigations  de  Cadamoflo,  dans  la  Collection  des  notices  fur  les 
nations  d'outre-mer  publiée  par  l'Académie)  ,  Faria  e  Soufa  ne 
précife  que  l'année  du  départ,  fans  parler  du  mois  ni  du  jour, 
ayant  averti  précédemment,  comme  d'un  fait  notoire  «  que  ces 
départs  s'efTedluaient  d'ordinaire  entre  février  &  avril  ;  quant  à 
ceux,  remarque-t-il,  qui  auront  eu  lieu  à  d'autres  époques,  nous 
dirons  ce  que  l'on  en  fait...»  Or,  arrivant  à  l'expédition  com- 
mandée par  D.  Francifco  Coutinho,  il  fe  borne  à  noter  l'année, 
d'où  nous  devrions  conclure,  d'après  l'avertiffement  de  l'auteur, 
que  la  flotte  partit  entre  février  &  avril,  ce  qui  efl  en  contra- 
didtion  avec  la  date  du  19  novembre.  En  effet,  la  date  du  12  mars 
concordant  avec  le  manufcrit  10023  eft  celle  qui  eft  généralement 
admife. 

L'omiffion  des  jours  de  départ,  dans  le  Memoria  dus  Armadas  de 
Faria  e  Soufa,  &  cette  circonflance  que  la  période  de  1412  à  1640 
y  eft  comprife,  montrent  bien  que  le  Diana  du  manufcrit  10023  ne 
faurait  être  le  mémoire  cité  de  cet  auteur.  Quant  à  fuppofer  que 
le  même  Diario  pourrait  être  celui  que  Francifco  Luiz  Ameno  laiffa 
en  manufcrit,  prêt  à  être  imprimé  avec  licences,  comme  le  rapporte 
Barbofa  dans  fa  Bibl.  Luftt.,  t.  4,  p.  136,  c'efi:  une  queftion  que 
nous  pouvons  trancher  hardiment  par  la  négative.  Il  exifle,  dans  la 
bibliothèque  de  Porto,  une  copie  de  l'œuvre  inédite  de  F.  L.  Ameno, 
&■  l'on  reconnaît,  en  y  jetant  les  yeux,  qu'elle  diffère  du  manufcrit 
10023  :  i°ence  qu'elle  comprend  la  période  de  1410  à  1761  ; 
2"  en  ce  qu'elle  affigne  au  départ  de  Vafco  da  Gama  la  date  du 
?>  juillet  1497.  Nous  pourrions  en  dire  davantage  fur  la  fource  d'où 
découle  \e  Diario  du  manufcrit  10023  ;  mais  cette  difcuffion  eft 
étrangère  à  notre fujet. 


/ 

I07 

V. 

Garçâo,  dans  l'acception  d'oifeau,  ne  fe  trouve  pas  dans  les  dic- 
tionnaires ;  mais  il  efl:  évident  que  ce  mot  n'eft  pas  autre  chofe 
qu'un  augmentatif  de  garça,  oifeau  aquatique  (i). 

«  A  cent  lieues  environ  à  l'ouefl  du  cap  de  Bonne-Efpérance, 
on  commence  à  voir  de  grands  oifeaux  avec  l'extrémité  des  ailes 
brunâtre  &  le  corps  blanc  :  on  les  nomme  gaivotôes.  »  (Pimentai, 
Arte  denavegar.) 

VI. 

Plante  aquatique  ;  probablement  le  [argaJ]'o  &  les  trombas  dont 
parlent  nos  navigateurs  fubféquents  :  «  au  delà  des  îles  de  Triftâo, 
en  fe  dirigeant  fur  le  Cap,  on  rencontre  des  taches  de  fargajffo,  ap- 
pelées montas  de  BretSo,  &  des  tiges  avec  quantité  de  racines  à  une 

de  leurs  extrémités,  que   l'on  nomme  trombas On  voit  aufli 

des  oifeaux  appelés  ^Hffwaw  (2)  &  de  grands  corbeaux  au  bec  brun.  >> 
(Pimentel,  Arte  de  navegar.) 

Vil. 

Caftanheda  &  Goes  difent  que  Nicolas  Coelho  fut  envoyé  pour 
fonder.  Il  eft  beaucoup  plus  vraifemblable  que  cet  ordre  fut 
donné  à  Pedro  d'Alenquer,  qui  avait  déjà  doublé  le  cap  de  Bonne- 
Efpérance,  avec  Barthélémy  Dias,  &  touché  à  divers  points  du  voi- 
finage. 

VIII. 

Il  ne  faut  pas  confondre  avec  l'île  de  Sainte-Hélène,  baignée  par 


(1)  Cur^a  eft  le  nom  du  héron,  en  portugais   (Tr.) 

(2)  Des  albatros.   (Tr.) 


io8 

l'Océan  Atlantique,  l'anfe  ou  l'aiguade  de  même  nom  fîtuée  fur  la 
côte  occidentale  du  continent  africain.  Cette  erreur  (qui  pro- 
vient affurément  d'une  fimple  méprife)  a  été  commife  par  Sebafliâo 
Francifco  de  Mendo  Trigofo  (t.  vm  des  Mémoires  de  Litt.  de  l'Aca- 
démie, p.  ^71,  à  la  note  i);  par  Francifco  Luiz  Ameno  (dans  le 
manufcrit  déjà  cité),  &  par  plufieurs  autres  écrivains.  L'île  de  Sainte- 
Hélène  fut  découverte  par  Joâo  de  Nova,  en  \<j02,A  fon  retour 
de  l'Inde.  Le  fait  eft  mentionné  par  Francifco  Luiz  Ameno  lui- 
même.  Dans  l'Hifloire  Générale  des  Voyages,  Paris,  1746,  ouvrage 
traduit  de  l'anglais,  Caftanheda  e{\.  accufé  mal  à  propos  d'avoir 
confondu  la  baie  de  Sainte-Hélène  avec  l'île  du  même  nom.  On 
doit  croire  que  le  compilateur  qui  rédigea  le  voyage  de  Vafco  da 
Gama  pour  cet  ouvrage,  tout  en  citant  Barros  &  Caflanheda,  n'avait 
qu'une  connaiffance  bien  imparfaite  du  portugais  &  de  l'efpagnol, 
ou  qu'il  fe  fervit  de  traduétions  bien  peu  fidèles.  Le  tradudteur  de 
l'ouvrage,  Prévofl,  eft  exadement  dans  le  même  cas. 

IX. 

Aujourd'hui  la  rivière  Berg. 

X. 

La  phrafe  à  laquelle  fe  rapporte  cette  note  eft  celle  dont  fe 
fervit  Caflanheda  dans  l'édition  de  ifp,  en  décrivant  les  ufages 
des  habitants  de  la  baie  de  Sainte-Hélène  ;  mais  elle  a  été  retran- 
chée des  éditions  fuivantes.  Le  fcrupule  n'a  pas  été  pouffé  fi  loin 
par  l'évêque  de  Silves,  Jeronymo  Oforio,  qui,  dans  le  livre  intitulé 
<c  De  rébus  geftis  Emmanuelis  »,  s'exprime  ainfî  :  pudenda  ligneis 
vaginis  includunt. 

XI. 

Damiâo  de  Goes  dit:  «  11  but  ôc  mangea  de  tous  les  mets  qu'on 
lui  fervit,  avec  deux  mouffes  à  qui  Vafco  da  Gama  commanda 
de  lui  faire  bonne  compagnie.  »  Barros  dit  la  même  chofe  en  d'au- 


très  termes.  Il  eft  très  probable  que  l'inexacflitude  n'eft  pas  du  côté 
de  notre  auteur,  la  circonftance  d'avoir  mangé  à  la  table  du  com- 
mandant en  chef  n'étant  pas  de  celles  qu'il  pût  oublier. 


XII. 


Le  fait  dont  il  s'agit  eft  raconté  diverfement  par  les  hiftoriens  ; 
Caftanheda  efl  celui  qui  fe  rapproche  le  plus  de  notre  auteur,  & 
Barros  celui  qui  s'en  éloigne  davantage.  Goes  prétend  que  Fernâo 
Vellofo  abandonna  la  fociété  des  Cafres  parce  que  «  le  ragoût 
de  loup  &  les  us  du  pays  lui  causèrent  une  fatisfaétion  mé- 
diocre; en  forte  que,  le  feftin  terminé,  il  reprit  la  route  du  lieu 
où  étaient  les  navires.  »  Barros  rapporte  (Dec.  i,  1.  4,  c.  4) 
qu'après  le  départ  de  Fernâo  Vellofo  avec  les  nègres,  Paul  da 
Gama  s'en  fut  à  la  pêche,  &  que  les  matelots  ayant  harponné  un 
baleineau,  coururent  le  rifque  d'être  fubmergés  par  le  monftre 
qui  fe  débattit  en  fe  fentant  bleffé.  Ni  Caflanheda,  ni  Goes,  ne  font 
mention  de  cet  incident  ;  &  certes,  s'il  avait  eu  lieu,  il  n'aurait  pas 
été  omis  par  l'auteur  minutieux  du  Journal  dont  le  filence  infirme 
également  ce  que  dit  Barros  de  Nicolas  Coelho,  qui  aurait  attendu 
à  terre,  en  coupant  du  bois,  le  retour  de  Fernâo  Vellofo.  Lafîtau, 
tout  en  ayant  fous  les  yeux  Caftanheda,  Barros,  Goes  &  plufieurs 
autres  de  nos  hiftoriens,  défigure  étrangement  le  fait. 


XUI. 


Parmi  les  bleffés,  Barros  nomme  Gonçalo  Alvarez,  maître  d'équi- 
page du  navire  le  San-Gabriel. 

XIV. 

D'après  le  compte  de  notre  Journal,  le  cap  de  Bonne-Efpérance 
fut  doublé  par  la  flotte  le  22  novembre  1497  ;  en  forte  quel'affer- 
tion  de  Caftanheda,   de  Barros  &  de  Goes  qui  placent  cet  événe- 


I  lO 
ment  au  20,  doit  être  redifiée.  Quant  au  jour  de  la  femaine,  Caf- 
tanheda  s'accorde  bien  avec  notre  auteur  en  indiquant  un  mercredi; 
feulement,  l'avant-dernier  mercredi  de  novembre   1497  tombait  le 
22  du  mois. 


XV. 


C'eft  la  baie  Falfa,  entre  le  cap  Falfo  &■  celui  de   Bonne-Efpé- 
rance. 


XVI 


Ce  n'eft  pas  une  tâche  facile  que  de  faire  concorder  les  ancien- 
nes dénominations  géographiques  avec  les  noms  modernes  cor- 
refpondants. 

Entre  le  cap  des  Aiguilles  (qui  a  gardé  le  flen)  &  le  rio  do 
Infante,  mieux  connu  à  l'étranger  fous  les  noms  de  Grande  rivière 
des  Poiffons,  GreatFifli  River,  Grote-Vis-River,  il  y  a  cinq  baies  prin- 
cipales, dont  la  plus  occidentale  porte  encore  aujourd'hui  le  nom 
de  Saint  -  Sébajiien  que  lui  donna  Manuel  de  Mefquita  Peref- 
trello;  les  autres,  en  allant  de  l'ouefl:  à  l'eft,  ont  reçu  des  Hollan- 
dais ceu.x  de  Mojfel,  Plettenberg,  Camtoo  et  Zwarts- Kop,  auxquels 
doivent  correfpondre  les  noms  portugais  de  San-Braz,  Formofa, 
San-Francifco  ir  Lagôa.  Notre  opinion  fe  fonde  fur  la  comparaifon 
de  plufieurs  cartes  modernes,  comme  celles  de  Barrows,  Arrowf- 
mith,  Pinkerton,  Faden  &  Wyld,  où  les  noms  hollandais  ont  été 
adoptés,  avec  la  carte  réduite  de  l'Afrique  auftrale,  inférée  dans  le 
Neptune  Oriental,  où  Manneviilette,  le  routier  de  Pereflrello  fous 
les  yeux,  affigne  aux  différents  points  de  la  côte  les  noms  portugais 
qui  leur  correfpondent.  Nous  avons,  de  plus,  en  faveur  de  cette 
nomenclature,  une  carte  manufcrite  appartenant  à  la  Bibliothèque 
de  Porto,  exécutée  pendant  les  années  1781,  1782,  1784&  178^ 
par  Duminy,  capitaine  de  frégate  &  capitaine  de  port  au  cap  de 
Bonne-Efpérance,    qui   l'adreffa  à  M.  Van-de-Graaf  ,  gouverneur 


1 1 1 

&  direrteur  général  de  la  colonie  du  Cap  ;  on  y  trouve  expreffé- 
ment  notée  la  concordance  du 

Hollandais  Moffel  avec  le  portugais  San-Braz 
»         Plettenberg  »         Formosa 

»         Camtoo  »         San-Francifco 

»         Zwarts-Kop  »         da  Lagoa. 

Nous  ne  fommes  donc  pas  d'accord  avec  ceux  qui,  comme 
d'Anville,  appellent  la  baie  de  San-Braz  Wlees-bay  ;  ou,  comme  l'au- 
teur du  célèbre  Neptune  Oriental,  la  baie  Formofa  Mojfel-bay;  ou 
qui  donnent,  comme  Malte-Brun,  à  la  baie  de  San-Braz,  la  pofition 
de  celle  de  Saint-Sébastien,  &  placent,  là  où  généralement  celle  de 
San-Braz  eft:  indiquée,  la  baie  Moffel  ou  (dit  l'auteur)  de  Sanéta- 
Catherina. 

Quant  à  la  véritable  polltion  de  Wlees-bay  ou  Flesh-bay  (qui, 
tout  en  variant  félon  les  cartes,  n'en  eft:  pas  moins  confondue  d'or- 
dinaire avec  celle  de  San-Braz),  nous  penfons  qu'elle  doit  cor- 
refpondre  à  celle  de  la  baie  das  Vaccas,  à  l'oueft  de  la  baie  de  San- 
Braz,  &,  fur  ce  point,  nous  fommes  d"accord  avec  Barrows,  Pin- 
kerton  &  Duminy.  Ceci  nous  conduit  à  ajouter  que  nous  différons 
d'opinion  avec  l'auteur  du  Neptune  Oriental,  en  ce  qu'il  donne  le 
nom  de  Vis-bay  {Fish-bay  ou  Baie  des  PoiJJons)  à  la  baie  de  Sanéla- 
Catherina  ;  en  effet,  cette  dernière  eft  indubitablement  fituée  à  l'eft 
du  cap  Talhado,  tandis  que  la  pofition  généralement  affignée  à  Vif- 
hay  eft  à  l'oueftdu  même  cap  Se  de  Moffel-bay,  &,  plus  ordinairement, 
entre  cette  dernière  baie  &  celle  de  Wlees. 

XVll. 

Le  nom  que  nos  hiftoriens  donnent  communément  à  ces  oifeaux, 
&  que  l'auteur  du  Journal  leur  applique  lui-même  dans  un  autre 
paffage,  eft  celui  desotilicairos.  Manuel  de  Mefquita  Pereftrello  les 
décrit,  dans  fon  Routier,  d'une  manière  plus  circonftanciée  :  "  on 
y  trouve  (dans  l'îlot  de  la  baie  de  San-Braz)  une  multitude  innom- 


1  12 

brable  de  loups  marins,  quelques-uns  d'une  incroyable  dimcnfion, 
&  des  oifeaux,  de  la  taille  &  de  la  forme  d'un  canard,  que  l'on 
nomme  sotilicairos  :  ces  oifeaux  n'ont  pointde  plumes  aux  ailes  pour 
voler  ;  les  extrémités  feules  font  couvertes  d'un  duvet  très-fin  ;  ils 
s'en  fervent  pour  plonger  &  pêcher  leur  fubfiflance,  ainfi  que  celle 
de  leurs  petits  qu'ils  élèvent  dans  des  nids  conflruits  avec  des  arêtes 
de  poiffon,  apportées  là  par  eux  &  parles  loups  marins.  )> 

Les  fitilicairos  ou  manchots  appartiennent  au  groupe  des  Apteno- 
dyta  demerft  de  Linné,  parmi  lefquels  on  cite,  comme  fynonymes, 
le  Manchot  du  cap  de  Bonne-Efpérance  &  le  Manchot  à  bec  tronqué  de 
Buffon;  c'efi:  le  Pinguin,  LeJJer  pinguim.  Cape  pinguim,  Black-footed 
pinguin  des  naturalifles  anglais.  Les  Français  leur  donnent  commu- 
nément le  nom  de  pingouins.  Ces  oifeaux  fe  trouvent  auffi  dans  les 
mers  du  nord,  mais  avec  quelque  divcrfité  de  ftrudure  &  de  ca- 
raélères.  D'après  Brotero,  ceux  du  nord  ont  les  ailes  plus  four- 
nies déplumes  que  les  pingouins  ou  manchots  du  sud. Les  manchots, 
appelés  auffi  Cotetes,  font  plutôt  des  demi-oifeaux  que  des  oifeaux 
parfaits. 


XVI 


Il  y  a  divergence  d'opinion  entre  Caflanheda,  Barros  &  notre 
auteur  fur  le  point  où  Barthélémy  Dias  plaça  fa  dernière  colonne, 
Goes  s'accordant,  du  refle,  avec  Caftanheda.  Le  réfumé  compris 
dans  le  tableau  fuivant  facilitera  la  comparaifon  du  texte  de  ces 
écrivains:  les  lieues  intercalées  indiquent  la  dif(:ance  d'un  point  à 
un  autre,  d'après  l'eflime  de  chacun  d'eux. 

Nous  remarquerons,  en  premier  lieu,  que  Caflanheda  s'eft 
écarté  du  texte  original  pour  avancer  une  chofe  abfurde.  Nos  navi- 
gateurs allaient  du  fud  au  nord  &,  le  i  ^  décembre,  ils  avaient  en 
vue  les  îlots  Chaos,  la  date  du  16  décembre  donnée  par  Cafta- 
nheda étant  erronée,  puisque  le  vendredi  tomhah  le  i  f  décembre  de 
l'année  1497.  Comment  donc  purent-ils,  le  jour  fuivant,  dépaffer 
l'îlot  da  Cruz  qui  leur  reftait  déjà  en  poupe  (dans  le  fud)  .  Il  faut 
bien  avouer  auffi  que  notre  auteur  a  manqué  d'exatflitude,  en  difant 


"3 

que  de  la  baie  de  Sainte-Hélène  à  celle  de  San-Braz  il  y  a  foixante 
lieues  par  mer,  diftance  qu'il  attribue,  dans  le  même  paffage,  à 
l'intervalle  qui  fépare  le  cap  de  Bonne-Efpérance  de  la  baie  de 
San-Braz.  Peut-être,  par  une  inadvertance  du  copifte,  les  mots  par 
mer  auront  été  fubftitués  aux  mots  par  terre  dans  le  manufcrit  de 
ce  Journal. 

NORD 


JOURNAL    DU     VOYAGE 

de 

CASTANHEDA  &  COES. 

BARROS. 

VASCO  DA  CAMA. 

Rio  do  Infante 

Rio  do  Infante 

Rio  do  Infante 

{i')  lieues) 

(if  lieues) 

(20  lieues) 

Dernière  colonne  de 

Barthélémy  Dias 

(y  lieues) 

Ilhéus  Chaos 

Ilhéus  Chaos 

Ilhéus  Chaos 

(f  lieues.) 

l<;  lieues) 

(f  lieues) 

Ilhéu  da  Cruz 

Ilhéu    da    Cruz ,    où 

Ilhéu    da     Cruz    ou 

(60  lieues) 

Barthélémy  Dias  pofa 

Penedo  das  Fontes,   où 

la  dernière  colonne. 

Barthélémy  Dias  pofa 

(f  f  lieues) 

la  dernière  colonne. 

Angra  de  S.-Braz 

Angra  de  S.-Braz 

Angra  de  S.-Braz 

(60  lieues) 

(60  lieues) 

(60  lieues) 

Cap  de  B=.  Efpérance. 

CapdeB".  Efpérance. 

Cap  de  B'=.  Efpérance. 

SUD 


En  examinant  ce  tableau,  on  voit  que  la  dernière  colonne  de 
Barthélémy  Dias  fe  trouve,  d'après  notre  auteur,  à  cinq  lieues  en 
deçà  des  îlots  Chaos,  tandis  que  les  autres  écrivains  cités  la  placent 


114 

à  cinq  lieues  au  fud  des  mêmes  îlots,  c'eft-à-dire  fur  l'îlot  da 
Cruz  (dont  le  nom  dérive,  fuivant  eux,  de  celui  de  la  colonne)  ; 
de  plus,  Barres  affirme  qu'il  y  avait  contre  l'îlot  da  Cruz  un  rocher 
appelé  das  Fontes. 

Nous  penfons  que  l'on  n'héfitera  guère  à  préférer  laverfion  de 
notre  navigateur  qui  vit  ces  lieux  que  les  autres  n'ont  connus 
que  par  tradition;  d'ailleurs,  fon  témoignage  fe  trouve  corroboré 
par  une  autorité  que  l'on  peut  confidérer  comme  irréfragable. 
Manuel  de  Mefquita  Pereflrello  fut  envoyé  par  le  roi  D.  Sébaflien, 
en  l'année  i  f7f,  pour  reconnaître  la  côte  orientale  de  l'Afrique, 
depuis  le  cap  de  Bonne-Efpérance  jufqu'au  cap  Corrientes  ;  à  la 
fuite  de  fon  voyage,  il  publia  un  Routier  où  les  latitudes  Se  l'orien- 
tation des  points  les  plus  notables  font  indiquées  avec  une  exafti- 
tude  qui,  fans  être  abfolument  exempte  d'erreurs,  n'en  eft  pas 
moins  remarquable  pour  l'époque,  et  fait  beaucoup  d'honneur  à  ce 
navigateur  privé  des  moyens  d'exécution  perfectionnés  dont  on  peut 
difpofer  de  nos  jours.  Telle  eft  l'eftime  dont  fes  obfervations  &fes 
délimitations  jouiffent  à  l'étranger,  que  fon  Routier  a  été  traduit  en 
français,  &  inféré  dans  l'excellent  recueil  de  cartes  de  Mannevillette, 
intitulé  le  Neptune  Oriental.  Nous  nous  fommes  fervi,  pour  les 
extraits  que  nous  allons  en  donner,  d'un  exemplaire  manufcrit  ap- 
partenant à  la  bibliothèque  de  Porto,  car  ce  que  l'on  en  trouve 
dans  ïcArte  de  Navegar  de  Pimentel  fe  borne  à  unfimple  réfumé. 

« La  baie  de  Lagoa renferme  du  côté  du  ponent  quatre 

îlots  appelés  da  Cruz  dont  l'un  eft  plus  grand  que  les  trois  autres 
qui  font  autour...  ils  courent  de  l'efl:  à  l'oueft,  ainfi  que  deux  autres 
îlots  fitués  dans  la  direélion  du  levant  &  que  l'on  nomme  Chaos, 
parce  qu'ils  font  fi  bas  qu'on  ne  peut  les  apercevoir  à  plus  de  deux 

lieues  de  diftance Les  extrémités  de  la  colonne  font  à  quatre 

lieues  au  levant  des  îles  Chaos à  fa  bafe  fe  trouve  un  îlot 

ce  doit  être  le  lieu  où  s'élevait  la  colonne  de  San  Gregorio,  érigée 
par  Barthélémy  Dias  au  temps  où  il  explora  cette  côte  par  le  com- 
mandement du  roi  D.  Joâo  II,  car  les  écrits  témoignent  qu'il  la 
plaça  fur  un  îlot,  entre  les  îles  Chaos  &  le  riodo  Infante,  parage  où 
il  n'en  exiûe  pas  d'autre;  c'eft:  pourquoi  je  l'ai  dénommé  ainfi... 


A  huit  lieues  de  diflance  du  rio  do  Infante,  on  voit,  fur  le  rivage, 
plufieurs  embouchures  de  rivières,  &,  à  trois  lieues  plus  loin,  on 
trouve  des  berges  efcarpées  au  pied  defquelles  s'élève  le  rocher  ap- 
pelé Fontes  :  c'eft  une  roche,  pour  ainfi  dire,  tranchée  par  le  milieu, 
qui  paraît  être  une  île,  mais  n'en  eflpas  une.  » 

Tel  eft  le  fens  dans  lequel  doivent  être  redtifiées  les  fauffes  dé- 
marcations qui  ont  été  adoptées  par  les  écrivains  cités  plus  haut, 
&  reproduites  fur  un  grand  nombre  de  cartes  d'une  manière  plus 
ou  moins  confufe. 

Quant  à  la  concordance  des  dénominations  modernes  avec 
celles  que  nous  offre  le  Journal,  on  voit  que  les  noms  des  petites 
îles  Chaos  &  da  Cruz  fubfiflent  encore  avec  plus  ou  moins  d'alté- 
ration. Le  rio  do  Infante,  appelé  ainfi  du  compagnon  de  Barthé- 
lémy Dias  (Joâo  Infante,  félon  Barros,  ou  Lopo  Infante,  félon 
Goes),  efl  aujourd'hui  connu  fous  le  nom  de  Groote-Visce-%ivier , 
la  Grande  Rivière  des  Poijfons  ;  il  ne  faut  pas  s'en  rapporter  aux 
cantes  où  ce  fleuve  eft  confondu  avec  le  rio  de  S.  Chriftovam  qui 
coule  à  huit  lieues  au  nord,  fuivant  Pereftrello. 


XIX. 


Le  lo  janvier  de  l'année  1498  tombait  un  mercredi,  &  nullement 
un  jeudi  comme  le  porte  notre  manufcrit  :  ce  n'eft  pas  la  feule 
négligence  de  ce  genre  que  l'on  y  trouve  ;  ainfi,  plus  loin,  à  la 
page  34,  après  avoir  mentionné  le  jeudi  29  mars,  l'auteur  date  le 
famedidu  30,  erreur  évidemment  manifefte.  Au  refte,  il  eft  facile 
de  reélifier  des  fautes  d'auffi  peu  d'importance,  affez  fréquentes 
chez  les  écrivains  qui  ont  traité  des  affaires  de  l'Inde. 

Joâo  de  Barros  (Dec.  i,  1.  4,  c.  4)  dit  :  «  Le  jour  des  Rois  ils 
entrèrent  dans  la  rivière  de  même  nom  ;  quelques-uns  l'appellent 
rio  do  Cobra.  »  Il  réfulte  évidemment  du  texte  de  notre  auteur 
corroboré  par  Goes,  Caftanheda  &•  Oforius,  que  le  6  janvier,  la 
flotte  était  à  la  voile,  &  que  ce  fut  feulement  le  10  ou  le  11  que 
l'on  entra  dans  le  rio  do  Cobre.  Barros  femble  confondre  deux 
cours  d'eau  en  un  feul,  le  rio  dos  Reis  cS:  celui  do  Cobre  qui  ont 


ii6 

été  diftingués  l'un  de  l'autre  fur  la  carte  de  l'Océan  oriental  de  Bel- 
lin  jointe  à  l'Hiftoire  générale  des  'Voyages  ;  le  rio  dos  Reis  y  efl: 
placé  beaucoup  plus  au  fud  que  le  rio  do  Cobre  (ou  aiguade  da 
Boa  Paz).  Nous  trouvons  aufli,  fur  une  des  cartes  de  Linfchott,  le 
rio  dos  Reis  correfpondant  à  la  rivière  d'Aroé  de  la  carte  de 
d'Anville  que  nous  avons  déjà  citée  :  ce  fleuve  y  eft  figuré  comme 
débouchant  dans  la  baie  deLourenço  Marques. 

L'aiguade  da  Boa  Gente  a  confervé  fon  premier  nom,  car  on  l'ap- 
pelle encore  au]ourd'hui,  le  plus  ordinairement,  aiguada  da  Boa 
Paz;  elle  gît  au  nord  de  la  baie  da  Lagôa  (ou  deLourenço  Marques), 
entre  le  fleuve  qui  porte  le  nom  de  Lagôa  &  celui  d'inhampura. 

XX. 

C'eft  le  fcorbut,  évidemment,  dont  les  effets  furent  alnfi  funef- 
tes  à  nos  navigateurs. 

XXI. 

Barrosdit  que  'Vafco  da  Gama  «  paffa  hors  de  vue  de  la  ville  de 

Sofala &  qu'il  entra  dans  un  très  grand  fleuve  à  cinquante  lieues 

plusbas»;  il  aurait  fallu  dire,  au  contraire,  ^/ai/waf,  car  Sofala,  rela- 
tivement au  rio  dos  "Bons  Signaes,  demeure  en  arrière  du  naviga- 
teur qui  marche  du  fud  au  nord.  Quant  au  rio  dos  Bons  Signaes, 
l'extrait  suivant  le  fait  connaître  très  clairement  : 

«  Ce  rio  de  Cuama efl:  appelé  Zambèfe  par  lesCaffres 

Une  trentaine  de  lieues  avant  d'arriver  à  la  mer  il  fe  divife  en  deux 
bras....&  tous  deux  pénètrent  dans  la  mer  Océane  Ethiopique  à 
trente  lieues  de  diftance  l'un  de  l'autre.  Le  principal  &  le  plus  fort  fe 
nomme  rio  de  Luabo  ;  il  fe  partage  également  en  deux  bras  dont 
l'un  s'appelle  vieux  rio  de  Luabo,  l'autre,  vieux  Cuama  :  d'où,  fans 
doute,  toutes  ces  rivières  ont  pris  le  nom  de  Cuama.  Le  bras  le 
moins  important  porte  le  nom  de  rio  de  Quilimane,  ou  de  rio  dos 
Bons  Signaes,  que  Dom  'Vafco  da  Gama  lui  donna,  quand  il  y  parvint, 
en  allant  à  la  découverte  de  l'Inde,  à  caufe  des  bonnes  nouvelles 


117 

&  desindices  favorables  qu'il  y  trouva De  ce  fleuve  fort  auffi  un 

bras  confidérable  qu'on  appelle  le  rio  de  Linde.  »  {Ethiopia  Oriental 
de  Fr.  Joâo  dos  Santos,l.  2,  c.  2.) 

Il  efl:  à  noter  que  ces  cours  d'eau,  fur  les  anciennes  cartes,  font 
tracés  d'une  manière  fort  inexafte.  Hugo  de  Linfchott,  par  exem- 
ple, a  reproduit  iirax  fois  le  rio  de  Cuama  fur  la  côte  orientale. 


XXII. 


Caftanheda,  dans  le  paffage  correfpondant,  s'exprime  ainfi  : 
"  Ceux  qui  venaient  dans  lesbarques  étaient  gens  bafanés  (baços)», 
en  quoi  il  a  été  fuivi  par  Goes.  Oforius  écrit  :  «  homities  atitem  erant 
colorati  »,  expreffion  qu'un  ancien  traducfteur  a  rendue  par  ii^arrf^ 
de  couleurs.  Dans  l'Hifloire  générale  des  Voyages  on  lit,  un  peu 
noirs. 

La  couleur  des  habitants  de  Mozambique  étant  connue  comme 
elle  l'eft  aujourd'hui,  le  fens  que  l'on  doit  donner  au  mot  ruivos  de 
notre  auteur  devient  manifeûe.  Si  nous  prenons  note  d'une  par- 
ticularité auffi  infignifiante,  c'eft  que  nous  avons  vu,  dans  des 
livres  étrangers,  ces  mots  cor  ruiva  traduits  par  compkiçâo  ruiva  ; 
de  là  font  nés  des  doutes  fur  les  incidents  qui  ont  marqué  les  pre- 
mières explorations  maritimes  des  côtes  orientales  de  l'Afrique, 
doutes  fondés  fur  la  fuppofîtion  que  des  hommes  à  cheveux  roux, 
ruivos,  redhaired,  y  avaient  été  rencontrés,  quand  les  textes  por- 
tugais ne  difent  rien  de  femblable  (i). 

XXIII. 

Nous  avons  déjà  dit,  dans  l'avant-propos,  quel  était  le  genre  de 
notions  qui  circulaient  chez  les  nôtres  furie  chriftianifmede  l'Inde; 
nous  ajouterons  ici  que,  parmi  les  inftrudions  données  à  Vafco  da 


(i)   Le  fcrupule  des  éditeurs   paraît  ici  exagéré  &.  leur  explication  n'efl  pas 
très  claire.  (Tr.) 


ii8 

Cama,  il  lui  avait  été  recommandé  de  fe  mettre  en  rapport  avec  le 
Prêtre  Jean  des  Indes  ;  ce  prince  paffait  pour  chrétien  ;  mais  il 
exiftait  beaucoup  d'incertitude  fur  la  fituation  de  fes  Etats. 

XXIV. 

Goes  (P.  I,  c.  J7)  dit  que  le  metical  valait  420  réis;  Barres 
(Dec.   I,  I.  4,  c.  4),  que  ■50  wîpttVaw  pouvaient  aller  à  14000  réis. 

XXV. 

Tavolachinha  ou  tavollachinha  eft  un  mot  que  nous  n'avons  ja- 
mais rencontré  ;  mais  on  peut  induire  de  fon  étymologie  qu'il 
s'agit  d'une  arme  défenflve,  préfentant  une  furface  de  la  largeur 
d'un  écu  (efcudo),  ou  mieux,  en  raifon  du  diminutif,  d'un  petit  écu, 
efcudete. 

Cette  acception  devient  efFeftivement  évidente  (1  l'on  compare 
les  paffages  correfpondantsde  notre  auteur  etde  Caflanheda. 


NOTRE  AUTEUR. 

Pag.  27...  Cinq  à  fix  barques 
portant  nombre  de  gens  armés 
d'arcs,  de  très  longues  flèches  8c 
de  tavoîachinhas. 

Pag.  '}2...  Us  allaient  le  long 
de  la  plage,  armés  de  tavoîachin- 
has, dezagaies,  decoutelas,  d'arcs 
&  de  frondes. 

Pag.  ^8...  Il  vint  environ  cent 
hommes,  tous  armés  de  fabres 
recourbés  &  de  tavoîachinhas. 


C.\STANHEDA. 

c.  7...  Six  barques  portant 
nombre  de  Maures,  armés  d'arcs, 
de  flèches  très  longues,  à'efcudos 
&  de  lances. 

c.  7...  Ils  allaient  au  nombre 
d'une  centaine  de  Maures,  armés 
à'efcudos,  decoutelas,  dezagaies, 
d'arcs,  de  flèches  &  de  frondes. 

c.  9...  Ils  étaient  environ  cent 
Maures,  tous  avec  des  fabres  re- 
courbés &  des  efcudus. 


De  plus,  Goes  ainfi  qu'Oforius  certifient  que  l'écu  faifaitpartie 
des  armes  de  cette  population. 


119 

Nous  les  citerons  l'un  &  l'autre  : 


Liv.    I Aduncis  gladiis  ac- 

cincfli,  parmafque  brachiis  infer- 
tas  geflabant. 


Ibid...  Gladiis  &  fcutis  armati. 


Part.  I,  c.  ]6...  Les  gens  qui 
étaient  dans  ces  barques...  por- 
taient à  la  ceinture  des  fabres 
maurefques,  &  des  targes  (adar- 
gas)  aux  bras. .  • 

Ibid.  C.  37...  11  vint  cent  hom- 
mes fur  une  grande  barque,  avec 
des  sabres  recourbés  &  desécus 
(efcudos.) 

Dans  l'Hifloire  générale  des  Voyages,  les  expreffions  employées 
par  Goes  dans  la  première  citation  ont  été  traduites  par  des  épées 
&  des  poignards ,  ce  qui  réfulte  évidemment  d'une  confufion  entre 
les  mots  adarga,  écu,  &  adaga,  poignard. 


XXVI. 

Nous  avons  ici  un  témoignage  de  plus  en  faveur  de  l'ancien 
ufage  de  la  bouffole  &  des  inflruments  d'aftronomie  nautique  chez 
les  peuples  qui  pratiquaient  les  mers  orientales.  Voyez  le  Mémoire 
publié  par  Antonio  Ribeiro  dos  Santos  fur  ce  fujet,  dans  le  tome  s, 
partie  1 ,  de  l'HHloire  &  des  Mémoires  de  l'Académie. 

L'affertion  ridicule  d'après  laquelle  Vafco  da  Gama  aurait  appris 
des  pilotes  de  ces  mers  l'ufage  de  la  bouffole  &,  à  fon  retour,  l'au- 
rait introduit  en  Europe,  n'avait  pas  befoin  de  ce  paffage  pour 
être  réfutée. 

XXVIl 

Schérif,  comme  tout  le  monde  le  fait,  fignifîe  un  chef,  un  per- 
fonnage  revêtu  d'un  titre,  d'une  charge  honorifique,  &  nullement 
un  eccléfiaftique  ou  un  prêtre. 


I20 


XXVIU. 


Ce  font  les  îles  appelées  Querimba,  parmi  lefquelles  celle  do 
Açoutado  efl  la  plus  méridionale.  On  la  trouve,  fous  ce  nom,  fur 
un  très  petit  nombre  de  cartes  ;  mais,  plus  ordinairement,  elle  eft 
défignée  par  celui  de  Cabras  ou  Qitiziba.  Joâo  de  Barros  dit  que, 
de  l'île  de  Mozambique  à  celle  do  Açoutado,  il  y  a  70  lieues. 

XXIX. 

Probablement  les  îles  voifines  du  cap  Delgado,  bien  que  leur 
diftance  de  la  terre,  d'après  les  cartes,  ne  foit  pas  auffî  grande 
que  le  dit  l'auteur. 

XXX. 

On  voit  plus  loin,  pag.  38,  qu'il  s'agit  de  l'île  de  Quiloa  dont  le 
roi  était  alors  prépondérant  fur  la  côte,  fa  domination  s'étendant 
fur  les  «  Maures  de  Çofala,  Cuama,  Angoya  &  Mozambique  » 
(Duarte  Barbofa,  au  titre  de  Quiloa). 

XXXI. 
L'île  de  Momfia. 

XXXII. 

Barros  (Dec.  1,  1.  4,  c.  f  &  11)  rapporte  que  le  nom  de  San- 
Raphaël  fut  donné  aux  bas-fonds  dont  il  s'agit  dans  ce  paffage,  non 
point  parce  que  le  navire  de  ce  nom  y  toucha,  mais  parce  qu'il  s'y 
perdit  à  fon  retour  en  Portugal  :  erreur  manifefte,  d'après  ce  que 
dit  notre  auteur  à  la  page  82.  Goes  fuit  la  verfion  de  ce  dernier 
(Voy.  c.  44).  Les  montagnes  de  San-Raphaël  font  fituées  fur  la 
terre  ferme,  vis-à-vis  l'extrémité  la  plus  feptentrionale  de  l'île  Zan- 


121 

zibar.  On  les  trouve  indiquées  (montagnes,  terres  ou  bas-fonds)  fur 
prefque  toutes  les  cartes. 

XXXIIl. 

Nous  penfons  que  l'auteur  veut  parler  de  l'ile  de  Pemba.  Quant 
à  cette  particularité  qu'elle  produifait  beaucoup  d'arbres  propres 
à  faire  des  mâts,  nous  ferons  remarquer  que  les  iles  fituées  en  face, 
mais  plus  rapprochées  de  la  terre  ferme  que  ne  l'indique  notre 
auteur,  font  défignées,  fur  plufieurs  cartes,  par  le  nom  d'Ilhas  das 
Arvores  (îles  des  Arbres). 

XXXIV. 

Ce  rempart  acquit  plus  tard  de  l'importance  ;  mais  on  voit  qu'il 
exiflait  déjà  quand  Vafco  da  Gama  paffa  par  là,  ce  qui  efl:  en  con- 
tradiftion  avec  l'affertion  de  Barros  qu'il  fût  conftruit  poJ}ériein-e- 
me/tt.  Quand  levaifTeau  de  Sancho  de  Toar,  qui  faifait  partie  de  la 
flotte  de  Pedro  Alvares  Cabrai,  fe  perdit  dans  ces  parages,  les 
Maures  profitèrent  de  fept  ou  huit  pièces  d'artillerie  que  leurs 
plongeurs  retirèrent  du  fond  de  la  mer  pour  en  armer  ledit  rem- 
part ;  ce  fut  leur  confiance  en  ce  moyen  de  défenfe  qui  leur  donna 
l'audace  malavifce  de  réfifter  au  vice-roi  D.  Francifco  d'Ameida, 
en  l'année  i  fo^'  (Barros.  Dec.  1,1.8,  c.  7). 

XXXV. 

11  efl:  très-préfumable,  comme  l'affirment  Caflanheda  &  Goes, 
que  ces  marchands  étaient  de  Cranganor,  ville  fituée  fur  la  côte  du 
Malabar,  où  fe  confervait  une  tradition  du  chriftianifme  qui,  du 
refte,  n'était  point  particulière  à  ce  lieu  mais  s'étendait  à  d'autres 
populations  de  l'Hindouflan  méridional.  Les  Portugais  virent  en 
eux  des  difciples  de  faint  Thomas  &  n'épargnèrent  rien  pour  les 
ramener  à  la  pureté  de  la  foi  catholique  romaine.  On  peut  voir 
fur  ce  fujet  l'Itinéraire   de  l'archevêque  de  Goa  ,    D.  Francifco 

16 


122 

Aleixo  de  Menezes,  dans  les  montagnes  du  Malabar,  &,  plus  parti- 
culièrement fur  les  croyances  &  les  fuperftitions  de  ces  préten- 
dus chrétiens,  les  articles  du  Synode  convoqué  par  le  même  prélat 
à  Diamper,  lefquels  font  joints  à  {'Itinéraire. 

Quant  à  ce  qui  concerne  les  chrétiens  d'Abyssinie,  on  confultera 
avec  fruit  les  œuvres  du  père  Francifco  Alvares,  du  père  Jeronymo 
Lobo  (édition  de  Legrand,  1728),  du  père  Balthazar  Telles,  ou,  pour 
mieux  dire,  du  père  Manuel  d'Almeida  &  de  Fr.  Joâo  dos  Santos, 
qui  donnent  fur  eux  des  renfeignements  circonfl:anciés,  enfin  nos 
hiftoriens  pajjim. 

XXXVI. 

Ce  pilote  était  Malemo  Cana  (Cana  ou  Canaca  eu  un  nom  de 
cajle)  dont  les  fervices  furent  fi  utiles  à  Vafco  da  Gama. 

XXXV 11'. 

Barros  l'appelle  Monçaide  ;  Caftanheda,  Bontaibo.  II  rendit  de 
nombreux  fervices  à  Vafco  da  Gama,  &  l'accompagna  en  Portugal 
où  il  mourut  chrétien. 

XXXVllI. 

Ce  fut  en  cette  occurrence  que  Joâo  de  Sa,  pilote  du  San-Ra- 
pha'él,  frappé  de  la  laideur  des  images  dont  la  pagode  était  ornée, 
4it,  étant  à  genoux  &s'adrefrant  à  Vafco  daGama  :  Si  ce  font  là  des 
diables,  moi  j'adore  icilevrai  Dieu  :  ce  qui  fîtfourire  le  commandant 
en  chef  (Caflanheda).  Un  écrivain  anglais  trouve  dans  cette 
dévotion  des  Portugais  une  belle  occafion  pour  s'écrier  :  tant 
l'ignorance  Ù"  la  fuperfi'ition  font  étroitement  unies  !  La  maxime  eftauffi 
mal  appliquée  qu'elle  eft  belle. 

XXXIX. 

Le  pilote  portugais  qui  écrivit  le  voyage  de  Pedro  Alvares  Ca- 


123 

bral  (Collect.  de  Not.  de  l'Acad.)  défigne  auffî  la  plante  appelée 
plus  communément  bétel  par  le  nom  de  atambor  que  lui  donne 
ici  l'auteur  du  Journal  Se  qui  dérive  d'une  mauvaife  prononciation 
du  mot  arabe  tambul.  Comme  nos  premiers  navigateurs  commu- 
niquèrent avec  les  naturels  de  l'Inde  par  l'intermédiaire  des  Maures 
arabes,  ils  adoptèrent  dès  le  principe  leur  manière  d'exprimer  les 
chofes  qui  s'offraient  à  la  vue.  Bétel  eft  le  nom  malabar  de  la 
plante  &  le  temps  l'a  vulgarifé  parmi  nous.  Voyez  Joâo  Hugo  de 
Linfchott,  Garcia  d'Orta,  ainfi  que  plufieurs  autres. 

XL. 

Il  eft  évident  que  l'auteur  veut  parler  de  Suez. 

XLI. 

Cet  îlot  a  reçu,  avec  ceux  qui  l'entourent,  le  nom  de  Santa-Ma- 
ria.  Ils  gifenttous  entre  Bacanor  &Baticala. 


C'eftl'ile  d'Anchediva. 


XLII. 


XLIII. 


Cet  individu  que  l'on  reconnut  plus  tard  pour  un  juif  natif  de 
Pofen,  en  Pologne,  fe  fit  chrétien  Se  prit  le  nom  de  Gafpar  da  Gama. 
Le  roi  D.  Manuel  l'employa  à  diverfes  négociations  dans  l'Inde,  le 
fit  chevalier  de  fa^maifon  &  lui  donna  des  penfions,  des  traitements 
&  des  charges  qui  lui  procurèrent  une  honorable  exiftence. 

XLIV. 

L'auteur  veut  fans  doute  parler  deCochin,  &  il  femble  qu'il  ait 
pris,  pour  le  nom  du  royaume,  celui  du  bourg  ou  de  la  ville  de 


124 

Crangalor  qui  ,  renfermant  une  population  nombreufe  &  diverfi- 
fiée  (d'après  ce  que  rapporte  le  pilote  portugais  auteur  du  voyage 
de  Pedro  Alvares  Cabrai  inféré  dans  le  tome  I*"^  de  la  colledion 
de  Ramufio),  était  probablement,  fous  le  rapport  des  affaires  &  du 
trafic,  le  point  le  plus  important  de  ces  parages.  Le  petit  nombre  de 
foldats  qu'on  pouvait  y  lever,  fuivant  lui  ;  le  poivre,  qui  était  la 
principale  produdion  du  lieu,  fait  commun  fans  doute  à  tout  le 
Malabar  (Barros,  Dec.  i,  1.  9,  c.  ^),  mais  particulièrement  appli- 
cable à  Cochin,  d'après  Duarte  Barbofa  (T.  2,  p.  347  de  la  collec- 
tion de  Notices  de  l'Académie)  &  Hugo  de  Linfchott  (P.  II,  Ind. 
Orient.,  c.  i";),  tout  concourt  à  nous  perfuader  qu'il  a  voulu 
défigner  Cochin.  Il  eft:  poffible  encore  qu'il  s'agiffe  de  Torum- 
guli,  pays  voifin  de  Cochin  dont  parle  Couto,  Dec.  7,  1.  10,  c.  10; 
mais  ceci  paraît  moins  probable. 

XLV. 

Coulao ;  ce  pays,  réuni  aux  Etats  de  Cranganor,  Cochin  &Porca, 
forme  aujourd'hui  la  partie  du  Malabar  appelée  Travancor,  qui 
diffère  par  fon  étendue  de  l'ancien  Travancor,  &  s'étend  main- 
tenant du  nord  au  fud,  en  fuivant  la  côte,  depuis  Cranganor  juf- 
qu'à  l'extrémité  du  cap  Comorin  &  jufqu'à  la  chaine  des  Chattes 
dans  l'intérieur.  Barros  (Dec.  i,  1.  9,  c.  1)  dit  que  le  royaume  de 
Coulao  fe  terminait  au  village  de  Travancor  ;  mais  Duarte  Barbofa 
le  prolonge  jufqu'à  la  ville  de  Cael  fituée  au  delà  du  cap  Comorin, 
fur  la  côte  orientale,  &  connue  aujourd'hui  fous  le  nom  de  Pef- 
caria .  Les  révolutions  continuelles  du  Malabar  expliquent  ces 
différences.  Il  paraît  qu'à  l'époque  de  la  découverte  des  Indes 
les  divifions  étaient  telles  que  l'indique  Barbofa  (qui  écrivait  en 
1716);  le  roi  de  Travancor  ne  poffédait  alors  qu'une  très  petite 
étendue  de  côtes  (fi  toutefois  il  en  poffédait),  &  feulement  aux 
environs  de  Travancor,  du  côté  du  couchant.  Parla  fuite,  il  fit 
irruption  de  l'intérieur,  s'avança  vers  le  littoral,  à  l'ouefi: ,  au 
fud  <Sr  à  l'efl: ,  Se  s'empara  de  la  majeure  partie  du  royaume  de 
Coulao,  tellement  qu'au   temps  de  Joâo  de  Barros,  fa   domina- 


12)- 

tion  s'étendait  fur  toute  la  côte,  depuis  Travancor  (ou  peut-être 
mieux  Travanderam  où  il  fonda  fa  nouvelle  capitale  qu'il  faut  dif- 
tinguer  de  l'ancienne),  jufqu'au  cap  de  Canhameira  ou  Calimere 
fur  la  côte  orientale.  Nousfavons  en  effet  d'une  manière  certaine 
que  fes  ufurpations  allèrent  toujours  en  progreffant.  Au  temps  de 
D.  Fr.  Aleixo  de  Menezes,  archevêque  primat  des  Indes,  c'eft-à- 
dire  vers  1600,  on  voit  le  royaume  de  Coulao  divifé  en  deux  Etats, 
Coulao  &  Calle-Coulao  ;  le  roi  de  Travancor  s'était  alors  tellement 
rapproché  de  Coulao,  qu'il  avait  bâti  un  chateau-fort  à  Manugé,  à 
une  lieue  au-deffous  de  Coulao,  fur  l'anfe  d'un  fleuve  qui,  de  cette 
dernière  ville,  communiquait  avec  Cochin  ;  il  poffédait,  en  outre, 
une  fortereffe  fituée  prefque  à  portée  de  canon  de  celle  que  les 
Portugais  confervaient  à  Coulao  (Voyez  l'Itinéraire  de  D.  F.  Aleixo, 
part.  2,  c.  8  &  1 1).  11  y  avait  une  autre  bourgade  du  nom  de 
Covolan  ou  Coulao  fur  la  côte  orientale,  au  delà  du  cap  Comorin, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  villes  de  Coulao  &  Calle-Coulao 
dont  il  vient  d'être  queflion. 

XLVl. 

Cael  efl  mentionnée  par  Duarte  Barbofa,  par  Luiz  Barthema(qui 
l'appelle  Chail,  comme  on  peut  le  voir  dans  Ramufio)  &  par  d'au- 
tres écrivains  plus  modernes.  Marco  Polo  l'avait  déjà  citée.  On 
trouve  le  nom  de  Cael  fur  la  carte  d'Hugo  Linfchon  correfpondant 
à  la  page  20  de  fes  Navigations;  mais  le  deffin  incorretft  des  côtes 
&  la  rédu(flion  de  l'échelle  ne  permettent  pas  d'en  tirer  de  lumières 
pour  fixer  la  pofition  du  lieu.  En  revanche,  Duarte  Barbofa  ef): 
tellement  explicite,  qu'il  nous  permet  de  décider  que  Cael  ou 
Calle  (i),  ville  fituée  dans  la  -province  ou  fur  le  territoire  alors 
nommé  Quilicare  ou  Calle-care  (2),  non  loin  du  cap  Calymere, 


(i)  Dans  l'exemplaire   manufcrit   du  livre  de  Duarte  Barbofa  quj  exifte  à  la 
Bibliothèque  de  Porto,  on  trouve  tantôt  dille,  tantôt  Calle-care. 
(2)  Cjre  fignifie  pays  ;  Calle-care,  pays  de  Calle. 


I  26 

dans  le  fud,  prit  plus  tard  le  nom  du  diflridV,  &  figure  aujourd'hui 
furies  cartes  fous  celui  de  Killicare,  Quillicari,  &c.  Dans  la  verfion 
italienne  du  livre  de  Duarte  Barbofa  qui  nous  a  été  confervé  par 
Ramufio,  la  diftance  de  Cael  au  cap  Comorin  eu  évaluée  à  90 
milles;  cette  eftime,  dans  la  tradurtion  coUationnée  fur  une  copie 
en  langue  portugaife  que  l'Académie  royale  des  fciences  de  Lis- 
bonne a  publiée,  fe  réduit  à  80  milles,  le  mille  ayant  été  probable- 
ment calculé  d'après  une  autre  échelle.  Ce  que  rapporte  notre 
auteur,  d'après  les  renfeignements  qui  lui  avaient  été  communiqués 
&  contrairement  à  Barbofa,  que  Cael  était  un  royaume  diflinél  de 
Coulao,  ne  faurait  faire  difficulté  ;  en  effet,  ce  dernier  voyageur 
qui  écrivait  en  ip6,  nous  apprend  que  le  prince  qui  gouvernait 
Cael  pour  le  roi  de  Coulao  était  «  fi  riche  &  fi  puiffant,  que  tout  le 
pays  lui  rendait  les  mêmes  honneurs  qu'au  roi  »;  ou,  d'après  une 
variante  de  l'exemplaire  de  la  Bibliothèque  de  Porto,  était  «  fi 
riche  &fi  puiffant,  que  tout  le  monde  leconfidérait  prefque  comme 
un  roi  »  :  il  n'eft  donc  pas  difficile  d'imaginer  que  cette  ville  ait  été 
fignaléeà  notre  auteur  comme  formant  un  royaume  indépendant. 
Coufin  Le-Bar  &  Malte-Brun  fuppofent  fans  fondement  que  Cael 
était  identique  à  Calle-Coulao,  erreur  grave,  comme  on  peut  en 
juger  par  notre  Journal  &  par  la  relation  de  Duarte  Barbofa.  Puif- 
quenous  avons  dit  un  mot  des  variantes  qui  exiflent  entre  la  copie 
du  livre  de  Duarte  Barbofa  publiée  par  l'Académie  royale  des 
fciences  &  l'exemplaire  de  la  Bibliothèque  publique  de  Porto  déjà 
cité,  nous  croyons  qu'il  ne  fera  pas  hors  de  propos  d'inférer  ici  le 
paffage  fuivant,  où  l'auteur  décrit  la  pêche  des  perles  aux  environs 
de  Cael  ;  ce  paffage,  qu'on  ne  rencontre  ni  dans  Ramufio,  ni  dans 
la  copie  de  l'Académie,  fe  trouve  dans  l'exemplaire  de  la  Biblio- 
thèque qui  nous  paraît  être  une  tranfcription  faite  en  if^çfur 
une  copie  de  l'année  i^'aç. 

<(  Tout  proche  de  l'île  de  Ceylan  il  y  a  un  bas-fonds  de  huit  à  dix 
braffes  qui  s'étend  entre  l'ile  et  la  terre  ferme  ;  on  y  rencontre  en 
fort  grande  quantité  la  femence  de  perles,  tant  groffe  que  petite, 
ainfi  que  des  perles,  &  c'efl:  là  que  vont  pêcher,  deux  fois  l'an,  en 
vertu  d'une  ordonnance,  les  Maures*  les  gentils  de  Cale,  ville  du  roi 


127 
de  Coulao.  Ces  perles  fe  trouvent  dans  des  huîtres  plus  petites  &  plus 
liffes  que  cellesde  nos  pays;  les  pêcheurs  les  détachent  enplongeant 
avec  des  pots  de  grès  appliqués  contre  le  nez,  &  ils  viennent  de  Cale 
fur  de  petits  bâtiments  appelée  champanas,  à  l'époque  où  le  roi  de 
Cale  rend  la  mer  libre.  11  arrive  ainfi  de  deux  à  trois  cents  champanas, 
chacune  portant  dix  à  quinze  hommes,  avec  les  provifions  nécef- 
faires  pour  le  temps  qui  leur  a  été  fixé  pour  la  pèche  ;  tous  débar- 
quent fur  une  petite  île  inhabitée  où  ils  établiffent  leur  campement, 
comme  on  difpofe,  dans  les  Algarves,  les  madragues  à  prendre  le  thon, 
&  chaque  barque,  partant  de  là,  s'en  va  pêcher  pour  fon  compte. 
C'efl-à-dire  qu'ils  s'affocient  deux  à  deux  &  s'en  vont  jeter  l'ancre 
où  il  leur  plaît;  puis,  l'un  defcend  au  fond  de  la  mer  avec  des  pots 
en  grès  appliqués  contre  le  nez,  une  pierre  attachée  aux  pieds  * 
une  bourfe  en  filet  paffée  autour  du  cou  ;  l'autre  compagnon 
demeure  fur  la  champana,  tenant  en  main  une  corde  qui  aboutit  à 
la  bourfe  en  filet.  Celui  qui  efl  au  fond  s'y  tient  l'efpace  d'une  demi- 
heure,  occupé  à  ramaffer  des  huîtres,  jufqu'à  ce  que  le  filet  foit 
plein  ;  alors  il  lâche  la  pierre  qu'il  avait  aux  pieds  &■  remonteà  la  fur- 
face,  tandis  que  l'autre  hàle  fur  la  corde  &  retire  le  filet  avec  les 
huîtres  ;  le  premier,  une  fois  en  haut,  l'autre  defcend  à  fon  tour, 
&  c'eft  ainfi  que  s'effeélue  leur  pêche.  Après  cela,  ils  emportent 
leurs  huîtres  &■  les  déchargent  à  terre  où  elles  demeurent  expofées 
aufoleil  jufqu'à  ce  qu'elles  pourriffent;  puis,  ils  les  lavent  bien  dans 
des  chaudières  &  des  fébiles,  &  recueillent  la  semence  qu'elles 
renferment;  s'ils  viennent  à  trouver  une  grofl"e  perle,  elle  appar- 
tient au  roi  qui  a  là  des  gens  pour  enregiflrer  Se  percevoir  fon  dû  ; 
la  femence  de  perles  fe  pèfe,  afin  que  le  roi  prélève  fes  droits,  après 
quoi  les  pêcheurs  emportent  chez  eux  ce  qui  leur  refle.  Le  roi  de 
Ceylan  perd  le  bénéfice  de  cette  pêche  pour  ne  pas  avoir  de 
marine,  car  cette  fource  de  richeffes  fe  trouve  fur  fon  domaine, 
&  le  roi  de  Coulao,  qui  réfide  fur  la  terre  ferme,  vient  ici  l'exploi- 
ter.  J'ai  interrogé  maintes  fois  les  nègres  fur  la  manière  dont  s'en- 
gendrait la  femence  de  perles,  &  ils  m'ont  répondu  qu'ils  avaient 
obfervé  ce  qui  fuit,  c'eft-à-dire  que,  pendant  l'hiver,  les  huîtres 
s'élèvent  à    la  furface  de  la  mer  &  reçoivent  l'eau  de  pluie  dans 


128 

l'intcrieur  de  leur  coquille;  or,  autant  de  gouttes  y  pénètrent,  au- 
tant de  grains  de  femence  ;  &  la  goutte  qui  entre  dans  la  chair  de 
l'huître  devient  un  grain  parfait,  tandis  que  celles  qui  tombent  du 
côté  de  la  coquille  demeurent  à  l'état  de  demi-grains.  » 

XLVII 

Coromandel,  partie  confidérable  de  la  côte  orientale  de  l'Inde, 
foumife,  à  cette  époque,  au  roi  de  Narfinga  ou  Bifnaga.  Elle  com- 
mençait au  cap  de  Canhameira  (aujourd'hui  Calymere)  &  finiffait  à 
la  pointe  Guadavarim  (aujourd'hui  Godewar),  à  l'une  des  bouches 
du  Niffapour.  Le  royaume  de  Narfinga  fut  démembré  par  fuite  des 
révolutions  fucceffives  dont  il  a  été  le  théâtre,  &  la  portion  la  plus 
confidérable  de  cet  Etat  qui  eft  refiée  intadle  forme  la  Carnatique, 
où  l'on  retrouve,  à  peu  près,  les  territoires  que  Duarte  Barbofa  attri- 
buait au  Coromandel. 

XLVIII. 

Les  trente  jours  de  navigation  que  l'auteur  compte  de  Calicut 
à  cette  contrée  &  la  quantité  de  foie  qu'elle  produifait ,  d'après 
lui,  montrent  qu'il  eft  queflion  de  l'île  de  Sumatra,  fituée  en  travers 
delà  pointe  de  Malacca,  au-deffous  de  la  Ligne. Cettefoie,  que  men- 
tionnent également  Barros  &  Barbofa,  était  peut-être  le  coton  de 
foie  dont  parlent  Marfden  &  Malte-Brun,  qui,  tout  en  paraiffant  à 
l'œil  &  au  toucher  fupérieur  à  la  foie  véritable,  eft  néanmoins 
très  fragile  &  impropre  au  filage.  Du  temps  de  Barros,  l'île  était 
partagée  en  plufieurs  petits  royaumes  qui  fe  réunirent  fucceffive- 
ment  pour  fe  féparer  de  nouveau,  tellement  qu'on  y  compte  encore 
aujourd'hui  un  grand  nombre  d'Etats  différents;  le  principal  eft  le 
royaume  d'Achem,  fi  célèbre  dans  notre  hiftoire  de  l'Inde. 

XLIX. 

Si  nous  nous  laiffions  guider  par  l'analogie  des  fons,  le  pays  dont 
l'auteur  veut  ici    parler  ferait  le  royaume  de  Siam,    que  Mendes 


129 

Pinto  appelle  auffi  Sornau;  mais,  d'après  les  particularités  relatées 
dans  l'article  auquel  fe  rapporte  cette  note,  il  s'agit  probablement 
de  l'île  de  Bornéo  dont  le  nom  aura  été  défiguré  par  la  prononcia- 
tion. Si  le  voyage  de  Sumatra  durait  ^o  jours,  &  celui  de  Bengala  "jf, 
comme  l'auteur  le  dit  plus  bas,  on  ne  pouvait  pas  employer  habi- 
tuellement fo  jours  de  navigation  pour  gagner  la  côte  occiden- 
tale de  Siam,  car  il  en  aurait  fallu  70  ou  80,  proportionnellement, 
pour  atteindre  la  ville  d'Udia,  capitale  du  royaume,  à  caufe  de  la 
néceffîtéde  doubler  la  pointe  de  Malacca  &  de  pénétrer  dans  le 
golfe  de  Siam.  D'un  autre  côté,  on  s'étonnera  fans  doute  qu'en 
parlant  des  producflions  de  Bornéo  il  ne  cite  que  le  benjoin  &  l'a- 
loës ,  quand  la  plus  célèbre  de  toutes  était  &  eft  encore  aujour- 
d'hui le  camphre,  qui  paffe  pour  le  meilleur  connu.  On  ne  peut  rien 
conclure  du  benjoin  &  de  l'aloës,  pas  plus  à  l'égard  de  Bornéo  que 
de  Siam,  ces  deux  contrées  les  produifant  en  abondance.  Enfin  le 
petit  Etat  militaire  dont  parle  l'auteur  ne  peut  convenir  en  aucune 
façon  à  Siam,  qui  comptait  plus  d'un  million  de  foldats,  d'après  ce 
que  rapportent  Barros,  Mendes  Pinto  &  d'autres  écrivains.  La  con- 
jeélure  la  plus  probable  fur  la  contrée  dont  il  s'agit  eft  donc  en 
faveur  de  l'île  de  Bornéo. 


Ce  doit  être  Tenafferim,  royaume  qui  fit  partie  du  Siam  ou  qui 
en  dépendit  jadis  ;  il  était  fitué  fur  la  côte  occidentale  de  la  pénin- 
fule  tranfgangétique,  &fa  capitale,  qui  portait  le  même  nom,  s'éle- 
vait entre  les  villes  que  Barros  nomme  Megui  &  Cholam,  aujour- 
d'hui Mergui  &  Junkfeylon.  Tenafferim ,  à  la  fuite  des  révolu- 
tions qui  furvinrent  dans  le  milieu  du  xviii^  fiècle ,  fut  annexé  à 
l'empire  de  Birmans  (Bramas  ou  Bremas  de  Mendes  Pinto  Se  Barros); 
&  Siam,  d'après  Malte-Brun,  ne  poffède  plus  maintenant  qu'un  lam- 
beau de  la  côte,  qui  s'étend  au  delà  de  cette  ville  dans  la  diredion 
de  Malacca,  &  où  fe  trouve  le  port  de  Junkfeylon.  Le  Vénitien 
Nicolao,  dont  le  voyage  inféré  par  Poggio  dans  le  livre  intitulé 
Hiftoria  de  varietate  Fortuna  a  été  joint  à  la  tradudVion  portugaife  de 

17 


Marco  Polo,  imprimée  à  Lisbonne  en  i  f  02,  eft  le  feul,  à  notre  con- 
naiffance,  qui  faffe  une  mention  fpéciale  de  la  grande  abondance 
de  bois  de  Bréfil  exiftant  dans  le  royaume  de  Tenafferim.  Lalou- 
bère,  le  père  Gervais,  Turpin  &  nos  hiftoriens,  ne  nous  apprennent 
aucune  particularité  fur  ce  pays,  &  Barthema  lui-même  qui  le 
décrit fi  longuement  ne  dit  rien  du  bois  de  Bréfil.  Quanta  la  petite 
quantité  de  bois  d'aloës  ou  agutla  mentionnée  dans  ce  paffage 
parmi  les  produélions  de  Tenafferim,  on  peut  confulter  Garcia  da 
Orta  &  le  Mémoire  du  père  Loureiro  sur  la  plante  qui  donne  l'aloës. 

LI. 

Nous  ne  hafarderons  pas  une  opinion  formelle  fur  les  royaumes 
quel'auteura  déilgnés  par  ces  deux  noms.  Toutefois,  nousinclinons 
à  croire  que  Pater  correfpond  à  Pedir,  Se  Conimata,  à  l'île  de  Timor 
où,  d'après  Eredia  (Jnformaçao  da  &4urea  CherÇonefd),  il  y  avait  un 
port  appelé  Canamaça. 


APPENDICE 


OM  MANUEL,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  Portugal 
&  des  Algarves  de  l'une  à  l'autre  mer  ;  en  Afrique,  fei- 
gneur  de  Guinée  &  des  pays  conquis,  de  la  navigation 
Se  du  commerce  avec  l'Ethiopie,  l'Arabie,  la  Perfe  &  l'Inde,  à  tous 
ceux  qui  verront  les  préfentes  faifons  favoir  ceci  :  La  découverte 
de  la  terre  de  Guinée  ayant  été  entreprife  par  l'infant  dom  Henri, 
notre  oncle,  en  l'an  143^,  avec  le  deffein  &  l'efpoir  de  parvenir 
par  la  côte  de  ladite  terre  de  Guinée  à  la  découverte  &  à  la  ren- 
contre de  l'Inde,  pays  qui  jufqu'alors  n'avait  jamais  été  atteint  par 
là,  non  feulement  en  vue  de  la  haute  renommée  qui  en  rejaillirait 
fur  ces  royaumes  &  du  profit  qu'ils  retireraient  des  grandes  richeffes 
que  l'Inde  renferme  &  que  les  Maures  ont  toujours  poffédées, 
mais  afin  que  la  foi  en  Notre-Seigneur  fût  répandue  &  fon  nom 
connu  dans  un  plus  grand  nombre  de  lieux;  plus  tard,  le  roi  dom 
Alphonfe,  notre  oncle,  &  le  roi  dom  Jean,  fon  fils,  étant  animés 
d'un  égal  défir  de  pourfuivre  ladite  entreprife,  les  découvertes 
s'étendirent,  en  leur  temps,  au  prix  de  grands  facrifices  d'hommes 


132 

&  d  argent,  jufqu  au  rio  do  Infante  reconnu  en  1482  (1),  ce  qui 
fait  mille  huit  cent  quatre-vingt-cinq  lieues  à  partir  du  point  où 
commença  premièrement  l'exploration.  Nous-même,  animé  d'un 
défir  non  moins  vif  de  pourfuivre  l'œuvre  commencée  par  ledit 
infant  &  parles  rois  nosprédéceffeurs,  certain  que  Vafco  da  Gama, 
gentilhomme  de  notre  maifon,  était  bien  l'homme  qui  convenait  à 
notre  fervice,  &  que  l'accompliffement  de  fon  mandat  lui  tiendrait 
plus  à  cœur  que  les  dangers  de  fa  perfonne  &  le  rifque  de  fa  vie, 
nous  l'envoyâmes  fur  notre  flotte  avec  le  titre  de  commandant  en 
chef  {capitao  mor),  &  avec  lui  Paul  da  Gama,  fon  frère,  &  Nicolas 
Coelho  également  gentilhomme  de  notre  maifon  ,  à  la  recherche 
de  ladite  terre  de  l'Inde.  Pendant  ledit  voyage  il  nous  fervit  fi 
bien,  qu'après  tant  d'années  écoulées  depuis  le  commencement  de 
l'entreprife,  &  quand  maints  capitaines  qui  y  avaient  été  employés 
n'étaient  parvenus  à  reconnaître  que  ces  mille  huit  cent  quatre- 
vingt-cinq  lieues  de  côtes,  lui,  dans  fon  feul  voyage,  en  décou- 
vrit quinze  cent  cinquante,  outre  une  mine  d'or  confidérable  & 
quantité  de  bourgades  &  de  villes  très-riches  &•  très-commerçantes. 
Enfin,  pour  couronner  fon  œuvre,  il  découvrit  &  trouva  l'Inde, 
cette  contrée  que  tous  les  écrivains  qui  ont  décrit  le  monde  placent 
au-deffus  des  autres  pour  la  richeffe,  que  tous  les  fouverains  Se 
monarques  qui  ont  exifté  ont  convoitée  par-deffus  toute  chofe,  & 
pour  laquelle  tant  de  dépenfesont  été  faites  en  ces  royaumes,  tant 
de  capitaines,  fans  parler  des  autres,  ont  perdu  la  vie;  enfin  dont 
tous  les  rois  n'ont  pas  feulement  défiré  la  poffeffion,  mais  la  décou- 
verte. Ce  réfultat,  dont  les  commencements  furent  l'œuvre  de  tant 
d'années,  il  ne  l'obtint  pas  à  un  prix  moindre  que  fes  prédéceffeurs, 
mais  avec  une  perte  d'hommes  &  d'argent  plus  confidérable,  &  en 
courant  lui-même  de  plus  grands  dangers  qu'ils  n'en  avaient  eu  à 
affronter  au  début  &  par  la  fuite  de  l'entreprife,  Paul  da  Gama,  fon 


(i)  Cette  date  qui  efl  erronée  &.  qui  doit  être  attribuée  à  une  faute  du  co- 
pifte,  comme  le  leéleur  en  a  été  averti  dans  la  première  édition,  fe  trouve  sur 
tous  les  regiftres  de  Torre  do  Tombo  où  le  document  a  été  promulgué. 


'33 

frère,  étant  mort  pendant  ledit  voyage,  ainfi  que  la  moitié  des  gens 
que  nous  avions  fait  partir  fur  la  flotte  avec  laquelle  il  fut  expofé  à  de 
grands  périls,  non  feulement  à  caufe  de  la  longueur  de  l'exploration 
qui  dura  plus  de  deux  années,  mais  parce  qu'il  voulut  nous  rapporter 
des  renfeignements  parfaitement  exadls  fur  le  pays  et  fur  tout  ce 
qui  s'y  rattachait.  C'eft  pourquoi,  confidérant  les  fervrces  impor- 
tants qu'il  nous  a  rendus  ainfi  qu'à  nos  Etats  par  lefdits  voyage* 
découverte,  et  les  grands  avantages  que  peuvent  en  retirer,  non 
feulement  nosdits  Etats  ,  mais  toute  la  chrétienté,  ainfi  que  le 
dommage  caufé  aux  infidèles  qui  jufqu'au  temps  préfent  ont  re- 
cueilli les  bénéfices  de  l'Inde;  confidérant  plus  particulièrement 
l'efpérance  dont  on  peut  fe  flatter  de  voir  toutes  les  nations  de 
ladite  Inde  ralliées  à  Notre-Seigneur,  attendu  qu'il  paraît  facile  de 
les  diriger  dans  la  véritable  connaiffance  de  fa  fainte  foi,  plufieurs 
d'entre  elles  étant  déjà  fuffifamment  inftruites  pour  y  être  &  de- 
meurer folidement  affermies  ;  voulant  le  récompenfer  en  quelque 
manière  des  fervices  importants  qu'il  nous  a  rendus  dans  cette  cir- 
conftance,  comme  doit  agir  un  prince  envers  ceux  qui  le  fervent 
auffi  bien  &  auffi  grandement;  pour  lui  donner  une  marque  de  notre 
faveur*  de  notre  libéralité,  de  notre  propre  mouvement,  libre  vo- 
lonté, fcience  certaine,  pouvoir  royal  &  abfolu,  fans  qu'il  l'ait  de- 
mandé, ni  perfonne  pour  lui,  nous  lui  faifons  purement,  librement 
&  irrévocablement  donation,  de  ce  jour  à  tout  jamais,  d'une  rente 
annuelle  de  ■500,000  réis  tranfmiffible  par  héritage,  à  lui  &  tous 
fes  defcendants  ;  &,  pour  paiement  d'une  partie  de  cette  fomme, 
nous  lui  donnons  la  nouvelle  dîme  fur  le  poiffon  de  la  ville  de 
Synes  &de  Villanova  de  MiUefontes,  telle  qu'elle  nous  appartient 
ainfi  qu'à  la  couronne  &  continuera  de  nous  appartenir,  à  compte 
&pourfolde  de  60,000  réis  qu'elle  rapporte  annuellement.  Dans 
le  cas  où  cette  dîme  viendrait  à  augmenter,  il  en  profitera  ,  lui  3c 
fes  héritiers,  de  même  que  fi  elle  vient  à  diminuer  nous  ne  ferons 
point  tenus  del'indemnifer;  cette  dîme  nous  a  été  rendue  pardoni 
Martynho  deCaflelbranco,  intendant  de  nos  finances,  qui  la  tenait 
de  nous,  afin  que  nous  la  donnions  audit  Vafco  da  Gama,  ce  dont 
nous  l'avons  dédommagé  d'une  autre  façon.  Nous  lui  donnons  auffi 


134 

&  voulons  qu'il  ait,  chaque  année,  fur  nos  accifcs  de  ladite  ville  de 
Synes,  i]o,ooo  réis,  femme  que  lefdites  accifes  valent  raifonna- 
blement  aujourd'hui  ;  nous  voulons  &  mandons  qu'il  ne  foit  fait  fur 
lefdites  accifes  aucune  dépenfe  quelle  qu'elle  puiffe  être,  tant  pour 
nous  que  pour  notre  assentamento  (i),  ni  pour  aucune  autre  caufe 
quçlque  particulière  qu'elle  foit,  avant  qu'il  n'ait  été  intégralement 
payé  de  ladite  fomme  de  i  30,000  réis.  L'excédant  fera  encaiffé 
pour  notre  compte  par  notre  furintendant,  &,  en  cas  d'infuffifance, 
il  fe  couvrira  du  déficit  fur  nos  accifes  de  Santiago  deCacem;  &  il 
établira  lui-même  un  receveur  dans  ladite  ville  de  Synes  afin 
de  percevoir  &  recouvrer  lefdits  i '50,000  réis.  S'il  advenait  que 
les  fermiers  des  accifes  fuffent  en  perte  ou  ne  vouluffent  pas 
payer  comme  ils  y  font  tenus ,  il  nous  plaît  que  ledit  Vafco  da 
Gama,  ou  fes  héritiers,  ou  fon  receveur,  puiffent  contraindre  & 
faire  faifir  lefdits  fermiers  pour  leur  dû,  jufqu'au  paiement  complet 
&■  intégral  de  ladite  fomme,  comme  le  ferait  notre  furintendant  s'il 
recouvrait  pour  nous  lefdites  accifes  :  à  cet  effet,  celui-ci  leur  cé- 
dera fa  caution,  &  les  fermiers  pourront  recourir  ou  en  appeler  à 
notre  contrôleur  des  finances  Se  fe  faire  indemnifer  fur  notre  pro- 
pre domaine  s'ils  fe  trouvent  léfés;  &  pour  que  ce  paiement  foit 
encore  plus  fur  &  certain,  nous  ne  délivrerons  aucune  décharge 
aux  fermiers  defdites  accifes  dans  le  cas  où  ils  fubiraient  des 
pertes.  En  outre  de  ceci,  nous  lui  donnons  &  voulons  qu'il  ait, 
luicSc  tous  fes  defcendants,  sur  nos  accifes  de  la  ville  de  Santiago, 
40,000  réis  de  revenu  annuel  dont  il  jouira  &  qui  lui  feront  payés 
intégralement  &  fans  diminution,  à  chaque  trimefVre,  par  notre 
receveur  audit  lieu,  lequel  lui  paiera  fon  quartier  avant  de  faire 
aucune  autre  dépenfe,  &  ainfi  de  quartier  en  quartier  jufqu'au 
bout  de  l'année.  Il  le  paiera  de  la  même  manière,  par  quartiers, 
fans  diminution,  en   la  ville  de  Synes,    quelle  que  foit  la  fomme 


(i)  L'jjfenxamento  était  un  jhpendium  que  le  roi  accordait  aux  nobles  qui 
remplinaient  quelque  charge  à  la  Cour  ;  il  dépendait  du  bon  plaifir  du  roi  &  ne 
palTait  point  au  fils,  à  moins  que  celui-ci  ne  fut  revêtu  des  mêmes  dignités.  (Tr.) 


I5T 

dont  il  pourrait  être  à  découvert,  jufqu'à  concurrence  des  i  30,000 
réis,  en  fe  faifant  délivrer  par  notre  contrôleur  de  Beja  un  certi- 
ficat conftatant  le  déficit  defdites  accifes  de  Synes  :  &  nous  man- 
dons à  celui-ci,  qu'auffitôt  qu'elles  feront  afifermées  &  que  le  déficit 
fera  connu,  il  ait  à  délivrer  ledit  certificat  au  receveur,  qui  opérera 
fes  recouvrements  &  verfera  en  compte  à  notre  furintendant  ou 
receveur  de  ladite  ville  de  Beja  à  qui  nous  ordonnons  par  les  pré- 
fentes de  recevoir  les  fonds.  Quant  aux  70,000  réis  qui  manquent 
pourcompléter  la  fomme  de  300,000  réis,  nous  les  lui  avons  fait 
donner  &  affurer  incontinent ,  avec  le  même  droit  de  tranfmiffion 
héréditaire,  fur  l'entrée  des  bois  dans  cette  ville  de  Lisbonne,  ce 
dont  il  a  reçu  notre  lettre  patente.  Et,  par  celle-ci,  nous  mandons 
à  nos  furintendant  Se  contrôleur  de  Beja  qu'ils  aient  à  le  mettre 
immédiatement  en  poffeffion  de  ladite  dîme  de  Synes  fur  le  poifl'on  ; 
qu'ils  le  laiffent  en  jouir,  la  pofféder,  l'affermer  cS:  la  percevoir 
comme  il  l'entendra;  qu'ils  le  laiffent  auffi  pofféder,  recevoir* 
percevoir  par  lui-même,  chaque  année,  pour  fon  compte  &  celui 
de  tous  fes  héritiers  &  defcendants,  à  partir  du  mois  de  janvier  der- 
nier de  l'année  ifoo,  fur  lefdites  accifes  de  Synes,  lefdits  130,000 
réis,  de  la  manière  qui  a  été  prefcrite  par  cette  feule  lettre,  fans 
qu'il  foit  néceffaire  d'en  expédier  une  autre  ;  Se,  pour  la  copie  de 
celle-ci  qui  fera  enregiftrée  fur  le  livre  dudit  furintendant,  il  lui 
fera  porté  en  compte  lefdits  130,000  réis  de  Synes,  ainfi  que  les 
40,000  qui  lui  reviennent  fur  Santiago.  En  outre,  nous  le  faifons 
amiral  de  l'Inde  avec  tous  les  honneurs,  prééminences,  libertés, 
droits  de  juftice,  revenus,  privilèges  &  taxes  qui  appartiennent  léga- 
lement à  cette  charge,  &  dont  jouit  l'amiral  de  nos  royaumes  en 
conformité  de  ce  qui  efl:  exprimé  plus  au  long  dans  le  règlement 
des  amiraux;  lefquels  revenus  &  taxes  doivent  s'entendre  des 
lieux  &  terres  qui,  par  la  volonté  de  Notre-Seigneur,  feront  placés 
Se  demeureront  fous  notre  obéiffance.  De  plus,  nous  octroyons  Se 
concédons  gracieufement,  avec  tranfmiffion  par  héritage,  de  ce 
jour  à  tout  jamais,  fans  que  notre  donation  puiffe  être  révoquée  à 
aucune  époque,  audit  Vafco  da  Gama  Se  à  tous  ceux  de  fes  defcen- 
dants qui  hériteront  Se  jouiront  des  130,000   réis,  le   droit  d'en- 


•  36 

voyer  200  cruzades  aux  Indes,  par  nos  navires,  à  chaque  voyage 
qu'ils  effectueront,  ce  qui  doit  s'entendre  une  fois  fan,  &  d'em- 
ployer cette  fomme  en   marchandifes  fuivant  leur  volonté  ,  fans 
nous  payer  ni  droits  ni  taxes  d'aucune  forte,  hormis  le  vingtième 
qu'ils  paieront  à  l'ordre  du  Chnft.  Et  nous  ordonnons  à  nos  capi- 
taines '&  adminiftrateurs  qui  s'y  rendront  de   fe  charger  des  200 
cruzades    &    d'en    rapporter    la    valeur    en   marchandifes.    Nous 
conférons,  en  outre,  audit  Vafco  da   Gama  le  titre  de  Dom,  &,  en 
fa  confidération,  nous  voulons  &  il  nous  plaît  que  fes  frères  Ayres 
da  Gama  &  Tarayja  da  Gama  jouiffent  auffi  du  titre  de  Dom  &: 
puiffent  tous  dorénavant  prendre  ce  titre,  ainfi  que  leurs  fils,  petits- 
fils  &-  tous  leurs  defcendants.  Nous  lui  faifons  la  préfente  donation 
de  ce  jour  à  tout  jamais,  avec  droit  de  tranfmiffion  héréditaire, 
comme  il  a  été  dit,  nonobftant  toutes  lois,  ordonnances,  droit  ca- 
nonique &  civil,  glofe,  ftatuts,  coutumes,  opinions  des  dodeurs, 
capitulaires  des   Cortès  &  toutes  chofes  qui  y  feraient  contraires 
ou  pourraient  être   faites   en  oppofition  par  la  fuite,  lefquelles, 
énoncées  Se  exprimées  ici,  nous  déclarons  caduques  &  de  nul  effet, 
chacune  féparément  &  toutes  enfemble.  Nous  voulons  &  ordon- 
nons que  le  préfent  titre  de  donation  ait  &   conferve  une  valeur 
effedlive   pour  tout  ce    qui    y    efl  inclus ,   &   nous    nous  enga- 
geons, pour  nous  &  nos  fucceffeurs  futurs,  non  feulement  à  ne  ja- 
mais y  déroger  en  tout  ou  en  partie,   mais  à  le  faire  toujours  ref- 
pedler  &  à  le  maintenir  dans  fa  teneur.  Nous  demandons*  recom- 
mandons également  à  nos  fucceffeurs,  par  notre  bénédiélion,  de 
ne  point  y  déroger  en  tout  ou  en  partie,  mais  au  contraire  de  le 
faire  refpeAer  &  de  le  maintenir  tel  que  nous  l'avons  conflitué, 
attendu  que  tel  eft  notre  bon  plaifir.  En  outre,  nous  voulons  &  or- 
donnons que  les  héritiers  dudit  Vafco  da  Gama  auxquels  échoira 
cette  récompenfe  prennent  en  même  temps  le  nom  de  Gama,  en 
fouvenir  &  mémoire  dudit  Vafco  da  Gama  ;  en  foi  &  témoignage  de 
quoi  nous  lui  faifons  remettre  la  préfente,  fignée  de  notre  main  & 
fcellée  de  notre  fceau  royal.  Donnée  en  notre  ville  de  Lisbonne, 
le  10  du  mois  de  janvier  :  Gafpar  Rodrigues  l'a  faite,  l'an  de  Notre- 
Seigneur  Jéfus-Chrift  if02.  ÇLiv.  IlIdeD.  Joao  III,  fol.  166.) 


137 

DOM  MANUEL,  &c.  A  tous  ceux  qui  verront  la  préiente  fai- 
fons  favoir  que  l'amiral  dom  Vafco  da  Gama  nous  a  fait  préfenter 
une  lettre  dont  le  contenu  eft  tel  que  fuit .  ■<  Dom  Manuel  &c.  .. 
De  même  que  la  juftice  divine  accorde  juftement  dans  l'autre  monde 
des  prix  &  des  récompenfes  éternelles  à  ceux  qui   ont  vécu  dans 
celui-ci  au  fein  de  notre  fainte  foi   catholique  en  pratiquant  de 
bonnes  œuvres,  &  que  les  mérites  de  chacun  font  la  mefure  de  ces 
récompenfes  ;  de  même  &  d'aprës  cet  exemple  il  eft  jufle  &  équi- 
table que  les  rois  &  princes  de  la  terre,  établis  par  la  main  de  Dieu 
pour  rendre  la  juflice&  gouverner  ceux  qui  leur  ont  été  confiés, 
encouragent  &  récompenfent  les  hommes  qui   les  fervent  bien, 
non  feulement  en  vue  de  reconnaître  &  rémunérer  leurs  fervices, 
mais  afin  que  ce  folt  un  exemple  propre  à  encourager  lés  autres  & 
à  fufciter  en  eux  un  puiffant  défir  de  bien  faire.  Il  eu  de  fait  no- 
toire en  nos  Etats,  &  même  au  dehors,  que  Vafco  da  Gama,  amiral 
de  l'Inde,  nous  a  rendu  à  nous  &  à  nos  royaumes  un  grand  &  11- 
gnaléfervice  en  découvrant  ladite  contrée  de  l'Inde  durant  le  pre- 
mier voyage  qu'il  y  fit  par  nos  ordres  ;  découverte  dont  les  confé- 
quences  ont  été  fi  grandes  &  fi  magnifiques  pour  nous,  &  qui  a 
valu  à  nofdits  royaumes  &  fujets  un  accroiffement  confidérable  de 
profits  &  de  richeffes,  ce  dont  il  faut  rendre  grâce  à  Notre-Seigneur, 
avec  l'efpoir  d'obtenir  plus  encore  par  fon  appui.  En  effet,  ce  qui 
avait  été  ambitionné  depuis  un  fi  long  temps  par  les  Romains  & 
par  nombre  d'empereurs,  de  rois,  de  princes,  fans  compter  nos 
prédéceffeurs  -,  ce  qui  avait  été  cherché  à  travers  tant  de  labeurs, 
de  dépenfes,  de  morts  &  de  périls,  ledit  amiral,  par  notre  ordre, 
le  découvrit  &  le  trouva  du  premier  coup,  atteignant  amfi  le  but  ou 
tous  s'étaient  efforcés  d'arriver.  C'eft  ainfi  que  les  avantages  con- 
voités par  tant  de  nations  nous  ont  été  acquis,  à  nous  &  à  nos 
royaumes,  au  prix  de  rudes  épreuves,  de  rifques  perfonnels,  &  de 
lexiftence  même  de  ceux   qu'il  emmena  avec  lui,  car  plus  de  la 
moitié  de  fes  équipages  fuccomba  dans  ce  premier  voyage,  &  no- 
tamment Paul  da  Gama,  fon  frère,  que  nous  avions  fait  partir  avec 
lui.  Pour  cepremierfervice,  à  fon  retour,  nous  le  récompenfâmes 
&  relevâmes  en  dignité,  rémunérations  que  nous  lui  accordâmes 

18 


;38 

alors  avec  le  ferme  propos  de  l'élever  toujours  davantage  en  pro- 
portion de  ce  qui  était  dii  à  son  grand  mérite.  Une  autre  fois,  de- 
puis fon  retour,  nous  réfolùmes  de  le  renvoyer  dans  l'Inde  pour 
le  bien  de  notre  fervice  avec  une  autre  flotte  confidérable.  Dans 
ce  voyage  &  tout  ce  qui  s'y  rattacha  ,  fon  mérite  &  les  fervices 
fîgnalés  qu'il  rendit  brillèrent  &-  ne  brillent  pas  moins  que  dans 
le  premier  qu'il  effedua.  Ainfi ,  par  exemple,  le  roi  de  Quiloa  qui 
eff  un  roi  maure,  le  premier  en  arrivant  aux  Indes,  ne  s'étant  pas 
montré  auffi  zélé  pour  notre  fervice  qu'il  s'y  était  engagé  par  fes 
lettres  &  fes  mefTages,  il  le  foumit,  le  rangea  fous  notre  obéif- 
fance,  Se  l'obligea  par  force  à  nous  payer  un  tribut  annuel  de 
1,^00  meticaes  d'or,  dont  il  verfa  incontinent  la  première  année; 
lefquels  tribut  &  redevance  il  nous  apporta  &  remit  entre  nos 
mains  avec  un  engagement  écrit,  fuivant  la  loi  du  pays,  par  lequel 
il  s'obligeait,  comme  notre  propre  &  naturel  vaffal,  à  nous  fervir, 
reconnaître  &  obéir  en  tout  temps,  ainfi  qu'à  fon  roi  &  feigneur 
légitime,  &,  en  outre,  à  prendre  notre  bannière,  comme  un  figne 
plus  manifefle&  plus  obligatoire  encore  de  fon  vaffelage  &  de  fa 
foumiffion.  Pendant  le  temps  que  ledit  amiral  y  fut,  il  y  rendit  pu- 
bliquement la  juftice  en  notre  nom,  comme  fur  notre  véritable  do- 
maine. Ce  roi  de  Quiloa  efl:  un  roi  très-riche  &  puiffant;  il  pof- 
fède  les  mines  d'or  de  Sofala,  les  plus  célèbres  par  leur  richeffe 
qu'il  y  ait  en  ces  quartiers  ou  même  que  l'on  connaiffe  ailleurs,  en 
forte  que  fon  nom  eft  très-fameux  &  renommé  par  toutes  les 
Indes.  Auffi,  parmi  les  fervices  qu'il  a  rendus  &  les  mérites  qu'il 
s'eff  acquis,  doit-on  confidérer  comme  digne  des  plus  grands 
éloges  &  de  la  plus  haute  eflime,  comme  infiniment  glorieux  &  mé- 
ritoire, un  fait  auffi  nouveau  &  auffi  extraordinaire  que  la  foumif- 
fion d'un  roi  fameux,  puiffant  &  renommé  dans  l'Inde,  devenu  tri- 
butaire d'un  royaume  chrétien,  d'ailleurs  fi  éloigné;  il  eu  donc 
jufle  qu'en  recevant  cette  nouvelle  faveur  &  ce  don  nouveau, 
parmi  tant  de  faveurs  &  de  bienfaits  que  le  Seigneur  nous  a  accor- 
dés dans  cette  entreprife,  nous  lui  adreffions  des  acftions  de  grâces 
toutes  particulières  pour  un  fait  tellement  inouï  que,  non  feulement 
en  aucun    temps   il  n'en   avait    rendu  témoin   nul    autre   roi   ou 


139 

royaume  chrétien,  mais  que  perfonne  n'avait  jamais  rien  lu  ni  ouï 
dire    de  femblable.    Dans   toutes    les  autres  occurrences  de   ce 
deuxième  voyage  il  s'eft  montré  entièrement  dévoué  à  notre  fer- 
vice,  auffî  bien  lorfqu  il  fut  néceffaire  de  faire  la  guerre  à  ceux  qui 
s'oppofaient  à  nos  opérations,  guerre  où  Notre-Seigneurlui  fit  rem- 
porter maintes  vidoires,  notamment  fur  les  Maures  de  la  Mecque, 
ennemis  de  notre  fainte  foi  catholique,    qui  s'efforcèrent  par  tous 
les  moyens  poffibles  de  nuire  aux  intérêts  de  notre  fervice,  mais 
auffi  dans  toutes  les  autres  conjondures  où  l'on  traita  amiablement 
&  pacifiquement  avec  les  rois  de  ces  contrées  ;  en  forte  que  nos 
intérêts  font  demeurés  folidement  établis  par  fa  fageffe  &fon  juge- 
ment, &  qu'il  a  ramené  à  bon  port,  chargée  de  grandes  richeffes, 
la  flotte  que  nous  lui  avions  confiée.  Pour  ces  motifs,  mais  furtout 
pour  le  fait  principal  de  la  découverte  qui  doit  procurer  à  nos  Etats 
tant  d'avantages,  de  gloire  &  de  profits,  &qui,  pour  nous,  eft  un  fi 
grand  fervice,  il  eft  en  droit  de  recevoir,  à  titre  de  premier  auteur, 
des  faveurs  &  des  récompenfes  qui  en  perpétueront  la  mémoire  & 
le  fouvenir.  Voulant  nous  acquitter  envers  lui,  comme  il  convient 
à  un  roi  &  comme  il  le  mérite,  efpérant  d'ailleurs  qu'il  nous  conti- 
nuera fes  fervices,  de  notre  propre  mouvement,  fcience  certaine, 
pouvoir  royal  Se  abfolu,  fans  qu'il  l'ait  demandé  ni  d'autres  pour 
lui,  il  nous  plaît  de  lui  faire  une  donation  gracieufe,  pure,  libre  Se 
irrévocable,  à  dater  du  premier  jour  de  cette  année  i  f  04  &  à  per- 
pétuité, tant  pour  lui  que  pour  fes  defcendants  màles  en  ligne  di- 
refte,  de  400,000    réis  de  rente  annuelle  dont  nous  voulons  &- 
dont  il  nous  plaît  qu'il  foit  pourvu,  lefquels  lui  feront  affurés  &- 
payés  fur  notre  taxe  du  fel  dans  cette  ville  de  Lisbonne,  par  quar- 
tiers, intégralement  &  fans  retenue,  en  vertu  de  ce  titre  de  dona- 
tion, &  fans  qu'il  foit  néceffaire  d'en  expédier  un  autre  de  notre 
bureau  des  finances.  En  conféquence,  nous  mandons  à  nos  rece- 
veurs tant  préfents  que  futurs  de  ladite  adminiftration  de  la  gabelle, 
ainfi  qu'au  greffier  de  ce  département,  de  verfer  &  payer  défor- 
mais, à  partir  du  premier  jour  de  janvier  dernier,  audit  amiral  &  à 
fes  defcendants,  lefdits  400,000  réis  de  rente  annuelle,  par  quar- 
tiers, intégralement  &  fans  retenue,  comme  il  a  été  dit  ;  d'effeéluer 


140 

toujours  ce  paiement  avec  exartitude,  lans  y  apporter  aucune  ef- 
pèce  d'obftacle,  de  difficulté  ou  d'empêchement,  attendu  que  tel 
eft  notre  bon  plaifir  &■  notre  volonté;  en  foi  de  quoi  nous  lui  faifons 
remettre  cette  lettre  fignée  de  notre  main  &  revêtue  de  notre 
fceau  royal.  Donnée  à  Lisbonne,  lefeptièmejour  de  février:  Gaf- 
pard  Rodriguez  l'a  faite  en  1 5'04.  Et,  pour  la  tranfcription  de  la 
préfente  qui  fera  enregiftrée  par  le  greffier  de  ladite  adminiflra- 
tion  fur  fon  livre  de  comptes,  avec  quittance  de  l'amiral  &  de  fes 
defcendants,  nous  mandons  à  nos  contrôleurs  de  porter  lefdits 
400,000  réis  au  compte  de  l'adminiflrateur  ou  receveur  de  la  ga- 
belle. 

Pour  ce  qui  efl  des  400,000  réis,  nous  entendons  les  délivrer  & 
affurer  ainfi  qu'il  fuit  :  200,000  fur  la  branche  de  nos  accifes  de 
Villa  de  Nyfa,  à  partir  du  21  janvier  prochain  ifi6.  Ladite  dona- 
tion ayant  été  annulée,  &  l'enregiftrement  qui  la  concernait  ayant 
été  conféquemment  biffé  fur  le  livre  d'adminiftration  de  ladite  im- 
pofition,  ainfi  qu'au  bureau  de  nos  finances  :  pour  les  200,000  réis 
qui  reftent,  nous  lui  faifons  remettre  cette  lettre  afin  qu'il  puiffe 
s'en  fervir  pour  les  toucher  fur  ladite  impofition  du  fel  &  en  jouir,  à 
partir  du  21  janvier  prochain  if  16,  de  la  manière  &  façon  dont  il 
jouiffait  defdits  400,000  réis,  en  foi  de  quoi  nous  lui  faifons  re- 
mettre cette  lettre  fignée  de  notre  main  &  fcellée  de  notre  fceau 
royal,  &  lui  mandons  de  fe  garder  &  conformer  à  ce  qui  y  efl  in- 
clus. Donnée  en  notre  ville  de  Lisbonne,  le  29  du  mois  d'août. 
Jorge  Fernandes  l'a  faite  l'an  if  if.  {Liv.  XXIV  de  D.  Manuel, 
fol.  120.) 


Ss^i/i^.^<^\ 


RECTIFICATIONS    APRÈS    IMPRESSION. 


95,  ligne   5,  au  lieu  de:  «  aux  deux  cartes  d'Améric  Vefpuce  »  — 

Ufe:f  :  <•   aux  deux  lettres.   » 
Page  97,  ligne  8,  lîu  heu  de  :  «  Ilacominus  »  —  i>fr{  ■'  "  liacomylus.  » 
Page  97,  lignes  12,  35  et   ;o,  &  page  98,   ligne  9,  au  lieu  de  :  "  Grynœus  » 

—  î//(?j  •■  o  Grynœus.  » 
Page  loi,  ligne  12,  au  /i'eu  ife  ;  »  San-Bras  »  —  hfe^  :  «  San-Braz.  » 
Page  124,  lignes  15  8t  fuivantes,  au  heu  de:  <•  Coulao  »  — l'Je^  :  "  Coulâo.  » 


riïïff^^^n^fflj^fartrWTtiim+TiTtWlI^lilïï^iïli^^^ 


VA  SCO    DA  GAMA 


EN    1497. 


HH^mHH^^44M'i4l!l|qHI|l|l|l|l|l|l|l|l|l|l|lll|l|l|ippniip4^^ 
15°  ion^:    Ouest    0°.  lon^     £st  15°  30?  45".  6b?  75°.  90?  105° 


T'tp'  Lcuu  Jifri 


J'y^f 


198511) 


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