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LA KABBALE
oa
LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE
DES HÉBREUX
COULOMMIERS
Imprimerie Paul Brodard.
LA KABBALE
OU
LA PHILOSOPHIE RELIGIEUSE
DES HÉBREUX
AD. FRANCK
Membre do l'Iubtitut
TROISIEME EDITION
PARIS
LIBRAIRIE IIACIIETTE ET G'"
79, DOULEVAKD SAINT-GERMAIN, 79
189-2
AVANT-PROPOS
DE LA DEUXIÈME ÉDITION
C'est en 1845, c'est-à-dire il y a tout près d'un demi-
siècle, que ce livre a vu le jour pour la première fois. Il
n'y a presque pas moins longtemps qu'il est devenu introu-
vable en dehors des bibliollièques publiques et privées.
Cet empressement du public à prendre connaissance d'une
œuvre de métaphysique et de théologie n'a rien qui puisse
nous étonner; il s'explique par le sujet et par le nom même
de la Kabbale. Depuis ce temps si éloigné j'ai été souvent
sollicité, en France et à l'étranger, de publier une seconde
édition de mon volume de 1845. Pour plusieurs r. ^sons,
j'ai refusé de donner satisfaction à ce désir. Obligé par état,
comme professeur de droit naturel et de droit des gens au
Collèue de France, de consacrer toute mon activité à des
études d'un intérêt général, il m'était difficile de revenir
sur un sujet de recherches (|ui ne me paraissait plus
répondre à l'esprit du temps. Puis, j'aurais été obligé, par
la nature des objoclionsqui m'étaient adressées, de reléguer
au second rang ce qui fait le mérite et l'attrait de la Kab-
bale, c'est-à-dire le système philosophique et religieux
qu'elle renferme, pour discuter avant tout certaines ques-
tions de bibliographie et de chronologie. Je n'ai pas eu le
courage, je n'ai pas cru utile, de m'imposer ce sacrifice.
21 16926
n LA KABBALE.
Aujourd'hui la situation est très différente. Dégoûtés des
doctrines positivistes, évolulionnistes ou brutalement athées
qui dominent aujourd'hui dans notre pays et qui affectent
(le régenter non seulement la science, mais la société, un
grand nombre d'esprits se tournent vers l'Orient, berceau
des religions, patrie originelle des idées mystiques, et parmi
les doctrines qu'ils s'efforcent de remettre en honneur, la
Kabbale n'est pas oubliée. J'en citerai plusieurs preuves.
Il faut d'abord qu'on sache que, sous le nom de Société
ihéosophique, il existe une vaste association qui, de l'Inde,
a passé en Amérique et en Europe, en poussant de vigou-
reuses ramifications dans les États-Unis, en Angleterre et
en France. Cette association n'est pas livrée au hasard, elle
a sa hiérarchie, son organisation, sa littérature, ses revues
cl ses journaux. Son organe principal en France s'appelle
le Lotus. C'est une publication périodique d'un très grand
intérêt, qui emprunte au bouddhisme le fond des idées, sans
avoir la prétention d'y enchaîner les esprits en leur inter-
disant les recherches nouvelles et les tentatives de transfor-
mation. Sur ce fond bouddhiste se développent souvent des
considérations et des citations textuelles empruntées à la
Kabbale. Il y a môme une des branches de la Société théo-
sophique, une branche française appelée VYsis,(\m a publié,
dans le cours de l'année dernière, une traduction inédite
du Seplier ictzirah, un des deux livres kabbalisliques qui
passent pour les plus anciens et les plus importants. Ce que
vaut cette traduction, ce que valent surtout les commen-
taires qui l'accompagnent, je n'ai pas à l'examiner ici. Je
dirai seulement, pour donner une idée de l'esprit qui a
inspiré l'auteur de ce travail que, selon lui, « la Kabbale
est la religion unique dont tous les cultes sont des émana-
tions* ».
1. Avant-propos, p. i.
AVANT-PROPOS. nt
Une autre Revue également consacrée à la propagande
ihéosoplîique et dans laquelle, par une conséquence néces-
saire, la Kabbale intervient fréquemment, est celle qu'a
fondée, que dirige et que rédige en grande partie lady
Caithness, duchesse de Pomar. Son nom, presque le même
que celui que le grand théosophe allemand Jacob Boehm a
donné à son premier ouvrage, c'est VAurore. Le but de
V Aurore n'est pas tout à fait le même que celui du Lotus.
Le bouddhisme n'y tient pas le premier rang au préjudice
du christianisme; mais, à l'aide d'une interprétation ésoté-
rique des textes sacrés, les deux religions sont mises d'accord
entre elles et présentées comme le fonds commun de toutes
les autres. Cette interprétation ésolérique est certainement
un des principaux éléments de la Kabbale; mais celle-ci est
aussi mise à contribution d'une manière directe, sous le
nom de théosnphie sémitique. Je ne me porte pas garant de
l'exactitude avec laquelle elle est exposée; je me borne à
signaler la vive préoccupation dont elle est l'objet dans le
très curieux recueil de Mme la duchesse de Pomar.
Pourquoi ne parlerai-je pas aussi de Vlnitiation, bien
qu'elle ne compte encore que quatre mois d'existence*? Ce
nom seul d'Initiation vous dit bien des choses, vous met
sur le seuil de bien des sanctuaires fermés aux profanes, et,
en effet, cette jeune Revue, qui prend sur sa couverture le
titre de « Revue philosophique et indépendante des hautes
études », est exclusivement vouée aux sciences, ou tout
au moins aux objets de recherche, aux sujets de curiosité
et de conjectures les plus suspects aux yeux de la science
reconnue et même de l'opinion publique, de celle qui passe
pour être l'organe du sens commun. Dans ce nombre figurent
d'une manière générale la ihéosophie, les sciences occultes,
l'hypnotisme, la franc-maçonnerie, l'alchimie, l'astrologie,
1. Son premier numéro porte la date d'octobre 1888.
!▼ LA KABBALE.
le magnétisme animal, la physiognomonie, le spiritisme,
etc., etc.
Dès qu'il est question de théosophie, on est sûr de voir
apparaître la Kabbale. L'Initiation ne manque pas d'obéir à
cette loi. La Kabbale, « la sainte Kabbale », comme il l'ap-
pelle, lui est chère. Elle fait fréquemment appel à son auto-
rité; mais on remarque particulièrement, dans son deuxième
numéro, un article de M. René Caillé sur le Royaume de
Dieu par Albert Jhouney, où la doctrine du Zohar. le plus
important des deux livres kabbalistiques, sert de base à une
Kabbale chrétienne formée des idées de Saint-Martin, dit le
« Philosophe inconnu »,]e rénovateur inconscient delà doc-
trine d'Origène. C'est aussi une Kabbale chrétienne que pro-
pose M. l'abbé Roca dans un des premiers numéros da Lotus.
Il me sera aussi permis de ne point passer sous silence
les journaux swédenborgiens qui paraissent depuis peu en
France et à l'étranger, particulièrement la Philosophie
générale des étudiants swédenborgiens libres^. Mais l'église
de Swedenborg ou la Nouvelle Jérusalem, quoique présentée
par ses adeptes comme une des formes les plus importantes
de la théosophie, ne peut cependant se rattacher à la Kabbale
que parce qu'elle se fonde sur une interprétation ésotérique
des livres saints. Les résultats de cette interprétation et les
visions personnelles du prophète suédois ressemblent peu,
à quelques exceptions près, aux enseignements contenus
dans les livres kabbalistiques : le Zohar ci le Sépher ielzirah.
J'aime mieux m'arrèter à une œuvre récente de profonde
érudition, à une thèse de doctorat, présentée il n'y a pas
longtemps à la Faculté des lettres de Paris, et qui n'a pas
obtenu le degré d'attention dont elle est digne : Essai sur le
gnosticisme égyptien, ses développements et son origine
égyptienne, par M. E. Amélineau^
1. In-8, chez M. Villot père, 22, rue de Boissy, à Taverny (Seine-el-Oise).
2. 1 voL in-4, Paris, 1887.
AVANT-PROPOS. y
Cette dissertation, écrite dans un tout autre but, ne laisse
rien subsister de la critique superficielle qui voit dans la
Kabbale une pure supercherie, éclose dans la tête d'un
obscur rabbin du treizième siècle et continuée après lui
par des imitateurs sans intelligence et sans science.
M. Amélineau nous découvre chez les pères du gnosticismc,
absolument inconnus au treizième siècle, principalement
chez Salurninus et Valentin, un système de théogonie et de
cosmogonie identique à celui qui est développé dans le
Zohar\ et ce ne sont pas seulement les idées, mais aussi les
formes symboliques du langage et les modes d'argumenta-
tion qui, des deux côtés, sont les mêmes*.
Dans la même année où M. Amélineau, dans sa thèse de
doctorat soutenue à la Sorbonne, vengeait le Zohar des
attaques que lui livrait le scepticisme de notre temps, un
autre savant, un savant allemand, M. Epstein, restituait au
Sepher ietzirah, également en butte aux objections de la
critique moderne, au moins une partie de sa haute anti-
quité. S'il ne le faisait pas remonter jusqu'à Akiba, et
moins encore au patriarche Abraham, il établit du moins,
par des raisons qu'on peut croire décisives, qu'il n'est pas
postérieur au quatrième siècle de notre ère\ C'est déjà
quelque chose. Mais, en regardant au fond du livre plu-
tôt qu'à la forme, et en cherchant des analogies dans les
plus anciens produits du gnosticisme, je ne doute pas qu'on
puisse remonler beaucoup plus haut. Est-ce que les nombres
et les lettres auxquels se ramène tout le système du Sepher
ietzirah ne jouent pas aussi un très grand rôle dans le
pythagorisme et dans les premiers systèmes de l'Inde? Nous
avons la rage aujourd'hui de vouloir tout rajeunir, comme
1. J'en ai cité plusieurs exemples dans le Journal des Savants, cahiers
d'avril et de mai 1888.
2. Epslein, Mihadmoniol hayéhoudim, Bciliagc zur jiidischen AUcrthums-
Kunde, Vienne, 1887.
n L4 KABBALE.
si l'esprit de système et surtout l'esprit mystique n'étaient
pas aussi anciens que le monde et ne devaient pas durer
autant que l'esprit humain.
Yoilà bien des raisons de croire que l'intérêt qui s'attache
à la Kabbale depuis tant de siècles, aussi bien dans le chris-
tianisme que dans le judaïsme, dans les recherches de la
philosophie que dans les spéculations de la théologie, est
loin d'être épuisé, et que je n'ai pas tout à fait tort de
rééditer un travail qui peut servir à la faire connaître. Après
tout, quand il ne répondrait qu'au désir de quelques rares
curieux, cela suffirait pour qu'on n'eût pas le droit de le
compter parmi les livres entièrement inutiles.
A. FRANCK.
Paris, le 9 avril 1880.
PRÉFACE
Une doctrine quia plus d'un point de ressemblance avec
celles de Platon et de Spinosa ; qui, par sa forme, s'élève quel-
quefois jusqu'au ton majestueux de la poésie religieuse ; qui
a pris naissance sur la même terre et à peu près dans
le même temps que le christianisme; qui, pendant une
période de plus de douze siècles, sans autre preuve que
riiypotlièse d'une antique tradition, sans autre mobile ap-
parent que le désir de pénétrer plus intimement dans le
sens des livres saints, s'est développée et propagée à l'ombre
du plus profond mystère : voilà ce que l'on trouve, après
qu'on les a épurés de tout alliage, dans les monuments ori-
ginaux et dans les plus anciens débris de la Kabbale *. Dans
un temps où l'histoire de la philosophie et en général toutes
les recherches historiques ont acquis tant d'importance, où
l'on paraît enfin disposé à croire que l'esprit humain ne se
révèle tout entier que dans l'ensemble de ses œuvres, il m'a
1. C'est le mot hébreu nSzp {Kabhalah) qui, comme l'indique le radical
Szp' exprime l'action de recevoir : une doctrine regue par tradition. L'ortho-
graphe que nous avons adoptée, et qui est depuis longtemps en usage en Alle-
magne (Kabbale au lieu de cabale), nous a semblé la plus propre à rendre
la prononciation du terme hébreu. C'est aussi celle que Raymond-LuUe, dans
son livre de Audilu Kabbalislico, recommande comme la plus exacte.
1
2 LA KABBALE.
semblé qu'un tel sujet, considéré d'un point de vue supé-
rieur à l'esprit de secte et de parti, pourrait exciter un
intérêt légitime, et que les difficultés mêmes dont il est hé-
rissé, l'obscurité qu'il présente, dans les idées comme dans
le langage, seraient, pour celui qui oserait l'aborder, une
promesse d'indulgence. Mais ce n'est point par cette raison
seule que la kabbale se recommande à l'attention de tous les
esprits sérieux; il laut se rappeler que, depuis le commen-
cement du seizième siècle jusqu'au milieu du dix-septième,
elle a exercé sur la théologie, sur la philosophie, sur les
sciences naturelles et sur la médecine une influence assez
considérable; c'est véritablement son esprit qui inspirait les
Pic de la Mirandole, lesReuchlin, les Cornélius Agrippa, les
Paracelse, les Henry MoruL, les Piobert Fludd, les Yan Hel-
mont et jusqu'à Jacob Boehme, le plus grand de tous ces
hommes égarés à la recherche de la science universelle,
d'une science unique destinée à nous montrer dans les pro-
fondeurs les plus reculées de la nature divine l'essence véri-
table et l'enchaînement de toutes choses. Moins hardi qu'un
critique moderne dont nous parlerons bientôt, je n'oserais
point prononcer ici le nom de Spinosa.
Je n'ai pas la prétention d'avoir fait la découverte d'une
terre entièrement inconnue. Je dirai, au contraire, qu'il
faut des années pour parcourir tout ce qui a été écrit sur la
kabbale, depuis l'instant seulement oii ses secrets furent
trahis par la presse. Mais, que d'opinions contradictoires, que
de jugements passionnés, que de bizarres hypothèses et, en
général, quel chaos indigeste dans cette foule de livres hé-
breux, latins ou allemands, publiés sous toutes les formes et
sillonnés de citations de toutes les langues! Et remarquez
bien que le désaccord ne se montre pas seulement dans l'ap-
préciation des doctrines qu'il s'agissait de faire connaître ou
devant le problème si compliqué de leur origine; il éclate
d'une manière non moins sensible dans l'exposition elle-
PRÉFACE. 3
même. On ne saurait donc regarder comme inutile un tra-
vail plus moderne, qui, prenant pour base les documents
originaux, les traditions les plus accréditées, les textes les
plus authentiques, ne dédaignerait pas ce qu'il y a de bon
et de vrai dans les recherches antérieures. Mais, avant de
commencer l'exécution de ce plan, je crois nécessaire de
mettre sous les yeux du lecteur une appréciation rapide de
chacun des ouvrages qui ont fait naître l'idée et qui con-
tiennent, dans une certaine mesure, les éléments de celui-ci.
On se fera ainsi une notion plus juste de l'état de la science
sur cet obscur sujet et de la tâche que nos devanciers nous
ont laissée. Tel est le vrai but de cette préface.
Je ne parlerai pas des kabbalistes modernes qui ont écrit
en hébreu ; leur nombre est si considérable, les caractères
qui les distinguent individuellement ont si peu d'impor-
tance, et, sauf quelques rares exceptions, ils pénètrent si peu
dans les profondeurs du système dont ils se disent les inter-
prètes, qu'il serait fort difficile et non moins fastidieux de
les faire connaître chacun séparément. Il suffira de savoir
qu'ils se partagent en deux écoles qui furent fondées presque
en même temps dans la Palestine vers le milieu du sei-
zième siècle, l'une par Moïse Corduero \ et l'autre par Isaac
Loria *, regardé par quelques juifs comme le précurseur du
Messie. Tous deux, malgré l'admiration superstitieuse qu'ils
1. Son nom s'écrit en hébreu TiissiTlip .TC'^D ^> et peut-être faut-il pro-
noncer Cordovero. Il était d'origine espagnole et florissait vers le milieu du sei-
zième siècle, à Safed, dans la Galilée supérieure. Son principal ouvrage a pour
titre : le Jardin des Grenades, a^^'^^l DllS- ^'^-i", Cracovie. Il a composé
aussi un petit traité do morale mystique, appelé le Palmier de Déborah (^■2T\
mm)) Mantoue, 1G25, in-8.
2. Son nom s'écrit en hébreu 17;5Ç?K prjï^ i ou, par abréviation, i-^^xn-
Il est mort également à Safed, en 15'/'2'."A pari quelques traités détachés dont
l'aullienticité est loin d'être constatée, il n'a rien publié lui-même. Mais sous ce
titre: l'Arbre de Vie (□"inr"*), son disciple Chaïm Vital a réuni toutes ses
opinions en un seul corps de doctrine.
4 LA KABBALE.
inspirent à leurs disciples, ne sont pourtant que des com-
mentateurs sans originalité. Mais le premier, sans pénétrer
bien loin dans leur esprit, se tient assez près du sens pro-
pre, de la signification réelle des monuments originaux; le
second s'en écarte pi^esque toujours pour donner carrière à
ses propres rêveries, véritables songes d'un esprit malade,
xgri somnia vana. Je n'ai pas besoin de dire lequel des deux
j'ai le plus souvent consulté. Cependant je ne puis m'empè-
cher de faire la remarque que c'est le dernier qui l'emporte
dans l'opinion.
J'écarterai aussi les écrivains qui n'ont parlé de la kab-
bale qu'en passant, comme Richard Simon*, Burnct', Hot-
tinger'; ou qui, bornant leurs recherches à la biographie
et à l'histoire proprement dite, ne font guère que nous indi-
quer les sources où il faut puiser, par exemple Wolf*, Bas-
nage% Bartolocci®; ou enfin qui se sont contentés de résu-
mer, quelquefois de répéter j ce que d'autres avaient dit avant
eux. Tels sont, par rapport à notre sujet, l'auteur de l'/n-
trochidion à la philosophie des Hébreux\ et les historiens
modernes de la philosophie, qui tous ont copié plus ou
moins Brucker, comme Brucker lui-même avait mis à con-
tribution les dissertations plus néoplatoniciennes et arabes
que kabbalistiques du rabbin espagnol Abraham Cohen
Eréra ^ Après toutes ces éliminations, il me reste encore à
1. Histoire critique du Vieux Testament, t. I,, chap. \n.
2. Archœolog. philosoph., chap. iv.
o. Thés, philolog., et dans ses autres écrits. — Discursus gemaricus de.
inccstu, etc.
4. Bihliolhcca hebraïca; Hamb., 1721, A vol. in-4.
5. Histoire des Juifs; Paris et La Uaye.
G. Magna Bibliothcca rabbinica, A vol. iii-f\
7. J. F. Buddeus^ Introdiiciio ad Historiam philosophix Hebrœoriim :
Ualœ, 1702 et 1721, in-8.
8. Eréra appartient au dis-septième siècle. Son principal ouvrage, Porte des
Cicîix (Porta cœloruni), a été composé en espagnol, sa langue maternelle, puia
PREFACE. 5
parler d'un assez bon nombre d'auteurs qui ont fait de la
doctrine ésotérique des Hébreux une étude plus sérieuse, ou
à qui du moins il faut accorder le mérite de l'avoir tirée de
l'obscurité profonde où elle était restée enfouie jusqu'à la
fin du quinzième siècle.
Le premier qui ait révélé à l'Europe cbrétienne le nom'^^^r"^
et l'existence de la kabbale, c'est un bomme qui, malgré
les écarts de son ardente imagination, malgré la fougue
désordonnée de son esprit enthousiaste, et peut-être par la
puissance même de ses brillants défauts, a imprimé aux
idées de son siècle une vigoureuse impulsion : nous voulons
parler de Raymond-Lulle. 11 serait difficile de dire jusqu'à
quel point il était initié à. cette science mystérieuse, et
quelle influence elle a exercée sur ses propres doctrines. Je
me garderai d'affirmer, avec un historien de la philosophie',
qu'il y a puisé la croyance à l'identité de Dieu et de la na-
ture. Mais il est certain qu'il s'eii faisait une idée très élevée,
la regardant comme une science divine, comme une véritable
révélation dont la lumière s'adresse à l'âme rationnelle"; et
peut-être est-il permis de supposer que les procédés artifi-
ciels mis en usage par les kabbalistcs pour rattacher leurs
opinions aux paroles de l'Ecriture, que la substitution, si
fréquente parmi eux, des nombres ou des lettres aux idées
et aux mots, n'ont pas peu contribué à l'invention du grand
art. Il est digne de remarque que plus de deux siècles et
demi avant l'existence des deux écoles rivales de Loria et de
traduit en hébreu, et enfin en latin, par l'auleur de la Kahhalah denudata. I
en sera encore une fois question un peu plus bas.
\. Tennemann, Geschiddc dcv Philosophie, t. VllI, p. 857.
2. « Dicitur hœc doctrina Kabbala quod idem est secundùm IlebriBos ut
receptio verilatis cujuslibet rei divinitùs revelata; animse rationali.... Est igilur
Kabbala habilus anim;c rationalis ex rectà ralione divinarum rerum cognilivus;
propter quod est de maxime eliam divino consequulivè divina scientia vocari
débet. » [De Audi lu Kabbalislico, sivc ad omncs scienlias inlroduciorium;
Strasbourg, 1031.)
6 LA KABBALE.
Cordiiero, dans le temps même où certains critiques mo-
dernes ont voulu placer la naissance de toute la science
kabbalistique, Raymond-Lulle fasse déjà la distinction des
kabbalistes anciens et des kabbalistes modernes'.
L'exemple donné par le philosophe majorquin demeura
longtemps stérile; car, après lui, l'étude de la kabbale
retomba dans l'oubli, jusqu'au moment où Pic de la Miran-
dole et Reuchlin vinrent répandre quelque lumière sur une
science dont on ne connaissait jusqu'alors, hors du cercle
des adeptes, que l'existence et le nom. Ces deux hommes,
également admirés par leur siècle pour la hardiesse de leur
esprit et l'étendue de leurs connaissances, sont pourtant
loin d'être entrés dans toutes les profondeurs et dans toutes
les difficultés du sujet. Le premier a tenté de réduire à un
petit nombre de propositions^ dont il n'indique pas la source,
entre lesquelles on aperçoit difficilement quelque rapport,
un système aussi étendu, aussi varié, aussi conséquent, aussi
fortement construit que celui qui fait l'objet de nos recher-
ches. 11 est vrai que ces propositions étaient, dans l'origine,
des thèses destinées à être soutenues en public et déve-
loppées par l'argumentation. Mais, dans l'état où elles nous
sont parvenues, leur brièveté autant que leur isolement les
rend inintelligibles, et ce n'est pas assurément dans quel-
ques digressions plus étendues, disséminées au hasard dans
les œuvres les plus diverses, que l'on trouvera l'unité, les
développements, les preuves de fidélité qu'on est en droit
d'exiger dans une œuvre de cette importance. Le second,
moins emporté par son imagination, plus systématique et
plus clair, mais aussi d'une érudition moins étendue, n'a
1. Ib.supr. — Quant à l'opinion à laquelle nous faisons allusion, elle sera
onguement discutée dans la première partie de ce travail.
2. Conclusiones cabalisticœ, numéro xlvii, sccundum sccretam doclrinam
sapicntium Hebrœorum,e[c., t. I, page 54 de ses Œuvres, édit. de Bàle. Elles
furent publiées pour la première fois à Rome, en 1480.
PRÉFACE. 7
malheureusement pas su puiser aux sources les plus abon-
dantes et les plus dignes de sa confiance. Pas plus que l'au-
teur italien qui, né après lui*, l'avait cependant devancé dans
cette carrière, il ne cite les autorités sur lesquelles il s'ap-
puie; mais il est facile de reconnaître en lui l'esprit peu
critique de Joseph de Castille^ et du faux Abraham ben Dior,
un commentateur du quinzième siècle, qui mêla à ses con-
naissances kabbalistiques les idées d'Aristole et tout ce qu'il
savait de la philosophie grecque, interprétée par les xVrabes".
En outre, la forme dramatique adoptée par Reuchlin n'est
ni assez précise ni assez sévère pour un tel sujet, et ce n'est
pas sans une sorte de dépit qu'on le voit passer à côté des
questions les plus importantes pour établir, sur quelques
vagues analogies, une filiation imaginaire entre la kabbale et
la doctrine de Pythagore. Il veut que le fondateur de l'école
italique ne soit qu'un disciple deskabbalistes, à qui il devrait,
non seulement le fond, mais aussi la forme symbolique de
son système et le caractère traditionnel de son enseignement :
de là des subtilités et des violences qui défigurent également
les deux ordres d'idées que l'on essaye de confondre. Des
deux ouvrages qui ont fait la réputation de Reuchlin, un
seul, celui qui a pour titre de Arte Cahhaluiicà\ contient
une exposition régulière de la doctrine ésotérique des Hé-
1. Reuchlin est né en 1455, et Jean Pic de la Mirandole en 1463.
2. Va\ hébreu, j^S^TSpU 'HDl"'- ^^ ^^^ l'auteur du livre intitulé la Porte de
la Lumière (nilî-^ "l^U^)» ^ue Paul Ricci a traduit en latin, et que Reuchlin a
visiblement pris pour base dans son de Verbo mirifico.
3. 11 est connu sous le nom de Tix"), c.-à.-d. Abniham bon David. Il a
fait sur le Sephcr lelzirah un commentaire hébreu qui a été imprimé avec le
texte, à Manloue, en 1502, et à Amsterdam, en 1642. Il a été longtemps con-
fondu, à cause de la similitude du nom, avec un autre kabbaliste bien plus
célèbre, mort au commencement du treizième siècle, et le maître de Moïse de
Léon, à qui l'on a voulu attribuer la composition du Zohar. (Voir le Journal de
théologie judaïque de Geiger, t. 11, p. 512.)
4. ln-f° ; Ihigiienau, 1517.
8 LA KABBALE.
breux : l'aiilre (de Verbo mirifico), qui, en effet, a été
publié d'abord*, n'est guère qu'une introduction au pre-
mier, mais une introduction conçue d'un point de vue per-
sonnel, bien qu'elle paraisse un simple développement d'une
idée plus ancienne. C'est dans ce livre que, sous prétexte de
définir les différents noms consacrés à Dieu, l'auteur donne
1. Bàle, 1494, iu-f". — Ce livre étant d'une extrême rareté et d'un grand
intérêt pour l'histoire du mysticisme, j'ai cru devoir en donner ici une idée très
sommaire. Ainsi que le de Aric Cabbalisticâ, il a la forme d'un dialogue entre
trois personnages : un philosophe épicurien appelé Sidonius, un juif nommé
Baruch, et l'auteur lui-même, qui a traduit son nom allemand par le mot grec
Capnion. Le dialogue se divise en autant de livres qu'il y a de personnages. Le
premier livre, consacré à la réfutation de la philosophie épicurienne, n'est guère
qu'une simple reproduction des arguments le plus généralement employés
contre ce système ; aussi ne nous y arrêterons-nous pas davantage.
Le second livre a pour Lut d'établir que toute sagesse et toute vraie philo-
sophie vient des Hébreux ; que Platon, Pylhagore, Zoroastre, ont puisé leurs
idées religieuses dans la Bible, et que des traces de langue hébraïque se retrou-
vent dans la liturgie et dans les livres sacrés de tous les autres peuples. Enfin
l'on arrive à l'explication des différents noms consaci'és à Dieu. Le premier, le
plus célèbre de tous, le ego sum qui sum (nMx)? ^st traduit dans la Philoso-
phie de Platon par ces mots : tô ovtco; wv. Le second, que nous traduisons par
Lui (x*n)» c'est-à-dire le signe de l'immutabilité de Dieu et de son éternelle
identité, se retrouve également chez le philosophe grec, dans le TauTov, opposé
au OaT3p6v. Dieu, dans l'Écriture sainte, est encore appelé d'un troisième nom,
celui du feu {'^^). En effet, la première fois qu'il apparut à Moïse sur le mont
Oreb, n'était-ce pas sous la forme d'un buisson ardent ? n'est-ce pas lui que
les prophètes ont appelé le feu dévorant ? n'est-ce pas de If i encore que parlait
saint Jean-Baptiste, quand il disait : « Moi je vous lave dans l'eau, un autre
viendra qui vous lavera dans le feu » (Math., III, 11)? Ce feu des prophètes
hébreux est le même que Vélher (a'-Ov^p) dont il est question dans les hymnes
d'Orphée. Mais tous ces noms n'en forment en réalité qu'un seul, qui nous
montre la substance div'ne sous trois aspects différents. Ainsi Dieu se nomme
l'Être, parce que de lui émane toute existence; il se nomme le Feu, parce que
c'est lui qui éclaire et qui vivifie toutes choses; enfin, il est toujours Lui, il
reste éternellement semblable à lui-même au milieu de l'infinie variété de ses
œuvres. Comme il y a des noms qui expriment la substance de Dieu, il y en a
d'autres qui se rapportent à ses attributs, et tels sont les dix sépIiiroUi ou caté-
gories kabbalistiques dont il sera fréquemment question dans ce travail. Mais
quand on fuit abstraclion de tout attribut et même de tous les points de vue
PREFACE. 9
une libre carrière à son esprit mystique et aventureux; c'est
là qu'il veut prouver, d'une manière générale, que toute
philosophie religieuse, soit celle des Grecs, soit celle de
l'Orient, a son origine dans les livres hébreux; c'est là aussi
qu'il pose les fondements de ce qu'on a appelé un peu plus
tard la Kabbale chrétienne.
déterminés sous lesquels on peut considérer la substance divine, quand on
essaye de se représenter l'Être absolu comme retiré en lui-même, -et n'offrant
plus à notre intelligence aucun rapport définissable, alors il est désigné par le
nom qu'il est défendu de prononcer, par le Tétragramme, trois fois saint, c'est-
à-dire parle mot Jehovah (U/*1£?2n n'iT)-
Kul doute que la Tétractys de Pythagorc ne soit une imitation du Tétra-
gramme hébreu, et que le culte de la décade n'ait été imaginé en l'honneur des
dix séphirolh. On se ferait difficilement une idée de toutes les merveilles que
l'auteur sait découvrir ensuite dans les quatre lettres dont se compose en hébreu
le mot Jehovah. Ces quatre lettres font allusion aux quatre éléments, aux
quatre qualités essentielles des corps (le chaud, le froid, le sec et l'humide),
aux quatre principes géométriques (le point, la ligne, le plan, le solide), aux
quatre notes de la gamme, aux quatre fleuves du paradis terrestre, aux quatre
figures symboliques du char d'Ezécliicl, etc. De plus, chacune de ces lettres
considérée à part ne nous offre pas une signification moins mystérieuse. La
première (i), qui est aussi le signe du nombre dix, et nous rappelle par sa
forme le point mathématique, nous apprend que Dieu est le commencement et
la fin de toutes choses; car le point, c'est le commencement, l'unité première,
et la décade, c'est la fin de toute numération. Le nombre cinq, exprimé par la
seconde lettre (n) , nous indique l'union de Dieu et de la nature ; de Dieu, repré-
senté parle nombre trois, c'est-à-dire par la Trinité; de la nature visible repré-
sentée, selon Platon et Pythagorc, par la dyade. La troisième lettre (i) est le
signe du nombre six. Or, ce nombre, que l'école pythagoricienne avait égale-
ment en vénération, est formé par la réunion de la monade, de la dyade et la
triade, ce qui est le symbole de toutes les perfections. D'un autre côté, le
nombre six est aussi le symbole du cube, des solides ou du monde ; donc il faut
croire que le monde porte le cachet de la perfection divine. Enfin, la quatrième
lettre est la même que la seconde [■^), et par conséquent nous nous trouvons
encore une fois en présence du nombre cinq. Mais ici il correspond à l'âme
humaine, à l'âme rationnelle, qui tient le milieu entre le ciel et la terre,
comme cinq est le milieu de la décade, expression symbolique de la totalité
des choses.
Nous voilà arrivé au troisième livre, dont le but est de démoniror par les
mêmes procédés les principaux dogmes du christianisme. Aussi est-il placé
10 LA KABBALE.
C'est à partir de cette époque que les idées kabbalistiques,
devenues l'objet d'un intérêt plus général, commencent à
compter sérieusement, non seulement dans les travaux d'éru-
dition, mais dans le mouvement scientifique et religieux du
seizième et du dix-septième siècle. C'est alors qu'on voit
paraître successivement au jour les deux ouvrages d'Agrippa,
tout entier dans la bouche de Capnion ; car c'est sur les ruines de la philo-
sophie sensualiste ou exclusivement païenne, et sur les traditions prétendues
kabhalisliques dont Baruth a été l'interprète dans le livre précédent, qu'il
s'agit d'élever maintenant l'édifice de la théologie chrétienne. Quelques
exemples suffiront, je l'espère, pour donner une idée de la méthode que suit
ici l'auteur, et de la manière dont il y rattache ses vues générales sur l'histoire
de la religion. Dès le premier verset de la Genèse, « Au commencement iJieu
créa le ciel et la terre », il trouve le mystère de la Trinité. En effet, en arrê-
tant notre attention sur le mot hébreu que nous traduisons par créer (x"l2) ;
en considérant chacune dos trois lettres dont il se compose comme l'initiale
d'un autre mot tout à fait dislinct du premier, on obtiendra ainsi trois termes
n II II
qui signifieront le Père, \e.Fils,\& Saint-Esprit (t;7pn mT']2~2J<)* t)ans ces
paroles tirées des Psaumes, « La pierre que les architectes avaient méprisée
est devenue la pierre angulaire », on trouvera, par le même procédé, les deux
premières personnes de la Trinilé (px'p' 2x)- C'est encore la Trinité chré-
tienne qu'Orphée, dans son liynime à la nuit, a voulu désigner par ces mots :
vù^ oùpavô;, aiOr^p ; car cette nuit, qui engendre toutes choses, ne peut être
que le Père; ce ciel, cet olympe qui embrasse dans son immensité tous les
êtres, et qui est né de la nuit, c'est le Fils ; enfin, l'élher, que le poète antique
appelle aussi un souffle de feu, c'est le Saint-Esprit. Le nom de Jésus traduit
Il II V M II
en hébreu (^ VCM i)' c'est le nom même de Jehovah, plus la lettre "f^, qui,
dans la langue des kabbalistes, est le symbole du feu ou de la lumière, et dont
saint Jérôme, dans son interprétation mystique de l'alphabet, a fait le signe de
la parole. Ce nom mystérieux est donc toute une révélation, puisqu'il nous
apprend que Jésus c'est Dieu lui-même conçu comme lumière et parole, ou le
Yerbe divin. Il n'y a pas jusqu'au symbole même du christianisme, jusqu'à la
croix, qui ne soit clairement désignée dans l'Ancien Testament, soit par l'arbre
de vie que Dieu avait planté dans le paradis terrestre, soit par l'altitude suj)-
pliante de Moïse, quand il lève les bras au ciel pour demander le triomphe
d'Israël dans sa lutte contre Amalec, soit enfin par ce bois miraculeux qui,
dans le désert de Marah, changea l'eau amère en eau douce. Dans la pensée de
Reuchlin, Dieu s'est manifesté aux hommes sous différents aspects pendant les
trois grandes périodes religieuses que l'on distingue ordinairement depuis la
création; et à chacun de ces aspects correspond dans l'Écriture un nom parti-
PRÉFACE. U
les savantes et curieuses rêveries de Postel, le répertoire des
kabbalistes chrétiens, publié par Pistorius, les traductions
de Joseph Voysin, les recherches de Kircher sur toute l'anti-
quité orientale, et enfin le résumé et le couronnement de
tous ces travaux, la Kabbale dévoilée.
Il y a deux hommes dans Cornélius Agrippa : l'auteur du
livre de Occulta Philosophiâ\ le défenseur enthousiaste de
toutes les rêveries du mysticisme, l'adepte passionné de tous
les arts imaginaires, et le sceptique découragé, qui se plaint
de rincerliludc et de la vanité des sciences^'. Ce n'est cei-tai-
nement pas le premier, comme on pourrait le croire, qui a
rendu le plus de services à l'étude de la knhbale. Tout au
contraire, en perdant de vue le côté métaphysique, c'est-à-
dire l'essence même et le fond réel de ce système, en s'atta-
chant seulement à la forme mystique en la développant jus-
qu'à ses dernières conséquences, jusqu'à l'astrologie et à la
magie, il n'a pas peu contribué à en détournei-, même à leur
insu, les esprits graves et sérieux. Mais Agrippa sceptique,
Agrippa revenu de tous ses enivrements, et rendu en quelque
sorte à l'usage de la raison, a compris la haute antiquité des
idées kabbalistiques, et les rapports qu'elles présentent avec
les diverses sectes du gnosticisme '; c'est lui aussi qui a
signalé la ressemblance qui existe entre les attributs divers
culier qui le caractérise parfaitement. Sous le règne de la nature, il s'appelait
le Tout-Puissanl (i";u;), ou plutôt le fécondateur, le nourricier des hommes :
tel est le Dieu d'Abraham et de tous les patriarches. Sous le règne de la loi, ou
depuis la révélation de Moïse jusqu'à la naissance du christianisme, il s'appelle
le Sei(j>icur (ij^x)' parce qu'alors il est le roi et le maître du peuple élu. Sous
le règne de la grâce, il se nomme Jésus, ou le Dieu libérateur (nV^n^)- Ce
point de vue ne manque pas de vérité et de grandeur.
d. Cologne, 1553, in-8, et 1551.
2. De Incerliludine et vanitate scienliarum; Col., 1527; Paris, 1529;
Anvers, 1550.
5. (( Ex hoc cabalisticaî superstitionis judaïco fermeuto podierunt, pulo,
Ophitœ, Gnostici et Yalentiniani lucretici, qui ipsi quoque cum discipulis suis
grsccam quamdam cabalam commenti sunt», etc. De Vanilal. scical., c. 47.
12 LA KABBALE.
reconnus par les kabbalistes, autrement appelés les dix
séphiroth,el les dix noms mystiques dont parle saint Jérôme
dans sa lettre à Marcella*.
Postel est le premier, que je sache, qui ait traduit en
latin le plus ancien, et il faut ajouter le plus obscur monu-
ment de la kabbale; je veux parler du livre de la Création
{Sepher lelzirah'^)^ attribué par une tradition fabuleuse,
tantôt au patriarche Abraham, tantôt à Adam lui-même.
Autant qu'il est permis de juger de cette traduction, dont
l'obscurité égale au moins celle du texte, elle nous paraît
généralement fidèle. Mais il faut renoncer à recueillir le
moindre fruit des commentaires dont elle est suivie, et où
l'auteur, se faisant l'apôtre d'une nouvelle révélation, fait
servir son érudition si féconde et si riche, à justifier les
écarts d'une imadnalion dérédée. On attribue aussi à Postel
une traduction inédite du Zohar, que nous avons vainement
cherchée parmi les manuscrits de la Bibliothèque royale.
Pistorius s'était proposé un but plus modeste et plus utile,
celui de réunir en un seul recueil tous les écrits publiés sur
la kabbale, ou pénétrés de son esprit; mais il s'est arrêté,
on ne sait pourquoi, à la moitié de son œuvre. Des deux
énormes volumes dont elle devait se composer dans l'origine,
l'un était consacré à tous les ouvrages kabbalistiques écrits
en hébreu, et par conséquent sous l'influence du judaïsme;
l'autre, aux kabbalistes chrétiens, ou, pour me servir des
paroles mêmes de l'auteur, « à ceux qui, faisant profession
de christianisme, se sont toujours distingués par une vie
pieuse et honnête, et dont les écrits, pour cela même, ne
sauraient être repousses comme des extravagances judaï-
ques^ ». C'était une sage précaution contre les préjugés du
\. De Occiillâ Philosophiâ, lib. III, c. \u
2. Ahrahami patriarcluc liber Jezirah, ex Itcbrœo versus et commentariis
illuslratiis à Giiilelmo Poslello; Paris, 1552, in-16.
5. (( Scriptores collegi qui christianain rcligioncm profcssi, religiosè honcs-
PRÉFACE. 45
temps. Cependant ce dernier volume est le seul qui ait
paru*. Il contient, outre la traduction latine du Sepher letzi-
rah et les deux ouvrages de Reuchlin dont nous avons déjà
parlé, un commentaire mystique et tout à fait arbitraire sur
les thèses de Pic de la Mirandole% une traduclion latine de
l'ouvrage de Joseph de Castille, qui a servi de base au de
Verbo mirifico^ et enfin divers traités de deux auteurs juifs
dont l'un a été conduit par l'étude de la kabbale à se con-
vertir au christianisme : c'est Paul Ricci (Paulus Riccius),
médecin de l'empereur Maximilien I"; l'autre est le fils du
célèbre Abravanel, ou Jehoudah Abravanel, plus connu sous
le nom de Léon l'Hébreu. Ce dernier, par ses Dialogues^
damour\ dont il existe dans noire langue plusieurs traduc-
tions*, mériterait sans doute une place distinguée dans une
histoire générale du mysticisme; mais son œuvre ne se rat-
tachant qu'indirectement à la kabbale, il suffit de rappeler
ici quelle en est la source, et de montrer, en passant, sous
une de leurs faces les plus importantes, les idées dont on
a tiré de semblables conséquences. Ricci, beaucoup plus
occupé de la forme allégorique que du fond mystique des
mêmes traditions, se contente de suivre de loin les traces de
Reuchlin, et cherche à démontrer comme lui, par des pro-
cédés kabbalistiques, toutes les croyances essentielles du
christianisme. Tel est le caractère de son principal ouvrage,
tèque vixerunt et quorum proplerea libros, lanquiim judaicam cleliralionem,
dctestari nenio potcst. » Prxf., p. 2.
1. Arlis cahaUslicœ, h. e. recoiidilœ Iheologiœ et philosophiœ scriploriim,
t. I; Basil., 1587, in-K
2. ArchaïKjeli Burgonovensis inlcrprelaliones in selecliora obsciirioraqiie
Cabalislanun (locjmala. Jb. supr.
5. Ils ont élé écrits en italien sous ce titre : Dialoijhi de amore, composli
per Leone medico, di nalione hehreo et di poi fatlo christiano. Rome, 1535.
in-4, et Venise, 1541.
4. L'une est de Sarrasin, l'autre de Pontus de Tliiard, et une troisième du
seijrneur du Parc.
14 LA KABBALE.
qui a pour lilre : de V Afjricullure céleste^ Il est aussi l'au-
teur d'une introduction à la kabbale*, où il se borne à
résumer, sous une forme assez rapide, les opinions déjà
exposées par ses devanciers. Mais il ne fait pas comme eux
remonter jusqu'aux patriarches, jusqu'au père du genre
humain, les traditions dont il est l'interprète; il lui suffit de
croire qu'elles existaient déjà quand Jésus-Christ est venu
prêcher sa doctrine, et qu'elles avaient préparé les voies à la
nouvelle alliance; car, ces milliers de juifs qui ont accueilli
la foi de l'Évangile, sans abandonner la loi de leurs pères,
n'étaient pas autre chose, selon lui, que les kabbalistes du
temps ^
Je veux seulement nommer ici Joseph Yoysin, dont le plus
grand mérite envers la kabbale est d'avoir traduit assez fidè-
lement du Zohar plusieurs textes relatifs à la nature de
l'âme*, et je me hâte d'arriver à des travaux plus impor-
tants, au moins par l'influence qu'ils ont exercée.
Le nom de Kircher ne peut pas être prononcé sans
une profonde vénération. C'était une encyclopédie vivante
1. De cœlesti Acjricullurâ. Il se compose de quatre livres : le premier est
une réfutation des philosophes qui repoussent le christianisme comme contraire
à la raison; le deuxième est dirigé contre le judaïsme moderne, contre le
système thalmudique, et tend à démontrer, par une interprétation symbolique
de l'Écriture, que tous les dogmes chrétiens sont dans l'Ancien Testament; le
troisième a pour but de concilier les opinions qui divisent le christianisme, en
leur taisant à chacune leur part, et de les appeler toutes à l'unité catholique;
dans le quatrième seulement il est question de la kabbale et du parti qu'on en
peut tirer pour la conversion des Juifs.
2. Isagoge in Cabbalistarum crudilionem et inlroducloria theoremala
cahalislka.
3. « .. Cabala cujus prœcipui (haud dubiè) fuère cidtores primi hebrœorum
Christi auditorum et sacram ejus doctrinam atque fidei pietatem amplectentium,
œmuli tamen paternœ legis. » de cœlesli Agricult., lib. IV, ad init.
4. Dispidalio cabalistica R. Israël filii Mosis de anima, etc. adjectis com-
mcniariis ex Zohar; Paris, 1655. — Sa Thcologia Judœorum n'apprend rien
sur la kabbale.
PRÉFACE. jH
de toutes les sciences ; du moins aucune n'est-elle
restée complètement en dehors de son érudition pro-
digieuse, et il y en a plusieurs, au nombre desquelles
on compte principalement l'arcliéologie, la philologie et
les sciences naturelles , qui lui doivent d'importantes
découvertes. Mais il est connu que ce savant homme no
brille pas par les qualités qui font le critique et le philo-
sophe, et qu'il est même parfois d'une crédulité peu com-
mune. Tel est le caractère qu'il montre surtout dans son
exposition de la doctrine des kabbalisles \ Ainsi il ne doute
pas un instant qu'elle n'ait été d'abord apportée en Egypte
par le patriarche Abraham, et que de là elle ne se soit répan-
due peu à peu dans le reste de l'Orient, se mêlant à toutes
les religions et à tous les systèmes de philosophie. Mais en
môme temps qu'il lui reconnaît cette autorité imaginaire et
cette fabuleuse antiquité, il la dépouille de son mérite réel :
les idées originales et profondes, les croyances hardies
qu'elle renferme, les plus curieux aperçus sur le fond de
toute religion et de toute morale, sont entièrement perdus
pour sa faible vue, frappée seulement de ces formes symbo-
liques dont l'usage et l'abus semblent être dans la nature
même du mysticisme. La kabbale est pour lui tout entière
dans cette grossière enveloppe, dans ses mille combinaisons
des lettres et des nombres, dans ses chiffres arbitraires, enfin
dans tous les procédés plus ou moins bizarres au moyen
desquels, forçant les textes sacrés à lui prêter leur appui,
elle trouvait un accès dans des esprits rebelles à toute
autre autorité qu'à celle de la Bible. Les faits et les textes
que j'ai rassemblés dans ce travail se chargeront de détruire
ce point de vue étrange et me dispensent de m'y arrêter
plus longtemps. Je dirai seulement que Kircher, ainsi que
Reuchlin et Pic de la Mirandole, n'a connu que les ouvrages
'1. Œdipiis A^(jypliacus, t. II, part. I. — Cet ouvrage a été publié à Rome,
de 1G52 à 1G54.
16 LA KABBALE.
des kabbalistes modernes, dont le grand nombre, en effet,
s'est arrêté à une lettre morte et à des symboles vides de
toute idée.
Il n'existe pas aujourd'hui, sur le sujet qui nous occupe,
une œuvre plus complète, plus exacte, plus digne de notre
respect par les travaux et les sacrifices dont elle est le fruit,
que celle du baron de Rosenroth, ou la Kabbale dévoilée'.
On y trouve, accompagnés d'une traduction généralement
fidèle, des textes précieux, entre autres les trois plus an-
ciens fragments du Zohar, c'est-à-dire du monument le plus
important de la kabbale; et à défaut de textes elle nous
offre des analvses étendues ou des tables très détaillées. Elle
il
renferme aussi ou de nombreux extraits, ou des traités tout
entiers des kabbalistes modernes, une sorte de dictionnaire
qui nous prépare à la connaissance des choses encore plus
qu'il ne donne celle des mots; et enfin, sous prétexte, et
peut-être dans l'espoir sincère de convertir au christianisme
les adeples de la kabbale, l'auteur a réuni tous les passages
du Nouveau Testament qui offrent quelque ressemblance
avec leur doctrine. 11 ne faut pas cependant se faire illusion
sur le caractère de ce grand ouvrage : il ne répand pas plus
de lumière que ceux qui l'ont précédé, sur l'origine, sur la
transmission de la kabbale et l'authenticité de ses plus an-
ciens monuments. Vainement aussi l'on y chercherait une
exposition régulière et complète du système kabbalistique;
il contient seulement les matériaux qui doivent entrer et se
fondre dans une œuvre pareille; et même, à le considérer
uniquement sous cette face, il n'est pas au-dessus des at-
teintes de la critique. Quoique beaucoup trop sévère dans ses
expressions, ce n'est pas sans justice que Buddé l'appelle
« une œuvre obscure et confuse, où le nécessaire, et ce qui
1. lîabbala denudata, seu Doclrina Uebrœorum transcendenlalis, etc.,
t. II; Solisb., 1677, ia-4% t. II, liber Zohar restltulus; Francf., 1G84,
m-4.
PREFACE. 17
ne l'est pas, l'utile et le superflu, sont confondus pelc-mêle
dans un même chaos ' ». Il aurait pu facilement, grâce à un
meilleur choix, être plus riche sans avoir plus d'étendue.
En effet, pourquoi n'avoir pas laisse à leur place, c'est-à-dire
dans le recueil même de ses œuvres, les rêveries de Henri
Morus, qui n'ont rien de commun avec la théologie mys-
tique des Héhreux? J'en dirai autant de l'ouvrage prétendu
kabhalistique d'Eréra. Ce rabhin espagnol, d'ailleurs remar-
quable par son érudition philosophique, ne s'est pas con-
tenté de substituer aux vrais principes de la kabbale les mo-
dernes traditions de l'école d'Isaac Loria *, mais il trouve
encore le secret de les défigurer en y mêlant les idées de
Platon, d'Aristote, de Piolin, de Proclus, d'Avicenne, de Pic
de la Mirandole, en un mot, tout ce qu'il sait de la philoso-
phie grecque et arabe. C'est lui principalement, sans doute à
cause de l'ordre didactique de ses disserlationsct de la pré-
cision de son langage, que les hisloriens modernes de la
philosophie ont pris pour guide dans leur exposition de
la kabbale; et qu'on s'étonne après cela si l'on a si souvent
attribué à cette science une origine toute récente, ou si l'on
y a cru voir une pâle imitation, un plagiat mal déguisé
d'autres systèmes parfaitement connus! Enfin, puisque
l'auteur de la Kabbala denudala n'a j)as voulu s'en tenir
aux sources les plus anciennes, et nous faire connaître, par
des citations plus nombreuses , tout ce qu'il y a encore
d'originalité et de faits intéressants enfouis dans le Zohar,
pourquoi celte prédilection pour les commentaires d'Isaac
Loria, dont un homme en jouissance de sa raison ne sou-
tient pas la lecture? Les sacrifices et les laborieuses veilles
1. « Confusum et obscurum opus, in quo necessaria cum non neccssariis,
utilia cum inulilibus, confusa sunt, et in unum velut chaos conjecta. » {Inlrod.
ad Phil. hebr.)
2. Il se dit lui-même de celle école, ayant eu pour maître Israël Serug, le
disciple immédiat de Loria [Varia cœlor., disseit, IV, c. ÎS).
2
18 LA KABBALE.
qu'il en a coûté, de l'aveu même de l'auleur, pour produire
au jour ces stériles chimères, n'auraient-ils pas été em-
ployés plus utilement à cette longue chaîne de kabbalisles
encore trop ignorés, qui commence à Saadiah, aux environs
du dixième siècle, et finit avec le treizième, à NachmanidcV
On aurait eu ainsi sous les yeux, en y comprenant celles qui
composent le Zohar, toute la suite des traditions kabbalisli-
ques, depuis le moment où l'on commença de les écrire
jusqu'à celui oîi le secret en fut complètement violé par
Moïse de Léon ^ Si cette tâche était trop difficile, on pou-
vait au moins consacrer une place aux œuvres si estimées
de Nachmanide*, le défenseur du célèbre Moïse ben Maïmon,
et dont les connaissances kabbalistiques inspiraient une si
vive admiration, qu'on les disait apportées du ciel par le
prophète Elie. Malgré ses lacunes et ses nombreuses imper-
fections, le consciencieux travail de Rosenroth restera tou-
jours comme un monument de patience et d'érudition ; il
sera consulté par tous ceux qui voudront connaître les pro-
duits de la pensée chez les Juifs, ou qui aimeront à obser-
ver le mysticisme sous toutes ses formes et dans tous ses
résultats. C'est grâce à la connaissance plus approfondie
qu'il a donnée de la kabbale, que cette doctrine a cessé
d'être étudiée exclusivement, ou comme un instrument de
conversion, ou comme une science occulte. I^llc a pris place
dans les recherches philosophiques et philologiques, dans
l'histoire générale de la philosophie et dans la théologie
rationnelle, qui a essayé d'expliquer à sa lumière quelques
passages difficiles du Nouveau Testament.
1. On trouvera sur tous ces noms propres des renseignements suffisamment
étendus dans la première partie de ce travail.
2. ^'achmanide ou Moïse ben Nachman, appelé par abréviation Raniban
\\1'!2'^)f ^st né à Girone, et tlorissail vers la fin du treizième siècle. Il
était médecin, philosophe, et avant tout kabbalisle. Ses principaux ouvrages
sont un Commentaire sur le Penlaleuque (riTinn hj TK's)» '^ Livre de la
PRÉFACE. 19
Le premier que nous voyons marcher dans cette direction,
c'est Georges Wachter, théologien et philosophe distingué,
faussement accusé de spinosisme, à cause de l'indépendance
de son esprit, et auteur d'une tentative de conciliation
entre les deux sciences auxquelles il consacrait un égal
dévouement'. Voici d'abord à quelle occasion il vint à s'oc-
auper de la kabbale : séduit par ce système, auquel, du
reste, il était assez étranger, un protestant de la confession
d'Augsbourg se convertit publiquement au judaïsme, et
substitua à son véritable nom, Jean-Pierre Speelh, celui de
Moses Germanus. Il eut la folie de provoquer Wachter à
l'imiter, et engagea avec lui une correspondance d'oii sortit
le petit livre intitulé : le Spinosisme dans le judaïsme'. On
ne trouvera pas dans cet ouvrage beaucoup de lumière sur
la nature et sur l'origine des idées kabbalistiques; mais il
soulève une question du plus haut intérêt : celle de savoir
si Spinosa était initié à la kabbale, et quelle influence elle
a exercée sur son système. Jusqu'alors c'était parmi les
savants une opinion presque générale qu'il existe une très
grande affinité entre les points les plus importants de
la science des kabbalistes et les dogmes fondamentaux de la
religion chrétienne. Wachter entreprend de démontrer que
CCS deux ordres d'idées sont séparés l'un de l'autre par un
abîme ; car la kabbale, à ses yeux, n'est autre chose que
l'athéisme, la négation de Dieu et la déification du monde,
doctrine qu'il croit être celle du philosophe hollandais, et à
laquelle Spinosa aurait seulement donné une forme plus
moderne. Nous n'avons pas à rechercher ici si les deux sys-
foi el (le l'espérance (pnT2im njlCN 1£D) ^t la Loi de l'humme (min
ma,)-
\. L'ouvrage où il poursuit ce but a pour titre : Concordia ralionis et fidci,
sivc Harmouia philosophiœ moralis et rel'ujionis christianx; Anist., 1G92.
in-8.
2. Amsterdam, lG9t), in-12, allemand.
20 LA KABBALE.
Icmcs sont en eux-mêmes bien ou mal appréciés, mais il
y a quelque réalité dans la succession historique ou dans le
rapport de filiation qu'on veut établir entre eux. Les seules
preuves qu'on en donne (car je ne compte pas les analogies
et les ressemblances plus ou moin:i éloignées) consistent en
deux passages en effet très importants : l'un tiré de V Ethique ^
et l'autre des lettres de Spinosa. Voici d'abord le dernier :
ce Quand j'affirme que toutes choses existent en Dieu, et
qu'en lui tout se meut, je parle comme saint Paul, comme
tous les philosophes de l'antiquité, bien que je m'exprime
d'une autre façon, et j'oserai môme ajouter, comme tous les
anciens Hébreux, autant qu'on peut en juger par certaines
traditions altérées de bien des manières*. » Évidemment il
ne peut être question, dans ces lignes, que des traditions
kabbalistiques, car celles que les juifs ont réunies dans le
Thalmud ne sont que des récits [hagada), ou des lois céré-
moniclles (halacha). Le passage de V Ethique est encore plus
décisif. Après avoir parlé de l'unité de substance, Spinosa
ajoute : « C'est le principe que quelques-uns d'entre les
Hébreux semblent avoir aperçu comme au travers d'un
nuage, quand ils ont pensé que Dieu, que l'intelligence de
Dieu et les objets sur lesquels elle s'exerce sont une seule et
même chose^ » On ne saurait se méprendre sur le sens
historique de ces paroles, si on veut les rapprocher des lignes
suivantes, que nous traduisons presque littéralement d'un
ouvrage kabbalistique, le commentaire le plus fidèle qui
existe sur le Zohar : « La science du créateur n'est pas
comme celle des créatures; car, chez celles-ci, la science est
1. (( Omnia, inquam, in Deo esse, et in Deo niovcri, cum Paulo affinno, et
forte eliain cum omnihus antiquis philosophis, licet alio modo, et auderem
eliam diccre, cum antiquis omnibus Uebraeis, quantum ex quibusdam tradi-
lionibus, lametsi muUis modis adulteratis conjicere licet. » {Epist., XXI.)
2. (( Uoe quidam Uebrœorum quasi per nebulam vidisse videnlm", qui sci-
licet statuunt Demn, Dei intellectum, resque ab ipso intellectas, unum et idem
esse. » [Elh., part. II, prop. 7, Schol.)
PRÉFACE. 21
distincte du sujet de la science, et porte sur des objets qui,
à leur tour, se distinguent du sujet. C'est cela qu'on désigne
par ces trois termes : la pensée, ce qui pense et ce qui est
pensé. Au contraire, le créateur est lui-même, tout à la fois,
la connaissance^ et ce qui connaît, et ce qui est connu. En
effet, sa manière de connaître ne consiste pas à appliquer
sa pensée à des choses qui sont hors de lui; c'est en se con-
naissant et en se sachant lui-môme qu'il connaît et aperçoit
tout ce qui est. Rien n'existe qui ne soit uni à lui et qu'il
ne trouve dans sa propre substance. Il est le type de tout
être, et toutes choses existent en lui sous leur forme la plus
pure et la plus accomplie; de telle sorte que la perfection
des créatures est dans cette existence même par laquelle elles
se trouvent unies à la source de leur être ; et à mesure
qu'elles s'en éloignent, elles déchoient de cet état si parfait
et si sublime'. » Que faut-il conclure de là? Que les idées
et la méthode cartésiennes, que les développements tout à
fait libres de la raison, et par-dessus tout, que les aperçus
individuels, comme aussi les écarts du génie, ne sont pour
rien clans la plus audacieuse conception dont l'histoire de
la philosophie moderne puisse nous offrir l'exemple? Ce
serait un étrange paradoxe que nous n'entreprendrons
même pas de réfuter. D'ailleurs, il est facile de voir, par
les citations mêmes sur lesquelles on s'appuie, que Spinosa
n'avait de la kabbale qu'une idée sommaire et fort incer-
taine, dont il a pu reconnaître l'importance après la création
de son propre système \ Mais, chose étrange! après avoir
dépouillé Spinosa de toute originalité au profit de la kabbale,
1. Moïse Corducro, Pardes Rimonim, f" 55, r".
2. Jl connaissait beaucoup mieux les kabbalisles modernes, ou du moins
quelques-uns d'entre eux, à qui il ne ménage pas les épitbètes injurieuses :
Legi etiam et insuper novi nugatores aliquos kabbalislas, quorum insaniam
nunquam mirari salis poliii [Tract, theol. polit., c. ix). Il serait absurde de
vouloir appliquer cette phrase aux kabbalisles en général.
22 LA KABBALE.
Wachter fait de celte doctrine elle-même un plagiat misé-
rable, une compilation sans caractère, à laquelle auraient
contribué tous les siècles pendant lesquels elle est restée
ignorée, tous les pays où les Juifs ont été dispersés, et par
conséquent les systèmes les plus contradictoires. Gomment
une œuvre pareille serait-elle athée plutôt que tlléi^te?
enseignerait-elle le panthéisme plutôt qu'un Dieu distinct
du monde? Comment, surtout, aurait-elle pris dans Y Ethique
l'unité sévère et la rigueur inflexible des sciences exactes?
Cependant il faut rendre à Wachter celte justice, que, dans
un second ouvrage sur le môme sujet S il modifie considé-
rablement ses opinions. Ainsi, pour lui, Spinosa n'est plus
l'apôtre de l'athéisme, mais un vrai sage qui, éclairé par
une science sublime, a reconnu la divinité du Christ et
toutes les vérités de la religion chrélienne^ Il avoue naïve-
ment qu'il l'avait jugé d'abord sans le connaître, entraîné
par les préjugés et les passions soulevés contre lui". Il fait
également amende honorable devant la kabbale, en distin-
guant toutefois, sous ce nom, deux doctrines essentiellement
différentes l'une de l'autre : la kabbale moderne demeure
sous le poids de ses mépris et de son anathème; mais l'an-
cienne kabbale, qui a duré, selon lui, jusqu'au concile de
Nicée, était une science traditionnelle de l'ordre le plus
élevé, et dont l'origine se perd dans une antiquité mysté-
rieuse. Les premiers chrétiens, les plus anciens Pères de
l'Eglise, n'avaient pas d'autre philosophie*, et c'est elle qui
i. Elucidarius Cahalisliciis ; Rome, 1706, in-8.
2. « Non defuerunt viri docti, qui, posthabilà pliilosophià vuleari, recondilam
et antiquissimam Ilebrœorum sectarentur. Quos inter memorandus mihi est
Benedictus de Spinosa, qui ex philosophiie hujus rationibus, divinilatem Christi
atque circa veritalem universœ religionis cbrislianœ agnovit.... » (Elucid.
Cab., prœf., pag. 7.)
3. Ih. siipr., pag. 13.
4. ... « Hœc philosophia, ab Hebraîis accepta, et sacris Ecclesiœ patribus
tantopere conimendata, post tempera nicccna mox expiravit. » {Ib. siipr.)
PRÉFACE. 23
a mis Spinosa sur la voie de la vérité. L'auteur insiste vive-
ment sur ce point, dont il fait le centre de ses recherches.
Quoique très superficiel dans toute son étendue, et quel-
quefois fort inexact, ce parallèle entre la doctrine de Spinosa
et celle des kabhalistcs n'a pas peu contribué à éclairer les
esprits sur la vraie signification de celte dernière; je veux
parler de son caractère et de ses principes métaphysiques.
On fut rais en voie de s'assurer que ce qui avait produit
d'abord tant de surprise et de scandale, que l'idée d'un Dieu,
substance unique, cause immanente et nature réelle de tout
ce qui est, n'était pas un fait nouveau; qu'il avait déjà paru
autrefois près du berceau du christianisme, sous le nom
même de la religion. Mais cette idée se montre aussi ailleurs,
dans une antiquité non moins reculée. Où donc en faut-ii
chercher l'origine? Est-ce la Grèce ou l'Egypte des Ptolémées
qui l'ont donnée à la Palestine? Est-ce la Palestine qui l'a
trouvée d'abord? ou bien faut-il remonter plus loin encore
dans l'Orient? Telles sont les questions dont on se préoccupa
alors; tel est aussi, excepté un petit nombre de critiques
uniquement attentifs à la forme, le sens qu'on a toujours
attaché depuis aux traditions kabbalistiques.il ne s'agit plus
d'une certaine méthode d'interprétation appliquée à l'Ecri-
ture sainte, ni de mystères tout à fait au-dessus de la rai-
son, que Dieu lui-même aurait révélés, soit à Moïse, soit
à Abraham, soit à Adam, mais d'une science purement
liumaine, d'un système représentant à lui seul toute la
métaphysique d'un ancien peuple, et par là même d'un
grand intérêt pour l'histoire de l'esprit humain. C'est le
point de vue philosophique, encore une fois, qui a pris la
place de l'allégorie^^t du mysticisme. Cet esprit ne se montre
pas seulement dans l'exposition de Bruckcr, où il est par-
faitement à sa place, mais il paraît dominer généralement.
Ainsi, en 1785, une société savante, la Société des antiquités
de Casscl, ouvrit un concours académique sur le sujet sui-
21 LA KABBALE.
vant : « La doctrine des kabbalistes, selon laquelle toutes
choses sont engendrées par émanation de ressence même
de Dieu, vient-elle, ou non, de la philosophie grecque? »
Malheureusement la réponse fut beaucoup moins sensée que
ne l'était la question. L'ouvrage qui remporta le prix, fort
peu connu et peu digne de l'être, ne répand aucune lumière
nouvelle sur la nature même de la kabbale; et, quant à l'ori-
gine de ce système, il se borne à reproduire les fables les
plus discréditées*. Il nous montre les idées kabbalistiques
dans les hymnes d'Orphée, dans la philosophie de Thaïes et
et de Pythagore; il les fait contemporaines des patriarches,
et nous les donne sans hésiter pour l'antique sagesse des
Chaldéens. On en sera moins surpris quand on saura que
l'auteur était de la secte des illuminés, qui, à l'exemple de
toutes les associations, de ce genre, faisait remonter ses
annales jusqu'au berceau même du genre humain*. Mais à
cette époque, ce qu'on appelle en Allemagne la théologie
rationnelle, c'est-à-dire cette manière tout à fait libre d'in-
terpréter l'Écriture sainte, dont Spinosa avait donné l'exem-
ple dans son Traité théologico-politique, faisait de la kabbale
un fréquent usage. Elle s'en servait, comme je l'ai déjà dit,
pour éclaircir divers passages des lettres de saint Paul, rela-
tifs à des hérésies contemporaines. Elle a aussi voulu y
trouver l'explication des premiers versets de l'Evangile de
saint Jean, et a cherché à la rendre utile, soit à l'étude du
gnoslicisme, soit à l'histoire ecclésiastique en général'. Dans
le même temps, Tiedmann et Tennemann viennent lui
donner, en quelque sorte, acte de possession de la place que
Brucker lui a consacrée le premier dans l'histoire de la
philosophie. Bientôt paraît l'école de Hegel, qui ne pouvait
i. De la Nature et de l'origine de la doctrine de l'émanation chez les
kabbalistes; Riga, 1786, in-8, en allemand.
2. Voyez Tholuck, de Ortu Cabbalœ; Uamb., 1857, p. 3.
5. Voyez Tholuck, ouvrage cilé, p. 4.
PRÉFACE. 25
manquer de tirer parti d'un système oii elle trouvait sous
une autre forme quelques-unes de ses propres doctrines.
Cependant une réaction ne tarda pas à s'opérer contre cette
école à jamais célèbre, et c'est évidemment sous l'influence
de ce sentiment que fut écrit l'ouvrage intitulé : Kabbalisme
et Panthéisme^ L'auteur de ce petit livre s'efforce de prouver
qu'il n'existe aucune ressemblance entre les deux systèmes
dont il entreprend le parallèle, et cela en dépit de l'évidence;
car il arrive souvent que les passages sur lesquels il s'appuie
sont diamétralement opposés aux conséquences qu'il en tire.
Du reste, très inférieur, pour l'érudition, à la plupart de
ses devanciers, malgré l'appareil pédantesque et le luxe de
citations dont il lui a plu de s'entourer, il ne se place au-
dessus d'eux, ni par la critique des sources, ni par l'appré-
ciation pbilosopbique des idées. Enfin, récemment, un
homme qui occupe h juste titre un rang éminent parmi les
théologiens et les orientalistes de l'Allemagne, M. Tholuck,
a voulu aussi apporter sur ce sujet le tribut de sa science
et de sa critique exercée. Mais, comme il ne s'est occupé que
d'un point particulier, c'est-à-dire de l'origine de la kab-
bale, et que d'ailleurs l'appréciation de ses opinions exige
une discussion approfondie, je me suis réservé d'en parler,
en temps plus opportun, dans le corps de ce travail. Il en
est de même pour tous les écrivains modernes dont les noms,
quoiqu'ils eussent mérité une place ici, n'ont pas encore
été prononcés.
Tels sont, en substance, les efforts qui ont été faits jus-
qu'aujourd'hui pour découvrir le sens et l'origine des livres
kabbalistiques. Je ne voudrais pas que, frappé seulement de
ce qu'ils ont d'incomplet, on en pût conclure que tout est à
recommencer. Je suis convaincu, au contraire, que les tra-
vaux et même les erreurs de tant d'esprits distingués ne
1. Kabbalismtis und Paniheismus, par M. Freys(adf. Kœnigsberg, 183Si, ia-8.
26 LA KABBALE.
peuvent pas être impunément ignorés de quiconque veut
étudier sérieusement la môme matière. Quand même, en
effet, on pourrait aborder sans aucun secours les monu-
ments originaux, il serait toujours nécessaire de connaître
à l'avance les interprétations très diverses qu'on leur a
données jusqu'à présent; car chacune d'elles correspond à
un point de vue assez fondé en lui-même, mais qui devient
faux lorsqu'on s'y arrête exclusivement. Ainsi, pour fournir
en même temps la preuve de ce que je viens de dire et le
résumé de tout ce qui précède, ceux-ci ne considérant dans
la kabbale que sa forme allégorique et son caractère tradi-
tionnel, l'ont accueillie avec un mystique enthousiasme,
comme une révélation anticipée des dogmes chrétiens; ceux-
là l'ont prise pour un art occulte, frappés qu'ils étaient des
chiffres étranges, des bizarres formules sous lesquelles elle
aime à cacher son intention réelle, et des rapports qu'elle
établit sans cesse entre l'homme et toutes les parties de
l'univers; d'autres, enfin, se sont emparés surtout de son
principe métaphysique, et ont voulu y trouver un antécé-
dent, tantôt honorable, tantôt honteux, de la philosophie de
leur temps. On conçoit qu'avec des études partielles et incom-
plètes, conduites par des préoccupations très diverses, on
ait pu trouver tout cela dans la kabbale, sans être précisé-
ment en contradiction avec les faits. Mais pour en avoir une
idée exacte et découvrir la place qu'elle tient réellement
parmi les œuvres de l'intelligence, il ne faut l'étudier ni
dans l'intérêt d'un système, ni dans celui d'une croyance
religieuse; on s'efforcera seulement, sans autre souci que
celui de la vérité, de fournir quelques éléments trop peu
connus encore à l'histoire générale de la pensée humaine.
C'est le but auquel j'ai voulu atteindre dans le travail qu'on
va lire, et pour lequel je n'ai épargné ni le temps ni les
recherches.
INTRODUCTION
Quoiqu'on trouve clans la kabbalo un système bien com-
plet sur les choses de l'ordre moral et spirituel, on ne peut
cependant la considérer ni comme une philosophie, ni
comme une religion : je veux dire qu'elle ne s'appuie, du
moins en apparence, ni sur la raison, ni sur l'inspiration ou
l'autorilé. Elle n'est pas non plus, comme la plupart des
systèmes du moyen âge, le fruit d'une alliance entre ces
deux puissances intellectuelles. Essentiellement différente
de la croyance religieuse, sous l'empire, et, l'on peut dire,
sous la prolection de laquelle elle a pris naissance, elle s'est
introduite dans les esprits comme par surprise, grâce à une
forme et à des procédés qui pourraient affaiblir l'intérêt
dont elle est digne, qui ne permettraient pas toujours d'être
convaincus de l'importance que nous nous croyons en droit
de lui attribuer, si, avant de la faire connaître dans ses
divers éléments, si, avant d'aborder aucune des questions
qui s'y rattachent, l'on n'a indiqué avec quelque précision la
place qu'elle occupe parmi les œuvres de la pensée, le rang
qu'elle doit tenir entre les croyances religieuses et les sys-
tèmes philosophiques, et, enfin, les besoins ou les lois qui
peuvent expliquer l'étrangeté de ses moyens de développe-
28 LA KABBALE.
ment. C'est aussi ce que nous allons tenter de faire aTcc
toute la brièveté possible.
C'est un fait attesté par l'histoire de l'humanité entière,
que les vérités de l'ordre moral, les connaissances que nous
pouvons acquérir sur notre nature, notre destination et le
principe de l'univers, ne sont pas d'abord accueillies sur la
foi de la raison et de la conscience, mais par l'effet d'une
puissance plus active sur l'esprit dos peuples, et qui a pour
attribut générai de nous présenter des idées sous une forme
presque matérielle, tantôt celle d'une parole descendue du
ciel dans des oreilles humaines, tantôt celle d'une personne
qui les développe en exemples et en actions. Celte puissance,
universellement connue sous le nom de Religion ou de Révé-
lation, a ses révolutions et ses lois; malgré l'unité qui règne
au fond de sa nature, elle change d'aspect avec les siècles et
les pays, comme la philosophie, la poésie et les arts. Mais,
en quelque lieu, en quelque temps qu'elle vienne à s'établir,
elle ne peut pas sur-le-champ dire à l'homme tout ce qu'il
a besoin do savoir, même dans la sphère des devoirs et des
croyances qu'elle lui impose, même quand il n'a pas d'autre
ambition que celle de la comprendre autant qu'il est néces-
saire pour lui obéir. En effet, il y a dans toute religion, et
des dogmes qui ont besoin d'être éclaircis, et des principes
dont il reste à développer les conséquences, et des lois sans
application possible, et des questions entièrement oubliées,
qui, cependant, touchent aux intérêts les plus importants de
l'humanité. Une grande activité de la pensée devient néces-
saire pour répondre à tous ces besoins, et c'est ainsi que
l'intelligence est excitée à user de ses propres forces, par le
désir même de croire et d'obéir. Mais cette impulsion est
loin de produire partout les mêmes résultats, et d'agir sur
tous les esprits de la même manière. Les uns, ne voulant
laisser aucune place à l'indépendance individuelle, poussant
à ses dernières conséquences le principe de l'autorité, ad-
INTRODUCTION. 29
mettent, à côté de la révélation écrite, où l'on ne trouve que
les dogmes, les principes elles lois générales, une révélation
orale, une tradition, ou bien un pouvoir permanent et
infaillible dans ses décisions, une sorte de tradition vivante
qui fournit les explications, les formules, les détails de la
vie religieuse, et produit par là môme, sinon dans la foi, du
moins dans le culte et dans les symboles, une imposante
unité. Tels sont à peu près, dans toutes les croyances, ceux
qu'on nomme les ortbodoxes. Les autres, pour remplir ces
lacunes et résoudre les problèmes que présente la parole
révélée, ne veulent se confier qu'à eux-mêmes, c'est-à-dire
à la puissance du raisonnement. Toute autre autorité que
celle des textes sacrés leur paraît une usurpation, ou, s'ils la
suivent, c'est parce qu'elle est d'accord avec leur sentiment
personnel. Mais peu à peu, plus bardies et plus développées,
les forces de leur intelligence, leurs facultés de raisonner et
de réfléchir, au lieu de s'exercer sur les dogmes religieux,
se portent sur eux-mêmes, et ils chercbent dans leur raison,
dans leur conscience, ou dans la conscience et dans la raison
de leurs semblables, en un mot, dans les œuvres de la
sagesse humaine, les croyances qu'autrefois ils se voyaient
obligés de faire matériellement descendre du ciel. C'est ainsi
que la théologie rationnelle fait bientôt place à la philo-
sophie. Enfin, il est encore dans cette sphère une troisième
classe de penseurs, ceux qui n'admettent pas la tradition, à
qui, du moins, la tradition ou l'autorité ne peut suffire, et
qui cependant ne peuvent ou n'osent employer le raisonne-
ment. D'un côté, ils ont l'âme trop élevée pour admettre la
parole révélée dans un sens matériel et historique, dans le
sens qui s'accorde avec la lettre et l'esprit du grand nombre;
de l'autre, ils ne peuvent croire que l'homme puisse entière-
ment se passer de révélation, que la vérité arrive jusqu'à lui
autrement que par l'effet d'un enseignement divin. De là
vient qu'ils n'aperçoivent dans la plupart des dogmes, des
SO Li KABBALE.
préceptes et des récits religieux, que des symboles et des
images, qu'ils cherchent partout une signification mysté-
rieuse, profonde, en rapport avec leurs sentiments et leurs
idées, mais qui, nécessairement conçue à l'avance, ne peut
être trouvée, ou plutôt introduite dans les textes sacrés, que
par des moyens plus ou moins arbitraires. C'est principale-
ment à celte méthode et à cette tendance que l'on reconnaît
les mystiques. Nous ne voulons pas dire que le mysticisme
ne se soit pas montré quelquefois sous une forme plus
hardie; à une époque oii les habitudes philosophiques ont
déjà pris de l'empire, il trouve, dans la conscience même,
cette action divine, cette révélation immédiate qu'il pro-
clame indispensable à l'homme; il la reconnaît, ou dans le
sentiment, ou dans certaines intuitions de la raison. C'est
ainsi, pour citer un exemple, qu'il a été conçu au quin-
zième siècle par Gerson'. Mais lorsqu'il faut encore aux
idées l'appui d'une sanction extérieure, il ne peut se pro-
duire que sous la forme d'une interprétation symbolique de
ce que les peuples appellent leurs Saintes Ecritures.
Ces trois directions de l'esprit, ces trois manières de con-
cevoir la révélation et de continuer son œuvre, se retrouvent
dans l'histoire de toutes les religions qui ont jeté quelques
racines dans l'âme humaine. Nous ne citerons que celles
qui existent le plus près de nous, que, par conséquent, nous
pouvons connaître avec le plus de certitude.
Au sein du christianisme, l'Eglise romaine représente, à
leur plus haut degré de splendeur, la tradition et l'autorité.
L'application du raisonnement aux matières de la foi, nous
la trouvons non seulement dans la plupart des communions
1. Consideraliones de theologia mijsticâ. On y trouvera, dès le commence-
ment, celte proposition : Qiiod si philosophia dicatiir omnis scienlia procedens
ex expeneniiis, mysiica theologia verè erit philosophia. Consid. 2^ Il va
même jusqu'à définir la nature de cette expérience : Expericntiis habilis ad
inirà, in cordibus animanan devotarum. Ib.
INTRODUCTION. 51
protestanies, chez les défenseurs de ce qu'on est convenu
d'appeler Vexégèse rationnelle, mais aussi chez les philoso-
phes scolastiques qui, les premiers, ont soumis les dogmes
religieux aux lois du syllogisme, et ont montré généralement
pour les paroles d'Aristote le même respect que pour celles
des apôtres. Qui ne voit, enfin, le mysticisme symbolique,
avec sa méthode arbitraire et son spiritualisme exagéré, dans
toutes les sectes gnostiqucs, dans Origène, dans Jacques
Boehme, et ceux qui ont marché sur leurs traces? Mais aucun
autre n'a porté ce système aussi loin, aucun ne l'a formulé
avec autant de franchise et de hardiesse qu'Origène, dont le
nom se présentera encore sous notre plume. Si nous portons
les yeux sur la religion de Mahomet, si, parmi tant de sectes
qu'elle a mises au jour, nous nous arrêtons à celles qui nous
présentent un caractère bien décidé, nous serons frappés
sur-le-champ du même spectacle. Les Sunnites et les Chiites,
dont la séparation est plutôt l'effet d'une rivalité de per-
sonnes que d'une profonde différence dans les opinions,
défendent également la cause de l'unité et de l'orthodoxie;
seulement les premiers, pouralteindreà leurbul, admettent,
avec le Koran, un recueil de traditions, la Sunnah, dont ils
tirent leur nom : les autres rejettent la tradition; mais ils
la remplacent par une autorité vivante, par une sorte de
révélation continue, puisque l'un des articles les plus essen-
tiels de leur croyance, c'est qu'après le Prophète, son apôtre
Aly et les imans de sa race sont les représentants de Dieu
sur la terre*. L'islamisme a eu aussi ses philosophes scolas-
tiques, connus sous le nom de lilotecallemin^y et un grand
nombre d'hérésies qui semblent avoir uni la doctrine de
Pelage à la méthode rationnelle du protestantisme moderne.
1. Voyez Maracci, Prodromus m réf. Alcor., lom. IV. — M. de Sacy, Exposé
de la religion des Driizes, inirod.
2. Ce nom a été converti par les rabbins en celui de d^"12TjD» V^^ signiûe
parleurs ou dialccliciens.
32 LA KABBALE.
Voici comment un célèbre orientaliste définit ces dernières .
« Toutes les sectes des motazales s'accordaient, en général,
« en ce qu'elles niaient en Dieu l'existence des attributs, et
« qu'elles s'altacliaient par-dessus tout à éviter tout ce qui
« semblait pouvoir nuire au dogme de l'unilé de Dieu ; en ce
« que, pour maintenir sa justice et éloigner de lui toute
« idée d'injustice, elles accordaient à l'homme la liberté sur
« ses propres actions, et ne voulaient pas que Dieu en fût
« l'auteur; enfin, en ce qu'elles enseignaient que toutes les
« connaissances nécessaires au salut sont du ressort de la
a raison; qu'on peut, avant la publication de la loi, et avant
« comme après la révélation, les acquérir par les seules
« lumières de la raison^ »
Les Karmates, dont l'existence remonte à l'an 264 de l'hé-
gire, ont embrassé le système des interprétations allégori-
ques et toutes les opinions qui font la base du mysticisme.
Si nous en croyons l'auteur que nous avons déjà cité, et qui
lui-môme ne fait que traduire les paroles d'un historien
arabe, « ils appelaient leur doctrine la science du sens inté-
cc rieur : elle consiste à allégoriser les préceptes de l'isla-
a misme, et à substituer à leur observation extérieure des
« choses qui ne sont fondées que sur leur imagination,
« comme aussi à allégoriser les versets de l'Âlcoran et à
« leur donner des interprétations forcées ». Il existe plus
d'un trait d'une intime ressemblance entre cette doctrine et
celle que nous avons pour but de faire connaître ^
Nous arrivons enfin au judaïsme, du sein duquel sont
1. M. de Sacy, Introduction à VExposé de la religion des Dr iizes, p. 57.
2. Je n'en citerai ici qu'un seul. Les Karmates soutenaient que le corps de
l'homme, quand il est debout, représente un elif, quand il est à genoux, un
lam, et lorsqu'il est prosterné, un hé; en sorte qu'il est comme un livre où on
lit le nom à' Allah. (M. de Sacy, Introduction à VExposé de la religion des
Druzes, p. 86 et 87.) Selon les kabbalistes, la tète d'un homme a la forme d'un
iod 1, ses deux bras, pendant de chaque côté de la poitrine, celle d'un hé ,-j,
6on buste celui d'un vau •], et enfin ses deux jambes, surmontées du bassin,
INTRODUCTION. 35
sorties, nourries de son àmc et de son suc, les deux
croyances rivales que nous avons déjà citées ; mais c'est à
dessein que nous lui avons réservé la dernière place, parce
qu'il nous conduira naturellement à notre sujet. Outi'e la
Bible, les juifs orthodoxes reconnaissent encore des traduc-
tions qui obtiennent de leur part le même respect que les
préceptes du Pentateuque. D'abord transmises de bouche en
bouche et dispersées de toutes parts, ensuite recueillies et
rédigées par Judas le Saint sous le nom de Mischna, puis
enfin prodigieusement augmentées et développées par les
auteurs du Thalmud, elles ne laissent plus aujourd'hui la
moindre part à la raison et à la liberté. Ce n'est pas qu'ei?
principe elles nient l'existence de ces deux forces morales
mais elles les frappent de paralysie en se mettant partout à
leur place; elles s'étendent à toutes les actions, depuis celles
qui expriment en effet le sentiment moral et religieux jus-
qu'aux plus viles fonctions de la vie animale. Elles ont tout
compté, tout réglé, tout pesé à l'avance. C'est un despo-
tisme de tous les jours et de tous les instants, contre lequel
on est inévitablement obligé de lutter par la ruse, lorsqu'on
ne veut pas s'en affranchir par la révolte, ou qu'on ne le peut
pas en lui substituant une autorité supérieui-e. Les karaïtes,
qu'il ne faut pas confondre avec les saducéens, dont l'exis-
tence ne s'est guère prolongée au delà de la ruine du second
temple*, les karaïles sont en quelque sorte les protestants du
judaïsme; ils rejettent en apparence la tradition et préten-
dent ne reconnaître que la Bible, je veux dire l'Ancien Testa-
ment, à l'explication duquel la raison leur paraît suffire. Mais
d'autres, qui, sans cesser d'être croyants, sans cesser d'ad-
mettre le principe delà révélation, ne forment cependant pas
une secte religieuse, ont réussi à faire à la raison une part
celle d'un autre hé; de sorte que tout son corps figure le nom trois fois saint
de Jehovah. Zoliar, 2° partie, fol. 42, r°, édit. Manloue.
1. Peler Béer, Uisloire des sectes religieuses du judaïsme, l" partie, p. 149
3
34 LA KABBALE.
bien plus grande et plus belle dans le domaine de la foi.
Ce sont ceux qui voulaient justifier les principaux articles
de leur croyance par les principes mêmes de la raison;
ceux qui voulaient concilier la législation de Moïse avec
la philosophie de leur temps, c'est-à-dire celle d'Aris-
tote, et qui ont fondé une science entièrement semblable,
dans ses moyens comme dans son but, à la scolastique
arabe et chrétienne. Le premier, et sans contredit le plus
hardi d'enire eux, est le célèbre rabbin Saadiah, qui, au
commencement du dixième siècle, se trouvait à la tête de
l'Académie de Sera en Perse, et dont le nom est cité avec res-
pect par les auteurs musulmans aussi bien que par ses coreli-
gionnaires *. Après lui sont venus Bahya, auteur arabe d'un
excellent traité de morale^ et de théologie, et Moïse Maïmo-
nides, dont l'immense réputation a fait tort à une foule
d'autres qui, après lui, ont défendu la même cause. Ceux
d'entre les juifs qui ne voyaient dans la loi qu'une grossière
écorce sous laquelle est caché un sons mystérieux beaucouo
1. Le commentaire qu'il a composé en arabe, sur le Seplier ietziraJt, l'un
des monumenis les plus anciens de la kabbale, est dans un sens fout à fait
philosophique, et c'est à tort qu'il est compté, par Reuchlin et d'autres histo-
riens de la kabbale, parmi les défenseurs de ce système. Son livre des
Croyances et des opinions, niî?7m m-CNH? ti^^duit de l'arabe en hébreu par
rabbi Jehoudah Ibn-Tibbon, a très probablement servi de modèle au fameux
ouvrage de Maïmonides, intitulé : le Guide des esprits égarés, □")j"i23 mi/Z*
Dès les premières lignes de la préface, Saadiah se place franchement entre
deux partis opposés: « Ceux, dit-il, qui, par suite de recherches incomplètes et
de méditations mal dirigées, sont tombés dans un abîme de doutes, et les
hommes qui regardent l'usage de la raison comme dangereux pour la foi. » Il
admet quatre sortes de connaissances : 1° celles des sons; 2° celles de l'esprit
ou de la conscience, comme lorsque nous disons que le mensonge est un vice
et la véracité une vertu; 5° celles que nous fournissent l'induction et le raison-
nement, comme lorsque nous admettons l'existence de l'àine, à cause de ses
opérations; A" la tradition authentique, riICX^n m^nri' î"' doit remplacer la
science pour ceux qui ne sont pas en état d'exercer leur intelligence.
2. L'ouvrage a pour titre : rT'.SlS mi'^n' ^<^* Devoirs des cœurs, et l'auteur
vivait en l'an du monde 4291, du Christ llGl.
INTRODUCTION. 55
plus élevé que le sens historique et littéral, se divisent en
deux classes dont la distinction est d'une grande impor-
tance pour le but où nous tendons. Pour les uns, le sens
intérieur et spirituel des Ecritures était un système de phi-
losophie, assez favorable, il est vrai, à l'exaltation mystique,
mais tiré d'une source tout à fait étrangère; c'était, en un
mot, la doctrine de Platon un peu exagérée, comme elle l'a
été plus tard dans l'école de Plotin, et mêlée à des idées
d'une origine orientale. Ce caractère est celui de Philon et
de tous ceux qu'on a coutume d'appeler juifs hellénisants,
parce que, mêlés aux grecs d'Alexandrie, ils empruntèrent à
ces derniers leur langue, leur civilisation et celui de leurs
systèmes philosophiques qui pouvait le mieux se concilier
avec le monothéisme et la législation religieuse de Moïse ^
Les autres n'ont obéi qu'à l'impulsion de leur intelligence;
les idées qu'ils ont introduites dans les livres saints, pour se
donner ensuite l'apparence de les y avoir trouvées et les faire
passer, même dans l'ombre du mystère, sous la sauvegarde
de la révélation, ces idées leur appartiennent entièrement
et forment un système vraiment original, vraiment grand,
qui ne ressemble à d'autres systèmes, ou philosophiques
ou religieux, que parce qu'il dérive de la même source, qu'il
a été provoqué par les mômes causes, qu'il répond aux
mêmes besoins; en un mot, par les lois générales de l'es-,
prit humain. Tels sont les kabbalistes", dont les opinions,
1. C'est à eux que l'on fait allusion dans ce passage d'Eusèbe : Tô 7:av
'Iouûa;'o)v 's'Ovo; th Sûo T{JLrJ[i,aTa 3'.rjpr,Tat. Ka\ tïjv [xàv 7:Xt)0Ùv ■zaXq twv vouojv
XKTa -rjv orj-:r)v 8'.avo;'av T:ct.^r^'^^c.l[iv^a.ii uzoOr//.aiç xnzr^-^f tb 8' ?T£pov Twv ev
?çE'. TdtY;j.a, xaÛTr); [aIv i^ats'., OsiOTïpit 03 v^ixcù Tol^r.olXoU ijrxvaoîêri/.sia çiÀo-
CTO'jia -poif/S'.v r);to'j Oî'iipia ts tôjv îv toî"; vo'[jioi; xaià 0'.avo;av a/;aatvoaî'vwv.
^Eusèbe, liv. VIII, chap. x.) Ces paroles sont dans la bouche d'Arislobule, qui
ne pouvait pas connaître les kabbalistes.
2. Quoique nous trouvions l'occasion, plus lard, de parler assez longuement
de Pliilon, il faut qu'on sache dès à présent lo distinguer des kabbalistes, avec
lesquels plusieurs historiens l'ont confondu. D'abord, il est à peu près certain
Sf^i LA KABBALE.
pour être connues et justement appréciées, ont besoin d'être
puisées aux sources originales; car, plus tard, les esprits
cultivés ont cru leur faire honneur en les mêlant aux idées
grecques et arabes. Ceux qui, par superstition, demeurèrent
étrangers à la civilisation de leur temps, abandonnèrent peu
à peu les hautes spéculations dont elles furent le résultat,
pour ne conserver que les moyens assez grossiers qui ser-
virent dans l'origine à en déguiser la hardiesse et la pro-
fondeur.
Nous chercherons à savoir d'abord vers quel temps nous
trouvons la kabbale toute formée, dans quels livres elle nous
a été conservée, comment ces livres ont été formés et trans-
mis jusqu'à nous; enfin, quel fond nous pouvons faire sur
leur authenticité.
Nous essayerons ensuite d'en donner une exposition com-
plète et fidèle, à laquelle nous ferons contribuer autant que
possible les auteurs mêmes de cette doctrine ; nous nous
retrancherons le plus souvent derrière leurs propres paroles,
que nous ferons passer de leur langue dans la nôtre, avec
autant d'exactitude que nos faibles moyens le permet-
tront.
Nous nous occuperons en dernier lieu de l'origine et de
l'influence de la kabbale. Nous nous demanderons si elle est
née dans la Palestine, sous la seule influence du judaïsme,
que Philon ignorait l'hébreu, dont La connaissance, comme nous le verrons
bienlôt, est évidemment indispensable à la méthode kabbalislique. Ensuite,
Philon et les kabbalistes ne diffèrent pas moins par le fond de leurs idées.
Ceux-ci n'admettaient qu'un seul principe, cause immanente de toutes choses;
le philosophe alexandrin en reconnaissait deux, l'un actif et l'autre passif. Les
attributs du Dieu de Philon sont les idées de Platon, qui ne ressemblent en rien
aux Sephiroth de la kabbale. "EiTtv iv -ot"; o-Jaiv, tô \xv) siva- ooaairjptov «t'itov,
To ûà -aÔ^iTcv za^ on ~b [i.lv S^n.o'r^o-.w o tûv oâojv voj; estiv eJX'.xftvfaTaTo?
xpEiTTOjvTc ?j àocTT) -/.x'i xpetXTOjv ?j i-'.TTrJaT] •/.a'i x.psf-Tuv ï] auTÔ to àyaGôv y.a\
oÙtÔ tÔ zaÀov tÔ oÏ -aOr^Tov à'ijyo'i /.at «/.•'vr;-:ov Iç iauroS, -/.'.vr^Ûiv ciè, CT/ri[j.a-
tiaO:v zx'e ■Is/iiMi j-b toj voîj, etc. Phil., de Muud. opific.
INTRODUCTION. 37
OU si les Juifs l'ont empruntée, soit à une religion, soit à
une philosophie étrangère. Nous la comparerons successive-
ment à tous les systèmes antérieurs et contemporains qui
nous présenleront quelque ressemblance avec elle, et nous la
suivrons, enfin, jusque dans ses plus récentes destinées.
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE I
ANTIQUITÉ DE LA KABBALE
Les partisans enthousiastes de la kabbale la font des-
cendre du ciel, apportée par des anges, pour enseigner au
premier homme, après sa désobéissance, les moyens de
reconquérir sa noblesse et sa félicité premières*. D'autres
ont imaginé que le législateur des Hébreux, après l'avoir
reçue de Dieu lui-même, pendant les quarante jours qu'il
passa sur le mont Sinaï, la transmit aux soixante et dix
vieillards avec lesquels il partagea les dons de l'esprit saint,
et qu'à leur tour ceux-ci la firent passer de bouche en
bouche jusqu'au temps où Ksdras reçut l'ordre de l'écrire
en même temps que la loi^ Mais on aura beau parcourir
avec la plus scrupuleuse attention tous les livres de l'Ancien
Testament, on n'y trouvera pas un seul mot qui fasse allu-
sion à un enseignement secret, à une doctrine pkis profonde
et plus pure, réservée seulement à un petit nombre d'élus.
1. Voyez Reuchlin, de Arle cahalislic, fol. 9 et 10, éd. de Uagucnau.
2. Pic de la Mirandole, .\polo(j., p. 116 et seq., tome I" de ses Œuvres.
40 LA KADBALE ,
Depuis son origine jusqu'à son retour de la captivité de
Babylone, le peuple hébreu, comme toutes les nations dans
leur jeunesse, ne connaît pas d'autres organes de la vérité,
d'autres ministres de l'intelligence, que le prophète, le prêtre
et le poète ; encore celui-ci , malgré la différence qui les sépare,
est-il ordinairement confondu avec le premier. Le prêtre
n'enseignait pas ; il ne s'adressait qu'aux yeux par la pompe
des cérémonies religieuses; et quant aux docteurs, ceux qui
enseignent la religion sous la forme d'une science, qui
substituent le ton dogmatique au langage de l'inspiration,
en un mot, les théologiens, leur nom, pendant la durée de
cette période, n'est pas plus connu que leur existence. Nous
ne les voyons paraître qu'au commencement du troisième
siècle avant l'ère chrétienne, sous le nom général de Than-
naïm, qui signifie les organes de la tradition, parce que
c'est au nom de cette nouvelle puissance qu'on enseignait
alors tout ce qui n'est pas clairement exprimé dans les
Ecritui^es. Les thannaïm, les plus anciens et les plus res-
pectés de tous les docteurs en Israël, forment comme une
longue chaîne dont le dernier anneau est Judas le Saint,
auteur de la Mischna, celui qui a recueilli et transmis à la
postérité toutes les paroles de ses prédécesseurs. On compte
parmi eux les auteurs présumés des plus anciens monu-
ments de la kabbale, c'est-cà-dire Akiba et Simon ben Jochaï
avec son fils et ses amis. Immédiatement après la mort de
Judas, vers la fin du deuxième siècle après la naissance du
Christ, commence une nouvelle génération de docteurs, qui
portent le nom à'Âmoraïm (dixiicn), parce qu'ils ne font
plus autorité par eux-mêmes, mais ils répètent, en l'expli-
quant, tout ce qu'ils ont entendu des premiers; ils font
connaître toutes celles de leurs paroles qui n'ont pas encore
été rédigées. Ces conimentaiies et ces traditions nouvelles,
qui n'ont pas cessé de se multiplier prodigieusement pen-
dant plus de trois cents ans. furent enfin réunis sous le nom
ANTIQUITÉ DE LA KABBALE. 41
(le Gncmara, nidj, c'est-à-dire la tradition. C'est par con-
séquent dans ces deux recueils, religieusement conservés
depuis leur formation jusqu'à nos jours, et réunis sous le
nom général de Thalmud*, que nous devons chercher
d'ahord, non pas sans doute les idées mêmes qui font la
base du système kabbalistique, mais quelques données sur
leur origine et l'époque de leur naissance.
On trouve dans la Mischna^ ce passage remarquable :
« Il est défendu d'expliquer à deux; personnes la Genèse;
« même à une seule, la Mercaba ou le char céleste; à moins
« qu'il ne soit un homme sage et qui comprend par lui-
« même. »
ax N^s' vn^i n^DiDa ahi n^nua n'u;Ni3 r^'cv^^i nS ^iy?Tn 'j'X
LeThalmud rapporte ('Hagiiiga,\'ôa) unebereila (mischna
qui n'est pas entrée dans le recueil deR. Judas), où R. Hiya
ajoute : « Mais on peut lui transmettre les premiers mots
des chapitres ».
Un rabbin duThalmud, RabbiZéra(i7;i(i), se monirc encore
plus sévère, car il ajoute que même les sommaires des cha-
pitres ne doivent être divulgués qu'à des hommes revêtus
d'une haute dignité, et connus pour leur extrême prudence,
ou, pour traduire littéralement l'expression originale, « qui
portent en eux un cœur plein d'inquiétude »,
mp3 axTT "aSu; 'dSdSi "(n nu axS nVn y-piD 'uni incia ^^n
Evidemment, il ne peut être ici question du texte de la
Genèse ni de celui d'Ezéchiel, où le prophète raconte la
vision qu'il eut sur les bords du fleuve Chébar. L'Ecriture
tout entière était, pour ainsi dire, dans la bouche de tout
le monde; de temps immémorial, les observateurs les plus
scrupuleux de toutes les traditions se font un devoir de la
i. TiaSn» c'esl-à-(lire l'élude ou la science par excellence.
2. Truite (le 'Harjuirja.
42 LA KABBALE.
parcourir dans leurs temples au moins une fois dans une
année. Moïse lui-même ne cesse de recommander l'étude de
la loi, par laquelle on entend universellement le Penta-
teuque. Esdras, après le retour de la captivité de Babylone,
la lut à haute voix devant tout le peuple assemblé ^ Il est
également impossible que les paroles que nous venons de
citer expriment la défense de donner au récit de la création
et à la vision d'Ezéchiel une explication quelconque, de
chercher à les comprendre soi-même et de les faire com-
prendre aux autres; il s'agit d'une interprétation ou plutôt
d'une doctrine connue, mais enseignée avec mystère ; d'une
science non moins arrêtée dans sa forme que dans ses prin-
cipes, puisqu'on sait comment elle se divise, puisqu'on
nous la montre partagée en plusieurs chapitres, dont chacun
est précédé d'un sommaire. Or, il faut remarquer que la
vision d'Ezéchiel ne nous offre rien de semblable; elle rem-
plit, non pas plusieurs chapitres, mais un seul, précisément
celui qui vient le premier dans les œuvres attribuées à ce
prophèle. Nous voyons de plus que cette doctrine secrète
comprenait deux parties auxquelles on n'accorde pas la
même importance : car l'une peut être enseignée à deux
personnes; l'autre ne peut jamais être divulguée tout
entière, même à une seule, quand elle devrait satisfaire aux
sévères conditions qu'on lui impose. Si nous en croyons
Maïmonides, qui, étranger à la kabbale, n'en pouvait cepen-
dant pas nier l'existence, la première moitié, celle qui a
pour titre : Histoire de la Genèse ou de la création (nurrn
nt^i^N'in), enseignait la science de la nature; la seconde, qu'on
appelle Y Histoire du Char (niDin nu:;a), renfermait un
traité de théologie ^ Cette opinion a été adoptée par tous les
kabbalistcs.
1. Esdrus, II, 8.
2. Morch Nebouchim, préf. '■jz'Cn r\)2Zl N'in rT^w'X"',! nw"0
A^'TIQUITÉ DE LA KABBALE. 45
Voici un aulre passage, où le même fait nous apparaît
d'une manière non moins évidente: «Rabbi Jochanan dit un
« jour à rabbi Eliezer: Viens, que je t'enseigne l'histoire de
« la Mercaba. Alors ce dernier repondit : Je ne suis pas
« encore assez vieux pour cela. Quand il fut devenu vieux,
« rabbi Jochanan mourut, et quelque temps après rabbi Assi
« étant venu lui dire à son tour : Viens, que je t'enseigne
<c l'histoire de la Mercaba, il répliqua : Si je m'en étais cru
« digne, je l'aurais déjà apprise de rabbi Jochanan, ton
« maître'. » On voit, par ces mots, que, pour être initié à
cette science mystérieuse et sainte de la Mercaba, il ne suffi-
sait pas de se distinguer par l'intelligence et par une émi-
ncnte position, il fallait encore avoir atteint un âge assez
avancé; et môme, lorsqu'on remplissait cette condition éga-
lement observée par les kabbalistes modernes % on ne se
croyait pas toujours assez sûr, ou de son intelligence, ou
de sa force morale, pour accepter le poids de ces secrets
redoutés, qui n'étaient pas absolument sans péril pour la foi
positive, pour l'observance matérielle de la loi religieuse.
En voici un curieux exemple rapporté par le Thalmud lui-
même, dans un langage allégorique dont il nous donne
ensuite l'explication.
« D'après ce que nos maîtres nous ont enseigné, il y en
« a quatre qui sont entrés dans le jardin de délices, et voici
« leurs noms : ben Azaï, ben Zoma, Acher et rabbi Akiba.
« Ben Azaï reg;u-da d'un œil curieux et perdit la vie. On
« peut lui appliquer ce verset de l'Ecriture : C'est une chose
« précieuse devant les yeux du Seigneur, que la mort de
« ses saints'. Ben Zoma regarda aussi, mais il perdit la
« raison, et son sort justifie cette parole du sage : Avez-
i. Thiilinud, 'Haguiga, 12 a.
2. Ils ne permctlent pas, avant l'âge de quarante ans, la lecture du Zoliar et
<lcs autres livres kabbalistiques.
3. Psaumes, CXVI, 15.
44 LA KABBALE.
« VOUS trouvé du miel? mangcz-cn ce qui vous suffit, de
« peur qu'en ayant pris avec excès, vous ne le rejcliez^
« Acher lit des ravages dans les plantations. Enfin Akiba
ce sortit en paix^ » Il n'est guère possible de prendre ce
texte à la lettre, et de supposer qu'il s'agit ici d'une vision
matérielle des splendeurs d'une autre vie : car, d'abord, il
est sans exemple que le Thalmud, en parlant du Paradis,
emploie le terme tout à fait mystique dont il fait usage dans
ces lignes". Ensuite, comment admettre qu'après avoir con-
templé de son vivant les puissances qui attendent dans le
ciel les élus, on en perde la foi ou la raison, comme il
arrive à deux personnages de cette légende? Il faut donc
reconnaître, avec les autorités les plus respectées de la syna-
gogue, que le jardin de délices, où sont entrés les quatre
docteurs, n'est pas autre chose que celte science mystérieuse
dont nous avons parlé ^; science terrible pour les faibles
intelligences, puisqu'elle peut les conduire, ou à la folie,
ou aux égarements plus funestes encore de l'impiété. C'est
ce dernier résultat que la Guémara veut désigner, quand
elle dit, en parlant d'Acher, quilfitdes ravages dans les plan-
taiiom. Elle nous raconte que ce personnage, assez célèbre
dans les récits thalmudiques, avait été d'abord un des plus
savants docteurs en Israël ; son véritable nom était Elisée ben
Abouïa, auquel on substitua celui d'Acher, pour marquer le
changement qui s'opéra en lui^ En eTtéF, en quittant le jardin
1. ProîJ., XXV, 16.
2. Traité de 'Haguiga, 14 t.
5. Le paradis est toujours appelé ny 7J ('^ Jardin d'Éden), ou le monde h
venir, j^q,-; nSllT, tandis qu'ici on se sert du mot OTIS (Parfî^s), que les
kabbalisles modernes ont également consacré à leur science.
4. « In hàc Gemarà neque Paradisus neque vujrcdi illuin ad liltcram expo-
nendum est, sed poliùs de sublili et cœlcsti cognilione, secundùm quam
magislri arcanum opus currùs intellexerunt, Deum, ejusque majestalem scru-
tando invenire cupiverunt. » (lloltinger, Diseurs. Gemaricus, p. 97.)
5. Le mot Acher (-inx) signifie hlléralement un autre, un autre homme.
ANTIQUITÉ DE LA KABBALE. 45
allégorique où une fatale curiosité l'avait conduit, il devint
un impie déclaré; il s'abandonna, dit le texte, à la géné-
ration du mal, il manqua aux mœurs, il trahit la foi, il
vécut dans le scandale, et quelques-uns même vont jusqu'à
l'accuser du meurtre d'un enfant. En quoi donc consistait
sa première erreur? Oii l'ont conduit ses recherches sur les
secrets les plus importants de la religion? Le Thalmud de
Jérusalem dit positivement qu'il reconnut deux principes
suprêmes* ; et le Thalmud de Babylone, d'après lequel nous
avons rapporté tout le récit, nous donne à entendre la même
chose. Il nous apprend qu'en voyant dans le ciel la puis-
sance de Métatrône, de l'ange qui vient immédiatement
après Dieu% Acher se prit à dire: « Peut-être, si cela était
« permis, faudrait-il admettre deux puissances^ ». Nous
ne voudrions pas nous arrêter trop longtemps à ce fait,
quand nous devons en citer d'autres beaucoup plus signi-
ficatifs; cependant, nous ne pouvons nous empêcher de faire
la remarque que l'ange, ou plutôt l'hypostase appelée Méta-
trône, joue un très grand rôle dans le système kabbalis-
tique. C'est lui qui, à proprement parler, a le gouverne-
ment de ce monde visible; il règne sur toutes les sphères
suspendues dans l'espace, sur toutes les planètes et les corps
célestes, comme sur les anges qui les conduisent; car, au-
dessus de lui, il n'y a plus rien que les formes intelligibles
de l'essence divine et des esprits si purs, qu'ils ne peuvent
exercer sur les choses matérielles aucune action immédiate.
Aussi a-t-on trouvé que son nom, en re\pli({uant par les
1- riTTin inur )rw au?nur-
2. TlTC'CD vient prohahleinent des deux mots grecs [j.izà. Oo6vov. En effet,
d'après les kabhidistes, l'ange qui porte ce nom préside au monde ielzirah ou
le monde des sphères, qui vient immédiatement après le monde des purs
esprits, le monde Beriah, qu'on appelle le Trône de gloire {1133,1 NDD)) '^^
simplement le Trône (x"'''D"nD)'
4G LA KABBALE.
nombres (Nnrcu) est tout à fait synonyme de tout-puissant^.
Sans doute la kabbale, comme nous le prouverons bientôt,
est beaucoup plus éloignée du dualisme que de ce qu'on
appelle aujourd'hui, dans un pays voisin, la doctrine de
l'identité absolue; mais la manière allégorique dont elle
sépare l'essence intelligible de Dieu et la puissance ordon-
natrice du monde, n'est-elle pas propre à nous expliquer
l'erreur signalée par la Guemara ?
Une dernière citation tirée de la même source, et accom-
pagnée des réflexions de Maimonides, achèvera, je l'espère, la
démonstration de ce point capilal, qu'une sorte de philoso-
phie, de métaphysique religieuse , s'enseignait pour ainsi
dire à l'oreille parmi quelques-uns des thannaïm ou des plus
anciens théologiens du judaïsme. Le Thalmud nous apprend
que l'on connaissait autrefois trois noms pour exprimer
l'idée de Dieu, à savoir le fameux tétragramme ou nom de
quatre lettres, puis deux autres noms étrangers à la Bible,
dont l'un se composait de douze, l'autre de quarante-deux
lettres. Le premier, quoique interdit au grand nombre,
circulait assez librement dans l'intérieur de l'école. « Les
« sages, dit le texte, l'enseignaient une fois par semaine à
c( leurs fils et à leurs disciples ^ « Le nom de douze lettres
était, dans l'origine, plus répandu encore. «On l'enseignait
« à tout le monde. Mais quand le nombre des impies se
« multiplia, il ne fut plus confié qu'aux plus discrets d'entre
« les prêtres, et ceux-là le faisaient réciter à voixbasse à leurs
« frères pendant la bénédiction du peuple^ » Enfin, le nom
de quarante-deux lettres était regardé comme le plus saint
i. Le nom de Mélalrône {'iiyCiZ'd) exprime, comme le mot schadai (i-U,*)f
que l'on traduit p.'sr tout-puissant, le nombre 514,
3. Thalm. Babyl Tract. Derachoih et Maim. Moreh Ncbouchim, 1'° partie,
ch, LXII.
ANTIQUITÉ DE LA KABBALE. 47
des mystères*. « On ne l'enseignait qu'à un homme d'une
« discrétion reconnue, d'un âge mûr, inaccessible à la co-
« Icre et à l'intempérance, étranger à la vanité, et plein de
« douceur dans ses rapports avec ses semblables*. » « Oui-
« conque, ajoute le Tlialmud, a été instruit de ce secret et
« le garde avec vigilance dans un cœur pur, peut compter
« sur l'amour de Dieu et sur la faveur des hommes; son
« nom inspire le respect, sa science ne craint pas l'oubli, et
« il se trouve l'héritier de deux mondes, celui où nous
«vivons maintenant, et le monde à venir". » Maïmonides
observe, avec beaucoup de sens, qu'il n'existe dans aucune
langue un nom composé de quarante-deux lettres; que cela
est surtout impossible en hébreu, où les voyelles ne font
pas partie de l'alphabet. Il se croit donc autorisé à conclure
que ces quarante-deux lettres se partageaient entre plu-
sieurs mots dont chacun exprimait une idée nécessaire ou
un attribut fondamental de l'Etre, et que, tous réunis, ils
formaient la vraie définition de l'essence divine *. Lorsqu'on
dit ensuite, continue le même auteur, que le nom dont on
vient de parler était l'objet d'une étude, d'un enseignement
réservé seulement aux plus sages, on veut nous apprendre
sans doute qu'à la définition de l'essence divine se joignaient
des éclaircissements nécessaires, ou certains développements
sur la nature même de Dieu et des choses en général. Cela
n'est pas moins évident pour le nom de quatre lettres ; car,
comment supposer qu'un mol si fréquent dans la Bible, iet
dont la Bible elle-même nous donne celte définition su-
bhme : Cfjo mm qui suin, ait été tenu pour un secret que les
^ • 'wTp^", u;i-p nViTx cnn n'ovula p cr- ii>- supr.
2. i:\si D"i2 "irNi rîzi "'^-2 -!2";i i"\:tc ^■)2h aha ^tn d^did vnt
ib. siiijr. nin2n d:; nnis insn rnna by Taya ij\si ijnwî2
3. Ib. siipr,
4. MaïmoniJos, Moreh Nebouchim, ib. supr. cnn mScntl? p£D TNI
■<:;n"' idï"; "^iri' rn*2NS 1211:"' cnn D^:"':*;n nn:n2 c':-::* Sy nm?3
48 LA KADBALE,
sages, une fois par semaine, disaient à l'oreille de quelques
disciples choisis? Ce que le Thalmud appelle la connais-
sance des noms de Dieu, n'est donc autre chose, dit Maïmo-
nides en terminant, qu'une bonne partie de la science de
Dieu ou de la métaphysique (nin^N .1523" nïp) ; et c'est pour
cela qu'on la dit à l'épreuve de l'oubli; car l'oubli n'est pas
possible pour les idées qui ont leur siège dans Vintelligence
active, c'est-à-dire dans la raison ' . Il serait diflicile de ne
pas se rendre à ces réflexions, que la science profonde,
que l'autorité généralement i-econnue du thalmudiste* ne
recommande pas moins que le bon sens du libre penseur.
Nous y ajouterons une seule observation, d'une importance
sans doute fort contestable aux yeux de la saine raison, mais
qui n'est pourtant pas sans valeur dans l'ordre d'idées sur
lequel portent ces recherches, et que nous sommes obligés
d'accepter comme un fait historique : en comptant toutes
les lettres dont se composent les noms hébreux, les noms
sacramentels des dix séphiroth de la kabbale, et en ajou-
tant au nom de la dernière la particule finale, comme
cela se pratique dans toutes les énumérations et dans
toutes les langues, on obtient exactement le nombre qua-
rante-deux'. iN'est-il donc pas permis de penser que c'est le
nom trois fois saint que l'on ne confiait qu'en tremblant à
l'élite môme des sages? Nous y trouverions la pleine justifica-
tion de toutes les remarques faites par Maïmonides. D'abord
ces quarante-deux lettres forment, en effet, non pas un nom,
1. ib. loc. cit. j^i^rc) D^rhan nir^ni D^iiin^zn nnEDi nxnnn -qdt
h'J^zr^ S-rn n:;rn Si ^nzwh iu;2\s' \s nronn
2. Maïmonides n'est pas seulement l'auteur de l'ouvrage philosophique
appelé 3Ioreh Neboiichim, il a aussi composé, sous le titre de Main forte
(np'n T)y i-'" gi'aiid ouvrage thalmudique qui est encore aujourd'hui le
manuel obligé des rabbins.
3. Voici ces noms et les chiffres qui indiquent le nombre de leurs
6633SSD 3
lettres : tiD^i n'ùS)2 Tin nï: n'iNsn n^nsa nbna nra n^zzn idd
ANTIQUITE DE LA KADBALE. 49
comme on l'entend vulgairement, mais plusieurs mots.
De plus, chacun de ces mots exprime, au moins dans l'opi-
nion des kabbalistes , un attribut essentiel de la nature
divine, ou, ce qui est pour eux la même chose, une des
formes nécessaires de l'Etre proprement dit. Enfin , tous
représentent, selon la science kabbalistique, selon le Zohar
et tous ses commentateurs, la définition la plus exacte que
notre intelligence puisse concevoir du principe suprême de
toutes choses. Cette manière de concevoir Dieu étant séparée
par un abîme des croyances vulgaires, on comprendrait très
bien toutes les précautions prises pour ne pas la laisser sor-
tir du cercle des initiés. Cependant, nous n'insisterons pas
sur ce point, dont nous sommes loin, encore une fois, de
nous exagérer l'importance ; il nous suffit, pour le moment,
d'avoir montré jusqu'à l'évidence le fait général qui ressort
de toutes ces citations.
Il existait donc, à l'époque où la Mischna fut rédigée, une
doctrine secrète sur la création et sur la nature divine. On
s'accordait sur la manière dont cette doctrine devait être
divisée, et son nom excitait chez ceux-là mômes qui ne pou-
vaient la connaître une sorte de terreur religieuse. Mais de-
puis quand existait-elle? Et si nous ne pouvons pas déter-
miner avec précision le temps de sa naissance, quel est du
moins celui où commencent seulement les ténèbres qui
enveloppent son origine? C'est à cette question que nous
allons maintenant essayer de répondre. De l'avis des histo-
riens les plus dignes de notre confiance, la rédaction de la
Mischna fut terminée au plus tard en l'an 5949 de la créa-
tion, et 189 de la naissance du Christ*. Or, il faut nous
rappeler que Judas le Saint n'a fait que recueillir les pré-
ceptes et les traditions qui lui furent transmis par les liian-
naïm ses prédécesseurs; par conséquent, les paroles que
1. Voyez Schalschelelh Jiakabalah, ou la Chaîne de la Iradilion, par R. Guc-
dalia, fui. 25, vers., et David Ganz, Tzemach David, fol. 25, rect.
4
50 LA KABBALE.
nous avons citées les premières, celles qui défendent de
livrer imprudemment les secrets de la création et de la
Mercaba, sont plus anciennes que le livre qui les renferme.
Nous ne savons pas, il est vrai, qui est l'auteur de ces pa-
roles ; mais cela môme est une preuve de plus en faveur de
leur antiquité; car si elles n'exprimaient que l'opinion d'un
seul, elles ne seraient pas revêtues d'une autorité suffisante
pour faire loi, et, comme on le fait toujours en pareille cir-
constance, on nommerait celui qui doit en être responsable.
En outre, la doctrine elle-même est nécessairement anté-
rieure à la loi qui interdit de la divulguer. Il fallait qu'elle
fût connue, qu'elle eût acquis déjà une certaine autorité,
avant qu'on aperçût le danger de la répandre, je ne dirai
pas dans le peuple, mais parmi les docteurs et les maîtres
en Israël. Nous pouvons donc, sans crainte d'être trop témé-
raire, la faire remonter au moins jusqu'à la fin du premier siè-
cle de l'ère chrétienne. C'est précisément le temps où vivaient
Akiba et Simon ben Jochaï, à qui les kabbalistes attribuent la
composition de leurs livres les plus importants et les plus cé-
lèbres. C'est aussi dans cette génération qu'il faut comprendre
rabbiJossé deSepphorisjmsïT ^dii i, queVIdra Raba, l'un
des plus anciens et des plus remarquables fragments du
Zohar, compte au nombre des amis intimes, des plus fer-
vents disciples de Simon ben Jochaï. C'est évidemment celui
à qui le traité thalmudique, dont nous avons fait la plupart
de nos citations, attribue la connaissance de la sainte Mer-
caba '. Au nombre des autorités qui témoignent de l'anti-
quité, sinon des livres, du moins des idées kabbalistiques,
nous n'hésitons pas à placer la traduction chaldaïque des
Ciwi livres de Moïse, qui porte le nom d'Onkelos.
Tel est le respect inspiré tout d'abord par cette traduc-
lion fameuse, qu'elle parut une révélation divine. On sup-
ANTIQUITÉ DE Li KABBALE. '51
pose, dans le Thalmud de Babylone *, que Moïse la reçut sur
le mont Sinaï en môme temps que la loi écrite et la loi
orale; qu'elle arriva par tradition jusqu'au temps des than-
naïm, et qu'Onkelos eut seulement la gloire de l'écrire. Un
grand nombre de théologiens modernes ont cru y trouver
les bases du christianisme; ils ont prétendu surtout recon-
naître le nom de la seconde personne divine dans le mot
Mêimra, »xin^a, qui signifie en effet la parole ou la pensée,
et que l'auteur a partout substitué au nom de Jéhovah ^ Ce
qu'il y a de certain, c'est qu'il règne dans ce livre un esprit
tout opposé à celui de la Mischna, à celui du Thalmud, à
celui du judaïsme vulgaire, à celui du Penlateuque lui-
même; en un mot, les traces de mysticisme n'y sont pas
rares. Partout où cela est possible et d'une certaine impor-
tance, une idée est mise à la place d'un fait et d'une image,
le sens littéral est sacrifié au sens spirituel, et l'anthropo-
morphisme détruit pour laisser voir dans leur nudité les
attributs divins.
Dans un temps où le culte de la lettre allait jusqu'à l'idolâ-
trie; où des hommes passaient leur vie à compter les versets,
les mots et les lettres de la loi'; où les précepteurs officiels,
les représentants légitimes de la religion ne voyaient rien
de mieux à faire que d'écraser l'intelligence aussi bien que
la volonté sous une masse toujours croissante de pratiques
extérieures, cette aversion pour tout ce qui est matériel et po-
sitif, cette habitude de sacrifier souvent et la grammaire et
l'histoire aux intérêts d'un idéalisme exalté, nous révèlent
infailliblement l'existence d'une doctrine secrète, qui a tous
\. Traité de Kidouschin, fol. 49, rect.
2. Voyez surtout Ritlangcl, son coinmenlaire et sa traduction du Scplicr
ietzirah, page 84.
3. Thalmud Babyl., Irailc de Kidonschiii, fol. 50, rect. De là, si nous en
croyons les thalmudistes, vient le mot isidj 1"' signifie compter, que l'on a
traduit par celui de scribe.
52 LA KABBALE.
les caractères avec toutes les prétentions du mysticisme, et
qui sans doute ne date pas du jour où elle a osé parler un
langage aussi clair. Enfin, sans y attacher trop d'impor-
tance, nous ne pouvons pas nous empêcher de faire encore
cette observation : nous avons dit ailleurs que pour arriver à
leurs fins, pour introduire en quelque sorte leurs propres
idées dans les termes mêmes de la révélation, les kabbalistes
avaient quelquefois recours à des moyens peu rationnels.
L'un de ces moyens, qui consistait à former un alphabet
nouveau en changeant la valeur des lettres, ou plutôt en les
substituant les unes aux autres dans un ordre déterminé,
est employé fréquemment dans le Thalmud et mis en usage
dans une traduction encore plus ancienne que celle dont
nous venons de parler, dans la paraphrase chaldaïque de
Jonathan ben Ouziel', contemporain et disciple de Hillel le
Yieux, qui enseignait avec une grande autorité pendant les
premières années du règne d'IIérode*. Il est vrai que des
procédés semblables peuvent servir indistinctement aux
idées les plus diverses; mais on n'invente pas une langue
1. Nous voulons parler de l'alphabet kabbalistique appelé Ath Bascli, y;^ j-|{<,
parce qu'il consiste à donner à la première lettre, aleph, la valeur de la der-
nière, </ja?<, et réciproquement; à remplacer la seconde, beth, par l'avant-der-
nière, schhi, et ainsi de toutes les autres. Au moyen de ce procédé, le para-
phrasle chaldéen traduit par le nom de Babel, ^^2, celui de Sésac, -jy;^7)
qu'on lit dans Jéréaiie, ch. li, v. 41, et qui n'a par lui-même aucun sens.
C'est de la même manière que, dans un autre passage de Jérémie, ch. li, v. 1,
il convertit ces deux mots, tj^p 3,^, qui signifient le cœur de mes adversaires,
en celui de Qi-t/'D? qu'on traduit par Chaldcens. On suppose que le prophète
hébreu, captif dans l'empire de Babylone, ne pouvait pas le nommer en le
menaçant des vengeances du ciel. Mais une telle supposition ne peut se com-
prendre, lorsque, dans le même chapitre et sous l'influence du même senti-
ment, les noms de Babel et des Chaldcens y sont fréquemment répétés. Quoi
qu'il en soit, cette traduction a été conservée par saint Jérôme (voyez ses
Œuvres, t. IV, Comment, sur Jérémie) et Raschi.
2. Voyez Schalschelcth hakahalah, fol. 18, rcct. et vers., et David Ganz,
fol. li>, rect., édit. d'Amsterdam.
ANTIQUITE DE LA KABBALE. 53
artificielle dont on garde la clef à volonté, si l'on n'a pas
résolu de cacher sa pensée, au moins au grand nombre. En
outre, quoique le Thalmud emploie souvent des méthodes
analogues, celle que nous venons de signaler, et que nous
avons lieu de croire la plus ancienne, y est tout à fait étran-
gère. Entièrement isolé, ce dernier fait ne serait pas sans
doute une démonstration puissante, mais, ajouté à ceux qui
ont déjà occupé notre attention, il ne doit pas être négligé.
Tous réunis et comparés entre eux, ils nous donnent le droit
d'affirmer qu'avant la fin du premier siècle de l'ère chrétienne
il se répandait mystérieusement parmi les Juifs une science
profondément vénérée, que l'on distinguait de la Mischna,
du Thalmud et des livres saints; une doctrine mystique évi-
demment enfantée par le besoin de réflexion et d'indépen-
dance, je dirais volontiers de philosophie, et qui cependant
invoquait en sa faveur l'autorité réunie de la tradition et des
Ecritures,
Les dépositaires de celle doctrine, que dès à présent nous
ne craignons pas de désigner sous le nom de kabbalistes, ne
doivent ni ne peuvent être confondus avec les Essénicns, dont
e nom était déjà connu à une époque bien plus reculée,
mais qui ont conservé jusque sous le règne de Justinien*
leurs habitudes et leurs croyances. En effet, si nous nous en
rapportons à Josèphe^ et à Philon% les seuls qui méritent
sur ce point d'être écoutés avec confiance, le but de celte
secte fameuse était essentiellement moral et pratique; elle
voulait faii'e régner parmi les hommes ces sentiments d'éga-
lilé et de fralernilé qui furent enseignés plus tard avec tant
d'éclat par le fondateur et les apôtres du christianisme. La
kabbale, au contraire, d'après les anciens témoignages que
nous avons rapportés, était une science toute spéculative qui
\. Peter Bccr, l" partie, p. 88.
2. Guerre des Juifs, liv. VIIF.
3. De Vild eonleniplalhà, dans le recueil de ses Œuvres.
54 LA KABBALE.
prétendait dévoiler les secrels de la création et de la nature
divine. Les Esséniens formaient une société organisée, assez
semblable aux communautés religieuses du moyen âge;
leurs sentiments et leurs idées se rétléchissaient dans leur
vie extérieure; et d'ailleurs ils admettaient parmi eux tous
ceux qui se distinguaient par une vie pure, même des
enfants et des femmes. Les kabbalistes, depuis leur appari-
tion jusqu'au temps oii la presse a trahi leur secret, s'étaient
toujours enveloppés de mystère. De loin en loin, après mille
précautions, ils ouvraient à demi les portes de leur sanc-
tuaire à quelque nouvel adepte, toujours choisi dans l'élite
de l'intelligence, et dont l'âge avancé devait offrir une preuve
de discrétion et de sagesse. Enfin, malgré la sévérité toute
pharisaïque avec laquelle ils observaient le sabbat, les Essé-
niens ne craignaient pas cependant de rejeter publiquement
les traditions, d'accorder â la morale une préférence très
marquée sur le culte, et même ils étaient loin de conserver
dans ce dernier les sacrifices et les cérémonies cqmmandés
par le Pentateuque. Mais les adeptes de la kabbale, comme
les karmates parmi les fidèles de l'islamisme, comme la
plupart des mystiques chrétiens, se conformaient à toutes
les pratiques extérieures; ils se gardaient, en général, d'at-
taquer la tradition qu'ils invoquaient aussi en leur faveur,
et, comme nous avons déjà pu le remarquer, plusieurs
d'entre eux étaient comptés parmi les docteurs les plus
vénérés de la Mischna. Nous ajouterons que plus tard on les
a vus rarement infidèles à ces habitudes de prudence.
CHAPITRE ir
DES LI\TIES KABBALISTIQUES — AUTIIENTICFTE DU SEPHER lETZIRAII
Nous arrivons maintenant aux livres originaux oii, selon
l'opinion la plus répandue, le système kabbalislique s'est
formulé dès sa naissance. Ils devaient être très nombreux, si
nous en jugeons par les titres qui nous sont parvenus*. Mais
nous serons uniquement occupés de ceux que le temps nous
a conservés, et qui se recommandent à notre attention par
leur importance aussi bien que par leur antiquité. Ces der-
niers sont au nombre de deux, et répondent assez bien à
l'idée que nous pouvons nous faire, d'après le Thalmud, de
VHisloire de la Genèse et de la Sainte Mercaba : l'un, inti-
tulé le Livre de la création, nT'ïi ied, renferme, je ne dirai
pas un système de physique, mais de cosmologie, tel qu'il
\. On cite frcquenimeut le Scplier habaliir, i>|-iin "120' £'tt'''ljué à Nechonia
ben Ilakana, contemporain de llillel le Vieux et d'Uérode le Grand. Oo fait
passer, encore aujourd'hui, pour des extraits de ce livre divers fragments évi-
demment inauthcnliques. Tels sont encore les fragments réunis sous le titre
du Fidèle Paslcur, x;3î3M)2 N'^VT» <^l ordinairement imprimes avec le Zohar,
sous forme d'un commentaire. Enfin, il ne nous reste rien que les noms et
quelques rares citations des auteurs suivants, dont le Zohar fait souvent men-
tion avec le plus grand respect : R. Jossé le Vieux, XSD ''DV l'f ^- Uamnouna
le Vieux, j^^D NJ3î2n l'y ^^- J*^''^' ^^ Vieux, j^^D ''2'''! T
56 LA KABBALL'.
pouvait être conçu à une époque et dans un pays où Thabi-
lude d'expliquer tous les phénomènes par une action immé-
diate de la cause })remière devait étouffer l'esprit d'observa-
tion; où par conséquent certains rapports généraux et super-
ficiels aperçus dans le monde extérieur devaient passer pour
la science de la nature. L'autre est appelé le Zoliar, in?, ou
la lumière, d'après ces paroles de Daniel : ce Les hommes
« intelligents brilleront comme la lumière du ciel\ » Il
traite plus particulièrement de Dieu, des esprits et de l'âme
humaine, en un mot, du monde spirituel. iSous sommes loin
d'accorder à ces deux ouvrages la même importance et la
même valeur. Le second, beaucoup plus étendu, beaucoup
plus riche, mais aussi plus hérissé de difficultés, doit sans
doute occuper la plus grande place; mais nous commence-
rons par le premier, qui nous paraît le plus ancien.
En faveur de l'antiquité du Sepher ietzirah on a invoqué des
textes thalmudiques dont ni le sens ni l'âge n'ont été bien
établis. iSous les passerons sous silence ainsi que les légendes
et les controverses auxquelles ils ont donné lieu. Nos obser-
vations ne porteront que sur le fond du livre que nous avons
pour but de faire connaître. Elles suffiront pour en faire
apprécier le caractère et en démontrer la haute origine.
1" Le système qu'il renferme répond exactement à l'idée
que nous pouvons nous en faire d'après son titre; nous pou-
vons nous en assurer par ces mots qui en forment la pre-
mière proposition : « C'est avec les trente-deux voies iner-
« veilleuses de la sagesse que le monde a été créé par
« l'Eternel, le Seigneur des armées, le Dieu d'Israël, le Dieu
« vivant, le Dieu tout-puissant, le Dieu suprême qui habite
« l'Eternité, dont le nom est sublime et saint. »
2° Les moyens qu'on y emploie pour expliquer l'œuvre
de la création, l'importance qu'on y donne aux nombres et
1. Daniel, xii, T-. yr-n ir',z '^mv ciS^^rîzn"!.
DES LIVRES KABBALISTIOUES. 57
aux lettres, nous font comprendre comment l'ignorance et
la superstition ont plus tard abusé de ce principe; comment
se sont répandues les fables que nous avons rapportées;
comment enfin s'est formé ce qu'on appelle la kabbale pra-
tique, qui donne à des nombres et à des lettres le pouvoir
de changer le cours de la nature.
La forme en est simple et grave; rien qui ressemble,
même de loin, à une démonstration ou à un raisonnement;
ce ne sont que des aphorismes distribués dans un ordre
assez régulier, mais qui ont toute la concision des anciens
oracles. Un fait qui nous a beaucoup frappé, c'est que le
terme qui fut plus tard exclusivement consacre à l'àme y
est encore employé, comme dans le Penlateuquc et dans
toute l'étendue de l'Ancien Testament, pour désigner le
corps humain, tant que la vie ne l'a pas abandonné'. Il est
vrai qu'oii_y^ trouve plusieurs mots d'origine étrangère : les
noms des sept planètes et du dragon céleste, plusieurs fois
mentionnés dans ce livre, appartiennent évidemment à la
langue aussi bien qu'à la science des Chaldéens, qui, pen-
dant la captivité de Babylone, ont exercé sur les Hébreux
une influence toute-puissante^ Mais on n'y rencontrera pas
1. Nous voulons parler du mot Ncphesch, ns;:- I^ est évident qu'il ne peut
pas s'appliquer à l'àme dans les passages suivants : 1° quand on parle de ceux
qui, selon le sens lilléral du texte, étaient sortis de la cuisse de Jacob, ^3
IZiV ^*<2f1 nC^nïQ Ipy^b nNin k^r^ri' Genèse, 4G, 26; 2° quand on permet
de préparer, pendant le premier jour de Pâques, ce qui est nécessaire à la
nourriture de chacun, ^:}-) nry H^S XI H "C^Z S^S Sdx"' TJ?f< ni<. Ex.,
12, iO; 3° quand il est ordonné à ciiacun de s'infliger des soufl'rances en
expiation de ses péchés, pendant le dixième jour du septième mois, ^g^n ^^^
r\'^)2''jn nm3:T n-n DIM CTJ2 njyn nS I^N*. Lév., 25, 29. S'il est vrai
que, pour désigner l'àme, on emploie le mot nesvhania, nGwJ- ^^e préférence
à celui de nephesch, du moins ce dernier n'est-il jamais employé par les tlial-
mudistes et les écrivains plus modernes, pour désigner le corps. Mais tous,
sans exception, se servent du mot v^i^, qu'on ne rencontre pas une seule fois
dans le Sepher ieizirah.
2. Ces noms, à l'exception de ceux qui désignent le soleil et la lune, n'ap-
58 LA KABBALE.
ces expressions purement grecques, latines ou arabes qui
se présentent en grand nombre dans leTbalmud et dans les
écrits plus modernes, où la langue hébraïque est mise au
service de la philosophie et des sciences. Or, on peut
admettre en principe général, et j'oserai presque dire infail-
lible, que toute œuvre de ce genre, où la civilisation des
Arabes ou des Grecs n'a aucune part, peut être regardée
comme antérieure à la naissance du christianisme. Nous
avouons cej)endant que dans l'ouvrage qui nous occupe et
auquel nous ne craignons pas d'attribuer ce caractère, il ne
serait pas difficile de montrer quelques vestiges du langage
et de la philosophie d'Aiislote. Lorsque, après la propo-
sition que nous avons citée un peu plus haut, après avoir
parlé des trente-deux voies merveilleuses de la sagesse qui
ont servi à la création de l'univers, il ajoute qu'il y a aussi
trois termes : celui qui compte, ce qui est compté et l'action
même de compter, ce que les plus anciens commentateurs
ont traduit par le sujet, l'objet et l'acte môme de la
réflexion et de la pensée*, il est impossible de ne pas se
rappeler cette phrase célèbre du douzième livre de la Méta-
physique : « L'intelligence se comprend elle-même en sai-
« sissant l'intelligible; et elle devient l'intelligible par
« l'acte même de la compréhension et de l'intelligence; en
« sorte que l'intelligence et l'intelligible sont identiques^. »
parlienncnt pas par eux-mêmes à h langue chaldaïque, mais ils sont une tra-
duction des noms chaldcens. Les voici : n3l3> l^ie l'on croit Vénus; 233» Mer-
cure; i{s»rilU7' Saturne; p-fi;, Jupiter; QnND) Mars; l'^ji, qui désigne le
dragon, est arabe.
''• n2''DT "lEDT 1£D3 D'Oise il* Selon l'auteur du Cozri, R. Jelioudalt
Hallévi, CCS trois termes désignent la pensée, la parole et l'écriture, qui, dans
la Divinité, sont identiques, quoique nous les voyions séparées dans l'homme.
Cozri, 4° partie, § 25. Selon Abraham ben Dior, ils se rapportent au sujet, à
l'objet et au fait même de la connaissance, ynMI V^V DVl' "^^ ^^^^^ hzV'
b^tyiDI S^^kUa- "^oyez son Comment, sur le Seph. ielz., p. 27, verso.
2. xV'jTCiv 0£ voEt 6 voij; Y.CLz'x [j.£TaX:'i>'.v TO'j vor]Toij ; vor]TÔ; -^Icp i-^yveTat O'.yyâ-
vwv /.a\ vowv ôiaiE lauxbv voiJ; /.A vor^iov. Mélaph., liv. XII, ch. vu.
DES LIVRES KABRALISTIQUES. 59
Mais il est évident que ces mots ont été ajoutés au texte; car
ils ne se lient ni à la proposition qui précède ni à celle qui
suit; ils ne reparaissent plus, sous quelque forme que ce
soit, dans tout le cours de l'ouvrage, tandis qu'on explique
assez longuement l'usage des dix nombres et des vingt-deux
lettres qui forment les trente-deux moyens appliqués par la
sagesse divine à la création. Enfin l'on ne comprend guère
qu'ils aient pu trouver place dans un traité où il n'est ques-
tion que des rapports qui existent entre les diverses parties
du monde matériel. Quant à la différence des deux manu-
scrits qui ont été reproduits dans l'édition de Mantoue, l'un
à la fin du volume, l'autre au milieu de divers commen-
taires, elle est loin d'être aussi grande que certains critiques
modernes ont voulu le croire*. Après une comparaison
impartiale et détaillée, on la trouve fondée tout entière sur
quelques variantes sans importance, comme on en ren-
contre dans toutes les œuvres d'une haute antiquité, et qui
par cela môme ont eu à souffrir pendant plusieurs siècles
de l'inattention ou de l'ignorance des copistes et de la témé-
rité des commentateurs. En effet, c'est de part et d'autre,
non pas seulement le même fond, le même système consi-
déré d'un point de vue général, mais la même division, le
même nombre de chapitres, placés dans le même ordre et
consacrés aux mêmes matières : de plus, les mêmes idées
y sont exactement exprimées dans les mêmes termes. Mais
on ne trouvera plus cette parfaite ressemblance dans le
nombre et dans la place des diverses propositions qui, sous
le nom de Mischna, sont nettement distinguées les unes des
autres. Ici on n'a pas reculé devant des répétitions surabon-
dantes; là elles ont été retranchées ; ici on a réuni ce qu'ail-
leurs on a séparé. Enfin, l'un paraît aussi plus explicite
que l'autre, non plus seulement dans les mots, mais dans
\. Voyez "NVolf, Bibliothèque hébr., t. I. — Bayle, Didionn. ait., article
Abraham — Moreri. même article, etc.
^
60 LA KABBALE.
la pensée. Nous ne connaissons et par conséquent nous ne
pouvons citer qu'un seul passage où se montre celle der-
nière différence : à la fin du premier chapitre, lorsqu'il
s'agit d'énumérer les dix; principes de l'univers qui corres-
pondent aux dix nombres, l'un des deux manuscrits dit
simplement que le premier de tous est l'esprit du Dieu
vivant; l'autre ajoute que cet esprit du Dieu vivant est
l'esprit saint, qui est en môme temps esprit, voix et parole*-
Sans doute cette idée est de la plus haute importance; mais
elle ne manque pas dans le manuscrit, où elle n'est pas
formulée aussi nettement; elle constitue, comme nous le
prouverons bientôt, la base et le résultat de tout le système.
D'ailleurs \e Livre de la création a été, au commencement
du dixième siècle, traduit et commenté en arabe par R. Saa-
diah, esprit élevé, méthodique et sage, qui le regarde
comme l'un des plus anciens, comme l'un des premiers
monuments de l'esprit humain. Nous ajouterons, sans
accorder à ce témoignage une valeur exagérée, que les com-
mentateurs qui sont venus après lui pendant le douzième ei
le treizième siècle ont tous exprimé la même conviction.
Comme tous les ouvrages d'une époque très reculée, celui
dont nous parlons est sans titre et sans nom d'auteur; mais
il est terminé par ces mots étranges : « Et lorsque Abraham
ce notre père eut considéré, examiné, approfondi et saisi
« toutes ces choses, le maître de l'univers se manifesta à
« lui et l'appela son ami, et s'engagea par une alliance
« éternelle envers lui et sa postérité. Alors Abraham crut
« en Dieu, et cela lui fut compté comme une œuvre de
« justice, et la gloire de Dieu fut appelée sur lui, car c'est
« à lui que s'appliquent ces paroles : Je t'ai connu avant
« de t'avoir formé dans le ventre de ta mère. » Ce passage
ne peut d'abord pas être considéré comme une invention
1. ÉJit. de Mantouc, foL 49, rcct. : •csZTi mi 1.17 lim mm Slp-
DES LIVRES Ki^BBALISTIQUES. 61
moderne : il existe avec quelques variantes dans les deux
textes de Manloue; on le retrouve dans les plus anciens
commentaires. Nous pensons que pour donner plus d'intérêt
au Livre de la création^ on a supposé, ou plutôt on veut
faire supposer aux autres, que les choses qu'il renferme
sont précisément celles qui furent observées par le premier
patriarche des Hébreux, et lui donnèrent l'idée d'un Dieu
unique et tout-puissant. Il existe d'ailleurs parmi les Juifs
une tradition selon laquelle Abraham avait de grandes
connaissances astronomiques, et s'éleva jusqu'à l'idée du
vrai Dieu par le seul spectacle de la nature. Néanmoins les
paroles que nous avons citées tout à l'heure ont été inter-
prétées de la manière la plus grossièrement matérielle.
On a imaginé qu'Abraham était lui-même l'auteur du livre
où son nom est prononcé avec un respect religieux. Voici
en quels termes commence le commentaire de Moïse Botril
sur le Sepher ietzirah : « C'est Abraham, notre père (que la
« paix soit sur lui!), qui a écrit cela contre les sages de son
ce siècle, incrédules à l'égard du principe de l'unité. Du
« moins c'est ainsi que pense R. Saadiah (que la mémoire
« du juste soit bénie!) dans le premier chapitre de son
« livre intitulé : La pierre pJiilosophale. Je rapporte ses
« propres paroles : Les sages de la Ghaldée attaquaient
« Abraham, notre père, dans sa croyance. Or, les sages de
« la Ghaldée étaient divisés en trois sectes. La première
« prétendait que l'univers était soumis à deux causes pre-
« mières entièrement opposées dans leur manière d'agir,
« l'une n'étant occupée qu'à détruire ce que l'autre avait
te produit. Cette opinion est celle des dualistes, qui s'ap-
« puyaient sur ce principe, qu'il n'y a rien de commun
« entre l'auteur du mal et celui du bien. La seconde secte
« admettait trois causes premières; les deux principes con-
« traires dont nous venons de parler, se paralysant réci-
« proquemeni, et rien de cette manière ne pouvant être
G2 L.\ KABBALE.
« fait, on en a reconnu un troisième pour décider entre
« eux. Enfin, la dernière secte n'avouait pas d'autre Dieu
« que le soleil, dans lequel elle reconnaissait le principe
« unique de l'existence de la mort\ » Malgré une autorité
si imposante et si universellement respectée, l'opinion que
nous venons d'exposer n'a plus aujourd'hui un seul par-
tisan. Au nom du patriarche on a depuis longtemps sub-
stitué celui d'Akiba, l'un des plus fanatiques soutiens de
la tradition, l'un des nombreux martyrs de la liberté de son
pays, et à qui il ne manque, pour être compté par la posté-
rité au nombre des héros les plus dignes de son admiration,
que d'avoir joué un rôle dans les anciennes républiques
d'Athènes ou de Rome. Sans doute cette nouvelle opinion
est moins invraisemblable que la première, cependant nous
ne la croyons pas mieux fondée. Quoique le Thalmud, toutes
les fois qu'il fait mention d'Akiba, nous le représente
comme un être presque divin ; quoiqu'il l'élève au-dessus
de Moïse lui-même*, il ne le présente pourtant nulle part
comme une des lumières de la Mercaba ou de la science
de la Genèse; nulle part on ne laisse soupçonner qu'il ait
écrit le Livre de la création, ou quelque autre ouvrage de
même nature. Tout au contraire, on lui reproche positive-
ment de n'avoir pas sur la nature de Dieu des idées très
élevées. « Jusqu'à quand, Akiba, lui dit rabbi Jossé le Gali-
ce léen, jusqu'à quand feras-tu de la majesté divine quelque
« chose de vulgaire^? ■>-> L'enthousiasme qu'il inspire a pour
cause l'importance qu'il a donnée à la tradition, la patience
avec laquelle il en a su tirer des règles pour toutes les
actions de la vie% le zèle qu'il a mis à l'enseigner pendant
\. Voyez Sepher ielzirah, édit. de Manloue, fol. 20 et 21.
2. Thalm. Babijl., tract. Memchotli, 29 b.
3. Tlialm. Babijl., tract. 'Hagiiiga, ijiq rj Na'ipy iS^San ^DT T lS ION
Vin n^'^y'S nxD^'J nriN*.
4. Thalm. BubijL, tract. 'Haguiga, fol. 14, vers. On dit qu'il savait déduire
DES LIVRES KABBALISTIQUES. 63
quarante ans, et peut-être aussi l'héroïsme de sa mort. Les
vingt-quatre mille disciples qu'on lui attribue ne s'ac-
cordent guère avec la défense que fait la Mischna de divul-
guer à plus d'une personne, même les secrets les moins
importants de la kabbale.
Plusieurs critiques modernes ont imaginé que, sous le
même titre de Sepher ietzirali, il a existé deux ouvrages dif-
férents, dont l'un, attribué au patriarche Abraham et men-
tionné dans le Thalmud, a disparu depuis longtemps ; l'autre,
beaucoup plus moderne, est celui que nous avons conservé.
Cette opinion n'a pas d'autre base qu'une grossière igno-
rance. Morin, l'auteur des Exercices bibliques^ l'a empruntée
à un chroniqueur du seizième siècle, qui, en parlant d'Akiba,
s'exprime ainsi : « C'est lui qui a rédigé le Livre de la créa-
« tion, en l'honneur de la kabbale; mais il existe un autre
« Livre de la création, composé par Abraham, et sur lequel
« R. Moïse ben Nachman (nommé par abréviation le Ram-
« ban) a fait un grand et merveilleux commentaire^ » Or,
ce commentaire, écrit à la fin du treizième siècle, mais
imprimé dans l'édition de Mantoue^ [)lusieurs années après
la chronique qui vient d'être citée, se rapporte évidemment
au livre qui est aujourd'hui entre nos mains ; la pliipart des
expressions du texte y sont fidèlement conservées, et il est
évident qu'il n'a pas été lu par l'historien dont nous venons
de rapporter les paroles. Au reste, le premier qui ait sub-
slilué le nom d'Akiba à celui d'Abraham, c'est un kabbaliste
des moindres particularilés des lettres de la Bible des « monceaux » de pré-
ceptes : nijSn Su; ]iS^n "iS\n-
1. Morinus, Exercilaliones biblicœ, p. 574.
2- iinu nT'ïi iSD *iL*ii nSzpn V^ mirn isdi ^TiSi^a isd un xim
rh'J nS^J"! bn; UITS "an pDin IUTN omis*. SchalscUeUth Imhabalah,
fol. 20, vers.
3. La première édition du Sepher ielzirnh est celle de Manloue, publiée eu
1505, tandis que la chronique dont nous voulons parler, la Chaîne de la lia-
dtlion (Schalschelelh hakabalah), a déjà été imprimée à Imola, en 1549.
64 LA KABBALE.
du quatorzième siècle, Isaac Délaies, qui, dans sa préface du
Zohary se demande : « Qui a permis à R. Akiba d'écrire,
en l'appelant mischna, le Seplter ielzirah^ puisque c'est un
livre qui avait été transmis oralement depuis Abraham? »
Ces termes, que nous avons essayé de conserver fidèlement,
sont évidemment contraires à la distinction que nous voulons
détruire ; et cependant celle-ci ne repose, en dernier résultat,
que sur celte seule autorité. L'auteur du Livre de la création
n'est donc pas encore découvert. Ce n'est pas nous qui dé-
chirerons le voile qui nous cache son nom; nous doutons
même que cela soit possible, avec les faibles éléments dont
nous pouvons disposer. Mais l'incertitude à laquelle nous
sommes condamné sur ce point ne peut jamais s'étendre
aux propositions que nous croyons avoir démontrées, et
qui, au besoin, peuvent suffire à l'intérêt purement philo-
sophique qu'il faut chercher dans ces matières.
1^
GUAPITRE III
AUTHEMICITE DU ZOnAR
Un intérêt bien plus vif, mais aussi de bien plus graves
difficultés, sont attachés an monument dont il nous reste
encore à parler. Le Zohar, ou le Livre de la lumière, est le
code universel de la kabbale. Sous la modeste forme d'un
commentaire sur le Pentateuque, il touche, avec une entière
indépendance, à toutes les questions de l'ordre spirituel, et
quelquefois il s'élève à des doctrines dont la plus forte intel-
ligence pourrait encore se glorifier de nos jours. Mais il est
loin de se maintenir toujours à cette hauteur; trop souvent
il descend à un langage, à des sentiments et à des idées qui
décèlent le dernier degré d'ignorance et de superstition. On
y trouve, à côte de la mâle simplicité et de l'enthousiasme
naïf des temps bibliques, des noms, des Hiits, des connais-
sances et des habitudes qui nous transportent au milieu
d'une époque assez avancée du moyen âge. Cette inégalité
dans la forme comme dans la pensée, ce bizarre mélange
des caractères, qui distinguent des temps très éloignés les
uns des autres, enfin le silence presque absolu des deux
Thalmud, l'absence de documents positifs jusqu'à la fin du
treizième siècle, ont fait naître sur l'origine et sur l'auteur
de ce livre les opinions les plus divergentes. Nous allons
ô
66 LA KABBALE.
(l'abord les rapporter d'après les témoignages les plus anciens
et les plus fidèles; nous essayerons ensuite de les juger, avant
de nous prononcer nous-mème sur cette question difficile.
Tout ce qui a été dit, tout ce que généralement l'on pense
encore aujourd'hui de la formation et de l'antiquité du Zohm\
est résumé d'une manière assez impartiale par deux auteurs
que nous avons déjà plusieurs fois cités. « Le Zohai\ dit
« Abraham ben Zacouth dans son Livre des gé7iéalogies\ le
« Zohar dont les rayons éclairent le monde% qui renferme
« les plus profonds mystères de la loi et de la kabbale, n'est
« pas l'œuvre de Simon ben Jochaï, quoiqu'on l'ait publié
« sous son nom. Mais c'est d'après ses paroles qu'il a été
« rédigé par ses disciples, qui confièrent eux-mêmes à
« d'autres disciples le soin de continuer leur tâche. Les
« paroles du Zohar n'en sont que plus conformes à la vérité,
« écrites comme elles le sont par des hommes qui ont vécu
« assez tard pour connaître la Mischna, et toutes les déci-
« sions, tous les préceptes de la loi orale. Ce livre n'a été
« divulgué qu'après la mort de R. Moïse ben Nachman et
<■< de Pi. Ascher, qui ne l'ont pas connu\ » Voici en quels
termes s'exprime sur le même sujet le rabbin Guédalia,
auteur de la célèbre chronique intitulée La chahie de la Ira-
dition\ « Vers l'an cinq mille cinquante de la création
ce (1290 de J.-C), il se trouva diverses personnes qui pré-
ce tendaient que toutes les parties du Zohar écrites en dia-
« lecte de Jérusalem (le dialecte aramécn) étaient de la
« composition de R. Simon ben Jochaï, mais que tout ce qui
« est en langue sacrée (l'hébreu pur) ne doit pas lui être
1' roni"' "120) P- "^2 et 45. L'auteur de ce livre florissait en 1492.
2. Il faut se rappeler que le mot Zohar signifie lumière.
3- Le premier de ces deux rabbins célèbres, après avoir passé la plus grande
partie de sa vie en Espagne, est mort à Jérusalem en 1500; le second florissait
en 1520.
^- nb^DH ribu/hty> édition d'Amsterdam, fol. 23, vers, et rect.
AUTUENTICITÉ DU ZOUAR. 67
« attribué. D'autres afrirmaient que R. Moïse ben Nacbman
« ayant fait la découverte de ce livre dans la Terre Sainte,
« l'envoya en Catalogne, d'oij il passa en Aragon et tomba
« entre les mains de R. Moïse de Léon. Enfin, plusieurs ont
c< pensé que ce R. Moïse de Léon était un homme instruit,
« qu'il trouva tous ces commentaires dans sa propre ima-
« gination, et qu'afm d'en retirer un grand profit de la
« part des savants, il les publia sous le nom de R. Simon ben
« Jocbaï et de ses amis. On ajoute qu'il agit ainsi parce qu'il
« était pauvre et écrasé de charges. Pour moi, dit encore le
ce môme auteur, je pense que toutes ces opinions n'ont
(c aucun fondement, mais que R. Simon ben Jochaï et sa
« sainte société ont réellement dit toutes ces choses, et en-
ce core beaucoup d'autres ; seulement il peut se faire qu'elles
« n'aient pas été, dans ce temps-là, convenablement rédi-
« gées; qu'après avoir été disséminées longtemps dans plu-
« sieurs cahiers, elles aient enfin été recueillies et mises en
« ordre. Il ne faut pas qu'on s'étonne de cela; car c'est ainsi
« que notre maître Judas le Saint a rédigé la Mischna, dont
« divers manuscrits étaient d'abord dispersés aux quatre
« extrémités de la lerre. C'est encore de la même manière
« que R. Aschi a composé hGuemara. » Nous voyons par
ces ])aroles, auxquelles en dernier résultat la critique mo-
derne n'a pas beaucoup ajouté, que la question qui nous
occupe en ce moment a déjà reçu trois solutions différentes :
ecux-ci veulent que, à l'exception de quelques passages écrits
en hébreu, mais qui du reste n'existent aujourd'hui dans
aucune édition*, dans aucun manuscrit connu, le Zohar
appartienne entièrement à Simon ben Jochaï; ceux-là, tout
aussi exclusifs dans leur manière de voir, l'attribuent à un
imposteur, appelé Moïse de Léon, et ne peuvent le faire
1. Il y a deux ancienacs éditions du Zohar, qui ont servi de modèles à
toutes les autres : ce sont celles de Crémone et de Mantouo, publiées l'une et
l'autre dans la même année de 1559.
C8 LA KABDALE.
remonter plus haut qu'à la fin du treizième ou au commen-
cement du quatorzième siècle. Enfin, d'autres ont paru cher-
cher un terme moyen entre ces deux opinions extrêmes, en
supposant que Simon ben Jochaï s'est contenté de propager
sa doctrine par l'enseignement oral, et que les souvenirs
qu'il laissa ou dans la mémoire ou dans les cahiers de ses
disciples ne furent réunis que plusieurs siècles après sa
mort, dans le livre que nous possédons aujourd'hui sous le
nom de ZoJiar.
La première de ces opinions, considérée dans un sens
absolu, quand on prend à la lettre les termes dans lesquels
nous l'avons exposée, mérite à peine une réfutation sé-
rieuse. Voici d'abord le fait sur lequel on a voulu la fonder
et que nous emprunterons au Thalmud* : « R. Jehoudah,
(c II. Jossé et R. Simon ben Jochaï étaient un jour réunis
« et près d'eux se trouvait un certain Jehoudah ben Guè-
« rim \ Alors R. Jehoudah dit en parlant des Romains : Que
« cette nation est grande dans tout ce qu'elle a fait! Voyez
a comme elle a construit partout des ponts, des marchés et
« des bains publics ! A ces mots, R. Jossé garda le silence;
« mais Simon ben Jochaï répondit : Elle n'a rien fait qui
« n'ait pour but son propre avantage; elle a fait construire
ce des marchés pour y attirer des femmes perdues, des
« thermes pour s'y rafraîchir, et des ponts pour y percevoir
« des impôts. R. Jehoudah ben Guèrim, allant raconter ce
« qu'il avait entendu, le fit parvenir aux oreilles de César, et
ce celui-ci rendit un arrêt ainsi conçu : Jehoudah qui m'a
^c exalté sera élevé en dignité; Jossé qui a gardé le silence
« sera exilé à Sipora (c'est-à-dire à Sepphoris); Simon, qui
c( a médit de moi, sera mis à mort. Aussitôt celui-ci, accom-
1. Tliahn. Bahijl., iiait. sabhal., cli. ii, fol. 54.
2. 2i-)j p. Ce nom signifie litléralenient descemlanl de prosélytes. On veut
probablement donner à entendre, d'après un sentiment très commun chez les
anciens, que son sang étranger est la vraie cause de sa trahison.
AUTHENTICITÉ DU ZOIIÂR. 69
« pagné de son fils, alla se cacher dans la maison d'étude ;
« la gardienne leur apportait chaque jour un pain et une
« jatte d'eau. Mais la proscription qui pesait sur lui étant
« très sévère, Simon dit à son fils : Les femmes sont d'un
« caractère faible; il est donc à craindre que, pressée de
<c questions, notre gardienne ne finisse par nous dénoncer.
« Sur ces réflexions ils quittèrent cet asile et allèrent se ca-
<c cher au fond d'une caverne. Là, par un miracle opéré en
« leur faveur. Dieu créa aussitôt un caroubier et une source
« d'eau. Simon et son fils se dépouillèrent de leurs vête-
« ments, et, ensevelis dans le sable jusqu'au cou, ils passè-
« rent tous leurs jours dans la méditation de la loi. Ils vé-
« curent ainsi dans cette caverne pendant douze ans, jusqu'à
« ce que le prophète Elie, paraissant à l'entrée de leur re-
« traite, leur fit entendre ces mots : Qui annoncera au fils de
« Jochaï que César est mort et son arrêt tombé dans l'oubli?
« Ils sortirent et virent comment les hommes cultivent
« et ensemencent la terre. » C'est, dit-on (mais ce n'est plus
le Thalmud qui l'assure), pendant ces douze années de soli-
tude et de proscription que Simon ben Jochaï, aidé par son
fils Eléazar, composa le fameux ouvrage auquel son nom est
resté attaché. Quand même on aurait écarté de ce récit les
circonstances fabuleuses qui s'y mêlent, il serait encore dif-
ficile d'admeltre comme légitime la conséquence qu'on en
tire; on ne dit pas quels furent l'objet et le résultat de ces
méditations dans lesquelles les deux proscrits cherchaient à
oublier leurs peines. Ensuite, on trouve dans le Zohar une
multitude de faits et de noms que Simon ben Jochaï, mort
quelques années après la ruine de Jérusalem, au commen-
cement du second siècle de l'ère chrétienne, ne pouvait cer-
tainement pas connaître. Comment, par exemple, aurait-il
pu parler des six parties dans lesquelles se divise la Mischna,
écrite à peu près soixante ans après lui'? Comment pourrait-il
i. Zohar, éd'l. de Manloue, 5° p:irl., fol. 20. — Ib., fol. 29, vers. Nous
70 LA KABBALE.
mentionner et les auteurs et les procédés de Ja Guemara^
qui commence à la mort de Judas le Saint et ne finit que
cinq siècles après la naissance du Christ ' ? Comment aurait-il
appris les noms des points voyelles et des autres inventions
de l'école de TiLériade, qu'on peut faire remonter tout au
plus au commencement du sixième siècle*? Plusieurs criti-
ques ont cru observer que, sous le nom d'Ismaélites, il est
aussi question dans le ZoJiar des Arabes mabométans, que
tous les écrits publiés par les Juifs modernes désignent de la
même manière. Il est, en effet, difficile de ne pas admettre
cette interprétation dans le passage suivant :
.« La lune est à la fois le siq^ne du bien et le siane du mal.
« La pleine lune, c'est le bien ; la nouvelle lune, c'est le mal.
« Et parce qu'elle comprend en même temps le bien et le
« mal, les enfants d'Israël et ceux d'Ismaël l'ont prise éga-
« lement pour règle de leurs calculs. S'il arrive une éclipse
« pendant la pleine lune, ce n'est pas un bon présage pour
« Israël ; si, au contraire, l'éclipsé a lieu pendant la nouvelle
« lune (une éclipse de soleil), c'est un mauvais présage pour
« Ismaël. Ainsi se vérifient ces paroles du prophète [h. xxix,
« 14) : La sagesse des sages périra et la prudence des hom-
« mes intelligents sera obscurcie....'» Cependant nous fe-
rons remarquer que ces mots n'appartiennent pas au texte : ils
sont empruntés à un commentaire beaucoup moins ancien,
qui a pour titre : Le fidèle pasteur, N:a''nî2N*i*;i, et que, de
citons de préférence ce dernier passage, où l'on compare les six traités de la
Mischna a six degrés du trône suprême : mSyc UU.' liTN n"wD ''1~D îVXj
1. Tons les termes de la discussion thalmudique sont énuniérés dans le
passage suivant : p^i, ^s^-f □i;2Sr ip Ni nîZpi NT^p 'il nn^^n n^< ma^t
ip'in »s~ ~i£2 '-r>* irx Nnini xt --^2 rn'2'j hzi^ n^bn. 3° part-,
loi. 155, recl., édit. de Mantoue.
2. Genèse, col. 152 et 155. — Lévil., bl, vers. — Édit. Mantoue, i'" part.^
fol. 24, vers.; fol. 15, vers., et pass.
AUTUENTICITÉ DU ZOIIAR, 71
leur propre autorité, les premiers éditeurs ont substitué au
Zohar, partout où dans celui-ci ils ont cru trouver une
lacune.
On aurait pu trouver dans le Zohar même un passage
plus décisif, car voici ce qu'un disciple de Simon ben Jochaï
prétend avoir entendu de la bouche de son maître : « Mal-
ce heur sur l'instant où Ismaël a été enfanté au monde et
ce revêtu du signe de la circoncision ! Car que fit le Seigneur,
ce dont le nom soit béni? Il exclut les enfants d'Ismaël de
ce l'union céleste. Mais comme ils avaient le mérite d'avoir
ce adopté le signe de l'alliance, il leur réserva ici-bas une
ce part dans la possession de la Terre Sainte. Les enfants d'Is-
ec maël sont donc destinés à régner sur la Terre Sainte, et
ce ils empêcheront les enfants d'Israël d'y revenir. Mais cela
ce ne durera que jusqu'au temps où le mérite des enfants
ce d'Ismaël sera épuisé. Alors ils exciteront dans le monde
cèdes guerres terribles; les enfants d'Édom se réuniront
ce contre eux et les combattront, les uns sur terre, les autres
ce sur mer, et d'autres près de Jérusalem. La victoire sera
ce tantôt à ceux-ci, tantôt h ceux-là ; mais la Terre Sainte ne
ce sera pas livrée aux mains des enfants d'Édom. » Pour bien
comprendre le sens de ces lignes, il suffit de savoir que,
sous le nom d'Edom, les écrivains juifs (je parle de ceux qui
ont fait usage de l'hébreu) ont d'abord désigné Rome
païenne, puis ils l'ont étendu à Rome chrétienne et aux peu-
ples chrétiens en général. Or, il ne peut pas être question
ici de Rome païenne; donc on a voulu parler de la lutte des
Sarrasins contre les chrétiens, et même des croisades, avant
la prise de Jérusalem. Quant à la prédiction de Simon ben
Jochaï, je n'ai pas besoin de dire de quel poids elle doit être
dans notre jugement. Mais je ne veux pas insister plus long-
temps sur la démonstration de ces faits, aujourd'hui géné-
ralement connus et répétés à l'envi par tous les critiques
72 LA KABDALK.
modernes \ Nous y ajouterons seulement une dernière ob-
servalion, qui, je l'espère, ne sera pas perdue pour la con-
clusion à laquelle nous voulons finalement arriver. Pour
avoir la conviction que Simon ben Jochaï ne peut pas être
l'auteur du Zohar et que ce livre n'est pas, comme on le
prétend, le fruit de treize ans de méditations et de soli-
tude, il suffit de donner quelque attention aux récits qui
s'y m^'lent presque toujours à l'exposition des idées. Ainsi,
dans le fragment intitulé VIdra soula, »xi2i7x-nx, que nous
espérons traduire au moins en grande partie, et qui forme
dans celte immense compilation un épisode admirable à tous
égards, Simon, sur le point de mourir, réunit autour de lui»
pour leur donner ses dernières instructions, le petit nombre
de ses disciples et de ses amis, parmi lesquels se trouve son
fils Eléazar. « Toi, dit-il à ce dernier, tu étudieras, R. Aba
« écrira, et mes autres amis méditeront en silence ^ » Par-
tout ailleurs, c'est assez rarement le maître qui parle, mais
ses doctrines sont dans la bouche de son fils ou de ses amis,
qui se réunissent encore après sa mort pour se communi-
quer leurs souvenirs et s'éclairer réciproquement dans la foi
commune. Ces paroles de l'Écriture : « Combien il est beau
« de voir des frères rester unis! » leur semblent s'appliquer
à eux-mêmes''. Quelques-uns d'entre eux viennent-ils à se
rencontrer en chemin, aussitôt leur conversation se porte
sur le sujet habituel de leurs méditations, et alors on expli-
que dans un sens tout à fait spirituel quelque passage du
Vieux Testament. En voici un exemple, pris au hasard entre
mille: ce R. Jehoudah et R. Jossése trouvaient ensemble en
1. ai"i3Dn nnS'CÎZ' 5° part., fol. 281, vers., édit. de Mantoue. Voy. Peler
Béer, Hisl. des sectes du jucla'isme, 2° part., p. 50 et suiv. — Morinus, Exer-
cilat. biblic., lib. II, exercit, 9. — Wolf. Bibliollt. Iiébr.
ini^aba 'î1^Ti'1\ ^° part., fol. 287, vers.
5. 5° part., fol. 59, vers.
AUTHENTICITÉ DU ZOIIAR. 73
« voyage ; alors le premier dit à son compagnon de route :
ce Dis-moi quelque chose de la loi, et l'esprit divin descen-
« dra parmi nous; car toutes les fois qu'il médite les paroles
« de la loi, l'esprit de Dieu vient s'unir à l'homme ou mar-
<c che devant lui pour le conduire *. » Enfin, comme nous
l'avons dit plus haut, on cite aussi des livres dont il ne nous
est parvenu que des lambeaux épars, et qu'il faut nécessai-
rement supposer plus anciens que le Zohar. Nous nous
contenterons de traduire le passage suivant, que l'on croi-
rait écrit par quelque disciple de Copernic, si l'on n'était
obligé, môme en lui refusant toute authenticité, de le faire
remonter au moins jusqu'à la fin du treizième siècle : « Dans
« le livre de Hamnouna le Vieux on apprend, par des expli-
« cations étendues, que la terre tourne sur elle-même en
« forme de cercle; que les uns sont en haut, les autres en
« bas; que toutes les créatures changent d'aspect suivant
ce l'air de chaque lieu, en gardant pourlant la même posi-
« tion ; qu'il y a telle contrée de la terre qui est éclairée,
« tandis que les autres sont dans les ténèbres ; ceux-ci ont
« le jour quand pour ceux-là il fait nuit ; et il y a des pays
« oii il fait constamment jour, où du moins la nuit ne dure
« que quelques instants '. »
11 est bien évident, d'après cela, que l'auteur du Zohar,
quel qu'il soit, n'a pas même eu la prétention de l'attribuer
à Simon ben Jochaï, dont il raconte la mort et les derniers
instants.
Sommes-nous donc obligés d'en faire honneur à un
obscur rabbin du treizième siècle, à un malheureux char-
latan qui, en l'écrivant, en y consacrant nécessairement
de longues années, ne cédait qu'au cri de la misère et
à l'esjioir de la soulager par un moyen aussi lent qu'in-
I. \'' i)arl., fui. 1 15, vers.
2- xb;h;n^2 xniri So sm ttii uns nid x:i:î2n m Nison
t<S''yS ]iSnT XnnS libx y-Z2 xSi:|i:?3. 5° prlie, foi. lO, rect.
74 LA KABBALE.
certain? Non, assurément; et quand même nous nous
contenterions d'examiner la nature intime, la valeur intrin-
sèque du livre, nous n'aurions aucune peine à démontrer
que cette opinion n'est pas mieux l'ondée que la première.
Mais nous avons, pour la combattre, des arguments plus
positifs.
Le Zohar est écrit dans un langage araméen qui n'ap-
partient à aucun dialecte déterminé. Quel dessein Moïse de
Léon pouvait-il avoir en se servant de cet idiome qui n'était
pas en usage de son temps? Voulait-il, comme le prétend
un critique moderne que nous avons déjà cité\ voulait-il
donner plus de vraisemblance à ses fictions, en faisant
parler le langage de leur époque aux divers personnages
sous le nom desquels il désirait faire passer ses propres
idées? Mais puisqu'il possédait de si vastes connaissances,
de l'aveu même des bommes dont nous combattons l'opi-
nion, il ne pouvait pas ignorer que Simon ben Jochaï et ses
amis sont comptés parmi les auteurs de la Mischna; et
quoique le dialecte de Jérusalem fût probablement leur
langue babituelle, il était plus naturel de les faire écrire en
hébreu. Il y en a qui prétendent qu'il s'est réellement servi
de celte dernière langue, qu'il n'a pas inventée, qu'il a voulu
seulement falsifier le Zohar en y ajoutant ses propres pen-
sées, et que son imposture fut bientôt découverle^ Rien de
semblable n'étant arrivé jusqu'à nous, cette assertion ne
doit pas nous occuper plus longtemps. Mais, vraie ou fausse»
elle confirme les observations que nous venons de faire.
D'ailleurs nous savons avec une entière certitude que Moïse
i. « Cùm auctor esset recentissimus, linguaque chaldaïca sua œlate prorsùs
osset extincto, eamque Judœi doctiores raro intelligerent, consulto chaldaïco
scripsit, ut antiquilatem apud popularium vulgus libris suis conciliaret. » Mo-
r'mus, Exercilat. biblic, liv. II, exercit. 9, chap. v.
2. Outre les deux historiens que nous avons cités plus haut, voyez Bartolocci,
Grande bibliollièque rabbinique, t. lY, p. 82.
AUTUENTICITÉ DU ZOUAR. 73
de Léon a compose en hébreu un ouvrage kabbalislique,
ayant pour titre : le Nom de Dieu, ou simplement : le Nom
(oï^yn isd). Cet ouvrage, qui existe encore en manuscrit,
Moïse Corduero l'a eu sous les yeux * ; il en rapporta plusieurs
passages d'où il résulte que c'était un commentaire très
détaillé et souvent fort subtil sur quelques-uns des points les
plus obscurs de la doctrine enseignée dans \eZohar; par
exemple, celui-ci : quels sont les différents canaux, c'est-tà-
dire les influences, les rapports mutuels qui existent entre
toutes les Sephirolh, et qui conduisent de l'une à l'autre la
lumière divine ou la substance première des choses? Or,
comment supposer qu'api'ès avoir écrit le Zohar dans le
dialecte chaldaïco-syriaque, soit pour en augmenter l'intérêt
par les difficultés du langage, soit pour en rendre la pensée
inaccessible au vulgaire, le môme homme ait cru devoir
ensuite l'expliquer, le développer en hébreu, et mettre à la
portée de tous ce qu'au prix de tant de soins, de tant de
labeurs, il avait caché dans une langue presque tombée dans
l'oubli parmi les savants eux-mêmes? Dira-t-on que par ce
moyen il était encore plus sûr de réussir à donner le change
à ses lecteurs? En vérité, c'est trop de ruse, trop de temps
dépensé, trop de patience et d'efforts pour le misérable but
qu'on l'accuse de s'être proposé : ce sont des combinaisons
trop savantes et trop compliquées pour un homme qu'on
accuse en même temps des plus stupides contradictions, des
plus grossiers anachronismes.
Une autre raison qui nous oblige à regarder le Zohar
comme une œuvre bien antéi'ieure à Moïse de Léon, comme
une œuvre étrangère à l'Europe, c'est qu'on n'y trouve pas
le moindre vestige de la philosophie d'Aristote, et l'on n'y
rencontre pas une seule fois le nom du christianisme ou de
1. Panlrs Ilimonim [Q'>z^^2'\ D'îns)» f^l. 110, recl., \" col. -ij;»j
76 LA KADI3ALE,
son fondalciir'. Or, on sail qu'en Europe, pendantle treizième
et le quatorzième siècle, le christianisme et Aristote exer-
çaient sur la pensée une autorité absolue. Comment donc
pourrions-nous admettre que, dans ce temps de fanatisme,
un pauvre rabbin espagnol, écrivant sur des matières reli-
gieuses, dans une langue qui ne pouvait le trahir, n'ait élevé
aucune plainte contre le premier, auquel les thalmudistes
et les écrivains postérieurs s'attaquent si fréquemment, et
qu'il n'ait pas subi, comme Saadiah, comme Maïmonides,
comme tous ceux enfin qui ont suivi la même carrière, l'in-
fluence inévitable de la philosophie péripatéticienne? Qu'on
lise tous les commentaires que nous possédons aujourd'hui
sur le Livre de la création ; que l'on jette un coup d'œil sur
tous les monuments philosophiques et religieux de cette
époque et de plusieurs siècles antérieurs, on trouvera par-
tout le langage de VOrganum et la domination du philo-
sophe de Stagyre. L'absence de ce caractère est donc un
fait dont la gravité ne saurait être contestée. On ne peut pas
voir dans les dix Sephiroth, dont nous parlerons plus lon-
guement ailleurs, une imitation déguisée des catégories;
car celles-ci n'ont qu'une valeur logique; celles-là renfer-
ment un système métaphysique de l'ordre le plus élevé. Si
la kabbale a quelques traits de ressemblance avec un système
philosophique de la Grèce, c'est plutôt avec celui de Platon;
mais on sait que l'on pourrait affirmer la même chose de
toute espèce de mysticisme; et d'ailleurs Platon était alors
peu connu hors de sa patrie.
Nous remarquons enfin que des idées et des expressions
qui appartiennent essentiellement, qui sont exclusivement
consacrées au système kabbalislique exposé dans le Zohar,
se présentent dans des écrits bien antérieurs à la fin du
1. Aihle quod eliam conlrà Clirisluin in ioto libro ne minimum quidcni
effutiatur, proid in reccnlioribus Judœorum sa'iptis plenimque fieri solct.
(Kabb. dcnud. Pncf., p. 7.)
AUTUExNTICITÉ DU ZOUAR. 77
douzième siècle. Ainsi, d'après un écrivain que nous avons
eu déjà occasion de nommer, d'après Moïse Botarel, l'un des
commentateurs du SepJier ietzirah, la doctrine de l'émana-
tion, telle que les kabbalistes l'ont entendue, aurait été
connue de Saadiah ; car il cite de lui les paroles suivantes, tex-
tuellement empruntées, dit-il, de l'ouvrage intitulé la Pierre
philosophale, qui, il est vrai, lui est faussement attribué :
« 0 toi qui puises à des citernes, garde-toi, quand on viendra
« te tenter pour cela, de révéler la croyance de l'émanation,
« qui est un grand mystère dans la bouche de tous les kab-
« balistcs; un autre mystère est renfermé dans ces paroles
« de la loi : Vous ne tenterez pas le Seigneur*. » Cependant,
dans son ouvrage sur les Croyances et les Opinions, Saadiah
attaque assez vivement cette doctrine, qui est la base du
système exposé dans le Zoliar, et qu'il est impossible de ne
pas reconnaître dans ce passage : « J'ai quelquefois ren-
« contré de ces hommes qui ne peuvent pas nier l'existence
« d'un créateur, mais qui pensent que notre esprit ne sau-
ce rait concevoir qu'une chose soit faite de rien. Or, comme
« le Créateur est le seul être qui existe d'abord_, ils sou-
« tiennent qu'il a tiré l'univers de sa propre substance. Ces
ce hommes (que Dieu vous garde de leur opinion!) sont
ce encore moins sensés que tous ceux dont nous avons
ce parlé*. » Le sens que nous donnons à ces paroles devient
encore plus évident lorsqu'on lit, dans le même chapitre,
que la croyance à laquelle elles font allusion est surtout
1. Voici le texte (le ce p:iss:igo : ^^p^n n'^nZH -S U^r D-X NM HnX
ielzircilt, édit. de Manloue, loi. 51.
2- cSi-j Snp xS -'^1 nu;rjn rroh nrh pr: xS c'*i:*:xn nbx \-ixiV2i
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Croijanccs eï des Opinions, l" [lart., cli. iv.
78 LA KABBALE.
justifiée par ces versets de Job : « D'où vient la sagesse, et
« en quel lieu se trouve l'intelligence? C'est Dieu qui com-
« prend ses voies; c'est lui qui connaît sa demeure*. » On
y trouve, en effet, les noms consacres par le Zohar aux trois
premières, aux trois grandes Sepliiroth, qui comprennent
toutes les autres, savoir : la sagesse, Vhitelligence, et au-
dessus d'elles le lieu, ou le non-être, ainsi appelé parce qu'il
représente l'infini sans attribut, sans forme, sans qualifica-
tion aucune, dans un état où il est pour nous incompréhen-
sible et sans valeur réelle ^ C'est dans ce sens, disent les
kabbalistes, que tout ce qui est a été tiré du non-être. Le
môme auteur nous donne aussi une théorie psychologique
parfaitement identique à celle qui est attribuée à l'école de
Simon ben Jochaï% et il nous apprend * que le dogme de la
préexistence et de la transmigration des âmes, qui est posi-
tivement enseigné dans le Zohar^, était admis de son temps,
par quelques hommes qui néanmoins se disaient juifs; qui
prétendaient même, ajoute-t-il, confirmer leur opinion
extravagante par le témoignage de VEcriture. Ce n'est pas
encore tout : saint Jérôme, dans une de ses lettres", parle
de dix noms mystiques, <iece?)i nomma mystica, par lesquels
les livres saints désisrnent la Divinité. Or, ces dix noms,
que saint Jérôme ne se contente pas de mentionner, mais
dont il nous donne encore l'énumération complète, sont
précisément ceux qui, dans le Zohar, représentent les dix
Sephiroth, ou attributs de Dieu. Voici en effet ce qu'on lit
dans h Livre du mystère (NnrjiJï- iSnso), l'un des plus an-
1. Job, ch. xwiii, V. 20 et 25.
2. Zohar, 2" part., fol. 42 et 43. Cette première Sephirah se nomme tantôt
Yiufiiii, riiD T^hs. lanlùt h couronne suprême, piSî? iriD; ^' tantôt le non-être
^l>^, ou le lieu mpî^-
3. Des Croyances et des Opinions, G° part., ch. ii.
4. Ib. siipr., ch. vu.
5. 2* part., fol. 99, sect. Mischpatim.
6. Hieron. ad Marcell., epist. 156, t. 111 de ses Œuvres complèl:3.
AUTUENTICITÉ DU ZOUAR. 79
tiques fragments du Zoharel en même temps le résumé des
principes les plus élevés de la kabbale : « Lorsque l'homme
(c veut adresser une prière au Seigneur, il peut invoquer
« également, soit les saints noms de Dieu, Eheïeh, Jah,
« Jehovah, El, Elohim, Jedoud, Elohei-Tsabaoth, Sdiaclau
« Adonai, soit les dix Sephiroth, à savoir : la Couronne, la
« Sagesse, rintelligence, la Beauté, la Grâce, la Justice, etc. »
Tous les kabbalistes sont d'accord sur ce principe, que les i
dix noms de Dieu et les dix Sepliiroth sont une seule et
même chose : car, disent-ils, la partie spirituelle de ces '
noms, c'est l'essence même des numérations divines \ Saint
Jérôme, dans plusieurs de ses écrits, parle aussi de cer-
taines traditions hébraïques sur la Genèse qui font le Paradis,
ou, comme on l'appelle toujours en hébreu, l'Eden (^^"1:1),
plus ancien que le monde ^ Remarquons d'abord qu'il
n'existait pas chez les Juifs d'autres traditions connues sous
un titre analogue que celles qui étaient comprises dans cette
science mystérieuse appelée par le Thalmud VHisloire de
la Genèse. Quant à la croyance rapportée en leur nom, elle
s'accorde parfaitement avec le Zohar, où la Sagesse suprême,
le Yerbe divin par lequel a commencé et s'est accomplie la
création, le principe de toute intelligence et de toute vie,
est désigné comme le véritable Eden, autrement appelé l'Eden
supérieur (hnS:; V"^)'"' ^^^'^ un fait plus grave que tous ceux
qui viennent d'être énoncés, c'est l'intime ressemblance que
■J- ^'na on m)2ttM riV2nM id ^^x im S^n mrsom marm
mTSDn. Pai'dcs Rimoniin, fol. 10, verso.
2. llieron. opp. dernier vol. de l'édit. de Paris. — Voy. aussi le petit
ouvrage inlilulé : Quesliones liebraïcœ in Gcnesim. — Les traditions sur la
Genèse sont le livre hébraïque de la Petite Genèse, ou Jubilés, qui rappor-
tait sans doule l'opinion du Thalmud, que parmi les choses créées avant le
inonde se trouve aussi l'Eden. Sifri, Mechilla, Pesaliim, 540, .\edorim,
396, etc.
3. Zohar, Idra souta, i^-x \S,T, -,NU7 hzi kSSj nNÎ2\1D 7\i{hj NDJH
80 Li KABBALE.
nous offre la kabbale, dans le langage aussi bien que dans
la pensée, avec toutes les secles du gnoslicisme, surtout
celles qui ont pris naissance en Syrie, et avec le code reli-
gieux des Nazaréens, découvert il y a (|uelques années seu-
lement, et traduit du syriaque en latin. Nous attendrons,
pour donner à ce fait le caractère de l'évidence, que nous
soyons arrivé à cette partie de notre travail où nous cher-
cherons à connaître les rapports qui existent entre le sys-
tème kabbalistiquc et les autres systèmes philosophiques
ou religieux. Ici nous nous contenterons de faire observer
que les doctrines de Simon le Magicien, d'EIxaï, de Barde-
sanes, de Basilide et de Yalentin ne nous sont connues que
par des fragments disséminés dans les œuvres de quelques
Pères de l'Église, comme dans celles de saint Irénée et de
Clément d'Alexandrie. Or, on ne peilt pas supposer que
ces œuvres aient été familières à un rabbin du treizième
siècle, qui, dans l'ouvrage même dont on veut lui faire hon-
neur, se montre fort étranger à toute littérature, et surtout
à celle du christianisme. Nous sommes donc forcé d'ad-
mettre que le gnosticisme a beaucoup emprunté, non pas
sans doute au Zohar lui-même, tel que nous le possédons
aujourd'hui, mais aux traditions et aux théories qu'il ren-
ferme.
Nous ne séparerons pas de l'hypothèse que nous venons
d'écarter celle qui, nous présentant la kabbale comme une
imitation de la philosophie mystique des Arabes, la fait
naître dans l'empire des kalifes, au plus tôt vers le com-
mencement du onzième siècle, époque à laquelle la philo-
sophie musulmane nous offre pour la première fois des
traces de mysticisme*. Cette opinion, exprimée il y a long-
temps comme une simple conjecture, dans les Mémoires de
1. C'est Avicennc qui passe généralemenf pour le premier organe du inysU-
cisme chez les Arabes. Né en 992, il est mort en 1056.
AUTHENTICITE DU ZOIIAR. 81
VAcadémie des inscriptions^ M. Tholuck a voulu récem-
ment la ressusciter et lui prêter l'appui de sa riche éru-
dition. Dans un premier mémoire, rcclierchant l'influence
que la philosophie grecque a pu exercer sur celle des maho-
métnns% le savant orientaliste arrive à cette conclusion :
que la doctrine de l'cmanalion a été connue des Arabes en
même temps que le sysième d'Aristolc; car ce dernier n'est
arrivé jusqu'à eux qu'à travers les commentaires de Thé-
mislius, deThéon de Smyrne, d'Enée de Gaza, de Jean Phi-
lopon, en un mot avec les idées d'Alexandrie, exprimées
cependant sous une forme très incomplète. Ce germe, une
fois déposé dans le sein de l'islamisme, ne tarda pas à se
développer en un vaste système qui, semblable à celui de
Plotin, mettait l'enlhousiasmo au-dessus de la raison, et,
après avoir fait sortir lous les êtres de la substance divine,
proposait à l'homme, comme le dernier terme de la perfec-
tion, d'y rentrer par l'extase et l'anéantissement de soi-
même. C'est ce mysticisme moitié arabe, moitié grec, que
M. Tholuck veut nous faire admettre comme la vraie et
unique source de la kabbale^ A cette fin, il commence par
s'attaquer à l'authenticité des livres kabbalistiques, surtout
à celle du Zohar, qu'il regarde comme une compilation de
la fin du treizième siècle, tout en accordant à la kabbale
elle-même une existence plus ancienne*. Quand il pense
avoir mis ce point hors de doute, il entreprend de démon-
trer la parfaite ressemblance des idées contenues dans ces
livres avec celles qui font la substance du mysticisme arabe.
M. Tholuck n'ayant avancé, contre l'authenticité des monu-
\. Remarques sur l'aiiliquilé et l'origine de la Cabbale, par de La Nauzc,
(. IX des Méin. de VAcad. des inscript.
9. Cnmmenlatio de vi quam (jrœca philosophia in (licoloijiam lum Muliani-
medanorum, tnin Judicortim, exercuerii. Particula I, ihmib., 1855, in-i.
3. l'urlicula II, de Orln Cabbahe, Uamb., 1857.
4. Ouvr. et/., part. II, p. 10-28.
(i
82 LA KABBALE.
ments de la kabbale, aucun argument que nous n'ayons
déjà réfuté, nous nous arrêterons seulement à la dernière
et sans contredit la plus intéressante partie de son travail.
Mais ici nous sommes obligé d'entrer, un peu par antici-
pation, dans le fond même du système kabbalistique, et
dans quelques considérations relatives à son origine : nous
ne nous en plaindrons pas si cela peut jeter quelque diver-
sion sur les recbercbes un peu arides qui nous occupent en
ce moment.
La première réflexion qui se présente à l'esprit, c'est que
la similitude des idées hébraïques et des idées arabes fût-
elle parfaitement établie, il n'en résulterait pas encore que
celles-là sont nécessairement une contrefaçon de celles-ci.
Ne pourrait-il pas se faire que les unes et les autres fussent
sorties par des canaux différents d'une source commune
plus ancienne que la philosophie musulmane, plus an-
cienne même que la philosophie grecque d'Alexandrie? En
effet, en ce qui regarde les Arabes, M. Tholuck est obligé de
convenir qu'ils ne connaissaient nullement la philosophie
d'Alexandrie par ses véritables organes : les œuvres de Plo-
tin, de Jamblique, de Proclus, ne sont jamais arrivées
jus(|u'à eux, n'ont jamais été traduites ni en syriaque ni en
arabe, et de Porphyre ils ne possédaient qu'un commentaire
purement logique, l'introduction au traité des catégories'.
D'un autre côté, est-il vraisemblable que les croyances et
les idées de l'ancienne Perse, que la philosophie religieuse
des mages, si célèbre dans toute l'antiquité sous le nom
de sagesse orientale, aient été complètement anéanties à
l'époque de l'invasion musulmane, et ne comptent pour
rien dans le mouvement intellectuel qui a illustré le règne
des Abbassides? Nous savons qu'Avicenne a écrit un ouvrage
sur la sagesse orientale. De quel droit donc osc-t-oii aTir-
1. Ib. sup., part. II, p. 7-11.
AUTUENTICITÉ DU ZOIIAR. 85
mer, d'après quelques rares citations d'un auteur plus mo-
derne, que ce livre n'était qu'un recueil de pensées néopla-
toniciennes*? En mettant sous nos yeux ce passage d'Al
Gazali : « Il faut que tu saches qu'entre le monde corporel
« et celui dont nous venons de parler (le monde spirituel)
« il y a le même rapport qu'entre notre ombre et notre
« corps" », comment M. Tholuck ne s'est-il pas rappelé que
c'est aussi dans ces termes, en se servant de la même com-
paraison, que les zerdustians, l'une des sectes religieuses
de l'ancienne Perse, avaient formulé le principe fonda-
mental de leur croyance^? Quant aux Juifs, tout le monde
sait que depuis la captivité jusqu'à leur entière dispersion,
ils n'ont pas cessé d'être en relation avec ce qu'ils appellent
le pays de Babylone. Nous n'insisterons pas, pour le mo-
ment, sur ce point, qui sera longuement développé ailleurs.
Nous dirons seulement que le Zohar cite positivement la
sagesse orientale : cette sagesse, dit-il, que les enfants de
rOrient connaissent depuis les premiers jours\ et dont il
cite un exemple parfaitement d'accord avec ses propres doc-
trines. Evidemment, il ne peut pas être ici question des
Arabes, que les écrivains hébreux appellent invariablement
les enfants d'Ismaël ou les enfants de l'Arabie; ce n'est
pas dans ces termes que l'on parlerait d'une philosophie
contemporaine, étrangère, née récemment sous l'influence
d'Aristote et de ses commentateurs alexandrins : le Zohar
ne la ferait pas remonter aux premiers Tiges du monde; il
ne la présenterait pas comme un héritage transmis par
i. Oiivr. cit., part. J, p. IJ.
2. « Jain verô mundi corporalis ad eum mundum de quo modo diximus, ra-
lionem talcm, qualis umbroe ad corpus hominis, esse scito.... « Ih. svpr., p. 17.
3. Voy. Tliom. Hijde, (h Rclifj. vct. Pcrs., c. xxir, p. 29C ot seq.
\xaip "^WD ^•'yT v,m Nn?22n N^nna iS itzxi. i" i';»-'-, sec. xin»
fol. 90, verso.
84 LA KABBALE.
Abraham aux enfants de ses concubines, et par ceux-ci aux
nations de rOrient\
Mais il n'est pas même nécessaire que nous fassions usage
de cet argument; car la vérité est que le mysticisme aralje
et les principes enseignés dans le Zohar nous frappent
plutôt par leurs différences que par leurs ressemblances.
Tandis que les unes portent exclusivement sur quelques
idées générales, communes à toute espèce de mysticisme,
les autres éclatent surtout sur les points les plus essentiels
de la métaphysique des deux systèmes, et ne laissent sub-
sister aucun doute sur la diversité de leur origine. Ainsi,
pour aller tout droit au plus important, les mystiques
arabes, après avoir reconnu en Dieu la substance unique
de toutes choses et la cause immanente de l'univers, en-
seignent qu'il se révèle ou se manifeste sous trois aspects
différents : 1" celui de l'unité ou de l'être absolu, au sein
duquel nulle distinction n'existe encore; 2° celui où les
objets dont se compose l'univers commencent à se distin-
guer dans leur essence, dans leurs formes intelligibles, et
à se montrer présents devant l'intelligence divine. La troi-
sième manifestation divine, c'est l'univers lui-même, c'est
le monde réel, ou Dieu devenu visible^ Le système kabba-
lislique est loin de nous offrir ce caractère de simplicité.
Sans doute, il nous présente aussi la substance divine
comme la substance unique, comme la source d'où dé-
coulent éternellement, sans l'épuiser, toute vie, toute
lumière et toute existence; mais, au lieu de trois mani-
festations, de trois formes générales de l'Être infini, il en
reconnaît d'abord dix : ce sont les dix Sephiroth, qui se
partagent en trois trinités venant se réunir dans une trinité
uniijue et dans une forme suprême. Considérées dans leur
i. Ib. stipr., M. 100, rect. et vers.
2. Thol . oiivr. cit.. part. IF, p. 28 et 20.
AUTHENTICITÉ DU ZOIIAR. 85
ensemble, les Sephirolh ne leprésenlent que le premier
degré, que la première sphère de l'existence, celle qu'on
appelle le monde de Vémanation. Au-dessous d'elles se
trouvent encore, nous offrant, chacun à part, le spectacle
d'une variété infinie, le monde des purs esprits ou de la
création^ le monde des sphères ou des intelligences qui les
dirigent, ayant pour nom le monde de la formation; enfin
le degré le plus infime appelé le monde du travail ou de
Vaclion. Les mystiques arabes reconnai-ssenl aussi comme
une âme collective dont sortent toules les âmes particulières
qui animent le monde, comme un esprit générateur qu'ils
appellent le père des esprits, l'esprit de Mahomet, source,
modèle et substance de tous les autres esprits ^ C'est dans
cette conception d'esprit qu'on a voulu trouver le modèle
de VAdam Kadmon, de l'homme céleste des kabbalistes.
Mais ce que les kabbalistes désignent par ce nom, ce n'est
pas seulement le principe de l'intelligence et de la vie spi-
riluelle; c'est aussi ce qu'ils regardent comme au-dessus
et au-dessous de l'esprit; c'est l'ensemble des Sei)hiroth,
ou le monde de l'émanation tout entier, depuis l'Etre dans
son caractère le plus abstrait et le plus insaisissable, à ce
degré qu'ils nomment le pobit ou le non-êlre, juscju'aux
forces constitutives de la nature. On ne trouve chez les
Arabes aucune trace de la métempsycose, qui tient une si
grande place dans le système hébraïque. Vainement aussi
vous chercherez dans leurs œuvres ces allégories conti-
nuelles que l'on rencontre dans le Zohar, cet appel constant
à la tradition, ces personnifications hardies se multipliant
par des généalogies sans fin, genealogiis inlerminatk^
comme dit saint Paul*, et ces métaphores gigantesques et
\. Jb. stipr., p. 7)0.
2. Il est bien difficile de ne pas rapporter à la kabbale ce passage de la
première lettre de saint Paul à Timolliée : « Ncque intonderint fabulis et
86 LA KABBALE.
bizarres qui s'accordent si bien avec l'esprit du vieil Orient.
Arrivé à la fin de son œuvre, M. Tholuck lui-môine, dont la
franchise égale la science, recule devant la pensée qui l'avait
séduit d'abord, et il conclut, comme nous pourrions le
faire, îi l'impossibilité absolue de faire dériver la kabbale
de la philosophie mystique des Arabes. Voici, du reste, ses
propres paroles, qui ne manqueront pas d'autorité dans la
bouche d'un homme si profondément instruit de la philo-
so[)hie et de la langue des peuples musulmans : « Que con-
« dure de ces analogies? Peu de chose, à mon sens.
« Car, ce que les deux systèmes ont de semblable, on le
« trouverait ailleurs dans des doctrines plus anciennes,
« dans les livres des Sabéens et des Perses, et aussi chez les
« néoplatoniciens. Au contraire, la forme extraordinaire
« sous laquelle ces idées nous apparaissent dans la kabbale
ce est tout à fait étrangère aux mystiques arabes. D'ailleurs,
« pour s'assurer que la kabbale est réellement sortie du
« commerce de ces derniers, il faudrait avant tout recher-
« cher parmi eux la doctrine des Sephiroth. Mais c'est de
« quoi ils ne nous offrent pas le moindre vestige, car ils ne
« connaissent qu'un seul mode sous lequel Dieu se révèle
« à lui-même. Sur ce point la kabbale se rapproche bien
« davantage de la doctrine des Sabéens et du gnosticisme*. «
L'origine arabe de la kabbale une fois démontrée inadmis-
sible, l'opinion qui fait du Zohar une œuvre du treizième
siècle a perdu son dernier appui; je veux parler d'un cer-
tain air de vraisemblance dont elle pourrait se parer encore.
« geuealogiis interminalis, qiue qu?csliones prœstant magis quàm acJifica-
« tionem Dei. » (Epist. ad Timatli., I, 4.)
1. « Jain veiô ex analogiis istis quid censés colligi posse? Equidem non mulla
arbitrer. Nam similia etiam in aliis et antiquiorihus quidem disciplinis mons-
trari licel, in scriptis Sabœis et Persicis, nec non apud neoplatonicos. Contra
singularis illa forma quam ideœ islac in CaLbalà prae se ferunt, ab Arabicis
myslicis abcst », etc.
AUTHENTICITE DU ZOIIAU. 87
En effet, comme on a déjà pn s'en assni'er par le parallèle
que nous venons d'établir, le Zohar renferme un système de
la plus haute portée, de la plus vaste étendue. Or, une con-
ception de ce genre ne se forme pas en un jour, surtout à
une époque d'ignorance et de foi aveugle, surtout dans une
classe d'hommes sur laquelle pèse l'horrible poids du mépris
et de la persécution. Si donc on ne rencontre dans tout le
moyen âge ni les antécédents, ni les éléments de ce système,
il faut bien en reculer la naissance jusque dans l'antiquité.
Nous voilà arrivé à ceux qui prétendent que Simon ben
Jochaï a réellement enseigné à un petit nombre de disciples
et d'amis, parmi lesquels se trouvait son fils, la doctrine
métaphysique et religieuse qui fait la base du Zohar; mais
que ses leçons, d'abord transmises de bouclie en bouche,
comme autant de secrets inviolables, ont été rédigées peu
à peu; que ces traditions et ces notes, auxquelles se mêlèrent
nécessaii^cment des commentaires d'une époque plus récente,
s'accumulant, et par là même s'a Itérant avec le temps, arri-
vèrent enfin de Palestine en Europe vers la fin du treizième
siècle. Nous espérons que cette opinion, qui n'a été expri-
mée jusqu'à présent qu'avec timidité et sous forme de
conjecture, aura bientôt le caractère et tous les droits de la
certitude.
D'abord, comme l'a remarqué déjà l'auteur de la chro-
nique intitulée la Chaîne de la tradition, elle s'accorde par-
faitement avec l'histoire de tous les autres monuments reli-
gieux du peuple juif : c'est aussi en réunissant des traditions
de diflérenls âges, des leçons de divers maîtres, liés cepen-
dant par un principe commun, qu'on a formé et la Mischna,
et le Thalmud de Jérusalem, et le Thalmud de Babylone.
Elle ne s'accorde pas moins avec une croyance qui, d'après
l'historien que nous venons de citer, doit èlre assez ancienne.
« J'ai, dit-il, appris par tradition que cet ouvrage était
« tellement volumineux, que, com})let, il aurait suffi à la
88 LA KABBALE.
« charge d'un chameau'. » On ne peut pas supposer qu'un
homme, quand même il passerait sa vie à écrire sur de telles
matières, puisse laisser de sa fécondité une preuve aussi
effrayante. Enfin, on lit aussi dans les Suppléments du
Zohar, imn 'Jipn, écrits dans la même langue, et connus
depuis aussi longtemps que le ZoJiar lui-même, que ce der-
nier ouvrage ne sera jamais entièrement publié; ou, pour
traduire plus fidèlement, qu'il le sera à la fin des jours*.
Lorsqu'on aborde l'examen du livre lui-même, pour y
chercher, sans préoccupation, quelques lumières sur son
origine, on ne larde pas à s'apercevoir, par l'inégalité du
style" et par le défaut d'unité, non pas dans le système,
mais dans l'exposition, dans la méthode, dans l'application
des principes généraux, enfin, dans les pensées de détail,
qu'il est tout à fait impossible de l'attribuer à une seule
personne. Pour ne pas multiplier les exemples sans impor-
tance, ])Our ne pas insister sur des faits de langage, que
nulle traduction ne peut conserver, comme on ne peut, sans
leur donner la mort, arracher certaines plantes de leur sol
natal, nous nous bornerons à indiquer rapidement les prin-
cipales différences qui séparent du reste de l'ouvrage trois
fragments dont nous avons déjà fait mention, savoir : le
Livre du mystère, Nnr^'iïT irso , généralement considéré
comme le plus ancien; la Grande assemblée, Kan nttx, où
l'on représente Simon ben Jochaï au milieu de tous ses
amis; et enfin la Petite assemblée, ntcitniin, oii Simon, sur
son litde mort, après avoir été précédé dans la tombe par trois
S"24 DNwa "M "tM^ 'h-. Sclialsclielctli hahahalah, fol. 25, rect,
2. s]iD2 nSx in'2 Ti2n S- NS;n"' nS-^" in-na t;z? fpn ^idi "TT^N-n
3. ]l y a des passages où l'araméen est à peu près seul employé et d'autres
où l'on ne trouve que les terminaisons de celle langue, avec des mots qui
appartiennent tous à l'hébreu rabbinique.
AUTHENTICITÉ DU ZOIIAR, 8»
de SCS disciples, donne à ceux qui lui restent ses dernières
instructions. Ces fragments, qui, placés à de grandes dis-
lances l'un de l'autre, nous semblent d'abord comme perdus
dans cet immense recueil, forment cependant un seul tout
parfaitement coordonné, et pour la marche des événements
et pour celle des idées. On y trouve, tantôt sous la forme de
l'allégorie, tantôt dans un langage métaphysique, une des-
cription suivie et pompeuse des attributs divins, de leurs
diverses manifestations, de la manière dont le monde a été
formé, et des rapports qui existent entre Dieu et l'homme.
Jamais on n'y quitte ces hauteurs de la spéculation pour
descendre dans la vie extérieure et pratique, pour recom-
mander l'observation de la loi ou des cérémonies religieuses.
Jamais on n'y rencontre ou un nom, ou un fait, ou même
une expression qui pourrait nous faire douter de l'authenti-
cité de ces pages, où l'originalité de la forme donne encore
plus de prix à l'élévation de la pensée. La parole y est tou-
jours dans la bouche du maître, qui, pour convaincre ses
auditeurs, n'emploie pas d'autre méthode que celle de l'au-
torité. 11 ne démontre pas, il n'explique pas, il ne répèle pas
ce que d'autres lui ont appris; mais il affirme, et chacune de
ses paroles est accueillie comme un article de foi. Ce carac-
tère se fait surtout remarquer dans le Livre du mystère, qui
est un résumé substantiel, mais aussi fort obscur, de tout
l'ouvrage'. On pourrait dire de lui aussi : docebat quasi
auctorilalem habens. On ne procède pas ainsi dans le reste
1. C'est à propos de ce livre, formant un traité complet en cinq chapitres,,
qu'on lit dans le Zohar celte gracieuse allégorie : o Qu'on se figure un homme
« demeurant seul dans les montagnes et ne connaissant pas les usages de la
If ville. 11 ensemence du blé et ne se nourrit que de blé à l'état naturel. Vn
(I jour cet homme se rend à la ville. On lui présente du pain d'une bonne
« qualité, et il demande : A quoi sert ceci? On lui répond : C'est du pain pour
(( manger. 11 le prend et en goûte avec plaisir. Puis il demande de nouveau :
« Et de quoi cela est-il fait? On lui répond que c'est avec du blé. Quelque
« temps après on lui ofl're des gâteaux pétris dans l'huile. Il en goûte, puis il
90 LA KABBALE.
du livre. Au lieu d'une exposition continue d'un mêuie ordre
d'idées; au lieu d'un plan librement conçu, suivi avec con-
stance, où les textes sacrés que l'auteur invoque en témoi-
gnage vont se placer à la suite de ses propres pensées, c'est
la marche incohérenle et désordonnée d'un commentaire.
Cependant, comme nous l'avons déjà fait observer, l'exposi-
tion de l'Ecriture sainte n'est qu'un prétexte ; mais il n'en est
pas moins vrai que, sans sortir absolument du même cercle
d'idées, on est fréquemment conduit, par le texte, d'un sujet
à un autre , ce qui donne lieu de penser que les notes et les
traditions qui se sont conservées dans l'école de Simon bon
Jochaï, au lieu d'être fondues dans un système commun
d'après l'ordre logique, ont été ajustées, suivant l'esprit du
temps, aux principaux passages du Pentateuque. On est con-
firmé dans cette opinion quand on s'est donné la peine de
s'assuier que souvent il n'existe pas le moindre rapport
entre le texte biblique et la partie du Zohar qui lui sert de
commentaire. La même incohérence, le même désordre
régnent dans les faits, qui, d'ailleurs, sont en petit nombre
et portent un caractère assez uniforme. Ici la théologie
métaphysique ne règne plus en souveraine absolue ; mais, à
côté des théories les plus hardies et les plus élevées, on ne
rencontre que trop souvent les détails les plus matériels du
culte extérieur, ou ces questions puériles auxquelles les gué-
marisles, semblables en cela aux casuistes de toutes les autres
croyances, ont consacré tant d'années et de volumes. Ici sont
<( demande : Et ceci, de quoi cela est-il fait? On lui répond : Avec du blé.
« Plus tard on met devant lui de la pâtisserie royale pétrie avec de l'huile et
(( du miel. 11 adresse la même question que les premières fois, et il obtient la
« même réponse. Alors il dit : Moi, je suis le maître de toutes ces choses, je
« les goûte dans leur racine, puisque je me nourris du blé dont elles sont
(( faites. Dans cette pensée, il restait étranger aux délices qu'on en tire, et ces
« délices étaient perdues pour lui. Il en est de même de celui qui s'arrête aux
(( principes généraux de la science, car il ignore toutes les délices que l'on tire
(( de ces piincipes. »
AUTHENTICITÉ DU ZOIIAR. 91
rassemblés tous les argumenls que les critiques modernes
ont fait valoir en faveur de l'opinion qui leur est commune,
et dont nous croyons avoir tout à l'heure démontré la faus-
seté. Enfin, tout, dans cette dernière partie, la forme aussi
bien que le fond, porte les traces d'une époque plus récente;
tandis que la simplicité, l'enthousiasme naïf et crédule qui
régnent dans la première, nous rappellent souvent et le
temps et le langage de la Bible. Nous ne pouvons guère en
citer qu'un seul exemple, sans anticiper sur l'avenir : c'est
le récit de la mort de Simon ben Jocliaï, parrabbi Aba, celui
de ses disciples qu'il avait chargé de rédiger ses leçons. Nous
allons essayer de le traduire. « La lampe sainte (c'est ainsi
« que Simon est appelé par ses disciples), la lampe sainte
« n'avait pas achevé cette dernière phrase, que les paroles
« s'arrêtèrent, et cependant j'écrivais toujours; je m'atten-
cc dais à écrire encore longtemps, quand je n'entendis plus
<c rien. Je ne levais pas la tète, car la lumière était trop
« grande pour me permettre de la regarder. Tout à coup je
« fus saisi : j'entendais une voix qui s'écriait : De longs
« jours, des années de vie et de bonheur sont maintenant
<c devant toi. Puis j'entendis une autre voix qui disait : Il
« te demandait la vie, et toi lu lui donnes des années éter-
<c nelles. Pendant tout le jour, le feu ne se retira pas de la
<c maison, et personne n'osait approcher de lui à cause du
<c feu et de la lumière qui l'environnaient. Pendant tout ce
« jour-là, j'étais étendu à terre et je donnais cours à mes
« lamentations. Quand le feu se fut retiré, je vis que la
<c lampe sainte, que le saint des saints avait quitté ce monde.
« ]1 était là étendu, couché sur la droite, et la face souriante,
ce Son fils Éliézer se leva, lui prit les mains et les couvrit de
« baisers; mais j'eusse volontiers mangé la poussière que
« ses pieds avaient touchée. Puis tous ses amis arrivèrent
« pour le pleurer, mais aucun d'eux ne pouvait rompre
•« le silence. A la lin, cependant, leurs larmes coulèrent.
92 LA KABBALE.
« R. Eliézer, son fils, se laissa jusqu'à trois fois tomber à
« terre, ne pouvant articuler que ces mots : Mon père! mon
« père!... R. Ilïah, le premier, se remit sur ses pieds, et
« prononça ces paroles : Jusqu'aujourd'hui la lampe sainte
« -n'a cessé de nous éclairer et de veiller sur nous; en ce
« moment, il ne nous reste qu'à lui rendre les derniers hon-
« neurs. R. Éliézer et R. Aba se levèrent, pour le revêtir de
« sa robe sépulcrale; alors tous ses amis se réunirent en
« tumulte autour de lui, et des parfums s'exhalèrent de
« toute la maison, il fut étendu dans la bière, et aucun
« autre que R. Éliézer et R. Aba ne prit part à ce triste
« devoir. Quand la bière fut enlevée, on l'aperçut à travers
« les airs, et un feu brillait devant sa face. Puis on entendit
(c une voix qui disait : Yenez, et réunissez-vous à la fête
« nuptiale de rabbi Simon Tel fut ce rabbi Simon, fils de
c( Jochaï, dont le Seigneur se glorifiait chaque jour. Sa
(c part est belle et dans ce monde et dans l'autre. C'est pour
« lui qu'il a été dit : Va vers ta fin, repose en paix et con-
cc serve ton lot jusqu'à la fin des jours*. » Nous ne voulons
pas, encore une fois, nous exagérer la valeur que ces lignes
peuvent ajouter aux observations qui les précèdent; mais
elles nous donneront au moins une idée du caractère que
Simon avait aux yeux de ses disciples, et du culte religieux
dont son nom est entouré dans toute l'école kabbalistique.
On trouvera sans doute, en faveur de l'opinion que nous
défendons, une preuve plusévidente dans le texte suivant, que
nous n'avons vu citer nulle part, quoiqu'il se trouve dans
toutes les éditions, dans les plus anciennes comme dans les
plus modernes. Après avoir distingué deux sortes de doc-
teurs, ceux de la Mischna, n:u3 rNî2, et ceux de la kabbale,
nb^p nNî2, on ajoute : « C'est de ceux-ci que le prophète Daniel
« a voulu parler, lorsqu'il a dit : Et les hommes intelligents
1. 0' part., fol. 296, verso, édit. de Manloue.
AUTHENTICITÉ DU ZOIIAR. 93
« brilleront comme la lumière du firmament. Ce sont eux
« qui s'occupent de ce livre, qu'on appelle le Livre ie la lu-
« mière, et qui, semblable à l'arche de Noé, en réunit deux
« d'une ville et sept d'un royaume ; mais quelquefois il n'y
« en a qu'un de la même ville et deux de la même famille.
<c C'est en eux que s'accomplissent ces paroles : Tout mâle
« sera jelé dans le fleuve. Or, le fleuve n'est pas autre chose
« que la lumière de ce livret ^) Ces mots font partie du
Zohar, et cependant il est évident qu'à l'époque où ils furent
écrits, le Zohar existait déjà; il était même connu sous le
nom qu'il porte encore aujourd'hui ; nous sommes donc
forcé de conclure qu'il s'est formé successivement pendant
la durée de plusieurs siècles et par le travail de plusieurs
générations de kabbalistes.
Voici, non pas la traduction, qui occuperait trop de place,
mais la substance d'un autre passage, très précieux sous
tous les rapports, et par lequel nous voulons surtout mon-
trer que, longtemps après la mort de Simon ben Jochaï, sa
doctrine s'est conservée dans la Palestine, où il avait vécu et
enseigné, et que de Babylone on y envoyait des émissaiies
pour recueillir quelques-unes de ses paroles. R. Jossé et
R. Ézéchias, voyageant un jour ensemble, la conversation
tomba sur ce verset de VEcclcsiaste : « L'homme et la bête
« meurent également ; le sort de l'homme est comme le sort
ce de la bête; ils ont tous deux le même sort^ >) Les deux
docteurs ne pouvaient comprendre que le roi Salomon, le
plus sage des hommes, ait écrit ces paroles, qui, pour me
servir de l'expression originale, sont une porte ouverte pour
1- 7)17)2 in''N- -i.Ttn "iSD i-ip^ii N- iniTi iiSinuD xpi pJiN» '}iSx
D"':n •)'^';>2 Tnx y:^lh^ xm^SD^z 72V^ ^^T2 d"':*^ m ^lurj^nm nj
l^-j. 3° part., fol. 153, verso.
2. Ecclés., chap. m, v. 19.
9i LA. KABBALE.
ceux qui n'ont pas la foi ^ En raisonnant ainsi, ils furent
accostés par un homme qui, fatigué par une longue course
et par un soleil ardent, leur demanda à boire. Ils lui don-
nèrent de l'eau et le conduisirent auprès d'une source.
Aussitôt qu'il se sentit soulagé, l'étranger leur apprit qu'il
était leur coreligionnaire, et que, par l'intermédiaire d'un
fils qui donnait tout son temps à l'élude de la loi, il était
lui-même un peu initié à celte connaissance. Alors on lui
soumit la question dont on était occupé avant son arrivée.
Il est inutile, pour le but auquel nous voulons atteindre ici,
de faire connaître la manière dont il la résolut; nous dirons
seulement qu'il fut vivement applaudi, et ce fut avec grande
peine qu'on le laissa repartir. Peu de temps après, les deux
kabbalistes eurent les moyens de s'assurer que cet homme
était du nombre des amis (c'est ainsi que, dans toute l'éten-
due de l'ouvrage, se nomment les adeptes de la doctrine);
que, l'un des plus grands docteurs de l'époque, c'était par
humilité qu'il faisait honneur à son fils de la science qu'on
admirait en lui ; qu'enfin il était venu en Palestine, envoyé
par les amis de Babylone, pour recueillir quelques paroles
de Simon ben Jochaï et de ses disciples ^ Tous les autres
faits rapportés dans ce livre sont empreints de la même
couleur, et se passent sur le même théâtre. Ajoutons à cela
qu'on y fait souvent mention des croyances religieuses de
l'Orient, comme du sabéisme ^ et même de l'islamisme ;
qu'au contraire, on n'y trouve rien qui puisse se rapporter
à la religion chrétienne, et nous comprendrons comment le
Zohai\ dans l'état où nous le voyons aujourd'hui , a pu
1- .Ta r\jT\Vii. NniTZ^-iT^ 1:2 'nS- ]';\sh xnnD Nm. 5' part-, foi. 157,
verso.
N"'"'1in "INwl \sn*'' T2 7""?r'^*. Voyez, pour tout le récit, Zohav, o" part.,
loL 157 et 158.
3. Voyez surtout la 1"^^ partie du Zohar, fol. 99 et 100.
AUTHENTICITE DU ZOIIAR. 95
n'être introduit dans nos contrées que vers la fin du trei-
zième siècle. Quelques-unes des doctrines qu'il renferme,
comme nous l'avons vu par l'exemple de Saadiah, étaient
sans doute déjcà connues auparavant; mais il paraît certain
qu'avant Moïse de Léon, avant le départ de Naclimanides
pour la Terre-Sainte, il n'en existait en Europe aucun ma-
nuscrit complet. Quant aux idées qu'il contient, Simon ben
Jochaï nous apprend lui-même qu'il ne les a pas apportées
le premier. Il répète à ses disciples ce que les amis ont
enseigné dans les livres anciens (nson xnn njicxt ne*
\s*Gip). Il cite particulièrement Jéba le Vieux et Hamnouna
le \ieux. Il espère, au moment de révéler les plus grands
secrets de la kabbale, que l'ombre de Hamnouna viendra
l'écouler, suivie d'un cortège de soixante-dix justes \ Je suis
loin de prétendre que ces personnages et surtout ces livres
d'une antiquité si reculée aient existé réellement ; je veux
seulement constater ce fait que les auteurs du ZoJiar n'ont
jamais songé à représenter Simon ben Jocbaï comme l'inven-
teur de la science kabbalistique.
Il est un autre fait qui mérite de notre part la plus
sérieuse attention. Plus d'un siècle après que le Zohar fut
publié en Espagne, il existait encore des bommes qui ne
connaissaient et ne transmettaient que par tradition la plu-
part des idées qui en sont la substance. Tel est Moïse Botril,
qui, en 1409, ainsi qu'il nous l'apprend lui-même", s'ex-
prime ainsi sur la kabbale et sur les précautions avec
lesquelles il faut l'enseigner : « La kabbale n'est pas autre
« cliose qu'une pbilosopbie plus pure et plus sainte; seule-
« ment le langage pbilosopliique n'est pas le même que ce-
ce lui de la kabbale^... Elle est ainsi appelée parce qu'elle ne
« procède pas par raisonnement, maispar tradition. Et lorsque
i. Ulra Raha, aJ init.
2, Voyez son Commentaire sur le Sepher iclzituh, édit. de Mantoue, fol. 46.
5. Ib. supr.j fol. 5t.
06 LA KADBALE.
« le maître a développé ces matières à son disciple, il ne faut
« pas encore que celui-ci ait trop de confiance en sa sagesse;
« il ne lui est pas permis de parler de cette sciencesi d'a-
ce bord il n'y a été formellement autorisé par le maître. Ce
« droit lui sera accordé, c'est-à-dire qu'il pourra parler de
« la Mercalja, s'il a donné des preuves de son intelligence, et
<c si les germes déposés dans son sein ont porté des fruits. Il
<c faudra, au contraire, lui recommander le silence, si l'on
« ne trouve en lui qu'un homme extérieur, et s'il n'est pas
« encore arrivé au nombre de ceux qui se distinguent par
« leurs méditations '. » L'auteur de ces lignes paraît igno-
rer jusqu'au nom du Zoliar, qui n'est pas prononcé une
seule fois dans tout le cours de son ouvrage. En revanche, il
cite un grand nombre d'écrivains très anciens, mais qui,
presque tous, appartiennent à l'Orient, comme R. Saadiah,
R. liai et R. Aron, le chef de l'Académie de Rahylone. Quel-
quefois aussi il nous parle de ce qu'il a appris verbalement
de la bouche de son maître ; on ne peut donc pas supposer
qu'il ait puisé ses connaissances kahhalistiques dans les ma-
nuscrits qui furent publiés par Nachmanides et Moïse de
Léon; mais, après comme avant le treizième siècle, le sys-
tème dont Simon ben Jochaï peut être considéré au moins
comme le plus illustre représentant, s'est principalement
conservé et propagé par une multitude de traditions, que les
uns se plaisaient à écrire, tandis que les autres, plus fidèles
à la méthode de leurs ancêtres, les gardaient religieusement
dans leur mémoire. Dans le Zohar se trouvent seulement
réunies celles qui ont pris naissance depuis le premier jus-
qu'à peu près vers la fin du septième siècle de l'ère chré-
tienne. En effet, nous ne pouvons pas faire remonter à une
époque moins reculée, je ne dirai pas la rédaction, mais
l'existence de ces traditions si semblables ou si liées entre
i. Ib., fol. 87, verso.
AUTHEISTICITÉ DU ZOUAR. DT
elles par l'esprit qui les anime ; car alors on connaissait
déjà la Mercaba, qui n'est pas autre chose, comme nous sa-
vons, que cette partie de la kabbale à laquelle le Zoliar est
spécialement consacré ; et Simon ben Jochaï nous apprend
lui-même qu'il avait des prédécesseurs. Il nous est égale-
ment impossible de les faire naître dans un temps plus rap-
proché de nous : parce que nous ne connaissons aucun fait
qui nous y autorise. Ainsi, les difficultés insurmontables
que l'on rencontre dans les opinions qui se distinguent de la
nôtre, deviennent dans celles-ci des faits positifs qui la con-
firment et qui, parmi les preuves dont nous nous sommes
servi, ne doivent pas être comptées les dernières.
Il nous reste cependant encore deux objections à résoudre :
on a demandé comment, dans un temps aussi éloigné de
nous que celui auquel nous rapportons le principal monu-
ment du système kabbalistique, on a pu connaître le prin-
cipe qui fait la base de la cosmographie de nos jours, ou
le système de Copernic, si clairement résumé dans un pas-
sage dont nous avons plus haut donné la traduction. Nous
répondrons que, dans tous les cas, môme en admettant
que le Zohar n'est qu'une imposture de la fin du treizième
siècle, ce passage était connu avant la naissance de l'astro-
nome prussien. Ensuite, les idées qu'il renferme étaient
déjà répandues parmi les anciens, puisque Aristote le?
attribue à l'école de Pythagorc. « Presque tous ceux, dit-il,
« qui affirment avoir étudié le ciel dans son ensemble,
« prétcntlent que la terre est au centre; mais les pbilo-
« sophes de l'école italique, autrement appelés les pylha-
« goriciens, enseignent tout le contraire. Dans leur opinion,
« le centre est occupé par le feu, et la terre n'est qu'une
« étoile dont le mouvement circulaire autour de ce même
« centre produit la nuit et le jour', m Dans leurs attaques
eîvai '^da:v. Evxvt:io; o'. zzfi zr,v 'IraXi^av. y.aAoj;j.:vo'. ol -jO^-^/oio'. ÀfYOJîtv •
7
98 LA KABBALE.
contre la philosophie, les premiers Pères de l'Eglise n'ont
pas cru devoir épargner celte opinion, qui est en effet incon-
ciliable avec le système cosmologique enseigné dans la
Genèse. « C'est, dit Lactance, une absurdité de croire qu'il
« y a des hommes qui ont les pieds au-dessus de leurs
« têtes, et des pays où tout est renversé, où les arbres et
« les plantes croissent de haut en bas.... On trouve le
« germe de celte erreur chez les philosophes qui ont prê-
te tendu que la terre est ronde \ » Saint Augustin s'est
exprimé sur le même sujet en termes à peu près sem-
blables^ Enfin, même les auteurs les plus anciens de la
Guémara avaient connaissance des antipodes et de la forme
sphérique de la terre, car on lit dans le Thalmud de Jéru-
salem' qu'Alexandre le Grand, en parcourant la leri*e pour en
faire la conquête, apprit qu'elle est ronde ; et l'on ajoute que
c'est pour cela qu'il est ordinairement représenté un globe
à la main. Mais le fait même dans lequel on a cru trouver
une objection contre nous, prouve au contraire pour nous;
car, pendant toute la durée du moyen âge, le vrai système
du monde est resté à peu près ignoré et le système de Plo-
Icmée régnait sans partage.
On pourrait aussi s'étonner de trouver, précisément dans
cette partie du Zohar que nous regardons comme la plus
ancienne, des connaissances médicales qui semblent accuser
une civilisation assez récente. Par exemple Vldra Raba, ou
le morceau intitulé la Grande assemblée, renferme ces
l:i\ [aIv yàp tou [asiou 7:up etvai oâi'., rJjv Si -v^y sv twv S^rpwv ou-iav, x-jxXhi
<jp:po;j.£vriv r.ifi zo ^hov vû/.Ta t£ "/.at fjU.c'pav tzoisTv. De Cœlo, liv. II, chap. xiii.
1. « Ineplum crederc esse homines quorum vestigia sint superiora quam
capita, aut ibi quœ apud nos jacent inversa pendere ; fruges et arbores deorsuna
versus crescere — flujus erroris originem philosophis fuisse quod exislimarint
rotundura esse mundum. » Lib. III, cap. xxiv.
2. De Civilate Dei, lib. XVI, cap. ix.
3. Âboda Zarah, chap. m.
AUTHENTICITÉ DU ZOIIAR. 99
lignes remarquables que l'ou croirait empruntées à quelque
traité d'anatomie de nos jours : « Dans l'intérieur du crâne,
« le cerveau se partage en trois parties, dont chacune
« occupe une place distincte. Il est, en outre, recouvert d'un
« voile très mince, puis d'un autre voile plus dur. Au
« moyen de trente-deux canaux, ces trois parties du cer-
« veau se répandent dans tout le corps en se dirigeant par
« deux côtés : c'est ainsi qu'elles embrassent le corps sur
« tous les points et se répandent dans toutes ses parties'. »
Il est impossible de ne pas reconnaître à ces mots, et les
trois organes principaux dont se composent l'encéphale et ses
principaux téguments, et les trente-deux paires de nerfs qui
en partent dans un ordre symétrique, pour donner la vie
et la sensibilité à toute l'économie animale. Mais nous ferons
remarquer qu'obligés de se soumettre, relativement à leur
nourriture, à une foule de prescriptions religieuses, obligés
d'observer et les divers états et les diverses constitutions
des animaux, dans la crainte de manger de ceux que la loi
déclare impurs, les Juifs ont été excités de bonne heure,
par le plus puissant des mobiles, à l'étude de l'anatomie
et de l'histoire naturelle. C'est ainsi que dans le Thalmud,
parmi les affections qui peuvent atteindre les animaux et en
font proscrire la chair, on compte généralement la perfora-
tion des enveloppes du cerveau, maS^^ Diip3p''J. Mais il y
a une condition sur laquelle les avis sont partagés : selon
les uns, la défense n'est légitime que lorsqu'elle atteint à la
fois les deux téguments; selon les autres, il suffit qu'on la
trouve dans la dure-mère. Enfin, d'autres se contentent
d'une solution de continuité dans les deux enveloppes infé-
^' xiiEn p''pT Nî2TipT ini Nma Knu;i '.nDri^x yhhn j NnS;bi;3
\h'^2XD ^nm ^TiSnS p-'s:! i2tt»snK Nnia ^xn '"' ï<u?iu;p NDi-ipi i.tiS:?
THK ^irxii NTCD \smSi NTt2D \s'nS NSia Sdi ^iTotysna ; ^Sni *'"
100 LA KABBALE.
rieiires*. Dans le même traité, on parle aussi de la moelle
épinière, nii^n :3in, et des maladies qui lui sont propres.
Nous ajouterons à cela que, dès le milieu du deuxième
siècle, il existait parmi les Hébreux des médecins de pro-
fession; car on raconte encore dans le Thalmud^ que Judas
le Saint, le rédacteur de la Mischna, a souffert pendant
treize ans d'une affection ophtalmique, et qu'il avait pour
médecin R. Samuel, l'un des plus zélés défenseurs de la
tradition, et qui, outre la médecine, cultivait l'astronomie
et les mathématiques. On disait de lui qu'il connaissait les
chemins du ciel comme les rues de Néhardéa, sa ville
natale^
Nous terminerons ici, et sans doute il en est temps, ces
observations purement bibliographiques et ce que nous
appellerions volontiers l'histoire extérieure de la kabbale.
Les livres que nous avons examinés ne sont donc pas,
comme des enthousiastes l'ont affirmé avec confiance, ou
d'une origine surnaturelle, ou d'une antiquité qui échappe
à l'histoire. Mais ils ne sont pas non plus, comme le prétend
aujourd'hui encore une critique superficielle et incrédule,
ils ne sont pas le fruit d'une imposture conçue et con-
sommée dans un intérêt sordide, l'œuvre d'un charlatan
pressé par la faim, dénué d'idées, de convictions, et spé-
culant sur une grossière crédulité. Ces deux livres, encore
une fois, ne sont pas moins que l'œuvre de plusieurs gé-
nérations. Quelle que soit la valeur des doctrines qu'ils
enseignent, ils mériteront toujours d'être conservés comme
un monument des longs et patients efforts de la liberté
intellectuelle, au sein d'un peuple et dans un temps sur
lesquels le despotisme religieux s'est exercé avec le plus
\. Thalm. Babyl., tract. Clioidin, chap. m.
2. Schalschdctli liakabalah. M. 24, verso.
5. lyTin:! iSu^ùtd N^au;T ^rz'Q n^b V'\r\2. i^- supr.
AUTIIENTICITË DU ZOIIAR. 101
d'énergie. Mais tel n'est pas leur seul titre à notre intérêt :
ainsi que nous l'avons déjà dit, et comme on ne tardera
pas à en être convaincu, le système qu'ils renferment est par
lui-même, par son origine et par l'influence qu'il a exercée,
un fait très important dans l'histoire de la pensée humaine.
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE I
DE LA DOCTRINE CONTENUE DANS LES LIVRES KABBALISTIQUES
ANALYSE DU SEPHER lETZIliAH
Les deux livres que, malgré la crédulilé des uns et le
seeplicismc des autres, nous avons reconnus pour les vrais
monuments de la kabbale, nous fourniront seuls les maté-
riaux que nous allons faire servir à l'exposition de celte
doctrine. Ce ne sera qu'en de rares occasions, quand l'ob-
scurité des textes nous en fera une absolue nécessité, que
nous ferons intervenir les commentaires. Mais les innom-
brables fragments dont ces livres se composent, empruntés,
sans clioix et sans disccrnemenl, à des époques différentes,
sont loin de nous offrir tous un caractère parfaitement uni-
forme. Ceux-ci ne font qu'étendre le système mythologique
dont les éléments les plus essentiels se trouvent déjà dans
le Livre de Jub et les Visions illsaïe : ils nous font con-
naître, avec une grande richesse de détails, les attributions
des anges comme celles des démons, et se rapportent à des
idées dejtuis trop longtemps populaires, pour appartenir
104 LA KABUALE.
à une science considérée dès son origine comme un secret
aussi terrible qu'inviolable. Ceux-là, sans contredit, les plus
récents, expriment des penchants si serviles et un phari-
saïsmc si étroit, qu'ils ressemblent à des traditions thal-
mudiques, mêlées par orgueil, autant que par ignorance,
aux opinions d'une secte fameuse, dont le nom seul
inspirait un respect idolâtre. Enfin, ceux qui forment le
plus grand nombre nous enseignent, dans leur ensemble,
la véritable croyance des anciens kabbalistes, et sont la
source à laquelle ont puisé, plus ou moins préoccupés de la
philosophie de leur siècle, tous les hommes qui voulurent
passer, dans les temps modernes, pour leurs disciples et
leurs continuateurs. Nous sommes cependant obligé de faire
remarquer que celte distinction ne regarde que le Zohar.
Quant au Livre de la création, sur lequel notre analyse
s'exercera d'abord, s'il n'est pas d'une grande étendue, si
même il ne porte pas toujours notre esprit vers des régions
très élevées, il nous offre du moins une composition très
homogène et d'une rare originalité. Les nuages dont l'ima-
gination des commentateurs s'est plu à l'entourer, se dis-
siperont d'eux-mêmes si, au lieu d'y chercher, à leur
exemple, les mystères d'une sagesse ineffable, nous n'y
voyons qu'un effort de la raison, au moment de son réveil,
pour apercevoir le plan de l'univers et le lien qui rattache
à un principe commun tous les éléments dont il nous offre
l'assemblage.
Ce n'est jamais qu'en s'appuyant sur l'idée de Dieu, qu'en
se faisant l'interprète de la volonté et de la pensée suprêmes,
que la Bible ou tout autre monument religieux nous explique
le monde et les phénomènes dont il est le théâtre. C'est
ainsi que dans la Genèse nous voyons la lumière sortir du
néant à la parole de Jéhovah ; Jéliovah, après avoir tiré du
chaos le ciel et la terre, se fait le juge de son œuvre et la
trouve digne de sa sagesse : c'est pour éclairer la terre qu'il
ANALYSE DU SE PUER lETZIRAH. 105
attache au firmament le soleil, la lune et les étoiles. Quand
il prend de la poussière, qu'il fait passer en elle un souffle
de vie pour laisser ensuite échapper de ses mains la der-
nière et la plus belle de ses créatures, il nous a déjà déclaré
son dessein de former l'homme à son image. — Dans l'ou-
vrage dont nous essayons de rendre compte, on suit une
marche tout opposée, et cette différence est très significa-
tive, quand elle se montre pour la première fois dans l'his-
toire intellectuelle d'un peuple : c'est par le spectacle du
monde qu'on s'élève à l'idée de Dieu; c'est par l'unité qui
règne dans l'œuvre de la création, qu'on démontre à la fois
et l'unité et la sagesse du Créateur. Telle est, comme nous
l'avons dit ailleurs, la raison pour laquelle le livre tout
entier n'est pour ainsi dire qu'un monologue placé dans la
bouche du patriarche Abraham : on suppose que les consi-
dérations qu'il renferme sont celles qui ont porté le père
des Hébreux à quitter le culte des astres pour y substituer
celui de l'Eternel. Le caractère que nous venons de signaler
éclate avec tant d'évidence, qu'il a été remarqué et défini
avec beaucoup de justesse par un écrivain du douzième
siècle. « Le Sepher ietzirah, dit Jehouda Hallévi, nous
« enseigne l'existence d'un seul Dieu, en nous montrant,
« au sein de la variété et de la multiplicité, la présence de
« l'unité et de l'harmonie; car un tel accord ne peut venir
« que d'un seul ordonnateur'. » Jusqu'ici tout est parfai-
tement conforme aux procédés de la raison; mais, au lieu
de chercher dans l'univers les lois qui le régissent, pour
lire ensuite dans ces lois elles-mêmes la pensée et la sagesse
divines, on s'efforce d'établir une grossière analogie entre
i. Cuzary, Disc, 4, 8, 23. Au lieu du texte hébreu, qui serait peu compris,
nous citerons l'excellente traduction espagnole de Jacob Abendana : « Ensena
la deydad y la unidad por cosas que son varias y inulliplicadas por una parte,
pero per olra parle, son unidas y concordantes, y su union procède dcl uno
que los ordcna. »
106 LA KABBALE.
les choses et les signes de la pensée, ou les moyens par les-
quels la sagesse se fait entendre et se conserve parmi les
hommes. Remarquons, avant d'aller plus loin, que le mys-
ticisme, en quelque temps et sous quelque forme qu'il se
manifeste, attache une importance sans mesure à tout ce
qui peut représenter au dehors les actes de l'intelligence, et
il n'y a pas encore si longtemps qu'un écrivain très connu
parmi nous a voulu prouver que l'écriture n'est pas une
invention de l'humanité, mais un présent delà révélation'.
Ici il s'agit des vingt-deux lettres de l'alphahet héhreu et
des dix premiers nomhres qui, en conservant leur propre
valeur, servent encore à l'expression de tous les autres.
Réunies sous un point de vue commun, ces deux sortes de
signes sont appelées les trente-deux voies merveilleuses de la
Sagesse, « avec lesquelles, dit le texte, l'Eternel, le Sei-
« gncur des armées, le Dieu d'Israël, le Dieu vivant, le Roi
ce de l'univers, le Dieu plein de miséricorde et de grâce,
« le Dieu suhlime, qui demeure dans l'éternité, le Dieu
« élevé et saint a fondé son nom^ ». A ces trente-deux voies
de la Sagesse, qu'il ne faut pas confondre avec les distinc-
tions subtiles, et d'un ordre tout différent, admises à leur
place par les kabbalistes modernes', il faut ajouter trois
autres formes, désignées par trois termes d'un sens très
douteux, mais qui ont certainement, au moins par leur
généalogie grammaticale, une très grande ressemblance
avec ceux qui en grec désignent le sujet, l'objet et l'acte
même de la pensée \ Nous croyons avoir démontré précé-
demment que ces mots détachés sont entièrement étran-
1. M. de Donald, Recherches pliilosoph., cliap. in. Voy. aussi M. de Maistrc,
Soirée-, de Samt-Pétersbourg, t. II. p. 112 et seq.
2. Premier chapitre, première mischna.
3. Introduction au commentaire d'Abraham ben Daoud sur le Sepher icizi-
rah, édit. de Mantoue.
^' l'ED" 1£D* 13D3» premier chapitre, première proposition.
ANALYSE DU SEPIIER lETZIRAH. 107
gers au texte. Cependant nous ne pouvons pas laisser
ignorer qu'ils ont été compris tout difleremment et d'une
manière qui ne répugne ni au caractère général du livre,
ni aux lois de l'élymologie, par l'auteur espagnol que nous
avons nommé un peu plus haut. Voici comment il s'exprime
à ce sujet : « Par le premier de ces trois termes (Sephar), *lfeb=-
« on veut désigner les nombres, qui seuls nous offrent un or^a^*^ t
« moyen d'apprécier la disposition et les proportions néces- f^M^^v^
« saires à chaque corps pour atteindre le but dans lequel
« il a été créé; et la mesure de longueur, la mesure de
c( capacité et la mesure de poids, et le mouvement, et l'har-
« monie, toutes ces choses sont réglées par le nombre. Le ^ ^,0.
« second terme [Sipur] veut dire la parole et ki voix, ^ijlujtt*^
(c parce que c'est la parole divine, c'est la voix du Dieu \'e^<^j^'f^f
« vivant qui a produit les êtres sous leurs diverses formes,
c( soit extérieures, soit intérieures; c'est à elle qu'on a fait
« allusion dans ces mots : « Dieu dit que la lumière soit,
o et la lumière fut ». Enfin, le troisième terme (SepJier) ''j^b'-i^
« signifie l'écriture. L'écriture de Dieu, c'est l'œuvre de la
<c création; la parole de Dieu, c'est son écriture; la pensée
c de Dieu, c'est sa parole. Ainsi, la pensée, la parole et \\ ^
<■< l'écriture ne sont en Dieu qu'une seule chose, tandis que j\ ^ '
« dans l'homme elles sont trois^ » Cette explication a 1'
d'ailleurs le mérite de caractériser assez bien, tout en l'en-
noblissant, ce bizarre système qui confond la pensée avec
des symboles généralement connus, pour la rendre en
(juelque sorte visible, et dans l'ensemble et dans les diverses
pai'ties de l'univers.
1. « Quizo dezir en la palabra Sephar la cantidad y el peso de los cucrpos
criados, por quanlo la cantidad en modo que sea el cuerpo ordenado y propor-
oionado, apto para lo que es criado, no es sino por-numero; y la medida, y la
cantidad, y el peso, y la proporzion de los movimientos, y la orden de la
liannonia todo es por numéro, que es lo que quiere dezir Sephar. Y Sipur
quiere dezir la habla e la voz, pcro es liabla divina, voz de palabras de Dios
Î08 LA KABBALE.
Sous le nom de Sephiroth, qui joue ailleurs un si grand
rôle, mais qui entre ici pour la première fois dans le lan-
gage de la kabbale, on s'occupe d'abord des dix nombres ou
numérations abstraites^ Elles sont représentées comme les
formes les plus générales, par conséquent les plus essen-
tielles de tout ce qui est, et, si je puis m'exprimer ainsi,
comme les catégories de l'univers. Nous voulons dire qu'en
cherchant, n'importe de quel point de vue, les premiers
éléments ou les principes invariables du monde, on doit,
d'après les idées dont nous sommes l'interprète, rencontrer
toujours le nombre dix. « Il y a dix Sephiroth ; dix et non
« pas neuf, dix et non onze; fais en sorte que tu les com-
« prennes dans ta sagesse et dans ton intelligence ; que sur
« elles s'exercent constamment tes recherches, tes spécu-
« lalions, ton savoir, ta pensée et ton imagination; fais
« reposer les choses sur leur principe, et rétablis le Créa-
« teur sur sa base*. » En d'autres termes, et l'action divine
et l'existence du monde se dessinent également aux yeux de
l'intelligence sous cette forme abstraite de dix nombres,
dont chacun représente quelque chose d'infini, soit en
étendue, soit en durée, soit par tout autre attribut. Tel est
du moins le sens que nous attachons à la proposition sui-
TÎvo, con laquai es la existencia de la cosa en su forma exterior y enterior,
de laquai se habla, coine dixo, y dixo Dios sca lia, y fue luz. Y Scplicr quiere
dezir la escritura;y la escritura de Dios son sus criaciones; y la palabra de
Dios es su escritura ; y la consideracion de Dios es su palabra conque el Sephar,
y el Sipur, y el Sepher en Dios son una cosa, y en el hombre son très. » Cuzary,
Discors., 4, § 25.
^* HD ^^3. mT£D TkîT". Celte expression seule, aussi bien que les déve-
loppements dont elle est suivie, ne permet pas d'adopter un autre sens, comme
celui de splière, fondé sur l'ctymologie grecque cr-jaîpa, ou l'idée de lumière,
exprimée par le mot aaphir. Le livre de Raziel, malgré les extravagances qu'il
contient, ne s'éloigne pas, sur ce point, de la vérité. mViS^ m;l2U,*nn Su
HD^riD T1î2/b HD ^Sl- Raziel, édit. d'Amsterd., fol, 8, verso.
â. Chap. i", prop. 9.
ANALYSE DU SEPIIER lETZIRAII. 109
vante : « Pour les dix Sephirolh, il n'y a pas de fin, ni
« dans l'avenir, ni dans le passé, ni dans le bien, ni dans
« le mal, ni en élévation, ni en profondeur, ni à l'orient,
« ni à l'occident, ni au midi, ni au nord'. « 11 faut remar-
quer que les divers aspects sous lesquels on considère ici
l'infini sont au nombre de dix, ni plus ni moins; par con-
séquent, nous n'apprenons pas seulement, dans ce passage,
quel doit êlre le caractère général de toutes les Sephiroth ;
nous y voyons de plus à quels principes, à quels éléments
elles correspondent. Et comme ces différents points de vue,
quoique opposés deux à deux, appartiennent cependant à
une seule idée, à un seul infini, on ajoute : « Les dix Sephi-
« rotb sont comme les doigts de la main, au nombre de
« dix, et cinq contre cinq; mais au milieu d'elles est l'al-
« liance de ^unilé^ » Ces derniers mots nous fournissent
îi la fois l'explication et la preuve de tout ce qui précède.
Cette manière d'entendre les dix Sephirotb, sans sortir
précisément des rapports que présentent les cboses exté-
rieures, a cependant un caractère éminemment abstrait et
métapbysique. Si nous voulions la soumettre à une analyse
sévère, nous y trouverions, subordonnées à l'infini et à
l'unité absolue, les idées de durée, d'espace et d'un certain
ordre invariable sans lequel il n'y a ni bien ni mal, même
dans la splière des sens. Mais voici une énumération un
peu différente, qui, au moins en apparence, fait une plus
grande part aux éléments matériels. Nous nous bornons à
traduire. « La première des Sepbirolli, un, c'est l'esprit du
« Dieu vivant; béni soit son nom, béni soit le nom de celui
ce qui vit dans l'éternité! L'esprit, la voix et la parole, voilà
c< l'esprit saint.
« Deux, c'est le souffie qui vient de l'esprit': en lui sont
1. Chap. i", prop. 4.
2. Chap. 1", prop. 5.
3. niia nn- ''^" '"^'^'■cu, le même mot désigne à la fois l'air et l'esprit :
110 LA KABBALE.
« gravées et sculptées les vingt-ileux lettres qui ne forment
« cependant qu'un souffle unique.
« Trois, c'est l'eau qui vient du souffle ou de l'air. C'est
« dans l'eau qu'il a creusé les ténèbres et le vide, qu'il a
« formé la terre et l'argile, étendue ensuite en forme de
« tapis, sculptée en forme de mur et couverte comme d'un
« toit.
« Quatre, c'est le feu qui vient de l'eau, et avec lequel il
c< a fait le trône de sa gloire, les roues célestes [ophanim)^
a les séraphins et les anges serviteurs. Avec les trois en-
« semble il a construit son habitation ainsi qu'il est écrit :
« Il fait des vents ses messagers, et des feux enflammés ses
« serviteurs. »
Les six nombres suivants représentent les différentes
extrémités du monde, c'est-à-dire les quatre points cardi-
naux, plus la hauteur et la profondeur. Ces extrémités ont
aussi pour emblèmes les diverses combinaisons qu'on peut
former avec les trois premières lettres du mot Jehovah\
Ainsi, à part les différents points qu'on peut distinguer
dans l'espace, et qui n'ont par eux-mêmes rien de réel, tous
les éléments dont ce monde est composé sont sortis les uns
des autres, en prenant un caractère de plus en plus maté-
riel, à mesure qu'ils s'éloignent de l'esprit saint, leur com-
mune origine. N'est-ce pas cela qu'on appelle la doctrine de
l'émanation? N'est-ce pas cette doctrine qui nie la croyance
nous aurions donc pu dire aussi bien l'esprit qui vient de l'esprit. Mais alors
il faudrait admetlre, dans la proposition suivante, que l'esprit a engendré l'eau,
ce qui est, sans contredit, moins probable que la version à laquelle s'est arrêté
notre choix. D'ailleurs, le premier nombre ne présente pas Dieu lui-même,
mais l'esprit de Dieu; le second, par conséquent, ne peut être que l'expression
de cet esprit, le souffle ou l'haleine dans laquelle viennent se résoudre, en
quelque sorte, les vingt-deux lettres. Considéré sous ce point de vue, l'air,
sans être trop éloigné des régions de l'esprit, peut déjà être compté parmi les
trois éléments matériels, si positivement désignés dans les chapitres suivants.
1. Chap. i", de la propos. 9 à la propos. 12.
ANALYSE DU SEPIIER lETZIRAII. Ui
populaire que le monde a été tiré du néant? Les paroles
suivantes nous aideront peut-être à sortir de l'incertitude :
« La fin des Sephiroth se lie à leur principe comme la
<c flamme est unie au tison, car le Seigneur est un, et il
<c n'y en a pas un second. Or, en présence de l'un, que sont
« les nombres et les paroles'? » Pour ne pas nous laisser
ignorer qu'il s'agit ici d'un grand mystère qui nous com-
mande la discrétion jusqu'avec nous-mêmes, on ajoute
immédiatement : « Ferme ta bouche pour ne pas en parler,
« et ton cœur pour ne pas y réfléchir; et si ton cœur s'est
ce échappé, ramène-le à sa place; car c'est pour cela que
c< l'alliance a été faite*. » Je suppose qu'on veut, par ces
derniers mots, faire allusion à quelque serment en usage
parmi les kabbalistes, pour dérober leurs principes à la
connaissance de la multitude. Quant au premier de ces deux
passages, la singulière comparaison qu'il renferme est assez
fréquemment répétée dans le Zohar : nous la retrouverons
étendue, développée et appliquée à l'âme aussi bien qu'à
Dieu. Ajoutons à cela que dans tous les temps et dans
toutes les sphères de l'existence, dans la conscience aussi
bien que dans la nature extérieure, la formation des choses
par voie d'émanation a été représentée par le rayonnement
de la flamme ou de la lumière.
A cette théorie, si toutefois nous ne faisons pas une dis-
tinction plus apparente que réelle, s'en mêle une autre qui
a fait un chemin plus brillant dans le monde, et qui se pré-
sente ici avec un caractèVe remarquable : c'est celle du
verbe, de la parole de Dieu identifiée avec son esprit, et
considérée, non pas seulement comme la forme absolue,
mais comme l'élément générateur et la substance même de
l'univers. En effet, il ne s'agit plus, comme dans la traduc-
1. Propos. 5.
2. Cliap. 1", propos. G.
112 L.\ KABBALE.
lion clialdaïque d'Onkelos, de substituer partout, pour
anéantir ranthropomorphisme, la pensée ou l'inspiration
divine à Dieu lui-môme, lorsqu'il intervient comme une
personne humaine dans les récits bibliques : le livre que
nous avons sous les yeux affirme expressément, dans un
langage concis mais pourtant clair, que l'esprit saint, ou
\ l'esprit du Dieu vivant, forme, avec la voix et la parole, une
seule et môme chose; qu'il a successivement comme rejeté
de son sein tous les éléments de la nature physique; enlin,
il n'est pas seulement ce qu'on appellerait, dans la langue
d'Aristote, le principe matériel des choses; il est le verbe
devenu monde. Du reste, il faut nous rappeler que, dans
cette partie de la kabbale, il n'est question que du monde,
et non de l'homme ou de l'humanité.
Toutes ces considérations sur les dix premiers nombres
occupent une place très distincte dans le Livre de la création.
11 est facile de voir qu'elles s'appliquent à l'univers en
général, et qu'elles regardent plutôt la substance que la
forme. Dans celles que nous avons devant nous, on compare
entre elles les diverses parties de l'univers, on s'efforce de
les ramener sous une loi commune, comme on a voulu pré-
cédemment les résoudre en un principe commun ; on y donne
enfin plus d'attention à la forme qu'à la substance. Elles ont
pour base les vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu. Mais
il faut songer au rôle extraordinaire qui, déjà dans la pre-
mière partie, est attribué à ces signes extérieurs de la pensée.
Considérés seulement par rapport aux sons qu'ils repré-
sentent, ils se trouvent, pour ainsi dire, sur la limite du
monde intellectuel et du monde physique; car si, d'une
part, ils viennent se résoudre dans un seul élément matériel,
qui est le souffle ou l'air, de l'autre ils sont les signes indis-
pensables à toutes les langues, et par conséquent la seule
forme possible ou la forme invariable de l'esprit. INi l'en-
semble du système ni le sens littéral ne nous permettent
ANALYSE DU SEPIIER lETZlRAII. 113
d'interpréter différemment ces mots déjà cités plus haut :
« Le nombre deux (ou le second principe de l'univers), c'est
ce l'air qui vient de l'esprit; c'est le souffle dans lequel sont
« gravées et sculptées les vingt-deux lettres qui, toutes
« réunies, ne forment cependant qu'un souffle unique. »
Ainsi, par une combinaison bizarre, mais qui ne manque
pas d'une certaine grandeur, qui, du moins, se comprend et
s'explique, les articulations les plus simples de la voix hu-
maine, les signes de l'alphabet ont ici un rôle tout à fait
semblable à celui des idées dans la philosophie de Platon.
C'est à leur présence, c'est à l'empreinte qu'ils laissent dans
les choses, qu'on reconnaît dans l'univers et dans toutes ses
parties une intelligence suprême; c'est enfin par leur inler-
médiaire que l'esprit saint se révèle dans la nature. Tel est
le sens de la proposition qu'on va lire : « Avec les vingt-
ce deux lettres, en leur donnant une forme et une figure, en
« les mêlant et les combinant de diverses manières. Dieu a
« fait l'âme de tout ce qui est formé et de tout ce qui le
ce sera*. C'est sur ces mêmes lettres que le saint, béni soit-
ce il, a fondé son nom sublime et ineffable^ »
Elles se partagent en divers ordres qu'on appelle les trois
mères, les sept doubles et les douze simples". 11 n'est d'au-
cune utilité, pour le but que nous poursuivons, de faire con-
naître la raison de ces étranges dénominations*. D'ailleurs
la place des lettres est entièrement envahie par la division
que nous venons d'exposer et par les nombres qui en résul-
1. Chap. ir, propos. 2.
2- ïrnp: a*,ns icu n^pn ici snzu? nmis' i^ iha.
3. nrcrw'2 mry D\nun mSi£3 yx^'i mcx ;rSu7 tdi n^mx ià
-iij:\t So u*£j nr\2 r^^ pnir ^y^zr^i iiirn ]ppn m^mx D^nxi^i anii'y
Tlïh TTiyn hD U,*EJ1. ^'':'P- "- l"'opos. t.
4. Les simples ne représentent qu'un son; les doubles en expriment deux,
l'un doux et l'autre fort. A la première classe appartiennent les lettres sui-
vantes : pi'îJD p "îtrri TM ; l:i dernière est représentée par ces deux mots :
mrD "t;2.- Enlln, dans le mot ^»)2N O" réunit les trois mères, dont l'une, le
8
il4 U KABBALE.
lent : ou, pour nous exprimer plus clairement, ce sont les
nombres trois, sept et douze qu'on cherche à retrouver per
fas et nefas dans ces trois régions de la nature : 1" dans la
composition générale du monde; 2° dans la division de
l'année ou dans la distribution du temps dont l'année est la
principale unité; 3" dans la conformation de l'homme. Nous
retrouvons ici, bien qu'elle ne soit pas explicitement énoncée,
l'idée du macrocosme et du microcosme, ou la croyance que
l'homme n'est que l'image et, pour ainsi dire, le résumé de
l'univers.
Dans la composition générale du monde, les mères, c'est-
à-dire le nombre trois, représentent les éléments, qui sont
l'eau, l'air et le feu. Le feu est la substance du ciel; l'eau,
en se condensant, est devenue celle de la terre; enfin, entre
ces deux principes ennemis, est l'air qui les sépare et les
réconcilie en les dominant*. Dans la division de l'année, le
même signe nous rappelle les saisons principales : l'été, qui
répond au feu; l'hiver, qui, dans l'Orient, est généralement
marqué par des pluies ou par la domination de l'eau, et la
saison tempérée, formée par la réunion du printemps et de
l'automne. Enfin, dans la conformation du corps humain,
celle trinité se compose de la tète, du cœur ou de la poi-
trine, et du ventre ou de l'estomac; ce sont, si je ne me
trompe, les fonctions de ces divers organes qu'un médecin
moderne a appelés le trépied de la vie*. Mais le nombre trois
paraît ici, comme dans toutes les combinaisons du mysti-
cisme, une forme si nécessaire, qu'on en fait aussi le sym-
bole de l'homme moral, en qui l'on distingue, selon l'ex-
pression originale, « le plateau du mérite, le plateau de la
\y, parce que c'est une letlre sifflante, rejnésenle le feu; la seconde, qui est
muette, représente l'eau; enfin, la première, légèrement aspirée, est le symbole
de l'air.
i . Chap. lu, propos. 5.
'2. Chap. m, propos. 4.
ANALYSE DU SEPllER lETZIRAH. H5
« culpabilité et l'aiguille de la loi qui prononce entre l'un
« et l'autre* ».
Par les sept doubles on représente les contraires ou du
moins les choses de ce monde qui peuvent servir à deux fins
opposées. 11 y a dans l'univers sept planètes, dont l'influence
est tantôt bonne et tantôt mauvaise; il y a sept jours et sept
nuits dans la semaine; il y a dans notre propre corps sept
portes, qui sont les yeux, les oreilles, les narines et la bouclie.
Enfin, ce nombre sept est encore celui des événements heu-
reux ou malheureux qui peuvent arriver à l'homme. Mais
cette classification, comme on doit s'y attendre, est trop
arbitraire pour mériter une place dans cette analyse'^
Les douze simples, dont il nous reste encore à parler,
répondent aux douze signes du zodiaque, aux douze mois de
l'année, aux principaux membres du corps humain et aux
attributs les plus importants de notre nature. Ces derniers,
qui seuls ont peut-être quelque droit à notre intérêt, sont la
vue, l'ouïe, l'odorat, la parole, la nutrition, la génération,
l'action ou le toucher, la locomotion, la colère, le rire, la
pensée et le sommeiP. C'est, comme on le voit, l'esprit
d'examen à son début; et si nous avons lieu d'être surpris,
tantôt de ses procédés, tantôt de ses résultats, cela même est
une preuve de son originalité.
Ainsi, la forme matérielle de l'intelligence, représentée
par les vingt-deux lettres de l'alphabet, est en même temps
la forme de tout ce qui est; car, en dehors de l'homme, de
l'univers et du temps, on ne peut plus rien concevoir ({ue
riulini : aussi appelle-t-onces trois choses les fidèles témoins
de la véi'ité\ Chacune d'elles, maliré la variété que nous y
1- d"'tij2 ynwD pin |VwSt m37 ^3", nnn =]3 p^oi r»2N. •^■•'^n'- '"»
propos. 1.
2. Çliap. IV, propos. 1, 2, 5.
3. Cbap. V, propos. 1 cl 2.
4. «;2J njy; aSiy s'rrx: any. cimp. iv. propos, i.
116 LA KABBALE.
avons observée, est un système qui a son centre et en quelque
sorte sa hiérarchie : « Car, dit le texte, l'unité domine sur
« les trois, les trois sur les sept, les sept sur les douze ; mais
« chaque partie du système est inséparable de toutes les
« autres^ » L'universapourcentreledragoncéleste;lecœur
est le centre de l'homme ; enfin, les révolutions du zodiaque
forment la base des années. Le premier, dit-on, ressemble
à un roi sur son trône ; le second, à un roi parmi ses sujets,
et le troisième, à un roi dans la guerre \ Nous croyons que
par cette comparaison on a voulu indiquer la régularité par-
faite qui règne dans l'univers, et les contrastes qui existent
dans l'homme sans détruire son unité. En effet, on ajoute
que les douze organes principaux dont notre corps est com-
posé « sont rangés les uns contre les autres en ordre de
ce bataille : il en est trois qui servent à l'amour, et trois qui
« produisent la haine; trois qui donnent la vie, et trois qui
« appellent la mort". Le mal se trouve ainsi en face du bien,
« et du mal ne vient que le mal, comme le bien n'enfante
« que le bien. » Mais on fait remarquer aussitôt que l'un ne
saurait être compris sans l'autre. Enfin, au-dessus de ces
trois systèmes, au-dessus de l'homme, de l'univers et du
temps, au-dessus des lettres comme au-dessus des nombres
ou dos Sophiroth « est le Seigneur, le roi véritable qui
« domine sur toutes choses, du séjour de sa sainteté et pen-
te dant des siècles sans nombre* ». A la suite de ces mois,
qui forment la véritable conclusion du livre, vient cette
Chap. \i, propos. 3.
2. -,S^3 r£;2 2S 'nz^mi "fiuD njtt^n b;Sj *ixdd by *]Sî2d ahrji ihr\
n'2riS*22. f>l"np. VI, propos. 2.
^- "wSw* D'x:rw nw'Sc? a^nn'x nurSr n"2nS:2i nnavi t£'j dt^it
Q\T:2^ ~rbw* □"TiT. '^''''P- ^i- propos. 2.
^- rj '>TJ T>*1 inp y'J';2'!2 dS1w2 br*'2 ]^n: "jSd Sx- Après avoir été
appliqué tout entier aux dix Sepliiroth, ce passage ne reparaît qu'en partie à la
place indiquée. Les quatre derniers mots en sont retranches.
ANALYSE DU SEPUER lETZIRAH. 1 1 7
espèce de dénouement dramatique dont nous avons parlé pré-
cédemment, et qui consiste dans la conversion d'Abraham,
encore idolâtre, à la religion du vrai Dieu.
Le dernier mot de ce système, c'est la substitution de
l'unité absolue à toute espèce de dualisme : à celui de la plii-
losophie païenne, qui voulait voir dans la matière une sub-
stance éternelle dont les lois ne sont pas toujours d'accord
avec la volonté divine; comme à celui de la Bible qui, par
l'idée de la création, aperçoit bien dans la volonté divine, et
par conséquent dans l'être infini, la seule cause, la seule
origine réelle du monde, mais qui en même temps regarde
ces deux choses, l'univers et Dieu, comme deux substances
absolument distinctes l'une de l'autre. En effet, dans le
Sepher ietzirah, Dieu, considéré comme l'Etre infini et par
conséquent indéfinissable. Dieu, dans toute l'étendue de sa
puissance et de son existence, se trouve au-dessus, mais non
en dehors des nombres et des lettres, c'est-à-dire des prin-
cipes et des lois que nous distinguons dans ce monde : chaque
élément a sa source dans un élément supérieur, et tous ont
leur origine commune dans le verbe ou dans l'esprit saint.
C'est aussi dans le verbe que nous trouvons ces signes inva-
riables de la pensée qui se répètent en quelque sorte dans
toutes les sphères de l'existence, et par lesquels tout ce qui
est devient l'expression d'un même dessein. Et ce verbe lui-
même, le premier des nombres, la plus sublime de toutes
les choses que nous puissions compter et définir, qu'est-ce
qu'il est, sinon la plus sublime et la plus absolue do tontes
les manifestations de Dieu, c'est-à-dire la pensée ou l'intel-
ligence suprême? Ainsi Dieu est à la fois, dans le sens le plus
élevé, et la matière et la forme de l'univers. Il n'est pas seu-
lement celte matière et celte forme; mais rien n'existe ni ne
peut exister en dehors de lui; sa substance est au fond de
tous les êtres, et tous portent l'empreinte, tous sont les sym-
boles de son intelligence.
118 LA KABBALE.
Celle conséquence si aiulacieuse, si élrangère, en appa-
rence, aux principes qui la fournissenl, est le fond de la
doctrine enseignée dans le Zohar. Mais là on suit une marche
toute différente de celle qui vient de se dessiner sous nos
yeux : au lieu de s'élever lentement, par la comparaison des
formes particulières et des principes subordonnés de ce
monde, au principe suprême, à la forme universelle, et
enfin à l'unilé absolue, c'est ce dernier résultat qu'on admet
tout d'abord; on le suppose, on l'invoque en toute occasion
comme un axiome incontesté; on le déroule, en quelque
façon, dans toute son étendue, en même temps qu'on le
montre sous un jour plus mystérieux et plus brillant. Le lien
qui pouvait exister entre toutes les conséquences obtenues
de cette manière se trouve rompu, il est vrai, par la forme
extérieure de l'ouvrage, mais le caractère synthétique qui y
règne n'en est pas moins prononcé ni moins visible. 11 est
donc permis de dire que le Livre de la lumière commence
précisément au point où s'arrête celui de la Création : la
conclusion de l'un sert à l'autre de prémisses. Une seconde
différence, bien autrement digne d'être remarquée, sépare
ces deux monuments et s'explique par une loi générale de
l'esprit humain : aux nombres et aux lettres nous allons
voir substituer les formes intérieures, les conceptions inva-
riables de la pensée, en un mot les idées dans la plus vaste
et la plus noble acception de ce terme. Le verbe divin, au lieu
de se manifester exclusivement dans la nature, nous appa-
raîlra surtout dans l'homme et dans l'intelligence; il aura
pour nom ï Homme prototype ou céleste, ^T2"îp m.x -wb" a"N*.
Enfin, dans certains fragments dont la haute antiquité ne
saurait être contestée, nous verrons, sans préjudice pour
l'unité absolue, la pensée elle-même prise pour substance
universelle, et le développement régulier de cette puissance
mis à la place de la théorie assez grossière de l'émanation.
Loin de nous la folle pensée de trouver chez les anciens
ANALYSE DU SEPIIER lETZIRAlI. 119
Hébreux la doctrine philosophique qui règne aujourd'hui en
Allemagne presque sans partage; mais nous ne craignons
pas de soutenir, et nous espérons bientôt démontrer que le
principe de cette doctrine, et jusqu'à des expressions exclu-
sivement consacrées par l'école de Hegel, se trouvent parmi
ces traditions oubliées que nous essayons de rendre à la
lumière. Cette transformation que nous signalons dans la
kabbale, ce passage du symbole à l'idée, se reproduit dans
tous les grands systèmes philosophiques ou religieux, dans
toutes les grandes conceptions de l'intelligence humaine.
Ainsi, ne voyons-nous pas dans le rationalisme les diverses
formes du langage dont se compose presque entièrement la
logique d'Aristole, devenir dans celle de Kant les formes
constitutives et invariables de la pensée? Ainsi, dans l'idéa-
lisme, Pythagore et le système des nombres n'ont-ils pas
précédé la sublime théorie de Platon? Ainsi, dans une autre
sphère, n'a-t-on pas représenté tous les hommes comme
issus du môme sang? n'a-t-on pas fait consister leur frater-
nité dans la chair, avant de la trouver dans l'identité de
leurs droits et de leurs devoirs, ou dans l'unité de leur
nature et de leur tâche? Ce n'est pas ici le lieu d'insister
plus longtemps sur un fait général ; mais nous espérons du
moins avoir fait comprendre les rapports qui existent entre
le Sepher ielzirah et l'ouvrage à la ibis bien plus étendu* et
plus important dont nous allons extraire la substance.
1. Le Zohar, dans l'éditiou d'Amslerdam, se compose de trois volumes
grand in-8°, dont cliacun à peu près de 600 pages, en caractères rabbiniques
|)ar conséquent très lins et très serrés.
CnAPITRE lï
ANALYSE DU ZOIL^U — MÉTHODE ALLÉGORIQUE DES KABBALISTES
Puisque les auteurs qui ont contribué à la formation du
Zoha?' nous présentent leurs idées sous la forme la plus
humble et la moins logique, celle d'un simple commentaire
sur les cinq livres de Moïse, nous pouvons, sans manquer à
leur égard de respect ou de fidélité, nous conformer au plan
qui nous aura paru le plus convenable. Et d'abord il nous
mportede savoir comment ils entendent l'interprétation des
Ecritures saintes; comment ils parviennent à s'en faire un
appui, dans l'instant où ils s'en écartent le plus; car c'est
en cela, comme nous l'avons déjà fait remarquer, que con-
siste leur méthode d'exposition ; et, en général, le mysti-
cisme symbolique n'a pas d'autre hase. Voici, sur ce sujet,
leur jugement formulé par eux-mêmes : « Malheur à
« l'homme qui ne voit dans la loi que de simples récits et des
« paroles ordinaires! Car, si, en vérité, elle ne renfermait
« que cela, nous pourrions, même aujourd'hui, composer
« aussi une loi bien autrement digne d'admiration. Pour ne
ce trouver que de simples paroles, nous n'aurions qu'à nous
« adresser aux législateurs de la terre chez lesquels on ren-
ANALYSE DU ZOIIAR. 121
« contre souvent plus de grandeur*. Il nous suffirait de les
« imiter et de faire une loi d'après leurs paroles et à leur
« exemple. Mais il n'en est pas ainsi : chaque mot de la loi
« renferme un sens élevé et un mystère sublime. »
« Les récils de la loi sont le vêtement de la loi. Malheur
« à celui qui prend ce vêtement pour la loi elle-même ! C'est
ce dans ce sens que David a dit : Mon Dieu, ouvre-moi les
« yeux, afin que je contemple les merveilles de la loi. David
c( voulait parler de ce qui est caché sous le vêtement de la
« loi. 11 y a des insensés qui, apercevant un homme couvert
« d'un beau vêtement, ne portent pas plus loin leurs regards,
« et cependant ce qui donne une valeur au vêtement c'est le
« corps, et ce qui est encore plus précieux, c'est l'âme. La
« loi aussi a son corps. Il y a des commandements qu'on
« pourrait appeler le corps de la loi. Les récits ordinaires
« qui s'y mêlent sont les vêlements dont ce corps est recou-
« vert. Les simples ne prennent garde qu'aux vêlements ou
« aux récits de la loi ; ils ne connaissent pas autre chose ; ils
« ne voient pas ce qui est caché sous ce vêlement. Les hom-
« mes plus instruits ne font pas attention au vêlement, mais
« au corps qu'il enveloppe. Enfin, les sages, les serviteurs
« du Roi suprême, ceux qui habitent les hauteurs du Sinaï,
« ne sont occupés que de l'âme, qui est la base de tout le
« reste, qui est la loi elle-même ; et dans les temps futurs
« ils seront préparés à contempler l'âme de cette âme qui
« respire dans la loi '. » C'est ainsi que, par la supposition,
sincère ou non, d'un sens mystérieux, ignoré des profanes,
les kîibbalistes se sont d'abord mis au-dessus des faits histo-
riques et des préceptes positifs qui composent les Écritures.
C'était pour eux le seul moyen de s'assurer la plus com-
Tr^ ^nSi?. ï^*^ Icxlc étant trop long à rapporter tout entier, ncus avons été
obligé (1(! choisir.
2. Zoltar, 3° part., fol. 152, verso, sect. nniSyni-
122 LA KABBALK.
plète liberté sans rompre ouvertement, avec l'autorité reli-
gieuse; et peut-être aussi avaient-ils besoin de ces ménage-
ments avec leur propre conscience. Dans les lignes suivantes,
nous retrouvons le même esprit sous une forme encore plus
remarquable : « Si la loi n'était composée que de paroles et
ce de récits ordinaires, comme les paroles d'Ésau, d'Agar, de
« Laban, comme celles qui furent prononcées par l'ânesse de
« Balaam, et par Balaam lui-même, pourquoi serait-elle ap-
« pelée la loi de vérité, la loi parfaite, le fidèle témoignage
« de Dieu? Pourquoi le sage l'estimerai t-il plus précieuse
« que l'or et les perles? Mais non; dans chaque mot se
« cache un sens plus élevé : cliaque récit nous apprend autre
« chose que les événements qu'il paraît contenir. Et cette loi
« supérieure et plus sainte, c'est la loi véritable'. ^> Il n'est
pas sans intérêt de rencontrer dans les œuvres d'un père de
l'Eglise une manière de voir et jusqu'à des expressions tout
à fait semblables : « S'il fallait, dit Origène, s'attacher à la
« lettre et entendre ce qui est écrit dans la loi à la manière
« des Juifs ou du peuple, je rougirais de dire tout haut que
« c'est Dieu qui nous a donné des lois pareilles : je trouve-
« rais alors plus de grandeur et de raison dans les législa-
« tiens humaines, par exemple dans celles d'Athènes, de
« Rome ou de Lacédémone * «
« A quel homme, dit encore le même auteur, à quel
« homme sensé, je vous prie, fera-t-on croire que le pre-
« mier, le second et le troisième jour de la création, dans
« lesquels cependant on distingue un soir et un matin, ont
■1- pSî2 ■■■ -S^ "'hz2 rVù'pT KniTX \TX HxV^* XUrnp NniTX INT!
rnrîN. ^' p^^'t ? f"^- "^^^j verso.
2. « Si adsideamus litterse et secundùm hoc vel quod Judœis, vel quod vulgo
videtur, accipianius qu;c in lege scripta sunt, erubesco dicere et confiteri quia
laies leges dederit Deus : videbuntiir enim magis élégantes et rationahilcs
hominuin leges, verbi gratià, vel Romanorum, vel Atheniensium, vel Lacedœ-
moniorum. o Homil. 7, in Levit.
ANALYSE DU ZOUAR. 123
« pu exister sans soleil, sans lune et sans étoiles ; que pen-
te dant le premier jour il n'y avait pas même de ciel? Où
« trouvera-t-on un esprit assez borné pour admettre que Dieu
« s'est livré comme un homme à l'exercice de l'agriculture
« en plantant des arbres dans le jardin d'Eden, situé vers
« l'Orient; que l'un de ces arbres était celui de la vie, qu'un
<' autre pouvait donner la science du bien et du mal? Per-
te sonne, je pense, ne peut hésiter à regarder ces choses
« comme des figures sous lesquelles se cachent des mys-
« lères ^ » Enfin il admet aussi la distinction du sens his-
torique, du sens législatif ou moral, et du sens mystique.
Seulement, au lieu d'être assimilé aux vêtements qui nous
couvrent, le premier est comparé au corps, le second à
l'àme et le dernier à l'esprit ^ Pour établir entre la lettre
sacrée et ces interprétations arbitraires certains rapports au
moins apparents, les anciens kabbalisles avaient quelque-
fois recours à des moyens artificiels, qu'on rencontre très
rarement dans le Zohar, mais qui, en revanche, ont pris
beaucoup de place et d'autorité chez les kabbalistes moder-
nes \ Comme ils sont, par leur propre nature, indignes de
tout intérêt, qu'ils ne viennent jamais à l'appui de quelque
1. « Cuinam quœso scnsuin habenli convenienter videbitur dicluni quod dies
prima, et secunda et terlia, in quibus et vespera nominalur et mane, fueriiit
sine so!e, et sine lunà, et sine stellis; prima auteni dies sine cœlo? Quis veiô
ità idiotes inveniliir ut putet, velut hominem quemdam agricolam, Deum plan-
tasse arbores inParadiso, in Eden, contra orienteni, et arborem vitai plantasse
in co, ila ut manducans quis ex eà arbore vitam pcrcipiat? et rursùs ex alià
iiianducans arbore, boni et inali scienliam capiat? » etc., î:spt àp/wv, liv. IV,
cb. u, Iluet, Origeniaua, p. 167.
■2. « Tripliceni in Scripluris divinis intelligenliie modum, historicuin, mo-
ralein, et myslicuin : unde et corpus inesse et animani ac spiritum inlellcxi-
mus. )) Homil. 5, in Levil.
3. Ces moyens sont au nombre de trois : l'un, k''"113D"'A' consiste à rem-
placer un mot par un autre qui a la même valeur numérique, l'autre, VpiTCi:,
l'ait de cbaque lettre d'un mot l'initiale d'un autre mot. Eudn, en vertu du
dernier, ni1î2n> o" cbange la valeur des lettres; par exemple, on remplace
124 LA KABBALE.
idée importante, et qu'enfin tout le monde en a parlé, nous
les passerons sous silence pour arriver plus vite à l'objet
essentiel de nos recherches, à la doctrine qui fut le fruit de
cette indépendance dissimulée, qui fait l'unité et la base de
ces prétendus commentaires.
Nous chercherons d'abord à faire connaître quelle est,
d'après les plus anciens fragments du Zohar, la nature de
Dieu et de ses attributs. Nous exposerons ensuite l'idée
qu'ils nous donnent, je ne dirai pas de la création, mais de
la formation des êtres en général, ou des rapports de Dieu
avec l'univers. Enfin nous nous occuperons de l'homme: nous
dirons comment on le conçoit sous ses principaux aspects;
comment on définit son origine, sa nature et ses destinées.
Celle marche ne nous paraît pas seulement la plus simple
et la plus commode : nous croyons, comme nous l'avons dit
plus haut, qu'elle nous est imposée par le caractère domi-
nant du système.
la première par la dernière, et réciproquement. Yoy. Reuchlin, de Arte caha-
lislic. ; AVolf, deuxième volume de la Dibliotjr. Jiébr.; Basnage, Hist. dca
Juifs, etc., etc.
CHAPITRE III
SUITE DE L ANALYSE DU ZOIIAR — OPINION DES KARDALISTES
Sun LA NATURE DE DIEU
Les kablialisles ont deux manières de parler de Dieu, qui
ne font aucun tort à l'unité de leur pensée. Quand ils cher-
chent à le définir, quand ils distinguent ses attributs, et veu-
lent nous donner une idée précise de sa nature, leur langage
est celui de la métaphysique ; il a toute la clarté que com-
portent de telles matières et l'idiome dans lequel elles sont
exposées. Mais quelquefois ils se contentent de représenter
la Divinité comme l'être qu'il faut renoncer à comprendre
entièrement, qui demeure toujours en dehors de toutes les
formes dont notre imagination se plaît à le revêtir. Dans
ce dernier cas, toutes leurs expressions sont poétiques et
figurées, et c'est en quelque sorte par l'imagination même
qu'ils combattent l'imagination : alors tous leurs efforts ten-
dent à délriiiie l'anthropomorphisme, en lui donnant des
proportions tellement gigantesques, que l'esprit effrayé ne
trouve plus aucun (crme de comparaison, et se voit forcé de
se reposer dans l'idée de l'infini. Le Lirre du Myxlère est écrit
tout entier dans ce style-là; mais les allégories qu'il emploie
étant trop souvent des énigmes, nous aimons mieux, pour
confirmer ce que nous venons de dire, citer un passage de
126 LA KABBA.LE.
Vldra raba ^ Simon ben Jochaï vient de rassembler ses
disciples. Il leur a dit que le temps était venu de travailler
pour le Seigneur, c'est-à-dire de faire connaître le véritable
sens de la loi, que les jours de l'homme sont comptés, les
ouvriers en petit nombre, et la voix du créancier, la voix
du Seigneur, de plus en plus pressante. Il leur a fait jurer
de ne point profaner les mystères qu'il allait leur confier,
puis, s'asseyant parmi eux dans un champ, à l'ombre des
arbres, il se montra prêt à parler au milieu du silence.
« Alors une voix se fit entendre, et leurs genoux s'entre-cho-
« quèrent de frayeur. Quelle était cette voix? C'était la
« voix de l'assemblée céleste qui se réunissait pour écou-
« ter. Rabbi Simon, plein de joie, prononça ces paroles : Sei-
« gneur,je ne dirai pas, comme un de tes prophètes*, qu'en
« entendant ta voix je suis saisi de crainte. Ce n'est plus
« maintenant le temps de la crainte, mais celui de l'amour,
ce ainsi qu'il est écrit : Tu aimeras l'Eternel ton Dieu ^ »
Après ■ cette introduction qui ne manque ni de pompe ni
d'intérêt, vient une longue description entièrement allégo-
rique de la grandeur divine. En voici quelques traits : « Il
« est l'ancien des anciens, le mystère des mystères, l'in-
« connu des inconnus. Il a une forme qui lui appartient,
« puisqu'il nous apparaît comme le vieillard par excellence,
« comme l'ancien des anciens, ce qu'il y a de plus inconnu
« parmi les inconnus. xMais, sous cette forme qui nous le
c( fait connaître, il reste cependant l'inconnu. Son vêtement
« paraît blanc, et son aspect est brillant ^ Il est assis sur
1. Ces deux mots signifient la Grande assemblée, parce que le fragment
auquel ils servent de titre comprend les discours tenus par Simon hen Jochaï
au milieu de tous ses disciples, réunis au nombre de dix. Plus tard, quand la
mort les a réduits à sept, ils forment la Pclile assemblée (x'ol' NTTx)j à
laquelle Simon ben Jochaï s'adresse avant de mourir.
2. Habac, III, 1.
5. Zohar, 5" part., fol. ISS, recto.
4. Je n'ai pu trouver aucun autre sens à ces doux mois ii^^x" N"j»*"'P
ANALYSE DU ZOIlAR. 127
« un Irône crétincelles qu'il soumet à sa volonté. La blan-
« clic lumière de sa tète éclaire quatre cent mille mondes.
« Quatre cent mille mondes nés de cette blanche lumière de-
ce viennent l'héritage des justes dans la vie à venir. Chaque
« jour voit éclore de son cerveau treize mille myriades de
« mondes qui reçoivent de lui leur subsistance, et dont il
« supporte à lui seul tout le poids. De sa tête il secoue une
« rosée qui réveille les morts et les fait naître à une vie non-
ce velle. C'est pour cela qu'il est écrit : Ta rosée est une rosée
ce de lumière. C'est elle qui est la nourriture des saints de
ce l'ordre le plus élevé. Elle est la manne qu'on prépare aux
ce justes pour la vie à venir. Elle descend dans le champ des
ce fi-uits sacrés ^ L'aspect de cette rosée est blanc comme le
te diamant, dont la couleur renferme toutes les couleurs...
ce La longueur de ce visage, depuis le sommet de la tète, est
ce de trois cent soixante et dix fois dix mille mondes. On
ce l'appelle le long visage; car tel est le nom de l'ancien des
ce anciens ^ »
Nous manquerions cependant à la vérité si nous laissions
croire que le reste doit être jugé sur cet exemple. La bizar-
rerie, l'affectation, l'habitude, si commune en Orient,
d'abuser de l'allégorie jusqu'à la subtilité, y tiennent plus
de place que la noblesse et la grandeur. Ainsi, cette tète
éblouissante de lumière, par laquelle on représente l'éternel
foyer de l'existence et de la science, devient en quelque
sorte le sujet d'une étude anatomique; ni le front, ni la
face, ni les youx, ni le cerveau, ni les cheveux, ni la barbe,
rien n'est oublié; tout devient une occnsion d'énoncer des
nombres et des proportions (jui rappellent l'infinie C'est
\. C'est ainsi qu'on aj)|)(,'lle les adeptes de la kahljale.
2. Ce long ou grand visage n'est pas autre chose, comme nous le verrons
bientôt, que la substance de Dieu ou la première des Sephiroth.
3. Ib. siipr., fol. 129, recto et verso; lôO, recto et verso. La seule desciiptioa
de la li:ir!)e et du la clievcltire occupe une 1res grande place dans VIdra raba.
128 LA KABBALE.
évidemment là ce qui a provoqué, contre les kabbalisles, le
reproche d'anthropomorphisme et même de matérialisme
que leur ont adressé quelques écrivains modernes. Mais ni
cette accusation, ni la forme qui en est le prétexte, ne
méritent de nous arrêter plus longtemps. Nous allons donc
essayer de traduire quelques-uns des fragments où le même
sujet est traité d'une manière plus intéressante pour la phi-
losophie et pour l'histoire de l'intelligence humaine. Le
premier que nous citerons forme un tout complet d'une
assez grande étendue, et qui, par cela seul, se recommande
à noire attention. Sous prétexte de faire connaître le sens
véritable de ces paroles d'Isaïe : « A quoi pourrcz-vous me
« comparer qui me soit égal'? » il nous explique la géné-
ration des dix Sephiroth, ou principaux attributs de Dieu, et
la nature de Dieu lui-même, quand il se cachait encore dans
sa propre substance. « Avant d'avoir créé aucune forme
« dans ce monde; avant d'avoir produit aucune image, il
« était seul, sans forme, ne ressemblant à rien. Et qui
« pourrait le concevoir comme il était alors, avant la créa-
« tion, puisqu'il n'avait pas de forme? Aussi est-il défendu
« de le représenter par quelque image et sous quelque
« forme que ce soit, même par son saint nom, même par
« une lettre ou par un point. Tel est le sens de ces mots :
« Vous n'avez vu aucune figure le jour où l'Eternel vous
« parla-; c'est-à-dire vous n'avez vu aucune chose que
« vous puissiez représenter sous une forme ou par une
ce image. Mais après avoir produit la forme de VHomme
« céleste, n^V^* aiN, il s'en servit comme d'un char, razm
^ « Mercaba, pour descendre; il voulut être appelé par cette
« forme, qui est le saint nom de Jehovah; il voulut se faire
« connaître par ses attributs, par chaque attribut séparc-
1 . haie, chap. xl, v. 25.
2. Dénier., chap. iv, v. 15.
ANALYSE DU ZOlUn. fog
« ment, et se fit nommer le Dieu de grâce, le Dieu de justice,
« le Dieu tout-puissant, le Dieu des armées, et Celui qui
c< est. Son dessein élait de faire comprendre ainsi quelles
« sont ses qualités et comment sa justice et sa miséricorde
« s'étendent sur le monde, aussi bien que sur les œuvres
« des hommes. Car, s'il n'eût pas répandu ses lumières sui
« toutes ses créatures, comment ferions-nous pour le con-
te naître? Comment serait-il vrai de dire que l'univers est
« rempli de sa gloire? Malheur à qui oserait le comparer
« même à l'un de ses propres attributs! Encore bien moins
a doit-il être assimilé à l'homme venu de la terre et destine
« à la mort. Il faut le concevoir au-dessus de toutes les
« créatures et de tous les attributs. Or, quand on a ôlé ces
« choses, il n'y a plus ni attribut, ni image, ni figure; ce
« qui reste est comme la mer; car les eaux de la mer sont
« par elles-mêmes sans limite et sans forme; mais lors-
« qu'elles se répandent sur la terre, alors elles produisent
« une image, ivizi, et nous permettent de faire ce calcul :
« La source des eaux de la mer et le jet qui en sort pour se
« répandre sur le sol font deux. Ensuite il se forme un
ce bassin immense, comme lorsqu'on creuse une vaste pro-
« fondeur; ce bassin est occupé par les eaux sorties de la
« source, il est la mer elle-même et doit être compté le
« troisième. A présent celte immense profondeur se par-
ce lage eu sept canaux qui sont comme autant de vaisseaux
« longs par lesquels s'échappe l'eau de la mer. La source,
« le courant, la mer et les sept canaux forment ensemble
« le nombre dix. Et si l'ouvrier qui a construit ces vases
« vient à les briser, les eaux retournent à leur source, et
« il ne reste plus que les débris de ces vases, desséchés et
« sans eau. C'est ainsi que la cause des causes a produit les
« dix Scphiroth. La Couronne, c'est la source d'où jaillit
« une lumière sans fin, et de là vient le nom iVInfini, ya
«^=]iD, EnSopli. pour désigner la cause suprême; car elle
130 LA KABBALE.
« n'a dans cet élat ni forme ni figure; il n'existe alors
« aucun moyen de la comprendre, aucune manière de la
« connaître; c'est dans ce sens qu'il a été dit : Ne médite
« pas sur une chose qui est trop au-dessus de toi*. Ensuite
« se forme un vase aussi resserré (pi'un point (que la
« lettre i), mais dans lequel cependant pénètre la lumière
« divine : c'est la source de la sagesse, c'est la sagesse
« elle-même, en vertu de laquelle la cause suprême se fait
« appeler le Dieu sage. Après cela elle construit un vase
ce immense comme la mer, et qu'on nomme l'intelligence :
« de là vient le litre de Dieu intelligent. Sachons cependant
« que Dieu n'est intelligent et sage que par sa propre suh-
« stance; car la sagesse ne mérite pas ce nom par olle-
« même, mais à cause de lui qui est sage et la produit de
« la lumière émanée de lui : ce n'est pas non plus par elle-
« même qu'on peut concevoir l'intelligence, mais pnr lui
« qui est l'être intelligent et qui la remplit de sa propre
« substance. Il n'aurait qu'à se retirer pour la laisser
« entièrement desséchée. C'est ainsi qu'il faut entendre
« ces mots : Les eaux se sont retirées de la mer, et le lit
ce du fleuve est devenu sec et aride'. Enfin, la mer se par-
ce loge en sept branches, et il en résulte les sept vases pré-
ce cieux qu'on appelle la miséricorde ou la grandeur, la
ce justice ou la force, la beauté, le tinomplie, la gloire, la
ce royauté et le fondement ou bi base. C'est pour cette
ce raison qu'il est nommé le grand ou le miséricordieux,
ce le fort, le magnifique, le Dieu des victoires, le Créateur
ce à qui toute gloire appartient et la base de toutes choses,
ce C'est ce dernier attribut qui soutient tous les autres,
ce ainsi que la totalité des mondes. Enfin, il est aussi le
ce roi de l'univers; car tout est en son pouvoir, soit qu'il
1. Ecclésiaste, chap. ii', v. 2, cilé clans le Thulniud de Dabylone, 'Ilayuiga
13 fl, et dans Bcreschil Rabba, 8.
2, Job, chap. xiv, v. 2.
OPLMON DES KABBALISTES SUR DIEU. l5l "
« veuille diminuer le nombre des vases et augmenter la
« lumière qui en jaillit, ou que le contraire lui semble
« préférable*. » Tout ce que les kabbalistes ont pensé de
la nature divine est à peu près résumé dans ce texte. Mais
il est impossible qu'il ne laisse pas une grande confusion,
même dans les esprits les plus familiarisés avec les ques-
tions et les systèmes métapbysiques. 11 faudrait, d'une part,
qu'il pût être suivi d'assez longs développements : de
l'autre, au contraire, il serait utile de présenter, sous une
forme à la fois plus substantielle et plus précise, cbacun
des principes qu'il renferme. Pour atteindre ce doubltî
but sans compromettre la vérité bistorique, sans avoir la
crainte de substituer notre propre pensée à celle dont nous
voulons être l'organe, nous réduirons le passage qu'on
vient de lire à un petit nombre de propositions fondamen-
tales, dont chacune sera en même temps éclaircie et justi-
fiée par d'autres extraits du Zohar.
i" Dieu est, avant toute chose, l'être infini; il ne saurait
donc être considéré ni comme l'ensemble des êtres, ni
comme la somme de ses propres attributs. Mais sans ces
attributs et les effets qui en résultent, c'est-à-dire sans une
forme déterminée, il est à jamais impossible ou de le com-
prendre ou de le connaître. Ce principe est assez clairement
énoncé lorsqu'on dit « qu'avant la création Dieu était sans
« forme, ne ressemblant à rien, et que, dans cet état,
« aucune intelligence ne peut le concevoir ». Mais, ne
voulant pas nous borner à cet unique témoignage, nous
cspéi'ons que la même pensée ne sera pas plus difficile à
reconnaître dans les paroles suivantes : « Avant que Dieu
« se fût manifesté, lorsque toutes choses étaient encore
« cachées en lui, il était le moins connu parmi tous les
« inconnus. Dans cet état, il n'a pas d'autre nom que celui
1. Zohar, 2" part., fol. 42, verso, et 45, reclo, sect. nS?*13 h.S* Ni-
132 LA KABBALE.
« qui exprime l'inlerrogation. Il commcnra par former un
« point imperccjjtible : ce fut sa propre pensée; puis il se
ce mit à construire avec sa pensée une forme mystérieuse
a et sainte; enfin, il la couvrit d'un vêtement riche et
« éclatant : nous voulons parler de l'univers, dont le nom
<c entre nécessairement dans le nom de Dieu^ » Voici ce
qu'on lit aussi dans VIdra souta (la Petile assemblée), dont
nous avons plus d'une fois signalé l'importance : « L'An-
« cien des anciens est en même temps l'inconnu des
ce inconnus; il se sépare de tout et il n'en est pas séparé;
« car tout s'unit à lui comme à son tour il s'unit à toute
ce chose; il n'y a rien qui ne soit en lui. Il a une forme, et
ce l'on peut dire qu'il n'en a pas. En prenant une forme, il
ce a donné l'existence à tout ce qui est; il a d'abord fait
ce jaillir de son sein dix lumières qui brillent par la forme
ce qu'elles ont empruntée de lui, et répandent de toute part
ce un jour éblouissant : c'est ainsi qu'un phare envoie de
ce tous côtés ses rayons lumineux. L'Ancien des anciens,
ce l'inconnu des inconnus est un phare élevé, que l'on
ce connaît seulement par les lumières qui brillent à nos
ce yeux avec tant d'éclat et d'abondance. Ce qu'on appelle
ce son saint nom n'est pas autre chose que ces lumières*. »
2° Les dix Séphirolh, par lesquelles l'Être infini se fait
connaître d'abord, ne sont pas autre chose que des attri-
buts qui, par eux-mêmes, n'ont aucune réalité substan-
1. Zohar, foL 1 et 2, l"' part.; foL 105, recto, 2*^ part. Il y a dans ce texte
un jeu de mots que nous n'avons pas pu rendre fidèlement. On se propose
d'espliquer ce verset : Levez vos yeux vers le ciel et voyez qui a créé cela.
\ Or il se trouve qu'en réunissant en un seul les deux mois héhrcux, dont l'un,
I iî2' ^^ traduit par le pronom intcrrogatit qui, et l'autre, n^x» P^f c'c/a, on
i j obtient le nom de Dieu, Qi-Sx- L'auteur du verset ayant voulu désigner l'uni-
i vers, on en conclut que celui-ci est inséparable de Dieu, puisqu'ils n'ont, l'un
! et l'autre, qu'un seul et même nom.
2- Nmp Nî2*kr pipN p;\s'i ]L:c*î:n*2" "ç^rrr. ]'î:"n nSx -'•Iw nS-
j°part., fol. 288, rcclo, Idra soula.
Ol'IMOK DES KABBALISTES SUR DIEU. 153
lielle; dans chacun de ces attributs, la substance divine
est présente tout entière, et dans leur ensemble con-
siste la première, la plus complète et la plus élevée de
toutes les manifestations divines. Elle s'appelle l'homme
primitif ou céleste, -jiaTp nia n^hv mx; c'est la figure qui
domine le char mystérieux d'Ezéchiel et dont l'homme ter-
restre, comme nous le verrons bientôt, n'est qu'une pâle
copie. « La forme de l'homme, dit Simon ben Jochaï à ses
« disciples, la forme de l'homme renferme tout ce qui est
« dans le ciel et sur la terre, les êtres supérieurs comme
(c les êtres inférieurs; c'est pour cela que l'Ancien des
<c anciens l'a choisie pour la sienne'. Aucune forme,
« aucun monde ne pouvait subsister avant la forme
c humaine; car elle renferme toutes choses, et tout ce qui
« est ne subsiste que par elle ; sans elle, il n'y aurait pas de
te monde, et c'est dans ce sens qu'il faut entendre ces mots :
« l'Eternel a fondé la terre sur la sagesse. Mais il faut dis-
« tinguer l'homme d'en haut, xb'yV'î mx, de l'homme d'en
« bas, NnnS" D^^^ car l'un ne pourrait pas exister s.ins
« l'autre. Sur cette forme de l'homme repose la perfection
<■<■ de la foi de tous; c'est d'elle qu'on veut parler quand on
<c dit qu'on voyait au-dessus du char comme la figure d'un
« homme; c'est elle que Daniel a désignée par ces mots :
« Et je vis comme le fils de l'homme qui venait avec les
<c nuées du ciel, qui s'avança jusqu'à l'Ancien des jours, et
« ils le présentèrent devant llli^ » Ainsi, ce qu'on appelle
riiomme céleste ou la première manifestation divine n'est
pas autre chose que la forme absolue de tout ce qui est; la
1- ixm ]^;2i .T3 iSS^nxT ]\xnm '{\sS";t N:p"ii- iin q-xt N:pin
N:pin >Nn3 tij'pn xmp a-p'n'j "jipn.s ^ixnm yah'j h^hz N:p'n
i<;ipm- ^'' pai't-» idid raba, fol. lli, verso.
n Tn^T N^zSy Q\'<p xS d-xt x:ipn "ix.-; xSaSxT x- xSa xt c\s;)
V1X IC ""Z-ni- '''' siipr., \\j\. Hi, icclo, etc.
154 LA KABBALE.
source de loules les autres formes, ou plutôt de toutes les
idées; en un mot, la pensée suprême, la même qui ailleurs
est appelée le /2/0? ou le verbe. Nous ne prétendons pas
exprimer ici une simple conjecture, mais un fait historirpje
dont on appréciera l'exactitude à mesure qu'on aura une
connaissance plus étendue de ce système. Cependant, avant
d'aller plus loin, nous citerons encore ces paroles : « La
« forme de l'Ancien (dont le nom soit sanctifié!) est une
« forme unique qui embrasse toutes les formes. Elle est
« la sagesse suprême et mystérieuse qui renferme tout le
« reste \ »
5° Les dix Séphiroth, si nous en croyons les auteurs du
Zoliar, sont déjà désignées dans l'Ancien Testament par
autant de noms particuliers, consacrés à Dieu, les mêmes,
comme nous l'avons déjà remarqué, que les dix noms
mystiques dont parle saint Jérôme dans sa lettre à Mar-
cel la". On a voulu aussi les trouver dans la Misclina,
lorsqu'elle dit que Dieu a créé le monde avec dix
paroles (dSi"."; ^■'23riii^2S''2 nn^^'-fy^oir^ar autant d'ordres
émanés de son verbe souverain". Quoique tous également
nécessaires, les attributs et les distinctions qu'ils expri-
ment ne peuvent pas nous faire concevoir la nature divine
de la même hauteur; mais ils nous la représentent sous
divers aspects, que dans la langue des kabbalistes on
appelle des visages, 'j''Si].n3'"|"'Sis'. Simon ben Jochaï et ses
disciples font un fréquent usage de celte expression méta-
phorique; mais ils n'en o.nt pas abusé comme leurs
modernes successeurs. Nous nous arrêterons un peu sur ce
point, sans contredit le plus important de toute la science
kabbalistique; et avant de déterminer le caractère particu-
1>5ky S;i nSSd HNCriD n^by- 5° pnrt., hlra solda, fol. 288, verso.
2. Zohar, o" part., fol. 11, recto.
5. Pirké-Aboih, V, 1.
OPINION DES KABBALISTES SLR DIEU. ISIj
lier de chacune des Sépliirolli, nous allons jeter un coup
d'œil sur la question générale de leur essence; nous expo-
serons en peu de mots les diverses opinions qu'elle a fait
naître parmi les adeptes de la doctrine.
Les kabbalistes se sont tous adressé ces deux questions :
d'abord, pourquoi y a-t-il des Séphiroth? ensuite, ^quc sont
les Séphiroth considérées dans leur ensemble, soit par
rapport à elles-mêmes, soit par rapport à Dieu? Sur la
première question les textes du Zohar sont trop posi-
tifs pour donner lieu au moindre doute. Il_j a des Séphi-
roth comme il y a jjes^ noms de Dieu, puisque ces deux
choses se confondent dans l'esprit, puisque les Séphiroth
ne _sont que les idées^ et les choses exprimées par les
noms. Or, si Dieu ne pouvait pas être nommé, ou si,
de tous les noms qu'on lui donne, aucun ne désignait une
chose réelle, non seulement il ne serait pas connu de
nous, mais il n'existerait pas davantage pour lui-même;
car il ne peut se comprendre sans intelligence, ni être sage
sans sagesse, ni agir sans puissance. Mais la seconde ques-
tion n'est pas résolue par tous de la même manière. Les
uns, se fondant sur le principe que Dieu est immuable,
ne voient dans les Séphiroth que des instruments^ de la
puissance divine, des créatures d'une nature supérieure,
mais complètement distijictcs clu premier Etre. Ce sont
ceux qui voudraient concilier le langage de la kabbale avec
la lettre de la loi'. Les autres, poussant à ses dernières con-
séquences le principe antique que rien ne vient de rien,
identifient complètement les dix 8é})hirotli et la substance
divine. Ce que le Zohar appelle En Soph, c'est-à-dire l'In-
fini lui-même, n'est à leurs yeux que l'ensemble des Séphi-
roth, rien de plus, rien de moins; et chacune de ces der-
■1. A In tète do ce parti est l'aulciir' du livre intitulé : les Motifs des com-
mamlemcnls (nTlï?2n ''GV*k2)» Mcnu'licni Ilekauali, qui floiissait au commea-
ceuient du (lualuiziénie siècle.
lôG LA KABBALE.
mères n'est qu'un point de vue différent de ce même infini
ainsi compris'. Entre ces deux opinions extrêmes vient se
placer un système beaucoup plus profond et plus conforme
à l'esprit des monuments originaux : c'est celui qui, sans
considérer les Séphiroth comme des instruments, comme
des créatures, et par conséquent comme des êtres distincis
de Dieu, ne veut pourtant pas les identifier avec lui. Yoici.
en résumé, sur quelles idées il repose : Dieu est présent
dans les Séphiroth, autrement il ne pourrait se révéler par
elles; mais il ne demeure pas en elles tout entier; il n'est
pas seulement ce qu'on découvre de lui sous ces formes
sublimes de la pensée et de l'existence. En effet, les^ Séphi-
roth iiej^euvent jamais comjDrendre l'inlini, i'En Soph, qui
est la source même de toutes ces formes, et qui, en cette
qualité, n'en a aucune : ou bien, pour me servir des termes
consacrés, tandis que chaque Séphirah a un nom bien
connu, lui seul n'en a pas et ne peut pas en avoir. Dieu
reste donc toujours l'Etre ineffable, incompréhensible,
infini, placé au-dessus de tous les mondes qui nous révèlent
sa présence, même le monde de l'émanation. Par là on croit
échnpper aussi au reproche de méconnaître l'immutabilité
divine : car les dix Séphiroth peuvent être comparées à
autant de vases de différentes formes ou à des verres
nuancés de diverses couleurs. Quel que soit le vaso dans
lequel nous voulons la mesurer, l'essence absolue des
choses demeure toujours la même; et la lumière divine,
comme la lumière du soleil, ne change pas de nature avec
le milieu qu'elle traverse. Ajoutons à cela que ces vases et
ces milieux n'ont par eux-mêmes aucune réalité positive,
aucune existence qui leur soit propre; ils représentent seu-
lement les limites dans lesquelles la suprême essence des
choses s'est renfermée elle-même, les différents degrés
i . Celte opinion est représentée par l'auteur du -7"^ p;2 C*^ Bouclier de
David).
OPINION DES KABBALISTES SUR DIEU. 137
d'obscurité dont la divine lumière a voulu voiler sa clarté
infinie, afin de se laisser contempler. De là vient qu'on a
voulu reconnaître dans chaque Séphirah deux éléments, ou
plutôt deux aspects différents : l'un, purement exiérieur,
négatif, qui représente le corps, le vase proprement dit / . •
(iVh l'autre, intérieur, positif, qui figure l'esprit et la
lumière. C'est ainsi qu'on a pu parler de vases brisés qui
ont laissé échapper la lumière divine. Ce point de vue, éga-
lement adopté par Isaac Loria* et par Moïse Corduero%
exposé par ce dernier avec beaucoup de logique et de pré-
cision, est celui, encore une fois, que nous croyons histori-
quement le plus exact et sur lequel nous nous appuierons
désormais avec une entière confiance comme sur la base de
toute la parlie métaphysique de la kabbale. Après avoir
ainsi établi ce principe général sur l'autorité des textes et
celle des commentaires les plus estimés, il fout maintenant
que nous fassions connaître le rôle particulier de chacune
des Séphiroth et les diverses manières dont on les a groupées
par trinités et par personnes.
La première et la plus élevée de toutes les manifestations ' *7Jl25
divines, en un mot la première Séphirah, c'est la couronne,
"inD, ainsi nommée en raison même de la place qu'on lui
donne an-dessus de toutes les autres. « Elle est, dit le texte,
u le pi'incipc de tous les principes, la sagesse mystérieuse,
« la couronne de tout ce qu'il y a de plus élevé, le dia-
« dème des diadèmes^. » Elle n'est pas cette totalité confuse,
!. Voy. Isaac Loria, Séplier Drou/ichini (□vj;«i-n 130^? "f^ '«''• — Cet
tiuvi-afrc a été traduit par Knorr de lloscnrolh et fait parlie de la Kabhula
ficnudala.
2. Voy. Pardes Rimoiiim (le Jardia des Grenades), fol. 21, 22, 25 et 24.
Oulrc le mérite de la clarté que nous reconnaissons à Corduero, il a encore
celui de rapporter fidèlement et de discuter d'une manière ap[)r()fondie les
opinions de ses devanciers et de ses adversaires.
3. ii-in^i "ç^yc'j Sd •T's. p'cvn^T xS"'';S nvih'j xin^- Zohar, o^part,,
fol. 288, verso.
-158 LA KABBALE.
sans forme et sans nom, ce mystérieux inconnu qui a pré-
cédé toutes choses, mènieles attributs, ^id ■j\x. Elle représente
l'infini, distingué du fini; son nom dans l'Écriture signifie
n't^ j^ ^^*'^' '^■'"''^S parce qu'elle est l'être en lui-même; l'être
considéré d'un point de vue où l'analyse ne pénètre pas, où
nulle qualification n'est admise, mais où elles sont toules
réunies en un point indivisible. C'est par ce motif qu'on
l'appelle aussi le point primitif ou par excellence, mipj
iTcius n-ip:- n;iuxi. « Quand l'inconnu des inconnus voulut
ce se manifester, il commença par produire un point; tant
« que ce point lumineux n'était pas sorti de son sein, l'in-
« fini était encore complètement ignoré et ne répandait
« aucune lumière*. » C'est ce que les kabbalistes modernes
ont expliqué par une concentration absolue de Dieu en sa
propre substance, m2:Gi'. C'est cette concentration qui a
donné naissance îi l'espace, à l'a/r primitif {]*'!21p^^'1ii), qui
n'est pas un vide réel, mais un certain degré de lumière
inférieur à la création. Mais par cela même que Dieu,
retiré sur lui-même, se distingue de tout ce qui est fini,
limité et déterminé; par cela même qu'on ne peut pas
encore dire ce qu'il est, on le désigne par un mot qui
>">< signifie nulle chose, ou le non être, "iw. « On le nomme
ce ainsi, dit Vidra souta, parce que nous ne connaissons
« pas, et qu'il est impossible de connaître ce qu'il y a dans
« ce principe; parce qu'il ne descend jamais jusqu'à notre
« ignorance et qu'il est au-dessus de la sagesse elle-même*. »
Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire remarquer que
l'on retrouve la même idée et jusqu'aux mêmes expressions
^- K*-n mip: isms itj t^^ibinxS n"2 ii'ztid Sût ngtid" Nn"'w2
Zohar, \'" part., fol. 2, recto,
Nin mip: thj .TmypsT ipim i;^t tj SSd y-i'n.s ah- Zohar, r= pan.,
foL 15, recto.
yH npN -]3 y^Z' 'ZrhzT-Z- ^'V^vL, m. 288, verso.
OriNION DES KABBALISTES SUR DIEU. 130
dans l'un des plus vastes et des plus célèbres systèmes d^
métaphysique dont notre époque puisse se glorifier aux
yeux de la postérité. « Tout commence, dit Hegel, par
« Vêtrej^r, qui n'est qu'une pensée entièrement indéler- /{^ U
« minée, simple et immédiate, car le vrai commencement
« ne peut pas être autre chose.... Mais cet être pur n'est
« que la plus pure abstraction; c'est un terme absolument
« négatif, qui peut aussi, si on le conçoit d'une manière
« immédiate, être appelé le non-ètre'. » Enfin, pour re-
venir à nos kabbalistcs, la seule idée de l'être ou de l'ab-
solu, considérée du point de vue sous lequel nous venons de
l'envisajïer, constitue une forme complète, ou, pour em-
ployer le terme consacré, une tèle, un visage; ils l'appellent
la ièie blanche (Nin-Kun), parce que toutes les couleurs, UfUiZf-
c'est-à-dire toutes les notions, tous les modes déterminés
sont confondus en elle, ou V Ancien (xp'^n:;), parce qu'elle est '-^^ ''^'^'■
la pi-emière des Séphiroth. Seulement, dans ce dernier cas,
il faut se garder de la confondre avec V Ancien des anciens
(■jip''n';T Np^n*^*), c'est-à-dire avec l'En Soph lui-même, devant
lequel son éclatante lumière n'est que ténèbres. Mais on la
désigne plus généralement sous la dénomination singulière
de grand vimge, aii2N-jnx; sans doute parce qu'elle ren- '^^^i- ,
ferme toutes les autres qualifications, tous les attributs
intellectuels et moraux dont on forme, par la même raison,
\i' pdit vhage,y^:i<')'^'':i'. « Le premier, dit le texte, c'est 'LA^ f
« l'Ancien, vu face à face, il est la tête suprême, la source
1. (( Das reine Scipi macht don Anfang, weil es sowolil reiner Gedanlic, aïs
das uiibestiniinle einfache UniniUelhare isl, der crste Anfong aber nichls
VerinillcUes und weiler Besliminles scyn kann. Dièses reine Scyn ist nun die
reine Abstraclion, damit das Absolid-ncgalive, welches, gleichfalIsunniiUelbar
genomrnen, das Nichls ist. » Encyclopédie des sciences philosophiques, §§ 8(>
et 87.
2. N*n 1:^7 aS'yn ^''wxin dS";,"! nt.i i'eis' -i-i>< N-ipj inrnmSiïx'
TiD\-i "7 HDjna a.T»:r mrED n Sd SSi3 xm"i ^'î:s T"7.Ch:ii).iii,fui.8,
D^31î21 DT12 '^'^ Muise Corducro.
uo
LA KABBALE.
« de toiile lumière, le principe de toute sagesse, et ne peut
« être défini autrement que par l'unité*. »
, Du sein de celte unité absolue, mais distinguée de la
■variété et de toute unité relative, sortent parallèlement deux
principes opposés en apparence, mais en réalité insépa-
Jrables : l'un, mâle ou actif, s'appelle la sagesse, narn ; l'autre,
passif ou femelle, est désigné par un^mot qu'on a coutume
de traduire par celui àHnteUlgence, nra. « Tout ce qui
« existe, dit le texte, tout ce qui a été formé par l'Ancien
« (dont le nom soit sanctifié!) no peut subsister que par un
« mâle et par une femelle*. » Nous n'insisterons pas sur
cette forme générale, que nous retrouverons fréquemment
sur notre route; mais nous croyons qu'elle s'applique ici
au sujet et à l'objet de l'intelligence, qu'il n'était guère pos-
sible d'exprimer plus clairement dans une langue éminem-
ment poétique. La sagesse est aussi nommée le père; car
elle a, dit-on, engendré toutes clioses. Au moyen des trente-
deux voies merveilleuses par lesquelles elle se répand dans
l'univers, elle impose à tout ce qui est une forme et une
mesure \ L'intelligence, « c'est la mère, ainsi qu'il est
« écrit : Tu appelleras l'intelligence du nom de mère * »
I (Proverbes, II, 3). Cependant, sans détruire l'antitbèse que
l'on vient d'établir comme la condition générale de l'exis-
tence, on fait quelquefois sortir le principe femelle ou
passif du principe nlàle^ De leur mystérieuse et éternelle
1- iipi^ D'^EiS -jiN* nSd Nmp Np^ivi iiî::n2 iiîin' ib^nc^s ly.-
Zolictr, 5" part., fol. 292, verso, et 289, verso.
2. Nipiji 1-1 y^z y'prin aSz KipnxS N'y2 Nunp Np\-i';i ara^i
Ib. supr., fol. 29t1, recto.
5. f-xî^ n?23nm :"in2- ï<u.-"'-p p\-iya p"";:: in *Nn ]nnxb zj< ."rrrn
^- xin Kap"i:T 1311 nDiTi'Ni n:3''2 nTa p^sNi -i^-k^'snx r\^2zn \<nr\i-
Ib. supr.
OPINION DES KÂBBALISTES SUR DIEU. 141
union sort un fils qui, selon l'expression originale, prenant
à la fois les traits de son père et ceux de sa mère, leur rend
témoignage à tous deux. Ce fils de la sagesse et de l'intelli-
gence, appelé aussi, à cause de son double héritage, le fils
aîné de Dieu, c'est la connaissance ou la science, nyT. Ces JD^f^
trois personnes renferment et réunissent tout ce qui a été,
est et sera; mais elles sont réunies à leur tour dans la tête
blanche, dans l'Ancien des anciens, car tout est lui, et lui est
tout'. Tantôt on le représente avec trois tètes qui n'en
forment qu'une seule, et tantôt on le compare au cerveau ^&^-J^
qui, sans perdre son unité, se partage en trois parties, et, 'f- '^h'*^
au moyen de jrente-deux paires de nerfs, se répand dans "^î-vu^nK^
tout le corps, comme, à l'aiTle Jes trente-deux voies de la
sagesse, la Divinité se répand dans l'univers. « L'Ancien
ic (dontlenom soitsnnclifié!) exisie avec trois tètes qui n'en
« forment qu'une seule; et celte tète est ce qu'il y a de plus
« élevé parmi les choses élevées. Et parce que l'Ancien '^^^.vt^^^^
ce (dont le nom soit béni!) ejt représenté par le nombre '
ce trois (nSna Q"|^^^^< Nurnp Np^ny- i^n), toulcs les autres
<c lumières qui nous éclairent de leurs rayons (les autres :!i^St^iMt\
« Séphirotli) sont é<]^alement comprises dans le nombre 7*^ '^^'^'v^
(c trois^ » Dans le passage suivant, les termes de cette tri-
nilé sont un peu différents; on y voit figurer l'En Soph lui-
même, mais en revanche on n'y trouve pas l'intelhgence,
sans doute parce qu'elle n'est qu'un rellet, une certaine
expansion ou division du Logos, de ce qu'on appelle ici la
sagesse. « Il y a trois tètes sculptées l'une dans l'autre et
« l'une au-dessus de l'autre. Dans ce nombre, comptons
« d'abord la sagesse mystérieuse, la sagesse cachée et qui
1- p?2''D Si'is: yi N'm ]^'^i n>-n nr2 rs'2zr> ^npj^ pi dx-, 2X wm
Nin vhz y^)2'^7\D n-'z ^'^■'tvj S:t xpTiy xunp xS-^zi ]^)2\-id prxi ]'pSin
N.T sSj ■'11 xS-- -J" l''"'t-. '"!• 2'J', verso et itcIo.
2. Idra solda, tlaiis la Iruisiomo iiarlic clii Zuliar, fui. 288, vorto.
142 LA KADBALE.
« n'esl jamais sans voile. Celle sagesse mystérieuse, c'est
« ]e principe suprême de toute autre sagesse. Au-dessus de
« cette première tète est l'Ancien (dont le nom soit sanc-
« lifiéî), C3 qu'il y a de plus mystérieux parmi les mystères.
« Enfin vient la lèle qui domine toutes les autres; une tète
« qui n'en est pas une. Ce qu'elle renferme, nul ne le sait
« ni ne peut le savoir; car elle échappe également à noire
« science et à notre ignorance. C'est pour cela que l'Ancien
« (dont le nom soit sanctifié!) est appelé le non-èlrc'. »
Ainsi, l'unité dans rôtre et la trinilé dans les manifestations
inlellecluellcs ou dans la pensée, voilà exactement à quoi se
résume tout ce que nous venons de dire.
r^-'f"****^ Quelquefois les termes, ou, si l'on veut, les personnes de
celle triji^ité sont représentées comme trois phases succes-
sives et ahsolument nécessaires dans l'existence aussi hien
que dans la pensée; comme une déduction, ou, pour nous
servir d'une expression consacrée en Allemagne, comme un
procès logique qui constitue en môme temps la génération
du monde. Quelque élonnement que ce fait puisse exciler,
on n'en doutera pas, quand on aura lu les lignes suivantes :
1^*^^' « Venez et voyez, la pensée est le principe de tout ce qui
« est; mais, en tant que pensée, elle est d'ahord ignorée et
« renfermée en elle-même. Quand la pensée commence à
« se répandre, elle^ arrive à l'endroit oii demeure l'espritj
« parvenue à ce point, elle prend le nom d'intelligence et
« n'est [dus, comme auparavant, renfermée en elle-même.
<c L'esprit à son tour se développe au sein même des
« mystères dont il est encore enlouré, et il en sort une voix
^^'Jl^ ce qui est la réunion^ de tous les chœurs célestes; une voix
i,Lf'-*>i ^( qui <^Q répand en paroles distincles et en mots arliculés;
ce car elle vient de l'espril. Mais en réfléchissant à tous ce-;
ce degrés, on voit que la penst'e, rinlelligente, ce'.le voiv
ce et celle parole, sont une seule chose, que la pensée est le
1. Ib. supr.
OPINION DES KABBALISTES SUR DIEU. HZ
« principe de tout ce qui est, que nulle interruption ne
« peut exister en elle, La pensée elle-même se lie au non-
ce être et ne s'en sépare jamais. Tel est le sens de ces mots :
« Jëliovah est un et son nom est un^ « Voici un autre pas-
sage où l'on reconnaît facilement la même idée sous une
forme plus originale et, selon nous, plus antique : « Le nom ;
ce qui signifie je mis, T\ir^^, nous indique la réunion de tout îi^^V
ce ce qui est, le degré où toutes les voies de la sagesse sont ■
ce encore cachées et réunies ensemble sans pouvoir se dis-
ce tinguer les unes des autres. Mais quand il s'établit une
ce ligne de démarcation; quand on veut désigner la mère
ce portant dans son sein toutes choses et sur le point de les
ce mettre au jour pour révéler le nom suprême, alors Dieu
ce dit en parlant de lui : moi qui sîiis, nin\' "i\r'N\ Enfin, ^^')K '^'ù
ee lorsque tout est bien formé et sorti du sein maternel,
ce lorsque toute chose est à sa place et qu'on veut désigner
ce à la fois le particulier et l'existence, Dieu s'appelle JcJio-
ee valif ou je suis celui qui est, h'-k i^tn* T]''r\ii. Tels sont les '^v,*}^ ^
ce mystères du saint nom révélé à Moïse, et dont aucun autre r>'*'h>
ce homme ne partageait avec lui la connaissance". » Le
système des kabbalistes ne repose donc pas simplement sur
le principe de l'émanalion ou sur l'unité de substance; ils
ont été plus loin, comme on voit : ils ont enseigné une doc-
trine assez semblable à celle que les métaphysiciens de l'Alle-
magne regardent aujourd'hui comme la plus grande gloire de
noli'c temps, ils ont cru à l'identité absolue de la pensée
1. 1'° part., fol. 2iG, verso, sccl. ip;iT, Ce passage étant trop long à rap-
porter tout entier, nous en citerons tlu moins les derniers mois : j^t,-; j^>),-)<]
2. I.e mol (isclter est un signe (iélerunnalif.
3- nxby N'a\s' ttxt xin: Ninn p^î:x iniiS ahzi nSSd nt hmn»
n'iiT T2X- ^^ P^'i'tv fol- 05, verso, sect. jiia nnx.
Ui LA KABBALE.
et de l'exislcnce; et par conséquent le monde, comme
nous le verrons plus lard, ne pouvait être à leurs yeux que
l'expression des idées ou des formes absolues de l'intelli-
gence : en un mot, ils nous laissent entrevoir ce que peut la
réunion de Platon et de Spinosa. Afin qu'il ne reste aucun
doute sur ce fait important , et pour montrer en même
temps que les plus instruits parmi les kabbalistes modernes
sont restés fidèles aux traditions de leurs prédécesseurs,
nous allons ajouter aux textes que nous avons traduits du
Zohar un passage très remarquable des commentaires de
Corduero. « Les trois premières Sépbirolh, à savoir : la
^^ w Kv" « couronne, la sagesse et l'intelligence, doivent être consi-
rtiiwwji^' « dérées comme une seule et même chose. La première
■t-y^ « représente la connaissance ou la science, la seconde ce
^îw« tCvv^w-i ^^ ^^^1 connaît, et la troisième ce qui est connu. Pour s'ex-
^iC"vv<vJ'>*- « pliquer cette identité, il faut savoir que la science du
« créateur n'est pas comme celle des créatures; car, chez
« celles-ci, la science est distincte du sujet de la science et
« porte sur des objets qui, à leur tour, se distinguent du
! « sujet. C'est cela qu'on désigne par ces trois termes : la
1 « pensée, ce qui pense, et ce qui est pensé. Au contraire, le
« créateur est lui-même tout à la fois la connaissance et ce
« qui connaît et ce qui est connu. En effet, sa manière de
« connaître ne consiste pas à appliquer sa pensée à des
« choses qui sont hors de lui; c'est en se connaissant et en
« se sachant lui-même qu'il connaît et aperçoit tout ce qui
« est. Rien n'existe qui ne soit uni à lui et qu'il ne trouve
^>t)'l (c dans sa propre substance. Il est lej,ype (mr-, typus) de
« tout être, et toutes choses existent en lui sous leur forme
« la plus pure et la plus accomplie; de telle sorte que la
« perfection des créatures est dans cetle existence même,
« par laquelle elles se trouvent unies h la source de leur
a êtreS et h mesure qu'elles s'en éloignent, elles déchoient
OPINION DES KABBALISTES SUR DIEU. iio
ce de cet élat si parfait et si sublime. C'est ainsi que toutes
« les existences de ce monde ont leur forme dans les
« Sépbiroth, et les Séphiroth dans la source dont elles
« émanent*. »
Les sept attributs dont il nous reste encore à parler, et
que les kabbalistes modernes ont appelés les_Séphirolh du ^4^^*^'^
la construction (^ijnn nirro), sans doute parce qu'ils servent '^^^'^'^^'^^^
pTus immédiatement à l'édification du monde, se déve-
loppent, comme les précédents, sous forme de Irinités dans
chacune desquelles deux extrêmes sont unis par un terme
moyen. Du sein de la pensée divine, arrivée pour elle-
même à sa plus complète manifestation, sortent d'abord
deux principes opposés, l'un actif ou mâle, l'autre femelle
ou passif : on trouve dans la grâce ou dans la miséricorde,
*TDn, le caractère du premier; le second est représenté par '"ib^i
la justice, ]n. Mais il est facile de voir par le rôle qu'elles V^
jouent dans rensembic du système que cette grâce et cette
justice ne doivent pas être prises à la lettre; il s'agit bien
plutôt de ce que nous appellerions l'extension et la concen-
tration de la volonté. En effet, c'est de la première que
sortent les âmes viriles, et de la seconde les âmes féminines.
Ces deux attributs sont aussi nommés lesjl eux bras de la ^K^-lMifC
Divinité : l'un TTônne la vie et l'autre la mort. Le monde ^''^^^^
ne saurait subsister s'ils restaient séparés; il est même
impossible qu'ils s'exercent séparément, car, selon l'expres-
sion originale, il n'y a pas de justice sans grâce; aussi vont-
elles se réunir dans un centre commun qui est la beauté,
mxEn, et dont le symbole matéi'icl est la poitrine ou le fr^î^^,
cœur^ C'est un fait assez remarquable que le beau soit cou-
1. Pardes WunonimAiÀ. 55, reclo.
2. nSt xjn T\'hi NT nSi xt «pSo nS -j: 1^:2^ ^îzmi N:n nrpn.N;
"•Dm .Tl nn- '">" l':irt., fol. 115, vorso.
Njna S-iSr, "ami S^Sd mx£n xn mxîn \s,-a ]T2ynx N-n iHizz-
o* part., fol. ii'JO, recto.
10
146 LA KABBALE.
sidéré comme l'expression et le résiillat de toutes les qua-
lités morales, ou comme la somme du bien. Les trois attri-
buts suivants sont purement dynamiques, c'est-à-dire qu'ils
nous représentent la Divinité comme la cause, comme la
force universelle, comme le principe générateur de tous les
êtres. Les deux premiers, qui représentent dans cette nou-
velle sphère le principe mâle et le principe femelle, sont
"nMîi appelés, conformément à un texte de l'Ecriture, le triomphe,
t^-ji-^ nïj, et la gloire, Tin. Il serait assez difficile de trouver le
sens de ces deux mots s'ils n'étaient suivis de cette défi-
nition : « Par le triomphe et la gloire on comprend l'exten-
« sion, la multiplication et la force; car toutes les forces
« qui naissent dans l'univers sortent de leur sein, et c'est
jL^/n^ « pour cela que ces deux Séphiroth sont appelées les armées
« de rÉternel*. » Elles se réunissent dans un principe
commun, ordinairement représenté par les organes de la
génération, et qui ne peut signifier autre chose que l'élé-
ment générateur ou la source, la racine de tout ce qui est.
lit)*' ^^ ^^ nomme, pour cette raison, le fondement ou la base,
TiDi. « Toute chose, dit le texte, rentrera dans sa base
« comme elle en est sortie. Toute la moelle, toute la sève,
« toute la puissance est rassemblée en ce lieu. Toutes les
« forces qui existent sortent de là par l'organe de la géné-
« ration. » Ces trois attributs ne forment aussi qu'un seul
visage, qu'une seule face de la nature divine, celle qui est
représentée dans la Bible par le dieu des armées^. Quant à
^IIjVV^ la dernière des Séphiroth, ou la royauté^ msV^, tous les
kabbalistes s'accordent à dire qu'elle n'exprime aucun at-
tribut nouveau, mais seulement l'harmonie qui existe entre
tous les autres et leur domination absolue sur le monde.
Ainsi, les dix Séphiroth, qui forment dans leur ensemble
■1 • "(ipï::: p.TZD "ipE:! ]iS''"'n S^t iL*:3ns» 1,12 nS-hi mm Nnura Sy\
T,m Pi*: ]';\S1 mxiy pipj^ "Çj \'^ÀTi-7.ohar, l- part., fol. 296, recto.
2. niDi •l1P^<mï<2ï 11 TD1 nPN »S5"".i hz- N'2*iid »S1"1- Hî-N--^^- snpr.
OPINION DES KABBALISTES SUR DIEU. Ul
l'homme céleste, l'homme idéal, et ce que les kabbalistes ^2tlt^
modernes ont appelé le monde de l'émanation, îtîS'ïn dS";v, /ZJ^
se partagent en trois classes, dont chacune nous présente la '
Divinité sous un aspect différent, mais toujours sous la forme
d'une Irinité indivisible. Les trois premières sont puiemont
intelleclLielles ou métaphysiques; elles expriment l'identité
absolue de l'existence et de la pensée, et forment ce que les
kabbalistes modernes ont appelé le monde intelligible {uhn ^»A<-'-n'
^2^*152) : celles qui les suivent ont un caractère moral; d'une
part, elles nous font concevoir Dieu comme l'identité de la
bonté et de la sagesse; de l'autre, elles nous montrent dans
la bonté ou plutôt dans le bien suprême l'origine de la beauté
et de la magnificence. Aussi les a-t-on nommées les vertm !^n^f^*i-^
(rmîz) ou le monde sensible {xûriin Qhvj) dans l'acception la '^''*^~*^''
plus élevée du mot. Enfin, nous apprenons par les derniers
de ces attributs que la providence universelle, que l'artiste
suprême est aussi la force absolue, la cause toute-puissante,
et que cette cause est en même temps l'élément générateur
de tout ce qui est. Ce sont ces dernières Séphiroth qui con-
stituent le monde nalurcl ou la nature dans son essence et J/tU^^
dans son principe, natura naturans (yi^icn dSi!?)'. Voici
maintenant en quels leimcs on cherche à ramener ces aspects
divers à l'unité et par conséquent à une trinilé suprême :
« Pour posséder la science de l'unité sainte, il faut regarder
« la flamme qui s'élève d'un brasier ou d'une lampe allumée :
« on y voit d'abord deux lumières, l'une éclatante de blan-
(c cheur, l'autre noire ou bleue; la lumière blanche est au-
« dessus et s'élève en ligne droite; la lumière noire est au-
« dessous et semble cire le siège de la première : elles sont
« cependant si étroitement unies l'une à l'autre, qu'elles ne
ce foiment qu'une seule flamme. Mais le siège formé par la
« luniièie bleue ou noire s'attache à son tour à la mèche qui
i, Voy. Pardes Rimoniin, fol. G6, verso, 1" col.
143 LA KABDALE.
ce est encore au-dessous d'elle. Il faut savoir que la lumière
ce blanche ne change pas; elle conserve toujours la couleur
c< qui lui est propre; mais on dislingue plusieurs nuances
ce dans celle qui est au-dessous : cette dernière prend en
ce outre deux directions opposées; elle s'attache en haut à la
ce lumière blanche et en bas à la malière enflammée; mais
ce cette matière est sans cesse absorbée dans son sein, et
ce elle-même remonte constamment vers la lumière supé-
ce rieure. C'est ainsi que tout rentre dans l'unitéo^'pnx nSj'i
ce inNmnu*. » Pour qu'il ne reste aucun doute sur le sens
de cette allégorie, nous ajouterons que, dans une autre partie
du Zohar, elle est reproduite presque littéralement pour
cxpliqiier la nature de l'àme humaine qui, elle aussi, forme
une trinité, image affaiblie de la trinité suprême.
Cette dernière espèce de trinité, qui comprend explicite-
ment toutes les autres, et nous offre en résumé toute la
théorie des Séphiroth, est aussi celle qui joue le plus grand
rôle dans le Zohar. Elle est exprimée, comme les précédentes,
par trois termes seulement, dont chacun a déjà été présenté
comme le centre, comme la plus haute manifestation de
l'une Jes trinilés subordonnées : parmi les attributs méta-
physiques, c'est la couronne; parmi les attributs moraux, la
beauté; c'est la royauté parmi les attributs inférieurs. Mais
qu'est-ce que la couronne dans le langage allégorique de la
kabbale? c'est la substance, l'Etre un et absolu. Qu'est-ce
que la beauté? c'est, comme ledit expressément V Idra sauta ,
la plus haute expression de la vie et de la perfection morales.
Emanation de l'intelligence et de la grâce, elle est souvent
comparée à l'orient, au soleil dont la lumière est également
réfléchie par tous les objets de ce monde, et sans laquelle
tout rentrerait dans la nuit : en un mot, c'est l'idéal. Enfin,
qu'est-ce que la royauté? L'action permanente et immanente
I. Zoltar, 1" [lait., fol. 51, recto, sect. n'w'XiS-
OPINION DES KABBALISTES SUR DIEU. 149
de (oiitcs les Séphiroth réunies, la présence réelle de Dieu au
milieu de la création : et celle idée est parfaitement exprimée
par le mot Scliéchinah (nr3c), l'un des surnoms de la royauté.
Ainsi donc, l'Etre absolu, l'être idéal et la force immanenle
des choses; ou si l'on veut, la substance, la pensée et la vie,
c'est-à-dire la réunion de la pensée dans les objels, tels sont
les vrais termes de cette Irinité nouvelle. Jls constituent ce
qu'on appelle la colonne du milieu (nd^^ïcn" n-172>*) ; parce
que, dans toutes les figures par lesquelles on a coulume de
représenter aux yeux les dix Séphiroth, ils sont placés au
centre, l'un au-dessus de l'autre, en forme de ligne droite
ou de colonne. Ces trois termes, comme on peut s'y attendre
d'après ce que nous savons déjà, deviennent autant dévisages
ou de personnifications symboliques. La couronne ne change
pas de nom; elle est toujours le grand visage, l'Ancien des
jours, l'Ancien dont le nom soit sanctifié (N^np xp^ny). La
beauté, c'est le roi saint, ou simplement le roi ('NUinp Nr'712
NjS^), et la Schéchinah, la présence divine dans les choses,
c'est la Matrone ou la Reine (Nniniic). Si l'une est comparée
au soleil, l'autre est comparée à la lune, pnrce que toute la
lumière dont elle brille, elle l'emprunte de plus haut, du
degré qui est immédiatement au-dessus d'elle; en d'autres
termes, Texislence réelle n'est qu'un reflet ou une image
de la beauté idéale. La matrone est aussi appelée du nom
d'Eve; car, dit le texte, c'est elle qui est la mère de toutes
choses, et tout ce qui existe ici-bas s'allaite de son sein et est
béni par elle'. Le roi et la reine, qu'on nomme aussi com-
munément les deux visages (•j'^Eiins n) % forment ensemble un
couple dont la tâche est de verser constamment sur le monde
des grâces nouvelles, et de continuer par leur union, ou plu-
1. hlra soulci, ad fin. ,v{i,-n ^"'D-iniTD m21 y^.'J niQ NnnSi ]"':*;5 S)
nnS^S C5< "npnx-
2. Zoltar, ."'^^ jxirl., fol. 10, verso, sccl. t<T;;iT.
150 LA KABBALE.
lot de perpétuer l'œuvre de la création. Mais l'amour réci-
proque qui les porte à celte œuvre éclate de deux manières,
et produit par conséquent des fruits de deux espèces : tantôt
il vient d'en haut, va de l'époux à l'épouse et de là à l'univers
tout entier; c'est-à-dire que l'existence et la vie, sortant
dos profondeurs du monde intelligible, tendent à se mul-
tiplier de plus en plus dans les objets de la nature : tantôt,
au contraire, il vient d'en bas, il va de l'épouse à l'époux, du
monde réel au monde idéal, de la terre au ciel, et ramène
dans le sein de Dieu les êtres capables de demander ce retour.
Le Zohar nous offre lui-même un exemple de ces deux modes
de génération dans le cercle que parcourent les âmes saintes.
L'àme, considérée dans son essence la plus pure, a sa racine
dans l'intelligence ; je parle de l'intelligence suprême où les
formes des êtres commencent déjà à se distinguer les unes
des autres, et qui n'est en réalité que l'âme universelle. De
là, si elle doit être une âme masculine, elle passe par le prin-
cipe de la grâce ou de l'expansion; si c'est une âme fémi-
nine, elle s'imprègne du principe de la justice ou de la con-
centration : enfin, elle est enfantée à ce monde où nous
vivons par l'union du roi et de la reine, qui sont, dit le texte,
à la génération de l'âme ce que l'homme et la femme sont à
la génération du corps \ Voilà par quel chemin l'âme descend
ici-bas. Voici maintenant comment elle est rendue au sein
de Dieu : quand elle a rempli sa mission et que, parée de
toutes les vertus, elle est mure pour le ciel, alors elle s'élève
de son propre mouvement, par l'amour qu'elle excite comme
par celui qu'elle éprouve, et avec elle s'élève aussi le dernier
degré de l'émanation, ou l'existence réelle, ainsi mise en
harmonie avec la forme idéale. Le roi et la reine s'unissent
de nouveau, mais pour une autre cause et dans un autre but
1- NnnS- neIm nî23 np£: Ni-i'irn-cc* azh^z'i N;rMC NUi-p Nncw'j
ii2^D'•iZ^ ina- i^'Ohar, 5' part., foL 7.
OPINION DES KABBALISTES SUR DIEU. 151
que la première fois*. « De cette manière, dit le Zohar\ la
« vie est puisée en même temps d'en haut et d'en bas, la
« source se renouvelle, et la mer, toujours remplie, distribue
« SCS eaux en tout lieu*. » Cette union peut avoir lieu aussi
d'une manière accidenlelle, pendant que l'àme est encore
enchaînée au corps. Mais ici nous touchons à l'extase, au
ravissement mystique et au dogme de la réversibilité dont
nous avons résolu de parler ailleurs.
Cependant nous croirions avoir exposé d'une manière
incomplète la théorie des Séphiroth si nous ne faisions pas
connaître les figures sous lesquelles on a essayé de les repré-
senter aux yeux. 11 y en a trois principales, dont deux au
moins sont consacrées par le Zohar. L'une nous montre les
Séphiroth sous la forme de dix cercles concentriques, ou
plutôt de neuf cercles tracés autour d'un point qui est leur
centre commun. L'autre nous les présente sous l'image du
corps humain. La couronne, c'est la tète; la sagesse, le cer-
veau; l'intelligence, le cœur; le tronc et la poitrine, en un
mot, la ligne du milieu est le symbole de la beauté, les bras
celui de la grâce et de la justice, les parties inférieures du
corps expriment les attributs qui restent. C'est sur ces rap-
ports tout à lait arbitraires, poussés à leur dernière exagéra-
lion dans les Tikounim (les suppléments du Zohar), que se
fonde en grânïïe partie la kabbale pratique et la prétention
de guérir par les différents noms de Dieu les maladies qui
peuvent atteindre les diverses parties de noti'e corps. Ce
n^est pas la première fois, au reste, qu'à la décadence d'une
doctrine les idées ont été peu à peu étouffées par les symboles,
même les plus grossiers, et la forme mise à la place de la
pensée. EnHn, la dernière manière de représenter les dix
1. Pour ne pas multiplier les citations, je renverrai à CorJuoio, qui les a
loutcs réunies dans son Vardes Rimonini, fol. 60-Ci.
2. Zohar, V part., fol. CO-70. — xnnDT xS''>ÎJ Cin ^^DlnX ]n3
132 LA KABUALE.
Séphiroth, c'est celle qui les partage en trois groupes : à
droite, sur une même ligne verticale, on voit figurer les
attributs qu'on peut appeler expansifs, à savoir : le Logos
ou la sagesse, la grâce et la force : à gauche se trouvent
placés de la môme manière, sur une ligne parallèle, ceux qui
marquent la résistance ou la concentration; l'intelligence,
c'est-à-dire la conscience du Logos, la justice et la résistance
proprement dite. Enfin, au milieu sont les attributs sub-
stantiels que nous avons compris dans la trinité suprême. Au
sommet, au-dessus du niveau commun, on lit le nom de la
couronne, et à la base celui de la royauté*. Le Zohar fait
fréquemment allusion à cette figure qu'il compare à un arbre
dont l'En Soph serait la vie et la sève, et qu'on a appelé
depuis l'arbre kabbalistique. On y voit rappelée à chaque pas
f- V''~:- la colonne de la grâce (x:ioi Niro* nom isr.cî?'), la colonne
^w^U'^ delà justice (Nam »siicy nVn'/2u;t n-itdd) et la colonne du milieu
(xnyïCN" Niiny) ; ce qui n'empêche pas la même figure de
nous représenter sur un autre plan, par les lignes horizon-
tales, les trois trinités secondaires dont nous avons parlé
précédemment. Outre toutes ces figures, les kabbalistes
^[y^ modernes ont encore imaginé des canaux (milaj;) indiquant
sous une forme matérielle tous les rapports, toutes les com-
binaisons qui peuvent exister entre les Séphiroth. Moïse
Corduero parle d'un auteur qui en a compté jusqu'à six cent
mille^ Ces subtilités peuvent intéresser jusqu'à un certain
point la science du calcul ; mais c'est en vain qu'on y cher-
cherait une idée métaphysique.
A la doctrine des Séphiroth, telle que nous venons enfin
de l'exposer, se mêle dans le Zohar une idée étrange, expri-
mée sous une forme plus étrange encore; c'est celle d'une
chute et d'une réhabilitation dans la sphère même des attri-
1. Pour toutes ces figures voir le Pordes Rimonim, fol. 51-59 ("nDl^î:?
OriMON DES KABBALISTES SUR DIEU. 155
buts divins, d'une création qui a échoué, parce que Dieu
n'était pas descendu avec elle pour y demeurer ; parce qu'il
n'avait pas encore revêtu cette forme intermédiaire entre lui
et la créature dont l'homme ici-bas est la plus parfaite ex-
pression. Ces conceptions diverses, en apparence, ont été
réunies dans une pensée unique que l'on rencontre en même
temps, tantôt plus, tantôt moins développée, dans le Livre
du mystère, dans les deux Idra et dans quelques autres
fragments d'une moindre importance. Voici maintenant de
quelle bizarre façon elle est présentée. La Genèse ^ fait men- /^^^^^f
lion de sept rois d'Edom qui ont précédé les rois d'Israël, et
en les nommant elle les fait mourir l'un après l'autre, pour
nous apprendre dans quel ordre ils se sont succédé. C'est
do ce texte, si étranger par lui-même à un tel ordre d'idées,
que les auteurs du Zoliar se sont emparés pour y rattacher
leur croyance à une sorte de révolution dttns le monde invi-
sible de l'émanation divine. Par les rois d'Israël, ils enten-
dent ces deux formes de l'existence absolue qui ont été per-
sonnifiées dans le roi et la reine, et qui représentent, en la
divisant pour notre faible intelligence, l'essence même de
l'Elre. Les rois d'Edom, ou, comme on les appelle encore,
les anciens rois, ce sont les mondes qui n'ont pu subsister,
qui n'ont pu se réaliser avant que ces formes fussent établies,
pour servir d'intermédiaire entre la création et l'essence di-
vine considérée dans toute sa pureté. Au reste, la meilleure
manière, selon nous, d'exposer sans altération cette obscure
partie du système kabbalislique, c'est de citer, en les expli-
quant l'un par l'aulre, quelques-uns des fragments qui s'y
rapportent. « Avant que l'Ancien des anciens, celui qui est
ce le plus caché parmi les choses cachées, eût préparé les
« formes des rois et les premiers diadèmes, il n'y avait ni
« limite ni fin. 11 se mil donc ù sculpler ces formes et à les
1. C!inp. 37, V. 51-10,
Î5Î LA KADBALE.
« Iracer dans sa propre substance. Il étendit devant lui-
« même un voile, et c'est dans ce voile qu'il sculpta ces
« rois, qu'il traça leurs limites et leurs formes ; mais ils ne
« purent subsister. C'est pour cela qu'il est écrit : Voici les
« rois qui régnèrent dans le pays d'Edom avant qu'un roi
« régnât sur les enfants d'Israël. Il s'agit ici des rois primi-
IV^T^) « tifs et d'Israël primitif ^ Tous les rois ainsi formés avaient
« leurs noms; mais ils ne purent subsister jusqu'à ce qu'il
« (l'Ancien) descendît vers eux et se voilât pour eux*. «
Qu'il soit question dans ces lignes d'une création anté-
rieure à la nôtre, de mondes qui ont précédé celui où nous
sommes, c'est ce qui ne peut laisser aucun doute; c'est ce
que le Zoliar lui-même nous dit un peu plus loin dans les
termes les plus positifs % et telle est aussi la croyance una-
nime de tous les kabbalistes modernes. Mais pourquoi les
anciens mondes ont-ils disparu? Parce que Dieu n'babilait
pas au milieu d'eux d'une manière régulière et constante, ou,
comme dit le texle, parce qu'il n'était pas descendu vers
eux. parce qu'il ne s'était pas montré encore sous une forme
qui lui permît de rester présent au milieu de la création, et
de la perpétuer par celte union même. Les existences qu'il
produisait alors, par une émanation spontanée de sa propre
substance, sont comparées à des étincelles s'échappant en
désordre d'un foyer commun et mourant à mesure qu'elles
s'en éloignent. « Il a existé d'anciens mondes qui ont été dé-
cc truits, des mondes sans forme qu'on a appelés les étin-
cc celles ('[•'jr'ir: nhvj' "p*"') ; car c'est ainsi que le forgeron, en
« battant le fer, fait jaillir les étincelles de tout côté. Ces
« étincelles sont les anciens mondes, et ces anciens mondes
« ont été délruils et n'ont pu subsister, parce que l'Ancien
1. Le mot « primitif » (7^)2^p)!dans le Zohar, est toujours synonjine d'idéal,
de céleste ou d'intelligible.
"2. Idra raba, édit. d'Amsterdam, 5" part., fol. 148, reelo.
5. 5-^ part., fol. Cl . yS 2nn*. ]'')2h'j nN2 n'.n ndi'j \sn n^pn ni2 ah ly
OPINION DES KABBALISTES SUR DIEU. 155
« (dont le nom soit sanctifié!) n'avait pas encore revêtu sa
« forme, et l'ouvrier n'était pas encore à son œuvre*. »
Et quelle est donc celle forme sans laquelle toute durée
et toute organisation sont impossibles dans les existences
finies, qui représente, à proprement parler, l'ouvrier dans
les œuvres divines, sous laquelle enfin Dieu se communique
et se reproduit en quelque sorte hors de lui? C'est la forme
humaine entendue dans sa plus haute généralité, embras-
sant avec les attributs moraux et intellectuels de notre na-
ture les conditions de son développement et de sa perpétuité,
en un mot, la distinction des sexes que les auteurs du Zohar jv^^u^fo^
admettent pour l'âme aussi bien que pour le corps. La dis-
tinction des sexes ainsi comprise, ou plutôt la division et la
reproduction de la forme humaine sont pour eux le symbole
de la vie universelle, d'un développement régulier et infini
de l'Etre, d'une création régulière et continue, non seule-
ment par la durée, mais aussi par la réalisation successive
de toutes les formes possibles de l'existence. Nous avons déjà
rencontré précédemment le fond de cette idée ; mais ici il y
a quelque chose de plus : c'est que l'expansion graduelle de
la vie, de l'être et de la pensée divine n'a pas commencé
immédiatement au-dessous de la substance; elle a été pré-
cédée de cette émanation tumultueuse, désordonnée et, si je
puis dire ainsi, inorganique dont nous avons parlé tout à
l'heure, v Pourquoi tous ces anciens mondes furent-ils dé-
« truils? Parce que l'homme n'était pas formé encore. Or,
« la forme de l'homme renferme toutes choses; toutes choses
« peuvent se maintenir par elle. Comme cette forme n'exis-
te tait pas encore, les mondes qui l'avaient précédée ne pu-
« rcnt subsister ni se maintenir, et ils tombèrent en ruines,
1. Idm solda, 5° p:irt. du Zohar, fol. S'.V2, verso, cilit. d'Ainslcnlam.
]ip^-j npx N:ip*n2 mn kS- x^-m '-^zvr.N' N:ipn .xSi \scip Y,:h'3
156 LA KABCALi:.
« jusqu'à ce que la forme de l'homme fut élablie : alors i!::>
ce renaquirent tous avec elle, mais sous d'autres noms*. »
Nous ne démontrerons pas par de nouveaux textes la distinc-
tion des sexes dans l'homme idéal ou dans les attributs di-
vins; il nous suffira de remarquer ici que cette distinction,
répétée sous mille formes dans le Zohar, reçoit aussi le nom
.l^jj^y>) caractéristique de balance (Nbpnn). « C'était avant que la
' « balance fut établie, dit le Livre du mystère ; ils (le roi et
« la reine, le monde idéal et le monde réel) ne se regardaient
ce pas face à face, et les premiers rois moururent faute de
ce trouver leur subsistance, et la terre était en ruines... Cette
ce balance est suspendue dans un lieu qui n'est pas (le non-
ce être primilif) ; ceux qui doivent être posés dans ses pla-
« teaux n'existent pas encore. C'est une balance tout inté-
ce rieure, qui n'a pas d'autre appui qu'elle-même, invisible.
ce Ce qui n'est pas, ce qui est et ce qui sera, voilà ce que
ce porte et ce que portera cette balance *. »
Ainsi que nous l'apprend déjà une citation précédente, les
rois d'Edom, les anciens mondes n'ont pas disparu complè-
tement; car, dans le système kabbalistique, rien ne naît, rien
ne périt d'une manière absolue. Seulement ils ont perdu leur
eincienne place, qui était celle de l'univers actuel ; et quand
Dieu vint à se manifester hors de lui, à se reproduire lui-
même sous la forme de l'homme, ils ressuscitèrent, en quel-
que sorte, pour entrer sous d'autres noms dans le système
général de la création, ce Lorsqu'on dit que les rois d'Edom
ce sont morts, on ne veut pas parler d'une mort réelle ou
ce d'une complète destruction ; mais toute déchéance est ap-
ce pelée du nom de mort ^ » En effet, ils descendirent bien
bas, ou plutôt, ils s'élevèrent bien peu au-dessus du néant;
i. Lira raba ; ib. supr,, fol. 155, reclo et verso.
2. Nmy-'JST K12D. chap. 1", ad init.
3. Idra raba, If part, du Zo/ior, fol. 135, verso.
OPINION DES KABBALISTES SUR DIEU. 157
car ils fiircnl placés au dernier degré de l'univers. Ils repré-
sentent l'existence purement passive, ou, pour nous ser-
vir des expressions mêmes du Zohai\ une justice sans au-
cun mélange de grâce, un lien où tout est rigueur et justice
{\y2T\ "jnnNrn i'':'''?! nnxn) \ où tout est féminin sans aucun prin-
cipe masculin (Nipiiiinx), c'est-à-dire où tout est résistance
et inertie, comme dans la matière. C'est pour cela même
qu'ils ont été nommés les rois d'Edom, Edom étant l'opposé
d'Israël qui représente la grâce, la vie, l'existence spirituelle
et active. Nous pourrions aussi, prenant à la lettre la plupart
de ces expressions, dire avec les kabbalisles modernes, que
les anciens mondes sont devenus un séjour de châtiment
pour le crime, et que de leurs ruines sont sortis ces êtres
malfaisants qui servent d'instruments à la justice divine.
Rien ne serait changé dans la pensée; car, comme nous
pourrons tous nous en assurer un peu plus loin, dans les
idées du Zohar, où la métempsycose joue un si grand rôle,
le châtiment des âmes coupables consiste précisément h
renaître dans les degrés les plus infimes de la création et à
subir de plus en plus l'esclavage de la matière. Quant aux
démons, qu'on appelle toujours du nom significatif d'enue- J))^''})
loppes (niîtSp), ils ne sont pas autre chose que la matière
elle-même et les passions qui en dépendent. Ainsi, toute
forme de l'existence, depuis la matière jusqu'à l'éternelle
sagesse, est une manifestation, ou, si l'on veut, une émana-
lion de l'Etre infini. Mais il ne suffit pas que toutes choses
viennent de Dieu pour avoir de la réalité et de la durée; il
faut encore que Dieu soit toujours présent au milieu d'elles,
qu'il vive, se développe et se reproduise éternellement, et à
l'infini, sous leur apparence; car, sitôt qu'il voudrait les
livrer à elles-mêmes, elles s'évanouiraient comme une om-
bre." Miiîs que dis-jcT Cette ombre est encore une partie de
Lira laba, ib., fol. 1 1!?, reclo. — ïdra soula, ad lia.
158 LA KABBALE.
la chaîne des manifestations divines; c'est elle qui_est la
matière; c'est êTle qui marque la limite oi!i disparaissent à
nos yeux l'esprit et la vie : elle est la fin, comme l'homme
idéal est le commencement. C'est sur ce principe que se
fondent à la fois la cosmologie et la psychologie kabha-
listiques.
CHAPITRE IV
SUITE DE L ANALYSE DU ZOIIAR — OriMON DES KABBALISTES
SUR LE MONDE
Ce que nous savons de l'opinion des kabbalisles sur 3
nature divine nous dispense de nous arrêter longtemps à
leur manière de concevoir la création et l'origine du monde ;
car, au fond, ces deux choses se confondent dans leur esprit.
Si Dieu réunit en lui, dans leur totalité infinie, et la pen-
sée et l'existence, il est bien certain que rien ne peut exis-
ter, que rien ne peut être conçu en dehors de lui ; mais tout
ce que nous connaissons, soit par la raison, soit par l'expé-
rience, est un développement ou un aspect particulier de
l'Être absolu : J'éternité d'une substance inerte et distincte
de lui est une chimère, et la création, comme on la conçoit
ordinairement, devient impossible. Cette dernière consé-
quence est clairement avouée dans les paroles suivantes :
« Le [)oint indivisible (l'absolu) n'ayant point de limites et ne
« pouvant pas être connu, à cause de sa force et de sa pureté,
« s'est répandu au dehors, et a formé un pavillon qui sert de
(( voile à ce point indivisible. Ce pavillon, quoique d'une
(c lumière moins pure que le point, était encore trop éclatant
« pour êlre regardé; il s'est à son tour répandu au dehors,
« et cette extension lui a servi de vêtement : c'est ainsi que
d60 LA KABBALE.
« tout se fait par un mouvement qui descend toujours; c'est
« ainsi enfin que s'est formé l'univers, NcbyT N:ipn i.tn n t. »
Nous rappelons que l'être absolu et la nature visible n'ont
qu'un seul nom qui signifie Dieu. Un autre passage nous
apprend que la voix qui sort de l'esprit et qui s'identifie avec
lui dans la pensée suprême, que cette voix n'est, au fond, pas
autre chose que l'eau, l'air et le feu, le nord, le midi,
l'orient et toutes les forces de la nature*; mais tous ces élé-
ments et toutes ces forces se confondent dans une seule chose,
dans la voix qui sort de l'esprit. Enfin la matière, considé-
rée sous le point de vue le plus général, c'est la partie infé-
rieure de cette lampe mystérieuse dont nous avons vu tout
à l'heure la description. Avec celte opinion, les kabba-
lisles prétendaient rester fidèles à la croyance populaire,
que par la seule puissance de la parole divine le monde est
sorti du néant ; seulement, ce dernier mot, comme nous le
savons déjà, avait pour eux un tout autre sens. Voici ce
point de leur doctrine assez clairement exposé par l'un des
commentateurs du Scpher ielzirah :« Lorsqu'on affirme que
ce les choses ont été tirées du néant, on ne veut pas parler du
« néant proprement dit; car jamais un être ne peut venir
« du non-être. Mais on entend par le non-être ce qu'on ne
« conçoit ni par sa cause ni par son essence ; c'est, en un mot,
« la cause des causes; c'est elle que nous appelons le non-
ce ôlre primitif, 'j'a'îp "j^ss parce qu'elle est antérieure à l'uni-
« vers : et par là nous n'entendons pas seulement les objets
« matériels, mais aussi la sagesse sur laquelle le monde
« a été fondé. Si maintenant on demande quelle est l'es-
« sence de la sagesse, et suivant quel mode elle est conte-
ce nue dans le no)i-êlre ou dans la couronne suprême^ per-
■I- -rn-wN- -': ii.-i N- ti'^SriNi n-3 xi -Cw'EnN' hnShSt nN"2~p mip^a
NÎ^Syb »S;ipnb »S- hv\ iH-h Xw^S NT- Zohar, l" part., fol. 20, recto.
'ib^n "INC hzi- fb. l" part., fol. 2 46, verso, sect. s^it.
OPINION DES KABBALISTES SUR LE MONDE. ICI
(c sonne ne pourra répondre à celte question, car, dans le
(( non-èlre, il n'y a aucune distinction, aucun mode d'exis-
cc tencc. On ne comprendra pas davantage comment la
« sagesse se trouve unie h la vie *. » Tous les kabbalistes
anciens ou modernes expliquent de celte manière le dogme
de la création. Mais, conséquents avec eux-mêmes, ils ad-
meltaient aussi la seconde partie de l'adage : Ex nihilonihil ;
ils ne croyaient pas plus à l'anéantissement absolu qu'à la
création comme on l'entend vulgairement. « Rien, dit le
« Zohar, n'est perdu dans le monde, pas même la vapeur
« qui sort de notre boucbe : comme toute chose, elle a sa
« place et sa destination, et le Saint, béni soit-il, la fait
« concourir à ses œuvres; rien ne tombe dans le vide, pas
« même les paroles et la voix de l'homme; mais tout a sa
(' place et sa deslination \ » C'est un vieillard inconnu qui
prononce ces paroles devant jtlusieurs disciples de Jocliaï ;
et il faut que ceux-ci y reconnaissent un des articles les plus
mystérieux de leur foi, puisqu'ils s'empressent de les inter-
r.mipre par ces mots : « 0 vieillard, qu'as-tu fait? N'eût-il
te pas mieux valu garder le silence? Car maintenant te voilà
« emporté, sans voile et sans mât, sur une mer immense.
« Si tu voulais monter, tu ne le pourrais plus, et en descen-
te dont tu rencontrerais un abîme sans fond ''. » Ils lui citent
rexeni[)le de leur maître, qui, toujours réservé dans ses ex-
pressions, ne s'aventurait pas sur cette mer sans se ménager
un moyen de retour; c'est-à-dire qu'il cachait ses pensées
sous le voile de l'allégorie. Cependant le même principe est
énoncé un peu plus loin avec une entière franchise. « Toutes
« les choses, disent-ils, dont ce monde est composé, l'esprit
« aussi bien que le corj)s, rentreront dans le princijie et
1. Comincnlaire d'Aljr;iIiain bon Daoïul, "t^xi? ^i"' '^^ S']>lisr icizirali. \o\e/.
ccli(. Rillangel, pag. Oj et seq.
2. Zohar, '2° part., fol. 100, verso, soct. D''a2"kî/n.
5. Zjlnir, ib.
11
1G2 LA KABBALE.
ce dans la racine dont elles sont sorties *. Il est le commen-
« cernent et la fin de tous les degrés de la création ; tous ces
« degrés sont marqués de son sceau, et on ne peut le nom-
ce mer aulrementque par l'unité; il est l'être unique, mal-
ce gré les formes innombrables dont il est revêtu ^ »
Si Dieu est à la fois la cause et la substance, ou, comme
dirait Spinosa, la cause immanente de l'univers, celui-ci
devient nécessairement le chef-d'œuvre de la perfection, do
la sagesse et de la bonté suprêmes. Pour rendre cette idée,
les kabbalisles se servent d'une expression assez originale,
que plusieurs mystiques modernes, entre autres Boehm et
Saint-Martin, reproduisent fréquemment dans leurs ou-
vrages : ils appellent la nature une bénédiction, et ils
regardent comme un fait très significatif que la lettre par
'»U^V;*3D. laquelle Moïse a commencé le récit de la création, rT'xyNii,
entre également la première dans le mot qui signifie béné-
diction, nsin". Rien n'est absolument mauvais, rien n'est
maudit pour toujours, pas même l'archange du mal ou le
';)Ys*fOb serpent venimeux, iS\2;n Niiin, comme ils l'ajipellent quel-
quefois. Il viendra un temps où il retrouvera et son nom
et sa nature d'ange\ Du reste, la sagesse n'est pas moins
1- »sî:ij n^:^ ".pE:" ï^'inn kiidit i^ipyS ihSd itthn i^^z'rji yhn hz
mtSoS t<*i2?2J1 nnisob- 2° part., fol. 'lis, verso.
-n}< nSn 'uTn' '.xS 'j'nimD yz-pv- ,T2 n'x- ;,:;x- nxmxb inn- l" part.,
fol. '21, reclo.
5. i^2nx .Tin ii)2hy T\^2^2 Sbjn'^'x n^-ii ]a"'D in^x rr'ii ]^;i- l'^part.,
fol. 2ûr>, verso, sect. ^*;;i"i. Voyez aussi Oliot de R. Akiba.
I 4, Son nom mystique est bxî2D) Sainael. On en retranchera, dans les temps
à venir, la première moitié, qui signitie poison; le seconde est le nom commun
de tous les anges. La même idée est encore exprimée sous une autre forme :
après avoir démontré par un procédé kabbalistique (x^Tcn^^) ^l""^ ^^ ï^o™ de
Dieu comprend tous les côtés de l'univers, à l'exception du nord, réservé aux
méchants comme un lieu d'expiation, on ajoute qu'à la fin des temps ce côté
rentrera comme les autres dans le nom ineffable. L'enfer disparaîtra, il n y
aura plus ni châlimcnt, ni épreuves, ni coupables. La vie sera une éternelle
OPINION DES KABBÂLISTES SUR LE MONDE. 163
visible ici-bas que la bonté, puisque l'univers a été créé par
la parole divine, et qu'il n'est lui-même pas autre cbose que
celle parole : or, clans le langage mystique du Zoha)\
l'expression articulée de la pensée divine, c'est, comme
nous l'avons déjà appris, l'ensemble de lous les êtres par-
ticuliers existants en germe dans les formes éternelles de la
sagesse supérieure. Mais aucun des passages que nous avons
déjà cités, ou que nous pourrions citer encore à l'appui de
ce principe, ne peut offrir plus d'intérêt que celui-ci : « Le
« Saint, béni soit-il, avait déjà créé et détruit plusieurs
c( mondes, avant d'arrêter dans sa pensée la création de
« celui oi^i nous vivons; et lorsque cette dernière œuvre fut
c( sur le point de s'accomplir, toutes les clioses de ce
« monde, toutes les créatures de l'univers, avant d'appar-
<( tenir à l'univers et dans quelque temps qu'elles dussent
« exister, se trouvaient devant Dieu sous leurs vraies
« formes. C'est ainsi qu'il faut entendre ces paroles de
« l'Ecclésiaste : Ce qui a été autrefois sera aussi dans
« l'avenir, et tout ce qui sera a déjà été*. Tout le monde
« inférieur a été fait à la ressemblance du monde supé-
« rieur : tout ce qui existe dans le monde supérieur nous
« apparaît ici-bas, comme dans une image; et tout cela
« n'est cependant qu'une seule cbose ^ »
De celle croyance si élevée, si large, et que l'on retrouve,
fête, un sabbat sans lin. M. Corducro, Parties Rinwnim, fol. 10, verso, et
Isaac Loria, Emek Ilamelecli, cbap. i''. Dons le Midrascb, Bcreschit Rabbo,
20, et Pscudo-Jonalban sur la Genèse, III, 15, on dit, au contraire, que soûl lo
serpent ne sera pas guéri.
1- Dn S^i "*pS mm ]^'!2hv 12 mn ai^h'j xn rapn k"i:i nS tj
anh'j •'■ai prN So nicp ]pnnxi .TDp -'in an N^Sy ixna n3nu7Ni
]i,T;pri:i .TDp in^'p nn xn noSîtS pn^i nS tj xit xt? S33 in^nr^i-
3" part., fol. CI , verso.
im SdT TCuîS- 2" part., fol. 20, 1.
104 U KABBALE.
()liis OU moins mélangée, dans tous les grands systèmes de
métaphysique, les kabbalistes ont tiré une conséquence qui
les ramène entièrement au mysticisme : ils ont imaginé que
tout ce qui frappe nos sens a une signification symbolique;
que les phénomènes et les formes les plus matérielles
peuvent nous apprendre ce qui se passe ou dans la pensée
divine ou dans l'intelligence humaine. Tout ce qui vient
de l'esprit doit, selon eux, se manifester au dehors et
devenir visible ^ De là la croyance à un alphabet céleste et
à la physiognomonique. Voici d'abord en quels termes ils
parlent du premier : « Dans toute l'étendue du ciel, dont
« la circonférence entoure le monde, il y a des figures, des
« signes au moyen desquels nous pourrions découvrir les
« secrets et les mystères les plus profonds. Ces figures sont
ce formées par les constellations et les étoiles, qui sont pour
« le sage un sujet de contemplation et une source de mysté-
« rieuses jouissances" — Celui qui est obligé de se mellre
« en voyage dès le matin n'a qu'à se lever au point du jour
« et à regarder attentivement du côLé de l'orient, il verra
« comme des lettres qui marchent dans le ciel. Tune mon-
« tant, l'autre descendant. Ces formes brillantes sont celles
« des lettres avec lesquelles Dieu a créé le ciel et la terre;
« elles forment son nom mystérieux et sainte » De telles
idées, si elles ne doivent pas être comprises dans un sens
plus élevé, peuvent paraître indignes de trouver place dans
un travail sérieux; mais d'abord, en ne faisant connaître
du système contenu dans le Zohar que les aperçus les plus
brillants et les mieux fondés, en écartant avec soin tout ce
qui peut heurter nos habitudes intellectuelles, nous man-
1" part., fol. 20, \.
2. 2° part., fol. Ti, reclo, sect. ^itti.
Stci N'3;jf irc'wi 'j";\x'i ^i^ztid ]"'""n yh'2 ""2- i^- ■5»;-"'-. fol. 70, rccio.
OPINION DES KABBALISTES SUR LE MONDE. IGo
querions le seul but que nous nous soyons pioposc; nous
serions infidèle à la vérilé historique. Ensuite, nous avons
remarqué que des rêveries pareilles sont sorties plus d'une
fois du même principe et qu'elles n'ont pas toujours été le
partage des plus faibles intelligences. Platon et Pythagorc
en ont été bien près; et d'un autre côté, tous les grands
représentants du mysticisme, tous ceux qui ne voient dans
la nature extérieure qu'une vivante allégorie, ont adoplé,
chacun selon la mesure de son intelligence, la théorie des
nombres et des idées. C'est aussi comme une conséquence
de leur système général de métaphysique, ou, s'il nous est
permis de nous servir ici du langage philosophique de nos
jours, c'est en vertu d'un jugement a 'priori que les kabba-
lisles ont admis la physiognomonique, dont le nom était,
du reste, déjà connu dans le siècle de Socrate. « La physio-
« nomie, disent-ils, si nous en croyons les maîtres de la
(c science intérieure, hncjd Nnazm nxa, ne consiste pas
« dans les traits qui se manifestent au dehors, mais dans
« ceux qui se dessinent mystérieusement au fond de nous-
« mêmes. Les traits du visage varient suivant la forme
« imprimée au visnge intérieur de l'esprit; l'esprit seul
« produit toutes ces physionomies que connaissent les
ce sages : c'est par l'esprit qu'elles ont un sens. Quand les
ce esprits et les âmes sortent de VEden (c'est ainsi qu'on
ce appelle souvent la sagesse suprême), ils ont tous une
ce certaine forme qui plus tard se réfléchit dans le visage\ »
A ces considérations générales succèdent un grand nombre
d'observations de détail dont quelques-unes sont encore
aujourd'hui généralement accréditées. Ainsi, un front large
et convexe est le signe d'un esprit vif et profond, d'une
intelligence d'élite. Un front Inrge, mais aplati, annonce la
folie ou la sottise; un front qui serait en même temps plat,
1. 2° part., fol. 75, verso.
ICa LA KABBALE.
comprimé sur les côtes et terminé en. pointe, indiquerait
infailliblement un esprit 1res borné, auquel pourrait se
joindre quelquefois une vanité sans mesure^ Enfin, tous les
visages humains sont ramenés à quatre types principaux,
dont ils s'éloignent ou se rapprochent, selon le rang que
tiennent les âmes dans l'ordre intellectuel et moral. Ces
types sont les quatre figures qui occupent le cliar mystéiieux
d'Ézéchiel, c'est-à-dire celles de l'homme, du lion, du bœuf
et de ^'aigle^
Tl nous a semblé que la démonologie adoptée par les kab-
balistes n'est qu'une personnification tout à fait réfléchie de
ces différents degrés de vie et d'intelligence qu'ils aperce-
vaient dans toute la nature extérieure. La croyance aux dé-
mons et aux anges avait depuis longtemps pris racine dans
l'esprit du peuple comme une riante mythologie à côté du
dogme sévère de l'unité divine. Pourquoi donc ne s'en se-
raient-ils pas servis pour voiler leurs idées sur les rapports
de Dieu avec le monde, comme ils se sont servis du dogme
de la création pour enseigner tout le contraire; comme ils
se servaient enfin des textes de rKcriturc pour se mettre au-
dessus de l'Écriture et de l'autorité religieuse? Nous n'avons
trouvé en faveur de cette opinion aucun texte entièrement
à l'abri du doute ; mais voici quelques raisons qui la ren-
dront au moins très probable. D'abord, dans les trois frag-
ments principaux du Zohar, dans les deux Idra et le Livre
du mystère, il n'est jamais question, sous quelque forme que
ce soit, de cette hiérarchie céleste ou infernale, qui n'était
vraisemblablement qu'un souvenir de la captivité de Baby-
lone; ensuite, lorsque, dans les autres parties du ZohaVy
on parle des anges, on les représente comme des êtres bien
inférieurs à l'homme, comme des forces dont l'impulsion
1. Ib. supr., fol. 75-75, recto.
2. T^yj "izD '\r^D i:d nnx 1:2 d-x i;î: ni2\si nt,""!'- 2= part., foi. 73,
verso, et seq.
OPINION DES KABBALISTES SUR LE AIONDE. 1C7
avcude est constamment la môme. Nous en offrons un
exemple dans ces mots : « Dieu anima d'un esprit parti-
ce culier chaque partie du firmament ; aussitôt toutes les
c< armées célestes furent formées et se trouvèrent devant lui.
ce C'est ainsi qu'il faut expliquer ces paroles : Avec le souffle
ce de sa bouche il créa toutes les armées Les esprits
ce saints, qui sont les messagers du Seigneur, ne descendent
ce que d'un seul degré; mais dans les âmes des justes il y a
ce deux degrés qui se confondent en un seul : c'est pour cela
ce que les âmes des justes montent plus haut, et que leur
ce rang est [)lus élevé *. » Les thalmudistes eux-mêmes, mal-
gré leur attachement à la lettre, professent le même prin-
cipe : ce Les justes, disent-ils, sont plus grands que les
ce anges *. » Nous comprendrons encore mieux ce qu'on a
voulu dire par ces esprits qui animent tous les corps célestes
et tous les éléments de la terre, si nous prenons garde aux
noms et aux fonctions qui leur sont donnés. Avant tout, il
faut écarter les personnifications purement poétiques, dont
le caractère ne peut exciter le moindre doute; et tels sont
tous les anges qui portent le nom, soit d'une qualité morale,
soit d'une abstraction métaphysique; par exemple, le bon et
le mauvais désir {iro ijjv vin is^), que l'on fait toujours agir
sous nos yeux comme des personnes réelles; l'ange delà
pureté (Tahariel), de la miséricorde (Rachmiel), de la justice
(Tsadkiel), de la délivrance (Padacl), et le fameux Raziel^
c'est-à-dire l'ange des secrets, qui veille d'un œil jaloux sur
les mystères de la sagesse kabbalistique '\ D'ailleurs c'est un
^' y.nnizxi'z in inx^ ]i*nx inSo NniniSu; ^iirji "(Ti-p •[■'n'n S:j
yrci p.TiTn Tn"" i^pSo -z ^i:!! -ni yV'izi nno x-'''p''-ïi- ^° iiai-t.,
fol. 68, verso.
2. m*Cn ''^nS'ZQ IDV D^P^TJ U^hM:^- Tlialtnud Dfihijl., Sanhédrin,
chap. XI, et Clioulin, chap. vi.
5. Zohar, Impart., fol. 40-il. — Ib., ib., fol. 53, rcclo. — Ib., fol. 140,
recto.
1G8 LA KABBALE.
principe reconnu par tous les kabbalistes, et qui lient au
système général des êtres, que la liiérarcliie angélique ne
commence que clans le troisième monde, celui qu'on appelle
jjjjiy le monde de la formaiion (m^;;' obiy, Olam letzirah), c'est-
à-dire dans l'espace occupé par les planètes et les corps cé-
lestes. Or, comme nous l'avons déjà dit, le chef de cette mi-
lice invisible, c'est l'ange Métatrône, ainsi appelé parce qu'il
se trouve immédiatement au-dessous du trône de Dieu
(^''-diid), qui forme à lui seul le monde de la création ou des
>^ r. purs esprits (nxni ahrj, Olam Beriah). Sa tâche, c'est de
maintenir l'unité, l'harmonie et le mouvement de toutes les
sphères ; c'est exactement celle de celle force aveugle et in-
finie qu'on a voulu quelquefois substituer à Dieu sous le
nom de nature. 11 a sous ses ordres des myriades de sujets
que l'on a divisés en dix catégories, sans doute en l'honneur
des dix Sephiroth. Ces anges subalternes sont aux diverses
parties de la nature, à chaque sphère et à chaque élément en
particulier, ce qu'est leur chef à l'univers tout entier. Ainsi,
l'un préside aux mouvements de la Terre, l'autre à ceux de
la Lune, et la même chose a lieu |)our lous les autres corps
célestes*. Celui-ci s'appelle l'ange du feu (Nouriel), celui-là
l'ange de la lumière (Ouriel), un troisième préside à la dis-
tribution des saisons, un quatrième à la végétation. Enfin,
toutes les productions, toutes les forces et lous les phéno-
mènes de la nature sont représentés de la même manière.
L'inlcnlion de ces allégories devient tout à fait évidente
lorsqu'il s'agit des esprits infernaux. Nous avons déjà appelé
rattention sur le nom que l'on donne en commun à toutes
les puissances de cet ordre. Les démons, pour les kabba-
listes, sont les formes les plus grossières, les plus impar-
faites, \es enveloppes de l'existence; tout ce qui figure l'ab-
(..ki 1. On va même jusqu'à les désigner sous les inèuies noms que ces corps
eux-mêmes : l'un s'appelle Vénus (njj), l'autre Mars {u'<m'a)j ui troisième,
to**'!'^*'*'^ a substance du ciel {Q^'j2''Cri OTj)- Z-:har, 1" liait., fol. 42 et scq.
OPIMO^i DES KABBALISTES SLR LE MONDE. 109
scnce de la vie, de l'intelligence et de l'ordre. Ainsi que les
anges, ils forment dix Sepliirotli, dix degrés, oi!i les ténèbres
<'t l'impureté vont s'épaississant de plus en plus, comme
dans les cercles du poète florentin*. Le premier ou plutôt
les deux premiers ne sont pas autre chose que l'état dans
lequel la Genèse nous montre la Terre avant l'œuvre des six
jours, c'est-à-dire l'absence de toute forme visible et de
toute organisation ^ Le troisième est le séjour des ténèbres,
de ces mêmes ténèbres qui au commencement couvraient la
face de l'abîme'". Puis vient ce qu'on appelle les sept taber-
nacles (mS^M yiu) ou l'enfer proprement dit, oft'rant à nos
yeux dans un cadre systématique tous les désordres du monde
moral et tous les tourments qui en sont la suite. Là, nous
voyons chaque passion du cœur humain, chaque vice ou
chaque faiblesse personnifiée dans un démon, devenir le
bourreau de ceux qu'elle a égarés dans ce monde. Ici, c'est
la volupté et la séduction (mns), là la colère et la violence
(nDm!]N*), plus loin l'impureté grossière, le démon des soli-
taires débauches, ailleurs le crime (nnn), l'envie (ni\s'), l'ido-
lâtrie, l'orgueil. Les sept tabernacles infernaux se divisent
et se subdivisent à l'infini ; pour chaque espèce de perversité
il y a comme un royaume à part, el l'on voit ainsi l'abîme
se dérouler jtar degré dans toute sa profondeur et son im-
mensité \ Le chef suprême de ce monde téiiél)reux, celui que
l'Écriture appelle Satan, porte dans la kabbale le nom de
Samaël (Sn-d), c'esl-à-dir(î l'ange du poison ou de la mort,
1, Tikoniiiin, Tlloun 15, fol. 56.
-• irî2T 1~n 4*^"^ '"-'^ Scjilante oui tra;luit pnr les deux mnls : ào'pazo; /.al
dî/.aT4'j/.3jacro;.
•>• NE'iSp XT '.nn HiTn yixm . xt bv x- zi'^h'^i nS;j |'3*bp nSn
nxn^Sn xr^Sp •^•wim . x:*":!-! xs^Sp xi "1.12.1 . nxnp- 1^- «'P''-
4. l'our lous ces déliiils, voir le Zolinr, 2'^ p:irt., fol. 255-259, sect. I7ip2.
cl le commenlairc, ou plutôt la liaJuction licljiaïfjuc de ce passage dans le
Pardcs Rimotiini, n'iSlMn yj'C-
170 LA KABBALE.
et le Zohar dit positivement que l'ange de la mort, le mau-
vais désir, Satan et le serpent qui a séduit notre première
mère sont une seule et même chose'. On donne aussi à Sa-
maël une épouse, qui est la personnification du vice et de la
sensualité; car elle s'appelle de son nom la prostituée [iar
r !f)*^^ excellence, ou la maîtresse de débauches (a''3lj" h^tn) *. Mais
ordinairement on les réunit dans un symbole unique qu'on
■^Vh appelle simplement le serpent (x-îrn).
Si on voulait ramener cette théorie des démons et des
anges à la forme la plus simple et la plus générale, ou ver-
rait que dans chaque objet de la nature, par conséquent dans
la nature tout entière, les kabbalistes reconnaissaient deux
éléments très distincts : l'un intérieur, incorruptible, qui
se révèle exclusivement à rinlelligcnce; c'est l'esprit, la vie
ou la forme ; l'autre purement extérieur cl matériel dont on
a fait le symbole de la déchéance, de la malédiction et de la
mort. Ils auraient pu dire aussi comme un philosophe mo-
derne issu de leur race : Omnia, quamvis diverm gradibus,
animala tamen sunt ''. De cette manière, leur démonologie
serait un complément nécessaire de leur métaphysique et
nous expliquerait parfaitement les noms sous lesquels on
désigne les deux mondes inférieurs.
verso; comme le dil d'ailleurs le Thalmiid, Baba Balra, 10.
2. On suppose que c'est le même personn;ige (jue Lililli (puissance de la
nuit), dont il est souvent question dans le TliahnuJ.
5. Spinosa, Elliica.
CHAPITRE V
SUITE DE L ANALYSE DU ZOIIAR OriNlON DES KALBALlSlt.^
SUR l'ame IIU.MAINE
C'est surtout par le rang élevé qu'ils ont donné à l'homme
que les kabbalistes se recommandent à notre intérêt et que
l'étude de leur système devient d'une haute importance, tant
pour l'histoire de la philosophie que pour celle de la reli-
gion. « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière », a
dit la Genèse; et à ces paroles de malédiction ne succède au-
cune promesse positive d'un avenir meilleur, aucune men-
tion de l'âme qui doit remonter vers Dieu quand le corps
s'est confondu avec la terre. Après l'auteur du Pentateuque,
le moilèle de la sagesse en Israël, l'Ecclésiasle a légué à la
postérité cet étrange parallèle : « L'homme et la brute meu-
cc reni également; le sort de l'homme est comme le sort de
ce la brute; ils ont tous deux le même sort ^ » Le Tlialmud
s'('xj)rime quelquefois on termes assez poétiques sur la ré-
compense qui attend les justes. Il les représente assis dans
l'Eden céleste, la tète couronnée de lumière et jouissant de
la gloire divine'. Mais la nature humaine en général, il
1. Ecclés., cliap. III, V. 19.
Herachol, 17.
172 LA KABBALE.
cherche plulôt à l'ahaisscr qu'à i'erinohlir. « D'où viens-tu?
« D'une gouLtc de matière en putréfaction. Où vas-tu? Au mi-
ce lieu de h poussière, de la corruption et des vers. Et de-
ce vant qui dois-tu un jour te justifier et rendre compte de
« les actions? Devant Celui qui règne sur les rois des rois, de-
ce vant le Saint, béni soit-iP. » Telles sont les paroles qu'on
lit dans un recueil de sentences attribuées aux chefs les plus
anciens et les plus vénérés de Técole thalmudique. C'est dans
un toufc autre langage que le Zoliar nous entretient de notre
origine, de nos destinées futures et de nos rapports avec
l'Etre divin, a L'homme, dit-il, est à la fois le résumé
ce et le terme le plus élevé de la création ; c'est pour cela
ce qu'il n'a été formé que le sixième jour. Sitôt que l'homme
ce parut, tout était achevé, et le monde supérieur et le monde
<e inférieur, car tout se résume dans l'homme; il réunit
ce toutes les formes ^ » Mais il n'est pas seulement l'image
du monde, de l'universalité des êtres, en y comprenant l'Etre
absolu : il est aussi, il est surtout l'image de Dieu considéré
dans l'ensemble de ses attributs infinis. Il est la présence di-
vine sur la terre, nxnn nfi^^du; c'est VAdam céleste, qui, en
soitant de l'obscurité suprême et primitive, a produit cet
Adam terrestre ''.
Le voici d'abord représenté sous le premier de ces deux
aspects, c'est-à-dire comme 3/fcy*ocos/«e : ce Ne va pas croire
<e que l'homme soit seulement de la chair, une peau, des os-
ce sements et des veines; loin de là ! Ce qui fait réellement
ce l'homme, c'est son âme ; et les choses dont nous venons
1- r.vS^m n^2i i£7 ny^zh "Sin nnx ^h<Si nn";-iD he'cîz fin:! yan
n-ipn Q^;b^2- irS^r -S:2 ""isS ]i2\:Tn ]n ]rh vw nnx ^a izzhi- Timlm.
BabijL, Traité des l'èrcs, chap. iir.
ah^l in'^^iS'J i.TX- 5' part., foL 48, recto.
5. aix ^■'2 r\i<'2-^p nVih'j laTo lia arhn î-^^Sanx- in2 «b'^hi nia
HDîh- 2° p^rt., fui. 70, vci'so.
OPINION DES KABBALISTES SLTx L'AME. 175
« (le parler, la peau, la chair, les ossements, les veines, ne
ce sont pour nous qu'un vêtement, un voile, mais elles ne
(c sont pas l'homme. Quand l'homme s'en va, il se dépouille
« de tous les voiles qui le couvrent. Cependant ces diverses
« parties de notre corps sont conformes aux secrets de la
ce sagesse suprême. La peau représente le firmament qui
ce s'étend partout et couvre toute chose, ainsi qu'un vêtement.
« La chair nous rappelle le mauvais côté de l'univers (c'est-
c( à-dire, comme nous l'avons dit plus haut, l'élément pure-
ce ment extérieur et sensihle). Les ossements et les veines
ce figurent le char céleste, les forces qui existent à l'intérieur,
ce •i5Sia''''pT V^'"'^' ^^^ serviteurs de Dieu. Tout cela n'est ce-
ce pendant encore qu'un vêtement; car dans l'intérieur est le
ce mystère de Vhomme céleste. Ainsi que l'homme terrestre,
ce l'Adam céleste est intérieur, et tout se passe en has comme
ee en haut. C'est dans ce sens qu'il a été dit que Dieu créa
ce l'homme à son image. Mais de môme que dans le firma-
cc ment, qui enveloppe tout l'univers, nous voyons diverses
ce figures formées par les étoiles et les planètes pour nous
ce annoncer des clwses cachées et de profonds mystères ; ainsi
ce sur la peau qui entoure notre corps il y a des formes et des
ce traits qui sont comme les planètes ou les étoiles de notre
ce corps. Toutes ces formes ont un sens caché et sont un
ce ohjet d'attention pour les sages qui savent lire dans le visage
ce de l'homme \ » C'est par la seule puissance de sa forme
extérieure, par ce reflet d'intelligence et de grandeur ré-
pandu dans tous ses traits, que l'homme lait trembler de-
vant lui jusqu'aux animaux les plus féroces-. L'ange envoyé
à Daniel pour le défendre contre la rage des lions n'est pas
autre chose, selon le Zohar, que le visage même du pro-
phète, ou l'empire exercé par le regard d'un homme pur.
I. Zoltar, 2" pari., cul. 70a.
.TDDa yjT] ]iSm I.iSd ïn:i- l" I»a''l-. M- 19' !-.;(^lo. sect. 3-^«i«i.
174 LA KABBALE.
Mais il ajoute que cet avantage disparaît aussitôt que
l'homme se dégrade par le péché et par l'.ouhli de ses de-
voirs '. Xous n'insisterons pas plus longtemps sur ce point,
que nous avons déjà remarqué, et qui rentre entièrement
dans la théorie de la nature.
Considéré en lui-même, c'est-à-dire sous le point de vue
de l'ame, et comparé à Dieu avant qu'il soit devenu visible
dans le monde, l'être humain, par son unité, son identité
substantielle et sa triple nature, nous rappelle entièrement
la trinité suprême. En effet, il se compose des éléments sui-
Tt'yi^'^ vants : 1° d'un esprit, n^*»2;j, qui représente le degré le plus
élevé de son existence ; 2° d'une âme, m*!, qui est le siège du
^^ ' bien et du mal, du bon et du mauvais désir, en un mot, de
-►t)^ tous les attributs moraux; 5° d'un esprit plus grossier, tjrj,
immédiatement en rapport avec le corps, et cause directe de
ce qu'on appelle dans le texte les mouvements inférieurs,
c'est-à-dire les actions et les instincts de la vie animale. Pour
faire comprendre comment, malgré la dislance qui les sé-
pare, ces trois principes, ou plutôt ces trois degrés de l'exis-
tence humaine se confondent cependant dans un seul être, on
reproduit ici la comparaison dont on s'est déjà servi au sujet
des attributs divins et dont le germe est dans le Livre de la
création. Les passages qui témoignent de l'existence de ces
trois âmes sont en très grand nombre; mais, à cause de sa
clarté, nous choisissons de préférence celui qu'on va lire :
« Dans ces trois choses, l'esprit, l'âme et la vie des sens,
« nous trouvons une fidèle image de ce qui se passe en haut ;
« car elles ne forment toutes trois qu'un seul être où tout est
« lié par l'unité. La vie des sens ne possède par elle-même
«aucune lumière; c'est pour cette raison qu'elle est si
« étroitement unie au corps auquel elle procure et lesjouis-
1- n^b =]Snn.s xrnp ><;i:*."'- \sn xnmxi rniNi V"x nS r: ^2 -dv
Ib. siqji;
OPLMON DES KABBALISTKS SUR L'AMS. 175
« sanccs et les aliments dont il a besoin ; on peut lui ap~
« pliquer ces paroles du sage : Elle distribue la nourriture
« à sa maison et marque la tâche de ses servantes. La mai-
« son, c'est le corps qui est nourri ; et les servantes sont les
<c membres qui obéissent. Au-dessus delà vie des sens s'élève
« l'àme qui la subjugue, lui impose des lois et l'éclairé au-
« tant que sa nature l'exige. C'est ainsi que le principe ani-
« mal est le siège de l'àme. Enfin, au-dessus de l'àme s'élève
« l'esprit, par lequel elle est dominée à son tour et qui réflé-
« chit sur elle une lumière de vie. L'àme est éclairée par
« celte lumière et dépend entièrement de l'esprit. Après la
« mort elle n'a pas de repos ; les portes de l'Eden ne lui sont
« pas ouvertes avant que l'esprit soit remonté vers sa source,
« vers l'Ancien des anciens, pour se remplir de lui pendant
« l'éternité; car toujours l'esprit remonte vers sa source'. »
Chacune de ces trois âmes, comme il est facile de le pré-
voir, a sa source dans un degré différent de l'existence
divine. La sagesse suprême, appelée aussi l'Éden céleste, est
la seule origine de l'esprit. L'àme, selon tous les interprètes
du Zohar, vient de l'attribut qui réunit en lui la justice et
la miséricorde, c'est-à-dire de la Beauté. Enfin, le principe
animal, qui jamais ne s'élève au-dessus de ce monde, n'a
pas d'autre base que les altribuls de la force, résumés dans
la Royauté.
Outre ces trois éléments, le Zohar en reconnaît encore
un autre d'une nature tout à fait extraordinaire, et dont
l'antique origine se révélera à nous dans la suite de ce tra-
vail : c'est la forme extérieure de l'homme conçue comme
une existence à part et antérieure à celle du corps, en un
mot Vidée du corps, mais avec les traits individuels qui dis-
tinguent cliacnn de nous. Cette idée descend du ciel et devient
visible dès l'instant de la conception. « Au moment où s'ac-
i. 2° part., fol, 1 i'i, rcclo, sccl. nDlID
176
L.V KABBALE.
complil l'union terrestre, le Saint, dont le nom soit béni,
envoie ici-bas une forme à la ressemblance de l'bommc,
et portant l'empreinte du sceau divin. Cette forme assiste
à l'acte dont nous venons de parler, et si l'œil pouvait
voir ce qui se passe alors, on apercevrait au-dessus de sa
tète une image tout à fait semblable à un visage humain,
et cette image est le modèle d'après lequel nous sommes
procrées. Tant qu'elle n'est pas descendue ici-bas, envoyée
par le Seigneur, etqu'elle ne s'est pas arrêtée au-dessus de
notre tète, la procréation n'a pas lieu; car il est écrit : Et
Dieu créa l'homme à son image. C'esl elle qui nous reçoit
la première à notre arrivée dans ce monde ; c'est elle qui
se développe avec nous quand nous grandissons, et c'est
avec elle encore que nous quittons la terre. Son origine est
dans le ciel (xV"^'^ in\s' dVa 'xm)- Au moment où les âmes
sont sur le point de quitter le céleste séjour, chaque âme
paraît devant le roi suprême revêtue d'une forme sublime,
011 sont gravés les traits sous lesquels elle doit se montrer
ici-bas. Eh bien ! l'image dont nous parlons émane de
cette forme sublime ; elle vient la troisième après l'àme ,
elle nous précède sur la terre et attend noire arrivée depuis
l'instant de la conception ; elle est toujours présente à
l'acte de l'union conjugale *. » Chez les kabbalistes mo-
•-jtjspi dernes cette image est appelée le 'principe individuel (nT"'').
')h Ti'ï^ Enfin, sous le nom d'esprit vital (""Ji^n mi ou simplement
u»sn '^''^)' quelques-uns ont introduit dans la psychologie kabba-
listique un cinquième principe, dont le siège est dans le
cœur, qui préside à la combinaison et à l'organisation des
éléments matériels, et qui se distingue entièrement du prin-
cipe de la vie animale (nephesch)^ de la vie des sens, comme,
chez Aristote et les philosophes scolastiqucs , l'âme végéta-
tive ou nutritive (zh Qpzraty.o^j) se distinguait de l'âme sensi-
\. Zohar, o* part., fui. 107, reclo et verso, scct. m«2S-
OPINION DES KABBALISTES SCR L'AME. 177
tive (tô atc-S/.Tix.dv) . Celle opinion se fonde sur un passage
allégorique du Zohar, où l'on dil que chaque nuit, pendant
notre sommeil, notre âme monte au ciel pour y rendre
compte de sa journée, et qu'à ce moment le corps n'est
plus animé que par un souffle de vie placé dans le cœur'.
Mais, à vrai dire, ces deux derniers éléments ne comptent
pour rien dans notre existence spirituelle renfermée tout en-
tière dans l'union intime de l'âme et de l'esprit. Quanta l'al-
liance momentanée de ces deux principes supérieurs avec
celui des sens, c'est-à-dire quant à la vie elle-même par la-
quelle ils sont enchaînés à la terre, elle n'est point repré-
sentée comme un mal. On ne veut pas, à l'exemple d'Ori-
gène et de l'école gnostiquc, la faire passer pour une chute
ou pour un exil, mais pour un moyen d'éducation et une
salutaire épreuve. Aux yeux des kabhalistes, c'est une néces-
sité pour l'âme, une nécessité inhérente à sa nature lînie, de
jouer un rôle dans l'univers, de contempler le spectacle que
lui offre la création pour avoir la conscience d'elle-même et
de son origine; pour rentrer, sans se confondre absolument
avec elle, dans cette source inépuisable de lumière et de vie
qu'on appelle la pensée divine. D'ailleurs, l'esprit ne peut
pas descendre sans élever en même temps les deux principes
inférieurs et jusqu'à la matière qui se trouve placée encore
plus bas; la vie humaine, quand elle a été complète, est
donc une sorte de réconciliation entre les deux termes ex-
trêmes de l'existence considérée dans son universalité; entre
l'idéal et le réel, entre la forme et la matière, ou, comme
dit l'original, entre le roi et la reine. Voici ces deux consé-
quences exprimées sous une forme plus poétique, sans èlre
pour cela méconnaissables : « Les âmes des justes sont au-
« dessus de toutes les puissances et de tous les serviteurs
1- Ni^Si Nnvm itsDipT laïUT -- 12 Nîu "^,12 .Ti ixn^.s nSi
12
Zohar, \" part., scil. "S ";S
178 LA KABBALE.
d'en haut. Et si tu demandes pourquoi d'une place aussi
élevée elles descendent dans ce monde et s'éloignent de
leur source, voici ce que je répondrai : C'est à l'exemple
d'un roi à qui il vient de naître un fils et qui l'envoie à
la campagne pour y être nourri et élevé jusqu'à ce qu'il ait
c grandi et soit préparé aux usages du palais de son père.
( Quand on annonce à ce roi que l'éducation de son fils est
c tout à fait terminée, que fait-il dans son amour pour lui?
11 envoie chercher, pour célébrer son retour, la reine sa
< mère, il l'introduit dans son palais et se réjouit avec lui
< tout le jour. Le Saint (que son nom soit béni !) a aussi un
c fils de la reine ; ce fils, c'est l'àme supérieure et sainte.
11 l'envoie à la campagne, c'est-à-dire dans ce monde, pour
:< y grandir et être initié aux usages que l'on suit dans le pa-
c lais du roi. Quand il arrive à la connaissance du roi que
c son fils a achevé de grandir et que le temps est venu de
l'introduire auprès de lui, que fait-il alors dans son amour
pour lui? Il envoie, en son honneur, chercher la reine et
c tait entrer son fils dans son palais. L'ame, en effet, ne
quitte pas la terre, que la reine ne soit venue se joindre à
c elle pour l'introduire dans le palais du roi où elle demeu-
rera éternellement. Et cependant les habitants de la cam-
pagne ont coutume de pleurer quand le fils du roi se sé-
c pare d'eux. Mais s'il y a là un homme clairvoyant, il leur
c dit: Pourquoi pleurez-vous? n'est-ce pas le fils du roi?
n'est-il pas juste qu'il vous ait quittés pour aller demeu-
rer dans le palais de son père? C'est ainsi que Moïse, qui
savait, lui, la vérité, voyant les habitants de la campagne
< (c'est-à-dire les hommes) se lamenter, leur adressa ces pa-
roles : Yous êtes les fils de Jéhovah votre Dieu, ne vous
c déchirez pas le visage pour {)leurer un mort \ Si tous les
c justes pouvaient savoir ces chos^es, ils accueilleraient avec
1. Dcutér., chap. xiv, v. 1.
OPIMON DES KADBALISTÉS SUR L'AME. 179
« joie le jour où ils doivent quiLler ce monde. Et n'est-ce
« pas le comble de la gloire, que la reine (la Schchinah ou
« la présence divine) descende au milieu d'eux, qu'ils soient
« admis dans le palais du roi et qu'ils fassent ses délices
« dans l'éternité*. » Nous retrouvons encore ici, dans les
rapports qu'on aperçoit entre Dieu, la nature et l'àme hu-
maine, cette même forme de la trinité que nous avons si
souvent rencontrée, et à laquelle les kabbalistes semblent
avoir attaché une importance logique beaucoup plus étendue
qu'elle ne pourrait l'être dans le cercle exclusif des idées
religieuses.
Mais ce n'est pas seulement sous ce point de vue que la
nature humaine est l'image de Dieu; elle renferme aussi, à
tous les degrés de son existence, les deux principes généra-
teurs dont la trinité, à l'aide d'un terme moyen qui procède
de leur union, n'est que le résultat ou l'expression la plus
complète. L'Adam céleste étant le résullat d'un principe
maie et d'un principe femelle, il a fallu qu'il en fut de même
de l'homme terrestre ; et cette distinction ne s'applique pas
seulement au corps, mais aussi, mais surtout à l'àme, dût-
on la considérer dans son élément le plus pur. « Toute
« forme, dit le Zohar, dans laquelle on ne trouve pas le
c( principe mâle et le principe femelle, n'est pas une forme
c( supérieure et complète. Le Saint, béni soit-il, n'établit
c( pas sa demeure dans un lieu où ces deux principes ne sont
« pas parfaitement unis; les bénédictions ne descendent que
« là où celle luiion exisle, comme nous l'apprenons par ces
(( paroles : 11 les bénit et il appela leur nom Adam le jour
« où il les créa; car même le nom d'homme ne peut se
« donner qu'à un homme et à une femme unis comme un
a seul être \ »
1. Zoliar, l'° part., fol. 2i5, verso. — Ce morceau a élc traduit en laliii par
Joseph Voysin.
2. NpiD nxSy Njpvi i.TN inS Napi:i idi .T3 n^ncx nSi x:pin Sd
180 LA KABBALE.
De môme que l'àme tout entière était d'abord confondue
avec rintclligencfi suprême, ainsi ces deux moitiés de Tètre
humain, dont chacune du reste comprend tous les éléments
de notre nature spirituelle, se trouvaient unies entre elles
avant de venir dans ce monde, où elles n'ont été envoyées
que pour se reconnaître et s'unir de nouveau dans le sein de
Dieu. Cette idée n'est exprimée nulle part aussi nettement
que dans le fragment qu'on va lire : « Avant de venir dans
« ce monde, chaque âme et chaque esprit se composent d'un
« homme et d'une femme réunis en un seul être; en descen-
« dant sur la terre, ces deux moitiés se séparent et vont ani-
« mer des corps différents. Quand le temps du mariage est
« arrive, le Saint, béni soit-il, qui connaît toutes les âmes
a et tous les esprits, les unit comme auparavant, et alors
« ils forment comme auparavant un seul corps et une seule
« âme Mais ce lien est conforme aux œuvres de l'homme
« cl aux voies dans lesquelles il a marché. Si l'homme est
« pur et s'il agit pieusement, il jouira d'une union tout à
« fait semblable à celle qui a précédé sa naissance \ » L'au-
teur de ces lignes peut avoir entendu parler des Androgynes
de Platon : d'ailleurs, le nom même de ces êtres imagi-
naires est très connu dans les anciennes traditions des Hé-
breux; mais combien sur ce point le philosophe grec est de-
meuré au-dessous du kabbalisle! On nous permettra aussi
de faire observer que la question dont on est ici préoccupé,
et même le principe par lequel elle est résolue, ne sont pas
indignes d'un grand système métaphysique ; car si l'homme
et la femme sont deux êtres égaux par leur nature spirituelle
et par les lois absolues de la morale, ils sont loin d'être
K"in- N2p":", ^;- nSx npx ni D~N IT^.S itH- impart., fol. 55, verso,
sect. n*CN-"Z.
oiaT pnSi x;iim |-iy x-oa iz^. 'm ■j'z ni ]*u;-ii:na ^"rin:! Nnyunv
1" part., foL 01 , verso.
OPINION DES KABBALISTES SUR L'AME. 181
semblables par la direclion naturelle de leurs facultés, et
l'on a quelque raison de dire avec le Zo//rt>' 'que la dis-
tinction des sexes n'existe pas moins pour les âmes que pour
les corps.
La croyance que nous venons d'exposer est inséparable du
dogme de la préexistence, et celui-ci, déjà renfermé dans la
théorie des idées, s'enchaîne encore plus étroitement à celle
qui confond l'existence et la pensée. Aussi ce dogme est-il
avoué avec toute la clarté possible, à côté même du principe
oiî il prend sa source. Nous n'avons donc qu'à continuer
notre modeste rôle de traducteur : « Dans le temps où le
« Saint, béni soit-il, voulut créer l'univers, l'univers était
« déjà présent dans sa pensée; alors il forma aussi les âmes
« qui devaient dans la suite appartenir aux hommes; elles
« étaient toutes devant lui, exactement sous la forme qu'elles
(c devaient avoir plus tard dans le corps humain. L'Éternel
« les regarda une à une, et il en vit plusieurs qui devaient
« corrompre leurs voies dans ce monde. Quand son temps
<( est venu, chacune de ces âmes est appelée devant l'Éter-
« nel, qui lui dit : Ya dans telle partie de la terre, animer
<c tel ou tel corps. L'âme lui répond : 0 maître de l'imivers,
« je suis heureuse dans le monde oii je suis, et je désire ne
« pas le quitter pour un autre oi^i je serai asservie et expo-
u sée à toutes les souillures. Alors le Saint, béni soit-il, re-
« prend : Du jour oiî lu as été créée, tu n'as pas eu d'autre
ce destination que d'aller dans le monde où je t'envoie. Voyant
« qu'il faut obéir, l'âme prend avec douleur le chemin de la
« terre et vient descendre au milieu de nous \ » A côté de
cette idée, exprimée sous une forme plus simple, nous trou-
vons dans le passage suivant la doctrine de la réminiscence :
« De même qu'avant la création, toutes les choses de ce
1- ^riiz'c: Sd niii*i rrup Nmy-a p^So NnSy "nsaS nnpn ii'j2i xrzn
W\3^ iiW2 ^122 nn^^l-S ^-''•2' r;\Sl- '-" pai't-, foi- 96, verso, sccl. Qi'csra-
i82 LA KABBALE.
ce monde étaient présentes à la pensée divine, sous les formes
« qui leur 'Sont propres ; ainsi toutes les âmes humaines,
« avant de descendre dansée monde, existaient devant Dieu,
« dans le ciel, sous la forme qu'elles ont conservée ici-bas ;
« et tout ce qu'elles apprennent sur la terre, elles le sa-
« vaient avant d'y arriver \ » On regrettera peut-être avec
nous qu'un principe de cette importance ne soit pas suivi
de quelques développements et ne tienne pas plus de place
dans l'ensemble du système ; mais on sera forcé de conve-
nir qu'il ne peut pas être formulé d'une manière plus caté-
gorique.
Il faut cependant que nous nous gardions de confondre la
doctrine de la préexistence avec celle de la prédestination
morale. Avec celle-ci, la liberté humaine est entièrement
impossible; avec celle-là, elle n'est qu'un mystère dont le
dualisme païen et le dogme biblique de la création ne sont
pas plus propres à lever le voile que la croyance à l'unité
absolue. Or ce mystère est formellement reconnu dans le
Zohar : « Si le Seigneur, dit Simon bcn Jochaï à ses disci-
cc pies, si le Saint, béni soit-il, n'avait pas mis en nous le
ce bon et le mauvais désir, que l'Ecriture nous représente
ce sous l'image de la lumière et des ténèbres, il n'y aurait
ce pour l'homme de la création (pour l'homme proprement
ce dit) ni mérite ni culpabilité. Mais pourquoi en est-il ainsi?
ce demandèrent les disciples. Ne vaudrait-il pas mieux, quand
ce même il n'existerait pour lui ni récompense ni châtiment,
ce que l'homme fût incapable de pécher et de faire le mal?
« Non, répliqua le maître; il était juste qu'il fut créé comme
ce il est, et tout ce qu'a fait le Saint, béni soit-il, était né-
ce cessaire. C'est à cause de l'homme qu'a été faite la loi de
ce la création. Or la loi est un vêtement de la Divinité. Sans
•1- x>2S*;S piT"! nS tj ^'jt nSd a^h-j \sna 'çihM<i -^2 S;*,- ^ paît ,
fol. G], verso, scct. j^i^ iinX-
OPINION DES KABBALISTES SUR L'AME. 185
« riiommo et sans la loi, la présence divine eût été comme
« un pauvre qui n'a pas de fjuoi se couvrir'. » En d'autres
termes, la nature morale de l'homme, l'idée du bien et du
mal, qu'on ne saurait concevoir sans la liberté, est une des
formes sous lesquelles nous sommes obligés de nous repré-
senter l'être absolu. Nous avons, il est vrai, appris un peu
plus haut que déjà, avant leur arrivée dans ce monde, Dieu
reconnaît les âmes qui doivent un jour l'abandonner ; mais
la liberté n'est pas compromise par celte opinion; au con-
traire, elle existe dès celte époque, et voici comment peu-
vent en abuser les esprits libres encore des chaînes de la ma-
tière : ce Tous ceux qui font le mal dans ce monde ont déjà
« commencé dans le ciel à s'éloigner du Saint, dont le nom
ce soit béni; ils se sont précipités à l'entrée de l'abîme et ont
ce devancé le temps où ils devaient descendre sur la terre,
ce Telles furent les âmes avant de venir parmi nous '. »
C'est précisément pour concilier la liberté avec la desti-
née de l'âme; c'est pour laisser à l'homme la faculté d'ex-
pier ses fautes, sans le bannir pour toujours du sein de Dieu,
que les kabbalistes ont adopté, mais en l'ennoblissant, le
dogme pythagoricien de la métempsycose. Il faut que les
Ames, comme toutes les existences particulières de ce monde,
rentrent dans la substance absolue dont elles sont sorties.
Mais pour cela il laat qu'elles aient développé toutes les per-
fections dont le germe indestructible est en elles; il faut
qu'elles aient acquis, par une multitude d'épreuves, la con-
science d'elles-mêmes et de leur origine. Si elles n'ont pas
. n n n n
^- NT -jrm "iix i*:x- x-c"'!': xro xiïi nzpn xia- i-n mm xb ik
NnmxT ]•>;:: y niniîzb n^b hm ^iin p *"nxi-in dtnS .-aim ^z'! mn
*m1 nN"'^2nx iT;*il- ^'° p;ii'l-, fo'- 23, recto et verso.
2. Tp?2 ]''pn-in^2 pn iS-'îx adi'j \sn2 ]ix3- p;nu?D xSt pi-ix S^
KoSyS ]inn:i xnyu? ^^pmi n2-i xîzinn- xapiji "çhavi nzp- ^' pari-,
loi, 6J, verso, scct. j-j-iQ iiHX-
184 LA KABDALE.
rempli celte condilion dans une première vie, elles en com-
mencent une autre, et après celle-ci une troisième, en pas-
sant toujours dans une condilion nouvelle, où il dépend en-
tièrement d'elles d'acquérir les vertus qui leur ont manqué
auparavant. Cet exil cesse quand nous le voulons; rien non
plus ne nous empêche de le faire durer toujours. « Toutes
« les âmes, dit le texte, sont soumises aux épreuves de la
« transmigration, isbi;bji V^^^-^' ^'^ '^^ hommes ne savent
« pas quelles sont, à leur égard, les voies du Très-Haut; ils
ce ne savent pas comment ils sont jugés dans tous les temps,
« et avant de venir dans ce monde et lorsqu'ils l'ont quitté ;
« ils ignorent comhien de transformations et d'épreuves
ce mystérieuses ils sont obligés de traverser ; combien d'âmes
ce et d'esprits viennent en ce monde, qui ne retourneront
ce pas dans le palais du Roi céleste; comment enfin ils su-
ce bissent des révolutions semblables à celles d'une pierre
ce qu'on lance avec la fronde. Le temps est enfin venu de
ce dévoiler tous ces mystères ^ » A ces paroles, si pleinement
d'accord avec la métaphysique du Zohar, succèdent des dé-
tails où se révèle quelquefois l'imagination la plus poétique,
que peut-être le génie de Dante aurait accueillis dans son
œuvre immortelle, mais qui n'offrent aucun intérêt à l'his-
toire de la philosophie, et n'ajoutent rien au système que
nous désirons faire connaître. Nous ferons seulement remar-
quer que la transmigration des âmes, si nous en croyons saint
Jérôme, a été longtemps enseignée parmi les premiers chré-
tiens comme une doctrine ésolérique et traditionnelle qui
ne devait être confiée qu'à un petit nombre d'élus : abscon-
dite quasi in fuveis viperarum versari, et quasi hxredita-
rio malo serpere in paucis '. Origène la considère comme le
seul moyen d'expliquer certains récits bibliques, tels que la
lutte de Jacob et d'Esaû avant leur naissance, tels que l'élec-
1. 2' part., fol. 99, verso, et secj., sect. QVjr^^'Q.
2. Ilieronyin., Epislol. ad Deinctiiadcin. Voir aussi lluet, Ovujemann.
OPIMON DES KABBALISTES SUR L'AME. 185
tion de Jérémie, quand il était encore dans le sein de sa
mère, et une foule d'aulres faits qui accuseraient le ciel d'ini-
quité, s'ils n'étaient justifiés par les actions bonnes ou mau-
vaises d'une vie antérieure à celle-ci. De plus, pour ne lais-
ser aucun doute sur l'origine et le vrai caractère de cette
croyance, le prêtre d'Alexandrie a soin de nous dire qu'il ne
s'agit pas ici de la métempsycose de Platon, mais d'une théo-
rie toute différente et bien autrement élevée *.
Outre la métempsycose proprement dite, les kabbalistes
modernes ont imaginé encore un autre moyen offert par la
grâce divine à notre faiblesse, pour nous aider à reconqué-
rir h ciel. Ils supposent que lorsque deux âmes manquent
de force pour accomplir, chacune séparément, tous les pré-
ceptes de la loi. Dieu les réunit dans un même corps et les
confond dans une même vie, afin qu'elles se complètent l'une
jar l'autre, comme l'aveugle et le paralytique. Quelquefois
c'est une seule de ces deux Ames qui a besoin d'un supplé-
ment de vertu et qui vient le chercher dans l'autre, mieux
partagée et plus forte. Celle-ci devient alors comme la mère
de la première; elle la porte dans son sein et la nourrit de
sa substance comme une femme le fruit de ses entrailles. De
là le nom de gestation ou d'imprégnation (Ty^v) sous lequel
on désigne cette association étrange dont le sens philoso-
phique, s'il y en a un, est très difficile à deviner ^ Mais lais-
sons ces rêveries ou, si l'on veut, ces allégories sans impor-
tance, et tenons-nous-en au texte du ZoJiar.
Nous savons déjà que le retour de l'àme dans le sein de
Dieu est à la fois la fin et la récompense de toutes les épreuves
\. ricp'. àv/o)V, liv. I, di;ip. VII. Oj v.y.-.V Il/.âvwvo; [jLiT£v7;oaâT;i;a'.v, àX/.à
xai' aû-r^'i -'.va C'IrjXorc'pav OE(of!av, Adv. Cclsum, liv. 111.
2. Ce mode de Irnnsmigralton a |iarliculi(''rement occupé Isaac Loria, comme
le témoigne son fidèle disciple 'Ilaïin Vital dans son Elz Haïm, Traité de la
MélempsycoRc (niSliSj "1£D)' '^''■M' '• -^loïsc Cordncro, plus réservé et toujours
plus près du Zohar, eu parle très peu.
186 LA KABBALE.
dont nous venons de parler. Cependant les auteurs du Zohar
n'ont pas voulu s'arrêter là : celte union, dont résultent
pour le créateur aussi bien que pour la créature des jouis-
sances ineffables, leur a semblé un fait naturel, dont le prin-
cipe est dans la constitution même de l'esprit; en un mol,
ils ont voulu l'expliquer par un système psychologique qu'on
retrouve sans exception au fond de toutes les théories enfan-
tées par le mysticisme. Après avoir retranché de la nature
humaine celle force aveugle qui préside à la vie animale,
qui ne quitte jamais la terre S et par conséquent ne joue au-
cun rôle dans les destinées de l'ame, le Zohar distingue en-
core deux manières de sentir et deux sortes de connaissances.
Les deux premières sont la crainte et l'amour : la lumière
directe et la lumière réfléchie, ou la face interne et la face
extérieure, telles sont les expressions par lesquelles on dé-
signe ordinairement les deux dernières. «La face intérieure,
« dit le texte, reçoit la lumière du flambeau suprême, qui
« luit éternellement, et dont le mystère ne saurait jamai?
« être dévoilé. Elle est intérieure, parce qu'elle vient d'une
« source cachée; mais elle est aussi supérieure, parce qu'elle
« vient d'en haut. La face extérieure n'est qu'un reflet de
« cette lumière, directement émanée d'en haut ". » Lorsque
Dieu dit à Moïse qu'il ne le verra pas en face, mais seule-
ment par derrière, il fait allusion à ces deux manières de
connaître, que représentent aussi, dans le paradis terrestre,
l'arbre de vie et celui qui donnait la science du bien et du
mal. C'est, en un mot, ce que nous appellerions aujour-
1- K)2br "iNn^ nbabann Ninp i3 nn^nuTN rs:- 'i" pai'i., fol. 83, verso,
scct. -jS -S; 2' part., foL 141, sect. nalln-
2. 2' part., fol. 208, verso. Ces deux sortes de connaissances s'appellent, le
plus souvent, \c Miroir lumineux, j^inj N^lSpSDX^ et \q Miroir non lumineux,
Nin; nS~ X''lSp£DN' Sous ces deux noms elles sont quelquefois mentionnées
dans le Jhalmud.
OPINION DES KABBAUSTES SUR L'AME. 187
(l'hui l'inluilion et la réflexion. L'amour et la crainte, con-
sidéiés du point de vue religieux, sont définis d'une ma-
nière très remarquable dans le passage suivant : « C'est par
« la crainte qu'on est conduit à l'amour. Sans doute,
« l'homme qui obéit à Dieu par amour est parvenu au dc-
« gré le plus élevé, et appartient déjà, par sa sainteté, à la
<c vie future ; mais il ne faut pas croire que, servir Dieu par
« crainte, ce ne soit pas le servir. C'est, au contraire, un
« hommage très précieux que celui de la crainte, bien qu'il
« établisse entre Dieu et l'âme une union moins élevée. II
ce n'y a qu'un seul degré plus élevé que la crainte, c'est
« l'amour. Dans l'amour est le mystère de l'unité. C'est lui
« qui attire les uns vers les autres les degrés supérieurs et
« les degrés inférieurs ; c'est lui qui élève tout ce qui est à
« ce degré suprême, où il est nécessaire que tout soit uni.
<c Tel est le sens mystérieux de ces paroles : Écoute, Israël,
« l'Éternel notre Dieu est un Dieu un \ »
Nous comprenons sur-le-champ qu'une fois arrivé au
dernier terme de la perfection, l'esprit ne connaît plus ni
la réflexion ni la crainte; mais sa bienheureuse existence,
entièrement renfermée dans l'intuition et dans l'amour, a
perdu son caractère individuel; sans intérêt, sans action,
sans retour sur elle-même, elle ne peut plus se séparer de
l'existence divine. Voici, en effet, comment elle est d'abord
représentée sous le point de vue de l'intelligence : « Venez
« et voyez : quand les âmes sont parvenues dans le lieu
« qu'on appelle le trésor de la vie, elles jouissent de celle
« lumière brillante, injT Nn^prDx , dont le foyer est dans le
« ciel suprême : et telle est la splendeur qui en émane, que
« les âmes ne pourraient la soutenir, si elles n'étaient elles-
<( mêmes revêtues d'un manteau de lumière. C'est grâce à
1- hnSî; "inxi p2-nx nzrii^ ^xa nSs- ^x^z nzns* -innb lynt^ ns^^r
•riNi n'd^:!! .T*:?nD2 pnnxi Nb^yS-^" part., foi. 210, recto, scct. Snpiv
188 LA KABBALE.
« ce manteau qu'elles peuvent subsister en face de ce foyer
« éblouissant qui éclaire le séjour de la vie. Moïse lui-même
ce n'a pu en approcher, pour le contempler, qu'après s'être
« dépouillé de son enveloppe terrestre*. » Voulons-nous sa-
voir à présent comment l'àme s'unit à Dieu par l'amour,
écoutons ces paroles d'un vieillard, à qui le Zoliar a donné
le rôle le plus important après celui de Simon ben Jochaï :
ce Dans une des parties les plus mystérieuses et les plus éle-
cc vées du ciel, il y a un palais qu'on appelle le palais de
ce l'amour, niHN S^^^ : là se passent de profonds mystères; là
ce sont rassemblées toutes les âmes bien-aimées du Roi cé-
ec leste; c'est là que le Roi céleste, le Saint, béni soit-il, ha-
ce bite avec ces âmes saintes et s'unit à elles par des baisers
ce d'amour, ia''n"n "î'p^J '• » C'est en vertu de cette idée que
la mort du juste est appelée un baiser de Dieu, ce Ce baiser,
ce dit expressément le lexle, c'est l'union de l'àme avec la
ce substance dont elle tire son originel » Le même principe
nous fait comprendre pourquoi tous les interprètes du mys-
ticisme ont en si grande vénération les expressions tendres,
mais souvent très profanes, du Cantique des cantiques.
ce Mon bien-aimé est à moi et je suis à mon bien-aimé «,
dit Simon ben Jochaï avant de mourir \ et, chose assez di-
gne d'èlre remarquée, cette citation termine aussi le traité
deGerson sur la théologie mystique ^ Malgré la surprise que
pourrait causerie nom justement célèbre que nous venons
de prononcer, et le grand nom de Fénelon, placé à côté de
ceux qui figurent dans le Zohar, nous n'aurions aucune
'""inn- 1'° part., fol. CG, reclo, sccf. nj-
2' part., fol. 97, reclo, sect. avc£»^'î2-
3. 1" part., fol. IGS, recto. Kip^^Z NCi::- Nn",p2- ,Tn- np^îl'in NMV
A. 2" part., Idra rabbn, ad fin.
5. Consideratiunes de tlicologiâ mysikâ, pars sccunda, ad fin.
OPINION DES KABBALISTES SBR L'AME. 189
peine à démontrer que dans les Considérations sur la théo-
logie mystique et dans Y Explication des maximes des saints
il est impossible de trouver autre chose que cette théorie de
l'amour et de la contemplation dont nous avons voulu mon-
trer les traits les plus saillants. En voici enfin la dernière
conséquence, que tout le monde n'a pas avouée avec la môme
franchise que les kabbalistes. Parmi les différents degrés de
l'existence (qu'on appelle aussi les sept tabernacles, yiu;
m'7D''n) ', il y en a un, désigné sous le titre de saint des saints,
où toutes les âmes vont se réunir à l'âme suprême et se
compléter les unes par les autres. Là tout rentre dans
l'unité et dans la perfection ; tout se confond dans une seule
pensée qui s'étend sur l'univers et le remplit entièrement;
mais le fond de celte pensée, la lumière qui se cache en elle
ne peut jamais être ni saisie ni connue ; on ne saisit que la
pensée qui en émane. Enfin, dans cet état, la créature ne
peut plus se distinguer du créateur; la même pensée les
éclaire, la même volonté les anime ; l'âme aussi bien que
Dieu commande à l'univers, et ce qu'elle ordonne, Dieu
l'exécute *.
Il ne nous reste plus, pour avoir terminé cette analyse,
qu'à faire connaître en peu de mots l'opinion des kabba-
listes sur un dogme traditionnel auquel leur système donne
un rôle très secondaire, mais qui, dans l'histoire des re-
ligions, est de la plus haute importance. Le Zoliar lait plus
d'une fois mention de la déchéance et des malédictions
(ju'amena dans la nature humaine la désobéissance de nos
premiers parents. Il nous apprend qu'Adam, en cédant au
.serpent, a réellement appelé la mort sur lui-même, sur sa
1. Nous avotis |)aric plus liaul des tabernacles de la iiioit, de la dégradation
ou de l'enfer; il s'agit ici des tabernacles de la vie.
2. D" KT 'i?2''SnuNi N72 NI "'mi ihSo p2nnD ~D □•'u;-Tpn u;ip ''nh
1"!-; 1.TK ihSd îrzSy niT N:"na ■'xnD nnx'z^ Npi-insS ott 7xa '"ni
> « » « ' ' '
T3y^ nipm- ^" l'^'t^ foi- 't^, icclo et verso, sect. ri^-i^xil'
190 LA KABDÂLE.
postérité et sur toute la nature*. Avant sa faute, il était
d'une force et d'une beauté bien supérieures à celles des an-
ges. S'il avait un corps, ce n'était pas la vile matière dont
le nôtre est composé ; il ne partageait aucun de nos besoins,
aucun de nos désirs sensuels. Il était éclairé par une sagesse
supérieure, à laquelle les messagers de Dieu, de l'ordre le
plus élevé, étaient condamnés à porter envie ^ Cependant,
nous ne pouvons pas dire que ce dogme soit le même que
celui du péché originel. En effet, il s'agit ici, quand on con-
sidère seulement la postérité d'Adam, non d'un crime qu'au-
cune vertu humaine ne saurait effacer, mais d'un malheur
héréditaire, d'une punition terrible, qui s'étend sur l'avenir
aussi bien que sur le présent. « L'homme pur, disent les
« textes, est par lui-même un vrai sacritice, qui peut servir
« d'expiation ; c'est pour cela que les justes sont le sacrifice
(c et l'expiation de l'univers. »
"j^zw m^D i^ipiiï N" h'ji ma-'? u?î2a aii-^.p in\s' -xdt in\NT W2 ii
lis vont même jusqu'à représenter l'ange de la mort comme
le plus grand bien de l'univers; car, disent-ils, c'est pour
nous protéger contre lui que la loi a été donnée ; il est cause
que les justes auront en héritage les sublimes trésors qui
leur sont réservés dans la vie à venir \ Du reste, cette anti-
que croyance de la déchéance de l'homme, si positivement
enseignée dans la Genèse, est représentée dans la kabbale
avec assez d'habileté, comme un fait naturel, comme la
création même de l'Ame humaine, telle qu'on l'a expliquée
1 • SdS isna Dn^T -'':'':a xy-ix axncN dixS kit- a^nn ayji i<T)Tci
KdSî?- 1'° part., M. 145, verso.
'■^- Nin.^ n£"1mS -jn"'^^'''^'' niaia t^tni -unnx ï^-cni ^d- 5° part.,
fol. 85, verso, sect. Qi*ki,"np.
3. 1" part., fol. 68, sect. n::-
4. 2° part., fol. 165, recto et verso.
OPINION DES KA.BBALISTES SUR L'AME. 191
pins haut. « Avant d'avoir péolié, Adam n'écoutait que cette
« sagesse dont la lumière vient d'en haut; il ne s'était pas
« encore séparé de l'arbre de la vie. Mais quand il céda au
« désir de connaître les choses d'en bas et de descendre au
« milieu d'elles, alors il en fut séduit, il connut le mal et il
« oublia le bien ; il se sépara de l'arbre de vie. Avant d'avoir
« fait cela, ils entendaient la voix d'en haut, ils possédaient
« la sagesse supérieure, ils conservaient leur nature lumi-
« neuse et sublime. Mais après leur péché ils cessèrent
« même de comprendre la voix d'en bas *. » Comment ne pas
admettre l'opinion que nous venons d'exprimer, lorsqu'on
nous apprend qu'Adam et Eve, avant d'avoir été trompés par
les ruses du serpent, n'étaient pas seulement affranchis des
besoins du corps, mais qu'ils n'avaient pas de corps, c'est-à-
dire qu'ils n'appartenaient pas à la terre? Ils étaient l'un et
l'autre dépures intelligences, des esprits bienheureux comme
ceux qui habitent le séjour des élus. C'est là ce que signifie
cette nudité avec laquelle l'Ecriture nous les représente au
milieu de leur innocence ; et quand l'historien sacré nous
raconte que le Seigneur les vêtit de tuniques de peau, cela
veut dire que, pour leur permettre d'habiter ce monde, vers
lequel les portait une curiosité imprudente ou le désir de
connaître le bien et le mal. Dieu leur donna un corps et des
sens. Yoici l'un des nombreux passages où cette idée, adoj)téc
aussi par Pliilon et par Origène, se trouve exposée d'une ma-
nière assez claire : « Lorsqu'Adam, notre premier père, hâ-
te bilait le jardin d'Eden, il était vêtu, comme on l'est dans
(( le ciel, d'un vêlement fait avec la lumière supérieure,
ce Quand il fut chassé du jardin d'Eden et obligé de se sou-
« mettre aux nécessités de ce monde, alors qu'arriva-l-il ?
<■( Dieu, nous dit l'Ecriture, fit pour Adam et pour sa femme
u des tuniques de peau dont il les vêtit; car, auparavant, ils
1. 1" pari., foi. 52, recto et verso
192 LA KABBALE.
« avaient des tuniques do lumière; de celte lumière supé-
« rieure dont on se sert dans l'Eden — Les bonnes actions
« que l'homme accomplit sur la terre font descendre sur lui
« une partie de cette lumière supérieure qui brille dans le
« ciel. C'est elle qui lui sert de vêtement quand il doit en-
« trer dans un autre monde et paraître devant le Saint, dont
« le nom soit béni. C'est grâce à ce vêtement qu'il peut goû-
« ter le bonheur des élus, et regarder en face le miroir lumi-
« neux'. Ainsi l'àme, afin qu'elle soit parfaite en toute
« chose, a un vêtement différent pour chacun des deux
« mondes qu'elle doit habiter, l'un pour le monde terrestre
« et l'autre pour le monde supérieur '. »
D'un aulre côté, nous savons déjà que la mort, qui n'est
autre chose que le péché lui-même, n'est pas une malédic-
tion universelle, mais seulement un mal volontaire; elle
n'existe pas pour le juste qui s'unit à Dieu par un baiser
d'amour; elle ne frappe que le méchant, qui laisse dans ce
monde toutes ses espérances. Le dogme du péché originel
semble plutôt avoir été adopté par les kahbalisles modernes,
principalement par Isaac Loria, qui, croyant toutes les àmcs
nées avec Adam, et supposant qu'elles formaient d'abord une
seule et môme âme, les regardait toutes comme également
coupables du premier acte de désobéissance. Mais en même
temps qu'il les montre ainsi dégradées depuis l'origine de la
création, il leur accorde la faculté de se relever par elles-
mêmes, en accomplissant tous les commandements de Dieu.
De là l'obligalion de les faire sortir de cet état, et d'exécu-
ter, autant qu'il est en notre pouvoir, ce précepte de la loi :
Croissez et multipliez. De là aussi la nécessité de la mé-
tempsycose, car une seule vie ne suffit pas à cette œuvre de
1. C'est-à-dire, comme nous l'avons expliqué plus haut, connaître la vérité
par intuition ou face à face.
2. Zoliav, 2" part., fol. 229, verso, sect. 1^^p^.
OPIMUN DES KABBALISTES SUR L'AME. 195
réhabilitation'. C'est toujours, sous une autre forme, l'en-
noblissement de notre existence terrestre et la sanctification
de la vie comme le seul moyen offert à l'ame d'atteindre
à la perfection dont elle porte en elle le besoin et le germe.
11 n'entre pas dans notre plan de prononcer un jugement
sur le vaste système que nous venons d'exposer; ce que d'ail-
leurs nous ne pourrions pas faire sans porter une main pro-
fane sur les plus fortes conceptions de la philosophie et sur
des dogmes religieux dont le mystère est justement respecté.
Nous ne nous sommes destiné que le modeste rôle d'inter-
prète; mais nous avons du moins la conviction que, malgré
les difficultés sans nombre contre lesquelles nous avions à
lutter; malgré l'obscurité du langage et l'incohérence de la
forme ; malgré ces rêveries puériles qui viennent à chaque
pas interrompre le cours des idées sérieuses, la vérité histo-
rique n'a pas trop à se plaindre de nous. Si maintenant nous
voulons mesurer, de la manière la plus sommaire, l'espace
que nous venons de parcourir, nous trouverons que, dans
l'étal où nous la présentent le Sepher ietzirah et le Zohar, la
kabbale se compose des éléments suivants :
i" En faisant passer pour des symboles tous les faits et
toutes les paroles de l'Ecriture, elle enseigne à l'homme à
avoir confiance en lui-même ; elle met la raison à la place
de l'autorité; elle fait naître la philosophie dans le sein
même et sous la sauvegarde de la religion.
2" A la croyance d'un Dieu créateur, distinct de la nature,
et qui, malgré sa toute-puissance, a dû exister une éternité
dans l'inaction, elle substitue l'idée d'une substance univer-
selle, réellement infinie, toujours active, toujours pensante,
cause immanente de l'univers, mais que l'univers ne ren-
fei-me pas; pour laquelh', enfin, créer n'est pas autre chose
que penser, exister et se développer elle-même.
1. Yoy. Elz 'llaïm, Trailé de l(i Mcloiipsiicose, liv. I, cli. i.
15
194 LÀ KABBALE.
5° Au lieu d'un monde purement matériel, distinct de
Dieu, sorti du néant et destiné à y rentrer, elle reconnaît
des formes sans nombre sous lesquelles se développe et se
manifeste la substance divine suivant les lois invariables de
la pensée. Toutes existent d'abord réunies dans l'intelligence
suprême avant de se réaliser sous une forme sensible : de là
deux mondes, l'un intelligible ou supérieur, l'autre inférieur
ou matériel.
4° L'iiomme est de toutes ces formes la plus élevée, la plus
complète, la seule par laquelle il soit permis de représenter
Dieu. L'homme sert de lien et de transition entre Dieu et le
monde; il les réfléchit tous deux dans sa double nature.
Ainsi que tout ce qui est limité, il est d'abord renfermé dans
la substance absolue à laquelle il doit de nouveau se réunir
un jour, quand il y sera préparé par les développements dont
il est susceptible. Mais il faut distinguer la forme absolue,
la forme universelle de l'homme et des hommes particu-
liers qui en sont la reproduction plus ou moins affaiblie. La
première, ordinairement appelée Vlwmme céleste, est entiè-
rement inséparable de la nature divine ; elle en est la pre-
mière manifestation.
Plusieurs de ces éléments servent de base à des systèmes
qu'on peut regarder comme contemporains de la kabbale.
D'autres étaient déjà connus à une époque bien plus recu-
lée. Il est donc du plus haut intérêt, pour l'histoire de l'in-
telligence humaine, de rechercher si la doctrine ésotérique
des Hébreux est vraiment originale ou si elle n'est qu'un
emprunt déguisé. Cette question et celle de l'influence exer-
cée par les idées kabbalistiques seront traitées dans la troi-
sième et dernière partie de ce travail.
TROISIÈME PARTIE
CHAPITRE I
QUELS SONT LES SYSTÈMES QUI OFFRENT QUELQUE RESSEMBL.VNCE AVEC L\
KABBALE RAPPORT DE LA KABBALE AVEC LA PHILOSOPHIE DE PLATON
Les systèmes qui, par leur nature comme par l'âge qui les
a vus naître, peuvent nous sembler avoir servi de base et de
mod(Me à la doctrine ésotérique des Hébreux, sont, les uns
philosophiques, les autres religieux. Les premiers sont ceux
de Platon, de ses disciples infidèles d'Alexandrie et de Phi-
Ion, qu'il nous est impossible de confondre avec eux. Parmi
les systèmes religieux, nous ne pouvons citer en ce moment,
et cela d'une manière générale, que le christianisme. Eh
bien, je me hàle de le dire, aucune de ces grandes théories
de Dieu et de la nature ne peut nous expliquer l'origine des
traditions dont nous avons précédemment pris connais-
sance. C'est ce point si important que nous établirons
d'abord.
Qu'il y ait une grande analogie entre la philosophie pla-
tonicienne et certains principes métaphysiques et cosmolc-
^iques enseignés dans le Zohar et le Livre de la création
196 LA KABBALE.
personne ne pourra le nier. Nous voyons des deux côlcs l'in-
telligence divine ou le Verbe former l'univers d'après des
types renfermés en lui-même avant la naissance des choses.
Nous voyons des deux côtes les nombres servir d'intermé-
diaires entre les idées, entre la pensée suprême et les objets
qui en sont dans le monde la manifestation incomplète. Des
deux côtés enfin, nous rencontrons les dogmes de la préexis-
tence des âmes, de la réminiscence et de la métempsycose.
Ces diverses ressemblances sont tellement évidentes que les
kabbalistes eux-mêmes, j'entends les kabbalistcs modernes,
les ont reconnues ; et pour les expliquer, ils n'ont rien ima-
giné de mieux que de faire de Platon un disciple de Jérémie,
comme d'autres ont fait d'Aristote un disciple de Simon le
Juste'. Mais qui oserait conclure de ces rapports superficiels
que les œuvres du philosophe athénien ont inspiré les pre-
miers auteurs de la kabbale, et, ce qui serait encore un plus
grand sujet d'étonnement, que cette science d'origine étran-
gère, sortie de la tête d'un païen , soit entourée par la
MiscJina de tant de respect et de myslère? Chose étrange!
ceux qui soutiennent cette opinion sont précisément les cri-
tiques qui ne voient dans le Zoltar qu'une invention de la fin
du treizième siècle, et par conséquent le font naître à une
époque oij Platon n'était pas connu; car on ne prétendra pas
qu'on puisse se faire une idée de sa doctrine par les cita-
tions disséminées dans les livres d'Aristote et l'amère criti-
que qui les accompagne. Mais dans aucun cas on ne pourra
admettre la filiation actuellement soumise à notre examen.
Je ne m'appuierai pas sur des raisons extérieures dont l'em-
ploi sera plus opportun dans la suite. Je ferai seulement re-
marquer ici que les ressemblances qu'on aperroit d'abord
1. Ari-Nohem de Léon de Modènc, chap. xv, p. 44. D'autres ont prétendu
qu'Aristote, ayant été en Palestine à la suite d'Alexandre le Grand, y a connu
les livres de Salonion qui lui ont fourni les principaux cléments de sa philo-
sophie. Voyez rî;"-,^2N ^b^Tw ^^ !>• ^'*^-r Aldoli.
SYSTEMES SE RAPPROCUANT DE L\ KABBALE. 197
entre les deux doctrines sont bientôt effacées par les diffé-
rences. Platon reconnaît formellement deux principes : l'es-
prit et la matière, la cause intelligente et la substance inerte,
quoiqu'il soit bien difficile de se faire d'après lui une idée
aussi nette de la seconde que de la première. Les kabbalistes,
encouragés à cela par le dogme incompréhensible de la créa-
lion exnihilo, ont admis, pour base de leur système, l'unité
absolue, un Dieu qui est à la fois la cause, la substance et la
forme de tout ce qui est comme de tout ce qui peut être. Le
combat du bien et du mal, de l'esprit et de la matière, de
la puissance et de la résistance, ils le reconnaissent comme
tout le monde, mais ils le placent au-dessous du principe
absolu et le font dériver de la distinction qui subsiste né-
cessairement, dans la génération des choses, entre le fini et
l'infini, entre toute existence particulière et sa limite, entre
les extrémités les plus éloignées de l'échelle des êtres. Ce
dogme fondamental, que le Zohar traduit quelquefois par
des expressions profondément philosophiques, se montre dt'jà
dans le Sepher ielzirah sous une forme assez bizarre, assez
grossière, mais en même temps assez claire pour qu'il soit
permis de croire à son originalité, ou du moins pour qu'il ne
le soit pas d'invoquer l'intervention du philosophe grec. Com-
parons-nous entre elles la théorie des idées et celle des Se-
pJiiroth, et toutes les deux avec les formes inférieures qui en
découlent? nous les trouverons séparées par la môme dis-
tance, et l'on ne comprendrait pas qu'il en fût autrement,
en apercevant d'un côté le dualisme et de l'autre l'unité
absolue. Platon, ayant mis un abime entre le principe intel-
ligent et la substance inerte, ne peut voir dans les idées que
les formes de l'intelligence, je veux parler de l'intelligence
supi'ôme dont la noire n'est qu'une participation condition-
nelle et limitée. Ces formes sont éternelles et incorruptibles
comme le principe auquel elles appartiennent, car elles sont
elles-mêmes la pensée el l'intelligence; par conséquent, sans
198 LA KABBALE.
elles point de principe intelligent. Dans ce sens, elles repré-
sentent aussi l'essence des choses, puique celles-ci ne peu-
vent exister sans forme ou sans avoir reçu l'empreinte de la
pensée divine. Mais tout ce qui est dans le principe inerte,
et ce principe lui-même, elles ne peuvent pas le représen-
ter; et cependant, si ce principe existe, s'il existe de toute
éternité comme le premier, il faut bien qu'il ait aussi son
essence propre, ses attributs distinctifs et invariables, quoi-
qu'il soit le sujet de tous les changements. Et qu'on ne
vienne pas nous dire que par la matil're Platon voulait dési-
gner une simple négation, c'est-à-dire la limite qui circon-
scrit toute existence particulière. Ce rôle, il le donne ex-
pressément * aux nombres, principe de toute limite et de
toute proportion. Mais, à côté des nombres et de la cause
productrice et intelligente, il admet encore ce qu'il appelle
l'infini, ce qui est susceptible de plus et de moins, ce dont
les choses sont produites, en un mot, la matière ou, pour
parler plus exactement, la substance séparée de la causalité.
Il y a donc (et c'est là que nous voulions arriver), il y a donc
des existences ou plutôt des formes de l'existence, des modes
invariables de l'être, qui se trouvent nécessairement exclus
du nombre des idées. Il n'en est pas ainsi des Sepkiroth de
la kabbale, au nombre desquelles on voit figurer la matière
elle-même (^^D"'). Elles représentent à la fois, parce qu'elles
les supposent parfaitement identiques , et les formes de
l'existence et celles de la pensée, les attributs de la substance
inerte, c'est-à-dire de la passivité ou de la résistance, comme
ceux de la causalité intelligente. C'est pour cela qu'elles se
partagent en deux grandes classes, que dans le langage mé-
taphorique du Zohar on appelle les pères et les mères, et ces
deux principes opposés en apparence, de même qu'ils dé-
coulent d'une source unique, inépuisable, qui est l'infini
\. Dans le PItilèbe, p. 554 de la trad. de M. Cousin
SYSTÈMES SE RAPPROCHANT DE LA KABBALE. 109
(En Soph), vont aussi se confondre dans un attribut com-
mun appelé le fils, d'où ils se séparent sous une forme nou-
velle pour se confondre de nouveau. De là le syslème trini-
taire des kabbalistes, que personne ne confondra avec la
trinité platonicienne. Toutes réserves faites pour nos recher-
ches ultérieures, on convient qu'avec des bases aussi diffé-
rentes le syslème kabbalistique, dût-il être né sous l'inspi-
ration du philosophe grec, conserverait encore tous les droits
de l'originalité; car, en matière de métaphysique, l'origina-
lité absolue est un fait excessivement rare, pour ne pas dire
introuvable, et Platon lui-même (qui l'ignore?) ne doit pas
tout à son propre génie. Toutes les grandes conceptions de
l'esprit humain sur la cause suprême, sur le premier être et
la génération des choses, avant de revêtir un caractère vrai-
ment digne de la raison et de la science, se sont montrées
sous des voiles plus ou moins grossiers. C'est ainsi qu'on
peut admettre une tradition qui ne fasse aucun tort à l'indé-
pendance et à la fécondité de l'esprit philosophique. Malgré
ce principe qui nous met à l'aise, nous soutenons que les
kabbalistes n'ont eu aucun commerce, au moins direct, nvec
Platon. En effet, que l'on se figure ces hommes puisant aux
sources de la philosophie la plus indépendante, nourris de
cette dialectique railleuse et impitoyable qui met tout en
question, et détruit aussi souvent qu'elle édifie ; que par une
lecture, même superficielle, des Dialogues, on les suppose
initiés à toutes les élégances de la civilisation la plus raffi-
née, pourra-t-on concevoir après cela ce qu'il y a d'irra-
tionnel, d'inculte et d'imagination déréglée dans les pas-
sages les plus importants du Zo//ar? Pourra-t-on s'expliquer
celle extraordinaire description de la Tête blanche, ces mé-
taphores gigantesques mêlées de puérils détails, cette suppo-
sition d'une révélation secrète et plus ancienne que celle du
mont Sinaï, enfin ces efforts incroyables aidés des moyens
les plus arbitraires pour trouver leur propre doctrine dans
200 LA KABBALE.
les textes sacrés? A ces divers caractères je reconnais bien
une philosophie qui, prenant naissance au sein d'un peuple
éminemment religieux, n'ose pas encore s'avouer à elle-
même toute son audace, et cherche à se couvrir, pour sa
propre satisfaction, du voile de l'autorité; mais je ne sau-
rais les concilier avec le choix tout à fait libre d'une philo-
sophie étrangère, une philosophie indépendante, qui ne cache
à personne qu'elle tient de la raison seule son autorité, sa
force et ses lumières. D'ailleurs, à aucune époque, les Juifs
n'ont renié leurs maîtres étrangers ni refusé de rendre hom-
mage aux autres nations des connaissances qu'ils leur em-
pruntaient quelquefois. Ainsi, nous apprenons dans le Tlial-
miid que les Assyriens leur ont fourni les noms des mois,
des anges et les caractères dont ils se servent encore aujour-
d'hui pour écrire leurs livres sacrés*. Plus lard, quand la
langue grecque a commencé à se répandre parmi eux, les
docteurs les plus vénérés de la Mischna eu parlent avec ad-
miration et permettent de la substituer, dans les cérémonies
religieuses, au texte même de la loi^ Durant le moyen âge,
initiés par les Arabes à la philosophie d'Aristote, ils ne crai-
gnent pas de rendre à ce philosophe les mêmes honneurs
qu'à leurs propres sages, sauf à en faire, comme nous l'a-
vons déjà dit, un disciple de leurs plus anciens docteurs et
à lui attribuer un livre où l'on voit le chef du Lycée recon-
naissant sur son lit de mort le Dieu et la loi d'Israël ''. Enfin,
le Zohar môme nous apprend, dans un passage très re-
marquable cité précédemment, que les livres de l'Orient
se rapprochent beaucoup de la loi divine et de quelques
\. Tlialni. de Jérusalem, traité Rosch-Haschana. u''2i'i'hl2T\ niDUT
b21'2 Dlî^y "h'j □^U7'înm- Ailleurs [traité Sanhédrin, chap. xxi) on dit, en
pari, nt d'Esdias, que l'Écriture fut changée j)ar lui, T71 ^'J ari^n njntl'J- ^t
cette écriture porte toujours le nom d'assyrienne, "i"T]"t."'5^'
2. Thalm. Bab., traité Mccjuilalt, chap. i. Traité Sota. ad fin.
5, Ce livre s'appelle le Livre de la Pomme, niSHH 13D-
LA KABBALE ET LA l'IlILOSÛPIIIE DE PLATON. 201
opinions enseignées dans l'école de Simon Len Jochaï '.
Seulement on ajoute que celte antique sagesse fut ensei-
gnée par le patriarche Abraham aux enfants qu'il eut de
ses concubines, et par qui, selon la Bible, l'Orient a été
peuplé. Quelle raison aurait donc empêché les auteurs de la
kabbale de consacrer aussi un souvenir à Platon, quand il
leur était si facile, à l'exemple de leurs modernes héritiers,
de le mettre à l'école chez quelque prophète du vrai Dieu ?
C'est précisément, au dire d'Eusèbe, ce qu'a fait Aristobule,
qui, après avoir interprété le Pentateuque dans le sens de la
philosophie de Platon, n'a pas de peine à accuser celui-ci
d'avoir puisé toute sa science dans les livres de Moïse. Le
même stratagème est appliqué par Philon au chef du Por-
tique*; nous sommes par conséquent autorisé à dire que ce
n'est point dans le platonisme proprement dit qu'il faut
chercher l'origine du système kabbalistiquo. Nous allons
voir maintenant si nous la trouverons chez les philosophes
d'Alexandrie.
1. Zohav, V pai-f., foL 99 et 100, soct. xTV
2. Qiiod omnis probiis liber, p. 875, éd. de Mang.
CHAPITRE II
RAPPORT DE LA KABBALE AVEC L ECOLE D ALEXANDRIE
La doclrine métaphysique et religieuse que nous avons
recueillie dans le Zohar a sans doute une ressemblance plus
intime avec ce qu'on appelle la philosophie néoplatonicienne
qu'avec le platonisme pur. Mais avant de signaler ce qu'ils
ont de commun, avons-nous le droit d'en conclure que le
premier de ces deux systèmes ait nécessairement copié l'au-
tre? Si nous voulions nous contenter d'une critique superfi-
cielle, un seul mot suffirait à résoudre cette question; car
nous n'aurions aucune peine à établir, et nous avons déjà
établi, dans notre première partie, que la doctrine secrète
des Hébreux existait depuis longtemps quand Ammonius
Saccas, Plotin et Porphyre renouvelèrent la face de la philo-
sophie. Nous aimons mieux admettre, comme de fortes rai-
sons nous y obligent, que la kabbale a mis plusieurs siè-
cles à se développer et à se constituer à son état définitif.
Dès lors, la supposition qu'elle a beaucoup emprunté de
l'école païenne d'Alexandrie demeure dans toute sa force et
mérite un sérieux examen ; surtout si l'on songe que depuis
la révolution opérée en Orient par les armes macédoniennes,
plusieurs Juifs ont adopté la langue et la civilisation de leurs
vainqueurs.
Il faut d'abord que nous parlions d'un fait déjà prouvé ail-
LA KABBALE ET L'ECOLE D'ALEXANDRIE. 203
leurs *, et qui, clans la suite de ce travail, se prouvera plus
clairement encore par lui-même : c'est que la kabbale, comme
l'atteste son étroite alliance avec les institutions rabbiniques,
nous est venue de la Palestine ; car à Alexandrie les Juifs
parlaient grec, et dans aucun cas ils n'auraient fait usage
de l'idiome populaire et corrompu de la Terre-Sainte. Or,
depuis l'instant où l'école néoplatonicienne commença à
naître dans la nouvelle capitale de l'Egypte, jusqu'au milieu
du quatrième siècle, époque à laquelle la Judée vit mourir
ses dernières écoles, ses derniers patriarches, les dernières
étincelles de sa vie intellectuelle et religieuse*, quels rap-
ports trouvons-nous entre les deux pays et les deux civilisa-
tions qu'ils représentent? Si, durant ce laps de temps, la
philosophie païenne eût pénétré dans la Terre-Sainte, il
faudrait naturellement supposer l'intervention des Juifs
d'Alexandrie, à qui depuis plusieurs siècles, comme le prou-
vent la version des Septante et l'exemple d'Arislobule, les
principaux monuments de la civilisation grecque étaient
aussi familiers que les livres saints. Mais les Juifs d'Alexan-
drie avaient si peu de relations avec leurs frères de la Pa-
lestine, qu'ils ignoraient complètement les institutions rab-
biniques qui, chez ces derniers, ont pris tant de place, et
qu'on trouve déjà enracinées parmi eux plus de deux siècles
avant l'ère vulgaire '. Que l'on parcoure avec la plus profonde
attention les écrits de Philon, le livre de hi Sagesse et le der-
nier livre des Macchabées, sortis l'un et l'autre d'une plume
alexandrine, on n'y verra cités nulle part les noms qui sont
entourés, en Judée, de l'autorité la plus sainte, comme celui
1. Voyez h première partie.
2. Voyez Jost, Histoire des Juifs, t. IV, liv. XIV, cliap vin. — Et dan3
Vllisloirc (jénérale du peuple israélite, du même auteur, t. II, cliap. v.
5. Nous adoptons la chronologie de Jost, précisément parce qu'elle est extrê-
mement sévère, c'est-h-dire qu'elle diminue autant que possible l'antiquité
attribuée par les historiens juifs à leurs traditions religieuses.
2ÛA LA KABBALE.
du grand-prêlre Simon le Juste, le dernier représentant de
la grande synagogue, et ceux des thanaïm, qui lui ont suc-
cédé dans la vénération du peuple; jamais on n'y trouvera
même une allusion à la querelle si célèbre de Ilillel et de
Schamaï S ni aux coutumes de tout genre recueillies plus
tard dans la Mischna et passées en force de loi. Il est vrai
que Philon, dans son ouvrage de la Vie de Moïse^, en ap-
pelle à une tradition orale conservée chez les anciens d'Is-
raël et ordinairement enseiernée avec le texte des Ecritures.
o
Mais quand même elle ne serait pas imaginée au hasard
pour accréditer les fables ajoutées à plaisir à la vie du pro-
phèle hébreu, celte tradition n'a rien de commun avec celles
qui font la base du culte rabbinique ; elle nous rappelle seu-
lement les Midraschim ou ces légendes populaires et sans
autorité dont le judaïsme a été très fécond à toutes les épo-
ques de son histoire. De leur côté, les Juifs de la Palestine
n'étaient pas mieux instruits de ce qui se passait chez leurs
frères répandus en Egypte. Ils connaissaient, uniquement
par ouï-dire, la prétendue version des Septante, qui est
d'une époque bien antérieure à celle qui fixe actuellement
notre attention ; ils avaient adopté avec empressement la
fable d'Aristée, qui, du reste, s'accorde si bien avec leur
amour-propre national et leur penchant au merveilleux ^.
i. Ces deux corypliées de la Mischna florissaient de l'an 78 à l'an 44 av. J.-C.
Ils étaient, par conséquent, antérieurs à Philon.
2. De Vilâ Mosis, liv. I, init. ; liv. II, p. 81, éd. de Mangey. Voici les
termes de Philon : MaOwy aùtà xxt Ix. p;5Xwv xwv Σ:ôSv... 7,ol\ -apx tivàiv àr.q
TOJ eOvouç — OcCTouTÉpwv. Tàt fàp X£y6[jL£va Toî"; avavtvwa/.otjivoiç àeï cuvj'oa'.vov.
5. Traité de MryuilhiJi, fol. 9. Il résulte clairement de ce passage, non
seulement que les auteurs du Thalmud ne connaissaient pas par eux-mêmes la
Version des Seplcinie (ils supposent les auteurs de cette traduction au nombre
de soixante-douze); mais qu'il leur était impossible de la connaître, vu leur
ignorance de la langue et de la littérature grecques. En effet, en énumérant
les changements apportés au texte mémo du Pentateuque par les soixante et
douze vieillards, et cela d'après une inspiration spéciale du Saint-Esprit, ils en
signalent dix qui n'ont jamais existé, dont on n'a jamais trouvé la moindre
LA KABBALE ET L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE. 205
Mais dans toute l'étendue de la Mischna et des deux Gué-
mara on ne trouvera pas la moindre parole qu'on puisse
appliquer, soit à Aristobule le Philosophe, soit à Philon, soit
aux auteurs des livres apocryphes que nous avons nommés
tout à l'ehure. Un fait encore plus étrange, c'est que le Thcil-
mud ne fait jamais mention des Thérapeutes, ni même des
Esséniens ', quoique ces derniers eussent dt\jà, au temps de
Josèphe l'Historien, de nombreux établissements dans la
Terre-Sainte. Un tel silence ne peut s'expliquer que par l'ori-
gine des deux sectes et par la langue dans laquelle elles
transmettaient leurs doctrines. L'une et l'autre étaient nées
trace, et dont plusieurs sont ou ridicules ou impossibles. Ainsi, pour en citer
seulement deux exemples, ils prétendent qu'il a fallu intervertir l'ordre des
trois premiers mots de la Genèse; qu'au lieu de Bercschit Barn Eloliim (au
commencement Dieu créa) on lut Elohim Bara Bereschit (Dieu créa au com-
mencement) ; car, disent-ils, en laissant subsister l'ordre primitif, on aurait
pu faire croire au roi Ptoléméc qu'il existe un principe supérieur à Dieu, et
que ce principe s'appelle Bercschit. Mais comment une pareille méprise est-elle
possible dans une traduction grecque, soit qu'on place les deux mots h àpyji
au commencement ou à la fin? Et qui irait prendre ces deux mots pour le nom
d'une divinité? Quant au mot hébreu Bercschit, pourquoi serait-il conservé
dans une traduction quelconque? Dans le passage du Lévilique, où Moïse défend
l'usage du lièvre, ils introduisent (toujours au nom des Septante) une variante
plus ridicule encore : ils racontent que le nom de l'animal défendu (en hébreu
arnebeth n^JIN) ^^'''^ également celui de l'épouse de Ptolémée, et que, pour ne
pas choquer le roi en attachant au nom de sa femme une idée d'impureté, on
se servit de cette périphrase : Ce qui est léger des pieds (niSjnn m'yi*)- Peut-
être est-ce le nom même des Lagides qu'on veut désigner ici. Mais, dans tous
les cas, il est impossible de porter plus loin l'ignorance de l'histoire et des
lettres grecques. Quant à la périphrase dont nous venons de parler, elle est
tout à fait imaginaire.
1. En vain un critique du quinzième siècle, Asariah de Rossi, a-t-il prétendu
que les Bdilhosiens, si souvent mentionnés dans le Thaimud, ne pouvaient être
que les Esséniens. La preuve qu'il en donne est trop frivole pour mériter la
moindre attention : il suppose que le nom de Baithosiens, DiD'r|i2' est une cor-
ruption de celui qui exprimerait en hébreu la secte essénienne, □"ic'ix ri^l- ^'est
cependant sur un pareil fondement qu'un savant critique de nos jours admet
l'identité des deux sectes religieuses. Voyez Gfrœrer, Histoire critique du
Christianisme primitif, 2" part., p. 5i7.
206 LA KABBALE.
en Ég\'pte et avaient probablement conservé l'usage du grec
jusque sur le sol de leur patrie religieuse. S'il n'en était pas
ainsi, le silence du Thalmud, surtout à l'égard des Essé-
niens, serait d'autant plus inexplicable que ces sectaires, au
témoignage de Josèphe, auraient déjà été connus sous le
règne de Jonathas Macchabée, c'est-à-dire plus d'un siècle
et demi avant l'ère chrétienne *.
Si les Juifs de la Palestine vivaient dans cette ignorance
au sujet de leurs propres frères, dont quelques-uns devaient
être pour eux un juste sujet d'orgueil, comment supposer
qu'ils fussent beaucoup mieux instruits de ce qui se passait,
à la môme distance, dans les écoles païennes? Nous avons
déjà dit que la langue grecque était fort en honneur parmi
eux : mais leur a-t-elle jamais été assez familière pour leur
permettre de suivre le mouvement philosophique de leur
temps? C'est ce que l'on peut à bon droit révoquer en doute.
D'abord, ni le Thalmud, ni le Zohar ne nous offrent aucune
trace, ils ne citent aucun monument de la civilisation grec-
que. Or comment entendre une langue si on ne connaît pas
les œuvres qu'elle a produites? Ensuite nous apprenons de
Josèphe lui-même % qui était né en Palestine et y avait passé
la plus grande partie de ses jours, que ce célèbre historien,
pour écrire, ou plutôt pour traduire ses ouvrages en grec, a
eu besoin de se faire aider. Dans un autre endroit' il s'ex-
prime à cet égard d'une manière encore plus explicite, ap-
pliquant à ses compatriotes, en général, ce qu'il avoue de
lui-môme ; puis, il ajoute que l'étude des langues est fort peu
considérée dans son pays, qu'elle y est regardée comme une
occupation profane qui convient mieux à des esclaves qu'à
1. Anliqiiilcs jud., liv. XIH, chap. ix. Josèphe ne dit pas que les Esscnicns
fussent alors établis en Palestine.
2. Jos. contre Appion, I, 9. Xor,(j2;j.î,o; T'.a'i -oô; -r^v 'EÀ/.rjViox ç)ojv/;v auvîp-
5. Antiquités judaïques, liv. XX, cliap. ix, c'est-à-dire à la fin de l'ouvrage.
LA KABBALE ET L'ECOLE D'ALEXANDRIE. 207
des hommes libres ; qu'enfin l'on n'y accorde son estime et
le titre de sages qu'à ceux qui possèdent à un haut degré de
perfection la connaissance des lois religieuses et des saintes
Ecritures. Et cependant Josèphe appartenait à l'une des
familles les pliis distinguées de la Terre -Sainte; issu en
même temps du sang des rois et de la race sacerdotale, nul
n'était mieux placé que lui pour se faire initier à toutes les
connaissances de son pays, à la science religieuse comme à
celle qui prépare les personnes d'une haute naissance à la
vie politique. Ajoutez à cela que l'auteur dos Antiquités et
de la Guerre des Juifs ne devait pas éprouver, en se livrant
à des études profanes, le même scrupule que ses compa-
triotes, restés fidèles à leur pays et à leurs croyances*. Du
reste, en admettant que la langue grecque fût beaucoup plus
cultivée en Palestine que nous n'avons le droit de le suppo-
ser, on serait encore bien éloigné de pouvoir en rien conclure
par rapport à l'influence de la philosophie alexandrine. En
effet, le Thalmud établit expressément une distinction entre
la langue ci ce qu'il appelle la science grecque % rT'iVi' "(lurb
mnS nii'W na^ni "inS ; autant il accorde à celle-là de respect
et d'honneur, autant il a celle-ci en exécration. La Mischnat
toujours très concise, comme doit l'être un recueil de déci-
sions légales, se borne à énoncer la défense d'élever son fils
dans la science grecque, en ajoutant toutefois que cette in-
Icrdiclion a été portée durant la guerre de Titus ''. Mais la
Guemara est beaucoup plus explicite, en même temps qu'elle
fait remonter bien plus haut la disposition dont nous venons
de parler. « Voici, dit-elle, ce que nos maîtres nous ont
« enseigné : Pendant la guerre qui avait éclaté entre les
1. Le caractère de Josèphe est 1res bien apprécié dans une thèse pleine d'in-
térêt, soutenue à la Faculté des lettres do Paris, par M. Philarèle Chasles :
De VAidorilé historique de Flavius Josrphc.
2. Tract. Sota, fol. 49, ad fin.
3. ib. supr. j-|-)j<i«;i ncon ijsns' din iidi^ nSc? -n-a d-iU"';: hxD didSisi-
2 08 LA KABBALE.
« princes hasmonéens, Hyrcan faisait le siège de Jérusalem,
« Arislobule était l'assiégé. Tous les jours on descendait, le
« long des murs, une caisse remplie d'argent, et l'oncnreti-
« rait en échanîïc les victimes nécessaires aux sacrifices Or
« il se trouvait dans le camp des assiégeants un vieillard qui
« connaissait la science grecque. Ce vieillard se servit auprès
ce d'eux de sa science et leur dit : Tant que vos ennemis
« pourront célébrer le service divin, ils ne tomberont pas en
« votre pouvoir. Le lendemain, arriva comme d'habitude
« la caisse remplie d'argent; mais celte fois on envoya en
« échange un pourceau. Quand l'animal immonde fut arrivé
« à mi-hauteur du rempart, il y enfonça ses ongles, etla terre
« d'Israël fut ébranlée dans une étendue de quatre cents pa-
« rasahs. C'est alors que fut prononcé cet anathème : Mau-
<c dit soit l'homme qui élève des pourceaux; maudit celui
a qui fait enseigner à ses fils la science grecque \ » A part
la circonstance fabuleuse et ridicule du tremblement de
terre, il n'y a rien dîins ce récit qui n'ait une valeur aux yeux
de la critique. Le fond en paraît vrai, car on le trouve aussi
dans Josèphe'. Selon ce dernier, les gens d'IIyrcan , après
avoir promis de faire passer aux assiégés, à raison de mille
drachmes par tète, plusieurs animaux destinés aux sacrifices,
se firent livrer l'argent et refusèrent les victimes. C'était une
action doublement odieuse aux yeux des Juifs, car non seu-
lement, comme le remarque l'historien que nous venons do
citer, elle violait la foi jurée aux hommes, mais elle atteignait
en quelque façon Dieu lui-même. Maintenant, qu'on ajoute
cette nouvelle circonstance, 1res vraisemblable d'ailleurs,
qu'à la place de la victime si impatiemment attendue les
prêtres virent arriver dans l'enceinte consacrée l'animal pour
lequel ils éprouvaient tant d'horreur, alors le blasphème et
1. Ib. sujyr. C'est la Guéinara qui suit immédiateinent la Mischna, citée
dans la note précédente.
2. Antiquit. jiid., liv. XIV, cliap. m.
LA. KADDALE ET L'ECOLE D'ALEXANDRIE. 209
le parjure seront arrivés à leur comble. Or, sur qui lait-oii
peser la responsabilité d'un tel crime? chez qui en va-t-on
chercher la pensée première? Chez ceux qui négligent la loi
de Dieu pour rechercher la sagesse des nalions. Que celte
accusation soit fondée ou non, peu nous importe; que l'ana-
ihème dont elle est la justification ou la cause ait été pro-
noncé pendant la guerre des Hasmonéens ou celle de Titus,
peu nous importe encore. Mais ce qui nous intéresse et nous
paraît en même temps hors de doute, c'est que l'érudition
grecque, à quelque degré qu'elle ait pu exister dans la Pa-
lestine, y était regardée comme une source d'impiété, et
constituait par elle-même un double sacrilège : aucune sym-
pathie, aucune alliance nepouvaient donc s'établirentre ceux
qui en étaient soupçonnés et les fondateurs ou les déposi-
taires de l'orthodoxie rabbinique.il est vrai que le Thalmiicl
rapporte aussi, au nom d'un certain rabbi Jchoudah, qui les
tenait d'un autre docteur plus ancien appelé Samuel, les pa-
roles suivantes de Simon, fils de Gamaliel, celui-là môme
qui joue un si beau rôle dans les Actes des apôtres : « Nous
« étions mille enfants dans la maison de mon père ' : cinq
« cents d'entre eux étudiaient la loi, et cinq cents étaient
« instruits dans la science grecque. Aujourd'hui il n'en reste
« plus que moi et le fils du frère de mon frère ^ » A cette
objection, la Guemara répond : Il faut faire une exception
pour la famille de Gamaliel qui touchait de près à la cour ".
1. Je traduis litléraleinent ces deux mots j^^X 71^2) pni'ce que je ne suppose
pas qu'il soit ici question de l'école religieuse, mais bien do la famille de
Gamaliel. Ce qui le prouve, c'est que la juslification donnée par le Thahnud ne
perle que sur la personne et la famille de ce docteur. Le privili'gc dont il
jouissait ne devait pas s'étendre à des étrangers.
l'fiTWi nSt t?2V.^ n^3n iiaS mxD cnm .-n*.n naS n\sa u;an N2^<
><^DN3 K2X i-N pi ]X3 •':n nSx Dna-
3. ib. svpr. nn m;S;3b f ^np- îî n^a b*j >:xu;.
14
210 LA KABBALE.
Remarquons d'ailleurs que ce passage tout entier est loin de
nous olFrir le même caractère que le précédent : il ne s'agit
plus d'une tradition générale, mais d'un simple ouï-dire,
d'un témoignage individuel qui est déjà loin de sa source.
Quant au caractère de Gamaliel, tel que la tradition nous le
représente, il n'a rien qui le distingue des autres docteurs
de la loi, que son altacliement môme au judaïsme le plus
orthodoxe et le respect universel qu'il inspirait {yo{j.o^)i-
dx7/.x/.og TÎuiog t.tjzi tw /aw) *. Or, dc tels sentiments ne
pourraient guère se concilier avec la réputation d'impiété
faite aux Hellénistes ' ; de plus, ce patriarche de la synago-
gue, déjà vieux au temps des apôtres, était mort depuis long-
temps quand l'école d'Alexandrie a été fondée. Enfin, puis-
que la maison de Gamaliel était une exception, le fait, quel
qu'il soit, a dû disparaître avec la cause, et il est vrai qu'on
n'en trouve plus dans la suite la moindre trace. Contre ce
texte si obscur et si incertain, nous en trouvons un autre,
pai'faitcment d'accord avec les termes sévères dc la Mischna.
« Ben Domah demanda à son oncle, rabbi Ismaël, si, après
« avoir achevé l'étude de la loi, il lui serait permis d'ap-
« prendre la science grecque. Le docteur lui cita ce verset :
« Le livre de la loi ne quittera pas ta bouche; tu le médi-
« teras nuit et jour. Maintenant, ajouta-t-il, trouve-moi une
« heure qui n'appartienne ni au jour ni à la nuit, et je le
« permettrai de l'employer à l'étude de la science grecque '\ »
Mais ce qui achève de ruiner l'hypothèse qui donne à la phi-
losophie alexandrine des adeptes parmi les docteurs de la Ju-
dée, c'est que tous les passages précédemment cités (et nous
n'en connaissons pas d'autres) nous autorisent à croire que
le nom môme de la philosophie était inconnu parmi eux. En
\. C'est l'expression même dont se sert J'Evangile. Ad. ap-,^, 34-49.
'2. Jost, Histoire des Juifs, t. III, p. 170 et seq.
o. Trait. Menacholh. fo'. 90. nS^b N'S" G'.i nS -:\SC ""w pilZI Nï
LA KABBALE ET L'ÉCOLE D'ALEXANDBIE. 211
effet, quel philosophe que ce vieillard qui conseille à Hyrcan
de faire servir contre ses ennemis les exigences de leur culte,
d'un culte qui était aussi le sien! Ce serait plutôt un politi-
que à la manière de Machiavel. I^e moyen aussi de supposer
la philosophie parmi les connaissances qu'il fallait posséder
pour être admis chez le roi Ilérode! Si nous consultons sur
ce point le commentateur le plus ancien et le plus célèhre, Ra-
schijil ne fera que nous confirmer dans notre opinion : a Ce
« que loThalmud, dit-il, entend pav science grecque, neèi pus
ce autre chose qu'une langue savante, en usage chez les gens
« de cour, et que le peuple ne saurait comprendre *. » Cette
explication, quoique très sage, est peut-être un peu res-
treinte ; mais, à coup sûr, l'expression douteuse à laquelle
elle se rapporte ne peut pas désigner plus qu'une certaine
culture générale, et plutôt encore une certaine liberté d'es-
prit produite par l'influence des lettres grecques.
Tandis que les traditions religieuses de la Judée expri-
ment tant de haine pour toute sagesse venue des Grecs,
voici avec quel enthousiasme, avec quelle adoration et quelle
terreur superstitieuses elles parlent de la kabbale : « Un jour,
1. Raschi, Glose sur le r/)rt/»HMf/, passage cite; 1^3, ainnc^ "îZ^n 71U?S
13 VT2a Dî?n "INU? VN1 T^TcSs- Maïmonides, dans son commentaire sur la
Mischna, s'exprime sur le même sujet dans les termes suivants : « La science
grecque était un langage allégorique et détourné du droit sens comme le sont
encore aujourd'hui les énigmes et les emblèmes. » mji^y^T 0.1117 D^TDin
mrnm nnain iqd mu^M ']Mn d^u^juj- « ^'ui ^ouic, ajoute-t-ii, qu'il
« n'existât chez les Grecs un langage semblable, quoique nous n'en ayons pas
(( conservé la moindre trace. » Cette opinion est parfaitement ridicule et ne
mérite pas même d'être discutée. Nous en dirons autant de celle de Gfrœrer
(Histoire crilique du Christianisme primitif, t. II, pag. 352). S'appuyant sur
les paroles de Maïnionides, le crilique allemand suppose que la science grecque,
telle que l'entemlent les Tlialniudistes, n'usât pas autre chose que l'interprétation
symbolique, appliquée aux Ecritures par les Juifs d'Alexandrie, et il en conclut
que les idées mystiques de la Palestine sont empruntées à l'Egypte. Mais com-
ment apercevoir le moindre rapport entre cet ordre d'idées et le conseil qui a
été donné à lljrcan, ou les usages pratiqués h la cour du roi Ilérode ?
212 U KABBALE.
« notre maître ' Joclianan bcii Zac-liaï se mit en voyage,
« monté sur un âne et suivi de rabbi Éléazar ben Aroeb. Alors
« celui-ci le pria de lui enseigner un chapitre de la Mercaba.
« Ne vous ai-je pas dit, répondit notre maître, qu'il est dé-
a fendu d'expliquer la Mercaba à une seule personne, à
« moins que sa propre sagesse et sa propre intelligence ne
ce puissent y suffire. Que du moins, répliqua Eléazar, il me
« soit permis de répéter devant toi ce que tu m'as appris de
« cette science. Eh bien, parle, répondit encore notre maî-
« tre. En disant cela, il descendit à terre, se voila la tête et
« s'assit sur une pierre, à l'ombre d'un olivier — A peine
a Éléazar, fils d'Aroch, eut-il commencé à parler de la Mer-
« caba, qu'un feu descendit du ciel, enveloppant tous les
« arbres de la campagne, qui semblaient chanter des hym-
« nés, et du milieu du feu on entendait un ange exprimer
« sa joie en écoutant ces mystères^ — » Deux autres doc-
teurs, rabbi Josué et rabbi Jossé, ayant plus tard voulu suivre
l'exemple d'Éléazar, des prodiges non moins étonnants vin-
rent frapper leurs yeux : le ciel se couvrit tout à coup d'épais
nuages, un météore assez semblable à l'arc-cn-ciel brilla à
l'horizon, et l'on voyait les anges accourir pour les entendre
comme des curieux qui s'assemblent sur le passage d'une
noce ^ Est-il possible, après avoir lu ces lignes, de suppo-
1. jNous traduisons ainsi le mol ^3,1 (raban) non seulement parce que c'est
un titre supérieur à celui de rabbi (131), mais aussi parce que c'est probablement
une abréviulion du mot ij^i qui signifie lilléralement noire maîlrc : rabbi
signifie mon maître. Le premier de ces deux titres appartient aux Thanaïin et
exprime une autorité plus générale que le second.
2. Thaï. Bah., trailéCiiagiiiga, fol. 14.
5. Thalm. Bah., Irailé Chaguiga. Ces deux passages n'en forment qu'un
seul, qui n'est pas fini au point où nous nous sommes arrêté : il faut y ajouter
le songe raconté par Jochanan ben Zacliaï, quand on vint lui rapporter les pro-
diges opérés par ses disciples : « Nous étions, vous et moi, sur le mont Sinaï,
« quand, du liaut du ciel, une voix nous fit entendre ces paroles : Montez ici,
« montez ici où de splendides festins sont préparés pour vous, pour vos disci-
LA KADBALE ET L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE. 213
ser encore que la kabbale ne soit qu'un rayon dérobé au so-
leil tic la philosophie alcxandrine?
Cependant, nous sommes obligé de le reconnaître, il existe
entre la kabbale et le nouveau platonisme d'Alexandrie de
telles ressemblances, qu'il est impossible de les expliquer
autrement que par une origine commune; et, cette origine,
peut-être serons-nous obligé de la chercher ailleurs que
dans la Judée et dans la Grèce. Nous croyons inutile de faire
remarquer que l'école d'Ammonius, comme celle de Simon
ben Jochaï, s'était enveloppée de mystère, et avait résolu de
ne jamais livrer au public le secret de ses doctrines *; qu'elle
aussi se faisait passer, ;(u moins par l'organe de ses derniers
disciples, pour l'héritière d'une antique et mystérieuse tra-
dition, nécessairement émanée d'une source divine^; qu'elle
possédait au môme degré la science et l'habitude des inter-
prétations allégoriques ^ ; qu'enfin elle plâtrait au-dessus de
la raison les prétendues lumières de l'enthousiasme et de la
foi*; ce sont là des prétentions communes à toute espèce de
« pies et toutes les générations qui entendront leurs doctrines. Vous êtes des-
(( tinés à entrer dans la troisième catégorie. » Ne pourrait-on pas voir dans
ces derniers mots une allusion aux quatre mondes des kabbalistes? Cette
conjecture est d'autant plus fondée, qu'au-dessus du troisième degré, appelé le
monde Bcriuh, il n'y a plus que les attributs divins.
i. Porphyre, Vie de Plolin.
2. Selon Proclus, la pliiloso|)liie de Platon a existé de tout temps dans la
pensée des hommes les plus cminents; c'est dans les mystères qu'elle s'est
transmise d'âge en âge jusqu'à Platon, qui, à son tour, l'a communiquée à ses
disciples. 'Anaaav p-lv tou IIXaToivo; oiXooo-^îav y,<x\ -r;v ày/ji^ l-/.Xâ[j.'}at voinXoj
xarà TTjv twv •/psiTrovo)'/ ocyaOocioî) [jO'jXr,atv.... tïJç TS àX),r,; àrrâarj; f,[J.x; [;.£:d-
yoo; zaTÉTTrjae toj HXâvtovoç œtXoTO'Jiaç xat zoivfDvoù; tîov èv àizopor.TO'.; izarpà
TWV a'JTOCI -GXCVjTî'pwV [JlctctXrj-JÎ.
3. Il y a, dit Proclus, trois manières de parler de Dieu : l'une mystique ou
divine, èvOiaaTi/w; ; l'autre dialectique, SiaXs/.Ti/.w; , et la troisième symbolique,
aj;j.6oX'./.w;. Ib. supra, cbap. iv. Cette distinction rappelle les trois vêtemcnls
de la loi admis par le Zohar.
4. Cette préférence est exprimée à salii'té dans tous les ouvrages de Plotin
et de Proclus, mais nous citerons principalonient, dans la Tltculotjie plaloni-
214 LA KABBALE.
mysticisme, et nous n'y arrêterons pas notre attention, afin
d'arriver sans relard à des points plus importants. l^Pour
Plotin et ses disciples, comme pour les adeptes de la kab-
bale, Dieu est avant tout la cause immanente et l'origine
substantielle des choses. Tout part de lui, et tout retourne
en lui ; il est le commencement et la fin de tout ce qui est'.
Il est, comme dit Porphyre, partout et nulle part. Il est par-
tout, car tous les êtres sont en lui et par lui; il n'est nulle
part, car il n'est contenu dans aucun être en particulier ni
dans la somme des êtres ^ Il est si loin d'être la réunion de
toutes les existences particulières, qu'il est même, dit Plotin',
au-dessus de l'être, dans lequel il ne peut voir qu'une de ses
manifestations. S'il est supérieur à l'être, il est également
supérieur à l'intelligence, qui, nécessairement émanée de
lui, ne saurait l'atteindre. Aussi, quoiqu'on l'appelle géné-
ralement l'unité (tô £v) ou le premier, serait-il plus juste de
ne lui doimer aucun nom, car il n'y en a pas qui puisse ex-
primer son essence ; il est l'ineffable et l'inconnu (àpp/jTô;,
à-/v&)7roç) \ Tel est absolument le rang de Y En Soph, que le
Zoliar appelle toujours l'inconnu des inconnus, le mystère
des mystères, et qu'il place bien au-dessus de toutes les Se-
phiroth, même de celle qui représente l'être à son plus haut
degré d'abstraction. 2" Pour les platoniciens d'Alexandrie,
Dieu ne peut être conçu que sous la forme trinitaire : il y a
d'abord une trinité générale qui se compose des trois termes
cicnne de ce dernier, le chapitre xxv du livre l", où la foi est définie d'une ma-
nière très remarquable.
1. Procl., in Tlicol. Plal., I, 3; II, 4; Elément. tlieoL, 27-54, et dans les
Comment, sur Platon.
2. navra -à ovia xa\ (xt) ovra h. toj 6iOj ■/.a\ h Qbj>, "/.a\ où/, aùrb;... rh ôvra
Ta T.ivzx Yc'vriTat oi' aùtoy xal h a-jiw, oti JîavTa/o-j Èxsîvo;, £'Tî;ya 03 «utou, oit
a-JTC); oOôaaoj. Sent, ad intelligib., chap. xxxn.
3. G° Ennéadc, Vllf, 19. — Voy. aussi Jamblique, de ilijsteriis JEyypt.,
sect. Vlll, chap. n.
4. IVochi-', in Thcol. Plat., liv, II, chap. vi; II, 4.
LA KABBALE ET L'ECOLE D'ALEXANDRIE. 215
suivants, empruntés à la langue de Platon : l'unité ou le bien
(tô e'y, 70 âyxQw), l'inlelligence (vov;) et l'àme du monde
{'\ivyh ToO ■Koiv'6;. twv oXwv) ou leDémiourgos*. Mais chacun de
ces trois fermes donne naissance à une trinilé particulière.
Le bien ou l'unité dans ses rapports avec les êtres est à la fois
le principe de tout amour ou l'objet du désir universel
(è'psTov), la plénitude de la puissance et de la jouissance
(r/.avov) et enfin la souveraine perfection {zéhiov). Comme
possédant la plénitude de la puissance, Dieu tend à se ma-
nifester hors de lui, à devenir cause productrice ; comme
objet de l'amour et du désir, il attire à lui tout ce qui est,
il devient une cause finale ; et comme type de toute perfec-
tion, il change ces dispositions en une vertu efficace, source
et fin de toute existence ^ Cette première trinité n'a pas
d'autre nom que celui du bien lui-même (rptà? àytxOotiâ-ô;).
Vient ensuite la trinilé intelligible (rptà; vorj-n) ou la sa-
gesse divine, au sein de laquelle se réunissent et se con-
fondent, jusqu'à la plus parfaite identité, l'être, la vérité cl
la vérité intelligible, c'est-à-dire la chose pensante, la chose
pensée et la pensée elle-même ^. Enfin, l'âme du monde ou
le Démiourgos peut aussi être regardée comme une trinilé
à laquelle il donne son nom {cpiàç â-riij.iovpyiyJi). Elle com-
prend la substance même de l'univers ou la puissance uni-
verselle qui agit dans toute la nature, le mouvement ou la
génération des êtres, et leur retour dans le sein de la sub-
stance qui les a produits*. A ces trois aspects de la nature,
on peut en substituer trois autres que représentent d'une
manière symbolique autant de divinités de l'Olympe : Jupiter
1. Mot., Ennead., U, liv. IX; 1; Ennemi., III, liv. V, 5, etc. Proclus,
Theol. Plut., I, 23.
2. Proclus, ouvr. cité, liv. I, chap. xxiii.
3. l'Iotin, Ennead., \I, liv. \I1I, i(j; Enn., IV, liv. 111, 17 et pnssim. —
Proclus, Theol. Plat., I, 25. At^àov oJv on Tfiaoï/.o'v li-i -h Tr|; Soxiàç yavos
nXjjpe; [jilv oùv TO'j ovto; v.(x\ tt,; ikrfiziatç, Y£vvr,t'./.ûv 3ï Trjç voîf dt; àXr,0£iai;.
4. Proclus, Tlicol. secuml. Plat., liv. VI, chap. vu, viii et soq.
21 G U KABBALE.
est le Démiourgos universel des âmes et des corps \ Neptune
a l'empire des âmes, etPluton celui des corps. Ces trois tri-
nilés particulières, qui se confondent et se perdent en quel-
que façon dans une Irinité générale, ne se distinguent pas
beaucoup de la classification des attributs divins dans le
Zohar. Piappelons-nous en efTet que toutes les Sephiroth sont
divisées en trois catégories qui forment également dans leur
ensemble une trinilé générale et indivisible. Les tiois pre-
mières ont un caractère purement intellectuel ; celles qui
viennent après ont un caractère moral, et les dernières se
rapportent à Dieu considéré dans la nature. o° Les deux sys-
tèmes que nous comparons entre eux nous font concevoir
exactement de la même manière la génération des êtres ou
la manifestation des attributs de Dieu dans l'univers. L'in-
telligence dans la doctrine de Plotin et de Proclus étant,
comme nous l'avons déjà dit, l'essence même de l'être, l'être
et l'inlelligence étant absolument identiques dans le sein de
l'unité, il en résulte que toutes les existences dont se com-
pose l'univers et tous les aspects sous lesquels nous pouvons
les considérer, ne sont qu'un développement de la pensée
absolue ou une sorte de dialectique créatrice, qui, dans la
sphère infinie où elle s'exerce, produit en môme temps la
lumière, la réalité et la vie ^ En efTet, rien ne se sépare ab-
solument du principe ou de la suprême unité, toujours im-
muable et semblable à elle-même; tous les êtres et toutes
les forces que nous distinguons dans le monde, elle les ren-
ferme, mais d'une manière intellectuelle. Dans la seconde
^:'Kr^oo'. xà ij.S'ja zf^ç or,;jL'.o'jpY'./.î^;, y.a\ ilxa'.'j-x tov il/jy t/.ôv S'.âzoaaov x.uoEpvx.
7.. T. X. L. c.jliv. \I, chap. xxii et seq.
[jLïVOV Ta; Èv aùirj y.z\>:p\oi- -so'J-apyo'jax; S'jvdtaî'.ç. L. C, liv. III, chap. I. —
'E-ctJf, yàp àrio -wv vorjTwv ~i/~x -poE'.-j'. Ta ùvTa, /.aT' airîav v/.tt -âvTa -po-
u-.ioyv.. Liv. Y, chap. xxx.
LA KABDALE ET L'ECOLE D'ALEXANDRIE. 217
unité ou dans l'intelligence proprement dite, la pensée se
divise; elle devient sujet, objet et acte de la pensée. Enfin,
dans les degrés inférieurs, la multiplicité et le nombre s'éten-
dent à l'infini*; mais en même temps l'essence intelligible
des choses s'affaiblit graduellement jusqu'à ce qu'elle ne soit
plus qu'une négation pure. Dans cet étal, elle devient la
matière, que Porphyre * appelle l'absence de tout être {ïlhi^iç
ravror, roî) ovroç) OU un non-être véritable {àl-nBivov u:h ov), que
Plotin nous représente plus poétiquement sous l'image des
ténèbres qui marquent la limite de notre connaissance, et
auxquelles notre ame,en s'y réfléchissant, a donné une forme
intelligible ^ Rappelons-nous deux passages remarquables
du Zohar, où la pensée, d'abord confondue avec l'être dans
un état d'identité parfaite, produit successivement toutes les
créatures et tous les attributs divins en prenant d'elle-même
une connaissance de plus en plus variée et distincte. Les élé-
ments eux-mêmes, j'entends les éléments matériels et les
divers points qu'on dislingue dans l'espace, sont comptés
parmi les choses qu'elle produit éternellement de son propre
sein*. 11 ne faut donc jamais prendre à la lettre, soit dans
la doctrine hébraïque, soit dans la doctrine alexandrine,
toutes les métaphores qui nous représentent le principe su-
prême des choses comme un foyer de lumière dont émanent
élcrnellement, sans l'épuiser, des rayons par lesquels se ré-
vèle sa présence sur tous les points de l'infini. La lumière,
comme le dit expressément Proclus^ n'est pas autre chose
ici que l'intelligence ou la participation de l'existence divine
1. 'Ilaav [Xiv oJv /.xi ev t^ "/WTjr, (JLOvâô'. JuvâjjLSiç, àX/.à vorjTw;* x.at Èv xî)
BsuTcfoc Tipoaoooi yx: à-ovEVTjac'.ç, iXkx vosiwç x.a't voefôj;' èi Se xpÎTT) 7:avo/,ji.o;
6 ipiOrxô; oAov ixurôv £/.ç,rjva;. L. c, liv. IV, clinp. xxix.
2. Sentent, ad intcllujib., édit. do Rome, cliap. xxd.
3. l'iolin, £■««.. IV, liv. III, clia]). ix. — Enn., I, liv. VIII, chap. vu. —
Enn., II, liv. III, chap. iv.
4. Voy. la deuxième parlie, p. 191 cl seq.
5. Tlicolog. sccund. Plat., liv. II, chap. iv.
218 LA KABBALE.
[oi/oh a/lo hxl ri oo)ç ■/) az-o-ja lot. -r,\ Qeixç ■j-xplsoiç). Le f'over
inépuisable dont elle découle sans interruption, c'est l'unité
absolue au sein de laquelle l'être et la pensée se confon-
dent •. Il serait sans utilité de reproduire ici, pour le compte
de l'école néoplatoniqiie, tout ce que nous avons dit, dans
l'analyse du Zoliar^ sur l'âme humaine et son union avec
Dieu par la foi et par l'amour. Sur ce point, tous les systè-
mes mystiques sont nécessairement d'accord, car il peut être
regardé comme la base, comme le fond même du mysti-
cisme. Nous terminerons donc ce rapide parallèle, en nous
demandant s'il est bien possible d'expliquer par l'identité
des facultés humaines, ou les lois générales de la pensée, des
ressemblances aussi profondes et aussi continues, dans un
ordre d'idées à peu près inaccessibles pour la plupart des
intelligences? D'un autre côté, nous croyons avoir suffisam-
ment démontré que les docteurs de la Palestine ne pouvaient
pas avoir puisé dans la civilisation grecque, objet de leurs
malédictions et de leurs anathèmes, une science devant la-
quelle l'étude même de la loi perdait son inqDortancc. Nous
n'admettrons pas même aux honneurs de la critique la sup-
position que les philosophes grecs pourraient avoir mis à
profit la tradition judaïque; car si Numenius^ et Longin par-
lent de Moïse; si l'auteur, quoiqu'il soit, des Mystères égyp-
tiens '" admet dans son système théologique les anges et les
archanges, c'est probablement d'après la version des Sep-
tante, ou par suite des relations qui ont existé entre ces trois
philosophes et les Juifs hellénistes de l'Egypte : il serait ab-
surde d'en conclure qu'ils ont été initiés aux redoutables
1. Ka\ r, ojai'a y.7.\ ô vojç ir.ô toj ^■j'aOo'j -fioTOj; 'jzi'j-x/xi '/U^t-xi, /.at -Ep\
xb ayaûb/ tt/; Gnap^'-V £/î'.v, 7.x\ rÀrjOOjaOai toCî t^; à'/.rflt'.xz owrô; ÈzêiOîv
7rpoï6vTo; 7.a\ 6 voj; apa Oeo; O'.à ~o çG; xô vospàv /.a'i tb voriTov xô za\ aùroj
xoî» vo3 rpeaêjTcoov. L. c, liv, II, chap. iv.
2. Numenius appelle Platon un Moïse parlant allique. (Porphyre, de Anlro
Nympliarum.)
3. De SJijslo'iis œyypt., sect. II, chap. xi.
LA KABBALE ET L'ECOLE D'ALEXANDRIE. 219
mystères de la Mercaba. Il nous reste par conséquent à exa-
miner s'il n'y a pas quelque doctrine plus ancienne dont
aient pu sortir à la fois, sans avoir connaissance l'un de
l'autre, et le système kabbalistique et le prétendu platonisme
d'Alexandrie. Or, sans avoir besoin de quitter la capitale des
Ptolémées, nous trouvons sur-le-champ, dans le sein même
de la nation juive, un homme qu'on peut juger très diver-
sement, mais qui reste toujours en possession d'une écla-
tante célébrité, que les historiens de la philosophie regar-
dent assez généralement comme le vrai fondateur de l'école
d'Alexandrie, tandis que chez quelques critiques et la plupart
des historiens modernes du judaïsme il passe pour l'inven-
teur du mysticisme hébreu. Cet homme, c'est Philon. C'est
donc sur son système, si toutefois il en a un, que vont por-
ter maintenant nos recherches, c'est dans ses opinions et
ses nombreux écrits que nous essaierons de découvrir les
premiers vestiges de la kabbale; je dis seulement de la kab-
bale, car les rapports de Philon avec les écoles de philoso-
phie païenne qui furent fondées après lui se montreront
d'eux-mêmes ; et d'ailleurs l'origine de cette philosophie, si
digne qu'elle soit de notre intérêt, ne doit être pour nous,
dans ce travail, qu'une question tout à fait secondaire.
CHAPITRE III
RAI'i-Jins DE LA KABBALE AVEC LA DOCTRLNE DE PHILON
Sans répéter ici ce que nous avons dit précédemment de
l'ignorance et de l'isolement où se trouvaient, les uns par
rapport aux autres, les Juifs de la Palestine et ceux de
l'Egypte, nous pourrions ajouter à ces considérations que le
nom de Philon n'est jamais prononcé par les écrivains israé-
lites du moyen âge : ni Saadiali, ni Maimonides, ni leurs
disciples plus récents, ni les kabbalistes modernes ne lui
ont même consacré un souvenir, et aujourd'hui encore il est
à peu près inconnu parmi ceux de ses coreligionnaires qui
sont demeurés étrangers aux lettres grecques. Mais nous
n'insisterons pas plus longtemps sur ces faits extérieurs,
dont nous sommes loin de nous exagérer l'importance. C'est,
comme nous l'avons dit à l'instant, dans les opinions mômes
de notre philosophe, éclairées par les travaux de la critique
moderne*, que nous allons chercher la solution du problème
qui nous occupe.
On ne trouvera jamais dans les écrits de Philon quelque
1. Gfrœrer, Histoire critique du christianisme primitif. — Daehne, Expo-
sition historique de Vécole religieuse des Juifs d'Alexandrie, Halle, 1854. —
Grossmann, Quœstiones Philonece, Leipzig, 1829. — Creuzcr, dans le journal
intitulé Études et critiques relatives à la théologie, année 1852, 1" livraison.
LA KABBALE ET LA DOCTRINE DE PIIILON. 221
chose qu'on puisse appeler un système, mais des opinions
disparates, juxtaposées sans ordre, au gré d'une méthode
éminemment arbitraire, je veux parler de l'interprétation
symbolique des Ecritures saintes. Liés entre eux par un lien
unique, le désir qu'éprouvait l'auteur de montrer dans les
livres hébreux ce qu'il y a de plus élevé et de plus pur dans
la sagesse des autres nations, tous les éléments de ce chaos
peuvent se diviser en deux grandes classes : les uns sont
empruntés aux systèmes philosophiques de la Grèce, qui ne
sont pas inconciliables avec le principe fondamental de toute
morale et de toute religion, comme ceux de Pythagore,
d'Aristole, do Zenon *, mais surtout celui de Platon, dont le
langage aussi bien que les idées occupent pour ainsi dire
le premier plan dans tous les écrits du philosophe israé-
lite : les autres, par le mépris qu'ils inspirent pour la rai-
son et pour la science, par l'impalience avec laquelle ils pré-
cipitent en quelque sorte l'âme humaine dans le sein de
l'infini, trahissent visiblement leur origine étrangère et ne
peuvent venir que de l'Orient. Ce dualisme dans les idées
de Philon étant un fait de la plus haute importance, non
seulement dans la question que nous avons à résoudre, mais
dans l'histoire de la philosophie en général, nous allons
essayer d'abord de le mettre entièrement hors de doute, au
moins pour les points les plus saillants et les plus dignes de
notre intérêt.
Quand Philon parle de la création et des premiers prin-
cipes des êtres, de Dieu et de ses rapports avec l'univers, il a
évidemment deux doctrines qu'aucun effort de logique ne
pourra jamais mettre d'accord. L'une est simplement le dua-
lisme de Platon, tel qu'il est enseigné dans le Timée', l'autre
nous fait penser à la fois à Plotin et à la kabbale. Voici d'a-
1. Yoy.rarliclc de Crcuzcr, Tlicologische Sludien und Krilihcn, année 1852,
i" liv., p. 18 et seq. — Hitler, article Philon, tome IV de la traduction do
M. Tissot.
222^ Ll KABBALE.
bord la première, assez singulièrement placée dans la bou-
che de Moïse : Le législateur des Hébreux, dit notre auteur
dans son Traité de la création^ reconnaissait deux prin-
cipes également nécessaires, l'un actif et l'autre passif. Le
premier, c'est l'intelligence suprême et absolue, qui est au-
dessus de la vertu, au-dessus de la science, au-dessus du
bien et du beau en lui-même. Le second, c'est la matière
inerte et inanimée, mais dont l'intelligence a su faire une
œuvre parfaite en lui donnant le mouvement, la forme et la
vie. Afin qu'on ne prenne pas ce dernier principe pour une
pure abstraction, Philon a soin de nous répéter dans un
autre de ses écrits ^ cette célèbre maxime de l'antiquité
païenne, que rien ne peut naître ou s'anéantir absolument,
mais que les mêmes éléments passent d'une forme à une
autre. Ces éléments sont la terre, l'eau, l'air et le feu. Dieu,
comme l'enseigne aussi le Timée, n'en laissa aucune par-
celle en dehors du monde, afin que le monde soit une œuvre
accomplie et digne du souverain architecte ^ Mais avant de
donner une forme à la matière et l'existence à cet univers
sensible, Dieu avait contemplé dans sa pensée l'univers
intelligible ou les archétypes, les idées incorruptibles des
choses \ La bonté divine, qui est la seule cause de la for-
mation du monde % nous explique aussi pourquoi il ne doit
1. De mundi opificio, \, 4. — Nous avons déjà cité ce passage dans l'intro-
duction.
2. De incorrupt. mund. 'Q-j-ep Iv. to2 [j.ri ovto; ojSèv yivETa;, oùo' ei; -h jj-tj
ôv oOstoe-ai. 'E/. toj yàp o-jooi[xiî ovroç à;j.r[-/^avov lax'i -yEvÉaOai zi, ■/.. t. X.
5. Tû.z-.ô'xzo'i yào f^pt/oTts tÔ [ji-jiarov twv ïp^wv tw jiEyîoTOi Srju-io'jpytj»,
5tx-ÀâaacOa'.. TaXcioTaiov o: o-j/. àv r)^ tl [jltj TSÀeiot; cuvenÀrjpojTO [Aipeiw, waTs
l/. Y^ç aziar^z -/.où -iv7o; uôxTo; v.a'i «fpo; x.a't n'jpb;, [ArjOEvôç j?w -/.aTaXa'.aOavTo;,
cu'/ÉaTr) oo£ 6 •/.6j;ao;. {De i^lanlat. Noe, II, init.)
A. IlpoÀaSôjv yàp ô Oîo;, u-z Oeo;, ot'. p-ifArjua y.aÀôv ojy. à'v -ote ya'vo'.TO
•/.aXoij ôr/a ::apxos:-);xaTo;, /.. t. ).. {De mund. opijk.)
5. El yâp T'.; £Os).r|aîiî -7]v aÎTixv, rj; é'vsza tcos to nàv eoyjjjL'.oypYîrTO, o'.c-
peuvaaOai, Soy.sT [lOt arj otaaapTîr'v toS czozo'j, o«[j.:voç, o~îp v.ai Ttov àpyaîwv
£Î;:£ Ti;. Puis vient la phrase même de Timée. Ib. supra.
LA KABBALE ET LA DOCTRINE DE PlllLON. 225
pas périr. Dieu ne peut pas, sans cesser d'être bon, vouloir
que l'ordre, que l'harmonie générale, soient remplacés par le
chaos ; et imaginer un monde meilleur, qui doit un jour
remplacer le nôtre, c'est accuser Dieu d'avoir manqué de
bonté envers l'ordre actuel des choses \ D'après ce système,
la génération des êtres ou l'exercice de la puissance qui a
formé l'univers a nécessairement commencé ; il ne peut pas
non plus continuer sans fin, car, le monde une fois formé.
Dieu ne peut pas le détruire pour en produire un autre ; la
matière ne peut pas rentrer dans le chaos général. De plus,
Dieu n'est pas la cause immanente des êtres, ni une cause
créatrice dans le sens de la théologie moderne, il n'est que
le souverain architecte, le Démiourgos, et tel est en effet le
terme dont Philon se sert habituellement, quand il est sous
l'influence de la philosophie grecque ^ Enfin Dieu n'est pas
seulement au-dessus, mais complètement en dehors de la
création (6 £7i[Cccy;xwg to) -/.ouaqi xat è'^o) Toû ^yiuioupy/îQsvro? wv) ^,
car lui qui possède la science et le bonheur infinis ne peut
pas être en rapport avec une substance impure et sans forme
comme la matière *.
Eh bien, qu'on essaie maintenant de concilier ces prin-
cipes avec les doctrines suivantes : Dieu ne se repose jamais
dans ses œuvres, mais sa nature est de produire toujours,
comme celle du feu est de brûler et celle de la neige de ré-
pandre le froid ^ Le repos, quand ce mot s'a[)plique à Dieu,
ce n'est pas l'inaction, car la cause aclive de l'univers ne
peut jamais cesser de produire les œuvres les plus belles;
1. Quod mund. sit incornipl., p. 949 et 950.
2. TsXîtiraTOV yào fJvAOTTc tÔ [jL:YtTCOV twv ef-ycov ~o) [Liy'.i-M orjiJL'.o'jpyo) oia-
TîÀaaasOa'.. {De plantai. Noe, init.)
3. De Posterilatc Caini.
4. De Sacrificnnlibus, cd. Mangcy, t. Il, p. 261.
TÔ ^j/.î'.v, ojto) /.m Oeoj -h -OUI/. Lcrjis Allcvj., I, éd. Mangcy, t. I, p. 4i.
224 L\ KABBALE.
mais on dit que Dieu se repose, parce que son activilé infi-
nie s'exerce spontanément (o.trx ~o)j:h; î-ju.y.ztiùç), sans dou-
leur et sans fatigue * ; aussi est-il absurde de prendre à la
lettre les paroles de l'Ecriture, quand elle nous apprend que
le monde a été fait en six jours. Bien loin de n'avoir duré
que six jours, la création w'a pas commencé dans le temps,
car le temps lui-même, selon la doctrine de Platon, a été
produit avec les choses et n'est qu'une image périssable de
l'éternité '. Quant à l'action divine, elle ne consiste plus,
comme tout à l'heure, à donner une forme à la matière
inerte, à faire sortir du désordre et des ténèbres tous les élé-
ments qui doivent concourir à la formation du monde, elle
devient réellement créatrice et absolue; elle n'esL pas plus
limitée dans l'espace que dans la durée. « Dieu, dit expres-
« sèment Philon, en faisant naître les choses, ne les a pas
« seulement rendues visibles, mais il a produit ce qui au-
« paravant n'existait pas; il n'est pas seulement l'architecte
« (le Démiourgos) de l'univers, il en est aussi le créa-
« leur^ » Il est le principe de toute action dans chaque être
en particulier, aussi bien que dans l'ensemble des choses,
car à lui seul appartient l'activité ; le caractère de tout ce
qui est engendré, c'est d'être passif*. C'est ainsi, probable-
ment, que tout est rempli, que tout est pénétré de sa pré-
1, 'Ava-jj/.av Zï où TÇi (i(-px;(xv /.a/.w- î-t'-oxi oûa:'. opxar/'o'.ov tô twv oXojv
atT'.ov o'jZît.ozi Xt/vi toj -O'.îÎv Ta xa/.Xicrra, a/'/.k t/;v œ/vj y.a/.o-xOifsv ilî-t.
t;oXa% £j!iaîiia; i-ovoTXTrjv hnp^dx/. Dî Chérubin., p. 123.
2. "EurjOs; -avj lô ougOa: ?? f,ii.ïpaiç, r^ /.stOo'Xou '^^d/M >coaii.ov ^Eyo/svai. Lcg.
Alleg. Ib. supr. OjtÔ; o3v (Ô x.Ô7;a.o;) ô vscutcOo; vi'.ô; ô a?30r)TÔç, xivrjOa'i;, ttjv
ypôvoj ojiiv àvaÀâaiai y.y.\ àvar/Erv £-o:/;7:v. Quod Dcus sit immutabilis. —
Arjix'.ojpf ô; Zi /.ai /o^/oj Oioç. Ib.
3, '0 0iô; -à -av-a yîvrîîx;, oj [xdvov £?; TOj;j.a/è; ^^ayêv, àÀÀà y.cii o r.^6-
xapov Oj/. ?jV Ir.o'.r^'ji'i , oj ùt^'v.o-jt^Ô: [jio/ov, à'/J.k y.a\ 7.■:îz■:r^- ajTÔ; or/. De Som-
niis, p. 577.
4. 0îô; /.a\ Toî"? a/.Xot; a-aaiv àf/7) "oj opcév I^t'i. — "lo'.ov [jlÈv Oeoj tÔ
JtoiEÎv, 0 oj 6/;j.;; l-iypâ'iaîOat yvirr\-.oi, To^ov ôl ^(Viir^-zou tÔ tAt/j.:!. Legis
Alleg., I; De Chérubin., t. I, p. 155, éd. Mang.
LA KABBALIC ET LA DOCTRINE DE PIIILON. 225,
sence ; c'est ainsi qu'il ne permet pas que rien reste vide
et abandonné de lui-même*. Comme il n'est rien cepen-
dant qui puisse contenir l'infini, en môme temps qu'il est
partout, il n'est nulle part, et cette antithèse, que nous
avons déjà trouvée dans la bouche de Porphyre, n'est pas
comprise autrement qu'elle ne l'a été plus tard par le dis-
ciple de Plotin. Dieu n'est nulle part, car, le lieu et l'espace
ayant été engendrés avec les corps, il n'est pas permis de
dire que le créateur soit renfermé dans la créature. Il est
partout, car par ses diverses puissances (rà; ^uvzast; avroïi)
il pénètre à la fois et la terre et l'eau, l'air et le ciel ; il rem-
plit les moindres parties de l'univers, les liant toutes les
unes aux autres par des liens invisibles ^ Ce n'est pas en-
core assez : Dieu est lui-même le lieu universel (o twv cXmv
Ti^-oç), car c'est lui qui contient toutes choses, lui qui est
l'abri de l'univers et sa propre place, le lieu où il se ren-
ferme et se contient lui-même ^ Si Malebranche, qui ne
voyait en Dieu que le lieu des esprits, nous paraît si près de
Spinosa, que penser de celui qui nous représente le souve-
rain être comme le lieu de toutes les existences, soit des
esprits, soit des corps? En même temps nous demanderons
ce que devient avec cette idée le principe passif de l'uni-
vers? Comment concevoir comme un être réel, comme un
être nécessaire, cette matière qui n'a par elle-même ni forme
ni activité, qui a dû exister avant l'espace, c'est-à-dire avant
l'étendue, et qui, avec l'espace, est transportée dans le sein
de Dieu? Aussi Philon est-il conduit, par une pente irré-
i. nâvTa vàp 7:î7:XrJpfjJX£v ô Osô;, xai O'.à -âvrtov otîXi^XuOîv, y.tX xc'vov où5cV,
ojCÈ è'fr,;aov àno/.sÀoinîv EauTOJ. Gènes., 1. III, 8.
2. De Linguarum confitsione, éd. Mangey, t. I, p. 425.
3. AÙtÔ; 6 0:ô? y.aXerrai t6;îoî, Ttji Kepu'yeiv (lèv xi oXa, Trepisy ssOftt S ï upôg
(ir,5£''ô; ànXôJ-:, /.a'i zo> xatacpuYTiv twv (JuaTzâvTtuv aùtôv sTvoc, '/.où IxsiSj^jtep aùiôî
è<3z\ ywfx ÉxjTOj, /.v/w^t/m; irjTÔ; /.où l(j.-^£po[x3vo; [x(iv(j) îtjzm. De Somniisy
hb. i ' '
15
226 LA KABBALE.
sistible, à prononcer ce grand mot : Dieu est tout [eïç /.où tô
Mais comment le souverain être a-t-il fait sortir de ce
Heu intelligible, qui est sa propre substance, un espace
réel, contenant ce monde matériel et sensible? Comment
lui, qui est tout activité et tout intelligence, a-t-il pu pro-
duire des êtres passifs et inertes? Ici les souvenirs de la
philosophie grecque sont complètement étouffés par le lan-
gage et les idées de l'Orient. Dieu est la lumière la plus
pure, l'archétype et la source de toute lumière. 11 répand
autour de lui des rayons sans nombre, tous intelligibles, et
qu'aucune créature ne pourrait contempler^; mais son
image se réfléchit dans sa pensée (dans son logos), et c'est
uniquement par cette image que nous pouvons le compren-
dre \ Yoilà déjà une première manifestation, ou, comme on
dit communément, une première émanation de la nature
divine; car Philon, quand ses réminiscences de Platon cè-
dent à une autre influence, fait du verbe divin un être réel,
une personne, ou une hypostase, comme on disait plus tard
dans l'école d'Alexandrie : tel est l'archange qui commande
à toutes les armées célestes \ Mais notre philosophe ne s'ar-
rête pas là : de ce premier logos, appelé ordinairement le
plus ancien (ô -pîGc'jzxro;), le fils aîné de Dieu, et qui, dans
la sphère de l'absolu, représente la pensée (VJyo; ivârlBcroç),
en émane un aulre qui représente la parole (Aoyoç -po^opr/.o';),
c'est-à-dire la puissance créatrice, manifestée à son tour par
\. Legis Alleg., \. I.
2. A'jtÔ; oï wv apyÉru-oç aj-f/], [JLuoîaç àv.-v'iot.ç, è/.oâXXat, (ôv o'jo£;i.''a IcjtIv
ataOrjt/j, vor,Ta\ oï at a~aaat. Uap' o y.at [i.ôvo; ô vorjTÔ; Oîô; aÙTxî; y^pr\-xi, twv
Se YEvÉascoç ij[E{i.oipa[ji£vwv cjoe'i;. De Chérubin., t. I, p. 156, éd. Mang.
5. KaOâ;:cp ttjv àvOi^Xiov ayy/jv œç ^Xiov, o: jjlt) ojvî^piîvo'. xôv f)X;ov auTOV lot''»,
ôpwat, O'jTw; x.al ttjv toî5 Oeou Etxo'va, tov àyyeÀov aùiou Xiyov, wç aùiôv xaïa-
voouCTiv. De Somniis.
A. '0 -pwToyovo; )^oyo,-,, ô dcyyEÀoç rpî-jS-j-aTOç, dtpy^âyyEXoç. De Confusione
linguarum, p. 541.
LA KABBALE ET LA DOCTRLNE DE PlIILON. 227
l'univers. « Quand nous lisons clans la Genèse qu'un fleuve
« sortait de TEden pour arroser le jardin, cela signifie que
« la bonté générique est une émanation delà sagesse divine,
« c'est-à-dire du verbe de Dieu *. L'auteur de cet univers
« doit être appelé, à la fois, l'architecte cl le père de son
« œuvre. Nous donnerons le nom de mère à la sagesse su-
ce prême. C'est à elle que Dieu s'est uni d'une manière mys-
« térieuse pour opérer la génération des choses.; c'est elle
« qui, fécondée par le germe divin, a enfanté avec douleur,
« au terme prescrit, ce (ils unique et bicn-aimé que nous
« appelons le monde. C'est pour cela qu'un auteur sacré
« nous montre la sagesse parlant d'elle-même en ces Icr-
« mes : de toutes les œuvres de Dieu, c'est moi qui fus for-
ce mée la première ; le temps n'existait pas encore que j'étais
c< déjà là. En effet, il faut bien que tout ce qui a été engen-
« dré soit plus jeune que la mère et la nourrice de l'uni-
(( vers*. » Il y a un passage dans le Timée, où nous trouvons
à peu près le même langage, mais avec cette énorme diffé-
rence que la mère et la nourrice de toutes choses est un
principe tout à fait séparé de Dieu, la matière inerte et sans
forme '. Les fragments que nous venons de citer nous rap-
pellent bien mieux les idées et les expressions habituelles
du Zohar. Là aussi Dieu est appelé la lumière éternelle,
source de toute vie, de toute existence et de toute autre lu-
mière. Là aussi la génération des choses est expliquée méta-
phori(juement par un obscurcissement graduel des rayons
émanés du foyer divin et par l'union de Dieu avec lui-même
1. rioTaijL'Jç çy^T'.v (Mo'jaT);) l/.-opsjïTat 1% 'Ko\ji. tou ttotiÇeiv xôv Tzapâosiaov.
n',Ta[jLÔ; ri YEvi/.r) i^TiV àyaOoTri;- *''^'^^ 2y.::op£j;Tai va i-ns xoC! Oîoiï co-Ji'aç- t) 5é
IdTiv ô Ocou loyoç. Lcg. Alleg., \. I.
2. Tôv yo-jy Tooî tÔ Tîav èpyaaâuEvov &r)u.toupYùv ôu-oCÎ xa\ xxzipa. Eivat to.
YiycVOTO; îÙOÙ; èv O'V.r) çrîiOjjLîv jjLriTc'pa 8a tV tou r.zr.oir^y.ôiOi È::'.(jir|[ir,-/ f,
ouvwv 6 Oîo';, z. T. X. De Tenmlcnlid.
O. Kai 3r, /.(X'. r.po'Zi'.y.i'jT.i r.zir.i'. tô [jiÈv 0£yo|i.Jvov [JirjTpf, lô o' oOîv 7:aipt,
tr,v oà (xsTa^ù tojtwv i^ûjtv È/.ydvw. Tiinœus, eJ. Slallbaum, p. 212.
528 L\ KABBALE.
dans ses divers allriJmts. La sagesse suprême, sortant du
sein de Dieu pour donner la vie à l'univers, est également
représentée par le fleuve qui sort du paradis terrestre ; enfin
les deux logos nous font songer à ce principe kabbalistique
que l'univers n'est pas autre chose que la parole de Dieu :
que sa parole ou sa voix, c'est sa pensée devenue visible, et
qu'enfin sa pensée, c'est lui-même. Une autre image, très
souvent reproduite dans le principal monument de la kab-
bale, c'est celle qui nous montre l'univers comme le man-
teau ou le vêtement de Dieu ; eh bien, la voici également
dans ces paroles de Philon : « Le souverain être est envi-
ce ronné d'une éclatante lumière qui l'enveloppe comme un
« riche manteau, et le verbe le plus ancien se couvre du
<c monde comme d'un vêtement '. »
De cette double théorie sur la nature et la naissance des
choses en général, résultent aussi deux manières de parler
de Dieu, quand il est considéré en lui-même, dans sa propre
essence, indépendamment de la création. Tantôt il est la
raison suprême des choses, la cause active et efficiente de
l'univers [6 voûç, rà ^paarv-ptov aiziov), l'idée la plus générale
(tô yeviY.omxrôy)^, la nature intelligible [vorj-h cp-jctç). Lui seul
possède la liberté, la science, la joie, la paix et le bonheur,
en un mot, la perfection ^ Tantôt il est représenté comme
supérieur à la perfection même et à tous les attributs pos-
sibles; rien ne saurait nous en donner une idée : ni la vertu,
ni la science, ni le beau, ni le bien*, pas même l'unité; car
i. Ae'yoj oà tÔ f,yîaovi/.ôv owtI «ùyoî'-OîT -îO'.Xaa-îTa'., w; aÇ'.oypsoj; svoj-
oaaOai Ta {[xaTta voptiaO^vat • èvouîTa'. oï ô [ih -pîioÛTaTo; toCÎ ovto; Ào'yo; w;
îaOrj-a xôv 7.0'afi.ov. Dc Pra'fugis.
2. Leyis Alleg., II.
3. '0 Ocô; /) ijlÔvtj IXîjOi'pa oûî-.?. De Sonuiiis, II. — Mdvo; ô Osô; «'^euow;
fi^'oÇz'., '/.où yàp [jLOvo; '(r'fit'., y.cù [J.OVO? eùçoaiVcTai, 7.a\ uo'voj tt)'/ a|i.-'ï'^ 7:cpXî'|j.0u
au[j.Çï'Çr,/.îv £'.pi^vT,v àyc-.v, /.. t. ).. De Cheriib., t. I, p. i54, éd. Mangey.
4. De Mundi opiftc, loc. laud. Kpî:-Twv fj £-'.atr[;j.r,, -/piiittov f] «pÉTï],
y.. T. X.
Li KADDALE ET LA DOCTRINE DE PIIILON. 220
ce que nous appelons ainsi n'est qu'une image du souverain
être {[j.o'jàg [j.ev £(Tt1v er/.wv ahiou Trpojrou) *. Tout ce que nous
savons de lui, c'est qu'il existe; il est pour nous l'être ineffa-
ble et sans nom ^ Dans le premier cas, il est facile de recon-
naître l'influence de Platon, de la métaphysique d'Aristote
et môme de la Physiologie stoïcienne ; dans le second, c'est
un ordre d'idées tout différent où se montre non moins clai-
rement l'unité néoplatonique et VEn Soph de la kabbale, le
mystère des mystères, l'inconnu des inconnus, ce qui domine
à la fois les Sephiroth et le monde. La même remarque
s'applique nécessairement à tout ce que Philon, par l'elfet
de ses croyances religieuses ou de ses souvenirs philosophi-
ques, nous représente comme un intermédiaire entre les
choses créées et la plus pure essence de Dieu, nous voulons
parler des anges, du verbe et en général de ce que Philon
désigne sous le nom un peu vague de puissances divines
[âvvx^jLtig Toû 6£oû). Quand le dualisme grec est pris au sé-
rieux, quand le principe intelligent agit immédiatement sur
la matière et que Dieu est conçu comme le Démiourgos du
monde, alors le verbe ou le logos est la pensée divine, siège
de toutes les idées à l'imitation desquelles ont été formés
les êtres. Alors les forces et les messagers de Dieu, c'est-à-
dire les anges, à tous les degrés de la hiérarchie céleste, ne
sont que les idées elles-mêmes. Cette manière de voir est
assez nettement exprimée dans les courts fragments que
nous allons traduire. « Pour parler sans image, le monde
« intelligible n'est nulle autre chose que la pensée de Dieu^
« quand il se préparait à créer le monde, de même qu'un
« architecte a dans sa pensée une ville idéale avant de con-
« slruire sur ce plan la ville réelle. Or, comme celte ville
1. De specialibus legibus, I. M, l. Il, p. .ISO, éd. Mangey.
2. '0 ô' à'pa O'joà T(]j vô) ■/.aiaXriTïtô; oti [i.rj x.aTà xô aTvai [jlo'vov • u-xpÇt; yàp
iariv 0 •/.aTaXaiJ.Çâvoasv aùiou ^FiXt) dtvsu yafay.TÏjpo; ^ •j-tx^';:;, à/.aiavo[j.ai-
To; /.«"i àôcr,TÔ;. Quod muudus sil immufahilis.
230 LA KABBALE.
« idéale n'occupe aucune place et ne forme qu'une image
ce dans l'àme de l'architecte, ainsi le monde intelligible ne
« peut pas être ailleurs que dans la pensée divine, où a été
«. conçu le plan de l'univers matériel. Il n'existe pas un au-
cc tre lieu capable de recevoir et de contenir, je ne dis pas
« toutes les puissances de l'intelligence suprême, mais une
« seule de ces puissances sans mélange \ » — « Ce sont
ce elles qui ont formé le monde immatériel et intelligible,
ce archétype du monde visible et corporeP. » Ailleurs' nous
apprenons que les puissances divines et les idées sont une
seule et même chose ; que leur rôle consiste à donner à cha-
que objet la forme qui lui convient. C'est à peu près dans les
mêmes termes qu'on parle des anges. Ils représentent di-
verses formes particulières de la raison éternelle ou de la
vertu, et habitent l'espace divin, c'est-à-dire le monde in-
telligible \ Le pouvoir dont ils dépendent immédiatement ou
l'archange, c'est, comme nous le savons déjà, le logos lui-
même. Mais ces natures et ces rôles sont complètement
changés quand Dieu apparaît à l'esprit de notre auteur
comme la cause immanente et le lieu véritable de tous les
êtres. Dans ce cas, il ne s'agit plus simplement d'imprimer
diverses formes à une matière qui n'existe pas par sa propre
essence; mais toutes les idées, sans rien perdre de leur va-
\. El oÉ T'.; ÈOcXtÎ^î'.e y'j|jlvot£00'.; yprjTasOa'. ToT; ôvojxaaiv, ojoïv Sv ?T:pov
el'jwOi xbv vor^-ry/ £fva'. /.d7,aoy 5^ Oîou Xô^o'/ ^'orj y.oc^iOTZO'.owxoi ' oùoï ^àp r] vot^tt^
TtdXi;, i'Tepôv ~'. etti'v ri b toD àpyiTcV.TOVO; XoYia[xô; fjîi^ -f,v al-jOTjTTjv zoAiv -ri
v-7)T^ zt'.Çeîv S'.avoojiJLî'voj. De Mund. opific, t. I, p. 4, éd. Mangey.
2. A'.à TO'JTwv "wy ûuvâaîwv ô aaw[j.aTo; y.ai voriTo; ETrâyT) 7.d7[j.o;, xô toîj oai-
vofxf/Ou TO'JTO'J àpyôTU-ov, lofa'.; dcopaTOi; a'j^TaOî\ç, wanî'p oyTO; aojaaiiv opa—
xj;. De Lii'Hjuarum confusione.
3. Ta,T; àawfji.âxo'.; ûuvâ|JLîa;y, wy £xu[JLOy ovo|xa aï toia'., -/.aTsypT^aaTO Trpôî
tÔ ve'vo; ^/caaxoy x/^y àpfioxxoO'aay Xx6îTv [AOporJv. De Sacrificantihus, t. II,
p 201, éd. Mangey.
4. EîocVX'. 0£ vuv Tizo-j-^^v.':.'., OT'. ô OîTo; "zÔt.o^ y.a\ tj îspi yoSoa tzXt^ct); (îaùj[i.a-
To^v Xdywy. De Somniis, I, 21. — Aoyc ou; /.aXîîy l'Oo: à'yycXo'.... oao'. yàp Oîoî
Xovot, Tocauxa àpE:rç k'Ovij xî -/.a; eior). De Posleiilale Caini.
LA KABBALE ET LA DOCTRINE DE PIIILOX. 231
leur intelligible, deviennent en outre des réalités substan-
tielles, des forces actives subordonnées les unes aux autres
et contenues cependant dans une substance, dans une forcé,
dans une intelligence unique.
C'est ainsi que la sagesse ou le verbe devient la première
de toutes les puissances célestes, un pouvoir distinct, mais
non séparé de l'être absolu*, la source qui abreuve et qui
vivifie la terre, l'échanson du Très-Haut, qui verse le nectar
des âmes et qui est lui-même ce nectar^; le premier-né de
Dieu et la mère de tous les êtres (utô; Trpwroyovo;;) ^; on l'ap-
pelle aussi l'homme divin (àVQpwTTo; Qsoù), car, celte image
par laquelle l'homme terrestre a été créé le sixième jour et
que le texte sacré appelle l'image de Dieu, ce n'est pas autre
chose que le verbe éternel*; il est le grand-prêtre de l'uni-
vers [y.fjyjcpev; roù zotj'j.ov), c'est-à-dire le conciliateur du fini
et de l'infini. On pourrait le regarder comme un second
dieu, sans porter atteinte à la croyance d'un Dieu unique ^
C'est de lui que l'on parle dans les Ecritures toutes les fois
que l'on donne à Dieu des titres et un nom ; car le premier
rang appartient à l'Etre ineffable ^ Ce qui achève de nous
convaincre que toutes ces expressions se rapportent à une
personnification réelle, c'est que dans la pensée de Philon
le verbe s'est quelquefois montré aux hommes sous une
1. 'II cooia TO'j Oîou siTiv, fjV àx.çav /a\ -ooTi'iTrjv £Tc[x:v (xr.o ToJv iauTOu
ojvâ[x£wv. Leg. Alleg., If.
2. KaTî'.'ji o\ wa-sp i-fj Tir^-^r^i, xf); a09''a;, -OTaaoij too'-ov, 6 Oifo; î.oyo;...
5;Xi{pTj TO'J ao<p''a; vmaTo; tov O:tov Xoyov... o'.voyoo; xoS 0:oj za"'. au|x-oa;apyo;,
où otaospwv Tou -i&'jiaTO;. De Somniis, II.
"). Ajo yâp, ôj; k'o'./.Tv, hpa Ocou, 2v [ihi ooî ô v.'jtxo;, sv w /.oC. apyicOcùî ô
rproTovovo; xjtoj OïTo; X^'yo;. De Sonviiis, I, t. I, p. G53, éd. Mangey.
•4. Ka''. à.o/ri y.-x\ ovol».x 0;oj /.ai ô /.ax' ît/.o'va à'vOpojno;, /.. x. X. De Confu-
sione limiuarum, t. I, p. 427, éd. cit.
5. Oû:o; fk'j r,ixw/ xwv àxïÀôjv av eÎ't; Oîo;, z. x. X. Le{/. Alleg., 111, t. I,
p. 128, éd. cil.
6. De Somniis, I, t. I, p. G5G, éd. Mangey.
252 LA KABBALE.
forme matérielle. C'est lui que le patriarche Jacob a vu en
songe ; c'est lui encore qui a parlé à Moïse dans le buisson
ardent *. Nous avons déjà vu comment ce verbe suprême en
engendre un autre, qui sort de son sein par voie d'émana-
tion, comme un fleuve jaillit de sa source. C'est la bonté ou
la vertu créatrice {âîivxij.iç -novri-ciy.-o), une idée de Platon trans-
formée en une hvpostase. Au-dessous de la bonté vient se
placer la puissance royale (v^ ^xtjÛM-h) qui gouverne par la
justice tous les êtres créés ^ Ces trois puissances, dont les
-deux dernières, quand elles ne s'exercent que sur les hom-
mes, prennent les noms de grâce et de justice (v^ t'Xeo); /.où ri
voixo-eOr/.-ri), se sont autrefois montrées sur la terre sous la
figure des trois anges qui ont visité Abraham^. Ce sont elles
qui font le bien invisible et l'harmonie de ce monde, comme,
d'un autre côté, elles sont la gloire, la présence de Dieu,
dont elles descendent par un obscurcissement graduel de la
splendeur infinie; car chacune d'elles est à la fois ombre
et lumière ; ombre de ce qui est au-dessus, lumière et vie de
tout ce qui est au-dessous de leur propre sphère *. Enfin,
quoique leur action soit partout présente et que leurs formes
se manifestent dans celles de l'univers, il n'est pas plus
possible d'atteindre leur essence que celle du premier être.
C'est ce que Dieu lui-même apprend à Moïse, quand celui-ci,
après avoir demandé vainement de le voir face à face, le
supplie, dit Philon, de lui montrer au moins sa gloire (r/jv
Ad;av aÙTov), c'est-à-dire les puissances qui environnent son
1. Ib. supra.
2. De Profitgis, t. I, p. oCO, éd. Mang. Al o' à'ÀXat -vi-z w; 5v à-o-.xia'.,
iuvâ|iE'.; d-j\ TO'j Xc'i-ov-oç, wv àpysi rj Ttoir^Ti/r^, •/., x. À.
3. De Vilâ Abraham, t. II, p. 17, éd. Mangey.
A. "0<j;:îp yàp ô Oîô; TzyLpiht'.-^^ix T?jç £'.-/.dvo;, fjV a-/.;av vuvi y.i/Xr/.zy, o'^tw; f^
tî/.w àXÀwv YÎvî-ai -apâÎEiYax... a/.i'a Oeoij Si 6 Xoyoç a'JTOJ l'j'iy. Lccj. Alleg.,
III.
LA KABBALE ET LA DOCTRINE DE PIIILON. 253
trône inaccessible {âopvfopo-j^ûcg âvjy.p.eii)\ Quant aux anges,
dans lesquels nous avons vu tout à l'heure des idées repré-
sentant les différentes espèces de vertus, ils ne sont pas seu-
lement personnifiés à la manière des poètes et des écrivains
bibliques, on les considère aussi comme des âmes nageant
dans rÉlIier, et venant s'unir quelquefois à celles qui habi-
tent le corps de l'homme*. Ils forment des substances réelles
et animées qui communiquent la vie à tous les éléments, à
toutes les parties de la nature. En voici la preuve dans le
passage que nous allons traduire : « Les êtres que les phi-
« losophes des autres nations désignent sous le nom de dé-
« mons. Moïse les appelle des anges. Ce sont des âmes qui
K flottent dans l'air, et personne ne doit regarder leur exis-
« tence comme une fable; car il faut que l'univers soit
« animé dans toutes ses parties et que chaque élément soit
« habité par des êtres vivants. C'est ainsi que la terre est
« peuplée par les animaux, la mer et les fleuves par les ha-
cc bitants de l'eau, le feu par la salamandre, que l'on dit
K très commune en Macédoine, le ciel par les étoiles. En
ce effet, si les étoiles n'étaient des âmes pures et divines,
« nous ne les verrions pas douées du mouvement circulaire,
« qui n'appartient en propre qu'à l'esprit. Il faut donc que
a l'air soit également rempli de créatures vivantes, quoique
ce l'œil ne puisse pas les voir''. »
C'est surtout quand il s'agit de l'homme que le syncré-
tisme de Philon se montre à découvert et qu'on aperçoit
sans peine la double direction à laquelle il s'abandonne,
malgré sa vive prédilection pour les idées orientales. Ainsi,
non content de voir avec Platon, dans les objets de la sen-
1. I\If,r' ojv i'û, [li-i T;'va twv sjj.rTiv oj'/â;A;(o'/ /.xxk Tr// OJîi'av sX-iar,; -otI
ojvr|a:aOai y.xTxkixZz'.y. De Monarchiâ, I, t. H, p. 218, éd. Mangey.
2. De Planlalione. — De Monarchiâ, II. Celle réunion d'une ànic à uno
autre a élé reconnue des kabba listes sous le nom de gestation (n^^y)-
5. De Gi(juiilibus, t. I, p. 2Ô5, éd. Mangey.
234 LA KABBALE.
salion, une empreinte affaiblie des idées éternelles, il va
jusqu'à dire que sans le secours des sens nous ne pourrions
jamais nous élever à des connaissances supérieures; que
sans le spectacle du monde matériel nous ne pourrions pas
même soupçonner l'existence du monde immatériel et invi-
sible'; puis il déclare l'influence des sens tout à fait perni-
cieuse; il commande à l'homme de rompre avec eux tout
commerce et de se réfugier en lui-même. Il établit un abîme
entre l'âme raisonnable, intelligente, qui seule a le privili'ge
de constituer l'homme, et l'âme sensitive à laquelle nos or-
ganes empruntent à la fois la vie et la connaissance qui leur
sont propres; celle-ci, comme l'a dit Moïse, réside dans le
sang% tandis que la première est une émanation, un reflet
inséparable de la nature divine ( àTroV-ao-aj^ où dixipirhv,
àny.vyocyax ^hxç ç-jo-soj; ^). Et cependant, ce point de vue
exalté ne l'empêche pas de conserver l'opinion platoni-
cienne qui reconnaît dans l'âme humaine trois éléments : la
pensée, la volonté et les passions*. En mille endroits il in-
siste sur la nécessité de se préparer à la sagesse par ce qu'il
appelle les sciences encycliques [èy/.vy.hoç Traif^eia, èyy.v/.hx
p.a0v7y.aTa), c'est-à-dire les arts de la parole et ceux qui don-
nent cette culture extérieure si chère aux Grecs. Notre es-
prit, dit-il, a besoin d'être nourri de ces connaissances
mondaines avant d'aspirer à une science plus haute, comme
notre corps a besoin d'être nourri de lait avant de suppor-
1. Tôv £•/. TOiV toîojv auarxOi'vTa v.al vorj-ôv /.O'ju.ov O'jz svS'TTtv aXXw; zaraXa-
êeîv ors [1^ £/. TÎ;; to'j alaOriTOij /.cù. 6po;i.Evou to-jtou [xSTavaSaaEto;, x. t. À. De
SomJiiis, l.
2. Aî[JLa où^i'a •ir/^; Ètti, 0'j/^\ t^; voscxç v.y.\ Xo^^'.v.rii, àXÀi -r^^ a'.^Or-jTr/.r^ç,
xaO' fjv TjfxTv T£ /.a\ toîç àXùyo'.; xo'.vôv tÔ Çfj'v au[xêcorj-/.sv. Dc Concupisccntiâf
t. II, p 556, éd. Mangey.
3. Quod dclerior poliori insicliari soleat, t. I, p. 208, éd. cit,
4. "Eat'.v f,[iwv /j '^y/i\ Tpt;i3çr];, v.(x\ v/b\ ppo; xo ah \o^(v/.rrj ^ /.. -.. \. Lcg.
Alleg., L — De Confiisione liinjuarum. — De Concupisccntiâ, t. II, p. 550,,
éd. cit.
LA KABEx^E ET LA DOCTRLNE DE PIIILON. 235
ter des aliments plus substantiels *. L'homme qui néglige de
les acquérir doit succomber dans ce monde, comme Abel a
succombé sous les coups de son frère fratricide. Ailleurs, il
enseigne tout le contraire : il faut mépriser la parole et les
formes extérieures, comme il faut mépriser le corps et les
sens, afin de ne vivre que par l'intelligence et dans la con-
templation de la vérité toute nue. Quand Dieu dit à Abra-
ham : Abandonne ton pays, ta famille et la maison de ton
père, cela signifie que l'homme doit rompre avec son corps,
avec ses sens et avec la parole ; car le corps n'est qu'une
partie de la terre que nous sommes forcés d'habiter ; les
sens sont les ministres et les frères de la pensée ; enfin la
parole n'est que l'enveloppe et en quelque sorte la demeure
de l'intelligence, qui est notre véritable père\ La même
idée est reproduite d'une manière encore plus expressive,
sous le symbole d'Agar et d'Ismaël. Cette servante rebelle et
son fils, si ignominieusement chassés de la maison de leur
maître, nous représentent la science encyclique et les so-
phismes qu'elle enfante. Il est à peine nécessaire d'ajouter
que tout homme qui aspire à un rang élevé dans le monde
des cspiils doit imiter le patriarche hébreu \ Mais au
moins, lorsque l'âme s'est réfugiée tout entière dans l'in-
telligence, y trouve-t-elle les moyens de se suffire et d'arri-
ver par elle-même à la vérité et à la sagesse? Si Philon avait
répondu à celle question dans un sens affirmatif, il n'aurait
pas été au delà de la doctrine de Platon ; car, lui aussi, nous
montre le vrai sage, se détachant entièrement du corps et
des sens, et ne travaillant toute sa vie qu'à apprendre à
mourir*; mais notre philosophe d'Alexandrie ne s'arrête
pas à celle limite : il lui faut, oulre les connaissances que
1. De Congressu quxrendœ enuUlionis (jralià.
2. De Soinniis, L L
5. De Clicrub. — De Comjrcssu quxrendœ criidit. gralid.
A. PItcdon., ad init.
256 LA KABBALE.
nous empruntons à la raison, outre les lumières que donne
la philosophie, des lumières et des connaissances supé-
rieures directement émanées de Dieu et communiquées à
l'intelligence comme une grâce, comme un don mystérieux.
Quand nous lisons, dit-il, dans l'Écriture, que Dieu a parlé
aux hommes, il ne faut pas croire que l'air ait été frappé
d'une voix matérielle; mais c'est l'âme humaine qui a été
éclairée par la lumière la plus pure. C'est uniquement sous
cette forme que la parole divine peut s'adresser à l'homme.
Aussi, quand la loi a été promulguée sur le mont Sinaï, ne
dit-on pas que la voix a été entendue; mais, selon le texle,
elle a été vue de tout le peuple assemblé : « Vous avez vu,
dit aussi Jéhovah, que je vous ai parlé du haut du ciel \ »
Evidemment, puisqu'on explique un miracle, il ne peut pas
être ici question d'une connaissance rationnelle, ou de la
seule contemplation des idées, mais de la révélation, enten-
due à la manière du mysticisme. Nous attacherons le même
sens à un autre passage où l'on admet la possibilité, pour
l'homme, de saisir Dieu en lui-même, dans une manifesta-
tion immédiate (à?-' a-j-ov aùrôv zaraXap.Saverv), au lieu de
remonter à lui par la contemplation de ses œuvres. Dans cet
état, ajoute noire auteur, nous embrassons dans un seul
regard l'essence de Dieu, son Verbe et l'univers ^ 11 recon-
naît aussi la foi (-t'or:?), qu'il appelle la reine des vertus
(v^ Twy àp£Twv|3«(7t?iç), le plus parfait de tous les biens, le ci-
ment qui nous lie à la nature divine'. C'est elle que nous
voyons représentée dans l'histoire de Judas, s'unissant à
Thamar, sans écarter le voile qui couvre sa face, car c'est
ainsi que la Foi nous unit à Dieu.
1. Toj; Toy Occu Xofou; oi y_pr)T[JLo\ owTb; ppo'-ov Ôîoju.î'vou; [Jir]vjou'jt • 'kiyB-za.i
^àp o'-'. -a; ô Xaô; Iwpa ir,v owvf,v, ojy. ^xoutriv, x. x. X. De iligrat. Abraham.
2. ...'AXX' u-spy.pû'ia; to Y^vr^TOv, sfx-jota'.v svapY^ to3 iyvnlro-j Xaaoxvst,
<jj; a-' a'jTO'j a-jTOv zaTaXaaSâvîiv /.ai tt// a/.i'rtv aùroîi, or.io r^v Tov /Jr(OV xai
•cdvoE tÔv y.ow.ov. Lcg. Allcg., \. IL
5. De Miçjralione Abraham. — Quis rerum divinarum hœres.
LA KABBALE ET LA DOCTRLNE DE PUILON. 257
Pliilon ne montre pas moins d'hésitation quand il parle
de la liberté humaine que lorsqu'il veut nous expliquer la
nature et l'origine de nos connaissances. Quelquefois c'est la
doctrine stoïcienne qui l'emporte : l'homme est libre; les
lois de la nécessité, qui gouvernent sans exception toutes
les autres créatures, n'existent pas pour lui. Or, ce libre
arbitre qui est son privilège lui laisse en môme temps la
responsabilité de ses actions; c'est ainsi que, seul parmi
tous les êtres, il est capable de vertu, et à ce titre il est per-
mis de dire que Dieu, voulant se manifester dans l'univers
par l'idée du bien, n'a pas trouvé de temple plus digne de
lui que l'àme humaine *. Mais il est facile de voir que cette
théorie si vraie et si sage est en contradiction avec certains
principes généraux exposés précédemment, comme l'unité
de substance, la formation des êtres par voie d'émanation
et même le dualisme platonique. Aussi notre philosophe
n'a-t-il aucune peine à l'abandonner pour le point de vue
contraire, et il est facile de remarquer qu'il s'y trouve plus
à l'aise, qu'il y déploie beaucoup mieux les richesses de son
style à demi oriental et les ressources de son génie naturel.
Alors il ne laisse plus rien à l'homme, ni de son libre arbi-
tre, ni de sa responsabilité morale. Le mal que nous nous
attribuons comme celui qui règne en général dans ce monde
est le fruit inévitable de la matière', ou l'œuvre des puis-
sances inférieures qui ont pris part avec le Logos divin à la
formation de l'homme. Le bien au contraire n'appartient
qu'à Dieu. En elfet, c'est parce qu'il ne convient pas au sou-
verain Etre de participer au mal, qu'il a appelé des ouvriers
subalternes à concourir avec lui à la création d'Adam; mais
à lui seul doit être rapporté tout ce qu'il y a de bon dans
1. De Nobililale, t. II, p. 437, éd. cit. Nïwv i^'.oKozizi'^TZfov liz: y^; où/*
£?»;£ XoY'.<J;i-'>!j Y.ot'.z-ui • 6 "cio voCÎ; àya^.iJLaTOOopîî -6 ayaO^v.
2. De Opific. mund. — Qitis rernm divinarum hœrcs. — De Nominwn
mulalione. — De Vild Mos., III
^38 LA KABBALE.
nos actions et dans nos pensées '. En conséquence de ce prin-
cipe, il y a de l'orgueil et de l'impiété à se regarder comme
l'auteur d'une œuvre quelconque; c'est s'assimiler à Dieu,
qui seul a déposé dans nos Ames la semence du bien, et seul
aussi a la vertu de la féconder^; cette vertu, sans laquelle
nous serions abîmés dans le mal, confondus avec le néant
ou la matière, Philon l'appelle de son véritable nom, c'est la
Grâce {h x«pt;)- «ï^îi Grâce, dit-il, est cette vierge céleste qui
« sert de médiatrice entre Dieu et l'àme, entre Dieu qui
« offre et l'âme qui reçoit. Toute la loi écrite n'est pas au-
« tre cbose qu'un symbole de la Grâce ". » A côté de cette
influence toute mystique, Philon en reconnaît une autre
qui ne porte pas une atteinte moins grave à la responsabi-
lité morale et par conséquent au libre arbitre : c'est la ré-
versibilité du bien. Le juste est la victime expiatoire du
méchant ; c'est à cause des justes que Dieu verse sur les
méchants ses inépuisables trésors *. Ce dogme, également
adopté par les kabbalistes et appliqué par eux à l'univers
tout entier, n'est au fond qu'une conséquence de la Grâce :
c'est elle et elle seule qui fait le mérite du juste ; pourquoi
donc, par ce canal, n'arriverait-elle pas aussi jusqu'au
méchant? Quant au péché originel, cette autre entrave à la
liberté humaine, il ne serait pas impossible d'en trouver la
définition dans quelques paroles isolées de notre auteur ^ ;
1. De Mund. opific, p. 16, cdit. de Paris de 1640. — De Profwjis, même
édit., p. 460.
2. Leg. Allcg., l. — De Prof^ujis. — De Cherub. — Gfrœrer, ouvrage cite,
L I, p. 401.
3. ''QaxE ou;j.6oÀO'/ cfva-. oiaOrlx.rjV yap'.To;* f,v [i.î'ar,v ËOr,-/.£V ô Ocô; lauTOÙÎ tî
opc'YOVTo; x.at àvOpoj-ou ),a[j.ÇâvovTo;. 'Y-i^îolr, hï zùiçijfjîai tojxo IztX, fivi
eTva-. Oeoij xa^t 'J'y/vj; [j.£tov, ot'. [ir^ -rjv -apOivov yiy.zoi. De Nomintiiu mutalione,
p. 1052, éd. cit.
4. '0 anojôaîo; too çajÀou Xjipov. De Sacrificiis Ahelis et Caini, p. 132,
éd. de Paris.
5. Nous citerons principalement ce passage : nxvTl ysvvr^Tô) v.'A h o-ouooclov
LA KABBALE ET LA DOCTRINE DE PIIILON. 239
mais dans un sujet aussi grave il faut attendre des preuves
plus explicites et plus sûres. Tout ce que nous pouvons affir-
mer, c'est que la vie même était aux yeux de Philon un élal
de déchéance et de contrainte; par conséquent, plus on en-
tre dans la vie, ou plus on pénètre, soit par la volonté, soit
par l'intelligence, dans le règne de la nature, plus il devait
croire que l'homme s'éloigne de Dieu, se pervertit et se dé-
grade. Ce principe est à peu près la seule base de la morale
de Philon, sur laquelle il nous reste encore à jeter un coup
d'oeil ra])ide.
Ici, quoiqu'on trouve encore de loin en loin quelque con-
tradiction, l'influence grecque n'est plus guère que dans le
langage ; le fond est tout oriental et mystique. Par exemple,
quand Philon nous dit avec Antisthène et Zenon qu'il faut
vivre conformément à la nature (Çv5v 6[j.oloyovy.ivbii; 7-ç çuo-st),
il entend par la nature humaine, non seulement la domina-
tion entière de l'esprit sur le corps, de la raison sur les sens,
mais Tobservancc de toutes les lois révélées, telles, sans
doute, qu'il les interprète et les conçoit*. Quand il admet
avec Platon et l'école stoïcienne ce qu'on a appelé plus lard
les quatre vertus cardinales, il nous les représente en même
temps comme des vertus inférieures et purement humaines;
il nous montre au-dessus d'elles, comme leur source com-
mune, la bonté ou l'amour, vertu toute religieuse, qui no
s'occupe que de Dieu dont elle est l'image et l'émanation la
plus pure. 11 la fait sortir directement de l'Eden, c'est-à-dire
de la divine sagesse, oii l'on trouve la joie, la volupté, les
délices dont Dieu seul est l'objet \ C'est probablement dans
^, zap' osov r,XO:v eîç yava^iv, au[j.3'j:? tÔ à[jLap-âvciv I'jv'. De Vitâ Mos., III,
t. JI, p. 157, cd. Mangey.
1. Dans ces paroles de l'Écriture : « Abraham suivait toutes les voies du
Seigneur », on trouve cette maxime enseignée par les plus célèbres philo-
sophes, fju'il faut vivre selon la nature, etc. De Miynil. Abraham.
2. Api es avoir dit que les quatre vertus ont leur source dans la beauté, notre
240 LA KABBALE.
ce sens qu'à l'imitation de Socrafe il confond la vertu avec
la sagesse *. Enfin, il faut se garder aussi de lui attribuer
la pensée d'Aristote, quand il nous enseigne, d'après les ter-
mes de ce philosophe, que la vertu peut dériver de trois
sources : la science, la nature et l'exercice ^ Aux yeux de
Pliilon, la science ou la sagesse véritable n'est pas celle qui
résulte du développement naturel de notre intelligence, mais
celle que Dieu nous donne par un effet de sa grâce. La na-
ture, dans l'opinion du philosophe grec, nous porte d'elle-
même vers le bien ; selon Philon, il y a dans l'homme deux
natures entièrement opposées qui se combattent, et dont
l'une doit nécessairement succomber; dès lors, toutes deux
sont dans un état de violence et de contrainte qui ne leur
permet pas de rester elles-mêmes. De là son troisième
moyen d'atteindre à la perfection morale : l'ascétisme dans
toute son exaltation, substitué à l'empire légitime de la vo-
lonté et de la raison sur nos désirs. En effet, il ne s'agit pas
seulement d'atténuer le mal, de le circonscrire dans des
limites plus ou moins restreintes, il faut le poursuivre tant
qu'il en reste la plus légère trace, il faut le détruire, s'il est
possible, dans sa racine et dans sa source. Or le mal dont
nous souffrons dans ce monde est tout entier dans nos pas-
sions, que Philon regarde comme absolument étrangères à la
nature de l'âme". Les passions, pour me servir de son lan-
eage, ont leur origine dans la chair. Il faut donc humi-
lier et macérer la chair ; il faut la combattre sous
toutes les formes et à tous les instants *; il faut se rele-
auteur ajoute : Aa[i.6xvEi [ih ojv là; àoy à? ^ ■^Z'/iy.ri ofiô'Trj àr.ô t^; 'Eoàjj., T?;?
TOu OeoC» cO'ji'a;, îj yaiozi 7.a\ yiYj-:a.i 7.x\ Tfjcpa £7:'t r/O'/W tw TzaTpi auT^; Ozoï.
Leg. Alîcg., 1.
1. KTr,7a;jL£vo; oï £-'.a-:/îar;v, Tr;v àp-rtov [Σoa'.OTaTr,v ouvê/.xxTO y.a\ t'x; àX/.aç
i;îâ<îa;. De Nobilitate, éd. Mangey, t. II, p. 442.
2. De Migrât. Abrah. — De Somniis, I et passim.
3. Quis rerum divinamm sit.
4. Oj p.£Tp;o-âO£'.av àXXà oyvoXoj; à-aOî'.av iya-wv. Legis Alleg., III.
LA KABBALE ET LA DOCTRINE DE PIULON. 241
ver de cet état de déchéance qu'on nomme la vie ; il faut,
par une indifférence absolue pour tous les biens périssa-
bles, reconquérir sa liberté au sein môme de cette prison
que nous appelons le corps*. Le mariage ayant pour but et
pour résultat de perpétuer cet état de misère, Philon, sans
le condamner ouvertement, le regarde comme une humi-
liante nécessité dont au moins les âmes d'élite devraient sa-
voir s'affranchir*. Tels sont à peu près les principaux carac-
tères de la vie ascétique, telle que Philon l'a comprise et
telle qu'il nous la montre, plutôt encore qu'il ne l'a vue,
réalisée par la secte des thérapeutes. Mais la vie ascétique
n'est qu'un moyen; son but, c'est-à-dire le but de la morale
elle-même, le plus haut degré de la perfection, du bonheur
et de l'existence, c'est l'union de l'àme avec Dieu par l'en-
tier oubli d'elle-même, par l'enthousiasme et par l'amour.
Voici quelques passages que l'on croirait empruntés à quel-
que mystique plus moderne : « Si tu veux, ô mon ame, hé-
« riter des biens célestes, il ne faudra pas seulement, comme
« notre premier patriarche, quitter la terre que tu habites,
« c'est-à-dire ton corps; la famille où tu es né, c'est-à-dire
« les sens ; et la maison de ton père ou la parole ; il faudra
« aussi te fuir toi-même, alin d'être hors de toi, comme ces
« corybanles enivrés d'un enthousiasme divin. Car là seule-
ce ment est l'héritage des biens célestes, où l'àme, remplie
« d'enthousiasme, n'habite plus en elle-même, mais plonge
« avec délices dans l'amour divin et remonte entraînée vers
ce son père". Une fois l'àme délivrée de toute passion, elle
c<.se répand elle-même comme une libation pure devant le
ce Seigneur. Car, verser son âme devant Dieu, rompre les
« chaînes que nous trouvons dans les vains soucis de cette
1. Tô awjAX v.y/.-.7], oca;Ao-r|p'.ov. De Migrât. Ahrah. — Quis rennn div-
hœres sil, et passim.
2. Quod dcler. poliori i)isidiari soleal. — De Monarchià.
3. Quis rerum divin(tritm lucres sil.
IG
2i2 LA KABBALE.
« vie périssable, c'est sorlir de soi-même pour arriver aux
« limites de l'univers et jouir de la vue céleste de celui qui
« a toujours été *. » Avec de tels principes, la vie contem-
plative, si elle n'est pas la seule qu'il soit permis à l'homme
d'embrasser, est placée bien au-dessus de toutes les vertus
sociales, qui ont pour principe l'amour, et pour but le
bien-èlre des hommes*. Le culte lui-même, j'entends le
culte extérieur, devient inutile pour la fin que nous devons
chercher à atteindre. Aussi Philon est-il très embarrassé
sur ce point : « Ainsi qu'il faut, dit-il, avoir soin de son
« corps, parce qu'il est la demeure de l'âme, de même som-
« mes-nous obligés d'observer les lois écrites; car pi us nous y
« serons fidèles , et mieux nous comprendrons les choses
« dont elles sont les symboles. Ajoutons à cela qu'il faut
c< éviter le blâme et les accusations de la multitude"'. » Cette
dernière raison ne ressemble pas mal au post-scriptum de
certaines lettres ; elle exprime seule la pensée de notre phi-
losophe, et établit un rapport de plus entre lui et les kab-
balistes. En même temps elle justifie ce que pensaient les
thalmudistes de leurs coreligionnaires initiés aux sciences
grecques.
De tout ce que nous venons de dire résultent deux con-
séquences extrêmement importantes pour l'origine de la
kabbale. La première, c'est que cette doctrine traditionnelle
n'a pas été puisée dans les écrits de Philon. En effet, puis-
que tous les systèmes grecs, et l'on peut dire la civilisation
grecque tout entière, ont laissé chez ce dernier des traces
aussi nombreuses, aussi intimement mêlées à des éléments
1. De EbricUtte.
'2. De Migrai. Abroh., éd. Mang., L I, p. 595, 415. — Lecj. Allerj., môme
cL, t. I, p. 50. — De Vilâ contcmplalivâ.
5. 'V.ij-zr, ou/ coj|ji.aTo; zt.v.om ^u'/^; izzi't ot/.oç rpovorjTcOV, ojtoj /.ai xwv
f7)T0)V vô;iwv ï~:u.z\r^-io'j rpô; w y.oX xi; à-ô Twv ;:ûÀ).wv [j.£[A'}£-.s x-~\ xx-rj-
Yov!a? à-ootooâ'j-.'.ïiv. De Migrât. Abrali.
LA KABBALE ET LA DOCTRINE DE PIIILOX. 243
d'une autre naUire, pourquoi n'en serait-il pas de même
dans les plus anciens monuments de la science kabbalisli-
que? Or jamais, nous le répétons, on ne trouvera ni dans le
Zohar, ni dans le Livre de (a création, le moindre vestige de
cette civilisation brillante, transplantée par les Plolémées
sur le sol de l'Egypte. Sans parler des difficultés extérieures,
précédemment signalées, et que nous maintenons ici dans
toute leur force, est-ce que Simon ben Jochaï et ses amis, ou
les auteurs quels qu'ils soient du Zohar, auraient pu, sans
autre guide que les écrits de Philon, y démêler ce qui est
emprunté aux divers philosophes de la Grèce, dont les noms
sont rarement prononcés par leur disciple d'Alexandrie, et
ce qui appartient à une autre doctrine, fondée sur l'idée d'un
principe unique et immanent, substance et forme de tous
les êtres? Une telle supposition ne mérite pas d'être discu-
tée. D'ailleurs, ce que nous avons appelé la partie orientale
du syncrétisme de Philon est loin de s'accorder, sur tous les
points importants, avec le mysticisme enseigné par les doc-
teurs de la Palestine. Ainsi, Philon ne reconnaît en tout que
cinq puissances divines, ou cinq attributs; les kabbalistes
admettent dix Sephirolh. Philon, même quand il expose
avec enthousiasme la doctrine de l'émanation et de l'unité
absolue, conserve toujours un certai:n dualisme, celui de
l'Etre et des puissances, ou de la substance et des attributs,
entre lesquels il nous montre un abîme infranchissable.
Les kabbalistes considèrent les Sephiroth comme des limites
diverses dans lesquelles le principe absolu des choses se
circonscrit lui-même, ou comme des vases, pour me servir
de leur propre langage. La substance divine, ajoutent-ils,
n'aurait qu'à se retirer, et ces vaso.s seraient rompus et des-
séchés, llappelons-nous aussi qu'ils enseignent expressé-
ment l'identité de l'Etre et de la pensée. Philon, toujours
dominé à son insu par cette idée de Platon et d'Anaxagore
que la matière est un principe distinct de Dieu et éternel
244 LA KADBALE.
comme lui, se trouve naturellemeiu conduit à considérer la
vie comme un état de déchéance et le corps comme une pri-
son : de là aussi son mépris pour le mariage, qu'il regar-
dait seulement comme une satisfaction donnée à la chair.
Tout en admettant avec l'Écriture que l'homme, dans les
premiers jours de la création, quand il n'avait pas cédé en-
core aux voluptés des sens, était plus heureux qu'aujour-
d'hui, les kabbalistes regardent cependant la vie en général
comme une épreuve nécessaire, comme le moyen par lequel
des êtres finis, tels que nous, peuvent s'élever jusqu'à Dieu
et se confondre avec lui dans un amour sans bornes. Quant
au mariage, il n'est pas seulement pour eux le symbole,
mais le commencement, la condition première de celte union
mystérieuse; ils le transportent dans l'âme et dans le ciel;
il est la fusion de deux âmes humaines qui se complètent
l'une par l'autre. Enfin, le système d'interprétation appli-
qué par Philon aux livres saints, quoique le même, pour le
fond, que celui des kabbalistes, ne peut cependant pas avoir
servi d'exemple à ces derniers. Sans doute Philon n'ignorait
pas absolument la langue de ses pères, mais il est facile de
prouver qu'il n'avait sous les yeux que la version des Sep-
tante, dont se servaient d'ailleurs tous les Juifs d'Alexandrie.
C'est généralement sur les termes de celte traduction et des
étymologies purement grecques que se fondent ses interpré-
tations mystiques ^ Dès lors que deviennent ces ingénieux
procédés employés dans le Zohar et dont la puissance est
tout à fait anéantie quand ils cessent de s'appliquer à la
1. En voiji quelques exemples : dans ces mots qui s'adressent au serpent
dont la femme doit écraser la tète, aùxôç aoy -cTjp/jas'. xeoaXT^v, il trouve, avec
raison, une faute grammaticale; mais celte faute n'existe pas dans le texte
hébreu. {Leg. Alleg., 111.) 11 fait dériver du grec odo^rsOcu le mot Phison, le
nom d'un des quatre fleuves qui sortent du Paradis tenestre. Le mot Evitât
vient de eu et de i'Àwç. II lui importe peu que le nom de Dieu, Qiôc, soit pré-
cédé ou non de l'article 6, etc. Voy. Gfr'trer, oiiv. cit., t. I, p. 50.
L\ KADDALE ET LA DOCTRINE DE PIIILON. 245
langue sacrée ' ? Du reste, nous l'avouons, celte différence
dans la forme n'aurait pas à nos yeux une très grande im-
portance, si Philon et les kabbalistes s'accordaient toujours
dans le choix des textes, des passages de l'Ecriture qu'ils
donnent pour base à leur système philosophique, ou bien si,
abstraction faite du langage, les mômes symboles éveillaient
en eux les mêmes idées. Mais cela n'arrive jamais. Ainsi la
personnilication des sens dans la femme, dans Eve, notre
première mère, de la volupté dans le serpent qui a conseillé
le mal, de l'égoïsme dans Caïn, que l'homme a engendré
en s'unissant à Eve, c'est-à-dire aux sens, après avoir
écouté le serpent: Abel, type de l'esprit qui méprise entiè-
rement le corps et succombe par son ignorance des choses
de ce monde ; Abraham, type de la science divine ; Agar, de
la science mondaine; Sarah, de la vertu ; la nature primi-
tive de l'homme renaissant dans Isaac, la vertu ascétique
représentée dans Jacob, et la foi dans Tiiamar, toutes ces
riches et ingénieuses allégories qui, selon nous, sont la
seule propriété du pbilosophe d'xVlexandrie, n'ont pas laissé
le plus faible vestige, soit dans le Zohar, soit dans le Livre
de la création. Pour toutes ces raisons, nous croyons avoir
le droit de dire que les écrits de Philon n'ont exercé aucune
influence sur la kabbale.
Nous arrivons maintenant à la seconde conséquence que
l'on peut tirer de ces écrits et du caractère de leur auteur-
Nous avons vu avec quelle absence de discernement, avec
(piel oubli de la saine logique, Philon a pour ainsi dire mis
au pillage la philosophie grecque tout entière ; poui-quoi lui
supposerions-nous plus d'invention, plus de sagacité et de
profondeur dans cette partie de ses opinions qui nous rap-
1. Comment, par exemple, la subslancc abslraile aurait-elle pu être appelée
le non-être (^ij^) sans ce texte hébreu, xïm ]\sa nn^îl' 0"e deviendraient
les noms dos trois premières Sephiroth? Comment l'imité de Dieu et du monde
rcsullcrail-elle de ces trois mots, s'ils étaient traduits, ;-\^^ ^^2 ^D''
24G LA KABBALE.
pelle au moins les principes dominants du système kaLba-
listiqne? Ne serait-il pas juste de penser qu'il l'a trouvée
toute faite dans certaines traditions conservées parmi ses
coreligionnaires, et qu'il n'a fait que la parer des brillantes
couleurs de son imagination ? Dans ce cas, ces traditions
seraient bien anciennes, car elles auraient été apportées de
de la Terre-Sainte en Egypte avant que tout commerce reli-
gieux eût cessé entre les deux pays; avant que les souvenii's
de Jérusalem et la langue de leurs pères fussent complè-
tement éteints parmi les Juifs d'Alexandrie. Mais nous ne
sommes heureusement pas obligés de nous en tenir aux con-
jectures; il y a des faits qui nous prouvent jusqu'à l'évi-
dence que plusieurs des idées dont nous parlons étaient
connues plus d'un siècle avant l'ère chrétienne. D'abord,
Philon lui-même, comme nous l'avons dit précédemment,
nous assure avoir puisé à une tradition orale, conservée par
les anciens de son peuple ' ; il attribue à la secte des théra-
peutes les livres mystiques d'une antiquité très reculée * et
l'usage des interprétations allégoriques, appliqué sans excep-
tion et sans limite à toutes les parties de l'Écriture sainte,
« La loi tout entière, dit-il, est à leurs yeux comme un être
« vivant dont le corps est représenté par la lettre, et l'âme
« par un sens plus profond. C'est dans ce dernier que l'âme
« raisonnable aperçoit à travers les mots, comme à travers un
« miroir, les merveilles les plus cachées et les plus extraordi-
« naires^.» Rappelons-nous que la même comparaison est em-
ployée dans le Zohar, avec cette différence, qu'au-dessous du
i. De Vilâ Mosis, I; éd. Mang., liv. II, pag. 81.
2. De Yitâ contemplativâ.
3. 'A-3taa yào f, vojjLoO^-ji'a oo)t:T toÎ; àvooaai tojto'.; lov/.itz'. to'jw* y.7.\ aôSax
vojv, £v fij ^ç?xTo fj Xoyr/.rj ^-j/rt StasEpov-tos "cà oizsTa Oetopeîv, tlja;;£p o'.à y.aT-
o'nTpou twv Ôvo;astojv, IÇai^ta y.iXXri vor,;jLâ-'aJV £;jLÇ£p(5;x£ya xaTiooijsa. De Vilâ
conlonpkdiiâ, t. II, p. 475, eJ. Mang.
Li KABBALE ET Ik DOCTRINE DE PIIILON. 247
corps est le vôtement de la loi par lequel on désigne les faits
matériels de la Bible : au-dessus de l'àme est une âme plus
sainte, c'est-à-dire le Verbe divin, source de toute inspira-
lion et de toute vérité. Mais nous avons d'autres témoignages
bien plus anciens et plus sûrs que celui de Philon. ^'ous
commencerons par le plus important de tous, la fameuse
version des Septante.
Déjà le Tlmlmud avait une vague connaissance* dos nom-
breuses infidélités de cette antique traduction, pour laquelle
cependant il exprime la vénération la plus profonde. La cri-
tique moderne a démontré jusqu'à l'évidence qu'elle a été
faite au profit d'un système éminemment hostile à l'anthro-
pomorphisme biblique, et où l'on trouve en germe le mys-
ticisme de Philon *. Ainsi, quand le texte sacré dit positive-
ment' que Moïse, son frère et les soixante et dix vieilhirds
virent le Dieu d'Israël sur un trône de saphir : selon la tra-
duction, ce n'est pas Dieu qui a été aperçu, mais le lieu
qu'il habite \ Quand un autre prophète, Isaïc, voit le Sei-
gneur assis sur son trône et remplissant le temple avec les
plis de sa robe \ cette image trop matérielle est remplacée
par la gloire de Dieu, la Schechinah des Hébreux \ Ce n'est
pas en réalité que Jt3hovah parle à Moïse face à face, mais
seulement dans une vision; et il est probable que cette vision,
dans la pensée du traducteur, était purement intellectuelle^
Jusqu'ici nous ne voyons encoreque la destruction de l'anthro-
pomorphisme et le désir de dégager l'idée de Dieu des
1. Tlialm. Babtjl., traité Meguillah, fol. 9, chap. i.
2. Voir, pour les documenis nécessaires, Gfrœrcr, Christianisme primitif,
t. Il, p. 4-18, et Daehne, Exposition liistoriqua de la pliilosopliic religieuse
chez les Juifs d'Alexandrie, t. Il, p. 1-72.
5. Exode, chap. xxiv, v. 9 et 10.
4. Ka\ sToov xôv Tonov o3 eh-J/.n ô Osô? toj 'lapT^X.
5. Isaïe, chap. vi, v. 1.
G. Ka\ -/.ij j/;; 6 oTxoç ttj; SoÇ^? ayroi'.
7. Xto'jxx 7.7.'% i-'j'j.a. Xa^z-TO) otCxiT) Iv sloci. I\'ombrcs, chap. xii, y. 8.
248 LA KABBALE.
images quelquefois sublimes qui l'éloignent de l'intelli-
genec. Mais voici des choses plus dignes de notre intérêt :
au lieu du Seigneur Sabaoth, du Dieu des armées que la
Bible nous représente comme un autre Mars, excitant
la fureur de la guerre et marchant lui-même au combat',
nous trouvons dans la traduction grecque, non pas le Dieu
suprême, mais les puissances dont Philon parle tant dans
ses écrits, et le Seigneur, Dieu des puissances [-/.ûpio; 6 Biog
Tcôv cJuvaascov). S'agit-il d'une comparaison où ligure la rosée
née du sein de l'Aurore*, l'interprète anonyme y substitue
cet être mystérieux que Dieu a engendré de son sein avant
l'étoile du jour % c'est-à-dire le Logos, la lumière divine
qui a précédé le monde et les étoiles. Lorsqu'il s'agit d'Adam
et d'Eve, il se garderait bien de dire, avec le texte, que Dieu
les créa mâle et femelle*; mais ce double caractère, ces
deux moitiés de l'humanité sont réunies dans un seul et
même être, qui est évidemment l'homme prototype ou
VÂdam Kadmon ^ On trouvera aussi dans ce curieux monu-
ment, qui n'intéresse pas moins le philosophe que le théo-
logien, des traces non équivoques de la théorie des nom-
bres et des idées. Par exemple, Dieu n'est pas, dans le sens
ordinaire du mot, le créateur du ciel et de la terre; il les a
seulement rendus visibles, d'invisibles qu'ils étaient ^ « Oui
« a créé toutes ces choses? » demande le prophète hébreu'';
1- HNJp T3?i manha U\S'^ Nïi -nnw "• l&aie, chap. xLii, V. 15.
2- ^mSi ViD "S '\~Xjy2 DnlD- Psaumes, chap. cx,v. 3.
3. 'Ez yaTTiô; -pô Éwaao'pou lycvv/jaa al.
^- Di-IN X-ia napjT 137- Gen., J, v. 27.
5. "Aprsv y.a\ OJiÀu £-o-V,'j:v ;.ûtÔv.
6. O'JTo; ô OeÔ; 6 y.axaoîi'Çaç vr\') yrjv xî'A TZOïVjTa; aÙTTjV aùib; otojp'.iîv aùir/^.
h., chap. xLv, V. 18. 11 faut ajouter à ce passage les deux mots suivants, àooa-
To; -/.al oLY.T.-za.T/.v'jy.i-Q-, qu'on a remarques depuis longtemps dans le deusièmu
verset de la Genèse.
'i- "Sx N12 la- Is., chap. 40, v. 26, t;; /.x-Ar-vJ-i taD'Ta -âvia.
LA KADDALE ET LA DOCTRINE DE PIIILON. 24»
« qui les a rendues visibles? » dit l'interprète alexandrin.
Quand le même prophète nous représente le maître du monde
commandant aux étoiles comme à une nombreuse armée*,
son interprète lui fait dire que Dieu a produit l'univers d'a-
près les nombres ^ Si dans ces divers passages il est facile
de trouver une allusion aux doctrines de Platon et de Pytha-
gore, n'oublions pas que la théorie des nombres est aussi
enseignée, quoique sous une forme grossière, dans le Se-
'pher ieizirah, et que celle des idées est absolument insé-
parable de la métaphysique du Zohar. Nous ajouterons à
cela qu'il y a dans le premier de ces deux monuments une
application du principe pythagoricien littéralement repro-
duite dans les écrits de Philon, que l'on chercherait en
vain dans quelque autre philosophe ayant écrit en grec :
c'est à cause et par l'influence du nombre sept que
nous avons sept organes principaux , qui sont les cinq
sens, l'organe de la voix et celui de la génération ; c'est
par la même raison qu'il y a sept portes de l'àmc, à savoir,
ies doux yeux, les deux oreilles, les deux narines et la bou-
che ".Nous trouvons également dans la version des Septante
une autre tradition kabbalistique dont plus tard le gnosti-
cisme s'est emparé. Quand le texte dit que le Très-Haut
marqua les limites des nations d'après le nombre des
enfants d'Israël, nous lisons dans la traduction d'A-
lexandrie que les peuples furent divisés d'après le nom-
bre des anges du Seigneur *. Or cette interprétation si
arbitraire et si bizarre en apparence devient très intel-
^- DS32f "120)22 N^yiCn- ^^- sîipr. Voir In traduclion de Sacy.
2. '0 lz-j:'piijv xaT ap'.OtAÔv tov z'iajj.ov aCroy.
3. T^; r)ti£Tc'paç i^u/î]; oi/jx toû r,Y£[JLOv./.o'j [Xîpoç érrrr/rj <z-/jX,t-%'., -pb; r.vm
aiaOr|a£'.i; /.a't -6 oo)vr,Tr|piov ooyavov xa\ ItÀ r.à's: To y^V'.ixov, /.. T. X. De Mund.
opific, p. 27, éd. de Paris.
^- Sxiï/"' ^:2 ''Er:')^^ DTy rhlZ, aï^ Dcul.c\\;\\^. XXXII, V. 8. -- k'<jTr,a£v
opta êOvwv ■/.■x-hi àpiOjAÔv à.^^^i\'ù^i Osoj.
250 L\ KABDALE.
ligible par un passage du Zohar, où nous apprenons qu'il
y a sur la terre soixante et dix nations; que chacune
de ces nations est placée sous le pouvoir d'un ange qu'elle
reconnaît pour son Dieu, et qui est, pour ainsi dire, la
personnification de son propre génie. Les enfants d'Israël
ont seuls le privilège de n'avoir au-dessus d'eux que le
Dieu véritable qui les a choisis pour son peuple*. Nous ren-
controns la mémo tradition chez un auteur sacré non moins
ancien que la version des Septante ^ Sans doute, la philo-
sophie grecque, si florissante dans la capitale des Ptoléinécs,
a exercé une grande influence sur cette traduction célèbre,
mais il s'y trouve aussi des idées évidemment puisées à une
autre source, et qui ne peuvent pas même être nées sur le
sol de l'Egypte. En effet, s'il en était autrement, si tous les
éléments que nous venons de signaler comme l'inlerpréla-
tion allégorique des monuments religieux, la personnifica-
tion du Verbe et son identité avec le lieu absolu, étaient le
résultat du mouvement général des esprits à cette époque et
dans le pays dont nous venons de parler, comprendrait-on
comment, depuis les derniers auteurs de la version des Sep-
tante jusqu'à Philon, c'est-à-dire pendant un espace de
deux siècles, il n'en paraît pas la moindre trace dans l'his-
toire de la philosophie grecque ^? Mais voici un autre mo-
nument à peu près contemporain, où nous trouvons le mèrne
esprit sous une forme encore plus précise, et dont l'origine
^ • '{■'im ]Ty y'jiv) Sy ^nai ]:î2S ^"""nw* iirN 'jibx oiSiian D'':'':nn
D1:T xy-lX h'J IU'O-hxD mcS inSo lN''-'2ni>{ -p- Zohar, l" part., fol. 40,
verso.
2. 'EzciTTO} eOvEi 7.'x~i<r:r,'jZi r,voj,u.£vov, xa\ [■'■'/•? v.'j^'-O'j 'Iapa7)A laTi'v. Jes.
Sirac, chap. xvi;, v. 17.
5. Le traducteur de Jésus, flis de Sirah, qui vivait environ cent cinquante
ans avant Jésus-Christ, dans la trente-huitième année du règne d'Evergète H,
nous parle de la version des Septante comme d'une œuvre connue et termi-
née dc[juis longtemps.
LA KABBALE ET LA DOCTRLNE DE PIIILON. 251
hébraïque ne saurait être contestée : c'est le livre de Jésus,
fils de Sirah, vulgairement appelé V Ecclésiastique.
Nous ne connaissons aujourd'hui cet auteur religieux que
par une traduction grecque due à la plume de son petit-fils.
Ce dernier nous apprend lui-même, dans une sorte de pré-
face, qu'il était venu en Egypte (probablement après avoir
quitté la Judée) dans la trente-huitième année du règne
d'Evergète II. Par conséquent, si nous faisons vivre l'écrivain
original cinquante ans auparavant, nous le rencontrerons
à la distance de deux siècles avant l'ère chrétienne. Sans
croire aveuglément au témoignage du traducteur, qui nous
assure que son aïeul avait uniquement puisé à des sources
hébraïques, nous ferons remarquer que Jésus, fils de Sirah,
est souvent cilé avec éloge par le Thalmud, sous le nom de
ben Sirah*. Le texte original existait encore au temps de
saint Jérôme et jusqu'au commencement du iv" siècle ; les
juifs aussi bien que les chrétiens le comptaient au nombre
de leurs écrivains sacrés. Or vous rencontrerez chez cet an-
cien auteur, non seulement la tradition dont nous avons
parlé tout à l'heure, mais la doctrine du Logos ou de la
sagesse divine, à peu de chose près, telle qu'elle est ensei-
gnée parPhilon et les kabbalislcs. D'abord la sagesse est la
même puissance que le Verbe ou le Mêmra des traducteurs
chaldéens; elle est la parole ; elle est sortie de la bouche du
Ti'ès-IIaut (êyoj ànb (jTo^ocToq v^î(jzo'j è^v^XOcv) ^ ; elle ne peut
pas être prise pour une simple abstraction, pour un être
purement logique, car elle se montre au sein de son peuple,
dans l'assemblée du Très-Haut, et fait l'éloge de son âme
(iv p.eo"0) laoû ocùrv^ç y.x-jyrt'je'ixi. ... alviiu "i^^iyr,)) xiiT'/içj''. Celle
assemblée céleste se compose probablement des puissances
qui lui sont subordonnées; car le Thalmud et le Zohar
i. Voyez Zunz, De la Piédicalwn religieuse chez les Juifs, chap. vu.
2. Cliap. XXIV, V. 3 ; trad. de Sacy, même chapitre, v. 7.
ô. Chap. XXIV, V. 1.
252 LA. KABBALE.
emploient fréquemment, pour rendre la même idée, une
expression tout à fait semblable ^ La sagesse, ainsi intro-
duite sur la scène, se représente elle-même comme le pre-
mier-né de Dieu ; car elle a existé dès le commencement,
quand le temps n'était pas encore, et elle ne cessera pas
d'être dans la suite de tous les âges*. Elle a toujours
été avec Dieu ^ ; c'est par elle que le monde a été créé ; elle
a seule formé les sphères célestes et est descendue dans les
profondeurs de l'abîme. Son empire s'étend sur les flots de
l'Océan, sur toutes les régions de la terre, sur tous les peu-
ples et toutes les nations qui l'habitent*. Dieu lui ayant
ordonné de se chercher ici-bas une demeure, son choix s'ar-
rêta sur Sion ". Quand on songe que, dans l'opinion de notre
ciuteur, chacune des autres nations est placée sous le pou-
voir d'un ange ou d'une puissance subalterne, le choix de
Sion pour demeure de la Sagesse ne doit pas être regardé
comme une simple métaphore, mais il signifie, comme le
dit expressément la tradition que nous avons citée, que l'es-
prit de Dieu ou le Logos agit immédiatement et sans inter-
médiaire sur les prophètes d'Israël ^ Comment concevoir
aussi que la sagesse, si elle n'a rien de substantiel, si elle
n'est pas en quelque sorte l'organe et le ministre de Dieu,
ait établi son trône dans une colonne de nuée, probable-
ment la même colonne qui marchait devant le peuple
hébreu dans le désert'? En somme, l'esprit de ce livre,
comme celui de la version des Septante et de la paraphrase
clialdaïque d'Onkelos, consiste à placer entre le souverain
2. Chap. XXIV, V. 9; Sacy, v. '!■. Doi toj aiwvo; à-' àpyîî; ïy.T'.zi ;/£.
3. Chap. I, V. 1.
4. Chap. XXIV, V. 5 et seq.
5. Chap, XXIV, V. 7 et seq.; Sacy, \. II.
G. Chap. XVII, V. 15. ]Mspt; xjf^i'o-j 'laoa/^À Icjtiv.
7. '0 6sovo; ao3 iv OTÔÀtij vîvÉÀr,;.
L.\ KABBALE ET LA DOCTRINE DE PIIILON. 255
Être (6 v'\iL<jrQ;) et ce monde périssable, une puissance mé-
diatrice qui est en même temps éternelle et la première
œuvre de Dieu, qui agit et qui parle à sa place, qui est elle-
même sa parole et sa vertu créatrice. Dès lors, l'abîme est
comblé entre le Uni et l'infini : plus de divorce entre le ciel
et la terre ; Dieu se manifeste par sa parole, et celle-ci par
l'univers. Mais, sans avoir besoin d'être reconnue d'abord
dans les choses visibles, la parole divine arrive quelquefois
directement aux hommes sous la forme d'une inspiration
sainte, ou par le don de la prophétie et de la révélation.
C'est ainsi qu'un peuple a été élevé au-dessus de tous les
autres peuples, et un homme, le législateur des Hébreux,
au-dessus de tous les autres hommes. J'ajouterai que, dans
ce résultat si important pour nous, la théologie est parfai-
tement d'accord avec la critique; car si vous consultez, sur
l'ouvrage qui fixe actuellement notre attention, les traduc-
tions les plus orthodoxes, par exemple celle de Lemaistrc
de Sacy, vous y verrez signalées de nombreuses allusions à
la doctrine du Verbe*. Nous pourrions peut-être en dire au-
tant du livre de la Sagesse, dans lequel on a depuis long-
temps remarqué un passage ainsi traduit par Sacy : « La
« Sagesse est plus active que les choses les plus agis-
« santés — Elle est une vapeur, c'est-à-dire une émanation
« de la vertu de Dieu et l'ellusion toute pure de la clarté du
(<■ Tout-Puissant Elle est l'éclat de la lumière éternelle,
« le miroir sans tache de la majesté de Dieu et l'image de sa
« bonté. N'étant qu'une, elle peut tout; et, toujours im-
« muable en elle-même, elle renouvelle toutes choses, elle
« se répand parmi les nations dans les âmes saintes, et elle
<c forme les amis de Dieu et les prophètes *. » Mais le carac-
tère général de cet ouvrage nous paraît plutôt se rapprocher
1. Voir surtout le 1" et le 24° clin|jilro.
2. Chap. VII, V. 24-27.
254 L\ KABBALE.
de la philosophie platonicienne que du mysticisme de Phi-
Ion. Et comme on n'en connaît encore ni l'âge ni la véri-
table origine \ nous avons cru devoir attendre qu'une cri-
tique plus savante que la nôtre ait résolu ces questions ^ Au
reste, les faits que nous venons de recueillir suffisent à nous
démontrer que la kabbale n'est pas plus le fruit de la civi-
lisation grecque d'Alexandrie que du platonisme pur. En
effet, parlez-vous seulement du principe qui sert de base à
tout le système kabbalistique, à savoir : la personnification
de la Parole et de la Sagesse divine, considérée comme la
cause immanente des êlres? vous le trouverez à une époque
où le génie particulier d'Alexandrie était encore à naître. Et
011 le trouvez-vous? dans une traduction pour ainsi dire
traditionnelle de l'Ecriture et dans un autre monument
d'origine purement hébraïque. S'agit-il des détails et des
idées secondaires, par exemple des différentes applications
de la méthode allégorique ou des conséquences qu'on a pu
tirer du principe métaphysique dont nous venons de parler?
vous apercevrez sans effort une assez grande différence entre
les écrits de Philon et ceux des kabbalistes hébreux
i. Voir dom Calmet, Dissertation S2ir V auteur du livre de la Sagesse, dans
son Commentaire littéral de VAnc. Testam., et Daehme, ouvrage cité, liv. II.
2. Nous croyons cependant que les sources hébraïques étaient familières à
l'auteur, car on trouve chez lui des légendes apocryphes qui n'existent pas
ailleurs que dans les Midraschim de la Palestine. Telle est celle de la manne
prenant toutes les qualités des mets dont on avait le désir; telle est aussi la
croyance que Joseph était devenu roi de l'Egypte, et que pendant les trois jours
de ténèbres les Égyptiens ne pouvaient conserver aucune lumière artificielle.
Sap., chapitre xvi, v. 20-23. Voir dom Calmet, Préface sur le livre de la
Sacjesse.
CHAPITRE IV
r.APPORTS DE LA KABBALE AVEC LE CIIRISTIAKISÎIE
Puisque la kabbale ne doit rien ni à la philosophie, ni
à la Grèce, ni à la capitale des Ptolémées, il faut bien qu'elle
ait son berceau en Asie; que le judaïsme l'ait tirée de son , J/iv'^.^v^-•
sein, par sa seule puissance; ou qu'elle soit sortie de quelque
autre religion née en Orient et assez voisine du judaïsme,
pour exercer sur lui une influence incontestable. Cette reli-
gion ne serait-elle pas le christianisme? Malgré l'extrême
intérêt qu'elle éveille tout d'abord, cette question, déjà
résolue par tout ce qui précède, ne peut pas nous arrêter
longtemps. Il est évident pour nous que tous les grands
principes métaphysiques et religieux servant de base à la
kabbale sont antérieurs aux dogmes chrétiens, avec les-
quels du reste il n'entre ])as dans notre plan de les com-
parer. Mais, quelque sens qu'on attache à ces principes, leur
forme seule nous donne l'explication d'un fait qui nous
paraît offrir un grand intérêt social et religieux : un bon
nombre de kabbalistes se sont convertis au christianisme;
nous citerons entre autres Paul Ricci, Conrad Otlon',
1. Auteur d'un ouvrage intitulé Gali Razia, c'cst-ii-dire les Secrets dévoilés,
Nureinlicrg, 1G05, in-4. Le but de cet ouvrage, entièrement composé de cita-
tions liébraïques traduites en latin et en allemand, est de prouver le dogme
chrétien par différents passages du Thalinud et du Zohar.
256 LA KABDALE.
Piitlangel, le dernier éditeur du Sepher ielziraJi. A une
époque plus rapprochée de nous, vers la fin du dernier siècle,
on a vu un autre kabbaliste, le Polonais Jacob Frank, après
avoir fondé la secte des Zohariles, passer dans le sein du
catholicisme avec plusieurs milliers de ses adhérents'. Jl
y a longtemps que les rabbins ont aperçu ce danger; aussi
quelques-uns d'entre eux se sont-ils montrés très hostiles à
l'étude de la kabbale % tandis que d'autres la défendent
encore aujourd'hui comme l'arche sainte, comme l'entrée
du Saint des Saints, pour en éloigner les profanes. Léon de
Modènc, qui a écrit un livre contre l'authenticité du Zohar'\
est loin de complcr sur le salut de ceux qui ont livré à la
presse les principaux ouvrages kabbalistiques^. D'un autre
côté, les chrétiens qui se sont occupés du même sujet, par
exemple Knorr de Resenroth, Pieuchlin et Rittangel après
sa conversion, y ont vu le moyen le plus efficace de faire
tomber la barrière qui sépare la synagogue de l'Eglise. C'est
dans l'espoir d'amener un jour ce résultat tant désiré qu'ils
ont rassemblé dans leurs ouvrages tous les passages du
Zohar et du Nouveau Testament qui présentent entre eux
quelque affinité. Au lieu de les suivre dans cette voie et de
nous rendre leur écho, nous qui sommes étranger à toute
polémique religieuse, nous aimons mieux rechercher ce qu'il
y a de commun entre la kabbale et les plus anciens organes
du gnosticisme. Ce sera pour nous un moyen de nous assurer
si les principes dont nous voulons connaître à la fois Pin-
fluence et l'origine n'ont pas été répandus en deliors de la
Judée; si leur influence ne s'est pas exercée encore sur
d'autres peuples absolument étrangers à la civilisation
grecque, et, par conséquent, si nous ne sommes pas dès lors
1. Peter Béer, HisL des secles relujieuses chez les Juifs, t. II, p. 309 et seq.
2. Voir .4)7' noheni de Léon de Modène, p. 7, 79 et 80.
3. Ali noliein [\e lion rugissant), publié par Julius Fiirst. Leipzig, 1840.
4. Ib. supy.,Y- 7. ai-iSCn DniK DD^STH TwnS " SinD'' DN TTiTi nSv
LA. KADBALE ET LE CIIRÎSTIANbME. 257
autorisé à regarder la kabbale comme un reste précieux
d'une pbilosopbie religieuse de l'Orient, qui, transportée à
Alexandrie, s'est mêlée à la doctrine de Platon, et, sous le
nom usurpé de Denys l'Aréopagite, a su pénétrer jusque
dans le mysticisme du moyen âge.
D'abord, sans sortir de la Palestine, nous rencontrons,
au temps des apôtres, à Samarie, et probablement dans un
âge déjà avancé, le personnage assez singulier de Simon le
Magicien. Quel était cet homme qui jouissait au milieu de
ses concitoyens* d'un pouvoir incontesté et d'une admiration
sans bornes^? Il pouvait avoir des idées assez basses sur les
motifs qui nous portent à partager avec les autres les dons
les plus sublimes, mais assurément ce n'était pas un impos-
teur, puisqu'il plaçait les apôtres au-dessus de lui et qu'il
voulait obtenir d'eux à prix d'argent le privilège de commu-
niquer l'esprit saint \ J'irai plus loin, je pense que son
autorité eût été vaine si elle n'avait pas eu pour appui une
idée bien connue et depuis longtemps accréditée dans les
esprits. Celte idée, nous la trouvons exprimée très nette-
ment dans le rôle surnaturel qu'on attribuait à Simon. Le
peuple tout entier, disent les Actea, depuis le plus grand
jusqu'au plus petit, le regardait comme une personnifica-
tion de la grande puissance .le Dieu : Hic csl virtm Dei qnx
vocalur magnat Ov saint Jérôme nous apprend que par là
notre prophète samaritain n'entendait pas autre chose que
le verbe de Dieu (sermo Dciy. En cette qualité, il devait
nécessairement réunir en lui tous les autres attributs divins;
1. L'opinion la plus généralement admise, c'est que Simon était de Giltlioï,
bourg samaritain. L'historien Josèplic est le seul qui parle d'un Juif, originaire
^e Ciiypre, qui se faisait passer pour magicien. {Anliqiiit., liv. XX, chap. vu.)
2. Ad. apost., Vilt, v. 10.
5. Ib., V. 18 et 19.
4. Ib., V. 10.
5. Hier., Commcnlar. in Malthœi, chap, xxiv, v. 5, t. VII de ses œuvres,
éd. de Venise.
17
2oS LA ILVBBALE.
car, d'après la métaphysique religieuse des Hébreux, le
Verbe ou la Sagesse renferme implicitement les Sepliirotli
inférieures. Aussi saint Jérôme nous donne-t-il pour au-
thentiques ces paroles que Simon s'applique à lui-même :
« Je suis la parole divine, je possède la vraie beauté, je suis
« le consolateur, je suis le tout-puissant, je suis tout ce qui
ce est en Dieu*. )> Il n'est pas une seule de ces expressions
qui ne réponde îi l'une des Sephiroth de la kabbale, dont
nous retrouvons encore l'influence dans ce fait rapporté par
un autre père de l'Eglise^ : Simon le Magicien, qui se con-
sidérait lui-même comme une manifestation visible du
Yerbe, voulut également personnifier dans une femme
d'assez mauvaise réputation la pensée divine, le principe
féminin corrélatif au Verbe, c'est-à-dire l'épouse de celui-ci.
Or cette bizarre conception, qui n'a aucun fondement ni
dans la philosophie platonicienne, ni dans l'école d'Alexan-
drie, quand même elle aurait existé alors, s'accorde à mer-
veille, tout en le défigurant, avec le système kabbalistique
où la Sagesse, c'est-à-dire le Verbe, représenté comme un
principe mâle, a, comme tous les autres principes du môme
ordre, sa moitié, son épouse; telle est celle des Sephiroth
qui porte le nom d'intelligence (nju)% et que plusieurs gnos-
tiques ont prise pour le Saint-Esprit, en continuant à la
représenter sous l'image d'une femme. De ce nombre est le
Juif Elxaï, qui a plus d'un trait de ressemblance avec le
prophète de Samarie. Son nom même (c'est lui sans doute
qui l'a choisi) est l'expression du rôle qu'il s'est donnée
Non seulement, comme nous venons de le dire, cet héré-
1. « Ego sum sermo Dei, ego sum spcciosus, ego paracletus, ego omnipo-
lens, ego omnia Dei. » Ib. supr.
2, Clément., Rccocjnitiones, liv. II. — Iren., liv. I, chap. xx.
5. Voir la deuxième partie de cet ouvrage, p. 188 et suiv.
^- ^DO hHf peut-être aussi 152 ^51;^, la force mystérieuse. Epiphanc,
19* liércsie.
LA KABBALE ET LE CIIRISTLANISME. 259
siarque conçoit le Saint-Esprit comme un principe féminin,
mais le Clirist n'est à ses yeux qn'nne force divine, prenant
quelquefois une forme matérielle, dont il décrit avec de
minutieux détails les proportions colossales'. Or nous nous
rappelons avoir trouvé dans le Zohar une description
semblable de la Tôle blanche ; et un autre ouvrage très
célèbre parmi les kabbalistes, l'Alphabet pseudonyme de
rabbi Akiba% parle de Dieu à peu près dans les mêmes
termes. A côté de cette manière de concevoir le Verbe,
l'Esprit saint et en général les couples divins dont se com-
pose le Plérôme, nous trouvons aussi dans les souvenirs qui
nous restent du Syrien Bardesancs le principe de la cosmo-
gonie kabbalistique. Le père inconnu qui habite au sein
de la lumière a un fils; c'est le Christ ou l'homme céleste;
à son tour le Christ s'unissant à sa compagne, à son épouse
qui est le Saint-Esprit (zo TTveù^ta), produit successivement
les quatre éléments, l'air et l'eau, le feu et la terre; en
sorte que ces éléments et le monde extérieur en général sont
ici, comme dans le Sepher ietzirah, une simple émanation
ou la voix de l'Esprit".
Mais pourquoi persisterions-nous à glaner péniblement
quelques souvenirs épars dans les Actes des Apôtres ou dans
les Hymnes de saint Ephrem, quand nous pouvons puiser à
pleines mains dans un monument du plus grand prix, nous
1. //'. siipr.
2. nS^pîT 11 nTnlN- ^^^'^' l'* traduction d'un passage de ce livre : « Le
<( corps de la présence divine (nj^3w Su? IDIj) '^ """^ étendue de deux cent
« trcnle-six fois dix mille parasah, à savoir : cent dix-luiil fois dix mille
<( dejiuis les reins jusqu'en bas, et autant depuis les reins jusqu'en haut. Mais
<( ces parasak ne ressemblent pas aux noires. Chaque parasah divine a mille
« fois mille coudées ; chaque coudée divine a quatre zarelh et une palme ;
<( chaque zarcth représente la longueur comprise entre les deux extrémités
<( opposées de l'univers. )> Lettre n, P- ^5j verso, éd. de Cracovie de 1579.
3. Saint Ephrem, bjnme LV, p. 557.
260 LA KABBALE.
voulons parler du Code nazaréen\ celle bible du gnosll-
cisme purement orienlal. On sait que saint Jérôme et saint
Epiphane font remonter la secte des nazaréens jusqu'à la
naissance du christianisme'. Eli bien, telle est la ressem-
blance d'un grand nombre de ses dogmes avec les éléments
les plus essentiels du système kabbalistique, qu'en les lisant
dans l'ouvrage qui vient d'être cité, on croit avoir trouvé
quelques variantes ou quelques fragments égarés du Zohar.
Ainsi Dieu y est toujours appelé le roi et le maître de la
lumière; il est lui-même la splendeur la plus pure, la lu-
mière éternelle et infinie. Il est aussi la beauté, la vie, la
justice et la miséricorde''. De lui émanent toutes les formes
que nous apercevons dans ce monde; il en est le créateur
et l'arlisan ; mais sa propre sagesse et sa propre essence,
personne ne les connaît '^. Toutes les créatures se demandent
entre elles quel est son nom, et se voient forcées de répondre
qu'il n'en a pas. Le roi de la lumière, la lumière infinie
n'ayant pas de nom qu'on puisse invoquer, pas de nature
qu'on puisse connaître, on ne peut arriver jusqu'à elle
qu'avec un cœur pur, une âme droite et une foi pleine d'à-
', mour". La gradation par laquelle la doctrine nazaréenne
1. Codex Nazareus, 3 vol. iii-4, 1815, publié et traduit par Mathieu Nor-
berg.
2. Celte opinion, adoptée par la plupart des théologiens, doit l'emporter sur
celle de Mosheim qui, pour mieux répondre aux objections de Toland contre
l'unité de la foi chrétienne, fait naître la secte des nazaréens au quatrième
siècle. \oir Mosheim, Jndiciœ anliquœ chrislianorum disciplinx , sect, 1,
chap. V.
3. « Rex summus lucis, splendor pia-us, lux magna. >'on est raensura, numé-
ros et terminus ejus splendori, luci et majestati. Tolus est splendor, toîus lux,
tolus pulchritudo, tolus vila, totus juslilia, tolus miscricordia )),etc. Cod. J\az.,
t.I,p. 5.
4. (( Creator omnium formarum, pulchrarumque artifex, retinens vcrô sux'
sapientiîc, suîque oblegens, nec sui manifestus. » Ib., p. 7.
5. (( Crealurœ omnes tui nominis nesciœ. Dicunt reges lucis, se invicem
intcrrogantes : nomcnne sil magnae luci? iidcmque respondentes : nominc
LA KABBALE ET LE CHRISTLV^JISME. 261
descend du souverain être aux dernières limites de la créa-
tion est exactement la môme que dans un passage du Zohar
déjà fréquemment cité dans ce travail : « liCs génies, les rois
« et les créatures célèbrent à l'envi, par des prières et par
« des hymnes, le roi suprême de la lumière dont partent
« cinq rayons d'un éclat merveilleux : le premier, c'est la
« lumière qui éclaire tous les êtres; le second, c'est le
« souffle suave qui les anime; le troisième, c'est la voix
« pleine de douceur avec laquelle ils exhalent leur allégresse ;
a le quatrième, c'est la parole qui les instruit et les élève
« à rendre témoignage de leur foi ; le cinquième, c'est le
« type de toutes les formes sous lesquelles ils se dévelop-
« peut, semblables à des fruits qui mûrissent sous l'action
« du soleil \ » Il est impossible de ne pas reconnaître dans
ces lignes, que nous nous sommes borné à traduire, les
ilifférents degrés de l'existence représentés chez les kabba-
listes par la pensée, le souffle ou l'esprit, la voix et la parole.
Voici, pour exprimer la même idée, d'autres images qui ne
nous sont pas moins familières : avant toute créature était
la vie cachée en elle-même, la vie éternelle et incomprélien-
sible, sans lumière et sans forme (fcrho). De son sein naquit
l'atmosphère lumineuse (ajar zivo, Nin inx) qu'on appelle
aussi la parole, le vêtement (lyjiaSN*. l^S^r) ou le fleuve sym-
bolique qui représente la Sagesse. De ce fleuve sortent les
eaux vives ou les grandes eaux par lesquelles les nazaréens
caret. Quia autem nomine caret, nec fuerit qui illius nomen invocet, nosccndœrjtic
illius natunc insistât, beati pacifici qui te agnoverunt corde puro, nienlionem
tuî fecerunt monte justà, fidem tibi integro atTectu habuerunt. » Cod. Naz., t. I,
p. 11.
1. « Oinnes genii, reges et crealurœ, precationi et hynino insistentes, célé-
brant regem summum lucis, a quo oxcunt quinque rndii magnifici et insignes :
primus, lux quic illis orta : secundus, flalus suavis qui eis adspirat : terlius
dulcedo vocis quà excellant : quartus verbuin oris quod eos erigil et ad confes-
sionem pietalis insliluit : quinliis specics fornitc cujusque, quà adolescunt,
sicutsole fruclus. » Ib. siipr., p. 'J.
262 LA KABBALE.
comme les kabbalistes représentent la troisièms manifesta-
tion tle Dieu, l'intelligence ou l'esprit, qui à son tour pro-
duit une seconde vie, image très éloignée de la première*.
Cette seconde vie, appelée Juschamin (^id ou "j-ia ï/*', le lieu
des formes, des idées), au sein de laquelle a été conçue d'a-
bord ridée de la création dont elle est le type le plus élevé
et le plus pur; la seconde vie en a engendré une troisième,
qu'on appelle ]e père excellent (abatur, ini 2x), le vieillard
inconnu et Vancien du monde [senem siii obtegentem et
(jrandxmtm mnndi)-. Le Père excellent ayant regardé l'abîme,
les ténèbres ou les eaux noires, y laissa son image qui,
sous le nom de Fétahil, est devenue le Démiourgos ou l'ar-
cbitecte de l'univers". Alors commence aussi une intermi-
nable série d'Eons, une hiérarchie infernale et céleste qui
n'a plus aucun intérêt pour nous. Il nous suffit de savoir
que ces trois vies, ces trois degrés qu'on distingue dans le
Plérôme, tiennent ici la même place que les trois visages
kabbalisliques, dont le nom même (farsufo, Nrims) se
retrouve dans la bouche de ces sectaires^; et nous pouvons
nous arrêter avec d'autant plus de confiance à cette inter-
prétation, que nous rencontrons également parmi eux les
dix Sephiroth, partagées, comme dans le Zohar, en trois
attributs suprêmes et sept inférieurs% Quant au singulier
1. (( Anlequam creaturœ omnes existùre, Ferho dominus exislit per qucra
Jordanus exislit. Jordanus dominus vicissime exslitit aqua viva, quaî aqua
inaxima et l^la. Ex aquà vero vivà, nos vita exslitinius. » Ib., t. I, p. 145.
2. Ib., t. II, p. 211.
3. « Surrexit Abatur et, porta aperlà, in aquam nigram prospexit. Fictus
autem extemplo filius, suî imago, in aquà istà nigrà, et Fctahil conforinatus
fuit. î Ib., t. I, p. 508.
4. Ib., t. III, p. I2G, Onomasticon.
5. « Ad portani domùs vitœ tlironus domino splendoris apte positus. Et ibi-
dem tria habitacula. Parique modo septem \i[x procrealœ fuerunt, quœ a Ju-
kabar Zivic (v7 122; 1^ grande splendeur) eaîque clarœ suà specie et splendore
supernè veniente lucentes. » Ib., t. III, p. CI.
LA KABBALE ET LE CHRISTIANISME. 265
accident qui a fait naître le Dcmiourgos et à la génération
(le plus en plus imparfaite des génies subalternes, ils sont
l'expression mythologique de ce principe, d'ailleurs très
nettement formulé dans le Code nazaréen, que les té-
nèbres et le mal ne sont que l'alTaiblissement graduel de
ia lumière divine {caligo iihi exsliterat etiam cxslithse de-
crementiim et detrimentum) \ De là le nom de corps ou
de matière (gèv, VJ, et gof, ï^pa) donné au prince des ténè-
bres*; et ce nom ne diffère pas de celui que porte le même
principe dans le système kabbalislique (ms^Sp, les écorces,
la matière). Les nazaréens reconnaissent aussi deux Adam,
l'un céleste et invisible, l'autre terrestre, qui est le père
de l'humanité. Ce dernier, par son corps, est l'œuvre des
génies subalternes, des esprits stellaires; mais son âme
est une émanation de la vie divine \ Cette âme qui devait
retourner vers son père, dans les régions célestes, a été
retenue dans ce monde, séduite par les puissances malfai-
santes. Alors, le message dont les kabbalisles ont chargé
l'ange Uaziel, nos hérétiques le font remplir par Gabriel, qui
joue d'ailleurs un très grand rôle dans leur croyance; c'est
lui qui, pour les relever de leur chute et leur ouvrir les
voies du retour au sein de leur père, apporta à nos premiers
parents la loi véritable, la parole de vie, propagée mysté-
rieusement par la tradition, jusqu'à ce que saint Jean-
llaptisle, le vrai prophète selon les nazaréens, la promulguât
hautement sur les bords du Jourdain*. Nous pourrions citer
encore d'autres traditions que l'on croirait empruntées aux
Rlidraschim et au Zohar^"; mais il nous suffit d'avoir signalé
i. Ib., 1. 1, p. 145.
2. Ib., III, Onomasticoii.
0. Ib., t. I, p. 190-200. Ib., p. 121 cl 125.
4. T. II, p. 25-56-117.
5. Nous citerons entre autres la manière dont les nazaréens expliquent la
formation du fœtus et la part qu'ils y font ù clr.icua dos deux parents, t. II,
p. 41, du Codex IS'azafcuii.
2Gi LA KABBALE
ce qui a le plus de droits à l'alteiitioii du philosophe.
Si après cela nous allions découvrir les mêmes principes
dans le gnoslicisme égyptien, dans les doctrines de Basilide
et de Valentin, on n'aurait plus le droit d'en faire honneur
à la philosophie grecque, ni même au nouveau platonisme
d'Alexandrie. Et, en effet, dans ce qui nous reste des deux
célèbres hérésiarques que nous venons de nommer, nous
pourrions montrer sans peine les éléments les plus caracté-
ristiques de la kabbale, comme l'unité de substance', la
formation des choses, d'abord par la concentration, ensuite
par l'expansion graduelle de la lumière divine% la théorie
des couples et des quatre mondes", les deux xVdam, les trois
àmes\ et jusqu'au langage symbolique des nombres et des
lettres de l'alphabet ^ Mais nous n'avons rien à gagner à
démontrer celte similitude, car le but que nous nous sommes
proposé dans celte dernière partie de notre travail, nous
croyons l'avoir atteint. Après avoir établi antérieurement
que les idées métaphysiques qui font la base de la kabbale
ne sont pas un emprunt fait cà la philosophie grecque; que,
loin d'être nées soit dans l'école païenne, soit dans l'école
juive d'Alexandrie, elles y ont été importées de la Palestine,
nous avons prouvé en dernier lieu que la Palestine, ou au
moins la Judée proprement dite, n'en est pas encore le ber-
\. « Conlinere omuia palrera omnium et extra pleroma cssc nihil, et id ([iioJ
oxlià et id quod intrà secundùm agnitionem et ignorantiam. » lien., II, 4.
2. Au sommet des choses est le Bythos ou l'inefiable, du sein duquel sortent
par couples tous les Éons qui constituent le Plérôme. Mais toutes ces émana-
tions se perdraient dans l'infini, sans une limite, un vase (ocq:) qui leur donne
de la solidité et de la consistance. Iren., ib. siij)r. — .\candre, Ilisl. gcnel. du
Gnoslicisme, article Valentin.
5. La matière est le monde le plus infime. Immédiatement au-dessus d'elb
sont le Démiourgos et les âmes humaines (Olam ielzirah). Aun degré plus haut,
on rencontre les choses spirituelles, -v:j;j.xt'./.o: (Olam hcriah), et enlin le Plé-
rôme (Aziloulh). Ib. siipr.
i. Voir NéanJre, ouvrage cilé, p. 219.
5. ^'éandre, p. 17G, Doclrinc de Mcrciic.
LA KABBALE ET LE CIlRISTL\NISilE. 2C5
ccau; car, malgré le mystère impénétrable dont elles étaient
entourées chez les docteurs de la synagogue, nous les trou-
vons, sous une forme, il est vrai, moins abstraite et moins
pure, dans la capitale infidèle des Samaritains et chez les
hérétiques de la Syrie. Peu importe qu'ici, enseignées au
peuple comme fondement delà religion, elles aient le carac-
tère des personnifications mythologiques', tandis que là,
devenues le partage des intelligences d'élite, elles constituent
plutôt un vaste et profond système de métaphysique; le fond
de ces idées demeure toujours le môme, rien n'est changé
dans les rapports qui existent entre elles, ni dans les formules
dont elles sont revêtues, ni dans les traditions plus ou moins
bizarres qui les accompagnent. Il nous reste donc encore à
rechercher de quelle partie, de quelle religion de l'Orient
elles ont pu sortir pour pénétrer immédiatement dans le
judaïsme, et de là dans les différents systèmes que nous
avons mentionnés. C'est le dernier pas qu'il nous reste à
faire pour avoir terminé entièrement notre lâche.
1. Déjà l'iotin avait remarqué, avec sa profondeur habiluelle, que le gnosli-
cisme ca général assimilait les choses intelligibles à la nature sensible et maté-
rielle : Naluram inlclli(jihilem in simililudinein dcduciml sensihiUs deferio-
iisqtic nalurœ. 1"' Ennéade, liv. IX, cliap. vi.
CnAPlTRE Y
RAPPORTS DE LA KABBALE AVEC LA BELIGION DES CUALDEEKS
ET DES PERSES
S'il existe quelque part, dans les limites où nous devons
maintenant circonscrire nos recherches, un peuple distin-
gué par sa civilisation aussi bien que par sa puissance poli-
tique, qui ait exercé sur les Hébreux une influence immé-
diate et prolongée, c'est évidemment dans son sein que l'on
pourra découvrir la solution du problème que nous venons
de soulever. Eh bien, ces conditions, nous les trouvons
remplies, même au delà des exigences de la critique, chez
les Chaldéens et les Perses, réunis en une seule nation par
les armes de Cyrus et la religion de Zoroastre. Pourrait-on,
en effet, imaginer dans la vie d'un peuple un événement
plus propre à altérer sa constitution morale, à modifier ses
idées et ses mœurs, que ce mémorable exil appelé la capti-
vité de Babylone? Serait-ce donc impunément pour les uns
et pour les autres que les Israélites, prêtres et laïques, doc-
teurs et gens du peuple, auraient passé soixante et dix ans
dans le pays de leurs vainqueurs? Nous avons déjà cité un
passage du Thabnuil où les pères de la synagogue recon-
naissent formellement que leurs ancêtres ont rapporté de la
terre de l'exil les noms des anges, les noms des mois et
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 2G7
mùma les lettres de l'alphabet. Or il n'est guère permis de
supposer que les noms des mois n'aient pas été accompa-
gnés de certaines connaissances astronomiques*, probable-
ment celles que nous avons rencontrées dans le Scpher
ietzirah, et que les noms des anges aient pu être séparés
de toute la hiérarchie céleste ou infernale adoptée chez les
mages. Aussi n'est-ce pas d'hier qu'on a fait la remarque
que Satan se montre pour la première fois, chez les écri-
vains sacrés, dans l'histoire du Chaldéen Job. Cette riche
et savante mythologie, adoptée par le Thalmud, répandue
dans les Midraschim, forme aussi \a partie poétique et, si
je puis me servir de cette expression, l'enveloppe extérieure
du Zohar. Mais ce n'est })as sur ce fait depuis longtemps
reconnu que nous voulons insister. Laissant les Chaldéens,
dont nous n'avons aucun monument de quelque étendue et
d'une entière certitude, qui d'ailleurs ont été vaincus mora-
lement et matériellement par les Perses avant le retour des
Hébreux dans la Terre-Sainte, nous allons montrer, je ne
dis pas les principes les plus généraux, mais à peu près
tous les éléments de la kabbale, dans le Z end Av esta et les
commentaires religieux qui en dépendent. Nous ferons
remarquer en passant qu'à une époque où l'on est aussi
curieux de toutes les origines, ce vaste et admirable monu-
ment, déjà connu parmi nous depuis plus d'un siècle, n'a
pas encore rendu à la philosophie histori(|ue, la véritable
science de l'esprit humain, tous les services qu'elle est en
droit d'en attendre. Nous n'avons pas la prétention de com-
bler ce vide; mais nous espérons rendre visible la Irans-
1. Je devrais aussi dire astrologiques, car, à partir de cette époque, l'in-
lluence des astres joue un très grand rôle dans les idées religieuses du peuple
juif. Le Tludmud reconnaît des jours heureux et des jours néfastes; et, inênie
encore aujourd'hui, les Israélites, quand ils veulent se témoigner inuluellenient
de l'intérêt, dans quelque grande circonstance de la vie, se souhaitent une
heureuse influence de la part des étoiles (3,112 S'D)-
568 LA KABBALE.
mission des idées entre la Perse et la Judée, comme nous
l'avons déjà fait en partie pour les rapports de la Judée avec
Alexandrie.
D'abord, tous les chronologistes, soit juifs ou chrétiens*,
s'accordent à dire que la première délivrance des Israélites,
retenus captifs enChaldée depuis Nabuchodonosor% a eu lieu
durant les premières années du règne de Cyrus sur Baby-
lone, de 550 à 55(3 ans avant l'ère chrétienne. C'est dans
celle période si limitée que se renferme toutes les diver-
gences d'opinion qui existent entre eux. Or, si nous croyons
aux calculs d'AnquetiI-Duperron% Zoroastre avait déjà com-
mencé sa mission religieuse en 549, c'est-à-dire au moins
quatorze ans avant le premier retour des captifs hébreux
dans leur patrie. Il était alors âgé de quarante ans; l'époque
la plus brillante de sa vie venait de s'ouvrir, et elle se pro-
longe jusqu'en 559. C'est pendant ces dix années que
Zoroastre convertit à sa loi toute la cour et tout le royaume
du roi Gustasp, que l'on croit être Hystaspe, père de Darius.
C'est durant ces dix années que la réputation du nouveau
prophète va effrayer jusqu'aux brahmines de l'Inde, et que
l'un d'entre eux, arrivé chez le roi Gustasp, pour confondre
ce qu'il appelle un imposteur, est obligé de céder, comme
tout ce qui l'entoure, à l'irrésistible puissance de son adver-
saire. Enfin, de 550 à 524, Zoroastre enseigne publique-
ment sa religion dans la capitale de l'enijiire babylonien,
1. Scaliger, Ememlaliotempor., p. 57G. — Alph. Desvignoles, Chronologie,
1. II, p. 582. — Bossuet, Hisi. universelle, t. H. — Scder Olani llaha, chap. xxis,
p. 86. — David Ganz, liv. I, année 5592, et liv. II, 5590. — Zunz, les Vingt-
quatre livres de l'Écriture Saiyite, table chronologique reproduite dans le
•lome XVIII de la Bible de Cahen. — Pour se convaincre de l'accord des chro-
nologistes juifs et chrétiens, il faut seulement remarquer que les premiers ont
fixé l'avènement du Christ à lu date conventionnelle de 57G0 ans depuis la
création.
2. Esdras, I, I.
3. Zend Avesta, t. II, Vie de Zoroastre.
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 26.0
qu'il converlit tout entier, en ratlachanl avec prudence ses
propres doctrines aux traditions déjà existantes ^ Est-il rai-
sonnable de supposer que, témoins d'une telle révolution,
retournant dans le pays de leurs pères au moment où elle
répandait le plus vif éclat, par conséquent quand elle devait
laisser dans leur esprit l'impression la plus forte, les Israé-
lites n'en aient emporté aucune trace, au moins dans leurs
opinions et dans leurs idées les plus secrètes? Cette grande
question de l'origine du mal, que jusque-là le judaïsme
avait laissée dans l'ombre, et qui est pour ainsi dire le centre
et le point de départ de la religion des Perses, ne devait-
elle pas agir puissamment sur l'imagination de ces bommes
de l'Orient, accoutumés à tout expliquer par une interven-
tion divine, et à remonter, pour tous les problèmes pareils,
jusqu'à l'origine des cboses? On ne pourra pas dire qu'é-
crasés sous le poids de leur maJbeur, ils sont restés étran-
gers à ce qui se passait autour d'eux sur celte terre de l'exil ;
l'Ecriture elle-même nous les montre, avec une sorte de
complaisance, élevés dans toutes les sciences, par consé-
quent dans toutes les idées de leurs vainqueurs, admis
ensuite avec eux aux plus liantes dignités de l'empire. Tel
est précisément le caractère de Daniel, de Zorobabel et de
Nébémias', dont les deux derniers jouent un rôle si actif
dans la délivrance de leurs frères. Ce n'est pas tout : outre
les quarante-deux mille personnes qui retournèrent à Jéru-
salem, à la suite de Zorobabel, une seconde émigration,
conduite par Esdras, eut lieu sous le règne d'Arlaxerce Lon-
gue-Main, environ soixanle-dix-sept ans après la première.
Durant cet intervalle, la réforme religieuse de Zoroasire
avait eu le temps de se répandre dans toutes les parties de
l'empire babylonien et de jeter dans les esprits de profoiide^
\. Zend Avcsla, t. II, Vie de Zoroasire, p. 07.
2. Daniel, I, 1. — Esdras, l, 2; H, t. — Joseph, Anliquil., liv. XI,
chap. IV cl V,
270 LA. KABBALE
racines. Enfin, de retour dans leur pays, les Juifs demeu-
rent toujours, jusqu'à la conquête d'Alexandre le Grand,
les sujets des rois de Perse; et môme après cet événement
jusqu'à leur entière dispersion, ils semblent regarder comme
une seconde patrie ces rives de l'Euphrate, autrefois arro-
sées de leurs pleurs, quand leurs regards et leurs pensées
se tournaient vers Jérusalem. Sous l'autorité à la fois civile
et religieuse des chefs de la captivité (xm^j un), s'élève la
synagogue de Bahylone qui concourt avec celle de la Pales-
tine à l'organisation définitive du judaïsme rabbiniquc*.
Sur tous les points du pays qui leur a donné asile, à Sora,
à Pombéditah, à Nehardea, ils fondent des écoles religieuses
non moins florissantes que celles de la métropole. Parmi les
docteurs sortis de leur sein, nous citerons Hillel le Babylo-
nien, mort près de quarante ans avant l'avènement du
Christ, après avoir été le maître de ce Jochanan ben Zacliai, ]
qui joue un si grand rôle dans les histoires kabbalisliqucs
rapportées précédemment. Ajoutons que ces mêmes écoles
ont produit le llialmud de Bahylone, expression dernière et
complète du judaïsme. Bien qu'à l'énumération de ces faits,
on peut déjà prévoir que nulle autre nation n'a exercé sur
les Juifs une action plus intime que les Perses; que nulle
puissance morale n'a du pénétrer dans leur esprit plus for-
tement que le système religieux de Zoroastre avec son long
cortège de traditions et de commentaires. Mais le doute
n'est plus possible aussitôt qu'on abandonne ces rapports
purement extérieurs pour comparer entre elles les idées
qui représentent, chez les deux peuples, les résultats les
plus élevés et les bases mêmes de leurs civilisations respec-
tives. Cependant, afin qu'on ne puisse pas nous soupçonner
à l'avance de fonder sur des ressemblances isolées et pure^
1. Jost, Histoire générale des Israélites, liv. X, chap. xi el xii. — Le même,
Histoire des Israélites depuis les Macchabées, t. iV, liv. XIV tout entier.
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PEB ES. 271
ment fortuites l'origine que nous attribuons à la kabbale,
nous allons, avant de montrer tous les éléments de ce sys-
tème dans le Zend Avesta, signaler en peu de mots et par
quelques exemples l'influence de la religion des Perses sur
le judaïsme en général. Loin d'être une digression, celle
partie de nos recherches ne sera pas la plus faible preuve
de l'opinion que nous voulons soutenir, et je me hâte d'a-
jouter que mon intention n'est pas de [)arler des dogmes
fondamentaux de V Ancien Testament : car, puisque Zoroasire
lui-même en appelle sans cesse à des traditions plus an-
ciennes que lui, il n'est pas nécessaire, il n'est pas même
permis, en bonne critique, de regarder comme des emprunts
faits à sa doctrine les six jours de la création, si faciles à
reconnaître dans les six Gâhanbar\\Q paradis terrestre et
la ruse du démon qui, sous la forme du serpent, vint souf-
fler la révolte dans l'àme de nos premiers parents% le châ-
1. Le mot Cûhanhav désigac à là fois les six époques de la création et les
six fêles destinées à les rappeler à la mémoire des fidèles (M. Burnouf, Com-
mentaire sur le Yaçna, p. 500). Pendant la première de ces époques, Onnuzd -
a créé le ciel; pendant la deuxième il a fait l'eau; pendant la troisième, la
terre; pendant la quatrième, les végétaux; pendant la cinquième, les animaux; -*-'
enfin, à la sixième, est né l'homme. (Anqueiil-Duperron, Zend Avesta, t. 1, /"^!
2° part., p. 84.) Ce système de la création était déjà enseigné avant Zoroastre, ''^
par un autre prophète mède ouchaldéen, appelé Djemschid. (Anquetil-Duperron,
Vie de Zoroasire, p. 07.)
2. Ormuzd apprend lui-même à son serviteur Zoroasire que lui, Ormuzd,
avait donné (ou créé) un lieu de délices et d'abondance, appelé Ecrïené Véedjô.
Ce lieu, plus beau que le monde entier, était semblable au Béhescht (le Paradis
céleste). Puis Ahrimane fit naître, dans le fleuve qui arrosait cet endroit, la
Grande Couleuvre, mère de l'hive;-. {Zend Avesta Vendidad, t. II, p. 264.)
Ailleurs, c'est Ahrimane lui-même qui saute du ciel sur la terre, sous la l'orme
d'une couleuvre. C'est lui encore qui séduit le premier homme, Mescltia, et la
première femme, Mcschiané. « Il courut sur leurs pensées, il renversa leurs
dispositions et leur dit : C'est Ahrimane qui a donné l'eau, la terre, les arbres,
les animaux. Ce fut ainsi qu'au commencement, Ahrimane les trompa, et,
jusqu'à la fin, le cruel n'a cherche qu'à les séduire. » [Zend AvestOf t. III,
p. 551 et 578.)
272 L\ KABBALE.
liment terrible et la croissante déchéance de ces derniers,
obligés, après avoir vécu comme les anges, de se nourrir,
de se couvrir de la dépouille des animaux, d'arracher les
métaux au sein de la terre, et d'inventer tous les arts par
lesquels nous subsistons*; endn, le jugement dernier avec
les terreurs qui l'accompagnent, avec la résurrection des
morts en esprit et en chair*. Toutes ces croyances, on les
trouve, il est vrai, dans le Boun-Dehesch^ et dans le Zend
Avesta, sous une forme non moins explicite que dans la
Genèse; mais, nous le répétons avec une conviction parfaite,
c'est beaucoup plus haut qu'il en faut chercher la source.
Nous ne pouvons pas en dire autant du judaïsme rabbi-
nique, beaucoup plus moderne que la religion de Zoroastre :
ici, comme nous allons nous en assurer, les traces du par-
sisme sont de la dernière évidence, et nous comprendrons
1. « Le dew qui ne dit que le mensonge (Ahrimane), devenu plus haidi, se
présenta une seconde fois, et leur apporta (au premier couple) des fruits,
qu'ils mangèrent, et par là, de cent avantages dont ils jouissaient, il ne leur
en resta qu'un. )) (Ib. supr.) Après cela, nos premiers parents, séduits ime
troisième fois, burent du lait. A la quatrième fois, ils allèrent à la chasse,
mangèrent la viande des animaux qu'ils venaient de tuer, et se firent des habits
de leurs peaux : c'est le Seigneur faisant des tuniques de peau à Adam et à
Eve. Ensuite ils découvrent le fer, se font une hache, avec laquelle ils coupent
des arbres pour se construire une tente; enfin ils s'unissent charnellement, et
leurs enfants héritent de leurs misères, {[b. siipr.)
2. Au jour de la résurrection, l'âme reparaîtra d'abord ; elle reconnaîtra son
corps; tous les hommes se reconnaîtront. Ils seront divisés en deux classes, les
justes etles chtrwands (les méchants). Les justes iront au Gototman (le paradis) ;
les darwands seront de nouveau précipités dans le Douzakh (l'enfer). Pondant
trois jours, les premiers goiiteront, en corps et en âme, les jouissances du
paradis; les autres soulTriront de la même manière les peines de l'enfer. Ensuite
les morts seront purifiés, il n'y aura plus de méchants : « Tous les hommes
seront unis dans une même œuvre. Dans ce temps-là, Ormuzd, ayant achevé
toutes les productions, ne fera plus rien. Les morts ressuscites jouiront du
même repos. » C'est ce qu'on pourrait appeler la septième époque de la
création, ou le sabbat des Parses. {Zend Avesla, t. Il, p. 414.)
5. Après le Zend Avesta, le Boun-Dchcscli est le plus ancien livre religieux
des Parses. {Zend Avesta, t. 111, p. 557.)
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 275
sur-le-champ quel jour peut en rejaillir sur l'origine de la
kabbale, si nous nous rappelons que les plus anciens maîtres
de cette science mystérieuse sont également comptés parmi
les docteurs de la Mischna et les pères les plus vénérés de
la synagogue.
Si, à côté des plus sages maximes sur l'emploi de la vie,
des idées les plus consolantes sur la miséricorde et la jus-
lice divines, on trouve souvent, dans le judaïsme, des traces
de la plus sombre superstition, il faut surtout en chercher
la cause dans l'elfroi qu'il inspire par sa démonologie. Telle
est, en effet, la puissance qu'il abandonne aux esprits mal-
faisants (anu;, mnn) que l'homme, à tous les instants de
son existence, peut se croire entouré de ces ennemis invi-
sibles, non moins acharnés à la perte de son corps qu'à celle
de son àine. Jl n'est pas encore né, que déjà ils l'attendent
près de son berceau, pour le disputer à Dieu et à la tendresse
d'une mère; à peine a-t-il ouvert les yeux sur ce monde,
qu'ils viennent assaillir sa tète de mille périls, et sa pensée
de mille visions impures. Enfin, malheur à lui, s'il ne
résiste pas toujours ! car, avant que la vie ait complètement
abandonné son corps, ils viendront s'emparer de leur proie.
Eh bien, dans toutes les idées de ce genre, il y a une simi-
litude parfaite entre la tradition juive et le Zend Avesta.
D'abord, d'après ce dernier monument, les démons ou les
dews, ces enfants d'Alirimanc et des ténèbres, ne sont pas
moins nombreux que les créatures d'Ormuzd; il y en a
de plus de mille espèces, ils se présentent sous toutes les
formes, ils parcourent la terre en lous sens pour répandre
chez les hommes la maladie et la faiblesse*. « Quel es!,
demande Zoroastre à Ornuizd, quel est le lieu oii sont les
dews mâles, où sont les dews femelles, où les dews courent
en foule de cinquante côtés, de cent, de mille, de dix mille
1. Zend Avesla, t. II, p. 255; l. III, p. 158.
18
274 LA. KABBALE.
côtés, enfin de tous les côtés'?... Anéantissez les dcws qui
affaiblissent les hommes et ceux qui produisent les mala-
dies, qui enlèvent le cœur de l'homme comme le vent em-
porte les nuées ^ » Voici maintenant en quels termes le
Thalmud s'exprime sur le même sujet : « Aba Benjamin a
dit : Aucune créature ne pourrait subsister devant les esprits
malfiiisanls, si l'œil avait la faculté de les voir. Abaï ajoute :
Ils sont plus nombreux que nous et nous entourent comme
on voit un champ entouré d'une clôture. Chacun de nous,
dit notre maître Houna, en a mille à sa gauche et dix mille
à sa droite. Quand nous nous sentons pressés dans une
foule, cela vient de leur présence; quand nos genoux flé-
chissent sous notre corps, eux seuls en sont la cause; quand
il nous semble qu'on a brisé nos membres, c'est encore
à eux qu'il faut attribuer cette souffrance^. » « Les dews,
dit le Zend Âvesta, s'unissent l'un à l'autre et se repro-
duisent à la manière des hommes\ » Mais ils se multiplient
également par nos propres impuretés, par les actes honteux
d'une débauche solitaire et les dérèglements même involon-
taires que provoque durant le sommeil un songe volup-
tueux^ Selon le Thalmud, il y a trois choses par lesquelles
les- démons ressemblent aux anges, et trois autres par les-
quelles ils ressemblent aux hommes : comme les anges, ils
lisent dans l'avenir, portent des ailes et volent, en un instant,
d'une extrémité à l'autre de la terre : mais ils mangent, ils
■1. Yendidad Sade, t. If, du Zend Av., p. 525.
2. Zend. Ac, t. II, p. 115.
5. Traité Beracholh, fol. 6, recto. Un autre doclcur va jusqu'à accuser les
démons d'user par le frottement de leurs mains les vêtements des rabbins,
"inTi -lEinc ibi- ]:2TT ^ing •:.■!• ^^•
4. Zend Av., t. Il, p. 556.
5. Un de-s\- appelé Eschem dit lui-même que, dans ce cas, il conçoit comme
une femme qui a eu commerce avec quelqu'un. Zend .Av., l. II, p. 408, Ven-
■ didad Sade.
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 275
boivent et se reproduisent à la manière des hommes*. De
plus, ils ont tous pour origine les rêves lascifs, qui trou-
blaient les nuits de notre premier père pendant les années
qu'il a passées dans la solitude-, et aujourd'hui encore, chez
ses descendants, la même cause engendre les mêmes effets ^
De là, chez les Juifs comme chez les Parses, certaines for-
mules de prière dont la vertu est de prévenir ce malheur*.
Enfin, ce sont les mêmes fantômes, les mêmes terreurs qui
les assiègent, les uns et les autres, à leurs derniers instants.
A peine l'homme est-il mort, disent les livres zends, que
les démons viennent l'obséder et ^interroger^ Le Daroudj
(le démon) Nésosch arrive, sous la forme d'une mouche, se
place sur le mortel le frappe cruellement*' ; ensuite, lorsque
l'àme séparée du corps arrive près du pont Tchinevad qui
sépare notre monde du monde invisible, elle est jugée par
deux anges dont l'un est Mithra, aux proportions colossales,
aux dix mille yeux, et dont la main est armée d'une massue'.
Les rabbins, en conservant le même fond d'idées, ont su le
rendre plus effrayant encore. « Lorsque l'homme, disent-ils,
au moment de quitter ce monde, vient à ouvrir les yeux,
il aperçoit dans sa maison une lueur extraordinaire et
devant lui l'ange du Seigneur, vêtu de lumière, le corps
tout parsemé d'yeux et tenant à la main une épée flam-
boyante; à cette vue, le mourant est saisi d'un frisson qui
pénèli"e à la fois son esprit et son corps. Son àme fuit
1. Ce passage a été traduit en latin par Buxtorf, dans son Lexicon Tlialinu-
dictim, p. '2359.
2. Ib. fupr.
Ti. Voii- dans le ni"i2n mmS Tii? Iiyp» P- 'lOS» verso, de l'édit. d'Ams-
terdam, un extrait fort curieux de Rabbi Mcna'hem le Babylonien.
4. Zcnd Av., t. H, p. 408. — Kilzour, édit. citée dans la note précédente,
p. 92, verso, et p. 45, reclo.
5. Zcnd Av., t. 11, p. 104.
G. Zend Av., t. 11, p. 516.
7. Zcnd Av., t. II, p. 114, 151. — Ib., t. ill, p. 205, 20G, 211-222.
276 LA KABDALE.
successivement dans tous ses membres, comme un homme
qui voudrait changer de place. Mais voyant qu'il est im-
possible d'échapper, il regarde en face celui qui est là
devant lui, et se met tout entier en sa puissance. Alors,
si c'est un juste, la divine présence se montre à lui, et
aussitôt l'àme s'envole loin du corps'. » A cette première
épreuve en succède une autre, que l'on appelle la question
ou l'épreuve du tombeau (i:pn i2i2in)*. « A peine le mort
est-il enfermé dans le sépulcre, que l'âme vient de nou-
veau s'unir à lui, et, en ouvrant les yeux, il voit à ses
côtés deux anges, venus pour le juger. Chacun d'eux tient
à la main deux verges de feu (d'autres disent des chaînes
de fer), et l'âme et le corps sont jugés en même temps
pour le mal qu'ils ont fait ensemble. Malheur à Thomme
s'il est Irouvé coupable, car personne ne le défendra! Au
premier coup dont on le frappe, tous ses membres sont
disloqués; au second, tous ses ossements sont rompus.
Mais aussitôt son corps est reconstruit et le supplice recom-
mence^ » Ces traditions doivent avoir à nos yeux d'autant
plus de prix qu'elles sont empruntées presque littérale-
ment au Zohar, d'où elles ont passé dans les écrits pure-
ment rabbiniques et dans les recueils populaires. A ces
croyances nous pouvons ajouter une foule d'usages et de
pratiques religieuses, également commandés par le Thal-
mud et par le Zend Avesta. Ainsi le Parse, après avoir,
le matin, quitté son lit, ne peut faire quatre pas avant
1. Zohar, 5' part., sect. x^J» P- '2^> verso, cJ. d'Amsterdam. En prenant
le fond de ce tableau dans le Zohar, nous y avons joint quelques détails
empruntés du Kiizour, p. 20 et 21.
2. D'après les kabbalistes, ces épreuves sont au nombre de sept : 1° la sépa-
ration de l'àme et du corps; 2° la récapilulalion des actes de notre vie; 5° le
moment de la sépulture; 4° l'épreuve ou le jugement du tombeau; 5° le moment
où le mort, encore animé par l'esprit vital ('^1*3^), sent la morsure des vers;
G' les cliàliments de l'enfer; 7° la métempsycose. Zohar, ib. supr.
5. Mêmes passages du Zohar et du Kiizour,
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 277
d'avoir passé aulour de ses reins la ceinture sacrée, appe-
lée Kosti'; sous prétexte que pendant la nuit il a été
souillé par le contact des démons, il ne peut toucher aucune
pnrtie de son corps avant de s'être jusqu'à trois fois baigné
les mains et le visage*. On trouvera chez l'observateur de
la lui rabbin ique les mêmes devoirs appuyés sur la même
raison''; seulement le Kosti est remplacé par un vêtement
d'une autre forme. Le disciple de Zoroastre et le sectateur
du Thalmud se croient également obligés de saluer la lune,
dans son premier quartier, par des prières et des actions
de grâces \ Les pratiques par lesquelles on éloigne d'un
mort ou d'un nouveau-né les démons qui cherchent à s'en
emparer, sont chez tous deux à peu près les mêmes^. L'une
et l'autre, portant, si je puis m'exprimer ainsi, la dévotion
elle-même jusqu'à la profanation, ont des prières et des
devoirs religieux pour tous les instants, pour tous les actes,
pour toutes les situations de la vie physique comme pour
toutes celles de la vie morale*; aussi, quoique la matière
1. Zend Av., t. II, p. 409, Veiididad Sade.
2. Thoni. Ilyde, Reluj. veteriim Persarum, p. 4G5 et 477.
3. Oiach Cliaïm, p. 54. La même chose est recoinmandée par les kabba-
listes. Selon ces derniers, l'àme supérieure nous abandonne durant le sonnneil
et il ne nous reste alors que l'àme vitale, incapable de défendre le corps des
esprits impurs et des émanations de la mort. Zohar, i'" part., sect. 3't?i'i. —
Voir aussi le Thalmud, traité du Sabbat, chap. vni.
4. Zend Av., t. III, p. 513. Cet usage subsiste encore aujourd'hui sous le
nom de Sanciificalion de la lune (nj2.Sn w'ITp)-
5. Chez les l'arses, lorsqu'une femme vient d'accoucher, on entretient dans
sa chambre, pendant trois jours et trois nuits, une lampe ou un feu allumé.
Zend Av., t. IH, p. 565. — Th. Ilyde, ouvrage cité, p. 445. Chez les Juifs le
même usage est observé à la mort d'une personne. Quant aux cérémonies dont
le but est d'éloigner du nouveau-né le démon Lilith, elles sont bien autrement
compliquées. Mais on en trouvera la raison et la description dans le livre de
Raziel.
6. On trouvera dans le recueil de litanies appelées Icschts sadcs, des for-
mules de prières que le Parse est obligé de réciter au moment de se couper les
ongles, avant et après les fonctions naturelles, avant de remplir le devoir
278 LA KABBALE.
ne soit pas encore près de nous faire défaut, est-il temps
que ce parallèle touche à sa fin. Mais la bizarrerie, l'excen-
tricité même des faits que nous venons de recueillir ne
donne que plus de certitude à la conséquence que nous en
tirons; car ce n'est pas assurément dans des croyances et
des pratiques de ce genre que l'ou peut invoquer les lois
générales de l'esprit humain. Nous pensons donc avoir
démontré que la religion, c'est-à-dire la civilisation tout
entière des anciens Perses, a laissé des traces nombreuses
dans toutes les parties du judaïsme : dans sa mythologie
céleste, représentée par les anges ; dans sa mythologie infer-
nale et enfin dans les pratiques du culte extérieur. Croirons-
nous à présent que sa philosophie, c'est-à-dire la kabbale,
ait seule échappé à cette influence? Cette opinion est-elle
probable, quand nous savons que la tradition kabbalistique
s'est développée de la même manière, dans le même temps,
et s'appuie sur les mêmes noms que la loi orale ou la tra-
dition thalmudique? Mais à Dieu ne plaise que dans un sujet
aussi grave nous puissions nous contenter, quelque fondée
qu'elle soit, d'une simple conjecture. Nous allons prendre
un à un tous les éléments essentiels de la kabbale et montrer
leur parfaite ressemblance avec les principes métaphysiques
de la religion de Zoroastre. Cette manière de procéder, si
elle n'est pas la plus savante, devra paraître au moins la
plus impartiale.
1° Le rôle que VEn Soph, l'infini sans nom et sans forme,
remplit dans la kabbale, est donné par la théologie des
mages au temps éternel (Zervane Akéréne), et d'autres
disent à l'espace sans limites '. Or nous ferons remarquer
conjugal. Zi:nd Av., t. 111, p. 117, 120, 121, 125, 124. Des prières semblables
sont ordonnées aux Juifs dans les mêmes circonstances. Voir Joseph Karo,
Schouîchan Aroiich, p. 2, xDjH TV2 nin:~- et le Kilzour, p. 52, ^i^ï i:";y.
d. Anquelil-Duperron, dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions,
t. XXX Vil, p. 58 L
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 279
sur-le-champ que le nom de l'espace ou du lieu absolu
(a*,p^2, makôm) esl devenu chez les Hébreux le nom mémo
de la divinité. De plus, ce premier principe, celle source
unique et suprême de toute existence, n'est qu'un Dieu
abstrait sans action directe sur les èlres, sans commerce
efficace avec le monde, par conséquent sans forme appré-
ciable pour nous : car le bien et le mal, la lumière et les
ténèbres existent également, sont encore confondus dans
son sein *. D'après la secte des zervanites, dont l'opinion
nous a été conservée par un bistorien persan*, le principe
dont nous venons de parler, Zervàne ne serait lui-même,
comme la Couronne chez les kabbalistes, que la première
émanation de la lumière infinie.
2° On reconnaîtra sans effort le Meïmra des traducteurs
chaldéens dans ces mots par lesquels Ormuzd lui-même
définit l'IIonover ou la parole créatrice : « Le pur, le saint,
« le prompt Honover, je vous le dis clairement, ô sage Zo-
« roastre ! était avant le ciel, avant l'eau, avant la terre,
« avant les troupeaux, avant les arbres, avant le feu, fils
« d'Ormuzd, avant l'homme pur, avant les dews, avant tout
« le monde existant, avant tous les biens. » C'est par cette
môme parole qu'Ormuzd a créé le monde, c'est par elle qu'il
iigit et qu'il existe \ Mais elle n'est pas seulement anté-
rieure au monde; quoique donnée de Dieu, comme disent
ies livres zends *, elle est éternelle comme lui ; elle remplit
1. T. II du Zend Av. Vcndklud. — Ib., t. III, traJ. du boun-Dehesch.
Dans ce livre, Ormuzd et Ahriinane sont appelés un seul peuple du temps sans
Jjornes.
2. Sliarislani, ap. Tliom. Ilydc, de Vetcr. Pcrs. nlig., p. 297. « Altéra
magorum secla sunt Zervanihe qui" asscrunt lucem produxisse personas ex
Luce, quœ omncs erant spiriluales, luminosa;, dominales. Sed quod harum
maxima pcrsona, cui nomen Zervan, dubitavit de rc aliquà, ex islà dubilalicncj
•cmersit Salarias. «
5. Zend Av., t. II, p. 158.
4. Mcinoircs de V Académie des Inscriptions, t. XXXVIi, p. 620.
280 LA KACDALE.
le rôle de médiateur entre le temps sans bornes et les exis-
tences qui s'écoulent de son sein. Elle renferme la source
et le modèle de toutes les perfections, avec la puissance de
les réaliser dans les êtres '. Enfin, ce qui achève de lui don-
ner toute ressemblance avec le verbe kabbalistique, c'est
qu'elle a un corps et une âme, c'esL-à-dire qu'elle est à la
fois esprit et parole. Esprit, elle n'est rien moins que l'âme
d'Ormuzd, comme ce dernier le dit lui-même expressément*;
parole ou corps, c'est-à-dire esprit devenu visible, elle est
en môme temps la loi et l'univers ^
5" Nous trouvons dans Ormuzd quelque chose de tout à
fait semblable à ce que le Zohar ap[)elle une 'personne ou
1*1^*^^^ un visage (ï^'.ïid). Il est, en effet, la plus haute personnifica-
' tion de la parole créatrice, de cette parole excellente dont
on a fait son âme. Aussi faut-il chercher en lui plutôt que
dans le principe suprême, dans le temps éternel, la réunion
de tous les attributs que l'on donne ordinairement à Dieu
et qui en sont la manifestation, c'est-à-dire, dans le langage
oriental, la lumière la plus brillante et la plus pure. « Au
« commencement, disent les livres sacrés des Parses, Ormuzd,
« élevé au-dessus de tout, était avec la science souveraine,
« avec la pureté, dans la lumière du monde. Ce trône de
« lumière (nasTr), ce lieu habité par Ormuzd, est ce qu'on
cf appelle la lumière première *. » Il renferme en lui, ainsi
que l'homme céleste des kabbalistes, la vraie science, l'in-
telligence à son plus haut degré, la grandeur, la bonté, la
beauté, l'énergie ou la force, la pureté ou la splendeur; en-
1. Ih. supr. Voici les propres paroles de l'auteur : « L'ilonover, dans l'opi-
nion de Zoroaslre, renferme la source et le modèle de toutes les perfections
des êtres, la puissance de les produire, et il ne s'est manifesté que par une
sorte de prolation de la part du temps sans bornes et de celle d'Ormuzd. »
2. Zend Av., t II, p. 415.
3. Zend Av., t. 111, p. 325 et 593.
4. Zend Av., t. 111, p. 543.
L\ KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 281
fin, c'est lui qui a créé, ou du moins qui a formé et qui
nourrit tous les êtres '.Sans doute, on ne peut rien conclure
de ces qualités elles-mêmes et de leur ressemblance avec
les Sephiroth; mais on ne peut s'empêcher de remarquer
qu'elles sont toutes réunies dans Ormuzd, dont le rôle, par
rapport à l'infini, au temps et à l'espace sans bornes,
est le même que celui d'Adam Kadmon par rapport à
VEn Soph. Et même, si nous en croyons l'historien que
nous avons déjà cité, il y avait chez les Perses une
secte fort nombreuse aux yeux de laquelle Ormuzd, c'était
la volonté divine, manifestée sous une forme humaine et
tout éblouissante de lumière ^ Il est vrai aussi que les livres
zends ne s'expliquent pas sur l'acte par lequel Ormuzd a
produit le monde, sur la manière dont il est sorti lui-même
ainsi que son ennemi du sein de l'Eternel, et enfin sur ce
qui constitue la substance première des choses ^. Mais, Dieu
iine fois comparé à la lumière, la cause efficiente du monde
subordonnée à un principe supérieur, l'univers considéré
comme le corps de la parole invisible, il n'est guère possible
qu'on n'arrive pas à regarder tous les êtres comme des mots
isolés de cette éternelle parole ou comme des rayons épars
de cette lumière infinie. Aussi avons-nous remarqué que le
pnnlhéisme gnoslique se rattache plus ou moins au prin-
cipe fondamental de la théologie des Parses *.
1. Voir Eugène Burnouf, Commentaire sur le Yaçua, chap. i, jusiju'à l.i
page 14G.
2. Celle secte est celle des Zerdusthiens. Voici leur opinion, rapportée par
Sharistani dans la traduction latine de Thom. llvde {de Vet. Pers. reliy.,
p. 298) : « et postquam effluxissent 5000 anni, transmisisse volunlatem suam
in forma lucis fulgentis compositœ in figuram humanam j.
3. Ils disent qu'Onnuzd et Ahrimane ont été donnés de Zervan, le temps
éternel; qu'Ormuzd a donné le ciel, la terre et toutes ses productions. Mais
nulle part le sens de ce mot important n'est clairement déterminé.
4. Cependant il n'est pas sans importance d'observer que dans le Zend
Avcs(a (t. 11, p. 180) Ormuzd est appelé le corps des corps. Ne serait-ce pas
282 LA KABBALE.
4° D'après les croyances kabbalistiques, comme d'après
le système de Platon, tous les êtres de ce monde ont d'abord
existé dans le monde invisible, sous une forme beaucoup
plus parfaite; chacun d'eux a dans la pensée divine son
modèle invariable, qui ne peut se montrer ici-bas qu'à
travers les imperfections de la matière. Cette conception,
où le dogme de la préexistence est confondu avec le principe
de la théorie des idées, nous la trouvons également dans le
Zend Ave^la, sous le nom de feroucr. Yoici comment ce
nom est expliqué par le plus grand orientaliste de nos
jours : ce On sait que, par ferouër, les Parses entendent le
« type divin de chacun des êtres doués d'intelligence, son
« idée dans la pensée d'Ormuzd, le génie supérieur qui
ce l'inspire et veille sur lui. Ce sens est établi tout à la
« fois par la tradition et par les textes ^ » L'interprétation
d'Anquetil-Duperron est parfaitement d'accord avec celle-ci%
et nous ne rapporterons pas tous les passages du Zoid
Avesta qui la confirment. Nous aimons mieux signaler sur
un point particulier de cette doctrine, entre les kabbalistcs
et les disciples de Zoroastre, une coïncidence très remar-
quable. Nous nous rappelons ce magnifique passage du
Zohar oh. les âmes, au moment d'être envoyées sur la terre,
représentent à Dieu combien elles vont souffrir éloignées do
lui ; combien de misères et de souillures les attendent dans
notre monde : eh bien, dans les traditions religieuses des
Parses, les ferouërs font entendre les mômes plaintes, et
Ormuzd leur répond à peu près comme Jéhovah à ces âmes
la substance des substances, le fondement (i"idi) des kabbalistes? Burnout
cite aussi un commentaire pehlvi très ancien, où nous voyons, comme dans le
Sépher ielzii-ah et le Zohar, les deux mondes représentés dans le symbole d'un
charbon embrasé; le monde supérieur, c'est la flamme, et la nature visible, la
matière enflammée. Comment, sur le Yciçna, p. 172.
1. Comment, sur le Yaçna, p. 270.
2. Voir le Précis raisonné du système Ihéologiquc de Zoroastre, Zcnd Av.,
t. Ul, p. 595, et les Mémoires de V Académie des Inscript., t. XXXVII, p. 025.
LA KADBALE ET LA RELIGION DES PERSES.
285
affligées de quitter le ciel. Il leur dit qu'ils sont nés pour la
lutte, pour combattre le mal et le faire disparaître de la
création ; qu'ils ne pourront jouir de l'immortalité et du
ciel que lorsque leur tâche aura été remplie sur la terre \
« Quel avantage ne retirez-vous pas de ce que, dans le
« monde, je vous donnerai d'être dans des corps! Combat-
te tez, faites disparaître les enfants d'Ahrimane; à la fin je
« vous réhabiliterai dans votre ])remier état et vous serez
<■< heureux. A la lin je vous remettrai dans le monde, et
« vous serez immortels, sans vieillesse, sans mal ^ » Un
autre trait qui nous rappelle les idées kabbalistiques, c'est
que les peuples ont leurs ferouërs comme les individus;
c'est ainsi que \eZend Avesta invoque souvent le ferouër de
l'Iran, du pays où la loi de Zoroastre a été reconnue pour
la première fois. Du reste, cette croyance, que nous rencon- ^
Irons également dans les prophéties de Daniel", était pro- ./tx^hY
bablement déjà très répandue chez les Chaldéens avant leur
fusion politique et religieuse avec les Perses.
5° Si la psychologie des kabbalistes a quelque ressem-
blance avec celle de Platon, elle en a encore davantage avec
celle des Parses, telle qu'on la trouve enseignée dans un
recueil de traditions fort anciennes, reproduit en grande
partie par Anquetil-Duperron, dans les Mémoires de l'Aca-
démie des Inscriptions''. Piappelons-nous d'abord que, d'après'
les idées kabbalistiques, il y a dans l'àme humaine trois
puissances parfaitement distinctes l'une de l'autre, et qui
ne demeurent unies que pendant notre vie terrestre : au
degré le plus élevé est l'esprit proprement dit (n^u?:), pure
émanation de l'intelligence divine, destinée à rentrer dans
sa source et que les souillures de la lerre ne peuvent pas
1. Méin. (le VAcud. des Inscript.. t. XWVII, p. OiO.
2. ZcndAv., t. II, p. ,150.
5. Cliap. X, V. 10 et seq.
4. T'jin. XXXVIl,p. (Jilî-GiS.
284 LA KADBALE.
atteindre : au degré le plus bas, immédiatement au-dessus
de la matière, est le principe du mouvement et de la sensa-
tion, l'esprit vital (>:'3j), dont la tâche expire sur les bords
de la tombe; enfin, entre ces deux extrêmes vient se placer
le siège du bien et du mal, le principe libre et responsable,
la personne morale (n i)*. Nous devons ajouter qu'à ces trois
éléments principaux, plusieurs kabbalistes et quelques phi-
losophes d'une grande autorité dans le judaïsme* en ont
ajouté deux autres, dont l'un est le principe vital, séparé du
principe de la sensation, la puissance intermédiaire entre
l'âme et le corps ("Tî) ; l'autre est le type, ou, si l'on veut,
l'idée qui exprime la forme particulière de l'individu (^~''M^
dSï, n^^:'!). Cette forme descend du ciel dans le sein de la
femme au moment de la conception, et s'envole trente jours
avant la mort. Ce qui la remplace durant ce temps-Là n'est
plus qu'une ombre informe. Or telles sont précisément les
distinctions établies dans l'àme humaine par les traditions
théologiques des Parses. Le type individuel sera reconnu
sans peine dans le ferou'ér, qui, après avoir existé pur et
isolé dans le ciel, est obligé, comme nous l'avons vu plus
haut, de se réunir au corps. Le principe vital , nous le
retrouvons d'une manière non moins évidente dans le djaiiy
dont le rôle, dit l'auteur que nous avons pris pour guide,
est de conserver les forces du corps et d'entretenir l'harmo-
nie dans toutes ses parties. Ainsi que la 'Ha'iah des Hébreux,
il ne participe pas au mal dont l'homme se rend coupable;
il n'est qu'une sorte de vapeur légère qui s'élève du cœur
et doit, après la mort, se confondre avec la terre. L'akko
est, au contraire, le principe le plus élevé. Il est au-dessus,
1. Voir la deuxième partie, chap. m, Opinion des kabbalistes sur l'àms
humaine.
2. Moïse Corduero, dans son livre intitulé le Jardin des Grenades
(□"'J'IDI DTIE)- — ■ ^oi'" aussi Rab. Saadiali dans son livre les Croijanca
et les Opinions, sect. VI, chap. ii.
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 285
comme le principe précédeiU est au-dessous du mal. C'est
une sorte de lumière venue du ciel et qui doit y retourner,
quand notre corps sera rendu à la poussière. C'est l'intelli-
gence pure de Platon et des kabbalistes, mais restreinte à
la connaissance de nos devoirs, à la prévision de la vie future
et de la résurrection, en un mot, la conscience morale.
Vient enfin l'âme proprement dite, ou la personne morale,
une malgré la diversité de ses facultés et seule responsable
de nos actions devant la justice divine'. Une autre distinc-
tion beaucoup moins pbilosopliique, mais également admise
par les livres zeiids, c'est celle qui, faisant l'homme à
l'imaiïe de l'univers, reconnaît dans la conscience humaine
deux principes d'action entièrement opposés, deux kerdars^
dont l'un, venu du ciel, nous porte vers le bien; tandis que
l'autre, créé par Ahrimane, nous entraîne à faire le maP.
Ces deux principes, qui cependant n'excluent pas la liberté,
occupent une très grande place dans le Thalmiid et dans la
kabbale, où ils sont devenus le bon et le mauvais désir
(miDnïi rVi^ "lï"") ; peut-être aussi le bon et le mauvais ange.
0° La conception même d'Ahrimane, malgré son carac-
tère purement mythologique, a été conservée dans les doc-
trines de la kabbale ; car les ténèbres et le mal sont person-
nifiés dans Samaël, comme la lumière divine est représentée
dans toute sa plénitude par l'homme céleste. Quant ta l'in-
terprétation métaphysique de ce symbole, à savoir que le
mauvais principe c'est la matière, ou, comme disent les
kabbalistes, l'écorcc, le deinier degré de l'existence, on
1. L'âme proprement dite, ou la personne morale, se compose elle même de
(rois facultés : 1° le principe de la sensation; 2° le Roé ou riiitelligence pro-
prement dite; 3° le Roiian, qui paraît tenir à la fois du jugement et de l'imagi-
nation. Ces trois facultés sont inséparables et ne forment qu'une seule âme. Du
reste, j'avoue que cette parlie de la psychologie des Parses m'a semblé très
obscure dans le mémoire d'Anquelil.
2. Màn. de VAcad. des Insaip., passage cité.
286 LA KABBALE.
pourrait la trouver sans aucune violence dans la secte des
zcrdustiens, qui établissait entre la lumière divine et le
royaume des ténèbres le même rapport qu'entre un corps et
son ombre*. Mais un autre fait encore plus digne de notre
attention, car il n'existe pas ailleurs, c'est qu'on trouve dans
les parties les plus anciennes du code religieux des Parscs
cette opinion kabbalistique que le prince des ténèbres, que
Samaël, perdant la moitié de son nom, deviendra, à la fin
des temps, un ange de lumière et rentrera, avec tout ce qui
élait maudit, dans la grâce divine. « Cet injuste, cet impur,
« dit un passage du Yaçna, ce roi ténébreux qui ne com-
te prend que le mal; à la résurrection, il dira l'Avesta ; exé-
« cutant la loi, il l'établira même dans la demeure des
« damnés (les darwands)". « Le Boun-Dehesch iïioulo qu'on
pourra voir alors, d'un côté Ormuzd et les sept premiers
génies, de l'autre Ahrimane et un pareil nombre d'esprits
infernaux, offrant ensemble un sacrifice à l'Eternel, Zervane
Akéréne". Enfin, à toutes ces idées métaphysiques et reli-
gieuses nous ajouterons un système de géographie assez
étrange que l'on trouve également, avec de légères variantes,
dans le Zohar et dans les livres sacrés des Parses. Selon
le Zend Avesta^ et le Boun-Dehesch\ la terre est divisée en
sept parties (keschvars), arrosées par autant de grands
fleuves, et séparées l'une de l'autre par Veauversée au com-
mencement. Chacune d'elles forme comme un monde à part
et porte des habitants d'une nature différente : les uns sont
noirs, les autres blancs ; ceux-ci ont le corps couvert de
poils à la manière des animaux ; ceux-là se distinguent par
quelque autre conformation plus ou moins bizarre. Enfin.
i. Tliom. llyde, ouvrage cilé, p. 296 et 21)8, cliap. xxii.
2. Zeml Av., t. Il, p. 109.
3. Zend Av., t. III, p. Mb.
4. Zend Av., t. II, p. 170.
5. Zend Av., t. III, p. 563.
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 287
une seule de ces grandes parties de la terre a reçu la loi de
Zoroaslre; les six autres sont abandonnées aux de^vs. Voici
maintenant sur le même sujet l'opinion des kabbalistes.
Nous nous bornerons, en la rapportant, au rôle de traduc-
teur. c( Quand Dieu créa le monde, il étendit au-dessus de nous i ^ ^
« sept cieux, et lorma sous nos pieds un même nombre de 1 '
« terres. Il fit également sept fleuves, et composa la semaine ' "/ ^k/vt^
« de sept jours. Or, comme cbacun de ces cieux a ses con- ' y fU/j
« stellations à part et renferme des anges d'une nature par- ' m ^
« ticulière, il en est de même des terres qui sont en bas.
« Placées les unes au-dessus des autres, elles sont toutes
« habitées, mais par des êtres de diverses natures, comme
« il a été dit pour les cieux. Parmi ces êtres, les uns ont* *
« deux visages, les autres en ont quatre, d'autres n'en ont
« qu'un. Ils ne se ressemblent pas davantage par leur cou-
ce leur : il en est de rouges, de noirs et de blancs. Ceux-ci
« ont des vêtements; ceux-là sont nus comme des vers. Si
« l'on objecte que tous les habitants de ce monde sont éga-
« lement sortis d'Adam, nous demanderons s'il est possible
(c qu'Adam se soit transporté dans toutes ces régions pour
« les peupler de ses enfants? Nous demanderons combien de
« femmes il aurait eues alors? Mais non, Adam n'a existé ' j
« que dans cette partie de la terre qui est la plus élevée et ( ■^-^^'^^
u qu'enveloppe le ciel supérieur\ » La seule différence qui
sépare cette opinion de celle des Parses, c'est qu'au lieu de
regarder les sept parties de la terre comme des divisions
naturelles d'une même surface, elle nous les représente enve-
loppées les unes dans les autres et semblables, dit le texte,
aux pelures d'un oignon (a^Si'! nSi^ "j^Sx b" 'i'''?^).
1. Zuhar, 5° part., p. 9, verso, et 10, recto, de l'édition d'Amsterdam, sect.
Nlp^l- Nous nous faisons un devoir de faire observer que les idées ne se suivent
pas aussi bien dans le texte. Nous avons été obligé d'écarter beaucoup de répéti-
tions et de digressions, non seulement inutiles, mais extrèu»ftujcat fastidieuses
cl beaucoup trop longues à rapporter.
288 L\ KABBALE.
Tels sont, dans toute leur simplicité, sans aucun arran-
gement systémalique, les éléments qui constituent le fond
commun de la kabbale et des idées religieuses nées sous
l'influence du Zend Avesta. Quels qu'en soient le nombre
et l'importance, nous reculerions encore devant la consé-
quence qui résulte de ce parallèle, si nous n'avions égale-
ment trouvé, dans les livres sacrés des Parses, toute la
mythologie céleste et infernale, une partie de la liturgie et
même quelques-uns des dogmes les plus essentiels du
judaïsme. Cependant, à Dieu ne plaise que nous accusions
les kabbalistes de n'avoir été que de serviles imitateurs ;
d'avoir adopté sans examen, ou du moins sans modification,
en se bornant à les couvrir de Tantorité des livres saints,
des idées et des croyances tout à fait étrangères. En thèse
générale, il est sans exemple qu'un peuple, si forte que soit
sur lui l'action d'un autre peuple, en soit venu à abdiquer
sa véritable existence, qui est l'exercice de ses facultés inté-
rieures, pour se contenter d'une vie et, si je puis m'ex-
primer ainsi, d'une âme d'emprunt. Or il est impossible
de considérer la kabbale comme un fait isolé, comme un
accident dans le judaïsme ; elle en est au contraire la vie et
le cœur; car si le Thalmud s'est emparé de tout ce qui con-
cerne la pratique extérieure, l'exécution matérielle de la
loi, elle a gardé pour elle exclusivement le domaine de la
spéculation, les plus redoutables problèmes de la théologie
naturelle et révélée, sachant d'ailleurs exciter la vénéra-
lion du peuple en montrant elle-même, pour ses grossières
croyances, un respect inviolable, et en lui laissant entendre
qu'il n'y avait rien dans sa foi ou dans son culte qui ne
s'appuyât sur un myslère sublime. Elle le pouvait sans user
d'artifice, en portant ta ses dernières conséquences le prin-
cipe de la méthode allégorique. Aussi avons-nous vu à quel
rang elle a été élevée par le Thalmud et quel ascendant
elle a su exercer sur l'imagination populaire. Les sentiments
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 289
qu'elle inspirait aiUrcfois se sont conservés jusque dans les
temps les plus rapprochés de nous; car c'est en s'appuyant
sur des idées kabbalistiques que Sabbataï-Zévy, ce moderne
Earchochébas, avait ébranlé pour un instant tous les Juifs
de l'univers*. Ce sont encore les mêmes idées qui, vers la
fin du xvju" siècle, ont excité la plus vive agitation parmi
les Juifs de la Hongrie et de la Pologne % donnant naissance
à la secte des zobarites, des nouveaux 'hassidim, et con-
duisant des milliers d'Israélites dans le sein du christia-
nisme. A considérer maintenant la kabbale en elle-même,
il est impossible de n'y pas voir un immense progrès sur la
théologie du Zend Àvcsla. Ici, en effet, quoique moins absolu
qu'on ne le pense communément, quoique né en principe
dans une religion qui reconnaît un seul Etre suprême, le
dualisme est la pierre angulaire de l'édifice : Ormuzd et
Ahrimane ont seuls une existence réelle, un caractère divin
et une vraie puissance; tandis que l'Eternel, ce temps sans
bornes dont ils sont sortis l'un et l'autre, est, comme nous
l'avons dit, une pure abstraction. En voulant le décharger
de la responsabilité du mal, on lui a enlevé le gouverne-
ment du monde et par conséquent toute participation au
bien ; on ne lui a laissé qu'un nom avec une ombre d'exis-
tence. Ce n'est pas encore tout : dans le ZendAveUay comme
dans les traditions postérieures qui s'y rattachent, toutes
les idées relatives au monde invisible, tous les grands prin-
cipes de l'intelligence humaine sont encore enveloppés dans
un voile mythologique qui les fait prendre pour des réalités
visibles et des personnes distinctes, faites à l'image de
l'homme. Dans la doctrine des kabbalisles, les choses nous
présentent un tout autre caractère : c'e^t le monothéisme
qui est le fond, la base et le principe de tout; le dualisme
i. Voir Lacroix, Mémoires de l'empire Ottoman, p. 259 el siiiv. — Peter
Béer, ouvr. cit., t. II, j). 'iOOetsiiiv. — Uasmgc, Histoire des Jui/s, liv. IX, etc.
2. Voir Y Appendice de ce volume.
19
290 LA KABBALE.
et toutes les autres distinctions, quelles qu'elles soient, n'exis-
tent plus que dans la forme. Dieu seul, le Dieu unique et
suprême, est à la fois la cause, la substance et l'essence intel-
ligible, la forme idéale de tout ce qui est ; il n'y a d'opposi-
tion, de dualisme qu'entre l'être et le néant, entre la forme
la plus élevée et le degré le plus infime de l'existence. Celle-là,
c'est la lumière; celui-ci représente les ténèbres. Les ténèbres
ne sont donc qu'une négation, et la lumière, comme nous
l'avons plusieurs fois démontré, c'est le principe spirituel,
c'est l'éternelle sagesse, c'est l'intelligence infinie qui crée
tout ce qu'elle conçoit et conçoit ou pense par cela seul
qu'elle existe. Mais s'il en est ainsi; s'il est vrai qu'à une
certaine bauleur l'être et la pensée se confondent, les grandes
conceptions de l'intelligence ne peuvent plus seulement
exister dans l'esprit, elles ne représentent pas de simples
formes dont on fait abstraction à volonté; elles ont une
valeur substantielle et absolue, c'est-à-dire qu'on ne peut
les séparer de l'éternelle substance. Tel est précisément le
caractère des Sephirolb, de l'Homme céleste, du Grand et
du Petit Visage, en un mot de toutes les personnifications
kabbalistiques, bien différentes, comme on voit, des réali-
sations individuelles et mythologiques du Zend Avesta.
Cependant le cadre, le dessin extérieur du Zend Avesta est
resté, mais le fond a complètement changé de nature, et la
kabbale nous offre, par le fait même de sa naissance, un
curieux spectacle, celui d'une mythologie passant à l'état
de métaphysique, sous l'influence môme du sentiment reli-
gieux. Cependant, malgré tant d'étendue et de profondeur,
le système qui a été le fruit de ce mouvement n'est pas
encore une de ces œuvres où la raison humaine fasse un
libre usage de ses droits et de sa force; le mysticisme lui-
même ne s'y produit pas sous sa forme la plus élevée, car
il reste encore enchaîné à une puissance extérieure, celle de
la parole révélée. Sans doute, cette puissance est plus appa-
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 291
rente que réelle; sans doute, l'allégorie a bientôt fait de la
lettre sainte un signe complaisant qui exprime tout ce qu'on
veut, un instrument docile au service de l'esprit et de ses
plus libres inspirations ; mais toujours est-il que ce procédé
même, qu'il soit l'eftet d'un calcul ou d'une illusion sincère,
cet art d'abriter des idées nouvelles sous quelque texte sécu-
laire, est la consécration d'un préjugé fatal à la vraie philo-
sophie. C'est ainsi que la kabbale, quoique née sons l'in-
fluence d'une civilisation étrangère et malgré le panthéisme
qui est au fond de toutes ses doctrines, a cependant un carac-
tère religieux et national. C'est ainsi qu'en se réfugiant sous
l'autorité de la Bible, ensuite de la loi orale, elle a conservé
toutes les apparences d'un système de théologie, et de théo-
logie judaïque. Il restait donc encore, pour la faire entrer
dans l'histoire de la philosophie et de l'humanité, à détruire
ces apparences et à la montrer sous son vrai jour, c'est-à-
dire comme un produit naturel de l'esprit humain. Ce pro-
grès, comme nous l'avons déjà dit, s'est accompli lente-
ment, mais d'une manière d'autant plus sûre, dans la
capitale des Ptolémées. Là, en effet, les traditions hébraïques
franchirent pour la première fois le seuil du sanctuaire et
se répandirent dans le monde, mêlées à beaucoup d'idées
nouvelles, mais sans rien perdre de leur propre substance.
Les dépositaires de ces vieilles traditions, en voulant re-
prendre un bien qu'ils supposaient leur appartenir, accueil-
lirent avec ardeur les plus nobles résullats de la philoso-
phie grecque, les confondant de plus en plus avec leurs
propres croyances. D'un autre côté, les prétendus héritiers
de la civilisation grecque, s'accoutumant peu à peu à ce
mélange, ne songèrent plus qu'à lui donner l'organisation
d'un système oii le raisonnement et l'intuition, la philoso-
phie et la théologie devaient être également représentés.
C'est ainsi que se forma l'école d'Alexandrie, ce résumé
brillant et profond de toutes les idées philosophiques et reli-
-292 LA KABBALE.
gieuses de rantiquité. Ainsi s'explique la ressemblance,
j'oserais presque dire l'idenlité que nous avons trouvée sur
tous les points essentiels, entre le néoplatonisme et la kab-
bale. Mais, une fois entrée par cette voie dans le fond com-
mun de l'esprit humain, la kabbale n'en continua pas moins,
chez les Juifs de la Palestine, à se transmettre exclusivement
par la tradition dans un petit cercle d'élus et à se regarder
comme le secret d'Israël. C'est dans cet état qu'elle a été
introduite en Europe, et qu'elle a toujours été enseignée
jusqu'à la publication du Zohar. Ici commence un nouvel
ordre de recherches, à savoir : Quelle influence la kabbale
a exercée sur la philosophie hermétique et mystique qui a
jeté en Europe un si vif éclat depuis le commencement du
xv^ jusqu'à la fin du xvif siècle, dont Raymond Lulle peut
être regardé comme le premier, et François Mercuricus van
Helmont comme le dernier représentant. Ce sera peut-être
le sujet d'un second ouvrage, qui pourra être regardé comme
le complément de celui-ci. Mais le but que nous nous
sommes proposé relativement au système kabbalistique
proprement dit, nous pensons l'avoir atteint, et il ne nous
reste plus qu'à énoncer, dans une récapitulation rapide, les
résultais que nous croyons avoir obtenus.
1° La kabbale n'est pas une imitation de la philosophie
-platonicienne, car Platon était inconnu dans la Palestine,
où le système kabbalistique a été fondé; ensuite, les deux
doctrines, malgré plusieurs traits de ressemblance dont on
est frappé au premier coup d'oeil, diffèrent totalement l'une
de l'autre sur les points les plus importants.
2° La kabbale n'est pas une imitation de l'école d'Alexan-
drie : d'abord parce qu'elle est antérieure à l'école d'Alexan-
drie; en outre parce que le judaïsme a toujours montré à
l'égard de la civilisation grecque une aversion et une igno-
rance profondes, dans le même instant où il plaçait la kab-
bale au rang d'une révélation divine.
LA KABBALE ET LA RELIGION DES PERSES. 295
5° La kabbale ne peut pas être regardée comme l'œuvre
de Pbilon, bien que les doclrines de ce théologien philo-
sophe renferment un grand nombre d'idées kabbalisliques.
Philon n'aurait pu transmettre ces idées à ses compatriotes
demeurés en Palestine, sans les initier en même temps à la
philosophie grecque. 11 était incapable, par la nature de
son esprit, de fonder une doctrine nouvelle. Déplus, il serait
impossible de trouver, dans les monuments du judaïsme,
les moindres traces de son influence. Enfin, les écrits de
Philon sont plus récents que les principes kabbalisliques
dont on trouve soit l'application, soit la substance, dans la
version des Septante, dans les proverbes de Ben Sirah et
dans le livre de la Sagesse.
4° La kabbale n'est pas un emprunt fait au christianisme,
car tous les grands principes sur lesquels elle s'appuie sont
antérieurs à l'avènement du Christ.
5" Les ressemblances frappantes que nous avons trouvées
entre cette doctrine et les croyances de plusieurs sectes de la
Perse, les rapports nombreux et bizarres qu'elle nous pré-
sente avec le Zend Âvesta, les ti'aces que la religion de Zoro-
astre a laissées dans toutes les parties du judaïsme, et les
relations extérieures qui, depuis la captivité de Babylone,
n'ont pas cessé d'exister entre les Hébreux et leurs anciens
maîtres, nous ont fait conclure que les matériaux de la
kabbale ont été puisés dans la théologie des anciens Perses ;
mais nous croyons avoir démontré en môme temps que cet
emprunt ne détruit pas l'originalité de la kabbale; car, au
dualisme en Dieu et dans la nature, elle a substitué l'unité
absolue de cause et de subslance. Au lieu d'expliquer la
formation des êtres par un acte arbitraire de deux pouvoirs
ennemis, elle nous les représente comme les formes diverses,
comme des manifestations successives et providentielles
de l'intelligence infinie. Enfin, dans son sein, les idées
prennent la place des personnifications réalisées, et la meta-
294 U KABBALE.
physique succède à la mythologie. Nous ajouterons que telle
nous paraît être la loi universelle de l'esprit humain. Point
d'originalité absolue; mais aussi, d'un peuple et d'un siècle
à un autre, point de servile imitation. Quoi que nous puis-
sions faire pour conquérir, dans le domaine des sciences
morales, une indépendance sans limites, la chaîne de la
tradition se montrera toujours dans nos plus hardies décou-
vertes; et, si immobiles que nous paraissions quelquefois
sous l'empire de la tradition et de l'autorité, notre intelli-
gence fait du chemin, nos idées se transforment avec la
puissance môme qui pèse sur elles, et une révolution est
sur le point d'éclater.
APPENDICE
LA SECTE DES NOUVEAUX 'HASSIDIU
La secte, kabbalistique des Zoharites a e'té pre'céde'e par celle des non- n '>*7'>C
veaux 'Hassidim, c'est-à-dire des nouveaux saints, ou des nouveaux
piétistesS fondée en 1740 par un rabbin polonais appelé /sraé/ Baal-
schein, ou Israël le Thaumaturge^, et dont le centre était la ville de
Medziboze, dans la province de Podolie. En peu de temps elle s'étendit,
non seulement dans la Pologne, mais dans toute la Valachie, dans la
Moldavie, en Hongrie, particulièrement dans les environs de la Galicie, et
aujourd'hui encore elle est loin d'être éteinte. Elle a son culte, ses livres,
ses docteurs à part, désignés sous le nom de justes {tsadiklin), et, pre-
nant ses articles de foi pour l'expression complète, pour l'expression
unique de la vérité, telle qu'il est donné à l'homme de la connaître
ici-bas, elle repousse toute autre influence, tout élément de civilisation et
touteculturequi n'est pas sortie de son sein. Elle oppose la plus énergique
1. Les Juils désignent en général sous le nom de 'Hassid (fOn) quiconque se di<;-
tinguc parmi eux par une stricte observance de toutes les lois religieuses, jointe à une
vie ascétique et entièrement vouée à la |iénilcnce; celui qui fait de la piété le but et
l'occupation de toute sa vie.
2. Le nom de Bnalschcm (q^; S^l) signifie littéralement le maitre du nom. U
s'applique à certains kabbalisles pratiques, à qui l'on accorde la vertu d opérer des
miracles et des cures merveilleuses au moyen des diflérents noms de Dieu, au moyeu
d'une sorte de tbéurgic kabbalistique. Voir le texte, 2" partie, cliap. m.
290 LA KABBALE.
résistance aux efforts que fait le gouvernement russe pour civiliser, et
sans doute pour convertir à la religion nationale, les juifs répandus dans
ses imnîenses possessions. Elle a pris pour base de sa doctrine le Zohar,
mais en substituant, pour la multitude, la foi aveugle aux raisonnements
métapbysiques, et en tempérant par une morale semi-épicurienne les
austérités de la vie contemplative. Plus franche que les anciens kabba-
listes, elle a rejeté ouvertement toutes les pratiques extérieures, tout
l'échafaudage des préceptes thalmudiques, incompatibles, à ses yeux,
avec une connaissance plus profonde de la nature divine. Elle ne recon-
naît pas d'autre culte que la prière élevée jusqu'à la contemplation,
jusqu'au ravissement et à l'extase; elle n'admet pas d'autre enseignement,
entre le Zohar, que l'interprétation symbolique des écritures saintes
dans la bouche des justes, c'est-à-dire de ses chefs. En vertu de ce
principe kabbalistique, que le juste est l'expiation de Viinivers, elle
accorde à ses chefs des pouvoirs spirituels d'une nature extraordinaire,
comme celui d'absoudre l'homme de ses péchés, de le délivrer d'un
danger imminent, de le guérir par sa seule prière des maladies les plus
incurables; mais à la condition que celui qui souffre aura foi dans cette
intervention surnaturelle. Du reste, cette intervention n'est pas absolu-
ment indispensable, chacun peut obtenir les mêmes résultats en s'unis-
sant étroitement à Dieu ; car dans cette union mystique est la véritable
science, la véritable puissance et l'accomplissement de tous nos vœux.
A ces idées viennent se mêler de superstitieuses légendes, des habitudes
grossières et des préjuges de toute espèce, fruits de l'ignorance, de la
dégradation civile et d'une misère séculaire.
Un homme de beaucoup d'esprit et de savoir qui, après avoir traversé
les plus étranges vicissitudes, aprèsavoir connu toutes les superstitions et
toutes les misères, s'est reposé finalement dans la philosophie de Kant,
Salomon Maïmon, dans ses mémoires *, nous a laissé quelques détails
assez piquants sur cette secte à laquelle il avait été affilié. Nous croyons
donc bien faire en traduisant ici quelques pages de son livre trop peu connu
et devenu extrêmement rare ; mais auparavant nous regardons comme
un devoir de prévenir nos lecteurs que Salomon Maïmon, à l'exemple de
Kant, dont au reste il n'a guère pris que le scepticisme, est d'une sévérilé
extrême pour toutes les opinions mystiques, et particulièrement pour la
kabbale, sans doute pour faire oublier son exaltation première. Voici
donc en quels termes, après avoir traité avec beaucoup de rigueur les
1. Salomon Maimons Lcbensgeschichle, von iltm selbst gescJiriehcn iind heraus-
gegehcn von K. P. Moritz. 2 voi. in-12. Berlin, 1792. L'cxlrait que nous allons tra-
duire apparlicnt au t. \', cliap. xtx.
APPENDICE. 297.'
kabbalistes pratiques, les thaumaturges, les auteurs de cures merveil-
leuses au moyen des noms divins, il s'exprime sur le compte des kabba-
listes spéculatifs, des fondateurs de la secte des nouveaux 'Hassidim :
(( D'autres, d'un génie supérieur, d'une àme plus noble, se proposaient
un but bien autrement élevé. Persuadés que pour être utiles à la cause
générale et à leur cause particulière, ils avaient besoin d'être investis de
la confiance du peuple, ils voulurent prendre sur lui de l'ascendant, mais
pour l'éclairer. Leur plan était donc tout à la fois politique et moral.
D'abord on peut croire qu'ils voulaient seulement débarrasser l'organisa-
tion morale et religieuse des juifs des abus qui s'y étaient introduits;
mais ces réformes partielles devaient nécessairement faire crouler le
système tout entier.
« Les principaux points sur lesquels portaient leurs attaques étaient
les suivants : 1° La science rabbini(iue, au lieu de simplifier les pré-
ceptes religieux et de les rendre intelligibles pour tous, tend, au contraire,
à les compliquer et à les rendre incertains. 2" Elle a le défaut de
s'attacher exclusivement à l'étude de la loi, au lieu de s'occuper surtout
des moyens de la mettre en pratique. Ainsi, certaines dispositions de cette
loi, entièrement tombées en désuétude, comme celles qui règlent les
sacrifices, les purifications et quelques autres du même genre, sont appro-
fondies avec autant de soin que celles dont l'usage n'a pas cessé. 5° Ils
reprochaient enfin à cette même science de ne tenir compte, dans la
pratique elle-même, que des cérémonies extérieures, et de perdre de vue
leur but moral. Ils s'attaquaient, avec la même rigueur, à la piété mal
entendue de ceux qui se livraient à la pénitence. Les hommes dont nous
parlons s'efforçaient sans doute de pratiquer la vertu ; mais, comme la
raison n'était pas la source de leurs croyances, et que par là même ils
S3 faisaient une fausse idée de Dieu et de ses attributs, ils devaient néces-
sairement méconnaître la vraie vertu et s'en créer une d'après leur
imagination. Aussi, tandis que l'amour de Dieu et le désir de lui ressem-
bler auraient dû les porter à se soustraire à l'esclavage des sens et des
passions, et à se conduire d'après les lois d'une volonté libre guidée par
la raison, ils cherchaient bien plutôt à anéantir leurs sens et leurs passions
en détruisant en même temps leurs forces elles-mêmes, comme je l'ai
démontré ailleurs par quelques exemples déplorables.
« Les réformateurs ou édaireurs demandaient, au contraire, comme
condition indispensable de la vraie vertu, la sérénité de l'àmc et un esprit
disposé à toute espèce d'activité; ils ne se contentaient pas de permettre,
mais ils recommandaient l'usage modéré de toutes les jouissances, afin
de conserver cette sérénité si précieuse. Leur culte divin consistait ù se
298 LA KABDALE.
détacher librement du corps, c'est-à-dire à de'tourner leur pensée de
tout ce qui n'est pas Dieu, sans en excepter leur »ioz individuel, et à
s'unir complètement à Dieu : de là une sorte de négation d'eux-mêmes,
qui leur faisait mettre sur le compte de la divinité toutes les actions
qu'ils commettaient dans cet état.
« Leur culte était donc une espèce de piété spéculative à laquelle ils
n'assignaient ni heure ni formule particulière, laissant chacun s'y livrer
selon le degré de perfection auquel il était parvenu ; cependant ils choi-
sissaient de préférence les heures destinées au service officiel du culte ;
ils s'y appliquaient surtout à ce détachement dont j'ai parlé, c'est-à-dire
qu'ils se plongeaient si avant dans la contemplation de la perfection divine,
que tout le reste disparaissait devant eux ; à les en croire, ils n'avaient
même plus conscience de leur propre corps, qui, assuraient- ils, était
privé dans ces moments-là de toute sensibilité.
« Mais, comme un aussi complet détachement n'est pas chose facile à
obtenir, ils s'efforçaient, au moyen de diverses opérations mécaniques,
telles que le mouvement et les cris, de rentrer dans cet état lorsqu'une
distraction quelconque les en avait tirés, et de s'y maintenir durant
toute la durée des exercices pieux. C'était chose comique de les voir
fréquemment interrompre leurs prières par des exclamations étranges,
par des gestes ridicules adressés à Satan, cet ennemi invincible qui
cherchait malignement à les troubler durant leurs prières, et qu'ils
repoussaient par la menace et l'insulte; maintes fois, fatigués par la
violence de cet exercice, ils tombaient évanouis à la fin de la prière.
« Plusieurs naïfs sectateurs de cette doctrine, interrogés sur ce qui
occupait leur pensée durant ces longs jours où ils se promenaient oisifs,
la pipe à la bouche, répondaient « qu'ils pensaient à Dieu » ! Mais, pour
que cette réponse fût satisfaisante, il eût fallu qu'une étude constante de
la nature les aidât à compléter les notions qu'ils avaient de la perfection
divine; or, comme il n'en était point ainsi, comme leurs connaissances
naturelles étaient au contraire des plus restreintes, cette concentration
de toute leur activité sur un point unique et qui devait leur échapper
sans cesse constituait un état contre nature. En outre, pour pouvoir
attribuer leurs actions à Dieu, il eut fallu que ces actions eussent pour
mobile une connaissance exacte des attributs divins; étaient-elles, au
contraire, le résultat de leur ignorance, il arrivait infailliblement qu'une
foule d'excès étaient mis sur le compte de la divinité ; c'est du reste ce
que les suites ont trop bien prouvé.
« Il est d'ailleurs facile de comprendre comment cette secte se répandit
si promptement, et pourquoi la nouvelle doctrine trouva tant de faveur
APPENDICE. 299
auprès de la majeure partie de la nation : l'amour de l'oisiveté et de la
vie spéculative chez cette foule vouée à l'étude dès sa naissance, la séche-
resse et la stérilité de la science rabbinique, l'ennui des prescriptions
cérémonielles dont la nouvelle doctrine voulait alléger le fardeau, enfin
la satisfaction qu'y trouvaient un penchant naturel k l'exaltation et le
goût du merveilleux, tout explique le fait d'une manière plus que
suffisante.
« Dans l'origine, les rabbins et les dévots de l'ancienne mode cher-
chèrent à s'opposer au développement de cette secte, qui n'en obtint pas
moins le dessus pour les raisons que je viens d'énumérer. L'animosité
devint très vive des deux côtés ; chaque parti chercha k se faire des
adhérents, une scission s'opéra parmi le peuple, et les opinions furent
partagées.
« Je ne pouvais k cette époque me former une idée exacte de cette secte
et ne savais trop qu'en penser, lorsqu'un jeune homme, déjà incorporé
à la société, et qui avait eu le bonheur de parler aux supérieurs face k
face, vint k passer par l'endroit où je demeurais. Je n'eus garde de laisser
échapper une si belle occasion, et demandai k l'étranger quelques ren-
seignements sur l'organisation intérieure de cette secte, sur la manière
dont on y était admis, etc.
« L'étranger, qui n'avait pas encore dépassé le premier degré d'initia-
tion, ne savait rien touchant l'organisation intérieure et ne put rien m'en
apprendre ; mais, quant au mode d'admission, il m'assura que c'était la
chose la plus simple du monde. Quiconque se sentait le dé^ir d'arriver
k la perfection sans savoir comment il pourrait satisfaire k ce vœu ou
comment il se délivrerait des obstacles qui se trouveraient sur sa route,
n'avait qu'à s'adresser aux supérieurs, et, eo ipso, le voilk membre de
cette société. Il n'était pas même nécessaire (comme cela se pratique
avec les médecins) d'entretenir les chefs de ses infirmités morales ni du
genre de vie que l'on avait mené jusqu'alors; car, rien n'étant inconnu
à ces hommes sublimes, le cœur humain se montrait k nu devant eux,
et ils y lisaient jusque dans les plus secrets replis; pour eux, l'avenir
n'avait point de voiles, et la di.stance dans l'espace disparaissait à leurs
yeux comme la distance dans le temps.
« Leurs prédications et leurs leçons morales n'étaient pas méditées et
ordonnées à l'avance d'après un plan régulier; car ce moyen, générale-
ment usité, ne saurait convenir qu'k celui qui se regarde comme existant,
agissant par lui-même et distinct de la divinité; ces supérieurs ne con-
sidéraient au contraire leur enseignement comme divin, ut [)ar conséquent
comme infaillible, que lorsqu'il était le fruit de l'anéantissement d'eux-
500 U KABBALE.
mêmes devant Dieu, c'est-à-dire lorsque la parole leur était inspirée
{ex tempore), selon le besoin des circonstances et sans qu'ils y missent
aucunement du leur.
« Enchanté de cette description, je priai l'étranger de me communi-
quer quelques-unes de ces divines leçons; alors, se frappant le front de
la main, comme s'il eût attendu l'inspiration d'en haut, et agitant sans
relâche ses bras qu'il avait à demi découverts, il se retourna vers moi d'un
air solennel et commença de la sorte :
« Chantez à Dieu un nouveau cantique ; sa louange est dans la réunion
« des saints. (Ps. 149, v. 1.) Voici comment nos supérieurs expliquent
« ce verset : Les attributs de Dieu, être tout parfait, doivent nécessai-
(( rement surpasser de beaucoup les attributs de tout être fini; sa
« louange, comme expression de ces attributs, doit donc également sur-
« passer toute louange donnée aux hommes. Or, jusqu'à présent, quand
« on voulait louer Dieu, on se bornait à lui reconnaître certaines puis-
« sances surnaturelles, comme de découvrir l'inconnu, de prévoir l'avenir,
(( d'agir immédiatement par sa simple volonté, etc. Mais, maintenant
« que les hommes pieux (les supérieurs) sont également capables d'ac-
« complir ces merveilles, et que Dieu n'a aucune prérogative sur eux à
(( cet égard, il faut songer à trouver une louange nouvelle qui ne puisse
« se rapporter qu'à Dieu seul. »
« Tout ravi de cette manière ingénieuse d'interpréter les Saintes
Écritures, je suppliai l'étranger de me citer encore quelques explica-
tions de ce genre, et celui-ci, toujours dans le feu de l'inspiration,
continua en ces termes : Tandis que le musicien jouait, l'esprit de
Dieu descendit sur lui. (II, Li^Te des Rois, m, 15.) « Voici comment ils
(( interprètent ces paroles : Tant que l'homme n'a pas renoncé à son
(( activité personnelle, il est incapable de recevoir l'inspiration de
<( l'Esprit-Saint; il faut pour cela qu'il se considère comme un instru-
(( ment purement passif. Ce passage signifie donc : Quand le musicien
(( (le serviteur de Dieu) devient semblable à l'instrument, alors l'Esprit
« de Dieu descend sur lui*. »
« Et maintenant écoutez encore, poursuivit l'étranger, l'explication
« de ce passage de la Mischna où il est dit : Que l'honneur de ton
« prochain te soit aussi cher que le tien. »
1. Cette interprétation repose sur deux équivoques. Le mot liébreu Tj;; signifie à la
fois un instrument de musique et l'action d'en jouer. Ce mot est précédé du préfixe
3 dont la signification est également double; car on peut le traduire à la fois par
lorsque, tandis que [tandis que le nnisiricn jouait ., et par comme, semblable à
[le musicien devenu semblable à un instrument). (A. Y.)
APPENDICE. 501
« Nos maîtres expliquent ces paroles de la manière suivante : Il est
« certain que personne ne peut trouver de plaisir à se faire honneur
« à soi-même, ce qui serait tout à fait ridicule; mais il est tout aussi
« ridicule d'attacher trop de prix aux témoignages d'honneur qui peu-
« vent nous être rendus par un autre, puisque nous ne saurions réelle-
« ment acquérir par là une valeur supérieure à celle que nous possédons.
« Aussi le vTai sens de ces paroles est-il : u Que l'honneur de ton
{( prochain (c'est-à-dire que ton prochain te rend) te soit aussi indifférent
« que le tien (que celui que tu te rends à toi-même) . »
« Je restai confondu d'admiration devant l'excellence des pensées, et
tout émerveillé de l'ingénieuse exégèse sur laquelle on les appuyait.
« Mon imagination s'exalta vivement à la suite de ces récits, et
devenir memhre de cette vénérahle société fut dès lors mon vœu le
plus ardent; aussi, hien décidé à faire le voyage de M..., où résidait
le chef suprême B..., j'attendis avec impatience la fin de mon servage' ;
dès que le terme en fut arrivé et que j'eus reçu mon payement, je
commençai mon pèlerinage, au lieu de retourner dans mon domicile, qui
n'était éloigné que de deux milles; le voyage ne dura pas moins de
plusieurs semaines.
« Aussitôt arrivé à M..., et à peine reposé de mes fatigues, je n'eus
rien de plus pressé que de me rendre chez le supérieur, croyant que
j'allais immédiatement lui être présenté. Mais on me dit que je ne
pouvais encore être introduit chez lui, que j'eusse à revenir le samedi
suivant, comme les autres étrangers également arrivés pour le voir et
avec lesquels j'étais invité à sa tahle; à cette occasion j'aurais le honheur
de voir le saint homme face à face et d'entendre de sa bouche l'ensei-
gnement le plus sublime, de telle sorte que cette entrevue publique
pourrait être regardée comme une audience particulière, à cause de tout
ce que j'y remarquerais d'individuel et n'ayant trait qu'à moi seul.
(( J'arrivai donc le jour du sabbat à ce festin solennel, et je trouvai
chez mon hôte inconnu un grand nombre d'hommes vénérables, venus
de difl'érentes contrées dans le même dessein que moi. Le grand homme
fit enfin son entrée ; il avait un maintien des plus imposants et portait
un vêtement complet de satin blanc; ses souliers et jusqu'à sa tabatière
étaient de celte couleur, que les kabbalisles regardent comme la couleur
de la grâce. Il gratifia chaque nouvel arrivé d'un salam, c'est-à-dire
qu'il le salua.
(( On se mit à table, et durant tout le temps du repas régna un silence
1. Salomon M;iïmori était alors engage dans une ferme isolée, comme inslilulcur
des enl'anls du fermier.
302 LA KABBALE.
solenneL Le repas terminé, le chef entonna une mélodie sacrée, propre
à élever l'àme, puis il appuya la main sur son front et appela à haute
voix chaque nouvel arrivé par son nom et celui de sa demeure, ce qui
nous causa une extrême surprise. 11 demanda à chacun de nous de lui
réciter un verset tiré de l'Écriture sainte, et lorsqu'on eut satisfait à
sa demande, le supérieur commença un sermon auquel les versets récités
devaient servir de texte ; il savait les lier avec tant d'art que, bien qu'ils
fussent pris sans suite dans divers livTes de l'Écriture sainte, il les pré-
sentait comme s'ils eussent formé un tout homogène ; mais ce qui était
plus étrange encore, c'est que chacun de nous croyait trouver dans la
partie du sermon correspondant à la citation quelque chose de relatif à
ses sentiments intimes. Tout cela nous jeta dans une grande admiration.
« Mais peu de temps suffit pour me faire revenir de ma haute opinion
sur ce chef et sur cette société en général. Je remarquai que leur ingé-
nieuse exégèse était fausse et en outre qu'elle était rétrécie par les prin-
cipes extravagants qui lui servaient de base ; puis, une fois cette exégèse
entendue, adieu toute autre nourriture intellectuelle! — Leurs prétendus
miracles s'expliquaient aussi de la manière la plus simple : les corres-
pondances, les espions, une certaine connaissance du cœur humain aidée
de la physiognomonique, des questions habilement posées de manière à
surprendre les secrets de l'àme, voilà par quels moyens ils se faisaient
décerner, par les gens simples et crédules, leur brevet de prophètes.
« Ce qui contribua beaucoup aussi à me dégoûter de cette société,
ce furent ses allures cyniques et son dévergondage dans la gaieté ; pour
n'en citer qu'un exemple, je dirai qu'un jour, nous étant tous réunis chez
le supérieur à l'heure de la prière, l'un des nôtres arriva un peu plus
tard que de coutume; les autres lui en ayant demandé la cause, il
répondit que c'était parce que sa femme était accouchée d'une fille
pendant la nuit; sur quoi chacun se mit à le féliciter à grand bruit. Le
supérieur survint, s'informa de la cause de tout ce tumulte, et quand il
apprit que P... était devenu père d'une fille, il s'écria avec humeur :
« Une fille ! qu'on lui donne les étrivières ! »
« Le pauvre homme se défendit de son mieux ; il ne comprenait nul-
lement pourquoi une peine lui serait infligée parce que sa femme avait
mis une fille au monde; mais rien n'y fit! On s'empara de lui, on vous
retendit à terre, et ce fut à qui le fustigerait le plus durement. Tous, à
l'exception de la victime, entrèrent en grande gaieté à la suite de celte
exécution, et là-dessus le chef les exhorta à la prière en ces termes :
(( Frères, servez le Seigneur avec joie! »
« Je ne voulus pas séjourner plus longtemps dans cet endroit, et, après
APPENDICE. 503
avoir reçu la bénédiction du supérieur, après avoir pris congé de la
société, je partis avec la résolution de l'abandonner à jamais et je re-
tournai dans mes pénates.
« Cette secte formait, à considérer son but et les moyens mis en
œuvre, une espèce de société secrète qui aurait acquis la domination
de la nation presque entière et opéré sans nul doute une grande révo-
lution, si les extravagances de quelques-uns de ses membres n'avaient
mis à nu bien des côtés faibles et fourni des armes contre elle à ses
adversaires.
« Quelques-uns d'entre eux, qui avaient à cœur de se montrer vrais
cyniques, violaient ouvertement toutes les lois de la décence, couraient
entièrement nus sur des places publiques, etc. Leurs improvisations
(conséquence du principe de l'annihilation) leur faisaient souvent intro-
duire dans leurs sermons les absurdités les plus incompréhensibles et
les plus désordonnées : il y en eut même qui devinrent fous au point de
se figurer qu'effectivement ils n'existaient plus. A cela se joignirent
encore (et ce furent les causes principales qui hâtèrent leur chute) leur
orgueil et leur mépris pour tout ce qui n'était pas de leur secte, mais
surtout pour les rabbins, dont ils se firent des adversaires acharnés et
puissants. »
Chez les anciens 'Hassidim l'étude du Zohar et les croyances kabba-
listiques étaient toujours accompagnées des plus grandes austérités, des
plus cruelles abstinences de la vie ascétique. C'étaient le mépris de la
vie et le principe de la pénitence portés jusqu'à leur dernière exagération.
Le même Salomon Maïmon nous en rapporte un exemple terrible qu'il
a eu sous les yeux pendant son enfance et son séjour en Pologne. On ne
nous saura pas mauvais gré d'ajouter à ce qui précède la traduction de
ce récit.
« Un savant renommé par sa piété, Simon de Lubtsch, avait déjà
accompli la pénitence de Kana, qui consiste à jeûner tous les jours
pendant six ans et à ne rien prendre le soir qui provienne d'un être vivant,
comme la viande, les laitages, le miel, etc. ; il s'était en outre acquitté
de la pénitence dite Golath, c'est-à-dire une pérégrination constante
durant laquelle on ne passe pas deux nuits de suite dans le même endroit,
et il portait habiluellcmcnt un cilicc de crin sur la peau nue; eh bien,
tout cela ne suffisait pas à sa conscience, et pour être en paix avec lui-
même, il se crut obligé à une autre espèce d'épreuve, appelée la péni-
tence au poids*, c'est-à-dire une pénitence particulière et proportionnée
1- SDï?cn nai^rn-
504 LA KABIiALE.
à chaque péclié. Mais, après avoir fait son compte, il resta persuadé que
le nomljre de ses péclie's était trop grand pour qu'il put jamais les expier
de cette façon, et il se mit en tète de se laisser mourir de faim. Après
avoir jei!mé quelque temps, il vint à passer par l'endroit qu'habitait mon
père, et, sans prévenir qui que ce fût de la maison, il s'en alla tout droit
dans la grange, où il tomba sans connaissance. Mon père, étant survenu
par hasard, trouva cet homme, qu'il connaissait depuis longtemps,
étendu par terre à demi mort et tenant à la main un Zohar, le livre
le plus important de la kabbale.
(( Mon père savait à qui il avait affaire et se procura aussitôt une
foule de rafraîchissements; mais toutes ses instances furent vaines, il ne
put rien lui faire accepter ; plusieurs fois il revint à la charge, et tou-
jours il trouva Simon inflexible; ayant à la fm quelque occupation qui
l'appelait dans l'intérieur de la maison, il fut obligé d'abandonner son
hôte pour quelques instants; aussitôt celui-ci, pour se délivrer de toute
importunité, rassembla ses forces et parvint à se traîner hors de la
maison et même hors du village. Quand mon père retourna dans la
grange et la trouva vide, il se mit à courir après lui et le trouva mort
non loin du village. Le fait se répandit parmi les juifs, et Simon fut
regardé comme un saint. '
1, Ourr. cilc, l. I, thap. xvi.
LA SECTE DES ZOIIAUISTES OU ANTITIIALiMUDISTES
Vers l'an 1750, un certain Jacob Frank, né en Pologne en 1712, qui
avait exercé dans sa jeunesse le métier de distillateur, et plu 5 tard avait
séjourné en Crimée et dans d'autres provinces turques adjacentes, revint
de là avec la réputation de kabbaliste. Il s'établit en Podolie et se fit,
parmi les juifs polonais et quelques-uns de leurs rabbins les plus fameux,
un parti considérable, dans lequel entrèrent des communautés entières:
par exemple, celles de Landskron, Biisk, Osiran, et plusieurs autres. Il
répandit parmi eux la doctrine de Sabbathaï-Zévy, non sans y apporter
toutefois les modifications qu'il jugeait convenables, et composa dans ce
but un ouvrage qu'il fit circuler manuscrit parmi ses disciples. On ne
pouvait lui reprocber d'en imposer par des jongleries, comme sespréde'-
cesseurs et comme Bescht-, son rival contemporain; car il agissait uni-
quement par la persuasion et par l'ascendant que lui donnaient des
manières pleines de distinction.
Jaloux de sa réputation, les rabbins persécutèrent Frank et ses par-
tisans avec une violente aniniosité. Un jour que Frank et un grand
nombre de ses sectaires avaient entrepris un pèlerinage à Salonique, où
demeurait alors leur corypliée Bcracbiab, les rabbins les dénoncèrent au
gouvernement polonais; et, sur leurs instances, tous nos pèlerins furent
arrêtés à la frontière et tenus dans une étroite captivité. Les sectaires
curent recours à l'évèquc de Podolie, alors très puissant, et, en effet,
celui-ci leur procura une sauvegarde royale qui leur permit de vivre en
Pologne conformément à leurs principes, d'y fonder une secte distincte
1. Le fragment qu'on va lire est en grande partie Irailiiit d'un liistoricn allemand,
frcquonmiciit cité dans le cours de eut ouvrag(\ l'el(M' Uoer, Histoire des doctrines
cl opinions des sortes religieuses chez les Juifs, t. IF, p. 5U9 et suiv.
2. C'est ainsi qu'un appi-lle i)ar aljrévialion le l'ondatcur de la secte des nouveaux
'Ilassidiin, Israël Iîa:ilsiliein. Voir rap])eiiJi(X' précédent.
20
306 LA KABBALE.
sous le nom de zoharites ou à' antilhahniidistes, parce qu'ils adoptaient
le Zohar ou le système kabbalistique comme le fondement de leur reli-
gion, et rejetaient le Thahniid. Avant que cette décision fût prise, les
deux partis soutinrent, dans les églises de Kamienitz, Podolsky et Lem-
berg, différentes controverses en présence de plusieurs évêques et
officiers de la couronne. En cette circonstance, la nouvelle secte fit
publiquement sa profession de foi, qui consistait dans les propositions
suivantes' :
« 1° Nous croyons à tout ce que Dieu nous a, de temps immémorial,
communiqué par la tradition et la révélation, et nous nous regardons
comme tenus, non seulement à pratiquer ce qui nous est commandé
par sa loi, mais encore à pénétrer plus avant dans le sens de nos doc-
trines, afin d'y découvrir aussi les mystères qui y sont renfermés. Car
Dieu n'a-t-il pas dit à Abraham [Gen., XVII, H) ; « Je suis le Tout-
« Puissant; marche devant moi, et sois sincère » ? N'a-t-il pas dit ailleurs
[Deuléronome, X, 12) : « Et maintenant, Israël, que demande de toi
« l'Éternel, ton Dieu, sinon de craindre l'Éternel, ton Dieu, de marcher
« dans toutes ses voies et de l'aimer; de servir l'Éternel, ton Dieu, de
« tout ton cœur et de toute ton âme; c'est-à-dire de garder les com-
« mandements de l'Éternel et les statuts que je t'impose aujourd'hui pour
(( ton bien »? Tout cela prouve qu'il faut être fidèle à Dieu et à ses
préceptes, et s'appliquer à comprendre clairement le sens de la loi; il
faut en outre le respect du Seigneur : « La crainte de Dieu est le com-
« mencement de la sagesse. » {Prov., III, 10.)
« Cependant l'amour et la crainte de Dieu ne sont point suffisants :
il faut aussi que l'homme reconnaisse la grandeur de Dieu dans ses
œuvres. C'est d'après ce principe que David, sur son lit de mort, disait
à son fils Salomon [Chroniques, I, 28, 9) : « Reconnais le Dieu de
« ton père et sers-le » . La-dessus le Zohar demande : « Pourquoi lui
« a-t-il recommandé d'abord de connaître Dieu, et seulement ensuite de
« le servir? C'est qu'un culte divin qui n'a pas été précédé de la con-
« naissance de Dieu n'a aucune valeur. » Il faut que ce culte soit fondé
sur la sagesse et la vérité. « La sagesse », dit le Nouveau Zohar, au
nom de Simon ben Jocliaï, « la sagesse qui est nécessaire à l'homme
« consiste à réfléchir sur les secrets du Seigneur, et tout homme qui
« abandonne ce monde sans avoir acquis cette connaissance sera repoussé
1. Celte profession de foi, rcdig^ée en polonais et en hébreu rabbinique, a clé publiée
simultanément dans ces deux langues, à I.cmbcrg. Comme elle paraissait trop longue
à rapporter tout enlière, on s'est contenté d'en donner des extraits qui siil'liront à en
faire connaître rc5i>rit.
APPE>'DICE. 307
« de toutes les portes du paradis, quel que soit le nombre des bonnes
« œuvres dont il pourra d'ailleurs être accompagné. »
« Nous lisons dans le même livre : « Celui qui ne sait pas honorer
« le nom de son Dieu, il vaudrait mieux pour lui qu'il n'eût pas été
« créé; car Dieu n'a mis l'homme en ce monde que pour qu'il s'efforce
« d'approfondir les mystères renfermés dans son divin nom. » A propos
de ces paroles de David (Ps. 145, 18) : « Dieu est près de ceux qui l'in-
« voquent avec sincérité », le Zohar demande : « Est-il donc possible
« de ne pas invoquer Dieu sincèrement? » Et il répond : « Oui. Car
« celui qui invoque Dieu et ne comprend pas quel est celui qu'il invoque,
« celui-là est dans l'erreur. Par là il est démontré que c'est un devoir
« pour tout homme de croire en Dieu et à sa révélation, d'étudier ses
« lois, de le reconnaître, lui, ses lois et ses jugements, et d'approfondir
« les mystères de la Thora. Celui qui croit de cette manière accomplit la
« volonté et l'ordre de Dieu, et celui-là seul mérite réellement le nom
« d'Israélite. »
« 2" Nous croyons que Moïse, les prophètes et tous nos maîtres qui
les ont précédés s'expriment souvent dans leurs écrits d'une manière
figurée, et qu'un sens mystérieux se cache sous leurs paroles. Ces écrits
sont semblables à une femme voilée qui n'expose pas sa beauté à tous les
yeux, mais qui exige de ses adorateurs qu'ils se donnent quelque peine
pour soulever le voile qui la couvre. C'est ainsi que le voile du symbole
enveloppe ces paroles, et toute la sagesse humaine ne parviendrait pas
à le soulever, sans l'assistance d'une grâce céleste. En d'autres termes, il
est parlé dans la Thora de choses qui ne doivent nullement être prises à
la lettre; mais il faut invoquer l'esprit de Dieu, afin qu'il nous aide à
découvrir le fruit renfermé sous l'écorce. »
« Nous croyons donc qu'il ne suffit pas de lire les prophètes et d'en
comprendre le sens littéral, mais qu'une assistance divine est nécessaire
pour pénétrer le sens réel d'une foule de passages. C'est pourquoi David
s'écrie (Ps. 119, 18) : « Ouvre-moi les yeux, ô Seigneur, afin que je
« contemple les merveilles de ta loi ». Si David eût pu tout comprendre
à l'aide de l'enseignement ou de ses propres recherches, de quel besoin
lui aurait été le secours divin? Mais il l'invoquait, ce secours, afin de
pouvoir approfonchr les mystères renfermés dans la loi. « Malheur, dit
« le Zohar, malheur à l'homme qui ne voit dans la loi que de simples
« récits et des paroles ordinaires! Car, si réellement elle ne renfermait
« que cela, nous pourrions, même aujourd'hui, composer aussi une loi
1. Voir la 2* |)arlie du présent ouvrage, cliap. u.
508 LA KACD.VL".
« bien plus cligne d'admiration. Pour ne trouver que de simples paroles,
« nous n'aurions qu'à nous adresser aux législateurs de la terre chez
« lesquels on rencontre souvent plus de grandeur. Il nous suffirait de les
« imiter et de faire une loi d'après leurs paroles et à leur exemple. Mais
« il n'en est pas ainsi; chaque mot de la loi renferme un sens élevé et
« un mystère sublime.... »
« Les récits de la loi sont le vêtement de la loi. Malheur à celui qui
prend ce vêtement pour la loi elle-même! C'est dans ce sens que David
a dit : a Mon Dieu, ouvre-moi les yeux, afin que je contemple les mer-
« veilles de ta loi » .
« Il est incontestable que sous la lettre de la loi sont renfermés de
grands mystères que tout vrai fidèle doit s'efforcer d'approfondir. A
ce propos le Zoliar dit encore : « La loi ressemble a une belle femme
« aimée qui se cache dans un endroit secret, et ne laisse voir que son
« portrait. Si son ami déploie une grande persévérance, s'il se donne
« des peines infitiaables {)our arriver jusqu'à elle et lui témoigner de
« cette manière son respect et sa tendresse, elle lui ouvrira ses portes
« et lui permettra un libre accès auprès d'elle. »
« 0" ^ous croyons que, de toutes les explications de la loi, celle que
donne le Zohar est la meilleure et la seule véritable, et que les rabbins,
au contraire, lui donnent dans le Thalmud un grand nombre défausses
interprétations qui sont en contradiction manifeste avec les attributs
divins et la charité enseignée par la loi.
(( 4" Nous croyons qu'il n'y a qu'un seul Dieu qui n'a pas eu de com-
mencement et n'aura pas de fin ; qui seul a créé les mondes et tout
ce qu'ils renferment, aussi bien ce que nous connaissons que ce qui
nous est inconnu. C'est pourquoi l'Ecriture dit (Deutéronome, VI, 4) :
« Écoute, Israël, l'Éternel notre Dieu est un Dieu unique )). On trouve
aussi dans les Psaianes : « Tu es grand, ô Seigneur ! Toi seul accomplis
« des merveilles ». C'est-à-dire non comme les rois de la terre, qui ne
peuvent rien accomplir sans le secours d'aulrui; Dieu a créé seul le ciel
et la terre, sans aucune autre participation, et, seule, sa Providence veille
sur tout.
« o" Nous crovons que, bien qu'il n'y ait qu'un seul Dieu, il se com-
pose néanmoins de trois personnes (D'S*i'"l2j, parfaitement égales l'une
à l'autre, parfaitement indivisibles, et qui, à cause de cela, ne font
qu'un. La loi mosaïque, aussi bien que les prophètes, nous enseigne
cette vérité. Le Zohar dit : (( La loi commence par la lettre 2 » (beth);
cette lettre se compose de deux lignes horizontales réunies à une verti-
cale: ce qui fait allusion aux trois natures divines réunies en une seule.
APPENDICE. 509
La croyance en celte trinité divine est fonde'e sur les saintes Écritures, et
confirmée par d'innombrables passages. Nous ne voulons en citer ici que
quelques-uns : par exemple, Moïse dit {Gen., 1, 2) : « L'esprit (ni"!) des
« Dieux (d'hSn) (au pluriel) flottait sur les eaux ». S'il n'y avait qu'une
seule personne divine, Moïse aurait dit : « L'esprit de Jéhovah ou du
« Seigneur flottait », etc.; mais il voulait dès le principe établir la
trinité en Dieu. Plus loin {Gen., 1, 26), Dieu dit : « Faisons l'bomme selon
<( notre image et notre ressemblance ». Le Zohar conmiente ainsi ces
paroles : « 11 y en a deux et encore un, ce qui fuit trois, et ces trois ne
« font qu'un* ». Ailleurs il est dit {Gen., 111,22) : « Les Dieux, Jéliovali,
(( dirent : Voici l'bomme qui devient semblable à l'un de nous ». S'il
n'y avait pas trois personnes, il y aurait seulement : « Jébovali dit », etc.
Pourquoi les Dieuxl Mais c'est une preuve de la trinité divine. Quand il
est dit (Ge/i., XI, 15) : « Jéliovah descendit pour voir la ville et la tour »,
voici en quels termes il s'exprime : « Descendons et mettons la confu-
« sion dans leur langue », etc. A qui Jéliovah s'adressait-il? Ce ne pou-
vait pas être à ses anges, qui sont ses serviteurs, et auxquels il aurait
commandé sans employer avec eux la forme de la prière. Mais Dieu
parlait ainsi aux personnes divines qui sont ses égales en dignité. « Trois
« anges apparurent à Abraham [Gen., XVlll, 2, 5); il courut au-devant
« d'eux et dit : Seigneur », etc. 11 en voyait donc trois et ne s'adressait
qu'a l'un d'eux, parce que ces trois ne font qu'un. Moïse dit {Exode,
XII, 7) : « Us prendront du sang de cet agneau et en mettront sur les
(( deux poteaux et sur le linteau de la porte ». Pourquoi, demande le
Zohar, pourquoi ce sang doit-il précisément être mis sur trois places?
« C'est pour que la croyance parfaite en son saint nom éclate sur les
« trois places. » Ceci fait encore allusion a la trinité divine. « Quel est le
« peuple si grand, dit Moïse {Deutéronome, IV, 7), qui ait les Dieux
« (Eloliim) aussi près de lui «pie nous? » S'il n'y avait point plusieurs
personnes divines, il faudrait ici El (Dieu), et non point Eloliim, les
Dieux.
« Jéhovah, est-il dit {Gen., XIX, 24), fit pleuvoir sur Sodome et
Gomorrhe une pluie qui venait de Jéhovah. » Preuve nouvelle de plu-
sieurs personnes divines. Dieu dit à Moïse : « Monte vers l'Hterncl »
{Exode, XXIV, 1). Ici il y aurait simplement : « Monte vers moi », s'il
n'existait plusieurs personnes en Dieu. Sur le passage suivant : « Écoute,
Israël, l'Kternel notre Dieu est un » {Deuléron., VI, i), voici le commen-
\. Ces paroles du Zoliar ne ?c rapporicnl p.is à la trinilc divine, mais à la (rinilé
humaine et à certains cas de métempsycose. (.\. F.)
510 LA KADBAL"
taire du Zohar : « Trois font un » ("iijiN Tn T\'lT\). Il est dit (Er., III,G) :
{( Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ». Le nom de
Dieu, répété devant celui de cliacun des patriarches, fait allusion à la
Trinité divine. Josué disait (XXIV, 19) : « Vous ne pouvez pas servir
Jéhovah, car il est les Dieux Saints » (dl'Tip OTibN')-
(( D'une part il y a Jéhovah, de l'autre les Dieux Saints, ce qui
prouve la Trinité réunie en Dieu. )>
(( 6° Nous croyons que Dieu apparaît incarné sur la terre, et alors il
boit, il mange et accomplit d'autres actions humaines; mais il est dégagé
de tout péché. La preuve en est dans ce que dit Moïse [Gen., YI, 3) :
(( Quoiqu'il soit chair ». Le Zohar donne de ces paroles l'exphcation
suivante : « Dieu devient chair, pour se tourner vers le corps; ce qui
veut dire qu'au moment de la création, Dieu s'incarna dans Adam, et
lorsque ce dernier eut péché, Dieu se retira de lui et en demeura éloigné
jusqu'à ce qu'il s'incarnât de nouveau dans ce même corps. « A propos
des quatre éléments, le feu, l'eau, l'air et la terre, le Zohar dit : « Dieu
se revêtit de ces éléments et il eut un corps ». Ne lisons-nous pas dans
Moïse {Ex., XX, 115, 19) : « Le peuple vit la voix », etc.? Pourquoi
n'y a-t-il pas que la voix fut entendue? Mais Dieu se montra cette fois
aux Israélites sous une forme bumaine afin de les instruire qu'un jour,
à l'époque du Messie, il apparaîtrait de nouveau sous la même forme.
Dieu dit par l'organe de Moïse : « Je marcherai au milieu de vous »
(Lév., XXVI, 12). Le livTe Jalhut, 'CTp7% explique ainsi ces paroles :
« Ceci nous rappelle un monarque qui se promène dans son jardin et
devant qui le jardinier confus cherche à se cacher. Afin de le rassurer,
le roi s'adresse à lui et lui dit avec douceur : « Que crains-tu, mon fils?
« Vois, je suis un homme comme toi, et je marche à tes côtés. » C'est ainsi
que Dieu revêtit une forme humaine afin d'instruire humainement les
hommes. C'est aussi pourquoi le prophète s'écrie {Isaïe, XXX, 20) :
« Tes yeux verront ton maître ». Quand Dieu dit [Deul., XXXII, 40) :
« J'élève ma main vers le ciel », il ne pouvait, puisqu'il remplit tout de
sa présence, prononcer ces paroles qu'en tant qu'homme et marchant
sur la terre. Que signifient ces paroles du prophète Amos : « Dieu a
établi son faisceau sur la terre », sinon que par ce faisceau il entend la
réunion des trois personnes divines tandis qu'il habitait la terre? Nous
trouvons dans Salomon ces paroles {Cantiq, V, 1) : « J'entrai dans mon
jardin, etc., et je mangeai de mon miel ». Comment, demande le Zohar,
comment peut-on dire de Dieu, dont il est question durant tout le cours
de ce cbant, qu'il a bu et qu'il a mangé? Mais ceci ressemble à un ami
qui en visite un antre, et fait pour lui plaire mainte chose qu'il n'a pas
APPENDICE. 311
coutume de faire; par exemple il mange sans avoir faim et boit sans
avoir soif. Ainsi fait Dieu quand il apparaît aux hommes, puisqu'alors il
descend à toutes les occupations et à toutes les actions humaines.
« 7° Nous croyons que Jérusalem ne doit jamais être rebâtie. Car il
est dit dans l'Écriture [David, IX, 27) : « Le peuple d'un puissant
monarque détruira la ville et le sanctuaire. La destruction sera complète
comme par un déluge. » Le prophète Jérémie dit aussi (IV, 6) : « Les
péchés de la ville de mon peuple (Jérusalem) sont bien plus grands que
les péchés de Sodome, qui a été détruite de fond en comble » . Si l'on
ne doit plus rebâtir Sodome, bien moins encore Jérusalem sera-t-elle
reconstruite, puisque le prophète dit expressément que les péchés de
Jérusalem surpassent ceux de Sodome.
« 8° Nous croyons que les Juifs attendent en vain le Messie mortel
qui, d'après leur croyance, doit les délivrer, les élever au-dessus de
toutes les nations, et leur apporter richesses et grandeurs. Mais Dieu lui-
même apparaîtra sous une enveloppe humaine et rachètera les hommes
de la perdition qu'ils ont encourue par la faute de leurs ancêtres ; cepen-
dant il ne rachètera pas seulement les Juifs, mais tous ceux qui auront
foi en lui, tandis que les incrédules seront tous plongés dans les abîmes
de l'enfer. »
A cette profession de foi rédigée pour le public se mêlèrent une orga-
nisation et des croyances secrètes. Aussi la secte des zoharites, même
après avoir embrassé le christianisme, a-t-elle conservé son cachet parti-
culier, la discipline à la fois militaire et monacale, et probablement ses
anciens dogmes. Le but de son fondateur, autant qu'on en peut juger
par sa conduite extérieure et par les lettres qu'il adressait à ses anciens
frères pour les engager à recevoir le baptême, paraît avoir été de con-
duire les juifs à travers le christianisme à un mysticisme particulier,
fondé sur la doctrine du Zohar et sur l'ancienne idée de la suprématie
du peuple juif. C'est surtout le principe de la foi que Frank cherchait à
accréditer parmi les siens et parmi les juifs en général; c'est grâce h ce
principe et par son seul concours qu'il prétendait leur révéler des vérités
inconnues jusqu'à lui. Dans ce cas, le christianisme n'eût été à ses yeux
qu'une simple préparation à la doctrine nouvelle, absolument ce que le
judaïsme est aux yeux des chrétiens. Telle paraît avoir été aussi l'opinion
de Sabbathaï-Zévy, par rapport à toutes les religions actuellement exis-
tantes, tant la musulmane que la chrétienne. 11 pensait que, l'homme
n'étant jamais entièrement abandonné de Dieu, il y a dans tous les
grands cultes de la terre quelque chose de saint et de vrai, et que la
tâche du véritable Israélite, c'est-à-dire de celui qui a pris pour base de
512 LA KABDALE.
sa foi la kabbale et le Zoliar, était d'attirer à lui les éléments de sainteté
répandus dans les autres religions, afin de les leur rendre ensuite enno-
blis et purifiés par ses propres croyances. C'est sans doute en vertu de
ce principe qu'il adopta lui-même l'islamisme, comme Frank, à son
exemple, adopta la religion catholique, et qu'il attira sur ses pas un
nombre considérable de ses partisans. On ne saurait mieux caractériser
cette manière de voir qu'en l'appelant une sorte d'éclectisme religieux :
et, en effet, ne trouve-t-on pas quelque chose de semblable, je ne dis pas
seulement dans le néoplatonisme, mais dans les écoles religieuses et phi-
losophiques d'Alexandrie? Le caractère commun de ces différentes écoles,
n'est-ce pas d'avoir voulu embrasser dans une même conviction, sinon
dans un même système, le christianisme et les éléments les plus
saints de la pliilosophie païenne, la mythologie grecque transformée
par l'interprétation symbolique et la plupart des anciennes religions de
l'Orient?
fI.N
TABLE DES MATIÈRES
Avant- PROPOS de la deuxième éiiition
Préface i
Introduction 27
PREMIÈRE PARTIE
Chapitre I. Antiquité de la kabbale 39
Chapitre II. Des livres kabbaiistiques. — Authenticité du Sepher ietiirah. 55
Chapitre III. Authenticité du Zohar . <• . 65
DELXIÈME PARTIE
Chapitre I. De la doctrine contenue dans les livres kabbaiistiques. —
Analyse du Sepher ietzirah 105
Chapitre II. Analyse du Zohar. — Méthode allégorique des kabbalistes. 120
Chapitre III. Suite de l'analyse du Zohar. — Opinion des kabbalistes sur
la nature de Dieu 125
Chapitre IV. Suite de l'analyse du Zohar. — Opinion des kabbalistes sur
le monde 159
Chapitre V. Suite de l'analyse du Zohar. — Opinion des kabbalistes sur
l'àme humaine 171
TROISIÈME PARTC
Chapitre I. Quels sont les systèmes qui offrent quelque ressemblance avec
la kabbale. — Rapports de la kabbale avec la philosophie de Platon. . 195
514 TABLE DES MATIERES.
Chapitke II. Rapports de la kabbale avec l'école d'Alexandrie 202
Chapitre LU. Rapports de la kabbale avec la doctrine de Pliilon. . . . 220
Chapitre IV. Rapports de la kabbale avec le christianisme 255
Chapitre V. Rapports de la kabbale avec la religion des Chaldéens et des
Perses 2GG
APPENDICE
I. La secte kabbalistique des nouveaux 'has.si'Iim 295
II. La secte des zoJiarislcs ou anlilliabnudisics »... 505
Conlommiers. — Typ. Pall BRODARD.
LA KABBALE
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
X
OCCULTISmE
Traité méthodique de Science Occulte. Lettre- Préface d'An.
Franck, de l'Institut. 1 vol. gr. in-S" de xxv-1050 pages avec 10
traités techniques, 2 dictionnaires et 1 glossaire, 400 gravures et
taiîleaux et 2 planches phototypiques hors texte (1891) 16. »
Le Tarot des Bohémiens, le plus ancien livre du monde. — Elude
historique et critique sur la clef de la Science Occulte (à l'usage
des initiés). 1 vol. grand in-S» de 372 pages, avec 6 planches phototy-
piques et 200 figures et tahleaux 9 . »
Traité élémentaire de Science Occulte. 1 vol. iii-18, 4^^ édition. (Épuisé)
L'Occultisme Contemporain. I11-I8 (Épuisr)
Fabre d'Olivet et Saint- Yves d'Alveydre. In-80 0.75
L'Occultisme (petit résumé), ln-16 0.20
KABBALE
Le Sepher Jésirah, i^^ traduction française. — Les 32 Voies de la
Sagesse ; les 50 Portes de l'Intelligence (Épuisé)
La Science Secrète (en collaboration) 3. 50
ALCHIIYIIE
La Pierre Philosophale, preuves de son existence. In-18 avec
planche phototypique 1 • »
THÉOSOPHIE
Les Sept Principes de l'Homme au point de vue scientifique.
In-8° avec figures (Épuisé)
SPIRITISME
Considérations sur les Phénomènes du Spiritisme. —
Rapports de l'Hypnotisme et du Spiritisme. — Réglus pratiques pour
la formation des médiums. In-80 avec 4 planches 1 . "
Le Spiritisme (petit résumé) 0 20
La Fraude et la Médiumnité, en collaboration avec L. Le.merle,
ingénieur, ancien élève de l'Ecole Polytechnique. (Sous presse.)
MAGIE
La Chiromancie (résumé synthétique). In-S» avec 23 figures 1 . "
Traité élémentaire de Magie pratique. (En préparation.)
DIVERS
Essai de Physiologie Synthétique (Gérard-Encausse-Papus) appli-
cation de la Science Occulte à nos Sciences expérimentales. 1 vol.
in-80 avec 35 schémas inédits 4 . »
Direction de la revue mensuelle l'Initiation (4^ année) et du journal
hebdomadaire le Voile d'Isis (2e annéej.
F-A.FXJS
LA
KABBALE
(TRADITION SECRÈTE DE L'OCCIDENT)
RÉSUMÉ MÉTHODIQUE
Quoi que nous puissions faire pour
conquérir, dans le domaine des scicncos
morales, une indépendance sans limites,
la chaîne de la Iradition se montrera
toujours dans nos plus hardies décou-
vertes.
Ad. FiiANCK.
OITVHAGE PRÉCÉDÉ D'UNE LETTRE d'Ad. FRANCK, DE L'IXSTITUT
ET ORNÉ DE 20 FIGURES ET TABLEAUX ET DE 2 PLANCHES HORS TEXTE.
PARIS
58, RUE SAINT-ANDRÉ-DES-AUTS, 58
1892
Paris, le 23 octobre 1891.
LETTRE
DE M. ADOLPHE FRANCK A L'AUTEUR
Moi
NSIEUIi
J'accepte avec le plus grand plaisir la dédicace que vous
voulez bien m'offrir de votre ouvrage sur la Kabbale, qui
7i'est pas un essai, comme il vous plaU de T appeler, mais
un livre de la plus grande importance.
Je nai pu encore que le parcourir rapidement ; mais je
le connais assez pour vous dire que c'est, à mon avis., la
publication la plus curieuse, la plus instructive, la plus
savante qui ait paru jusqu'à ce jour sur cet obscur sujet.
Je ne trouve à y reprendre que les termes beaucoup trop
flatteurs de la lettre à mon adresse dont vous la faites
précéder.
. Avec une rare modestie, vous ne me demandez mon
opinion que sur le travail bibliographique par lequel se
termine votre étude.
Je n'oserais pas vous affirmer qu'il n'y manque abso-
lument ?'ie?i ; car le cadre de la Science Kabbalistique peut
varier à l'infini; mais un travail bibliographique aussi
complet que le vôtre., je ne l'ai rencontré nulle part.
Veuillez agréer, Monsieur., avec mes félicitations et
mes remerciements, l'assurance de mes sentiments dévoués.
Ad. FRANCK.
TABLE MÉTHODIOUE
DES
MATIÈRES
Lettre de M. Ad. Franck.
DÉDICACE.
Première partie.
Les divisions de la Kabbale.
Chapitre premier. — La Tradition hébraïque et la classifi-
calion des ouvrages qui s'y rapportent 7
§ 2. — La Mashore 11
§ 3, — La Mischna 12
§ 4. — La Kabbale 13
Deuxième partie.
Les enseignements de la Kabbale.
Chapitre I". — Exposé préliminaire, division du sujet 29
Chapitre IL — L'alphabet hébraïque 33
Chapitre IIL — Les noms divins 43
Chapitre IV. — Les Sephiroth 61
Chapitre V. — La philosophie de la Kabbale 83
Chapitre VI. — L'dine d'après la Kabbale 106
Chapitre VIL — Les textes {Scpher Jesirah. — Les 32 'Voies de la
Sagesse. — Les 50 Portes de l'intelligence 119
TABLE MÉTHODIQUE DES MATIÈRES
Troisième partie.
Bibliographie résumée de la Kabbale.
Chapitre premier. — Introduction à la bibliographie.
§ 1 . — Préface 141
§ 2. — Principales bibliographies kabbalistiques 142
§ 3. — Nos sources 146
CuAPn-RK II. — Classification par idiomes.
§ 1. — Ouvrages en langue française 149
§2.— — latine lo3
§3. — — allemande 160
§ 4, — Principaux traités en langue hébraïque 161
§ 5. — Ouvrages en langue anglaise 164
§6. — — espagnole... 165
Chapitre III. — Classification par ordre des matières.
§ I . — Traités concernant la Mischna. 167
§2.— — le Targum 167
§3.— — le Talmud 168
§ 4. — — la Kabbale en général 168
§5.— — les Sephiroth ... 172
§ G. — — le Sepher Jesirah 173
§ 7. — — la Kabbale pratique 174
Appendice.
PÉRIODIQUES.
Langue française 1 '7S
— allemande 176
— anglaise l'i'6
— espagnole 1~6
— italienne 1^6
— hollandaise l'76
Table alphabétique des auteurs cités dans la bibliographie 177
Table alphabétique des ouvrages cités dans la bibliographie 181
A Monsieur ADOLPHE FliAXC h\
Membre de l' Institut
Professeur honoraire au Collège de France
Président de la Ligne nationale contre l'Athéisme.
Mo\ riiKii Mmiue,
Voulez- vous me pennettre de vous dédier le modeste essai
que je publie aujourd'hui sur cette question de la Kabbale, si
importante à élucider pour le philosophe?
Vous avez été le premier, non seulement en France, mais
aussi en Europe^ à mettre au jour un travail considérable sur
la « philosophie religieuse des Hébreux », comme vous la nom-
mez vous-jnème. — Cet ouvrage, que vous seul pouviez
mener à boime fin, grâce ci votre parfaite connaissance de la
langue hébraïque, d'une part, et de V histoire des doctrines phi-
losophiques, d autre part, a fait, dès son apparition, autorité
dans la matière et a justement mérité les traductions et les imi-
tatio)is qui se sont produites depuis cette publication. Les
quelques critiques allemands qui ont voulu vous reprendre au
sujet de la Kabbale nont réussi quWi donner la mesure exacte
de leur insuffisance et de leur parti pris. La réédition de 1881)
est venue sanctionner le succès de l'édition de 1843.
Mais si nous tous, qui nous occupons aujourd'hui de ces ques-
tions, nous devons une profonde reconnaissance à iiotre doyen, à
1
notre initiateur en ces études, comment pour rais-je, personnel-
lement, vous remercier de ri)isigne Jionneur que vous avez bien
voulu me faire en encourageant mes efforts de V autorité de
votre nom, en déclarant que^ si vous n êtes pas mystique , vous
préférez du moins voir les nouveaux venus épris de ces recher-
ches, ptlutôt que de les sentir apôtres des doctrines désespé-
rantes, antiphilosophiques et, osons le dire, antiscientifiques
du positivisme matérialiste ?
A r heure où nous avons levé le bouclier de la lutte intellec-
tuelle contre le matérialisme, à l'heure oii tous les adeptes de
cette doctrine, épars dans les Facultés de médecine, dans la
Presse^ et dans les couches les plus élevées comme les plus basses
de la société, nous ont considéré comme des <( dilettanti », des
cléricaux ou des fous, le président de la Ligue nationale contre
r athéisme est venu, bravant tous les sarcasmes, ?îous couvrir
de l'autorité incontestable et incojitestée d'un philosophe pro-
fond, doublé d'un défenseur ardent du spiritualisme.
Vous nous avez montré que ces sava?its, éminents pour la
plupart par leurs découvertes analytiques, sont astreints, de
par leur spécialisation même, à une étude trop hâtive de la
philosophie. De là leur mépris pour une branche du savoir
humain qui, seule, pourrait leur fournir cette synthèse des
sciences qu'ils aspirent tcmt à posséder ; de là leurs conclusions
matéricdistes, de là /'inconnaissable et toutes les formules
qui indiquent la paresse de l'esprit Jiumain, inapte à u)i effort
sérieux, et pressé de conclure, sans approfondir la valeur ou
les conséf/uences sociales de ses affirmations.
A côté du courant officiel, des Universités religieuses ou
laïques, des Académies des sciences et des Laboratoires des
Facultés, a toujours existé un courant indépendant , générale-
ment peu cojinu, et, partant, assez in éprise, formé de cher-
cheurs parfois trop imbus de philosophie, parfois trop épris de
mysticisme, mais combien curieux et combien intéressants à
étudier!
Ces adeptes de la Gnose, ces Alchimistes, ces disciples de
III —
Jacob Boï'hin^ de Martinez Pasqualis ou de Louis- Claude de
Saint-Martin, sont pourtant les seuls qui Ji aient j'nnais
négligé l'étude de la Kabbale jusqu'au moment où ï appari-
tion de votre travail est venue montrer quils avaient trouvé
lin approbateur et un maître dans la personne d'un des plus
éminents parmi les représentants de l'Université.
C'est comme admirateur et disciple moi-même de Saint-
Martin et de ses doctrines, que je prends la liberté de vous
remercier, au nom de ces « indépendants », de l'appui précieux
qu'ils ont trouvé en votre perso)i)ie et, si j'osais., en terminant
vous adresser une prière, ce serait de vous voir intercéder pour
eux auprès des chefs de notre Université,
Il g a dans les œuvres de Saint-Martin, dans celles de Fabre
crOlivet, de Wronski, de Lacuria et de Louis Lucas, une série
d études que je crois très profondes et qui sont peu connues,
sur la psychologie, la inorale ou la logique.
Or il serait pour le moins utile de voir au prograynme de
notre Ecole Normale Supérieure le Traité des signes et des
Idées de Saint-Martin, ou les Vers dorés de Pythagorc de
Fabre d'Olivet, ainsi que le système de psychologie qui forme
r introduction de son Histoire philosophique du genre humain,
ou bien encore la partie philosophique de la Médecine nou-
velle ou du Roman alchimique de Louis Lucas, sans parler de
la Création de la réalité absolue de Wronski, peut-être trop
technique et trop abstraitement présentée.
Vous me direz que ces auteurs sont des « tnystiques », des
écrivains dont l'érudition laisse à désirer quelquefois ; ?)iais
c'est im « mystique » aussi qui réclame qu'on les lise davantage
et qu'on les critique, ne serait-ce que pour mieux se rendre
compte des diverses évolutions de l'esprit humain.
Quel que soit l'accueil fait à ma requête, je vous serai tou-
jours reconnaissant, ??io?i cher Maître, de tout ce que vous avez
fait pour notre cause.
Ce nest pas sans efforts, ni sans luttes que nous avons pro-
gressé, et nous continuerons notre route, comme nous l'avons
— IV —
coimmmcée , répondant par le travail et par des œuvres à toutes
les attaques qui accablent chacune de nos œuvres ou chacune
de nos jjersonnalités. En effet toute œuvre de bonne foi subsiste
bien longtemps encore; mais que reste-t-il^ après quelques
années, des calomnies les plus perfides? Un peu d amertume et
beaucoup de pitié au cœur des victimes, de plus grands
remords en ïâme des calomniateurs, et rien autre chose.
Mais si les œuvres subsistantes perdent, par la suite des temps,
de leur valeur comme puissance dijnamiqtie, il est un sentiment
sacré, que tous ceux qui défendront plus tard notre cause
devront éprouver autant que nous-même, cest la reconnais-
sance profonde pour celui qui n'hésita pas, dans les moments
les plus difficiles, à encourager nos efforts en les appuycmt de
tout le respect et de toute l'autorité qui s' attachent à un grand
nom.
Veuillez agréez, mon cher Maître, l' assurayice de ma consi-
dération très distinguée.
PAPUS.
PREMIÈRE PARTIE
LES
DIVISIONS DE LA KABBALE
CHAPITRE PREMIER
LA TRADITION HÉBRAÏQUE
ET LA CLASSIFICATION DES OUVRAGES QUI S'Y RAPPORTENT
Celui qui, pour la première roiï=, aborde l'étude de la Kabbale,
ne saurait trop être renseigné sur la place exacte qu'il faut attri-
buer aux ouvrages purement kabbalistiques, comme le Seplier
Jesirah et le Zohar, par rapport aux autres traités se rapportant à
la tradition hébraïque.
Ainsi l'on sait généralement qu'on trouve dans la Kabbale l'ex-
posé des règles théoriques et pratiques de la Science Occulte;
mais on a peine à discerner le rapport existant entre le texte sacré
proprement dit et la tradition ésotérique.
Tous ces embarras proviennent de la confusion qui s'établit dans
l'esprit dès qu'il faut classer les immenses compilations hébraïques
parvenues jusqu'à nous.
Nous allons faire nos efforts, dans Texposé suivant, pour établir
une classification aussi claire que possible des divers ouvrages
ayant pour objectif de fixer la tradition orale.
Il n'existe pos, à notre connaissance du moins, un travail assez
complet, résumant en un ou plusieurs tableaux les données techni-
ques complétées par une sérieuse bibliographie.
On trouvera à la fin de notre étude la liste des ouvrages moder-
nes dans lesquels nous avons puisé pour notre exposé et l'on |)Ourra
se rendre compte, en se reportant à ces ouvrages, de la diKiculté
que nous avons rencontrée dans cette tâche. C'est pourquoi nous
ne sommes pas sûr d'avoir encore épuisé définitivement cette ques-
tion, et nous sommes tout prêt à roconnaitre les faut(,'s que nous
— 8
puurriuns avoir commises dans cet exposé, si quelqu'un de plus
auU»risé que nous veut bien nous les signaler.
Tous ceux qui sont un peu au courant des choses d'Israël
«avent qu'à côté de la Bible il a, sinon toujours, du moins depuis
un temps très reculé, existé une tradition destinée à mettre à même
certaine classe d'initiés d'expliquer et de comprendre la Loi (la
Thorah).
Cette tradition, transmise presque uniquement par la voie orale
pendant de longues années, portait sur plusieurs points différents :
1° Il y avait d'abord tout ce qui concernait le corps tnafériel de la
Bible. De même que nous verrons au moyen âge cerlaines corpo-
rations posséder des règles strictes et tenues cachées pour la cons-
truction des cathédrales, de même, la construction de chaque
exemplaire rie la Bible hébraïque était soumise à des règles fixes,
constituant une paille de la tradition;
2° Il y avait de plus tout ce qui concernait Vesprit du texte
sacré. Les commentaires et les interprétations portaient sur deux
grandes parties: d'un côté la Loi, l'ensemble des règles qui déter-
minent les rapports sociaux des membres d'Israël entre eux, entre
les voisins et entre la Divinité ; d'un autre côté la Doctrine secrète,
l'ensemble des connaissances théoriques et pratiques grâce aux-
quelles on pouvait connaître les rapports de Dieu, de l'Homme et
de l'Univers.
Corps du texte sacré, partie législative de ce texte et partie doc-
trinale, telles sont les trois grandes divisions qui font de la tradi-
tion ésotérique un tout complet formé de corps, de vie et d'esprit.
Lorsque, suivant le commentaire placé en tête du SepherJesirah,
« vu le mauvais état des affaires d'Israël », il fallut se décider à
écrire les divers points de cette tradition orale, plusieurs grands
ouvrages prirent naissance, destinés à transmettre chacun une
partie de la tradition.
Si l'on a bien compris ce qui précède, il sera on ne peut plus
facile d'établir une classification claire de ces ouvrages.
Tout ce qui avait rapport au corps du texte, les règles concer- lALc^i
liant la manière de lire et d'écrire la Thorah (la Loi), les considé-
rations spéciales sur le sens mystique des caractères sacrés, tout
cela fut tixé dans la Massora ('ou Mashore).
Les commentaires tradilionnels sur la partie législative de la lAtc^
Thorah formèrent la Misu.\a, et les additions faites ultérieurement
à ces commentaires (correspondant à notre jurisprudence actuelle)
formèrent la Gemarah (ou Gemmare). La réunion de ces deux frac- %jjf^
lions de la partie législative en un seul tout forme le Talmud. «y
Voilà pour la partie législative.
La Doctrine secrète comprenait deux divisions, la théorie et la
prati^ue^ échelonnées en trois degrés : un degré historique, un
degré social, un degré mystique.
L'ensemble des connaissances renfermées dans ces deux divisions V /Q
constitue la Kabbale proprement dite.
La partie théorique seule de la Kabbale a été fixée par l'écriture
et surtout par l'impression. Cette partie théorique comprend deux
études: 1° celle de la création et de ses lois mystérieuses (Bkrescuit), /n^
résumée dans le Sep her^Jesira h ; 2° celle, plus métaphysique, de
Vessence divine et de ses modes de manifestation, ce que les kab- V^
balistes appellent le Char céleste (Mercavah), résumée dans le
Zohar.
La partie pratique de la Kabbale est à peine indiquée dans quel-
ques manuscrits épars dans nos grandes collections. A Paris, la
Bibliothèque Nationale en possède un des plus beaux dont l'origine
est attribuée à Salomon. Ces manuscrits, généralement connus s>v
sous le nom de clavicules, ont servi de base à tous les vieux gri-
moires qui courent les campagnes {Grand et Petit Albert, Dragon
rouge et Enchiridion) ou à ceux qui poussent les prêtres à l'aliéna-
tion mentale par la sorcellerie [Grimoire d'Honorius).
Nous allons entrer dans quebiues détails au sujet de chacun des
ouvrages dont nous venons de parler; mais auparavant, résumons
ce qui précède en un tableau qui permettra de tout embrasser d'un
coup d'œil.
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Nous pourrons maintenaut aborder avec plus de détails chacun
de ces recueils pour bien en déterminer le caractère.
Masiiore. — La mashore forme le corps de la tradition ; elle
traite de tout ce qui a rapport à la partie matérielle de la Thorah.
La M'sorah consiste en deux points principaux :
« 1° Elle enseigne la manière de lire les passages douteux à
l'aide des points et des voyelles, d'assembler et de prononcer les
mots et les phrases au moyen des accents.
« 2° Elle s'étend sur les consonnes comme sur la partie extérieure
et matérielle de la Bible, et donne un registre des hiéroglyphes
exprimés par la forme plastique de la Thorah, tels que la division
des livres, des chapitres, des versets, la figure des lettres, etc.,
sans néanmoins expliquer le sens de ces hiéroglyphes^ »
Les occultistes qui se sont occupés spécialement de la Kabbale
comme Saint-Yves d'Alveydre ^, Fabre d'Olivet^, Claude de Saint-
Martin *, prétendent que la mashore, ensemble de formules tout
exotériques, est destinée à enlever à la langue hébraïque tout ce
qui peut mettre sur la voie du sens secret de la Thorah.
On divise souvent la Mashore en grande et petite. La Bible
rabbinique a été imprimée pour la première fois chez Daniel
Bemberg, imprimeur à Venise (1525), puis à Amsterdam (1724-
1727).
MiscnNA*. — La Mischna comprend six sections [sedarim) qui se l oi
divisent en soixante paragraphes ou traités (M'sachoth); chacun de î?* ^
ces traités se subdivise de nouveau en chapitres {Perakim).
Nous donnons ici un aperçu de la Mischna, afin que le lecteur
puisse avoir une idée de son contenue
1. Molilor, p. 249.
2. Voici on (juoi consista la réforme pédagogique et primaire d'Esdras :
11 changea les caractères primitifs de Moïse pour ceux des prêtres chaldéens
.•ivec la notation à lassyrienne qui constitue la première mashore. {Mission des
Juifs, p. 64 G.)
li. Lu Langue Iiéhraîque restituée.
4. Le Crocodile (œuvres diverses).
1. Outre la Bible, les juifs orthodoxes reconnaissent encore des traductions
qui obtiennent de leur part le même respect que les préceptes du Pentateuque.
D'abord transMiis(;s de bouche on iiouche et dispersées de toutes parts
ensuite recueillies et rédigéijs par Judas le Saint sous le nom de .Alischno, puis
enfin prodigieusement augmentées et déviloppées par les auteurs du Taimud,
elles ne laissent [)lus aujourd'hui la moindre part à la raison et à la liberté.
Ad. i"'ranck, op. cit.)
2. Molit., op. cit., p, 17.
12 —
§ 3. — LA MISCHNA
PREMIÈRE SECTION
Des semences, comprenant onze chapitres.
1° De la prière et de la bénédiction journalière; 2° du coin de
champ appartenant au pauvre; 3° des fruits dont on refuse la dîme,
comment il faut en user; 4" des hétérogènes ou des animaux qui ne
doivent pas être accouplés; des semences qu'on ne doit point mêler
ensemble dans la terre; des fils qu'on ne peut tisser ensemble; 5° des
rapports de l'année sabbatique ; 6° des présents faits au prêtre ;
7° de la dîme des lévites; 8° de la seconde dîme que doit fournir le
propriétaire à Jérusalem; 9° des cuisines des prêtres; 10° de la
défense de manger des fruits d'un arbre pendant les trois premières
années; 11° des prémices, des fruits qu'on doit apporter dans le
temple.
2'= SECTION
Des jours de fête, comprenant douze chapitres.
1° Du rapport du sabbat; 2° des biens sociaux, c'est-à-dire que
toute la ville est considérée comme une seule maison; 3° de la fête
de Pâques; 4° du sicle que chacun est obligé de donner annuel-
lement à l'église; 5° des fonctions aux fêtes propitiatoires; 6° de la
fête des tabernacles; 7° des différents mets défendus aux jours de
fête; 8° du jour de nouvel an; 9° des différents jours d'abstinence;
10° de la lecture du livre (ïEsther; 11° des demi-jours de fête ;
12° du sacrifice annuel; des trois apparitions à Jérusalem.
3'- SECTION
Des contrats de mariage et du divorce, cojnprenant sept chapitres.
1° De la permission, de la défense d'épouser la femme de son
frère; 2° du contrat de mariage ; 3° des fiançailles; 4° de la manière
de divorcer; 5° des vœux; 6° des personnes consacrées à Dieu ;
7° des femmes soupçonnées d'adultère.
4" SECTION
Des dommages causés, comprenant dix parties.
i° Des droits pour les dommages; 2» des droits sur les objets
trouvés, prêtés, mis en dépôt; 3° de la vente, de l'achat, de l'héri-
tage, de la caution et d'autres rapports sociaux ; 4" de lajuridiclion
— 13 —
en général et des punitions; 6° des quarante coups moins un;
6° des serments ; 7° des conclusions générales, du droit et des témoi-
gnages; 8° ce que doit faire le juge si par erreur il a porté un faux
jugement; 9° de Tidolâtrieet du commerce avec les païens; 10° pro-
verbes moraux.
5'' SECTION
Des offrandes sacrées, comprenant onze parties.
1° Des offrandes; 2° de l'offrande de farine; 3° des premiers nés;
4° de l'immolation des animaux sains ou malades; o" de la taxe
des choses consacrées à Dieu et de son paiement; 6° de l'échange
de l'offrande; 7° violation des choses sacrées ; 8° des 36 péchés à
cause desquels a lieu la peine d'extermination ; 9° de l'offrande
journalière; 10" de la construction du temple; 11° des colombes et
des tourterelles.
6» SECTION
Des purifications, comprenant douze parties.
i° Des meubles et de leur purification ; 2° delà tente où se trouve
la mort; 3° de la lèpre; 4° des cendres de la vache de purification;
5° des différentes purifications; 6° des bains pour la purification ;
7° des menstrues; 8° qu'on ne doit rien manger d'impur, à moins
qu'on n'ait répandu dessus quelque chose de liquide; 9° du flux
séminal; 10° celui qui a pris un bain est encore impur jusqu'au
coucher du soleil; 11° du lavement des mains; 12° comment la queue
du fruit le rend impur.
Gemurad. — La Gemurah forme un véritable recueil de juris-
pi'udence basé sur la Mischna. La réunion de la Mischna et de la
Gemurah forme le Talmud.
A propos de ces deux recueils, je rencontre avec le plus grand
plaisir l'occasion de signaler un travail tout personnel et d'une
grande valeur de l'auteur de la Mission des Juifs : c'est l'histoire
des divers éléments de la tradition à propos du Talmud (p. 650 et
suiv.). Voici un extrait de cette histoire :
« L'encombrement de littérature casuistique et scolastique, qui
depuis le retour de l'exil remplaça la puissante intellectualité des
prophètes, et continua à se multiplier après la destruction du
troisième temple, pendant dix siècles, est généralement comprise
sous le nom de Midrash, commentaire.
t Les deux prinripaJes routes de celte forêt de papier s'appellent
— 14 —
HaUac/iah, l'allure ou règle de la marche; Ilaggadah, ron-dit ou
la légende.
« C'est dans ce dernier chapit; e que les commuriau.lés ésolériques
ont laissé transpirer un peu de leur sejence : Kabbale, Shemata.
(( Les premiers recueils de VHallachnh sont un mélainge inextri-
cable de droit civil et de droit canon, de politique nationale et de
méthodisme individuel, de lois divines et humaines, enchevêtrées
et se ramifiant dans des détails infinis.
« Cette œuvre, d'ailleurs infércssante à consulter à bien des
points de vue, évoque les noms fameux d'Hillel, d'Akiba et de
Simon B. Gamaliel.
« Mais la rédaction finale est due à Juda Hamassi en 220 ap. J.-C.
« Elle forme la Mischna, de shana, apprendre; et ses supplé-
ments sont connus sous le nom de Toseflah, les Boraïlha.
« Les rédacteurs de la période mischnaïque, après les Soferim
d'Esdras, sont les Tannim, auxquels succédèrent les Amoraïm.
« Les controverses et les développements de la Mischna par ces
derniers forment la Ghemarah ou le complément.
« Elle eut deux rédactions : celle de Palestine ou de Jéru-
salem, au milieu du iv° siècle; et celle de Babylonc, au v'' siècle
après J.-G.
« La Mischna et la Gemurah réunies sont connues sous le nom
de Talmud, continuation et conclusion de la réforme primaire
d'Esdras. »
Le Talmud. — D'après ce qui précède, on voit que le Talmud est
forme par la réunion des deux principaux recueils se rapportant
à la parlie législative de la Thorah.
Le Talmud constitue donc la Vie même de la tradition con-
densée en plusieurs traités. Outre les deux recueils que nous avons
cités (Mischna et Gemurah), le Talmud contient, si l'on s'en réfère
à d'autres auteurs que Molilor, l'ensemble d'une nouvelle série de
commentaires (Medrashim) et d'autres adjonctions [Tosiflha).
En somme, voici la nomenclature des recueils dont la réunion
forme le Talmud :
Mishna
Ghemarah
Medrashim
Tûsiftha
Talmud
Le lecteur curieux de nouveaux développements pourra con-
sulter avec fruit la Philosophie de la tradlfion, de Molitor, et
— 15 —
surtout Ja Mission des Juifs, de Saint-Yves (p. Go3 et suiv.). Ce
dernier ouvrage contient une histoire fort bien faite des vicissitudes
du Talmud à travers les âges.
§ 4. — LA KABBALE
Nous arrivons maintenant, à la partie supérieure de la tradition,
à la Doctrine secrète ou Kabbale,^ l'âme véritable de cette tra-
dition.
On peut voir, en consultant le tableau ci-dessus, que la partie
théorique de la Kabbale nous est seule bien connue, la partie
pratique ou magique étant encore tenue secrète, ou étant à peine
indiquée dans quelques rares manuscrits,
1" Kabbale théorique.
Cette partie théorique a même été considérée de façon bien
différente au point de vue du classement par les auteurs qui se
sont occupés de la question. Nous allons dire quelques mots des
principaux de ces travaux.
Un premier groupe de chercheurs, le plus nojiibreux, a suiji les
divisionsjdçMnLnéexpjlJes_Kai)haUsies eux-mêmes. C'est là le plan
suivi par M. Ad. Franck dans son bel ouvrage (1843), par Eliphas
Lévi (1833) et par M. Isidore Loeb (article Cabbale dans la Grande
Encyclopédie).
Les principaux sujets de la spéculation mystique du temps
s'appidlent œuvre du char [maasse mercaba), par allusion au char
d'Kzéchiel, et œuvre de la création [maasse bercschit).
L'œuvre du char qui est aussi le grand œuvre [dabar gadol), ^f^C-
comprend les êtres du monde supra-naturel. Dieu, les puissances, %J*^
les idées premières, la « famille céleste », comme on l'appelle '^^'^
quelquefois ; l'œuvre de la création comprend la génération et la '•^
nature du monde terrestre '. /*^
Voici cette division :
,, . , \ Maasse Mercal)a — Z()nAH {o'uvre du char).
I Maasse Beresdiil. — Ski-ukr Jesiraii [œuvre de la création).
i . h'u\. LoOb.
— IG —
Dautres écrivains, comme M. ^'. Munck^, divisent la Kabbale
de la façon suivante :
|o Symbolique.
i. Calculs mystiques. — The-
^ mura. -
\ tarikon.
KABBALE.
2" Positive, dognufliquc
3° fipéciiluliir ci mclnphy-
sique.
^ [ Angps et
i'/uc. < Divisions
An^ps et dt'mons.
( Trausmigi'a'.ioii dos ài
\ Sopl
lirotli. elc.
Comme on le voit, M. S. Manck se rapproche de l'ancienni-
division adoptée par certains Kabbalistes, surtout par Kircher.
Mais la division la plus complète, à notre avis, de la Kabbale,
est CQ\\sASL^2Jdî2L^ > ^'^^^ ^^^^^ ^["^ nous avons adoptée nous-mêmes
dans notre tableau général ci-dessus, car elle a le mérite de
répondre, par ses grandes lignes, aux divisions généralement
adoptées, tout en complétant ces divisions par la reconnaissance
d'une partie pratique.
KABBALE.
Bereschit.
Sepher Jesirah.
Mercabau.
Zoliar.
Rien oiij)resgue rien |
d'écrit.
Manuscrits.
Magiques.
[Clavicules.)
1" degré.
Légendes historiques.
Haggndah.
2"= degré.
Morale pratique.
3 ''degré.
Mystique.
(Magie pratique.)
L'enseignement traditionnel, trine comme la nature humaine et
ses besoins, était à la fois historique, moral et mystique ; en sorte
\. S. Munk, article Kabbale {Dict. de la conversation) .
2. J.-F. Molitor, Pldlosophie de la tradition, traduit de l'allemand par
Xavier Qnris.
que récriture sainte renfermait un triple sens, savoir : 1° le sens '^
littéral, historique (pashut),qui correspond au corps et au p_ams '^
du temple; ""^ ^
2° L'explication morale [drusch], h l'àme ou au saint ; ^ t/
3" Enfin le sens mystique (sorf), qui représente l'esprit et le saint 3"
des saints.
Le premier, composé de certains récits tirés de la vie des anciens
patriarches, se transmettait de génération en génération comme
autant de légendes populaires. Qi^ ^e trouve épars çà et là en
forme de glose, dans les manuscrits bibliques et les paraphrases
chaldaïques.
Le sens moral envisageait tout sous le point de vue pratique,
tandis que le mystique s'élevant au-dessus des rapports du monde
visible et passager, planait sans cesse dans la sphère de l'éternel.
Le mystique obligeait donc à une discipline secrète, exigeant
une piété d'âme peu commune.
C'était en raison de ces deux conditions qu'on initiait un disciple,
sans considérer ni l'âge ni la condition, puisqu'il arrivait quelque-
fois au père d'instruire ses fils encore tout jeunes.
On nomme cette haute tradition Kabbale [en. hébreu KIBBEL,
réunir). Ce mot enferme, outre l'objet extérieur, l'aptitude de
Tàme à concevoir les idées surnaturelles.
\ax Kabbale se divisait en deux parties, savoir : la théorique et la
pratique.
1° Traditions patriarcales sur le saint mystère de Dieu et des
personnes divines ;
2° Sur la création spirituelle et la chute des anges;
3" Sur l'origine du chaos, de la matière et la rénovation du
monde dans les six jours de la création ;
4" Sur la création de l'homme visible, sa chute et les voies
divines tendant à sa réintégration.
Autrement elle traitait:
De l'oeuvre de la création. [Masse-Dcreschit).
Du char céleste. {Mercaùah).
L'œuvre de la création est renfermée dans le Sepkcr Jcsirak.
Nous avons fait de ce livre la première traduction française
qui ail paru (1887).
2
— 18 —
Uopui.-;, une nouvelle tradiirtion, plus développée, grâce à des
originaux plus complets, a été faite par M. M aijer- Lambert *. Nous
ne pouvons que recommander vivement ce travail très sérieux. Un
seul i-egret peut être exprimé, c'est l'absence d'une bibliographie
qui eût été fort ulile pour tous.
Afin de permettre au lecteur de compléter, autant que possible,
noire traduction qui se trouvera plus loin, nous donnons ici un
tableau résumant les développements complémentaires du Sep/ier
Jesirah. Nous avons modifié fes rapports des planètes et des jours
de la semaine, ra[)ports qui nous semblent défectueusement établis
par suite d'un rapprochement mal compris entre l'ordre des pla-
nètes et celui des jours. L'horloge égyptienne donnée par Allietle
(Elteila) permet de bien voir l'origine de cette erreur.
1. Mayer Lambert. Commenta're sur le Seplier Yesira ou livre de la
création par le fiaon Saadya de Kayoum, publié et traduit par Mayer
l.ambert, élève diplômé de l'École pratique des hautes éludes, professeur
au séminaire isi-aëlile. (t^aris, liouillaud 1891.)
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— 20 —
L'œuvre ilu char célesle est contenue dan? le Zoliar. N'ayant
pas le loisir de faire iri nne Lradurilon française de ce livre (traduit
déjà en latin et en anglais), nous nous contenterons de publier
l'excellent résumé fait par M. Isidore Loëb dans la Grande
/'Jncycloplédie (article Cabbale).
«■ Le Zohar est un commentaire cabbalistique du Pentateuque;
il n'est pas sûr que nous l'ayons dans sa forme primitive, et il est
possible que plusieurs personnes y aient travaillé. C'est une vaste
compilation où sont entrés, avec les idées du rédacteur, ou des
rédacteurs, d'autres ouvrages, plus ou moins anciens, comme Le
Livre du Secret, la Grande Assemblée, la Petite Assemblée, le Livre
des Tentes célestes, le Pasteur fidèle, le Discours du jeune homme
et d'autres.
« Les théories fondamentales sont déjà, en grande partie, dans le
livre d'Azriel. Nous en donnons ici une analyse, elle suffira pour
faire connaître en gros toute la Kabbale. »
ANALYSE DU ZOHAR
Par m. Isidore Loeh'.
« Dieu est la source de la vie et le créateur de l'univers, mais il est
infini (en sof), inaccessible, incompréhensible, il est l'inconnu (aïn
rien, néant, pour notre intelligence), il est le grand problème [mi,
qui?), il serait profané s'il était en relation directe avec le monde;
entre lui et le monde se placent les dix sefirot, au moyen desquelles
il a créé le monde, qui sont ses instruments ikélim), les canaux
[cinnorot] par lesquels son action se transmet au monde des Faces
(V. plus loinj. L'ensemble des dix sefirot forme l'homme prototype.
Adam supérieur ou Adam éternel ion encore Pré- Adam), qui est le
macrocosme, le type intellectuel du monde matériel. Les sefirot
sont généralement représentées, chez les cabbalistes, par le dessin
ci-après, qui est Varbre des sefirot. (Voyez p. 18.)
« Leurs noms, en suivant les numéros d'ordre de ce dessin, sont :
i, couronne ikéter); 2, sagesse (hokhma]\ 3, intelligence [bina); 4,
grâce [hésed); o, justice (c?m); 6, beauté [tiféret); 7, triomphe
{nt'çah;; 8, gloire (hod); 9, base [iesod); 10, royauté ou royaume
(malkkul). Les neuf premières sefirot se divisent en triades, con-
tenant chacune deux principes opposés et un principe de conci-
liation. C'est la Balance du Livre de la Création. La première
1. Grande Encyclopédie, ailicle Cahbale.
— 21 —
triade (n"' 1, 2, 3) représente les attributs métaphysiques de Dieu,
ou, si l'on veut, le monde intelligible; la deuxième (n"* 4, 5, 6), le
monde moral; la troisième (n°^ 7, 8, 9), le monde physique; la
dernière (n° 10) n'est que le résumé et l'ensemble de toutes les
autres, elle est ïharmonie du monde. Le rôle le plus important,
dans ce monde des sefirot, est joué par la première H'fira (n° 1),
la Couronne, qui a créé les autres sefirot et, par suite, le monde
entier. Elle est donc le Métatron de l'ancienne cabbale, une espèce
de démiurge. Comme elle est presque aussi insaisissable et imma-
térielle que Dieu lui-même, elle est aussi appelée quelquefois infini
ou néant [en sof, aïn); elle est dans tous les cas le point premier
(sans dimensions ni rien de matériel), la matière première, la Face
sainte, la longue Face, et toutes les autres sefirot ensemble ne
sont que la petite Face. Elle est aussi la Volonté de Dieu, à moins
que la Volonté ne soit en Diini lui-même et identique avec lui. La
triade dont la première sefira tient la tête est le plan de l'univers,
la triade du monde; les sept sefirot suivantes sont inférieures à ces
trois, elles ne sont que les sefirot de l'exécution (de la construction, -^ ;^
comme disent les cabbalisles). Considérées à un autre point de ^jJja
vue, les sefirot se divisent en sefirot de droite (n»^ 2, 4, 7), de c^^^^
gauche (n"" 3, 5, 8) et du milieu (n°' 1, 6, 9).
« Celles de droite représentent l'élément masculin, lequel est con-
sidéré comme supérieur à l'autre, meilleur; il est principe actif,
ayant les attributs de la bonté et de la miséricorde ; celles de
gauche représentent l'élément féminin, qui est le principe passif et
qui a les attributs de la réflexion concentrée, de la justice stricte ;
le groupe du milieu est le groupe de la conciliation des principes
opposés. Les trois unités qui le composent représentent respecti-
vement, en partant d'en haut, le monde intelligible, le monde
moral, le monde sensible ou matériel. Dans d'autres écrits cabba-
listiqucs, ce sont les trois triades des n"'' 1 à 9 qui représentent res-
pectivement ces trois mondes, lesquels correspondent aux trois
parties de l'âme humaine, comme on les trouve chez les néo-plato-
niciens : l 'intelligence [nous), le^iLQeur [psyché], l'àme végétative
(physis). L'introduction des sexes en Dieu est un des traits les plus
remarquables de la cabbale. Dans cette division des sefirot en
triades parallèles, allant de haut en bas, on distingue aussi les
triades par les couleurs, ce qui est également digne de remarque :
le groupe de droite est blanc, le groupe de gauche est rouge, le
grou|)C du milieu a une couleur intermédiaire (bleu, jaune ou verli.
E^lin la sefira n° G est reliée d'une certaine façon a.u\ sefirot laté-
ralesj^ce qui forme des combinaisons divers^.
->-)
<( Les dix sefirot sont comme les lofjoi ou idées mères du monde.
Elles composent ensemble un monde qui vient directement de
Dieu et qui, par opposition aux mondes inférieurs qui en pro-
cèdent, s'appelle le monde de Témanation [acllul). Par des évolu-
tions successives, trois autres mondes sont formés, pourvus chacun
de dix sefirot aussi : 1, le monde de la création [bei^ia], quiestaussi
,' 'V le monde des sphères célestes ; 2, le monde de la formation (iec/ra),
'*^**''qui est aussi le monde des anges ou esprits qui animent les sphères ;
3, le monde de la terminaison [açigya], qui est le monde matériel,
l'univers visible, ïccorce des autres mondes. Dieu a essayé beaucoup
de mondes avant le monde actuel, déjà le Talmud connaît les
mondes créés et détruits avant le monde actuel; ce mythe repré-
sente ou bien l'activité perpétuelle de la force créatrice, qui produit
sans cesse et ne se repose jamais, ou bien la théorie de l'opti-
misme, suivant laquelle ce monde est le meilleur des mondes pos-
sibles. Ce monde contient cependant le mal, qui est inséparable de
la matière. Le mal vient de l'afraiblissement successif de la lumière
divine qtii, par son irradiation ou émanation, a créé le monde; il
est une négation ou manque de lumière, ou bien il est le reste et
résidu des mondes essayés et trouvés mauvais. Ces restes sont les
écorces, le mal est toujours représenté comme une écorce, il y a
même un monde du mal, peuplé d'anges déchus, qui sont également
des écorces {kelijrpot).
"^"^■^ « L'homme terrestre est l'être le plus élevé delà création, l'image
de l'Adam prototype, le microcosme. La triade cosmique se re-
trouve, comme nous l'avons vu, dans les trois âmes qui le com-
posent et dont le siège est respectivement dans le cerveau, le cœur
et le foie. L'âme humaine est le résultat de l'union du roi (n° 6)
avec la reine (n° 10), et, par l'un de ses attributs les plus remar-
quables, la reine peut remonter jusqu'au roi, l'homme peut agir
par ses vertus sur le monde supérieur et l'améliorer. De là l'im-
portance de la prière, par laquelle l'homme agit sur les forces su-
périeures pour se les rendre favorables ; par elle, il les met
positivement en mouvement et est leur excitateur. L'âme est immor-
telle, mais elle n'atteint le bonheur céleste que lorsqu'elle est
P^^' 'devenue parfaite, et, pour le devenir, elle est souvent obligée de
Xi .vivre dans plusieurs corps; c'est la théorie de la métempsycose'.
'""r^ Il lui arrive môme de descendre du ciel pour s'associer à une autre
1 . Le mot réincarnulion rend bien mieux celle idée que celui de
niéleinpsycose. — L'àme se réincarne dans un corp« d'iiomnie, Jamais dans
un corps d'animal (P).
- i;i —
âme dans un même corps {sod ha ibOur), afin de s'améliorer à son *^^
contact ou d'aider celle-ci à se perfectionner. Toutes les âmes sont ^
créées depuis l'origine du monde, et lorsque toutes seront à l'état (^
de perfection,' TêTfessie ' viendra. Le Zohar, comme' beaucoup rr^^
d'autres ouvrages de la littérature juive, calcule même la date à
laquelle viendra le Messie. »
2" Kabbale i-ratique.
2° La Kabale pratique expliquait :
A. Le sens spirituel de la loi ;
B. Prescrivait le mode de purification qui assimilait l'àme à la
divinité et en faisait un organe priant, agissant dans la sphère du
visible et de l'invisible.
C'est ainsi qu'elle devenait capable de s'abîmer pieusement dans
la méditation des noms sacrés, l'écriture étant, suivant les kabba-
lisles, l'expression visible des forces divines, sous la figure des-
quelles le ciel se révèle à la terre.
On comprend facilement que rien ou presque rien n'ait été écrit
ni surtout publié de ce qui a rapport à cette partie de la Kabbale.
Aussi la critique n'a-t-elle pas manqué de diriger ses poinles les
plus acerbes contre les kabbalistes qui prétendaient aux connais-
sances magiques.
Il faut bien reconnaître toutefois que la critique, tablant sur des
ouï-dire, ne pouvait guère porter un jugement favorable.
La théorie de la Kabbale pratique se rattache à la théorie géné-
rale de la magie : union de VUlée et du symbole dans la Nature,
dans rilomme et dans l'Univers. Agir sur des symboles, c'était agir
sur des idées et sur des êtres spirituels (anges) ; de là tous les pro-
cédés d'évocation mystique.
L'étude de la Kabbale pratique comprenait tout d'abord des ^^
connaissances spéciales sur les lettres hébraïques et les divers /^^f^
changements qu'on pouvait leur faire subir au moyen de trois «^
opérations bien connues de la plupart des kabbalistes ( Themuriq, 'W^
Gcinalria, Nolorin). g^
Ce point est important à connaître, car il constitue la partie la {.Vt"
plus grossière, la plus exotérique de la kabbale pratique, et cepen-
dant plusieurs critiques (surtout les Allemands) n'ont voulu voir
dans toute la Kabbale que celte science des charades, dos rébus
et des anagrammes, tout cela pour ne pas avoir pris la peine
d'aller jijs(prau fond de la queslion.
• ilomme ii est important ile connaitro cet Itii'n'itfjhjphismc spi-cial.
c)!
nous allons emprunter à Molitor [op. cil.) quelques exemples
typiques à ce sujet.
Nous avons dit plus haut qu'il était aussi difficile d'écrire la
Tliorah que de la lire. En effet, il se trouvait souvent dans un mot
une lettre de plus ou de moins, quelquefois l'une pour l'autre,
puis enfin les finales à la place des médiantes et vice-versâ.
Outre cet hiéroglyphisme plastique, la Bible en renferme encore
un autre où les mots sont considérés comme autant de chiffres
mystérieux.
;1 y Cet hiéroglyphisme lui-même est ou synthétique on identique :
i° Synthétique quand un mot en recèle plusieurs autres qj^i'on
L»''****'^(lécouvre soit en développant, en divisant ou en iransposatit les
lettres; "^ ^
2° Identique lorsque plusieurs mots de l'écriture expriment la
même chose. Cette identité se fonde soit sur le rapport mystérieux
existant entre les lettres, soit sur leur valeur numérique, ainsi que
nous en trouvons des traces évidentes dans les prophètes. Le
Mischna appelle cet hiéroglyphisme le parfum de la sagesse.
Voici maintenant plusieurs exemples de l'hiéroglyphisme syn-
thétique.
1° Vévolution des lettres.
David, dans son testament à son fils Salomon, s'écrie : // m'a
maudit avec de dures malédictions (Nimreziîtu NMRZTh).
Or le mot hébreu Nimrezelh renferme le contenu de ces reproches
injurieux que le prophète faisait à David.
5^îf N oeph, ti adultère.
t»A*yY> ^I oabi, 'f.- Moabite, parce qu'il descendait de Ruth.
. *\ R o-eacA, '"''meurtrier.
ti^^?. Z ores, iii violent.
,4^(1.^ T Aoeô, J^ cruel.
p .", 2° La division.
;>V/0 ^^ divisant le mot B'reschil, on a Bara-Schith, il créa six, c'est-
'. " "^ à-dire les six forces fondamentales qui président à l'œuvre mysté-
rieuse des six jours. On jouit de la même liberté pour la construc-
tion des phrases et des périodes entières,
3° La transposition.
Dieu dit dans l'Exode : Je veux envoyer devant toi M'iachi,
c'est-à-dire mon ange; en transposant dans ce mot, on a le nom de
Michel, le protecteur du peuple hébreu.
La plus remarquable de ces évolutions, appelée Gilgul, consiste
dans la transposition régulière des différentes lettres d'un mot,
telles que celles du saint nom lEVE [Jéovah). Les douze change-
ments mystérieux qu'on peut opérer avec les quatre lettres de ce
nom représentent le jeu continuel de cette puissance première qui
fait sortir la variété de l'unité ',
Emploi des nombres.
Outre l'hiéroglypliisme synthétique dont nous venons de parler,
il en existe un autre fondé sur le rapport numérique des lettres qui
représentent chacune une certaine valeur.
Les nombres forment trois classes ; chaque classe renferme neuf
lettres correspondantes. La première contient les nombres simples
depuis 1 jusqu'à 9. On les appelle les petits nombres.
La deuxième, qui commence à 10 et linit à 90, renferme les nom-
bres moyens.
La troisième enfin, formée du produit des unités et des dizaines,
est à proprement parler le grand nombre.
Quant aux mille, le dernier degré de la progression numérique,
on peut les ramener facilement à l'unité = 1.000 = 1 ; voilà pour-
quoi ces deux nombres ont la môme lettre en hébreu: Aleph-.
(Voy. p. 41.)
Les lettres se remplacent par des nombres et alternativement.
Ceux-ci s'additionnent ou s'énumèrent à part, c'est à volonté.
Prenons [)Our exemple le mot Adam m d a dont la somme égale
40 4 1
45 (40 -|- 4 -|- 1 = 45); si l'on extrait la racine, on aura 9.
11 suit de là qu'il y a affinité entre les mots dont la valeur numé-
rique est la même, témoin Achad et Aliabha dont le nombre
correspondant est 13, et qui signifient, le premier Yunitc, et le
second Vamour, chargé précisément de reconstruire aujourd'hui
Funité détruite ; du reste le nombre l.'J est le nombre de l'amour
(■ternel figuré par Jacob et ses (ils, Jésu>Christ et ses apôtres; et
ce (pi'il y a d'admirable, c'est qu'eu l'additiounanl, ou arrive à la
laciin.' i (1 -(- 3 = 4), qui corres|)():id aux quatre lellres du saint
nom /A'IVi', principe de vie et d'amour.
La clef générale de ces évolutions si curieuses qu'<jn fait subir
1. Molilor, p, 31, 32, 3;). (Voy. aussi p. 123 pour les ciiangenicnls de
iKvi:.)
2. La l;inj,Mie ln'hr'aïqiic iiiamiuo d'un nnni lu-oitro pour cxitiimci- le
nombre dépassant 1(100. Ainsi IWiIh) qui siguilic dix uiilh' a la inOnie
racine que linbli (uuillitiide).
— 2(i —
aux mots et aux lettres, nous la trouverons dans ce livre hiérogly-
phique et numéral si peu connu quant à ses hases scientifiques, le
TAROT ^ •
L'explication mystique de ce tarot formait la base de l'enseigne-
ment oral de la magie pratique qui conduisait le Kabbaliste initié
jusqu'à la prophétie. Rien n'a été imprimé, à notre connaissance,
sur ce sujet dans les livres dits « Kabbalistiques. » Nos bibliothèques
publiques renferment quelques manuscrits attribués à Salomon et
traduits de l'hébreu en latin, et de là en français; ces manuscrits
renferment, d'une part, la reproduction, sous le nom de talismans,
des lames du Tarot ou « clavicules », et d'autre part Vexplication
et la mise en usage de ces clavicules. On les connaît soit sous
le nom de clavicules de Salomon, soit sous le nom de Schemam-
pkoras ; encore faut-il reconnaître que les données fournies par
ces manuscrits sont bien incomplètes.
Quoi qu'il en soit, il était nécessaire de les citer pour déterminer
aussi exactement que possible les divisions principales qu'on peut
établir dans celte partie de la tradition secrète des Hébreux. Voici
donc, pour terminer, la manière dont nous diviserons la Kabbale.
Divisions.
Livres et Manuscrits. Csncordanees entre les antouri,
KABBALE
Bereschit.
Œuvre de la
création.
Mcrcavah.
Œuvre du char.
Hiéroglyphiame
synthétique.
Geraatria.
Themuria.
Nolarikon.
Manuscrits ma
giques.
Ésolérisme
Tarot.
Skpher
Iktzirah.
ZOUAR.
Tarot.
du
Clavicules,
schemamphohas
Division identique
d'Ad, Franck et de
la plupart dps au-
teurs contemporains
ainsi que des kab-
balistes eux-mêmes.
Partie clorjma'.ique
de M. Munck.
Partie nirlaphy-
sique de iM. Munck.
i" degré de Moli-
tor.
Partie symbolique
(le M. Munck.
2* degré de Moli-
tor.
Partie mystique
de Molitor.
1. Voy. Eliphas Uvi, Wlnd d: Haute Magie, cliap. XX.!, cl Vapus ,
Le Tarot des bohémiens.
DEUXIÈME PARTIE
LES
ENSEIGNEMENTS DE LA KABBALE
Horizon de (( i) l'Éternité
r+ 365
Système kabbalistiqi'e des Séphirotus.
RÉSUMÉ METITODIQUE DE LA KABBALE
CHAPITRE PREMIER
EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE. — DIVISION DU SUJET
Dans l'étude suivante nous allons résumer de notre mieux les
enseignements et les traditions de la Kabbale.
La tâche est assez difficile, car la Kabbale comprend, d'une part,
tout un système bien particulier basé sur l'étude de la langue
hébraïque, et, d'autre part, un enseignement philosophique de la
plus haute importance, dérivant de ce système.
Nous allons faire tous nos efTorls pour aborder ces divers points
de vue l'un après l'autre en les séparant bien nettement. Notre
étude comprendra donc :
1° Un exposé préliminaire sur l'origine de la Kabbale;
2° Un exposé sur le système kabbalistique et ses divisions, véri-
lable cours de kabbale en quelijues pages;
3" Un exposé sur la philosophie delà Kabbale et sur ses applica-
tions;
4° Les textes principaux de la Kabbale sur lesquels sont bâties
les données précédent(;s.
C'est la première fois qu'un travail de ce genre est présenté au
public. Aussi nous efforcerons-nous de toujours nous appuyer sur
des auteurs compétents lorsque les dévelop[)ements ne nous seront
point personnels.
La Kabbale est la clof de voûte de toute la tradition occidentale.
Tout phil(j>o[)be abordant les conceptions les plus élevées que
— 30 —
puisse alleindre l'esprit humain aboutit forcément à la Kabbale,
qu'il s'appelle Raymond Lulle *, Spinosa^, ou Leibniz ^
Tous les alchimistes sont kabbâÏÏstes, toutes les sociétés secrètes
religieuses ou militmtes qui ont paru en Occident : Gnostiques,
Templiers, Rose-Croix, Martinistes ou Francs-Maçons, se rattachent
à la Kabbale et enseignent ses théories, Wronski, Fabre d'Olivet et
Eliphas Levi doivent à la Kabbale le plus profond de leurs connais-
sances et le déclarent plus ou moins franchement.
D'où vient donc cette doctrine mystérieuse?
L'étude, même su[)erficieUe des religions, nous montre que 1 ini-
tiateur d'un peuple ou d'une race divise toujours son enseignement
en deux parties :
Une partie voilée sous les mythes, les [)arabolcs ou les symboles
à l'usage des foules. C'est la partie exolérique.
Une partie dévoilée à quelques disciples favoris qui ne doit
jamais être écrite clairement, si elle est écrite, mais qui doit être
transmise oralement de génération en génération. G est la doctrine
ésotérique.
Jésus n'échappe pas à la règle générale pas plus que Bouddha;
1 Apocalypse en est la preuve ; pourquoi Moïse serait-il le seul qui
ait failli à cette règle?
Moïse, sauvant le plus pur des mystères d Egypte, sélecta un
peuple pour garder son livre, une tribu, celle de Lévi, pour gar-
der le culte; pourquoi n'aurait-il pas transmis la clef de son livre
à des disciples sûrs?
Nous verrons en effet que la Kabbale enseigne surtout le manie-
ment des lettres hébraïques considérées comme des idées ou môme
comme des puissances effectives. C'est dire que Moïse indiquait
par là le sens véritable de son Sepher.
Ceux qui prétendent que la Kabbale vient (ÏAdam racontent tout
simplement l'histoire symbolique de la transmission de la tradition
d une race à l'autre, sans insister sur une tradition plus que sur
une autre.
1. Les adeptes de cette science (Kabbale) parmi lesquels il faal con-
prendre plusieurs mystiques chrétiens, tels que Raymond LuMe, Pic de
la Mirandole, Reuchlin, Guillaume Poslel, Henri Morus, la re{.'arde>nt
oomme une tradilion divine aussi ancienne que le génie humain l'DJc-
tionnaire philosnpldque de Fran( k;.
2. Les ouvrages de Spinosa alli-stent une connaissance profonde de la
Kabbale.
3. Leibniz f:it initié à la Kabbale par Mercure van H-lmont, lils du
célèbre alchimiste, et grau 1 kaM)ah"ste lui-inèuie.
— ;}i —
Quelques savants contemporains, ignorant tout de l'antiquité,
sont étonnés d'y trouver des idées profondes sur les sciences, et
placent l'origine de tout le savoir au second siècle de notre ère,
d'autres daignent aller jusqu'à l'école d'Alexandrie.
Des critiques prétendent même que la Kabbale a été inventée au
xiii" siècle par Moïse de Léon. Un véritable savant, digne de toute
notre admiration, M. Franck, n'a pas eu de peine à remettre ces
critiques à la raison en les battant sur leur propre terrain'.
Nous nous rangerons donc à l'avis de Fabre d'Olivet plaçant
l'origine de la Kabbale à l'époque môme de Moïse.
Il paraît, au dire des plus fameux rabbins, que Moïse lui-même,
prévoyant le sort que son livre devait subir et les fausses interpré-
tations qu'on devait lui donner par la suite des temps, eut recours
à une loi orale, qu'il donna de vive voix à des hommes sûrs dont
il avait éprouvé la fidélité, et qu'il chargea de transmettre dans le
secret du sanctuaire à d'autres hommes qui, la transmettant à leur
tour d'âge en âge, la fissent ainsi parvenir à la postérité la plus
reculée. Cette loi orale que les Juifs modernes se flattent encore
de posséder se nomme Kabbale, d'un mot hébreu qui signifie ce
qui est reçu, ce qui vient d'ailleurs, ce qui se passe de main en
main.
Les livres les phis fameux qu'ils possèdent, tels que ceux du
Zohar, le Bahir, les Medrasliim, les deux Gemares qui composent
le Talmud, sont presque entièrement kabbalistiques.
Il serait très difficile de dire aujourd'hui si Moïse a réellement
laissé cette loi orale, ou si, l'ayant laissée, elle ne s'est point altérée
comme parait l'insinuer le savant Maimonides, quand il écrit que
ceux de sa nation ont perdu les connaissances d'une infinité de
choses sans lesquelles il est presque impossible d'entendre la Loi.
Quoi qu'il en soit, on ne peut se dissimuler qu'une pareille institu-
\. Quand on oxaniine la Kabbale en elle-même, quand on la compare
aux doclrities analogues, et (ju'on réllécliit à l'inHuence immense qu'elle
a exercée, non seulement sur le judaïsme, mais sur l'esprit humain en
général, il est impossible de ne pas la regarder comme nn système très
sérieux et parfaitement original. Il est tout aussi im|tossil)le d'expliquer
sans elle les nombreux textes de la Mischna et du Talmud qui attestent
chez les Juifs l'existence d'une doctrine secrète sur la nature de Dieu el
de l'univers, au temps où nous taisons remonter la science kahhalislique
(Ad. Franck).
— ;i2 —
tion ne fût parfaitement dans l'esprit des Égyptiens, dont on con-
naît assez le penchant pour les mystères.
La Kabbale, telle que nous la concevons, est donc le résumé le
plus complet qui nous soit parvenu de l'enseignement des mystèi'es
d'Egypte. Elle contient la clef des doctrines de tous ceux qui
allèrent se faire initier, au péril de leur vie, philosophes-législa-
teurs et théurges.
De même que la langue hébraïque, cette doctrine a pu subir
les vicissitudes nomljreuses dues à la longue suite des âges qu'elle
a traversés; toutefois ce qui nous en reste est encore digne d'une
sérieuse considération.
Telle que nous la possédons aujourd'hui, la Kabbale comprend
deux grandes parties. La première constitue une sorte de clef
basée sur la langue hébraïque et capable de nombreuses applica-
tions, la seconde expose un système philosophique tiré analo-
giquement de ces considérations techniques.
On désigne dans la plupart des traités sur cette question la
première partie seule sous le nom de Kabbale; l'autre étant
développée dans les livres fondamentaux de la doctrine.
Ces livres sont au nombre de deux : 1° le Sepher Jesiraii, le livre
de la formation qui contient sous forme symbolique l'histoire de
la Genèse Maassch bereschit.
2° Le ZoHAR, le livre de la lumière, qui contient également sous
forme symbolique tous les développements ésotériques synthétisés
sous le nom d'Histoire du char céleste : Maasseh merkabah '.
C'est encore au symbolisme qu'il faut rapporter les deux cabales
des Juifs, la cabale Mercava, et la cabale Bereschit. La cabale Mcr-
cava faisait pénétrer le Juif illuminé dans les mystères les plus
profonds et les plus intimes de l'essence et des qualités de Dieu et
des anges; la cabale Bereschit lui montrait dans le choix, l'arrange-
ment et le rapport numérique des lettres exprimant les mots de
sa langue, les grands desseins de Dieu, et les hauts enseignements
religieux que Dieu y avait placés. (de Brière.)
Merkabah et Bereschit, telles sont les deux grandes divisions clas-
siques de la Kabbale adoptées par tous les auteurs.
Pour aborder les enseignements de la Merkabah, il faut con-
naître déjà la Bereschit et, pour ce faire, il faut connaître l'al-
phabet hébraïque et les mystères de sa formation.
Partant donc de cet alphabet, nous allons aborder successivement
i. Fabre d'OIivet, Uing. héb., p. 29, (. 1.
— 3} —
les diverses parties qui constituent cette clef générale dont nous
avons parlé, ensuite nous parlerons du système philosophique.
On [teut diviser les kabbalistes en deux catégories. Ceux qui ont
appliqué les principes de la doctrine sans s'attarder à développer
les fondements élémentaires et ceux qui, au contraire, ont fait des
traités classiques de la Kabbale.
Parmi ces derniers nous pouvons citer Pic de la Mirandole,
Kircher et Lenain.
Pic de la Mirandole divise l'étude de la Kabbale en étude des
numérations (ou Sephirolh) et élude des noms divins (ou Schenroth).
C'est en effet à ces deux puints que se réduit toute la clef.
Kircher, R, P. Jésuite, est un des auteurs les plus complets sur
cette question ; il adopte la division générale en trois grandes parties :
\° Génmtrie ou élude des transpositions;
2° Notarla ou étude de l'art des signes;
3° Thémurie ou étude des commutations et des combinaisons.
Lenain, auteur de la Science cabalistique, traite surtout des noms
divins et de leurs combinaisons.
Nous donnerons les plans suivis dans ces divers ouvrages après
notre exposition, car, actuellement, la plupart des divisions ne
seraient pas bien comprises.
CHAPIIRK 11
i;alpiiabet hébraiouk
LES VINGT-Di:UX LETTRES ET LELR SIGNIFICATION
Le pf»int de départ de toute la Kabbale c'est l'alphabet hébraïque.
L'alphabet des Hébreux est composé de vingt-deux lettres; les
lettres ne sont pas cependant placées au hasard les unes à la suite
des autres. Chacune d'elles correspond à un nombre d'après son
rang, à un hiéroglyphe d'après sa forme, à un symbole d'après ses
rapports avec les autres lettres.
T(uites les lettres dérivent d'une d'entre elles, le iod, ainsi (pie
nous l'avons déjà dit'. Le iod les a générées de la façon suivante
(voy. Sepher Jesirah):
1" Trois mères :
L'A (Aleph) 5^
L'M (Le Mem) "0
Le SI) (LeSrliiri) "C*
\. Voy. l'élude siu' le mol itd, hr, Vdii, hé (|>;ige 498).
34
2" Sept doubles (doubles parce qu'elles exjiilmeiil deux som
lun positif fort, l'autre négatif doux) :
Le B (Belh)
Le G (Ghimel)
Le D (Dalelh)
Le Cil (Caphj
Le Ph (Phé)
L'R (Resch)
Le T (Thauj
1
3" Enfin duuze simples formées par les autres letlres.
Pour rendre tout cela plus clair, donnons l'alphabet hébreu en
indiquant la qualib^ de chaipie lettre ainsi que son rang.
d"ordre
UlÉRuGLYPHE
NOMS
VALEURS
EN LETTRES
roma'nes
VALEURS
DANS l'alphabet
1
.S
aleph
A
m è re
2
"2
beth
B
double
3
1
ghimel
G
double
4
1
daleth
D
double
5
n
hé
K
simple
6
K
va u
>•
simple
7
T
/.aïn
Z
simple
8
n
heth
H
simple
9
t:
leth
r
simple
10
y
iod
I
simple el prinri[ie
11
D
caph
CH
double
! 12
S
lamed
L
simple
13
*^
me m
M
mèi'e
14
:
noun
N
simple
lo
D
samerh
S
simple
16
>
h aïn
G H
simple
17
-
phé
PII
double
18
tsadé
!>
simple
19
P
coph
K
simple
20
1
resch
II
double
21
r
shin
SI]
mère
22
P
thciu
TB
double
Chaque lettre hébraïque représente donc trois chose? :
1° Une lettre, c'est-à-dire un hiéroglyphe;
2° Un nombre, celui de Tordre qu'occupe la lettre;
3° Une idée.
Combiner des lettres hébraïques c'est donc combiner des
nombres et des idées; de là la création du Tarot ^.
Chaque lettre étant une puissance est liée plus ou moins étroiie-
nient avec les forces créatrices de l'Univers. Ces forces évoluant
dans trois mondes, un physique, un astral et un psychique, chaque
lettre est le point de départ et le point d'arrivée d'une foule de
correspondances. Combiner des mots hébraïques c'est par suite agir
sur l'Univers lui-même, de là les mots hébreux dans les cérémonies
magiques.
Maintenant que nous connaissons l'alphabet en général, il nous
faut étudier la signification et les rapports de chacune des vingt-deux
lettres de cet alphabet. C'est ce que nous allons faire. Un verra,
dans cette étude faite d'après Lenain, les correspondances de
chaque lettre avec les noms divins, les anges et le sephiroth.
Les anciens rabbins, les philosophes et les cabalistes expli-
quent, selon leur système, l'ordre, Vharmonie et les influences
des deux sur le monde, par les ^:2 lettres hébraïques que com-
prend l'alphabet mystique des Hébreux ^
Explication des mystères de l'alphabet hébreu.
Cet alphabet désigne :
1° Depuis la lettre aleph ^ jusqu'à la lettre * iod le monde invi-
sible, c'est-à-dire le monde angélique (intelligences souveraines
recevant les influences de la première lumière éternelle attribuée
au Père de qui tout émane).
2" Depuis la lettre "2 caph jusqu'à celle nommée tsadé *;
désigne différents ordres d'anges qui habitent le monde visible,
c'est-à-dire le monde astrologique altribuéà Dieu le Fils, qui signifie
la divine sagesse qui a créé cette infinité do globes circulant dnns
l'immensité de l'espace dont chacun est sous la sauvegarde d'une
intelligence spécialement chargée parle créateur de les conserver
i cl 2. Voy. If Tarol des Rnhéinienii, par Papiis.
— 3G -
el Ips mainfimir dans leiir.> orhes, afin qii'ancnn aslro ne pnisse
troubler l'ordre et l'harmonie qu'il a établis.
3° A partir de la lettre tsadé ^ jusqu'à la dernière, nommée H
thau, Ion désigne le monde élémentaire attribué par les philo-
sophes au Saint-Esprit. C'est le souverain Etre des êtres qui donne
Tàme et la vie à toutes les créatures.
Explication Hépnrôo des 22 lelfres.
1 is* Aie/j/i
Correspond au premier nom de Dieu, Eheieh ^^~l^ fl"6 l'""
inter|)rète essence divine.
Les cabalistes l'appellent celui que l'œil n'a point vu à cause de
son élévation.
Il siège dans le monde appelé Ensophe qui signifie l'infini, son
attribut se nomme Kcther ~P3 interprété couronne ou diadème:
il domine sur les anges appelés par les Hébreux Haioth-Nakodisch
li/npnjn^ri c'est-à-dire les animaux de sainteté; il forme les
premiers chœurs des anges que l'on appelb; séraphins.
2 2 Betk
2" nom divin correspondant à cette lettre : Bachour 'HinS
(clarté, jeunesse), désigne anges de 2^ ordre, Ophanim D^JS'^i^.
Formes ou roues.
Chérubins (par leur ministère Dieu débrouilla le chaos). ^M ^-t^ '-a^*>
Numération riDDil Hoschma, sagesse. iAo^^-^^\
3 :; Ghimel
Nom Gadol ^*'2,^ (magnus), désigne anges Aralym D^7"!S c'est-à-
dire grands et forts, trônes (par eux Dieu tetragrammaton Elohim
entretient la forme de la rnalière).
Numération Binach HJO providence et intelligence.
4 " Dairth
' - 1^
Nom Dagotil "y^^"^ (insignes^ anges Ilasmalim D^7D\^*n. •^^.*^*'*^
— 37 —
Dominations.
C'est par eux que Dieu EL^J^ représente Jes effigies des corps et
toutes les diverses formes de la matière.
AllriJjut IDn (iiœsed), clémence et bonté.
5 T] Hé
Nom Hadom "j"".!!! (formosus, majesluosus). Seraphim D*S"lW,
puissances (par leur ministère Dieu Elohim Lycbir produit les
éléments).
Numération "ÎÎIS (pachad), crainte et jugement, gauche de
Pierre.
Attribut n"11!2.5 Geburah, force et puissance.
6 1 Vau
A formé V'1 Vezio (cum splendore), G° ordre d'anges □JD5<"lD
Malakim, chœur des vertus (par leur ministère Dieu Eloah produit
les métaux et tout ce qui existe dans le règne minéral).
Attribut ri"l")^Sr Tipherith, Soleil, splendeur.
7 T Za'in
A formé f^,' Zakai (purus nmndus), 7" ordre d'anges, princi-
pautés, enfants d'Elobim (par leur ministère Dieu tétragrammaton
Sababot produit les plantes et tout ce qui existe en végétal).
Attribut "^27] wezat, triomphe, justice.
8 n Ilet/i
Désigne chased l^DH (misericors),angesde8*ordreBené Elohim,
fils des Dieux {chœur des archanges) [Mercure] ; par leur ministère
Dieu Elohim Sabahot produit les animaux et le règne animal.
Attribut lin Ilod, buiange.
9 ta Tet/i
Correspond au n(jm "^'t^ Tebor (mundus purus), auges de
0" ordre cpii président à la naissance des hommes (par leur minis-
tère Saday et l-^lhoi envoient des anges gardiens aux hommes).
Attribut "lin* Jesod, fondement.
:j8
10 f lod
D'où vient fah H' (Deus).
Attribut : royaume, empire et temple de Dieu ou influence par
les héros. C'est par leur ministère que les hommes reçoivent
l'intelligence, l'industrie et la connaissance des choses divines.
Ici finit le inonde angéllque.
1 1 D Caph
Nom "l')2!3 fpolens). Désigne l^"" ciel, i" mobile correspondant
au nom de Dieu 1 exprimé par une seule lettre, c'est-à-dire la
1" cause qui met tout ce qui est mobile en mouvement. La pre-
mière intelligence souveraine qui gouverne le premier mobile,
c'est-à-dire le premier ciel du monde astrologique attribué à la
deuxième personne de la Trinité, s'appelle 3''nt2î2D Mittatron.
Son attribut signifie prince des faces: sa mission est d'introduire
tous ceux qui doivent paraître devant la face du grand Dieu ; elle
a sous elle le prince Orifiel avec une infinité d'intelligences subal-
ternes ; les cabalistes disent que c'est par le ministère de Mitta-
tron que Dieu a parlé à Moïse; c'est aussi par lui que toutes les
puissances inférieures du monde sensible reçoivent les vertus de
Dieu.
Gaf, lettre finale ainsi figurée 1^ correspond aux deux grands
noms de Dieu, composés chacun de deux lettres hébraïques,
El i"^^ lah n^ ; ils dominent sur les intelligences du deuxième
ordre qui gouvernent le ciel dos étoiles fixes, notamment les douze
signes du Zodiaque que les Hébreux appellent Galgol hamnazeloth ;
l'intelligence du deuxième ciel est nommée Raziel. Son attribut
iiiunilie vision de Dieu et sourire de Dieu.
12 ^ Lamr>l
D'où vient Lumined T2*7 (doctus), correspond au nom Sadaï,
nom de Dieu en cinq lettres, nommé emblème du Delta, et domine
sur le troisième ciel et sur les intelligences de 3* ordre qui gou-
vernent la sphère de Saturne.
;}n
13 D Me?n
Meborakc HH'O (beaediclus), corre5«pond au -4'" ciel et au A" nom
Jehovah mn\ domine sur la sphère de Ju[)iter. L'intelligence qui
gouverne Jupiter se nomme Tsadkiel.
Tsidkiel reçoit les iaflueuces de Dieu par rintermi''diaire de
Schebtaïel pour les transmettre aux intelligences du 5'' ordre.
Mem 52, lettre capitale, correspond au 5° ciel et au o** nom de
Dieu; c'est le 5" nom de prince en hébreu. Domine la sphère de
Mars. Intelligence qui gouverne Mars : Samaël. Samaël reçoit les
influences de Dieu- par l'intervention de Tsadkiel et les transmet
aux intelligences du 0'" orih'e.
14 2 Noiin
Nun Xora ^"["'.J (Tormidaltilis) ; correspond aussi au nom
Emmanuel (nobiscum Deus), 6" nom de Dieu; domine le 6^ ciel,
Soleil; V intelligence du Soleil, Raphaël.
Nom " finale ainsi figurée, se rapporte au V nom de Dieu Ararita,
composé de 7 lettres (Dieu immuable). Domine le 7^ ciel et Vénus,
Intelligence de Vénus : Haniel (l'amour de Dieu, justice et grâce de
Dieu).
1 5 D Samech
Xom Samock "î"Q'|l2 .'•'l'i*'"'', firm.uis;, ?>" nom de Dieu; étoile
Mercure; l'"*' intelligence de Mercure, Mikael.
1 6 :: Haïn
Nom 1"^ Ila/.az (forlis'; correspond ;i Jehova-Sabahot. Domine
le 9' ciel; I^une; intelligence de la Lune, (iabriel.
Ici finit le monde archange liqut:.
17 S P/iê
18* nom lui correspond; ni^î Phodé (relcmplor). /?»îp inlellec-
(uelle (Kirchrr, ii, 227 }.
— 40 —
Cettro lettre désigne le Feu, l'élément où luibilcnl les sala-
mandres. Intelligence du Feu, Séraphin et plusieurs sousordres.
Domine en été sur le Sud ou Midi.
La finale T\ ainsi figurée désigne Cair, où habitent les Sylphes.
Intelligences de l'air, Chérubin et plusieurs sous-ordres. Les intel-
ligences de l'air dominent au printemps sur l'Occident ou l'Ouest.
18 ï Tsade
Matière universelle (K). Nom Z' "^ Ïsedek(justu5). Désigne VEau
où habitent les nymphes. Intelligence, Tharsis. Domine en
automne sur l'Ouest ou l'Occident.
Finale ^ forme des éléments (A. E. T. F.) (K).
\ 9 p Coph
Nom dérivé \l*ip Kodesch (sanctus). Terre où habitent les
Gnomes. Intelligence de la Terre, Ariel. En hiver vers le Nord.
Minéraux, inanimé (Kircher).
20 1 Bcsck
Nom nin (i'iiperans) Rodeh, végétaux (Kircher); attribué au
1" principe de Dieu qui s'applique au règne animal et donne la vie
à tous les animaux.
21 ^ S/lin
Nom Schaday HU (omnipolens) qui signifie Dieu tout-puissant,
attribué au second principe de Dieu (animaux, ce qui a vie (Kircher),
qui donne le germe à toutes les substances végétales.
22 n T/iaii
Nom Thechinah pl^HP (gratiosus), Microcosme (Kircher).
.S"" principe de Dieu qui donne le germe à tout ce qui existe dans le
règne minéral.
Cette lettre est le symbole de l'homme parce qu'elle désigne la
fin de tout ce qui existe, de même que l'homme est la lin et la
perfection de toute la création.
— 41
Dicislun
de /'
alpha
het
Unité
9
8
7
0
5
4
3
-i
1
l^' monde
lÛ
n
~
•I
n
1
:
n
^*
Dizuine
90
80
70
60
50
40
30
20
10
2^ inonde
i:
5
D
J
D
n
r
Centaine
900
800
700
600
500
■100
300
200
100
3" monde
:;
5
"
D
1
n
\r;
1
Yoici comment il faut ranger ces lettres et quelle est leur signifi-
cation mystique.
1'° CONNEXION
2" connp:xion
3'^ CONNEXION
SS^î alepli c'est-à-
dire poitrine.
no beth, maison.
;; ghimei, [dénitudo,
rétribution.
I daletb, table el
porle.
II indique quelle est
la maison de Dieu
(pii dans les livres
divins se trouve
nommée pléni-
tude.
n hé (ista, rue), ainsi
celle-ci.
I vau, uncinus.
\ zuïn (Hœc), celle-là,
armes.
n vie.
II indique analogi-
quement l'une et
Tautre vie, et quelle
peut être l'autre
vie sous la même
des écritures par la-
quelle le Christ lui-
même annonce la
vie des croyants.
t2 Ibel, bien, Ijon, dé-
clinaison.
> iod, principe.
Il indique analogi-
quement que, quoi-
que maintenant
nous sachions l'uni-
versalité des choses
écrites, cependant
nous n'en connais-
sons qu'une partie
et nous n'en pro-
phétisons qu'une
partie ; cependant
(juand nous aurons
mérité d'être avec
le Christ, alors ces-
sera la doctrine des
livres, et alors nous
aurons face à face
le bon piinci|ie tel
(ju'il est.
Monde a}i(ji;Hquc.
M —
¥ CONNEXION
o" CONNEXION
6'' CONNEXION
3 capli, main, con-
D
mem, ex ipsis.
"J haïn, source, œil.
duite.
J
ioun,sempilernum.
5 phé, bouche.
"^ lamecl (discipline),
D
samech, adjuto-
i* Isadé, justice.
cœur.
l'i u m .
Il indique analogi-
Ils contiennent ceci :
11
indique analogi-
quement que l'é-
Les mains sont com-
quement que c'est
criture est la sour-
prises dans l'œu-
des écritures que
ce ou l'œil et la
vre, le cœur et la
le? hommes doivent
bouche de la jus-
conduitesontcom-
tirer uniquement
tice, qui contient
pris dans les sens
les sources néces-
l'origine de toutes
parce que nous ne
saires à la vie éter-
les œuvres de la
pouvons rien faire
nelle.
partie constituée
qu'au |) a r a v a n t
par la bouche di-
nous ne sachions
vine.
ce qu'il faut faire.
•
Monde des orbes.
r CONNEXION
p cojih Vocation, voix.
"^ resch Tête.
X} shin Dents.
ri thaii Signe, microcosme.
(Test comme si l'on disait : la vocation de la tète est le
signe des dents ; en effet la voix articulée dérive des dents
et c est par ces signes qu'on parvient à la tête de tous qui
est le Christ et au liovaume éternel.
Monde des / rhimenfs.
- 4:j —
chapitre ih
LES NOMS DIVINS
Si le lecleur a bien compris les données qui précèdent, s'il sait
liien que chaque lettre a trois fins et exprime un hiéroglyphe, un
nombre et une idée, il connaît les fondements de la Kabbale. Il
nous suffira maintenant de nous occuper des C(jmbinaisons.
Si chacune des lettres est une puissance effecti^^e, le groupement
de ces lettres d'après certaines règles mystiques donne naissance à
des centres actifs de force qui peuvent agir d'une manière efficace
lorsqu'ils sont mis en action par la volonté de l'hcjmme.
De là les dix noms divins.
Chacun de ces noms exprime un attribut spécial de Dieu, c'est-à-
dire une loi active de la Nature et un centre universel d'action.
Comme toufes les manifestations divines, c'est-à-dire tous les
actes et tous les êtres, sont liées entre elles autant que les cellules
de l'homme sont liées à lui, mettre une de ces manifestations en
jeu c'est créer un courant d'action réel qui se répercutera dans
tout l'Univers; de même qu'une sensation perçue par l'homme en
un point quelconque de sa peau fait vibrer l'organisme tout entier.
L'élude des noms divins comprend donc :
l" D'une part les qualités spéciales attribuées à ce nom;
2° D'autre part les rapports de ce nom avec le reste de la Nature.
Nous allons aborder ces points l'un après l'autre.
Tout d'abord énumérons ces dix noms qu'on retrouve sur tous
les talismans et dans toutes les formules d'évocation.
Nous mettons les lelties françai-es sous les leltres hébraïques, à
l'envers, pour indi(iuer le sens de la leclure de l'hébreu.
1
a i a A
h'hieU.
2
Al
loi,.
3
aval
lehovali
i
El.
5
aana
Elolia.
6
MiaJÂ
L'iohini.
résumant le Symbolisme de tous les Arcanes majeurs et
du sens de l'un quelconque de ces
PRINCIPE CRÉATEUR
Dieu le Père
Volonté
Le Père
P Actif '>
1
4
7
PRINCIPE CRÉATEUR
Passif n
Adam
Pouvoir
Réalisation
PRINCIPE CRÉATEUR
Équilibrant *
La Xature naturanle
créateur
Fluide universel
Lumière astrale
PRINCIPE CONSERVATEUR
(H) Actif ">
Dieu le Fils
Intelligence
La Mère
2
5
8
PRINCIPE CONSERVATEUR
Passif (n)
Eve
Autorité
Justice
PRINCIPE CONSERVATEUR
La Nature naturée
La Vie universelle
Existenc? élémentaire
Équilibrant 1
PRINCIPE RÉALISATEUR
(1) Actif f
Dieu le Saiiit-Es[>rit
Beauté
Amour
3
6
9
PRINCIPE RÉALISATEUR
Passif n
Adam-Ève, l'Humanité
Amour
Prudence (se taiue)
PRINCIPE RÉALISATEUR
Le Cosmos
Attraction universelle
Fluide astral (aoup.)
É(iuilibraiit 1
Lui-même (
f) Manifesté
Lui-même (H)
+
—
+
D I
E U (21)
L'HOM
L'HUMA
LEAU
permettant de déterminer immédiatement la définition
Arcanes.
Nécessité
l'riiicipe transformateur
universel
La Deslruction
Les Éiément-i
10
13
16
19
La Forre en iniissance
La Mort
La Ciiute adamitpie
La Nutrition
de manifeslaliun
Puissance niagiiiue
La Force plasti(iue
universelle
Le Monde visible
Le Hèçjne minéral
La Liberté
L"lnvolution
L'Immortalité
Le Mouvement propre
11
14
17
20
Le Courage (osF.n)
La Vie corporelle
L'Espérance
La Respiration
La Vie réflérhie
et passagère
La Vie individuelle
Les Forces physiques
Le Règne végétal
Charité
Le Destin
Le Chaos
Le Mouvement
de durée relative
12
15
18
0
Kspéranre (fAvom)
La Destinée
iXaliasIi
Le Corps matériel
L'Innervation
Force é(iuilil>rante
Lumière astrale
en circulation
La Matière
Le Règne animal
Manifesté
Lui-même (1\ Manifesté
Relour (p)
—
+
à
ME (21)
L'UNIVERS (21)
l'Unité
NITÉ
— Ar, —
1
aval
Tetragratnmalon
^'^^♦nî:
Sabaolh.
TÛAaST
8
MiajA
Elohiui.
m^^ni:
Sabaolh.
TOAaST
9
las
S h ad a'/.
0
LXQA
Adonat.
La Kabbale est si merveilleupement construite que tous les termes
qui la constituent ne sont que des faces diverses les uns des autres.
Ainsi nous sommes obligé, vu la pauvreté d'abstraction de nos
langues européennes, d'étudier séparément la signification et les
rapports des dix noms divins, puis la signilicalion et les rapports
des dix nombres, le tout dans leurs diverses acceptions. Or, tout
cela, nom, idée et nombre, se trouve synthétisé dans chacun des
ITuM'oglyphes, soit qu'on parle du nom divin, soit qu'ijn énonce la
Scphiroth.
Ces noms (qui tous ont un sens secret développé en détail dans
les écrits des kabbalistesj méritent d'attirer parliculièrement notre
allrMitiun.
1er Nom divin
Le premier d'entre eux Ekkh s'écrit souvent pai- la siniiile lettre
> (iod). Dans ce cas il signifie simplement MOI.
Lacour, dans son livre des iEloïm ou Dieux de Moïse, montre que
ce mot a donné naissance au grec 'j.v., toujours. Eh'xeh signifie donc
exactement le Toujours, et l'on comprend comment la lettre iod,
qui exprime le commencement et la fin de tout, puisse le repré-
senter.
\. Le nom lEVE ou 10IL\ ne devant jamais être prononcé par les pro-
fanes, est remplacé par le mot télrayrammaton ou le mot aionai (sei-
gneur).
Ce nom écrit mystiquotnenl en triangle par trois iod aiiKsi :
représente les trois principaux attributs de la divinité émanant la
création, du Toujours donnant naissance aux mesures tem|)i>-
relies.
Le premier iod montre en eiïet l'Eternité donnant naissance au
Temps dans sa triple division : Passé. Présent et Avenir.
C'est le i\ ombre.
C'e-t le Père.
Le second iod montre l'Infini donnant naissance à l'Espace dans
sa triple division de Longueur, Largeur et Profondeur.
C'est la Mesure.
C'est le Fils.
Le troisième iod représente la Substance éternelle donnant nais-
sance à la Matière dans sa triple spécifiralion de Solide, Li(|nide el
Gazeuse
C'est le Poids.
C'est le Saint- h' sp rit.
Réunissez en un tout le Temps, l'Espace et la Matière el la Subs-
tance éternelle et infinie, le Toujours se manifestera.
De là la représentation suivante de ce nom divin parles kab-
balistes :
— 48 —
Les correspondances <\e ce nom sont ainsi données par Agrijipa,
l'un des plus forls kabbalisles connus'.
4° Eheie, le nom d'essence divine :
Numération : keter (couronne, diadème), signifie l'être très
simple de la divinité, il s'appelle ce que l'œil n'a point vu. On l'at-
tribue à Dieu le Père et il influe sur l'ordre des Séraphins, ou,
comme parlent les Hébreux, Haiol/i Hacadosch, c'est-à-dire en latin
animalia sanclitatis, les fameux animaux de sainteté, et de là, par
le premier mobile, donne libéralement Je nom de l'être à toutes
choses remplissant l'L'nivers par toute sa circonférence jusqu'au
centre. Son intelligence particulière s'appelle Milhatron (Prince des
Faces) dont l'office est d'introduire les autres devant la face du
Prince, et c'est par le ministère de celui-ci que le Seigneur a parlé
a Moïse.
2e Nom f)^
2° Nom lah :
lod ou ïetragrammatoa joint avec lod ; numération Ilochena
[sapienlia).
Signifie divinité pleine d'idées et premier engendré et s'attiùbue
au fils. Il influe par l'ordre des chérubins (que les Hébreux
nomment Ophanim) sur les formes ou les roues et de là sur le
ciel des étoiles y fabriquant autant de figures qu'il contient d'idées
en soi, débrouillant le chaos ou confusion des matières par le
ministère de son intelligence particulière nommée Raziel qu'v fut le
gouverneur d'Adam.
3e Nom
3° i\om : IBVE — niH* .
Ce nom, l'un des plus mystérieux de la théologie hébraïque,
exprime une des lois naturelles les plus étonnantes que nous con-
naissions.
C'est grâce à la découverte de quelques-unes de ses propriétés
que nous avons pu donner l'explicalion complète du Tarot-, expli-
cation qui n'avait jamais été donnée jusqu'à présent.
Voici comment nous analysons ce nom divin :
LE MOT KAB BALISTIQUE ^\^^\1 ijod-hr-vau-hé).
Si l'on en croit l'antique tradition orale des Hébreux ou Kabbale,
il existe un mot sacré qui donne, au mortel qui on découvre la
véritable prononciation, la clef de toutes les sciences divines et
i. H. G. Agrippa, Philosophie occilte, t. H, p. 30 et suiv.
2. Voyez la sijL^tiificalion dos lettres précédemmnnt.
— A9 —
humaines. Ce mot que les Israélites ne prononcent jamais et que le
grand prêtre disait une fois l'an au milieu des cris du peuple pro-
fane, est celui qu'on trouve au sommet de toutes les initiations,
celui qui rayonne au centre du triangle flamboyant au 33'' degré
franc-maçonnique de l'Ecossisme, celui qui s'étale au-dessus du
portail de nos vieilles cathédrales, il est formé de quatre lettres
hébraïques et se lit iod-hé-vau-hé 7V\rW
II sert dans le Sepher Bereschit ou Genèse de Moïse à désigner la
divinité, et sa construction grammaticale est telle qu'il rappelle
par sa constitution même' les attributs que les hommes se sont
toujours plu à donner à Dieu.
Or, nous allons voir que les pouvoirs attribués à ce mot sont,
jusqu'à un certain point, réels, attendu qu'il ouvre facilement la
porte symbolique de l'arche qui contient l'exposé de toute la
science antique. Aussi nous est-il indispensable d'entrer dans quel-
ques détails à son sujet.
Ce mot est formé de quatre lettres, iod (f\ hr fT\\ van i^\ hé (n).
Cette dernière lettre hé est répétée deux fois.
A chaque lettre de l'alphabet hébraïque est attribué un nombre.
Voyons ceux des lettres qui nous occupent en ce moment.
1 Le iod = 10
n Le hé = 5
1 Le vau = 6
La valeur numérique totale du mot niH^ est donc
10 4-5-f6-f5 = 26
Considérons séparément chacune des lettres.
1. « Ce nom ollVe d'abord le signe indicateur de la vie, doublé, et
formant la racine essentiellement vivante EE ('^'^)- Cette racine n'est
jamais employée comme nom et c'est la seule qui jouisse de celle préro-
gative. Elle est, dès sa formation, non seulement un verbe, mais un verbe
unique dont tous les autres ne sont que des dérivés : en un mol le verbe
»l" (EVE) êlre-élanl. Ici, comme on le voit, et comme j'ai eu soin de
l'expliquer dans ma grammaire, le signe de la lumière intelligible 1 (Vô)
est au milieu de la racine de vie. Moïsp, prenant ce verbe par excellence
pour en former le nom propre de l'Être des Êtres, y ajoute le signe de
la manifestation potentielle et de l'éternité^ (I) et il obtient m»!^ (lEVE)
dans lequel le facultatif étant se trouve placé entre un passé sans origine
et un futur sans terme. Ce nom admiral)le signilîe donc exactement
rLlrc-qui-est-qui-ful-el-qui-sera. »
(Fabre d'Olivet, Langue hébraïque restituée.)
4
oO
LE lOD
Le iod, figuré par une virgule, ou bien par un point, représente
le principe des choses.
Toutes les lettres de l'alphabet hébraïque ne sont que des com-
binaisons résultant de différents assemblages de Ja lettre iodK
L'étude synthétique de la nature avait conduit les anciens à penser
qu'il nexislailquune seule loi dirigeant les productions naturelles.
Cette loi, base de l'analogie, posait l'unité-principe à l'origine des
choses et ne considérait celles-ci que comme des repels à degrés
divers de cette unité-principe. Aussi le iod, formant à lui seul toutes
les lettres et par suite tous les mots et toutes les phrases de l'al-
phabet, était-il justement l'image et la représentation de cette
Unité-Principe dont la connaissance était voilée aux profanes.
Ainsi la loi qui a présidé à la création de la langue des Hébreux
est la même que celle qui a présidé à la création de l'univers, et
connaître l'une c'est connaître implicitement l'autre. Voilà ce que
tend à démontrer un des plus anciens livres de la Kabbale : le
Sepher Jesirah^.
Avant d'aller plus loin, éclairons par un exemple cette délini-
tion que nous venons de donner du iod. La première lettre de
l'alphabet hébreu, l'aleph [j^j, est formée de quatre iod opposés
deux à deux (^'\ Il en est de même pour toutes les autres.
La valeur numérique du iod conduit à d'autres considérations.
L'Uaité-Principe, d'après la doctrine des kabbalistes, est aussi
I'Unité-Fin des êtres et des choses, et l'éternité n'est, à ce point de
vue, qu'un éternel présent. Aussi les anciens symbolistes ont-ils
figuré cette idée par un point au centre d'un cercle, représentation
1. Voy. la Kabbala denudata.
2. Traduit en français récemment pour la première fois. (Se trouve
chez l'éditeur Carré.)
— ol —
de rUnité-Principe [le point) au centre de l'éternité [le cei'cle
ligne sans commencement ni fin').
D'après ces données, l'Unité est considérée comme la somme
dont tous les êtres créés ne sont que les parties const'dvantes ; de
même que l'Unité-Homme est formée de la somme de millions de
cellules qui constituent cet être.
A l'origine de toutes choses la Kabbale pose donc l'affirmation
absolue de l'être par lui-même, du Moi-Unité dont la représenta-
tion est le îorf symboliquement, et le nombre 10 numériquement.
Ce nombre 10 représentant le Pi'incipe-Totit, 1, s'alliant au Néant-
Rien, 0, répond bien aux conditions demandées^.
LE HE
Mais le Moi ne peut se C()ncevoir que par son opposition avec le
Non-Moi. A peine l'affirmation du Moi est-elle établie, qu'il faut
concevoir à l'instant une réaction du Moi-Absolu sur lui-même,
d'où sera tirée la notion de son existence, par une sorte de divi-
sion de l'Unité. Telle est l'origine de la fhialitr,de l'opposition, du
Binaire, image delà féménéité comme l'unité est l'image de la mas-
culinité. Dix se divisant pour s'opposer à lui-même égale donc
— = 5, cinq nombre exact de la lettre Hé, seconde lettre du grand
nom sacré.
Le Hé représentera donc le passif pav roppord au iod qui sym-
bolisera l'actif, le non-moi par rapport au moi, la femme par rap-
port à l'homme; la substance par rapport à l'essence; la vie par
rapport à l'àme, etc., etc.
LE VAU
Mais l'opposition du Moi et du Non-Moi donne immédiatement
naissance à un autre facteur, c'est le rappotH existant entre ce Moi
et ce Non- Moi.
Or, le Vau, G° lettre de l'alphabet hébraïque, produite par 10
1. Voy. Kircher, OEcUpus uEgi/ptiacus;
Loiiain, la Science kabbalisliquc;
J. Dée, Monas Uierogluphicu.
2. Voy. S.iint-MarLiii, Des rapports qui existent entre Dieu, l'Homme et
V Univers;
Lacuria, Harmonies de l'être exprimées par les nombres.
(iod) -\-o (hé) =r 15 = 6 (ou 1 -|" ^)' signifie bien crochet, rapport.
C'est le crochet qui relie les antagonistes dans la nature entière,
constituant le 3^ terme de celle mystérieuse trinité.
Moi — Non-Moi.
Rapport du Moi avec Non-Moi.
LE 2" UÈ
Au delà de la Trinité considérée comme loi, rien n'existe plus.
La Trinité est la formule synthétique et absolue à laquelle abou-
tissent toutes les sciences, et cette formule, oubliée quant à sa
valeur scientifique, nous a été intégralement transmise par toutes
les religions, dépositaires inconscients de la Science Sagesse des
primitives civilisations ^
Aussi trois lettres seulement constituent-elles le grand nom
sacré. Le quatrième terme de ce nom est formé par la seconde
lettre, le Hé, répétée de nouveau ^
Cette répétition indique le passage de la loi Trinitaire dans une
nouvelle application, c'est à proprement parler \ine transition du
monde métaphysique au monde phj'sique ou, en général^ d'un
monde quelconque au monde immédiatement suivant^.
La connaissance de cette propriété du second Hé est la clef du
nom divin tout entier^ dans toutes les applications dont il est sus-
ceptible. Nous en verrons clairement la preuve dans la sititeK
RESUME SUR LE MOT lOD-HE-VAU-HE
Connaissant séparément chacun des termes composant le nom
sacré, faisons la synthèse et totalisons les résultats obtenus.
1. Voy. Elipbas Levi, Dogme et Rituel de haute magie ; la Clef des grands
mystères; — Lacuria, op. cil.
2. Voy. Fabre d'Olivet, la Langue hébraïque restituée.
3. Voy. Louis Lucas, le Roman alchimique.
(t Prseter hsec tria numera non est alia magjiiludo, quod tria sunt omnia,
et ter undecunque, ut jrijthagorici dicunt; omne et omnia tribus determinata
sunt. » (Aristote, cité par Ostrowski, page 24 de sa Mathése).
4. Malt'alli a parfaitement vu cela : « Le passage de 3 dans 4 cor-
respond à celui de laTrimiirli dans Maïa, et comme cette dernière ouvre
le deuxième ternaire de la décade prégénésétique, de même le chilïre 4
ouvre celle du deuxième ternaire de notre décimale génésélique. »
{Mathèse, p. 25.)
— o3 —
Le mot iod-hé-vau-hé est formé de quatre lettres signifiant cha-
cune :
Le lod Le principe actif par excellence.
Le Moi= 10.
Le Hé Le principe passif par excellence.
Le Non-Moi = 5.
Le Vau Le terme médian, le crochet reliant l'actif au
passif.
Le Rapport du Moi au Non-Moi = 6.
Ces trois termes expriment la loi Irinitaire de l'absolu.
Le 2" Bé Le second Hé marque le passage d'un monde
dans un autre. La Transition.
Ce second Hé représente l'Etre complet renfermant dans une
Unité absolue les trois termes qui le constituent Moi-Non-Moi-Rap-
port.
Il indique le passage du noumène au phénomène ou la réci-
proque, il sert à monter d'une gamme dans une autre.
FIGURATION DU MOT SACRE
Le mot iod-hé-vau-hé peut se représenter de diverses manières,
qui toutes ont leur utilité.
Un peut le ligurer en cercle de cette façon :
iod
)
l"hé I 2" hé
n I n
vau
Mais comme le second Hé, terme de transition, devient l'entité
active de la gamme suivante, c'est-à-dire comme ce Hé ne repré-
sente en somme qu'un iod en germe', on peut représenter le mot
sacré en mettant le second Hé sous le premier iod ainsi :
iod
2^ hé
i" hé
vau
Enfin une troisième façon de représenter ce mot consiste à enve-
lopper la trinité, iod hé vau, du terme tonalisateur ou second kr,
ainsi :
2' hé
2^ hé
2«hé
2" hé
L'étude du Tarot n'est que l'étude des transformations de ce
nom divin, ainsi qu'on le voit parla figure synthétique suivante :
i. Ce 2*= Hé, sur lequel nous insistons volontairement si ]onf:;temps,
peut être comparé au grain de blé par rapport à l'épi. L'épi, trinité ma-
nifestée ou iod fié vau, résout toute son activité dans la production dti
grain de blé ou 2e Hé. Mais ce grain de blé n'est que la transition entre
l'épi qui lui a donné naissance et l'épi auquel il donnera lui-même nais-
sance dans la génération suivante. C'est la transition entre une généra-
lion et une autre qu'il contient en germe, c'est pourquoi le deuxième Hé
est un iod en germe.
\le,,.(S/Vd)
ÇoiVCi
1
8
?
5
n
2
ycOi^l
G)<^
LE TAROT
PAPUS
Enfin si nous voulions méjne résumer les déductions des kabba-
listes sur ce 3'' nom, un volume nous serait nécessaire. Eliphas
Levi fournit de merveilleux développements à ce sujet dans tous
ses ouvrages. Kircher développe aussi longuement ses diverses
acceptions. Citons les rapports hiéroglyphiques de niH^ d'après
cet auteur.
L'hiéroglyphe suivant est ainsi expliqué par Kircher.
Le globe central représente l'essence de Dieu inaccessible et
cachée.
L'X image du denaire indique le iod.
Les deux serpents s'échappant du globe en bas sont les deux hé.
Enfin les deux ailes symbolisent l'esprit le Vaô.
Le nom de 72 lettres. — Les 72 génies.
C'est encore de ce nom divin qu'on tire le nom kabbalistique de
72 lettres par le procédé suivant :
On écrit le mot lEVE dans un triangle ainsi qu'il suit :
Le mot sacré. — V manière de l'écrire.
— 37 —
Voici l'explication de ces deux façons d'écrire le nom de
72 lettres.
Pour la première :
Additionnez les nombres correspondant à chaque lettre hébraïque,
vous trouverez le résultat suivant :
> = 10 = 10
n> = 10 + 3 =13
«in» = 10 4- 3 + 6 =21
r\^J^]1 = 10 -f- 3 + 6 -f 3 = 26
Total... 72
Pour la seconde :
Comptez le nombre de boules couronnées qui forment le mot
mn» écrit de cette manière, vous trouverez 24 boules (les 24
vieillards de l'Apocalypse).
^
^
Le mot sacré. — 2" manière de l'écrire.
Chaque couronne ayant trois fleurons, il suffit de multiplier 24
par 3 pour obtenir les 72 lettres mystiques :
24 X 3 = 72
Dans la Kabbale pratique (magie universelle), on se sert des
72 noms des Génies tirés de la Bible par les procédés suivants :
Les noms des 72 anges sont formés des trois versets mystérieux
du chapitre 14 de l'Exode sous les 19, 20 et_21, lesquels versets,
suivant le texte hébreu, se composent chacun de 72 lettres hé-
braïques.
— o8 —
Manière (Vextraire les 72 noms.
Écrivez d'abord séparément ces versets, formez-en trois lignes,
composées chacune de 72 lettres, d'après le texte hébreu, prenez la
première lettre du 19'' et du 20° verset en commençant par la
gauche, ensuite prenez la première lettre du 20* verset qui est celui
du milieu en commençant par la droite; ces trois premières lettres
forment l'attribut du génie. En suivant le même ordre jusqu'à la
fin, vous avez les 72 attributs des vertus divines.
Si vous ajoutez à chacun de ces noms un de ces deux grands
noms divins lah ni ou El Si^, alors vous aurez les 12 noms des
anges composés de trois syllabes, dont chacun contient en lui le
nom de Dieu.
D'autres kabbalistes prennent la première lettre de chaque dic-
tion qui compose un verset.
Mais nous ne devons pas oublier que c'est un résumé de la Kab-
bale que nous présentons à nos lecteurs; aussi terminons ce qui se
rapporte à ce troisième nom pour passer aux sept autres..
3* nom Tetragrammal on Elohim :
Nunierala Bina {providentia et intelligenlia) signifie jubilé,
rémission et repos, rachat ou rédemption du monde et la vie du
siècle à venir; il s'applique au Saint-Esprit et influe par l'ordre
des Trônes (ceux que les Hébreux appellent Arabim, c'est-à-dire
anges grands, forts et robustes) et après par la sphère de Saturne
fournissant la forme de la matière fluide, son intelligence parti-
culière est Zaphohiel, gouverneur de Noé, et l'autre intelligence
est Jophiel, gouverneur de Sem, et voilà les trois numérations
souveraines et les plus hautes qui sont comme les Trônes des
personnes divines par les commandements desquelles toutes choses
se font et arrivent ; mais l'exécution s'en fait par le ministère des
autres sept numérations appelées pour cela les numérations de la
fabrique.
4e Nom
4* nom El :
Numération Hxsed (clementia, bonitas), signifie grâce, miséri-
corde, piété, magnificence, sceptre et main droite; il influe par
l'ordre des Dominations (celui que les Hébreux appellent Hasmalim)
sur la sphère de Jupiter et forme les effigies ou représentations des
corps, donnant à tous les hommes la clémence, la justice pacifique,
— o9 —
et son intelligence particulière se nomme Zadkiel, gouverneur
d'Abraham.
5e Nom
5® nom Elohim Gibor [Deus robustus puniens culpas impro-
borum) :
Numération Geburah (puissance, gravité, force, pureté, juge-
ment, punissant par les ravages et les guerres). On l'adapte au tri-
bunal de Dieu, à la ceinture, à l'épée et au bras gauche de Dieu; il
s'appelle aussi Pechad (crainte) et il influe par l'ordre des Puis-
sances (ou celui que les Hébreux nomment Seraphim) et de là
ensuite par la sphère de Mars à qui appartient la force, et il en-
voie la guerre, les afflictions et change de place les éléments.
Son iiilolligencc particulière est Camael, gouverneur de Samson.
6" Nom
6^ nom Eloha (ou nom de quatre lettres) joint avec Vaudahat :
Numération Tiphpreth (ornement, beauté, gloire plaisir), il
signifie Bois de vie. Il influe par l'ordre des Vertus (ou par celui que
les Hébreux appellent Malackim, c'est-à-dire anges) sur la sphère
du Soleil, lui donnant la clarté et la vie et ensuite produisant les
métaux, et son intelligence particulière est Raphaël, qui fut gouver-
neur d'Isaac et du jeune Tobie, et l'ange Feliel, gouverneur de
Jacob.
7« Nom
7*= nom Tetragrammaton Sabaolh ou Adona'i Sabaoth, c'est-à-
dire le Dieu des armées :
La numération est Nezah (triomphe, victoire), on lui attribue la
colonne dextre et il signifie éternité et justice du Dieu vengeur.
Il influe par l'ordre des Principautés (et par celui que les Hébreux
nomment Elohim, c'est-à-dire des Dieux) sur la sphère de Vénus
et signifie zèle et amour de justice, il produit les végétaux, et son
intelligence s'appelle Haniel et son ange Ce}'irel, conducteur de
David.
8^ Nom
8* nom Elohim Sabaoth, qu'on interprète aussi Dieu des armées,
non pas de la guerre et de la justice, mais de la piété et de la con-
corde; car tous les deux noms, celui-ci et le précédent, ont chacun
leur terme d'armée :
Numération Hod (louange et confession, bienséance et grand
— GO —
renom), on lui attribue la colonne gauche. Il influe par l'ordre des
Archanges (ou par celui que les Hébreux appellent Bene Elohim,
c'est-à-dire fils des Dieux) sur la sphère de Mercure, il donne l'éclat
et la convenance de la parure et de l'ornement et produit les ani-
maux. Son intelligence est i/icAaé7, qui fut gouverneur de Salomon,
9" Nom
9"^ nom Sadai (tout-puissant et satisfaisant à tout) ou Elhai (Dieu
vivant) :
Numération Jesod (fondement). Il signifie bon entendement,
alliance, rédemption et repos. Il influe par l'ordre des Anges (ou
par celui que les Hébreux appellent Cherubim) sur la sphère de la
Lune qui donne l'accroissement et le déclin à toutes choses, qui
préside au génie des hommes et leur distribue des anges gardiens
et conservateurs. Son intelligence est Gabriel, (\\x\ fut conducteur de
Joseph, de Josué et de Daniel.
10^ Nom
10'' nom Adoncâ Melech (Seigneur et Roi) :
Numération Malchut (royaume et empire), signifie Eglise et
Temple de Dieu et porte. Il influe par l'ordre animastique, c'est-à-
dire des âmes bienheureuses, nommé par les Hébreux /ssim, c'est-à-
dire nobles, Eliros et Prince; elles sont au-dessous des Hiérarchies,
elles influent la connaissance aux enfants des hommes et leur
donnent une science miraculeuse des choses, l'industrie et le don
de prophétie ou, comme d'autres disent, l'intelligence Metalhhi qui
porte le nom de première création ou âme du monde; elle fut
conductrice de Moïse.
-- Gl
CHAPITRE IV
LES SÉPHIROTH (d'ai>rès Stanislas de Guaita)
LE TABLEAU DES CORRESPONDANCES
Les Séphiroth. — Exposé de Stanislas de Guaita.
Il nous reste, pour terminer ce qui a rapport à cette partie de la
Kabbale, à parler des numérations ou Séphiroth. Dans ce travail
extrêmement remarquable, un des plus instruits parmi les kabba-
listes contemporains, Stanislas de Guaita., a condensé d'impor-
tantes données tant sur les noms divins que sur les Séphiroth.
Ce travail n'est que l'analyse d'une planche kabbalislique de
Khunrath. Nous donnons d'abord cette planche sur laquelle le lec-
teur pourra suivre les développements donnés par de Guaita.
— 62 —
LA PLANCHE DE KHUNRATH SUR LA ROSE-CROIX
NOTICE SUR LA ROSE -CROIX
La planche kabbalislique offerte en prime aux abonnés de Vlni-
tiation est extraite d'un petit in-folio rare et singulier, bien connu
des collectionneurs de bouquins à gravures et très recherché de
tous ceux que préoccupent, à des titres diver?, l'ésotérisme des
religions, la tradition de la doctrine secrète sous les voiles symbo-
liques du christianisme, enfin la transmission du sacerdoce magique
en Occident.
« Ampaitheatrum sapienti^ j:tern^, solivs verje, chrisliano-kaba-
listicum, divino-magicum, necnon physico-chemicum, tertriunum,
katholikon, instructore Henrico Khlnratu, elc.^ IIanovi^, 1609, in-
folio. »
Unique en son genre, inestimable surtout pour les chercheurs
curieux d'approfondir ces troublantes questions, ce livre est mal-
heureusement incomplet dans un grand nombre de ses exem-
plaires. On nous saura gré peut-être de fournir ici quelques
rapides renseignements, grâce auxquels l'acheteur puisse prévoir
et prévenir une déception.
Les gravures, en taille-douce [l'Initiation compte en reproduire
plusieurs en faveur de ses abonnés), les gravures au nombre de
douze sont ordinairement reliées en tête de l'ouvrage. Elles sont
groupées d'une sorte arbitraire, l'auteur ayant négligé — à dessein
peut-être — d'en préciser la suite. L'essentiel est de les posséder
au complet, car leur classement varie d'exemplaire à exemplaire.
Trois d'entre elles, en format simple : 1° le frontispice allégo-
rique encadrant le titre gravé ; 2° le portrait de l'auteur, entouré
d'attributs également allégoriques ; 3° enfin, une orfraie armée de
besicles, magistralement perchée entre deux flambeaux allumés,
avec deux torches ardentes en sautoir. Au-dessous, une légende
rimée en haut allemand douteux, et que l'on peut traduire :
A quoi servent flambeaux et torches et besicles
Pour qui ferme les yeux, afin de ne point voir?
Puis viennent neuf superbes ligures magiques, très soigneuse-
— 63 —
ment gravées, en format double et montées sur onglets. Ce sont :
1° Le grand androgyne hermétique* ] 2" le Laboratoire de Khun-
rath*; 3° V Adam-Eve dans le triangle verbal; 4° la Rose-Croix^,
pentagrammatique* (dont nous allons parler en détail); 5° les Sept
degrés du sanctuaire et les sept rayons; 6° la Citadelle alchimique
aux vingt portes sans issue*; 7° le Gymnasium naturse, figure syn-
thétique et très savante sous l'aspect d'un paysage assez naïf; 8° /a
Table d'émeraude gravée sur la pierre ignée et mercurielle ; 9° en-
fin, le Pantacle de Khunrath*, enguirlandé d'une caricature sati-
rique, dans le goût de Callot ; c'est même un Gallot avant la lettre.
(A^ ce qu'en dit Eliphas Levi, Histoire de la magie, p. 368.)
Cette dernière planche, d'une sanglante ironie et d'un art sau-
vage vraiment savoureux, manque à peu près dans tous les exem-
plaires. Les nombreux ennemis du théosophe, qui s'y voient
caricaturés d'un génie âpre et que sans peine on devine tiiomphale-
ment soucieux des ressemblances, s'acharnèrent à faire disparaître
une gravure d'un si scandaleux intérêt.
Pour les autres pantacles, ceux dont nous avons fait suivre
l'énoncé d'une astérique font également défaut dans nombre d'exem-
plaires.
Occupons-nous, à cette heure, du texte divisé en deux sections.
Les soixante premières pages, numérotées à part, comprennent un
privilège impérial (en date de 1598), puis diverses pièces : discours,
dédicace, poésies, prologue, arguments. Enfin le texte des pro-
verbes de Salomon, dont le reste de VAmphitheatnim est le com-
mentaire ésotérique.
Vient ensuite ce commentaire, constituant l'ouvrage proprement
dit, en sept chapitres, suivis eux-mêmes d'éclaircissements très
curieux sous ce titre : Interprelaliones et Annotaliones Henrici
Khunrath. Total de cette seconde partie : 222 pages. Un dernier
feuillet porte le nom de l'imprimeur : G. Antonius, et la date :
Hanoviae, M DG. L\.
Nous terminerons cette description par une note importante du
savant bibliophile G. -F. de Bure, qui dit, au tome II de sa Biblio-
{. Celte figure, ainsi que celle marquée dans ces notes au numéro 1
{YAndrogrjiu hermétique) seront reproduites en laille-douce avec un com-
mentaire détaillé, en tête d'une nouvelle édition refondue et considéra-
blement augmentée que nous allons donner chez Carré de notre ouvrage
paru en 1886 : Essais de sciences maudites : I. Au seuil du mystère.
— 64 —
graphie : « Il est à remarquer que dans la première partie de cet
ouvrage, qui est de soixante pages, on doit trouver, entre les
pages 18 et 19, une espèce de table particulière imprimée sur une
feuille entière à onglets, et qui est intitulée : Summa Amphithea-
tri sapientix, etc., et dans la deuxième partie, de deux cent
vingt-deux pages, l'on doit trouver une autre table, pareillement
imprimée sur une feuille entière, à onglets, et qui doit être placée
à la page loi, où elle est rappelée par deux étoiles que Ton a
mises dans le discours imprimé. — Nous avons remarqué que ces
deux tables manquaient dans les exemplaires que nous avons vus ;
c'est pourquoi il sera bon d'y prendre garde... » (page 248).
Passons maintenant à l'étude de la planche kabbalistique que
Vlniliation a offerte à ses abonnés.
ANALYSE DE LA ROSE-CROIX
d'après Henry Kuunrath
Cette figure est un merveilleux pantacle, c'est-à-dire le résumé
hiéroglyphique de toute une doctrine : on trouve là synthétisés,
comme la revue l'a annoncé précédemment, tous les mystères pen-
tagrammatiques de la Rose-Croix des adeptes.
C'est d'abord le point central déployant la circonférence à trois
degrés différents, ce qui nous donne les trois régions circulaires et
concentriques figurant le processus de V Émanation proprement
dite.
Au centre, un Christ en croix dans une rose de lumière : c'est le
resplendissement du Verbe ou de l'Arfam ^arfmôn I^Qlp tZl^?;
c'est l'emblème du Grand Arcane : jamais on n'a plus audacieuse-
ment révélé l'identité d'essence entre l'Homme-Synthèse et Dieu
manifesté.
[Ce n'est pas sans les raisons les plus profondes que l'fiiéro-
graphe a réservé pour le milieu de son pantacle le symbole qui
figure l'incarnation du Verbe éternel. C'est en effet joar le Verbe,
(io
dans le Verbe et à travers le Verbe (indissolublement uni lui-même
à la Vie), que toutes choses, tant spirituelles que corporelles, ont
été créées. — « In principio eral Verbum (dit saint Jean), et Ver-
bum erat apud Deum, et Deus erat Verbum... Omnia per ipsitm
facta sirnt et sine ipso factum est nihil quod factum est. In ipso
vita erat... » Si l'on veut prendre garde à quelle partie de la figure
humaine est attribuable le point central déployant la circonfé-
rence, on comprendra avec quelle puissance hiéroglyphique l'Ini-
tiateur a su exprimer ce mystère fondamental.]
Le rayonnement lumineux fleurit alentour ; c'est une rose épa-
nouie en cinq pétales, — l'astre à cinq pointes du Microcosme kab-
balistique, Y Etoile flamboyante de la Maçonnerie, le symbole de la
volonté toute-puissante, armée du glaive de feu des Keroubs.
Pour parler le langage du Chi'istianisme exotérique, c'est la
sphère de Dieu le fils, placée entre celle de Dieu le Père (la Sphère
d'ombre d'en haut où tranche Aïn-Soph si']D "J'ï^ en caractères
lumineux), et celle de Dieu le Saint-Esprit, liùach Ilakka-
dôsh V:J''liTir\ ni"l (la sphère lumineuse d'en bas où l'hiérogramme
Œmeth rii2S tranche en caractères noirs).
Ces deux sphères apparaissent comme perdues dans les nuages
à'Atziluth T\\TJ'^, pour indiquer la nature occulte de la première
et de la troisième personne de la sainte Trinité : le mot hébreu
qui les exprime se détache en vigueur, lumineux ici sur le fond
d'ombre, là ténébreux sur le fond de lumière, pour faire entendre
que notre esprit, inapte à pénétrer ces principes dans leur essence,
peut seulement entrevoir leurs rapports antithétiques, en vertu de
l'analogie des contraires.
Au-dessus de la sphère A'Aïn-Sopk, le mot sacré de léhovah ou
Ihoâh se décompose dans un triangle de flamme, comme il
suif :
— G6 —
Sans nous engager dans l'analyse hiéi'ogl^'phique de ce vocable
sacré, sans prétendre surtout à exposer ici les arcanes de sa géné-
ration — ce qui voudrait d'interminables développements, — nous
pouvons dire qu'à ce point de vue spécial, lod 1 symbolise le
Père, Jah n^ ie Fils, Icihô in^ l'Esprit-Saint, lahôah niH^ l'Uni-
vers vivant : et ce triangle mystique est attribué à la sphère de
l'ineflable Aïn-Soph, ou de Dieu le Père, f^es Kabbalistes ont
voulu montrer par là que le Père est la source de la Trinité tout
entière, et bien plus, contient en virtualité occulte tout ce qui est,
fut ou sera.
Au-dessus de la sphère à'Œmeth ou de l'Esprit-Saint, dans l'ir-
radiation même de la rose-croix et sous les pieds du Christ, une
colombe à tiare pontificale prend son vol enflammé : emblème du
double courant d'amour et de lumière qui descend du Père au Fils,
— de Dieu à l'Homme — et remonte du Fils au Père, — de
l'Homme à Dieu, — ses deux ailes étendues correspondent exacte-
ment au symbole païen des deux serpents entrelacés au caducée
d'Hermès.
Aux seuls initiés l'intelligence de ce rapprochement mystérieux.
Revenons à la sphère du Fils, qui demande des commentaires
plus étendus. Nous avons marqué ci-dessus le caractère impéné-
trable du Père et de V Esprit-Saint, envisagés dans leur essence.
Seule, la seconde personne de la Trinité, — figurée par la Rose-
Croix centrale, — perce les nuages d'Atziluth, en y dardant les dix
rayons séphirotiques.
Ce sont comme autant de fenêtres ouvertes sur le grand arcane
du Verbe, et par où l'on peut contempler sa splendeur à dix points
de vue différents. Le Zohar compare, en effet, les dix Séphires à
autant de vases transparents de couleur disparate, à travers les-
quels resplendit, sous dix aspects divers^ le foyer central de
rUnité-synthèse. — Supposons encore une tour percée de dix croi-
sées et au centre de laquelle brille un candélabre à cinq branches ;
ce lumineux quinaire sera visible à chacune d'entre elles; celui qui
s'y arrêtera successivement pourra compter dix candélabres
ardents aux cinq branches... (Multipliez le pentagramme par dix,
— G7 —
en faisant rayonner les cinq pointes à chacune des dix ouvertures,
et vous aurez les Chiquante Portes de Lumière).
Celui qui prétend à la synthèse doit entrer dans la tour ; celui
qui ne sait que la contourner est un analytique pur. On voit à
quelles erreurs d'optique il s'expose, dès qu'il veut raisonner sur
l'ensemble.
Nous dirons quelques mots plus loin du système séphirotique ; il
faut en finir avec l'emblème central. Réduit aux proportions géo-
métriques d'un schéma, il peut se tracer ainsi :
Une croix renfermée dans l'étoile flamboyante. C'est le quater-
naire qui trouve son expansion dans le quinaire ; c'est l'Esprit qui
se sous-multiplie pour descendreau cloaque de la matière où il s'em-
bourbera pour un temps, mais son destin est de trouver dans son
avilissement même la révélation de sa personnalité et déjà — pré-
sage de salut — il sent, au dernier échelon de sa déchéance,
sourdre en lui la grande force de la Volonté. C'est le Verbe,
mn*, qui s'incarne et devient le Christ douloureux ou l'homme
corporel, ni\!.*n^, jusqu'au jour où, assumant avec lui sa nature
humaine régénérée, il rentrera dans sa gloire.
C'est là ce qu'exprime l'adepte Saint-Martin au premier tome
({'Erreurs et Vérité.^ quand il enseigne que la chute de l'homme
provient de ce qu'il a interverti les feuillets du Grand Livre de la
Vie et substitué la cinquième page (celle de la corruption et de la
déchéance) à la quatrième (celle de l'immortalité et de l'entité spi-
rituelle).
En additionnant le quaternaire crucial et le pentagramme étoile,
l'on obtient 9, chiffre mystérieux dont l'explication détaillée nous ^
ferait sortir du cadre que nous nous sommes tracé. Nous avons
— c;5 —
ailleurs (Z:o;(/s, tome II, n" 12, p. 327-328) détaillé fort au long et
démontré par un calcul de kabbale numérique, comme quoi 9 est
le nombre analytique de l'homme. Nous renvoyons le lecteur à
cette exposition...
Notons encore, — car tout se tient en Haute Science et les con-
cordances analogiques sont absolues, — notons que dans les figures
sphériques de la Rose-Croix, la rose est traditionnellement formée
de neuf circonférences entrelacées, à l'instar des anneaux d'une
chaîne. Toujours le nombre analytique de l'homme : 9!
Une importante remarque et qui sera une confirmation nouvelle
de notre théorie. Il est évident, pour tous ceux qui possèdent quelques
notions ésotériques, que les quatre branches de la croix intérieure
(figurée par le Christ les bras étendus) doivent être marquées aux
lettres du tétragramme ; lod, hé, vaxt, hé. — Nous ne saurions reve-
nir ici sur ce que nous avons dit ailleurs* de la composition hiéro-
glyphique et grammaticale de ce mot sacré : les commentaires les
plus étendus et les plus complets se trouvent communément dans
les œuvres de tous les kabbalistes. (V. de préférence Rosenroth,
Kabhala denudaia; Lenain, la Science kabbaliitique ; Fabre d'Oli-
VET, Langue hébraïque restit^iée; Eltphas Levi, Dogme et Rituel,
Histoire de la magie, Clef des grands mystères, et Papus, Traité
élémentaire de la science occulte.) Mais considérons un instant l'hié-
rogramme Jeschua nTH^il^ \ de quels éléments se trouve-t-il com-
posé? Chacun peut y voir le fameux tétragramme niH^ écartelé
par le milieu îlVn^, puis ressoudé par la lettre hébraïque ^27 schin.
Or, n^m exprime ici VAdam-Kadmôn, l'Homme dans sa synthèse
intégrale, en un mot, la divinité manifestée par son Verbe et figu-
rant l'union féconde de l'Esprit et de l'Ame universels. Scinder ce
mot, c'est emblématiser la désintégration de son unité et la multi-
plication divisionnelle qui en résulte pour la génération des sous-
multiples. Le schin \27, qui rejoint les deux tronçons, figure (Ar-
cane 21 ou 0 du Tarot) le feu générateur et subtil, le véhicule de
la vie non différenciée, le Médiateur plastique universel dont le
rôle est d'effectuer les incarnations en permettant à l'Esprit de
descendre dans la matière, de la pénétrer, de l'évertuer, de l'éla-
\. Au seuil du mystère, 1 vol. gv. in-8. Carré, 1886, page 12. — Lotus,
tome II, n° 12, pages 321-347, passim...
— 60 —
borer à sa guise enfin. Le \i; en trait d'union aux deux parties du
tétragramme mutilé est donc le symbole de la chute et de la fixa-
tion, dans le monde élémentaire et matériel, de niH^ désintégré
de son unité.
C'est \i7 enfin, dont l'addition au quaternaire verbal de la sorte
que nous avons dite, engendre le quinaire ou nombre de la
déchéance. Saint-Martin a très bien vu cela. Mais 5, qui est le
nombre de la chute, est aussi le nombre de la volonté, et la volonté
est l'instrument de la réintégration.
Les initiés savent comment la substitution de 5 à 4 n'est que
transitoirement désastreuse; comment, dans la fange où il se
vautre déchu, le sous-multiple humain apprend à conquérir une
personnalité vraiment libre et consciente. Félix culpa! De sa chute,
il se relève plus fort et plus grand ; c'est ainsi que le mal ne suc-
cède jamais au bien que temporairement et en vue de réaliser le
mieux!
Ce nombre o recèle les plus profonds arcanes ; mais force nous
est de faire halte ici, sous peine de nous trouver engagé dans d'in-
terminables digressions. — Ce que nous avons dit du 4 et du 5
dans leurs rapports avec la Rose-Croix suffira aux InUiables. Nous
n'écrivons que pour eux.
Disons quelques mots à cette heure des rayons, au nombre de
dix, qui percent la région des nuages ou d'Atziluth. C'est le dénaire y^
de Pythagore qu'on appelle en Kabbale émanation séphirotique.
Avant de présenter à nos lecteurs le plus lumineux classement des
Séphiroths kabbalisliques, nous tracerons un petit tableau des cor-
respondances traditionnelles entre les dix séphires et les dix prin-
cipaux noms donnés à la divinité par les théologiens hébreux : ces
noms, que Khunrath a gravés en cercles dans l'épanouissement de
la rose flamboyante, correspondent chacun à l'une des dix Séphires.
(Voir le tableau à la page 521.)
Quant aux noms divins, après avoir donné leur traduction en
langage vulgaire, nous allons, aussi brièvement que possible,
déduire de l'examen hiéroglyphique de chacun d'eux, la significa-
tion ésolérique moyenne qui peut leur être attribuée :
n>n^^. — Ce qui constitue l'essence immarcessible de l'Etre
absolu où fermente la vie.
^^ — L'indissoluble union de l'Esprit et de l'Ame universels.
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nin\ — Copulation des Principes mâle et femelle qui engen-
drent éternellement l'Univers vivant. (Grand arcane du Verbe.)
^j^, — Le déploiement de l'Unité-principe. — Sa diffusion dans
rKspace et le Temps.
*^"',2J| DTI ;i^. — Dieu-les-dieux des géants ou des hommes-
dieux.
^'',S^^. — Dieu reflété dans l'un des dieux.
r"^.^!2^mn^ — Le lod-hévê (voir plus haut) du septénaire ou
du triomphe.
JT1>Î2^ D'^'l^ — Dieu-les-dieux du septénaire ou du
triomphe.
>^\j;, — Le fécondateur, par la Lumière astrale en expansion
quaternisée, puis son retour au principe à jamais occulte d'oij elle
émane. (Masculin de rifH^, la Fécondée, la Nature).
^j-j^, — La multiplication quaterne ou cubique de l'Unité-
principe, pour la production du Devenir changeant sans cesse (le
zavTx pE'. d'Heraclite); puis l'occultation finale de l'objectif concret,
par le retour au subjectif potentiel.
"T^tO, — La Mort maternelle, grosse de la vie : loi fatale se
déployant dans tout l'Univers, et qui interrompt avec une force
soudaine son mouvement de perpétuel échange, chaque fois qu'un
être quelconque s'objective.
Tels sont ces hiérogrammes dans l'une de leurs significations
secrètes.
Notons à cette heure que chacune des dix séphires (aspects du
Verbe) correspond, dans le pantacle de Khunrath, à l'un des
chœurs angéliques ; idée sublime, quand on sait l'approfondir. Les
anges, en Kabbale, ne sont pas des êtres d'une essence particu-
lière et immuable : tout vit, se meut et se transforme dans l'Uni-
vers vivant ! En appliquant aux hiérarchies célestes la belle
comparaison par laquelle les auteurs du Zohar tâchent d'expri-
mer la nature des séphires, nous dirons que les chœurs angé-
liques sont comparables à des enveloppes transparentes et de
couleurs diverses, oii viennent briller tour à tour d'une lumière
de plus en plus splendide et pure, les Esprits qui, définitivement
affranchis des formes temporelles, montent les suprêmes degrés
de l'échelle de Jacob, dont l'Ineffable ilin^ occupe le sommet.
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A chacun des chœurs angéliques, Khunrath fait correspondre
encore l'un des versets du décalogue : c'est comme si l'ange recteur
de chaque degré ouvrait la bouche pour promulguer l'un des pré-
ceptes de la loi divine. Mais ceci semble un peu arbitraire et moins
digne de fixer notre attention.
Une idée plus profonde du théosoiihe de Leipzig est de faire sor-
tir les lettres de l'alphabet hébreu de la nuée d'Azilulh criblée des
rayons séphirotiques.
Faire naître des contrastes de la Lumière et des Ténèbres les
vingt-deux lettres de l'alphabet sacré hiéroglyphique, — les
quelles correspondent, comme on sait, aux vingt-deux arcanes de
la Doctrine absolue, traduits en pantacles dans les vingt-deux clefs
du Tarot samaritain, — n'est-ce pas condenser en une image frap-
pante toute la doctrine du Livre de la Formation, Sephcr-Yetzirah
(nV>^ 15D) ? Ces emblèmes, en effet, tour à tour rayonnants et
lugubres, mystérieuses figures qui symbolisent si bien le Fas et le
Nefas de l'éternel Destin, Henry Khunralh les fait naître de l'ac-
couplement fécond de l'Ombre et de la Clarté, de l'Erreur et. de la
Vérité, du Mal et du Bien, de l'Être et du Non-Être! Tels soudain
surgissent à l'horizon d'imprévus fantômes, au visage souriant ou
lugubre, splendide ou menaçant, quand sur l'amoncellement des
nuages denses et sombres, Phœbus, une fois encore vainqueur de
Python, darde ses flèches d'or.
Le tableau que voici fournira, avec le sens réel des séphirolhs,
les correspondances qu'établit la Kabbale entre elles et les hiérar-
chies spirituelles :
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Pour compléter les notions élémentaires que nous avons pu
fournir touchant le système séphirotique, nous terminerons ce tra-
vail par le schéma, bien connu du triple ternaire; ce classement est
le plus lumineux, selon nous, et le plus fécond en précieux corol-
laires.
Blinah
Geburah
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Tiphéreth
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7O Chesed +
-O Hod.
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Malkuth
Les trois ternaires figurent la trinité manifestée dans les trois
mondes.
Le premier ternaire, — celui du monde intellectuel, — est seul
la représention absolue de la trinité sainte : la Providence y équi-
libre les deux plateaux de la Balance de l'ordre divin : la Sagesse
et V Intelligence.
Les deux ternaires inférieurs ne sont que les reflets du premier
dans les milieux plus denses des mondes moral et astral. Aussi
sont-ils inve7-sés, comme l'image d'un objet qui se reflète à la sur-
face d'un liquide.
Dans le monde moral, la Beauté (ou l'Harmonie ou la Rectitude)
équilibre les plateaux de la balance : la Miséricorde et la Justice.
Dans le monde astral, la Génération, instrument de la stabilité
des êtres, assure la Victoire sur la mort et le néant, en alimentant
l'Éternité par l'intarissable succession des choses éphémères.
Enfin, Malkuth, le Royaume des formes, réalise en bas la syn-
thèse totalisée, épanouie et parfaite des séphiroths, dont en haut
Kether, la Providence (ou la couronne) renferme la synthèse ger-
minale et potentielle.
Bien des choses nous resteraient encore à dire de la Rose-Croix
symbolique de Henry Khunrath. Mais il faut nous borner.
Au demeurant, ce ne serait pas trop d'un livre entier pour le
développement logique et normal des matières que nous avons
cursivement indiquées en ces quelques notes; aussi le lecteur nous
tiouvera-t-il fatalement trop abstrait et même obscur. Nous lui
présentons ici toutes nos excuses.
Peut-être, s'il prend la peine d'approfondir la Kabbale à ses
sources mêmes, ne sera-t-il pas fâché de retrouver, au cours de cet
exposé massif et de si fatigante lecture, l'indication précise et
même l'explication en langage initiatique d'un nombre assez
notable d'arcanes transcendants.
Comme l'algèbre, la Kabbale a ses équations et son vocabulaire
technique. Lecteur, c'est une langue à apprendre, dont la merveil-
leuse précision et l'emploi coutumier vous dédommageront assez
par la suite des efforts où votre esprit a pu se dépenser dans la
période de l'étude.
Stanislas de Guaita.
Cercle résumant l'enseignement de la Kabbale
(voie page 106).
DERIVATION DES CANAUX
Voir le tableau frontispice (p. 28) pour les sept qu'ils joignent. Je
n'indique ici que le nom divin qu'ils désignent.
1 J^ Dieu de l'Infinité H^^
2 "2 Dieu de la Sagesse H^H
3 5 Dieu de la Rétribution PI^A
4 "7 Dieu des Portes de Lumière HH
5 n Dieu de Dieu ïl^n
6 1 Dieu fondateur H^l
7 7 Dieu de la Foudre (fulgoris) n^T
8 n Dieu de la Miséricorde n^Il
9 t3 Dieu de la Bonté H^tO
10 y Dieu principe H^^
H ^ Dieu immuable n^)2
12 S Dieu des 30 voies de la Sagesse HH
13 Q Dieu arcane îl^D
14 J Dieu des 50 portes de la Lumière n^3
15 D Dieu foudroyant H^D
10 *; Dieu adjurant H*^
17 2 Dieu des Discours îl^S
18 ï Dieu de Justice H^ï
19 p Dieu du Droit H^p
20 -] Dieu lête HH
21 \2; Dieu Sauveur r\^)î;
22 n Dieu fin do tout H^D
Tous les noms ont la même terminaison rW Leur signification
dépend uniquement de la lettre initiale et, par suite, peut servir à
établir la signification de la lettre initiale elle-même.
78 —
RESUME
Il existe donc entre les nombres, les noms divins, les lettres et
les séphiroths d'étroits rapports ; Stanislas de Giiaita vient d'en
énumérer quelques-uns ; les deux tableaux suivants, extraits l'un
de Kh'cher, l'autre du R. P. Esprit Sabbathier, vont développer
encore toutes ces concordances et résumer tout ce que nous avons
dit jusqu'ici. Nous plaçons ici une table générale montrant non
seulement les Séphiroths et les noms divins, mais encore la
Kabbale tout entière dans un coup d'œil d'ensemble.
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(Ombre idéale de la Sagesse universelle).
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Saint-Esprit Père Fils
Hahk Odesh Verouah Ben Af
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Nous avons promis de finir notre exposé en donnant les plans
des deux principaux traités qui ont été faits sur la question ; celui
de Kirclier et celui de Lenahi. Le lecteur comprendra maintenant
ces plans grâce à l'exposé qu'il vient de parcourir et il verra que
nous avons fait tous nos efforts pour résumer au mieux cette partie
de la kabbale hébraïque.
TLAN DE L ÉTUDE DE KIRCHEH
Ch. 1. Les noms divins. — Les divisions de la Kabbale.
— 2. Histoire et origines de la Kabbale.
— 3. Premier fondement de la Kabbale. — L'alphabet, ordre
mystique de ses caractères.
— 4. Les noms et surnoms de Dieu. ,
— 5. Les tables Zruph ou des combinaisons de l'alphabet
hébraïque.
— G. Du nom divin de 72 lettres (mn^) et de son usage.
— 7. Le nom divin tétragrammatique dans l'antiquité païenne.
— 8. Très secrète théologie mystique des Hébreux. — Kabbale
des dix Séphiroths ou numérations divines.
— 9. Des diverses représentations des Séphiroths, de leur in-
flux et de leurs canaux.
— 10. De la Kabbale naturelle appelée Bereschit*.
PLAN DE l'Étude de lexain
Ch, 1. Du nom de Dieu et de ses attributs.
— 2. De l'origine des noms divins, leurs attributs et leur in-
fluence sur l'Univers. (Alphabet et sens des lettres.)
— 3. Explication des 72 attributs de Dieu et des 72 anges qui
dominent sur l'Univers.
— 4. Les 72 noms.
— o. Explication du calendrier sacré.
— G. Les influences des 72 génies^ leurs attributs et leurs
mystères.
— 7. Les mystères (Kabbale pratique). Magie.
1. Voy. pour le développement, p. 158, n" 179.
— 83 —
CHAPITRE V
LA PHILOSOPHIE DE LA KABBALE
l'ame d'après la kabbale
2°. — La philosophie de la Kabbale.
La partie systématique de la Kabbale se trouve exposée dans le
paragraphe précédent. H nous reste à parler de la partie philoso-
phique.
Nous avons fait, lors de la réédition de l'excellent livre de
M. Ad. Franck, une critique de cet ouvrage dans laquelle nous
résumions de notre mieux les enseignements doctrinaux de la
Kabbale, en rattachant ces enseignements à quelques points de
science contemporaine, selon notre habitude.
Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ce travail en le
faisant suivre de la lettre que M. Franck nous adresse à ce propos.
Ensuite, pour bien indiquer la profondeur des données kabbalis-
tiques en ce qui concerne l'homme et ses transformations et l'iden-
tité de ces données avec la tradition orientale, nous terminerons
ce paragraphe par une étude d'un kabbaliste allemand contempo-
rain, Cari de Leiningen.
1
ANALYSE DU LIVRE DE M. FRANCK
la kabbale
M. Franck a fait de la Kabbale une étude très sérieuse et très
approfondie, mais au point de vue particulier des philosophes con-
temporains et de la critique universitaire. H nous faudra donc
résumer de notre mieux ses opinions à ce sujet; mais en mettant
à cùlé celles des kabbalistes contemporains connaissant plus ou
moins l'Esotérisme. Ces deux points de vue quelque peu différents
ne peuvent qu'éclairer d'un jour tout nouveau une question si
importante en Science Occulte.
Ces considérations indiquent par elles-mêmes le plan que nous
suivrons dans cette étude. Nous résumerons successivement les
opinions de M. Franck sur la Kabbale elle-même, sur son antiquité
— 84 —
et sur ses enseignements en discutant chaque fois les conclusions
de cet auteur comparativement à celles des occultistes contem-
porains.
Nous devrons toutefois nous borner aux questions les plus géné-
rales, vu le cadre restreint dans lequel doit se développer notre
article.
Voyons d'abord le plan sur lequel est construit le livre de
M. Franck.
La méthode suivie dans sa disposition est remarquable par
la clarté avec laquelle des sujets si difficiles se présentent au
lecteur.
Trois parties, une introduction et un appendice forment la char-
pente de l'ouvrage.
L'introduction et la préface donnent une idée générale de la
Kabbale et de son histoire.
La première partie traite de l'antiquité de la Kabbale d'après ses
deux livres fondamentaux, le Sepher Jesirah et le Zohardont l'au-
thenticité est admirablement discutée.
La seconde partie, la plus importante sans contredit, analyse les
doctrines contenues dans ces livres, base des études kabbalis-
tiques.
Enfin la troisième partie étudie les rapprochements du système
philosophique de la Kabbale avec les écoles diverses qui peuvent
présenter avec elle quelque analogie.
L'appendice est consacré à deux sectes de Kabbalistes.
En résumé, toutes ces matières peuvent se renfermer dans les
questions suivantes :
1° Qxi est-ce que la Kabbale et quelle est son antiquité?
1° Quels sont les enseignements de la Kabbale :
Sur Dieu;
Sur C Homme;
Sur r Univers?
3° Quelle est l'influence de la Kabbale sur la philosophie à travers
les âges ?
Il nous faudrait un volume pour traiter comme il le mérite un
tel sujet; mais nous devons nous contenter de ce que nous avons
et nous borner aux indications strictement nécessaires à cet
effet.
85 —
qu'est-ce que la kabbale et quelle est son antiquité ?
Se plaçant sur le terrain strict des faits établis sur une solide
érudition, M. Franck définit ainsi la Kabbale :
« Une doctrine qui a plus d'un point de ressemblance avec celles
de Platon et deSpinosa; cjui, par sa forme, s'élève quelquefois
jusqu'au ton majestueux de la poésie religieuse; qui a pris nais-
sance sur la même terre et à peu près dans le même temps que le
christianisme ; qui, pendant une période de douze siècles, sans autre
preuve que l'hypothèse d'une antique tradition, sans autre mobile
apparent que le désir de pénétrer plus intimement dans le sens des
livres saints, s'est développée et propagée à l'ombre du plus pro-
fond mystère : voilà ce que l'on trouve, après qu'on les a épurés de
tout alliage, dans les monuments originaux et dans les plus anciens
débris de la Kabbale. >^
Sur la première partie de cette définition tous les occultistes sont
d'accord : la Kabbale constitue bien en effet une doctrine ù^adi-
tionnelle, ainsi que l'indique son nom même*.
Mais nous différons entièrement d'avis avec M. Franck sur la
question de V origine de celte tradition.
Le critique universitaire ne peut s'écarter dans ses travaux de
certaines règles établies dont la principale consiste à n'appuyer
l'origine des doctrines qu'il étudie que sur les documents bien
authentiques pour lui, sans s'occuper des affirmations plus ou
moins intéressées des partisans de la doctrine étudiée.
C'est la méthode suivie par M. Franck dans ses recherches his-
toriques au sujet de la Kabbale. Il détermine au mieux l'origine
1. « Il paraît, au dire des plus fameux rabbins, que Moyse Iiii-niôniP,
prévoyant le sorl que son livre devait subir et les fausses interprclalious
qu'on devait lui donner par la suite des temps, eut recours à une loi
orale, qu'il donna de vive voix à des hommes sûrs dont il avait éprouvé
la fidélité, et qu'il chargea de Irnnsmellre dans le secret du sanctuaire
à d'autres hommes qui, la transmettant ;i leur tour d'âge eu âge, la fis-
sent ainsi parvenir h la postérité la plus reculée. Cette loi orale que les
Juifs modernes se flattent encore de posséder se nomme Kabbale, d'un
mol hébreu qui signifie ce qui est reçu, ce qui vient d'ailleurs, ce qui
se passe de main en main. »
(Fabkk d'Olivet, Langue hé^irdique restituée, p. 29.)
— so-
dés deux ouvrages fondamentaux de la doctrine : le Sepher Jesi-
rah et le Zohar et infère de cette origine même celle de la Kabbale
tout entière.
L'occultiste n'a pas à tenir compte de ces entraves. Un symbole
antique est pour lui un monument aussi authentique et aussi pré-
cieux qu'un livre, et la tradition orale ne peut que transmettre des
formules à forme dogmatique que la raison et la science doivent
contrôler et vérifier ultérieurement.
Wronski définit les dogmes des porismes, c'est-à-dire des pro-
blèmes à démontrer^ ; c'est pourquoi nous devons poser d'abord les
dogmes traditionnels, mais sans jamais les admettre avant de les
avoir scientifiquement vérifiés.
Or, nous allons voir ce que la tradition occulte nous enseigne au
sujet de l'origine de l'Esotérisme et par suite de la Kabijale elle-
même, en posant comme problème à démontrer ce que la science
n'a pu encore éclaircir, mais en indiquant par contre les points où
elle vient confirmer les conclusions de la tradition orale ou écrite
de la Science Occulte.
Chaque continent a vu se générer progressivement une don' et
une faune couronnées par une race humaine. Les continents sont
nés successivement de telle sorte que celui qui contenait la race
humaine qui devait succéder h. celle existante, naissait au moment
où cette dernière était en pleine civilisation. Plusieurs grandes
civilisations se sont ainsi succédé sur notre planète dans l'ordre
suivant :
1° La civilisation colossale de l'Atlantide, civilisation créée par
la Race Rouge, évoluée d'un continent aujourd'hui disparu, qui
s'étendait à la place de l'océan Atlantique ;
2° Au moment où la Race Rouge était en pleine civilisation,
naissait un continent nouveau qui constitue l'Afrique d''aujour-
d'hui, générant, comme terme ultime d'évolution, la Race
Noire.
Quand le cataclysme qui engloutit l'Atlantide se produisit, cata-
clysme désigné par toutes les religions sous le nom de Déluge uni-
versel, la civilisation passa rapidement aux mains de la Race
i. Wronski, Messianisme ou réforme absolue du Savoir humain, t. H,
Introduction.
— 87 —
Noire, à qui les quelques survivants de la Hace Rouge transmirent
leurs principaux secrets.
3" Enfin, alors que les Noirs furent eux-mêmes arrivés àl'apogée
de leur civilisation, naquit avec un nouveau continent (Europe-
Asie) la Race Blanche, à qui devait passer ultérieurement la
suprématie sur la planète.
Les données que nous venons de résumer là ne sont pas nou-
velles. Ceux qui savent lire ésolériquement le Scpher de Moïse en
trouveront la clef dans les premiers mots du livre, ainsi que nous
l'a montré Saint-Yves d'Alveydre ; mais sans aller si loin, Fabre
d'Olivet, dès 18:20, dévoilait cette doctrine dans V Histoire philoso-
phique du Genre Humain. D'autre part, l'auteur de la Mission des
Juifs nous fait voir l'application de cette doctrine dans le Ramayana
lui-même.
La Géologie est venue prouver, de concert avec l'Archéologie
et l'Anthropologie, la réalité de plusieurs points de cette tra-
dition.
De plus, certains problèmes encore obscurs de la théorie de
l'évolution, entre autres celui de la diversité des couleurs de la Race
Humaine, trouvent là de précieuses données encore inconnues de
nos jours de la Science officielle.
C'est donc de la Race Rouge que vient originairement la tradi-
tion et, si l'on veut bien se souvenir (\\xAdayn veut dire terre rouge,
on comprendra pourquoi les Kabbalistes font venir leur science
d'Adam lui-même.
Celte tradition eut donc comme sièges principaux de transmis-
sion : V Atlantide, V Afrique, VAsie et enfin Y Europe.
L'Océanie et l'Amériipie sont des vestiges de l'Atlantide, et d'un
continent antérieur: la Lémurie.
Beaucoup de ces affirmations dogmatiques étant encore pour le
savant contemporain des porismes (problèmes à démontrer), nous
nous contentons de les poser, sans discussion, et nous allons
maintenant partir du point où en est arrivée la science officielle
comme origine de l'Humanité : ïAsie.
Toutes les traditions, celles des Bohémiens^ des Francs-
^. Voy. la Kdhhalc des Bohémiens, n° 2 ci'" V înitiiition .
— 88 —
Maçons^, des Égyptiens et des Kabhalistes^ , corroborées par la
Science officielle elle-même, sont d'accord pour considérer l'Inde
comme l'origine de nos connaissances philosophiques et reli-
gieuses.
Le mythe à' Abraham indique, ainsi que l'a montré Saint-Yves
d'Alveydre, le passage de la tradition indoue ou orientale en
Occident ; et comme la Kabbale que nous possédons aujourd'hui
n'est autre chose que cette tradition adaptée à l'esprit occidental,
on comprend pourquoi le plus vieux livre kabbalistique connu, le
Sepher Jesirah, porte en tète la notice suivante :
LE LIVRE KABBALISTIQUE DE LA CREATION
EN HÉBREU, SEPBER JESIRAU
Par ABRAHAM
Transmis successivement oralement à ses fils; puis, vu le mauvais état des
affaires d'Israël, confié par les sages de Jérusalem à des arcanes et à des
lettres du sens le plus caché 3.
Pour prouver la vérité de cette affirmation, il nous faudra donc
montrer les principes fondamentaux de la Kabbale et particulière-
ment les Séphirolhs dansl'ésotérismeindou. Ce point, qui a échappé
à M. Franck, nous permettra de poser l'origine de la filiation bien
au delà du premier siècle de notre ère. C'est ce que nous ferons
tout à l'heure.
Pour le moment, contentons-nous de dire quelques mots de
l'existence de cette tradition ésotérique dans l'antiquité, tradition
qui existe réellement malgré l'avis de Littré*, avis partagé en
partie par un des auteurs du Dictionnaire pliilosophique de
Ad. Franck^.
Chaque réformateur religieux ou philosophique de l'antiquité
divisait sa doctrine en deux parties: l'une voilée, à l'usage de la
foule ou exotérisme, l'autre claire, à l'usage des initiés ou éso-
térisme.
Sans vouloir parler des Orientaux, Bouddha, Gonfucius ou
1. Voy. Ragon, Orthodoxie Maçonnique.
2. Voy. Saint-Vves d'Alveydre, Mission des Juifs.
3. Papus, le Sepher Jesirah, p. 5.
4. Préface à la 3e édit. de Salverte (Sciences occultes).
o. Article Esotérisme.
— 89 —
Zoroastre, l'histoire nous montre Orphée dévoilant l'ésotérisme
aux initiés par la création des mystères, Moïse sélectant une tribu
de prêtres ou initiés, celle de Lévi, parmi lesquels il choisit ceux à
qui peut être confiée la tradition. Mais la transmission ésotérique
de cette tradition devient indiscutable vers l'an 550 avant notre
ère, avec Pythagore initié aux mômes sources qu'Orphée et Moïse,
en Egypte.
Pythagore avait un enseignement secret basé principalement sur
les nombres, et les quelques bribes de cet enseignement que nous
ont transmises les alchimistes', nous montrent son identité absolue
avec la Kabbale dont il n'est qu'une traduction.
Cette tradition se perd d'autant moins parmi les disciples du
grand philosophe qu'ils vont se retremper à sa source originelle,
en Egypte, ou dans les mystères grecs. Tel est le cas de Socrate,
de Platon et d'Aristote.
La lettre d'Alexandre le Grand adressée à son maître et l'accu-
sant d'avoir dévoilé l'enseignement ésotérique, prouve que cet
enseignement traditionnel et oral subsistait toujours à cette
époque.
Nous en retrouverons encore mention dans Plutarque quand il
dit que les serments scellent ses lèvres et qu'il ne peut parler; enfin
il est inutile d'allonger notre travail de toutes les citations que
nous pourrions encore faire, ces détails sont assez connus des
occultistes pour qu'il ne soit pas nécessaire d'insister davantage.
Signalons en dernier lieu l'existence de cette tradition orale
dans le christianisme alors que Jésus dévoile à ses disciples seuls
le véritable sens des paraboles dans le discours sur la montagne, et
qu'il confie le secret total de la tradition ésotérique à son disciple
favori, saint Jean.
L' Apocalypse est entièrement kabbalistique et représente le véri-
table ésotérisme chrétien.
[j'antiipiilé de cette tradition ne peut donc faire aucun doute, et
la Kabbale est bien plus ancienne que l'époque que lui assigne
M. Franck, du moins pour nous autres, occultistes occidentaux. En
outre, elle a pris naissance sur une terre très éloignée de celle où
est né le christianisme, ainsi que nous le montreront les Séphiroths
indoiis.
Mais il est temps d'arrêter là le développement de notre pre-
mière question et de dire quelques mots des enseignements de la
Kabbale.
i. Voy. Jean Dée, MoJias hieroglyphica in Theatrum Chemicum.
— 90
IT
ENSEIGNEMENTS DE LA KABBALE
On peut faire à M. Franck quelques critiques au sujet de la
manière dont il présente les enseignements de la Kabbale. En
eiïet, si les données kabbalistiquessur chaque sujet particulier sont
analysées avec une science merveilleuse, aucun renseignement
n'est fourni sur l'ensemble du système considéré synthétiquement.
Par exemple, après avoir lu le chapitre iv, intitulé : Opinions des
Kabbalistes sur le Monde, le lecteur connaît certains points de la
tradition concernant les Anges, l'Astrologie, l'unité de Dieu et de
l'Univers; mais il est impossible de se faire, d'après ces données,
une idée générale de la constitution du Cosmos.
Nous allons nous efforcer de présenter à nos lecteurs un résumé
aussi clair que possible de ces traditions kabbalistiques, si bien
analysées d'ailleurs par notre auteur. Pour être compréhensible
dans des sujets aussi ardus, nous partirons dans notre analyse de
l'étude de THomme, plus facilement appréciable pour la généra-
lité des intelligences, et nous n'aborderons qu'en dernier lieu les
données métaphysiques sur Dieu.
1" Enseifpieme/its de la Kabbale sur V Homme.
La Kabbale enseigne tout d'abord que l'homme représente exac-
tement en lui la constitution de l'Univers tout entier. De là le nom
de Microcosme ou Petit Monde donné à l'homme en opposition au
nom Macrocosme ou Grand Monde donné à l'Univers.
Quand on dit que l'Homme est l'image de l'Univers, cela ne veut
pas dire que l'Univers soit un animal vertébré. C'est des principes
constitutifs, analogues et jwn semblables, qu'on veut parler.
Ainsi des cellules de formes et de constitution très variées se
groupent chez l'Homme pour former des organes, comme l'esto-
mac, le foie, le cœur, le cerveau, etc.. Ces organes se groupent
également entre eux pour former des appareils qui donnent nais-
sance à des f'o7icfions (groupement des poumons, du cœur, des
artères et des veines pour former Vappareil de la circulation,
groupement des lobes cérébraux, de la moelle, des nerfs sensitifs
et des nerfs moteurs pour former l'appareil de Vinnervation, etc.).
— 01 —
Eh bien ! d'après la méthode de la Science Occulte, l'analogie,
les objets qui suivront la même loi dans l'Univers seront analo-
gues aux organes et aux appareils dans l'Homme. La Nature nous
montre des êtres, de formes et de constitution très variées (êtres
minéraux, êtres végétaux, êtres animaux, etc.) se groupant pour
former des planètes. Ces planètes se groupent entre elles pour
former des systèmes solaires. Le jeu des Planètes et de leurs satel-
lites donne naissance à la Vie de V Uiùvers comme le jeu des
organes donne naissance à la Vie de V Homme. L'organe et les Pla-
nètes sont donc deux êtres analogues, c'est-à-dire agissant d'après
la même loi ; cependant Dieu sait si le Cœur et le Soleil sont des
formes difi'érentes ! Ces exemples nous montrent l'application des
données kabbalisliques à nos sciences exactes, ils font partie d'un
travail d'ensemble en cours d'exécution depuis bientôt cinq ans et
qui n'est pas près d'être terminé. Aussi bornons là ces développe-
ments sur l'analogie et revenons à la constitution du Microcosme,
maintenant que nous savons pourquoi l'Homme est appelé ainsi.
La Kabbale considère la Matière comme une adjonction créée
postérieurement à tous les êtres, à cause de la chute adamique.
Jacob Boehm et Saint-Martin ont suffisamment développé cette
idée parmi les philosophes contemporains pour qu'il soit inutile
de s'y attarder trop longtemps. Cependant il fallait établir ce fait
pour expliquer pourquoi dans la constitution de l'Homme aucun
des trois principes énoncés ne représente la matière de notre corps.
L'Homme, d'après les Kabbalistes, est composé de trois éléments
essentiels :
1° Un élément inférieur, qui n'est pas le corps matériel, puisque
essentiellement la matière n'existait pas, mais qui est le principe
déterminant la forme matérielle :
NEniESCU.
2° i'n élément supérieur, étincelle divine, l'âme de tous les idéa-
listes, l'esprit des occultistes :
NESCUAMAll.
Ces deux éléments sont entre eux comme l'huileet l'eau. Ils sont
d'essence tellement différente qu'ils ne pourraient jamais entrer
en rapports l'un avec l'autre, sans un troisième terme, participant
de leurs deux natures et les unissant '.
1. Comme eu chimie les carbonates alcalins unissent l'iuiile et l'eau
par la saponification.
— 92 —
3° Ce troisième élément, médiateur entre les deux précédents,
c'est la vie des savants, l'esprit des philosophes, l'àme des occul-
tistes :
RUAH.
Nephesch, Ruah et Neschamah sont les trois principes essentiels,
les termes ultimes auxquels aboutit l'analyse, mais chacun de ces
éléments est lui-même composé de plusieurs parties. Ils corres-
pondent à peu près à ce que les savants modernes désignent par :
Le Corps, la Vie, la Volonté.
Ces trois éléments se synthétisent cependant dans /'wn?7e c/e /'é/re,
si bien qu'on peut représenter l'homme schématiquement par trois
points (les trois éléments ci-dessus) enveloppés dans un cercle
ainsi :
Maintenant que nous connaissons l'opinion des Kabbalistes sur
la constitution de l'Homme, disons quelques mots de ce qu'ils pen-
sent des deux points suivants : D'où vient-il? Où va-t-il?
M, Franck développe très bien ces deux points importants.
L'Homme vient de Dieu et y retourne. H nous faut donc considérer
trois phases principales dans cette évolution :
1° Le point de Départ ;
2° Le point d'Arrivée ;
3° Ce qui se passe entre le Départ et l'Arrivée.
1° Départ. — La Kabbale enseigne toujours la doctrine de l'Ema-
nation. L'homme est donc émané primitivement de Dieu à l'état
d'Ksprit pur. A l'image de Dieu constitué en Force et Intelligence
(Chocmah et Binah) c'est-à-dire en positif et négatif, il est consti-
tué en mâle et femelle, Adam-Ève, formant à l'origine un seul être.
Sous l'intluence de la chute * deux phénomènes se produisent :
1. Le cadre Irop restreint de notre élude ne nous permet pas d'appro-
fondir ces données métaphysiques et de les analyser scientifiquement.
Voy. pour plus de détails, le Cain de Fabre d'Olivet.
— [VA —
1° La division de l'être unique en une série d'êtres-androgynes
Adams-Eves ;
2° La matérialisation et la subdivision de chacun de ces êtres
androgynes en deux êtres matériels et de sexes séparés, un homme
et une femme. C'est l'état terrestre.
Il faut cependant remarquer, ainsi que nous l'enseigne le Tarot,
que chaque homme et chaque femme contiennent en eux une
image de leur unité primitive. Le cerveau est Adam, le Cœur est
Eve en chacun de nous.
2° Transition du Départ à l'Arrivée. — L'homme matérialisé et
soumis à l'influence des passions doit volontairement et librement
retrouver son état primitif; il doit recréer son immortalité perdue.
Pour cela il se réincarnera autant de fois qu'il le faudra jusqu'à ce
qu'il ait su se racheter par la force universelle et toute-puissante
entre toutes : l'Amour.
La Kabbale, à l'image des centres indous d'où nous vient le
mouvement néo-bouddiste, enseigne donc la réincarnation et par
suite la -préexistence, ainsi que le remarque M. Franck ; mais elle
s'écarte totalement des conclusions théosophiques indoues sur
le moyen du rachat, et nous ne pouvons ici que reproduire l'avis
d'un des occultistes les plus instruits que possède la France,
F. Ch. Baillât:
« S'il m'est permis de hasarder ici une opinion personnelle, je
dirai que les doctrines hindoues me semblent plus vraies au point
de vue métaphysique^ abstrait, les doctrines chrétiennes au point
de vue moral, sentimental, concret: le Christianisme, le Zohar, la
Kabbale, dans leur admirable symbolisme, laissent plus d'incerti-
tude, de vague dans l'intelligence philosopiiique (par exemple,
quand ils représentent la chute comme source du mal, sans définir
ni l'un ni l'autre, car cette définition donnerait un tout autre tour
intellectuel à la question).
« Mais ce Panthéisme indien, qu'il soit matérialiste comme dans
l'école du Sud, ou idéaliste comme dans celle du Nord, arrive à
négliger, à méconnaître, à repousser même tout sentiment et spé-
cialement V Amour avec toute son immense portée mystique, occulte.
« L'un ne parle qu'à l'intelligence, l'autre ne parle qu'à l'âme.
« On ne peut donc posséder complètement la doctrine théoso-
phique qu'en interprétant le symbolisme de l'un par la métaphy-
sique de l'autre. Alors et alors seulement les deux pôles ainsi ani-
més l'un par l'autre font resplendir, par les splendeurs du monde
divin, l'incroyable richesse du langage symbolique, seul capable
de rendre pour l'homme les palpitations de la Vie absolue I ^)
— 94 —
3° Arrivée. — L'homme doit donc constiluor d'abord son andro-
gynat primitif pour réformer synthétiquement l'être premier pro-
venant de la division du grand Adam-Eve.
Ces êtres androgynes reconstitués doivent, à leur tour, se syn-
thétiser entre eux jusqu'à s'identifier à leur origine première :
Dieu. La Kabbale enseigne donc, aussi bien que l'Inde, la théorie
de Tinvolution et de l'évolution et le retour final au ISirvâna.
Malgré mon désir de ne pas allonger ce résumé par des citations,
je ne puis résister ici au plaisir de citer d'après M. Franck (p. 189)
un passage très explicatif:
« Parmi les différents degrés de l'existence (qu'on appelle aussi
les sept tabernacles), il y en a un, désigné sous le titre de saint des
saints, oh toutes les âmes vont se réunir à l'âme suprême et se
compléter les unes par les autres. Là tout rentre dans l'unité et
dans la perfection, tout se confond dans une seule pensée qui
s'étend sur l'univers et le remplit entièrement ; mais le fond de
cette pensée, la lumière qui se cache en elle ne peut jamais être ni
saisie, ni connue, on ne saisit que la pensée qui en émane. Enfin,
dans cet état, la créature ne peut plus se distinguer du créateur;
la même pensée les éclaire, la même volonté les anime ; l'âme
aussi bien que Dieu commande à l'Univers, et ce qu'elle ordonne,
Dieu l'exécute. »
En résumé, toutes ces données métaphysiques sur la chute et la
réhabilitation se réduisent exactement à des lois que nous voyons
chaque jour en action expérimentalement, lois qui peuvent s'énon-
cer à trois termes :
L Unité.
n. Départ de l'Unité. Multiplicité.
III. Retour à l'Unité.
Edgar Poë dans son Eurêka a fait une application de ces lois
à l'Astronomie. Si nous avions la place nécessaire, nous pourrions
les appliquer aussi bien à la Physique et à la Chimie expérimen-
tale, mais notre élude est déjà fort longue, et il est grand temps
d'en venir à l'opinion des Kabbalistes sur l'Univers.
9.^i
2° Enseignements de la Kabbale sur VUnivers.
Nous avons vu que les Planètes formaient les organes de l'Uni-
vers et que de leur jeu résultait la vie de cet Univers.
Chez l'homme la vie s'entretient par le courant sanguin qui
baigne tous les organes, répare leur perle et entraîne les éléments
inutiles.
Dans l'Univers la vie s'entretient par les courants de lumière
qui baignent toutes les planètes et y répandent à flots les principes
de génération .
Mais, dans l'homme, chacun des globules sanguins, récepteur et
transmetteur de la vie, est un être véritable, constitué à Cïmage
de l'homme lui-même. Le courant vital humain contient donc des
êtres en nombre infini.
Il en est de même des courants de lumière et telle est l'origine
des anges, des fo7'ces personnifiées de la Kabbale et aussi de toute
une partie de la tradition que M, Franck n'a pas abordée dans son
livre : la Kabbale pratique.
La Kabbale pratique comprend l'étude de ces êtres invisibles,
récepteurs et transmetteurs de la Vie de l'Univers, contenus dans
les courants de lumière. Les Kabbalistes s'efTorcent d'agir sur ces
êtres et de connaître leurs pouvoirs respectifs; de là toutes les don-
nées d'Astrologie, de Démonologie, de Magie contenues dans la
Kabbale.
Mais dans l'Homme la force vitale transmise par le sang et ses
canaux n'est pas la seule qui existe. Au-dessus de cette force et la
dirigeant dans sa marche, il en existe une autre : c'est la force
nerveuse.
Le fluide nerveux, qu'il agisse à l'insu de la conscience de l'in-
dividu dans le système de la Vie Organique (Grand-Sympathique,
Corps Astral des Occultistes) ou qu'il agisse consciemment par la
Volonté (cerveau et nerfs rachidiens), domine toujours les phéno-
mènes vitaux.
Ce fluide nerveux n'est pas porté, comme la Vie, par des êtres
particuliers (globules sanguins). Il part d'un être situé dans une
retraite mystérieuse (la cellule nerveuse) et aboutie à un centre de
réception. Entre celui qui ordonne et celui qui reçoit il n'y a rien
qu'un canal conducteur.
Dans l'Univers il en est de même d'après la Kabbale. Au-dessus
ou plutôt au dedans de ces courants de lumière, il existe un fluide
mystérieux indépendant des êtres créateurs de la Nature comme
— 96 —
la force nerveuse est indépendante des globules sanguins. Ce fluide
est directement émané de Dieu, bien plus, il est le corps môme do
Dieu. C'est V esprit de VUnivei^s.
L'Univers nous apparaît donc constitué comme l'Homme :
1° D'î/n Corps. Les Astres et ce qu'ils contiennent ;
2° D'î/»e Vie. Les courants de lumière baignant les astres et
contenant les Forces actives de la Nature, les Anges ;
3° D'ime Volonté directrice se transmettant partout au moyen du
fluide invisible aux sens matériels, appelé par les Occultistes:
Magnétisme Universel, et par les Kabbalistes Aour 115^; c'est l'Or
des Alchimistes, la cause de l'Attraction universelle ou Amour des
Astres.
Disons de plus que l'Univers, comme l'Homme, est soumis à une
involution et à une évolution périodiques et qu'il doit finalement
être réintégré dans son origine : Dieu, comme l'Homme.
Pour terminer ce résumé sur l'Univers, montrons comment Bar-
let arrive par d'autres voies aux conclusions de la Kabljale a ce
sujet :
Nos sciences positives donnent pour dernière formule du monde
sensible :
Pas de matière sans force ; pas de force sans matière.
Formule incontestable, mais incomplète, si l'on n'y ajoute le com-
mentaire suivant :
1° La comlùnaison de ce que nous nommons Force et Matière se
présente en toutes proportions depuis ce que l'on pourrait appeler
la. Force matérialisée (la roche, le minéral, le corps chimique
simple) jusqu'à la Matière subtilisée ou Matière Force {le grain de
pollen, le spermatozoïde, l'atome électrique) ; lai/a^ière et la Force,
bien que nous ne puissions les isoler, s'offrent donc comme les
limites mathématiques extrêmes et opposées (ou de signes con-
traires) d'une série dont nous ne voyons que quelques termes
moyens ; limites abstraites, mais indubitables ;
2° Les termes de cette série, c'est-à-dire les individus de la nature,
ne sont jamais stables ; la Force., dont la mobilité infinie est le
caractère, entraine comme à travers un courant contmuel d'un
pôle à l'autre la matière essentiellement inerte qui s'accuse par un
contre-courant de retour. C'est ainsi, par exemple, qu'un atome
de phosphore emprunté par le végétal aux phosphates minéraux
deviendra l'élément d'une cellule cérébrale humaine (matière subti-
lisée) pour retomber par désintégration dans le règne minéral
inerte.
3" Le mouvement, résultat de cet équilibre instable, n'est pas
— 97 —
désordonné ; il offre une série d'harmonies enchaînées que nous
appelons Zo^5 et qui se synthétisent à nos yeux dans la loi suprême
de V Évolution.
La conclusion s'impose : Cette synthèse harmonieuse de phéno-
mènes est la manifestation évidente de ce que nous nommons une
Volonté.
Donc, d'après la science positive, le monde sensible est l'expres-
sion d'une volonté qui se manifeste par l'équilibre instable, mais
progressif de la Force et de la Matière.
Il se traduit par ce quaternaire :
I. Volonté (source simple)
III. Force (Éléments de la Volonté polarisés) —
II. Matière — IV. Le Monde Sensible
(Résultat de leur i'([uilibre instable, dynamique)'.
3° Enseignement de .la Kabbale sur Dieu.
L'Homme est fait à l'image de l'Univers, mais l'Homme et l'Uni-
vers sont faits à l'image de Dieu.
Dieu en lui-même est inconnaissable pour l'Homme, c'est ce que
proclament aussi bien les Kabbalistes par leurs Ain-Sopk que les
Indous par leur Parabrahm. Mais il est susceptible d'être compris
dans ses manifestations.
La première manifestation Divine, celle par laquelle Dieu créant
le principe de la Réalité crée par là môme éternellement sa propre
immortalité : c'est la Trinité ^
Cette Trinité première, [)rototype de toutes les lois naturelles,
formule scientifique absolue autant que principe religieux fonda-
mental, se retrouve chez tous les peuples et dans tous les cultes
plus ou moins altérée.
Que ce soit le Soleil, la Lune et la Terre; Bra/ima, Vie/mou,
Siva ; Osiris-Isis, Horus ou Osiris, Ammon, Plita ; Jupiter^ Jwion,
Vulcain ; le Père, le /ùls, le Saint-Esprit , toujours elle apparaît
identiquement constituée.
La Kabbale la désigne par les trois noms suivants :
Chocmau, Binau,
Ketueh.
1. F.-Ch. Barlel, Initiation.
2. Voy. Wronski, Apodiclique Messianique ; ou Papus, le Tarot où le
passage de Wronski est cité in extenso.
1
— 98 —
Ces ti'uis noms forment la première trinilé des Dix Sephiroth ou
Numérations.
Ces dix Sephiroth expriment les attributs de Dieu. Nous allons
voir leur constitution.
Si nous nous rappelons que l'Univers et l'Homme sont chacun
composés essentiellement d'un Corps, d'une Ame ou Médiateur et
d'un Esprit, nous serons amenés à rechercher la source de ces prin-
cipes en Dieu même.
Or les trois éléments ci-dessus énoncés : fCethe)\ Chocmah et
Binah représentent bien Dieu ; mais comme la conscience repré-
sente à elle seule l'homme tout entier, en un mot ces trois prin-
cipes constituent l'analyse de Yesprit de Dieu.
Quelle est donc la Vie de Dieu ?
La Vie de Dieu c'est le ternaire que nous avons étudié tout
d'abord, le ternaire constituant l'Humanité, dans ses deux pôles,
Adam et Eve.
Enfin le Corps de Dieu est constitué par cet Univers dans sa
triple manifestation.
En somme, si nous réunissons tous ces éléments, nous obtiendrons
la définition suivante de Dieu :
Dieu est inconnaissable dans son essence, mais il est connaissable
dans ses manifestations.
L' Univers constitue son corps, Adam-Eve constitue son ame, et
Dieu lui-même dans sa double polarisation constitue son esprit,
ceci est indiqué par la figure suivante :
— 99
+
Esprit de
Dieu
Binah
Kether
Chocmah
Monde Divin
Le Père,
B n A H M A
Ame de
Dieu
Eve
Adam -Eve
Humanité
Adam
Monde Humain
Le Fils,
"V I c II N 0 u
Corps de
Dieu
La Nature
Natw'ée
L'Univers j
La Nature
Naturante
Monde Naturel
Le St-Espri/,
SlVA
Ces trois ternaires, tonalisés dans l'Unité, forment les Dix
Sephiroth.
Ou plutôt ils sont l'image des Dix Sephiroth qui représentent le
développement des trois principes premiers de la Divinité dans tous
ses attributs.
Ainsi Dieu, l'Homme et l'Univers sont bien constitués en dernière
analyse par trois fermes; mais dans le développement de tous leurs
attributs ils sont composés chacun de Dix termes ou d'Un ternaire
ayant acquis son développement dans le Septénaire [3 -{- 1 = iO).
Les Dix Sephiroth de la Kabbale peuvent donc être prises dans
plusieurs acceptions :
1° Elles peuvent être considérées comme représentant Dieu,
l'Homme et l'Univers, c'est-à-dire l'Esprit, l'Ame et le Corps de
Dieu ;
2° Elles peuvent être considérées comme exprimant le dévelop-
pement de l'un quelconque de ces trois grands principes.
C'est de la confusion entre ces diverses acceptions que naissent
les obscurités apparentes et les prétendues contradictions des Kab-
balistes au sujet des Sephiroth. Un peu d'attention suffit pour dis-
cerner la vérité de l'erreur.
On trouvera des détails nombreux sur ces Sephiroth dans le
{. Celte figure est tirée du Tarot des Bohémiens, par Papus, où l'on
trouvera des explications coiuplémejutaires.
— 100 —
livre de M. Franck (chap. m), mais surtout dans le remarquable
travail kabbalistique publié par Stanislas de Giiaita dans le n°6 de
V Initiation (p. 210-217). Le manque de place nous oblige à renvoyer
le lecteur à ces sources importantes.
Il ne faudrait pas croire cependant que cette conception d'un
ternaire se développant dans un septénaire fût particulière à la Kab-
bale. Nous retrouvons la même idée dans l'Inde dès la plus haute
antiquité, ce qui est une preuve importante de l'ancienneté de la
tradition kabbalistique.
Pour étudier ces Sephiroth indous, il ne faut pas s'en tenir uni-
quement aux enseignements transmis dans ces dernières années par
la Société Théosophique. Ces enseignements manquent en effet
presque toujours de méthode et, s'ils sont lumineux sur certains
points de détail, ils sont en échange fort obscurs dès qu'il s'agit de
présenter une synthèse bien assise dans toutes ses parties. Les
auteurs qui ont essayé d'introduire de la méthode dans la doctrine
théosophique, Sovbba-Rao, Sinnet et le D' Harttmann, n'ont pu
aborder que des questions fort générales, quoique très intéressantes,
et leurs œuvres, pas plus que celles de i\f™^ H. P. Blavatsky, ne
fournissent des éléments suffisants pour établir les rapports entre
les Sephiroth delà Kabbale et les doctrines indoues.
Le meilleur travail, à notre avis, sur la Théogonie occulte de
l'Inde a été fait en Allemagne vers 1840 ' par le D" Jean Malfatti
de Montei^eggio. Cet auteur est parvenu à retrouver l'Organon mys-
tique des anciens Indiens et par là-même à tenir la clef du Pythago-
risme et de la Kabbale elle-même. Il arrive ainsi à reconstituer une
synthèse véi^itable^ alliance de la Science et de la Foi, qu'il désigne
sous le nom de Mathèse.
Or voici, d'après cet auteur, la constitution de la décade divine
(p. 18):
« Le premier acte (encore en soi) de révélation de Brahm fut
celui de la Ti^imnrti, trinité métaphysique des forces divines (pro-
cédant à l'acte créateur) de la création, de la conservation, et delà
destruction (du changement) qui sous le nom de Brahma, Wishnou
et Schiwa ont été personnifiées et regardées comme étant dans un
accouplement intérieur mystique [e circulo triadicits Deus egreditw).
\. La date de cet ouvrage indique l'orthographe des noms indous em-
ployés par l'auteur. Celle orthographe s'est modifiée aujourd'hui.
— 101 ~
« Cette première Trimurti divine passe alors dans une révélation
extérieure, et dans celle des sept puissances précréatrices, ou dans
celle du premier développement métaphysique septuple personnifié
par les allégories de J/aia, Oum, Haranguerbehah, Porsh, Pradia-
pat, Prakrat et Pran. »
Chacun de ces dix principes est analysé dans ses acceptions et
dans ses rapports avec les nombres pythagoriciens. De plus,
l'auteur examine et analyse dix statues symboliques indiennes qui
représentent chacune un de ces principes. L'antiquité de ces sym-
boles prouve assez l'antiquité de la tradition elle-même.
Nous ne pouvons que résumer pour aujourd'hui les rapports des
Sephiroth iudoiis et kabbalistiques avec les nombres. Peut-être
ferons-nous bientôt une étude spéciale sur un sujet si important.
Un rapprochement bien intéressant peut encore être fait entre la
trinité alphabétique du Sepher Jesirah EMeS 1!/D5^ et la trinité
alphabétique indoue AUM. Mais ces sujets demandent un trop
grand développement pour être traités dans ce résumé.
SEPHIROTH
KABBALISTIQUES
NOMBRES
SEPHIROTH
INDOUS
Kelhcr
1
2
3
4
W
G
7
8
0
10
Biahma.
Chocmah
Viohnoii.
Binali
Si va.
Cliesed
Maïa.
Geburah . ....
0 u ni .
Tipherelh
Hod
HarangiK'ibeliah,
Porsch.
Netzali
Pradiapal.
Prakral.
lesod
Malchut
Pra 11 .
Viiw dernière considération qu'on peut faire est tirée de cette
définition de Dieu dorin('*e ci-dessus, délinition corroborée par les
enseignements du Tartd qui représente la Kabbale égyptienne.
La philosophie matériaMste étudie le corps de Dieu ou l'Univers
et adore à .«on insu bi manifestation inférieure de la divinité dans le
Cosmos : le Destin.
C'est en effet au Hasard que le matérialisme attribue le groupe-
ment primitif des atomes, i)rocIamant ainsi, quoique athée, un prin-
cipe créateur.
— 102 —
La philosophie panthéiste étudie la vie de Dieu ou cet être collec-
tif appelé par la Kabbale Adam-Eve ^ (mn^). C'est l'humanité qui
s'adore elle-même dans un de ses membres constituants.
Les Théistes et les Religions étudient surtout V Esprit de Dieu. De
là leurs discussions subtiles sur les trois personnes et leurs mani-
festations.
Mais la Kabbale est au-dessus de chacune de ces croyances philo-
sophiques ou religieuses. Elle synthétise le Matérialisme, le Pan-
théisme et le Théisme dans un même total dont elle analyse les
parties sans cependant pouvoir définir cet ensemble autrement que
par la formule mystérieuse de Wronski :
X.
III
INFLUENCE DE LA KABBALE SUR LA PUILÛSOPUIE
Cette partie du livre de M. Franck est forcément très remar-
quable. La profonde érudition de l'auteur ne pouvait manquer de
lui fournir de précieuses sources et des rapprochements instructifs
et nombreux au sujet de l'influence de la Kabbale dans les systèmes
philosophiques postérieurs.
La doctrine de Platon est d'abord envisagée à ce point de vue.
Après quelques points de contact, M. Franck conclut à l'impossibi-
lité de la création de la Kabbale par des disciples de Platon. Mais
le contraire ne serait-il pas possible?
Si, ainsi que nous l'avons dit à propos de l'antiquité de la tradi-
tion, la Kabbale n'est que la traduction hébraïque de ces vérités
traditionnelles enseignées dans tous les temples et surtout en
Egypte, qu'y a-t-il d'impossible à ce que Platon ne se soit forte-
ment inspiré non pas de la Kabbale elle-même, telle que nous la
connaissons aujourd'hui, mais de cette philosophie primordiale
origine de la Kabbale?
Qu'allaient donc faire tous ces philosophes grecs en Egypte et
qu'apprenaient-ils dans l'Initiation aux mystères d'Isis? C'est là un
point que la critique universitaire devrait bien éclaircir.
Imbu de son idée de i'origine de la Kabbale au commencement
1. Voy. à ce sujet le travail de Stanislas de Guaila dans le Lotus et
Louis Lucas, Chimie nouvelle. Introduction.
— 103 —
de l'ère chrétienne, M. Franck compare avec la tradition la philo-
sophie néo-platonicienne d'Alexandrie, et conclut que ces doctrines
sont sœurs et émanées d'une même origine.
L'étude de la doctrine de Philon, dans ses rapports avec la Kab-
bale, ne montre pas non plus l'origine de la tradition (chap. m).
Le Gnosticisme, analysé dans le chapitre suivant, présente de
remarquables similitudes avec la Kabbale, mais n'en peut être non
plus l'origine.
C'est la religioyi des Perses qui est pour M. Franck le rara avis
tant cherché, le point de départ de la doctrine kabbalistique.
Or, il suffit de parcourir le chapitre ix d'un livre trop peu connu
de nos savants : la Mission des Juifs de Saint-Yves d'Alveydre pour
y trouver résumée au mieux l'application de la tradition ésotérique
aux divers cultes antiques, y compris celui de Zoroastre. Mais ce
sont là des points d'histoire qui ne seront universitairement connus
que dans quelque vingt ans ; aussi attendons-nous avec patience cette
époque.
Nous avons dit déjà l'opinion des occultistes contemporains sur
l'origine de la Kabbale. Inutile donc d'y revenir.
Rappelons seulement l'influence de la tradition ésotérique sur
Orphée, Pylbagore, Platon, Aristote et toute la philosophie grec-
que d'une part, sur Moïse, Ézéchiel et les prophètes hébreux de
l'autre, sans compter l'école d'Alexandrie, les sectes gnostiques et
le christianisme ésotérique dévoilé dans l'Apocalypse de saint
Jean ; rappelons tout cela, et disons rapidement quelques mots de
l'influence qu'a pu exercer la tradition sur la philosophie moderne.
Les Alchimistes, les Rose-Croix et les Templiers sont trop connus
comme kabbalistespour en parler autrement. Il suffît à ce propos
de signaler la grande réforme iihilosophique produite par l'Ars
Magna de Raymond Lnlle.
Spinosa a beaucoup étudié la Kabbale, et son système se ressent
au plus haut point de cette étude, ainsi que du reste l'a fort bien
vu M. Franck.
Un point d'histoire moins connu, c'est que Leibniz a été initié
aux traditions ésotériques par Mercure Van Helmont, le fils du
célèbre occultiste, savant remarquable lui-même. L'auteur de la
Monadologie a été aussi en rapports très suivis avec les Rose-Croix.
La philosophie allemande touche du reste par bien des points à
la Science Occulte, c'est un fait connu de tous les critiques.
Signalons en dernier lieu la Frnnc-Maçonnerie qui possèdeencore
de nombreuses données kabbalistiques.
d04 —
CONCLUSION
Nous avons voulu, tout en analysant l'teuvre remarquable et
désormais indispensable de M. Franck, résumer chemin faisant
l'opinion des Kabbalistes contemporains sur cette importante
question.
Nous ne différons d'opinion avec M. Franck que sur l'origine de
cette tradition. Les savants contemporains ont une tendance à
placer au second siècle de notre être le point de départ de la Science
Occulte dans toutes ses branches. C'est l'avis de notre auteur au
sujet de la Kabbale, c'est aussi l'avis d'un autre savant éminent,
M. Berthelot, au sujet de l'alchimie*. Ces opinions viennent de la
difficulté qu'éprouvent les critiques autorisés à consulter les sources
véritables de l'Occultisme. Un symbole n'est pas considéré comme
une preuve de la valeur d'un manuscrit; mais prenons patience et
l'une des plus intéressantes branches de la Science, l'Archéologie,
fournira bientôt de précieuses indications dans cette voie aux cher-
cheurs sérieux.
Quoi qu'on en dise, l'Occultisme a bien besoin d'être un peu
étudié par nos savants; ceux-ci apportent dans cette étude leurs
préjugés, leurs convictions toutes faites; mais ils apportent aussi
des qualités bien rares et bien précieuses : leur érudition et leur
amour de la méthode.
Il est désolant pour les chercheurs consciencieux de constater
l'ignorance étrange que beaucoup de partisans de la Science Occulte
ont de nos sciences exactes. 11 faut cependant mettre hors de cause
à ce sujet les Kabbalistes contemporains comme Stanislas de
Guaita, Joséphin Péladan, Albert Jhouney. La Science Occulte ne
forme que le degré synthétique, métaphysique de notre science
positive et ne peut vivre sans son appui, ainsi que l'a montré, dans
le n° 8 de Y Initiation'^ , un savant doublé d\in remarquable occul-
tiste, M. F. Cil. Barlet.
La réédition du livre de M. Franck constitue donc un véritable
événement pour la révélation des doctrines qui nous sont chères à
tous, et nous ne pouvons que remercier bien vivement l'auteur du
courage et de la patience qu'il a déployés dans l'étude de si arides
\. Berthelot, Les Origines de V Alchimie, 1886, in-8°.
2. Cours méthodique de Science Occulte.
— 105 —
sujets, tout en conseillant fortement à tous nos lecteur* de réserver
une place dans leur bibliothèque à la Kabbale d'Ad. Franck, qui
est un des livres fondamentaux de la Science Occulte.
LETTRE DE M. AD. FRANCK, DE L'INSTITUT
A Monsieur Papus, directeur de Y Initiation .
Monsieur,
Je vous suis très reconnaissant de la manière dont vous avez rendu
compte dans VlnUiation de mon vieux livre de la Kabbale. J'ai été d'au-
tant plus susceptible à vos éloges qu'ils attestent une connaissance
approfondie et un grand amour du sujet.
Mais ce qui m'a charmé dans votre article, ce n'est pas seulement la
part personnelle que vous m'y faites, c'est la manière dont vous ratta-
chez mon modeste volume à toute une science fondée sur le symbolisme
et la méthode ésotérique. Je n'ai pu, eu vous lisant, m'empècher de
penser à Louis XIV, conservant à Versailles le modeste rendez-vous de
chasse de son père en l'encadrant dans un immense palais.
Bien que mon esprit, que vous qualifiez d'universitaire, mais qui veut
simplement rester fidèle aux règles de la critique, se refuse à vous suivre
dans vos magnifiques développements, je vois avec plaisir qu'en face du
positivisme et de l'évolutionisme de notre temps, il se forme, il s'est
déjà formé une vaste gnose qui réunit dans son sein, avec les données
de l'ésotérisme juif et chrétien, le bouddhisme, la philosophie d'Alexan-
drie et le panthéisme métaphysique de plusieurs écoles modernes.
Ce réactif est nécessaire contre les déchéances et les dessèchements
dont nous sommes les victimes et les témoins. La Mission des Juifs, que
vous citez souvent dans votre Revue, est un des grands facteurs de ce
mouvement.
Je vous recommanderai seulement, dans ma vieille expérience, de ne
pas aller trop loin. Les symboles et les traditions ne doivent pas être
négligés comme ils le sont généralement par les philosophes; mais le
génie, la vie spontanée de la conscience et de la raison doivent aussi être
comptés pour quelque chose, sans cela l'histoire de l'humanité n'est rien
qu'une table d'enregistrement.
Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de mes sentiments les plus
distingués.
Al). l''nA\nK.
Nous venons d'exposer la doctrine kahbalistiquc sans entrer dans
aucun détail.
Aussi donnons-nous in extenso l'étude suivante pour montrer qu'il
— 10B —
existe encop» en plein xix' siècle d'émiiients kabbali&tes et que
leurs travaux résument au mieux les données de la tradition éso-
térique.
CHAPITRE VI
COMMUMCATION FAITE A LA SOCIÉTÉ PSYCHOLOGIQUE DE MUNICH
A LA SÉANCET DU 5 MARS 1887 PAR C. DE LEININGEN.
LAME D'APRÈS LA QABALAII
(Voy. la Fig. p. 76)
1. — L'âme pendant la vie.
Parmi toutes les questions dont s'occupe la philosophie en tant
que science exacte, celle de notre propre essence, de l'immortalité
et de la spiritualité de notre Moi interne, n'a jamais cessé de préoc-
cuper l'humanité. Partout et en tout temps les systèmes et les doc-
trines sur ce sujet se sont succédé rapidement, variés et contradic-
toireS;, et le mot « Ame » a servi à désigner les formes d'existences
ou les nuances d'êtres les plus variées. De toutes ces doctrines anta-
gonistes, c'est, sans contredit, la plus ancienne — la philosophie
transcendante des Juifs — la Qabalah* qui est aussi la plus rappro-
chée peut-être de la vérité. Transmise oralement — comme son
nom l'indique — elle remonte jusqu'au berceau de l'espèce
humaine, et, ainsi, elle est encore peut-être en partie le produit de
cette intelligence non encore troublée, de cet esprit pénétrant pour
la vérité que, selon l'antique tradition, l'homme possédait dans son
état originaire.
Si nous admettons la nature humaine comme un tout complexe,
nous y trouvons, d'après la Qabalah, trois parties bien distinctes :
le corps, l'âme et l'esprit. Elles se diflerencient entre elles comme le
concret, le particulier et le général, de sorte que l'une est le reflet
1. Nous avons adopté celte orlhographe comme la seule solution au-
llientiqiie de tous les doutes entre les formes vraiment fantaisistes pro-
posées jusqu'ici pour ce mot, telles que Cabbala, Cabala, Kabbala, Kab-
balah, etc.. C'est un mol hébreu qui se compose des consonnes g, b, l et
/(. Or la lettre qui dans les noms grecs correspond au k et dans les noms
latins au c, paraît êlre vérilablement dans ce mot hébreu la lettre g.
Cette orlhographe vient aussi d'êlre introduite récemment dans la litté-
rature anglaise par Mathers dans sa Kabbala deniidata parue il y a peu
de temps chez George Redway, à Londres.
— 107 —
de l'autre, et que chacune d'elles offre aussi en soi-même cette
triple distinction. Ensuite, une nouvelle analyse de ces trois parties
fondamentales y distingue d'antres nuances qui s'élèvent successive-
ment les unes sur les autres depuis les parties les plus profondes,
les plus concrètes, les plus matérielles, le corps externe, jusqu'aux
plus élevées, aux plus générales, aux plus spirituelles.
La première partie fondamentale, le corps, avec le principe vital,
qui comprend les trois premières subdivisions, porte dans la
Qabalah le nom de Nephesch ; la seconde, l'âme, siège de la volonté,
qui constitue proprement la personnalité humaine, et renferme les
trois subdivisions suivantes, se nomme Muach; la troisième, l'esprit
avec ses trois puissances, reçoit dans la Qabalah le nom de
Neschamah.
Ainsi que nous l'avons déjà remarqué, ces trois parties fonda-
mentales de l'homme ne sont pas complètement distinctes et sépa-
rées, il faut au contraire se les représenter comme passant l'une
dans l'autre peu à peu ainsi que les couleurs du spectre qui, bien
que successives, ne peuvent se distinguer complètement étant comme
fondues Tune dans l'autre. Depuis le corps, c'est-à-dire la puissance
la plus infime de Nephesch, en montant à travers l'àme, — Ruach
— jusqu'au plus haut degré de l'esprit — Neschamah — on trouve
toutes les gradations, comme on passe de l'ombre à la lumière par
la pénombre; et réciproquement, depuis les parties les plus élevées
de l'esprit jusqu'à celles physiques les plus matérielles, on parcourt
toutes les nuances de radiation, comme on passe de la lumière à
Tobscurité par le crépuscule. — Et, par-dessus tout, grâce à cette
union intérienre, à cette fusion des parties l'une dans l'autre, le
nombre Neuf se perd dans l'Unité pour produire l'homme, esprit
corporel, qui unit en soi les deux mondes.
Si nous essayons maintenant de représenter celte doctrine par un
schéma, nous obtenons la figure ci-jointe (Voir p. 526) :
liC cercle rt, a, a, désigne Nephesch, et 1, 2, 3 sont ses subdivi-
sions; parmi celles-ci, i, correspond au corps, comme à la partie
la plus basse, la plus matérielle chez l'homme. — h, b, b, c'est
lluach (l'àme) et i, 5, 6 sont ses puissances. — Enfin c, c, c, c'est
Neschamah (l'esprit) avec les degrés de son essence, 7, 8, 9. Quant
au cercle extérieur 10, il représente l'ensemble de l'être humain
vivant.
Considérons maintenant de plus près ces différentes parties fon-
damentales, en commençant par celle du degré inférieur, nephesch.
C'est le principe de la vie, ou forme d'existence concrète, il cons-
titue la partie externe de l'homme vivant; ce qui y domine princi-
— \m —
paiement c est la sensibilité passive pour le monde extérieur; par
contre, l'activité idéale s'y trouve le moins. — Nephesch est direc-
tement en relation avec les êtres concrets qui lui sont extérieurs, et
ce n'est que par leur influence qu'il produit une manifestation
vitale. Mais en même temps, il travaille aussi au monde extérieur,
grâce à sa puissance créatrice propre, faisant ressortir de son exis-
tence concrète, de nouvelles forces vitales, rendant ainsi sans cesse
ce qu'il reçoit. — Ce degré concret constitue un tout parfait,
complet en soi-même et dans lequel l'être humain trouve sa repré-
sentation extérieure exacte. — Regardée comme un tout parfait, en
elle-même, cette vie concrète comprend également trois degrés, qui
sontentre eux commele concret, leparticulier et le général ou comme
la matière efTectuée, la force effectuante et le principe, et qui en
même temps sont les organes dans et par lesquels l'interne, le spiri-
tuel opère et se manifeste extérieurement. Ces trois degrés sont
donc de plus en plus élevés et intérieurs, et chacun d'eux renferme
en soi des nuances différentes. Les trois puissances de Nephesch en
question sont disposées et agissent absolument de la façon qui va
être exposée tout à l'heure pour les trois subdivisions de Ruach.
Ce second élément de l'être humain Ruacu (l'âme) n'est pas aussi
sensible que Nephesch aux influences du monde extérieur; la pas-
sivité et l'activité s'y trouvent en proportions égales; il consiste
plutùi en un être interne, idéal, dans lequel tout ce que la vie cor-
pore lie concrète manifeste extérieurement comme quantitatif et maté-
riel, se retrouve intérieurement à l'état virtuel. Ce second élément
humain flotte donc entre l'activité et la passivité, ou l'intériorité
et l'extériorité; dans sa multiplicité objective, il n'apparaît claire-
ment ni comme quelque chose de réel, passif et extérieur, ni comme
quelque chose d'intérieur intellectuel et actif ; mais comme quelque
chose de changeant, qui du dedans au dehors se manifeste comme
actif bien que passif; ou comme donnant, bien que de nature
réceptive. Ainsi l'intuition et la conception ne coïncident pas exac-
tement dans l'âme, bien qu'elles n'y soient pas assez nettement
séparées pour ne pas se fondre aisément l'une dans l'autre.
Le mode d'existence de chaque être dépend exclusivement du
degré plus ou moins élevé de sa cohésion avec la nature, et de
l'activité ou de la passivité plus ou moins grande qui en est la con-
séquence ; l'aperception de l'être est en proportion de son activité.
Plus un être est actif, plus il est élevé, et plus il lui est possible
d'examiner dans les profondeurs intimes de l'être.
Ce Ruach, composé des forces qui sont à la base de l'être maté-
— 409 —
riel objectif, jouit encore de la propriété de se distinguer de toutes
les autres parties comme un individu spécial, de disposer de soi-
même et de se manifester au dehors par une action libre et volon-
taire. Cette « âme » qui représente également le trùne et l'organe
de l'esprit est encore l'image de l'homme entier, comme nous
l'avons dit ; de même que Nephesch elle se compose de trois degrés
dynamiques qui sont, l'un par rapport à l'autre, comme le Concret,
le Particulier et le Général, ou comme la matière actionnée, la
force agissante et le principe : de sorte qu'une affinité existe non
seulement entre le concret dans Ruach qui est son degré le plus
has et le plus extérieur (le cercle 4 du schéma), et le général dans
Nephesch, qui forme sa plus haute sphère (cercle 3), mais aussi
entre le général dans Ruach (cercle 6) et le concret dans l'esprit
(cercle 7),
En même temps que Ruach, ainsi que Nephesch, renferme trois
degrés dynamiques, ceux-ci ont leurs trois correspondants dans le
monde extérieur, comme il apparaîtra plus clairement par la com-
paraison du Macrocosme et du Microcosme. Chaque forme d'exis-
tence particulière dans l'homme vit de sa vie propre dans la sphère
du monde qui lui correspond, avec laquelle elle est en rapport
d'échanges continuels, donnant et recevant, au moyen de ses sens
et de ses organes internes spéciaux.
En outre, ce Ruach, en raison de sa partie concrète, a besoin de
comnmniquer avec le concret qui est au-dessous de lui, de même
que sa partie générale lui donne une tendance vers les parties géné-
rales qui lui sont supérieures. Nephesch ne pourrait pas se relier à
Ruach s'il n'y avait pas ainsi quelque affinité entre eux, non plus
que Ruach ne se relierait à Nephesch et à Neshamah s'il n'y avait
pas entre eux quelque parenté.
Ainsi l'âme puise d'une part dans le concret qui la précède la
plénitude de sa propre réalité objective, et d'autre part dans le
général qui la domine l'intériorité pure, l'Idéalité qui se constitue
elle-même dans son activité indépendante. Ruach est donc le lien
entre le Général ou Spirituel, et le Concret ou Matériel, unissant en
l'homme le monde interne intelligible avec le monde externe
réel ; c'est à la fois le support et le siège de la personnalité
humaine.
L'âme se trouve de cette façon en un double rapport avec ses
trois objets, savoir: \° avec le concret qui est au-dessous d'elle;
2° avec le particulier qui répond à sa nature et est en dehors d'elle ;
3° avec le général qui est au-dessus d'elle. Il se fait en elle, en deux
sens contraires, une circulation de trois courants entremêlés, car :
— no —
1° elle est excitée par iSephesch qui est au-dessous d'elle et à son
tour elle agit sur lui en l'inspirant; 2° elle se comporte de même
activement et passivement avec l'extérieur correspondant à sa
nature, c'est-à-dire le Particulier; 3" et cette influence qu'elle trans-
forme dans son sein après l'avoir reçue ou d'en bas ou du dehors,
elle lui donne la puissance de s'élever assez pour aller stimuler
Neschamah dans les régions supérieures. Par cette opération active,
les facultés supérieures excitées produisent une influence vitale
plus élevée, plus spirituelle, que l'âme, reprenant son rôle passif,
reçoit pour la transmettre au dehors ou au-dessous d'elle.
Ainsi, bien queRuach ait une forme d'existence particulière, soit
un être d'une consistance propre, il n'en est pas moins vrai que la
première impulsion de son activité vitale lui vient de l'excitation
du corps concret qui lui est inférieur. Et de même que le corps par
un échange d'actions et de réactions avec l'àme, est, grâce à son
impressionnabilité, pénétré par elle, tandis qu'elle-même devient
comme participante du corps; de même, Pâme, par son union avec
PEsprit, en est remplie et inspirée.
La troisième partie fondamentale de l'être humain, neschamah,
peut être désignée par le mot Esprit, dans le sens où il est employé
dans le Nouveau Testament. En elle, la sensibilité passive envers
la nature du dehors ne se retrouve plus; l'activité domine la récepti-
vité. L'esprit vit de sa vie propre, et seulement pour le Général ou
pour le monde spirituel avec lequel il se trouve en rapport cons-
tant. Cependant, comme Ruach, Neschamah n'a pas seulement
besoin, en raison de sa nature idéale, du Général absolu on Infini
divin ; il lui faut aussi, à cause de sa nature réelle, quelque relation
avec le particulier et le concret qui sont au-dessous de lui, et il se
sent attiré vers les deux.
L'Esprit aussi est en un double rapport avec son triple objet;
vers le bas, vers l'extérieur et vers le haut, il se fait donc encore
en lui, en deux sens contraires, un triple courant entrelacé tout à
fait semblable à celui décrit plus haut pour Ruach. — Neschamah
est un être purement intérieur, mais aussi passif et actif à la fois,
dont Nephesch, avec son principe vital et son corps, Ruach avec
ses forces, représentent une image extérieure. Ce qu'il y a de quan-
titatif dans Nephesch et de qualitatif dans Ruach, vient de l'esprit
— Neschamah — purement intérieur et idéal.
Maintenant de même que Nephesch et Ruach renferment trois
degrés diflereiits d'existence, ou potentialité de spiritualisation, de
sorte que chacun est une image plus petite de l'être humain entier
— 111 —
(voir le schéma), de même la Qabalah distingue encore trois
degrés dans Neschamah.
C'est particidièrement à cet élément supérieur que s'applique ce
qui a été dit au début, que les difiérentes formes d'existence de la
constitution humaine ne sont pas des êtres distincts, isolés, séparés,
mais qu'ils sont, au contraire, entremêlés les uns dans les autres ;
car ici tout se spirilualise de plus en plus, tend de plus en plus vers
l'unilé.
Des trois formes supérieures d'existence de l'homme qui sont
réunies, dans la plus large acception du mot Neschamah, la plus
inférieure peut se désigner comme le Neschamah proprement dit.
Celle-là a encore au moins quelque parenté avec les éléments supé-
rieurs de Ruach; elle consiste en une connaissance intérieure et
active du qualitatif et du quantitatif qui sont au-dessous d'elle. —
La seconde puissance de Neschamah, qui est le huitième élément
dans l'homme, est nommée par la Qabalah, « Ckaijah ». Son
essence consiste dans la connaissance de la force interne supérieure,
intelligible, qui sert de base à l'être objectif manifesté et qui, par
conséquent, ne peut être perçue ni par Ruach ni par Nephesch et
ne pourrait être reconnue par Neschamah proprement dit. — La
troisième puissance de Neschamah, le neuvième élément et le plus
élevé dans l'homme, est « t/ecA/^/arf » (c'est-à-dire l'L'nilé en soi-
même); son essence propre consiste dans la connaissance de l'Unité
fondamentale absolue de toutes les variétés, de i'Un absolu origi-
naire.
Maintenant, ce rapport signalé dès le début, de Concret, de Par-
ticulier et de Général qui relie Nephcsch, Ruach et Neschamah de
sorte que chacun offre l'image du tout, va se retrouver en résumant
tout cet exposé : Premier degré de Nephesch, le corps — le concret
dans le concret; second degré, le particulier dans le concret; troi-
sième, le général dans le concret.
De môme dans Ruach : première puissance, le concret dans le
particulier; deuxième, le particulier dans le particulier; troisième,
le général dans le particulier.
Enfin, dans Neschamah, premier degré, le concret dans le géné-
ral ; second degré (Ghaijah), le particulier dans le général ; troisième
(Jechidad), le général dans le général.
C'est ainsi que se manifestent les diverses activités et les vertus
de chacun de ces éléments de l'être.
L âme (Ruach) a sans doute une existence pro[)re, mais elle est
cependant incapable d'un développement indépendant sans la [tar-
— 112 —
ticipation de la vie corporelle (Nephesch;, et il en est de même vis-
à-vis de Neschamah. En outre Ruach est avec Nephesch dans un
double rapport; iufluencée par lui, elle est en même temps tournée
au dehors pour exercer une libre réaction, de sorte que la vie cor-
porelle concrète parlicijje au développement de l'âme; il en est de
même de l'esprit par rapport à l'âme ou de Neschamah par
rapport à Huach; par Ruach il est même en double rapport
avec Nephesch. Toutefois, Neschamah a en outre dans sa propre
constitution la source de son action, tandis que les actions de
Ruach et de Nephesch ne sont que les émanations libres et vivantes
de Neschamah.
De la même manière, Neschamah se trouve en une certaine
mesure en ce même double rapport avec la Divinité, car l'activité
vitale de Neschamah est déjà en soi une excitation pour la divinité
d'entretenir celui ci, de lui procurer l'influence nécessaire à sa sub-
sistance. Ain^i l'esprit ou Neschamah, et par son intermédiaire
Ruach et Nephesch, vont puiser tout à fait involontairement à la
source divine éternelle, faisant i-ayonner perpétuellement l'œuvre
de leur vie vers le haut; tandis que la Divinité pénètre constamment
en Neschamah et dans sa sphère pour lui donner la vie et la durée
en même temps qu'à Ruach et à Nephesch.
Maintenant d'après la doctrine de laQabalah, l'homme, au lieu de
vivre dans la Divinitéet de recevoir d'elle constamment la spiritualité
dont il a besoin, s'est enfoncé de plus en plus dans l'amour de soi-
même et dans le monde du péché, du moment où après sa « chute »
(voir la Genèse, III, 6-20;, il a quitté son centre éternel pour la péri-
phérie. Cette chute et l'éloignement toujours plus grand delà divi-
nité, qui en e>t résulté, ont eu pour conséquence une déchéance des
pouvoirs dans la nature humaine, et dans l'humanité tout entière.
L'étincelle divine s'est retirée de plus en plus de l'homme, et Nes-
chamah a perdu l'union intime avec Dieu. De même Ruach s'est
éloignée de Neschamah et Nephesch a perdu son union intime avec
Ruach. Par cette déchéance générale et le relâchement partiel des
liens entre les éléments, la partie inférieure de Nephesch, qui était
originairement chez l'homme un corps lumineux éthéré, est devenue
notre corps matériel ; par là l'homme a été assujetti à la dissolution
dans les trois parties principales de sa constitution.
Ceci est traité dans la doctrine de la Qabalah sur l'âme pendant
et après la mort.
— 113
2. — Lame dans la mort.
La mort de l'homme, d'après la Qabalah, n'est que son passage
à une forme nouvelle d'existence. L'homme est appelé à retourner
finalement dans le sein de DieUj mais cette réunion ne lui est pas
possible dans son état actuel, en raison de la matérialité grossière
de son corps; cet état, comme aussi tout ce qu'il y a de spirituel
dans l'homme, doit donc subir une épuration nécessaire pour l'ob-
tention du degré de spiritualité que requiert la vie nouvelle.
La Qabalah distingue deux causes qui peuvent amener la mort :
la première consiste en ce que la Divinité diminue successivement
ou supprime brusquement son influence continuelle sur Neschamah
et Ruach, de sorte que Nephesch perd la force par laquelle le corps
matériel est animé, et celui-ci meurt. Dans le langage du Sohar,
on pourrait appeler ce premier genre < la mort par en haut, ou du
dedans au dehors ».
En opposition à celle-là, la seconde cause de la mort est celle que
l'on pourrait nommer « la mort par en bas, ou du dehors au
dedans ». Elle consiste en ce que le corps, forme d'existence infé-
rieure et extérieure, se désorganisant sous l'influence de quelque
trouble ou quelque lésion, perd la double propriété de recevoir d'en
haut l'influence nécessaire et d'exciter Nephesch, Ruach et Nescha-
mah afin de les faire descendre à lui.
D'ailleurs, comme chacun des trois degrés d'existence de l'homme
a, dans le corps humain, son siège particulier et sa sphère d'acti-
vité correspondant au degré de sa spiritualité, et qu'ils se sont
trouvés tous trois liés à ce corps à différentes périodes de la vie',
c'est aussi à des moments diderents, et d'après un ordre inverse,
qu'ils abandonnent le cadavre. Il en résulte que le travail de la
mort s'étend à une période de temps beaucoup plus longue qu'on
ne le pense communément.
Neschamah, qui a son siège dans le cerveau et qui, en sa qualité
de principe de vie spirituel, supérieur, s'est uni en dernier lieu au
corps matériel — celte union commençant à l'âge de la puberté —
Neschamah est le premier à quitter le corps; ordinairement déjà
avant le moment que nous désignons du nom de « Mort ». Elle ne
1. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer comment les principes spirituels
s'unissent à la matière par l'acte de la génération, sujet que la (Jabalah
traite très explicitenienl.
— H4 —
laisse dans sa Merkahab^ qu'une illumination; car la personnalité
de l'homme peut, comme il est dit dans Esarah Maimoroth, sub-
sister encore sans la présence effective de Neschamah.
Avant le moment qui nous apparaît comme celui de la mort,
l'essence de l'homme est augmentée d'un Ruach plus élevé d'où il
aperçoit ce qui, dans la vie, était caché à ses yeux ; souvent sa vue
perce l'espace, et il peut distinguer ses amis et ses parents défunts.
Aussitôt qu'arrive l'instant critique, Ruach se répand dans tous
les membres du corps et prend congé d'eux ; de là résulte une
secousse, Vagonie, souvent fort pénible. Puis toute l'essence spiri-
tuelle de l'homme se retire dans le cœur et là se met à l'abri des
Masikim (ou mauvais esprits) qui se précipitent sur le cadavre,
comme une colombe poursuivie se réfugie dans son nid.
La séparation de Ruach d'avec le corps est fort pénible parce que
Ruach ou l'àme vivante flotte, comme dit rEz=ga=Chaiim, entre
les hautes régions spirituelles, infinies (Neschamah) et celles infé-
rieures corporelles, concrètes (Nephesch), penchant tantôt vers
l'une, tantôt vers l'autre, elle qui, en tant qu'organe delà volonté,
constitue la personnalité humaine. Son siège est dans le cœur ;
celui-ci est donc comme la racine de la vie; c'est le 7;^ (Melekh,
Roi), le point central, le trait d'union entre le cerveau et le foie^;
et comme c'est dans cet organe que l'activité vitale se manifeste à
l'origine, c'est aussi par lui qu'elle finit. Ainsi, au moment de la
mort Ruach s'échappe, et d'après l'enseignement du Talmud, sort
du cœur par la bouche, dans le dernier souffle.
Le Talmud distingue neuf centsespècesdemortsdifl'érentesplusou
moins douloureuses. La plus douce de toutes est celle qu'on nomme
le « baiser » ; la plus pénible est celle dans laquelle le mourant
éprouve la sensation d'une épaisse corde de cheveux arrachée du
gosier.
Une fois Ruach séparé, l'homme nous semble mort ; cependant
Nephesch habite encore en lui. Celui-ci, vie corporelle du concret,
d. Merkabah signifie proprement char; c'est donc l'organe, l'instru-
ment, le véhicule par lequel Neschamah agit.
2. La Qahalah dit : « Dans le mot j*)2 (Roi) le cœur <( est comme le
point central entre le cerveau et le foie ». Ce qu'il faut interpréter par
le sens mystique des lettres; le cerveau, v2 est représenté par la pre-
mière lettre du mot *]'^D ; le foie, 13'1^ par sa dernière lettre, et enfin
le cœur, ^^ par le "^, qui est dans le milieu; la lettre -^ à la fin d'un
mot fait "1).
— llo —
est chez l'homme, l'âme de la vie élémentaire, et a son siège dans
le foie. Nephesch, qui est la puissance spirituelle inférieure, possède
encore une très grande affinité, et par suite beaucoup d'attraction
pour le corps. C'est le principe qui s'en sépare le dernier, comme
il a été aussi le premier uni à la chair. Cependant, aussitôt après le
départ de Ruach, les Masikim prennent possession du cadavre
(d'après Loriah, ils s'amoncellent jusqu'à une hauteur de quinze
aunes au-dessus de lui) ; cette invasion jointe à la décomposition du
corps oblige bien((>t ^"ephesch à se retirer; il reste pourtant long-
temps encore auprès de sa dépouille, pour en pleurer la perte.
Ordinairement, ce n'est que quand survient la putréfaction com-
plète qu'il s'élève au-dessus de la sphère terrestre.
Cette désintégration de l'homme, consécutive à la mort, n'est
cependant pas une séparation complète; car ce qui a été une fois
un seul tout ne peut pas se désunir absolument; il reste toujours
quelque rapport entre les parties constitutives, Ainsi une certaine
liaison subsiste entre Nephesch et son corps même, déjà putréfié,
.^près que ce récipient matériel, extérieur, a disparu avec ses forces
vitales physiques, il reste encore quelque chose du principe spiri-
tuel de Nephesch, quelque chose d'impéi'issable, qui descend jusque
dans le tombeau, dans les ossements, comme dit le Sohar; c'est ce
que la Qabalah nomme « le souffle des ossements « ou ^< Yesprit des
ossements ». Ce principe intime, impérissable, du corps matériel,
qui en conserve complètement la forme et les allures, constitue le
Habal de Gormin, que nous pouvons traduire à peu près par « le
corps de la résurrection » (corps astral lumineux).
Après que les diverses parties constitutives de Thomme ont été
séparées par la mort, chacune se rend dans la sphère vers laquelle
l'attirent sa nature et sa constitution ; et elles y sont accompagnées
des êtres qui lui sont semblables et (jui entouraient déjà le lit de
mort. Gomme dans l'Univers entier tout est dans tout, naissant,
vivant et périssant d'après une seule et même loi, comme le plus
petit élément est la reproduction du plus grand, comme les mêmes
principes régissent également toutes les créatures depuis la pki-
infime jusqu'aux êtres les plus spirituels, aux puissances les plus
élevées, l'Univers entier, que la Qabalah nomme Azilutii et qui
comprend tous les degrés depuis la matière la plus grossière jusqu'à
la spiritualité — jusqu'à l'Un — l'Univers, se partage en trois
mondes: Asiau, Jezirau et Briau, correspondant aux trois divisions
fondamentales de l'homme: Nephesch, Ruach et Neschamah.
Asiahest le monde où nous nous mouvons; toutefois, ce que nous
percevons de ce monde par nos yeux corporels n'en est que la
— H6 —
sphère la plus inférieure, la plus matérielle, de même que nous ne
percevons par les organes de nos sens que les principes les plus
inférieurs, les plus matériels de l'homme : son corps. — La figure
donnée précédemment* est donc un schéma de l'Univers aussi bien
que de l'homme, car d'après la doctrine de la Qabalah, le Micro-
cosme est absolument analogue au Macrocosme ; l'homme est
l'image de Dieu qui se manifeste dans l'Univers. Ainsi donc, le
cercle a, a, a représente le monde Asiah, et 1, 2, 3 sont ses sphères
correspondant à celles de Nephesch (Voy. p. 326).
b, b, b représente le monde Jesirali analogue à Ruach, et 4, 5, 6
en sont les puissances.
Enfin le cercle c, c, c figure le monde Bi'iah, dont les sphères 7,
8, 9 atteignent, comme celles de Neschamah, la plus haute puis-
sance de la vie spirituelle.
Le cercle enveloppant, dO, est l'image du Tout d'Azihith, comme
il représentait aussi l'ensemble de la nature humaine.
Les trois mondes qui correspondent, selon leur nature et le degré
de leur spiritualité, aux trois principes constitutifs de l'homme
représentent aussi les différents séjours de ces principes. Le corps,
comme forme d'existence la plus matérielle de l'homme, reste dans
les sphères inférieures du monde Asiah, dans la tombe ; l'esprit des
ossements reste seul enseveli en lui, constituant, comme nous
l'avons dit, le Habal de Garmin. Dans la tombe il est dans un état
de léthargie obscure qui, pour le juste, est un doux sommeil ; plu-
sieurs passages de Daniel, des Psaumes et d'Isaïe y font allusion. Et
comme le Habal de Garmin conserve dans la tombe une sensation
obscure, le repos de ceux qui dorment de ce dernier sommeil peut
être troublé de toutes sortes de manières. C'est pourquoi il était
défendu chez les Juifs d'enterrer l'une auprès de l'autre des per-
sonnes qui, pendant leur vie, avaient été ennemies, ou de placer
un saint homme auprès d'un criminel. On prenait soin, au contraire,
d'enterrer ensemble des personnes qui s'étaient aimées, parce que
dans la mort, cet attachement se continuait encore. Le plus grand
trouble pour ceux qui dorment dans la tombe est l'évocation; car,
alors même que Nephesch a quitté la sépulture, « l'esprit des osse-
ments » reste encore attaché au cadavre, et peut être évoqué; mais
cette évocation atteint aussi Nephesch, Ruach et Neschamah. Sans
doute, ils sont déjà dans des séjours distincts, mais ils n'en restent
pas moins unis l'un à l'autre sous certains rapports, de sorte que
1. Voyez page 526.
— H7 —
l'un ressent ce que les autres éprouvent. Voilà pourquoi l'Écriture
Sainte (3, Moïse, 18, 11) défendait d'évoquer les morts'.
Comme nos sens matériels ne peuvent percevoir que le cercle le
plus bas, la sphère la plus inférieure du monde Asiah, il n'y a que
le corps de l'homme qui soit visible pour nos yeux matériels, celui
qui, même après la mort, reste dans le domaine du monde sensible;
les sphères supérieures d'Asiah ne sont plus perceptibles pour
nous, et de la même manière, le Habal de Garmin échappe déjà à
notre perception; aussi le Sohar dit-il : « Si cela était permis à nos
yeux, nous pourrions voir dans la nuit, quand vient le Schabbath,
ou à la lune nouvelle ou aux jours de fêtes, les Diuknim (les
spectres) se dresser dans les tombeaux pour louer et glorifier le
Seigneur. »
Les sphères supérieures du monde Asiah servent de séjour à
Nephesch, Le Ez-ha-Ckailm dépeint ce séjour comme le Gan-Eden
inférieur-, « qui, dans le monde Asiah, s'étend au sud du pays
Saint, au-dessus de l'Equateur «.
Le second principe de l'homme, Ruach, trouve dans le monde
Jesirah un séjour approprié à son degré de spiritualité. Et comme
Ruach constituant la personnalité propre de l'homme, est le sup-
port et le siège de la Volonté, c'est en lui que réside la force produc-
tive et créatrice de l'homme; aussi le monde Jesirah est-il, comme
l'indique son nom hébreu, le mundns formationis, le monde de la
formation.
Enfin Neschàmah répond au monde Briah que le Sohar nomme
« le monde du trône divin », et qui renferme le plus haut degré de
la spiritualité.
De même que Nephesch, Ruach et Neschàmah ne sont pas des
formes d'existence complètement distinctes, mais qu'au contraire
elles se déduisent progressivement l'une de l'autre en s'élevant en
spirituahté, de même les sphères des différents mondes s'enchaînent
l'une dans l'autre et s'élèvent depuis le cercle le plus profond, le
plus matériel, du monde Asiah, qui est perceptible à nos sens,
jusqu'aux puissances les plus élevées, les plus immatérielles du
monde Briah. On voit par là clairement que, bien que Nephesch,
Ruach et Neschàmah trouvent chacun son séjour dans le monde qui
\. Kl voilà pourquoi, entre autres raisons, la pratique du spiritisme est
condamnable. [N . du Tr.)
2. Gan-Edeii signifie jardin de volupté. Dans le Talmud et dans la Qa-
balah, d'après le Cantique des Cantiques, 4, 13, il est aussi nommé Far-
des, ou jardin de plaisir; d'où est venu le mot Paradis.
— 118 —
lui convient, ils n'en restent pas moins unis en un seul tout. C'est
spécialement parles « Zelem » que ces rapports intimes des parties
séparées sont rendus possibles.
Sous le nom de « Zelem » la Qabalab entend la figure, le vêle-
ment sous lequel les divers principes de l'homme subsistent, par
lequel ils opèrent. Nephesch, Ruach et Neschamah, même après
que la mort a détruit leur enveloppe corporelle extérieure, conser-
vent encore une certaine forme qui répond à l'apparence corpo-
relle de l'homme originaire. Celte forme, au moyen de laquelle
chaque partie persiste et opère dans son monde, n'est possible que
par le Zelem; ainsi il est dit dans le psaume 39, 7 : « Ils sont donc
comme dans le Zelem (le fantômej ».
D'après Loriah, le Zelem, par analogie avec toute la nature
humaine, se partage en trois parties : une lumière intérieure spiri-
tuelle, et deux Makifim ou lumières enveloppantes. Chaque Zelem
et ses Makifim répondent, dans leur nature, au caractère ou au
degré de spiritualité de chacun des principes auxquels il appartient.
C'est seulement par leurs Zelem qu'il est possible à Nephesch, à
Ruach et à Neschamah de se manifester au dehors. C'est sur eux
que repose toute l'existence corporelle de l'homme sur terre, car
tout l'influx d'en haut sur les sentiments et les sens internes de
l'homme se fait par l'intermédiaire de ces Zelem, susceptibles
d'ailleurs d'être affaiblis ou renforcés.
Le processus de la mort se produit uniquement dans les divers
Zelem, car Nephesch, Ruach et Neschamah ne sont pas modifiés
par elle. Aussi la Qabalah dit-elle que trente jours avant la mort de
l'homme, c'est d'abord dans Neschamah que les Makifim se retirent,
pour disparaître ensuite, successivement, de Ruach et de Nephesch ;
ce qu'il faut comprendre en ce sens qu'ils cessent alors d'opérer
dans leui- force : cependant, à l'instant même oîi Ruach s'enfuit,
ils se raccrochent, comme dit la Mischnalh Chasidim, au processus
delà vie, « pour goûter le goût de la mort ». Toutefois, il faut
regarderies Zelem comme des êtres purement magiques; c'est pour-
quoi le Zelem de Nephesch même ne peut agir directement dans le
monde de notre perception sensible externe.
Ce qui s'offre à nous dans l'apparition de personnes mortes c'est,
soit leur llabal de Carmin, soit la subtile matière aérienne ou
éthérée du monde Asiah, dont se revêt le Zelem de Nephesch, pour
se rendre perceptible à nos sens corporels.
Gela s'applique à toute espèce d'apparition, que ce soit celle d'un
ange ou de l'âme d'un mort, ou d'un esprit inférieur. Ce n'est pas
alors le Zelem lui-même que nous pouvons voir et percevoir par
— il9 —
nos yeux ; ce n'en est qu'une image, qui, construite avec la « vapeur »
subtile de notre monde extérieur, prend une forme susceptible de
se redissoudre immédiatement.
Autant la vie des hommes sur la terre offre de variétés, autant
est varié aussi leur sort dans les autres mondes: car, plus on a
commis ici-bas d'infractions à la loi divine, plus il faut subir dans
l'autre monde de châtiments et de purifications.
Le Sohar dit à ce sujet :
« La beauté du Zelem de l'homme pieux dépend des bonnes
œuvres qu'il a accomplies ici-bas » ; et plus loin : « Le péché
souille le Zelem de Nephesch. » — Loriah dit aussi : « Chez
l'homme pieux, ces Zelem sont purs et clairs, chez le pécheur, ils
sont troublés et sombres. » — C'est pourquoi chaque monde a,
pour chacun des principes de l'homme, son G an- Ed en {Pur ndis),
son Nahar Dinw' (fleuve de feu pour la purification de l'âme) et son
Gei-Hinam *, lieu de torture pour le châtiment; de là aussi la doc-
trine chrétienne du ciel, du purgatoire et de l'enfer.
Notre intention n'est pas d'exposer ici la théorie de la Qabalah
sur l'état de l'âme après la mort, et notamment sur les châtiments
qu'elle subit. On en trouvera une exposition très claire dans l'œuvre
célèbre du Dante, la Divine Comédie.
(Traduit du Sphinx, par Ch. Barlet.)
CHAPITRE VU
LES TEXTES
Toutes les données scientifiques, philosophiques ou religieuses
de la Kabbale sont tirées de deux livres fondamentaux, le Zohar et
le Sepher Jesirah.
Le premier de ces livres est très volumineux. Il est traduit en
latin dans la Kabbala denxidata et en anglais dans la Kabbala
unveiled de M. A. Matthers.
Nous donnons ci-joint la traduction du second de ces ouvrages
telle que nous l'avons publiée en 1887 avec les commentaires et
les notes. En plusieurs endroits on trouvera des répétitions de ce
que nous avons développe clans les paragraphes précédents; mais
1. fJei-Hinam était proprement le nom d'ui; endroit situé près de Jé-
rusalem où se faisaient autrefois les sacrifices d'enfants ùMoloch; la Qa-
balah entend par ce nom le lieu de damnation.
120
ces répétitions mêmes montreront quels sont les points sur lesquels
le lecteur doit de préférence porter son attention.
Cette traduction du Sepher Jesirah est suivie de celle de deux
ouvrages kabbalistiques très postérieurs comme composition :
les 32 voies de la sagesse et les 50 portes de V intelligence. Les
remarques qui précèdent ces ouvrages indiquent leur caractère.
LE SEPHER JESIRAH
LES 50 PORTES DE l'iNTELLIGENCE
LES 32 VOIES DE LA SAGESSE
Avaiit-propos.
A la base de toutes les religions et de toutes les philosophies, on
retrouve une doctrine obscure, connue seulement de quelques-uns
et dont l'origine, malgré les travaux des chercheurs, échappe à
toute analyse sérieuse. Cette doctrine est désignée sous des noms
différents suivant la religion qui en conserve les clefs; mais une
étude même superficielle permet de la reconnaître partout la même
quel que soit le nom qui la décore. Ici le critique montre avec joie
l'origine de la doctrine dans l'Apocalypse, résumé de l'ésotérisme
chrétien; mais bientôt il s'arrête, car derrière la Vision de saint
Jean apparaît celle de Daniel et l'ésotérisme des deux religions,
Juive et Chrétienne, se montre identique dans la Kabbale. Cette
doctrine secrète tire son origine de la religion de Moïse, dit l'his-
torien et, saluant son triomphe, il s'apprête à donner ses conclu-
sions, quand les quatre animaux de la vision du Juif se fondent en
un seul, et le Sphinx égyptien dresse silencieusement sa tête
d'Homme au-dessus des disciples de Moïse. Moïse était un prêtre
égyptien, c'est donc en Egypte que se trouve la source de l'ésoté-
risme symbolique, dans ces mystères où toute la philosophie
grecque à la suite de Platon et de Pythagore vint puiser ses ensei-
gnements. Mais les quatre personnifications mystérieuses se séparent
de nouveau et AddaNari la déesse indoue se dresse et nous montre
la tête d'ange équilibrant la lutte entre la Bête féroce et le Taureau
paisible avant la naissance de l'Egypte et de ses mystères sacrés.
Poursuivez vos recherches, et sans cesse cette origine mystérieuse
fuira devant vous : vous traverserez toutes ces civilisations antiques
si péniblement reconstituées, et quand enfin, las de la course, vous
— 121 —
reposerez votre esprit en pleine race rouge, sur la première civili-
sation qu'a produite le premier continent, vous entendrez le pro-
phète inspiré chanter les habitants divins de l'orbe supérieur qui
révélèrent à ceux-ci le secret symbolique du sanctuaire.
Laissons là ce Protée insaisissable qui s'appelle l'origine de l'Eso-
térisme, et considérons la Kabbale dans laquelle, avec un peu de
travail, nous pourrons retrouver le fonds commun, la Religion
Unique dont tous les cultes sont des émanations. Pour savoir ce
qu'est la Kabbale, écoutons un homme profondément instruit, aussi
savant que modeste et qui ne parle jamais qu'une fois sûr de ce
qu'il avance : Fabre d'Olivet.
« Il paraît, au dire des plus fameux rabbins, que Moïse lui-
même, prévoyant le sort que son livre devait subir et les fausses
interprétations qu'on devait lui donner par la suite des temps, eut
recours à une loi orale, qu'il donna de vive voix à des hommes
sûrs dont il avait éprouvé la fidélité, et qu'il chargea de transmettre
dans le secret du sanctuaire à d'autres hommes qui, la transmet-
tant à leur tour d'âge en âge, la fissent ainsi parvenir à la posté-
rité la plus reculée. Cette loi orale que les Juifs modernes se
flattent encore de posséder se nomme Kabbale, d'un mot hébreu
qui signifie ce qui est reçu, ce qui vient d'ailleurs, ce qui se passe
de main en main* )^.
Deux livres peuvent être considérés comme la base des études
kabbalistiques : le Zohar et le Sepher Jesirah. Aucun d'eux n'a
été, que je sache, complètement traduit en français; je vais m'ef-
forcer de combler une partie de cette lacune en traduisant le
Sepher Jesirah le mieux qu'il me sera possible. Je prie le lecteur
de pardonner d'avance les erreurs qui pourraient s'être glissées
dans mon travail auquel je joins une bibliographie permettant au
chercheur de consulter les originaux, et des remarques qui éclai-
rent, autant que possible, les passages par trop obscurs du texte.
i. Fabre d'Olivet, la langue héhr. restituce, p. 29.
122 —
LE LIVRE KABBALISTIUUE DE LA CRÉATION, EN HÉBREU,
SEPHER JESIRAH
Par Abrauam
Transmis successivement oralement à ses fils; puis, vu le mauvais état des
affaires d'Israël, confié par les sages de Jérusalem à des arcanes et à des
lettres du sens le plus caché.
CllAriTliE I
C'est avec les Trente-deux voies de la Sagesse, voies admirables
el cachées que lOAH {^\^^^]f) DIEU d'Israël, DIEUX VIVANTS et
Roi des Siècles, DIEU de miséricorde et de grâce, DIEU sublime et
très élevé, DIEU séjournant dans l'Éternité, DIEU saint, grava son
nom par trois numérations : SEPHER, SEPHAR et SIPUR, c'est-à-
dire le NOMBRE, le NOMBRANT et le NOMBRE* contenus dans
Dix Sephiroth, c'est-à-dire dix propriétés, hormis l'ineffable, et
vingt-deux lettres.
Les lettres sont constituées par Trois mères, sept doubles et
douze simples. Les dix Sephiroth, hormis l'ineffable, sont consti-
tuées par le nombre X celui des doigts de la main et cinq contre
cinq; mais au milieu d'elles est l'alliance de l'unité. Dans l'inter-
prétation de la langue et de la circoncision on retrouve les Dix
Sephiroth hormis l'ineffable.
Dix et non neuf. Dix et non onze, comprends dans ta sagesse el
tu sauras dans ta compréhension. Exerce ton esprit sur elles,
cherche, note, pense, imagine, rétablis les choses en place et fais
asseoir le Créateur sur son trône.
Dix Sephiroth, hormis l'ineffable, dont les dix propriétés sont ^^ «^ • i
^.infinies : l'infini du commencement, l'infini de la fin, l'inlini du, fj^
bien, l'infini du mal, l'infini en élévation, l'infini en profondeur, "
l'infini à l'Orient, l'infini à l'Occident, l'infini au Noril, l'infini au
Midi et le Seigneur seul est au-dessus; Roi fidèle, il les domine
toutes du haut de son trône dans les siècles des siècles.
Dix Sephiroth, hormis Tineffable; leur aspect est semblable à
celui des flammes scintillantes, leur fin se perd dans l'infini. Le
1. Abendaua traduit ces trois termes par l'Écriture, les Nombres et la
Parole.
— 123 —
verbe de Dieu circule en elles; sortant et rentrant sans cesse, sena-
blables à un tourbillon, elles exécutent à l'instant la parole divine
et s'inclinent devant le trùiie de l'Éternel.
Dix Sephiroth, hormis rinelFable; considère que leur fin est
jointe au principe comme la flamme est unie au tison, car le Sei-
gneur est seul au-dessus et n'a pas de second. Quel nombre peux-
tu énoncer avant le nombre un?
Dix Sephiroth, hormis l'ineffable. Ferme tes lèvres et arrête ta
méditation, et, si ton cœur défaille, reviens au point de départ.
C'est pourquoi il est écrit : Sortir et revenir, car c'est pour cela
que l'alliance a été faite : Dix Sephiroth, hormis l'ineffable.
La première des Sephiroth, un, c'est l'Esprit du Dieu vivant,
c'est le nom béni et rebéni du Dieu éternellement vivant. La voix,
l'esprit et la parole, c'est l'Esprit Saint.
Deux, c'est le souffle de l'Esprit, et avec lui sont gravées et
sculptées les vingt-deux lettres, les trois mères, les sept doubles et
les douze simples, et chacune d'elles est esprit.
Trois, c'est l'Eau qui vient du souffle, et avec eux il sculpta et
grava la matière première inanimée et vide, il édifia TOHU, la
ligne qui serpente autour du monde et BOHU, les pierres occultes
enfouies dans l'abîme et desquelles sortent les Eaux.
Quatre, c'est le Feu qui vient de l'Eau, et avec eux il sculpta le
trùne d'honneur, les Ophanim (roues célestes), les Séraphins, les
animaux saints et les anges Serviteurs, et de leur domination il fit
sa demeure comme dit le texte : C'est lui qui fit ses anges et ses
esprits ministrants en agitant le feu.
Gin<[, c'est le sceau duquel il scella la hauteur quand il la con-
templa au-dessus de lui. Il la scella du nom lEV ("^H*).
Six, c'est le sceau duquel il scella la profondeur quaiul il la con-
templa au-dessous de lui. Il la scella du nom IVE (nV).
Sept, c'est le sceau duquel il scella l'Orient quand il le contempla
devant lui. Il le scella du nom EIV (VH).
Huit, c'est le sceau duquel il scella l'Occident quand il le contem-
pla derrière lui. II le scella du nom VEI (^Hl).
Neuf, c'est le sceau du(|uel il scella le Midi quand il le contempla
à sa droite. Il le scella du nom VIE (H^l).
Dix, c'est le sceau duquel il scella le Nord quand il le contempla
à sa gauche. II le scella du nom EVI (^IH) .
Tels sont les dix Esprits ineffables du Dieu vivant : l'Esprit, le
Souffle on l'Air, l'Eau, le Feu, la Hauteur, la Profondeur, l'Orient,
rOccident, le Nord et le Midi.
— 124
CHAPITRE II
Les vingt-deux lettres sont constituées par trois mères, sept
doubles et douze simples.
Les trois mères sont : E M e S (\i^'Oi^j c'est-à-dire l'Air, l'Eau et
le Feu. L'Eau M (D) muette, le Feu S (U) sifflant, TAir A (5^)
intermédiaire entre les deux comme le langage de la loi OCH (pH)
tient le milieu entre le mérite et la culpabilité. A ces vingt-deux
lettres il donna une forme, un poids, en les mêlant et les transfor-
mant de diverses manières, il créa l'âme de tout ce'qui est à créer
ou le sera.
Les vingt-deux lettres sont sculptées dans la voix, gravées dans
l'Air, placées dans la prononciation en cinq endroits : dans le gosier,
dans le palais, dans la langue, dans les dents et dans les lèvres.
Les vingt-deux lettres, les fondements, sont placées sur la sphère
au nombre de 231. Le cercle qui les contient peut tourner direc-
tement, et alors il signifie bonheur, ou en rétrograde, et alors il
signifie le contraire. C'est pourquoi il les rendit pesantes et les
permuta, Aleph (J^) avec toutes et toutes avec Aleph, Beth (2.) avec
toutes et toutes avec Beth, etc..
C'est par ce moyen que naissent 231 portes, qu'on trouve que
tous les idiomes et toutes les créatures dérivent de cette formation
et que par suite toute création procède d'un nom unique. C'est
ainsi qu'il fit (nï^), c'est-à-dire l'Alpha et l'Oméga, ce qui ne
changera ni ne vieillira jamais'.
Le signe de tout cela c'est vingt-deux totaux et un seul corps.
CHAPITRE III
Trois mères E M e S (UD^^) sont les fondements. Elles repré-
sentent le plateau de l'affirmation, le plateau de la contradiction el
le langage de l'examen OCH i'p'n) qui est au milieu.
Trois mères E M e S. Secret insigne, très admirable et très caché
gravé par six anneaux desquels sortent le feu, l'eau et l'air qui se
divisent en mâles et femelles. Trois mères E M e S et d'elles trois
Pères; avec ceux-ci toutes choses sont créées.
t. Voir aux remarques pour l'explication de ce passage.
— 125 —
Trois mères EMeS dans le monde, l'Air, l'Eau, le Feu, Dans le
principe, les Gieux furent créés du Feu, la Terre de l'Eau et l'Air
de l'Esprit qui est au milieu.
Trois mères E M e S dans l'année, le Chaud, le Froid et le Tem-
péré. Le Chaud a été créé du Feu, le Froid de l'Eau et le Tempéré
de l'Esprit, milieu entre eux.
Trois mères EMeS dans l'Homme, la Tête, le Ventre et la Poi-
trine. La Tête a été créée du Feu, le Ventre de l'Eau et la Poitrine,
milieu entre eux, de l'Esprit.
Trois mères EMeS. Il les sculpta, les grava, les composa et
avec elles furent créées trois mères dans le monde, trois mères
dans l'année, trois mères dans l'homme, mâles et femelles.
Il fit régner Aleph (^^] sur l'Esprit, il les lia par un lien et les
composa l'un avec l'autre, et avec eux il scella l'air dans le monde,
le tempéré dans l'année et la poitrine dans l'homme, mâles et
femelles. Mâles en E M e S (\t^Di^) c'est-à-dire dans l'Air, l'Eau et le
Feu, femelles en A S a M' c'est-à-dire dans l'Air, le Feu et l'Eau.
Il fit régner Mem (D) sur l'Eau, il l'enchaîna de telle façon et
les combina l'un avec l'autre de telle sorte qu'il scella avec eux la
terre dans le monde, le froid dans l'année, le fruit du ventre dans
l'homme, mâles et femelles.
Il fit régner le Schin (M^) sur le Feu et l'enchaîna et les combina
l'un avec l'autre, de telle sorte qu'il scella avec eux les cieux dans
le monde, le chaud dans l'année et la tète dans l'homme, mâles et
femelles.
CUAPlïRE IV
Sept doubles
T R PH CH D G B
constituent les syllabes : Vie, Paix, Science, Richesse, Grâce,
Semence, Domination.
Doubles parce qu'elles sont réduites en leurs opposés, par la
permutation; à la place de la Vie est la Mort, de la Paix, la
Guerre, de la Science, l'Ignorance, des Richesses, la Pauvreté, de
la Grâce, l'Abomination, de la Semence, la Stérilité et de la Domi-
nation, l'Esclavage. Les sept doubles sont opposées aux sept termes ;
L D\r;5<
— 126 —
rOrient, l'Occident, la Hauteur, la Profondeur, le Nord, le Midi et
le Saint Palais fixé au milieu qui soutient tout.
Ces sept doubles, il les sculpta, les grava, les combina et créa
avec elles les Astres dans le Monde, les Jours dans l'Année, et les
Portes dans l'Homme, et avec elles il sculpta sept ciels, sept élé-
ments, sept animalités vides depuis l'œuvre. Et c'est pourquoi il
choisit le septénaire sous le ciel.
Deux lettres construisent deux maisons, trois en bâtissent six ;
quatre, vingt-quatre; cinq, cent vingt; six, sept cent vingt; et de
là, le nombi-e progresse dans l'inénarrable et l'inconcevable'.
Les astres dans le monde sont le Soleil, Vénus, Mercure, la Lune,
Saturne, Jupiter et Mars. Les jours de l'année sont les sept jours de
la création, et les sept portes de l'homme sont deux yeux, deux
oreilles, deux narines et une bouche.
CHAPITRE V
Douze simples
K Ts Gh S N L I ï H Z \^ E
p •:: V ^ " '"^ ■ ^ i^ 1 " ^
Leur fondement est le suivant: La Vue, l'Ouïe, l'Odorat, la Pa-
role, la Nutrition, le Coït, l'Action, la Locomotion, la Colère, le
Rire, la Méditation, le Sommeil. Leur mesure est constituée par
les douze termes du monde :
Le Nord-Est, le Sud Est, l'Est-hauteur, l'Est-profondeur.
Le Nord-Ouest, le Sud-Ouest, l'Ouest-hauteur, l'Ouest-profon-
deur.
Le Sud-liauteur, le Sud-profondeur, le Nord-hauteur, le Nord-
profondeur,
Les bornes se propagent et s'avancent dans les siècles des siècles
et ce sont les bras de l'Univers.
Ces douze simples, il les sculpta, les grava, les assembla, les
pesa et les transmua et il créa avec elles douze signes dans l'Uni-
vers, savoir: le Bélier, le Taureau, etc., etc..
Douze mois dans l'année.
Et ces lettres sont les douze directrices de l'homme, ainsi qu^il
suit :
Main droite et main gauche, les deux [jieds, les deux reins, le
foie, le fiel, la rate, le colon, la vessie, les artères.
1. V. aux remarques.
— 1:>7 —
Trois mères, sept doubles et douze simples. Telles sont les
vingt-deux lettres avec lesquelles est fait le tétragramme lEVE
mn^ ^ c'est-à-dire \otre Dieu Sabaoth, le Dieu Sublime d'Israël,
le Très Haut siégeant dans les siècles; et son saint nom créa trois
pères et leurs descendants et sept ciels avec leurs cohortes célestes
et douze bornes de l'Univers.
La preuve de tout cela, le témoignage fidèle, c'est l'univers,
l'année et l'homme. Il les érigea en témoins elles sculpta par trois,
sept et douze. Douze signes et chefs dans le Dragon céleste, le Zo-
diaque et le Cœur. Trois, le feu, l'eau et l'air. Le feu au-dessus,
l'eau au-dessous et l'air au milieu. Cela signifie que l'air participe
des deux.
Le Dragon céleste, c'est-à dire l'Intelligence dans le monde, le
Zodiaque dans l'année et le Cœur dans l'homme. Trois, le feu,
l'eau et l'air. Le feu supérieur, l'eau inférieure, l'air au milieu,
car il participe des deux.
Le Dragon céleste est dans l'univers semblable à un nti sur son
trône, le Zodiaque dans l'année semblable à un roi dans sa cité, le
Cœur dans l'homme ressemble à un roi à la guerre.
Et Dieu les fît opposés, Bien et Mal. Il fit le Bien du Bien et le
Mal du Mal. Le Bien prouve le Mal et le Mal, le Bien. Le Bien
bouillonne dans les justes et le Mal dans les impies. Et chacun est
constitué par le ternaire.
Sept parties sont cuusliluées par deux ternaires au milieu desquels
se tient l'unité.
Le duodénaire est constitué par des parties opposées: trois
amies, trois ennemies, trois vivante^ vivifie.il, trois tuent et
Dieu, roi fidèle, les domine toutes du seuil de sa sainteté.
L'unité domine sur le ternaire, le ternaire sur le septénaire, le
septénaire sur le duodénaire. mais chaque partie est inséparable
de toutes les autres depuis qu'Abraham notre père considéra, exa-
mina, approfondit, comprit, sculpta, grava et composa tout cela,
et de ce fait joignit la créature au créateur. Alors le maître de
l'Univers se manifesta à lui, l'appela son ami et s'engagea par une
alliance éternelle envers lui et sa postérité, comme il est écrit : Il
crut en lOAH (Him) et cela lui fut compté comme une œuvre de
Justice. IL contracta avec Abraham un pacte entre ses dix orteils,
c'est le pacte de la circoncision, et un autre entre les dix doigts de
ses mains, c'est le pacte de la langue. IL attacha les vingt-deux
lettres à sa langue et lui découvrit leur mystère. IL les fit descendre
dans l'eau, les fît monter dans le feu, les jeta dans l'air, les alluma
dans les sept planètes et les efl'usa dans les douze signes célestes.
— 128
REMARQUES
Notre intention n'est pas, dans ces courtes observations, de faire
un commentaire du Sepher Jesirah. Ce commentaire, pour avoir
quelque valeur, ne peut être basé que sur le texte hébraïque dont
la langue conservant encore sa triple signification* permet seule de
rendre tout entière la pensée de l'auteur. Du reste les maîtres les plus
éminents en occultisme, Guillaume Postel et l'alchimiste Abraham,
ont fait, en latin, des commentaires excellents auxquels nous ren-
voyons le lecteur désireux d'approfondir ces questions.
Nous voulons borner notre ambition à éclaircir de notre mieux
les passages trop obscurs, par des notes et par la traduction de
deux ouvrages kabbalistiques trop peu connus: Les cinquante por-
tes de rintelligencÊ et Les trente-deux voies de la Sagesse.
D'une façon générale on pourrait appeler le Sepher Jesirah le
livre de la créalion kabbalistique plutôt que le livre kabbalistique
de la création. C'est en effet sur le nom mystérieux lOAH /nTH^)
que le livre tout entier repose, et la création du monde par LUI-
LES-DIEUX^se borne à la création toute kabbalistique des nombres
et des lettres. Par là l'auteur du Sepher proclame, dès le début, la
méthode caractéristique des Sciences Occultes : l'Analogie.
La forme que l'artiste donne à son œuvre exprime exactement
la grandeur de l'idée productrice, il existe un rapport mathéma-
tique entre la forme visible et l'idée invisible qui lui a donné nais-
sance, entre la réunion des lettres formant un mot et l'idée que
ce mot représente ; aussi créer des mots c'est créer des idées et l'on
comprend pourquoi le Sepher Jesirah se borne, pour raconter la
création d'un monde, à développer la création des lettres
hébraïques qui représente des idées et des lois.
« Le Sohar est une genèse de lumière, le Sepher Jesirah une
1. « Moïse a suivi en cela la méthode des Prêtres égyptiens; car je
dois dire avant tout que ces Prêtres avaient trois manières d'expriuier
leur pensée. La première était claire et simple, la seconde symbolique et
figurée, la troisième sacrée ou hiéroglyphique.... Le même mot prenait
à leur gré le sens propre, figuré ou hiéroglyphique. Tel était le génie de
leur langue. Heraclite a parfaitement exprimé cette différence en la dé-
signant par les épithètes de parlant, de signifiant et && cachant, y (Fabre
d'Olivet.)
2. Traduction exacte du mot D^il'^ï^ (j:iohim). Du reste, on peut voir
au début du Sepher Jesirah Dieu désigné au pluriel.
— 129 —
échelle de vérités. Là s'expliquent les trente-deux signes absolus de
la parole;, les nombres et les lettres ; chaque lettre reproduit un
nombre, uneidéeetuneforme, en sortequelesmathématiquess'appli-
quent aux idées et aux formes non moins rigoureusement qu'aux
nombres, par une proportion exacte et une correspondance parfaite.
« Par la science du Sepher Jesirah l'esprit humain est fixé dans
la vérité et dans la raison et peut se rendre compte des progrès
possibles de l'intelligence par les évolutions des nombres. Le
Sotiar représente donc la Vérité absolue et le Sepher Jesirah
donne les moyens de la saisir, de se l'approprier et d'en faire
usage. » (Eliphas Levi, Histoire de la Magie.)
La loi générale qui va donner naissance au monde une fois
créée sol;s le nom de lOAH', nous allons lavoir se développer dans
l'Univers à travers les dix Sephiroth ou Numérations.
Qu'expriment donc ces dix Sephiroth? Peu de termes ont donné
naissance à plus de commentaires ; d'après les racines hébraïques
de ce mot, je 'crois qu'on pourrait exprimer l'idée qu'il renferme,
par la définition suivante :79om^ d'arrêt d'un mouvement cyclique.
Les dix Sephiroth ne seraient alors que dix conceptions à degrés
différents d'une seule et même chose que les Kabbalistes désignent
sous le nom d'En Soph, l'inefl'able, qui représente l'essence divine
dans sa plus grande abstraction et qui est désignée dans le nom
(lEVE) par la première lettre droite I 1 (mn*).
Le Sepher nous montre l'application de ces idées en se servant
du même mot (EVE) (H"!!) combiné de façons différentes pour
nous indiquer les six dernières Sephiroth (chap. 1'^').
ï. Je crois rendre service aux lecteurs eu publiant une partie du com-
mentaire de Fabre d'Olivet sur ce nom mystérieux dont l'étude est, à
dessein, à peine abordée par les écrivains en occulle ;
« Ce nom offre d'abord le signe indicateur de la vie, doublé, et for-
mant la racine esseriliellenient vivante EE ('^'^)- Cette racine n'est ja-
mais employée comme noni et c'est la seule qui jouisse de celte préro-
gative. Klie est, dès sa formation, non seulement un verbe, mais un verbe
unique dont tous les autres ne sont que des dérivés : en un mot le verbe
tl"in (KVE) ôlre-étanl. Ici, comme on le voit, et comme j'ai eu soin de
l'explicjuer dans ma graniniairc, le soigne de la lumière inlelligible (Vô)
est au milieu de la racine de vie. Moïse, prenant ce verbe par excellence
pour en former le nom propre de l'I^lre des Élres, y ajoute le signe de
la manifestalion potentielle et de réternité 1 (I) cl il obtient Hin* (lEVE)
dans lequel le facultatif étant se trouve placé entre un passé sans origine
et un futur sans lermo. Ce nom admirable signifie donc cxadement
rf^U'e-qui-est-qui-fut-el-qui-sera. »
9
— 130 —
M. Franck, interprétant les Kabbalisles, dit aussi : « Quoique luus
également nécessaires, les attributs et les distinctions que les Se-
phiroth expriment ne peuvent pas nous faire comprendre la nature
divine de la même hauteur; mais ils nous la représentent sous
divers aspects que dans le langage desKabbalistes on appelle des
visages ou des personnes». )>
Mais c'est Kircher qui va nous éclairer tout ù fait en nous mon-
trant dans une seule phrase l'origine des travaux modernes sur
l'unité de la force répandue dans l'Univers, travaux poursuivis
avec tant de fruit par Louis Lucas^; écoutons notre auteur:
« C'est pourquoi toutes les Sephiroth ou Nombres sont une seule
et même force modifiée différeinment suicant les milieux qu'elle
traverse^. »
Bientôt la substance divine va, par de nouvelles modifications,
donner naissance à des conceptions encore inconnues manifestées
par les vingt-deux lettres. Ici les grandes lois qui régissent la
nature vont apparaître une à une dans les applications analogiques
qu'emploie l'auteur du Sepher en parlant de l'Univers, de Tannée
et de l'homme.
La première distinction apparaît dans la division ternaire des
lettres qui se partagent en mères, doubles (exprimant deux sons,
l'un positif, fort, et l'autre négatif, doux) et simples (n'exprimant
qu'un son).
Cette idée de la Trinité se retrouve partout dans le Sepher. Elle
est surtout bien développée dans le chapitre m où l'on montre sa
constitution: un positif (^j S le Feu ; un négatif, l'Eau (D) M; et
enfin un neutre, l'Air A ('^\ intermédiaire entre les deux et résul-
tant de leur action réciproque.
Considérons chaque Tiinité comme une seule personne et nous
allons voir apparaître une Trinité positive, une Trinité négative et
l'Unité qui les accorde dans le Septénaire comme le dit le texte:
« Sept parties sont constituées par deux Ternaires au milieu des-
quels se tient l'unité. »
De même le duodénaire est formé de quatre ternaires opposés
deux à deux.
Dans ces quelques chifTres sont cependant contenues toutes les
d. Vranck, la Kabbale.
2. Vo3'ez VOccultisme contemporain, par Papus (chez Carré).
3. Kircher, (Mdipus Mji/ptiacus [Cubala Hebrœorum, § 1 1).
— i;n —
lois que la Science occulte considère comme les lois primordiales,
les pourquoi de la Nature.
Et cela est si vrai que l'auteur termine son livre en synthé-
tisant dans une seule phrase les lois qu'il a analysées précédem-
ment.
A côté de cette évolution, partie de la Divinité pour se répandre
à travers la création, dont l'idée est, en somme, assez claire, appa-
raissent, de place en place, des passages obscurs dont le sens se
rapporte aux pratiques divinatoires, et par suite occultes, du sanc-
tuaire.
Quelques lettres de l'alphabet suffisent pour exprimer un
nombre incalculable d'idées et cela par leur simple combinaison.
Ainsi voici trois lettres l'N l'M et l'O qui vont exprimer une idée
entièrement différente suivant qu'on les écrira NOM ou MON. C'est
à ces combinaisons des lettres et par suite des nombres et des idées
que se rapportent les deux cent trente et une portes de la fin du
chapitre ii et les maisons du chapitre iv.
Les deux cent trente et une portes se rattachent à la pratique
d'une table appelée Ziruph en Kabbale et indiquant tous les mots
que peuvent former les vingt-deux lettres, substituées les unes aux
autres. Mais, dans le cas qui nous occupe, voici l'explication de
Guillaume Postel:
Multipliez les vingt-deux lettres par les onze nombres (les dix
Sephirolli -)- l'ineffable), vous obtiendrez deux cent (|uarante-deux
desquels vous retrancherez les nombres pour n'avoir plus que les
portes occultes, ce qui vous donnera 242 — H = 23i portes.
La table des substitutions sert à remplacer la première lettre de
l'alphabet par la dernière, la deuxième par l'avaiit-dernière et
ainsi de suite.
Prenons un exemple du français, l'alphabet:
A B C D l<] F G H IJ K L M N 0 F Q II S T U V X Y Z deviendra :
ZYXVUTSRQPONMLKJIHGFEDCBA,
si bien que pour écrire ART on écrira en lisant ra]|)habet placé au
dessous ZHF. Cette méthode combinée avec la suivante est d'un
grand secours pour l'usage pratique de la Rota de Guillaume
Poste M. ' "
]>e deuxième [)assage (fin du chapitre IV) se rapporte au nombre
de combinaisons que peuvent former un certain nombre de lettres;
1. Voyez Eliphas Lovi, liituel de Haute Magie, cliapilie \\\.
— 132 —
ainsi deux lettres ne peuvent former que deux combinaisons, trois
peuvent en former six. Ex. :
1. A B G
2. A G B
3. B A G
4. B G A
5. G A B
G. G B A
et ainsi de suite d'après une loi mathématique. Gomme on peut le
voir, le Sepher Jesirah est déductif, il part de l'idée de Dieu pour
descendre dans les phénomènes naturels. Les deux livres dont il
me reste à parler, sont établis l'un d'après le système du Sepher
Jésirah, c'est celui intitulé: Les trente-deux voies de la Sagesse.
L'autre est inductif, il part de la Nature pour remonter à l'idée de
Dieu, et présente un système d'évolution remarquable en cela
qu'il offre une analogie digne d'intérêt avec les idées modernes et
les données de la Théosophie*. Je veux parler des cinquante portes
de Cmieltigence.
D'après les Kabbalistes, chacun de ces deux systèmes procède
d'une des premières Sephiroth. Lestrente-deux voies de la Sagesse
dérivent de Ghochmah et les cinquante portes de l'Intelligence de
Binah, comme l'enseigne Kircher:
a De même que les trente-deux voies de la Sagesse, émanées de
la Sagesse, se répandent dans le cercle des choses créées, de même
de Binah, c'est-à-dire de l'Intelligence que nous avons vu être l'Es-
prit saint, s'ouvrent cinquante portes qui conduisent auxdites voies ;
leur but est de conduire à Tusage pratique des trente-deux voies
de la Sagesse et de la Puissance.
« On les appelle Portes parce que personne ne peut, d'après les
cabalistes, parvenir à une notion parfaite des voies susdites s'il
n'est d'abord entré par ces Portes. »
I. Voyez la secoiulu partie ilii Tniitr cl/'iiiciUnlre de Scicnl'c uccullf.
— 13:^ —
LES 50 PORTES DE L'INTELLIGENCE
!■•« CLASSE
PRINCIPES DES ÉLÉMENTS
Pi)i-te I — (la plus infime) Matière première. Hyle, Chaos.
— 2 - Vide et inanimé : ce qui est sans forme.
— 3 — Attraction naturelle, l'abîme.
— 4 ■ — Séparation et rudiments des Eléments.
- o -' Elément Terre ne renfermant encore aucune semence.
— 6 — Elément Eau agissant sur la Terre.
— 7 — Elément de l'Air s'exhalant de l'abîme des eaux.
- 8 - Elément Feu échauffant et vivifiant.
- 9 — Figura lion des Qualités.
10 - f>eur attraction vers le mélange.
2c CLASSE
DÉCADE DES MIXTES
Porter il — Apparition des Minéraux par la disjonction de la
terre.
— 12 — Fleurs et sucs ordonnés pour la génération des
métaux.
13 — Mers, Lacs, Fleurs sécrétés entre les alvéoles (de la
Terre).
— 14 • — Production des Herbes, des Arbres, c'est-à-dire de la
nature végétante.
— 15 - Forces et semences données à chacun d'eux.
— 16 - Production de la Nature sensible, c'est-à-dire
— 17 — Des Insectes et des Reptiles.
— 18 — Des Poissons | chacun avec ses propriétés
— 19 — Des Oiseaux ( spéciales.
— 20 — Procréation des Quadrupèdes.
:î- CLVSSE
DÉCADE DE LA NATLRE lUMAlNE
Porte 21 — Production de l'homme.
— 22 — Limon de la Terre de Damas, Matière.
— 23 — Soufde de Vie, Ame ou
- 24 — Mystère d'Adam et d'Eve.
— 23 — Homme-Tout, Microcosme.
— iU —
Porte 26 — Cinq puissances externes.
— 27 — Cinq puissances internes.
— 28 — Homme Ciel.
— 29 — Homme Ange.
— 30 — Homme image et similitude de Dieu.
4e CLASSE
ORDRES DES CIEUX, MONDE DES SPHÈRES
Porte
31
/ De la Lune.
32
De Mercure.
33
\ De Vénus.
34
\ Du Soleil.
35
<D
) De Mars.
36
•r-t
0
\ De Jupiter.
37
j De Saturne.
38
/ Du Firmament.
39
Du premier Mobile
40
\ Empyrée.
Se CLASSE
DES NEUF ORDRES d'aXGES, MONDE ANGÉLIQUE
Porte 41 — Animaux saints Séraphins.
— 42 — Ophanim, c.-à-d. Roues Chérubins.
— 43 — Anges grands et forts Trônes.
— 44 — Haschemalim c.-à-d Dominations.
— 45 — Seraphim c.-à-d Vertus.
— 46 — Malachim Puissances.
— 47 — Elohim Principautés.
— 48 — Ben Elohim Archanges.
— 49 — Chérubin Anges.
6e CLASSE
EN-SOPH, DIEU IMMENSE
MONDE SUPERMONDAIN ET ARCHÉTYPE
Porte 50 — Dieu, Souverain Bien, Celui que l'homme mortel n"a
pas vu, ni qu'aucune recherche de l'esprit n'a
pénétré. C'est là la 50*^ porte à laquelle Moïse ne
parvint pas.
— 135 —
Et telles sont les cinquante portes par lesquelles le chemin est
préparé de l'Intelligence ou l'Esprit Saint vers les 32 voies de la
Sagesse au scrutateur soucieux et obéissant à la loi.
« Les 32 voies delà Sagesse sont les chemins lumineux par les-
quels les saints hommes de Dieu peuvent, par un long usage, une
longue expérience des choses divines et une longue méditation sur
elles, parvenir aux centres cachés. » Kircher.
LES 32 VOIES DE LA SAGESSE
La première voie est appelée Intelligence admirable, couronne
suprême. C'est la lumière qui fait comprendre le principe sans
principe et c'est la gloire première; nulle créature ne peut atteindre
son essence.
La seconde voie c'est l'Intelligence qui illumine; c'est la couronne
de la Création et la splendeur de l'Unité suprême dont elle se rap-
proche le plus. Elle est exaltée au-dessus de toute tête et appelée
par les Kabbalistes : La Gloire seconde.
La troisième voie est appelée Intelligence sanctifiante et c'est la
base de la Sagesse primordiale, appelée créatrice de la Foi. Ses
racines sont "^Di^. Elle est parente de la foi qui en émane en
effet.
La quatrième est appelée Intelligence d'arrêt ou réceptrice,
parce qu'elle se dresse comme une borne pour recevoir les éma-
nations des intelligences supérieures qui lui sont envoyées. C'est
d'elle qu'émanent toutes les vertus spirituelles par la subtilité.
Elle émane delà couronne suprême.
La cinquième voie est appelée Intelligence radiculaire, parce
que, égale plus que tout autre à la suprême unité, elle émane des
profondeurs de la Sagesse primordiale.
La sixième voie est appelée Intelligence de l'influence médiane,
parce que c'est en elle que se multiplie le flux des émanations.
Elle fait influer cette afflucnce même sur les hommes bénis qui s'y
unissent.
La septième voie est appelée Intelligence cachée, parce qu'elle
fait jaillir une splendeur éclatante sur toutes les vertus intellec-
tuelles qui sont contemplées par les yeux de l'esprit et par l'extase
de la foi.
La huitième voie est appelée Intelligence parfaite et absolue.
C'est d'elle qu'émane la préparation des princi()es. Elle n'a pas de
racines auxifuellcs elle adhère, si ce n'est dans les profondeurs de
— 136 —
la Sphère Magnificence do la substance pi'opre de laquelle elle
émane.
La neuvième voie est appelée Intelligence mondée. Elle purifie
les Numérations, empêche et arrête le bris de leurs images ; car elle
fonde leur unité afin de les préserver par son union avec elle delà
destruction et de la division.
La dixième voie est appelée Intelligence resplendissante, parce
qu'elle est exaltée au-dessus de toute tête et a son siège dans
BINAH; elle illumine le feu de tous les luminaires et fait émaner
la force du principe des formes.
La onzième vi)ie est appelée Intelligence du feu. Elle est le voile
placé devant les dispositions et l'ordre des semences supérieures
et inférieures. Celui qui possède cette voie jouit d'une grande
dignité, c'est d'être devant la face delà cause des causes.
La douzième voie est appelée Intelligence de la lumière, parce
qu'elle est l'image de la magnificence. On dit qu'elle est lelieu d'où
vient la vision de ceux qui voient des apparitions.
La treizième voie est appelée Intelligence inductive de l'Unité.
C'est la substance de la Gloire; elle fait connaître la vérité à chacun
ries esprits.
La quatorzième voie est appelée Intelligence qui illumine, c'est
l'institutrice des arcanes, le fondement de la Sainteté.
La quinzième voie est appelée Intelligence constitutive parce
qu'elle constitue la création dans la chaleur du monde. Elle est
elle-même, d'après les Philosophes, la chaleur dont l'Ecriture parle
(Job, 38), la chaleur et son enveloppe.
La seizième voie est appelée Intelligence triomphante et éter-
nelle, volupté de la Gloire, paradis de la volupté préparé pour les
justes.
La dix-septième voie est appelée Intelligence dispositive. Elle
dispose les pieux à la fidélité et par là les rend aptes à recevoir
l'Esprit-Saint.
La dix-huitième voie est appelée Intelligence ou Maison de l'af-
fluence. C'est d'elle qu'on tire les arcanes et les sens cachés qui
sommeillent dans son ombre.
La dix-neuvième voie est appelée Intelligence du secret ou de
toutes les activités spirituelles. L'affiuence qu'elle reçoit vient de
la Bénédiction très élevée et de la gloire suprême.
La vingtième voie est appelée Intelligence de la Volonté Elle
prépare toutes les créatures et chacune d'elles en particulier à la
démonstration de l'existence de la Sagesse primordiale.
La vingt et unième voie est appelée Intelligence qui plaît à celui
— 137 —
qui cherche; elle reçoit rinfliience divine et influe par sa hénédic-
lion sur toutes les existences.
La vingt-deuxième voie est appelée Intelligence fidèle, parce qu'en
elle sont déposées les vertus spirituelles qui y augmentent jusqu'à
ce qu'elles aillent vers ceux qui habite sous son ombre.
La vingt-troisième voie est appelée Intelligence stable. Elle est
la cause de la consistance de toutes les numérations (Sephirolh).
La vingt-quatrième voie est appelée Intelligence Imaginative.
Elle donne la ressemblance à toutes les ressemblances des êtres qui
d'après ses aspects sont créés à sa convenance.
La vingt-cinquième voie est appelée Intelligence de Tentation
ou d'épreuve, parce que c'est la première tentation par laquelle
Dieu éprouve les pieux.
La vingt-sixième voie est appelée Intelligence qui renouvelle
parce que c'est par elle que DIEU (béni soit-il) renouvelle tout ce
qui peut être renouvelé dans la création du monde.
La vingt-septième voie est appelée Intelligence qui agite. C'est
en eiïet d'elle qu'est créé- l'Esprit de toute créature de l'Orbe
suprême et l'agitation, c'est-à-dire le mouvement auquel elles sont
sujettes.
La vingt-huitième voie est appelée Intelligence naturelle. C'est
par elle qu'est parachevée et rendue parfaite la nature de tout ce
qui existe dans l'Orbe du Soleil.
La vingt-neuvième voie est appelée Intelligence corporelle. Elle
forme tout corps qui est corporifié sous tous les orbes et son
accroissement.
La trentième voie est appelée Intelligence collective parce que
c'est d'elle que les Astrologues tirent par le jugement des étoiles et
des signes célestes, leurs spéculations et les perfectionnements de
leur science d'après les mouvements des astres.
La trente et unième voie est appelée Intelligence perpétuelle.
Pourquoi? Parce qu'elle règle le mouvement du Soleil et de la
Lune d'après leur constitution et les fait graviter l'un et l'autre
dans son orbe respectif.
I^a trente-deuxième voie est appelée Intelligence adjuvante
parce qu'elle dirige toutes les opérations des sept planètes et de
leurs divisions et y concourt.
Voici l'usage pratique de ces 32 voies.
Les Cabalistes, quand ils veulent interroger Dieu par une voie
quelconque des choses naturelles, s'y prennent ainsi :
D'abord ils consultent dans une préparation antérieure les 3:2
— 438 —
endroits du 1" chapitre de la Genèse, c'est-à-dire les voies des
choses créées, et exercent sur elles leur étude '.
Puis par le moyen de certaines oraisons tirées du nom ELOIM
(^^"^ ;i^ lls prient Dieu de leur accorder largement la lumière
nécessaire à la voie cherchée et se persuadent, par des cérémonies
convenables, qu'ils sont adeptes à la Lumière de la Sagesse, si bien
qu'ils se tiennent, par leur foi inébranlable et leur ardente charité,
dans le cœur du monde pour l'interroger. Pour que l'oraison ait
dès lors une plus grande puissance, ils se servent du nom de
42 lettres^ et par lui pensent qu'ils obtiendront ce qu'ils deman-
dent.
Les lecteurs curieux de nouveaux détails sur la Kabbale en
trouveront dans les récits de tous les Kabbalistes contemporains,
Éliphas Levi, Stanislas de Guaita, Joséphin Peladan, Alber Jhou-
ney. Ceux qui désirent pénétrer au fond du système kabbalistique
esquissé symboliquement dans le Sepher Jesirah trouveront des dé-
veloppements considérables dans mon étude sur le 7'aro/ des Bohé-
miens, gros volume de près de 400 pages, basé sur le 3" nom
divin.
1. Dans le 1'^'' chapitre de la Genèse le nom divin ^Elohim est men-
tionné 32 fois.
2. Ce nom est tiré des combinaisons du Télragramme; voy. Kircher,
op. cil.
TROISIÈME PARTIE
BIBLIOGRAPHIE RÉSUMÉE
DE LA KABBALE
CHAPITRE P'
INTRODUCTION A LA BIBLIOGRAPHIE
DE LA KABBALE
INTRODUCTION A LA BIBLIOGRAPHIE DE LA KABBALE
§ 1. — Préface.
Il n'existe pas, à noti'C connaissance du moins, de bibliographie
spéciale de la Kabbale en langue française. On trouve bien dans
les manuels courants des listes d'ouvrages classés sous cette rubri-
que; mais ces listes sont faites sans ordre et sans méthode et sont
très incomplètes. Mêmes remarques à faire pour les articles des
dictionnaires consacrés à la Kabbale et les quelques volumes aux-
quels on renvoie, sauf pour l'étude consacrée à celte question dans
le Dictionnaire des Sciences philosophiqites.
Il y avait donc là une lacune très préjudiciable aux chercheurs
sérieux, lacune que nous avons essayé de combler dans la faible
mesure de nos moyens. Noire but est donc moins de présenter une
interminable liste d'ouvrages cueillis à droite et à gauche (ce qui
aurait déjà quel(|ue utilité), que d'établir certaines divisions dans
cette liste, el par suite d'éviter de longues recherches aux philoso-
phes et aux historiens (|ui, à la suile des travaux d'A. Franck sur
la Kabbale et d'autres éminents critiques sur l'Ecole d'Alexandrie
et les doctrines néoplatoniciennes, cherchent de plus en plus à
approfondir ces questions.
Il nous faudra tout d'abord [jasser en revue les principales
i)ibliographies faites à l'étranger ou dans les derniers siècles sur la
Kabbale. Nous aurons à établir le caractère spécial de chacun de
ces travaux, leur utilité ou leurs défauts.
— 142 —
A ce propos, nous indiquerons les sources diverses auxquelles
nous avons puisé, carie premier devoir de l'écrivain est de «rendre
à César ce qui appartient à César », quitte à perdre un peu de
prestige et à gagner beaucoup de satisfaction morale.
C'est alors que nous pourrons aborder avec quelque fruit la
Mbliograpbie proprement dite, divisant les livres d'après les
idiomes dans lesquels ils sont écrits, puis d'après les sujets traités,
enfin condensant en une courte liste les ouvrages les plus indis-
pensables à connaître. Nous prendrons également soin d'établir
dans ces grandes divisions d'autres séparations plus accessoires,
comme la distinction entre les ouvrages d'études purement scientifi-
ques sur la Kabbale, d'avec les œuvres produites par les kabbalistes
mystiques et inspirées par la Kabbale. Nous espérons ainsi atteindre
au mieux notre but, qui est, avant tout, d'être utile, et de faciliter la
tâche à ceux qui, plus compétents que nous-mème, voudront
bien mettre nos efforts à contribution.
§2. — PRINCIPALES BIBLIOGRAPHIES KABBALISTIQUES
Une étude détaillée sur chacun des écrivains qui se sont occupés
de la bibliographie de la Kabbale demanderait à elle seule, un
volume. On ne peut donc attendre de nous une analyse complète
de chacun de ces ouvrages. Nous nous contenterons d'indiquer
rapidement le caractère général des principales de ces bibliogra-
phies, renvoyant le lecteur curieux de détails plus amples à la
Bibliothèque Nationale, dont nous donnons les numéros du catalo-
gue, ce qui facilitera et abrégera beaucoup les recherches.
Jean Buxtorf
Jea.i Buxtorf est le chef d'une famille qui, pendant deux siècles,
s est rendue célèbre dans la littérature hébraïque*. Il naquit le
2o décembre 1564, à Camen en Westphalie et mourut à Bâle le
13 septembre 1629. Il professa pendant trente-huit ans l'hébreu
dans celte ville.
JoHAN BuxTORFi. — De AbrevicUionis hebraicis liber novm et copiosus
oui assessenint operis tulmudici brevis rccencio, cum ejusdem librormu et
capilwn Indici item « Bibliotheca rabbinica » novo ordine alphabetico dis-
230sita Basilea, typis Cnnradi Waldkirchi impensis Ludovici Konig, 1613,
In-8°. (Bib. Nat. A. 7505).
1. Biographie Universelle, l. 6.
— 143 —
Ce petit volume de 335 pages, quoique incomplet, a une très
grande valeur, car c'est le premier travail aussi sérieusement
établi. Il fut complété par les travaux ultérieurs de l'auteur et de
son fils.
Il est imprimé de droite à gauche à l'inverse de nos ouvrages
ordinaires. Le travail suivant est cependant bien plus coin[)let.
Bartolocci
Sinon par ordre de date du moins par ordre d'importance, la
première grande bibliographie se rapportant à la Kabbale est celle
de Bartolocci.
Bartolocci (Jules) était un religieux italien de l'ordre de saint
Bernard. Il passa la plus grande partie de sa vie à professer la
langue hébraïque au collège de la Sapience à Rome. Il naquit en
1613 à Celano, dans l'Abruzze, et mourut d'apoplexie le l'"" no-
vembre 1687.
BuiLiOTiiEGA MAGNA Uauui.xu.a. — De sciiptoribus cl scriptis rabbinici)i,
ordine alphabUico hebraice et latine dvjestis, auclore D. Iiilio Barto-
loccio de Celleno, Congreg. S. Bernarit Reform. Ord. Cistere et S. Sebas-
liani ad Catacumbes Ahbato, 4 vol., Rome, 1678-92 (Bib. Nat. A. 704).
Cette bibliographie est établie sur le plan alphabétique. Les
quatre volumes in-folio qui la constiUient sont imprimés en deux
colonnes ; le commencement du volume est à droite en ouvrant
l'ouvrage comme pour les livres en langue hébraïque, de plus tuas
les passages hébreux cités sont traduits eu latin et de nombreuses
tables, minutieusement établies, permettent de se retrouver très
facilement dans cette immense quantité de sujets traités.
On trouve à propos de chaque sujet une bibliographie, non
seulement des ouvrages hébraïques, mais encore de tous les traités
sur la question. Ainsi par exemple on voit à la page 106 du
tome I" une étude sur les Points suivie de renvois bibliogra-
phiques de vingt-trois ouvrages hébraïques et de sept ouvrages
latins.
Chacun de ces renvois est établi, le plus souvent, par chapitre et
par page, c'est dire toute la conscience qui a présidé à Tédilication
de cet admirable traité*.
1 . Il y a environ 4000 ouvrages écrits eu langue Liobriaque, cités dans
le cours de cet important travail.
— la —
L'ouvrage de Bartolocci a élé continué et complété par le
suivant.
Imbonatl's. — Bihliotheca latina-hebraica sive de scriplorllus laiinis
qui ex diversis nationibiis, contra Judxos, vel de re helraicu ulcumque
scripsere : additis observationibiis criticis, et phtlologico-historicis, quibus
quse circa patriam, setatem. vitœ institulum, mortemque ; auctorum consi-
deranda veniunt, exponuntur, auctore et vindice P. Carolo Ioseph Imbo-
NATo Mediolangasi, Couq. S. Bernardi Ord. Cistere Monacho, Rome,
1694, in-folio (Bib. XaL. A. 763).
' On y retrouve les mêmes qualités que dans la Bibliothèque
Rabbinique.
Nous trouvons maintenant, toujours par ordre de date:
Basnage. — Histoire des Juifs depiuis Jésus-Christ jusqu à présent, Rot-
terdam, 1707, in- 12, o vol. (Bib. nat. H. 6947-52).
Ce traité contient une table des auteurs cités d'où l'on peut
tirer de sérieux renseignements bibliographiques.
Nous arrivons enfin à l'un de ceux qui ont le plus contribué à la
difTusion de ces études :
WOLF
Wolf (Jean-Christophej est né le 21 février 1683 à Wernigerode
dans la Haute-Saxe. Il mourut le 23 juillet 1739 à cinquante-six ans.
0. Christoph. Wolf. — Bibliotheca hebrœa, sive notitia tum auctorum
hebraiconan cujuscumque setatis, tum scriptorum, quœ vel hebraice pri)iium
exarata, vel ab aliis conversa sunt, ad noslramxlatem deducta, Hambourg et
Leipsig, 171o, 4 vol., in-4'', Bib. Nat.) (Invent. A. 2967.
Le tome premier contient la notice des auteurs hébreux au
nombre de 2^31 ; le second, l'indication bibliographique de tous
les ouvragesimprimés ou manuscrits relatifs à l'Ancien Testament,
à la Mashore, au Talmud et à la grammaire hébraïque, la biblio-
thèque judaïque et antijudaïque ; la notice des paraphrases
chaldaïques^ des livres sur la cabale, et enfin des écrits anonymes
— 145 —
des Juifs. Les deux derniers volumes renferment les corrections et
les suppléments '.
L'ouvrage de Wolf est imprimé sans colonnes de gauche à
droite. Il contient aussi le traité de Gaffarel sur les manuscrits
dont s'est servi Pic de la Mirandole : accedit in calce Jacobi Gaffa-
RELLi index codicum cabbalistic, mss, quitus Jo. Picus Mirandu-
lanus cornes, usus est.
Les quatre volumes de Wolf, abrégés du travail de Bartolocci
avec de nombreuses additions d'ouvrages plus récents que \a.Magna
Bibliotheca rabbinica, formeraient un ensemble presque parfaitsans
une singulière manie qui déprécie beaucoup d'ouvrages de l'auteur.
Cette manie consiste à retraduire en latin les titres d'ouvrages et
les noms d'auteurs quels qu'ils soient, sauf toutefois pour les
auteurs allemands dont le nom est bien traduit en latin, mais dont
les ouvrages sont mentionnés dansla langue originale. Il résulte de
là une confusion regrettaljle dans l'esprit du chercheur et des
difficultés qu'on aurait dû éviter dans un recueil bibliographique.
Aussi conseillons-nous de recourir toujours de préférence à l'ou-
vrage de Bartolocci, sauf pour les auteurs modernes. Pour donner
au lecteur un exemple du genre de Wolf, il lui suffit de se reporter
aux listes que nous donnons d'après lui.
Citons, pour terminer, comme beaucoup plus modernes les deux
ouvrages suivants dont le dernier ne nous est malheureusement
connu que de nom.
KURST. — Bibliotheca Jiidaica: Bihlioijraphisches Hamlbruch umfassoid
die « Druckwerke der Judischen Literadiv» einschiiesslich der ùbcrjudenund
judenthum veroffentlichten Schriflen nach cUfabelischcr ordnung der verfas-
ser bearbeitel. Mit cincr Geschichtc der Judischen Bibliographie Sowie mit
indices versehen und Ilerausgegeben, von D. Julius Kuust, leherer an der
universitat zu Leipzig. Leipzig, Ycrlag von Wilhelin Engelinann, 1863
(Bib. Nat., Q. 5139, ol40, 5141).
Rien de bien particulier à signaler dans ce travail ({ue le diclionnaiie
hébraïque, placé ù la (in du troisième volume et qui est imprimé comme
un de nos dictionnaires, c'est-à-dire de gauche à droite.
Catalogue of hcbraica and hudaîca in the librari/ of the corporation of
the City of London, Londres IH'.H, gr. in. -8» de 231 ])a},'es.
1. Weiss, Biograph. Univ., t. 45.
10
146
§ 3. — NOS SOURCES
Outre les ouvrages précédents, nous avons consulté les listes
placées à la fin des études sur la Kabbale dans la plupart des en-
cyclopédies.
G'estainsi que nous citerons spécialement la Grande Encyclopédie
(article de M. Isidore Loëb), VEncyclopédie des Sciences religieuses
de Lichtenberger (article « Kabbale »deM. Nicolas), le/?ic/?o?î«a/Ve de
la conversation,]e Dictionnaire encyclopédique de Larvoiié^e S Ency-
clopédie de Diderot (article « Cabbale » de l'abbé Pestré suivi d'une
note de d'Alembert, cet article est un des meilleur» qui aient été
publiés sur la question), la Biographie universelle de Michaud (ar-
ticle de M. Tabaraud).
Et parmi les étranger» VEnglisch cyclopédia, VEncyclopédia Bri-
lannica et la Biblioiheca brilannica de Watt, bibliographie très
remarquable à diilerents points de vue.
Parmi les ouvrages qui nous ont été d'une très grande utilité pour
l'établissement de notre bibliographie, nous citerons en première
ligne celui de M. Ad. Franck sur la Kabbale qui constitue le seul
recueil français dans lequel on trouve une bonne bibliographie du
sujet.
Nous ne parlerons pas de Basnage, Bartolocci,Buddeus, Duxtorf,
Jmbonatus, Isid. Loëb, Molitor, Wolfei Wall auxquels nous avons
emprunté quelque peu.
Les collections de la Bibliothèque Nationale sur la Kabbale nous
ont également fourni quelques numéros de notre liste..
Enfin nous ne saurions terminer sans signaler de quelle utilité
nous a été la bibliothèque particulière de notre ami Stanislas de
Guaita, le kabbaliste justement estimé, pour le catalogue des
ouvrages mystiques sur la question.
PLAN DE NOTRE RIRLIOGRAPHIE.
i° Ordre.
Nous avons classé les ouvrages d'une part [)ar idiomes, d'autre
part par matières traitées.
La classification par idiomes a été faite d'après l'ordre mùme
de nos recherches.
— 147 —
La classification par matières a été faite d'après l'ordre adopté
par les catalogues de la Bibliothèque Nationale. Nous y avons
ajouté quelques rubriques tirées de notre classification générale
des ouvrages se rapportant à la tradition hébraïque.
2" SoiD'ces. — Caractère da chaque ouvrage.
Chacun des ouvrages cités est précédé dun numéro dVirdre.
Entre le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage ou avant ce litre
quand l'ouvrage est anonyme, onHrouve une lettre qui indique la
source d'où nous avons tiré l'indication dudit ouvrage.
A la fin des indications bibliographiques on trouve des indications
particulières :
(SCT). Si le caractère de Fouvrage est surtout purement ^cî'ewfi-
fique, s'il s'agit d'une étude didactique ou bibliographique.
(MYS). Si Touvrage est d'origine ou de tendances occultistes ou
mystiques.
(PHIL). Si l'ouvrage est surtout philosophique.
3** Tables alphabétiques.
Enfin, pour permettre au chercheur la plus grande facilité pos-
sible, nous avons ajouté à notre bibliograpliie deux taides alpha-
bétiques, l'une par noms d'auteurs, l'autre par titres d'ouvrages.
On voit par tous ces détails que nous avons cherché avant tout
à faire œuvre utile, à épargner, aux autres, les tàtoiuiements que
nous avons personnellement éprouvés dans ces recherches; notre
plus vif désir est maintenant d'être pillé le plus souvent possible
au plus grand profit de l'étude. Nous voudrions surtout voir cette
bibliographie incomplète et résumée, reprise et agrandie par un
auteur plus compétent que nous-même. La France aurait ainsi un
ouvrage à peine indiqué par cet essai, ouvrage que nos trop nom-
breuses occupatifuis nous interdisent pour l'instant d'entreprendre.
Nous avons défriché le terrain; qui voudra bien maintenant le faire
prospérer?
— 148 —
CATALOGUE DES SOURCES DE NOTRE BIBLIOGRAPHII
(B).
Basnage.
(BG).
Bartolocci.
(BD).
Buddeiis.
(BN).
Bibliothèque Nationale.
(BX).
Buxtorf.
^DV).
{Divers auteurs).
(F).
Ad. Franck.
(G).
Bibliothèque de Guaita
(I)
Imbonatus.
(L).
Isidore Loëb.
(M).
Molitor.
(P)-
Papus.
(W).
Wolf.
(Wt).
Watt.
CARACTÈRE DE CHAQUE OUVRAGE.
(SCT) Scientifique (Bibliographies, études didactiques, etc.).
(MYS) Mystique (Inspiré par la Science Occulte ou à tendances
mystiques).
iPHIL) Philosophique (Intermédiaire entre les caractères
précédents).
CHAPITRE II
CLASSIFICATION PAR IDIOMES
§ 1. — OUVRAGES EN LANGUE FRANÇAISE
1. Ad. Franck (P), La Kabbale, Paris, 1843, in-S" (SCT).
2. Richard Simon (F), Histoire critique du Vieux Testament
(SCT).
3. BuRNET (F), Aix/iéologie philosophique , chap. IV (SCT).
4. HoTTi.NGER (F), 1 hcorie philosophique [SOT).
5. Basnage (F), Histoire des Juifs (SCT).
6. E. A.MELiNEAu (F), Essai sur le gnosliclsnie égyptien, ses déve-
loppements et son origine égyptienne, i vol. 111-4", |)aru en 1887
(Bib. nat. 0' A 690) (SCT.
7. Paul Adam (P), Etre, roman (MYS).
8. Amaravella (P), Jm Consiilu/ion du microcosme (revue le
Lotus) (MYS;.
9. F. Cil. Barlet(P), Essai sur révolution de ridée, \'è^\,\î\-{'i>>''
SCT cl PHIL).
10. Berïiielot (P), Des origines de CAlcJiimic, Paris, 1887,111-8"
(SCT).
11. De Brière (P), Essai sur le symbolisme antique des peuples
de rOrient, Paris, 1854, in-8° (SCT).
12. René Caillié (P), L'Etoile, lu Revue des Hautes Etudes
(articles divers;. Avlsilon, 1889-92 (MYS^.
13. Augustin Chakoseau (P), Essai sur la philosophie bouddhique,
p. 156 et 157, Paris, 1891, 111-8" iPHIL).
14. P. Christian (P), L'Homme rouge des 7uileries, Far'is, 1854,
in-S" (MYS).
><v
')(
— 150 —
15. (DivERSj fPj, Congrès spirite de 4889, 1 vol. in-8°, p. 70, 89
et suivantes (MYS).
16. Court de Gébelin 'P.. OEuvres (PHIL).
il. Henry Delaage Pi, Jm Science du vrai, Paris, 1884, in-18°
(PHIL).
18. Louis Figuier (P), L'Alchimie (PHIL et SCTj.
19. Paul Gibier (Pj, Analyse des choses (MYSj.
20. Eliphas Levi (P), Dogme et rituel de la haute Magie, Paris,
1834, in-8"; La clef des grands mystères; Histoire de la Magie;
Fables et symboles (MYS et SCTj.
21. Fabre d'Olivet (Pj, La Langue hébraïque i^estituée, Paris,
1823, 2 vo]. in-4° (PHIL et SGT).
22. S. DE Guaita (P), Au Seuil du Mystère, Paris, 1890, in-8"
(SGT et MYS); Le Temple de Satan, Paris, 1891, in-8'' (MYSj.
23. Alber JiiouNEY (Pj, Le Royaume de Dieu, Paris, 1888, in-8°
(MYS).
2i. H. G. kG^wvhi^), Philosophie occulte, 2yo\., LaBaye,ll21,
in-8'>(SCTetMYS).
23. Lacour (P), Les Amoim ou dieux de Moïse, Bordeaux, 1839,
in-8° (MYS).
26. Lacuria (Pj, Harmonies de l'Etre exprimées par les nombres,
Paris, 1833, in-8" (MYS).
27. LÉONCE DE Larmandie (P), Eoraka, roman, Paris, 1891, iii-8*'
(MYS).
28. Julien Lejay (Pj, La Science secrète, Paris, 1890, i[i-8°
(MYS et PHILj.
29. Lenain (P), La Science cabalistique, Amiens, 1823, in-8°
(MYSj.
30. Jules Lermina CP), A Brader, nouvelle, Paris, 1889, in-8"
(MYS).
31. Emile Michelet (P), L'Esotèrisjne dans l'art, Paris, 1891,
in-18'' (MYS).
32. MoLiTOR (Pj, La Philosophie de la Tradition, Paris, 1834,
in-8° (MYSj.
33. George Montière (P), La Chute d'Adam, Paris, 1890 (revue
Vlnitiation) (MYS).
34. Papus (P), Traité élémentaire de Science occulte, Paris, 1887,
in-S» (MYS) ; le Tarot des Bohémiens, Paris, 1889, gr. in-8° (MYS
etPHILi; Traité méthodique de Science occulte, Paris, 1891,
gr. in-8" (PHIL et SGT).
33. JosÉPfliN Peladan (P), La Décadence latine, 11 voL. Paris.
1884-91, in-18" (MYS).
— loi —
3'î. Albert Poisson fP), Théories et symboles des Alchimistes,
Paris, 1891, in-8°(PHIL .
37. DrcuESSE de Pomar (P), Théosophie sémitique, Paris, 1887,
in-8^' (MYS).
38. Abbé Roca (P), i^ouveaux Cieiir, nouvelle Terre, Paris, 1889,
in-S° (MYS).
39. R. P. Esprit Sabathier (P), Ombre idéale de la sagesse wii-
verselle, 1679 (MYS et PHIL).
40. L -C DR Saint-Martin (P), Le Crocodile, Paris, an II, in-8°
^Bib. nat. Ye 10.27:2) (MYS).
41. Ed. Schuhé (P), Les Grands Initiés, Paris, 1889, in-S" (MYS
et PHIL .
4:2. Sai.nt-Yves d'Alveydre (Pj, Mission des Juifs. Paris, 1884,
gr. in-8'' (SCT et PHIL).
43. J.-A. Vaillant fP). Les Bûmes, histoire vraie des vrais Bohé-
miens, Paris, 1834 (MYS).
44. G. ViTOUx (P), L'Ocrullisme scientifique, Paris, 1891, in-8°
(MYS et PHIL).
43. WroxsivI (Hcené) (P , Messianisme ou réforme absolue du
savoir humain, Paris, 1834, in-folio (PHIL .
46. (P), De la Magie transcendante et des méthodes de guérison
dans le Talmud (MYS .
47. (Pj, Le Vrrgn de Jacob, Lyon. 1693, in-12(MYS).
48. Lagneau(P), Harmonie mystique, p. 1636, in-8° (MYS).
49. Abraham le Jl'if (G), La Sagesse divine, dédié à son fils
Lamecli, manuscrit fin de xviii* siècle, 2 vol. pet. in-8'' (Traduction
d'un manuscrit allemand) (MYS).
30. Gaffarel (G), Curiosités inouies{'NlYS).
31. Jérôme Cardan (G), De la subtilité (MYS).
52. Sieur de Salerne (G), La Géomancie et nomande des
anciens, la nomancie cabalistique, in-16, 1669 (MYS).
33. D'Eckoartrausen (G), La Nuée sur le Sanctuaire ou quelque
chose dont la philosophie orgueilleuse de notre siècle ne se doute
pas (MYSj.
34. M. P. H . n. D. G. .G), La Physique de V Ecriture, in-8« (MYS).
33. Kelei'ii Be\ Nathan (G*, La Philosophie divine, appliquée
aux lumières naturelle, magique, astrale, surnaturelle, céleste et
divine, ou immuables vérités que Dieu a révélées de Lui-même et de
ses œuvres dans le triple i7iiroir analogique dr il )iivers, de
VHommo et de la Hévélation écrite, 1793, in-8" MYS.)
31». QuANTius AircLERC (G), Aa Threicie, ou la seule voie des
— 132 —
sciences divines et hwnaities du culte vrai et de la morale, Paris,
an VII (MYS).
57. L. Grassot (d. m. m.) (G), La Philosophie céleste, Bordeaux,
an IX (1803), pet. in.-S» (MYS).
58. F. Vidal Comnèm (G), L' Harmonie du Monde où il est traité
de Dieu et de la Nature-Essence, Paris, 1671, in-12 (MYS).
39. Pierre Fournie (clerc tonsuré) (G), Ce que nous avons été,
ce que nous sommes et ce que nous deviendrons, Londres, 1861,
in-S" (MYS).
60. Drach (Gj (Le Chevalier Drach), ancien rabbin, De l'harmonie
de r Eglise et de la Synagogue, Paris, 1844, 2 vol. gr. in-8° (MYS).
61. Adolphe Bertet (G) (cabaliste pur, disciple direct d'Eliphas
Lévi), docteur en droit civil et en droit canon, avocat près la cour
de Cham])érv, Apocalypse du Bienheureux Jean dévoilée (Kabbale
et Tarot, à toutes les pages), Paris, Arnauld de Vresse, 1861, in-8°
(MYS).
62. Goulianof (G) (le chevalier de), Essai sur les hiéroglyphes
d'Horapollon et quelques mots sur la CABALE, Paris, 1827,
in-4<' (MYS).
63. Anonyme (G), Cabala Magica tripartita, c'est-à-dire trois
tables cabalistiques..., avec leur explication et leur usage, etc.,S.L.,
1747, in -8° (allemand et traduction française) (PHIL et MYS).
64. Isaac Orobio (G), IsraiH vengé, ou Exposition naturelle des
prophéties hébraïques que les chrétiens attribuent à Jésus, leur
prétendu messie, Londres, 1770, pet. in-8° (PHIL et MYS).
63. Alexandre Weill (G), nnil^ ninDJI a^pin [Lois et
mystères de V Amour), d'après les rabbins et la Kabbale, traduit
d'un missel hébreu, [Paris, Dentu, 1880, pet. in-8'' (PHIL et
MYS).
66. LoDOiK (comte de Divonne, S.*. I .• .){Ct),La Voie de la Science
divine (traduction de l'anglais de Law, disciple de Buhme),
précédé de la Voix qui crie dans le désert, Paris, 1803, in-8°
(MYS).
67. LoPOUKiNE (mystique cabaliste russe) (G), Quelques traits de
V Eglise intérieure, Moscou, 1801 (avec figures), in-8'' (MYS).
• 68. MuNCK (L), Mélanges de Philosophie juive et arabe, Paris,
1830, p. 275 et 490 (SCT); (L) La Palestine, p. 520 et 321
^(SGT).
69. Herzog (DV), Encyclopédie, t. VII, p. 203, 205 et 206
(SCT).
70. Marquis Le Gendre (WT), Traité de VOpinion^ ch. VII
(SCT).
^
— Io3 —
70 bis. Malfatti DE MûNTEREGGio (D.) (P), La Mathèse, traduit
par Ostrowski, Paris, 1839, in-S» (MYS) '.
§ 2. — OUVRAGES EN LANGUE LATINE.
71. Raymond LuLLE (F), Œuvres, 10 voL in-folio, Mayence, 1721
(PHIL).
72. Pic de la Mirandole (F), Conclusiones cabalisttcœ, Rome,
1486 (PHIL).
73. Reuculin (F), De Arte cabbalistica (PHIL).
74. De Verbo Mirifico (PHIL).
73. H. -G. Agrippa (F), De occulta philosophia (SCT et MYS).
76. PosïEL (F), Abscwiditorum a const'Uutione mundi clavis,
Bâie, 1547, in-4% et Amsterdam, 1646, in-12° (MYS).
77. PiSTORius (F), A7H1S cabalislicse scriptores, Bàle, 1387, in-folio
(PHIL et MYS).
78. KiRCiiER (F), Œdipus /Egyptiacus, Rome, 1623, in-folio
(SCT ^iPHIL).
79. KxoRR DERosENROTH(F),/ira6ôa/af^e«Hrfafa(SCTetPHIL).
80. Ricci (F), De celesti agricullura (MYS et PHIL).
81. Joseph Voysin (F), Disputatio cnbalistica (MYS).
82. Georges Wagiiter (F), Concordla rationis et fidei, sive
Harmonia philosophix moralis et religionis christianx , Amsterdam,
1692, in-8'' (MYS).
83. Elucidarius cabalislicus, Rome, 1706, in-S" (PHIL).
84. TiiOLLK (F), De Ortu Cubbahc, Hambourg, 1837 (MYS).
83. Bhucker (Jean-Jacques) (F), Inslitutiones philosophix,
Leipsick, 1747, in-8", édition refaite et annotée par Fred. Born,
Leipzick, 1790 (SCT et MYS).
86. Paracelsus (F), Opéra.
87. Henry Morus (F), Psycho-Zoia ou la Vie de VAme, 1640-1647,
in-8", traduction laline, 3 vol. in-folio 1679 (MYS).
88. Robert Fludd (F), Œuvres, 3 vol. in-folio (MYS).
89. Van Helmont père (J.-B.) (F), Orlus mcdicinx, Amslei-dam,
1648-52, in-4°, Venise, 1631, in-folio (PHIL).
90. iMercure Van Helmont (F), Alphabeté vere naturalis hebraice
brevissima delineatio, Sulgbach, 1607, in-12 (PHIL).
1. Au monienl de mettre sous presse, nous recevons un nouvel ouvrage
d'IîluGÈNE Nus : A la recherche des destindrs, où tout un chapitre est con-
sacré à la Kabbale. 1 vol. in- 18, Paris 1891, — 70 1er.
— In4 —
91. Jacob Buehm (F), Anrora, 1612 MYS).
92. De tribus principiis, 1619 (MYSj.
93. Bartolocci (F), Magna bibliotheca rahhinica, \ vol. iii-folio
(SCT).
9i. BuDDEUS F , Introductio ad Historiom jihilosophix Hebrxo-
rum, 1702 et 1721, in-S" (SCT).
9o. Arias Montanus (B), Aniiquitatum Judàicarum (PHIL).
96. Bartenov.e (B), Commentarii in Misnam (SCT).
97. BocECius (B), De testid. templo Rabbinorum, t. l*"', in-folio,
Amsterdam (MYS).
98. Capzovii (B), Jnlroductio ad Theologiam Jxidaicam 'PHIL^.
99. Chaiim (B) Comment, in Siphra Zeunitha et Synodes Cahb.
denudatœ, in-4'' (SCT).
100. Cocn (B), ou Cocci;il;s (Johanne), Duo tituli Thalmud'icl,
Sanhedrim et Maccoth (SCTj.
101. Drusii (B), Quesliones Hebraicse (PHIL).
102. Fret (Ludor) (B), Excepta Aharonis PIrush al Attorah
explicationis Pentateuchum, in-4", Amsterdam, 1703 (PHIL).
103. HoOGT iB), Prefatio in Biblïa hebraica, in-8", 2 vol., Ams-
terdam, 1705 (SCT).
104. Leusden (B), Prefatio ad Bibliothecam hobraicam in-S",
2 vol., Amsterdam, 1680 (SCT).
103. Lorle (Isaaci) (B), Cahbala recentior (SCT et PHIL).
106. Maimonides (B;, Commentarii in Misnam, Amsterdam,
1760, in-folio (SCTj.
107. Misnau (Bj, sive tolius Hebreorum Juris Jiiluum, Aniiqui-
tatum systema cum Maimonides et Bartenovœ Commentariis integris,
quibus accedunt variorum Auctorum Notx ac Versiones Latine
donavit et nolis illustravit Giixelmus Surenuusius, in-folio, 6 vol.,
Amsterdam, 1700 (SCT).
108. MoRi (Henrici) (B), Fundamenta cabbalu- Aclopœdomeliss.r
PHIL.
109. Mosis Naciimanidis (B), Disputatio apud Wagenseili Tela
ignea Satanx (MYS).
110. Naputali Hirtz (B), Introductio pro meliori intellectu libri
Zohar [Kabbala denudata, p. 3j (PHIL).
111. Otbonis (Johan Henrici) (B), Historia doctorum misnicorum
(PHIL .
112. Peringeri (B), Prtefatio ad Tract. Arodoh Zarah in
Misnœ, t. V (PHIL).
113. Relandi (Hade) (B), Annlecta /tabbinica, in-8% Ultraj, 1702
(SCT..
— l5o —
114. Ursini (Gorgio) (B), Anliqu'dales hebi'aicv Scholasticx Aca-
deinuv, in-i", Hasnia, 1702 (SGT).
115. AVagenseilii (B), Tela ignca Safanœ, 2 vol., 108!, in-i". in
Misna, p. 911, editionis Amstel (MYS).
116. Paracelsus (BD), Isagoge (PHIL).
117. Peti Gassendum (BD), Marc Mersennum, Œuvres (PHIL).
118. KnuiNRATU (BD) , Amphitheatrum Sapientix /Eiernse
(MYS).
119. Gaffarel (BD), Codkum Kabbalisticorum manuscriptoi'um
(MYS).
120. CiiEXTOi'iiORi StebII (BD), Cœlum Sep/iiroticinn Ebreorum
per portas inlelUgentix Mogsi Hevelatum, 1079, in-folio (MYS).
421. IuL. Si'ERBERLS (BD), Isagogue in veram Dei natura'que
cognifioriem (PHIL).
122. MiCDAELis RiTTiiALERi (BD), Hemiat/iena p/iilos"pkica theo-
logia, 1684 (PHIL et MYS).
123. Franciscus MercuriusHelmontis |BD), Seder o/am (PHIL).
124. Iac. Boumius (BD), Opéra (MYS).
125. loACiiiMUS HopPERUS (BD), Seduardtis sive de ver a jnrispru-
dentia, 1656 (PHIL).
126. loNAS CoNRADus ScQRAM.Mius (BD), Inlroductlo ad dialec-
ticam Kabbalorum, 1703 (PHIL).
127. JoRDANO Bruno (Pi, De Specierum scrulneo ; de lampade
combinaioria lulliana ; de progressu et lampade venaloria logico-
rum (PHIL et MYS).
128. Yalerius de VALERiis fG"), Aureum opus in arhorem scien-
tiarxun et in artem gêner alem (MYS).
129. BuKGONovo (Archangelus de) (G), I. — Apologia pro defen-
sione doctrinœ Kabbalx {"PHlIlj) ; II. — Conclusiones Cabalistice,
n" 71, secundum Mirandulayn (PHIL) (ces conclusions sont dif-
férentes de celles qui sont dans Pislorius, quoique du même auteur
et sous le même litre. — St. de Guaita^, 1 vol. in-10 carré, Bononiœ,
1564.
130. Gai-ATini (G), De Arcanis calholicx veritatis, livre XII,
1 vol. in-fol., 1612 (MYSj.
131. Jouannes Frankius (G), Systema ethices dioinx et plusieurs
auli'es traités du même, Brandeburgi-Mecklinburgi, 1724, petit
in- 4° (MYS).
132. Vuolfgangus Sidelius (G), De Templo Salumonis Mystico,
prope Maguntiaui, 1548, in-12 (MYS).
133. ÏRiTUÈME (G), /> Septem secundeis, Coloni;e, 1567, in-12
fMYS).
— 156 —
134. (G), Veterum Sophorxnn Sigilla el Imagines Magiac, cui ac-
cessit catalogus Rariorum magico-cûbbalisticorum (MYS et SCTj.
133. (Anonyme) (G), Trinuum magiciim, sive secretorummagico-
rum opus (MYS).
136. CHR[STornoRUS Wagenseilius (G), Tela ignea Satame, con-
tenant les ouvrages hébreux suivants avec traduction latine et
commentaires (MYS et PHIL).
[137. LiPMANN, Carmen memoriale.
(Anonyme), Liber nizzachon velus.
138. Rabbi Jecuiel, Acta disputatioms cum quodam Nicolao.
139. Rabbi Moses NacdmaiMoes, Acta disputationis cum fraire
Paulo Christiani et fratre lîaymundi Martini.
140. Rabbi Isaacci, Sepher Chissuck Emuna [Munimen fîdei).
141. (Anonyme), Scpher Toladolh Jeschua [Liber Generationiim
Jesu).]
142. Relandi (Hadrian) (G), Antiquitates sacrée veterum hebreo-
rum breviter delineatx, trajecti ad Rhenum, 1741, in-4° (SCT).
143. Heimus (J. Philip.) (G), Dissertationum sacrorum libri duo,
Amsterdam, 1736, in-4'' (PHIL).
144. F. Rurnetii (G). — I. Telluris Theoria sacra. — II. Doc-
trina Archeologiiô philosophicce (tout un grand chapitre sur la
Kabbale), Amstelodami, apud loannem Wolters, 1699, in-4o (Fron-
tispice et figures) (MYS).
14o. Robert Fludd (DV'. — 1° Utriusque cosmi metaphysica,
physica atqve technica historia^ Oppenheim, 1617, in-folio.
146. — 2" L)e super7iaturali, naturali, piveternaturali et contra-
nalurali microcosmi hisloria, Oppenheim, 1619 1621-
147. — 3" De natura sinia scu technica, macrocosmi historia,
Francfort, 1624.
148. — 4" Veritatis procenlum seu deynonstratiô analytica,¥ranc-
fort, 1621.
149. — o° Monochordan mundi symphoniacum , Francfort, 1622,
in-4", 1623, in-folio (ces deux derniers traités en réponse à Kepler).
130. — 6» Anatomia theatrtnn, tripUci effgise designatum, Franc-
fort, 1623, in-folio.
131. — l^iVedicina cathoUca, seu mysticum artis medicandisacra-
rium, Francfort, 1629.
132. — ^'' Integrum morborum mysterium, Francfort, 1631.
133. — 9° Pulsus, seu nova et acarnas pulswnim historia.
134. — 10" Philosophia sacra et vere Christian a, seu metcoro-
logia cosmica, Francfort, 1629.
153. — \\° Sophix cumMû7'ia certamen, 1629.
— 157 —
156. — 12° Summum bonum, quod est verum magix, cabalie et
alchymix verse ac fratrum Rosese-Crucis subjeclum, 1629.
157. — 13" Claris pkilosophise et alchymiœ Fluddanse, Francfort,
1633.
158. — iA" Philosophia Mosdica, in qua sapientia et scientia
creaturarum explicantur, Gonda, 1638; Amsterdam, 1940, in-folio ;
traduit en anglais, Londres, 1659, in-folio.
159. — 15° De unguenlo cwmario (discours dans le Theatrum
sapienticC, 1662, in-4''.
160. — 16° Respo7isiim ad Hoplocris?naspongum Forsteri, Lon-
dres, 1631, in-4°.
161. — 17° Pathologia dœmoniaca, Gonda, 16-40, in-folio.
162. — 18° Apologia compendiaria, f?'afe7'nitatem de Rosea-
Cruce suspicionis et infauùx maculis aspersam abluens, Leyde,
1616, in-8°.
163. — 19° Tractatus apologeticus integritatem societatis de
Rosea-Cruce de fendens, Leyde, 1647 ; traduit en allemand, Leipzick,
1782.
164. — 20" Tractatus tkeologo-philosophicus de vita, morte et
resurrectione, fratrihus Rosea-Crucis dicatus, Oppenheim, 1617,
in- 4°.
165 . Bl'xtorf (DV) {Œuvres), Manuale hebralcum et ckaldaicum,
Bàle, 1658, in-12.
166. — Synagoga judaica, Bàle, 1603 (allemand); Hanau, 1604 et
1622, in-8° (latin); Amsterdam, 1650, in-8° (flamand); Bàle, 1641,
latin (revue par son fils); Bàle, 1682, latin (revue et corrigée par
Jacques Buxtorf, petit-neveu de Tauleur).
Cet ouvrage roule sur les dogmes et les cérémonies des Juifs.
167. Institutio epistolaris Jiebraica cum epistolarum. Iiebraica-
rum centuria, Bàle, 1603, 1616, 1629. in-8°.
L'auteur y donne des règles et des modèles pour une corres-
pondance littéraire en hébreu.
168. Epitome grammalicic hebrex, Leyde, 1673, 1701 , 1707, in-12.
169. Epitome radicum hcbraicx et chaldaicx, Bàle, 1607, in-8°.
170. Thésaurus grammaticus lingux hebrex, Bàle, 1609, 1663,
et 1615, in-8°.
171. Lexicon hebraicum et chaldaicum cum brevi lexico Rabbi-
nico, Bàle, 1607, in-8°, et 1678, in-8°.
172. Grammaticx chaldaicx et syriacx libri très, Bàle, 1615,
in-8°,
173. Bibliolheca hebrxa Hahbinica, Bàle, 1618-19, 4 vol. in-folio.
174. Tibcrias, Bàle, 1620, in-4°.
- l.iS —
Traité historique et critique sur la massore où l'auteur attribue
rinvenlion des points voyelles à Esdras. Il y donne aussi Thisloire
des Académies de Juifs après leur dispersion.
175. C oncordantise Bibliorum hebraicx, publiées par ses fils avec
les concordances chaldaïques, Bàle, 1632, in-folio; réimprimée en
1636, Bâle, et dont on a un abrégé par Chrétien Ravius à Francfort-
sur-l'Oder, 1676; Berlin, 1677, in-8", sous le titre de Fons Sion;
c'est un des meilleurs ouvrages de Bi;:vlorf.
176. Lexicon chaldaicum thalmudkum et rabbinicum, Bàle, 1639,
iu-folio.
Cet ouvrage qu'il avait laissé imparfait après vingt ans de
travail, coula encore dix année> à son fils pour le mettre en état
de paraître.
177. Dispulatio Judxicum Chrisliano, Hanau, 1604, 1622, in-8".
178. Epistolarum liebraic. decas (hébreu et latin), Bàle, 1603,
in-8°.
179. KiRCUER (P), Plan complet de son élude sur la Kabbale de
Hébreux dans Vt'dipus Fgyptiacus :
La Cabale des Hébreux
Savoir : De la sagesse allégorique des anciens Hébreux, parallèle
avec la cabale égyptienne et hiéroglyphique qui montre de nou-
velles sources pour l'exposition de la doctrine hiéroglyphique et
indique les origines de cette doctrine superstitieuse et sa réfutation.
CuAi'. I. — Définition et division de la Kabbale.
§ 1. Exemple de la Gématrie.
§ 2. Exemple de Notaria.
§3. Exemple de Themura i ou Ziruphj..
CuAP. II. — Ue l'origine de la Kabbale au dire des Kabbalistes.
Chap. 111. — Du premier fondement de la Kabbale : l alphabet
et de l'ordre mystique de ses caractères.
Ghap. IV. — Des tioms et surnoms de Dieu.
§ 1. Nom divin tétragrammatique ÎTin^ ou de 4 lettres.
§ 2. Mystères du Nom n'H^
§ 3. Du nom divin de 12 lettres ou duodécagranimatique.
— 15'J —
§ 4. Du nom divin de 22 lettres, avec lequel les prêtres avaient
autrefois coutume de bénir le peuple, au dire des Rabbins.
§ 5. Du nom divin de A2 lettres.
CiiAi'. V. — De la Table Ziruph ou des combinaisons de
ral/)habet hébraïque.
§ I. Comment le nom divin de 42 lettres est tiré de la table
Ziruph.
§ 2. Noms des 42 anges, qui dériveiil du nom divin de A2 lettres
avec les interprétations.
GuAP. VI. -- Du nom divin de 12 lettres et de son usage.
Les 72 versets extraits de divers Psaumes dans lesquels sont
contenus les paroles de Dieu et les noms des anges, colligés
d'après diverses œuvres rabbiniques.
GuA['. VII. — Le nom divin de 4 lettres ne fut pas inconnu aux
anciens païens. Le nom lESU contient en lui tout ce qui a été dit
du nom de ces lettres.
GuAr. VIII. — De la très secrète théologie mystique des
Hébreux: la Kabbale des dix Sephiroth.
§ 1. l£nsoph, essence infinie, cachée, éternelle.
^2. Kether,\^ couronne suprême, premier Sephiroth et des
autres Sephirolli.
CiiAP. IX. — Des diverses représentations des 10 noms divins de
Sephiroth, de leur influx et de leurs canaux au dire des Rabbins.
§ 1. Représentation des 10 Se[>hir()th par l'image de figure
humaine.
§ 2. Des systèmes de canaux el iidliix des S(q)hirolh, au dire des
Kabbalistes.
§ 3. Dérivation des canaux (voir la figure).
§ 4. Des 32 voies des la Sagesse et de leur interprétation.
§ o. Des 32 passages du chapitre I«' de la Genèse où le nom divin
ELOIM est cité. Liste des 32 voies de la Sagesse.
§ G. Des 50 portes de l'Intelligence.
§ 7. Des 30 puissances émanant de la droite en Gedulah et des
30 autres émanant de la gauche en Geburah. Du nom de 72 lettres
et de 32 voies de la Sagesse.
— 160 —
§8. Des préceptes négatifs et affirmatifs qui sont annexés aux
canaux sephirothiques de Gedulah et Geburali à Netzah et Hod, au
dire des Rabbins.
§ 9. Interprétation des chemins sephirothiques.
§ 10. Du ternaire, septénaire et duodénaire des 22 lettres consti-
tuant les canaux sephirothiques, et leurs mystères, de l'avis des
Hébreux.
CuAP. X. — De la Kabbale naturelle appelée « Bereschit ».
ti 1. En quoi consiste cette Kabbale.
§ 2. Kabbale astrologique.
§ 3. De la Kabbale Bereschit, ou de la Nature, c'est-à-dire de la
connaissance des caractères des choses de la Nature par la vraie
et légitime Kabbale.
§ 4. De la Magie kabbalistique, égyptienne, pythagoricienne et
de leur comparaison.
§ 3. — OUVR.\GES EN LANGUE ALLEMANDE.
180. P>STEL\ (E), Mikad minot haychondin, Beitrâge zur jddi-
schen Alterthimiskwide, Vienne, 1887 (SGT).
181. Kleuker (F), De la nature et de r origine de la doctrine de
l'incarnation chez les kabbalistes, Riga, 1786, in-8° [allemand)
(PHIL).
182. Freystad (F), Kabbalismus und Pantkeismus, Kœnigsberg,
1832, in-8° (PHIL).
183. Wacuter (F), Le Spinozisme dans le judaïsme, Amsterdam,
1699, in-8° [allemand) (PHIL).
184. ZuNZ (L), Gottesdienstliche Vortrœge, Berlin, 1832, ch. IX
etXX(SCTj.
185. Landauer (L), Literaturblatt de l'Orient de Furst, 1845,
t. VI, p. 178 (SCTj.
186. Graetz (L), Geschichte der Juden, t. V, p. 201-208, t. VII,
mot Kabbala (SGT).
187. J. Hamburger (L), lieal-Encyclopœdie f. Bibel u. Talmud,
2*= partie, 1874-83, articles Geheimlehre, Kabbala, Mystik, Religions-
philosophie, et dans le supplément, aux a-riicles Kteinere Midraschim
elSohar (SGT).
188. Steinscheneider (L), Judische Literatur dans l'Encyclo-
pédie Ersch et Griiber (SGT).
189. H. Joël (L), Bie Religionsphilosophie des Sohar, Leipzig,
1849 (PHIL).
— IGl —
190. Ad. Jellinck (L), Moses ben Schemtob de Léon iind sein
Vei'hxltniss zum Sohar, Leipzig, 1831 (PHIL).
191. Id. (L), Beitrxge zur Geschichte dcr Kabbala, Leipzig, 1832
(SGT).
192. Graetz (L), Gnosticismus und Judenthian, Krotoschin, 1846
(PHIL).
193. M. Joël (L), Blicke in die Religionsgeschichte, Breslau, 1880,
I" vol., p. 103-170 (SGT).
194. GUDEMANN (L), Geschichte des Erziehungswesens der Juden,
Leipzig, 1800, t. P'", p. 133 (mysticisme allemand), p. 67 (mysti-
cisme en France au xiu° siècle) (SGT).
193. D. Kaufmann (L), dans Jubelschrift zum 90 tcn Geburtstag
des D"^ L. Zung, Berlin, 1884, p. 143 (SGT).
196. Carl du Prel (F), Philosophie der Mgstik, Leipzig, 1887
(PHILetMYS).
197. (G), Cabala, Spiegel der Kunst in Kuppersliick (MYS).
§ 4. — PRINCIPAUX TRAITÉS EN LANGUE HÉBRAÏQUE.
Massore.
198. Majer Halein (M), AVsorah siag l'Thorah (La Massore,
un frein à la loi), xiii" siècle.
Mischna et Gemurah.
199. (M), M'sachta sophrbn (on voit), desci-iption de la forme
extérieure de la Bible.
200. Nasi Juda IIakadoscu (M), Mischnuh.
201. Maimonides (M), La puissante main.
202. Joseph Karo (M), Table couverte, 4 vol., i3oO.
Le compendium le plus complet de la doctrine hébraïque.
Kabbale.
203. AiîRAHAM Akibaii (?) (M), Sephnr letzlrah (Livre de la crée-
lion), Mantoue, 1332.
204. Moïse (?) (M), M'eine Hachochinh (Les Sources de la
Sagesse) ; Raja M'ckiinnak (Le Fidèle Pasteur).
205. Rab Juda ren Betiiehu (M), Sepher Habelhachun (Le livre
de la confiance).
206. Rab. N'ciiuniau (M), 40 av. J.-C. Le livre Ua-Bahir (la
lumière dans les ténèbres), Amsterdam, 1631, — Berlin, 1706.
207. — (M), Jlamiuchad (Le mystère du nom de Dieu).
208. — (M), Jggered Hasovoth (La Lettre sur les Mystères)
(premiers siècles de J.-C).
11
— loi —
209. Rab. Samuel, fils d'Elisée (M), Sepher Kanah (Les frag-
ments du temple).
210. Paraphraste Onkolos (M), différents Michaschim Mei
kaschiluach (les eaux coulant lentement) (120 ap. J.-C).
211. Rab. Simon, fils de Jochai, disciple d'Akibali (M), Sohar
(La splendeur de la lumière).
Fragments du Sohar.
212. — Sitkrei Thorah (Les mystères de la Thorah).
213. — Irnnka (L'enfant).
214. — P'Kuda (L'explication mystique de la loi).
215. — Midrasch Hanelam (La mystérieuse recherche).
216. — Maimer tha chasi (Viens et vois).
217. — Idra /?a66a (La grande assemblée).
218. — 7f/ra 5u^a (La petite assemblée).
219. — Siphra f/zeniiUka (Le livre des secrets).
Éditions du Sohar : Mantoue, 1360, in-4°. — Dublin, 1G23,
in-lbliu. — Gonslantinople, 1736. — Amsterdam, 1714 et 1803. La
meilleure est celle de 1714.
Principales publications depuis le Sohar jusqu'au xii® siècle.
220. — Rab. Iuda Hanasi, 213 ap. J.-G. (M) : 1" Le livre des
doux fruits.
221. — 2" Le livre des Points,
222. — 3° Un diamant dans Urim et Thumim.
223. — 4° Le livre de l'Ornement.
224. — 5° Le livre du Paradis.
223. — 6° Le livre de la Rédemption.
226. — 7° Le livre de l'Unité.
227. — 8° L'alliance du Repos.
228. — 9° Le livre de la Recherche.
229. — 10" La voix du Seigneur dans sa puissance.
230. — 11° Le livre de l'Agrégation avec différentes explications
sur les nombres 42 et 72, la loi et la morale, etc.
231. — 12° La Magnificence.
232. — 13° Le livre de la Récréation.
233. — 14° Le livre de la Vie future.
234. — 13° Le mystère de la Thorah.
233, — 16° Le livre sur les Saints Noms.
236. — 17° Le trésor de la Vie.
237. — 18° L'Eden du jardin de Dieu.
238. — 19° Le livre de la Rédemption.
— iG:i —
Principales publications depuis 12^0 jusqu'au wi" siècle.
239. — 20» (M), L'ordre de la Divinité.
240. — 21° Le vin aromatisé.
241. — 22° Le livre des âmes.
242. — 23° Le mystère de l'esprit.
243. — 24° Le livre des Anges.
244. — 25° Le livre du Rapport des formes.
245. — 26° Le livre des Couronnes.
246. — 27° Le livre des Saintes Voix.
247. — 28° Le livre des Mystères de l'Unité et de la Foi.
248. — 29° Le livre des portes du divin Entendement.
249. — 30° Le Mystère de l'obscurité.
250. — 31° Le livre de l'Unité de la Divinité.
251. — 32° Le Jardin intérieur.
252. — 33° Le Saint des Saints.
253. — 34° Le Trésor de la Gloire.
254. — 35° La Porte des Mystères.
255. — 36° Le livre de la Foi.
256. — 37° La Fontaine d'eau vive.
257. — 38° La Maison du Seigneur.
258. — 39° Urim et Thumim.
259. — 40° La Demeure de la Paix.
260. — 41° Les Ailes de la Colombe.
261. — 42° La Source du jardin.
2)2. — 43° Le Suc de la grenade.
263. — 44° Ce qui illumine les yeux.
264. — 45° Le Tabernacle.
265. — 46° Le livre de la Foi.
266. — 47° Le livre des Dix.
267. — 48° Le livre de l'Intuition.
268. — 49° Le livre des mystères du Seigneur.
269. — 50° Le sens du Commandement.
270. — 51° Traité sur les dix Sephirotb.
271. — 52° Explication de la Thorab.
272. — 53° La poudre d'aromate.
273. — 54° La lumière de Dieu.
27 i. — 55° L'Autel d'Or.
275. — 56° Le Tabernacle.
276. — 57° Le livre de la Mesure.
277. — 58° La lumière de la Raison.
— 164 —
278. — 59° Le mystère de Ja Thorah.
279. — 60° Le livre de l'Angoisse.
280. — • 61° La Porte de la lumière.
281. — 02° L'Arbre de Vie.
282. — 63° Le Rameau de l'Arbre de Vie.
283. — 64° La Voie pour arriver à l'Arbre de Vie.
284. — 03° Les Trésors de la Vie.
28o. — 06° Le livre de la Piété.
^ o. — OUVRAGES EN LANGUE ANGLAISE
286. H. -P. Blavatsky (P), Isis Unveiled, New-York, 1873,
3 vol. in-8° (MYSj.
Indigeste compilation des écrivains français, pour tout ce qui a
rapport à la Kabl)ale. — Aucune métliode.
287. (P), rhe secret Doctrine, London, 1889, 2 vol. gr. in-8°
(MYS).
Même remarque que pour le précédent.
288. D' G. DU Prel (P), Philosophy of Mysticism, transi, p.
G.-C. Massey (PHIL et MYSj.
289. A.-Edw. Waite (P), Lives of Alchenvjstical Pliilosophers
(MYS).
290. S. LiDDELL Macgregor Matuers (P), The key of Salornon
ihe Kmg (clavicula Salomonis).
291. — The Kabbala h Unveiled {SCT).
292. Franz Hartmann (P), Magic, White and Black (MYS).
293. — The Lilerature of Occuliism and Archaeology
(MYS).
294. A.-E. WArrE(P), The Mysteries of Magic (MYS).
293. (DVi, Supernatural, religion a inquiry into ihe reality of
divine révélation, 3 vol., London, 1873 (PHIL).
290. Henry Morus (WT), A conjectural essay of interpreting
the mind of Moses,according to a threefold Cabala, London, in-8°,
1634 (PHIL et MYS).
297. Smith (DV), 'Dictionary of Christian Biography (Article
Cabbalah) PHIL).
298. Ginsburg (DV), The Kabbalah,its Doctrines Developement
and Littérature (PHIL^.
299.- AzARiEL (DVj, Commentary on the Doctrine of the Sephi-
roth, Varsau, 1798; Berlin 1850 (PHIL).
— 105 —
\jr 300. — (DV), Commenlary on the SoJig of Songa, Altonn.,
-^ 1763 (MYS).
301 . Mackay (P), Memory of extraordinary popiilars delusions,
London, 1842, in-8'' (Portraits de J. Dée, de Paracelse et de
Cagliostro) (PHIL).
302. Barrett (P), Magus a celeslial intelligence, Londres, 1801,
in-4'>, fig. (MYS).
303. AiNSWORTH (Henry) (B), Annotations upon the five boohs of
Moses, in-folio, London, 1630 (PHIL).
304. CuDWOuïii (B), The trxie intellectual system of the Universe,
in-folio, London, 1678 (MYS).
304 bis. — Anna Kinsfort (D), The perfect Way, Londres,
in-8'', 1887.
§ 6. — OUVRAGES EN LANGUE ESPAGNOLE
303. Castillo (P),//iA'/or/a y magia naturnl, Madrid, 1692, in-4''
(MYS).
301). Abendana (P), Cuzari, libro de grande scicncia y mucha
doctiina, tradiicido por Abendana, Amsterdam, 5423 (Bib. Nat.
A 2l).>4) (PHIL et MYS).
307. Cardoso (B), Tas Excellencias de los IJebreos, y las Cnlo-
nias de los hebreos, in-4", Amsterdam, 1679 (PHIL).
CHAPITRE III
CLASSIFICATION PAR ORDRE DES MATIÈRES
§ 1. — TRAITÉS CONCERNANT LA MISCIINA
{Bibliothèque nationale.)
310. R. MosES Maimonides, et R. Obadia BARiENOViE, Mischnat,
traditiones, Sabionetx, 1563, 2 vol., in-4<'(A. 828).
R. JuD.E Sangti, Venitiis, 1606, in-folio (A. 829).
Voir aussi n°^ 830 à 834. — Tous ces ouvrages sont en hébreu,
311. GuiLTELMUsSuRENHUSius, Misclinn,sivc totius hebrœorumjuris,
rituum, antiquitatum ac legum oratium systema, cinn Rabbinorum
Maimonidis ET Bartenov.e commentariis integris ; quibus accedunt
variorum auctorum notx ac versiones bi eos quos edidennit codices:
omnin a Guilielmo Suren?iusio lalinitate donata, digesta et notis
illustrata Hebraicè et latine, Amstelodami, Girard et Jacobus
Borstius, 1098, G vol. in-folio (A. 834).
Voir (le plus n"' 833 à 840.
Mischna (meilleurs commentaires).
312. MoisK Maimonides et Oiudia Bartenove, Bib. nat. A 673,
fol. Imprimé à Naples, 1490-92, texte latin, publié par Suren-
iiusius, 6 vol., Amsterdam, 1698-1703 (A 674).
313. Miscn.VA en espagnol^ Venise, 1606.
314. — en allemand, par Habe, Onolzbach, 1761.
315. — en hébreu, Berlin, 1834.
§ 2. — TRAITÉS CONCERNANT LE TARGLJM
{Bibliothèque nationale.)
316. PaulusFagius et Onkelus, Tliargum, 1346, in-fol, (A 824).
317. UziEL, Targum, Bàle, 1607, in-fol. (A 825).
— 108 —
318. L'ziEL ou lend. de Fraxciscl'sTaylerus, Londres, 1649, in-i"
(A 826).
319. R. Jacob. F. Blnam, Bâle, in-4« f A 827).
. 320. Voir de plus n"^ A 435, A 786, A 2-332.
TRAITÉS CONCERNANT LA MASSORE
(Bibliothèque nalionalc.)
321. BuxTORF, Tiberias (A 822, 823).
5; 3. — TRAITÉS CONCERNANT LE TALMUD
[Bibliothèque nationale.)
322. 1° Talmud de Jérusalem, R. Jochanan, Talmud Hierosoly-
mitamim, divisum in quatuor ordines. Venetiis, Daniel Bomberg,
in-fol. s. date (A 840); autre édition, Cracovie, Isaac, Aron, 1607-
4609, in-folio; 2° Talmud de Babylonc.
323. Rab. AscnE, Talmud Dabylonicum inlegrum, ex sapientum
scriptis et responsis compositum a Rab. Asche,centum circiler annis
post confectum Talmud Hierosohjmitanum, additis commentariis,
R. Salomonis Jarchi, et R. Mosis Maimonidis, Venetiis, Daniel
Bomberger, 1520, 1521, 1522, 1523; 15 vol. in-fol. (A 842).
Voir de plus n" A 843 à 857.
324. Pour les abrégés du Talmud, n°' 857 à 879.
325. Pour les commentaires du 7a//;mf/, n°^ 879 à 914.
326. Pour les traités sur le Talmud, n°^ 915 à 917,
En résumé, la Bibliothèque nationale possède, dans son catalo-
gue ancien, cent vingt-quatre ouvrages sur le Talmud, la plu-
part très considérables.
^ 4. — TRAITÉS CONCERNANT LA KABBALE EN GÉNÉRAL
{Bibliothèque nationale, Wolf.)
1" Introduction à la Kabbale.
327. R. Joseph Cornitolis, Schaace Hedek portx perlicia
(hébreu), Ruca, 1401, in-4° (A 964).
328. R. Joseph Gecatilia, Gan egiz, hortus lucis, sive introductio
in artemcabalisticam (héhreu), Hanovriœ, 1615, in-fol. (A 965).
2" Iraités généraux sur la Kabbale.
329. R. Akiba, Sepher Jesirah (hébreu), Mantoue, 1562, in-4°
(A 966).
— 169 —
330. RiTTANGELius, Sep/ier Jesirah (hébreu), Amstelodami, 1642,
in-4'' (hébreu et latin) (A 957).
331. R. ScHABTAi ScnEPiiTEL HoRwiTZ, Sckepha Tal sar Sep han-
tai (hébreu), Hanovre, 1612, in-fol. (A 968).
332. Knorr de Rosenrotu, Kabbala denudata (A 969) (latin).
333. PiSTORius, Ar^is cahalistlcx scriptoj'es (latin), Basileœ, 1387,
in-folio (A 970).
334. Voir de plus les traités en langue hébraïque, n°^ 970 à 978.
33o. Joseph de Voysin. Trad. de l'hébreu en latin.
R. Israël filii. R. Mosis, Disputatio cabalistica de anima, et
opus i'hythmicum R. Abraham Abben Ezr^, De modis quibus Hebrsei
legem soient interpretari, adjectis commenlarïis ex Zohar, aliisque
rabblnorum libris, cum Us qux ex doctrina Platonis convenere,
Parisiis, Tussanus du Pray, 1638, in-8° (A 978).
336. Aggripa (Hen.-Gom.) Phil. Occulta, (liv. 3); De Vanitale
Scientiarum (ch. 67).
337. Alberti (Frid. -Christian), Œuvres.
338. Altingius (Jacob), Jn Dissertât, de Cabbale Scripturaria.
339. Andrew (Samuel), In Examine generali Cabballx philoso-
phic;i\ Henri Mari, Herboni, 1670, in-4".
340. Bartoloccius (Julius), rabbinica Bibliotheca [passim], 1694,
o vol.; Rome, 1673-93, 4 vol. in-folio.
341. Basunysen (Hen.-Jac. Van), Disputationes II de Cabbala
vera et falsa, Hanov., 1710.
342. Basnage (Jacob), Uistoria Judaica, lib. 3, cap. 10 et suiv.
343. Berger (Paul.), In Cabbalismo Judaïco Christiano, Vitem-
berg, 1707, in-4».
344. Buscherus (Frédéric-Christianus), In Mensibus Pietisticis
(mense IV).
343. BuDDEUs (Jo. Franc), In observationibus Halensibus salutis,
t. 1, observât. I et 16 et i)i Introductio in philosop. Hxbreo-
rum.
346. De Burgonovo (Archangelus), Ordinis minorum, Pro defen-
sione doctrinse Cabbahc, Basil., 1600, in-8° (p. 33 et 34.)
347. Ejusde.m, Cabbaiistarum selectiora obscurioraqxie dogmata
illustrata^ Ventiis, 1369, in-8" ; Basil. 1387, in-folio.
348. Garpyiorius (Joh.-Benedictus), Introductio in Theologiam
Judaicam, c. VI.
349. GoLBERG(Ehregott. Daniel), /nCArw^ianwmo Hermctica Pla-
tonica.
340. CiOLLANGEL (Gabriel), In Dissert, de Cabbala, cum ejusdem
pulygraphia Galliœ édita, Paris, 1361.
— 170 —
351. DiCKiNSON (Edmond), In physica cetere et vera, cap. IV
et XIX.
353. DiSENBACH (Martinus), In Judxo convertendo, p. 94, et con-
versa, p. 145 sqq.
334. DuRETUS (Claudius), Dans F histoire de V origine des langues,
c. 7.
3oo. Fludd (Robertus), m Philosophia mosaica, et alibi, passim.
356. Gaffarellus [id.z.),Abdita divinse Cabbalx mysteria contra
Sophistarum Logomachiam defensa, Paris, 1623, 4 teste Leone Alla-
tio de Apibut Urbanis. Ejusdem tractatum de Cabbala, et in eum
Mersenni notes M. S. S. in Biblioth. Peirescii memora, Colomesius
in Galia Orientali, p. 134. Promisit et Cribru?yi Cabbalisticum.
357. Galatinus (Pet.), lib. 1, De Arcanis Catkol. Veritat., c. 6.
338. Garzia (Pet.), Vide supra Archangelus Burgonosensis.
339. GASïALDL's(Thom.) In libris de Angelica potestate passim de
Cabbala Judaica egit, eamque confiitavit, teste Kirchero in Edipo
Egyptiaco, t. II. parti, qui passim ad eum provocat.
360. Gerson (Christian), In Compe.ndio Tahnudis, part 1, c. 31.
361. Glassiiis (Salomon), In Philologia Sacra, lib. Il, part 1,
p. 302.
362. Hackspanil'S (Theofloricu=i, In Brevi Expositione Cabbalx
Judaicx, Misccllaneis ejus Sacris subjuncta, p. 282 sqq, qui specia-
tini, p. 341 sqq. fuse de usu Cabbalse in Theologio differit.
303. Hebenstreitius (Jo.-Bat), In dissertât, de Cabbala Log.
Arithmo-Geometro-Mantica spargi nuper cœpta, Ulm, 1619, in-4''.
364. Henningius fJo.) In Cabbalologia sive Brevi Institut ione de
Cabbala eum veterum Rnbbinorum Judaica, tum Poetarum Para-
grammatica,\À\)^\, 1683, in-B".
365. Hoornbeckius (Jo.j In libris VIII pro convincendis et conver-
tendis Judicis, lib. 1, c. 2., p. 89 sqq.
366. Hottingerus (Jo. Hen.) In Thesauro Philolog., lib. 1, c. 3,
sect. V.
367. Hottingerus (Jo. Henres.) Nepos, In notis ad discursum Ge-
maricum de Incestu Creatione et opère Currus, p. 41 sqq.
363.^ircherus (Athana§}, In jEdipo yE gyptiaco , t. II, p. I.
369. Knorr (Christianus), A Rosexroth, in Cabbala denudata,
t. 1, Solisbac, 1677 et 1678; t. II, Francof. ad Moen, 1684, in-4'>.
Vide Buddei Introduct., p. 281 sqq.
370. Langius (Joach.), In Medicina Medicina Mentis.,^. 131, sqq.
371. Langius (Jo. Mich.), In Dissert, de Charactere primœvo
Bibliorum Hebr. et in Comment, de Genealogiis Judaicis.
372. Lensdenius (Jo.), In Philolog. Hebr. Dissert. XXVI.
~ 171 —
373. LoESCHAR (Valent. Ernestus), In Prsenotionibus Theologicis,
p. 288, sqq.
374. LoBKOviTZ (Jo. Caramuel a), Cabbalx Theologicx Excidiiim,
qua stante in tota S. Scriptura ne unwn quidem verbum esset de
ûeo, Vide Imbonatï Biblioth. Lat. Beb., p. 96.
373. Ejusdem, Spécimen Cabbalse Grammaticœ^ Bruxellis, 1642.
in-12.
376. MiRAXDULANUS {Vid. Piciis).
377. MoRESTELLis (Pet.), Academia Artis Cabbalist., Paris, 1621,
in-8°, édita prorsus hue non pertinet, quippe qux tantum de Arte
Lulliana exponit.
378. MoRUS (Henr.), In scriptis variis, de quibus diligenter exponit
Rev. Jo. Franc. Buddeus in Iniroducl. in Philos Hebrxornm.
379. UvLLERVS (io.), In Judaismo Prolego7)i. VI.
380. Neander (Michael), In calce Erotematum L. Hebr., p. 514,
sqq.
381. Pastritius (Jo.), CuJhs tractatum M. S. de Cabbnla ejusqun
divisione et auctoritate laiidat Imbonatus in Biblioth. Hebrieo,
Latina, p. 126.
382. Picus (Jo.) MirancUilanus, LXXII, Concliisiones Cabbalisticœ
et alia in Operibus ejus legenda. Conclusiones illx integnv erstant
in Rev. Budder Introduct.,]). 230 sqq. Conf. Archangelus Burgonov.
383. PiSTORiusfJo.), Nldanus, in tomo 1. Scriptorum. Artis kabba-
list., Basile, 1587, in-folio, quo conlinentur Pauli Riccii, lib W , de
cœlesti Agricultura, et opuscula nonnulla ejus alia: R.Josephi Casti-
liensis Porta lucis, Leonis Ebrai de amore Dei dialogi très: Jo.
Reuchlini lib. 3 de Arte kabbalistica ; item lib. 3 de verbo mirifico:
Archangell Burgonoviensis Intcrpretatioiies in selectiora obseuriora-
que Cabbalistarum dogmata ; et Abrahami liber Jezira. Lege de hnc
colleclione Buddeum in Introduct. ad Histor. Philos. Hebr., p. 221.
Rich Samaneni in Bibliotheca Selecta, t. 1, p. 322, sqq. et Pel.
Bœlium in Dictioyiario edit. recentiss.., t. III, p. 2315, sqq.
384. Reimmannus (Jac. Frider.), In Conata introduct. inHistoriani
Thcolog. Judaicx, lib. i, c. lo.
383. Reuchlinus (Jo.), In libris 3 de Arte Cabbalist. Ilagenoa-,
1517, in-4". Basile, 1550, et cum Galatino. Francof., 1672, in-folio,
item in Pistoris Scriptoribus Cabbalist., Basil., 1587.
386. Riccius (Paulus), In libris IV de cœlesti Agricultura et
aliaa ; vide part. 1, n" 1817. Conf. Pistorius.
387. RiTTANGELius (Jo. Steph.),/» notis ad lib. Jezirn, et libro de
« Veritatc /leligionis Christ ianx ».
388. RosENROTH (V. Christianus Knorr).
— 172 —
389. ScQERZER (J. Adamus), bi TrifoUo Orieniali, p. 109, sqq.
389 bis. ScBiCKARDus (Giiilielmus), Jn Bechinath Bapperuschim,
Diss. IV.
390. ScnoTTUS (Casp.), In Technica Curiosa, lib.XII, de Mh^abili-
hus Cabbalic.
391. SciiUDT (Jo. Jac), In Memorabilibus Judaicis, part. IT, lib. 6,
cap. 31, p. 188, sqq.
392. Sennertus (Andr.), Dissert. peciUlari de Cabbala, Wiemhe.,
1055, in-4°, quœ récusa est in Heptade II. Exercitatt. Pïlolog.
num III.
393. Sperberus (Jiiliu>), Isagoge in veram triunius Dei et naturse
cognitionem, concinnata an. 1008, Jinnc vero primwn publicl juris
facta, in gna multa quogue prxclara de rnateria lapidis Philoso-
phici ejusque mirabilissimo continentur, Hambui'gi 1074. Hune
puto esse tractatiim, in quo probasse sibi videlxir, artem kabbalis-
ticam omnium artium esse nobilissimam. Vide prœfationem ejus ad
Preces Cabbalisticas.
393 bis. Ejusdem, Kubbalisticx Precaliones, Latine, Amstelod.,
1075, 111-8°, et German eodem anno Amstelod., et Francofurti. Conf.
Godefredi Arnoldi Hislor. Hxresiologic., part. III, p. 10, sq.
394. VoisiMUS (Jos.j, In notis ad proœm, in Ilagm. Martini
Pugionem l'idei, et ad R. IsraH, fil. Mosis, Disputât, Cabbalist.
395. Wagoter (Jo. Georg.), In Spinosisrno Judaismi, kvailQloû.,
1799, in-8°, et ElucAdario Cabbalistico, Rostoch., 1700, in-8".
390. Walther (Jo.), in Officina Biblica, p. 523, sqq,
397. Waltonus iBrianus), In Prolegom. VII ad Biblia Poli-
glotta, § 30, 38.
398. ZiEROLDUS (Joh. Wilhelmus), Inintroduct. ad Histor. Eccle-
siast, cap. III. Ex Judœis, qui historiée de Cabbala 2)rc€ceperunt,
potiores sunt Elias Levita in Tisbi voce, li. Moses Corduero in
R. Nephthali in pnefat. et Menasse ben Israël in C onciliatione
super Exodum, qu;est CXXV, p. 249, sqq., edit. Hispanicœ.
^ 5. — TRAITÉS CONCERNANT LES SEPHIROTH
[Wolf.)
399. iEvOLUS (César) [le Napolitain), dans le livre des Dix Se-
pkiroth, Venise, 1589, in-4''.
400. Aqlixas (Philipi)e), l Interprétation de l'arbre kabbalis-
tique, avec la figure de cet arbre, Paris, 1025, in-8°, français
(Bib. nat. A 7.730), suivi des Codices manuscripti cab. Gaiïarel.
401. Basnage (Jacob), Histoire juive, liv. II, ch. xiv.
— 173 —
402. BuDDEUS (Jean-Fi-ancisque), Introduction à V Histoire de la
Philosophie hébraïque, p. 277 et siiiv., 336 et suiv., dernière édi-
tion.
403. BuRNEUS (Thomas), Archéologie philosophique, liv. I",
ch. VII.
404. Garpzovius (Jean-Bened.), //i^?'ot?uc<«on à la théologie juive,
(int,, p. 82, et Dissertatio de Vacca Rusa, part IL, p. 56 et suiv.,
1706, p. 161 et suiv., 170-177.
405. GuNDLiNGius (Nicolas Hieron.), Histoire de la philosophie
inorale, V'^ partie, ch. vii^ p. 93.
406. Heumannus (Christophe-Auguste), Acta philosophica, t. II,
n" 2.
407. HiNCKELMANNUS (Abraham), Detectio fundamenti Bœhmiani,
p. 20 et suiv.
408. KiRCHERUS (Athanas), Œdipus y^gyptiacus, t. Il, 1'" partie,
p. 214 elsuiv., 2m) et suivf
409. Losius (Jean-Juste), Bega dissertationum Gressae, 1706,
in-4°.
410. Meyerus [iohdiw), Dissert, theologica de mysterio SS. Trini-
tatis ex follis V. T. libris demonstrato, Harderonii, 1712, in-4°.
411. MoRUS (Henricus), In opérions philosophie', p. 429 et suiv.
412. OLEARius(Gottfrid), In observationibus sacris super Matth.,
VI, p. 221 et suiv.
413. Pfeifer (August), In Critica sacra, p. 214 et suiv.
414. lliTTANGELius (Jean-Stephanus), In notis ab lib. lezlrah et
in lib. de Veritate religionis christianx.
413. De Rosenrotu (Christianus Knorr), In Cabbala denudata,
passim.
416. Stendnerus, De mysterio Deï triunius, p. 294 et suiv.
417. ViïRiNGA (Ganpegnis), Liber 1 observât, sacrarum, cap. x
et XI.
418. VoisiNius (Joseph), In notis ad pricmium Pugunis fidci,
p. 71 et suiv.
419. Wagiiterus (Jean-Georges), In Elucidario cabbalistico,
cap. m,
§6. — TRAITÉS CONCERNANT LE SEPHER JESIRAH
{Bibliothèque nationale.)
422. Sepher Jesirah {en hébreu), Mantouo, 1562, in-4° (A 996j.
423. Artis cabalistiae scriptores ex biblioth. Pistorii, 1587,
in-folio (A 970).
— 174 —
424. Abrahami patriarchx liber Jesirah ex hebru'o versus et
commentariis illustratus a Giiillemo Postello (1552) (A, Réserve,
G5<J0).
425. Ciczari^ libro de grande ciencia y mucha doctrina, traducido
por Abendana, Amsterdam^ 5423 (A 1100).
426. Liber Jesirah qui Abrahamo pntriarchx adscribitur , una
cum commentario Rabbi Abraham, Amstelodami, 1662 (A 967).
427. Mayer Lambert, Commentaire sur le Sefer Jesira Paris,
1891, in-8°.
§ 7. - TRAITÉS CONCERNANT LA KABBALE PRATIQUE
[Bibliothèque nationale.)
428. ScnEMMAi'UORAS, Mss. 14-785, 14.786, 14.787.
429. Sceau DE Salomon, Mss. 25.314.
430. Clavicule de Salomon, Mss. 24.244-24.245'.
1 . Ce manuscrit a été photographié et tiré à tvps petit nomhre d'exem-
plaires. — On le trouve cliez notre éditeur, au prix de 100 fr. l'exemplaire
composé de 143 épieuves.
APPENDICE
PÉRIODIQUES
s occupant géaéralemsnt ou s'étant occupés de la Kabbale.
France [langue française).
L'Initiation, directeur Papus, revue mensuelle de 100 pages,
paraissant régulièrement depuis le \o octobre 1888, Paris, 58, rue
Saint-André-des-Arts.
Le Voile d'Isis, journal hebdomadaire de 8 pages, directeur
Papus, paraissant régulièrement depuis le 12 novembre 1890,
Paris, 29, rue de Trévise.
Psyché., revue mensuelle littéraire, directeur Emile Michelet,
paraît depuis 1891, 29, rue de Trévise, Paris.
L'Étoile, directeur René Gaillié, revue mensuelle, paraissant
régulièrement depuis décembre 1889, Avignon.
L'Aurore., directrice M"° de Pomar, revue mensuelle, paraissant
régulièrement depuis 1887, Paris, 11, rue de la Ghaussée-d'Antin.
Revue trimeslrielle des Etudiants Swedenborgiens libres, direc-
teur Lecomte, à Noisy-le-lloi (Seine-et-Oise).
La Religion universelle, directeur Charles Fauvety, administra-
teur Lessard, à Nantes (mensuel).
L'Union Occulte /''ra/icaisi?, directeur Elle Steel, revue paraissant
deux fois par mois, Lyon (Rhône), 5, cours Gauibetta, remplacée
par
La Paix Universelle, directeur B. Nicolaï, revue paraissant deux
fois par mois (môme adresse).
Revue des Sciences Psychologiques illustrée, directeur L. Mou-
tin, revue mensuelle, paraissant depuis 1890, 2, rue Duiierré,
Paris.
— 176 —
AllemaGine [langue allemande).
Sphinx, directeur Hiibbe Schleiden, à Munich (mensuel),
Laxgue anglaise
The Theosophist, directeur Olcott, revue mensuelle (12^ année),
paraissant à Madras (Indes anglaises).
The Key, revue mensuelle, paraissant à Londres {recommandée).
Lucifer, directrice M™® Annie Besant, revue mensuelle, parais-
sant à Londres.
The Path, directeur Judge, revue mensuelle, paraissant à
New- York (Etals-Unis).
The Platonist, directeur (?), revue mensuelle, paraissant à Boston
(Etat-Unis).
Langue espagnole
£1 Teosofo, directeur H. Girgois, revue mensuelle, paraissant à la
Plata (République Argentine), calle 4 y 45.
Il y a une foule d'autres revues en langue espagnole traitant de
mysticisme spiritualiste, mais non de la Kabbale. Citons toutefois
comme commençant à s'occuper de ces questions :
Revista de esludios psicologicos, directeur, le vicomte de Torres
Solanot (mensuelle), Barcelone, 31, calle de San Juan.
Langue italienne
Lux, directeur Hoffmann Giovanni, revue mensuelle, 82, via
Castro-Pretorio, Rome (4* année).
Langue hollandaise
Bet Rozekrentz (Geheime Wetenschap), directeur D' L.-L. Plan-
lenga, revue mensuelle, 242, Singel, Amsterdam (2° année).
TABLE ALPHABÉTIQUE
AUTEURS CITÉS DANS LA BIBLIOGRAPHIE
{Les chiffres renvoient aux numéros (V ordre placés devant chaque ouvrage.
Abe.ndana 306 , 42.)
Abraham (juif) 49
Adam (Paul) 7
yEvoLUs 399
Aniupi'A 24, ";>, 330
Ai.NswoRi II 303
Akiiîa 203, 3-29
Albali 337
Altingius 338
Amaravf.lla 8
Amklikeau (I"^. ) 0
Andrkœ (Saimiel) 339
Aq^inas (Philippe) 400
Arius (Montaïuis) 95
AscuE (Ilab.) 323
Aur.LERC (Qiiinliiis) 56
AzARiEf 299
lÎARLET 9
Basnagk li, 343, 401
Rarret 302
IJartenov.v; 96
Bartolocci 93, 40
Baciu'ysk.n 34 i
Berger 342
Bertet (Ad.) 6.")
Bertiielot 10
Betiieira (Iiida-Ben.) 20o
Blavastky (II.-P.) 280
BORCIUS
BoEUM (Jacob) y ! ,
Brière (de)
Brucker
Bruno (Jordano)
Bucherus
BuDDEUs 94, 34.),
BUNAM
BURNET 3, 1 i4
BuRGO.NOv us 129,
BuxTORF loi) à 179,
Caillié (Roné)
Cardan (Jérùiiif^)
Caruoso
Carnitolis
Cari'zovius 98, 3i8,
Castillo
Ciiaboseau (Aiii^iisliii)
Chaum
CURISTIA.N i^P.)
ChENTOI'UORI
COLLANGEL ((jalll'icl)
Cor.li
Coi
)LRICR(;
Couht i)k rii'.iii.i.iN .
CrD\Yoiirii
DiXAGE
DiCKKN.SON'.
97
124
11
^o
127
344
402
319
403
346
321
12
51
307
327
404
305
13
99
14
120
350
100
349
16
30 i
17
35 1
178
DiSENBACH 353
Drack 60
Drusii 101
Dlretis 3o4
DECKARTHAUSEN ij3
Eliphas LÉvi 21
Epstein 180
Fabre d'Olivet 21
Fagils 316
Figuier (L.j 18
FLUDD(Roberl) 88, 14oàl6b, 3o6
Fournie (Pierre) b9
Franck (Ad.) 1
Franckius (J.) 131
Frey(L.) 102
Freystad 182
Gaffarel oO, 119, 3o6
Galatini 130, 357
Garzia - 3b8
Gastaldis 359
Gecatilia 328
Gerson (CUrislian) 360
Gibier (D-^ Paul)..... 19
GiNSBURG 298
Glassius 361
goulianof • • • • 62
Graetz 186
Grassot 57
Gu.AiTA (Stanislas de) 20
Gudeman.n 194
gudlincius 405
h.\^tspamus 362
H.YLE1R 198
Hamburger 187
Hanasi (luda) 220
Hartmann (Franz) 292
Hebenstreitius 363
Heinius 143
Henningius 364
Herzog 69
Heum.\^nncs 406
Henckelmanus 407
Hirtz 110
Hoogt 163
HopPERis 125
HoTTiNOEK 4. 3')6, 307
Hoornbeckius 365
HowiTz 331
Isaacgi (Rahh.) 140
Jechiel (Rabb.) 138
Jellinek 190
Jhouney (Albert) 23
Jochanan 322
Joël 189, 193
Karo
K auffman i 95
Keleph Ben Nathan. 55
KiMSFORT 304 bis
KiRÇHER (R.R). 78, 179, 308 408
Klenker ISè
Knorr de Rosenkoth (Voy.
Rosenrolh Knoir de)
Klnrath 118
Lacour 25
Lacura 26
Lagneau 48
Larmandie 27
Lambert (Vlayer; 427
Landaueh 185
La.ngius (J.) 370, 371
Lejay (Julien) 28
Le Gendre (Marquis) 70
Lenain 29
Lermina (Jules) 30
Leusden 1 64
LlPMANN 137
Lobkovitz 374
LoDOiK 66
Lœscher 273
Lapoukine 67
LoRiA (Isaac) 103
Losius 409
Lulle (Raymond) 71
Lusdemus 372
Maimonides.. 106,201,310, 312
.MaLFATTI DR MONTEREGGIO. 70 btS
Mackey 30 1
M.\THERS (Macgregor) 290
.Mersennum 117
Meyerus (Johanj 410
MicHELET (Emile) '■ 31
Mirandilus (Picus) 376
179
MOLITOR 32
Monlière 33
MORESTELLI (Pit) 377
MoHus (Henri). 87, 108, 29G,
378, 411
M. P. G. DE G 54
Mosis Bachmamdes. . . , 109, 139
MULLER 379
MuNCK 68
Nasi Juda Hakadosh 200
N'cHUMiA (Rabb.) 206
Neander (Michael) 580
Nas (E.) 70 ter
Olearius (Gutfrid) 412
Onkolos 210 316
Orobio (Isaac) 64
Othoxis 111
Papus 34
Paracelse 86 116
Partutius 381
Peladax 35
Peringeri 112
Pfeifer (Augiist) 413
Pic de LA Mirandole 72,376, 382
PiSTORius 77, 333, 383
Poisson 36
PoMAR (Duchesse de) 37
PosTEL 76 424
Prel (Cahl Dc) 196 288
Reimannt? 384
Relandi 113 142
Reuchun 73 385
Riccius 80 386
Rittaleri 122
RiTTANGEUUS 330, 387, 414
RocA 38
RosE.NROTH(Knorr.de)79,332,415,369
Sabathier(R.P.) 39
Sai.nt-Martin (L. Claude de). . 40
Sai.nt-Vves d'Alvkyore 42
Samuel (Fils d'Elisée) 209
ScHURÉ (Ed.) 41
Scberger 389
schrammius 126
Schickardus 389 bis
SCHOTT 390
ScauDT 391
Sedelius 132
Sennertls 392
Simon (Richard) 2
Simon (Rabb.), disciple d'A-
kiba 211
Smith 297
Sperberl-s 121 393
Steinscheneider 188
Stendnerus 416
Surenhl'sius 311
Tholl'k 84
Trithéme 133
Urstni 114
Uziel 317
Vaillant (J.-A .] 43
Valerius de Valeres 128
Van Helmont (François) 89
Van Helmont (.Mercure). . . 90 123
Vidal (Comnène) 58
ViTOUX 44
Vitringa 417
VoYsiN (Jo.seph) 81, 333, 394 418
WACHTER(Georges)82,183,395 419
Wagenseilis 115 1 23
Waite (A.) 289 294
Walter 396
Waltonus 397
Weil (Alexandre) 65
Wronski (Héne) 45
ZlÉROLDAS 398
ZuNZ. ... 184
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES
OUVRAGES CITÉS DANS LA BIBLIOGRAPHIE
[Les chiffres renvoient aux numéros d'ordre placés devant chaque ouvrage.
Abdita divinx cabalœ mysteria 356
A Brûler 30
Academiœ artis cabbalist 377
Acta dispulationis cum ISicolao 138
Actu dispulationis cum fralre Paulo 139
Acta philosophica 406
Les ailes de la colombe 260
V Alliance du repos 227
V Alchimie et les alchimistes 18
A Iphabeli delineatio 90
Amphitheatrum sapientix œternœ 118
Analecta rabbinica 113
De Angclica potestate 339
Analyse des choses 19
Anatomix theatrum 1 30
Antiquitatum jud 93
Antiquit. hcbr 114
Antiquit. sacrx 142
Apocalypse du bienheureux Jean 61
Apolocjia pro dcfensione Kabbalx 129
Apologia compendiaria fraternitatum de liosea Cruce 162
L'Arbre de vie 281
De arcanis cathoiicx veritatis 1 30
De arcanis catholicis 357
Archéologie philos 3, 144, 403
D<: arte cabbalistica 73, 383
Artis cablialistic:r script' t'.'s . 77, 333, 383, 423
— \H-2 —
Aureitm opus i'IH
Au seuil du mystère 22
A iirora 91
V Autel Œor 274
Bechinath Happeruschim 2S9
Beitrœge zur Geschichte der Kabbalu 101
Bihlia hebrœa rabbinica 173
Bibliotheca magna rabbinica 340
Biga dissertationum 409
Blicke in die Bcligionsgcschichte 1 93
Brevis exposilio Kabbalse judaicœ 302
Cabbala 381, 382
Cabbala magica 03
Cubala Spiegel 1 97
Cabbalogia 364
Cabbala recentior 1 0.'i
Carmen memoriale 137
Cabbalismo judaico chrisdano 343
Cabbalistarum dogmata 327
De celesti agncultura 80, 38G
Ce que nous avons été 59
Ce qui illumine les yeux 203
Chute d'Adam 33
Chris tianismus hermeticus platonicus 349
Clavicule de Salomon 430
Cœlum sephiroticum 1 20
Clavis philosophix et alchymiœ 157
Clavis 76
Codicum manuscriptorum 119
Clef des grands mystères 20
Compendium talmudum 3G0
Commentaria in Misnam 96, 106
Comment, in sinuihra Dzepita 99
Concordia rationis et filel 82
Concordantia bibliorum hebraicœ 175
Conclmiones cabbalislicœ 72, 129, 382
Constitution du microcosme 8
Conjectural essay 296
Constitutions upjon the books of Moses 303
Critaria sacra 413
Crocodile 40
Curiosités inouïes 50
Cuzari 306, 425
Defensio doctrinœ cabbalse 346
Décadence latine 35
Delectio fundamenli Hoehmiani 407
— 183 —
La demeure de la paix 2."iy
Les Dix sephiroth 309
Un diamant dans Uriin et Thumim '222
Diclioîiari/ of chrisUan biographj/ 297
Disput'itio jiidœi cuin chrisliano HT
Dispnlatio cabalistica 81 , 3i3.j, 3i l
Dispulado apiti Wagenscil 109
Dissertalionum sacrorum Wi
Dissertalio de Kabbala 338, 3;)0
Dissertatio de charactere biblionan hcbr 371, 338, 33(1, 3ii3, 392
Dogme et rituel de haute magie 20
Duo tituli Talmudii 100
L'Éden du jardin de Dieu 237
Mdipus jEgijptiacAis 7«, 308, 408
Les Êlolm ou dieux de Moïse 25
Elucidarius cabalislicus 82, 419
Encyclopcdies diveri'vs 185, 187, 188, 195
Encyclopédie d'Herzog 09
Eoraka 27
Epilome hebraicx 1 68, 1 09
Epistolarum hebnpa decas 178
Vùsotérismc dans l'art 31
Essai sur les hiéroglyphes d'Horapollon 02
Exsai sur l'évolution de Vidée 9
Essai sur le symbolisme d'Orient H
Essai sur la philosophie bouddhique 13
Essai sur le gnosticisme égyptien 0
L'Étoile 12
Être 7
Examine generali cabbahv 339
Las eicellencias de los Hebreos 307
Excerpta aronis 1 02
Explication de la Thorah 27 1
Fables et symboles 20
Fidèle Pasteur 204
La Fontaine d'Eau vive 250
Fragments du Temple 205
Fundamenla cabbahv • 108
iian egoz 328
La Géomancie 52
Geschichte dcr Juden 180
Geschichte des Erdehungswscn 194
Gdttesdiemtllçhe Vorlrxge 184
Grammalicx chaldaicx libri 1res 172
Grands initiés 41
llamiachnd 207
— J8i —
llannonies de lÈlre e.rprimJes par les nombres 2fi
Harmonie mystique 4S
Harmonie du monde 08
Harmonie de l'Église et de la Synagogue 60
Hcrmatena philosophica 122
Histoire critique du vieu.r: Testament 2
Histoire des Juifs ■), 342, 401
Histoire de la magie 20
Histoire de l'origine des langues 3."i4
Historia philosoph. hebr 94
Historia doclorum misnicorum 111
Historia y magia natural 30.3
Histoire de la philosophie morale 40o
L'Homme rouje des Tuileries 14
Idra Rubba 217
Idra Suta 218
Imiika {l'enfant) 213
Inslitutio épislolaris hebraica 1 67
Instilutioiies philosophie 85
Inlegrum morborum mxjsterium 152
Jnlrodmtio ad theol. judaicam 98, 348, 384, 404
Introduclio pro intelleelu Zohar 110
Introdiictio ad dialectica kabbalorum 210
Introductio ad hist. ecclesiast 398
Isagogue in veram Dei naturam 121, 303
Isugogue H 6
Isis uniciled 286
Israël Vengé 64
Le Jardin intérieur 23 1
Judaismi prolegom 379
Judxus convertendus 333
La Kabbale 1
K'iJjbala denudata 7'J, 332, 369, 41o
Kabbalismus und Pantkeismus 182
Kabbalisticœ precationes 393 bis.
Kabbala unveiled 291
Th. Kabijalah 297
Kabbala thcologica 374
The Key of Salomon the King 290
Langue hébraïque restituée 21
La Lettre sur les mystères 208
Lexicon hebraicum 171
Lexicon chaldaicum 170
Littérature of occultism 293
Lires of alch. philosophers 289
Le Livre des Anges 2f3
- ISo —
Le Livre des Rapports dfs formes 244
— des Couronnes 245
— des saintes Voix 246
— du Mystère de l'unité et de la foi 247
— des Portes du divin entendement 248
— de l'Unité de la divinité 2"J0
— de la Foi 200, 2C5
— de l'Intuition 267
— des Mystères du Seigneur 208
— de la Mesure 276
— des Dix 266
— de l'Angoisse 2 i 9
— de la Piété 284
— de la confiance - 205
— Ha Bahir 206
— des Secrets 219
— des doux Fruits 220
— des Points 221
— de l'Ornement 223
— du Paradis 224
— de la Rédempti'-n 225, 238
— de l'Unité 226
— de la Recherche 228
— de l'Agrégation 230
— de la Récréation 232
— de la Vie future 233
— sur les Saints Nom^ 235
— des Ames 240
lois et mystères de l'amour G-'
La Lumière de Dieu '"-'•'
La Lumière de la raison 2 > ;
Magna Dib. lîabb ^3
La Magnificence ■ ~'^^
Magic transcendante "^^
Maimer tha chasi 216
Magus ^'*^
Manual hebrairAim ^"'^
Massorah "**■ '
La Mathèse "^ ^'«
Medicina medicina "^ '"
Mcdicina calholica '^'
Mcnsibus pietislius "***
Messianisme ■*'*
Méthode de guérison dans le Talmwl ^^'
Midrashim - '
Mikadononiol ' '^'*
— 18G —
Mîsna 107,200, 310, 3H, 312, 313, 314, 310
Mission des Juifs 42
Memorabilia judaica 391
Monochordon mundi 149
Moses Ben Schemtob 190
M'sachla sophrim 1 99
}rsora 1 98
Les Mystères de l'esprit 242
Les Mystères de la Thorah 234, 278
La Mystérieuse recherche 213
Mysteries of magie 294
De Mysteriis Dei 416
De Natura simiae 1 47
De la nature et de iorifjine de la doctrine de l'émanation chez les
kahbalisfes 181
Notis et discursum 367
Notis ad prœmiwn 418
Nouveaux cieux, nouvelle terre 38
La Nuée sur le sanctuaire 33
Ohservationes sacrœ 412, 417
Occultisme scientifique 44
Officina hiblica 396
Ombre idéale de la sarjesse universelle 39
Lordre de la divinité 239
Origines de l'alchimie 10
De Orlu cabbcdœ 84
Orlus mcdicinœ 89
Pathologia dœmoniaca 161
Perfect ivay 304 bis
Philologia sacra 361
Philologia hebraica 372
Philosophia sacra 1 54
Philosophia mosaica lo8
Philosophie céleste K?
Philosophie divine 53
Philosophie der Mystik 196, 288
Philosophi occulti 24, 7o, 336
Philosophie de la Tradition 32
Philosophie juive et arabe 68
La physique de l'Écriture 54
Physica vetere et vera 3o 1
P'Kuda 214
La Porte de la lumière 280
La Porte du mystère 25 i
La Poudre d'aromate 272
Prcfaiio in Biblia hebraica lO.!, lOi
— 187 —
Prcfatio in tract. Arodah. . 112
Pro convincendis Judseis 365
Prœnotiones 373
Proler/omen ad Biblia 397
Psycho-Zoin 87
Pulsus 1 53
Quelques traits de V Église intérieure 67
Questiones hcbraicœ 101
Le Rameau de V Arbre de vir 282
A /i( recherche des Destinées 70 ter
Des Religions philosophie des Sohar 189
Responsian ad Hoplocrismas unduod Forsteri 160
Royaume de Dieu 23
Les Romes 43
Sagesse divine 49
Le Saints des saints 252
Schaaer hedik 328
Schepher Tal , . 331
Schemaamphoras 428
Sceau de Salomon 429
Science du vrai 17
Science secrète 28
Science cnbidiitiquc 29
Scripta varia Buddci 377
Secret. Doctrine 286
Seduariiis, sive de vera jurixprudentia 125
Le sens du commandement 269
De septem secundt-is 133
Sepher chessuk Emuna 1 iO
Sepher Toladoth Jeschua 141
Sepher letzirah 203, 329, 422, 427
Sephiroth . . '. 300
Sephra Dzeniulha 219
Silhrei Thorah 212
Sohar 211
Sonq of Songs 300
Sophiœ cum Moria certamen 155
La source du jardin 261
Sources de la sagesse 204
De specinrum scrutinio 127
Spécimen kabbabc grammaticœ 375
Le Spinozisme dans le judaïsme 183, 395
De la subtilité 51
Le suc de la grenade 202
Summum Ijonum lo6
De supernalurali 1 46
— 18H -
Snpernntural rcWjion 29o
SynagoQue judaica 1 Gf»
Systema thiees divimv 131
Le Tabernacle 26'f, 27;i
TaUe couverte 202
Tarot des Bohémiens 34
Talinud 322 à 327
Technica curiusa 390
Tela ignea Satanan 21 S
De Templo Salomonis 1 32
Temple de Satan 22
De teste templo rahbinoruiu 97
Thargum 31 fi à 321
Théorie philol 4
Théories et sijmboles des alchimialcs 3
Thcosophie sémitique 37
Thésaurus gramrnaticus lingux hebrcx 170
Threicie 56
Thésaurus philol 366
Tiberias 174, 321
Tractatus théologiens phibsophicus 164
Tractatus apologeticus 163
Traité élémentaire de science occulte 34
— méthodique — 34
— sur les dix Sephiroth 270
Le Trésor de la vie 236, 284
Le Trésor de la gloire 3o3
De tribus principiis 92
Trigolius orientalis 389
Trinuum magicum 13o
The true intellectual syslem of nniverse 304
De Unguento amario 159
Urim'et Thumim -. 2"'>8
Utriusque cosrni mataphysiea 1 45
Verge de Jacob 47
Veritatis proscenium 148
Veterum sophorum sigilla et imagines magicre 134
De veritatis religionis chrislianpc 386
Le vin aromatisé 240
La voie pour arriver à l'Arbre de vie 283
Voie de la Science divine 63
Voix du Seigneur dans sa puissance 229
Zohar 211, 219
PARIS. — IMP. P. .MOUILLOT, 1.3, QCAI VilLTAIRi;. — 10 iC>X
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