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Full text of "La Bible en France, ou les traductions françaises des Saintes Écritures: étude historique et ..."

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LA 



BIBLE EN FRANCE 



TOUS DROITS KÉSERVÉS. 



LA 



mil tt rtiKii 



ou LES 



TRADUCTIONS FRANÇUS DES SALÏÏES ECRITURES 

ÉTUDE HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE 



KHMAKUEL PÉTAVKL 



PASTKUR DE L ÉULISE SUISSE DE LONDKbS 



Kelevez , relcYex le chemin , ôlez - en 
les pierres, érigez un étendard devant let 
peuples. EsAïE lxii, 10. 




PÂBIS 

LIBKAÏKIK FRANÇAISE ET fiTRAINGÈRE 

i6. UUE ROYALK SAINT-HONORK 



t8«4 









I 




l V 



A 
MONSIEUR ABRAM-FRANÇOIS PÉTAVEL 

DOCTEUR EN PHILOSOPHIE, MINISTRE DU SAINT ÉVANGILE, ANCIEN RECTEUA 
DR L'ACAnÉlilE DR NEUCBATEL. 



Mon bien-aimé Père , 

Ma pensée se reporte vers le temps oif, le matin, à pa- 
reille époque de l'année , nous gravissions ensemble la 
pente escarpée de votre montagne favorite, iSous parlions 
de la € Bible en France , « ou bien , vous méditiez quelque 
strophe de la « Fille de Sion. » 

Mais lorsque, perçant le brouillard , le son de la cloche 
de midi parvenait jusqu'à.^ nous, vous ouvriez le petit 
iSouveau Testament greçS^ édmpçitgnon inséparable de vos 
courses , et vous me fendiez attentif, auœ charmes d'une 
lecture de la Bible dansPériginaL Besiaures par cet aliment 
céleste, nous poursuivio7fs<33^^$^:^scension au milieu des 
sapins tout étincelants de givre, et je vous entendais exprimer 
le regret de ce que nous fussions se^ds à jouir de cet air 
vif et doux, de ce soleil salutaire, de ces Alpes, dont les 
têtes sublimes dominaient fièrement vis-à-vis de nous, le 
fleuve de nuages que le vent chassait à leurs pieds. 



VI 

Et quand je repasse les souvenirs que me laisse la pieuse 
et docte compagnie de ces traducteurs avec lesquels j'ai vécu 
depuis quelques années, la société surtout de leurs modèles , 
les prophètes , et les apôtres , je voudrais , comme vous , 
inviter tous mes frères, à s'élever vers les nobles sommets 
oii resplendit le Soleil de justice. 

Si, répondant à mon vœu le plus cher, ce volume servait 
à diriger en haut les esprits et les cœurs de ceux qui le 
liront; c'est à vous, mon bien-aimé père, qu'appartient 
après Dieu, 

l'hommage de ma religieuse gratitude. 

E. PÉTAVEL. 

iS Hunier street, Brunswick -square. 

Londres, février i86i. 



PRÉFACE 



Un jour nouveau luit sur la France. Les questions 
littéraires, politiques et sociales ont successivement 
agité les esprits; elles pâlissent en présence de la 
question religieuse, maintenant à l'ordre du jour. 
Il s'agit de s'assurer du vrai setis des Évangiles et de 
peser leur témoignage. Enfin, le combat s'engage sur 
le terrain biblique. Le cri d'une minorité longtcmp? 
martyre a été entendu. Quatre millions d'exemplairns 
des Écritures, répandus dans le dernier demi-siècle, 
ont triomphé de la conspiration du silence ourdie 
contre elles. 

Le peuple se réveille; il interroge le volume qu'il 
peut désormais lire au grand jour; novice dans les 
sciences critiques, il écoute de spécieuses interpré- 
tations. Nous n'en saluons pas moins à l'avance 
les victoires de la vérité révélée, chez tant d'esprits 
droits et de cœurs généreux, qui se sont élancés à 
la recherche. 

Laissé pour mort, après trois siècles de torture, 
le protestantisme n'a recouvré qu'à peine la force 
et les moyens de répondre à sa mission. A lui de 
présenter à la France ces archives sacrées de l'huma- 
nité pour la sauvegarde desquelles il a versé presque 



VIII PRÉFACE. 

tout son sang. Elles sont là, mais difficiles à lire, 
difficiles à entendre, en raison de leur haute anti- 
quité. Le moment est arrivé de les faire mieux 
connaître. Une version nouvelle, claire, exacte, vivante, 
sera le résultat d'un énergique et commun effort. 
Les sympathies que le saint Livre a toujours ren- 
contrées en France, sont assurées aux traducteurs 
qui couronneront Tédifice sept fois séculaire de nos 
versions. 

Enregistrer ces témoignages d'intérêt pour l'en- 
couragement des ouvriers de l'heure présente, signaler 
l'opportunité de leur entreprise, en déterminer le 
point de départ, telle est l'étendue de la tâche que 
nous nous sommes imposée* 

La première esquisse de cette étude remonte à 1858. 
Elle nous valut le diplôme de Ucencié en théologie. 
Nous la présentâmes sous forme de Mémoire à l'as- 
semblée générale des pasteurs et ministres neuchâ- 
telois, le 2 juillet 1862 \ Nous avons constamment 
cherché dès lors à rendre notre travail moins indigne 
de l'approbation que lui ont accordée nos collègues. 
Une lettre bienveillante de M. Guizot, est venue nous 
encourager dans cette voie ; elle témoigne de l'impor- 
tance attachée par les autorités les plus considé- 
rables à des questions vitales, trop longtemps dé- 
laissées. 

Mais 180 'j. 
< Cette forme a été conservée. 



Val Richer, par Litieux {Calvados), 
14 mai 1863. 



Je ne saurais, Monsieur, vous désigner, ni à Londres, ni 
à Paris, un éditeur convenable pour la publication de votre 
ouvrage intitulé « La Bible en France. » Mais je désire 
bien sincèretnent que vous trouviez cet éditeur, et, je suis 
persuadé que votre livre aurait dans le monde protestant, 
un véritable succès et une réelle utilité. Cest une très- 
instructive et très-intéressante histoire des versions et des 
éditions françaises de la Bible, . . . Les faits y sont re- 
rueillis avec beaucoup de savoir,,. 

J'ai beaucoup appris , en lisant votre manuscrit , et au 
milieu des débats qui s'agitent aujourd'hui sur la Bible, 
sa publication importerait , je crois , au monde chrétien. 

Recevez y Monsieur, V assurance de ma co7isidération 
très-distinguée, 

GUIZOT. 



TABLE DES MATIÈRES 



INTRODUCTION 



Actualité de la question. — Les Conférences pastorales de 
Paris. — Studieux efforts. — Multiplicité sans précédents 
des traductions nouvelles des saintes Écritures en français. 

— Rayon d'espérance pour Tavenir religieux de la France. 

— Avantages attachés à la lecture des originaux.— Devoirs de 
ceux qui en jouissent vis-à-vis de leurs frères moins privilégiés. 

— Qu'a-t-on fait jusqu'ici pour traduire la Bible en français? 

— Que valent les essais que nous possédons? — Que reste-l-il à 
faire? — Trois questions auxquelles répondent les trois parties 
de cette élude. 

Pages 1 à 7. 



PREMIÈRE PARTIE. - PARTIE HISTORIQUE 

CHAPITRE PREMIER. 

DU RÔLE DE LA BIBLE DANS L'H(ST01RE. 

Le salut des peuples indissolublement attaché à la possession des 
saintes Écritures — Grands faits patents à Tappui de cette vé- 
rité. — Primauté de la Bible. — L'Espagne du xyi» siècle. — 
Bible d'Alcala. — La Bible réformée de Zurich, réimprimée à 



XII TABL8 DBS MATIÈRES. 

Salamauque. — Une nouvelle Dali la. — Les deux rives du lac 
Léman et du lac de Neuchâtel. — Eslavayer. — La prépondé- 
rance delà France sur le continent, la prospérité' de la Belgi- 
que, en rapport aNeo l'histoire peu connue de la lîiblc dans ce^ 
deux pays. 

Payes 9 à 14. 



CHAPITRE DEUXIÈME, 



L\ BIBLE EN FRANCE AVANT L IMPRIMERlK. 

Ignorance presque générale sur ce sujet. — Richesses littéraires 
trop longtemps enfouies. — Premiers monuments de la langue. 
-—Vestiges d'une abondante diffusion des Écritures en Franco, 
durant le moyen âge. — Tentative de cx)uciiiation entie deux 
faits qui paraissent s'exclure : le pouvoir de Rome au moyen 
âge (ît celte dissémination relativement extrao: diiiairedes écrits 
sacrés. —Vœux des Barbares après la conquête» — Précocit<^ 
des traductions delà Bible, en roman wallon, en langue théo- 
tisque, en roman provençal. — Les conciliabules bibliques de 
Metz en H99, et les lettres prohibitives dTnnoce. tlll. — Ana- 
thènies des conciles de Toulouse et de Béziers. — Bulles anli- 
bibliques. — Les Alpes, rempart de la lilHîrtii politique en 
Suissiî et de la liberté religieuse en France. — Autre abri 
providentiel préparé pour la conservation de la Bible en langue 
vulgaire. — Sollicitude traditionnelle des dynasties françaises 
pour les saintes Écritures. — Charlemagncs — Louis le Débon- 
naire, — Rob(Tt le Pieux , — Saint Louis, — Charles le Sage, 
— Charles VI, son fils, — Charles VIII, — François I«.— 
Bergers et rois entourant un berceau. — Zèle éclairé d'une 
minorité d'ecclésiastiques. — La Bible du chanoine Comestor 
au xii^ siècle. — La Bible du chanoine Guiars des Moulins au 
xine siècle. — Sa préface. — (iénéreuse intention de Guiars. — 
Le pr ouf fit de son âme et de layes personnes — Il trouve des 
continuateurs. — Un avocat du parlement de Paris , écri\ain 
trallican , revise et «'oinpièle au xiv" siècle Tamvre ébauché*» 



TABLE DBS MATIÈRES. XlII 

cent ans avant lui. — Le roi Charles V propage la Bible dans 
ses étals— Lecture quotidienne, lète nue et à genoux. — Témoi- 
gnage du père Simon. — Longtemps avant la Réforme, les per- 
sonnes les plus notables en France lisaient la Rible dans leur 
langue maternelle. — Influence des Bibles françaises en An- 
gleterre. 

Pages 15 à 51. 



CHAPITRE TUOISIÈMK. 

IMPRKSSION 1)K LA BIBLE GLOSÉE. 

Le roi Cliarles Vlll. — Première Bihle imprim »c — Jehan de 
Kely. — Enfance de la critique. - Valdès iniitt^ dans sa ville 
natale. — Le Nouveau Testament de Rart'iélcmy Huyer, à 
Lyon, en 1477. — Préfaces caractéristiques de la Bible glosée. 
~ Loy de Jésus-Christ pour les lays.— Romans d* amour pleins 
de menteries. — Quatorze ou quinze réimpressions. — (^lef 
cx)uverte de rouille.— Défauts de la Bible glosée. — Elle sur- 
vit à elle-même. — Le peuple, qui n'en connaît pas d'autres, 
rachète avec aviditiv — Barbes dorées. — L'queur édulcorée. 

Pages 52 à 65. 



CHAPITRE Ull.VrRIÈME. 

LA BIBLE DE LEFÈVRE d'ÉTAPLES. 

Lefèvre d'Étaples, premier pionnier d»*- la réforme du xvi*' siècle 
en Europe. — Sa traduction latine des fipîtres de Paul en 1512. 
— Étranges paradoxes. — Lutte de vingt années. — Age d'or 
de la Réforme en France. - Centilshommes colporteurs. — Pré- 
faci; du Noïiveau Testame/il de 1525 —A tous chrétiens et chré 



XIV TABLR DES MÀTIKRBS. 

tiennes, — Privilège de Charles-Quint. — Lefèvre, aïeul des 
jansénistes en France.— Révolution provoquée par Lefèvre, — 
Sa mort tragique. — Longue conspiration du silence autour de 
ce grand homme. — Mérite et défectuosités de son œuvre. — 
Lefèvre suit habituellement la Vulgate. — Courage de Lefèvre. 
— Héroïsme de son élève Olivétan, 

Pages 66 à 83. 
CHAPITRE CINQUIÈME. 

LA BIBLE DE ROBERT OLIYÊTAN. 



L'Assemblée des Barbes à Chanforans dans le val dWiigrogne. 

— Le précepteur des enfants de Jean Chautemps. — Uenconlre 
de deux Picards fugitifs à Neuchâlel. — L'évangéliste typo- 
graphe. — Terre, preste Vaureille, l'Éternel parle, — Le plus 
curieux des volumes imprimés à Neuchâtel. A notre allié et- 
confédéré le peuple de Sinaï. — Coopération de Bona\enture 
Despériers. — Aurore des Sociétés bibliques. — Olivétau à 
Rome. — La tendresse de son ânie respire dans sa dédicace à 
rÉglise de Jésus-Chrisl. — L'Épouse du fils du Roi. — La 
traître Marâtre. —Nobles et attitrés de la cour célestielle. — 
Humilité candide du traducteur. — Calomnies dont il est de- 
meuré victime jusqu'à ce jour. -— Examen critique de son 
œuvre. — Soixante mille modifications de tout genre. — Pour- 
quoi Olivétan, n'a pas mentionné expressément ses sources. — 
Silence judicieux. — Rapidité extraordinaire de son travail. 

— La postérité reconnaissante confirmera le jugement de 
Calvin à Tégard de ce grand homme. — Bibles brûlées avec 
les martyrs. — Rameau catholique. 

Pages 84 à 117. 



TABLE DES MATIERES, XV 

CHAPITRE SIXIÈME. 

LES TRADUCTIONS CATHOLIQUES DE LA BIBLE, 
DE LBFÈVRE A PORT-ROYAL. 

La ville d'Anvers, marché de Tunivers au xvi« siècle. — Comme 
Londres de nos jours, elle imprime la Bible en diversas langues. 
— Noble indépendance des seigneurs d'Anvers. — La Bible 
de Lefèvre à Anvers. — Patronage de Charles-Quint. — Chan- 
gement trop rapide dans la politique de ce prince. — Biais 
imaginé par les docteurs de Louvain. — Ils reproduisent avec 
quelques modifications la Bible de Lefèvre. — Est-ce pure 
tactique de leur part? — Louvain, berceau du jansé- 
nisme. — Deux cents éditions de la Bible de Louvain. — 
Porte-paniers, — René Benoist, confesseur de Marie Stuart, 
puis de Henri IV, publie une traduction de la Bible. — Cède, 
de guerre lasse, après vingt années de lutte opiniâtre. — On 
Taccuse d'avoir puisii à la source empoisonnée des Bibles de 
Genève — Ce reproche pourrait être adressé à toutes les 
Bibles catholiques du temps. — Témoignage du P. Simon à 
cet égard. — Embarras du P. Véron en présence des Bibles 
de Louvain. — Il soutient qu'aucune permission n'est néces- 
saire pour lire la Bible en France. — Michel de Marolles, abbé 
de Villeloin, défend la même doctrine. — Il traduit le Nouveau 
Testament, d'après Érasme. —ïsaac Péreyre, son collabora- 
teur. — Encore un avocat au parlement de Paris, traducteur de 
la Bible. — Protection de Louis XllI. — Urgence d'une tra- 
duction nouvelle. — Qui tiendra tète à la Sorbonne ? 

Pages 118 à 158. 



CHAPITRE SEPTIÈME. 

LA BIBLE DE PORT-ROYAL. 

Réaction d'Antoine Arnauld contre les excès de la Sorbonne. — 
La traduction de Mons est une œuvre collective, — Ses prince 



XVi TABLE DBS MATIÈRES. 

paux auteurs, fils ou petits-fils de protestants, —protestants 
encore sur le point capital de Tautorité des Écritures. - An- 
toine Le Maître. — Son frère et son successeur Isaac Le Maître. 

— Traduction poursuivie à genoux. — La foi transforme les 
obstacles en instruments. — De Saci , joyeux à la Bastille. 

— Le Nouveau Testament de Mons, autorisé par TUniversité 
de Louvain et traduit par un docteur de Sorbonne. — Succès 
du Nouveau Testament de Mons et des Réponses du grand 
Arnauld. — Quarante mille exemplaires en seize ans. — Les 
pauvres ont leur part. — L'abbé de Barneville au xyiii® siècle. 
— • Publication de la traduction de TAncien Testament , par 
de Saci. — Qualités éminentes de ce travail. — Crochets de 
fer. — Tyrannie de la Vulgate. — Fausse position de Port- 
Royal. — Traduction du P. Simon. — Du P. Amelotte. — De 
révêque Godeau. — Du jésuite Bouhours. — Du janséniste 
Mézenguy. — Opinion de M. Berger de Xivrey, relativement 
au Nouveau Testament de Mons. 

Pages 139 à 165. 



CHAPITRE HUITIÈME. 



LES BIBLES PROTESTANTES D OLIVETAN A OSTERVALD. 

La Bible de Calvin, dite de L'Epée. — Continuellement de- 
bout sur la brèche. — Calvin forme le vœu que la traduction 
de la Bible fasse Tobjet d'une vocation spéciale. — Malheur 
des temps. — Castalion. — Il s'isole et ne produit qu'une 
œuvre ridicule — Corneille-Bonaventure Bertram et la Bible 
de 1588. — Cette révision généralement désignée sous le nom 
d'ancienne traduction de Genève — Les corrections qu'on y 
introduit ne suivent que de fort loin les progrès de la langue. 

— David Martin, dit d'iltrecht, natif de Rével en Languedoc. 

— Ses éminentes qualités. - Remerciements de l'Académie 
des quarante. — Sa lin semblable à celle de son successeur 
Ostervald. — Traduction de Le Clerc. — Traduction de le 
Cène. -^ Beausobre et Lenfant. — Bible de Genève , 1805. 



TABLR DBS MATIERES. XVU 

— Bible d'Oslervald de 1724. — Révision bien autrement 
importante de 1744. — Autographe des corrections. — Ce n'est 
toutefois encore qu'une révision de révision. — Un fond vulga- 
tique est à la base de nos versions. 

Pages 166à18i. 



DEUXIÈME PARTIE. — PARTIE CRITIQUE 



La révision d'Ostervald et TEncyclopédio de Herzog. — M. Stein. 

— M. Bonnet de Francfort. — D»»dain mal placé. — RegrcHs 
légitimes. — Qualités de nos versions reçues. — Vice h('T(''di- 
taire. — Style défectueux. — Dépendance de la Vulgate. — 
Spécialement en ce qui concerne Tarticlo. — Importance de 
ce petit mot. — Surprise de M. Berger de Xivrey à cet égard. 

— La Vulgate suivie dans ses variantes. — Défauts particuliers 
à Ostervald. — Exc(Ns de ses qualités. — Il sacriiie au dé- 
corum. — Devons-nous pniférer le nouveau Testament de 
Genève 1833? — Tite ii, 13, — Opinion de M, Reuss. — 
Œuvre nouvelle de M. Perret-Gentil — Trop radicale pour 
être immédiatement adoptée dans TÉglise. — Toute une 
homilétique à modifier. — MM. A. Bost et E. Arnaud. — 
Ils penchent Tun et Tautre pour Tadoption d'une simple 
relouche. — Souhait r<'alisable et déjà en quelque sorte 
réalisé. — M. Matter, inspecteur gén«'»ral de TUniversité. — 
Son vœu, il y a trente ans, au sein de la Société biblique pro- 
testante de France. — Dix épreuves de la même feuille. — 
Partir des versions reçues. —Quatre principes fondamenlaux. 

— Long silence des journaux. — Lumière sous le boisseau. — 
Ceiit corrections sur cent soixante-trois réclamf^s par le Lien. 

— Un lit de pommes. — Ne pas toucher aux textes dogmatiques. 

— S'en tenir au texte reçu. — Calvinisme plus indépendant, 

— Nouvelle Vulgate. 

Pages 185 à 217. 



'XVIII TABLE DKS MATIÈRES. 

TROISIÈME PARTIE.— PARTIE TUÉOftÉTIQVE 

L'œuvre d'un Luiher. — Analyse et Synthèse. — Méthode du 
caboteur. — Pindarum quisquis studet œmulari. — Blockhaus 
informe. — Marécages de la prolixité. — Fosse de Tobscurité. 
-- Les belles infidèles. — U ouvrier qui découpe bien la vérité. 

— Autographes sans ponctuation. — Lois sacrées ou consa- 
crées du style. - Une Épître de Judas. — Monnaie qui n'a pas 
cours. ~ Personnage un peu rude et bourru parfois. — La 
nouvelle Société suisse. — Progrès réel pour le fond et pour 
la forme. — Des hommages cuits au four, apprêtés à la poêle, 
pétris à l'huile. — Leur ombre^ s'est retirée de dessus eux. — 
Littéralilé n'est pas toujours exactitude — Comment faites- 
vous faire ? traduction de « How do you do? ^ — Le prétendu 
démon de Socrate. — Esclavage de la lettre. — Poutres, bri- 
ques et pierres de taille; architectures distinctes. — La bouche 
du glaive. — Appauvrissement du vocabulaire biblique. — 
Passent les hardiesses, mais les témérités ! — Autant do codes 
que de citoyens. — Le français n'a pas le caractère de sainteté 
qui distingue Vhébreu. — Jargon pour les gens du monde. — 
Lecture des Prophètes et d< s É pitres délaissée. — L'Impéra- 
trice de ce monde beau. — Vinet et Chateaubriand. — Règle 
de Bitaubé. — Rivalité de génie. — Le sens, tout le sens, rien 
que le sens de l'original. — Impartialité illusoire. — Vesuvius 
éructât. — Princesses léchant les pieds de Sion. - Opinion 
de Dussault. — Complément obligé d'une version de la Bible. 

— Temps, lieux, peuples inconnus. — Secours fournis par 
les anciennes éditions de Genève, de Martin, d'Ostervald. — 
Allusions de la Bruyère ou de Boileau , incompréhen- 
sibles sans notes. — Illumination du Saint-Esprit. — Pas 
de commentaires. — Scandale d'une traduction sans notes. — 
Le titre même de Testament. — Adieu le respect aveugle de 
ce qui passait pour sacré. — Parlez-vous dans vos assemblées ? 

— Craintes superstitieuses inconnues à nos ancêtres. — Indo- 
lence littéraire. — Moins de bien. — Ayons pitié du pauvre 
peuple. — Nous en sommes restés au Lévitique. — Sa valeur est 
de vingt guéras. — Observation du révérend Hamilton. — 
Publication désirable. — É'Annotated Paragraph Bible — 
Patronage de la Société des traités religieux de Londres. — 



TABLE DES MATIERES. XIX 

Réponse du Secrétaire. — Suffrage de la presse. — Cinquante 
millions de catholiques romains. 

Pages 221 à 258. 



CONCLUSION 

Seul but digne de Tactivité chrétienne. — Révision de la Rible, 
éminemment désirable. - Sentiment unanime à cet égard. 

— Chemin raboteux. — Danger du statu-quo. — Gages d'un 
réveil biblique.'— Examens des conscrits. — Caries muettes. 

— Versions peu présentables. — Regarder à sept fois avant 
d'y rien changer, à deux fois avant d'y rien conserver. — 
Voie de révisions successives. — Recrépiment. — Digne col- 
lège de vieillards. — La Bible pour Thomme et non Tliomme 
pour la Bible. — Révision, palliatif. —Version nouvelle 'digne 
de la belle langue que nous parlons. — Ressources du pro- 
testantisme français. — Urgence du sujet. — Bethléem, petite 
entre les milliers de Juda, — La Bible enfin traduite en Fiance 
par des Français. — Deux conditions essentielles. — L'esprit 
de prière. — Le ralliement de toutes les forces disponibles. — 
Facilités nouvelles. — Journal de traduction, publié par le 
Saint-Synode de Russie. — Concours ouvert à tous. — Mine 
offerte dans nos sermonnaires. — Libéralisme des anciens Sy- 
nodes. — Espèce de sanhédrin rassemblé par Luther. — Com- 
binaison des efforts collectifs et individuels. — Spécimens 
d'annotations. — Annales de la diffusion du saint Livre. — 
Vœu suprême d'Olivétan. 

Pages 261 à 282. 



APPENDICE 

I. Les quatre Livres des Rois, en français du xii« siècle, p. 185. 
IL Préface du Nouveau Testament de Neufchâtel, 1554, p. 288. 
Ili. Correction autographe d'Osservald, p. 29L 



INDEX 

Pages 295 à 300. 



LA BIBLE EN FRANCE 



« On parle beaucoup, de nos jours, de nouvelles 
traductions de la Bible en langue française. Les catho- 
liques s'en préoccupent comme les protestants; des 
pionniers zélés de la science et de l'Église s'y essaient 
inlividuellement; des pasteurs s'associent pour tra- 
vailler en commun et pour se soutenir mutuellement 
dans une œuvre longue et ardue ; des sociétés se con- 
stituent quasi officiellement... Tout cela prouve, non- 
seulement le haut et puissant intérêt qu'on prend à la 
chose, et qui, certes, n'est pas déplacé, mais cela 
accuse encore un sentiment plus ou moins positif d'un 
besoin devenant plus urgent de jour en jour. On ne 
se cache plus que nos versions reçues laissent beau- 
coup à désirer, qu'elles sont restées en arrière, nous 
ne dirons pas de la langue nationale (car, à tout 
prendre, la parole de Dieu ne tire pas précisément sa 
force de sa dassicité), mais en arrière de la science 
exégétique de notre siècle *. » 

* Nouvelle Revue de Théologie, janvier 1838. 



2 LES DERNIÈRES CONFÉRENCES DE PARIS. 

Écrites, il y a cinq ans déjà, ces lignes de M. Ed. Reuss 
n'ont rien perdu de leur actualité. On a vu, loin de 
là, grandir d'année en année, l'intérêt, pour les tra- 
ductions de la Bible, et, plus que jamais, la question 
est à l'ordre du jour. On a compris qu'elle tient à 
l'âme du protestantisme, et on l'a traitée avec l'intérêt 
qu'elle mérite. Soulevée dans le sein des Sociétés bibli- 
ques de France, elle a été débattue avec une animation 
extraordinaire dans les conférences pastorales de Paris 
des deux dernières années ; et dès lors , différents 
journaux religieux n'ont pas cessé de s'en occuper *. 
Une circonstance qui fait ressortir l'importance et 
l'actualité du sujet, c'est qu'il a été simultanément 
proposé à la discussion des Conférences de Paris de 
1862, par deux hommes dont les principes dogmatiques 
sont fort opposés, et qui appartiennent à deux Églises 
différentes : M. le pasteur Vallette et M. Athahase 
Goquerel fils. Cette année encore, cinq propositions, 
concernant le même objet, avaient été déposées sur le 
bureau. — D'autres corps ecclésiastiques se sont oc- 
cupés de la même question. Au mois de janvier de 
l'année dernière, la vénérable Compagnie des pasteurs 
de Genève s'est décidée à demander à la Société biblique 
genevoise la publication de Bibles autres que celles de 



< Avant comme après la lecture de ce mémoire, VEspérance, 
la Croix, la Foi, \eLien et le Chrétien évangélique ont fait paraître 
plusieurs articles sur ce sujet. Ces articles sont signés des noms de 
MM. Arnaud, Archinard, Aslier, pasteur suffragant; Bastie et 
Vidal de Bergerac; L. Bonnet, Callialte, A. Goquerel, J. Delà- 
Croix, Dutemps, P. Fontanès, Matler, inspecteur honoraire de 
l'Université , Mouline, Pascal, Proy, Stein, Vaucher, Violier, etc. 



STUDIEUX EFFORTS. 5 

Martin etd'Ostervald. Peu de mois après, le 5 juin, une 
réunion de soixante-dix pasteurs et anciens, rassemblés 
à Nîmes, a voté une proposition conçue en ces termes : 
« La conférence pastorale du Gard exprime le vœu qu'il 
soit publié, par la Société biblique, une version des 
Livres saints, plus exacte que celles d'Ostervald et de 
Martin, actuellement en usage, et qu'en attendant, on 
emploie dans nos églises diverses traductions esti- 
mables, qui ont paru depuis quelques années et en 
particulier le Nouveau Tesiament de Genève, 1835. * Mais 
ledit Nouveau Testament a été repoussé, à deux reprises, 
par les Conférences de Paris ; cette dernière fois, par 
soixante-huit suffrages contre quatorze. Ont pris part 
à la dernière discussion : MM. Matter père, E. Arnaud, 
G. Monod, Rognon, Dhombres, Bernard, Mayer, Athanase 
Coquerel fils, Montandon, Garénou, Ducros et deux mem- 
bres laïques, MM. Guizot etMettetal. 

La lutte dès lors est demeurée vigoureusement en- 
gagée. De nouvelles brochures ont vu le jour. Soit 
avant, soit après, le comité de la Société biblique pro- 
testante a reçu plus de cent lettres de pasteurs ou 
d'Églises, pour la plupart demandant qu'on sorte du 
statu qiio. Le Conseil presbytéral de l'Église réformée 
de Paris, les Consistoires de Saint-Quentin, de Mulhouse 
et de Saverdun se sont prononcés en faveur du texte 
d'Ostervald, dans l'esprit, toutefois, de la Conférence 
de Paris, qui a déclaré qu'elle appelait de « tous ses 
vœux l'amélioration de nos versions reçues. » 

Mais ce qui semble surtout de nature à convaincre 
de l'opportunité de cette question, ce sont les laborieux 
efforts tentés en dernier lieu pour doter l'Église d'une 



A PRÉOCCUPATION GÉNÉRALE. 

traduction nouvelle des saintes Écritures en français. 
Depuis sept ans seulement que fut entreprise l'élude que 
j'ai poursuivie dans mes moments de loisirs, et dont j'ai 
l'honneur de vous offrir aujourd'hui les principaux résul- 
tats, il n'a pas paru, à ma connaissance, moins de 
cinq nouvelles traductions du Nouveau Testament \ 
Pendant le même laps de temps, les livres de l'ancienne 
Alliance ont été les objets de différents essais partiels % 
et nous avons eu la satisfaction de voir se terminer, à 
Neuchâtel , l'année dernière , l'œuvre capitale de 
M. Perret-Gentil K 
Une telle fécondité surpasse ce que l'on a jamais 



< Ce sont les traductions de MM. Rilliet (1858-1860), Arnaud 
(1858), et Darby (1859), toutes les trois tenant conopte de la cri- 
tique du texte ; une édition nouvelle et sensiblement modifiée de la 
Version de Lausanne; enfin, le Nouveau Testament, de Tabbé 
J. B. Glaire, doyen do la Faculté de Théologie de Paris (1861). 
Cette dernière est très-digne d'attention. C'est, croyons-nous, la 
première et la seule que VIndex romain ait jamais revêtue de 
son approbation. 

2 Job, par M. Renan (1858), et plus récemment le Cantique, 
par le même traducteur. Ce dernier livre vient d'être traduit de 
nouveau, par M. Théodore Paul; Ruth, les Psaumes Mahaloth et 
les Psaumes XLII et XLIH, par M. Reuss. M. Reuss a publié en 
outre une remarquable traduction de VÉpïtre aux Hébreux (juin 
1860). On doit à M. André Janin, VEcclésiaste (mars 1857) et les 
Proverbes (1860). M. L. Wogue, professeur au séminaire israélite 
de Paris, a entrepris la traduction du Pentateuque et des Haphta- 
roth; la Genèse et ï Exode sont en vente. Une société suisse ano- 
nyme a publié les cinq Livres de Mme, traduction nouvelle (1861), 
et précédemment deux éditions des Psaumes. Ce dernier livre a 
aussi été traduit par M. A. de Mcstral (J861). 

3 Le Pentateuque et les Livres historiques de V Ancien Testa- 
ment, traduction nouvelle d'après l'hébreu; Neuchâtel, 1862.— 
Les Hagiographes et les Prophètes avaient paru en 1847. 



UN DES HEUREUX SIGNES DU TEMPS. 5 

VU. Nous devons y reconnaître un heureux signe du 
temps ^ 

Elle prouve que notre génération, altérée de vérité, 
désire remonter aux sources d'où la vérité découle. 
Pareil au jeune homme perdu dans les catacombes de 
Rome, et dont un poète nous a retracé la touchante 
histoire, notre siècle n'a-t-il pas ressaisi, en quelque 
sorte, le fil conducteur qui le fera finalement sortir de 
son obscur labyrinthe? Déjà, pour nous, chrétiens 
évangéliques, les ténèbres ont fait place à la lueur du 
jour. L'Écriture nous a conduits à Christ, et Christ, 
soleil de justice, nous éclaire. 

Heureux sommes-nous, en particuUer^ nous ministres 
de rÉvangile, qui pouvons, grâce à la science qui nous 
a été transmise, entrer dans un contact plus direct avec 
la parole de vérité. Soulevant, en quelque sorte, ce 
voile de la traduction, dont le tissu, si fin qu'il puisse 
être, dérobe aux yeux les plus délicates beautés du divin 
tableau qu'il recouvre, nous goûtons de vives et pures 
jouissances *. Ah! quand on a connu l'édification que 

• D'autres contrées de TEurope ont également donné le jour à 
de nouvelles traductions de la Bible. Il suffira de citer, en Russie, 
les travaux du saint Synode et ceux du savant Israélite Mandel- 
slamm, qui publie simultanément une traduction de TAncien Tes- 
tament en allemand; en Angleterre, la traduction du docteur 
Benisch, juif aussi, et celle, plus nouvelle encore, du docteur 
Kalisch; pour le Nouveau Testament, la traduction de M. Sam. 
Sharp. En Allemagne enûn, Stier, Meyer, le chevalier de Bunsen 
et maints autres, ont concouru à des entreprises de môme nature. 
Mais nulle part le sujet n'est tant à Tordre du jour qu'en France. 

2 Le catholicisme romain a laissé au milieu de nous un préjugé, 
en vertu duquel beaucoup de laïques s'interdisent, en s'en exagérant 
la difficulté, l'étude des textes sacrés. L'un de nos professeurs 



U LÀ BIBLE LUE DANS LES OIUGINAUX. 

procure une étude attentive de l'original, on voudrait 
inviter chaque fidèle à se mettre en état de la retirer 
pour lui-même. On voudrait, du moins, faire ce qui 
dépend de soi pour placer^ entre les mains de ceux qui 
ne peuvent jouir de ce privilège, la Bible en langue 
vulgaire, sous la forme la plus adéquate possible au texte 
original. On est conduit, par là même, à s'enquérir 
avec exactitude de tout ce qui a été entrepris aupara- 
vant dans le même but, et de la valeur respective de ces 
divers travaux. 

de philologie, dont la pieté égalait le savoir, M. U. Fleury, nous 
avouait qu'il aurait craint, en ouvrant son Nouveau Testament g rec^ 
que des préoccupations purement littéraires vinssent troubler Fé- 
(litlcalion qu'il cherchait dans nos traductions reçues du saint livre 
Toutefois, pour ne parler que du Nouveau Testament, nous avons 
vu de jeunes ouvriers en horlogerie s'exercer à lire l'original, 
pendant les moments que leur laissait le travail del'éiabli, et par- 
venir au bout de six mois à comprendre les Evangiles. En appre- 
nant chaque jour quinze mots seulement (y compris les dérivés), 
tels qu'ils se trouvent par exemple dans la petite concordance de 
M. Henri Olivier, on possédera, en moins d'un an, tout le vocabu- 
laire du Nouveau Testament. M. Fisch raconte, dans son récent 
voyage aux États-Unis, qu'il a fait subir à de jeunes descendantes 
de Cham en Pensylvanie, un examen dé philologie biblique, qui 
aurait fait honneur, dit-il, à maint étudiant de nos Facultés. On 
sait quelles étaient à cet égard les capacités de plusieurs femmes 
du temps de la Réforme et quels hommes elles ont élevés. Dans 
les collèges fondés dans notre Suisse française, par Farel et Cal- 
vin, tous les élèves, à partir de la secx)nde classe, étaient exerces 
dans la lecture du Nouveau Testament grec. Nos réformateurs 
avaient senti l'importance de cette espèce d'initiation des laïques 
dont on s'est malheureusement départi dès lors. Nous croyons que 
cette étude serait un puissant remède contre le scepticisme qui 
ronge au cœur la jeunesse actuelle. Ces lisres portent un tel 
cachet d'authenticité, que leurs adversaires les plus passionnés, 
Bauer et son école, ont été, en définitive, contraints de le recon- 



DEVOIR ENVERS DE MOINS PRIVILÉGIÉS. 7 

Telle est, Messieurs et très-honorés Frères, la pensée 
qui a présidé à la rédaction de ce Mémoire. Qu'a-l-on 
fait jusqu'ici, pour traduire la Bible en français; dans 
quelles circonstances nos différentes versions ont-elles 
vu le jour ; quel jugement devons-nous porter sur les 
versions françaises en général, et plus spécialement sur 
celles qui ont prévalu au milieu de nous ; le peuple 
possède-t-il l'équivalent le plus parfait possible des 
écrits inspirés, et que reste-l-il à faire? Voilà la triple 
question qui s'est naturellement présentée à mon esprit 
et que cbercheront à résoudre les trois parties de la 
présente étude. 

naître; ils ont publiquement avoué que plusieurs de ces livres 
avaient résisté à leurs attaques. La dent d'une critique hostile s'y 
brisera toujours comme celle d'un serpent sur la lime de l'horloger. 
Ua président de Consistoire Israélite, publiciste distingué, nous 
ayant demandé un jour quel livre pourrait le convaincre de la vérité 
de la religion chrétienne, nous lui recommandâmes une étude 
scrupuleuse des Acies des Apôtres^ dans l'original. Nous lui fîmes 
remarquer entre autres que Paul s'appelait primitivement Saùl et 
non Saul, comme l'écrivent nos versions dont l'origine remonte 
à une époque où le tréma n'était point encore inventé. Saul, ce 
nom qui semble bizarre au premier abord, devient un témoin 
d'authenticité dans le récit, lorsqu'on se souvient de ce que F Apôtre 
des gentils nous rapporte, dans ses ÉpîtreSy de son origine benja- 
mite, origine que Luc ne nous avait pas fait connaître. Il n'y 
avait guère, en effet, que des Benjamites, dont le roi Saùl était la 
principale illustration, qui pussent donner à leurs enfants un nom 
qui rappelle d'ailleurs de tristes souvenirs. Cette coïncidence, nul- 
lement calculée, à coup sûr, devint pour nous, le jour où nous 
la constatâmes, une vive confirmation de l'authenticité du livre. 
Des impressions de môme nature seront Tinfaillible prérogative de 
tout lecteur attentif du texte sacré. 



PREMIÈRE PARTIE 



PARTIE HISTORIQUE 



CHAPITRE PREMIER 
La Bible dans Phistoire. 



« Je vis un autre ange, qui volait au milieu du ciel, 
portant l'Évangile éternel, pour annoncer la bonne 
nouvelle à ceux qui habitent sur la terre, à toute 
nation, tribu, langue et peuple. » 

Révél. de saint Jean, xiv. 6. 



La Bible est la parole de Dieu. Elle est au milieu des 
livres ce que son Auteur est au milieu des intelli- 
gences; elle est le Livre roi, elle est le Livre éternel. De 
tous les livres que nous ont transmis les bibliothèques 
de l'antiquité, elle est le seul qui soit d'un usage popu- 
laire aujourd'hui. Des littérateurs, tels que Delille et, 
plus récemment, Barthélémy, ont dépensé des trésors 
d'esprit et de patience pour faire passer dans notre 
langue les chefs-d'œuvre du prince des poètes latins; 
mais, tandis que leurs essais charment un petit nombre 
d'adeptes, la Bible, dans le style plus ou moins raboteux 
de nos antiques versions, se répand en France, chaque 



10 PRIMAUTÉ DE LA BIBLE. 

année, par centaines de milliers d'exemplaires ^ Qu'y 
a-t-il d'élonnanl? Elle offre à notre esprit l'aliment le plus 
solide. La Bible, laissons un disciple de Moïse en faire 
l'éloge : « La Bible, dit M. Wogue *, l'histoire la reven- 
dique comme un recueil des plus précieux documents; 
la politique et la législation la consultent comme le 
plus antique des monuments écrits; la littérature et la 
poésie trouvent, sur chacune de ses pages, le cachet du 

sublime » A quoi nous ajouterons, surtout, elle 

nourrit et console nos cœurs, elle règle la vie, elle 
illumine la mort, elle rajeunit le vieillard, elle mûrit le 
jeune homme, elle tance les présomptueux, elle relève 
les esprits abattus; elle abreuve et rassasie notre faim 
et notre soif de vie éternelle. Tout corrompus que sont 
les hommes, tout hostiles qu'ils se montrent à l'égard 
de la sainteté qu'elle prêche, elle surmonte leurs inimi- 
tiés, et se voit finalement entourée de leurs hommages. 
Elle fait pâlir toutes les gloires littéraires. Dans combien 
d'idiomes déjà disparus n'a-t-elle pas été traduite? On 
Pimprime, à cette heure, en cent soixante langues, et 
le nombre des versions diverses, publiées par la seule 
Société britannique et étrangère, s'élèvent à cent quatre- 
vingt-dix. 11 est telle de ces versions qui remonte à vingt- 

* Trois sociétés principales, dont deux indigènes, travaillent, en 
France, à la disséminalion des saintes Écritures, dans les versions 
reçues de Martin, d'Oslervald et de Le Maître de Saci. La France 
est redevable à la seule Société britannique el étrangère, de 
plus de trois millions deux ceiit mille volumes de la Parole de 
Dieu, distribués, pour la plupart, au-dessous du prix de coût, du- 
rant les trente dernières années. Le rapport du dernier exercice 
mentionne une vente d'environ quatre-vingt mille exemplaires. 

2 Dans sa récente préface sur le Pentateuque. 



TRANSFORMATIONS QU'ELLE OPÈRE. il 

trois siècles en arrière, et telle autre qui ne fait que de 
naître. Qu'on songe k la quantité d'efforts, de dépenses 
et souvent dévies d'hommes, consacrés à parfaire tant de 
travaux, et que l'on cite ensuite un autre livre au monde 
qui ait obtenu, fût-ce la minime partie d'un semblable 
succès, si l'on ose parler de succès en parlant des œuvres 
de Dieu! 

« Rien ne serait plus riche en inslructions qu'une 
histoire complète des traductions de la Bible ^ » Quel 
enseignement salutaire que de voir, en chaque nation, 
l'apparition de ce livre signaler l'aurore d'une ère nou- 
velle, et, non-seulement la vie religieuse, mais les des- 
tinées des empires, en étroit rapport avec l'accueil 
plus ou moins favorable que rencontre le saint volume. 
Un fait saillant de nos jours, et puissant dans la con- 
troverse anti-ullramontaine, c'est, on l'a dit, mais 
pas assez peut-être, la supériorité politique et exté- 
rieure, et surtout intellectuelle et morale des nations 
qui ont la Bible, qui l'honorent ou du moins la to- 
lèrent, sur celles qui la proscrivent et qui la brûlent. 
Jamais pays a-t-il pris un plus brillant essor que l'Es- 
pagne des premières années du xvi® siècle? La pre- 
mière en date, elle imprime les originaux de la Bible 
à Alcala *; elle retient François l^r captif à Madrid; 



* Une traduction nouvelle de la Bible, par M. L. Bonnet. 
Chrétien évangéliqve, du 25 mai 1861. 

2 La Bible polyglotte d' Alcala, ou Biblia Complvtensis 
(ainsi désignée d'après le nom latin de cette ville, Complu tam), 
due à la munificence du cardinal Ximénès (1514-1517, 6 vol. in- 
fol.), donne un texte original et indépendant d'après différents ma- 
nuscrits d'Espagne. On lit.dans une lettre adressée par Ximénès au 



12 L'ESPAGNE ET L'ANGLETERRE AU XYl* ET AU XIX» SIÈCLE. 

le soleil no se couche pas sur ses possessions; en 1584-, 
par un dernier reste de libéralisme, elle reproduira â 
Salamanque la Bible latine de Léon de Juda et des 
réformés de Zurich avec la Vulgate en regard \ 

Jetons maintenant sur elle un regard compatissant; 
la cruelle Inquisition, nouvelle Dalila, lui a ravi le se- 
cret de sa force. En lui ravissant la Bible, elle a brisé 
son élan, et, mère dénaturée, la nation espagnole 
semble vouloir consommer elle-même sa ruine, en exilant 
de leur patrie ses enfants les plus généreux et les plus 
dévoués*. Cependant l'Angleterre, relativement ché- 
tive, il y a trois siècles, et ne comptant guère alors que 
trois millions d'habitants, l'Angleterre où la parole de 
Pieu a pu prendre son libre cours, est établie reine 



pape Léon X ^.... ad vrimam scripturœ originem recurrendum 
est, sicut beatus Hieronymus et Augustinus accœteri Ecclesiastici 
tractatoresadmonent;ita ut librorumveteris Testamenti sinceritas 
ex Hebraica veritate, novi autem ex Grœcis exemplaribus exami- 
netur. » Ces lignes furent écrites et la publication de la Bible des 
Complutenses, entreprise avant le Nouveau Testament d'Erasme 
lui-même, bien que ce dernier livre soit sorti de presse dès 1516. 
* « Hommage bien remarquable rendu à une exactitude con- 
sciencieuse. Cette traduction (celle de Zurich), que rien n'a sur- 
passée, fut reproduite avec une égale estime par R. Estienne, à 
Paris, et par les docteurs de Salamanque. » Berger de Xivrey, 
Etude sur le texte et le style du Nouveau Testament, p. 47. 

2 Don Manuel Matamoros, Alhama, don José Gonzalès Mijias, 
don Antonio CarascoPalermo. Il est avéré à Tégard de ces martyrs 
de rÉvangile en Espagne, qu'ils sont restés étrangers aux disputes 
politiques. Tout leur crime a été de chercher à répandre parmi leurs 
concitoyens le trésor des saintes Écritures. — Voir la courageuse 
défense présentée en faveur de deux d'entre eux par deux avocats 
de Malaga : don Roque Meano et don Fraiicis(!o Mereno Lopez. 
( Espérance du 7 nov. 1862.) 



RÔLE PEU CONNU DE LA BIBLE EN FRANCE. 15 

sur dix milliers d'îles et sur deux cents millions de 
sujets *. Plus près de nous, il suffit de comparer les 
deux rives du Léman, ou simplement de traverser notre 
lac de Neuchâtel. On sera frappé de trouver si près 
d'ici dans la catholique Estavayer, ancienne résidence 
des jésuites, une population ignorante, pauvre et su- 
perstitieuse, de cinquante ans ou d'un siècle plus re- 
culée que la nôtre '. Tellement qu'on pourrait sou- 
tenir que la prospérité d'un pays est en raison directe 
du nombre d'exemplaires des saintes Écritures qui s'y 
propagent et de l'usage qu'on en fait ^ Et si l'on 
nous oppose la prépondérance actuelle de la France 
sur le continent, le mouvement progressif de contrées 
telles que la Belgique, où prévaut une puissance spiri- 
tuelle anti-scripturaire, notre réponse est prête. C'est 
l'histoire même des Bibles françaises que nous allons 
esquisser. Elle nous prouvera que de très -bonne heure 

* Voir une série de constrastes étonnants entre ce que l'An- 
gleterre était avant la Réforme, et ce qu'elle est devenue depuis, 
dans le discours du Rév. Mesac Thomas, de Londres, maintenant 
évêque de Golbourne. — Les Conférences de Genève, 1861, t. II, 
p. 13 et suiv. 

2 De la portion protestante du moins, car F instruction est 
également en grande souffrance chez nos compatriotes catholiques 
romains du Landeron, si Ton en juge d'après une lettre qu'un hn- 
bitant de celte ville adressait, il y a quelque temps, au Neuchii- 
telois. 

3 On entend vanter parfois la civilisation et Tordre admirable 
du Japon, sinon de la Chine ; naais qui voudrait ùtre citoyen d'un 
em[)ire dont les ambassadeurs, sur un ordre, inopinément reçu de 
leur maître, dit-on, souillent les fûtes splendides que TEurope chré- 
tienne leur donne, par le plus n'n oltant des suicides. Les journaux 
ont annoncé que l'un de ces ambassadeurs, s'étant ouvert le ventre, 
avait inondé de son sang un des salons de l'hôtel du Louvre. 



i4 LA BIBLE EN BELGIQUE. 

et bien longtemps avant nous , la Belgique * et la 
France ont été imprégnées du levain de la parole de 
vie, et que, depuis la Réforme, elles n'en ont point été 
entièrement privées. 



^ Erasme raconte que dans sa jeunesse , c'est-à-dire en 1480, 
on lisait, dan^ les Pays-Bas, la Bible traduite tant en français 
qu'en allemand; et que, dans les maisons des Béguines qui sont 
en Flandre, on faisait les prières et on y chantait les Psaumes tra- 
duits en la langue du pays. Œuvres de Bayle, la Haye (1727); 
1. 7. 41. — Le P. Lelong cite une Bible flamande en deux volumes 
in-folio, imprimée dès 1475; deux Bibles allemandes, publiées si- 
multanément à Nuremberg et à Augsbourg, en U77; et une Bible 
flamande, imprimée à Delft la môme année. — Anvers, Louvain, 
Amsterdam donnèrent plus tard le jour à un nombre très-considé- 
rable de Bibles françaises. 



CHAPITRE II. 



La Bible en France avant l'imprimerie. 



Rien ne peut se dérober à sa chaleur. 
Ps. XIX, 6. 



Il règne encore chez les protestants de langue fran- 
çaise une ignorance presque générale relativement aux 
traductions de la Bible. Que de gens, d'ailleurs ins- 
truits, lisent journellement la version de David Martin, 
sans rien savoir de sa personne ni de son œuvre, 
sinon qu'il fut ministre du saint Évangile à Utrecht, 
ainsi que le porte le titre du volume. Il n'y a pas si 
longtemps qu'à Neuchâtel même, certaines personnes 
soutenaient que J.-F. Ostervald avait non révisé, mais 
traduit à nouveau la Bible, et que des livres d'histoire 
religieuse consacraient l'opinion généralement répan- 
due, que la Bible imprimée par Robert Olivetan, en 
1535, avait été la première traduction française des 
saintes Écritures K Cette ignorance, qu'on décorait 
parfois du nom de confiance implicite, cette ignorance 

^ Cette erreur s'est glissée encore dans rexcellenl Manuel de 
la Bible, d'Angus ; Toulouse 1857. La proface du Nouveau Testa- 
ment, de Genève, 1855, la renferme également. — Catholiques et 
protestants croyaient avoir intérêt à rester dans ce préjugé. Les 
protestants, afin de s'attribuer Thonneur d'avoir pris l'initiative 



i6 IGNORANCE DU SUJET. 

était coupable, puisqu'elle était contraire, non-seule- 
ment à l'esprit de la Réforme, mais à celui de la Pa- 
role de Dieu , qui si souvent nous invite à examiner 
les fondements de notre foi. Aujourd'hui, grâce aux 
écrits populaires de MM. Merle d'Aubigné et Puaux, 
personne n'ignore plus l'antériorité de la version de 
Lefèvre sur celle d'Olivetan. Ce qui est moins connu, 
c'est que Jacques Lefèvre lui-même avait eu des de- 
vanciers, et que prés de quarante ans avant lui, la 
Bible tout entière avait été imprimée en français *. 
Il y a plus , les parties fondamentales de cette Bible 
existaient depuis des siècles, manuscrites et disséminées 
à la surface de la France par centaines d'exem- 
plaires. 

Un grand nombre de ces manuscrits ont survécu 
au malheur des temps. M. Le Roux de Lincy en a 
compté soixante, du xiii® et du xiv© siècles seulement, 
dans la Bibliothèque impériale de Paris. « Toute pro- 
portion gardée, ajoute-t-il, les traductions de la Bible 
sont aussi nombreuses dans les autres bibliothèques, 

des traductions de la Bible ; les catholiques, afin qu'on ne fît pas de 
Bibles antérieures à celle d'Olivetan des antécédents favorables 
au principe de la dissémination des saintes Ecritures en langue 
vulgaire. 

^ Cette Bible imprimée semble avoir été ignorée d'un savant 
français, M. Berger deXivrey, qui a écrit en 1856 une dissertation 
sur le Style et le Texte du Nouveau Testament. Il s'exprime ainsi, 
page 60 de son Etude : « Nous passerons à la plus ancienne ver- 
sion imprimée du Nouveau Testament. Nous trouvons d'abord 
celle de Jacques Lefèvre (djte la Bible d'Anvers), imprimée 
en 1550. » Outre l'erreur signalée, ces lignes en renferment une 
seconde : le Nouveau Testament de Lefèvre avait été publié à Paris, 
avant de paraître à Anvers. 



RICHESSES LITTÉRAIRBS TROP LONGTEMPS ENFOUIES. 47 

tant de Paris que des départements. Il n'y a pas une 
seule bibliothèque de province, possédant des manus- 
crits français du moyen âge, qui n'ait une ou plu- 
sieurs traductions de la Bible, soit en prose, soit en 
vers *. » 

€ Aucun peuple moderne, dit M. Reuss, ne peut 
se comparer aux Français pour la richesse et l'antiquité 
de la littérature biblique... Les bibliothèques de la 
seule ville de Paris contiennent plus de manuscrits 
bibliques français que toutes les bibliothèques d'outre- 
Rhin ne paraissent en contenir d'allemands...; mais, 
aucun peuple, en revanche, sans en excepter les Slaves, 
n'a montré, dans les derniers siècles, autant de froideur 
pour cette littérature, en dépit des renseignements iné- 
puisables et inappréciables qu'elle pouvait fournir sur 
l'histoire de la langue, du savoir et de la religion *. > 

Parmi ces traductions manuscrites de la Bible, il en 
est de complètes et il en est de fragmentaires. Beau- 
coup sont en prose, beaucoup aussi sont versifiées ^. 
Plusieurs sont littérales^ d'autres sont commentées. La 
plupart ont été faites d'après la Yulgate; toutefois, il 
en est qui trahissent un original grec ou du moins la 
Vêtus itala. Toute espèce de dialectes s'y trouvent 
représentés : la langue d'oc et la langue d'oïl, le 
normand, le picard, le roman-wallon, le poitevin, le 

^ Les quatre livres des Rois, traduits en français du dou- 
zième siècle, suivis d'un fragment de Moralités sur Job et d'un 
choix de Sermons de S. Bernard, publiés par M. Le Roux de 
Lincy; Paris 1841, p. xliv. Collection des documents inédits sur 
l'Histoire de France, Wséne, 

3 Revue de théologie, vol. H, p. 5. 

3 Celle, par exemple, du curé Macé de Cenquoins qui, à force 

2 



18 PREMIERS MONUMENTS DE LA LANGUE. 

lorrain, le bourguignon, le limousin, le français pro- 
prement dit. Enfin, il en est qui, de l'aveu de tous 
les savants, remontent au xfi^ et même au xi® siècle^ 
et font par conséquent partie des plus anciens monu- 
ments de la langue % pendant que d'autres, au con- 
traire, sont postérieures à Tinvention de rimprimerie. 
L'histoire de ces différentes traductions n'a point 
encore été faite; à peine a-t-elle été abordée. Nous 
n'entreprendrons donc point de répondre aux ques- 
tions que soulève chaque manuscrit en particulier. 
Nous nous bornerons à tenter la conciliation de deux 
faits qui paraissent s'exclure, l'existence au moyen âge 
d'un si grand nombre de traductions en langue vul- 

de gloser sur son texte, et bien qu'il ne se soit exerce que sur une 
portion seulement de la Bible, n'a pas consacré moins de quarante 
mille vers à la traduire. Les quatre livres des Rois, p XXIIL 

* Philippe-Auguste et saint Louis parlaient le langage d'en- 
deçà de la Loire, qui n'était guère alors qu'un ramaige, un pattois, 
xme parleure, et qui n'en vint à mériter la qualification de langue 
qu'après les (^crits des premiers traducteurs, dont les efforts étaient 
dûs aux encouragements de ces princes. Les enfants du roi Jean 
eurent l'honneur de donner à ces travaux un développement dont 
les conséquences devaient être immenses. La prédilection des Va- 
lois pour le roman wallon ou français, et les ouvrages entrepris 
par leurs ordres dans cet idiome jusqu'alors informe, assurèrent la 
prédominance de la langue des Trouvères sur celle des Trouba- 
dours. Lesérudits, qui n'ont pu méconnaître Tinsigne service rendu 
aux lettres françaises par nos princes, dans le xiv« siècle, et leurs 
heureux efforts pour les sauver de la léthargie, auraient dû, ce 
semble, acquitter la dette nationale, en appelant l'attention et la 
reconnaissance publique sur ces nobles moteurs d'une impulsion 
si féconde en grands résultats. —Voyez J. Barrois, Bibliothèque 
protypographique ou Librairies des fils du roi Jean; et à la fin de 
ce chapitre, quelques détails de plus sur le zèle biblique du roi 
Charles V et de ses frères. 



PROSCRIPTIONS HEUREUSfiMRNT TARDIVES. 49 

gaire, et ranlipathie bien connue de l'Église romaine 
pour de tels travaux. Comment. Rome, presque toute- 
puissante au moyen âge, a-t-elle pu laisser subsister et 
se multiplier les Bibles en langue vulgaire? La réponse 
à cette question nous fournira l'occasion de recon- 
naître que l'œuvre des J. Lefèvre, des R. Olivetan et 
des Réformateurs en général , ne fut point tant um 
entreprise d'innovateurs que le couronnement d'iMl 
édifice anciennement fondé dans les entrailles du sol 
historique de la France. 

Constatons d'abord que Rome ne conçut qu*asse2 
tard le dessein audacieux de proscrire en France * la 

i En France : celte restriction est nécessaire ; car , dès le 
ix« siècle, les missionnaires Cyrille et Méthodius encoururent les 
récriminations de la papauté, pour avoir introduit la langue vul- 
gair»^ dans le culte des populations nouvellement converties de la 
Mysie et de la Bulgarie. Deux siècles plus tard, Wladislas, roi de 
Bohême, ayant exprimé au pape Grégoire Vil le vif désir de son 
peuple de pouvoir lire les Livres saints dans la langue nationale, 
Grégoire s'y opp sa formellement. On peut voir les motifs de son 
refus dans une lettre qu'il écrivit à Wladislas, en date du 9 jan- 
vier 1080 :«.... LTcrilure possède, en elle-même, une telle majesté 
qu'une traduction ne pourrait qu'en rendre le sens plus difficile. 
.... Il ne faut pas alléguer cette excuse, que plusieurs hommes 
pieux ont totéré ou laissé impuni ce que le peuple réclame mainte- 
nant dans sa simplicité. La première Église, en effet, a passé sur 
beaucoup de choses, que les Pères ensuite ont examinées soigneu- 
sement et améliorées, une fois qu'elle a acquis plus de consistance 
et d'extension. Aussi, de par l'autorité du saint apôtre Pierre, nous 
défendons ce que vos sujets se sont permis imprudemment de ré- 
clamer et ordonnons... Unde ne id fiât, quod a vestris simpliciter 
exposcitur, auctoritate B, Pétri inhibemus, teque ad honorem 
omnipotentis Dei huicvanœ temeritati, totis viribus, resistere prœ^ 
cipimus. » {Gregor, VII, lib, 7, Ep. xi, ad ducem Bohemorvm. ) 
Voir la dissertation intitulée : La Bible avec VEglise et l'Eglise 
sans la Bible, par Ph. Bonneton; Genève, 1849. 



âO voeux DES BARBARES APRÈS LA tONQUÊtË. 

lecture de la Bible. Elle n'en vint à cette extrémité que 
« lorsque rexpérience Teut convaincue que l'usage des 
Livres saints, abondamment répandus en langue vul- 
gaire dans les troupeaux de son ressort, est pour elle 
une ruine *. * Tant que cette expérience n'avait pas 
été faite, Rome, inconsciente du péril qui la menaçait, 
laissa un libre cours aux traductions de la Bible ; et 
quand ensuite elle voulut les interdire^ l'œuvre de 
leur dissémination avait pris une impulsion assez forte 
pour que toutes les persécutions subséquentes ne par- 
vinssent pas à l'arrêter. 

« Après que la guerre eut sillonné l'Europe dans 
tous les sens et que les conquérants, venus du Nord 
et de l'Est, eurent pris une entière possession du sol, 
fatigués de combats, ils reconnurent que l'homme a 
autre chose à conquérir qu'une patrie terrestre et, 
convertis à peine au christianisme, mais entièrement 
étrangers aux langues savantes de la chrétienté, ils 
demandèrent qu'on publiât pour eux, en langue vul- 
gaire, un code religieux, de la même manière qu'on 
mettait à leur portée les lois politiques et civiles. Le 
latin, au moins pour la France, avait été naguère la 
langue du culte comme celle du peuple. La foule ne 
voyait pas pourquoi, dès qu'il était tombé en désué- 
tude, on ne l'aurait pas remplacé dans l'Église, comme 
partout ailleurs, par la langue de tout le monde; elle 
né s'était point encore imaginé que la lecture de l'Évan- 
gile dût être, comme celle des Livres sacrés chez les 



^ Le Canon des saintes Ecritures^ au double point de vue de 
la science et de la foi, par Gaussen, t. H, p 148. 



PRÉCOCITÉ SANS ÉGALE DES TRADUCTIONS. 2i 

Indous et les Égyptiens, le privilège exclusif de la 
caste sacerdotale. 

« Les Normands, en particulier, se hâtèrent d'adapter 
à la religion le roman-wallon qu'ils avaient appris et 
perfectionné. Non-seulement ils avaient obtenu qu'on 
remployât pour eux dans la prédication * , mais de 
plus, en 1061 déjà, un chanoine de Rouen, nommé 
Thibaut, avait écrit dans ce dialecte les Vies des 
Saints « et, en 1070 et 1080, sous le règne de Phi- 
lippe 1er, on l'avait employé à deux traductions des 
Psaumes *. Il est remarquable que ces ouvrages aient 
été écrits avant les lois que Guillaume le Bâtard donna 
en 1087 aux Normands, et bien avant les romans de 
Rou, du Brut (1055) et d'Alexandre, qui ne datent que 
du milieu du xii^ siècle. C'est que le besoin religieux 
était le premier qui se fût manifesté après les passions 
de la guerre, et ce fut dans des ouvrages de piété que 
la langue fit ses premiers essais *. » 

Les traductions mentionnées dans la citation qui 
précède, appartiennent au xi© siècle. M. le Roux de 
Lincy en indique qui remontent au x© et même au 
ix® siècle. 

« Vers 820, Usons-nous dans son Introduction, un 
moine bénédictin de Wissembourg, appelé Otfride, 
composa en vers théotisques une Harmonie ou Concor- 

* Sismondi, Histoire des Français, t. lil, p. 554. 

3 G. Henry, Histoire de la langue française, t. I, p. 96. 

3 Ibid., p. 151. Cod. Reg. 8117; p. 110. Cod. Reg, 8177, 
xi« siècle. 

A Notice sur les premières versions de la Bible en langue vul- 
gaire, par Â. Archinard; Genève, 1859. 



22 TRADUCTIONS LUES DANS LES ÉGLISES. 

dancc des quatre Évangiles * lUyricus, savant du 

xvi® siècle et premier éditeur de l'ouvrage d'Otfride, 
assure, dans sa préface, avoir vu à Strasbourg un psau- 
tier écrit à la même époque que cet ouvrage et dans 

la même langue Vers 890 *, Notkerus Labeo mit 

le Livre de Job et les Psaumes en langue germa- 
nique... » 

Le même auteur rattache au xi« et au xii© siècle 
diverses traductions de TÉcriture sainte en langue d'oïl 
et, spécialement, le texte même des Quatre livres des 
Rois qu'il publie. « Le langage de cette traduction, 
dit-il, est évidemment antérieur à l'époque où le ma- 
nuscrit a été exécuté (entre 1150 et 1200); et on peut 
le considérer comme appartenant à la première moitié 
du xiie siècle *. » M. F. Tissol, de l'Académie fran- 
çaise, le fait remonter plus haut encore. Dans ses 
Leçons et Modèles de Littérature française^ il présente 
un fragment de cette traduction comme spécimen de 
la langue au xi© siècle. 

' Otfride dédia cet ouvrage à LuUbert, archevêque de Mayence, 
comme cela résulte d'une lettre latine insérée dans la BibliothèqtM 
des auteurs ecclésiastiques, de Dupin. 

2 Le texte de M. le Roux de Lincy porte 980; mais c'est assu- 
rément une faute d'impression. Voir le P. Lelong. Biblioth. mer. 
Moreri fixe la mort de Notkerus Labeo à 912. • 

3 Le Roux de Lincy, Les quatre lityres des Rois, p. v, vi, lu et 
Lvi. — L'éditeur envisage cette remarquable traduction comme le 
résultat des ordonnances rendues dans les conciles de Tours et 
d'Arles au ix« siècle, lesquelles prescrivaient la traduction en langue 
vulgaire des Homélies qu'on lisait alors au peuple. « On ne peut 
douter, dit M. le Roux de Lincy, que cette traduction n'ait été faite 
pour être lue aux fidèles; le commentaire fort curieux qui Tac- 
conipague, le prouve sutïisanïment : « Fedeil Deu, entend Testo- 



CONCILIABULES BIBLIQUES EN 1199. i3 

Enfin, en H 70, Pierre Valdo, ou plus exactement 
Valdès, riche marchand àe Lyon, se fait traduire en 
roman provençal de notables portions des Écritures. Il 
emploie, à cette intention, deux prêtres, Stephano de 
Ansa et Bernard d'Ydros; et il ne paraît avoir ren- 
contré d'opposition que lorsque, faisant valoir la vo- 
cation intérieure, il prétendit pouvoir prêcher sans 
ordination cléricale. 

Deux lettres, écrites vers 1199 par le célèbre Inno- 
cent III, semblent fixer le moment où la papauté ou- 
vrit les yeux sur le mal que la Bible lui faisait, ou, 
du moins, osa s'en plaindre en France. Il y avait, à 
cette époque reculée, dans la ville de Metz et dans sou 
territoire, des âmes altérées de saine doctrine, qui 
avaient trouvé dans certains fragments des Écritures 
traduites en français, l'aliment spirituel dont elles 
avaient besoin. L'évêque du diocèse, Bertram, s'émut 
du fait et en donna connaissance au pape Innocent IIL 
La réponse envoyée par ce dernier trahit ses inquiétudes. 
Il disait : « Notre vénérable frère, l'évêque de Metz, 
nous a fait savoir par ses lettres que, dans la ville 
et dans le diocèse de Metz, une multitude de laïques 
et de femmes entraînés par un désir immodéré de con- 
naître les Écritures, ont fait traduire en langage fran- 
çais les Évangiles, les Épîtres de saint Paul, les Psaumes, 



« rie, etc., » p. iv, et p. cclxviu : « Le temple devisad, si cume vus 
t véez que c'est, mustiers en la nef et al presbilerie. » Ces audi- 
teurs, supposés présents et interpellés, nous reportent à une époque 
où la parole de Dieu en langue vulgaire n'était pas encore pros* 
crite des églises delà catholicité.— Voir, à V Appendice, un spécimen 
de cette antique version. 



24 LETTRES PROHIBITIVES D'INNOCENT III. 

les Moralités sur Job et plusieurs autres livres, dans le 
but coupable et insensé de se réunir, hommes et femmes, 
en secrets conciliabules, dans lesquels ils ne craignent 
pas de se prêcher les uns aux autres. Ils vont même 
jusqu'à mépriser ceux qui refusent de se joindre à eux, 
et les regardent comme des étrangers. Réprimandés 
à ce sujet par les prêtres de leur paroisse, ils leur ont 
résisté en face, cherchant à prouver, par des raisons 
tirées de TÉcriture, qu'on ne devait pas défendre cet 
exercice. Quelques-uns même méprisent la simplicité de 
leurs pasteurs et, quand ceux-ci leur proposent une 
voie de salut, ils disent tout bas qu'ils ont mieux dans 
leurs livres, et qu'ils sont en état de parler avec plus de 
savoir *. » 

Dans sa lettre particulière au chapitre métropolitain 
du diocèse. Innocent III lui confie le soin de rechercher 
quel est le véritable auteur de cette traduction, et de 
rappeler, par les exhortations et les châtiments, ceux 
qui s'éloignent de la bonne voie. 

Il paraît que l'envoi de ces deux lettres ne suffit pas 
pour tranquilliser le pape. Les Messins ne tardèrent pas 
à recevoir la visite d'abbés missionnaires qui ne trou- 
vèrent rien de mieux à faire que de brûler les Bibles 
françaises *. 

^ Episiolœ Innocenti III, Rom. pont., lib. 11. Ep. 141, t. 11, 
p. 432. Traduction de M. le Roux de Lincy. 

2 Item, in urbe Metensi, pulullante secta quœ dicitur Valden- 
sium, directisunt quidam abbates ad prœdicandum, qui quosdam 
libros de latino in romanum versos combusserunt et prœdictam 
sectam extirpârunt. (Chronicon Alberici ad a. 1200, Scriptor, rer. 
GalL T. XVIII, p. 763.) — Citation faite par M. Reuss. — Metz 
n'en demeura pas moins un terrain préparé pour la rénovation 



ANATHÈMES DU CONCILE DE TOULOUSE. ^ 

€ Ce qui avait lieu à Metz n'était pas un fait isolé, et 
tout porte à croire qu'il se rattachait à une tendance 
générale. En effet, à partir de ce moment, les traduc- 
tions, les commentaires, les paraphrases se multiplient; 
et c'est à la faveur de cette tendance que l'on vit le 
jargon employé par la multitude s'élever au rang de 
langue littéraire ^ )> 

Trente ans après, le concile de Toulouse publiait 
le canon suivant : « Nous prohibons aussi qu'on per- 
mette aux laïques d'avoir les livres de l'Ancien et du 
Nouveau Testament, à moins que quelqu'un ne désire, 
par dévotion, posséder un psautier ou un bréviaire pour 
le service divin ou les Heures de la bienheureuse Vierge. 
— Mais nous leur défendons très-expressément d'avoir, 
en langue vulgaire, même les livres ci-dessus*. » 

Et les décrets de ce concile, qui établissaient le tri- 



religieuse du xvi« siècle. Elle fut un des principaux berceaux de 
la Réforme en France. Bien des années avant 'qu'on parlât de 
Luther, un enfant de Metz, qui fut plus tard un Réformateur, 
Pierre Toussaint, se livrant aux divertissements de son âge, allait 
à cheval sur un bâton dans la chambre de sa mère : cum equita- 
bam in arundine longa (Toscanus Farello, mss. de Neuchâtel) , lors- 
que celle-ci, qui s'entretenait avec des amis des choses de Dieu, leur 
dit d'une voix émue : « L'Antéchrist viendra bientôt avec une 
€ grande puissance, et il détruira ceux qui se seront convertis à 
• la prédication d'Elie. » Ces paroles souvent répétées frappèrent 
l'esprit de l'enfant, qui se les rappela plus tard ; elles témoignent 
d'une connaissance remarquable des Écritures. On serait tenté d'y 
voir un vestige de la permanence de manuscrits bibliques en lan- 
gue vulgaire au sein de la population messine. 

* Histoire des révolutions du langage en France, par M. Fran- 
cis Way, p. 48. 

* ... Sed ne prœmissos libros habeanl in lingua vulgari 
translatas arctissime prohibemus. 



26 BDLLBS ANTI-BIBLIQUES. 

bunal de Tlnquisition, se sont renouvelés dès lors de 
siècle en siècle, décrets de feu, de sang et de dévasta- 
tion. Dans les chapitres III, IV, V, VI, ils ordonnaient 
qu'on détruisît entièrement jusqu'aux maisons, aux 
plus humbles abris, et même aux retraites souterraines 
des hommes convaincus de posséder les Écritures ; 
qu'on les poursuivît jusque dans les forêts et dans les 
antres de la terre ; qu'on punît même sévèrement qui- 
conque leur donnerait asile. 

Avant et après ce concile, les bulles des papes mena- 
cèrent, à fréquentes reprises, d'excommunication et de 
mort tous les lecteurs laïques du saint Livre *. 

Ces décrets et ces bulles « sont suivis, durant cinq 
cents années, d'innombrables supplices où le sang des 
saints coule comme de l'eau *. » Les Vaudois décou- 
vrent dans leurs livres des motifs toujours plus nom- 
breux de s'éloigner de Rome^ et cette tendre mère les 
poursuit avec le fer et avec le feu. 

Mais quel que soit le zèle de Rome et de ses pontifes, 
il arrive trop tard. La Bible, en langue vulgaire, a dé- 
sormais pris l'avance ; elle ne périra pas. Le peuple 



* Voir dans le Magnum Bullarium romanum { Luxent- 
burgi f727), les Bulles d'Honorius lll, en 1216 ; d'innocent IV, 
en 1243; dWlexandre IV, en 1254; d^Urbain IV, en 1262; de Clé- 
ment IV, en 1265; de Nicolas lil, en 1278 ; de Jean Xil, en 1317 ; 
de Boniface IX, en 1391 ; de Martin V, en 1418; d'Innocent VIII, 
en i486; nous ne citons que celles du moyen âge. — La dernière, 
coïncidence qui mériterait d'être examinée» est précisément de 
Tannée qui, d'après le P. Lelong, précéda l'apparition de la pre- 
mière Bible in)priméo en français. 

â L. Gaussen. Le Canon des saintes Écritures. T. 11, 
p. 243. 



ALPES, BOULEVARD DE TOUTES LES LIBERTÉS. 27 

des Albigeois et des Vaudois, qui brava le martyre pour 
l'amour d'elle, ne périra pas non plus entièrement. Le 
sang qu'ils répandent appelle et prépare la réaction vic- 
torieuse du xvi© siècle, et ceux d'entre eux qui survi- 
vent se réfugient dans les Hautes-Alpes de la France et 
du Piémont, qui deviennent le boulevard de la liberté 
religieuse, comme les Alpes suisses le furent des fran- 
chises et des libertés politiques. Descendaient-ils de 
leurs vallées dans la /plaine, ils distribuaient la Bible 
sous le manteau ; les poursuivait-on à main armée dans 
leurs retraites, ils emportaient leurs précieux manus- 
crits dans des cavernes connues d'eux seuls. La mis- 
sion de ces peuples fut de donner asile à la Bible jus- 
qu'au jour où elle descendrait de ces remparts neigeux, 
pour conquérir le monde. 

Le déluge des anathèmes prononcés par Rome contre 
la Bible en langue vulgaire s'arrêta donc au pied des 
cimes glacées des Alpes ; il s'arrêta aussi... au pied du 
trône. Les rois de France durent à leur naissance et à 
leur absolu pouvoir la conservation du droit de lire la 
Bible, que les Vaudois ne maintinrent qu'au prix du 
plus entier renoncement. Nul n'osa leur ôter des 
mains * un livre dont la lecture leur causait un plaisir 



• 11 y eut munie tel pape qui poussa la gracieuseté jusqu'à 
mettre la traduction de la Bible entre les mains d'une reine de 
France. Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe VI de Valois, 
ne sachant pas le latin, avait exprimé à Pierre Royer, archevêque 
de Rouen, son désir de lire TÉcriture sainte en français. Jean XU, 
qui en fut informé, chargea Gautier de Dijon, minorité, de donner 
cette satisfaction à la princesse. — Le Roux de Lincy, Les quatre 
livres des Rois, p. xxvui et xxx. — La seconde femme de Phi- 
lippe VI, Blanche de Navarre, fut moins favorisée. On lit ce qui 



28 AUTRE ASILB AU PIED DU TRÔNE. 

particulier *. Leur cour fut un second asile préparé 
de Dieu pour la conservation de la Bible en langue 
vulgaire. 

Sans nul doute, il faut voir un fait providentiel dans 
la sollicitude prolongée des souverains de la France 
pour les saintes Écritures^ durant les huit siècles qui 
s'écoulent depuis Gharlemagne jusqu'à la Réforme. Ils 
la lisent, ils s'en procurent des exemplaires de choix, 
ils la font traduire ; finalement, ils Fimpriment, comme 
la suite de notre récit le fera voir. D'après certains his- 
toriens *, dont M. le Roux de Lincy partage l'opinion, 
Gharlemagne lui-même et, plus tard, saint Louis, se 
seraient occupés de faire traduire la Bible, le premier 
en langue théotisque ou tudesque, le second dans la 
langue romane de son temps; mais les preuves allé- 
guées paraissent insuffisantes. Ce qui est certain, c'est 
qu'on ne prête qu'aux riches, et que ces princes firent 

suit dans VlnterUoire des livres roumans de feu Monseigneur Phi- 
lippe le Hardi, que maistre Richiirt le Conte, son barbier, a eus en 
garde à Paris, iéOi, n° 635, • La plus grant partie des cayers d'un 
Messel translaté de latin en françois, lequel fist faire feue la royne 
Blanche, el lequel a esté laissié à parfaire, pour ce que on dist qu'il 
n'est pas expédient de translater tel livre, en especial le saint Canon. » 
— Barrois, Protypographie, p. 108. 

* « Nos rois ont toujours été curieux de lire la Bible en leur 
langue malernelle. » Richard Simon, Hist. crit. des Versions du 
Nouveau Testament. Chap. ii, p. 48, s. 

2 Usserius, Jean de Serres, le P. Lelong, Tabbé Lebeuf, 
MM. Reuss et Berger de Xivrey, sont d'un avis contraire. — M. le 
Roux de Lincy croit trouver le texte d'une traduction faite par 
ordre de saint Louis, dans les n«» 7268 2 i et 6701 des manuscrits 
de la Bibliothèque impériale. MM. Paulin Paris et Berger de Xi- 
vrey pensent plutôt que ces deux manuscrits ont été copiés sur une 
des premières versions des Vaudois. 



CAPIÏÛLA1RES DE CHAKI.EMAGKË . 29 

beaucoup pour le réveil des éludes bibliques. Charle- 
magne, dans ses Gapitulaires \ insiste fortement sur 
le devoir qui incombe aux ecclésiastiques de cultiver 
les saintes Lettres. Alcuin reçoit de lui la charge de 
revoir le texte corrompu de la Vulgate *, et de son 
vivant encore, grâce à l'impulsion donnée par lui, le 
concile de Tours décide que, tant les homélies adressées 
au peuple que les portions <le TÉcriture qui leur ser- 
vent de texte, seront désormais traduites en langue 



* Quelques-uns de ces Capilulaires prescrivent entre autres 
l'emploi do livres canoniques de TÉglise, et il en est un qui dre3^ 
la liste de ces livres. Les apocryphes y brillent tous par leur ab- 
sence ; c'est ni plus ni moins le canon de nos Églises protestantes. 
Ce fait ne paraît pas s'accorder avec l'opinion de M. Reuss qui 
estime que la notion de canon s'était perdue au moyen âge. Rev, de 
ThéoL, XIX, iO, —Capitularia regum Francorum, années 786, 789, 
T. I, p. 202 et 237. Edition de Baluze. 

3 c Des églises, des monastères et des écoles, les études bibli- 
ques se répandirent dans le monde, et l'impulsion donnée par 
Charlemagne fut cause que de la main des clercs, les Livres saints 
passèrent entre celles des laïques, surtout de ceux qui fréquentaient 
la cour de l'empereur. Bientôt la lecture de la Bible fut en faveur ; 
Alcuin devint l'interprète souverain auquel étaient soumises 
toutes les difficultés que présentait la lecture des Livres sacrés. Il 
faut voir avec combien de satisfaction le savant Anglo-saxon, dans 
ses lettres à l'empereur, lui apprend que de puissants seigneurs du 
royaume, de hautes et nobles dames, et des guerriers môme ne 
dédaignaient pas de lui écrire pour lui demander le sens de tel ou 
tel passage difficile. Charlemagne s'applaudit de ce changement, 
et dans les différentes écoles qu'il fonda, il eut toujours soin de 
recommander aux maîtres de ne donner à copier aux enfants 
qu'un texte pur et nouvellement corrigé : ce qui prouve encore 
toute l'étendue qu'avaient prises les études bibliques, puisqu'elles 
étaient devenues la base de l'enseignement. )> Le Roux de Lincy, 
oiirr. eUé, p. cxi. 



50 PRESCRIPTIONS FAVORABLES DE CERTAINS CONCILES. 

vulgaire *. Ces ordonnances furent renouvelées, dani^ 
le concile de Mayence en 847, et dans celui d'Arles en 
851 . « Elles ne demeurèrent pas sans résultat, et tout 
porte à croire que les évêques s'empressèrent de s'y 
conformer *. » La traduction des textes à l'usage du 
culte hebdomadaire ne tarda pas à devenir le noyau 
des traductions plus considérables qui nous sont par- 
venues. M. le Roux de Lincy va jusqu'à assigner de 
semblables origines au texte publié par lui des Quatre 
livres des Rois ^. Bien donc que l'histoire documentée 
de Charlemagne ne le mette pas en rapport direct avec 
des traductions en langue vulgaire, « sa gloire n'en 
sera pas moins grande, dirons-nous avec M. Reuss, si 
l'esprit qu'il a pu éveiller dans l'un ou l'autre de ces 
séminaires a fini par produire les premiers essais d'une 
littérature nationale également vénérable par son anti- 
quité et par son caractère sacré *. » 

Louis le Débonnaire suivit son père dans la même 
voie. Il était si versé dans la science des Écritures, au 
dire d'un de ses biographes, qu'il en savait le sens 
littéral, le sens moral et l'analogique. Et l'attachement 
à la Bible passa de la famille des Carolingiens dans 
celle des Capétiens. L'un des fondateurs de cette der- 
nière dynastie, Robert le Pieux, mort en 1031, ne 



^ Gan. i7.... Ut easdem homUias quisque aperte transferre 
Btudeat in rusticam romanam linguam aut theotiscam que faci- 
lius cuncti passent intelligere quœ dicuntur, 

3 Le Roux de Lincy, ouvr. cité, p. vu 

3 Voir plus haut, 22, note 2. 

* Ed. Reuss, Rev. de Théol, et de Philos, chrét. Vol. Il, 1« 
livr. 



SOLLICITUDE TRADITIONNELLE DES DYNASTIES FRANÇAISES. 51 

faisait pas difficulté de dire, dans les conversations 
ordinaires, qu' « il aimerait mieux être privé de la 
couronne que de la lecture des Livres sacrés. » On 
connaît l'affection que saint Louis (1215-1270) leur 
avait vouée ; il les prenait avec lui dans ses expéditions 
guerrières * et les expliquait à ceux de ses officiers 
qui ne comprenaient pas le latin. Plus tard, l'usage des 
traductions en français prévalut à la cour ^. 

Enûn, dans les quatorzième et quinzième siècles, nous 
voyons^ les rois Jean le Bon; Charles V; Charles VI; Ma- 
delaine, princesse de Vienne, sa fille ; Anne de Bretagne; 
et Charles VIII7 prendre la Bible sous leur haut patro- 
nage, et le dernier de ces princes la faire imprimer 

4 On possède encore le volume môme dans lequel Louis IX, 
captif, cherchait des consolations. C'est un in -12, écrit avec une 
finesse et une uniformité vraiment remarquables et admirablement 
historié. Voir Mag, Pittor.,18S4, 

* On trouve, dans plusieurs ouvrages de piété des x!n« et xiv* 
siècles, une traduction française des Épîtres et des Évangiles qu'on 
récitait aux offices dans le courant de Tannée. Certaines de ces tra- 
ductions, faites par ordre des princes de la maison royale et à leur 
usage, portent le nom de leur auteur. Ainsi, à la fm d'un manus- 
crit de la Somme le Roy, ouvrage de morale religieuse composé 
par le frère Laurent, confesseur du roi Philippe le Hardi, en 1289, 
< sont les Épîtres et les Évangiles translatés de latin en français, 
suivant l'ordonnance du missel à l'usage de Paris. » De même, le 
manuscrit de la Bibliothèque royale, portant le numéro 7838, 
contient une traduction des Évangiles faite par ordre de la veuve 
de Philippe de Valois, ainsi que le prouve cette souscription : « Cy 
fenissent Epistres et Evangilles translatés de latin en françois, 
selonc l'usage de Paris. Et les translata frère Jehan de Bignay, à 
la requeste madame la royne de Bourgoigne, femme jadis Philippe 
de Valois, roys de France, ou temps qu'il vécut. Ce fut Tan de 
grâce mil cccxxxvi, ou moys de may, xxi« jour entrant. » — Le 
Roux de Lincy. Ouor, cUé, p. xx. 



52 BERGERS ET ROIS ENTOURANT UN BERCEAU. 

tout entière, en deux volumes, à Paris, vers Tan 4487. 

Cinquante ans plus tard, une princesse du sang fran- 
çais, arrière-petite-fille de Charles V, fille puînée du 
bon Louis XII, Renée de France, duchesse de Ferrare, 
devait patronner les débuts de la première Bible 
italienne qui se soit conformée aux exigences des origi- 
naux, celle de Bruccioli. 

Nous voici sortis des ténèbres du moyen âge. Avant 
d'y rentrer encore, suivons la clarté qui nous attire; 
allons au berceau de la Bible française réformée. De 
qui Dieu s'est-il servi pour proléger le long et dou- 
loureux enfantement de cette version nouvelle des 
saintes Écritures? Encore de l'égide d'un roi de France, 
François I®>^, et de sa sœur, la tendre Marguerite. Les 
plus « haultes dames et princesses du royaume, » 
Briçonnet, le comte de Montbrun, d'autres gentils- 
hommes de la cour, savants et grands seigneurs en- 
tourent le berceau, où accourent, d'autre part, de simples 
bergers, les Vaudois, descendus des montagnes où ils ont 
fait la garde pendant les longues veilles de la nuit des 
siècles. Ces pauvres Vaudois, à l'apparition de l'imprime- 
rie, n'avaient, hélas ! dans leurs âpres vallées, pour pu- 
blier la Bible, ni cette pléiade de savants que le roi de 
France entretenait à sa table, ni les établissements 
typographiques des Estienneou des Simon de Collines; 
mais, sitôt que la traduction du docte Lefèvre aura 
paru, ils consacreront cinq cents écus d'or de leur 
indigence pour la faire reproduire et, de l'humble vallon 
de Serrières, sortira une Bible sans égale parmi ses 
contemporaines, pour sa correction et son exactitude. 
La Bible de « l'humble et petit translateur R. Olivetan » 



OBSCURANTISME ROMAIN. 55 

laissera, loin derrière elle, celle qui lui a servi de base 
et cela, parla raison bien simple qu'elle se sera réso- 
lument affranchie des liens de la Vulgate latine, dans 
lesquels Lefèvre est demeuré timidement captif. 

Je dis timidement captif ; car ce n'est nullement par 
ignorance, mais par peur, qu'en plus d'un passage Le- 
fèvre donne une entorse au texte original; il veut ménager 
le texte latin. Ce texte était devenu une idole au sein 
de l'Église romaine, pendant que le grec et l'hébreu y 
étaient en fort mauvaise odeur*. Il y avait péril de mort 
pour quiconque aurait franchement donné gain de cause 
aux originaux. Lefèvre recula. Cependant la Bible ré- 
formée française aura ses martyrs, et, à leur tête, qui 
voyons-nous? des artisans, un cordonnier, Ghastellan; 
un cardeur de laine, Jean Leclerc. Peu d'années 
après, Louis, seigneur de Berquin, gentilhomme de la 
cour, commensal du roi et le a plus savant des nobles, » 



* On connaît le mot d'un dignitaire de TÉglise romaine, qui 
comparait le lexie de la Vulgate imprimé avec le grec et Thébreu 
en regard, à Jésus crucifié entre deux brigands. — « Le grec 
est la langue des hérésies ! » s'écriait le fougueux Noiil Beda, 
syndic de la Sorbonne — « L'hébreu mène à judaïser ! » repre- 
naient d'autres théologiens. . . La Sorbonne entama les hostilités en 
condamnant cette proposition : « que l'Écriture sainte ne saurait 
être bien comprise sans la connaissance du grec et de l'hébreu 
(avril 1550). » C'est-à-dire, qu'elle proclama infaillibles saint Jé- 
rôme et sa traduction latine de l'Écriture. En même temps, elle cita 
devant le parlement les professeurs royaux « pour leur être fait 
défense d'expliquer les Livres saints selon le grec et l'hébreu, sans 
la permission de l'Université. » IL Martin, Histoire de France, 
t. VIII, p. 444. Encore ici, Rome arrivait trop tard ; la science 
philologique du temps avait déjà été mise à contribution pour la 
publication d'une Bible en langue vulgaire. 

5 



54 ZÈLE ÉCLAIRÉ d'uNK MINORITÉ d'ECCLÊSIASTIOUES. 

sera brûlé vif; Marguerite de Navarre, pour avoir pris 
la défense du Livre qui avait converti Berquin, sera pu- 
bliquement menacée d'être enfermée dans un sac et jetée 
dans la Seine \ Mais les prêtres sont relativement peu 
nombreux parmi ces premières victimes. Plus d'un, sans 
doute, appartient au mouvement; mais que la persécu- 
tion menace, et tel d'entre eux se rétractera, comme 
Briçonnet, ou mitigera le témoignage qu'il devait rendre 
à la vérité, comme son grand-vicaire Lefèvre. De tout 
temps, deux courants contraires se rencontrent au sein 
de l'Église de France : l'un est celui des conciles d'Arles 
et de Tours ; l'autre, celui des conciles de Toulouse et 
de Béziers. Aucune contrée, peut-être, ne fournira un 
nombre aussi considérable d'ecclésiastiques savants et 
pieux, amis de la tolérance et des lumières, en même 
temps que fidèles gardiens des libertés nationales ; rare- 
ment toutefois, leur fidélité ira jusqu'au martyre; le 
courant contraire, l'ultramontanisme, finira par préva- 
loir. Pour un Lefèvre, combien de Bédier; et pour un 
Bossuet, que de Péréfixe ! 

Reconnaissons, néanmoins, dans le sujet qui nous 
occupe, l'importance des services rendus par ce clergé. 
C'est à l'immense labeur de l'un de ses membres que 



* « Des propos menaçants se tenaient aussi contre le roi. Un 
jacobin, dans une altercation avec Lefèvre et Farel, ne craignit 
pas de dire que, si le roi soutenait l hérésie, on prêcherait la croi- 
sade contre lui et on le chasserait de son royaume. » H. Martin, 
Histoire de France, t. Vlll, p. 150. — Autoriser et proti'ger la 
traduction de la Bible en langue vulgaire, comme l'avait fait Fran- 
çois l«', c'était, en quelque sorte, a ux yeux des moines, laisser mettre 
le feu aux poudres. De là ce paroxisme de démence et de fureur. 



TROIS PRÉTRKS TRADUCTEURS DES ÉCRITURES. 35 

l'Église réformée est redevable de la Bible qu'elle a le 
bonheur de posséder encore aujourd'hui. C'est au labeur 
également considérable du pieux janséniste de Saci, que 
l'Église catholique de France doi t la trad uction , non moins 
célèbre, qui a prévalu dans son sein. Ce furent égale- 
ment des prêtres qui traduisirent, complétèrent et cor- 
rigèrent, sous les auspices des rois de France, la Bible 
historiée de Guiars des Moulins, qui prépara les voies 
à Lefèvreetlui servit de point de départ \ Ce fut sous 
le couvert de la Bible de Guiars que la vraie Bible, plus 
ou moins proscrite de France par les bulles des papes 
et par les décrets de certains conciles, y reparut peu à 
peu, sans causer trop d'ombrage. Ce qui, au début, 
n'était aux yeux de Home qu'une compilation historique, 
incapable de lui nuire, devint, par les soins des rois 
de France, et grâce à des intercalations réitérées, une 
Bible complète à peu de chose près *. On vit ainsi se 
réahser, à l'égard de la propagation de la Bible, ce 
qui se passe dans le corps humain, où, lorsqu'on vient 
à y lier une artère, de nouveaux canaux s'ouvrent, par le 
moyen desquels le sang continue d'arroser les membres 
qu'il est destiné à vivifier et à nourrir. 

A la même époque que Pierre Valdo (entre 1170 et 
1180), paraissait, à Troyes-en-Champagne, une sorte 

* il serait exagéré de dire qu'elle lui servit de base. Toutefois 
nous avons trouvé des phrases identiques dans les deux traductions, 
et il est telles de ces phrases, qui reparaissent dans la Bible d'Oli- 
vt'tan. L'antique version de Guiars diîs Moulins et de Jean de Rely 
serait donc un des éléments constitutifs des nôtres. 

2 D'après les recherches de M. Reuss, le cinquième chapitre 
des Lamentations de Jérémie manque seul dans les Bibles impri- 
m»HîS avant Lefèvre et dans les Codex manuscrits les plus récent». 



56 . COMEStOR OU LE MANGEUR, Xl^ SIÈCLE. 

(l'Encyclopédie biblique en latin, renfermant, dans un 
récit suivi, les faits de l'Ancien et du Nouveau Testament, 
avec des sentences tirées des Pères de l'Église, et force 
excursions sur le domaine de l'histoire naturelle, de la 
cosmologie et de la métaphysique d'alors. Elle avait 
pour auteur un certain chanoine appelé Pierre et sur- 
nommé Comestor ou le Mangeur, à cause de sa prodi- 
gieuse mémoire*. D'abord prêtre de l'église cathédrale 
de Troyes-en-Champagne , puis, doyen de son chapitre, 
il acquit tant de réputation, par son savoir, qu'il fut 
appelé à Paris, en 1164. Il y enseigna la théologie, et 
revêtit la dignité de chancelier universitaire, jusqu'en 
1169. On le considérait comme l'un des premiers 
érudits de son époque; le cardinal de Saint-Chryso- 
gone le désigna au pape Alexandre III, qui lui demandait 
des candidats pour les hautes dignités ecclésiastiques. 
Ayant quitté l'enseignement pour se retirer dans 
l'abbaye de Saint-Victor, Pierre Comestor consacra ses 
dernières années à la composition de son grand ouvrage, 
Hisioria Scholastica, Il y réfute Platon, au sujet de la 
création du corps de l'homme; citeJosèphe, qui assure 
avoir vu, lui-même, la statue de sel de la femme de 
Loth; décrit le bœuf Apis, sur l'autorité de Pline le 
Naturaliste; raconte, à l'occasion de Samson et du 
Livre des Juges, la mort d'Hercule et l'enlèvement des 
Sabines, et se complaît à donner l'étymologie de chaque 
mot : celle du soleil, quare soins hicet; celle de la lune, 



< Quod scripturœ sacrœ auctoritates in sermonibus sœpiùs 
allegando quasi in ventrem memoriœ manducarit. L abbj Jean 
de Trillenheim. 



VOGUE DE SON LiVKS. 57 

quasi luminum una. Il semble vouloir faire rentrer dans 
son livre tous les travaux de l'esprit humain *. 

Pierre Gomestor mourut vers 11 78. On Tenterra dans 
la chapelle de Saint-Louis, où on lisait encore, dans le 
dernier siècle, son épilaphe composée, dit-on, par lui- 
même : 

Peints eram quem pclra iegit; dicUisque Co)ncsior^ 
Nunc œmedor. Vivus doctii, ncc cessa docere 
Morluus; ut diail qui me vidcl incineraiuni , 
« Quod sumus islefnU;erimm^ quandoqxie, quod hicesl.^ » 

L'ouvrage de Pierre Gomestor eut une grande vogue. 
11 se répandit rapidemeni, non-seulement en France, 
mais en Allemagne, en Italie et ailleurs; il devint la 
base de plusieurs travaux semblables, en différentes 
langues modernes. En un mot, le succès lut tel que 
Tauleur n'était plus appelé que le Maître, le Maître 
en histoires, c'était l'historien par excellence. Enfin, 
son livre fut de ceux qu'on imprima d'abord 
comme pouvant rapporter beaucoup d'argent. M. Reuss 
cite différentes éditions qui parurent en Allemagne , 
à Reutlingen , à Âugsbourg , à Strasbourg , à Bâle , 



• 11 ne restait pas entiôieaieut étranger à la polémique. Dans 
le chapitre iniitulé ; Etablissement du mariage, il ohserve que 
en ce, sont confondus aucuus bougres qui dient que conjonction 
de homme et de femme ne peut être faite sans péchié. Ce que 
son traducteur le. d par bougres (Bulgares, c'est-à-dire Ca- 
thares ou Albigeois), P. Comestor Tavaii exprimé par quidam 
keretici. 

2 Fabricius; Bibliotheca latina medii œvi T. l, n. 404. 



38 LES YSTOIRES ESCÛLATRES. 

à Haguenau, à Venise enfin, en 1728! 11 en men- 
tionne une, entre autres, dont il est possesseur, et qui 
paraît être sortie des presses d'un imprimeur de Cologne, 
avant l^TS. Brunet assigne la même date à une édition 
du même livre, publiée à Utrecht, Historia scholastica 
super Noviim Testamentum cum additionibus atque inci" 
deniiis, pcr Magisiros Nycolaum Ketelaer et Ghirardum 
de Leernpt, On le réimprima plusieurs fois encore à Paris 
et à Lyon. Une tomba dans l'oubli qu'à l'apparition des 
Bibles complètes et sans commentaires; alors, on vit 
son éclat pâlir, comme l'étoile du matin au lever de 
l'aurore. 

Guiars des Moulins naquit une soixantaine d'années 
après la mort de P. Comestor. Il fut lui aussi, cha- 
noine, non point en Champagne, mais en Artois '. 
Sa traduction française de la Biblia scholastica eut 
des destinées semblables à celles de Touvrage qui lui 
servit de modèle; elles furent longtemps brillantes. 
Patronné, à ses débuts, parles souverains de la France^ 
ce livre acquit, dès la lin du xiii^ siècle, un crédit sans 
égal. On l'appelait la Bible hystoriaus ou les Ystoires 
escolastres ; c'est-à-dire, sans doute, les histoires desti- 
nées aux écoles ou les histoires de tradition dans 
l'École. « On peut placer ce Hvre, dit M. Berger de 
Xivrey, parmi ceux qui ont obtenu le plus de succès, 
puisqu'il fut la lecture de tout le monde en France, 
pendant quatre siècles, soit dans l'original, soit dans 
la traduction ^ » On s'en servait à Genève, lorsque les 

< Remarquons en passant, que la Champagne comme rArtois 
devinrent des foyers de protestantisme à ravénement de la Réforme. 
2 Etude sur le texte et le style, etc , p. 52. 



LE CHANOINE DE SAINT-PIERRE d'AIRE, AU Xm« SIÈCLE. 39 

Réformateurs y arrivèrent, et la bibliothèque de cette 
ville en conserve encore trois exemplaires. Le codex A, 
en particulier, très-nettement écrit sur un beau vélin, 
mérite d'être examiné. Ce sont deux volumes portant 
les armoiries de la famille Pelau, et élégamment ornés 
de festons et de vignettes aux vives couleurs. Mais je 
passe, en renvoyant pour plus de détails, au Catalogue 
raisonné des manuscrits de la Bibliothèque de Genève, 
que l'on doit à Senebier. Ce qu'il nous tarde de con- 
naître, c'est le traducteur Guiars des Moulins, et le but 
qu'il se proposait en faisant passer du latin dans le 
français le grand ouvrage de Comestor. 

Guiars des Moulins était chanoine de Saint-Pierre- 
d'Aire en Artois, sur les confins de la Flandre •. 
Son œuvre date du règne de Philippe le Bel. Comme sa 
préface nous a été conservée, le mieux sera de le 
laisser parler lui-même. 

€ Pour ce que (attendu que) le deable qui, chascun 
jour, empesche, destourbe et enordist (souille) les cuers 
des hommes par oiseuse (oisiveté) et par mille las qu'il 
a tendus pour nous prendre, ... ne cesse de guetter 
comment il nous puisse mener apechié, pour nos âmes 
traire (entraîner) en son puant enfer avecques lui, est 
il mestier (il est de notre devoir) à nous clercs et prebstres 
de saincte église, qui devons estre lumière du monde, 
que nous, après nos heures et nos oraisons, entendons 



* La ville d'Aire fait niaiiiteuant partie du Pas-de-Calai>i. CVsl 
une place forte de qualriciiie clabse. 



•40 POURQUOI IL A TRANSLATÉ. 

à aucune (nous exercions à quelque) bonne ouvre 
faire... Si devons, sur toute rien (chose), fuir oiseuse 
(oisiveté), et entendre tousjours à faire aucune bonne 
œuvre qui a Dieu plaise, et au deable soit contraire et 
ennuyeuse... sy, ie, qui sui prebstres et chanoines de 
Saint-Pierre de Tévesché de Térouenne ^, et Guiars 
des Moulins sui apelé, premièrement à la louange de 
Dieu, de la Vierge Marie et de tous sains; et après, 
au proufBt de tous ceulx qui ceste ouvre verront, et 
à la requeste de ung mien especial amy, qui moult 
(beaucoup) désire le proufiit de mon ame, tranrJatay 
(j'ai traduit) les livres historiaulx de la Bible de lalin 
en romans, en la manière que le Maistre en iraicte en 
Histoires les escolastres... Si prie à tous ceulx qui ces 
translations lirront que, s'il y a aucune (quelque) chose 
à reprendre en lordonnance du romans, qu'ils me aient 
pour excusé; car sur l'ame de moy, ie n'y ai riens 
mis, ne adjousté, fors (hors) pure vérité; si, comme 
l'ay trouvé au latin de la Bible et des Histoires esco- 
latres; et qui les vouldroit regarder, l'on y pourroit 
certainement trouver la pure vérité de toutes les trans- 
lations, comment ie les ay extrais du latin, mot à mot, 
ains comme je le racompte. Si rens grâces à Dieu de 



* Thérouane, Taruenna, ville du département du Pas-de- 
Calais, sur la Lys, ancien comté et évêché, 800 h. — De cette petite 
ville de Thérouane, sortit, au xvi* siècle, un jeune clerc, Tun des 
premiers martyrs de la Réforme. Saisi en 1525, comme héré- 
tique, mis au pain et à Teau, il évangélisait les moines qui en- 
traient dans son cachot. Au bout de sept ans, voyant qu'il ne gué- 
rissait pas de sa « folie, » on le brûla en Grève à Paris. ■— Hist, de 
la Réforme en Europe, au temps de Calvin, par J. H. Merle d'Au- 
higné. T. !, p. 508. 



LE PROUFFIT DE SON ÂME ET DE LAYES PERSONNES. Ai 

l'espace de vie et de la sancté et de tant de sens qu'il 
m'a preste, tant que ie ay si grant ouvre et si sainrte 
parfaicte et acomplie. Et prie à tous ceulx qui Tor- 
ront * (l'enlendronl), qu'ils veuillent à Dieu prier pour 
moi et pour celuy pour l'amour de qui ie l'empris. 
Qu'il nous veuille tenir en son service et, après notre 
mort, nous doint (donne) règnes avecq ses sainclz en 
paradis, cil (celui) qui vit, règne et régnera sans fin 
par les siècles des siècles! Amen. » 

Suivent certaines données et certains chiffres, par 
lesquels il établit qu'il a commencé son travail à l'âge 
de quarante ans, le 6 juin 1286, jour anniversaire de 
sa naissance; qu'il l'a terminé le 9 février 1289, et 
que, huit ans après, il était élu doyen de son cha- 
pitre. 

Dans une note supplémentaire, Guiars nous informe 
indirectement des motifs qui l'ont déterminé à entre- 
prendre son travail. « C'est, dit-il, en s'adressant au 
sien espécial ami qui moult désire le prouffit de son 
ame; c'est à la très-grande instance de vos prières pour 
faire layes personnes entendre les histoires des Escrip- 
tures anciennes... Si prie à tous clercs entendant Es- 
criptures, qui cest ouvrage lirront, que s'ils y treuvent 
à corriger, que la lime de leur sens y veuille limer 
mon rude engin et corriger. » 

Occuper les clercs à t saincte étude, au sortir des 
offices », et fournir aux laïcs « pâture spirituelle », tel 



' Encore un indice d'une lecture publique de la Bible dans 
les églises au moyen âge. 



42 EN PROGRÈS SUR COMESTOR. 

élait donc le dessein du pieux et charitable Guiars. Ce 
qui est moins clair, c'est la méthode qu'il dit avoir 
suivie. On pourrait croire, en lisant sa modeste pré- 
face, qu'il s'est borné à traduire Gomestor; mais le fait 
est qu'il ajoute çà et là quelques notes de sou crû % 
et qu'en outre, il a fait subir à son auteur une double 
et importante transformation. D'abord, « fidèle à son 
point de vue de travailler pour les laïques, il néglige 
souvent le savoir philosophique et philologique complai- 
sammenl élalé par le doyen d(3 Troyes... Ce n'est pas 
qu'il s'en défie; au contraire, il est en admiration de- 
vant son illustre devancier; mais il n'est pas mestier 
(besoin) de tout translater *. » En second lieu, il aban- 
donne çà et là le texle qu'il traduit, pour « poursuivre 
la matière gelon la Bible ; » c'est-à-dire, qu'il remplace 
souvent avec avantage les élucubralions du Maistre en 
Histoires par une traduction pure et simple du texte 
des Écritures. De plus, il fait entrer dans le corps de 
l'œuvre les Paraboles de Salornon, c'est-à-dire les Pro- 
verbes, et un abrégé historique du livre de Job, Ces 
livres étaient tout spécialement appréciés à cette époque; 
les Psaumes l'étaient davantage encore. Guiars des 
Moulins les laissa de côté, parce que des traductions 



* A propos de la cr^^a'ion, par exemple, il admet Thypothèse 
d'une création d'animaux malfaisants après la chute. « De ces 
petites bestes, dist-on, que cheles qui naissent sans corruption , 
si ( omme celés qui naissent des fumées, furent adonl faites ; et 
celés qui naissent de corruption furent nées après le pechiet de 
Thomme, des coses corumpues. » — Le Roux de Lincy. Ouvr, cité* 
Introd., p. XXXIX. 

2 Rev. de Théol. Janv. 1857, p. 57. Art. de M. Ed. Reuss. 



CONTINUATEURS DE GUIARS. 45 

antérieures les avaient suffisamment fait connaître et 
répandus. 

L'on trouve bien une traduction des Psaumes dans 
les exemplaires de la Bible de Guiars des Moulins qui 
nous sont parvenus; mais ils sont d'inserlion relative- 
ment récente. Il en est de même des Prophètes et des 
Épîtres, qui ne devinrent parties intégrâmes de Touvragc 
que par voie d'additions successives. L'esprit de Guiars 
des Moulins s'était transmis à de nombreux continua- 
teurs, qui donnèrent del'exlension à son œuvre, comme 
il en avait lui-même donné à celle de Pierre Coraestor. 
On cite Jehan de Sy (1350), Jehan Vaudetar (1372), Raoul 
de Presles et Oresme (4377) ', P. Arrenchel (1474), 
Guillaume Le Menand (1484), et enfin, Jean de Rely (1487), 
comme l'ayant tour à tour ou révisée, vu les change- 
ments nombreux de la langue à cette époque, ou com- 
plétée. On finit par substituer, dans plusieurs exem- 
plaires, une version complète des quatre Évangiles à 
V Harmonie composée par P. Comestor. 

Quelle est dans ces modifications successives la part 
assignable à chacun des réviseurs que nous venons d'énu- 
mérer? — C'est ce qui n'a point encore été déterminé. — 
On ne sait pas seulement si les continuateurs de Guiars 
traduisirent les livres nouveaux qu'ils firent passer dans 
la Bible historiée, ou s'ils se bornèrent à copier des 
traductions antérieures, peut-être à Guiars lui-même ^, 

I li va être parié plus au long de Kaoul de Prestes. Oresme 
avait été précepteur de Cliuiles V ; il fui aussi Maître du Co lége 
de Navarre et évèque de Lisieux. Caeii était sa ville natale. 

•^ Ayant comparé, par exemple, le Codex w "1 de la Bible 
historiée de Genève avec les éclianlilloiis du Ms. 7268 2 â de la 



44 RAOUL DE PRESLES ATTAQUE LE POUVOIR TEMPOREL. 

« Celle queslion, dit M. Reuss, est très-imporlanle *; 
elle formerait même le chapitre de beaucoup le plus 
curieux de cette histoire... Mais l'ignorance à cet égard 
est générale *. » 

Cependant, M. le Roux de Lincy croit pouvoir indi- 
quer le traducteur des discours de Job et du texte com- 
plet des quatre Évangiles que Ton rencontre dans cer- 
tains exemplaires des Bibles de cette époque. Ce Daduc- 
leur, suivant lui, serait un laïque, Raoul de Presles, 
avocat célèbre du Parlement de Paris, au xiv^ siècle, 
promu par le roi Charles V à la dignilé de Maître des 
requêtes. Un traité qu'il écrivit en latin contre le pou- 
voir temporel des papes, plut tellement au roi, qu'il eut 
l'ordre de le traduireenfrancais.il traduisit, également 
par le commandement du roi, les livres de la Cité de 
DieUy imprimés à Abbeville en 1486, le livre qui s'ap- 
pelle le Compendieur moral de la chose publique^ et celui 
qui s'appelle la Muse, Enfin, il reçut mission de re- 
prendre en sous-œuvre la Bible alors en usage de Guiars 
des Moulins. Raoul de Presles hésita longtemps avant 
d'accepter : il considérait la grandeur de l'œuvre, son 
âge avancé et « l'adverse fortune de sa maladie. » Mais, 



Bibliothèque impériale, fournis par M. Berger de Xivrey (p. 58, ss. de 
son Étude), j'ai constaté un texte identique, à des minuties près. Or, 
M. B. de Xivrey fait remonter le texte du Ms. 7268 2. 2 au xii« siècle; 
c'est-à-dire, un siècle environ avant Guiars et, d'accord avec 
M. Paulin Paris, lui attribue une origine vaudoise. 

< Le P. Lelong la posait, il y a cent cinquante ans déjà... 
Colligere licet hanc versionem fuisse a plurimis viris aut muta 
tfim aut recognitam; sid a quitus et quo tempore definire quis 
poterit ? — Bibi. sacr., c. v. 

2 Rev. de ThéoL, xiv, 80. 



la'oue traduisant la sainte ÉCniTlTRE. 45 

tandis qu'il « déballait cette question en lui-même, » 
il se « recorda avoir lu en un livre, que nature humaine 
est comme le fer qui s'use si Ton s'en sert ; mais qui se 
rouille et se gale quand on le laisse gésir. » Il aima 
donc mieux « user soy en exercitant, que soy consumer 
en ociosité, » c'est-à-dire, dans l'inaction. Quand il fut 
venu à chef de son entreprise, il écrivit une dédicace 
au roi, dont voici les premières lignes : 

« A vous, très-excellent et très-puissant prince, 
Charles le Quint, roi de France, je, Raoul de Praelle, 
voslre pelit serviteur et subject, tout ce que je puis faire. 
Mon très-souverain et très-redoublé seigneur, quand 
vous me commandastes à translater la Bible en francoys, 
je mis en délibération lequel esloit le plus fort à moi 
du faire ou du laissier refuser; car je considéroie la 
grandeur de l'euvre et mon pelit engin d'une part ; et, 
de l'autre, je considéroie qu'il n'estoit rien que je vous 
peusse ne deusse refuser. Je considéroie derechief... » 

Suivent les raisons menlionnées plus haut ; puis, 
enlre autres détails, la mention d'argumenls et de som- 
maires au commencement des livres et des chapitres. 
€ ... Pour ce que ainsi le m'avez-vous commandé., afin 
de comprendre plus legiérement ce que le text veut 
dire; car, sans declaracions aucunes, le texte est moult 
(trcs)oscur, en plusieurs lieux; espéciaument, aux gens 
lais qui n'ont point estudié en la sainte Escripture... » 

Et puis, en bon laïque, Raoul de Presles s'excuse 
d'avoir osé remplir les fonctions saintes et sacrées de 



46 CHARLES V PROPAGATEUR DE LA BIBLE DANS SKS ÉTATS. 

translateur du livre de Dieu. Il rejette toute responsa- 
bilité sur le roi... «et ne tienne nul à arrogance ce que 
je l'ai entrepris; car vostre commandement m'en excu- 
sera en tout et par tout. Après, je supplie à tous ceulx 
qui verront ceste euvre, que s'il y a auculnes choses 
qui ne soit à point mise, et à son droit, qu'ils veuillent 
supporter mes deffaultes ; et ce qu'ils y trouveront de 
bon, ils le veuillent attribuer à nostre Seigneur, duquel 
tout bien vient. » 

On fixe la date de cette dédicace à l'année 4377. 
Charles V mourut en 1380. Mais, avant de s'adresser à 
Raoul de Presles pour obtenir la révision plus exacte 
dont nous venons de paiier, il s'était procuré quantité 
d'exemplaires des saintes Écritures, telles qu'on les pos- 
sédait alors ; « c'est à savoir le texte, pour parler avec 
Christine de Pisan, son biographe ; et puis, le texte 
et les gloses ensemble; et puis, d'une autre manière, 
allégorisée*. » 

Ce n'était pas seulement pour son édification privée 
que Charles le Sage faisait exécuter ces copies. Dans son 
traité sur V Origine et les progrès de la monarchie fran- 
çaise, le célèbre jurisconsulte Dumoulin affirme (p. 133) 
qu'elles étaient en différents dialectes, « afin que, dans 
toutes les provinces du royaume, chacun pût profiter de 
ces saints écrils. » Ce témoignage est confirmé par Fran- 
çois Hotman dans son ouvrage intitulé Franco-Gallia. 

On sait, dit Sennebier, que le roi avait fait présent de 



* Histoire de Charles V, par Christine de Piî^an. lll« partie, 
chap. xîî. 



LFGS SACRÉS TRANSMIS A SER SUCCESSEIÎRS. il 

plusieurs exemplaires de la version de la Bible en fran- 
çais à divers seigneurs et dames de sa cour. L'évêque 
du Tillet pense qu'en répandant ces traductions, 
Charles V voulait les opposer à celles desVaudois qu'on 
croyait falsifiées. Dans sa Chronique abrégée des rois de 
France, il s'exprime ainsi : 9 Le dit roi, Charles le Quint, 
était grand amateur des lettres et hommes lettrés. 
Durant son règne, il commanda, très-soigneux des 
choses ecclésiastiques et des saintes lettres, que la Bible 
fust traduite diligemment et selon la vérité ; car les Vau- 
dois et autres la tournaient selon leur appétit. » 

Mais,, d'après Chrisline de Pisan, c'était l'avenir de 
sa dynastie qu'il avait particulièrement en vue; car, 
c nonobstant que bien entendist le latin, ot que jà ne 
fust besoing qu'on lui exposast (interprclàt) ; de si grant 
providence fu, pour la grant amour qu'il avoit à ses suc- 
cesseurs, que, au temps à venir, les volt pourvoir d'en- 
seignemens et sciences introduisibles à toutes vertus; 
dont, pour celle cause fisl, par solennelz maistres souffi- 
sans en toutes les sciences et arts, translater de latin en 
françois tous les plus notables livres : si la Bible, etc.*. » 

Les rois de France conservèrent longtemps, dans leur 
bibliothèque particulière, plusieurs des volumes que 
leur avait légués leur vénérable aïeul, Charles V. L'un 



* Ouvrage cité. !b. — La Bibliolhrque inip.'riale, fondre par 
Charles V, atttMgnit sou.^ son rogne le chiffre de neuf cent dix 
volumes. Elle occupait les trois étages d'une tour du Louvre, appe- 
lée Tour de la librairie. — Magas. ptWor., ireannce.— Cotte tour 
«»lail appele^e aussi la Tour favorite. 



48 LECTURE QUOTIDIENNE, TÊTE NUE ET A GENOUX. 

de ces volumes était un petit in-4*», remontant à 1360, 
d'une belle écriture et orné de miniatures rehaussées 
d'oV et de vermillon. « Après l'Apocalypse, dit le P. Le- 
long, sur le dernier feuillet, on lit les notes suivantes : 

€ Geste Bible est à nos, Charles V™e de nostre nom, 
roy de France ; et est en deux volumes, et la i'eismes 
faire et par faire. Charles. 

« Ceste Bible est au duc de Berry, et fut au roy 
Charles, son frère. Jehan. 

« Ceste Bible est à nous, Henry III de ce nom^ roy de 
France et de Pologne. Henry. 

« Cette Bible est à nous. Louis Xlll. 

(( Cette Bible est à nous. Louis XIV. » 

Elle fut reliée sous Henri IV. On lit au dos, en carac- 
tères d'or : 

//. ////. Patris patriœ, virttitum restitutoris. 

Plusieurs catalogues anciens en font mention. L'/w- 
ventaire des joyaux de la Reine du mois de janvier 1379 
la désigne ainsi : « Une grant Bible en deux volume 
que le roy Charles portait toujours avec lui. » 

Au temps de l'abbé Peluche, la bibliothèque des 
B. P. Célestins de Paris renfermait l'exemplaire même 
dans lequel « ce prince, aussi pieux que savant dans 
l'art de régner, faisait tous les jours sa lecture, tête 
nue et à genoux. Ce beau trait s'y trouve attesté sous 
la couverture du livre, par l'illustre Maizière, un de 



tA ROYNE VERITE. -49 

ses principaux officiers, el qui avait part à sa familiarilé 
la plus intime. C'est le contraire de ce qui est arrivé à 
bien des héros; ils n'ont point eu de plus J2^rands enne- 
mis de leur gloire que leurs valets de chambre \ » 

Philippe de Maizière, qui survécut vingt-cinq ans 
au Roi, son maître et son ami, était allé vivre chez les 
Célestins; on comprend qu'il ait tenu à emporter 
dans sa retraite un livre qui lui rappelait de si chers et 
si nobles souvenirs. On a de lui, outre plusieurs écrits 
de piété, un curieux ouvrage intitulé le Songe du vieil 
Pèlerin, demeuré manuscrit. C'est un recueil de con- 
seils adressés au jeune roi Charles VI, deux ans après 
qu'il eut perdu son père, et un exemple, dit Senebier, 
de la liberté respectueuse avec laquelle un homme droit 
peut et doil dire la vérité aux princes. Le troisième 
Uvre fait parler la « royne Vérité, » qui instruit Charles Vf, 
le prémunit contre la llatterie, et lui fait envisager les 
devoirs des rois comme étant ceux de pères de la patrie 
et des malheureux. Elle appuie ses exhortations par des 
exemples, et l'engage à étudier l'histoire; elle ajoute: 
(t En la Bible , tu trouveras souveraine prouesse et 
vaillance véritable et approuvée.... Et si te conseilles, 
beau fils, que communément tu le liesnes à elle, en 
suivant la doctrine de ton bon père Charles V. . . qui, 
chacun an, la lisait toute en personne ^. » 



• Spectacle de la nature, t. Vill^ p. 12I2. — Les derniers mo- 
ments de r.liarles V furent consacrés à la lecture du récit de la 
Passion de Notre-Seigneur. — Voir F. -T. de Choisy, Histoire de 
Charles V, 

2 J. Senebier. Catalogue des Manuscrits de la Bibliothèque 
de Genève, 

4 



«*)0 Les quatre Fit.s où noi jean. 

Cet aUachement et ce respect que le pieux roi Charles, 
surnommé le Sage, portait aux saints Livres, était un 
héritage de son père Jean le Bon, que ses trois frères 
puînés se partagèrent avec lui. Le premier, Louis, duc 
d'Orléans, fit continuer la traduction que Jean de Sy 
avait commencée pour le roi Jean ; le dernier, Philippe 
le Hardy, duc de Bourgogne, quatrième fils de Jean le 
Bon, paya six cents écus d*or une Bible écrite en fran- 
çais, ainsi que le portent les registres de la Chambre 
des comptes de Dijon. 

Enfin, le deuxième, Jean, duc de Berry, ne laissa 
pas moins de cinq exemplaires de la Bible en langue 
vulgaire. Ils sont cotés dans le catalogue de ses livres 
au prix de deux cent cinquante, trois cents, et quatre 
cents livres tournois, à une époque où l'argent valait 
vingt fois plus qu'aujourd'hui. 

De la famille royale, le goût pour les saints écrits 
passa chez les grands seigneurs, qu il disposait d'avance 
pour la Réforme. « On trouve dans la Bibliothèque du 
Roy, dit le père Simon, un exemplaire de cette même 
version (de Guiars des Moulins), qui était à Charles de 
Gonzague et de Clèves, duc de Nevers et de Retelois. J'en 
pourrais marquer beaucoup d'autres que j'y ai vus, et qui 
sont autant de preuves que les personnes les plus qua- 
lifiées lisaient autrefois la Bible en françois *. » 

Avant de quitter l'histoire des Bibles manuscrites en 
langue française, disons encore que leur bienfaisante 
influence s'étendit jusqu'en Angleterre. Elles furent 
comme une arme entre les mains du duc de Lancastre, 

• lîisi. ait. des Versions du Kovv. Te t., p. 320. 



it^FLUENCK DES BIBLF.S F «ANC AISES KN ANfiLETERIlE. 51 

pour comballre le bill qui, en 1390, proposait au par- 
lement anglais de supprimer la Bible de Wiclef. « Nous 
ne voulons pas, dit-il, devenir Técume des nations 
(littéralement la lie, dregs): car nous voyons d'autres 
peuples posséder la loi de Dieu dans leur propre lan- 
gue '. » 

• Introd. de Home, t. V, p. 82. Nouvipmft ♦fdition. 



CHAPITRE m. 



Impression de la Bible gloséd* 



Qui n'est pas contre nous est pour nous. Luc, ix, 50. 
Qui n'est pas avec moi est contremoi. Luc, xi. 23. 



L'œuvre de P. Comeslor, composée à la fin du xn^ siè- 
cle, traduite avec de profondes modifications à la fin 
du xiir, complétée dans le xive, fut retouchée, quant 
au langage, et imprimée dès la fin du xv^, par la vo- 
lonté de Charles VIII, dit l'Affable, et par les soins de 
Jean de Rely, confesseur du roi, professeur à la Sor- 
bonne, archidiacre de Notre-Dame et. plus tard, évéque 
d'Angers ^ C'est la première Bible complète, imprimée 
en français, que l'on connaisse. La Bibliothèque impé- 



< On possède du même évêque un écrit inlilulé : Remontrances 
(aides au roy Loys unzième sur les privilèges de V Eglise galli- 
cane et les plainctifs et dcléances des peuples. Au xiv** siècle dtjî, 
nous avons rencontré un zélé catholique gallican parmi les conti- 
nuateurs de Guiars. CY'tait l'avocat Raoul de Preslos, auteur du 
Traité contre le pouvoir temporel des papes. 



JBHAN DE RKI.Y. 55 

riale et celle de TArsenal, à Paris, en renferment cha- 
cune un exemplaire. Au folio 353 verso, ,on lit ces 
mots : Cy finist le premier volume de la Bible historiée. 
Imprimé à Paris pour Anihoyne Verard libraire^ ete- 
mourant à Paris sur le pont Nostre-Dame, à lymage 
Saint-Jelvan-V Evangèlisie , ou au Palais^ au premier 
piUiei% devant la chappelle où len chante la messe de 
Mcsseigneurs les Présidents, Comme beaucoup d'aulres 
incunables, elle ne porte pas de date; mais on peut 
s'en rapporter à cet égard au témoignage d'un savant, 
qui avait connu Jean de Rely, et qui lui avait même 
déJié un de ses ouvrages \ Jacques Lefévre d'Ela- 
ples. Publiant, en 15:23, une traduction nouvelle des 
Épîtres de Paul, Lefèvre parle en ces termes de l'œuvre 
de son devancier : 

€ Ce n'est donc point merveille, si ceux qui 

sont touchés et attirés de Dieu désirent la vraie et 
vivifiante doctrine, qui n'est qu'en la sainte Écriture. 
Auquel désir, passés trente-six ans ou environ, fut in- 
cité le très-noble roi Charles, huitiesrae de ce nom, à 
la requeste duquel la saincte Bible fut entièrement mise 
en langue vulgaire; afin que, aucunefois, il en pût avoir 
pâture spirituelle, et pareillement, ceux qui étoient sous 
son royaume ; coopérant à son sainct et fructueux dé- 
sir, ung savant docteur en théologie, son confesseur^ 
qui avait nom Jehan de Rely, constitué en dignité épis- 
copale, grant annonciateur de la parole de Dieu. El 
depuis, derechief, par plusieurs fois, comme encore à 



I Artificialis introductio moralis in X libres Ethicorum 
Amtotelis, Paris, 1496, in-fol., rëimp plusieurs fois. 



ci première: BIBLB IMPRIMÉ! . 

présent, est et se peut trouver, de jour en jour, aux 
boutiques de libraires. . . » 

La Bible de Jean de Rely aurait donc paru vers 1487 *. 
Elle aurait suivi d'un an la dixième bulle papale contre 
la traduction de la Bible en langue vulgaire, et coïn- 
cidé exactement avec une autre bulle du mémo Inno- 
cent VIII, ordonnant qu'on courût sus aux Vaudois des 
Alpes, pour les écraser « comme des serpents veni- 
meux. » Qui sait si la nouvelle de l'impression de la 
Bible en français n'apporta pas quelque baume sur les 
blessures aft'reuses que le légal du pape fil alors à ces 
humbles martyrs du saint Livre? 

Lallouette et Richard Simon mentionnent, en outre, 
un Psautier ^ imprimé à la même époque et aussi, 
par le a vouloir et commandement it de Charles VIII, 
chez Pierre le Rouge, libraire du roi. Dans l'Épître 
dédicaloire placée en tête du volume, le traducteur 
anonyme s'exprime comme suit : 

« Considérant que, dès la voslre première enlance, 
comme plein de bonne doctrine et abbrevé du fleuve 



< Barbier, dans son Dictionnaire des ouvrages anonymes , a 
maintenu cette date appioxiniative, qu'a violemment contestée Fau- 
teur do la Chasse aux Bibliographes. Paris, i789. Les raisr^ns de 
ce dernier ne nous ont pas semblJ p/remptoircs. 

2 De tous les livres de la Bible, le Psautier fut Tun des pre- 
miers, sinon le premier traduit, et Tun des plus fréquemment im- 
prim 's. Pendant les xvi*et xvu'* siècles, plus de vingt traducteurs, 
dans la France catholique seulement, s'appliquèrent à le faire 
passer en français. -— Les Livres sapienliaux, en général, jouirent 
d un grand crédit. Ils furent imprimés avant tous les autres livres 
de l'Ancien Testament et, en 1481 dijà, in-4». Ce volume existe dai«s 
la bibliothèque de l'Arsenal, à Paris ( ThéoL p. 47! ). 



LNFANCE DE LA CfllTQOtS. 55 

de sapience, avez aimé et, sur toute rien (chose), par- 
lailemcnt désiré venir à la connaissance des choses, à 
voir livres histoires et nobles laits; mesmement encore, 
dont trop plus estes à louer, les difficultés et nobles 
thrisors de la sainte Écriture, comme dévot imitateur 
de vos ayeuls et ancestres, les glorieux et saints roys 
de France, Monseigneur saint Charles et saint Louis 
qui, par feiTenl désir, ont aimé recueillir^ des jardins 
de rÉcriture sainte, les fleurs délicieuses et bons mots, 
pour en faire Septre de perpétuelle mémoire et Dia- 
dème de perfection, etc. » 

Cette traduction est remarquable en ce qu'elle aborde 
les difficultés de la critique. Il s'agit, par exemple, de 
savoir si Monseigneur S. Augustin a eu raison d'avan- 
cer que tous les psaumes sont de David. L'exégéle 
français penche pour l'opinion contraire; estime, quant 
au premier psaume en particulier, qu'il a été composé, 
« par manière de prologue , pour le présent livre , » 
par le prophète Esdras et cite, comme autorité, le 
franciscain de Lyra, juif converti du xiv^ siècle '. 

L'ordre émané de Charles VIII, d'imprimer celte édi- 
tion des Psaumes et la susdite Bible de Jean de Rely, fait 
d'autant plus d'honneur à ce prince^ qu'il date des pre- 
mières années de son règne. 11 dut môme le donner, pour 
ainsi dire, en montant sur le trône; puisque la Bible 
de 1487 parut, le roi n'ayant encore que dix-sept ans. 

Cependant, ilavait été donné à un simple particulier 



< Les Postules do INicolas de Lyra furent fréqueuimenl im- 
primées au XVI* sièele. On counait le mot de Julius de Plug : Nisi 
Lfjra lyrasset, Lutherus non saltasset. 



o6 VALDÈS IMITÉ DANS SA VIU.E NATALE. 

de devancer les rois eux-mêmes dans l'œuvre sainte de la 
publicalion des écrits bibliques, et à une ville de pro- 
vince, d'avoir le pas, à cet égard, sur la capitale. La 
première Bible complète, imprimée, fut bien celle que 
nous avons indiquée; mais ce fut Lyon, la cité prima- 
tiale des Gaules, qui n'a cessé d'être, depuis les jours 
d'Irénée et de Pothin, le foyer le plus intense de la 
vie religieuse en France ; Lyon, la ville natale de Pierre 
Valdès, qui, dix ans avant que parût la Bible de Char- 
les VIII, donna le jour à la première traduction impri- 
mée du Nouveau Testament, en français. 

Ce Nouveau Testament, dont on ne connaît qu'un 
fort petit nombre d'exemplaires, appartient aux plus 
anciens monuments de l'art typographique en France *. 
11 était sorti des presses de Barthélémy Buyer, riche 
citoyen de Lyon, qui imprimait lui-même ses livres ^. 
Nouveau Valdès, Barthélémy Buyer, désireux de publier 
rÉcriture sainte en langue vulgaire, s'adressa, lui aussi, 
à deux religieux, Fr. Julian Macho et le docteur Pierre 



« L'imprimerie, un lésait, n'avait été introduite, à Paris nit«ie, 
que vers 1470. 

2 Un riche citoyen, BarthJleuiy Buyer, fit imprimer le pre- 
mier (par G. Régis), dans sa maison située sur le quai de Saône, 
le Compendium du cardinal Lolhaire, depuis Innocent III (U75). 
Des presses du savant Buyer sortirent d'autres ouvrages. Entre 
plusieurs, la Légende dorée, U76; le Nouveau Testament, édition 
à deux colonnes, et le Mirovér de la vie humaine (1477), traduit 
du latin par Tévêque Zamora. — L'Eglise de Lyon, par Clément 
de Faye, pasteur. — Daprès les recherches de M. Aug. Bernard, 
Barthélémy Buy Br était issu d'une famille consulaire. Il n'aurait 
pas imprimé d uses propres mair.s; mais un certain Guillaume le 
Roy travaillait sous ses auspices. Voir De l'origine et des débuts 
de l'Imprimerie en Euiope, i H, p. 543. 



LYON SUR LB ROSNE. 57 

Fargel, de TOrdre de Saint-Augustin. Ceux-ci se bor- 
nèrent à lui fournir le texte légèrement modifié des 
plus récents manuscrits de la Bible dite de Guiars. 

L'exemplaire visité par M. Reuss à la bibliothèque 
du Sénat, à Leipsig, est un petit in-folio imprimé en 
caractères gothiques, sur deux colonnes. Les titres 
frontispices étant d'invention plus récente, Touvrage 
n'en porte point. Les vingt premiers feuillets sont con- 
sacrés à une table des matières, qui se termine par ces 
mots : « Cy finist la table du Nouveau Testament; en- 
semble, la déclaracion d'icelluy, faicte et composée par 
vénérable personne^ frère Jullian, docteur en théologie, 
de Tordre de Saint- Augustin, demeurant au couvent de 
Lyon sur le Rosne. Deo Graicias. » Le P. Lclong parle, 
d'après Saint-Lambert et Cruciman, d'une Bible com- 
plète de Guiars des Moulins, révisée par Guillaume Le 
Menand, et imprimée à Lyon quelques années seule- 
ment après le Nouveau Testament de Buyer, vers 1484, 
ou même vers 1478, par' ordre de Louis XI; mais il ne 
cite aucune bibliothèque qui la renferme. En revanche, 
on a conservé des exemplaires de quatre éditions de 
la Bible de Jean de Reïy, qui s'imprimèrent dans ladite 
ville, durant les trente et une premières années du 
xvi^ siècle. 

La bibliothèque publique de Genève possède l'édition 
de 1521 *, que j'ai pu comparer avec les manuscrits 
de la Bible de Guiars mentionnés plus haut. A l'orlho- 

• Kl non de ioiti, date !auli\e, (jui a passé du Catalogue de la 
h,bliothèque de Genève dans la Notice do M. Arci)i!iard, et don! 
M. Rl'uss a judicieusement suupconn.' r(?rreur. îlcv. de Thcol. 
Année 1857, p. 151. 



o8 STYLE RAJEUNI D'lNE VIEILLE rRd;FACF. 

graphe près, c'est généralemcnl le même texte ; seule- 
ment, dans la Bible imprimée, deux préfaces, placées à 
la tête, Tune du premier, l'autre du second volume, 
remplacent le proème et Taverlissement des Bibles ma- 
nuscrites. Les noms trois ou quatre fois séculaires de 
Comestor et de Guiars ne sont pas même rappelés. Les 
éditeurs ont craint sans doute de rebuter, en les men- 
tionnant, certains lecteurs désireux d'une plus grande 
nouveauté. 

La première préface ne conservera quelques-unes 
des idées du bon chanoine d'Aire, qu'en en changeant 
plus ou moins le tour et l'expression : 

« Povres pécheurs, aveuglez de bien faire, qui vivez 
en ce monde et avez les cueurs mondains et molz à 
mal faire, considérez que Dieu ne veult pas la mort des 
pécheurs; mais qu'ils vivent et se convertissent. Pour 
ce, ayez les yeulx ouvers, que le Diable ne vous preigne 
en ses lalz. Vous, prcstres et gens d'église, qui estes 
oyseux après vostre service, cognoissez-vous pas que le 
Diable assault les humains de temptacions, quand il les 
trouve oiseux? Par quoy il est nécessaire de le fuyr sur 
loutes choses, et faire bonnes œuvres agréables à Dieu et 
desplaisantes au Dyable d'enfer. Et pour ce que oysivelé 
est enemie de l'ame, il est nécessaire à loutes gens 
oyseux, par manière de passe temps, lyre quelque 
belle histoire ou autre livre de science divine. Vous po- 
vez lire ce présent livre qui est la sainte Bible, laquelle 
a été translatée de latin en françoys, sans rien adiouster 
que pure vérité, comme il est en la Bible latine. Rien 



LOY DE lESrCHRÎST POUR U S LAS. 59 

n*a élc laissé, sinon choses qui ne se doivent point trans- 
later. Et a esté la Iranslacion faicle, nonipas pour les 
clercz; mais pour les lais et simples religieux et her- 
mites qui ne sont pas litlerez comme ils doivent; aussi, 
pour autres bonnes personnes qui vivent selon laloy de 
lesuclirist; lesquelz, par le moyen de ce livre, pour- 
ront nourrir leurs âmes de divine histoire, et enseigner 
plusieurs g^ens simples et ignorans. » 

On le voit, le fond des idées est bien de Guiars ; 
mais la forme en est plus nelle et plus incisive. L'au- 
teur procède, ensuite, à rénumération des richesses 
du premier volume : 

« Geste Bible est divisée en deux volumes. Au pre- 
mier, est le Livre de la Genèse, qui traicte de la créa- 
tion du monde, de Adam et de Eve, et des générations 
et faitz de nos premiers parents, et du Déluge, avec 
plusieurs belles histoires. Après, sont les deux Livres de 
Exode, où est la vie de Moyse et ses faitz. Et, après, est 
le Livre de Lévitique, parlant des prestres et de leurs 
dignitez ; puis, le Livre des Nombres, contenant plu- 
sieurs belles matières. Le Deuléronome s*ensuyt, par- 
lant de toutes choses saincles. Après, est le Livre de 
Josué, où est contenu comment Josué mena les enfants 
d'Israël en la terre que Dieu leur avait promis. Puis 
après, est le Livre des Juges, où sont escriptes diverses 
choses. S'ensuivent après, le^ Livres des Rois, parlant de 
la vie et des faitz de plusieurs. Après, sont les Livres de 
Paralipomenon, où sont contenues choses briefves et 
utiles. Puis, sont les Livres de Esdras, du réedifliement 



60 NE SOUFFIST VAS LA YKUIR ET OUYR. 

du temple. Après, est le Livre de Thobie, où sa vie est 
descripte. Et, de rechef, de Godolie (sic), de Hiérémie, 
deEzéchiel, de Daniel et de Susanne. Après, le Livre de 
Judich, contenant la victoire qu'elle eut de Olofernes. 
Puis, le Livre de Ester, où est escript comment elle 
saulva tous les Juifs. Et, fmablement, le Psaultier qui, de 
nouveau, y a esté adiousté, où sont plusieurs belles doc- 
trines. Et a esté ceste Bible en françoys, la première foys, 
imprimée à la requeste du très-crestien roi de France, 
Charles huyliesme de ce nom. Et, depuis, a esté corrigée 
et imprimée et, avec ce, adiousté le Psaultier, comme dit 
est, affin que la Bible fust toute complette. 

« Les Livres qui sont contenus au second volume, 
trouverez en telle ordonnance, au prologue du second 
volume, qui est en la fin de la table. Pource^ gens lu- 
briques, qui vostre temps passez en oysivelé, je vous 
prie, arreslez-vous en ceste lecture et Tincorporez en 
vos cueurs; et vous en aurez plus grand proufTit que de 
passer vostre temps en ieuz, yvrognelez, paillardise et 
autres choses desplaisanles à noslre Créateur. Et, ainsi 
faisant, nous trouverons le vray chemin de la gloire éter- 
nelle. A laquelle gloire nous veuille mener et conduisre 
le Père, le Fils elle Saint-Esprit. Amen. » 

La préface du second volume est entièrement origi- 
nale. Sa valeur, comme pièce caractéristique, le parfum 
de sa piété naïve et le charme de son vieux langage 
nous engagent à la reproduire ici tout entière : 

« Pour inciter tous bons chrétiens à parvenir au che- 
min de la Gloire éternelle, il est requis veoir et ouyr la 



tlOMMANS DAMOUns t>LAlNs DE MENTERIES. 6i 

parolle de nostre Seigneur lesuchrîst. Et ne souffisl pas 
encore la veoir ou ouyr ; mais la fault entendre et mettre 
en effect et retenir de bon cueur; parquoy, ceulx qui 
facillement ne le pevent comprendre en oyanl dire, 
il leur est requis le voir ; cest assavoir le lire et ruminer, 
tellement que on y puist prendre viande et pasture à 
Tame. Ceux qui ne le pevent veoir ne lire, par faulte 
qu'ilz n*ont point été endoctrinez es lectures en leur 
jeunesse, il leur est nécessité de le ouyr et, en ce faisant, 
ils mectronl oysiveté hors de leurs entendemens, et 
prendront substantacions divines, pour efforcer leurs 
corps et leurs âmes en bonnes verlus. Vous donc hu- 
mains, qui vivez soubz la garde et puissance du Roy 
éternel, venez; et qui voulez, après morf, vivre au 
royaulme des cieuîx, vous povez veoir en ce second vo- 
lume et ouyr choses divines et anciennes, pour esmou- 
voirvos cueurs qui sont cndurciz es choses mondaines 
et dyaboliques, et povez trouver le chemin du royaulme 
devant dit; auquel royaulme toute nature humaine se 
doit appliquer et avoir désir de y entrer, considérant 
que le Roy qui, à présent, y est en corps et en ame, 
nous a créé; ayans lousiours la face et le regard vers 
Luy et vers son royaulme. Oiiltre plus, il nous a donné 
exemple comment nous devons aller en son dit royaulme, 
pour les biens et plaisirs qui y sont. Pour ce, qui y 
veult aller, il fault entrer en la grâce du Roy éternel, 
par vaillance, c'est-à dire par bien faire; car le Roy est 
doux et miséricordieux. Il vous vault mieux occuper en 
divine Escripture, qu'il ne faict es rommans parlans 
damours et de batailles, qui sont plains de menteries. 
Vous trouverez icy les failz de Salomon, tous fondez en 



Câ OlîATOnZE ÉDltlON'â. 

bonne doctrine; puis, les prophecies de divines paroles 
et le Livre des Machabées, où sont contenues plusieurs 
batailles et destructions de villes et de païs^ pour les pé- 
chez des peuples. Après, sont les Épistres et Évan- 
giles, contenant plusieurs belles doctrines avec la Pas- 
sion de nostre Seigneur lesuchrist; et, après ce, est, 
fînablement, l'Apocalypse où sont moult belles visions 
que vit saint Jehan Tévangéliste, en exil en Tlsle. Vous 
ne povcz donc pas eslre excusez de Tinorance de nostre 
foy ; car vous avez des livres plusieurs^ qui vous mons- 
irent la manière de bien vivre en ce monde, qui est le 
vray chemin et droicte sente pour aller au royaulme 
devant dit; c'est-à-dire, assavoir, en la gloire de Paradis, 
à laquelle nous maine, par sa grâce et miséricorde, la 
saincle Trinité, qui est Père et Fils et Sainct-Esprit en 
une mesme essence. Amen. » 

Cette même Bible parut une dernière fois à Lyon, en 
1531. Elle fut dès lors éclipsée par celle de Genève, 
que des imprimeurs lyonnais reproduisirent, par 
trente éditions, de 1541 à 1610. A Paris, au contraire, 
la vieille Bible de Charles VIII bénéficia de la persé- 
cution qui proscrivait la Bible réformée. Elle y atteignit, 
en 1545, sa quatorzième ou quinzième édition *, 
sans avoir été, un seul instant, le moins du monde in- 

< L^exisience de rédition de i845 reste douteuse; Richard 
Simon est seul à la citer. Les derniôres éditions ne diffèrent des 
premières que dans quelques expressions : Ange est mis au lieu de 
angle; et serviteur, au lieu de serf. H est curieux de voir, par une 
singulière vicissitude, ce mot de serf^ abandonné au xvi« siècle, 
reparaître dans la version de \L le prof. Perret Gentil, qui parle 
des serfs d* Abraham. 



Ct.RF COUVERTE DE ilOUlLl.f.. OS 

quîélée. C'est qu'aussi elle était peu inquiétante. En 
dépit de toutes les révisions, elle était remplie de su- 
perfétalions humaines; et les contre-sens y abondaient 
tellem.ent qu'elle demeurait un livre fermé dans plu- 
sieurs de ses parties. Les Épîtres de saint Paul, spé- 
cialemenl, y demeuraient inintelligibles. L'Épître aux 
Romains, en particulier, celte clef des Écritures, 
comme l'appelle saint Chrysoslôme, riait couverte 
d'une rouille si épaisse que l'usage en était rendu très- 
difficile, sinon impossible. D'autre part, on est surpris 
de rencontrer, dans ces Bibles d'avant la Réforme, des 
annotations telles que celles-ci, qui semblent être quel- 
ques lambeaux des écrils de saint Augustin : « Ce que 
l'Esperit et l'EspousD disent Venez : cela signifie que 
la Trinité et la saincte Eglise nous sermonnent à en- 
tendre cette Escriplure et à la mettre en œuvre, et 
ceux qui l'entendent sermonnent les autres; et ce qui 
est dit : Qui a soif vienne, signifie que celui qui dé- 
sire la gloire du ciel par vraye foy, la doit mettre en 
pratique et ne se lier pas en ses mérites, mais en 
grâce. » Ici, la glos3 n'a d'autre tort que d'occuper la 
place du texte qui, dans l'Apocalypse, est aux trois 
quarts supprimé. 

« Qu'on se figure, dit M. Nisard, que trente an? avant 
l'apparition du livre de Calvin (l'Institution), il n'y avait 
en France, pour toute Bible, qu'une sorte d'interpréla- 
lion grossière où la glose était mêlée au texte, et fai- 
sait accorder la parole sacrée avec tous les abus de 
l'Église romaine. Les prédicateurs de la cour de Louis XII 
faisaient aller Caïn à la messe, et payer les dîmes à Abel. 
La Vierge Marie lisait les Heures de Notre-Dame; Abra- 



6i ftAfeBES DORÉES. 

ham et Isaac récitaient, avant de se mettre au lit, leur 
Pater noster et leur Ave, Maria.,. Au temps même de 
François 1er, on lisait, dans le Nouveau Testament, ever- 
Ht domum pour everrit domum, il renverse la maison 
pour il la balaie; heretieùm de vita, au lieu de Vhere- 
ticum devita de saint Paul : ce qui substituait à mort 
r hérétique à évite V hérétique, vraie glose de la Sor- 
bonne d'alors \ » 

Il serait injuste de mettre à la charge de la première 
Bible française toutes les capucinades des prédicateurs 
du temps de Louis XII , et les fausses leçons de la 
Vulgate d'alors. Toujours éSt-il vrai qu'elle donnait 
des cornes à Moïse; ce qui, dit Olivétan, excitait les 
railleries des docteurs juifs; et que, suivant elle, «la 
poudre du veau d'or, que le grand législateur fit mêler 
à l'eau des Israélites, s'était arrêtée sur les barbes de 
ceux qui avaient adoré l'image : ce qui fat la marque 
à laquelle on les rccoiinut. » Et, lorsque nos premiers 
parenls furent chassés du Paradis : « lors, leur fist nostre 
Soigneur coites de piauz de bestes mortes pour leur 
montrer qu'ils étaient mortels, et les en vesli, en di- 
sant par manière de dérision et de moquerie : « Voici 
Adam, qui est fait comme l'un de nous. » De tels com- 
mentaires n'étaient pas propres adonner de grandes et 
nobles idées de la divinité. 

On peut donc, tout en reconnaissant les services con- 
sidérables que cette Bible a rendus, regretter qu'elle 
ait si longtemps survécu à elle-même. Sa principale 
milité avait été défaire soupirer, par son imperfection, 

< HiiL de la litt. franc,, t. I, p. 507, 



LIQUEUR ÉDDLCORÈK. C5 

après la Bible réformée. Celle-ci mise au jour, Taulre 
devait modestement et promptement céder la place. 
Mais les conducteurs spirituels de la nation refusant à 
leur pupille le vin des forts, la coupe des Écritures, 
les âmes altérées burent aux eaux saumâtres de la tra- 
dition. La parole de Dieu se trouvait bien aussi dans 
la Bible de Jean de Rely, mais mélangée aux gloses 
d'invention humaine. Comme une excellente liqueur 
dans une grande quantité d'eau, elle avait perdu une 
portion notable de sa vertu. On craignait pour le peuple 
chrétien les effets d'un vin pur et généreux. Il pouvait 
lui donner prématurément le sentiment de sa force et 
de son indépendance. Les docteurs de la Sorbonne 
avaient senti que leur règne finirait avec celui des ad- 
ditions et des retranchements arbitraires dans le corps 
des Écritures. 



CHAPITRE IV. 



La Bible de Lefèiire d'Étaples* 



Gris impuissants, fureurs bizarres! 
Tandis que ces monstres barbares 
Poussent d'insolentes clameurs, 
Vastre^ poursuivant sa carrière, 
Verse des torrents de lumière 
Sur ses obscurs blasphémateurs. 

Le Franc de Pompignan. 



Aussitôt donc qu'on prétendit donner au peuple la 
parole de Dieu sans alliage humain, la Sorbonne qui, 
dans la personne de Jean de Rely, avait favorisé, à la 
fin du xve siècle, la dissémination' de la Bible en langue 
vulgaire, s'y opposa de toutes ses forces. Sa colère fut 
grande déjà en 4512, lorsque Jacques Lefèvred'Étaples, 
professeur au Collège du cardinal Lemoine, détrônant 
la Vulgate, fit paraître, le premier en Europe, une nou- 
velle traduction latine des Épîtres de Paul ^ Afin de 

* Ce travail est le premier échantillon d'une traduction latine 
moderne du Nouveau Testament. Celte remarque est de M. Berger de 
Xivrey ; mais avant la double édition in-^** de Paris et de Colo- 



ÉTRANGES PARAD0X8S. C7 

ne pas trop effaroucher les esprits, Lefèvre, dans celte 
traduction, se rapprochait autant que possible de la 
version reçue; ce qui donna à Érasme occasion de dire 
que Lefèvre n'était que demi-grammairien et médiocre 
helléniste *. Mais ce dernier ne se découragea pas. Il 
publia, en'1517, Tannée où Luther affichait ses thèses, 
une dissertation pour prouver, contrairement au Bré- 
viaire romain, que Marie la pécheresse, Marie-Magde- 
lainc et Marie, sœur de Lazare, consliluent trois per- 
sonnages distincts ; peu de temps après, il osait affirmer 
qu'Anne, mère de Marie, n'avait pas été mariée trois 
fois. C'en était trop; Lefèvre, condamné par la Sorbonne 
comme hérétique, fut déféré au Parlement de Paris, 
qui s'apprêtait à le faire brûler vif, lorsque survint un 
ordre de François l^^, lequel interdisait de passer outre. 
Mais dès que la politique eut contraint ce prince ix 
sortir du royaume, Lefèvre, inquiété de nouveau par 
le terrible Bédier, dut s'enfuir de la capitale. Un an- 
cien ami , Guillaume Briçonnet , évéque de Meaux , lui 
donne asile. Bientôt, son fils en la foi *, notre bien- 
heureux Farel, le suit dans sa retraite. Briçonnet établit 



gne 1531, qu'il cite comme ayant été publiée la première, il en 
parut à Paris, in-folio, trois éditions sucfossivcs : la première 
en 1512, chez Henri Estienne, et les deux suivantes, en 1315 et 
en 1517. V. France protestante, art. Lefèvre d Eiaples, 

^ Erasme était ici juge et partie. Sa traduction latine du Nou- 
veau Testament devait paraître très-peu de temps après. Erasme, 
du reste, reconnaissait hautement Lefèvre pour le plus savant des 
professeurs de Paris. 

2 « Lefèvre me relira de la fausse opinion du mJrite et m>n- 
5eigna que tout venait de la grâce; ce que je crus, sitôt qu'il me 
fut dit. » Ep. dejarel. A tous seigneurs, peuples et pasteurs. 



68 ^ NOUVEAU TESTAMENT CHEZ SIMON DE COLLINES. 

Lefévre à la Maîtrise de la maladrerie, et, Farel, avec 
quelques-uns de ses anciens condisciples, reçoit la 
permission de monter dans toutes les chaires du dio- 
cèse; leur voix y trouve un merveilleux écho. Lefèvre 
fait imprimer, en 1522, son Commentaire latin sur les 
quatre Évangiles. Il déclare dans la préface, qu'il 
est temps de revenir aux croyances apostoliques et 
de retrancher tout ce qui nuit à la pureté du culte. 
Il invite ses lecteurs pieux « à prier le Seigneur d'en- 
voyer dans sa nouvelle moisson de nouveaux et habiles 
ouvriers. » Puis, sentant la nécessité de légitimer, aux 
yeux du peuple lui-même, la réforme qu'on lui prêche, 
il cède aux sollicitations de plusieurs dames et prin- 
cesses du royaume et traduit le Nouveau Testament en 
langue vulgaire. Les Évangiles paraissent chez Simon 
de Golines % le 8 juin 1523. L'opulent et généreux 
Briçonnet ordonne à son régisseur de les distribuer 
gratuitement « à ceux qui désiraient y entendre, sans 
y épargner argent ni or. » On dut les réimprimer peu 
de mois après, tant était grand l'empressement du 
peuple de Meaux à se nourrir de cette Parole de vie. 
« Festes et dimanches, nous dit Crespin, étaient em- 
ployés à lire les Écritures et à s'enquérir de la bonne 
volonté du Seigneur; en sorte qu'on voyait, en ce dio- 
cèse, reluyre une image d'Église renouvelée. Car la Pa- 
role de Dieu non -seulement y était prêchée, mais 
pratiquée ; attendu que toutes œuvres de charité s'exer- 



< Simon de Colines était le successeur de Henri Estienne, 
premier de ce nom ; il avait épousé sa veuve. Mort en 1547. 



AGE d'or de la Réforme en frange. 69 

çaient là. Les mœurs se réformaient de jour en jour, 
et les superstitions s'en allaient bas M » 

L'année ne s'était pas écoulée que le Nouveau Testa- 
ment tout entier avait paru : les Épîtres, le 17 octobre; 
les Actes des Apôtres, le 31 du même mois, et l'Apoca- 
lypse le sixième jour du mois de novembre 1523. 

Cette date est capitale pour l'histoire de la Réforme 
et l'avenir de la France '. 

De Paris et de Meaux, le Nouveau Testament de Le- 
fèvre se répandit dans les provinces françaises avec une 
étonnante promptitude, a; Etudiants et gentilshommes, 
nous dit Calvin, se travestissent en colporteurs et, sous 
l'ombre de vendre leurs marchandises, ils vont offrir i 
tous fidèles les armes pour le saint combat de la foi. 
Ils parcourent le royaume, vendant et expliquant les 
Evangiles. Ceux qui ont des châteaux sont honorés de 
les consacrer à Dieu pour temples. Chacun s'efforce de 
gagner à Jésus-Christ ceux qu'il pourra, et nos grands 
personnages montrent volontiers leur foi par le meilleur 
gouvernement de leurs familles. » 

Ces missionnaires dépassent bientôt la frontière fran- 
çaise. Ils se répandent dans les vallées des Alpes et du 
lura ; ils forment des associations nommées « les Ama- 



• Crespin, Histoire des Martyrs. Liv. lY. 
2 A partir de 1525, les réimpressions se succédèrent rapide- 
ment. Le zélé Conrard, à Bàle, en fit une dès 1524 et, en 1525, il 
en paraissait uae autre à Anvers, chez G. Vorslerman. Ce même 
imprimeur publiait, Tamiée suivante. Tune des premières éditions 
du Nouveau Testament anglais, de Tyndale. — La bibliothèque du 
Musée britannique renferme à elle seule douze éditions du Nouveau 
Testament de Lefévre, imprimées à Anvers, à Paris et à Bàle, de 
1524 à 1543. 



70 TKÉODIDACTÊS. 

leurs de la Irès-sainle Evangille » et, en 1526, l'Évêque 
de Lausanne fait rapport au duc de Savoie que, dans ce 
pays de Vaud, bourgeois et manants déclarent tenir pour 
]a Bible de Lulher, malgré les menaces de brûler comme 
faux et traîtres hérétiques ces Évangélistes prétendus. )> 

Deux ans plus tard, une lettre de Tévéque deCham- 
béry apprend au pape les nouveaux progrès des mission- 
naires réformés (juillet 4528) : « Votre Sainteté saura 
(lue cette détestable hérésie nous arrive de tous côtés 
par le moyen des porte-livres. Notre diocèse en aurait 
été enlièrement perverti, si le duc n'eût pas fait déca- 
piter douze seigneurs qui semaient ces évangilles. Mal- 
gré cela^ il ne manque pas de babillards qui lisent ces 
livres et ne veulent les céder à aucun prix d'argent. » * 

Une grande révolution s'est opérée. L'abîme qui 
séparait le docteur de la foule, et le gentilhomme du 
cardeur de laine a été comblé. La Bible réformée est 
un anneau qui les unit. Petits et grands, las de l'ensei- 
gnement des hommes qui les ont trop longtemps abu- 
sés, veulent être instnUts directement de Dieu *, et le 
.protestantisme évangélique. a commencé. 

La préface du Nouveau Testament de Lefévre n'est 
plus dédiée à un roi seulement, ni à quelque évêque 
ou archevêque; elle est adressée à « ung chascun qui a 

* Les grands jours de l'Eglise réformée, quatre ronférenccs par 
J. Gabercl, an'.ien pasteur. Genève et Paris, chez Joël Cherbu- 
lier, 1863. 

2 La parole proph:^tique, sur laquelle se fonde ce grand prin- 
cipe du protestantisme, devint, douze ans plus tard, Tépigraphedu 
Nouveau Testament de P. R. ©livétan, 1555. Elle s'y lit en grec, en- 
cidrée dans un liston qui se déroule au haut du titre : Égovra» 

TpavTES '^l'î'a^cTol ToS ôsoO. Iwav. ^. — Jean M, 4D. 



À TOUS CHRÉTIENS ET CHRÉTIENNES. 71 

cognaissance de la langue gallicane. » En voici quel- 
ques passages : 

€ A tous Chrétiens et Chrétiennes, salut ! 

€ Présentement, il a pieu à la bonté divine inciter 
les nobles cœurs et chrétiens désirs des plus haulles 
puissantes dames et princesses du royaulme *, de- 
rechief ' faire imprimer le Nouveau Tf^stament pour 
leur édification, afin qu'il ne soit seulement de nom dict 
royaulme très-chrétien, mais aussi de faict... Aussi, 
maintenant le temps est venu que noslre Seigneur 
Jhésus-Christ, seul salut, vérité et vie, veult que son 
Evangille soit purement annoncé par tout le monde, afin 
qu'on ne se desvoye plus par autre doctrine des hommes 
qui cuident estre quelque chose.... Et, afin que ung 
chascun qui a cognaissance de la langue gallicane et 
non point du latin, soit plus disposé à recepvoir cesle 
présente grâce, laquelle Dieu, par sa seule bonté, pitié et 

* La belle et spirituelle Marguerite d'Orléans, improprement 
dite de Valois ; sa mère, Louise de Savoie, et sa jeune tante, Phili- 
berte de Nemours. C'était vraiment par sollicitude pour le peuple 
que Marguerite désirait cetie traduction. Quant à elle-même, elle 
lisait Erasme dans Foriginal ; « elle savait assez de grec pour lire 
Sophocle, et elle prenait des leçons d'hébreu de Paul Paradis sur- 
nommé le Canosse, qu'elle lit nommer professeur au collège de 
France, fondé par François I«r. » — Nisard, Hùt, de la Hit, fr., 
I, 210. — La Bible fut partout en France et en Suisse le grand 
levier de la Réforme; à vues humaines, ce mouvement eût été 
loriglemps retardé, sinon étouffé, sans cette aimable princesse qu'î 
Dieu suscita comme un ange protecteur et que pressait, par-dessus 
tout, le besoin de faire le bien et d'empêcher le mal. 

2 Allusion à la Bible de Jean de Rely. Lefévre s'excusera, tout 
à l'heure, de l'avoir dépouillée du bagage de ses gloses. 



72 ' AÏEUL DES JANSÉNISTES. 

clémence, nous présente, en ce temps, par le doux et 
amoureux regard deJhésus-Chrisf, nostre seul Saulveurj 
vous sont ordonnées en langue vulgaire, par la grâce 
d'iceluy, les Évangilles, selon le lalinqui se list corartiu- 
nément partout, sans rien y ajouter ou diminuer ; afin 
que les simples membres de Jhésus-Christ, ayant ce en 
leur langue, puissent estre aussi certains de la vérité 
évangélique comme ceulx qui Font en latin ; et auront 
après, par le bon plaisir d'iceluy, le reste du Nouveau 
Testament... Qui est-ce doncques, qui n'estimera estre 
chose deùe et convenable à salut, d'avoir ce Nouveau 
Testament en langue vulgaire? Qui est chose plus néces- 
saire à vie, non point de ce monde, mais à vie spirituelle? 
Se, en chascune des religions particulières *, ils ordon- 
nent que chacun d'eulx, ignorant le latin, ait sa règle 
en langue vulgaire, et la porte sur soi et l'ave en mé- 
moire, et qu'on leur expose plusieurs fois en leurs cha- 
pitres; de tant plus forte raison, les simples de la religion 
chreslienne, seule nécessaire (car il n'en peut estre 
cju'une nécessaire), * doivent avoir leur règle, qui est 
la parolle de Dieu, TEscripture, pleine de grâce et de 



• Par cette acception du piot de religion, peu coaime des pro- 
testants il désigne IVfa^ des personnes engagées par des vœux 
à suivre une certaine règle autorisée par V Église, Au reste, 
l'intelligence de ce passage nous est clairement donnée par celte 
phrase de la Préface du Nouveau Testament de Mons qui suivit 
de cent cinquante ans celui de Lefèvre ; « Si les Religieux se 
croient obligés de lire tous les jours la p'gle qu'ils ont reçue de leur 
instituteur, comment pouvons- nous négliger de lire la lui de Jésus- 
Christ? » l-es h'jtes de Port-Royal avaient, à leur insu peut-être, 
ï.cfévre pour aïeul. 

i Trait décochi en passant contre la vie de couvent 



' UN ARTISAN PRËOICATBUR. 75 

miséricorde... Cette saincte Escriplure est le Testameût 
de Jhésus-Ghrist, le Teslament de noslre Père, confirmé 
par sa mort * et par le sang de noslre rédemption. Et 
qui est-ce qui défendra aux enfans de avoir, veoir et lire 
le testament de leur père? Il est doncques très-expé- 
dient de le avoir, le lire et le ouïr, non une fois, mais 
ordinairement, aux chapitres de Jhésus-Christ,qui sont 
les Églisesoù tout le peuple, tant simple comme savant^ 
se doilt assembler à ouïr et honorer la saincte ParoUe de 
Dieu... Et si aulcuns, voulant desgoutter les simples ou 
destourner de la vérité, disent qu'il vault mieux lire les 
Évangiles, comme devant ont été translatés, en ajoutant, 
diminuant ou exposant; et qui, par ainsi, sont aussi 
plus élégants, se peut répondre, qu'on a voulu aulcune- 
ment user de paraphrase, crainte, expliquant le latin, de 
bailler aultre sens que le Saint-Esprit avait suggéré aux 
Évangélistes ; pour ceste cause, user de paraphrase en 
translatant la ParoUe de Dieu est chose périlleuse... El 
sachez que ce que plusieurs estiment élégance humaine, 
est inélégance et paroUe fardée devant Dieu. » 

Le principe nouveau posé dans cette mémorable pré- 
face porta bientôt ses fruits. Quand la tempête de la 
persécution eut dispersé les piédicateurs du diocèse 
de Meaux, « les artisans, dit M. Henri Martin, reprirent 

< Godeau de Vences, évoque, au xvii* siècle, est lui aussi uu 
héritier de Lefèvre. Lui aussi, dans la Proface de son Nouveau 
Testament, présente Jésus-Ghrist comme notre Père, «t Voici, dit-il, 
le Testament du Fils de Dieu, votre Père et votre Juge, que je vous 
offre. Je ne puis douter que la lecture ne vous en soit agréa^jle. 
Vous y verrez qu'il vous y laisse un patrimoine tout divin, qui 
est sa vérité. » 



74 DÉFENSE DE TRANSLATER. 

Tœuvre arrachée des mains des savants. Un cardeur 
de laine, Jean Leclerc, se fit le pasteur de ce troupeau 
abandonné *, » 

Lefèvre se tut; mais il continua d'écrire. Protégé à 
la cour, il veille à l'impression d'une édition corrigée 
de son Nouveau Testament, et prépare la traduction 
française des Psaumes. Mais, le 24 février 1525, Fran- 
çois 1er perd la bataille de Pavie, et le Parlement fran- 
çais, fanatisé, a cru voir dans cette défaite la vengeance 
du ciel sur une nation qui tolère l'hérésie. Il met, le 
28 août^ les traductions de Lefèvre au nombre des livres 
défendus, et menace de sévir contre leur auteur. Lefèvre, 
âgé d'au moins soixante-dix ans, s'enfuit à Strasbourg • 
et, le 20 novembre, Capiton annonçait à Zwingle l'ar- 
rivée dans cette ville hospitalière, de Farel, Lefèvre 
d'Étaples, Roussel, Vadaste et d'un certain Simon, 
néophyte juif, « tous français, dit-il, et mes hôtes. » 

Lefèvre est sauvé; mais la vindicte des prêtres sévit 
avec d'autant plus de rage contre les livres dont elle 
n'a pu atteindre l'auteur. « Le lundi, 5 février 1526, 
un mois avant le retour de François I^r, le son de la 
trompe se faisait entendre dans tous les carrefours 
de Paris et, plus tard, de ceux de Sens, d'Orléans, 
d'Auxerre, de Meaux, de Tours, de Bourges, d'Angers, 
de Poitiers, de Troyes, de Lyon, de Mâcon, etc., en 
tous bailliages, sénéchaussées, prévôtés, vicomtes et 
terres du royaume. La trompe ayant cessé, le héraut 
criait par ordre du Parlement : « Défense à toutes per- 
« sonnes d'exposer, ni translater de latin en français 

< Histoire de France, t. Vlll, p. ^50. 



LE PHÉCEPTEUR DU PR NCE CHARLES 75 

€ lesÉpîtres de saint Paul, TApocalypse, ni autres livres. 
€ Que désormais nuls imprimeurs n'ayent plus à im- 
« primer aucuns livres de Luther. Que nul ne parle 
c des ordonnances de l'Église, ni des images, sinon 
« ainsi que la sainte Église Ta ordonné. Que tous livres 
« de la sainte Bible, translatés en français, soient vidés 
€ désormais de ceux qui les possédaient, et apportés 
« dans huit jours aux greffes de la cour. Et que tous 
« prélats, curés et vicaires défendent à leurs paroissiens 
c d'avoir le moindre doute sur la foi catholique. » Tra- 
ductions , impressions, explications, le doute même 
étaient prohibés ^ » 

Dupral, le prélat chancelier, profitait du temps. Tout- 
puissant auprès de la régente, il craignait, non sans 
raison que, Fi^ançois et Marguerite de retour, la per- 
sécution ne languit. Déjà le Parlement avait reçu d'Es- 
pagne, à la date du 12 novembre, une leltre du Roi, 
ponant qu'il « trouvait mauvais qu'on osâl susciter des 
chagrins à un homme en si bonne odeur de piété et 
de savoir, dans l'Europe entière. » L'année suivante, 
voulant témoigner sa reconnaissance à Marguerite, sa 
libératrice, François I®^* nomme Lefèvre précepteur du 
prince Charles, son troisième fils*. Lefèvre, sous 

• Journal d'un Bourgeois de Paris sous François l^»*, 1. 1, p. 277, 
cité 1 ar M. Merle d'Aubigné. Hist. de la Réforme en Europe, au 
temps de Calvin, t. 1, p. 498. 

2 Instruit par Lefèvre, ce jeune prince devint partisan de la 
. Kéforme, comme le prouvent les instructions qu'il donnait à son 
secrétaire, Antoine Mallet, en renvoyant à Francfort, auprùs de 
TÉlecteur de Saxe et du Landgrave de liesse, en !543.— On espérait 
de grandes choses de ce prince ; mais il mourut sans laisser de 
postériti, le 2 septembre de Tan i^'IS, d'une pleurésie. Morori 
ajoute : quelques-uns disent de poison. 



76 PRIVILÈGE DE CHARLES-QUINT. 

régide royale, poursuit, d'abord à Paris, puis à Blois, 
ses saints travaux. Il confère la Vulgate avec les origi- 
naux hébreux, grecs et chaldaïques, et termine, en 
1528, une traduction française de la Bible entière. Mais 
ne pouvant plus absolument imprimer en France, il 
envoie son œuvre à Anvers , où elle paraît avec l'ap- 
probation des frères minorités de cette ville et un pri- 
vilège de Charles-Quint, en quatre parties successives, 
de 1528 à 1530; et en un seul volume folio, en 1530. 
Une troisième et une quatrième édition parurent avec 
d'importantes corrections, en 1534 et en 1541. Nous y 
reviendrons. 

Trop pieux pour vivre plus longtemps au sein d'une 
cour corrompue; trop sensible pour supporter la vue du 
sang des martyrs ; craignant le bûcher pour lui-même, 
Jacques Lefèvre, rassasié de jours, trouve enfin, en 
1531 , chez son ancienne protectrice, la reine de Navarre, 
un dernier et sûr asile. Mais, sur son lit de mort, il 
est assailli de regrets. Une déposition, écrite de la 
main de Michel d'Arande, raconte ses derniers moments : 
Horrendum erat tampium senem itaangi animo et tanto 
horrore^judicio Dei, œncuH. Vociferabat, dicéiis se œter- 
num periisse, quod veritatem Dei non aperie professus 
fueril\ Enfin il reprit quelque confiance; mais il con- 

* (( 11 était effrayant de voir ce pieux vieillard en proie, par un 
jugement de Dieu, à tant d'angoisse et d'épouvante. Il poussait de 
grands cris, disant qu'il était à jamais perdu, parce qu'il n'avait 
pas ouvertement confessé la vérité de Dieu. » Ms, Farelli, fol. 115. 

— Les détails fournis par Michel d'Arande confirment le témoi- 
gnage tout pareil de Thomas Hubert, conseiller de l'Électeur palatin . 
V. l'Essai sur la vie et les œuvres de Jacques Lefèvre, par Ad. 
Encontre. Strasbourg 1839. 



VAUDOIS ET PICARDS. 77 

tinua de pleurer sur ce qu'il n'avait pas publiquement 
rendu témoignage à Jésus-Christ^ là où se décernaient 
les palmes des martyrs. Sa douleur était d'autant plus 
cuisante qu'il était, par ses ouvrages, par ses traductions 
de la Bible spécialement, le père spirituel de beaucoup 
d'entre eux. 

Lefèvre avait fait un grand pas. Il avait purgé la 
Bible des gloses innombrables qui, pareilles à des plantes 
parasites, avaient envahi de toutes parts le champ des 
saintes Écritures; il avait éclairci le sens d'une infinité 
de passages. Si l'on compare sa traduction à celle qui 
précéda et à celle qui suivit, on est étonné du degré 
de perfection qu'elle atteignit du premier coup. «Quant 
à la langue, dit M. Sayous, Lefèvre traduit avec une sorte 
d'élégance qui devance la date*. » Mais ce qui frappe 
surtout, c'est la justesse de ses interprétations, dans 
une entreprise où chaque ligne, chaque mot, pour 
ainsi dire, offrait un écueil. Un si remarquable succès 
ne s'explique que si l'on se souvient des antécédents de 
Lefèvre, lorsqu'il commença l'œuvre capitale qui fut le 
couronnement de sa vie. Il était né dans une pro- 
vince où, dès les temps d'Éligius de Noyon, la Parole 
de Dieu avait eu cours plus qu'en aucune autre con- 
trée de la France, tellement que le nom de ses habitants 
était devenu synonyme de celui de Vaudois. * Gomme 

^ Études littéraires sur les Écrivains français de la Réfor'^ 
maiion. T. 11, p. 518. ^ 

* Picards et Vaudois, c'est la môme secte sous différents noms. 
On les accusait d'adamisme, transformant le dénuement dans lequel 
la persécution les réduisait parfois, en une nudité totale, volontaire 
et cynique. V. Moreri, art. Picards, et la dissertation du grand 
Beausobre à laquelle il se réfère. 



78 MÉRITE TRANSCENDANT DE LEFÈVRE. 

son prédécesseur Guyars , comme son successeur 
Olivélan; comme Valable, comme Calvin, et Pierre de 
Wingle : les deux premiers, exégètes incomparables des 
saintes Écritures; ce dernier, imprimeur de la Bible de 
Serrières, Jacques Lefèvre, était picard. Il était originaire 
d'Étaples, gros bourg à l'embouchure de la Canche, dans 
le Pas-de-Calais. 

Puis, il avait vieilli dans l'enseignement. Les illustres 
philologues des règnes de Louis XII et de François I®"^, 
G. Budé, J. Tusan, les Etienne, Vatable, dont les Juifs 
eux-mêmes admiraient les connaissances hébraïques; 
Berquin, Michel d'Arande formaient le cercle de ses 
relations et de ses amis. Le savoir universel de Lefèvre^ 
sa sagesse, l'autorité de l'âge et de la piété, lui confé- 
raient la première place au sein de cette docte assem- 
blée. « Le premier, dit Duboulay, il enseigna le grec 
dans l'Académie de Paris ; le premier, il s'était adonné 
à l'étude des saintes Écritures. Seul d'entre eux, 
peut-être, il connaissait l'Orient, pour y avoir voyagé \ 
De 4492 à 1528, d'après les laborieuses recherches de 
MM. Haag, il avait publié tout prés de quarante ouvrages 
de philosophie et de théologie. Son raisonnement se 
distinguait par tant de justesse; son style, par tant de 
clarté et par tant de concision que, jusque chez les 



* «... Causa discendi, lotani Europani et Asiam transfretavitet par- 
lemAfricae etiam iranscunit, ut viros doctos et perfectissimos litle- 
ris graecis, lalinis, hebrœis et chaldaeis inveniret » — Chasseneux 
Catalogus gloriœ mundi. Lyon, 1529, x 4. — On lil encore dans une 
lettre de Symphorien Dampier, année 1507 : « Instar itom Pytha- 
gorae Patque latonis aliorumque insignium philosophoruro, exleras 
luslraliregiones.. » 



CONSPIRATION DU SILENCE. 79 

étrangers, il avait acquis le renom de restaurateur dei 
la saine dialectique. Une vive sensibilité, l'éloignement 
du monde, un penchant prononcé au recueillement 
et à l'adoration, s'ajoutaient aux dons éminents de son 
esprit, pour faire de lui un excellent traducteur de la 
Bible *. 

Grâce à son mérite, la version de Lefèvre eut l'hon- 
neur de devenir la base des traductions tant catholiques 
que protestantes. Ce ne fut pas, toutefois, sans recevoir 
de notables modifications. 

Et d'abord, les protestants ne pouvaient l'accepter 



* Un Dictionnaire d'histoire et de géographie, fort accrédité 
dans les collèges de France et généralement estimé, celui de M. N. 
Douillet, ne mentionne pas môme notre vénérable Lefèvre. M. H. 
Martin, moins oublieux ou plus équitable, rappelle « le doyen des 
savants français. » Que la jeunesse studieuse se console. On ne lui 
fera connaître ni Ad. Monod, auquel ^illu^tre Lacordaiie se décla< 
rait inférieur; ni Ostervald, dont Fénelon acbelait les ouvrages pour 
les introduire dans les couvents, où peut-être on les trouverait en- 
core; ni Martin, qui correspondait d'Utrecht avec TAcadémie fran- 
çaise, ni Olivétan. Et cependant, les traductions de la Bible qui 
portent leur nom, sont au nombre des livres les plus répandus en 
France. Par compensation, le volume universitaire fournira, sans 
empêchement aucun, des notices sur les vaudevillistes les plus frivo- 
les; et il aura soin d'informer les lecteurs du danger que peuvent 
présenter certains écrits, excellents d'ailleurs, que le bon plaisir 
de Rome a mis à Tindex : VHistoire de Charles-Quinty de Robert- 
son, par exemple, ou les Provinciales. 

« Le jour vient qui, mettant les bons en évidence, 
Saura les consoler d'un injuste silence. » 

La Fille de Sion, chant in. 

Peur plus de détails sur Lefèvre, voir en particulier sa Vie en 
français par M. Graf, et surtout le travail approfondi du même au- 
teur, dans le périodique d'Iligen et Niedner, Leipzig, 1852. 



8û VPLGATfi MÉNAGÉE. 

telle qu'elle était sortie des mains de son auteur. Nous 
avons eu occasion de le remarquer : Lefèvre avait con- 
servé, en plusieurs endroits, le texte de Jean de Rely ; il 
le reconnaît lui-même dans un passage de la préface 
citée plus haut : « Il leur a pieu (à ces plus hauites 
dames et princesses) que ce Nouveau Testament ait été 
reveu et conféré à la langue latine pour les faultes, 
additions et diminutions qui se trouvaient en ceux qui 
étaient imprimés. » En outre, moitié prudence, moitié 
timidité, Lefèvre avait usé de ménagements à Tégard 
de la Vulgate. A proprement parler, il n'en avait re- 
dressé le sens que dans un nombre restreint de pas- 
sages particulièrement fautifs. Il professe avoir traduit 
« selon le latin qui se list communément partout, sans 
rien y adjouster ou diminuer » et, pour prévenir les 
soupçons qui planaient sur lui à cet égard, il a soin de 
donner avis, dans le titre même de la Bible d'Anvers, 
que « la. translation a été faite selon la pure et entière 
version de sainct Hierosme. » 

Sans doute, on ne lit pas dans cette Bible ce que porte 
la Vulgate, que « Jacob adora l'extrémité de son bâton, i 
adoravil fastigium virgce. Hébreux, XI , 22 : erreur 'de 
traduction sur laquelle on s'est efforcé de fonder le 
culte des reliques. De même, au chapitre treizième de 
la dite Épître, Lefèvre traduit conformément au grec, 
% 46 : « Dieu est apaisé par de tels sacrifices, » et non 
d'après la Vulgate : « on acquiert des mérites auprès de 
Dieu, » promeretur Deus. Il repousse aussi. Genèse III, 
15, la leçon fautive qui fait de la vierge Marie l'auteur 
de notre rédemption. Au lieu de rendre le ipsa (fœmina) 
(.outeret de la Vulgate, il traduit, d'accord avec l'hébreu, 



BANNISSEMENT DES PRÊTRES. M 

€ celte semence brisera ta tête. » Partout le mot à'hos- 
tie^ qui revient cent cinquante fois dans la Yulgate, est 
remplacé par celui de sacrifice ou de victime; mais , en 
revanche, le mot de tradition est abusivement conservé 
dans un passage où saint Paul parle d'enseignements 
récemment donnés par lui-même. Moïse garde son vi- 
snge cornu, cornuta fades; et, Psaume XIX (XVIII), 5, 
le traducteur fait dire au psalmiste, en parlant de Dieu, 
qu'il a établi son tabernacle dans le soleil : In sole po- 
suit tabeimaculum simm. On sait que les docteurs de 
rÉglise romaine ont cherché dans ce passage ainsi tra- 
duit, un argument pour établir la perpétuelle visibilité 
de rÉglise! 

En outre, et ceci est plus grave, Lefèvre avait con- 
servé différents termes de la Vulgate dont l'usage avait, 
petit à petit, oblitéré le véritable sens. Nous n'en cite- 
rons que deux : prêtre et pénitence^ presbyter, pœniten- 
tia. Ces mots qui, dans l'origine^ désignaient l'un, un 
simple ancien ou pasteur, le second, un regret sincère 
d'avoir offensé Dieu, avaient flni par éveiller, dans l'ima- 
gination des peuples, l'idée d'un confessionnal, d'une 
tonsure, du pouvoir merveilleux conféré à un homme, 
d'appeler, à l'autel, son créateur à l'existence... Les 
conserver, c'était donc risquer de donner le change. 
En les supprimant, en bannissant du Nouveau Testa- 
ment les prélats^ les évêques et les prêtres tolérés par 
Lefèvre, les versions protestantes travaillèrent efficace- 
ment à ramener l'Église à la vérité de ses origines. La 
version de Lefèvre n'est que la Bible d'un jansénisme 
anticipé. 
Enfin, le texte de la Yulgate renferme une multitude 



Si FÀDtES tàlSSÉES A BON ESClENt. 

de fautes de tout genre. Thomas James, savant Anglais, 
en a relevé quatre mille, sans en épuiser la liste*. La 
plupart de ces fautes s'étaient jointes, dans la version 
de Lefèvre, aux méprises qu'il avait pu commettre lui- 
même. 

Mais ces fautes sont précisément ce que Rome appré- 
cie le plus dans les traductions de la Bible en langue 
vulgaire. Elles rendent le texte sacré obscur ou singu- 
lier ; elles rebutent le lecteur, le volume lui tombe des 
mains; et Rome, que ce livre devait battre en brèche, 
Rome est épargnée. De là, cet attachement opiniâtre à 
laVulgate, et l'absurde suprématie qu'on lui assigne au 
mépris des originaux. En dépit des dénégations de dom 
Calmel et d'autres catholiques gallicans, cette supré- 
matie abusive de la Vulgate a été consacrée par les faits. 
Il n'a pas encore été imprimé en France une version au- 
torisée de la Bible, qui soit traduite en langue vulgaire 
d'après le texte hébreu ou d'après le texte grec. Ces 
textes, s'il arrive aux versions jansénistes de les consul- 
ter, sont piteusement laissés à la marge. Le bon sens 

* Supersunt ad!ivc mulia corrigenda,,. prœter decem millia 
verborum in utroque instrumenio, — Bellum papale sive concordia 
discors Sixti Quinti et Clementis Ociavi. Londini, i578 — D'ail- 
leurs, il y a l'aveu du cardinal Bellarmin. Dans sa lettre au duc de 
Bruges, du 6 décembre 1605, il s'exprime ainsi : Scias velitn Bi- 
blia Vulgata non esse a nobis accuratissime castigata; muUa 
enim, de industria, juslis causis pertransivimus. En 15-42 déj<à, 
un bénediclin du mont Cassin, Isidore Clarius, évèquM de Foligno, 
avait publié une édition de la Vulgate, avec huit mille corrections 
d'après Toriginal. Cette édition, d'abord prohibée, ne fut autorisée 
plus tard qu'après la suppression des préfaces et des prolégomènes. 
L'auteur y disait que s'il avait voulu tout corriger, il aurait dû 
publier une traduction nouvelle et non une Vulgate révisée. 



MAÎTRE COURAGEUX, DISCIPLE HÉROÏQUE. 85 

se révolte contre un pareil procédé. Mais le bon sens 
de l'Église romaine a consisté jusqu'ici à narguer le 
sens commun, au cri répété de non possumus. L'instinct 
de la conservation l'avertit qu'en traduisant exactement 
la Bible d'après les sources, elle commettrait un suicide ; 
et qu'en proscrivant, de tout son pouvoir, ceux qui la 
traduisent de la sorte, elle écarte ses plus redoutables 
ennemis. 

Il fallut donc à ceux qui, les premiers, firent passer 
dans les faits le principe lumineux de la prééminence 
des originaux, plus que du bon sens et plus que du 
savoir; il leur fallut, par-dessus tout, du courage; plus 
encore, de l'héroïsme. Cet héroïsme qui manquait à Le- 
fèvre — Lefèvre ne fut que courageux — la grâce di- 
vine le fit naître chez l'un de ses disciples. Olivétan 
franchit hardiment le pas devant lequel son maitre avait 
reculé. Pour accomplir son œuvre , il se condamnait à 
l'exil et bravait le martyre. 

C'était déjà le braver que de se rendre dans l'assem- 
blée d'Angrogne, au mois de septembre 4532. Les par- 
tisans de Rome n'épargnaient pas les Vaudois et les 
évangéliques , barbets et luthériens y qu'ils pouvaient 
saisir au passage. Olivétan qui dut entreprendre, à 
plusieurs reprises, ce voyage périlleux, échappa tou- 
jours providentiellement; il n'en fut pas de même de 
l'un de ses compagnons de course. Saisi en 4536, le 
fidèle Martin Gonin fut étranglé par ordre du parlement 
de Grenoble, et jeté dans l'Isère. 



CHAPITRE m. 



La Bible d'Olivétan. 



« Chaque foisqiie, dans la suite de mes traraux, 
je reviens à cette grande histoire populaire des 
premiers réveils de la liberté, j'y retrouve une 
fraîcheur d'aurore et de printemps, une sève vi- 
vifiante et toutes les senteurs des herbes des Al- 
pes. Sento Vaura mia anlica!...(kc\ n'est point 
un vain rapprochement. » Michelet. Histoire 
de France, t. VIII, p. 342. 



On sait à quelle occasion rassemblée d'Angrogne avait 
été convoquée. Les Vaudois, ayant ouï parler des doc- 
trines luthériennes, avaient envoyé à plusieurs reprises 
quelques-uns de leurs barbes, oncles ou pasteurs, dans 
les pays en voie de réforme. Les barbes de retour, eurent 
des merveilles à raconter: ils dirent comment le souffle 
de TEternel se mouvait sur la terre et relevait le peuple 
des morts. Les Vaudois invitent les réformateurs à leur 
faire visite à leur tour. Le 12 septembre 4532, des dé- 
putés venus du Piémont, du Dauphiné, de la Provence, 
de la Galabre et de la Pouille, se réunissent dans la 
bourgade de Chanforans, au milieu du val d'Angrogne. 
Bientôt, ils acclament l'arrivée de Farel, monté sur un 
cheval blanc, rapporte un témoin oculaire, et accompagné 
d'Olivétan et de Saulnier. Les barbes racontent que, dans 



PHILUMÈLË ET hï. CORBEAU ENROUÉ. 85 

leurs excursions, ils ont trouvé les fidèles de France mal 
pourvus de la Parole de vie. « On advise qu'il serait gran- 
dement expédient et nécessaire de répurger la Bible, selon 
les langues ébraïcque et grecque, en languaigefrancoys et 
de l'imprimer en abondance ! » Les regards se dirigent du 
côté d'Olivétan qui passait pour très-savant; on l'avait 
recommandé comme tel au citoyen Jean Chautemps, 
membre du Conseil de Genève , et celui-ci avait regardé 
comme une bonne fortune de le prendre chez lui pour 
enseigner les lettres à ses enfants. Satisêtre un Reuchiin 
pour l'hébreu, ni un Mélanchthon pour le grec, Olivétan 
possédait bien ces deux langues ; il lisait habituelleme^nt 
les saintes Écritures dans le texte original, et il aimait à 
intercaler dans ses écrits des passages de l'Ancien Testa- 
ment, où ils brillent encore en beaux caractères hébraï- 
ques, au milieu de son vieux français * . A plusieurs reprises 
déjà, il avait décliné la vocation qui lui avait été adressée 
de traduire la Bible et, maintenant encore, il hésite, il 
allègue son insuffisance, il s'efforce de faire comprendre 
qu'il est < autant difficile de pouvoir bien faire parler 
à l'éloquence ébraïque et grecque le languaige francoys, 
que si l'on voulait enseigner le doulx rossignol à 
chanter le chant du corbeau enroué*.» Mais, cette fois, 



I Histoire de la Réforme en Europe au temps de Calvin, par 
J. F. Merle d'Aubigné, t. Il, p. 653. 

^ Olivétan semble avoir emprunté sa comparaison à la lettre de 
Luther à Spalatin du 14 juin 1528 : « Je sue sang et eau pour don- 
ner les Prophètes en langue vulgaire. Bon Dieu, quel travail! 
Gomme les écrivains juifs ont de la peine à parler allemand 1 Ils 
ne veulent pas abandonner leur hébreu pour notre langue barbare. 
Cest comme si Philomèle, perdant sa douce mélodie, était obligée 



80 PICARDS FUGITIFS A NEUCHATEL. 

les instances des barbes se joignent à celles de Farel et 
de Saulnier; Olivétan est € prié, sollicité, importuné et 
quasi adjuré *. » Ala fin, les excuses d'Olivélan se trou- 
vent moins puissantes que leurs persuasions; et il est, 
pour ainsi dire, « contrainct à entreprendre cette si 
grande charge. » 

La réunion du val d'Angrogne, rencontre momentanée 
des Réformés d'avant la Réforme avec les enfants de la 
renaissance littéraire et biblique, fut pour Rome comme 
le rapprochement de deux nuages remplis d'électricité. Il 
en sortit des foudres divines qui, en fondant sur la cité 
pontificale,purifièrent l'atmosphère morale du xvi© siècle. 

Joyeux du résultat de leur course, Farel et Saulnier 
accompagnent Olivétan à Genève. Olivétan les introduit 
auprès de son hôte, et les prêtres leur font proposer une 
conférence ; mais ils n'échappent qu'avec peine au guet- 
à-pens qui leur est tendu. 

Olivétan demeure seul à Genève, et l'étude de la Bible 
dans laquelle il se plonge, enflamme son zèle. Un jour, 
dans une église, il entend calomnier la Réforme. Le 
discours terminé, il prend la parole et réfute le prédi- 
cateur. Forcé de quitter Genève, il retourne aux Vallées 
vaudoises, où Bayle pense qu'il remplit des fonctions de 
pasteur; d'autres disent qu'il alla s'établira Neuchâtel. 
Il est probable, en tout cas, qu'il se rendit d'abord dans 



de chanter toujours avec le coucou une noie inonolone. » Vie dé 
Martin Luther, par Gust. A. Hoff, p. 427. 

* Ceci rappelle la célèbre entrevue de Farel et de Cjlvin à la 
Tour - Perce, et la rencontre égalrmenl providentielle du même 
Farel et d'Olivetanus sur le lac Léman. 



l'évangéliste typographe. 87 

cette dernière ville, afin d'y voir son compatriote Pierre 
de Wingle, qui devait se charger d'imprimer sa Bible. 

Pierre de Wingle était, lui aussi, fugitif. Longtemps 
imprimeur à Lyon chez un typographe dont il avait 
épousé la fille, il avait été poursuivi par TOfficialité mé- 
tropolitaine, pour avoir reproduit par la presse certains 
livres venus d'Allemagne. De Lyon, il était venu s'éta- 
blir à Genève ; mais, là aussi, des Nouveaux Testaments et 
des pamphlets publiés contre les moines lui avaient attiré 
l'animadversion de l'autorité ecclésiastique supérieure. 
Pierre de Wingle chercha un refuge à Neuchâtel. Il y 
avait deux ans que « l'idolâtrie avait été abolie de 
céans*. » Les bonnes gens de Neuchâtel, comme veut 
bien les appeler M. Vulliemin *, non-seulement lui 
laissèrent imprimer en paix une nouvelle édition du 
Nouveau Testament de Lefèvre et divers « tracts » de 
Farel; mais, reconnaissant le service qu'il leur avait ren- 
du en imprimant la sainte Écriture^ ils lui firent don de 
la bourgeoisie. L'imprimeur exilé paraît avoir été sen- 
sible à ce titre, qu'il prend soin de faire connaître aux 
lecteurs delà Bible de 4535. 

La complaisance avec laquelle ij énumère, par deux 
fois, à la fin de cette Bible, ses noms et surnoms, nous 
apparaît également comme un indice de la satisfaction 
qu'il éprouva, en voyant sortir de son étaWissement le 
beau volume qui l'a rendu célèbre. Quoi de plus légi- 

< Inscription gravée sur le premier grand pilier de la collégiale 
de Neuchâtel, à droite en entrant. 11 y est ajouté la date 1530, et ces 
mots « par les bourgeois. » 

* Le Chroniqueur, recueil historique et journal de l'Helvétie ro- 
mande, dans les années 1555 et 1556, p. 105. G. Bridel^ Lausanne. 



88 CHEF d'oeuvre DES IMPRIMERIES NEUFCHATELOISËS. 

time qu'une telle joie, lorsqu'elle est accompagnée d'une 
humble reconnaissance envers le Dieu qui nous permet 
de prendre part à son œuvre? 

Pierre de Wingle, dict Pi rot Picard, n'était pas un 
imprimeur ordinaire. Non-seulement les persécutions 
qu'il endura, et la remarquable préface qu'il mit à la 
tête de son Nouveau Testament de 4534*, nous prou- 
vent qu'il y avait en lui l'étoffe d'un missionnaire, et que, 
s'il restait imprimeur, c'est qu'il voyait à bon droit, dans 
l'exercice de cet art, un puissant moyen d'évangélisation ; 
mais, de l'aveu des typographes modernes, il excellait 
dans sa profession. On sent, en examinant le Nouveau 
Testament de 1534 et la Bible de 4535, en particulier, 
qu'il s'est acquitté de sa tâche œn amore, 

Cette Bible, au reste, est bien l'un des plus curieux in- 
folio que nous ait légués le xvi® siècle et, sans contredit, 
le volume le plus remarquable qui soit jamais sorti des 
presses neuchâteloises. 11 est composé de soixante-dix 
cahiers qui sont de douze pages, à l'exception d'un qui 
n'en a que huit; ce qui fait en tout huit cent trente-six 
pages et, avec les pièces liminaires, huit cent cinquante 
pages. Le texte est sur deux colonnes ; des notes criti- 
ques et philologiques, de courts sommaires et des réfé- 
rences occupent les marges. Les versets ne sont point 
indiqués ; on ne commença de les introduire qu'entre 
4554 et 4560, dit M. Reuss. Ils parurent pour la pre- 
mière fois, dit Lallouette, dans la belle édition de la 
Bible française publiée en 4553 par Robert Estienne. En 
revanche, cette Bible-renfermé la division par paragra- 

» Voir à r Appendice. 



TERRE, PRESTE L'AURËILLE : L'ETERNEL PARLE. ^ 

phes ou pèi'icopes : division dont on a fait honneur tantôt 
à l'un, tantôt à Tautre des traducteurs modernes. En 
outre, les fragments poétiques des livres historiques se 
trouvent imprimés sous forme de stiches, à la façon des 
vers. On revient, après trois siècles, à cet arrangement si 
rationnel. D'autre part, on a conservé jusqu'à aujour- 
d'hui l'usage introduit dans cette Bible, d'imprimer, en 
caractères différents, les mots qu'il a fallu ajouter à l'ori- 
ginal. 

Les critiques les plus favorables contestent à Olivé- 
tan le génie; mais n'en fait-il pas preuve, dès la page 
du titre ^ dans cette traduction d'une parole d'Esaïe 
placée comme épigraphe : Éœutez^ Cietix, et toiy Terre^ 
preste l'aureille, car /'Éternel parle. Ce nom, TÉternel, 
l'un des termes les plus majestueux de notre vocabu- 
laire biblique, a été introduit par Olivétan. Il ne sa- 
crifie pas l'exactitude à la sonorité, puisqu'il est la 
traduction littérale du Nom ineffable qui, d'après Téty- 
mologie, désigne en hébreu Celui qui est et qui sera; 
aussi a-t-il été adopté par un Israélite, M. S. Cahen, 
dans sa version de l'Ancien Testament. M. Wogue ne 
s'en est pas non plus départi. 

Au verso du titre, on lit une Épître latine de Jehan 
Gauvin à tous empereurs, rois, princes et peuples sou- 
mis à Vempire de Christ, Cette pièce manque à la plu- 
part des exemplaires ; et, souvent, cette mutilation a été 
faite par une main amie. « Les livres venus de Neuchâtel 
inspiraient, à cette époque, une grande frayeur à l'É- 
glise catholique, » raconte l'abbé Jeanneret dans ses 
Étrennes neuchâteloises et, sans doute, la haine était 
proportionnée à la peur. On devait donc user d'expé- 



90 ALMEUTES, CHLOROTES ET CUSÉMETH. 

dients, pour introduire ces livres en France. Parfois, on 
en remplissait des tonneaux; souvent aussi, dit-on, les 
expéditeurs eux-mêmes enlevaient le litre; et les doua- 
niers ignorants, ne reconnaissant pas le volume désigné 
à leur vigilance, laissaient passer. 

Après rÉpître de Calvin, on trouve successivement, 
celle de P. Robert Olivetanus, Vhumble et petit Trans- 
lateur à r Église de Jésus-Christ et V Apologie du Trans- 
lateur. Cette dernière pièce est dédiée à trois person- 
nages mystérieux qui s'appellent l'un, HilermeCusemeih, 
le second, Céphas Chlorotes, et le troisième, Antoine Al- 
meutes. M. le pasteur Gagnebin d'Amsterdam a décou- 
vert dernièrement * que ce ne sont là que les noms 
traduits en hébreu ou en grec de Farel (far, épeautre, 
en hébreu, nrsDD); de Viret (xXwpérYiç, viriditas); de 
Saulnier enfin (àxp.8UTYiç, saleur). Cette Apologie expose 
une théorie judicieuse sur les points hébreux et la 
méthode de traduction suivie par Olivélan. « Cette mé- 
thode est digne d'être remarquée *, dit Richard Si- 
mon, critique sobre d'éloges, on le sait, surtout à 
l'endroit des prolestants. » Il dit encore : « On ne peut 
nier que celle mélhode ne soit très-bonne; mais l'exé- 
cution n'a pas répondu au dessein du traducteur. » 

Quel anonyme se cache sous les initiales 0. F. C. 
qui se trouvent en lêle de l'épîlre adressée € A nostre 
allié et confédéré y le peuple de V Alliance de Sinaï? » Sans 
doute, elles désignent les trois réformateurs français 



1 V. Bullettin de la Société de l'histoire du protestantisme 
français. Année 1862, p. 211. 

2 R. Simon, Hist, crit. du V. Test. liv. Il, chap. xxiv. 



À NOTRB CONFÉDÉRÉ DE SUfAÏ. 91 

réfugiés en Suisse, Olivétan, Farel et Calvin. Celle atten- 
tion et cette sympathie accordée par la première Bible 
protestante au peuple juif, était un favorable augure 
des bons rapports qui devaient s'établir dans notre siècle 
entre les Israélites et nous*. Ici encore, on retrouve un 
contraste avec l'Église catholique, qui n'a guères eu pour 
l'ancien Peuple de Dieu que des paroles de malédiction. 
Deux poésies, l'une en français, l'autre en latin, ter- 
minent le recueil des pièces liminaires. On en retrouve 
plusieurs autres au nombre des pièces finales. C'est un 
des aimables caractères de cette Bible qui, malgré son 
grand âge, porte un cachet indélébile de fraîcheur et 
de vie. Imprimeur, traducteur, collaborateurs apparte- 
naient à l'élite de la jeunesse lettrée en France. L'un 
des collaborateurs d'Olivétan, c'est Eutyche Deper, de- 
venu célèbre sous le nom de Bonaventure Despériers. 
Il est l'auteur de la première épîlre en vers latins que 
renferme le volume. Le poète, s'adresse à la France et 
l'invite à laisser une littérature frivole pour l'étude des 
saints Livres, étude dont plusieurs nations voisines lui 
donnent le salutaire exemple. Les trésors du Livre de 
Dieu sont demeurés trop longtemps enfouis dans le 
mauvais latin de la Yulgate : 

Trita sub Ausonio quœ latuere luto *, 



< Voir à ce sujet le document intitulé : L'Epoque du rappro- 
chement ou EnterUe fraternelle entre l Alliance évangélique et l' Al- 
liance israélite universelle. Paris, (îhez Michel Lévy, 1863. C'est 
uue série de lettres récemuieut échangées entre M. J. Koînigswar- 
ler, membre corresp. de Tlnstitut, président do V Alliance israélite, 
et M. A.-F. Pélavel, D' en philos., ministre du Saint-Évangile. 

* L'expression est forte, mais on la retrouve dans la lettre de Lu- 



92 COLLABORATION DE DESPÉRIBRS. 

Accipe^ volve^ diu noduque, volumina sancta. 

Le dernier distique est ainsi conçu : 

Quisquis es^ o ledoVy primores carminis Imjus 
Ne sperne notas; qui tibi vertit, is est. 

Ce qui signifie que la pièce tout entière forme l'acros- 
tiche du nom d'Olivétan. 

Au jugement de Ch. Nodier, Bonaventure Despériers 
fut « le talent le plus naïf, le plus original et le plus 
piquant de son époque. » Olivétan l'appelle, dans l'Apo- 
logie, son « loyal frère et bon ami. » Despériers avait 
mérité ce titre par le dévouement avec lequel il avait 
rempli, auprès d'Olivétan, les fonctions de secrétaire, 
amanuensis ; et par le soin qu'il avait mis à dresser la 
Table de V interprétation des noms propres, qui se trouve 
à la fin de la Bible de 4535. Cette table, au rapport de 
Papillon, est ample et curieuse et n'a pu se faire sans 
beaucoup de peine. Le style de Despériers bénéficia de 
ce contact intime avec le Livre des livres. Deux ans 
plus tard, il fit paraître le Cymbalum mundi, l'un des 
premiers modèles de notre langue classique. « Avant 
Despériers, dit M. Haag, notre langue ne faisait que 
bégayer; le premier, il la fit parler. » Il serait à sou- 

ther à Spalatin, citée plus haut : « Qui ne œnnait pas la langue 
hébraïque, dit-il, ne comprendra jamais parfaitement les saintes 
Ecritures ; car môme le Nouveau Testament qui est grec, est rempli 
de locutions hébraïques. Aussi a-t-on eu raison de dire que les Hr- 
breux boivent à la source, les Grecs dans le ruisseau qui en dé- 
coule, et les Latins dans le bourbier. • 



BtPLICAtlûN d'aucuns TAOPES HÉBRAÏQUES. 0^ 

haiter seulement que la sainte Écriture eût réglé ses 
mœurs, de la même manière qu'elle façonna son esprit. 
Calvin le met au rang des « Rabelais et des Govéa qui, 
après avoir goûté l'Évangile, furent frappés d'un tel aveu- 
glement, qu'ils pensaient ne différer en rien des chiens 
et des pourceaux. » La débauche conduisit Despériers 
au suicide. 

Si nous mentionnons encore un Discours préliminaire 
sur l'excellence des Écritures, adressé à lotis les ama- 
îeurs de Jésus-Christ et de son Évangile^ et placé à la 
tête du Nouveau Testament, et V Indice des principales 
matières contenues en la Bible^ rédigé par Matthieu 
Grammelin, nous aurons terminé l'énumération des 
principales pièces caractéristiques de la Bible d'Oli- 
vétan. Le Discours préliminaire est de Calvin et fut mis, 
plus tard, en tête des éditions genevoises de la Bible. 
V Indice occupe vingt pages et commence par ces mots : 

€ Comme lesavettes f/^^air/Z/e^j soigneusement recueil- 
lent les fleurs odorantes pour faire, par naturel artifice, 
le doulx miel : aussi ay-je les principales sentences con- 
tenues en la Bible, et l'un à l'autre confrontés plusieurs 
difiiciles passages... afiîn que le prudent lecteur, par 
l'Esperit de Dieu, en puisse remporter naifve et claire 
intelligence. Ainsi chascun (comme est tenu) pourra 
estre appresté, muny et garny de réponses à tous ceux 
qui demandent raison de sa foy. On y pourra aussi trouver 
(ce qui soulage grandement l'estude des Lecteurs) l'ex- 
plication d'aucuns Iropes hébraïques, translations, simi- 
litudes et façons déparier que nous disons idiotismes.^. » 



H AUtlORE DEft SOCIÉTÉS BIBUÛUEB. 

Le tout se termine par une pièce devers, 
Lecteur, entends si Vérité adresse 

et la citation d'un passage énigmàtique du prophète 
Ezéchiel : 

« Leur ouvrage estait comme si une roue emt été au 
milieu de Vautre roue, » 

A bon entendeur salut! Cela veut dire, sans doute, que 
si Ton réunit les initiales de tous les mots de la susdite 
pièce de vers, on obtiendra une nouvelle pièce de vers, 
un distique : 

« Les Vaudois, peuple évangélique, 
Ont mis ce thrésor en publicque, » 

On n'est pas d'accord sur la somme consacrée par les 
Vaudois à l'exécution de leur entreprise. Léger parle de 
quinze cents écus d'or; et le Chroniqueur, de cinq cents 
écus seulement. L'écu d'or pouvait valoir, à cette époque, 
dix francs environ. Ce fut donc cinq mille francs, pour le 
moins, que collectèrent entre eux ces pauvres monta- 
gnards, dans un temps oii le gage d'une servante ne 
dépassait pas de beaucoup trois à quatre livres faibles ; 
c'est-à-dire, trois à quatre francs par an, plus deux che- 
mises et une paire de souliers. 

Mais ce qui donne au sacrifice des Vaudois une 
valeur incalculable, c'est qu'il réalisa, pour la première 
fois, l'idée des Sociétés bibliques. 

La réformation fut votée à Genève en 1535. La Bible 



OLIVÉTAN A ROMB» 9S 

des Vàudois devint pour Téglise de cette ville, ainsi qvie 
pour les églises de France nouvellement fiancées à 
Jésus-Christy comme le présent de noces donné par un 
frère aîné, le peuple des vallées, à ses sœurs cadettes *. 
Telle est l'image employée par Olivétan dans sa Dédicace^ 
qu'il est temps de citer. Olivétan y a laissé comme une 
empreinte de son âme ; c'est ce qui nous détermine à la 
reproduire plus au long qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Elle 
sera pour nous une compensation des détails biogra- 
phiques qui nous manquent sur son auteur. Tout ce que 
l'on sait de lui, à partir de l'achèvement de sa Bible, 
c'est que, courant d'exploits en exploits, il entreprit 
d'attaquer Rome au cœur même de son empire. Voulant 
mettre à proflt ce qu'il avait appris d'italien dans les 
Vallées ; appelé, peut-être, par quelques amis secrets de la 
Réforme, il partit pour la capitale du catholicisme. On 
l'empoisonna, et il vint mourir à Ferrare en 1538. Il ne 
survécut donc que d'un an à son maître et devan- 
cier, Lefèvre; mais du moins, à sa dernière heure, il 
n'eut pas le regret d'avoir faibli par un excès de timi- 
dité. C'est, l'auréole du martyre sur le front, que 
Pierre Robert Olivétan se présente à nos yeux, et ce que 
nous allons dire constitue pour nous ses ultima verba. 
A la vérité , Senebier * se méfie de ce qu'il appelle 
€ ces soupçons d'empoisonnement. » Mais il nous sera 
permis de nous défier de la légitimité de ces doutes, en 
considérant d'abord, que Senebier ne motive en aucune 



• < Dans celte même année 1555, Calvin dotait TEglise de son 
înxtiifUion chrétienne. 
â Eia. m. de Genève. Liv. 1, p. 155. 



96 ADIEUX DU TRADUCTEUR MARTYR. 

façon l'hésitation qu'il exprime; puis, que le fait est 
rapporté par le savant Spanheim, qui avait visité Rome un 
siècle après Olivétan ; et que Bayle lui-même, qui n'est 
pas suspect de crédulité, l'admet sans aucune restriction. 
La circonstance n'a d'ailleurs rien en soi d'incroyable. 
Olivétan était, en 4538, dans l'âge où l'on meurt le moins, 
entre quarante et quarante-cinq ans; et l'on sait qu'avant 
lui, ses amis, Farel et Virel, à Genève, n'échappèrent 
qu'à grand'peine au genre de mort qui fut apparem- 
ment le sien. 

€ P. Robert Olivetanus, l'humble et petit translateur 
à l'Église de Jésus-Christ. Salut! 

e La bonne coustume a obtenu de toute ancienneté, 
que ceux qui mettent en avant quelque livre en public- 
que, le viennent à desdier à quelque prince, roi ou em- 
pereur... Laquelle manière de faire n'est point totale- 
ment maintenue sans cause. Car, avec ce qu'on est 
affriandé par l'expectation d'un royal remerciement, 
aucuns ont telle prudence qu'ils ne recevraient pas un 
écrit, s'il ne portait la livrée de quelque très-illustre, 
très-excellent, très-haut, très-redoulé, très-victorieux, 
très-sacré, béalissime et sanctissime nom... Pour moi, 
ayant en main cesle présente translation de la Bible, 
après avoir eu le tout bien considéré, n'ai pas tant fait 
pour icelle dame coustume, que je me soie voulu assu- 
jettir au droict qu'elle exige. Aussi bien, cestui livre est- 
il de bien autre étoffe que tous autres livres, quels qu'ils 
soient, servant d'offrandes contre riches et plantureux 
octroys. Après lesquelles bestes je ne chasse point; car 



TR^.SOR BN BOUGETTES KRANÇ41SES. 97 

me passe bien de tel gibier, la grâce à Dieu, qui me 
fournit de contentement et suffisance... Tel livre donc 
n'a que faire de faveur, support ni adveu humain, ni de 
puissance ou paternité quelconque, tant souveraine soit- 
elle, fors que de toi, ô paoure petite Église, et de tes 
vrais fidèles, savants en la cognaissance de Dieu. C'est 
donc à toi seule que s'adresse ce précieux thrésor. . . et ce, 
de par un certain paoure peuple, le tien amy et frère en 
Jésus-Christ; lequel, depuis que jadis il en fut doué par 
les apôtres ou ambassadeurs de Christ, en est toujours 
demeuré en jouissance etfruition. 

< Et maintenant, ce peuple, te voulant faire feste, m'a 
donné cette charge et commission : de tirer ce thrésor 
des armaires et coffres ébraïcques et grecs, pour (après 
l'avoir empacqueté en bouge ttes françaises ^ le plus 



1 « Bougete est le diminutif de Bouge, Bulgulay qui est un 
mot que les Latins ont imite des anciens Gaulois. Mais le français, 
par ce diminutif, entend ce petit coffret de bois de bahu, feutré ou 
bourré entre cuyr et bois par dessous, afln qu'il ne blesse le cheval, 
et ferré de petites listes de fer blanc par dessus le couvercle, qui est 
voûté et d'un pied et demi de long ou environ, quelque peu de moins 
de large, fermant à serrure et à clef, que les femmes portaient an- 
ciennement pendue à courroyes de cuyr doubles, à Tarçon de de- 
vant de la selle de leur palefroy, quand elles allaient aux champs ; 
en laquelle elles portaient leurs bagues, joyaux et menus affiquets. 
Et parce qu'elles y portaient leurs meubles les plus précieux comme 
bagues, joyaux, attours, affiquets et choses de cabinet qui sont leur 
chevance et pécule, que les Latins appellent mundus muliebris, il 
est venu en usage, que les Seigneurs appellent bougete, non seule- 
ment telle espèce de coffret, ains {mais) la layete où ils tiennent 
l'argent comptant de leur espergne. — Thrésor de la langue fran- 
coyse par Jean Nicot — Les auteurs qui ont cité des fragments de 
\a Dédicace d'Olivéïan, ont expliqué bougctto ^SiT petit sac de cuir 
qu'on portait en voyage. M«is combien la description fournie par 

7 



98 A t>AOUREtTE PEtlTfi ÉGUSE. 

convenablement que je pourrais, selon l'adresse et le 
don que Dieu m'a dispensé), en faire un présent à toi, ô 
paoure Église! à qui rien l'on ne présente... Vraiment 
cette offrande te estait proprement due, en tant qu'elle 
contient tout ton patrimoine ; à savoir, cette parole par 
laquelle, par la foi et assurance que tu as en icelle, en 
paoureté, tu te réputes très-riche ; en malheureté, bien- 
heureuse; en solitude, bien accompagnée; en doute, acer- 
tainée; en périls, assurée; en torments, allégée; en re- 
proches, honorée; en adversités, prospère; en maladie, 
saine ; en mort, vivifiée. Tu accepteras donc, ô paourette 
petite Eglise! cestuy présent, d'aussi joyeuse affection 
que de bon cœur il t'est envoyé et dédié. Et pourquoi 
aurions-nous honte de te l'adresser, bien que tu sois si 
malotrue ^ et que tu aies, le plus souvent, en ta famille, 
impotents, aveugles, sourds, paralytiques, vefves et orphe- 
lins. Christ ne sjest-il pas donné et communiqué soi-mesme 
à telle manière de gens abjects, petits et humbles; ne leur 
a-t-il pas familièrement déclaré les grands secrets du 
royaume qu'il proteste leur appartenir? C'est sa petite 
bande invincible, sa petite armée victorieuse, à laquelle, 
comme ung vrai chef de guerre, il donne courage et 
hardiesse par sa présence, et chasse toute frayeur et 
crainte par sa vive et vigoreuse parole. 

c Mais ne te voudrais-tu point enquérir quel est cet 



Nicot cadre mieux avec le contexte ! La traduction de la Bible se 
trouve comparée à la corbeille de parures et de bijoux, mundu$ 
muliebris, offerte à Ttipouse de Jésus-Christ. Nous dirions écrin; 
mais bougette est bien préférable, puisque le présent est destiné à 
l'Eglise étrangère et voyageuse ici-bas. 
1 Informe, mal bâtie. 



LE VRAI PEUPLE DE PATIENCE. 99 

ami inconnu et cet étrange bienfaiteur, qui se mesle ainsi 
de te. donner ce qui est à toi? Quant à ce qu'il te donne 
ce qui est tien, j'estime que tu ne lui en sauras pas moins 
de gré que s'il te donnait quelqu'autre chose; vu que, 
de si longtemps, voire jamais, au moins si pleinement 
et franchement *, on ne t'a donné la faculté d'en jouir, 
comme maintenant tu feras. Ce bien est tien, et toutefois 
il demeure entièrement à celui qui te le donne. la 
bénigne possession de grâce, qui rend au donnant et à 
l'acceptant une même joie et délectation! Quelque beau 
semblant que les hommes fassent, et quelque propos 
qu'ils aient en la bouche, pour vouloir colorer et faire 
entendre de combien bon cœur ils donnent, toujours y 
a-t-il, en quelque anglet de ce cœur, une prudence paou- 
reuse qui crie : prends garde à ce que tu fais, que tu 
n'aies faute de ce dont tu es prodigue! Or il n'en va pas 
ainsi de ce don ; car (affin que tu le saches) il n'est faict 
que pour être donné et communiqué à un chascun ; et 
ceux qui le donnent, se tiennent pour avoir fait un grand 
gain et bonne emplette, quand ils ont trouvé occasion 
de te le présenter et le mettre en ta possession. 

€ Quant au paoure peuple qui te fait le présent, il 
fut, il y a plus de trois cents ans, banni de ta compa- 
gnie. Espars aux quatre parties de la Gaule, il est 
(à tort toutefois et pour le nom de Christ) réputé le 
plus méchant que jamais fut^ tellement que les autres 
nations emploient son nom pour injure et reproche. 
C'est le vrai peuple de patience, lequel, en silence et 

^ Allusion aux précédentes traductions de la Bible, qui n'a- 
vaient point été faites d'après les originaux. 



100 (PRINCESSE ESCLAVE* 

espérance, a vaincu tous les assaults. Ne le connais-tu 
point? C'est ton frère, lequel, comme le pitoyable Joseph, 
ne se peut plus contenir qu'il ne se donne à connaître 
à toi. C'est ton ami, telque Jehonathan, le plus parfait, 
constant et entier que tu aies jamais eu. Il attendait 
toujours que tu vinsses à reconnaître ton droit, qui t'est 
commun avec lui, et duquel il lui déplaisait en jouir 
sans toi. Longtemps, il t'a vue au service de tant rigo- 
reux et difficiles maîtres, trotter, mal-accoutrée, mal- 
menée, morfondue, en si piteux état, qu'on t'eût plutôt 
jugée être quelque paoure esclave, que la fille et l'héri- 
tière du Dominateur universel. Ton frère donc, auquel 
ta vie tant misérable faisait pitié, s'est souventes fois 
ingéré, en passant et repassant, de t'appeler par le 
nom de sœur, s'efforceant de te donner le mot du guet 
de parfaite et heureuse liberté. Mais toi, toute hébétée 
de tant de coups, peines et travaux, tu passais outre et 
allais ton chemin. Tu n'avais pas déchargé un fardeau, 
que tes religiosissimes maîtres te rechargeaient d'un 
autre. Et à peine te laissaient-ils le loisir de boire et de 
manger ; ains, voulaient, entendaient et commandaient, 
ces gens de bien, que tu jeusnasses la plupart du temps 
et le tout, pour servir l'insatiable appétit de tels glou- 
tons. Maintenant que tu es, un petit, revenue à toi, et 
que tu commences à connaître de quelle race tu es, ce 
peuple, ton frère, s'avance et t'offre amiablement son 
tout. Or, avant donc, paoure petite Église, encore en 
état de chambrière et de servante; va décrotter tes 
haillons, tout poudreux d'avoir couru dans le marché 
fangeux des vaines traditions. Va laver tes mains qui 
sont toutes salles de faire l'œuvre servile d'iniquité. 



LA TRAÎTRR MARATRE. 101 

Veux-tu toujours ainsi être à maître? N'est-il pas temps 
que tu songes à ton époux? Christ t'aurait-il aimée en 
vain; aurait-il perdu les peines qu'il a prises pour toi? 
Ne prendras-tu pas égard aux précieux joyaux que lui- 
même (si tu sais comprendre) t'envoie en loyauté de 
mariage? Préfères-tu les ombres claustrales? Prises-tu 
davantage les secrets choppinemeuts sous tes maîtres, 
que la plantureuse et délicieuse table de ton Époux? 
Lui veux-tu point donner ton amour et ta foi? Qu'at- 
tends-tu? Ne veux-tu pas te fier en lui? N'y a-t-il pas 
assez de bien en la maison de son Père pour t'entre- 
tenir? As-tu paour qu'il te déçoive, lui en qui il n'y a 
nulle fraude ou malice? As-tu doubte qu'il te traicte 
mal, lui qui est tant doulx et tant de bonne sorte? As- 
tu doubte qu'il te laisse mourir, lui qui donne vie 
immortelle? As-tu paour qu'il te laisse quelque jour 
vefve, lui qui vit éternellement? N'aie égard à ta peti- 
tesse; il lui plaît d'eslire les choses basses, pour con- 
fondre et faire honte aux choses haultes; il lui plaît de 
te choisir, toi qui n'es rien, pour te faire eslre plus 
que ceux qui se cuident estre quelque chose. Ne te 
chaille ^ ! Prends congé de tes maîtres et de cette traître 
marâtre que tu as si longtemps appelée mère. Mets-leur 
en avant, qu'il est temps que tu suives la volonté de 
Christ, ton Époux, lequel te demande. Quitte-leur tout 
ce que tu pourrais avoir gagné et mérité avec eux. Car 
le tien Époux n'a que faire de ces biens-là, qui lui 
feraient déshonneur. Il est bien vrai que, de ta part, tu 
ne pourrais apporter à ton Époux chose que vaille. Mais 

1 Courage! 



102 NOBLES ET ATTITRÉS DB LA COUR CÉLESTIELLE. 

qu'y ferais-tu? Viens donc, viens hardiment avec tous 
les nobles et attitrés de ta cour, tes Injuriés, les Excom- 
muniés, tes Emprisonnés, tes Bannis, tes Décrachés, 
tes Confisqués, viens avec tes Tenaillés, tes Flétris, tes 
Exoreillés, tes Démembrés. Tout au contraire des autres 
rois, qui ne veulent, en leur palais, personne qui ne 
soit bien accoustré, sain et en bon point, il les veult 
tels qu'il a été lui-même en ce monde ; et il les appelle 
amiablement, pour les soulager, les enrichir, lesavancer 
et les faire triompher avec lui en sa cour célestielle. 

e Maintenant donc, heureuse Épouse du Fils du Roi, 
accepte et reçois cette Parolle et Testament, où tu 
pourras voir la volonté saincte et infaillible de Christ, 
le tien Époux, et de Dieu son Père, lequel, ô paoure 
petite Église, te maintienne en sa grâce ! 

« Des Alpes, ce xii« de féburier 4535. » 

En se taisant presque entièrement sur lui-même, 
Olivétan, dans cet Avant-propos, nous révèle la mo- 
destie de son caractère. Il se nomme loyalement ; puis, il 
s'efface. Obligé, dans son Apologie, de dire ce qu'il 
a fait, il nous fournira le modèle de la vraie humilité 
chrétienne : 

« J'ay faict du mieulx que j'ay peu, dit-il ; j'ay labouré 
et foui, le plus profondément qu'il m'a esté possible 
en la vive mine de pure vérité... Mais je n'entends 
point avoir îcelle du tout épuisée. Autant en y pourra 
trouver un autre, s'il y veult vaquer... Aussi^ en ung 
mesme corps, tel que nous sommes en Jésus-Christ, il 
n'y a nulle envie, ni reproche entre les membres. L'œil 



HUMBLES ARTUEILS FOUILLANS ET QUERÂNS. 105 

net, qui voit clair, adresse le pied qu'il ne choppe et 
Ëice un Êiulx pas, sans lui reprocher sa cécité et souil- 
lure. Aussi le pied, salle et fangeux, marche par les 
mauvais passages, sans avoir envie de la netteté des dé- 
licats yeux, qui ne endureraient pas la moindre ordure 
qui soit. Ainsi, j'espère que les clairs et lumineux yeulx 
ne desdaigneront, ne blâmeront point les petits labeurs 
de moy, qui suis comme l'ung des plus petits artueils 
des humbles pieds de ce corps, fouillans et querans ce 
qui nous a esté si longtemps caché aux étranges ter- 
roirs Ebraicques et Grecz. Et, quanta moi, j'endurerai 
volontiers le gracieux aspect et regard de ces yeulx, 
quand il leur plaira me bénignement admonester et 
faire que je soye purifié, s'il reste en moy (comme en 
hommes que nous sommes, tous bons ouvriers de 
faultes), quelque ordure et défaillance... Aux bien 
accordantes orgues de l'Église universelle de Christ, 
desquelles les vifs tuyaux sont espars par tous les 
costez du monde, les petits tuyaux, quelques menus 
qu'ils soyent, ce néantmoins, ils servent à la mélodie ; 
et les gros, plus résonnans, attempèrent aussi leur 
baultesse à la petitesse et tendre ton d'iceulx. » 

Tant de grâce, tant de candeur auraient dû désarmer 
les critiques. Mais, s'il peut rester un doute relatif à 
l'attentat commis sur la vie du traducteur, il est indé- 
niable que Rome n'a que trop bien réussi à empoi- 
sonner le souvenir qu'il a laissé. Grâce à elle, il est 
demeuré sous le coup d'une double accusation de pré- 
somption et de plagiat. 

Voici comment s'exprime le chanoine Lallouette, 



104 USURPATION PRÉTENDUE. 

dans son Histoire des Traditions françaises :. « Oli- 
vétan a voulu faire croire à son parti ,. qu'il avait 
été le premier qui avait fait imprimer une traduction 
française... Cependant, c'est un fait que j'ai vérifié : que 
la traduction d'Olivétan est une copie de celle d'An- 
vers... Sauf quelques changements, tout est copié mot 
à mot ; les notes mêmes qu'il a mises en marges, sont 
presque toutes celles de la seconde édition d'Anvers. > 
Le jésuite Cotton et Richard Simon ne parlent pas 
autrement : « Il est ridicule, dit le Père Simon, 
d'avoir ôté le mot iVApôtre^ pour mettre en sa place 
celui d'Ambassadeur. Cependant, l'érudition de ce pre- 
mier traducteur de Genève ne s'étend guère au delà de 
ces sortes de changements *. » 

Grâce à l'incurie qui n'a que trop longtemps pré- 
valu en semblable matière, ces assenions ont pris cours; 
et la postérité, en les reproduisant, loin de les réformer, 
n'a fait que renchérir, si possible. On en jugera parles 
lignes suivantes delà Biographie universelle : « Olivélan, 
dit-elle, ne doit la place qu'il occupe dans les diction- 
naires, qu'au titre qu'il avait usurpé de premier traduc- 
teur de la Bible... Il ne fit que retoucher la version de 
Lefèvre d'Étaples. 11 n'en eut pas moins l'impudence de 
se vanter d'avoir traduit sur les textes originaux. On le 
crut sur parole ; et Théodore de Bèze, pour expliquer 
la rapidité du travail d'Olivétan, assure qu'il fut aidé 
par Calvin... Cette première édition de la Bible, à l'usage 
des protestants, est très-rare; mais elle n'a guère d'aîilre 
mérite... » 

< Ui$t. crit. du Nouveau Te$twnent, chap. xxix., p. 530. 



EXAMEN COMPARATIF. i05 

Ce jugement est d'autant plus fâcheux qu'il émane 
d'un écrivain protestant. Mais il serait injuste d'en 
faire peser sur M. Weiss seul la responsabilité ; elle doit 
être partagée par ses prédécesseurs, les historiens de la 
Réforme, qui ne se sont donné aucune peine pour dé- 
truire les préjugés des catholiques à cet égard. 

Bien que plus favorables à Olivélan, les écrivains 
qui ont parlé de lui, à partir de M. Weiss, n'ont pas 
directement combattu l'opinion de ce dernier; du moins, 
la nature plus ou moins populaire de leurs ouvrages 
ne leur a pas permis d'apporter des preuves à l'appui 
de leurs appréciations. 

Ne pouvant supporter la pensée qu'Olivétan n'eût fait 
que changer quelques expression^ de la Bible d'Anvers, 
nous nous sommes décidé à consacrer le temps nécessaire 
à l'examen comparatif des deux Bibles d'Anvers et d'Oli- 
vétan ; et nous sommes heureux de le dire, la Bible d'O- 
livétan^est sortie victorieuse de cette épreuve. 

Dans le premier chapitre de la Genèse, par exemple, où 
Lallouette prétend qu'Olivétan n'a introduit qu'un seul 
changement, nous n'avons pas compté moins de soixanle- 
huit modifications ; c'est deux fois plus de corrections 
qu'il n'y a de versets et davantage. Pour ne parler 
que des corrections notables, faites d'après l'hébreu, 
nous en avons relevé jusqu'à quarante dans les chapitres 
deuxième et troisième du même livre ; cinquante-huit, 
dans les soixante-treize versets du prophète Joël. Dans 
les Psaumes, Olivétan ne corrige plus, il traduit à nou- 
veaux frais \ Dans le cinquième chapitre de l'Évangile 

f La traduction des Psaumes est plus fautive que tout le restai, 



100 SOIXANTE MILLE MODIFICATIONS. 

de Matthieu, il renouvelle le texte de Lefèvre en vingt- 
quatre endroits différents; dans le dix-septième chapitré 
des Actes, les innovations sont au nombre de trente.; 
il y en a dix-neuf dans la lettre à Philémon, et trente- 
quatre dans le premier chapitre de la première épître 
de Pierre. D'après ces chiffres, Olivétan aurait réformé 
le texte de la Bible d'Anvers en vingt-trois mille cinq 
cents endroits; en plus de soixante mille, si nous vou- 
lons tenir compte de toutes les minuties du style. Nous 
parlons des livres canoniques de la Bible; car, pour ce 
qui concerne les livres apocryphes, ils ont été de sa part 
l'objet d'un travail beaucoup moins considérable, comme 
on peut s'en convaincre en jetant un coup d'œil sur le 
chapitre xxxvi de l'Ecclésiastique, où se retrouve la 
même lacune de dix versets, que présente la Bible d'An- 
vers. Mais, comme protestants, nous n'avons à nous 
occuper que des livres canoniques. 

Soixante mille modifications de tout genre ! Nous ne 
parlons pas, il va sans dire, de l'orthographe, ni de la 
ponctuation; vingt mille corrections d'après les origi- 
naux! Personne assurément, en présence de ces chiffres, 
ne pourra plus appeler l'œuvre d'Olivétan une retouche; 
elle mérite plutôt le nom de réforme, que nous lui avons 



dans la Vulgate. Jérôme l'avait bien révisée ; mais sa révision n'a 
pas prévalu. L'Église romaine a conservé, pour ce livre, le texte de la 
Vêtus Itala, et c'est ce texte que Lefèvre avait pris pour base de sa 
version; il ne pouvait donc pas même servir de canevas à Olivétan. 
— Dans l'Église anglicane, à cette heure encore, et pour une raison 
toute semblable, la traduction de> Psaumes que renferme la liturgie 
n'est pas la môme que celle de la Bible autorisée, (llelle-ci est faite 
d'après l'hébreu, et celle-là d après la Vulgate. 



SOURCES ÉNUMÉRÉES PAR OUVÉTAN. 107 

donné; on pourrait l'appeler une refonte. A cette 
époque-là surtout, ce n'était pas trop de la carrière 
d'un homme pour l'opérer. Olivétan n'y consacra que 
deux ans et demi à peine; et même, seulement un an, 
si nous prenons au pied de la lettre ces mois de l'Apo- 
logie : « Je viens maintenant, après avoir travaillé toute 
l'année, rendre compte de la besogne faite, etc. » Une 
telle facilité de travail tiendrait à nos yeux du prodige, 
si Olivétan n'avait eu soin de nous indiquer lui-même les 
secours qui lui ont été fournis. « De vaillants pionniers, 
dit-il, ont crosé et fouy devant moi, desquelz j'ay veu les 
cros et cavernes. De là où les ouvriers chaldaïques ont 
pris pour ceux de leur langue, du mesme or, les trans- 
lateurs Grecz ont tiré leur cinq nobles translations, les 
Latins plusieurs, les Allemands trois, les Italiens deux, 
et plusieurs autres nations... » et il ajoute plus bas, qu'il 
a a conféré toutes translations anciennes et modernes, 
jusque à l'italien et l'allemand , tant que Dieu lui en a 
donné à connaître. i> 

n faudrait donc avoir sous la main la Bible allemande 
de Luther (4 532) et la Bible italienne d'Antoine BruccioH, 
qui est du mois de mai de la même année, pour appré- 
cier dans quelle mesure Olivétan s'est servi de l'une et 
de l'autre. Ce que nous pouvons statuer en tous cas, 
c'est que celte mesure est restreinte. Et pourquoi serait- 
il allé chercher dans des langues d'un accès plus ou 
moins difficile les lumières qui s'offraient à lui dans 
l'idiome familier des savants d'alors? Les princes des 
hellénistes etdeshébraïsants, Erasme et Xantès Pagni- 
nus, ce dernier après trente ans de labeur, venaient de 
publier deux admirables traductions latines, l'une du 



108 l'ancien testament de xantês pagninus. 

Nouveau, Tautre de TAncien Testament. Grâce aux pro- 
priétés plastiques du latin , Pagninus, l'ancien disciple 
de Savonarole, était parvenu à calquer, mot après mot, 
sa version sur l'original; moins littérale, la version 
d'Erasme est généralement si fidèle, qu'on la réimpri- 
mait encore dans l'Allemagne protestante, à la fin du 
dix-septième siècle. Pressé par les circonstances, qui 
exigeaient impérieusement la prompte émission d'une 
Bible réformée en français, Olivétan, sans perdre de vue 
les originaux, adopta pour guides Erasme et Pagnin*. 
On pourrait dire qu'il a formé le tissu de sa traduction, 
en prenant pour chaîne la Bible d'Anvers et, pour trame, 
en quelque sorte, les deux versions latines sus-mention- 
nées. Çà el là, il insérait dans son tissu un fil que lui 
avaient fourni ses propres recherches ou d'autres inter- 
prètes. Je dis çà et là seulement car, après Erasme et 
Xantès Pagninus, on ne pouvait plus que glaner. 

Quant aux notes qui enrichissent la Bible d'Olivétan, 
il est faux de dire, avec Lallouette, qu'elles sont, pour la 
plupart, empruntées à la Bible d'Anvers de 1534. Elles 
attestent un usage judicieux des meilleurs commentaires 
de l'époque : entre autres, de la Paraphrase d'Erasme 
pour le Nouveau Testament; et pour l'Ancien, des Pos- 
tules de Nicolas de Lyra, Juif converti, que nous avons 
cité plus haut, et dont les commentaires avaient été com- 

< t Erasme a pondu Vœuf el Luther Ta couvé, t Ce mol des 
ennemis de Luther s'applique, on le voit aussi, en une certaine 
mesure à Olivétan; mais il n'enlève ni à Tun ni à Tautrele mérite 
d'avoir su choisir un bon guide. Quant à Pagninus, il était digne 
de la coniiance d'Olivétan, en sa qualité d'ancien disciple de Savo- 
narole. Les Juifs qui lurent sa traduction, rendirent hommage à sa 
fidélité. 



LE NOUVEAU TFStAMENT D^ERASMe. 409 

piétés, au quinzième siècle, par un autre Israélite con- 
verti, Paul, évéque de Burgos. C'est dans cesPostilles 
qu'Olivétan trouva les opinions des plus fameux exé- 
gètes de la Synagogue, Jarchî et Kimchi , sur l'autorité 
desquels il s'appuie en une multitude de passages. 

Mais d'où vient, diront quelques-uns, qu'Olivétan ne 
cite pas Erasme, Pagnin et Lefèvre, de là même ma- 
nière qu'il cite Jarchi et Kimchi? La réponse est aisée. 
D'abord , Olivétan , nous l'avons vu , dit expressément 
s'être servi de versions latines autres que la Vulgate. 
S'il ne précise pas davantage, c'est uniquement par 
prudence évangélique. Ce n'était pas sans beaucoup de 
difficultés et d'oppositions que ces diverses traductions 
avaient vu le jour. Léon X, grand ami des lettres et des 
arts, avait étendu sa protection sur les savants travaux 
de Pagnin et d'Erasme ; mais c'était à condition qu'ils 
ne sortissent pas des régions savantes. D'ailleurs, ce pa- 
tronage même allait à rencontre de la tendance d'un 
puissant parti dans l'Église romaine qui, plus papiste 
que le pape, avait en aversion tout travail sérieux dont 
la Bible était l'objet. Ce ne fut pas trop de l'amitié 
de Léon X, pour défendre la traduction d'Erasme contre 
ceux qui voulaient la proscrire; et ce pape étant venu à 
mourir, Pagninus dut abandonner, faute de ressources, 
l'impression de son œuvre. Commencée dès l'année 
4493, sa traduction ne put paraître que sept ans après 
la mort de Léon X, en 1515; non point en Italie, mais 
à Lyon, et aux frais de quelques citoyens généreux de 
Lacques et de Florence. 

Qu'en de telles circonstances , un hérésiarque , 
tel qu'Olivétan, eût déclaré avoir pris pour guides 



ilO 81LENCK JODICIEUl DOLIVÉTAM. 

Erasme et Pagnin, loin de servir ces traducteurs, il les 
compromettait de la façon la plus grave; il fournissait 
une arme terrible à leurs accusateurs; il risquait de 
faire mettre à l'index ces secrets pionniers de la réforme. 
À plus forte raison y la mention expresse qu'Olivétan 
aurait faite de la Bible italienne de Bruccioli et de la 
Bible française de Lefèvre, déjà suspectes, aurait infail- 
liblement précipité les sentences d'interdiction, qui ne 
les atteignirent que trop tôt, l'une comme l'autre. C'eût 
été, en même temps, troubler les derniers jours du véné- 
rable traducteur anonyme dans sa retraite de Nérac. 
En fait de Bibles françaises , Olivétan parle de Bibles ma- 
nuscrites, les seules qu'il pût nommer sans inconvénient; 
les seules, d'ailleurs, qui fussent bien connues en Suisse. 
Ce ne dut pas être sans peine, qu'à deux cent cin- 
quante lieues de distance, Olivétan se procura dans 
sa solitude des Alpes, en dépit de la persécution et de 
la défectuosité des moyens de transport, la Bible d'An- 
' vers qui servit de canevas à la sienne. 

Ces observations auront sufp, j'espère, pour repous- 
ser les préventions injustes que l'esprit du parti avait fait 
peser sur la Bible d'Olîvétan ; du reste, nous ne préten- 
drons pas qu'elle fût parfaite. Le style se distingue de 
celui de la Bible d'Anvers par des formes plus gramma- 
ticales et plus correctes; d'autre part, un flot d'hébraïs- 
mes brusquement introduits en altère souvent la lim- 
pidité. Olivétan ne suit pas ses guides en aveugle, et il 
lui arrive souvent d'éviter leurs faux pas; mais, parfois 
aussi, il les répète. C'est ainsi qu'il a conservé, dans le 
deuxième chapitre de la Genèse, le pays où il croist de 
i'oTj traduction de ubi nascitur aurum^ v, 44. Martin est 



BALBlNES Et DRAGONS. 441 

le premier qui, cent soixante-dix ans plus tard, ait cor- 
rigé cette lourde faute de la Vulgate. On retrouve de 
même l'influence delà Vulgate dans le mot de firmament ^ 
employé au premier chapitre du même livre, et Tin- 
fluence de la Bible d'Anvers dans le terme de baleines ^ 
dont Ôlivétan se sert pour rendre celui de ianninim^ 
qu'il serait peut-être plus exact de rendre par monstres 
marins j ou grands amphibies; si Ton recule devant l'ex- 
pression trop savante de mégalosaurienSy ou devant les 
fantastiques dragons de la nouvelle version de Lausanne. 
Castalion, qui ne se gênait pas de créer de nouveaux 
mots, les appelle dans sa traduction du nom àe poisson- 
nars; mais cela valait déjà mieux que baleines. En fait 
de nouveaux mots, Olivétan n'est pas toujours égale- 
ment heureux. A la vérité, c'est lui qui, le premier, 
nous l'avons vu , eut l'idée de traduire par YÉternel le 
nom quadrilitère ; mais le terme de hommace qu'il em- 
ploie, Gen. II, 23, n'est guère préférable à celui de 
Virago, que Lefèvre avait conservé de la Vulgate. Reste 
à savoir si l'ingénieuse traduction de M. Perret, qui 
porte femme d' homme , ou celle de Lausanne, qui se 
borne à reproduire le mot hébreu Ischa, ont, l'une ou 
l'autre, définitivement résolu la difficulté. 

HommacBj pour désigner notre mère Eve, sortie pure 
et brillante de beauté des mains du Créateur! Vraiment, 
ce mot-là sent le refuge. Mais à qui la faute, sinon à 
ce fanatisme farouche qui, jusqu'à nos jours, a forcé les 
traducteurs de sortir de la société de leurs concitoyens, 
pour accomplir leur œuvre? Nous n'adresserons pas 
même à Olivétan le reproche de s'être trop hâté^ Il y 

* « Tout ce qu'on peut dire de lui, c'est qu'il se hâta trop, 



414 SlJPÉRIOWTÉ RELAtiVË. 

avait cinq ans que la réforme avait été votée à Neuchâtel, 
l'Église de cette ville pouvait-elle rester plus longtemps 
sans Bible ; se représente-on une Église protestante sub- 
sistant sans un exemplaire complet des saintes Écritures? 
Ébauche, si l'on veut, la Bible d'Olivétan était une ex- 
cellente^auche, supérieure peut-être, sous le rapport 
de l'exactitude, à la version de Luther, et tellement préfé- 
rable aux traductions anglaises d'alors, que vingt-sept 
ans plus tard, M. Goverdale, avec quelques autres exi- 
lés de l'Angleterre, pensèrent rendre un éminent ser- 
vice à leur pays, en le gratifiant d'une traduction nou- 
velle, calquée sur la Bible d'Olivétan. Elle fut réimpri- 
mée maintes fois, à partir de 4562, sous le nom de 
Bible anglaise de Genève. Vins tard encore, en 4587, 
P. Hackius se servait de la Bible d'Olivétan, pour reviser 
la version hollandaise. Enfin, jusqu'à nos jours, c'est la 
Bible d'Olivétan qui a prévalu, avec différentes modifi- 
cations, dans toutes les églises françaises de la Réforme. 
On eût donc évité de graves erreurs si, au lieu de 
prêter l'oreille aux calomnies des adversaires, on se 
fût donné la peine d'examiner soi-même les textes ou 
si, du moins, l'on eût tenu compte de l'opinion d'un 
juge dont la savante Allemagne a réimprimé naguère 
encore les arrêts, et qui était éclairé, en semblable ma- 
tière, autant qu'homme de son siècle. Voici le juge- 

qu'un ouvrage de celte conséquence demandait qu'on y employât 
plus d'une personne ; mais nous n'avions pas dans ce temps -là d'ha- 
biles critiques. On s'appliquait entièrement à la prédication; et il 
est difficile qu'un prédicateur qui fait profession de dire peu de 
choses en beaucoup de mots, puisse réussir dans une version de la 
Bible. » Note de l'Editeur de VHùL crit. du V. Test, par R. Simon. 
Amst., 1685, p. 545. 



MODÉRATION DU VRAI SAVOIR. 145 

ment plein de modération, porté par Calvin sur Olivétan 
et sur son œuvre ; il est tiré de TÉpître préface, placée 
immédiatement après le titre de la Bible de 4535. Nous 
reproduisons, à peu de chose près, la traduction de 
M. G. Read*, la première, croyons- nous, qui ait été 
donnée de ce passage. 

c Du translateur, dit Calvin, je ne veux dire que peu 
de chose, de peur qu'on n'attribue ce que je dirai à la 
parenté qui nous lie ou à notre vieille amitié. Je dirai 
cependant, (et cela je crois pouvoir l'affirmer sans 
crainte d'être démenti), qu'il est doué d'un esprit vif et 
pénétrant, qu'il ne manque pas de science, et qu'il n'a 
épargné ni travail , ni recherches , ni soins : c'est un 
homme, en un mot, qui entend bien les devoirs du tra- 
ducteur. Toutefois, il est, je n'en doute point, des en- 
droits qui, soit par suite de la grande diversité des 
goûts, soit parce que dans un ouvrage de si longue ha- 
leine, il est difficile de ne pas faiblir quelquefois, ne 
plairont pas à tout le monde. Mais si le lecteur rencontre 
de ces endroits , je l'invite à ne pas attaquer et à ne 
pas incriminer un savant qui a bien mérité des études 
sacrées ; mais, bien plutôt, à relever ses fautes avec mo- 
dération. Cette modération ne sied pas moins au 
vrai savoir qu'à la piété chrétienne. Ce sera d'ailleurs 
justice envers notre excellent Robert Olivétan qui, entre 
autres qualités éminentes qui le distinguent, est remar- 
quable par la modestie; si je dois appeler modestie ce 
qui est vraiment chez lui une humilité poussée à l'excès. 



^ Bulletin de la Société de Vhistoire du protestantisme français 
Année iSoS, p. 77. 



114 «I^MIE PEKSPXACË DE CALVfH. 

puisqu'elle a failli l'empêcher d'entreprendre le saint 
travail de cette translation, et que ce n'est qu'à force 
de sollicitations et de supplications, que ces deux véné- 
rables frères et intrépides témoins de la parole de Dieu, 
Cuscmeth et Chlorotes*, ont enfin obtenu qu'il l'accom- 
plît. Quant à ceux dont aucune considération ne sau- 
rait contenir la langue, je les prie de se souvenir qu'il 
est très-facile de faire assaut de médisances et que, 
sous ce rapport, les commères dos carrefours, elles- 
mêmes, l'emporteront toujours sur les plus habiles rhé- 
teurs des écoles. Du reste, je ne leur appliquerai pas 
la menace du comique qu'on les paiera de leur monnaie. 
Ils auront affaire à un personnage qu'ils pourront atta- 
quer impunément, car il n'est pas homme à user de 
représailles, quand on l'offense. Mais aussi, je les aver- 
tis de ne pas se promettre une grande gloire de leurs 
frais d'éloquence aggressive, car il est d'une grande 
vérité ce proverbe qui dit, qu'tf est facile de critiquer, 
mais non de pratiquer. » 

CaoîUart ointiia fromftum fssf, ttb non ttm amnlarP. 

Ne semble-t-il pas, en entendant Calvin, que son gé- 
nie perspicace ait prévu les vicissitudes de l'opinion 
relativement à l'œuvre qu'il recommande ; et sa sen- 
tence, trop longtemps méconnue, n'apparaît-t-elle pas 
comme celle qui doit finalement prévaloir? Nous ne con- 

* Farel et Viret, ainsi que nous l'avons vu plus haut. 
2 On voit, en passant, que notre vers si souvent cité : 

« La critique est aisée et Fart est difficile » 

n'est que la traduction , littérale et élégante à la fois, d'une vieille 
locution populaire appliquée ici fort à propos. — C H. 



DÉVIATIONS ftOHANlSÎES DÉ LA VULGAtR. iH 

testons pas le savoir d'un Bochart qui, dit-on^ se plai- 
sait à appeler, par un mauvais jeu de mots, le travail 
d'Olivélan, Vaversion des savants; nous ne contestons 
pas non plus la justesse des critiques plus récentes 
dont cette traduction révisée a été l'objet; mais, avec 
Calvin, nous contestons le droit de se constituer juge 
rigoriste, dans un genre dirficile où l'on ne s'est pas 
soi-même exercé. 

J'émets le vœu qu'un de nos futurs candidats en théo- 
logie choisisse, comme sujet de thèse, la Bible d'Olivétan. 
Non-seulement elle mériterait d'être plus complètement 
décrite au point de vue bibliographique , historique et 
linguistique; mais, au fond, elle fournirait l'occasion 
d'une étude crilique de la Vulgale comparée aux origi- 
naux. Il s'agirait d'examiner si les fautes qui four- 
millent dans la Vulgate et qui, pour la plupart, se trou- 
vent corrigées dans Olivétan, sont tout autant de fautes 
accidentelles, ou si elles accusent une tendance à dévier 
vers le catholicisme? Par son contact de plus de mille 
années avec les prêtres de l'Église romaine, le texte de 
la Vulgate ne s'est-il pas imprégné, par une sorte d'en- 
dosmose, des erreurs qui avaient cours dans le milieu où 
il se trouvait placé? C'est là une question à laquelle les 
exemples que nous avons cités, nous porteraient à ré- 
pondre d'une manière affirmative. 

Je dois ajouter, relativement au témoignage de Cal- 
vin, qu'il n'est pas un hommage implicite rendu à la 
capacité d'Olivétan; mais qu'il suivit un examen atten- 
tif de la traduction elle-même. Cela ressort d'une lettre 
de Calvin à Christophe Fabri ; lettre latine encore iné- 
dite, dont je dois la communication à la bienveillance de 



il6 BIBLES BRULEES AVEC LES MARTTBS. 

M. Merle d'Aubigné. Elle est datée du troisième jour des 
Ides de septembre 4534! *, et porte pour adresse ces 
mots : Christophoro libertino Verbi Dei minùtro,Bo- 
lœ *. Calvin y mande à Fabri, qu'il n'a pas encore mis la 
main à la révisioUy reœgniiionem^ qu'Olivétan réclamait 
de lui; qu'il s'est adonné à d'autres études (l'Institution 
était en préparation), ou « que plutôt il s'est complu 
dans sa paresse habituelle (!) vel potiùs acquievi in so- 
litâ meâ desidiâ; » mais il annonce qu'il aura soin dé- 
sormais de consacrer tous les jours une heure à ce tra- 
vail, et qu'il communiquera ses observations à son cor- 
respondant. 

Son cousin mort, Calvin adopta sa traduction; mais 
non sans y apporter de nombreuses retouches. Il en 
parut sous ses auspices une nouvelle édition en 4540. 
Une multitude d'autres suivirent. Les Bibles du seizième 
siècle accompagnèrent l'Église martyre jusque sur le 
bûcher; elles ont presque toutes disparu. Mais, comme 
le dit la préface d'une édition subséquente, c un grand 
fruit s'en est ensuivi, et la postérité doit en avoir la 
mémoire très-précieuse et très-chère. » C'est avec un 
sentiment sincère de sympathie et de respect que nous 
nous séparons ici de l'homme qui fut le premier pion- 
nier du protestantisme dans la capitale du protestan- 
tisme français au seizième siècle et qui, en réformant 
la traduction de la Bible d'après les originaux, rendit à 

< 11 septembre. 

a « Fabry, à celle époque, était encore à Boudry ou plutôt à 
Bôle, qui était le lieu de sa résidence. Bôle était pour lors une 
dépendance de Téglise de Ponthareuse. » Annales de Boyve, 
année 1555, t. Il, p. 359. 



KAMEAU CATHOLIQUE. Ii7 

la cause de la vérité un service dont Ti importance ne 
peut être comparée qu'à la conversion de Calvin, delà- 
quelle l'Église lui est également redevable. 

Maintenant, pour être complet, nous devons abandon- 
ner quelques instants la branche protestante des ver- 
sions de la Bible, revenir au tronc dont elle est issue 
et suivre le prolongement de l'arbre dans un second ra- 
meau non moins considérable que le premier, celui des 
versions catholiques. Ce sera l'objet de notre sixième 
chapitre. 



CHAPITRE VI. 



Les traductions catholiques de la Bible, 
de Lefèvre à Port-Royal. 



Il en est qui prêchent Christ par un esprit d'en> 
rie et de dispute..., qu'importe? pourvu que, d'une 
manière ou d'une autre, Christ soit prêché ; je m'en 
réjouis. PhUip., I, 45-18. 



Au point de vue critique, les traductions catholiques 
de la Bible ne peuvent avoir pour nous qu'un intérêt se- 
condaire ; non point par la raison qu'elles émanent d'une 
communion différente de la nôtre; mais parce qu'elles 
érigent en principe l'asservissement à la Vulgate, et 
qu'elles ne s'y dérobent parfois, que par l'effet d'une 
inconséquence. En revanche, les qualités du style qui 
souvent les distinguent, mériteraient, à elles seules, de 
fixer notre attention, quand d'ailleurs nous serions sans 
intérêt pour leur histoire. 

Mais, solidaires de tous les membres de l'humanité, 
nous le sommes bien spécialement de la France. La 
langue et le voisinage établissent entre les Français et 
les Suisses une étroite fraternité. Notre premier désir 



FRATERNITÉ DES FRANÇAIS ET DES SUISSES. 119 

doit être que la religion affermisse , resserre et relève 
cette fralernité-là. La diffusion de la Bible est le moyen 
le plus efficace de réaliser l'union désirée; comment 
donc suivrions-nous avec indifférence les louables tra- 
vaux de catholiques-romains qui, en traduisant et en 
répandant les saintes Écritures, ont préparé les voies, 
dans les siècles passés, à l'œuvre qui doit, de nos 
jours, faire l'objet de nos vœux les plus chers? 

La ville d'Anvers, princesse parmi les cités marchan- 
des du quinzième siècle, s'illustra, dans le seizième, par 
ses nombreux établissements typographiques. Elle avait 
acquis, dans ses relations commerciales avec toute espèce 
de peuples, cet esprit de tolérance et de progrès qui est 
le souffle vital de la presse. Et, pour parler avec M. Ros- 
seeuw Saint-Hilaire, « la liberté de conscience y floris- 

sait à l'ombre de la liberté commerciale Toujours 

peuplée d'étrangers qui , en venant y chercher la ri- 
chesse, y apportaient la liberté, cette cité cosmopolite 
était devenue le grand marché des idées du monde en 
même temps que de ses denrées*. » Trente ans avant que 
Christophe Plantin y imprimât la Polyglotte royale, 



* Histoire d'Espagne depuis les premiers temps historiques jus- 
qu'à nos jours, t. VllI, p. 221, 253. Nous voudrions détacher de ce 
beau volume, pour F insérer ici, la page entière où l'auteur décrit 
la sph'ndeur d'Anvers avant Piiilippe 11, et termine par ces mots r 
« Au XVI* siècle, lorsque les peuples sortaient a peine de leur iso- 
lement ; quand, rapprochés par le coinmeroe et par la religion, ils 
s'embrassaient pour la première fois d'une étreinte fraternelle, on 
conçoit la vive impression qu'Anvers a dû pn^duire sur les imagi- 
nations. Aussi sa ruini', conçue et préméditée de sang-froid par 
l'Espagne, pèse-t-elle sur elle comme une tache dont elle ne se 
lavera jamais devant Dieu, ni devant les hommes. » 



126 LIBÉRALISME DES SEIGNEURS D' ANVERS. 

Martin Lempereur publiait, dans cette même ville, la 
première Bible française non glosée; Jacques de Liesvelt, 
le premier Nouveau Testament hollandais ; Chrystophe 
Eyndhoven, Vorsterman et Jean de Reymond, différentes 
éditions du premier Nouveau Testament anglais, celui 
de Fyndale. Ce fut à Anvers, de 1520 à 4530, comme 
une pluie printanière d'éditions prmceps de la Bible, 
dans les langues des pays circonvoisins. L'impression 
de la Bible flamande avait commencé, en 1518 déjà, 
chez rhïibile imprimeur Barthélemi de Grave, dont le 
fils devint professeur de théologie, et commenta saint 
Augustin. La Bible de Barthélemi de Grave était, paraît- 
il, une Bible glosée, dans le genre de la Bible française 
de Guiars ; mais Ton ne peut douter qu'elle n'ait servi 
à frayer le chemin à la publication des Bibles qu'on 
proscrivait ailleurs. /)n l'imprima à réitérées fois. Au 
reste, elle fut bientôt suivie de versions plus correctes. 
Lorsqu'en 1526, Henri VIII donna à son agent Hacket 
l'ordre de poursuivre l'imprimeur Eyndhoven, Hacket 
rencontra, de la part des autorités du pays^ une résis- 
tance à laquelle il ne s'attendait point : « Nous ne 
pouvons prononcer un jugement qu'avec connaissance 
de cause, répondirent les seigneurs d'Anvers ; nous allons 
donc faire traduire le livre incriminé d'anglais en fla- 
mand. » Hacket obtînt qu'on n'en fît rien; mais, en 
définitive, Eyndhoven fut renvoyé de la plainte. Indigné 
de ce jugement, Hacket court à Malines, où résidaient la 
Gouvernante et le Conseil établi par l'empereur. « Quoi ! 
s'écrie-t-il, on punit celui qui répand de la fausse mon- 
naie, et l'on ne punirait pas plus sévèrement encore celui 
qui la frappe! » c'est-à-dire, en ce cas-ci, l'imprimeur. 



CONCOURS DU CLERGÉ. \%i 

€ Mais, lui répondit-on, c'est précisément la question en 
litige : nous ne sommes pas sûrs que cette monnaie soit 
fausse. » L'acquittement d'Eyndhoven fut maintenu, et 
Anvers continua d'être l'ofHcine des Bibles anglaises, 
jusqu'à ce qu'elles pussent être publiées à Londres. 
Évidemment, la municipalité d'Anvers avait l'humeur 
libérale, et Charles-Quint, prince tout flamand, ne vou- 
lait pas qu'on la contrariât. Il paraît même que le clergé 
partageait ces dispositions ; car non-seulement les Cor- 
deliers d'Anvers, plus généreux que leurs confrères de 
Meaux, accordèrent leur approbation à la Bible de Lefè- 
vre ; mais un inquisiteur de la foi catholique, Nicolas 
Copin, docteur en théologie et doyen de l'église collé- 
giale de Saint-Pierre de Louvain, la revêtit aussi de la 
sienne. 

Cette faveur, cependant, ne fut pas de longue durée. 
La Bible de Lefèvre parut, une fois encore, après la mort 
du vieillard; puis, elle fut supprimée. La bibliothèque 
publique de Neuchâtel possède un exemplaire de la 
dernière édition; il porte la date de 1541 *. On y retrouve 
les améliorations déjà introduites par Lefèvre ou par ses 
mandataires dans l'édition de 1534. Le texte est révisé, 
dans plusieurs endroits, d'après les originaux; certains 
passages interpolés de la Vulgate sont supprimés ou 
mis entre crochets, et des notes placées aux marges. 



< Le litre manque dans cet exemplaire, comnle dans un grand 
nombre de ceux de cette époque. Mais on lit à la fin, collée sur la 
couverture, Findication suivante imprimée en caractères gothi- 
ques : A la louenge de Dieu soit l Ceste Bibk fut achevée d'im- 
primer le douziesme jour de janvier, l'an mil cinq cens quarante 
et ung, en Anvers., par Antoine des Gois. Spes mea Jésus. 



122 CHARLES-QOINT RETIRE SON PATRONAGE. 

c exhalent une odeur de luthéranisme, > pour parler 
le langage de Tlnquisilion. On y lit, par exemple, que 
le mot de prestre en grec signifie simplement ancien, 
€ assavoir celuy qui est révérend en aage et en pru- 
dence. » Une citation vous renvoie à 4 Pierre, V, 5, où, 
évidemment, le mot ne peut avoir que le sens indiqué. 
Ces notes vous apprennent encore que pénitence n'a que 
deux parties, qui sont « mortiQcation de la chair et de sa 
gloire, et foy en Jésus-Christ. > Enfin, le tout est précédé 
d'une espèce de confession de foi qui, sans rien dire du 
Pape ni de la Vierge, renferme la doctrine condamnée 
par Rome, de l'assurance du salut : « Ne craignans plus 
d'être damnez, par une vive foy, assurance et fiance. > 

Lors donc que, plus tard, il se fit un revirement dans 
la politique de Charles-Quint; qu'il se fut refroidi à 
l'endroit des Pays-Bas, en suite de la révolte de Gand, 
en 1536, et des excès des anabaptistes ; qu'il se fut rallié 
au Pape, et qu'il eut commencé à faire la guerre aux 
protestants d'Allemagne, les changements apportés dans 
les dernières éditions de la Bible de Lefèvre lui fourni- 
rent un prétexte plausible pour la condamner: ce fut 
la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Non-seulement, 
cette Bible ne put plus être imprimée ; mais les deux édi- 
tions de ISS^etde ibiï ayant été mises à l'index, elles 
furent recherchées par le duc d'Albe et détruites avec 
tant de rigueur, qu'il en est à peine demeuré de reste 
quelques exemplaires. 

Ainsi finit la Bible de Lefèvre, après un petit nombre 
d'années d'existence. Mais, si l'on prend garde à ce fait, 
que catholiques et protestants l'adoptèrent comme base 
de leurs versions , ne peut-on pas dire qu'elle subsiste 



BIAIS IMAGINÉ PAR LES DOCTEURS DE LOUVAIN. 125 

encore, et qu'il est né d'elle une postérité nombreuse 
comme le sable de la mer? Nous venons de voir comment, 
en 1535, elle devint la base des versions prolestantes; 
il nous reste à considérer comment, quinze ans plus 
tard, les catholiques la prirent pour fondement des 
leurs. 

Il ne s'était pas, en effet, écoulé plus de quatre ans, 
depuis la condamnation dont cette Bible avait été l'ob- 
jet, qu'on la voyait reparaître, par une sorte de résur- 
rection, non plus à Anvers, sans doute ; mais à sept lieues 
de là, à Louvain, chez Barthélemi Grave, et revêtue, cette 
fois, d'un caractère officiel par la Faculté de théologie de 
Louvain, qui l'éditait à ses frais et sous son nom. 

Voici l'explication de ce fait, étrange au premier 
abord. L'œil perspicace des chefs de l'Église romaine 
n'avait pas tardé à reconnaître l'impopularité des me- 
sures tardives qui avaient frappé la Bible d'Anvers. Un 
irrésistible élan était donné, chacun, à cette époque, 
tenait à prendre connaissance du contenu des Ecritures. 
C'était pour tous atfaire de curiosité, sinon de con- 
science; la Bible d'Anvers satisfaisait ce besoin. La 
proscrire, c'était donner de la faveur aux Bibles héré- 
tiques récemment arrivées de Neuchàtel et de Genève, 
c'était courir de mal en pis; l'opinion publique était 
en voie de formation aux Pays-Bas, il fallait compler 
avec elle. Les docteurs de Louvain jugèrent que le seul 
moyen de sortir de péril élait de rendre la Bible au 
peuple, en ayant soin d'atténuer ce qu'elle contient de 
favorable à l'hérésie. Ils prirent donc la Bible de Lefè- 
vre, y rétablirent le sens de la Vulgate partout où elle 
donne gain de cause au catholicisme et, pour que cette 



1^4 MOT d'ordre DAT9S l'ÉGLISE ROMAINE. 

nouvelle édition ne partit pas trop inférieure aux Bibles 
genevoises, ils empruntèrent à celles-ci un certain nom- 
bre de corrections qui ne portaient point atteinte au 
dogme traditionnel. Telles furent, de l'aveu des écri^ 
vains catholirjues eux-mêmes, les origines de la célèbre 
Bible dite de Louvain ^ . 

Voici comment le P. Le Long s'exprime à ce sujet : 
« La première édition de la Bible de Louvain (4550) 
renferme peu d'éléments qui lui soient propres; elle 
suit habituellement la Bible anversoise et, de temps 
en temps, la neuchâteloise... La seconde édition (1572) 
reproduit la première ; seulement, le style en est épuré et 
l'on y trouve certains idiotismes de la Bible d'Olivétan, 



* Comme si les chefs de TEglise romaine se fussent donné le mot, 
un fait tout semblable s'était passé en Allemagne à Toccasion de la 
Bible de Luther. « Dieu se servit, pour répandre sa parole, des 
mains qui prétendaient la détruire. Les théologiens catholique^, 
voyant qu'ils ne pouvaient arrêter Tœuvre du RéforiEateur, publiè- 
rent, eux-mêmes, une traduction du Nouveau Testament. C'était la 
traduction de Luther, çà et là corrigée par les éditeurs ; on ne fil 
aucune difficulté de la laisser lire. Rome ne savait pas encore que, 
partout où la Par oie de Dieu s'établit, la puissance papale chancelle. 
Joachim de Brandebourg permit à ses sujets de lire toute traduc- 
tion de la Bible, latine ou allemande, pourvu qu'elle ne vînt pas de 
Witt^mberg. Les peuples de TAllemagne, ceux de Brandebourg en 
particulier, tirent ainsi un grand pas dans la connaissance de la 
vérité. » Histoire de la Réformation du seizième siècle, par 
J.-H. Merle d'Aubigné, t. lll, p. 112, s. — Les mêmes motifs en- 
core ont présidé, de l'aveu des éditeurs, à la publication de la Bible 
anglaise, dite de Reims, ainsi qu'aux éditions cath* cliques des Bibles 
polonaises. Simon, Hist, crit. du V. T., 1. Il, chap. xxu. Dès 1548, 
les docteurs de Louvain avaient imprimé également une Bible fla- 
mande, dont la publication avait été décidée en même temps que 
c-elle de la Bible française et, sans aucun doute, pour des raisons 
identiques. 



PLÉBÉIENS DÉTOUKNÊS DE^ BIBLES GENEVOISES. 125 

que la première édition n'avait pas admis*. » Il paraît 
que les emprunts faits à la Bible d'Olivétan par cette 
seconde édition furent assez considérables pour motiver 
le jugement suivant du P. Simon : « Ayant seulement 
retouché la traduction d'Olivétan revue par Calvin, les 
docteurs n'ont pu suivre la Vulgale avec autant d'exacti- 
tude que s'ils avaient été les auteurs d'une version entière 
sur la même Vulgate *. » M. Reuss, qui fait autorité en 
pareille matière, confirme le témoignage du P. Le Long : 
€ L'importante révision entreprise par les docteurs de 
Louvain, reproduit en général, dit-il, la Bible de Lefévre; 
les changements apportés sont fort peu considérables ^ » 

Nous laisserons encore les auteurs catholiques nous 
dire quelle fut la nature de ces changements, et quel but 
les docteurs de Louvain avaient en vue en publiant la 
Bible en français. Voici comment le P. Simon répond à 
cette dernière question : t Ces théologiens, dit-il, n'en- 
treprirent cette tâche que dans le but de détourner les 
plébéiens illettrés de la lecture des Bibles genevoises qui 
abondaient alors. i^ Il dit encore dans un autre passage 
que « tel fut le véritable motif des théologiens de Lou- 
vain, parce qu'ils reconnurent que la plupart des catholi- 
ques lisaient celles de Genève *. » 

Et quant aux efforts des docteurs de Louvain pour con- 
former la traduction d'Anvers à la Vulgate, voici la dé- 
3laration de Jacques de Bay, l'un d'entre eux, dansTÉpître 
dédicatoire de l'édition de 1578 : « On s'est appliqué avec 



< Biblioth. sacr.y 1709, t. Il, p. 58. 

2 Eût. ait. des Versions du N, T., chap. xxx. 

3 Herzog, Encyclopédie, t. XIII, p. 99. 

♦ Diss. crit., eh. 24 — Hist. criL du V, T. loc. cit. 



126 Dficx Cents éditions. 

le plus grand soin, dit-il, à donner de la Vulgate une ver-* 
sion fidèle, et telle qu'on pût s'en servir sans danger. » 

Les docteurs de Louvain étaient en grand renom d'or- 
thodoxie. Se confiant à leurs lumières, Charles-Quint, 
puis, Philippe H le Catholique, son fils, accordèrent et 
confirmèrent sans peine les privilèges requis. Munies des 
plus hautes approbations, lant ecclésiasliquesque civiles, 
les Bibles de Louvain virent toutes les porles s'ouvrir de- 
vant elles. On les réimprima une infinité de fois, à 
Anvers, à Louvain même, à Rouen, à Paris et à Lyon. Un 
auteur grave, le grand Arnauld, mentionne, à trois repri- 
ses, un chiffre total de deux cents éditions *. Cet immense 
succès s'explique. En dépit de leur imperfection, les 
Bibles de Louvain jouèrent, à partir de 1550, le rôle 
que les Bibles glosées avaient rempli pendant la pre- 
mière moitié du xvi^ siècle. On les opposait aux Bibles 
protestantes, et la masse des curieux timides, masse très- 
considérable dans les Pays-Bas et en France, les préférait 
naturellement aux Bibles hérétiques qui, à la vérité, 
plus exactes, pouvaient coûter la vie aux détenteurs. En 
même temps , elles n'étaient pas tellement corrompues 
qu'elles ne pussent être adoptées, au besoin, par les pro- 
teslanls eux-mêmes. On les trouvait encore, au commen- 
cement de ce siècle, dans les chaires des Eglises réformées 
du nord de la France. Partout ailleurs, elles enfanlèrent 
et nourrirent, sinon des protestants, du moins des galli- 
cans et des jansénistes, en attendant le jour où ces galli- 
cans et ces jansénistes, Télile de l'Eglise catholique de 



< Voir entre autres: Œuvres de Messire Antoine Amavld. Paris 
et Lausanne, 1775, t. V, p. 150* 



Fli D'otl t>Ë LEFkVtlE A ^ORT-HOYaU iîl 

France, les Bossuet, les Fénelon, les Arnauld, les Nicole, 
les Pascal, les Lemaislre de Saci, reconnaissant dans 
l'Ecriture leur véritable mère spirituelle, s'applique- 
raient à la défendre envers et contre tous, et devien- 
draient ses humbles interprètes dans l'idiome épuré du 
xvne siècle. 

D'après le P. Simon, la publication des Bibles de 
Louvain n'était qu'un stratagème. La ruse, en ce cas, 
aurait coûté cher. Pour nous, nous serions porté à croire 
que, chez quelques-uns des docteurs de Louvain, des 
motifs plus nobles, une secrète impatience du joug de 
Rome et un sincère attachement aux Ecritures, ont pu 
se mêler, dans une certaine mesure, à l'esprit de ruse et 
de rivalité. Nous avons mentionné les jansénistes ; mais 
quel était le lieu d'origine des jansénistes, si ce n'est 
cette même université de Louvain où Janscnius avait étu- 
dié et où il était devenu professeur de TEcriture sainte? 
cette université de Louvain qui, dans la personne de 
Nicolas Copin, avait patronné les premiers débuts de la 
Bible complète de Lefèvre ; qui bannissait, cent ans plus 
tard, les jésuites de son sein et qui, de nos jours encore, 
cultive la philologie biblique avec un soin qui lui fait 
honneur. Qui dit Jansénius, dit Saint-Cyran, dit Port- 
Royal. On voit briller le fil d'or qui relie Port-Royal à 
Lefèvre. Et comment nommer Port-Royal sans recon- 
naître que, si l'œuvre principale et le drapeau du parti, 
le Nouveau Testament de Mons, put voir le jour et se 
répandre, ce l'ut grâce encore, grâce surtout aux Bibles 
de Louvain, qui lui avaient frayé les voies et qui, en 
maintenant partout le droit en même temps que la possi- 
bilité de lire le saint Livre en français, établisssaient les 



iS8 PÉRIPETIRS DE LA BIBLE DE BENOIST. 

plus Utiles précédents en faveur de sa dissémination 
subséquente. 

Sans doute, il entrait en France bien des Bibles ge- 
nevoises. L'œuvre du colportage avait commencé. « Étu- 
diants et ministres, porte-balles, porte-paniers y comme 
le peuple les appelait, parcouraient le pays, un bâton à 
la main, le panier sur le dos, par le chaud et le froid, 
dans les chemins écartés , à travers les ravins et les 
fondrières des campagnes. Us s'en allaient, continue 
M. de Félice, frapper de porte en porte, mal reçus sou- 
vent, toujours menacés de mort, et ne sachant le matin 
où leur tète reposerait le soir <. » 

Mais, quel que fût le zèle de ces premiers colporteurs 
bibliques , le nombre des exemplaires qu'ils réussis- 
saient à placer clandestinement, çà et là, était comme 
perdu dans la vaste étendue d'un pays tel que la France ; 
comme les disciples , ils pouvaient dire en mettant au 
service du Seigneur tout ce qu'ils possédaient de nour- 
riture spirituelle : « Qu'est-ce que ceci pour tant de 
gens ? » 

Les deux cents éditions de la Bible de Louvain arri- 
vèrent d'autant plus providentiellement, pour combler 
en quelque sorte les inévitables lacunes de leur entre- 
prise, qu'il s'écoula tout un long siècle avant que la 
France catholique donnât un successeur à Lefèvre. 

Les péripéties de la Bible de René Benoist sont là 
pour attester à quel point la Sorbonne avait conservé 
les traditions d'intolérance que lui avaient léguées les 
Bédier de la génération précédente, et que si quarante 

^ Histoire des Protestants de France, p. 68. 



DÉDICACE A CHARLES IX. 1^9 

années avaient pu s'écouler sans que le savant corps 
eût rien appris, il n'avait du moins rien oublié. 

René Benoist est connu dans l'histoire par la part 
qu'il prit à ce qu'on est convenu d'appeler la conver- 
sion de Henri IV. D'abord curé de Saint-Eustache, son 
éloquence lui acquit tant de crédit au sein de sa pa- 
roisse, qu'on lui donna le nom de pape des Halles. Il 
avait été confesseur de l'infortunée Marie Stuart et 
l'avait accompagnée en Ecosse. Monté sur le trône, 
Henri IV le nomma à l'évêché de Troyes ; mais le nou- 
veau dignitaire attendit vainement de Rome les bulles 
qui devaient le confirmer dans cette charge. Gré- 
goire XIII avait un grief contre lui \ Du temps où il 
était encore professeur au collège de Navarre, en 1566, 
juste trente ans après la mort de Lefèvre, René Benoist 
avait publié une traduction de la Bible qui avait en- 
couru la condamnation de ses collègues de la Sorbonne, 
sans qu'il eût consenti dès lors à faire amende hono- 
rable. 

Il suffit de lire la préface de cette Bible pour com- 
prendre le tollé général qui l'accueillit. Elle était dédiée 
à Charles IX, et décrivait les maux que l'hérésie avait 
causés dans son royaume; puis, elle proposait comme 

remède cela même qui , aux yeux de la docte faculté, 

* D'après la Biographie universelle, ce grief n'était pas le seul. 
L'imparfaile conversion de Henri IV n'avait pas satisfait la cour de 
Rome, qui en voulait à celui qui Tavait procurée. Le catholicisme 
de René Benoist n'avait pas le degré de fanatisme voulu, si Ton en 
juge par ce tilre d'un de ses ouvrages : Examen pacifique de la 
doctrine des huguenots, où l'on montre, contre les catholiques rigi- 
des, que nous ne devons point condamner les huguenots comme 
des hérétiques, avant que l'on ait prouvé de nouveau. Gaen, 1590. 

9 



130 PRÉTENDU REMÈDE A L'HÊRÉSIE. 

avait été le plus fatal à la tranquillité publique, la dis- 
sémination de la Bible en langue vulgaire. Imitant le 
roi Josias qui, parmi sept moyens différents de rétablir 
la pureté du culte de Dieu, faisait lire la Loi devant le 
peuple, le roi devait faire en sorte « que la sainte Bible 
eût cours en sa pureté et sincérité, comme Dieu l'a 
baillée à son Eglise, pour notre instruction et éduca- 
tion, connaissant ce que l'ennemi de la gloire de Dieu 
et du salut des hommes a toujours tâché à obtenir deux 
choses, l'une estoit : scavoir, ou que la Bible fût comme 
ensevelie et cachée, ou bien proposée avec corruption et 
dépravation pernicieuse , par les versions ou exposi- 
tions erronées ou dangereuses des hérétiques. » Il 
était ajouté que cette lecture est principalement néces- 
saire aux rois qui doivent donner l'exemple à leurs sujets. 

Censurée par la Sorbonne, en 1567, cette Bible ne 
laissa pas que de reparaître en 1568. Elle était, cette 
fois, précédée d'une apologie. « La langue française, di- 
sait René Benoist, est-elle donc plus excommuniée pour 
parler chrétien, que le latin ou autre langue quelcon- 
que?» 

Malheureusement, René Benoist ne se maintint pas 
à la hauteur de sa mission. Harcelé par la Sorbonne 
( dont les actes, dit le P. Simon, ne font pas tous hon- 
neur à cette Faculté de théologie, » l'infortuné traducteur 
finit par fléchir dans cette lutte, où le soutenaient pour- 
tant l'évêque de Paris et même le Parlement. Au bout 
de vingt ans, la lassitude, en même temps que la pers- 
pective de devenir doyen de la Sorbonne , s'il venait 
à se rétracter, prévalurent sur ses répugnances. Il 
chanta la palinodie, en avouant publiquement qu'il 



CHACUN PUISE A LA SOURCE EMPOISONNÉE. 151 

avait calqué sa traduction sur celle de Genève et que, 
par conséquent, elle méritait d'élre rejetée. 

11 paraît effectivement que René Benoist s'était borné 
à prendre un exemplaire de la Bible de Genève, qu'il 
avait envoyé chez l'imprimeur, sans autres changements 
que des différences de synonymes aux marges. Soit in- 
curie de sa part, soit inadvertance des imprimeurs, la 
conservation de quelques termes en usage chez les hé- 
rétiques aurait trahi la source à laquelle Benoist avait 
puisé. 

Comme le dit un proverbe vulgaire, en sévissant avec 
tant de rigueur à l'égard du pauvre Benoist, Rome et 
la Sorbonne battaient le chien devant le lion. On n'osait 
s'attaquer aux Bibles de Louvain , crainte d'offenser 
une université qui était le principal rempart du Saint- 
Siège aux Pays-Bas; et cependant, les docteurs de Lou- 
vain, eux aussi, avaient puisé à la source empoisonnée 
des Bibles hérétiques. 

Il en fut de même de la révision que Pierre Besse, en 
1608, dédia à Henri IV; de celle de Claude Deville, enl6i3; 
de celle enfin que Pierre Frizon, en 1621, dédiait à 
Louis XIII. Elles tiennent toutes des origines repro- 
chées à celle de René Benoist; mais elles échappèrent 
au sort de cette dernière , en s'annonçant comme de 
simples révisions de la version autorisée, se plaçant 
ainsi sous le patronage et comme sous le pavillon de la 
Bible de Louvain. 

( Si nous en croyons le P. Véron, ces différentes ré- 
visions, comme déjà celle de René Benoist dans le siè- 
cle précédent , doivent être attribuées à l'importunité 
des libraires, qui n'ont eu en vue que de vendre mieux 



iSS TOURMENT DES CONTliOVERSlSTES CÀTHOtlQUES. 

leurs Bibles, en mettant à la tête de nouveaux noms; 
bien qu'en effet on n'y eût changé qu'un très-petit nom- 
bre de vieux mots *. > Nous ne nous y arrêterons donc 
pas. La seule particularité digne de mémoire, qu'elles 
nous offrent, concerne la Bible de Pierre Frizon, qu'il 
édita, paraît- il, sans réclamer préalablement aucune 
permission épiscopale, ni même l'approbation d'aucun 
docteur. Il pensa qu'il lui suffisait de s'élever avec viru- 
lence, dans son avertissement, contre les Bibles protes- 
tantes et, en effet, cela lui réussit. Toutefois, remarque 
le P. Simon, « il avait beau déclarer qu'il avait em- 
ployé le vert et le sec pour corriger la Bible des fautes 
laissées dans les éditions précédentes ^ et crier contre les 
mauvaises^ hérétiques et pestiférées versions de l'Écriture, 
en les appelant Bibles du diable^ sa traduction n'en de- 
vait pas être plus à couvert , si elle ressemble k ces 
Bibles du diable K » 

11 paraît que ces différentes Bibles firent souvent le 
tourment des polémistes catholiques-romains; ils ne 
pouvaient les récuser et , dans maints passages , elles 
donnaient gain de cause à leurs adversaires. François 
Véron, prédicateur et lecteur du roi pour les controverses, 
sentit fortement ce désavantage. En sa qualité de curé 
de Charenton, il avait de vives discussions à soutenir 
avec Bochart et d'autres ministres protestants, qui 
ne laissaient pas que de le battre quelquefois , grâce 
à de nombreuses citations bibliques. A la fin, le P. Vé- 
ron, impatienté, se décida à faire paraître, en 1547, 
une nouvelle édition du Nouveau Testament, toujours 

< R. Simon, Hist, crit, des Vers, du N. T., XXXI. 



YAisscAux d'Egypte purifiés. 155 

sous le pavillon de la Bible révérée de Louvain ; mais en 
confessant qu'il avait dû y corriger plusieurs erreurs 
préjudiciables à la religion catholique. Suivant lui, la 
plupart des reproches dont la version de René Benoist 
fut l'objet, tombent également sur celles de Louvain, de 
Besse et de Frizon. « Toutefois, ajoute-t-il, je ne veux 
pas même blâmer ces auteurs en ce qu'ils se sont servis 
de cette version genevoise, la corrigeant et repurgeant. 
Quel mal y a-t-il en cela? Ains, cette répurgation mé- 
rite louange. Pourquoi ne nous servirions-nous pas des 
vaisseaux d'Egypte... mais purifiés? » Il les reprend seu- 
lement de ce qu'ils ne les ont pas assez répurgés de leurs 
ordures. Ailleurs encore, il s'efforce de justifier ses 
prédécesseurs au moyen d'une argumentation digne du 
corps dont il était sorti. F. Véron était un ex-jésuite : 
il pose en principe que l'on doit considérer plutôt la 
qualité des traducteurs que les traductions, et que 
l'hérésie co7isiste plutôt au sens qu'aux paroles^ qui doi- 
vent s'expliquer selon l'intention des auteurs et selon 
leurs doctrines. « Mais, d'après ce principe, reprend le 
P. Simon, à qui nous laissons le soin de la réfutation, 
les Bibles de Louvain, de Benoist, de Besse et de Frizon 
seraient catholiques dans les endroits mêmes où elles 
s'accordent avec les précédentes (les Bibles protestan- 
tes). Mais, sans tant raffiner, les unes ne sont pas meil- 
leures que les autres, si les mêmes erreurs se trouvent 
dans toutes également. L'intention des traducteurs et 
leurs sentiments catholiques ne peuvent pas faire que 
ce qui est de soi-même une erreur, soit orthodoxe dans 
leurs ouvrages*' » 

^ IHd. 



154 PERMIS DE LIRE LA BIBLE SANS PERMISSION. 

L'argumentation du P. Véron ne prouve qu'une chose: 
l'embarras que les Bibles de Louvain causaient aux 
controversistes catholiques et, par là même, les services 
qu'elles rendaient à la France, en procurant le triom- 
phe, sinon du protestantisme, du moins, d'une doctrine 
plus épurée que celle qui prévalait au-delà des Pyrénées et 
dans la plupart des autres contrées catholiques. 

« Nous sommes impuissants contre la vérité, t a dit 
saint Paul. En voulant laver son Eglise du reproche que 
lui adressaient ses adversaires, de retirer la Bible des 
mains du peuple, le P. Véron, lui-même, fournit des ar- 
mes aux protestants contre lesquels sa version est diri- 
gée. Voici ce qu'on lit dans l'avant-propos dont nous 
avons déjà cité quelques lignes : « Plusieurs docteurs 
et confesseurs, dit-il, enseignent en pratique et en leurs 
prônes, qu'il n'est pas permis de lire la Bible en fran- 
çais, même d'une version catholique, en noire France, 

sans la permission de Tévêque ou du curé Mais 

quoi! la Bible esl-ellc un livre pernicieux? Je dis que 
nul docteur, sans enfreindre tous les principes de la 
théologie, ne peut soutenir qu'il y ait défense aucune, 
en France, de cette lecture; ni nécessité aucune d'avoir 
permission de lire la Bible par aucune loy, statut ou 
règle qui nous y oblige car c'est un principe cer- 
tain en nos escholes de théologie, de Driedo, de Mé- 
dina, bref de tous nos théologiens ecclésiastiques et mo- 
raux, sans en excepter un seul (Foir Vasquez 1, 2. 
D. 156, e. 5., etc.), qu'une loy, fût-elle même d'un 
pape ou d'un concile, lorsqu'elle n'a été ni promulguée 
aux provinces ni reçue ains, rejetce en pratique et cou- 
tume contraire de plusieurs années , n'oblige pas. Or, 



L'AdBÉ DE MAROLLES. 155 

dit-il, cette maxime s'applique à la loi ou règle iv de 
rindex du concile de Trente, sur laquelle seule, ou sur 
quelques bulles ensuite des papes Pie IV et Clé- 
ment VIII, ces gens-là se fondent. Cette loi n'a jamais 
été ni promulguée, ni reçue en France; ains, y a tou- 
jours été et est rejetée par pratique contraire et de 
bien longues année?, même de plus de quarante ans. » 
Là-dessus, il cite Vasquez, qui assure que la coutume 
peut abroger une loi, et déclare que la règle susdite du 
concile de Trente est bonne et utile en de certains lieux ; 
mais que le scandale que les protestants en prennent, 
peut l'emporter. 

La préface du Nouveau Testament que Michel de 
Marolles, abbé de Villeloin, fit paraître deux ans plus 
tard , 1649 , professe une doctrine semblable. « Les 
conciles œcuméniques, dit-elle, n'ont jamais défendu la 
lecture des livres sacrés en langue vulgaire. » Cette tra- 
duction est également un indice des besoins de l'épo- 
que, qui réclamait une version de la Bible plus con- 
forme aux originaux; mais, n'osant traduire directe- 
ment du grec, de Marolles a suivi, nous dit-il, l'inter- 
prétation latine d'Erasme, et il a soin de rappeler la 
haute approbation donnée par Léon X au traducteur de 
Rotterdam. Du reste, de même que Frizon, Michel de 
Marolles n'avait pas jugé indispensable de solliciter 
l'approbation des évêques ni des docteurs, et on ferma 
les yeux. Il publia aussi les Psaumes isolément, et com- 
mença, en 1G74, Timpression d'une traduction com- 
plète de TAncien Testament. Déjà il en était arrivé au 
vingt-troisième chapitre du Lévitique, lorsque survint 
un ordre du chancelier Séguier, qui retirait le privi- 



156 PATRONAGE IMPUISSANT DE LOUIS XIII. 

lége accordé par son prédécesseur, Mathieu Mole. L'édi- 
tion en resta là. On accusait de Marolles d'avoir pour 
secrétaire un préadamite. Isaac Péreyre, le secrétaire 
en question, était pis encore : juif d'origne et devenu 
calviniste avant de passer au catholicisme, il pouvait 
bien avoir gardé quelque terrible levain d'hérésie pro- 
testante. 

On fut plus coulant à l'égard de la Bible que Jacques 
Gorbin publia en 1643. Ce traducteur doit être signalé 
comme étant le premier qui, depuis Jean deRely et la 
fin du xve siècle, aitpufaireparaître librement en France 
une traduction nouvelle de la Bible entière. Sa qualité 
de laïque mérite également d'être mentionnée. Jacques 
Gorbin était avocat au parlement de Paris. On se sou- 
vient que, dans le xiv« siècle déjà, nous avons rencontré 
un laïque, avocat aussi au parlement de Paris, parmi 
les traducteurs de la sainte Ecriture et, pour complé- 
ter ce rapprochement, l'un comme l'autre agirent par 
les ordres des souverains régnants : Raoul de Presles, 
par la volonté de Gharles V, et Jacques Gorbin par celle 
de Louis XIII. Gependant, au mépris de ce royal pa- 
tronage, et bien que la version de J. Gorbin se tînt hum- 
blement collée au texte de la Vulgate , la haine de la 
Sorbonne pour les traductions en langue vulgaire pré- 
valut tellement sur toute autre considération, qu'elle 
refusa l'approbation qui lui fut demandée. Jacques 
Gorbin s'adressa aux docteurs de Poitiers qui, plus 
accommodants, ne se firent aucune peine de déclarer 
sa traduction « très-élégante, très-littérale et très-con- 
forme à la vulgaire édition du pape Sixte-Quint, selon 
le sens et l'intention du Saint-Esprit. » Toutefois, le 



RÉVISIONS SUPERFICIELLES 457 

P. Simon assure qu'il n'y a que des docteurs de Poi- 
tiers qui puissent dire qu'elle est très-élégante. Elle 
était, au contraire, d'un style rude et barbare, et si obs- 
cure que cela seul aurait dû rassurer la Sorbonne. Le 
fait est que, par opposition aux autres Bibles précédem- 
ment mentionnées, il ne s'en fit qu'une seule édition*. 

On était en plein xyii^ siècle. Quatre générations 
s'étaient succédées depuis la mort de Lefèvre, et l'on en 
était réduit encore, dans la France catholique, à de su- 
perficielles révisions delà Bible de 4530, ou à quelques 
essais fragmentaires de traductions nouvelles, dont au- 
cune n'est parvenue jusqu'à nous, a II faut bien se re- 
présenter, dit M. Sainte-Beuve, quelle était la situation 
générale des esprits catholiques en France, par rap- 
port à la sainte Ecriture , quand Port-Royal , par 
M. de Saci principalement, entreprit de la traduire et 
de la divulguer. Les traductions faites par les proles- 
tants ne comptaient pas pour les catholiques, et demeu- 
raient suspectes d'interprétation non orthodoxe. Les tra- 
ductions surannées et gauloises étaient imparfaites , 
difficiles d'ailleurs et de peu d'usage, à cause du grand 
changement survenu dans la langue , et de cette nou- 
veauté d'élégance à laquelle l'époque de Louis XIV 
s'était aussitôt accoutumée et comme asservie. » 

Que, dans de telles conditions, les Bibles de Louvain 
continuassent à s'imprimer et à se lire, un tel fait té- 

< Huileau fait à Corbin Tlionneur de lo nommer : 

« On ne lit guêres plus Rampale et Ménardière 
Que Maignon, du Souhait, Corbin et Lamorliêre. » 



138 QUI TIENDRA TÊTE A LA SORBONNB? 

moigne hautement de la puissante efiBcace du Livre de 
Dieu, au sein même des entraves où l'abandonnait une 
coupable incurie. Toutefois, si bien des âmes savaient 
reconnaître, sous Técorce de ces antiques et raboteuses 
versions, une pierre de grand prix, leur nombre allait 
diminuant de jour en jour. La Bible était devenue une 
lettre morte pour la Irès-grande majorité des lecteurs. 
Mais où trouver des joailliers assez habiles et assez au- 
dacieux pour polir ce diamant brut, sur lequel la Sor- 
bonne fixait un œil jaloux , sans permettre à personne 
d'y toucher? Le crédit d'un seul n'eût pas suffi à la 
tâche. Les exemples de R. Benoist et de J. Corbin étaient 
là pour prouver que la Sorbonne faisait bon marché des 
résistances individuelles, quelles qu'elles fussent. Sans 
doute, les nouveaux traducteurs pouvaient invoquer, à 
litre d'antécédents, cette série non interrompue de Bi- 
bles catholiques traduites en français, qui ont côtoyé, au 
moyen âge, les traductions vulgaires des hérétiques, 
des Vaudoiî? et, à partir du xvi^ siècle, des protes- 
tants ; mais, malheur à qui se serait engagé seul c dans 
cette voie difficile, étroite^ sur cette marge périlleuse et 
mal définie, à grand'peine laissée par Rome et par la 
Sorbonne à la traduction des Ecritures M > 11 fallait, 
pour rendre la lutte moins inégale, que tous les amis 
de la Parole de Dieu s'entendissent et ne formassent 
qu'un corps, afin d'opposer, si possible, contre les ré- 
sistances opiniâtres de la Sorbonne, maison à maison et 
société à société. Dieu, dans ses vues miséricordieuses 
à l'égard de la France, suscita Port-Royal. 

« Port'Boyal, par Sainte-Beuve, t. U, p. 548, note. 



CHAPITRE VII. 



La Bible de Port-Royal. 



J.08 positions nettes sont les seules 
fortes. A. DE Gasparin. 



Les excès de la Sorbonne hâtèrent sa défaite. En 1656, 
nonobstant les protestations de soixante-douze de ses 
membres, elle repoussait le grand Arnauld de son sein. 
L'année suivante, Antoine Arnauld présidait, àVaumu- 
rier, les conférences qui donnèrent naissance au célèbre 
Nouveau Testament de Mons. 

En se mettant à la tête de cette publication, Arnauld 
devait savoir que rien ne pouvait mortifier davantage le 
corps dont il avait fait partie; mais il serait injuste et 
faux de prétendre qu'il ait agi par esprit de vengeance. 
Lorsque le Nouveau Testament de Mons parut, en 4667, 
« il y avait, au fait, près de trente ans que ceux qui y 

travaillèrent en avaient conçu le projet et, ayant 

différé l'exécution environ vingt ans, il y en avait près 
de dix qu'ils s'y étaient appliqués *. » Loin d'être le 



« Préface historique et critique du N. T. de Mons. - Œuvres 
de Messire Antoine Arnauld, Paris ci Lau&anne, 1775. 



.440 PRINCIPAUX COLLABORATEURS. 

seul auteur du Nouveau Testament qui porte parfois 
son nom, Arnauld n'en fut guère que le principal édi- 
teur. Il y eut un traducteur principal qui fut de Saci; 
mais la plupart des solitaires de Port-Royal, Nicole; 
Cambout de Pontchâteau ; Claude de Sainte-Marthe; Noël 
de Lalanne; Nicolas Fontaine; Henri de Peyre, comte 
de Tréville; Arnauld d'Andilly; Claude Lancelot, y don- 
nèrent pareillement tous leurs soins. A ces noms il faut 
encore ajouter ceux de Pascal et du duc de Luynes. L'un 
et l'autre assistaient aux réunions de Vaumurier, et 
l'avis de Pascal compta entre tous, lorsqu'il s'agit de 
fixer le genre de style qui devait être adopté. De saintes 
femmes, mères, tantes et sœurs des pieux solitaires, 
coopérèrent aussi à l'entreprise, en y apportant, ainsi 
que nous allons le voir, le concours de leurs prières. 
Ce fut donc, à Port-Royal, une œuvre collective que cette 
traduction. Il n'en sera pas moins intéressant de pré- 
ciser la participation respective des principaux colla- 
borateurs. 

D'après une note manuscrite de Jean Racine, le Nou- 
veau Testament fut l'œuvre surtout de cinq personnes, 
MM. de Saci, Arnauld, Le Maître, Nicole et le duc de 
Luynes. « M. de Saci faisait le canevas, ajoute Racine, 
et il ne le remportait presque jamais comme il l'avait 
fait; mais il avait, lui-même, la principale part aux chan- 
gements, étant assez fertile en expressions. M. Arnauld 
était presque toujours celui qui déterminait le sens. 
M. Nicole avait presque toujours devant lui saint Chry- 
sostome et deBèze ; ce dernier, afin de l'éviter *.» 

1 Dictionn.des Ouvr, anon. etpseudon.y^s^r A.Alex. Barbier, t. U. 



FILS OtJ PÉTIT6-F1LS DE RÉFORMÉS. Ul 

Afin de l'éviter, le mot est naïf. S'il s'agissait d'éviter 
la version genevoise, le plus simple était de ne pas l'ou- 
vrir du tout. Sans doute, la phrase est elliptique : elle 
signifie qu'on avait reconnu l'exactitude du sens fourni 
par la traduction hérétique; mais qu'on tenait à en 
modifier les expressions, crainte d'indisposer les cen- 
seurs catholiques. 

Enfin, la sœur Angélique de Saint-Jean, dans une 
lettre écrite à Arnauld en 4668, attribue le Nouveau 
Testament de Mons à trois principaux traducteurs : 
« Celui qui en a creusé les fondements, ayant renou- 
velé dans l'Église, par son exemple, la pénitence que 
l'Évangile nous prêche — c'est-à-dire M. Le Maître; — le 
second qui a élevé tout l'édifice, et qui le cimente et 
l'affermit par ses liens — M. de Saci, alors à la Bastille ; — 
et vous, dit-elle, s'adressant à Arnauld, qui y avez mis 
le comble*.» 

Eh bienl cette lettre encore est implicitement un 
hommage rendu au protestantisme. Pour peu qu'on y 
réfléchisse, on se rappellera que l'abbesse qui écrit, son 
oncle auquel la' lettre est adressée et les deux autres 
traducteurs de la Bible dont elle parle, Antoine Le Maî- 
tre, et Isaac dit de Saci, sont tous quatre, fils ou petits-fils 
de huguenots. M. Le Maître père faisait profession de 
la religion réformée, et Catherine née Arnauld, sa 
femme, était elle-même petite-fille d'un zélé protestant. 
En effet, A. Arnauld, seigneur de Corbeville et grand- 
pèro, tant de la mère Angélique, qui réforma Port- 
Royal-des-Champs «, que de tous les Arnauld de Port- 

« Port' Royal, t. \\,^,%li. 

'^ Kt quand le réfornia-t-elle? Ce fut en 4608, après un sermon 



14!2 PROTESTANTISME INCONSCIENT. 

Royal, s'était fait protestant. Il avait épousé en premières 
noces une sœur de Tilluslre Anne du Bourg et, lors de la 
Saint-Barthélémy, il eût péri, comme lant dé milliers de 
ses coreligionnaires, si Catherine de Médicis, auprès de 
laquelle il remplissait les fonctions de procureur général, 
et qui rRffectionnait, ne lui eût envoyé une sauvegarde. 
Aidé de ce renfort, il parvint à repousser les assassins qui 
envahissaient sa maison. Par les Arnauld et par les Le 
Maître, Port-Royal, dont ces deux familles formaient le 
centre vivant, Port-Royal dans son ensemble, selon la 
chair comme selon Tesprit , se trouve être issu de la 
Réforme. Protestants eux-mêmes sans s'en douter, les 
solitaires de^ Port-Royal firent du zèle en combattant 
les protestants sur des points secondaires, tels que 
l'Eucharistie; mais, au fond, ils. étaient d'accord avec 
eux sur le point capital de l'autorité des Écritures. Leur 
grande erreur fut de croire toute leur vie cette autorité 
conciliable avec celle de l'Église romaine et, comme le 
dit M. de Sainte-Beuve, plusieurs d'entre eux mouru- 
rent fort à propos pour Rome, au moment précis où 
leur patience semblait être à bout. Le levain d'un pro- 
testantisme inconscient de lui-même fermentait aussi 
parmi les religieuses de Port-Royal qui comptait, entre 

pendant lequel Dieu la toucha tellement que, dès ce moment, elle se 
trouva plus heureuse d'être religieuse qu'elle ne s'était estimée 
malheureuse de Tôtre. Celte heure fut comme le point du jour, qui 
a toujours été croissant en elle jusqu'au midi. Or, le sermon avait 
été prêché par ua certain capucin, du nom do Basile, dont Racine 
dit qu'il alla se faire apostat dans les pays étrangers. Apostat, c'est 
sans doute protesta/nt qu'il faut lire. Avant de faire profession de 
son hérésie prétendue, le P. Basile en aurait inoculé le venin dans 
le monastère des Champs. 



TRADUCTION POURSUIVIE A GENOUX. i45 

autres, six sœurs Arnauld. L'une d'elles^ la mère Agnès, 
avait écrit le Chapelet secret du saint Sacrement de 
l'autel, ouvrage qui fut supprimé à Rome, et dont le 
P. Meynier se servit pour prouver que Port-Royal s'en- 
tendait avec Genève. Ce qui n'est pas douteux, c'est 
qu'elles prirent un intérêt extraordinaire à la traduc- 
tion des saintes Écritures, qu'avaient entreprise les pieux 
solitaires des Champs. Animées d'un esprit qui n'était 
pas très-ordinaire chez les personnes de leur vocation, 
elles s'organisèrent en groupes et, de la même manière 
que des sentinelles qui se relèveraient mutuellemept 
pour la garde d'une ville, elles avaient établi un cours 
de prière incessante. Quand un groupe avait fini , un 
autre venait immédiatement occuper sa place. A genoux, 
elles offraient à Dieu des prières ferventes, le suppliant 
de faire descendre sur les traducteurs de sa Parole, 
l'esprit de sagesse, de lumière et d'intelligence , afin 
qu'il ne pût sortir de leurs plumes qu'une sainte et 
pure traduction du volume inspiré, image fidèle du 
texte original *. 

La suite prouva que leurs supplications furent en- 
tendues. Le principe de la suprématie de la Vulgate 
étant admis, la version de Port-Royal réalisa, à peu de 
chose près, l'idéal d'une excellente traduction. « En- 
treprise et poursuivie à genoux et comme arrosée de 
prières, » suivant une belle expression de M.Pozzy, elle 
fut pour la France un instrument d'évangélisation dont 
on calculerait difficilement toute la salutaire influence. 

Constatons encore que ceux des solitaires de Port- 

* La Bible et son histoire, par Madame EllenRanyard^ 1>^ partie, 
cliap. vin. Toulouse, Soc. des Liv. relig. 1857. 



144 ANTOINE LE MAITRE FONDATEUR. 

Royal qui s'appliquèrent surtout à cet important tra- 
vail, furent précisément 1^. deux frères Le Maître qui, 
du côté maternel comme du côté paternel, avaient reçu 
en même temps qu'un sang huguenot une éducation à 
demi-protestante. Et qui sait si ce ne fut point, parce 
que ce nom de Le Maître sonnait mal aux oreilles ca- 
tholiques, qu'Isaac Le Maître adopta celui de Saci, sous 
lequel il s'est principalement fait connaîtrç, et qui 
n'est que l'anagramme de son nom de baptême? 

Isaac Le Maître de Saci termina l'œuvre à laquelle il 
a laissé son nom ; mais ce fut son frère Antoine qui la 
commença, « qui en jeta les fondements, » pour parler 
avec la sœur Angélique. « Il y avait en lui du saint An- 
toine, son patron, dit M. Sainte-Beuve, et surtout du 
saint Jérôme. Comme celui-ci, il était un grand lutteur 
des déserts, ne sachant qu'inventer pour se mater lui- 
même, et se roulant presque dans l'arène enflammée. 
On le voyait dû moins, lui, l' ex-conseiller du roi et le 
plus éloquent avocat de son époque, bêchant la terre, 
sciant les blés, faisant les foins par la chaleur de midi, 
se ressuyant, son chapelet en main, au soleil, s'inter- 
disant le feu dans les durs hivers; puis, se plongeant, au 
sortir de ses travaux manuels , dans l'étude opiniâtre 
de l'hébreu qu'il dévorait, pour arriver à l'esprit le plus 
caché de l'Lcriture; compulsant toute la doctrine des 
Pères, les traduisant; en divulguant de petits traités, en 
écrivant des vies savantes, en amassant des matériaux 
pour les écrits de M. Arnauld , son oncle (son jeune 
oncle), et passant de là à l'apologie de la vérité pré- 
sente attaquée *. » Il avait formé depuis longtemps le 

^ Port Royal, t. I, p. 405. 




l^AAC non FRÈRE Et S0I< HÊRlf 1ER. 4'4S 

dessein de publier une Vie des saints purgée des fables 
de la légende. Mais sa mort, trop prompte, arrêta le 
cours de son entreprise. Dans ses derniers moments, 
pénétré des sentiments d'une parfaite humilité, ii dit à 
ses amis que Dieu qui lui avait inspiré ce projet, ne 
lui avait pas permis de le consommer, parce que la vie 
des saints devait être écrite de la main d'un saint *. 
Comme Lefèvre qui, lui aussi, avait commencé une Vie 
des saints , Antoine Le Maître laissa un ouvrage plus 
précieux que celui qu'il eût tant aimé finir : ce fut sa 
traduction 3es quatre Évangiles et de l'Apocalypse, 
point de départ et stimulant pour son frère Isaac. 

Nous avons déjà vu ce dernier prendre la part la 
plus active aux conférences pour la traduction projetée 
du Nouveau Testament; c'est lui, dit Racine, qui four- 
nissait le canevas et qui prenait note des modifications 
proposées, a Bossuet et Pascal exceptés, dit M. Sainte- 
Beuve , il n'y avait guères personne qui fût à même 
alors de traduire l'Écriture sainte plus convenablement 
et mieux que M. de Saci n'a fait pour l'ensemble. » Nous 
aimons à contempler en lui l'une des plus belles figures 
de cette galerie des traducteurs de la Bible, que nous 
sommes appelés^à parcourir. Né en 4613*, Isaac-Louis 
Le Maître fit preuve dès l'enfance d'une piété rare. Ce 
qui lui donnait cette gravité qu'on admirait, rapporte 
son élève Fontaine, c'est qu'il se répétait sans cesse à 



♦ Dictionnaire de Moreri, art. Antoine Le Maislre, 

a Ce qui suit, spécialement le récit de Tarreslation de M. de 

Saci, esl plus ou moins textuellement emprunté de Port-Royal, 

par M. Sainte-Beuve. 

iO 



146 l'r6trl de kIàdame ht lomgubVills. 

lui-même cette parole de Job : Semper enim quasi tu- 
mentes super me fluctua timui Deum, et pondue qus 
ferre non potui, c J'ai toujours craint Dieu comme des 
flots suspendus au-dessus de moi, et je n'ai pu en sup- 
porter le poids *. » Il reçut la consécration avec une joie 
grave et recueillie, le 25 janvier 4650; il avait trente- 
sept ans. Devenu directeur de Port-Royal, il renvoyait 
toujours les âmes à la lecture et à la méditation de l'É- 
criture. C'est à quoi, dit Fontaine, il exhortait perpé- 
tuellement ces Messieurs. « Sur ce point de la lecture 
de la Bible, c'est M. Sainte-Beuve qui parle, M. de Saci 
était aussi absolu que ceux qui croient directement à 
la Bible seule, sans autre tradition nécessaire. «Avec 
« une Bible, disait-il, j'irais jusqu'au bout du monde. > 
Les événements ne tardèrent pas à confirmer la vérité 
de cette parole. Neuf ans s'étaient écoulés depuis les 
conférences de Vaumurier. La persécution suscitée à 
l'occasion du Formulaire, s'étant renouvelée en 1660, 
presque tous ces Messieurs de Port-Royal avaient été 
contraints de se disperser, et conséquemment de sus- 
pendre leur commun travail. On ne le reprit que vers 
Fan 1665, « à la sollicitation, dit M. Varet, de diverses 
personnes d'un fort grand mérite et dans l'Église et 
dans l'État. > On revit d'abord chez un ami les quatre 
Évangiles ; le reste fut revu chez Madame la duchesse 
de Longueville, qui avait eu la générosité de donner 
asile dans son propre hôtel , à MM. Arnauld et Nicole. 
Le travail touchait à son terme; il ne restait plus à 
examiner ensemble que la Préface destinée à paraître 

^ Job XXXI, 25. 



A LA ftAStlLLfi. m 

en tête de Touvrage, une onctueuse préface dont iM, de 
Saci était l'auteur. On était en 1666, et le 13 mai avait 
été fixé pour cette révision. Dés que le jour indiqué eut 
commencé de luire, M. de Saci prit, accompagné de 
Fontaine, le chemin de l'hôtel de Longueville. Enfin, 
elle était venue la conférence qui, dans sa pensée, de- 
vait couronner toutes les autres! Passant devant la 
Bastille, le maître et le disciple s'apitoyaient sur le 
pauvre Savreux , libraire de Port-Royal , qu'on y avait 
enfermé, lorsqu'ils entendirent une voix qui leur criait 
par derrière : € C'est assez, Messieurs, c'est assez. • 
C*était un commissaire civil qui les suivait depuis un 
moment déjà et qui avait charge de les arrêter, les 
Jésuites ayant obtenu contre eux un décret d'emprison- 
nement... 

On dépouilla M. de Saci du manuscrit qu'il avait dans 
la poche, et les portes de la Bastille se fermèrent sur 
deux nouveaux prisonniers. Mais la plus grande peine 
de M. de Saci fut d'avoir manqué d'emporter ce jour-là 
son petit saint Paul. Depuis deux ans qu'il s'attendait 
toujours à être saisi, les Épitres de l'Apôtre ne le quit- 
taient pas et il les avait fait relier exprès : < Qu'on 
fasse de moi ce qu'on voudra, avait-il coutume de dire; 
quelque part qu'on me mette, pourvu que j'aie avec 
moi mon saint Paul, je ne crains rien. > Toutefois, ce 
matin même , au départ — ô inutilité des précautions 
humaines ! — l'idée d'un long chemin à faire par un 
temps chaud lui avait fait omettre son cher viatique. 
Il suffit d'une Bible latine qu'on lui accorda pour qu'il 
fût entièrement consolé. La traduction du Nouveau Tes- 
tament était achevée, l'idée lui vint d'entreprendre 



148 IMPRESSION ÇH£2'LES ELZÉVmS. 

l'Ancien. Cette sombre Bastille se transforma en une 
nouvelle Warlbourg. « Que je suis heureux d'être ici ! 
disait-il, Dieu me montre qu'il désire que j'y sois. Les 
barrières qu'on a posées aux avenues de ma chambre 
sont pour empêcher de venir à moi le monde qui me 
dissiperait, plutôt que pour m'empêcher de l'aller voir, 
moi qui ne le cherche point. » 11 se regardait dans les 
tours de cette forteresse comme dans une haute tour 
de Sion, et pour y être aussi l'humble interprète des 
choses de Sion. « Toute sa vie est dans la prière et dans 
la lecture, écrivait son ami Fontaine, qui avait obtenu 
la faveur de partager sa chambre ; il va de l'une à l'autre 
depuis le commencement du jour jusqu'à la fin sans 
que, dans cet exercice tout intérieur et tout spirituel, 
il y ait rien de mort et de languissant. Ses yeux sont 
devenus, depuis qu'il est ici, deux sources d'eau qui ne 
tarissent guère... c'est une prière continuelle (et dans 
une autre lettre) c'est une prière qui n'a rien de sec 
et qui fait sortir autant de larmes de ses yeux qu'elle 
pousse de soupirs de son cœur. » 

Cependant, ses amis qui étaient parvenus à recouvrer 
la Préface qu'on lui avait prise au moment de son ar- 
restation sollicitaient, mais en vain, la permission d'im- 
primer leur traduction nouvelle du Nouveau Testament. 
A la fin, ils cherchèrent, selon leur usage, à éluder les 
formalités ; ils y réussirent avec toute sorte d'adresse, 
et leur ouvrage, moyennant un détour, revint en 
France, imprimé de fait à Amsterdam, chez les Elzé- 
virs, mais portant le nom d'un libraire de Mons appelé 
Gaspard Migeot. On y lisait, en tête, une permission de 
l'archevêque de Cambrai et une approbation de l'évêque 



% 



NEUF ÉDITIONS EN DEUX ANr. 149 

de Naraur, suivies d'un privilège de Charles II, roi d'Es- 
pagne. A la rigueur, la Sorbonne aurait pu récuser tous 
ces témoignages ; mais on avait eu soin de lui fermer 
la bouche, en produisant une approbation émanée de 
cette même université de Louvain, pour les Bibles et les 
certificats de laquelle la Sorbonne avait toujours pro- 
fessé une considération particulière. Or, TapprobatioB 
dont il s'agit était en bonne et due forme; elle portait la 
signature de Jacques Pontanus, docteur et professeur 
en théologie, doyen de l'église cathédrale de Sainte 
Pierre, conservateur apostolique des privilèges de l'Aca- 
démie de Louvain, censeur royal des livres, etc. ; et ce 
qui en faisait une arme à deux tranchants, c'est que, 
dans le privilège royal, l'auteur anonyme de la traduc- 
tion était désigné sous le titre de Docteur de Sorbonne; 
de sorte que, par le fait et sans s'en douter, la Sor- 
bonne avait comme donné son attache à ce qu'elle avait 
solennellement déclaré avoir en horreur, une traduction 
de la Bible qui s'éloignait de la Vulgate. Ce tour qui lui 
était joué était d'autant meilleur, qu'Arnauld qui n'avait 
conservé du doctorat que le titre, avait eu grand soin 
de ne pas se nommer. 

Aussitôt que le Nouveau Testament de Mons eut vu 
le jour, M. de Pont-Château qui en avait surveillé l'im- 
pression, expédia l'édition tout entière à Paris, où on 
la reçut au mois d'avril 4667. Elle y fut si favorable- 
ment accueillie qu'il s'en débita jusqu'à cinq mille 
exemplaires, dans l'espace de quelques mois. Il s'en fil 
cinq éditions dans le cours de cette même année, et il 
y en eut quatre l'année suivante. « On a peine aujour- 
d'hui à se le figurer, dit M. Sainte-Beuve, ce fut non- 



150 KÊPONSES DU GRAND ARNAULD. 

seulement alors chez les personnes de piété, mais dans 
le monde et auprès des dames, un prodigieux succès. 
M™« de Longueville, convertie, en était encore à donner 
le ton à la mode, même dans la piété. Avoir sur sa ta- 
ble et dans sa ruelle ce Nouveau Testament élégam- 
ment traduit, élégamment imprimé, était, en 1667, le 
genre spirituel suprême *. » 

Il est facile de se figurer la colère des ennemis de 
Port-Royal. La Sorbonne, tenue en échec, laissa aux 
Jésuites le triste honneur d'une campagne contre ce bon 
livre. Mais « jamais, dit M. Nicole, on ne vit plus clai- 
rement qu'en cette occasion , combien la malice des 
hommes est aveugle, et combien Dieu se plaît à faire 
réussir leurs efforts tout au contraire de leurs des- 
seins. :» Les déclamations du P. Mainbourg eurent un 
tout autre résultat que celui qu'il s'était promis. Il se 
comparait lui-même, dans ses sermons, cyniquement, 
c'est bien le cas de le dire, au chien de chasse qui fait 
lever le gibier^ en donnant occasion au chasseur de le 
tuer. Il crut avoir réussi quand, sur les instances de la 
Société dont il faisait partie, le 48 novembre de la même 
année 1667, M. Hardouin de Péréfîxe, archevêque de 
Paris , consentit à publier une ordonnance contre le 
Nouveau Testament de Mons; mais, la plume magis- 
trale de M. Arnauld y releva tant d'abus et de nulli- 
tés, qu'elle n'eut pour ainsi dire pas d'effet. La défense 
de la traduction incriminée remplit plusieurs volumes 
des œuvres du grand Arnauld ; elle fut si chaleureuse 
qu'on finit par lui attribuer l'œuvre dont il s'était cons- 

* Por^iloya^,t. IV, p. 271. 



QUARANTE MILLE EXEMPLAIRES. 151 

titué le patron ; et si solide, que quantité de personnes 
souhaitaient que le Nouveau Testament de Mons eût été 
l'objet de plus d'objections encore, afin de donner lieu 
à l'auteur des Réponses d'en^éclaircir davantage. Ces 
écrits apologétiques présentaient un double intérêt; ils 
offraient un véritable commentaire des passages dont 
ils justifiaient la traduction et, surtout, ils maintenaient 
le droit et le devoir qu'ont tous les fidèles de lire 
l'Ecriture sainte en langue vulgaire, a On n'avait rien 
dit, ou du moins on ne disait plus rien contre les an- 
ciennes traductions que personne ne lisait ; mais, dès 
que Port-Royal s'avisa de traduire, il eut à conquérir 
pour son compte, à maintenir, sans trêve, ce droit et cette 
obligation qu'on se mit à lui contester avec acharne- 
ment. Cette polémique fut la mission spéciale d'Ar- 
nauld, et elle justifie l'expression de sa nièce : c Vous 
qui avez mis le comble à l'édifice. » 

Finalement , la raison prévalut sur le préjugé. Il y 
eut même un moment où la version de Mons fut sur le 
point d'acquérir une valeur officielle. Lors de la Paix 
de l'Eglise, Bossuet, sollicité comme censeur par Ar- 
nauld et MM. de Port-Royal, avait accédé à leur de- 
mande. Des conférences eurent lieu à l'hôtel de Longue- 
ville entre Bossuet, Arnauld, Nicole, Lalanne et Saci. 
Les traducteurs se soumettaient avec docilité aux 
lumières de Bossuet et à son sens si modéré, quand la 
mort de l'archevêque Péréfixe et l'avènement de M. de 
Harlay rompirent le travail \ Néanmoins, vingt ans 
après l'apparition du Nouveau Testament de Mons, Ar- 

« Port-Royal, t. U, chap. XVd. 



15i LA PART DFS INDIGENTS. 

nauld écrivait au landgrave de Hesse , sous la date du 
12 avril 4683, qu'il s'était vendu déjà quarante mille 
exemplaires de celte traduction. Ici encore, nous re- 
trouvons la cour de France active dans ce mouvement 
de diffusion des Écritures. Louis XIV fit imprimer, à lui 
seul, vingt mille exemplaires du Nouveau Testament de 
Port-Royal. Voici, dit le même Arnauld, l'aveu que 
le dépit et la force de la vérité arrachent au 'docteur 
Mallet. « Chacun sait, dit-il, que cette traduction a été 
« imprimée en toutes manières : en bons caractères pour 
« les riches, en caractères très-communs pour les pau- 
^ vres ; avec des notes pour les savants, sans notes 
« pour le simple peuple; en petit papier pour être portée 
« plus facilement, en plus grand pour être gardée dans 
c les bibliothèques; en français seulement, pour ceux 
« qui n'entendent que cette langue, et avec le grec et 
« le latin, pour ceux qui sont capables de confronter les 
« textes. Enfin, je ne sais s'il y a aucune province du 
« roya^^me où elle n'ait été imprimée pour être ainsi 
« répandue partout ^ i^ 

Ce que le docteur Mallet ne mentionne pas, ce sont 
les sacrifices que s'imposaient les pieux solitaires pour 
faire participer les plus indigents au bienfait de leur 
entreprise. Dès que leur traduction fut prête, ils en- 
voyèrent de Paris un grand nombre de colporteurs 
chargés de la vendre au prix de revient et même, dans 
certaines circonstances, à des prix réduits; et ils cou- 
vrirent la dépense par des dons volontaires. 

L'exemple fourni par leur charité porta des fruits 

< Œuvres de Messire Antoine Arnauld, t. VlU, p. xxxiii. 



l'abbé de BARNEVILLE au XVIU*' SIÈCLE. 153 

jusque dans le siècle suivant, où Ton vit se fonder en 
France comme une Société biblique anticipée, « dont le 
mérite, dit M. de Félice, appartient à un respectable 
prêtre catholique, Tabbé de Barneville. Cet ecclésiasti- 
que, encouragé par l'approbation des évéques de Lec- 
toure , de Rhodez et d'Auxerre , distribua plusieurs 
éditions du Nouveau Testament à bas prix et même gra- 
tuitement, au moyen d'avances faites par des personnes 
aisées. Dans la préface qui précède l'édition de 1726, il 
se félicite du zèle d'un grand nombre de personnes cha- 
ritables qui ont pris une part active à son entreprise *. » 

La Société des Traités religieux de Paris a publié, 
en 1835, un édifiant recueil des Préfaces de Nouveaux 
Testaments* imprimés à cetle époque. Voici, par exem- 
ple, un fragment de celle qui se lit en tête de l'édition 
de Paris 1731 : 

€ Si le Maître n'a pas cessé, durant tout le temps de 
son ministère public, d'annoncer sa parole, les disciples 
sont dans une pareille obligation, en suivant son exem- 
ple, de l'annoncer assiduement; et les fidèles, dans une 
pareille obligation de s'en instruire et de la méditer le 
jour et la nuit... C'est dans cette vue que des personnes 
de piété et zélées pour le salut des âmes, ont entrepris 
de rendre le Nouveau Testament plus commun, et de 
faire en sorte que les pauvres gens, surtout à la cam- 
pagne, où ils ne sont pas instruits si commodément, ni 
si fréquemment que dans les villes, puissent en être 
fournis... Et nous devons rendre ce témoignage au zèle 
de quelques personnes d'une fortune fort médiocre, 

* Essai sur l'esprit et le but de l institution biblique, p. iir». 
3 No i07 de la noUection. 



154 ACHARNEMENT DES ADYERSAIEES. 

qu'elles donnèrent très-volontiers selon leur pouvoir, 
et même au delà de leur pouvoir, pour contribuer à ce 
moyen de répandre TÉvangile. Il y eut aussi des gens 
riches et charitables qui voulurent bien y entrer : ils ne 
se contentèrent pas de faire provision pour eux et pour 
leur famille de cet ouvrage, ils firent encore la dépense 
d'en acheter un grand nombre, qu'ils ont fait distribuer 
gratuitement aux pauvres à Paris, et dans les provin- 
ces. On n'a rien négligé pour faire qu'il fût au plus bas 
prix qu'il était possible ; et l'on a eu la consolation de 
voir qu'il s'en est distribué en très-peu de temps trois 
éditions des plus amples qu'on ait encore faites. > 

Jamais protestant a-t-il fait de la Bible un éloge plus 
senti que celui qui se trouve dans une édition anté- 
rieure et se termine par ces mots : 

« Tout ce que l'on peut dire à la louange de la parole 
de Dieu ne la fait pas si bien sentir qu'elle se fait sen- 
tir elle-même, quand on la lit avec un esprit docile et avec 
un cœur humble... Il en est d'elle comme du miel au- 
quel le Saint-Esprit la compare, et dont une goutte 
qu'on met sur la langue fait mieux goûter la douceur, 
que ne pourraient jamais faire les discours les plus 
amples et les expressions les plus vives. » 

Effrayés du succès qu'avait obtenu le Nouveau Tes- 
tament de Mons, les ennemis de la Parole de Dieu en 
France firent ce qu'ils purent pour proscrire l'Ancien et, 
grâce à leurs efforts, l'apparition en fut longtemps diffé- 
rée. Lorsque M. de Saci sortit de la Bastille, le i^^ novem- 
bre 1668, sa traduction était achevée ; mais, quand il 
s'agit d'obtenir le privilège nécessaire pour l'imprimer, 



UN MONUMENT IMPÉRISSABLE 155 

on y mit la condition qu'il ajouterait des explications à 
la suite de chaque partie traduite. Ce fut un retard de 
plus de vingt années, tlommencée en 1672, l'impres- 
sion de la Bible annotée de Saci ne fut terminée qu'en 
1696, c'est-à-dire, longtemps après sa mort. Lui-même ne 
donna les explications que pour l'Ancien Testament ; Du 
Fossé continua, MM. Huré et de Beaubrun terminèrent. 
Mais ces regrettables délais eurent du moins l'avantage 
de laisser au traducteur le loisir de peser à la balance 
du sanctuaire tous les mots du saint Livre, et ces expli- 
cations qu'il devait ajouter, lui faisaient une obligation 
de son occupation la plus chère, l'étude approfondie des 
Écritures. M. de Saci passa les quinze années qui lui 
restaient de sa vie, soit à Pomponne, soit à Port-Royal 
des Champs, soit à Paris, tout occupé de la direction 
des consciences, de l'impression de sa Bible et des éclair- 
cissements qu'il y ajoutait... Cet immense travail sur 
la Bible, ces explications qu'il poussa très-avant, et celte 
traduction complète qui avait précédé, c'est là le grand 
et spécial monument de M. de Saci, à titre d'écrivain, 
et comme la mission singulière qu'il eut à remplir *. 
A quoi nous ajouterons , c'est là aussi ce que Port- 
Royal a laissé de plus populaire et de plus durable. 
Les Provinciales exceptées, de toute cette abondance de 
volumes qu'ont écrits les pieux solitaires, la Bible est le 
seul qui soit d'une lecture générale aujourd'hui; elle a 
rendu, en immortalité, à ses traducteurs, ce qu'ils lui 
avaient donné de nouveauté dans le style. 

« Ce qu'il est sûr de remarquer et de graver de plus en 
* Port-Royal, ibid. 



456 DIFFÉRENCE ENTRE CONTENTER ET ÉDIFIER, 

plus, dit l'auteur déjà plusieurs fois cité, M. Sainte- 
Beuve, c'est l'admirable convenance de toute cette vie 
de M. de Saci avec sa mission singulière d'interprète 
des Écritures. Il était constamment occupé dans sa pen- 
sée à se rendre digne de cet emploi , à se purifier les 
mains et à se châtier le cœur, le plus chaste des cœurs. 
Toutefois, il continua jusqu'à la fin de s'en croire indi- 
gne. L'année de sa mort, il eut avec son ami Fontaine 
une conversation confidentielle à ce sujet : 

« Que sais-je, lui dit-il, si je n'ai rien fait contre 
les desseins de Dieu? J'ai tâché d'ôter de l'Écriture 
sainte l'obscurité et la rudesse, et Dieu jusqu'ici a 
voulu que sa parole fût enveloppée d'obscurités. 
N'ai-je donc pas sujet de craindre que ce ne soit 
résister aux desseins du Saint-Esprit que de donner, 
comme j'ai lâché de faire, une version claire et peut- 
être assez exacte par rapport à la pureté du langage? 
Je sais bien que je n'ai affecté ni les agréments ni 
les curiosités qu'on aime dans le monde, et qu'on 
pourrait rechercher dans l'Académie française. Dieu 
m'est témoin combien ces ajustements m'ont toujours 
été en horreur; mais je ne puis me dissimuler à 
moi-même que j'ai tâché de rendre le langage de l'Écri- 
ture clair, pur et conforme aux règles de la grammaire; 
et (jui peut m'assurer que ce ne soit pas là une méthode 
différente de celle qu'il a plu au Saint-Esprit de choisir ? 
Je vois dans l'Écriture, que le feu qui ne venait pas du 
sanctuaire était profane et étranger, quoiqu'il pût être 
plus clair et plus beau que celui du sanctuaire... Une 
faut pas se tromper dans cette belle pensée d'édifier 
les âmes. Il y a grande différence entre contenter et 



VICE CAPITAL 457 

édifier. 11 est certain que Ton contente les hommes en 
leurparlant avec quelque élégance ; mais on ne les édifie 
pas toujours en cette manière *. » 

Bossuet faisait déjà de semblables remarques à propos 
du Nouveau Testament de Mons; il n'y trouvait qu'un 
défaut essentiel , un tour trop recherché^ trop d^indus- 
trie de paroles , une affectation de politesse et d'agré- 
ment que le Saint-Esprit avait dédaignée dans V original. 
Nous n'insisterons point sur ce reproche que M. de Saci 
s'adressait à lui-même avec une si touchante humilité ; 
nous y insisterons d'autant moins que les exigences du 
génie de notre langue en restreignent considérablement 
la portée. Que nous font après tout quelques mots ajoutés 
à la lettre originale, si ces mots, loin de fausser le sens, 
sont au contraire indispensables pour nous le faire bien 
saisir? En tout cas, ce défaut, si c'en est un, est bien 
racheté par cette pureté de langage que nos versions 
reçues n'ont point encore atteinte. Se plaçant à ce point 
de vue de la conformité au génie de la langue , M. le 
professeur Ostertag, de Baie, va jusqu'à préférer la Bible 
de Saci, même à nos versions prolestantes. Parlant des 
débuts de la Société biblique de Baie, il rapporte que le 
comité choisit la version d'Ostervald pour ses distribu- 
tions ^en France. « Toutefois, ajoute-t-il, on en eût cer- 
tainement préféré une autre, qui est encore meilleure 
dans le fond ; mais'elle n'est pas adoptée par TEglise, et 
fut peu appréciée, son auteur étant catholique : c'est la 
Bible de Saci '. > 



^ tbU, 

2 La Bible et son histoire, p. 187. 



ISS iOÛG DB LA TULOATË. 

Ce jugement ne tient pas compte du vice capital de 
la version de Saci, vice qui, du reste, lui est commun 
avec toutes les versions catholiques et qui gît dans une 
dépendance servile et consentie de la Vulgate. Héritier 
et restaurateur de l'œuvre de Lefèvre, de Saci porte le 
même joug qui avait pesé sur son devancier; mais, tan- 
dis que ce dernier gémit, regimbe et se dérobe par- 
fois à l'intolérable tyrannie de la version romaine, de 
Saci Taccepte avec une sorte de docilité dont il n'a pas 
l'idée de s'accuser, tant l'autorité de l'Eglise se confond 
à ses yeux avec celle de Dieu même ! On trouve donc 
dans la version de Saci, outre les fautes graves déjà 
signalées dans celle de Lefèvre , plusieurs fautes nou- 
velles que Lefèvre avait évitées. Il traduit comme suit le 
fameux passage de la Genèse, m, 15 : 

« Je mettrai inimitié entre toi (le serpent) et la femme, 
entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête, et tu 
tâcheras de la mordre au talon. » Elle est équivoque, 
l'original ne l'est pas ; la version grecque des lxx, l'arabe 
et la syriaque ne le sont pas non plus. Lefèvre avait 
traduit « cette semence brisera ta tête. > 

De même. Exode xx, 5, on lit dans la Bible de Saci : 

« Vous ne les adorerez point (les images taillées) et 
vous ne leur rendrez point le souverain culte. » Souve- 
rain n'est pas dans le texte. La version d'Anvers porte : 
« Tu ne les adoreras point et ne leur feras point d'hon- 
neur. » 

Ainsi de suite , dans cent passages dont M. Prideaux 
Tregelles et d'autres docteurs anglais ont fait l'énumé- 



TliENTB-SiX INCONSÉQUBItCBS. 159 

ration M. Pozzy, après eux, ^ conclut par un verdict 
sévère à l'endroit de la Bible de Saci : « Prenez succes- 
sivementy dit-il, toutes les idées particulières au catho- 
licisme : la pénitence, le sacerdoce, l'adoration de la 
Vierge, le culte des anges, le mariage considéré comme 
un sacrement, le célibat des prêtres, le mérite des œu- 
vres, le purgatoire, je me charge de prouver que, 
toutes , elles sont enseignées dans la Parole de Dieu , 
si la Bible de Saci est la fidèle traduction de la Parole 
de Dieu. » D'où M. Pozzy tire cette conséquence que , 
sans renier notre histoire, sans nous renier nous-mêmes, 
nous ne saurions imprimer ces erreurs et les répandre 
comme des vérités de Dieu. Nous ne trancherons 
point Tine question si complexe. Les raisons avancées 
par les Sociétés bibliques distributrices de la version de 
Saci ont bien aussi leur poids , aux yeux du moins de 
ceux qui pensent que le demi-jour est préférable à la 
nuit complexe, que dix erreurs avec cent vérités sont 
moins funestes qu'une ignorance absolue. Pourtant, 
quand on voit, par exemple, le mot de («><rnietov rendu 
par sacrement dans un seul cas , alors qu'il s'agit du 
mariage (Ephés. v, 32); tandis que, dans 36 autres pas- 
sages où le même mot revient, on le rend par mystère 
ou chose sacrée] quand on voit, en dépit de tous les 
dictionnaires, faire pénitence donné pour la traduction 
de (Attgcvôctv, et prêtre pour la traduction de irpta^urcpo;, on 
est conduit à soupirer après le temps où, la lumière se 
faisant de plus eu plus en France, la précieuse Bible 
de Saci sera purgée des fautes qui la déparent. 

* La Bible et la Version de Le Maistre de Saey, 



i60 CttOCHETâ DE FEU. 

La révision de la Bible de Sacî, que Le Gros publia à 
Cologne (Amsterdam) en 4709, aurait offert en géné- 
ral plus de garanties. M. Reuss cite même une édition 
de la Bible de Saci, imprimée également à Cologne, 
en 4739, et dans laquelle le texte se base réellement sur 
rhébreu, en rejetant en marge les différences de la 
Vulgale *. Reste à savoir si la reproduction de cette Bible- 
là aurait cours parmi les catholiques de France. 

Ce qui est certain, ce sont les persécutions dont le 
Nouveau Testament de Monsfut Tobjet pour avoir, dans 
une certaine mesure, tenu compte de l'original grec. 
De Saci finit par reconnaître la faiblesse d'un système 
bâtard qui consistée opter, à chaque verset, entre l'ori- 
ginal et la Vulgate. Nul ne peut servir deux mitres : 
de Saci, de guerre lasse, en vint à faire prévaloir par- 
tout le texte latin. 

Le Nouveau Testament de Mons accordait bien, en 
général déjà, la suprématie à la Vulgate dont il adop- 
tait les variantes ; seulement, là où le grec renferme 
quelque chose que la Vulgate n'a pas, on l'insérait 
dans le texte entre crochets. Eux aussi , les infortunés 
traducteurs avaient les mains tenues entre crochets, et ces 
crochets étaient de fer. Ils subissaient la conséquence de 
toute position fausse; et c'est pitié que de voir l'amertume 
avec laquelle Richard Simon, leur rival et leur ennemi, 
leur fait sentir dans ses critiques, l'erreur de ceux qui 



< Nouv, t(ev. de ihéoU, v. 1, p. 1i.— La bibliothèque du Musée 
britannique renferme une Bible in-12 , imprimée aux dépens de 
la Compagnie, Cologne, 1739. Les variantes de la Vulgale s'y 
trouvent entre crochets, etc. ; Genèse m, 15, on lit « c«tte race 
le brisera la tête. » 



mcHARD SIMON. — î>. P. AMF.tOTÎÈ. 461 

prétendent mettre à l'unisson Rome et le texte inspiré. 
Au reste, si Richard Simon s'était flatté de faire 
échapper sa propre traduction à la censure, en battant 
en brèche celle de Port-Royal, son espoir fut pénible- 
ment déçu. La version nouvelle du Nouveau Testament 
qu'il publia en 1702 , resta sous le coup d'une ordon- 
nance du cardinal de Noailles^ archevêque de Paris, et 
de deux instructions pastorales de Rossuet. 

La traduction du P. Amelotte eut plus de succès; on 
l'opposait au Nouveau Testament de Port-Royal, et c'est 
ainsi qu'elle est parvenue jusqu'à nous. Félix Nefï la 
trouvait, il y a quarante ans, entre les mains des protes- 
tants des Hautes-Alpes, qui l'avaient sans doute adop- 
tée en vue d'apaiser leurs persécuteurs. On possède un 
écrit de M. Napoléon Roussel, qui signale les graves 
erreurs qui s'ajoutent, dans cette traduction, à celles des 
versions catholiques en général. Souvent même ce ne 
sont plus des erreurs, mais d'évidentes supercheries. Je 
me hâte d'ajouter, à la décharge du P. Amelotte, que ces 
falsifications grossières paraissent avoir été introduites 
après sa mort. D'autre part, si l'on en croit les écri* 
vains de Port-Royal et M. Sainte-Reuve, Amelotte aurait 
usurpé son titre de traducteur du Nouveau Testament. 
€ Sa traduction^ du moins celle des quatre Évangiles, 
ne serait autre que celle de Port-Royal, déguisée seule- 
ment par quelques légers changements. Informé que 
M. le marquis de Laigue en avait une copie, il avait en- 
gagé la comtesse de Loménie de Rrienne chez laquelle 
il avait accès, à la faire demander par M. de Rrienne 
son fils, qui était alors retiré dans une maison de l'Ora- 
toire. M. de Laigue qui ne soupçonnait point l'usage que 

II 



iék TtJTOIEMENT ADOt'TÉ PAR L'ÉVÊQÙE CiOt>BAÙ. 

Ton voulait en faire, s'était rendu facile à la communi- 
quer, et le P. Amelotte en abusa. La Providence ne sembla 
le permettre que pour justifier d'avance la traduction de 
Mons par l'adoption qu'en avait faite le P. Amelotte, l'un 
des plus grands adversaires de MM. de Port-Royal *. è 
La traduction du P. Amelotte avait immédiatement 
précédé celle dite dé Mons. Elle avait vu lejour en 1666; 
la traduction de Mons parut en 1667; celle d'Antoine 
Godeau, évêque de Vence *, est de 1668. Dans une lettre 
adressée à tous les fidèles, il leur recommande fortement 
la lecture du Nouveau Testament qu'ils doivent, dit-il, 
étudier jour et nuit. « Ce livre, ajoute-t-il, sera un 
admirable casuiste pour régler votre vie. Les chrétiens, 
durant plusieurs siècles, n'en ont point eu d'autres ; et 
ils s'en trouvaient si bien que leurs mœurs étaient aussi 
saintes que leur créance. » Cette version est remarqua- 
ble en ce qu'elle adopte le tutoiement en usage chez les 
protestants : car « il y aurait indécence à ce que Dieu parlât 
au Diable par vous ; » — « Mais, reprend le P. Simon, 
en se servant partout également de l'expression de tot, 
on met Dieu et le Diable sur le même rang, faisant au- 
tant de civilité à l'un qu'à l'autre. ]> La méthode suivie 
par l'évêque Godeau a été, dès lors, adoptée par le P. de 



< Préf. histor. et crit, sur la irad. du N, T, dite de Mons^p. 5. 

2 Ne pas confondre celte traduction du Nouveau Testament par 
Tévêque de Vence, avec celle de la Bible entière, paraphrasée par 
le P. de Carrières, 1701-1716, 24 vol. in-12, et complétée par Fabbé 
de Vence, en 1743. La version de Saci se trouve à la base de cette 
dernière traduction et de plusieurs autres : la Bible commentée de 
Galmet, par exemple, 25 vol. in-4o, 1707-1716; la même avec un 
Abt*égé des Commentaires, par Roodet, 1748*1750, etc. 



LES Kll. PP. J^.SUlTEft PIQUÉS D'rHULATION. iûS 

Carrières, encouragé par Bossuet. C'est un moyen terme 
entre la paraphrase et la traduction proprement dite. 
€ Faire une version littérale du Nouveau Testament, 
c^est, dit l'évêque de Vence, s'engager dans la nécessité 
d'être peu intelligible en beaucoup d'endroits ; et faire 
une paraphrase , c'est trop s'étendre et , en quelque 
façon, afiaiblir le sens du texte en le voulant éclaircir. 
Il a donc cherché et il croit avoir trouvé un tempéra- 
ment, en faisant une version pure et simple quand il 
ne trouve rien de difficile qui mérite d'être expliqué. 
Mais aux lieux, ajoule-t-il, où je rencontre quelque chose 
d'obscur ou qui a besoin de liaison pour être plus Ëi-^ 
cilement entendu, j'ajoute quelques mois que j'ai fait 
enfermer entre parenthèses et imprimer en caractères 
italiques, lesquels, à mon avis, éclaircissent la difficulté 
sans rompre la suite du texle. i> 

Nous avons vu comment les traductions protestantes 
de Neuchâtel et de Genève provoquèrent la publica- 
tion des Bibles jansénistes de Louvain d'abord, puis, de 
Port-Royal. Ces dernières, à leur tour, piquèrent d'ému- 
lation les RR. PP. Jésuites. Le Nouveau Testament que 
le P. Lallemant opposa, en 1713, à celui deQuesnel, 
n'est qu'une révision de celui du P. Bouhours, son col- 
lègue et son prédécesseur. Le P. Bouhours, on le sait, 
écrivait avec élégance et pureté ; il s'était assuré, pour 
son travailla collaboration des RR. PP. Michel, Tellier 
et Pierre Besnier. Cependant, sa traduction fut attaquée, 
pour quelques expressions recherchées ou mal sonnan- 
tes. Le traducteur 9 dit-on, voulait se venger des cen* 
seurs de son livre. < Gardez-vous-en bien , lui dit 
spirituellement Boileau ; ce serait alors qu'ils auraient 



i6i tIUt>UCTIO!i DÛ JANSÉNISTE Bl^SRNGlTt. 

raison de dire que vous n'avez pas entendu le sens de 
votre original. » 

On a réimprimé de nos jours la traduction du P. Bou- 
hours V, concurremment avec celle de Saci et d'autres plus 
récentes, notamment celles de Genoude et de Lamennais, 
qui ont obtenu un succès significatif; celle de l'abbé 
Glaire (1861), mentionnée plus haut; celle du latiniste 
Valart (1760 réimp. 1860). En dernier lieu, M. de Saci 
a adopté celle du janséniste Mésenguy, pour la faire en- 
trer dans sa Bibliothèque spirituelle. « Mésenguy est un 
excellent écrivain, dit M. de Saci : c'est une justice que 
lui rendent tous les critiques, ceux mêmes qui parta- 
gent le moins ses opinions religieuses. Ils reconnaissent 
sans difficulté, que ses écrits ne se recommandent pas 
moins par la correction sévère et par la pureté du style 
que par l'esprit de piété qui les anime... Né en 1677, 
Mésenguy se rattache encore par son goût et par ses 
premières études à la bonne époque de l'école de Port- 
Royal. Mort en 1763, et n'ayant publié sa traduction du 
Nouveau Testament qu'en 1752, il a pu s'aider des tra- 
vaux de ses prédécesseurs, éviter leurs fautes et profiter 
de l'espèce de rivalité que fit naître la célèbre traduc- 
tion de Mons *. » 

Au jugement de M. Berger de Xivrey, cette dernière 
serait encore, de toutes, la préférable. « Quiconque, 
dit-il, l'examinera très-attentivement, y reconnaîtra un 



^ Nouveau Testament, traduction du R. P. Bouhours et du 
JR. P, LaUemand, revue et corrigée par M. l'abbé Herbet, cha- 
noine honoraire d'Amiens, du clergé de la Madeleine, à Paris, iSiS ; 
réimp., 1860. 

« Préface du Nouveau Testament. , 



PRÉDILECTION DU PUBLIC. 165 

mérite de fidélité, d'exactitude véritable, qui n'a peut- 
être pas été surpassé. Malgré certaines critiques de dé- 
tail, la version de Mons reste peut-être encore la meil- 
leure des traductions françaises*. » Toutefois, M. Ber- 
ger de Xivrey estime que, pour ce qui concerne les 
quatre Evangiles, aucun essai antérieur ne vaut la tra- 
duction (Te Bossuet, mise en ordre et publiée, en 1855, 
par M. H. Wallon. 

Mais, s'agit-il de la Bible dans son ensemble: c'est la 
Bible de Le Maître de Saci, qui est la plus populaire en 
France et la plus digne de l'être, comme version catho- 
lique. C'est celle que l'on reproduit dans les éditions 
illustrées, et cela seul, dit M. Reuss, dénote la prédi- 
lection du public. C'est même, en définitive, la seule, 
pour ainsi dire , qui ait généralement cours parmi 
nos frères les catholiques romains. Celte considération 
légitimerait déjà, ce nous semble, l'attention que nous 
avons consacrée à l'entreprise de Port-Royal; quand, 
d'ailleurs^ l'étendue de nos remarques ne serait pas 
suffisamment motivée par l'extrême sollicitude dont cette 
entreprise fut l'objet ; par la vie sainte de ceux qui s'y 
employèrent, par les bénédictions abondantes dont elle 
fut la source; par les services enfin que, sous le rap- 
port du style, cette traduction a rendus et peut rendre 
encore à nos traducteurs protestants. 

« Etude iur le texte, etc., p. 61, 86. 



CHAPITRE VIII. 



Les Bibles protestantes d'Olivétan, à Ostenrald 



Ceux qui travaillaient au mur et ceux qui portaient 
les fardeaux, d'une main, trayaillaient à l'ouvrage; do 
l'autre, tenaient leur javeline. Néhémie, iv, 17. 



La Bible que Calvin fit imprimer à Genève, en 4540, 
est plus rare encore que celle d'Olivétan. C'est un petit 
in-4o, imprimé en lettrés rondes, chez Jean Gérard, et 
sans autre caractère distinctif que la représentation 
d'un glaive sur le feuillet de l'intitulé. De là le nom sous 
lequel elle est connue, de Bible de l'Épée. Elle est ac- 
compagnée d'un Indice des matières par Nicolas Malin- 
gre. M. Bungener mentionne cette Bible dans son récent 

^ Telle est la vraie orthographe du nom, la seule que J.-F. Os- 
tervald ait connue, celle qu'on trouve dans les éditions originales 
de ses ouvrages. Ses descendants ne Tout point changée, ainsi 
qu'on peut s'en assurer en considérant , dans le cimetière de Neu- 
châtel, la pierre tumulaire érigée, il y a quelques années, à la mé- 
moire du dernier det OstervcUd. Primitivement, ce nom s'est écrit 
Ouiterval 



BIBLE DB l'EPÉE. 167 

ouvrage sur Calvin, t Quoique cette version, dit-il, ne 
soit que celle d'Olivétan, corrigée, on ne peut guère ne 
pas se demander où Calvin trouvait le temps de faire 
tant de choses, car nous l'avons laissé à la fin de 1538, 
remaniant Y Institution chrétienne y et montant, chaque 
jour, dans ses deux chaires de pasteur et de professeur \» 
Puis, banni de Genève, il avait passé dans l'exil deux 
années, pendant lesquelles son Commentaire sur l'Épi- 
tre aux Romains ^ et divers écrits de circonstance 
étaient sortis de sa plume. L'illustre exilé avait con* 
serve à Genève des amis, qui surveillèrent l'impression 
de cette nouvelle édition des saintes Écritures. L'épée 
qui fut placée en tête, put servir à leur rappeler que la 
lutte qu'ils avaient à soutenir contre les libertins pour 
le rappel du réformateur, était cette bonne guerre pré- 
dite et apportée par Jésus-Christ *. 

Olivétan était mort en 1538. Calvin devint le fidèle 
administrateur de l'héritage laissé par son cousin à 
l'Église de Jésus-Christ. Outre l'édition de 1540, celles 
de 1545, de 1551 et de 1560, se distinguent par les 
améliorations apportées par sa main savante, soit à la 
traduction , soit surtout aux notes marginales. Théo- 
dore de Bèze, son collègue, lui rend ce témoignage 
c qu'il a diligemment travaillé en la translation fran- 
çaise de toute la Bible... qu'il l'a, souventes fois, amendée 
en quelques passages... et nommément, celle du Nou- 
veau Testament, laquelle il a fréquemment revue et 
conférée avec le texte grec , autant soigneusement que 

^ Calvin, sa Vie, son Œuvre et ses Ecrits, p. 255. 
s Matth. X, 54. « Je suis venu apporter non la paix, mais le 
glaive. » 



i68 CONTINUELLEMENT SUR LA BRÈCHE. 

lui ont permis les continuelles pccupalions de son 
office ^ » Richard Simon, qui conteste à Calvin une con- 
naissance approfondie de l'hébreu , ne laisse pas de 
convenir de Tà-propos de ses corrections. « Gomme il 
était homme d'un grand jugement, et qu'il s'était appli- 
qué depuis longtemps à l'étude de TÉcriture, il a quel- 
quefois mieux réussi, dit Richard Simon, que ceux qui 
ont su la langue hébraïque. Ailleurs, le même critique 
reconnaît de quel utile secours fut à Calvin, pour ce 
travail , son habileté consommée dans Tari d'écrire. 
Calvin, toutefois , gémissait de ne pouvoir faire davan- 
tage. Dans un avis placé en tête de Tune des derniè- 
res éditions qui parurent avant sa mort, il exprimait le 
vœu, « que quelque savant homme, garni de tout ce qui 
est requis en une telle œuvre, se consacrât tout entier, 
pendant une demi-douzaine d'ans, à la traduction de la 
Bible et qu'ensuite, il communiquât son ouvrage à plu- 
sieurs personnes habiles qui le reviseraient de concert 
avec lui. » Le malheur des temps ne permit pas la réa- 
lisation d'un tel souhait. 

C'est chose rare en toute époque, qu'un homme vrai- 
ment qualifié pour l'interprétation des Écritures, jouisse 
du loisir et de la retraite nécessaires pour l'accomplisse- 
ment de son œuvre ; il est, le plus souvent, accaparé 
pour la satisfaction de ce qu'on pourrait appeler les 
premiers besoins de la vie de l'Église, la prédication, 
la mission, la cure d'âmes. Au xvi^ siècle, il y avait en 
outre les exigences de la controverse. Continuellement, 
il fallait être sur la brèche, une truelle dans une main, 

Hist de l'Eglise, \. I, p. 56. — Préface de la Bible, de 1560. 



SÉBASTIEN CHASTE ILLON. iG9 

une épée dans Taulre. La Genève de Calvin avait ses 
ennemis extérieurs, les catholiques, contre lesquels, 
humainement parlant, une incessante polémique était 
son unique défense; elle en avait d'intérieurs. C'en 
était bien assez pour occuper les forces vives de cette 
forteresse de la Réforme. 11 arriva de plus que, par une 
rigidité peut-être excessive, Calvin s'aliéna le traduc- 
teur de la Bible intellectuellement le mieux doué pour 
répondre à ses vues. 

Une lettre des Ministres de V Église de Genève à tous 
les fidèles chrétiens^ met en garde les lecteurs du Nou- 
veau Testament de 1559 contre la fiife/eto/me? et contre 
la Bible française de Sébastien Chastillon, « homme si 
bien connu en l'Église Je Genève, tant par son ingrati- 
tude et impudence, que par la peine qu'on a perdue 
après lui pour le réduire au bon chemin. » Cette lettre 
ajoute : a Pour obtenir saine intelligence des Écritures, 
il y faut procéder en révérence, crainte et sobriété, sans 
trop attribuer à notre propre sens. » La Bibliothèque 
des pasteurs et ministres neuchàlelois renferme un fort 
bel exemplaire de la Bible française de Castahon \ Celle 
en latin du même auteur n'est point rare, de nombreuses 
réimpressions en ont été faites ; elle porte le cachet d'une 
incomparable élégance, a On doit signaler un côté utile 
dans ce travail de Castalion, — dit M. Berger de Xivrey, 



* La dédicace placée en tôte de ce curieux in-folio est adressée 
à très-preux et très victorieux prince Henri de Valois, second de 
ce noms elle est signée : Sébastian ChasteiUon, et datée de Baie, 
le l'^'^ janvier 1555. L'ne traduction du Xill^ livre des Antiquités 
de Josèphe se tiouve intercalée entre les Apocryptws et le Nouveau 
Testament. 



170 ÉLÉGANT EN LATIN, RIDICULE EN FRANÇAIS. 

— comme il était fort savant en hébreu, en grec et en 
latin , il a préparé une lecture attrayante par le charme 
si puissant, alors surtout, des études classiques. Encore 
aujourd'hui, un exercice d'étude qui pourrait être con- 
seillé aux esprits d'une délicatesse exquise, entretenue 
par la pratique constante des chefs-d'œuvre littéraires 
de l'antiquité, serait délire, tout d'une suite, le Nouveau 
Testament de Castalion, sauf à reprendre partiellement, 
dans la Vulgat6 ou dans l'original, les passages qu'on 
voudrait revoir avec plus d'attention *. » Calvin s'étant 
opposé à ce que Castalion (Chasieillon) occupât le poste 
de pasteur à Genève, Castalion se démit des fonctions 
de régent qu'il avait remplies jusqu'à ce moment, et 
partit pour Bâle où il mourut finalement de misère. Sa 
traduction française se ressentit de l'isolement fâcheux 
dans lequel il se plaça. Le mérite qu'elle peut avoir est 
entaché de ridicule. Amoureux de la période cicéro- 
nienne, il l'introduit là même où le style biblique se- 
rait plutôt comparable à celui de Tacite. Il traduit ainsi 
les premiers versets de la Genèse : « Premièrement, 
Dieu créa le ciel et la terre. Et comme la terre était 
néant et lourde et ténèbres par-dessus l'abîme, et que 
l'Esprit de Dieu se balançait par-dessus les eaux. Dieu 
dit : la lumière soit. » Le même traducteur appelle Dieu, 
Monsieur de Rochefort; brûlages, les holocaustes, et 
arrière- femmes^ les concubines *. 

< Etude sur le texte, etc., p. 49. 

2 Voici encore comment il rend les versets 25, 26 et 27 du cha- 
pitre Il« de répître aux Romains : « Si ta viens à irespasser laloi, 
ton ronguement devient avanl-peau; que si un empellé garde les 
ordonnances de la loi, certes, son avanl-peau lui sera comptée 
pour rongnement, etc. )> 



BIBLE DE GENÈVE DE i58S. 171 

De nouvelles éditions de la Bible de Genève parurent 
dans le courant du xvi® siècle. En 1551, une traduc- 
tion nouvelle des Psaumes par Louis Budé, remplaça^ 
dans le recueil sacré, celle d'Olivétan, et Théodore de 
Bèze fit une nouvelle version des Apocryphes. Les autres 
livres demeurèrent sans modifications profondes jus- 
qu'en 1588, date à laquelle Corneille-Bonaventure Ber- 
tram, professeur de langues orientales à Genève, re- 
mania l'Ancien Testament, d'après l'hébreu. Bertram 
était fils d'un célèbre jurisconsulte de Thouars en Poi- 
tou ; il avait étudié à Paris, sous Angélus Caninius. 
Ses collaborateurs, pour la révision de la Bible, furent : 
de Bèze, Rotanus, Fay, Jaquemot, Goulart. « Il redressa 
le texte d'Olivétan en bien des endroits, dit M. Reuss; 
mais il n'avait pas le jugement de Calvin, et il donna 
trop de crédit aux interprétations rabbiniques. » Muns- 
ter et Trémellius, ce dernier, juif converti, furent ses 
principaux guides. Un des caractères distinctifs de la 
Bible de 1588 est de généraliser l'usage du vocable 
VEternely qu'Oiivétan n'avait introduit que dans un nom- 
bre restreint de passages. On décida de l'employer par- 
tout où revient en hébreu le quadrilitère. En somme, 
d'après l'opinion de certains juges, on trouverait plus 
d'énergie dans le style des éditions antérieures, et tout 
autant peut-être d'exactitude. 

La Bible de 1588 fut réimprimée dans plusieurs 
villes de France; à Lyon principalement, puis à Caen, 
à Paris, à la Rochelle, à Sedan, à Charenton, à Niort; 
mais surtout en Hollande et dans la Suisse française, 
ainsi qu'à Bâie. Elle reparut à Genève avec des modifi- 
cations, en 1693, en 1712 et en 1726. Malheureuse- 



172 PREOCCUPATION DU MINISTRE CLAUDE. 

ment, dit M. Reuss, ces révisions ne firent que rempla- 
cer certains mots anciens par de plus nouveaux, remanier 
çà et là certaines phrases, sans donner une suffisante 
satisfaction aux exigences de la langue. D'après les mo- 
dernes traducteurs suisses, l'édition de 1712 serait la 
dernière dont le texte fût parfaitement pur. 

La Bible de Jean Diodati, publiée en 1644, fut une 
tentative individuelle. Elle fut goûtée de plusieurs, parce 
qu'elle parlait un langage plus intelligible que les au- 
tres ; mais on l'accusa d'être paraphrastique et parfois 
incorrecte, elle ne prévalut pas. On vil échouer entiè- 
rement les efforts collectifs des Genevois, lorsque, à la 
même époque, ils essayèrent de faire subir à leur tra- 
duction de la Bible plus qu'une simple retouche. Ils 
avaient envoyé à leurs frères de Paris des projets qui 
leur furent retournés avec dédain, et non sans un grand 
scandale. MM. Claude et AUix, en particulier, avaient 
fait des remarques dont les Genevois furent mal satis- 
faits. On y traitait de galimatias les notes édifiantes 
que les Genevois avaient ajoutées *. 

Les réformés de France ne firent rien pour la révi- 
sion de la Bible. Cependant, Claude paraît s'en être 
préoccupé; mais la révocation de Tédit de Nantes sur- 
vint et, deux ans plus tard, la mort l'enleva sans qu'il 



< Préface pour la nouvelle édition de l'HisL crit, du N. T., par 
R. Simon, Rott., 1685. « Je parle de cette affaire avec d'autant plus 
de vérité, dit Tauieur protestant de cette Préface, que j'étais dans 
ce teml)s-là à Genève, et même chez M. Turrettini, personnage digne 
de son emploi, quand il reçut le pacquet qui lui était adressé de 
Paris. Nous fûmes fort scandalisés, lui et moi, quand nous lu* 
mes^ etc. » 



tOÙJOlIRS A PEU PRÈS tE MÊME TEXtR. 475 

eût mis à exécution le dessein qu'on lui attribue. Jean 
Daillé et Valentin Conrart publièrent, en 1674, un 
Nouveau Testament, dans lequel ils avaient mis à profit 
les traductions nouvelles de Mons et d'Amelotte ; mais 
leur édition fut immédiatement supprimée. La Bible, 
publiée en 1669 par les Desmarets père et fils, repro- 
duit le texte d'Olivétan, 1535, avec les modifications 
qui se trouvent dans la réimpression de Paris, 1652. 
Ce qui Ta rendue justement célèbre, ce sont ses notes, 
pour la plupart traduites de la Bible flamande, 1637, 
ou empruntées aux écrits exégétiques de Pierre de 
Launay. 

La fin de Tépoque classique arriva, sans que TÉglise 
possédât autre chose que la version vieillie du xvi« 
siècle, la même à peu de chose près. 

« A la longue, dit M. Sayous, le contraste entre le 
français consacré devant l'Église et la langue usuelle 
devint si frappant, que les adversaires et les profanes 
parmi les Réformés en faisaient des railleries toujours 
plus indécentes. Les catholiques que la curiosité atti- 
rait aux sermons protestants, trouvaient ridiculement 
barbare ce mélange d'expressions surannées. « Un 
« conseiller de Sedan, dit Bayle, de la religion romaine, 
€ fort honnête homme et fort savant, me contait, il y a 
« environ un mois, que M. l'archevêque de Reims, ayant 
« envoyé quelques-uns de son clergé à Sedan pour des 
« afiaires ecclésiastiques , ils furent curieux d'entendre 
c prêcher M. Jurieu , un jour d'imposition des mains. 
« Us furent fort satisfaits de sa science et de son langage 
« en général ; mais ils trouvèrent des expressions insup- 



ili ANTÉCÉDENTS DE MARTlt< D'UTRBCHT. 

f portables, comme offrir les bouveaux de nos lèvres \ 
< guerroyer le bon combat, etc., dont M. Jurieu se ser- 
« vait souvent. Ils le trouvaient incompréhensible, 
€ voyant d'un côté, qu'il avait un style fort pur et fort 
€ éloquent, et de l'autre, qu'il avait de si méchantes 
« phrases. » Cela se passait en -îGTS. i> 

Vingt et un ans plus tard, David Martin, ministre du 
refuge et pasteur à Utrecht, satisfit aux besoins les 
plus urgents. Cédant aux instances du Synode des 
Églises wallonnes, il publia, en 1696, la traduction re- 
visée du Nouveau Testament, qui est à peu de chose 
près celle que les Sociétés bibliques répandent aujour- 
d'hui sous son nom. La Bible entière, avec d'excellentes 
notes et différentes préfaces, parut en 1707. Les correc- 
tions portaient surtout sur le style. Cette révision fut 
retouchée, en 1736, par Pierre Roque, pasteur français 
à Baie. Pierre Roque était originaire de la Caune. On 
lui doit trois volumes du Supplément au dictionnaire 
de Moréri. Son travail sur la Bible de Martin fut géné- 
ralement adopté. 

Par ses antécédents distingués, David Martin justi- 
fiait la confiance dont il fut l'objet de la part des Églises 
wallonnes. Né en 1639, à Rével, en Languedoc, il 
avait fait ses études à Monlauban et àNimes, ou il fut reçu 
maître ès-arts et docteur en philosophie, à l'âge de vingt 
ans. On rapporte qu'il soutint sa thèse in universam 
philosophiam e mane ad vesperem sine protide. En 1663, 
il devint pasteur à Espérance, après quoi il fut appelé à 

^ Cette expression s'est conservée jusque dans les éditions mo- 
dernes de la Bible de Martin : c Nous te rendrons les bouveaux de 
nos lèvres. » Osée, XIV, â. {Note de l'éditeur.) 



HBllERClEMEtltS DE L'AGADÉMtfi DES OÛAHANTE. 175 

la direction de l'Église de la Gaune ; et telle fut la con- 
fiance qu'il inspira, que les catholiques eux-mêmes le 
recherchaient comme arbitre dans leurs différends. 
Fortement attaché à son troupeau, il refusa la place de 
professeur en théologie dans l'Académie de Puy-Lau- 
rens. Cette Académie, on le sait, avait remplacé, à par- 
tir de 1662, celle de Montauban, que la perfidie des 
Jésuites était parvenue à détruire. Le temple de la Caune 
ayant été démoli en 1685, la persécution contraignit 
David Martin de se réfugier à Ulrecht où, dès l'année 
suivante, un nouveau poste de professeur lui fut offert 
par les magistrats de Deventer. Mais déjà quelques pré- 
dications l'avaient fait connaître avantageusement à 
MM. de la régence d'Utrecht et, sur leurs sollicitations, 
il resta dans cette ville en qualité de pasteur. Par le 
fait, il remplit aussi les fonctions du professorat. 11 avait 
chez lui des aspirants au saint-ministère, qu'il ensei- 
gnait, plusieurs jeunes seigneurs et même des fils de 
souverains que sa réputation avait attirés à Utrecht. Son 
esprit était vif, pénétrant; son jugement heureux. Arts, 
lettres, sciences, afiaires, tout excitait son intérêt; il 
était intarissable dans la conversation. Des lettres de 
remerciement lui furent adressées par l'Académie des 
quarante, pour les communications littéraires qu'il avait 
lait parvenir d'Utrecht à ces Messieurs, relativement à la 
deuxième édition de leur Dictionnaire. A l'âge de quarre- 
vingt-deux ans, David Martin monta une dernière fois en 
chaire... 11 prêcha sur les merveilles de la Providence, 
avec une vigueur d'esprit et de corps et une élévation d'i- 
dées qui frappèrent d'étonnement son auditoire ; mais à 
peine eut-il cessé de parler, qu'il se sentit épuisé. Il fallut 



176 SUCCÈS D'OStEtlVAtD EN angleTerur. 

Taider à descendre de la chaire ; il expira le lendemain. 
Il est à remarquer qu'il avait toujours souhaité de 
mourir en prêchant, et que la fin qu'il avait désirée 
pour lui-même, fut aussi celle de J.-F. Ostervald, son 
successeur dans l'œuvre de la. révision de la Bible. 
Toute sa vie, Ostervald, pasteur à Neuchâtel, avait 
désiré voir paraître une traduction nouvelle des saintes 
Écritures. C'est un vœu qu'il exprime déjà dans son 
premier ouvrage, où il traite des Sources de la corrup- 
tion (1699) *. Les corrections de la Bible de Martin 
ne lui parurent pas suffire. Cependant, il ne publia 
qu'à son corps défendant, la première édition de 
la Bible qui porte son nom. Il avait rédigé pour le 
culte liturgique, à Neuchâtel, des Arguments et Ré- 
flexions sur tous les livres canoniques de l'Écriture 
sainte. Cet ouvrage encore manuscrit, ayant été porté 
à Londres ou Ostervald avait des amis, y fut telle- 
ment goûté qu'on le traduisit en anglais. La publi- 
cation s'en fit sous les auspices de l'archevêque de 
Cantorbéry, et la reine, Anne de Grande-Bretagne, 
s'en servit dès lors dans ses lectures du saint Livre. 
Informés du succès de cette traduction, les impri- 
meurs d'Amsterdam s'adressèrent à Ostervald pour lui 
demander la permission de faire paraître l'original et, 
la modestie de l'auteur s'y refusant, ils menacèrent 
de faire retraduire l'ouvrage d'anglais en français; 
Ostervald dut céder. Ce fut l'origine de l'édition 
d'Amsterdam^ 4724. Elle renferme, outre les Argu- 
ments et Réflexions^ un certain nombre de modifications 

1 Source VIL Les livres. 



RÉACTION OUTRÉE DE LE CÈNE, 177 

qu'Oslervald avait déjà apportées au texte de Genève. 
En 1741, parut la Bible de Le Cène, qui falsifiait les 
textes dans un esprit de secte * ; elle ne pouvait, par 
conséquent, prétendre à remplacer la Bible de Genève. 
De même, la réputation de socinianisme que Le Clerc 
s'était faite, nuisit à sa traduction du Nouveau Testa- 
ment (1703); mais la préface qui se trouve en tête est 
digne d'intérêt, aussi bien que le Projet publié par Le 
Cène. La traduction que publièrent, en 1728, deux sa- 
vants du refuge, Beausobre et Lenfant, fut mieux ac- 
cueillie : on la réimprima souvent en Allemagne et en 
Suisse, parfois, avec une traduction allemande ; mais les 
portes de la France lui restèrent fermées au moment de 
son plus grand succès. M. Henri de Berlin reproche à cette 
version du Nouveau Testament un défaut de fraîcheur *. 
Elle n'acquit pas un caractère officiel. Au reste, les textes 
de Martin et d'Ostervald eux-mêmes ne se sont répandus 
en France que depuis que les Sociétés bibliques de ce 
pays les ont préférées ; c'est-à-dire, depuis 1 820, environ. 
€ Pendant tout le xviii^ siècle, dit M. Reuss, le texte gene- 

* Rev. de théol. et de philosophie chrét. Le Pajonisme, par 
M. Saigey, vol. XIV, p. 544. — L'exemplaire de la Bible de Le 
Cène, que Ton conserve à la Bibliothèque des Pasteurs de Neu- 
châtel, perle sur la première page la noie manuscrite suivante : 
« N. B. Quoique cette version ait quelque chose de singulier et 
qu'elle ait été condamnée en Hollande par un synode français, 
elle ne laisse pas d'avoir son mérite. Mais ce qu'il y a icy de 
meilleur, c'est le projet d'une nouvelle version ; il mérite d'être lu 
par quiconque souhaitera d'entendre le langage de nos auteurs 
sacrés. » — Ce projet ne peut être que le fruit d'un labeur consi- 
dérable. 11 propose, en les motivant, deux mille changements en- 
viron au texte de la Bible de Genève. C'était une réaction outrée 
contre l'orthodoxie raide et le littéraiisme d'alors. 

» Das Uben J. Cakin'a, t. î, p. 559. 

M 



178 MÉRITES ET DÉFAUTS DE LA BIBLE DE 1805. 

vois demeura le plus usuel, garda la prépondérance... La 
préférence que la France orthodoxe a, dès lors, accordée 
à la Bible d'Ostejrvald s'explique, ajoute le même au- 
teur, par le mauvais renom que se firent les pasteurs 
et professeurs de Genève, au point de vue doctrinal. Mais 
il faut avouer que les principes suivis par eux, dans la 
publication de leur Bible de 1805, n'élaient guère pro- 
pres à assurer le succès de leur œuvre. Le fran- 
çais devint tout à coup, pour ces théologiens, le point 
capital. Il fallait que la Bible fût enfin un livre digne 
du monde cultivé et que le patois de Canaan, comme on 
dit, se réglât tant soit peu davantage sur le Dictionnaire 
de l'Académie... L'ancien et obscur littéralisme fut tel- 
lement mis- de côté que l'on tomba dans l'excès con- 
traire. Ce texte se lit très-bien, parce qu'il est à la fois 
transparent pour le sens et élégant pour la forme. Mais 
il a le tort de sacrifier complètement à ce double avan- 
tage l'exactitude philologique , nous pourrions dire la 
fidélité, celte première qualité de tout traducteur et 
surtout d'un traducteur des saintes Écritures. Nous ne 
voulons pas dire par là que les traducteurs aient altéré 
sciemment le sens de l'original; mais ils ont cru satis- 
faire toutes les justes exigences, en en reproduisant la 
substance, sauf à faire parler aux prophètes et aux 
poètes hébreux le langage de nos jours. Le parfum an- 
tique et oriental se dissipe de la sorte et se perd ici plus 
entièrement encore que sous l'étreinte des pronoms 
relatifs, et sous la bigarrure des italiques, dans les 
autros traductions \ » 

1 Rcuss, lier zog* s Encyclopédie. - Nouv. ïlev. de théoL, jan- 



AUTOGRAPHE DES CORRECTIONS D'OSTERVALD*. 479 

Ce fut notre petite Église de Neuchâtel qui, la pre- 
mière, eut le privilège de posséder une révision de la 
Bible, dont la supériorité est attestée par ce simple fait 
que, seule parmi ses contemporaines, elle reçoit actuel- 
lement les honneurs de la discussion. Complétant l'œuvre 
commencée dans l'édition ci-dessus indiquée de 1724, 
Ostervald là prit pour base d'une nouvelle révision plus 
profonde que la précédente et qui parut vingt ans plus 
tard, en 1744. La Bibliothèque des pasteurs et minis- 
tres neuchâtelois possède le vénérable exemplaire de 
l'édition d'Amsterdam, qui porte sur ses marges les mo- 
difications écrites de la main même du traducteur. On 
en a relié en un volume les feuillets détachés qui furent 
successivement envoyés chez l'imprimeur. Ce volume 
pourrait fournir, si on le désirait, le chiffre exact des 
corrections d'Ostervald, chiffre fort considérable. Nous en 
avons compté soixante-douze, par exemple, dans la lettre 
àPhilémon qui n'a que vingt-cinq versets. D'un bout à 
l'autre, le style est remanié ; c'est, à chaque page, une 
campagne meurtrière où succombent en foule, sous la 
plume du correcteur, les tournures vieillies, obscures, 
barbares, en un mot, qui risquaient de scandahser les 
faibles et de rebuter les indifférents. « Tout en travail- 
lant sur le texte reçu (de 1588), et tout en profitant 
tant soit peu de Martin, Ostervald, dit M. Reuss, a 
donné une véritable traduction révisée; ses changements 

vier 1858. — Et toutefois, nous avons entendu notre professeur, 
M. Perret Gentil, nous dire que c'était dans celte Bible qu'il avait 
pour la première fois entrevu les beautés (ju'il a admirées dès lors 
dans roriglnal. Feu M. l'ancien maire Perrot dePourtalès, orthodoxe 
rigide, en lisait journellement plusieurs chapitres, la pn'f.'nint 
pour soji usage personnel, à toute ^utre Hille française. 



i80 .OCTOGÉNAIRE TRAVAILLANT AVANT L'AUBE. 

ne portent pas exclusivement sur la forme, mais aussi 
sur le sens, et trahissent assez fréquemment une étude 
préalable, soit de l'original, soit surtout des commen- 
tateurs \ y> Voici comment s'exprime sur ce sujet l'au- 
teur anonyme des Particularitez sur la vie et la mort de 
Monsieur J. 'F. Ostervald ; «M. Ostervald couronna tous 
ses pieux travaux en donnant la Bible in-folio, avec les Ar- 
guments et les Réflexions, qu'il fit imprimer sous ses yeux 
à Neuchâlel, en 1744-, dans un âge de passé quatre-vingts 
ans, sans interrompre aucune de ses fonctions pastorales; 
et, en moins de deux années, il acheva un ouvrage auquel 
tout autre théologien, moins laborieux, aurait mis plus de 
dix années. Il revit et corrigea, non-seulement les Argu- 
ments et Réflexions; mais il conféra la Bible avec le texte 
original, la Vulgate, la version des Septante et toutes les 
versions données en allemand et en français, même parmi 
les catholiques * ; afin de voir celle qui avait le mieux 
rendu le texte. Après s'être assuré du sens d'un pas- 
sage par ces différents examens, il se déterminait, en 
théologien judicieux et savant, qui possédait très-bien 
les langues hébraïque et grecque et le génie des autres, 
à faire ses corrections au texte de la Bible française; 
mais sa circonspection ne lui faisait jamais hasarder 
aucune correction sur laquelle il fût en doute. Dans ce 
cas, il mettait ses notes en bas pour expliquer le texte.» 

< Nom. Rev. de ThéoL, t. I, p. 12. 

2 En effet, lorsqu'on compare Ostervald à Tancien texte genevois, 
on reconnaît en bien des endroits, dans le style de notre coiiipa- 
trloîo. Theureuse indu.^ncQ de la Bihlo de Saci. — Voir à rApp;.'a- 
dice. 



RÉVISION DE RÉVISION. 181 

« Tous les jours, raconte un autre de ses biographes, 
il était debout, à quatre heures du matin, pour ce tra- 
vail. » La tradition porte qu'il Taccomplit dans un ca- 
binet de campagne qu'il possédait au Faubourg, et dans 
lequel il jouissait de quelque retraite^ 

Ici se termine. Messieurs et très-honorés frères, cette 
esquisse historique et la première partie de notre étude. 
Nous avons répondu à la première des trois questions 
que nous nous sommes posées ; nous nous sommes en- 
quis des origines de nos versions reçues, ou plutôt de 
notre version reçue, puisque la Bible d'Ostervald est la 
seule qui soit officielle chez nous. Historiquement, nous 
sommes fixés à son égard ; elle est la résultante de col- 
lationnements successifs, deGuiars des MouHns jusqu'à 
nous. Révisée par Jean de Rely^ la Bible dite de Guiars 
fut purgée de ses gloses et refondue d'après la Vulgatc, 
par Jacques Lefèvre; elle fut ensuite réformée d'après 
les originaux par Robert Olivétan , émendée par Calvin 
et ses successeurs, les pasteurs et les professeurs de 
Genève; enfin, modernisée par Martin et surtout par 
Ostervald. 

Ce qui revient à dire que notre version reçue n'a 
point été traduite directement des originaux. La Vul- 
gate est à sa base ; on pourrait à la rigueur l'appeler 
une version de seconde main. 

< Au moment do recevoir notre dernière épreuve, une bro- 
chure nous est adressée sous ce titre : Défense d'OsteroaLd et 
de sa théologie par un pasteur machatelois. On y lit une page 
bien sentie sur le sujet qui nous occupe, et nous y renvoyons 
ceux qui voudraient faire une plus intime connaissance avec 
notre vénérable traducteur. 



182 VICE ORIGINEL. 

Mais, dira-t-on, qu'importe? pourvu que les fautes 
que peut renfermer la Vulgate aient disparu au crible 
de ces révisions réitérées dont vous nous avez entrete- 
nus. C'est là précisément la question, Messieurs et 
très-honorés frères. Nos versions reçues se sont-elles 
entièrement dépouillées de ce qu'on pourrait appeler 
leur vice originel, ou bien sont-elles plus ou moins 
demeurées sous l'influence de la Vulgate? Voilà ce qu'il 
nous importe de savoir. Pour y parvenir, nous passe- 
rons du champ de l'histoire dans celui de la critique. 

Nous chercherons, dans un examen spécial de la ver- 
sion d'Oslervald, la réponse demandée. Ce sera l'objet 
de notre deuxième partie. 



DEUXIÈMI-: PAUTII:: 



PARTIE CRITIQUE 



Nous ne faisons point de nos versions un 
texte authentique, pour leur donner le cours 
au prix de l'original. 

Bénéd. Turretin. DcJ. des Bibles de 
Genève. 



Si nous consultons sur notre version le jugement de 
la science allemande, la sentence sera sévère. « Il est 
déplorable, ainsi s'exprime M. Reuss, dans YEncyclo- 
pédie de Herzog, il est déplorable que, dans les mains 
d'Ostervald, le langage de la Bible ait perdu ce qu'il 
avait conservé de richesse antique et de force native , 
sans rien acquérir de l'élégance et de la finesse mo- 
derne. Une phrase qui se traîne au travers de mots 
parasites, un style prosaïque et bourgeois, sans gain 
pour la clarté dans les passages difficiles, font de cette 
version ce qu'il y a au monde de moins tolérable et 
de moins attrayant {die denkbar imgeniessbarsle). Eh 
bien! la force de la coutume et le manque total d'études 
exégétiques au delà des Vosges, ont fait de cette traduc- 
tion-là, la Bible en vogue^ l'unique Bible. . . Le peuple 
qui se targue d'être en possession du plus clair et du 
plus cultivé des langages, n'a pour l'usage de ses Églises 



186 JUGEMENT DE l'ENCYCLOPÉDIE DE HERZOG. 

que celle déleslable version... Il n'est pas de peuple, 
parmi les peuples civilisés de l'Europe , chez qui la 
différence entre le langage biblique et le langage usuel 
soit plus sensible qu'en France; nous parlons des pro- 
testants car, quant au style du moins, les catholiques 
ont de meilleures traductions; seulement, ils ne les lisent 
pas... Non, il n'est pas de traduction dans la chré- 
tienté tout entière, dont le style soit si lourd et les 
inexactitudes si nombreuses; sans que, malheureuse- 
ment, on ait lieu d'espérer aucune prochaine amélio- 
ration, vu le triste état des éludes théologiques en pays 
français*. » 

M. Slein, dans ses lettres au LteUy enchérit si pos- 
sible sur M. Reuss. « La traduction reçue au milieu 
de nous est pitoyable, répète-t-il sous toutes les formes, 
détestable ; les hébraïsmes et les non-sens y fourmillent. 
Quant aux fautes de français, le lecteur le moins lettré 
peut se convaincre, avec quelque attention, que leur 
nom est Légion et leur nombre infini. Mais les fautes 
évidentes ne suffiraient pas à elles seules, pour faire 
tomber en discrédit une version défectueuse. 11 y a de 
ces imperfections radicales qui gâtent toute une œuvre, 
la frappent d'impuissance et pourtant défient l'analyse. » 
M. Dutemps, dans le Lien du 28 juin 1862, développe la 
même pensée : « Quand on aurait relevé tous les tours 
incorrects d'Ostervald, dit- il, on n'aurait pas changé la 
trame même de son style, qui a je ne sais quoi de mou, de 
lâche, de foncièrement peu français. » Tout en faisant 
cette réserve, MM. les collaborateurs du Lien passent 

< Art Romanische Ubersetzungen 



OPINION DE M. BONNET DE FRANCFORT 487 

en revue plus de cent passages dans 1 squels ils signa- 
lent force solécismes, fautes de goût, termes vieillis 
ou grossiers, métaphores doubles ou brisées, contre-sens 
et tournures impossibles. 

Plus modéré dans la forme, M. Bonnet de Francfort, 
dont l'orthodoxie ne peut être suspectée , n'en est pas 
moins catégorique : « Avec les plus louables intentions, 
dit-il,... Oslervald, auquel manquait, comme à toute 
son époque, la science et le tact exégétique, Ostervald 
n'a produit qu'une pâle paraphrase des Écritures. > 

Ce jugement est renfermé dans le Chrétien évangé- 
lique du 25 mai 1862. Le numéro subséquent du même 
journal présente un point de vue plus favorable. Par- 
lant de la dispute qui a surgi à ce sujet dans le sein 
des Conférences pastorales de Paris, le chroniqueur 
du Chrétien évangélique s'exprime ainsi : « La question 
des traductions de la Bible a occupé les membres 
des conférences, sans qu'on soit arrivé à aucun ré- 
sultat pratique. Dans son zèle à avoir de nombreuses 
traductions , on paraît oublier que , malgré les défec- 
tuosités du style, nos traductions ordinaires, d'après le 
témoignage des personnes compétentes, égalent presque 
en exactitude les traductions anglaises, et sont de beau- 
coup supérieures, sous ce point de vue, à celle de 
Luther. » 

Le ton tranchant et dénigreur étant partout à l'or- 
dre du jour, il y aurait à remercier le chroniqueur 
anonyme qui a écrit ces lignes. Quand on se rappelle 
les circonstances dans lesquelles nos versions ont vu le 
jour et les vénérables ligures de leurs auteurs, c'est de 
respect, non de dédain que l'on doit se sentir rempli. 



i88 SI CALVIN EUT TRADUIT LA BIBLE ! 

El puis, après tout, ces versions ont nourri noire en- 
fance; elles sont encore la source dans laquelle toutes 
nos populations de langue française puisent l'édifi- 
cation et la vie; et, quand même leur infériorité, vis-à- 
vis de versions plus récentes, serait universellement 
reconnue, ce qui n'est pas le cas, pourquoi déchar- 
ger sur de laborieux serviteurs de l'Église, tels que 
Martin ouOstervald, le ressentiment que nous inspire 
l'incurie de leurs successeurs ou de nos contempo- 
rains? 

Sans doute, il est grandement à regretter que Calvin, 
l'un des créateurs de notre langue, le théologien pro- 
fond, rincomparable exégète \ le travailleur infatiga- 
ble, n'ait pas imprimé le cachet de son génie sur une 
traduction de la Bible directement émanée de lui. « Il 
pouvait, lui, entreprendre cette œuvre, dit M. Henry de 
Berlin , car il joignait aux connaissances requises une 
vie religieuse intense, et une âme toute pénétrée du 
sentiment de la misère de l'homme et de la miséricorde 
de Dieu. Voilà ce qu'on ne trouve que dans ces époques 
tourmentées où l'âme est contrainte de crier à son 
Dieu; alors, elle trouve l'expression vraie... Si Calvin eût 
traduit la Bible, l'influence reconnue qu'il a exercée sur 
la langue française eût été bien autrement considérable, 
et bien différent eût été le développement de cet idiome. 
Calvin, comme Luther en Allemagne, Calvin et la Bible, 
et non l'Académie ou le théâtre, seraient devenus les 
régulateurs de la langue. La naïveté et la richesse de 



< Le plus grand exégète du seizième siècle. Rev, de ThéoL 
t. X, p. 172. 



MÉRITES DE NOS VERSIONS. 489 

l'ancien langage français eussent été conservées dans ce 
livre où le peuple protestant, si nombreux en France 
jusqu'à Louis XIV, eût puisé, grâce à Calvin, des 
expressions et des tournures appropriées à son génie. 
Et quelles n'auraient pas été les destinées de celte lan- 
gue, fille des langues classiques, si, devenue l'héritière 
du goût et de la logique de l'antiquité, elle eût gardé 
l'abandon, la fraîcheur et l'originalité profonde que nous 
admirons dans les vieux poètes français, et dont le se- 
cret perdu n'a pu être retrouvé par les écrivains qui, 
de nos jours, ont voulu le ressaisir *. » 

Mais si notre version n'a pas été le fruit du génie, du 
moins rendons hommage, avec l'auteur que nous ve- 
nons de citer, au savoir et à la piété de ceux à qui nous 
la devons '. Disons avec les dignes traducteurs du Nouveau 
Testament de Mons : « Les défauts de nos versions ne di- 
minuent rien de l'obligation qu'on a à ceux qui les ont 
faites. Ils ont servi l'Église de la meilleure manière qu'ils 
le pouvaient, et ils n'ont pu écrire que comme ils ont 
fait. Si nous avions été de leur temps, nous aurions parlé 
comme eux et, s'ils étaient du nôtre, ils parleraient 
comme nous. » Nos versions reçues manquent de finesse 
et de coloris, elles ne brillent pas non plus par l'exacti- 
tude ni par l'érudition ; mais elles rachètent en partie 
ces défauts par des qualités qui, pour être plus modes- 
tes, ne doivent pas être méconnues. Toute recherche en 
est bannie ; on chercherait difficilement ailleurs plus de 



* bas Leben, J. Calvities, t. î, p. 5 m, s. 

* Sic ist das Werk von Gelehrten, aber nicht das Werh (Us 
Gcistes. 



iOO TRIO VÉNÉRABLE. 

bon sens et plus de modération. On y reconnaît l'œuvre 
non de jeunes gens, mais d'hommes d'âge et de poids, 
blanchis sous le harnais et mûris par une longue expé- 
rience ; tels enfin que le furent Ostervald et Martin, qui 
mirent le couronnement à Tédifice dont Lefèvre avait 
jeté les bases. C'est un vin qui aurait perdu la saveur 
piquante et la vivacité de sa jeunesse; mais qui aurait 
acquis avec l'âge, comme la venu d'un médicament. 
« Sans vanité d'auteur, dit M. Stapfer, sans but per- 
sonnel à poursuivre, sans intérêts particuliers à soi- 
gner et, dignes représentants de ces profonds sen- 
timents religieux que l'Écriture doit réveiller, vivifier 
en nous, ils bornent toute leur ambition à être avec 
candeur et loyauté les interprètes du Royaume des 
cieux \ » 

Il en fut d'Ostervald comme de ses prédécesseurs Olivé- 
tan et Calvin ; il manqua du loisir nécessaire pour l'exé- 
cution de son œuvre. Le goût et l'aptitude ne lui firent 
pas défaut ; mais sa vie fut absorbée par le soin des Égli- 
ses dont il fut le restaurateur et le père nourricier. Néan- 
moins, en retranchant de la Bible de Martin, dans une in- 
finité d'endroits, ce qu'elle avait de dur, d'obscur, d'in- 
solite, de paradoxal, d'erroné, ce qui était de nature à 
blesser des oreilles pieuses ou paraissait contredire des 
passages correspondants, il gagna à la Bible un grand 
nombre de lecteurs cultivés, qui éprouvaient un éloigne- 
ment insurmontable pour l'antique version. Dès lors, ces 
mêmes personnes trouvèrent dans l'étude des Écritures, 
attrait et profil. Mais Ostervald n'a pas tout corrigé, tant 

^ Mdangis, \ol. Il, p liî^ 



MÉPRIS DE LA FORME. 191 

s'en faut; il y a dans la traduction qui porte son nom bien 
des vices héréditaires , tristes fruits du malheur des 
temps, qui ne laissa aux Réformateurs des pays de lan- 
gue française qu'à peine le loisir nécessaire pour le re- 
maniement d'un vieux fonds d'origine vulgalique. 

Reconnaître ces vices héréditaires, c'est, de notre part, 
avouer que c'est moins des versions elles-mêmes que 
nous avons voulu faire l'apologie, que de leurs auteurs. 
En définitive, c'est la conviction profonde de la défec- 
tuosité déplorable de nos versions, qui, depuis sept ans, 
nous aiguillonne dans nos recherches et nous a fait un 
devoir de prendre la plume. Mais, encore une fois, avant 
de manifester cette conviction, ne fallait-il pas faire nos 
réserves en faveur de personnages qu'il est d'autant plus 
injuste de prendre à partie, qu'ils se signalèrent au mi- 
lieu de leurs contemporains, par un zèle non moins 
louable pour l'objet qui nous occupe, et non moins 
effectif, sans doute, que le nôtre? 

Il y a dans une traduction, comme dans toute chose, 
deux éléments constitutifs, le fond et la forme. Le fond, 
c'est la pensée elle-même ; la forme, c'est le style que 
cette pensée revêt. C'est par la forme que pèche sur- 
tout notre version reçue. Ce péché passe pour léger aux 
yeux de l'un , pour nul aux yeux de l'autre , pour un 
mérite, au dire d'un troisième; en réalité, il est fort 
grave. Ceux qui l'envisagent comme insignifiant, feront 
bien de peser ces paroles d'un grand penseur : 

€ Le mépris de la forme n'enferme-t-il pas secrète- 
ment le mépris de la pensée?... On n'exagère point, en 
disant quo le respect de la langue de tous peut être classé 
parmi les devoirs moraux, et ({ue le mépris de la lan- 



192 CAUSE d'inféuiorité littéraire. 

gue, si commun à notre époque, en est un des plus fâ- 
cheux symptômes ^ » La forme est le véhicule de l'idée; 
vicieuse, elle risque d'en devenir la barrière et peut- 
être le travestissement. Ou bien elle obscurcira le sens, 
et fera dégénérer la lecture en un exercice stérile et 
formaliste; ou bien elle faussera le sens et enfantera 
Terreur et l'hérésie. Le contexte et les explications ora- 
les aidant, ces fâcheux résultats sont considérablement 
atténués au sein du public religieux protestant. A force 
d'exercice, il finira par discerner le vrai sens caché sous 
des expressions incorrectes; mais, en même temps, il se 
familiarisera avec ce style sans propriété, qui, sans qu'il 
s'en doute, deviendra le sien. Les mots et les phrases, 
détournés de leur emploi habituel, constitueront, dans 
sa bouche, comme un jargon étranger à la foule, auprès 
de laquelle les lecteurs assidus de la Bible auront perdu, 
par le fait même de l'incompréhensibilité de leur 
langage, une partie de leur salutaire influence. 
« Nous n'en sommes pas, hélas ! réduits à des conjec- 
tures sur ce sujet, dit M. Stein. Au siècle où la langue 
française atteignit l'apogée de sa perfection, pourquoi 
l'infériorité littéraire la plus incontestable est- elle le 
partage des écrivains et des orateurs protestants? Pour- 
quoi les prédicateurs de Charenton sont-ils loin de la 
pureté de langage des prédicateurs de Versailles? D'où 
viennent la lourdeur, la gaucherie, la rudesse, qui dé- 
parent les plus beaux élans d'un Dubosc , d'un Lefau- 
cheur, et jusqu'à l'éloquence la plus pathétique de 
Saurin lui-même, le digne émule de Bossuet? — Le 

* A Vfnrt, Es$ais de philosophie morale, p. 280. 



ORIGINE DU STYLE DIT RÉFUGIÉ. 195 

petit nombre des protestants^ leur éloignemenl de la 
cour, rendez -vous de tous les talents, de toutes les 
gloires littéraires; en outre, la persécution : voilà des 
raisons valables sans doute; mais, avant tout, il faut 
placer l'action pernicieuse exercée par l'emploi journa- 
lier d'une traduction de la Bible, d'un siècle en relard 
de la langue de l'époque. C'est cette version servile , 
comme l'a fort bien dit notre savant littérateur \ qui 
a donné naissance au style terne, incorrect et sans 
grâce, qu'on nomme style réfugié; un peu à tort, selon 
nous, car il date d'avant la Révocation... Tandis que, 
des 1668, les lecteurs catboliques de la Bible entrèrent 
en possession d'une traduction vraiment française du 
Nouveau Testament, celle de Port-Royal; et que, du 
reste, chaque ecclésiastique était libre de citer la Vul- 
gate, en la traduisant comme il l'entendait, c'est-à-dire, 
inexactement peut-être, mais du moins dans la langue 
de son époque ; le protestant, au contraire, n'avait que 
sa traduction surannée, à laquelle il devait se confor- 
mer, même quand elle froissait le bon goût ou arrêtait 
l'essor du génie. Plus imprégné de l'esprit biblique, ce 
qui fit sa force morale, le protestant contractait aussi 
i.aturellement les défauts du livre qu'il méditait sans 
cesse, et c'est ce qui fit sa faiblesse littéraire. Nos meil- 
leurs écrivains contemporains oseraient -ils se flatter 
que le mauvais style de nos versions n'ait laissé aucune 
trace dans leur diction *? d 
Ostervald est si loin d'avoir corrigé tous les défauts 

« M. Sayous, Hist. de la liU. franc, àfétranjer, au \yu^ siècle. 
« La Version d'Ostervald et les Sociétés bibliques, p. 50, ss. 

15 



194 RESSOURCE IMPORTANTE NÉGLIGÉE. 

du Style de la Bible huguenote, qu'il n'est pas de page 
de sa révision où il ne soit facile d'en signaler plu- 
sieurs. 

On a l'habitude de se tranquilliser sur ces imper- 
fections de forme, en répétant le lieu commun, que nos 
versions ont du moins pour elles, le nec plus ullrà de 
l'exactitude, à peu de chose près. Sans doute, comparées, 
aux versions catholiques, elles peuvent se vanter de leur 
évidente supériorité sous ce rapport; mais, sans par- 
ler des découvertes nombreuses de l'exégèse , depuis un 
siècle et plus qu'elles ont paru, elles sont loin d'être 
entièrement indépendantes de la Vulgate, dont le texte 
fautif constitue, encore à cette heure, la trame de leur 
tissu. 

Les preuves philologiques abondent en faveur de cette 
thèse que nous avons historiquement établie. 

Les controverses entre catholiques et protestants ont 
provoqué la rédaction de listes où sont consignées des 
milliers de différences existant entre la Vulgate et les 
originaux. Grâce à ces listes et aux efforts assidus des 
correcteurs de la Bible de Genève, on a fait disparaître 
bien des fautes saillantes qui avaient passé de la Vul- 
gate dans la Bible deLefèvre et, delà Bible deLefèvre, 
dans celle d'Olivétan ; mais on ne paraît pas s'être douté 
d'une source abondante d'erreurs provenant de l'ab- 
sence de l'article dans la langue latine. Traduisant la 
Vulgate en français, Lefèvre, dans une infinité de pas- 
sages, introduisit, à son gré, l'article où le grec ne l'a 
pas, et vice-versâ. 

L'importance de ce petit mot ne doit pas se mesurer 
à sa petitesse; il confère à notre langue un avantage 



ATAMTAGS DU FRANÇAIS SUR LB LATIN. 195 

incontestable sur le latin. — Au rapport de Suétone , 
l'empereur Auguste regrettait vivement que la langue 
latine fût privée d'article, et il essaya d'employer le 
pronom ille pour combler cette lacune. Sa tentative 
échoua ; mais deux langues dérivées du latin se parta- 
gèrent, en quelque sorte, le pronom de la langue mère, 
pour s'en faire à chacune un article ; l'italien prit la 
première moitié du mot, et nous avons retenu la der- 
nière. Il est évident qu'il n'est pas indifférent de tra- 
duire prœbe mihi panent par donne-moi im pain , du 
pain ou le pain. Il vaudrait donc la peine de faire, sur 
ce point spécial, une étude comparée des originaux de 
la Bible avec nos versions reçues. Cette étude amène- 
rait , nous en sommes certain , la découverte d'une 
foule d'erreurs souvent graves, quoique subtiles, et dont 
la révision réclamerait parfois le sens exégétique le 
plus exercé ; puisque, vu la différence du génie des 
langues, il n'y a pas toujours correspondance dans l'em- 
ploi de l'article en hébreu^ en grec et en français. 

Voici, entre mille, quelques exemples qui attestent la 
défectuosité de nos versions à cet égard : 

Il est un verset de l'Épître aux Éphésiens qui peut pa- 
raître contradictoire, aux yeux mêiries de l'enfant auquel 
on le fait apprendre. C'est celui où Paul enseigne, si l'on 
en croit nos versions, que le cinquième commandement 
est le premier qui renferme une promise y Éph. vi, 2. 
Mais, se dit à lui-même l'enfant, le deuxième comman- 
dement déjà contient une promesse : celle du c Dieu 
fort et jaloux qui fait miséricorde jusqu'à la millième 
génération à ceux qui l'aiment et qui gardent ses com- 
mandements. > Cette difficulté disparaît, dès qu'on re- 



196 JÉSUS-CHRIST DIEU SAUVEUR. 

garde le grec, où il n'y a pas le premier^ mais premier ou 
capital : le mot ^pwrcç a les deux sens. Le même scribe 
qui, dans FÉvangile selon saint Marc, demande à Jésus 
quel est le premier commandement de la loi, dans 
saint Matthieu, demande quel en est le plus grand. — 
€ Honore ton père et ta mère, dit TApôtre, ce comman- 
dement est capital ; une promesse y est attachée : 
afin, etc. » 

Dans rÉvangile de Jean, xix, 40, on lit que les 
saintes femmes enveloppèrent le corps de Jésus de ban- 
delettes, avec des aromates : le texte porte avec les aro- 
mates ; quelles aromates ? Celles apportées par Nico- 
dème au verset précédent. La juxtaposition de ces deux 
versets aurait dû ouvrir les yeux des disciples trop con- 
fiants de la Vulgate. 

Citons encore Jacques i, 27 : « Une manière de ser- 
vir Dieu, pure et sans tache, consiste, etc., » et non « la 
religion pure et sans tache; » ce qui, dogmatiquement, 
serait sujet à caution. Luc v, 32 : « Ce sont des pécheurs 
et non des justes que je suis venu appeler à la repen- 
tance. » Matth. xi, 25 : « Je te bénis, ô Père ! de ce que tu 
as caché ces choses à des sages et à des intelligents, et 
non à ioîis les sages et à tous les intelligents, comme 
l'article défini semblerait l'indiquer, en outrant la pen- 
sée de Jésus-Christ. De même, saint Paul, ITim. i, 45, 
se serait envisagé comme Vim des plus grands pécheurs 
sauvés par Jésus-Christ; mais non, toutefois, comme le 
plus grand. Le fondement de l'Église , ce sont les 
apôtres-prophètes, Éph. ii, 20; m, 5; et non les 
apôtres et les prophètes. L'importance de l'article est 
considérable dans les nombreux passages qui nous par- 



SURPRISE DE M. BERGER DE XIVREY. 497 

lent (le Jésus-Christ Dieu Sauveur y et non de Dieu et 
du Sauveur^ comme le prétend la version de Genève, 
Tite 11,43,*. 

Pour achever de nous convaincre à cet égard, lisons 
dans nos anciennes versions, Hébr. xiii, 20. Toutes, 
sans en excepter Leclerc, qui professe pourtant avoir 
traduit directement du grec % toutes portent ces mots : 
Jésus-Christ; le grec ne donne que Jésus, Cette ad- 
dition de Christ provient de la Vulgate ; on la trouve 
bien aussi dans le Codex cantabrigensis y mais chacun 
sait que le texte reçu fait seul règle pour nos versions 

^ En parcourant Tévangile de baint Jean dans Toriginal, nous y 
avons remarqué Tinfluence de la Vulgate, relativement à rarticle, 
dans les quelques passages suivants : v, 27 ; vi, C8; xiv, 2; 
xvni, 45; xx, 22; xxi, 24. — Voir encore Matth., xi, 5; Luc, vu, 
22; XV, 42. Apoc. i, 15; xxi, 2. — Un savant français, qui vient de 
laisser, en mourant, un vide regrettable, M. Berger *de Xiviey, 
trouvait « surprenantes » ces négligences des traducteurs français, 
en ce qui concerne Tarlicle. Loin de nous étonner, elles contirmeni 
nore thJse historique qui a pu, de son coté, m. us les fai.e pressentir 
êl nous mettre sur leur trace. 

2 En revanche. Actes v, 6, Leclerc s'est soustrait à riiiilueiice 
de la Vulgate, qui se fait sentir dans nos versions. On lit dans ces 
dernières : ils l'emportèrent ; le texte latin porte amoverunt. Il y 
a dan» le grec cuveareiXav; Leclerc traduit : ils enveloppèrent le 
corps. — Il est moins exact, Jude 8, o.» il traduit, d'aicoid ;ivec la 
version genevnise, evuwviaî^d^Evoi, par endormis dans la sécurité; 
tandis que cette expression n'a d autre sens que celui de rêver. 
Mais, du moins, si traduction n'a pas la lourdeur de celle d'Ostei- 
vald : « Ceux-ci de même, étant endormis d un côté, souillent leur 
corps. » Luc, II, 22, Leclerc traduit sa purilication : encore une 
influence de la Vulgate, qu'il subit ave«* les autres traducteurs. Ne 
pouvant admettre que Jésus eut contracté aucune souillure, même 
purement cérémonielle , 1 interprète latin a traduit ejus; Toriginal 
demandait iewr purilicalio.n, aOrcôv. — Même genre de i emarques 
hur le Nouveau Testament de I^eausobre et Lenfant, dont la traduc- 
tion ne fut pas non plus radicalement nouvelle* 



198 LÀ YULGATE SUIVIE DANS SES TARIANTES. 

usuelles*, et Leclerc déclare dans sa Préface n'en avoir 
pas suivi d'aulre. En revanche, Leclerc rétablit le nom 
de Jésus dans un passage ' où nos versions, originaire- 
ment calquées sur la Vulgale, l'avaient supprimé ^ 

Parfois même nos versions, à la remorque de la 
Vulgate , ont , de plus ou de moins que le texte grec 
reçu, non pas seulement un mot ou deux; mais une 
phrase tout entière. Nous citerons : I Jean ii, 23; ces 

* Lorsque, par exception, nos versions s'éloignent du texte 
grec reçu, c'est, d'ordinaire, en suivant servilement la Vulgate 
dans ses écarts. Conférez par exemple, les trois textes, grec-tlzé- 
vir, français et latin, dans ces quelques passages : Actes xix, i2;xxii, 
30; — I Cor. ii, 22 ; — Ephés. m, 7 ; — Philipp. m, 2i ; — II Tim. 
IV, U; — Philém. 7; — I Pierre ii, 8 ; — I Jean ii, 25 ; — Apoc. i, 
1 1 ; xviii, I ; XXI, 8. 

2 Jean, XX, 21. — D'autre part, il conserve à tort, Act. XVI, 7, 
ce même nom de Jésus, qui n'a disparu de ce passage que par les 
soins d'O^tervald. 

3 Des remarques analogues peuvent être faites sur Malth, vi. 23; 
— Luc, II, 22;— Jean, IV, 43; ix, 40; xu, 11; xiii, 2, 8 ; xv, ; 
xvi,ll,22-23;xvii,5, ll;xix, 15; xx, 6,21; — Act., v,6;~ xv,17f 
Rom. 11,22. — I Cor. xii, 15; — lî Cor. !, 13;ii, 6; iv, 15; viï,2; 
X, 4; — XI, 25; — xiii, 4; — Gai. ii, 6; — Eph. ii, 5; — - 
Philém. 2 ; — Iléb vu, 23; xi, ii ; — I Pierre j, 2, 12; — 
II Pierre i, 1 ; ii, 14; — I Jean, i, 5, 4; ii, 8. — On trouvera 
en examinant ces divers passages, soit des adjonctions, soit des 
retranchements, soit encore d'autres changements qui dénotent une 
influence vulgatique. Les dénominations impropres de firmament, 
de dvcs , en parlant de chefs de tribus : le duc Omar, le duc 
Amalek, etc. Gen., xxxvi, 15, s. et colle ù'enfer sont également 
des vestiges de la Vulgate. — Plusieurs de ces fautes se trouvent 
relcv('rs dars le récent Commentaire àe M. E. Arnaud, qui revient 
souvent à l'emploi de cette formule: « Oslervald traduit, sans 
raison , de telle ou toile manière. » Mais il y a une raison , a 
Vulgate. Encore une fois, Ostervald ne fut que réviseur et 
ne doit pas être mis seul en cause; il ne mérite t ni cet excès 
d'honneur, ni cette indignité. » 



DÉFAUTS d'OSTERVALD, EXCÈS DE SES QUALITÉS. 190 

mots : « Quiconque confesse le Fils, a aussi le Père, » 
sont un héritage de la Vulgale que nos versions fran- 
çaises ont, à tort ou à raison, accepté de leur mère. 

A ces influences de la Vulgate se joint, dans la révi- 
sion d'Ostervald, çà et là, celle de son propre caractère. 
Ostervald est Tapôlre de la modération, du bon sens. 
On peut lui appliquer le jugement de M. Sainte-Beuve 
sur de Saci : « L'uniftrmité faisait sa loi la plus chère. > 
Sa tendance pouvait dégénéier en un respect exces- 
sif du décorum. Il craint tellement que la parole de 
Dieu ne soit en scandale aux faibles, qu'il en vient 
à des ménagements abusifs. Dans un pays de vignobles 
tel que le noire , il a peur que le peuple ne cherche 
dans le produit de la vigne autre chose qu'un simple 
réconforta tif. Au lieu donc de traduire « le vin réjouit 
le cœur de l'homme , » Psaumes civ , i5 , il juge à 
propos de substituer « le vin qui fortifie le cœur de 
l'homme; » et, dans le Nouveau Testament, il rendra par 
se rassasier le mot qui signifie s'enivrer : comment 
supporter l'idée que des membres de la primitive Église 
s'enivrassent jamais! Avant lui déjà, les traducteurs de 
Genève avaient remplacé le terme d'ivresse dont se sert 
Olivétan, par celui de bonne chère; mais Oslervald, qui 
aurait dû rétablir le vrai sens, l'affaiblit plus encore 
que ses prédécesseurs. Il va jusqu'à le fausser, lors- 
qu'il s'agit des devoirs des époux *. Dans sa traduc- 
tion, la concession faite par saint Paul devient un con^ 
seily mais jamais au77vwp.Yi n'a signifié conseil; il le 
fausse aussi en traduisant llahab, i ircpv/;, par Rahab 
V hôtelière. Ici, toutefois, nous pouvons l'excuser, en 

< i Cor. vu, 5, 6 . 



ÎOO ÉNERGIE ET RUDESSE DU TEXTE DE MARTIN. 

disant qu'il n'a fait que répéter l'erreur commise, sept 
ans avant lui, par Pierre Roques, dans sa révision de la 
Bible de Martin , révision dans laquelle on lit Rahab, 
l'hospitalière, La ferveur de la foi avait diminué de- 
puis le réveil religieux du xvi® siècle; on commençait 
à douter de Tefficace de la grâce, pour le relève- 
ment d'une femme de mauvaise vie , et cet affaiblis- 
sement de la doctrine chez les traducteurs, trahis- 
sait, sans qu'ils s'en doutassent, la droiture de leurs 
intentions *. 

Il serait donc injuste d'accuser Oslervald seul d'avÔir 
introduit dans le texte de la Bible de semblables adou- 
cissements. Il n'en est pas moins vrai qu'il a cédé à 
plusieurs motifs d'appréhension qui n'avaient exercé 
aucune influence sur Martin. C*est, sans doute, Tune 
des raisons qui expliquent pourquoi la révision de ce 
dernier a subsisté jusqu'à ce jour. Malgré la rudesse 
de son langage, elle est encore I4 version que préfèrent 
certaines personnes d'une piété forte et quelque peu 
mystique, dont l'imagination trouve un ahment dans 
cette obscurité même ; elle devint le texte favori du Réveil, 
il y a quarante ans. La saveur antique qu'on goûte en 
la lisant, la verdeur et l'énergie toute gallo-romaine, 

* La même tendance se manifeste, Luc vu, 37, où il est ques- 
tion, dans la version d'Ostcrvald, d'une fenmie qui avait été de 
mauvaise vie. Ces mois qui avait été ne se trouvent pas dans l'an- 
cien texte genevois. Une remarque presque idinlique peut être 
faite sur MaUhieu, i, 6, louchant la mère de Salomon, qui avait 
été femme dTrie. Seulement, da s ce cas ci, Tadjonclion remonte 
à Lcfèvre lui-même. Les iraduclairs de Lausanne ont mis en ita- 
liques le mot de veuve. Eux aussi ont reculé devant la crudilJ du 
Joxle : « David eut, de la femme d'Urie, Salomon. » 



KBVISION ÉMINEMMENT DÉSIRABLE. 201 

qui la caractérisent en maint passage, ne sauraient toute- 
fois faire passer aisément sur les aspérités et le gali- 
matias qui la déparent ailleurs *. 

Ni Martin , ni Ostervald ne peuvent donc plus nous 
suffire. En présence de leurs défauts, les esprits les plus 
modérés, M. le pasteur Bastie à leur tête, ont déclaré 
éminemment désirable un changement du texte reçu dans 
nos églises *. Le même besoin s'est fait sentir dans 
le sein de la confession d'Augsbourg : « J'ai depuis 
trente ans la conviction, dit M. Malter, que le plus sé- 
rieux de nos intérêts d'éducation religieuse et d'éduca- 
tion pastorale est la conquête d'une version à la fois 
assez exacte pour satisfaire le théologien, et assez claire 
pour plaire au fidèle ^. » 

Néanmoins, avant de nous départir de ce que nous 
possédons, considérons ce qui nous est offert; et d'a- 
bord, pour le Nouveau Testament, la version do Genève 
de 4835; afin que, si nous devons faire l'échange , 
ce ne soit du moins qu'à bon escient. 

Des plumes plus autorisées que la nôtre ont fait avec 
sévérité le procès à cette version. M. Bastie, dans 
l'article précité , s'est appliqué à faire voir : 4», que 
cette version reproduit Ostervald 1î\ où elle devrait s'en 
abstenir; 2% qu'elle n'est pas exacte; 3^, qu'elle altère la 

* Où trouver un phébus mieux caractérisé que dans ce v. 16® 
du 1V« chap. de Tcpitre aux Ep!]ésiens: « duquel tout le corps, 
bien ajusté et ^erré ensemble par loules les jointures du fournisse- 
ment, prend raccroissemenl du corps, selon la vigueur qui e^t dans 
la mesure de chaque partie, pour rédificalion de soi-m(^me, en 
charité. » Voir aussi Rom. vi, 16 ; .\ct. xiii, 39. 

2 Espérance du 27 juin 1862. 

s Id., du 19 septembre 1862. 



202 TITE ÎI, 13, ET LÀ VERSION DE GENÈVE 1855. 

physionomie de Toriginal; 4^, qu'elle supprime des mots 
qu'elle juge inutiles. M. Arnaud, quelques semaines 
plus tard, corroborait de son témoignage celui de 
M. Bastie : « Comme Fa très-bien prouvé M. Basile, 
écrivait-il dsins Y Espérance dul^r août 4862 (et comme 
une expérience de plusieurs années nous en a depuis 
longtemps convaincu), la version de Genève, au point 
de vue dogmatique, est d'une infidélité manifeste; 
et, sous le rapport du travail proprement dit ou de la 
traduction, très-inexacte, abrégeant, coupant, expliquant 
le texte à son gré. » 

Nous regrettons qu'en tranchant le mot d'infidélité, 
M. Arnaud n'ait pas produit les raisons qui, par devers 
lui, sans doute, motivent son dire*. Quant à nous, la tra- 
duction donnée par cette version de Tite ii, 43, nous a 
toujours semblé, pour le moins, incorrecte '. 



* Il Ta fail quelques mois plus lard. Voir V Espérance du 22 mai 
1863 et, dans le nunîéro du 5 juin du même journal, les passages 
relevés par M. J. Orth, pasteur-aumônier. 

2 « ... Attendant la réalisation de notre bienheureuro espé- 
rance, et la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sau- 
veur, Jésus-Christ » rou {is-Yà^ou 0g&û xai awTTipo; Yi(i.wv Inacu XpiaroO. 

— « Le texte ne permet pas qu'on applique à un autre qu'a Jésus- 
Christ ce double titre de notre grand Dieu et sauveur. C'est 
ainsi quMl a toujours été entendu pendant que le grec a été une 
langue vivante. (Voyez à ce sujet la savante et déoisive disser- 
tation de M. Granville Sharp, sur VEmploide l'article défini dans 
le Nouveau Testament) M. C. Wordsworth a compulsé, d'un bout 
à l'autre, l'immense collection de 70 Pères grecs, pour s'assurer 
du sens qu'on donnait à ce verset, comme à d'autres passages du 
môme genre; et partout il les a vus attribuer à ces mots le sens 
que nous leur avons donné. Les auteurs ariens eux-mêmes, qui 
ont écrit en grec, n'ont pas même soupçonné qu'il pût y avoir de 
l'ambiguité. Cette remarque doit s'appliquer également aux passa- 



OPINION DE M. REUSS. 205 

En tout cas, l'on ne peut nier que les notes n'aient été 
rédigées sous l'empire de préoccupations exclusives , 
puisqu'elles ne fournissent guère les variantes des ma- 
nuscrits, que lorsqu'il s'agit du point spécial de la di- 
vinité ou de la déité de Jésus-Christ. Le Nouveau Tes- 
tament de 4835 fut, la date le rappelle assez, une pu- 
blication de circonstance, le manifeste d'un parti dans 
l'Église. Ce serait donc vouloir briser l'un des derniers 
liens qui réunissent les tendances diverses au sein de 
l'Église réformée de France, que de donner, dans telle ou 
telle paroisse, une valeur officielle à cette traduction 
dont la fidélité est demeurée douteuse. Un fait signifi- 
catif, c'est que le plus compétent des adversaires d'Os- 
tervald, M. le professeur Reuss, n'a jamais, que nous 
sachions, recommandé la version de Genève, 1835. Il se 
borne à dire que ce texte ne méritait pas, en général, le 

ges suivants : Ephés. v, 5 (où Jésus est appelé Dieu et Messie, 
Dieu et Christ); II Thess. i, i2; I Tira., v 21 ; Jude, 4; 2 Pier. I, 1. 
Il Tim. IV, 1; Jacq. i, T — Lettre sur la divinité de Notre-Sei- 
gneur Jésus-Christ, par Gaussen. — J. T. Beelen, dans sa Gram- 
maire latine du Nouveau Testament (Louvain, 1857), interprète ce 
passage de la même manière. Il s'exprime ainsi : « Nimiaim Jésus 
Christus ibi à Paulo vocalur {lé-^aç 0eô;, idemque awTrjp. Nam 
voci (Twrnpo; articulum non apposuit... Atque hune scribendi 
usum Apostolus perpetuô observât. » — J. B. Winer sur lequel les 
partisans de Topinion contraire s'appuient, avoue que la tra- 
duction que nous adoptons est fondée en grammaire; mais^ 
dit-il, elle ne cadre pas avec le système paulinien. Christ est appelé 
Dieu, e»o;., dit M. Reuss, et il cite comme preuve, Rom. ix, 5, et 
noire verset. Au moins, ajoute-t-il en note, c'est Texplication la 
plus simple et la plus naturelle de ces deux passages. Hist. de la 
Théol. chrét, au siècle apost., 1852. Tome îï, p. 101. — La version 
de Genève traduit donc à tort : « du grand Dieu et de notie Sauveur 
Jésus-Christ, » 



204 NÉCESSITÉ d'une ENTENTE PRÉALABLE. 

cri de réprobationqu'il souleva. Il ne s'explique pas sur les 
réserves que suppose celte expression de en général 
qu'il emploie; mais il fait clairement sentir, dans les 
lignes que nous allons transcrire, qu'à ses yeux, il 
n'existait, en 4855, aucune traduction de la Bible qui, 
somme toute , fût préférable à la nôtre : 

« Les traductions reçues, dit-il, sont consacrées par 
le temps et l'habitude; elles ont fait du bien , elles en 
feront encore. Leurs défauts , pour être compris des 
savants, ne sont pas de nature à compromettre, soit la 
pureté de l'Évangile, soit la sûreté de l'enseignement. 
Les corrections dont elles ont besoin ne sauraient au- 
jourd'hui être présentées immédiatement aux fidèles 
comme quelque chose de définitif; elles doivent passer 
par le creuset de la science. Les changements que l'on 
proposera doivent, avant tout, être soumis aux juges 
compétents ; les théologiens , les pasteurs doivent se 
familiariser avec les nouvelles traductions; et ce n'est 
que lorsque Topinion générale, dans celte sphère pri- 
vilégiée, aura reconnu, non-seulement les bonnes qua- 
lités d'un travail de ce genre, mais encore sa supério- 
rité incontestable sur tout ce qui existait jusque-là, et 
surtout cette rare réunion de l'onction du langage avec 
la justesse philologique ; c'est alors seulement, disons- 
nous^ que l'on peut songer aux moyens de faire servir 
un tel livre au culte public. 

« Ce chemin <îst un peu plus long encore en France 
qu'ailleurs, parce que la science exégétique n'y est pas, 
pour le moment, dans un état très-florissant; mais c'est 
une raison de plus pour ne pas se précipiter *. » 

♦ Reoue detkéol. Vol. X, p. I7i. 



TRADUCTION DE M. PERRET- GENTIL. S05 

Ayant que Ton adopte une traduction nouvelle des 
saintes Écritures, M. Reuss exige, avec raison, qu'elle 
ait obtenu le suffrage des théologiens; or, la question des 
mérites et des défauts du texte de 4 835 à part, le senti- 
ment général est si peu favorable à cette version, qu'après 
un laps de trente années, qui a dû suffire pour l'examen, 
la majorité des conducteurs de TÉglise en France ont 
déclaré n'en point vouloir. Confirmant son vote de 
l'année précédente, cette majorité s'est prononcée, 
plus nombreuse et non moins énergique, dans les 
Conférences de 4863. 

Bien différentes étaient les réclamations des nova- 
teurs quant à l'Ancien Testament. Ils demandaient la 
version de M. Perret-Gentil, version généralement bien 
accueillie, depuis seize ans, par les hommes de tous les 
bords, par les frères de Plymouth, par exemple, ce qui 
forme un préjugé en faveur de sa fidélité doctrinale. 
Cependant, ici encore, les motifs qui ont déterminé 
la Société biblique dans son refus s'expliquent aisé- 
ment. 

Ces motifs sont ceux que M. Reuss exposait tout à 
l'heure, relativement aux traductions nouvelles des 
saintes Écritures; ils ne sont point spéciaux à l'œuvre de 
M. Perret-Gentil. Ce traducteur a accompli ce qui ne 
s'était jamais fait dans notre langue *, une traduction 
nouvelle de l'Ancien Testament d'après l'hébreu. Ap- 
pelé, en 4837, à prêcher sur le psaume xvi, ce psaume 
lui parut si pâle et si peu suivi dans notre version reçue 



< A moins que Von ne tienne compte de la malheureuse tenta- 
tive de Ghasteilion. 



206 CKUVRE D£ VJMGT-QUATRfi ANKfiES. 

que, pour faire son sermon, il eut Tidée de se rendre 
un compte exact de son texte en le traduisant d'après 
l'original. Charmé de cet essai qui lui fut communiqué, 
un de ses amis * l'engagea à en entreprendre d'autres. 
Sur ces entrefaites , une chaire de philologie biblique 
fut érigée à Neuchâtel, et M. Perret-Gentil invité à l'oc- 
cuper. Il lisait à ses étudiants, au fur et à mesure de 
ses leçons, sa traduction de la portion de la Bible expli- 
quée en dernier lieu. Les Hagiographes et les Prophètes 
parurenten 4847. Puis, les événements politiques firent à 
M. Perret des loisirs forcés ; il put consacrer à la tra- 
duction du Pentateuque et des Livres historiqtces à peu 
près tout le temps que lui laissèrent de nombreuses in- 
dispositions. La dernière ligne A'Esther fut écrite le 
25 octobre 1850; puis, la Genèse et Y Exode furent tra- 
duits à nouveau, et l'impression achevée au mois 
d'août de l'année 1864. Il s'était écoulé, depuis le début 
de l'œuvre, vingt-quatre années, pendant lesquelles des 
circonstances providentielles n'avaient cessé de confir- 
mer le traducteur dans sa vocation. Ne prêchant pres- 
que jamais, il envisage le travail qu'il poursuit comme 
le culte spécial que Dieu demande de lui. L'authenli- 
cité de ces détails que nous tenons de la bouche même 
de notre ancien professeur, excusera, nous l'espérons, 
cette petite digression historique. 

Si M. Perret-Gentil avait visé à l'adoption immédiate 
de sa traduction dans l'Église, il s'en fût tenu, comme 
Ostervald, aune révision. Mais sa traduction est si peu 
une révision, qu'il est allé jusqu'à cesser tout contact 

* Feu M. le professeur L'Eplaltenier. 



CHANGEMENT KADICAL. S07 

avec les versions françaises existantes, afin de s'en ren- 
dre d'autant plus indépendant; il en est résulté une 
infinité de divergences entre les versions reçues et la 
sienne. M. Perret-Gentil , nous en sommes persuadé , 
est le premier à s'expliquer les retards qui doivent néces- 
sairement précéder l'acceptation d*une œuvre aussi in- 
dépendante, aussi originale ; qu'il nous permette de tran- 
cher le mot, d'une œuvre aussi radicale que la sienne. 

En ouvrant la Bible d'Ostervald de 4744, on est quel- 
que peu surpris de ne voir le nom de l'éditeur men- 
tionné au titre, que pour ce qui concerne les Arguments 
et les Réflexions. C'est La sainte Bible reviie et corrigée 
par les pasteurs et professeurs de Genève, L'important 
travail de révision exécuté par Oslervald ne se trouve 
indiqué que par deux modestes lignes dans un Avertis^ 
sèment presque inaperçu; encore cet avertissement fut- 
il supprimé dans les éditions subséquentes. Tels étaient 
alors le respect de la version reçue et la crainte que 
l'on avait de passer pour novateur ! Notre époque est 
bien autrement hardie dans ses allures ; mais l'appro- 
bation qu'elle accorderait à une révision nouvelle, nous 
doutons qu'elle la donnât d'emblée à une traduction 
fondée sur de tout nouveaux principes. 

Combien de gens parmi les personnes illettrées, qui 
seraient disposés à s'écrier que l'on change la Bible ! 
N'ayant pas la notion claire de ce qu'est une tra- 
duction , leur foi dans l'immutabilité des oracles de 
Dieu s'ébranlerait en présence de nouveaux textes. Ils 
s'imagineraient être viciimes de quelque supercherie de 
la part des conducteurs spirituels de la nation. Ceux-ci, 
de leur côté, sont habitués, dès leur jeunesse, à expli- 



208 RÉVOLUTION DANS L'hOMILÊTIQUE. 

quer et à commenter la version reçue. Il suffirait d'adop- 
ter la version nouvelle, pour ôter à bon nombre de ces 
explications et de ces discours, le point d'appui qu'ils 
trouvaient dans les mots de l'ancienne. Qu'un prédica- 
teur développe ce verset du psaume xxxiv : « Les lion- 
ceaux ont disette et ont faim ; mais ceux qui cherchent 
l'Éternel n'auront faute d'aucun bien, » il rappellera 
l'extrême tendresse des lions pour leurs petits et la ma- 
jesté de ces rois du désert, à qui il appartient de 
lever le tribut sur tous les animaux qui peuplent leur 
empire. Eh bien ! dira le prédicateur, malgré la ten-^ 
dresse et le dévouement dont les petits du lion et de la 
lionne sont les objets, malgré la puissance et les abon- 
dantes ressources de ceux qui pourvoient à leur entre- 
tien, ces lionceaux peuvent avoir faim; tandis que ceux 
qui cherchent l'Éternel, non-seulement seront toujours 
nourris, mais ne manqueront d'aucun bien vraiment 
désirable. Ce prédicateur-là, prenant en main la Bible 
de M. Perret-Gentil , sera surpris d'apprendre que 
dans l'intervalle, les lionceaux ont grandi, qu'ils sont 
devenus des lions, et qu'il doit dire adieu à la moitié de 
son commentaire. Mais ce ne sont pas seulement les ser- 
mons, c'est toute la dogmatique qui se ressentirait du 
mouvement des esprits, du jour où l'on prescrirait 
une nouvelle traduction de la Bible. Une semblable per- 
spective donne nécessairement à réfléchir. 

a Les versions d'Ostervald et de Martin, dit M. J. Aug. 
Bost, sont celles dont notre Église a l'habitude, celles 
auxquelles notre Église rattache, malgré leurs imper- 
fections, le souvenir de ses joies, de ses grandeurs et 
de ses délivrances dans le passé. Bienvenue parmi les 



vœu REALISABLE. 209 

savants, la version de M. le professeur Perret-Genlil 
n'est point entrée dans les habitudes de l'Église; il nous 
fout, si nous voulons quelque chose, il nous faut quel- 
que chose de beaucoup plus modeste, de moins hé- 
roïque, de plus pratique et de plus praticable à la fois. 
Bornons-nous à retoucher dans nos traductions, simple- 
ment et uniquement, les passages qui renferment une 
erreur notoire *. » 

Plus récemment, M. E. Arnaud, pasteur aux Vans et, 
lui-même, auteur d'une traduction du Nouveau Testa- 
ment , exprimait un vœu semblable : « En tant qu'il 
s'agit de versions ecclésiastiques, disait-il, nous ne 
sommes pas partisan d'une opinion extrême et radicale 
dans la question des versions. Nous ne voulons pas 
qu'Ostervald soit remplacé, mais corrigé. En se rangeant 
à cette opinion, on sauvegardera la tradition, qui doit 
toujours être respectée dans ce qu'elle a de légitime ; 
on répondra aux besoins de réforme qui se font géné- 
ralement sentir, on rattachera l'avenir au passé; on 
habituera peu à peu l'Église à un nouveau texte et, plus 
tard, quand la science aura fait des progrès parmi nous, 
et que nous aurons un Synode général, on pourra char- 
ger les théologiens de travailler entièrement à nouveau. 
Pour le moment, contentons-nous de révisions; ce sera 
le parti le plus prudent et aussi le plus réalisable *. » 

Ce dernier vœu de M. Arnaud est d'autant plus 
réalisable , qu'il est en quelque sorte déjà réalisé. Elle 
existe, depuis dix ans, quoique obscure, la révision 



< Espérance du U oct. 1859. 
2 Id. du !•' août i86i. 

14 



21() RÉVISION DE M. MATTER. 

demandée : c'est la Bible dite de Malter. M. Matter, an- 
cien inspecteur général de l'Université, avait exprimé, 
il y a une trentaine d'années déjà, dans le sein de la 
Société biblique de France dont il faisait partie, son dé- 
sir de voir des améliorations apportées à l'état de nos 
versions; mais à cette époque, nous dit-il, nulle idée' 
d'entreprendre un travail de ce genre, sous le patro- 
nage ou avec le concours de qui que ce soit, ne s'élait 
présentée à son esprit. Ce fut l'Angleterre qui s'adressa 
à la France à ce sujet: la Société pour la propagation 
delà vérité chrétienne (for promoting Christian know- 
ledge 4698) demandait qu'on s'occupât d'une révision 
dont elle voulait faire les frais, et qu'elle destinait plus 
particulièrement aux troupeaux français des îles de 
Jersey et de Guernesey. « J'acceptai d'autant plus vo- 
lontiers ce qui m'était proposé, dit M. Matter, que les 
vues manifestées étaient plus conformes aux miennes 
et me donnaient, avec les moyens matériels mis au ser- 
vice de l'œuvre, plus de liberté dans le choix de mes 
collaborateurs. En peu de mois , un petit local était 
loué, une bonne provision de livres achetée , le travail 
en train. Notre travail demandait impérieusement la 
connaissance complète de la langue allemande, qui est 
plus familière aux membres de l'une de nos communions 
qu'à l'autre. D'habiles théologiens de Londres nous as- 
sistèrent de leurs lumières, ainsi que Messieurs les pas- 
teurs français des Iles-Britanniques; de sorte que, s'il y 
eût eu une divergence touchant le dogme, le calvinisme 
eût prévalu. Notre travail s'est fait lentement, mais assi- 
duement. Il est tel livre de la Bible dont il a été fait jus- 
qu'à trois traductions suivies de trois révisions. J'ai cor- 



SOINS MINUTIEUX, DIX ÉPREUVES D*UNB MÊME PeUILLE. îll 

rigé, pour les deux éditions (in-4o et in-8*»), jusqu'à dix 
épreuves de la même feuille. M. Eug. Haag et d'autres 
personnes corrigeaient, tantôt avant, tantôt après moi ; 
et toutes nos feuilles ont été vues à Londres avant le 
tirage ^ » 

Ces lignes de M. Matter se terminaient par une sé- 
rieuse et cordiale invitation à Messieurs les pasteurs et 
aux savants de nos Églises, de vouloir bien communi- 
quer au Comité de révision, toutes les observations que 
leur suggérerait la lecture ou l'examen de cette nouvelle 
Bible. 

Dans une lettre au journal de VEspérance^ insérée à 
la date du 49 septembre 4862, M. Matter entre dans de 
nouveaux détails nécessaires pour nous faire connaître 
le plan que s'est proposé le Comité présidé par lui. 

« Martin et Ostervald ont à ce point présidé à l'éduca- 
tion religieuse du monde prolestant de langue française, 
dit M. Matter, que toute idée de rompre avec eux est 
un non-sens révolutionnaire, passez-moi cette expression. 
Leurs textes sont devenus à ce point notre langue ma- 
ternelle, que toute version entièrement nouvelle, si ad- 
mirable qu'elle puisse être au point de vue philologique, 
doit être écartée , au point de vue de nos plus' saintes 
habitudes de famille et de nos plus graves intérêts 
d'Église. Comme l'Allemagne, en révisant la Bible, doit 
partir de sa version reçue, et l'Angleterre de la sienne ; 
de même, nous aussi, nous devons partir de la nôtre ou 
des nôtres, puisque Martin est encore admis concur- 
remment avec Ostervald. Mais il ne faut pas conserver 

^ Espérance du 4 nov. 1859. 



âiâ OSTERVÂLP £T MARTIN MOINS LEURS FAUTES. 

une seule de leurs fautes reconnues ou signalées par la 
science. Or, il en est beaucoup. Cela étant, combiner 
Martin avec Ostervald , là où l'un est exact et l'autre 
clair, c'est la méthode de toutes la meilleure; mais là 
où ils ne sont plus exacts, ni fidèles, mes amis et moi, 
nous n'avons pas combiné Martin et Ostervald, mais 
nous nous sommes appliqués à traduire le grec et l'hé- 
breu... Grâce à la composition de notre Comité qui pos- 
sédait toutes les langues nécessaires à son œuvre, et 
tenait à toutes les nuances de l'exégèse ancienne et mo- 
derne, nous avons pu profiter de toutes les versions et 
de tous les commentaires qui se trouvent dans la li- 
brairie. » 

M. A. Esôhenauer énùmère quatre principes fonda- 
mentaux auxquels le Comité est demeuré invariablement 
attaché, et qui n'avaient été adoptés qu'après de mûres 
délibérations : 

« to De prendre pour point de départ les versions de 
Martin et d'Ostervald, dont l'une est plus fidèle, l'autre 
plus élégante et qui, toutes deux, sans avoir en France 
le rang que la version de Luther occupe en Allemagne, 
et que celle qui remonte à Wiclef occupe en Angle- 
terre, ajoutent cependant à l'avantage de remonter à 
Calvin, celui d'être adoptées dans nos Églises ; 

2o Dé recourir toujours aux textes originaux, tout en 
consultant les commentaires les plus estimés ; 

3^ De mettre la fidélité de la traduction au-dessus de 
tout autre mérite ; 

4o De recevoir, dans le corps de l'ouvrage, toutes les 
corrections immédiatement admissibles, et d'indiquer 
les autres en marge. ' 



SILENCE INEXPLICABLE DBS JOURNAUX. 813 

C'est SOUS la présidence de M. Matter, qui réunissait 
à la qualité de membre correspondant de l'Institut et à 
celle d'inspecteur général de l'Université, la science 
d'un professeur de théologie, que le Comité de Paris a 
fait son œuvre, dont la principale part revient, après le 
président, à MM. Rodolphe Cuvier, pasteur et prési- 
dent du consistoire de la Confession d'Augsbourg, à Paris ; 
Sardinoux , professeur de la faculté de théologie de 
Montauban; Munk, de la bibliothèque impériale; Kreiss, 
Kroh etFuchs, pasteurs; Bartholmess, professeur du 
séminaire de Strasbourg ; Pichard, littérateur orienta- 
liste; Gerock, etc. > 

Le Nouveau Testament sortit le premier de presse, 
en 1842; l'Ancien date de 4849; mais personne n'en 
parla. Le Bulletin du monde chrétien est, que nous sa- 
chions, le premier journal qui ait fait mention de cet 
important travail. L'article qu'il lui consacra est du 
mois de mars 4858; c'est celui-là même que nous ve- 
nons de citer. L'année suivante, MM. Bost, Arnaud et 
M. Matter lui-même ont pris la plume à ce sujet; et 
il n'en a plus été question jusqu'à l'année passée. Nous 
nous attendions à ce que, dans les dernières Conférences 
pastorales de Paris, où la question des traductions de 
la Bible était à l'ordre du jour, la révision dont nous 
parlons serait sinon adoptée, du moins prise en sérieuse 
considération. Les comptes- rendus des journaux ne 
disent pas même qu'elle ait été proposée. 

M. Reuss , dans son article de VEncyclopédie de 
Herzog (4 860), en parle avec quelque sévérité, a En 4834, 
dit-il, un Comité fut constitué à Paris, sous le patronage 
do l'évêque anglican Luscombe ; l'historien et phiIo«5o- 



214 LUMIÈRE SOUS LE BOISSEAU. 

phe Matter en reçut la direction. L'œuvre fut exécutée 
par un certain nombre de jeunes candidats en théolo- 
gie, pour la plupart alsaciens, qui y travaillèrent les uns 
après les autres , pendant le temps qu'ils habitaient 
Paris. Après avoir corrigé et recorrigé sans fin, en 
tenant compte du style, autant que possible, on fit paraître 
en 1842, un Nouveau Testament d'un format gigantes- 
que, en même temps qu'une autre édition plus porta- 
tive ; on finit par publier la Bible entière. Mais il pa- 
raît que les chefs de l'entreprise eux-mêmes ne furent 
guère satisfaits de leur œuvre, car je ne sache pas que, 
jusqu'ici, l'édition soit sortie des magasins ; quelques 
exemplaires seulement ont été donnés en présents. » 

Le jugement de M. Augustin Bost est beaucoup plus 
favorable ; mais il regrette les délais apportés dans la 
dissémination de cette Bible. Voici ses expressions : 

« Les hommes honorables, presque tous luthériens, 
qui ont pris part à ce travail, se sont-ils donné autant 
de peine pour le faire connaître, qu'ils s'en sont donné 
pour le faire arriver à bon port? Ont-ils assez mis la lu- 
mière sur le chandelier? Leur œuvre a-t-elle été com- 
muniquée au public par ces nombreux moyens que les 
temps nouveaux ont consacrés et dont on ne peut plus 
guère se passer? Nos journaux se sont tus, nos annon- 
ces de librairie ont gardé le silence, le talent a été en- 
foui. Et pourtant, c'est un bien beau travail *. » 

M. Bost motivait son jugement par la citation de 
quantité de passages dont la nouvelle Bible . améliore 
judicieusement la traduction, et il concluait à l'adop- 

* Espérance du 14 oct. 1859. 



VARIANTES AUX MARGES. âl5 

tion de cette révision par la Société biblique ; mais, un 
mois plus tard, M. E. Arnaud conseillait de différer 
cette adoption jusqu'à ce que fussent terminés plusieurs 
grands travaux de science biblique qui s'achèvent à 
cette heure en Allemagne. 

De toutes les lettres publiées par le Lien sur la Bible 
d'Ostervald et les Sociétés bibliques \ la dix-huitième est, 
je crois, la première et la seule qui parle de la Bible 
de Matter ; encore est-ce en termes fort brefs. Elle rend 
hommage au style qui la distingue, et quelques fautes, 
dit-elle, s'y trouvent corrigées. 

Désireux de nous faire une opinion qui nous appar- 
tînt, ridée nous est venue d'examiner dans la Bible de 
Matter, les passages de la version d'Ostervald condamnés 
par le Lien, Sauf erreur ou omission, il y en a 163. Sur 
ce nombre, il en est plus de cent qui se trouvent corri- 
gés dans la Bible de Matter. Plusieurs des soixante 
autres corrections proposées fourniraient naturellement 
matière à discussion. 

La Bible de M. Matter renferme de notables améliora- 
tions. De nouveaux sommaires sont placés en tête des 
chapitres et correspondent aux péricopes, qui indiquent 
les coupures naturelles du texte. D'intéressantes varian- 
tes occupent les marges, qu'enrichissent en outre de 
nombreux parallèles. On n'y entend plus « la com- 
plainte pour apprendre aux enfants de Juda à tirer de 
l'arc *, » ni celle du prophète « dont les entrailles font 
bruit sur Moab comme une harpe, et le ventre sur 



< Lien du 15 doc. i8<>2. 
2 II. Sam. 1, 18. 



216 SENSIBLE AMÉLIORATION. 

Kirhérès *. > On n'y voit plus cette « bien-aimée qui se 
pâme d'amour et demande qu'on lui fasse un lir. de 
pommes *, » ni cette autre bien-aimée « fille des rois 
qui est pleine de grâce au dedans ^. » On lit « la fille 
du roi est toute resplendissante dans l'intérieur de son 
palais. » Psaume lxviii, 45, au lieu du sens obscur et 
presque ridicule de l'ancienne version: « Lorsque le 
Tout-Puissant dissipa les rois de ce pays, il devint blanc 
comme la neige du mont Salmon, » on trouve un sens 
magnifique : « Lorsque le Tout-Puissant dispersa les rois 
de Canaan, ce fut comme la neige qui tombe sur Sal- 
mon. » Ne semble-t-il pas qu'on voie ces rois, fuyant en 
désordre comme des flocons de neige chassés par un vent 
d'hiver? A la vérité, toutes les corrections ne sont pas 
aussi heureuses que celles-là. L'épigraphe du psaume 
XXXIV, par exemple, laisse quelque chose à désirer au 
point de vue grammatical. Elle est ainsi conçue : 
« Psaume de David au sujet de la ruse dont il se servit 
devant Abimélech pour s'en faire chasser et s'évader. » 
Mais combien cependant cette traduction est supérieure 
au phébus qui dépare notre version reçue ! « Psaume de 
David sur ce qu'il se contrefit devant Abimélech, qui le 
chassa et il s'en alla. i> 

Heureux serions-nous si, dès ce moment, la Bible de 
M. Matter était la seule que répandissent nos Sociétés 
bibliques *. Toutefois, puisque l'on a si longtemps at- 
tendu, il serait bon qu'elle subit, avant d'être admise, 

' Esaïe XVI, H ^ 

•^ Cantique iî, 5, 

3 Psaume \lv, 15. 

*(-ne nouvelle édition de c^tte Bible \ient de iKirailre, in-lC, au 



CONSERVATISME ABUSIF. 217 

une nouvelle révision. Au rapport de M. Bost, Tune 
des règles adoptées par les réviseurs de la Bible de 
Matter, aurait été « de ne pas toucher aux textes dog- 
matiques et, s'il en est dans nos versions reçues, 
qui demandent des modifications, de porter ces mo- 
difications en marge. » Un tel principe a l'avantage 
d'inspirer une grande confiance aux esprits conserva- 
teurs dans rÉglise; mais peut -il se maintenir? Lui 
donner gain de cause en tout et partout, ne serait-ce pas, 
en vérité , reconstituer une nouvelle Vulgate et porter 
atteinte à la loi immuable de Dieu, par respect pour la 
tradition des hommes? Comme l'a dit M. de Gasparin, 
en parlant précisément d'un attachement superstitieux 
aux versions vieillies, ne serait-ce pas reculer vers le 
catholicisme romain? On reconnaît à de tels princi- 
pes l'anglicanisme et le luthéranisme des traducteurs de 
la nouvelle Bible; pour rendre leur œuvre tout à fait 
admissible, un courant calviniste, mieux encore, le 
soufllede la vraie liberté évangélique, devrait y passer. 



priv de f. l. 25, lo Nouveau Teslaineni, et f. 5. 75, la Bible entière. 
La Hii)le in-4'*, avec parallèles et notes marginales, coûte à I.ondn s 
f. 35. — Dépôt œntral : N" 77, Great Queen slreel, Lineoln's irni 
Fields. [,a Sori(*t<* anglaise for promoting Christian Knowledge 
a fait [)Our cette entreprise une avance libdralf; d'environ, nous 
a-t-on dit, f. 400 000. 



TROISIÈME PARTIE 



PARTIR THEORETIQUE. 



Je préfère, dans l'Église, dire cinq mots compré- 
hensibles, pour l'instruction d'autrui, plutôt que 
dix mille dans une langue inconnue. 

I Cor. XIV, i9. 

11 faut comprendre , imaginer, sentir avant de 
traduire;. 

D'Albhdert. 



La Bible revisée de M. Matterest, dans notre opinion, la 
seule qui, pour le moment, réponde aux besoins urgents 
de nos Églises. Cela jette-t-il la moindre défaveur sur 
les travaux de ces hardis pionniers qui, brisant avec 
le texte traditionnel, n'ont point revisé, mais retra- 
duit? Est-ce à dire que tant d'efforts et de sueurs 
eussent pu recevoir un plus utile emploi ? Nous ne le 
pensons pas. L'admission d'une traduction foncièrement 
nouvelle peut être différée , mais le savant qui l'aurait 
créée dans les conditions requises, nous insistons, qui 
l'aurait créée, ce savant-là aurait rendu à l'Église un 
service plus signalé encore que celui dont la revision 
serait admise. La foi du premier est plus grande que. 
celle du second. Ce fut la foi d'un Luther ; et son œuvre, 



22^2 LA ROYALE MÉTHODE. 

profondément gravée sur le roc éternel, a traversé les 

siècles. 

On se représente un génie et un savant de sa trempe, 
dominant la lettre par l'esprit, couvant dans son cer- 
veau les pages inspirées dont il retient et pèse jusqu'au 
"moindre trait de lettre, s'attachantà rendre la pensée, 
toute la pensée, rien que la pensée d'un auteur organe 
de Dieu lui-même, remontant de l'analyse à la synthèse , 
puis, descendant de la synthèse qu'il croit avoir enfin 
trouvée ,' pour s'assurer qu'elle se justifie dans chacun 
des détails de l'analyse ; jour et nuit préoccupé des 
grandes idées qu'il a aperçues dans son texte et dont 
les lois de la philologie établissent l'existence objective , 
mais pour lesquelles il doit encore trouver une forme 
et une expression adéquate. Voilà comment se passent 
dans la méditation d'un chapitre^ parfois d'un ou de deux 
versets, les journées, les semaines, les mois de celui 
qu'enflamme l'amour de la vérité révélée et le désir de 
la communiquer à ses semblables. 

Telle est, selon nous, la vraie, la royale méthode; 
mais chez ceux qui n'ont pas cette foi, il s'en manifeste 
une autre. Pour eux, le culte de la lettre remplace ce- 
lui de l'esprit; méthode inférieure et rudimentaire , 
méthode du caboteur qui, n'osant pas voguer en pleine 
mer, longe la côte. 

Pindarum quisquis studet semulari 

Tel est l'adage qui semble tinter sans cesse aux oreilles 
timorées des traducteurs du Nouveau Testament traduit 
en Suisse f ainsi que le portait le titre. des deux pre- 



CRAINTES SERVILES DU LÎTTIÉRALÎSME. 223 

mières éditions, et que l'a spirituellement relevé M. Ad. 
Monod. Nous respectons profondément leurs sentiments ; 
mais nous ne saurions admettre leurs principes. Sous un 
certain rapport, leur version est pour le Nouveau Testa- 
ment ce que celle de M. Perret est pour l'Ancien : c'est 
une version indépendante à sa manière, consciencieuse- 
ment exécutée, qui a frayé la voie à plusieurs autres 
publiées depuis, et mis en circulation beaucoup d'idées 
nouvelles. Mais ce n'est qu'une ébauche , un blockhaus 
et non l'arche en bois de cèdre, plaquée d'or, qui ren- 
fermait la Loi de FÉternel. Les lois de la synthèse et de 
l'accommodation y sont méconnues. Pour en revenir au 
vers d'Horace, les honorables auteurs de cette version 
ont si grande peur de voler à la hauteur de leur modèle, 
qu'on dirait, à les voir marcher, que le sol chancelle 
sous leurs pas, ou plutôt qu'ils se traînent au lieu de mar- 
cher; et ce qu'il y a de pis, ils érigent leur manière 
en principe, et décorent leur crainte presque supersti- 
tieuse du nom de respect et de fidélité. 

Les habiles craignent aussi, ils connaissent encore 
mieux les difficultés de l'art du traducteur; mais cette 
crainte ne les paralyse pas. La méthode boiteuse pro- 
posée par la société lausannoise leur répugne. Deux 
principes combinés les dirigent : celui de l'accommoda- 
tion qui se préoccupe moins des détails que de la pen- 
sée générale et centrale du texte, et celui du littéra- 
lisme, qui s'attache à l'examen de chacun des éléments 
du texte, pris à part, abstraction faite de l'idée qui a 
piésidé à leur association. Mais ces deux principes, 
après une lutte souvent longue et vive, doivent finir par 
s'entendre. L'analyse éclaire la synthèse qui, à son tour, 



224 DE CHARYBDE EN SCYLLA. 

lui renvoie sa lumière, et vice versa. On pourrait comparer 
ces deux principes aux parapets du pont qui joint deux 
rives escarpées; au delà, sont les abîmes : 

Dabit nomina ponlo. 

Les traducteurs de Lausanne — ils sont générale- 
ment désignés sous ce nom, — effrayés de l'abus qu'on 
avait fait du principe de l'accommodation, ont versé 
leur char du côté opposé. Ils n'ont évité les marécages 
de la prolixité, que pour se jeter dans la fosse de V obs- 
curité. 

Personne, à l'heure qu'il est, ne défend plus le prin- 
cipe de l'accommodation excessive, qui a si longtemps 
prévalu en littérature, et dont Perrot d'Ablancourt et 
ses belles infidèles sont demeurés les types. Le prin- 
cipe du strict littéralisrae, en revanche, impose encore 
à de nombreux partisans. Il a triomphé dans l'Église 
libre du canton de Vaud, au sein de laquelle le Nou- 
veau Testament, dit de Lausanne, a pris cours, si bien 
qu'il en est arrivé à sa troisième édition. 

Avant d'attaquer le principe lui-même, jugeons l'arbre 
à ses fruits; jugeons le système dans sa conséquence 
et dans ses inconséquences. 

Le voici d'abord dans sa conséquence : 

« Apoc. I, 42. Je me retournai pour voir la voix. 

« Apoc. XI, 2. Quant à la cour, qui est hors du tem- 
ple, jette-la dehors. 

« IL Jean 5. Je te prie, Madame *. 

« IL Thess. II, 7. Il y a celui qui maintenant fait 

* Il eût fallu, du moins, dire vous. 



CONSÉQUENCES ET INCONSÉQUENCES. 225 

obstacle, jusqu'à ce qu'il soit hors du milieu; et 
alors, etc. 

« Gai. Il, 49. Au moyen de la loi, je mourus par 
[cetle] loi, afin que je vécusse par Dieu. 
< Luc IV, 3. Sa parole était avec autorité. » 
Comme inconséquences du système, nous pouvons 
citer les passages suivants de la deuxième édition (184-9), 
qui se trouvent corrigés, on ne sait au nom de quel 
principe, dans la troisième (1859) : 

« Héb. VIII, 9. Ils n'ont pas persévéré dans mon Tes- 
tament — 3e édit. — Alliance. 

« Matth. XXVII, 50. Il laissa son esprit — 3^ édit. — 
Il laissa aller son esprit. 

« Luc I, 37. Aucune parole ne sera impossible à 
Dieu — 3^ édit. — Aucune chose. 

« Act. I, XXII, 4. J'ai persécuté ce chemin jusqu'à la 
mort — 3e édit. — [Les gens de] ce chemin. 

« II. Tim. II, 45. L'ouvrier qui découpe bien la vé- 
rité — 3e édit. — Qui dispense comme il faut. » 

Aux bizarreries, aux obscurités s'ajoutent les contre- 
sens : 

« Luc XIV, 4. Comme il était entré, un jour de sabbat, 
dans la maison de l'un des chefs des pharisiens, pour 
manger du pain. » 

Le texte porte (pa-^eîv à?Tov, locution dont le sens 
véritable est prendre son repas , ainsi que le fait judi- 
cieusement remarquer M. Berger dé Xivrey. La preuve 
en est que, dans le passage de saint Luc, il est question 
d'un repas où un assez grand nombre de convives ont 
été invités. Bossuet emploie avec autant d'exactitude 

15 



226 UNE ÉPITRE DE JUDAS. 

que de concision le seul mot manger. La traduction 
d'Ostervald se rencontre avec la sienne. 

Parfois^ ces contre-sens sont de nature plus grave : 

« Héb. XI, 13. Tous ceux-ci moururent sans avoii 
reçu les promesses. — Au lieu de — ce qui leur avait 
été promis. » 

Le mot de TTsipaa^xcç est toujours rendu par ce- 
lui de tentation^ tandis qu'il désigne souvent, on le sait, 
une épreuve envoyée de Dieu qui, saint Jacques le dé- 
clare, ne /en/g jamais personne. 

Un mot encore sur les inconséquences du système. 
Feint-on d'ignorer que la ponctuation , les alinéas et 
jusqu'à la séparation des mots iie se trouvaient pas 
dans les autographes des apôtres? Ici, dira-t-on, la né- 
cessité fait loi. Mais qu'est-ce qui vous autorise à vous 
mettre, en quoi que ce soit, au-dessus des lois toutes 
également sacrées ou consacrées de la grammaire et de 
la lexicologie; qui vous permet de choisir entre les règles 
du langage, celles qu'il vous plaît d'observer et de vio- 
ler les autres? Pourquoi, par exemple, vouloir que 
nous ayons une épître de Jndas, ce qui peut effaroucher 
le lecteur; tandis que vous conservez le nom admis de 
Jean au lieu de celui de Johannès? Pourquoi, d'après 
votre système , les noms d'Artémise et de Hermès ne 
remplacent-ils pas ceux que la Vulgate nous a transmis, 
de Diane et de Mercure ? 

Peut-être avons-nous tort de parler de système à pro- 
pos de la version du Nouveau Testament de Lausanne. 
Les traducteurs se bornent à nous dire qu'ils ont tra- 
vaillé d'après le principe de l'inspiration plénière des 
Écritures. Ce principe n'implique point un système 



NOUVELLE SOCIÉTÉ SUISSE. 2Î7 

de traduction plutôt qu'un autre. Leur méthode est 
moins un système qu'un procédé. On Ta comparée au 
calque, qui ne reproduit ni les ombres, ni les couleurs. 
On pourrait dire aussi que c'est la manie de gens qui 
prétendraient voyager dans un pays, en payant avec 
une monnaie étrangère, dont les banquiers savent la 
valeur, mais que le public refuse naturellcn nt de rece- 
voir. 

En nous séparant de la version de Lausanne, nous 
conservons pour elle quelque chose de cette estime et 
de celle affection que vous inspire tel personnage un 
peu rude et bourru parfois, mais à intentions franches 
et loyales. Personnellement, à défaut du texte, nous pré- 
férerions cette traduction à toute aulre; mais il s'agit 
ici du besoin des Églises et de la foule, et nous ne 
croyons pas qu'un littéralisme même mitigé soit de na- 
ture à les satisfaire. 

Le système d'un littéralisme quelque peu adouci es 
représenté par nos versions reçues et, jusqu'à un certain 
point, par la troisième édition du Nouveau Testament 
dont nous venons de parler ; mais, plus spécialement, par 
les essais d'une Société suisse, anonyme comme la pré- 
cédente, et à laquelle on doit deux éditions d'une tra- 
duction nouvelle des Psaumes, et une traduction nou- 
velle des cinq Livrer de Moïse \ Ces derniers ont paru 
le même mois que le Pentateuque et les Livres histo^ 
riques de M. Perret-Gentil, en août 1861. La préface 
a le mérite de formuler et de raisonner quelque peu la 



< La sainte Bible. Ancien Testament, nouvelle version du texte 
héhreu. Lausaime, Georges Bridel, éditeur, 1861. 



^î& PROGftÈS RÉSL. 

méthode suivie jusqu'ici par la routine. En voici le trait 
distinctif: 

« La traduction sera littérale et non paraphrastique. 
Pour reproduire l'original dans toute sa vérité, on ne 
craindra pas certaines hardiesses de style, pourvu toute- 
fois que les lois de la grammaire soient suffisamment 
respectées. On n'aspirera pas à rendre clairs, dans la 
traduction, les passages décidément obscurs dans l'ori- 
ginal. D'un autre côté, l'on évitera de rendre incom- 
préhensibles par un littéralisme extrême, des passages 
parfaitement clairs pour qui sait l'hébreu. Tels sont les 
termes dans lesquels les auteurs de la nouvelle version 
exprimèrent au début, ce que Ton doit envisager comme 
leur principe fondamental. Tout le reste en découle ^ » 

« L'ensemble de ce travail — dit M. Reuss, à l'occa- 
sion de l'essai premièrement fait sur les Psaumes, — 
l'ensemble nous paraît marquer un progrès réel et pour 
le fond et pour la forme *. » Toutefois, le même critique 
est loin d'adopter le principe du littéralisme comme le 
seul que doivent poser les traducteurs. « L'idéal d'une 
bonne traduction^ dit-il, c'est d'exprimer l'original aussi 
exactement que possible; mais de manière que le lecteur 
reçoive par ce qu'il lit dans sa propre langue, une idée 
exacte de ce que l'auteur a voulu dire. Or, il est clair 
que ce résultat n'est pas obtenu^ lorsque le tradu3leur 
assujettit sa propre langue à des formes étrangères et 
plus ou moins contraires au génie particulier qui la 
distingue ^. » 

i Préface, p. v. 

2 Revue de théologie, vol. X, p. 176. 

^Ibid., 175. 



HOMMAGES CUITS AU FOUR. ^9 

On a relevé comme contraires au génie de notre lan- 
gue, les phrases suivantes de la nouvelle version : 

c Bénédictions de Tabîme qui est couché en bas. — 
Que l'Éternel te mette en imprécations et en serments! 
— Il les interrogea touchant leur paix. — Failcs-le des- 
cendre vers moi et que je pose mon œil sur lui. — Des 
hommages cuits au four, apprêtés à la poêle, pélris à 
l'huile. » 

Nos regards tombent^ Tienèse xi, 31, s. sur les lignes 
que voici : « EtTérak prit Al)ram, son fils, et Lot, fils de 
Ilaran, fils de son fils, et Saraï, sa belle-fille, femme 
d'Abram, son fils; et ils sortirent ensemble d'Our des 
Caldéens pour aller dans la terre de Canaan. Kt ils 
vinrent jusqu'à Karan, et ils y habitèrent. Et les jours 
de Térak furent de deux cent-cinq ans ; et Térak mou- 
rut à Karan. » 

La conjonction et revient huit fois dans ce court pas- 
sage ; elle est répétée cinq fois dans les versets 29 et 
30, c'est-à-dire, en tout, douze fois, dans ces quatre ver- 
sets consécutifs. On la retrouve également douze fois 
dans les dix premières lignes de la page suivante. No- 
tez «lue cette accumulation , pénible en français , est 
une des grâces du texte original dans lequel, pour toute 
conjonction, il n'y a qu'une consonne euphonique. 

Nombres XIV, 9, on lit : «Ne craignez pas le peuple de 
ce pays , car ils seront notre pain ; leur ombre s'est 
retirée de dessus eux. » — C'est vraiment trahir l'hé- 
breu, iraduttore^ iradiiore. 

Nous aurions d'autres observations de détail à pré- 
senter; nous les supprimons, pressé que nous sonmies 
d'aborder la question de principes. Aux yeux de plu- 



250 PRÉTENDU DÉMON DE SOGRATE. 

sieurs, les traducteurs suisses ont seulement outré dans 
Tapplication, un principe qui serait juste en lui-même, 
et seul admissible , celui du liUéralisme. On ne saurait 
contester, dit-on, que le littéralisme ne soit synonyme 
d'exactitude. Nous répondrons : pas toujours. 

Parlerait-il un langage exact l'insulaire qui, un beau 
matin, vous adresserait la parole en ces termes : « Gom- 
ment faites-vous faire? » L'impression qu'il produirait 
sur vous serait semblable, sans d ouïe, à celle que vous 
produiriez vous-même sur des Anglais en les saluant 
par ces mots : « How do y ou carry yourself *? i> Vous 
auriez été littéral , auriez-vous été exact? Pressé dans 
ses dernières conséquences, le littéralisme aboutit, on 
le voit, au superficiel, à l'absurde. C'est ainsi que, pre- 
nant un adjectif pour un substantif, on a dit de Socrate 
qu'il avait un démon; tandis qu'il n'a jamais eu autre 
chose que les avertissements d'une voix dmne*? qui lui 
parlair plus qu'au commun des hommes, dans les pro- 
fondeurs de sa conscience. 

L'erreur du principe du littéralisme exclusif est de 
croire qu'il existe entre les langues une correspondance 
telle, qu'on puisse se borner à rendre, trait pour 
trait et mot pour mot, tout ce que renferme le texte, 
sans s'inquiéter autrement du sens ni de l'intention de 
l'auteur qu'on traduit. Un ami, M. Félix Bovet, nous a 
raconté la conversation qu'il eut un jour sur ce sujet 
avec l'un des traducteurs suisses : « Nous ne cher- 
chons nullement à comprendre, disait celui-ci; nous ne 

^ « Comment vous soutenez -vous? » 

a To <5'an<.dviov, dans Platon et Xénophon, ce qui sort deVordinaire, 
le surnaturel, le divin. 



LA LETTRE TUF. Î51 

nous représentons rien. Nous nous contentons de repro- 
duire avec une scrupuleuse exaclilude, ligne après ligne, 
la lettre de notre original. » De même, dans leur Préface, 
ils se comparent « à l'interprète assermenté, duquel 
on n'exigerait que la reproduction aussi servile que 
possible du document qu'on l'invite à translater. » 

Esclaves de la lettre, et se donnant eux-mêmes pour 
tels, les traducteurs littéralistes se placent sous le coup 
de la sentence de l'Apôtre : «La lettre lue. » Qui ne sait 
que. chaque langue a été formée sur son moule à 
elle, et que les associations aussi bien que les acceptions 
des différents mots varient à l'infini d'idiome à idiome. 
Encore une fois, il en est des langues des différents 
peuples comme de leurs monnaies : il est tel pays où 
l'on ne pouvait voyager qu'en échangeant son or contre 
du fer, comme à Sparte; voire contre du sel, comme 
maintenant encore, en Abyssinie. Certains peuples élè- 
vent des maisons en briques; d'autres n'emploient que 
le bois ; des troisièmes font surtout usage de pierre de 
taille : ce sont autant d'architectures distinctes. Qui vou- 
drait suivre les mêmes procédés dans l'emploi de ces 
divers matériaux, élèverait un édifice aussi bizarre que 
peu solide * . 

Le mot grec aTo>a peut être rendu d'ordinaire par 
celui de bouche; mais comme, dansl'imaginationdugrec, 
la bouche se présente armée de ses dents incisives, le 
même terme servira, dans sa langue, à désigner le 
tranchant d'un glaive, expression que les traducteurs 



* Souvenir d'une leçon de M. le professeur De Laharpe, de 
Genève. 



23â HARDIESSES ET TÉMÉRITÉS. 

de Lausanne ont substituée, par une heureuse inconsé- 
quence, à l'hellénisme, bouche du glaive dont leur sys- 
tème réclamait l'adoption. C'est, en effet, l'un des co- 
rollaires du Uttéralisme que de s'appliquer, avant tout, 
à rendre le même mot par le même mot. Refusant le 
secours du contexte, les littéralistes se croient à l'abri 
de l'erreur, en s'en tenant toujours au sens le plus 
usuel du terme original. Ils n'admettent pas que les 
différentes combinaisons de la phrase changent rien à 
la valeur habituelle de chaque mot pris isolément. 

De là, le défaut de propriété dans les termes qu'ils 
emploient et la pauvreté de leur vocabulaire biblique. 
S'obstinant à ne donner qu'un correspondant à un mot 
hébreu ou grec qui en réclamerait deux, trois ou da- 
vantage, et n'ayant souvent à leur disposition qu'un 
seul terme français pour rendre plusieurs expressions 
synonymes de la langue originale, il se trouve, en dé- 
finitive, que le dictionnaire de la^Bible a perdu, dans le 
français, des centaines de mots et par conséquent de 
nuances d'idées, qui font la richesse de l'idiome sacré. 

Encore cet inconvénient est-il peu considérable, au 
prix de l'étrangeté d'un langage qui distrait le lecteur, 
et des obscurités qui le déroutent. « On ne craindra 
pas certaines hardiesses de style, disent les traducteurs 
suisses, pourvu toutefois que les lois de la grammaire 
soient suffisamment respectées. » Passe pour les har- 
diesses^ mais les témérités ! Ensuite, n'y a-t-il dans une 
langue autre chose à respecter que les lois de la gram- 
maire; l'usage et le génie d'un idiome ne doivent-ils 
pas être consultés; et qu'est-ce que respecter suffi- 
samment les lois de la] grammaire , qu'est-ce aussi que 



AUTANT DE GODES QUE DE CITOYENS. S55 

VOUS appelez un littéralisme extrême ? Cela demanderait 
une explication. La tournure que vous considérez 
comme admissible, est impossible au jugement d'autrui. 
Ce n'est pas à vous, traducteurs, ni aux auteurs étran- 
gers qui parlent notre langue, de la régenter ; la langue 
n'accepte comme législateurs que les écrivains classiques 
qui vous ont précédés; et encore, elle n'enregistre leurs 
arrêts qu'avec la plus grande circonspection. Qu'en 
sera- 1- il donc de la révolution dont vous vous instituez 
les fauteurs? Elle court grand risque d'échouer. Ad- 
raettra-t-on dans un état, autant de codes que de cito- 
yens? 

Mais voici : « Le langage que nous proposons, dites- 
vous , n'est pas le nôtre , c'est le langage de Dieu lui- 
même, tel qu'il lui a plu de le parler aux Israélites. 
La Bible n'est pas un livre comme un autre. C'est, 
poussés par l'Esprit-Saint, que les hommes de Dieu 
ont parlé. Prétendre qu'une bonne version fasse parler 
le prophète comme il l'eût fait en français, c'est ou- 
blier que, si la langue française eût été le canal pri- 
mitif et immédiat des révélations du Seigneur, notre 
langue aurait contracté le caractère de sainteté qui lui 
manque, ou, pour le dire autrement, elle se serait mo- 
difiée de manière à parler des choses divines comme 
le fait la langue hébraïque. :s> 

On pourrait répondre que le peuple juif n'a pas 
reçu sa langue des prophètes, mais que les pro- 
phètes ont pris la sienne ; qu'elle devait , elle aussi, 
participer à l'imperfection et aux ^souillures d'une 
nation qui , à bien des égards , ne valait pas mieux 
que les autres; que la langue française, en partie 



254 PARLAGB INCOMPRÉHENSIBLE. 

formée sous la double influence de la Grèce et du chris- 
tianisme, pourrait bien posséder quelque chose de cette 
douceur qui caractérise le langage adopté par les Apô- 
tres, de préférence à Thébreu, pour la rédaction des 
livres du Nouveau Testament. Mais, à supposer que 
l'hébreu soit la langue modèle; encore les traducteurs 
suisses auraient-ils à s'adresser le reproche d'inconsé- 
quence que nous formulions plus haut. « Us n'ont pas, 
nous disent-ils, poussé le scrupule à l'excès, ils n'ont 
pas donné dans un littéralisme extrême. » Ils ont donc 
fait prévaloir, en certains cas, le langage profane et 
corrompu des hommes sur celui qu'il a plu à Dieu de 
choisir; de quel droit? ~ Les lois de la grammaire, la 
clarté l'exigeaient. — Vous reconnaissez donc avec nous 
l'existence d'une règle autre que le littéralisme. Au lieu 
d'un principe fondamental, vous en admettez en réa- 
lité deux ; seulement, en cas de conflit entre le principe 
de l'accommodation et celui de la littéralité, il vous plaît 
de faire le plus souvent prévaloir cette dernière. Nous 
sommes livrés à l'arbitraire de vos préférences. 

La version des traducteurs suisses sera appréciée par 
les hébraïsants novices; elle jouera pour eux le rôle 
de ces traductions interlinéaires qui facilitent les éco- 
liers. En outre, comme après tout le langage est 
quelque chose de conventionnel , certains petits 
troupeaux pourront se faire à cette version. Les 
gens du monde, qui s'égareront dans leur sein, 
y rencontreront un parler moins intelligible en- 
core que celui qu'on y entendait jusqu'ici; ces 
Églises prendront d'autant plus à leurs yeux l'aspect 
de coteries; mais la conviction de posséder la plus 



^ 



ÉPITRES ET PROPHÈTES DÉLAISSÉS. 255 

fidèle des traductions de la Bible consolera les membres 
de ces sociétés de leur isolement. Initiés dès leur tendre 
enfance au langage araméisant de leur version, ils le 
comprendront mieux que tout autre et cela, sans doute, 
leur suffira. 

Pour nous, qui avons en vue la satisfaction des be- 
soins d'Églises, non de professanls, mais de multitude, 
souhaitant la dissémination de la Parole de Dieu au sein 
des classes les moins lettrées, nous en sommes à nous 
demander si nos versions reçues elles-mêmes , quelques 
corrections qu'on y fasse, remplissent les conditions 
requises. En combattant le litléralisme dans la version 
des traducteurs suisses, nous ne devons pas oublier 
que le même principe a présidé à la traduction des 
Bibles en usage parmi nous; principe servile, inin- 
telligent, qui compromet la cause qu'il prétend servir, et 
contre lequel la réaction opérée par Ostervald est de- 
meurée insuffisante. Dans les livres historiques, qui 
exposent des faits, le vice du système est moins appa- 
rent; mais il ressort avec d'autant plus d'évidence dans 
les livres didactiques et prophétiques où se dessine davan- 
tage l'individualité des auteurs. On a relevé ce mot 
d'un ancien conseiller d'État de Neuchâtel * qui, faisant 
allusion aux Épîtres du Nouveau Testament, disait : 
« J'aime mieux entendre le Maître que les disciples. » 
11 oubliait que c'est encore le Maître qui parle par 
la bouche de ses apôtres. Mais le moyen d'apprécier 
dignement ces derniers dans le style barbare de nos 
versfons ! Nous ne parlons pas des prophètes de l'Ancien 

« Feu M. de Sandoz-Rollin. 



256 TRADUCTEURS SANS-SOUCI. 

Testament, dont, pour la même raison, la lecture est. 
presque totalement abandonnée. Pour nous en tenir aux 
livres de la Nouvelle Alliance, le commentaire indispen- 
sable que les Épîtres nous offrent de la vie de Jésus, se 
trouve perdu pour la majorité des lecteurs * ? Le vague 
dans les expressions entraîne après soi le vague dans les 
notions religieuses et théologiques, et cette incapacité 
où sont la plupart de nos ouailles de rendre raison de 
leur foi. 

Fâcheux dans tous les idiomes, le liltéralisme Test 
surtout dans notre langue française, à la fois si peu 
plastique et si avide de clarté. C'est ce que constatait, 
il n'y a pas longtemps, un habile traducteur moderne. 
M. Renan, dans la Préface de sa traduction du livre de 
Job: 

« On croit, disait-il, conserver la couleur de l'origi- 
nal, en conservant des tours opposés au génie de la 
langue dans laquelle on traduit. On ne songe pas qu'une 
langue ne doit jamais être parlée ni écrite à demi, 11 
n'y a pas de raison pour s'arrêter dans une telle voie; 
et si l'on se permet, sous prétexte de fidélité, tel idio- 
tisme qui ne se comprend qu'à l'aide d'un commen- 
taire, pourquoi n'en pas venir franchement à ce système 
de calque, où le traducteur, se bornant à superposer le 
mot sur le mot, s'inquiète peu que la version soit aussi 
obscure que l'original et laisse au lecteur le soin d'y 
trouver un sens? De telles licences sont permises en 



• FjiuIc c1(î coiiiprciidro ec coiiiiiientaire, on s'accommodera d'ex- 
plical uns iiisulï'u ailles ou eiioîi.'es; de celles, par exemple, qua 
lente de fournir M. E. Renan, dans sa récente Vie de Jésus. 



FOURCHES CAÙDINES DU lANÛAflE. 257 

allemand; mais c'est une des iacililés que j'envie le 
moins à nos amis d'outre-Rhin. La langue française est 
puritaine ; on ne fait pas de conditions avec elle. On est 
libre de ne point l'écrire ; mais dès qu'on entreprend 
cette tâche difficile, il faut passer les mains liées sous 
les fourches candines du dictionnaire autorisé et de la 
grammaire que l'usage a consacrée*. » 

Notre compatriote, M. Vinet, a traité le même sujet 
avec sa supériorité ordinaire. Ce consciencieux écri- 
vain ne se laisse pas imposer par la prétendue exacti- 
tude dont se vante le littéralisme. Chateaubriand , au 
contraire, a traduit mot pour mot le Paradis perdu. 
Il appelle Eve l'impératrice de ce monde beau. Vinet 
pense qu'il eût été moins littéral, mais non moins 
exact, de lui donner le titre de souveraine de ce bel 
univers. Ses conclusions sont les nôtres : « Quel sys- 
tème , dit-il , que celui qui , réduisant l'art d'écrire à 
la partie en quelque sorte mécanique, vous isole de 
votre talent et vous oblige à transporter d'un langage 
à l'autre le génie d'autrui, comme une lettre close! 
Il y a des messages qu'on ne rend bien, des mis- 
sions qu'on ne saurait accomplir à moins d'en avoir le 
secret, d'en posséder l'esprit; or, ce secret, cet esprit, 
quelque capable qu'on soit de le pénétrer, on finit, dans 
le système du littéralisme, par ne plus l'avoir. La seule 
fatigue qu'on éprouve nécessairement à remuer cette 
glèbe de mots, convertit en un mécanisme involontaire, 
une œuvre qui devrait être tout intellectuelle. On cesse 
de vivre avec son modèle. Aux endroits les plus sublimes, 

< Job, Préface, p. ii. 



î258 RÈGLE DE VïNET. 

on cesse de le sentir; aux endroits les plus clairs, on 
tiele comprend plus; les mots eux-mêmes qui, si sou- 
vent, trouvent leur explication dans le contgxte, refusent 
de donner leur sens; et cessant d'être averti par cette 
intuition vive qui ranime incessamment l'attention, on 
prête à l'écrivain des intentions qu'il n'eut jamais et 
jusqu'à des contre-sens. Le traducteur libéral, associé 
par la sympathie à son original, uni tout à la fois à la 
pensée et aux signes de la pensée, ressemble à cet offi- 
cier suédois, qui, chargé d'un ordre pour un corps d'ar- 
mée, et remarquant en chemin une nouvelle disposition 
de l'ennemi, prit sur lui de changer l'ordre dont il était 
porteur, et au lieu d'une défaite qu'il eût commandée à 
ses compagnons, leur apporta la victoire. L'interprète 
littéral n'aperçoit aucun mouvement chez l'ennemi, s'en 
tient à son ordre et tombe dans les contre-sens, qui sont 
les défaites des traducteurs ' . » Conformément à cette 
judicieuse doctrine, Vinet fixe comme suit les devoirs 
du traducteur : « On ne saurait, dit-il, se prescrire 
d'une manière absolue de rendre identiquement le style 
d'un auteur, excepté dans les cas toujours bien rares, 
où les deux langues offrent les mêmes moyens. . . Peut- 
êlre, le vrai système consisterait à se dire : Si l'auteur 
que je traduis, pensant comme il pensait, avait dû se 
servir de ma langue; ou plutôt, si ma langue avait été 
la sienne, comment aurait-il rendu ce fait, cette idée, 
ce sentiment? Je pense que cette méthode est la meil- 
leure pour s'identifier avec l'auteur original et pour le 
traduire, c'est-à-dire, pour le transporter tout entier, 

< Études $ur la litt. franc, au xix" siècle ^ tom. I, p. o08. 



TRADUCTION, RIVALITÉ DE GENIE. 239 

tout vivant, dans une langue élrangére \ » C'est, on 
(l'aulrcs termes, le principe adopté dernièrement par 
un Irès-liabile écrivain, M. Lazard Wogue. « Traduire 
un auteur, dit-il, c'est le faire parler comme il eût parlé 
lui-même, s'il se fût exprimé dans la langue de son 
traducteur *. » 

D'après Bitaubé, la règle prescrite aux traducteurs 
d'écrire comme si l'auteur eût écrit dans la langue des 
traducteurs^ n'est pas pour eux d'un grand secours et 
peut même quelquefois les égarer. « On ferait mieux, 
dit-il, de leur imposer, au contraire, la règle d'écrire 
comme ils eussent fait à la place et dans le siècle de 
leur auteur ^. » 

Que l'on admette l'une ou l'autre règle, ce principe 
demeure, que la traduction est, non un mécanisme, mais 
un art et, comme l'a dit de La Harpe, une lutte de style 
et une rivalité de génie. Elle doit être accommodée au 
public auquel on la destine : elle doit, par conséquent, 
être intelligente et libre. Cette liberté n'est pas le ca- 
price; c'est la permission de faire des hypothèses sur 
le sens de l'auteur que l'on traduit, sous la condition 
expresse, que l'examen minutieux de la lettre confirme 
ces suppositions; en d'autres termes, que l'hypothèse 
rende raison des moindres détails du texte. Il faudra 
donc que le traducteur des saintes Écritures soit non- 
seulement philologue érudit, mais encore grand pen- 
seur et, en même temps, grand écrivain, puisqu'il est 

^ Le Semeur. Tome VI, p. 67. 

2 Le Pentateuque, traduction nouvelle, 1860, p. xxxu. 

3 Réflexions sur la traduction des poètes. 



ilO TOUT LE SENS, ftïEN QUE I.E SENS. 

appelé à exprimer avec la concision et la majesté conve- 
nable, non les mots, mais le sens, tout le sens et rien 
que le sens de l'original sacré. 

Nous citerons, à l'appui de celte opinion, le jugement 
énoncé par M. Aug. Bost dans l'Espérance du 44? dé- 
cembre 1858 : « Une traduction de la Bible semble au 
premier abord, dit-il, et c'est beaucoup trop le point de 
vue d'un protestantisme exclusif et superficiel, le com- 
mencement de toute science théologique, la source de 
tout dogme, la tâche la plus facile et la plus élémen- 
taire. En réalité, c'est le couronnement de la science 
et le dernier mot de la théologie. Après un travail opi- 
niâtre de la pensée chrétienne, après un mouvement 
spirituel dans l'Église, paraissent les grandes traduc- 
tions de saint Jérôme, de la Vulgate et du xvi® siècle, 
traductions qui résument une révolution et qui pren- 
nent force de loi pour la généralité des esprits, jusqu'à 
ce qu'une ère nouvelle se signale par des besoins nou- 
veaux. Nous sommes donc porté à considérer comme 
un peu illusoire celte impartialité que recherchent les 
traducteurs de la Bible, quand ils disent avec M. Ril- 
liet : a Nous nous sommes proposé de distinguer soigneu- 
se sèment l'œuvre du traducteur de celle de l'exégète , 
f à plus forte raison de celle du théologien. » Y a-t-il donc 
une version qui échappe à la nécessité d'être un com- 
mentaire? Et de même que dans les sciences naturelles, 
une intuition de l'esprit précède toujours les expé- 
riences vraiment fécondes, tellement que l'âme retrouve 
ses conceptions dans le livre de la nature qu'elle inter- 
roge; de même, il est impossible d'aborder sans parti 
pris le livre qui nous révèle Dieu et Tordre moral. » 



i 



PRINCESSES LÉCHANT LA POUSSIÈRE. 24^1 

Si la traduction, dégagée des langes du littéralisme, 
nous fournit, dans sa plénitude, la pensée de l'ori- 
ginal, que peut-on exiger de plus? Ce principe même 
sera la sauvegarde dû traducteur contre les abus du 
principe de l'accommodation. S'il s'agit, par exemple , 
de traduire l'expression àv^pe; placée en tête d'un 
discours^ il évitera le terme de Messieurs adopté par 
certains traducteurs ; car celui qui l'emploie se subor- 
donne en quelque sorte à ceux auxquels il l'adresse , 
tandis que le terme grec n'implique point une idée 
de subordination. D'autre part, le mot de hommes em- 
ployé comme interpellation, serait d'une rusticité non 
moins étrangère à l'antiquité classique. Le traducteur 
évitera l'un et l'autre écueil, en se bornant à tra- 
duire le terme qui d'habitude suit le m.ot en question : 
(( Frères, que ferons-nous? Israélites, écoutez ces pa- 
roles! Act. II, 37, 22. » La tournure Hommes frères, 
Hommes israélites, conservée dans nos versions, alour- 
dit le style sans bénéfice pour l'idée. Tel mot aussi peut 
appartenir au style noble dans la langue originale et 
paraître trivial dans notre idiome. En ce cas, le litté- 
ralisme serait une perfidie. Si, par exemple^ le poète 
latin dit du Vésuve éructât, c'est par vomit qu'il faudra 
traduire, expression aussi élevée en français, dans le 
style figuré, qu'ignoble dans le latin. Nos versions re- 
çues méconnaissent habituellement cette règle. Elles 
font prophétiser à Ésaïe que les rois et les princesses 
lécheront les pieds de Sion *. De Saci a traduit avec plus 
de goût, ils baiseront la poussière de vos pieds ^ et 

< Esaïe XI.IX, 25, 

16 



242 OPINION DE J. J. HOTTINGER. 

M. Perret a rencontré la même expression. Ces deux 
traducteurs ont été guidés Tun vers l'autre par le même 
principe de vraie fidélité. 

L'illustre J.-J. Hottinger fixe certains cas dans les- 
quels le traducteur des saintes Écritures doit, à tout 
prix, rendre la lettre de l'origipal; c'est en particulier 
lorsqu'aucune expression moderne ne saurait donner 
une idée tant soit peu exacte de ce qu'a voulu désigner 
l'auteur sacré; ou encore, lorsqu'il y a doute sur le 
vrai sens d'un mot, ou d'une phrase. Ces cas exceptés, 
le devoir d'un bon traducteur est d'abandonner le mot 
à mot, partout où il serait contraire au génie de la 
langue dans laquelle on traduit. 

Cette méthode fut celle que suivit Luther et qu'il 
expose lui-même familièrement dans une lettre adres- 
sée à Spalatin : 

€ J'ai pris à tâche, dit-il, de parler allemand et non 
grec, ni latin. Or, pour parler allemand, ce ne sont pas 
les textes de la langue latine qu'il faut interroger. La 
femme dans son ménage, les enfants dans leurs jeux, 
le bourgeois sur la place publique : voilà les docteurs 
qu'il faut consulter; c'est de leur bouche qu'il faut ap- 
prendre comment on parle , comment on interprète. 
Ainsi, ils vous comprendront et ils sauront que vous 
parlez leur langue *. > 

On a dit que pour bien traduire, il fallait d'abord 
s'attachera reproduire la lettre; puis, la corriger selon 
les lois de l'accommodation. Pour nous, préoccupé des 
besoins intellectuels et moraux des lecteurs dont la sa- 

< Lettre du 14 juin 1528. 



THÈSE SOUTENUE PAR DUSSAULT. 24-3 

tisfaction est le vrai but de l'œuvre, nous ne nous 
appliquerions, en tout premier lieu, qu'à rendre la pen- 
sée de l'auteur dans un langage uni et, de prime abord, 
intelligible; saufà rétablir ensuite le mot à mot partout 
où la clarté n'en souffrirait pas. 

Nous sommes loin de prétendre qu'une traduction 
exécutée d'après cette méthode, satisferait k toutes les 
exigences. Quelque système qu'on suive, jamais on 
n'exprimera toutes les nuances et toute la saveur de 
l'original. On doit appliquer à fortiori aux écrits inspirés 
la thèse soutenue avec succès par le classique Dussàult, 
relativement aux auteurs profanes qu'il déclarait m/m- 
duisibles. « Rester plus ou moins loin, plus ou moins 
au-dessous des grands modèles de l'antiquité, telle est, 
dit-il, la destinée de tous les traducteurs : cette triste 
nécessité est même si bien reconnue, que les plus fiers 
n'ont pas la prétention d'y échapper; c'est un joug de 
fer sous lequel plient et s'abaissent avec résignation 
les têtes les plus superbes ; vouloir le secouer serait une 
preuve de peu d'esprit, de goût et de jugement. Quand 
on sent les beautés des chefs-d'œuvre antiques, comme 
on doit les sentir, on désespère de les rendre ; qui- 
conque se promettrait de les égaler^ serait par là-même 
un mauvais traducteur. Le plus sage est celui qui les 
apprécie le mieux; le plus heureux, celui qui les défi- 
gure le moins . » 

« Heureux est-on, dit M. Perret, quand la traduction 
fait soupçonner l'excellence du modèle. » 

Mais, parvînt-elle à contenter les littérateurs, la traduc- 

* Annales littéraires. Tome IV, p. 583. 



â44 SECOURS INDISPENSABLES. 

tion de la Bible, dont nous parlons, ne réaliserait point 
encore Tidéal de la Bible populaire que nous avons en 
vue. Elle aurait beau être accommodée au génie du 
peuple auquel on la destine , elle manquerait encore 
de ce que M. Wogue appelle à bon droit « le complé- 
ment obligé d'une version de la Bible ; » nous voulons 
parler des notes et secours indispensables à tout homme 
illettré. Cette lacune se fait gravement sentir dans les 
éditions répandues jusqu'ici par le moyen du colpor- 
tage; elles sont faites au mépris de Taxiome, qu'on doit 
parler le langage de ceux auxquels on s'adresse; elles 
supposent chez leurs lecteurs une culture littéraire et 
une connaissance de l'antiquité qui leur fait générale- 
ment défaut, surtout parmi les catholiques romains. Le 
bon marché du volume, une reUure élégante, les inter- 
dictions des prêtres peuvent provoquer l'achat de nom- 
breux exemplaires; mais ces volumes, obscurs dans 
plusieurs de leurs parties, risquent fort d'être oubUés 
sur la tablette dont ils feront l'inutile ornement. Quoi 
d'étonnant? Les hvres de la Bible étaient primitivement 
destinés à des Juifs; ou, ce qui revient à peu prés au 
même, à des Éghses dont le noyau était formé d'Israé- 
lites. La traduction la plus moderne mettra dans la 
bouche de l'écrivain sacré un langage compréhensible 
jusqu'à un certain point pour des Juifs modernes, mais 
incompréhensible pour ceux qui ne sont pas au fait de 
l'histoire et des mœurs de l'ancien peuple de Dieu. En- 
suite, il est bien des usages orientaux dont les Juifs de 
nos jours ont eux-mêmes perdu le sens. Les associa- 
tions d'idées ont singuHèrement changé depuis dix-huit 
siècles. Pour comprendre le Nouveau Testament, il est 



TEMPS, LIEUX, PEUPLES INCONNUS. 245 

indispensable d'être initié à l'Ancien. ïl faut posséder 
les antiquités Hébraïques. Si, comme il arrive le 
plus souvent, cette connaissance manque, le devoir 
de ceux qui distribuent la Parole de Dieu est de la 
mettre à la portée des lecteurs au moyen de notes et 
d'éclaircissements. 

Cette obligation est si évidente pour les esprits non 
prévenus, qu'elle s'est imposée d'elle-même aux plus 
anciens traducteurs. Lefèvre a supprimé les gloses qui 
faisaient corps avec le texte ; mais il les a remplacées 
par des notes marginales qui ont pris plus d'extension 
encore dans la Bible d'Olivétan. La mode s'en continua 
très-longtemps après lui. Les éditions princeps d'Oster- 
vald et de Martin sont, elles aussi, accompagnées de 
notes et secours divers. « L'on a ajouté à la fin de l'édi- 
tion de Conrad Badius , dit Richard Simon , un petit 
dictionnaire intitulé : « Recueil (T Arguments et maniè- 
€ res de parler difficiles du Nouveau Testament , avec 
« leur déclaration, » Il serait à désirer qu'on n'impri- 
mât aucune version de l'Écriture en langue vulgaire, 
sans ces sortes de dictionnaires qu'on pourrait étendre 
davantage *. )> 

Enfin, il ne s'imprime pas de traduction d'un auteur 
quelconque de l'antiquité, qui no soit accompagnée 
d'explications plus ou moins nombreuses, alors même 
que ces traductions sont destinées à des lecteurs ins- 
truits. Il y a plus, certains auteurs français, La Bruyère 
ou Boileau, par exemple, renferment mainte allusion 
qui nécessite quelque éclaircissement^ même pour le 

» Hist. crit, des Vers. duN. T. Chap. xxix. 



246 PARESSE INVOQUANT LE SAINT-ESPRIT. 

lecteur indigène, à plus forte raison pour l'étranger; et 
Ton s'imaginerait que le premier venu comprendra un 
volume écrit il y a des milliers d'années, dans une 
contrée et pour un peuple si différents des nôtres ! 

C'était là cependant le préjugé qui avait cours lors 
de la fondation des Sociétés bibliques. M. le professeur 
Perret-Gentil nous racontait que faisant visite , à cette 
époque, à une dame qui partageait cette opinion, il crut 
devoir la rendre attentive à l'urgence de certaines no- 
tions scientifiques pour une saine intelligence des 
Écritures; mais il ne parvenait pas à la convaincre. 
— Pour moi, disait-elle, toutes les obscurités de la Bible 
se trouvent éclaircies par le Saint-Esprit. — En ce cas, 
lui répondit son interlocuteur, voici' le verset 16^ du 
chapitre iv de l'épitre aux Ephésiens : veuillez m'en 
fournir l'explication. — La dame se retira pour réfléchir, 
mais elle ne reparut pas. Peut-être aura-t-elle compris 
que les révélations du Saint-Esprit ne sont point desti- 
nées à favoriser la paresse de ceux qui refusent de pui- 
ser aux sources naturelles de l'instruction, la science qui 
leur manque. 

Qu'on nous comprenne, ce ne sont pas des commen- 
taires que nous réclamons, mais de simples noies archéo- 
logiques et critiques et, çà et là peut-être, une para- 
phrase judicieuse. Il nous semble qu'il y aurait moyen 
d'obtenir ce résultat sans troubler l'union des diverses 
dénominations de chrétiens représentées daôs les Socié- 
tés bibliques. Il est un domaine de faits communs pour 
les protestants, les catholiques et les Juifs eux-mêmes. 
C'est dans ce domaiije-là qu'il s'agirait de puiser. 

On se fait illusion en croyant donner la Parole de 



SCANDALE d'UNE TRADUCTION SANS NOTE 247 

Dieu tout entière, lorsqu'elle est dépourvue des se- 
cours qui devraient raccompagner. Ceux, en effet, qui 
ont écrit ce divin livre ont supposé présentes dans l'es- 
prit de leurs lecteurs des notions que chacun ne pos- 
sède pas aujourd'hui. Quand, par exemple, Jésus veut 
donner à ses disciples une idée de la promptitude avec 
laquelle ils devront tout quitter pour échapper à la 
ruine de Jérusalem : « Que celui, dit-il, qui sera sur le 
toit n'en descende pas pour prendre quoi que ce soit 
dans sa maison * » , une double explication est néces- 
saire; le lecteur devra être informé que les Orientaux 
passent volontiers une partie de leurs journées sur leurs 
toits en plates-formes et, ensuite, qu'il y avait moyen de 
s'enfuir, en descendant l'escalier extérieur^ sans rentrer 
dans la maison. De môme, lorsque, dans le chapitre sui- 
vant, Jésus raconte la parabole des noces % il parle d'un 
homme qui, pour n'avoir pas revêtu le costume de la cir- 
constance, fut ignominieusement jelé hors du banquet ; 
ce détail paraîtra nécessairement odieux, car l'invité étant 
un habitué des carrefours, comment exiger de lui ce 
qu'il ne pouvait pas posséder? Le scandale cesse, dès 
que l'on est informé, par le moyen d'une note, que l'ha- 
bit de noces était libéralement offert par le convocateur 
de la fête à tous ses convives; c'est, au lieu d'une pierre 
d'achoppement, une belle image de la justice gratuite 
du Christ. 

Il n'est pas jusqu'au titre même du volume qui ne 
dût être expliqué. Ce mot de Testament rend imparfai- 



* Matthieu xxiv, 17. 
2 Matthieu xxv. 



248 DÉFIANCES INVAINCUES. 

tement le terme de Toriginal. Nous ne disons pas qu'il 
faille le remplacer par ceux d! Alliance ou de Contrat^ 
qui ne seraient pas non plus tout à fait exacts, mais 
un éclaircissement est nécessaire. 

On traduit habituellement ir£7rpafi.svGç utto ttiv àu.apTiav par 
vendu au péché \ L'original exprime davantage, u^o n'est 
pas rendu. Si Ton craint d'user de périphrase dans le 
texte, on devra introduire en note une paraphrase telle 
que celle-ci : teiiu sous la servitude du péché. Le péché est 
ici personnifié comme un maître dur, qui tyrannise les 
esclaves qu'il a acquis par des concessions criminelles. 

Si, en distribuant des Bibles dépourvues des éclair- 
cissements qu'elles réclament, on s'est flatté de trouver 
grâce devant les autorités catholiques romaines, on a 
manqué son but; on ne voit pas que la méfiance du 
prêtre à l'endroit des Bibles protestantes , ait le moins 
du monde diminué. Ces Bibles sont toujours sous le 
poids d'une accusation sommaire de mutilation, de falsi- 
fication dans les textes ; et les Sociétés bibliques ont été 
contraintes de recourir à la version moins exacte de Saci, 
pour leurs distributions parmi les catholiques. De même, 
si l'on s'est flatté d'être mieux accueilli du peuple en ne 
lui distribuant que le texte de la Bible, on ne s'est pas 
moins trompé; le peuple ne respecte plus guère au- 
jourd'hui que ce dont la respectabilité lui est prou- 
vée. Il fut un temps où l'obscurité même de ce qui 
passait pour sacré était un titre à la vénération des 
hommes; ce temps est passé. Si, à cette heure, offrant 
la Bible au peuple, vous ne mettez pas en œuvre 

* Kom. VII, 14. 



BRULONS TOUS LES COMMENTAIRES. 249 

les témoignages de son authenticité, il vous répon- 
dra que le papier subit tout ce qu'on imprime. La 
clarté, la logique d'un enseignement est pour lui la 
preuve indispensable de sa crédibilité. Voulons-nous 
qu'il croie à la Bible, n'épargnons rien pour la rendre 
compréhensible. 

Tel est aussi notre plus ardent désir, répondent plu- 
sieurs voix ; mais ces éclaircissements se trouvent dans 
des ouvrages spéciaux que le lecteur de la Bible peut 
consulter. Nous répugnons à joindre, dans un même 
volume , la parole de l'homme à celle de Dieu ; cela au- 
rait l'air de les mettre au même rang. 

Nous respectons les sentiments qui dictent ces objec- 
tions, mais elles n'ébranlent pas notre conviction. Dès 
qu'il est reconnu que certaines explications sont indis^ 
pensables pour l'intelligence de la Bible, pourquoi dé- 
tacher du volume sacré un accessoire sans lequel il 
serait, en maint passage, incompris? — Pour ne pas 
mettre la parole de Dieu et celle de l'homme sur la 
même ligne. — Brûlons donc tous les commentaires. 
Renonçons aussi à prendre la parole de Dieu pour texte 
de nos discours religieux , ou proscrivons ces discours 
eux-mêmes. Ceci nous rappelle le grief d'un certain 
disciple de Lardon contre les Paroles et Textes des frè- 
res de l'Unité. On sait qu'après chaque passage de la 
Bible, on trouve dans ce recueil un verset de cantique ; 
ce verset ajouté semblait au bon lardonniste une sorte 
de profanation. 

€ Parlez-vous dans vos assemblées? — lui dit-on. — 
Eh, sans doute. — Et vous lisez d'abord un chapitre de 
la Parole de Dieu? — Il va sans dire. — Si l'on impri- 



250 CRAINTES INCONNUES DE NOS PERES. 

mait votre discours, en serait-il plus mauvais? — Evi- 
demment non. — En ce cas, votre objection contre le re- 
cueil morave doit tomber; car, vous aussi, vous joignez 
la parole de Thomme à celle de Dieu. » — Il nous 
semble que des notes ajoutées à la sainte Écriture en 
caractères plus petits et plus humbles que ceux du 
texte, loin de nuire à celui-ci, en feraient au contraire 
ressortir l'autorité. Encore une fois, prétendons -nous 
être de plus zélés protestants que nos pères ; et la Bible 
de Des Marets, annotée par la plus rigide orthodoxie, 
n'est-elle pas encore là pour condamner nos craintes 
presque superstitieuses? On parle de manuels indépen- 
dants où l'on peut trouver les explications néces- 
saires; mais on oublie que les dix-neuf vingtièmes des 
populations, au sein desquelles on répand la Bible, 
ignorent le chen)in de nos librairies religieuses; que 
l'emploi de manuels suppose déjà une certaine culture; 
que , pour se les procurer , il faudrait premièrement 
savoir qu'ils existent ; que le peuple les ignore, parce 
qu'il ne connaît guère en fait de livres que ceux qu'on 
lui met entre les mains. Alors même que le colpor- 
teur aurait pour instruction de joindre un manuel 
de ce genre à chacun des exemplaires de la Bible ven- 
dus par lui, le but ne serait qu'imparfaitement atteint; 
car le peuple est aussi paresseuxj dans le domaine 
littéraire, qu'il est ignorant et, à moins d'un réveil reli- 
gieux , il ne se donnera pas la peine de chercher dans 
d'autres livres, comme font les savants, un éclaircisse- 
ment qui serait le bienvenu dans le volume qui l'exige. 
Aux jours du Réveil, il y a quelque quarante ans, 
Une dame se prcsenla chez un de nos libraires , en 



PITIÉ POUR LE PAUVRE PEUPLE. 251 

demandant la Bible. Il n'y avait en magasin qu'un an- 
cien fonds de Bibles d'Ostervald, avec Arguments et Ré- 
flexions. Le Réveil ne goûtait plus ces Bibles là. — Je 
voudrais une Bible sans Réflexions, dit la visiteuse. — 
Une Bible sans Réflexions, nous n'en vendons point, 
réplique la marchande et , pour ma part , j'ai- 
merais autant rien qu'une Bible sans réflexions! 
Le concile de Trente va plus loin. A son gré, la 
Bible, sans les annotations convenables, fera plus de mal 
que de bien. Pour nous, nous croyons simplement 
que les Bibles sans notes ni commentaires feront moins 
de bien que des Bibles sobrement annotées. Et nous 
ajouterons que nous avons eu beau parcourir les écrits 
d'Owen, de Stapfer et de M. de Félice qui , tous trois^ 
ont pris à tâche de défendre les statuts des Sociétés bibli- 
ques à cet égard, nous n'y avons rien trouvé qui nous 
fît changer de manière de voir. 

Sans tant discuter, qu'on se mette à la place des 
masses ignorantes auxquelles on propose la lecture de 
la Bible. Nous qui, dés l'enfance, n'avons pas cessé 
d'étudier les Écritures et qui, chaque fois que nous les 
entendons lire, pouvons puiser dans le commentaire 
vivant de nos souvenirs les explications qu'elles récla- 
ment, nous ne laissons pas que de nous entourer de se- 
cours de toute espèce. Nos bibliothèques sont rempUes 
de commentaires allemands ou latins, de grammaires, 
de dictionnaires spéciaux. Encore, n'est-ce pas sans une 
sérieuse application de noire esprit, que nous parvenons 
à découvrir le fil conducteur de l'Épitre aux Romains, 
par exemple, ou la pensée mère du livre de Job. Le 
peuple, lui, ne possède aucun secours, les facilités lui 



252 SA VALEUR EST DE VINGT GUÉRAS. 

manquent; et Ton exigerait de lui la lecture assidue 
d'un livre que nous ne comprenons nous-mêmes qu'im- 
parfaitement, après toute une vie d'étude? Un de nos 
respectables collègues, faisant, il y a quelque temps, une 
visite à l'un de ses paroissiens, lui demanda s'il avait 
chez lui l'usage du culte domestique. — « Hélas! ré- 
pondit le pauvre homme, nous avions commencé à lire, 
chaque jour, un chapitre de la Bible, mais nous en som- 
mes restés au livre du Lévitique. » — Ce livre, on le 
conçoit, l'avait arrêté; les explications mêmes qu'on 
y trouve ont besoin d'éclaircissement. On y apprend , 
par exemple, que le sicle est de vingt oboles; d'après la 
version suisse, sa valeur est de vingt gtiéras *. Mais 
qui connaît la valeur de l'obole ou du guéra? 

Une innovation à cet égard nous paraît aussi urgente 
que des améliorations dans le texte de la traduction 
proprement dite. Non-seulement il y a des termes obscurs 
qui doivent être expliqués; mais tous les résultats avé- 
rés de la science biblique devraient être mis en réqui- 
sition pour la publication d'une édition vraiment popu- 
laire, qui rendît, autant que faire se pourrait, les livres 
de la Bible aussi compréhensibles pour chacun aujour- 
d'hui, qu'ils le furent pour les premiers lecteurs ; à peu 
près aussi compréhensibles que peut l'être actuellement 
tout autre livre à l'usage du peuple. 

La nécessité de ces secours a été reconnue par le révé- 
rend écossais, J. Hamilton. « Il y a, dit-il, une géogra- 
phie de la Bible, une archéologie de la Bible, une his- 
toire naturelle de la Bible; et c'est l'ignorance de ces 

* Lév. xxvii, 25. 



TOUT CE QUI PEUT FAIRE AIMER LA BIBLE. 255 

sciences-là qui rend insipides tant de portions des Écri- 
tures. Par exemple, les Actes des Apôtres, lus sans une 
carte, s'ils laissent dans le cœur de nombreux enseigne- 
ments, demeurent pour la mémoire un vrai cahos. Mais 
si, au lieu de confondre les uns avec les autres les points 
de départ et d'arrêt ; si, au lieu de mettre Corinthe et 
Colosses, Athènes et Antioche, à côté les unes des autres, 
dans un confus pêle-mêle, la route de l'apôtre se pré- 
sente dans toute sa clarté géographique , non-seulement 
il sera hautement intéressant de le suivre de lieu en lieu, 
et de s'arrêter avec lui aux diverses stations où l'Évan- 
gile fut semé ; mais cela animera aussi par une illustra- 
tion matérielle, votre lecture des Épîtres. Vous aurez, en 
effet, devant les yeux, les localités où vivaient les chré- 
tiens de Rome, de Corinthe, de Philippe ou de Thessa- 
lonique, premières âmes arrachées au paganisme euro- 
péen ; et les circonstances diverses au milieu desquelles 
furent formées les Églises demi-grecques, demi-juives, 
de Galatie, d'Éphèse, de Colosses, formeront dans votre 
mémoire, un cadre naturel aux exhortations spéciales 
que leur adresse l'apôtre \ » 

Une carte de Terre-Sainte et celle du monde ancien 
devraient donc être placées en tête de Tédition que nous 
avons en vue. Nous voudrions y voir également, sous une 
forme succincte, tout ce qui peut faire aimer la Bible et 
relever son authenticité : un traité sur l'excellence et 
l'autorité des Écritures, — une histoire sommaire du 
texte sacré et des versions qui en ont été faites, — une 

* Le divin guide du voyageur, par le Rév. J. llamilton, traduc- 
tion libre de l'anglais par Gabriel Naville, p. 163. — Nous venons 
d'apprendre avec regret la mort du traducteur. 



254 RÉPERTOIRE GÉNÉRAL. 

chronologie biblique, — un traité des antiquités hé- 
braïques, — un vocabulaire des mots de TÉcriture qui 
n'appartiennent pas au langage usuel, — des considéra- 
tions sur le droit et le devoir qu'a tout homme de lire 
la Bible, et sur les dispositions que réclame cette lec- 
ture, — puis^ quelques directions pour le culte domes- 
tique. Ce n'est pas tout. Nous voudrions, en outre, voir 
une introduction au commencement de chaque livre, et 
un sommaire en léte de chaque chapitre. Le texte serait 
divisé en péricopes; l'ancienne division des chapitres 
et des versets, reléguée à l'une des marges. On trouve- 
rait à l'autre marge, l'indication des passages parallèles. 
Au lieu de consacrer les caractères italiques à l'impres- 
sion des mots sous-entendus dans l'original, on s'en ser- 
virait , comme dans tous les autres livres , pour les 
expressions en relief et pour les citations, à moins que 
des guillemets ne suffisent pour ces dernières \ Les 
livres apocryphes, placés anciennement entre l'Ancien 
et le Nouveau Testament, comblaient en quelque sorte 
la lacune de cinq siècles, qui sépare Esdras et Malachie 
de Jésus-Christ; cette lacune serait remplie avec moins 
d'inconvénient par un aperçu historique sur le sujet. 
A la fin du volume, figureraient une table des principa- 
les doctrines de l'Écriture avec renvoi aux loci classid ; 
et, pour couronner le tout^ une table générale par ordre 
alphabétique, ou répertoire des explications fournies, 
soit dans les notes, soit dans les pièces préliminaires. 

^ Si Ton jugeait à prupos de distinguer par un type spécial ce 
qui était sous-entendu dans Toriginal, sans pouvoir Têtre dans nos 
langues plus analytiques, il serait préférable de recourir au carac 
tère espacé. 



L*OUVRAGE EXISTE. 235 

Grâce à cette table, le possesseur de la Bible en ques- 
tion se trouverait avoir entre les mains une sorte d'en- 
cyclopédie biblique. 

Mais, dira-t-on, une semblable publication serait 
bien longue, bien volumineuse, bien coûteuse. Beau- 
coup moins qu'on ne se l'imagine. L'ouvrage existe, 
il n'y a qu'à le traduire. La Société des Traités reli- 
gieux de Londres vient de faire paraître en anglais 
cette précieuse Bible populaire, sous une forme à 
peu près identique à celle que nous rêvions, des années 
avant qu'elle sortît de presse. Elle porte le nom de 
« Annotated Paragraph Bible. » Des coupures natu- 
relles y remplacent l'ancienne division par chapitres et 
par versets. C'est un volume grand in-S*^, de moins de 
quinze cents pages, beaucoup moins considérable que 
beaucoup de nos Bibles usuelles. L'impression est com- 
pacte, mais ne laisse rien à désirer sous le rapport 
de la netteté qui est parfaite. Le patronage de la 
Société qui l'a publié, l'accueil trés-iavorable qu'il a 
reçu de la presse religieuse, tant en Angleterre qu'en 
Amérique, sont de suffisantes garanties de l'excel- 
lent esprit qui a présidé à sa rédaction. Enfin, une 
lettre de la Société des Traités religieux de Londres 
nous donne l'assurance que, non-seulement cette So- 
ciété autoriserait , mais qu'elle seconderait , le cas 
échéant, la traduction qu'une société continentale entre- 
prendrait de cette Bible. Prenant en considération une 
demande que nous eûmes l'honneur de lui adresser à 
ce sujet, dans le mois de septembre 1861, la Société 
de Londres chargea son secrétaire de nous informer 
qu'elle avait résolu de solliciter {urging) la Société des 



2S6 * BIBLE ANNOTÉE NON COMMENTÉE. 

livres religieux de Toulouse de mettre la main à l'œu- 
vre, et qu'elle lui avait en même temps donné l'assu- 
rance de sa coopération. 

Nous écrivîmes aussitôt à l'honorable Société de 
Toulouse, dans le but de faire ressortir autant que pos- 
sible, à ses yeux, l'opportunité de cette entreprise. Nous 
citons ici un fragment de notre lettre qui expose suc- 
cinctement les considérations déjà présentées : 

« Quand on se met à la place des catholiques ro- 
mains lisant^ pour la première fois de leur vie, nos 
saints livres, que de pages obscures pour eux ! puis- 
que nous-mêmes, qui étudions ces mêmes livres dés 
notre plus tendre enfance, nous nous y trouvons en- 
core fréquemment embarrassés. Si nous éprouvons le 
besoin de commentaires, que doit-il en être du pauvre 
peuple? Il peut être tenté d'abandonner la lecture de 
la Parole de Dieu, ou, du moins, de notables portions de 
celle Parole, vu l'ennui qu'engendre bien vite ce qu'on 
ne comprend pas. Tout en respectant l'œuvre des So- 
ciétés bibliques qui livrent l'Écriture sainte, autant qu'il 
est en elles, pures de tout alliage humain, ne doit-on 
pas compléter cette œuvre ; faire pour la Bible ce qu'on 
fait pour tout livre de l'antiquité, l'accompagner de 
remarques qui initient à des mœurs et à des circons- 
tances qui ne sont plus les nôtres, s'efforcer, en un mot, 
de rendre ce précieux livre aussi intelligible pour les 
gens du peuple au xix^ siècle, qu'il put l'être jadis pour 
ses premiers lecteurs? 

Il n'est pas question ici d'un commentaire dogma- 
tique, ni même parénétique, auquel le Saint-Esprit 
supplée, au besoin, dans le cœur du fidèle ; ce qui me 



CENtUES LUMINEUX. 257 

semble urgent, c'est un commentaire historique, géogra- 
phique, ethnographique et critique; toutes notions que 
le Saint-Esprit ne fournit pas, parce qu'elles nous sont 
lransmisesi,par le canal naturel de la tradition. 

« VAnnotated Paragraph Bible a réuni en Angle- 
terre les suffrages d'un grand nombre d'iuinmes com- 
pétents; peut-être serait-elle accueillie avec non moins 
d'empressement, peut-être rendrait-elle de plus émi- 
nents services encore, en France, en Belgique, au 
Canada, dans le canton de Fribourg, en Valais et dans 
le Porrentruy, pays essentiellement catholiques romains, 
où les connaissances scripturaires sont peu répandues. 

« Ce sont les simples fidèles, ce sont surtout les 
catholiques romains des vastes contrées où la Bible a 
été répandue par les colporteurs, sans qu'il s'y trouvât 
ni pasteurs, ni évangélistes pour l'expliquer, ce sont 
ces lecteurs-là que nous devons avoir spécialement en 
vue. Pour faciliter l'intelligence du volume sacré , on 
placerait chez le mieux qualifié de chaque commune un 
exemplaire de l'Anno^a^t^rf Paragraph Bible^ traduite en 
français. La maison du dépositaire serait comme un 
centre lumineux pour tout lecteur de la Bible en quête 
d'explications dans la même localité '. » 

La Société de Toulouse nous répondit à la date du 
1er novembre, « qu'elle eût été heureuse d'ajouter à 
sa collection un ouvrage si excellent et si utile à tant 
de titres; mais les circonstances actuelles ne lui per- 
mettaient pas d'entreprendre des travaux de longue 

* Ct's dtTni(Te> lignes sont de la inrme époque (lue les pri'Ot''- 
dentés, lin d'octobre 1861; mais elles sont tirées de notre réponse 
à G. Henry Davis, secrétaire de la Société de Londres. 

17 



258 SYMPAtHIES ACQUISES. 

haleine et d'une révision si délicate, deux de ses mem- 
bres les plus actifs étant malades depuis plusieurs mois 
et incapables de tout travail; elle regrettait donc de ne 
pouvoir concourir à une œuvre qui excitait d'ailleurs 
toutes ses sympathies. » 

L'état des choses n'a malheureusement pas changé 
dés lors. Nous avons salué avec satisfaction l'apparition 
du commentaire de M. E. Arnaud sur le Nouveau Testa- 
ment. Toutefois, cette publication est bien diflérente de 
celle dont il est ici question. Nos vœux sont à la fois 
plus modestes et moins restreints. On possédait déjà 
des commentaires sur le Nouveau Testament, notam- 
ment celui de MM. Bonnet et Baup; ce qui manque 
absolument, c'est une Bible annotée, c'est un Ancien 
Testament surtout, mis à la portée des simples. 

Nous touchons au terme de la tâche que nous nous 
étions imposée. Nous sommes remontés à l'origine de 
nos versions reçues; nous nous sommes enquis des cir- 
constances dans lesquelles elles ont vu le jour; puis, 
nous les avons jugées; enfin, nous avons vu ce qu'il 
reste à faire pour que les populations de langue fran- 
çaise possèdent l'équivalent le plus parfait possible des 
écrits sacrés. Nous avons cherché à résoudre la triple 
question qui s'était naturellement présentée à notre 
esprit et à laquelle ont répondu les trois parties de 
cette étude. Nous n'avons plus qu'à nous résumer et à 
conclure. 



RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS. 



Ainsi parle rÉterncl des armées. Ce peuple dit « Le mo- 
ment n'est parf encore venu, le moment où la maison de 
l'Éternel doit ôire rebâtie. » C'est pou r(|uoi, la parole de l'Éter- 
nol fut adressée par Aggée, le prophète, en ces mots « Est-ce 
le moment pour vous-mêmes de lo^er dans vos maisons lam- 
brissées, tandis que cette maison demeure désolée? » 
Aggék, 1,2-4. 

Laudatur et alget. 

JUVÉMAU , 



Le salut des âmes en péril : tel nous paraît être le 
but , seul digne de ractivité du chrétien sur la terre. 
Tendre à ce but, c'est marcher sur les traces de Jésus, 
le Sauveur; c'est imiter Thomme parfait. 

Il a plu à Dieu de sauver les pécheurs par la prédi- 
cation. Jésus a prêché par sa doctrine, par sa vie et par 
sa mort. Cette prédication, c'est TÉvangile. 

A ce titre, les Sociétés bibliques figurent^ en première 
ligne, parmi les institutions que le chrétien entoure de 
sa considération et de sa soUir.itude. 

< Nous n'avons contre l'esprit d'erreur qui règne 
dans le temps présent aucune autre arme que l'épée de 
l'Esprit, qui est la Parole de Dieu. » — Cette parole est 
extraite du discours prononcé dans le dernier Kirchen- 
tag du Brandebourg, par le professeur Beyschlag de 
Halle. — « Mais, ajoutait-il, il ne faut pas que cette 



262 LE PLUS SÉRIEUX DE NOS INTÉRÊTS. 

épée soit rouillée. Elle doit, pour pénétrer, être bril- 
lante et bien aiguisée *. » 

Tel n'est malheureusement pas le cas de nos versions 
reçues : elles ont besoin d'être comme fourbies sur nou- 
veaux frais. C'est l'opinion de M. Bastie, qui a déclaré 
une nouvelle version éminemment désirable; de M. Matter 
qui, depuis trente ans, envisa'ge ce même sujet comme 
le plus sérieux de nos intérêts religieux ; c'est l'opinion 
enfin, de l'universalité des protestants de langue fran- 
çaise. Pour nous, profondément pénétré de l'importance 
capitale de la question, nous nous sommes volontiers 
assujetti à tout le labeur nécessaire pour asseoir soli- 
dement notre jugement à cet égard. Jésus lui-même 
n'a-t-il pas attesté que le fidèle trouve dans TÉcriture 
les garanties d'une vie éternelle et bienheureuse? Com- 
ment, dès lors, ne ferions-nous pas tout pour faciliter 
cette étude, pour débarrasser la voie qui conduit à Christ? 

Cette voie, nous devons le dire, nous l'avons trouvée 
passablement obstruée ; nos versions reçues laissent beau- 
coup à désirer. Cependant, mieux vaut encore un che- 
min raboteux et sûr qu'un chemin uni dont on ne con- 
naît pas exactement la direction. Quelle que soit la va- 
leur des versions nouvellement proposées, les Sociétés 
bibliques craindront, à bon droit, de leur donner im- 
onédiatement leur aveu. Ces versions sont, ou bien en 
état de suspicion, ou dépourvues encore de la sanction 
du temps et de l'expérience. A peine en a-t-on fait 
l'examen dans quelques articles de journaux. Ce sont 
des travaux individuels, offrant à certains égards, moins 

* Chrétien évangéliquey du 1(5 février 1805. 



DANGER DU STATU QUO. 265 

de garanties qu'une œuvre collective telle que notre 
version reçue, qui n'est que l'ancien texte adopté par 
les pasteurs et les professeurs de Genève , et révisé en 
dernier lieu par Ostervald. Ostervald el Martin ont 
lentement conquis la position qu'ils occupent à cette 
heure, leurs après-venants auront leur tour; nous dou- 
tons même que ces derniers éprouvent toute l'impa- 
tience de leurs partisans. Nos anciennes versions ont 
subi l'épreuve, on a eu tout le loisir d'éplucher les 
défauts et les imperfections que leur grand âge fait 
ressortir; mais on ne saurait leur dénier des qualités 
solides et , somme toute , elles inspirent une sécurité 
que ne donne point encore la nouveauté de leurs ca- 
dettes. 

Nous comprenons donc les scrupules des timides, 
nous les partageons jusqu'à un certain point. Nous re- 
douterions le brusque avènement d'une traduction insuf- 
fisamment accréditée; mais nous craindrions bien plus 
encore un absolu statu qiio. Nos versions usuelles sont 
d'origine vulgatique, elles sont collées à la lettre; peut- 
être ces défauts ont-ils présenté des avantages au début ; 
peut-être, ou plutôt, il est certain que, sans le secours 
de la Vulgate , nos premières traductions françaises , 
jusques et y compris Lefèvrc etOlivétan, n'auraient pu 
voir le jour; tout au moins, auraient-elles du paraître 
beaucoup plus tard et, sans doute, criblées de fautes 
bien plus nombreuses et bien plus lourdes que celles 
que la Vulgate leur a transmises, vu Tignorance où 
Ton était alors des langues originales. La Vulgate fit 
Tofiice d'un pont, et nous y reconnaissons une direction 
de la Providence; comme aussi la longue suprénialio 



2C4 GAGE d'un réveil BIBLIQUE. 

du littéralisme , véritable lisière de la Réforme à ses 
débuts, a eu sa raison d'être ; les principes rigides des 
Sociétés bibliques également. L'idée de ne répandre que 
la parole de Dieu a gagné et réuni beaucoup d'esprits, 
qui ne se seraient jamais entendus peut-être si, de 
prime abord , il eût fallu discuter la question de savoir 
quel commentateur anglican, presbytérien ou baptiste 
l'on adopterait. 

On a marché dès lors. VAnnotated Paragraph Bible 
(le la Société des Traités religieux de Londres est là avec 
ses annotations, pour prouver qu'il y a pour les chrétiens 
de toute dénomination un moyen de s'entendre sur le do- 
maine de l'interprétation des Écritures. Il suffit pour 
cela de n'enregistrer que les faits définitivement admis 
par tous les bords. La généralisation de cette méthode 
serait un progrès marqué, une conquête, le gage d'un 
réveil biblique au sein de populations qui, jusqu'ici, ont 
fait peu de cas d'un trésor dont elles n'avaient pas la clef. 

L'introduction de notes permettrait au traducteur 
d'être clair sans périphrase, et son œuvre y gagnerait 
en exactitude. Nos versions reçues, craignant d'être in- 
comprises, ont souvent désigné sous les termes géné- 
riques de pièces ou de inesures, les monnaies et les 
mesures spécifiques de capacilé citées dans la Bible : 
les qu'une métrètes dont parle saint Jean dans l'histoire 
du miracle de Cana, les deux leples de la pauvre veuve 
mentionnée par saint Marc et par saint Luc. 11 ne serait 
pas sans intérêt de faire remarquer que chacun des six 
vases dont Jésus changea le contenu en vin, contenait 
environ cent de nos litres, et que ces six bassins étaient 
en quelnue sorte le présent de noces, gracieusement 



CARTES MUETTES. 265 

offert par Jésus , tant pour sa propre personne , que 
pour les cinq disciples qu'il avait amenés avec lui. 

Utile en tout pays, une Bible annotée nous paraît 
nécessaire à la France, dont le peuple, très-ancienne- 
ment civilisé, admirablement doué, souffre, sous le rap- 
port de rinstruction proprement dite, de la tendance 
obscurantiste de beaucoup de ses conducteurs spiri- 
tuels. C'est ce que prouve abondamment, chaque année, 
Texamen que subissent les jeunes conscrits appelés sous 
les drapeaux. Les Bibles sans aucune note ni commen- 
taire pourraient être réservées pour les savants qui pré- 
fèrent souvent, on le sait, le texte pur et simple; et aussi, 
pour les élèves des écoles du dimanche, comme on fait 
dans les leçons de géographie des cartes muettes; 
mais nous voudrions qu'il n'y eut pas de famille au 
monde, qui ne possédât son exemplaire de la Bible 
expliquée, telle que nous l'avons décrite. 

Quant au texte même de la traduction, « nous sa- 
vons bien, comme l'a dit M. Rilliet, que la puissance 
vivifiante de la parole de Dieu est si grande, qu'elle 
agit même au travers de la méthode la moins propre 
à rendre efficace la connaissance de la Révélation chré- 
tienne ; mais ce n'est pas un motif pour renoncer à 
faire mieux \ » 

Nous avons vu dans le cours de notre recherche 
historique, l'important service que rendirent ces deux 
cents éditions de la Bible si défectueuse de Louvain ; 



' Les livres du Nouveau Tebtament tradvits, pour la première 
fois, d'après le texte giec le plus ancien, par Albert Rilliet, an- 
cien professeur à l'Académie de Genève. Voii" V Avertissement. 



PAS DE PAGE SANS FAUTE. 



mais aussi combien la refonte opérée par Port-Royal, 
a élargi le cercle des lecteurs du saint Livre en 
France! Ce fut après s'être nourri de la traduction 
excellente de le Maistre de Saci , que Racine composa 
les deux chefs-d'œuvre de notre langue, Esther en 1689, 
et Athalie en 1691. L'avouerons -nous, nos versions 
usuelles sont si peu présentables que, s'il s'agissait 
pour nous de remettre un exemplaire des saintes Écri- 
tures à un catholique lettré, nous croirions devoir lui 
donner la version souvent partiale de Saci; car du 
moins, le volume ne lui tomberait pas des mains, et il 
trouverait en le lisant toutes les vérités indispensables 
au salut de son âme. Ceci s'applique surtout à TAncien 
Testament. Nous avons plusieurs fois essayé, par exem- 
ple, de découvrir dans nos traductions des Proverbes, 
une page seulement sans faute de style; nous n'y som- 
mes pas parvenu. 

Noire version reçue du Nouveau Testament est elle- 
même si peu correcte qu'il serait difficile d'y rattacher 
un commentaire*. Le peu de commentaires modernes 
que nous possédons commencent ou finissent tous, si 
ce n'est par une traduction, du moins par une révi- 
sion. Cette même version embarrasse aussi les prédica- 
teurs, souvent obligés de renoncer à un texte magni- 
fique dans l'original, mais déformé dans la traduction, 



^ Ce Mémoire lu, une commission fut nommée pour rexamen 
de la question. On pensa qu'il y aurait bien un total de quatre- 
vingts corrections à proposer pour le Nouveau Testament; mais 
la commission s'étant mise à Tœuvre, elle a enregistré un 
demi-millier de modilications de tout genre dans le seul Évangile 
selon saint Jean. 



REFONTE. 



267 



dont ils ne sauraient cependant s'écarter sans inconvé- 
nient, dans la pratique de leur ministère. 

II nous tarde de voir adopter Fimportante révision 
de M. Malter fatalement enfouie, pour ainsi dire, depuis 
bientôt douze ans. Le principe d'une simple révision 
admis, celle que nous devons à la munificence de nos 
frères d'Outre-Manche et au zèle patient de M. Matter et 
de ses collègues, nous semble avoir été accomplie dans 
les bons principes K Les réviseurs paraissent y avoir 
regardé à deux fois, avant de rien conserver des an- 
ciennes versions ; à sept fois , avant d'y rien changer. 

Mais, nous l'avons dit, nous inclinons à croire qu'il 
ne suffit pas d'adopter la révision dont il s'agit; mais 
qu'il faut sérieusement songer à élaborer une version 
entièrement neuve *, qui ait en vue, non-seulement les 
intérêts restreints de notre protestantisme de langue 
française, mais ceux de la France entière. Nous ne fe- 
rons que récapituler les considérations déjà dévelop- 
pées, louchant l'origine vulgalique de nos versions re- 
çues et ce fait avéré , qu'avant le Nouveau Testament 
dit de Lausanne, et la version de M. Perret-Gentil pour 
l'Ancien Testament, l'œuvre de la traduction de la 
Bible, des originaux en français, n'a jamais été faite à 
fond, mais toujours par voie de révisions successives. 
Or, quiconque nous accordera qu'une traduction est 



< Eîi maintenant, toutefois, la réserve faite plus haut p. 217. 

2 Dans la discussion qui suivit la lecture de ce Mémoire, un de 
nos collègues raconta comment, sur l'invitation d'une société an- 
glaise, il avait tenlé d'infructueux efforts pour réviser certains 
livres prophétiques de la version d'Ostervald, et comment cet essai 
Tavait convaincu de la nécessité d'une refonte. 



268 RECREPIMENTS. 

une œuvre d'art, devra convenir que Tunité et Thar- 
monie do Tensemble ont dû nécessairement souffrir de 
ces retouches accumulées les unes sur les autres, par 
tant d'esprits et de mains différentes. Nous hésitons, 
dans un pareil sujet, à parler de recrépiment, bien que 
le mot se présente sous notre plume. Mais, au fond, 
nous ne portons pas seul la responsabilité d'une manière 
de voir émise déjà par Beausobre et Lenfant dans la 
Préface de leur Nouveau Testament de 1718. Cent qua- 
rante-cinq années de date ajoutent encore à la valeur 
des réflexions suivantes : 

(f Nos versions, disent-ils, ne sont, à proprement par- 
ler, que des révisions de révisions Si l'on y prend 

garde, on trouvera dans nos premières versions, un tour 
beaucoup plus français et plus naturel, un air plus ori- 
ginal, à proportion du temps, que dans toutes les ver- 
sions retouchées. Il est impossible de réparer souvent 
un vieux édifice, sans qu'il soit en plusieurs endroits 
irrégulier et disproportionné. » 

Telle a été aussi, de nos jours, l'opinion de M. Henri 
de Berlin. « Je préfère, dit -il quelque part dans sa 
Vie de Calvin^ hormis quelques fautes, les antiques 
versions de la Bible en vieux français à toutes les nou- 
velles. » Et plusieurs hommes de goût pensent comme 
lui. 

Nous avons relevé plus haut les bons côtés de nos 
versions; elles l'emportent sur certains travaux plus 
modernes par leur équiUbre, leur modération, leur 
impartialité, leur modestie ; on y sent revivre en quel- 
que sQrte les vertus de ce digne trio de vieillards que 
nous trouvons aux deux extrémités de la chaîne des 



PALEUR ET RIDES DE LA VIEILLESSE. 26î) 

Iraductions françaises de la Bible. Mais toute médaille 
a son revers; nos versions sont décolorées, elles ont la 
pâleur et les rides de ceux à qui nous les devons. 

Olivétan avait bien introduit dans cette œuvre un élé- 
ment de fraîcheur et de jeunesse ; mais celte influence 
fut bientôt amoindrie par son austère cousin de Ge- 
nève, et cela avec d'autant plus de facilité, qu'Olivétan 
avait peu mis du sien dans $on travail. Ses soixante 
mille corrections sont plutôt celles d*un érudit que 
celles d'un homme de goût et d'un penseur. 

Comment, en un an ou un an et demi, aurait-il eu 
le loisir de pénétrer assez dans le génie de la Bible, 
pour en exprimer toute Toriginalité? Il n'eut que juste 
le temps de faire disparaître les plus grossières erreurs 
léguées par la Vulgate à la version de Lefèvre. 

Enfin, dernier grief, nos versions sont le fruit du lit- 
téralisme; et vraiment, nous ne croyons pas que cette 
méthode soit la plus avantageuse. C'est une mélhode 
puérile qui ne convient plus à notre virilité. Nous 
croyons que la Bible a été faite pour l'homme -et non 
l'homme pour la Bible; que, par conséquent^ il ne suffit 
pas d'avoir le texte soi-disant pour soi , lorsqu'on tra- 
duit, mais que le besoin du lecteur doit aussi être con- 
sulté; et qu'il ne suffît pas non plus d'invoquer le grand 
mol de littéralilé pour justifier toutes les bizarreries, 
tous les non-sens et tous les contre-sens qui naissent de 
ce système; que le moment est venu, en un mot, de se 
préoccuper autant du sens intime du texte et de la 
clarté de l'expression, qu'on s'est inquiété jusqu'ici de 
nous transmettre les mots et la lettre. Nous avouons 



270 PALLIATIF . 

donc que, moyennant certaines restrictions, notre pensée 
se rencontre sur ce point avec celle de M. Etienne Co- 
querel, lorsqu'il dit : 

« Qu'on le sache bien, une révision ne sera jamais 
qu'un palliatif; le mal dont nous souffrons est profond; 
on aura beau réviser et corriger Ostervald , on n'en 
fera jamais une bonne version *. . . Aujourd'hui, con- 
tinue M. Coquerel , que la paix est rendue à l'Église 
réformée de France, elle manquerait à son plus saint 
devoir et à la glorieuse mission que Dieu lui confie au 
sein des populations françaises, si elle renonçait, comme 
on le lui propose, à produire un jour une version de 
la Bible, digne de la belle langue que nous parlons, 
digne de la science moderne qui a réalisé tant de pro- 
grès, et digne surtout des divines vérités que l'Écriture 
enseigne et que l'Église a mission de répandre *. > 

Comme on l'a très-bien dit, si les fautes de nos ver- 
sions usuelles sont légères, les changements qu'elles 
nécessitent seront si minimes qu'ils ne sauraient ef- 
frayer personne. Si, au contraire, les fautes sont graves, 
qu'y a-t-il de plus pressant que d'en purger nos textes 
sacrés ? 

Mais encore où trouver le moyen de satisfaire ces 

* L'utilité d'une version peut dépendre de la catégorie de lecteurs 
auxquels elle est destinée. Si M. Coquerel n'avait eu en vue que 
le colportage parmi les catholiques romains, nous aurions été 
pleinement d'accord avec lui; mais s'il est question de notre noyau 
protestant, nous osons soutenir que la version revue d'api es les 
originaux par M. Matter est, quoiqu'on dise M. Coquerel, une 
bonne version ; surtout, si elle subissait les corrections dont il a été 
parlé plus haut, en tenant compte des variantes. 

2 Lien du ii oct. 1862. 



INTÉRÊT BIEN ENTENDU DE l'ÉTAT. Î7l 

besoins maintenant universellement reconnus? Si la 
France entendait ses véritables intérêts, les premiers 
corps savants de l'Empire se verraient appelés à la 
collaboration d'une entreprise d'où dépend le salut et 
l'avenir d'un peuple. La coopération d'hommes laïques, 
dont les idées sont moins fixées en matière de dogme, 
serait une garantie d'impartialité dans l'interprétation 
philologique des textes. Mais sans caresser plus long- 
temps ce qui ne serait à cette heure qu'une chimère, 
voyons les ressources que peut fournir notre protes- 
tantisme français. 

Paris, à bien des égards, est la ville la mieux qua- 
lifiée pour le but que nous avons en vue et, à défaut 
de Paris, Genève; seulement, il serait peu sûr d'es- 
pérer une entente parfaite entre les personnes com- 
pétentes dans l'un ou l'autre de ces centres. Resterait 
Lausanne; mais on sait que les interprètes les plus ca- 
pables de cette ville sont déjà engagés dans une en- 
treprise de même nature, à principes exclusifs et étroits. 
De même, la tendance qui a prévalu dans la Faculté 
et dans la Revue de Théologie de Strasbourg est trop 
prononcée, pour que ce journal ou cette faculté de- 
viennent un point de ralliement. La Faculté de Mon- 
tauban est demeurée sans prendre l'initiative. Où trou- 
verons-nous donc ce centre de science herméneutique 
que nous avons reconnu nécessaire ? 

Kn attendant, les Sociétés bibliques de France et, 
avec elles, nos sœurs, les Églises de France, sont dans 
le trouble et la perplexité. U Union libérale est décidée à 
faire prévaloir, dans les troupeaux soumis à son in- 
fluence, un Nouveau Testament qui n'a été, depuis trente 



\ 



!27"2 UrgenC": de l'oeuvré. 

ans, qu'un brandon de discorde. Son plan est celui-ci : 
Le Nouveau Testament de Genève étant réimprimé ', 
plusieurs pasteurs l'adoplant et le mettant en circula- 
lion, les Sociétés bibliques auront la main forcée; elles 
seront contraintes, en vertu même du premier article 
de leur règlement, de distribuer la nouvelle édition à 
toutes les Églises qui la leur demanderont. 

La réalisation de ce plan risquerait de briser un des 
derniers liens qui réunissent les tendances en lutte au 
sein de l'Église nationale réformée de France. A défaut 
de confession de foi , à défaut de discipline , à défaut 
d'une forte organisation, une Église conserve son unité 
au moyen de livres symboliques ; une traduction de la 
Bible est aussi un livre symbolique. L'adoption de tra- 
ductions à tendances diverses (car quoi qu'on fasse, la 
tendance des traducteurs se reflète du plus au moins 
dans leur œuvre) serait le ferment en même temps 
que le symptôme d'un fâcheux désaccord. 

Lorsqu'un citoyen généreux pense qu'il n'y a de sa- 
lut pour la société que dans un dévouement personnel, 



^ Depuis le jour où ce mémoire a été lu, le plan indiqué a 
été suivi de tout point. Le Nouveau Testament de Genève a été 
imprimé en caractères stéréotypes et répandu, en peu de mois, à 
deux mille exemplaires. La Société biblique protestante, dans sa 
s(^ance du 10 avril, a été sollicitée par la majorité de ses membres, 
d'adopter ce Nouveau Testament pour ses distributions gratuites. 
Finalement le 15 décembre, les partisans de la révision gene- 
voise se sont prévalus de leur supériorité numérique; une vo- 
tation décisive est intervenue, et six des membres les plus 
considérables du comité ont donné leur démission. Maintenant, 
les journaux annoncent la formation d'une société nouvelle 
ayant son siège, 2, rue Montmartre, à Paris. 



YOGÀTION DE NEUGHATEL. 273 

il se demande si ce n'est point à lui qu'incomberait le 
sacrifice. Je ne vois, à cette heure, pour entreprendre 
l'œuvre dont nul de nous ne saurait nier l'opportunité 
ni l'urgence, que la société que j'ai l'honneur d'entre- 
tenir. 11 s'agirait de faire une heureuse diversion au sein 
des partis, Neuchâtel ne serait- il pas providentiellement 
désigné pour cette noble entreprise ? 

Chez nous, point de parti théologique tranché; mais, 
sans obscurantisme, l'union dans le mystère de piété. 
Dans le calme de notre retraite transjurane, en rapport 
avec la France par la langue , avec l'Allemagne par les 
études théologiques, avec Genève et l'Angleterre pour 
le mouvement religieux, notre petit pays ne semble-t-il 
pas, dans son histoire aussi, avoir une vocation spé- 
ciale * pour la traduction de la Bible? Cette entente des 
divers partis sur le terrain théologique se retrouve 
encore sur le terrain ecclésiastique. N'a-t-on pas vu , 
peu de temps après l'apparition de nos huit brochures 
pour ou contre le multitudinisme , les principaux re- 
présentants de notre Église nationale et de notre Église 
libre priant ensemble, tour à tour, et s'unissant pour la 
consécration d'un de nos jeunes missionnaires*? L'œuvre 
proposée est ardue, sans doute ; mais si l'indifiérence 
et la paresse étaient nos conseillères , ne craindrions- 
nous pas de nous placer sous le coup de l'anathème 
prononcé par Deborah , libératrice d'Israël : « Maudis- 

< OlU? n»marque n'est pas nouvoUe. Elle a été relevée en 
dernier lien, dans l'écrit intitulé : Histoire de la Réformation et 
du Refuge dam le pays de Neuchâtel, par F. Godet, pasteur, 
p. 170. 

^ M.Paul Perrelet, actuellement à Tîle Maurice. 

18 



^7i DEUX CONDITIONS ESSENTIELLES. 

sezMéroz, dit l'Ange de rÉternel, maudissez, maudissez 
ceux qui l'habitent; car ils ne vinrent pas prêter se- 
cours à rÉternel avec les braves. » 

Si Paris entreprenait Tœuvre, je voudrais qu'aussitôt, 
nous lui offrissions le secours d'un comité correspon- 
dant; mais si personne n'entreprend ce travail, notre 
tâche me semble indiquée. Géographiquement parlant, 
sans doute, comme sous bien d'autres rapports, notre 
pays est loin d'être un centre. Mais, quelque petit qu'il 
soit, s'il faut un point d'appui à une théologie impar- 
tiale, ce point d'appui s'y trouve et suffit. Pourquoi 
l'humble Bethléem ne donnerait-elle pas , une fois de 
plus, un conducteur à Israël? 

Ce vœu patriotique que nous formons, se trouve com- 
battu au dedans de nous par celui non' moins vif de 
voir enfin la Bible traduite des originaux et imprimée 
en France par des Français. Fait incroyable, cela ne 
s'est pas vu jusqu'à ce jour. La vie qui renaît dans le 
corps du protestantisme français longtemps démembré 
par la persécution, la bienveillante protection du gou- 
vernement établi, l'urgence des besoins constatés, tout 
devrait pousser nos frères des églises de France à 
saisir le moment favorable. 

Me sera-t-il permis de poser, en terminant, deux con- 
ditions qui semblent essentielles, quel que soit le point 
de départ de l'entreprise? 

Et d'abord : elle devrait être conduite sous les aus- 
pices de la prière. C'est dans la prière et dans le jeûne 
que les meilleures versions de la Bible ont été accom- 
plies. 11 n ( . us suffira de citer de Saci et la Bible hollandaise. 



RALLIER TOUTES LES FORCES DISPONIBLES. S75 

Voici ce que nous écrivait à ce sujet un ancien pro- 
fesseur de littérature sacrée. 

« Parmi les requisita d'une bonne traduction, il faut 
metlre avant tout l'esprit de prière, demander à Dieu 
son Esprit-Saint, le même esprit qui a présidé à la com- 
position de l'original. Un homme qui n'a pas l'esprit 
poétique s'entend mal en poésie et rendra mal un poète. 
Il faut l'esprit de Dieu pour discerner les choses de 
Dieu. > 

En second lieu : toutes les forces vives du protestan- 
tisme français devraientêtre invitéesà donner leur coopé- 
ration. 

Aimer la Bible, désirer qu'elle soit mieux comprise 
et plus répandue, seraient des titres suffisants pour 
faire partie de l'association projetée. Nous voudrions 
donc que l'on sollicitât aussi le concours de nos frères 
de l'Église romaine ou même de la Synagogue, qui se 
montreraient capables et de bonne volonté. Il ne serait 
pas question de pasteurs ou de laïques, de professants 
ou de multitudinistes, d'orthodoxes ou de libéraux, de 
prêtres ou de rabbins; mais simplement de foi, dans l'effi- 
cacité bienfaisante du saint Livre, de science philolo- 
gique, de culture littéraire. 

Pour parler avec M. le professeur Gaussen : cr Ne pré- 
fère-t-on pas aujourd'hui, chez les Allemands, la tra- 
duction du docteur De Wette à celle même du grand 
Luther? Ne se croit-on pas plus sûr d'avoir la pensée 
du Saint-Esprit dans les lignes du professeur de Bâle 
que dans celles du Réformateur ? Le premier s'est atta- 
ché toujours de très près aux expressions de son texte^ 
comme un savant docile aux seules règles de la philo- 



276 EXEMPLE DU SAINT-SYNODE DE RUSSIE. 

logie ; tandis que l'autre, par moments, semble chercher 
quelque chose de plus et se faire interprète autant que 
traducteur*. » — Une palme est décernée au traduc- 
teur rationaliste. 

Un besoin de ralliement a déjà été manifesté par M. le 
pasteur VioUier qui s'exprimait ainsi : « Le moment 
ne serait-il pas venu, pour le protestantisme de langue 
française, de prendre quelque énergique résolution? 
Ne pourrions-nous pas réunir nos efforts pour éclairer 
le public religieux, pour examiner en dehors de tout 
esprit de parti les versions existantes, pour en susciter 
de nouvelles; enfin, pour propager les meilleures traduc- 
tions possibles de la parole de Dieu * ? > 

Les progrès merveilleux de la publicité et de la cor- 
respondance offrent aujourd'hui des facilités nouvelles. 
La Russie nous a montré l'usage que l'on pouvait en 
faire. Les membres du saint Synode, disséminés sur tous 
les points de l'empire, reçoivent par la poste les bulle- 
tins imprimés d'un essai de traduction nouvelle ; ils y 
inscrivent leurs observations, et renvoient le tout à la 
commission centrale qui siège à Pétersbourg. 

L'adoption de ce plan permettrait la coopération de 
toutes les personnes capables et zélées, non-seulement de 
la France et de la Suisse, mais aussi de la Hollande, de 
l'Angleterre et de l'Allemagne ^ 

* Théopneustie, ^ édit., p. 229. 

2 Lien du 26 avril 1862. 

3 Quelques jours après la lecture de ce mémoire, un vœu sem- 
blable était exprimé par M. Basile, dans \ Espérance du 11 juil- 
let 18()2i, (I par M. Vaucher, dans le Lien du 19 du même mois. 
—Le beau traité de commerce conclu entre la France et TAngle- 



TOUS APPORTANT LEUR PIERRE A l/ÉDIFIGE. 277 

Tel est l'usage adopté déjà par les assemblées 
délibérantes pour la discussion des projets de loi. Ce 
que notre Synode neuchâtelois fait en petit pour la révi- 
sion de notre liturgie ou de nos cantiques, serait-il 
moins opportun pour la Bible? 

Une somme assez forte devrait être préalablement re- 
cueillie. Il y aurait une bibliothèque spéciale à rassem- 
bler, un directeur et un agent à rétribuer, des indem- 
nités à payer aux traducteurs dont les publications déjà 
existantes seraient utilisées. Mais qui ne ferait avec bon- 
heur quelque sacrifice pour une entreprise reconnue 
éminemment désirable? 

Il n'est pas un protestant français ou ami de la 
France qui n'ait une pierre — petite ou grande — à 
apporter à l'édifice : le simple fidèle offrirait sa prière et 
sa pite ; le théologien , le littérateur, les réflexions du 
savoir et les décisions du goût. 

Quel estle pasteur, quel est le laïque éclairé qui n'ait 
par devers lui quelque traduction nouvelle à proposer, 
sinon d'un livre entier de la Bible, au moins d'un 
passage, d'une phrase ou d'un mot? 

Les anciens synodes de l'Église réformée de France 
ouvraient la porte à ces innovations. Voici ce que por- 
tent les articles III, IV et V des actes du synode national 
tenu à Montauban, en 1594 : 

€ La liberté demeurera à l'Église de rendre toujours 
plus parfaite la traduction de la sainte Bible; et nos 



terre et celui tout récent entre la France et la Suisse, laiv^sent désor- 
mais circuler librement les épreuves et manuscrits d'impri- 
merie. 



278 MINE OFFERTE DANS NOS SERMONNAIRES. 

églises, à l'exemple de la primitive, sont exhortées de 
recevoir la dernière traduction qui en a été faite par les 
pasteurs et professeurs de l'Église de Genève, et de la 
lire en public tant que faire se pourra. 

« On remerciera aussi maintenant par lettres M. Rotan 
et lesdits frères de Genève', de ce qu'ils ont si heureu- 
sement travaillé pour un ouvrage si excellent, à la re- 
quête de nos églises ; et ils seront encore priés de vou- 
loir augmenter leurs annotations pour l'éclaircissement 
des lieux obscurs qui restent encore dans leur traduc- 
tion de ladite Bible. 

« Les pasteurs seront encore exhortés, en chaque pro- 
vince, de recueillir tous ces passages pour en faire leur 
rapport au prochain synode national, qui jugera de 
ceux qui méritent d'être éclaircis * ? » 

Pour peu que l'attention soit éveillée, on sera frappé, 
en lisant nos sermonnaires, de voir combien, lorsqu'ils 
citent de mémoire, ils rajeunissent et corrigent le style 
de nos versions. Parfois aussi ils se sont donné la peine 
de traduire à nouveaux frais. Bossuet et Adolphe Monod * 
méritent une mention spéciale. Les écrits de M. Reuss, 
les notes de la Fille de Sion, fourniraient également 
une ample récolte de modifications heureuses d'après les 
originaux. 

< Aymon, 1. 179. 

2 « Nous avons entendu plusieurs fois, de nos oreilles, M. Adol- 
phe Monod accuser ces versions usuelles dMnsuffisance ou d'i- 
nexactitude et y substituer, en chaire, sa propre traduction. » 
J. Cruvellié, pasteur. ïAen du il juillet 1865. Ce même procédé 
de substitution a été recommandé et suivi par M. T. Colani. — 
Quant à Bossuet , on a fait une version nouvelle des Evangiles, 
*m rassemblant les fragments retraduits, cités dans ses ouvrages. 



ESPÈCE DE SANHÉDIUN FORMÉ PAR LUTHER. â79 

C'est ainsi que la sagesse de Salomon mit en œuvre, 
pour la construction du temple de l'Éternel, les maté- 
riaux pieusement recueillis par David son père. 

Mais, diront quelques-uns, une traduction est une 
œuvre tout individuelle; les sociétés, les décisions à 
coups de majorité ne sauraient trancher les problèmes 
compliqués de la critique et de l'exégèse. 

Les faits répondent. Au premier rang des versiojis 
utiles figurent la version grecque des Septante, les ver- 
sions autorisées en Angleterre, en Hollande, en Alle- 
magne même, car Luther ne fut pas seul pour accom- 
plir Tœuvre dont il était l'âme. « Il avait formé une 
espèce de sanhédrin , selon l'expression d'un de ses bio- 
graphes. Les hommes les plus capables se réunissaient 
régulièrement, plusieurs fois la semaine, dans son cou- 
vent; c'étaient les docteurs Bugenhagen, Juste Jonas, 
Cruciger, maître Philippe, Matthieu Aurogallus, et enfin 
maître George Uœrer, qui faisaient les fonctions de cor- 
recteurs. Souvent des docteurs et des savants étrangers 
venaient prendre part à leurs travaux. Luther plaçait 
devant lui sa vieille Bible latine, la traduction allemande 
qu'il avait publiée et le texte hébraïque; maître Phi- 
lippe se munissait des Septante ; Cruciger prenait la 
Bible hébraïque et la version chaldéenne ; les profes- 
seurs avaient leurs rabbins; Poméranus une version 
latine qu'il connaissait à fond. Chacun préparait d'avance 
le chapitre qui devait être mis en discussion et étudiait 
avec soin les explications des interprètes grecs et latins. 
Après cela, le président Luther proposait le texte et ap- 
pelait chacun à émettre son avis, tant sur le sens du 
passage que sur la manière dont il avait été rendu en 



280 UNE REVUE BIBLIQUE. 

allemand. Des propos admirables étaient échangés dans 
ces savantes discussions. Maître Rœrer en a recueilli 
quelques-uns que l'on a imprimés en marge dans une 
édition postérieure ^ » 

Laissons parler Luther lui-même : 

(ic Quand nous nous me.ttrions tous ensemble à 
Tœuvre, disait-il, il n'y aurait pas de trop de nos efforts 
réunis pour mettre dignement au jour la Bible. L'un 
nous aiderait de son érudition, l'autre nous indiquerait 
les expressions les plus heureuses. xVussi, pour moi, 
n'ai-je pas travaillé seul ; partout j'ai rencontré des 
auxiliaires *. » 

La méthode suivie par Luther nous paraît concilier 
les avantages de l'un et de l'autre système en pré- 
sence. 

Elle laisse plein essor à l'individualité du traducteur, 
et puis elle soumet judicieusement son œuvre au con- 
trôle de tous; car, on Ta dit, il y a quelqu'un de plus 
habile que personne, c'est tout le monde. 

La Revue biblique projetée renfermerait aussi des es- 
sais d'annotations, d'après ces Bibles expliquées que 
l'Allemagne et l'Angleterre possèdent par vingtaines. On 
y ajouterait, comme partie subsidiaire, un compte-rendu 
des progrès de la dissémination de la sainte Écriture en 
France et dans le monde entier ^. 

Maintenant que le protestantisme français se relève de 



* Vie de iMartin Luther par Gust. Ad. Iloff., p. 451. 
^ Lettre à Spalaiin, Ib., p. 450. 

3 Tel est le but en Angleterre d'un journal mensuel intitulé : The 
Bookand its Missions, (la Bible et sa mission). 



VOEU SUPRÊME D'OLIYÉTÀN. 28 1 

l'état d'épuisement où l'avaient laissé trois siècles de mar- 
tyre, son plus sacré devoir ne serait-il pas de réaliser les 
espérances de ses fondateurs et de Calvin en particulier?* 

Le moment n'est-il pas enfin venu d'exéculer le vœu 
par lequel l'humble Olivétan terminait son œuvre? 

« Aucuns viendront après, qui pourront mieulx répa- 
rer le chemin et faire la voye plus plaine, comme est fa- 
cile à espérer, veu et attendu les grands moyens que 
Dieu, par sa grâce, a jà doné à ce. C'est d'avoir en nostre 
temps suscité au cœur du Roy, de édifier et fonder ung 
si magnifique et nécessaire collège des troys langues 
(qui ne fut jamais faict en la France), auquel tant de 
beaulx et nobles esperitz se exercent de jour en jour et 
sapprestent à la cognoissance des langues, qui est ung 
beau comencement pour quelque fois assembler une 
belle compaignie de gens sçavants ensemble (comme fit le 
bon roy Ptolomée, amateur de toutes bonnes lettres), à 
celle fin que nous ayons en noz jardins la belle fontaine 
de la claire et pure eaue de vérité, duicte et menée de sa 
vive source, par tuyaux netz et entiers, desgorgeans 
icelle en abondance, tant que s'estendla langue GauUoy se, 
pour arroser et recréer les fleurettes de notre espérance, 
lesquelles sont tant altérées, flaiiries et bruslées, à cause 
du grand hasle de malheureuse ignorance, qui a couru 
par cy devant; aflîn de faire agréables couronnes de 
suave odeur pour accompaigner Christ et l'Eglise, son 
épouse, ainsi aornez avec la robbe nuptiale, comme il ap- 
partient à ceuls qui sont invitez aux nopces de laigneau 

< Voir p. 168. 



282 NOUVELLE SOCIÉTÉ ANONYME. 

sans macule. Auquel seul soit honneur et gloire éternel- 
lement. Amen. » 

Ce qu'Olivétan disait du Collège de France nouvelle- 
ment fondé , Tappliquerons-nous à la Société anonyme 
qui vient d'entreprendre une traduction nouvelle des 
saintes Ecritures?* C'est là, peut-être, « ung beau com- 
mencement », mais non point encore le ce glorieux 
monument à l'érection duquel tous seraient appelés à 
concourir. 

^ La Sainte Bible au V Ancien et le Nouveau Testament, d'après 
les textes hébreu et grec, par une réunion de pasteurs et de mi- 
nistres des deux Eglises protestantes nationales de Fiance. La 
Genèse vient de paraître. L'Evangile selon saint Matthieu esl 
sous presse. r-Nous devons men ionner en outre la publication 
toute récente d'une Chrestomathie biblique ou Choix de mor- 
ceaux de V Ancien Testament traduits du texte hébreu et accompa- 
gnés de sommaires et de notes par Louis Segond, docteur en théo- 
logie, pasteur de l'Egldse de Genève, On nous informe que 
Tauteur de ce travail s'occupe d'une traduction de l'Ancien 
Testament tout entier. 



FIN. 



APPENDICE 



'N 



Voir page 23, 



Les quatre Livres des Rois, traduits en français du xii* siècle. Les notes 
sont empruntées k l'ouvrage intitulé : Essai sur le patois lorrain des 
environs du comté du Ran-de-la-Roche^ fief royal d'Alsace, parle 
sieur Jérëmias- Jacob Oberlin, Strasbourg^ in S. 



1. Samuel. L 5-20. 

A cest lieu servir furent du! pruyeire a titelé, * Ofni e 
Phinées. Fiz ftirent Hély, ki dune * ert * évesche * e raaistre 
principals. 

E à un jur avint que Elchana flst sacrefise **, e selunc • 
la lei, ' à sei * retint partie , partie dunad ® à sa cumpai- 
gnie. E à Anne sa rouiller, *^ que il tendrement amad *\ 
une partie dunad , ki forment ert déshaitée ** kar Deu ^^ ne 
li volt encore duner le fruid désired de sun ** ventre. Et Fé- 
nenna ico ^^ li turna à repruce *^ e acoustuméement Ten 
atariout *% e amèrement rampodnout **. E la bonurée *® 
Anna n'en ont retur ^^^ mais un duleir **, plurer **, é viande 
dé;.orter *^. Siz mariz Helchana le areisuna **, si li dist : Pur 
quel plures ^^"f pur quel ne maiyues? et pur quei est tis quers 
en tristur *®? dunn, as-tu m'amur? dun n, as-tu munquer *\ 
ki plus te valt que si ousses ** diz enfanz? Anna puis que *® 
ele out mangied et beud, levad ^^ \ et al securs Deu requerre 



286 

tut sim quer lurnad ^*. — Vint s'en al tabernacle, truvad lé- 
vesche Hely, al entrée, ki assis iert, quil as alanz e as 
venanz parole de salu mustrast ^. La Dame fist a Deu sunt 
présent, e sa oblatiun , son quer menne chaldes lermes ^. 
Acuragee ureisun ^*, e en ceste baillie: Sire merciable, sire 
Deus puissanz des hoz bannis ^^ et des champiuns ^' cum- 
batanz, si fust tun plaisir, que veisses ma miseriez, ma a£Dic- 
tiun et tei membrast ^^ de mei la tue ancele ^®, que par ta 
pitied eusse *^ fiz, durreie ** le tei à tun servise, e rasur ** 
ne li munterad le chief *^ mais tuz dis a tei iert adetid **. 

Auctoritas *^ Usages ert en celé lei *^ se alcuns par 
vud *' a Deu se sacrast , tant cum ** cel vud li durreit : 
rasur le chief ne 11 muntereit. 

La Dame en sa préere demurad , ses lèvres moût **, li 
quers parlad, tant, ^^ que li évesches ^* Tesguardad, et pur 
ivre lenterçad ^*, e si ^^ li dist: Va,bone femme, a tun ostel 
dormir; si te déséniveras ^ par le dormir. Repundit Anna : 
Ne me tient si, n'ai beu ne vin ni el ^^ par unt Tum se poisse 
enivrer ^® Ne me tenez pur fille Belial, kar sobrexsui, e en 
anguisse, e en plur ; à Deu ai révéled mun dueP'. 

Belial, 58 co est senz ju ^® e cil; sunt fiz Belial, ki tuzjurs 
tirent vers le mal, ostent le ju ^° de la lei Deu, et de vice en 
altre, cancelant ^^ vunt lur criatur atarjant. 

Dune respundi li évesche Hely; va, bone femme, as veies ^* 
Deu ; Deu, ki de tut bienfaire adpoésté ^*, furnisse en grâce 
ta volenté. — La Dame haitée ^* s'en parti , la chère puisne 
li chaï ^^. Od •• sun Seignur Deu le matin aûrat **' , puis à sa 
maisun returnad. Deus out sa ancele en remembrance : tost 
conceut et out enfant. Grâces rendit al enfanter •*, et Samuel 
le fist numer *•. 



1 k (pour) servir ce lieu furent deux prêtres à titre. 2 qui alors, 
dunCf donc, du latin tune, 3 erat, était. 4 évêque. 5 sacrifice. 6 selon. 7 la 
loi, du latin lex, legis, 8 à soi du latinise. 9 donna, donavit. ]0 femme, 
du latin muUer. 11 aimait, du latin amabat, amavit. 12 fortement 
étoit. .. stérile. 13 Dieu. 14 Son 15 cela, du latin is, /cf. Dans la suite, on en 
a fait icelui. 16 reproche 17 18 ramponna, la querella. En gascon. 



I 



287 

rampougna, se dit pour querelle. 19 la bienheureuse. 20 n'en eut retour, 
ne s'en vengea pas. 21 doux,, du latin dulcis, 22 pleurer. 23 Elle eut un 
dépérissement, en allemand sie nahm am Fleische ab, 24 raisonna avec 
elle. 25 pourquoi pleures-tu? 26 Ion coeur en tristesse. 27 peut-être : 
n'astu pas mon amour? n'as-tu pas mon cœur? ^8 Si tu eusses. 29 après 
que. 30 ces terminaisons d ou t se trouvent encore en gascon, où l'on dit 
perdui, donnât, cambiat, comme on le verra plus bas. 31 Elle tourna 
tout son cœur k requérir le secours de Dieu. 32 auquel elle montra (donnai 
parole de salut, (qu'elle salua) eu allant et en venant. 33 chaudes larmes. 

34 courageuse oraison^ prière fei'vente. 36 37 guerriers courageux. 

35 et que tu te souviennes , ou qu'il te souvienne. Les Italiens disent 
encore rimembrare. 39 servante, du latin ancilla. 40 tu donnasses, dares, 
dédisses. 41 je donnerais, darem, La terminaison est aussi lorraine; 
on disait je sereuïe, pour je serais (voir le vocabulaire Austras, p. 154). 

42 le rasoir. 43 la tète. 44 46 glose. 46 loi lex. 47 vœu, votum, 

48 tant que. 49 mouvoit. 60 rant peut-ôtre pour rien ; ou faut-il lire 

tant que l'évêque. 61 la regarda. 52 63 ainsi. 64 désenivreras. 66 el 

peut-être pour ce, du latin illud, ou serait-ce un mot ancien, qui signifie 
bière. En anglais , on l'appelle aie et Ton prononce aile. 66 par où (du 
latin unde) Ton puisse s'enivrer. 67 mon deuil, ma douleur. 68 glose sur 
le mot belial,' car Reliai, comme on le lit dans le Long, est ceitainement 
faux. 69 sans joug, le joug. 60 du latin jugum. 61 chancelant. 62 il faut 
lire peut-être, as peies Deu, pour en paix de Dieu. 63 peut. 64 k la hâte. 
66 voir la note 23. 66 à son. 67 elle adressa sa prière, oravit, 68 lorsqu'elle 
accoucha. 69 nommer. 



II 



Voir page $8. 

Préface du Nouveau Testament de Neufchastel 
1594. 



L'imprimeur aux lecteurs, 

Entre toutes les choses que le Seigneur Dieu a donné aux 
hommes, il n'y a rien plus précieux, plus excellent, ny plus 
digne que la saincte et seule vraye parolle, qui est contenue 
es livres de la saincte Escripture, à laquelle sainct Paul, 
vaisseau d'élection baille plusieurs titres d'honneur. Pre- 
mièrement, pour ce qu'elle a le très hault et très puissant 
Seigneur Dieu, qui est vérité infaillible, pour autheur. Item, a 
cause qu'elle rejecte toute erreur. Et aussi à raison qu'elle 
rend ses auditeurs parfaicts, prêts et appareillés à toutes 
bonnes œuvres. . . 

Davantage le Sainct Esperit monstre clerement quelle 
abomination est es bourbiers e puantes citernes des doc- 
trines humaines et quelles misères et erreurs peuvent ré- 
sourdre et parvenir aux étudiants d'icelles. . . Si ces paroUes 
estaient justement pesées, on ne verrait point aujourd'hui 
tant de sophistes , tant de caphars , ny tant d'estudians es 



28» 

lettres humaines , contemiier iiy mespriser la simple vertu 
de Lescripture saincte , car ils cognaistraient à Toeil que 
leur sapience n'est point descendue du ciel , ains quelle est 
terrienne, brutale et diabolique. Mais la sapience qui est 
d'en hault, est, comme dit sainct Jacques, pure, pacifique, 
modeste, paisible, consentant à bonnes choses, pleine de 
miséricorde et de bons fruits, jugeant sans feintise. Qui 
bien entendroit ces choses estudieroit soigneusement en la 
dicte saincte Escripture, rejettant tous vains et frivoles so- 
phismes , questions insolubles et arguments scolastiques ; 
car en telles et par telles disputations fantastiques, vérité est 
perdue et les argumentateurs se esgarent en leurs vaines 
pensées et sont faits semblables, comme dit sainct Hierosme, 
aux grenouilles d'Egypte, la plaie des quelles on ne list point 
avoir esté guarie. . . Il ne fault point, commande Tapostre, 
que le serviteur de nostre Seigneur soit noiseux, mais qu'il 
soitbegnin a tous. 

 l'estude et leçon des sainctes Escriptures, nous sommes 
exhortez par nostre bon Père céleste quand il nous com- 
mande de ouyr son chier filz Jesu Christ. Item par celuy 
mesme ûlz en sainct Jehan : Vous scrutinez les escriptures ; 
et à l'exemple des prophètes, des apostres, des disciples, 
des martyrs et enfans de Dieu, tant hébrieux que grecs et 
latins. 

Mesme le faict de l'eunuque de la royne de Candace nous 
y admoneste , lequel jà soit qu'il fût barbare et payen dé- 
tenu d'infinies occupations et de toute part environné de 
négoces et affaires forains , aussi non entendant la lecture , 
toutefifois, il lisoit la saincte Escripture, assis en son cha- 
riot, comme il appert aux Actes, VIII* chap. Que s'il a esté 
si diligent de lire par les chemins, que penses-tu qu'il feit en 
sa maison ? S'il n'entendait pas encore la leçon d'Ésaïe, que 
penses-tu qu'il flst après qu'il l'entendist? . . . 

Oustre plus, l'utilité qui provient de la leçon de la parolle 
de Dieu nous incite et provoque à volontiers la lire ouyr et 
méditer; car ceste parolle nous est une lumière pour nous 

19 



290 

illuminer en ceste ténébreuse Egypte. Qui va après la pa- 
rolle de Dieu où qu'il soit, quoiqu'il pense, quoiqu'il face, 
nullement ne peut faillir. Car rien n'est bon, fors ce qui nous 
est commandé par la parolle de Dieu, ne rien n'est mauvais, 
fors ce qui nous est défendu par icelle. 

Item, c'est une fontaine qui sourd du ciel. De l'eaue de 
ceste fontaine devons nous arroser nos entendements affin 
qu'ils fructifient tant pour nous que pour notre prochain. 
Et comme l'eaue est commune à tous, ainsi est cette doc- 
trine; nul n'en est rejette, soit homme ou femme, pourvu 
qu'il y vienne avec ung cueur droict : Venez aux eaues, dit 
Ésaïe, LX, vous tous qui avez soif. 

Davantage la parolle de Dieu est ung glaive pour nous def- 
fendre contre nos ennemis visibles et invisibles. Prenez, dit 
l'apostre (aux Eph. VI), le heaulme de salut et le glaive d'es- 
perit, qui est la parolle de Dieu. C'est aussi le pain dont est 
parlé au Deut. VIII et en saint Matthieu III. Les saincts 
apostres Matthieu, Marc, Luc, Jehan, Paul, Pierre, Jacques 
et Jude ont recueilli ce pain, et c'est la vraie et pure parolle 
de Dieu. Car, comme est dist, Il Pierre, prophétie n'a point 
esté baillée en aucun temps par la volonté humaine, mais 
les saincts hommes de Dieu, inspirés du Sainct Ësperit, l'ont 
ditte. 

Je te prie donc, lecteur chrestien, d'y étudier, d'y croire, 
de l'accomplir par bonnes œuvres et de l'annoncer à toute 
créature, affin que le Seigneur Dieu soit honoré, servi et 
crainct de tous et partout. Or, à ce que tu puisses mieulx 
prouffiter en ceste saincte parolle de Dieu, je t'ay cy mis une 
table moult utile pour trouver certains lieux et notables 
contenus en ce Nouveau Testament. Tu le prendras donc en 
garde, donnant honneur, gloire et louange à ung seul, Dieu 
de tous I 



III 





Voir pa^e 180. 




Texte 


Corrections maniisrrites 


Traduction 


d'Amsterdam 


d'Ostervald. 


de le Maistre de Saci 


tir»4. 


1944. 


E(rition detirso. 



Les mots imprimés en italiques sont biffés dans le texte corrigé 
(le la main d'Ostervald. 



Lnr I, 1-4. 



1 . Plusieurs * s'ètant 
mis à faire ua réct7 
des choses * qvi ont été 
pleinement certifiées 
entre nous. 

2. Selon que nous 
* ont apris ceux qui 
dès le commencement 
les ont veuës eux mê- 
mes/ qui ont été les 
ministres de la Parole. 

3. * Il m'a aussi 
semblé bon très excel- 
lent Théophile* après 
avoir eu une exacte 
connoissance de toutes 
choses depuis le com- 
mencement de Ven 
écrire par ordre, 

4. Afin que tu * con- 
noisses la certitude des 
choses dont tu as été 
informé en général. 



* Ayant entrepris 
l'histoire. 

* dont la vérité a été 
connue parmi nous avec 
une entière certitude 

* les ont apprises 



dès le commencement 



* J'ai cru aussi 

* que je devais te les 
écrire par ordre, après 
m*en être exactement 
informé dès leur ori- 
gine 



* reconnaisses 



1. Beaucoup de per- 
sonnes ayant entrepris 
d 'écri re l'histoire des cho- 
ses qui ont été accomplies 
parmi nous. 

2. Suivant le rapport 
que nous en ont fait ceux 
qui, dès le commence- 
ment, les ont vues de 
leurs propres yeux, et 
qui ont été les ministres 
de la Parole. 

3. J'ai cru, très-excel 
lent Théophile, qu'après 
avoir été exactement in- 
formé de toutes ces cho- 
ses, depuis leur premier 
commencement, je de- 
vais aussi vous en re- 
présenter par écrit toute 
la suite. 

4. Afin que vous re- 
connaissiez la vérité de 
ce qui vous a été an- 
noncé. 



294 



INDEX. 



Besnier (Le P. Pierre), 163 

Basse (Pierre), 131. 

Beyschlag, 261. 

Bèze (Théodore de^ 104, 140, 167, 

171. 
Bignay (Jehan de), 31. 
Bitaubé, 239. 
Blanche de Navarre, 27 . 
Boehart, 115, 182. 
Boileau Despréanx, 114, 137, 163, 

245. 
Boniface IX, 26. 
Bonnet (Louis), 2, 11, 187,258. 
Bonneton, 19. 
Bossuet, 34, 127, 145, 151, 157, 

161, s. 165,192, 225, 278. 
Bost (Augustin), 208, 240. 
Bouhours (le H. P.\ 163. 
Bouillet, (N.), 79. 
Bovet (Félix), 230. 
Briçonnet, 32, 34, ;;6, 67, s. 
Bruccioli, 32, 107, IIO. 
Brunet, 38. 
Budé (G.), 78. 
Budé (Louis), 171. 
Bugenhagen, 279. 
Bungcnei', 166. 
Bunsen (le chevalier de), 5. 
Buycr (Barthélémy), 56. 



Cahen (S.), 89. 

Calliatte, 2. 

Galmet (Dom), 82, 162. 

Calvm, 6, 63, 78, 86, 89, 93, s. 

104, 113 k 117, 166, 1^8. 
(^ambout de Pontchàtcau, 140, 149. 
Caninius (Angélus), 171. 
Cantorbéry (l'archevêque de), 176. 
Capiton, 74. 
Carénou, 3. 

Cairières(le B. P. de), 162. 
Oastaliun (Sébastien), 111, s. 169, 

205. 
Catherine de Médicis, 142. 
Chanibéry (l'évêque de), 70. 



Charlemagne, 28, 29, 30, 55. 
Chiirles V, 31, s. 43, s. 136, 47. 
~ VI, 31, 49. 

— Vlll, 31, 52,54, 55,62. 

— IX, 129. 
Charles 11 d'Espagne, 149. 
QmrkS'Quiïii:, 121, 126. 
Chïisseneus, 

Chustdllon, voir Castalion. 
ChaMellsn ^Z 
Chuieaubriand^ 237. 
Chauteinps (Jean), S5. 
Clîlmotes, 90. 114. 
Choisy (dej \d. 

Chrétien évangélique (le journal Le), 

2, 187, 262. 
Chrysoganc (saini), 36. 
rhry SOS tome (saiiilj, 63, 140. 
Clarius (Isidore). 82. 
Claude, 172. 
Clément IV, 26. 
-- Vlll, la:». 

Colani (T.), 278. 

Comestor, 36, 37, 42, 52. 

Conrard, 69. 

r.>Miait|Va!entin), 173. 
[ Copin ^icolas), *j1,127. 
; Coquerel (Athanase, tils), 2, s. 
I Coquerel (Etienne), 270. 
, Corbin (Jacques!, 136, 138. 

Cotton (le jésuite), lo4. 

Coverdale, 112. 

Crespin, 68 , s. 

Croix (le journal La), 2. 

Cruciger, 279. 

Cruciman, 57. 

Cruvellié, 278. 

Cusemeth, 90,114. 

Cuvier (Rodolphe), 213. 

Cyrille, 19. 



Baillé (Jean), 173. 
Dampier (Symphorien), 78. 
Darby, 4. 
Davis (G. Henry), 257. 



INDEX. 



S9o 



Delacroix, i. 

DeLaharpe, 230. 

Delille, 9. 

Deper (Eutyche Bonaventurc), voir 

Despériers. 
lh> ii\\\>. fAntoiiici, 121. 
Desmarets père et fils, 173, 260. 
Despériers, 91, s. 
Dfn'ille(C!mitk). 131. 
Dliuriibrcs (le psislair), 3.* 
Diodati (Jean), 172. 
Dubosc, 19i. 
Diiboulay, 7s. 
Du Bourg (Anne;, 142. 
Ducros, 3. 
Du fossé, 156. 
Dumoulin, 46. 
Duprat, 75. 
Dussauit, 233. 
Dulemps, 2, I8(i. 



Kligius (de Noyon), 77. 

Elzévirs, 148. 

Encontre (Ad.), 7(). 

Krasme, 12, 14, (37, 107, 135. 

Kschenauer, 212. 

Kspéi-anre (journal L'), 2, 12, «01, 

s. 240. 
Kstienne (Henri;. 68. 
Kstienne (Bobert), 12, 32, 38, 67, 88. 
Eyndhoven, 120. 



Kabri (Christophe), 115, 116. 

F^briciys, Tt 

Fartjl,*, 34,<JÎ,S. 74, 84 k 96, s. 

Farijet (Pîm-fê), 57. 

Fay, 171. 

Faye (Clément de), 56. 

Félice(de), 128, 153, «51. 

Fénelon, 79, 127. 

Fisch, 6. 

Fleury, (Henri), 6. 

Foi (le journal La), 2. 



Fontaine (Nicolas), 140, 145, ss, 

Fontanës, 2. 

François !•% 11, 32, 34, 67, 74, s. 

Frizon (Pierre), 131. 

Fuchs, 218. 



Gaberel, 70. 

Gagnebin (le pasteur), 90. 
I Gasparin (de) 139, 217. 
{ Gaussen, 20, 26, 203. 

Gautier de Dijon, 27. 
{ Genoude, 164. 
1 Gérard (Jean), 166. 
i Gerock, 213. 

I Glaire (l'abbé J.-B.), 4. 164. 
' Godeau, 73, 162, s. 
I (iodit (F.), 273. 

(ionii) (Martin), 83. 
1 Gonzague (Charles de), 50. 

Gouiart, 171. 

Govéa, 93. 

Graf, 79. 

Grammeliu (Matthieu), 93. 

Grave (Barthélémy de), 120, 123. 

(Jrégoire VU, 19. 
- Xin, 129. 

Guiars des Moulins, 35 38, 40, 
s. 57, 78, 180. 

Guillaume leB&tard,21. 

Guizot, 3. 



Haag, 78, 92, 211. 
Hacket, 120. 
Hackius, 112. 
Hamilton rév. J.), «52. 
Harlay (l'archevêque de), 151. 
Henri 11, 169. 

— 111,48. 

— IV, 129, 148. 

Henri VUl d'Angleterre, 120. 
Henry (G), 21. 

Henry de Berlin, 177, 188, 268 
Herbet (l'abbé), 164, 



296 



INDBX. 



Heizog (Encyclopédie) ,'125, I8(». 
Hesse (landgrave de), 152, 
Hoff, 86, 280, s. 
Honorius III, 26. 
Home, 51. 

Hottinger (J.J.), 242. 
Hotman (François), 46. 
Hubert (Thomas), 76. 
Huré, 155. 



lUgen, 79. 
Illyricus, 2i. 
Innocent 111, 23, 24. 

- IV, 26. 

- VHI, 26, 54. 



Jaquemot, 171. 

James iThomas), 82. 

Janin (André), 4. 

Jansénius, 127. 

Jarchi, 109. 

Jean XII, «6,27. 

Jean le Bon, 18, 31, 50. 

Jean (duc deBerry), 48, 50. 

Jeanne de Bourgogne, 37. 

Jeanneret (l'abbé), 89. 

Jérôme, 106, 240. 

Jésuites, 13, 147, 150, 163 17... 

Joachim (de Brandebourg). 124. 

Jonas (J.), 279. 

Josépliii, iJG 161». 

Juda Léon de), 11. 

Jurieu, 173. 

Juvénal, f61. 



knlisch, 5. 
Kimchi, t09. 
Kœnigswarter(J.),9i 
Kreiss. 2î3. 
Kroh, 213. 



Lai>eo (Notiierus), 22. 

La Bruyère, 245. 

Lacordaire, 79. 

Laigue(le marquis de)« 161. 

Lalanne, 140, 151. 

Lallemant (le P.), 16S, 164. 

Lallouette, 64, 88, 103, 105, 108. 

Lamennais, 164. 

Lancastre fie duc de), 50. 

Lancelot (Cïaude), 140. 

Launay (Herre de), 173. 

Laurent (frère), 31. 

Lebœuf (l'abbé), 28. 

Lec^ne, 177. 

Leclerc (Jean), 33, 74, 177, 197, s. 

Lefaucheur, 192. 

Le Conte (Richard», 28. 

Lefèvre (Jacques), 16, 19, 32, 33 et 

SUiv., 53, 66, 72 ^ 82, 95, 104, 

119 k 125,190. 
Le Franc de Pompignan, 66. 
Léger, 94. 
Legros, 160. 
Lelong (le P.), 14, 22, -^6, 28, 44, 

48, 57, 124. 
Le Maître /Isaac le père», 141. 
Le Maître (Antoine), 140, 144, s. 
Le Maître (Isaac le fils), voir de Saci. 
Le Menand (Guillaume), 43, 57. 
Le Moine l4^ i'aiïtinal 66. 
Lenipt^reur fMarlinK 120. 
Lenfant, 177, 268. 
Léon X,12, 109,110, 135. 
L'Eplattenier (le prof), 206. 
Le Bouge. 54. 
Le Roux de Lincy, 16, 17, 21, ss. 

27,ss. 42, 278. 
Lien (le journal Le), 2, I86. 
Liesvelt (Jacques de), 120. 
Longueville (Madame la duchesse 

de), 146, 150. 
LoméniedeBrienne comtessede),16l . 
Lopez (Francisni MiMvno), 12. 
Louis I" (le Débonnaire», 30. 

- IX (saint), 18, 28, 31,55. 

— XI, .57. 



i 



tNDBX. 



W 



l.ouis XII, 32, 63, 64. 

- XllI, 48, 131, 136. 

- XIV, 48, 152, 18». 
Louis (duc d'Orléans), 50. 
Louise de Savoie, 7 1 . 
Luitbert, T2. 
Luscombe, 213. 

Lmher,25, 67,70,85,92, 107,112, 

124, 188, 212, 221, 242, 279, s- 
Luvnes (duc de», 140. 
Lyon, 23, 56, s. 62, 109. 
Lyva (de), 55, 108. 

M 

Macé de Ceuquoins, 17. 

Macho (Julian), 56. 

Madelaine (princesse), :^i. 

Mainbourg (le P.), 150. 

Maizières, 48, s. 

Malingre (Nicolas), 166. 

Mallet (Antoine), 75. 

Mallet (le docteur), 152. 

Mandelstamm, 5. 

Marguerite de Navarre, 32, 34, 37 ,7 1 , 

75. 
Marie Stuart, 129. 
MaroUes (Michel de), 135. 
Martin V, 26. 
Martin d'Utrecht,3, lO, 15, 79, 110, 

174 et suiv., 190, 200, s. 245. 
Mai lin ^Heiifi),33, 34, 73, 79. 
Matamoros (don Manuel), 12. 
Mattcr, 2, Î0I,210, s. 262, W, ss. 
Mayer, 3. 

MeRno(don Roque), 12. 
Mélanchthon, 85. 
Mésenguy, 164. 
Mesnier (le P.), I'i3. 
Mf Tal (A. de), 4. 
Méiiiodius, 19. 
Mettetal, 3. 
Meyer, 5. 

Meynier (le P.). 43. 
Michelet, 84. 
Migeot(Gaspard|, 148. 
Mijias (José Gonzalës), 12. 



Mole (Matthieu), 136. 
Monod (Ad.), 79, 223, 278. 
Monod (G.), 3. 
Montandon, 3. 
Montbrun (le comte de), 32. 
Moréri 22, 75, 77. 
Mouline, 2. 
Munk, 213. 
Munster, 171. 

N 

Naville (Gabriel), 253. 
Neff (Félix), 161. 
Nevers (le duc de), 50. 
Nicolas Ul, 26. 
Nicole, 127, 140, 150, s. 
Nicot (Jean), 97. 
Niedner, 79. 
Nisard, 6;i, 71. 
Noailles (le cardinal), 161. 
Nodier (Ch.), 92. 



Olévianus, 86. 

Olivétan, 15, lO, 19, 3«, 35,64, 7o 

78 a 96, 117 a 125, 166, .««s. 181, 

245,263, 281, s. 
Olivier, 6. 
Oresme, 43. 
Orth (le pasteur), 202. 
Ostertag (le professeur), 157. 
Ostervald, 3, 10, 15, 79, 157, 166. 

176, ss. 181,245, ss. 251,267. 
Otfride, 21, s. 
Owen, 251. 



Pagninus (Xantës), 107, ss. 
Palermo (Antonio Carasco), 13. 
Papillon, 92. 
Paradis (Paul), 71. 
Pam (PauUn)^ 28, 44. 
Pascal (Biaise), 127, 140, 145. 
Pascal {\e pasteur), 2. 
Paul (Théodore), 4. 
Paul (évêque), 109, 



S08 



INDEX. 



Péréfixe (Hardouiii de), 34,150,157 
Péreyre (Isaac), I3fi. 
Perrelel (Paul), 273 
Perret-Gentil, 4, 02, M, 179, f 05, 

ss., 223, 2Î7, 242, s. 240,2 7. 
Perrol d*Ablencourt, 2i4. 
Perrotde Pourtalès, 179. 
PétavelfA. K.;, 91. 
Peyre (Henri de . 140. 
Philibertc de Nemours, 71. 
Philippe I, 21. 

— VI de Valois, i7, 31. 
Philippe II d'Espagne, 119, 126. 
Philippe-le-Htirdi 28, 31, 50. 
Philippe de Bourgogne, 50. 
Philippe (maître), 279. 
Picards, 77. 
Pichard, 213. 
Pie IV, 135. 

Pisan (Christine de), 46, s. 
Piantin ^Christophe), 119. 
Platon, 36, 230. 
Pline (le naturaliste), 30. 
Pluche (l'abbé', 48. 
Plug (Juliiis de). 55. 

Ptinlatiu (Jitcquctt), 149. 
Port-Royal, 72,127,137, 188, 140, 

ss. 163, ss. 
Pozzy, 143, 159. 

Presics (Raoulde).43,44,s 52, 130. 
Prideaux Tiogelles, 158. 
Proy, 2. 
Puaux, 16. 



Quesnel, 163. 



Rabelais, 93. 

Racine (Jean), 140, 145, 266. 
Ranyard (Madame Ëllen), 143. 
Read(C.), 113. 

Rely (Jean), 35, 43, 52 à 66, 136, 
181. 



Renan, 4.236. 

Renée de France, n2 

Reuchlin, ^h, 

Reuss, 2, 4, 17, 24, 28, 29, 30, 35, 
j 37,44, 57, 88, 125, 160, 105, lll, 
' 177, ss., 185, 203, 213, s. 228, 
I 278. 
; Revue de théologie, 1, 17, 29, 44, 

57,180,204. 
j Reymond (Jean de), 120. 

Rilliet, 4,240, 265. 

Robert le Pieux, 30. 

Robertson,79. 

Roerer, 279. 

Rognon, ». 

Rondet, 162. 

Roques (Pierre), 174, 200. 

Rosseeuw Saint-Hilaire, 119. 

Rotanus, 171, 278. 

Roussel (Napoléon), 161. 

i.oy (Guillaume le), 50. 

Rover Pierre), 27. 

S 

Saci 'Is>aac Le Maître de), l{>, 35, 
127, 137, 140, ss. I5i, 199, 240, 
248,266. 

Saigey.l"7. 

Sainte-Beuve, 137, 138, 142, ss., 
156, 101, 199. 

Siiinte-Mai Lhe iClaiiite de), 140, s. 

Siiiiit-t:vriin J27 

Saint- LainUért, 57 

ftiilamiïnque v. 

Sandoz-Rollin (de), 235. 

Sardinoux, 213. 

Saulnier, 84, 90. 

Saurin, 192. 

Sîivonarolti, 108. 

Savrcuv, 47 

Sayous, 77, l73, 193. 

Segond (le pasteur). 281. 

Séguier (le chancelier), 135. 

Semeur (le), 239. 

Senebier, 39,46, 49, 85,95, s. 

Serres (Jean de), 28. 



INDEX. 



«99 



Sharp (Granville), 202. 

Sharpe (Sam.), 5. 

Simon (le R. P. Richard) , 28, 50, 
54,62, 90. 104, 112, i26,s. 138, 
160, 162, 168, 245. 

Simon de Colines, 32, 68. 

Simon (néophyU , juif), ?4. 

Sismondi (Simonde de), 21 . 

Sixte-Quint, 136. 

Socrate, 230. 

Sorbonne (la), 3^ 63, ss., 129, ss. 
140. ss. 

Spalatin, 85, 9f, 242, 280. 

Spanheim, 96. 

SUpfer, 190,251. 

Stein, 2, 186, 192. (On nous a assuré 
que ce nom n'était qu'un pseudo- 
nyme de M. Edmond Scherer.) 

Stier, 5. 

Suétone, 195. 

Sy (Jehan de), A3, 50. 



Tellier (le P.), 163. 
Thibaut (chaiiuine), 21. 
Thomas (Mesac), 13. 
Tillet (du), 47. 
Tissot, 22. 

Toussaint (Pierre), 25. 
Trémellius. 171. 
Trittenheim (l'abbé de), 38. 
Tu retin (Bénéd.), 185. 
Turrettini, 172. 
Tusan, 78. 
Tyndale, 69, 120. 



U 



L- 11:1 in IV, 26. 
Ussérius, 28. 



Vadaste, 74. 
Valart, 161. 
Valdès dit Valdo, 23, 35, 56. 



Vallette(le pasteur), 2. 

Varet, 146. 

Vasquez, 134, s. 

Valable, 78 

Vaucher, 2, 276. 

Vaudctar (Jehan), 43. 

Vauduis (les), 26, 32, 47, 54, 77, 

83, ss., 94,99, 138. 
Vérard, 58. 

Véron (le P. François), 131, s. 
Vidal de Bergerac, 2. 
Vinet, 191, s. 237, s. 
Violier, 2, 276, s. 
Viret, 90, 96. 
Vorsterman, 69, 120. 
Vulliemin, 87. 

W 

Wallon, 41, 165. 

Weiss, 105. 

Wette (de), 275. 

Wey (Francis), 25. 

Wiclef, 51, 212. 

Wincr, 203. 

Wingle (Pierre de), 78, 87. 

Wladislas, 19. 

Wogue (L.),4, 10,89, 239, 244. 

Wordsworth (C), 202. 



Xénophon, 230. 
Ximénès, 11. 



Ydros (Bernard d*), 23. 

Z 

Zamora (évéque de), 56. 
Zurich, 12. 
Zwiugle, 74. 



K R B A T A . 



Page 25, note l» M, Francis Way, Usez Wey. 
-— 78, note, 1 . 6 Patque lafonis, -— atqtie PlatorUs. 

— SA, iiire Chapitre Iir, — Chapitre IV. 

— 86, note 1,1.3, d*Olivetamis, — d'Olëvianus, 

— 120, 1. 6, Fyndale^ — Tyndale. 



Le Mans.— Iinp. Beauvais, place des Halles, 19. 



r 



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