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1871
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE
(FÉVRIER - MAI)
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l A L'tCftl* SurfllIUM DE GUÏ1K
1871
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE
{FÉVRIER —MAI)
Librairie Illustrée, JULES TALLANDIER, Éditiur
75, RUE DAREAU, PARIS (14*)
Tous droit» réterré*.
3C
516
K87
Copyright Jules Tallandier IQI2. Tous droits de traduction et de
reproduction réservés pour tons pays.
f <^. o
^ VANT-PROPOS
Ceci ri est point une histoire détaillée de la Com-
mune, mais plutôt un précis des événements qui se
sont déroulés du 18 mars au 29 mai 1871. Occupé
à un travail considérable, qui doit embrasser toute
V époque comprise entre la guerre franco-allemande
et Vannée 1900, j'en détache ces pages, consacrées
à des faits déterminés et circonscrits.
Je ri ai pas à cacher l'horreur que m'inspire
l'odieuse insurrection qui a coûté à la France tant
d'or, tard de ruines et tant de sang. Je la juge inexcu-
sable et inexpiable, parce qu'elle s'est faite quand
plus d'un tiers du sol français était encore au pou-
voir de l'ennemi, et sous les yeux mêmes de nos
vainqueurs qui applaudissaient à ses destructions et à
ses crimes. Je l'ai combattue sans pitié, dans les
limites de mon modeste rôle, et je prends hautement
ma part de responsabilité dans les actes de l'armée
de Versailles, à laquelle j'ai appartenu en qualité
d'officier. Mais ceci ne m'empêche pas de juger les
faits et de les écrire sans passion, sans haine, sans
parti-pris. Je me suis efforcé de les traduire tels quels,
VI AVANT-PROPOS
aussi exactement que possible, et en m'isolant de
tout sentiment personnel qui risquerait de les tra-
vestir.
Les documents dont je me suis servi sont de plu-
sieurs sortes. D'abord les pièces officielles, commis-
sions d'enquête, rapports, etc. ; puis les journaux
de l'époque, en me mettant en garde contre leur exa-
gération ; enfin les livres écrits par les grands pre-
miers rôles de l'émeute : Lissagaray, Da Costa,
Arthur Arnould, Benoît Malon ; certains d'entre
eux sont faits avec précision et exactitude, encore
que dans un esprit objectif qui ne pouvait naturel-
lement ètr* '* mien. Il convient de les consulter et de
les étudier, pour bien comprendre ce que fut ce sou-
lèvement spontané, complexe dans ses causes, et si
foudroyant dans son explosion qu'il décontenança
un moment ceux-là même qui l'avaient préparé.
Il en a été de la crise du 18 mars comme de ces
accidents nerveux qui couvent pendant longtemps
dans les organismes détraqués, avant de les secouer
jusqu'au délire. Il suffit d'une émotion trop vive
pour les faire surgir tout à coup.
Mon but, en publiant ces pages, n'a pas été de
raviver des souvenirs douloureux entre tous, ni de
parler une fois encore de nos discordes, en un moment
où nous avons plus que jamais besoin d'union. Mais,
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A VANT-PROPOS
Ceci ri est point une histoire détaillée de la Com-
mune, mais plutôt un précis des événements qui se
sont déroulés du 18 mars au 29 mai 1871. Occupé
à un travail considérable, qui doit embrasser toute
l'époque comprise entre la guerre franco-allemande
et l'année 1900, j'en détache ces pages, consacrées
à des faits déterminés et circonscrits.
Je ri ai pas à cacher l'horreur que m'inspire
l'odieuse insurrection qui a coûté à la France tant
d'or, tant de ruines et tant de sang. Je la juge inexcu-
sable et inexpiable, parce qu'elle s'est faite quand
plus d'un tiers du sol français était encore au pou-
voir de l'ennemi, et sous les yeux mêmes de nos
vainqueurs qui applaudissaient à ses destructions et à
ses crimes. Je l'ai combattue sans pitié, dans les
limites de mon modeste rôle, et je prends hautement
ma part de responsabilité dans les actes de l'armée
de Versailles, à laquelle j'ai appartenu en qualité
d'officier. Mais ceci ne m'empêche pas de juger les
faits et de les écrire sans passion, sans haine, sans
parti-pris. Je me suis efforcé de les traduire tels quels,
VI AVANT-PROPOS
aussi exactement que possible, et en m isolant de
tout sentiment personnel qui risquerait de les tra-
vestir.
Les documents dont je me suis servi sont de plu-
sieurs sortes. D'abord les pièces officielles, commis-
sions d'enquête, rapports, etc. ; puis les journaux
de l'époque, en me mettant en garde contre leur exa-
gération ; enfin les livres écrits par les grands pre-
miers rôles de l'émeute : Lissagaray, Da Costa,
Arthur Arnould, Benoît Malon; certains d'entre
eux sont faits avec précision et exactitude, encore
que dans un esprit objectif qui ne pouvait naturel-
lement êtr* '* mien. Il convient de les consulter et de
les étudier, pour bien comprendre ce que fut ce sou-
lèvement spontané, complexe dans ses causes, et si
foudroyant dans son explosion qu'il décontenança
un moment ceux-là même qui l'avaient préparé.
Il en a été de la crise du 18 mars comme de ces
accidents nerveux qui couvent pendant longtemps
dans les organismes détraqués, avant de les secouer
jusqu'au délire. Il suffit d'une émotion trop vive
Pour les faire surgir tout à coup.
Mon but, en publiant ces pages, n'a pas été de
raviver des souvenirs douloureux entre tous, ni de
parler une fois encore de nos discordes, en un moment
où nous avons plus que jamais besoin d'union. Mais,
AVANT-PROPOS vn
comme ce récit formait un tout, j'ai cru pouvoir
l'extraire de l'ouvrage que je prépare, afin de res-
tituer leur physionomie exacte à des événements
trop souvent défigurés. Ceux dont il est question ici
doivent, en tout état de cause, être jugés avec mode-
ration et sincérité. C'est ce que je me suis efforcé
de faire, et qui me servira d'excuse, si besoin est.
I,. R.
»• ,
s\ at
1871
I,A COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE
CHAPITRE PREMIER #
I,E COMITÉ CENTRAI,
Après la grande commotion du siège, la population Etat de
de Paris était restée en proie à une sorte de fièvre, Parts,
dont l'isolement où elle se trouvait rendait les accès
plus fréquents et plus forts. Tout étonnée et mfcrrie de
ne plus être le siège des pouvoirs publics, humiliée de
se trouver seulement de nom, au moins pour l'instant,
la capitale de la France, la grande cité, où pullulaient
les éléments du désordre et de l'anarchie, sentait déjà
sourdre, en ses profondeurs, le tumulte précurseur
d'une révolution.
Deux membres du Gouvernement, Jules Favre et
Ernest Picard, y résidaient seuls, le premier parfaite-
ment impopulaire et sans autorité, le second détesté de
la populace pour son rôle au 31 octobre. A leurs côtés,
le général Vinoy, commandant en chef d'une armée
2 1871
qui, aux termes de la convention préliminaire, allait
être réduite au chiffre de 40 000 hommes au grand
maximum ; le général Clément Thomas, commandant
de la garde nationale, maintenue en armes, comme on
sait, par la faiblesse de Jules Favre ; enfin Jules Ferry,
maire de Paris, s'épuisaient en vains efforts pour obte-
nir Tordre et le calme, dans un milieu où l'efferves-
cence grandissait chaque jour au point défaire craindre
quelque incident décisif. Ils ne réussissaient qu'à exci-
ter davantage des esprits auxquels cinq mois d'agita-
tion continue avaient enlevé toute pondération.
Depuis que les portes de la ville s'étaient ouvertes,
beaucoup de personnes qui y avaient été retenues pen-
dant le siège et qui, pour la plupart, appartenaient aux
partis raisonnables, s'étaient hâtées de sortir, tandis
qu'affluaient, d'autre part, des gens sans aveu venus
pour chercher fortune, à la faveur des troubles que tout
le monde prévoyait. On a pu évaluer cette tourbe à
20 000 hommes pour le moins. Elle se mêlait peu à peu
à la garde nationale, à laquelle une longue oisiveté
avait inculqué les habitudes les plus funestes, et qui,
accoutumée maintenant à ne pas travailler, dépensait
dans les cabarets les allocations que lui fournissait le
Gouvernement, allocations qu'elle entendait conserver.
« Deux ou trois cent mille individus, a dit M. Thiers,
avaient passé plusieurs mois à ne rien faire ou à
porter un fusil, dont ils ne se servaient pas beaucoup;
ils vivaient des secours de l'administration munici-
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 3
pale (1). » Comme on leur avait laissé leur organi-
sation et leurs armes, ils espéraient que cette exis-
tence de désœuvrés durerait toujours.
L'armée elle-même, dont le licenciement ne pouvait
s'opérer que progressivement, était gagnée par l'indis-
cipline et le désordre. Exposée aux plus mauvais
contacts, mêlée à ces mobiles de la Seine « qui avaient
toujours donné tant de preuves de leur insubordination
et de leur turbulence (2) » , elle commençait à ne plus
être une sauvegarde, sinon à devenir un danger. Dès le
28 février, elle avait laissé apparaître les premiers sym-
ptômes de sa décomposition morale (3), et il semblait
bien que, à part quelques éléments restés sains, elle fût
toute prête à oublier son devoir. La gendarmerie et les
sergents de ville étaient les seuls sur qui on pouvait
absolument compter.
Quant à la population en général, bien qu'elle fût
encore, pour sa plus grande partie, relativement passive
et en tout cas éloignée des pensées de désordre, elle
montrait cependant, à l'égard de l'Assemblée natio-
nale, des sentiments peu sympathiques, qui devinrent
réellement méfiants, pour ne pas dire hostiles, quand
Versailles eut été désigné comme siège de Gouverne-
ment. Le fossé creusé entre la députation parisienne et
(1) Déposition devant la Commission d'enquête sur l'insurrection
du 18 ma».
(2) Général Vinoy, L'Armistice et la Commune, p. 109.
(3) Ibid.,p. 110.
4 1871
celle de la province s'en trouva tout à coup agrandi, et
les démissions nombreuses des représentants de la
Seine, encore qu'elles n'aient pas eu pour raison décla-
rée l'ostracisme dont Paris était frappé, ne furent point
pour le combler. La scission éclata, encore plus pro-
fonde, quand l'Assemblée, vraiment trop indifférente
à l'égard d'une grande cité qui sortait toute meurtrie
des plus douloureuses épreuves, s'avisa de prendre cer-
taines mesures qu'il eût assurément été plus politique
de réserver pour des temps moins agités.
Déjà, le 15 février, elle avait décidé que la solde des
gardes nationaux (ifr. 50 par jour) ne serait plus payée
qu'à ceux qui justifieraient du défaut de travail. C'é-
tait, pour une économie insignifiante, infliger à ces der-
niers une humiliation inutile. Le 10 mars, à la demande
de M. Dufaure, elle ajourna la question du paiement
des loyers non acquittés depuis l'investissement, mé-
contentant ainsi à la fois les locataires, qui espéraient
obtenir un sursis, et les propriétaires, qui ne pouvaient
plus se faire payer. En même temps, elle votait une
loi rendant exigibles, dans les quarante-huit heures, à
partir du 13 mars, tous les effets échus du 13 août au
22 novembre 1870, au fur et à mesure que sept mois,
jour pour jour, se seraient écoulés depuis qu'ils auraient
été souscrits. H y eut, de ce fait, cent cinquante mille
protêts en quatre jours, et le petit commerce parisien,
particulièrement touché, en éprouva une irritation
qui s'explique.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 5
Il accueillit aussitôt certaines rumeurs que mettaient
en circulation les hommes intéressés à bouleverser les
esprits et qui dénonçaient l'Assemblée de Bordeaux
comme se préparant à détruire la République. Il était
presque entièrement composé de républicains et, consé-
quemment, s'inquiétait de ces nouvelles, d'ailleurs am-
plifiées très au delà de ce qui existait réellement dans le
moment. Il s'inquiétait encore, avec tout le monde, de
l'entrée imminente des Allemands dans Paris. Car,
bien que cette entrée eût été fort heureusement limitée
au secteur des Champs-Elysées, la population entière,
toujours frémissante de ses cinq longs mois de vie guer-
rière, la regardait comme une injure, sinon même
comme une provocation. Et n'était-elle pas tout cela ?
Nul ne pouvait affirmer, en tout cas, que Bismarck,
qui avait mis tant de ténacité à l'obtenir, n'ait pas eu
l'idée, très digne de lui, de provoquer une révolte,
afin de pouvoir ensuite la réduire, avec bénéfices. Le
général Trochu l'a laissé entendre, et peut-être n'a-
vait-il pas tort (1).
Pour toutes ces raisons, la capitale était en proie à
un malaise latent et à une sourde effervescence que les
éternels ennemis de l'ordre se préparaient à exploiter.
Ceux qui, au 31 octobre et au 22 janvier, n'avaient pas
reculé devant l'émeute, malgré que l'ennemi fût aux
portes, devaient avoir maintenant moins de scrupules
encore. Révolutionnaires de profession, vieilles barbes
(1) Déposition devant la Commission d'enquête du 18 mars.
6 1871
socialistes de 1848, jacobins sectaires et violents, ils
s'entendaient tous dans une haine commune contre les
hommes du 4 septembre, qui, à la chute de l'Empire,
les avaient brutalement écartés, et contre ce qu'ils
appelaient le gouvernement bourgeois, étant entendu
qu'ils englobaient, dans cette dénomination mépri-
sante, tous les gouvernements réguliers (1). Théoriciens
et hommes d'action se mettaient d'accord, sous prétexte
de sauvegarder la République, pour en créer une à
leur gré, c'est-à-dire qui fût basée sur l'anarchie. Et
ils trouvaient dans certaines associations préexis-
tantes, telles que Je « Comité des vingt arrondisse-
ments », la « Fédération des chambres syndicales », et
surtout la fameuse société dénommée «l'Internatio-
nale des travailleurs », un concours à la fois empressé
et actif.
Cette dernière, qui constituait la plus puissante or-
ganisation des trois, avait une origine allemande.
Fondée par Karl Marx, elle s'était étendue à l'Angle-
terre d'abord, à la France ensuite, quand, en 1862,
soixante délégués ouvriers furent envoyés à l'exposi-
tion de I^ondres par le gouvernement de Napoléon III.
Deux ans plus tard, les bases de l'association étaient
jetées dans un grand meeting, à Saint-Martin's Hall, et
(1) Certains députés de Paris, parmi les plus avancés, avaient
demandé à l'Assemblée nationale la mise en accusation des membres
du Gouvernement de la Défense nationale. Ayant échoué, ils don-
nèrent leur démission.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 7
une section française se créait, à la tête de laquelle on
plaçait le citoyen Tolain. Dès lors, les congrès se succé-
dèrent chaque année, à Londres, à Genève, à Lausanne,
à Bruxelles, à Bâle, et les motions les plus périlleuses
pour Tordre social y furent discutées. Il s'agissait de
conférer aux ouvriers des droits politiques spéciaux,
c'est-à-dire une représentation directe* et d'y arriver
par une révolution qui aurait le communisme pour
premier objectif. Les écrivains d'avant-garde propa-
gèrent ces théories dans des articles enflammés, que
la justice impériale poursuivait sans réussir à les sup-
primer, et bientôt, passant aux actes, ils fomentèrent
les grèves d'Aubin et de la Ricamarie, qui donnèrent
lieu à de sanglantes répressions. Puis vinrent les émeu-
tes; les violences de Flourens séquestrant un commis-
saire de police ; de Mégy abattant un agent à coups
de revolver ; de Félix Pyat faisant l'apologie du régi-
cide ; les désordres du Creusot, où un futur membre
de la Commune, Assi, joua le rôle de meneur ; enfin
l'inutile procès de Tours, où furent jugés par la Haute
Cour soixante-douze membres de l'Internationale.
Entre temps, celle-ci s'organisait ; elle avait ses clubs,
ses journaux, ses orateurs. En elle se fondaient les autres
associations révolutionnaires, et c'était à son siège
même, 6, rue de la Corderie-du-Temple, qu'elles se
réunissaient toutes pour préparerde concert l'avènement
de la Commune, c'est-à-dire la substitution à la vieille
unité nationale du gouvernement fédéraliste municipal*
8 1871
On s'explique fort bien qu'à cette révolution radi-
cale les anarchistes d'une part, les collectivistes de
l'autre, trouvassent un intérêt immédiat. Les premiers
entendaient faire table rase de la société existante, et
pour cela tous les moyens devaient leur être bons. Les
seconds, dont le système çst de mettre en commun
toutes les richesses, toutes les ressources, tous les
moyens d'action, cherchaient dans l'autonomie de la
cité une assise pour étayer leurs théories sophistiques
et le point de départ d'une réalisation qu'ils espéraient
prochaine (i). Ce qui semble le plus extraordinaire,
c'est qu'à une pareille conception de la République se
soient ralliés sans hésitation ceux qui la proclamaient
« une et indivisible » et se réclamaient, comme Deles-
cluze, Félix Pyat, Vermorel, des grands ancêtres de
la Convention. Ils oubliaient sans doute la façon assez
(i) I<e 8 déeembre 1869 avait été déposée, par deux membres du
parti révolutionnaire, une proposition de loi dont voici les passages
les plus significatifs :
4 Un État est le multiple de la Commune ; la Commune est le mul-
tiple de la famille. I*e Conseil municipal élu pour trois ans nommera
le maire, pour un an. En cas de différend entre les deux communes,
un jury de dix membres les juge ; si c'est entre deux arrondissements,
ils sont soumis au Corps législatif.
« I,e Corps législatif, librement élu par le suffrage universel, est la
Commune des Communes... 1/impôt progressif remplace tous les
autres impôts. I<e Corps législatif fixe annuellement le chiffre de l'im-
pôt; il est réparti par la Commune... I<e Corps législatif nomme les
généraux, etc.... »
M. de Forcade la Roquette, ministre de l'Intérieur, traita de
conceptions ridicules ces belles: imaginations, n n*avait pas abso-
lument tort.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 9
rude dont ceux-ci traitaient les villes rebelles à leur
omnipotence, ou bien ne voulaient pas s'en souvenir.
Toujours est-il que la fusion s'opéra sans difficultés ni
perte de temps, et qu'elle fut assez absolue pour réunir
dans le même effort et la même violence des hommes
qu'on aurait pu croire peu faits pour s'accorder.
Cependant, comme la population restait toujours
assez indifférente et passive au point de vue de l'ac-
tion elle-même, il fallait chercher un autre levier pour
déclancher le mouvement. Et c'est ainsi que naquit
l'idée d'une mobilisation générale, ou, ce qui revenait
au même, d'une fédération de tous les bataillons de la
garde nationale, laquelle devait, suivant l'expression
d'un des acteurs du drame, faire « l'union des forces pa-
risiennes contre les ruraux triomphants (1) ».
Déjà, vers la fin de janvier, une première tentative
en ce sens avait, sinon échoué, du moins momentané-
ment avorté. Mais le 15 février, au cours d'une réunion
tenue rue de la Douane, dans la salle du Vaux-Hall, on
décida la création d'une commission chargée d'élabo-
rer les statuts d'un Comité central et sa nomination
immédiate. De l'élection faite par les délégués de dix-
huit arrondissements sur vingt ne surgirent, en réalité,
que des hommes sans aucune notoriété. Mais la mani-
festation qui venait de se produire constituait par elle-
même un symptôme d'une gravité telle; elle dénonçait
si bien l'agitation créée dans la garde nationale, que
(1) I4ISSAGARAY, Histoire de la Commune de Paris, p. 86.
io 1871
Clément Thomas, qui commandait celle-ci, crut devoir
donner sa démission (i). Il fut remplacé, jusqu'à nou-
vel ordre, par le général Vinoy.
Quelques jours plus % tard, le 24, 2.000 délégués des
compagnies décidaient que la garde nationale ne re-
connaissait pour chefs que ses élus ; qu'elle s'oppose-
rait au désarmement par tous les moyens ; qu'enfin
la question serait posée aux gardes nationaux eux-
mêmes de savoir si l'on devait empêcher par les armes
l'entrée des Prussiens dans Paris. Puis, pour finir une
journée si bien commencée, la réunion se transporta
en masse place de la Bastille et planta en haut de la
colonne un drapeau rouge, emblème de la révolution
qui commençait.
Dès lors, ce furent chaque jour des manifestations
du même genre. I^es bataillons fédérés, roulant avec
eux des soldats qui avaient à leur tête un clairon, et
des troupeaux épais de gardes mobiles de la Seine,
conduits par quelques-uns de leurs sous-officiers, défi-
laient sur la place, bras dessus, bras dessous, la popu-
lace saluant « comme une de ses meilleures chances de
succès ce coupable et honteux accord (2) ». Tout se
borna cependant à des promenades tumultueuses et
(1) « Il cL clara qu'il voyait chaque jour tomber de ses mains, sans
pouvoir l'y retenir, l'autorité nécessaire pour triompher des menaces
constantes de l'émeute, et qu'il préférait se retirer. » (Général Vinoy,
loc. cit., p. 126.)
(2) Général Vinoy, loc cit., p. 134.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. n
bruyantes, jusqu'au 26 février, où, pour la première
fois, la foule flaira le sang.
Tandis que, ce jour-là, elle se livrait à ses ébats habi-
tuels, quelqu'un signala sur la place un agent de police
nommé Vincensini, qui, dit-on, prenait des notes. Aussi-
tôt, quinze ou vingt individus se jettent sur lui. Il est
brutalisé, frappé, mis en sang. Abattu bientôt et ter-
rassé, il est attaché à une planche, torturé d'une ma-
nière affreuse et jeté dans le canal, après avoir vaine-
ment supplié ses bourreaux de le laisser se brûler la
cervelle avec son revolver. Et, alors, commence pour
lui un horrible supplice. Le malheureux, qui surnage, est
lapidé. Son corps ne forme plus qu'une plaie et flotte
au cours de l'eau, tandis que les misérables auteurs de
•cet assassinat le criblent de pierres en ricanant. C'est
une scène de sauvagerie digne de cannibales, et qui se
prolonge jusqu'à ce que la mort de l'infortuné vienne
«nfln la terminer. Mais alors la tourbe immonde, dans
laquelle figurent des soldats en uniforme, et dont la
férocité est maintenant déchaînée, cherche une nou-
velle victime. Elle tourne sa fureur contre le commis-
saire de police Macé et un inspecteur, qui ont coura-
geusement essayé de sauver Vincensini. Elle les hue, les
frappe et va leur faire subir un sort pareil au sein,
lorsque, dégagés par un hasard heureux, ils peuvent
trouver un refuge dans la caserne des Célestins, dont la
porte se ferme sur eux. Aussitôt un attroupement se
forme, hurlant de rage déçue et, jusqu'à sept heures
12 1871
du soir, essaye de donner l'assaut à la citadelle qui ren-
ferme ceux qu'ilrecherche. Enfin les énergumènes se las-
sent, et les deux hommes sont délivrés. Cependant un
employé de chemin de fer, qui passait par là, est pris
pour un gardien de la paix et accablé de coups. Il peut,
il est vrai, faire à la longue reconnaître son identité
et se sauver, mais dans un état pitoyable. A ce moment
d'ailleurs, apparaissent quatre bataillons en armes,
envoyés en hâte par le gouvernement. Mais leur inter-
vention est aussi tardive qu'inutile, car entre la foule
et la troupe s'établissent aussitôt des colloques, qui se
terminent par un désordre général, où Ton peut voir
les soldats fraternisant avec les émeutiers (i).
Évidemment, ce crime abominable constituait un
acte isolé. Mais, dans les autres quartiers de Paris, le
spectacle, pour être moins sanglant, n'en était pas
moins lamentable. On rencontrait, errant par les rues,
des militaires déguenillés, des mobiles qui, jetés sur le
pavé en attendant qu'on les rapatriât, allaient de caba-
ret en cabaret, dépensant dans l'ivrognerie et la dé-
bauche le produit des aumônes qu'ils ne craignaient
pas de solliciter. Le travail ne reprenait pas ou ne re-
prenait que lentement, et les ouvriers désœuvrés
liaient partie avec les troupiers, qu'ils accompagnaient
chez le marchand de vins. Le petit commerce était
mort, et seuls avaient retrouvé quelque prospérité
des boutiquiers sans scrupules, qui affichaient à leur
(i) Général Vinoy, loc cit., p. 140.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 13
devanture des dessins immoraux ou outrageants pour
la famille impériale. Les Halles centrales devenaient
presque journellement le théâtre de scènes de pillage.
La rue était livrée à tout le monde ; chacun faisait à
peu près à sa fantaisie, et la police, honnie et détes-
tée, assistait, impuissante, à ce débordement de choses
malsaines, à cette succession d'actes violents, qui déno-
taient une oblitération à peu près générale du sens
moral. Il était clair que, dans cette atmosphère sur-
chauffée, la moindre étincelle pouvait allumer l'in-
cendie.
entre en
action.
Le Comité central n'existait encore qu'à l'état em- Le Comit
bryonnaire, et cependant de son siège partaient déjà les central
mots d'ordre ou les suggestions auxquels obéissait quasi
automatiquement la foule impressionnable et sur-
excitée. Dans la soirée du 26, sur un racontar venu pro-
bablement de la rue de la Corderie, le bruit se répand
que, le lendemain, les Allemands entreront dans Paris,
et que les canons parqués place Wagram et à Passy vont
leur être livrés. Aussitôt une masse d'individus, dont
quelques-uns sans aucun doute croient faire acte de pa-
triotisme (1), dont la plupart agissent sous la poussée
instinctive d'un accès de « fièvre obsidionale », se rue
vers les emplacements signalés. Le tocsin retentit, les
clairons sonnent le rappel, et Paris reprend en un instant
(1) Général Vinoy, loc cit., p. 142.
14 1871
sa physionomie du siège (i). On traîne les pièces à bras,
sans que les gardes nationaux préposés à leur garde
aient tenté la moindre résistance, et on les emmène
place des Vosges, à Belleville, au boulevard Ornano,
à la barrière d'Italie. En même temps, d'autres grou-
pes, où domine l'élément révolutionnaire, vont forcer
la prison de Sainte-Pélagie et délivrent les prisonniers
politiques qui y sont enfermés. Puis, dans la nuit, une
colonne, forte de plusieurs milliers de gardes nationaux,
est formée aux Château-d'Eau. A trois heures du
matin, elle remonte les Champs-Elysées, ayant à sa
tête des officiers délégués par le Comité central, et va
se poster partie à l'Arc de Triomphe, partie au Troca-
déro, pour arrêter les Prussiens. Mais, comme, à huit
heures, ceux-ci ne se sont point montrés, la cohue se
disperse, et les bataillons qui la composent regagnent
leurs quartiers respectifs.
I^s jours suivants, l'agitation continua. I^e Gou-
vernement, qui disposait de quelques attelages, avait
bien réussi à faire enlever une douzaine de pièces res-
tées place Wagram. Mais, en face de lui, le Comité
central commençait à s'affirmer, et même à devenir
menaçant. La Commission qui avait été chargée de le
constituer s'assembla, dans l'après-midi, à la mairie
du III e arrondissement, rue des Archives, et décida de
prendre les armes contre les Prussiens. I^e maire Bon-
valet finit cependant par la dissoudre à grand'peine.
(i) I<ISSAGARAY, loC cit., p. 89.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 15
Malheureusement, ni lui ni personne ne pouvait em-
pêcher le pillage des munitions qui s'organisait par-
tout, tandis que des mobiles, bien que prisonniers de
guerre, reprenaient leurs armes dans les secteurs, et
que les canonniers de la garde nationale remontaient
sur leurs affûts les pièces du bastion 36, à la porte
Saint-Ouen, pour les braquer sur les cantonnements
prussiens. Devant ces manifestations anarchiques, qui
pouvaient causer les pires malheurs, le Gouverne-
ment se sentait désarmé. La garde nationale lui échap-
pait complètement, et Tannée devenait de moins en
moins sûre. Certaines tentatives de débauchage, faites
dans les casernes par les émeutiers, venaient en partie
de réussir, et Ton avait pu voir, chose grave entre tou-
tes, une compagnie de fusiliers-marins participer à la
manifestation quotidienne de la place de la Bastille (1) .
La situation était donc tout à fait critique, et déjà des
catastrophes s'annonçaient, que nul ne pouvait plus
prévenir.
Par bonheur, la concorde ne régnait pas absolument
rue de la Corderie. Les vieilles organisations révolu-
tionnaires observaient avec une réserve jalouse (2) les
hommes obscurs, et peut-être suspects, qui, unique-
ment chargés d'élaborer les statuts du futur Comité
central, semblaient vouloir maintenant prendre la
direction du mouvement et le conduire à leur guise.
(1) Général Vxnoy, loc cit., p. 149.
(2) IyISSAGARAY, loC Cit., p. ÇO.
16 1871
Elles leur imposèrent la publication d'un manifeste
qui recommandait le calme, et qui parut, encadré de
noir, le 28 au matin, sur les murs de Paris. H était
ainsi conçu :
« Comité centrai, de i<a Garde nationale.
« Citoyens !
« Le sentiment général de la population paraît être de
ne pas s'opposer à l'entrée des Prussiens dans Paris. Le
Comité central, qui avait émis un avis contraire, déclare
qu'il se rallie à la résolution suivante :
« H sera établi, tout autour des quartiers que doit
occuper l'ennemi, une série de barricades propres à isoler
complètement cette partie de la ville. Les habitants de
la région circonscrite dans ces limites devront l'évacuer
immédiatement.
« La Garde nationale, de concert avec l'armée formée
en cordon tout autour, veillera à ce que l'ennemi, ainsi
isolé sur un sol qui ne sera plus notre ville, ne puisse com-
muniquer avec les parties retranchées de Paris.
« Le Comité central engage donc toute la Garde
nationale à prêter son concours à l'exécution des mesures
nécessaires pour arriver à ce but et éviter toute agression
qui serait le renversement immédiat de la République. »
Ces sages conseils, que malheureusement le Comité
central ne renouvela pas par la suite, furent écoutés.
L'entrée des Prussiens, que nous avons racontée en
détail ailleurs (1), ne donna lieu qu'à des incidents sans
(1) Voir : Histoire générale de la guêtre franco-allemande, t. Il, II e
partie, livre III.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 17
aucune gravité. Seuls, quelques bataillons de Mont-
martre esquissèrent une tentative tôt avortée. Quant à
l'ennemi, dont les intentions avaient été déjouées
par la rapidité donnée à la ratification des prélimi-
naires de paix, qu'il croyait devoir être beaucoup plus
tardive, il dut se contenter d'un triomphe un peu som-
maire et incomplet, qui se termina le 3 mars à onze
heures du matin. I^e Gouvernement avisa aussitôt de
son départ la population parisienne, en une procla-
mation justement élogieuse, mais qui se terminait par
l'affirmation de certaines espérances dont l'optimisme
était assurément prématuré.
Tandis que les quartiers où s'était déroulé ce simu-
lacre de prise de possession étaient désertés et enfouis
dans un morne silence, l'agitation, en effet, durait
toujours par ailleurs. Dans la journée même, elle gagna
les Champs-Elysées, où l'on mit à sac les établissements
qui, de gré ou de force, avaient ouvert leurs portes aux
Prussiens. Aux bastions, dans les parcs d'artillerie, le
pillage des munitions continuait ; le poste de police des
Gobelins était investi par quatre bataillons de la Garde
nationale et contraint de déposer ses armes. C'était
partout le désordre, la violence, et une révolte ouverte
que les pouvoirs publics étaient obligés de subir, faute
d'avoir en mains les moyens de la réprimer.
I^e préfet de police, M. Cresson, reconnaissant son
impuissance, avait cédé la place, le 16 février, à son
beau-frère, M. Choppin, qui lui-même fut bientôt rem-
2
18 1871
placé par le général Valentin, ancien commandant
de la Garde de Paris, dont la nomination, en raison
même de cette origine, reçut un peu encourageant
accueil. D'autre part, M.Thiers avait cru bien faire en
confiant au vainqueur de Coulmiers, général d'Au-
relie de Paladines, le commandement de la Garde na-
tionale (i). Il ne fit qu'irriter celle-ci davantage. D'a-
bord elle entendait nommer ses propres chefs. Ensuite
elle considérait comme insupportable d'être placée sous
les ordres d'un sénateur de l'Empire, destitué par Gam-
betta. Ni lui, ni Vinoy, ni les membres du Gouverne-
ment ne parvenaient à se faire obéir, et il faut bien
convenir qu'en l'état des moyens dont ils disposaient,
toute répression leur était impossible. Depuis le 3 mars
le Comité central était bien réellement le maître de
Paris.
Ce jour-là, les délégués de deux cents bataillons,
réunis au Vaux-Hall, adoptèrent le statut rédigé par
la Commission préparatoire. On y lisait d'abord que la
République était « le seul gouvernement de droit et de
justice, supérieur au suffrage universel, qui est son œu-
vre », et que « les délégués devraient prévenir toute
tentative qui aurait pour but son renversement k
Quant au comité, il devrait être formé de trois délégués,
par arrondissement, élus, sans distinction de grade, par
(1) le général d'Anrelle n'entra en charge que le 4 mars, après,
l'entrée des Allemands. Il avait mis cette condition sine qua non k.
son acceptation.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 19
les compagnies et les légions ; puis du chef de légion lui-
même. Mais, en attendant des élections régulières, on
avait nommé une commission executive, composée de
Varlin, Pindy et Jacques Durand. Enfin, après décision
portant réélection pour tous les grades, la motion sui-
vante, grosse de conséquences, avait été votée : « Le
département de la Seine se constituera en République
indépendante, au cas où l'Assemblée décapitaliserait
Paris. »
A cette déclaration de guerre, le ministre de Tinté-
rieur, Picard, répondit par une proclamation qui de-
meura sans effet, et la Garde nationale n'en continua
pas moins à s'armer, à s'approvisionner, à s'organiser
pour la résistance, Le 4, elle enlevait vingt-neuf obu-
siers lisses du parc de la Villette ; le 6, elle s'emparait
de deux mille fusils appartenant à des soldats soignés
à l'hôpital Saint-Antoine. Chaque jour était marqué
par un rapt nouveau, plus ou moins important, et, der-
nière précaution ou provocation suprême, les canons
enlevés étaient transférés sur les hauteurs de Belleville
et de Montmartre, pour les mettre à l'abri de tout enlè-
vement clandestin.
Le Gouvernement, alors, malgré qu'il comprît
« qu'il ne pouvait tenter un acte de vigueur sans courir
les chances de guerre civile où l'autorité aurait le
dessous (1) », voulut cependant essayer de prendre, à
tous risques, une attitude plus ferme. Le 11 mars, au
(1) Jules Simon : Le Gouvernement de M. Thiers, t. I e », p. 200,
2o 1871
moment même où Paris apprenait que l'Assemblée se
transférait à Versailles et qu'un conseil de guerre venait
de condamner à mort par contumace deux des auteurs
de l'insurrection du 31 octobre, Blanqui et Flourens, le
général Vinoy, en qualité de commandant de l'état de
siège, signait, par ordre, la suppression de six journaux,
« dont la polémique particulièrement violente était une
incessante provocation à la révolte ». C'étaient le Ven-
geur, de Félix Pyat; le Cri du peuple, de Jules Vallès;
le Mot d'ordre, d'Henri Rochefort ; le Père Duchesne,
de Vermersch; la Caricature, de Pilotell; enfin, la Bou-
che de fer, de Paschal Grousset. I^a coïncidence de
ces trois événements ne pouvait qu'augmenter l'exas-
pération générale, et Vinoy prévoyait avec raison une
recrudescence imminente de celle-ci. Elle fut presque
instantanée, car, dès le lendemain, le Comité, brûlant
ses vaisseaux, faisait placarder sur tous les murs de
Paris une affiche rutilante, au propre et au figuré, qui,
adressée à l'armée, constituait un appel non dissimulé
à la rébellion.
« A 1/ Armée
« Les Délégués de la Garde nationale de Paris.
« Soldats, Enfants du peuple !
« On fait courir en province des bruits odieux.
«Il y a à Paris 300 000 gardes nationaux, et cependant
on y fait entrer des troupes que l'on cherche à tromper
sur l'esprit de la population parisienne. Les hommes qui
\
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 21
ont organisé la défaite, démembré la France, livré tout
notre or, veulent échapper à la responsabilité qu'ils ont
assumée en suscitant la guerre civile. Ils comptent que
vous serez les dociles instruments du crime qu'ils médi-
tent.
« Soldats citoyens, obéirez- vous à Tordre impie de verser
le même sang qui coule dans vos veines ? — Non, vous ne
consentirez pas à devenir parricides et fratricides !
« Que veut le peuple de Paris ?
« H veut conserver ses armes, choisir lui-même ses chefs,
et les révoquer quand il n'a plus confiance en eux.
« Il veut que Tannée soit renvoyée dans ses foyers pour
rendre au plus vite les cœurs à la famille et les bras au tra-
vail.
«Soldats, enfants du peuple, unissons-nous pour sauver
la République ! Les rois et les empereurs nous ont fait
assez de mal. Ne souillez pas votre vie. La consigne n'em-
pêche pas la responsabilité de la conscience. Embrassons-
nous à la face de ceux qui, pour conquérir un grade, obte-
nir une place, ramener un roi, veulent nous faire entr'égor-
ger.
« Vive à jamais la République ! »
Aussitôt, la foule se rue vers les placards, qu'elle
semble lire avec avidité. Cette idée, que la République
est menacée, la hante. L'atteinte portée à la liberté de
la presse la mécontente et Témeut. Elle n'a confiance ni
dans TAssemblée, qui a si peu souci d'elle, ni dans
M. Thiers, dont les antécédents monarchiques lui sont
suspects. Même dans les quartiers paisibles, règne une
animation de mauvais augure. Des groupes de soldats
vont et viennent, lisant la proclamation et la commen-
22 1871
tant. Certains d'entre eux la défendent contre la police,
qui veut la lacérer. Le maire de Paris, Jules Ferry,
et le commandant des gardes nationales, général d'Au-
relle, tous deux cependant liommes d'énergie et de vo-
lonté, se sentent débordés. Le général a lancé déjà un
ordre du jour annonçant des mesures sévères, auxquel-
les personne n'a cru parce qu'on savait qu'il n'existait
aucun moyen de les sanctionner. Immédiatement, le
Comité central, encore qu'il ne soit pas régulièrement
constitué, a riposté en faisant élire au Vaux-Hall, le
15 mars, par les délégués de deux cent quinze batail-
lons, des généraux qu'il a désignés avec, en tête, Gari-
baldi. En même temps, des sous-comités se sont organi-
sés dans les quartiers populaires, et deux d'entre eux,
celui de la rue des Rosiers et celui du quartier d'Italie,
contrecarrent nettement tous les ordres venus du Gou-
vernement régulier. Le premier, en particulier, a fait
échouer les essais tentés par le maire de Montmartre,
M. Clemenceau, pour amener une détente et laisser
l'artillerie reprendre les canons. Le second, qui est pré-
sidé par un ouvrier fondeur, nommé Duval, bientôt
général de la Commune, gouverne en maître toute la
rive gauche. Le général d'Aurelle ne commande plus
que de nom.
Cependant le Comité central s'organisait peu à peu.
Dans cette même réunion du 15 mars, il faisait défini-
tivement désigner ses membres, au nombre de qua-
rante-huit. C'étaient tous encore d'illustres inconnus.
\
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 23
dont quelques-uns seulement, promus un peu plus
tard au gouvernement insurrectionnel, devaient ac-
quérir une certaine notoriété, d'ailleurs assez fâcheuse.
Pour le moment, ils constituaient réellement dans la
capitale le seul pouvoir existant, pouvoir assez mal vu,
il est vrai, par l'Internationale, par les blanquistes et
les jacobins, qui ne voulaient pas admettre que ces
hommes obscurs fussent une force (1), mais pouvoir
qui allait bientôt absorber tous ceux qui maintenant le
jalousaient ou le dédaignaient. Quand, le 18 mars au
soir, un peu surpris de leur triomphe rapide, les hommes
du Comité central se transportèrent à l'Hôtel de Ville,
ce fut pour y former le noyau solide auquel allaient
s'agglomérer tous les réfractaires, les anarchistes ou les
violents, réunis pour constituer ce que Vallès appelait
le Parlement en blouse et en sabots. Se posant jusque-
là en simples défenseurs de la République contre les
entreprises monarchiques qui pouvaient la menacer,
ils n'avaient encore aucun programme (2). I^es théori-
ciens de l'émeute allaient se charger bientôt de leur en
donner un.
Et ceux-ci, on les connaissait bien. «Non seule-
ment, a écrit J. Simon, les hommes de la Commune ne
sont pas sortis de terre le 18 mars comme une généra-
tion spontanée ; mais on les désignait par leurs noms,
depuis plus de deux ans ; on les devinait, on les sen-
(i) IylSSAGARAY, ÎOC. cit., p. 9.
(2) Ibid.
24 1871
tait depuis plus de six ans ; on savait leur but, leurs
moyens d'action ; on pouvait compter leurs échecs et me-
surer d'un échec à l'autre les progrès deleurs forces (i) . »
Comment alors n'essayait-on pas de les réduire à l'im-
puissance ? Comment des hommes aussi énergiques
que Vinoy, d'Aurelle, Jules Ferry, des politiques
adroits et avisés comme Ernest Picard, se laissaient-
ils ainsi déborder par un mouvement dont les mena-
çants prodromes n'étaient pour eux ni imprévus ni
soudains ? C'est qu'en réalité ils se sentaient contre
lui sans défense. On leur conseillait bien de briser le
Comité central par un coup de force. M. Vautrain,
maire d'un arrondissement de Paris, regardait comme
impérieusement commandée par les circonstances l'ar-
restation en masse des meneurs (2). Et le général Vi-
noy, aussi bien que le général Valentin, n'auraient pas
hésité devant cette solution extrême, s'ils avaient eu en
mains les moyens d'y recourir. Mais la Garde nationale,
dont tous les bons éléments s'étaient dispersés ou se
terraient, était acquise à l'insurrection ; l'armée, à
peine en voie de réorganisation, n'inspirait aucune
confiance (3) , exception faite pour les 12 000 hommes de
(1) Le Gouvernement de M. Thiers, t. I er , p. 167.
(2) Déposition de M. Vautrain devant la Commission d? enquête du
18 mars.
(3) I«e 7 mars, le général Vinoy, passant en revue des troupes qui
arrivaient pour contribuer à la constitution de l'armée de Paris, avait
reçu d'elles un accueil qui ne pouvait laisser aucun doute sur leur
mauvais esprit.
\
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 25
la division Faron, lesquels ne pouvaient rien contre
200 000 ou 300 000 citoyens en armes, qui possédaient
maintenant des fusils, des canons et des munitions à
souhait ; enfin la police, suspecte et honnie, se rédui-
sait à une poignée d'agents découragés. Dans des
conditions pareilles, personne n'osait prendre l'initiative
d'une mesure hardie, dont la réussite n'eût été rien
moins que certaine. Et ils connaissaient bien les motifs
secrets de cette abdication du pouvoir, ceux qui renou-
velaient chaque jour contre lui, avec une audace crois-
sante, leurs menées audacieuses et leurs arrogants défis.
Sur ces entrefaites, M. Thiers était arrivé à Paris. M . Thien
Le 15 mars, il s'installait au ministère des Affaires à Paris,
étrangères et tout aussitôt demandait des consulta-
tions à quelques personnages de marque. Les ban-
quiers lui disaient qu'il fallait songer à payer les
Prussiens : « Vous ne ferez jamais d'opérations finan-
cières si vous n'en finissez pas avec tous ces scélérats
et si vous ne leur enlevez pas les canons. Il faut en
finir, et alors on pourra traiter d'affaires (1). » L'opi-
nion générale qu'il recueillait était qu'on ne devait plus
tergiverser, et lui-même jugeait que « ne pas agir dans
la situation où étaient les esprits, avec les bruits qui cir-
culaient dans Paris, c'était se montrer faible et impuis-
sant (2) ». Aussi, dans un conseil des ministres tenu
(1) Déposition de M. Thiers devant la Commission d'enquête du
18 mars.
(2) Ibid.
26 1871
le 17, fut-il décidé qu'une opération militaire serait
tentée dès le lendemain pour reprendre les pièces que
détenaient les fédérés au haut de la butte Montmartre.
Le général Vinoy était chargé de son exécution.
Il aurait souhaité qu'on prorogeât cet acte risqué
jusqu'au retour des prisonniers d'Allemagne, de façon
à disposer d'une armée vigoureuse et sûre. Car il con-
naissait celle à laquelle il pouvait avoir affaire et n'igno-
rait pas qu'elle possédait 400 000 fusils, 2 000 canons,
des cartouches, des gargousses à profusion, sans comp-
ter des forteresses naturelles : Belleville, Montmartre,
les hauteurs de Sainte-Geneviève, etc., qu'elle pouvait
utiliser. Mais la date du 20 mars, qui était celle de la
réunion à Versailles de l'Assemblée nationale, appro-
chait, et Thiers voulait, avant son échéance, avoir fait
quelque chose (1). Sans donc consulter les maires, à
qui Ernest Picard avait dit qu'on leur demanderait
avis, sans tenir compte des graves avertissements don-
nés par certains chefs de bataillon de la Garde natio-
nale, dont les troupes passaient pour bonnes, et qui
venaient cependant déclarer qu'ils ne pouvaient en ré-
pondre, il se lança dans une aventure hasardeuse, à
peu près improvisée, et qui, si elle échouait, devait
rendre immédiatement la situation inextricable. Que
la révolution sortît en effet victorieuse de cette affaire,
et c'était l'exaltation de sa puissance et de ses moyens
en même temps qu'une défaite complète pour le Gou-
(1) Général Vinoy, loc. cit., p. 210.
\
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 27
vernement régulier, dépouillé de son prestige pour
avoir trop complaisamment étalé sa faiblesse. Et, c'é-
tait aussi la guerre civile, déchaînée en un moment
où Ton n'avait en mains que des ressources tout à fait
insuffisantes pour l'étouffer dans l'œuf .
Ces considérations, pourtant si impérieuses, n'arrêtè-
rent pas le chef du pouvoir exécutif. Il fit donner, dans
la nuit même, les ordres nécessaires à l'exécution des
projets qui venaient d'être résolus. Il croyait, avec
Jules Simon, que « tout était préférable à la prolonga-
tion d'une crise qui mettait le Gouvernement en pré-
sence de l'émeute organisée, des conservateurs indiffé-
rents et de l'armée prête à lever la crosse en l'air, ou à
fraterniser avec la révolte (1) ». La journée du lende-
main devait lui montrer qu'il existe quelque chose de
plus dangereux que tout cela. C'est d'aller braver dans
son repaire le fauve populaire, sans pouvoir lui montrer
un appareil de force qui soit capable de le réduire et de
le maîtriser.
m
(1) Jules Simon, loc. cit., p. 225.
CHAPITRE II
I,E l8 MARS.
Tandis que, dans la nuit du 17 au 18, des gardes Tentative
nationaux, tenus à l'œil par des délégués du Comité de reprist
central, veillaient, armes en mains, aux portes de leurs des
postes de circonstance, un conseil de guerre se tenait can<m ^-
au Louvre, auquel prenaient part, en même temps
que M. Thiers, les généraux l^e Flô, ministre de la
Guerre, d'Aurelle et Vinoy. Il y fut décidé qu'on
s'emparerait simultanément de Montmartre et de
Belleville, d'où l'on rayonnerait ensuite vers les alen-
tours, de façon à mettre la main sur les dépôts de
canons et de munitions constitués par les fédérés en
des points assez distants les uns des autres, et qui tous
étaient gardés.
Pour l'attaque de Montmartre, la division de Sus-
bielle, formée en deux colonnes, devait marcher par
l'avenue de Saint-Ouen et la rue Mercadet, sur le Mou-
lin de la Galette (1), puis par le boulevard Ornano
(1) Gardiens de la paix ; demi-compagnie de Garde républicaine ;
demi-compagnie de génie ; I er et 2 e bataillon du 76 e de marche. I<e
tout aux ordres du général Paturel.
3o 18 71
et la rue du Mont-Cenis sur l'église Saint-Pierre et la
tour Solferino (i). Une réserve de deux bataillons sta-
tionnerait rue Marcadet et boulevard de Clichy. Une
autre réserve de même force serait placée partie au
pied de la Butte, du côté nord-est, partie boule-
vard de Rochechouart, à l'angle du boulevard Ma-
genta. Deux batteries d'artillerie, aux ordres du géné-
ral de Susbielle, devaient stationner place Clichy.
Contre Belleville, c'était la division Faron qui était
chargée d'opérer. Elle avait à occuper les Buttes-Chau-
mont, le boulevard de la Villette, les gares du Nord
et de Strasbourg. On faisait tenir en même temps la
place de la Bastille (2), l'Hôtel de Ville, la Cité (3), le
Luxembourg, les Invalides, l'École militaire, la caserne
du Prince-Eugène et les Tuileries. C'est-à-dire que
l'armée de Paris tout entière était mise en mouve-
ment (4).
A trois heures du matin, les troupes s'ébranlent.
Tout dort dans la ville, sauf quelques sentinelles dont
les gendarmes ont vite raison. Il n'est pas cinq heures
que déjà les deux citadelles de l'insurrection sont cer-
nées et prises. Il ne s'agit plus que d'emmener les ca-
nons. Mais alors on s'aperçoit que l'opération va pré-
(1) Trois bataillons du 88 e de marche ; 18 e bataillon de chasseurs;
demi-compagnie de Garde républicaine ; demi-compagnie de génie ;
gardiens de la paix. I«e tout aux ordres du général I^ecomte.
(2) Brigade Wolf, de la division de Maud'huy.
(3) Brigade Hanrion.
(4) Général Vinoy, loc. cit., p. 213 et suiv.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 31
senter des difficultés presque insurmontables. Par
une prudence assurément mal entendue, et en prévi-
sion d'une résistance possible, les attelages ont été lais-
sés aux Champs-Elysées et place de la Concorde. On
leur envoie Tordre d'accourir : premier et fatal retard.
Au surplus, il y a à Montmartre 191 pièces enchevê-
trées, séparées de leurs avant-trains, et, pour une
telle quantité de matériel, on n'a pas assez de che-
vaux, le siège ayant fait de ces animaux une consom-
mation considérable, et le peu qui reste étant employé
à traîner les batteries attelées. On constate, d'ailleurs,
que, pour l'enlèvement total des pièces, il va falloir
beaucoup de temps. On en descend cependant une
soixantaine (1) ; pour les autres, on les laisse au parc,
sous la garde des soldats.
Cependant la ville s'est éveillée. Devant l'appareil
militaire qui s'étale, devant les mitrailleuses braquées
dans les rues, la foule s'émeut et se groupe en attroupe-
ments menaçants. On se montre une énorme affiche,
toute fraîche, où Thiers adjure les bons citoyens de se
séparer des mauvais et d'aider la force publique.
«Les coupables seront livrés à la justice », dit-il un
peu imprudemment à ces gens armés jusqu'aux dents.
Les femmes, plus ardentes que les hommes, entourent
(1) Menées à bras jusqu'au boulevard de Courcelles, elles allaient
être attelées, grâce au concours des gendarmes, quand le 128 e batail-
lon, conduit par Bergeret, se jeta sur elles, coupa les traits et les
remmena.
32 1871
les soldats, leur parlent, les excitent à la révolte, les
adjurent de ne pas tirer sur le peuple. Et voici que
tout à coup, au son du tambour, une colonne de gardes
nationaux débouche du boulevard Ornano, frater-
nise avec le 88 e de marche, qui se débande et lève la
crosse en l'air ; après quoi tout ce monde escalade les
pentes de la Butte. 1^ général Lecomte, abandonné
de ses soldats, est cerné, enlevé par une bande hur-
lante, et traîné avec son état-major, au milieu des in-
sultes de la foule, qui le prend pour Vinoy, d'abord au
poste de la rue des Rosiers, puis de là à celui du Châ-
tau-Rouge, quartier général des bataillons de Mont-
martre, où trône un capitaine des fédérés, SimonMayer.
De l'autre côté de Montmartre, la brigade Paturel
a dû, elle aussi, abandonner la partie après un premier
et court succès. Vers huit heures, elle a reculé en dé-
sordre sur la place Clichy, sous la pression des gardes
nationaux, qui ont repris les quelques canons qu'elle
emmenait avec elle. Quant à la réserve du général de
Susbielle, elle se contente de faire tête, au lieu de pren-
dre résolument l'offensive, comme il aurait fallu. Place
Pigalle, un escadron de chasseurs a esquissé un mouve-
ment à reculons sur la foule ; mais, accueilli par des
huées, des menaces, il charge bientôt sérieusement, et
le capitaine Saint-James est tué, peut-être par un des
soldats de la ligne, dont on peut voir les uniformes en
grand nombre trancher sur les vareuses des émeutiers !
Il faut que les gardes républicains à pied, s'embus-
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 33
quant derrière les baraquements du boulevard exté-
rieur, protègent la retraite, au cours de laquelle le gé-
néral Paturel est blessé. I*e recul devient général, et
Vinoy lui-même finit par l'ordonner. Voyant ses sol-
dats qui se débandent ou fraternisent avec les gardes
nationaux, il n'a pas osé tenter un retour offensif pour
délivrer les officiers prisonniers, sur qui vont se ruer
tout à l'heure les mégères avinées et hurlantes, qui,
pour l'instant, s'occupent à dépecer la chair encore
fumante du cheval du capitaine Saint-James, tombé
au coin de la rue Houdon et du boulevard extérieur (i).
A onze heures, la révolution est partout maîtresse
du terrain, car, aux Buttes-Chaumont, le général Fa-
ron a dû, lui aussi, abandonner sa prise et reculer, en se .
frayant un chemin à travers les rangs menaçants des
insurgés.
Tandis que ces graves événements se déroulaient Départ dt
•sur les deux points les plus importants de Paris, le M. Thier
Oouvernement siégeait en permanence au ministère
des Affaires étrangères, où M. Thiers était revenu. I/es
nouvelles se succédaient, rapides, inquiétantes. Vers
une heure, le général ±£ Flô, qui avait failli être
enlevé place de la Bastille, venait annoncer que la
partie était définitivement perdue (2). On avait battu
(1) Gaston Da Costa, la Commune vécue, Paris, ancienne maison
•Quantin, 1903, t. I CT , p. 22.
(2) Tandis que, place de la Bastille, les fédérés venaient de se mê-
3
34 1871
le rappel dans les quartiers considérés comme dévoués
à Tordre, et quelques centaines de gardes nationaux à
peine s'étaient rendus au ralliement (i). A l'hôtel des
Affaires Étrangères, il n'y avait, en tout et pour tout,
qu'un demi-bataillon de chasseurs, qui n'était pas
absolument sûr et, dans les casernes, plus personne.
On craignait d'être enlevé d'un moment à l'autre,
encore qu'on sût qu'à l'Hôtel de Ville, gardé par
quelques troupes de la caserne Lobau restées fidèles (2},
Jules Ferry tenait toujours bon.
Thiers était agité, nerveux. Il s'était rendu sur la
place de la Concorde pour demander des détails à ceux
qu'il rencontrait. Il vit, en rentrant au ministère, pas-
ser sur le quai les bataillons du Gros-Caillou qui allaient
manifester à l'Hôtel de Ville. Il apprit qu'à la caserne
du Prince-Eugène le 120 e avait déposé ses armes et
passé aux insurgés; qu'au Luxembourg le 135 e en
avait fait autant, après avoir ouvert les grilles ; qu'en-
fin l'armée, qu'elle fût consciente de ses actes ou entraî-
née malgré elle, oubliait presque partout son devoir.
I,a position devenait critique, et une solution rapide
s'imposait.
1er aux soldats, passa le convoi funèbre de Charles Hugo que son père
Victor Hugo, menait de la gare d'Orléans au Père-I^achaise. Ifis émeu.-
tiers firent silence, présentèrent les armes, et ouvrirent les barricades,
laissant passer, comme a écrit un des leurs, « la gloire et la mort ►.
(I<XSSAGARAY, loc. Cit., p. IO4.)
(1) Un millier, dit Thiers ; 600, écrit le général Vinoy.
(2) 110 e de ligne et Garde républicaine.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 35
Mais sur celle-ci on n'était pas d'acord. Tandis que
l'amiral Pothuau, Jules Favre, Jules Simon et Ernest
Picard entendaient que le Gouvernement restât coûte
que coûte à Paris, le chef du pouvoir exécutif parais-
sait résolu à se transporter à Versailles. L'abstention
de la Garde nationale de l'ordre l'avait désemparé. Les
espoirs qu'il fondait sur elle, en souvenir du régime de
Juillet et des journées de Juin, s'étant évanouis, il ne
voyait plus d'autre ressource à la situation présente
qu'un prompt départ, permettant de revenir plus tard
mieux armé. «C'est le plan qui a réussi à Windis-
chgrâtz, lors des événements de Vienne, disait-il ; c'est
celui que j'avais conseillé en 1848, à l'époque des jour-
nées de Juin, pour le cas où l'insurrection triomphe-
rait (1). » Et à ceux qui s'élevaient contre l'inoppor-
tunité d'une retraite aussi hâtive, il répondait : « Il
s'agit de la France, et non pas de nous (2). » Il s'agis-
sait peut-être un peu aussi de lui et de ses collègues, à
qui, dans le même moment, le général Le Flô disait :
« Je crois que nous sommes flambés. Nous allons être
enlevés. » Mais il faut bien convenir que, toute ques-
tion d'inquiétude personnelle mise à part, la capture
du Gouvernement, qu'eût probablement suivie une ca-
tastrophe sanglante, devait être évitée à tout prix,
parce qu'elle détruisait la dernière barrière qui se dres-
sât encore contre la révolution.
(1) J. Simon, loc. cit., p. 242,
(2) Ibid.
3 6 1871
A ce moment, cinq heures environ, le général Vinoy
s'approcha de M. Thiers : « Allons ! lui dit-il, mettez
votre pardessus. La porte du Bois de Boulogne est
gardée et votre sortie est assurée par là. » !Le chef du
pouvoir exécutif monta alors dans la voiture du géné-
ral et gagna Versailles sous escorte. Il avait, avant de
partir, ordonné l'évacuation de Paris et l'envoi immé-
diat, auprès de sa personne, de la brigade Daudel,
qu'on lui avait donnée comme la plus sûre. Peu d'ins-
tants après, le commandant en chef se rendait à l'É-
cole militaire, tandis que les ministres se donnaient
rendez- vous pour le soir rue Abatucci, chez M. Calmon,
sous-secrétaire d'État à l'Intérieur (i). Mais, entre
temps, s'étaient déroulées à Montmartre des scènes
révoltantes, préludes des excès monstrueux dont de-
vaient se rendre coupables des gens qui, sous prétexte
de défendre la République et de donner à Paris la li-
berté, allaient bientôt noyer leur pouvoir éphémère
dans l'orgie, dans l'incendie et dans le sang.
A ssassinat Depuis qu'ils avaient été conduits au Château-Rouge,
tes le général Lecomte et ses officiers étaient gardés à
généraux vue# Simon Mayer en avait répondu au maire de
Lecomte et Montmartre, M. Clemenceau, et une compagnie de
Clément
1 nomas . (i) « on avait choisi ce lieu de rendez- vous, dit Jules Simon,
parce que les ministères étaient envahis par les effarés et les donneurs
de conseils. » (Ibid., p. 246.) — Et aussi, probablement, parce qu'au-
cun d'eux n'était plus protégé.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 37
renfort était même arrivéepour doubler la garde, quand
tout à coup survint un ordre émanant du Comité de
vigilance de XVIII e arrondissaient, qui prescrivait
d'amener les prisonniers au poste séant rue des Rosiers,
n° 61 (1). Ce Comité était composé de Ferré, Dereure,
J.-B. Clément, Bavois, Lemoussu, Aronsart et Garcin,
qui tous se méfiaient de M. Clemenceau et voulaient
lui arracher leur proie (2). Telle était la crainte qu'ils
inspiraient que Simon Mayer obéit aussitôt. Il forma
un cortège, encadré de gardes nationaux, qui avança
péniblement à travers une foule menaçante et furieuse,
où les soldats du 88 e se mêlaient à des femmes qui hur-
laient en montrant le poing, à des rôdeurs de barrière,
à des souteneurs et à des gens sans aveu. Quand on
fut arrivé rue des Rosiers, le citoyen Garcin, en uni-
forme de capitaine de fédérés, interrogea les officiers,
pendant que le chef de poste, un certain Kazdanski,
franc-tireur polonais de Garibaldi venu prendre part
à l'émeute, délibérait/avec quelques personnages restés
inconnus, sur le parti à prendre devant une efferves-
cence dont la rapide montée commençait à les inquié-
ter (3).
Cependant des cris : « A mort ! » retentissaient dans
(1) Cette maison appartenait à M me Scribe, la veuve du drama-
turge bien connu.
(2) I<es signatures étaient illisibles. Mais l'ordre portait le timbre
du Comité.
(3) Ces détails et ceux qui suivent sont empruntés en grande par-
tie à l'ouvrage cité de Gaston Da Costa, qui relate le drame avec exac-
38 1871
la rue, plus pressés et plus violents à chaque minute.
Les officiers fédérés, cherchant à gagner du temps,
criaient à la foule qu'il fallait attendre le Comité, —
ce Comité qui s'était évanoui après avoir lancé son
ordre meurtrier, — quand tout coup, vers quatre
heures et demie, une grande rumeur s'éleva, la foule
s'agita, s'ouvrit, et un vieillard à barbe blanche, coiffé
d'un chapeau à haute forme, fut jeté, plutôt que con-
duit, contre la porte de la maison. C'était Clément
Thomas, l'ancien commandant supérieur de la Garde
nationale, qui, s'étant imprudemment aventuré rue des
Martyrs, d'autres disent place Pigalle, avait été re-
connu, appréhendé et maltraité, puis conduit rue des
Rosiers. La Garde nationale de lui pardonnait pas les
appréciations sévères, encore que très fondées, qu'il
avait à plusieurs reprises portées sur elle, non plus que
la rigueur qu'il apportait à l'exécution du service.
Victime toute désignée aux vengeances de cette milice
turbulente autant qu'indisciplinée, il était, par une
fatalité inconcevable, venu lui-même se jeter dans la
gueule du loup.
Maintenant, les deux généraux étaient face à face,
dans une salle du rez-de-chaussée, que peu à peu enva-
hissait la foule, après avoir brisé portes et carreaux.
On les insultait, on les frappait. Des mobiles et des sol-
titude et sincérité. Nous avons également consulté les documents du
Conseil de guerre, qui jugea, à Versailles, les meurtriers de la rue des
Rosiers.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 39
<Lats, qui s'étaient frayé un chemin jusqu'au premier
rang, leur mettaient le poing sous la figure : « Tu m'as
f ... une fois trente jours de prison ! clamait l'un d'eux
au général Lecomte ; c'est moi qui te tirerai le premier
coup de fusil (i) ! » Quant à Clément Thomas, il
répondait à Garcin, qui lui reprochait « d'avoir fait
verser le sang de ses frères » : — « Je suis plus répu-
blicain que vous. Vous n'êtes qu'un braillard et une
canaille. Je n'ai pas de compte à vous rendre. »
Et Garcin de répliquer : « Tu vas payer ça; tu vas
être fusillé (2). »
Alors, malgré les objurgations d'un ancien capi-
taine de francs-tireurs garibaldiens, devenu chef de ba-
taillon de la Garde nationale, Herpin-I^acroix, qui pro-
testait et réclamait la constitution d'une cour martiale,
on pousse dehors Clément Thomas, lequel ne résiste
pas, espérant, par cet acte de générosité magnanime,
détourner sur lui seul la fureur populaire et sauver les
autres officiers prisonniers, comme d'ailleurs il y réus-
sit (3). On le jette contre le mur du petit jardin situé
derrière. Il est debout, son chapeau à la main, très
calme et ferme, quoique vraisemblablement déjà
blessé. Une fusillade prolongée, irrégulière, saccadée,
retentit, faisant de cette exécution un long supplice
(1) lettre écrite au journal le Soir, le 26 mars 1871, parle capitaine
Beugnot, l'un des officiers arrêtés. — Citée par Gaston Da Costa.
(2) Déposition du capitaine Franck, des chasseurs à pied, devant
le Conseil de guerre de Versailles {Ibid.).
(3) Ibid-
4 o 1871
A la fin, il tombe mort. Alors c'est au tour du général
I^ecomte, qui est traîné sur le perron. H demande à
parler. On ne lui en laisse pas le temps, et on l'abat
d'un coup de fusil tiré par derrière, à bout portant.
Puis des enragés, à face de fauves, s'acharnent sur les
deux cadavres, en criant : « Moi aussi, je veux tirer
dessus ! » On tiraille encore pendant quelques minu-
tes ; après quoi, la foule, gavée de sang, peu soucieuse
des autres officiers que l'on reconduit au Château-
Rouge, où Jaclard les fait mettre en liberté, et comme
stupéfiée par l'excès de ses violences mêmes, s'écoule
et se disperse, abandonnant les deux cadavres, qui at-
tendent jusqu'au lendemain qu'on vienne les relever et
les ensevelir (i).
Un instant avant, on avait vu accourir M. Clemen-
ceau, ceint de son écharpe, qui, très pâle et les traits
convulsés, criait : « Pas de sang, mes amis, pas de
sang ! » Il arrivait malheureusement trop tard et ne
recueillait plus que des menaces, quand il témoignait
ainsi son indignation et sa douleur (2).
I^es généraux ont-ils été mis à mort par leurs soldats,
comme on l'a dit, ou par les émeutiers ? S'appuyant
sur un procès-verbal établi par l'ancien aide de camp
(1) Us furent conduits au cimetière Saint-Vincent. I^e 26 décem-
bre 1875, leurs restes étaient transférés au Père-I^achaise, dans un
monument construit par l'État, en exécution de la loi du
26 mars 1871, qui fixait en même temps le taux de la pension
allouée à leur veuve et à leurs enfants.
(2) Gaston Da Costa, loc. cit., p. 34 et 41.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 41
de Clément Thomas, et qui constate que la plupart
des blessures relevées sur les corps provenaient de
balles Chassepot (1), certains écrivains ont conclu à
la première hypothèse, pour cette raison que la Garde
nationale était armée de fusils à tabatière, exclusive-
ment. Ce ne serait pas là une preuve décisive, puisque,
après leur passage à l'ennemi, dans la matinée, les
soldats avaient livré ensemble, armes et munitions,
dont les fédérés s'étaient aussitôt emparés. Mais, d'au-
tre part, il n'est que trop certain, malheureusement,
que, si les militaires ne sont point les seuls coupables,
ils ont du moins coopéré en grand nombre à ces exé-
crables assassinats. Et ceci suffit à montrer quels rava-
ges avaient produit, dans cette armée démentalisée, la
défaite, le désœuvrement et une promiscuité fatale
avec les pires éléments de la population. Il eût fallu,
pour conserver aux troupes, après les secousses du
siège et de la capitulation, un peu de cohésion et de dis-
cipline, les tenir casernées, sous un régime sévère en
même temps qu'actif, et ne point les laisser se débander
au hasard de cantonnements plus ou moins surveillés,
(1) I«e corps de Clément Thomas portait dix-neuf blessures, celui
du général Iyécomte neuf, dont une seule (la première) avait frappé la
tête à l'occiput. De l'examen des cadavres, il résultait que nombre
de coups de feu avaient été tirés sur eux quand ils étaient déjà à terre.
I^es chaussures de Clément Thomas étaient percées de balles et deux
projectiles avaient labouré les chairs du général I^ecomte, depuis les
genoux jusqu'aux épaules, preuve que les bourreaux s'étaient accrou-
pis pour tirer sur l'homme étendu.
42
1871
où elles prenaient les pires habitudes avec le goût d'une
périlleuse oisiveté. Mais la catastrophe avait rompu
d'un coup tous les liens hiérarchiques. Si quelques
régiments tenaient bon encore, d'autres, en très grand
nombre, étaient irrémédiablement corrompus. I/ar-
mée de Paris, gangrenée, dissociée et en partie perver-
tie, ne constituait plus un boucher suffisant contre la
ruée d'une population furieuse, que la folie rouge ob-
sédait (i).
Attesta- Cependant, un autre général, et des plus illustres,
tion du Chanzy, avait f ailli partager le sort des deux malheu-
génétal reuses victimes de la rue des Rosiers. Comme le train
Chanzy. qui l'amenait d'Orléans approchait des fortifications,
un officier de fédérés, le nommé Duval, donna le signal
d'arrêt et s'empara de sa personne. Il croyait, paraît-
il, tenir d'Aurelle. Fort heureusement se trouvait là,
par hasard, un député de l'Assemblée nationale,
M. Edmond Turquet, qui fit reconnaître la méprise.
L'arrestation fut néanmoins maintenue, et tous deux,
(i) Ifi 22 février 1872, trois des individus impliqués dans la tragédie
du 18 mars, Herpin-I^acroix, I^agrange et Verdagner, sergent au 88*
de marche, étaient fusillés au plateau de Satory, en exécution d'un ju-
gement du Conseil de guerre. Treize autres accusés avaient été con-
damnés à des peines diverses. Simon Mayer vit sa peine de mort
commuée en travaux forcés à perpétuité. Garcin, arrêté seulement
en 1878, fut condamné aux travaux forcés, puis gracié à raison de son
âge (soixante-douze ans). Plusieurs, parmi ces malheureux, payaient
un forfait qu'ils n'avaient peut-être pas commis en personne, et dont
les véritables auteurs ont échappé pour la plupart au châtiment.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 43
le général et le député, furent conduits, au milieu
des cris de menaces et des mauvais traitements, à la
prison du secteur, où ils trouvèrent le général de Lan-
gourian, qui venait, lui aussi, d'être fait prisonnier.
Les scènes horribles de Montmartre allaient peut-être
se renouveler, quand survint un adjoint du XIV e arron-
dissement, Léo Meillet (i), qui s'interposa avec un réel
courage et empêcha qu'on ne fusillât sommairement
l'ancien commandant en chef de la deuxième armée
de la Loire, contre la chapelle du général Bréa (2).
Ensuite il fit relâcher M. Turquet, puis, pour plus de
sûreté, recueillit les deux généraux à son propre do-
micile. Au bout de quelques heures, ils étaient con-
duits à la prison de la Santé, où on les retint plusieurs
jours avant de les remettre enfin en liberté.
La tragédie de Montmartre était à peine terminée Jules
que l'insurrection, s'organisant peu à peu, mais de fa- Ferry
çon en quelque sorte spontanée et automatique, à l'Hôtel
cherchait à mettre la main sur l'Hôtel de Ville, où de Ville*
Jules Ferry s'était barricadé. On connaît l'énergie, le
courage, la présence d'esprit toujours éveillée de l'an- '
cien maire de Paris, qui n'affirmait jamais mieux ces
qualités que dans les moments périlleux. Il devait,
(1) Plus tard membre de la Commune.
(2) I«e général Bréa et son aide de camp Mangin avaient été traî-
treusement mis à mort par les insurgés, au cours des journées de
Juin 1848, près de la barrière de Fontainebleau. Une chapelle, qui
existe encore, a été élevée sur le lieu même de l'assassinat.
44 1871
pendant cette journée, en donner une nouvelle preuve
et se montrer, seul ou à peu près, homme de volonté,
de fermeté et de résolution.
Il disposait d'une brigade d'infanterie (109 e et 110 e ) ,
de 300 gardes républicains à pied et de 40 à cheval.
Il possédait des munitions en abondance. Enfin, à ses
côtés, étaient le général Derroja, dont la vaillance
n'avait pas besoin d'être stimulée, et le colonel Vabre,
de la Garde nationale, officier très vigoureux. Déjà,
au cours de l'après-midi, deux tentatives faites par
les fédérés avaient été victorieusement repoussées, et
l'on comptait bien en faire autant pour toutes les
autres, quand, vers six heures, on apprit que, par suite
d'un ordre venu de la Préfecture de police, les gardes ré-
publicains s'étaient repliés sur la caserne I*obau,parle
souterrain de communication, et de là sur Versailles.
« C'est livrer l'Hôtel de Ville, télégraphie aussitôt Jules
Ferry au Gouvernement, et je ne subirai pas cette
extrémité honteuse. »
Cependant la faute commise n'est pas réparée.
Aucun renfort n'arrive, bien au contraire ; bientôt
même on reçoit un ordre d'évacuation. Ferry s'indigne.
Il envoie au ministre de l'Intérieur dépêches sur dépê-
ches, pour préciser la situation et affirmer qu'il peut
résister, à la seule condition de n'être pas désarmé.
I/es ordres et les contre-ordres se succèdent. Enfin, à
près de dix heures du soir, le général Derroja est obligé
d'obéir et de se retirer, d'ailleurs très crânement, avec
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 45
toutes ses troupes (1). Jules Ferry reste seul. Comme
il n'a plus aucune chance d'être secouru et que le sacri-
fice de sa vie serait inutile, il se décide, une demi-heure
plus tard, à partir, emportant ses papiers, dont se char-
gent leshommes de service, et gagnelamairiedu Louvre.
Mais voici qu'au bout d'un instant des cris : « A mort
Ferry ! » retentissent dans la rue qui la borde. La foule
s'est attroupée et demande qu'on lui livre le maire de
Paris. Alors Edmond Adam, maire du I er arrondissement,
et M. Méline, adjoint, le font passer par le presbytère
de Saint-Germain-l'Auxerrois, qui communique avec
la mairie. De là, il peut gagner la demeure d'un
ami qui lui donne l'hospitalité pour la nuit, et, le
lendemain, il rejoint le Gouvernement à Versailles,
ayant ainsi donné tin bel exemple de vigueur et de
fermeté.
Entre temps, les fédérés, commandés par un cer-
tain Brunel (2), étaient entrés dans l'Hôtel de Ville,
sombre et complètement désert. Ils allumèrent les
(1) Sa retraite fut facilitée par I^ullier, qui venait d'être nommé
commandant en chef de la Garde nationale, en attendant Garibaldi,
et qui, pour se ménager une porte de sortie, trahissait ses amis.
(Voir Da Costa et Ijssagaray, passint.)
(2) Ce Brunel était un ancien officier de l'armée, chassé pour in-
conduite. Il avait été arrêté le 30 janvier, à la suite d'une échauffourée
sans grande importance, qui s'était produite le 28. Délivré le 26 fé-
vrier, quand fut forcée la prison de Sainte-Pélagie, il devint chef du
Comité du X e arrondissement, puis général de la Commune, et finit
professeur à l'école navale anglaise de Darmouth, où il eut pour élève
le roi d'Angleterre actuel, George V. Nous aurons l'occasion de
reparler de lui.
46 1871
becs de gaz, hissèrent le drapeau rouge et hérissèrent
la place de barricades. Sur leurs pas, arrivait le
Comité central, qui s'installa dans le cabinet que le
maire de Paris venait de quitter. Depuis le matin, il
errait de la rue de la Corderie, qu'il avait abandonnée
pour échapper à la surveillance de la police, à l'école
de la rue Basfroi, derrière la Bastille. Beaucoup de ses
membres, dispersés dans leurs quartiers, avaient été
occupés toute la journée à organiser la révolte. A onze
heures du soir, il trouvait enfin le logis définitif où il
devait abriter ses délibérations tourmentées et parfois
tumultueuses, en attendant que l'armée de la France
vînt le chasser l'épée dans les reins.
Ainsi, à la fin de cette journée sanglante, la révolu-
tion avait triomphé partout. Sur l'initiative des comi-
tés dits de vigilance, qui fonctionnaient dans presque
tous les arrondissements, au moins de la périphérie,
elle dressait des barricades à Montmartre, à Belleville,
au faubourg Saint-Antoine, à Charonne, à Grenelle,
aux Batignolles, à Vaugirard. Ses troupes s'empa-
raient des ministères, de la Préfecture de police, des
Tuileries, de la place Vendôme, que le I er bataillon de
la Garde nationale, non fédéré, évacua sans résister
aucunement. Un à un les monuments publics, les mai-
ries tombaient en son pouvoir. Et, chose étrange, per-
sonne ne commandait, personne ne dirigeait. I<e mou-
vement insurrectionnel éclos spontanément, à la suite
des nouvelles de la matinée, se généralisait, s'étendait
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 47
comme une tache d'huile, gagnant le centre après les
points éloignés, et réunissant au cœur même de Paris
les vagues humaines qui déferlaient des faubourgs.
Il semblait que cette foule, qui opérait d'ailleurs avec
méthode et décision, ait obéi à un mot d'ordre. Et
cependant de mot d'ordre, il n'y en avait aucun. Si,
à cette date fatale, le Comité central avait eu cons-
cience de sa force et donné aux opérations de la Garde
nationale une impulsion ferme, au lieu de se disperser
dans toutes les directions, il est très probable que le
Gouvernement tout entier aurait été capturé. Et l'armée
que le général Vinoy emmenait en ce moment sur la
route de Versailles n'aurait certainement pas dépassé
les portes de Paris, qu'on ne songea à fermer que
quand elles les eut franchies (1).
Cependant la rapidité de la catastrophe semblait Réunion
avoir complètement étourdi le Gouvernement. Aus- des
sitôt après le départ de M. Thiers, ses membres
s'étaient séparés, et seul restait au ministère des
Affaires étrangères M. Ernest Picard, à qui le général
d'Aurelle tenait compagnie. Une délégation des maires
de Paris se présenta bientôt, venant chercher une
(z) 1& retraite commença à une heure du matin, quand fut achevé
la concentration à l'École militaire. Un régiment, le 69 e de marche,
avait été oublié auI,uxembourg. Il se barricada dans le palais et ne
le quitta que quatre jours après, en se frayant un passage à travers
la foule, qui le huait. Son chef, le lieutenant-colonel Perier, reçut les
félicitations de M. Thiers et de l'Assemblée.
maires.
48 1871
direction ou une indication quelconque. Elle ne trouva
rien que deux hommes complètement désorientés. Elle
se retira alors à la mairie du Louvre, où s'étaient
réunis un certain nombre de magistrats municipaux, et
là, étant connue la gravité de la situation, il fut
décidé qu'on ferait quelque chose. Mais quoi?
Les plus déterminés, Vacherot, Vautrain, insis-
taient pour une résistance manifestement impossible
désormais. D'autres, moins absolus, cherchaient un
terrain de conciliation. Onfinit, comme il arrive presque
toujours, par aboutir à un expédient. Edmond Adam
remplacerait le général Valentin à la Préfecture de
police ; le colonel Langlois, un blessé de Buzenval,
serait mis à la tête de la Garde nationale; M. Dorian
nommé préfet de la Seine et le général Billot comman-
dant en chef. On croyait ainsi rallier la partie saine
de la Garde nationale, surtout les républicains modérés,
et s'en servir pour mater les autres. On croyait aussi
fournir au Gouvernement le moyen de souscrire à des
concessions qui ne fussent pas trop blessantes. C'était
une double erreur.
Tout d'abord, quand Jules Favre reçut, un peu après
sept heures, la délégation composée de MM. Tirard,
Vautrain, Vacherot, Bonvalet, Méline, Tolain, Héris-
son, Peyrat et Millière, il bondit (i). «Est-il vrai,
(i) Millière était un des agitateurs les plus connus du siège. Il avait
pris une part importante à la journée du 31 octobre. En outre, Jules
Favre le considérait comme un ennemi personnel, en raison de cer-
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 49
s'écria-t-il, qu'on ait fusillé les généraux? » Et comme
tout le monde se taisait, il laissa tomber ces mots
péremptoires v : « On ne traite pas] avec des assas-
sins ! » C'était couper court à tout. Mais le ministre
des Affaires étrangères eût-il été moins absolu et moins
cassant que la tentative ainsi engagée pour amener
une trêve n'aurait pas abouti davantage. A l'armée
du désordre on n'avait plus rien à opposer, et les révo-
lutionnaires ne suspendent jamais leur marche vic-
torieuse quand ils ne trouvent point en face d'eux une
force capable de l'arrêter.
I^es maires de Paris n'allaient d'ailleurs pas tarder à
le constater par eux-mêmes. Ils venaient de voir rêve-
nir leurs délégués, un peu confus, et ils délibéraient
encore à la mairie du Louvre, quand on vint leur dire
que l'Hôtel de Ville était évacué et qu'il fallait qu'ils
s'y rendissent pour sauver les archives et la caisse.
Quelques-uns d'entre eux se dévouèrent. Mais ce fut
le Comité central, arrivé dans l'intervalle, qui les reçut,
ou plutôt refusa de les recevoir, déclarant qu'il se
chargeait lui-même de prendre les mesures que les
circonstances pourraient exiger (1). Quand les négo-
ciateurs ainsi déboutés regagnèrent la place Saint-
Gennain-l'Auxerrois, l'émeute y grondait, et déjà les
représentants des municipalités parisiennes en étaient
taines fâcheuses révélations qui touchaient à sa vie privée, et dont
Millière portait la responsabilité.
(1) Jules Simon, loc. cit., p. 345.
4
5o 1871
réduits à une fuite précipitée. Ils allèrent chercher un
refuge à la mairie du II e , rue de la Banque, où ils
s'établirent en permanence jusqu'après les événements
dont il sera question plus tard.
Départ du Cependant le Gouvernement s'était réuni rue Aba-
Gouver- tucci, chez M. Calmon. Il discutait beaucoup, s'agitait,
nement. mais ne concluait pas. Certains ministres, Picard et
Jules Favre surtout, montraient une vive répugnance
à abandonner Paris. Le général Le Flô, lui, déclarait,
au contraire, qu'il entendait avant tout sauver l'armée,
c'est-à-dire la soustraire, au moins momentanément,
au contact des émeutiers. Quant au général d'Aurelle,
il était très sombre et affirmait que tout était perdu.
Son découragement visible décida le conseil à le rem-
placer par le colonel Langlois, qui, mandé sur-le-champ,
accepta et partit pour l'Hôtel de Ville. Après quoi on
nomma M. Dorian maire de Paris, sauf approbation
de M. Thiers, et l'on décida que, dès le 20 mars, on
déposerait sur le bureau de l'Assemblée un projet de
loi municipale. C'était donner satisfaction, un peu tardi-
vement, à la délégation des maires, que Jules Favre
avait si rudement éconduite. Ce n'était pas résoudre
le conflit. Jules Simon crut trouver la pie au nid en
rédigeant une proclamation dernière, comme si l'abus
qu'on avait fait depuis sept mois de ce genre d'élucu-
brations ne le rendait pas complètement vain, sinon
ridicule ; comme si, devant une révolution qui versait
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. Si
déjà le sang, les mots eussent gardé un pouvoir quel-
conque. Et, séance tenante, il écrivit l'affiche suivante,
qui, le 19 au matin, s'étalait sur les murs :
1
« Gardes nationaux de Paris,
« Un comité prenant le nom de Comité central, après
s'être emparé d'un certain nombre de canons, a couvert
Paris de barricades et a pris possession, pendant la nuit»
du ministère de la Justice.
«Il a tiré sur les défenseurs de l'ordre; il a fait des pri-
sonniers; il a assassiné de sang-froid le général Clément
Thomas et un général de l'armée française, le général I^e-
comte.
« Quels sont les membres de ce Comité ?
«Personne à Paris ne les connaît; leur noms sont nou-
veaux pour tout le monde. Nul ne saurait même dire à
quel parti ils appartiennent. Sont-ils communistes ou bo-
napartistes, ou Prussiens ? Sont-ils les agents d'une tri-
ple coalition ? Quels qu'ils soient, ce sont les ennemis de
Paris, qu'ils livrent au pillage ; de la France, qu'ils li-
vrent aux Prussiens ; de la République, qu'ils livreront
au despotisme. Les crimes abominables qu'ils ont com-
mis ôtent toute excuse à ceux qui oseraient ou les suivre
ou les subir.
«Voulez- vous prendre la responsabilité de leurs assassi-
nats et des ruines qu'ils vont accumuler ? Alors, demeu-
rez chez vous I Mais si vous avez souci de l'honneur et
de vos intérêts les plus sacrés, ralliez-vous au Gouver-
nement de la République et à l'Assemblée nationale.
«Paris, le 19 mars 1871. »
(Suivaient les signatures des ministres présents à Paris.)
52 1871
Ce langage violent n'eût été raisonnable que s'il se
fût appuyé sur des moyens d'action consistants et
solides. Tenu par des hommes qui abandonnaient Paris
à lui-même, faute de pouvoir le garder, il ne devait
satisfaire ni les révolutionnaires, qui étaient traités de
Prussiens et de pillards, ni les gens d'ordre, qui
voyaient là un aveu décisif de faiblesse. Il fut partout
mal accueilli, et les affiches, lacérées aussitôt que
posées, traînèrent bientôt dans les ruisseaux.
Après cette manifestation pour le moins inutile, le
Gouvernement se sépara. Il était plus de minuit.
Dufaure, Jules Simon, l'amiral Pothuau et le général
Le Flô gagnèrent l'École militaire et sortirent aussitôt
de Paris, avec l'armée. Picard et Jules Favre atten-
dirent le lendemain matin pour gagner Versailles, où
M. Thiers les pressait d'arriver. Quant au nouveau
commandant de la Garde nationale, il s'était rendu,
comme on l'a vu, à l'Hôtel de Ville. Il y fut reçu par les
membres présents du Comité central, qui lui décla-
rèrent sèchement qu'ils ne reconnaissaient pas l'auto-
rité de M. Thiers, et que la Garde nationale nommerait
elle-même son chef. Ainsi congédié, le pauvre colonel
Langlois n'eut plus qu'à courir à l'imprimerie du
Journal officiel, où son ordre du jour de prise de com-
mandement, qu'il avait composé en hâte, était déjà
sous presse, et à le retirer. Son commandement finis-
sait avant même d'avoir commencé?
Ainsi se termina cette journée du 18 mars 1871,
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 53
inaugurale d'une guerre civile que rien, désormais,
ne pouvait plus empêcher, mais qui aurait peut-être
été évitée avec un peu plus d'adresse et d'esprit poli-
tique. Sans vouloir chercher une justification, d'ail-
leurs introuvable, à l'odieuse conduite de ceux qui,
sous les yeux mêmes de l'ennemi, et à l'heure où la
France presque agonisante se débattait sous l'étreinte
d'un vainqueur implacable, n'hésitèrent pas à ajouter
à ses douleurs et à ses ruines celles d'une lutte fratri-
cide de deux mois, il faut bien reconnaître que des
fautes avaient été commises, si grosses de consé-
quences possibles qu'on aurait dû les prévoir et les
écarter. M. Thiers était un Parisien qui connaissait
très mal Paris, ou bien qui depuis trop longtemps
l'avait perdu de vue. Il ne savait rien de son irritation
contre les hommes du 4 Septembre, rien de ses espoirs
déçus, rien de l'énervement qui s'était emparé de lui
après cinq longs mois de privations, de souffrances et
d'inutile résignation. Il ignorait la fermentation qui
couvait dans une population restée à peu près tout
entière sous les armes, qui vivait uniquement de ces
armes et dont l'habitat ressemblait à celui d'une troupe
dans les camps. L'agitation fiévreuse qui secouait ces
âmes dépitées et inquiètes, il n'en comprenait ni la
violence ni les raisons profondes.
Tout de suite, il opposa, sans le vouloir probable-
ment, Paris à la province. L'entrée dans son minis-
tère de Jules Favre, de Jules Simon, d'Ernest Picard,
54 1871
avait produit dans la capitale, qui s'était refusée à
élire deux d'entre eux (i), une impression fâcheuse
que n'effaçait point, bien au contraire, la nomination
consécutive des généraux Vinoy, d'Aurelle et Valen-
tin. Bientôt survinrent les mesures économiques dont
il a été question plus haut, et qui lésaient profondé-
ment les intérêts de Paris, puis le transfert du Gouver-
nement à Versailles, qui le décapitalisait. Et alors le
peuple en colère se laissa aller à ceux qui lui répé-
taient que les ruraux voulaient renverser la Répu-
blique au profit d'un monarque inconnu. Il jeta sur les
hommes qui l'oubliaient ou passaient pour le trahir un
regard de défiance et de haine, et, comme un dogue
irrité, il se retira en grondant derrière ses canons.
Pouvait-on les lui retirer? Peut-être, mais en s'y
prenant adroitement. Plusieurs maires, parmi lesquels
M. Clemenceau, peu suspect cependant de goût per-
sonnel pour les capitulations, étaient d'avis qu'on ne
brusquât point les choses. Us pensaient qu'en négo-
ciant, en gagnant du temps, on provoquerait, chez les
farouches gardiens de Paris, une lassitude dont il
serait possible de profiter. Mais, d'autre part, la
finance réclamait une solution rapide, et la province,
qui ne connaissait rien de la situation vraie, s'étonnait
qu'on hésitât devant ce qu'elle croyait être une poi-
gnée de factieux. Quant à M. Thiers, il ne soupçon-
nait très probablement pas, quand il disait qu'A lui
(x) Seul, Jules Favre figurait sur la liste des 44 députés de Fuis.
I,A COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 55
■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ I ■ ■ ■ ! I ■■■ ■ M ■ I -■ ■! ^ ^— — — — ^ ^— ^«
faudrait «soumettre Paris », de quels énormes sacri-
fices cette soumission devrait être payée. Il se mépre-
nait sur l'organisation redoutable de la Garde natio-
nale, sur ses puissants moyens d'action et sa soumis-
sion aveugle aux instructions émanées des Comités
de vigilance, reflets eux-mêmes de l'omnipotent
Comité central. Et de plus, il comptait sur le
concours des bataillons de l'ordre, avec un optimisme
dont il eut bien vite lieu de se repentir. Si l'on ne
connaissait cet état d'esprit du chef du pouvoir exé-
cutif, on ne comprendrait pas qu'il ait pu se résoudre
à l'opération imprudente, scabreuse et si aléatoire que,
même en l'exécutant avec toute la hardiesse possible,
on n'était pas sûr de réussir, qui a abouti à la tragédie
de la rue des Rosiers. Ce qui semble d'ailleurs plus
extraordinaire encore, c'est que, parmi les généraux de
son entourage, il ne s'en soit point trouvé un pour lui
en démontrer les dangers.
Qu'on se fît des illusions sur toute l'étendue de la
désorganisation morale qui avait gagné l'armée, c'est
possible, encore qu'assez peu explicable, car, à sa tenue
seule, on aurait pu la juger; mais qu'on ait été jusqu'à
faire état de sa force matérielle, voilà qui ne se
comprend pas. Ses chefs devaient bien savoir que, par
suite des libérations et des maladies, elle ne comptait pas
plus de 22 à 24 000 hommes dans le rang, au lieu du
chiffre de 40 000 que la convention d'armistice avait
fixé. Espéraient-ils vraiment tenir tête, avec si peu de
$6 1871
monde, aux 200 000 gardes nationaux que l'émeute
pouvait réunir, étant donnée surtout l'obligation de
se disperser qui résultait de l'énorme étendue du ter-
rain à garnir? Il ne s'agissait que d'un coup de main,
disait-on. Soit. Mais un coup de main exige toujours
une préparation minutieuse et une grande fermeté
d'exécution. La première était ou insuffisante ou pré-
caire, et, quant à l'autre, il fallait se montrer bien
confiant pour espérer l'obtenir avec des soldats dont
une grande partie était prête à tourner casaque avant
même d'avoir reçu un coup de fusil. En fait, l'exécu-
tion fut aussi faible que la préparation avait été man-
quée.
Que signifie d'abord cette relégation, place de la
Concorde et aux Champs-Elysées, c'est-à-dire à une
distance fabuleuse en arrière, des attelages destinés à
emmener les pièces? Le général Vinoy, plaidant pour
sa propre cause, a dit qu'il avait bien fallu « laisser ces
attelages un peu loin des têtes de colonnes afin qu'elles
n'en fussent pas encombrées, dans le cas plus que pro-
bable où elles auraient rencontré une vive résistance,
que l'insuccès des tentatives en vue d'une conciliation
obligeait à prévoir (1) ». Il ajoute, qu'à son avis,
quarante-huit heures au moins étaient nécessaires pour
évacuer les pièces et les munitions qui se trouvaient
sur la hauteur de Montmartre (2). On est en droit de
(1) U armistice et la Commune, p. 217.
(2) Ibid., p. 219*
LA COMMUNE A PARIS HT EN PROVINCE. $7
s'étonner, s'il en est ainsi, que lui-même n'ait pas fait
valoir des objections aussi dirimantes au Conseil des
ministres du 17. Tous les préparatifs tendaient à une
attaque brusquée. Du moment qu'il s'agissait d'une
opération de longue haleine, il devenait parfaitement
impossible de la tenter avec les moyens notoirement
insuffisants dont on disposait.
Quant à l'exécution elle-même, elle a été pitoyable.
Les troupes postées en réserve ont gardé une attitude
passive qui contraste tristement avec l'énergie violente
des fédérés. Comment, après l'échec constaté des pre-
mières tentatives, n'ont-ellespasmême esquissé quelque
retour offensif, quand il suffisait probablement d'un
acte vigoureux pour disperser les émeutiers et déli-
vrer les généraux prisonniers? On s'étonne vraiment,
et l'on est un peu humilié de la retraite précipitée
qu'elles ont accomplie sans presque se servir de leurs
armes, sans utiliser leur artillerie et en abandonnant
même, rue d'Allemagne, une batterie tout attelée aux
mains des fédérés. Leurs généraux, qui s'en méfiaient,
n'ont pas osé les lancer en avant, cela n'est que trop
clair. Alors à quoi bon les déployer, puisqu'on était
assuré d'avance de n'aboutir qu'à une manifestation
inutile et à une reculade à tous points de vue lamen-
table? Mettre en mouvement tout ce qu'on possède de
forces actives pour être ensuite obligé, sans même avoir
combattu, de fuir précipitamment devant la révolu-
tion qu'on a laissée se déchaîner, et de déménager en
58 1871
hâte le Gouvernement désorienté, c'est vraiment mie
manoenvre bien malhabile, et que rendent plus inexcu-
sable encore les sacrifices qa'il a fallu faire pour la
CHAPITRE III
l£ RÈGNE DU COMITÉ CENTRAL
Quand, le 19, dans la matinée, le Comité central Le Comité
connut en entier son triomphe, il en eut comme un central de
étourdissement. La victoire était venue à lui sans qu'il l'Hôtel de
la cherchât, sans même qu'il eût rien fait pour l'obte- Ville.
nir. Car, si Ton excepte Charles Lullier, nommé anté-
rieurement par lui commandant de l'artillerie, et qui
avait dirigé de façon assez active, sinon très métho-
dique, certaines opérations effectuées la veille, ses
membres ne s'étaient mêlés au mouvement insur-
rectionnel qu'à titre individuel et sans aucun mandat
collectif (1). Un peu abasourdi du pouvoir qui lui
tombait ainsi entre les mains et ne sachant trop
(1) Lullier, ancien officier de marine, ne manquait ni d'intelligence
ni de valeur ; mais, malheureusement, des habitudes invétérées d'intem-
pérance avaient fait de lui une sorte de détraqué. I*e 18 mars, il se
multiplia pour faire occuper par la Garde nationale les points impor-
tants de Paris. Ses anciens collègues l'ont nettement accusé cepen-
dant de les avoir trahis, et il apparaît en effet, comme on le verra
par la suite, que son attitude postérieure n'a été rien moins que
nette. Disons toutefois qu'il fut un de ceux qui s'entremirent, le plus
efficacement, pour obtenir, du Comité du XV e , la délivrance du général
Chanzy.
6o 1871
comment l'exercer, il fit tout simplement ce que faisait
avant lui le Gouvernement du 4 Septembre, c'est-à-
dire qu'il couvrit de proclamations les murs de la
capitale.
L'une d'elles était ainsi conçue :
« Citoyens,
« Le peuple de Paris a secoué le joug qu'on essayait de
lui imposer.
« Calme, impassible dans sa force, il a attendu sans
crainte comme sans provocation les fous éhontés qui
voulaient toucher à la République.
« Cette fois, nos frères de Tannée n'ont pas voulu porter
la main sur l'arche sainte de nos libertés. Merci à tous,
et que Paris et la France jettent ensemble les bases d'une
République acclamée avec toutes ses conséquences, le
seul gouvernement qui fermera pour toujours l'ère des
invasions et des guerres civiles.
« L'état de siège est levé.
«Le peuple de Paris est convoqué dans ses sections
pour faire les élections communales.
« La sûreté de tous les citoyens est assurée par le con-
cours de la Garde nationale. »
Et voici maintenant la seconde, adressée aux gardes
nationaux :
« Citoyens,
«Vous nous aviez chargés d'organiser la défense de
Paris et de ses droits.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 61
« Nous avons conscience d'avoir rempli cette mission ;
aidés par votre généreux courage et votre admirable sang-
froid, nous avons chassé ce gouvernement qui nous trahis-
sait (i).
« A ce moment, notre mandat est expiré, et nous vous
le rapportons, car nous ne prétendons pas prendre la
place de ceux que le souffle populaire vient de remplacer.
« Préparez donc et faites de suite vos élections commu-
nales, et donnez-nous pour récompense la seule que nous
ayons jamais espérée : celle de vous voir établir la véri-
table République. En attendant nous conservons, au
nom du peuple, l'Hôtel de Ville (2). »
On voit que, sous le rapport du verbiage, les hom-
mes du 18 Mars n'avaient rien à envier à ceux du 4 Sep-
tembre. Ils maniaient tout comme eux l'hyperbole et le
style redondant. Tout comme eux — aussi, ils perdaient
leur temps en parlotes et en conversations inutiles.
Au cours de la journée du 19, ils tinrent des séances suc-
cessives et intermittentes. « I*es discussions s'enga-
geaient au milieu d'un assez grand désordre, sans
suite, et, la plupart du temps, sans conclusion. Dans le
(1) Id, le Comité central se vantait. Il n'avait rien chassé du tout.
I*e gouvernement s'était évanoui, faute de pouvoir se défendre, et
quant au généreux courage des insurgés, il ne s'était encore affirmé
que par quelques escarmouches sans importance et deux assassinats.
(2) Parmi les vingt signataires de ces deux documents, qui seuls
encore étaient à l'Hôtel de Ville, deux à peine avaient quelque noto-
riété. C'étaient Assi, pour son rôle dans les grèves du Creusot, et
I^ullier, en raison de son intervention de la veille. Quant aux autres,
dont les noms reviendront pour la plupart au cours de ce récit, ils
étaient encore absolument inconnus.
62 1871
désarroi, Lullier faisait résonner ses bottes et prenait
à chaque instant les allures d'un Dumouriez aviné (i). »
Les uns voulaient qu'on marchât tout de suite sur
Versailles et qu'on mît la main sur les quartiers du
centre, qui ne paraissaient pas assez ardents pour la
cause révolutionnaire. D'autres, moins pressés, de-
mandaient qu'on dégageât d'abord la responsabilité
du Comité dans les assassinats des généraux, assassi-
nats qui, en effet, n'étaient point de son fait, mais dont
il ne se désolidarisait pas cependant franchement,
puisque, dans le manifeste publié par lui à ce sujet,
il disait que « ces deux hommes avaient subi les lois
de la guerre ». Certains auraient voulu qu'on s'enten-
dît avec les maires de Paris, à qui Thiers avait passé
l'administration provisoire de la ville (2). Comme on ne
se mettait pas d'accord, on prit le parti tout anodin de
lancer une nouvelle proclamation, parfaitement mala-
droite, d'ailleurs, en ce que, pour les élections de la
Commune, le Comité exigeait des municipalités un
concoursqu'iln'étaitpas,àbeaucoupprès,assuréd'obte-
nir partout (3). Après quoi, il décrétait une amnistie
générale, supprimait les conseils de guerre, voire même
l'armée permanente, et, ce qui était plus intéressant
(1) Gaston Da Costa, loc. cit., p. 145.
(2) Far arrêté du 19 mars, 6igné du ministre de l'Intérieur, Ernest
Picard.
(3) I*es élections étaient fixées au 22 mars. Elles devaient avoir lieu
au scrutin de liste et par arrondissement. Chaque arrondissement
nommait un conseiller par 80 000 habitants ou fraction excédant de
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 63
parce que plus pratique, prorogeait d'un mois les effets
de commerce, interdisait aux propriétaires et hôteliers
de congédier leurs locataires, enfin suspendait toute
vente des objets engagés au Mont-de-Piété.
En même temps, ses délégués prenaient possession
des différents ministères ou services publics, que leurs
titulaires avaient désertés. Grellier, garçon de lavoir,
s'empara de l'Intérieur, qu'il ne garda d'ailleurs que
cinq jours (1). On mit Bergeret, promu général, à la
Place de Paris (2) ; Rouiller, ouvrier corroyeur, à l'Ins-
truction publique ; le comptable Jourde, aux Finances,
et le journaliste Paschal Grousset, aux Affaires étran-
gères. Un nommé Lucien Combatz, ancien garibaldien,
eut les Postes et Télégraphes, pas pour longtemps heu-
reusement, car son premier acte avait été de suppri-
mer le service de la télégraphie privée dans Paris, sous
prétexte que « les employés étaient à Versailles avec le
roi ». A la Préfecture de police, il n'y avait personne.
Mais le « général » Duval, qui l'occupait avec ses ba-
taillons, faisait écrouer gendarmes, gardiens de la
paix ou personnages suspects que lui envoyaient les
comités d'arrondissement. Ces nouveaux potentats, à
plus de zo 000. Enfin, et voici le plus grave, les municipalités des
vingt arrondissements étaient chargées, en ce qui les concernait, de
l'exécution de cet arrêté du Comité central.
(1) Il fut remplacé, après les élections de la Commune, par le
citoyen Vaillant « Il signait, a écrit Jules Vallès, des ordres pavés
de barbarismes, mais pavés aussi d'intentions révolutionnaires. »
(2). n était chef de bataillon de la Garde nationale.
¥
64 1871
peu d'exception près, étaient de simples grotesques,
plus préoccupés de parader en costumes flamboyants
que de s'occuper d'affaires, auxquelles d'ailleurs ils
n'entendaient rien. Mais beaucoup de ceux qui bientôt
leur succédèrent étaient aussi des sanguinaires, qui
voulurent donner à leurs saturnales le ragoût du meur-
tre et de l'incendie. Il est certain qu'on perdit au
change, quand, aux agents du Comité^central, la^Com-
mune substitua les siens propres, dont beaucoup met-
taient sans doute mieux l'orthographe que les fanto-
ches de la première heure, mais étaient aussi beaucoup
plus redoutables par leur férocité d'intellectuels dépra-
vés.
Pour le moment, la population semblait se soucier
assez peu de tous ces mouvements et de ces manifesta-
tions diverses. I*e 19 mars était un dimanche, etles pro-
meneurs se pressaient autour des barricades, qui ne
paraissaient pas en général les impressionner beaucoup.
On était un peu étonné de la tournure violente qu'a-
vaient prise subitement les choses ; certains se mon-
traient inquiets des représailles que les assassinats de
la veille pouvaient provoquer. Mais bien peu croyaient
que la guerre civile fût devenue inévitable et dût four-
nir une conclusion fatale à ce dissentiment passager.
On ne se faisait certes pas faute de dauber sur le gou-
vernement, pour son éclipse si soudaine, mais personne
n'attribuait de portée ni de puissance sérieuse à un
comité composé de gens obscurs, inconnus, et dont
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 65
pas un ne comptait parmi les révolutionnaires en ve-
dette. Enfin on espérait bien que la députation de Paris,
très républicaine dans son ensemble, et les maires élus
par le peuple ne tarderaient pas à conclure une entente
avec M. Thiers. Les habitants de la capitale n'étaient
donc, pour la plupart, ni très émus, ni très préoccupés.
lueurs mandataires, c'est-à-dire les maires et ad- Essais de
joints, Tétaient bien davantage. Us s'étaient réunis, concilia-
à deux heures, à la mairie du III e arrondissement, tion *
où vinrent peu après les rejoindre un certain nombre ,
de chefs de bataillon de la Garde nationale. Us étaient
partagés entre la suspicion dans laquelle ils tenaient
l'Assemblée réactionnaire de Versailles et la méfiance
que leur inspirait le Comité central. Cependant ils se
résignèrent à traiter avec celui-ci, qui, de son côté, se
prêta à une entrevue. On sait que son omnipotence
l'embarrassait, et d'ailleurs il était en ce moment assez
mal impressionné par une démarche que venaient de
faire les jeunes gens des Écoles, qui s'étaient nette-
ment déclarés contre lui. A huit heures du soir donc,
les délégués de la réunion du III e se rendirent à
l'Hôtel de Ville. C'étaient les députés Cournet, Tolain, .
Millière, Malon, Iyockroy et Clemenceau ; les maires
Bonvalet et Mottu ; les adjoints Murât, Jaclard et
I^eo Meillet.
M. Clemenceau, sans préambule, demanda au Co-
mité central de reconnaître l'Assemblée et de laisser
5
66 1871
l'Hôtel de Ville aux représentants de la Cité, lesquels
feraient tout leur possible pour obtenir la conserva-
tion des droits de Paris. « H admettait lalégitimité des
revendications de la capitale, regrettait que le Gou-
vernement ait soulevé des colères, mais il déniait à
Paris le droit de s'insurger contre la France (i). » Il
fut mal accueilli. « Vous venez nous parler de l'Assem-
blée, de la France, riposta quelqu'un. I^e mandat de
l'Assemblée est terminé. Quant à la France, nous ne
prétendons pas lui dicter de lois, — nous avons trop
gémi sous les siennes, — mais nous ne voulons pas subir
ses plébiscites ruraux (2). » Alors MiHière intervint, et
3 étant sur l'avenir un regard chargé de crainte : « L'heure
de la révolution sociale n'a pas sonné, dit-il... J'entre-
vois quelques fatales journées de Juin... » Et Benoît
Malon, un socialiste militant cependant, insista à son
tour pour que « Paris se remît à ses représentants lé-
gaux ».
Mais les violents devaient l'emporter, après que
Varlin eut ainsi formulé péremptoirement leurs exi-
gences : « Nous voulons, s'écria-t-il, un conseil muni-
cipal élu, les franchises communales, la suppression
promise de la Préfecture de police, le droit, pour la
Garde nationale, de nommer tous ses officiers, y
compris le commandant en chef, la remise entière des
loyers échus, une loi équitable sur les échéances ;
(i) IyISSAGARAY, loc. cit.
{2)Ibid,p. 118.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 67
nous voulons enfin que Tannée de Vinoy se retire à
vingt lieues de Paris. » Comme la discussion se prolon-
geait sans conclure, et que de la lassitude générale com-
mençait à naître une visible agitation, on décida de se
séparer ; mais quatre membres du Comité : Varlin,
Moreau, Jourde et Arnold suivirent les délégués des
députés et des maires à la mairie du III e arrondissement.
Il était près de minuit.
La querelle recommença alors, plus ardente, plus
vive, et aussi plus acerbe. La question restait posée
sur le même terrain, celui de la reconnaissance du
Comité central, et c'était précisément là ce que la réu-
nion se refusait formellement à admettre. « Je ne re-
connais ici de pouvoir élu, disait le maire du II e arron-
dissement, Tirard, qui présidait, que celui des maires ;
si vous avez une élection, donnez-en la preuve. » A quoi
Jourde, que la colère avait gagné, ripostait : « Vous
demandez nos titres ? Nous avons d'abord la force (1). »
C'était bien, en effet, la force qui seule, désormais, pou-
vait arbitrer un différend venu à ce degré d'acuité. Ce-
pendant Louis Blanc s'était levé tout à coup et, dres-
sant sa petite taille, lançait des objurgations mena-
çantes : « Vous êtes des insurgés contre l'Assemblée la
plus librement élue, criait-il de sa voix perçante. Nous,
mandataires réguliers, nous ne pouvons avouer une
transaction avec des insurgés ! Nous voulons bien pré-
venir la guerre civile, mais non paraître vos auxiliaires
(1) Gaston Da Costa, loc. cit., p. 181.
68 1871
aux yeux de la France I » Or, ce que demandaient pré-
cisément les délégués du Comité, c'est que les maires
se déclarassent « d'accord avec eux » ! On voit
combien les discoureurs étaient loin de s'entendre. Exté-
nués par cette interminable séance, qui durait depuis
près de cinq heures, énervés et hors d'eux, ils en ve-
naient maintenant aux paroles redoutables. « Ce n'est
pas seulement à Paris, s'exclamait Jourde, c'est par
toute la France que va s'allumer cette guerre que vous
nous déclarez, et elle sera sanglante, je vous le pré-
dis. » Puis, comme un des maires faisait observer qu'il
y avait les Prussiens : « 3>s Prussiens ne bougeront
pas, reprit-il... Et puis, si nous sommes vaincus, nous
brûlerons Paris, et nous ferons de la France une se-
conde Pologne (i). » Pronostics épouvantables, et
dont il n'a pas tenu aux révoltés de 1871 de faire une
horrible réalité !
Il était plus de quatre heures du matin quand la réu-
nion se sépara. Elle avait fini par tomber d'accord,
tant bien que mal, sur un projet de conciliation
comprenant le dépôt d'une proposition de loi munici-
pale, l'élection des chefs de la Garde nationale et le
maintien du Comité central à la tête de celle-ci. I^ouis
Blanc rédigea même une affiche, que signèrent députés
et maires, et qui annonçait au public la transaction
consentie. Il était bien convenu quel'Hôtel de Villeserait
(1) Gaston Da Costa, p. 183.
tA COMMUNE A PAklS ET EN PROVINCE. 69
remis aux feprésentants du gouvernement régulier (1).
Mais quand, le 21, à neuf heures, les citoyens Bonva-
let, maire du III e arrondissement, Murât, adjoint du
X e , et Denizot, adjoint du XI e , se présentèrent place
de Grève, ils trouvèrent porte close, et une note du
Comité central leur faisant connaître que, dans les « cir-
constances actuelles, il était responsable des consé-
quences de la situation et ne pouvait se dessaisir ni
du pouvoir militaire ni du pouvoir civil ».
Il venait en effet de se raviser, sur une injonction
formelle venue des comités de vigilance qui s'étaient
réunis pendant la nuit rue de la Corderie. Ainsi, dans
les révolutions, les meneurs trouvent toujours quel-
qu'un qui les mène, et les provocateurs de celle-ci n'a-
vaient point échappé à la loi générale. Maîtres de Paris
en apparence, ils devenaient tout à coup les serviteurs
très humbles des révolutionnaires qu'ils avaient dé-
chaînés, et qui maintenant les accusaient de tiédeur.
Leur autorité, déjà contestée, ne pouvait se maintenir
qu'autant qu'ils la mettraient au service des violents
et des énergumènes, et ils n'avaient plus le choix qu'en-
tre l'obéissance ou l'abdication (2). C'est à cette der-
nière attitude qu'ils se résignèrent, non sans une ran-
(1) I<e Comité central devait se transporter place Vendôme, à l'é-
tat-major de la Garde nationale.
(2) Dans cette réunion nocturne de la rue de la Corderie, on vit ap-
paraître des hommes bien connus par leurs sentiments anarchistes et
qui allaient bientôt jouer les premiers rôles ; mais qui, jusque-là, étaient
restés dans l'ombre. C'étaient Ferré, Eudes, Badois, Tridon, I^evraud,
7© 1871
cœur évidente, dont l'amertume apparaît dans le ma-
nifeste qu'ils publièrent aussitôt, en forme de plai-
doyer :
« I^e Comité central n'a pas été 'occulte, disaient-ils.
Ses membres ont mis leurs noms sur toutes ses affiches (i)...
Un des plus grands sujets de colère contre nous est l'obscu-
rité de nos noms. Hélas ! bien des noms étaient connus,
très connus, et cette notoriété nous a été bien fatale... La
notoriété s'obtient à bon marché : quelquesjphrases creuses
et un peu de lâcheté suffisent ; un passé tout récent l'a
prouvé... Obscurs il y a quelques jours, nous allons ren-
trer obscurs dans tes rangs, ô peuple, et montrer aux gou-
vernants que l'on peut descendre la tête haute les mar-
ches de ton Hôtel de Ville, avec la certitude de trouver en
bas l'étreinte de ta loyale et robuste main. »
Derrière cette phraséologie, se cachaient un dépit
évident et une désillusion amère. Mais, si désappointé
qu'il fût, le Comité tenait bon et ne désarmait point.
Il faisait annoncer par le Journal officiel, tombé en
sa possession, que les élections communales auraient
lieu le 23, et il indiquait par avance le caractère qu'elles
devaient avoir. « En votant pour les républicains so-
cialistes connus, disait-il, dévoués, intelligents, probes
et courageux, les électeurs parisiens assureront non
Da Costa, Trinquet, etc. Ils appartenaient presque tous au parti blan-
quiste, qui était celui de l'action directe.
(1) C'est inexact. I^es premières, les plus importantes, étaient si-
gnées de vingt membres seulement.
#
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 71
seulement le salut de la capitale, mais encore celui de
la France (1). » C'était afficher des visées bien hautes,
avec des moyens singulièrement hasardeux.
Que faisait pendant ce temps le Gouvernement ? Le Gou-
Nous l'avons vu gagnant Versailles en assez grand vernetnent
désarroi, tandis que Tannée, conduite par le général à ^ ef "
Vinoy, non sans difficultés ni incidents, l'y rejoignait vailles.
dans la matinée du 19 (2). On connaît sa faiblesse
matérielle et son pitoyable état moral. M. Thiers n'en
expédia pas moins aux préfets, le 19, à huit heures
vingt-cinq du matin, un télégramme ainsi conçu, qu'il
avait écrit de sa propre main, comme il fit d'ailleurs
pour toutes les communications du même genre qui
suivirent (3) :
« le Gouvernement tout entier est réuni à Versailles ;
l'Assemblée s'y réunit également.
«1/ armée, au nombre de 40000 hommes, s'y est
(1) I*e Journal officiel de la République française garda son nom,
sauf le 30 mars, où il s'appela Journal officiel de la Commune de Paris,
Il avait à sa tête les citoyens Vésinier, I^ebau, Barberet et Florisse Pi-
raux. I,e premier seul était un personnage connu. H avait été compro-
mis dans la journée du 31 octobre, devint membre de la Commune, fon-
da alors le Paris libre, échappa aux recherches et se réfugia à I*ondres,
où il publia une Histoire de la Commune, d'ailleurs sans grand intérêt.
(2) « I^es derniers régiments, dit J. Simon, hésitaient à avancer,
regardant en arrière. I«e général Vinoy fut plus d'une fois obligé d'aller
en personne les rallier et les porter en avant. H mit des gendarmes,
dont on était sûr, à l'arrière-garde, pour empêcher les désertions. I«a
neige couvrait la terre comme un linceul. » {Loc. cit., 1. 1, p. 253.)
(3) Jules Simon, loc. cit., p. 254.
ji 18T1
- - ....__ — - ^^.
concentrée en bon ordre, sous le commandement du général
Vinoy. Toutes les autorités, tous les chefs de l'armée y sont
arrivés (i).
« I^es autorités civiles et militaires n'exécuteront d'au-
tres ordres que ceux du Gouvernement légal, résidant à
Versailles, sous peine d'être considérées comme en état de
forfaiture.
« I^es membres de l'Assemblée nationale sont invités à
accélérer leur retour, pour être tous présents à la séance du
20 mars.
« I*a présente dépêche sera livrée à la connaissance du
public. »
En même temps, ordre était envoyé à tous les em-
ployés de ministère et fonctionnaires publics de ga-
gner Versailles, sauf quelques exceptions détaillées, et
les services divers installés au Château. Le chef du pou-
voir exécutif succédait dans l'hôtel de la Préfecture à
l'empereur Guillaume, « comme un nouveau préfet
qui prend la chambre et le cabinet de son prédéces-
seur (2) ». I^es ministres s'étaient logés tant bien que
mal. Quant au général Vinoy, à qui était affectée une
maison particulière, il avait pris des dispositions rapi-
(1) Il n'est pas besoin d'insister sur les différences que présentent
ces affirmations avec la réalité.
(2) Jules Simon, loc. cit., p. 256. — Jules Simon ajoute que l'em-
pereur n'emporta qu'un petit bougeoir doré, sans aucune valeur, en di-
sant : « J'emporte cela comme souvenir ; qu'on n'inquiêie personne
à ce sujet. » D'ailleurs, le palais était intact, sauf deux cadres dont les
toiles avaient été coupées avec un canif au ras de la bordure et
confisquées par quelque amateur appartenant sans aucun doute à
la suite du monarque prussien.
LA COMMUNS A PARIS ET £N PROVINCE. 73
des pour mettre le siège du pouvoir à l'abri d'un coup
de main, dont l'éventualité malheureusement était à
redouter.
I/aspect de la cité royale, habituellement si paisible
dans son immensité morne, était maintenant extraordi-
naire et donnait l'impression de quelque énorme cam-
pement de bohémiens. Des régiments avaient installé
leurs tentes sur les avenues. Ce n'étaient plus, hélas !
ceux de la Garde, dont naguère les brillants uniformes
s'harmonisaient si bien avec le décor grandiose des
allées imposantes et des hôtels majestueux ; mais une
cohue d'hommes débraillés, à l'allure équivoque, à la
tenue lâchée et en désordre, à l'attitude grossière,
presque provocante. I^es officiers, qui sentaient leur
autorité minée, évitaient de se commettre avec des
soldats dont ils ne pouvaient même pas obtenir le sa-
lut. Et ceux-ci se répandaient par les rues, comme un
troupeau lâché qui ne respecte rien. On eût dit d'une
horde indisciplinée livrée à ses instincts dans une ville
prise d'assaut.
Sur les places, encombrées de canons et de voitures,
à travers les cuisines en plein vent, qui répandaient une
fumée acre, la population, montée en quelques heures à
un chiffre presque double, courait à la recherche d'ali-
ments, qui devenaient rares. I^es immigrés, fuyant
Paris, arrivaient en foule. Des employés, des fonction-
naires, des députés erraient à l'aventure, en quête
d'un gîte, qu'il était d'heure en heure plus difficile de
74 18 71
trouver. Et dans la boue gluante, à travers les tas de
neige, les tentes et les voitures, c'était un va-et-vient
continu de gens à l'air soucieux, qui, des paquets plein
les mains, demandaient des renseignements ou implo-
raient une hospitalité fort chère. Cette cohue déso-
rientée avait un air d'inquiétude et de misère qui fai-
sait pitié.
A la Préfecture, que gardaient des postes fournis par
la brigade Daudel, régnait cependant une tranquillité
relative; mais une préoccupation fort grave vint bien-
tôt y assaillir le chef du pouvoir exécutif. En quittant
Paris, l'armée avait évacué les forts de la rive gauche,
dont les fédérés s'étaient aussitôt emparés (i). Un seul
restait, dont ils n'étaient pas encore maîtres, c'était le
Mont-Valérien, de beaucoup le plus important par sa
situation dominante et le commandement qu'il exerce
tant sur la route de Paris à Versailles que sur la capi-
tale elle-même ; mais, comme il n'avait plus d'autre gar-
nison que deux bataillons de chasseurs, de fort mau-
vaise réputation, et récemment désarmés pour leur
participation aux manifestations de la place de la
Bastille, il risquait à tout moment d'être enlevé. Cette
situation, connue de nombre de députés, de généraux
et de personnages marquants, ne laissait pas de les in-
quiéter beaucoup, et, dans la journée du 19, certains
d'entre eux, tels MM. Buffet et Jules Simon, étaient
(1) I^es forts du nord et de l'est étaient encore, en vertu de la
convention d'armistice, occupés par les Allemands.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 7$
allés la signaler à M. Thiers. Mais celui-ci n'avait pres-
crit aucune mesure pour l'améliorer.
Sur ces entrefaites, parvint au général Vinoy, vers
onze heures du soir, une dépêche du colonel de Lochner,
commandant du fort, qui signalait le grave danger au-
quel il était exposé. "Le commandant en chef se rendit à
plus de minuit à la préfecture et fit réveiller M. Thiers,
qui s'était couché. L'envoi d'un régiment dans la for-
teresse ayant été aussitôt décidé, on choisit le 119 e ,
qui, depuis le 12, étaità Versailles, et que commandait
un officier très énergique, le colonel Cholleton, lequel
partit aussitôt avec un premier échelon et put occuper
le Mont-Valérien le 20, à huit heures du matin. Quand,
dans la soirée même, les fédérés se présentèrent, ils
trouvèrent le pont-levis dressé. Et c'est ainsi que fut
conservé à l'armée de l'ordre un point d'appui dont la
privation lui aurait coûté des sacrifices énormes, sinon
l'impossibilité de réduire la ville rebelle, au moins de
très longtemps (1).
Grâce à l'heureuse issue de cette affaire, c'est au mi-
lieu d'une sécurité suffisante que l'Assemblée put,
comme il avait été décidé, se réunir dans l'après-midi
de ce même jour (2). L'indignation y était générale et
(1) Deux jours plus tard, le 23 mars, le fort de Vincennes était livré
à l'émeute sur simple sommation/par sa garnison. I^es insurgés y trou-
vèrent une ample provision de matériel et de munitions, sans compter
nombre d'artilleurs, qui passèrent à l'insurrection. (Général Vinoy
loc. cit., p. 244.)
(2) I«e théâtre du Château, où avait eu lieu, en 1789,1e fameux repas
76 1871
■ ■ . ■ i i ... i »
rirritation extrême. La majorité parlait déjà d'une ré-
pression sans merci, suffisamment justifiée à ses yeux
par la rébellion ouverte de la Garde nationale et par
l'assassinat des généraux. Elle se montrait agitée, ner-
veuse, et des colloques passionnés s'étaient engagés
sur tous les bancs, quand le président Grévy, récla-
mant le silence, prononça l'allocution que voici :
« Messieurs, il semblait que les malheurs de la patrie
fussent au comble. Une criminelle insurrection qu'aucun
grief plausible, qu'aucun prétexte sérieux he saurait atté-
nuer, vient de les aggraver encore. Un gouvernement fac-
tieux se dresse en face de la souveraineté nationale, dont
vous êtes seuls les légitimes représentants. Vous saurez vous
élever avec courage et dignité à la hauteur des grands de-
voirs qu'une telle situation vous impose. Que la nation
reste calme et confiante ; qu'elle se serre autour de ses
élus ; la force restera au droit. La représentation nationale
saura se faire respecter et accomplir imperturbablement
sa mission, en pansant les plaies de la France et en assu-
rant le maintien de la République, malgré ceux qui la
compromettent par les crimes qu'ils commettent en son
nom. »
C'était une déclaration de guerre, et des plus nettes.
Mais était-il possible de répondre autrement aux vio-
lences et au manque de foi du Comité central ? Seuls
en doutaient encore, ou feignaient d'en douter, ceux
des gardes du corps, prélude du retour du roi à Paris, avait été rapi-
dement aménagé en salle des séances. 1/ Assemblée y siégea jusqu'à
sa dissolution
LA COMMUNE A PARIS HT EN PROVINCE. 77
qui s'essayaient, malgré tout, à réaliser une concilia-
tion impossible. Ayant donné leur parole, les représen-
tants de Paris voulurent rester fidèles aux engagements
qu'ils avaient pris, même après que ceux-ci furent de-
venus unilatéraux, et, dans la séance même, MM. Cle-
menceau et Tirard déposèrent une proposition de loi
sur les élections municipales (1), tandis que M. I^>c-
kroy en formulait une autre relative aux élections de la
Garde nationale (2), et que MilUère demandait une
prorogation de trois mois pour les effets de commerce.
Par un sentiment dont il doit lui être tenu compte,
étant donnés ses légitimes sujets de plainte, TAssem-
glée vota l'urgence (3). Mais elle accueillit en même
temps avec des applaudissements la promesse faite
par les maires et députés de s'opposer aux élections
décidées par le Comité central (4). Et ceci laissait bien
(1) Elle tendait à l'élection d'un Conseil municipal de quatre-
vingts membres, et à la nomination par ce conseil du maire de Paris.
(2) I<es gardes nationaux devaient élire tous les gradés, jusqu'au
grade de capitaine inclus ;les chefs de bataillon et les porte-drapeaux
devaient être élus par les officiers du bataillon, et par des délégués de
la troupe en nombre égal à celui des officiers ; les colonels et lieu-
tenants-colonels, par les capitaines et chefs de bataillon: le général en
chef, par tous les officiers supérieurs. I*e général et les colonels pou-
vaient choisir leur état-major. I^es chefs de bataillon nommaient les
adjudants-majors et adjudants.
(3) Sauf sur le projet concernant les élections de la Garde nationale,
pour lequel l'urgence n'avait pas été demandée.
(4) I<es représentants de Paris firent afficher deux proclamations.
I<a première annonçait le vote de l'urgence et ajoutait : « I<a Garde
nationale, ne prenant conseil que de son patriotisme, tiendra à hon-
neur d'écarter toute cause de conflit, en attendant les décisions
78 1871
voir que le conflit durait toujours. La proclamation
que firent afficher, dans la matinée du 21 mars, trente-
cinq journaux de la capitale, dont l'intention était
assurément excellente et le langage irréprochable, mais
Tintervention peut-être assez peu opportune, ne sem-
blait pas faite pour l'apaiser. Elle disait :
« Attendu que la convocation des électeurs est un acte
de la souveraineté nationale ;
«Que l'exercice de cette souveraineté n'appartient
qu'aux pouvoirs émanés du suffrage universel ;
« Que, par suite, le Comité central, qui s'est installé
à l'Hôtel de Ville, n'a ni droit ni qualité pour faire cette
convocation,
« I^es représentants des journaux soussignés considè-
rent la convocation affichée pour le 21 mars comme nulle
et non avenue et engagent les électeurs à ne pas en tenir
compte (1).»
qui seront prises par l'Assemblée nationale. » I*a seconde contenait
les phrases suivantes : « En attendant les élections municipales, seules
légales et régulières, seules conformes aux vrais principes des insti-
tutions républicaines, le devoir des bons citoyens est de ne pas répon-
dre à un appel qui leur est adressé sans titre et sans droit. Nous,
vos représentants municipaux; nous, vos députés, déclarons donc res-
ter complètement étrangers aux élections annoncées pour demain et
protestons contre leur légalité. »
(1). Avaient adhéré les journaux que void : Journal des Débats,
Constitutionnel t Electeur libre, Petit Moniteur, Vérité, Figaro, Gaulois,
Petite Presse, Petit Journal, Petit National, Univers, Cloche, Patrie,
Français, Gazette de France, Union, Bien public, Opinion nationale,
Avenir libéral, Paris- Journal, Presse, France, Liberté, Pays, National,
Journal des villes et des campagnes, Journal de Paris, Moniteur uni-
versel, France nouvelle, Monde, Temps, Soir, Ami de la France, Mes-
sager de Paris, Peuple français.
LA COMMUNE A PARIS HT EN PROVINCE. 79
Cette invitation comminatoire irrita fort le Comité
central, qui la qualifia dans Y Officiel de « provocation
directe à la désobéissance et d'attentat commis contre
la souveraineté du peuple de Paris ». Il en vint même,
le lendemain, aux menaces. « Nous prévenons, disait-
il, les écrivains de mauvaise foi auxquels seraient appli-
cables en temps ordinaire les lois de droit commun sur
la calomnie et l'outrage, qu'ils seront immédiatement
déférés au Comité central. »
Celui-ci cependant eût été pour l'instant fort embar-
rassé de s'ériger en justicier, car de graves préoccupa-
tions financières l'assaillaient. Il avait pu, tant bien
que mal, et par des moyens de fortune, rendre un peu
de vie aux services généraux ou municipaux, tels que
l'octroi, l'éclairage des marchés, la voirie, abandonnés
par la plupart de leurs employés. Mais tout cela ne lui
donnait pas d'argent, et il lui en fallait immédiate-
ment pour assurer la solde de la Garde nationale, dont
le dévouement n'aurait certes pas survécu à une di-
sette quelque peu prolongée. Or, on n'avait pas pu met-
tre la main sur les fonds du Trésor (1), enfermés sous
triples clefs, à moins de recourir à un crochetage qui,
étant donné que la rupture avec Versailles n'était pas
encore complète, aurait, en cas de conciliation, mené
loin ses auteurs. I*a banque Rothschild, à qui on s'était
(1) Ils se montaient à 4 600 000 francs. D'autre part, la caisse mu-
nicipale contenait 1 200 000 francs, et, dans la journée du 21, l'octroi
en donna 500 000.
80 18T1
adressé, n'avait consenti qu'à une avance de
500 000 francs. Ainsi acculés, les délégués Jourde et
Varlin n'hésitèrent pas à sommer la Banque de France
de leur fournir un million à titre de réquisition pour le
compte de la Ville. Et la Banque dut s'exécuter (1).
Avec les fonds qu'elle fournit, on put maintenir sous
les armes les soldats de l'émeute, qui commençaient
à trouver un peu long le jeûne qu'on leur avait fait su-
bir.
Mais, entre temps, le parti de l'ordre, se ressaisissant
un peu, avait commencé à montrer quelques velléités
de résistance. La fermeté des maires, qui tenaient tête
au Comité central, la promesse très nette qu'ils avaient
faite à l'Assemblée de s'opposer à l'élection communa-
liste (2), la déclaration de la presse parisienne concer-
nant cette même élection, tout cela avait sorti de sa tor-
peur un peu étrange la population des quartiers du
centre, et provoqué chez elle un certain mouvement.
On se réunissait, on groupait ensemble ce qu'on trou-
vait de défenseurs, éclaireurs Franchetti, mobiles,
gardes nationaux, élèves de l'École polytechnique. On
mettait en état de défense relatif les mairies des I er et
(i) IyIS3AGARAY, loc. Cit., p. 127.
(2) « Nous avons déclaré, nous, municipalités, que nous nous oppo-
serions à cette élection, avait dit M. Tirardà la tribune. Quant à moi,
je m'y opposerai... (Très bien ! très bien f)
M. Clemenceau. — Et moi aussi ! — Nous nous y opposerons tous.
Nous ne fournirons ni les listes d'électeurs, ni les locaux, ni les urnes,
rien de ce qui est nécessaire ordinairement pour les élections. {Tris
bien ! Très bien !) — (Séance du 21 mars.)
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 81
II e arrondissements, et on faisait occuper militaire-
ment la gare Saint-I^azare. I*e 21, vers une heure de
l'après-midi, des manifestants qui portaient deux dra-
peaux, où on lisait ces mots : « Vive Tordre ! » et
« Réunion des amis de Tordre », étaient venus du Grand-
Hôtel, en passant par la Bourse, jusqu'à la place Ven-
dôme, où siégeait Tétat-major de la Garde nationale;
fnais, comme ils avaient dû bientôt se disperser, devant
Tattitude menaçante des fédérés, que commandait
Bergeret, ils avaient décidé que la démonstration re-
commencerait le lendemain, plus imposante et plus
compacte. Aux portes des mairies, des postes en
armes veillaient.
Quant à TAssemblée nationale, elle se montrait de
plus en plus irritée et nerveuse. Elle semblait avoir ou-
blié la loi municipale, et comme, à la séance du 21 mars,
les députés de Paris lui demandaient de ne point la re-
mettre à trop longtemps, M. Thiers intervenait en
personne. « Il faut laisser le temps d'étudier la ques-
tion, disait-il. Paris ne peut pas être gouverné comme
une ville de trois mille âmes ! » Après quoi, Jules Favre,
en un long discours, déclarait que Taccord était désor-
mais impossible, et que même un acte de TAssemblée
dans le sens réclamé ne désarmerait pas « les passions
indignes qui cherchaient leur satisfaction ». Il disait
que, si le Gouvernement avait abandonné Paris, c'était
pour y revenir, à la tête d'une armée forte, pour
« combattre résolument ». Puis, rappelant comment il
82 1871
avait sollicité du vainqueur le maintien de la Garde
nationale en armes, faiblesse dont « il demandait pardon
à Dieu et aux hommes », il terminait sa violente
harangue par un quos ego foudroyant : « Quoi qu'il
arrive, la souveraineté du peuple aura le dessus : la
France ne tombera pas en dissolution. Elle n'en est
pas réduite, pour une défaillance [qu'on lui a mal à
propos prêtée, à courber le front sous le niveau san-
glant qui est dans la main d'une minorité factieuse ! »
I^a majorité applaudissait à tout rompre, tandis qu'à
gauche s'élevaient des protestations acerbes, et que
Tirard, inquiet de ce déchaînement de colères, deman-
dait vainement qu'on ne le laissât pas rentrer à Paris
les mains vides. 1/ Assemblée ne lui donna qu'un ordre
du jour insignifiant, annonçant sa résolution « de recons-
tituer dans le plus bref délai possible les administra-
tions municipales des départements et de Paris sur la
base des conseils élus ». Quand, munis de ce maigre via-
tique, les négociateurs essayèrent une fois de plus, dans
la soirée, d'amadouer le Comité central, que le discours
de Jules Favre avait mis en fureur, ils furent éconduits
brutalement et sans formes. Mais, d'autre part, comme
ils maintenaient leur décision antérieure relativement
aux élections, le Comité, qui ne pouvait se passer d'eux,
fut mis dans l'obligation de temporiser. Il renvoya
au 26 mars la nomination de la Commune, en affirmant
au peuple, dans une proclamation où les maires n'é-
taient pas ménagés, que jusqu'à cette date « les mesu-
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 83
res les plus énergiques seraient prises pour faire respec-
ter les droits qu'il avait revendiqués (1) », Quant aux
représentants de la Seine, ils se bornaient à avouer pu-
bliquement leur impuissance, en regrettant que la
séance de l'Assemblée n'ait pas eu « un autre carac-
tère et de meilleurs résultats ».
Ea situation était donc extrêmement tendue, quand
le 22, vers midi, la manifestation décidée la veille se
mit en marche du Grand-Hôtel vers la rue de la Paix.
Elle comptait cinq à six cents personnes sans armes.
Des sentinelles avancées ayant voulu l'arrêter, elle les
repoussa et arriva jusqu'aux abords de la place Ven-
dôme, où les fédérés s'étaient rangés en bataille. On
entendait les cris de « Vive l'ordre ! Vive l'Assemblée !
A bas le Comité ! » Bergeret, qui était accouru, fit
faire des roulements de tambour, puis des somma-
tions réitérées. Ees manifestants avançaient toujours.
Alors un coup de feu retentit, suivi d'une violente fu-
sillade. Qui avait tiré d'abord, on ne l'a jamais su. Il
paraît cependant très invraisemblable que cette foule
pacifique, et qui ne portait aucune arme apparente,
ait ouvert les hostilités, comme l'affirment les panégy-
ristes de la Commune. Elle se servit sans doute de ses
revolvers ; mais ce fut seulement pour se défendre, et
non point pour attaquer. Toujours est-il que, quand
elle se dispersa, dix-neuf personnes étaient par terre,
tuées ou blessées. Du côté des fédérés, il y avait un
(1) Cette proclamation fat affichée le «3.
84 1871
mort et huit blessés (i). Cette échauffourée sanglante
indiquait suffisamment les intentions des révolution-
naires et la décision prise par eux de ne plus garder
de ménagements.
I*e Comité s'exaspérait de voir se constituer peu
à peu dans les quartiers aisés la petite armée qui
maintenant se groupait autour de l'amiral Saisset,
nommé depuis le 19, par M. Thiers, commandant
en chef de la Garde nationale, et dont le quartier
général était installé au Grand-Hôtel. Sa fureur était
grande de constater que les maires demeuraient iné-
branlables dans leur attitude, et que, s'ils consentaient
encore à parler de conciliation, ils refusaient toujours
de pactiser avec l'émeute. lueurs réunions à la mairie
de la Banque, où ils se tenaient comme dans une cita-
delle, l'homologation qu'ils avaient donnée à la nomi-
(1) Du côté de Tordre, les tués étaient : MM. Tiby, colonel en re-
traite ; vicomte de Molinet ; Sassary, ancien officier de marine ;
Baude, ingénieur ; Colin, Bellanger, Miet, et cinq gardes nationaux
du 7 e bataillon : I^emaire, Niel, Charron, Tinnele et Wahlin. I«es bles-
sés étaient MM. Henri de Pêne, directeur de Paris- Journal ; Otto
Hottinguer, régent de la Banque de France ; Gaston Jollivet, homme
de lettres ; Brière, lieutenant Barle, Dehersin, Vinganot.
Du côté des fédérés, un garde du 215 e bataillon, François, était
mort. I<es blessés étaient : Maljournal, membre du Comité central,
lieutenant à Tétat-major de la place, et les gardes Cochet, Miche, An-
celot, I«égat, Reger, Tratu et I^aborde.
M. de Pêne, très grièvement blessé, put cependant être transporté à
Versailles, grâce au concours d'une dame hollandaise qui le fit passer
pour un de ses parents malade et trompa ainsi la surveillance des
gardes nationaux en faction aux Batignolles. (Voir I^éonce Dupont,
Souvenirs de Versailles pendant la Commune, p. 33.)
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 85
nation de l'amiral Saisset (i), les choix qu'ils avaient
faits du colonel I^anglois, comme chef d'état-major, et
de Victor Schoelcher, représentant de la Seine, comme
commandant de l'artillerie, tout cela indiquait une op-
position qui n'était pas près de céder, et dont le Comité
s'irritait d'autant plus qu'il la sentait plus opiniâtre.
Sans donc s'arrêter à une proclamation dans laquelle
l'amiral avait eu le tort de donner comme résolues les
difficultés pendantes, alors que l'Assemblée repoussait
au contraire toutes les concessions, il se résolut à
l'action.
Il y était poussé d'ailleurs par deux personnages ré-
cemment venus àlui, Eudes et Ranvier, que n'effrayait
point la violence, et qui étaient fort capables d'y
recourir pour leur compte. Sous leur inspiration, il
commença par destituer Lullier, dont l'attitude lui pa-
raissait à bon droit équivoque, et il le fit écrouer à la
Conciergerie. Puis il nomma généraux les citoyens Bru-
nel, Eudes et Duval, dont la première proclamation,
lancée deux jours après, contenait ces mots commina-
toires : « Tout ce qui n'est pas avec nous est contre
(i) Iye préambule de leur arrêté était ainsi conçu :
« Rassemblée des maires et adjoints de Paris,
« En vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés ;
« Au nom du suffrage universel dont elle est issue et dont elle en-
tend faire respecter le principe ;
« En attendant la promulgation de la loi qui conférera à la Garde
nationale de Paris son plein droit d'élection,
« Nomme, etc.. »
86 1871
nous », et ceux-ci encoîe, où se jouait une ironie sa-
voureuse quoique sans doute involontaire : « Paris
veut être libre. La contre-révolution ne l'effraye pas ;
mais la grande cité ne permet pas qu'on trouble impuné-
ment l'ordre public (i). » Il plaça à la Préfecture de
police, ou mieux, comme il disait, à T^-Préfecture
de police, Raoul Rigault, jeune anarchiste dont on
connaissait déjà le jacobinisme farouche et les pro-
cédés expéditifs. Il fit occuper la gare des Batignolles,
prenant ainsi à revers celle de Saint-Lazare, que
tenaient les troupes de Tordre. Enfin il envoya deux
bataillons à la Banque, pour l'obliger à lui fournir un
nouveau million.
Cependant les Allemands l'inquiétaient. Quelle
serait leur attitude devant l'insurrection mena-
çante qui allait peut-être rendre impossible l'exécu-
tion des préliminaires de paix ? Dans l'incertitude qui
régnait, le délégué à l'intérieur, Grellier, voulut les ras-
surer tout de suite. Il déclara que le Comité central
était décidé à supporter les conditions déjà acceptées
et même à payer l'indemnité de guerre, quitte à la
demander « aux auteurs de la guerre eux-mêmes ».
Après quoi le délégué aux Affaires étrangères entama
(i) A la fin de mars, arriva une lettre de Garibaldi qui décimait le
commandement en chef de la Garde nationale et souhaitait aux fédé-
rés de trouver, pour les conduire. . . , un Washington, à défaut de Vic-
tor Hugo, de I/)uis Blanc et de Féhx Pyat ! « Cettre lettre, écrit un
des panégyristes de la Commune, révélait que Garibaldi ne se faisait
pas une idée exacte de la situation de Paris. » C'est plus qu'évident,
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 87
des pourparlers avec le commandant des troupes en-
nemies à Compiègne, général de Schlotheim, lequel dé-
clara tout aussitôt que ses troupes garderaient « une
attitude pacifique et passive tant que Paris ne pren-
drait pas une attitude hostile (1) ». Enfin le Comité
central menaça de la peine de mort des gardes natio-
naux qui étaient accusés d'avoir tiré sur des senti-
nelles prussiennes. «On a reconnu en eux, disait-il,
d'anciens gendarmes et sergents de ville. » Tout cela
n'était ni très digne ni très fier, on en conviendra,
de la part de gens qui avaient voulu mettre au seul
compte de l'irritation patriotique et du sentiment
national blessé la prise d'armes insurrectionnelle dont
la guerre civile apparaissait déjà comme l'inéluctable
dénouement.
Sur ces entrefaites, les maires, qui commençaient
peut-être à se lasser, et s'étaient vus abandonnés par
les plus avancés d'entre eux : Millière, Malon, Dereure,
Jaclard, eurent une idée malheureuse. Bourrés de
souvenirs révolutionnaires, ils avaient imaginé de se
rendre en corps à la barre de l'Assemblée nationale, et
là d'exposer les doléances de leurs commettants, en
demandant aux députés de voter au plus vite les lois
que réclamait Paris, ou du moins la partie de Paris qui
s'était insurgée. Mais quand, à la séance du 23 mars,
après avoir vainement tenté de pénétrer dans l'hémi-
(1) TÎOfficiel de la Commune, en publiant ces dépêches, remplaça
le mot pacifique par le mot amicale.
88 1871
cycle, ils apparurent dans la tribune du président, très
solennels, ceints de leurs écharpes et criant : « Vive la
République ! » avec la gauche qui faisait chorus, la
majorité les accueillit par des cris répétés de : « A Tor-
dre ! », qui bientôt dégénérèrent en un formidable tu-
multe. 1,0. droite, tout entière debout, exigeait qu'ils
sortissent et refusait de délibérer tant qu'ils seraient
présents (i). Elle semblait, comme a dit Jules Simon,
voir Témeute en personne se dresser devant elle, tandis
qu'au contraire il n'y avait là que des braves gens, un
peu désorientés, assoiffés de concorde et de paix, mais
qui avaient choisi un mauvais moyen de réaliser l'une
et l'autre. le tumulte devint tel bientôt que le prési-
dent Grévy fut obligé de se couvrir et de renvoyer la
séance à neuf heures du soir. Quand, à la reprise, un
député-maire, Arnaud (de l'Ariège), vint à la tribune
exposer les revendications de la capitale réduites au
minimum, on l'écouta avec plus de calme, et même sa
proposition fut renvoyée à la commission d'initiative.
Mais le coup était porté. Désormais, les négociateurs
bénévoles devaient comprendre qu'ils étaient pris entre
deux courants contraires, dont ils ne pourraient plus
remonter aucun.
Pendant ce temps, le Comité central, décidément
à l'action, se mettait en devoir de s'emparer des mai-
ries récalcitrantes. Dès le 23, il faisait occuper toutes
(1) Jules Simon, loc. cit., p. 291 ; I^issagaray, p. 139 ; Da Costa,
p. 237 ; Vicomte de Meaux, p. 47.
LA COMMUNE A PARIS HT EN PROVINCE. 89
celles qui résistaient encore, sauf aux I er , II e , III e et
XVI e arrondissements. A Montmartre, M. Clemenceau,
qui avait voulu tenir tête aux envahisseurs, était même
un moment incarcéré. I^e 24 mars, une sorte de conseil
de guerre était tenu à la Préfecture de Police (1),
puis le lendemain, à deux heures, Brunel, accompagné
de 600 gardes nationaux de Belleville, avec deux piè-
ces d'artillerie, et flanqué des citoyens Lisbonne et
Protot, délégués du Comité, se présentait à la mairie
du Louvre, où il signifiait à MM. Méline et Edmond
Adam une mise en demeure d'avoir à exécuter les dé-
cisions prises à l'Hôtel de Ville. De là, il se rendit, tou-
jours accompagné, à la mairie de la Bourse, où se trou-
vaient plusieurs maires et députés, et réitéra sa som-
mation. Tandis qu'il parlait, et qu'une discussion aussi
longue que confuse s'engageait, les troupes des deux
partis, massées sur la place, se jetaient des regards de
défi et semblaient prêtes à en venir aux mains. Afin d'é-
viter une collision menaçante, les maires finirent par
accepter la date du 30 mars pour les élections munici-
pales et celle du 2 avril pour l'élection du général en
chef, qui devait être nommé par le suffrage universel
direct (2). La nouvelle de cet accord, aussitôt répandue,
(1) Da Costa, p. 216.
(2) I<es maires eussent préféré le 3 avril, afin de gagner du temps
et d'obtenir au préalable le vote de la loi municipale. Ils durent transi-
ger. Et quant à l'élection du général en chef, que M. Schœlcher aurait
voulue à deux degrés, il fallut aussi la laisser au seul suffrage de la
troupe, Brunel en ayant fait une question hors de discussion.
90 1871
fut partout accueillie avec allégresse, tant on avait
pu croire jusque-là à l'explosion soudaine d'un conflit
armé. Il n'était pas cependant, à beaucoup près,
définitif.
L'Assemblée d'abord n'en voulait pas, elle qui ve-
nait, sur une intervention de M. Thiers lui-même,
d'obliger M. Arnaud (de l'Ariège) à retirer sa motion
de la veille. Et les violents de l'Hôtel de Ville, Assi,
Bergeret, n'en voulaient pas davantage, parce qu'il
eût retardé l'avènement de la Commune, qu'ils pour-
suivaient avant tout. Dans la soirée donc, les maires
furent prévenus, par Ranvier et Arnold, que tout
était rompu. Quant au Comité, il fit annoncer par voie
d'affiche que, comme il en avait été préalablement
décidé, les élections se feraient le 26.
C'était un manque de foi absolu, et qui aurait dû
mettre les maires bien à leur aise pour rompre défini-
tivement toute négociation avec des personnages
aussi peu soucieux des engagements qu'ils prenaient.
Mais les maires étaient en très grand nombre des
modérés, c'est-à-dire des hommes qui se faisaient
illusion sur la valeur des principes et la puissance du
droit. C'étaient de plus des gens d'ordre, qui redou-
taient une collision par-dessus tout. Quelles que
fussent donc les raisons qu'ils pouvaient invoquer
pour laisser aux révolutionnaires l'entière responsa-
bilité d'événements qu'eux-mêmes avaient tout fait
pour conjurer en allant jusqu'aux concessions les plus
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 91
extrêmes, ils cédèrent une fois de plus et se résignèrent
à signer une convocation électorale, encore qu'ils
eussent promis de tout faire pour empêcher les élec-
tions. La proclamation qu'ils remirent séance tenante
aux délégués triomphants du Comité central mérite
d'être citée en son entier.
«Les députés de Paris, les maires et adjoints élus,
réintégrés dans les mairies de leurs arrondissements (1),
et les membres du Comité central fédéral de la Garde na-
tionale, convaincus que le seul moyen d'éviter la guerre
civile, l'effusion du sang dans Paris, et, en même temps,
d'affermir la République, est de procéder à des élections
immédiates, convoquent pour demain dimanche tous les
citoyens dans les collèges électoraux.
« Les bureaux seront ouverts à huit heures du matin
et seront fermés à minuit.
«Les habitants de Paris comprendront que, dans les
circonstances actuelles, le patriotisme les oblige à venir
tous au vote, afin que les élections aient le caractère sé-
rieux qui seul peut assurer la paix dans la Cité.
« Vive la République ! »
Encore qu'un tel document fût bien réellement
l'aveu d'une abdication définitive, le Comité ne le
trouva cependant pas suffisamment significatif à son
gré et crut bon d'en modifier le préambule, afin de
mieux accentuer la capitulation à laquelle ses signa-
taires étaient réduits. Il écrivit : « Le Comité central
(1) Ils ne Tétaient pas encore, et même ils ne le furent jamais.
92 1871
de la Garde nationale, auquel se sont ralliés les députés
de Paris, les maires et les adjoints, convaincu, etc. ;
convoque, etc.. » Après quoi il biffa une signature
qui lui déplaisait, celle de M. Gallon, adjoint du IV e ,
et en ajouta de sa propre autorité neuf qui n'y
figuraient pas. Un adjoint, M. Murât, ayant pro-
testé par une lettre publique contre ce maquillage,
fut mis simplement en prison. Quant aux autres,
ils ne dirent mot. Décidément, leur énergie était
usée.
A Versailles, on se montrait outré de tant de fai-
blesse. La droite, qui s'était réunie dans un bureau,
demandait qu'on en finît avec les factieux, et ne parlait
de rien moins que de remettre le pouvoir entre les
mains d'un prince d'Orléans. Un tel bruit, colporté
dans Paris, n'était point fait pour y apporter le calme.
Quand I^ouis Blanc proposa à l'Assemblée de décider
qu'en approuvant les élections du 26 les représentants
de la Seine avaient agi en bons citoyens, il fut dédai-
gneusement renvoyé à la commission d'initiative,
qui conclut au rejet de la prise en considération. Ici,
l'on considérait la guerre civile comme imminente, et
l'on s'y préparait délibérément, peut-être même avec
cette arrière-pensée secrète qu'elle était la suprême
et nécessaire convulsion de laquelle devait sortir la
restauration qu'on souhaitait. Dans tous les cas,
personne, même parmi les moins exaltés, ne pensait
que la transaction arrachée à la condescendance des
v
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 93
maires pût avoir pour résultat de proroger le conflit (1).
I^e Comité central, lui, se préoccupait maintenant
d'achever la victoire qu'il avait ainsi remportée de
haute lutte. Dès le 25, il annonça son départ, dans une
longue proclamation où il donnait aux électeurs des
conseils, d'ailleurs assez poncifs, sur les choix à faire.
Et le lendemain, dimanche 26, il fit procéder aux
élections, lesquelles, il faut bien le dire, ne répondirent
ni à son attente, ni à celle des conciliateurs, qui avaient
espéré obtenir l'apaisement en cédant sur tout. Car
le parti révolutionnaire, devenant prépondérant
dans la nouvelle assemblée, « il était facile de prévoir
qu'elle allait, autant par la force des choses que par
son tempérament, étendre son mandat et arborer le
drapeau de la révolution (2) ».
Elle se composait de neuf blanquistes (3), de vingt-
six révolutionnaires de toute nuance, de quinze mem-
bres de l'Internationale et de vingt-deux radicaux
ou modérés. En tout soixante-deux membres, quand
elle aurait dû en compter quatre-vingts. Encore se
trouva-t-elle immédiatement très réduite par la
démission que donnèrent seize de ses membres appar-
tenant au parti modéré, tels que MM. Tirard et Méline,
(1) Six députés avaient signé l'affiche que nous avons reproduite ci-
dessus. C'étaient MM. Clemenceau, Floquet, Greppo, I/xikroy,
Schœlcher et Tolain.
(2) Da Costa, loc cit., p. 310.
(3) I<e chef du parti, Blanqui, était à ce moment en prison, hors de
Paris, pour sa participation à la journée du 31 octobre.
94 1871
et plus tard, six autres élus radicaux, dont était
M. Ranc. Les élections complémentaires ne la por-
tèrent jamais beaucoup au-dessus du chiffre primitif.
Elle ne comptait que treize membres du Comité
central, bien que celui-ci ait présenté des candidats
presque partout (i).
Il y a lieu de constater, en le regrettant, que les
abstentions avaient été fort nombreuses. Sur 485 569
inscrits, il y eut seulement 229 167 votants, c'est-à-
dire que 256 803 électeurs se désintéressèrent de la
question, ou bien avaient déjà quitté Paris. Comme
ils étaient, à l'évidence, et, pour la grande majorité,
des contre-révolutionnaires, il est clair que leur vote
aurait pu changer la face des choses et peut-être faire
avorter la Commune dans l'œuf. Mais les contre-
révolutionnaires ne sont pas toujours, il s'en faut,
des hommes d'action. Ils attendent, d'ordinaire, que
d'autres se chargent de leur salut, et ils laissent volon-
tiers au temps ou aux circonstances le soin de régler
les affaires qui les regardent. Tant qu'ils ne se sentent
pas, comme au 9 thermidor, directement menacés
dans leurs biens ou leur existence, ils hésitent, ils se
terrent, ils se répandent en lamentations stériles qui
ne peuvent rien produire ni rien empêcher. Et les
autres, alors, ont beau jeu pour asseoir leur tyrannie
sur la terreur et la violence, au nom de principes qu'ils
n'ont garde de répudier ni de proscrire, mais qu'ils
(1) Da Costa, loc cit., p. 309.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 95
violent aussitôt qu'ils sont les maîtres, avec impu-
deur et sérénité.
Est-il bien nécessaire maintenant de donner les
noms des élus ? I^e rôle effacé qu'ils jouèrent pour la
plupart et leur piteuse défilade devant les responsabi-
lités ne méritent point une telle publicité. Il y avait
parmi eux quelques hommes d'action, dont l'énergie
se dépensa surtout dans le crime : Ferré, Rigault, Ran-
vier, Protot, Duval, Eudes, Brunel, Varlin, Trinquet
(nommé plus tard), Amouroux, Pindy. Il y avait des
exaltés de l'idée révolutionnaire, qu'aveuglait l'idéo-
logie : Flourens, Vermorel, Delescluze, Vallès, Malon ;
quelques braves gens égarés : Beslay, Jourde, Teisz,
Gérardin ; et même des fous, tels qu'Allix, Babick,
Gambon. I^e reste n'était, en grande majorité, qu'une
troupe de comparses, bons tout au plus pour parader,
discourir, et... disparaître à la première apparition du
danger.
CHAPITRE IV
I,A COMMUNE DE PARIS
Dès le surlendemain dès élections, la nouvelle Proclama-
assemblée vint prendre possession de l'Hôtel de Ville, tiondela
au milieu d'une pompe théâtrale, qui f appelait, quoique Commune
d'assefc loin, les journées de la grande Révolution. Il y
eut des estrades, des banderoles rouges, dés* acclama-
tions, des coups de canon, puis un immense défilé des
bataillons fédérés, qui marchaient au son de la Mar-
seillaise, du Chant du départ, et aussi de quelques
chansons plus ou moins ordurières, visant la dynastie
déchue. I*a foule, où se mêlaient nombre de soldats
en uniforme, escortait en criant les gardes nationaux,
qui portaient des dfapeaux surmontés du bonnet
phrygien et une frange rouge à leur fusil (i). Le
Comité central remit ses pouvoirs, et, pouf bien affirmer
la filiation des puissances nouvelles avec les «grands
ancêtres », Eudes fit proclamer la «Commune de
Paris ».
Elle tint immédiatement une première séance,
(j) IftssAôARÀY, loc. cit., p. 147.
98 1871
«tumultueuse, désordonnée, et qui présentait sur-
tout le caractère d'une réunion publique (i) ». Tirard,
qui y assista, pour s'en aller après, a dit : « On man-
geait dans les couloirs et dans la salle. Une odeur
de tabac, de vin et de victuailles saisissait la gorge
et l'odorat. Un tapage infernal brisait le tympan.
C'était un spectacle écœurant (2). » Lui-même faillit
subir un mauvais parti, parce qu'il avait dit quelques
jours auparavant, à l'Assemblée : « Quand on entre à
l'Hôtel de Ville, on n'est pas toujours sûr d'en sortir. »
Et peu s'en fallut en effet que, ce jour-là, il n'en sortît
pas, car Assi demandait son arrestation immédiate.
Mais les nouveaux maîtres de Paris avaient, heureu-
sement, d'autres préoccupations. Ils entendaient
s'ériger en une sorte de Convention au petit pied et
s'occupaient déjà de singer celle de 1792. Dans leur
séance du 29, ils se partagèrent en dix commissions,
executive, militaire, de sûreté générale, de justice,
des finances, des subsistances, du travail, industrie
et échange, des services publics, des relations exté-
rieures et de l'enseignement. Les uns voulaient modi-
fier l'assiette de l'impôt, d'autres prétendaient éga-
liser le salaire et le travail, favoriser l'industrie natio-
nale et attirer à Paris l'industrie étrangère. Les péda-
gogues parlaient de réformer l'instruction et d'augmen-
ter le nombre des bourses dans les lycées. C'était à qui
(1) Da Costa, loc. cit., tome I er , p. 318.
(2) Déposition devant la Commission # enquête sur le 18 mars.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 99
présenterait une motion plus ou moins inopportune
ou saugrenue, dans le but unique d'affirmer qu'on
était un gouvernement de fait qui se dressait en face
de celui des « ruraux ».
Déjà on commençait à ne plus se reconnaître dans
ce chaos de propositions désordonnées ou de décrets
stériles, qui émanaient d'hommes aussi incapables
d'affaires que pétris de sophismes et de prétentions.
En outre, les difficultés n'avaient pas tardé à surgir.
Le Comité central ne voulait pas abdiquer, comme
il en avait pris l'engagement. Il prétendait se main-
tenir, en qualité de «grand conseil de famille de la
Garde nationale », et il nommait, de sa propre autorité,
Cluseret délégué à la guerre (i). Le conflit, qui sem-
blait près d'éclater, put être prorogé. Mais la Com-
mune garda à son prédécesseur, dont elle avait dit
cependant «qu'il avait bien mérité de la patrie »,
une rancune qui devait bientôt provoquer une scis-
sion complète. En attendant, elle validait ses mem-
bres, même ceux qui n'avaient pas obtenu le quorum
(i) Cluseret était un ancien officier de chasseurs à pied, décoré en
juin 1848. Ayant donné sa démission, il se fit journaliste et suivit en
cette qualité la guerre de Sécession, Après quoi, il alla se mettre au
service des fénians d'Irlande, revint en France s'affilier à l'Interna-
tionale, prit une part active aux troubles de I^yon en septembre 1870,
à ceux de Marseille, de Toulon, puis se réfugia à Genève. Gambetta
avait refusé de l'employer, ce qui lui valut d'être traité de « Prussien »
par le pseudo-général. Revenu en France après le 18 mars, il se mit
au service de la Commune, s'échappa et se réfugia à I/mdres. Il a été
plus tard député du Var.
ioo 1871
exigé par la loi de 1849 (1). Elle abolissait la conscrip-
tion et faisait remise générale des termes d'octobre
1870, de janvier et avril 1871. Mais, tout entière à
ses tentatives de réformation mégalomane, elle sem-
blait oublier que la collision avec Versailles était immi-
nente autant qu'inévitable. Même sa commission
militaire dédaignait de s'en préoccuper, considérant
que, pour arriver jusqu'au siège de l'Assemblée natio-
nale, il suffisait d'une sorte de promenade militaire
quasi triomphale et sans dangers (2). Les événements
n'allaient pas tarder à la cruellement détromper.
RêoYgani- M. Thiers avait en effet très habilement mis à
sation de profit le temps qui s'était écoulé depuis le 18 mars
V armée. p OU f donner un peu de cohésion et de discipline à la
petite armée qu'avait amenée avec lui le général Vinoy.
Il venait d'obtenir des Allemands que les forces dont
il pourrait disposer fussent portées de 40 à 80000
hommes, plus tard même à 100 000 hommes. Il avait
pressé le retour des prisonniers de guerre, et, tandis
que ceux-ci, au fur et à mesure de leur arrivée, étaient
réunis en deux points, Cambrai et Cherbourg, où com-
mandaient respectivement les généraux Clinchaût et
Ducrot, des éléments empruntés aux armées du Nord
et de la Loire étaient appelés à Versailles pour grossit
(1) Elle admettait même le Hongrois Franckel, qui n'était pas na-
turalisé.
(2) Da Costa, loc. cit., p. 33°-
£A COMMUNE A PAfclg ET EN PROVINCE, lot
le noyau de troupes qui s'y trouvaient déjà. On fai-
sait camper tout ce monde aux environs de la ville ;
on restaurait Tordre, la tenue, le principe d'autorité,
dans tous ces régiments que l'oisiveté et une promiscuité
déplorable avaient momentanément démoralisés. Et
deux semaines ne s'étaient pas écoulées que leur atti-
tude semblait tout à fait changée. Ce n'étaient point
encore des soldats d'élite, mais on n'avait plus à redou-
ter qu'ils levassent la crosse en l'air. Et c'était beaucoup.
Pas assez cependant pour prendre l'offensive. On
gardait donc l'expectative, mais en augmentant chaque
jour, par une vie d'activité, de rééducation et de tra-
vail, la force morale de ces contingents si divers.
M. Thiers, qui, pour avoir été l'historien de Napoléon,
se complaisait aux choses militaires et affectait même
d'en parler en connaisseur, M. Thiers ne dédaignait
pas de s'occuper lui-même de cette œuvre de recons-
titution, en allant visiter les camps, en réglant avec
le ministre de la Guerre les questions d'habitat, de
solde et d'alimentation. Il donnait aux généraux
des conseils qui, parfois, ne manquaient pas de mérite,
et aux officiers des encouragements directs. C'est bien,
il faut le dire, à son action personnelle autant qu'aux
dévouements qui s'offrirent à lui à tous les degrés
de la hiérarchie, qu'est due cette réorganisation rapide,
qui tenait du miracle, et permit d'infliger aux insurgés,
dès le début, des leçons sévères et des défaites dont
il leur fut impossible de se relever jamais.
102 1[871
Affaire Tandis qu'à Versailles on faisait ainsi de l'excellente
du besogne, et qu'à Paris le gouvernement insurrectionnel
2 avril, continuait à se perdre en divagations, les violents et
les agités se plaignaient qu'on tardât trop à en venir
aux mains. Des bandes surexcitées, auxquelles se
mêlaient souvent des femmes, défilaient devant l'Hôtel
de Ville, en criant : « A Versailles ! » Les journaux
révolutionnaires étaient pleins d'appels aux armes, et
le Père Duchesne, ressuscité, disait leur fait aux
timorés qui hésitaient à aller bousculer dans leur
antre ces b... de Versaillais. Il y avait, parmi les
membres de la Commune, un petit nombre d'hommes
sensés, tels que Delescluze, Meillet, et quelques autres,
qui n'avaient qu'une confiance limitée dans les mérites
des généraux à eux légués par le Comité central. Ni
l'ancien sous-lieutenant Brunel, ni le commis de ma-
gasin Eudes, ni l'ouvrier fondeur Duval, devenu mar-
chand de chaussures, ni même le fameux Bergeret,
connu seulement pour son rôle dans les journées qui
venaient de s'écouler, ne leur paraissaient capables de
tenir tête aux chefs de l'armée régulière, encore qu'ils
qualifiassent volontiers ceux-ci de « capitulards ». Et
ils auraient souhaité que l'échéance d'une rencontre
à main armée pût être retardée jusqu'au moment où
le hasard, qui est un grand maître, les aurait mis en
possession d'un tacticien un peu plus qualifié. Mais
la pression qu'ils subissaient était telle qu'elle les força
à l'exécuter. Et le 30 mars, en un conseil de guerre
LA COMMUNE A PARIS ET ENjPROVINCE. 103
tenu place Vendôme, il fut décidé qu'une grande
reconnaissance aurait lieu le 2 avril suivant.
Ce jour-là, dans la matinée, Bergeret sortit de Paris,
à la tête de quelque 3 000 à 4 000 hommes, par la
porte Maillot, et, après avoir enfilé l'avenue de Neuilly,
gagna le rond-point de Courbevoie. Mais, arrivé là,
il trouva devant lui la division Bruat (1) et la bri-
gade Daudel (2), qui, dans la nuit, avaient quitté
leurs cantonnements et s'étaient portées dans la plaine
de Nanterre, occupée, depuis le 30, par la brigade de
cavalerie Galliffet (3). Toutes ces troupes étaient
placées sous le commandement direct du général
Vinoy, qui marchait avec la division Bruat.
Elles n'avaient pas encore dépassé le rond-point
des Bergères qu'une triste nouvelle leur arrivait. Un
médecin principal de l'armée, le D* Pasquier, qui,
ayant accompagné la brigade Daudel, venue par
La Celle-Saint-Cloud (4), s'était aventuré à cheval,
et tout seul, sur la route de Courbevoie, afin de rejoin-
dre le commandant en chef et de s'entendre avec lui
sur l'organisation du service sanitaire, venait de tom-
ber mort, frappé d'une balle dans la tête, et les fédérés
(1) 74 e de marche, I er régiment d'infanterie de marine, 2 e régiment
de fusiliers marins.
(2) 113 e et ii4«.
(3) Elle avait délogé, le 30, un poste fédéré établi au rond-point, et
canonné le pont de Neuilly.
(4) I«a division Bruat avait passé par Ville-d'Avray, Montretout et
la briqueterie de la Croix-du-Roi.
104 ****
— ■ ■ -* * - •— ^.
m
s'étaient emparés 4e son cheval, laissant sur le chemin
le cadavre abandonné (i). Aussitôt, les régiments se
déployèrent, l'infanterie de marine au sud de la route,
vers Puteaux, le 74 e face à une barricade qui barrait
le chemin, le 113 e au nord avec mission de tourner par
la gauche le rond-point de Courbevoie,
Après une assez vive canonnade exécutée par l'ar-
tillerie du général de Galliffet et par une demi-batte-
rie placée sur la route de Saint-Germain, à hauteur
du pont du chemin de fer, le 74 e est lancé de L'avant.
Mais, reçu par une fusillade nourrie qui part des mai-
sons, il hésite, recule un instant, et il faut que les géné-
raux en personne viennent rétablir le combat. On met
en tête alors un bataillon de marine, l'attaque est
reprise, et, grâce au concours du 113 e , la barricade
est enlevée. Après quoi, on entre dans Courbevoie ;
on occupe la caserne, en y faisant prisonniers une
trentaine d'insurgés dont plusieurs, nous apprend le
général Vinoy, sont dans un état d'ivresse complète ;
on pousse sur Puteaux l'infanterie de marine, et on
canonne vigoureusement, du rond-point, les troupes
de la Commune, fuyant en désordre sur l'avenue de
Neuilly. Le pont lui-même est enlevé, et les marins,
(1) I*es fédérés ont prétendu, pour excuser ce meurtre, qu'il était
le résultat d'une méprise, comme pourrait le faire croire le télégramme
d'Henri, qu'on verra plus loin. Malheureusement pour eux, ce télé-
gramme à été rédigé après l'affaire, et quand l'identité du malheu-
reux D* Pasquier avait été certainement reconnue. Et, de plus, ty est
mensonger, car Pasquier était sans armes et n'attaquait pas.
tA COMMUEE A PAUtfS ET fiN ÊROVÏtfCE. 105
le traversant, vont se jeter à la poursuite, quand le
général Vinoy les arrête. Il ne croit pas pouvoir, avec. %
si peu de monde, risquer la forcée du rempart, A qua-
tre heures, les troupes, ramenées en arrière, rentraient
dans leur cantonnement. Elles comptaient huit tués
et une trentaine de blessés.
La fâcheuse issue de cette première affaire souleva
dans Tannée de l'émeute une excitation que les comités
de vigilance n'eurent garde de refréner. Au contraire,
ils firent battre partout la générale, rassemblèrent
leurs troupes et préparèrent une nouvelle sortie, qui
devait être torrentielle, en proclamant qu'il y avait
eu simple surprise et que la revanche n'allait pas
tarder. Le « colonel chef d'état-major de la place »,
un nommé Henri, n'avait-il pas expédié à la commis^
sion executive ce télégramme rassurant?
« 5 h. 30 du soir. — Bergevet lui-même (1) est à Neuilly.
D'après rapport, le feu de l'ennemi a cessé. Esprit des
troupes excellent. Soldats de ligne arrivent tous et décla-
rent que, sauf les ofiiciers supérieurs, personne ne veut se
battre. Colonel de gendarmerie qui attaquait, tué. »
On croyait donc que, le lendemain, les soldats de Sortie du
l'armée lèveraient tous la crosse en l'air. Du moins, 3 avril.
(1) Ce mot est devenu célèbre. Depuis, on ne disait que Bergeret
lui-même^ quand on parlait du général des Communards. Il paraît
que, le 3 avril, il vint . rejoindre ses troupes en calèche, « ce qui fit
murmurer », nous dit I4ssagaray (p. 181).
io6 1871
on le répétait à qui voulait l'entendre. On allait même
le dire à la Commune, que ce premier échec semblait
avoir déconcertée, et dont beaucoup de membres ne
se souciaient pas d'en subir immédiatement un autre.
Les généraux y étalaient leur plan de campagne, qui
devait être invincible. Il s'agissait de mobiliser près
de 30 000 hommes pour marcher droit sur Versailles.
Le corps d'armée principal, confié à Bergeret et à
Flourens, en compterait 15 000, et serait concentré à
Rueil, d'où il gagnerait Bougival et Vaucresson. Un
autre, fort de 20 000 hommes, sous les ordres de
Eudes, avancerait par Meudon, Sèvres et Viroflay.
Enfin, à l'aile gauche, 3 000 hommes, commandés par
Duval, passeraient par Châtillon, Petit-Bicêtre et
Vélizy. Pour la réussite de ce vaste projet, il fallait, il
est vrai, escompter la bienveillante neutralité du
Mont-Valérien. Mais les stratèges de l'insurrection ne
s'embarrassaient pas pour si peu, et Flourens, qui ce-
pendant n'était point un imbécile, ne parlait de rien
moins que d'atteindre Versailles le même soir (1).
Quant aux chefs de l'armée de l'ordre, ils ne s'atten-
daient guère à une reprise aussi rapide des hostilités,
et les dépêches que, pour l'annoncer, envoyaient coup
sur coup et les reconnaissances et le Mont-Valérien
les surprirent. Il fallut bien cependant se rendre à
l'évidence, quand on apprit d'abord qu'une grosse co-
( 1 ) Dépêche envoyée à Bergeret, le 2, à dix heures un quart du
soir.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 107
lonne de fédérés avait pu atteindre Rueil, non sans
avoir souffert pas mal du feu du fort, qu'elle avait
essayé inutilement de battre en brèche avec trois
pièces, puis que les avant-postes de la brigade de
Galliffet avaient dû se replier de I^a Malmaison jus-
qu'à la machine de Marly. A neuf heures et demie
du matin, seulement, les troupes purent être mises en
marche. I^a brigade Daudel, suivie par une brigade
de la division Grenier, qui campait aux abords de
Trianon, s'avança par I,a Celle-Saint-Cloud. Cette
dernière brigade (Garnier) fut envoyée à la Maison-
du-Curé, sur les hauteurs de Garches. Derrière venait
la division de cavalerie du Preuil.
A peine le 114 e atteignait-il les abords de Bougival,
qu'il se trouva aux prises avec l'avant-garde des
fédérés, déjà arrivée en cet endroit. I/attaque fut
vive et énergique. Des hauteurs de la Jonchère, deux
batteries, qui avaient pour soutien le 113 e ,
l'appuyaient. Quant au mouvement dessiné par la
brigade Garnier et la division du Preuil, pour couper
la retraite aux insurgés, par La Fouilleuse et le rond-
point des Bergères, il s'effectuait très lentement,
en raison des difficultés qu'on avait éprouvées dans
la traversée des bois de Saint-Cucufa et de Lonboyau.
Il ne fut guère terminé qu'à près de deux heures.
Mais alors les troupes insurrectionnelles, voyant
qu'elles allaient être cernées, abandonnèrent la partie
en toute hâte et en pleine débandade. C'était un
io8 1871
■ ■ — — — i - 1 i ii l ia i i i l i
sauve-qui-peut général et si rapide que la poursuite
était à peu près impossible. Et comme, devenus plus
prudents, les fuyards utilisaient maintenant, contre
les grosses pièces du Mont-Valérien, la protection
donnée par le remblai du chemin de fer, ils purent
rejoindre Paris sans trop d'encombre. Quelques-uns
d'entre eux, seulement, furent sabrés ou pris, aux
abords de Nanterre, par les cavaliers du général du
Preuil (i). On ramassa également deux canons et une
grande quantité de fusils. Nos pertes étaient insi-
gnifiantes.
Mort de Cependant, dans la plaine abandonnée, deux
Uourens. hommes restaient à peu près seuls : c'étaient Flourens
et son ancien compagnon d'aventures, qui pour lors
lui servait d'aide de camp, Amilcare Cipriani.
Singulière figure que celle de ce Flourens, et qui,
dans la galerie des fantoches communalistes, mérite
vraiment d'être isolée de son fâcheux entourage.
Ancien normalien, il avait occupé tout jeune, au Col-
lège de France, la chaire de physiologie, illustrée
par son père, un des savants dont s'honore l'école
française ; mais les tendances socialistes de son ensei-
gnement ayant fait supprimer celui-ci au bout d'un
an, il partit pour l'Orient, donna à Constantinople
des conférences qui provoquèrent son expulsion» et
(i) Général Vinoy, loc. cit., p. 169. «— Da Costa, p. 351.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. îoç
gagna Athènes, puis de là l'île de Crète, doût leâ habi-
tants s'étaient, en 1866, insurgés contre le joug otto*-
man. Il se mit dans les rangs de l'insurrection, y
combattit avec bravoure ; mais, quand elle eut été
vaincue, il dut quitter l'île en fugitif, pour se rendre
en Italie, où il fut condamné à six mois de prison,
dont le gratifièrent les magistrats de Victor-Emma-
nuel à la suite d'un article où ce dernier était traité
avec un peu trop d'irrévérence. Il revint alors à Paris,
se jeta avec une ardeur débridée dans les luttes poli-
tiques des dernières années de l'Empire, eut des duels
retentissants, des condamnations rigouteuses, et fut
bientôt obligé d'aller à Londres se mettre à l'abri de
l'arrestation qui le menaçait. Il en revint après le
4 Septembre, pour se jeter à corps perdu dans le parti
révolutionnaire le plus extrême, et attaquer avec la
dernière véhémence les hommes de la Défense natio-
nale, dont il était devenu l'irréductible ennemi.
Nous avons dit ailleurs son rôle au 31 octobre,
au 22 janvier, dans toutes les journées d'émeute et
de désordre. Celle du 18 mars ne devait pas le trouver
indifférent, encore qu'il n'y assistât point. Il vint
donc tout aussitôt mettre son épée au service de la
Commune, pour qui elle valait mieux assurément
que celle des généraux extraordinaires dont on se
trouvait empêtré, car il était intelligent et courageux.
En plus, il exerçait, sur les bataillons de Belleville,
une sorte d'ascendant fascinateur, au moins en temps
no 1871
ordinaire, car, sur le champ de bataille, il ne devait
pas réussir mieux qu'un autre à les retenir. Et il eut
à le constater avec douleur, dans cette journée du
3 avril, où il assista, le cœur désolé, à la fuite
éperdue de sa 20 e légion, qui était pour Tannée de
rémeute comme une sorte de vieille garde. Cette
débandade l'humiliait, et il ne voulait pas en partager
la honte. Quand tous fuyaient, il resta donc, avec un
seul compagnon.
Les deux hommes, après une courte halte sur les
bords de la Seine, avaient gagné une auberge de
Chatou, pour y prendre quelque nourriture. Us y
furent découverts par une patrouille de gendarmes,
à qui peut-être ils avaient été dénoncés (1), et qu'ils
accueillirent, dit-on, par un coup de revolver (2).
La maison ayant été fouillée, Flourens fut amené
au capitaine (3), tandis que Cipriani, qui venait
d'être blessé, déchargeait son arme sur les gendarmes
et était entraîné, tout sanglant. Un court colloque
s'engagea entre l'officier et Flourens. « Ah I c'est toi
qui tires sur mes hommes !» dit le premier. Et comme
l'autre protestait, il lui fendit la tête d'un coup de
sabre, sans savoir très probablement quel était le
personnage qu'il venait ainsi de faire passer de vie à
(l)DACOSTA,p. 366.
(2) IyÉONCE Dupont, Souvenirs de Versailles pendant la Commune,
P- 55-
(3) Il s'appelait Desmarcts.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE, xxi
trépas, car il ne connut vraisemblablement son iden-
tité que par la déclaration de Cipriani (i). Ainsi finit
le malheureux, à qui ses réelles qualités intellectuelles
et son courage eussent mérité un autre destin. Il
n'avait que trente-deux ans.
Tandis que ces événements se passaient dans la Mort
plaine de Bezons, la colonne du centre, commandée de Duvai
par Eudes, se heurtait, devant Meudon, au régiment de
la garde républicaine, qui, bientôt aidé de la brigade
I^a Mariouse (2), refoula les fédérés sur Clamart, où ils
■ purent s'établir sous la protection des forts d'Issy et
de Vanves. A gauche enfin, les 3000 hommes de .
Duval, après avoir refoulé du Petit-Bicêtre sur Villa-
coublay les avant-postes de la cavalerie du Barail (3),
s'étaient trouvés dans l'obligation, après un combat
assez vif, de reculer, sous la pression de la brigade
Derroja (4), que soutenait la division Pelle (5), jus-
qu'à la redoute de Châtillon.
I^a sortie torrentielle avait donc partout échoué.
Mais les résultats obtenus étaient encore insuffisants
pour assurer au Gouvernement de Versailles une sécu-
(1) Léonce Dupont, ibid., p. 56. — Cipriani fut condamné aux tra-
vaux forcés à perpétuité.
(2) 35e et 42 e . C'étaient ces deux régiments les plus solides du siège
de Paris.
(3) 3 e et 8 e hussards ; 7 e et 11 e chasseurs.
(4) 109 e et 110 e de ligne.
(5) 19 e bataillon de chasseurs de marche ; 39 e et 41 6 , 70 6 et 71 e de
marche.
iî2 1ST1
rite absolue, tant que les troupes de Votât e ne seraient
pas complètement maîtresses des hauteurs dominant
Paris à l'ouest. Thiers et Vinoy le comprenaient ai
bien que, dans la soirée même, ils décidèrent que,
dès le lendemain, on procéderait à la reprise complète
du plateau de Châtillon. A cet effet, le 4 avril, dès la
pointe du jour, la brigade Derroja fut dirigée vers
Fontenay-aux-Roses, de façon à prendre la position
en flanc, tandis que la division Pelle l'attaquerait de
front; et les choses marchèrent avec une rapidité telle
que, à six heures et demie, tout était déjà terminé.
Les fédérés n'avaient pas tenu devant la menace
d'enveloppement, et s'étaient enfuis ou rendus.
Ils» laissaient entre les mains de l'armée 1 500 pri-
sonniers, avec leurs fusils, leurs canons (1), et le
« général » qui les commandait, Duval. Vinoy le fit
passer par les armes, en même temps que deux de ses
compagnons (2).
Occupa- Cependant, le plateau si rapidement Conquis mena-
tion du çait de devenir bientôt intenable. L'artillerie des forts
plateau de de Vanves et d'Issy, que servaient des canonîiiers
Châtillon. déserteurs, le balayait en tous sens, et des feux de
(1) Général Vinoy, loc. cit., p. 274.
(2) Duval mourut bravement. Il fut fusillé le long d'un mur bor-
dant la route, sur lequel, par une coïncidence singulière, s'étalait le
nom de « Duval, horticulteur ». — Parmi les prisonniers, emmenés le
soir à Versailles, où ils furent accueillis par les manifestations hostiles
de la population, se trouvait le célèbre géographe Elisée Reclus,
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 113
flanc, venus de Clamart et de Châtillon, où s'étaient
réfugiés les fédérés de la colonne du centre, le sil-
lonnaient de projectiles. Déjà le général Pelle avait été
blessé, et les soldats, bien qu'embusqués dans les an-
ciennes tranchées prussiennes, commençaient à pas mal
souffrir. Il fallut faire enlever Clamart par la brigade
de LaMariouse, tandis que le général Derroj a attaquait
la gare. Vigoureusement pressés, les fédérés lâchèrent
pied, à leur habitude, et allèrent chercher un abri
derrière les forts, tandis que la division Vergé, accou-
rant de Porchefontaine, venait prendre position à
Meudon. Mais le feu des forts ne cessait point pour
cela, et les pièces de campagne étaient insuffisantes
pour l'éteindre. Comme on ne pouvait s'exposer plus
longtemps à subir des pertes regrettables et inutiles,
ordre fut donné, le 5, de reculer sur toute la ligne.
Mais on continua à tenir, par de solides avant-postes,
la redoute ainsi que les hautes maisons de Châtillon,
le Plessis-Picquet, Malabry, le Petit-Bicêtre, Clamart,
Bellevue et Saint-Cloud. Un régiment de cavalerie
occupa le bois de Verrières. Le régiment de la Garde
républicaine alla s'installer à Courbevoie. Enfin on
mit du monde à Sceaux et à Bourg-la-Reine, face aux
redoutes des Hautes-Bruyères et du Moulin-Sacquet,
où s'étaient installés les insurgés.
L'existence des troupes ainsi placées en première
ligne était pénible. « Du 6 au 10 avril, dit le général
Vinoy, ce fut une véritable averse de projectiles qui
Ii 4 lêYl
vint fondre aussi bien sur les malheureux villages de
Châtillon, de Clamait, de Meudon, de Sèvres et de
Bellevue, déjà si cruellement éprouvés pendant le
siège de Paris par les Allemands, que sur les hauteurs
mêmes de Châtillon et sur les tranchées qui les abri-
taient. Les fédérés étaient probablement informés
par des espions de la situation exacte de nos campe-
ments, car ils les poursuivaient sans cesse de leurs
obus et nous obligeaient journellement à les changer.
Les nuits n'étaient pas beaucoup plus calmes ; l'ennemi
nous tenait constamment en alerte. Il tirait, sans doute
à la suite de subites paniques, des coups de feu au
hasard, et il n'était guère possible, dans de telles con-
ditions, que les troupes eussent un repos bien assuré.
Elles devaient prendre les précautions les plus grandes
et être toujours en éveil en cas d'une surprise inopinée
de ces soldats sans instruction ni discipline et qui,
agissant un peu à leur guise, pouvaient à tout moment
venir nous attaquer (i). > La vie aux avant-postes était
donc fort dure. Grâce à l'exacte discipline qui avait
été partout rétablie, depuis la salutaire remise en mains
opérée dans les camps, nos soldats la supportèrent
sans aucune défaillance et se préparèrent, avec la
vieille ardeur d'autrefois, aux luttes sévères qu'ils
allaient avoir bientôt à soutenir.
Attaque g n m ême temps qu'il s'établissait sur les abords
du pont de
Neuilly. M Génénd Vinoy, loc. cit., p. 279.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 115
du plateau de Châtillon, le général Vinoy faisait
attaquer le pont de Neuilly, afin de débarrasser la
presqu'île de Gennevilliers des troupes fédérées qui
l'occupaient, en supprimant leur unique communi-
cation avec la capitale. L'opération ne semblait pas
devoir être très aisée, car les insurgés avaient fortement
organisé la position au moyen de barricades armées
d'artillerie, et, d'autre part, les pièces du rempart,
des deux côtés de la porte Maillot, enfilaient l'avenue
jusqu'après la traversée de la rivière. Le 5 avril, le
régiment delà Garde républicaine, qui venait d'arriver
à Courbevoie, tenta une attaque que vinrent appuyer
la brigade Besson (1) et les cavaliers du général de
Galliffet. Elle n'aboutit pas, et il fallut se replier sur
la caserne, où l'on passa la nuit.
Le lendemain 6, comme était arrivée la division
Montaudon (2), on revint à la charge avec une grande
vigueur. Malgré le feu terrible qui les avait accueillies
et les faisait beaucoup souffrir, malgré la mort des deux
généraux Péchot (3) et Besson, tués à la tête de leurs
troupes, celles-ci enlevèrent les barricades avec une
belle crânerie et, poussant à fond, se rendirent maî-
tresses du passage, où elles s'installèrent solidement
de façon à ne pas craindre d'en être délogées ; après
quoi, sous la protection du Mont-Valérien, réarmé
(1) 4 e bataillon de chasseurs de marche ; 82 e et 85*.
(2) Ancienne division Pelle.
(3) Commandant la x M brigade de la division Mautaudon.
n6 1871
de grosses pièces, elles établirent là, au prix, il est vrai,
de beaucoup de difficultés et de pénibles sacrifices, une
petite forteresse. A dater de ce jour, Neuilly devint
le théâtre d'incessantes escarmouches. La malheu-
reuse ville, prise entre deux feux, fut transformée
bientôt en un désert couvert de ruines, à travers les-
quelles les obus, en s'abattant, creusaient de nouvelles
et lamentables brèches. Et dans les rues abandonnées,
on vit chaque jour tomber par dizaines des hommes
dont il fallait aller chercher les corps pantelants
sous un ouragan de fer, de moellons et de plâtras.
Le décret Laissons maintenant provisoirement les opérations
sur les militaires pour revenir à Paris, où le dépit de leur
otages, impuissance et la rancœur de leur défaite allaient
conduire les meneurs de l'insurrection aux plus abomi-
nables des crimes. Ces hommes, qui avaient décrété
l'abolition de la peine de mort et fait solennellement
brûler les bois de justice devant la mairie du XI e arron-
dissement, étaient, à l'époque où nous sommes arrivés,
en train de préluder, par les arrestations les plus
arbitraires et les plus injustifiées, à l'assassinat en
masse de soixante et quelques citoyens inoffensifs.
La nouvelle du premier et grave échec subi par
l'armée fédérée avait été accueillie à l'Hôtel de Ville
à la fois avec colère et stupéfaction. Les membres de
la Commune se sentaient mal à l'aise pour excuser ces
lamentables résultats de leur impéritie, de celle de
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 117
leurs généraux et de la faiblesse de leurs troupes.
Ils étaient talonnés, d'autre part, par le Comité central,
qui, toujours debout et installé maintenant à la
Douane, rue de l'Entrepôt, venait de leur imposer
la nomination de Cluseret comme délégué à la Guerre.
Ils se voyaient obligés de reconnaître, à leur grande
humiliation, que, s'ils avaient, eux, la puissance effec-
tive, lui gardait la puissance morale, et ce dualisme
les paralysait au point que, maîtres de s'emparer des
ressources énormes que renfermait la Banque de
France, ou tout au moins de faire de cet établissement,
comme a dit un des leurs, une sorte d'otage contre les
entreprises du gouvernement régulier, ils s'étaient fort
heureusement contentés d'y envoyer, en qualité de
délégué, le vieux Beslay, un brave homme quelque
peu illuminé, qui, loin de faciliter le pillage, aidait
au contraire le sous-gouverneur de Plœuc, resté
courageusement à son poste, à sauvegarder les richesses
appartenant au pays (1). Ils régnaient depuis un peu
plus d'une semaine, et leur action diffuse n'avait
encore produit que des discussions oiseuses, des décrets
puérils et des choix ridicules. Parfaitement incapables,
(1) « I*a Commune, dit Iyissagaray en forme de regret manifeste,
apparaissait faible envers les auteurs de la sortie, le Comité central,
la Banque ; légère dans ses décrets, dans le choix du délégué à la
Guerre, sans plan militaire, discutant à bâtons rompus. I^es irrécon-
ciliables, restés après la fuite des libéraux, comprirent où l'on allait.
Ne tenant pas au martyre, ils donnèrent leur démission » (Loc. cit.,
p. 201).
n8 1871
désorientés par la tournure que prenaient les événe-
ments militaires, ils ne pouvaient tarder à devenir
un jouet entre les mains des exaltés et des violents.
3> 2 avril, la Commune avait rendu un décret
séparant l'Église de l'État et supprimant le budget
des Cultes. Aussitôt le Comité de sûreté générale fit
commencer partout des perquisitions, sous prétexte
de connaître l'état des biens de main-mortequi devaient
être mis « à la disposition de la Nation », et comme
chez les Jésuites de la rue Lhomond, il avait éprouvé
quelque résistance, Raoul Rigault, délégué de l'ex-
Préfecture de police, fit arrêter, dans la journée du 3,
les Pères Ducoudray, Clerc, Olivaint et Radiguet,
qui furent immédiatement amenés devant lui et
interrogés de la façon qu'on va voir : « Quelle est
votre profession? demanda-t-il à l'un d'eux. — Ser-
viteur de Dieu, répondit le Père. — Où habite votre
maître? — Partout ». Alors Rigault, du ton le plus
sérieux du monde et se tournant vers un des secré-
taires : « Écrivez : X... se disant serviteur d'un nommé
Dieu, en état de vagabondage. » Et il se mit à rire en
se frottant les mains (1). Ce bohème sinistre apportait,
dans sa parodie des formes judiciaires, la gouaillerie
truculente et sanguinaire des anciens pourvoyeurs
de l'échafaud.
I*e 4, ce fut au tour de l'archevêque de Paris,
(1) Da Costa, t. I", p. 392. — Da Costa, secrétaire de Rigault,
assistait à cet interrogatoire.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 119
■ — ■ —— — ~" — ■— ■— — — • «^ —
M» 1 Darboy ; il fut incarcéré, sous prétexte de complot,
avec sou vicaire général, l'abbé hagarde, après avoir
été traité par Rigault de la façon la plus insolente ;
puis celui de l'abbé Deguerry , curé delà Madeleine (1).
Depuis le 21 mars, on gardait au secret, à la Concier-
gerie, un président de chambre à la Cour de Cassa-
tion, M. Bonjean, sénateur de l'Empire, dont le seul
crime était d'avoir tenu l'audience de la chambre
des Requêtes le jour même où Duval, le fusillé du
Petit-Bicêtre, s'installait à la Préfecture de police par
délégation du Comité central. Dans l'aveuglement
de son orgueil stupide, l'ouvrier fondeur avait consi-
déré cet acte comme une provocation (2),
Que voulait-on faire de ces prisonniers, auxquels
il faut ajouter une centaine de gardiens de la paix et
gardes républicains enfermés à la Grande-Roquette?
Il est assez difficile de le préciser, car, jusqu'au 5 avril,
personne n'y avait pris garde, hormis Raoul Rigault,
qui ne savait pas lui-même quel parti on pourrait
tirer de leur incarcération (3). Mais voici qu'au len-
demain de la sortie manquée (4), paraît dans V Affran-
chi de Paschal Grousset, sous la signature d'un certain
(1) I/abbé Deguerry fut arrêté par un certain Bridault, jeune
homme de vingt-trois ans, qui avait été condamné à mort sous l'Em-
pire à la suite de l'assassinat d'un pompier à la Villette, et était devenu
commissaire de police spécialement attaché au cabinet de Raoul Ri-
gault ! (Da Costa, p. 395.)
(2) Ibid, p. 397.
(3) Ibid.
(4) Exactement le 5 avril.
i2o 1871
Olivier Pain, un virulent appel aux représailles.
L'article est intitulé « le Talion » et dit : « Les gens
de Versailles assassinent les prisonniers républicains
et mutilent d'une manière horrible les cadavres (i).
Œil pour œil, dent pour dent !... Nous avons en main
des otages. Que la Commune rende un décret L.
A chaque tête de patriote que Versailles fera tomber,
qu'une tête de bonapartiste, d'orléaniste, de légiti-
miste de Paris roule comme réponse. Allons ! sot !
Versailles le veut ! La Terreur ! »
Cet appel fut entendu. La Commune, dont cer-
tains blâmaient déjà les hésitations, trouvait là
une trop belle occasion de montrer sa hardiesse pour
n'en point immédiatement profiter. Et le jour même,
après avoir affirmé sans rire que les meurtriers des
fédérés étaient « les gendarmes et les sergents de ville
de l'Empire, ou encore les royalistes de Charette et de
Cathelineau, qui marchaient sur Paris au cri de
« Vive le roi ! » et drapeau blanc en tête », elle rendit
le décret que voici :
« La Commune de Paris,
« Considérant que le Gouvernement de Versailles foule
ouvertement aux pieds les droits de l'humanité comme
ceux de la guerre ; qu'il s'est rendu coupable d'horreurs
(i) I*es prétendues mutilations dont parle le journaliste n'étaient
là sans doute que pour l'effet, comme, d'ailleurs, la plupart des dé-
tails sensationnels qu'enregistraient les journaux communaux, sans
d'ailleurs les vérifier jamais.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 121
dont ne se sont même pas souillés les envahisseurs du sol
fançais ;
« Considérant que les représentants de la Commune de
Paris ont le devoir impérieux de défendre l'honneur et la
vie de deux millions d'habitants qui ont remis entre leurs
mains le soin de leurs destinées ; qu'il importe de prendre
sur l'heure toutes les mesures nécessitées par la situation ;
« Considérant que des hommes politiques et des magis-
trats de la cité doivent concilier le salut commun avec le
respect des libertés publiques ;
« Décrète :
«Article premier. — Toute personne prévenue de
complicité avec le Gouvernement de Versailles sera im-
médiatement décrétée d'accusation et incarcérée.
« Art. 2. — Un jury d'accusation sera institué dans les
vingt-quatre heures pour connaître des crimes qui lui
seront déférés.
«Art. 3. — I^e jury statuera dans les quarante-huit
heures.
« Art. 4. — Tous accusés retenus par le jury d'accusa-
tion seront les otages du peuple de Paris. '
« Art. 5. — Toute exécution d'un prisonnier de guerre
ou d'un partisan du gouvernement régulier de la Com-
mune de Paris sera, sur-le-champ, suivie de l'exécution
d'un nombre triple des otages retenus en vertu de l'ar-
ticle 4, et qui seront désignés par le sort.
«Art. 6. — Tout prisonnier de guerre sera traduit
devant le jury d'accusation, qui décidera s'il sera immé-
diatement remis en liberté ou retenu comme otage. »
Celui qui avait proposé ces résolutions sangui-
naires était un nommé Urbain, maître de pension,
122 1871
qui représentait à la Commune le VIP arrondisse*
ment (i). Tous ses collègues, il faut bien le dire,
n'approuvaient pas ces atroces représailles, et certains
même, tels MM. Ranc, André Lefèvre et le D* Goupil,
refusant de s'y associer, donnèrent sur-le-champ leur
démission. La majorité de l'assemblée insurrection-
nelle semblait, d'ailleurs, vouloir se contenter de la
manifestation qu'elle venait de faire et ne point
passer, du moins pour l'instant, de laparole aux actes;
mais des énergumènes veillaient. A la Préfecture de
police, Rigault, Ferré (2), Trinquet et quelques autres
entendaient bien disposer, quand bon leur semblerait,
de la vie de leurs prisonniers, ou, tout au moins,
obtenir par la constante menace d'une exécution som-
maire la libération de leur pontife Blanqui, pour lors
détenu dans les prisons de l'État (3). Préoccupés tout
d'abord de cette solution, ils demandèrent à l'arche-
vêque d'intervenir directement auprès de M. Thiers,
et le prélat y consentit, disant que l'humanité lui en
faisait un devoir. La lettre qu'il écrivit au chef du pou-
(1) Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.
(2) Ferré était un agitateur professionnel bien connu, depuis plu-
sieurs années, dans les milieux anarchistes. Ce féroce énergumène
joua dans le drame de la Commune, comme on le verra, un rôle san-
glant qui le conduisit au poteau de Satory. — Trinquet, ouvrier cor-
donnier, membre de l'Internationale, fut condamné aux travaux
forcés à perpétuité.
(3) Sous le coup d'un mandat d'amener pour sa participation à
rinsurrection du 31 octobre, Blanqui avait été arrêté dans le I/)t,
puis conduit de là au fort du Taureau, en rade de Morlaix.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 123
voir exécutif, le 8 avril, « non seulement, disait-il,
en dehors de toute pression, mais spontanément et de
grand cœur >, faisait d'abord allusion aux prétendues
atrocités reprochées à Tannée de Versailles, et dont
M** Darboy n'avait d'ailleurs eu connaissance que par
ceux-là mêmes qui l'avaient incarcéré. Elle faisait
appel, en termes inspirés par la charité évangélique,
à la modération et à la concorde. Elle suppliait le chef
de l'État « d'user de tout son ascendant pour amener
promptement la fin de la guerre civile et, en tout
cas, pour en adoucir le caractère, autant que cela
pouvait dépendre de lui >. Rien de plus. D'un échange
quelconque de prisonniers, il n'était pas question.
Cette lettre, ainsi qu'une autre où l'abbé Deguerry
demandait instamment aux membres du Gouverne-
ment « d'empêcher toutes les exécutions, soit de
blessés, soit de prisonniers », sous peine de provoquer
des représailles immédiates, fut portée à Versailles par
le curé de Montmartre, l'abbé Bertaux. Quelques
jours plus tard, le 12, M* 1 " Darboy, sous l'inspiration
du citoyen Flotte, un vieux lutteur de 1848, ami
intime de Blanqui, en écrivait une seconde, très digne,
comme la première, mais où, cette fois, des proposi-
tions d'échange entre le prisonnier du fort du Tau-
reau et les otages étaient nettement formulées. Elle
fut portée à Versailles par le vicaire général Lagarde,
lequel s'était formellement engagé à revenir, même
si sa mission échouait.
124 1871
M. Thiers hésita deux jours. H consulta ses ministres
et la commission de quinze membres instituée par
l'Assemblée nationale pour assister le Gouvernement
dans les affaires de l'insurrection. Après quoi, il donna
à l'abbé Bertaux une réponse dans laquelle il s'inscri-
vait en faux avec véhémence contre les accusations
dont l'armée de Versailles était l'objet et s'engageait
à « tout oublier une fois l'ordre rétabli », sauf à pour-
suivre judiciairement les individus convaincus d'assas-
sinat. Mais il concluait par un véritable échappatoire,
qui ne devait laisser au malheureux prélat aucune
illusion : « Recevez, Monseigneur, l'expression de
mon respect et de la douleur que j'éprouve en vous
voyant victime de cet affreux système des otages,
emprunté au régime de la Terreur, et qui semblait
ne devoir jamais renaître chez nous (i) ». Quant à la
proposition d'échange, elle ne reçut point de réponse.
Jules Simon raconte que M. Thiers prépara une lettre,
mais qu'elle n'arriva point à destination, l'abbé ha-
garde n'ayant point cru devoir rentrer à Paris. Elle
se terminait par un refus formel. « Accepter cette
offre, disait le président du Conseil, ne serait-ce pas
consacrer et étendre l'abominable système des otages
et permettre aux hommes qui dominent dans Paris de
(i) La Commune vécue, t. I er , p. 418. — I/auteur, Gaston Da Costa,
déclare avoir porté cette lettre à Raoul Rigault, qui en fit donner com-
munication à l'archevêque, « dont le visage se contracta plusieurs
fois ». Quant à l'abbé Bertaux, il fut, suivant les conventions faites,
remis en liberté.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 125
multiplier les arrestations pour contraindre le Gou-
vernement à opérer de nouveaux échanges?... Je suis
donc, Monseigneur, sans droit et sans pouvoir pour
opérer rechange que vous proposez, et auquel une
commission de l'Assemblée a jugé, à l'unanimité,
que le Gouvernement devait se refuser. Dans cette pé-
nible position, j'ai du moins la confiance que les
hommes qui ont osé vous arrêter ne seront pas assez
pervers pour pousser leurs violences plus loin (1) ».
C'était se montrer bien optimiste, et les événements
dont on lira plus loin le triste récit l'ont malheureu-
sement prouvé. Mais c'était aussi se renfermer dans un
exclusivisme auquel il est vraiment difficile de trouver
des justifications. 1^ vieux Blanqui, usé, malade,
était-il donc si redoutable que d'en priver l'insurrec-
tion, valût qu'on laissât exposée au pire destin la vie
de tant d'hommes si dignes, à des titres divers, d'estime
et d'intérêt (2)? I^e retour à Paris d'un révolution-
naire de plus, mais qui n'était qu'un podagre, capable
tout au plus de donner des conseils que les autres
n'auraient probablement d'ailleurs pas suivis, ne
pouvait, en quoi que ce soit, changer la marche des
(1) Le Gouvernement de M. Thiers, t. I er p. 456.
(2) « La raison politique, dit J. Simon, ne permettait pas de donner
à l'insurrection un chef qu'elle regardait elle-même comme un accrois-
sement de force considérable. » La raison politique couvre trop sou-
vent des erreurs, des fautes et des actes mauvais. I/invoquer comme
motif déterminant d'une résolution aussi contestable, c'est avouer
soi-même que celle-ci ne pevi être appuyée sur des arguments sé-
rieux.
126 l t 871
choses, dont le sort des aimes allait seul décider désor-
mais ; car il est absolument improbable qu'il soit
venu à l'idée de personne de faire de Blanqui un dicta-
teur, et encore moins un général en chef. En se dra-
pant dans son intransigeance, M. Thiers sauvait donc
peut-être l'intégrité de certains principes, sur
lesquels, cependant, des politiques tels qu'Henri IV
et Mazarin n'hésitaient pas à transiger; mais il vouait
à tous les risques des existences auxquelles était due
protection. Il est fâcheux qu'en cette triste affaire
l'esprit de gouvernement ait chez lui prévalu sur
le plus simple sentiment d'humanité,
Inarchie Tandis que Rigault, de sa propre autorité, procédait
dans le a ^ nsi & l'arrestation des otages, le gouvernement
ouveme- insurrectionnel dégénérait peu à peu en anarchie,
ment Son dualisme avec le Comité central, sous la domi-
nsurrec- nation duquel était le délégué à la Guerre, Cluseret,
tionnel. créait la situation la plus embarrassante et la plus
compliquée à la fois. On ne savait plus à quels ordres
obéir, et la confusion était telle que, sur 200 000 gardes
nationaux armés, on n'en trouvait guère que 8 ou
10 000 à opposer à l'armée de l'ordre (1). Et de plus,
la discorde commençait à se mettre entre les chefs.
Bergeret avait été arrêté et remplacé par le Polonais
Dombrowski, que le Comité central ne voulait point
accepter. Il resta en prison jusqu'au 23 avril. Quant
(1) Da Costa, loc. cit., t. II, p. 155.
h A COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 127
aux autres généraux, ils ne savaient à qui s'adresser.
« Qui voulait des canons, des renforts, courait en de-
mander où il pouvait, à la Place, à l'Hôtel de Ville,
au Comité central, au généralissime Cluseret (1). »
Mais personne ne parvenait à en obtenir. Iye délégué
à la Guerre « se grisait avec la rédaction d'innombra-
bles affiches » et se noyait dans la rédaction d'ordres
dont il ne pouvait obtenir l'exécution (2). Il laissait
décréter le service obligatoire et le désarmement des
réfractaires, mesure qui produisit le plus fâcheux
effet et peupla les prisons de gens qui ne voulaient pas
être confondus avec les émeutiers (3). Il 9e faisait
mal venir des artilleurs des remparts et des forts en
blâmant l'abus qu'ils faisaient des munitions. Il réta-
blissait les conseils de guerre, qui ne fonctionnèrent
pas et, à leur défaut, instituait des cours martiales,
qui ne fonctionnaient que trop. De son côté, la Com-
mune votait des pensions aux veuves légitimes ou
non, aux ascendants et aux enfants des gardes natio-
naux tués au feu, ce qui ne l'engageait pas beaucoup
et ne donnait aux bénéficiaires, en tout état de cause,
que des assurances très précaires. Elle faisait afficher
(I) I/ISSAOARAY, p. 205.
(z) Da Costa, t. II. p. 153.
(3) C'est leur refus de prendre un fusil et de travailler aux barri-
cades qui amena l'arrestation des dominicains d'Arcueil, dont on
verra plus loin le massacre. Nombre de gens, malgré une surveil-
lance sévère, purent échapper au service personnel et s'évader au
moyen de subterfuges variés. Mais dans Paris régna dés lors le ré-
gime des suspects et une véritable réédition de la Terreur.
128 l[87jl
des comptes rendus grandiloquents, mais fantaisistes,
des combats livrés à Tannée de Versailles, lesquels
étaient la plupart du temps imaginaires, tant au
point de vue de leur réalité que de leurs résultats»
Elle se dépensait en discussions, en parlotes, en pro-
clamations vaines, et, dans la ville comme dans le
camp, c'était le gâchis, le désordre, la confusion
absolue des pouvoirs.
Il se trouvait cependant encore des gens qui n'a-
vaient pas perdu tout espoir de conciliation. Des grou-
pements se formaient, sous le nom d'Union nationale
des Chambres syndicales, ou encore, de Ligue d'Union
républicaine des Droits de Paris, pour demander à
l'Assemblée nationale des concessions, toujours les
mêmes. Certains députés de la Seine, démissionnaires,
MM. I^ockroy, Floquet, Clemenceau, y donnaient
leur adhésion. I^es pontifes du Grand-Orient lançaient,
eux aussi, un manifeste pour demander qu'on « arrêtât
l'effusion d'un sang précieux ». Et des députations
partaient pour Versailles, à qui M. Thiers répon-
dait invariablement : « Que l'insurrection désarme
d'abord. » Pour mieux affirmer d'ailleurs son senti-
ment sur les limites qu'il entendait imposer aux
libertés municipales, il obligeait l'Assemblée natio-
nale à revenir sur un vote déjà émis, et qui donnait
aux communes le droit d'élire leur maire. Sur ses
instances pressantes, ce droit fut refusé aux villes
ayant plus de 20.000 habitants.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 129
j^C'est que, précisément, le^chef du pouvoir exécutif
venait d'être édifié sur l'esprit qui régnait dans cer-
tains centres, et il se rendait parfaitement compte des
dangers qui pourraient en résulter. Un grand nombre
de municipalités du Midi avaient décidé de former,
à Bordeaux, une assemblée de leurs délégués pour
aviser aux moyens de conciliation, mais dans des
conditions telles qu'elle semblait plutôt devoir
départager deux pouvoirs également légitimes et
également reconnus. Le ministère de l'Intérieur
l'interdit, et il fit bien, car tolérer qu'en ces moments
d'effervescence où, comme on le verra plus tard,
plusieurs grandes villes s'étaient essayées à imiter
pour leur propre compte le mouvement communa-
liste, d'autres cités s'instituassent d'elles-mêmes
arbitres et pour ainsi dire juges du camp, eût été com-
mettre une grave imprudence. Le Gouvernement,
tiraillé entre l'Assemblée nationale, dont la majorité
demandait une répression rapide et complète, entre
les négociateurs plus ou moins bénévoles qui l'assail-
laient de leurs doléances, et la nécessité d'organiser
ses forces encore insuffisantes, le gouvernement, en
position d'équilibre instable, ne pouvait se maintenir
qu'en suivant fermement la ligne de conduite qu'il
avait adoptée, c'est-à-dire en persistant dans son refus
formel de traiter tant que les insurgés n'auraient
pas mis bas les armes. La poudre avait parlé; la guerre
civile était ouverte. Il n'était plus temps de capituler,
9
130 1871
ni même de paraître faiblir, sous peine de livrer à la
révolution le pays tout entier.
M. Thiers, d'ailleurs, connaissait le désordre qui
régnait à Paris, au sein même du gouvernement
parodique qui s'en était emparé. Déjà, la Commune
avait peine à se compléter, et aux yeux de la popula-
tion restée saine, qui formait assurément la grande
majorité, elle apparaissait ce qu'elle était réellement,
ce qu'un de ses membres lui-même a dit qu'elle était :
un camp de révoltés (i). Les élections complémentaires
du 16 avril ne réunirent que 61 ooo électeurs en tout,
et il fallut valider des élus qui n'avaient pas réuni plus
de 400 voix (2). On se chamaillait à propos de la véri-
fication des pouvoirs. Félix Pyat, toujours truculent
et romantique à la façon des habitués de barrière,
traitait Vermorel de mouchard et Tridon de fumier (3).
Ives coteries, les haines de personnes, les suspicions
et les méfiances séparaient déjà et dissociaient ces
hommes, qui ne savaient que détruire et n'avaient
jamais travaillé qu'à cela. Ils essayèrent d'adresser
au pays un manifeste, pour exposer leur programme
de décentralisation fédéraliste. Ils ne réussirent qu'à
produire un f actum obscur et fuligineux, où la rhéto-
rique de Proudhon se mêlait à des rêveries d'hallu-
(i) IjSSAGARAY, toc. Cit., p. 210.
(2) Dans cette fournée était compris Cluseret, le peintre Courbet,
Rogeard, le fameux auteur des propos de Labienus, qui n'accepta pas,
Menotti Garibaldi (pour mémoire), Trinquet, etc.
3) IylSSAOARAY, loC. Ctt. t p.2X4 et 215.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 131
cinés. « C'est l'oraison funèbre du jacobinisme ! »
se borna à dire Rastoul quand Vallès lut cette éton-
nante élucubration (1). En fait, « la Commission exe-
cutive ne savait pas commander ; le Comité central
ne voulait pas se subordonner. La direction, l'admi-
nistration, la défense allaient à l'aventure, comme la
sortie du 3 avril (2) ».
M. Thiers savait tout cela, et peut-être comptait-il
sur cette anarchie comme sur son meilleur auxiliaire.
Mais, si la Commune était par elle-même impuissante
et quasi négligeable, il y avait à ses côtés des gens
décidés à tout plutôt que de céder, et qui allaient
apporter dans la résistance à main armée, à défaut
d'habileté et de méthode, une énergie contre laquelle
ne seraient point inutiles les moyens considérables
dont heureusement le Gouvernement pouvait, dès ce
moment, disposer.
(1) Rastoul était un médecin qui, au milieu de toutes ces folies révo-
lutionnaires, avait gard&quelque bon sens. Il fut condamné à la dé-
portation simple, tenta, avec quelques compagnons, de s'évader dans
un barque de la Nouvelle-Calédonie et périt dans les flots.
(2) I^issagaray, toc. cit., p. 215.
CHAPITRE V
I,ES OPÉRATIONS MILITAIRES DU 10 AVRIL AU 22 MAI
Après avoir défendu Paris contre les Allemands, Composi-
il fallait maintenant le reprendre à la Commune. Avec tion des
une activité très grande et une inlassable opiniâtreté, armées
M. Thiers avait préparé des ressources, accumulé les françaises'
moyens matériels, formé des régiments et des corps
d'armée. Dès le commencement d'avril, il disposait de
plus de 60 000 hommes abondamment pourvus de tout.
Quelques jours plus tard, grâce à la rentrée des pri-
sonniers d'Allemagne (1), il pouvait mettre sur pied
un ensemble de forces redoutables. Il en donna le
commandement au maréchal de Mac-Mahon.
I/ancien commandant en chef de l'armée de Châlons
s'était retiré à Saint-Germain et allait de là voir assez
fréquemment le chef du pouvoir exécutif, à Versailles.
Celui-ci avait d'abord trouvé chez le maréchal une
certaine résistance ; mais qui ne persista pas. I^e
(1) Comme leur transport par voies ferrées aurait été trop long, on
les amena pour la plus grande partie par mer, à Brest et à Cherbourg.
En même temps, les deux ports faisaient expédier à Versailles un ma-
tériel de grosses pièces avec des approvisionnements très complets.
134 1871
6 avril, il signait un décret, organisant deux armées,
Tune composée de trois corps et dénommée armée de
Versailles, sous les ordres du duc de Magenta, l'autre,
dite armée de réserve, sous les ordres du général Vinoy.
Leur composition était la suivante (i) :
Les I er et II e corps de l'armée de Versailles, ainsi
que l'armée de réserve, comptaient chacun trois divi-
sions d'infanterie et une brigade de cavalerie légère ;
deux batteries d'artillerie et une compagnie du génie
étaient attachées à chaque division ; deux batteries
à balles (mitrailleuses) et deux batteries de 12 for-
maient la réserve d'artillerie de chacun de ces corps.
Le III e corps, entièrement composé de cavalerie,
comprenait trois divisions, à chacune desquelles était
attachée une batterie à cheval.
La réserve générale de l'armée comprenait dix bat-
teries et deux compagnies du génie (2).
Après l'arrivée des prisonniers d'Allemagne, c'est-
à-dire le 23 avril, l'armée de Versailles fut portée à
cinq corps.
Les changements et permutations consécutifs à
cette organisation nouvelle commencèrent aussitôt
et s'effectuèrent régulièrement, encore qu'avec une
certaine lenteur. Mais ils n'interrompirent point la
(1) Voir les ordres de bataille aux pièces justificatives. — I*e général
Vinoy était en même temps nommé grand-chancelier de la Iyégion
d'honneur.
(2) Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, V Armée de Versait'
les, rapport officiel, Paris, A. Ghio, 1872, p. z.
LA COMMUNE A PARIS HT EN PROVINCE. 135
lutte déjà engagée. I^e 10, pendant la nuit, la divi-
sion de Maud'huy attaqua le château de Bécon,
entre Courbevoie et Asnières, et subit même un léger
échec, dont, heureusement, les insurgés ne profitèrent
pas. Car, bien qu'ils fussent commandés par un homme
d'énergie et de vigueur, Dombrowski (1), ils n'étaient
pas assez rompus aux choses de la guerre pour savoir
exploiter les avantages de détail. De celui-ci, Paris
n'eut même pas connaissance, et quand Dombrowski
demanda à la Commune des renforts pour le pour-
suivre, on lui envoya seulement quelques compagnies,
dont l'effectif, ajouté à celui dont il disposait déjà,
était encore insuffisant pour tenir solidement l'énorme
étendue de terrain qu'il occupait (2).
Entre temps, le maréchal avait pris ses premières
dispositions (3). I^e point d'attaque choisi étant le
Point-du-Jour, qui forme en avant de l'enceinte du
sud le seul saillant abordable, force était au préalable
de faire tomber le fort d'Issy, qui le commandait.
En conséquence, le II e corps (général de Cissey)
(1) « Iye Polonais Dombrowski, a écrit le général Vinoy, contrariait
nos travailleurs par d'incessantes alertes qui nous rendirent la place
très pénible à tenir. » (L'Armistice et la Commune, p. 284.)
(2) D'après I4ssagaray, il n'y aurait pas eu plus de 2500 hommes
pour tenir Neuilly, Asnières et la presqu'île de Gennevilliers. C'était
assurément fort peu.
(3) Vannée de réserve était, aux termes du décret du 6, chargée
« de garder le lieu où siégeaient l'Assemblée nationale et le Gouverne-
ment, et de veiller à leur sûreté ». Elle continua néanmoins à tenir, en
avant, les points qu'elle occupait déjà et qui ont été indiqués au cha-
pitre précédent.
136 1871
eut ordre de s'avancer en cheminant vers l'ouvrage,
tandis que le I er corps (général de Ladmirault) s'empa-
rerait de toute la rive gauche de la Seine, jusqu'à
Asnières, et s'y établirait fortement. Sa 2 e division
(de MaudTiuy) (i), déjà installée à Courbevoie et à la
tête du pont de Neuilly, restait en place momenta-
nément. Mais on établissait, tous les quatre jours,
une relève entre elle et les deux autres divisions du
corps, installées respectivement à Rueil et Nanterre
(division Montaudon) et au camp de Villeneuve-
l'Étang (division Grenier). Quant au III e corps (géné-
ral du Barail), il était chargé de couvrir l'armée à
Juvisy, Longjumeau, Palaiseau et Verrières, avec des
avant-postes à Choisy-le-Roï.
Ouverture Le 12, dès le matin, le II e corps ouvrait la tranchée
de la sur le plateau de Châtillon, et amorçait la construction
tranchée* d e ses batteries, tandis que, sur les hauteurs de
Montretout, était élevé un formidable épaulement,
destiné à recevoir des pièces de gros calibre pour le
bombardement des remparts. En même temps, la
brigade de cavalerie Charlemagne coupait, à Juvisy,
la voie ferrée et le télégraphe, interceptant ainsi les
communications de la capitale, au moins partiel-
lement.
Du côté du I er corps, qui s'était un peu étalé vers
le nord-ouest, le 36 e de marche enlevait, le 17, le châ-
(1) Cette division venait de l'armée de réserve.
LA COMMUNE A PARTS ET EN PROVINCE. 137
teatt de Bécon, puis, le lendemain, la gare d'Asnières.
Le régiment de gendarmerie, aidé d'un bataillon du
72 e , occupait Bois-Colombes, et ainsi les fédérés se
trouvaient refoulés définitivement sur la rive droite
de la Seine. On ne cherchait rien de plus pour le
moment, puisque, dans ces parages, il s'agissait seu-
lement d'empêcher tout mouvement offensif de
l'adversaire. On se borna seulement à occuper, dans
Neuilly, quelques îlots de maisons qu'il fallait tenir
pour la sûreté. Et, jusqu'à l'entrée dans Paris, tout se
réduisit là à des escarmouches.
Quelles étaient maintenant les forces globales dont Les forces
pouvaient disposer les généraux insurrectionnels ? I^ur &* la
évaluation exacte est fort difficile à faire, pour ne pas Commune
dire impossible, car les états d'effectifs fournis à
la Commune étaient généralement aussi amplifiés
qu'étaient hypothétiques les récits de victoire dont
elle-même inondait son Journal officiel. Depuis que
Cluseret avait partagé la Garde nationale en deux
fractions, l'active et la sédentaire, on accusait pour
la première 96 000 hommes avec 4000 officiers; pour la
seconde 100 000 hommes et 3 500 officiers. Si l'on
ajoute à cela les trente-six corps francs aux déno-
minations flamboyantes ou burlesques qui pouvaient
prendre part, d'une façon plus ou moins sérieuse et
efficace, aux opérations, et qui, nominalement,
comptaient 3 450 hommes, on f arrive à un total de
138 1871
plus de 200 000 combattants. Mais des historiens de
la Commune, qui sont restés fidèles à ses idées, sinon
admirateurs de tous ses actes, déclarent très nette-
ment que, de cette armée, les délégués à la Guerre
successifs ne purent pas envoyer au feu plus du
cinquième au maximum, ni mettre en ligne plus de
deux cents pièces de canon, sur les onze cents que
renfermait Paris (1). De cavalerie et de génie, il n'en
existait pas. Par contre, on utilisa quelques loco-
motives ou wagons blindés sur le chemin de fer de
Versailles, entre les Batignolles et Clichy, et aussi les
canonnières du siège, qui, embossées sous le viaduc
du Point-du-Jour, répondirent tant bien que mal au
feu des hauteurs de Meudon et de Bellevue. Cette
flottille était aux ordres d'un certain Durassier.
: Quant aux forts, encore très mal en point des suites
de premier siège et fort sommairement réparés, ils
étaient assez bien armés, et occupés par des garnisons
suffisantes. On les avait partagés en deux secteurs,
confiés l'un (fort d'Issy et de Vanves) à l'Italien La
Cecilia, ancien officier de francs-tireurs à l'armée
de la Loire, lequel avait remplacé Eudes, rappelé en
arrière (2) ; l'autre, au Polonais Wroblewski, dont le
commandement s'étendait sur les forts de Montrouge,
de Bicêtre et d'Ivry. Mais le service était en général
(1) Ijssagaray, Da Costa, passim.
(2) I«e commandement direct des forts appartenait à un certain
Wetzel.
LA COMMUNE A PARIS HT EN PROVINCE. 139
assez mal réparti et la relève des troupes fort
irrégulière. De là, un parfait désordre que le pré-
sident de la Cour martiale, un jeune officier venu de
l'armée régulière, et dont il sera question plus loin,
Rossel, voulut réprimer par des exemples sévères.
La Commune l'en ayant empêché, il se retira, pour se
renfermer dans ses fonctions de chef d'état-major
du délégué à la Guerre (1), et l'indiscipline persista,
ainsi que le désordre d'une administration où le
gaspillage, l'incompétence et souvent aussi la mal-
honnêteté étaient de la monnaie courante. Il faut lire
à ce sujet les doléances des anciens membres du gou-
vernement insurrectionnel sur l'anarchie partout
régnante, et leurs vitupérations acerbes contre tous
ces délégués ou fonctionnaires, que cependant ils
avaient choisis eux-mêmes, pour se rendre un compte
exact de l'incohérence universelle, de l'ineptie géné-
rale et de l'invraisemblable gâchis qui s'ensuivait.
C'est à se demander vraiment comment, au milieu
de ce chaos, il a été possible de soutenir une résistance
de deux longs mois, qui, sans l'extrême abondance
des munitions de toutes sortes, n'aurait sans doute
pas duré huit jours.
Cependant, le corps de Cissey poursuivait ses Opération
du siège.
(1) Il fut remplacé à la Cour martiale par un nommé Gois, colonel
de la Commune, qui commanda plus tard le détachement des massa-
creurs de la rue Hazo.
I4<> 1871
cheminements, appuyés sur une première parallèle
allant de Clamart à Châtillon. Il construisait des
batteries sur les hauteurs en arrière, jusqu'à Bellevue,
et le 20, enlevait Bagneux aux insurgés. Le 25,
le feu d'artillerie était ouvert à la fois sur le fort
d'Issy, par cinq batteries (1) et sur celui de Vanves
par une (2). Mais ces ouvrages, appuyés par l'enceinte,
répondaient assez vigoureusement pour qu'on dût
renoncer à l'espoir de les réduire au moyen d'un
simple coup de force. Ordre fut alors donné de
s'emparer du village des Moulineaux et de s'y établir
fortement. Le 26 au soir, l'opération était brillam-
ment exécutée par des troupes de la division Paron
(35 e et 110 e ) , et son succès complet permettait d'ouvrir
en avant du village mis en état de défense un deuxième
parallèle, qui n'était plus qu'à 300 mètres du fort
d'Issy. Trois jours après, une colonne formée avec des
éléments fournis par les brigades Derroja, Berthe
et Paturel, chassait les fédérés des positions fortifiées
qu'ils occupaient dans le cimetière et le parc d'Issy,
y faisait nombre de prisonniers et capturait huit
pièces, tandis que, plus à droite, deux compagnies
du 70 e de marche occupaient, à 500 mètres en avant du
fort de Vanves, une ferme où elles prenaient 75 insur-
gés. Les deux ouvrages étaient, d'ores et déjà, sinon
complètement enveloppés, du moins menacés de plu-
(1) Breteuil, Brimborion, Meudon, Châtillon et Moulin-de-Pierre.
(2) 1 Cntre Bagneux et Châtillon.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 141
sieurs côtés à la fois, et serrés de si près que leur chute
pouvait être envisagée comme imminente. A Paris,
personne ne s'y trompa, et, comme il faut toujours
au peuple déçu un bouc émissaire, ce fut contre Clu-
seret que la colère universelle se déchaîna.
Il avait cependant essayé de faire tout son possible ciuseret
pour donner un peu de cohésion et de vigueur aux destitué e
troupes incohérentes que lui fournissait l'insurrection, arrêté.
Mais, outre qu'il n'avait que médiocrement réussi
dans cette tâche, et qu'en tout état de cause il n'était
pas parvenu à mobiliser un assez grand nombre de
bataillons, ses allures cassantes et hautaines lui avaient
aliéné les sympathies de la Commission executive, et
sa subordination forcée au Comité Central, qui, pour
lors, trônait au Ministère de la Guerre même, n'était
point faite pour lui faire retrouver son premier
prestige. On voulait se débarrasser de lui, et on choisit
pour prétexte l'abandon momentané du fort d'Issy,
que sa garnison, placée sous les ordres de Mégy, avait
quitté le 29 avril, pour y rentrer d'ailleurs presque
aussitôt. Iye I er mai, le Journal officiel publiait un
arrêté de la Commission, nommant provisoirement
le citoyen Rossel aux fonctions de délégué à la
Guerre (1), puis, tout de suite, les deux notes que
(1) I/arrêté était signé : J. Andrieu, Paschal Grousset, Ed. Vail-
lant, Cournet, Jourde. I«e nom de Detescluze, membre de la Commis-
sion militaire, n'y figure pas.
142 [i;871
voici : « Le citoyen Cluseret est révoqué de ses fonc-
tions de délégué à la Guerre. Son arrestation, ordon-
née par la Commission executive, est approuvée par
la Commune. » — « Il a été pourvu a*i remplacement
provisoire du citoyen Cluseret. I^t Commune prend
toutes les mesures de sûreté nécessaires. »Et le lende-
main, une troisième note exposa ue l'arrestation
du délégué était due à « son in* .ie et à sa négli-
gence, qui avaient failli compromettre la posses-
sion du fort (i) ». C'en était fini de ce personnage
remuant, rodomont, plein de lui-même, et qui, pour
avoir guerrové à la diable au hasard des aventures,
se croyait i valeur militaire, quand il n'avait qu'un
immense *ueil.
.sr
Les Entoe temps, l'intervention de deux éléments nou-
fetnmes et veaux, et assez inattendus, les femmes et les francs-
les francs- maçons, avait donné à la Commune un encourage-
{maçons. men t dont elle paraissait fière autant que satisfaite.
Il y avait dans Paris quelques viragos, dont les nerfs
surexcités se tendaient au tumulte de la rue, et que
brûlait un tempérament d'androgyne. Certaines d'entre
elles demandaient des armes, et, nouvelles amazones,
s'offraient à combattre en personne. D'autres rédi-
geaient des épîtres embrasées et des affiches incen-
diaires, ou encore, comme une certaine Andrée I/éo,
(i) En arrivant dans sa cellule de Mazas, Bergeret avait écrit sur le
mur : « Cluseret, je t'attends dans dix jours. > Il ne se trompait pas.
LA COMMUNE A PARIS ETjEN PROVINCE. 143
sommaient le délégué à la Guerre de ne point dédai-
gner « la sainte fièvre qui brûlait le cœur des femmes ».
Elles étaient rares celles qui, à l'exemple de Louise
Michel, bornaient leur besoin d'action aux soins à
porter aux blessés, et leur propagande à des encou-
ragements individuels. Lors de la suspension d'armes
de huit heures p ^j^sentie d'un commuu accord le
25 avril, pour pen^Jtre l'évacuation par ses habitants
de la ville de Neuilly, devenue absolument intenable,
on en vit qui, sous prétexte de porter des secours,
cherchaient à débaucher les soldats, et il fallut en
arrêter quelques-unes. Nous en retrouverons d'autres,
au cours de ce récit, qui se signalèrent paaiieur ardeur
furieuse et formèrent même des bataillons (gi& battants
ou bien finirent, dans le grand catacly m. de la
semaine de mai, une torche enduite de pétrole à la
main.
Quant aux francs-maçons, ils avaient commencé
par prendre l'attitude de conciliateurs et par prêcher
la paix aux belligérants, qui, occupés à d'autres
besognes, ne les écoutaient que d'une oreille assez
distraite. Bientôt lassés de ce rôle ingrat, ils enten-
dirent en jouer une autre plus effectif, afin surtout
de montrer qu'ils existaient, et, rebutés du côté de
Versailles, ils allèrent drbit à la Commune, qui natu-
rellement les accueillit à bras ouverts, le 26, l'assemblée
insurrectionnelle était occupée, dans le tumulte qui
lui était maintenant habituel, à discuter sur le sort
144 t 1871
des otages, que d'aucuns déjà voulaient fusiller,
quand on lui annonça une délégation du Grand-
Orient, conduite par le peintre sur porcelaine Ranvier.
Il portait une bannière adornée du triangle symbo-
lique et venait proposer de la planter sur le rempart
pour méduser les Versaillais. Cette solution inattendue
du conflit aurait dû prêter à rire. Elle fut accueillie,
au contraire, avec le plus grand sérieux par la Com-
mune, qui descendit tout entière dans la cour d'hon-
neur pour recevoir les délégués. Alors « l'orateur »
sortit du rang. Il s'appelait Thirifocq, comme pour
ajouter au comique déjà si savoureux de cette affaire,
et il déclarait que ses « frères » étaient prêts, si une
seule balle les touchait dans l'accomplissement de la
mission qu'ils se donnaient, à « marcher d'un même
élan contre l'ennemi commun ».
Cette déclaration, faite d'une voix qui se forçait
pour paraître assurée, suscita le plus bel enthousiasme.
On fraternisa, on s'embrassa, comme aux grands
jours. I<e citoyen Vallès retira son écharpe rouge
pour en cravater la bannière. Puis la délégation fut
reconduite en triomphe jusqu'au Temple de la rue
Cadet.
Tous les F. *** cependant n'étaient point partisans
de cette démonstration compromettante. Il y avait
parmi eux nombre de braves gens, entrés dans les
Loges par genre ou par esprit d'imitation, qui ne se
souciaient guère de prendre ainsi ostensiblement parti.
I/A COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 145
Ils aimaient les palabres arcaniques des convents et
leurs cérémonies pseudo-médiévales ; les distinctions
dont ils se paraient dans l'ombre, à défaut d'autres
plus éclatantes, flattaient leur médiocrité. Mais ils ne
se sentaient aucun goût pour le sacrifice ou le mar-
tyre, et ils protestèrent aussitôt, dans des affiches
effarées, contre les manifestations dangereuses aux-
quelles on les conviait malgré eux. C'était trop tard.
Les forcenés de l'Hôtel de Ville avaient maintenant
les yeux fixés sur la rue Cadet, où ils croyaient trouver
des alliés, qui se faisaient de plus en plus rares. Et, si
les F*** s'étaient maintenant dérobés, ils eussent
risqué de devenir sans transition des otages. Dès lors,
le courant, d'abord assez circonscrit, entraîna tout le
monde, ou à peu près.
]> 29 au matin, une troupe de francs-maçons,
conduite par six membres de la Commune, se diri-
geait vers l'Hôtel de Ville. Des musiques la précédaient,
et un certain nombre de femmes, qui portaient aussi
le tablier à équerre, la suivaient. Accueillie par Félix
Pyat, toujours emphatique et grandiloquent, et par le
vieux Beslay, qui larmoyait en se grisant de phrases
magnanimes, elle reçut un drapeau rouge, puis rétro-
grada vers les Champs-Elysées, sous la conduite de
l'inévitable citoyen Thirifocq. Mais, au rond-point,
elle commença à recevoir des obus et dut se déverser
dans les rues latérales. Quand elle arriva à la porte
Maillot, elle était fort diminuée. Cependant quelques
10
146 18T1
« vénérables », qui avaient tenu bon, plantèrent
sur le rempart leurs bannières, en ayant soin tou-
tefois de placer, bien en vue, le drapeau blanc, signal
de parlementaire, qui amena la cessation du feu.
C'était évidemment le plus sûr moyen de ne point
recevoir les balles qui devaient, suivant la parole
donnée, faire d'eux des soldats de la Commune. H
devenait manifeste, en tout cas, qu'ils préféraient
les pourparlers aux dangers du combat.
Ceux-ci écartés, les plus résolus parmi les mani-
festants demandèrent à être conduits à Versailles,
et on le leur accorda. Mais M. Thiers, s'il consentit à
les recevoir, leur fit en même temps comprendre qu'il
ne pouvait rien pour eux, et ils durent s'en retour-
ner, assez déconfits, n'ayant réussi qu'à faire trouer
les bannières qu'ils avaient laissées au rempart.
Alors, pour cacher leur déconvenue, ils organisèrent,
aussitôt après leur retour au Temple, une parade
monstre, au cours de laquelle les Versaillais furent
traités comme il convenait, et qui se termina par
cette décision unanime, que chacun irait au feu avec
ses insignes. Ardeur toute platonique d'ailleurs,
et tôt tempérée par les fâcheuses nouvelles qui arri-
vaient des forts, tout près de tomber entre les mains
de l'armée régulière.
C'était le moment où la Commune, en proie aux dis-
sensions intestines les plus violentes et à des rivalités
de personnes qui éclataient à chacune de ses séances,
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 147
commençait à se désagréger. Depuis la constitution
du Comité de salut public, l'assemblée insurrection-
nelle s'était scindée en deux, après échanges de propos
fort aigres et d'épithètes malsonnantes à souhait.
Iya minorité, assez considérable, était bruyante,
aigre et obstructionniste suffisamment pour empêcher
la conclusion des innombrables affaires dont on
s'occupait. La partie semblait donc d'ores et déjà
compromise, et l'instant mal choisi pour s'exposer
aux coups. Iyes francs-maçons, subitement calmés et
guéris de leur fièvre belliqueuse, rengainèrent donc
leurs oripeaux, bouclèrent hermétiquement les portes
de la rue Cadet, et s'en tinrent prudemment à des
déclarations sans conséquences. Ils firent connaître
que, désormais, ils allaient opposer au canon des Ver-
saillais « une immense quantité de signatures ».
C'était évidemment moins dangereux que de leur
présenter des poitrines, mais c'était aussi, de beaucoup,
moins expédient.
Ainsi finit cette comédie, qui eût été assez anodine,
en somme, sans les suites qu'elle entraîna. Ayant de la
sorte débuté dans la politique, encore que par une
mascarade assez ridicule, les IyOges s'y installèrent
peu à peu et finirent par en faire leur domaine. Il est
clair que cette promenade à travers les barricades, au
son d'une musique rituelle et sous des oriflammes
aux couleurs bariolées, était beaucoup plus inoffensive
que les menées ténébreuses qui s'ourdissent aujour-
148 1871
d'hui dans le Temple et surtout que la main mise par
ses adeptes sur presque tous les organes constitutifs
de notre pays.
Rossel dé- C'est à ce moment que Rossel prit possession du
légué à la ministère de la Guerre. Il offrait, avec son prédé-
Guerre. cesseur, un contraste frappant.
Le Comité C'était un capitaine du génie, à peine âgé de vingt-
dé? Salut se ^ ans ^ ^j^ connu p ar j a tentative de révolte
P u %c * qu'il avait esquissée dans les derniers jours du blocus
de Metz, pour provoquer la déposition de Bazaine,
et à la suite de laquelle il avait été incarcéré au fort
de Plappeville jusqu'après la capitulation. On lui
reconnaissait du mérite et de la science. Même ses
écarts semblaient indiquer du caractère. Mais ses
allures sèches et fermées ne lui conciliaient point les
sympathies dès l'abord, et ses idées ultra-révolution-
naires le faisaient tenir un peu à l'écart par ses cama-
rades, peu férus en général de socialisme outrancier.
Poussé d'abord par une sorte d'hyperesthésie patrio-
tique, exaspérée par les agitations de son âme inquiète
et les conseils d'une ambition qui, pour ne point se
déclarer ouvertement, n'en était pas moins impérieuse
et violente, il se laissa aller à des actes impulsifs,
désordonnés, et la plupart inexcusables, qui le condui-
(i) Rossel était né en 1844, à Saint-Brieuc. IL sortit de l'École poly-
technique en 1864, et de l'École d'application de Metz, en 1866, avec
le numéro 2.
LA COMMUNE A PARIS ET|ENI PROVINCE. H9
sirent à une fin tragique. Cependant, parce qu'il
était jeune et que ses fautes ne relevaient point, comme
chez certains autres, de sentiments ignobles et bas,
sa mémoire bénéficie encore d'un intérêt assez général.
Il convient de montrer, sans passion comme sans réti-
cences, ce que fut cette existence si brève et cependant
si agitée. On jugera peut-être alors que, si les erreurs
de Rossel ne sont point absolument indignes de pitié,
il n'en va pas de même pour certains de ses actes,
lesquels ne pouvaient se racheter que par l'expiation.
Après la chute de Metz, il était allé se présenter à
Gambetta, qui l'avait nommé colonel et directeur
du génie au camp de Nevers. I*e 20 mars, le général
le Flô, ministre de la Guerre, recevait de lui cette
lettre, faite assurément pour étonner : « Monsieur le
Ministre, j'ai l'honneur de vous informer que je me
rends à Paris pour me mettre à la disposition des
forces gouvernementales qui peuvent y être consti-
tuées. Instruit par une dépêche de Versailles, rendue
publique aujourd'hui, qu'il y a deux partis en lutte
dans ce pays, je me rends sans hésitation du côté de
celui qui n'a pas signé la paix et qui ne compte pas
dans ses rangs de généraux coupables de capitulation. »
Ce ton cavalier visait manifestement à l'outrage.
Il n'était, au fond, que l'expression d'une irritation
sourde, causée par la perspective de perdre bientôt
les avantages d'un avancement très rapide, et d'ail-
leurs insuffisamment justifié.
i$o tari
Rossel vint donc offrir ses services à la Commune,
qui fit de lui le chef d'état-major de Cluseret et le
président de la Cour martiale, fonctions dans lesquelles
il déploya une sévérité parfois féroce et qu'il fallut
tout de suite tempérer par d'éclatants désaveux.
Il fut même un moment arrêté, mais redevint vite à
la mode, car « son attitude consulaire ne déplaisait
pas au public écœuré de l'avachissement de Clu-
seret (i) ». Il se mit alors en coquetterie réglée avec le
Comité central, et même s'en servit pour se débarras-
ser de son chef (2). Le 30 avril, il inaugurait ses nou-
velles fonctions en ordonnant la construction d'une
deuxième enceinte en arrière des fortifications, ce qui
n'était pas, au point de vue communaliste, une idée
mauvaise, en raison de l'éventualité déjà imminente
d'une lutte dans les rues de Paris. Mais il eut l'inspi-
ration assez fâcheuse d'en confier l'exécution au
ctoyen Gaillard père, un cordonnier beau parleur,
qui s'acquitta très imparfaitement de sa tâche. Et cela
fut heureux pour l'armée de l'ordre, qui, si le plan du
délégué à la Guerre avait été réalisé dans son entier,
aurait dû sans doute ajouter aux pertes qu'elle subit
pour se rendre maîtresse de la capitale d'autres sacri-
fices beaucoup plus considérables et sanglants.
Sur ces entrefaites, la Commune avait décidé la
(i) IyISSAGARAY, p. 232.
(2) Da Costa, t. II, p. 175.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 151
création d'un nouvel instrument d'oppression. Déjà,
le 20 avril, elle avait supprimé sa Commission execu-
tive, qui n'était bonne à rien, pour la remplacer par
une autre, composée des délégués aux différents
ministères ; et celle-ci n'avait pas fait mieux que celle
à laquelle elle succédait. Le 28 avril, le citoyen Miot,
une vieille barbe de 1848, féru des grands souvenirs
révolutionnaires, demanda « sans phrases » l'institu-
tion d'un Comité de Salut public, capable de « faire
tomber la tête des traîtres ». On ne l'écouta pas
tout d'abord, mais, le I er mai, après la panique d'Issy,
on revint à son projet, malgré que Tridon déclarât
qu'il « n'aimait pas les défroques inutiles et ridicules »,
et que d'autres aient marqué une opposition qui pré-
ludait à de plus graves dissentiments. Dès lors, les
séances devinrent houleuses et discordantes. Les
membres de l'assemblée insurrectionnelle en arri-
vèrent à se gourmer et à se jeter à la tête les accusa-
tions les plus infamantes. C'était le désordre, père de
la déroute (1). Et, au milieu du tumulte, Rossel,
à peine installé, essayait de se tenir en équilibre,
entre le Comité central, qui déjà le voyait d'un mau-
vais œil pour ses allures autocratiques, et la Com-
mune, qui perdait la tête et ne savait plus ce qu'elle
faisait.
Il eut, le I er mai, une idée vraiment extraordinaire.
Le colonel Leperche, major de tranchée, venait de
(i) I,IS3AGARAY, p. 255.
152 1871
sommer le commandant du fort d'Issy d'avoir à se
rendre, lui et tout son personnel. Sa lettre, datée du
30 avril, contenait les passages suivants :
« Un délai d'un quart d'heure est accordé pour répon-
dre à la présente sommation.
«Si le commandant des forces insurgées déclare, par
écrit, en son nom et au nom de la garnison tout entière du
fort d'Issy, qu'il se soumet, lui et les siens, à la présente
sommation, sans autre condition que d'obtenir la vie sauve
et la liberté, moins l'autorisation de résider dans Paris,
cette faveur sera accordée.
« Faute par lui de répondre dans le délai indiqué plus
haut, toute la garnison sera passée par les armes. »
Il n'y avait rien, dans ce document, qui choquât
la procédure parlementaire militaire. I^a menace qu'il
contenait était de forme dans toutes les sommations
du même genre adressées autrefois aux places assié-
gées, sans pour cela avoir entraîné toujours une exécu-
tion obligatoire, et on la comprenait d'autant mieux
dans celle-ci qu'elle s'adressait à des gens insurgés
contre le gouvernement légal. Mégy, qui commandait
à Issy, l'envoya au délégué à la Guerre, lequel y
répondit sur-le-champ :
« Mon cher Camarade,
« I^a prochaine fois que vous vous permettrez de nous
envoyer une sommation aussi insolente que votre lettre
h A COMMUNE JA PARIS ET EN; PROVINCE. 153
autographe d'hier, je ferai fusiller votre parlementaire
conformément aux usages de la guerre.
« Votre dévoué camarade,
« ROSSEI,,
« Délégué de la Commune de Paris. »
Les usages de la guerre, c'est évidemment lui qui
les ignorait, ou ne voulait pas s'en souvenir. Il débu-
tait ainsi .par une fanfaronnade de mauvais goût, qui,
même à Paris, ne fut pas appréciée par tout le monde.
« Cette désinvolture sentait le condottiere », écrit
Lissagaray. Elle n'aplanit point en tout cas les diffi-
cultés qui déjà commençaient à assaillir Rossel.
Comme il essayait de mettre un peu d'ordre dans
l'administration à laquelle il présidait, et qui était,
au dire d'un membre de la Commune lui-même,
Billioray, « l'organisation de la désorganisation », il
se heurta immédiatement à des oppositions farouches.
Ses projets sur la Garde nationale, qu'il voulait réfor-
mer et mieux amalgamer en la formant en régiments
dont lui-même aurait nommé les colonels, au lieu et
place des légions soumises à l'influence des comités
locaux et élisant leurs chefs ; sa menace de faire
canonner les fuyards, la décision qu'il prit de ne dési-
gner les officiers d'état-major qu'après examens (1),
(1) « Attendu, disait l'arrêté, que les connaissances et les aptitudes
militaires sont très peu répandues dans la Garde nationale, l'exa-
men actuel portera principalement sur les aptitudes intellectuelles et
154 1^71
tout cela le rendait suspect aux soldats de l'insurrec-
tion, peu faits pour s'accommoder d'une autorité
aussi rigoureuse. Ils se plaignirent au Comité central,
puis à la Commune, laquelle demanda des explications.
Celles-ci ayant été jugées suffisantes, ou du moins
n'ayant point entraîné de sanctions, le conflit monta
du coup, entre les deux assemblées, à l'état aigre.
Commune et Comité se chamaillaient par-dessus la
tête du délégué à la Guerre et celui-ci, de son côté,
continuait à se lamenter sur l'incapacité des auxi-
liaires qu'il était obligé de conserver.
Il avait bien partagé le commandement extérieur
entre Dombrowski, toujours à Neuilly, Wrobleski, un
ancien combattant de l'insurrection de 1862, qui avait
sous ses ordres les forces de l'aile gauche, enfin La Ceci-
lia, à qui étaient confiées celles du centre, en première
ligne. Il avait également confiné les deux fantoches
Eudes et Bergeret dans le commandement de deux bri-
gades de réserve, dont les quartiers généraux étaient
respectivement installés à la Légion d'Honneur et au
Palais Bourbon. Il pouvait compter encore sur quel-
ques officiers qui, tel Okolowitz, également Polonais,
présentaient de certaines garanties. Mais les chefs de
légion étaient déplorables. On y voyait des marchands
la valeur morale et politique du candidat. » Et il ne pouvait guère
en être autrement, le président du jury d'examen étant le citoyen Ar-
nold, membre de la Commune et du Comité central, mais architecte
de son état.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 155
de vins, un ancien acteur, I/isbonne, des peintres comme
Ranvier, des professeurs comme Jaclard. Aucun de ces
hommes n'était capable de rien diriger, pas même de
se faire obéir. Et, pour brocher sur le tout, le Comité
central, sur qui Rossel s'était d'abord appuyé, com-
mençait à lui mettre des bâtons dans les roues.
En vain essaya-t-il, le 5 mai, de faire contre mau-
vaise fortune bon cœur et de consacrer lui-même ce
qu'il ne pouvait empêcher, en donnant officiellement
au Comité la direction des services administratifs,
que celui-ci avait d'ailleurs usurpée déjà. C'était, di-
sait l'arrêté, afin « d'employer de la façon la plus effi-
cace, non seulement sa bonne volonté, mais sa haute
autorité révolutionnaire ». I^e Comité de Salut public
riposta immédiatement par un autre arrêté qui scin-
dait en deux la délégation à la Guerre. I/initiative et
la direction des opérations militaires restaient bien
confiées à Rossel, mais, quant au Comité central, il
passait «sous le contrôle direct de la Commission
militaire de la Commune ». Puis, quelques jours plus
tard, on nommait, à l'instar de la Convention, des dé-
légués civils pour surveiller les militaires : le citoyen
Moreau, à la Guerre, le cordonnier Dereure auprès de
Dombrowski. Et tout cela ne fit qu'augmenter le gâ-
chis, parce que, dans ce conflit d'attributions contra-
dictoires, on ne savait plus à qui revenait la direction
ni le commandement.
Rossel cependant luttait de son mieux et en venait
156 18.71
maintenant à des mesures sévères, qui ressemblaient
à des représailles- Il destituait des officiers qui s'étaient
adressés, sans passer par lui, au Comité ou à la Commis-
sion militaire. Il imaginait de faire distribuer des car-
tes d'identité, délivrées à qui de droit par les comités
de quartier, et constatant que le détenteur appartenait
à un bataillon fédéré, innovation qui souleva contre
lui une pluie de récriminations haineuses. Il lançait des
décisions furibondes, interdisant d'interrompre le feu
pendant le combat, « même si l'ennemi levait la crosse
en l'air ou arborait le drapeau parlementaire », inter-
disant également, et sous peine de mort, « de le conti-
nuer quand l'ordre aurait été donné de le cesser, et de
se porter en avant lorsqu'il aurait été prescrit de s'ar-
rêter ». Mais tout cela ne faisait pas que le régime anar-
chique créé par la multiplication et l'imprécision de
pouvoirs innombrables ne continuât à paralyser tous
ses efforts.
Mégy s'était montré à Issy parfaitement insuffisant,
le meurtre d'un agent de police ne conférant point de
capacités militaires. Rossel le destitua et le remplaça
par un certain I^arroque, puis par Eudes, tandis que le
Comité central choisissait de son côté Wrobleski.
Eudes, tout occupé à trôner en pacha dans le palais de
la Région d'Honneur, ne s'occupa de rien. Quant à
Wrobleski, tout aussitôt chassé par le délégué à la
Guerre, c'est à peine s'il parut. Rossel, qui était fu-
rieux de son impuissance et des résistances qu'il ren-
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 157
contrait, se mit alors à conspirer (i).En compagnie
d'un certain Gérardin, jeune homme de son âge, des
généraux Dombrowski et Wrobleski, et d'un nommé
Aminthe Dupont, il essaya de préparer un coup d'État
pour jeter bas la Commune, et s'en ouvrit même à
Raoul Rigault. Mais si celui-ci acceptait volontiers
l'idée « de se débarrasser des bavards », c'était à la
condition que le futur dictateur serait Blanqui, qu'on
cherchait à ce moment à faire évader, et non pas Ros-
sel.
L'affaire était donc manquée. D'ailleurs, le fort
d'Issy venait de succomber, comme on le verra tout à
l'heure. 1& délégué à la Guerre fit annoncer ce fâ-
cheux événement dans une dépêche laconique, qu'on
afficha partout, sans doute pour montrer au peuple
les résultats produits par la confusion qui régnait
dans le gouvernement accepté ou subi par lui (2).
Quelques instants plus tard, il écrivait à la Commune
une lettre découragée, par laquelle il donnait sa dé-
mission. C'était un long réquisitoire dressé contre le
pouvoir insurrectionnel, « où, disait-il, tout le monde
délibère et personne n'obéit ». Il rappelait toutes les
(1) Il était allé deux ou trois fois en personne au fort et avait de-
mandé à la Commune de lui envoyer des troupes avec lesquelles il pût
prendre l'offensive. Il n'obtint que quelques détachements.
(2) Cette dépêche disait simplement : « I*e drapeau tricolore flotte
sur le fort d'Issy abandonné hier au soir par sa garnison. » Elle avait
été rédigée le 9 mai, à midi, à la Commune. Félix Pyat la qualifia
d' « impie ».
158 1871
difficultés, toutes les oppositionsqu'ilavait rencontrées.
H reprochait à la Commune de fuir la lumière et de
n'avoir voulu, par deux fois, recevoir ses explications
qu'en comité secret. H la blâmait de ne point avoir eu
le courage des mesures énergiques et de lui laisser, à lui,
tout l'odieux des exécutions « qu'il faudrait faire pour
tirer de ce chaos l'organisation, l'obéissance et la vic-
toire ». Et il terminait ainsi: « Éclairé par l'exemple de
mon prédécesseur, sachant que la force d'un révolution-
naire ne consiste que dans la netteté de sa situation,
j'ai deux partis à choisir: briser l'obstacle qui entrave
mon action, ou me retirer. Je ne briserai pas l'obsta-
cle, car l'obstacle, c'est vous et votre faiblesse; je ne
veux pas attenter à la souveraineté publique, je me
retire et j'ai l'honneur de vous demander une cellule
à Mazas. >
En attendant qu'on la lui donnât, il s'occupait de
ses projets de coup d'Etat et essayait, malgré tout, d'en
tenter l'aventure. Il avait ordonné, pour le 10 mai,
à midi, une grande revue de la Garde nationale sur la
placedela Concorde, sansdoute afin défaire le dénombre-
ment des cohortes sur lesquelles il pourrait compter.
I^es bataillonsse rendirent àla convocation avec si peu
de hâte, que Rossel comprit que ce n'était pas la peine
d'insister (i). Il les quitta alors brusquement et s'en
alla à la Commune, laquelle le reçut fort mal et même,
après quelques instants, le fit arrêter. Seulement
(i) Da Costa, t, II, p. 147.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. i$9
comme elle lui avait donné pour gardien, dans une
petite pièce avoisinant la salle des séances, le citoyen
Avrial, son ami et probablement son complice, il parvint
à s'évader presque tout de suite et disparut, en com-
pagnie de Gérardin. On ne les revit plus ni l'un ni l'au-
tre (i). Ainsi finit cette délégation à laquelle on avait
fait une si belle réclame. Elle avait juste duré dix
jours. La Commune nomma Delescluze délégué civil
à la Guerre, en remplacement de Rossel, puis, après
avoir destitué son Comité de Salut public, elle en élut
un autre, au milieu du tumulte, Il était composé de
Ranvier, Arnaud, Gambon, Delescluze, Eudes et Bil-
lioray.
Tandis que se déroulaient ces événements d'ordre Continua
on peut dire intérieur, l'armée de Versailles conti- tion des
nuait ses approches. Le I er mai, la brigade de la opération,
Mariouse et le 22 e bataillon de chasseurs s'étaient militaires
emparés brillamment de la gare de Clamait et du
château d'Issy, prenant ainsi le fort presque à revers,
mais sans pouvoir malheureusement se maintenir dans
le premier de ces points> que les insurgés criblaient de
projectiles. Plus à droite, 1 200 hommes de la division
I/acreteîle surprenaient hardiment, pendant la nuit, la
redoute du Moulin-Saquet, où ils tuaient 250 fédérés
(1) Rossel fut arrêté par l'armée de Tordre au cours de la lutte dans
Paris, traduit en conseil de guerre, condamné à mort et fusillé au pla-
teau de Satory, le 28 novembre 1871.
i6o 1871
et en capturaient 300, avec huit pièces de canon (1).
Quelques jours après, le 5, comme le V e corps (Clin-
chant), de nouvelle formation, était venu renforcer le II e
aux avant-postes, des détachements lui appartenant
(17 e bataillon de chasseurs et 2 e régiment provisoire)
auxquels s'étaient joints 240 marins, réoccupaient la
gare de Clamart et chassaient l'ennemi d'un petit
ouvrage qui reliait les deux forts. Enfin, le 8 mai, nos
troupes prenaient pied dans l'église d'Issy et le parc
de la maison d'aliénés. 1> fort était cerné à peu près
complètement. #nM>-ii ;
Chute des I^s défenseurs n'attendirent pas l'assaut. Dès le 8,
forts. à sept heures du soir, ils avaient évacué l'ouvrage
qu'une reconnaissance du 35 e de marche trouva vide
le lendemain matin. Quant au fort de Vanves, s'il
tenait encore, il semblait tout à fait sur ses fins. De
ce côté donc la situation était très sensiblement
améliorée. Plus à gauche, elle devenait également assez
favorable. Dans la nuit du 8 au 9, les troupes des
généraux Berthaut et Vergé avaient construit une
parallèle longue de 1 500 mètres sur la rive droite de
la Seine, du pont de Billancourt au parc des Prin-
ces, tandis que la batterie de Montretout, armée de
soixante-dix grosses pièces de marine,ouvraitun feu vio-
lent sur le Point-du- Jour et le rempart, entre les portes
(t) On fit grand bruit, dans Paris, de ce coup de main, qui fut attri-
bué à la trahison.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 161
de Saint-Qoud et de Passy. Enfin, sur la droite, les
barricades situées en avant de Bourg-la-Reine étaient
vigoureusement enlevées, dans la nuit du çauio, par
cinq compagnies du 114 e , qui tuaient une cinquan-
taine d'insurgés et faisaient 41 prisonniers, tandis que
le 31 e de ligne occupait le village de Vanves et instal-
lait une place d'armes en avant.
Les progrès des assaillants, bien qu'assez lents, étaient
donc continus. Chaque jour en amenait un nouveau, et
déjà l'on pouvait prévoir le moment où serait abordé
le corps de place. Mais l'espoir d'en finir bientôt avec
l'insurrection par une action purement militaire n'em-
pêchait pas M. Thiers de recourir à d'autres moyens
plus subtils et, il faut bien le dire, un peu équivoques.
Connaissant la vénalité d'un certain nombre de ceux
quimenaientle mouvement communaliste, il cherchait,
comme c'était d'ailleurs de bonne guerre, à l'exploiter
en demandant à la corruption de lui fournir une so-
lution plus rapide et en même temps moins coûteuse
que celle des armes. Nous ne croyons pas que l'His-
toire ait à s'occuper de ces honteux trafics, et il nous
suffira de dire, pour en définir le caractère, qu'ils abou-
tirent tous à de simples extorsions de fonds. Nous
croyons cependant devoir brièvement relater, dans cet
ordre d'idées, deux incidents sans grande importance
par eux-mêmes, mais qui auraient pu exercer une très
fâcheuse influence sur le moral des troupes, si celles-ci
avaient été de moindre qualité.
11
162 1871
Le 4 mai, vers une heure du matin, des officiers d'é-
tat-major étaient venus dans les camps réveiller tout
le monde, en apportant l'ordre de se former en colonnes
dans le plus grand silence et de marcher à leur suite sur
des points qu'ils ne désignaient pas. La manœuvre
s'exécuta avec une perfection rare, et, moins d'une
heure après, les avenues du Bois de Boulogne, entre la
porte Dauphine et celle d' Auteuil, se trouvaient pleines
de soldats qui attendaient, l'arme au pied, qu'on leur
dît ce qu'ils avaient à faire, quand, brusquement, le
rempart s'alluma et une bourrasque d'artillerie passa
sur les têtes, brisant les branches des arbres et jon-
chant le sol de débris. Les artilleurs fédérés avaientheu-
reusement tiré trop haut, et il n'en résulta que quel-
ques dégâts matériels. Mais les conséquences de ce
guet-apens auraient pu être incalculables, si l'on avait
eu affaire à des canonniers plus expérimentés ou de
plus de sang-froid. Quoi qu'il en soit, l'algarade termi-
née, les troupes firent demi-tour et regagnèrent leurs
tentes. Elles ne connurent que longtemps après les
causes de l'alerte à la suite de laquelle elles venaient
de jouer ce rôle quelque peu humiliant.
M. Thiers avait accueilli, assez à la légère, il faut bien
en convenir, lespropositions d'un inconnu, huissier de sa
profession, lequel s'offrait à faire livrer la porte Dau-
phine par un de ses amis, le citoyen Laporte, chef de
la 16 e légion. Le poste fédéré devait être relevé par une
compagnie sûre, formée k Passy, sous les ordres d'un
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 163
_______ ______ _____ ____• __■ — _____ _______•__*________________ _________________■ •_»•_______________■
ancien officier du 38 e démarche. Arrivée à la porte, elle
aurait abattu le pont-levis. Malheureusement, elle n'a-
battit rien et ne se trouva même pas là. I^es ordres
donnés lui avaient, paraît-il, paru suspects, ou tout
au moins insuffisants, — à moins que tout cela n'ait été
qu'une frime. — Mais les canonniers de la Commune
avaient été prévenus, et ils le firent bien voir. Quant au
chef du pouvoir exécutif, qui, en la circonstance, n'a-
vait pris conseil que de lui seul, et agissait en contra-
diction avec le maréchal, il repartit, dès l'aube, de
Sèvres, où il était venu coucher, pour Versailles. Cette
leçon aurait dû lui servir. Elle ne l'empêcha pas de
faire, dans la nuit du 12 au 13, une nouvelle tentative,
cette fois, il est vrai, avec moins d'apparat. Comme
elle ne réussit pas mieux que la première, il fallut bien
en revenir aux effets plus sérieux de l'action militaire,
que d'ailleurs l'armée, bien qu'un peu froissée d'avoir
été dupée, n'avait pas un instant interrompue.
Depuis le 12, les communications entre les forts de
Vanves et de Montrouge étaient interceptées par les
troupes de la brigade Osmont (du II e corps) (1), forte-
ment établies sur la grande route, en avant de Châtil-
lon. Le village d'Issy était tombé tout entier entre
nos mains, ainsi que le petit lycée Louis-le-Grand (2) .
Enfin une batterie établie dans l'île Saint-Germain,
(1) Tfi général Osmont venait de remplacer le général Daudel.
malade.
(2) AujourcJ'hui lycée Michèle^.
i6 4 1871
au sud-est de Billancourt, avait contraint à la re-
traite les canonnières embossées sous le viaduc du
Point-du- Jour. Le fort de Vanves, ainsi pris à la gprgç
et privé de son meilleur appui en arrière, devenait in-
tenable. Nos soldats y entrèrent le 13 mai et le trouvè-
rent vide de sa garnison.
Dès lors, c'était à la place elle-même qu'on allait
s'attaquer.
Déjà, à l'extrême gauche, le corps Douay avait établi
ses tranchées jusque derrière les Buttes Montmartre.
Au centre, dans le Bois de Boulogne, le corps Qin-
chant cheminait méthodiquement. A droite, on s'était
avancé jusqu'au Moulin-de-Cachan, où des troupes ap-
partenant à la division Levasseur-Sorval avaient, le
18, tué une centaine d'insurgés et fait 48 prisonniers.
Malgré le feu violent de la place, qui, la nuit, recourait
parfois à des projections électriques pour repérer
son tir, on était parvenu à construire, sur le chemin
couvert même, des batteries de brèche, qui, dès le 20,
commençaient à tirer, tandis qu'en arrière toutes les
pièces de gros calibre faisaient rage à la fois sur le mur
d'enceinte et les parages avoisinants. La riposte fai-
blissait partout.
L'assaut n'était plus qu'une question de jours,
peut-être d'heures, quand, le dimanche 21 dans
l'après-midi, on apprit tout à coup que la porte de
Saint-Cloud avait été évacuée et que les gardes de
tranchée venaient d'entrer dans Paris.
jCA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 165
dans
Paris,
21 mai.
Écrasée par le feu de nos grosses pièces, cette porte Entrée des
était, en effet, prête à s'écrouler. Les fédérés de garde troupes
aux remparts avaient fui sous l'avalanche, pour
chercher en arrière des positions moins exposées, et,
quant à leurs officiers, ils avaient pour la plupart dis-
paru. Un piqueur des ponts et chaussées, M. Ducatel,
qui passait par là, s'aperçut de cet abandon, monta
sur le bastion 64 et, avec son mouchoir, fit un signe aux
soldats qui garnissaient les tranchées sur le revers du
fossé. Aussitôt le capitaine de frégate Trêves se pré-
senta, franchit la porte en gravissant les décombres,
et, accompagné du sergent Coûtant, du 91 e de marche,
s'assura qu'aux alentours il n'y avait plus personne.
Il appela alors le 37 e de marche, qui s'engouffra dans
la place par petits paquets, les hommes emportant avec
eux des mortiers de 15 centimètres, et établit tout
aussitôt une passerelle de fortune sur le fossé. C'était
juste le moment où, dans le jardin des Tuileries, avait
lieu un grand concert donné au profit des veuves et des
orphelins de la Commune. Comme il allait prendre fin,
un officier d'état-major était monté sur l'estrade pour
convier les spectateurs à se réunir à la même place,
huit jours après (1). Il affichait là, sans doute, une
belle assurance et qui, si elle était sincère, montrait
bien toute l'étendue des illusions qu'on se faisait dans
Paris sur la durée de la résistance dont étaient encore
capables les gardiens des remparts.
(i) IjSSAGABAY, p. 315.
166 lÔti
Évidemment, il y avait eu surprise, et surprise heu-
reuse, en ce qu'elle avançait d'un ou deux jours la solu-
tion inévitable, en ce que, surtout, elle dénouait celle-ci
sans effusion de sang. I^e service rendu très courageu-
sement par Ducatel était donc des plus considérables et
des plus précieux. Mais, quant à supposer, comme cer-
tains historiens de la Commune, que sans ce qu'ils ap-
pellent, avec plus de passion que de justice, une tra-
hison (i), Tannée de Versailles aurait été longtemps
encore tenue à distance, c'est faire preuve d'un bien
étrange aveuglement. Dès le 20 au soir, le rempart
était ruiné, et il ne fallait plus que quelques heures de
feu pour rendre la brèche praticable. Les terre-pleins,
labourés par les gros obus des batteries de position, qui
creusaient des fougasses à y enterrer un homme, étaient
devenus intenables, et il était impossible de les garnir
de défenseurs, même d'y faire le service des pièces. Ceux
qui, dans cette soirée du 21 mai, ont pénétré dans l'en-
ceinte, se souviennent de l'état lamentable auquel elle
avait été réduite, I/assaut qu'on s'apprêtait à livrer au-
rait sans doute été sanglant, parce que la cessation obli-
gatoire du feu d'artillerie aurait permis aux fédérés de
(1) M. Da Costa, qui n'est point suspect de tendresse pour les Ver
saillais, a donné à cet égard la note juste : « ^'accusation de trahison
est absurde, dit-il. M. Ducatel n'avait pas servi la Commune ; U était
un de ses adversaires, comme beaucoup d'autres gardes nationaux
de Passy. Il n'a donc trahi personne, et il a servi les siens par Un acte
incontestablement courageux, puisqu'il risquait sa vie* » (T. ïtt^
p. 86.)
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 16;
se reporter sur les parapets qu'ils avaient évacués, mais
il ne pouvait pas ne pas réuSBir.
Quoi qu'il en soit, le mouvement en avant, si heureu-
sement amorcé, se poursuivait maintenant avec au-
tant de rapidité que de méthode. Aussitôt prévenu par
le général Douay de la surprise de la porte de Saint-
Cloud, le matéchal, qui se trouvait en ce moment au
Mont-Valérien avec M. Thiers et l'amiral Pothuau,
avait avisé de l'événement les commandants de corps
d'armée et donné les ordres nécessaires pour qu'ils
missent leurs troupes immédiatement en toute. Lui-
même transportait son quartier général à Boulogne.
Bientôt on apprend que la division Berthaùt a suivi
le 57 e et que, derrière elle, arrivé la division I/Hétillie*
(IV e corps). Vers sept heures et demie du soir, la pre-
mière, qui a longé le boulevafd Murât, est maîtresse
de la porte d'Auteuil, par: où arrive maintenant la
division Vergé; du viaduc du Point-du-Jour, de l'a-
sile Sainte-Périne et de l'église d'Auteuil.
Sur la droite, la division Vergé enlève à son tour
une forte barricade qui barre la route de Versailles à
hauteur de la tue Guillon, puis se porte de là sur le
Trocadéro, qu'elle emporte d'assaut, en y faisant
1 500 prisonniers (1) .
(1) Ducatel, qui marchait en tête de la colonne pour la guider, fut
pris par les fédérés à la barricade de la rue Guillon, et emprisonné â
l'École militaire. Quand, le lendemain, y arrivèrent les troupes du
général Bruat, elles crurent trouver en rai un déserteur de la garde
mobile, dont il portait l'uniforme, et voulurent le passer pat les
168 1 8)7 1
Un peu plus tard, à neuf heures, la brigade Blot
(V e corps) entre par la porte de Saint-Cloud, ayant à sa
suite la brigade de Brauer. Le général Blot longe les
boulevards Murât et Suchet et vient dégager la porte
de Passy , que franchit la brigade de Courcy , tandis que
la brigade Cottret passe par celle d'Auteuil. Après quoi
le général Clinchant fait tourner et enlever par ses
troupes la redoutable position de la Muette, hérissée
de défenses, mais défendue assez mollement, malgré
qu'elle soit le quartier général de Dombrowski.
Et maintenant c'est, pendant la nuit, tout le reste
de Tannée qui arrive. A deux heures du matin, la divi-
sion Bruat franchit l'enceinte, et conjointement avec
le II e corps, lequel a forcé la porte de Sèvres, occupe
Grenelle après un court combat. La porte de Versailles
est ouverte. Plus au nord, la division Faron vient se
poster en réserve à Passy. Enfin, à près de quatre
heures du matin, le I er corps peut occuper le Bois de
Boulogne avec deux divisions, tandis que la troisième
(Montaudon) continue à tenir Asnières et Neuilly.
Ainsi, à l'aube du 12, l'armée française est maîtresse
de Passy, d'Auteuil, des hauteurs du Trocadéro. ÈUe
tient tout le rempart, jusques et y compris la porte de
Versailles, et a pris pied fortement sur la rive gauche, par
armes. Il réussit, non sans peine, à se faire reconnaître, et reçut alors,
au lieu de la mort, les compliments qu'il méritait. I/>rs de la grande
revue du 29 juin, passée à I^ongchamp devant M. Thiers, il défila
en tête de la division Berthaut, à l'étonnement des spectateurs, dont
la plupart ignoraient son histoire mouvementée.
LA COMMUNE A PARIS ETJEN PROVINCE. 169
l'occupation du quartier de Javel. Ce résultat considé-
rable a été obtenu sans grandes pertes, car les insurgés
affolés, et qui n'ont plus ni chefs ni guides, se sont
presque partout débandés. I^a vigueur des soldats, l'ac-
tivité des officiers ont fait le reste. Elles ont sauvé
d'une destruction complète les quartiers d'Auteuil et
de Passy, que la poudrerie de la rue Beethoven, bour-
rée de cartouches, d'obus et de tonneaux de poudre, au-
rait réduits en miettes, si on avait laissé aux émeutiers
le temps d'y mettre le feu I
Tandis que se déroulaient ces événements si graves Séance de
pour elle, la Commune s'occupait à juger Cluseret. la Corn-
Vermorel fulminait contre l'ancien délégué à la Guerre mune*
un réquisitoire où avaient été condensées par le
citoyen Miot les accusations les plus variées, dont l'as-
semblée aurait bien pu prendre la majeure partie pour
elle-même, quand Billioray arriva en coup de vent,
1
porteur d'une dépêche de Dombrowski qui annon-
çait la catastrophe, mais« répondait de tout, si on lui
envoyait des renforts ». I«a stupeur et la consternation
furent telles que du coup on acquitta Cluseret. Puis
bientôt, étant données les assurances fournies par
Dombrowski et par Billioray lui-même, qui se portait
garant de la vigilance du Comité de Salut public, on
se rasséréna et, après quelques parlotes, prolongées
jusqu'à huit heures du soir, le président Vallès leva
la séance, sans que rien ait été décidé, sans qu'on
î;o 1371
ait installé une permanence, sans qu'on ait même
songé à s'assurer que les renforts demandés par Dom-
browski étaient partis. Il est vrai qu'à la Guerre,
Delescluze, fort tranquille, faisait afficher une dépêche
disant que «l'observatoire de l'Arc de Triomphe niait
l'entrée des Versaillais, ou du moins ne voyait rien qui
y ressemblât ». I/assemblée révolutionnaire ne se
montra pas plus préoccupée que son délégué et se sé-
para. Seul Assi s'en alla, dans l'obscurité, faire une re-
connaissance du côté de la rue Beethoven et se fit pren-
dre. Quant au Comité de Salut public, il se réunit vers
onze heures, mais ne conclut à rien. « Ainsi, dit un
des annalistes de cette époque tragique, sortit de l'His-
toire et de l'Hôtel de Ville le conseil de la Commune de
1871, au moment du danger suprême, quand les Ver-
saillais pénétraient dans Paris (1). » I*a ville d'ailleurs
était calme et semblait ne point se douter que, dès le
lendemain, ses rues seraient transformées en champ
de bataille. Elle s'endormit dans la quiétude et se ré-
veilla dans le sang.
Car la guerre civile n'était point terminée. Pendant
toute une semaine encore, les deux adversaires allaient
rester aux prises et s'aborder avec une violence que
leurs rencontres précédentes n'avaient pas connue.
Mais, avant d'entamer le récit de ces journées terribles,
il nous faut revenir un peu en arrière et montre* ce
qu'était en réalité, dans ses intentions, ses procédés
(i) I^SSAGARAY, hc. Cit., p. 319.
V
tA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 171
et ses actes, cette Commune de Paris, où certains
sophistes ont voulu voir la cellule de la République,
et dont le règne, inexpiable en dépit des arguties de
ses apologistes, ne fut qu'une longue suite de tyran-
nies, d'iniquités et de forfaits.
CHAPITRE VI
I,E RÈGNE DE I,A COMMUNE
Il n'est assurément ni intéressant ni utile, pour qui Legouver-
veut se rendre un compte exact de ce que fut le nement
gouvernement insurrectionnel, de le suivre pas à pas insurrec-
tions Télucubration de ses décrets, ni même dans ce que tionnel.
Ton pourrait appeler son existence parlementaire. Les
premiers, à part quelques-uns, sur lesquels il faut bien
s'arrêter, en raison des conséquences, ne sont guère
qu'un tissu d'incohérences et la matérialisation de cer-
taines idées sophistiques qui ne méritent même pas la
discussion. Bon nombre d'entre eux, au surplus, ou
bien n'ont pas été suivis d'effet, ou bien ont été retirés
presque aussitôt que promulgués. Et c'est fort heu-
reux. Quant à la seconde, elle s'est poursuivie dans un
tel désordre matériel et moral qu'elle donne en quelque
sorte l'idée de chaos. Ce ne sont donc point les annales
de la Commune que nous voulons écrire. C'est tout sim-
plement un raccourci de ses faits et gestes, inspirés
la plupart du temps par une haine aveugle et farouche
contre tout ce qui tient à l'ordre social, mais témoi-
gnant en même temps d'une idéologie singulière, qui
174 1871
tendait à réaliser les rêves de l'anarchie par des pro-
cédés purement tyranniques et le recours à la plus
odieuse oppression.
Un des premiers actes de la Commune avait été de
proscrire le drapeau national et de le remplacer par
le drapeau rouge. « Les citoyens, ordonnait-elle,
devront faire disparaître dans le plus bref délai le
drapeau tricolore, qui, après avoir été celui de la
révolution, est devenu la bannière flétrie des assas-
sins de Versailles. » Après quoi, elle s'était attaquée
à la propriété et à la famille, déchirant les chartes
privées, annulant les contrats, et ruinant au besoin les
gens, au gré des fantaisies que lui dictait son socia-
lisme dévergondé et malfaisant. Elle prorogeait de
trois ans les échéances, à partir du 15 juillet 1871,
et supprimait les intérêts, création des régimes bour-
geois. Elle remettait trois termes aux locataires,
faisait rendre les objets de moins de 20 francs déposés
au Mont-de-Piété ; déclarait ouverts et confiés à des
syndicats ouvriers les ateliers fermés par les patrons ;
interdisait les retenues sur les traitements ou les
salaires et, avant de transformer les officiers ministé-
riels en simples fonctionnaires publics, commençait par
déclarer déchus, sans indemnité, ceux qui n'auraient
point adhéré à son usurpation. Un moment, elle
menaça de brûler les titres de rente des habitants
de Paris qui n'auraient pas réintégré leur domicile
dans les quarante-huit l;eures ? et sans l'intervçntiotj
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 175
de Jourde, elle l'aurait probablement fait. Elle mit
sur le même pied les femmes légitimes et les autres ;
elle voulait légitimer elle-même tous les enfants natu-
rels. Et comme si de pareilles folies n'eussent pas
gagné à rester circonscrites, elle en faisait part, par
adresses, « aux grandes villes » ; elle leur demandait
de s'y associer au moyen d'une vaste fédération, et
leur envoyait même, pour les catéchiser, des délégués
pris dans son sein.
Elle voulait faire figure d'État constitué et parle-
mentait avec les Allemands. Un beau jour, le délégué
aux Affaires étrangères, Paschal Grousset, s'avisa de
demander au commandant des forces prussiennes,
général de Fabrice, si le gouvernement de Versailles
avait bien versé les premiers 500 millions de l'indem-
nité de guerre, après paiement desquels les forts du
nord de Paris devaient être évacués. Comme réponse,
le général allemand envoya la lettre à Jules Favre et
réclama le désarmement immédiat du fort de Vin-
cennes, qui commandait de près les cantonnements
des troupes d'occupation. La Commune ne se sou-
ciait guère d'entrer en conflit avec d'aussi puissants
voisins, et, pour leur donner un témoignage de ses
intentions pacifiques, elle laissa visiter le fort par un
envoyé prussien !
Mais ne comptait-elle pas dans son sein un person-
nage de nationalité douteuse, le citoyen Léo Frankel,
qui était allemand ou hongrois, on ne sait au juste,
176 1871
et n'avait jamais, à coup sûr, été naturalisé fran-
çais?
Toutes ses mesures procédaient de la contradiction
et de l'incohérence. Elle avait commencé par supprimer
les conseils de guerre, mais ensuite elle en créait un
par légion, et comme la procédure ne lui en semblait
pas assez expéditive, elle y suppléait par l'institution
d'une cour martiale, dont elle-même revisait les arrêts.
Elle avait aboli les armées permanentes, mais elle
obligeait au service de la Garde nationale tous les
militaires qui étaient restés dans Paris, et tous les
citoyens de dix-neuf à quarante ans, lesquels devaient
exhiber à toute réquisition leur carte d'identité ou
être traînés en prison. Elle se vantait de vouloir lar-
gement répandre l'instruction et les lumières ; mais
elle faisait interdire, par ses délégués à la Bibliothèque
nationale, Élie Reclus et Gastineau, le prêt des livres
sous prétexte que des privilégiés pouvaient ainsi se
tailler des collections particulières au détriment de la
collectivité I
Il lui fallait de l'argent, car elle dépensa un peu
plus de 46 millions, et les recettes municipales ne pou-
vaient lui en donner plus d'une trentaine. Elle ran-
çonna alors la Banque de France, mais heureusement
moins qu'il n'était à redouter. Le gouverneur en
titre, M. Rouland, avait rejoint Versailles, et seuls
restaient à Paris le sous-gouverneur, M. de Plœuc, et
les régents. Ils tinrent tête avec une fermeté digne des
LA COMMUNE A PAÎtlS ET EN PROVINCE. 17 /
plus grands éloges aux exigences du gouvernement
insurrectionnel, aidés en cela, il faut bien le dire,
par le délégué de la Commune, le vieux Beslay, et par
Jourde. Ces deux-là étaient des hommes honnêtes et
probes, grisés de logomachie révolutionnaire, mais
inflexibles quand il s'agissait de comptabilité publique.
Moyennant quelques concessions adroites, et d'ailleurs
inévitables, qui portèrent ks sacrifices de la Banque
à une vingtaine de millions en tout, le grand établisse-
ment de crédit fut sauvé d'une dévastation qui aurait
pu être irréparable. I,e service ainsi rendu au pays
par M. de Plœuc ne saurait être oublié.
Tandis que la Commune se procurait ainsi des res
sources urgentes, elle en cherchait d'autres dans les
églises, déclarées par elle propriétés publiques et mises
à la disposition des municipalités d'arrondissement.
Elle en pillait quelques-unes dont les richesses étaient
transportées à la Monnaie, que dirigeait le citoyen
Camelinat, et transformées, pêle-mêle avec l'argen-
terie de l'Hôtel de Ville, de la Légion d'Honneur et
de quelques ministères, en espèces frappées d'un
coin « garanti national » (1). Elle en convertissait
d'atrtres en clubs et supprimait partout l'exercice
du culte, quand elle n'emprisonnait pas ses ministres.
Elle décrétait la démolition de la Chapelle expia-
toire et de celle du général Bréa, sans d'ailleurs avoir
(1) I«issagaray, loc. cit., p. 228. — I*a monnaie frappée par la
Commune fat fondue plus tard et refrappée.
12
178 1871
le temps de les mettre à bas. Elle menait grand tapage
auprès de certaines découvertes d'ossements, trouvés
dans les jardins du couvent de Picpus ou dans les
caveaux de l'église Saint-Laurent, lesquels provenaient
tout bonnement d'anciennes sépultures, mais qu'elle
donnait comme pièces à conviction des scélératesses
monacales et du dévergondage clérical. Enfin, bien que
la plupart de ses membres eussent protesté naguère
avec une indignation courroucée contre les attentats
commis par le général Vinoy contre la liberté de la
presse, elle supprimait d'un trait de plume tous les
journaux qui se refusaient à la couvrir de fleurs.
Démoli- En manière de vengeance contre M. Thiers, elle fit
tion de raser sa maison de la place Saint-Georges. I*e il mai
V hôtel de (21 floréal de 79), V Officiel avait publié l'arrêté que
Thiers. voici :
« Le Comité de Salut public,
«Vu l'affiche du sieur Thiers, se disant chef du pouvoir
exécutif de la République française ;
« Considérant que cette affiche, imprimée à Versailles ,
a été apposée sur les murs de Paris par les ordres dudit
sieur Thiers ;
« Que dans ce document il déclare que son armée ne
bombarde pas Paris, tandis que chaque jour des femmes
et des enfants sont victimes des projectiles fratricides de
Versailles ;
a Qu'il y est fait appel à la trahison pour pénétrer dans
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 179
la place, sentant l'impossibilité absolue de vaincre par les
armes l'héroïque population de Paris (1).
« Arrête :
« Article premier. — Les biens meubles des pro-
priétés de Thiers seront saisis par les soins de l'Adminis-
tration des Domaines.
« Art. 2. — La maison de Thiers, située place Georges,
sera rasée.
4 Art. 3. — Les citoyens Fontaine, délégué aux Do-
maines, et J. Andrieu, délégué aux Services publics, sont
chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution im-
médiate du présent arrêté.
4 Signé : Ant. Arnaud, Eudes, F. Gambon, G. Ranvier. »
Mais, quand on voulut passer aux actes, on s'aper-
çut que les habitants du quartier n'étaient nullement
disposés à les laisser s'accomplir. Les délégués, entourés
( 1 ) Cette affiche, datée du 8 mai et largement répandue dans Paris,
promettait la vie sauve à ceux qui déposeraient les armes. Mais elle
ajoutait : « Jusqu'ici le Gouvernement s'est borné à l'attaque des
ouvrages extérieurs. Le moment est venu où, pour abréger votre sup-
plice, il doit attaquer l'enceinte même. Il ne bombardera pas Paris....
Il ne tirera le canon que pour forcer une de vos portes et s'efforcer de
limiter au point attaqué les ravages de cette guerre dont il n'est pas
l'auteur.... H dépend de vous de prévenirles désastres qui sont insé-
parables d'un assaut..,. Mais, si vous n'agissez pas, le Gouvernement
sera obligé de prendre pour vous délivrer les moyens les plus prompts
et les plus sûrs.... Parisiens, pensez-y mûrement ; dans très peu de
jours, nous serons dans Paris. La France veut en finir avec la guerre
civile. Elle le veut, elle le doit, elle le peut. Elle marche pour vous dé-
livrer. Vous pouvez contribuer à vous sauver vous-mêmes, en ren-
dant l'assaut inutile, et en reprenant votre place dés aujourd'hui au
milieu de vos frères. >
i8o 1871
d'une foule hostile, furent obligés d'en référer à la Pré-
fecture de police, qui leur envoya comme renfoi %0%
délégué à la Justice en personne, le citoyen P
et le substitut du procureur de la Commune, Da Ce
On réquisitionna une équipe de paveurs ; mais, cor ne
elle refusait tout travail, il fallut que Da Costa lui-
même se mît à la besogne. Enfin arrivèrent les « Ven-
geurs de Flourens » qui dégagèrent la place et contrai-
gnirent les paveurs à faire l'ouvrage. Il dura trois
l'v,
jours. Quant aux personnes arrêtées dans la bagarre,
elles furent relâchées, afin de « ne pas augmenter l'en-
combrement stupide du Dépôt (i) ».
Démoli- Yen après, ce fut au tour de la colonne Vendôme
tion de la d'être jetée par terre. Le peintre Courbet, qui ne la
colonne trouvait pas esthécique, avait demandé, au cours du
Vendôme, siè le Paris, sa démolition, et la Commune avait
décrété celle-ci dès le 12 avril, en déclarant que « la
colonne impériale de la place Vendôme était un monu-
ment de barbarie, symptôme de force brute et de
fausse gloire, une affirmation du militarisme, une
négation du droit international, une insulte perma-
nente du vainqueur aux vaincus, un attentat perpé-
tuel u l'un des trois grands principes de la République
française, la fraternité ». Cette majestueuse imbécillité
.donnait ainsi une confirmation malheureusement trop
précise à la prophétie de Henri Heine, qui avait écrit,
(1) Da Costa, t. II, p. 245.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 181
trente ans auparavant, que « la rage d'égalité radicale
serait bien capable quelque jour de renverser ce sym-
v de gloire ». Mais, chose étrange, elle trouvait des
' ^robateurs ailleurs que dans la tourbe échauffée
' ^ anarchistes purs. Il parait que, le jour même où
s^complit cet acte monstrueux de vandalisme, un
ancien membre de la Délégation de Bordeaux, Glais-
Bizoin, crut devoir, sur les lieux mêmes, féliciter le
nouveau délégué à la Préfecture de police, Ferré (i),
en ajoutant que son plus ardent désir, depuis quarante
ans, était de voir le Monument expiatoire subir le
même sort (2). C'est à se demander vraiment si ces
gens n'étaient pas tous des déments.
Cependant, la fraction relativement modérée de la
Commune, où figuraient quelques hommes qui, comme
Beslay, Jourde, Theisz, Vermorel, Vallès n'avaient pas
encore perdu entièrement leur bon sens, s'inquiétait
de pareils excès et essayait de les enrayer en garant
du temps. Elle obtint d'abord que l'exécution du
décret serait prorogée jusqu'au 5 mai, anniversaire de
la mort de l'Empereur. Elle essaya ensuite de débau-
cher les ouvriers que le « Club positiviste de Paris »
avait fait engager pour l'opération. Mais, en dépit de
ses efforts, le crime finit par s'accomplir, et le 16, à
(1) Raoul Rigault avait, comme on le verra plus loin, donné sa dé-
mission pour devenir procureur de la Commune. Il fut remplacé d'a-
bord par Cournet, puis par Ferré.
(2) IfISSAGARAY, loc. CtL, p. 297.
182 1871
cinq heures et demie du soir, la colonne de la Grande
Armée, monument des victoires françaises et vivant
témoignage d'une gloire qui survivait aux désastres,
s'abîmait, fracassée, sur un lit de fagots, de sable
et de fumier.
Les arres- Ce n'était pas encore assez de ces destructions
tations. matérielles et de ces ruines (i). La Commune, qui
n'avait d'autre moyen que la terreur pour imposer
son pouvoir sanguinaire, emplissait les prisons de
malheureux à qui elle ne pouvait faire d'autre
reproche que de ne point absoudre ses fureurs. Son
Comité de Salut public faisait arrêter en masse les
ecclésiastiques, les gardes municipaux, les gendarmes,
les anciens agents de la police impériale. Quant à
Rigault, qui trouvait que les fonctions de délégué à la
Sûreté générale ne lui conféraient point une indé-
pendance suffisante pour agir au gré de ses instincts
sauvages, il les troquait, le 22 avril, contre celles de
procureur syndic, et prenait pour ses substituts Fer-
( i ) I«e 1 7 mai, une formidable explosion ébranlait le quartier du Gros-
Caillou, détruisait quatre maisons et tuait ou mutilait une quaran-
taine de personnes. C'était une cartoucherie, établie sur l'avenue
Rapp, qui venait de sauter. Naturellement, le Comité de Salut public,
et Delescluze avec lui, s'empressèrent d'accuser le Gouvernement
versaillais d'avoir fait mettre le feu par ses agents, et même ne crai-
gnirent pas de l'affirmer dans une affiche mélodramatique. Us se gar-
dèrent du reste de procéder à une enquête, qui aurait sans doute
abouti à la constatation pure et simple d'un accident, dû au désordre
et à l'anarchie qui régnaient partout.
L^*
LA COMMUNE A PARIS HT EN PROVINCE. 183
ré (1), Da Costa, Martainville et Huguenot. En même
temps, il faisait rédiger par Protot un décret cons-
tituant un jury d'accusation, chargé de désigner ceux
à qui la qualité d'otage devait être reconnue et décer-
née. Ce tribunal exceptionnel, calqué sur les juridic-
tions tragiquement parodiques qui présidèrent aux
massacres de septembre 1792, ne siégea qu'une fois,
le 19 mai. Il jugea de malheureux sous-officiers ou
soldats de la garde de Paris, qui, au nombre de
douze, sur quatorze, furent retenus comme otages,
et massacrés quelques jours plus tard, rue Haxo.
Rigault n'était guère que le pourvoyeur des exécu-
tions futures. Mais ses acolytes se livraient, après lui,
et quelquefois en dehors de lui, à une besogne d'ordre
plus spécial, qui, sous couleur d'investigations poli-
cières destinées à assurer la sûreté publique, avait
pour but unique de surveiller les gens de la Commune
ou du Comité central et, au besoin, de se procurer
les moyens de mettre tout le monde à Mazas si une
dictacture leur agréant pouvait être instaurée (2).
Eux qui traitaient de mouchards les agents de la police
secrète et les incarcéraient sans miséricorde, ils en
entretenaient deux cents, — et même davantage,
si l'on compte ceux de l'extérieur, — qui espionnaient
(1) I<e 14 mai, Théophile Ferré devint délégué à la Sûreté générale
et fut remplacé, le 16, au parquet de la Commune, par un nommé
Alfred Breuillé.
(2) Da Costa, t. II, p. 223.
184 1871
tour à tour Cluseret, Rossel, Delescluze, Félix Pyat.
Et ils dirigeaient ainsi une véritable police politique
qui même fonctionnait assez bien, mais de façon à
montrer surtout combien la confiance régnait peu
parmi ces hommes qu'avaient réunis leur seul amour
du désordre et des aptitudes supérieures pour tout
saccager.
Il est vrai que cette police se mêlait également
de découvrir les conspirations, vraies ou prétendues,
qui se tramaient contre l'insurrection. Nous avons
déjà vu que M. Thiers ne se faisait point faute d'entre-
tenir dans Paris les intelligences, du résultat desquelles
il eut, d'ailleurs, rarement lieu de se féliciter. Parmi les
agents qu'il employait, il y avait quelques hommes
dévoués, mais aussi beaucoup d'intrigants, dont Tuni-
que objectif était la pêche en eau trouble. Tels Lullier,
qui manigança plusieurs affaires louches, et le nommé
Hutzinger, officier d'état-major fédéré, qui s'aboucha
avec un M. Georges Vaysset, lui demanda plusieurs
sauf -conduits, plus une somme de 500 000 francs pour
décider Dombrowski à livrer une porte, et finit par
être arrêté en compagnie du malheureux Vaysset,
que Ferré fit fusiller, le 24 mai, au matin, sur le Pont-
Neuf, par les Vengeurs de Flourens (1). Une autre
affaire, dite « des brassards tricolores », conjuration
(1) Existe-t-il une corrélation quelconque entre cette histoire et
l'abandon du rempart par les fédérés, le 21 mai, à la porte de Saint.
Cloud ? On ne Ta jamais su.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 1&5
qui devait grouper à la caserne du Château-d'Eau les
fédérés dissidents et les armer pour la guerre des
rues, fut également éventée par la police secrète et ne
produisit guère autre chose que de trop nombreuses
arrestations.
Celle de M. Chevriau, proviseur du lycée de Vanves,
fut ordonnée par Raoul Rigault et opérée par Eudes,
sous prétexte d'intelligence avec les Versaillais, mais
surtout en raison du rôle très courageux qu'avait
joué le distingué universitaire, alors officier d'état-
major de la Garde nationale, dans la journée du
31 octobre 1870, et de son attitude nettement hostile
à la Commune. M. Chevriau n'échappa que par miracle
au sort qui attendait ses codétenus, lors de la tra-
gédie de la Roquette. Quant au fameux banquier
Jecker, dont le nom rappelle les prolégomènes de la
déplorable expédition du Mexique, et qui avait été,
sans autre motif, incarcéré dès le commencement
de l'insurrection, au moment où il venait assez impru-
demment demander un passeport, il ne fut pas aussi
heureux. Nous aurons bientôt occasion de parler de
sa mort.
H faut encore rappeler les circonstances qui ame-
nèrent celle de l'infortuné Chaudey, un républicain
sincère et de vieille date celui-là, mais qui avait le
tort grave de ne point confondre ensemble la liberté
et la révolution. Il avait été, pendant le siège, adjoint
à la mairie de Paris. H avait contribué à la répression
i86 1871
de l'échauffourée du 22 janvier 1871 et aidé à débar-
rasser la place de l'Hôtel-de-Ville des émeutiers qui
l'envahissaient ce jour-là. Raoul Rigault le rendait
responsable de la mort de Sapia, un chef de bataillon
de la Garde nationale, tué dans la bagarre. Delescluze
le haïssait, pour des raisons privées, a-t-on dit, peut-
être tout simplement parce qu'il redoutait son modé-
rantisme. Et lui-même avait signé sa condamnation
pour avoir dit, en apprenant les événements du 18 mars
dans les bureaux du Siècle, dont il était rédacteur :
« Tant mieux ! Cette révolution nous forcera à couper
cette queue de parti qui a toujours entraîné la tête. »
Rigault, à l'instigation de Delescluze et du Père-
Duchesne (1), le fit arrêter le 13 avril par Pilotell (2),
un caricaturiste bohème qui remplissait les fonctions
de commissaire spécial à la Préfecture de police.
Celui-ci, n'ayant pas trouvé Chaudey chez lui, alla
l'attendre à son journal. Mais il avait, au préalable,
fait une perquisition à son domicile, forcé les tiroirs
et enlevé une somme de 1 000 francs, qu'il confisqua^
Rigault fit immédiatement écrouer le prisonnier à
(1) Voici l'article du Père-Duchesne, qui porte la date du 22 germi-
nal an 79 : « Il y a, par exemple, le misérable Chaudey, qui a joué un
sale rôle dans cette affaire (celle du 22 janvier) et qui se balade encore
dans Paris, aussi tranquille qu'un petit Jean-Baptiste ; est-ce qu'on
ne va pas bientôt décréter d'accusation ce J. F.- là et lui faire connaî-
tre un peu le goût des pruneaux dont il nous a régalés dans le temps ? >
(2) Pilotell réussit à s'échapper au moment de l'entrée à Paris des
troupes de l'ordre. Il fut condamné à mort par contumace pour l'as-
sassinat de Chaudey.
LA COMMUNE A PARIS BT BN PROVINCE. 187
Sainte-Pélagie, le mit au secret et le garda jusqu'au
23 mai, date à laquelle, comme on le verra plus loin,
il le fit lui-même fusiller.
Ce régime de suspicion, de violences, de perpétuels L'anar-
attentats contre la liberté individuelle, la Commune C M* com-
ne l'avait pas créé elle-même, mais elle le subissait, wtma/wfe.
faute de pouvoir l'empêcher. Elle régnait peut-être, Les
mais ne gouvernait pas. Son pouvoir révolutionnaire, rmers
en tournant très rapidement au parlementarisme, avait '
pris tous les défauts de ce dernier, pour bientôt les
exagérer jusqu'à l'outrance. Elle n'était au fond qu'une
réunion d'énergumènes, de rhéteurs et de sophistes,
capables tout au plus de disserter sur des réformes
idéologiques, mais dénués de tout sens pratique, et
même le plus souvent de sens moral. Elle voulait
jouer à la Convention, dont elle ne représentait
qu'un travestissement caricatural. Et pendant qu'elle
discutait, disputait, se divisait contre elle-même,
ses succédanés agissaient en dehors d'elle, au gré de
leurs passions sectaires et de leurs égarements furieux.
Quelques-uns de ses membres, qui avaient assez vite
perdu leurs illusions, essayaient bien de la tirer du
bourbier. Ils parlaient dans le vide. « Vous tombez
dans le ridicule et l'odieux ! » disait Arnould. Et Ver-
morel : « I^e dégoût me prend au milieu de tant de
sottise, de tant de prétention, de tant de lâcheté. I,e
parti est perdu. I/idée communale était bonne, mais
188 1871
nous n'avons pour la servir que des imbéciles, des fri-
pons ou des traîtres, instruments vils ou ridicules.
Point de caractères, aucune bonne foi, rien que des
personnalités grotesques ou monstrueuses ; de vraies
pantalonnades. Je n'espère plus en rien. » Celui-là
cependant devait mourir pour une cause que ses
complices défendaient si mal.
D'ailleurs, le dualisme du Comité central et de la
Commune ne cessait pas, et, dans celle-ci, une scis-
sion complète avait failli se produire. I^a minorité, qui
comptait vingt et un membres (i), supportait impa-
tiemment la dictature du Comité de Salut public et
l'oppression d'une majorité libre de tout entreprendre,
à la faveur du secret de ses délibérations. Le 12 avril,
elle avait obtenu la publicité des séances et la publi-
cation in extenso de leurs comptes rendus (2). Un mois
plus tard, elle déclarait par un manifeste inséré dans
les journaux (3) qu'elle ne se présenteraitplus à l'assem-
blée «que le jour où celle-ci se constituerait en cour
de justice pour juger un de ses membres ». Elle ne tint
(1) Beslay, Jourde, Theisz, I^efrançais, Eug. Gérardin, Vermorel,
Clémence, Andrieu, SerraiUer, I^onguet, A. Arnould, V. Clément,
Avrial, Ostyn, Frankel, Pindy, Arnold, Vallès, Tridon, Varlin,
Courbet, Malon.
(2) < Il est bien regrettable, écrit Gaston Da Costa, que les séances
n'aient pas été secrètes jusqu'au bout. Ce silence n'eût certes rien
changé au résultat ; mais la Commune eût échappé ainsi au ridi-
cule ». (T. III, p. 36.)
(3) Il devait être lu à l'Hôtel de Ville, le 15 mai, mais la séance
n'eut pas lieu, les membres de la majorité ne s'y étant pas rendus.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 189
pas rigoureusement cet engagement téméraire, mais
son attitude ultérieure ne fut pas pour amortir les
complications ni les chocs. Quant au Comité central,
il ne désarma jamais. Il continua jusqu'à la an à
adresser des proclamations et des ordres, à s'immiscer
dans toutes les affaires, particulièrement celles de la
Guerre, et à contrecarrer tous tes pouvoirs, jusqu'au
Comité de Salut public, qui avait été nommé pour le
briser. Celui-ci fut obligé un jour de prévenir «les
officiers de tout rang, à quelque corps qu'ils appar-
tinssent, ainsi que tous les citoyens, que le refus
d'exécuter un ordre émané de lui entraînerait k ren-
voi immédiat du coupable devant la Cour martiale,
sous l'inculpation de haute trahison ». Mais la Cour
martiale aurait eu trop à faire, si on lui avait soumis
tous les cas d'indiscipline, de désobéissance ou de mau-
vais vouloir qui se produisaient partout.
On pense bien qu'un gouvernement aussi anarchique
n'était guère capable d'assurer l'ordre dans la rue. I,ui
etses agents multipliaient les arrêtés destinés à enrayer
les progrès de l'ivrognerie et du dévergondage, mais,
comme l'exemple venait de haut, les arrêtés n'empê-
chaient rien. On voyait se pavaner sur les boulevards
ou aux terrasses des cafés peuplés de filles, des offi-
ciers aux costumes rutilants, bottés haut et galonnés
jusqu'aux épaules, que parfois Rigault, pris d'un
accès de pudibonderie tout extérieure, faisait envoyer
aux remparts, tandis qu'il expédiait leurs compagnes
igo 1871
à Saint-Lazare. Mais il n'y avait là que des incidents.
I/orgie était générale, et chacun, aux divers degrés
de l'échelle hiérarchique, s'y livrait, suivant ses goûts
et suivant ses moyens. « Général, avait écrit Cluseret
dans une circulaire, on se plaint généralement, et
spécialement à la Commune, de votre état-major,
trop somptueux, et qui se montre sur les boulevards
avec des cocottes, des voitures, etc. Je vous prie de
donner dans tout ce monde-là un vigoureux coup de
balai. Vous êtes compromis par eux et avec vous,
moi et notre principe. » Cette mercuriale visait les
muscadins et les élégants, sinon certains généraux
eux-mêmes. Voici maintenant ce que Rossel disait
des autres : « Ces gueux d'officiers de la Commune,
trinquant au comptoir avec quelque sergent, gueux
déguisés en soldats, et qui transforment en guenilles
l'uniforme dont on les a affublés ; le pantalon en vrille,
le sabre dans les jambes, le ceinturon pendant sur une
capote trop large, le képi crasseux couronnant une
personne crasseuse, l'œil et la parole avinés, tels
étaient les drôles qui prétendaient affranchir le pays
du régime du sabre et qui ne pouvaient qu'y insti-
tuer le régime du délirium tremens (i). » Quant aux
simples soldats, il vaut mieux n'en point parler.
Et les clubs 1 II y en avait partout, dans les églises,
dont les orgues jouaient la Marseillaise (2), tandis que
(1) Cité par Jules Simon, loc. cit., t. I* p. 401.
(2) IyISSAGARAY, ÏOC. Cti., p. 306.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 191
les crucifix laissés en place étaient voilés de l'écharpe
communeuse (1) ; à l'École de médecine, dans les
établissements publics. On y formulait les motions
les plus extraordinaires ; on y proférait des attaques
homicides contre tous ceux qui étaient suspects de
modérantisme. Il y avait même des clubs pour les
femmes, qui n'étaient pas les moins ardentes ni les
moins enragées. Un « groupe de citoyennes » ayant, le
3 mai, signé vin appel pathétique à la paix, le « Comité
central de l'Union des femmes », où trônait
André I^éo, directrice de la Sociale (2), et quelques
autres furies dont le nom importe peu à l'histoire, y
répondit aussitôt par un manifeste enflammé, où les
Versaillais étaient traités de « lâches assassins » et où
se lisaient des phrases comme celle-ci : « Toutes unies
et résolues, grandies et éclairées par les souffrances que
les crises sociales entraînent toujours à leur suite,
profondément convaincues que la Commune, repré-
sentante des principes internationaux et révolution-
naires des peuples, porte en elle les germes de la révo-
lution sociale, les femmes de Paris prouveront à la
(i) I,ISSAGARAY, loc. CtL, p. 306.
(2) H ne semble pas indispensable d'énumérer ici les innombrables
journaux qui paraissaient dans la capitale, fleurs malsaines écloses
dans cette atmosphère d'exaltation et de folie. I^es principaux étaient
la Commune, de Millière, qui fut supprimée comme trop modérée ;
la Lutte à outrance, organe du club de l'École de Médecine ; le Cri du
peuple, de Jules Vallès ; l'ordurier Père-Duchesne, de Vçrmersch ; le
Salut public, de Maroteau ; la Tribune du peuple, de T,issagaray ; le
Mot d? ordre, de Rochefort, qui n'alla pas jusqu'au bout ; etc., etc.
192 1871
France et au monde qu'elles aussi sauront, au moment
du danger suprême, sur les remparts de Paris, — aux
barricades, si la réaction forçait les portes, — donner
comme leurs frères leur sang et leur vie pour la défense
et le triomphe de la Commune, c'est-à-dire du peuple 1 »
Et cela n'était pas de la phraséologie pure. Car les
citoyennes échauffées qui avaient signé cette épître
incendiaire, passant aussitôt aux actes, constituèrent
tout de suite une troupe de 2 500 amazones, armées,
équipées et soldées, dont beaucoup combattirent avec
les fédérés, mêlant souvent la traîtrise à l'action
directe, et contribuant largement à donner à la lutte le
caractère atroce qu'elle revêtit au cours des convul-
sions dernières de cette odieuse insurrection.
Les jours du gouvernement révolutionnaire étaient
déjà comptés, et sa chute apparaissait à tous inévita-
ble et prochaine, que la démence universelle, loin de
diminuer, semblait au contraire s'exaspérer davantage.
Les membres de la Commune se chamaillaient de plus
belle, tandis que les remparts, à demi écroulés, étaient
désertés par leurs défenseurs, et que déjà des obus
versaillais tombaient sur l'avenue des Champs-Elysées,
le palais de l'Industrie (1), même sur la place de
(1) Au palais de l'Industrie trônait un certain Cavalier, surnommé
Pipe-en-Bois, à cause de sa figure bizarre, et qui s'était fait au quar-
tier Iyatin une certaine notoriété pour sa participation à toutes les
manifestations bruyantes dont furent traversées les dernières années
de l'Empire. Gambetta, qui avait pour lui quelque faible, Favait
emmené en province et attaché à son cabinet. I*a Commune k nomma
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 193
la Concorde. Les rues étaient souillées par la plus
basse débauche. Les théâtres, de gré ou de force,
continuaient à jouer, et aux Tuileries, dans la salle des
Maréchaux, qui, avant huit jours, allait être détruite,
on donnait un concert au cours duquel la tragédienne
Agar venait réciter des passages des Châtiments. Tel
était Paris à la veille de l'entrée des troupes françaises ;
une sorte de pandémonium, où se coudoyaient l'ivro-
gnerie, le vice et la folie dont quelques enragés me-
naient le branle, tandis que la population à peu près
entière, fatiguée de ces saturnales, aspirait à la déli-
vrance, et que de pauvres diables, qui, pour la plupart,
ignoraient tout de la cause qu'ils servaient par obli-
gation ou par nécessité de vivre, allaient se faire tuer
sur les barricades, tandis que chercheraient leur salut
dans la fuite bon nombre de ceux qui les avaient con-
duits là.
ingénieur en chef des voies et promenades publiques, et il devint
ainsi le remplaçant intérimaire d'Alphand ! Il put échapper à la
répression et alla mourir à Bruxelles.
13
CHAPITRE VII
LA SEMAINE SANGLANTE
On a dit quelquefois que, si, le 21 au soir, Tannée j_^ pi an
de Versailles, poussant droit devant elle sans hési- d'attaque.
tation ni retard, avait continué sa marche en avant,
elle aurait pu se rendre maîtresse, en une seule nuit,
des deux tiers de la capitale, et sauver ainsi d'abord
des vies précieuses, puis les monuments qui devinrent,
trois jours après, la proie du feu. Des écrivains commu-
nalistes ont même été plus loin. Ils ont prétendu
que c'était sur les ordres de M. Thiers lui-même qu'on
avait écarté cette solution rapide, afin que, dans
les horreurs d'une lutte prolongée et sanglante, appa-
russent mieux les dangers auxquels le chef du pouvoir
exécutif arrachait la société « bourgeoise » ; afin aussi
que Paris reçût une leçon dont il se souviendrait
éternellement.
Attribuer à un chef d'État, quelles que soient ses
ambitions ou ses tendances, des intentions à ce point
machiavéliques, c'est faire œuvre de polémiste et non
pas d'historien. M. Thiers ne s'effrayait point sans
doute des conséquences extrêmes que devait fatale-
ig6 1S71
ment entraîner sa détermination très formelle, et qu'il
avait affirmée maintes fois, de « rétablir à Paris le règne
de la loi (i) ». Mais il avait tenté à plusieurs reprises
de s'emparer de la capitale autrement que par la force.
I*e chancelier Bismarck le talonnait (2) ; l'Assemblée
nationale s'impatientait des lenteurs forcées du siège,
imputables pour une grande part à la faute qu'on avait
commise en laissant les forts du sud sans garnison.
Supposer que, dans des conditions pareilles, il ait
voulu s'exposer, de gaieté de cœur, à proroger, au prix
de nouveaux et cruels sacrifices, un dénouement qui
n'avait déjà que trop tardé, et cela uniquement pour
obéir à l'on ne sait quelles visées compliquées et obs-
cures, c'est lui faire une injure gratuite. Sa politique,
très personnelle et parfois même tin peu équivoque, a
pu lui attirer des rancunes et des animadversions. Elle
n'a jamais été à ce point tortueuse qu'on soit en droit
de lui attribuer des intentions aussi coupables, ni
d'aussi condamnables objectifs.
I^a vérité est que la situation mal connue où s'en-
gageait l'armée commandait une grande prudence.
Personne ne savait exactement quelles forces les fédérés
allaient pouvoir opposer à nos soldats pour la guerre
des rues. On disait Paris miné et des fougasses toutes
prêtes à exploser sous les pas des bataillons d'attaque.
De nombreuses barricades, dont quelques-unes, d'après
(1) Notes et souvenirs de M, Thiers, p. 157.
(2)im,p. 155.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 197
les renseignements fournis et d'après ce qu'il avait été
possible d'en juger, étaient formidables, barraient les
artères principales, qu'elles enfilaient de mitraille.
Les communeux eux-mêmes avaient prévenu qu'ils
ne reculeraient devant rien, et le Cri du peuple, journal
de Vallès, s'était chargé de préciser leurs intentions.
« On nous a donné depuis quelques jours, écrivait-il
le 16 mai, des nouvelles de la plus haute gravité, dont
nous sommes maintenant complètement sûrs. On a pris
toutes les mesures pour qu'il n'entre dans Paris aucun
soldat ennemi. Les forts peuvent être pris l'un après
l'autre ; les remparts peuvent tomber. Aucun soldat
n'entrera dans Paris. Si M. Thiers est chimiste, il
nous comprendra. Que l'armée de Versailles sache bien
que Paris est décidé à tout plutôt que de se rendre. »
Était-ce simple fanfaronnade ? Personne ne pouvait
l'affirmer. Et dans le doute, il convenait d'agir de ma-
nière à ne point sacrifier, à la poursuite d'un résultat
aléatoire, la vie de plusieurs milliers de braves gens.
C'est donc à un parti éminemment sage que se Journée
résolut le maréchal de Mac-Mahon, quand, le 22 au du 22 mai.
matin, il donna ses ordres pour la journée. Il
voulait qu'au soir les troupes fussent assez avancées
dans la ville pour que les positions de Montmartre,
de la place de la Concorde, de la place Vendôme
et des Tuileries, qui paraissaient devoir opposer
une sérieuse résistance, puissent être enveloppées, et
198 1871
conquises dès le lendemain. Quant au plan général
d'opérations, il consistait en ceci: s'étendre sur les ailes
en même temps qu'on progresserait lentement de front
par les deux rives de la Seine ; refouler ainsi les insurgés
sur les hauteurs de Belleville et de Ménilmontant,
puis les entourer là et les forcer à mettre bas les armes.
On verra que si ces projets durent, au cours des opé-
rations, subir d'assez importantes modifications, ils
furent, dans leur ensemble, complètement réalisés.
Le 22 à six heures du matin, l'armée s'ébranlait,
par un temps clair et un beau soleil de printemps, qui
allait malheureusement éclairer des scènes atroces. La
division Vergé, marchant droit devant elle, ne tarda pas
à s'emparer du palais de l'Industrie et de l'Elysée,
tandis qu'à sa gauche les divisions Berthaut et I/Hé-
rillier, tournant le rond-point de l'Étoile, descendaient
par les rues de Morny et Abatucci (i), puis enlevaient,
non sans difficultés, l'église Saint- Augustin, la caserne
de la Pépinière et une forte barricade construite à la
jonction de la rue de Suresne avec la rue d'Anjou (2).
De son côté, le corps Clinchant a occupé le parc
Monceau, le collège Chaptal, la place de l'Europe et
(1) Aujourd'hui rue de la Boétie et rue Pierre-Charron. I^es fédérés
avaient traîné là des canons qu'ils voulaient hisser sur le sommet
de l'Arc de Triomphe. Ils eurent tout juste le temps de les emmener.
(2) Dans le palais de l'Industrie, transformé en ambulance, fut fait
prisonnier le « général » Okolowitz, blessé légèrement à Neuilly, qui y
était en traitement. H réussit à s'évader, en septembre 1871, des docks
de Satory, où il était interné.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 199
la gare Saint-Lazare, celle-ci au prix d'un combat
meurtrier ; son aile gauche a balayé le boulevard des
fortifications, jusqu'à la porte d'Asnières, ce qui a
permis au général de Ladmirault d'amener, avant la
nuit, son corps d'armée tout contre le rempart, à
l'entrée des Batignolles. Ces diverses opérations se
sont effectuées sous le tir des batteries de Montmartre,
dont le feu n'a pas été heureusement aussi nourri
qu'on aurait pu le redouter (1), sous celui de la barri-
cade « modèle », établie au coin de la rue Saint-Flo-
rentin et de la rue de Rivoli, enfin sous celui du Jardin
des Tuileries et de la place de la Concorde (2). Quant
à la division Montaudon, qui a abandonné ses posi-
tions de Neuilly et d'Asnières, devenues maintenant
sans valeur, elle a chassé du village de Levallois-
Perret et de la porte Maillot les fédérés débandés de
Dombrowski, en leur capturant, au cours de sa
marcbe, 105 pièces de canon.
Sur la rive gauche, les progrès ont été également très
rapides. La brigade de Langourian, de la division
Bruat (armée de réserve) a enlevé les baraquements du
Champ-de-Mars et est entrée dans l'École militaire,
(1) I<es pièces de Montmartre étaient à l'abandon. Beaucoup man-
quaient de gargousses. Au Moulin de la Galette, il y avait trois pièces
de 24 sur affût. Quand on voulut les tirer, les queues de crosse s'enter-
rèrent, et il fallut longtemps pour les remettre en batterie. (I*issa-
garay, p. 123.)
(2) Tout ce quartier était placé sous les ordres de Brunel, mis en
liberté' la veille.
2oo 18 71
pendant que la division Susbielle y pénétrait par der-
rière. Un parc de 200 pièces de canon et des approvi-
sionnements considérables de toute nature sont, par
suite, tombés entre nos mains. Poursuivant sa marche,
la division Bruat est venue alors occuper le quartier du
Corps législatif (1), tandis que la division Lacretelle
nettoyait tout le XV e arrondissement, et que la division
I^evassor-Sorval poussait, à travers Vaugitard, jus-
qu'à la gare Montparnasse, où elle s'installait défen-
sivement. Ainsi, dans la soirée, les troupes de Tordre
occupaient une ligne brisée allant de la gare des Bati-
gnolles à la porte de Vanves, en passant par la gare
Saint-Lazare, le palais de l'Industrie, la rue de Bour-
gogne et de la gare Montparnasse, celle-ci formant un
saillant très accusé, mais que son organisation solide
mettait à l'abri de tout danger.
Le succès ainsi obtenu était dû au mérite des dispo-
sitions prises et à la valeur incontestable des soldats,
qui avaient montré dans toutes leurs attaques beau-
coup d'énergie et de vigueur. Mais l'affolement du
gouvernement insurrectionnel l'avait aussi facilité
dans une certaine mesure, car l'armée de Tordre était
à peine au début de ses peines que déjà celle de Té-
meute n'avait plus ni direction, ni organisation, ni
chefs.
(1) I«es fédérés, en se retirant, firent flamber le manège de l'École
d'État-Major, rue de Grenelle, 138 (aujourd'hui le service géographi-
que de l'année).
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 201
Dombrowski était accouru, vers deux heures du
matin, au Comité de Salut public, annonçant la déban-
dade et demandant du secours. Il n'avait trouvé que
des hommes ahuris, désorientés, incapables d'avoir un
avis ou de prendre une décision. A la guerre, Deles-
cluze, qui d'abord avait nié l'entrée de l'armée de
Versailles, était maintenant débordé autant qu'affolé,
et, ne sachant quel parti prendre, fabriquait un mani-
feste mieux fait pour briser dans ses troupes les derniers
liens de la discipline que pour les consolider. « Citoyens,
s'écriait-il bien tardivement, assez de militarisme !
Plus d'états-majors galonnés et dorés sur toutes les
coutures ! Place au peuple, aux combattants aux bras
nus ! Le peuple ne connaît rien aux manœuvres sa-
vantes, mais, quand il a un fusil à la main, du pavé
sous les pieds, il ne craint pas tous les stratégistes de
l'armée monarchiste. Aux armes ! citoyens, aux
armes !... La Commune compte sur vous, comptez
sur la Commune ! » Or, quelques heures plus tard, la
Commune allait se disperser pour toujours, et le mi-
nistère lui-même se vider de ses occupants, qui dispa-
raissaient avec tant de précipitation qu'ils en oubliaient
d'emporter leurs papiers !
A l'Hôtel de Ville, vers neuf heures du matin, une
vingtaine de membres des divers comités se sont réunis.
Ils pérorent, tandis que dans les rues et les boulevards,
dont les boutiques se ferment, et où grouillent des
fragments de bataillons désemparés, la générale re-
202 1871
tentît partout. Félix Pyat, toujours lyrique, jette une
dernière larme sur l'émeute expirante, puis disparaît
pour aller se cacher quelque part. Après quoi, on rédige
des affiches, toujours les mêmes, et on se consulte sans
rien décider. Les plus résolus semblent se féliciter que
la guerre des rues soit entamée, et se font l'illusion de
croire qu'ils en sortiront facilement vainqueurs. D'au-
tres, qui voient plus clair, songent à se soumettre, et
même à se servir des otages pour avoir la vie sauve (i).
Personne ne donne un avis, un conseil ou un ordre.
Finalement, on se décharge sur le Comité de Salut
public de tout le poids des affaires, et on se disperse,
sous prétexte d'aller organiser la défense, chacun dans
son arrondissement. Quelques-uns alors se rendent
aux barricades, dont le réseau couvre la capitale, plus
serré d'heure en heure et plus hérissé de canons.
D'autres s'occupent d'assurer leur vengeance par l'in-
cendie et l'assassinat. Delescluze, malade, aigri,
désespéré, s'enferme dans la mairie du XI e arrondis-
sement, place Voltaire, ety établit son quartier général.
Dombrowski, mal accueilli et presque suspect, quitte
l'Hôtel de Ville pour aller au-devant de la mort (2).
Mais voici que, sur les talons de la Commune en
déroute, le Comité central vient de faire sa réappa-
(1) J. Simon, loc. cit., p. 441.
(2) Il avait été arrêté par une troupe de fédérés au moment où,
dans l'après-midi, voyant ses troupes dispersées, il essayait de sortir,
à cheval, par la porte de Saint- Ouen. Certains l'avaient, pour cela,
accusé de trahison.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 203
rition. Lui aussi lance des proclamations et déclare
Paris inexpugnable. H entend étouffer le Comité de
Salut public, qui, pour bien affirmer son existence,
prépare un manifeste adressé aux soldats de Tannée
de Versailles et prêt à être affiché le lendemain 23.
« Comme nous, leur dit-il, vous êtes prolétaires ;
comme nous, vous avez intérêt à ne plus laisser aux
monarchistes conjurés le droit de boire votre sang
comme ils boivent vos sueurs. Ce que vous avez fait
au 18 mars, vous le ferez encore, et le peuple n'aura
pas la douleur de combattre des hommes qu'il regarde
comme des frères et qu'il voudrait voir s'asseoir avec
lui au banquet civique de la liberté et de l'égalité. »
Ce verbiage imagé, mais creux, se trompait d'adresse,
et surtout de date. Il ne pouvait produire aucune im-
pression, même sur les égarés du 18 mars, rendus
maintenant à eux-mêmes par la discipline et le sen-
timent du drapeau. Les temps n'étaient plus où l'on
trouvait des soldats pour lever la crosse en l'air et
prêter aux émeutiers leur complicité criminelle. Et les
appels à la révolte ne pouvaient plus les émouvoir.
Ainsi, le gouvernement insurrectionnel, qui n'avait
jamais été en réalité qu'un syndicat de passions et de
haines, s'effondrait dans une impuissance définitive,
laissant aux initiatives individuelles le soin de dé-
fendre sa cause déjà perdue. Sa défaite prochaine avait
été saluée, à Versailles, comme on pouvait s'y attendre
et comme il était dû, par les applaudissements una-
204 18 71
nimes de l'Assemblée nationale. M. Thiers, qui venait
de passer à Paris une partie de la nuit, avait tenu à
faire connaître lui-même aux députés de la France le
premier succès de Tannée française.
« La cause de la justice, de Tordre, de l'humanité,
de la civilisation a triomphé ! » s'écria-t-il en montant
à la tribune le 22 mai. Et il ajouta, pour ne laisser
aucun espoir aux hommes de désordre, qui avaient
déjà coûté au pays tant de douleurs et de sacrifices :
« L'expiation sera complète. Elle aura lieu au nom des
lois, par les lois, avec les lois. » Et la Chambre, en un
mouvement quasi spontané, lui répondit par la réso-
lution suivante : « L'Assemblée déclare que les armées
de terre, et de mer, que le chef du pouvoir exécutif de
la République française ont bien mérité de la patrie. »
Cet hommage, nos soldats allaient continuer à s'en
rendre dignes par des efforts encore plus pénibles et
plus sanglants.
Journée H s'agissait, ce jour-là, d'enlever les Buttes Mont-
du2.-$mai. martre, position formidable, et qui, si elle était bien
défendue, pouvait coûter fort cher, Le maréchal ne
crut pas devoir la faire attaquer par moins de deux
corps d'armée.
Dès quatre heures du matin, les troupes avaient
été mises en mouvement. Au nord, les deux premiè-
res divisions du I er corps débordèrent la Butte, en en-
levant une à une, sous un feu violent d'artillerie, les
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 205
barricades très nombreuses qu'elles rencontraient,
poussèrent jusqu'à la gare des marchandises du Nord
et s'emparèrent du quartier Clignancourt ; une bri-
gade occupait le pied même des pentes. Au sud, le
corps Clinchant enleva la place Clichy, suivit le bou-
levard extérieur et pénétra dans le cimetière Mont-
martre. A midi, on commença à gravir les hauteurs. A
une heure, le drapeau tricolore flottait sur la tour
Solférino.
La lutte, dans sa brièveté, avait été meurtrière. A
chaque rue, il fallait conquérir une ou deux barricades,
qui étaient attaquées de front en même temps que
tournées au moyen de cheminements pratiqués à tra-
vers les maisons par les sapeurs du génie- La défense,
heureusement, avait été assez molle, malgré le concours
que lui apportaient maintenant les femmes, qui
n'étaient pas les moins acharnées (1), et de nombreux
enfants, enrôlés de gré ou de force (2). Cluseret s'était
éclipsé. La Cécilia, qui avait pris le commandement
dans la nuit, demandait en vain des renforts et donnait
des ordres inutiles. « On ne m'obéit pas ! » disait-il.
Seul, Dombrowski tenait tête avec énergie et essayait
(1) « On dirige sur Montmartre un détachement de vingt-cinq fem-
mes qui viennent s'offrir sous la conduite des citoyennes Dimitrieff et
Louise Michel. » — « Les femmes seules ont montré de l'ardeur. »
(Lissagaray, p. 333.) — « Place Blanche, il y a une barricade par-
faitement construite et défendue par un bataillon de femmes, 120
environ. » (Salut public du 24, article de Maroteau.)
(2) Des enfants manient des pelles et des pioches aussi grandes
qu'eux. (Lissagaray, p. 330.)
2o6 1871
de grouper ses troupes débandées. Refoulé, presque
cerné, il recula vers le boulevard Ornano, emmenant
les débris de ses bataillons qui laissaient sur le terrain
beaucoup d'hommes tués ou fusillés sur place, comme
ayant été pris les armes à la main. Il était à peine au
pied des Buttes qu'il se heurtait à la division Mon-
taudon, entrée le matin même par la porte Saint-Ouen.
Il essaya alors de se frayer un passage. Mais, dans la
rue Myrrha, il reçut en pleine poitrine une balle, dont
il mourut deux heures après à l'hôpital L,ariboisière,
où il avait été transporté.
Pendant ce temps, le corps Clinchant, descendant
vers l'intérieur, s'emparait, non sans difficultés ni
pertes, du collège Rollin, de la place Saint-Georges
et de l'église Notre-Dame-de-iLorette, puis faisait,
dans le faubourg Montmartre, sa jonction avec l'aile
gauche du corps Douay, qui venait de conquérir le
quartier de l'Opéra et de la rue Drouot, sans autre in-
cident sérieux que l'enlèvement au 67 e fédéré, qui y
fut écharpé, de la barricade de la rue Caumartin (1).
Quant à l'aile droite de ce même corps, elle se heur-
tait, aux environs de la place de la Concorde et de la
Madeleine, à une résistance acharnée. Brunel, qui
commandait là, avait donné l'ordre d'incendier les
maisons de la rue Royale par lesquelles on pouvait le
(1) Cette affaire, comme on le verra plus loin, eut des conséquences
inattendues. Elle amena, le lendemain, l'assassinat du capitaine in-
surgé de Beaufort, et peut-être celui des otages.
I#A COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 207
tourner. Il dut cependant se replier sur le Palais-Royal
et les Tuileries. Mais, comme notre artillerie rendait ces
deux points intenables, il les abandonna à dix heures
du soir, après y avoir fait mettre le feu, ainsi qu'aux
bâtiments du ministère des Finances, qui s'étalaient
le long de la rue de Rivoli (1).
Sur la rive gauche, les progrès de l'armée de l'ordre
rencontraient également de pénibles obstacles. 1& III e
corps avait dessiné un grand mouvement débordant,
pour faire tomber les défenses du quartier de l'Obser-
vatoire. I*a division Levassor-Sorval ne s'empara
qu'avec peine d'une forte barricade qui barrait la
chaussée du Maine, à sa jonction avec la rue de Vanves,
puis du cimetière Montparnasse. Mais, commme sa
2 e brigade avait réussi à tourner la rue de Châtillon,
les insurgés, près d'être cernés, se décidèrent à la re-
traite, abandonnant huit pièces de canon. Nos troupes
alors prirent pied place d'Enfer et dans le marché aux
chevaux. Reprenant ensuite leur marche en avant,
elles enlevèrent, dans la soirée, une grande barricade
située à l'angle de la rue de Rennes et de la rue d'Assas,
qui tenait en échec la gare Montparnasse, et, en
(1) I«a place de la Concorde, où depuis la veille s'abattaient les
obus tirés par les batteries de Passy, de l'Étoile, du quai d'Orsay,
était dans un état lamentable. Des débris de toutes sortes jonchaient
son sol crevassé. Plusieurs des statues qui l'entourent, celle de 1411e
en particulier, avaient beaucoup souffert. Cest Bergeret et un
nommé Benot qui allumèrent l'incendie des Tuileries, où des ton-
neaux de poudre avaient été accumulés.
2o8 1871
même temps, la Maternité, à droite, et la rue Vavin,
à gauche. Lisbonne, après une résistance très éner-
gique, se replia avec ce qui lui restait de monde sur
le Panthéon.
Vers le centre de la ligne, les deux autres divisions
du II e corps avaient eu, elles aussi, de rudes combats
à soutenir. La division Lacretelle entra dans la caserne
de Babylone, dans l'Abbaye-au-Bois, puis attaqua le
carrefour de la Croix-Rouge, où les fédérés de Eudes se
défendirent énergiquement. Elle ne réussit que dans
la nuit à les chasser complètement, non sans qu'ils
aient promené leurs torches incendiaires dans les
maisons qui les entouraient. A sa gauche, la brigade
Bocher, de la division de Susbielle, balaya les rues de
Martignac et de Bellechasse et enleva l'ancienne ca-
serne des Cent-Gardes, où périrent nombre d'insurgés.
Le 46 e de ligne, aidé des fusiliers-marins de la division
Bruat, enleva successivement le ministère de la Guerre,
le bâtiment central des télégraphes, déblaya la rue
du Bac, et poussa jusqu'à Saint-Thomas-d'Aquin.
Malheureusement on ne put empêcher les fédérés de
mettre le feu, avant de les évacuer, à la rue de Lille,
au palais de la Légion d'Honneur, à celui de la Cour
des Comptes et à la Caisse des Dépôts et Consigna-
tions.
A la suite de ces divers mouvements, l'armée de
Versailles put s'étaler, le 23 au soir, sur une ligne de
bataille concave, dont l'aile gauche s'appuyait à la
k
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINC^. 209
gare des marchandises du Nord et. l'aile droite au
bastion 31, près de la porte d'Arcueil. Au milieu, le
massif des monuments et des immeubles incendiéspoin-
tait comme un bastion inabordable et flamboyant.
Dans la ville, le spectacle était lugubre. Les rues
saccagées, éventrées, grondantes du roulement des
canons et de clameurs farouches, semblaient avoir été
désertées par leurs habitants. Des groupes de fédérés,
dépenaillés, couverts de boue, de sueur et de sang cou-
raient à la débandade, les uns fuyant, les autres allant
aux barricades, tous cherchant une direction, une
impulsion, un ordre pour la bataille ou pour le salut.
Des troupeaux de femmes erraient à l'aventure, un
seau de pétrole à la main, tandis que sur les trottoirs
dormaient en grappes humaines, harassés et noirs
de poudre, ceux qui avaient survécu à la lutte ou à la
répression sommaire par laquelle nos soldats exaspérés
vengeaient leurs morts. L'aspect des quartiers tenus
par l'armée de Versailles offrait sans doute un spec-
tacle moins grouillant et désordonné, mais tout aussi
sinistre. Couchés aussi à la belle étoile, vivant à peu
près au hasard, au moyen des vivres du sac et de quel-
ques distributions hâtives, les troupiers bordaient les
avenues, que sillonnaient des estaffettes portant les
ordres, des caissons de munitions ou des convois d'am-
bulance envoyés à la recherche des blessés. Devant les
barricades effondrées, des sentinelles veillaient, arme
toujours prête et œil au guet. Derrière, les agents de
14
2io 1871
police, aidés par des gardes nationaux testés -fidèles
et que signalait un brassard tricolore, fouillaient les
maisons pour y recueillir armes et munitions. Et dans
la nuit, éclairée par la flambée des incendies, devenue
si éclatante qu'on pouvait lire comme en plein jour,
crépitait par-ci par-là quelque bruit de fusillade.
C'étaient des insurgés qu'on passait par les armes ou
des pétroleurs sur qui la cour martiale faisait exécuter
séance tenante la sentence qu'elle venait de pro-
noncer.
A l'Hôtel de Ville, le Comité de Salut public siégeait
encore. Pour nourrir ses troupes, il envoyait réquisi-
tionner 500 000 francs à la Banque de France, et auto-
risait les commandants de barricades à requérir comme
bon leur semblerait les vivres dont ils auraient besoin.
Il ordonnait aux municipalités de concentrer à la
mairie du XI e arrondissement toutes les matières in-
flammables qu'elles pourraient trouver et de faire
brûler les maisons « assaillies par les Versaillais ou la
réaction ». De son côté, le Comité central, qui ne vou-
lait pas être en reste, lançait aux troupes de Tordre
une dernière proclamation. Vers trois heures, il reçut
la visite du restaurateur Bonvalet, qui, accompagné
de trois ou quatre membres de la Ligue des Droits de
Paris, venait lui demander de faire cesser le feu,
et s'offrait à tenter encore une démarche auprès de
M. Thiers. « Prenez un fusil et allez aux barricades ! »
leur fut-il répondu. Et comme une deuxième entrevue
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 211
avait lieu un peu plus tard, l'un des membres du Co-
mité, Rousseau, déclara nettement : « Nous ne pou-
vons être vaincus. Au besoin, nous aurons recours à
des moyens extrêmes. » Ce qui n'empêchait point ses
collègues d'afficher, en ce moment même, des propo-
sitions de paix, où ils avaient l'audace de poser des
conditions !
Dans la soirée, Raoul Rigault préluda par un Meurtre
abominable crime à tous ceux, aussi exécrables, que ***
ses complices devaient commettre les jours suivants. ^ hauA$ y^
Il fit froidement assassiner, à Sainte-Pélagie, le
malheureux Chaudey, coupable uniquement d'avoir,
le 21 janvier, demandé à l'autorité militaire qu'elle
envoyât des troupes dégager la place de l'Hôtel-de-
Ville. S'étant rendu à la prison à onze heures du
soir, il déclara à Chaudey qu'il allait mourir. Celui-ci
protestait de son républicanisme, qui était très réel,
et disait qu'il avait une femme et des enfants. Mais
le procureur de la Commune n'était pas homme à
se laisser attendrir pour si peu. Il fit pousser Chaudey,
qui n'avait pas eu le temps de se vêtir (1), dans
le chemin de ronde, où l'attendait un peloton d'exé-
cution. Il commanda lui-même le feu en levant son
sabre. Chaudey tomba foudroyé après avoir dit :
« Tu vas voir comment un républicain sait mourir ! »
Le meurtre accompli, Rigault, aidé de quelques aco-
(1) Chaudey fut exécuté en robe de chambre.
212 1871
lytes, dont un seul paya plus tard ce forfait (i), envoya
chercher trois gendarmes, les nommés Bouzon, Cap-
deville et Pacotte, et, sur simple constatation d'iden-
tité, les fit mettre à mort (2). Cela fait, il s'en alla
tranquillement rejoindre les fédérés qui occupaient
le quartier du Panthéon.
Journée Journée lugubre et douloureuse entre toutes. Une
du 24. fumée noire, épaisse et acre, qui prend à la gorge,
La tragé- obscurcit l'air. Des flammèches incandescentes vol-
tigent à travers l'espace et retombent en pluie de
°V ue ' cendres sur le pavé des rues. On respire à peine dans
cette atmosphère embrasée, où règne une chaleur
suffocante. I^a Seine reflète dans ses eaux tremblo-
tantes des lueurs rougeâtres et semble charrier des
flammes, qu'alimentent à chaque minute de nouveaux
brasiers. Déjà la bibliothèque du I^ouvre brûle, et le
Musée lui-même, avec ses inestimables richesses, est
menacé. Au loin, pointent des éclairs sinistres, révé-
(1) Un nommé Préau de Védel, détenu de droit commun, qui
avait éclairé l'horrible scène en tenant une lanterne, puis donné le
coup de grâce au malheureux Chaudey, fut condamné à mort et
exécuté le 19 mars 1872. I<es autres, Slon, secrétaire de Rigault, et
Clermont, « juge d'instruction », purent se sauver à l'étranger. Enfin
un nommé Berthier, qui faisait les fonctions de commis-greffier à la
prison, fut condamné, par contumace, à dix ans de travaux forcés.
(2) I/un deux essayait de s'évader et s'était réfugié derrière un tas
de ferraille, dans la cour de la chapelle. Il fut ramené et fusillé au
même endroit que ses camarades. « Ne le tue pas, au moins! avait
crié Rigault à Clermont, qui allait à sa poursuite. Il faut qu'il crève
avec les autres ! »
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 213
lateurs de catastrophes prochaines. Il faut se hâter,
si Ton veut arracher Paris aux vandales qui entendent
venger sur lui leur défaite, car demain c'est sur un
monceau de ruines qu'on marchera.
Le maréchal alors ordonne un grand effort sur le
centre, qui est le plus menacé. Il veut sauvegarder,
avec ce qui reste du Louvre, le Panthéon et le Luxem-
bourg.
En conséquence, dès l'aube, la division Bruat,
poussant droit devant elle, balaye tout le VI e arron-
dissement, et s'empare de l'École des Beaux-Arts, de
l'Institut, de la Monnaie, de la rue Taranne. La résis-
tance n'a pas été très dure, car les fédérés, menacés
d'être pris entre deux feux par les brigades Bocher et
Paturel qui ont enlevé de concert les rues d'Assas
et Notre-Dame-des-Champs, n'ont pas tenu longtemps.
Un instant après, ces troupes, en une brillante attaque
exécutée malgré les obus que font pleuvoir les barri-
cades de la rue Soufflot, emportent d'assaut le Luxem-
bourg, dans le jardin duquel était une poudrière que
les insurgés ont fait sauter. Puis, le 17 e bataillon de
chasseurs, gagnant la rue Soufflot, en chasse les fédérés,
ainsi que des rues Malebranche et Cujas (1).
(1) I<a défense du V e arrondissement avait été organisée par un
ouvrier typographe, Jean Allemane, devenu depuis le chef d'une
fraction du parti socialiste. Nombre de barricades furent défendues
par des femmes. Quant aux fédérés, malgré les efforts de Varlin et
de Lisbonne, ils n'obéissaient plus. « Ils ne voulaient aucun chef » .
(Voir IflSSAGAKAY, p. 349.)
2î4 1871
. •
Dans le même temps, la division Levassor-Sorval
a enlevé le parc Montsouris, puis le Val-de-Grâce,
et se dirige maintenant sur le Panthéon, par l'est. De
son côté, la division Lacretelle a atteint, au boule-
vard Saint-Michel, par Saint-Sulpice, les rues Racine
et de rÉcole-de-Médecine. Un moment arrêtée par
le feu des canons en batterie sur le pont Saint-Michel,
elle peut, aussitôt après que notre artillerie a éteint
celle des fédérés, gagner la place Maubert et le Lycée
Louis-le-Grand. La montagne Sainte-Geneviève étant
ainsi cernée à peu près complètement, il suffit main-
tenant d'un dernier et vigoureux effort du II e corps
pour s'en rendre maîtres. Les fédérés, bousculés, bat-
tent précipitamment en retraite après avoir subi de
grosses pertes. Lisbonne, qui les commande, entraîne
leurs débris, par le pont d'Austerlitz, qui se défend
encore, jusqu'à la mairie du XI e arrondissement.
Quelques instants plus tard, Raoul Rigault expiait
par la mort ses violences et ses crimes. Arrêté dans
l'hôtel Gay-Lussac, qu'il habitait et où il était rentré
dans la matinée, il fut emmené vers la rue de Médicis
et le Luxembourg. Mais, arrivé au coin delà rue Royer-
Collard, comme dans un mouvement d'exaspération
ou de bravade il criait : « Vive la Commune ! A bas
les assassins ! » le sous-officier qui le conduisait l'abat-
tit d'un coup de revolver dans la tête. Son corps,
revêtu d'un uniforme de chef de bataillon, resta étendu
sur le trottoir et ne fut reconnu que plusieurs heures
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 215
après pour être celui du procureur de la Commune.
Cet anarchiste farouche avait juste vingt-quatre
ans (1).
Passons maintenant sur la rive droite. Là, dès deux
heures du matin, la division Berthaut avait occupé
la place Vendôme, à peu près abandonnée, puis la
place du Carrousel et le Louvre, dont elle réussissait
à circonscrire l'incendie. La division L'Hérillier s'était
emparée de la Banque, de la Bourse, de l'église Saint-
Eustache, qui commençait à flamber. La division
Vergé, après avoir aidé à éteindre le Louvre, poussait
de l'avant et atteignait, dans la soirée, l'Hôtel de
Ville en flammes ainsi que la caserne Lobau.
Plus au nord, la division Garnier, du V e corps,
enlevait successivement le Conservatoire, l'église
Saint-Eugène, le Comptoir d'Escompte, puis, traver-
sant le boulevard Montmartre, déblayait la Bourse,
en même temps qu'elle emportait d'assaut la très
forte barricade de la porte Saint-Denis, et poussait
de là jusqu'au boulevard de Strasbourg. A sa gauche,
la division Duplessis, du même corps, s'emparait
du square Montholon, de l'église Saint-Vincent-de-
( 1) Raoul Rigault, il faut le dire à la décharge de sa mémoire, mon-
tra devant la mort une belle crânerie. IyUi-même s'était livré aux sol-
dats, qui l'ayant vu entrer en uniforme dans l'hôtel Gay-I^ussac,
voulaient faire un mauvais parti au propriétaire. « Je ne suis ni un
c ni un lâche ! » dit Rigault en se présentant. Et il les suivit, tnaig
sans dire qui il était.
2i6 1871
Paul, de la caserne de la Nouvelle-France, ainsi que
d'une barricade considérable établie à la jonction du
boulevard Magenta et de la rue de Chabrol.
Enfin, à l'extrême aile gauche, le corps Ladmirault
avait occupé solidement les gares de l'Est et du Nord.
Après une série de combats assez rudes, pendant
lesquels il avait fallu fréquemment cheminer à travers
les maisons, sa jonction s'était faite, rue Lafayette,
avec le corps Clinchant. Mais la division Montaudon
dut, au préalable, enlever une puissante barricade, qui
tenait l'angle des boulevards Rochechouart et Ornano,
et même repousser un retour offensif des fédérés.
Pendant ce temps, la brigade Laveaucoupet construi-
sait, sur la Butte Montmartre, des batteries destinées
à contre-battre celles des Buttes-Chaumont et de
Charonne, dont le tir devenait gênant.
Ainsi, dans la soirée, l'armée de Tordre avait
conquis plus de la moitié de Paris. Elle était maîtresse
des grandes forteresses de la Commune, telles que
Montmartre, la place de la Concorde, la place de
l'Hôtel-de-Ville et le Panthéon. Son front de bataille
formait maintenant une ligne presque droite, allant de
la gare du Nord au parc de Montsouris. le quartier
général était au ministère des Affaires étrangères, quai
d'Orsay (i). Malheureusement, elle n'avait pu em-
pêcher ses sauvages adversaires de poursuivre leur
œuvre barbare de dévastation et de sang.
(i) Maréchal de Mac-Mahon, Rapport officiel, p. 28.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 217
Dès le matin, après un dernier conciliabule du
Comité de Salut public, l'évacuation de l'Hôtel de
Ville avait été décidée. Mais alors Pindy, qui en était
le commandant, fit amener des tonneaux de pétrole,
des caisses de poudre, et alluma l'incendie. Cet acte
bestial fut imité par Ferré, sorte de brute sangui-
naire, qui, pour préluder aux autres abominations
qu'il allait commettre, fit flamber le Palais de Jus-
tice et la Préfecture de Police (1) avant d'en partir.
Brûlé aussi le Théâtre Lyrique de la place du Châte-
let, pour rien, pour le plaisir ! La rage des incendiaires
s'attaquait à tout, et, sans l'intervention de quelques
courageux citoyens, artistes pour la plupart, qui,
sous la direction d'un chef de bataillon de la Garde
nationale de l'ordre, le commandant Monplot, s'étaient
armés pour garder certains bâtiments menacés, on
aurait vu les Archives, les Arts-et-Métiers, l'Imprime-
rie nationale et même Notre-Dame, subir le sort des
Tuileries et de la Légion-d'Honneur ! Quant au Théâ-
tre-Français, l'arrivée de l'armée seule l'avait sauvé.
Dans les troupes de l'émeute, surchauffées de fièvre
et d'alcool, une sorte de folie furieuse secouait des
êtres qui n'avaient plus rien d'humain que le nom.
Ils en venaient aux extrémités les plus monstrueuses
et à de véritables crises de délire aigu. Ils se fusillaient
entre eux, témoin ce comte de Beaufort, capitaine à
(1) I«a Préfecture de Police était l'ancien palais des premiers pré-
sidents du Parlement.
2i8 18 71
Tétat-major du délégué à la Guerre, aventurier dont
l'histoire est assez obscure, et qui fut passé par les
armes le 24, derrière la mairie du XI e arrondissement,
par les fédérés du 66 e bataillon, dont il avait dit
naguère, en un moment d'humeur, «qu'il le pur-
gerait (1) ». Ils pourchassaient les aides de camp
galonnés, qu'ils contraignaient à porter des pavés et
à se battre avec eux sur les barricades. Ils mettaient
pêle-mêle dans leurs rangs de malheureux enfants
qui, quand ils étaient gavés d'eau-de-vie, maniaient
indistinctement le fusil et la torche, et, s'ils ne tom-
baient pas dans la bataille, ne pouvaient pas toujours
échapper au peloton d'exécution. Ils se battaient
avec frénésie... quand ils se battaient, mais sans
méthode, sans ordre, sans direction. Ils n'obéissaient
plus à personne, pas même aux quelques enragés,
Eudes, Brunel, Lisbonne, qui essayaient de coordon-
ner un peu leurs efforts décousus. D'ailleurs, c'était
partout le désarroi complet. I^e Comité central, après
avoir d'abord réintégré son ancien domicile de la rue
fi) Ce 66° bataillon était celui qui avait eu, la veille, l'affaire de la
rue Caumartin, où il avait été décimé. Une cantinière, la femme I,a-
chaise, en voyant passer, le 24 au matin, de Beaufort en grande tenue,
rue Sedaine, près de la place Voltaire, le désigna comme celui qui
avait envoyé les fédérés à la mort. On le saisit ; trois hommes qui
allaient jouer le principal rôle, quelques heures plus tard, dans la tra-
gédie de la Roquette : Gois. Genton et Fortin, le jugèrent et le con-
damnèrent à la dégradation. Mais, dans le tumulte grandissant, il
fut saisi, emmené dans un terrain vague, et fusillé. (Da Costa, t. I,
p. 449 et Suiv., IyISSAGARAY, p. 347).
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 219
Basfroy, s'était transporté, avec le Comité de Salut
public, sans pour cela se soumettre à l'autorité de ce
dernier, à la mairie du XI e arrondissement, dont
Delescluze essayait de faire une véritable citadelle et
le réduit de l'insurrection sur la rive droite. Mais,
tandis que le délégué à la Guerre usait ses dernières
forces à organiser une défense qui voulait être formi-
dable, et qui Tétait en effet, les autres perdaient leur
temps en motions imbéciles que rendaient plus
confuses et plus embrouillées encore celles que pro-
posaient sans relâche les réfugiés des quartiers envahis.
Tout ce monde, en proie à une exaltation fébrile, à
la rage ou à la terreur, s'agitait, se démenait, passait,
sans transition souvent, d'une ardeur convulsive à
l'abattement le plus complet. Et personne ne se dou-
tait qu'à la même heure des forcenés préparaient
sournoisement un des crimes les plus odieux de cette
période si féconde en crimes de toutes espèces, l'assas-
sinat en masse des malheureux otages, dont la mise à
mort n'était qu'une vengeance féroce, puisqu'elle ne
pouvait en aucune façon empêcher les fusillades som-
maires dont elle prétendait être une représaille ou la
réparation.
Dans l'après-midi du 22 mai, Raoul Rigault, muni
d'un ordre du Comité de Salut public, signé de Ran-
vier, de Eudes et de Gambon, avait fait transférer de
Mazas à la Roquette, dans des camions réquisitionnés
au chemin de fer de Lyon par Da Costa, tous les
220 18 71
prisonniers que contenaient la première de ces prisons.
Il y en avait cinquante-deux, parmi lesquels l'arche-
vêque Darboy, M. Bonjean, beaucoup d'ecclésias-
tiques et quelques agents de police. I^e transport,
assez long, ne s'était point effectué sans incidents, et
même, au faubourg Saint-Antoine, la foule hurlante,
qui voulait «tuer les calotins », avait dû être dis-
persée par l'escorte. Il ne fut terminé complètement
que dans la matinée du lendemain.
A ce moment, sur la place Voltaire, une populace
furieuse, ivre de sang et de vin, rugit devant la mai-
rie où Delescluze donne, sans d'ailleurs être écouté,
ses derniers ordres pour la défense. Dans une boutique
borgne, Ferré, avec ses deux acolytes Genton et For-
tin, le premier vaguement délégué de la Sûreté géné-
rale (i), le second non moins vaguement inspecteur
des barricades (2), se tient en permanence. Devant
la porte, des bandes hurlantes de fédérés apparte-
nant au 00 e bataillon, qui a été mis en goût par l'exé-
cution du comte de Beaufort, réclament à grands cris
la mise à mort des otages, et aussitôt, sans se faire
prier. Ferré envoie au directeur de la Roquette l'ordre
d'en fusiller six.
Alors se forme une cohue de forcenés, en tète des-
» i II fat condamne à mort et exécuté À Satory. H ctut
sculpteur sur boès et avait été blesse en juin 184$
ces. Ce nreotutioniaire iarcacbe mourut <f aiQeiirs
i-
jvsqa'à ranmètk.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 221
quels marchent Genton et Fortin, bientôt rejoints par
Mégy et deux ou trois officiers de l'émeute, qui jugent
apparemment la bataille plus dangereuse que l'assas-
sinat. Elle arrive à la prison et réclame l'archevêque,
le président Bonjean et quatre prêtres. Mais le direc-
teur, François (1), pris de peur; se dérobe et refuse de
livrer ses prisonniers. Sur quoi Fortin retourne place
Voltaire et fait ajouter à l'ordre primitif ces mots :
«Et notamment l'archevêque (2). » Après quoi il
monte sur un banc, demande des hommes de bonne
volonté pour l'exécution, et s'en retourne, escorté
par une troupe d'individus armés qui poussent des cris
furieux de « A mort ! à mort ! » Cette fois, François,
qui se croit suffisamment couvert, livre à la bande
féroce M& Darboy, le président Bonjean, l'abbé
Deguerry, les Pères jésuites Allard, Clerc et Ducou-
dray. On les entraîne à travers un long couloir dans
le chemin de ronde, où pénètre après eux le peloton
d'exécution. On les adosse au mur d'enceinte ; ils se
rangent silencieusement en récitant tout bas des
prières, puis, au commandement d'un nommé Sicard,
(1) François, emballeur de son état et directeur de prison par aven-
ture, fut condamné à mort et exécuté à Satory, le 24 juillet 1872,
principalement pour sa participation au massacre de la rue Haxo,
qu'on verra plus loin.
(2) « On veut l'archevêque ! Il nous faut l'archevêque ! dit Fortin
à Ferré. François exige pour cela un ordre écrit. » — « C'est bien, ré-
pond Ferré impassible. Ils veulent l'archevêque, ils l'auront !... »
(Da Costa, t. II, p. 6.)
222 1871
capitaine d'état-major de la Garde nationale (i),
une première décharge retentit, qui couche les otages
à terre, sauf M* r Darboy, lequel ne tombe qu'à la
seconde (2). Des gardes alors donnent le coup de grâce,
et les exécuteurs s'en vont, dans la boutique de la
place Voltaire, dresse* un procès-verbal sommaire de
l'horrible besogne qu'ils viennent d'accomplir. Il est
sept heures du soir.
Journée La nouvelle de ce massacre n'était pas encore par-
afa 25. venue au quartier général de l'armée de Versailles
Massacre quand, le 25 de grand matin, le maréchal donna ses
des domi- ordres pour la journée. Mais on y sentait fort bien
nicains la nécessité de se hâter, afin de devancer, si c'était
d*Arcueil. possible, les attentats de toute nature que l'on ne
Mort de prévoyait que trop. Sur la rive gauche, la Butte-
Delescluze. aux _c a iu es> très fortement organisée, semblait devoir
offrir une résistance sérieuse. Un mouvement débor-
dant de l'aile droite fut donc résolu, afin de faire
tomber cette sorte de petite forteresse, tandis que sur
la rive droite on s'emparerait de la place du Château-
d'Eau et de la Bastille, afin de refouler les émeutiers
sur Belleville et Ménilmontant (3).
(1) Sicard, arrêté, mourut en prison, à Versailles.
(2) Il y avait là un nommé I*olive, qui s'écria avec un juron : « Il
est donc blindé, celui-là !» Il fut condamné à mort et exécuté à Sa-
tory le 10 septembre 1872.
(3) Ce jour-là, dans la matinée, le colonel I^eperche, à la tête de
quelques détachements du II* corps, s'empara successivement des
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 223
I^e général de CSssey, chargé de l'opération contre
la Butte-aux-Cailles, avait pris des dispositions pour
l'envelopper, et fait poster des batteries au bastion 31,
à l'Observatoire et sur la place d'Enfer. Il mit ses
colonnes en mouvement vers midi.
A droite, la brigade Lian, partant de Montsouris,
se porta sur le pont Napoléon (1) en longeant le rem-
part, puis, piquant vers l'ouest, alla occuper la gare
des marchandises de la compagnie d'Orléans. De son
côté, la brigade Osmont, débouchant de l'asile Sainte-
Anne, vint, à travers les enclos et les jardins, prendre
pied sur les avenues d'Italie et de Choisy, en balayant
devant elle, comme avaient fait les soldats du général
Iyian, tout ce qui s'opposait à sa marche en avant.
Plus au nord, la brigade Bocher, arrivant du quartier
Montparnasse, atteignit les Gobelins, s'empara de la
manufacture, à laquelle les insurgés avaient mis le
feu, puis de la barricade du boulevard Saint-Marcel,
et gagna la mairie du XIII e arrondissement (place
d'Italie), en même temps que la brigade Osmont.
C'est Wrobleski qui commande à la Butte-aux^
Cailles. Il a sous ses ordres le 101 e bataillon, celui du
forts de Montrouge et de Bicêtre, à peu prés abandonnés par leur gar-
nison. I*e fort d'Ivry fut évacué {gaiement vers une heure, mais après
que l'explosion préméditée d'une poudrière eut fait sauter deux bas-
tions. Ce fut la cavalerie qui enleva l'ouvrage. I<es fédérés qui l'oc-
cupaient vinrent, malgré I<éo Meillet qui les commandait, se réfugier
dans la Butte-aux-Cailles.
(1) Aujourd'hui pont National.
224 1871
trop fameux Serizier, bande de frénétiques « indisci-
plinés, indisciplinables, qui se mutinent au repos (i) »
et ressemblent plus à une horde de sauvages qu'à une
troupe quelconque. L'armée de l'ordre les a bousculés,
fusillés, démolis, et maintenant leurs débris se replient
en désordre vers la place Jeanne-d'Arc formidable-
ment armée, pour y continuer le combat désordonné
qu'ils mènent depuis trois heures, quand, tout à coup,
un hasard déplorable leur fournit l'occasion d'assouvir
la rage qui les anime, sur de malheureux prêtres que
la fatalité seule a fait tomber sous leurs coups.
La prison du secteur du XIII e arrondissement ren-
fermait vingt prisonniers, appartenant à la maison
d'éducation des dominicains d'Arcueil, et que Léo
Meillet avait fait arrêter le 19 mai, à l'instigation
de Serizier, lequel prétendait qu'un commencement
d'incendie survenu dans le collège n'était autre chose
qu'un signal fait aux Versaillais. On venait de les
amener du fort de Bicêtre, où ils avaient été jusque-là
détenus, et, dans la journée du 25, vers trois heures,
le gardien chef de la prison, un nommé Gouin, avait
imaginé de les envoyer travailler aux barricades de
l'avenue des Gobelins. Mais, comme à ce moment
même les troupes de Versailles débouchaient en face,
les prisonniers prirent leur course et cherchèrent à se
sauver en gagnant l'avenue d'Italie. Ce que voyant,
les fédérés dirigèrent sur eux une fusillade nourrie,
(i) I.ISSAGARAY, loc. dt. t p. 538.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 225
qui en jeta quatorze par terre. C'étaient les PP. Cap-
tier, Bourhord, Delonne, Cotrault et Chatagneret,
plus neuf frères servants ou employés. Les autres
purent échapper au massacre, et furent tôt après déli-
vrés. Serizier paya plus tard de sa vie cet abominable
guet-apens.
Cependant les insurgés qui l'avaient commis ne
voyaient pas leurs affaires en meilleur état pour cela.
Ils étaient maintenant cernés à peu près complète-
ment, et toute résistance sur la butte devenait impos-
sible. Ils s'enfuirent en désordre, laissant entre nos
mains vingt canons, des mitrailleuses et des centaines
de prisonniers, dont un certain nombre, parmi les plus
acharnés, furent passés par les armes. Mais alors le
général Bocher se mit à leur poursuite, par les bou-
levards de l'Hôpital et de la Gare, fit enlever leur
réduit de la place Jeanne-d'Arc et les obligea à se
rendre à discrétion, au nombre de sept cents (1).
Tandis que ces événements se déroulaient, la divi-
son Lacretelle avait atteint, par la Halle aux Vins
et le jardin des Plantes, la gare d'Orléans, où se trou-
vait déjà la division Bruat, laquelle, partie à huit
heures du matin de la rue Saint-André-des-Arts,
s'était portée sur cette gare par les quais. Plus à gau-
che, la brigade de la Mariouse, longeant la rive droite,
avait pu atteindre le Grenier d'abondance, trop tard
malheureusement pou empêcher les fédérés de l'in-
(1) Rapport officiel du maréchal de Mac-Mahon, p. 30.
15
226 1871
cendier. Mais, comme les feux dirigés sur elle par les
batteries du boulevard Bourdon et du pont d'Auster-
litz l'empêchaient alors de franchir le canal de l'Arse-
nal, le génie construisit une passerelle qui permit de
passer à l'abri, puis de remonter ensuite sur le quai
de la Râpée, en prenant le pont à revers. I^es fédérés
abandonnèrent celui-ci. Quelques instants plus tard,
à la tombée de la nuit, le pont de Bercy, la gare de
Lyon et la prison de Mazas tombaient à leur tour.
Quant à la division Vergé, qui devait tourner la place
de la Bastille par le nord, elle avait bien conquis la
place Royale et déblayé les rues avoisinantes, mais
la nuit l'avait arrêtée avant que sa mission tout entière
ait pu être accomplie (i).
Tout à fait au nord de Paris, le corps Ladmirault,
se prolongeant par sa gauche le long des fortifications,
s'était emparé des passages du canal Saint-Martin,
de l'usine à gaz de la Villette et des abords de la
Rotonde, afin de préparer l'attaque des Buttes-
Chaumont, pendant qu'au centre les corps Douay
et Clinchant soutenaient d'assez rudes combats, sur-
tout le second.
(i) Tandis que les troupes avançaient sur les deux rives de la
Seine, les canonnières du siège, reprises aux fédérés, étaient entrées
en action. Dès le 24 au soir, elles avaient tiré le canon contre les
quais. I«e 25, elle remontèrent le fleuve, même en avant des troupes,
et prirent à revers, par leur feu, les défenses des insurgés. Elles ai-
dèrent ainsi puissamment à la prise des ponts d' Austerlitz et de celui
de Bercy. (Ibid., p. 31 et 32.)
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 227
Quittant ses bivouacs dès quatre heures du matin,
— si Ton peut appeler bivouacs les trottoirs où, chaque
soir, s'étendaient pêle-mêle officiers et soldats, — ce
dernier s'était tout entier porté vers la place du
Château-d'Eau, qu'il avait ordre d'enlever. Elle était
formidable, avec les grandes barricades qui la bar-
raient au débouché des boulevards Voltaire et du
Temple, tellement qu'une attaque directe semblait
impossible. On chercha donc à l'aborder de revers,
par tous les côtés à la fois.
I^a division Duplessis, renversant devant elle les
défenses du boulevard Magenta et des rues voisines,
occupa d'abord la mairie du X e arrondissement,
l'église Saint-Laurent, l'hôpital Saint-Martin, puis
déboucha sur les derrières de l'entrepôt de la Douane,
qu'elle enleva, et de la caserne du Prince-Eugène,
où pénétra le 2 e provisoire, après avoir enfoncé la
porte. A droite, la division Garnier débarrassait de
ses occupants les rues Meslay, de Turbigo, et prenait
pied dans l'église Saint-Nicolas-des-Champs, ainsi que
dans le Conservatoire des Arts et Métiers et le square
du Temple (1). l<e marché Saint-Martin tombait
(1) « Après une assez longue lutte, les fédérés abandonnent les bar-
ricades du Conservatoire, laissant une mitrailleuse chargée. Une
femme aussi reste, et quand les soldats sont partis, décharge la mi-
traille. » (IyissAGARAY, p. 363.) I*a barricade de la rue Magnan, der-
rière la caserne du Prince-Eugène, fut défendue par des enfants, les
« Pupilles de la Commune. » {Ibid.) Brunel, qui les commandait, y fut
blessé d'une balle dans la cuisse.
228 1871
également, avec le parc d'artillerie qui y était installé.
Plus à droite encore le corps Douay s'était emparé
de l'Imprimerie Nationale, et, nettoyant presque
tout le III e arrondissement, s'avançait vers le bou-
levard du Temple, qu'il atteignit seulement à la nuit.
Il poussa alors ses têtes de colonnes jusqu'au théâtre
Déjazet, tandis que le général Clinchant faisait occuper
les Magasins Réunis.
Ces divers mouvements avaient mis les fédérés en
très fâcheuse posture. Ils étaient d'ailleurs assez peu
nombreux, et notre artillerie, qui, grâce à la ligne
des boulevards, avait maintenant des champs de tir
avantageux, leur faisait un mal énorme. Lisbonne,
leur chef occasionnel, et Vermorel, qui se promenait
partout à cheval et l'écharpe rouge en sautoir,
essayaient bien de les encourager et de les maintenir.
Mais, quand ils furent tombés tous deux, grièvement
blessés, ce fut la débandade (i). Les barricades se
vidèrent d'un coup, sans qu'il fût nécessaire de les
prendre d'assaut, et sur la place du Château-d'Eau,
où, quelques instants plus tôt pleuvaient en ouragan
des projectiles de toutes sortes, plana subitement
un silence de mort. Tout à coup apparut en haut d'un
tas de pavés, au coin du boulevard Voltaire, un petit
vieillard en chapeau haut de forme, dont la redingote
(i) Vermorel, qui avait reçu une balle dans l'aine, mourut quel-
ques semaines plus tard à l'hôpital militaire de Versailles, où il avait
été transporté.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 229
était barrée d'une large bande rouge. Il resta là
quelques instants, immobile et seul. Puis il tomba,
abattu par une décharge de mousqueterie. C'était
Delescluze qui, désespéré, et ne se sentant plus « le
courage de subir une nouvelle défaite après tant
d'autres », comme il venait de l'écrire à sa sœur, était
venu se faire tuer là, rachetant ainsi, par une fin
qui commande autant de pitié que d'estime, une
existence consacrée malheureusement à la poursuite
de visées chimériques et d'un état social qui ne serait
que la destruction de la société.
Il assistait, l'âme navrée, depuis quatre jours, à
l'effondrement de tous ses espoirs, et, chose plus
pénible encore à son amour-propre, il sentait que les
parcelles d'autorité qu'il avait essayé de réunir entre
ses mains lui échappaient définitivement, Il n'était
plus obéi, plus même écouté, et son intégrité révolu-
tionnaire elle-même ne le garantissait pas contre les
plus humiliantes suspicions. Dans la matinée du 26,
comme il se rendait, avec quelques autres membres
de la Commune, à Vincennes, pour parlementer avec
les Allemands, dont un secrétaire de M. Washburne,
ambassadeur des États-Unis, lui disait qu'ils étaient
prêts à s'entremettre pour obtenir un armistice, les
fédérés de garde aux remparts lui avaient refusé le
passage, sous prétexte que lui et ses compagnons
cherchaient là un moyen de s'enfuir. C'est en rentrant,
vers trois heures, de cette fâcheuse promenade, qu'il
Massacre
de la rue
Haxo.
230 1871
prit la détermination d'en finir. Le vieil agitateur
périssait de l'indiscipline des siens, lui qui, toute sa
vie, avait prêché l'indiscipline et la révolte. Et il com-
prenait, trop tard, que, sans autorité, rien ne peut
réussir, pas même une insurrection 1
Journée Le plan primitif du maréchal était, on s'en souvient,
du de refouler l'insurrection sur les hauteurs qui dominent
26 mat. p ar i s au nord-est, de cerner celles-ci et de forcer ainsi
leurs occupants à mettre bas les armes. Mais les
résultats de la journée du 26 n'étaient pas tels qu'on
pût le poursuivre tel quel. On n'avait pu forcer ni la
place de la Bastille, ni la Villette, et conséquemment
les abords des Buttes-Chaumont et de Ménilmontant
n'étaient pas dégagés. Le commandant en chef jugea
que, dans ces conditions, il vaudrait mieux procéder
à l'inverse, c'est-à-dire s'emparer d'abord, en les tour-
nant, des hauteurs dont la possession était indispen-
sable, puis en redescendre pour enlever successive-
ment toutes les positions occupées par les insurgés
dans la partie basse de la ville, et enfin refouler ces
derniers sur les deux corps du centre, Douay et Clin-
chant, qui en achèveraient la destruction. C'est dans
ce sens que furent donnés les ordres pour la journée
du 27.
Le corps Vinoy, chargé de la prise de la place de la
Bastille, s'était ébranlé dès deux heures du matin (1).
(1) Dans la nuit du 26 au 27, le commandant de Sigoyer, du 26*
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 231
Comme il ne pouvait songer à attaquer de front un
emplacement aussi formidablement armé, sa manœu vre
consista à le déborder par Test ; et, conséquemment,
la brigade Derroja, se portant directement à travers
Bercy, jusqu'à la gare de Bel-Air, qu'elle enleva
ainsi que le bastion n° 8, se rabattit ensuite sur le
chemin de fer, pour attaquer la gare de Vincennes,
dont elle ne vint à bout qu'avec quelques difficultés.
Dans le même temps, les deux brigades La Mariouse
et Langourian, déblayant le quartier situé à l'ouest
du chemin de fer, s'engageaient dans le faubourg
Saint-Antoine, en bousculant toutes les barricades
construites dans les rues situées entre les hospices
Sainte-Eugénie et des Quinze- Vingts. De son côté, la
division Vergé, après avoir franchi le boulevard Beau-
marchais, enlevait une à une les défenses accumulées
rue de la Roquette, rue de Charonne et faubourg Saint-
Antoine. La place de la Bastille était prise à revers,
ses défenseurs presque tous morts ou prisonniers, et
tout ce qu'il en restait fuyait à toutes jambes vers la
place du Trône, poursuivi sans relâche par nos soldats,
en proie à une exaspération constante, et qui ne
faisaient plus de quartier à leurs farouches ennemis.
La pluie tombait à torrents. Néanmoins le général
bataillon de chasseurs, un de ceux qui avaient le plus activement
contribué à sauver de l'incendie le Musée du I/>uvre, fut surpris,
place de la Bastille, par un poste de fédérés, qui le tua. Son corps
ayant été enduit de pétrole, ces sauvages y mirent le feu.
232 18 7,1
Vinoy ne voulut pas s'arrêter. Dès deux heures, il
lançait la brigade La Mariouse contre la caserne de
Reuilly et la barricade adjacente, qu'on ne put enle-
ver qu'avec l'aide du canon. Il donnait en même temps
l'ordre aux brigades Derroja et de Seigneurens de
s'emparer de la place du Trône par un mouvement
enveloppant. Celui-ci réussit complètement, vers la
tombée de la nuit ; mais la place, battue par les batte-
ries qui enfilaient le boulevard Voltaire et par celles
du Père-Lachaise, était intenable, et il fallut en hâte
l'évacuer. Les troupes bivouaquèrent tout à l'entrée.
A l'extrême droite, la brigade Grémion avait occupé
les fortifications, depuis le Point-du-Jour jusqu'à la
porte de Vincennes.
Au centre de la ligne de bataille, le corps Douay,
franchissant la ligne du boulevard, s'était emparé
de tout le quartier compris entre cette ligne et le
boulevard Richard-Lenoir. Cette conquête coûta la
vie au vaillant général Leroy de Days, un héros de
Saint-Privat, qui tomba, frappé d'une balle, dans la
rue Saint-Sébastien. Quant au corps Clinchant, qui
s'était, lui aussi, mis en mouvement dès la pointe du
jour, il prit pied d'abord dans le théâtre du Prince-
Impérial (i) et le cirque Napoléon, sans pouvoir
malheureusement sauver de l'incendie allumé par les
fédérés qu'il chassait devant lui ni la Porte-Saint-
Martin, ni les Délassements-Comiques ; puis il s'établit
(i) Aujourd'hui théâtre du Château-d'Eau.
LA COMMUNE A PARIS EÏ EN PROVINCE. 233
sur la berge du canal, qu'il gagna en cheminant par les
maisons. Mais là il fut arrêté par le canon des hauteurs,
que contre-battait insuffisammennt celui des Buttes-
Montmartre. Et ce fut pour lui une journée extrê-
mement pénible, qu'il supporta d'ailleurs très vaillam-
ment. Enfin, à l'extrême gauche, le corps I^admirault
débusquait les insurgés des rues Riquet, de Flandre
et de Kabylie, et s'emparait de la place de la Rotonde,
dont les abords (raffinerie et magasins de la Douane)
étaient en feu. Après quoi il poussait la brigade Du-
mont jusqu'au canal Saint-Denis et aux Abattoirs
généraux. C'est-à-dire que, dans la soirée, l'insurrec-
tion ne tenait plus en son pouvoir que les hauteurs
du Père-Lachaise et des Buttes-Chaumont, au pied
desquelles les docks de la Villette flambaient.
Devant la déroute implacable, qu'ils sentaient bien
que rien ne pourrait désormais conjurer, les derniers
chefs de la Commune perdaient la tête et s'en allaient
à l'aventure, comme des désemparés. Quelques-uns
essayaient encore de prolonger l'agonie, mais sans sa-
voir comment, car leur autorité était depuis long-
temps ruinée, et la tourbe qui s'agitait autour d'eux
ne les connaissait plus. D'autres ne songeaient qu'à
s'esquiver d'une bagarre qui tournait si mal. Nombre
d'enragés continuaient cependant à se battre, mais
pour leur compte, et en dehors de toute direction. Ils
se cramponnaient aux défenses accumulées dans leur
réduit suprême, traînant après eux des canons qu'il
234 1871
eût été plus expédient sans aucun doute de concentrer
sur quelque endroit bien choisi (i). Exaltés jusqu'au
délire, épuisés de fatigue, ivres de poudre, d'eau-
de-vie et de sang, ils luttaient avec un acharnement
de bêtes fauves traquées. Des montagnes de pavés
encombraient les rues de Belleville, où s'étaient réfu-
giés les plus acharnés, pêle-mêle avec des femmes
hystériques et des enfants dépravés, qui faisaient le
coup de feu à leurs côtés. Ceux-là ne savaient plus
pourquoi ils se battaient, ni même s'ils se battaient
pour quelque chose. Ils obéissaient mécaniquement
à une sorte de rage inconsciente qui tendait leurs
nerfs jusqu'à l'éréthisme. Et leur cohue débraillée
roulait de barricade en barricade, féroce, hurlante,
presque démente, comme si l'eût poussée à la mort
quelque puissance diabolique, gourmande de carnage
et de destruction.
Un homme essayait encore de donner à cette
résistance incohérente un semblant de direction.
C'était Ranvier, qui seul de ses complices gardait
dans cette terrible crise un peu de sang-froid, et
même de sens pratique. Comprenant fort bien que
le temps des grandes phrases était passé, il s'adressait
maintenant au seul sentiment de la conservation :
« Citoyens du XX e arrondissement, disait-il dans une
affiche, qui fut la dernière de ces manifestations inu-
(i) « Chaque barricade veut posséder sa pièce, sans s'inquiéter de
voir où porte son tir. » (IyissAGARAY, loc. cit., p. 373.)
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 235
tiles, si nous succombons, vous savez quel sort nous
est réservé... Je vous demande d'exécuter fidèlement
les ordres... Prêtez votre concours au XIX e arron-
dissement ; aidez-le à repousser l'ennemi. I^à est votre
sécurité... » Mais ses conseils eux-mêmes n'étaient
point entendus, pas plus que l'invitation qu'il faisait
à ses collègues d'aller « se battre au lieu de discuter ».
Car les malheureux discutaient encore ! Ils étaient
venus là une douzaine, qui avaient installé le gou-
vernement moribond dans la « cité de Vincennes »,
vaste enclos de maisons et de jardins, situé rue Haxo,
tandis qu'à la mairie du XX e arrondissement, ils
faisaient distribuer des vivres et de l'argent aux
fédérés débandés qui arrivaient de partout. Ils étaient
en train de pérorer quand survinrent douze à quinze
membres du Comité Central qui réclamaient la dicta-
ture. On la leur donna, en leur adjoignant Varlin (1).
Mais elle ne représentait plus qu'un vain titre, dont
ceux mêmes qui s'en paraient ainsi in extremis
connaissaient l'inanité et le néant.
Voici cependant que vers six heures du soir débouche
tout à coup une troupe de forcenés qui encadrent un
convoi d'otages, où se trouvent mélangés des prêtres,
des gardes de Paris et quelques civils (2). En tête
(i) I,ISSAGARAY, p. 374.
(2) Il y avait onze ecclésiastiques, trente-cinq gendarmes ou gardes
de Paris, et quatre agents de la police politique impériale. (Voir la
liste exacte aux pièces justificatives.)
236 18 71
marche un colonel de Garde nationale, le nommé Gois,
président de la Cour martiale, qui, sur Tordre de
Ferré, est allé lui-même, à la Roquette, se faire livrer
les prisonniers encore écroués, et les a amenés à Ran-
vier. Celui-ci, qui ne sait qu'en faire, ordonne de les
conduire aux remparts. Mais la foule, dont la frénésie
s'exaspère à l'aspect d'une proie nouvelle, veut
assouvir à toutes forces sur celle-ci sa soif de vengeance
et de sang. Sans écouter les protestations de Serrailler,
membre de la Commune, celles de Varlin lui-même,
naguère encore un oracle, et qui maintenant est hué,
elle pousse les cinquante malheureux dans l'enclos
de la cité de Vincennes, ferme la grille, les range tant
bien que mal contre le mur de clôture, et, au signal
donné par une amazone à cheval, qui abat à coups
de revolver le maréchal des logis Genty, elle com-
mence la fusillade... lentement, un à un, les corps
s'affaissent, aux applaudissements des spectateurs du
dehors... Quand il n'en reste plus un seul debout, les
assassins se retirent en criant « Vive la Commune ! »
Dans leur acharnement, ils ont, paraît-il, tué un des
leurs, qui s'était approché pour mieux voir (i) !
A la nuit, on met pêle-mêle les cadavres dans une
grande tranchée, que l'on comble à la hâte, et l'on
(i) Lorsque Gois fît le compte des cadavres, il en trouva cinquante
et un. « TLfi. cinquante et unième était probablement celui d'un fédéré
qui, s'étant trop approché des victimes, avait été fusillé, dans le tas. »
(Gaston Da Costa, t. III, p. 157.)
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 237
évacue ce lieu sinistre, théâtre d'une scène de sauva-
gerie qui dépasse en horreur les épisodes les plus san-
glants de la Révolution.
Ce jour-là, d'ailleurs, les exécutions s'accumulent.
Le banquier suisse Jecker, dont on a vu plus loin
l'arrestation, a été fusillé dans la matinée, non loin
du champ funèbre de la cité de Vincennes. Vers huit
heures et demie, six individus, au nombre desquels
se trouvait un soi-disant commissaire de police, se
présentèrent à la Grande Roquette et enlevèrent le
prisonnier, d'abord pour le questionner sur l'affaire
mexicaine, puis pour l'emmener à un carrefour situé
au bout de la rue des Partants, un peu au-dessus et
à gauche du cimetière du Père-Lachaise. Là, on le
passa par les armes, sans autre forme de procès, après
quoi on mit son chapeau, avec une étiquette portant
son nom, sur sa figure (1), comme s'il se fût agi d'une
exécution ordonnée par quelque Sainte-Vehme. Et
de fait, c'était peut-être bien cela, car les auteurs du
meurtre accompli dans de si étranges circonstances
n'ont jamais été exactement identifiés. Quant au
malheureux financier, dont le seul crime était d'avoir
été mêlé, comme tant d'autres moins sévèrement
punis, à certains tripotages de grande allure, il mou-
rut courageusement, après avoir protesté que, de
l'affaire qu'on lui reprochait, il n'avait retiré que des
déboires et qu'il méritait surtout d'être plaint. Ceux
(i) IyISSAGARAY, loc. tit> p. 376.
238 1871
qui prétendaient venger sur lui la moralité publique
étaient, en tout cas, de bien singuliers justiciers.
Ces scènes horribles, dont l'écho, franchissant le
fracas de la bataille, arrivait jusqu'aux troupes de
Tordre, désolées que leur dévouement et leur activité
ne réussissent point à les empêcher, exaspéraient offi-
ciers et soldats. Avant même que ne se fût déroulé
le drame de la rue Haxo, on savait ce qui s'était passé
à la Roquette et avenue d'Italie. On connaissait la
mort affreuse du commandant de Sigoyer et les traî-
trises devant lesquelles ne reculaient pas certains
insurgés, particulièrement les viragos de l'émeute.
On voyait les plus beaux monuments de Paris s'écrou-
ler dans les flammes, et les désastres s'accumuler,
plus cruels et plus irréparables que tous ceux que la
guerre étrangère avait causés. Ce n'était plus une
révolte qu'il s'agissait de combattre, pas même une
révolution qu'on voulait étouffer. C'était un déchaî-
nement formidable de brutalité et de sauvagerie qu'il
fallait endiguer au plus vite et par tous les moyens,
sous peine d'assister à la destruction complète d'une
grande cité, orgueil et parure de notre pays. Les ruines
partout amoncelées, la mort de tant de braves soldats
qui avaient échappé aux balles allemandes ou aux
misères de la captivité pour venir tomber dans cette
guerre fratricide, de lâches agressions, trop souvent
répétées, tout cela, en suscitant des indignations jus-
tifiées et des colères implacables, rendait la répression
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 239
inexorable. L'armée de Versailles maintenant ne fai-
sait plus de prisonniers ; les insurgés qu'elle prenait
les armes à la main étaient pour la plupart impi-
toyablement fusillés, et cette justice sommaire ne
s'exerçait, il faut bien le dire, qu'à titre de représailles,
vengeresses d'atrocités sans nom. Les survivants de
la Commune l'ont qualifiée de tuerie. Ils ont appelé
nos soldats des massacreurs. C'est donc qu'ils veulent
oublier leurs arrêts sanguinaires et des ordres tels
que celui-ci, qui fut leur dernier cri de rage :
« Faire détruire immédiatement toute maison des fenê-
tres de laquelle on aura tiré sur la Garde nationale, et pas-
ser par les armes tous ses habiants, s'ils ne livrent et exécu-
tent eux-mêmes les auteurs de ce crime.
« 4 Prairial, an 79 (24 mai, 9 h. soir).
« La Commission de la Guerre (1). »
Quand on en vient à des extrémités aussi mons-
trueuses, il ne faut point s'étonner si des adversaires
à qui l'on oppose une telle férocité se montrent à leur
tour sans pitié. Les hommes qui n'ont point reculé
devant le meurtre de Chaudey, devant celui de Vaysset,
devant le massacre de plus de soixante citoyens pai-
sibles, complètement étrangers à la lutte, et déclarés
otages par la seule fantaisie d'un frénétique délirant,
(1) I*e fac-similé de cet ordre, envoyé à l'Imprimerie Nationale,
et qui fut affiché dans Belleville et Ménilmontant, est reproduit
par Gaston Da Costa (t. III, p. 143).
240 1871
sont assez mal venus, en vérité, de présenter comme
un assassinat indéfendable l'exécution sommaire de
Millière, par exemple, que le général de Cissey fit
fusiller, dans la matinée du 26, sur les marches du
Panthéon. La guerre civile entraîne toujours après elle
de terribles conséquences. Mais de celle-ci demeurent
uniquement responsables ceux qui Tont déchaînée,
pour la satisfaction de leurs passions et de leurs
haines, ou pour imposer par la violence un régime
révolutionnaire dont ils voudraient être les béné-
ficiaires, sinon les uniques profiteurs.
Journée Revenons maintenant aux opérations militaires.
du 27. On a vu plus haut que, dans la soirée du 26, Tannée
de Tordre était disposée sur une demi-circonférence
s'appuyant aux deux portes de Vincennes et du
canal de TOurcq, en passant par la rue du Faubourg-
Saint-Antoine, le boulevard Richard-Lenoir, le canal
Saint-Martin, et le bassin de la Villette. Quant
aux insurgés, ils ne tenaient plus que les hauteurs
du Père-Lachaise et de Ménilmontant. Leur artil-
lerie, encore que beaucoup moins redoutable mainte-
nant, était toujours cependant assez gênante. Mais
nos batteries de Montmartre, désormais en mesure
de la contre-battre efficacement, pouvaient en même
temps préparer Tattaque suprême qui allait avoir
lieu (1).
(1) Rapport officiel, p. 37.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 241
L'ordre d'opérations pour la journée était le sui-
vant : les deux corps Douay et Clinchant garderaient
leurs positions de la veille et se tiendraient prêts à
recevoir les insurgés refoulés sur eux. Le corps Lad-
mirault et Tannée de réserve attaqueraient les hau-
teurs en les débordant par Test. A cet effet, les troupes
devaient opérer au préalable leur jonction tout près de
la porte des Lilas, sur le plateau culminant qui est
l'origine des deux contreforts encore occupés par les
fédérés. De là elles se porteraient toutes ensemble à
l'assaut (1).
En conséquence, dès six heures du matin, la division
Grenier, aile gauche du I er corps, franchit le canal de
l'Ourcq et s'empara successivement des bastions
compris entre le canal et la porte des Prés-Saint-
Gervais. En même temps, elle débusquait l'adversaire
de la rue de Flandre et de l'église Saint-Jacques. Des
batteries, installées dans les bastions conquis, ouvri-
rent contre les hauteurs un feu violent, tandis que
l'infanterie, en attendant de pouvoir déboucher, entre-
tenait une fusillade nourrie avec les fédérés embusqués
dans Belleville, et leur faisait subir de grandes pertes.
Plus à l'ouest, la division Montaudon s'était, elle
aussi, ébranlée, mais assez tardivement. L'artillerie
insurgée gênait ses déploiements et il lui avait fallu
attendre que la nôtre eût conquis la supériorité.
(1) Ibid. t p. 38.
16
242 18 71
A onze heures cependant, la brigade Dumont s'empa-
rait de la Rotonde, balayait la rue d'Allemagne et la
rue de Meaux, tandis que la brigade Lefebvre, passant
le canal, enlevait très brillamment deux barricades et
atteignait le boulevard de la Villette par les rues
Grange-aux-Belles, Vicq-d'Azir et de la Chopinette.
A six heures du soir, les Buttes-Chaumont, complè-
tement enveloppées et canonnées de tout le rempart,
étaient emportées dans une vigoureuse attaque
concentrique. Le régiment étranger y plantait le dra-
peau tricolore, et l'artillerie mettait la main sur un
parc considérable réuni en cet endroit, ainsi que sur
les munitions qu'il contenait.
Pendant ce temps, l'armée de réserve, qui opérait
plus au sud, s'était heurtée à une résistance déses-
pérée. La brigade de La Mariouse, avançant le long
des remparts, gagnait bien un peu de terrain en avant
jusqu'à la porte de Bagnolet, et la brigade de Sei-
gneurens réussissait à déblayer la rue de Puebla ;
mais, quand cette dernière brigade arriva au Père-
Lachaise, il lui fallut faire appel aux réserves pour
ne pas être repoussée ; ce n'est qu'avec beaucoup de
peine et des pertes sensibles qu'elle parvint à s'em-
parer de ce formidable réduit. Comme, d'autre part,
la brigade de Langourian, qui, en arrière, procédait au
désarmement des quartiers adjacents, avait remonté
jusqu'à la place du Trône, elle se trouva tout à coup
en butte au tir meurtrier des batteries installées
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 243
place Voltaire. On dut contre-battre vigoureusement
celles-ci avant de songer à marcher plus avant.
Quant aux corps Douay et Clinchant, ils se bor-
naient, suivant leurs instructions, à occuper soli-
dement leurs emplacements le long du boulevard
Richard-Lenoir et du canal Saint-Martin, et à enfiler
par leurs canons les avenues directement placées
devant eux. De la place de la Bastille, on criblait de
projectiles la mairie du XI e arrondissement et l'église
Saint-Ambroise. Mais une barricade, placée au croi-
sement des deux rues Sedaine et Popincourt, défiait
tous les efforts. Là, Genton, Fortin, les tristes héros du
drame de la Roquette, combattaient avec une fureur
de désespérés. Ils ne quittèrent la partie que le 28,
assez avant dans la nuit.
En dehors de cet incident et de quelques autres
semblables, c'était partout la déroute complète,
absolue, irrémédiable. Plus de chef nulle part, tous
ceux de la première heure étant ou tués ou disparus.
Il y avait cependant encore, rue Haxo, cinq ou
six membres de la Commune : Ferré, Varlin, Trinquet,
Jourde, Ranvier, mais tellement abattus et anéantis
que c'était comme s'ils n'eussent pas existé. Autour
d'eux, on ne voyait que désarroi et anarchie, des
blessés ramenés de partout et qui agonisaient sans
soins, des êtres furieux, menaçants, déchargeant leurs
armes au hasard, et se blessant souvent les uns les
autres; des femmes échevelées, comme cette canti-
344
1871
nière des Vengeurs de Flourens, qui jurait en appelant
ses hommes « d'un hurlement de louve blessée », un
mouchoir autour de son front saignant (i). Aux
lueurs de l'incendie de la Villette, on essayait encore
d'amonceler des pavés, des tonneaux, des voitures
brisées, pour encercler le réduit où quelques centaines
d'énergumènes étaient venus s'enfermer. Mais rien ne
pouvait plus retarder l'heure inexorable de l'extermi-
nation, dont le glas, retentissant dans l'horreur d'une
nuit ténébreuse et trempée de pluie, était ponctué
à de longs intervalles par le sourd grondement du
canon. I<es meneurs de cette affreuse révolte, qui
n'avaient pas encore trouvé le salut dans la fuite, ne
pouvaient donc plus conserver aucun espoir. Quant à
l'armée de l'ordre, elle comprenait, elle aussi, que la fin
du carnage approchait ; mais elle sentait en même
temps qu'un suprême et vigoureux effort était encore
nécessaire pour réduire à merci ces quelques enragés.
Et, malgré l'épuisement qui résultait pour elle de
six jours de combats et de misères, elle gardait intacte
son énergie pour un assaut qui devait être le dernier.
Tournée I/insurrection, acculée à ce que les intransigeants du
du 28, temps de l'Empire appelaient le mont Aventin de la
Les République, ne tenaient plus qu'un étroit espace de
derniers terrain. Il s'agissait de les y cerner définitivement
otages, pour les forcer à déposer les armes.
(i) IflSSAGARAY, loc. Cit., p. 380.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 245
Dès quatre heures du matin, la brigade de La Ma-
riouse, continuant sa marche par les fortifications,
poussa jusqu'à la porte de Romainville et la rue Haxo,
où elle captura 2 000 fédérés ainsi qu'un important
matériel d'artillerie. La brigade Derroja, remontant le
boulevard de Charonne, nettoya le quartier de Ménil-
montant et occupa la place Puebla. A sa droite, la
brigade de Langourian, suivant l'avenue Philippe-
Auguste, vint envelopper la prison de la Roquette,
oâ étaient encore enfermés 169 otages, qu'elle délivra.
Quelques-uns, malheureusement, ne l'avaient pas
attendue. Trois ecclésiastiques, M^ Surat, grand-
vicaire du diocèse de Paris, les abbés Bécourt, curé de
Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, et Houillier, mis-
sionnaire, enfin un M. Chaulier, arrêté on ne sait
pourquoi, sortirent dès qu'ils virent la prison aban-
donnée par les fédérés, et se dirigèrent vers la rue de
Charonne, où, ayant été reconnus, ils furent immé-
diatement mis à mort. Tandis que s'accomplissait ce
drame, la brigade de Langourian descendait vers
l'ouest et arrivait assez à temps pour sauver de la
destruction l'église Saint-Ambroise, pleine de poudres
auxquelles des fils électriques étaient près démettre
le feu. Elle joignit ensuite le corps Douay sur le
boulevard Richard-Lenoir.
La division Faron ayant fait sa jonction au bas-
tion 19 avec le corps Ladmirault, venupar le boulevard
Serrurier, ces troupes se rabattirent alors vers l'ouest,
246 1871
déblayèrent les rues du Bois, des Prés-Saint-Gervais,
la place des Fêtes, s'emparèrent de l'église de Belle-
ville, de la rue de Paris, et poussèrent jusqu'à l'hôpital
Saint-Louis et à la jonction du faubourg du Temple,
dont la barricade fut emportée. Il était trois heures
de l'après-midi. La dernière résistance de l'émeute
venait d'être vaincue. Ce qui restait des fédérés était
obligé de se rendre, car, en vertu d'une convention
passée avec le prince de Saxe, les Allemands avaient
avancé leurs avant-postes de façon à interdire le pas-
sage à toute troupe armée qui tenterait de sortir de
Paris. Varlin, arrêté rue Montmartre sur le signale-
ment d'un prêtre qu'il avait fait incarcérer naguère,
fut passé par les armes au lieu même où avaient été
assassinés les généraux Lecomte et Clément Thomas.
Cependant le fort de Vincennes tenait encore. On y
avait des intelligences (i), et l'on pensait qu'il ne
résisterait que pour la forme, d'autant plus que les
Allemands le serraient de fort près. Il était commandé
par un lieutenant-colonel fédéré, nommé Faltot, qui
avait sous ses ordres environ 400 hommes et disposait
de moyens d'action très importants. I<es fédérés espé-
raient intimider par là les officiers de l'armée régu-
lière, qui les sommaient de se rendre. Ils prétendaient
poser des conditions. Ils durent cependant, après
quelques pourparlers, se rendre à merci le lundi 29.
Comme dans leurs rangs se trouvaient quelques indi»
(1) Général Vinoy, l'Armistice et Va Commune, p. 345,
LA COMMUNE A PARTS ET EN PROVINCE. 247
vidus spécialement recherchés ou déserteurs de l'ar-
mée, on institua sur-le-champ une cour martiale qui
les jugea et en fit fusiller neuf dans les fossés. Un
dixième, nommé Merlet, qui avait préparé des fils
électriques pour faire sauter le fort, se tua d'un coup
de revolver au moment où on allait l'arrêter (1).
L'insurrection était vaincue, et, dès le 28 au soir, Les
le maréchal de Mac-Mahon l'avait annoncé en ces P&tes.
termes aux Parisiens, tandis que l'heureuse nouvelle
se répandait dans la France entière.
« Habitants de Paris !
« 1/ armée de la France est venue vous sauver. Paris est
délivré. Nos soldats ont enlevé, à quatre heures, les der-
nières positions occupées par les insurgés.
« Aujourd'hui la lutte est terminée ; Tordre, le travail,
et la sécurité vont renaître.
« Maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta. »
Ce qu'il ne disait pas, c'est combien cette lutte avait
été pénible et meurtrière, surtout dans les huit jours
de combat de rues. Car, malgré les précautions prises,
malgré le souci qu'on avait eu de n'aborder de front
les défenses de l'adversaire que quand il était impos-
(1) On trouva dans le fort un matériel considérable, 400 000 car-
touches et des vivres en abondance. On y saisit 170 chevaux apparte-
nant à l'Etat et 30 qui avaient été pris par réquisition à la Compagnie
des Omnibus ; 24 lui furent rendus aussitôt.
248 18 71
sible de faire autrement, et de tourner presque tou-
jours leurs positions, même en cheminant à travers les
maisons, certaines attaques obligatoires avaient
cependant coûté fort cher. Quant aux fatigues et aux
privations supportées si courageusement par les
officiers et les soldats au cours de ces sept journées de
crise, elles atteignaient réellement la limite de ce que
les forces humaines peuvent endurer. Il est admirable
que cette armée, qui vivait au hasard de distributions
irrégulières et sommaires, qui chaque nuit couchait
en plein air et tout le jour marchait ou combattait sans
repos, sans répit, sans trêve de périls, de trahisons ni
d'embûches, ait conservé intactes jusqu'à la fin la
même vigueur, la même discipline, la même énergie.
Il n'y eut nulle part de défaillance. Il n'y eut jamais
d'indécision ni de fléchissement. Nos soldats, dans
l'accomplissement de leur douloureuse besogne, furent
toujours obéissants, intrépides et fidèles. Et souvent
même, au milieu des rigueurs d'une répression trop
hâtive pour être toujours mesurée, ils ont su entendre
la voix de l'humanité. Des femmes, des enfants ont été
épargnés, malgré leur participation manifeste à la
bataille, malgré l'indignation légitime que suscitaient
dans les cœurs la vue de Paris en flammes et les hor-
reurs d'une lutte sans merci. I*es guerres civiles sont
féroces. Elles entraînent après elles des représailles
déplorables et des violences qu'on regrette, une fois
éteinte la fureur de l'action. Beaucoup de celles-ci,
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 249
d'ailleurs, ne sont autre chose qu'une garantie de
sécurité personnelle. Elles résultent de l'obligation
où l'on se trouve parfois de tuer pour ne pas être tué.
La terrible semaine qui va du 21 au 28 mai 1871 en a
vu de lamentables. Mais, quand on accuse des soldats
français de barbarie parce que, surtout dans les der-
niers jours, ils ont traité sans miséricorde leurs fa-
rouches adversaires, on oublie que le sang-froid est
difficile à garder devant des gens qui n'épargnent plus
rien ni personne, et qu'à l'égard de ceux qui délibé-
rément foulent aux pieds toutes les lois humaines, il
ne peut plus y avoir ni ménagements ni pitié.
Les pertes subies par l'armée de Versailles étaient
très importantes. 83 officiers tués, dont 3 généraux,
430 blessés, 794 hommes tués et 6024 blessés, plus
183 disparus, tel fut le bilan funèbre de ces deux mois
de lutte implacable. Du côté des insurgés, on ne
connaît point le nombre des victimes, même approxi-
mativement. Les passions ici ont tellement dénaturé
la réalité qu'il est impossible de donner la moindre
précision. On a parlé de 30 000 fédérés, même de
40 000, tués sur les barricades ou fusillés sans juge-
ment (1). Cela sent l'exagération manifeste, surtout
si, comme l'affirment les écrivains communalistes,
(1) I^issagaray (p. 382) parle seulement de 3 000 tués ou blessés
dans le combat des rues. Mais Gaston Da Costa se livre à un calcul fort
compliqué pour démontrer, qu'avec les fusillades, il faut dire 40 000
(t. III, r p. 123).
250 18 71
il n'y a jamais eu de leur côté plus de 30 000 hommes
sous les armes. C'est un fait manifeste que les exécu-
tions ont continué, même après la cessation des hosti-
lités ; celle du D* Tony-Moilin, condamné à mort par
la cour martiale du Luxembourg, et fusillé le 29 mai,
suffit à le prouver. Mais elles furent, quoi qu'en aient
dit ceux qui ont pris à tâche de flétrir leurs vainqueurs,
peu nombreuses, et restreintes à des personnalités
dûment convaincues d'avoir pris une part active au
mouvement insurrectionnel. Que dans le trouble d'une
pareille heure il y en ait eu quelques-unes de trop
précipitées, peut-être même d'injustes, on ne peut
malheureusement le nier. Quand d'aussi effroyables
convulsions ont secoué tout un peuple, l'apaisement
ne peut leur succéder d'un coup, et il en est d'elles
comme de ces cataclysmes qui passent, laissant
derrière eux l'atmosphère ébranlée pour longtemps.
Dans Paris brûlé, saccagé, presque détruit, et où,
parmi les ruines amoncelées, erraient encore, à la
recherche d'un asile qui leur permît d'esquiver des
responsabilités inexpiables, tant de criminels indignes
de pardon, on a pu confondre parfois avec eux les
irresponsables qu'ils avaient entraînés à leur suite,
pour après les abandonner lâchement. De telles erreurs
sont regrettables, mais il est malheureusement impos-
sible de les éviter, parce que, dans la tragique horreur
des discordes civiles, il n'est personne qui garde
complètement sa raison.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 251
Parmi les chefs de l'insurrection, beaucoup avaient
pu échapper par la fuite au juste châtiment qui les
attendait. Un seul, Delescluze, était mort sur les barri-
cades ; deux autres, Rigault et Varlin, avaient été
fusillés. Un quatrième, Vermorel, très grièvement
blessé, était prisonnier. Sur les 70 membres de la
Commune, on en captura en tout 27, avec 45 membres
du Comité central. Enfin Tannée de Versailles s'em-
para de 1 500 pièces de canon, de plus de 400 000 fu-
sils et d'une quantité énorme de munitions. L'émeute,
on le voit, était armée jusqu'aux dents.
CHAPITRE VIII
hA RÉPRESSION
« I/expiation sera complète, avait dit M. Thiers.
Elle aura lieu au nom des lois, par les lois, avec les
lois. » C'est en effet devant la juridiction légale des
conseils de guerre, seuls appelés, en raison de l'état
de siège, à connaître des faits insurrectionnels, que
furent traduits les milliers de captifs qui, dans les
prisons de Versailles ou sur les pontons des ports,
attendaient leur jugement.
Au cours de la bataille, et, plus tard, pendant les
perquisitions faites pour reprendre les armes de la
Garde nationale, on avait capturé près de 40 000 indi-
vidus. On en aurait capturé bien davantage, si Ton
avait tenu compte des dénonciations, cette plaie
hideuse des époques troublées, qui furent, dit-on, au
nombre de près de 400 000 (1). Une première enquête,
faite à Cherbourg et à Brest, fit libérer tout de suite
xp 000 à 12 000 détenus, sur qui ne pesait aucune
(1) I4ssagaray parle de 399 823, chiffre officiel, dit-il ; sur ce nombre,
une vingtaine au plufr étaient signées (p. 404).
254 1B71
charge grave (i). Quant aux autres, on les transféra
dans des locaux aménagés à Versailles et aux alen-
tours ; puis on institua vingt-deux conseils de guerre,
qui fonctionnèrent sans interruption pendant plus de
trois ans.
C'était un défilé vraiment lamentable que celui de
ces convois d'hommes déguenillés, souillés de sang
et de boue, qui traversaient les avenues de la vieille
cité royale, sous l'escorte de cavaliers, toujours prêts
à réprimer sévèrement le moindre acte d'insubordi-
nation ou de révolte. Des femmes échevelées, pante-
lantes, couvertes de sueur, s'y trouvaient mêlées sou-
vent. Des enfants suivaient, traînant la jambe. Et
quand la horde piteuse débouchait, après une marche
de près de 20 kilomètres dans la chaleur et la poussière,
la population se ruait à sa rencontre, pour l'accueillir
par des huées, des injures, même des coups. Triste et
désolant spectacle, bien fait pour inspirer l'horreur
de ces luttes sauvages, qui finissent par obnubiler,
dans les esprits les plus calmes d'ordinaire, jusqu'au
sentiment naturel des convenances et de l'humanité.
Bientôt les locaux qu'on avait aménagés pour
recevoir les captifs furent bondés (2). I*es caves des
Grandes-Écuries, les docks de Satory, l'orangerie
(1) Notes et souvenirs de M. Thebrs, p. 179.
(2) I<es chiffres officiels, fournis par V Enquête sur le 18 mars, sont
les suivants : 38 568 prisonniers, dont 1058 femmes et 651 enfants.
Ces derniers avaient entre sept et treize ans.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 255
du Château, les manèges de Saint-Cyr, des han-
gars disponibles à Saint-Cloud, Villeneuve-l'Étang,
Rueil, etc., regorgèrent d'une population entassée,
compacte, pressée, qui campait sur de la paille
moisie et avait à peine l'air nécessaire pour respirer.
Il importait de ne point retarder la comparution de
tous ces malheureux devant la justice, sous peine de
provoquer quelque grave épidémie. Dès le 7 août,
l'appareil judiciaire commença donc à fonctionner, et
dix-sept des principaux acteurs de la révolution
vinrent rendre leurs comptes redoutables devant un
conseil de guerre, siégeant à Versailles, dans le manège
des Petites-Écuries.
Ils furent presque tous pitoyables. Ces hommes qui,
froidement, méthodiquement, cyniquement, avaient
déchaîné sur la France la plus formidable insurrection
qu'enregistre son histoire ; ces hommes dont les mains
étaient encore teintes du sang qu'elles avaient fait
verser, quand elles ne l'avaient pas versé elles-mêmes,
et qui avaient provoqué ou commis une série mons-
trueuse de meurtres, d'incendies et de vols, ces hommes
eurent, à quelques exceptions près, la piteuse attitude
qu'ont les piliers de la correctionenlle, quand ils ont
été pris sur le fait. On vit Urbain, qui avait poussé au
décret sur les otages, protester de son « indignation »
contre les forfaits de la Commune ; Régère, ancien
membre du Comité de Salut public, parler des hommes
« ivres de sang et de vin » dont naguère encore il
256 1871
faisait ses soldats ; LuUier se vanter de ses trahisons
et s'en faire une sorte de paravent ; Rastoul, répudier
toute solidarité avec ses collègues; enfin Courbet cher-
cher des excuses impossibles dans une confusion de
mots et des arguties de grammairien. Au milieu de
cette lâcheté générale, il n'y eut guère que le cor-
donnier Trinquet et son complice Ferré qui eurent
jusqu'au bout le courage de leurs sanglantes opinions.
« Membre de la Commune, s'écria ce dernier, je suis
entre les mains de ses vainqueurs. Ils veulent ma tête,
qu'ils la prennent! » Ils la prirent en effet, et jamais,
on peut le dire, condamnation capitale ne fut plus
complètement justifiée. Mais il faut convenir que, si
l'absolution de ses crimes n'eût pas été un défi à la mo-
rale éternelle, l'attitude de Ferré, en cette heure drama-
tique, la lui aurait méritée davantage qu'aux autres
leurs palinodies et leurs déplorables supplications.
Quoi qu'il en soit, après vingt-sept jours d'audience,
le conseil prononça, le 2 septembre, deux condamna-
tions à mort, celles de Ferré et de LuUier (i). Il punit
des travaux forcés à perpétuité Urbain et Trinquet ;
de la déportation dans une enceinte fortifiée : Assi,
Billioray, Champy, Régère, Paschal Grousset, Ver-
dure et Férat ; à la déportation simple, Jourde et
Rastoul ; à six mois de prison, Courbet (2) et à trois
(1) Peine commuée en celle des travaux forcés à perpétuité.
(2) Courbet fut en outre condamné au paiement à l'Etat des frais
nécessités par la reconstruction de la colonne Vendôme.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 257
mois, Clément. Enfin, il acquitta Parent et Descamps.
La sévérité d'un tel jugement n'était certainement
point excessive. Elle frappait quelques coupables,
mais ne les frappait pas tous. Elle punissait même
d'une peine légère des hommes qui avaient pris une
part effective aux délibérations et aux actes du gouver-
nement insurrectionnel. Elle ne fut, pour les survi-
vants de la Commune, ni un exemple ni une leçon.
D'ailleurs, les jugements des conseils de guerre
n'étaient point exécutables sans appel ni recours. Une
loi du 17 juin avait fixé les délais de revision impartis
aux condamnés, et institué une commission des grâces,
prise dans le sein de l'Assemblée nationale et élue par
elle, qui devait donner un avis impératif. Composée
de quinze membres, et présidée par M. Martel, elle
eut à se prononcer sur 170 condamnations à mort (1),
dont elle laissa exécuter 26. Dans ce chiffre figurent
celles de Gaston Crémieux et de deux soldats fusillés
à Marseille pour leur participation à l'insurrection
dont cette ville fut le théâtre, comme on le verra plus
loin. Les autres portaient toutes sur des criminels de
droit commun, coupables d'assassinats ou d'incendies,
et dont les plus notoires furent, avec Ferré : Genton,
Sérizier, François, l'ancien directeur de la Roquette,
Lolive, etc., ou sur des militaires qui, comme Rossel
et Bourgeois, avaient déserté à l'ennemi. L'histoire n'a
(1) Huit femmes furent condamnées à mort, mais aucune ne fut
exécutée.
17
258 1871
point à retenir les noms de ces misérables ou de ces
fous. Il nous suffira de dire, pour donner le bilan
global de la répression, que le total des condamnations
prononcées jusqu'au I er janvier 1875, y compris le
bannissement, la simple amende ou la détention d'en-
fants dans une maison de correction, se monta à
!3 45°* dont 3 115 par contumace. Dans le nombre
des condamnés figurent 157 femmes et 62 enfants.
Ces chiffres sont ceux que donne le Rapport officiel
publié par le ministère de la Guerre sur les opérations
de la justice militaire (1). Il convient, pour être
complet, d'y ajouter environ 250 condamnations plus
ou moins sévères, que prononcèrent des juridictions
civiles (2) ou étrangères à la i re division militaire, et
qui font monter à 13 700 le nombre total des jugements
portant peine afflictive ou infamante. La plus grande
partie des condamnés fut transportée en Nouvelle-Calé-
donie ; ceux aux travaux forcés, dans l'île Nou (3) ;
ceux à la déportation dans une enceinte fortifiée, à la
presqu'île Ducos ; enfin ceux qui subissaient la dépor-
tation simple, à l'île des Pins. Chose digne de remarque,
dans ce tableau si considérable, figurent seulement
(1) Ce rapport mentionne que 1 179 insurgés sont morts dans les
prisons et que 22 326 ont été mis directement en liberté. H y eut
396 condamnés étrangers.
(2) I«es accusés relevaient des cours d'assises ou des tribunaux cor-
rectionnels dans les départements où l'état de siège n'était pas
proclamé.
(3) Au nombre de 278.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 259
29 membres de la Commune, 49 du Comité central et
225 individus ayant rempli des emplois d'officiers
supérieurs dans les bataillons fédérés. I^e reste n'était
que du fretin.
Ainsi, parmi les plus coupables et surtout les moins
excusables, beaucoup avaient pu se soustraire à la jus-
tice. Ils vivaient tranquillement à l'étranger, où ils
arguaient de leur qualité de réfugiés politiques pour se
procurer, avec quelquefois des sympathies pas toujours
justifiées, certaines facilités d'existence qu'ils étaient
tous loin de mériter également. Et pendant ce temps, de
malheureux comparses, des hommes qu'avait dé-
mentalisés l'évocation mensongère d'une cité future
où devait régner en souverain le prolétariat régénéré,
ou bien qui s'étaient jetés dans la bagarre par aveugle-
ment, par inconscience, quelquefois simplement parce
qu'ilsy trouvaient du pain, expiaient à trois mille lieues
de France leur crédulité, leurs erreurs et leur misère. Il
faut bien le reconnaître, beaucoup de fédérés, même
parmi ceux qui furent les plus acharnés dans la lutte,
n'étaient ni des scélérats ni des sauvages, mais plutôt
des égarés. A peine sortis de l'excitation du siège, ils
étaient tombés dans une autre plus violente encore,
que le contact d'anarchistes incorrigibles avait bientôt
poussée jusqu'au délire. On leur avait montré dans le
gouvernement un épouvantail, dans les intentions de
l'Assemblée nationale une menace directe contre tous
leurs droits acquis ou revendiqués, dans M. Thiers le
26o 1871
fourrier d'une prochaine restauration monarchique.
On leur dénonçait comme un attentat formel la reprise
par l'État des canons du siège, de ces canons dont beau-
coup avaient été achetés par souscription publique et
qu'ils croyaient leur propriété. On tendait ainsi jus-
qu'à les rompre leurs nerfs, hyperesthésiés déjà par
tous les excès que l'oisiveté traîne à sa suite, et tan-
dis qu'au lieu de calmer les esprits, des fauteurs de dé-
sordre s'appliquaient à les surexciter davantage, une
Assemblée soupçonneuse, méfiante et délibérément
hostile à Paris, lieu d'éclosion de toutes les révolutions
passées, votait des lois maladroites qui achevaient de
les exaspérer.
Que l'on ajoute à cela la difficulté, pour ne pas dire
l'impossibilité de se procurer du travail dans une ville
qui n'avaitplus d'industrie,rattrait d'une solde nourri-
cière que donnaitle gouvernement insurrectionnel, tan-
dis que le gouvernement régulier la supprimait, enfin
l'agitation fébrile produite par l'existence surchauffée
des remparts ou de la tranchée, et l'on comprendra
pourquoi tant d'hommes se sont battus pour la Com-
mune, qui ont ignoré jusqu'au bout ce qu'elle voulait,
ce qu'elle cherchait, ce qu'elle était. Ces hommes,
il eût été juste, humain et surtout politique de ne point
les confondre avec ceux qui les avaient entraînés. Une
fois la lutte terminée, et finies les exécutions impla-
cables qui en étaient l'accompagnement fatal, il
convenait de faire une large sélection entre les respon-
I,A COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 261
sabilités encourues, de mesurer les fautes, non point
aux actions elles-mêmes, mais plutôt aux intentions,
et, à l'égard de ceux qui n'avaient été qu'un trou-
peau aux mains des mauvais bergers, de faire très
amplement œuvre de miséricorde. On eût peut-être
ainsi acheté l'apaisement au prix d'un pardon dont
seuls eussent été impitoyablement exclus, sans être
plaints par personne, les frénétiques, les incorrigibles
et les scélérats.
Mais M. Thiers avait de son rôle de justicier une
conception tout autre. I/idée de transporter en masse,
dans quelque colonie lointaine, les 25.000 ou 30.000
prisonniers qu'il détenait et dont, pour beaucoup, la
culpabilité n'était pas démontrée, lui vint même un
instant (1). Il ne s'y arrêta heureusement pas, ne vou-
lant pas provoquer une loi d'exception (2). Mais il
refusa également de -se rallier à la proposition très
sage que fit M. de Pressensé au mois de décembre 1871,
et qui tendait à« amnistier les individus poursuivis ou
condamnésàla suite de l'insurrection, quin'avaientpas
dépassé le grade de sous-officier et qui n'étaient accusés
ou convaincus d'aucun crime de droit commun ».
(1) « On ne pouvait les amnistier ; c'eût été défier la conscience hu-
maine, puisque sans doute dans le nombre se trouvaient les auteurs
du massacre des otages. A défaut de l'amnistie, il n'y avait que deux
partis à prendre à leur égard : les transporter en masse, sans jugement,
dans quelque colonie lointaine, ou les juger tous, un à un. » (Notes
et souvenirs de M. Thiers, p. 180.)
(2) Ibid.
262 187 1
Il laissa la justice militaire faire son œuvre, et celle-ci
consista à appliquer inexorablement la loi.
Or la loi n'avait pas prévu des convulsions à ce
point formidables, ni de pareils écarts dans l'échelle
des culpabilités. Bile n'édictait, en dehors du
droit commun, que deux sortes de peines : la dépor-
tation simple et la déportation dans une enceinte
fortifiée.
Tout individu convaincu d'avoir pris à l'émeute
une part quelconque, même exclusivement militaire,
même dégagée de tout fait aggravant; tout garde
national inconscient, miséreux ou enrôlé de force,
encourait nécessairement l'une ou l'autre, suivant les
circonstances de son arrestation. Mais les membres
de la Commune ou du Comité central sur qui ne
tombait point une accusation de complicité matérielle
à un crime ou à un délit qualifié ne risquaient pas
davantage, bien que leur responsabilité morale
fût autrement grave. En sorte qu'ici, ce qui était
l'expression légale de la justice touchait presque à
l'iniquité.
Cette anomalie n'est point imputable aux conseils
de guerre. Ils ont fait leur devoir, qui était de juger
les actes et de les punir conformément à la loi. Ils l'ont
fait souvent même avec une grande modération. Mais
ils ne pouvaient qu'acquitter ou condamner à une
peine perpétuelle (i), et, bon gré mal gré, ils ont
(i) Il est impossible de ne pas rappeler que certains délits de droit
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 263
transporté au fond de l'Océanie des milliers d'individus
non point complètement innocents, certes, mais dont la
faute, parfois vénielle, ne comportait point Ténormité
d'un pareil châtiment.
Ainsi la crise, qui aurait pu être apaisée par une
mansuétude que l'inexorable punition des vrais
coupables n'eût pas laissé taxer de faiblesse, s'est
perpétuée dans la colère et la fureur. L'agitation a
continué, et les ferments révolutionnaires, qu'on
avait cru détruire à jamais, ont poursuivi dans l'ombre
leur travail de dissociation nationale. Peut-être même
que le mal dont nous souffrons aujourd'hui n'est autre
chose qu'une conséquence directe de ces lents et persé-
vérants efforts.
L'expiation avait été trop absolue pour être
durable. Les derniers condamnés des conseils de guerre
n'étaient pas encore en route pour Nouméa que déjà
se posait la question d'une amnistie générale. Elle
donna lieu plus tard à des débats irritants et
prolongés.
Il fallut cependant un jour la résoudre, et dans
son sens le plus étendu, si bien que, neuf années
à peine après la monstrueuse aventure du 18 mars,
commun étaient, de par la loi elle-même, beaucoup moins sévèrement
punis que la simple présence dans un bataillon fédéré. Tel commis-
saire de police de la Commune, par exemple, tel juge de paix ou direc-
teur d'un service public, pouvait fort bien s'en tirer avec quelques
mois de prison, tandis que le fait d'avoir figuré sur les contrôles d'une
troupe armée valait la Calédonie, ou rien.
264 1871
on vit revenir, triomphants et toujours irréductibles,
la plupart de ceux qui l'avaient provoquée.
Ils gardaient au cœur, avec l'espoir de la vengeance,
la haine inextinguible de l'ordre social qui les avait
vaincus.
CHAPITRE IX
I,A commune en province.
I/histoîre de cette douloureuse époque serait incom-
plète si elle passait sous silence les événements dont
furent le théâtre certaines villes de province, qui, en
imitation de la capitale, avaient essayé de s'ériger en
petits gouvernements indépendants. Paris a toujours
exercé sur le reste du territoire français une influence
en quelque sorte magnétique, et donné le signal de tous
les mouvements généreux, imprudents ou funestes,
qui ont agité le pays. Quand, le 18 mars, il sauta sur
ses armes, son geste provoqua dans les milieux
populaires une manière de commotion électrique, dont
tressaillirent les grandes cités. Et Ton vit alors se
produire, en des points très distants les uns des autres,
une émotion subite, spontanée et violente, qui était
comme le contre-coup de celle de la grande ville. Les
effets en furent heureusement moins terribles. On va
voir qu'ils allèrent cependant parfois jusqu'à l'effusion
du sang.
266 1871
L'agita- C'est Lyon qui, d'abord, sembla devoir être entraîné
tion à p ar l'exemple. Quand, le 16 mars au matin, y arrivèrent
Lyon et à \ es premières nouvelles de l'insurrection parisienne,
Saint- une g ran d e animation, qui montrait bien qu'entre
tenne. i>A ssemD iée nationale et le Comité central la populace
avait déjà pris son parti, agita les quartiers excentri-
ques et provoqua des manifestations inquiétantes. Le
préfet Valentin, qui était un homme d'énergie et de
vigueur, — il l'avait suffisamment montré à Stras-
bourg (i) , — prit aussitôt des mesures précautionnelles
et interdit la vente des journaux. Mais la garde
nationale déjà s'agitait. Elle réclamait, comme celle de
Paris, l'autonomie municipale ; elle parlait de se
fédérer. Et le 22, malgré les efforts du maire Hénon (2)
pour la ramener au devoir, elle se mutinait, aux cris de :
« Vive la Commune ! A bas Versailles ! » En même
temps s'installait à l'hôtel de ville une commission
municipale, dont le premier acte était de mander le
préfet, puis de le faire arrêter, après qu'il eut déclaré
très fermement qu'il défendrait jusqu'au bout le gou-
vernement régulier. Après quoi elle proclamait la
Commune, destituait M. Valentin, nommait Ricciotti
Garibaldi au commandement en chef de la garde
nationale et arborait le drapeau rouge sur le fronton
du monument.
(1) Voir notre Histoire générale de la guerre de 1870-71, III e partie :
le siège de Strasbourg.
(2) Hénon était un des membres du fameux groupe des Cinq, au
Corps législatif de l'Empire.
I,A COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 267
Mais ici comme ailleurs, on en vint bien vite aux
parlotes et aux proclamations. Et dès lors ce fut la
confusion. La Commission avait bien entouré l'hôtel de
ville de canons, de barricades et de piles d'obus, mais
elle laissait en même temps ses bataillons fidèles se
disperser pour courir les cabarets. Elle laissait, chose
plus étrange, le conseil municipal régulier s'assembler
tout à côté d'elle, dans le cabinet du maire. Et, pen-
dant ce temps, le général Crouzat réunissait les forces
dont il pouvait disposer, tandis qu'un des héros de la
défense des Vosges, le colonel Bourras, nommé par
M. Hénon commandant supérieur des gardes nationales,
groupait dans sa main les officiers et les hommes restés
obéissants à la loi. Devant la menace d'un confit immi-
nent, la Commission perdait la tête et demandait à par-
lementer. En vain, trois délégués parisiens, Amouroux,
plus tard membre de la Commune, et deux membres
du Comité central, qui venaient d'arriver, essayaient-
ils de réchauffer son zèle et de ranimer son ardeur ex-
pirante. Ils ne purent empêcher sa dispersion, activée
d'ailleurs par l'attitude énergique de la municipalité.
Et dans la nuit du 24 ou 25, cette aventure tragi-co-
mique prit fin, en sombrant dans le ridicule. Quant à
ses promoteurs, ils payèrent plus tard leur accès de
fièvre chaude de trente-deux condamnations, la plu-
part à la déportation.
Beaucoup plus graves furent les événements de
Saint-Étienne. L'élément révolutionnaire, très ardent
268 1871
et très puissant dans cette ville, n'avait pas cessé, depuis
le 31 octobre, de fermenter. Quand survint le 18 mars,
l'occasion parut excellente aux amateurs de désordre
pour provoquer une agitation anarchiste, et ils n'eurent
garde de la laisser échapper. Le jour même où s'éva-
nouissait la pseudo-commune de Lyon, ils essayèrent
d'en constituer une à Saint-Étienne, plus solide et sur-
tout mieux armée. Peu s'en fallut qu'ils ne réussissent,
Le 24 donc, après une journée fort agitée, deux co-
lonnes d'ouvriers ou gardes nationaux, que dirigeaient
les membres du club révolutionnaire, se présentaient
à dix heures du soir devant les grilles de l'hôtel de ville,
tenuesferméespar]ordredupréfetnouvellementnommé,
M. de l'Espée, qui venait d'arriver. Elles réclamaient à
grands cris la Commune et menaçaient d'enfoncer la
barrière, qui seule les empêchait de pénétrer dans le
monument où sans doute elles l'auraient proclamée.
Biles restèrent là jusqu'au matin, hurlant, menaçant,
trépignant. Enfin, de guerre lasse, le maire consentit,
vers sept heures, à annoncer qu'il consulterait ses
administrés par un plébiscite et, sur cette assurance,
la foule se dispersa.
Mais le préfet n'était pas homme à ratifier une
convention ainsi arrachée parla violence. Il déclara d'a-
bord qu'il ne la reconnaissait pas, puis, prévoyant que
de sa décision allait probablement renaître le désordre,
il fit battre le rappel pour rassembler les quelques
troupes dont il disposait : un bataillon d'infanterie
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 269
avec deux escadrons de hussards et les gardes natio-
naux de Tordre. Malheureusement, l'avertissement
servit aussi aux émeutiers. Bientôt on vit ceux-ci se
masser autour de l'hôtel de ville, exigeant la retraite
de la troupe, qu'une foule hostile menaçait déjà. I*e
conseil municipal joignit ses protestations aux vociféra-
tions populaires, et le préfet, devant ce déchaînement
universel, crut devoir faire rentrer les soldats dans leurs
quartiers. Il ne resta plus, pour protéger l'édifice lui-
même, que les pompiers et deux compagnies de garde
nationale, dont une ou moins avait partie liée avec les
manifestants.
Alors commencent les scènes de désordre et de vio-
lence. Des délégations de la garde nationale réclament
une entrevue du préfet, qui refuse de les recevoir et
donne au contraire des ordres pour que la défense s'or-
ganise. Toute la journée il résiste aux objurgations des
conseillers municipaux, qui songent à capituler, et tient
bon devant l'émeute qui gronde. Mais voici que tout à
coup les pompiers faiblissent, lèvent la crosse en l'air et
livrent passage à un groupe furieux qui pénètre dans
l'hôtel de ville. Au même moment, sur la place, un ou-
vrier tombe, tué par un coup de feu tiré d'une maison.
I/émoi grandit, les cris redoublent, les remous de la
foule deviennent comme les vagues d'une mer dé-
montée. Iye préfet a essayé de se dérober, mais il est
saisi, traîné au balcon en compagnie du substitut du
procureur de la République. Tous deux sont hués, mal-
270 1871
traités, puis enfin ramenés dans la salle du conseil
municipal, complètement envahie maintenant, et
pleine à s'écrouler.
Là, on accuse le préfet d'avoir fait tirer sur le peuple,
Tannée d'avant, à Aubin. H proteste. Alors on le
somme de proclamer la Commune. Il refuse, et, comme
huit heures vont sonner, le peuple s'en va dîner, tandis
qu'on apporte aux prisonniers quelque nourriture.
Mais à neuf heures, la foule revient et recommence
ses sommations brutales. 1& préfet et le substitut ont
pour garde du corps deux énergumènes qui ne les
lâchent pas, les nommés Fillon et Victoire. Comme, à
dix heures, une bousculade s'est produite, provoquée
par l'entrée de nouveaux arrivants, le premier tire au
jugé deux coups de revolver, dont l'un tue raide son ca-
marade, et l'autre blesse un garde national. Mais alors,
à cet acte imbécile, la cohue répond par une décharge
instantanée. ]^e préfet et Fillon tombent foudroyés ;
quant au substitut, qui a été épargné par miracle, il
est saisi et mis en lieu de sûreté.
Sans s'émouvoir de cette scène de carnage, les me-
neurs révolutionnaires nommèrent tôt après une com-
mission communale, qui, dans la nuit, convoqua les
électeurs pour le 29. Mais, bien qu'elle eût fait mine de
s'emparer de la gare, du télégraphe, et lancé, à l'habi-
tude, quelques proclamations redondantes, elle n'eut,
pas plus que celle de I^yon, le courage suffisant pour
persévérer. Et comme, à cette date même du 29, étaient
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 271
arrivés à Saint-Étienne les francs-tireurs des Vosges
avec quelques troupes venues de Montbrison, elle se
dispersa devant la sommation du général commandant
la division. Le département de la Loire n'étant pas en
état de siège, c'est le jury qui fut appelé plus tard à
juger les émeutiers de Saint-Étienne. H en condamna
vingt-deux à des peines variant de la simple prison à
la déportation, et envoya Amouroux aux travaux
forcés perpétuels (1).
Tandis que dans le Centre se passaient ces évé- La Com-
nements plus ou moins gaves, certaines cités du *nune à
Midi, où l'exaltation est plus vive et surtout plus Marsettte '
habituelle, avaient, elles aussi, cédé aux excita-
tions ambiantes. Depuis l'armistice, Marseille, par
exemple, était en proie à une sorte d'agitation
fiévreuse que des clubs nombreux entretenaient en
lançant de constants appels à l'insurrection. Un de
leurs orateurs, l'avocat Gaston Crémieux, jeune
homme à la parole ardente et colorée, celui-là même
qui, à Bordeaux, avait qualifié de « ruraux » les
députés de l'Assemblée nationale, demandait nette-
ment que la cité phocéenne donnât une adhésion sans
réserve au gouvernement parisien. Peut-être n'aurait-
(1) Au Creusot également, où trônait à la mairie un ancien ouvrier
de l'usine, affilié à l'Internationale, la Commune fut un instant pro-
clamée, le 26 mars. Mais, dès le lendemain, la troupe dispersait les
émeutiers, bousculait la garde nationale et étouffait dés la naissance
cette tentative avortée.
272 1871
il obtenu que des succès de réunion publique si, à ses
diatribes enflammées, les autorités, c'est-à-dire l'amiral
Cosnier, faisant fonctions de préfet, le maire Bories et
le général Espivent de la Villeboisnet, qui comman-
dait la division, n'avaient pas eu l'idée assez fâcheuse
de répondre par une contre-manifestation de la garde
nationale. Ils auraient dû savoir que, depuis le 4 sep-
tembre, celle-ci était en majeure partie acquise au
désordre et prête bien plutôt à proclamer la Com-
mune qu'à faire quoi que ce soit pour l'empêcher.
Ses bataillons se réunirent bien le 23 mars, au matin,
dans les larges avenues de la ville, mais ce fut pour
acclamer Paris et marcher sur la préfecture. I*es ba-
taillons de Tordre, sur qui l'on comptait, s'étaient tenus
cois. Dès une heure de l'après-midi, le préfet, ses secré-
taires, le général de brigade Ollivier étaient arrêtés,
et Crémieux, pérorant au balcon, annonçait l'élection
d'une commission communale, tandis que, sur ses in-
dications, la foule se ruait dans les magasins d'armes
et s'emparait des fusils qu'ils contenaient.
Aussitôt installée, au milieu d'un inexprimable tu-
multe, la commission réclama la démission de l'amiral,
qui, espérant par là calmer les esprits, ne résistapoint (1) .
Après quoi, elle déclara qu'elle s'emparait de tous les
pouvoirs, et força le conseil municipal, ainsi que le
( 1) Désespéré de la faiblesse que certains journaux lui reprochaient
avec trop d'amertume, le malheureux amiral Cosnier se fit, quelques
mois plus tard, sauter la cervelle.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 273
comité de la garde nationale, à lui adjoindre chacun
trois délégués. Enfin, obéissant à la coutume, elle
lança une proclamation, rédigée par Crémieux, où
il était dit que Marseille soutiendrait le gouvernement
républicain « régulièrement institué dans la capitale ».
Quant à la force armée, elle avait disparu dès la
tombée de la nuit. Le général Espivent, qui n'avait
en ses troupes qu'une confiance limitée, avait jugé
prudent de les remettre en mains, en les tenant à l'abri
des émotions communicatives et des tentatives de dé-
bauchage. Il venait de les réunir toutes à Aubagne,
emmenant avec lui les caisses publiques et les divers
services de son commandement.
La ville était donc, pour le moment, livrée à elle-
même, c'est-à-dire à sa commission municipale. Mais,
dans celle-ci, la discorde régnait déjà. Ses membres,
divisés contre eux-mêmes, ne s'entendaient même pas
avec leur chef, Crémieux, lequel blâmait l'érection du
drapeau rouge et le maintien des autorités comme
otages. Ils ne s'entendaient pas davantage avec le
conseil municipal, qui essayait de reprendre le dessus
et avait fait appel à la garde nationale pour soutenir
son autorité. Et, tandis qu'ils se débattaient dans
l'impuissance, les villes voisines demeuraient sourdes
à leur appel. Arles avait refusé d'arborer le drapeau
rouge et, dans la région, personne ne semblait s'émou-
voir.
Cependant un ordre du jour du général Espivent,
18
274 1871
ayant, le 26, annoncé la mise du département des
Bouches-du-Rkône en état de siège, les gens qui trô-
naient à l'hôtel de ville commencèrent à prendre peur,
et la plupart parlaient déjà de se soumettre quand, dans
la soirée, arriva l'inévitable Amouroux, flanqué des
deux acolytes qui l'accompagnaient dans ses tournées.
I/un d'eux, le nommé Landeck, autrefois compromis
dans le procès de l'Internationale, se mit à la tête de la
Commission, traitant presque Crémieux en suspect.
Quant aux autres, ils s'occupèrent d'entretenir l'agita-
tion et le désordre. Ils décidèrent, le 29, la garde na-
tionale à se fédérer, tandis que les commissaires récla-
maient la Commune et la suppression des préfectures.
Entre temps, ceux-ci se battaient à coups de manifestes
avec le conseil municipal, qui ripostait de la même encre,
puis finissait par aller, en compagnie du secrétaire gé-
néral de la préfecture, chercher un refuge à bord de la
frégate la Couronne, mouillée dans le port de la Jo-
liette. On arrêtait le procureur de la République, son
substitut, le fils du maire et le directeur des douanes,
pour bientôt les relâcher d'ailleurs, ainsi que le général
Ollivier. L'affaire tournait décidément à la comédie, et
même à la comédie burlesque, car Landeck entraînait
maintenant la Commission dans des mesures dont le
grotesque dominait encore l'odieux.
C'est ainsi quelle crut devoir remplacer le drapeau
rouge par le drapeau noir, symbole, paraît-il, de la révo-
lution totale. Elle destitua le général Espivent et donna
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 275
son commandement à un certain Pélissier, ancien bri-
gadier de chasseurs, qui n'avait pas un homme sous
ses ordres et ne disposait que de canons sans projec-
tiles. C'est lui qui, lorsque quelques semaines plus tard
le président du conseil de guerre devant lequel il com-
paraissait lui demanda : « Mais de quoi donc étiez-vous
général ? »répondit : « J'était général de la situation (1).»
Enfin elle fit sa garde prétorienne de quelques officiers
garibaldiens faméliques, qui attendaient à Marseille
qu'on les rapatriât et ne commandaient d'ailleurs qu'à
quelques francs-tireurs dépenaillés.
Une situation aussi ridicule ne pouvait se prolonger
longtemps. Le 4 avril, au matin, le général Espivent se
présenta avec ses troupes pour la dénouer. Il disposait
de la portion de la garde nationale restée fidèle à
l'ordre ou lassée de cette révolution de carnaval, de
quelques bataillons plus ou moins sûrs, du 6 e chasseurs
à cheval, régiment discipliné et solide, enfin des marins
de la Couronne, qu'on avait fait débarquer. Ces troupes
marchèrent concentriquement sur la préfecture, en
bousculant devant elles les guérillas déconcertées, ce
que voyant, la Commission essaya de parlementer.
Crémieux fit un discours, Pélissier débita quelques
sottises. On arrêta ce dernier, tandis que l'autre
s'éclipsait. Et le siège de la préfecture commença.
Mais les choses n'allaient pas toutes seules. Des dé-
faillances partielles se produisaient dans les troupes,
(i) IjSSAGARAY, loc. Ctt. t p. 189.
276 1871
que la foule essayait de désarmer, comme à Paris le
18 mars. Et la fusillade se prolongeait sans résultats
appréciables, quand le général Espivent fit tout à coup
démasquer une batterie postée sur la hauteur de Notre-
Dame-de-la-Garde,et entrer en action les pièces de fort
Saint-Nicolas. C'était plus que les insurgés n'en pou-
vaient supporter. A sept heures et demie du soir, ils
commencèrent la retraite, que les marins de la division
navale transformèrent bientôt en déroute. La préfec-
ture fut alors enlevée et l'insurrection définitivement
vaincue du coup. Les troupes de l'ordre comptaient
vingt-neuf morts et une cinquantaine de blessés. Quant
aux émeutiers, leurs pertes n'ont pu être établies ; elles
paraissent cependant avoir été assez considérables (i).
Ce qui est certain, c'est que la répression fut sévère,
près de neuf cents individus ayant été incarcérés. Gas-
ton Crémieux, arrêté chez le concierge du cimetière
israélite, fut condamné à mort et fusillé le 30 novembre,
sur la place du Pharo, malgré les efforts faits pour le
sauver (2). La Commission des grâces s'était montrée
impitoyable envers cet homme dont les erreurs avaient
été partagées par beaucoup d'autres moins durement
châtiés, et qui n'était coupable, au demeurant, d'au*
cun crime de droit commun.
(1) Iyissagaray parle de plus de 150 morts.
(2) I<andeck avait trouvé moyen de gagner le large. On ne put le
juger que par contumace. Des journalistes, Royannez, Sorbier, Clo-
vis Hugues, furent condamnés à des peines variant entre deux et
quatre années de prison.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 277
En même temps que Lyon, Marseille et d'autres Les mt
villes encore, Toulouse avait semblé unmoment vouloir vemen
suivre le mouvement général et arborer le drapeau de To
insurrectionnel. Ce ne fut heureusement qu'une simple louse
velléité, et qui ne dura guère. Ici l'énergie montrée tout
de suite par les représentants du gouvernement étouffa
ctc
l'émeute avant qu'elle ait eu le temps de prendre
consistance et surtout de se développer.
Il y avait à la tête de la Haute-Garonne un préfet,
nommé au 4 septembre, ancien proscrit de 1851, et
dont l'administration fantaisiste flattait beaucoup plus
les passions populaires qu'elle n'était faite pour les
contenir. Il s'appelait Duportal. Quand survint la catas-
trophe du 18 mars, M. Thiers comprit que le laisser en
place serait jouerjavec le feu et peut-être susciter la ré-
volte dans tout le Sud-Ouest. Il s'empressa donc de le
remplacer par M. de Kératry, dont on connaît le rôle
pendant la guerre, et qui avait été son collègue au Corps
législatif. Mais, devant l'effervescence de la garde na-
tionale, celui-ci ne put prendre son poste et dut se
replier sur Agen, tandis que Duportal, resté maître de
la situation, essayait de manœuvrer pour ne méconten-
ter personne, en affirmant son intention de maintenir
l'ordre, mais en n'en laissant pas moins proclamer la
Commune et nommer une commission municipale, la-
quelle, d'ailleurs, se révéla tout de suite comme inca-
pable de faire autre chose que des manifestes ou de
vains pourparlers.
278 1871
De son observatoire d'Agen, Kératry guettait le
moment propice. Le 27 mars, dans la matinée, il se pré-
senta dans le chef -lieu de sa préfecture honoraire, escorte
de trois escadrons, au milieu desquels il se rendit à
l'arsenal où se tenaient les chefs militaires. Il donna
Tordre de réunir les six à sept cents hommes disponibles,
d'occuper le pont Saint-Cyprien et la préfecture, puis
de marcher sur le Capitole (1) devant lequel six pièces
furent braquées. Cette démonstration suffit pour calmer
les plus enragés, qu'avaient effrayés les sommations ré-
glementaires. Ils se dispersèrent, tandis que les gardes
nationaux rentraient chez eux, et, le soir même, Du-
portal évacuait la préfecture. Ainsi finit cette échauf -
fourée presque risible, qui ne coûtait heureusement
ni mort ni blessé, et après laquelle tout le monde se
réconcilia sur le dos des communeux déconfits (2).
Par contre, l'affaire fut beaucoup plus sérieuse à Nar-
bonne, où était venu, de Carcassonne, un nommé
Digeon, ancien proscrit de l'Empire, qui, le 24 mars au
soir, chassa de l'hôtel de ville la municipalité établie,
proclama la Commune, et distribua au peuple tous les
fusils qu'il put trouver. La troupe qui, le lendemain,
faisait mine de se montrer, fut en partie désarmée par
des femmes, dignes émules des viragos de Montmar-
(1) On désigne ainsi l'hôtel de Ville de Toulouse.
(2) Iya Commission communale avait fait amende honorable. Quel-
ques jours plus tard, M. de Kératry choisissait parmi ses membres le
maire qu'il donnait aux Toulousains. Quant à Duportal, traduit au
mois d'août devant le jury des Basses-Pyrénées, il fut acquitté.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 279
tre. Deux officiers, faits prisonniers, étaient pris
comme otages et placés en tête des gardes nationaux
qui s'en allaient occuper les divers établissements pu-
blics, ou forcer l'arsenal pour en enlever les armes.
Enfin Digeon s'occupait de soulever, en même temps
que Narbonne, les villes voisines, Béziers. Cette, Per-
pignan. Il faisait construire des barricades, organiser
des défenses et recommandait à ses fédérés de toujours
viser les officiers (1). On voit qu'il était de la bonne
école révolutionnaire, bien autrement décidée et re-
doutable que celle à laquelle appartenaient les timides
émeutiers toulousains.
Comme la situation se compliquait et que, là aussi, les
femmes commençaient à s'en mêler, le préfet et le pro-
cureur général essayèrent de négocier, mais sans suc-
cès, et alors il fallut bien recourir à la force. Le général
Zentz, commandant la division, lança sur l'hôtel de
ville deux compagnies de tirailleurs algériens, qui ou-
vrirent aussitôt le feu. En même temps on amenait
quelques pièces, et les insurgés étaient menacés d'un
bombardement immédiat. Ces procédés d'intimidation
suffirent. Une heure après, Narbonne rentrait dans le
calme, et Digeon, chassé de la mairie par la foule elle-
même, que la terreur avait subitement assagie, était
conduit en prison (2).
(i) IfISSAGARAY, loC. Cit., p. l68.
(2) Traduit huit mois plus tard, avec ses complices, devant la cour
d'assises de rAveyron, il bénéficia d'un acquittement général, assez
injustifié certes, au moins en ce qui le concernait.
28o 1871
Venons maintenant à Limoges, où la révolte qui
couvait sourdement depuis une quinzaine de jours
avait subitement éclaté le 4 avril, quand était arrivée
la nouvelle de la sortie manquéepar Bergeret. Ce jour-
là, comme un bataillon de ligne allait partir pour re-
joindre Tannée de Versailles, la foule, échauffée par
quelques meneurs, l'entoura tout à coup, le désarma,
et fraternisa avec ces malheureux soldats démenta-
lisés. Immédiatement, la garde nationale, rassemblée
d'elle-même, se porta en armes devant l'hôtel de ville,
aux cris de « Vive Paris ! A bas Versailles ! », puis se
répandit dans la ville et dressa des barricades. On jeta
à sa rencontre la seule troupe sur laquelle on pût comp-
ter, le 4 e cuirassiers. Elle le reçut à coups de fusil et tua
raide son colonel, le brave Billet, un des héros de
Frœschwiller, dont le corps, troué de balles, fut entraîné
à travers la ville par son cheval emporté (1). I*a garde
nationale eut-elle honte de ce forfait, ou simplement
conscience des périls auxquels elle s'exposait? On ne le
sait. Toujours est-il, que, après avoir assassiné ainsi
un officier que les balles ennemies avaient épargné, et
à qui son courage aurait mérité une fin moins lamen-
table, elle se dispersa d'elle-même, sans autre mani-
festation. La cour d'assises de la Vienne condamna
(1) I*e colonel Billet avait été blessé dans la charge exécutée le
6 août par la division de Bonnemains, en avant d'Elsasshausen,
pour protéger la retraite du I er corps écrasé par des ennemis dnq fois
supérieurs.
M. T hier s
et les né-
gociateurs.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 281
à des peines sévères les gens qui avaient provoqué
cette déplorable affaire, ou s'y étaient mêlés trop acti-
vement. Malheureusement, ici comme bien souvent
ailleurs, les plus coupables avaient réussi à s'enfuir.
Ces secousses violentes et soudaines, éclatant La
presque simultanément en des points du territoire seconde
fort distants les uns des autres et n'ayant point insurrec-
entre eux de relations directes, montraient bien en iion d*
quel état d'agitation fiévreuse se trouvait ce malheu- Lyon.
reux pays. Elles n'étaient d'ailleurs pas les seules, car,
dans les plus petites bourgades, comme dans les plus
grandes villes, couvait une effervescence qui se tradui-
sait par des manifestations bruyantes, sinon par des
menaces directes d'insurrection. Certaines munici-
palités envoyaient au gouvernement des sommations
hautaines, l'invitant à donner des garanties aux
revendications parisiennes. D'autres allaient jusqu'à
adhérer à la Commune, ou bien laissaient circuler des
adresses d'encouragement au pouvoir insurrectionnel.
A Grenoble, on empêchait le départ des troupes ; à
Nîmes, on promenait le drapeau rouge ; à Bordeaux,
on insultait les officiers et les soldats. Ailleurs, on
empêchait de démarrer les wagons de matériel et de
munitions.
Ce fut bien pis après que les élections municipales du
30 avril eurent donné, en beaucoup d'endroits, la ma-
jorité aux républicains avancés. Les mouvements tu-
282 1871
multueux se multiplièrent, et gagnèrent même des
petites cités fort paisibles d'ordinaire, telles que Mon-
targis, Coulommiers, Château-Landon, Nemours. A
Lyon, où, depuis le 24 mars, le drapeau rouge n'avait
pas cessé de flotter à la Guillotière, l'émeute reprit de
plus belle, et l'on put craindre un instant que la Com-
mune victorieuse ne dictât bientôt, là comme à Paris,
ses odieuses lois.
Le Conseil municipal lyonnais, inquiet de la fermen-
tation ambiante, avait essayé de l'apaiser en dépêchant
à M. Thiers des délégués chargés d'obtenir des conces-
sions pour Paris. Ceux-ci furent éconduits, comme
beaucoup d'autres, avec les bonnes paroles dont le chef
du pouvoir exécutif n'était jamais avare à l'égard des
négociateurs, mais aussi sur ces mots comminatoires :
« Que les insurgés déposent d'abord les armes. Nous
verrons après. » Ils revinrent donc à Lyon l'oreille
basse, n'ayant à offrir à la populace que des réponses
dilatoires et la proposition d'atermoiements nouveaux.
Ce n'était point là de quoi calmer les révolutionnaires,
qui, furieux de leur échec récent, n'attendaient qu'une
occasion pour reprendre la partie. Le jour des élections,
on les vit reparaître en masse, s'emparer des salles de
vote et nommer une commission communale au lieu
et place de la municipalité existante. En même temps,
ils faisaient afficher un manifeste où ils annonçaient
sans ambage qu'ils «étaient résolus, plutôt que de se
voir ravir la victoire, à ne faire qu'un monceau de rui-
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 283
nés d'une ville assez lâche pour laisser assassiner Paris
et la République ». L'affaire prenait donc tout de
suite une tournure grave, et d'autant plus inquiétante
que la garde nationale, réunie sur le cours de Brosses
par ordre du colonel Bourras, son commandant supé-
rieur, venait de lâcher pied et de se disperser.
Heureusement, le préfet Valentin n'était pas homme
à se laisser intimider. Voyant que le 31 e de ligne, qu'il
avait fait lancer contre la Guillotière, montrait quel-
que hésitation devant les objurgations de la foule,
il le fit soutenir par un bataillon de chasseurs, puis se
mit résolument à sa tête, en compagnie du général
Crouzat et du procureur de la république Andrieux (1).
Les sommations réglementaires furent faites, et, comme
les insurgés répondaient par des coups de feu, dont un
blessa le préfet, on les canonna vigoureusement. Au
bout d'une heure, la mairie de la Guillotière était en-
levée, les barricades détruites et les émeutiers dis-
persés. Il y eut bien encore quelques résistances par-
tielles, dans les rues ou à la Croix-Rousse ; mais l'auto-
rité resta désormais maîtresse incontestée du terrain,
encore que l'émotion ait duré jusqu'à la fin de l'insur-
rection parisienne et que certains mouvements se
soient encore produits, que l'on put, d'ailleurs, facile-
ment étouffer.
Cette convulsion fut la dernière. L'ordre se rétablit
peu à peu partout, et les préfets y tinrent énergique-
(1) Depuis préfet de police et député.
284 1871
ment la main. M. Thiers se trouva donc débarrassé des
inquiétudes que lui avait un instant données la pro-
vince, mais il n'en eut pas fini pour cela avec les soucis
ni les difficultés. Il lui fallait d'abord calmer les mé-
fiances de l'Allemagne, à qui la durée de l'insurrection
ne laissait pas de donner quelques craintes sur l'exac-
titude des paiements qui lui étaient dus. Il lui fallait
répondre aux députations qui venaient l'assaillir sans
cesse, au nom de populations agitées, inquiètes ou tur-
bulentes, lesquelles ne voyaient le plus souvent dans le
mouvement parisien qu'une levée de boucliers légi-
time contre ceux qui méditaient d'étrangler la Répu-
blique, et exigeaient des gages, sous peine de se mutiner,
elles aussi . « En réalité, a écrit Jules Simon, presque
tous ceux qui venaient à Versailles tenaient, dans le
fond, pour Paris. Les plus sages mettaient Paris et
Versailles sur le même rang. Us proposaient l'abdica-
tion simultanée de l'Assemblée et de la Commune
et l'élection d'une Assemblée nouvelle. C'était proposer
de déserter le droit et de légitimer la révolte. Les ten-
tatives se renouvelèrent si souvent, et sous tant de
formes, qu'on finit pas craindre qu'elles n'altérassent
le bon sens public (i). »
M. Thiers était bien obligé cependant de ne point les
accueillir trop brusquement, et, s'il refusait toujours
nettement de consentir des concessions quelconques,
en ce qui concernait l'insurrection, il n'hésitait pas à
(i) Le Gouvernement de M. Thiers, t. 1, p. 409.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 285
s'engager formellement sur le reste : « Il se trouve sans
doute dans l'Assemblée, disait-il, des membres favo-
rables au rétablissement de la monarchie, mais il
n'existe aucun complot pour renverser le régime actuel;
et en tout cas, s'il existait un complot de cette nature,
je ne me prêterais pas à son exécution (1). »
Ces engagements, destinés à une publicité très large,
réussissaient peut-être à calmer quelques irritations,
mais sans pour cela triompher des défiances. « I^es
négociateurs trouvaient que M. Thiers ne promettait
rien, parce qu'il persistait à traiter les chefs de la Com-
mune comme des rebelles (2). » Et quant à la majo-
rité de l'Assemblée, elle s'irritait de pareilles déclara-
tions.
De plus en plus jalouse de son autorité, elle semblait
maintenant suspecter celui dont elle en avait fait le
dépositaire. Elle le surveillait, l'épiait, lui reprochait
sa condescendance et ses ménagements. « Elle aurait
voulu qu'il refusât toute audience, ou, s'il en accordait,
qu'il ne parlât que de sa volonté d'exterminer l'insur-
rection (1). » Le 11 mai, un de ses membres, qui était
cependant lié depuis longtemps avec Thiers, M. Mor-
timer-Ternaux, monta à la tribune et réclama des ex-
plications sur certains propos prêtés au chef du pou-
voir exécutif, dans une entrevue avec le maire de Bor-
deaux, et où l'on pouvait voir, en même temps que les
(1). Notes et souvenirs de M. Thiers, p. 155.
(2) J. Simon, loc. cit., p. 409.
286 1871
assurances coutumières relatives au maintien de la
République, quelques intentions bienveillantes à l'é-
gard des insurgés qui viendraient à résipiscence.
M. Thiers en parut comme outragé. Il fit une réponse
acerbe, violente, agressive, où se trouvaient des
phrases comme celle-ci : « Je dis qu'il y a parmi vous
des gens qui sont trop pressés. Il leur faut huit jours
encore ; au bout de ces huit jours, nous serons à Paris ;
il n'y aura plus de danger, et la tâche sera propor-
tionnée à leur courage et à leur capacité. » Il se plai-
gnit qu'on ait choisi, pour le mettre sur la sellette, le
jour où la Commune le proscrivait et démolissait sa
maison... Il s'écriait : « Oui, Messieurs, lorsque, pré-
voyant les ingratitudes, n'en ayant aucun doute, je
dévoue ma vie au service du public, il ne faut pas au
moins que vous m'affaiblissiez. Eh bien ! que tous ceux
qui sont de cet avis se lèvent et qu'ils prononcent ;
que l'Assemblée décide. Je ne puis gouverner dans de
telles conditions ! » Et, sur ces mots cinglants, la droite
consternée, baissant la tête et rengainant ses colères,
lui vota à une majorité énorme l'ordre du jour de
confiance qu'il réclamait (i).
Il se remit aussitôt à la besogne, et celle-ci était sin-
gulièrement compliquée et ingrate, car, outre l'in-
(i) Deux jours plus tard elle vota, sur la proposition de
M. Cazenove de Pradines, des prières publiques à faire dans toutes
les églises de France, afin, disait-elle, de « supplier Dieu d'apaiser nos
discordes civiles et de mettre un terme aux maux qui nous affligent » .
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 287
surrection parisienne, à qui le coup mortel n'était pas
encore porté, une autre avait éclaté, presque aussi
terrible et dangereuse, qui menaçait de nous faire
perdre notre empire algérien. Époque tragique et
douloureuse entre toutes, où la France, chancelante
sous les assauts que lui portaient à la fois ses propres
enfants et ses sujets rebelles, semblait n'être sortie
d'une guerre effroyable que pour succomber à ses dé-
chirements !
EPILOGUE
Le 29 juin 1871, les cinq corps de l'armée de Ver-
sailles étaient réunis sur le champ de courses de Long-
champ.
Il faisait une journée douce et tiède, qu'éclairait
le soleil légèrement tamisé des printemps d'autrefois.
Le terrain, sur lequel l'herbe poussée drue étendait son
tapis feutré, était tout encadré de verdure et parsemé
de bouquets fleuris, au travers desquels apparaissaient
des amoncellements de ruines, restées là comme les té-
moins de désastres invengés. Les tribunes, déteintes,
lépreuses et rafistolées, en hâte, semblaient garder le
stigmate du passage des Prussiens, qui avaient défilé
là quatre mois auparavant. Et en haut, tranchant sur
le ciel, le Mont-Valérien, tout gris et bruni de poudre,
dominait de sa silhouette massive la colline dévastée,
où s'accrochaient encore, sous le feuillage des arbres
clairsemés, quelques villas en lambeaux. Mélange de
tristesses et de joies, de renaissance et de deuil, qui était
l'image même de nos âmes, pleines à la fois de douleur
et d'espoirs.
Sur la pelouse, l'armée de Versailles était venue peu
19
ago 1871
à peu se masser. Il y avait là cent vingt mille hommes,
en tenue de campagne, et qui portaient encore sur leurs
vêtements la trace des sanglants combats qu'ils ve-
naient de soutenir pour arracher Paris à rémeute. Leur
attitude était ferme et confiante, avec une nuance de
fierté. Celle de l'énorme foule qui se pressait pour les
acclamer, grave, recueillie et satisfaite. On voyait qu'il
ne s'agissait plus là d'un simple spectacle des yeux,
comme en donnait la splendeur des revues impériales,
mais du réveil de la puissance militaire française, un
moment engloutie dans le torrent de l'invasion. C'était,
comme a écrit Thiers, la joie d'une heureuse convales-
cence par un jour de beau temps (i).
On salua d'enthousiastes bravos le vaillant 54 e de
ligne, défenseur héroïque de Bitche, qu'il n'avait pas
livrée. On applaudit avec transports les revenants des
prisons allemandes, dont l'allure martiale rappelait les
glorieuses légions d'autrefois. Et, devant l'imposant dé-
filé de ces masses, qui se mouvaient d'un pas rigide, pré-
cis et alerte à la fois, on vit tous les cœurs se fondre en
une commune allégresse. M. Thiers dissimulait à peine
son émotion profonde. Quand le maréchal de Mac-
Mahon, s'avançant tout seul, vint le saluer de son épée,
il descendit de la tribune présidentielle, prit la main du
vaillant soldat, et lui, si verbeux d'ordinaire, il ne put
que la serrer sans mot dire, tandis que de grosses lar-
(1) Notes et Souvenirs de M. Thiers, p. 174.
LA COMMUNE A PARIS ET EN PROVINCE. 291
mes roulaient sur ses joues, et que les yeux du maré-
chal s'en emplissaient à leur tour.
Le seul bénéfice tiré de l'insurrection parisienne était
qu'elle nous avait permis de reconstituer tout de suite
un noyau respectable de forces. On peut même dire
qu'elle nous y avait obligés. L'armée de Versailles était
sans doute inférieure par le nombre à ce qui nous eût
été nécessaire pour reprendre notre rang en Europe ;
mais elle était suffisante pour nous rendre le droit d'y
être entendu. Comme elle venait de se montrer vigou-
reuse, disciplinée et hardie, Thiers résolut de la conser-
ver telle quelle, avec ses cadres de vieux officiers, et
sous les ordres du même chef qui l'avait conduite, par
un chemin assurément pénible, à des succès aussi indis-
pensables que complets. Le maréchal de Mac-Mahon
hésitait à garder un commandement dont la perma-
nence ne lui semblait pas justifiée après la prise de Paris
et qui constituait, disait-il, une charge pour l'État. Mais
M. Thiers n'eut pas de peine à triompher de sa modestie
trop grande, ni à obtenir qu'il revînt sur le premier re-
fus (1). Iye chef de l'État avait entendu d'ailleurs don-
ner aux soldats un témoignage éclatant de la recon-
(1) Notes et Souvenirs de M. Thiers, p. 176. — Déjà, on s'en souvient,
le maréchal avait fait des objections quand M. Thiers l'avait nommé
au commandement en chef. Étant un vaincu, disait-il, sa désignation
pouvait soulever des critiques. — « Vaincu, lui avait répondu le chef
du pouvoir exécutif, tout le monde l'a été, malheureusement. Et
quant aux critiques, c'est à moi d'y répondre. » Il n'eut pas, d'ailleurs,
à prendre ce soin.
*9* 18 71
naissance nationale, et malgré que l'ennemi fût encore
en forces aux portes de la Capitale, occupant les forts
de l'Est et du Nord, il n'hésitait pas à réunir, pour une
revue solennelle, passée en présence du corps diploma-
tique, les troupes qu'il avait réussi à si rapidement ras-
sembler.
Cette journée, pendant laquelle M. Thiers avouait
« avoir trouvé moins lourd le fardeau qu'il portait »,
fut probablement la plus belle qu'il ait connu au cours
de son principat. Et quant à la France, à peine remise
encore de tant de secousses affreuses, elle venait de re-
prendre, au contact de son armée ressuscitée, le senti-
ment de son existence et de sa vitalité.
PIECES JUSTIFICATIVES
Pièce n° 1.
RÉORGANISATION DE V ARMÉE DE PARIS, I,E 27 MARS.
(18 Mars au 6 Avril.)
INFANTERIE.
l re Division d'Infanterie :
Général de Maud'huy (Satory).
i n Brigade :
Général Wolff.
2 e Brigade :
Général Hanrion.
23 e bataillon de chasseurs de marche.
67 e de marche.
68 e de marche.
69 e de marche.
2 e bataillon de chasseurs de marche.
45 e de marche.
135» de ligne.
jre Brigade:
Général Paturel.
2 e Brigade :
Général Bocher.
2 e Division :
Général Susbielle (Satory).
18 e bataillon de chasseurs de marche.
46 e de marche.
89 e de marche.
17 6 bataillon de chasseurs de marche.
38 e de marche.
76 e de marche.
8 e Division :
Général Bruat (Versailles).
J re Brigade :
Général Bernard
DE SEIGNEURENS.
34 e de marche.
I er régiment d'infanterie de marine.
2 e régiment de fusiliers marin s.
294
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
2 e Brigade :
Colonel de Langourian.
75 e de marche.
2 e régiment d'infanterie de marine.
i OT régiment de fusiliers marins.
i re Brigade :
Général Garnier.
2 e Brigade :
Général Fournès.
4 e Division :
Général Grenier (au Parc).
/ io e bataillon de chasseurs de marche.
< 48 e de marche.
( 87 e de marche.
!5i e de marche.
72 e de marche.
x re Brigade :
Général Dumont.
2 e Brigade :
Général Lefebvre.
5 e Division :
Général Montaudon (plateau de Jardy).
30 e bataillon de chasseurs de marche.
39 e de ligne.
Régiment étranger.
31 e de marche.
36 e de marche.
j w Brigade :
Général de La Croix.
6 e Division :
Général Pelle (pont Colbert).
19' bataillon de chasseurs de marche.
39 e de marche.
41 e de marche.
2 e Brigade :
Général de Lacroix.
!7o e de marche.
71 e de marche.
j w Brigade :
Général Duplessis.
7 e Division :
Général Vergé (pont Colbert).
24 e bataillon de chasseurs de marche.
37 e de marche.
79 e de marche.
2 e Brigade :
Général Grenier.
ç 90 e de marche.
I 91 e de marche.
Division de réserve :
Général Faron (Sèvres, Virofla5 r ).
i M Brigade : j 35 e de ligne.
Général La Mariouze. ( 42 e de ligne.
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
295
2 e Brigade :
Général Derroja.
3 e Brigade :
Général Daudel.
Brigade Besson.
Brigade Berthe.
l 109 e de ligne.
) no e de ligne.
( 113 e de ligne.
( 114 e de ligne.
En formation :
4* bataillon de chasseurs à pied de
\ marche.
à 82*.
( 8 5 «.
22* bataillon de chasseurs à pied.
64«.
65 e .
CAVALERIE.
1" Division :
Général du Barail.
J re Brigade :
Général Charlemagne
à Versailles.
2 e Brigade :
Général de Gaixiffet
à Saint-Germain.
3 e Brigade :
3 e de hussards.
8 e de hussards.
9 e de chasseurs.
12 e de chasseurs.
^ZLf g( t ' ) 7 e de chasseurs.
Général de Bataille ' aJ . „
. __. a { 11 e de chasseurs.
à Viroflay. ?
2 e Division :
Général du Preuil.
j w Brigade :
Général Cousin
à Saint-Cyr.
2 e Brigade :
Général Dargentolle
à Versailles.
3 e de cuirassiers de marche.
4« de dragons de marche.
I er régiment de gendarmerie.
2 e régiment de gendarmerie.
8 e Division :
Général Ressayre.
i w Brigade :
Général de Bernis.
(6 e de lanciers.
9* de lanciers.
296 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
^fLf ?"**•' { En formation.
Général Bachelier. )
La garde républicaine à pied et à cheval est sous les ordres directs
du général Vinoy, commandant en chef l'armée de Paris.
Pièce n° 2.
(Décret du 6 Avril.)
FORMATION DE 1/ ARMÉE DE RÉSERVE-
M. le général de division Vinoy, commandant.
M. le général de Valdan, chef d'état-major.
M. le général René, commandant l'artillerie.
M. le général Dupouet, commandant le génie.
M. l'intendant Schmitz, intendant.
l re Division d'Infanterie :
Général Faron.
jre Brigade : l 35 e de ligne.
Général de La Mariouze. } 42 e de ligne.
2 e Brigade : l 109 e de ligne.
Général Derroja. f 110 e de ligne.
Artillerie : 2 batteries de 4. — Une compagnie du génie.
2 e Division d'Infanterie :
Général Bruat.
i ro Brigade : ( 74 e de marche.
Général Bernard de j i er régiment d'infanterie de marine.
Seigneurens. \ 2 e régiment de fusiliers marins.
" Brizade • ( 75 * de WBldas '
1 ™^ TA^/xTTnrA^r i 2 ° régiment d'infanterie de marine.
I er régiment de fusiliers marins.
Colonel de Langourian.
Artillerie : 2 batteries de 4. — Une compagnie du génie.
3 e Division d'Infanterie :
Général Vergé.
,. „ . , ( 26 e bataillon de chasseurs de marche,
jre Brigade : ) _. , .
^ 1 , . ~ / v 1 37 e de marche.
Général Duplessis (i). / f ' , .
v ' 1 79e de marche.
( 1 ) Nommé général de division et remplacé par le général Daguerre.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 297
2 e Brigade : \ 90 e de marche.
Général Archtnard (i). ( 91 e de marche.
Artillerie : 2 batteries de 4. — Une compagnie du génie.
Garde républicaine à pied et à cheval non embrigadée.
Réserve d'artillerie
2 batteries à balles.
2 batteries de 12.
Pièce n° 3.
ARMÉE DE VERSAUXES.
ItC maréchal duc de Magenta, commandant en chef.
I<e général Borel, chef d'état-major général.
Le général Princeteau, commandant l'artillerie.
I,e général I«e Bretevillois, commandant le génie.
I*» CORPS.
Général de division de Ladmtrault.
1" Division d'Infanterie :
Général Grenier.
2" Brigade • ( Ré 8 imeilt de Bitche ^^ de u « nc )-
Général Garnier. /f!?" 111 "*'-
l 87 e de marche.
„ a D . . ( 10 e bataillon de chasseurs de marche.
2 e Brigade : \ m , ,
Général Fournès. ) *" * e marc ^
( 72 e de marche.
Artillerie : 2 batteries de 4. — Génie : 1 compagnie.
2 e Division d'Infanterie :
Général de Maud'huy (2).
/ 23 e bataillon de chasseurs de marche.
1™ Brigade : \ 67 e de marche.
Général Wolff. J 68 e de marche.
( 6 9 de marche.
(1) Nommé général de division et remplacé par le général Grémion.
(2) Remplacé plus tard par le général de Laveaucoupet.
298 PIÈCES * J USTIFICATIVBS.
. „ . . / 2 e bataillon de chasseurs de marche.
2* Brigade : ^ mar(%hf >
Général Hanrion. i - j t. '
( 135 e de marche.
Artillerie : 2 batteries de 4. — Génie : 1 compagnie.
8 e Division d'Infanterie :
Général Montaudon.
i n Brigade :
Général Dumont.
30 e bataillon de chasseurs de marche.
39 e de ligne.
Régiment étranger.
2 e Brigade : l 31 e de marche.
Général L,efebvrb. j 36 e de marche.
Artillerie : 2 batteries. — Génie : 1 compagnie.
Brigade de cavalerie. t 9 e de chasseurs.
Général de Galliffet. j 12 e de chasseurs.
Réserve d'artillerie :
2 batteries à balles. — 2 batteries de 12.
Régiment de gendarmerie à pied non embrigadé.
II« CORPS.
Général de Cissey.
l re Division d'Infanterie :
Général L/EVAssor-Sorval,
M „ . . / i8« bataillon de chasseurs de marche.
£*»*•*•• L 2 . de marche.
Général Besson(i). | 85 . demarche .
2 e Brigade : l 113 e de ligne.
Général Daudel (2). | 114 e de ligne.
Artillerie : 2 batteries de 4. — Génie : 1 compagnie.
2 e Division d'Infanterie :
Général Susbielle.
„ D . , / 18 e bataillon de chasseurs de marche.
i te Brigade : \ __ , .
Général Bocher. f f œar ^ e -
( 89 e de marche.
(1 ) Tué en tête de ses troupes, le 10 avril.
(2) Remplacé plus tard par le général Osmont.
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 299
. „ . . / 17* bataillon de chasseurs de marche.
2* Brigade: ,8* de marche
Général Paturel. ) °, a , . *
( 76 e de marche.
Artillerie : 2 batteries de 4. — Génie : 1 compagnie.
3 e Division d'Infanterie :
Général I^acretelle.
_ _, . , , 19 e bataillon de chasseurs de marche.
A..1 _ t . ^ , \ 39 e de marche.
41 e de marche.
Général de IyA Croix.
2 e Brigade : J 70 e de marche.
I 70*
? 7i<
Général Péchot (i). f 71 e de marche.
Artillerie : 2 batteries de 4. — Génie : 1 compagnie.
Cavalerie : 6* de lanciers.
Réserve d'artillerie :
2 batteries à balles. — 2 batteries de 12.
IIP CORPS.
Général du Barail.
1" Division :
Général Halna du Fretay.
j w Brigade : l 3 e de hussards.
Général Charlemagne. \ 8 e de hussards.
2 e Brigade : j 7 e de chasseurs.
Général de Bataille. / 11 e de chasseurs.
Artillerie :
2 e Division :
Général du Preuil.
r re Brigade : l 4* de dragons.
Général Cousin. / 3 e de cuirassiers.
2 e Brigade : l i w régiment de gendarmerie.
I i«i
5. ( 2 e r
Général Dargentollb. ( 2 e régiment de gendarmerie.
Artillerie : 1 batterie à cheval.
(1 ) Tué en tête de ses troupes, le 10 avril ; remplacé par le général Bounetoux.
300 PIÈCES JUSTIFICATIVES.
2 e Division :
Général Ressayre.
!*• Brigade : i g« de lanciers.
Général de Bernis ( 7* de dragons.
2* Brigade : s 4* de cuirassiers.
Général Bachelier. ( 8 e de cuirassiers.
Artillerie : 1 batterie à cheval.
Réserve générale de l'artillerie :
Colonel de La j aille, commandant.
2 batteries à balles. — 4 batteries de 7. — 4 batteries de 12.
Réserve du génie : 1 compagnie.
A la date du 23 avril, deux nouveaux corps, les 4 e et 5 e , sous le com-
mandement respectif des généraux Douay et Clinchant, furent
ajoutés aux trois autres, constitués par le décret du 6 avril. Il a été
impossible de se procurer leur ordre de bataille, qui ne figure dans au-
cun document officiel.
Pièce n° 4.
LISTE DES 50 OTAGES MASSACRÉS RUE HAXO,
LE 26 MAI.
Dereste, ex-officier de paix de la brigade politique, sous V Empire.
Greffe, Largollière et Ruault, agents de cette même brigade.
Gaude, Genty, maréchaux des logis de la Garde de Paris.
Belauny, Biancherdini, Blanchon, Bodin, Bouzon, Breton,
Capdevtlle, Carlotti, Chapuis, Colombani, Coudevtlle, Cousin,
Doublet, Ducros, Dupre, Fischer, Fourrter, Kelle, Lacase,
Mammont, Marty, Mtllot, Mongenot, Mouillé, Pacotte, PomoT,
Pons, Pourteau, Riolland, Valet, Villemin, Wolder, Weiss,
Gardes de Paris.
De Bengy, Gaubert, Olivaint, Pères jésuites.
Radigue, Rouchouze, TARDD2U, Tuffter, Pères de Picpus.
Benoit, Planchât, prêtres.
Sabatier, vicaire de Notre-Dame de Loretta.
Seigneuret, élève du séminaire de Saint-Sulpice.
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE PREMIER
LE Comité centrai,. — État de Paris. — Le comité cen-
tral entre en action. — M. Thiers à Paris i à 27
CHAPITRE II
LE 18 mars. — Tentative de reprise des canons. —
Départ de M. Thiers. — Assassinat des généraux
Lecomte et Clément Thomas. — Arrestation du
général Chanzy. — Jules Ferry à l'Hôtel de Ville. —
Réunion des maires. — Départ du gouver-
nement 29 à 58
CHAPITRE III
LE règne du comité central. — Le comité cen-
tral de l'Hôtel de Ville. — Essais de conciliation.
— Le gouvernement à Versailles 59 à 95
CHAPITRE IV
La commune de Paris. — Proclamation de la Com-
mune. — Réorganisation de l'armée. — Affaire du
2 avril. — Mort de Flourens. — Mort de Duval. —
Occupation du plateau de Châtillon. — Attaque du
pont de Neuilly. — Le décret sur les otages. — Anar-
chie dans le gouvernement insurrectionnel. ... 97 à 131
302 TABLE DBS MATIÈRES.
CHAPITRE V
Les opérations miutaires du io avru,au 22 mai. —
Composition des armées françaises. — Ouverture de
la tranchée. — Les forces de la Commune. — Opé-
rations du siège. — Cluseret destitué et arrêté. — Les
femmes et les francs-maçons. — Rossel délégué de la
Guerre. — Le comité de salut public. — Continuation
des opérations militaires. — Chute des forts. — Entrée
des troupes dans Paris, 21 mai. — Séance de la Com-
mune 132a 171
CHAPITRE VI
LE règne de jjl commune. — Le gouvernement
insurrectionnel. — Démolition de l'hôtel de Thiers.
— Démolition de la colonne Vendôme. — Les arresta-
tions. — L'anarchie communaliste. — Les derniers
jours 174 a 193
CHAPITRE VII
La semaine sanglante. — Le plan d'attaque. —
Journée du 22 mai. — Journée du 23 mai. — Meurtre
de Chaudey. — Journée du 24. — La tragédie de la
Roquette. — Journée du 25. — Massacre des domi-
nicains d'Arcueil. — Mort de Delécluze. — Journée
du 26 mai. — Massacre de la rue Haxo. — Journée du
27. — Journée du 28. — Les derniers otages. — Les
pertes 195 à 25 1
CHAPITRE VIII
La répression 253 à 263